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Full text of "Oeuvres complètes"

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V'^ 


*1 


ŒUVRES   COMPLETES  DE   VICTOR  HUGO 

POÉSIE  -  XIII 


TOUTE  LA  LYRE 


IL  A  ETE  TIRE  A  PART 

5  exemplaires  sur  papier  du  Japon,  numérotés  de  i  à  5 
5  exemplaires  sur  papier  de  Chine,  numérotés  de  6  à  10 
40  exemplaires  sur  papier  de  Hollande,  numérotés  de  11  à  50 
300  exemplaires  sur  papier  vélin  du  Marais,  numérotés  de  51  à  350 


VICTOR   HUGO 


TOUTE   LA  LYRE 


TOME    SECOND 


i  1 


f 


ALBIN  MICHEL  -  PARIS 


IMPRIME 


L'IMPRIMERIE   NATIONALE 


EDITE 

PAR 

LA    LIBRAIRIE   OLLENDORFF 


MDCCCCXXXV 


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Fac-similé  du  titre  écrit  par  Victor  Hugo 

ET    RELIÉ    EN    TETE    DU    MANUSCRIT    :    ToUTE   LA    LYKEj    KeU^AT   ET   COPIE  ANNOTEE. 


LES  SEPT  CORDES 


V 


A  LOUIS   B. 

Non,  je  n'ai  point  changé.  Tu  te  plains  à  tort,  frère. 
Hélas!  quoique  le  ciel  parfois  nous  soit  contraire. 
Quoique  nous  n'ayons  rien  ici  qui  soit  à  nous. 
Quoique  dans  nos  travaux,  rudes  et  pourtant  doux. 
Le  sort  jaloux  souvent  vienne  et  nous  interrompe. 
Non,  je  nai  point  changé,  Louis;  ton  cœur  se  trompe. 
Je  suis  l'homme  pensif  que  j'ai  toujours  été. 
Contemplant  la  nature,  adorant  la  beauté. 
Fait  d'admiration,  d'étude  et  de  prière. 
Prosterné  devant  l'ombre  et  devant  la  lumière. 
J'ai,  créé  pour  soufïrir  et  vivre  par  l'amour. 
Deux  musiques  en  moi  qui  chantent  tour  à  tour  : 
Dans  la  tête  un  orchestre  et  dans  l'âme  une  lyre. 
Cette  création  que  je  tâche  de  lire. 
Avec  ses  univers,  ses  lueurs,  ses  splendeurs. 
Remuant  mon  cerveau  jusqu'en  ses  profondeurs. 
En  fait  en  même  temps  vibrer  toutes  les  fibres. 
Je  veux  les  peuples  grands,  je  veux  les  hommes  libres  5 
Je  rêve  pour  la  femme  un  avenir  meilleur  ; 
Incliné  sur  le  pauvre  et  sur  le  travailleur. 
Je  leur  suis  fraternel  du  fond  de  ma  pensée  ; 
Comment  guider  la  foule  orageuse  et  pressée. 
Comment  donner  au  droit  plus  de  base  et  d'ampleur. 
Comment  faire  ici-bas  décroître  la  douleur, 
La  faim,  le  dur  labeur,  le  mal  et  la  misère. 
Toutes  ces  questions  me  tiennent  dans  leur  serre  ; 
Et  puis,  quoique  songeur,  aisément  réjoui. 
Je  me  sens  tout  à  coup  le  cœur  épanoui 


U  TOUTE  LA  LYRE. 

Si,  dans  mon  cercle  étroit,  j'ai,  par  une  parole, 
Par  quelque  fantaisie  inattendue  et  folle. 
Fait  naître  autour  de  moi,  le  soir  au  coin  du  feu, 
Ce  rire  des  enfants  qui  fait  sourire  Dieu. 

Ainsi  tu  m'as  connu.  Je  suis  toujours  le  même. 
Aujourd'hui  seulement,  attristant  ceux  que  j'aime. 
Le  deuil  monte  parfois  à  mon  front  douloureux. 
Je  reste  moins  longtemps  au  milieu  des  heureux. 
Et  dans  mes  yeux,  souvent  fixés  hors  de  ce  monde. 
Le  sourire  est  plus  pâle  et  l'ombre  est  plus  profonde. 


II  octobre  1846. 


II 


—  Admire,  enfant!  souvent  aux  marins  de  Messine 
Un  pauvre  feu  de  pâtre  au  loin  montre  et  dessine 

Charybde  ou  bien  Scylla. 
Il  conduit  le  nocher  dans  sa  route  prospère  ! . . . 

—  Mais,  répondit  l'enfant,  l'étoile  aussi,  mon  père, 

Peut  servir  à  cela.  — 

A 

O  mon  fils,  ô  mon  fîls!  tu  l'as  dit!  Parle  encore! 

O  front  pur  c[ui  vers  moi  montes  comme  une  aurore, 

Mon  enfant  bien-aimé  ! 
Tout  est  grand!  Tout  est  bon!  tu  l'as  dit  de  ta  bouche 
Qui  versa  tant  de  fois  sur  mon  esprit  farouche 

Son  souffle  parfumé! 

Tu  las  dit  !  un  seul  mot  de  ta  pure  innocence 
Vaut  mieux  que  ma  sagesse  et  plus  que  ma  science, 

Enfant  religieux! 
Pour  un  regard  d'enfant  le  ciel  n'a  pas  de  voiles. 
Où  pourrait-on  trouver  le  secret  des  étoiles 

Si  ce  n'est  dans  tes  yeux? 


14  TOUTE  LA  LYRE. 


III 


A   UNE   RELIGIEUSE. 


Dans  vos  dévotions  que  comprend  ma  pensée. 

Ne  vous  détournez  pas  comme  une  âme  blessée. 

Sainte  fille  du  ciel,  oh  non!  je  n'ai  pas  ri. 

Mon  cœur  d'un  Dieu  rêveur  de  tout  temps  fut  l'abri. 

Et  ce  que  je  vénère  avant  tout  dans  ce  monde 

C'est  l'homme,  raison  calme  et  passion  profonde. 

Qui  fait  la  part  de  tout,  à  toute  heure,  en  tout  lieu. 

Debout  devant  le  sort,  à  genoux  devant  Dieu. 

Voyez-vous,  je  suis  né  sous  des  regards  austères  5 

Et  ma  joie  ingénue  en  de  graves  mystères 

A  souvent  regardé  sans  risée  et  sans  peur. 

La  belle  enfance,  ainsi  qu'une  blanche  vapeur. 

Toujours  dans  notre  esprit  reparaît  et  surnage; 

Et  moi,  je  m'en  souviens,  jouant  dans  mon  jeune  âge 

Avec  mon  frère  Eugène,  avec  mon  frère  Abel, 

Mêlant  ma  voix  aux  leurs,  innocente  Babel, 

Tout  petit,  j'ai  rempli  de  chansons  enfantines 

Le  saint  cloître  où  jadis  priaient  les  Feuillantines. 

25  juin  1837. 


IV  0) 


A  cette  heure  indécise  où  le  jour  va  mourir. 
Où  tout  s'endort,  le  cœur  oubliant  de  souffrir. 
Les  oiseaux  de  chanter  et  les  troupeaux  de  paître. 
Que  de  fois  sous  mes  yeux  un  chariot  champêtre. 
Groupe  vivant  de  bruit,  de  chevaux  et  de  voix, 
A  gravi  sur  le  flanc  du  coteau  dans  les  bois 
Quelque  route  creusée  entre  les  ocres  jaunes. 
Tandis  que  près  d'une  eau  qui  fuyait  sous  les  aulnes. 
Seul,  j'écoutais  gémir  dans  les  brumes  du  soir 
Une  cloche  enrouée  au  fond  d'un  vallon  noir! 
Que  de  fois  épiant  la  rumeur  des  chaumières. 
Le  brin  d'herbe  moqueur  qui  siffle  entre  deux  pierres. 
Le  cri  plaintif  du  soc,  gémissant  et  traîné. 
Le  nid  qui  jase  au  fond  du  cloître  ruiné 
D'où  l'ombre  se  répand  sur  les  tombes  des  moines. 
Le  champ  doré  par  l'aube  où  causent  les  avoines 
Qui  pour  vous  voir  passer,  comme  un  peuple  ravi. 
Au  bord  du  chemin  creux  se  penchent  à  l'envi. 
L'abeille  qui  tout  bas  chante  et  parle  à  la  rose. 
Parmi  tous  ces  objets  dont  l'être  se  compose. 
Que  de  fois  j'ai  rêvé,  triste  et  parfois  heureux. 
Tâchant  de  m'expliquer  ce  qu'ils  disaient  entre  eux  ! 


C  Inédit. 


l6  TOUTE  LA  LYRE. 


V 


La  France,  ô  mes  enfants,  reine  aux  tours  fleuronnées. 
Posait,  sous  l'empereur  que  votre  aïeul  servait. 
Le  bras  droit  sur  le  Rhin,  le  gauche  aux  Pyrénées, 
Et  ses  pieds  et  sa  tête  avaient,  ô  destinées! 
L'Océan  pour  lion,  les  Alpes  pour  chevet. 

Austerlitz,  léna,  Friedland,  météores. 
Rayonnaient.  Un  seul  homme  enflammait  tous  les  yeuxj 
Sa  gloire,  grandissant  à  toutes  les  aurores. 
Se  composait  du  bruit  des  trompettes  sonores 
Et  des  tambours  joyeux. 

Et  l'Europe  voyait  briller,  vaincue  et  fière. 
Dans  ce  camp,  d'où  sortaient  la  guerre  et  ses  terreurs. 
Autour  de  cette  France  en  tous  lieux  la  première. 
Comme  des  moucherons  autour  d'une  lumière. 
Un  groupe  humilié  de  rois  et  d'empereurs. 

Ces  choses  se  passaient  quand  mon  âme  innocente 
S'ouvrait,  comme  la  vôtre,  au  soleil  réchauffant j 
Le  léopard  anglais  rôdait,  gueule  béante. 
César  était  debout,  la  France  était  géante. 
Lorsque  j'étais  enfant; 

Lorsque  j'étais  enfant,  envié  par  les  mères. 
Libre  dans  le  jardin  et  libre  dans  les  bois. 
Et  que  je  m'amusais,  errant  près  des  chaumières, 
A  prendre  des  bourdons  dans  les  roses  trémières 
En  fermant  brusquement  la  fleur  avec  mes  doigts. 

Bois  d'Andernach-sur-le-Rhin. 
12  septembre  1840. 


VI 


L'autre  jour,  ami  cher,  ami  de  vingt  années, 
Tandis  qu'en  vos  pensers,  rêvant  des  jours  meilleurs. 
Vous  sondiez  de  l'état  les  hautes  destinées. 
Je  regardais  jouer  vos  enfants  dans  les  fleurs. 

Inégales  par  l'âge,  également  aimées. 
L'aînée  à  la  dernière  avec  amour  sourit. 
Trois  filles  !  êtres  purs  !  âmes  au  bien  formées 
Que  pénètre  un  rayon  de  votre  grand  esprit  ! 

La  rosée  inondait  les  fleurs  à  peine  écloses; 
Elles  jouaient,  riant  de  leur  rire  sans  fiel. 
Deux  choses  ici-bas  vont  bien  avec  les  roses. 
Le  rire  des  enfants  et  les  larmes  du  ciel. 

Beaux  fronts  où  tout  est  joie  et  qui  n'ont  rien  de  sombre  ! 
Oh!  je  les  contemplais,  le  cœur  de  pleurs  gonflé. 
Moi  qui  vis  désormais  l'œil  fixé  sur  une  ombre. 
Moi  qui  cherche  partout  mon  doux  ange  envolé! 

Devant  votre  bonheur  j'oubliais  ma  souflrance. 
Je  priais,  d'un  esprit  paisible  et  raffermi  ; 
Mon  deuil  recommandait  à  Dieu  votre  espérance. 
Et  du  fond  de  mon  cœur  je  vous  disais  :  —  Ami  ! 

Soyez  toujours  heureux  dans  ces  têtes  si  chères  ! 
Que  chaque  jour  qui  passe  ajoute  à  leur  beauté! 
Voyez  sur  votre  seuil,  en  proie  aux  soins  austères. 
S'épanouir  leur  grâce  et  leur  sérénité  ! 

POÉSIE.   —   XIII,  2 

IHrSIMllME    HITIOSILE. 


l8  TOUTE  LA  LYRE. 

Dieu  vous  doit  ce  bonheur!  car  dans  notre  nuit  noire. 
Ces  êtres  si  charmants  nous  consolent  parfois  ! 
Car  vous  vous  détournez  du  bruit  de  votre  gloire 
Pour  écouter,  pensif,  l'heureux  bruit  de  leur  voix  I 

Aimé  dans  vos  foyers,  admiré  de  la  foule. 
Esprit  profond,  lutteur  aux  discours  triomphants. 
Passant  du  juste  au  vrai,  votre  destin  s'écoule 
Entre  les  grands  travaux  et  les  petits  enfants  ! 

Oh!  quand  de  noirs  soucis  vos  heures  sont  ternies. 
Regardez!  regardez  cet  avenir  si  doux. 
Ces  trois  fronts  rayonnants,  ces  trois  aubes  bénies 
Qui  se  lèvent  dans  l'ombre,  ô  père,  autour  de  vous! 

24  septembre  1844. 


VII 


Vous  êtes  bien  des  fois  venus  dans  ma  demeure 

En  m'appelant  ami  ! 
Vous  ave2  dans  vos  bras  bercé  l'enfant  qui  pleure 

Et  l'enfant  endormi. 

Et  tandis  qu'ils  dormaient,  beaux  fronts  où  semble  luire 

Tout  un  monde  meilleur. 
Vous  paraissiez,  penchés  avec  un  pur  sourire. 

Vague  reflet  du  leur. 

Tenir  vos  cœurs  ouverts  aux  sereines  pensées. 

Aux  songes  réchauffants. 
Qui  sortent  doucement,  pour  nos  âmes  blessées, 

Du  sommeil  des  enfants. 


20  TOUTE  LA   LYRE. 


VIII 


A    OL. 


Tu  vivais  autrefois  penché  sur  la  nature, 

O  rêveur!  ton  esprit,  sans  changer  de  posture, 

Se  penche  maintenant  sur  les  événements. 

Déjà  des  temps  futurs  les  noirs  linéaments 

Pour  ta  prunelle  fixe  et  claire  sont  visibles. 

Souriant  vaguement  aux  rencontres  possibles. 

Tu  marches  devant  toi  dans  la  nuit.  Crainte,  espoir. 

Que  t'importe?  tu  vas  où  tu  vois  le  devoir. 

Si  l'on  creuse  à  tes  pas  des  pièges,  tu  l'ignores. 

Parmi  ces  hommes  fous  et  vainement  sonores. 

Grave,  triste,  et  rempli  de  l'avenir  lointain. 

Tu  caches  ou  tu  dis  les  choses  du  destin; 

Car  le  ciel  rayonnant  te  fit  naître,  ô  poëte. 

De  l'Apollon  chanteur  et  de  l'Isis  muette. 

i-j  novembre. 


IX 


Vénus  rit  toute  nue  au-dessus  de  mon  lit 

Qu'un  damas  écarlate  à  glands  dorés  plafonne. 

Des  singes  sur  mon  mur,  bande  agreste  et  bouffonne, 

Font  cent  choses  avec  ces  rires  furieux 

Qui  ravissent  Molière  et  choquent  Andrieux. 

Près  d'eux  songent,  l'œil  plein  d'une  douce  chimère. 

Ma  bisaïeule  belle  et  jeune  et  ma  grand'mère 

Toute  petite,  avec  une  fleur  dans  sa  main. 

Partout,  autour  de  moi,  sur  maint  vieux  parchemin. 

Sur  le  satin  fleuri,  sur  les  pots,  sur  les  laques. 

Vivent  confusément  les  djinns,  les  brucolaques. 

Les  mandarins  à  l'air  vénérable  et  sournois. 

Les  dragons,  les  magots,  et  ces  démons  chinois 

Fort  laids,  mais  pétillants  de  malice  et  de  flamme. 

Qui  doivent  ressembler  aux  rêves  d'une  femme 

Amoureuse  de  vous,  ô  mon  ami  Crémieux  ! 

Mon  esprit  dans  ce  monde  étrange  songe  mieux  5 

Comme  un  oiseau  tenté  par  de  lointaines  grèves. 

Il  ouvre  lentement  les  ailes  dans  ces  rêves. 

Il  part  du  chimérique  et  monte  à  l'idéal. 


21  TOUTE  LA  LYRE. 


X(i) 


A  cette  heure  de  nuit  où  l'homme  vague  et  trouble. 

Chair,  âme,  entre  la  terre  et  le  ciel  se  sent  double. 

Quelquefois,  à  l'instant  où  je  vais  m'endormir. 

Où  tous  les  flots  de  l'ombre  en  moi  viennent  frémir, 

Une  idée  apparaît  à  mon  esprit,  et  passe  5 

Ou  quelque  vers  profond  serpente  dans  l'espace. 

Espèce  de  poisson  ondoyant  du  sommeil  î 

Un  moment  je  l'admire,  étrange,  obscur,  vermeil. 

Et,  si  je  veux  le  prendre,  il  fuit,  se  mêle  aux  ombres. 

Et  s'enfonce  à  jamais  dans  les  profondeurs  sombres. 

9  mars  1856. 
Après  avoir  perdu  cette  nuit  un  vers  que  je  regrette. 

^''  Inédit.   (Carnet  1856.)  [Collection  de  M.  Louis  Barthou.] 


XI 


Le  couchant  flamboyait  à  travers  les  bruines 
Comme  le  fronton  d'or  d'un  vieux  temple  en  ruines. 

L'arbre  avait  un  frisson. 
La  mer  au  loin  semblait,  en  ondes  recourbée, 
Une  colonne  torse  en  marbre  vert,  tombée 

Sur  l'énorme  horizon. 

La  vague,  roue  errante,  et  l'écume,  cavale. 
S'enfuyaient  -,  je  voyais  luire  par  intervalle 

Les  cieux  pleins  de  regards  -, 
Les  flots  allaient,  venaient,  couraient,  sans  fin,  sans  nombre. 
Et  j'écoutais,  penché  sur  ce  cirque  de  l'ombre. 

Le  bruit  de  tous  ces  chars. 

Lugubre  immensité  !  profondeurs  redoutées  ! 
Tous  sont  là,  les  Satans  comme  les  Prométhées. 

Ténébreux  océans  ! 
Cieux,  vous  êtes  l'abîme  où  tombent  les  génies. 
Oh  !  combien  l'œil,  au  fond  des  brumes  infinies, 

Aperçoit  de  géants  ! 

O  vie,  énigme,  sphinx,  nuit,  sois  la  bienvenue! 
Car  je  me  sens  d'accord  avec  l'Ame  inconnue. 

Je  souf&e,  mais  je  crois. 
J'habite  l'absolu,  patrie  obscure  et  sombre. 
Pas  plus  intimidé  dans  tous  ces  goufees  d'ombre 

Que  l'oiseau  dans  les  bois. 


24  TOUTE  LA  LYRE. 

Je  songe,  l'œil  fixé  sur  l'incompréhensible. 
Le  zénith  est  fermé.  Les  justes  sont  la  cible 

Du  mensonge  effronté; 
Le  bien,  qui  semble  aveugle,  a  le  mal  pour  ministre. 
Mais,  rassuré,  je  vois  sous  la  porte  sinistre 

La  fente  de  clarté. 


II  avril  1870. 


XII  (») 

Virgile,  en  ce  beau  mois,  je  sens  moins  les  douleurs; 
Par  la  nature  et  toi  mon  âme  dort  bercée  ; 
J'ai  devant  ma  fenêtre  un  jardin  plein  de  fleurs. 
Et  ton  doux  livre  ouvert  sous  l'œil  de  ma  pensée. 

22  mai  1847. 


C'  Inédit. 


l6  TOUTE  LA  LYRE. 


XIII 


Le  bien  germe  parfois  dans  les  ronces  du  mal. 
Souvent,  dans  l'éden  bleu  de  l'étrange  idéal. 
Que,  frissonnant,  sentant  à  peine  que  j'existe. 
J'aperçois  à  travers  mon  humanité  triste. 
Comme  par  les  barreaux  d'un  blême  cabanon, 
Je  vois  éclore,  au  fond  d'une  lueur  sans  nom. 
De  monstrueuses  fleurs  et  d'effrayantes  roses. 

Je  sens  que  par  devoir  j'écris  toutes  ces  choses 

Qui  semblent,  sur  le  fauve  et  tremblant  parchemin. 

Naître  sinistrement  de  l'ombre  de  ma  main. 

Est-ce  que  par  hasard,  grande  haleine  insensée 

Des  prophètes,  c'est  toi  qui  troubles  ma  pensée? 

Où  donc  m'entraîne-t-on  dans  ce  nocturne  azur? 

Est-ce  un  ciel  que  je  vois  ?  Est-ce  le  rêve  obscur 

Dont  j'aperçois  la  porte  ouverte  toute  grande? 

Est-ce  que  j'obéis?  est-ce  que  je  commande? 

Ténèbres,  suis-je  en  fuite?  est-ce  moi  qui  poursuis? 

Tout  croule  ;  je  ne  sais  par  moments  si  je  suis 

Le  cavalier  terrible  ou  le  cheval  farouche  j 

J'ai  le  sceptre  à  la  main  et  le  mors  dans  la  bouche  5 

Ouvrez-vous  que  je  passe,  abîmes,  gouflre  bleu. 

Gouffre  noir!  Tais-toi,  foudre!  Où  me  mènes-tu.  Dieu? 

Je  suis  la  volonté,  mais  je  suis  le  délire. 

O  vol  dans  l'infini  !  J'ai  beau  par  instants  dire 

Comme  Jésus  criant  Lamma  Sabacthani  : 

Le  chemin  est-il  long  encore?  est-ce  fini. 


LE  BIEN  GEKME  PAKFOIS  DANS  LES  RONCES..   2/ 

Seigneur?  permettrez-vous  bientôt  que  je  m'endorme? 
L'Esprit  fait  ce  qu'il  veut.  Je  sens  le  souffle  énorme 
Que  sentit  Elisée  et  qui  le  souleva  5 
Et  j'entends  dans  la  nuit  quelqu'un  qui  me  dit  :  Va  ! 


28  TOUTE  LA  LYRE. 


XIV  (^) 


Mon  âme  était  en  deuil  ;  c'était  l'heure  de  l'ombre. 
L'air  mêlait  les  aspects  sans  forme  aux  voix  sans  nombre  ; 
Un  chant  de  mort  semblait  sortir  de  tous  ces  bruits  5 
L'ombre  était  comme  un  temple  immense  aux  triples  voiles  ; 
Et  je  voyais  au  fond  scintiller  les  étoiles. 
Cierges  mystérieux  sur  le  drap  noir  des  nuits. 

II  janvier  1846. 


(')  Inédit. 


XV 


JE  TRAVAILLE. 


Amis,  je  me  remets  à  travailler}  j'ai  pris 

Du  papier  sur  ma  table,  une  plume,  et  j'écris; 

J'écris  des  vers,  j'écris  de  la  prose;  je  songe. 

Je  fais  ce  que  je  puis  pour  m'ôter  du  mensonge. 

Du  mal,  de  l'égoïsme  et  de  l'erreur;  j'entends 

Bruire  en  moi  le  gouffre  obscur  des  mots  flottants  ; 

Je  travaille.  Ce  mot,  plus  profond  qu'aucun  autre. 

Est  dit  par  l'ouvrier  et  redit  par  l'apôtre  ; 

Le  travail  est  devoir  et  droit,  et  sa  beauté 

C'est  d'être  l'esclavage  étant  la  liberté. 

Le  forçat  du  devoir  et  du  travail,  est  libre. 

Mais  quoi  !  penseur,  tu  vas  remettre  en  équilibre 

Au  fond  de  ton  esprit,  qu'occupaient  d'autres  soins. 

L'idée  avec  le  mot,  le  plus  avec  le  moins  ! 

De  la  prose  !  pourquoi  ?  des  vers  !  pourquoi  ?  des  rimes  ! 

Des  phrases  !  A  quoi  bon?  A  quoi  bon  les  abîmes. 

Les  mystères,  la  vie  et  la  mort,  les  secrets 

De  la  croissance  étrange  et  sombre  des  forêts 

Et  des  peuples,  et  l'ombre  où  croulent  les  empires. 

Et  toute  cette  énigme  humaine  où  les  Shakspeares 

Plongeaient,  et  que  fouillaient,  les  yeux  tout  grands  ouverts. 

Tacite  avec  sa  prose  et  Dante  avec  son  vers  ! 

A  quoi  bon  la  beauté,  l'art,  la  forme,  le  style? 

Lucrèce  et  le  spondée,  Horace  et  le  dactyle. 

Et  tous  ces  arrangeurs  de  rhythmes  et  de  mots. 


30  TOUTE  LA  LYRE. 

Pindare,  Eschyle,  Job,  Plaute,  Isaïe,  Amos! 

A  quoi  bon  ce  qui  fait  l'homme  grand  sur  la  terre? 

Ceux  qui  parlent  ainsi  feraient  mieux  de  se  taire  ; 
Je  connais  dès  longtemps  leur  vaine  objection. 

L'art  est  la  roue  immense  et  j'en  suis  l'Ixion. 

Je  travaille.  A  quoi?  Mais...,   à  toutj  car  la  pensée 

Est  une  vaste  porte  à  chaque  instant  poussée 

Par  ces  passants  qu'on  nomme  Honneur,  Devoir,  Raison, 

Deuil,  et  qui  tous  ont  droit  d'entrer  dans  la  maison. 

Je  regarde  là-haut  le  jour  éternel  poindre. 

À  qui  voit  plus  de  ciel  la  terre  semble  moindre  ; 

J'offre  aux  morts,  dans  mon  âme  en  proie  au  choc  des  vents. 

Leur  souvenir  accru  de  l'oubli  des  vivants. 

Oui,  je  travaille,  amis  !  oui,  j'écris  !  oui,  je  pense  ! 

L'apaisement  superbe  étant  la  récompense 

De  l'homme  qui,  saignant  et  calme  néanmoins, 

Tâche  de  songer  plus  afin  de  souffrir  moins. 

Le  souffle  universel  m'enveloppe  et  me  gagne. 

Le  lointain  avenir,  lueur  de  la  montagne, 

M'apparaît,  par-dessus  tous  les  noirs  horizons. 

C'est  par  ces  rêves-là  que  nous  nous  redressons. 

O  frisson  du  songeur  qui  redevient  prophète  ! 

Le  travail,  cette  chose  inexprimable,  faite 

De  vertige,  d'effort,  de  joug,  de  volonté. 

Vient  quand  nous  l'appelons,  nous  jette  une  clarté 

Subite,  et  verse  en  nous  tous  les  généreux  zèles. 

Et,  docile,  ardent,  fier,  ouvrant  de  brusques  ailes. 

Écartant  les  douleurs  ainsi  que  des  rameaux. 

Nous  emporte  à  travers  l'infini,  loin  des  maux. 

Loin  de  la  terre,  loin  du  malheur,  loin  du  vice. 

Comme  un  aigle  qu'on  a  dans  l'ombre  à  son  service. 


12  janvier  1874. 


XVI 


Tu  me  dis  :  Finis  donc  ton  livre  des  Misères '^^K 

Ami,  pour  achever  ce  vaste  manuscrit. 

Il  me  faut  avant  tout  ma  liberté  d'esprit. 

Quand  un  monde  se  meut  dans  le  cerveau  d'un  homme. 

Il  ne  peut  pas  songer  aux  affaires  de  Rome, 

A  monsieur  Bonaparte,  à  Faucher,  à  Mole. 

Rends-moi  l'espace  immense  et  le  ciel  étoile  ! 

Rends-moi  la  solitude  et  la  forêt  muette  ! 

Hélas  !  on  ne  peut  être  en  même  temps  poëte 

Qui  s'envole,  et  tribun  coudoyant  Changarnier, 

Aigle  dans  l'idéal  et  vautour  au  charnier. 

Octobre  i8;i. 


^'^  Premier  titre  des  Misérables.  (Note  de  l'Éditeur.) 


32  TOUTE  LA  LYRE. 


XVII 


Quand  je  marche  à  mon  but  auguste 
Ce  qui  menace  me  sourit. 
O  Dieu  !  ce  que  je  veux  est  juste 
Et  je  le  veux  d'un  ferme  esprit. 

Ni  juin  formidable  et  farouche. 
Ni  les  cris,  ni  le  rire  amer. 
Ni  Changarnier  au  regard  louche. 
Ni  le  vent  soufflant  sur  la  mer. 

Ni  la  haine  où  je  suis  en  butte. 
Rien  ne  me  fera  chanceler. 
Si  le  monde  croulait,  sa  chute 
M'écraserait  sans  m'ébranler. 


XVIII  (^) 


A 

O  toi  qui  m'as  maudit  dans  tes  souffrances  sombres. 

Un  jour,  ceux  qui  vivront  quand  nous  serons  des  ombres. 

Les  passants  qu'après  nous  agitera  le  vent. 

Surpris,  viendront  au  champ  des  morts,  et,  soulevant 

La  pierre  du  tombeau  sur  ma  bière  muette. 

Ils  me  demanderont  :  pourquoi  donc,  ô  poëte. 

Quelqu'un  t'a-t-il  maudit,  toi  qui  saignas  pour  tous? 

Et  moi  je  répondrai,  spectre  farouche  et  doux. 

Faisant  signe  à  la  pierre  afin  qu'elle  retombe  : 

—  Silence  !  laissez-moi  songer  seul  dans  ma  tombe. 

Laissez-moi  savourer  la  sombre  volupté 

De  me  dire  :  il  eut  tort,  ce  grand  cœur  irrité. 


Bruxelles,  i""  janvier  1852. 


(')  Inédit. 

POÉSIE. 


IMPUJUIIIE     SITIOXALE. 


34  TOUTE  LA  LYRE. 


XIX 


A  UN  ENFANT. 


Quoique  je  sois  de  ceux  qui  se  sont  autrefois 

Penchés  sur  ton  berceau  plein  de  ta  jeune  voix, 

Tu  commences,  enfant,  à  ne  plus  me  connaître. 

Je  ne  suis  rien  pour  toi  qu'un  étranger,  un  être 

Évanoui,  perdu  dans  de  noirs  lendemains. 

Un  voyageur  dont  l'ombre  est  sur  d'autres  chemins. 

Quelqu'un  qu'on  vit  jadis,  avant  les  jours  funèbres, 

Lorsqu'on  était  petit,  passer  dans  les  ténèbres; 

Tu  ne  songes  pas  plus  à  moi  qu'au  moucheron 

Qui  volait  tout  à  l'heure  en  sonnant  du  clairon, 

À  ta  balle  perdue,  à  ta  lampe  soufflée  ; 

Pas  plus  qu'à  ce  parfum  d'herbe  et  de  giroflée 

Qu'avril  mêle  à  l'aurore  et  qui  dure  un  moment  j 

Tu  m'as  laissé  tomber  de  ton  esprit  gaunent 

Comme  un  cahier  fini  tout  noirci  de  grimoire. 

Tu  fais  bien.  Nous  avons,  hélas,  plus  de  mémoire. 

Enfants,  nous  qui,  vivant  pendant  que  vous  naissez. 

Lisons  vos  avenirs  écrits  dans  nos  passés  -, 

Votre  sort  nous  émeut,  et  bien  souvent  nous  sommes 

Rêveurs,  nous  grands  enfants,  devant  vous,  petits  hommes. 

Aussi,  vois-tu,  du  fond  des  mornes  horizons. 

Je  viens  à  toi,  jeune  âme,  et  je  te  dis  :  causons. 

Pose  un  moment  ta  plume  et  ferme  ta  grammaire. 
Écoute.  Te  voilà  grandissant,  et  ta  mère 
Est  debout  près  de  toi  comme  un  gardien  des  cieux. 
Seule  et  veuve,  et  livrée  aux  vents  capricieux. 


A    UN  ENFANT.  35 

En  proie  aux  souffles  noirs  qui  n'épargnent  personne. 
Elle  étend  sur  ton  front  son  aile  qui  frissonne. 
Et  veille  ;  la  colombe  a  peur  pour  le  roseau. 
Car  le  sort  menaçant  nous  tient  dès  le  berceau  ; 
Qu'on  soit  un  petit  prince  ou  bien  un  petit  pâtre. 
Nul  n'échappe  au  destin  -,  son  ongle  opiniâtre 
Se  mêle  à  nos  cheveux  et  nous  trame  effarés. 

Oh  !  fixe  ton  regard  sur  ses  yeux  adorés  ! 
Ici-bas  c'est  ta  mère,  et  là-haut  c'est  ton  ange. 
Cette  femme  a  subi  plus  d'une  épreuve  étrange. 
Enfant,  c'est  toi  qui  dois  l'en  consoler.  Retiens 
Que,  touchante  à  nos  yeux,  elle  est  sacrée  aux  tiens. 
La  nature  la  fit  reine,  et  le  sort  martvre. 
Qui  la  voit  pleurer  sent  un  charme  qui  l'attire. 
Hélas  !  l'ombre  d'hier  assombrit  aujourd'hui. 
Elle  accepte,  stoïque  et  simple,  l'âpre  ennui. 
L'isolement ,  l'affront  dont  un  sot  nous  lapide , 
La  haine  des  méchants,  cette  meule  stupide 
Qui  broie  un  diamant  ainsi  qu'un  grain  de  mil. 
Et  toutes  les  douleurs,  contre-coups  de  l'exil. 

Oh!  l'exil!  il  est  triste,  il  s'en  va,  grave  et  morne. 
Traînant  un  deuil  sans  fin  dans  l'espace  sans  borne. 
Et,  sur  le  dur  chemin  qui  vers  l'ombre  descend. 
Hélas  !  on  voit  tomber  goutte  à  goutte  le  sang 
Des  racines  du  cœur  qui  pendent  arrachées  ! 

Le  malheur,  c'est  le  feu  dans  les  branches  séchées. 
Il  dévore,  joyeux,  nos  jours  évanouis. 

Naguère  elle  brillait  aux  regards  éblouis. 
Pareille  au  mois  de  mai  qu'un  zéphyr  tiède  effleure  ; 
Naguère  elle  brillait  5  maintenant  elle  pleure. 
Ce  rayon  n'a  duré  que  le  temps  d'un  éclair. 


36  TOUTE  LA  LYRE. 

Mais  la  pensée  auguste  habite  son  œil  fier  ? 

Mais  le  malheur,  qui,  même  en  nous  frappant,  nous  venge, 

A  mis  des  ailes  d'aigle  à  ses  épaules  d'ange. 

Dieu,  caché  dans  la  nuit  de  cet  être  souffrant, 

Brille  et  fait  resplendir  son  sourcil  transparent, 

L'albâtre  laisse  voir  la  lumière  immortelle. 

Son  front  luit  ! 

Toi,  son  fils,  tressaille  devant  elle 
Comme  Gracchus  enfant  quand  sa  mère  venait  j 
Car  elle  est  la  clarté  de  ton  aube  qui  naît. 

Qu'importe  que  la  foule  ignore  ou  méconnaisse  ! 
J'ai  vu,  moi,  quand  l'angoisse  étreignait  sa  jeunesse. 
Comment  elle  a  souffert,  comment  elle  a  lutté. 
Et  j'ai  dit  dans  mon  cœur  :  Cette  femme  eût  été 
Archidamie  à  Sparte  ou  Cornélie  à  Rome. 

Enfant,  ressemble-lui  si  tu  veux  être  un  homme  j 

Car  elle  est  brave;  car  à  l'abîme,  au  péril. 

Son  doux  œil  féminin  jette  un  regard  viril  ; 

Car  c'est  un  ferme  esprit  !  car  c'est  un  vrai  courage  ! 

Jamais,  sous  le  ciel  bleu,  jamais,  devant  l'orage. 

Jamais,  retiens  cela,  quoique  tu  sois  petit. 

Dans  un  plus  noble  sein  plus  grand  cœur  ne  battit  ! 

Elle  est  femme  pourtant,  et  ses  maux  sont  sans  nombre. 

Mais  un  profond  azur  emplit  son  âme  sombre. 

Elle  marche  à  travers  la  vie,  âpre  forêt. 

Et  regarde  au  delà  des  rameaux  j  on  dirait 

Qu'elle  cherche  le  mot  d'une  énigme  dans  l'ombre  ; 

Et  puis  elle  s'incline  ainsi  qu'un  mât  qui  sombre  ; 

Elle  dit  à  l'espoir  :  va-t'en  !  au  souvenir  : 

Silence!  au  jour  qui  meurt  :  hâte-toi  de  finir! 

Car,  conscience  pure,  elle  est  un  esprit  triste. 

Même  en  rêvant  longtemps  sa  tristesse  persiste. 


À  UN  ENFANT.  37 

Hélas  !  le  doute  injuste  est  au  fond  de  son  cœur 
Comme  au  fond  d'un  beau  vase  une  amère  liqueur. 
C'est  qu'elle  a  tant  gémi  dans  ces  lugubres  voies 
Où  Dieu  nous  pousse  avec  nos  douleurs  et  nos  joies! 
Une  larme  éternelle  erre  au  bord  de  ses  yeux. . . 
Oh  !  courbons-nous  devant  ces  fronts  mystérieux 
Qui,  faibles  et  ployés,  dans  l'ombre  où  Dieu  nous  jette. 
Semblent  faits  pour  porter  la  souffrance  muette. 
Que  le  destin  poursuit,  ce  bourreau  jamais  las, 
Que  tous  les  maux  sur  terre  et  tous  les  deuils,  hélas! 
Couvrent  de  leur  cilice,  accablent  de  leurs  voiles. 
Et  qu'attendent  aux  cieux  des  couronnes  d'étoiles  ! 

Aime-la!  porte-lui  ton  cœur  chaque  matin. 
Ris  !  Réjouis  cette  âme  à  ton  rire  enfantin. 
Sois  le  flot  pur  qui  porte  et  caresse  le  cygne. 
Quand  elle  parle,  adore  ^  obéis  sur  un  signe. 
Sois  son  consolateur  et  sois  son  défenseur. 
Que  le  mensonge  vil,  trompé  dans  sa  noirceur. 
Vienne  apportant  l'affront,  te  voie,  et  le  remporte. 
Qu'on  te  sente  déjà  veillant  devant  sa  porte. 
Si  le  sort  m'eût  donné,  sainte  et  charmante  loi. 
Ce  grand  devoir  de  fils  qu'il  te  confie  à  toi. 
Oh!  comme  elle  eût  dormi  sous  ma  garde  fidèle. 
Et,  lion  pour  autrui,  j'eusse  été  chien  pour  elle! 

Sois  bon,  sois  doux,  sois  tendre.  Ecarte  de  ta  main. 
Sous  ses  pieds  délicats,  les  pierres  du  chemin. 

Pour  elle,  ô  pauvre  enfant,  tu  donnerais,  écoute. 
Ton  âme  souffle  à  souffle  et  ton  sang  goutte  à  goutte. 
De  sa  robe  à  genoux  tu  baiserais  les  plis. 
Tu  la  contemplerais  comme  on  contemple  un  lys. 
Comme  on  contemple  un  ciel  où  se  lève  l'aurore. 
Mains  jointes,  l'œil  en  pleurs,  ce  ne  serait  encore. 
Pour  cet  être  au  front  pur  à  qui  tu  dois  le  jour. 
Pas  assez  de  respect  et  pas  assez  d'amour  ! 


38  TOUTE  LA  LYRE. 

Grave  en  ton  jeune  esprit,  fils  d'une  noble  femme, 

Ces  paroles  qui  sont  comme  l'adieu  d'une  âme  5 

Enfant,  écoute-moi,  pendant  que  je  suis  là. 

Car  l'œil  qui  luit  s'éteint,  la  bouche  qui  parla 

Se  ferme  ;  nous  vivons  le  temps  de  disparaître. 

Enfant,  je  te  le  dis,  je  suis  de  ceux  peut-être 

Qu'on  ne  reverra  plus,  tant  ils  sont  dans  la  nuit. 

Ils  vont  enveloppés  d'un  tourbillon  de  bruit. 

Meurtris,  blessés,  les  yeux  pleins  de  clartés  sereines. 

L'ouragan  monstrueux  des  fureurs  et  des  haines. 

Souffle  qui  vient  d'en  bas,  courbe  leur  front  pensif. 

Leur  âme  vole,  oiseau,  de  récif  en  récif. 

Ils  traversent  le  choc  des  diverses  fortunes. 

Et  leur  main  se  cramponne  au  marbre  des  tribunes. 

Aux  lois,  à  la  patrie,  aux  colonnes  du  droit. 

Plus  le  péril  grandit,  plus  leur  devoir  s'accroît  j 

Du  flot  toujours  plus  noir  leur  foi  sort  plus  robuste. 

Ils  luttent  pour  le  bien,  pour  l'honneur,  pour  le  juste. 

Pour  le  beau,  pour  le  vrai,  laissant  saigner  leurs  cœurs. 

On  dit  :  —  Où  s'en  vont-ils?  reviendront-ils  vainqueurs? 

Est-ce  l'adversité  qui  sera  la  plus  forte?  — 

Et  cependant  le  vent  sinistre  les  emporte  5 

Puis  on  les  perd  de  vue  5  et,  bien  longtemps  après, 

On  lit  au  bord  des  mers  leur  nom  sous  un  cyprès. 

22  décembre  1853. 


XX  (0 


Je  marchais;  j'entendais,  comme  tombait  la  nuit. 
Des  amants  se  parler  dans  l'ombre  à  petit  bruit  ; 
Des  lèvres  se  cherchaient  dans  l'obscure  feuillée  ; 
Maint  couple  était  assis  dans  l'herbe  un  peu  mouillée  ; 
Et  moi,  j'adorais  Dieu  qui,  dans  les  bois  charmants. 
Pour  le  poëte  errant  au  milieu  des  amants. 
Mêle  à  ce  doux  mystère  entrevu  sous  des  voiles 
Le  spectacle  splendide  et  profond  des  étoiles. 


30  octobre  1846. 


0)  Inédit. 


40  TOUTE  LA  LYRE. 


XXI 


J'ai  mené  parfois  dure  vie, 
Proscrit,  errant  de  lieux  en  lieux, 
Triste  et  jetant  un  œil  d'envie 
Au  sépulcre  mystérieux. 

J'ai  fait  à  pied  de  longues  routes. 
Marchant  la  nuit,  craignant  les  voix, 
Plus  rempli  d'ombres  et  de  doutes 
Que  la  bête  fauve  des  bois. 

A 

O  vaincus  des  luttes  civiles. 
Malheur  à  vous  !  rien  ne  vous  sert. 
J'ai  le  soir  traversé  des  villes 
Comme  on  traverse  le  désert. 

Seul,  comptant  mon  chétif  pécule. 
Loin  de  tous  mes  amis  absents. 
Je  regardais,  au  crépuscule. 
Aller  et  venir  les  passants. 

L'eau  des  chemins  mouillait  mes  guêtres. 
Las,  je  tombais  sur  de  vieux  bancs. 
Je  regardais  par  les  fenêtres 
La  gaîté  des  âtres  flambants. 

J'entendais  rire  sous  le  chaume 
Les  paysans  à  leur  repas  ; 
Un  étranger  est  un  fantôme  ; 
Les  murs  ne  le  connaissent  pas. 


J'AI  MENE  PARFOIS   DURE  ZJIE...  41 


Comme  TuUius  fuyant  Rome, 
J'allais,  ignorant  où  j'étais. 
Accueilli  par  ceux  que  je  nomme. 
Repoussé  par  ceux  que  je  tais. 

La  bise  sifflait  sur  ma  tête. 
Je  fuyais  sans  savoir  comment. 
Enveloppé  de  la  tempête 
Comme  d'un  sombre  vêtement  ; 

En  guerre  avec  l'ombre  où  nous  sommes. 
Avec  l'onde  et  le  vent  marin. 
Avec  le  ciel,  avec  les  hommes. 
En  paix  avec  mon  cœur  serein  ! 

Mon  âme  ouvrait  ses  yeux  funèbres  -, 
Tout  était  noir,  plus  de  ciel  bleu  5 
Mais  je  voyais  dans  ces  ténèbres 
La  lointaine  blancheur  de  Dieu. 

Je  me  disais  dans  ma  souffrance  : 
—  Pleurer  est  bon,  mourir  est  beau. 
Car  la  porte  de  l'espérance 
S'ouvre  avec  la  clef  du  tombeau. 

Autour  de  moi,  troupes  ailées. 
Les  strophes  dont  l'essaim  me  suit 
Tourbillonnaient  échevelées 
Dans  les  souffles  noirs  de  la  nuit. 

J'étais  sûr,  à  travers  mes  peines. 
Que  j'étais  un  juste  aux  abois. 
Et  que  les  rochers  et  les  chênes 
Ne  pouvaient  point  haïr  ma  voix. 


42  TOUTE  LA  LYRE. 


Je  parlais  aux  astres  de  flamme  ; 
Se  taire  ne  sied  qu*au  maudit  -, 
Et  je  faisais  chanter  mon  âme 
Pour  que  la  nature  entendît. 

Je  ne  sais  pas  quelles  réponses 
Les  vents  faisaient  à  mes  chansons. 
J'ai  mangé  les  mûres  des  ronces 
Et  j'ai  dormi  sous  les  buissons. 


14  octobre  1853.  Jersey. 


XXII 


A  DEUX  ENNEMIS  AMIS. 

Du  bord  des  mers  sans  fond  qui  jamais  ne  pardonnent. 

Du  milieu  des  éclairs  et  des  vents  qui  me  donnent 

Le  spectacle  effrayant  de  l'éternel  courroux. 

Je  vous  le  crie  :  Amis  !  réconciliez-vous. 

Vous  n'avez  pas  le  droit  de  ne  pas  être  frères. 

Moi,  qui  sais  les  fureurs  du  sort,  les  vents  contraires. 

Les  chocs  inattendus,  les  luttes  sans  pitié. 

Je  vous  dis  :  Aimez-vous  !  la  solide  amitié 

Ceint  d'un  cercle  d'acier  l'homme,  vase  fragile. 

Virgile  aimait  Horace,  Horace  aimait  Virgile 

Au  point  qu'en  cette  Rome,  où  l'œil  va  les  chercher. 

On  ne  distinguait  plus,  en  voyant  se  toucher 

Leurs  têtes  dans  la  gloire  intime  et  familière. 

D'où  venait  le  laurier  et  d'où  venait  le  lierre. 

Toi,  n'es-tu  pas  celui  qui,  songeant,  écrivant. 

Cerveau  monde  où  se  meut  tout  un  peuple  vivant, 

T'éclairant  à  ton  gré  du  jour  que  tu  préfères. 

Du  drame  et  du  roman  fais  tes  deux  hémisphères? 

Toi,  n'es-tu  pas  celui  qui  va,  monte,  descend. 

Ne  tiens-tu  pas  ta  plume  au  vol  éblouissant. 

Qui  touche  à  tous  les  temps,  qui  perce  tous  les  voiles. 

Et  jette  sur  Paris  un  tourbillon  d'étoiles.? 

Vous  êtes  deux  noms  chers  qu'au  monde  nous  offrons. 

Les  acclamations  abondent  sur  vos  fronts 

Comme  sur  les  palais  s'abattent  les  colombes. 

Dieu  qui,  pour  vous  créer  ouvrit  deux  grandes  tombes. 


44  TOUTE  LA  LYRE. 

Pour  allumer  vos  cœurs  fit  jaillir  un  éclair 

Sur  l'un,  de  Diderot,  sur  l'autre,  de  Schiller; 

Et  maintenant  chacun  de  vous,  dans  son  domaine. 

Eclaire  un  des  cotés  de  la  grande  âme  humaine. 

Puisque  vous  êtes  forts,  amis,  vous  êtes  doux. 

Vous  êtes  à  vous  deux  la  lumière  ;  aimez-vous  ! 

Vos  bouches  sur  les  cœurs,  sur  les  foules  conquises. 

Dévident  l'écheveau  des  paroles  exquises  ; 

Liez-vous  l'un  à  l'autre  avec  ces  chaînes  d'or. 

L'éloquence  est  richesse  et  l'amitié  trésor. 

Le  flot  s'apaise,  ému,  dès  qu'il  voit  l'aube  luire. 

Voyez-vous  seulement  le  temps  de  vous  sourire. 

Et  vous  vous  comprendrez;  vous  le  devez,  étant 

Ceux  qui  domptent  le  siècle,  en  régnant  sur  l'instant. 

Revenons,  tout  le  reste  étant  deuil  ou  chimère. 

Aux  cordialités  titaniques  d'Homère  ; 

Apprenez  à  la  foule,  à  qui  manquent  les  dieux. 

Et  qui,  dans  son  brouillard  morne  et  fastidieux. 

S'attriste  et  ne  voit  plus  d'Olympe  qu'où  vous  êtes. 

Ce  que  c'est  que  le  rire  éclatant  des  poètes. 

Sur  le  char  lumineux  soyez  le  couple  ardent. 

Oui,  vous  vous  comprendrez,  rien  qu'en  vous  regardant. 

Si  tout  se  comprenait,  tout  serait  harmonie; 

Tout  serait  gloire,  azur,  splendeur,  joie  infinie. 

Amour;  et  le  chaos  n'est  qu'un  malentendu. 

Dans  ma  nuit  orageuse  où  je  me  sens  mordu 

Tantôt  par  la  vipère  et  tantôt  par  l'hyène. 

Laissez-moi  me  débattre  avec  la  sombre  haine. 

C'est  mon  destin.  Avant  que  mon  front  se  courbât. 

J'ai  commencé  tout  jeune,  hélas!  ce  noir  combat. 

Jacob  lutte  avec  l'Ange,  et  je  lutte  avec  l'Ombre. 

Ah  !  je  prends  pour  moi  seul  les  maux,  les  deuils  sans  nombre  ! 

Que  je  sois  seul  saignant,  tous  étant  radieux! 

Votre  accord  charmera  mon  cœur  gonflé  d'adieux. 

Mon  âme  que  le  sort  brise  et  qui  reste  entière. 

Et  peut-être  fera  couler  la  larme  altière 


A    DEUX   ENNEMIS   AMIS.  45 

Qui  pend  depuis  trois  ans  suspendue  à  mon  cil. 
Donnez-moi  ce  bonheur  au  fond  de  mon  exil. 
Donnez-moi  cette  joie  au  fond  de  ma  tempête 
De  voir  que  rien  ne  manque  à  votre  double  fête. 
De  me  dire  :  ils  sont  là  dans  le  rayonnement. 
Lui,  l'athlète  invaincu,  lui,  le  vainqueur  charmant  ! 
De  m'éblouir  de  loin,  moi  l'homme  des  ténèbres. 
De  vos  enchantements  chaque  jour  plus  célèbres. 
D'entendre  les  échos  sans  cesse  vous  grandir. 
Et,  par  tous  applaudis,  vos  deux  noms  s'applaudir! 
Aimez-vous  pour  celui  qui  tous  les  deux  vous  aime. 
Aimez-vous  !  que  l'envie  en  devienne  plus  blême. 
Jumeaux,  redevenez  frères  à  tous  les  yeux. 
Et  montrez  que  le  jour,  superbe,  heureux,  joyeux. 
N'est  pas  sourd  à  la  voix  qui  sort  de  la  nuit  sombre, 
Montrez  que  les  rayons  veulent  consoler  l'ombre. 
Vous  que  tout  couronna,  vous  à  qui  tout  sourit. 
En  mettant  vos  deux  mains  dans  la  main  du  proscrit. 

21  décembre  1854. 


46  TOUTE  LA  LYRE. 


XXIII 


D.  G.  D.  G.C) 


Elle  s'est  donc  en  allée. 
Et  se  tait. 

A 

O  noire  voûte  étoilée. 
Rends-nous  la  grande  âme  ailée 
Qui  chantait  ! 

Elle  était  de  ceux  qu'attire 

Ma  maison. 
L'autre  année  elle  y  vint  luire. 
Et  m'éclaira  d'un  sourire 

L'horizon. 

Paix  à  vous,  bon  cœur  utile. 
Beaux  yeux  clos. 

Esprit  splendide  et  fertile  ! 

Elle  aimait  ma  petite  île. 
Mes  grands  flots. 

Ces  champs  de  trèfle  et  de  seigle. 

Ce  doux  sol. 
L'océan  que  l'astre  règle. 
Et  mon  noir  rocher  où  l'aigle 

Prend  son  vol. 

^'*  Delphine  Gay  de  Girardin.  (Note  de  l'Editeur.) 


D.  G.  D.  G.  47 


II 


La  vie  à  ces  âmes  fières 

Ne  plaît  pas  ; 
Car  les  vivants  sont  des  pierres 
Sur  leurs  fronts  et  des  poussières 

Sous  leurs  pas. 

Dieu,  c'est  la  nuit  que  tu  sèmes 

En  créant 
Les  hommes,  ces  noirs  problèmes; 
Nous  sommes  les  masques  blêmes 

Du  néant. 

Nous  sommes  l'algue  et  la  houle, 

O  semeur! 
Nous  flottons ,  le  vent  nous  roule  j 
Toute  notre  œuvre  s'écroule 

En  rumeur. 

Le  mal  tient  les  foules  viles 

Dans  ses  nœuds  ; 
Multitudes  puériles , 
Nous  faisons  des  bruits  stériles 

Ou  haineux. 

Nains  errant  sur  des  décombres. 

Embryons, 
Ebauches,  fantômes,  ombres. 
Dans  tes  immensités  sombres. 

Nous  crions. 


48  TOUTE  LA  LYRE. 

Dieu!  les  hommes,  têtes  basses, 

Yeux  charnels. 
Raillent  l'abîme  où  tu  passes. 
Tes  profondeurs,  tes  espaces 

Éternels  ! 

Ils  crachent  sur  le  grand  voile 

Du  ciel  bleu; 
Blâment  tout,  mer,  barque  et  voile  j 
Insultent  l'ombre  et  l'étoile. 

L'âme  et  Dieu  ! 

Ils  insultent  l'aube  pure. 

L'air  vital. 
Le  beau,  le  vrai,  la  nature. 
Et  cette  sombre  ouverture  : 

L'idéal! 

Ils  insultent  l'invisible, 

Le  cyprès. 
Le  sort  dont  ils  sont  la  cible. 
L'onde,  et  le  frisson  terrible 

Des  forêts. 

Ils  insultent  le  pontife, 

La  lueur, 
L'être,  saint  hiéroglyphe. 
Et  l'énigme  sous  ta  griffe. 

Sphinx  rêveur  ! 

Leurs  voix  sont  prostituées, 

Jéhovah ! 
Quand  l'aigle  entend  leurs  huées. 
Il  regarde  les  nuées 

Et  s'en  va  ! 


D.  G.  D.  G,  49 


III 


O  grande  ame  prisonnière, 

Cœur  martyr, 
C'est  l'aigle  de  ma  tanière 
Qui  t'a  montré  la  manière 

De  partir. 

Pendant  qu'assis  sous  les  branches, 

Nous  pleurons. 
Ame,  tu  souris,  tu  penches 
Tes  deux  grandes  ailes  blanches 

Sur  nos  fronts. 

Et,  du  fond  de  nos  abîmes. 

Soucieux, 
Nous  te  voyons  sur  les  cimes, 
Levant  tes  deux  bras  sublimes 

\^rs  les  cieux. 


IV 


Destin!  goufïre  aux  vents  contraires, 

Aux  flots  sourds  ! 
Oh  !  que  d'urnes  funéraires  ! 
Ma  fille,  amis,  parents,  frères. 

Joie,  amours! 

On  luit,  on  brille,  un  beau  rêve 

Vous  dit  :  viens  ! 
Et  voilà  qu'un  vent  s'élève } 
Le  temps  d'un  flux  sur  la  grève } 

Et  plus  rien  ! 

POÉSIE.    —    XIII. 


IM'I'MHKIIIE     KATIORILI. 


50  TOUTE  LA  LYRE. 

La  bise  éteint,  brise,  emporte 

Le  flambeau. 
Et  souffle,  toujours  plus  forte. 
Par-dessous  la  noire  porte 

Du  tombeau. 

Notre  bonheur  est  livide. 

Et  vit  peu. 
Hélas  !  je  me  tourne  avide 
Vers  le  sépulcre,  ce  vide 

Plein  de  Dieu. 

Dieu,  là,  dans  ce  sombre  monde 

Met  l'amour. 
Et  tous  les  ports  dans  cette  onde. 
Et  dans  cette  ombre  profonde 

Tout  le  jour. 

O  vivants  qui  dans  la  brume. 

Dans  le  deuil. 
Passez  comme  un  flot  qui  fume. 
Et  n'êtes  que  de  l'écume 

Sur  recueil, 

Vivez  dans  les  clartés  fausses. 

Expiez  ! 
Moi,  Dieu  bon  qui  nous  exauces  ! 
Je  sens  remuer  les  fosses 

Sous  mes  pieds. 

Il  est  temps  que  je  m'en  aille 

Loin  du  bruit. 
Sous  la  ronce  et  la  broussaille. 
Retrouver  ce  qui  tressaille 

Dans  la  nuit. 


D.  G.  D.  G.  51 


Tous  mes  nœuds  dans  le  mystère 

Sont  dissous. 
L'ombre  est  ma  patrie  austère. 
J'ai  moins  d'amis  sur  la  terre 

Que  dessous. 


16  juillet  1853. 


52  TOUTE  LA  LYRE. 


XXIV 


UN  SOIR. 


Parmi  les  étoiles  sans  nombre. 
Mon  esprit  s'évanouissait  j 
Je  vis  une  blancheur  dans  l'ombre. 
C'était  un  ange  qui  passait. 

Elle  posa  ses  mains  divines 
Sur  mon  front  sombre  et  soucieux. 
O  champs  !  ô  vallons  !  ô  collines  ! 
O  sereine  beauté  des  cieux  ! 

Et  ma  bouche  ardente  et  pâmée 
Murmura  :  Viens  !  adorons-nous  ! 
Vivons!  et  cette  bien-aimée. 
Pâle,  tomba  sur  mes  genoux. 

Que  de  fois  j'ai  dit  sur  les  grèves  : 
O  flots  !  vous  êtes  une  voix  ! 
Que  de  fois  j'ai  rempli  de  rêves 
L'étrange  profondeur  des  bois  ! 


Avril  1851. 


(')  Inédit. 


XXV 

LETTRE  DE  L'EXILE 
ARRIVANT  DANS  LE  DÉSERT. 

Tu  me  dis  :  Que  fais-tu  ?  Rien.  Je  suis  seul.  Je  rêve. 

Je  vais  voir  si  quelqu'un  me  connaît  sur  la  grève. 

Je  cherche  à  rencontrer  dans  ces  rudes  forêts. 

Dans  ces  monts,  quelque  ami  tragique  que  j'aurais. 

Quelque  bon  vieil  écueil  bien  battu  de  l'abîme. 

Quelque  sapin  cassé  d'une  façon  sublime  5 

Un  roc  ayant  le  deuil  et  n'ayant  pas  l'effroi. 

Je  parle  à  l'océan,  et  je  lui  dis  :  C'est  moi. 

Alors  nous  nous  mettons  à  causer,  lui  plein  d'ombre. 

Mêlant  un  conseil  grave  à  ses  rumeurs  sans  nombre. 

Et  redisant  toujours  dans  l'écume  et  les  vents 

La  même  phrase  :  Aimez,  car  vous  souffrez,  vivants  I 

Moi,  songeur  et  distrait  par  la  barque  qui  vogue. 

Le  tonnerre  souvent  prend  part  au  dialogue  ; 

Cette  interjection,  l'éclair,  tombe  du  ciel. 

La  mer  me  plaît  ;  on  sent  sa  vertu  dans  son  fiel. 

Elle  assainit  la  terre  à  force  d'amertume. 

Je  l'aime.  Aussi  l'aller  trouver  est  ma  coutume 

Quand  je  sens  dans  mon  cœur  monter  sous  le  ciel  bleu 

L'âpre  indignation  qui  questionne  Dieu. 

Elle  me  calme  avec  son  souffle  de  nuée. 

Ma  douleur  dans  ses  flots  s'endort  diminuée. 

On  médite  en  voyant  des  prodiges  entiers. 

Je  fraternise  avec  le  gouffre  volontiers. 


54  TOUTE  LA  LYRE. 

Les  proscrits  sont  des  gens  qui  content  leurs  affaires 
Aux  vagues  dans  l'orage  et  dans  la  nuit  aux  sphères  j 
Nous  ouvrons  nos  cœurs  fiers  et  forts,  quoique  mouvants, 
A  ces  premiers  venus  farouches,  tous  les  vents  5 
Et  Ton  finit  par  prendre  une  altière  habitude 
De  tutoiement  avec  la  sombre  solitude. 

A 

De  là  l'apaisement.  O  vastes  cieux  vainqueurs  ! 

L'autan  passe,  arrachant  l'écume  de  nos  cœurs  5 

Et  quand  sur  notre  haine  et  sur  notre  colère 

S'est  d'en  haut  répandu  l'immense  bruit  polaire. 

Quand  la  foudre  nous  a  regardés  dans  les  yeux. 

Que  reste-t-il  d'un  homme  honnête  et  furieux  ? 

Un  sage.  On  sonde  mieux  le  mystère  où  nous  sommes 

Devant  ces  grands  flots  noirs,  moins  troubles  que  les  hommes  ; 

On  sent  qu'en  ce  chaos  un  monde  est  à  l'essai  ; 

On  confronte,  attentif,  le  faux  gouffre  et  le  vrai, 

La  trahison  de  l'homme  et  l'embûche  de  l'onde  ; 

On  contemple  les  plis  de  l'eau  rauque  et  profonde. 

On  s'ouvre  à  la  candeur  comme  eux  à  l'alcyon. 

Et  l'on  devient  pensif  dans  la  proportion 

Du  prodige,  et  l'on  sent  que  le  courroux  s'efface 

Sous  ce  flot  calme  au  fond  et  fauve  à  la  surface. 

On  croit  voir  dans  son  âme  obscure  le  lever 

D'un  astre  j  et  c*est  cela  qui  vient  de  m'arriver. 

J'ai  vu  tant  de  néants,  tant  d'hommes  et  de  choses. 
Tant  d'immobilités,  tant  de  métamorphoses. 
Que  je  suis  las.  Après  tous  ces  chiens,  tous  ces  loups, 
Dupin,  Montalembert,  Veuillot,  Proudhon,  Falloux, 
Après  l'oison  qui  glousse,  après  le  chat  qui  grince. 
Après  ce  reître,  après  ce  juge,  après  ce  prince. 
Après  ces  nains,  ces  fous,  ces  gueux,  ces  intrigants. 
J'ai  le  goût  des  éclairs,  j'aime  les  ouragans. 
J'entre  dans  cette  énorme  et  formidable  fête. 
L'onde,  et  je  me  repose,  ami,  dans  la  tempête. 

26  août  1852. 


XXVI  (») 


Ô  doux  êtres  !  ma  joie  et  mon  amour  sacré! 
Que  ce  jour  sera  triste  où  je  vous  quitterai  ! 

Ce  sera  comme  un  soir  qui  tombe. 
Pendant  que  je  dirai,  la  sueur  sur  le  front  : 
Que  vont-ils  devenir  sur  la  terre  ?  ils  diront  : 

Que  deviendra-t-il  dans  la  tombe  ? 


('^  Inédit. 


56  TOUTE  LA  LYRE. 


XXVII 


A  l'heure  où  le  soleil  se  couche. 
Quand  j'erre  au  fond  des  bois,  les  soirs. 
Seul,  songeant,  souriant,  farouche, 
Efferé  sous  les  arbres  noirs  5 

Ou  quand,  près  du  foyer  qui  flambe. 
Laissant  mes  livres  cent  fois  lus. 
Croisant  ma  jambe  sur  ma  jambe. 
Je  regarde  et  n'écoute  plus  ; 

Vous  dites  :  Qu'a-t-il  donc?  Il  rêve  ! 
—  Oui.  Je  rêve!  —  C'est  que  je  voi 
L'ombre  où  l'astre  idéal  se  lève 
Croître  et  monter  autour  de  moi  ! 

C'est  qu'en  cette  nuit  où  s'efface 
La  clarté  faite  pour  nos  yeux. 
Je  sens  approcher  de  ma  face 
Des  visages  mystérieux  ! 

C'est  qu'il  me  vient  des  apparences. 
Des  formes,  des  voix,  des  soupirs. 
Du  monde  où  sont  ces  espérances 
Que  nous  appelons  souvenirs  ! 

C'est  que  des  espaces  funèbres 
S'ouvrent  à  mes  sens  convulsifs  ; 
C'est  que  je  sens  dans  ces  ténèbres 
Mon  père  et  ma  mère  pensifs  ! 


A  L'HEURE  OU  LE  SOLEIL  SE  COUCHE...         57 

C'est  que  je  sens  passer  un  ange. 
Toi,  ma  fille,  âme  au  front  charmant, 
A  je  ne  sais  quel  souffle  étrange 
Dont  je  frissonne  doucement  I 

C'est  que,  sous  nos  plafonds  paisibles 
Comme  dans  nos  bois  pleins  d'effroi. 
Les  morts  présents,  mais  invisibles. 
Fixent  leurs  yeux  profonds  sur  moi  ! 

6  janvier  1850. 


58  TOUTE  LA  LYRE. 


XXVIII  (') 


J'aspire  à  m'enfouir  sous  les  arbres.  Je  suis 
Comme  ces  animaux  sauvages  que  des  hommes 
Ont  pris,  saisis,  tramés  dans  la  ville  où  nous  sommes, 
Et  qui,  dans  une  cage  enfermés  tristement. 
Voyant  la  face  humaine  avec  étonnement. 
Font  tous  les  mouvements  d'un  serpent  qui  se  sauve, 
À  travers  les  barreaux  passent  leur  museau  fauve. 
Et  sombres,  effarés,  pensifs,  cherchent  à  voir 
Quelque  taillis  épais,  quelque  buisson  bien  noir. 
Un  trou  profond  caché  dans  un  fouillis  champêtre. 
Où  tout  à  coup  dans  l'ombre  ils  puissent  disparaître  ! 


")  Inédit. 


XXIX 


A  JEANNE. 


Je  suis  triste;  le  sort  est  dur;  tout  meurt,  tout  passe  ; 
Les  êtres  innocents  marchent  dans  de  la  nuit  ; 
Tu  n'en  sais  rien  ;  tu  ris  d'écouter  dans  l'espace 
Ce  qui  chante,  et  de  voir  ce  qui  s'épanouit; 

Toi,  tu  ne  connais  pas  le  destin;  tu  chuchotes 
On  ne  sait  quoi  devant  l'Ignoré;  tu  souris 
Devant  l'effarement  des  sombres  don  Quichottes 
Et  devant  la  sueur  des  pâles  Jésus-Christs. 

Tu  ne  sais  pas  pourquoi  je  songe,  pourquoi  tombe 
Kesler  à  Guernesey,  Ribeyrolle  au  Brésil; 
Jeanne,  tu  ne  sais  pas  ce  que  c'est  que  la  tombe, 
Jeanne,  tu  ne  sais  pas  ce  que  c'est  que  l'exil. 

Certes,  si  je  pensais  que  j'assombris  ton  âme. 
Je  ne  te  dirais  point  toutes  ces  choses-là  ; 
Mais,  vois-tu,  bien  qu'avril  dore  à  sa  pure  flamme 
Ton  front,  que  Dieu  pour  moi  tout  exprès  étoila. 

Quoique  le  ciel  ait  l'aube  et  mon  cœur  ton  sourire, 
Jeanne,  la  vie  est  morne,  et  l'on  gémit  parfois; 
Puisque  tu  n'as  qu'un  an,  je  puis  bien  tout  te  dire. 
Tu  comprends  seulement  la  douceur  de  ma  voix. 


i6  août  1870. 


6o  TOUTE  LA  LYRE. 


XXX 


Si  dans  ce  grand  Paris,  ô  charmante  infirmière 
Qui  jetez  dans  notre  ombre  un  regard  de  lumière. 
Quelque  mitraille  ou  quelque  obus,  présent  de  roi. 
Me  fait  l'insigne  honneur  de  s'abattre  sur  moi, 
Ou  si  quelque  hulan  m'octroie  un  coup  de  lance. 
Je  ne  me  ferai  pas  porter  à  l'ambulance 
Où  votre  pitié  douce  accueille  le  blessé. 
Où  sur  tant  de  douleurs  votre  œil  tendre  est  baissé} 
Je  n'irai  point,  de  peur,  infirmière  adorable. 
En  m'en  allant  guéri,  de  sortir  incurable. 


XXXI 


CALOMNIE. 


Un  trop  lourd  projectile  a  peine  à  s'élever; 
Trop  d'intervalle  empêche  un  caillou  d'arriver  ; 
Une  sphère  lapide  en  vain  une  autre  sphère. 
Sachez  que  le  premier  grimaud  venu  peut  faire 
Des  mensonges  abjects  qui  jusqu'au  soir  vivront, 
-Mais  qu'il  est  malaisé  de  jeter  un  affront 
Assez  haut  pour  qu'il  aille  atteindre  un  honnête  homme. 
Un  gueux  se  fait  payer,  il  empoche  la  somme. 
Puis  calomnie.  Eh  bien,  nul  effet.  Voyez-vous, 
Celui  qui  se  sent  juste,  et  qui,  sévère,  est  doux. 
Qui  n'a  jamais  fait  mal  qu'au  mal,  qui  fut  fidèle 
A  l'honneur  comme  l'est  à  son  nid  l'hirondelle. 
Qui  pour  combattre  et  puis  faire  grâce,  a  vécu. 
Qui  n'a  jamais  dit  Non  à  l'ennemi  vaincu. 
Qui  veut  tous  les  devoirs  et  ne  veut  aucun  rôle, 
Peut  défier  la  haine  $  et  c'est  pourquoi  tel  drôle. 
Vil,  fait  pour  les  bas-fonds  et  non  pour  les  sommets, 
Qui  m'insulte  toujours,  ne  m'offense  jamais. 


62  TOUTE  LA  LYRE. 


XXXII 


SOUFFREZ,  O   PRECURSEURS! 

Malheur  dans  les  bas-fonds,  malheur  sur  les  hauteurs, 
A  vous,  penseurs,  esprits,  marcheurs,  libérateurs  ! 
L'ignorance  ne  sait  que  jeter  de  la  haine  5 
L'esclave  mord  la  main  qui  vient  briser  sa  chame  ; 
L'enfer  punit  quiconque  a  rêvé  paradis. 
Nous  étions  les  proscrits,  nous  étions  les  maudits  j 
Et  cinq  ans,  et  dix  ans,  et  vingt  ans  nous  vécûmes 
D'outrages,  de  fureurs,  de  cris,  d'ajGFronts,  d'écumes  5 
TouS}  ceux-ci  dans  l'exil,  ceux-là  sous  les  barreaux. 
Le  progrès  est  un  char  que  fouettent  les  bourreaux, 
Qui  pour  ornière  a  l'ombre  et  le  sang,  et  pour  roue 
Le  martyre.  Qu'un  homme  aux  hommes  se  dévoue, 
Hélas,  c'est  la  première  énigme  qu'ici-bas 
L'homme  ne  comprend  pas  et  ne  devine  pas  5 
C'est  ce  qui  fait  grandir  les  épines  aiguës. 
C'est  ce  qui  fait  pousser  dans  l'ombre  les  ciguës. 


(')  Inédit. 


XXXIII 

L'aquilon  change,  et  met  la  poupe  où  fut  la  proue  ; 

Il  ne  faut  pas  beaucoup  de  temps  pour  qu'une  roue 

Tourne,  et  pour  que  le  bas  soit  en  haut,  et  souvent 

Ce  qui  semble  tombé  riposte  en  se  levant. 

Nous  reprendrons  nos  droits,  nos  terres,  nos  provinces  j 

Et  le  vent  qu'il  fera  ce  jour-là,  rois  et  princes. 

Allez  le  demander  au  moulin  de  Valmy  ! 

Oh!  je  le  vois,  ce  jour  splendide!  on  a  dormi. 

On  s'éveille  j  la  France  est  là,  redevenue 

Déesse,  et  son  front  rit,  et  son  épée  est  nue; 

Cette  fumée  en  fuite  au  loin,  c'est  l'ennemi. 

Le  firmament,  car  Dieu  ne  fait  rien  à  demi. 

Pose  son  arc-en-ciel  profond  sur  nos  deux  villes. 

Non,  je  ne  pense  pas  que  les  rois  soient  tranquilles. 

Je  n'ai  plus  qu'une  joie  au  monde,  leur  souci. 

Je  dis  presque  aux  bourreaux  de  mon  pays  :  merci  ! 

Et  puisque  d'un  enler  peut  naître  une  genèse, 

Je  ne  suis  pas  fâché  d'être  dans  la  fournaise  ; 

Purification  du  feu,  je  te  bénis  ! 

Les  phénix  lumineux  ont  les  brasiers  pour  nids  ; 

L'âme  s'augmente  et  luit  dans  la  flamme  ;  est  esclave 

Tout  ce  qui  ne  sort  pas  vivant  du  bain  de  lave. 

Et  je  trouve  l'épreuve  utile. 

Croîs,  lion. 

J'attends. 

Rois,  consommez  votre  rébellion. 


64  TOUTE  LA  LYRE. 


XXXIV 


AVE,  DEAj  MORITUKUS  TE  SALUTAT. 


La  mort  et  la  beauté  sont  deux  choses  profondes 
Qui  contiennent  tant  d'ombre  et  d'azur  qu'on  dirait 
Deux  sœurs  également  terribles  et  fécondes 
Ayant  la  même  énigme  et  le  même  secret  ; 

A 

O  femmes,  voix,  regards,  cheveux  noirs,  tresses  blondes. 
Brillez,  je  meurs  !  ayez  l'éclat,  l'amour,  l'attrait, 
O  perles  que  la  mer  mêle  à  ses  grandes  ondes, 
O  lumineux  oiseaux  de  la  sombre  forêt  ! 

Judith,  nos  deux  destins  sont  plus  près  l'un  de  l'autre 
Qu'on  ne  croirait,  à  voir  mon  visage  et  le  vôtre  ; 
Tout  le  divin  abîme  apparaît  dans  vos  yeux. 

Et  moi,  je  sens  le  gouffre  étoile  dans  mon  âme  ; 
Nous  sommes  tous  les  deux  voisins  du  ciel,  madame. 
Puisque  vous  êtes  belle  et  puisque  je  suis  vieux. 


lillet. 


XXXV 


ENVOI. 


Tu  sais,  ami  rêveur  qui  vois  ma  destinée, 

Quelle  meute  envieuse,  âpre,  immonde,  acharnée. 

Jappe  après  mes  talons,  et  m'insulte,  et  me  mord. 

Comme  si  j'étais  grand,  comme  si  j'étais  fort! 

Mets  sous  clef  ce  poëme,  et  n'en  parle  à  personne. 

Cette  meute  surgit  dès  que  mon  clairon  sonne. 

Et  rentre  dans  sa  nuit  sitôt  qu'il  a  cessé. 

Je  veux  la  condamner  au  silence  forcé.  — 

Pour  quelque  temps  du  moins.  —  Cet  oubli  qui  lui  pèse 

Me  plaît,  et  je  me  tais  afin  qu'elle  se  taise. 

25  août  1843.  Cauterets. 


POESIE.    —   XIII.  5 

IM-PMMLItli:     !ÏATtONALE. 


66  TOUTE  LA  LYRE. 


XXXVI 


Pygmée  et  Myrmidon,  c'est  haine  et  calomnie. 
Avoir  l'envie  au  cœur,  aux  lèvres  l'ironie , 
Poëte,  c'est  un  peu  l'habitude  d'en  bas. 
Après  tant  de  travaux,  après  tant  de  combats. 
L'affront  t'assiège  ;  ils  sont  toute  une  multitude 
T'insultant  dans  ton  deuil  et  dans  ta  solitude  y 
Mais  toi  que  le  destin  absorbe,  tu  n'as  point 
Le  temps  de  voir  ces  gens  qui  te  montrent  le  poing. 
Les  tumultes  ont  beau  t'entourer,  tu  médites. 
Toutes  tes  œuvres  sont  par  Zoïle  maudites  j 
Le  fauve  acharnement  de  la  haine  est  sur  toi. 
Toi  qui  jadis  planais  archange,  et  qu'une  loi 
Met  sur  la  terre,  au  fond  des  visions  funèbres, 
Prisonnier  dans  la  cage  énorme  des  ténèbres. 
Toi,  l'aigle  échevelé  de  l'ombre,  le  banni 
Tombé  d'un  infini  dans  un  autre  infini. 
Du  zénith  dans  l'abîme  et  du  ciel  dans  ton  âme. 
Eclairé,  mais  brûlé  par  ta  profonde  flamme. 
Rongé  du  noir  regret  du  firmament  vermeil. 
Toi  dont  l'œil  fixe  fait  un  reproche  au  soleil 
Et  semble  demander  de  quel  droit  l'on  t'exile. 
Toi  qui  n'as  plus  que  toi  pour  cime  et  pour  asile. 
Tu  ne  te  distrais  point  de  ton  rêve  éternel  5 
Et,  pendant  qu'émus  comme  autour  d'un  criminel. 
Les  passants  te  voudraient  tuer,  et  qu'on  te  hue, 
Et  qu'à  tes  pieds,  grondant  et  grinçant,  la  cohue 
Bourdonne  avec  le  bruit  d'orage  d'un  essaim. 
Et  t'appelle  idiot,  traître,  avare,  assassin. 


PYGMEE  ET  MYKMIDON,   C'EST  HAINE...        6j 

Incendiaire,  esprit  méchant,  âme  mauvaise. 
Voleur  et  meurtrier,  clameur  que  rien  n'apaise 
Comme  si  la  fureur  sans  cesse  grossissait. 
Pensif,  tu  ne  sais  pas  au  juste  ce  que  c'est. 


24  mai  1874. 


68  TOUTE  LA  LYRE. 


XXXVII 


Je  la  revois,  après  vingt  ans,  l'île  où  Décembre 

Me  jeta,  pâle  naufragé. 
La  voilà!  c'est  bien  elle.  Elle  est  comme  une  chambre 

Où  rien  encor  n'est  dérangé. 

Oui,  c'était  bien  ainsi  qu'elle  était 5  il  me  semble 

Qu'elle  rit,  et  que  j'aperçois 
Le  même  oiseau  qui  fuit,  la  même  fleur  qui  tremble, 

La  même  aurore  dans  les  bois  ; 

Il  me  semble  revoir,  comme  au  fond  d'un  mirage. 
Les  champs,  les  vergers,  les  fruits  mûrs. 

Et  dans  le  firmament  profond,  le  même  orage. 
Et  la  même  herbe  au  pied  des  murs. 

Et  le  même  toit  blanc  qui  m'attend  et  qui  m'aime. 

Et,  par  delà  le  flot  grondeur, 
La  même  vision  d'un  éden,  dans  la  même 

Eblouissante  profondeur. 

Oui,  je  la  reconnais  cette  grève  enchantée. 

Comme  alors  elle  m'apparut. 
Rive  heureuse  où  l'on  cherche  Acis  et  Galatcc, 

Où  l'on  trouve  B002  et  Ruth  5 

Car  il  n'est  pas  de  plage,  ou  de  montagne,  ou  d'île, 

Parmi  les  abîmes  amers. 
Mieux  faite  pour  cacher  les  roses  de  l'idylle 

Sous  la  tragique  horreur  des  mers. 


JE  LA  REVOIS,  APRÈS  UÎNGT  ANS,  L'ILE...      69 

Ciel  !  océan  !  c'était  cette  même  nature. 

Gouffre  de  silence  et  de  bruit. 
Ayant  on  ne  sait  quelle  insondable  ouverture 
Sur  la  lumière  et  sur  la  nuit. 

Oui,  c'étaient  ces  hameaux,  oui,  c'étaient  ces  rivages; 

C'était  ce  même  aspect  mouvant, 
La  même  acre  senteur  des  bruyères  sauvages. 

Les  mêmes  tumultes  du  vent  ; 

C'était  la  même  vague  arrachant  aux  décombres 

Les  mêmes  dentelles  d'argent  ; 
C'étaient  les  mêmes  blocs  jetant  les  mêmes  ombres 

Au  même  éternel  flot  changeant  ; 

C'étaient  les  mêmes  caps  que  l'onde  ignore  et  ronge. 

Car  l'âpre  mer,  pleine  de  deuils. 
Ne  s'inquiète  pas,  dans  son  effrayant  songe. 

De  la  figure  des  écueils  ; 

C'était  la  même  fuite  immense  des  nuées  ; 

Sur  ces  monts,  où  Dieu  vient  tonner. 
Les  mêmes  cimes  d'arbre,  en  foule  remuées, 

N'ont  pas  fini  de  frissonner  5 

C'était  le  même  souffle  ondoyant  dans  les  seigles  ; 

Je  crois  revoir  sur  l'humble  pré 
Les  mêmes  papillons  avec  les  mêmes  aigles 

Sur  l'océan  démesuré; 

C'était  le  même  flux  couvrant  l'île  d'écume. 

Comme  un  cheval  blanchit  le  mors  ; 
C'était  le  même  azur,  c'était  la  même  brume. 

Et  combien  vivaient,  qui  sont  morts! 

8  août  1872. 
En  arrivant  à  Jersey. 


70  TOUTE  LA  LYRE. 


XXXVIII 


Je  ne  m'arrête  pas,  jamais  je  ne  séjourne  ? 

Quand  le  flot,  mon  témoin, 
Tremble,  je  crie  au  vent  :  Marchons  !  quand  le  vent  tourne. 

Je  dis  au  flot  :  Plus  loin  ! 


Et  j'avance,  et  toujours  plus  d'ouragan  m'emporte. 

Homme  !  aime  tes  amours. 
Assieds-toi  sur  le  banc  de  pierre  de  ta  porte, 

Et  laisse  fuir  les  jours  ! 

Heureux  celui  qui  vit  stupide  en  sa  demeure. 

Et  qui,  chaque  soir,  voit 
Le  même  oiseau  de  nuit  sortir  à  la  même  heure 

Du  même  angle  du  toit  ! 


13  août  1872. 


XXXIX 


Je  vais  dans  la  fureur  du  gouf&e,  dans  récume, 

Pâle,  écoutant  les  mots 
Que  disent,  pleins  d'horreur,  la  sibylle  dans  Cume 

Et  l'apôtre  à  Pathmos. 

Quand  je  passe  en  cette  ombre,  où,  fuyant  la  tempête. 

Nul  encor  n'a  passé. 
L'abîme  est  sous  mes  pieds,  la  foudre  est  sur  ma  tête. 

On  dit  :  C'est  l'insensé! 

Tandis  que  l'ouragan  qui  parfois  semble  rire. 

Puis  éclate  en  sanglots. 
Joue  avec  les  agrès  comme  avec  une  lyre. 

Un  chant  noir  sort  des  flots. 

Et  moi  sur  qui  le  deuil,  la  haine,  la  vieillesse. 

L'onde  et  le  vent  trompeur. 
S'acharnent,  je  poursuis  mon  chemin,  et  je  laisse 

Les  autres  avoir  peur. 

Pourtant  vous  ne  pouvez  empêcher  que  je  songe. 

Las  du  sort  par  moments. 
Et  de  l'ombre  que  laisse  aux  âmes  le  mensonge 

De  tant  d'événements. 

Le  destin  m'a  jeté  de  tempête  en  tempête. 

De  récif  en  récif  5 
Jamais  mon  cœur  saignant  n'a  fait  courber  ma  tête; 

Mon  courroux  est  pensif. 


■Jl  TOUTE  LA  LYRE. 

J*ai  traversé  les  pleurs,  les  haines,  les  veuvages. 
Ce  qui  mord,  ce  qui  nuit. 

Noir  nocher,  j'ai  connu  tous  les  âpres  rivages 
Du  deuil  et  de  la  nuit. 

J'ai  lutté}  j'ai  subi  la  sinistre  merveille 

Des  abîmes  mouvants; 
Et  jamais  on  ne  vit  dispersion  pareille 

D'une  âme  à  tous  les  vents. 

Je  suis  presque  prophète  et  je  suis  presque  apôtre; 

Je  dis  :  C'est  bien  !  Allons  ! 
Mais  je  ne  voudrais  pas  de  ce  sort  pour  un  autre, 

O  fauves  aquilons  ! 


H.  H.  13  août  1872. 


XL 


Omnia  vidit 

Evcrsa. 

(JuvÉNAL.) 

Un  vieillard  est  souvent  puni  de  sa  vieillesse 
Par  le  peu  de  clarté  que  le  destin  lui  laisse. 
Survivre  est  un  regret  poignant,  presque  un  remords. 
Voii  sa  ville  brûlée  et  tous  ses  enfants  morts 
Est  un  malheur  possible,  et  l'aïeul  solitaire 
Tremble  et  pleure  de  s'être  attardé  sur  la  terre. 
Que  te  sert,  ô  Priam,  d'avoir  vécu  si  vieux? 
Hélas  !  tu  vois  tomber  la  foudre  sur  tes  dieux. 


74  TOUTE  LA  LYRE. 


XLI 


A   MADAME  D'A.-SH.(i) 

Vous  demandez  à  quoi  je  rêve? 
Je  me  souviens  qu'un  jour,  jadis, 
A  l'heure  où  l'aube  qui  se  lève 
Ouvre  ses  yeux  de  paradis, 

Je  passais,  parmi  des  colombes, 
Dans  un  cimetière,  jardin 
Qui,  couvrant  de  roses  les  tombes. 
Cache  le  néant  sous  l'éden. 

J'errais  dans  cette  ombre  insalubre 
Où  les  croix  noires  sont  debout. . .  — 
Une  grande  pierre  lugubre 
Se  mit  à  vivre  tout  à  coup. 

C'était,  dans  l'herbe  et  les  pervenches. 
Un  sépulcre  sombre  et  hautain 
Qu'eiîleura  soudain  sous  les  branches 
Un  furtif  éclair  du  matin. 

Il  était  là  sous  une  yeuse. 
Triste,  et  comme  pour  l'apaiser, 
La  jeune  aube  mystérieuse 
Donnait  à  ce  spectre  un  baiser. 

t''  À  Madame  d'Alton-Shée.  [Note  de  l'Editeur.) 


A  MADAME  D'A.-SH.  75 

Et  cela  rendit,  ô  merveille, 
La  vie  au  sépulcre  hagard. 
Ce  sourd-muet  ouvrit  l'oreille 
Et  cet  aveugle  eut  un  regard. 

En  voyant  venir  la  lumière. 
Comme  au  désert  le  noir  Sina, 
Ce  sinistre  linceul  de  pierre 
Où  pleure  une  âme,  rayonna. 

Et  je  le  vis,  dans  le  bois  sombre. 
Dans  le  champ  pestilentiel. 
Comme  transfiguré  dans  l'ombre 
Par  cette  dorure  du  ciel. 

Ce  n'était  plus  la  dalle  afïreuse. 
Qui  se  dresse  hors  de  tout  bruit. 
Sous  laquelle  un  gouffre  se  creuse. 
Plein  d'étoiles,  mais  plein  de  nuit 5 

Ce  n'était  plus  la  tombe  où  rêve 
Un  vague  fantôme  banni, 
Abîme  où  le  fini  s'achève. 
Borne  où  commence  l'infini. 

Grâce  à  l'aube,  au  pied  du  vieil  arbre. 
Dans  la  ronce  et  dans  le  genêt. 
Le  fi:oid  granit,  l'orgueilleux  marbre 
Que  le  ver  de  terre  connaît. 

Illuminait  ces  bois  funèbres. 
Craints  de  l'homme,  aimés  du  corbeau. 
Et,  calme,  avait  dans  les  ténèbres 
On  ne  sait  quel  air  de  flambeau. 


■je  TOUTE  LA  LYRE. 

Il  cessa  d'être  le  fantôme. 

Le  liseron  fut  ébloui. 

Et  l'œillet  lui  jeta  son  baume; 

Les  fleurs  n'eurent  plus  peur  de  lui. 

Les  roses  que  nos  yeux  admirent 
Baisèrent  son  socle  détruit. 
Et  les  petits  oiseaux  se  mirent 
A  chanter  autour  de  sa  nuit. 

Noble  femme  aux  vaincus  fidèle, 
\^tre  sourire  frais  et  beau. 
Quand  il  luit  sur  moi,  me  rappelle 
Cette  aurore  sur  ce  tombeau. 


H.  H.,  5  septembre. 


XLII 


Vous  qui,  vainqueurs,  avez  mis,  depuis  vingt-cinq  ans. 
Maîtres  sanglants  qui  rendrez  compte, 

\^tre  nuit  sur  la  France  en  deuil,  et  sur  les  camps 
Votre  gloire  qui  leur  fait  honte. 

Toi,  prêtre,  toi,  soldat,  chef  des  sombres  exploits, 
Que  suit  des  jeux  l'histoire  triste. 

Toi,  juge  escamoteur,  qui  du  fourreau  des  lois 
Tiras  le  poignard  du  sophiste. 

Quand  vous  couvrez  d'affronts  haineux,  de  cris  amers. 

Et  d'un  tumulte  de  huées. 
Cet  homme  qui  longtemps,  pensif  au  bord  des  mers. 

Vécut  le  front  dans  les  nuées. 

Et  qui,  dans  la  candeur  de  ses  calmes  desseins, 

Veut  la  justice  égale  et  grande. 
Avant  de  l'appeler  défenseur  d'assassins. 

Attendez  donc  qu'il  vous  défende  ! 


78  TOUTE  LA  LYRE. 


XLIII 


Tu  nous  regardes.  Nuit,  grande  passante  noire; 

Tu  ne  dois  pas  beaucoup  comprendre  notre  histoire, 

Car  elle  est  bien  souvent  plus  sombre  encor  que  toi. 

Soyez  homme  d'honneur,  de  probité,  de  foi, 

Vous  serez  l'ennemi  public;  dans  la  tempête 

Risquez  pour  une  idée  auguste  votre  tête. 

Et  vous  serez  traité  de  la  même  façon 

Que  la  poltronnerie  et  que  la  trahison; 

Cet  homme  ose  invoquer  la  pitié  vénérable. 

Il  offre  asile  au  faible,  à  bas  le  misérable! 

—  Quoi  donc  !  il  s'interpose  entre  le  meurtre  et  nous  ! 

Il  s'émeut  en  voyant  des  femmes  à  genoux. 

Il  s'indigne  des  morts  que  nous  jetons  aux  fleuves, 

Il  plaint  les  orphelins,  il  ne  fait  pas  de  veuves. 

Il  ose  prononcer  l'horrible  mot  Pardon  ! 

A  cette  heure  où  chacun  fait  à  tous  l'abandon 

De  ces  vieux  préjugés  :  droit,  liberté,  clémence. 

Où  l'on  sent  que  le  monde  antique  recommence. 

Lorsqu'on  voit  qu'un  grand  pas  en  arrière  est  sensé. 

Et  quand  pour  avenir  on  reprend  le  passé. 

Il  s'obstine,  il  soutient  les  vaincus  sans  relâche. 

Il  les  défend,  dût-on  l'assassiner,  le  lâche!  — 

C'est  ainsi  qu'on  raisonne  à  de  certains  moments. 
Un  jour,  voyant  passer  d'affreux  événements. 
Voyant  qu'au  grand  Paris  on  creusait  une  fosse. 
Ne  croyant  pas  Dieu  mort  et  la  vérité  fausse. 


TU  NOUS  REGARDES,  NUIT...  79 

Ne  me  figurant  pas  que  tuer  fut  un  droit. 

Je  me  dressai,  je  dis  :  Le  jour  meurt,  l'ombre  croît. 

Prenez  garde!  Au-dessus  de  vos  fauves  mêlées, 

O  noirs  lutteurs,  il  est  des  choses  étoilées, 

La  raison,  le  progrès,  la  patrie  et  l'honneur. 

Le  vainqueur  est  souvent  son  propre  empoisonneur. 

Arrêtez.  L'amnistie  est  une  fin  sereine. 

Soyez  cléments.  — 

Alors  j'eus  sur  moi  tant  de  haine. 
Tant  d'exécration,  d'épouvante  et  d'horreur 
Que  je  fijs  presque,  ô  Nuit,  l'égal  d'un  empereur! 

18  décembre  1874. 


8o  TOUTE  LA  LYRE. 


XLIV 


Ah  !  vous  faites  du  froid  devoir  votre  bonheur  ! 
Ah  !  vous  ne  buvez  pas  l'oubli  de  votre  honneur. 
Et  l'impudeur,  l'orgie,  et  la  honte,  à  plein  verre! 
Ah!  vous  êtes  prudent,  économe,  sévère. 
Pour  marcher  le  front  haut,  et  c'est  votre  souci! 
Vous  ne  voulez  pas  être  un  jour  à  la  merci 
Des  gens  qui  font  métier  de  tarifer  une  âme. 
Et  d'acheter  tantôt  l'homme,  et  tantôt  la  femme! 
Ah  !  vous  avez  présent  à  l'esprit  l'affreux  sort 
De  ceux  que  la  faim  sombre  a,  sous  peine  de  mort. 
Forcés  d'être  valets  et  de  se  vendre  au  maître. 
Et  vous  ne  jetez  pas  l'argent  par  la  fenêtre. 
Eh  bien!  vous  êtes  pingre,  avare,  grigou,  rat. 
Pire  qu'un  misérable  et  presque  un  scélérat  ! 
Ladre  !  dit  la  catin.  Pleutre  !  ajoute  le  prêtre. 
La  vertu  vous  est  vice,  et  ne  voulant  pas  être 
En  ce  temps  de  cœurs  plats  parlant  un  vil  jargon, 
Arétin  ou  Dangeau,  vous  êtes  Harpagon! 

12  avril  1874. 


XLV 


La  haute  honnêteté,  c'est  là  toute  ma  gloire. 
O  peuple,  après  ma  mort  tu  mettras  ma  mémoire 
Sur  cet  âpre  sommet,  le  devoir  accompli. 
Et  quand  je  serai  là,  quelqu'un  contre  l'oubli 
Me  défendra,  quelqu'un  de  farouche,  la  haine. 
Elle  accourra,  poussant  des  cris,  sinistre  et  vaine. 
Avec  le  rauque  essaim  des  affronts  ténébreux  ; 
Et  tous  ces  monstres  noirs  se  querellant  entre  eux. 
Jour  et  nuit,  calomnie,  impudence,  bassesse. 
Tâcheront  de  me  mordre  et  grinceront  sans  cesse. 
Dans  l'Inde,  quand  d'affreux  vautours  sont  aperçus 
Le  soir,  planant  en  cercle  et  dans  l'ombre  au-dessus 
De  quelque  cime  sombre,  on  dit  dans  la  campagne 
C'est  parce  qu'on  a  mis  un  mort  sur  la  montagne. 

15  décembre  1874. 


POESIE.  —  xui.  6 


82  TOUTE  LA  LYRE. 


XLVI 


L'enfant  est  très  petit  et  l'aïeul  est  très  vieux. 

L'insulteur  ne  craint  rien.  Comme  un  ciel  pluvieux 

Verse  l'ondée  aux  bois  que  l'orage  secoue. 

Cette  main  de  vieillard  a  sur  plus  d'une  joue 

Autrefois  élargi  les  sonores  soufflets. 

Mais  à  présent  les  longs  exils,  le  ciel  anglais. 

Et  soixante-treize  ans  ont  refroidi  cet  homme; 

Calme,  il  dédaigne.  A  peine  il  sait  comment  se  nomme 

L'insulteur,  pour  avoir,  lorsque  juillet  brilla 

Jadis  aidé  quelqu'un  qui  portait  ce  nom-là. 

Rien  de  plus.  Et  qu'importe  un  jeune  drôle  immonde? 

Qu'est-ce  que  cela  fait  qu'un  laquais  soit  au  monde? 

Qu'est-ce  qu'un  jappement  de  plus  dans  le  chenil? 

Qu'importe  au  sphinx  rêveur  dans  les  roseaux  du  Nil 

Le  glissement  sinistre  et  vague  d'un  reptile? 

Les  gueux  peuvent  sans  peur  faire  aboyer  leur  style. 

Voir  passer  un  vieillard  que  le  deuil  accabla, 

La  bravoure  du  lâche  est  faite  de  cela. 

Nul  danger.  Le  gredin  est  à  son  aise  infâme; 

Il  se  répète,  afin  d'encourager  son  âme 

Où  beaucoup  de  prudence  à  l'audace  aboutit. 

Que  l'aïeul  est  bien  vieux  et  l'enfant  bien  petit. 

31  mars  1875. 


XLVII 


Je  suis  enragé.  J'aime  et  je  suis  un  vieux  fou. 

—  Grand-père?  —  Quoi?  —  Je  veux  m'en  aller.  —  Aller  où? 

—  Où  je  voudrai.  —  C'est  bien.  —  Je  veux  sortir,  grand-père. 

—  Sortons.  —  Grand-père?—  Quoi?  —  Pleuvra-t-il?—  Non,  j'espère. 

—  Je  veux  qu'il  pleuve,  moi.  —  Pourquoi?  —  Pour  faire  un  peu 
Pousser  mon  haricot  dans  mon  jardin.  —  C'est  Dieu 

Qui  fait  la  pluie.  —  Eh  bien,  je  veux  que  Dieu  la  fasse. 

—  Tu  veux!  tu  veux!  —  Grand-père?  —  Eh  bien  quoi?  —  Si  je  casse 
Mon  joujou,  le  bon  Dieu  ne  peut  pas  m'empêcher. 

C'est  donc  moi  le  plus  fort.  —  Parlons  sans  nous  fâcher. 

—  Je  ne  me  fâche  pas.  Je  veux  qu'il  pleuve.  —  Ecoute, 
Je  te  donne  raison.  —  Il  va  pleuvoir?  —  Sans  doute. 
Viens,  prenons  l'arrosoir  du  jardinier  Jacquot, 

Et  nous  ferons  pleuvoir.  —  Où?  —  Sur  ton  haricot. 


84  TOUTE  LA  LYRE. 


XLVIII 


ECHAPPE    A    L'ERREUR. 


Gouf&es,  m'entendez- vous  ?  Me  voyez-vous,  écumes? 
Je  surnage.  Longtemps,  doux  enfants,  nous  vécûmes. 
Mes  deux  frères  et  moi,  dans  cet  A  B  C  D 
D'imposture  et  d'erreur  dont  l'homme  a  fait  sa  bible; 
Mais  c'est  fini,  j'en  sors  et  je  lutte,  terrible 
Et  joyeux  comme  un  évadé. 

Nous  sommes  quelques-uns  nageant  dans  l'ombre  immense. 
Eperdus;  tout  est  piège,  ignorance,  inclémence; 
La  mer  n'a  pas  un  pli  qui  ne  soit  triste  et  noir; 
L'écueil  gémit,  le  vent  pleure,  la  vague  tremble; 
La  brume,  c'est  le  doute;  et  par  moments,  il  semble 
Que  l'abîme  est  au  désespoir. 

L'océan,  ce  despote,  a  l'autan  pour  ministre. 
Je  regarde  au  delà  de  l'horizon  sinistre, 
Je  résiste  à  l'horreur  du  gouffre  illimité; 
Je  vois  plus  loin  que  l'ombre  et  la  haine  et  la  guerre. 
Comme  Colomb  criait  à  ses  compagnons  :  Terre  ! 
Je  crie  aux  hommes  :  Vérité  ! 

Et  je  vois  Pythagore,  Eschyle,  esprits  sublimes. 
Job,  Dante,  âmes  ayant  l'habitude  des  cimes. 
Thaïes,  Milton,  planer  dans  l'obscur  firmament. 
Ainsi,  malgré  les  chocs  de  l'onde  et  ses  huées. 
Une  dispersion  d'aigles  dans  les  nuées 
Tourbillonne  superbement. 


ÉCHAPPÉ  A  L'ERREUR.  85 

Prêtres,  vous  n'avez  pu  m'engloutir  dans  vos  songes; 
Dieu  ne  m'a  pas  laissé  noyer  par  vos  mensonges. 
J'avance,  et  je  fais  signe  aux  pâles  matelots; 
Je  rapporte  des  mers  la  perle  qu'on  y  trouve. 
Je  vis  !  L'évasion  du  naufrage  se  prouve 
Par  la  tête  au-dessus  des  flots. 


4  mai  1878 


86  TOUTE  LA  LYRE. 


XLIX 


APRES    L'HIVER. 


N'attendez  pas  de  moi  que  je  vais  vous  donner 

Des  raisons  contre  Dieu  que  je  vois  rayonner; 

La  nuit  meurt,  l'hiver  fuit;  maintenant  la  lumière. 

Dans  les  champs,  dans  les  bois,  est  partout  la  première. 

Je  suis  par  le  printemps  vaguement  attendri. 

Avril  est  un  enfant,  frêle,  charmant,  fleuri; 

Je  sens  devant  l'enfance  et  devant  le  zéphyre 

Je  ne  sais  quel  besoin  de  pleurer  et  de  rire; 

Mai  complète  ma  joie  et  s'ajoute  à  mes  pleurs. 

Jeanne,  George,  accourez,  puisque  voilà  des  fleurs. 

Accourez,  la  forêt  chante,  l'azur  se  dore. 

Vous  n'avez  pas  le  droit  d'être  absents  de  l'aurore. 

Je  suis  un  vieux  songeur  et  j'ai  besoin  de  vous, 

Venez!  je  veux  aimer,  être  juste,  être  doux. 

Croire,  remercier  confusément  les  choses. 

Vivre  sans  reprocher  les  épines  aux  roses. 

Etre  enfin  un  bonhomme  acceptant  le  bon  Dieu. 

O  printemps  !  bois  sacrés  !  ciel  profondément  bleu  ! 

On  sent  un  souflle  d'air  vivant  qui  vous  pénètre. 

Et  l'ouverture  au  loin  d'une  blanche  fenêtre  ; 

On  mêle  sa  pensée  au  clair-obscur  des  eaux; 

On  a  le  doux  bonheur  d'être  avec  les  oiseaux, 

Et  de  voir,  sous  l'abri  des  branches  printanières. 

Ces  messieurs  faire  avec  ces  dames  des  manières. 

26  juin  1878. 


—  Qu'es-tu,  pèlerin?  —  Je  me  nomme 
Celui  qui  pleure.  —  En  vérité. 

Viens  avec  nous.  —  Je  suis  un  homme 
Par  une  main  d'ombre  arrêté. 

—  Viens  !  —  Non.  —  Les  ans  t'ont  fait  débile. 
Pourquoi,  l'œil  ouvert  à  demi. 

Restes-tu  dans  l'ombre,  immobile? 

—  Une  pierre  me  tient,  ami. 

—  Ton  âme  de  nuit  est  vêtue. 
Seul,  debout,  n'as-tu  pas  l'eflfroi 
D'un  lent  changement  en  statue  ? 

—  La  terre  sombre  monte  en  moi. 

—  Que  fais-tu  là?  Viens.  Le  soir  tombe. 
Le  vent  souffle  en  tes  cheveux  gris. 

—  J'attends  que  se  rouvre  une  tombe 
Où  le  bas  de  ma  robe  est  pris. 


26  août. 
Route  d'Aix-la-Chapelle  à  Dûren. 


88  TOUTE  LA  LYRE. 


LI 


Le  vieillard  chaque  jour  dans  plus  d'ombre  s'éveille. 
A  chaque  aube  il  est  mort  un  peu  plus  que  la  veille. 

La  vie  humaine,  ce  nœud  vil. 
Se  défait  lentement  rongé  par  l'âme  ailée  ; 
Ce  sombre  oiseau  lié  veut  prendre  sa  volée 

Et  casse  chaque  jour  un  fil. 

A 

O  front  blanc  qu'envahit  la  grande  nuit  tombante. 
Meurs!  —  Tour  à  tour  sa" voix,  sa  force  succombante. 

Son  œil  où  décroît  l'horizon 
S'éteignent,  —  ce  sera  mon  destin  et  le  vôtre  !  — 
Comme  on  voit  se  fermer  le  soir  l'une  après  l'autre 

Les  fenêtres  d'une  maison. 


LU 


Tu  rentreras  comme  \^ltaire 
Chargé  d'ans,  en  ton  grand  Paris 5 
Des  Jeux,  des  Grâces  et  des  Ris 
Tu  seras  l'hôte  involontaire; 

Tu  seras  le  mourant  aimé  ; 
On  murmurera  dès  l'aurore, 
A  ton  seuil  à  demi  ferme. 
Déjà  !  mêlé  de  :  Pas  encore  ! 

Tu  seras  marmot  et  barbon; 
Tu  goûteras  la  joie  honnête 
D'être  si  bon  qu'on  te  croit  bête 
Et  si  bête  qu'on  te  croit  bon. 


VI 


Lorsque  ma  main  frémit  si  la  tienne  l'effleure, 
Quand  tu  me  vois  pâlir,  femme  aux  cheveux  dorés. 
Comme  le  premier  jour,  comme  la  première  heure. 
Rien  qu'en  touchant  ta  robe  et  ses  plis  adorés  5 

Quand  tu  vois  que  les  mots  me  manquent  pour  te  dire 
Tout  ce  dont  tu  remplis  mon  sein  tumultueux  ; 
Lorsqu'en  me  regardant  tu  sens  que  ton  sourire 
M'enivre  par  degrés  et  fait  briller  mes  yeux  ; 

Quand  ma  voix,  sous  le  feu  de  ta  douce  prunelle. 
Tremble  en  ma  bouche  émue,  impuissante  à  parler. 
Comme  un  craintif  oiseau,  tout  à  coup  pris  par  l'aile. 
Qui  frissonne  éperdu,  sans  pouvoir  s'envoler; 

A 

O  bel  ange  créé  pour  des  sphères  meilleures. 
Dis,  après  tant  de  deuils,  de  désespoirs,  d'ennuis, 
Et  tant  d'amers  chagrins  et  tant  de  tristes  heures 
Qui  souvent  font  tes  jours  plus  mornes  que  des  nuits  ; 

Oh,  dis!  ne  sens-tu  pas  se  lever  dans  ton  âme 
L'amour  vrai,  l'amour  pur,  adorable  lueur. 
L'amour,  flambeau  de  l'homme,  étoile  de  la  femme. 
Mystérieux  soleil  du  monde  intérieur  ! 

Ne  sens-tu  point,  dis-moi,  passer  sur  ta  paupière 
Le  souffle  du  matin,  des  ténèbres  vainqueur? 
Ne  vient-il  pas  des  voix  tout  bas  te  dire  :  espère  ! 
N'entends-tu  pas  un  chant  dans  l'ombre  de  ton  cœur? 


94  TOUTE  LA  LYRE. 

Oh  !  recueille  ce  chant,  âme  blessée  et  fière  ! 
Cette  aube  qui  se  lève  en  toi,  c'est  le  vrai  jour. 
Ne  crains  plus  rien!  Dieu  fit  tes  yeux  pour  la  lumière. 
Ton  âme  pour  le  ciel  et  ton  cœur  pour  l'amour  ! 

Regarde  rayonner  sur  ton  destin  moins  sombre 
Ce  soleil  de  l'amour  qui  pour  jamais  te  luit. 
Qui,  même  après  la  mort  brille,  sorti  de  l'ombre. 
Qui  n'a  pas  de  couchant  et  n'aura  pas  de  nuit  ! 


9  novembre  1845. 


II 


Oh  !  si  vous  exister,  mon  ange,  mon  génie. 

Qui  m'emplisse2  le  cœur  d'amour  et  d'harmonie. 

Esprit  qui  m'inspirez,  sylphe  pur  qu'en  rêvant 

J'écoute  me  parler  à  l'oreille  souvent  ! 

Avec  vos  ailes  d'or  volez  à  la  nuit  close 

Dans  l'alcôve  qu'embaume  une  senteur  de  rose 

Vers  cet  être  charmant  que  je  sers  à  genoux 

Et  qui,  puisqu'il  est  femme,  est  plus  ange  que  vous  ! 

Dites-lui,  bon  génie,  avec  votre  voix  douce, 

A  cet  être  si  cher  qui  parfois  me  repousse. 

Que,  tandis  que  la  foule  a  le  regard  sur  lui. 

Que  son  sourire  émeut  le  théâtre  ébloui. 

Que  tous  les  cœurs  charmés  ne  sont,  tant  on  l'admire. 

Qu'un  orchestre  confus  qui  sous  ses  pieds  soupire. 

Tandis  que  par  moments  le  peuple  transporté 

Se  lève  tout  debout  et  rit  à  sa  beauté. 

Il  est  ailleurs  une  âme,  éperdue,  enivrée, 

Qui,  pour  mieux  recueillir  son  image  adorée. 

Se  cache  dans  la  nuit  comme  dans  un  linceul. 

Et  qu'admiré  de  tous,  il  est  aimé  d'un  seul  ! 

Février  1833, 


96  TOUTE  LA  LYRE. 


III 


Vois-tu,  mon  ange,  il  faut  accepter  nos  douleurs. 

L'amour  est  comme  la  rosée 
Qui  luit  de  mille  feux  et  de  mille  couleurs 

Dans  l'ombre  où  l'aube  l'a  posée. 
Rien  n'est  plus  radieux  sous  le  haut  firmament  ; 
De  cette  goutte  d'eau  qui  rayonne  un  moment 
N'approchez  pas  vos  yeux  que  tant  de  splendeur  charme  ; 

De  loin,  c'était  un  diamant. 

De  près,  ce  n'est  plus  qu'une  larme. 

Souffrons,  puisqu'il  le  faut.  Aimons  et  louons  Dieu  ! 

L'amour,  c'est  presque  toute  l'âme. 
Le  Seigneur  aime  à  voir  brûler  sous  le  ciel  bleu 

Deux  cœurs,  mêlant  leur  double  flamme. 
Il  fixe  sur  nous  tous  son  œil  calme  et  clément. 
Mais  parmi  ces  vivants  qu'il  voit  incessamment 
Marcher,  lutter,  courir,  récolter  ce  qu'ils  sèment. 

Dieu  regarde  plus  doucement 

Ceux  qui  pleurent  parce  qu'ils  aiment  ! 

i"*"  janvier  1835. 


IV  (» 


Ce  qu'en  vous  voyant  si  belle 
Je  sens  d'extase  et  d'orgueil. 
Respectueux  et  fidèle, 
Je  le  dis  à  votre  seuil . 

Ce  qu'en  ma  pensée  éveille 
Votre  œil  si  fier  et  si  doux, 
Votre  bouche  si  vermeille. 
Je  le  dis  à  vos  genoux. 

Ce  que  tu  mets  dans  mon  âme. 
Où  toujours  tu  régneras. 
D'amour,  d'ivresse  et  de  flamme. 
Je  veux  le  dire  en  tes  bras. 


Décembre  1844. 


(•)  Inédit. 

POÉSIE. XIII. 


7 

IHl-IIIXf,HIt;     MTIONiLt. 


98  TOUTE  LA  LYRE. 


V 


"Vous  m'avez  éprouvé  par  toutes  les  épreuves. 

Seigneur.  J'ai  bien  souffert.  Je  suis  pareil  aux  veuves 

Qui  travaillent  la  nuit  et  songent  tristement  ; 

Je  n'ai  point  fait  le  mal,  et  j'ai  le  châtiment 5 

Mon  œuvre  est  difficile  et  ma  vie  est  amère. 

Les  choses  que  je  fais  sont  comme  une  chimère. 

Après  le  dur  travail  et  la  dure  saison. 

J'ai  vu  mes  ennemis  marcher  sur  ma  moisson. 

Le  mensonge  et  la  haine  et  l'injure  avec  joie 

Ont  mâché  dans  leurs  dents  mon  nom  comme  une  proie. 

J'ai  tout  rêvé.  Le  doute  a  lassé  ma  raison. 

L'ardente  jalousie,  acre  et  fatal  poison, 

A  dans  mon  cœur  profond,  qui  brûle  et  se  déchire. 

Tué  la  confiance  et  le  joyeux  sourire. 

J'ai  vu,  pâle  et  des  yeux  cherchant  votre  horizon. 

Des  cercueils  adorés  sortir  de  ma  maison. 

J'ai  pleuré  comme  fils,  j'ai  pleuré  comme  père. 

Et  je  tremble  souvent  par  où  tout  autre  espère. 

Mais  je  ne  me  plains  pas,  et  je  tombe  à  genoux. 

Et  je  vous  remercie,  ô  maître  amer  et  doux. 

Car  vous  avez.  Dieu  bon.  Dieu  des  âmes  sincères. 

Mis  toutes  les  douleurs  et  toutes  les  misères 

Sur  moi,  sur  mon  cœur  sombre  en  vos  mains  comprimé. 

Excepté  celle-là,  d'aimer  sans  être  aimé! 


23  juin  1843. 


VI 


Sais-tu  ce  que  Dieu  dit  à  l'entant  qui  va  naître  ? 
Quand  cet  humble  regard  s'entr'ouvre  à  notre  jour. 
Il  lui  dit  :  V3.  souffrir,  va  penser,  va  connaître  ; 
Ame,  perds  l'innocence  et  rapporte  l'amour  !  — 

Oui,  c'est  là  le  secret.  Oui,  c'est  là  le  mystère. 
Quoi  qu'on  fasse,  il  n'est  rien  qu'on  ne  puisse  blâmer. 
On  tombe  à  chaque  pas  qu'on  fait  sur  cette  terre. 
Tout  est  rempli  d'erreur,  mais  il  suffit  d'aimer. 

Colombe,  c'est  l'amour  qu'il  faut  que  tu  rapportes! 
Après  ce  dur  voyage,  obscur,  long,  hasardeux. 
Le  ciel  d'où  nous  venons  peut  nous  rouvrir  ses  portes. 
On  en  est  sorti  seul,  il  faut  y  rentrer  deux. 


19  juillet  1850. 


loo  TOUTE  LA  LYRE. 


VII 


Certe,  elle  n'était  pas  femme  et  charmante  en  vain  5 

Mais  le  terrestre  en  elle  avait  un  air  divin  -, 

Des  flammes  frissonnaient  sur  mes  lèvres  hardies  ; 

Elle  acceptait  l'amour  et  tous  ses  incendies. 

Rêvait  au  tutoiement,  se  risquait  pas  à  pas. 

Ne  se  refusait  point  et  ne  se  livrait  pas  ; 

Sa  tendre  obéissance  était  haute  et  sereine  5 

Elle  savait  se  faire  esclave  et  rester  reine. 

Suprême  grâce  !  et  quoi  de  plus  inattendu 

Que  d'avoir  tout  donné  sans  avoir  rien  perdu  ! 

Elle  était  nue  avec  un  abandon  sublime 

Et,  couchée  en  un  lit,  semblait  sur  une  cime.  ' 

A  mesure  qu'en  elle  entrait  l'amour  vainqueur. 

On  eût  dit  que  le  ciel  lui  jaillissait  du  cœur  5 

Elle  vous  caressait  avec  de  la  lumière  ; 

La  nudité  des  pieds  fait  la  marche  plus  fière 

Chez  ces  êtres  pétris  d'idéale  beauté  -, 

Il  lui  venait  dans  l'ombre  au  front  une  clarté 

Pareille  à  la  nocturne  auréole  des  pôles  j 

A  travers  les  baisers,  de  ses  blanches  épaules 

On  croyait  voir  sortir  deux  ailes  lentement  5 

Son  regard  était  bleu  d'un  bleu  de  firmament  ; 

Et  c'était  la  grandeur  de  cette  femme  étrange 

Qu'en  cessant  d'être  vierge,  elle  devenait  ange. 


VIII 


ROMAN  EN   TROIS    SONNETS. 


Fille  de  mon  portier!  l'Érymanthe  sonore. 
Devant  vous,  sentirait  tressaillir  ses  pins  verts  ; 
L'Horeb,  dont  le  sommet  étonne  l'univers. 
Inclinerait  son  cèdre  altier  qu'un  peuple  adore  ; 

Les  docteurs  juifs,  quittant  les  talmuds  entr'ouverts. 
Songeraient  j  et  les  grecs,  dans  le  temple  d'Aglaure 
Le  long  duquel  Platon  marche  en  lisant  des  vers. 
Diraient  en  vous  vovant  :  Salut,  déesse  Aurore! 

Ainsi  palpiteraient  les  grecs  et  les  hébreux. 

Quand  vous  passez,  les  yeux  baissés  sous  votre  mante  5 

Ainsi  frissonneraient  sur  l'Horeb  ténébreux 

Les  cèdres,  et  les  pins  sur  l'auguste  Erymanthe; 
Je  ne  vous  cache  pas  que  vous  êtes  charmante. 
Je  ne  vous  cache  pas  que  je  suis  amoureux. 

9  décembre. 


II 


Je  ne  vous  cache  pas  que  je  suis  amoureux. 
Je  ne  vous  cache  pas  que  vous  êtes  charmante  ; 
Soitj  mais  vous  comprenez  que  ce  qui  me  tourmente. 
C'est,  ayant  le  cœur  plein,  d'avoir  le  gousset  creux. 


I02  TOUTE  LA  LYRE. 

On  fuit  le  pauvre  ainsi  qu'on  fuyait  le  lépreux  ; 
Pour  Tircis  sans  le  sou  Philis  est  peu  cle'mente. 
Et  l'amant  dédoré  n'éblouit  point  l'amante  ; 
Il  sied  d'être  Rothschild  avant  d'être  Saint-Preux. 

N'importe,  je  m'obstine;  et  j'ai  l'audace  étrange 
D'être  pauvre  et  d'aimer,  et  je  vous  veux,  bel  ange  5 
Car  l'ange  n'est  complet  que  lorsqu'il  est  déchu  -, 

Et  je  vous  offre,  Églé,  giletière  étonnée. 

Tout  ce  qu'une  âme,  hélas,  vers  l'infini  tournée, 

Mêle  de  rêverie  aux  rondeurs  d'un  fichu. 

9  décembre. 


III 


Une  étoile  du  ciel  me  parlait;  cette  vierge 
Disait  :  — ^  «  O  descendant  crotté  des  CoUetets, 
J'ai  ri  de  tes  sonnets  d'hier  où  tu  montais 
Jusqu'à  la  blonde  Églé,  fille  de  ton  concierge. 

«  Églé  fait  —  j'en  pourrais  jaser,  mais  je  me  tais  — ■ 

Des  rêves  de  velours  sous  ses  rideaux  de  serge. 

Tu  perds  ton  temps.  Maigris,  fais  des  vers,  brûle  un  cierge. 

Chante-la  ;  ce  sera  comme  si  tu  chantais. 

Un  galant  sans  argent  est  un  oiseau  sans  aile. 
Elle  est  trop  haut  pour  toi.  Les  poètes  sont  fous. 
Jamais  tu  n'atteindras  jusqu'à  cette  donzelle.  »  ■ — ■ 

Et  je  dis  à  l'étoile,  à  l'étoile  aux  yeux  doux  : 
—  Mais  vous  ave2  cent  fois  raison,  mademoiselle  ! 
Et  je  ferais  bien  mieux  d'être  amoureux  de  vous. 

3  décembre. 


IXC) 


CHANSON. 


Il  suffit  de  bien  peu  de  chose 
Pour  troubler  l'ordre  des  saisons 
Et  cet  a2ur  dont  se  compose 
La  splendeur  de  nos  horizons  ; 

Ma  bien-aimée,  il  peut  suffire. 
Selon  des  lois  que  Dieu  connaît. 
Pour  perdre  ou  sauver  un  empire. 
D'un  enfant  qui  meurt  ou  qui  naît  -, 

Il  ne  faut,  au  milieu  de  Rome 
Et  d'un  peuple  qui  suit  un  char. 
Qu'un  peu  de  fer  aux  mains  d'un  homme 
Pour  ôter  le  monde  à  César. 

Les  petites  causes  sans  peine 
Produisent  des  effets  bien  grands  ; 
Mais  le  plus  hardi  capitaine. 
Mais  le  plus  hautain  des  tyrans. 

Mit-il  en  flamme  Europe,  Asie, 
Troublât-il  la  terre  et  la  mer, 
N'ôtera  pas  sa  fantaisie 
Au  doux  rêveur  qui  veut  aimer  ! 


17  mal  1846. 
(')  Inédit. 


I04  TOUTE  LA  LYRE. 


X 


HERMINA. 


J'atteignais  l'âge  austère  où  Ton  est  fort  en  thème. 
Où  Ton  cherche,  enivré  d'on  ne  sait  quel  parfum. 
Afin  de  pouvoir  dire  éperdument  :  Je  t'aime  ! 
Quelqu'i 


un. 


J'entrais  dans  ma  treizième  année.  Ô  feuilles  vertes  ! 
Jardins  !  croissance  obscure  et  douce  du  printemps  ! 
Et  j'aimais  Hermina,  dans  l'ombre.  Elle  avait,  certes. 
Huit  ans. 

Parfois,  bien  qu'elle  fût  à  jouer  occupée. 
J'allais,  muet,  m'asseoit  près  d'elle,  avec  ferveur; 
Et  je  la  regardais  regarder  sa  poupée. 
Rêveur. 

Il  est  une  heure  étrange  où  l'on  sent  l'âme  naître. 
Un  jour,  j'eus  comme  un  chant  d'aurore  au  fond  du  cœur. 
Soit,  pensai-je  !  Avançons,  parlons,  c'est  l'instant  d'être 
Vainqueur. 

Je  pris  un  air  profond,  et  je  lui  dis  :  —  Minette, 
Unissons  nos  destins.  Je  demande  ta  main.  — 
Elle  me  répondit  par  cette  pichenette  : 
—  Gamin  ! 

22  juin  1878. 


XIC) 


Oh  !  la  femme  et  l'amour  !  inventions  maudites  ! 

Il  n'est  de  gens  heureux  que  les  hermaphrodites  ! 

Que  nous  dit-on  que  Dieu  doit  nous  punir  un  jour? 

Le  diable,  c'est  la  femme,  et  l'enfer,  c'est  l'amour! 

O  rage  !  être  jaloux  !  surveiller  une  belle. 

L'épier,  et  toujours  laisser  pendre  sur  elle 

L'heure  où  l'on  ne  vient  pas,  mais  où  l'on  peut  venir  ! 

Se  rider  par  le  front,  par  le  cœur  rajeunir! 

Compter  ses  cheveux  gris  !  faire  mille  sots  rôles  ! 

Voir  reluire  autour  d'elle  un  tas  de  jeunes  drôles  ! 

N'oser  rien  accorder,  n'oser  rien  refuser  ! 

Etre  heureux  pour  un  signe  et  fou  pour  un  baiser  ! 

Porter  les  éventails  durant  les  promenades  ! 

La  suivre  en  se  cachant  entre  les  colonnades  ! 

Oh  !  que  l'homme  amoureux  est  un  triste  animal  ! 

Puis  la  rupture,  hélas  !  qui  se  ressoude  mal. 

Le  raccommodement,  la  querelle,  la  brouille. 

Sur  l'amour  qui  vieillit  épaississent  leur  rouille  ! 

Ou,  si  l'on  aime  encor,  le  soir,  pour  son  péché. 

Mordu  de  jalousie,  errant,  effarouché. 

On  va  grincer  des  dents  parmi  les  sérénades  ; 

Ou  bien  on  la  conduit,  parée,  aux  pasquinades 

Pour  la  faire  manger  par  les  regards  d'autrui  ! 

Puis  les  petites  voix  :  —  Vous  êtes  aujourd'hui 

Bien  maussade  !  —  (On  enrage  !)  —  Oh  non  !  ma  souveraine  ! 

—  Conduisez-moi  ce  soir  au  jardin  de  la  reine  ! 


(')  Inédit. 


Io6  TOUTE  LA  LYRE. 

Et  puis  un  doux  sourire,  et  puis  la  trahison  ! 
Je  n'en  veux  plus  !  adieu  l'amour  !  j'ai  ma  raison  ! 
C'est  vil  !  c'est  dégradant  !  c'est  affreux  !  c'est  infâme  ! 
Je  ne  veux  de  ma  vie  approcher  d'une  femme  ! 

Que  dirie2-vous  si  Pierre  en  ces  mots  vous  parlait  : 

—  C'est  un  malheur  de  voir,  car  le  monde  est  fort  laid. 

Les  lunettes  parfois  grossissent  fort  les  choses. 

Les  yeux  craignent  le  froid,  le  chaud,  les  amauroses. 

Les  fraîcheurs,  les  amours  trop  vifs  ou  trop  rassis, 

Sans  compter  l'ophtalmie  et  la  trichiasis. 

Si  quelqu'un,  dans  un  duel  pour  des  filles  qu'on  lorgne. 

Vous  crève  un  œil,  cela  suffit  pour  qu'on  soit  borgne. 

L'oignon  vous  fait  pleurer,  et  quand  il  fait  du  vent, 

La  poussière  dans  l'œil  vous  entre  fort  souvent  ; 

Pour  peu  qu'on  boive  un  coup,  on  s'expose  à  voir  double. 

Un  trop  grand  jour  vous  blesse,  un  trop  faible  vous  trouble  -, 

Voir  clair  est  un  péril  étrange  et  sérieux. 

Fort  bien  :  je  vais  me  faire  arracher  les  deux  yeux  ! 


XII 


J'étais  le  songeur  qui  pense, 
Elle  était  l'oiseau  qui  fuit  $ 
Je  l'adorais  en  silence. 
Elle  m'aimait  à  grand  bruit. 

Quand  dans  quelque  haute  sphère 
Je  crovais  planer  vainqueur, 
Je  l'entendais  en  bas  faire 
Du  vacarme  dans  mon  cœur. 

Mais  je  reprenais  mon  songe 
Et  je  l'adorais  toujours. 
Crédule  au  divin  mensonge 
Des  roses  et  des  amours. 

Les  profondeurs  constellées. 
L'aube,  la  lune  qui  naît. 
Amour,  me  semblaient  mêlées 
Aux  rubans  de  son  bonnet. 

Dieu  pour  moi,  sont-ce  des  fables  ? 
Avait  mis  dans  sa  beauté 
Tous  les  frissons  ineffebles 
De  l'abîme  volupté. 

Je  rêvais  un  ciel  étrange 

Pour  notre  éternel  hymen. 

—  Qu'êtes- vous  ?  criais-jcî  un  ange? 

Moi  !  disait-elle,  un  gamin. 


Io8  TOUTE  LA  LYRE. 

Je  sentais,  âme  saisie 
Dans  les  deux  par  un  pinson, 
S'effeuiller  ma  poésie 
Que  becquetait  sa  chanson. 

Elle  me  disait  :  —  Écoute, 
C'est  mal,  tu  me  dis  vous  !  fi  !  — 
Et  la  main  se  donnait  toute 
Quand  le  gant  m'aurait  suffi. 

Me  casser  pour  elle  un  membre, 
C'était  mon  désir  parfois. 
Un  jour  je  vins  dans  sa  chambre, 
Nous  devions  aller  au  bois. 

Je  comptais  la  voir  bien  mise. 
Chaste  comme  l'orient  -, 
Elle  m'ouvrit  en  chemise. 
Moi  tout  rouge,  elle  riant. 

Je  ne  savais  que  lui  dire. 
Et  je  fus  contraint  d'oser  5 
Je  ne  voulais  qu'un  sourire. 
Il  fallut  prendre  un  baiser. 

Et  ma  passion  discrète 
S'évanouit  sans  retour  5 
C'est  ainsi  que  l'amourette 
Mit  à  la  porte  l'amour. 

12  avril  1855. 


.  XIII  (') 

L'AMOUR  VIENT    EN   LISANT. 
CHANSON. 

Madeleine 
Et  moi,  lisions  près  du  feu 
Cette  histoire  :  «En  Aquitaine, 
«  Un  page  aimait  une  reine. . . 
«  Le  père  était  duc  d'Athène, 

«  Cordon  bleu.  —  » 

—  Sois  ma  femme  !  — 
Lui  disais-je.  Oh  !  charmant  jeu  ! 
Amour!  dans  mon  cœur,  madame. 
Votre  œil  voyait  une  flamme  5 
Moi,  je  voyais  dans  votre  âme 

Le  ciel  bleu. 

Doux  mystère  ! 
Mots  furtifs  !  timide  aveu  ! 
Le  livre  aidant,  j'osai  plaire. 
Mais  le  bonhomme  de  père 
S'écria  plein  de  colère  : 

Ventrebleu  ! 

Ce  tapage 
Effraya  la  belle  un  peu. 
Mais  nous  tournâmes  la  page  5 
Malgré  son  mince  équipage, 
La  reine. . .  épousa  le  page  5 
Conte  bleu. 
<')  Inédit. 


IIO  TOUTE  LA  LYRE. 

L'hirondelle 
Nous  dit  bonjour,  puis  adieu. 
Hélas!  l'amour  vient  comme  elle. 
Et  comme  elle,  à  tire  d'aile. 
Il  s'enfuit,  l'amour  fidèle. 

Oiseau  bleu. 

22  novembre  1853. 


XIV 


Elle  vint  que  j'étais  en  train  de  lire  Homère. 
Mes  yeux  étaient  remplis  de  l'immense  chimère 
D'Achille,  et  des  combats  que  j'entendais  hennir. 
—  Qu'est-ce  que  tu  fais  là  ?  Veux-tu  bien  t'en  venir  ! 
Dit-elle j  mais  tu  n'es  qu'une  bête!  et  la  preuve. 
C'est  que  tu  ne  vois  pas  que  j'ai  ma  robe  neuve. 
Nous  allons  à  Verrière,  et  nous  y  mangerons 
De  ces  fraises  qu'on  trouve  avec  les  liserons. 
Vous  sere2  sage.  Ah  çà  !  pas  de  vilaines  choses. 
Figure-toi  qu'on  dit  que  c'est  tout  plein  de  roses  ! 
Tu  choisis  bien  ton  temps  pour  lire  un  vieux  bouquin  ! 

Je  me  levai,  je  mis  ma  veste  de  nankin. 

Et  Suzon  m'emmena,  foulant  sous  sa  bottine 

Lemnos,  Égialée  et  la  roche  Erythine. 

13  août  1859. 


112  TOUTE  LA  LYRE. 


XVC) 


Vous  ne  la  fuyez  pas,  oiseaux,  petits  farouches. 
Car  elle  est  votre  sœur  dans  ce  monde  âpre  et  vain. 
Elle  a  pour  ce  qui  sort  des  âmes  et  des  bouches 
Votre  dégoût  divin. 

Elle  semble  un  rayon  qui  ploierait  sous  de  l'ombre. 
On  se  dit  en  voyant  ce  nimbe,  ce  parfum. 
Cette  grâce  au  milieu  de  nos  laideurs  sans  nombre  : 
Peut-elle  aimer  quelqu'un? 

Oh!  comme  parmi  vous  elle  marche,  l'altière! 
Elle  dédaigne,  esprit  ailé,  le  ver  qui  fuit. 
Et,  lyre,  la  rumeur,  et,  souffle,  la  matière. 
Et,  lumière,  la  nuit. 

Quand,  seuls,  au  fond  des  bois  nous  nous  perdons  ensemble. 
Je  lui  dis  :  j'aime!  avec  mon  regard  le  plus  doux. 
Elle  répond  :  je  hais.  Et,  voyant  que  je  tremble. 
Elle  ajoute  :  Pas  vous. 


iuillet. 


('>  Inédit. 


XVI 


COMMENCEMENT  D'UNE  ILLUSION. 

Il  pleut  î  la  brume  est  épaissie  ; 
Voici  novembre  et  ses  rougeurs. 
Et  l'hiver,  ef&oyable  scie 
Que  Dieu  nous  fait,  à  nous  songeurs. 

L'abeille  errait,  l'aube  était  large. 
L'oiseau  jetait  de  petits  cris. 
Les  moucherons  sonnaient  la  charge 
A  l'assaut  des  rosiers  fleuris. 

C'était  charmant.  Adieu  ces  fêtes. 
Adieu  la  joie,  adieu  l'été! 
Adieu  le  tumulte  des  têtes 
Dans  le  rire  et  dans  la  clarté  ! 

Adieu  les  bois  où  le  vent  lutte. 
Où  Jean,  dénicheur  de  moineaux. 
Jouait  aussi  bien  de  la  flûte 
Qu'un  grec  de  l'île  de  Tinos  ! 

Il  faut  rentrer  dans  la  grand'ville 
Qu'Alceste  laissait  à  Henri  5 
Où  la  foule  encor  serait  vile 
Si  Voltaire  n'avait  pas  ri. 

Noir  Paris  !  tas  de  pierres  morne 
Qui,  sans  Molière  et  Rabelais, 
Ne  serait  encor  qu'une  borne 
Portant  la  chaîne  des  palais  ! 


POESIE. 


IHI-BIHEDIC     HATlOilÀll. 


114  TOUTE  LA  LYRE. 

Il  faut  rentrer  au  labyrinthe 
Des  pas,  des  carrefours,  des  mœurs. 
Où  l'on  sent  une  sombre  crainte 
Dans  l'immensité  des  rumeurs. 

Je  regarderai  ma  voisine 
Puisque  je  n'ai  plus  d'autre  fleur! 
Sa  vitre  vague  où  se  dessine 
Son  profil,  divin  de  pâleur, 

Son  réchaud  où  s'enfle  la  crème. 
Sa  voix  qui  dit  encor  maman. 
Gare!  c'est  le  seuil  d'un  poëme. 
C'est  presque  le  bord  d'un  roman. 

Ma  voisine  est  une  ouvrière. 
Au  front  de  neige,  aux  dents  d'émail. 
Qu'on  voit  tous  les  soirs  en  prière 
Et  tous  les  matins  au  travail. 

Cet  ange  ignore  que  j'existe. 
Et,  laissant  errer  son  œil  noir. 
Sans  le  savoir  me  rend  très  triste 
Et  très  joyeux  sans  le  vouloir. 

Elle  est  propre,  douce,  fidèle. 
Et  tient  de  Dieu,  qui  la  bénit. 
Des  simplicités  d'hirondelle 
Qui  ne  sait  que  bâtir  son  nid. 


4  novembre. 


XVII  (*) 


TRUMEAU. 


Ô  bonheur  d'être  aimé  !  Félicité  suprême  ! 

Berger,  rends  grâce  aux  Dieux  !  on  te  désire  !  on  t'aime  I 

O  berger!  Vesper  luit,  ce  bel  astre  éclatant. 

Ta  maîtresse  est  là-bas  qui  brûle  et  qui  t'attend. 

Traverse  la  forêt,  traverse  la  clairière, 

Cours  et  chante  à  grand  bruit  ta  chanson  la  plus  fière, 

Chante  et  passe  gaîment,  et  laisse  au  fond  des  bois 

La  triste  nymphe  Écho  se  plaindre  à  demi- voix. 

16  juillet  1840. 


<>)  Inédit. 


Il6  TOUTE  LA  LYRE. 


XVIII 

TOUTE  LA  VIE  D'UN  CŒUR. 

1817. 
ADOLESCENCE. 

J'allais  au  Luxembourg  rêver,  ô  temps  lointain, 

Dès  l'aurore,  et  j'étais  moi-même  le  matin. 

Les  nids  dialoguaient  tout  bas,  et  les  allées, 

Désertes,  étaient  d'ombre  et  de  soleil  mêlées  j 

J'étais  pensif,  j'étais  profond,  j'étais  niais. 

Comme  je  regardais  et  comme  j'épiais  ! 

Qui?  La  Vénus,  l'Hébé,  la  nymphe  chasseresse. 

Je  sentais  du  printemps  l'invisible  caresse. 

Je  guettais  l'inconnu.  J'errais.  Quel  curieux 

Que  Chérubin  en  qui  s'éveille  Des  Grieux  ! 

O  femme  !  mystère  !  être  ignoré  qu'on  encense  ! 

Parfois  j'étais  obscène  à  force  d'innocence. 

Mon  regard  violait  la  vague  nudité 

Des  déesses,  debout  sous  les  feuilles  l'été; 

Je  contemplais  de  loin  ces  rondeurs  peu  vêtues. 

Et  j'étais  amoureux  de  toutes  les  statues  ; 

Et  j'en  ai  mis  plus  d'une  en  colère,  je  crois. 

Les  audaces  dans  l'ombre  égalent  les  effrois. 

Et,  hardi  comme  un  page  et  tremblant  comme  un  lièvre. 

Oubliant  latin,  grec,  algèbre,  ayant  la  fièvre 

Qui  résiste  aux  Bezouts  et  brave  les  Restauds, 

Je  restais  là  stupide  au  bas  des  piédestaux. 

Comme  si  j'attendais  que  le  vent  sous  quelque  arbre 

Soulevât  les  jupons  d'une  Diane  en  marbre. 

10  septembre  1873. 
Sur  l'impériale  d'un  omnibus. 


TOUTE  LA  VIE  D'UN  CŒUR.  11/ 


1820. 

Printemps.  Mai  le  décrète,  et  c'est  officiel. 

L'amour,  cet  enfer  bleu  très  ressemblant  au  ciel. 

Emplit  l'azur,  les  champs,  les  prés,  les  fleurs,  les  herbes  5 

Dans  les  hautes  forêts  lascives  et  superbes 

L'innocente  nature  épanouit  son  cœur 

Simple,  immense,  insulté  par  le  merle  moqueur. 

La  volonté  d'aimer  règne,  surnaturelle. 

Partout.  —  Comme  on  s'adore  et  comme  on  se  querelle  ! 

Les  papillons,  lâchés  dans  le  bois  ingénu. 

Font  avec  le  premier  bouton  de  fleur  venu 

Des  infidélités  aux  roses,  leurs  amantes; 

On  entend  murmurer  les  colères  charmantes. 

Et  tous  les  grands  courroux  des  belles  s'apaiser 

Dans  le  chuchotement  auguste  du  baiser. 

O  but  profond  des  cieux,  la  vie  universelle! 

Comme,  afin  que  tout  soit  solide,  tout  chancelle! 

Comme  tout  cède  afin  que  tout  dure  !  ô  rayons  ! 

L'idylle  en  souriant  dit  au  gouf&e  :  Essayons  ! 

Et  le  gouffre  obéit,  et  la  mer  sombre  adore. 

Le  germe  éclot,  le  nid  chante,  l'azur  se  dore; 

L'éternelle  indulgence  au  fond  du  firmament 

Rêve  ;  et  les  doux  fichus  s'envolent  vaguement. 

10  avril  1875. 

1833. 

ÀJ... 

Puisque  le  gai  printemps  revient  danser  et  rire. 
Puisque  le  doux  Horace  et  que  le  doux  Zéphyre 
M'attendent  au  milieu  des  prés  et  des  buissons. 
L'un  avec  des  parfums,  l'autre  avec  des  chansons. 
Puisque  la  terre  en  fleurs  semble  un  tapis  de  Perse, 
Puisque  le  vent  murmure  et  dans  l'azur  disperse 


Ii8  TOUTE  LA  LYRE. 

La  brume  et  la  nuée  en  flottants  archipels, 

Il  me  plaît  de  répondre  à  ces  profonds  appels. 

Il  me  plaît  de  rôder  dans  les  molles  prairies. 

Entraînant  avec  moi  l'essaim  des  rêveries 

Et  la  strophe  qui  vole  au-dessus  de  mon  front  5 

Tant  que  sous  le  ciel  bleu  les  âmes  aimeront. 

Tant  qu'avril,  ce  brodeur,  avec  l'herbe  et  les  roses 

Et  les  feuilles,  créera  toutes  sortes  de  choses 

Charmantes,  et  que  Dieu,  des  monts,  des  airs,  des  eaux. 

Fera  de  grands  palais  pour  les  petits  oiseaux. 

Tant  que  l'aube  éclora  dans  cette  ombre  où  nous  sommes. 

Les  songes  tourneront  sur  la  tête  des  hommes. 

Et  les  penseurs  seront  attendris  dans  les  bois. 

Les  frais  halliers  sont  pleins  de  pudeurs  aux  abois. 

Femmes,  oiseaux,  tout  cède  et  les  baisers  se  mêlent. 

Les  adorations  vaguement  se  querellent. 

L'eau  soupire,  le  lys  s'ouvre,  le  firmament 

Rayonne,  et,  si  tu  veux,  je  serai  ton  amant. 

4  mai. 

1835. 
PROMENADE. 

Je  t'adore.  Soyons  deux  heureux.  Viens  t'asseoit 
Dans  une  ombre  qui  soit  un  peu  semblable  au  soir. 
Marchons  bien  doucement.  Sois  pensive.  Sois  lasse. 
Profitons  du  moment  où  personne  ne  passe  ; 
Entrons  dans  le  hallier,  cachés  par  les  blés  mûrs. 

Que  ne  puis-je  élever  brusquement  quatre  murs 
Ici,  dans  ce  coin  chaste,  et  d'un  coup  de  baguette! 
La  nature  est  un  œil  invisible  qui  guette  5 
Glissons-nous }  le  silence  entend;  défions-nous 
Du  bruit  que  fait  une  âme  embrassant  deux  genoux. 
Car,  moi,  je  ne  suis  pas  autre  chose  qu'une  âme  5 
Mais  une  âme  peut  prendre  en  sa  serre  une  femme, 


TOUTE  LA  VIE  D'UN  CŒUR.  II9 

Et  l'emporter,  et  faire  un  bruit  mystérieux 
De  lionne  sur  terre  ou  d'aigle  dans  les  cieux. 

Tu  grondes.  —  Un  baiser  !  —  Jamais  !  —  Je  le  dérobe. 

Tu  dis  :  c'est  mal  !  —  Et  j'ôte  une  épingle  à  ta  robe  -, 

L'amour  aime  les  yeux  fâchés  de  la  pudeur, 

Et  rien  n'est  plus  charmant  qu'un  paradis  boudeur. 

C'est  vrai,  belle,  depuis  que  les  blanches  épaules 

De  Galatée  ont  pris  la  fuite  sous  les  saules. 

Et  que  Marot  a  vu,  sans  être  trop  puni. 

Un  doux  sourire  faire  éclore  un  doux  nenni. 

Une  gloire  ineffeble  est  à  l'amour  mêlée. 

La  femme  est  de  son  trop  de  puissance  accablée  ; 

Vaincue,  elle  se  sait  maîtresse}  elle  nous  plaît; 

Comme  c'est  ravissant  d'avoir  ce  qu'on  voulait. 

Et  de  sentir  beaucoup  de  reproches  se  taire  ! 

Comme  une  rougeur  vague  après  l'heureux  mystère 

Enivre,  et  comme  on  sent  le  prix  d'une  faveur 

Que  veut  presque  reprendre  un  silence  rêveur  ! 

Reprendre?  Nonj  pourquoi?  Donner  encor?  Peut-être. 

Cachons-nous.  Une  branche  a  remué.  C'est  traître. 

On  devinait  qu'Eschyle  avait  un  rendez-vous 

Avec  Mégaryllis,  la  farouche  aux  yeux  doux. 

Et  qu'elle  se  laissait  dire  de  tendres  choses, 

Quand  les  feuilles  tremblaient  au  bois  des  lauriers-roses. 


12  juillet  1874. 


1840. 

MAI. 


Je  ne  laisserai  pas  se  faner  les  pervenches 

Sans  aller  écouter  ce  qu'on  dit  sous  les  branches, 

Et  sans  guetter,  parmi  les  rameaux  infinis, 

La  conversation  des  feuilles  et  des  nids  ; 

Il  n'est  qu'un  dieu,  l'amour;  avril  est  son  prophète; 

Je  me  supposerai  convive  de  la  fête 


I20  TOUTE  LA  LYRE. 

Que  le  pinson  chanteur  donne  au  pluvier  doré  ; 

Je  fuirai  de  la  ville  et  je  m'envolerai. 

Car  l'âme  du  poëte  est  une  vagabonde, 

Dans  les  ravins  où  mai  plein  de  roses  abonde, 

Là  les  papillons  blancs  et  les  papillons  bleus. 

Ainsi  que  le  divin  se  mêle  au  fabuleux. 

Vont  et  viennent,  croisant  leurs  essors,  joyeux,  lestes. 

Si  bien  qu'on  les  prendrait  pour  des  lueurs  célestes  ; 

Là  jasent  les  oiseaux,  se  cherchant,  s'évitant  ; 

Là  Margot  vient  quand  c'est  Glycère  qu'on  attend  5 

L'idéal  démasqué  montre  ses  pieds  d'argile  5 

On  trouve  Rabelais  où  l'on  cherchait  Virgile. 

O  jeunesse  !  ô  seins  nus  des  femmes  dans  les  bois  ! 

Oh  !  quelle  vaste  idylle  et  que  de  sombres  voix  ! 

Comme  tout  le  hallier,  plein  d'invisibles  mondes. 

Rit  dans  le  clair-obscur  des  églogues  profondes  ! 

J'aime  la  vision  de  ces  réalités  5 

La  vie  aux  yeux  sereins  luit  de  tous  les  côtés  ; 

La  chanson  des  forêts  est  d'une  douceur  telle 

Que,  si  Phébus  l'entend,  quand,  rêveur,  il  dételle 

Ses  chevaux  las  souvent  au  point  de  haleter. 

Il  s'arrête,  et  fait  signe  aux  Muses  d'écouter. 

6  mai. 

1847. 

Tu  vois  un  homme  ayant  un  projet  sous  les  cieux. 

Mes  vœux  n'ont  plus  de  frein,  je  suis  ambitieux. 

J'ai  résolu  d'avoir  un  dimanche  superbe. 

Et  mon  plan,  c'est  d'aller  nous  étendre  sur  l'herbe. 

Je  couve  ce  dessein,  je  fais  cet  opéra. 

Et  nous  serons  autant  de  couples  qu'on  voudra. 

Nous  chercherons  un  lieu  désert,  une  chapelle. 

Un  burg  ne  sachant  plus  le  nom  dont  il  s'appelle, 

N'ayant  plus  pour  baron  que  le  merle  siffleur. 

Qui  soit  tout  en  ruine  et  qui  soit  tout  en  fleur. 


TOUTE  LA  VIE  D'UN  CŒUR.  121 

D'afïreux  murs,  noirs  dans  l'ombre,  absolument  farouches; 

Là  les  bouches  auront  des  bontés  pour  les  bouches  ; 

C'est  mon  programme.  Il  est  un  arbuste  gourmand 

Dont  la  feuille  est  d'un  tour  si  frais  et  si  charmant 

Qu'on  en  faisait  jadis  une  couronne  aux  verres  ; 

Il  orne  les  vieux  murs  d'alcôves  peu  sévères  ; 

C'est  par  lui  qu'un  logis  qui  s'écroule  est  complet  ; 

Belle,  ce  tapissier  des  masures  me  plaît. 

Viens,  nous  serons  heureux,  et  pour  auxiliaires, 

O  belle,  nous  aurons  les  dieux,  les  chants,  les  lierres. 

Le  mois  de  mai  fera  son  devoir;  Dieu  clément 

Le  veut  ;  on  entendra  chuchoter  vaguement 

Des  profondeurs  d'oiseaux  sous  des  épaisseurs  d'arbres  ; 

On  se  parlera  bas;  les  seins  seront  des  marbres. 

Non  les  cœurs  ;  on  aura  quelque  ami  pour  témoin. 

Sans  empêcher  pourtant  qu'il  aille  un  peu  plus  loin. 

26  mai. 


122  TOUTE  LA  LYRE. 


XIX  i') 


L'amour  n'est  plus  l'antique  et  menteur  Cupido, 

L'enfant  débile  et  nu  qu'aveuglait  un  bandeau  ; 

C'est  un  fier  cavalier,  la  visière  baissée. 

Qui  brise  et  foule  aux  pieds  la  Haine  terrassée  ; 

C'est  le  vainqueur  —  armé  —  du  sort  sombre  et  jaloux. 

Madame,  il  est  puissant  quand  il  combat  pour  vous. 

Au-dessus  de  son  front  quand  il  vous  voit  sans  voiles 

Planer,  belle  âme  ailée,  au  milieu  des  étoiles, 

O  rayonnant  esprit  !  rayonnante  beauté  ! 

Il  est  fort  j  il  abat,  d'un  bras  plus  irrité. 

L'envie,  impur  démon  qui  jusqu'à  vous  se  traîne; 

Il  triomphe;  et,  rempli  d'une  fierté  sereine. 

Tour  à  tour  il  regarde,  avec  un  œil  joyeux. 

Le  monstre  sous  ses  pieds,  et  l'ange  dans  les  cieux. 

29  décembre  1843. 


(')  Inédit. 


XX 


Or  nous  cueillions  ensemble  la  pervenche. 

Je  soupirais,  je  crois  qu'elle  rêvait. 
Ma  joue  à  peine  avait  un  blond  duvet. 
Elle  avait  mis  son  jupon  du  dimanche  j 
Je  le  baissais  chaque  fois  qu'une  branche 
Le  relevait. 

Et  nous  cueillions  ensemble  la  pervenche. 

Le  diable  est  fin,  mais  nous  sommes  bien  sots. 
Elle  s'assit  sous  de  charmants  berceaux 
Près  d'un  ruisseau  qui  dans  l'herbe  s'épanche; 
Et  vous  chantier  dans  votre  gaîté  fi-anche. 
Petits  oiseaux. 

Et  nous  cueillions  ensemble  la  pervenche. 

Le  paradis  pourtant  m'était  échu. 
En  ce  moment,  un  bouc  au  pied  fourchu 
Passe  et  me  dit  :  Penche-toi.  Je  me  penche. 
Anges  du  ciel  !  je  vis  sa  gorge  blanche 
Sous  son  fichu  ! 

Et  nous  cueiUions  ensemble  la  pervenche. 


124  TOUTE  LA  LYRE. 

J'étais  bien  jeune  et  j'avais  peur  d'oser. 
Elle  me  dit  :  Viens  donc  te  reposer 
Sous  mon  ombrelle,  et  me  donna  du  manche 
Un  petit  coup,  et  je  pris  ma  revanche 
Par  un  baiser. 

Et  nous  cueillions  ensemble  la  pervenche. 
20  septembre  1854. 


XXI  (•) 


Il  était  une  fois  un  caporal  cipaye, 

Pauvre  diable,  et  n'ayant  ni  pitance,  ni  paye. 

C'était  à  Jagrenat.  Un  soir  il  pénétra 

Dans  la  grande  pagode  où  la  déesse  Intra 

Reluit,  monstre  incrusté  d'escarboucles  sans  nombre. 

Il  grimpa  sur  l'idole,  et  lui  vola  dans  l'ombre 

Un  beau  caillou  brillant  qui  faisait  l'œil  du  front. 

La  nuit  l'avait  fait  brave  et  la  peur  le  fit  prompt  j 

Il  s'enfuit,  emportant  l'objet.  Le  triste  hère 

Attacha  le  caillou,  ne  sachant  trop  qu'en  faire. 

Au  pommeau  de  son  sabre  avec  un  fil  d'archal  ; 

Puis  il  se  pavanait,  fier  comme  un  maréchal. 

Un  jour  enfin,  étant  ivre  entre  les  plus  ivres, 

A  je  ne  sais  quel  juif  il  le  vendit  six  livres. 

Voilà  ce  que  c'était  que  ton  premier  amant. 

Le  caillou  du  soldat  était  un  diamant  ; 

L'hébreu  qui  l'achetait  était  un  lapidaire. 

O  Vénus  de  Milo,  Phébus  du  Belvédère, 

Vous  n'étiez  rien  qu'un  marbre  informe,  jusqu'au  temps 

Où  le  sculpteur  vous  prit  sous  ses  doigts  palpitants. 

Et  vous  tira  du  bloc,  nus,  rayonnants,  sans  voiles. 

Et  vous  mit  dans  l'Olympe  au  milieu  des  étoiles  ! 

Ainsi,  des  noires  mains  du  lapidaire  obscur. 

Avec  mille  éclairs  d'or  et  de  pourpre  et  d'azur, 


(')  Inédit. 


126  TOUTE  LA  LYRE. 

Sortit  le  diamant,  taillé,  poli,  splendide. 
Magnifique,  et  si  beau  que  son  maître  sordide 
Le  vendit  à  son  tour  quatre  ou  cinq  millions. 
C'était  un  de  ces  juifs,  hideux  tabellions. 
Qui  vendraient  le  printemps,  la  rosée  et  les  astres. 
Pour  un  mulet  ployant  sous  sa  charge  de  piastres. 

Voilà  ce  que  c'était  que  ton  deuxième  amant. 

Aujourd'hui,  contemplé  par  tous  avidement. 
Pur,  superbe,  admiré  par  la  foule  qui  passe. 
Et  posé  sur  un  fi-ont  devant  qui  tout  s'efface. 
Le  merveilleux  caillou,  rare  et  divin  trésor. 
Brille  au  plus  haut  fleuron  d'une  couronne  d'or. 
Son  doux  rayonnement  dissipe  l'ombre  noire  ; 
Et,  le  voyant  reluire  à  ce  sommet  de  gloire. 
L'œil  croit  voir  resplendir  l'éternel  diamant. 
L'éclatant  Sirius  dans  le  bleu  firmament  ! 
Léa  !  brille  à  jamais  à  ce  sublime  faîte  ! 

Le  troisième  est  un  roi,  c'est-à-dire  un  poëte. 

Le  premier  te  vola,  le  second  te  vendit. 
L'un  fut  un  goujat  vil,  et  l'autre  un  juif  maudit. 
Madame,  le  troisième,  esprit  noble,  âme  éprise. 
Seul  vous  a  méritée  et  seul  vous  a  comprise. 


jer  février  1845. 


XXII 


Un  coup  de  vent  passa,  souffle  leste  et  charmant 

Qui  fit  tourbillonner  les  jupes  follement. 

Je  la  savais  ailée,  étoile'e,  azurée, 

Je  l'adorais  5  mon  âme  allait  dans  l'empyrée 

A  sa  suite.  Oh!  l'amour,  c'est  toutj  le  reste  est  vain. 

Je  ne  supposais  pas  que  cet  être  divin 

Qui  m'emportait  rêveur  si  loin  de  la  matière 

Eût  des  jambes  5  soudain  je  vis  sa  jarretière  5 

Et  cela  me  choqua.  —  Quoi!  me  dis-je,  elle  aussi! 

Je  la  contemple,  ému,  tremblant,  brûlant,  transi. 

Et  je  vois  de  la  chair  où  j'adorais  une  âme! 

Soit.  Le  songe  est  fini.  Ce  n'est  donc  qu'une  femme 

Qui  marche  sur  la  terre,  et  se  retrousse  au  vent! 

Et  je  fus  amoureux  bien  plus  qu'auparavant. 


128  TOUTE  LA  LYRE. 


XXIII 


QUINZE-VINGT. 

Nous  étions  seuls  dans  l'ombre  et  l'extase  suprême. 
Elle  disait  :  je  t'aime  !  et  je  disais  :  je  t'aime  ! 
Elle  disait  :  toujours!  et  je  disais  :  toujours! 
Elle  ajoutait  :  nos  cœurs  sont  époux 5  nos  amours 
Vaincront  la  destinée,  et  rien  ne  me  tourmente, 
Étant,  toi  le  plus  fort  et  moi  la  plus  aimante. 
Et  moi,  je  reprenais  :  la  ville  est  sombre,  vois. 
La  sagesse  serait  de  vivre  dans  les  bois. 
Elle  me  répondait  :  vivons-y,  soyons  sages. 

Si  vous  voulez  savoir  le  chiffre  de  nos  âges. 

Elle  quinze,  et  moi  vingt  :  à  nous  deux  nous  faisions 

Un  aveugle,  et  nos  yeux  étaient  pleins  de  rayons. 

13  juin  18^5. 


XXIV 


J'ai  toujours  redouté  d'aborder  une  femme. 
Risquer  le  cœur  est  grave  autant  que  risquer  l'âme. 
La  femme  est  le  dessus  de  ce  gouffre,  l'amour. 
Quel  piège!  et  comment  dire  aux  déesses  :  bonjour? 
On  salue,  et  la  belle  observe 5  on  est  nu-tête; 
Rêve-t-elle?  on  a  peur.  Rit-elle?  on  a  l'air  bête. 
On  est  Platon  de  peur  de  sembler  Rabelais. 
Donc  je  vous  adorais,  madame,  et  je  tremblais. 
C'est  convenable,  mais  c'est  inepte.  Et,  timide. 
Soucieux  de  Circé,  préoccupé  d'Armide, 
J'étais  ambitieux,  immobile  et  prudent. 
Et  j'avais  l'air  d'un  arbre  imbécile  attendant 
Qu'une  étoile  s'envole  et  vienne  sur  ses  branches. 
D'autres  que  moi  pourtant,  fats  aux  allures  franches. 
Hardis,  vous  saluaient,  et,  pleins  d'enivrements. 
Entraient  en  pourparlers  avec  vos  yeux  charmants. 
Et  leurs  fronts  s'inclinaient  devant  votre  sourire  5 
J'étais  comme  un  niais  qui  se  laisse  proscrire; 
Si  bien  qu'un  jour,  tant  pis,  mon  cœur  se  résolut. 
Je  me  dis  :  il  est  temps  de  faire  mon  salut. 
Et  je  vous  abordai,  chapeau  bas. 


fOESIK.    —   XIII.  9 

IHPBIMLRIK     NAT10!fALE. 


130  TOUTE  LA  LYRE. 


XXV 


Qu'est-ce  que  cette  année  emporte  sur  son  aile^? 
Je  ne  suis  pas  moins  tendre  et  tu  n'es  pas  moins  belle. 
Nos  deux  cœurs  en  dix  ans  n'ont  pas  vieilli  d'un  jour. 
Va,  ne  fais  pas  au  temps  de  plainte  et  de  reproche. 
À  mesure  qu'il  fuit,  du  ciel  il  nous  rapproche. 
Sans  nous  éloigner  de  l'amour. 

31  décembre  1842. 


XXVI 


DANS   UN   VIEUX   CLOITRE. 


Alors  elle  me  dit  :  Pourquoi  n'avez-vous  pas 

Parlé  plus  tôt?  Et  moi  je  répondis  tout  bas  : 

—  Mais  que  voulais- tu  donc  que  je  te  demandasse  ! 

Tutoyer  une  étoile  est  une  douce  audace. 

Même  avec  l'imparfait  du  subjonctif.  Déjà 

Elle  avait  fort  rougi;  ce  qui  fait  qu'on  songea. 

Le  désir  dans  mon  âme  et  la  peur  dans  la  sienne, 

A  se  réfugier  dans  cette  église  ancienne 

Où  nous  voilà,  priant  tous  deux,  dans  le  saint  lieu. 

Elle  Marie,  un  ange,  et  moi  l'Amour,  un  dieu. 


132  TOUTE  LA  LYRE. 


XXVII  (») 


J'avais  dans  ma  mansarde  un  buste  de  Platon, 

—  Ou  d'Euclide  —  un  vieux  marbre  ayant  barbe  au  menton, 

Et  dans  l'œil  un  regard  tout  blanc,  fixe  et  morose  j 

Or  ce  buste  devint  amoureux  d'une  rose 

Qu'au  temps  où  des  amours  je  gazouillais  l'argot. 

J'avais  gaîment  cueillie  au  corset  de  Margot  5 

La  rose  auprès  du  buste  ornait  ma  cheminée  j 

Et  le  buste  disait  :  ô  douce  fleur  fanée. 

Si  j'étais  homme  et  toi  femme,  quels  bons  moments! 

Et  comme  nous  ferions  une  paire  d'amants  ! 

La  rose  répondait  :  ô  le  plus  beau  des  marbres. 

Si  nous  étions  oiseaux,  nous  irions  sous  les  arbres. 

Et  dans  les  verts  rameaux  tout  pénétrés  de  jour. 

Nous  bâtirions  un  nid  où  chanterait  l'amour  ! 

Je  tire  de  ceci  deux  maximes  fort  justes  : 
Ne  point  s'exagérer  la  sagesse  des  bustes. 
Eussent-ils  l'œil  d'Euclide  et  le  nez  de  Platon, 
Et  cueillir,  quand  on  peut,  des  fleurs  sur  Margoton. 

Nuit  du  13  au  14  janvier  1859, 


(')  Inédit. 


XXVIII 


VIRGILE  DANS   L'OMBRE. 


Je  chante  Lycoris  si  Gallus  le  désire  -, 

Je  ferai  faire  un  peigne  en  corail  à  Corcyre 

Pour  peigner  les  cheveux  divins  d'Amaryllis  ; 

Cymodoce,  ayant  plus  de  roses  et  de  lys 

Sur  son  sein  que  n'en  a  le  printemps  dans  la  plaine, 

Chloé  sachant  comment  s'y  prendre  avec  Silène 

Pour  lui  faire  chanter  l'Olympe  et  le  ciel  bleu. 

Et  pour  faire  sortir  de  l'ivrogne  le  dieu, 

Nééra  toute  nue  ayant  dompté  le  faune. 

Flore  étant  belle  à  mettre  en  fuite  Tisiphone, 

Je  mettrai  dans  des  vers  que  l'avenir  lira 

Cymodoce,  Chloé,  Flore,  et  vous,  Nééra. 


134  TOUTE  LA  LYRE. 


XXIX  (1) 


Oui,  je  suis  le  regard  et  vous  êtes  l'étoile. 

Je  contemple  et  vous  rayonnez  ! 
Je  suis  la  barque  errante  et  vous  êtes  la  voile. 

Je  dérive  et  vous  m'entraînez  ! 
Près  de  vous  qui  brillez  je  marche  triste  et  sombre. 
Car  le  jour  radieux  touche  aux  nuits  sans  clarté. 

Et  comme  après  le  corps  vient  l'ombre 

L'amour  pensif  suit  la  beauté. 


(^)  Inédit. 


XXX 


N'est-ce  pas,  mon  amour,  que  la  nuit  est  bien  lente 
Quand  on  est  au  lit  seule  et  qu'on  ne  peut  dormir? 
On  entend  palpiter  la  pendule  tremblante. 
Et  dehors  les  clochers  d'heure  en  heure  gémir. 

L'esprit  flotte  éveillé  dans  les  rêves  sans  nombre. 
On  n'a  pas,  dans  cette  ombre  où  manque  tout  soleil. 
Le  sommeil  pour  vous  faire  oublier  la  nuit  sombre. 
Ni  l'amour  pour  vous  faire  oublier  le  sommeil. 


8  septembre  1844. 


136  TOUTE  LA  LYRE. 


XXXI  (ï) 


Je  ne  viens  pas  vous  voir  le  jour  ;  voici  pourquoi 
C'est  que  toutes  les  nuits,  madame,  je  vous  voi. 
Au  réveil  je  me  dis  :  elle  est  sévère  et  bonne. 

Douce  et  rebelle  tour  à  tour  ; 
Prends  garde  ;  elle  pourrait  te  refuser  le  jour 

Ce  que  la  nuit  elle  te  donne. 


(')  Inédit. 


XXXII 


L'heure  sonne.  Un  jour  va  naître. 
Le  nuage  erre  au  zénith  ; 
La  barque  est  sous  ta  fenêtre  -, 
L'hirondelle  est  dans  son  nid  ; 
Dans  ton  âme  qu'il  féconde 
L'amour  veille  nuit  et  jour. . .  — 
Laisse  fuir  la  barque  et  l'onde  ! 
Ne  laisse  pas  fuir  l'amour. 

A  nos  cœurs  qui  se  désolent 

Les  heures  parlent  parfois, 

Quand  dans  l'ombre  elles  s'envolent 

De  quelque  église  des  bois. 

Les  pires  et  les  meilleures 

Sur  nous  passent  tour  à  tour. . .  — 

Ange  !  laisse  fuir  les  heures  ! 

Ne  laisse  pas  fuir  l'amour. 

Est-il  une  chose  au  monde 

Qui  ne  tremble  à  quelque  vent  ? 

Le  nuage  est  comme  l'onde. 

Clair  parfois,  sombre  souvent. 

Il  s'en  va!  triste  voyage. 

Sans  but,  sans  port,  sans  retour...  — 

Oh  !  laisse  fuir  le  nuage  ! 

Ne  laisse  pas  fuir  l'amour. 


138  TOUTE  LA  LYRE. 

L'onde,  la  nuée  et  l'heure. 

Tout  passe,  et  nous  pleurons  tous  ! 

Qu'une  chose  en  nous  demeure 

Quand  tout  change  autour  de  nous  ! 

L'oiseau  quitte  à  tire-d'aile 

Son  doux  nid,  sa  vieille  tour...  — 

Oh  I  laisse  fuir  l'hirondelle  ! 

Ne  laisse  pas  fuir  l'amour. 

28  juin  1844. 


XXXIII  a) 


A  DEUX   SŒURS. 


Belles,  vous  passez,  pures  toutes  deux; 
Que  vous  fait  ce  monde  ingrat  et  hideux? 
Vous  êtes  deux  sœurs,  vous  êtes  deux  vierges; 
Comme  sur  l'autel  s'allument  les  cierges. 
Vos  âmes  ont  mis  leur  flamme  à  vos  fronts  ; 
Belles,  je  voudrais  voir  sur  vos  bras  ronds. 
Sur  votre  poitrine  et  sur  votre  hanche, 
S'entr'ouvrir  les  plis  de  la  gaze  blanche; 
Belles,  je  voudrais  voir  votre  sein  nu. 
Votre  pied  charmant,  pudique,  ingénu, 
Et  je  voudrais  voir  vos  épaules,  belles. 
Pour  chercher  la  place  où  furent  les  ailes. 

H.  H.,  17  mars  1873. 


(')  Inédit. 


140  TOUTE  LA  LYRE. 


XXXIV 


UN  JOUR  QU'ELLE  M'AVAIT  DIT   : 
DONNEZ-MOI  VOS  YEUX. 

Oh!  mes  yeux  sont  à  vous.  Ils  sont,  je  le  proclame, 

Audacieux, 
Car  leur  regard  parfois  monte  jusqu'à  votre  âme 

Ou  jusqu'aux  cieux! 

Gardez-les.  Je  vous  donne,  ô  grand  cœur  que  j'admire 

Dans  vos  douleurs. 
Leur  langage  secret,  leur  flamme,  et  leur  sourire 

Avec  leurs  pleurs. 

A  vous  tout  droit  sur  eux  !  le  droit  doux  et  suprême 

De  les  charmer. 
Le  droit  de  les  ouvrir,  et,  quand  vous  voudrez  même. 

De  les  fermer! 

20  mars  1845. 


XXXV  (0 


NIVEA  NON  FKIGIDA. 

Elle  prouve  que  la  blancheur 

N'ôte  à  la  femme 
Aucune  ivresse,  aucun  bonheur. 

Aucune  flamme  j 

Qu'en  avril  les  cœurs  sont  enclins 

Aux  tendres  choses. 
Et  que  les  bois  profonds  sont  pleins 

D'apothéoses  ; 

Qu'une  belle  fait  en  tout  lieu 

Son  doux  manège. 
Et  que  l'on  peut  être  de  feu. 

Étant  de  neige. 

5  avril. 


(')  Inédit. 


142  TOUTE  LA  LYRE. 


XXXVI 


A  MADAME  LA  PRINCESSE  SOPHIE  GALIT2INE. 

Mon  vers  se  hâte  et  vole  à  celle  qui  l'appelle. 
Elle  fait  de  bien  loin  rêver  mon  cœur  charmé. 
Quand  l'esprit  est  si  grand,  l'âme  doit  être  belle. 
Si  c'est  un  tel  bonheur  d'être  compris  par  elle. 
Que  serait-ce  donc  d'être  aimé? 


XXXVII  (^) 

À  MADAME  J***. 

Ame,  statue,  esprit,  Vénus, 

Belle  des  belles. 
Celui  qui  verrait  vos  pieds  nus 

Verrait  des  ailes. 

A  travers  vos  traits  radieux 

Luit  l'espérance; 
Déesse,  vous  avez  des  dieux 

La  transparence. 

Comme  eux,  vous  avez  le  front  pur, 

La  blancheur  fière. 
Et  dans  le  fond  de  votre  azur 

Une  lumière. 

Pas  un  de  nous,  fils  de  la  nuit. 

Qui  ne  vous  sente 
Dans  l'ombre  où  tout  s'évanouit. 

Eblouissante  ! 

Vous  rayonnez  sous  la  beauté; 

C'est  votre  voile. 
Vous  êtes  un  marbre,  habité 

Par  une  étoile. 


4  avril.  Paris. 
'■)  Inédit. 


144  TOUTE  LA  LYRE. 


XXXVIII 


Je  ne  sais  pas  pourquoi  les  femmes 
Font  tant  de  façons  pour  montrer 
Ce  côté  charmant  de  leurs  âmes 
Qui  permet  de  les  adorer. 

Elles  ont  la  honte  divine 
D'être  belles,  et  d'entramer 
L'homme  au  but  que  leur  cœur  devine 
Et  refuse  de  deviner. 

La  beauté,  céleste  et  sereine. 
Sait  tomber  en  restant  debout. 
Sait  être  esclave  en  restant  reine. 
Et  sait  tout  prendre  en  donnant  tout. 

Au  fond,  elles  sont  peu  méchantes. 
L'amour  est  la  chanson  des  nids  -, 
Femme,  en  la  commençant  tu  chantes. 
Quitte  à  pleurer  quand  tu  finis. 

Car  toute  joie  arrive  aux  larmes. 
O  toi  que  j'aime  à  deux  genoux. 
Qu'importe!  Espérons!  tu  me  charmes. 
Et  le  printemps  est  avec  nous. 

Viens,  ne  crains  rien^  l'aube  est  vermeille. 
Le  ciel  est  bleu,  les  bois  sont  sourds. 
Tout  bas,  au  bon  Dieu,  dans  l'oreille. 
Je  raconterai  nos  amours. 

28  mai. 


XXXIX  w 


PENDANT  QU'ELLE  DORT. 

Je  dirais  à  l'abeille  :  accours,  mouche  vermeille. 
Viens,  elle  dort,  bourdonne  autour  de  son  chevet! 

Si  l'abeille 

Me  suivait. 

Je  dirais  à  la  rose  :  embaume  quelque  chose 
Pour  elle,  pour  ta  sœur  qui  rêve  et  qui  se  tait! 

Si  la  rose 

M'écoutait. 

Je  dirais  à  l'étoile  :  Astre,  à  travers  son  voile 
Jette  un  rayon  au  cœur  que  mon  cœur  attendait  ! 

Si  l'étoile 

M'entendait. 

Je  dirais  au  ciel  bleu  :  sur  la  terre  tout  change. 
Cieux,  laissez-nous  entrer  aux  éternels  palais  ! 

Si,  mon  ange. 

Tu  voulais  ! 

31  mai  1874. 


'^)  Inédit. 


POESIE.    —    XIII.  10 

llli>liniZIUI     RÂTIOSUJS. 


146  TOUTE  LA  LYRE. 


XL 


LA  FORET. 


De  quoi  parlait  le  vent?  De  quoi  tremblaient  les  branches? 

Etait-ce,  en  ce  doux  mois  des  nids  et  des  pervenches, 

Parce  que  les  oiseaux  couraient  dans  les  glaïeuls. 

Ou  parce  qu'elle  et  moi  nous  étions  là  tout  seuls  ? 

Elle  hésitait.  Pourquoi?  Soleil,  azur,  rosées. 

Aurore!  Nous  tâchions  d'aller,  pleins  de  pensées. 

Elle  vers  la  campagne  et  moi  vers  la  forêt. 

Chacun  de  son  côté  tirait  l'autre,  et,  discret. 

Je  la  suivais  d'abord,  puis,  à  son  tour  docile. 

Elle  venait,  ainsi  qu'autrefois  en  Sicile 

Faisaient  Flore  et  Moschus,  Théocrite  et  Lydé. 

Comme  elle  ne  m'avait  jamais  rien  accordé. 

Je  riais,  car  le  mieux  c'est  de  tâcher  de  rire 

Lorsqu'on  veut  prendre  une  âme  et  qu'on  ne  sait  que  dire  ; 

J'étais  le  plus  heureux  des  hommes,  je  soujffrais. 

Que  la  mousse  est  épaisse  au  fond  des  antres  frais  ! 

Par  instants  un  éclair  jaillissait  de  notre  âme  ; 

Elle  balbutiait  :  Monsieur. . .  et  moi  :  Madame. 

Et  nous  restions  pensifs,  muets,  vaincus,  vainqueurs. 

Après  cette  clarté  faite  dans  nos  deux  cœurs. 

Une  source  disait  des  choses  sous  un  saule  j 

Je  n'avais  encor  vu  qu'un  peu  de  son  épaule. 

Je  ne  sais  plus  comment  et  je  ne  sais  plus  oùj 

Oh!  le  profond  printemps,  comme  cela  rend  fou! 

L'audace  des  moineaux  sous  les  feuilles  obscures. 

Les  papillons,  l'abeille  en  quête,  les  piqûres. 


LA  FORÊT.  147 

Les  soupirs,  ressemblaient  à  de  vagues  essais. 

Et  j'avais  peur,  sentant  que  je  m'enhardissais. 

Il  est  certain  que  c'est  une  action  étrange 

D'errer  dans  l'ombre  au  point  de  cesser  d'être  un  ange. 

Et  que  l'herbe  était  douce,  et  qu'il  est  fabuleux 

D'oser  presser  le  bras  d'une  femme  aux  yeux  bleus. 

Nous  nous  sentions  glisser  vaguement  sur  la  pente 

De  l'idylle  où  l'amour  traître  et  divin  serpente. 

Et  qui  mène,  à  travers  on  ne  sait  quel  jardin. 

Souvent  à  l'enfer,  mais  en  passant  par  l'éden. 

Le  printemps  laisse  faire,  il  permet,  rien  ne  bouge. 

Nous  marchions,  elle  était  rose,  et  devenait  rouge. 

Et  je  ne  savais  rien,  tremblant  de  mon  succès. 

Sinon  qu'elle  pensait  à  ce  que  je  pensais. 

Pâle,  je  prononçais  des  noms,  Béatrix,  Dante; 

Sa  guimpe  s'entr'ouvrait,  et  ma  prunelle  ardente 

Brillait,  car  l'amoureux  contient  un  curieux. 

Viens!  dis-je...  —  Et  pourquoi  pas,  ô  bois  mystérieux? 

3  avril  1874. 


148  TOUTE  LA  LYRE. 


XLI 


CHANSON. 

Le  prince  de  Joinville 
En  mer  s'en  est  allé. 
Sa  femme  sur  la  ville 
Jette  un  œil  désolé. 
Le  prince  de  Joinville 
En  mer  s'en  est  allé. 

Oh!  dit-elle, 

Hirondelle, 
Qui  t'en  vas  au  pays,  à  mon  pays  chéri  ! 
Tu  diras  à  ma  sœur,  tu  diras  à  ma  tante. 
Que  dans  ce  pays-ci  je  ne  suis  pas  contente. 
Je  n'ai  plus  mon  soleil,  je  n'ai  pas  mon  mari. 

Le  prince  de  Joinville 
En  mer  s'en  est  allé. 
Sa  femme  sur  la  ville 
Jette  un  œil  désolé. 
Le  prince  de  Joinville 
En  mer  s'en  est  allé. 

Oh!  dit-elle. 

Hirondelle, 
Tu  diras  que  les  bois  sont  morts  et  dépouillés , 
Que  Joinville  aime  trop  la  Méditerranée. 
Je  l'attends,  je  suis  seule,  il  pleut  toute  l'année. 
Et  les  murs  des  maisons  sont  toujours  tout  mouillés. 


CHANSON.  149 

Le  prince  de  Joinville 
En  mer  s'en  est  allé. 
Sa  femme  sur  la  ville 
Jette  un  œil  désolé. 
Le  prince  de  Joinville 
En  mer  s'en  est  allé. 

Oh!  dit-elle. 

Hirondelle, 
Tu  diras  que  j'ai  froid,  que  les  étés  sont  courts. 
Que  Paris  est  tout  noir,  et  puis  mille  autres  choses. 
Le  premier  mai,  ma  sœur,  au  lieu  de  voir  des  roses. 
Je  vois  des  gens  très  laids  qui  font  de  longs  discours. 

Le  prince  de  Joinville 
En  mer  s'en  est  allé. 
Sa  femme  sur  la  ville 
Jette  un  œil  désolé. 
Le  prince  de  Joinville 
En  mer  s'en  est  allé. 


L 


I50  TOUTE  LA  LYRE. 


XLII 


J'étais  un  lycéen  honnête  ; 
Denise  avait  l'œil  hasardeux  j 
Elle  était  belle  et  j'étais  bête  -, 
Nous  faisions  un  conte  à  nous  deux. 

Ainsi  que  la  belle  Fosseuse, 
Elle  riait  des  imprudents  ; 
L'huître  en  perles  est  connaisseuse, 
C'est  pourquoi  j'admirais  ses  dents. 

Un  jour  elle  me  dit  :  farouche  ! 
Et  m'offrit  un  baiser  moqueur. 
Je  pris  le  baiser  sur  ma  bouche 
Et  sentis  la  morsure  au  cœur. 


9  avril  1855. 


XLIIIC) 


FUKENS  FŒMINA. 


—  Oui,  dit-elle,  je  suis  jalouse  de  Flora  ! 
Alors  elle  frappa  du  pied,  gronda,  pleura. 
Eut  des  regards  pareils  au  ciel  quand  il  éclaiie, 
Fut  terrible,  et  je  vis  une  femme  en  colère; 

Je  n'avais  pas  eu  d'elle  encore  un  seul  baiser. 
J'espérai.  Faut-il  pas  à  la  fin  s'apaiser? 
Il  n'est  point  de  courroux  qui  ne  prenne  la  fuite. 
Plus  le  nuage  est  noir,  plus  l'azur  revient  vite. 
Je  l'admirais,  couvant  on  ne  sait  quel  dessein. 
Elle  ne  voyait  pas  que  je  voyais  son  sein 
Presque  nu,  la  colère  étant  inattentive; 
Les  hommes  sont  friands  de  volupté  furtive. 
Nous  sommes  les  voleurs  des  appas  mal  cachés; 
L'hiatus  d'un  fichu  sourit,  plein  de  péchés; 
Une  belle  irritée  est  encor  notre  proie  ; 
Rêveurs,  nous  caressons  celle  qui  nous  foudroie; 
Tout  à  coup  elle  vit  mon  regard.  —  Insolent! 
Dit-elle.  Et  je  repris  :  —  Que  votre  bras  est  blanc  ! 

—  Non.  —  Vos  yeux  sont  le  ciel  !  ton  sein  est  un  prodige  ! 

—  Il  me  tutoie!  —  Hélas,  je  t'aime!  répondis-je. 

—  Jamais  !  —  Viens  !  —  Oh  !  le  monstre  !  — 

Et  ce  que  je  conquis 
Dans  ce  charmant  accès  de  fureur,  fut  exquis. 

21  juin  1878. 
('^  Inédit. 


1^2  TOUTE  LA  LYRE. 


XLIV 

Cela  la  désennuie;  elle  vit  toute  seule; 

Elle  est  pauvre  et  travaille  ;  elle  n'est  pas  bégueule  ; 

Elle  échange  de  loin,  et  pour  se  reposer. 

Un  regard,  et  parfois,  de  la  main,  un  baiser. 

Avec  un  voisin,  seul  aussi  dans  sa  mansarde; 

Et  c'est  étrange  comme  un  baiser  qu'on  hasarde 

Sait  son  chemin,  et  comme  il  a  ce  don  vainqueur 

De  partir  de  la  bouche  et  d'arriver  au  cœur. 

Pourtant  est-ce  qu'elle  aime?  Elle  n'en  est  pas  sûre. 

Un  baiser  qui  gaîment  visite  une  masure. 

Cela  dore  toujours  un  peu  l'humble  plafond. 

Les  songes,  quand  ce  sont  les  pauvres  qui  les  font. 

Sont  riches,  et  remplis  de  choses  inefl^bles. 

Ovide  et  ses  romans,  La  Fontaine  et  ses  fables. 

Ne  sont  rien  à  côté  d'un  cerveau  de  vingt  ans 

Qui  fermente,  et  le  cœur  d'une  fille,  au  printemps. 

Crée  un  ciel,  trouve  un  monde,  et  dépasse  en  chimère 

Le  bon  Pilpay,  le  bon  Perrault,  le  bon  Homère. 

La  chimère  suffit,  on  s'attarde  à  rêver 

Un  dieu  dans  ce  jeune  homme,  on  ne  sait  quel  lever 

D'étoile,  en  un  grenier  vaguement  apparue. 

Et  l'on  ne  pense  pas  à  traverser  la  rue; 

Elle  n'est  pas  Agnès,  et  lui  n'est  pas  Platon; 

Et  peut-être  jamais  ne  se  parlera- t-on. 

Car  l'amour  ébauché  quelquefois  se  prolonge 

Dans  la  nuée  au  point  de  finir  par  un  songe. 

Et  souvent,  au  moment  où  l'on  croyait  tenir 

Une  espérance,  on  voit  que  c'est  un  souvenir. 

H.  H.  Novembre  1872. 


XLV 


CHANSON  DE   CELLE   QUI  N'A  PAS   PARLE. 


L'énigme  ne  dit  pas  son  mot. 
Les  flèches  d'or  ont  des  piqûres 
Dont  on  ne  parle  pas  tout  haut. 
Souvent,  sous  les  branches  obscures. 

Plus  d'un  tendre  oiseau  se  perdit. 
\bus  m'avez  souvent  dit  :  je  t'aime  ! 
Et  je  ne  vous  l'ai  jamais  dit. 
Vous  prodiguiez  le  cri  suprême. 

Je  refusais  l'aveu  profond. 
Le  lac  bleu  sous  la  lune  rêve 
Et,  muet,  dans  la  nuit  se  fond; 
L'eau  se  tait  quand  l'astre  se  lève. 

L'avez-vous  donc  trouvé  mauvais? 
En  se  taisant  le  cœur  se  creuse. 
Et,  quand  vous  étiez  là,  j'avais 
Le  doux  tremblement  d'être  heureuse. 

Vous  parliez  trop,  moi  pas  assez. 
L'amour  commence  par  de  l'ombre  -, 
Les  nids  du  grand  jour  sont  blessés. 
Les  choses  ont  leur  pudeur  sombre. 


154  TOUTE  LA  LYRE. 

Aujourd'hui  —  comme,  au  vent  du  soir. 
L'arbre  tristement  se  balance  !  — 
Vous  me  quittez,  n'ayant  pu  voir 
Mon  âme  à  travers  mon  silence. 

Soit.  Nous  allons  nous  séparer. 

—  Oh  !  comme  la  forêt  soupire  !  — 
Demain  qui  me  verra  pleurer 
Peut-être  vous  verra  sourire. 

Ce  doux  mot,  qu'il  faut  eftacer, 

—  Je  t'aime  —  aujourd'hui  me  déchire  ; 
Vous  le  disiez  sans  le  penser. 

Moi,  je  le  pensais  sans  le  dire. 


26  septembre  1875, 


XLVI 


O  toi  d'où  me  vient  ma  pensée. 
Sois  fière  devant  le  Seigneur  ! 
Relève  ta  tête  abaissée, 
O  toi  d'oii  me  vient  mon  bonheur  ! 

Quand  je  traverse  cette  lieue 
Qui  nous  sépare  au  sein  des  nuits. 
Ta  patrie  étoilée  et  bleue 
Rayonne  à  mes  yeux  éblouis  ! 

C'est  l'heure  où  cent  lampes  en  flammes 
Brillent  aux  célestes  plafonds  ! 
L'heure  où  les  astres  et  les  âmes 
Échangent  des  regards  profonds  ! 

Je  sonde  alors  ta  destinée. 
Je  songe  à  toi,  qui  viens  des  cieux, 
A  toi,  grande  âme  emprisonnée, 
À  toi,  grand  cœur  mystérieux! 

Noble  femme,  reine  asservie, 
Je  rêve  à  ce  sort  envieux 
Qui  met  tant  d'ombre  dans  ta  vie. 
Tant  de  lumière  dans  tes  yeux! 

Moi,  je  te  connais  tout  entière 
Et  je  te  contemple  à  genoux; 
Mais  autour  de  tant  de  lumière. 
Pourquoi  tant  d'ombre,  ô  sort  jaloux? 


156  TOUTE  LA  LYRE. 


Dieu  lui  donna  tout,  hors  l'aumône 
Qu'il  fait  à  tous  dans  sa  bonté  ; 
Le  ciel  qui  lui  devait  un  trône 
Lui  refusa  la  liberté  ! 

Oui ,  ton  aile  que  le  bocage 
Et  l'air  libre  appellent  en  vain, 
Se  brise  aux  barreaux  d'une  cage. 
Pauvre  grande  âme,  oiseau  divin  ! 

Bel  ange,  un  joug  te  tient  captive. 
Cent  préjugés  sont  ta  prison. 
Et  ton  attitude  pensive. 
Hélas,  attriste  ta  maison. 

Tu  te  sens  prise  par  le  monde 
Qui  t'épie,  injuste  et  mauvais. 
Dans  ton  amertume  profonde 
Souvent  tu  dis  :  si  je  pouvais  ! 

Mais  l'amour  en  secret  te  donne 
Ce  qu'il  a  de  pur  et  de  beau. 
Et  son  invisible  couronne. 
Et  son  invisible  flambeau  ! 

Flambeau  qui  se  cache  à  l'envie. 
Qui  luit,  splendide  et  clandestin. 
Et  qui  n'éclaire  de  la  vie 
Que  l'intérieur  du  destin  ! 

L'amour  te  donne,  ô  douce  femme. 
Ces  plaisirs  où  rien  n'est  amer. 
Et  ces  regards  où  toute  l'âme 
Apparaît  dans  un  seul  éclair! 


O  TOI  D'OU  ME  VIENT  MA  PENSEE...  157 


Et  le  sourire  !  et  la  caresse  ! 
L'entretien  furtif  et  charmant. 
Et  la  mélancolique  ivresse 
D'un  ineffable  épanchement  ! 

Et  les  traits  chéris  d'un  visage, 
Ombre  qu'on  aime  et  qui  vous  suit. 
Qu'on  voit  le  jour  dans  le  nuage. 
Qu'on  voit  dans  les  rêves  la  nuit  ! 

L'amour,  dont  nos  cœurs  sont  les  urnes. 
Te  donne  tous  ses  doux  tourments. 
Les  longs  adieux  aux  seuils  nocturnes. 
Les  longs  regrets  des  courts  moments  ! 

Et  les  extases  solitaires 
Quand  tous  deux  nous  nous  asseyons 
Sous  les  rameaux  pleins  de  mystères 
Au  fond  des  bois  pleins  de  rayons  ! 

Purs  transports  que  la  foule  ignore. 
Et  qui  font  qu'on  a  d'heureux  jours 
Tant  qu'on  peut  espérer  encore 
Ce  dont  on  se  souvient  toujours  ! 

Va,  sèche  ton  bel  œil  qui  pleure. 
Ton  sort  n'est  pas  déshérité. 
Ta  part  est  encor  la  meilleure. 
Ne  te  plains  pas,  ô  ma  beauté! 

Ce  qui  manque  est  bien  peu  de  chose 
Quand  on  est  au  printemps  vermeil. 
Et  quand  on  vit  comme  la  rose 
De  parfums,  d'ombre  et  de  soleil! 


158  TOUTE  LA  LYRE. 

Laisse  donc,  ô  ma  douce  muse. 
Sans  le  regretter  un  seul  jour. 
Ce  que  le  destin  te  refuse 
Pour  ce  que  te  donne  l'amour  ! 

2j  octobre  1844. 


XLVII  (») 


DANSE   EN   ROND. 

Fanny  vint  danser  en  rond 
Le  dimanche  au  buis  béni. 

—  Les  garçons  en  chasse  vont  ; 
Les  filles  disent  nenni. 

Elle  a  l'aube  sur  le  front  ; 
Le  haie  m'a  tout  bruni. 

—  Les  garçons  en  pêche  vont  ; 
Les  filles  disent  nenni. 

Je  l'adore  nuit  et  jour. 
Et  je  n'ai  jamais  fini. 

—  Les  garçons  vont  au  labour; 
Les  filles  disent  nenni. 

Un  rossignol  chante  au  fond 
De  mon  vieux  cœur  rajeuni. 

—  Les  garçons  aux  vignes  vont  ; 
Les  filles  disent  nenni. 

Grands  arbres  du  bois  profond, 
Serai-je  aimé  de  Fanny? 

—  Les  garçons  en  guerre  vont; 
Les  filles  disent  nenni. 


^'>  Inédit,  (Collection  de  M.  Louis  Barthou.) 


l6o  TOUTE  LA  LYRE. 

J'ai  deux  ormeaux  dans  ma  cour; 
L'un  dit  :  non,  l'autre  dit  :  si! 
—  Les  garçons  vont  à  l'amour; 
Les  filles  j  vont  aussi. 

Gucrnesey,  17  juin  1857. 


XLVIII 


Oh!  dis,  te  souviens-tu  de  cet  heureux  dimanche? 

—  Neuf  juin  !  —  Sur  les  rideaux  de  mousseline  blanche 

Le  soleil  dessinait  l'ombre  des  vitres  d'or. 

Il  te  nommait  son  bien,  sa  beauté,  son  trésor. 

Tu  songeais  dans  ses  bras.  Heures  trop  tôt  passées  ! 

Oh!  comme  vous  mêliez  vos  âmes,  vos  pensées! 

Dehors  tout  rayonnait,  tout  rayonnait  en  vous, 

Et  vos  ravissements  faisaient  le  ciel  jaloux. 

Tes  yeux  rêveurs  brillaient,  pleins  d'un  vague  sourire. 

Aux  instants  où  les  cœurs  se  parlent  sans  rien  dire. 

Il  voyait  s'éclairer  de  pudeur  et  d'amour. 

Comme  une  eau  qui  reflète  un  ciel  d'ombre  et  de  jour. 

Ton  visage  pensif,  tour  à  tour  pâle  et  rose  ; 

Et  souvent  il  sentait,  ô  la  divine  chose  ! 

Dans  ce  doux  abandon,  des  anges  seul  connu. 

Se  poser  sur  son  pied  ton  pied  charmant  et  nu. 


25  juin  1844. 


POESIE.    —    Xm.  II 


l62  TOUTE  LA  LYRE. 


XLIX 

Garde  à  jamais  dans  ta  mémoire, 

Garde  toujours 
Le  beau  roman,  la  belle  histoire 

De  nos  amours  ! 

Moi,  je  veux  que  rien  ne  s*émousse. 

Pourquoi  finir  ? 
J'aime  la  joie  amère  et  douce 

Du  souvenir. 

Oui,  je  vois  tout  dans  ma  pensée. 

Tout  à  la  fois  ! 
La  trace  par  ton  pied  laissée 

Au  fond  des  bois. 

Les  champs,  les  pelouses  qui  cachent 

Nos  verts  sentiers. 
Et  ta  robe  blanche  où  s'attachent 

Les  églantiers. 

Comme  si  ces  fleurs  amoureuses 

Disaient  tout  bas  : 
—  Te  voilà  !  nous  sommes  heureuses. 

Ne  t'en  va  pas  ! 

Je  vois  la  profonde  ramée 

Du  bois  charmant 
Où  nous  rêvions,  toi,  bien-aimée. 

Moi,  bien-aimant! 


GAKDE  À  JAMAIS  DANS  TA  MEMOIRE...      163 

Donc  puisqu'en  moi  j'ai  cette  flamme, 

Il  faut  aussi 
Que  ton  âme  ait  comme  mon  âme 

Ce  doux  souci  ! 

Rappelle-toi  nos  bois  tranquilles. 

Nos  bois  du  roi  ! 
Rappelle-toi  nos  frais  asiles  ! 

Rappelle-toi 

L'herbe  épaisse,  la  roche  austère. 

L'antre  ignoré. 
Temple  de  joie  et  de  mystère. 

Sombre  et  sacré. 

Où  du  refus  tendre  et  farouche 

J'étais  vainqueur  ! 
Où  ma  bouche  cherchait  ta  bouche. 

Ton  cœur  mon  cœur  ! 

Rappelle-toi,  ma  bien-aimée. 

Nos  doux  combats, 
Et  les  mots  que  la  voix  pâmée 

N'achevait  pas  ! 

Là,  cachés  au  milieu  des  roses. 

Dans  un  beau  lieu. 
Contemplés  par  toutes  les  choses 

Qu'a  faites  Dieu, 

Purs  témoins  qui  sans  haine  et  comme 

S'y  conformant. 
Regardent  le  bonheur  de  l'homme 

Paisiblement, 


i64  TOUTE  LA  LYRE. 

Nous  aimions!  tandis  qu'onde  pure. 

Bois  embaumés. 
Grotte  en  fleurs,  tout  dans  la  nature 

Disait  :  aime^! 

Car  c'est  la  loi  !  tout  vit  !  tout  aime  ! 

Aime  I  il  le  faut  ! 
Voilà  ce  qu'à  tout  moment  sème 

La  main  d'en  haut  ! 

Dieu  dans  la  nature  afl^issée 

A  mis  le  jour, 
Et  plus  qu'une  grande  pensée,  — 

Un  grand  amour  ! 

Viens  !  la  saison  n'est  pas  finie. 

L'été  renaît. 
Cherchons  la  grotte  rajeunie 

Qui  nous  connaît  ! 

Là,  le  soir,  à  l'heure  où  tout  penche. 

Où  Dieu  bénit. 
Où  la  feuille  baise  la  branche. 

L'aile  le  nid. 

Tous  ces  objets  saints  qui  nous  virent 
Dans  nos  beaux  jours 

Et  qui,  tout  palpitants,  soupirent 
De  nos  amours. 

Tous  les  hôtes  de  l'antre  sombre 

Pensifs  et  doux. 
Avant  de  s'endormir,  dans  l'ombre. 

Parlent  de  nous! 


GARDE  A  JAMAIS  DANS  TA  MEMOIRE.. .       165 

Là,  le  rouge-gorge  et  la  grive. 

D'herbe  couverts. 
Le  liseron  et  dans  l'eau  vive 

Les  cressons  verts, 

La  mouche  aux  ailes  d'or  qui  passe, 

L'onde  et  le  vent. 
Chuchotent  sans  cesse  à  voix  basse 

Ton  nom  charmant  ! 

Jour  et  nuit,  au  soir,  à  l'aurore, 

À  tous  moments. 
Entre  eux  ils  redisent  encore 

Nos  doux  serments  ! 

Viens  dans  l'antre  où  nous  les  jurâmes 

Nous  reposer  ! 
Viens  !  nous  échangerons  nos  âmes 

Dans  un  baiser  I 

j  juillet  1844. 


k 


l66  TOUTE  LA  LYRE. 


—  Ah  çà  mais!  quelle  idée  as-tu,  capricieuse. 

De  vouloir  qu'à  cette  heure  où,  sous  la  verte  yeuse. 

L'herbe  s'offre  à  nos  pas  dans  le  bois  attiédi, 

Je  te  parle  d'Eylau,  d'Essling  et  de  Lodi! 

Parlons  de  notre  amour  et  non  de  la  bataille. 

Oui,  nos  aïeux  régnaient  par  la  guerre,  et  leur  taille 

Etait  haute,  et  mon  père  était  un  des  géants  j 

Et  nous,  s'il  faut  demain  braver  les  flots  béants. 

Et  subir  les  cieux  noirs  après  les  jours  prospères. 

Nous,  les  fils,  nous  ferons  comme  faisaient  nos  pères  5 

Nous  combattrons  comme  eux,  dût-on  être  engloutis, 

Avec  un  cœur  égal  et  des  bras  plus  petits  ; 

Et  le  monde  entendra  notre  clairon  sonore  ; 

Mais  aujourd'hui  je  t'aime  et  tu  m'aimes  $  l'aurore 

Emplit  les  champs,  emplit  les  cieux,  emplit  nos  cœurs  5 

Les  moineaux  aisément  sont  d'Horace  moqueurs 

Lorsqu'il  a  près  de  lui  Barine  émue  et  rose 

Et  qu'il  passe  son  temps  à  parler  d'autre  chose. 

Vais-je  donc  étonner  ces  prés,  ces  bois,  ces  eaux. 

Par  un  homme  ayant  moins  d'esprit  que  les  oiseaux  ? 

C'est  pour  le  jeune  amour  que  les  forêts  sont  faites. 

Belle,  ne  me  rends  pas  ridicule  aux  fauvettes. 

Sois  clémente,  et  comprends  qu'en  de  si  charmants  lieux 

C'est  plutôt  aux  enfants  qu'on  pense  qu'aux  aïeux. 

Veux-tu  fâcher  les  fleurs  par  nos  façons  moroses? 

Veux-tu  nous  mettre  mal  avec  toutes  ces  roses? 

Si  j'ai  dit  que  je  suis  discret,  je  te  trompais. 

Belle,  ici,  tout  est  joie,  accord,  silence,  paix; 


AH  ÇA  MAIS!  ^ELLE  IDEE  AS-TU...  167 

Les  champs  et  les  vallons  sont  des  choses  calmées. 

Vois  ces  grottes  où  rit  l'ondine  aux  mains  palmées. 

Vois  ces  halliers  qu'un  dieu  mystérieux  bénit  -, 

La  branche  n'a  qu'un  but,  c'est  de  cacher  un  nid; 

C'est  l'amour  qui  ravit  les  rossignols,  doux  chantres; 

Les  poursuites  d'amants  aboutissent  aux  antres  ; 

La  nature  n'est  qu'une  alcôve  ;  et  c'est  Vénus 

Dont  on  distingue  au  fond  de  l'ombre  les  seins  nus  ; 

Janvier  part,  floréal  accourt  ;  le  dialogue 

De  l'hiver  qui  bougonne  avec  la  vive  églogue 

Tourne  en  querelle,  et  l'air  est  plein  d'un  vague  chant 

Qui  fait  que  la  beauté  n'a  point  le  cœur  méchant. 

Les  arbres  ont  besoin,  belles,  de  votre  rire; 

Une  joie  espiègle  est  mêlée  au  zéphyre; 

La  pomme  d'Eve  aux  mains  de  Galatée  atteint 

Virgile;  et  tout  serait  manqué,  maussade,  éteint. 

Si  Chloé,  que  les  nids  couvrent  de  gais  murmures, 

Ne  barbouillait  le  vieux  Silène  avec  des  mûres  ; 

Et,  si  Phyllis  entre  eux  n'était  comme  un  démon, 

Ménalque  ne  saurait  que  dire  à  Palémon. 

Aime,  et  baigne  en  chantant  tes  pieds  nus  dans  la  source; 

Les  rires  étouffés,  belle,  sont  la  ressource 

Des  taillis  ténébreux  et  des  cœurs  palpitants. 

O  profondeur  sauvage  et  fraîche  du  printemps  ! 

On  entend  alterner  des  flûtes  sous  les  chênes. 

Quel  est  le  maître  ?  Eros.  Et  quelles  sont  les  chaînes  ? 

Les  rayons,  les  parfums,  les  soupirs,  les  chansons. 

Et  l'entrelacement  des  fleurs  dans  les  buissons. 

Cette  nature  au  flanc  sacré  n'est  pas  contente 

Si  vous  êtes  chez  elle  et  que  rien  ne  vous  tente. 

Belle,  vois  cette  idylle  immense,  l'horizon; 

Vois  la  fougère  et  l'herbe  et  ses  bancs  de  gazon  ; 

Crois-tu  que  de  cette  ombre  et  de  ce  paysage 

Il  sorte  le  conseil  insensé  d'être  sage. 

D'être  froid,  de  ne  point  s'approcher  de  trop  près, 

D'être  sourd  aux  instincts,  d'être  aveugle  aux  attraits, 

De  refuser  d'entrer  dans  l'amour,  douce  école. 


l68  TOUTE  LA  LYRE. 

Et  de  substituer  "Wagram,  Jemmape,  Arcole, 

Les  révolutions,  la  patrie  en  péril. 

Et  la  rauque  bataille,  au  tendre  hymen  d'avril  ? 

Belle,  ayons  pour  affaire  unique  l'arrivée 

Du  premier  souffle  tiède  échauffant  la  couvée, 

L'éclosion  du  lys  des  étangs,  les  rameaux 

Où  le  nid  et  le  vent  jasent  à  demi-mots, 

La  pénétration  du  soleil  dans  les  feuilles. 

Le  clair-obscur  des  eaux,  le  bouquet  que  tu  cueilles. 

Le  parfum  qui  te  plaît,  la  clarté  que  tu  vois. 

L'herbe  et  l'ombre,  et  l'amour,  mélodie  à  deux  voix. 

Ici,  Pan  cherche  Astrée  et  Faune  guette  Flore. 

Ne  mêlons  pas  la  guerre  à  toute  cette  aurore, 

A  moins  que  ce  ne  soit  la  guerre  des  baisers. 

Soyons  des  cœurs  ardents  l'un  par  l'autre  apaisés. 

Aimons.  Le  mois  de  mai,  c'est  la  saison  lucide. 

Kléber  pas  plus  qu'Ajax,  Marceau  pas  plus  qu'Alcide, 

N'ont  que  faire  en  ces  champs  pleins  de  molles  faveurs 

Où  le  printemps  chuchote  au  fond  des  bois  rêveurs  5 

Car  Homère  ne  peut  qu'effarer  Théocrite  ; 

Moschus  craint  l'épopée  avec  le  glaive  écrite. 

Et  le  groupe  dansant  et  chantant  des  bergers 

Fuit  devant  le  divin  Achille  aux  pieds  légers.  — 

Alors  elle  me  dit  dans  la  saison  des  roses  : 

—  Ami,  ne  croyez  pas  que  j'écoute  ces  choses  ; 
Je  ne  vous  en  veux  pas;  je  sais  que  c'est  ainsi 
Qu'on  parle  à  sa  maîtresse,  à  son  esclave  aussi. 
Oui,  l'aube  au  fond  des  bois  ébauche  un  frais  sourire. 
Le  doux  avril  accourt  avec  un  bruit  de  lyre  ; 
Les  oiseaux  sur  qui  rien  ne  pèse  sont  contents  ; 
Oui,  ce  qui  doit  emplir  nos  cœurs,  c'est  le  printemps. 
C'est  l'idylle,  c'est  Flore  et  Maïa,  c'est  Astrée, 
C'est  l'éden  ;  c'est  aussi  la  tristesse  sacrée. 
Toutes  les  fleurs  ont  beau  me  fêter  à  l'envi. 
Je  songe  au  noir  clocher  de  Strasbourg  asservi. 


AH  ÇÀ   MAIS  !  ^ELLE  IDEE  AS-TU...  169 

Et  je  vois  à  travers  l'églogue  pleine  d'ombre 
Au  fond  de  rhori2on  la  grande  flèche  sombre. 
Ahl  parle2-moi  de  guerre!  Où  sont  les  fiers  défis? 
Penser  à  ses  aïeux,  c'est  penser  à  ses  fils. 
C'est  pour  faire  un  héros  qu'il  est  beau  d'être  femme  5 
Tâchons  de  repuiser  aux  cieux  quelque  vieille  âme  ; 
Scellons  un  grand  hymen  !  Je  vous  aime  pourtant  -, 
Mais,  dans  cet  obscur  bois  farouche  et  palpitant. 
C'est  l'indignation,  non  l'amour,  qui  me  dompte; 
On  n'a  pas  de  pudeur  quand  on  a  de  la  honte  j 
Je  le  dis,  mon  pays  est  ma  seule  rougeur. 
Je  ne  veux  d'un  baiser  que  s'il  crée  un  vengeur  ! 


I/o  TOUTE  LA  LYRE. 


LI 


A  UNE  IMMORTELLE. 


Quoi!  vous,  gloire,  auréole,  éblouissement,  grâce. 

Vous  qui  ne  passer  pas,  vous  craignez  ce  qui  passe? 

Comment!  vous  la  beauté  céleste,  vous  craignez. 

Déesse,  la  beauté  d'en  bas!  Vous  qui  régnez. 

Vous  redoutez  l'éclat  éphémère  de  celles 

Qu'avril  jette  et  qui  sont  comme  ses  étincelles. 

Qui,  comme  la  verveine  et  la  sauge  et  le  thym. 

Naissent  dans  la  lueur  fuyante  du  matin. 

Embaument  un  moment  les  prés  et  les  charmilles. 

Et  qui  durent  autant  que  l'aube,  étant  ses  filles? 

Vous,  jalouse!  de  qui?  vous,  troublée!  et  pourquoi? 

Le  jour  sans  nuit,  c'est  vous  y  l'amour  sans  fin,  c'est  toi. 

Qui  peut-elle  envier,  celle  que  tout  envie  ? 

Qui  donc  détrônerait  du  trône  de  la  vie 

La  beauté?  Qui  pourrait  saisir  ce  diamant, 

Vénus,  et  l'arracher  du  firont  du  firmament? 

Sois  calme  en  ton  azur.  Que  t'importe,  à  toi,  flamme. 

Clarté,  splendeur,  toujours  présente  comme  une  âme, 

A  toi  l'enchantement  de  l'abîme  vermeil. 

Faite  pour  le  baiser  éternel  du  soleil. 

Qu'un  rayon  en  passant  sur  une  fleur  se  pose? 

L'étoile  au  fond  des  cieux  n'a  pas  peur  de  la  rose. 

Champs-Elysées,  7  juillet  1874. 


LU 


Horace,  et  toi,  vieux  La  Fontaine, 
Vous  avez  dit  :  Il  est  un  jour 
Où  le  cœur  qui  palpite  à  peine 
Sent  comme  une  chanson  lointaine 
Mourir  la  joie  et  fuir  l'amour. 

A 

O  poètes,  l'amour  réclame 
Quand  vous  dites  :  —  Nous  n'aimons  plus. 
Nous  pleurons,  nous  n'avons  plus  d'âme. 
Nous  cachons  dans  nos  cœurs  sans  flamme 
Cupidon  goutteux  et  perclus.  — 

Le  temps  d'aimer  jamais  ne  passe, 
Non,  jamais  le  cœur  n'est  fermé. 
Hélas!  vieux  Jean,  ce  qui  s'eflace. 
Ce  qui  s'en  va,  mon  doux  Horace, 
C'est  le  temps  où  l'on  est  aimé. 


8  mars  1849. 


1/2  TOUTE  LA  LYRE. 


LUI  W 


CHANSON. 


LE  PÈRE. 

Bon  empereur,  vous  êtes  maître 
Du  grenadier  et  du  sapeur. 
Et  quand  vous  regardez  leur  guêtre 
Les  soldats  d'Austerlitz  ont  peur. 

Bon  empereur,  vous  êtes  l'homme 
Qu'on  appelle  Napoléon. 
Vous  êtes  un  César  pour  Rome, 
Un  héros  pour  le  Panthéon. 

Tout  vous  cède  ;  la  renommée 
Est  partout  votre  avant-coureur. 
Vous  êtes  général  d'armée  ! 
Je  viens  à  vous,  bon  empereur. 

Ma  fille  au  vieux  Thibaut  préfère 
Le  plus  jeune  de  mes  neveux. 
Vous  qui  pouvez  tout,  daignez  faire 
Qu'elle  aime  celui  que  je  veux. 


(''  Inédit.  (Collection  de  M.  Louis  Barthou.) 


CHANSON.  173 


L'EMPEREUR. 

Ami,  j'ai  gagné  cent  batailles, 
J'ai  pris  cent  villes.  Tout  me  sert  ! 
J'ai  constellé  de  mes  mitrailles 
Les  pyramides  du  désert. 

J'ai  brisé  des  rois  centenaires 
Et  j'ai  fait  rois  mes  compagnons. 
Le  Dieu  d'en  haut  a  ses  tonnerres. 
Moi,  Dieu  d'en  bas,  j'ai  mes  canons. 

Je  puis  rajeunir  et  refondre 
L'Europe,  vieux  monde  épuisé. 
Un  de  ces  jours  je  prendrai  Londre. 
Tout  cela  n'est  pas  malaisé. 

Mais  la  difficulté  suprême. 
Plus  haute  que  remparts  et  tours. 
C'est  de  faire  qu'une  fille  aime 
Autre  chose  que  ses  amours. 


22  mai  1846. 


174  TOUTE  LA  LYRE. 


LIV 


A  force  de  rêver  et  de  voir  dans  la  plaine 
Une  fille  aux  yeux  bleus  aller  à  la  fontaine, 
Gad  s'aperçut  un  jour  qu'il  était  amoureux. 
Plus  de  sommeil.  Où  fuir  ce  souci  douloureux  ? 
11  voulut  s'en  guérir,  mais  tout  fut  inutile. 
Triste,  il  alla  s'asseoir  aux  portes  de  la  ville, 
Et,  voyant  un  vieillard  qui  passait,  il  lui  dit  : 

—  À  mon  aide,  seigneur!  —  Le  vieillard  l'entendit. 
Et  vint.  C'était  un  homme  à  longue  barbe  grise. 
Les  palmiers  frissonnaient  au  souffle  de  la  brise  5 

Le  soleil  se  couchait  dans  le  désert  poudreux. 

—  Qu  as-tu?  dit  le  vieillard.  —  Je  suis  très  malheureux. 
Dit  Gad,  puis  il  reprit  :  —  Hélas!  j'aime  une  femme. 

—  J'avais,  dit  le  vieillard,  ce  mal  cuisant  dans  l'âme 
Quand  j'étais  un  jeune  homme  aux  yeux  clairs  et  brillants 
Comme  toi.  Maintenant  mes  cheveux  sont  tout  blancs. 
Mon  front  tremble,  mon  œil  s'éteint,  l'âge  me  glace; 

Et  pour  moi  tout  est  sombre,  et  chaque  jour  qui  passe 
Est  de  la  nuit  qui  tombe,  et,  sans  air,  sans  soutien. 
Je  souf&e,  et  c'est  mon  mal  de  n'avoir  plus  le  tien. 


14  août  1846. 


LVa) 


LES  PERIPETIES  DE  L'IDYLLE. 


Vous  voulez  bien  venir  avec  moi  dans  les  bois 

Cueillir  des  fleurs,  chercher  l'ombre,  écouter  des  voix. 

Méditer,  des  lueurs  épier  le  passage, 

À  la  condition  que  je  serai  très  sage. 

Et  je  vous  obéis.  Pourtant  dans  ce  hallier 

Le  vent  me  semble  avec  les  branches  familier. 

Le  papillon  souhaite  un  calice  et  le  trouve, 

La  rose  est  nue,  et  l'herbe  est  tendre,  et  le  lys  prouve 

Qu'on  montre  sa  blancheur  sans  perdre  sa  vertu. 

Et  les  petits  oiseaux  tout  bas  se  disent  tu. 

Faisons  comme  eux.  Veux-tu?  Non.  Voulez-vous,  Madame? 

Tu  souris. 

Le  printemps  est  un  épithalame  -, 
La  feuille  est  un  rideau,  la  source  est  un  soupir  5 
Cupidon  vient  dans  l'herbe  agreste  se  tapir 
Et  rit  de  voir  les  fous  le  chercher  dans  les  villes. 
Les  alcôves  de  pourpre  et  d'or  sont  laides,  viles 
Et  pauvres  à  côté  du  lit  profond  des  fleurs. 
Comme  ils  riraient  de  moi,  les  gais  merles  siflleurs. 
Si  je  n'abusais  pas  un  peu  des  solitudes  ! 
Essayons.  Ah  !  tu  prends  de  graves  attitudes. 
J'ai  tort  ;  pardonne-moi.  Ces  bois  sont  pleins  d'ébats 
Mystérieux.  Veux-tu  nous  adorer  tout  bas? 


f'^  Inédit. 


1/6  TOUTE  LA  LYRE. 

Veux-tu  que  ma  caresse  inquiète  ne  fasse 

Pas  plus  de  bruit  qu'un  pli  d'une  onde  qui  s'efface, 

Et  que  je  sois  heureux  prudemment,  de  façon 

Que  ces  bois,  en  sentant  passer  ce  doux  frisson. 

Pensent,  sans  devenir  pour  cela  plus  farouches. 

Que  ce  sont  deux  baisers  envolés  de  deux  bouches. 

Perdus  par  des  amants  au  hasard  dans  les  prés. 

Qui  se  sont  en  flottant  dans  l'azur  rencontrés. 

Et  que  ces  deux  baisers,  sans  maître,  espèces  d'ames. 

Courent,  libres,  joyeux,  dansants,  comme  deux  flammes. 

L'un  après  l'autre,  et  font  l'amour  au  fond  des  bois? 

Veux- tu  l'idylle  ainsi?  Non.  Eh  bien,  fais  ton  choix. 

Que  veux- tu?  Tu  réponds  :  Manger,  j'ai  faim. 


Tu  règnes. 
Je  te  sers.  Le  repas  est  frugal.  Des  châtaignes. 
Du  miel,  et  quelques  fruits  sur  des  feuilles  posés, 
Suflisent  à  l'amour,  vorace  de  baisers. 
Cette  voracité  te  déplaît.  On  regarde. 
Me  dis-tu,  des  passants  écoutent!  Prenez  garde. 
Monsieur,  aux  paysans  rusés  et  curieux. 
Soyez  un  amoureux  du  genre  sérieux. 
Est-ce  que  vous  croyez  que  les  dieux  de  l'Olympe 
Chiffonnaient  un  jupon,  taquinaient  une  guimpe? 

—  Oui,  d'abord. —  Qu'ils  manquaient  aux  déesses?  —  Un  peu. 
Ensuite,  je  suis  homme  et  je  ne  suis  pas  dieu. 

—  Taisez-vous.  —  Je  me  tais.  Mais  voilà  que  tu  chantes  ! 
Ah  !  que  les  femmes  sont  charmantes  et  méchantes  ! 
Pour  me  faire  tenir  tranquille,  tu  te  mets 

A  rire  comme  rit  l'aube  sur  les  sommets. 

Et  tu  jettes  au  vent  ta  belle  voix  sonore. 

Tu  dis  :  soyons  muets,  il  faut  qu'on  nous  ignore. 

Qu'on  ne  soupçonne  pas  quelqu'un  dans  ce  ravin. . . 

Et  te  voilà  faisant  un  vacarme  divin  ! 


LES   PERIPETIES  DE  L'IDYLLE.  177 

Tu  fais  sortir  là-bas  des  gens  de  leur  chaumière  5 
Je  veux  de  l'ombre,  toi,  tu  veux  de  la  lumière  -, 
Je  voulais  des  soupirs,  toi,  tu  veux  des  chansons. 
Belle,  un  baiser!  —  Jamais.  Paix,  Monsieur.  Finissons. 

J'obéis. 

Mais  pourquoi  m'entraînes-tu  toi-même 
Dans  plus  d'ombre,  et  pourquoi  murmures-tu  :  Je  t'aime  ! 
O  femmes  ! 


-k 


Résister  et  céder,  c'est  la  loi. 
Peut-on  du  mois  de  mai  faire  un  meilleur  emploi 
Que  de  s'aimer,  et  l'ombre  a-t-elle  une  autre  aflfaire 
Que  l'hymen  de  celui  que  la  beauté  préfère 
Avec  celle  que  l'âme  a  choisie?  O  forêts! 
Tu  chuchotes  encor  :  Sois  sage  !  Tu  voudrais. 
Mais  tu  n'oses.  Vivons  !  Sois  Bacchante  !  Sois  Grâce  ! 
Tu  t'appelles  Barine  et  je  m'appelle  Horace. 
Quand  Catulle  avait  bu  son  petit  vin  sabin 
Il  ne  se  gênait  pas  pour  voir  Glycère  au  bain. 
Je  suis  classique.  Il  faut  suivre  les  doux  exemples. 
Faire  de  tous  les  lieux  où  tu  passes  des  temples. 
C'est  ta  puissance,  amour!  je  suis  transfiguré. 
Ajouter  un  baiser,  c'est  monter  un  degré; 
Le  ciel,  en  même  temps  que  la  bouche,  s'approche. 
L'attendrissement  gagne  et  pénètre  la  roche. 
Le  granit,  l'azur  noir  des  chastes  lacs  dormants. 
Les  nuages,  les  champs,  les  monts,  quand  deux  amants 
Sont  là,  mêlés,  perdus,  comme  en  avril  les  roses. 
Dans  le  céleste  oubli  des  hommes  et  des  choses. 

Moment  de  calme.  Arrêt. 


12 

IM*M1M«IC     KATIOIIAU. 


178  TOUTE  LA  LYRE. 


Nous  voici  retombés 
En  pleine  rêverie,  et  là-bas,  deux  abbés 
Qui  passent,  livre  en  main,  marmottant  des  prières. 
Ont  cru  que  nous  lisions  aussi  nos  bréviaires. 
Tant  tu  semblés  un  ange  et  tant  j'ai  l'air  d'un  sot. 

On  prend  de  deux  façons  le  paradis  d'assaut  ; 

Un  des  côtés,  c'est  Dieu;  l'autre  côté,  c'est  Eve  ; 

C'est  pourquoi  le  serpent  se  glisse  dans  mon  rêve  ; 

Or  jamais  les  baisers  ne  sont  bien  assoupis  ; 

S'éveiller  est  leur  droit.  Tu  te  fâches.  Tant  pis  ! 

Tant  mieux  !  ne  crains  donc  pas  ces  branches  qui  tressaillent. 

Quoi!  pour  que  Lycoris  et  Virgile  s'en  aillent. 

Quoi!  pour  chasser  d'auprès  Horace  Lalagé, 

Il  suffit  qu'un  vieil  arbre  imbécile  ait  bougé  ! 

Non,  non.  Je  brave  tout.  Je  me  livre  au  pillage. 

Sans  me  troubler  d'un  souffle  errant  dans  le  feuillage. 

Et  sans  m'inquiéter  si  l'écart  du  fichu 

Fait  dans  l'ombre  loucher  le  faune  au  pied  fourchu. 


28  juillet. 


LVI 


Je  pressais  ton  bras  qui  tremble  ; 
Nous  marchions  tous  deux  ensemble. 
Tous  deux  heureux  et  vainqueurs. 
La  nuit  était  calme  et  pure. 
Dieu  remplissait  la  nature. 
L'amour  emplissait  nos  cœurs. 

Tendre  extase  !  saint  mystère  ! 
Entre  le  ciel  et  la  terre 
Nos  deux  esprits  se  parlaient. 
A  travers  l'ombre  et  ses  voiles. 
Tu  regardais  les  étoiles. 
Les  astres  te  contemplaient. 

Et  sentant  jusqu'à  ton  âme 
Pénétrer  la  douce  flamme 
De  tous  ces  mondes  vermeils. 
Tu  disais  :  Dieu  de  l'abîme  ! 
Seigneur!  vous  êtes  sublime. 
\bus  ave2  fait  les  soleils. 

Et  les  astres  à  voix  basse 
Disaient  au  Dieu  de  l'espace, 
Au  Dieu  de  l'éternité  : 
Seigneur,  c'est  par  vous  qu'on  aime. 
Vous  êtes  grand.  Dieu  suprême. 
Vous  avez  fait  la  beauté  ! 

30  mars  1844. 


l8o  TOUTE  LA  LYRE. 


LVII 


AU   BAL. 


Elle  se  rapprochait,  car  il  parlait  tout  bas. 

Il  lui  disait  :  —  On  a,  dans  ces  bruyants  ébats. 

Une  liberté  plus  entière. 
C'est  la  foule,  on  est  seul  en  ces  salons  dorés. 
Le  bal  joyeux  nous  cache  aux  regards  eferés 

Dans  un  tourbillon  de  lumière. 

Les  quadrilles  ardents,  follement  entraînés. 
Bondissent.  Nous  rêvons,  l'un  sur  l'autre  inclinés. 

Un  rêve  peut-être  impossible. 
Sans  voir  ces  fleurs,  sans  voir  ces  fronts  épanouis. 
Nous  passons  dans  ce  bal  rayonnant,  éblouis 

Par  une  autre  fête  invisible. 

Ils  sont  aux  voluptés,  nous  sommes  à  l'amour. 
Nos  cœurs  émus  sont  pleins  d'un  mystérieux  jourj 

Un  feu  passager  les  embrase. 
Ce  que  nous  contemplons,  ils  ne  peuvent  le  voir. 
Notre  âme  est  un  obscur  et  céleste  miroir. 

Ils  ont  l'ivresse,  et  nous  l'extase. 

Tandis  que  dans  leurs  yeux  le  plaisir  brûle  et  luit. 
Nous  voudrions,  troublés  par  la  joie  et  le  bruit. 

Nous  enfuir  sous  de  chastes  voiles. 
La  foule  rit,  notre  âme  est  plus  ravie  encor. 
Pour  eux,  à  ces  plafonds,  brillent  les  lustres  d'or. 

Et  pour  nous,  plus  haut,  les  étoiles  ! 


2  mars. 


LVIII 


Nous  étions,  elle  et  moi,  dans  cet  avril  charmant 
De  l'amour  qui  commence  en  éblouissement. 
O  souvenirs  !  ô  temps  !  heures  évanouies  ! 
Nous  allions,  le  cœur  plein  d'extases  inouïes. 
Ensemble  dans  les  bois,  et  la  main  dans  la  main. 
Pour  prendre  le  sentier  nous  quittions  le  chemin. 
Nous  quittions  le  sentier  pour  marcher  dans  les  herbes. 
Le  ciel  resplendissait  dans  ses  regards  superbes  ; 
Elle  disait  :  Je  t'aime  !  et  je  me  sentais  dieu. 
Parfois,  près  d'une  source,  on  s'asseyait  un  peu. 
Que  de  fois  j'ai  montré  sa  gorge  aux  branches  d'arbre  ! 
Rougissante  et  pareille  aux  naïades  de  marbre. 
Tu  baignais  tes  pieds  nus  et  blancs  comme  le  lait. 
Puis  nous  nous  en  allions  rêveurs.  Il  me  semblait. 
En  regardant  autour  de  nous  les  pâquerettes. 
Les  boutons  d'or  joyeux,  les  pervenches  secrètes. 
Et  les  frais  liserons  d'une  eau  pure  arrosés. 
Que  ces  petites  fleurs  étaient  tous  les  baisers 
Tombés  dans  le  trajet  de  ma  bouche  à  ta  bouche 
Pendant  que  nous  marchions;  et  la  grotte  farouche. 
Et  la  ronce  sauvage  et  le  roc  chauve  et  noir. 
Envieux,  murmuraient  :  Que  va  dire  ce  soir 
Diane  aux  chastes  yeux,  la  déesse  étoilée. 
En  voyant  toute  l'herbe  au  fond  du  bois  foulée  ? 

3  avril.  Jersey. 


iSz  TOUTE  LA  LYRE. 


LIX 


Aujourd'hui  Galatée  aux  lascives  épaules 
Qui  voulait  être  vue  et  fuyait  sous  les  saules. 
Et  jetait  en  courant  des  pommes  aux  garçons, 
Cymodoce  aux  doux  yeux  qui  chantait  des  chansons 
Et  lavait  aux  ruisseaux  ses  belles  jambes  nues, 
Seraient  des  Pamélas  jouant  les  ingénues 
Chez  Bobino,  prenant  un  banquier  pour  sultan. 
Sous  l'ombrage  sacré  d'une  mère  en  tartan. 


LX(i) 


DANGER  D'ALLER  DANS  LES  BOIS. 

Ne  te  figure  pas,  ma  belle. 
Que  les  bois  soient  pleins  d'innocents. 
La  feuille  s'émeut  comme  l'aile 
Dans  les  noirs  taillis  frémissants  ; 

L'innocence  que  tu  supposes 
Aux  chers  petits  oiseaux  bénis 
N'empêche  pas  les  douces  choses 
Que  Dieu  veut  et  que  font  les  nids. 

Les  imiter  serait  mon  rêve  ; 
Je  baise  en  songe  ton  bras  blanc  ; 
Commence  !  dit  l'Aurore.  —  Achève  ! 
Dit  l'étoile.  Et  je  suis  tremblant. 

Toutes  les  mauvaises  pensées. 
Les  oiseaux  les  ont,  je  les  ai. 
Et  par  les  forêts  insensées 
Notre  cœur  n'est  point  apaisé. 

Quand  je  dis  mauvaises  pensées 

Tu  souris...  —  L'ombre  est  pleine  d'yeux. 

Vois,  les  fleurs  semblent  caressées 

Par  quelqu'un  dans  les  bois  joyeux.  — 


c')  Inédit. 


184  TOUTE  LA  LYRE. 

Viens  !  l'heure  passe.  Aimons-nous  vite  ! 
Ton  cœur,  à  qui  l'amour  fait  peur, 
Ne  sait  s'il  cherche  ou  s'il  évite 
Ce  démon  dupe,  ange  trompeur. 

En  attendant,  viens  au  bois  sombre. 
Soit.  N'accorde  aucune  faveur. 
Derrière  toi,  marchant  dans  l'ombre. 
Le  poëte  sera  rêveur  j 

Et  le  faune,  qui  se  dérobe. 
Regardera  du  fond  des  eaux 
Quand  tu  relèveras  ta  robe 
Pour  enjamber  les  clairs  ruisseaux. 


juin. 


LXI 


Tous  deux  —  est-ce  à  Tibur?  est-ce  à  Ville-d'Avray  ?  - 
Nous  errions,  et  sa  voix  me  disait  : 

—  L'amour  vrai 
Craint  le  rapprochement  vertigineux  des  bouches. 
Respecte  mes  peurs.  L'âme  a  des  bonheurs  farouches  ; 
Elle  veut  voir  s'ouvrir  l'éden,  et  refuser. 
C'est  assez  d'un  soupir  et  c'est  trop  d'un  baiser. 
La  pudeur,  c'est  de  l'ombre,  et  l'amour  s'en  augmente. 
Ce  que  perd  la  maîtresse  est  gagné  par  l'amante  ; 
Oublions  cette  chair  que  tu  nommes  beauté. 
L'amour  devient  le  ciel  sitôt  le  corps  ôté. 
Tu  m'aimes,  je  t'adore.  Eh  bien!  soyons  fidèles. 
Purs,  et  contentons-nous  d'un  frémissement  d'ailes. 
Mon  cœur  en  plein  mystère  et  ma  vie  en  plein  jour. 
Je  fais  ce  chaste  rêve.  Oh  !  laisse  mon  amour 
Se  dresser  dans  mon  âme  avec  un  front  d'étoile  ! 
Il  faut  au  cœur  un  songe,  il  faut  au  temple  un  voile. 
Respecte-moi.  Soyons  des  parfums,  des  rayons! 
Dans  ce  frais  mois  de  mai  qu'est-ce  que  nous  voyons  ? 
La  promiscuité  des  âmes  et  des  roses. 
Anges,  nous  nous  mêlons  à  ces  apothéoses. 
Une  honte  sacrée  est  un  divin  flambeau. 
Je  t'aime.  Un  cœur  sauvage  et  tendre  est  aussi  beau 
Qu'un  ciel  sombre  éclairé  de  lueurs  boréales.  — 

Pendant  qu'elle  disait  ces  choses  idéales. 

Dans  le  plus  ténébreux  du  bois  je  regardais. 

Sous  un  chêne  étendant  son  ombre  comme  un  dais. 


l86  TOUTE  LA  LYRE. 

Non  pas  quelque  déesse,  une  Vénus  de  marbre. 

Mais  un  bonhomme  en  bois  taillé  dans  un  tronc  d'arbre. 

Un  antique  magot  riant  à  nos  ébats. 

Satyre  aux  yeux  de  bouc  qui  me  parlait  tout  bas 

Avec  sa  large  bouche  effroyable  et  vorace. 

Comme  si  j'eusse  été  ce  doux  flâneur  d'Horace  : 

«  Jadis,  j'étais  un  tronc  de  figuier,  bon  à  rien. 

«  — ■  Oui-dà,  dit  un  sculpteur  persan  ou  dorien, 

«  De  ceux  dont  le  génie  au  cabaret  trébuche, 

«  Ferai-je  un  banc,  ferai- je  un  dieu,  de  cette  bûche?  — 

«  Il  lui  plut  que  je  fusse  un  dieu.  C'est  bien.  Je  fus 

((  Priape,  et  je  rêvai  sous  les  arbres  touffus.  » 


8  mai 
(Pendant  le  plébiscite.) 


LXII 


L'OUTRAGE  PEUT  ETRE  AUSSI  DANS  LA  CARESSE. 

Hélas,  les  rayons  sont  des  crimes. 
Les  vils  chardons  aux  lys  sublimes 
Disent  dans  l'ombre  :  c'est  assez. 

A 

O  Dieu,  qui  seul  savez  les  sources  et  les  causes. 
Qu'est-ce  donc  que  les  belles  choses 
Ont  fait,  que  vous  les  punissez  ! 

Expiation  jamais  lasse  ! 
Les  flots  sont  une  populace 
Qui  jette  aux  caps  l'affront  amer; 
Les  rocs  sentent  sur  eux  cracher  ces  mille  bouches  5 
Ils  ont  sur  leurs  faces  farouches 
L'acre  salive  de  la  mer. 

La  fleur  radieuse  est  dans  l'herbe } 
C'est  un  malheur  qu'être  superbe  ; 
Sa  splendeur  déplaît  à  quelqu'un  -, 
La  limace  tyran  monte  à  la  rose  esclave, 
La  baise  et  la  souille,  et  la  bave 
Est  le  châtiment  du  parfum. 

Pourquoi,  tempête,  sans  relâche. 
Frappes-tu  de  ton  éclair  lâche 
Le  mont  dressé  dans  le  brouillard  ? 
De  quel  droit,  dans  l'Éden  imitant  les  chenilles. 
Viens-tu  toucher  aux  jeunes  filles. 
Lèvre  difforme  du  vieillard  ? 


l88  TOUTE  LA  LYRE. 

Le  grand  bourreau  se  nomme  Envie, 
La  longue  injure  de  la  vie 
S'accomplit  à  tous  les  moments. 
Dieu,  qui  n'épargne  rien,  fait  tomber  de  son  aire 
Sur  les  fronts  puissants  le  tonnerre. 
Le  baiser  sur  les  fronts  charmants. 

26  juillet  1854. 


LXIII 


GABONUS,  seul. 
Son  chien  est  couche  à  ses  pieds. 


La  belle  s'appelait  mademoiselle  Amable. 
Elle  était  combustible  et  j'étais  inflammable. 
Un  treize,  je  la  vis  passer  sur  le  Pont-Neuf; 
Les  Grâces  étaient  trois,  les  Muses  étaient  neuf; 
Et  c'est  là  ce  qui  fait  sacré  le  nombre  douze. 
Et  treize  fatal.  Donc,  un  treize,  une  andalouse 
De  Pantin,  telles  sont  les  rencontres  qu'on  a, 
Amable,  d'un  regard  charmant,  m'assassina. 
Duel,  duo.  Sous  l'œil  paternel  des  édiles. 
Il  naît  sur  le  Pont-Neuf  beaucoup  de  ces  idylles. 
Je  la  qualifiai  d'ange,  un  mois  à  peu  près. 
Bref,  je  me  demandais  un  jour  si  je  romprais. 
Quand,  par  un  doux  soleil  d'avril,  entre  deux  pluies. 
Je  reçus  ce  billet  de  l'ange  :  «  Tu  m'ennuies. 
Bonsoir.  »  —  Ce  qui  me  fit  furieux.  D'autant  plus 
Que  c'est  elle,  parbleu,  qui  m'ennuyait. 

Je  plus 
Ensuite,  éperdument,  à  je  ne  sais  plus  quelle 
Déesse  qu'entourait  une  étrange  séquelle. 
Des  poètes,  des  gueux,  des  grecs,  des  chambellans 
De  l'atout,  noir  démon  qui  hante  les  brelans. 
Gens  qui  s'enrichissaient  dans  l'aventure  épique 
Du  roi  de  cœur  floué  par  la  dame  de  pique. 
Disant  de  l'amour  :  fi  !  disant  de  l'honneur  :  peuh  ! 
Mais  trichant.  —  J'adorai  cette  drôlesse  un  peu. 


190  TOUTE  LA  LYRE. 

Puis  je  fus  planté  là  pour  un  prince  valaque. 
Je  fis  la  connaissance  après  d*un  chef  de  claque 
Qui  me  fit  pénétrer  dans  les  arts,  et  j'obtins 
Par  lui  d'être  admis  presque  au  rang  des  cabotins. 
Et  l'honneur  d'approcher  parfois  les  cabotines 
En  qualité  d'esclave  adorant  leurs  bottines  ; 
Une,  Lise,  accepta  mon  cœur  sous  ses  talons; 
Le  temps  qu'un  perroquet  grimpe  trois  échelons. 
Je  fus  vainqueur,  je  fus  heureux,  et  je  fus  bête; 
Trois  progrès.  Mais,  hélas!  la  femme  est  la  tempête. 
Lise  en  colère  un  jour  chassa  tous  ses  laquais  ; 
Dont  moi. 

Comme  un  roman  déchiré  sur  les  quais. 
J'avais  déjà  perdu  plus  d'un  de  mes  chapitres  ; 
J'étais  sorti  des  grecs,  j'étais  sorti  des  pitres. 
Mes  amantes  n'étaient  qu'un  vague  souvenir  ; 
Tout  à  coup  je  sentis  en  moi  tout  rajeunir 
Comme  si  le  soleil  empourprait  ma  fenêtre. 
Et  mes  illusions  les  plus  roses  renaître 
En  voyant  une  fille  au  confessionnal  ; 
Le  gamin  Cupidon  dans  mon  vieux  cœur  banal 
Fit  sa  rentrée  avec  trompettes  et  fanfares. 
Ah  !  quand  donc  mettra-t-on  sur  la  femme  des  phares  ! 
Dans  l'église  où  du  mal  meurt  la  contagion. 
Chez  les  prêtres,  au  coin  de  la  religion. 
Entre  deux  saints  de  pierre,  un  apôtre,  un  prophète. 
Apercevant  dans  l'ombre  une  fille  parfaite. 
Je  fis  cette  sottise  énorme  de  l'aimer  ; 
Elle  m'incendia  sans  pourtant  s'allumer  ; 
J'eus  l'âpre  enivrement  des  flammes  méprisées  ; 
Elle  me  permettait  d'errer  sous  ses  croisées; 
Rien  de  plus.  Je  perdis  gaîté,  raison,  humour; 
Je  fus  toute  une  année  imbécile  d'amour. 
Ah!  lorsqu'elle  émiettait  sa  prière,  autour  d'elle. 
Certes,  comme  un  essaim  d'oiseaux,  à  tire-d'aile. 
Les  chérubins  venaient,  et  lui  disaient  :  ma  sœur! 


LA  BELLE  S'APPELAIT  MADEMOISELLE  AMABLE.    191 

Quand  elle  s'enfermait  avec  son  confesseur. 

Je  me  la  figurais  penchant  sur  le  calvaire 

Ses  mains  jointes,  ses  yeux  vierges,  son  front  sévère. 

Son  profil  chaste,  fait  pour  Greuze  ou  pour  Lancret. 

Un  beau  jour,  par  un  trou  de  serrure  indiscret. 

Au  lieu  du  Golgotha  je  contemplai  l'Olympe; 

Moi  qui  n'eusse  du  doigt  osé  toucher  sa  guimpe. 

Je  la  vis  toute  nue  aux  bras  de  son  abbé. 

Marie  était  Vénus,  Agnès  était  Hébé. 

Ceci  me  mit  en  fuite,  et  j'en  fus  longtemps  blême. 

Pourtant  j'avais  toujours  dans  l'esprit  ce  problème  : 
Trouver  un  cœur  qui  fût  le  compagnon  du  mien. 
Je  me  fis  voyageur,  chercheur,  bohémien. 
Nomade,  et  j'explorai  les  mers,  les  flots,  les  îles. 

Un  jour  je  débarquai  dans  un  pays  sans  villes, 

Sans  hommes  presque,  un  lieu  charmant;  et  j'eus  l'émoi, 

Comme  j'étais  rêveur,  que  soudain  vînt  à  moi. 

Dans  l'état  de  nature,  une  femme  inconnue. 

Je  m'écriai,  voyant  qu'elle  était  toute  nue  : 

Ah  !  celle-ci  du  moins  avoue  !  —  Et,  très  flatté  : 

De  quel  puits  sortez-vous,  lui  dis-je,  ô  Vérité? 

Elle  vint,  puis  s'enfuit,  puis  revint,  et  Végèce 

Eut  moins  bien  manœuvré  que  cette  sauvagesse. 

Si  bien  qu'à  la  façon  dont  elle  m'aborda. 

Je  vis  qu'Otaïti  ressemblait  à  Bréda. 

Je  la  civilisai.  Mais,  ciel  bleu  !  que  de  choses 

Il  fallut  lui  donner!  jupons  blancs,  chapeaux  roses. 

Robes,  manteaux,  satins,  velours,  bijoux  de  prix! 

La  sauvage,  au  rebours  des  femmes  de  Paris, 

Commence  toute  nue  et  finit  fort  vêtue. 

L'homme  fait  la  poupée  et  Dieu  fit  la  statue  5 

Toute  la  femme  tient  dans  ces  quelques  mots-là. 

La  chair  sert  de  prétexte  à  notre  falbala. 

L'île  était  un  éden  tiède  et  toujours  en  fête  ; 

J'étais  Adam,  mon  Eve  était  belle  et  bien  faite; 


192  TOUTE  LA  LYRE. 

Or  ce  chef-d'œuvre  avait  un  singe  pour  amant  j 

J'étais  de  temps  en  temps  regardé  fixement, 

A  travers  les  rameaux  en  fleurs,  par  un  gorille. 

Sept  pieds  de  haut,  des  dents  de  tigre,  un  œil  qui  brille. 

Peste  !  je  m'évadai  du  paradis.  — 

Depuis, 
Cherchant  les  amours,  comme  un  lierre  les  appuis. 
J'ai  fait  tous  les  essais  possibles  -,  je  rature 
Une  aventure  en  moi  par  une  autre  aventure  ; 
J'aimai,  me  figurant  qu'aimer  n'a  jamais  nui, 
Celle-ci  par  plaisir,  celle-là  par  ennui. 
L'une  pour  sa  chanson,  l'autre  pour  sa  richesse. 
L'autre  parce  qu'étant  vieille,  elle  était  duchesse. 
L'autre  pour  ses  amants,  l'autre  pour  son  marij 
J'adorai  Berthe,  Anna,  Mousqueton,  Colibri, 
Jeannette,  Olympia.  —  Donc  j'ai  connu  les  femmes. 
J'en  ai  connu  les  cœurs,  j'en  ai  connu  les  âmes. 
Le  haut,  le  bas,  le  vrai,  le  faux,  le  mal,  le  bien } 
Et  la  conclusion,  la  voici  :  Viens,  mon  chien  ! 


20  décembre. 


LXIV 


Quand  deux  cœurs  en  s'aimant  ont  doucement  vieilli, 
Oh  !  quel  bonheur  profond,  intime,  recueilli  ! 
Amour  !  hymen  d'en  haut  !  ô  pur  lien  des  âmes  ! 
Il  garde  ses  rayons  même  en  perdant  ses  flammes. 
Ces  deux  cœurs  qu'il  a  pris  jadis  n'en  font  plus  qu'un. 
Il  fait,  des  souvenirs  de  leur  passé  commun. 
L'impossibilité  de  vivre  l'un  sans  l'autre. 
—  (Juliette,  n'est-ce  pas?  cette  vie  est  la  nôtre!) 
Il  a  la  paix  du  soir  avec  l'éclat  du  jour. 
Et  devient  l'amitié  tout  en  restant  l'amour  ! 


22  septembre  18^4. 


POESIE. 


13 


vu 


LA  BLANCHE  AMINTE. 


—  Çà ,  dit-il ,  que  t'en  semble 
Écoute,  Écho,  faisons  une  chanson  ensemble. 


Sitôt  (j^u'Aminte  fut  venue 

Nue, 
Devant  le  dey  qui  lui  semblait 

Laid, 

Plus  blanche  qu'un  bloc  de  Carrare 

Rare, 
Elle  défit  ses  cheveux  blonds. 

Longs. 

Alors,  ô  tête  de  l'eunuque. 

Nuque 
Du  Bostangi,  tu  te  courbas 

Bas. 

Le  bassa,  dont  l'amour  enflamme 

ame, 
A  ses  pieds  laissa  son  mouchoir 
Choir, 

En  disant  :  —  Ne  sois  pas  rebelle. 

Belle, 
Tes  pieds  blancs  et  tes  blonds  cheveux 

Veux. 


198  TOUTE  LA  LYRE. 

Or  c'était  le  bassa  d'Epire 

Pire 
Qu'un  vrai  moine  et  plus  qu'un  manchot 

Chaud, 

Faisant  turques  et  circassiennes 

Siennes, 
Et  pour  soi  seul  en  nourrissant 

Cent. 

Donc,  à  sa  parole  exigeante 

Gente 
Aminte  ne  dit  au  vaurien 

Rien. 

Elle  inclina  son  cou  de  cygne. 

Signe 
Qu'elle  trouvait  le  vieux  corbeau 

Beau. 

Quand  ses  femmes  virent  Aminte, 

Mainte 
Jalouse  idée  à  plus  de  vingt 

Vint. 

Longtemps  le  sérail  infidèle 

D'elle 
Parla,  puis  de  ses  cheveux  blonds 

Longs, 

Les  blanches  qu'à  Chypre  on  rencontre 

Contre, 
Et  les  noires  de  Visapour  '      " 

Pour. 

3  janvier  1829.  *." 


II 


LE  PRINCE  FAINEANT. 


Il  n'est  trésor  que  de  vivre  à  son  aise. 
Villon. 


Guy,  mon  père. 

N'use  point 
A  rien  faire 
Son  pourpoint. 
Pas  de  fête 
Qu'il  n'apprête. 
Casque  en  tête. 
Dague  au  poing. 

Mon  grand-père, 
Navarrois, 
Fit  la  guerre 
Pour  la  croix. 
Sous  Alon^e 
Cœur-de-bronze , 
En  l'an  onze 
Cent  vingt-trois. 

Jean  de  Mesme 
Son  aïeul 
Qui  dort  blême 
Au  linceul. 
Dans  Toulouse 
La  jalouse. 
Contre  douze 
Luttait  seul. 


200  TOUTE  LA  LYRE. 


Mes  ancêtres 
Fort  vantés. 
Portaient,  maîtres 
Des  comtés. 
Sur  la  marge 
D'un  dos  large 
Une  charge 
De  cités. 

L'un  d'eux,  Eudes 
De  Montfort, 
Fut  des  leudes 
Le  plus  fort, 
Son  épaule 
Jusqu'au  pôle 
Portait  Dole, 
Sans  effort. 

Le  grand-père 
De  ceux-là. 
Noir  sicaire 
D'Attila, 
Vieille  lame. 
Eut  dans  l'âme 
Plus  de  flamme 
Que  l'Hékla. 

Moi,  leur  mince 
Suppléant, 
Suis  le  prince 
Fainéant. 
Mon  bras  casse. 
S'il  déplace 
Leur  cuirasse 
De  géant. 


LE  PRINCE  FAINÉANT.  201 


Car  d'entailles 
Moins  friand. 
Des  batailles 
Souriant, 
Tout  me  lasse. 
Fêtes,  chasse. 
Dire  :  grâce. 
En  priant  ! 

Même  aux  belles 
J'ai  mépris. 
Et  loin  d'elles 
Mon  cœur  pris 
Laisse,  en  somme. 
Faire  un  somme 
Aux  cerfs,  comme 
Aux  maris. 


30  juin-i*'  juillet  1828. 


202  TOUTE  LA  LYRE. 


III 


CE  QUE  GEMMA  PENSE  D'EMMA. 

Que  fait  l'orfèvre  ?  Il  achève 
Quelque  anneau  mystérieux. 
Sa  boutique  semble  un  rêve 
Qu'emplissent  de  vagues  yeux  5 

L'opale  est  une  prunelle, 
La  turquoise  est  un  regard  ; 
La  flamme  tremble  éternelle 
Dans  l'œil  du  rubis  hagard. 

L'émeraude  en  sa  facette 
Cache  une  ondine  au  front  clair  ; 
La  vicomtesse  de  Cette 
Avait  les  yeux  verts  de  mer. 

Le  diamant  sous  son  voile 
Rêve,  des  cieux  ébloui  ^ 
Il  regarde  tant  l'étoile 
Que  l'étoile  entre  dans  lui. 

L'ambre  est  une  larme  austère  ; 
Le  saphir  au  chaste  feu 
Est  devenu  bleu  sous  terre 
Tant  il  a  contemplé  Dieu  ! 


CE  QUE  GEMMA  PENSE  D'EMMA.  203 


Une  femme  chez  l'orfèvre 
Entre,  sourire  éclatant; 
Les  paroles  sur  sa  lèvre 
Battent  de  l'aile  en  chantant. 

Elle  porte  un  châle  à  palmes. 
Un  chapeau  rose  charmant  ; 
Autour  de  ses  grands  yeux  calmes 
Tout  frissonne  doucement. 

Elle  brille  et  jase,  et  semble 
Lueur,  parfum,  colibri; 
Si  belle  que  le  cœur  tremble , 
S'étonne,  et  cherche  un  abri. 

Où  va-t-elle  ?  d'où  sort-elle  ? 
D'où  sort  l'aube?  où  va  le  jour? 
Elle  est  la  joie,  étincelle 
De  cette  flamme,  l'amour. 

Le  peuple  à  la  vitre  admire. 
D'un  œil  tendre  et  transporté. 
Les  femmes  le  cachemire 
Et  les  hommes  la  beauté. 

Tous  l'appellent  fée  ou  reine. 
Astre,  ange  des  cieux  venu. 
Et  se  sentent  pleins  de  haine 
Pour  son  amant  inconnu. 

Elle  est  blanche,  aimable,  exquise. 
Folle  et  gaie  ;  et,  sans  combats. 
Toute  la  loule  est  conquise  ; 
Chacun  soupire  tout  bas  : 


204  TOUTE  LA  LYRE. 


Je  voudrais  être  ! . . .  —  et  se  nomme 

Quelque  idéal  triomphant. 

— -  Son  ami  !  dit  un  jeune  homme. 

—  Son  mari  !  dit  un  enfant. 

Qu'est-ce  donc  que  cette  femme? 
C'est  une  femme.  Cela, 
Quand  Dieu  fit  la  première  âme, 
Naquit  et  l'ensorcela. 

Elle  choisit  chez  l'orfèvre 
Tous  les  beaux  joyaux  tremblants; 
Et  l'or  semble  avoir  la  fièvre 
Entre  ses  petits  doigts  blancs. 

Elle  prend  tout,  la  pirate. 
L'aiguë,  sœur  des  gouttes  d'eau. 
Les  agates  de  Surate 
Et  les  émaux  du  Lido, 

Et  la  parure  complète 
De  sardoine  et  de  béryl; 
Elle  éclate  à  chaque  emplette 
D'un  doux  rire  puéril. 

La  perle  voit  cette  belle. 
Pourquoi  fuir,  perle  au  doux  front  ? 

—  J'aime  mieux  la  mer,  dit-elle  ; 
C'est  moins  sombre  et  moins  profond. 


5  avril  1855. 


IV 


VASE   DE  CHINE. 


A  LA  PETITE  CHINOISE  Y-HANG-TSEI. 

Vierge  du  pays  du  thé. 
Dans  ton  beau  rêve  enchanté. 
Le  ciel  est  une  cité 
Dont  la  Chine  est  la  banlieue. 

Dans  notre  Paris  obscur. 
Tu  cherches,  fille  au  fi-ont  pur. 
Tes  jardins  d'or  et  d'azur 
Où  le  paon  ouvre  sa  queue  j 

Et  tu  souris  à  nos  cieux; 
A  ton  âge  un  nain  joyeux 
Sur  la  faïence  des  yeux 
Peint  l'innocence,  fleur  bleue. 

i"  décembre  i8^i. 


2o6  TOUTE  LA  LYRE. 


V 


MAUVAISES    LANGUES. 

Un  pigeon  aime  une  pigeonne. 
Grand  scandale  dans  le  hallier 
Que  tous  les  ans  mai  badigeonne. 
Une  ramière  aime  un  ramier. 

Leur  histoire  emplit  les  charmilles. 
Par  les  leurs  ils  sont  compromis. 
Cela  se  voit  dans  les  familles 
Qu'on  est  entouré  d'ennemis. 

Espionnage  et  commérage. 
Rien  ne  donne  plus  d'âcreté, 
De  haine,  de  vertu,  de  rage 
Et  de  fiel,  qu'un  bonheur  guetté. 

Que  de  fureur  sur  cette  églogue  ! 
L'essaim  volant  aux  mille  voix 
Parle,  et  mêle  à  son  dialogue 
Toutes  les  épines  des  bois. 

L'ara  blanc,  la  mésange  bleue. 
Jettent  des  car,  des  si,  des  mais. 
Où  les  gestes  des  hoche-queue 
Semblent  semer  des  guillemets. 

«  —  J'en  sais  long  sur  la  paresseuse. 
Dit  un  corbeau,  juge  à  mortier. 

—  Moi,  je  connais  sa  blanchisseuse. 

—  Et  moi,  je  connais  son  portier. 


MAUVAISES  LANGUES.  207 

—  Certe,  elle  n'est  point  sauvagesse. 

—  Est-on  sûr  qu'ils  sont  mariés  ? 

—  Voilà,  pour  le  prix  de  sagesse. 
Deux  pigeons  bien  avariés.  » 

Le  geai  dit  :  Leurs  baisers  blasphèment. 
Le  pinson  chante  :  Ça  ira. 
La  linotte  fredonne  :  Ils  s'aiment. 
La  pie  ajoute  :  Et  estera. 

On  lit  que  vers  elle  il  se  glisse 
Le  soir,  avec  de  petits  cris. 
Dans  le  rapport  à  la  police 
Fait  par  une  chauve-souris. 

Le  peuple  ailé  s'indigne,  tance. 
Fulmine  un  verdict,  lance  un  bill. 
Tel  est  le  monde.  Une  sentence. 
Redoutable,  sort  du  babil. 

Cachez-vous,  Rosa.  Fuyez  vite 
Loin  du  bavardage  acharné. 
L'amourette  qu'on  ébruite 
Est  un  rosier  déraciné. 

Tout  ce  conte,  ô  belle  inefïable. 
Doit  par  vous  être  médité. 
Prenez  garde,  c'est  une  fable. 
C'est-à-dire  une  vérité. 


9  août  186). 


2o8  TOUTE  LA  LYRE. 


VI 


Danseuse,  écoute-moi.  Le  Dieu  du  firmament 
Qui  créa  l'aube  pure  et  fit  ton  fi:ont  charmant, 
A  tout  ce  qui  contient  le  bonheur,  jeune  fille. 
Attache  de  sa  main  quelque  chose  qui  brille 
D'un  éclat  à  la  fois  chimérique  et  réel, 
La  paillette  à  ta  jupe  et  l'étoile  à  son  ciel. 

8  août  1839. 


VII 


LE  PORCHE  DE  SAINT-LUC. 


Le  porche  de  Saint-Luc,  sur  un  vieux  fût  de  pierre 

S  appuie,  et  porche  et  fût  ne  sont  plus  qu'herbe  et  lierre. 

Au  noir  pilier  s'adosse  un  homme  singulier. 

Plus  grave  et  mieux  assis  au  rebord  du  pilier 

Qu'un  archevêque  en  chaire  ou  qu'un  juge  en  grand'chambre  ; 

Vieillard  morne  et  hideux  comme  le  mois  Décembre 

Et  dont  vous  auriez  peur,  madame,  je  le  crois. 

Plus  que  d'un  beau  bandit  rencontré  dans  un  bois. 

On  frémit  d'un  serpent  moins  que  d'une  chenille. 

C'est  un  mendiant  roux,  vêtu  d'une  guenille. 

Qui  se  confond,  ridé,  sordide  et  chevelu. 

Avec  la  borne  grise  et  le  mur  vermoulu. 

Sur  ce  vieillard  narquois  vont  pleuvant  les  monnaies. 

Le  pilier  n'est  que  lèpre  et  l'homme  n'est  que  plaies. 

Par  Hercule  !  on  est  prêt  à  jurer  que  ce  vieux 

Un  beau  matin  germa  dans  ce  bloc  chassieux. 

Et,  pareil  au  gui  noir  qui  sur  le  chêne  pousse. 

Couvert  de  barbe  ainsi  que  la  pierre  de  mousse. 

Sortit,  comme  une  fleur  qui  s'ouvre  aux  papillons. 

Des  fentes  du  granit  avec  tous  ses  haillons  ; 

Si  bien  que,  maintenant,  grimaçant  sur  la  rue. 

Il  est  du  vieux  pilier  la  vivante  verrue. 

Homme  étrange  entre  tous,  qui  vous  ferait  affront. 
Qui,  sans  trop  s'émouvoir,  verrait  votre  beau  front. 
Vos  longs  cheveux,  dorés  comme  les  cheveux  d'Eve, 
Votre  bouche  qui  rit,  votre  regard  qui  rêve. 
Et  leur  préférerait  —  est-il  sage?  est-il  fou?  — 
Le  profil  d'un  vieux  roi  gravé  sur  un  gros  sou  ! 

3  octobre  1842. 

POESIE.    —   XIII.  14 


210  TOUTE  LA  LYRE. 


VIII  (1) 


CHANSON. 


L'hiver  gronde  et  fait  cent  querelles, 
O  vieilles  gens,  ô  vieilles  gens. 
Aux  girouettes  des  tourelles  ; 
Pendant  c[u*elles  grincent  entre  elles. 
Courez  aux  tripots  indulgents, 
O  jeunes  gens,  ô  jeunes  gens. 

L'araignée  au  mur  fait  sa  trame, 
O  vieilles  gens,  ô  vieilles  gens. 
L'archet  frémit,  le  gaz  s'enflamme. 
L'aile  du  beau  papillon  femme 
Étale  ses  reflets  changeants, 
O  jeunes  gens,  ô  jeunes  gens. 

Cachez  de  l'or  dans  vos  paillasses, 
O  vieilles  gens,  ô  vieilles  gens. 
Buvez  du  punch,  prenez  des  glaces. 
Les  rires  narguent  les  grimaces. 
Les  masques  raillent  les  sergents, 
O  jeunes  gens,  ô  jeunes  gens. 

La  mort  tient  tout  dans  ses  doigts  grêles, 
O  vieilles  gens,  ô  vieilles  gens. 
Vous  serez  dupés  par  les  belles. 
Et  vous  fuirez  hors  de  chez  elles. 
Nus  comme  de  petits  Saint- Jeans, 
O  jeunes  gens,  ô  jeunes  gens. 


(')  Inédit. 


CHANSON.  211 


La  mort  vide  vos  escarcelles, 

A 

O  vieilles  gens,  o  vieilles  gens. 
Les  tourtereaux  aux  molles  ailes 
Sont  plumés  par  les  tourterelles  ; 
Bouches  roses  et  becs  rongeants  5 
O  jeunes  gens,  ô  jeunes  gens. 

27  novembre  1853. 


212  TOUTE  LA  LYRE. 


IX 


Oui,  fût-on  Homère,  il  faut  rire  ; 
Il  faut  rire,  fût-on  Caton. 
Le  bois  nous  offre  Déjanire, 
Le  pré  nous  donne  Margoton. 

Le  rire  vient  des  dieux.  A  Rome 
Comme  à  Pantin,  il  règne,  il  est. 
Le  rire  est  l'attribut  de  l'homme. 
César  riait,  Brutus  riait. 

Jésus  souriait.  Mais  en  somme. 
Sourire,  c'est  bien  rire  un  peu. 
Et  c'est  pour  cela  qu'il  est  homme. 
Et  c'est  pour  cela  qu'il  est  Dieu. 

Le  bois  nous  offre  Déjanire, 
Le  pré  nous  donne  Margoton. 
Oui,  fût-on  Homère,  il  faut  rire. 
Il  faut  rire,  mon  cher  Caton. 


X 


EN  AFRIQUE. 

J'allai  faire  visite  au  roi.  Les  avenues 

De  son  palais  étaient  pleines  de  femmes  nues. 

Espèce  de  sérail  épars  comme  un  troupeau. 

Quand  j'entrai,  le  roi  vint,  coiffé  d'un  grand  chapeau. 

En  habit  noir,  pieds  nus,  et  complètement  ivre  5 

Il  s'assit  sur  un  trône  en  cuir  à  clous  de  cuivre. 

Et  dit  :  Homme,  sais-tu  que  je  suis  petit-fils  > 

Du  mage  Zoroastre,  ancien  roi  de  Memphis? 

Parle.  —  Et  je  répondis  au  fils  de  Zoroastre  : 

—  Oui,  sire.  —  Et  je  lui  mis  dans  la  main  une  piastre. 

Il  fut  content,  m'offrit  à  boire,  et  s'en  alla. 


214  TOUTE  LA  LYRE. 


XI 


Quiconque  est  amoureux  est  esclave  et  s'abdique. 

L'amour  n'est  pas  l'amour}  il  s'appelle  Ananké. 

Si  l'on  ne  veut  pas  être  à  la  porte  flanqué. 

Dès  qu'on  aime  une  belle,  on  s'observe,  on  se  scrute; 

On  met  le  naturel  de  côté  5  bête  brute. 

On  se  fait  ange  ;  on  est  le  nain  Micromégas  ; 

Surtout  on  ne  fait  point  chez  elle  de  dégâts  ; 

On  se  tait,  on  attend,  jamais  on  ne  s'ennuie. 

On  trouve  bon  le  givre,  et  la  bise  et  la  pluie. 

On  n'a  ni  faim,  ni  soif,  on  est  de  droit  transi; 

Un  coup  de  dent  de  trop  vous  perd.  Oyez  ceci  : 

Un  brave  ogre  des  bois,  natif  de  Moscovie, 

Était  fort  amoureux  d'une  fée,  et  l'envie 

Qu'il  avait  d'épouser  cette  dame  s'accrut 

Au  point  de  rendre  fou  ce  pauvre  cœur  tout  brut  ; 

L'ogre  un  beau  jour  d'hiver  peigne  sa  peau  velue. 

Se  présente  au  palais  de  la  fée,  et  salue. 

Et  s'annonce  à  l'huissier  comme  prince  Ogrousky. 

La  fée  avait  un  fils,  on  ne  sait  pas  de  qui. 

Elle  était  ce  jour-là  sortie,  et  quant  au  mioche. 

Bel  enfant  blond  nourri  de  crème  et  de  brioche. 

Don  fait  par  quelque  Ulysse  à  cette  Calypso, 

Il  était  sous  la  porte  et  jouait  au  cerceau. 

On  laissa  l'ogre  et  lui  tout  seuls  dans  l'antichambre. 

Comment  passer  le  temps  quand  il  neige  en  décembre. 

Et  quand  on  n'a  personne  avec  qui  dire  un  mot? 

L'ogre  se  mit  alors  à  croquer  le  marmot. 


^ICON^E  EST  AMOUREUX  EST  ESCLAVE...    21) 

C'est  très  simple.  Pourtant  c'est  aller  un  peu  vite. 
Même  lorsqu'on  est  ogre  et  qu'on  est  moscovite. 
Que  de  gober  ainsi  les  mioches  du  prochain. 
Le  bâillement  d'un  ogre  est  frère  de  la  faim. 
Quand  la  dame  rentra,  plus  d'enfant.  On  s'informe. 
La  fée  avise  l'ogre  avec  sa  bouche  énorme. 
As-tu  vu,  cria-t-elle,  un  bel  enfant  que  j'ai? 
Le  bon  ogre  naïf  lui  dit  :  Je  l'ai  mangé. 

Or,  c'était  maladroit.  Vous  qui  cherchez  à  plaire. 
Jugez  ce  que  devint  l'ogre  devant  la  mère 
Furieuse  qu'il  eût  soupe  de  son  dauphin. 
Que  l'exemple  vous  serve;  aimez,  mais  soyez  finj 
Adorez  votre  belle,  et  soyez  plein  d'astuce  5 
N'allez  pas  lui  manger,  comme  cet  ogre  russe. 
Son  enfant,  ou  marcher  sur  la  patte  à  son  chien. 


2l6  TOUTE  LA  LYRE. 


XII 


A  l'âge  des  bergeries. 
Quand  les  lèvres  sont  fleuries. 
Nous  errions  loin  des  prairies. 
Lise  et  moi,  dans  le  hallier} 
Lise,  au  vent  livrant  sa  tresse. 
Moi,  tremblant  d'une  caresse; 

La  maîtresse. 

L'écolier. 

Voyant  la  nuit  prête  à  naître. 
J'osai  ne  plus  me  connaître. 
Je  pris  un  baiser  peut-être  5 
Un  vieux  frêne  soupira  ; 
La  république  des  bêtes 
Chantait,  moineaux  et  fauvettes. 

Sur  nos  têtes. 

Ça  ira  ! 

Le  soir  répandait  ses  brumes. 
Doux  amour,  tu  nous  consumes  ! 
Tout  à  coup  nous  aperçûmes 
(Etait-ce  un  bouc?  je  le  crois) 
Dans  la  sauge  et  la  joubarbe, 
O  conteur  du  roi  de  Garbe  ! 

Une  barbe 

Dans  le  bois  ! 


A  L'AGE  DES  BEKGEKIES...  lYJ 

Moi  qui  connais  mon  Tityre 
Et  qu'Horace  aux  champs  attire. 
Je  criai  :  C'est  un  satyre  ! 
Lise  dit  :  C'est  un  sapeur! 
Sans  plus  nous  en  rendre  compte, 
Nous  fuîmes,  elle  moins  prompte; 

Elle  eut  honte. 

Et  j'eus  peur. 

L'âpre  forêt  taciturne 
A  dans  son  ombre  nocturne 
Tous  les  fantômes,  Saturne, 
Faune,  Irmensul,  Urian; 
D'une  vague  horreur  couverte, 
La  grande  Dryade  verte 

Déconcerte 

Florian. 


8  février  i8jj. 


2i8  TOUTE  LA  LYRE. 


XIII  (>) 


BRUIT  DE  GUITARE. 

La  même  belle  nous  dompte. 
Hélas  !  depuis  Tan  passé  ; 
Le  choisi,  c'est  toi,  vicomte  5 
Moi,  je  suis  le  méprisé. 

A  nous  deux  de  cette  fée 
Nous  composons  l'entretien  ; 
Et,  de  ton  amour  coifFée, 
Elle  se  chausse  du  mien. 

D'où  nous  vient  ce  double  rôle? 
Elle  ne  sait  pas  pourquoi. 
Je  lui  fais  l'effet  d'un  drôle. 
Tu  lui  fais  l'effet  d'un  roi. 

Mais  son  cœur  pour  rien  ne  compte 
Dans  ta  joie  et  dans  mon  deuil  ; 
Je  suis  son  dédain,  vicomte. 
Et  tu  n'es  que  son  orgueil. 

Viendra  quelque  gueux,  moins  bête. 
Qu'elle  aimera,  c'est  la  loi. 
Lui  faisant  comme  à  toi  fête. 
Le  méprisant  comme  moi. 


16  janvier  1855. 
{')  Inédit. 


XIV 


LA  LUNE. 


L'Olympe  a  dans  l'azur  des  degrés  inconnus  ; 
Un  jour,  en  descendant  cet  escalier,  Vénus 
Tomba,  se  fit  des  bleus  ailleurs  que  sur  la  face. 
Et  les  hommes  en  bas  rirent  ;  l'efïroi  s'efface 
Quand  on  peut  voir  les  dieux  par  leur  autre  côté. 
—  Soit,  dit  alors  Vénus,  pour  leur  rire  effronté. 
Les  hommes,  ayant  eu  cette  bonne  fortune. 
Ne  verront  plus  de  moi  que  cela.  — 

C'est  la  lune. 

3  juin. 


220  TOUTE  LA  LYRE. 


XV 


Le  marquis  de  Bade  a  deux  cornes  ; 
Il  en  décore  son  blason. 
Je  désire  peu  que  tu  m'ornes 
De  cette  parure,  ô  Suzon. 

Belle,  tu  n'as  point  d'armoiries. 
Mais  ton  doux  rire  est  enchanteur  ; 
Bois  aux  sources,  jamais  taries. 
Et  crois  au  ciel,  jamais  menteur. 

Ces  princes,  que  l'ombre  enveloppe. 
Avaient  toujours  l'épée  en  main  -, 
Ils  conquéraient  souvent  l'Europe, 
Et  quelquefois  le  grand  chemin. 

Guerre  au  dehors,  guerre  civile. 
Tout  plaisait  à  ces  hasardeux  ; 
Calmes,  ils  laissaient  dans  leur  ville 
Leur  femme,  avec  un  page  ou  deux. 

Ces  fiers  badois  au  pied  allègre 
Firent  la  guerre  aux  fils  d'Orcan, 
Au  négus,  magot  chrétien  nègre. 
Au  grand  Kne2,  cousin  du  grand  Khan, 

Aux  pays  de  neige  et  de  sable, 
A  Vienne,  où  régnait  le  dauphin, 
A  Chypre,  à  Zante,  à  Rome,  au  diable  j 
Ils  voyagèrent  tant  qu'enfin 


LE  MARDIS  DE  BADE  A  DEUX  COKNES...     221 

Ces  marquis,  sujets  aux  absences. 
Jaloux  des  cornes  du  bison. 
Ajoutèrent  ces  excroissances 
A  la  grandeur  de  leur  maison. 

Bade,  lo  septembre  1865. 


112     TOUTE  LA  LYRE. 


XVI 


Veux-tu  vivre,  être  admiré. 
Et  de  graisse  rembourré. 
Et  centenaire  enterré? 
Crains  le  pourpoint  trop  serré. 
Les  gens  en  bonnet  carré. 
L'encre  et  le  papier  timbré  ; 
Fais  usage  modéré, 
Cibo,  Baccho,  Venere? 
Laisse  aux  manants  le  poiré. 
Le  champignon  dans  le  pré. 
Et  ta  servante  au  curé. 


XVII 


CHAQUE  SIECLE  A  LE  SIEN. 


Le  sei2ième  eut  Turlupin. 
Le  dix-septième  eut  Scapin. 
Le  dix-huitième  eut  Crispin. 
Le  dix-neuvième  a  Dupin. 


1838. 


224 


TOUTE  LA  LYRE. 


XVIII 


Il  avait  le  front  bas,  le  rire  d'un  pirate, 
Le  poil  noir,  l'œil  chinois,  la  mine  scélérate  j 
Un  turban  le  coiffeit  comme  un  Nostradamus  -, 
Et,  se  rejoignant  presque  à  son  gros  nez  camus. 
Moustaches  et  sourcils  d'une  énorme  envergure 
Lui  dessinaient  un  X  à  travers  la  figure. 


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•  --^^'9 


XIX 


TRIANON,  sur  son  tréteau,  annonçant  le  spectacle. 

Messeigneurs,  nous  aurons  pour  lustre  la  grande  Ourse. 

Vous  entendrez,  chacun  payant  selon  sa  bourse, 

Irus  pour  un  liard,  Crésus  pour  un  sequin, 

A  demi-voix,  au  bord  du  manteau  d'arlequin. 

Jaser  la  folle  avoine  avec  le  brin  de  vigne. 

Un  lac,  où  vous  verrez  vaguement  fuir  un  cygne. 

Servira  de  miroir,  parmi  l'herbe  et  le  thym. 

Aux  fleurs  se  recoiffant  dans  l'ombre  le  matin. 

Les  bois  seront  ornés  d'une  biche  effrayée. 

La  scène  au  premier  plan  sera  tout  égayée 

D'aveugles,  de  pieds-bots  défaisant  leurs  chaussons, 

De  lépreux  se  raclant  avec  de  vieux  tessons. 

Et  de  voleurs  auxquels  on  lira  leur  sentence. 

Au  fond  monsieur  Haillon  et  madame  Potence 

Se  feront  des  saluts  respectueux.  Enfin, 

Gueux,  les  dents  de  la  Mort  et  les  dents  de  la  Faim 

Riront  au  dénoûment  de  la  pièce,  et  la  Gale 

Epousera  l'auteur  dans  un  feu  de  Bengale  ; 

Ils  s'en  iront  chantant  et  bras  dessus  dessous. 

Et  le  diable  au  bon  Dieu  jettera  des  gros  sous. 


POESIE.  —  xm.  ij 

lapUaiUI    KATIOVALE. 


Iï6  TOUTE  LA  LYRE. 


XX 


Fils,  je  veux  dans  ce  conte,  où  vont  venir  les  fées. 
Bâtir  un  temple  avec  des  fleurs  et  des  trophées, 
Heurter  les  Arlequins  contre  les  Amyntas, 
Et  vous  montrer  les  jeux  et  les  amours  d'un  tas 
De  rayons  d'or  prenant  leurs  ébats  dans  la  brune. 
Et  mêler  le  grand  jour  avec  le  clair  de  lune; 
Vous  verrez  à  minuit  apparaître  midi  $ 
Je  prétends  marier  Piastre  à  Maravédi, 
Le  pied  de  Cendrillon  aux  bottes  de  sept  lieues. 
Et  faire  en  plein  soleil  danser  les  âmes  bleues. 


XXI 


QUAI  DE  LA   FERRAILLE. 
CHŒUR  DES  RACOLEURS. 

Nous  sommes  les  sergents  recruteurs.  Pour  la  gloire. 

Pour  l'empire,  pour  être  illustre  dans  l'histoire. 

Il  faut  des  meurtriers  au  roi  ;  nous  en  cherchons. 

Pour  faire  nos  drapeaux  nous  prenons  des  torchons  ; 

Pour  faire  des  héros  nous  prenons  des  canailles. 

Nous  rions  en  ouvrant  dans  l'ombre  nos  tenailles  ; 

Qui  se  fie  au  sourire  est  pincé  par  l'étau. 

Le  froid,  la  faim,  la  soif,  sont  des  coups  de  marteau 

Qui  donnent  une  forme  obscure  aux  misérables  ; 

Mais  pourvu  qu'il  leur  reste  un  œil  fier,  de  bons  râbles. 

Des  vices,  de  la  rage  et  des  instincts  fougueux. 

Ils  sont  notre  gibier  y  nous  épluchons  les  gueux  5 

Nous  trions  les  gredins  5  nous  passons  à  nos  cribles 

Toutes  sortes  de  gens  sauvages  et  terribles  ; 

Les  méchants  sont  les  bons  ;  les  sanglants  sont  les  beaux. 

Ils  deviendront  vautours,  ayant  été  corbeaux. 

À  nous  tout  ce  qui  traîne  !  à  nous  tout  ce  qui  passe  ! 

Sa  Majesté  nous  dit  :  Sergents,  faites  main  basse. 

Elle  nous  livre  en  bloc  le  tas  des  mendiants  ; 

Nous  lui  rendons  des  Cids  et  des  Esplandians. 

Nous  avons  carte  blanche  et  pleins  pouvoirs  pour  faire 

L'armée  horrible  ainsi  que  le  roi  la  préfère  $ 

Nous  enrôlons  des  loups,  des  ours,  des  juifs  de  choix 

Et  de  bons  allemands  qui  pattent  les  pourchois  ; 


228  TOUTE  LA  LYRE. 

Nous  prenons  un  coquin,  faux  boiteux,  faux  aveugle. 

Nous  l'of&ons  gentiment  à  Bellone  qui  beugle. 

Et  plus  tard  il  aura,  rampant  sur  les  pavés, 

La  jambe  de  bois  vraie  et  de  vrais  yeux  crevés. 

Nous  montrons  à  qui  veut  les  voir  nos  tours  fort  drôles. 

Nos  trucs,  nos  fleurs  de  lys,  parfois  sur  nos  épaules. 

Nos  façons  de  tricher  aux  cartes,  nos  galons. 

Nos  plumets,  notre  sabre  et  jamais  nos  talons. 

Nous  régnons;  nous  dressons  nos  fières  silhouettes. 

Étant  tous  très  voleurs  et  même  un  peu  poètes. 

On  nous  suit.  Si  ce  n'est  de  force,  c'est  de  gré. 

Que  c'est  beau,  l'épaulette  et  le  colback  tigré! 

Qui  veut  de  l'or?  Vene2,  manants.  Notre  escarcelle 

S'offre,  brille,  éblouit  le  pauvre,  et  le  harcèle. 

Quand  nous  voyons  passer  des  moines,  nous  louchons 

Du  côté  de  ces  gars  masqués  de  capuchons  ; 

En  fait  de  va-nu-pieds,  nous  préférons  les  carmes  5 

Pour  les  guerres,  les  camps,  les  clairons,  les  vacarmes. 

Les  sacs  et  les  viols,  on  prend  des  assassins 

Et  des  larrons,  à  moins  qu'on  n'ait  des  capucins; 

Les  abbés  défroqués  sont  d'admirables  reîtres 

Et  nos  meilleurs  bandits  sont  faits  avec  des  prêtres. 

Un  casque  sied  au  prêtre  aussi  bien  qu'un  turban. 

Une  pause. 

Beau  sexe,  attention!  Tambours,  battez  un  ban. 
En  péchant  ces  messieurs  les  héros  en  eau  trouble. 
On  sert  Mars  et  Vénus,  et  nous  faisons  coup  double. 
Les  dames,  grâce  à  nous,  ne  manquent  point  d'amants 
Vu  que  nous  fournissons  l'état  de  garnements. 
L'enfant  Amour,  crieur  public,  annonce  et  braille 
Le  départ  pour  Cythère  au  quai  de  la  Ferraille  ; 
Cypris,  étant  déesse  et  toute  nue,  aurait 
Grand  tort  de  ne  point  suivre  Ajax  au  cabaret  ; 
Achille  a  pour  Catau  des  façons  très  civiles. 
Les  grenadiers  —  battez  tambours  !  —  ça  prend  les  villes 
Et  les  mentons  ;  c'est  gai,  féroce  et  tapageur. 


QUAI  DE  LA  FERRAILLE.  229 

Babet  devant  Fanfan  sent  une  humble  rougeur  ; 

Les  belles  ont  le  goût  des  héros,  et  le  mufle 

Hagard  d'un  scélérat  superbe  sous  le  buflle 

Fait  bâiller  tendrement  l'hiatus  des  fichus  ; 

Quand  passe  un  tourbillon  de  drôles  moustachus, 

Fïurlant,  criant,  aflreux,  éclatants,  orgiaques. 

Un  doux  soupir  émeut  les  seins  élégiaques. 

Quels  beaux  hommes  !  housard  ou  pandour,  le  sabreur 

Efïroyable,  traînant  après  lui  tant  d'horreur 

Qu'il  ferait  reculer  presque  la  sombre  Hécate, 

Charme  la  plus  timide  et  la  plus  déUcate. 

Rose,  qui  ne  voudrait  toucher  qu'avec  son  gant 

Un  honnête  homme,  prend  la  griffe  d'un  brigand. 

Et  la  baise  5  telle  est  la  femme.  Elle  décerne 

Avec  emportement  son  âme  à  la  caserne  5 

Elle  garde  aux  bourgeois  son  petit  air  bougon. 

Toujours  la  sensitive  adora  le  dragon. 

Sur  ce,  battez,  tambours  !  Ce  qui  plaît  à  la  bouche 

De  la  blonde  aux  doux  yeux,  c'est  le  baiser  farouche; 

La  femme  se  fait  faire  avec  joie  un  enfant 

Par  l'homme  qui  tua,  sinistre  et  triomphant; 

Et  c'est  la  volupté  de  toutes  ces  colombes 

D'ouvrir  leurs  lits  à  ceux  qui  font  ouvrir  des  tombes. 

31  mars  1870. 


230  TOUTE  LA  LYRE. 


XXII 

COMÉDIES  NON  JOUABLES   QUI  SE  JOUENT   SANS  CESSE. 

I 
LA  MARQUISE   ANTOINETTE. 

Un  salon, 

ANTOINETTE,  marquise  ayant  épousé  un  vieux.  Autrefois  grisette.  Trente  ans. 
ADOLPHE,  bon  état.  Dix-huit  ans. 

ADOLPHE,  à  part. 

Elle  est  seule. 

LA  MARQUISE  ANTOINETTE,  à  part. 

C'est  lui. 

ADOLPHE,  à  part. 

Profitons  du  moment. 

Il  s'arrête  et  l'admire. 

Qu'elle  est  belle  î 

ANTOINETTE,  sans  se  déranger  de  son  attitude. 

Bonjour,  Adolphe. 

A  part. 

Il  est  charmant. 

ADOLPHE,  à  part. 

C'est  l'étoile  Vénus  ! 

Il  salue. 

Madame  la  marquise. . . 

À  part. 

Comme  elle  est  adorable  et  comme  elle  est  exquise 
Avec  son  bras  ainsi  ployé  sous  le  menton! 


COMEDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...      231 

ANTOINETTE. 

Que  dit-on  de  nouveau? 

ADOLPHE. 

L*amiral  Codrington 
Vient  de  battre  les  turcs  à  Navarin. 

ANTOINETTE. 

Adolphe, 
Qu'est-ce  que  c'est  que  ça.  Navarin? 

ADOLPHE. 

C'est  un  golfe. 

ANTOINETTE. 

En  France? 

ADOLPHE. 

Non.  En  Grèce. 

ANTOINETTE. 

Ahl  bien. 

ADOLPHE. 

Au  fond,  Pylos, 
Au  premier  plan,  la  baie  avec  quelques  îlots. 
Voilà  Navarin.  Or. . . 

A  part. 

Quel  regard,  quelle  taille! 

Balbutiant. 

Madame. . . 

ANTOINETTE. 

Nous  parlions,  je  crois,  de  la  bataille... 


■232  TOUTE  LA  LYRE. 

ADOLPHE. 

De  Codrington.  Non  pas.  Navarin! 

A  part. 

Je  suis  fou. 
Je  patauge. 

Haut. 

On  était  dans  les  eaux  de  Corfou  ; 
On  savait  que  les  turcs,  non  sans  quelque  mystère. 
Avaient  quitté  Cythère. . . 

ANTOINETTE. 

Ah  !  qu'est-ce  que  Cythère  ? 

ADOLPHE. 

C'est  une  île.  Cythère,  autrement  Cérigo. 
On  y  peut  cultiver  le  poivre  et  l'indigo. 
Cette  île  sert  aux  turcs  de  poste  et  de  caverne. 
Sinan  Cigale  dit  :  Cythère  est  la  lanterne 
De  l'Archipel. 

ANTOINETTE,  distraite. 

Ainsi  —  l'amiral. . . 

ADOLPHE. 

Codrington. 


Après? 


ANTOINETTE. 


ADOLPHE. 


Le  vingt  octobre,  au  point  du  jour,  dit-on. 
Les  flottes  ont  quitté  le  mouillage  de  Zante. 
La  marine  ottomane  était  molle  et  pesante. 
Le  système  des  turcs  était  de  refuser. . . 


COMÉDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...      233 

ANTOINETTE. 

Un  baiser!  je  crois  bien. 

ADOLPHE. 

Ce  n'est  pas  un  baiser. 
C'est  le  combat. 

ANTOINETTE. 

C'est  vrai.  \^us  disiez?  le  système 


Des  turcs. . . 


ADOLPHE. 


Je  ne  sais  plus  où  j'en  étais. . . 

LE  DIABLE,  dans  le  trou  du  souffleur. 

Je  t'aime  ! 

ADOLPHE. 

Je  t'aime! 

ANTOINETTE,  h.  part. 

Allons  donc! 

Haut. 

Ciel!  monsieur,  que  faites-vous? 
Si  vous  ne  lâchez  pas  sur-le-champ  mes  genoux. 
Ce  que  vous  faites  là,  monsieur,  n'est  pas  honnête! 
Je  vais  sonner,  monsieur! 

LE  DIABLE,  à  part. 

J'ai  cassé  la  sonnette. 

ADOLPHE. 

Je  t'aime  ! 

ANTOINETTE. 

Taisez-vous  ! 

ADOLPHE. 

Je  meurs  d'amour! 

ANTOINETTE. 

Tais-toi  ! 


234  TOUTE  LA  LYRE. 

ADOLPHE. 

Madame,  aye2  pitié!  J'ai  le  cœur  plein  d'effroi! 
Laissez-vous  adorer  ainsi  qu'une  madone  ! 
Si  tu  savais!  je  sens  ma  tête  en  feu.  Pardonne! 
Oh  !  laisse-moi  mourir  à  tes  pieds  ! 

ANTOINETTE. 

Dans  mes  bras  ! 

LE  DIABLE. 

J'ai  cru  que  le  crétin  ne  s'en  tirerait  pas. 
Il  ne  savait  d'abord  pas  un  mot  de  son  rôle. 

On  entend  un  bruit  de  baiser. 
Rêvant  et  riant. 

Sans  nous  le  monde  est  bête,  avec  nous  il  est  drôle. 


II 

IDYLLE. 

Un  bois. 

LISE. 

Puisque  votre  regard  m'apparaît  dans  l'aurore, 

ALBERT, 

Puisqu'en  vos  jeux  je  crois  voir  une  étoile  éclore, 

LISE. 

Puisque  je  veux  rester  et  fuir  quand  je  vous  vois, 

ALBERT. 

Puisqu'une  lyre  est  moins  douce  que  votre  voix, 

LISE. 

Puisqu'à  vos  pieds  les  cœurs  font  des  battements  d'ailes. 


COMÉDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...      235 

ALBERT. 

Puisque  vous  êtes  belle  entre  toutes  les  belles, 

LISE. 

Puisque  l'oiseau  ne  peut  chanter  sans  vous  nommer, 

ALBERT. 

Puisque  je  ne  puis  faire  autrement  que  t'aimer, 

LISE. 

Je  dis  que  l'air  est  frais, 

ALBERT. 

Je  dis  que  l'onde  est  pure, 

LISE. 

Je  vois  un  grand  sourire  au  fond  de  la  nature, 

ALBERT. 

Je  te  prends  et  t'épouse. 


LISE. 

Et  de  toi  je  fais  choix, 

ALBERT. 

Et  je  dis  que  je  veux  m'en  aller  dans  les  bois. 

Moment  de  rêverie. 

Viens. 

LISE. 

Est-ce  pour  jamais  ? 

ALBERT. 

Oui.  Donne  ta  main  blanche. 

Ils  s'enfoncent  dans  la  forêt. 


236  TOUTE  LA  LYRE. 

ÉROS. 

Cœur,  aie  un  seul  amour! 

PAN. 

Arbre,  une  seule  branche? 
C'est  malaisé. 

LE  DIABLE,  dans  l'ombre. 

Léandre  aime  à  cette  heure  Héro. 
Lise  aime  Albert.  La  suite  au  prochain  numéro. 

25  mars  1874. 


III  , 

COCARDE    ET    LOUCHON. 
LOUCHON. 

Paul  est  roux. 

COCARDE. 

Jean  est  laid. 

LOUCHON. 

Paul  me  bat. 

COCARDE. 

Jean  me  rosse. 

LOUCHON. 

Paul,  s'il  n'était  bandit,  serait  bête  féroce. 

COCARDE. 

Tout  l'hiver  Jean  se  grise. 

LOUCHON. 

Et  Paul  boit  tout  l'été. 


COMÉDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...     237 

COCARDE. 

Jean  a  mis  mes  effets  au  mont-de-piété. 

LOUCHON. 

Lorsqu'il  tonne  et  qu'il  pleut  chez  moi,  c'est  Paul  qui  souffle. 

COCARDE. 

Jean  est  un  chenapan. 

LOUCHON. 

Et  Paul  est  un  maroufle. 

COCARDE. 

Je  le  déclare  ici,  ce  drôle  est  mon  vainqueur. 

LOUCHON. 

J'aime  cette  canaille  au  fin  fond  de  mon  cœur. 


IV 

AU    LUXEMBOURG. 
Un  banc.  Deux  astronomes. 

PREMIER    ASTRONOME. 

L'équinoxe  ravage  affreusement  nos  côtes. 

DEUXIÈME    ASTRONOME. 

Le  vent  est  vicieux.  Il  fait  beaucoup  de  fautes. 

PREMIER  ASTRONOME. 

L'homme  se  met  en  route  et  se  trompe  souvent. 

DEUXIÈME  ASTRONOME. 

Notre  vie  est  de  l'eau  conduite  par  du  vent. 


238  TOUTE  LA  LYRE. 

Sur  un  autre  banc.  Des  invalides  caiisent. 
UN  INVALIDE. 

Tout  est  en  feu. 

UN  AUTRE. 

Depuis  Berlin  jusqu'en  Sicile  ! 

UN  AUTRE. 

Faire  rentrer  Bellone  en  cage  est  difficile. 

UN  AUTRE. 

Il  faut  faire  la  paix  avec  cet  animal 
De  roi  de  Prusse. 

UN  AUTRE. 

A  bas  la  guerre  ! 

UN  AUTRE. 

Tout  va  mal. 

UN   AUTRE. 

L'empereur  ne  sait  plus  où  donner  de  la  tête. 

UN  RÊVEUR,  passant. 

Les  rois  lâchent  la  guerre  et  c'est  Dieu  qui  l'arrête. 

Sur  un  autre  banc.  Deux  étudiants. 

LE  PREMIER  ÉTUDIANT. 

Que  lis-tu?  Cujas? 

LE  DEUXIÈME. 

Non.  Je  lis  Dante  et  Lucain. 
Mon  père  est  royaliste  et  moi  républicain. 
C'est  sa  faute.  Il  m'envoie  à  Paris.  Je  m'y  forme. 
J'y  grandis.  Je  m'emplis  de  la  lumière  énorme, 
Et  j'étais  paysan  et  je  suis  citoyen. 


COMEDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...     239 

Sur  un  autre  banc.  Deux  prêtres. 

L'ABBÉ   CARON. 

Fils,  le  but,  c'est  l'église,  et  Dieu  c'est  le  moyen; 
Cela  n'empêche  pas  Dieu  d'être  Dieu;  mais,  prêtres. 
Nous  sommes  serviteurs  avant  d'être  les  maîtres; 
Le  prêtre  est  roi,  depuis  Moïse  et  Salomon; 
Ce  qu'on  nomme  l'esprit  humain,  c'est  le  démon; 
La  raison  est  un  mot  que  le  dogme  rature; 
Et  c'est  pourquoi  souvent,  corrigeant  la  nature. 
Ce  que  le  ciel  permet,  le  prêtre  le  défend; 
Quand  on  entend  parler  le  diable  dans  l'enfant. 
Il  faut  sévir,  il  faut  lui  dire  de  se  taire. 

L'ABBÉ  DE   LAMENNAIS. 

Et  c'est  ainsi  qu'étant  Porée,  on  fait  \bltaire. 

Sur  un  autre  banc. 

UN  VIEILLARD. 

Vous  donnez  une  charte  au  peuple,  qui  se  perd. 

Pour  qu'il  soit  sage.  Eh  bien,  c'est  terrible,  il  s'en  sert... 

UN  AUTRE  VIEILLARD. 

Pour  être  libre. 

Sous  les  arbres. 

UNE  JEUNE  FILLE. 

Non! 

UN  JEUNE  H02MME. 

Que  le  sein  soit  de  marbre. 
C'est  bien,  mais  pas  le  cœur. 

LA  JEUNE  FILLE. 

Laisse2-moi  ! 

LE  JEUNE  HOMME. 

Sous  un  arbre 
On  s'embrasse. 


240  TOUTE  LA  LYRE. 


LA  JEUNE  FILLE. 

Embrassez.  —  Mais  pas  comme  cela. 


LE  JEUNE  HOMME. 


LA  JEUNE  FILLE. 


Si! 

Non! 


Dans  une  allée. 

UN  ENFANT,  à  une  boule  qu'il  fait  rouler. 

Je  ne  veux  pas  que  vous  alliez  par  là  ! 

2j  juin  1876. 

V 

LE   MENDIANT. 

Devant  la  vitre  éclairée  de  la  chambre  oîi  un  jeune  homme  s'habille 
pour  le  bal  masqué. 

Fort  bien.  Habillez-vous.  —  Tiens,  c'est  le  mardi  gras! 

Rions.  Ne  soyons  point  à  la  jeunesse  ingrats. 

Il  faut  se  divertir  et  que  le  temps  se  passe. 

Vous  avez  su  tirer  d'un  vieil  oncle  rapace 

Vingt  écusj  vous  allez  les  boire  en  une  nuit. 

Habillez-vous,  jeune  homme!  à  grands  cris,  à  grand  bruit! 

Sonnez  tous  vos  laquais  et  vos  valets  de  chambre  ! 

—  Bourguignon,  mon  pourpoint!  Picard,  ma  boîte  d'ambre! 

Chaussez-moi  I  rasez-moi  !  peignez-moi  !  —  C'est  cela. 

Que  vous  êtes  galant  sous  l'habit  que  voilà  ! 

Cambrez  la  taille  un  peu.  Mettez-vous  une  mouche. 

Comme  fait  Jeanneton,  sur  le  coin  de  la  bouche. 

Le  flot  de  rubans.  —  Bien.  —  Et  l'air  impertinent. 

Cela  sied.  —  Le  manteau,  les  gants,  et  maintenant 

L'épée  avec  sa  pomme  à  mettre  des  pistaches.  — 

Que  de  cœurs  suspendus  au  croc  de  vos  moustaches  ! 


COMEDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...      241 

Que  de  femmes  vont  dire  :  Adorable  seigneur  ! 

Vous  avez  tout,  jeunesse,  et  richesse,  et  bonheur; 

Tout  est  pour  vous,  bosquets  fleuris,  tendres  trophées. 

C'est  bien.  On  vous  dirait  habillé  par  les  fées. 

Et  vous  êtes  toujours  au  bal  un  des  premiers. 

Riez.  —  Un  jour  les  ans  viendront,  lourds  costumiers; 

Maladie  et  vieillesse,  habilleuses  sinistres. 

Éteindront  vos  regards  sous  d'af&eux  cercles  bistres, 

\^us  ôteront  la  grâce,  et  vous  mettront,  ô  deuil! 

Un  dôme  sur  le  dos,  une  loupe  sur  l'œil. 

Une  bouche  sans  dents  qui  dira  :  soyons  sage  ! 

Un  gros  nez,  un  gros  ventre,  et  sur  ce  frais  visage. 

Doux,  superbe,  adoré  de  toutes  nos  houris. 

Un  vieux  masque  obstrué  d'un  buisson  de  poils  gris. 

Alors,  désespéré,  tordant  vos  mains  fiévreuses. 

Fuyant  les  miroirs  pleins  de  visions  affreuses. 

Aussi  lugubre  à  voir  que  vous  étiez  charmant. 

Sans  pouvoir  arracher  votre  déguisement. 

Domino  ridicule  et  chassé  des  quadrilles, 

\^yant  les  beaux  garçons  sourire  aux  belles  filles. 

Vous  irez,  trouble-fête,  errer  au  milieu  d'eux. 

Jusqu'à  ce  que  ce  spectre,  autre  masque  hideux. 

Sans  nez,  sans  yeux,  montrant  toutes  ses  dents  sans  rire. 

Qui  vient  nous  chercher  tous  et  par  le  bras  nous  tire. 

Vous  jette  un  soir,  d'un  coup  de  sa  fourche  de  fer. 

Dans  ce  noir  carnaval  qu'on  appelle  l'enfer  ! 


VI 

Elle,  c'est  le  printemps;  pluie  et  soleil;  je  l'aime; 
Je  m'y  suis  fait. 

Un  jour,  elle  me  dit  : 

—  Quand  même 
On  est  tout  seul,  les  bois  sont  doux.  Les  belles  eaux  ! 

POÉSIE.    —    XUI.  16 

nrmiiuui  hitioiâu. 


242  TOUTE  LA  LYRE. 

La  campagne  me  plaît  à  cause  des  oiseaux. 
Écoutons-les  chanter.  — 

Moi,  l'âme  épanouie,  ' 

J'écoutais. 

—  Les  oiseaux,  dit-elle,  ça  m'ennuie. 
Jouons. 

—  Aux  cartes? 

■ —  Non. 

—  A  quoi? 

—  Je  hais  le  jeu. 
Causons.  Le  jaune  est  laid,  je  préfère  le  bleu. 

—  Je  suis  de  ton  avis. 

—  Toujours  dans  les  extrêmes  ! 

—  Le  bleu,  dis-je,  c'est  beau. 

—  Pourquoi? 

—  D'abord,  tu  l'aimes. 
Ensuite,  c'est  le  ciel. 

Mais  le  jaune,  c'est  l'or. 

—  Va  pour  le  jaune. 

—  Il  est  de  mon  avis  encor  ! 
C'est  assommant  ! 

—  Faisons  la  paix. 

—  Je  te  pardonne. 
Un  autre  jour  : 

—  Ami,  viens,  je  me  sens  très  bonne. 
Le  temps  est  beau,  sortons  à  pied.  — 

Comme  j'ofirais 
Mon  landau  : 

—  Non,  dit-elle,  il  faut,  par  ce  vent  frais. 
Marcher,  rôder,  courir  au  bois  à  l'aventure.  — 


COMÉDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...      243 
On  s'habille,  on  descend. 

—  Où  donc  est  la  voiture? 

—  Mais  tu  voulais  sortir  à  pied. 

—  A  pied,  jamais! 
Marcher  par  ce  vent  froid  !  fi  donc  !  — 

Je  me  soumets. 

On  attelle. 

—  Voici  le  landau. 

—  Pourquoi  faire? 

—  Mais,  pour  sortir. 

—  Tords-moi  le  cou,  je  le  préfère. 
Ah  çà  !  tu  veux  sortir  par  cet  horrible  temps  !  — • 

Un  autre  jour  : 

—  Nos  cœurs,  dit-elle,  sont  contents. 
Ami,  j'ignore  tout,  mais  je  suis  ta  servante. 
Puisque  je  sais  aimer,  je  suis  assez  savante. 
Je  t  adore.  Mon  dieu,  c'est  toi.  — 

Le  lendemain. 
Un  grand  soufflet  sortit  de  sa  petite  main. 
Et  tomba  sur  ma  joue. 

—  Hé!  dis-je. 

—  Bagatelle  ! 
Viens  m'embrasser.  Comment  me  trouves-tu  ?  dit-elle. 

—  Charmante!  — 

Et  c'est  ainsi  que  je  m'accoutumai 
Aux  inégalités  d'humeur  du  mois  de  mai. 

24  juillet  186... 


16. 


244  TOUTE  LA  LYRE. 


VII 
IDYLLE  DE  LA  RUE  N.-D.  DE  LORETTE. 

—  Six  amants!  —  Cela  fait  crier? 

—  A  la  fois?  —  Pourquoi  pas?  —  Coquette, 
Pourquoi  Psaphon?  —  C'est  un  poëte. 

—  Pourquoi  Dimas?  —  C'est  un  banquier. 

—  Et  Grib,  l'affreux  casse-noisette 
Plus  noirci  que  son  encrier? 

—  Diable  !  il  écrit  dans  la  gazette. 

—  Pourquoi  Senex,  le  maltôtier? 

—  Avoir  un  vieux,  c'est  mon  système. 

—  Et  Mars  ?  —  C'est  un  beau  grenadier. 

—  Et  moi,  madame?  —  Ah!  toi!  je  t'aime. 

Avril  1849. 


VIII 

(Une  rue,  la  nuit.) 
MILLION. 

"V^is-je  point  là  dans  l'ombre  un  homme  titubant? 

CROQUEFER. 

Quel  est  ce  gredin  triste  accroupi  sur  un  banc? 

MILLION. 

Qui  vive? 

CROQUEFER. 

Qui  va  là,  sans  lanterne,  à  la  brune? 


COMÉDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...     245 

MILLION. 

Empereur  de  la  Chine. 

CROQUEFER. 

Empereur  de  la  lune  ! 

Ils  se  reconnaissent. 
MILLION. 

C'est  toi,  drôle? 

CROQUEFER. 

C'est  toi,  canaille!  —  touche  là. 

Ils  se  serrent  la  main. 
MILLION. 

Que  viens-tu  faire  ici? 

CROQUEFER. 

J'allais  comme  cela 
Devant  moi,  trébuchant  dans  l'obscurité  grande. 
Dieu  !  quelle  sombre  nuit  !  Cartouche  avec  sa  bande 
A  passé  par  ici.  N'ayant  pas,  le  coquin. 
Trouvé  de  pauvre  diable  à  qui  prendre  un  sequin. 
Ayant  aux  carrefours  en  vain  tendu  ses  toiles. 
Il  a  pillé  le  ciel  et  volé  les  étoiles. 
—  Toi,  que  faisais-tu  là? 

MILLION. 

Je  rêvais. 

CROQUEFER. 

O  vertus  ! 
Sais- tu,  mortel  rêveur,  que  nous  sommes  vêtus 
Comme  d'af&eux  laquais  payés  à  coups  de  gaules. 
Et  qu'on  voit  des  haillons  flotter  sur  nos  épaules? 


246  TOUTE  LA  LYRE. 

MILLION. 

Vicomte,  je  le  sais. 

CROQUEFER. 

Tu  le  sais,  et  c'est  tout  ! 
Et  rien  dans  ton  cen^eau  ne  s'indigne  et  ne  bout  ! 
O  vrai  sage  !  ô  poëte  !  ô  le  plus  grand  des  hommes  ! 
Gueux,  et  —  tout  bonnement  —  rêveur! 

MILLION. 

Mon  cher,  nous  sommes 
Riches.  Oui,  nous  avons  le  ciel  bleu,  le  grand  air, 
La  forêt  où  l'oiseau  chante,  et,  par  Jupiter! 
La  fierté  qu'on  éprouve  à  marcher  dans  les  plaines 
Librement!  —  Nous  avons  l'été,  les  nuits  sereines, 
La  lune  se  mirant  dans  le  fleuve  argenté. . . 

CROQUEFER. 

J'aimerais  mieux  dix  sous. 

MILLION. 

Tu  n'es  pas  dégoûté  ! 


IX 

SUSURRANT  VOCES. 
LA  CHEMINÉE. 

Du  bois  !  j'ai  fi-oid. 

LA  VITRE. 

Je  gèle,  et  la  bise  est  bourrue. 

UN  COMMANDEMENT  D'HUISSIER. 

Songe  à  la  providence  ! 


COMÉDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...     247 

LA  MONTRE. 

Elle  demeure  rue 
Paradis,  au  Marais,  et  se  nomme... 

UN  VIEUX   CLOU  ROUILLÉ  DANS  LA  CLOISON. 

Le  clou. 

UN  VOLUME  D'ANDRÉ  CHÉNIER  OUVERT  SUR  LA  TABLE. 

Voix  du  ciel,  bruits  divins,  chantez! 

LISETTE,  frappant  à  la  porte. 

Pan!  pan! 


Chut! 

Je  bâille. 


UNE  BOUTEILLE. 


LE  BONHEUR. 


LA  PORTE. 


LE   COFFRE. 


Glou  glou. 


Je  ris. 

LE  TROU  DE  LA  SERRURE. 

Je  regarde. 

LE  MUR. 

J'écoute. 

LE   LIT. 


Je  m'appelle  l'amour. 


L'OREILLER. 

Je  m'appelle  le  doute. 


LA  CHANDELLE. 

Le  soleil  a  beaucoup  de  taches. 


248  TOUTE  LA  LYRE. 

LA  TRANCHE  DE  JAMBON. 

Le  laurier 
Fut  créé  pour  le  porc. 

LA  TABLE. 

Je  porte  l'encrier. 
Ce  nid  tout  noir  d'où  sort  l'idée  aux  ailes  blanches. 

LE  PUPITRE. 

Le  trône  et  le  cercueil  sont  faits  de  quatre  planches. 

UN  TOME  DÉPAREILLÉ  DE  BOSSUET. 

Disparaissez,  Vishnou,  Bel,  Jupiter,  Mithra! 
Saint-Pierre  seul  gouverne  et  règne. . . 

LA  PANTOUFLE. 

Et  caetera. 
Gloire  au  pied  nu  d'Anna! 

LA  SAVATE. 

Le  pied  se  change  en  patte. 

UN  BUSTE  SUR  LA  CHEMINÉE. 

Tout  commence  à  pantoufle  et  finit  à  savate. 

9  décembre  1853. 

SYLVIA 

On  prétend,  Sylvio,  que  toujours  je  vous  aime. 

SYLVIO. 

On  conte,  Sjlvia,  que  partout  je  vous  suis. 

(')  Inédit. 


COMÉDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...    249 


SYLVIA. 

Je  vous  donne  mes  jours  ! 


SYLVIO. 

A 


G  ma  beauté  suprême  ! 
Gardez  les  jours,  donnez  les  nuits! 


XI 


ANDRÉ. 

Je  te  jure  un  amour  éternel  ! 

LISE,  souriant. 

Calme-toi  ! 
Parlons  net.  Et  soyons  fripons  de  bonne  foi. 

ANDRÉ. 

Lise  ! 

LISE,  caressante. 

Dispense-toi,  cher  amant,  de  poursuivre. 
André,  pour  de  l'or  faux  je  donne  du  vrai  cuivre  ; 
Des  serments  d'un  menteur  mon  cœur  est  peu  friand; 
Je  suis  franchement  fourbe,  et  je  paye  en  riant 
Tes  écoute-s'il-pleut,  d'un  va-t'en-voir-s'ils-viennent. 
Fous  qui  font  des  serments  et  niais  qui  les  tiennent  ! 
Tu  me  feras  des  traits  et  je  te  les  rendrai. 
André  brûle  pour  Lise  et  Lise  adore  André, 
Mais  Lise  berne  André  comme  André  trompe  Lise. 
Amour  est  notre  autel.  Caprice  est  notre  église; 
Gn  se  suit  aujourd'hui  pour  se  quitter  demain  ; 
D'ailleurs,  être  autrement,  c'est  n'avoir  rien  d'humain; 
La  passion  finit  par  une  pirouette  ; 
Homme  veut  dire  vent  et  femme  girouette. 


250  TOUTE  LA  LYRE. 

Aimons-nous,  puisque  c'est  la  meilleure  façon 
D'unir  ta  perfidie  avec  ma  trahison, 
Mais  ne  nous  gênons  point  et  ne  soyons  point  dupes. 
Pas  de  glu  sur  ta  plume  et  de  plomb  à  mes  jupes. 
André,  soyons  heureux  ;  de  plus  soyons  joyeux. 
Quel  bête  de  bandeau  l'Amour  a  sur  les  yeux! 
Otons-le-lui,  veux-tu?  Voyons  clair  dans  nos  âmes. 
Il  faut  pour  faire  un  feu  toutes  sortes  de  flammes. 
Et  pour  faire  un  destin  toutes  sortes  d'amours. 
Les  cœurs  toujours  constants  sont  aveugles  et  sourds. 
L'œil  qui  n'a  plus  d'éclair,  l'esprit  qui  n'a  plus  d'aile. 
Meurt,  et  c'est  être  infirme  enfin  qu'être  fidèle. 
Gaîment  on  se  retrouve  après  qu'on  se  perdit. 
Hein?  Soyons  bonne  femme  et  bon  homme.  Est-ce  dit? 
La  douce  main  d'amour  n'est  point  une  tenaille. 
Aimons-nous.  Trompons-nous. 

ANDRÉ. 

J'y  consens. 

LISE,  furieuse. 

Ah!  canaille! 


XII 

ENTRE   LE   ZIST   ET   LE   ZEST 

LE  MARQUIS  GRUCCIA.   —    BARACCA,  jolie  femme  (2ist). 
Strubble  (Zest). 

BARACCA. 

Qu'est  Strubble? 

GRUCCIA. 

Mon  ami. 

BARACCA. 

Moi,  je  suis  ton  amante. 


COMEDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...      251 


GRUCCIA. 

Parbleu 

BARACCA. 

Strubble  est  laid. 

GRUCCIA. 

Cette! 

BARACCA. 

Et  moi  je  suis. . 

■' 

GRUCCIA ,  avec  un  baiser. 

Charmante  ! 

BARACCA. 

Strubble  est  chauve,  et  moi  j'ai  des  cheveux. 

Elle  laisse  tomber  sa  chevelure  blonde  sur  ses  épaules  nues. 
GRUCCIA. 

Apollo 
N'est  pas  plus  coiffé  d'or  alors  qu'il  sort  de  l'eau. 
Tes  cheveux  sur  ton  front  sont  comme  un  flot  d'aurore. 

BARACCA. 

Il  ressemble  à  Midas. 

GRUCCIA. 

Tu  ressembles  à  Flore. 


BARACCA. 

A 


Il  est  bete. 

GRUCCIA. 

A  peu  près. 


BARACCA. 

J'ai  de  l'esprit. 

GRUCCIA. 

Tout  plein. 


252  TOUTE  LA  LYRE. 


BARACCA. 

Il  a  le  ton  sec. 

GRUCCIA. 

Dur. 

BARACCA. 

J'ai  le  parler. . 

• 

GRUCCIA. 

Câlin. 

BARACCA. 

Son  odeur! 

GRUCCIA. 

On  le  flaire,  et,  toi,  l'on  te  devine. 

Galamment. 

Ainsi,  quand  Vénus  marche,  elle  apparaît  divine. 

BARACCA. 

Il  est  mal  fait. 

GRUCCIA. 

Bossu. 

BARACCA. 

Triste  ! . . . 

Elle  rit. 


Et  vois  ma  gaite  ! 


GRUCCIA. 

Il  se  nomme  laideur,  tu  t'appelles  beauté. 


BARACCA. 


C'est  un  homme  épineux,  piquant,  pointu,  morose. 
Désagréable.  Il  est  le  chardon  ! 


GRUCCIA. 

Toi  la  rose. 


COMEDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT...       253 

BARACCA. 

M'aimes-tu? 

GRUCCIA. 

Je  t'adore. 

BARACCA. 

Eh  bien,  rien  à  demi. 
Choisis  de  ta  maîtresse  ou  bien  de  ton  ami. 
Strubble  ou  moi.  L'un  des  deux  est  de  trop.  Et  c'est  l'heure 
Qu'il  faut  que  l'un  s'en  aille  et  que  l'autre  demeure. 
Entre  la  belle  fille  et  l'affreux  vieux  garçon. 
Décide.  Strubble  ou  moi  quitterons  la  maison. 
Choisis.  Moi  d'un  côté,  de  l'autre  cette  brute. 

GRUCCIA. 

Mais  je  n'hésite  pas,  mon  ange,  une  minute. 
Je  te  flanque  à  la  porte. 

Baracca  se  lève  indignée  et  sort  sans  le  regarder. 
Il  reste  seul. 


254  TOUTE  LA  LYRE. 


XXIII 
CHANSONS. 

I 

J'adore  Sujette, 
Mais  j'aime  Suzon. 
Sujette  en  toilette, 
Su2on  sans  façon. 
Ah  I  Su2on,  Sujette  ! 
Suzette,  Suzon  ! 

Rimons  pour  Sujette, 
Rimons  pour  Suzon, 
L'une  est  ma  musette, 
L'autre  est  ma  chanson. 
Ah  !  Suzon,  Suzette  ! 
Suzette,  Suzon! 

La  main  de  Suzette, 
La  jambe  à  Suzon, 
Quelle  main  bien  faite  ! 
Quel  petit  chausson  ! 
Ah!  Suzon,  Suzette! 
Suzette,  Suzon  ! 

Je  rêve  à  Suzette, 
J'embrasse  Suzon, 
L'une  est  bien  coquette. 
L'autre  est  bon  garçon. 
Ah  !  Suzon,  Suzette  ! 
Suzette,  Suzon! 


CHANSONS.  255 


Tapis  pour  Sujette, 
Jardin  pour  Su2on, 
Foin  de  la  moquette. 
Vive  le  ga2on  ! 
Ah  !  Su2on,  Sujette  ! 
Sujette,  Su2on  ! 

Au  bal  va  Sujette, 
Au  bois  va  Su2on, 
J'épie  et  je  guette 
L'ombre  et  le  buisson. 
Ah  !  Suzon,  Sujette  ! 
Sujette,  Su2on  ! 

Jaloux  de  Suzette  ! 
Jaloux  de  Suzon  ! 
La  bergeronnette 
Fait  damner  l'oison. 
Ah!  Suzon,  Suzette! 
Suzette,  Suzon  ! 

Si  jamais  Suzette 
Rit  comme  Suzon, 
Au  diable  je  jette 
Toute  ma  raison. 
Ah  !  Suzon,  Suzette  ! 
Suzette,  Suzon  ! 

Si  comme  Suzette 
Souriait  Suzon, 
Cette  humble  amourette 
Serait  mon  poison. 
Ah  !  Suzon,  Suzette  ! 
Suzette,  Suzon  ! 


256  TOUTE  LA  LYRE. 


S'il  faut  fuir  Sujette 
Ou  quitter  Su2on, 
Et  que  je  n'en  mette 
Qu'une  en  ma  maison. 
Ah!  Su2on,  Sujette! 
Sujette,  Su2on  ! 

Je  quitte  Suzette, 
Je  garde  Suzon, 
L'une  me  rend  bête. 
L'autre  me  rend  bon. 
Ah  !  Su2on,  Sujette  ! 
Sujette,  Suzon  ! 


II 


Il  était  une  fois 
Un  jardin,  et  j'y  vis  madame  Rosemonde; 
L'air  était  plein  d'oiseaux  les  plus  charmants  du  monde  5 

Quelle  ombre  dans  les  bois  ! 

Il  était  une  fois 
Une  source,  et  j'y  vins  boire  avec  Rosemonde  5 
Des  naïades  passaient,  et  je  voyais  sous  l'onde 

Des  perles  à  leurs  doigts. 

Il  était  une  fois 
Un  baiser,  qu'en  tremblant  je  pris  à  Rosemonde. 
—  Tiens,  regarde,  ils  sont  deux,  dit  une  nymphe  blonde. 

—  Non,  dit  l'autre,  ils  sont  trois. 


CHANSONS.  ^-f 


Il  était  une  fois 
Une  fleur,  qui  sortit  du  cœur  de  Rosemonde  j 
C'est  mon  âme.  Et  je  brûle,  et  dans  la  nuit  profonde 

J'entends  chanter  des  voix. 

Schicdam,  3  août  18  61. 


('>  Inédit. 

POESIE. 


III(') 

Je  suis  Jean  qui  guette. 
Chanteur  et  siffleur. 
Qui  serait  poëte 
S'il  n'était  voleur. 

Et  qui  serait  morne 
S'il  ne  trouvait  pas 
Au  coin  de  la  borne 
Ses  quatre  repas. 

J'ai  la  mine  haute 
Et  le  ne^  en  fleur 
De  la  Pentecôte 
A  la  Chandeleur. 

Je  rôde,  je  marche; 
J'ai  pour  toit  le  ciel. 
Pour  alcôve  une  arche 
Du  pont  Saint-Michel. 


IMPMHEUE    IIITIOHALE. 


2)8  TOUTE  LA  LYRE. 


Ah  !  c'est  toi,  vieux  singe  ! 
Disent  les  cathos 
Qui  battent  leur  linge 
Au  bord  des  bateaux, 

Drôlesses  ingambes. 
Et  que  j'aime  à  voir 
Se  laver  les  jambes 
En  chantant  le  soir. 

J'ai  près  d'une  belle 
Respect  et  bon  ton  j 
Je  lui  dis  mamselle  j 
Ça  flatte  Goton . 

Quand  j'ai  d'aventure 
Fait  quelque  bon  coup. 
J'en  mène  en  voiture 
Quelqu'une  à  Saint-Cloud. 

J'invite  à  ma  table. 
Pour  un  fin  soupe, 
La  plus  respectable. 
Une  firanche  p. 

Les  sergents  de  ville. 
Valets  du  plus  fort. 
Ont  l'âme  si  vile 
Qu'ils  me  font  du  tort. 

Sous  la  raison  basse 
Que  j'ai  pris  parfois 
Leur  bourse  qui  passe 
A  d'affreux  bourgeois. 


CHANSONS.  259 


On  vient,  on  saccage 
Mon  lit  de  roseau. 
On  me  met  en  cage 
Comme  un  pauvre  oiseau. 

J'échappe,  et  m'en  tire  ; 
Mais  c'est  ennuyeux. 
Pour  moi  qui  respire 
Tout  le  vent  des  cieux  ! 

Cela  me  dérange. 
Des  fois  j'ai  logé 
Sous  le  pont-au-change  -, 
J'ai  déménagé. 

J'ai  plus  d'une  issue. 
Ma  vie  est  ainsi 
Toute  décousue. 
Ma  culotte  aussi. 

Ah  !  les  temps  sont  rudes  ! 
Souvent  on  a  faim. 
Les  filles  sont  prudes, 
La  jeunesse  enfin 

N'a  plus,  que  c'est  bête  ! 
Le  moindre  oripeau. 
Ni  joie  en  la  tête. 
Ni  plume  au  chapeau. 

Je  suis,  pour  tout  dire. 
Un  garçon  railleur. 
Moins  mauvais  qu'un  pire. 
Moins  bon  qu'un  meilleur. 


26o  TOUTE  LA  LYRE. 


Je  ris  comme  un  coflFre, 
Je  bois  comme  un  trou. 
O  Satan  !  je  m  of&e 
A  toi  pour  un  sou  ! 

11  avril  1847. 


IV 

L'oiseau  passe 
Dans  l'espace 
Où  l'amour  vient  l'enflammer  ; 
Si  les  roses 
Sont  des  choses 
Faites  exprès  pour  charmer. 
Le  ciel  est  fait  pour  aimer. 

L'oiseau  vole. 

Et  console 
Le  désert  et  la  maison. 

Et  les  plaines 

Et  les  chênes 
Ecoutent,  quand  sa  chanson 
\^  de  buisson  en  buisson. 

Hymne  et  flamme. 

Il  est  l'âme 
Du  bois,  du  pré,  de  l'étang. 

Des  charmilles. 

Et  des  filles 
Que  dès  l'aurore  on  entend 
Ouvrir  leur  porte  en  chantant. 

5  septembre  18  61,  Guernesey. 


CHANSONS.  261 


CANCION. 

J'avais  une  bague,  une  bague  d'or 
Et  je  l'ai  perdue  hier  dans  la  ville  5 
Je  suis  pandériste  et  toréador. 
Guitare  à  Grenade,  épée  à  Séville. 

Mon  anneau  luit  plus  que  l'astre  vermeil  ; 
Le  diable,  caché  dans  l'œil  de  ma  brune. 
Pourrait  seul  produire  un  bijou  pareil 
S'il  faisait  un  jour  un  trou  dans  la  lune. 

Si  vous  retrouvez  l'anneau  n'importe  où, 
Rapporte2-le-moi.  C'est  Gil  qu'on  me  nomme. 
Certes,  je  vaux  peu  5  je  ne  suis  qu'un  sou. 
Mais  près  d'un  liard  je  suis  gentilhomme. 

Je  n'ai  que  mon  chant  comme  le  moineau. 
Rende2-moi  ma  bague,  et  que  Dieu  vous  paie! 
\bus  connaissez  Jeanne?  Eh  bien,  cet  anneau. 
C'est,  avec  son  cœur,  le  seul  or  que  j'aie. 

20  décembre  1854. 


VI 
CHANSON   DE   MAGLIA. 

Vous  êtes  bien  belle  et  je  suis  bien  laid. 
A  vous  la  splendeur  de  rayons  baignée  5 
A  moi  la  poussière,  à  moi  l'araignée. 
Vous  êtes  bien  belle  et  je  suis  bien  laid  -, 
Soyez  la  fenêtre  et  moi  le  volet. 


262  TOUTE  LA  LYRE. 

Nous  réglerons  tout  dans  notre  réduit. 

Je  protégerai  ta  vitre  qui  tremble  5 

Nous  serons  heureux,  nous  serons  ensemble; 

Nous  réglerons  tout  dans  notre  réduit  j 

Tu  feras  le  jour,  je  ferai  la  nuit. 


VII 

CHANSON   EN    CANOT. 

Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 
Et  vivent  les  femmes  bien  faites, 
La  Seine  et  les  grandes  chaleurs  ! 

Je  m'amuse  et  je  me  promène. 
Amis,  ayons  congé!  Versons 
Le  dimanche  sur  la  semaine. 
Et  sur  tous  les  jours  des  chansons. 
Les  bois  sont  pleins  de  pâquerettes. 
De  geais  et  de  merles  siffleurs.  — 
Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 

Vacances  sans  trêve  !  Est-il  sage 
De  s'ennuyer  six  jours  sur  sept? 
Victoire  m'attend  au  passage 
Avec  une  fleur  au  corset. 
Donc,  amis.  Victoire  et  conquêtes  ! 
Les  hommes  joyeux  sont  meilleurs. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes, 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 

Le  bon  Dieu  n'ôte  pas  leurs  ailes 
Aux  papillons  passé  midi  ; 


CHANSONS.  263 

Les  roses  sont  tout  aussi  belles 
Le  mercredi  que  le  jeudi. 
Et  les  dimanches  et  les  fêtes 
N'ajoutent  rien  à  leurs  couleurs.  — 
Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 

A 

O  prêtre,  en  quelle  erreur  tu  tombes  ! 
Est-ce  qu'on  voit,  à  certains  jours, 
Cypris  dételer  ses  colombes 
Du  char  stupéfait  de  l'amour  ? 
Les  nids  sont-ils  dans  leurs  retraites 
Moins  tendres  et  moins  querelleurs  ?  — 
Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 

Papas  et  maris,  vieux  bonshommes. 
Je  ne  m'occupe  pas  de  vous  ; 
Donc  ne  venez  point  où  nous  sommes 
Troubler  la  fête  des  yeux  doux. 
Je  ne  veux  savoir  où  vous  êtes 
Qu  afin  de  tâcher  d'être  ailleurs.  — 
Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 

Marthe,  il  faut  qu'on  s'enrégimente 
Dans  le  régiment  de  Vénus, 
Et  que  chacun  ait  une  amante. 
Et  je  veux  baiser  tes  pieds  nus. 
Ça,  mesdames,  êtes-vous  prêtes? 
Les  amours  sont  les  racoleurs.  — 
Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 

Marthe  apparaît  à  sa  lucarne. 
Lise  m'appelle  et  me  répond. 
Choisissez  :  la  Seine,  ou  la  Marne? 
Asnière,  ou  Joinville-le-Pont  ? 


264  TOUTE  LA  LYRE. 

Partons,  l'aurore  est  sur  nos  têtes, 
Gais  bateliers,  gais  bateleurs  !  — 
Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 

Parfois,  en  rêve,  je  me  sauve 
\fers  l'océan  bouleversé. 
Trop  étroit  pour  ma  chanson  fauve. 
Chantant  son  refrain  insensé  ! 
Mais  Lise,  à  travers  les  tempêtes. 
Me  fait  des  pieds  de  nez  railleurs.  — 
Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 

Marthe  et  Lise,  amis,  sont  gentilles. 
Embrassons-les  à  tout  moment. 
Prendre  un  baiser  aux  belles  filles. 
C'est  les  traiter  honnêtement. 
Il  sied  d'être  toujours  honnêtes. 
Donc  il  faut  être  un  peu  voleurs.  — 
Les  gueules  de  loup  sont  des  bêtes. 
Les  gueules  de  loup  sont  des  fleurs. 

27  septembre  1862. 


VIII 
LA   CHANSON  DU  SPECTRE. 

Qui  donc  êtes-vous,  la  belle? 
Comment  vous  appelez-vous  ? 
Une  vierge  était  chez  nous  ; 
Ses  yeux  étaient  ses  bijoux. 
Je  suis  la  vierge,  dit-elle. 
Cueillez  la  branche  de  houx. 


CHANSONS.  265 

Vous  êtes  en  blanc,  la  belle; 
Comment  vous  appelez-vous  ? 
En  gardant  les  grands  bœufs  roux, 
Claude  lui  fit  les  yeux  doux. 
Je  suis  la  fille,  dit-elle. 
Cueillez  la  branche  de  houx. 

Vous  portez  des  fleurs,  la  belle  ; 
Comment  vous  appelez- vous  ? 
Les  vents  et  les  cœurs  sont  fous. 
Un  baiser  les  fit  époux. 
Je  suis  Tamante,  dit-elle. 
Cueillez  la  branche  de  houx. 

Vdus  avez  pleuré,  la  belle  ; 
Comment  vous  appelez-vous  ? 
Elle  eut  un  fils,  prions  tous. 
Dieu  le  prit  sur  ses  genoux. 
Je  suis  la  mère,  dit-elle. 
Cueillez  la  branche  de  houx. 

Vous  êtes  pâle,  la  belle; 
Comment  vous  appelez-vous? 
Elle  s'enfuit  dans  les  trous. 
Sinistre,  avec  les  hiboux. 
Je  suis  la  folle,  dit-elle. 
Cueillez  la  branche  de  houx. 

Vous  avez  bien  froid,  la  belle  ; 
Comment  vous  appelez-vous  ? 
Les  amours  et  les  yeux  doux 
De  nos  cercueils  sont  les  clous. 
Je  suis  la  morte,  dit-elle. 
Cueillez  la  branche  de  houx. 


13  avril  1855. 


266  TOUTE  LA  LYRE. 


IX 

MARGOT. 

Je  signais  d*un  grand  paraphe 
Un  billet  doux  bien  écrit  ; 
J'avais  toute  l'orthographe, 
Margot  avait  tout  l'esprit. 

Sa  bouche,  où  quelque  ironie 
Avait  l'air  de  dire  :  osez. 
Était  la  Californie 
Des  rires  et  des  baisers. 

Que  je  fusse  un  imbécile. 
C'était  probable  5  et  pourtant 
La  belle  trouvait  facile 
De  m'adorer  en  chantant, 

Jusqu'au  jour  où,  pour  la  mode 
Changeant  d'amours  et  de  ton, 
Margot  trouverait  commode 
De  devenir  Margoton. 

Nous  étions  quelques  artistes. 
Des  poètes,  des  savants. 
Qui  jetions  nos  songes  tristes 
Et  nos  jeunesses  aux  vents. 

Nous  étions  les  capitaines 
De  la  fanfare  et  des  chants. 
Des  parisiens  d'Athènes, 
Athéniens  de  Longchamps. 


.      CHANSONS.  267 

Moi,  j'étais,  parmi  ces  sages. 
Le  rêveur  qui  parle  argot. 
Met  son  cœur  dans  les  nuages 
Et  son  âme  dans  Margot. 

Gais  canotiers  de  Nanterre, 
Nous  voguions  sur  le  flot  pur  ; 
Margot  lorgnait  un  notaire 
Quand  je  contemplais  Ta^ur. 

Elle  trouvait  l'eau  trop  fraîche. 
Et  préférait  l'Ambigu, 
Et  s'écriait  :  Quand  je  pêche. 
C'est  avec  l'accent  aigu. 

Le  sort  déchira  ses  voiles  ; 
Elle  s'enfuit,  j'échappai  5 
Je  montai  dans  les  étoiles 
Et  Margot  dans  un  coupé. 


X 

A. 


Rien  n'est  comme  il  devrait  être. 

Le  maître 
^         Plus  que  le  valet. 

Est  laid. 

Je  hais  ton  jargon,  Zémire. 
J'admire, 
Malgré  son  argot, 
Margot. 


268  TOUTE  LA  LYRE. 


Souvent  d'une  pauvre  fille 
Qui  brille. 
Les  pieds  en  sabots 
Sont  beaux. 

Ici,  la  guerre  âpre  et  noire; 
Bruit,  gloire. 
Lauriers  triomphaux. 
Or  faux. 

Ici  la  bête  de  somme  ; 

C'est  l'homme  ; 
Et  là  les  héros 
Zéros. 

Ici  le  nécessaire,  aigre 
Et  maigre  5 
Là  le  superflu 
Joufflu. 

Dans  l'église  et  la  guinguette 
Qu'il  guette. 
Le  diable  survient  ; 
Il  tient 

Par  sa  guimpe  et  son  air  prude 
Gertrude, 
Et  par  son  chignon 
Ninon. 

Le  destin,  ce  dieu  sans  tête 
Et  bête, 
A  fait  l'animal 
Fort  mal. 


CHANSONS.  269 


Il  fit  d'une  fange  immonde 
Le  monde. 
Et  d'un  fiel  amer 
La  mer. 

Tout  se  tient  par  une  chaîne 
De  haine  ; 
On  voit  dans  les  fleurs 
Des  pleurs. 

Tout  ici-bas,  homme,  femme. 
Vie,  âme. 
Est  par  Ananké 
Manqué. 

Aussi,  lorsque  l'homme  achève 
Son  rêve. 
Quel  triste  avorton 
Voit-on  ! 

Homme,  mon  frère,  nous  sommes 
Deux  hommes. 
Et,  pleins  de  venins. 
Deux  nains. 

Ton  désir  secret  concerte 
Ma  perte. 
Et  mon  noir  souhait 
Te  hait  ; 

Car  ce  globe  où  la  mer  tremble 
Nous  semble 
Pour  notre  appétit 
Petit. 


2/0  TOUTE  LA  LYRE. 

Nous  manquons,  sur  sa  surface. 
De  place 
Pour  notre  néant 
Géant. 


XI  (^> 

MAGLIA,  accordant  sa  guitare. 
Il  chante. 

Tourne-toi  vers  celle  qui  t'aime. 
Ne  regarde  point  au  delà. 
L*amour  récolte  ce  qu'il  sème. 
Toutes  les  filles  de  Bohême, 
Toutes  les  belles  d'Alcala, 
Atala,  Léila,  Lola, 
Olympe  avec  son  diadème, 
Su2on  avec  son  falbala, 
Tralalala,  tralalala. 
Ne  valent  pas  celle  qui  t*aime. 

Trala 

La  la. 

Tourne-toi  vers  celle  qui  rêve 
Et  qui  voudrait  que  tu  sois  là. 
Toutes  les  autres  filles  d'Eve, 
Celles  qui  dansent  sur  la  grève. 
Celles  qui  font  cercle  au  gala, 
Carmen  qui  toujours  s'envola, 
Luz  dont  la  jupe  se  soulève. 


(')  Inédit. 


CHANSONS.  271 

Fanchon  dont  l'œil  dit  :  me  voilà  ! 

Tralalala,  tralalala. 

Ne  valent  pas  celle  qui  rêve. 

Trala 

La  la. 


XII 

CHANSON    DE  BORD. 

Marin,  l'onde  est  une  femme. 
Crains  le  sable,  crains  la  lame, 

Crains  le  rocher. 
C'est  vers  Pluton  que  tu  vogues. 
Les  flots  sont  les  bouledogues 

Du  noir  boucher. 

La  Bourrasque,  pâle  et  nue, 
Traîne  un  linceul  dans  la  nue. 

Disent  les  vieux. 
La  place  des  yeux  est  vide 
Sous  son  grand  crâne  livide 

Et  pluvieux. 

Dès  qu'on  est  dans  cette  écume. 
On  a  comme  un  bruit  d'enclume 

Dans  le  tympan  ; 
La  vague  saute  sur  l'homme  ; 
Le  vent  se  comporte  comme 

Un  chenapan. 

Qui  s'en  tire  gagne  un  quine. 
La  mer  est  une  coquine. 
Disent  les  vieux. 


1-jl  TOUTE  LA  LYRE. 

La  mer  est  une  sauvage. 
Le  flot  toujours  du  rivage 
Est  envieux. 

Toute  la  terre  fleurie 
Ne  serait  qu'une  prairie 

Et  qu'un  ga2on 
Sans  cette  mer  de  ténèbres 
Qui  gonfle  ses  plis  funèbres 

A  l'horizon. 

Malheur  à  qui  lève  l'ancre  ! 
Elle  est  la  bouteille  d'encre 

Qu'un  jour  trouva 
Satan  que  l'envie  enivre. 
Et  qu'il  vida  sur  le  livre 

De  Jéhova. 


XIII 
DANS  LA  FORÊT. 

UN    PASSANT,    chantant. 

La  duchesse  et  la  paysanne 
Se  valent  sur  le  vert  gazon  5 
Jérusalem  offre  Suzanne, 
Mais  la  Courtille  offre  Suzon  ; 
Cupidon  nous  donne  Inézille 
Et  les  perles  de  sa  résille. 
Ou  Javotte  au  bonnet  cauchois. 

L'ÉCHO. 

Au  choix. 


CHANSONS.  273 

AUTRE  PASSANT. 

Quel  doux  tyran  qu'un  regard  tendre  ! 
O  vierge,  donne-moi  ton  cœur; 
Je  l'ai  dit,  se  donner,  c'est  prendre; 
Ton  prisonnier  c'est  ton  vainqueur  ; 
On  devient  reine  en  étant  femme  ; 
Si  ton  baiser  prenait  mon  âme. 
Quand  crois-tu  que  j'échapperais  ? 

L'ÉCHO. 

Après. 

AUTRE  PASSANT. 

Je  te  le  jure  par  l'aurore. 

Je  te  le  jure  par  la  nuit. 

Je  t'épouserai  !  Je  t'adore. 

Viens  !  ton  pur  regard  me  séduit. 

L'amour  à  tes  pieds  n'a  plus  d'aile, 

Je  serai  ton  mari  fidèle. 

Et  toute  la  forêt  m'entend. . . 

L'ÉCHO. 

Mentant. 

25  mai  1876. 

XIV 
RONDE   POUR   LES    ENFANTS 

Fillettes,  les  fleurs  sont  écloses. 

Danser,  courons. 
Je  suis  ébloui  par  les  roses 

Et  par  vos  fronts. 

POESIE.    —    XIII.  18 

ivrmnum»  sATioaiut. 


274  TOUTE  LA  LYRE. 

Chez  les  fleurs  vous  êtes  les  reines  j 

Nous  le  dirons 
Aux  bois,  aux  prés,  aux  marjolaines. 

Aux  liserons. 

Avec  l'oiselle  l'oiseau  cause. 

Et  s'interrompt 
Pour  la  quereller  d'un  bec  rose. 

Aux  baisers  prompt. 

Donnez-nous,  gaîtés  éphémères. 

Futurs  tendrons. 
Beaucoup  de  baisers. . .  —  A  vos  mères 

Nous  les  rendrons. 


XVC) 
JEAN,  JEANNE,  JEANNOT. 

La  forêt  grelotte  ; 
La  nuit  tombe  j  il  pleut  5 
J'entends  la  roulotte 
De  Braine-l'Alleud. 

Un  beau  jour  un  ange. 
Nommé  le  Baiser, 
Vint  dans  une  grange 
Pour  se  reposer. 

La  forêt  grelotte  -, 
La  nuit  tombe  ;  il  pleut  -, 
J'entends  la  roulotte 
De  Braine-l'Alleud. 


(')  Inédit. 


6  7^''  1865. 


CHANSONS.  275 

Il  y  trouva  Jeanne, 
Il  j  trouva  Jean  -, 
Jean  n'était  qu'un  âne  ; 
L'ange  dit  :  hi-han  ! 

La  forêt  grelotte  ; 
La  nuit  tombe  5  il  pleut  j 
J'entends  la  roulotte 
De  Braine-l'AUeud. 

L'âne  comprit  l'ange. 
Regardez  plutôt 
La  miche  que  mange 
Le  petit  Jeannot. 

La  forêt  grelotte  -, 
La  nuit  tombe  ;  il  pleut  j 
J'entends  la  roulotte 
De  Braine-l'AUeud. 


XVI 

LE   CHANT    DU   VIEUX    BERGER. 

Je  suis  vieux,  mais,  ô  lauriers-roses, 
O  lys,  cela  n'empêche  pas 
Toutes  sortes  de  tendres  choses. 
Toutes  sortes  de  frais  appas. 

De  s'épouser,  rayons,  haleines. 
Dans  les  champs  pleins  de  douces  voix. 
Et  l'aube  de  dorer  les  plaines. 
Et  l'oiseau  de  chanter  au  bois. 


1-J6  TOUTE  LA  LYRE. 


Les  fleurs  écoutent  la  promesse 
Du  papillon  j  la  tiendra-t-il  ? 
Est-ce  une  orgie,  est-ce  une  messe 
Que  ce  radieux  mois  d'avril  ? 

Un  vieux  de  plus  dans  la  nature. 
Ce  n'est  que  quelqu'un  qui  s'en  va  j 
Toujours,  à  la  sombre  ouverture. 
Chérubin  lui-même  arriva. 

Je  suis  vieux  5  mais  pourvu  que  j'aime. 
Je  n'ai  rien  à  me  reprocher  ; 
Et  l'abeille  ira  tout  de  même 
Cajoler  la  fleur  du  pêcher. 

Le  vent  fredonne,  l'eau  miroite. 
Le  gai  lapin  sort  du  terrier  j 
La  rose  se  tient  toute  droite 
Comme  une  fille  à  marier. 

Des  couples  dans  l'ombre  s'effacent. 
Les  grands  chênes  chassent  le  jour  5 
Que  voulez-vous  que  les  bois  fassent 
Si  ce  n'est  de  cacher  l'amour  ? 

Les  nids  ont  l'arbre  pour  complice  5 
L'amour  prend  les  cœurs  à  sa*glu  j 
Il  faut  bien  que  tout  s'accomplisse 
Comme  le  bon  Dieu  l'a  voulu. 

Les  feuilles  sont  les  sœurs  des  ailes  j 
Un  bosquet  c'est  une  cloison  5 
Les  bois  sont  complaisants  aux  belles. 
Et  je  trouve  qu'ils  ont  raison. 


CHANSONS.  277 


Aimons  !  c'est  ce  qu'avril  préfère. 
Avec  tous  ses  chiens  sans  colliers 
Diane  indignée  a  beau  faire 
Un  bruit  fauve  au  fond  des  halliers. 

Cette  grande  vierge  farouche 
Perd  son  temps  contre  les  amants  ; 
L'amour  c'est  la  bouche,  et  la  bouche. 
C'est  l'éclair  qui  fait  des  serments  ; 


Qu'importe  Diane  et  ses  dogues  ! 
Chloé  trouve  Atjs  éloquent. 
Les  bois  aiment  ces  dialogues 
Que  ponctue  un  baiser  fréquent. 

La  nature  est  l'immense  alcôve  5 
Et  c'est  ainsi  que  tout  se  perd. 
Et  c'est  ainsi  que  tout  se  sauve  ; 
Cupidon,  c'est  l'enfant  expert; 


Il  est  subtil,  il  est  superbe  ; 
\^ste  hymen  providentiel  ! 
Les  daims  font  l'idylle  dans  l'herbe. 
L'aigle  fait  l'épopée  au  ciel. 

On  entend  des  murmures  d'âmes  ; 
Toute  l'ombre  est  un  grand  frisson  ; 
Et  je  sais  encor  l'air,  mesdames. 
Si  je  ne  sais  plus  la  chanson. 


9  octobre. 


2/8  TOUTE  LA  LYRE. 


XVII 

CHANT   DES   SONGES. 

Hurrah  !  hurrah  ! 
Toutes  les  portes  sont  ouvertes, 

Hurrah!  Smarra! 
Pour  nous  qui  sortons  des  eaux  vertes 
Et  qui  venons  du  hallier  noir  ! 

Les  hommes  agitent  les  glaives, 
Le  fouet,  la  chaîne,  l'encensoir; 
Nous,  nous  courons  le  long  des  grèves 
Et  nous  sommes  les  oiseaux  rêves. 

Hurrah  !  hurrah  ! 
Toutes  les  portes  sont  ouvertes, 

Hurrah,  Smarra  ! 
Pour  nous  qui  sortons  des  eaux  vertes 
Et  qui  venons  du  hallier  noir  ! 

Qu'on  s'enferme  !  qu'on  se  séquestre  ! 
Fermez  la  ville,  et  venez  voir. 
Nous  sommes  dans  la  salle  équestre 
Assis  au  fauteuil  du  bourgmestre  ! 

Hurrah  !  hurrah  ! 
Toutes  les  portes  sont  ouvertes, 

Hurrah  !  Smarra  ! 
Pour  nous  qui  sortons  des  eaux  vertes 
Et  qui  venons  du  hallier  noir  ! 


CHANSONS.  279 

Le  sergent  fait  le  pied  de  grue. 

—  Qui  va  là  ?  —  Vieux,  fais  ton  devoir. 

Autour  de  sa  tête  bourrue 

Nous  tourbillonnons  dans  la  rue. 

Hurrah  !  hurrah  ! 
Toutes  les  portes  sont  ouvertes, 

Hurrah!  Smarra! 
Pour  nous  qui  sortons  des  eaux  vertes 
Et  qui  venons  du  hallier  noir  ! 

La  nuit  sème  ses  perles  d'ambre. 
Fermez  le  bouge  et  le  manoir, 
A  double  tour  !  c'est  en  décembre. 
Bon  !  nous  voilà  dans  votre  chambre  ! 

Hurrah,  hurrah  ! 
Toutes  les  portes  sont  ouvertes, 

Hurrah!  Smarra! 
Pour  nous  qui  sortons  des  eaux  vertes 
Et  qui  venons  du  hallier  noir  ! 

Blondes  filles  et  vieillards  chauves. 
Fermez  vos  rideaux,  c'est  le  soir. 
Et  maintenant,  dans  vos  alcôves. 
Regardez  luire  nos  yeux  fauves  ! 

Hurrah  !  hurrah  ! 
Toutes  les  portes  sont  ouvertes, 

Hurrah!  Smarra! 
Pour  nous  qui  sortons  des  eaux  vertes 
Et  qui  venons  du  hallier  noir  ! 

Fermez  vos  yeux,  dormez,  profanes. 
Soyez  votre  propre  éteignoir. 
Nos  chauves-souris  diaphanes 
Battent  de  l'aile  sous  vos  crânes  ! 


28o  TOUTE  LA  LYRE. 

Hurrah  !  hurrah  ! 
Toutes  les  portes  sont  ouvertes, 

Hurrah!  Smarra! 
Pour  nous  qui  sortons  des  eaux  vertes 
Et  qui  venons  du  hallier  noir  ! 

Nous  soufflons  la  cendre  et  les  flammes. 
L'amour,  le  deuil,  la  peur,  l'espoir; 
Fermez  vos  cœurs,  hommes  et  femmes. 
Nous  parlons  dans  l'ombre  à  vos  âmes  ! 

Hurrah  !  hurrah  ! 
Toutes  les  portes  sont  ouvertes, 

Hurrah  !  Smarra  ! 
Pour  nous  qui  sortons  des  eaux  vertes 
Et  qui  venons  du  hallier  noir  ! 

17  mars  1854. 

XVIII 

HACQUOIL  (Le  Marin). 
Chantant. 

L'amour  f —  le  camp  comme  un  b — 
Filant  dix  nœuds  dans  un  bon  lougre 

En  pleine  mer. 
La  beauté  passe  —  sarabande  ! 
Comme  passe  la  contrebande 

A  Saint-Omer. 

Mon  grand-père  était  un  grand  drôle. 
Tu  n'irais  pas  à  son  épaule. 
Tambour-major. 


CHANSONS.  281 


Et  ma  grand'mère  —  farandole  !  — 
Etait  belle  comme  une  idole 
Dorée  en  or. 

La  dame,  point  avariée. 
Était  duchesse  et  mariée 

A  de  l'argent. 
Et  mon  grand-père  —  la  bourrée  !  — 
Lui  dit  un  soir  :  Mon  adorée. 

Je  suis  sergent. 

Et  mon  grand-père  à  ma  grand'mère 
Proposa  de  faire  mon  père 

En  s'échauffent; 
Mais  ma  grand'mère  —  la  gavotte  ! 
Mais  ma  grand'mère  était  dévote. 

Et  fit  l'enfant. 


16  février. 


XIX 


AIR  DE   LA    PRINCESSE    D'ORANGE. 


Viens,  ô  toi  que  j'adore. 
Ton  pas  est  plus  joyeux 

Que  le  vent  des  cieux  ; 
Viens,  les  yeux  de  l'aurore 
Sont  divins,  mais  tes  yeux 

Me  regardent  mieux. 


282  TOUTE  LA  LYRE. 

Avril,  c'est  la  jeunesse. 
Viens,  sortons,  la  maison. 

L'enclos,  la  prison, 
Le  foyer,  la  sagesse. 
N'ont  jamais  eu  raison 

Contre  la  saison. 

Pour  peu  que  tu  le  veuilles. 
Nous  serons  heureux;  vois. 

L'aube  est  sur  les  toits. 
Et  l'eau  court  sous  les  feuilles. 
Et  Ton  entend  des  voix 

Du  ciel  dans  les  bois. 

Toutes  les  douces  choses, 
L'hirondelle  au  retour 

Dans  la  vieille  tour. 
Les  chansons  et  les  roses 
Et  la  clarté  du  jour. 

Sont  faites  d'amour. 

Aimer,  c'est  la  première 
Des  lois  du  Dieu  clément  ; 

Le  bois  est  charmant  5 
Et  c'est  de  la  lumière  ; 
Et  c'est  du  firmament 

Qu'on  fait  en  aimant. 

Belle,  à  la  mort  tout  change  ; 
Le  ciel  s'ouvre,  embaumé. 

Superbe,  enflammé. 
Et  nous  dit  :  viens  !  sois  ange  ! 
Mais  qui  n'a  pas  aimé 

Le  trouve  fermé. 

28  mai  1857.  Guernesey. 


CHANSONS.  283 


II 


Mai  dans  les  bois  recèle 
Les  amours  innocents  ; 
Les  amours  innocents. 
L'homme  en  est  l'étincelle  ; 
Les  amours  innocents, 
La  femme  en  est  l'encens. 

Couchez-vous  sur  la  mousse 
Dans  le  beau  mois  de  mai  -, 
Dans  le  beau  mois  de  mai 
La  chose  la  plus  douce 
Dans  le  beau  mois  de  mai. 
C'est  quand  on  est  aimé. 

Parcourez  les  charmilles. 
Les  sources,  les  buissons  ! 
Les  sources,  les  buissons. 
Autour  des  jeunes  filles. 
Les  sources,  les  buissons 
Chanteront  des  chansons. 

Sitôt  qu'une  femme  aime, 
Au  fond  de  son  esprit. 
Au  fond  de  son  esprit 
Brille  l'aube  elle-même  ; 
Au  fond  de  son  esprit 
Une  rose  fleurit. 

On  s'embaume,  on  s'éclaire 
Quand  deux  cœurs  ne  font  qu'un  ; 


284  TOUTE  LA  LYRE. 

Quand  deux  cœurs  ne  font  qu'un. 
L'amour  est  leur  lumière  ; 
Quand  deux  cœurs  ne  font  qu'un. 
L'amour  est  leur  parfum. 

Si  vous  voulez  des  flammes. 
Si  vous  voulez  des  fleurs. 
Si  vous  voulez  des  fleurs. 
Cherchez-en  dans  les  âmes  ; 
Si  vous  voulez  des  fleurs, 
Cherchez-en  dans  les  cœurs. 


27  mai  18^7. 
Guernesej,  Route  de  Fermain-Baj. 


XX 

CHANT   DU    BOL   DE   PUNCH. 

Je  suis  la  flamme  bleue. 
J'habite  la  banlieue. 
Le  vallon,  le  coteau. 
Sous  l'if  et  le  mélèze. 
J'erre  au  Père-Lachaise, 
J'erre  au  Campo-Santo. 

L'eau  brille  au  crépuscule. 
Le  passant  sur  sa  mule 
Fait  un  signe  de  croix. 
Son  chien  baisse  la  queue  ; 
Je  suis  la  flamme  bleue 
Qui  danse  au  fond  des  bois. 


CHANSONS.  285 

La  nuit  étend  son  aile  ; 

De  Profundis  se  mêle 

A  Traderidera  ; 

Les  morts  ouvrent  leur  bière. 

Spectres,  au  cimetière! 

Masques,  à  l'Opéra  ! 

—  Garçon,  du  punch!  —  J'arrive. 
Je  suis  le  bleu  convive. 
L'esprit  des  lacs  blafards. 
Le  nain  des  joncs  moroses  ; 
Je  viens  baiser  les  roses 
Après  les  nénuphars. 

Buvez,  fils  et  donzelles. 
D'autres  ont  été  belles. 
D'autres  ont  été  beaux. 
Riez,  joyeuses  troupes. 
Pour  danser  sur  vos  coupes 
Je  sors  de  leurs  tombeaux. 

Monte  à  ta  chambre,  apporte 
Ton  charbon,  clos  ta  porte. 
Allume  î  c'est  le  soir. 
Regarde  dans  ton  bouge. 
Comme  un  masque  à  l'œil  rouge. 
Flamber  ton  réchaud  noir. 

D'autres  boivent  dans  l'ombre. 
Toi,  tu  meurs  î  ton  œil  sombre 
S'éteint,  ton  front  pâlit  ; 
Je  suis  là,  je  t'éclaire. 
Et  j'ai  quitté  leur  verre 
Pour  danser  sur  ton  lit. 

Le  bol  s'éteint. 


286  TOUTE  LA  LYRE. 


xxn^) 

SÉRÉNADE. 
MAGLIA,  chantant. 

Quand  les  heures  de  paix  et  d'ombre  sont  venues, 
Les  belles  sur  leur  lit  s'endorment  toutes  nues, 
Laissant  la  lune  errer  dans  le  ciel  argenté, 
Et  la  fenêtre  ouverte  à  cause  de  l'été. 


XXII 

LE   CHÂTEAU   DE   L'ARBRELLES. 

DANSE   EN   ROND. 


Va  cueillir,  villageoise, 

La  fraise  et  la  framboise 

Dans  les  champs,  aux  beaux  jours. 

A  huit  milles  d'Amboise, 

A  deux  milles  de  Tours, 

Le  château  de  l'Arbrelles, 

Roi  de  ces  alentours. 

Se  dresse  avec  ses  tours. 

Ses  tours  et  ses  tourelles. 

\^  cueillir  aux  beaux  jours 

La  fraise  et  la  framboise, 

A  huit  milles  d'Amboise, 


l^)  Inédit. 


CHANSONS.  287 

A  deux  milles  de  Tours, 
C'est  là  que  sont  les  tours, 
Les  tours  et  les  tourelles 
Du  château  de  l'Arbrelles 
Bien  connu  des  vautours. 


II 


Cueilles,  Jeanne  et  Thérèse, 
La  framboise  et  la  fraise. 
Rions,  dansons,  aimons. 
Le  ciel  en  est  bien  aise. 
Moquons-nous  des  sermons. 
Le  château  de  l'Arbrelles, 
Qu'en  chantant  nous  nommons. 
Dresse  sur  les  vieux  monts 
Ses  tours  et  ses  tourelles. 
Rions,  dansons,  aimons. 
Cueilles,  Jeanne  et  Thérèse, 
La  framboise  et  la  fraise. 
Moquons-nous  des  sermons. 
Là-bas,  sur  les  vieux  monts 
Se  dressent  les  tourelles 
Du  château  de  l'Arbrelles 
Bien  connu  des  démons. 


m 


Cueillez,  filles  d'Amboise, 
La  fraise  et  la  framboise. 
Les  démons,  les  vautours. 
Ont  changé  de  figure 
Depuis  les  anciens  jours. 
Tours  de  sinistre  augure. 
L'herbe  croît  dans  vos  cours. 
Croulez,  vilaines  tours  ! 
Le  ciel  en  est  bien  aise. 


288  TOUTE  LA  LYRE. 

Aimons,  les  ans  sont  courts. 
Cueillez,  Jeanne  et  Thérèse, 
La  framboise  et  la  fraise. 
O  belles,  nos  amours. 
Pour  piller  vos  atours. 
Pour  vous  emplir  de  flammes. 
Les  démons  sont  nos  âmes. 
Nos  cœurs  sont  les  vautours. 

7  octobre  1876. 

XXIIIC) 

Le  joli  page  imberbe 
Soupire,  elle  s'émeut. 

—  Sous  un  arbre,  s'il  pleut. 
Et  s'il  fait  beau,  dans  l'herbe. 

De  sa  jupe  superbe 
Elle  défit  le  nœud. 

—  Sous  un  arbre,  s'il  pleut, 
Et  s'il  fait  beau,  dans  l'herbe. 

Le  bleuet  vaut  la  gerbe  ; 
Plaire  !  un  page  le  peut. 

—  Sous  un  arbre,  s'il  pleut. 
Et  s'il  fait  beau,  dans  l'herbe. 

Conjuguons  le  doux  verbe  j 
Aimons-nous  !  Dieu  le  veut. 

—  Sous  un  arbre,  s'il  pleut. 
Et  s'il  fait  beau,  dans  l'herbe. 

25  avril  1873. 

(')  Inédit. 


CHANSONS.  289 


XXIV 
CHANSONS   DE   GAVROCHE. 


Ran  tan  plan  ! 
Tape,  tambour,  tape  encore. 

Pan  pan  pan. 
Pif  paf  boum,  ran  plan  tan  plan. 

Gai  l'aurore  ! 

On  fait  de  la  peine  aux  rois. 
Viens  à  leur  secours,  bourgeois. 
Avec  ton  enthousiasme. 
Ton  parapluie  et  ton  asthme. 

Tape  encor,  tape,  tambour. 
Gai  le  jour  ! 

Faut-il  des  rois  sur  les  têtes 
Des  peuples  changés  en  bêtes  ? 
Tu  dis  oui,  toi  le  canon. 
Moi  le  pavé,  je  dis  non. 

Tape,  tambour,  tape  encore. 

Ran  tan  plan. 

Pan  pan  pan. 
Pif  paf  boum,  ran  plan  tan  plan. 

Gai  l'aurore  ! 

Et  toi,  mon  vieux  chiffonnier. 
Prends  ton  croc  et  ton  panier. 
Car  il  est  temps  que  tu  pinces 
Tous  les  rois  et  tous  les  princes. 


POESIE.    —   XUI, 


19 
inruimii   lATiomu. 


290  TOUTE  LA  LYRE. 

Tape  encor,  tape  tambour. 
Gai  le  jour  ! 

Ce  tas  de  trônes  cahote. 
Flanque-les  tous  dans  ta  hotte. 
Depuis  le  roi  Dagobert 
Jusqu'à  l'empereur  Gobert. 

Tape,  tambour,  tape  encore. 
Ran  tan  plan. 
Pan  pan  pan. 

Pif  paf  boum,  ran  plan  tan  plan. 
Gai  l'aurore  ! 


II 


(1) 


Quand  Dalila,  Paméla, 
Atala,  Stella, 
Lola, 
Trouveront  pour  leurs  filets 
Les  mylords  anglais 
Trop  laids, 

Quands  les  avocats  plaidants. 
Quand  les  noirs  pédants 
Grondants, 
Quand  les  harangueurs  des  cours. 
Feront  des  discours 
Trop  courts. 

Quand  les  peuples  lèveront 
Plus  haut  que  l'aflE-ont 
Leur  front. 


(')  Inédit. 


CHANSONS.  291 

Et  n'auront  plus  sur  les  bras 
Tout  ce  tas  d'ingrats 
Trop  gras. 

On  ne  verra  plus  Gamin 
Tendre,  nain  romain, 
La  main. 
Et  marcher  sur  les  talons 
De  ses  pantalons 
Trop  longs. 


La  bourgeoisie  est  un  veau 
Qui  s'enrhume  du  cerveau 
Au  moindre  vent  frais  qui  souffle  5 
Le  bourgeois  c'est  la  pantoufle 
Qu'un  roi  met  sous  ses  talons 
Pour  marcher  à  reculons. 

Je  fais  la  chansonnette. 
Faites  le  rigodon. 
Ramponneau  Ramponnette,  don  ! 
Ramponneau  Ramponnette  ! 

Le  bourgeois  est  un  grimaud 
Qui  prend  sa  pendule  au  mot 
Chaque  fois  qu'elle  retarde. 
Il  contresigne  en  bâtarde 
Coups  d'état,  décrets,  traités. 
Et  toutes  les  lâchetés. 

Je  fais  la  chansonnette. 
Faites  le  rigodon. 
Ramponneau  Ramponnette,  don  ! 
Ramponneau  Ramponnette  ! 


19. 


292  TOUTE  LA  LYRE. 

Il  enseigne  à  ses  marmots 
Comment  on  rit  de  nos  maux  ; 
Pour  lui,  le  peuple  et  la  France, 
La  liberté,  l'espérance. 
L'homme  et  Dieu,  sont  au-dessous 
D'une  pièce  de  cent  sous. 

Je  fais  la  chansonnette. 
Faites  le  rigodon. 
Ramponneau  Ramponnette,  don  ! 
Ramponneau  Ramponnette  ! 

Le  bourgeois  a  des  regrets  ; 
Il  pleure  sur  le  progrès. 
Sur  ses  loyers  qu'on  effleure. 
Sur  les  rois,  fiacres  à  l'heure. 
Sur  sa  caisse,  et  sur  la  fin 
Du  monde  où  l'on  avait  faim. 

Je  fais  la  chansonnette. 
Faites  le  rigodon. 
Ramponneau  Ramponnette,  don  ! 
Ramponneau  Ramponnette  ! 

i8  octobre  1861. 


LA  CORDE   D'AIRAIN 


.Et  j'ajoute  à  ma  lyre  une  corde  d'airain. 
Les  Feuilles  d'Automne. 


A    LA   FRANCE   DE   1872^»). 

A 

O  France,  un  de  tes  fils  devant  toi  s'agenouille. 

L'humble  prêtre  de  l'art  divin  que  rien  ne  souille 

T'apporte  sa  tristesse  et  son  austère  amour. 

Quand  toutes  les  grandeurs  d'un  pays  tour  à  tour. 

Sous  l'acharnement  vil  du  sort  opiniâtre. 

S'écroulent,  dans  les  jours  ténébreux,  le  théâtre. 

Qui  jadis,  riant,  grave,  orageux  ou  serein. 

Parlait  aux  nations  par  deux  masques  d'airain. 

Doit,  quand  saigne  la  plaie  horrible  des  frontières. 

Ne  dire  au  peuple  ému  que  des  choses  altières. 

Quand  la  Patrie  en  deuil  baisse  les  yeux  devant 

Sa  vieille  histoire  en  cendre,  à  terre,  éparse  au  vent. 

Quand  le  fier  Capitole  a  fait  place  au  Calvaire, 

Nous  avons  pour  devoir  le  souvenir  sévère  ; 

Et  l'homme  est  par  les  chants  de  la  muse  avili. 

S'il  y  puise  une  ivresse  allant  jusqu'à  l'oubli. 

Désormais,  après  tant  d'angoisse,  après  les  fuites. 

Les  camps  cernés,  les  murs  vendus,  les  tours  détruites. 

Et  la  captivité  des  sombres  légions. 

Quand  l'Europe  nous  hait,  nous  qui  la  protégions. 

Ces  hymnes  qu'on  appelle  Ode,  Drame,  Épopée, 

Devront  ressembler  tous  à  des  fourreaux  d'épée  ; 

Si  le  tigre  en  ses  dents  emporte  la  brebis. 

Des  resplendissements  furieux  et  subits 

Sortiront  tout  à  coup  de  ces  puissants  poëmes  j 

Leurs  vers  seront  grondants,  menaçants  et  suprêmes  j 

^''  Cette  poésie  fut  composée  pour  servir  de  prélude  aux  représentations  de  Ray  Bios 
sur  le  théâtre  de  l'Odéon.  (Note  de  l'Editeur.) 


296  TOUTE  LA  LYRE. 

On  j  sentira  sourdre  un  soufile  de  combat. 

On  y  verra  la  gloire  en  pleurs  sur  son  grabat, 

Et  ces  grandes  clameurs  auront  des  voix  hautaines 

Remuant  l'âpre  honte  au  cœur  des  capitaines 

Et  leur  donnant  la  rage  et  la  soif  de  plonger 

Leur  honneur  dans  ce  flot  sublime,  le  danger  ; 

Et  c'est  ainsi  qu'on  sauve  un  peuple,  et  que  l'on  fonde 

Dans  toi,  Paris,  dans  toi,  Rome,  une  âme  profonde. 

Ne  vene^  pas  ici  chercher  d'autre  plaisir 

Que  d'entrevoir  un  glaive  et  de  le  ressaisir  ; 

L'art  ne  doit  aux  esprits  que  des  fêtes  viriles  ; 

Ayons  d'afl^reux  jours,  soit,  mais  pas  d'instants  stériles. 

Plus  le  bonheur  décroît,  plus  le  cœur  doit  grandir} 

L'astre  accepte  la  nuit  pour  y  mieux  resplendir. 

L'étoile,  dédaigneuse  au  fond  des  cieux  funèbres, 

A  l'augmentation  de  l'ombre  et  des  ténèbres 

Répond  par  la  croissance  auguste  des  rayons. 

C'est  pourquoi  tous  ici,  tous,  qui  que  nous  soyons. 

Fils  de  ceux  qui  de  près  virent  Berlin  et  Vienne, 

Ne  trouvant  pas  qu'il  soit  juste  et  qu'il  nous  convienne 

D'avoir  de  tels  aïeux  et  de  n'y  point  songer. 

Et  de  laisser  leur  gloire  en  gage  à  l'étranger. 

Ayant  le  sombre  ennui  d'hommes  sur  qui  l'on  marche. 

Nous  souvenant  que  c'est  à  nous  de  porter  l'arche 

Et  d'être  à  l'avant-garde  altière  du  progrès. 

Nous  pensons  qu'il  est  bon  d'aiguiser  nos  regrets. 

Et  qu'avec  un  fer  rouge  il  faut  toucher  nos  plaies  -, 

Et  que,  puisque  déjà  reverdissent  les  haies. 

Puisque  voici  venir  le  mois  de  mai  charmant. 

Nous  devons  regarder  le  sacré  firmament, 

Les  bois,  les  champs,  le  lys,  la  rose,  la  pervenche. 

Avec  cette  pensée  au  cœur  :  notre  revanche  ! 

Si  nous  nous  laissions  mettre  aux  fers  par  le  destin. 
Si,  tournés  vers  le  soir  et  non  vers  le  matin. 
Nous  pouvions,  prisonniers,  continuer  de  vivre. 
Si  nous  ne  rêvions  pas,  l'âme  de  colère  ivre. 


A  LA  FRANCE  DE  1872.  297 

Chacun  de  nous  ayant  sur  le  front  la  rougeur 

De  n'être  pas  celui  qu'on  attend,  le  vengeur; 

Ah  !  si  nous  n'étions  pas  pensifs  devant  tout  homme 

Qui  flétrit  son  bourreau,  se  redresse  et  se  nomme. 

Et  lui  prend  son  épée  afin  de  le  tuer. 

Si  nous  pouvions  nous  taire  et  nous  habituer 

A  l'opprobre,  et  montrer,  transformation  vile. 

Qu'on  peut  être  Thersite  après  qu'on  fut  Achille, 

Si  nous  donnions  raison  aux  rois  riant  entre  eux. 

Si  nous  découvrions  en  nous  des  cœurs  af&eux 

Prêts  aux  consentements  infâmes  de  la  chute. 

Si  devant  le  vainqueur  criant  :  Cessons  la  lutte. 

Paix  !  et  restons-en  là  !  nous  disions  :  J'y  pensais  ! 

Ah!  tout  serait  fini!  de  sa  tête,  ô  français, 

La  France  arracherait,  sous  ses  mains  indignées. 

Ses  lauriers,  et,  parmi  ses  cheveux,  des  poignées 

D'étoiles,  qui  s'iraient  éteindre  dans  la  nuit! 

Non,  nous  ne  serons  pas  ce  qui  s'évanouit; 
Non,  nous  ne  serons  pas  le  fils  qui  dégénère. 
Et  nous  saurons  hâter  le  réveil  du  tonnerre. 
Non,  nous  n'acceptons  pas  notre  honneur  obscurci. 
Car  ce  qui  fait  un  peuple  illustre,  le  voici  : 
C'est  le  théâtre,  c'est  la  tribune,  c'est  l'âme 
De  tout  homme  allumée  à  toute  pure  flamme. 
C'est  l'essor  pour  l'esprit,  le  travail  pour  le  corps. 
C'est  l'art,  c'est  la  pensée  —  et  l'ennemi  dehors. 

Tant  qu'ils  sont  en  Alsace  et  qu'ils  sont  en  Lorraine, 
Ils  sont  chez  nous.  Sur  toi,  France,  leur  sabre  traîne. 
Ils  t'ont  pris  ton  bien,  France?  Eh  bien,  on  le  reprend. 
Ah!  même  le  plus  grand  des  siècles  n'est  pas  grand 
Si  quelque  ombre  de  honte  est  mêlée  à  sa  gloire. 
Avec  une  aile  blanche  avoir  une  aile  noire. 
Non,  France,  non!  jamais  ainsi  tu  n'as  vécu. 
Et  la  paix  n'est  la  paix  qu'après  qu'on  a  vaincu. 


298  TOUTE  LA  LYRE. 

O  Grèce  !  ô  Périclès  !  jours  fiers  !  âge  splendide  ! 
Pindare  d'un  côté,  de  l'autre  Thucydide  ; 
L'idéal  du  réel  devenait  le  vrai  nom. 
Et  Phidias  sculptait  le  mur  du  Parthénon  ; 
Hippocrate  tâtait  le  pouls  de  Démosthènes  ; 
Les  peuples  s'abreuvaient  de  lumière  aux  fontaines 
Qu'on  nomme  Apollodore,  Euripide,  Platon; 
Le  dur  Solon,  levant  sur  Thespis  son  bâton. 
Etait  mort,  et  Socrate  ôtait  les  dieux  à  l'homme  ; 
Athènes  vaguement  semblait  éveiller  Rome 
Qui  répondait  du  fond  de  l'ombre  à  son  appel,  — 
Et  les  perses  étaient  chassés  de  l'Archipel  ! 


Qui  donc  a  dit  :  La  France  tombe! 
Demain,  on  verra  tout  à  coup 
La  grande  pierre  de  sa  tombe 
Se  lever  lentement  debout. 

Oui,  demain,  oui,  l'heure  est  prochaine. 
Voyez.  Elle  se  dresse,  ayant 
Dans  ses  deux  poings  où  pend  sa  chaîne, 
Un  tronçon  d'épée  effrayant. 

Oui,  l'avenir  nous  le  ramène. 
Ce  puissant  glaive  où  Dieu  clément 
A  remplacé  la  lame  humaine 
Par  le  céleste  flamboiement. 

Oh  !  souhaitons  la  bienvenue 
A  ce  glaive  prodigieux  ! 
Qu'il  nous  fasse  voir  dans  la  nue 
Le  groupe  étoile  des  aïeux  ! 


À  LA  FRANCE  DE  1872.  299 


Que  son  éclair  montre  à  notre  âme 
Toutes  ces  faces  de  géants. 
Martel  qui  terrasse  Abdérame, 
Jeanne  qui  délivre  Orléans  -, 

Et  ces  preux,  beaux  dans  leur  croyance, 
Bayard  qui  ne  plia  jamais, 
Marceau  qui  mourut  sous  Mayence, 
Hoche  qui  fût  mort  devant  Metz  ! 

Qu'on  écoute  leurs  voix  bruire. 
Et  qu'on  ne  puisse  deviner 
Si  c'est  Kléber  qu'on  entend  rire. 
Ou  le  ciel  qu'on  entend  tonner  ! 

Que  ce  fier  glaive  de  la  France 
Soit  le  glaive  du  genre  humain  ; 
Qu'il  abolisse  la  souffrance, 
Epée  aujourd'hui,  soc  demain; 

Qu'il  soit  pour  tous  la  délivrance. 
Qu'il  perce  le  nuage  obscur. 
Et  qu'il  nous  rende  l'espérance 
Ici-bas,  et  là-haut  l'azur! 

Que  ce  glaive  crée  et  foudroie, 
Qu'il  sème  à  coups  d'éclairs  le  jour, 
Et  qu'il  en  sorte  de  la  joie. 
Et  qu'il  en  sorte  de  l'amour. 

Sur  toute  la  terre  ravie. 
Qu'il  allume  avec  sa  clarté 
Un  sublime  orage  de  vie. 
De  victoire  et  de  liberté  ! 


300  TOUTE  LA  LYRE. 


Qu'il  fauche  le  mal  comme  l'herbe  -, 
Qu'on  dise  :  il  a  fondé  nos  droits  j 
Et  qu'il  soit  à  jamais  superbe 
Par  l'immense  fuite  des  rois  ! 


Paris,  19  février  1872. 


APRES   SEDAN. 

C'est  bien.  Essuyez-vous. 

France,  Prusse,  lavez 
Toi,  ton  opprobre;  toi,  ta  gloire.  Vous  avez 
Chacune  une  rougeur  au  front  ;  la  honte  épaisse 
Sur  toi,  France;  et  sur  toi,  la  Prusse,  ton  espèce 
De  victoire.  César,  quel  pourboire  veux-tu  ? 
Cinq  milliards.  C'est  fait.  Empoche. 

Honneur,  vertu. 
Pudeur,  fraternité,  probité,  passez,  ombres! 

L'avenir  curieux  viendra  voir  ces  décombres 
Qu'on  appelait  jadis  justice,  droit,  raison. 
Comme  la  ronce  croit!  Comme  la  trahison, 
La  conquête,  le  vol,  le  meurtre  et  les  rapines 
Prospèrent  vite,  et  sont  fécondes  en  épines. 
En  nuit  noire,  en  horreur,  sur  le  temple  abattu! 
Comme  un  roi,  d'or,  de  pourpre  et  de  haine  vêtu. 
Ploie  et  courbe  à  son  gré  la  race  la  plus  fière. 
Et  comme  il  est  facile  aux  empereurs  de  faire 
D'un  peuple  leur  esclave  et  d'un  lion  leur  chien  ! 
Soyez  russe,  borusse,  anglais,  autrichien. 
Soyez  le  coq,  soyez  l'aigle,  soyez  le  cygne. 
Votre  maître  vous  tient,  et  n'a  qu'à  faire  un  signe 
Pour  qu'il  ne  reste  plus  de  vous,  peuple  détruit. 


302  TOUTE  LA  LYRE. 

Que  des  oiseaux  de  proie  et  des  oiseaux  de  nuit  ! 
Vous  étie2  l'Allemagne  et  vous  êtes  la  Prusse  ! 
He1as! 

S'il  existait,  pour  que  j'y  comparusse, 
Un  tribunal  de  rois,  fier,  auguste,  hideux. 
Présidé  par  ton  spectre,  ô  noir  Philippe-deux, 
Un  sombre  aréopage  où  siégerait  Tibère, 
Je  dirais  :  Est-ce  là  que  Satan  délibère? 
Et  j'entrerais.  Pourquoi?  Pour  leur  dire  ceci  : 

—  Je  ne  suis  qu'un  passant,  moi  qui  vous  parle  ici. 

Mais  regardez-moi  bien,  vous  tous,  césars  de  Rome, 

Maîtres  du  monde,  rois,  papes,  je  suis  un  homme. 

Ce  que  je  veux,  je  viens  vous  le  crier  :  Je  veux 

La  paix  —  pour  nous,  pour  vous,  pour  nos  derniers  neveux  5 

Je  veux  le  vrai,  le  beau,  la  fraternité,  l'âme 

De  Dieu  même,  l'Amour,  ce  rayon,  cette  flamme 

Formidable,  éclairant  le  bien,  brûlant  le  mal. 

Eblouissant  tout,  l'homme  ainsi  que  l'animal. 

Versant  la  vérité,  la  douceur,  la  clémence. 

Et  visible  au  plus  haut  des  cieux  dans  l'ombre  immense  ! 

Je  veux  rouvrir  l'éden  à  tous  les  grands  souhaits  5 

Je  veux  la  vérité,  la  justice,  et  je  hais 

Les  fourbes,  les  tyrans,  les  traîtres,  les  transfuges. 

Et  c'est  moi  l'accusé,  puisque  c'est  vous  les  juges. 


II 


A  DES   REGIMENTS  DECOURAGES. 

A 

O  nos  pauvres  soldats,  oui,  vous  avez  fléchi. 
Avant  que  ce  Paris  sacré  soit  affranchi. 
Avant  que  notre  France  auguste  soit  sauvée, 
Avant  que  l'aigle  ait  mis  à  l'abri  sa  couvée. 
Vous  avez  dit  :  A  bas  la  guerre,  citoyens! 
Et  nous,  qui,  sous  la  bombe  et  sous  les  biscayens, 
Luttions  comme  vous,  prêts  aux  plus  terribles  tâches. 
Indignés,  nous  avons  crié  :  Taisez-vous,  lâches! 

Eh  bien,  nous  eûmes  tort,  vous  êtes  des  vaillants. 

Hélas!  pour  généraux  avoir  des  chambellans. 

Et  pour  chefs  des  valets  et  pour  maîtres  des  cuistres. 

C'est  trop,  et  vous  avez  subi  les  jours  sinistres. 

Au-devant  de  l'affront  vous  fûtes  envoyés  ; 

Vous  avez  combattu  pour  être  foudroyés  ; 

Vous  vîtes  comment  croule  une  gloire  détruite. 

Et  vous  avez  appris  le  chemin  de  la  fuite, 

O  douleur  !  vous  les  fils  de  ceux  par  qui  tonna 

Austerlitz,  et  par  qui  resplendit  léna! 

Ah  !  sombres  cœurs  brisés  et  qu'emplit  l'amertume  ! 

Espérez,  ô  vaincus  !  ce  n'est  pas  la  coutume 

De  la  France  d'avoir  longtemps  le  front  courbé. 

Après  Blenheim,  après  Rosbach,  on  est  tombé. 

Mais  on  s'est  relevé  par  Ulm  et  par  Arcole. 

Subissez  le  malheur  comme  on  subit  l'école  ; 

Couvez  l'âpre  courroux  des  cœurs  humiliés. 

Soit.  Pour  un  instant,  fils  de  France,  vous  pliez. 


304  TOUTE  LA  LYRE. 

Hélas,  et  vous  avez  fait  un  pas  en  arrière  j 

Mais  vous  n'en  rentrerez  que  d'une  âme  plus  fière 

Dans  notre  antique  gloire  et  dans  nos  vieux  chemins. 

Ils  défaillaient  aussi,  les  grands  soldats  romains; 
Et  quand  César  passait ,  ces  mécontents  épiques 
Lui  demandaient  la  paix  en  abaissant  les  piques  ; 
Ce  qui  n'empêchait  pas,  pourtant  nous  l'oublions. 
Ces  hommes  de  se  battre  ainsi  que  des  lions. 
Et  les  peuples  d'avoir  pour  ces  légionnaires 
Le  culte  épouvanté  qu'on  a  pour  les  tonnerres. 
Oui,  parfois,  quand  l'élan  romain  s'interrompit. 
Les  barbares  avaient  un  moment  de  répit, 
Et  l'on  riait  de  voir  s'en  retourner  aux  villes 
Les  vieux  hastati  las  et  blancs  et  les  pupilles 
Dont  le  visage  à  peine  avait  un  blond  duvet  ; 
Mais  bientôt  cette  armée  en  qui  Rome  vivait 
Rebouclait  sa  cuirasse,  et  rentrait  en  campagne; 
Et  partout,  en  Dacie,  en  Phrygie,  en  Espagne, 
Les  rois  se  remettaient  à  trembler,  quand  le  vent 
Leur  apportait  le  bruit  de  sa  marche  en  avant. 

Paris,  8  janvier  1871. 


III 


l8   MAI   1871. 

DESTRUCTION  DE  LA  COLONNE. 
ACCEPTATION  DU  TRAITÉ  PRUSSIEN. 

Quand  la  géante  fut  tombée,  on  approcha. 

Si  quelque  bey  d'Egypte,  un  khédive,  un  pacha. 

Renversait  le  pilastre  impur  de  Cléopâtre, 

Bon  à  faire  un  peu  d'ombre  à  midi  pour  le  pâtre. 

On  dirait  :  Barbarie  !  et  l'on  aurait  raison. 

Or  ce  trophée  était  sublime  à  l'horizon } 

Il  avait  l'air  d'un  phare  éclairant  une  rive  j 

Les  villes  du  prodige  et  du  rêve,  Ninive, 

Memphis  que  fit  Menés,  Sarde  où  régna  Cyrus, 

Sarepta,  qu'emplissaient  tant  d'hommes  disparus, 

Jéricho,  Palenquè,  Sofala,  Babylone, 

N'avaient  rien  de  plus  beau  que  cette  âpre  colonne  j 

Ce  cippe  triomphal  qu'un  siècle  respecta. 

Effaçait  l'obélisque  altier  d'Eléphanta, 

La  borne  de  Byzance  au  fond  de  l'Hippodrome, 

Et  le  pilier  de  Thèbe  et  le  pilier  de  Rome. 

Cette  colonne  était  toute  pleine  de  voix. 
Etant  forgée  avec  des  canons  pris  aux  rois  ; 
On  entendait  le  peuple  en  ce  bronze  bruire  -, 
Et  nous  n'avions  pas,  nous,  le  droit  de  la  détruire. 
Car  nos  pères  l'avaient  construite  pour  nos  fils. 
Elle  représentait,  bravant  tous  les  défis, 

POESIE.    —    XIII.  20 

I>»><1IEU«    HATIOXILC. 


3o6  TOUTE  LA  LYRE. 

La  révolution  de  l'Europe,  ébauchée 

Par  leur  vertigineuse  et  vaste  chevauchée. 

Et  l'esprit  de  Fleurus  planant  sur  Austerlit^, 

Et  nos  drapeaux  ayant  des  rayons  dans  leurs  plis. 

En  voyant  sur  la  place  auguste  la  spirale 

De  toute  cette  gloire  énorme  et  sidérale. 

Et  ce  noir  tourbillon  de  fantômes,  tordu. 

Fixe  et  pétrifié  sous  le  vent  éperdu. 

On  songeait.  Il  semblait  que  la  haute  fumée 

Sortie  en  tournoyant  de  cette  fière  armée. 

N'avait  pas,  sous  le  ciel  orageux  ou  serein. 

Voulu  se  dissiper,  et  s'était  faite  airain. 


^ 


Semblable  au  moissonneur  foulant  des  gerbes  mûres. 

Cette  colonne  avait  pour  socle  un  tas  d'armures. 

Elle  offensait  les  rois  et  non  les  nations. 

Afin  qu'on  pût  juger  les  pas  que  nous  faisions. 

Elle  fixait  le  point  d'où  nos  pères  partirent  5 

Elle  indiquait  le  lieu  d'où  les  flots  se  retirent. 

Et  rattachait  aux  jours  nouveaux  les  jours  anciens  ; 

Après  les  grands  soldats  place  aux  grands  citoyens  ! 

Elle  était,  dans  Paris  que  le  soleil  inonde. 

Comme  un  style  au  milieu  de  ce  cadran  du  monde. 

Et  son  ombre  y  marquait  les  heures  du  progrès. 

Les  rois  n'osaient  venir  la  regarder  de  près. 

Hier  elle  tomba,  la  grande  solitaire. 
On  a  pu  mesurer,  quand  on  l'a  vue  à  terre. 
Tout  ce  qu'on  peut  ôter  d'orgueil  en  un  instant 
Au  siècle  le  plus  sombre  et  le  plus  éclatant. 


DESTRUCTION  DE  LA  COLONNE.  307 


Ceux  qui  sur  ce  débris  collèrent  leur  oreille 
Entendirent  dans  l'ombre  une  rumeur  pareille 
A  l'océan  qui  parle  et  se  plaint  sous  les  cieux. 

Voici  ce  que  disait  ce  bruit  mystérieux  : 

—  Vous  vous  êtes  trompés  comme  se  trompait  Rome. 

Ce  que  vous  ave2  pris  pour  la  gloire  d'un  homme. 

C'est  la  gloire  d'un  peuple,  et  c'est  la  vôtre,  hélas  ! 

Peuple,  quels  sont  mes  torts?  les  trônes  en  éclats, 

L'Europe  labourée  en  tous  sens  par  la  France, 

La  bataille  achevée  en  vaste  délivrance. 

Le  moyen-âge  mort,  les  préjugés  proscrits. 

Que  me  reprochez-vous?  le  sang,  les  pleurs,  les  cris. 

Les  deuils,  et  les  trop  grands  coups  d'aile  des  victoires; 

D'être  une  cime  où  luit  l'éclair  dans  les  nuits  noires. 

De  vivre,  et  d'attester  que  vos  pères  ont  mis 

Leur  âme  dans  l'airain  des  canons  ennemis. 

Mon  crime,  c'est  la  lutte  altière  des  épées. 

Le  choc  des  escadrons,  les  cuirasses  frappées. 

Les  échelles  au  mur,  les  clairons,  les  assauts. 

Les  lions  sont  haïs  par  vous  les  lionceaux  ; 

Votre  enfance  n'a  pu  supporter  ma  vieillesse. 

Soit.  Je  pars  avec  Ulm  et  "Wagram  ;  je  vous  laisse 

Avec  Sedan.  Adieu.  Je  gêne.  Je  m'en  vais. 

J'aime  encor  mieux  ma  guerre,  hélas,  que  votre  paix. 


20. 


3o8  TOUTE  LA  LYRE. 


IV 


La  grande  République  a  des  griffes  fatales. 

Gare  à  ceux  qui  voudraient,  sans  être  les  vrais  mâles. 

Sans  être  les  époux  réels  et  sérieux. 

Faire  accepter  au  fond  des  bois  mystérieux 

Leur  virilité  fausse  à  la  rude  femelle  ! 

Pallas  demanderait  de  quoi  Davus  se  mêle  5 

La  géante  serait  peu  tendre  au  myrmidon  5 

S'il  osait  essayer  un  instant  d'abandon. 

L'ongle  altier  pourrait  bien  maltraiter  cette  nuque  ; 

Ce  n'est  pas  sans  danger  parfois  qu'une  perruque. 

Eût-elle  un  aspect  fauve  et  d'âpres  épaisseurs. 

Prend  des  airs  de  crinière  aux  yeux  des  connaisseurs  ; 

Je  ne  conseille  pas  au  sieur  Scapiglione 

De  faire  le  lion  auprès  de  la  lionne. 

Paris,  16  octobre  18 71. 


APRES  L'ECROULEMENT  DE  L*HOMME. 

Pour  venger  le  passé,  pour  sauver  l'avenir, 
O  peuple,  j'ai  senti  que  je  devais  punir 
Un  homme,  et  qu'il  fallait  châtier  une  tête^ 
Et  moi,  qui  dans  ma  serre  ai  porté  la  tempête, 
Quand  la  Justice  au  front  redoutable  et  sacré 
M'a  dit  :  Foudroie,  ami!  j'ai  dit  :  Je  le  ferai. 
Soit.  Car  ce  ne  sont  pas  les  aigles,  d'ordinaire. 
Qui  refusent  de  prendre  en  leur  griffe  un  tonnerre. 

Et  j'ai  lutté.  Ce  maître  était  là  sous  son  dais  ; 

Et  je  le  combattais,  et  je  le  regardais  j 

Il  avait  tout  pour  lui,  du  Volga  jusqu'au  Tibre, 

Tout,  l'Allemagne  esclave  et  l'Angleterre  libre  j 

Je  lui  faisais  la  guerre  à  travers  cette  paix  5 

Et  la  foule,  à  ses  pieds,  tandis  que  je  frappais. 

S'étonnait  que  quelqu'un  osât  rester  honnête  j 

L'ignominie  était  devenue  une  fête  ; 

Moi,  seul  au  bord  des  mers,  banni,  haï  de  tous. 

D'autant  plus  indigné  qu'il  était  plus  absous, 

0  Guernesey,  debout  sur  tes  fières  collines. 

Je  lui  jetais  d'en  haut  des  feuilles  sibyllines  5 

Les  vents  les  lui  portaient,  ombre,  nuage,  affront  j 

Et  lorsqu'elles  passaient  au-dessus  de  son  front. 

Il  en  sortait  un  vers  ressemblant  à  la  foudre. 

Mais  maintenant  que  l'homme  infâme  est  dans  la  poudre. 
Qu'il  est  à  terre,  affreux,  gisant,  et  que  je  vois 


3IO  TOUTE  LA  LYRE. 

Son  nom  faire  partout  frémir  toutes  les  voix, 

Et  les  passants  marcher  sur  César  misérable , 

Fais  place,  âpre  justice,  au  pardon  vénérable. 

Ou  du  moins,  si  c'est  trop  de  pardonner,  permets 

Que  ma  colère  en  feu  reste  sur  les  sommets. 

Et  ne  descende  pas  à  frapper  ce  cadavre. 

Laisse-moi  me  tourner  vers  tout  ce  qui  me  navre. 

Vers  ceux  qui  maintenant  sont  puissants,  et  qui  font 

Pencher  la  France  au  bord  de  la  chute  sans  fond. 

Je  lutte,  ô  Vérité,  mais  jamais  je  n'accable. 

Le  cœur  persévérant  n'est  point  l'âme  implacable. 

L'écrasement  de  qui  n'est  plus  est  puéril. 

Le  tort  ne  suffit  pas,  il  me  faut  le  péril. 

Pour  ceux-là  seulement  mon  courroux  est  tenace 

Qui  dans  la  main  ont  l'arme  et  dans  l'œil  la  menace. 

Et  dans  mon  dédain  calme  et  pensif  j'engloutis 

Les  monstres,  s'ils  sont  morts,  ou  bien  s'ils  sont  petits. 

La  foudre  veut  un  but,  et  se  trouve  inutile 

Sur  l'hydre  inanimée  ou  l'acarus  reptile. 

Et  le  noir  justicier,  sur  les  cimes  frappant. 

Laisse  vivre  le  ver  et  pourrir  le  serpent. 


VI 


L'ORGIE  DES  MEURTRES. 

Ah  çà,  je  mets  les  points  sur  les  i.  Soit.  J'admets 

La  guerre,  à  la  rigueur  5  l'assassinat,  jamais. 

Avouez  qu'il  serait  étrange  que  j'aimasse 

La  tuerie  en  détail,  moi  qui  l'exècre  en  masse. 

Ou  que,  la  réprouvant  en  détail,  j'eusse  un  goût 

Pour  le  sang,  quand  ses  flots  font  déborder  l'égout. 

Oui,  les  cadavres  sont  voilés  par  les  décombres; 

Mais  l'histoire  plus  tard  saura  des  choses  sombres. 

Tu  veux  en  vain  couvrir,  tablier  du  boucher, 

La  Saint-Barthélémy  malaisée  à  cacher  ; 

Les  éponges  des  gens  agenouillés  sont  vaines 

Pour  laver  le  ravin  sinistre  des  Cévennes, 

Et  toujours  il  en  suinte  un  long  ruisseau  de  sang. 

L'assassinat  a  beau  prendre  un  air  innocent. 
Prouver  ce  qui  n'est  pas,  nier  ce  qu'on  démontre  5 
Expliquer  ses  raisons,  dire  son  Pour  et  Contre  ; 
Que,  si  l'on  ne  mettait  personne  hors  la  loi, 
Veuillot  serait  sans  tâche  et  Carrier  sans  emploi, 
{Tache,  n'oubliez  pas  cet  accent  circonflexe. 
Imprimeurs),  qu'on  ne  peut  tenir  compte  du  sexe. 
De  l'âge,  et  caetera,  car  on  est  fort  pressé. 
Et  la  chaux  vive  est  là  qui  bout  dans  le  fossé. 
Que  c'est  une  besogne  après  tout  peu  commode. 
Qu'il  faut  se  défier  du  pathos  à  la  mode. 
Qu'on  voudrait  vous  y  voir,  messieurs  les  mécontents. 
Que  désormais  voilà  de  l'ordre  pour  longtemps. 


312  TOUTE  LA  LYRE. 

Qu'il  faut  tout  extirper  pour  que  rien  ne  menace. 

Le  meurtre  a  beau  jurer  ses  grands  dieux,  saint-Ignace, 

Fouquier-Tinville,  Hébert,  de  Maistre,  Jacques-deux, 

C'est  en  vain  qu'il  ébauche  un  sourire  hideux. 

Il  est  le  crime,  issu  du  peuple  et  de  la  Bible, 

Et,  même  pour  le  bon  motif,  il  est  horrible } 

Qu'il  se  nomme  Albe,  Omar,  Cromwell,  Bellart,  Marat, 

Il  est  toujours  stupide  et  toujours  scélérat. 

Quel  que  soit  le  parti  qui  dans  l'horreur  se  vautre. 

Malheur  au  meurtre  autant  d'un  côté  que  de  l'autre  ! 

Je  trouve  Atrée  aifreux,  même  tuant  Caïn. 

Qui  que  tu  sois  qui  fus  bourreau,  cache  ta  main. 

Sache  que  tu  ne  peux  à  ceci  te  soustraire 

Qu'un  crime  n'est  jamais  commis  que  sur  un  frère. 

Et  que  toute  victime  est  sœur  du  meurtrier. 

On  distingue  entre  erreur  et  forfait,  mais  trier 

Parmi  les  massacreurs,  voir  la  neige  ou  le  sable 

Teints  de  sang,  et  plaider  pour  le  tigre  excusable. 

Jamais.  Nous  n'aurons  point  pour  le  meurtre  hébété 

Ce  pardon  qui  ressemble  à  la  complicité. 

Ah  !  que  de  Niobés,  d'Hécubes  et  d'Electres  ! 

Hélas  î  j'entends  parler  à  voix  basse  les  spectres. 

Et  jusqu'à  mon  oreille  un  sourd  chuchotement 

Des  morts,  à  travers  l'ombre,  arrive  vaguement. 

Moi  qui  ne  suis  qu'un  homme  ayant  pour  loi  de  plaindre. 

De  lutter,  de  ne  rien  tuer,  de  ne  rien  craindre. 

Qui  vainqueur  m'agenouille  et  vaincu  suis  debout. 

Ma  résolution  est  d'aller  jusqu'au  bout. 

Je  sens  en  moi  la  force  énorme,  l'innocence. 

N'avoir  pour  aucun  crime  aucune  complaisance. 

C'est  ma  loi.  Je  dis  donc  à  tous  la  vérité. 

A  toi  Rigault,  à  toi  Galliffet.  Probité, 

Sincérité,  devoir,  c'est  là  toute  mon  âme. 

Les  tueurs  rouges  ont  au  front  le  signe  infâme. 

Mais  je  hais,  comme  étant  aux  rouges  ressemblants. 

Les  fratricides  noirs  et  les  assassins  blancs. 


L'ORGIE  DES  MEURTRES.  313 

Je  suis  le  balayeur  impartial  qui  passe 

Et  jette  aux  quatre  vents  farouches  de  l'espace 

Tout  ce  qui  souille  l'homme  ou  le  peuple  ou  la  loi, 

L'assassin  de  Duval,  l'assassin  de  Darboy, 

L'erreur,  point  d'appui  sombre  où  le  crime  s'attache, 

Haynau,  Cissey,  Jourdan-coupe-tête  et  sa  hache. 

Le  prêtre  et  son  missel,  le  reître  et  son  cimier. 

Quelque  tas  monstrueux  que  fasse  le  fumier. 

Ne  vous  figurez  pas,  messieurs,  que  je  recule. 

Je  rencontre  Augias  et  j'ai  l'humeur  d'Hercule. 


16  septembre. 


314  TOUTE  LA  LYRE. 


VII 


Oui,  l'on  a  sauvé  l'ordre  et  l'état,  et  je  crois 

Que  c'est  pour  la  cinquième  ou  la  sixième  fois  ; 

Le  steamer  pourvoyeur  du  bagne  est  dans  nos  havres  -, 

On  a  pendant  huit  jours  enjambé  des  cadavres. 

Des  fosses,  des  mourants;  on  s'est  habitué; 

On  a  très  vite  fait  justice  ;  on  a  tué 

Hommes,  femmes,  enfants,  tout  un  peu  pêle-mêle  ; 

Maintenant  sont  forçats,  mangeant  à  la  gamelle 

Et  vêtus  des  habits  de  la  chiourme,  plusieurs 

Qui  de  la  tyrannie  étaient  les  fossoyeurs. 

Et  dont  nous  avions  vu,  du  Volga  jusqu'à  l'Ebre 

Et  du  Tage  au  Niémen,  voler  le  nom  célèbre; 

Victoire!  On  n'a  point  lait  les  choses  à  demi. 

Pour  sauver  la  patrie  et  devant  l'ennemi 

Paris  avait  cinq  mois  eu  la  rumeur  immense 

Des  forêts  que  le  vent  semble  mettre  en  démence  ; 

Il  ressemblait  au  sombre  ouragan  libyen  ; 

Il  a  fallu  le  faire  un  peu  taire  ;  c'est  bien. 

Nous  voilà  soulagés  ;  car  c'est  une  souffrance 

Qu'une  ville  acharnée  à  délivrer  la  France  ; 

L'Allemagne  nous  dit  à  demi-voix  :  Merci. 

Les  cafés  sont  rouverts,  les  églises  aussi; 

La  paix  sanglante  sort  de  la  guerre  civile. 

Nous  avons  de  plus  l'ordre  et  de  moins  cette  ville. 

Des  gens  auraient  aimé  peut-être  moins  de  morts  ; 

Mais  qu'un  cheval  ait  trop  d'écume  sur  le  mors 

Quand  il  a  bien  couru,  n'est-ce  pas  ordinaire? 

La  bombe  n'y  voit  pas  plus  clair  que  le  tonnerre  ; 


OUI  L'ON  A  SAUVE  UOKDKE  ET  L'ETAT...      315 

Les  faux  coups  sont  permis  en  de  si  durs  combats 

Au  Jupiter  d'en  haut  comme  aux  Jupins  d'en  bas. 

Bref,  nous  sommes  sauvés.  De  tous  les  cœurs  s'élance 

Ce  cri  d'enthousiasme  et  de  bonheur  :  Silence  ! 

Que  personne  ne  pense  et  qu'on  ne  parle  plus  ! 

Il  est  temps  que  la  mer  montante  ait  son  reflux, 

Et  que  l'utile  vent  du  tombeau  décourage 

Toutes  ces  libertés  qui  font  un  bruit  d'orage. 

Ce  siècle  a  trop  d'éclairs,  de  foudre  et  de  rayons  5 

Il  est  bon,  et  c'est  là  ce  qu'enfin  nous  voyons, 

Qu'un  poing  sauveur,  sorti  des  ténèbres,  l'étreignc; 

La  société  veut,  la  religion  règne; 

C'est  dans  le  droit  divin,  c'est  dans  le  syllabus 

Qu'est  le  salut,  le  peuple  étant  presque  un  abus. 

De  là  ce  grand  succès  :  l'ombre  dans  la  fournaise; 

Quatrevingt-neuf  puni  de  son  quatrevingt -treize  ; 

Plus  de  licence,  plus  de  tumulte,  plus  rien. 

De  la  butte  Montmartre  au  mont  Valérien, 

Ce  Paris,  bouillonnant  comme  le  flot  dans  l'urne. 

Se  tait,  et  nous  avons  l'apaisement  nocturne; 

Le  peuple  est  sous  le  sabre,  heureux,  content,  muet; 

On  recommencerait  si  quelqu'un  remuait. 

Ces  choses,  j'en  conviens,  ont  de  quoi  satisfaire; 

Chacun,  en  attendant  le  maître  qu'il  préfère. 

Voit  la  police  faite,  et  c'est  toujours  cela; 

Et,  certe,  on  n'a  pas  trop  payé  cette  paix-là 

Au  prix  d'un  peu  du  sang  qui  sous  nos  pieds  rougeoie  ; 

Pourtant  je  n'en  suis  pas  devenu  fou  de  joie. 

6  juin. 


3l6  TOUTE  LA  LYRE. 


VIII 


En  Belgique  —  (et  peut-être,  hélas!  ailleurs  encor!) 

La  justice,  le  droit,  la  loi,  c'est  un  décor  5 

Pour  le  peuple  il  en  sort  un  bras  armé  d'un  glaive  ^ 

Mais  que  quelqu'un  d'en  haut  passe,  cela  s'enlève  ; 

Le  juge  est  un  châssis,  Thémis  est  en  carton, 

La  magistrature  âpre  et  sombre  est  un  mouton 

Sur  roulette,  et  le  code  est  une  bergerie  ; 

Pour  faire  évanouir  la  fantasmagorie 

Il  suffit  de  ce  coup  de  sifflet  réussi 

Qu'on  entend  au  théâtre,  et  dans  les  bois  aussi. 

Exemple  :  des  gandins  avec  leurs  gourgandines, 
O  Brillât-Savarin,  de  la  cave  où  tu  dmes. 
Sortent,  et,  gais  soupeurs,  veulent  avec  raison 
Servir  l'ordre  en  mettant  à  sac  une  maison  -, 
S'ils  ont  bu  de  bon  vin,  si  cette  populace 
Se  compose  de  gens  titrés,  d'hommes  en  place. 
De  barons,  de  marquis,  de  princes,  de  laquais. 
Gueux  bien  mis,  assassins  du  genre  freluquets, 
Si  ce  sont  des  bandits  à  la  dernière  mode. 
Incapables  de  prendre  un  sou  dans  ma  commode. 
Faisant  la  bouche  en  cœur,  fredonnant  un  couplet. 
Désirant  seulement  tuer  qui  leur  déplaît. 
Nul  magistrat  ne  doit  troubler  ce  badinage. 
Si  le  principal  drôle  est  presque  un  personnage, 
S'ils  ont  pris  le  soin  d'être  en  nombre  suffisant. 
Armés,  et  contre  un  seul  cinquante,  au  besoin  cent. 
S'ils  sont  prudents,  s'ils  n'ont  à  craindre  en  ce  repaire 


EN  BELGI^E  —  {ET  PEUT-ETKE,  HELAS.'...).       317 

Que  deux  petits  enfants  gardés  par  un  grand-père. 

S'il  s'agit  d'un  français  quelconque,  d'un  quidam. 

Monsieur  Anspach  devient  bourgmestre  de  Saardam , 

Pas  un  sergent  ne  vient,  pas  un  exempt  ne  bouge  ; 

Ça,  croit-on  que  Kerwin  va  se  fâcher  tout  rouge 

Contre  son  fils  qui  fait  dans  l'ombre  un  tour  charmant? 

La  police  se  change  en  Belle  au  bois  dormant. 

Comme  au  fond  la  justice  est  une  simagrée. 

Etant  admis  l'Etat  à  qui  la  chose  agrée 

Et  qui  transforme  en  cippe,  en  terme,  en  borne,  en  pion. 

Ce  dogue,  le  gendarme,  et  ce  lynx,  l'espion. 

Tout  se  passe  le  mieux  du  monde  -,  on  laisse  faire. 

Anspach  boit  ce  vacarme  ainsi  qu'un  somnifère. 

Dérange-t-on  les  gens  pour  ces  misères-là? 

Un  assaut  !  tout  au  plus  un  meurtre  !  qu'est  cela  ? 

Après  tout,  c'est  bien  fait.  Amuse-toi,  jeunesse. 

Dormes,  monsieur  Berden,  ronflez,  monsieur  Cornesse. 

Nous  sommes  par  des  lois  complaisantes  régis. 

Crocheter  une  porte,  assiéger  un  logis  ! 

Bravo  !  ces  FranquiUons  ne  sont  que  des  bélîtres. 

Va-t-on  pas  ennuyer  de  gais  casseurs  de  vitres 

Pour  une  pierre  ayant  pu  tuer  un  enfant? 

Garder  l'homme  attaqué!  Non,  celui  qu'on  défend. 

C'est  l'agresseur. 

Alors  luit  dans  l'ombre  livide 
Une  métamorphose  oh.  se  plairait  Ovide, 
Et  la  mythologie  aimable  reparaît. 
Toute  une  capitale  est  changée  en  forêt} 
La  patrouille  enchantée  imite  l'écrevisse; 
Chez  Argus  souriant  Morphée  est  de  service. 

Bruxelles,  30  mai  1871. 


3l8  TOUTE  LA  LYRE. 


IX 


A  UN  ROI  DE  TROISIEME  ORDRE. 

Roi,  tu  m'as  expulsé,  me  dit-on.  Peu  m'importe. 

De  plus,  un  acarus,  dans  un  journal  cloporte. 

M'outrage  de  ta  part  et  de  la  part  du  ciel  5 

Affront  royal  qui  bave  en  style  officiel. 

Je  ne  te  réponds  pas.  J'ai  cette  impolitesse. 

Vois-tu,  roi,  ce  n'est  pas  grand'chose  qu'une  altesse. 

Ton  journaliste  et  toi,  je  vous  ignore,  étant 

Fort  occupé  des  fleurs  que  Dieu  dans  cet  instant 

Nous  prodigue,  et  voulant  fêter  le  mois  des  roses. 

D'ailleurs,  je  ne  crois  pas  que  les  grands  sphinx  moroses, 

Ni  que  le  sombre  écueil  hanté  par  l'alcyon. 

Fassent  dans  l'infini  beaucoup  d'attention 

Les  uns  au  grain  de  sable  et  l'autre  au  jet  d'écume. 

Qu'un  courtisan  insulte  et  qu'un  lampion  fume. 

C'est  tout  simple  ;  un  rêveur  n'en  est  point  irrité  5 

C'est  pourquoi  je  suis  calme  envers  ta  majesté. 

Tu  peux  tranquillement  décorer  ton  bourgmestre. 

Par  la  grâce  du  Dieu  que  protège  de  Maistre, 

Tu  règnes,  et  ton  scribe  écrit.  Vivez  en  paix. 

J'erre,  fauve  chasseur,  dans  les  halliers  épais  j 

J'écoute  l'aboiement  d'une  meute  idéale } 

Je  tiens  à  la  grandeur  de  la  bête  royale  j 

Et  j'aime  à  rencontrer  de  fiers  êtres  méchants 

Afin  de  rassurer  le  monde  avec  mes  chants  ; 

Je  ne  suis  pas  fâché  quand  des  lions  m'attaquent  5 

Des  monstres,  légions  rugissantes,  me  traquent. 


À  UN  ROI  DE  TROISIÈME  ORDRE.  319 

C'est  bien,  je  les  attends,  songeant  sous  des  cyprès. 

Je  leur  montre  les  dents  quand  ils  viennent  trop  près  ; 

J'en  fais,  quand  il  le  faut,  un  exemple  efficace 5 

Et  l'on  peut  voir  dans  l'ombre  à  mes  pieds  la  carcasse 

De  l'un  d'eux  qui,  je  crois,  était  un  empereur. 

Mais  j'ai  fort  peu  le  temps  de  me  mettre  en  fureur. 

Et  j'aime  mieux  rester  tranquille.  Je  médite 

Sur  la  terre,  bénie  au  fond  des  cieux,  maudite 

Au  fond  des  temples  noirs  par  le  fakir  sanglant  ; 

J'aime  dans  l'œuf  l'oiseau,  le  chêne  dans  le  gland. 

Dans  l'enfant  l'avenir,  et  sitôt  que  l'aurore 

Commence  à  nous  verser  du  jour,  je  dis  :  Encore! 

Et  je  demande  au  ciel  pour  nous,  humanité. 

Un  élargissement  immense  de  clarté; 

Les  injures  qu'on  peut  me  faire  sont  couvertes 

Par  l'azur,  par  le  doux  frisson  des  branches  vertes, 

Par  le  divin  babil  des  nids  mélodieux  ; 

Cette  nature  a  tant  d'oreilles  et  tant  d'yeux. 

Elle  regarde  avec  tant  de  majesté  l'homme. 

Elle  est  si  bien  prodigue  et  si  bien  économe 

De  sa  force  que  tout  reçoit,  que  rien  ne  perd. 

Elle  mêle  un  tel  verbe  à  son  puissant  concert. 

Que  je  sens  le  besoin  d'être  un  songeur  utile  ; 

Dieu  surveille  le  vent,  je  surveille  mon  style. 

Car  l'orage  et  le  vers  seraient  de  vils  moqueurs 

Si  l'un  troublait  les  flots,  si  l'autre  ouvrait  les  cœurs 

Sans  règle,  et  s'ils  n'avaient  pour  but,  dans  l'ombre  infâme. 

L'un  d'assainir  la  mer,  l'autre  d'agrandir  l'âme  ; 

L'ombre,  c'est  l'ennemi,  je  la  combats;  je  veux 

Aux  énigmes  du  sort  arracher  des  aveux. 

Leur  oter  notre  cœur  qu'elles  ont  dans  leur  serre. 

Dissiper  l'ignorance,  abolir  la  misère; 

Je  suis  l'esprit  sévère,  inquiet,  froid,  hautain. 

Et  le  contradicteur  de  l'énorme  destin  ; 

Je  marche  sous  l'horreur  des  branchages  superbes. 

Dans  les  profondes  fleurs  et  dans  les  hautes  herbes. 

Ignorant  les  pays  interdits  à  mes  pas. 


320  TOUTE  LA  LYRE. 

Insulté  de  si  loin  que  je  ne  le  sais  pas  ; 
J'aime  tous  les  soleils  et  toutes  les  patries  5 
Je  suis  le  combattant  des  grandes  rêveries, 
Le  songe  est  mon  ami,  l'utopie  est  ma  sœur^ 
Je  n'ai  de  haine  en  moi  qu'à  force  de  douceur  5 
J'écoute,  comme  un  bruit  de  vagues  débordées, 
Le  murmure  confus  des  futures  idées. 
Et  je  prépare  un  lit  à  ce  torrent  qui  vient  -, 
Je  sais  que  Dieu  promet  ce  que  l'avenir  tient. 
Et  j'apprête  au  progrès  sa  route  dans  l'espace  -, 
Je  défends  les  berceaux  et  les  tombeaux,  je  passe, 
Ayant  le  vrai,  le  bien,  le  beau,  pour  appétits. 
Inattentif  aux  rois  quand  ils  sont  trop  petits. 

12  juin. 


X 


ALSACE  ET  LORRAINE. 

A 

O  le  rêve  insensé  que  font  ces  misérables  ! 

De  qui  parlez-vous  là?  Des  rois.  Jours  exécrables  ! 

Jours  que  de  noirs  essaims  d'Euménides  suivront  ! 

Terre  et  cieux!  que  mon  nom,  synonyme  d'afeont. 

Soit  maudit,  que  ma  main  se  sèche  et  se  flétrisse 

Si  jamais  se  taisait  ma  voix  accusatrice  ! 

Temps  hideux!  voilà  donc  comment  ces  meurtriers. 

Eclaboussés  de  sang  du  casque  aux  étriers, 

Ivres  d'orgueil,  de  bruit,  de  clairons,  de  bannières. 

Traitent  les  nations,  leurs  pâles  prisonnières! 

César  brille,  une  flamme  aflireuse  l'empourprant. 

On  coupe  par  morceaux  les  peuples.  On  en  prend 

Ce  qu'on  veut,  ce  qui  plaît,  le  bras,  le  cœur,  la  tête. 

On  est  un  tas  d'oiseaux  de  proie  et  de  tempête 

Se  ruant  sur  l'auguste  et  sombre  genre  humain. 

On  est  les  chefs  de  l'ombre  et  l'on  a  dans  la  main 

Les  rênes  des  chevaux  du  sépulcre,  on  excite 

De  la  voix  tous  les  chiens  monstrueux  du  Cocyte, 

Grant,  Bismarck  et  Gladstone  et  Bancroft  l'aboyeur; 

Cette  prostituée  inepte,  la  frayeur. 

Mère  des  lâchetés,  vous  aide  épouvantée  5 

Et  pour  tuer  Paris,  ô  tentative  athée! 

Comme  jadis  Xercès  contre  Léonidas, 

On  pousse  la  marée  horrible  des  soldats. 

On  gonfle  le  flot  noir  des  légions  sinistres  5 

On  est  les  dieux  ayant  les  démons  pour  ministres  j 

POESIE.    XIII.  21 

IWBllIEniB     t 


322  TOUTE  LA  LYRE. 

Et  quand  on  a  commis  tous  ces  crimes,  on  va 

Remercier  ce  spectre  idiot,  Jéhovah! 

Puis  on  chante  et  l'on  rit,  sans  voir  que  cette  fête 

Où  manque  le  vrai  Dieu,  déplaît  au  vrai  prophète, 

Et  que  le  justicier,  Juvénal,  d'Aubigné, 

Tacite,  est  là  qui  rêve  et  regarde  indigné. 

On  enterre  l'argent  pillé,  les  deux  provinces. 

Les  morts  ;  on  a  la  joie  effroyable  des  princes  j 

On  se  visite,  on  s'offre  un  régiment,  on  est 

Plus  souriant  que  n'est  épineux  le  genêt  5 

On  trame  aux  bals  charmants  ses  royales  paresses. 

Et  Ton  se  fait  de  tigre  à  tigre  des  caresses. 

Quant  au  sang,  laissez-le  couler,  c'est  un  torrent. 

Et  cependant,  on  a  des  sophistes,  dorant 

Ces  gloires,  ces  traités  haineux,  cette  infamie. 

Une  belle  captive  est  une  belle  amie 

Pourvu  qu'elle  comprenne  et  se  calme  5  fermons 

L'antre  des  vents  soufflant  sur  les  mers  et  les  monts  ; 

Que  du  drame  sanglant  sorte  l'idylle  agreste  5 

Paix!  quand  on  a  tout  pris,  on  peut  laisser  le  reste. 

Bonheur  !  concorde  !  Plus  de  courroux  !  Plus  d'effiroi  ! 

Et  l'on  dit  à  la  France  :  Allons,  apaise-toi. 

C'est  fini,  France.  —  Eh  quoi,  de  ma  mémoire  amère. 

J'effacerais  Strasbourg  et  Metz  !  dit  cette  mère  5 

Ah  !  j'oublierais  plutôt  mes  deux  seins  arrachés  ! 

Non,  nous  n'oublierons  pas!  Rois,  ce  que  vous  cherchez. 

Le  butin,  puis  la  paix  dans  la  torêt  déserte. 

Ce  que  vous  attendez,  vous  ne  l'aurez  pas,  certe; 

Mais  ce  que  vous  aurez,  vous  ne  l'attendez  pas  : 

C'est  le  gouffre.  Avancez  dans  l'ombre  pas  à  pas. 

Allez,  marchez.  Toujours  derrière  la  victoire 

L'avenir,  livre  obscur,  réserve  pour  l'histoire 

Un  feuillet,  noir  ou  blanc,  qu'on  nomme  le  revers. 

Les  naufrages  profonds  devant  vous  sont  ouverts. 

Allez,  hommes  de  nuit.  Ah!  vous  êtes  superbes. 

Vous  régnez!  ô  faucheurs,  vous  pliez  sous  vos  gerbes 


ALSACE  ET  LORRAINE.  3^5 

De  cadavres,  de  fleurs,  de  cyprès,  de  lauriers. 

Conquérants  dont  seraient  jaloux  les  usuriers  ! 

Mais  vous  comptez  en  vain,  voleurs  de  ma  Lorraine, 

Sur  mon  peu  de  mémoire  et  sur  mon  peu  de  haine. 

Je  suis  un,  je  suis  Tous,  et  ce  que  je  vous  dis 

Tous  les  cœurs  furieux  vous  le  disent,  bandits! 

Non,  nous  n'oublierons  pas!  Lorraine,  Alsace,  ô  villes, 

O  chers  français,  pays  sacrés,  soye^  tranquilles. 

Nous  ne  tarderons  point.  Le  glaive  est  prêt  déjà 

Que  Judith  pâle  au  flanc  d'Holopherne  plongea. 

Eternel  souvenir!  Guerre!  guerre!  Revanche! 

Ah!  ton  peuple  vivra,  mais  ton  empire  penche, 

Allemagne.  O  révolte  au  fond  du  tombeau  sourd  ! 

O  tocsin  formidable  au  clocher  de  Strasbourg  ! 

Ossements  remués  !  dressement  de  fantômes  ! 

Czars,  princes,  empereurs,  maîtres  du  monde,  atomes. 

Comme  ces  grands  néants  s'envolent  dans  la  nuit! 

Comme  l'éternité  des  rois  s'évanouit  ! 

Des  hommes,  jeunes,  vieux,  hurlant,  des  paysannes. 

Des  paysans,  ayant  des  faulx  pour  pertuisanes. 

Ah!  le  jour  de  la  lutte,  il  en  viendra  plus  d'un! 

Metz  imitera  Lille  et  Strasbourg  Chateaudun  ; 

Vos  canons  contre  vous  retourneront  leurs  gueules. 

Les  pierres  se  mettront  en  marche  toutes  seules 

Et  feront  des  remparts  contre  vous,  et  les  tours 

Vous  chasseront,  hiboux,  milans,  corbeaux,  vautours  ! 

On  verra  fourmiller  le  gouffre  des  épées  5 

Alors  revivra,  fière,  au  vent  des  épopées, 

La  Révolution  debout,  le  sabre  au  poing; 

Et,  pâles,  vous  de  qui  l'avenir  ne  veut  point. 

Vous  verrez  reparaître,  è  rois,  cette  gorgone 

A  travers  le  branchage  effrayant  de  l'Argonne^ 

La  France  embrassera  l'Alsace,  embrassera 

La  Lorraine,  ô  triompfieî  et  l'Europe  sera! 

Et  les  vengeurs,  avec  des  chants  et  des  huée:S, 

Plus  abondants  q^iic  l'ombre  au  puits  aoif  des  nuées. 


324  TOUTE  LA  LYRE. 

Plus  pressés  que  l'averse  en  un  ciel  pluvieux. 
Viendront,  et  je  verrai  cela,  moi  qui  suis  vieux  ! 


Vous  riez.  N'est-ce  pas  que  l'heure  est  mal  choisie. 

Rois,  pour  tant  d'espérance  et  tant  de  frénésie. 

Quand  on  vide  nos  sacs  d'écus,  quand  nous  avons 

Le  même  sort  qu'ont  eu  jadis  les  esclavons. 

Quand  tout  notre  sang  fuit  par  notre  veine  ouverte. 

Quand  vos  fusils  joyeux  ont  tous  leur  branche  verte. 

Quand  tout  est  gloire,  orgueil,  force!  —  Eh  bien,  vous  verrez. 

Soit.  Les  songes  ne  sont  pas  encor  dédorés  ; 

Mais,  princes,  cette  chose  étrange,  la  justice. 

Existe;  et,  quel  que  soit  le  château  qu'on  bâtisse. 

Fût-il  de  marbre,  il  est  d'argile,  et  son  ciment 

Périra,  s'il  n'a  pas  le  droit  pour  fondement; 

Son  mur  est  vain  s'il  n'est  gardé  que  par  le  nombre. 

Et  sa  porte  de  bronze  est  faite  avec  de  l'ombre. 

Vos  peuples  sont  déjà  repentants  de  vous  voir 

Tant  d'ivresse,  un  tel  sceptre  aux  mains,  tant  de  pouvoir; 

Ils  vous  ont  couronnés,  ne  sachant  pas  qu'un  Louvre 

Abrite  la  rapine  et  le  vol,  dès  qu'on  l'ouvre; 

Ils  frémissent  de  voir  que  vous  avez  tout  pris. 

C'est  de  leur  flanc  que  l'arbre  immense  du  mépris 

Sortira  comme  un  chêne  horrible  sort  de  terre. 

Vous  croyez,  tout-puissants  stupides,  qu'on  fait  taire 
L'éternelle  clameur  des  hommes  opprimés  ! 
Vous  pesez  sur  les  gonds  de  la  nuit,  vous  fermez 
La  porte  par  où  doit  venir  la  grande  aurore  ! 
Vous  tentez  d'étouffer  l'aube  auguste  et  sonore  î 
Ah  !  vous  vous  attaquez  au  sinistre  avenir  ! 
Il  vient  ressusciter,  sauver,  aimer,  punir! 
Tremblez  !  vous  violez  la  rive  inabordable. 
Savez-vous  les  secrets  de  la  nuit  formidable  ? 


m 


ALSACE  ET  LORRAINE.  325 

C'est  nous  que  le  matin  mystérieux  connaît  ; 
Ce  qui  germe,  ce  qui  s'avance,  ce  qui  naît. 
Ce  qui  pense,  est  à  nous.  Donc  tremblez,  ô  despotes. 
Tout  ce  que  tu  fais,  Krupp,  tout  ce  que  tu  tripotes, 
Bismarck,  tous  les  fourneaux,  flamboyants  entonnoirs. 
Où  l'âpre  forge  souflle  avec  ses  poumons  noirs. 
Fabriquant  des  canons,  des  mortiers,  des  bombardes. 
Tout  ce  qu'un  faux  triomphe  inspire  à  de  faux  bardes. 
Rois,  je  vous  le  redis,  ce  décor  d'opéra 
Pâlira,  passera,  fuira,  s'écroulera! 

Oui,  nous  sommes  tombés  et  vaincus,  et  le  Xanthe 

Frémissant  ne  vit  pas  Ilion  plus  gisante  ; 

Oui,  nous  sommes  à  terre,  à  bas,  brisés,  battus; 

Oui,  mais  Quatrevingt-douze  et  ses  sombres  vertus 

Croissent  dans  nos  enfants,  et  notre  ciel  se  dore 

De  ce  vieil  astre,  éclos  dans  cette  jeune  aurore  5 

Leurs  fraîches  voix  sont  là  chantant  les  grands  défis. 

Nous  voyons  nos  aïeux  renaître  dans  nos  fils  ; 

Oui ,  vous  l'emportez  ;  mais  nul  ne  trompe  et  n'évite 

L'œil  invisible;  et  bien  qu'un  larron  marche  vite. 

Le  châtiment  boiteux  le  suit  et  le  rejoint; 

Mais  mon  pays  n'est  pas  assez  mort  pour  ne  point 

Entendre  votre  éclat  de  rire  dans  sa  tombe. 

Et  cela  te  réveille,  ô  France,  ô  ma  colombe, 

O  ma  douce  patrie,  ô  grand  aigle  effrayant! 

Oui,  vous  croyez  que  tout  finit  en  balayant. 

Et  que  lorsqu'on  a  mis  dans  un  coin  les  décombres. 

On  peut  sur  les  tombeaux  laisser  rôder  les  ombres. 

Eh  bien  non.  Car  une  ombre  est  une  âme.  Oui,  tyrans. 

Nous  sommes  accablés,  dépouillés,  expirants. 

Nous  n'avons  plus  d'amis,  plus  d'argent,  plus  d'armée. 

Plus  de  frontières,  mais  nous  avons  la  fumée 

De  nos  hameaux  brûlés  qui  vous  dénonce  tous. 

Et  qui  noircit  le  ciel  contre  vous,  et  pour  nous! 

Mais  l'étoile  survit  quand  le  navire  sombre  ; 

Mais  quand  l'assassiné  saigne  dans  le  bois  sombre, 


326  TOUTE  LA  LYRE. 

Une  blême  lueur  sort  du  cadavre  nu  -, 

Mais  le  destin  pensif  s'est  toujours  souvenu 

De  la  nécessité  de  punir  les  coupables  ; 

Mais  l'invincible  essaim  des  forces  impalpables 

Qu'on  nomme  vérité,  devoir,  progrès,  raison. 

Vient  vers  nous  et  remplit  de  rumeur  l'horizon  ; 

Mais  nous  sommes  aidés  par  toute  l'âme  humaine  5 

Mais  le  monde  a  besoin  d'un  flambeau  qui  le  mène. 

Et  vous  vous  appelez  Ténèbres  5  mais  le  jour. 

Le  saint  travail,  la  paix,  la  liberté,  l'amour. 

Tout  cela  conduit  l'homme  et  tient  dans  le  mot  France  ! 

Oui,  nous  sommes  le  deuil,  la  chute,  la  souffrance. 

Nul  peuple  de  si  bas  encor  n'est  revenu  j 

Mais  nous  avons  pour  nous  ce  quelqu'un  d'inconnu 

Dont  on  voit  par  moments  passer  l'ombre  sublime 

Par-dessus  la  muraille  énorme  de  l'abîme  ! 


9  novembre  1872.  H.  H. 


XI 


LA  LIBERATION  DU  TERRITOIRE. 


Je  ne  me  trouve  pas  délivré.  Non,  j'ai  beau 

Me  dresser,  je  me  heurte  au  plafond  du  tombeau, 

J'étoufFe,  j'ai  sur  moi  l'énormité  terrible. 

Si  quelque  soupirail  blanchit  la  nuit  visible. 

J'aperçois  là-bas  Metz,  là-bas  Strasbourg,  là-bas 

Notre  honneur,  et  l'approche  obscure  des  combats. 

Et  les  beaux  enfants  blonds,  bercés  dans  les  chimères. 

Souriants,  et  je  songe  à  vous,  ô  pauvres  mères. 

Je  consens,  si  l'on  veut,  à  regarder,  je  vois 

Ceux-ci  rire,  ceux-là  chanter  à  pleine  voix, 

La  moisson  d'or,  l'été,  les  fleurs,  et  la  Patrie 

Sinistre,  une  bataille  étant  sa  rêverie. 

Avant  peu  l'Archer  noir  embouchera  le  cor  ; 

Je  calcule  combien  il  faut  de  temps  encor; 

Je  pense  à  la  mêlée  affreuse  des  épées. 

Quand  des  frontières  sont  par  la  force  usurpées. 

Quand  un  peuple  gisant  se  voit  le  flanc  ouvert. 

Avril  peut  rayonner,  le  bois  peut  être  vert. 

L'arbre  peut  être  plein  de  nids  et  de  bruits  d'ailes  ; 

Mais  les  tas  de  boulets,  noirs  dans  les  citadelles. 

Ont  l'air  de  faire  un  songe  et  de  frémir  parfois. 

Mais  les  canons  muets  écoutent  une  voix 

Leur  parler  bas  dans  l'ombre,  et  l'avenir  tragique 

SouflEie  à  tout  cet  airain  farouche  sa  logique. 


328  TOUTE  LA  LYRE. 

Quoi!  vous  n'entendez  pas,  tandis  que  vous  chantez. 
Mes  frères,  le  sanglot  profond  des  deux  cités! 
Quoi!  vous  ne  voyez  pas,  foule  aisément  sereine, 
L'Alsace  en  frissonnant  regarder  la  Lorraine  ! 
—  0  sœur,  on  nous  oublie  !  on  est  content  sans  nous  !  - 
Non  !  nous  n'oublions  pas  !  nous  sommes  à  genoux 
Devant  votre  supplice,  ô  villes!  Quoi!  nous  croire 
Affranchis,  lorsqu'on  met  au  bagne  notre  gloire. 
Quand  on  coupe  à  la  France  un  pan  de  son  manteau. 
Quand  l'Alsace  au  carcan,  la  Lorraine  au  poteau. 
Pleurent,  tordent  leurs  bras  sacrés,  et  nous  appellent. 
Quand  nos  frais  écoliers,  ivres  de  rage,  épellent 
Quatrevingt-douze,  afin  d'apprendre  quel  éclair 
Jaillit  du  cœur  de  Hoche  et  du  front  de  Kléber, 
Et  de  quelle  façon,  dans  ce  siècle  où  nous  sommes, 
On  fait  la  guerre  aux  rois  d'où  sort  la  paix  des  hommes  ! 
Non,  remparts,  non,  clochers  superbes,  non  jamais 
Je  n'oublierai  Strasbourg  et  je  n'oublierai  Metz. 
L'horrible  aigle  des  nuits  nous  étreint  dans  ses  serres. 
Villes!  nous  ne  pouvons,  nous  français,  nous  vos  frères. 
Nous  qui  vivons  par  vous,  nous  par  qui  vous  vivrez. 
Etre  que  par  Strasbourg  et  par  Metz  délivrés  ! 
Toute  autre  délivrance  est  un  leurre;  et  la  honte. 
Tache  qui  croît  sans  cesse,  ombre  qui  toujours  monte. 
Reste  au  front  rougissant  de  notre  histoire  en  deuil. 
Peuple,  et  nous  avons  tous  un  pied  dans  le  cercueil. 
Et  pas  une  cité  n'est  entière,  et  j'estime 
Que  Verdun  est  aux  fers,  que  Belfort  est  victime. 
Et  que  Paris  se  traîne,  humble,  amoindri,  plaintif. 
Tant  que  Strasbourg  est  pris  et  que  Metz  est  captif. 
Rien  ne  nous  fait  le  cœur  plus  rude  et  plus  sauvage 
Que  de  voir  cette  voûte  infâme,  l'esclavage. 
S'étendre  et  remplacer  au-dessus  de  nos  yeux 
Le  soleil,  les  oiseaux  chantants,  les  vastes  cieux! 
Non,  je  ne  suis  pas  libre.  O  tremblements  de  terre! 
J'entrevois  sur  ma  tête  un  nuage,  un  cratère. 


LA  LIBERATION  DU  TERRITOIRE.  329 

Et  l'âpre  éruption  des  peuples,  fleuve  ardent  5 
Je  râle  sous  le  poids  de  l'avenir  grondant. 
J'écoute  bouillonner  la  lave  sous-marine. 
Et  je  me  sens  toujours  l'Etna  sur  la  poitrine  ! 


Et  puisque  vous  voulez  que  je  vous  dise  tout. 

Je  dis  qu'on  n'est  point  grand  tant  qu'on  n'est  pas  debout. 

Et  qu'on  n'est  pas  debout  tant  qu'on  traîne  une  chaîne  ; 

J'envie  aux  vieux  romains  leurs  couronnes  de  chêne  ; 

Je  veux  qu'on  soit  modeste  et  hautain;  quant  à  moi. 

Je  déclare  qu'après  tant  d'opprobre  et  d'eflfroi. 

Lorsqu'à  peine  nos  murs  chancelants  se  soutiennent. 

Sans  me  préoccuper  si  des  rois  vont  et  viennent. 

S'ils  arrivent  du  Caire  ou  bien  de  Téhéran, 

Si  l'un  est  un  bourreau,  si  l'autre  est  un  tyran. 

Si  ces  curieux  sont  des  monstres,  s'ils  demeurent 

Dans  une  ombre  hideuse  où  des  nations  meurent. 

Si  c'est  au  diable  ou  bien  à  Dieu  qu'ils  sont  dévots, 

S'ils  ont  des  diamants  aux  crins  de  leurs  chevaux. 

Je  dis  que,  les  laissant  se  corrompre  ou  s'instruire. 

Tant  que  je  ne  pourrais  faire  au  soleil  reluire 

Que  des  guidons  qu'agite  un  lugubre  frisson. 

Et  des  clairons  sortis  à  peine  de  prison. 

Tant  que  je  n'aurais  pas,  rugissant  de  colère. 

Lavé  dans  un  immense  Austerlitz  populaire 

Sedan,  Forbach,  nos  deuils,  nos  drapeaux  frémissants. 

Je  ne  montrerais  point  notre  armée  aux  passants  ! 

A 

O  peuple,  toi  qui  fus  si  beau,  toi  qui  naguère 
Ouvrais  si  largement  tes  ailes  dans  la  guerre. 
Toi  de  qui  l'envergure  effrayante  couvrit 
Berlin,  Rome,  Memphis,  Vienne,  Moscou,  Madrid, 
Toi  qui  soufflas  le  vent  des  tempêtes  sur  l'onde 
Et  qui  fis  du  chaos  naître  l'aurore  blonde. 


330  TOUTE  LA  LYRE. 

Toi  qui  seul  eus  l'honneur  de  tenir  dans  ta  main 
Et  de  pouvoir  lâcher  ce  grand  oiseau.  Demain, 
Toi  qui  balayas  tout,  l'azur,  les  étendues. 
Les  espaces,  chasseur  des  fuites  éperdues. 
Toi  qui  fus  le  meilleur,  toi  qui  fus  le  premier, 
O  peuple,  maintenant,  assis  sur  ton  fumier. 
Racle  avec  un  tesson  le  pus  de  tes  ulcères. 
Et  songe. 

La  défaite  a  des  conseils  sincères  j 
La  beauté  du  malheur  farouche,  c'est  d'avoir 
Une  fraternité  sombre  avec  le  devoir  ; 
Le  devoir  aujourd'hui,  c'est  de  se  laisser  croître. 
Sans  bruit,  et  d'enfermer,  comme  une  vierge  au  cloître. 
Sa  haine,  et  de  nourrir  les  noirs  ressentiments. 
A  quoi  bon  étaler  déjà  nos  régiments  ? 
A  quoi  bon  galoper  devant  l'Europe  hostile? 
Ne  point  faire  envoler  de  poussière  inutile 
Est  sage  -,  un  jour  viendra  d'éclore  et  d'éclater; 
Et  je  crois  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  tant  se  hâter. 

Car  il  faut,  lorsqu'on  voit  les  soldats  de  la  France, 
Qu'on  dise  :  —  C'est  la  gloire  et  c'est  la  délivrance  ! 
C'est  Jemmapes,  l'Argonne,  Ulm,  léna,  Fleurus  ! 
C'est  un  tas  de  lauriers,  au  soleil  apparus  ! 
Regardez.  Ils  ont  fait  les  choses  impossibles. 
Ce  sont  les  bienfaisants,  ce  sont  les  invincibles. 
Ils  ont  pour  murs  les  monts  et  le  Rhin  pour  fossé.  — 
En  les  voyant,  il  faut  qu'on  dise  :  -—  Ils  ont  chassé 
Les  rois  du  nord,  les  rois  du  sud,  les  rois  de  l'ombre  ; 
Cette  armée  est  le  roc  vainqueur  des  flots  sans  nombre. 
Et  leur  nom  resplendit  du  zénith  au  nadir  !  — 
Il  faut  que  les  tyrans  tremblent,  loin  d'applaudir. 
Il  faut  qu'on  dise  :  —  Ils  sont  les  amis  vénérables 
Des  pauvres,  des  damnés,  des  serfs,  des  misérables. 
Les  grands  spoliateurs  des  trônes,  arrachant 
Sceptre,  glaive  et  puissance  à  quiconque  est  méchant; 


LA  LIBÉRATION  DU  TERRITOIRE.  331 

Ils  sont  les  bienvenus  partout  où  quelqu'un  souffre. 

Ils  ont  l'aile  de  flamme  habituée  au  gouffre. 

Ils  sont  l'essaim  d'éclairs  qui  traverse  la  nuit. 

Ils  vont,  même  quand  c'est  la  mort  qui  les  conduit. 

Ils  sont  beaux,  souriants,  joyeux,  pleins  de  lumière  5 

Athène  en  serait  folle  et  Sparte  en  serait  fière.  — 

Il  faut  qu'on  dise  :  —  Ils  sont  d'accord  avec  les  cieux  ! 

Et  que  l'homme,  adorant  leur  pas  audacieux. 

Croie  entendre,  au-dessus  de  ces  légionnaires 

Qui  roulent  leurs  canons.  Dieu  rouler  ses  tonnerres! 

C'est  pourquoi  j'attendrais. 


Qu'attends-tu  ?  — -Je  réponds 
J'attends  l'aube,  j'attends  que  tous  disent  :  —  Frappons  ! 
Levons-nous  !  et  donnons  à  Sedan  pour  réplique 
L'Europe  en  liberté!  —  J'attends  la  république. 
J'attends  l'emportement  de  tout  le  genre  humain  ! 
Tant  qu'à  ce  siècle  auguste  on  barre  le  chemin , 
Tant  que  la  Prusse  tient  prisonnière  la  France, 
Penser  est  un  affront,  vivre  est  une  souffrance, 
Je  sens,  comme  Isaïe  insurgé  pour  Sion, 
Gronder  le  profond  vers  de  l'indignation. 
Et  la  colère  en  moi  n'est  pas  plus  épuisable 
Que  le  flot  dans  la  mer  immense,  et  que  le  sable 
Dans  l'orageux  désert  remué  par  les  vents. 

Ce  que  j'attends  ?  J'attends  que  les  os  soient  vivants  ! 
Je  suis  spectre,  et  je  rêve,  et  la  cendre  me  couvre. 
Et  j'écoute;  et  j'attends  que  le  sépulcre  s'ouvre. 
J'attends  que  dans  les  cœurs  il  s'élève  des  voix, 
Que  sous  les  conquérants  s'écroulent  les  pavois. 
Et  qu'à  l'extrémité  du  malheur,  du  désastre. 
De  l'ombre  et  de  la  honte,  on  voie  un  lever  d'astre! 


332  TOUTE  LA  LYRE. 


Jusqu'à  cet  instant-là,  gardons  superbement, 
O  peuple,  la  fureur  de  notre  abaissement. 
Et  que  tout  l'alimente  et  que  tout  l'exaspère. 
Étant  petit,  j'ai  vu  quelqu'un  de  grand,  mon  père. 
Je  m'en  souviens  ;  c'était  un  soldat,  rien  de  plus  ; 
Mais  il  avait  mêlé  son  âme  aux  fiers  reflux. 
Aux  revanches,  aux  cris  de  guerre,  aux  nobles  fêtes. 
Et  l'éclair  de  son  sabre  était  dans  nos  tempêtes. 
Oh  !  je  ne  vous  veux  pas  dissimuler  l'ennui, 
A  vous,  fameux  hier,  d'être  obscurs  aujourd'hui, 
O  nos  soldats,  lutteurs  infortunés,  phalange 
Qu'illumina  jadis  la  gloire  sans  mélange. 
L'étranger  à  cette  heure,  hélas  !  héros  trahis, 
Marche  sur  votre  histoire  et  sur  votre  pays  -, 
Oui,  vous  avez  laissé  ces  reîtres  aux  mains  viles 
Voler  nos  champs,  voler  nos  murs,  voler  nos  villes. 
Et  compléter  leur  gloire  avec  nos  sacs  d'écus  ; 
Oui,  vous  fûtes  captifs,  oui,  vous  êtes  vaincus  5 
Vous  êtes  dans  le  puits  des  chutes  insondables  ; 
Mais  c'est  votre  destin  d'en  sortir  formidables. 
Mais  vous  vous  dresserez,  mais  vous  vous  lèverez, 
Mais  vous  serez  ainsi  que  la  faulx  dans  les  prés  5 
L'hercule  celte  en  vous,  la  hache  sur  l'épaule. 
Revivra,  vous  rendrez  sa  frontière  à  la  Gaule, 
Vous  foulerez  aux  pieds  Fritz,  Guillaume,  Attila, 
Schinderhanne  et  Bismarck,  et  j'attends  ce  jour-là  ! 

Oui,  les  hommes  d'Eylau  vous  diront  :  Camarades  ! 

Et  jusque-là,  soyez  pensifs  loin  des  parades. 
Loin  des  vaines  rumeurs,  loin  des  faux  cliquetis, 
Et  regardez  grandir  nos  fils  encor  petits. 


LA  LIBERATION  DU  TERRITOIRE.  333 


Je  vis  désormais,  l'œil  fixé  sur  nos  deux  villes. 

Non,  je  ne  pense  pas  que  les  rois  soient  tranquilles  5 
Je  n'ai  plus  qu'une  joie  au  monde,  leur  souci. 
Rois,  vous  avez  vaincu,  vous  avez  réussi. 
Vous  bâtissez,  avec  toutes  sortes  de  crimes. 
Un  édifice  infâme  au  haut  des  monts  sublimes. 
Vous  avez  entre  l'homme  et  vous  construit  un  mur. 
Soit.  Un  palais  énorme,  éblouissant,  obscur. 
D'où  sort- l'éclair,  où  pas  une  lumière  n'entre. 
Et  c'est  un  temple,  à  moins  que  ce  ne  soit  un  antre. 

Pourtant,  eût-on  pour  soi  l'armée  et  le  sénat. 
Ne  point  laisser  de  trace  après  l'assassinat. 
Rajuster  son  exploit,  bien  laver  la  victoire. 
Nettoyer  le  côté  malpropre  de  la  gloire. 
Est  prudent.  Le  sort  a  des  retours  tortueux. 
Songez-y.  —  J'en  conviens,  vous  êtes  monstrueux; 
V)us  et  vos  chanceliers,  vous  et  vos  connétables. 
Vous  êtes  satisfaits,  vous  êtes  redoutables  ; 
Vous  avez,  joyeux,  forts,  servis  par  ce  qui  nuit. 
Entrepris  le  recul  du  monde  vers  la  nuit  ; 
Vous  faites  chaque  jour  faire  un  progrès  à  l'ombre  ; 
Vous  avez,  sous  le  ciel  d'heure  en  heure  plus  sombre. 
Princes,  de  tels  succès  à  nous  faire  envier 
Que  vous  pouvez  railler  le  vingt-et-un  janvier. 
Le  quatorze  juillet,  le  dix  août,  ces  journées 
Tragiques,  d'où  sortaient  les  grandes  destinées. 
Que  vous  pouvez  penser  que  le  Rhin,  ce  ruisseau. 
Suffit  pour  arrêter  Jourdan,  Brune  et  Marceau, 
Et  que  vous  pouvez  rire  en  vos  banquets  sonores 
De  tous  nos  ouragans,  de  toutes  nos  aurores. 


334  TOUTE  LA  LYRE. 

Et  des  vastes  efforts  des  titans  endormis. 

Tout  est  bien  5  vous  vivez,  vous  êtes  bons  amis. 

Rois ,  et  vous  n'êtes  point  de  notre  or  économes  -, 

Vous  en  êtes  venus  à  vous  donner  les  hommes  ; 

Vous  vous  faites  cadeau  d'un  peuple,  après  souper; 

L'aigle  est  lait  pour  planer  et  l'homme  pour  ramper  j 

L'Europe  est  le  reptile  et  vous  êtes  les  aigles  ; 

Vos  caprices,  voilà  nos  lois,  nos  droits,  nos  règles  j 

La  terre  encor  n'a  vu  sous  le  bleu  firmament 

Rien  qui  puisse  égaler  votre  assouvissement  ; 

Et  le  Destin  pour  vous  s'épuise  en  politesses  ; 

Devant  vos  majestés  et  devant  vos  altesses. 

Les  prêtres  mettent  Dieu  stupéfait  à  genoux  ; 

Jamais  rien  n'a  semblé  plus  éternel  que  vous  ; 

Votre  toute-puissance  aujourd'hui  seule  existe  5 

Mais,  rois,  tout  cela  tremble,  et  votre  gloire  triste 

Devine  le  refus  profond  de  l'avenir; 

Car  sur  tous  les  bonheurs  que  vous  croyez  tenir. 

Sur  vos  arcs  triomphaux,  sur  vos  splendeurs  hautaines. 

Sur  tout  ce  qui  compose,  ô  rois,  ô  capitaines. 

L'amas  prodigieux  de  vos  prospérités. 

Sur  ce  que  vous  rêvez,  sur  ce  que  vous  tentez. 

Sur  votre  ambition  et  sur  votre  espérance. 

On  voit  la  grande  main  sanglante  de  la  France. 

29  août  1873.  Vill^  M. 


XII 


Le  lionceau  songeait  j  il  était  tout  petit. 

Caché,  muet,  pareil  au  chat  qui  se  blottit. 

Loin  du  soleil,  dans  l'ombre  où  les  rayons  s'émoussent. 

Combien  faut-il  de  temps  pour  que  ses  ongles  poussent? 
Il  songeait. 

Laissez-moi  vous  dire  que  les  rois. 
Lugubres,  font  le  mal,  foulent  aux  pieds  les  droits. 
Les  vérités,  l'honneur,  la  vertu,  la  justice  j 
Ils  font  venir  le  prêtre  afin  qu'on  rebâtisse 
L'enfer  dans  l'âme  humaine  où  Dieu  mit  la  raison  5 
Et  leurs  prospérités  sont  faites  de  façon 
Que  la  gloire  d'un  peuple  est  la  honte  de  l'autre  ; 
Leur  grandeur  dans  les  tas  d'immondices  se  vautre. 
Leurs  sceptres  aux  plaisirs  obscènes  sont  mêlés, 
La  bauge  aux  pourceaux  plaît  à  ces  paons  étoiles  -, 
Hier,  ils  souffletaient  les  nations  meurtries  ; 
Gais,  ils  jouaient  aux  dés  les  robes  des  patries  5 
A  celui-ci  le  Nil,  à  celui-là  le  Rhinj 
Quand  ils  ont  sur  leur  front  mis  leur  cimier  d'airain, 
Rien  ne  peut  modérer  leurs  fureurs,  peu  calmées 
Par  des  chansons  d'église  et  des  danses  d'aimées  ; 
Ils  ont  on  ne  sait  quel  appétit  monstrueux 
D'être  horribles  5  ils  sont  les  dragons  tortueux. 
Les  hydres,  les  passants  sinistres  de  l'histoire  ^ 
Ils  ont  pour  eux  le  deuil,  l'échafaud,  la  victoire. 
Tout  ce  qui  rampe  et  tremble,  et  les  rires  hautains; 
La  famine  du  peuple  assiste  à  leurs  festins  ; 


336  TOUTE  LA  LYRE. 

L'aurore  est  leur  palais,  l'ombre  est  leur  forteresse, 
Leur  faux  pouvoir  devant  l'éternel  Dieu  se  dresse 
Dans  toute  l'impudeur  de  sa  rébellion } 
Ils  sont  dorés,  ils  sont  fangeux. 

Grandis,  lion! 

9  octobre  1873.  Paris. 


XIII 


A 

O  royauté!  tas  d'ombre!  amas  d'horreur,  d'effroi. 
De  crime,  formidable  au  peuple,  puis  au  roi. 

Aveuglant  les  yeux  qui  le  voient. 
Plein  de  spectres,  semblable  aux  visions  d'Endor! 
On  n'y  distingue  rien  qu'une  couronne  d'or 

Dont  les  vagues  fleurons  flamboient. 

Tempête  d'ignorance,  et  de  haine,  et  de  nuit. 
Où  se  heurtent  chevaux,  hommes,  glaive  qui  luit. 

Canon  grondant,  clairon  sonore  ! 
Brume  affreuse,  pareille  aux  faces  du  tombeau. 
Qui  fait,  comme  une  bouche  éteignant  un  flambeau, 

Soufller  l'ouragan  sur  l'aurore  ! 

Lourd  nuage,  épandu  sur  les  siècles  tremblants. 
D'où,  quand  il  a  pesé  sur  l'homme  deux  mille  ans. 

Et  sur  le  peuple,  flot  qui  roule. 
On  voit,  après  le  bruit  que  fait  un  tombereau. 
Sortir  soudain  le  poing  sinistre  du  bourreau 

Montrant  une  tête  à  la  foule  ! 


POESIE.    —    XIII.  22 

■  MI-MIIEMe     HITIOHIU. 


338  TOUTE  LA  LYRE. 


XIV 


Quoi  donc!  avoir  pour  but  cette  lâcheté,  plaire! 
Se  donner  cet  emploi  noble,  auguste,  exemplaire, 
La  flatterie  !  avoir  pour  maîtres  les  passants  ! 
Obéir  au  vent  noir  soufflant  dans  tous  les  sens  ! 

A  A  1  1  \ 

Etre  contre,  être  pour,  suivant  le  baromètre  ! 

Blâmer,  puis  approuver,  défendre,  puis  permettre. 

Non  selon  le  devoir,  mais  selon  le  succès  ! 

Parce  qu'il  est  des  fous  risquant  tous  les  essais. 

Qui  violent  nos  droits  au  nom  de  nos  principes. 

Laisser  faire  !  Laisser  dénaturer  les  types 

De  l'honneur,  du  progrès,  du  droit,  de  l'équité! 

Vouloir  le  talion  !  souffrir,  ô  Liberté, 

Qij'un  trousseau  de  clés  pende  et  sonne  à  ta  ceinture  ! 

Quand  dans  une  ombre  énorme  et  triste  on  aventure 

Toutes  les  vérités  en  deuil,  dire  :  C'est  bon! 

Nier  l'astre,  admirer  la  blancheur  du  charbon. 

Déclarer  vrai  le  faux,  et  l'injustice  juste. 

Louer  Carrier  après  avoir  flétri  Procuste  î 

Vêtir  sa  conscience  au  gré  de  la  saison  ! 

Se  mettre  à  la  fenêtre  et  guetter  l'horizon. 

Regarder  se  gonfler  telle  ou  telle  bannière. 

Pour  savoir  à  quelle  heure  et  de  quelle  manière 

On  pourrait  être  vil  le  plus  utilement  ! 

Quoi!  ce  principe  hier  sincère,  aujourd'hui  ment! 

Quoi  !  toute  vérité  qui  gêne  n'est  plus  vraie  ! 

Si  c'est  mon  intérêt,  le  cygne  est  une  orfraie. 

Peuple,  et  de  ce  lion,  le  droit,  je  fais  mon  chien! 

Il  suflit,  pour  changer  soudain  le  mal  en  bien, 


11 


^01  DONC!  AVOIK  POUK  BUT  CETTE  LACHETE...    339 

Que  ce  soit  un  tyran  qui  règne,  au  lieu  d'un  autre. 
C'est  un  roi,  l'on  combat;  c'est  la  foule,  on  se  vautre. 

(1) 

Quoi  !  le  penseur  aura  tonné  superbement 

Si  c'est  un  empereur  qui  se  sert  du  supplice. 

Si  c'est  la  multitude,  il  en  sera  complice! 

Et  cet  homme  indigné  sera  l'homme  ébloui  ! 

O  ciel!  Après  avoir  dit  non,  bégayer  oui! 

Et,  devant  l'échafaud,  dès  que  la  foule  en  use. 

Mettre  un  lâche  sourire  au  masque  de  Méduse  ! 

Voilà  donc  où  la  soif  de  plaire  conduirait  ! 

Non!  Non!  Non  !  Déserter,  pour  un  sombre  intérêt. 

Ces  vérités  que  nous  français,  nous  établîmes. 

Au  peuple  honnête  et  bon  et  plein  d'instinas  sublimes. 

Mais  préférant  parfois  les  bas-fonds  aux  sommets. 

Dire  qu'il  a  raison  quand  il  a  tort,  jamais! 

Ah  !  plutôt  qu'accepter  de  telles  servitudes. 

L'homme  qui  parle  ici  fuirait  aux  solitudes. 

Subirait  tout,  le  froid,  la  faim,  l'exil  amer, 

L'ennui,  la  surdité  sauvage  de  la  mer. 

Tout,  loin  de  la  patrie  et  loin  de  la  lumière. 

Et  le  soir,  bûcheron  rentrant  dans  sa  chaumière. 

Las,  pieds  nus,  à  travers  les  ronces,  tramerait 

Derrière  lui  le  bois  coupé  dans  la  forêt  !. . . 


27  avril  1871. 


^''  Le  vers  à  rime  masculine  manque  au  manuscrit.  [Note  de  l'Éditeur.) 


340  TOUTE  LA  LYRE. 


XV 


Un  grand  sabre  serait  d'utilité  publique. 
Est-ce  qu'il  n'est  pas  temps  d'exterminer  la  clique 
Des  songeurs,  des  rêveurs,  des  penseurs,  des  savants. 
Et  de  tous  ces  semeurs  jetant  leur  graine  aux  vents. 
Et  de  mettre  au  pavois  celui  qui  nous  fait  taire. 
Et  de  souffler  sur  l'aube,  et  d'éteindre  Voltaire! 
Qu'attendez-vous.'*  Oh!  comme  il  serait  beau  de  voir 
Quelque  bon  vieux  tyran  faire  enfin  son  devoir. 
Couper,  tailler,  trancher  et  mettre  à  vos  Molières, 
A  vos  Dantes,  à  vos  Miltons,  des  muselières! 
Nous  en  avons  assez  de  tous  ces  bavards-là. 
Le  mal  des  hommes  vient  du  premier  qui  parla. 
On  va  criant  :  Progrès  !  Fraternité  !  Courage  ! 
Quel  besoin  avons-nous  de  tous  ces  mots  d'orage? 
Jadis  tout  allait  bien  pourvu  qu'on  se  tînt  coi. 
On  veut  être  à  présent  libre  et  maître.  Pourquoi  ? 
Liberté,  c'est  tempête.  Il  faut  qu'un  bon  pilote 
Ramène  au  port  la  barque  et  le  peuple  à  l'ilote. 
Il  faut  qu'un  belluaire  ou  qu'un  homme  d'état 
Bride  ce  peuple  osant  commettre  l'attentat 
De  naître,  et  s'égarant  jusqu'à  la  convoitise 
Que  montre  au  lys  l'abeille  et  la  chèvre  au  cytise. 
Les  révolutions  continueront,  le  bruit 
Et  le  vacarme  iront  grossissant  dans  la  nuit. 
Tant  que  nous  n'aurons  pas  trouvé  ce  politique. 
Reprenons  l'ancien  temple  et  l'ancienne  boutique  -, 
Revivre  le  passé  nous  suffit.  Que  veut-on  ? 
À  quoi  sert  Diderot?  à  quoi  rime  Danton? 


UN  GRAND  SABKE  SEKAIT  D'UTILITE  PUBLIQUE...    341 

Pourquoi  Garibaldi  trouble-t-il  la  Sicile  ? 

Votre  progrès  n'est  rien  que  fatigue  imbécile  ! 

Quelle  rage  avez-vous  de  marcher  en  avant? 

Trop  de  tumulte  sort  de  l'homme  trop  vivant. 

L'esprit  humain,  longtemps  calme  et  sombre,  s'agite, 

Ne  serait-il  pas  bon  qu'on  fît  rentrer  au  gîte 

Et  qu'on  remît  sous  clefs  et  qu'on  paralysât 

Ce  monstre,  secouant  sa  chaîne  de  forçat? 

Quoi!  la  mouche,  autrefois  loyale  et  résignée, 

Manque  au  respect  qu'on  doit  aux  toiles  d'araignée  ! 

Elle  tente  d'y  faire  un  trou  pour  s'échapper  ! 

La  plèbe  ose  exister,  gouverner,  usurper  ! 

Quoi  !  la  vérité  sort  !  la  raison  l'accompagne  ! 

Vite  !  Rejetons  l'une  au  puits,  et  l'autre  au  bagne  ! 

Pour  quiconque  ose  aller,  venir,  briser  l'écrou. 

L'enfer  est  un  cachot  avec  Dieu  pour  verrou. 

Qu'on  y  rentre.  O  révolte  affreuse  !  Quel  désordre 

Que  tous  ces  ouragans  lâchés,  tâchant  de  mordre. 

Se  ruant  sur  l'autel,  sur  la  loi,  sur  le  roi  ! 

Oh  !  quel  déplacement  tragique  de  l'effroi  ! 

L'inexorable  pleure  et  les  terribles  tremblent  ; 

Les  vautours  efferés  aux  passereaux  ressemblent. 

Deuil  !  horreur  !  regarder  surgir  de  tous  cotés 

Un  tas  de  vérités  et  de  réalités. 

Voir  leur  flamme,  et  songer  que  peut-être  chacune 

Apporte  on  ne  sait  quelle  effrayante  rancune. 

Et,  rayonnante,  vient  au  monde  reprocher 

Le  sceptre,  l'échafaud,  le  glaive  et  le  bûcher! 

Oh  !  tant  qu'on  n'aura  pas  mis  hors  d'état  de  nuire 

Tout  ce  qui  veut  créer,  chauffer,  féconder,  luire. 

Tant  que  le  vieux  bon  ordre  encourra  le  péril 

De  voir  brusquement  naître  un  formidable  avril. 

Tant  qu'il  sera  permis  aux  folles  plumes  ivres 

De  porter  les  oiseaux  et  d'écrire  les  livres. 

Tant  qu'un  homme  qui  dit  :  j'ai  faim  !  pâle,  priant. 

Pensif,  fera  blanchir  vaguement  l'orient. 

Tant  que  le  ciel  complice  aura  la  transparence 


342  TOUTE  LA  LYRE. 

Qui  laisse  distinguer  aux  pauvres  l'espérance, 

Tant  que  le  va-nu-pieds  se  croira  citoyen, 

Je  suis  de  votre  avis,  bourgeois,  aucun  moyen 

De  dormir  en  repos,  et  nul  coin  de  navire 

Où  l'on  puisse  être  seul  sauvé  quand  tout  chavire. 

Quoi  !  pas  un  prêtre,  pas  un  juge,  pas  un  roi. 

Qui,  tandis  que  frémit  le  livre  de  la  loi. 

S'il  regarde  la  nuit  le  ciel  noir,  ne  se  sente 

Troublé  par  la  lueur  du  zénith  grandissante  ! 

Ceci,  c'est  l'utopie,  et  ceci,  le  calcul. 

Ceci,  c'est  le  progrès  sans  terme  et  sans  recul. 

Voici  le  beau,  le  vrai,  l'idéal  qui  prend  forme. 

Et  le  juste,  et  voici  la  conscience  énorme  ! 

Qui  donc  pourrait,  parmi  les  enfants  de  Japhet, 

Conjurer  le  mystère  inquiétant  qui  fait 

Que  nous  voyons  tomber  dans  l'ombre  pêle-mêle 

Tant  de  gouttes  de  lait  de  l'immense  mamelle? 

O  terreur  !  tout  s'éclaire  !  il  est  temps  d'en  finir. 

Qui  sauvera  le  monde  en  péril  d'avenir  ? 

Caïn  pleure.  Judas  gémit,  Phalaris  souffre. 

Oh  !  qu'il  serait  urgent  d'arrêter  net  le  gouffre 

En  pleine  éruption  de  lumière,  et  la  paix. 

Le  progrès,  s'évadant  des  nuages  épais, 

La  science,  et,  montant  là-haut  vers  le  solstice. 

L'âme,  et  cette  blancheur  céleste,  la  justice  -, 

Et  comme  on  ferait  bien  de  mettre  à  la  raison 

Les  astres  se  levant  en  foule  à  l'horizon  ! 


25  août  1872.  H.  H. 


XVI 


AUX  HISTORIENS. 


Soyez  juges.  Soyez  apôtres.  Soyez  prêtres. 

Dites  le  vrai.  Surtout  n'expliquez  pas  les  traîtres  ! 

Car  l'explication  finit  par  ressembler 

À  l'indulgence  aflfreuse,  et  cela  fait  trembler. 

Ne  me  racontez  pas  un  opprobre  notoire 

Comme  on  raconterait  n'importe  quelle  histoire. 

Quelle  est  la  quantité  d'assassinat  permis. 

Jusqu'où  peut-on  s'entendre  avec  les  ennemis. 

Jusqu'où  peut-on  couper  la  gorge  à  la  patrie. 

L'épaule  de  Raguse  est-elle  trop  flétrie, 

Dupont  mérite-t-il  tout  ce  qui  l'accabla. 

Non,  non,  je  ne  veux  point  de  ces  recherches-là  ! 

Je  fi-émis,  la  rougeur  au  visage  me  monte. 

Voilà  tout.  Je  veux  être  un  ignorant  de  honte. 

Je  veux  rester  stupide  et  furieux  devant 

Les  coups  du  sort,  les  coups  de  mer,  les  coups  de  vent. 

Auxquels  vient  s'ajouter  le  guet-apens  d'un  lâche. 

Je  prends  le  crime  en  bloc.  Qui  me  calme,  me  fâche. 

Non,  l'histoire  n'est  point  un  lavage  d'égout. 

Historiens,  ayez  les  traîtres  en  dégoût. 

Ne  rôdez  point  avec  vos  lampes  dans  leur  cave  ; 

Ne  dites  pas  :  Pourtant  ce  lâche  était  un  brave  ; 

Ne  cherchez  pas  comment  leur  forfait  se  construit 

Et  s'éclaircit,  laissez  ces  monstres  à  la  nuit. 


344  TOUTE  LA  LYRE. 

Où  donc  en  serions-nous  si  l'on  s'expliquait  l'homme 
Qui  tel  jour  a  livré  Paris  ou  trahi  Rome  ! 
Discuter,  c'est  déjà  l'absoudre  vaguement. 
Quoi!  vous  alléguerez  ceci,  cela,  comment 
Il  se  fait  qu'on  devient  ce  misérable  étrange  ! 
Quoi  !  vous  m'expliquerez  le  pourquoi  de  la  fange  ! 
Vous  me  ferez  toucher  du  doigt  que  ce  soldat, 
Ayant  le  fier  devoir  de  mourir  pour  mandat, 
A  pu  vendre  le  peuple  et  la  France  et  l'armée. 
Qu'il  a  pu  devenir,  souillant  sa  renommée. 
Transfuge,  sans  nausée  et  sans  rébellion. 
Et  qu'un  renard  était  dans  la  peau  du  lion  ! 
Vous  aurez  pour  ces  faits,  dont  l'ef&oi  me  pénètre. 
Des  prétextes,  qui  sait?  et  des  motifs  peut-être! 
Non!  je  n'ai  pas  l'humeur  d'écouter  vos  discours 
Quand  notre  vieil  honneur  m'appelle  à  son  secours. 
Quand  le  malheur  public  sous  ma  fenêtre  passe. 
Quand  l'abject  trahisseur  vient  me  demander  grâce. 
Je  suis  d'airain,  je  suis  sourd,  aveugle  et  muet; 
J'aurais  horreur  de  moi  si  mon  cœur  remuait. 

Il  ne  me  convient  pas,  sachez-le,  de  comprendre 

Qu'un  homme,  ayant  l'épée  en  main,  ait  pu  la  rendre  j 

Je  ne  veux  pas  savoir  si  ce  gueux  se  méprit  ; 

Il  ne  me  convient  pas  de  mettre  en  mon  esprit 

L'itinéraire  af&eux  que  suit  le  parricide  ; 

Je  ne  veux  pas  qu'un  grave  écrivain  m'élucide. 

Avec  faits  à  l'appui,  groupés  et  variés. 

Le  cerveau  de  Clouet,  le  cœur  de  Dumouriez. 

Ma  strophe  est  l'euménide  et  je  poursuis  Oreste. 

Meurtrier,  c'est  assez.  Ce  mot  dit  tout.  Le  reste 

Est  inutile  et  peut  être  nuisible.  Il  faut 

Que  Juvénal  arrive  et  dresse  l'échafaud. 

Et  qu'Eschyle,  dieu  noir,  justicier  olympique. 

Frappe  le  traître  avec  le  plat  du  glaive  épique  ! 

Lorsqu'un  fourbe  exécré  du  peuple  qu'il  perdit. 

Un  marchand  de  patrie  et  d'honneur,  un  bandit. 


AUX   HISTORIENS.  345 

Vous  prend  pour  avocats,  ô  penseurs,  lorsqu'il  ose 
Vous  porter  son  dossier,  vous  charger  de  sa  cause. 
Je  suis  content  de  vous  si  votre  plaidoyer. 
Justes  historiens,  consiste  à  foudroyer. 


Toute  explication  d'un  monstre  l'atténue  ; 
Je  veux  la  perfidie  immonde  toute  nue. 
Le  scélérat  montré  sans  voile  à  tous  les  yeux 
Donne  un  frisson  meilleur  et  m'épouvante  mieux. 
Pour  de  certains  forfaits  clémence  est  connivence. 
Quand  dans  l'intérieur  d'un  grand  crime  j'avance. 
Quand  dans  l'ombre  un  cadavre  auguste  est  découvert. 
Quand  il  s'agit  du  flanc  de  ma  mère  entr'ouvert. 
Quand  l'impur  ouvrier  d'une  exécrable  trame, 
Monk  livrant  un  pays,  Deut2  livrant  une  femme, 
Coriolan,  Leclerc,  Pichegru,  m'apparaît. 
Quand  j'entre  dans  cette  âme  et  dans  cette  forêt. 
Je  tremble,  et  je  veux  être,  à  cette  approche  noire. 
Averti  par  le  cri  terrible  de  l'histoire. 

Devant  l'afifront,  devant  le  traître  à  son  pays, 

O  deuil!  devant  les  champs  paternels  envahis. 

Devant  le  râle  affreux  des  cités  violées. 

Devant  le  sang  versé  pour  rien  dans  les  mêlées. 

Si  facile  qu'on  soit  au  pardon,  non!  jamais! 

Il  faut  punir!  Devant  Baylen,  devant  Metz, 

C'est  pour  la  France  en  pleurs  que  notre  cœur  se  serre, 

La  lapidation  publique  est  nécessaire. 

Aux  pavés,  tous!  frappons!  et  que  l'écrasement 

Du  bandit  soit  sous  l'ombre  et  les  pierres  fumant  ! 

Pas  de  grâce  !  il  faut  être  ou  vengeur  ou  complice  ; 

Et  quiconque  n'est  pas  du  crime  est  du  supplice. 

Helas  ! 


346  TOUTE  LA  LYRE. 

Ce  que  je  veux  tuer,  ce  n'est  pas  lui. 
C'est  son  crime.  Cet  homme  a  failli,  s'est  enfui, 
A  tout  perdu  ! 


Pour  l'âme  épouvantable  et  vile. 
Pour  celui  qui  livra  la  porte  de  la  ville. 
Qui  donna  ses  soldats  comme  on  donne  un  troupeau. 
Qui  poignarda  la  gloire  et  vendit  le  drapeau. 
Pour  cet  homme  de  deuil,  de  mensonge  et  de  ruse, 
Les  sombres  firmaments  n'admettent  pas  d'excuse. 
Après  que  dans  un  siècle,  où  tout  semble  effacé. 
Un  si  lâche  assassin  de  l'honneur  a  passé, 
On  ne  tient  plus  à  vivre,  on  ne  sait  plus  que  croire  5 
Et  la  vertu,  la  foi,  la  probité,  l'histoire, 
Sont  comme  des  rayons  dans  la  mer  engloutis. 

Si  l'on  voulait  mêler  cet  homme  à  ses  petits, 
La  tigresse  serait  indignée  et  confuse  5 
La  fauve  honnêteté  des  antres  le  refuse 
Et  ne  lui  donne  point  dans  les  bois  frémissants 
Place  parmi  les  loups  hideux,  mais  innocents? 
Et  toute  la  nature,  étant  une  patrie, 
Abhorre,  en  sa  sauvage  et  fière  rêverie. 
Le  fourbe  autour  duquel  Satan  vient  chuchoter  ; 
L'astre  des  cieux  n'est  pas  d'avis  qu'on  puisse  ôter 
Sa  honte  à  ce  damné  dont  Caïn  est  l'ancêtre. 
Et  veut  le  voir  infâme  après  l'avoir  vu  traître. 
Ne  faisons  point  douter  les  hommes  ;  laissons-leur 
L'horreur  du  meurtrier,  du  menteur,  du  voleur. 
Ne  troublons  pas  en  eux  la  notion  du  juste  ? 
Faisons  luire  à  leurs  yeux  la  certitude  auguste. 
L'héroïsme  est  un  ciel,  l'honneur  est  un  azur? 


AUX  HISTORIENS.  347 

Si  vous  livrez  le  peuple  au  scepticisme  obscur. 
Il  ne  sait  plus  quelle  est  la  lueur  qui  le  mène  ; 
Alors  tout  flotte  ;  alors  la  conscience  humaine 
A  des  blêmissements  pires  que  la  noirceur. 

L'esquif  dans  l'eau  diffuse  a  son  avertisseur, 
La  boussole  j  il  navigue  ;  et  les  hommes  ont  l'âme. 
Laissez-leur  ce  conseil,  laissez-leur  cette  flamme; 
La  droiture  est  leur  pôle  et  le  devoir  leur  nord  ; 
La  flotte  en  pleine  mer  et  le  peuple  en  plein  sort, 
La  vie  étant  brumeuse  et  l'ombre  étant  profonde, 
Ont  besoin,  dans  la  vaste  obscurité  de  l'onde. 
L'une  de  voir  l'étoile  et  l'autre  de  voir  Dieu. 
Dieu,  c'est  la  vérité  rayonnant  au  milieu 
Des  ténèbres,  du  doute  et  de  l'idolâtrie; 
Et,  quand  les  ennemis  sont  là,  c'est  la  patrie. 

Pour  qui  vend  son  pays,  ciel  noir,  pas  de  pitié! 

Ah  !  ne  partageons  point  le  crime  par  moitié 

Entre  le  hasard  louche  et  l'homme  misérable. 

Pas  de  grâce.  Imitons  l'abîme  vénérable 

Qui  ne  se  laisse  pas  détourner  de  son  but  ; 

Tout  forfait  doit  payer  au  châtiment  tribut  ; 

La  justice  est  la  loi  de  fer  que  rien  ne  touche  ; 

La  peine  a  pour  épée  une  flamme  farouche  ; 

Le  glaive  de  cet  ange  horrible  est  sans  fourreau. 

Pas  plus  que  le  hibou  ne  devient  passereau. 

Pas  plus  que  le  corbeau  ne  se  change  en  colombe. 

Un  perfide  ne  peut  être  un  juste,  et  la  tombe 

Pose  et  ferme  à  jamais  son  couvercle  sur  lui. 

Les  peuples,  dont  l'honneur  est  le  seul  point  d'appui, 

Veulent  que  le  destin  sur  ce  monstre  exemplaire 

Jette  une  catastrophe  égale  à  leur  colère  ; 

Il  convient  que  Judas  ait  Judas  pour  bourreau  ; 

J'approuve  le  boulet  qui  terrassa  Moreau 

Et  qui  fut  ce  jour-là  ressemblant  au  tonnerre. 


348  TOUTE  LA  LYRE. 


Tout  cet  inattendu  formidable  où  l'on  erre. 

Qu'on  nomme  histoire,  où  l'ombre  a  le  ciel  pour  reflet. 

C'est  l'océan,  tremblant,  terrible,  et,  bien  qu'il  ait 

De  vagues  mouvements  de  berceau,  c'est  le  gouffre. 

L'homme  en  ces  profondeurs  travaille,  cherche,  souffre. 

Et  l'espérance  vole  en  avant,  doux  oiseau. 

O  pilote  démon  qui  trahit  le  vaisseau  ! 

Malheur  au  matelot  monstrueux  qui  se  traîne 

Et  fait  avec  sa  vrille  un  trou  dans  la  carène 

Quand  le  navire  lutte  en  proie  aux  aquilons  ! 

Historien,  soyez  implacable  aux  félons. 
Je  me  sens  inclément  quand  la  patrie  expire  -, 
Je  ne  hais  point  la  mort,  trouvant  la  honte  pire  ; 
Je  ne  suis  pas  sévère  et  terrible  à  demi 
Lorsqu'il  s'agit  de  mettre  en  fuite  l'ennemi  ; 
J'exige  la  fureur,  l'effort,  la  réussite  ! 
Vous  tenez  le  stylet  tragique  de  Tacite, 
Eh  bien,  soyez  farouche  et  dur.  Il  me  déplaît 
Que  le  narrateur  fasse  un  détail  trop  complet 
De  la  difficulté  de  combattre,  et  calcule, 
Complaisamment,  le  lieu,  l'heure,  le  crépuscule, 
La  distance,  le  temps  de  marcher  au  canon. 
Si  les  soldats  étaient  bien  disposés  ou  non. 
S'il  n'était  point  venu  d'ordre  contradictoire. 
Je  n'aime  pas  entendre  ainsi  parler  l'histoire. 
Et  ce  tas  d'arguments,  de  motifs,  de  raisons. 
C'est  l'encouragement  sinistre  aux  trahisons. 
La  plaidoirie  est  sombre  et  l'excuse  est  malsaine. 
Ah  !  vous  semez  Grouchy  !  vous  récoltez  Bazaine. 

15  janvier  1875. 


XVII 


VICTOIRES  ET  CONQUETES  DE  LA  RELIGION. 

Garaste  a  triomphé  de  rencyclopédie. 
Tartufe  est  grand.  —  L'église  avait  la  maladie  ; 
Elle  est  en  traitement  chez  le  docteur  Véron. 
Sbrigani  joint  les  mains  -,  Crispin  rentre  au  giron  $ 
Pasquin  est  parfumé  de  myrrhe  et  de  cinname. 
Robert  Macaire  vieux  s'est  senti  dans  son  âme 
Pris  de  l'ambition  d'une  honorable  fin  j 
Au  paradis  Veuillot  il  s'est  fait  séraphin. 
Il  s'y  rend  fort  utile  ;  il  ouvre  la  boutique  -, 
Il  sait  l'art  d'ajuster  le  libelle  au  cantique  ; 
Et  tout  bas,  il  murmure  à  travers  son  Credo  : 
Quand  je  serai  curé,  Bertrand  sera  bedeau. 
Ayant,  en  qualité  de  regardeur  oblique. 
Un  peu  l'inspection  de  la  chose  publique. 
Il  surveille  aujourd'hui  l'esprit  de  nouveauté} 
Pour  lui  la  presse  libre  est  une  obscénité. 
Et  la  philosophie  un  tapage  nocturne  ; 
Dans  l'église  le  cloître  et  dans  l'art  le  cothurne. 
Dans  l'état  le  sergent  de  ville  ;  tout  est  là. 
Rien  avant  Hildebrand,  rien  après  Loyola. 
Scapin  l'aide.  Il  déclame  :  Enfer  !  crime  !  hérésies  ! 
Tremblez,  âmes  déjà  plus  qu'à  moitié  roussies  ! 
Honnêtes  gens,  c'est  moi  qui  vous  passe  au  tamis. 
Ayez  foi  seulement  dans  le  bon  Dieu  permis. 
Songez  que  je  suis  là  !  —  Mascarille  dit  :  Gare  ! 
La  conscience  humaine  étant  une  bagarre. 


350  TOUTE  LA  LYRE. 

Il  s'en  fait  conducteur  j  il  sait  le  droit  chemin  -, 

Il  veut  qu'après  l'émeute  et  les  grands  coups  de  main. 

Le  peuple  se  repente,  ait  l'âme  d'ennui  pleine. 

Pleure,  et  de  la  Bastille  aille  à  la  Madeleine. 

Toute  la  vérité  tient  dans  le  Syllabm. 

La  pensée  en  dehors  d'Ignace  est  un  abus. 

Et  tout  ce  qui  survient  n'est  qu'erreurs  et  tumultes  5 

Debout  au  marchepied  de  l'omnibus  des  cultes. 

Barrant  la  porte,  il  crie  à  tout  venant  :  Complet  ! 

FalstafF,  dont  le  menton  si  gaîment  se  triplait. 

Est  dévot.  Que  sert-il?  la  messe.  Il  s'associe 

Au  dogme,  et  ses  hoquets  sentent  l'orthodoxie  ^ 

Il  coud  un  psaume  au  bout  de  son  ancien  couplet  ; 

Une  âme  libre  ouvrant  ses  ailes  lui  déplaît  ; 

Montant  la  garde  autour  du  missel,  ce  gros  homme 

Prêche ,  et  son  ventre  prend  fait  et  cause  pour  Rome  5 

Il  dit  qu'il  ne  faut  pas  laisser  sans  examen 

L'homme  communiquer  avec  l'esprit  humain. 

Qu'il  est  bon  de  tout  craindre,  et,  de  peur  d'aventure, 

De  garder  l'Éternel  derrière  ime  clôture  ; 

Il  croit  j  son  estomac  s'accouple  au  sacré-cœur  5 

Au  seuil  noir  du  mystère  il  s'installe  vainqueur. 

Prêt  à  barricader  le  gouffre  avec  sa  table  5 

Il  consacre  au  seul  culte  auguste  et  véritable 

Ce  qui  reste  à  ses  pieds  des  bons  vins  qu'il  a  bus  ; 

Il  emploie  à  servir  les  Jéhovahs  fourbus 

Et  les  religions  mortes  ou  corrompues. 

Tout  l'arsenal  cassé  de  ses  franches  repues  5 

Il  n'entend  pas  qu'on  aille  à  travers  le  ciel  bleu. 

L'ombre  immense,  en  dehors  du  pape,  chercher  Dieuj 

Il  refuse  aux  penseurs  l'air,  l'horizon,  l'espace. 

Plantant,  pour  empêcher  que  l'esprit  humain  passe 

Au  delà  de  la  bulle  /;/  Cana  Domni, 

Tous  ses  culs  de  bouteille  au  mur  de  l'infini. 

24  juin  1870. 


XVIII 


O  sombre  femme,  un  jour,  n'ayant  plus  de  royaume, 
Spectre,  tu  paraîtras  devant  le  grand  fantôme  5 
Et  lui,  l'être  idéal,  le  seul  être  vivant. 
Il  te  dira  :  —  Qu'es-tu? 

Tremblante,  comme  au  vent 
La  branche  morte,  hélas,  tu  diras  :  —  J'étais  reine. 

—  Etais-tu  femme? 

A 

—  O  Dieu,  ma  jeunesse  sereine 
Fut  belle  et  douce  aux  bras  d'un  mari  triomphant  -, 
J'eus  la  puissance  avec  le  bonheur  j  tout  enfant. 
Je  portais  un  gra'nd  sceptre  antique  et  noir  de  rouille. 

—  Le  sceptre  importe  peu.  Que  faisait  ta  quenouille 
Pendant  que  tout  un  peuple  à  tes  pieds  se  courbait  ? 
Réponds.  Qu'as-tu  filé? 

—  La  corde  du  gibet. 

24  novembre  1867. 

Hier  ont  été  pendus  à  Manchester  les  trois  fenians  Larkin,  Alton  et  Gould. 


352  TOUTE  LA  LYRE. 


XIX 


LA  QUESTION  SOCIALE. 

Non,  non,  non.  Ce  n'est  point  par  la  ruse,  vous  dis-je, 

Que  vous  aurez  raison  du  gouffre  et  du  prodige  j 

Les  ouragans  ne  sont  en  rien  déconcertés 

Par  nos  expédients  et  nos  habiletés  ; 

Non,  je  ne  pense  pas  que  l'aquilon  s'apaise 

Par  égard  pour  Blondin  flottant  dans  son  trapèze. 

Ni  qu'un  homme  d'état  fasse  peur  à  l'éclair 

A  force  de  danser  sur  une  corde  en  l'air  5 

Le  tonnerre  n'est  pas  un  chien  hargneux  qui  boite 

Et  que  nos  coups  de  fouet  font  rentrer  dans  sa  boîte. 

Jésus-Christ,  tel  qu'il  est  dans  saint-Luc  et  saint-Marc, 

Voyait  la  politique  autrement  que  Bismarck 

Et  voyait  la  justice  autrement  que  Delangle  5 

À  l'homme  qu'on  assomme,  à  l'homme  qu'on  étrangle. 

Il  prodiguait  les  soins  du  bon  samaritain  ; 

Si  des  vaincus  tâchaient  d'échapper  au  destin, 

Son  temple  of&ait  l'asile  à  leur  fuite  tragique  ; 

Si  bien  qu'on  l'aurait,  certe,  expulsé  de  Belgique. 

A 

O  mer,  à  ton  niveau  fatal  tu  monteras. 

Il  n'est  pas  d'empereurs  et  pas  de  magistrats. 

Il  n'est  pas  de  trident,  gouffre,  il  n'est  pas  de  conque. 

Qui  puissent  à  ton  flot  faire  un  effet  quelconque  -, 

L'abîme  est  la  demeure  orageuse  de  Dieu  ; 

On  ne  calmera  pas  cet  effrayant  milieu 

Quand  même  on  enverrait  des  nymphes  ingénues 


LA  QUESTION  SOCIALE.  353 

Rire,  et  jusqu'au  nombril  s'y  montrer  toutes  nues; 
Ce  profond  océan,  le  genre  humain,  connaît 
L'instant  où  le  jour  meurt,  l'heure  où  l'étoile  naît; 
Il  a  sa  loi,  le  flux  et  le  reflux,  l'espace. 
Il  voit  le  fond  de  l'ombre  où  Léviathan  passe  ; 
Il  croît  sur  une  plage  et  sur  l'autre  il  décroît  j 
Son  équateur  bouillonne  et  ses  pôles  ont  froid  ; 
Mais  il  n'écoute  pas  monsieur  Rouher  ;  il  reste 
Le  vaste  flot,  tantôt  joyeux,  tantôt  funeste. 
Apre,  énorme,  impossible  à  dompter,  y  mît-on 
Bonaparte  en  Neptune  et  Devienne  en  Triton. 

Peuple,  en  ton  chaos,  noir  parfois  d'écume  immonde. 
Le  douteur  ne  voit  rien,  le  penseur  trouve  un  monde. 
Tu  montes,  tu  descends,  tu  remontes  ;  tu  n'as 
Ni  portes,  ni  verrous,  ni  clefs,  ni  cadenas  ; 
Tu  vas  dans  l'infini,  liberté  formidable! 
Dieu  te  fait  navigable  et  te  laisse  insondable  ; 
Le  sceptique  te  jette  en  vain  son  fil  à  plomb  ; 
Mer  fermée  à  Pyrrhon,  tu  t'ouvres  à  Colomb  ! 


Vianden,  19  juin  1871. 


POESIE.    —   XIII.  23 


3H  TOUTE  LA  LYRE. 


XX 


Crois-tu  donc  qu'on  sera  César  sans  l'expier  ? 

Qui  donc  t'a  dit  qu'on  puisse  être,  sans  récompense, 

Épictète  qui  saigne  en  même  temps  qu'il  pense? 

Rêves-tu  que  toujours  les  uns  seront  en  haut. 

Rois  que  le  trône  fait  exempts  de  l'échafaud. 

Prêtres  grands  par  le  mal,  soldats  forts  par  le  crime. 

Et  les  autres  en  bas,  subissant  tout  l'abîme? 

Vois-tu  le  ciel  pencher  et  crouler  quelque  part  ? 

Tout  a  son  contrepoids.  Comptes-tu,  par  hasard. 

Sans  la  grande  équité  qui  se  révèle  et  vibre 

Et  luit  de  tous  côtés  dans  l'immense  équilibre? 

Dis,  crois-tu  que  les  uns  seront  mal,  d'autres  bien. 

Que  les  uns  auront  tout,  les  autres  n'ayant  rien. 

Ceux-ci  sans  pain,  ceux-là  couvrant  de  mets  leurs  tables. 

Et  qu'il  ne  viendra  point  des  reflux  redoutables  ? 

Attends  le  dénoûment.  La  fin  mettra  le  sceau. 

Compte  sur  les  retours.  Crois-tu  que  le  pourceau. 

Formidable  mangeur  de  toute  pourriture. 

De  vos  vomissements  fera  sa  nourriture. 

Hélas  !  et  souffrira  ce  tourment  sous  le  ciel 

D'ouvrir  la  bouche  au  fond  de  l'égout  éternel. 

Et  d'être  l'être  infect  souillé  par  l'être  horrible  ; 

Et  qu'il  ne  viendra  pas  un  jour,  un  jour  terrible. 

Où  le  monstre,  penché  sur  tous,  resplendissant 

De  la  sombre  lueur  du  monde  finissant. 

Eclaboussant  quiconque  a  vécu  dans  l'ordure. 

Ceux  dont  le  cœur  fut  noir,  ceux  dont  l'âme  fut  dure. 

Les  prêtres  sur  l'autel,  les  rois  sous  leur  cimier. 

Dans  un  hoquet  vengeur  leur  rendra  leur  fumier  ! 


XXI 


Jeunes  hommes  éclos  sous  l'empire  rapace. 

Frais,  roses  et  glacés,  vous  dites  quand  je  passe  : 

((  —  Ah  çà!  qu'est-ce  que  c'est  que  cet  homme?  il  est  fou. 

Les  vieux  ont  pour  devoir  d'être  vieux.  Un  hibou 

N'a  pas  le  droit  d'aimer  le  soleil.  A  son  âge. 

Il  devrait  de  l'hiver  faire  le  personnage. 

Et  ne  point  se  répandre  en  élans  insensés. 

Quoi  donc  !  il  dit  Encor  !  quand  nous  disons  Assez  ! 

Un  falot  nous  suffit  -,  il  lui  faut  l'aube  immense. 

Il  va,  criant  :  Progrès  !  Fraternité!  Clémence! 

Enfantillage.  Il  est  à  ce  point  puéril 

D'accepter  un  devoir  qui  contient  un  péril. 

Il  veut  la  liberté  quand  il  a  la  vieillesse  ; 

Qu'en  fera-t-il?  Aïeul,  quitte  ce  qui  te  laisse. 

Quand  auras-tu  fini  d'avoir  vingt  ans,  vieillard? 

H  veut  le  plein  midi,  nous  aimons  le  brouillard; 

Au  sac  d'or  qui  nous  charme,  il  préfère  une  idée. 

Quand  l'homme  est  vieux,  il  sied  que  l'âme  soit  ridée. 

Il  veut  des  droits  pour  nous  qui  voulons  des  écus. 

Il  pense  qu'on  a  tort  d'écraser  les  vaincus  ; 

Il  ne  voit  pas  qu'Octave  est  couvert  par  Auguste  ; 

Il  en  est  à  ne  pas  comprendre  qu'il  est  juste 

De  faire  arquebuser  par  monsieur  Gallifïet 

Les  gens  dont  on  a  peur,  quand  même  ils  n'ont  rien  fait  ; 

Qu'il  faut  de  bons  bourreaux  dans  la  guerre  civile  -, 

Et  qu'on  ne  doit  pas  plus  plaindre  un  peuple,  une  ville. 

Pour  quelques  va-nu-pieds  qu'on  a  pris,  mis  sous  clé. 

Ou  tués,  qu'on  ne  plaint  un  champ  qu'on  a  sarclé. 

Cet  homme  est  la  démence  et  nous  sommes  les  sages. 

23' 


356  TOUTE  LA  LYRE. 

Ah!  comme  c'était  bon,  les  antiques  usages! 
Quand  verra-t-on  les  fous,  les  brouillons,  les  bavards. 
Pendre  aux  arbres  gaîment  le  long  des  boulevards  ? 
Quoi  !  nés  d'hier,  c'est  nous  dont  la  raison  éduque 
Cette  caboche  dure,  ingénue  et  caduque! 
Il  est  plein  de  chimère  et  plein  de  vision. 
Comme  le  rossignol  et  comme  l'alcyon. 
Il  chante  dans  la  nuit  et  court  à  la  tempête. 
Cette  vieille  âme  semble  au  combat  toujours  prête  ; 
Il  recommencerait  l'exil,  s'il  le  fallait  j 
Il  est  stupide.  Çà,  bonhomme,  apprends  qu'il  est 
Deux  enfances,  et  sache,  Argan,  qu'on  y  retombe} 
L'une  est  près  du  berceau,  l'autre  est  près  de  la  tombe. 
Les  pierres,  les  sifflets,  voilà  ce  qu'on  te  doit. 
Ce  n'est  pas  sans  raison  qu'on  te  montre  du  doigt. 
Qu'un  bébé  fait  ta  joie,  et  que  ta  tête  blanche. 
Comme  vers  tes  pareils,  vers  les  enfants  se  penche. 
Trop  de  jeunesse  est  grave  à  ton  âge  ;  il  est  bon 
De  n'être  point  marmot  alors  qu'on  est  barbon  ; 
Chérubin  dans  la  peau  de  Géronte  fait  rire. 
Nous  te  le  répétons,  il  faut  savoir  proscrire. 
Frapper,  amputer,  vaincre,  et  le  bien  sort  des  maux. 
Rêveur,  laissons  un  peu  de  côté  les  grands  mots. 
Ne  déclamons  pas.  Vois  le  fond  réel  des  choses. 
Nous  acceptons  les  faits  sans  en  chercher  les  causes. 
Disons  la  vérité  crûment  ;  l'homme  est  complet 
Lorsqu'il  est  le  plus  fort }  on  est  riche,  on  s'y  plaît  ; 
Est-ce  que  ce  n'est  pas  tout  simple?  On  a  des  rentes. 
Elles  ne  nous  sont  pas  du  tout  indifférentes  ; 
Plus  de  Champagne  à  boire  et  de  truffe  à  manger. 
Nous  l'avouons  tout  net,  c'est  pour  nous  un  danger } 
Donc  nous  nous  défendons,  c'est  juste.  Diogène, 
Rageant  de  voir  dmer  Trimalcion,  le  gêne. 
La  politique  est  l'art  utile  d'émonder. 
Supprimer,  c'est  créer  5  châtrer,  c'est  féconder. 
Quand  la  sève  au  printemps  déborde  et  surabonde. 
Une  serpe  a  raison  de  cette  vagabonde  ; 


JEUNES  HOMMES  ECLOS  SOUS  L'EMPIRE...      357 

Couper  le  rameau  fou  qui  fait  tort  au  voisin. 

Est  sage  -,  un  jardinier  est-il  un  assassin  ? 

L'arbre  étant  surchargé  d'un  feuillage  inutile 

Et  farouche,  on  le  sauve  alors  qu'on  le  mutile  ; 

Qui  donc  est  de  trop?  nous,  gens  d'esprit,  qui  brillons? 

Non!  mais  les  malvenus,  les  grabats,  les  haillons. 

Les  misères,  les  gueux,  ceux  que  tu  recommandes. 

Pleutre,  et  les  meurt-de-faim  sont  les  branches  gourmandes. 

Qu'on  les  retranche.  On  a  Cayenne  pour  cela. 

Toujours  un  peu  de  sang  sur  l'ordre  ruissela  ; 

Ce  n'est  pas  notre  faute,  et  sot  qui  s'apitoie. 

Un  ouragan  balaye,  un  carnage  nettoie. 

L'homme  d'état  réel  prend  son  temps  5  celui-là. 

Adroit,  sait  être  Monck,  et,  fort,  être  Sylla. 

Quoi  donc  !  ton  âge  ignore  et  le  nôtre  t'enseigne  ! 

Le  peuple  est  un  fiévreux  qu'il  faut  parfois  qu'on  saigne  ; 

L'homme  est  habile  et  grand  parmi  les  souverains 

Qui  lui  lace  un  gilet  de  force  sur  les  reins. 

Le  peuple  est  ton  pégase,  il  est  notre  bourrique. 

Sans  doute  il  faut  savoir  user  de  rhétorique. 

Jurer  qu'on  est  du  siècle,  et  qu'on  respectera 

La  liberté,  les  droits  de  l'homme,  et  caetera; 

Cela  sonne  bien  ;  mais  toute  âme  un  peu  maligne 

Finit  par  s'appuyer  sur  la  troupe  de  ligne  ; 

On  couronne  des  plans  sûrs,  et  dans  l'ombre  prêts. 

Par  un  massacre  heureux  qu'on  fait  bénir  après. 

Le  scrupule  commence  où  finit  la  victoire  ; 

Tels  sont  les  temps,  tels  sont  les  cœurs,  telle  est  l'histoire. 

N'es-tu  donc  pas  honteux  qu'on  t'appelle  innocent  ? 

Nous  estimons,  retiens  ceci,  le  trois  pour  cent. 

Un  grand  sabre,  et  Bismarck  ;  le  reste,  on  le  méprise.  »  — 

Soit,  imberbes  docteurs,  raillez  ma  barbe  grise 

Qui  pourtant  ne  devrait  pas  faire  d'envieux  ; 

Oui,  c'est  vrai,  je  suis  jeune,  —  et  vous,  vous  êtes  vieux. 

19  août. 


358  TOUTE  LA  LYRE. 


XXII 


RENTREE   DANS    LA    SOLITUDE. 


O  ses  amis  d'hier,  pas  d'aujourd'hui,  qu'il  trouve 

La  prudence  pour  vous  bonne,  et  qu'il  vous  approuve. 

Cela  doit  vous  suffire.  Il  dit  :  Reniez-moi, 

Et  sourit.  Il  poursuit  sa  route  sans  émoi  -, 

Il  faut  bien  que  le  cœur  des  hommes  se  révèle. 

Croyez-vous  que  ce  soit  une  chose  nouvelle 

Pour  lui  qui  reste  droit  lorsqu'on  est  à  genoux. 

De  tenir  tête  aux  sots,  aux  furieux,  à  vous? 

Quand  Bonaparte  était  le  maître  de  la  terre. 

Devant  ce  tout-puissant  il  fut  le  solitaire. 

Braver,  lutter,  souffrir,  ne  sont-ce  pas  ses  mœurs  ? 

N'a-t-il  pas  l'habitude  ancienne  des  clameurs? 

N'a-t-il  pas,  du  sommet  d'un  roc  dans  les  nuées. 

Vu  vingt  ans  à  ses  pieds  écumer  les  huées? 

Vingt  ans,  couronne  au  front,  l'empire  n'a-t-il  point 

À  cet  homme  pensif,  d'en  bas  montré  le  poing? 

Il  avait  l'œil  hagard  des  antiques  prophètes. 

Alors  comme  aujourd'hui  c'était  un  fou.  Donc,  faites. 

Adieu.  Ce  qu'il  promit,  il  le  tient  maintenant. 

Et  c'est  trop  fort,  il  est  fidèle,  il  est  gênant. 

Reniez-le.  Tournez  du  côté  de  l'injure. 

Tout  doit  finir.  La  vie  est-elle  une  gageure  ? 

L'entêtement  d'un  seul  est  un  reproche  à  tous. 

Le  devoir  des  lions  est  de  vieillir  toutous  ; 

Les  vents  époumonés  ont  dégonflé  leur  outre. 

Pourquoi  s'obstine-t-il,  cet  homme?  Passons  outre. 


RENTRÉE  DANS  LA  SOLITUDE.  359 

C'est  bien.  Il  reste  seul.  L'ombre  est  devant  ses  pas. 

Il  connaît  le  désert  et  ne  s'en  émeut  pas. 

Il  s'évanouira  de  nouveau  dans  l'abîme. 

Soit.  Mais,  toutes  les  fois  que  pour  commettre  un  crime 

Les  ennemis  publics  se  feront  signe  entre  eux. 

Peuple,  toutes  les  fois  qu'un  homme  désastreux 

Dressera  contre  toi  quelque  embûche  à  sa  guise. 

Toutes  les  fois  qu'un  bruit  de  couteau  qu'on  aiguise 

Se  mêlera  sinistre  au  tumulte  confus 

Des  noirs  événements  pareils  aux  bois  touffus. 

Chaque  fois  qu'un  vaisseau  partira  pour  Cayenne, 

Chaque  fois  que  Paris,  la  ville  citoyenne. 

Sera  livrée  au  sabre,  et  que  la  liberté 

Sentira  quelque  pointe  infâme  à  son  côté. 

Chaque  fois  que  des  pas  tortueux  et  funèbres 

Marcheront  vers  un  but  obscur  dans  les  ténèbres. 

Alors,  dans  la  nuit  lâche  où  s'éclipsent  les  lois. 

On  entendra  gronder  une  lointaine  voix. 

On  verra  tout  à  coup  un  fantôme  apparaître. 

Et  les  hommes  distraits  reconnaîtront  peut-être 

Cette  ombre  à  sa  tristesse  au  fond  du  firmament. 

Et  cette  conscience  à  son  rugissement. 

Vianden,  juin  1871. 


36o  TOUTE  LA  LYRE. 


XXIII 


O  princes  insensés  !  quoi  !  ne  tremblent-ils  pas 
D'ouvrir  la  porte  eux-même  aux  colères  d'en  bas  ! 
De  donner  quelque  chose  à  briser  à  la  foule  ! 
D'ébranler,  de  leurs  mains,  la  maison  qui  s'écroule  ! 
Et  d'appeler  en  aide  à  leurs  iniquités. 
D'appeler  au  secours  de  leurs  lâches  traités. 
De  leur  pouvoir  caduc,  de  leurs  lois  menacées. 
Le  morne  paysan  plein  d'obscures  pensées  ! 
Ils  ont  pu,  sans  pâlir,  voir,  à  leur  folle  voix. 
Sortir  des  lieux  profonds,  des  masures,  des  bois. 
Pour  se  répandre  en  hâte  au  loin  sur  des  décombres. 
Le  noir  fourmillement  des  multitudes  sombres  ! 

A 

O  princes  insensés  !  Dieu  juste  !  enseigne-leur 
Ta  loi ,  ton  but  sacré,  ta  justice  ! 

Ah  !  malheur  ! 
Malheur  dans  les  hameaux  et  malheur  dans  les  villes. 
Quand  parmi  nos  débats  et  nos  luttes  civiles. 
Parmi  nos  passions,  nous  voyons,  ô  terreur! 
Apparaître  soudain  la  faulx  du  laboureur. 
Qui,  terrible  et  fatale  à  tous  tant  que  nous  sommes. 
Quitte  les  champs  de  blés  et  vient  faucher  les  hommes  ! 

Effroyable  moisson  !  calamités  !  forfaits  ! 
Faulx,  d'où  la  gerbe  d'or,  l'abondance  et  la  paix 
Devaient  sortir,  hélas,  et  d'où  sort  le  ravage  ! 
Outil  rustique  et  saint  !  arme  horrible  et  sauvage  ! 


d  PRINCES  INSENSES!  361 

O  croissant,  d'où  jaillit  un  large  et  sombre  éclair, 
Faulx!  symbole  du  temps,  de  la  mort,  de  l'enfer, 
De  tout  bras  qui  moissonne  implacable  servante. 
Dieu!  comment  n'ont-ils  pas  frissonné  d'épouvante. 
Ces  rois  !  quand  ils  ont  vu  soudain,  au  milieu  d'eux. 
Ton  resplendissement  formidable  et  hideux  ! 
Comment  n'ont-ils  pas  eu,  le  prince  et  le  ministre. 
Quelque  éblouissement  de  ta  clarté  sinistre , 
Et  n'ont-ils  pas  dans  l'ombre  entrevu  ton  chemin  : 
Les  seigneurs  aujourd'hui,  les  couronnes  demain  ! 


362  TOUTE  LA  LYRE. 


XXIV 

LE  POÈTE  PREND  LA  PAROLE. 

J'ai  pour  muse,  en  ce  monde  où  souffle  un  vent  terrible 

Sur  l'homme  et  le  destin,  sur  la  graine  et  le  crible. 

Et  sur  les  insensés  livrés  aux  furieux. 

Une  sombre  déesse  au  regard  sérieux 

Qui,  lueur  traversant  l'ombre  visionnaire. 

Rôde  dans  la  nuée,  et,  comme  le  tonnerre. 

Sent  on  ne  sait  quel  noir  besoin  de  châtier. 

Car  elle  est  juste.  Eh  quoi  !  voici  le  bénitier  : 

La  bénédiction  monstrueuse  j  surnage  ; 

Voici  le  vrai,  le  faux,  changeant  de  personnage, 

Le  mal  joyeux;  voici  les  pires  qui  sont  rois. 

Les  démons  sur  le  trône  et  les  dieux  sur  la  croix. 

Voici  le  Te  Deum  valet  de  la  bataille  ; 

Voici  le  meurtre  absous  s'il  est  de  haute  taille 

Et  devenant  vertu  par  son  énormité  ; 

Voici  l'épouvantable  et  double  nudité 

Grelottant  sous  le  chaume  ou  riant  dans  l'orgie  ; 

Voici  la  plaie  au  flanc  de  la  terre  élargie. 

L'exil,  le  deuil,  les  pleurs,  les  héros,  les  bouchers. 

Et  sur  les  paradis  des  reflets  de  bûchers  ; 

Voici  la  sacristie  et  voilà  la  mosquée  5 

Voilà  dans  la  forêt  la  vérité  traquée 

Que  mordent  tous  ces  chiens  hurlants,  les  appétits; 

Voici  tout  le  fardeau  du  mal  sur  les  petits. 

Voici  partout  l'atroce  engendré  par  l'immonde. 

Et  vous  vous  étonne2  qu'en  haut  une  voix  gronde. 

Et  que  parfois  dans  l'ombre  on  voie  au  fond  des  cieux 

Un  pâle  éclair  sortir  d'un  vers  mystérieux  ! 

26  août  1874 


XXV 

GRANDES  OREILLES. 

C'est  un  bel  attribut,  la  longueur  de  l'oreille. 

L'oreille  longue,  au  fond  de  l'ombre,  oscille,  veille. 

Songe,  se  couche  à  plat,  se  dresse  tout  debout. 

Entend  mal,  comprend  peu,  s'épouvante,  a  du  goût. 

Frémit  au  moindre  souffle  agitant  les  ramées. 

Se  plaît  dans  les  salons  aux  choses  mal  rimées. 

S'émeut  pour  les  tyrans  sitôt  qu'il  en  tombe  un. 

Fuit  le  poëte,  craint  l'esprit,  hait  le  tribun. 

Aye2  cette  beauté,  messieurs.  La  grande  oreille 

Avec  le  crâne  altier  et  petit  s'appareille  ; 

En  être  orné,  c'est  presque  avoir  diplôme  ;  on  est 

Le  front  toufïu  sur  qui  tombe  le  lourd  bonnet  ; 

On  a  l'autorité  de  l'ignorance  énorme  ; 

On  dit  :  —  Shakspeare  est  creux,  Dante  n'a  que  la  forme  ; 

La  Révolution  est  un  phare  trompeur 

Qui  mène  au  gouffre  ;  il  est  utile  d'avoir  peur.  — 

De  l'effroi  qu'on  n'a  plus  on  fait  de  la  colère  ; 

Pour  glorifier  l'ordre,  on  mêle  à  de  l'eau  claire 

Des  phrases  qui  du  sang  ont  la  vague  saveur  ; 

Dès  que  le  progrès  marche,  on  réclame  un  sauveur; 

On  vénère  Haynau,  Boileau,  l'état,  l'église. 

Et  la  férule  ;  et  c'est  ainsi  qu'on  réalise 

Pour  les  Suins,  les  Dupins,  les  Cousins,  les  Parieux, 

Les  Nisards,  l'idéal  d'un  homme  sérieux. 

Et  qu'on  a  l'honneur  d'être  un  bourgeois  authentique. 

Ane  en  littérature  et  lièvre  en  politique. 

24  mai  1872. 


364  TOUTE  LA  LYRE. 


XXVI 


A  de  certains  moments,  Fhomme  juste  est  risible. 

Tous  les  archers  moqueurs  prennent  l'honneur  pour  cible  ; 

Les  choses  et  les  mots  changent  de  sens  -,  on  est 

Barbes,  Garibaldi,  Baudin,  lisez  :  benêt; 

Caton  est  le  Sosie  auguste  de  Jocrisse  -, 

Prudence  et  dignité  se  nomment  avarice  ; 

Tout  est  défiguré,  calomnié,  noirci  ; 

Un  fi-ont  de  vierge  n'est  qu'un  masque  réussi. 

Quoi!  vous  vous  dites  pur,  vous  me  croyez  donc  bête. 

Quel  est  votre  motif  secret  pour  être  honnête  ? 

Le  bien  suspect  confine  au  mal  ;  pas  de  vertu 

Qui  ne  vienne  d'un  vice  immonde  qu'on  ait  eu  ; 

Oh  !  s'il  vivait,  celui  qu'on  mena  chez  Pilate 

Sanglant,  coiffé  d'épine  et  vêtu  d'écarlate. 

Comme  on  reprocherait,  en  glosant  là-dessus, 

La  Madeleine  au  Christ  et  saint-Jean  à  Jésus  ! 

Comme  on  l'appellerait  sacrilège,  profane. 

Fourbe  !  comme  on  rirait  de  ce  dieu  sur  un  âne  ! 

Car  on  a  tant  d'esprit  qu'on  est  inepte  ;  on  dit  : 

Monk  est  un  paladin,  Bayard  est  un  bandit. 

Un  contresens  hideux  fausse  les  âmes  viles. 

A 

O  grandeurs  des  vieux  temps,  laissez-nous  donc  tranquilles  ! 

La  déroute,  l'orgie,  et  la  peur,  sont  nos  sœurs  ; 

Ceux  qu'on  nomme  héros,  nous  les  nommons  poseurs; 

Les  invincibles  sont  suivis  des  incurables. 

On  entend  un  jongleur  dire,  —  ô  temps  misérables  !  — 

Que  l'honneur  est  néant,  que  la  gloire  est  zéro. 

Et  qu'il  hait  le  martyr  autant  que  le  bourreau. 


A  DE  CEKTAINS  MOMENTS,  L'HOMME  JUSTE...     365 

Quoi  !  Régulus  !  d'Assas  !  quoi  !  des  vertus  si  hautes. 
De  tels  dévoûments,  c'est  à  se  tenir  les  côtes  ! 

Ecoute2-les  parler  :  —  Je  dis,  et  je  m'en  tords 

De  rire,  que  Socrate  au  fond  a  tous  les  torts  ; 

Bien  vivre,  et  de  laquais  emplir  son  vestibule. 

Cela  vaut  mieux  que  d'être  Horace  ou  Thrasybule  $ 

Je  préfère,  en  dépit  de  Dante  le  rimeur, 

Trimalcion  qui  soupe  à  Thraséas  qui  meurt  ; 

Je  contemple  Aristide  avec  insouciance  ; 

Je  sens  mon  estomac  plus  que  ma  conscience  ; 

Je  ne  tiens  pas  le  moins  du  monde  à  rayonner. 

Et  plus  qu'un  grand  exploit  j'estime  un  bon  dîner. 

Ayons  donc  le  bon  sens  d'être  ce  que  nous  sommes, 

Des  nains  ;  délivrons-nous  du  fardeau  des  grands  hommes. 

A  bas  tous  ces  gens-là  !  l'orgueil  les  étoufifeit  ; 

Votre  Léonidas  veut  faire  de  l'effet  $ 

Qu'est-ce  que  Winkelried  ?  un  crétin  inef^ble. 

Quant  à  Guillaume  Tell,  messieurs,  c'est  une  fable. 

Le  lion  qui  mangea  Callisthène  a  bien  fait. 

Hoche,  Marceau,  Kléber?  J'aime  autant  Galliffet. 

Vivent  ceux  qui  toujours  plièrent  et  fléchirent  !  — 

Et  des  sages,  sortis  de  Lilliput,  déchirent 
Toute  la  vieille  histoire  où  ces  grands  noms  ont  lui. 
On  se  sent  insulté  par  la  gloire  d'autrui. 
On  excuse  Anitus  et  l'on  comprend  Zoïle. 
Le  vrai,  le  faux,  cela  se  joue  à  croix  ou  pile. 
On  ébauche  en  l'honneur  du  tigre  un  vague  chant  5 
Est-on  sûr  que  Néron,  après  tout,  fût  méchant? 
L'oiseau  de  basse-cour  fête  l'oiseau  de  proie. 
On  est  abominable  et  stupide  avec  joie  5 
Décroître  plaît  ;  c'est  doux  et  bon  d'être  petit  ; 
La  multitude,  ayant  pour  amour  l'appétit. 
Craint  la  contagion  des  âmes  magnanimes  ; 
Duperie  et  devoir  deviennent  synonymes  ; 
L'infamie  est  utile  et  la  probité  nuit  $ 


366  TOUTE  LA  LYRE. 

Et  c'est  ainsi  qu'on  entre  en  raillant  dans  la  nuit, 
O  douleur  !  et  qu'on  voit  s'efiacer  au  solstice 
Tous  ces  astres,  le  droit,  l'idéal,  la  justice. 
C'est  ainsi  que  notre  âme  abdique,  c'est  ainsi 
Qu'un  peuple  est  lentement  par  la  honte  saisi, 
C'est  ainsi  qu'on  est  monstre  après  qu'on  fut  archange. 
Que  la  Rome  d'Emile  et  de  Gracchus  se  change 
En  la  Rome  d'Ignace,  et  que  le  grand  Paris 
Tombe  de  plus  que  Sparte  à  moins  que  Sybaris. 


i6  août  1873.  Auteuil.  V.  M.' 


Villa  Montmorency.  (Note  de  l'Éditeur.) 


XXVII 


A  vous  TOUS. 


Je  ne  vous  cache  pas  que  je  pense  à  nos  pères. 

Durs  au  tigre,  ils  mettaient  le  pied  sur  les  vipères  5 

Ils  affirontaient  la  griffe,  ils  bravaient  les  venins. 

Et  ne  craignaient  pas  plus  les  géants  que  les  nains. 

Ils  étaient  confiants,  ils  faisaient  de  grands  songes. 

Et  par  toute  l'Europe,  au-dessus  des  mensonges. 

Des  crimes,  des  erreurs,  ils  faisaient  sans  repos 

Flotter  ces  fiers  chiffons  qu'on  appelle  drapeaux  5 

Quand  les  rois  accouraient  vers  nous,  gueules  ouvertes. 

Quand,  fauve,  horrible,  éparse  en  nos  campagnes  vertes. 

Quelque  armée  arrivait,  ils  étaient  là  5  souvent 

Ils  avaient  dissipé  comme  un  nuage  au  vent 

Cette  armée  innombrable  et  terrible  naguère. 

Que  les  fleurs  qu'ils  mettaient  à  leur  chapeau  de  guerre 

N'avaient  pas  encore  eu  le  temps  de  se  faner. 

Je  sais  que  l'homme  fort  ne  doit  pas  s'étonner. 

Et  qu'il  est  de  bon  goût  d'envoyer  des  bouffées 

De  cigare  à  l'histoire,  aux  tombeaux,  aux  trophées  5 

Boire  son  vin  vaut  mieux  que  répandre  son  sang  ^ 

Je  sais  que  le  dédain  sied  aux  cœurs  d'à  présent  5 

Et  que  des  gens  d'esprit  et  de  bon  sens  qu'enivre 

Ce  but  sublime,  rire  et  digérer,  bien  vivre. 

Sont  grands,  certe,  et  n'ont  point  le  travers  puéril 

De  vénérer  ces  vieux  qui  cherchaient  le  péril  ; 

Les  filles  ont  des  droits,  certes,  et,  je  l'avoue. 

C'est  doux  de  contempler  sur  leur  gorge  et  leur  joue 

Les  roses  et  les  lys,  et  la  poudre  de  ri^. 


368  TOUTE  LA  LYRE. 

Quel  ténor  aura-t-on  cette  année  à  Paris  ? 

Est-ce  de  damas  rose  ou  bien  de  satin  mauve 

Qu'il  faut  vêtir  sa  belle  et  tendre  son  alcôve  ? 

Quand  passe,  éblouissante  et  faite  pour  aimer. 

Une  femme  au  front  pur  et  charmant,  s'informer 

Si  cet  ange  est  à  vendre  et  combien  on  l'achète  ; 

Prier  chez  Dupanloup  et  souper  chez  Vachette  ; 

Croire  et  jouir  5  hanter  des  membres  du  Sénat  5 

Attendre,  dos  au  feu,  le  sourire  incarnat 

De  l'aurore,  attablés  à  des  brelans  féroces. 

Pendant  que  nos  cochers  dorment  sur  nos  carrosses  ; 

Dormir,  bâiller,  railler,  ignorer,  être  ainsi. 

C'est  beau,  je  le  répète  j  et  je  comprends  aussi 

Qu'on  évite  un  aïeul  comme  on  fuit  un  reproche. 

Et  qu'on  soit  élégant,  et  qu'on  n'ait  dans  sa  poche. 

Tandis  que  d'autres  vont  pieds  nus  sur  le  pavé. 

Que  de  l'or  dans  de  l'eau  de  Cologne  lavé. 

Je  ne  suis  point  ingrat  pour  l'air  que  je  respire 

Jusqu'à  n'y  pas  sentir  le  parfum  de  l'empire. 

Et  le  Napoléon  troisième  a  fait  nos  cœurs 

Tels  qu'ils  sont,  gracieux,  point  fanfarons,  moqueurs; 

Toujours  les  Sybaris  ont  bafoué  les  Romes  ; 

C'est  bien.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ces  hommes 

D'autrefois,  peu  frottés  des  savons  de  Guerlain, 

Entrèrent  dans  Moscou,  dans  Vienne  et  dans  Berlin  ; 

Qu'ils  châtiaient  les  rois  de  leurs  façons  brutales. 

Qu'ils  étaient  familiers  avec  les  capitales  ; 

Qu'ils  se  plaisaient  parfois  à  d'étranges  assauts. 

Que  leur  cavalerie  attaquait  des  vaisseaux. 

Les  prenait,  et  donnait  aux  flottes  l'abordage  ; 

Que  chacun  d'eux,  vieillard,  enfant,  se  sentait  d'âge 

Et  d'humeur  à  servir  la  France,  et  qu'à  Valmy, 

A  Jemmape,  à  Fleurus,  ils  chassaient  l'ennemi 

À  coups  de  hache,  à  coups  de  sabre,  à  coups  de  lance  ; 

Qu'on  en  voyait  plus  d'un  sortir  de  l'ambulance. 

Et,  comme  à  l'Océan  retourne  l'alcyon. 

Revenir  au  combat,  sans  faire  attention 


A  VOUS  TOUS.  369 

A  la  blessure  encore  ouverte  qui  suppure  ; 

Qu'ils  mangeaient  du  pain  sec  et  buvaient  de  l'eau  pure. 

Qu'ils  allaient,  qu'ils  marchaient,  qu'ils  ne  trouvaient  jamais 

Les  gouffres  trop  profonds  ni  trop  hauts  les  sommets  ; 

Qu'ils  étaient  fraternels  aux  races  orphelines  ; 

Et  qu'ils  disaient  :  —  Que  sont  les  Alpes  ?  des  collines. 

Porter  l'artillerie  à  bras  sur  les  hauteurs 

Est  simple,  et  le  passage  est  aisé,  —  ces  menteurs  ! 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ces  hommes-là  rirent 

De  tout  ce  qui  nous  fait  trembler,  et  qu'ils  défirent 

Ce  que  vingt  siècles  noirs  et  tristes  avaient  fait  ; 

Qu'ils  battirent  Brunswick,  Cobourg,  Mêlas,  Clairfaitj 

Qu'ils  donnaient  en  spectacle  à  notre  enfance  blonde 

L'évanouissement  superbe  du  vieux  monde. 

Que  la  justice  était  à  l'aise  au  milieu  d'eux. 

Qu'ils  braquaient  le  canon  sur  le  passé  hideux  ; 

Qu'ils  n'avaient  point  de  sacs  d'argent,  ni  d'or  en  piles. 

Mais  qu'ils  faisaient  l'Argonne  égale  aux  Thermopyles, 

Qu'ils  enjarnbaient  le  Rhin  dont  nous  nous  éloignons. 

Et  que  ce  n'étaient  pas  de  petits  compagnons. 

Sur  l'impériale  de  Tomnibus. 
7  septembre  1873. 


POESIE.  —  xiu.  24 

IHPUIUUE    RÀTIOIAUI. 


NOTES 

DE    CETTE    ÉDITION 


LES    MANUSCRITS 

DE 

TOUTE  LA  LYRE. 


Nous  avons  étudié  dans  le  tome  premier  l'aspect  général  des  deux  manuscrits  de 
Toute  la  lyre;  nous  en  continuerons  ici  la  description  pour  les  poésies  contenues  dans 
ce  volume. 

I.  NOTES  EXPLICATIVES. 


II.    ADMIRE,  ENFANT!  SOUVENT,  AUX  MARINS  DE  MESSINE... 
Après  le  dernier  vers,  celui-ci,  resté  inédit  et  sans  rime  : 

Merci  !  mon  bien-aimé  !  tu  me  tires  de  l'ombre  ! 

V.    LA  FRANCE,  6  MES  ENFANTS,  REINE  AUX  TOURS  PLEURONNÉES.  . . 

L'original  est  dans  un  album  de  voyage,  1840 ;  nous  n'avons,  dans  le  manuscrit, 
qu'une  copie  reliéej  au  coin  du  premier  feuillet,  Victor  Hugo  a  écrit  : 

Copié.  —  Voir  un  des  albums  du  Rhin. 

Avant  la  première  page,  de  la  grosse  écriture  de  1876-1878,  nous  voyons  la  strophe 
de  début,  ainsi  modifiée  : 

La  France,  ô  mes  enfants,  reine  aux  tours  fleuronnées. 

Posait,  dans  les  grands  jours  de  sa  rébellion. 

Son  bras  droit  sur  le  Rhin,  le  gauche  aux  Pyrénées, 

Et  sa  tête  et  ses  pieds  avaient,  ô  destinées. 

Les  Alpes  pour  chevet,  l'océan  pour  lion. 

VIII.    X  OL. 

De  bas  en  haut,  dans  l'autre  sens  de  la  page,  on  lit  les  sept  derniers  vers  dont 
nous  donnons  les  variantes  pages  408-409. 


374       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYRE. 


IX.    VENUS  RIT  TOUTE  NUE  AU-DESSUS  DE  MON  LIT... 

Un  complément,  vers  et  prose  mêlés,  est  ébauché  après  le  dernier  vers  : 

La  cheminée 

Oh  !  c'est  tout  un  poëme 
Bas  reliefs 
Grès,  émaux,  Japon,  verres  de  Bohême 

Et  les  paons  couverts  d'yeux  passent  dans  les  miroirs. 

A  noter  que  le  nom  de  Crémieux  a  été  largement  rayé. 

XIII.    LE  BIEN  GERME  PARFOIS  DANS  LES  RONCES  DU  MAL. 

La  page  commence  par  dix  vers,  rayés,  que  nous  avions  déjà  lus  en  partie  au 
feuillet  6i  et  que  nous  avons  publiés  page  356  du  tome  premier.  Ce  début  pourtant 
diffère  un  peu  : 

Tout  eB-il  dit  ?  Non  pas  ('). 
fermée  '^' 
Tourment  de  la  pensée  après  V œuvre  finie  l 

agonie. 
Hommes,  portant  en  nom  notre  propre  ironie, 

tremblons. 

pensons. 
Nom  songeons.  Œie  veut-on,  hélas l  que  nom  fassions? 
Seigneur 

0  Dieu,  vom  m' envoyé^  les  pâles  visions; 
O  Dieu,  comment  choisir  dans  toutes  ces  nuées  ? 
Ea  vierge  eli  implacable  et  les  proBituées 
Sont  féroces;  le  bien,  le  mal  sont  toujours  prêts 
Hélas!  à  se  servir  des  mêmes  couperets. 

rudes 
grandes 
Les  révolutions,  ces  Jieres  affranchies. 

Sont  farouches,  étant  JîUes  des  monarchies  ^^\ 

Puis,  en  marge,  et  rayés  également,  neuf  vers  qu'on  a  lus  page  j7  du  tome  pre- 
mier, à  partir  de  ceux-ci  : 

A.h  !  quiconque  osera  regarder  fixement 

La  révolution,  ce  cratère  fumant, 

J^conque  plongera  ses  jeux  dans  la  fournaise .. . 

('^  Les  variantes  et  les  vers  en  italiques  sont  W  Ces  deux  derniers  vers  commencent  la 

rayés  dans  le  manuscrit.  pièce  XXVI,  page  51  du  tome  premier. 

(^'  Cette  variante  est  restée  sans  rime. 


NOTES  EXPLICATIVES.  375 

Après  avoir  tout  biffé,  Victor  Hugo  a  tracé  une  ligne  de  points  de  suspension  et 
commencé  : 

Le  bien  germe  parfois  dans  les  ronces  du  mal. 

XIV.  MON  AME  ETAIT  EN  DEUIL;  C'ETAIT  L'HEURE  DE  L'OMBRE  l'^^^ 

Plus  bas  que  la  date,  trois  vers  qui  semblent  n'avoir  aucun  rapport  avec  cette  poésie  : 

La  sombre  cathédrale  avec  son  noir  clocher 

Où  l'on  voit  le  bourdon  qui  bondit  et  qui  saute. 

Au-dessus  des  vieux  toits 

Au  milieu  des  maisons  s'élève  immense  et  haute. 

XV.  JE  TRAVAILLE. 

Le  second  feuillet  de  ce  manuscrit  se  reliait  ainsi  au  premier  : 

Je  connais  dès  longtemps  leur  vaine  objection. 
L'art  est  la  roue  immense,  et  j'en  suis  l'Ixion. 
Je  laisse  sous  mes  pieds  ce  murmure,  et  je  pense. 

Victor  Hugo  a  rayé  ce  dernier  vers  et  en  a  écrit  huit  nouveaux  en  marge. 

XVII.  QUAND  JE  MARCHE  A  MON  BUT  AUGUSTE... 

Ecrit  au  verso  d'une  lettre  datée  :  7  novembre  iSji. 
En  marge,  cette  variante  de  la  traduction  d'Horace  : 

Si  le  monde  croulait,  la  ruine  du  monde 

serein. 

L'écraserait  calme  et  sans  peur. 

XVIII.  6  TOI  gui  M'AS  MAUDIT  DANS  TES  SOUFFRANCES  SOMBRES  ^^\.. 

Le  titre  et  les  deux  premiers  vers  sont  rayés  ainsi  que  trois  vers  en  marge  ;  voici  ce 
que  nous  avons  pu  en  déchiffrer  ; 

À   H.    DUCHESSE   D'O. 

Toi  que  j'ai  dû  quitter, 

O  reine  de  l'exil  qui,  lorsque  tu  tombas, 

N'as  pas  compris de  nos  libres  combats 

Femme. . . 

Trois  autres  vers  écrits  à  l'encre  rouge  en  marge  sont  illisibles. 
")  Keliquat.  —  («)  Ibid. 


3/6       LES  MANUSCRITS   DE  TOUTE  LA  LYKE. 


XIX.    A  UN  ENFANT. 

Les  deux  marges  de  ces  deux  feuillets  sont  remplies  en  tous  sens  et  si  surchargées 
de  signes  et  de  renvois  que  Victor  Hugo ,  pour  s'y  reconnaître ,  a  dû  numéroter  les 
ajoutés. 

Il  n'y  a  cependant  qu'un  passage  rayé  en  croix  et,  sur  cette  croix,  on  lit  :  Remplacé 
par  oo.  Ce  signe  indique  en  effet  la  répétition  du  passage,  augmenté  de  quatre  vers. 
"Vbici  le  premier  jet  : 

Ce  rayon  n'a  duré  que  le  temps  d'un  éclair. 
Mais  elle  a  ^andil  Dieu  brille  en  son  regard  clair. 
L'albâtre  laisse  voir  la  lumière  immortelle. . . 


XXII.    X  DEUX  ENNEMIS  AMIS. 

Un  signe  intervertit  les  deux  derniers  mots  du  titre  qui  était  d'abord  :  A  deux 
amis  ennemie. 

Voici  comment  se  présente  la  première  version  avec  ses  lacunes  :  un  blanc  est 
ménagé  entre  le  quatrième  et  le  cinquième  versj  puis  le  texte  continue  jusqu'au 
quatorzième  vers;  à  partir  de  là,  un  carré  de  papier,  collé  par  des  pains  à  cacheter  et 
contenant  le  texte  publié,  cache  ce  passage  rayé  : 

TJous  dont  la  bouche,  au  gré  de  nos  âmes  conquises, 
Dévide  l'écheveau  des  paroles  exquises, 
Lie^-vous  l'un  à  l'autre  avec  ces  chaînes  d'or. 

Puis,  après  un  blanc  destiné  à  recevoir  les  rimes  manquant  : 

Uoje^-vous,  parle^-vom  seulement  un  in  fiant. 
Et  vous  vous  comprendre^;  vous  le  deve^,  étant 
Toi  (*)  toi,  la  grâce  infinie  '^'  ; 

Si  tout  se  comprenait,  tout  serait  harmonie, 
H/Ias!  et  le  chaos  n'eff  qu'un  malentendu. 

dans        la        nuit 
Eaisse^-moi  seul  dans  l'ombre  ok  je  me  sens  mordu 

Tantôt  par  la  vipère  et  tantôt  par  l'hjène, 

et    me    débattre 
Eutter,  c'eB  mon  deflin,  avec  la  sombre  haine. 

Que  je  sois  seul  saignant. . . 

Quatre  ajoutés  en  marge  donnent  la  version  définitive  et  reproduisent  le  texte 
contenu  sous  les  ratures. 

Après  ce  manuscrit,  vient  un  fragment  de  brouillon  de  lettre  à  l'un  des  «ennemis 
amis»;  on  le  lira  page  480 ;  il  nous  aidera  à  éclairer  ce  point  d'histoire  littéraire. 

(1)  Le  manuscrit  laisse  un  espace  en  blanc  <*)  Ces  vers  et  les  cinq  suivants  sont  rayés 

entre  les  deux  mots.  au  deuxième  feuillet. 


à\ 


NOTES  EXPLICATIVES.  377 


XXIII.     D.  G.  D.  G. 

Cette  pièce,  la  seconde  que  Victor  Hugo  ait  consacrée  à  M°"  de  Girardin^'', 
a  été  écrite  le  14  juillet  1855,  puis  augmentée  de  dix-sept  strophes  deux  jours  après, 
et  revue  vers  1870 ;  à  cette  époque,  deux  strophes  nouvelles  viennent  occuper  la 
marge  du  dernier  feuillet. 

Ce  qui  nous  confirme  dans  l'hypothèse  d'une  revision  vers  1870,  c'est,  outre  le 
changement  d'écriture,  cette  variante  de  la  quatrième  division  : 

Fille,        femme. 

Ma  fille,  amis,  parents,  frères... 

M"*  Victor  Hugo  est  morte  en  août  1868. 

La  première  version  du  poème  ne  comptait  que  huit  strophes;  après  les  quatre  pre- 
mières ,  dans  l'ordre  où  elles  ont  été  publiées ,  venaient  celles-ci  qui  offrent  d'inté- 
ressantes variantes  : 

^^    de    voix 

Nos    voix  sont   profiituéeSj 

Uers  tes  ^lenàeurs  obBruées, 

Jéhovah! 
,Quand  l'aigle  entend  nos  huées, 
Il  regarde  les  nuées 

Et  s'en  va. 

0  m^ande  âme  prisonnière, 

Cœur  martyr, 
C'eB  l'aigle  de  ma  tanière  -     x 

^ui  t'a  montré  la  manière 

De  partir. 

DeBin  !  gouffre  aux  vents  contraires, 

A.UX  flots  sourds  l 
Oh  l  aue  d'urnes  funéraires  l 

amis. 
Ma  fllle ,  enfants ,  parents ,  fleres , 

Joie,  amours! 

Ces  liens 

Tous  ces  nœuds  dans  le  myBere 

Sont  dissous; 
mon  attente 
demeure 
U ombre  eB  ma  patrie  auBere; 

J'ai  moins  d'amis  sur  la  terre 
^ue  dessous. 

Après  avoir  barré  ces  quatre  strophes,  modifiées  et  employées  pourtant,  Victor 
Hugo  a  placé  un  feuillet  intercalaire  après  la  première  page  et  établi  quatre  divisions. 


(1) 


La  première  a  été  publiée  dans  Ler  Contemplations. 


3/8       LES  MANUSCRITS  DE   TOUTE  LA  LYRE. 

Puis,  vers  1870,  il  a  ajouté,  en  marge  du  dernier  feuillet,  les  dix-septième  et  dix- 
huitième  strophes. 

XXV.    LETTRE  DE  L'EXILÉ  ARRIVANT  DANS  LE  DÉSERT. 

Deux  débuts.  Le  premier  se  résumait  en  ces  quatre  vers  : 

Tu  me  dk  :  ,Quefak-tu  ?  Rien.  Je  suis  seul.  Je  rêve. 
Je  vais  voir  si  quelqu'un  me  connaît  sur  la  grève. 

Et  si  j'ai 

Je  cherche  quelque  ami  dans  l'omhre  et  dans  l'effroi. 

Parfois  je  parle  avec  audace,  avec  effroi. 

Je  parle  à  l'océan 

A.U  tragique  océan  et  je  lui  dis  :  c'eB  moi. 

Ces  quatre  vers  ont  été  repris  et  développés  sur  une  page  placée  en  tête.  Au  coin 
de  cette  page  nous  croyons  lire  sous  une  rature  : 

A.  mettre  à  la  mer  peut-être  ^^\ 

La  date  de  cette  pièce  :  26  août  1852,  ne  correspond  pas  à  l'écriture;  mais  au  verso 
du  second  feuillet ,  nous  lisons  la  fin  d'une  poésie  publiée  dans  L'Art  d'être  Grand- 
Père  : 

Tout  pardonner,  c'est  trop;  tout  donner,  c'est  beaucoup. 

Cette  fin  est  datée  :  22  Juin  i8jj.  Nous  avons  ainsi  la  véritable  date  de  la  Lettre  de 
l'exilé. 

XXXI.    CALOMNIÉ. 

Après  le  dixième  vers,  les  quatre  derniers  venaient  tout  de  suite;  ils  sont  rayés  et 
recopiés  sous  quatre  vers  ajoutés,  onze  à  quatorze. 

XXXIII.    L'A^ILON  CHANGE,  ET  MET  LA  POUPE  OU  FUT  LA  PROUE. . . 

L'astérisque  placé  en  tête  du  premier  feuillet  semble  indiquer  que  cette  pièce  fai- 
sait suite  à  une  autre. 

Avant  les  six  vers  ajoutés  en  marge,  le  texte  s'enchaînait  ainsi  : 

A.lle<^  le  demander  au  moulin  de  Ualmj! 
Cette  fumée  en  fuite  au  loin,  ceB  l'ennemi! 
Avenir!  avenir!  accours!  ô  nos  deux  villes! 


Non,  je  ne  pense  pas  que  les  rois  soient  tranquilles; 
Je  n'ai  plus  qu'une  joie  au  monde,  leur  souci. 

Ces  deux  vers,  rayés  ici,  sont  repris  à&ns  La  Libération  du  territoire  (voir  page  333) 
(')  L'une  des  divisions  des  Tôt  de  pierres  inédits  a  pour  titre  :  La  Mer.  J 


NOTES  EXPLICATIVES.  379 

La  page  suivante  fait  partie  de  la  collection  de  M.  Louis  Barthou,  et  donne,  entre 
deux  fragments  inédits ,  sept  vers  publiés  page  63  : 

Le  mal  fait  du  bien  ;  la  souffrance 
Est  un  ami  qui  tient  par  la  main  l'espérance  ; 
Les  fléaux  ne  sont  point  à  dédaigner  ;  la  mer 
Doit  ce  qu'elle  a  de  sain  à  ce  qu'elle  a  d'amer  j 

l'averse  à  flots,  le  vent  sauvage 
La  tempête,  la  trombe,  éperdue  et  sauvage. 
L'ouragan,  qu'est-ce  au  fond  ? 
L'inondation,  qu'est-ce?  un  immense  lavage. 

Le  ciel  après  l'orage  est  toujours  éclairci. 

Je  dis  presque  aux  bourreaux  de  mon  pajs,  merci. 
Et  puisque  d'un  enfer  peut  naître  une  genèse. 
Je  ne  suis  pas  fâché  d'être  dans  la  fournaise  ; 
Purification  du  feu,  je  te  bénis  ! 
Le  grand  oiseau  Phénix  a  les  brasiers  pour  nids. 
L'âme  s'augmente  et  luit  dans  la  flamme  5  est  esclave 
Quiconque  ne  sort  pas  vivant  de  cette  lave  ; 
Et  je  trouve  l'épreuve  utile  ('). 

Je  veux  que  Pélion 
Refuse  de  porter  Ossa  sur  ses  épaules  ; 
Je  veux  que  l'avenir  renverse  ses  deux  pôles 
Et  mette  en  haut  le  Peuple,  et  que  cet  histrion. 
L'ouragan,  qui  du  sud  saute  au  septentrion 
Et  change  à  chaque  instant  de  masque  dans  les  nues. 
Soit  lojal,  et  nous  pousse  aux  rives  inconnues. 
Et  ne  nous  jette  plus  aux  écueils,  en  riant 
De  fourvoyer  au  nord  ceux  qu'attend  l'orient  ; 
Je  veux  que  le  destin,  soumis  au  juste  en  somme. 
Fasse  enfin  son  devoir  et  soit  probe  avec  l'homme. 
Et  traîne  notre  char  sans  en  rompre  l'essieu  j 
Oui,  je  veux  tout  cela.  Pourquoi.?  Parce  que  Dieu 
Le  veut,  et  qu'il  est  bon  qu'aucune  âme  ne  dorme 
À  l'heure  où  la  Raison  se  lève,  étoile  énorme. 
Parce  que  nous  devons  avoir  les  yeux  ouverts 
Devant  les  changements  d'âge  de  l'univers. 
Parce  qu'il  sied  qu'enfin  la  conscience  humaine 
Sache  où  le  profond  vent  des  abîmes  la  mène. 
Parce  que  '^^\ . . 

(')  Ici  un  blanc  destiné  à  recevoir  le  vers  manquant.  —  ^''  La  page  finit  sur  ce  vers  inachevé. 


380       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYRE. 

XXXVI.  PYGMEE  ET  MYRMIDON,  C'EST  HAINE  ET  CALOMNIE. 
Le  début,  en  marge,  a  remplacé  ces  deux  vers  rayés  : 

Poëie,  fis  sont  en  bas  toute  une  multitude 

T' insultant  dans  ton  deuil  et  dans  ta  solitude; 

Le  fauve  acharnement  de  la  haine  est  sur  toi. 

Note  en  marge  : 

Après  avoir  écrit  ces  vers,  je  me  souviens  tout  à  coup  de  vers  que  j'ai  écrits  il  y  a 
cinquante  ans,  censés  adressés  à  Lord  Byron,  et  en  réalité  adressés  à  moi-même,  et 
se  terminant  par  : 

Pensif,  tu  regardes  ailleurs, 

tt  je  m'étonne 

et  j'admire  qu'après  un  demi-siècle  la  même  situation  dure  encore.  Vieillir  ne  sert  à 

rien.  Mourir,  seul,  protège. 

V.  H. 
24  mai  1874. 

Une  strophe  de  cette  poésie  dédiée  à  Lord  Byron  et  publiée  dans  les  'Feuilles  d'Au- 
tomne sous  le  titre  :  Dédain  finit  en  effet  par  ce  vers. 

XXXVII.  m  LA  REVOISj  APRES  VINGT  ANS,  L'ÎLE  OU  DECEMBRE. . . 

Le  manuscrit  ne  nous  offre  qu'une  mise  au  net  ;  dans  le  manuscrit  de  La  Légende 
des  Siècles  ^'',  au  verso  de  la  poésie  intitulée  :  Écrit  en  exil ,  nous  en  avons  trouvé  la 
version  de  premier  jet,  elle  ne  comprenait  que  six  strophes;  comme  elle  diffère  pas- 
sablement du  texte  publié  pages  68-69 ,  nous  préférons  la  donner  ici  in  extenso  : 

JERSEY.  —  1872. 

Je  la  revois  après  vingt  ans,  l'île  où  décembre 

Me  jeta,  n'ayant  pour  trésor 
Que  l'honneur  calme  et  pauvre.  Elle  est  comme  une  chambre 

Où  tout  est  à  sa  place  encor. 

Oui,  c'étaient  ces  hameaux,  oui,  c'étaient  ces  rivages. 

C'étaient  les  mêmes  rocs  rêvant, 
La  même  acre  senteur  des  bruyères  sauvages. 

Les  mêmes  tumultes  du  vent; 

W  Nouvelle  série;  fol.  484.  ■       ,  ^     .  . 


NOTES  EXPLICATIVES.  381 

C'était  la  même  vague  arrachant  aux  décombres 

Les  mêmes  dentelles  d'argent  j 
C'étaient  les  mêmes  blocs  jetant  les  mêmes  ombres 

Au  même  éternel  flot  changeant  -, 

C'étaient  les  mêmes  caps  indifférents  à  l'onde. 

Car  l'âpre  mer,  pleine  de  deuils. 
Ne  s'inquiète  pas,  dans  sa  fureur  profonde. 

De  la  figure  des  écueils. 

C'était  la  même  fuite  immense  des  nuées  j 

Sur  ces  monts  où  Dieu  vient  tonner. 
Les  mêmes  cimes  d'arbre  en  foule  remuées 

N'ont  pas  fini  de  frissonner  j 

C'était  le  même  flux  couvrant  Jersey  d'écume 

Comme  un  cheval  blanchit  le  mors  ; 
C'était  le  même  azur,  c'était  la  même  brume  j 

Et  combien  vivaient  qui  sont  morts  ! 

Jersey,  8-10  août  1872. 


D'une  encre  plus  noire  et  d'une  écriture  postérieure,  ces  quelques  strophes  cou- 
vrent, à  droite  et  à  gauche,  les  marges  : 

Ciel!  océan!  c'était  cette  même  nature, 

mystère 
Gouffre  de  silence  et  de  bruit. 

Ayant  on  ne  sait  quelle  effrayante  ouverture 

Sur  la  lumière  et  sur  la  nuit. 

grève 

Oui,  je  la  reconnais  cette  rive  enchantée. 
Comme  alors  elle  m'apparut. 

Rive 

Terre  heureuse  où  l'on  cherche  Acis  et  Galatéc, 
Où  l'on- rêve  Booz  et  Ruth. 

Car  il  n'est  pas  de  terre,  ou  de  montagne,  ou  d'île 

Parmi  les  abîmes  amers. 
Mieux  faite  pour  cacher  les  roses  de  l'idylle 

Sous  la  tragique  horreur  des  mers. 

Puis  la  page  est  rayée  en  croix,  et  sur  le  tout  Victor  Hugo  a  écrit  :  'Voir  derrière. 
Derrière ,  c'est  la  poésie  :  Ecrit  en  exil,  publiée  dans  La  Légende  des  Siècles. 


382        LES  MANUSCRITS  DE   TOUTE  LA  LYKE. 

XXXVIII.  JE  NE  M'ARRÊTE  PAS,  JAMAIS  JE  NE  SEJOURNE. . . 

Comme  début  une  strophe  rayée ,  répétée  au  verso ,  et  de  nouveau  biffée  : 

semblable 
Je  vais  sondant,  pareil  au  navire  qui  rode, 

U immense  eihoir  amer. 
Battu  des  flots,  en  proie  aux  hydres  d'émeraude 
étrange 
De  cette  sombre  mer. 

Puis  une  note  répondant  à  ce  vers  : 

Heureux  celui  qui  vit  stupide  en  sa  demeure. . . 
rectifie  : 

Oui,  heureux,  mais  pas  grand. 

À  côté,  une  indication  : 

La  pièce  qui  suit  dira  : 

Non.  Ne  te  plains  pas.  Va,  souffre,  et  sois  content. 

XXXIX.  JE  VAIS  DANS  LA  FUREUR  DU  GOUFFRE,  DANS  L'ECUME. .  . 

Bien  que  cette  pièce  soit  reliée  par  erreur  après  la  Lettre  de  l'exilé,  nous  l'avons 
maintenue  ici,  car  elle  justifie  le  commentaire  que  nous  venons  de  citer  à  la  poésie 
précédente. 

Dès  le  premier  vers ,  nous  remarquons ,  en  déchiffrant  sous  les  ratures ,  que  Victor 
Hugo  avait  commencé  sous  une  forme  impersonnelle  : 

Il  va  dans  la  fureur  du  gouffre. . . 
et  qu'il  adoptait  un  autre  rythme  : 

'^\ . .  s'envolèrent  les  mots 
Que  disent,  pleins  d'horreur,  la  sibylle  de  Cume 
Et  le  prophète  dans  Vathmos. 

,Quand  cet  homme,  debout  et  seul  dans  la  tempête, 
fasse... 

Là  s'arrêtent  les  ratures  et  le  manuscrit  continue  sans  hésitation. 
('^  Le  premier  mot  est  illisible  sous  la  rature. 


NOTES  EXPLICATIVES.  383 

Après  le  premier  feuillet,  terminé  par  : 

et  je  laisse 

Les  autres  avoir  peur. 

un  trait  et  la  date  :  13  aoixt.  H.  H.,  semblent  marquer  la  fin.  Un  second  feuillet 
donne  la  conclusion  attendue  d'après  la  note  de  la  pièce  précédente  et  la  date  se 
répète,  plus  complète  :  H.  H.,  13  août  1872. 

XL.    UN  VIEILLARD  EST  SOUi^ENT  PUNI  DE  SA  VIEILLESSE. . . 

Au  coin  de  la  bande  de  papier  bleu  sur  laquelle  sont  jetés  ces  quelques  vers,  le 
mot  :  ÉpÎtres  j  puis,  après  des  points  de  suspension,  on  lit  les  deux  vers,  rayés,  qui 
seront  rejetés  à  la  fin  : 

^^ue  te  sert,  0  Vriam,  à' avoir  vécu  si  vieux  ? 
Tout  meurt.  Tu  vois  tomber  la  foudre  sur  tes  dieux. 

Avant  le  premier  vers,  cette  réflexion  : 
A  quoi  bon  souhaiter  de  longs  jours.'' 


A  la  fin  la  référence  est  indiquée 


Omnia  vidit 
(Eversat  Juve'nal,  Voir  Priani.  ) 


Pas  de  date,  mais  la  tristesse  poignante  de  ces  vers  indique  que  Victor  Hugo  a  dû 
les  écrire  après  avoir  perdu  son  dernier  fils,  François-Victor,  mort  en  décembre  1873. 


XLI.    A  MADAME  D'A. -SU. 

Au  coin  du  premier  feuillet  :  ces  mots  :  A  relire. 

À  la  seconde  page,  après  la  sixième  strophe,  venaient  les  septième,  huitième  et 
dernière  strophes  ;  après  les  avoir  rayées ,  Victor  Hugo  a  intercalé  sept  strophes  nou- 
velles et  recopié  la  dernière. 

XLV.    LA  HAUTE  HONNETETE,  C'EST  LA  TOUTE  MA  GLOIKE. 

Derrière  la  mise  au  net  de  cette  poésie  ,  on  en  lit  les  dix  premiers  vers,  barrés  et 
pourtant  presque  conformes  au  texte  publié. 

XLVI.    L'ENFANT  EST  TRES  PETIT  ET  L  AÏEUL  EST  TRÈS  VIEUX. 

En  marge ,  ces  noms  : 

Planche.  Sainte-Beuve.  Harel.  Le  garde  du  corps  Vasserot,  à  Versailles  [1821  '*']. 

^')  Ou  1831,  le  troisième  chiffre  est  douteux. 


384       LES  MANUSCRITS  DE   TOUTE  LA  LYKE. 

Ceci  éclaire  ces  vers  : 

A  peine  il  sait  comment  se  nomme 
L'insulteur,  pour  avoir,  lorsque  juillet  brilla. 
Jadis  aidé  quelqu'un  qui  portait  ce  nom-là. 

XLVII.    JE  SUIS  ENKAGÉ.  J'AIME  ET  JE  SUIS  UN  VIEUX  FOU. 

Moitié  de  feuillet  déchiré.  Après  le  dernier  vers,  un  autre  est  commencé 
—  Grand-père  ?  —  quoi  ? 

En  marge,  un  vers  :  .  ' 

Je  suis  celui  qui  croit  à  la  force  des  choses. 

Au  verso,  les  huit  premiers  vers,  barrés. 


XLVIII.    ÉCHAPPÉ  À  L'ERREUR. 

Sur  un  large  feuillet  de  papier  de  Hollande  cette  poésie  commençait  ainsi  : 

Je  suis  un  naujragé  qui  s  évade.  Ma  vie 
Commença  par  l'erreur,  d'illusions  suivie  ; 
Mes  deux  frres  et  moi,  longtemps,  jouets  du  vent. 
Dans  l'engloutissem 

Le  mot  n'est  même  pas  fini,  tout  est  biffé,  et,  en  marge,  le  titre  et  les  trois  pre- 
mières strophes  se  suivent,  puis  les  deux  dernières  prennent  le  milieu  delà  page. 

Dans  les  brouillons,  nous  trouvons  une  copie  de  la  dernière  strophe,  dont  l'ori- 
ginal est  au  verso  d'un  brouillon  du  chapitre  :  InfaiUibilttê ^^\ 

Puis  une  ébauche  : 

Grâce  à  vous,  misérables 

J'ai  reçu  l'éducation  fausse 
Qui  sous  tous  les  berceaux  creuse  sa  sombre  fosse. 
Qui  fait  la  nuit,  qui  met  l'enfant  dans  un  linceul. 
Qui  cache  en  tout  le  peuple  et  montre  le  roi  seul, 
Qui  — 

mensonge,  empoisonnement,  crime  ^^^ 

Mais  cet  enseignement  m'a-t-il  crevé  les  yeux? 
M'a-t-il  ôté  le  droit  de  me  renseigner  mieux  ? 

C  Le  Pape.  —  t"^)  Deux  mots  illisibles. 


NOTES  EXPLICATIVES.  385 

XLIX.    APRÈS  L'HIVER. 
Dans  les  brouillons,  une  suite  inédite  : 

Tous  ces  petits  oiseaux  font  un  tas  de  manières. 
Je  vous  demande  un  peu,  les  senteurs  printanières 
Les  devraient-elles  rendre  à  ce  point  insensés  ! 
Quoi,  toujours  dire  :  Encor!  ne  jamais  dire  :  Assez! 
Mesdames,  est-ce  là  de  la  pudeur.?  Femelle 
Et  mâle,  tout  cela  flirte,  chante,  se  mêle, 
S'unit,  c'est  une  orgie  enfin  qu'une  foret. 
Et  la  complicité  du  printemps  m'apparaît. 

L.    ^U'^-'^Uj  PELERIN  ?  —  JE  ME  NOMME. . . 

Feuille  détachée  de  l'album  de  voyage,  1865.  Cette  poésie  a  été  écrite  d'abord  au 
crayon  sur  la  route  d'Aix-la-Chapelle  à  Diiren,  comme  l'indique  le  manuscrit,  puis 
repassée  à  l'encre  ensuite. 


VI 

I.  LORSQUE  MA  MAIN  FREMIT  SI  LA  TIENNE  L'EFFLEURE. . . 

Ce  manuscrit  est  en  double.  Le  second  exemplaire  seul  porte  le  millésime. 

II.  OH  !  SI  VOUS  EXISTEZ  j  MON  ANGE,  MON  GENIE... 

Deux  exemplaires  de  ce  manuscrit.  Le  premier  est  daté  février  18^);  le  second 
10  mars  18}^. 

V.  VOUS  M'AVEZ  Éprouve  par  toutes  les  Épreuves... 

Apres  la  date  et  sous  des  variantes  que  nous  donnons  page  425,  on   lit  cette 
remarque,  rayée  : 

Faut-il  commencer  ainsi  (moins  les  quatre  premiers  vers)  : 

L(?  mensonge  et  la  haine  et  l'injure  avec  joie 

Ont  mâché  dans  leurs  dents  mon  nom  comme  une  proie. 

VIII.    ROMAN  EN  TROIS  SONNETS. 

Les  premier  et  second  sonnets  sont  datés  ç  décembre,  et  ont  été  écrits  après  le  troi- 
sième ,  qui  à  lui  seul  forme  un  tout  et  qui  est  daté  :  5  décembre. 

POÉSIE.  —  XUI.  2J 

lllJ'Mll£niE     NATiONlLE. 


386       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


IX.    CHANSON.  —  IL  SUFpn  DE  BIEN  PEU  DE  CHOSE  ^^K . . 

Après  le  manuscrit,  une  page  offre  un  autre  début  composé  en  une  strophe  de 
dix  vers  ;  les  quatre  premiers ,  pareils  à  ceux  publiés  en  tête  de  la  page  103 ,  sont 
biffés  et  suivis  de  ceux-ci  : 

Un  vent  des  deux  trouble  la  facej 
Le  printemps  meurt,  l'été  s'efface. 
Juin  n'a  plus  qu'un  rayon  menteur 
Quand,  par  un  souffle  remuées. 
Des  avalanches  de  nuées 
Roulent  du  pôle  à  l'équateur. 


X.    HERMINA. 

En  marge  du  titre,  cette  indication  : 
A  douze  ans. 

Nous  trouvons  dans  les  brouillons,  d'une  écriture  bien  antérieure  à  celle  du 
manuscrit  daté  du  22  juin  1878,  ce  vers  qui  change  le  nom  de  l'héroïne  : 

Annette  avait  sept  ans,  j'en  avais  presque  seize. 
Suivent  les  deux  derniers  vers,  rayés. 

XII.    J'ETAIS  LE  SONGEUR  QUI  PENSE. . . 

Six  strophes  ajoutées  en  marge  ;  cette  poésie  a  subi  tant  de  remaniements  que 
Victor  Hugo  a  dû  en  numéroter  les  strophes. 

XVIII.    TOUTE  LA  VIE  D'UN  CŒUR. 

Pas  de  titre  au  manuscrit  pour  cette  division  publiée  dans  les  éditions  précédentes 
sous  le  titre  :  Étapes  du  cœur.  Nous  trouvons ,  reliée  dans  le  Reliquat,  la  liste  suivante 
intitulée  :  Toute  la  vie  d'un  cœur  : 

1 1811. 

II ." 1817. 

m 1820. 

IV 1825. 

V 1831. 


''  Reliquat. 


i 


NOTES  EXPLICATIVES.  387 

VI 1833 

VII 1835 

VIII I  840 

IX 1847 

X 1830 

XI 1877 

Les  1"  et  xi'  pièces  —  1811-1877  '''  —  ont  été  publiées  dans  L'Art  d'être  Grand-Père. 

Nous  expliquons  dans  I'Historioije  les  modifications  apportées  à  cette  liste.  Dans 
cette  édition,  nous  publions,  nous  conformant  strictement  au  manuscrit,  les  six 
divisions  précédées  d'un  millésime  écrit  par  Victor  Hugo  :  1817— 1820— 1833— 1835— 
1840— 1847;  nous  donnons  ensuite,  sous  leur  titre  respectif,  les  poésies  ne  portant 
pas  d'indication  d'année. 

1833.    —    PUISSE  LE  GAI  PRINTEMPS  REVIENT  DANSER.  ET  RIRE. 

Après  le  dix-huitième  vers ,  cette  pièce  finissait  ainsi ,  sans  rime  : 

Et  le  poëte  e'mu  pensera  doucement. 
Au-dessous  de  ce  vers  rayé,  on  lit  la  fin  telle  qu'elle  est  publiée  page  118. 

1835.    —    PROMENADE, 

Tout  au  bas  du  premier  feuillet,  après  le  vers  : 

Un  doux  sourire  fait  cclore  un  doux  nenni, 
venait  celui-ci ,  rayé  : 

Cachons-nous.  Ce  lit  d'herhe  eSt  indiscret  peut-être. 

En  marge,  onze  vers  ajoutés  ont  modifié  cette  fin. 

Le  manuscrit  de  premier  jet^^\  entièrement  rayé,  donne  quelques  variantes  qu'on 
lira  page  429.  Un  passage  n'a  pas  été  employé  : 

près    de    moi    qi^ici 
Uiens.  Je  veux  au  en  ce  lieu  voilé  tu  te  reposes, 
moUement      éclairci 
avril     épaissi 
Et  qu'il  reBe  au  haUier  par  ta  langueur  choisi 

On  ne  sait  quel  parfum  de  ton  passage  ici. 
Laissons  des  souvenirs  à  cette  solitude. 
Si  tu  prends  quelque  moUe  et  sereine  attitude. 
Si  nous  nous  querellons,  si  nous  faisons  la  paix. 
Et  si  tu  me  souris  sous  ces  arbres  épais, 

<')  181 1  :  Les  Fredaines  du  Grand- Père  enfant.  -  1877  :  Chanson  du  Grand-Pere.  — 
^^'  Keliquat. 

25- 


I 


388        LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

Ce  lien  sera  sacre'  pour  les  fiymphes  obscures, 

au        lever        des 
Ef  ce  soir,  quand  luiront  les  divins  Dioscures, 
hes  oiseaux  sentiront  plus  doucement  Wnis 
L'hymen,  l'ombre. 
Leurs  hymens,  et  la  fête  adorable  dej  nids. 

1840.     —    MAI. 

Apres  les  quatre  premiers  vers,  venaient  les  quatre  derniers  ;  voulant  les  conserver 
comme  fin,  Vxctor  Hugo  les  a  rayés,  puis  il  les  a  recopiés  à  la  deuxième  page  après 
avoir  ajouté  vingt  vers. 

1847.    —    TU  VOIS   UN  HOMME  AYANT  UN  PKOJET  SOUS  LES  CIEUX. 

Cette  pièce  finissait  par  six  vers  que  nous  allons,  malgré  les  larges  ratures  qui  les 
couvrent,  essayer  de  reconstituer  avec  leurs  variantes  : 

Aimons.  Tout  passe  ainsi  que  l'eau  dans  les  ravines j 
A.insi  coule  la  vie,  ainsi  passent  les  heures j 

divines. 
Après  avoir  aimé  les  âmes  sont  meilleures. 

mourons 
tombons 
L'heure  où  nom  passons  touche  à  l'heure  où  nom  brillons  ; 

Et  vom  ne  fere<r  pas  la  chasse  aux  papillons. 

L'amour  étant  le  dieu,  la  fleur  étant  le  temple. 

Belle,  et  les  papillons  étant  de  bon  exemple. 

En  marge  une  autre  version  finale,  également  rayée  et  dont  nous  ne  pouvons  lire 
tous  les  mots  : 

Aimons.  On  j  consent  au  fond  des  empyrées. 

Après  avoir  aimé  les  âmes  sont  sacrées. 

L'heure  où  nom  brillons  touche  a  l'heure  où  nom  tombons. 

Brille^,  tombe^.  Jadis,  les  sagef  étaient  bons. 

Ils  conseillaient  la  gloire  aux  héros,  et  la  chute 

Aux  belles,  l'herbe  douce  après  la  douce  lutte 

EU  une  trêve,  Horace  y  fait  asseoir  Chloé. 

Ainsi  qu'un  vieux  trumeau  repeint  et  déchiré. 

L'idylle  eB au  grand  plafond  cèle  fie , 

Galatée  au  pied  leHe, 

Et  je  serai  Uirgile  et  tu  seras  Eglé 
0  belle  au  flais  flchu  vaguement  envolé  ! 

du  berger,  garde-moi  ton  feuillage 

Attention  !  je  vais  commencer  le  pillage 
Des  appas 

La  fin  de  la  ligne  est  illisible. 


NOTES  EXPLICATIVES.  389 

XXI.    IL  ETAIT  UNE  FOIS  UN  CAPORAL  CIPAYe'^^I 
Page  détachée  d'un  album  de  1845. 

XXVI.    DANS  UN  VIEUX  CLOÎTRE. 

Au  verso  de  ce  manuscrit,  un  brouillon  de  quelques  vers  du  Groupe  des  Idylles 
(Racan).  Cette  idylle  étant  datée  dans  le  manuscrit  de  ha  Ugende  des  Siècles  :  20  dé- 
cembre 1875 ,  cela  situe  vers  la  même  année  Dans  un  vieux  cloître. 


XXXVII.    A  MADAME  J 


(2) 


La  deuxième  strophe,  rayée,  est  une  variante  de  la  dernière  strophe  de  Nivea  non 
frigtda. 

Tous  les  songes  ^^)  sous  le  ciel  bleu 
Uous  font  cortège. 

Miracle  ! 

Et  blanche,        vous  êtes  de  feu 

Comment  peut-on  être  de  feu, 

Étant  de  neige  ? 

XLIII.    FURENS  F(EMINA  ^*l 
Après  le  texte  définitif  sept  vers  de  brouillon  : 

Ellejrappa  du  pied,  s'emporta,  fut  terrible. 
Je  n  avais  pas  eu  d'elle  encor  un  seul  baiser, 
J'esp/rai.  ^ui  n'a  vu  l'ouragan  s'apaiser? 
Il  n'eft  pas  de  courroux  qui  ne  prenne  la  fuite  ; 
F  lus  le  nuage  eSi  noir,  plus  l'amir  revient  vite  ; 
U orage  eut  une  jin;  et  ce  que  je  conquis 
Dans  ce  charmant  accès  de  fureur  fut  exquis. 

XLIV.    CELA  LA  DESENNUIE;  ELLE  VIT  TOUTE  SEULE... 
Après  le  treizième  vers,  venait  celui-ci  : 

On  eB  des  deux  côtés  libre,  et  sans  père  et  mère; 

Après  l'avoir  barré,  Victor  Hugo  a  écrit  en  marge  ces  cinq  vers  : 

Les     contes     de     Perrault 

Ovide  et  ses  romans,  La  Fontaine  et  ses  febles. 

Les  changements  à  vue  où  se  plaisaient  jadis 


(0 


Reliquat.  —   <«>  îbid.  —  (»)  Mot  douteux.     -   <*'  Reliquat. 


390       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

au      temps      d'Vrgande      et 
Les  poètes  aux  temps  d'Achille  ou  dAmadis, 
Le  bon  Pilpaj,  le  bon  Perrault,  le  bon  Homère, 

des  hommes 
d'une  fille 
N'égale  pas  le  cœur  des  filles  en  chimère. 

Ces  cinq  vers  sont  répétés,  modifiés,  au-dessus  de  cette  première  rédaction  qui 
est  alors  encerclée;  sur  l'un  des  côtés  on  lit  :  Moins  bon. 


L.    AH  ÇA  MAIS  !  (QUELLE  IDEE  AS-TU,   CAPRICIEUSE. . . 

Dans  les  brouillons ,  on  trouve  ce  passage  qui  résume  trente-sept  vers  du  texte 
définitif  : 

La  hranche  n'a  qu'un  hiit,  c'eft  de  cacher  un  nid. 

Uois  ces  grottes  qu'un  dieu  myBérieux  bénit; 

On  entend  alterner  des  flûtes  sous  les  chênes; 

,Quel  e§i  le  maître  ?  Amour.  Et  quelles  sont  les  chaînes  ? 

Des  fleurs.  IJois  cette  idylle  immense,  ïhorisron. 

Uois  tom  ces  tentateurs;  vois  ces  bancs  de  vcpron; 

Crois-tu  que  de  cette  ombre  et  de  ce  paysage 

Il  sorte  le  conseil  insensé  d'être  sage, 

D'être  aveugle  aux  attraits,  d'être  sourd  aux  inBinBs, 

De  ne  tas  s'embrasser,  d'être  des  cœurs  éteints  ^^\ 

Et  de  subHituer  Wagram,  Jemmape,  Arcole, 

Les  révolutions,  la  patrie  en  péril. 

Et  la  bataille,  au  vague  et  tendre  hymen  d'avril  ? 

Dans  l'autre  sens  de  la  page,  ces  notes  : 

Ils  ont  une  morale  à  surprises j  que  doit-on  au  crime?  La  punition.  Et  s'il  réussit.? 
Obéissance  et  respect.  Garder  sa  place,  c'est  sauver  la  patrie.  Quant  aux  proscrits, 
l'austère  Gui2ot  les  qualifie  :  nBohêmes)). 


Guizot  :  la  nullité  qui  dédaigne. 


Demander  si  le  suffrage  universel  peut  détruire  la  république,  cela  équivaut  à 

voix 

examiner  la  question  de  savoir  si  la  bouche  a  le  droit  de  faire  couper  la  tête. 
('^  Un  blanc  est  ménagé  après  ce  vers  pour  la  rime  manquante. 


NOTES  EXPLICATIVES.  391 


LIV,    A  FORCE  DE  rÊvIEK  ET  DE  VOIR  DANS  LA  PLAINE. . . 

Les  trois  derniers  vers,  dont  nous  donnons  les  variantes  page  437,  ont  été,  d'après 
l'écriture,  modifiés  vers  1862. 


LV.    LES  PÉRIPÉTIES  DE  L'IDYLLE  ^''. 

Beaucoup  de  remaniements  et  d'ajoutés.  Trois  versions  pour  la  fin  ;  voici  le  pre- 
mier enchaînement  : 

altière. 
Et  tu  jettes  aux  vents  ta  bette  voix  sonore. 
Je  zieHx  de  l'ombre j  toij  tu  veux  de  la  lumière. 
Je  voulais  de  la  nuit,  toi,  tu  veux  de  F  aurore. 
Je  voulais  des  baisers,  toi,  tu  veux  des  chansons. 
Soit.  J'obéis.  Tu  dis  :  Paix,  monsieur  finissons  ! 
Mais  Je  n'obéis  plus.  Je  me  livre  au  pillage, 
Sans  me  troubler  d'un  souffle  errant  dans  le  feuillage, 
Et  sans  m' inquiéter  si  ï écart  du  jîchu 
Fait  dans  l'ombre  loucher  le  faune  au  pied  fourchu. 
Tant  pis.  Tant  mieux.  Uivons,  sois  déesse  l  Sois  Grâce  l 

La  seconde  version ,  rayée  également ,  se  lit  au  bas  du  même  feuillet  : 

,  Le  ciel,  en  même  temps  que  la  bouche,  s'approche. 
L'attendrissement  gagne  et  pénètre  la  roche, 

le  ravin 
Le  granit,  la  forêt,  les  sombres  lacs  dormants, 
La  montagne,  les  prés,  les  bois,  quand  deux  amants 
Sont  là,  perdus,  mêlés,  comme  au  printemps  les  roses, 
Dans  le  céleBe  oubli  des  hommes  et  des  choses. 
Mais  jamais  les  baisers  ne  sont  bien  assoupis. 
S'éveiller,  c'eB  leur  droit.  Tu  te  fâches  ?  Tant  pk! 
Non  !  non  !  je  brave  tout!  je  me  livre  au  piUage! 

Suivent  les  trois  derniers  vers  tels  qu'ils  sont  publiés. 

Sur  une  dernière  page  cette  version  est  recopiée,  augmentée  de  douze  vers. 


LVIII.    NOUS  ETIONS,  ELLE  ET  MOI,  DANS  CET  AVRIL  CHARMANT. . . 

En  marge  du  manuscrit  est  collée  l'enveloppe  qui  renfermait  autrefois  cette  pièce, 
et  sur  laquelle  Paul  Meurice  a  écrit  : 

Autographe  Prévoff.  2^  vers  autographes  inédits  de  TJ.  H. 
(')  Reliquat. 


392        LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

Lix.  AUJOURD'HUI  G alatée  AUX  LASCIVES  Épaules... 

Dans  un  coin  du  quart  de  page  contenant  ces  huit  vers,  le  mot  Comédie  renseigne 
sur  leur  destination  ainsi  que  cette  indication  : 

Continuant  une  conversation  commencée. 

LXI.    TOUS  DEUX EST-CE  A  TIBUR?  EST-CE  À  VILLE-D'AVKAY  ? 

Deux  époques  bien  distinctes  pour  ce  manuscrit,  dont  la  première  page  serait, 
d'après  l'écriture  et  l'indication  finale  :  (8  mai,  pendant  le  plébiscite),  de  1870. 
Pourtant,  le  premier  titre,  rayé  :  £«  Italie ^  le  premier  vers,  rayé  : 

Nous  errions,  elle  et  moi,  dans  les  bois  de  Tibur, 
et,  tout  au  bas  de  la  page,  ce  vers  : 

Pendant  qu'elle  disait  mille  adorables  choses , 
ces  trois  lignes  semblent  dater  de  1840-1844.,  ainsi  que  les  quatorze  vers  de  la  page 


suivante. 


LXII.    L»OUTRAGE  PEUT  ÊTRE  AUSSI  DANS  LA  CARESSE. 

Le  titre,  et,  en  marge,  une  strophe  ajoutée  et  une  modifiée,  sont  postérieurs 
à  1854,  date  de  cette  poésie. 

En  tête  d'une  copie  reliée  au  Reliquat,  Victor  Hugo  a  écrit  : 

Cette  pièce  a  été  retouchée  et  fort  modifiée  sur  le  manuscrit. 

LXIII.    LA  BELLE  S'APPELAIT  MADEMOISELLE  AMABLE. 

La  première  version  passait  du  deuxième  au  neuvième  vers.  Les  indications  et  les 
deux  premiers  vers,  rayés,  furent  recopiés  sur  une  page  qui  reçut  les  sept  vers  inter- 
calés. 

Au  coin  des  deux  pages  le  même  mot  :  Comédie. 


VII 

I.    LA  BLANCHE  AMINTE. 

Cette  poésie  et  la  suivante  sont  écrites,  au  recto  et  au  verso,  sur  une  double 
feuille  de  papier  à  lettres. 

m.    CE  QUE  GEMMA  PENSE  D'EMMA. 

Neuf  strophes  ajoutées  tant  en  marge  que  sur  un  bout  de  papier  collé  par  des  pains 
à  cacheter  au  bas  et  au  verso  de  la  première  page. 


NOTES  EXPLICATIVES.  393 

IX.  OUI,  fÛt-on  homÈke,  il  faut  rire.  . . 
Les  troisième  et  quatrième  strophes  sont  ajoutées  en  travers  de  la  marge. 

XV.  LE  MARDIS  DE  BADE  A  DEUX  CORNES. 

Deux  pages  détachées  d'un  album  à  dessin. 

XVI.  VEUX-TU  VIVRE,  ÉTRE  ADMIRE. . . 

Au  cours  de  cette  petite  page,  rindication  :  Comédie. 

XVII.  CHAQUE  SIÈCLE  A  LE  SIEN. 

Deux  exemplaires  de  ce  manuscrit  ;  au  bas  du  premier  une  couronne  de  dix  étoiles 
au  centre  de  laquelle  sont  ces  chiffres  ainsi  disposés  :  12-^;  devant  la  couronne,  la 
date  iS)8,  et  au-dessus,  ces  mots  :  mars  en  carme. 

XIX.    MESSEIGNEURS ,  NOUS  AURONS  POUR  LUSTRE  LA  GRANDE  OURSE. 
Quatre  vers  rayés  donnaient  cette  fin  : 

Au  fond  monsieur  Haillon  et  madame  Potence 

Passeront  en  chantant  et  bras  dessus  dessous; 

Et  le  diable  au  bon  Dieu  jettera  des  gros  sous. 

Enfin  au  dénoùment  de  la  pièce,  la  Gale 

Embrassera  la  Mort 

Épousera  l'auteur  dans  un  feu  de  Bengale. 

XXI.  QUAI  DE  LA  FERRAILLE. 

Près  du  titre,  l'indication  :  Comédie. 

Après  le  quinzième  vers,  quatre  vers  rayés,  puis  repris  dans  un  ajouté  de  vingt 
vers  en  marge. 

XXII.  COMÉDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT  SANS  CESSE. 
Ce  titre  est  de  la  fin  de  l'exil. 

mYLLE.   —  (Cocarde  et  Louchon.) 

Tout  au  bas  de  cette  page,  des  noms  :  Rousselette.  —  Armide.  —  Balzamine. 
Puis  le  nom  Eloa  venant  en  rime  à  :  mon  manchon,  mon  boa. 


394        LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

LE    MENDIANT. 

Ce  manuscrit,  dont  l'écriture  date  de  1840  à  184+ ,  a  été  revu  et  modifié  vers  1870  ; 
les  vers  i,  2,  22,  23,  24  ont  été  refaits.  Nous  en  donnons  les  variantes  page  448.  Le 
mot  Comédie  a  été  rayé. 

ELLE,  c'est  le  PKINTEMPS ;    PLUIE  ET  SOLEIL;  JE  LAIME. 

La  page,  déchirée  à  l'endroit  où  était  inscrit  le  millésime,  n'en  laisse  voir  que  les 
deux  premiers  chiffres,  mais  l'écriture  est  de  1869. 

-VOIS-JE  POINT  LÀ  DANS  LOMBRE  VN  HOMME  TITVBANT  ? 

Avant  le  dialogue ,  l'indication  :  Scène  I". 

SUSURRANT  VOCES. 

Écrit  au  verso  d'un  faire-part  de  mariage. 

Un  ajouté  de  six  vers  en  marge  a  entraîné  la  modification  de  ces  deux  vers  barrés  : 

Je  porte  l'encrier,  sombre  et  plein  d'étincelles, 

Ce  berceau  noir  d'où  sort  l'idée  aux  blatîches  ailes. 


XXIII.    CHANSONS. 

j'adore  suzette. 

Dans  le  Reliquat  nous  trouvons  cette  note  au  crayon  : 

Mêler  ceci  à  la  pièce  : 

Une  chanson  passe  dans  la  rue. 

La  chanson  : 

(Suzette  et  Suzon.) 

l'oiseau  passe.  . . 
Au  verso,  vingt-six  vers  du  Kegiment  du  baron  Madruce^^\ 

MARGOT. 

Le  manuscrit  manque,  nous  n'avons  qu'une  ébauche  du  plan  dont  l'écriture  est  à 
peine  forméej  la  copie  est  en  regard. 

CHANSON  DE  BORD. 

Nous  avons  expliqué  au  tome  premier,  en  décrivant  le  manuscrit  de  Gros  temps  la 
nuit,  comment  cette  poésie  s'apparentait  à  quatre  autres  :  Les  Paysans  au  bord  de  la  mer, 
Océan'-^\  Sur  la  Falaise^''''   et  celle-ci  :  Chanson  de  bord;  on  retrouve  sous  les  ratures 

^')  L-î  Légende  des  Siècles.  —  '*)  Ibid,  —  (^)  Les  (Quatre  Uents  de  l'EJprit. 


NOTES  EXPLICATIVES.  395 

de  ce  dernier  manuscrit  quatre  strophes,  dont  l'une,  la  première,  figure  aussi  dans 
le  manuscrit  des  paysans  au  bord  de  la  mer  : 

Comme  il  pleut  dans  nos  parages  ! 

Les  seconde  et  quatrième  strophes  étaient  proposées  au  manuscrit  à^Océan,  mais 
sans  variantes. 

Nous  donnons,  page 451,  les  variantes  de  la  quatrième  strophe  ;  on  y  trouvera  égale- 
ment la  troisième  strophe,  barrée,  mais  non  utilisée. 

RONDE  POUR  LES  ENFANTS. 

Au-dessous  de  ce  titre ,  celui  qu'on  retrouve  dans  UArt  d'être  Grand-Père  :  Chanson 
de  Grand-Père.  Cette  ronde  en  est  d'ailleurs  une  variante,  bien  que  les  premier  et 
troisième  vers  aient  un  pied  de  plus  que  dans  la  chanson  de  L'Art  d'être  Grand-Père. 

Au  bas  du  premier  feuillet  ce  vers,  sans  suite  : 

Cet  hiver,  pour  danser  encore 
Nous  donnons,  page  451,  deux  strophes  inédites. 

JEAN,  JEANNE,  JEANNOT. 

Le  manuscrit  de  cette  chanson  inédite  fait  partie  d'un  album  de  voyage,  1865. 

I.  VIENS,  6  TOI  QUE  j'aDOKE.  . . 

II.  MAI  DANS  LES  BOIS  KECELE.  .  . 

Les  deux  parties  de  cette  chanson  portent  chacune  l'indication  :  Air  la  Princesse 
d'Orange.  Le  manuscrit  de  la  première  partie  :  Uiens ,  ô  toi  que  j'adore...  est  en  double, 
en  tête  da  premier  exemplaire ,  dont  l'écriture  est  de  1874  à  1878  ,  Victor  Hugo  a  écrit 
les  premiers  vers  de  l'air  :  la  Princesse  d'Orange  : 

La  princesse  d'Orange 
Trop  matin  s'est  levée 

Sur  le  bord  de  l'île, 
La  princesse  d'Orange 
Trop  matin  s'est  levée 

Sur  le  bord  de  l'eau. 

Le  second  exemplaire,  daté  de  1857,  et  ayant  appartenu  à  M'"'  Drouet,  porte  cette 
dédicace,  tracée,  par  inadvertance,  de  bas  en  haut  : 

Pour  toi,  mon  pauvre  ange. 

V. 

Deux  exemplaires  aussi  pour  la  seconde  partie  : 

Mai  dans  les  bols  recèle. . . 
le  premier  est  une  copie  au  coin  de  laquelle  Victor  Hugo  a  écrit  : 
Chanson  dont  j'ai  égaré  le  manuscrit. 


396        LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

Le  manuscrit,  daté  de  1857,  n'était  pas  égaré,  mais  donné  à  M'"^  Drouet,  comme 
l'atteste  cette  note  en  haut  de  la  deuxième  page  : 

Fait  sur  commande  de  Madame  Juju. 

V.  H. 

LE  CHATEAU  DE  L'ARBRELLES. 

On  trouvera,  pages  524-525,  deux  fac-similés  de  cette  poésie,  ébauchée  vers  1828 
et  rédigée  en  octobre  1876. 

Dans  le  plus  ancien  des  deux  manuscrits,  on  lit,  sous  l'unique  strophe  du  Château 
de  l'Arbrelles,  des  vers  des  Adieux  de  l'Hôtesse  arahe''^^  dont  le  plan  est  continué  au  verso  ; 
puis  quelques  vers  inédits  : 

CHANT  DES  LOMBARDS. 

Nous  autres,  races  cisalpines. 
Nous  avons  vu  maints  Rois,  aveuglés  par  l'enfer. 

Se  piquer  les  doigts  aux  épines 

De  notre  couronne  de  fer. 
Et  qu'importe  au  soleil  que  la  brume  pesante 

S'envole  à  ses  rayons. 

Quelques  réflexions  et  citations  : 

Un  nuage  déchiqueté  comme  un  manteau  de  poëte. 


Dijon,  la  ville  aux  beaux  clochers. 


Les  entreparleurs  de  la  tragédie  (Garnler,  xvi'  siècle). 


L'aigle  de  poésie  enfermé  dans  une  huitaine  ! 
Vous  lui  brisez  l'aile  en  si  petite  cage. 


CHANSONS  DE  GAVROCHE. 


I.    R^N  TA^  PLAN  ! 


Cette  chanson  a  dû  un  moment  faire  partie  des  Misérables,  comme  en  témoignent 
ces  lignes  écrites  au  bas  de  la  page  et  publiées  d'ailleurs  dans  le  roman  : 

Gavroche,  tout  en  chantant,  prodiguait  la  pantomime.   Le  geffe  efl  le  point  d'appui  du 

fantasques 
refrain.  Son  visage,  inépuisable  répertoire  de  masques,  faisait  des  grimaces  plus  convulsives  que 

les  bouches  d'un  linge  troué  dans  un  grand  vent.  Malheureusement. . . 
(''  Les  Orientales. 


NOTES  EXPLICATIVES.  397 


m    UA  BOURGEOISIE  EST  VN    Z'EylU. 


Au  Reliquat,  on  lit  l'ébauche  d'un  des  couplets ,  précédée  de  cette  note  : 

Chansons  de  la  misère  à  la  fois  goguenardes  et  plaintives  qui  éveillent  la  colère  des 
gens  de  goût  et  la  compassion  des  gens  de  cœur  : 

La  bourgeoisie  est  un  veau 
Qui  s'enrhume  du  cerveau, 
Et  beugle,  geint,  bave  et  pleure 
Sur  les  rois,  fiacres  à  l'heure, 
Sur  sa  caisse,  et  sur  la  fin 
Du  inonde  où  l'on  avait  faim. 

LA    CORDE    D'AIRAIN. 

À  LA  FRANCE  DE  1872. 

Après  le  manuscrit  complet  numéroté  par  Victor  Hugo  de  i  à  12 ,  mise  au  net  fort 
peu  corrigée,  viennent  deux  débuts  ;  le  premier,  sur  papier  bordé  de  noir,  commence 
par  six  vers  largement  barrés  : 

À  LA  FRANCE. 

A  présent,  souviens-toi,  souviens-toi,  souviens-toi, 
France!  et  qu'une  colère  auguBe  soit  ta  loi! 
Je  serai  ton  vautour  si  tu  dors,  Vrome'thie. 
Je  te  rappellerai  qu'il  faut  être  irritée. 
Ne  quitte  pas  des  jeux  ton  honneur  obscurci. 
Ah!  ce  qui  fait  un  peuple  illustre,  le  voici  : 

Suivent  les  vingt-quatre  vers  qui  précèdent  les  strophes. 

Autre  début,  plus  condensé  encore;  le  premier  vers  seul  est  barré  : 

Peuple,  l'art  ne  te  doit  que  des  fêtes  viriles. 

Après  les  durs  revers  et  les  luttes  stériles. 

Après  la  chute,         hélas  l 

Quand  l'histoire  est  en  deuil,  tous,  qui  que  nous  soyons. 

Quand  l'auguste  Patrie  a  perdu  ses  rayons. 

Quand  l'altier  Capitole  a  fait  place  au  Calvaire , 

Nous  avons  pour  devoir  le  souvenir  sévère, 

\]n    peuple 

Et  l'homme  est  par  les  chants  de  la  muse  avili 

S'il  y  puise  une  ivresse  allant  jusqu'à  l'oubli  ; 
C'est  pourquoi  je  dis  :  France!  ô  Paris!  toi  jeunesse. 
Toi  peuple,  en  attendant  que  notre  aube  renaisse. 
Ne  quittons  pas  des  yeux  notre  honneur  obscurci  ! 
Oui,  ce  qui  fait  un  peuple  illustre,  le  voici  : 


398 


LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


Puis  vient  un  autre  manuscrit  de  la  seconde  division  qui  ne  comprenait,  avant 
les  douze  vers  ajoutés  en  marge,  que  sept  strophes  (la  huitième  et  la  neuvième  n'y 
figurent  pas).  En  tête  de  cette  seconde  division  une  strophe  barrée,  refaite  en  marge, 
et  barrée  encore  ;  voici  les  deux  versions  avec  leurs  variantes  : 

Chasse  ces  visions,  mon  âme, 
E/      ce      rêve      qui      fétouffait, 
(^ue^-ce  que  l'avenir  t'a  fait? 
U Inconnu  neB  point  un  infâme; 
Dieu  ne  commet  tas  de  forfait. 

Non,  l'Inconnu  neff  point  infâme. 
J^uj0-ce  que  l'avenir  t'a  fait? 
Comment  peux-tu  croire,  ê  mon  âme! 
A.U  songe  affreux  qui  t' étouffait  ? 

La  première  strophe  porte  ces  variantes  : 

Soit,    Dieu  le  veut. 
Soit,      attendons. 

croit  que 
Qui  donc  a  dit  :  la  France  tombe  ! 

Après  la  seconde  strophe ,  ces  deux  vers  rayés  : 

IJois  !  ce  glaive  brké  flamboie. 
Il  chasse  l'ombre.  Il  fait  le  jour. 

Une  dernière  page  contient  la  mise  au  net  des  cinq  dernières  strophes. 

I.    APRES  SEDAN. 

En  marge  des  derniers  vers,  trois  lignes  à  peine  formées  : 

Je  parlerais  ainsi.  J'ajouterais  ce  que  je  veux  dire  sur  les  esclaves.  Alors  ils  me 
feraient  tuer.   Par  qui.?  par  un  esclave. 

Sous  le  dernier  mot,  cette  rime  : 

conclave. 

V.    APRÈS  L'ÉCROULEMENT  DE  L'HOMME. 

Une  demi-page,  contenant  les  vers  de  sept  à  vingt-cinq,  a  été  collée  sur  le  haut 
du  deuxième  feuillet;  on  lit,  en  transparence,  sous  le  texte  définitif,  ce  premier 
début  : 

Un  homme  était  venu  poignarder  l'avenir. 

J'ai  frémi;  j'ai  senti  que  je  devais  punir 

Cet  homme  et  qu'il  fallait  châtier  une  tête  ; 

Et  moi  qui  dans  ma  serre  ai  porté  la  tempête. 


NOTES  EXPLICATIVES.  399 

Quand  la  justice  au  front  redoutable  et  sacré 
M'a  dit  :  Foudroie,  ami  !  j'ai  dit  :  Je  le  ferai. 
Soit.  Car  ce  ne  sont  pas  les  aigles  d'ordinaire 
Qui  refusent  de  prendre  en  leur  griflFe  un  tonnerre. 
Mais  aujourd'hui  qu'il  est  à  terre,  et  que  je  vois 
Son  nom 


VI.    L'ORGIE  DES  MEURTRES. 

Après  le  douzième  vers,  quatre  vers  rayés  en  bas  de  page  donnaient  cet  enchaîne- 
ment : 

Et  toujours  il  en  suinte  un  long  ruisseau  de  sang. 

Le  meurtre  elt  toujours  bête  et  toujours  innocent. 

Etj  fut-ce  pour  le  bon  motif,  il  eB  horrible. 

^ujl  sorte  du  Koran,  au' il  sorte  de  la  Bible, 

.Qtt'il  se  nomme  Albe,  Omar,  Cromn>ell,  Ltouvois,  Marat, 

Il  eft  toujours  flupide  et  toujours  scélérat. 

La  page  suivante  ajoute  seize  vers,  mais  le  même  passage  se  trouve  rayé  de  nou- 
veau deux  pages  plus  loin  j  sur  une  page  intercalaire  nous  relevons  cinq  vers  barrés 
et  non  utilisés  ici,  les  voici  précédés  de  celui  qui  a  été  conservé  : 

Ce  pardon  qui  ressemble  à  la  complicité. 

C'fH  pourquoi  l'on  nous  hait  dans  notre  solitude. 

abandon 
De  là  notre  (^^  et  notre  solitude. 

h,a  vieille  barbarie  humaine  a  l'habitude 

De  s'absoudre,  et  de  croire,  hélas,  que  ce  qu'on  veut. 

Prêtre  ou  juge,  on  a  droit  de  le  faire,  et  qu'on  peut 

Oter  sa  conscience  en  mettant  une  robe; 

Pas  de  rime  à  ce  dernier  vers,  et  le  texte  continue  sur  les  deux  dernières  pages  tel 
qu'il  est  publié. 

Au  verso  du  second  feuillet,  nous  trouvons  quatre  vers  publiés  dans  Le  passage 
DES  Êtres  sombres  ^^^ 


IX.    À  UN  ROI  DE  TROISIÈME  ORDRE. 

Après  le  dix-neuvième  vers,  un  ajouté  marginal  remplace  ce  texte  largement  biffé  : 

Je  ne  réplique  point.  Som  les  bambous  e'pais 
U éléphant  marche  avec  le  dédain  des  reptiles  ; 
Lia  foudre  contre  un  ver  n'a  pas  de  proj exiles  ; 

C'  Mot  illisible.  —  '*'  Voir  tome  I,  page  38,  neuvième  à  treizième  vers. 


400       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

Personne  tî a  jamais  dit  que  le  talion 
Fut,  quand  la  fourmi  pique,  un  besoin  du  lion, 
Et  je  ne  pense  tas  qu  Hercule  fût  hien  aise 
D'emtlojer  la  massue  à  vaincre  une  punaise. 

Ces  vers  ont  été  développés  sur  un  fragment  isolé,  sous  le  titre  :  Aux  calomniateurs. 
Nous  les  avons  publiés  dans  le  Reliquat  de  E' Année  terrible'^^K 


XI.    LA  LIBERATION  DU  TERRITOIRE. 

Neuf  feuillets  ;  au  quatrième,  après  ce  vers  : 

Je  ne  montrerais  point  notre  armée  aux  passants  ! 

sept  vers  rayés  qu'on  retrouve  au  bas  de  la  page  suivante,  après  un  ajouté  de  vingt- 
quatre  vers. 

Au  sixième  feuillet,  un  ajouté  de  dix  vers  entraîne  la  suppression  de  ces  deux-ci  : 

Il  faut  qu'on  dise  ;  Us  sont  les  preux  par  qui  nom  sommes. 
Ils  font  la  guerre  aux  rois  d'où  sort  la  paix  des  hommes. 

Sur  la  même  page,  un  second  ajouté  de  dix-huit  vers  remplace  cette  première 
version  : 

Qu'attends-tu }  —  Je  réplique  : 

J'attends  l'aube  ;  j'attends  la  grande  république  ; 
Et  je  veux,  jusque-là,  garder  superbement, 
O  peuple,  la  fureur  de  notre  abaissement. 

Plusieurs  tâtonnements  au  bas  du  septième  feuillet  et  au  début  du  huitième  : 
Après  la  période  se  terminant  par  : 

Et  regardez  grandir  nos  fils  encor  petits. 

vient  ce  paragraphe  rayé  : 

£/    moi,    je    le    redis, 

^Quant  à  moi,  je  le  dis,  je  songe  à  nos  deux  villes  ; 

Et  je  ne  pense  pas  que  les  rois  soient  tranquilles  ; 

Certes,  ils  ont  juche'  Vélion  sur  Ossa  (^^ 

Je  n  ai  plus  qu'une  joie  au  monde,  leur  souci, 
Certe,  ils  ont  triomphé,  certe,  ils  ont  réussi, 

Donc,  consomme^  votre  rébellion. 

P^ois,  vous  mette^  Ossa  sur  Félionj 

Kois,  bâtisse^  avec  toutes  sortes  de  crimes, 

Le  texte  définitif  est  en  marge. 

(•'  Edition  de  l'Imprimerie  Nationale.    —    '■^*   Après  ce  vers  proposé  et  resté  sans  rime,  un 
point  d'interrogation. 


NOTES  EXPLICATIVES.    .  401 

Au  bas  de  la  page ,  nouvelles  ratures  sur  six  vers ,  développés  et  mis  au  net  au  der- 
nier feuillet. 


XIII.    0  ROYAUTE  !  TAS  D'OMBRE  !  AMAS  D'HORREUR,  D'EFFROI. . . 

A  droite  et  à  gauche  de  ce  petit  feuillet  deux  annotations  :  Botte  aux  lettres '■^\  — 
Place  Louis  XVI  ^'\ 

En  marge  de  la  première  strophe ,  cette  liste  : 

Henri  VIII.  —  Louis  XI.  —  Philippe  II.  —  Alexandre  VI.  —  Pierre  le  Cruel.  — 
Christian  II,  etc. 


XVI.    AUX  HISTORIENS. 
Cinq  débuts  avant  d'arriver  au  texte  définitif  placé  en  tête  de  ce  manuscrit. 


AUX  HISTORIENS. 

1°  Soyev  témoins.  Soye<v  apôtres.  Soye<^  prêtres. 
Et  soje^  vrais. 

Surtout  n'explique^  pas  les  traîtres; 
Car  l' explication  finit  par  ressembler 
A.  l'indulgence  affreuse,  et  cela  fait  trembler. 

Oh  donc  en  serions-nom  si  ton  expliquait  thomme 

livré      Paris  ou  trahi 

.Qui  tel  jour  a  vendu  la  France  ou  livre'  Kome  ? 

l'absoudre 
Discuter,  ceB  déjà  gracier  vaguement. 

A.h  !  laissez-moi  devant  tant  ^horreur  e'cumant  ! 
Quoi!  î indignation,  il  faut  que  je  la  dompte  l 
JMoi  !  uous  f^ expliquer CT 
'Uous  me  fere^  peser  le  pourquoi  de  la  honte  ! 


En  marge,  autre  version,  rayée  également  : 

2°  A.h  !  non  !  n'expliquons  pas  les  traîtres,  mes  amis  ! 
Ne  cherchons  pas  jusqu'où  le  grand  crime  eff  permis  ^^\ 
Ne  les  racontons  pas  en  bon  flyle  oratoire 
Comme  on  raconterait  n'importe  quelle  histoire. . . 


(*^  Rappelons  que  c'est  là  le  titre  d'une  des  divisions  des  Nouveaux  Châtiments  (Édition  de 
l'Imprimerie  Nationale).  —  <*'  C'est  sans  doute  par  inadvertance  que  Victor  Hugo  n'a  pas  écrit 
Place  LoMts  XV.  —  W  Devant  ces  deux  premiers  vers,  un  point  d'interrogation. 

POESIE.   —  xin.  26 


IHPUIIZBIB    HITIOXILE. 


402       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

3°  -^oye^  j'%^-^-  '^^'T  'apôtres.  Soye^  prêtres. 

Surtout  ne  cherchez  pas  à  m  expliquer  les  traîtres; 

Car  F  explication  Jîmt  par  ressembler 

A.  ïinàulgence  étrange,  et  cela  fait  trembler. 


4°  Soje^  j^%^^'  S(^y^  apôtres.  Soje^  prêtres. 

Garde^  la  foi.  Surtout  n  explique^  pas  les  traîtres. 

Car  l'explication  Jînit  par  ressembler 

A  Hnàulgence  affreuse,  et  cela  fait  trembler. 

En  marge  : 

quoi  ? 
Trembler  pour  qui?  Trembler  pour  toute  l'âme  humaine. 

Au-dessous  de  ce  vers  sans  rime,  le  texte  continue  : 

Lorsqu'un  traître  vous  croit  avocats,  et  qu'il  ose, 
Le  bandit,  vous  prier  de  prendre  en  main  sa  cause, 
Je  suis  content  de  vous  si  votre  plaidoyer, 
Jufles  hiBoriens,  consiBe  à  foudroyer. 

Ces  derniers  vers,  modifiés,  sont  utilisés  plus  loin. 


5°  HiBoriens,  soye^  Juges  et  soye^  prêtres; 

Keste^  calmes;  surtout  n'explique^  pas  les  traîtres. 

Car  ï explication  finit  par  ressembler 

A  l'excuse,  au  pardon,  et  cela  fait  trembler. 

Pas  de  faux  pas.  Pour  l'âme 

Pour  la  misérable  âme  épouvantable  et  vile. 

Pour  celui  qui  livra  la  porte  de  la  ville , 

,Qtti  donna  ses  soldats  comme  on  donne  un  troupeau, 

,Qui  tua  son  pays  et  vendit  son  drapeau. 

Pour  cet  homme  de  deuil,  de  mensonge  et  de  ruse. 

Nos  sombres  firmaments  rî admettent  pas  d'excuse; 

À  mesure  qu'il  rayait  ces  ébauches  en  tête  de  chaque  page,  Victor  Hugo  conti- 
nuait son  poème  sur  l'espace  resté  libre. 


XIX.    LA  QUESTION  SOCIALE. 

Cette  pièce  commençait  ainsi  : 

Non,  je  ne  pense  pas  que  l'ouragan  s'apaise... 

Après  avoir  rayé  le  titre  et  le  premier  vers ,  Victor  Hugo  a  placé  devant  ce  feuillet 
une  page  donnant  le  début  qu'on  a  lu  page  352. 


NOTES  EXPLICATIVES.  403 


XXI.    JEUNES  HOMMES  ECLOS  SOUS  L'EMPIRE  RAPACE. . . 

Cette   poésie  comprenait  primitivement  quarante-huit  vers  ;   les    huit   derniers 
venaient  après  : 

Ce  n'est  pas  sans  raison  qu'on  te  montre  du  doigt... 

Trois  feuillets  plus  loin,  nouvelles  ratures  qui  donnent  cette  suite  au  vers  cité 
plus  haut  : 

^lîun  hébé  fait  ta  joie,  et  que  ta  tête  blanche 
Comme  vers  tes  pareils,  vers  les  enfants  se  penche. 
Trop  de  jeunesse  eB  grave  à  ton  âge;  il  eff  bon 
De  n'être  point  marmot  alors  au  on  eB  barbon; 
Chérubin  dans  la  peau  de  Géronte  fait  rire. 

Nous  te  le  répétons,  il  faut  savoir  proscrire. 

exterminer. 
Il  faut  savoir  sabrer,  couper,  trancher,  proscrire. 

L>a  politique  vraie  en  tout  temps  oscilla 
De  la  ruse  à  la  force  et  de  Moa^  à  SyUa  ; 
en      des     jours,      vieillard,      on 
Nous  vivons  dans  des  temps,  s'il  faut  qu'on  te  l'enseigne. 

Oh  le  peuple  eB  un  fou  qu'il  faut  parfois  qu'on  saigne; 
"  Celui-là  seul  eB  grand  parmi  les  souverains 

^ui  lui  lace  un  gilet  de  force  sur  les  reins; 
Supprimer,       c'eft      créer  j 

Trancher,  c'eB  détrôner  ;  toute  âme  un  peu  maligne 
S'appuie  au  bon  moment  sur  la  troupe  de  ligne. 

Deux  pages  intercalaires  donnent  le  texte  définitif. 

XXVI.    A  DE  CERTAINS  MOMENTS,  L'HOMME  JUSTE  EST  RISIBLE. 

Après  le  trentième  vers ,  le  texte  continuait  ainsi  : 

Ecoutei;r-les      parler     :      a  Je     dis,      et 
Varions  raison,  je  dois  vous  dire,  et  je  m'en  tords 
De  rire,  qu'après  tout  Socrate  a  tous  les  torts  ! 
U oiseau  de  basse-cour  fête  l'oiseau  de  proie. 
On  eB  abominable  et  Bupide  avec  joie. 
Rampons  !  décroître  plaît;  ceB  bon  d^être  petit. 

Vingt-huit  vers  en  marge  développent  ce  passage  rayé. 


XXVII.    A  vous  TOUS. 

Au  dernier  feuillet  deux  passages  rayés  répètent  les  derniers  vers,  qui  sont  tran- 
scrits définitivement  après  un  développement  de  douze  vers. 

26. 


404      LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


Donnons  ici,  comme  nous  l'avons  fait  au  tome  premier,  la  liste  des  poésies  non 
datées  contenues  dans  ce  volume. 

Rappelons  que  les  dates  placées  entre  crochets  sont  fixées  d'après  les  différentes 
écritures  ;  nous  avons  souligné  les  dates  qui  nous  sont  indiquées  par  certains  faits  ou 
certaines  notes  que  nous  citons  dans  l'historique  ou  dans  la  description  du  manuscrit. 


V 

[18^8-1840.]  Admire,  enfant  !  souvent   aux  marins  de  Messine. . . 

[i 830-1 834.]  À  cette  heure  indécise  où  le  jour  va  mourir... 

[1840-1844.]  Vous  êtes  bien  des  fois  venus  dans  ma  demeure... 

[1849-18J0.]  À  01. 

[1849-18^1.]  Vénus  rit  toute  nue  au-dessus  de  mon  lit... 

[18^7.]  Le  bien  germe  parfois  dans  les  ronces  du  mal... 

Novembre  i8ji.  Qu,and  je  marche  à  mon  but  auguste. . . 

Juin  i8yj.  Lettre  de  l'exilé  arrivant  dans  le  désert. 

[1  848-18^0.]  O  doux  êtres!  ma  joie  et  mon  amour  sacré... 

[i8jo-i8j2.]  J'aspire  à  m'enfouir  sous  les  arbres.  Je  suis... 

i8yé,  À  Jeanne. 

i8j2.  Si  dans  ce  grand  Paris,  6  charmante  infirmière... 

[1871.]  Calomnié. 

[i8j8-i86o.]  Souffrez,  6  précurseurs! 

[1873.]  L'aquilon  change,  et  met  la  poupe  où  fut  la  proue... 

i8y2.  Ave,  Deaj  moriturm  te  salutat. 
[Fin  1873  ou  1874.]  Un  vieillard  est  souvent  puni  de  sa  vieillesse... 

[i8j2.  A  Madame  d'A.-Sh. 

[1877.]  Vous  qui,  vainqueurs,  avez  mis  depuis  vingt-cinq  ans. 

[1874- 1876.]  Je  suis  enragé.  J'aime,  et  je  suis  un  vieux  fou. 

[18^4.]  Le  vieillard  chaque  jour  dans  plus  d'ombre  s'éveille. 

[1878.]  Tu  rentreras,  comme  Voltaire. .. 

VI 

[1873-1874.]  Cette,  elle  n'était  pas  femme  et  charmante  en  vain... 

[i8jo-i8j2.]  Oh!  la  femme  et  l'amour  !  inventions  maudites! 

[18^4.]  Vous  ne  la  fuyez  pas,  oiseaux,  petits  farouches... 

[18^9.]  Commencement  d'une  illusion, 

[i  874- 1  87  j.]  Puisque  le  gai  printemps  revient  danser  et  rire. . . 

[1874-187J.]  Je  ne  laisserai  pas  se  faner  les  pervenches... 

[1874-187J.]  Tu  vois  un  homme  ayant  un  projet  sous  les  cieux. 

[i 877-1 878.]  Un  coup  de  vent  passa,  souffle  leste  et  charmant... 

[i 878-1  880.]  J'ai  toujours  redouté  d'aborder  une  femme. 


NOTES  EXPLICATIVES. 

iSjj.  Dans  un  vieux  cloître. 

[1878-1880.]  Virgile  dans  l'ombre. 

iS}j.  Oui,  je  suis  le  regard  et  vous  êtes  l'étoile. . . 

[i8j3-i8j4.]  Je  ne  viens  pas  vous  voir  le  jour... 

[1874.]  Nivea  non  frigida. 

[1840-1844.]  A  Madame  la  princesse  Sophie  Galitzine. 

[1874.]  A  Madame  J. 

[1876-1878.]  Je  ne  sais  pas  pourquoi  les  femmes... 

[1840-1844.]  Chanson.  (Le  prince  de  Joinville. ..) 

[i 876-1 878.]  Ah  çà  mais!  quelle  idée  as-tu,  capricieuse... 

[1874-187J.]  Les  péripéties  de  l'idylle. 

i8ji.  Au  bal. 

[i8jj-i8j4.]  Nous  étions,  elle  et  moi,  dans  cet  avril  charmant... 

[1840-1844.]  Aujourd'hui  Galatée  aux  lascives  épaules... 

[1878-1880.]  Danger  d'aller  dans  les  bois. 

iSjo,  Tous  deux  —  est-ce  à  Tibur  ?  est-ce  à  Ville-d'Avray  ? 

[1871-1872.]  La  belle  s'appelait  mademoiselle  Amable. 


40  5 


VII 


[186^-1867.]  Oui,  fôt-on  Homère,  il  faut  rire... 

[1874-187J.]  En  Afrique. 

1S61.  Quiconque  est  amoureux  est  esclave,  et  s'abdique. 

[1874-187J.]  La  lune. 

[i8jo.]  Veux-tu  vivre,  être  admiré... 

[1844-1846.]  Il  avait  le  front  bas,  le  rire  d'un  pirate... 

[1869-1870.]  Messeigneurs,  nous  aurons  pour  lustre  la  Grande  Ourse. 

[i8j9.]  Fils,  je  veux  dans  ce  conte  où  vont  venir  les  fées... 

[i8j2-i8j3.]  La  marquise  Antoinette. 

[i8j2-i8)3.]  Idylle.  (Cocarde  et  Louchon.) 

[1840-1844.]  Le  mendiant. 

[1840-1844.]  Vois-je  point  là  dans  l'ombre  un  homme  titubant? 

[1827-1830.]  On  prétend,  Sylvio,  que  toujours  je  vous  aime. 

[1870.]  Je  te  jure  un  amour  éternel. 

[1872-1874.]  Entre  le  zist  et  le  zest. 

[i8jj-i8j4.]  J'adore  Suzette. 

[1843.]  Chanson  de  Maglia. 

[1871-1872.]  Rien  n'est  comme  il  devrait  être. 

[i8j3-i8jj.]  Tourne-toi  vers  celle  qui  t'aime. 

iSj^.  Chanson  de  bord. 

2^1.  novembre  iZ-j6.  Ronde  pour  les  enfants. 

[1877-1880.]  Le  chant  du  vieux  berger. 

[i8j4.]  Hacquoil  le  marin. 

[i8j2-i8j3.]  Chant  du  bol  de  punch. 

[1840-1846.]  Sérénade. 

i8^f-i8^8.  Ran  tan  plan  ! 

[1864-1868.]  Quand  Dalila,  Paméla... 


4o6      LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


LA  CORDE  D'AIRAIN. 

[1871.]  Après  Sedan. 

[1872.]  Après  l'écroulement  de  l'homme. 

[1872-1873.]  L'orgie  des  meurtres. 

[  1874.]  Oui,  l'on  a  sauvé  l'ordre  et  l'état... 

[  1 871.]  À  un  roi  de  troisième  ordre, 

[i8j4.]  O  royauté!  tas  d'ombre!  amas  d'horreur,  d'effroi. 

[  i8j7-i8j8.]  Crois-tu  donc  qu'on  sera  César  sans  l'expier.'' 

[1872.]  Jeunes  hommes,  éclos  sous  l'empire  rapace. .. 

18^6,  O  princes  insensés  !  Quoi  !  ne  tremblent-ils  pas. . , 


IL   VARIANTES  ET  VERS  INEDITS. 


V 


I.    A  LOUIS  B. 


amers 
graves 

Page  1 1.         Quoique  dans  nos  travaux,  rudes  et  pourtant  doux... 

d'extase 

Fait  d'admiration,  d'étude  et  de  prière... 

forme 
J'ai ,  créé  pour  souffrir  et  vivre  par  l'amour. . . 

La  création  sombre  où 

Cette  création  que  je  tâche  de  lire, 

infinis, 

Avec  ses  univers,  ses  lueurs,  ses  splendeurs... 

hommes     bons,  peuples 

Je  veux  les  peuples  grands,  je  veux  les  nommes  libres. 

inquiète 

Comment  guider  la  foule  orageuse  et  pressée, 

bien 

Comment  donner  au  droit  plus  de  base  et  d'ampleur. . 

Ces  sombres 

Toutes  ces  questions  me  tiennent  dans  leur  serre  ; 

en      même     temps. 
Et  puis,  quoique  songeur,  aisément  réjoui... 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  407 

parfois  paraît 
Page  12.         Le  deuil  monte  parfois  à  mon  front  douloureux. . . 


Le  sourire  est  plus  pâle  et  l'ombre  est  plus  profonde. 


II.    ADMIRE,  ENFANT  !  SOUVENT,  AUX  MARINS  DE  MESSINE. 

Dit  plus  mieux 

Page  1 3 .         Vaut  mieux  que  ma  sagesse  et  plus  que  ma  science. . . 


III.    A  UNE  RELIGIEUSE, 
volonté 

Page  14.         C'est  l'homme,  raison  calme  et  passion  profonde. 

dédain 
A  souvent  regardé  sans  risée  et  sans  peur. 

rumeurs 
Tout  petit,  j'ai  rempli  de  chansons  enfantines... 


IV.    A  CETTE  HEURE  INDECISE  OU  LE  JOUR  VA  MOURIR. 


du  chariot 

Page  15.  Le  cri  plaintif  du  soc,  gémissant  et  traîné. . . 

La  mouche 

L'abeille  qui  tout  bas  chante  et  parle  à  la  rose. 


V.    LA  FRANCE,  0  MES  ENFANTS,  REINE  AUX  TOURS  FLEURONNEES. 

servait 
Page  i6.         Posait,  sous  l'empereur  que  votre  aïeul  suivait... 

VI.    L'AUTRE  JOUR,  AMI  CHER,  AMI  DE  VINGT  ANNEES. . . 

noble  ami,  cher  depuis  tant  d'années, 
Page  17.         L'autre  jour,  ami  cher,  ami  de  vingt  années. 

Tandis  qu'en  vos  pensers,  rêvant  des  jours  meilleurs, 
rouliez  sombres 

Vous  sondiez  de  l'état  les  hautes  destinées. . . 


4o8      LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

L'aînce  écoute  et  songe ,  et  la  dernière  rit  ; 
A  la  petite  sœur,  la  grande  sœur  sourit. 
L'aînée  à  la  dernière  avec  amour  sourit. 

têtes 
Trois  filles  !  êtres  purs  !  âmes  au  bien  formées. . . 

à  demi  closes, 
La  rosée  inondait  les  fleurs  à  peine  écloses. . . 

serein 
Je  priais,  d'un  esprit  paisible  et  raffermi.. . 

chargé  d'ombres  austères 
Voje2  sur  votre  seuil,  en  proie  aux  soins  austères. . . 

le  doux 

Page  1 8 .         Pour  écouter,  pensif,  l'heureux  bruit  de  leur  voix  ! 

Maître      de       la      tribune 

Esprit  profond,  lutteur  aux  discours  triomphants... 

lorsque      d'un       souci 
d'amers 
Oh  !  quand  de  noirs  soucis  vos  heures  sont  ternies , 
Mon  ami. 
Regardez!  regardez  cet  avenir  si  doux. 

Ces  trois  fronts  rayonnants,  ces  trois  aubes  bénies 
ensemble 

Qui  se  lèvent  dans  l'ombre,  ô  père,  autour  de  vous  ! 


VII.    UOVS  ETES  BIEN  DES  FOIS  VENUS  DANS  MA  DEMEURE. . 

l'on  croit  lire 
Page  19.         Et  tandis  qu'ils  dormaient,  beaux  fronts  où  semble  luire 

L'espoir  d'un  sort 

Tout  un  monde  meilleur. 
Vous  paraissiez,  penchés  avec  un  pur  sourire. 

Reflet  voilé 
Tendre 

Vague  reflet  du  leur. . . 


VIII.    A   OL. 

Ton  rok  elf  d'avertir  et  de  refter  pensif  ^^K 
Page  20.         Que  t'importe.?  tu  vas  où  tu  vois  le  devoir. 

Trifie      et      de'jà 

Grave,  triste  et  rempli  de  l'avenir  lointain. 


'''  Cette  variante  est  restée  sans  rime. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  409 


sombre  et  clair 
étoile 
Car  le  ciel  rayonnant  te  fit  naître,  ô  poëte, 

iavard 
loquace 

De  l'Apollon  chanteur  et  de  l'Isis  muette. 


IX.    VENUS  RIT  TOUTE  NUE  AU-DESSUS  DE  MON  LIT.. 

choquent 
Page  2  I .         Qui  ravissent  Molière  et  fâchent  Andrieux. 

révent 
Près  d'eux  songent,  l'œil  plein  d'une  douce  chimère.. 

par  degrés 
Il  ouvre  lentement  ses  ailes  dans  ces  rêves. . . 


XI.    LE  COUCHANT  FLAMBOYAIT  A  TRAVERS  LES  BRUINES. 

lourde  roue. 
Page  23.         La  vague,  roue  errante,  et  l'écume,  cavale... 

Livide 

Lugubre  immensité  ! 

l'homme  noirceurs 

Oh  !  combien  l'œil,  au  fond  des  brumes  infinies. . . 

l'infini 
J'habite  l'absolu,  patrie  obscure  et  sombre... 

sur 
Page  24.  Mais,  rassuré,  je  vois  sous  la  porte  sinistre 

Vaiser  de  la  clarté. 

La  fente  de  clarté. 


XIII.    LE  BIEN  GERME  PARFOIS  DANS  LES  RONCES  DU  MAL. 

dans  réden  bleu  du  brumeux  idéal 

vague  et  bleu  de  l'idéal 
Page  26.          Souvent  dans  l'éden  bleu  de  l'étrange  idéal, 

devant  les  chimères  sans  nombre. 
Que,  frissonnant,  sentant  à  peine  que  j'existe, 

sombre 
J'aperçois  à  travers  mon  humanité  triste. . . 


4IO       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


Je    ne    saà   pat    pourquoi 

Je  sens  que  par  devoir  j'écris  toutes  ces  choses. .. 


Est-ce  que  par  hasard,  grande  haleine  insensée 

tu      viens      visiter 
Des  prophètes,  c'est  toi  qui  troubles  ma  pensée? 


gouverne  ?  ''• 

Est-ce  que  j'obéis?  est-ce  que  je  commande? 

suprême 
Le  cavalier  terrible  ou  le  cheval  farouche. . . 

Rangez-vous 

Ouvre2-vous  que  je  passe,  abîmes,  gouffre  bleu... 

Ai-je 
Le  chemin  est-il  long  encore?  est-ce  fini, 
est-ce      bientôt      l'heure      que 
Page  27.          Seigneur?  permettrez-vous  que  bientôt  je  m'endorme? 


XIV.    MON  AME  ETAIT  EN  DEUIL;   C'ETAIT  L'HEURE  DE  L'OMBRE. 

et  c'était  l'heure  sombre. 
Page  2  8 .         Mon  âme  était  en  deuil  ;  c'était  l'heure  de  l'ombre. 

une  église 

L'ombre  était  comme  un  temple  immense  aux  triples  voiles. 


XV.    JE  TRAVAILLE. 

Page  29.         Je  travaille.  Ce  mot,  plus  profond  qu'aucun  autre, 
/e  forçat 
Est  dit  par  l'ouvrier  et  redit  par  l'apôtre. 

fierté 
Le  travail  est  devoir  et  droit,  et  sa  beauté. . . 

mètres 
Et  tous  ces  arrangeurs  de  rhjthmes  et  de  mots, 
Homère, 
Page  30.  Pindare,  Eschyle,  Job.  Plaute,  Isaïe,  Amos! 

penseur 
Du  songeur 
De  l'homme  qui,  saignant  et  calme  néanmoins, 

penser 
Tâche  de  songer  plus  afin  de  souffrir  moins. 


(')  Variante  sans  rime. 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  411 


XVI.    TU  ME  DIS  :  FINIS  DONC  TON  LIVRE  DES  MISÈRES. 


jésuites,  à 

Page  31.         Il  ne  peut  pas  songer  aux  aflfeires  de  Rome, 
^     Louis 
À  monsieur  Bonaparte,  à  Faucher,  à  Mole. 


XVII.    gUAND  JE  MARCHE  A  MON  BUT  AUGUSTE. . 

l'orage 
Page  32.  Ni  la  haine  où  je  suis  en  butte, 

dévier. 
Rien  ne  me  fera  chanceler. 

Si  le  monde  croulait,  sa  chute 

m'eÉFrayer. 

M'écraserait  sans  m' ébranler. 


XIX.    À  UN  ENFANT. 

son  souffle 
Page  34.         Qu'avril  mêle  à  l'aurore  et  qui  dure  un  moment. . . 

Nous  vous  suivons  de  l'œil. 
Votre  sort  nous  émeut. . . 

suit 

Page  3  5 .         Car  le  sort  menaçant  nous  tient  dès  le  berceau. . . 

devant  la  deStinée  étrange. 

Cette  femme  a  subi  plus  d'une  épreuve  étrange, 

Vut  grande;  sache,  enfant,  qt^eUe  eli  grande,  et  retiens 
Enfant,  c'est  toi  qui  dois  l'en  consoler.  Retiens. . . 

Jadis  à     nos     yeux 

Naguère  elle  brillait  aux  regards  éblouis, 

que      le      vent 
Pareille  au  mois  de  mai  qu'un  zéphyr  tiède  effleure. 

chaste 
noble  pensée 

Page  36.         Mais  la  pensée  auguste  habite  son  œil  fier. . . 

Elle  est  le    firmament 

Car  elle  est  la  clarté  de  ton  aube  qui  naît. 

fièrc 
Car  elle  est  brave. . . 


412        LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

mile  c'eît       un       ferme 

Car  c'est  un  ferme  esprit  !  car  c'est  un  vrai  courage  ! 

je  te  dis  tout , 
Jamais,  retiens  cela,  quoique  tu  sois  petit... 

esprit 
Mais  un  profond  azur  emplit  son  âme  sombre. 

Elle  marche  à  travers  la  vie,  âpre  foret, 
L'œil  baissé j  le  cœur  haut,  pure  et  calme. 

Et  regarde  au  delà  des  rameaux. . . 

une  âme 

Car,  conscience  pure,  elle  est  un  esprit  triste. 

pleuré 
souffert 

Page  37.         C'est  qu'elle  a  tant  gémi  dans  ces  lugubres  voies... 

ciel 
Si  le  sort  m'eût  donné ,  sainte  et  charmante  loi , 

Ce  grand  devoir  de  fils  qu'il  te  confie  à  toi, 

je      l'eusse      servie      avec      un      cœur      fidèle, 
Oh  !  comme  elle  eût  dormi  sous  ma  garde  fidèle. . . 

doux   front    qui    t'a    donné 
Pour  cet  être  au  front  pur  à  qui  tu  dois  le  jour. . . 

l'iniquité 

Page  38.         Est-ce  l'adversité  qui  sera  la  plus  forte.? 


XXI.    PAl  MENE  PARFOIS  DUKE  VIE. 


^  guerres 

Page  40.  O  vaincus  des  luttes  civiles. 

Malheur  à  vous  !  rien  ne  vous  sert. 

traversé     de     grandes 
J'ai  le  soir  traversé  des  villes. . . 

souffrir 
Page  41.  Pleurer  est  bon,  mourir  est  beau. 


XXII.    A  DEUX  ENNEMIS  AMIS. 

de      ces     flots      noirs 
Page  43.         Du  bord  des  mers  sans  fond  qui  jamais  ne  pardonnent. . 

Toi,  n'es-tu  pas  celui  qui  va,  monte,  descend, 

Vlane,       la      plume      fée 

Ne  tiens-tu  pas  ta  plume  au  vol  éblouissant. 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  413 

temps 
Qui  touche  à  tous  les  fronts,  qui  perce  tous  les  voiles, 
D'où  tombe 
Et  jette  sur  Paris  un  tourbillon  d'étoiles  ? 

De  la  'vient  que 
depuis  lors 
Page  44.         Et  maintenant  chacun  de  vous,  dans  son  domaine... 

Montre'jr^    à     cette 

Faites    voir 

Apprenez  à  la  foule,  à  qui  manquent  les  dieux. .. 

triomphe 
Page  45 .         Donnez-moi  ce  bonheur  au  fond  de  mon  exil. . . 

Brillez, 

Jumeaux,  redevenez  frères  à  tous  les  yeux. 

réjouir 
Montrez  que  les  rayons  veulent  consoler  l'ombre, 

n'a    frappé , 
rien    n'a    trahi , 

Vous  que  tout  couronna,  vous  à  qui  tout  sourit. . . 


XXIII.    D.  G.  D.  G. 

sombre 
Page  46.  0  noire  voûte  étoilée. . . 

tu    fis    de    noirs    problèmes 
Page  47.  Dieu,  c'est  la  nuit  que  tu  sèmes 

En  créant 

Nos     jougs      et      nos      diadèmes; 

Les  hommes,  ces  noirs  problèmes; 

larves 
Nous  sommes  les  masques  blêmes. . 

l'ombre  et  la  houle, 
la    sombre    foule 
Nous  sommes  l'algue  et  la  houle, 
O  semeur  ! 
passons. 
Nous  flottons,  le  vent  nous  roule. .. 

Hous  insultons,  âmes 

Page  48.  Dieu!  les  hommes,  têtes  basses, 

Cceurs 
Yeux  charnels. 

Insultent  l'ombre 

V ombre  sereine 

Raillent  l'abîme  où  tu  passes. . . 


414       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

la      nature  j 
Ils  insultent  l'aube  pure. 
L'air  vital  ^^\ 

L'idéalj  la  créature  ^ 

Le  beau,  le  vrai,  la  nature. 
Et    la    fatale 

Et  cette  sombre  ouverture  : 
he  tombeau  ! 

L'idéal! 
Tu    nous    souris     et 

A  . 

Page  49.  Ame,  tu  souris,  tu  penches... 


XXIV.    UN  SOIR. 

^   splendide 
Page  j  2 .  O  sereine  beauté  des  cieux  ! 

Murmurait  : 

Murmura  :  Viens  !  adorons-nous  ! 

Fuyons  ! 

Vivons  ! 


ECRITE      EN 

XXV.    LETTRE  DE  L'EXILE  ARRIVANT  DANS  LE  DESERT. 

dures 

Page  53.         Je  cherche  à  rencontrer  dans  ces  rudes  forets, 

rocs 
caps 
Dans  ces  monts ,  quelque  ami  tragique  que  j'aurais. . . 

J'aime      la      mer. 
La  mer  me  plaît. . . 

Amsi    l'aUer    trouver    bien     vite 

Je  l'aime.  Aussi  l'aller  trouver  est  ma  coutume 

croître      en      moi      dans      mon      impatience^'''' 
Quand  je  sens  dans  mon  cœur  monter  sous  le  ciel  bleu. 

m'apaise 
Elle  me  calme  avec  son  souffle  de  nuée. 

Ma  haine  dans 

Ma  colère  en 

Ma  douleur  dans  ses  flots  s'endort  diminuée. 


(')  La  variante, écrite  au  crayon  sous  le  texte  (^)  Le  dernier  mot  est  douteux.  Pas  de  rime 

définitif,  est  illisible.  à  cette  variante. 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  415 

fabime 

Je  fraternise  avec  le  gouffre  volontiers. 

L'aquilon 

L'ouragan 

La    trombe    passe,    ôtant     la    violence     aux 

Page  54.         L'autan  passe,  arrachant  l'écume  de  nos  cœurs... 

obscurs 
méchants 
Devant  ces  grands  flots  noirs,  moins  troubles  que  les  hommes... 

chocs 

On  contemple  les  plis  de  l'eau  rauque  et  profonde. . . 

songeur 
Et  l'on  devient  pensif  dans  la  proportion 
De  l'abîme 
Du  prodige,  et  l'on  sent  que  le  courroux  s'eflFace 

cette    otide    au   fond    calme 

Sous  ce  flot  calme  au  fond  et  fauve  à  la  surface. 

fai    rencontré    tant 
Amij    z/ois-tUj     /ai    vu    tant 

J'ai  VU  tant  de  néants,  tant  d'hommes  et  de  choses. 
Tant  d'immobilités,  tant  de  métamorphoses, 

tant     de     chiens     et     de     loups  j 
Que  je  suis  las.  Après  tous  ces  chiens,  tous  ces  loups. 
Après    Mornjfj    UeuiUotj    Dupinj 
Dupin,  Montalembert,  Veuillot,  Proudhon,  Falloux. .. 

bonze 

Après  ce  reître,  après  ce  juge,  après  ce  prince... 

en^n 
L'onde,  et  je  me  repose,  ami,  dans  la  tempête. 


XXVI.    6  DOUX  ÊTRES  !  MA  JOIE  ET  MON  AMOUR  SACRE  ! 

Vous ,  mes  aiglons ,  toi ,  ma  colombe  ! 
■P'^g^  5  5-  Ce  sera  comme  un  soir  qui  tombe. 

pâleur 
Pendant  que  je  dirai,  la  sueur  sur  le  front... 


XXVII.    A  L'HEURE  OU  LE  SOLEIL  SE  COUCHE. 


rameaux 


Page  5  6.  Eflaré  sous  les  arbres  noirs. . . 

grandir 

Croître  et  monter  autour  de  moi  ! 


4i6       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

mes 
Du  monde  où  sont  ces  espérances 
Du    monde  où  sont  mes   souvenirs  ! 
Que  nous  appelons  souvenirs  ! 

profondeurs 
C'est  que  des  espaces  funèbres. . . 

obscurément 

Page  57.  Dont  je  frissonne  doucement! 


leur     doux     re£ 

Fixent  leurs  yeux  profonds  sur  moi  ! 


XXVIII.    J'ASPIRE  A  M'ENFOUIR  SOUS  LES  ARBRES.  JE  SUIS. 

Où    la    foule    autour   d'eux  ^  abonde    incessamment , 
Page  58.         Et  qui,  dans  une  cage  enfermés  tristement, 
Ht    qui,     dans    une    cage    enfermés    tristement. 
Voyant  la  face  humaine  avec  étonnement. 
Avec  les  mouvements 

Font  tous  les  mouvements  d'un  serpent  qui  se  sauve, 
À  travers  les  barreaux  passent  leur  museau  fauve. 
Inquiets,  sombres,     cherchant 

Et  sombres,  effarés,  pensifs,  cherchent  à  voir... 


Un  trou  profond  caché  dans  un  fouillis  champêtre. 


XXIX.    A  JEANNE. 

Sous  ce  ciel  bleu,  noir. 

Page  59.         Je  suis  triste j  le  sort  est  dur;  tout  meurt,  tout  passe... 

[vis,  écoutant] 
Tu  n'en  sais  rien  ;  tu  ris  d'écouter  dans  l'espace 

[Voyant] 
Ce  qui  chante,  et  de  voir  ce  qui" s'épanouit. 

graves 
Devant  l'effarement  des  sombres  don  Quichottes. . . 


Certes,  si  je  pensais  que  j'assombris  ton  âme... 

triite 
Hélas  sombre 

Jeanne,  la  vie  est  morne,  et  l'on  gémit  parfois.., 


i:-!  (-^VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  'IIJ        417 


XXX.    SI  DANS  CE  GRAND  PARIS,  O  CHARMANTE  INFIRMIEREr.Ay. 

Clément  j    m^eHr optant    sans    trop    de    violence. 
Page  60.         Ou  si  quelque  hulan  m'octroie  un  coup  de  lance^  :'o  s^jj^ 

Je  ne  me  ferai  point  porter  à  l'ambulance 

doux  sourire  /mn  3l  fHj.u  Jci 

OÙ  votre  pitié  douce  accueille  le  blessé. . . 

Non,  je  n'irai  point  la,   de  peur,  femme  -îV^îU  Si  iJ 

Je  n'irai  point,  de  peur,  infirmière  adorable. . . 


XXXIII.  UAgmLON  change,  et  met  la  poupe  ou  fut  la  proue.  . . 


o    .ï^l. 


abaissé  . j v  J     lu'-  -■ 

Page  6^.         Ce  qui  semble  tombé  riposte  en  se  levant. 

Oh  f      les      rois      trembleront      avec      leurs      capitaines. 
Nous  reprendrons  nos  droits,  nos  terres,  nos  provinces. 
Le    vent    qui    soufflera    ce    jour    lit    dans    les    plaines. 
Et  le  vent  qu'il  fera  ce  jour-là,  rois  et  princes. . . 

.j.  i.  y  :\\.   .Zixxz 

Le      ciel,       car      l'infini 

Le  firmament,  car  Dieu  ne  fait  rien  à  demi. . . 

XXXIV.    AVE,  DEAj  MORITURUS  TE  SALUTAT. 

.  :i  Jil  .iiiJ'jb  oi  iUp  Mik  lorn  jjJ 
Vivez,  ^  "^ 

Page  64.         Brille2,  je  meurs! 

-  .i  i-jûj.  /:jj.  >-rfjji  -jup  •jidrno'i  j\j  î^ 
XXXV.    ENVOI. 

•jbsJ 
cette  epitre 

Page  65.         Mets  sous  clef  ce  poëme,  et  n'en  parle  à  personne. 

en   son    chenil  "'r    '-'  '-^  ^'À^-^ 

Et  rentre  dans  sa  nuit  sitôt  qu'il  a  cessé. 


XXXVI.    PYGMEE  ET  MYRMIDON,  C'EST  HAINE  ET  CALOMNIE. 

Mais  ces   affronts    ne  sont  '>  -1-  ^'-H  i^iuLtJOV  sn  3i  cIlU 

Page  66.         Après  tant  de  travaux,  après  tant  de  combats. . . 


les  moqueurs 

par 


1  outes  tes  œuvres  sont  par  Zoile  maudites. . . 


,  empoisonneur  ..:.;^'.;:. 

Page  67.  Voleur  et  meurtrier. . .  j  jaiji^i  nu  i?3 -jr/iving  c^  '-^^i 

POÉSIE.    —    XIII.  27 

lUI'BmLRIE     nATlOMLE. 


4l8        LES  MANUSCRITS  DE   TOUTE  LA  LYKE. 


XXXVIl.    JE  LA  REVOIS^  APRES  VINGT  ANS,  L'ILE  OU  DECEMBRE.., 


près 

Page  68.  Les  champs,  les  vergers,  les  fruits  mûrs, 

obscur 
Et  dans  le  firmament  profond,  le  même  orage. . . 

humble    toit 
Et  le  même  toit  blanc  qui  m'attend  et  qui  m'aime. 


Car  il  n'est  pas  de  plage,  ou  de  montagne,  ou  d'île... 

forêts  • 

Page  69.         Oui,  c'étaient  ces  hameaux,  oui,  c'étaient  ces  rivages. 

C'était  le  même  aspect  mouvant. . . 


XXXIX.    JE  VAIS  DANS  LA  FUREUR  DU  GOUFFRE,  DANS  L'ECUME. 

la  foudre 

Page  7 1 .         L'abîme  est  sous  mes  pieds,  l'éclair  est  sur  ma  tête. . . 

l'orage , 
Et  moi  sur  qui  le  deuil,  la  haine,  la  vieillesse — 

eu  mon  cœur 
Et  de  l'ombre  que  laisse  aux  âmes  le  mensonge. . . 

Le    sort    m'a    hallotté 

Le  destin  m'a  jeté  de  tempête  en  tempête. . . 

fuit 

Page  y 2.  Ce  qui  mord,  ce  qui  nuit... 

De  tous  les  flots 

Des  abîmes  mouvants. . . 


Mais  je  ne  voudrais  pas  de  ce  sort  pour  un  autre. . 


XL.    UN  VIEILLARD  EST  SOUVENT  PUNI  DE  SA  VIEILLESSE. . . 

chagrin 
Page  73.         Survivre  est  un  regret  poignant,  presque  un  remords... 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  419 


XLI.    A  MADAME  D'A.-SH. 


le   cœur  plein  de  choses. 

Page  74.  Je  passais,  parmi  des  colombes. 

Dans  un  cimetière,  jardin 
S^,  fait    de    tombes    et    de    roses. 

Qui,  couvrant  de  roses  les  tombes, 

un  enfer  sous  un  éden. 

Cache  le  néant  sous  l'éden. 


5e    marchaii    dans    l'herbe 

ce    champ 
J'errais  dans  cette  ombre  insalubre 

sépulcres        sont 
OÙ  les  croix  noires  sont  debout. . . 


(^effleurait    a    travers    les    branches 
Qu^cffleura  soudain  sous  les  branches 

rayon 

Un  furtif  éclair  du  matin. 


sous    l'if    et    l'yeuse 
Il  était  là,  sous  une  jeusc... 

L«/  donnait  dans  l'ombre 

Donnait  à  ce  spectre  un  baiser. 

Uoyant    venir    à    lui    la  flamme, 
•P'^g^  75-  E,n  voyant  venir  la  lumière. 

Comme  au  désert  le  noir  Sina, 
Ce  linceul  de  marbre  d'une   âme 
trafique 
ténébreux 
Ce  sinistre  linceul  de  pierre 
Vlein  de  ténèbres,  rayonna. 

chante 
Où  pleure  une  âme,  rayonna. . . 

lame 
Ce  n'était  plus  la  dalle  affreuse. 

Droite    et   sinUtre    loin    du    bruit. 

Qui  se  dresse  hors  de  tout  bruit. . . 

datte 

Ce  n'était  plus  la  tombe  où  rcve. . 

blanc. 
Et,  calme,  avait  dans  les  ténèbres. 


27- 


420        LES  MANUSCRITS  DE   TOUTE  LA  LYKE. 

doux   liseron 
Page  76,  Le  liseron  fut  ébloui, 

Les  fleurs    lui  jetèrent  leur  ■'■'■'■ 

Et  l'œillet  lui  jeta  son  baume... 


XLII.    vous  Qm,  VAINQUEURS,  AVEZ  MIS,  DEPUIS  VINGT-CINQ  ANS. .  ."> 

0    vainqueurs    de    Décembre,    ô    chefs    des    noirs    exploits j 
Page  jj.         Toi,  prêtre,  toi,  soldat,  chef  des  sombres  exploits. 

Soldats      que      hait  t;,; 

Que  suit  des  yeux  l'histoire  triste,  '  ,.,•  ji,l) 
Juges    escamoteurs 
Toi,  juge  escamoteur,  qui  du  fourreau  des  lois 

Tirev^  '^ 

Tiras  le  poignard  du  sophiste...  ,_.i   ^1  •Ti''i, 

debout 
Cet  homme  qui  longtemps,  pensif  au  bord  des  mers. . . 


XLIII.    ru  NOUS  KEGAKDES,  NUlTj   GRANDE  PASSANTE  NOIRE. 

Il    défend    les    vaincus,  \      r  j 

Page  78.         Il  offre  asile  au  faible,  à  bas  le  misérable  ! 

recul         formidable 

Lorsqu'on  voit  qu'un  grand  pas  en  arrière  est  sensé. . . 

^  vainqueurs 

Page  79.         O  noirs  lutteurs. . .     .    ,         vvWA  ivvuV.  \^v,vs^««^v  u^.\ 


XLIV.    AH  !  VOUS  FAITES  DU  FROID  DEVOIR  VOTRE  BONHEUR  ! 

j 
Pour     être     libre,     et     c'est     votre     unique     souci! 

Page  80.         Pour  marcher  le  front  haut,  et  c'est  votre  souci P 

hideux 

Forcés  d'être  valets  et  de  se  vendre  au  maître.  .. 

XLV.    LA  HAUTE  HONNETETE,  C'EST  LA  TOUTE  MA  GLOIRE. 

Le    peuple,     après    ma     mort,    placera     ma     mémoire... 
Page  81.         O  peuple,  après  ma  mort  tu  mettras  ma  mémoire... 


XLVI.    L'ENFANT  EST  TRES  PETIT  ET  L'AÏEUL  EST  TRES  VIEUX. 
Page  82.         Cette  main  de  vieillard  a  sur  plus  d'une  joue 

Jadis    fatt    retentir 

Autrefois  élargi  les  sonores  soufflets. 

Que        fait        un         aboiement      ;  ' ,   p,     ,       îfTi'r;"»     ' 
Qu'est-ce  qu'un  jappement  de  plus  dans  le  chenil.'' 


•  l  \  '^'A^- 


:\;      VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.     'lU        421 


•  XLVm.    ECHAPPE  A  L'ERREUR. 

traître  ,v.,-.\v.vA      ■.:! 

Page  84.         La  mer  n'a  pas  un  pli  qui  ne  soit  triste  çt.noir.giôrrt  nO 

Et    l'orage,    et,    pareil   à   Colomb   criant  b  ^I  £  ni) 

Comme    Noé,    Jason    et    Colomb  .  , 

Magellan  i      •  I 

Et     comme     Palinure     et     Colomb     criaient  :     Terre  !       ^'-'  *-' 

Comme  Colomb  criait  à  ses  compagnons  :  Terre!  "    y''"* 

le    noir 
Thaïes,  Milton,  planer  dans  l'obscur  firmament. 

.     ,  M;  \'  ,  ■^''Ik    •  f 

l'abîme        où       grondent       les  — 

Ainsi,  malgré  les  chocs  de  l'onde,  et  ses  huées. . . 

Sachez,     prêtres,     que     j'ai     triomphé     de     vos     songes.  «;  .^    n 

Page  85.         Prêtres,  vous  n'avez  pu  m'engloutir  dans  vos  songes;  "'" 

Non,    je    ne    me    suis    pas   noyé    dans 
Dieu  ne  m'a  pas  laissé  noyer  par  vos  mensonges. 
Je  nage 

J'avance. . . 

T«-rf  /  l'échappement  ^y%  oyj;^ 

Je  vis  !  l'évasion  du  naufrage  se  prouve. . . 


XLIX.    APRÈS  L'HIVER. 

Le     mal     passe,     l'hiver    s'enfuit     et 
Page  86.         La  nuit  meurt,  l'hiver  fuit;  maintenant  la  lumière, 

deux  profonds  ! 

Divine,  maintenant 

Dans  les  champs,  dans  les  bois,  est  partout  la  première. 

On    est 

Je  suis  par  le  printemps  vaguement  attendri. 

On  sent 

Je  sens  devant  l'enfance  et  devant  le  zéphire 

On  ne  sait 

Je  ne  sais  quel  besoin  de  pleurer  et  de  rire. . . 

le   ciel 

Accourez,  la  foret  chante,  l'azur  se  dore. .. 

bonhomme 
Je  suis  un  vieux  songeur  et  j'ai  besoin  de  vous. . . 

Tout  comprendre^  accepter 

Croire,   remercier   confusément   les   choses... 


422        LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


divin 
On  sent  un  souffle  d'air  vivant  qui  vous  pénètre. 

ressemblant  vaguement  à  l'efFroi , 
Et     l'amour,    doucement     ressemblant     à     l'effroi. 
On  mêle  sa  pensée  au  clair  obscur  des  eaux  -, 
Et    l'indistinH    bonheur    d'avoir    autour    de    soi 
On  a  le  doux  bonheur  d'être  avec  les  oiseaux. 

L'obscur    fourmillement     [des     vagues     hyménées]''' 
Et  de  voir,  sous  l'abri  des  branches  printanicres, 
Où    les    petits    okeaax    font    un    tas    de    manières. 
Ces  messieurs  faire  avec  ces  dames  des  manières. 


L.   QU'ES-TU,  PELERIN?  —  JE  ME  NOMME... 

Viens.  —  Mon  âme  est  de  nuit  vêtue. 
a  l'air  de  nuit 

Page  87.  Ton  âme  de  nuit  est  vêtue. 


LU.    TU  RENTRERAS  COMME  VOLTAIRE. 
Je  rentrerai 

Page  89.  Tu  rentreras  comme  Voltaire 

[vieux] 
mon     cher 
Chargé  d'ans,  en  ton  grand  Paris... 

Je     serai 

Tu  seras  l'hôte  involontaire. . . 

Je     serai 

Tu  seras  le  mourant  aimé. . . 


^     mon 

À  ton  seuil  à  demi  fermé. 


[Parfois  marmot,  parfois  barbon,] 
[A  la  fois  marmot  et  barbon ,  | 
Je      serai 

Tu  seras  marmot  et  barbon  ; 

Et     j'aurai     cette 

Tu  goûteras  la  joie  honnête 

me 
D'être  si  bon  qu'on  te  croit  bête 

me 
Et  si  bête  qu'on  te  croit  bon. 


'''  Variante  restée  sans  rime. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  423 

Les  brouillons,  outre  les  variantes  que  nous  venons  de  reproduire  entre  crochets, 
nous  donnent  une  version  différente  : 

Je  suis  un  habitant  des  rêves  ; 
J'ai  devant  l'ombre  qui  descend. 
Devant  le  flot  rongeant  les  grèves. 
Le  vague  regard  d'un  passant. 

Ne  me  prenez  pas  pour  un  sage. 
Ne  me  prenez  pas  pour  un  fou  j 
J'aime  à  voir,  enfant,  ton  visage. 
Et,  madame,  votre  genou. 

Quoique  admirant  peu  d'hexamètres. 
Et  n'aimant  aucun  attentat. 
Je  dis  confrère  aux  gens  de  lettres 
Et  collègue  aux  hommes  d'état. 

Tout  me  charme  et  rien  ne  m^ arrête ^ 
J'abats  le  trône  et  non  la  tête  ; 

3e     suis     marmot  j     quoique     barbon  j 
On     eii    homme  ^     quoique    Bourbon  j 
Je  vois  un  homme  dans  un  roi  ; 
Je    suis    si   bon     qu'on    me    croit    bête. 
J'ai  devant  la  nuit,  sombre  fête, 
'Et    si    bête     qi^on    me    croit    bon. 
Beaucoup  d'amour,  un  peu  d'effroi. 

Je  crois  que  les  femmes  sont  faites 
Pour  être  diables  quelquefois  j 
La  gentillesse  des  fauvettes 

rêveur 

Me  retient  pensif  dans  les  bois. 

l^es  forêts  ont  des  ombres  saines; 
Je     vous    aime,     ô    bosquets    bénis, 
Les  bosquets  sont  des  lieux  bénis 
Lieux    où    les   femmes   font   des   scènes, 
OÙ  les  femmes  nota  font  des  scènes, 

rossignols 
Oii  les  passereaux  font  des  nids. 

Tout  me  charme  et  rien  ne  m'arrête. 
Je  suis  marmot,  quoique  barbon  j 
Je  suis  si  bon  qu'on  me  croit  bête 
Et  si  bête  qu'on  me  croit  bon. 

14  mai. 


424       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

'  ijv  on;;  inonrinh  eiion 

VI  ,,:/,..._,,,,. 

';'  i. 
I.    L0Mj2£E  MA  MAIN  FRÉMIT  SI  LA  TIENNE  L'EFFLEUKE. . . 

sous  ta  main  qui 

Page  93.         Lorsque  ma  main  frémit  si  la  tienne  l'effleure,   -;'/] 

Quand  tu  me  vois  pâlir,  femme  aux  cheveux  dorés. . . 

rayonner 
Oh,  dis!  ne  sens-tu  pas  se  lever  dans  ton  âme 

,  aube  sacrée,  ■'[.) 

L'amour  vrai,  l'amour  pur,  adorable  lueur. . . 

femme  .  ^ 

Page  94.         Oh  !  recueille  ce  chant,  âme  blessée  et  fière  !        ^  ' 

Ange,     ce     qui 

Cette  aube  qui  se  lève  en  toi,  c'est  le  vrai  jour. 

Ton     aile 

Ton  âme  pour^^^'ciel  et  ton  cœur  pour  l'amour  ! 


II.    OH  !  SI  vous  EXISTEZ,  MON  ANGE,  MON  GENIE. . . 

plus    qu'une    lyre. 
Page  95.         Que  tous  les  cœurs  charmés  ne  sont,  tant  on  l'admire, 

amoureux 
Qu'un  orchestre  confus  qui  sous  ses  pieds  soupire. . . 

inconnue. 

Il  est  ailleurs  une  âme,  éperdue,  enivrée. .  .^î^'  "3^  ' 


III.    VOIS-TU,  MON  ANGE,  IL  FAUT  ACCEPTER  NOS  DOULEURS. 

L'éhlouissant    matin     n'a    rien    de    plia    charmant. 
Page  96.         Rien  n'est  plus  radieux  sous  le  haut  firmament.;!' 

pure 
Deux  cœurs,  mêlant  leur  double  flamme. 

Une  strophe  isolée,  publiée  par  erreur  dans  Vertiim  Gerbe ,  répète,  avec  des  variantes 
et  dans  un  autre  rythme,  le  début  de  cette  poésie  : 

Oh  !  l'amour  est  pareil  aux  perles  de  rosée 
Qui  brillent  aux  feuilles  des  fleurs. 


:\)r{VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  425 

Et  qui  sur  la  corolle  au  soleil  exposée 

Rayonnent  de  mille  couleurs. 
N'approchez  pas  vos  jeux,  que  tant  de  splendeur  charme. 
De  cette  goutte  d'eau  qui  reluit  un  moment. 

De  près  ce  n'est  plus  qu'une  larme,  'l 

De  loin  c'était  un  diamant  ! 


V.    vous  M'AVEZ  EPROUVE  PAR  TOUTES  LES  EPREUVES... 

Il 
'■:  1 

On    me    hait.    Le    mensonge    et   l'injure    avec   joie 

Page  98.         Mon  œuvre  est  difficile,  et  ma  vie  est  amère. 

Mâchent    entre    leurs    dents    mon    nom    comme    une    proie. 
Les  choses  que  je  fais  sont  comme  une  chimère. 

J'ai    vu    de    ma    candeur    rire    la    trahison. 

Après  le  dur  travail  et  la  dure  saison. . . 

ardente 
La     jalousie     amère     et     l'injuste     soupçon 

incurable  '     •  '^  ' 

L'ardente  jalousie,  acre  et  fatal  poison, 

souvent 
Ont     parfois     dans     mon     cœur, 

A  dans  mon  cœur  profond,  qui  brûle  et  se  déchire...  ,.'î 

cherchant        le        céleste 

J'ai  vu,  pâle  et  des  jeux  cherchant  votre  horizon. . . 

Tremblant  par  l'endroit  même  en  qui 

Et  je  tremble  souvent  par  où  tout  autre  espère. 

juste 
Et  je  vous  remercie,  ô  maître  amer  et  doux, 

qu'avec    crainte    je    nomme, 
Car  vous  avez.  Dieu  bon.  Dieu  des  âmes  sincères. 
Infligé  tous  les  maux  que  peut  souffrir  un  homme 
Mis  toutes  les  douleurs  et  toutes  les  misères 
A       mon       cœur       douloureux 

Sur  moi,  sur  mon  cœur  sombre  en  vos  mains  comprimé. 
Hors  celui-là ,  Seigneur, 
Hors   le   pire   de  tous,  aimer 

Excepté  celle-là,  d'aimer  sans  être  aimé! 


VI.    SAIS-TU  CE  QUE  DIEU  DIT  A  L'ENFANT  QUI  VA  NAITRE  ? 

c    .  \K\  'A  TA  A\lV5.l  k.l  '.  )\<A    .iZ 

Sachons 

Page  99,         Sais-tu  ce  que  Dieu  dit  à  l'enfant  qui  va  naître? 

sa     paupière     tremble     et     s'ouvre 

Quand  cet  humble  regard  s'entr' ouvre  à  notre  jour. . .  •  ?o i  ajï»:*^! 


426       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYRE. 


VII.    CERTEj  ELLE  N'ETAIT  PAS  FEMME  ET  CHARMANTE  EN  VAIN. 
Et  ne  se  guindait  s'abaissait 

Page  I  oo.       Ne  se  refusait  point  et  ne  se  livrait  pas. 


VIII.    ROMAN  EN  TROIS  SONNETS. 
Cela  ditj 

Page  I02.       N'importe,  je  m'obstine j  et  j'ai  l'audace  étrange 

gueux 

D'être  pauvre  et  d'aimer. . . 

C'eH  pourquoi  je   vous  offre,    Égléj  belle   étonnée j 

,  couturière 

Et  je  vous  offre,  Églé,  giletière  étonnée. .. 


IX.    CHANSON.  —  IL  SUFFIT  DE  BIEN  PEU  DE  CHOSE. 

na'if 
cœur    pensif 

Page  103.  Au  doux  rêveur  qui  veut  aimer. 


X.    HERMINA. 

augtute 

Page  1 04.       J'atteignais  l'âge  austère  où  l'on  est  fort  en  thème. . . 

Ce     quelqu'un     je     l'avais     trouvé.     Fleurs  !     Branches     vertes  ! 

quinzième 

douzième  ^ 

J'entrais  dans  ma  treizième  année.  O  feuilles  vertes  ! 
Les    Chloés,    les    Phyllis    enchantaient    mon    printemps. 
Jardins  !  croissance  obscure  et  douce  du  printemps  ! 

Et   je    la    contemplai 
J'adorais 

Et  j'aimais  Hermina  dans  l'ombre. . . 

on      ne     sait      quel     trouble 
Un  jour,  j'eus  comme  un  cnant  d'aurore  au  fond  du  cœur. 


XI.    OHl  LA  FEMME  ET  L'AMOUR  !  INVENTIONS  MAUDITES  ! 
Quelle     calamité  ! 

Page  105.  Orage  !  être  jaloux  ! 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  427 

hlancs  ! 
Compter  ses  cheveux  gris  !  Faire  mille  sots  rôles  ! 

jouer 
tourner 

"V^ir  reluire  autour  d'elle  un  tas  de  jeunes  drôles  ! 

Du  diable  maintenant  si  j'approche  une  femme  ! 
Page  1 06.       Je  ne  veux  de  ma  vie  approcher  d'une  femme  ! 

L'air  du  soir 

Les  fraîcheurs... 


XII.    J'ETAIS  LE  SONGEUR  QUI  PENSE. 
(Autre  titre  :  tkoPj  cest  moins.) 

étoilées 
Page  107.  Les  profondeurs  constellées... 

hymne 
Je  rêvais  un  ciel  étrange 

£«  écoutant  sa  chanson. 

Pour  notre  éternel  hymen. 

—  Qu'étes-vous ?  criais-jej  un  ange? 

garçon. 

—  Moi!  disait-elle,  un  gamin. 

La  suivre  au  ciel  pâle  et  morte 
Page  108.  Me  casser  pour  elle  un  membre. .. 

à  sa  porte 
Un  jour  je  vins  dans  sa  chambre. . . 

Ferma  la  porte  à 

Mit  à  la  porte  l'amour. 


XIV.    ELLE  VINT  QUE  J'ETAIS  EN  TKAIN  DE  LIRE  HOMERE. 
Jeanne 

Page  III.       Et  Suzon  m'emmena  foulant  sous  sa  bottine 

Cromnos,      ,  , 

Lcmnos,  Egialée  et  la  roche  Erythine. 


XV.    VOUS  NE  LA  FUYEZ  PAS,  OISEAUX,  PETITS  FAROUCHES. 

J^  passe  dans  l'horreur  de  notre  terre  sombre 
Page  112.       Cette  grâce  au  milieu  de  nos  laideurs  sans  nombre. . . 


428        LES  MANUSCRITS   DE  TOUTE  LA  LYKE. 

XVI.    COMMENCEMENT  D'UNE  ILLUSION.^'^."^"*^''" 

mouvement  '  )jii!:  •jTauyi  iioV 

Page  113.  Adieu   le    tumulte   des   têtes. . . 

'  'ûague        '!!  'jb  XFi^y  yrt  ijl        .f)oi  o^j-,'! 

Page  1 14.  Où  l'on  sent  une  sombre  crainte. . . 

Sa  vitre  vague  où  se  dessine. . . 

C'efî      une      tranquille  :  <    iM/Và'l    .îiZ 

Ma  voisine  est  une  ouvrière. . . 

être 
Cet  ange  ignore  que  j'existe,       t     -.  f  r, 

flâner  1 


rî 


Et ,  laissant  errer  son  œil  noir. . . 


XVIII.    TOUTE  LA  VIE  D'UN  CŒUR. 
(Autres  titres  :  toute  l'histoike  d'un  vieux  cœuk.  —  l'histoike  de  tous  les  cœuRi'''^) 

1817.    —    ADOLESCENCE. 

Les      nymphes,      "Venus,       Diane  '■  ■■'  ,oOl   •.•■'!■"' 

Page  1 16.       Qui.?  La  Vénus,  l'Hébé,  la  nymphe  chasseresse. 

méditais  ':    in'      ft   .' 

Je  restais  là  stupide  au  bas  des  piédestaux. . . 

Sur  le  carnet  de  1872  nous  trouvons  l'ébauche  des  derniers  vers  : 

Autant  vaudrait,  pensif  au  bas  d'un  piédestal. 
Attendre,  curieux,  que  le  vent  sous  un  arbre 
Soulevât  les  jupons  d'une  Diane  en  marbre. 

1820.    —    PRINTEMPS.  MAI  LE  PÉCRETE,  Et  c'eST  OFFICIEL. 

branchages    superbes 
les     boii,      les     eaux,     les     nids 
Page  117.       Emplit  l'azur,  les  champs,  les  prés,  les  fleurs,  les  herbes..'. 

'')  Variantes  prises  dans  le  manuscrit  de  L'Art  d'être  Grand-père,  folio  jij.-'^-J        •  ■ 


.:i;iX VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.   :;HJ       429 

1833.   —  À.  J.     —    PUISSE  LE  GAI  PR.INTEMPS  HEi^lENT  DANSEK  ET  R/R.E.  .  . 
frais 


UilllbCl    CL   lUC 

mon  avec  mon 


Puisque  le  gai  printemps  revient  danser  et  rire," 


Puisque  le  doux  Horace  et  que  le  doux  Zéphyre 

dans  les  fleurs,  les  les 

M'attendent  au  milieu  des  prés  et  des  buissons. . . 


:.+?i 


les  deux 
Puisque  le  vent  murmure  et  dans  l'azur  disperse  '       •^~  '  ^u^" 

L'a'ntr  r] 

Page  118.       La  brume  et  la  nuée  en  flottants  archipels, 

charmants 
Il  me  plaît  de  répondre  à  ces  profonds  appels. . .  '^ 

les     Hrophes    planant     en     foule    sur  '•' 

Et  la  Strophe  qui  vole  au-dessus  de  mon  front. ..      •'^'  ^^^^■ 

Écoute  j         tout  efî         plein  ,  > 

Les     halliers     noirs  '■'''  ^"-^ 

Les  frais  halliers  sont  pleins  de  pudeurs  aux  abois, 

ramiers 
Femmes,  oiseaux,  tout  cède  et  les  baisers  se  mêlent...  - 

la     fleur    s'offre. 

L'eau  soupire,  le  Ijs  s'ouvre,  le  firmament. ..  xix 


diiï^-à.-  PROMENADE.      ^  "''"'rf   """J   ^'''"^  •'-  '    '    ^W'^ 

.jri-jiji»,    ii'jr.'.l 

Cherchons  les  boa.  — ^ 

Je  t'adore.   Soyons  deux  heureux. 

oh  l  que  ne  puis-je  faire  éclore  quatre  murs        ^-'M-^^  "  1JJ03  !ù  IfJO  1 
bâtir 

Que  ne  puis-je  élever  brusquement  quatre  murs 

sombre 
Ici,  dans  ce  coin  chaste,  et  d'un  coup  de  baguette! 

mystérieux 
La  nature  est  un  œil  invisible  qui  guette  j  '  .  ^^'^^^ 

Vaixl  Glissons-nous  J  cette  ombre  entend  j  '^  '-^'j  *^  ■-^"'  *'  ^•'  '^        '  C-  ^  '   ^r}'  ^ 

Glissons-nous  ;  le  silence  entend  j  défions-nous. . . 

Ame  ?  ouij 

Car,  moi,  je  ne  suis  pas  autre  chose  qu'une  âme... 

Car       aux       concessions       de      l'amoufj    - '■  '    '■''      '  -^^    .iZX 

Page  119.      L'amour  aime  les  yeux  fâchés  de  la  pudeur. 

Donne     on     ne     sait     quel     charme     adorable    et 

Et  rien  n'est  plus  charmant  qu'un  paradis  boudeur.  ■  ^^J^^ 


430       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE, 

humble  gloire  obscure 

Une  gloire  ineffable  est  à  l'amour  mêlée. . . 

Belkj  un  lit  de  bruyère  e!t  indiscret  peut-être. 

Reprendre?  Non.  Pourquoi  ?  Donner  encor.?  Peut-être. 

ha  branche  qui  remue  eft  parfois  un  peu  traître. 

Cachons-nous.  Une  branche  a  remué.  C'est  traître. 


1840.    —    MAI.    —    iE  NE  LAISSERAI  PAS  SE  FANER.  LES  PEKVENCHES. 

Page  120.       Je  fuirai  de  la  ville  et  je  m'envolerai, 
Ceft  pourquoi  je  vais  faire  une  course  profonde 
Car  l'âme  du  poëte  est  une  vagabonde , 
haJliers 

Dans  les  ravins  où  mai  plein  de  roses  abonde. . . 

revent 

Là  jasent  les  oiseaux,  se  cherchant,  s'évitant; 

Trop  attentifs  peut-être  aux  mensonges  du  vent  j 

Toinon 
Là  Margot  vient  quand  c'est  Gljcère  qu'on  attend. . . 

que    le    soir    poudreux    fait 

Ses  chevaux  las  souvent  au  point  de  haleter. . . 


XIX.    L'AMOUK  N'EST  PLUS  L'ANTIQUE  ET  MENTEUR  CUPIDO. 
qui,  la  lance 

Page  122.       C'est  un  fier  cavalier,  la  visière  baissée. 

L'oeil    ardent, 

Qui  brise  et  foule  aux  pieds  la  Haine  terrassée. . . 


Tour  à  tour  il  regarde,  avec  un  œil  joyeux... 


XX.    OK  NOUS  CUEILLIONS  ENSEMBLE  LA  PERVENCHE. 

Mon     menton     blanc     n'avait    poi    de 
Page  123.       Ma  joue  à  peine  avait  un  blond  duvet. 

jupe 
sa  robe 


Elle  avait  mis  son  jupon  du  dimanche. 


XXI.    IL  ETAIT  UNE  FOIS  UN  CAPORAL  CIPAYE... 

que       des        blocs        informes. 
Page  125.       Vous  n'étiez  rien  qu'un  marbre  informe ,  jusqu'au  temps. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  431 


XXII.    UN  COUP  DE  VENT  PASSA,  SOUFFLE  LESTE  ET  CHARMANT. , 


Page  127.       Je  l'adorais.  Mon  âme  allait  dans  l'empyrée. . . 

suiSj  éperdu. 

Je  la  contemple,  ému,  tremblant,  brûlant,  transi, 

je  cherchais 
Et  je  vois  de  la  chair  où  j'adorais  une  âme  ! 

Adieu.      C'est      fini. 
Soit.  Le  songe  est  fini.  Ce  n'est  donc  qu'une  femme 
obéissante 

Qui  marche  sur  la  terre,  et  se  retrousse  au  vent  ! 


XXVII.    J'AVAIS  DANS  MA  MANSARDE  UN  BUSTE  DE  PLATON.. 


ayant      l'ombre       et       la 
Page  132.       —  Ou  d'Euclide  —  un  vieux  marbre  ajant  barbe  au  menton. 

de  Bréda 

-  Qu'au  temps  où  des  amours  je  gazouillais  l'argot. . . 


XXVIII.    VIRGILE  DANS  L'OMBRE. 
J'adore 

Page  133.       Je  chante  Ljcoris  si  Gallus  le  désire. . . 


Pour  peigner  les  cheveux  divins  d'Amaryllis. . . 

XXIX.    OUI,  JE  SUIS  LE  REGARD  ET  VOUS  ÈTES  L'ETOILE. 

reluisez. 

Page  134.  Je  contemple  et  vous  rayonnez! 

flotte  et  vous  me  conduisez  ! 
Je  dérive  et  vous  m'entraînez  ! 

XXXII.    L'HEURE  SONNE.   UN  JOUR  VA  NAITRE. 
flotte 

Page  137.  Qui  ne  tremble  à  quelque  vent.? 


432         LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

Laisse ,  hclas  ! 
Va. 

Un  !  laisse  luir  le  nuage  ! 

passons 
Page  138.  Tout  passe,  et  nous  pleurons  tous  !  .  ■b^'i  jI       .-ir  3;ij:*î 


XXXIII.    A  DEUX  SŒURS. 


Page  139.       Belles,  vous  passez,  pures  toutes  deux  j ' 

CAïf^  Us  hommes j  sans  'vota  occuper  d'eux.  .    r      ;,  p 

Que  vous  fait  ce  monde  ingrat  et  hideux?  "'    '   ' 

•■     .......    :,;,-'  ■^à'ywAïi  wAJ 

XXXV.    mVEA  NON  FRIGIDA. 

prouvait 
Page  141.  Elle  prouve'que  la  blancheur 

N'ôte  à  la  femme 

fièvre  -LiLu^JL  ij()  -  - 

Aucune  ivresse,  aucun  bonheur... 

XXXVII.    À  MADAME  J. 
candeur 


Page  143.  La  blancheur  fière. . . 


I  ::!.!;,.)«!/    .fiiv// 


XXXVIII.    JE  NE  SAIS  PAS  POURQUOI  LES  FEMMES. . , 

fktale  -.ri,  yoj/Oib  0I  i^u^nq  luo^I 

Page  144.  La  beauté,  céleste  et  sereine... 

Rions  ! 

Qu'importe  !  Espérons  !  Tu  me  charmes. 

Uangêlm  sonne  aux  vieilles  tours. 

Le  ciel  est  bleu,  les  bois  sont  sourds.      .i.>j  -jl.  .f  ;  i  3y£*{ 

XL.    LA  FORÊTi'Ov  î3  3'/irj|j  'j\,      ^ 

Parce       qu'une       eau       joyeuse 
Parce    qu'un    peu    d'eau    sombre    errait    sous 
Page  146.       Parce  que  les  oiseaux  couraient  dans  les  glaïeuls...^'"" 

Elle  avait  peur.  De  quoi  ?  '.^;>  '■ 

Elle  hésitait.  Pourquoi.''  Soleil,  azur,  rosées. ..ii  niC)  .\ii  a;;    ' 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  433 

clairière 

Elle  vers  la  campagne  et  moi  vers  la  foret. 

i'ébauchaii  des  projets  très  obscurs,  je  souffrais. 

J'étais  le  plus  heureux  des  hommes,  je  souffrais. 

herbe 
J'étaii  heureux  j  quelle  ombre 
Que  la  mousse  est  épaisse  au  fond  des  antres  frais  ! 

tremblants 
Et  nous  restions  pensifs,  muets,  vaincus,  vainqueurs... 


jamais 

Je  n'avais  encor  vu  qu'un  peu  de  son  épaule. 


XLI.    CHANSON. 

LE   PRINCE  DE  JOINVILLE. 
si  la  France  la  tente 

Page  148.       Tu  diras  à  ma  sœur,  tu  diras  à  ma  tante. 


XLIII.    FURENS  FŒMINA. 


s  exaspéra 
Page  151.       Alors  elle  frappa  du  pied,  gronda,  pleura. 


qu'elle  montrait 
Elle  ne  voyait  pas  que  je  voyais  son  sein. 


XLIV.    CELA  LA  DESENNUIE;  ELLE  VIT  TOUTE  SEULE. 

Elle     coudj     et 
Page  152.       Elle  échange  de  loin,  et  pour  se  reposer, 
ESe     échange     un      regard      et      parfois 
Un  regard,  et  parfois,  de  la  main,  un  baiser... 

Ont  moins  d'ombre  et  d'azur  qu'un 

Ne  sont  rien  à  côté  d'un  cerveau  de  vingt  ans... 

n'être  plus  qu'un  songe. 
Dans  la  nuée  au  point  de  finir  par  un  songe. . . 


POESIE.   —  XIII.  28 

■  MrMmiUE    RtTCOirilB. 


434       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


XLV.    CHANSON  DE  CELLE  QUI  N'A  PAS  PARLÉ. 
(Autres  titres  :  vous  m 'avez  souvent  dit  :  je  T'Aimb.  chanson. 

LA    CHANSON   DE   LA    JEUNE    ÉdITH,   —    'VOICI    CE  QUE    CHANTAIT   EDITH.) 

se  plaint  pas 
Page  153.  Dont  on  ne  parle  pas  tout  haut. 

ce  mot 
Je  refusais  l'aveu  profond. 

qui  va  s'éclipser 
Page  154.  Ce  doux  mot,  qu'il  faut  elfecer. .. 


XLVI.    0  TOI  D'OU  ME  VIENT  MA  PENSEE. 

Éclairent     les      sacrés 
Page  155.  Brillent  aux  célestes  plafonds  ! 

fille 
Je  songe  à  toi,  qui  viens  des  deux, 

belle 
A  toi,  grande  âme  emprisonnée. .. 

je  sais  qu'elle  est  la  première, 
Moi,  je  te  connais  tout  entière 
Je    la    contemple    à    deux 
Et  je  te  contemple  à  genoux. . . 

Page  156.  Le  ciel  qui  lui  devait  un  trône 

M'a    refusé    sa 
Lui  refusa  la  liberté  ! 

Tu  te  sens  prise  par  le  monde 

amer 

Qui  t'épie,  injuste  et  mauvais. 

Et     dans     ta     faiblesse 
ta     réflexion 

Dans  ton  amertume  profonde. . . 

transports 
Ces  plaisirs  où  rien  n'est  amer. . . 

propos 
Le  doux  mot 

Page  157.  L'entretien  furtif  et  charmant. 

Et  la  mélancolique  ivresse 
enchantement 
D'un  ineffable  épanchement  ! 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  435 

le  monde 
Purs  transports  que  la  foule  igaore. . . 

Abandonne, 

Page  158.  Laisse  donc,  ô  ma  douce  muse. . . 


XLVIII.    OH  !  DIS,  TE  SOUVIENS-TU  DE  CET  HEUREUX  DIMANCHE  ? 


rcvais 

Page  161.       Tu  songeais  dans  ses  bras.  Heures  trop  tôt  passées  ! 

cœurs  et 
souffles, 
Oh  !  comme  vous  mêliez  vos  âmes,  vos  pensées  ! 

pensifs 
Tes  yeux  rêveurs  brillaient,  pleins  d'un  vague  sourire. 

charmant 

Ton  visage  pensif,  tour  à  tour  pâle  et  rose. . . 

entretien 
Dans  ce  doux  abandon,  des  anges  seul  connu, 

timide 
Se  poser  sur  son  pied  ton  pied  charmant  et  nu. 


XLIX.     GARDE  A  JAMAIS  DANS  TA  MEMOIRE... 


,  o  mon  ange,  en 

Page  162.  Garde  à  jamais  dans  ta  mémoire. . . 

Ta     robe     flottante 

Et  ta  robe  blanche  où  s'attachent. . . 

val 

Du  bois  charmant. . . 

purs  ébats 

Page  163.  Nos  doux  combats. . . 

loin  des  yeux  moroses 
Là,  cachés  au  milieu  des  roses... 

Si  doucement 
Paisiblement. . . 

parfumés 

Page  164.  Bois  embaumés... 

28. 


436       LES  MANUSCRITS  DE   TOUTE  LA  LYKE. 

Car,     aimer,     c'est     la     loi     suprême, 

Car  c'est  la  loi  !  tout  vit  !  tout  aime  ! 

L'unique     mot  ! 

Aime  !  il  le  faut  ! 

ZJie»s    chercher    la    grotte    bénie 
Cherchons  la  grotte  rajeunie. . . 

au    corset    d'or 

Page  163.  La  mouche  aux  ailes  d'or  qui  passe, 

L'herbe 
L'onde  et  le  vent. . . 


L.    AH  ÇA  MAlSl  QJJELLE  IDEE  AS-TU,  CAPRICIEUSE. . . 
La     mousse     nous     attend 

Page  166.       L'herbe  s'offre  à  nos  pas  dans  le  bois  attiédi, 

d'Arco/e 

Je  te  parle  d'Eylau ,  d'Essling  et  de  Lodi  ! 

pères 
Oui,  nos  aïeux  régnaient  par  la  guerre,  et  leur  taille 
Fut    superbe 
Était  haute,  et  mon  père  était  un  des  géants.. . 

fussions-nous 

Nous  combattrons  comme  eux,  dût-on  être  engloutis. 

nous     ressoufflerons     dans    le 
la  terre 
Et  le  monde  entendra  notre  clairon  sonore. . . 

Chloé  charmante 
fraîche 

Lorsqu'il  a  près  de  lui  Barine,  émue  et  rose... 

N'exige       pas        de        moi        que       j'étonne        ces        boà^'^ 
Vais-je  donc  étonner  ces  bois,  ces  prés,  ces  eaux... 

cacher   des  nids   que  ces    branches 
doux 

C'est  pour  le  jeune  amour  que  les  forêts  sont  faites. 

harmonie j  ombre. 
Belle,  ici,  tout  est  joie,  accord,  silence,  paix. 

Page  167.       Janvier  part,  floréal  accourt;  le  dialogue 

fraîche 

De  l'hiver  qui  bougonne  avec  la  vive  églogue 

Se     mêle    au    vent 

Tourne  en  querelle. . . 


'^'  Variante  restée  sans  rime. 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  437 


Floréal  a 

Les  arbres  ont  besoin,  belles,  de  votre  rire... 

Chante, 

Aime,  et  baigne  en  chantant  tes  pieds  nus  dans  la  source. 

stupide 
Il  sorte  le  conseil  insensé  d'être  sage, 
De     ne     point     s' emb  rosser,      d'être     des     lœitrs      éteints. 
D'être  froid,  de  ne  point  s'approcher  de  trop  près, 

aveugle  attraits  sourd  in^inlts 

D'être  sourd  aux  instincts,  d'être  aveugle  aux  attraits. .. 

bataille    au    'vague   et 
fauve 
Page  168.       Et  la  rauque  bataille  au  tendre  hymen  d'avril? 
Matin.  Jeunesse.  Ayons  pour  souci 
Ayons  pour  seul  souci,  mon  ange, 

Belle,  ayons  pour  affaire  unique  l'arrivée... 


LU.    HOKACE,  ET  TOI,  VIEUX  LA  FONTAINE.. 

Mourir  la  joie  et  fuir 
Page  171.  Fuir  la  joie  et  mourir  l'amour. 

^  La     Fontaine 

Hélas!  vieux  Jean,  ce  qui  s'efface... 


Lin.    CHANSON.   —   BON  EMPEREUR,  VOUS  ÊTES  MAITRE. 

chose  grande  et 
Page  173.  Mais  la  difficulté  suprême , 

La       chose      impossible      toujours 
Où      les      roè     échoueront     toujours 
Plus  haute  que  remparts  et  tours. . . 


LIV.    A  FORCE  DE  REFER  ET  DE  VOIR  DANS  LA  PLAINE.. 

Et     je     me     sens     bien     triste 
Page  1 74.       Et  pour  moi  tout  est  sombre,  et  chaque  jour  qui  passe 
Me      semble     plus     voilé,      plus      noir      et      plus      fatal. 
Est  de  la  nuit  qui  tombe,  et,  sans  air,  sans  soutien, 

cette   douleur 
ce  mal  profond 
Car    j'ai    ce    grand    ennui    de    n'avoir    plus    ton     mal. 
Je  souffire,  et  c'est  mon  mal  de  n'avoir  plus  le  tien. 


438       LES  MANUSCRITS   DE  TOUTE  LA  LYKE. 


LV.    LES  PÉRIPÉTIES  DE  L'IDYLLE. 

L'heureux 

Le  frais  papillon  cherche 
Page  175.       Le  papillon  souhaite  un  calice  et  le  trouve. . . 

L'a7ur 
Oui,        souris-moi.        L'été        c'eff 
Tu  souris.  Le  printemps  est  un  épithalame. . . 

au    fond    des    forêts 
Cupidon  vient  dans  l'herbe  agreste  se  tapir 

Midas 
sots 

Et  rit  de  voir  les  fous  le  chercher  dans  les  villes. 

d'altieres 
Essayons.  Ah  !  tu  prends  de  graves  attitudes. 

corps,     comme     les     âmes 

Page  176.       Et  que  ces  deux  baisers,  sans  maître,  espèces  d'âmes... 

No».      T»     z^eux     manger.     Soit.     Tu     dis     : 

Que  veux-tu  ?  Tu  réponds  :  Manger,  j'ai  faim.  Tu  règnes. 

haisers 
Page  177.       Je  voulais  des  soupirs,  toi,  tu  veux  des  chansons. 

"Virgile 
Quand  Catulle  avait  bu  son  petit  vin  sabin 

Délie 
Il  ne  se  gênait  pas  pour  voir  Gljcère  au  bain. . . 

VhjUodoce  et  Ménalque 
Page  178.       Quoi  !  pour  que  Ljcoris  et  Virgile  s'en  aillent, 

de  Flaccus 
Quoi  !  pour  chasser  d'auprès  d'Horace  Lalagé. . . 


LVI.    JE  PRESSAIS  TON  BRAS  ^I  TREMBLE. 
N'oublions    jamais     cette     heure! 

Page  179.  Je  pressais  ton  bras  qui  tremble  5 

vers     ta     demeure, 
Nous  marchions  tous  deux  ensemble. . . 


LVII.    AU  BAL. 


nuage 
Page  180.  Dans  un  tourbillon  de  lumière. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  439 


LVIII.    NOUS  ETIONS j  ELLE  ET  MOI,  DANS  CET  AVRIL  CHARMANT. 

Nous    cherchions    une   source,- 
Page  181.       Parfois,  près  d'une  source,  on  s'asseyait  un  peu. 

d'un      œil     pensif 
En  regardant  autour  de  nous  les  pâquerettes. . . 

purs        liserons        de        perles 

Et  les  frais  liserons  d'une  eau  pure  arrosés. . . 


LIX.    AUJOURD'HUI  GALATEE  AUX  LASCIVES  EPAULES... 

Page  182.       Seraient  des  Pamélas  jouant  les  ingénues 

Au  Mont  Parnasse 

Lazari         avec 

Chez  Bobino,  prenant  un  banquier  pour  sultan. 
Et      vivant      à      l'abri 

discret 
Sous  l'ombrage  sacré  d'une  mère  en  tartan. 


LX.    DANGER  D'ALLER  DANS  LES  BOIS. 

tremiJe 

Page  183.  La  feuille  s'émeut  comme  l'aile 

grands 
Dans  les  noirs  taillis  frémissants. . . 


LXL    TOUS  DEUX  —  EST-CE  A  TIBUR  ?  EST-CE  A  VILLE-D'AVRAY  ? 
(Autres  titres  :  castitas  vanitas.  —  es  italie.) 

Le     mystère     eB     aux     cœurs     dans^^'' 
Page  185.       Mon  cœur  en  plein  mystère  et  ma  vie  en  plein  jour. . . 

miSe  adorables  choses^*^ 
Pendant  qu'elle  disait  ces  choses  idéales. . . 

Çhj       dit      un       ciieleur      d'  '''      dorien, 

Page  1 86.       ■ —  Oui-dà,  dit  un  sculpteur  persan  ou  dorien, 
ion   lAvant   qui  dès   l'aube 
De  ceux  dont  le  génie  au  cabaret  trébuche. . . 


(')  Variante  inachevée.  —  '*)  Variante  sans  rime.  —  (^)  Mot  illisible  sous  la  rature. 


440      LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


LXII.    L'OUTRAGE  PEUT  ETRE  AUSSI  DANS  LA  CARESSE. 


Fiers    géants    que    la 
Page  187,  Les  flots  sont  une  populace 

Poursuit  de  son 

rocs 
Qui  jette  aux  caps  l'afFront  amer; 

à  pleines 
sur    qui    les    flots     crachent    par     mille 
Les  rocs  sentent  sur  eux  cracher  ces  mille  bouches  ; 
Etalent    sur    leurs    fronts 
Ils  ont  sur  leurs  faces  farouches. . . 


Fleurj    pourquoi    brilles-tu    dans 

eH      la      perle      de      l'herbe; 
La  fleur  radieuse  est  dans  l'herbe. . . 


LXin.    LA  BELLE  S'APPELAIT  MADEMOISELLE  AMABLE. 


J'en  demeurai 

J'en  suis  resté 
Page  189.       Bonsoir.  —  Ce  qui  me  fit  furieux.  D'autant  plus 
Que  c'est  elle,  parbleu,  qui  m'ennuyait.  Je  plus 
Trois   semaines    plus    tard, 
Ensuite,  éperdument,  à  je  ne  sais  plus  quelle... 

Une,  Agnès, 
accorte. 
Page  190.       Une,  Lise,  accepta  mon  cœur  sous  ses  talons... 

Vuii  je  fus  chassé  par  la  tempête. 

Patatras  !       la       femme 
Trois  progrès.  Mais,  hélas,  la  femme  est  la  tempête. 
Agnès,  fâchée, 
Lise  en  colère  un  jour  chassa  tous  ses  laquais... 

troii  belles  souvenir  lointain 

Mes  amantes  n'étaient  qu'un  vague  souvenir; 

rajeunir  un  matin 

Soudain     je     me     sentis      un     beau     soir 
Tout  à  coup  je  sentis  en  moi  tout  rajeunir 
par  un   rayon  de  mai  dans 
un    rayon    de    mai    entre    par    la    fenêtre 
Comme  si  le  soleil  empourprait  ma  fenêtre. . . 

enchantement 
.T'eus  l'âpre  enivrement  des  flammes  méprisées  ; 

de        lorgner 
Elle  me  permettait  d'errer  sous  ses  croisées. . . 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  441 

Page  191.  Que  de  choses 

Bonnets 
Il  fallut  lui  donner  !  jupons  blancs,  chapeaux  roses. . . 

cette  dame 
Page  192.       Or  ce  chef-d'œuvre  avait  un  singe  pour  amant. 

Le  miel,  le  fiel, 

Le  haut,  le  bas,  le  vrai,  le  faux,  le  mal,  le  bien... 


VII 


I.    LA   BLANCHE  AMINTE. 
choisissant 

Page  198.  Et  pour  soi  seul  en  nourrissant 

Cent. 


IIL    CE  QUE  GEMMA  PENSE  D'EMMA. 

dans  l' ombre? 
Page  202.  Que  fait  l'orfèvre  ?  il  achève     - 

Ouvrier  mjHérieux, 

Quelque  anneau  mystérieux. 
Toute      sa      boutique      sombre 
Sa  boutique  semble  un  rêve 

Elt  pleine 

Qu'emplissent  de  vagues  jeux. 

L'émeraude  en  sa  facette 

fée 
Cache  une  ondine  au  front  clair. . . 

rit. 
Page  203.  Elle  brille  et  jase,  et  semble 

Kayon, 
Lueur,  parfum,  colibri... 


Elle  est  la  joie,  étincelle 

la  grande  flamme  amour. 
De  cette  flamme,  l'amour. 

La  foule 

Le  peuple  à  la  vitre  admire , 

D'un  œil  tendre  et  transporté. 


442       LES  MANUSCRITS  DE   TOUTE  LA  LYKE. 

donne      aux     hijoux 
Page  2  04.  '     Et  l'or  semble  avoir  la  fièvre 

Avec 
Entre  ses  petits  doigts  blancs. 

Deux  strophes  barrées  et  restées  inédites  ;  certains  mots  sont  illisibles  : 

Elle  a  l'étaule  cuivrée. 
Sur  les 

]J orfèvrerie  effarée 
flamboie  à  cet  ail  rayon. 

chaque 
Elle  crie  à  toute  chose  : 

Je  la  préfère  !  essayons  ! 

Et  l'on  croit  voir  une  rose 

Faire  un  choix  dans  des  rayons. 

Dans  le  Reliquat,  nous  relevons  cette  strophe  inédite  : 

CHEZ    LE    JOAILLIER  : 

Elle  jase  et  fait  emplette 
Entre  deux  rires  vainqueurs 
D'une  parure  complète 
Miroir  à  prendre  les  cœurs. 

V.    MAUVAISES  LANGUES. 
On     jase      d'eux      dans 

Page  206.  Leur  histoire  emplit  les  charmilles... 

J'en  sais  long  sur  la  paresseuse. 

Elle       fait      un       joli       métier  ! 
perroquet 

Dit  un  corbeau,  juge  à  mortier. 

quand  les  pigeons  sont  grà. 
Page  207.  Le  soir,  avec  de  petit  cris... 

Kien  n'eB  pour  rendre  une  sentence 
Tel  est  le  monde.  Une  sentence. 
Tire,   ou  meilleur,   que   le 
Redoutable,  sort  du  babil. 

Prends  la  fuite 
Cachons-nous,        belle.         Fuyons        vite 
Cachez-vous,  Rosa.  Fuyez  vite 
Évitons        ce        monde 

Loin  du  bavardage  acharné. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  443 


Sot!    prudente  j 

Tout  ce  conte,  ô  belle  ineffable. 

Ce      hois     doit 

Ceci  doit 

Doit  par  vous  être  médité. 

Toujours  cette  amande,  la  fable. 

Prenez  garde,  c'est  une  fable, 

A  pour  noyau  la  vérité. 

C'est-à-dire  une  vérité. 


VII.    LE  PORCHE  DE  SAINT-LUC. 
(Autre  titre  :  tkvmeav.) 

Jean 
Page  209.       Le  porche  de  Saint-Luc,  sur  un  vieux  fût  de  pierre.., 

pensif 
Vieillard  morne  et  hideux  comme  le  mois  Décembre 
Et  dont  vous  auriez  peur,  Madame,  je  le  crois, 

embusqué 
Plus  que  d'un  beau  bandit  rencontré  dans  un  bois. 

Etre         rare 

Homme  étrange  entre  tous ,  qui  vous  ferait  affront. . . 

Uotre  sein  blanc  et  pur  qi^un  doux  inStinU  soulève 

cheveux  doux    et   blonds  ^ 

\bs  longs  cheveux,  dorés  comme  les  cheveux  d'Eve.. 


IX.    OUI,  FUT-ON  HOMERE  J   IL  FAUT  RIRE. 
est  olympique.  ^ 

Page  212.  Le  rire  vient  des  dieux.  A  Rome. . . 


XI.   ^ICON^UE  EST  AMOUREUX  EST  ESCLAVE  ET  S'ABDI^E. 

et  l'envie 

Page  214.       Qu'il  avait  d'épouser  cette  dame  s'accrut 

bon  vieux 
Au  point  de  rendre  fou  ce  pauvre  cœur  tout  brut. . . 

qui  que  vous  soyez,  gens  tenez 

Page  215.       Or,  c'était  maladroit.  Vous  qui  cherchez  à  plaire. . . 


444       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYRE. 


XII.    A  L'AGE  DES  BERGERIES. 


pâle 
Page  216.  Moi,  tremblant  d'une  caresse., 

Page  217.  L'âpre  forêt  taciturne 

Cache  en 
A  dans  son  ombre  nocturne. . , 

farouche 

La  grande  Dryade  verte. . . 


XIV.    LA  LUNE. 

L'Olympe 
Page  219.       Le  ciel  a  dans  l'azur  des  degrés  inconnus. 


XV.    LE  MAKQVIS  DE  BADE  A  DEUX  CORNES. 
grand-duc 

Page  220.  Le  marquis  de  Bade  a  deux  cornes; 

Je  m'explique j  sur 
Il  en  décore  son  blason. 
Ce  seraient  des  parures  mornes 
Je  désire  peu  que  tu  m'ornes 
Autre  part  que  sur  l'éciisson. 
De  cette  parure,  ô  Suzon. 

Veuple,  qui  n'ai 

Belle,  tu  n'as  point  d'armoiries, 

"Vii     libre,     gravis     la     hauteur. 

Mais  ton  doux  rire  est  enchanteur. . . 

Charmés 
Page  221.  Jaloux  des  cornes  du  bison. . . 


XVI.    VEUX-TU  VIVRE,  ÉTRE  ADMIRE. 

Être    en    trogne    coloré. 
Page  222.  Et  de  graisse  rembourré. . . 

Bois  de  bon^'''^ 

Laisse  aux  manants  le  poiré. . . 


('^  Variante  inachevée. 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  445 


XXI.    QUAI  DE  LA  FERRAILLE. 

Toiijj  pendant  la   bataiUe,   aigles,   après,   corbeaux. 
Page  227.       Ils  deviendront  vautours,  ayant  été  corbeaux. 

Héhé  Ajax 

Page  229.       Babet  devant  Fanfan  sent  une  humble  rougeur... 

gredins 
Quand  passe  un  tourbillon  de  drôles  moustachus. . . 

maris 

Elle  garde  aux  bourgeois  son  petit  air  bougon. . . 

Ce  qui  plaît  à  la  bouche 

bras  blancs 
De  la  blonde  aux  doux  jeux,  c'est  le  baiser  farouche... 

C'eii  le  bonheur  d'Agnès  au  regard  de  colombe 

Et  c'est  la  volupté  de  toutes  ces  colombes 

D'ouvrir      son      lit      à      qui      sait      ouvrir      une      tombe. 

D'ouvrir  leurs  lits  à  ceux  qui  font  ouvrir  des  tombes. 

XXII.    COMÉDIES  NON  JOUABLES  QUI  SE  JOUENT  SANS  CESSE. 
LA  MARQUISE  ANTOINETTE. 
On    était    à    peu    près    trente    contre     soixante. 

Page  232.       La  marine  ottomane  était  molle  et  pesante. . . 

COCARDE  ET  LOUCHON. 
mon  manchon 

Page  237.       Jean  a  mis  mes  effets  au  mont-de-piété. 

saltimbanque. 

Jean  est  un  chenapan. 

AU  LUXEMBOURG. 

Notre    destin,    c'est   l'eau,   que    gouverne 

Notre  vie  est  de  l'eau  conduite  par  du  vent. 

Au  reliquat  nous  trouvons  ces  différentes  versions  : 

LE  JARDIN  DU  LUXEMBOURG. 
(Deux  invalides  causent.) 

PREMIER  INVALIDE. 

Les    rois    ne    savent 

L'empereur  ne  sait  plus  où  donner  de  la  tête. 


446      LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


DEUXIEME  INVALIDE, 

On  a  lâché  la  guerre,  à  présent,  qu'on  l'arrête. 
Il  le  faut. 

PREMIER    INVAXIDE. 

Ce  n'est  pas  aisé. 

DEUXIEME  INVALIDE. 

Tout  est  perdu 
Alors. 

(Des  étudiants  causent.) 

UN  Étudiant. 

Mon  père  veut  que  je  sois  assidu 
A  l'école. 

AUTRE  Étudiant. 

Et  le  mien  m'a  défendu  MabiUe. 

AUTRE  Étudiant. 

Le  mien  veut  quand  Margot  dans  son  grenier  s'habille 

Que  je  baisse  les  jeux,  et  si  je  lui  souris 

Il  gronde,  et  que  veut-il  que  je  fasse  à  Paris  ? 

tous. 
Que  ne  nous  laissait-on  croupir  dans  nos  provinces  ! 

Autre  version  dont  nous  passerons  le  début,  utilisé  (voir  page  238) 
(Sur  un  autre  banc.) 

un  Étudiant. 

Si  ceff  pour  que  je  sois  des  bouteilles  l'e'lève  ^^\ 
,Que  mon  père  m'exile  en  ces  lieux,  ce  beau  rêve 
Efî  accompli;  sinon,  père,  tu  pataugeas. 

Ah  çà!  mais  que  veut-on  que  je  fasse  à  Paris.? 

autre  Étudiant. 
Moi  je  m'amuse. 

AUTRE  Étudiant. 

Moi  je  bâille. 

autre  Étudiant. 

Moi,  je  ris. 

(')  Ces  trois  vers  sont  encerclés  et  barrés  largement. 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  447 

AUTRE  Étudiant. 

Mon  père,  homme  lointain,  veut  que  j'aille  à  l'école. 
L'école,  c'est  Mabille. 

AUTRE  Étudiant. 
Et  j'y  vais. 

AUTRE  Étudiant. 

Et  j'y  vole. 


Et  je  m'y  précipite. 

autre  Étudiant. 

Et  le  vrai  sage  y  court. 
J'aime  Annette,  et  je  hais  ta  prose,  ô  Delvincourt! 

AUTRE  Étudiant. 
Quiconque  lit  Barthole  est  un  lâche  imbécile. 

AUTRE  Étudiant. 

Que  dans  Tribonien  à  vingt  ans  je  m'exile. 
Jamais  ! 

AUTRE  Étudiant. 

Ne  point  aller  danser  avec  Lisa, 
Je  jure  que  je  suis  incapable  de  ça! 

AUTRE  Étudiant. 

Si  nous  prenions  la  fuite  aux  sons  d'une  musette. 
Ou  quand  le  vent  des  cieux  trousse  gaîment  Suzette, 
Sapristi  ! 

AUTRE  Étudiant. 
Nous  serions  de  monstrueux  goujats  ! 

AUTRE  Étudiant. 

Jeanneton 
Si  c'est  pour  préférer  Margoton  à  Cujas, 
Que  mon  père  m'envoie  à  Paris,  je  l'approuve! 

Marguerite 
Car  Margoton  est  fraîche  et  rosej  mais  je  trouve 

Que  mon  père  est  naïf,  s'il  croit  dans  son  canton 
Que  je  préférerai  Cujas  à  Margoton. 


44^       LES  MANUSCRITS   DE   TOUTE  LA  LYKE. 


AUTRE  ETUDIANT. 


Si  c'est  pour  que  je  sois  des  bouteilles  l'élève 
Que  papa  m'expédie  en  ces  lieux,  ce  beau  rêve 
Est  accompli.  Je  suis  fort  ivre. 


AUTRE  ETUDIANT. 


Mes  amis, 
Nous  sommes  écoliers  chez  madame  Thémis  ; 
Nous  venons  épeler  les  codes  dans  leur  antre 
Pour  être  des  Dupins  quand  nous  aurons  du  ventre. 
Pour  qu'il  nous  pousse  aux  doigts  des  griffes  d'avoué. 
Mais  nous  trompons  l'espoir  des  parents.  Evohé  ! 
Toi,  tu  bois,  toi,  tu  fais  l'amour,  toi,  tu  t'occupes, 
Eperdument,  à  voir  tourbillonner  des  jupes. 
Et  chez  Bataclan,  fils  de  l'antique  Vauxhall, 
Tu  risques  tous  les  soirs  ton  cœur  paradoxal  ; 
Moi,  je  hais  le  robin,  le  renard,  la  chouette. 
Je  ne  me  sens  pas  tigre,  et  je  me  sens  poëte. 
Et  je  rêve,  espérant  faire  sortir  ainsi 
Du  procureur  manqué  le  rimeur  réussi. 

AUTRE  Étudiant. 
Tu  fais  des  vers.^* 

AUTRE  Étudiant. 
Parbleu  ! 


LE  MENDIANT. 

difformes 

odieux      costumiers , 
Mais    les    ans    un     beau    jour    viendront,     noirs    costumiers, 
Page  241.       Riez.  —  Un  jour  les  ans  viendront,  lourds  costumiers 5 

horribles  habilleuses, 
Maladie  et  vieillesse,  habilleuses  sinistres, 
Uous  prendront,  beau  jeune  homme,  entre  leurs  mains  calleuses. 
Eteindront  vos  regards  sous  d'affreux  cercles  bistres. . . 

VOIS-JE  POINT  LÀ  DANS  LOMBKE  UN  HOMME  TITUBANT  ? 
dans  la  forêt 

Page  245.       Ayant  aux  carrefours  en  vain  tendu  ses  toiles... 

travaille 

Et  rien  dans  ton  cerveau  ne  s'indigne  et  ne  bout  ! 

Etre       gueux ,      et      rêver  !       c'est      beau  ! 
Page  246.       Gueux,  —  et  tout  bonnement  —  rêveur.'' 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  449 


SUSV&SuiNT  VOCES. 


Mahomet 

Page  248.       Disparaissez  Vishnou,  Bel,  Jupiter,  Mithra! 

triomphe 

Saint-Pierre  seul  gouverne  et  règne. . . 


JE  TE  JUKE  UN  AMOUK  ETEKNEL  ! 


traîtres 
Page  249.       Parlons  net.  Et  soyons  fripons  de  bonne  foi. 

yî7    à    ton    aile 
Page  250.       Pas  de  glu  sur  ta  plume  et  de  plomb  à  mes  jupes. 


ENTRE  LE  ZIST  ET  LE  ZEST. 
Vénus    n'a    qu'à    marcher    pour    se    montrer 

Page  252.       Ainsi,  quand  Vénus  marche,  elle  apparaît  divine. 


XXIII.    CHANSONS. 


J'ADORE  SUZETTE. 

h'une  a  pris  ma  tête. 
Page  2)4.  Suzette  en  toilette. 

Vautre  ma  raison. 

Suzon  sans  façon. 
Page  255.  Si  comme  Suzette 

Soupirait 

Souriait  Suzon. . . 

donne 
Page  256.  Je  quitte  Suzette, 

Pour  garder 
Je  garde  Suzon. . . 


IL  ETAIT  UNE  FOIS.  .  . 


Page  256.       Un  baiser,  qu'en  tremblant  je  pris  à  Rosemondc. 


L'OISEAU  PASSE... 

L'arbre  triste  à  l'horizon 
Page  260.  Le  désert  et  la  maison. .. 

POESIE.   —  XIII, 


29 

IHl'MMtniE     NATIO?<AI.G, 


450       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYRE. 


KIEN  N'EST  COMME  IL  DEVKAIT  ETKE. 
fuis 

Page  267.  Je  hais  ton  jargon,  Zémirc. .. 

quand     le     peuple 
Page  269.  Aussi,  lorsque  Inomme  achève 

Son  rêve. . . 


TOU&NE-TOI  VEKS  CELLE  QUI  T  AIME. 
Le  cœur 

Page  270.  L'amouf  récolte  ce  qu'il  sème. 

Et    les    duchesses    en   gala 

Toutes  les  belles  d Alcala. . . 


CHANSON  DE  BORD. 

l'onde  amère  elt  femme, 
,  c'en  la  femme. 
Page  271".  Marin,  l'onde  est  une  femme. 

bas-fond 

Crains  le  sable,  crains  la  lame. 


Sous  son  grand  crâne  livide. . . 

Et  le  vent  qui  trahit  l'homme 
obéit      a 

après 
La  vague  saute  sur  l'homme  j 
Se   comporte   avec   lui 

Le  vent  se  comporte  comme 
Un  chenapan. 

tout  ce  flot 
Page  272.  Sans  cette  mer  de  ténèbres, 

roule 
Qui  gonfle  ses  plis  funèbres 
Sur 

A  l'horizon. 
Variante  d'une  strophe  barrée  dans  le  manuscrit  Océan  ''^  et  répétée  ici 

La  mer  n'aime  toi  les  hommes; 
Nous  sommes  joyeux;  nom  sommes 
Les  voix,  les  pas; 

(')  La  LJgende  des  Siècles.  * 


Autre  strophe  barrée 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  451 

L'amour    chante  en  notre   couche. 
Un  chant  sort   de   notre   bouche. 
EJle  eff  l'omère  où  tout  se  couche; 
EJle  eB  la  grande  farouche 
^uî  ne  rit ^ as. 

ha  mer  s' appelle  omhre  et  doute. 
Celui  qui  se  met  en  route 

Fait  un  beau  coup. 
Lia  mer  couvre,  trompe,  et  cache. 
Lta  mer  e§i  la  grande  tache 

Sur  le  vrand  tout. 


RONDE  POUR  LES  ENFANTS. 
(Autre  titre  :  chanson  du  gkand-pere.) 

Deux  strophes  inédites  reliées  dans  le  Reliquat  et  datées  du  24  novembre  1876  : 

Vous  êtes  tellement  gentilles. 

Dansez  en  rond. 
Que,  cet  hiver,  quand  les  charmilles 
_  Se  faneront. 

Sous  votre  haleine,  ô  mes  petites. 

Dansez  en  rond. 
Les  jasmins  et  les  clématites 

Refleuriront. 


LE  CHANT  DU  VIEUX  BERGER. 
(Autre  titre  :  canto  del  z>iejo.) 

se  mler 
Page  275.  De  s'épouser,  rayons,  haleines... 

On  entend  rire  un  ch'^'^ 
Page  276.  Le  gai  lapin  sort  du  terrier... 

Et    les     branches 

Les  grands  chênes  chassent  le  jour. . . 

ha  fauve  Diane 
Page  277.  Diane  indignée  a  beau  faire 

sombre 
Un  bruit  fauve  au  fond  des  halliers, 
prude 

Cette  grande  vierge  farouche. . . 

('^  Le  mot  n'est  pas  achevé. 

29' 


452        LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


Et      les      Mes     font 

C'est  réclair  qui  fait  des  serments. . . 

h' alcôve    eii    dans    chaque    humon. . . 
Toute  l'ombre  est  un  grand  frisson. . 


CHANT  DES  SONGES. 

Ahrite'^^vota   som    l'éteignoir. 
Page  279.  Soyez  votre  propre  éteignoir. 

CHANT    DU    BOL    DE    PUNCH. 

Page  284.  (Autre  titre  :  chanson  de  la  flamme  bleue.) 

LE    CHATEAU    DE     L'ARBRELLES. 

Towée^j  'vilaines  tours. 
Page  287.  L'herbe  croît  dans  vos  cours, 

Le  ciel  elt  bleu  toujours. 

Croulez,  vilaines  tours  ! 

Et  le  ciel  eli  bien  aise 

Le  ciel  en  est  bien  aise. 

Quand  on  s'aime  aux  beaux  jours. 
Page  288.  Aimons,  les  ans  sont  courts. 

QVAUD   DALILA,  PAMÉLA,  . . 

harangueurs  des  rois 
Page  290.  Quand  les  avocats  plaidants. 

Trouveront  leurs  droits 
Quand  les  noirs  pédants 
Étroits 

Grondants , 
Et      sur      les      Splendeurs 
Quand  les  harangueurs  des  cours. . , 

LA    BOUKGEOISIE   EST    UN    VEAU... 

Page  292.  Il  pleure  sur  le  progrès, 

ses  loyers 
Sur  ses  profits  qu'on  effleure. . . 

Au  Reliquat,  quelques  ébauches  de  Chansons  : 

MAGLIA,  chantant. 

Tu  veux  engraisser.''  sois  gourmande. 
Bois  de  la  bière  et  non  du  vin. 
Le  secret  de  la  chair  flamande 
Est  dans  la  bière  de  Louvain. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  453 

Jean  vint  à  Paris  de  Riom 
Pour  demander  à  Monsieur  Scribe 
Si  brimborion  vient  de  bribe 
Ou  bribe  de  brimborion. 


L'amoureux  montant  sa  garde 
Ou  faisant  des  mines  croit 
Que  pas  un  ne  le  regarde 
Et  tout  le  monde  le  voit. 


La  madone  en  sa  niche 
Avec  le  bambino 
Regarde  si  l'on  triche 
Au  jeu  de  domino, 
Et  si  l'on  met  l'affiche 
Du  monsieur  Bobino  ! 


MAGLIA. 


En  costume  d'  «  Enchanteur  »  saluant  toute  la  cour  du  landgrave 
et  décrivant  des  cercles  avec  sa  baguette.  (Quelquefois  le  second  vers  a  parte.) 

A 

O  ducs. 
Caducs  ! 
Grands  princes 
Bien  minces. 
Barons 
Tout  ronds. 
Margraves 
Très  graves. 
Marquis 
Exquis  ! 
Bons  prêtres. 
Saints  traîtres, 
Valets 
Fort  laids. 
Ministres 
Sinistres, 
Bouffons 
Profonds  ! 


454       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

Je  vous  admire. 
Je  viens  vous  dire. 
Je  viens  vous  lire 
Et  faire  luire 
L'avenir  ! 


JEAN.  (Dans  son  atelier.  Il  chante.) 

En  haut  rencyclic[ue  ; 
Plus  bas  une  clique  j 
Quelques  mannequins. 
Plusieurs  arlequins. 
Pas  mal  de  pasquins. 
Pillant  nos  sequins  ; 
C'est  la  république 
Sans  républicains. 


LA  CORDE  D'AIRAIN. 

À    LA    FRANCE    DE    1872. 

sacré 
Page  295.       L'humble  prêtre  de  l'art  divin  que  rien  ne  souille 

pensée 
T'apporte  sa  tristesse  et  son  austère  amour. 

Le  théâtre. . . 

devant      la       blessure 
Doit,  quand  saigne  la  plaie  horrible  des  frontières, 

en  deuil 
Ne  dire  au  peuple  ému  que  des  choses  altières. 
L'Hktoire  écoute  et  voit.  ToiUj  qui  que  nous  soyons ^ 
Quand  la  Patrie  en  deuil  baisse  les  yeux  devant 
S^uand  l'auyate  Patrie  a  perdu  ses  rayons ^ 
Sa  vieille  histoire  en  cendre,  à  terre,  éparse  au  vent, 

l'altier 
Quand  le  fier  Capitole  a  fait  place  au  Calvaire, 
Lf  peuple  a 
Nous  avons  pour  devoir  le  souvenir  sévère. . . 

Quand  l'Europe  nous  hait,  nous  qui  la  protégions, 

chansons  , 

Ces  hymnes  qu'on  appelle  Ode,  Drame,  Epopée, 

Peuple , 

Toutes  ressembleront 

Devront  ressembler  tous  à  des  fourreaux  d'cpéc. . , 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  455 


le  peuple 

Page  296,       On  y  verra  la  gloire  en  pleurs  sur  son  grabat. . . 

qui  lave 
Leur  honneur  dans  ce  flot  sublime,  le  danger. . . 

Peuple,    l'art    ne    te    doit 

L'art  ne  doit  aux  esprits  que  des  fêtes  viriles. . . 

tràte  comme  un  homme  ivre 
tristesse 
Si  nous  ne  rêvions  pas,  l'âme  de  colère  ivre. . . 

brave 
Page  297.       Qui  flétrit  son  bourreau... 

haiiions    les    pieds    des 

Si  nous  donnions  raison  aux  rois  riant  entre  eux. . . 

c'est  l'âme 

bette 

'vive 

noble 

sainte 
De  tout  homme  allumée  à  toute  pure  flamme, 
La  raison 

C'est  l'essor  pour  l'esprit,  le  travail  pour  le  corps. . . 

Peuple, 
Ils  sont  chez  nous.  Sur  toi,  France,  leur  sabre  traîne. 

C'est   fini?    non.    C'est    pire'''. 

Ils      ont      pris      notre     terre  ?  la 

Ils  t'ont  pris  ton  bien,  France.?  Eh  bien,  on  le  reprend. 

N'y        consens        poi. 

Peuple 
Non,  France,  non  !  jamais  ainsi  tu  n'as  vécu. 
No» .'  avoir 

Et  la  paix  n'est  la  paix  qu'après  qu'on  a  vaincu. 

Le  genre  humain  buvait  l'art  sublime 

Page  298.       Les  peuples  s'abreuvaient  de  lumière  aux  fontaines... 


I.    APRÈS  SEDAN. 

Droite 

Page  301.       Cinq  milliards.  C'est  fait.  Empoche.  Honneur,  vertu... 

le  lierre 
Comme  la  ronce  croît  I 


(')  Variante  inachevée. 


456       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

formé    de    tous    ces    rois 
Page  302.       Un  tribunal  de  rois,  fier,  auguste,  hideux... 

regardez-le  bien,  ce  passant,  vous  qu'on  nomme 
Mais  regardez-moi  bien,  vous  tous,  césars  de  Rome, 
Les  maîtres  et  les  rois,  car  ce  passant,  c'est  l'Homme. 
Maîtres  du  monde,  rois,  papes,  je  suis  un  homme. 

"Visible    à     tous,     à     l'homme     ainsi     qu'à 
Eblouissant  tout,  l'homme  ainsi  que  l'animal. . . 


II.    A  DES  RÉGIMENTS  DÉCOURAGÉS. 

braves 
^  vaillants 

Page  303.       O  nos  pauvres  soldats,  oui,  vous  avez  fléchi. 

Hélas j  nous  vous  avons 

Indignés,  nous  avons  crié  :  Taisez-vous,  lâches  ! 

guides 
Et  pour  chefs  des  valets,  et  pour  maîtres  des  cuistres. 

pauvres 
Ah  !  sombres  cœurs  brisés  et  qu'emplit  l'amertume  ! 

Vaincus ,  relevez-vous  ; 

Espérez,  ô  vaincus  !  ce  n'est  pas  la  coutume 

haiisê. 

De  la  France  d'avoir  longtemps  le  front  courbé. 

Rentre^  dans  entre  à 

Subissez  le  malheur  comme  on  subit  l'école  ; 

Ayez       l'utile       ennui 
Ayez  fureur 

Couvez  l'âpre  courroux  des  cœurs  humiliés. 

Soit.  Pour  un  instant,  fils  de  France,  vous  pliez. 

Si    las    que 

Page  304.       Hélas,  et  vous  avez  fait  un  pas  en  arrière. 

Mais  bientôt  cette  armée  en  qui  Rome  vivait 

Frémissait ,    avait    honte , 

Rebouclait  sa  cuirasse,  et  rentrait  en  campagne. 


III.    DESTRUCTION  DE  LA  COLONNE. 

gardienne  de  nos  droits. 
Page  305.       Cette  colonne  était  toute  pleine  de  voix... 

un  monde 

On  entendait  le  peuple  en  ce  bronze  bruire. . . 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  457 


sombre 
Calme,  elle  avait  pour  socle  un  sourd  amas  d'armures. 
Page  306.       Cette  colonne  avait  pour  socle  un  tas  d'armures. 

E/  triomphait  des  rois  et  non  des  nations. 

insultait 

blessait 
Elle  offensait  les  rois  et  non  les  nations. 

Afin  qu'on  pût  juger  les  pas  que  nous  faisions , 

indiquait  partirent  nos  pères, 

Elle  fixait  le  point  d'où  nos  pères  partirent  j 
hes  révolutions  commentant  par  les  guerres , 
Elle  indiquait  les  lieux  d'où  les  flots  se  retirent, 
Et  fauchant  le  passé,  haUier  noir,  boii  épais. 
Et  rattachait  aux  jours  nouveaux  les  jours  anciens  ; 
Complétait  leur  bataille  immense  par  la  paix. 
Après  les  grands  soldats  place  aux  grands  citoyens  ! 

L'ennemi       n'osait       pas 

Les  rois  n'osaient  venir  la  regarder  de  près. 

EUe  eli  tombée,  hélas. 

Hier  elle  tomba,  la  grande  solitaire. 

elle      fut 
On  a  pu  mesurer,  quand  on  l'a  vue  à  terre, 

de  gloire 
Tout  ce  qu'on  peut  ôter  d'orgueil  en  un  instant. . . 

clameur 

Page  307.       Entendirent  dans  l'ombre  une  rumeur  pareille... 

Je       pars       avec       Arcole 

Soit.  Je  pars  avec  Ulm  et  Wagram. 


LA       CHUTE 

V.    APRÈS  L'ÉCROULEMENT  DE  L'HOMME. 

fermer 
Page  309.       Pour  venger  le  passé,  pour  sauver  l'avenir... 

Cet  homme 
frappé.    César 
Et  j'ai  lutté.  Ce  maître  était  là  sous  son  dais. . . 

à  genoux. 
Et  la  foule,  à  ses  pieds,  tandis  que  je  frappais, 
S' étonnant  ne  point  l'absoudre. 

S'étonnait  que  quelqu'un  osât  rester  honnête  ; 
Adorait  l'empereur  fumant  de  coups  de  foudre. 
L'ignominie  était  devenue  une  fête. . . 

^  du    haut    de 

O  Guernesey,  debout  sur  tes  fières  collines, 

de    loin 
Je  lui  jetais  d'en  haut  des  feuilles  sibyllines. . . 


4)8        LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


fouler    aux    pieds    ce 
Page  310.       Et  les  passants  marcher  sur  César  misérable. . . 

mal 
Le  tort  ne  suffit  pas,  il  me  faut  le  péril. 

3e  laisse  un  monSîre  en  paix  dans  ce  qui  l'engloutit 
Paix  au  monfîre  impuissant  !  mon  dédain  l'engloutit. 
Et  dans  mon  dédain  calme  et  pensif  j'engloutis 
S'il  n'e!i  plus  asse"^  fort  ou  s'il  efi  trop  petit. 

qui  sont  morts,  les  gueux  qui  sont  petits. 
Les  monstres,  s'ils  sont  morts,  ou  bien  s'ils  sont  petits. 

La  foudre  veut  un  but,  et  se  trouve  inutile 

mourant 
le  dragon  gisant 
Sur  l'hydre  inanimée  ou  l'acarus  reptile, 

he  justicier j  qui  va  combattre  au  ciel  Dagon, 

combattant    et 
Et  le  noir  justicier,  sur  les  cimes  frappant, 

dragon. 

Laisse  vivre  le  ver  et  pourrir  le  serpent. 


VI.    L'ORGIE  DES  MEURTRES. 


he  meurtre  a  beau  vouloir 
Page  311.       L'assassinat  a  beau  prendre  un  air  innocent, 

AUéguer    qu'il    a    fait    telle    ou     telle    rencontre. 

Jurer 

Prouver  ce  qui  n'est  pas,  nier  ce  qu'on  démontre  ; 

Expliquer  ses  raisons,  dire  son  Pour  et  Contre  j 

J^il    elt    l'ami    du    peuple    ou    l'ami    de    la     loi. 

Que,  si  l'on  ne  mettait  personne  hors  la  loi. . . 

houvois. 
Page  312.       Qu'il  se  nomme  Albe,  Omar,  Cromwell,  Bellart,  Marat. 

ie      haii      le      crime 

Malheur  au  meurtre  autant  d'un  côté  que  de  l'autre  ! 

honteux, 
,  sanglant , 
Chacun    des    deux    partis    songe    et    cache    sa    main. 
Qui  que  tu  sois  qui  fus  bourreau,  cache  ta  main. 

Nul         penseur         n'a         pour         la         férocité 
Jamais.  Nous  n'aurons  point  pour  le  meurtre  hébété 

Ce  pardon  qui  ressemble  à  la  complicité. 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  459 


à      consolerj 
Moij       l'âme       opiniâtre       accoutumée 

qu'une      âme      opiniâtre      a      plaindre  ^ 
Moi  qui  ne  suis  qu'un  homme  ayant  pour  loi  de  plaindre, 
A    lutter,   a    ne   rien    maudire,    à 

De  lutter,  de  ne  rien  tuer,  de  ne  rien  craindre. . . 


Mais  je  hais,  comme  étant  aux  rouges  ressemblants, 

"Vous,  les  meurtriers 

Les  fratricides  noirs  et  les  assassins  blancs. 


Tous  les  bourreaux, 

Page  313.       Hajnau,  Cissej,  Jourdan-coupe-téte  et  sa  hache. 


VII.    OUIj  L'ON  A  SAUVE  L'OKDKE  El  L'ETAT... 
qui       déporte       a       fumé 

Page  314.       Le  steamer  pourvoyeur  du  bagne  est  dans  nos  havres  j 

Le  bourgeois  a 

On  a  pendant  huit  jours  enjambé  des  cadavres, 

Pour     rentrer     dans     sa     rue,     il 

Des  fosses,  des  mourants  j  on  s'est  habitué  j 
On  a  très  vite  fait  justice  ;  on  a  tué 

bons,  méchants, 

Hommes,  femmes,  enfants,  tout  un  peu  pêle-mêle... 

^ue    naguère    les    rois    nomm...  '"' 

Qui  de  la  tyrannie  étaient  les  fossoyeurs. . . 

Quelque      excès      elî 

Page  315.       Les  faux  coups  sont  permis  en  de  si  durs  combats. . . 

Témoignage 

Cette  preuve    d'ivresse   et   d'orgueil,    le   silence. 

Ce  cri  d'enthousiasme  et  de  bonheur  :  Silence  ! 


puissant 

Qu'un  poing  sauveur,  sorti  des  ténèbres,  l'étreigne. 


dont  l'Europe  est  bien  aise 

De  là  ce  grand  succès  :  l'ombre  dans  la  fournaise. . . 


Ce  peuple  qui  bouillait 

Ce  Paris,  bouillonnant  comme  le  flot  dans  l'urne... 


('^  Le  mot  n'est  pas  achevé. 


46o       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


VIII.    EN  BELGIQUE  —  {ET  PEUT-ETRE,  HELAS  !  AILLEURS  ENCOR  !  ) 

Je     l'ai     dit     quelque     part     et     le     constate     encor  ''' 
Page  3  i6.       En  Belgique  —  (et  peut-être,  hélas!  ailleurs  encor!) 

belge 
La  magistrature  âpre  et  sombre  est  un  mouton. . . 

Venger 
Sauver 

Servir  l'ordre  en  mettant  à  sac  une  maison. . . 

Hugo 
Page  317.       S'il  s'agit  d'un  français  quelconque,  d'un  quidam. . . 

T/'oj'f^/  que  c'eft  beau!  Chut!  Amuse'^vous ,  jeunesse. 

Après  tout,  c'est  bien  fait.  Amuse-toi,  jeunesse! 

C'est  bon.  Ces  étrangers 
On  fait  bien.  Ces  françaii 
Bravo  !  ces  Franquillons  ne  sont  que  des  bélîtres  ! 

Garder  l'homme  attaqué  !  Non,  celui  qu'on  défend, 
l'assassin 

C'est  l'agresseur. 


IX.    \  UN  ROI  DE  TROISIÈME  ORDRE. 

Page  318.       De  plus,  un  acarus,  dans  un  journal  cloporte. 

M'insulte 

M'outrage  de  ta  part  et  de  la  part  du  ciel  ; 

Et     l'affront     eff     royal     étant     officiel. 
Affront  rojal  qui  bave  en  style  officiel. 
ie  trouve  a  ton  altesse 
Je  ne  te  réponds  pas.  J'ai  cette  impolitesse. 
Trop      de     présomption      et      trop      de      petitesse. 
Vois-tu,  roi,  ce  n'est  pas  grand 'chose  qu'une  altesse. 

Ton  journaliste  et  toi,  je  vous  ignore,  étant 
Fort  occupé  des  fleurs  que  Dieu  dans  cet  instant 

ce      mois      étant      le 
jouir  du 

Nous  prodigue,  et  voulant  fêter  le  mois  des  roses. 

chasseur    pensif,    sous    les    arbres 
J'erre,  fauve  chasseur,  dans  les  halliers  épais... 


(1) 


Cette  variante  est  précédée  d'un  point  d'interrogation. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  461 


la  foret  par 
Afin  de  rassurer  le  monde  avec  mes  chants  ; 

Je  tiens  à  la  grandeur  des  têtes  qui  m'attaquent  ; 

ces  brutes 
tigres 
Je  ne  suis  pas  fâché  quand  des  hons  m'attaquent. . . 

je    n'ai   poi 

Page  319.       Mais  j'ai  fort  peu  le  temps  de  me  mettre  en  fureur. 

Et      je      tiens      à       rester      paisible 
Et  j'aime  mieux  rester  tranquille.  Je  médite 
Sur  la  terre,  bénie  au  fond  des  cieux,  maudite 

prêtre  aveuglant. 

Au  fond  des  temples  noirs  par  le  fakir  sanglant. . . 

auguste 

Un  élargissement  immense  de  clarté. . . 

profond 
Par  le  divin  babil  des  nids  mélodieux. . . 

la  firophe  et  l'autan 
Car  l'orage  et  le  vers  seraient  de  vils  moqueurs. . . 

...  Je  veux 

_  À  tous  les  Ipkinx  du  gouffre 

Aux  énigmes  du  sort  arracher  des  aveux, 

lentement 
Ecarter    doucement    les    doigts   noirs    de 
Leur  ôter  notre  cœur  qu'elles  ont  dans  leur  serre. . . 

Et  je  creuse 

Page  320.       Et  j'apprête  au  progrès  sa  route  dans  l'espace. . . 


X.    ALSACE  ET  LORRAINE. 

la  nuit  se  fixe  horrible 
Oh  !  que  l'ombre  s'arrête  affreuse  sur  mon  front. 

Page  321.       Jours  que  de  noirs  essaims  d'Euménides  suivront  ! 
Du  cheval  de  la  mort  chaussant  les  étriers 

Eclaboussés  de  sang  du  casque  aux  étriers... 

le  pâle  et  tremblant 

Se  ruant  sur  l'auguste  et  sombre  genre  humain. 

empile 

enfouit  volé 

Page  322.       On  enterre  l'argent  pillé,  les  deux  provinces. . . 

aux        carrousels 
a  l'Opéra 

On  traîne  aux  bals  charmants  ses  royales  paresses. . . 


462       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


cette  paix  sombre. 
Ces  gloires,  ces  traités  haineux,  cette  infamie. 

haine  ! 

Bonheur  !  concorde  !  Plus  de  courroux  !  Plus  d'effroi  ! 

Marche";^,      hommes     de      nuit. 

Allez,  marchez.  Toujours  derrière  la  victoire... 

réveillés  ! 
Page  323.       Ossements  remués  ! 

Et  les  vengeurs. . . 
Uaincront 
Page  324.       Viendront,  et  je  verrai  cela,  moi  qui  suis  vieux! 

pèse  nos  sacs  d'écus, 
compte  les  sacs  d'argent. 
Quand  on  vide  nos  sacs  d'écus,  quand  nous  avons. . . 

Mais,  princes,  cette  chose  étrange,  la  justice, 

palais 
Existe 5  et,  quel  que  soit  le  château  qu'on  bâtisse... 

Vos  peuples  sont  déjà  repentants  de  vous  voir 
de  force, 
d'audace. 

Tant  d'ivresse,  un  tel  sceptre  aux  mains,  tant  de  pouvoir  j 

Hélas,  ils  vous  ont  faits. 

Ils  VOUS  ont  couronnés,  ne  sachant  pas  qu'un  Louvre... 

Nou^  les  savons.  C'efl  nous  que  l'aurore 
Page  325.       C'est  nous  que  le  matin  mystérieux  connaît  j 
C'eH  pour  nom  qu'elle  vient.  Ce  qui  luit. 
Ce  qui  germe ,  ce  qui  s'avance ,  ce  qui  naît. . . 

che";^  nous  chantent 
Leurs  fraîches  voix  sont  là  chantant  les  grands  défis. . . 

La  paix  n'est  pas. . .  ''' 

Le  châtiment  boiteux  le  suit  et  le  rejoint. . . 

d'appui 
Nous  n'avons  plus  d'amis,  plus  d'argent,  plus  d'armée... 

gtt    dans    la    forêt] 
Mais  quand  l'assassiné  saigne  dans  le  bois  sombre. . . 

La   concorde 
Page  326.       Le  saint  travail,  la  paix,  la  liberté, l*  amour.. . 


t')  Variante  inachevée. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  463 

XI.    LA  LIBÉRATION  DU  TERRITOIRE. 
(Autre  titre  :  monologue.) 


Page  327.       Et  les  beaux  enfants  blonds,  bercés  dans  les  chimères. 

Doux,  charmants. 

Souriants,  et  je  songe  à  vous,  ô  pauvres  mères. 
Je  consens,  si  l'on  veut,  à  regarder,  je  vois 

Partout  fouhli  joyeux j  les  chants 

Ceux-ci  rire,  ceux-là  chanter  à  pleine  voix. 

Le     rire,    et    dans    le    fond    de    l'ombre  j 

La  moisson  d'or,  l'été,  les  fleurs,  et  la  Patrie. . . 

Bientôt    le    chasseur    noir 

Avant  peu  l'Archer  noir  embouchera  le  cor. . . 

râk 
Quand  un  peuple  gisant  se  voit  le  flanc  ouvert. 
L'oiseau  peut  ga'iouillerj 

Avril  peut  rayonner,  le  bois  peut  être  vert. 
On    peut    dans    la    prairie    entendre    des 
L'arbre  peut  être  plein  de  nids  et  de  bruits  d'ailes. . . 


pensifs 

Mais  les  canons  muets  écoutent  une  voix. . . 


Page  328.       Quoi!  vous  n'entendez  pas  tandis  que  vous  chantez, 

O  peuple. 

Mes  frères ,  le  sanglot  profond  des  deux  cités  ! 

Quoi  !  nous  croire 

tient  captive 
Affranchis,  lorsqu'on  met  au  bagne  notre  gloire... 

doux  pleins  de  colère 

Quand  nos  frais  écoliers,  ivres  de  rage,  épellent 
Quatrevingt-douze ,  afin  d'apprendre  quel  éclair 
Sort   de    l'âme  coeur 

Jaillit  du  cœur  de  Hoche  et  du  front  de  Kléber. . . 


Le  vautour  ténébreux  ttotultient  tous  dans  ses  sirrts 

L'aigle  des  nuits 

L'aide  vautour 

Le     même     aigle     nous    tient     prisonniers 

L'horrible  aigle  des  nuits  nous  étrcint  dans  ses  serres. . 


\ 


464       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

J'eftime  '*' 
Toute  autre  délivrance  est  un  leurre  ;  et  la  honte , 

Tache  qui  croît  sans  cesse,  ombre  qui  toujours  monte, 

siècle 
Reste  au  front  rougissant  de  notre  histoire  en  deuil. . . 

fierté 

Et  pas  une  cité  n'est  entière. . . 

sombre 
âpre 

Rien  ne  nous  fait  le  cœur  plus  rude  et  plus  sauvage. . . 

hes  entres  libres 

Le  soleil,  les  oiseaux  chantants,  les  vastes  cieux! 

Avenir'.  Avenir!  ^ 

Non,  je  ne  suis  pas  libre.  O  tremblements  de  terre! 

rampe 

Page  329.       Je  râle  sous  le  poids  de  l'avenir  grondant. . . 

a        nos        aïeux 
J'envie  aux  vieux  romains  leurs  couronnes  de  chêne. 
Et    je    suis    d'une    humeur    farouche,     et , 
Je  veux  qu'on  soit  modeste  et  hautain  ;  quant  à  moi. . . 

S'ils  sont  czars   au  Kremlin   ou   shahs  à 

S'ils  arrivent  du  Caire  ou  bien  de  Téhéran. . . 


lointaine 
Dans  une  ombre  hideuse  où  des  nations  meurent. 


sabres 
Et  des  clairons  sortis  à  peine  de  prison, 

point,  éperdu 
Tant  que  je  n'aurais  pas,  rugissant  de  colère... 

O  peuple,  toi  qui  fus  si  beau,  toi  qui  naguère 

fièrement 
Ouvrais  si  largement  tes  ailes  dans  la  guerre. . . 

l'ombre , 
Page  330.       Toi  qui  balayas  tout,  l'azur,  les  étendues, 

royaumes 

Les  espaces,  chasseur  des  fuites  éperdues... 


(')  La  rime  à  cette  variante,  sous  le  texte  définitif  écrit  en  surcharge,  est  illisible. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  465 


Le  désastre 
...  La  défaite  a  des  conseils  sincères. . . 

,  piaffer 

A  quoi  bon  galoper  devant  l'Europe  hostile  } 

Je       pense 

Et  je  crois  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  tant  se  hâter. 

Hohenlittden, 

C'est  Jemmapes,  l'Argonne,  Ulm,  léna,  Fleurus! 

eSÎ  fameux 
Et  leur  nom  resplendit  du  zénith  au  nadir  !  — 

vengeurs 
Il  faut  qu'on  dise  :  —  Ils  sont  les  amis  vénérables 

des    souffrants    en    pleurs. 
Des  pauvres,  des  damnés,  des  serfs,  des  misérables, 

fiers 
Les  grands  spoliateurs  des  trônes ,  arrachant. . . 

l'homme 
Page  331.       Ils  sont  les  bienvenus  partout  où  quelqu'un  souffre. 

de  feu 
Ils  sont  l'essaim  d'éclairs  qui  traverse  la  nuit. 

écoutant    leur     pas 

Et  que  l'homme,  adorant  leur  pas  audacieux. . . 

J'attends      le      cri      vengeur      des      peuples      indignés. 

le    cri    vainqueur 
J'attends  l'emportement  de  tout  le  genre  humain  ! 

Oui,     tant    que    vous    rie^    et    tant    que    vous    régne'r, 

Oui,    tant    qu'à    ce   grand    siècle 

Tant  qu'à  ce  siècle  auguste  on  barre  le  chemin, 

Kois,   tant   que   votre  patte    infâme   eSt  sur 

Tant  que  la  Prusse  tient  prisonnière  la  France. . . 

tourmenté 

Dans  l'orageux  désert  remué  par  les  vents. 

L'ombre  eft  noire, 

Et  j'écoute  ;  et  j'attends  que  le  sépulcre  s'ouvre. 

^  guerriers 

Page  332.       O  nos  soldats,  lutteurs  infortunés,  phalange... 

L'étranger  à  cette  heure,  hélas!  héros  trahis, 

honneur 
Marche  sur  votre  histoire  et  sur  votre  pays  j 

POESIE.  —  XIII. 


30 

IMPHHKRIE     HATIOSilE. 


466       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

Ah  !  et  ces  princes 

Oui,  VOUS  avez  laisse  ces  reîtres  aux  mains  viles 
Prendre,  comme  un  butin  dam  les  hoii,  nos  provinces, 
"Voler  nos  champs,  voler  nos  murs,  voler  nos  villes, 

tambours  muets, 
Strasbourg,  Met";^,  nos  clairons  souillés, 

fleuves,    nos   forêts. 
Nos    villes,    nos    autels,    nos    toits,    nos    sacs    d'écus, 

l'exploit 
Et  compléter  leur  gloire  avec  nos  sacs  d'écus. . . 

la     nuit     des     hontes 
Vous  êtes  dans  le  puits  des  chutes  insondables. . . 

Oui,         voui  terrasserez 

"Vbus  foulerez  aux  pieds  Fritz,  Guillaume,  Attila... 

tristes 
Et  jusque-là,  soyez  pensifs  loin  des  parades, 

foBes 
Loin  des  vaines  rumeurs,  loin  des  faux  cliquetis... 


XII.    LE  LIONCEAU  SONGEAIT;  IL  ETAIT  TOUT  PETIT. 

l'antre 
Page  335.       Loin  du  soleil,  dans  l'ombre  où  les  rayons  s'émoussent. 

Un  vengeur  manque  au  monde  ;  les  rois, 

Laissez-moi  vous  dire  que  les  rois. 

Font    le    mal,    sont    hideux. 

Lugubres,  font  le  mal,  foulent  aux  pieds  les  droits, 
la  raison. 

Les  vérités,  Thonneur,  la  vertu,  la  justice... 

^  Tibre 

A  celui-ci  le  Nil,  à  celui-là  le  Rhin. . . 

trône   affreux 

Page  336.       Leur  faux  pouvoir  devant  l'éternel  Dieu  se  dresse... 

sanglants 
Ils  sont  dorés,  ils  sont  fangeux. 


XIII.    0  KOYAUTE  !  TAS  D'OMBKE  !  AMAS  D'HOKREUK,  D'EFEKOI. 


guerre , 
Page  337.       Tempête  d'ignorance,  et  de  naine,  et  de  nuit. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  467 

Autre  version  reliée  au  Reliquat  : 

Boite  aux  lettres. 


Ô  royauté  pliant  à  la  fin  sous  le  faix  ! 
Epanouissement  lugubre  des  forfaits  ! 
Expiation  formidable  ! 

Tristan  répercuté  par  Marat  !  châtiment 
Qui  monte  l'escalier  des  siècles  lentement  ! 

Noir  paiement  des  dettes  sans  nombre  ! 
Ah  !  les  pleurs,  le  soupir  qui  dans  la  geôle  éclôt, 
La  cruche  d'eau  mêlant  son  sanglot  au  sanglot 
sombre        bouche        hagarde!^''' 

De  la  bouche  cjui  boit  dans  l'ombre  ! 

terreur      des      longs     siècles 
Oui,  toute  la  clameur  de  vingt  règnes  de  deuil, 

La  prison  ne  cédant  son  captif  qu'au  cercueil , 

Dernier  geôlier  des  monarchies, 
La  sombre  voûte  basse  au  fond  des  vieux  manoirs. 
Habituée  à  voir  entrer  des  cheveux  noirs 

Et  sortir  des  têtes  blanchies. 

Le  grincement  de  dents  sous  le  masque  de  fer, 

L'in-pace,         le        cachot 

L'affireux  cachot  profond  d'où  l'on  entend  l'enfer. 

Les  carcans,  les  chaînes,  les  grilles. 
Les  cris  que  sous  l'amas  des  tours  nous  distinguons. 
Le  roulement  horrible  et  monstrueux  des  gonds 

Des  cent  portes  des  cent  bastilles, 

cliquetis 

Le  tumulte,  pendant  douze  cents  ans  d'écrous 
De  tous  les  cadenas  et  de  tous  les  verrous 

la  vieille 
De  toute  la  prison  française, 

Tout  cet  effrayant  râle  et  tout  ce  désespoir 

Sont  dans  le  bruit  que  fit  la  clef  du  Temple  un  soir 

En  se  fermant  sur  Louis  seize. 


(•)  Variante  restée  sans  rime. 


468       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


XIV.    J2U0J  DONC  !  AVOIK  POUK  BUT  CETTE  LACHETE,  PLAIRE  ! 

utikj 

Page  338.       Se  donner  cet  emploi  noble,  auguste,  exemplaire... 

Être    pour,     être    contre j     au    gré    des    multitudes  !  ^^'^ 

Etre  contre,  être  pour,  suivant  le  baromètre  ! 

la  raison. 
Non  selon  le  devoir,  mais  selon  le  succès  ! 

Quand  dans  une  ombre  énorme  et  triste  on  aventure 

j  rire    et 
Toutes  les  vérités  en  deuil,  dire  :  C*est  bon  ! 

ma  volonté 

Si  c'est  mon  intérêt,  le  cygne  est  une  orfraie. 

Et      de      ce      fier 

Peuple,  et  de  ce  lion,  le  droit,  je  fais  mon  chien  ! 

Un      philosophe 
Page  339.       Quoi  !  le  penseur  aura  tonné  superbement 

honteux 

Mettre  un  lâche  sourire  au  masque  de  Méduse  ! 


XV.      UN    GRAND    SABRE    SERAIT   D'UTILITE    PUBLIQUE. 
(Autre  titre,  rayé  :  monologues  du  bourgeois  rêveur  ?) 

Toujours    leur    dent    mordit    quand    leur    bouche    parla. 
Tout       notre       malheur 
Le      malheur      public      vient 
Page  340.       Le  mal  des  hommes  vient  du  premier  qui  parla. 
Ils  vont  Lumière  !  e^oir  ! 

On  va  criant  :  Progrès  !  Fraternité  !  Courage  ! 

Le   peuple    était    heureux 

Jadis  tout  allait  bien  pourvu  qu'on  se  tînt  coi. 

Oh  !      que      l'intelligence      humaine      eH 
Page  341.       Votre  progrès  n'est  rien  que  fatigue  imbécile  ! 

décourageât 
Et  qu'on  remît  sous  clefs  et  qu'on  paralysât. . . 


(i)  Variante  restée  sans  rime. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  469 


Le    peuple    ose    compter, 

La  plèbe  ose  exister,  gouverner,  usurper  ! 

le  prêtre,    et   l'autel. 
Se  ruant  sur  l'autel,  sur  la  loi,  sur  le  roi  ! 

renversement 
Oh  !  quel  déplacement  tragique  de  l'effroi  ! 

effrayants 

L'inexorable  pleure  et  les  terribles  tremblent. . . 

passé 
Et,  rayonnante,  vient  au  monde  reprocher... 

Oh  !  tant  qu'on  n'aura  pas  mis  hors  d'état  de  nuire 

admirer 
vient  creuser,    réchauffer. 

Tout  ce  qui  veut  créer,  chauffer,  féconder,  luire, 
bon     vieux    monde 

Tant  que  le  vieux  bon  ordre  encourra  le  péril. . . 

surnage       seul       alors       que 

Page  342.       Où  l'on  puisse  être  seul  sauvé  quand  tout  chavire. 

la  science, 
—  Ceci,  c'est  l'utopie,  et  ceci,  le  calcul... 

prodige      implacable 
Conjurer  le  mystère  inquiétant  qui  fait. . . 

a  peur, 
Caïn  pleure.  Judas  gémit,  Phalaris  soufifre. 


XVI.    AUX  HISTORIENS. 
(Autre  titre  :  pas  de  circonstances  atténuantes.) 

guet-apens 
Page  343.       Ne  me  racontez  pas  un  opprobre  notoire... 

<^i  !  mettre  une  sourdine  h  ma  rage  trop  prompte! 
Je  frémis,  la  rougeur  au  visage  me  monte, 
^Uûi!  peser  devant  moi 

S^on  me  fasse  peser  le  pourquoi  de  la  honte  !'^^'> 
Voilà  tout.  Je  veux  être  un  ignorant  de  honte. 

la  trahison 

Auxquels  vient  s'ajouter  le  guet-apens  d'un  lâche. 


(')  Ces  deux  variantes  sont  dans  les  brouillons. 


470       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

fourbes 
Historiens,  ayez  les  traîtres  en  dégoût... 

„^o«    m'explique    comment    il    se    fait    qu'un 
Page  344.       Vous  me  ferez  toucher  du  doigt  que  ce  soldat, 

grand 

Ayant  le  fier  devoir  de  mourir  pour  mandat. . . 

Et    qu'il    devint    lui,     chef    de    haute^^'^ 

Qu^il  a  pu  devenir,  souillant  sa  renommée. 

Un  lâche 

Transfuge. . . 

vandale  heureux 
Quand  le  malheur  public  sous  ma  fenêtre  passe. 

Dupont 
Marmont 

Je  ne  veux  pas  savoir  si  ce  gueux  se  méprit. . . 

L'âme        de         Ganelon, 

Marmont , 
Le  cerveau  de  Clou  et,  le  cœur  de  Dumouriez. 

Page  345 lorsqu'il  ose 

Compter  sur 

Espérer        'votre        appui. 

Vous  porter  son  dossier,  vous  charger  de  sa  cause. . . 

d'un     flanc      de      patrie 
la    France 
Quand  il  s*agit  du  flanc  de  ma  mère  entr'ouvert, 

l'ahjeâ  effroyable 

Quand  l'impur  ouvrier  d'une  exécrable  trame, 

son 

Monk  livrant  un  pays,  Deutz  livrant  une  femme, 
Anitm,       Vêrinet, 
Ganelon,       Dumourie'^, 

Coriolan,  Leclerc,  Pichegru  m'apparaît. 

Quand  j'entre  dans  cette  âme  et  dans  cette  forêt, 

songe 
Je  tremble. . . 

Pas    de    grâce  ! 
Il  faut  punir  ! 

la  gloire 

Page  346.      Et  la  vertu,  la  foi,  la  probité,  l'histoire. 

Ressemblent        aux 

Sont  comme  des  rayons  dans  la  mer  engloutis. 


^')  Ces  deux  variantes  sont  dans  les  brouillons. 


VARIANTES  ET  VERS  INÉDITS.  471 


lâche  Judoi 

Le  fourbe  autour  duquel  Satan  vient  chuchoter. . . 

peuples 

Ne  faisons  point  douter  les  hommes  ;  laissons-leur 

fourbe. 

L'horreur  du  meurtrier,  du  menteur,  du  voleur. . . 

l'onde 
dans  l'ombre  immense 
en      pleine      mer 
l'étendue 

Page  347.       L'esquif  dans  l'eau  diffuse  a  son  avertisseur, 

avance 

La  boussole  ;  il  navigue  ;  et  les  hommes  ont  l'âme. 

flambeau , 

Laissez-leur  ce  conseil,  laissez-leur  cette  flamme... 

houleuse 

La  vie  étant  brumeuse  et  l'ombre  étant  profonde. . . 

flamboyant 
Dieu,  c'est  la  vérité  rayonnant  au  milieu 
Du     mal,    de    l'imposture 
Des  ténèbres,  du  doute  et  de  l'idolâtrie. 

se  lamente 
la  nef  lutte  et  flotte 
Page  348.       Quand  le  navire  lutte  en  proie  aux  aquilons! 


PROGRES 

XVII.    VICTOIRES  ET  CONQIJÊTES  DE  LA  RELIGION. 


Tout   va   bien.    Le   vieux 
Sanchez 

Page  349.       Tartufe  est  grand.  —  L'église  avait  la  maladie  ; 
// 
Elle  est  en  traitement  chez  le  docteur  Véron. 

prie      et      croit.      Poiijuin 
Sbrigani  joint  les  mains  -,  Crispin  rentre  au  giron  ; 
Scapin  s'en  fait   vendeur 
Pasquin  est  parfumé  de  myrrhe  et  de  cinname. 

d'en  face 
Au  paradis  Veuillot  il  s'est  fait  séraphin. 

d'achever    en     libelle     un 
d'aiguiser 

n  sait  l'art  d'ajuster  le  libelle  au  cantique. . . 

Consciences,  c'en         moi 

Honnêtes  gens,  c'est  moi  qui  vous  passe  au  tamis. 

La    raison    sans    le    dogme 

La  conscience  humaine  étant  une  bagarre. . . 


472        LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

du  dogme 

Page  330.       La  pensée  en  dehors  d'Ignace  est  un  abus... 

Le      libre      eShrit 

Une  âme  libre  ouvrant  ses  ailes  lui  déplaît. . . 

Jupiters 
Il  emploie  à  servir  les  Jehovahs  fourbus. . . 

notre      raison 
Plantant,  pour  empêcher  que  l'esprit  humain  passe 
Et  que  nous  enjambions  l'obftacle  âpre  et  bénij 
Au  delà  de  la  bulle  In  Cœna  Domini.., 


XVIII.    0  SOMBKE  FEMME,   UN  JOUR,  N'AYANT  PLUS  DE  ROYAUME. 

Page  351.       —  Le  sceptre  importe  peu.  Que  faisait  ta  quenouille 

— ■  O  Seigneur,  tout  un  peuple  à  mes  pieds  se  courbait. 
Pendant  que  tout  un  peuple  à  tes  pieds  se  courbait  ? 


XIX.    LA   QUESTION  SOCIALE. 

(Autre  titre,  rayé  :  inutilité  des  expédients.) 

Croje^-moi,         Ce         n'efi         point 
Page  35  2.       Non,  non,  non.  Ce  n'est  point  par  la  ruse,  vous  dis-je. .. 

raconté         par 
Jésus-Christ,  tel  qu'il  est  dans  saint-Luc  et  saint-Marc... 

Dufaure  ; 

Et  voyait  la  justice  autrement  que  Delangle  j 

qu'un     estoc     de     part     en     part     perfore 
^  qu'une     bande     assomme,     égorge,     étrangle, 

A  rhomme  qu'on  assomme,  à  l'homme  qu'on  étrangle.. 

La  mer 

L'abîme  est  la  demeure  orageuse  de  Dieu  j 

domptera 

On  ne  calmera  pas  cet  effrayant  milieu. . . 

l'horreur 

Page  353.       Il  voit  le  fond  de  l'ombre  où  Léviathan  passe. . . 

fermente 
a  chaud 

Son  équateur  bouillonne  et  ses  pôles  ont  froid. . . 

rêve 
cherche 

Le  douteur  ne  voit  rien,  le  penseur  trouve  un  monde. 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  473 


XX.    CROIS-TU  DONC  ^U'ON  SERA  CESAR  SANS  L'EXPIER  ? 


le  payer, 
Page  354.       Crois-tu  donc  qu'on  sera  César  sans  l'expier? 
0     songeur,        et 
Qui  donc  t'a  dit  qu'on  puisse  être,  sans  récompense. 

subira 

Hélas  !  et  souffrira  ce  tourment  sous  le  ciel. . . 


XXI.    JEUNES  HOMMES  ECLOS  SOUS  L'EMPIRE  RAPACE. . . 

Imberbes    et    pédants  j 
Page  355.       Frais,  roses  et  glacés,  vous  dites  quand  je  passe... 

. . .  Un  hibou 
F  Aurore.  Ayant 
N'a  pas  le  droit  d'aimer  le  soleil.  A  son  âge. . . 

Tas  de  mots  creux. 
Enfantillage. 

Barionj 
Qu'en  fera-t-il.?  Aïeul,  quitte  ce  qui  te  laisse. .. 

chauvej 
Quand  l'homme  est  vieux,  il  sied  que  l'âme  soit  ridée. 

Nés    d'hier j    nous    aimons 

Page  356.       Ah  !  comme  c'était  bon ,  les  antiques  usages  ! 

Faut-il       que       ce       soit 
Noos  naissons,  et 

Quoi  !  nés  d'hier,  c'est  nous  dont  la  raison  éduque 
imprudente 
foUe,       obBinée 

Cette  caboche  dure,  ingénue  et  caduque! 

Gérontc , 
Il  est  stupide.  Çà,  bonhomme,  apprends  qu'il  est 

hélas, 
Deux  enfances,  et  sache,  Argan,  qu'on  y  retombe. 

Prends  garde.  On  oublierait  le  respect  qu'on  te  doit. 
Les  pierres,  les  sifflets,  voilà  ce  qu'on  te  doit. 

jgfff  tu  plaii  au  bas-âge, 

marmot 
Qu'un  bébé  fait  ta  joie. . . 


474       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


La  canaille, 
Page  357.       Les  misères,  les  gueux,  ceux  que  tu  recommandes. 

meurtre  à  l'ordre  se  mêla  ; 
.      Toujours  un  peu  de  sang  sur  l'ordre  ruissela. . . 

L'homme  d'état  réel  prend  son  temps  5  celui-là. 

Faible,  rude, 

Adroit,  sait  être  Monk,  et,  fort,  être  Sjlla. 

honnête 
sincère 
Jurer  qu'on  est  du  siècle,  et  qu'on  respectera... 


XXII.    RENTRÉE  DANS  LA  SOLITUDE. 

(Autre  titre  :  abandonne.) 

au  lâche,  à  l'imbécile, 

Page  358.       De  tenir  tête  aux  sots,  aux  furieux,  à  vous.? 

/a  haine  ^'\ 
Reniez-le.  Tournez  du  côté  de  l'injure. 
Cette    'vie     après     tout      n'eH     pas 
Tout  doit  finir.  La  vie  est-elle  une  gageure  ? 

une  offense 
L'entêtement  d'un  seul  est  un  reproche  à  tous. 


XXin.    O  PRINCES  INSENSES  !  QUOI!  NE  TKEMBLENT-ILS  PAS  ? 

^  Ils  ne  frémissent  pas 

Page  360.       O  princes  insensés  !  quoi!  ne  tremblent-ils  pas 

passions 

D'ouvrir  la  porte  eux-même  aux  colères  d'en  bas  ! 

/es  premiers. 
D'ébranler,  de  leurs  mains,  la  maison  qui  s'écroule! 

^  apparais-leur  ! 

O  princes  insensés  !  Dieu  juste  !  enseigne-leur 
Faii  parler  quelque  bouche  infpirée  ! 
Ta  loi,  ton  but  sacré,  ta  justice! 

combats 
Quand  parmi  nos  débats  et  nos  luttes  civiles. . . 


'"'  Variante  sans  rime. 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  475 


tressailli 

'    1'  ' 


Page  361.       Dieu  !  comment  n'ont-ils  pas  frissonné  d'épouvante, 

Quand  ils  ont  tout  à  coup  vu  luire 
De  voir  subitement  reluire. 
Ces  rois!  quand  ils  ont  vu  soudain,  au  milieu  d'eux. 

nobles 

Les  seigneurs  aujourd'hui,  les  couronnes  demain  ! 


XXIV.    LE  POETE  PREND  LA  PAROLE. 


meurtre      appelé     gloire,      et      le      carnage 
Page  362.       Voici  le  vrai,  le  faux,  changeant  de  personnage. 

Ceint  de  lauriers 

Le  mal  jojeux  ;  voici  les  pires  qui  sont  rois. . . 

Et  les  Christs  aux  gibets  menés  par  les  archers, 

L'exil,  le  deuil,  les  pleurs,  les  héros,  les  bouchers. 


Voici  tout  le  fardeau  du  sort  sur  les  petits. , 


XXV.    GRANDES  OREILLES. 


guette, 

doute,  a  peur. 

Page  363.       Entend  mal,  comprend  peu,  s'épouvante,  a  du  goût. 

Vleure  sur    tous  les    rois 
Tremble 

S'émeut  pour  les  tyrans  sitôt  qu'il  en  tombe  un. . . 

la      grandeur      de      l'oreille, 
hourgeoii. 

Ayez  cette  beauté,  messieurs.  La  grande  oreille 

L'oreille   basse  avec  le   cœur    bai 

crâne    étroit 

cerveau   bas 
Avec  le  crâne  altier  et  petit  s'appareille. . . 

Si        le        progrès        remue,  demande 

Dès  que  le  progrès  marche,  on  réclame  un  sauveur, 

le  roi, 
On  vénère  Haynau,  Boileau,  l'état,  l'église. 

Et  la  férule  ;  et  c'est  ainsi  qu'on  réalise 

Foulds,  Kouhers,  Dupins, 

Pour  les  Suins,  les  Dupins,  les  Cousins,  les  Parieux. 


4/6       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


XXVI.    A  DE  CERTAINS  MOMENTS,  L'HOMME  JUSTE  EST  KISIBLE. 


hommes 
Page  364.       Les  choses  er  les  mots  changent  de  sens... 

interprété 
Tout  est  défiguré,  calomnié,  noirci; 
Qi£e^-ce,    au    fond,    qu'Aristide?    un 
Un  fi-ont  de  vierge  n'est  qu'un  masque  réussi. 

VahjeHion,  la  fuite 
ha  lâcheté,  la  honte 
La  déroute,  l'orgie  et  la  peur,  sont  nos  sœurs... 

Varions  ration.  Je  dois  vous  dire. 
Page  365.       Ecoute2-les  parler  :  —  Je  dis,  et  je  m'en  tords... 


Avoir  de  beaux  laquais  dans  un 

Bien  vivre,  et  de  laquais  emplir  son  vestibule. 

Dante     e!i     un     mécontent     que     l'orgueil 

À  bas  tous  ces  gens-là  !  l'orgueil  les  étouffait. 


Dante,         Eschyle,  Milton  ? 

Hoche,  Marceau,  Kléber?  J'aime  autant  Galliffet. 


Caiphe 
Thersite 

On  excuse  Anitus  et  l'on  comprend  Zoïle. 

on    est    heureux 
Décroître  plaît  ;  c'est  doux  et  bon  d'être  petit  ; 

L'abjecte  foule 

La  multitude,  ajant  pour  amour  l'appétit... 

à  poi  lents 
riant 

Page  366.       Et  c'est  ainsi  qu'on  entre  en  raillant  dans  la  nuit, 
0  douleur  !  et  qu'on  voit  s'ef&cer  au  solstice 

la  raison. 
Tous  ces  astres,  le  droit,  l'idéal,  la  justice, 

Et      que       la       conscience 

C'est  ainsi  que  notre  âme  abdique. . . 

,  Brutus 

Que  la  Rome  d'Emile  et  de  Gracchus  se  change. . 


VARIANTES  ET  VERS  INEDITS.  477 


XXVII.    A  VOUS  TOUS. 

marchaient  h  grands  pas , 
Page  367.       Ils  étaient  confiants,  ils  faisaient  de  grands  songes. .- 

disperse  une  cendre 

Ils  avaient  dissipé  comme  un  nuage  au  vent. . . 

Et  que  des  gens  d'esprit  et  de  bon  sens  qu'enivre 

Nf  point  penser 

Ce  but  sublime,  rire  et  digérer,  bien  vivre... 

jouir  et 
Page  368.       Dormir,  bâiller,  railler,  ignorer,  être  ainsi... 

les 
Et  le  Napoléon  troisième  a  fait  nos  cœurs 

chétifSj  étroits. 
Tels  qu'ils  sont,  gracieux,  point  fanfarons,  moqueurs.. 

Que  leur  cavalerie  attaquait  des  vaisseaux, 

Et  prenait  une  flotte  à  l'ancre ,  a  l'abordage j 

Les  prenait,  et  donnait  aux  flottes  l'abordage... 

Page  369.  ...  et  qu'ils  défirent 

Q^ils  braquaient  ce  canon  sur  ''' 
Ce  que  vingt  siècles  noirs  et  tristes  avaient  fait. 


Sur  un  feuillet  relié  au  Reliquat,  le  même  sujet  est  ébauché  en  comédie  ''' 

On  était  autrefois  vigoureux ^  fort,  robmte 
Et  point  méchant. 

^uand  ils  allaient  en  guerre, 

Ils  soufflaient  largement  dans  une  énorme  conque; 

Uoia  verre^,  en  lisant  un  Vindare  quelconque. 

Que  ces  hommes,  puissants  et  bons,  avaient  jadis 

Des  cœurs  d'enfants  avec  des  torses  de  bandits  ; 

Vous  êtes  aujourd'hui  des  tas  de  maigre-échines  ; 

Le  moindre  vent  qui  souffle  ébranle  vos  machines  ; 

Les  hommes  des  vieux  temps  avaient  des  pectoraux  j 

Comme  on  se  met  banquier  on  se  mettait  héros. 

Ça  vous  naissait  avec  des  muscles  de  héros  ; 
(i)  Variante  non  terminée.  —  '^)  Les  cinq  premières  lignes  sont  rayées. 


4/8       LES  MANUSCRITS  DE  TOUTE  LA  LYKE. 

Mordioux  !  qu'est-ce  que  c'est  que  tous  vos  petits  princes 

Sanglés  dans  leur  corset,  brodés,  frisés  et  minces. 

Auprès  des  rois  d'Homère  altiers  et  radieux. 

Et  vos  forts  de  la  halle  auprès  des  demi-dieux  ? 

Les  AchiUes  étaient  des  gaillards  ;  les  Hercules 

N'avaient  pas  les  poumons  farcis  de  tubercules  ; 

Ils  prenaient  pour  bidet  le  tigre  ou  le  griffon  ; 

Ils  n'allaient  pas  toussant,  crachant;  Bellérophon 

Ne  craignait  point  le  frais,  le  serein,  la  rosée; 

Et  je  n'ai  pas  ouï  raconter  que  Thésée 

Pour  entrer  dans  l'enfer  se  mit 

Entrât  dans  les  enfers  avec  un  cache-nez. 

Versée 

Orphée  à  qui  Pluton  disait  :  vous  m'étonncz, 

Emerveillait  le  Styx  de  son  ut  de  poitrine. 
On  est  du  Sacré-Cœur  ou  bien  de  la  Doctrine 
Maintenant  ;  triste ,  on  a  pour  dogme  et  pour  devoir 
Une  cravate  blanche  avec  un  habit  noir. 
Un  mauvais  estomac  pour  vertu  principale. 
Et  pour  perfection  suprême  d'être  pâle. 

Dans  les  brouillons  du  manuscrit  de  L'Art  d'être  Grand-Fère,    on    trouve  cette 
variante  : 

Ils  savaient  triompher,  et  surtout  secourir. 
Ils  ajoutaient  l'épée  au  rire  de  Voltaire, 
Toute  la  France  était  en  eux,  toute  la  terre 
Saluait  des  esprits  dans  ces  soldats  de  fer, 
Jean-Jacques  dans  Marceau,  Rabelais  dans  Kléber. 
Ces  hommes  étaient  grands. 


NOTES   DE  L'EDITEUR. 


HISTORIQUE    DE    TOUTE   LA   LYRE. 

Nous  avons  donné  dans  le  tome  premier  de  Toute  la  Lyre  quelques  précisions  sur 
l'origine  des  poésies  qu'il  contient.  Nous  indiquons  ici  les  détails  que  nous  avons 
pu  recueillir  sur  quelques-unes  des  pièces  qui  composent  ce  volume  et  nous  expli- 
quons les  raisons  qui  nous  ont  fait  attribuer  des  dates  à  certains  manuscrits  qui  n'en 
portent  pas. 

V 


A  une  religieuse.  —  Marie  Hugo,  nièce 
de  Victor  Hugo.  Du  Carmel  de  Tulle  où 
elle  était  retirée,  elle  a  continué  de  cor- 
respondre avec  son  oncle  jusqu'en  i88j. 

L'autre  jour,  ami  cher,  ami  de  "vingt  an- 
nées. . .  —  Victor  Hugo ,  étant  allé  voir 
Villemain  et  ne  l'ayant  pas  trouvé,  im- 
provisa ces  vers  qu'il  lui  laissa  en  guise 
de  carte  de  visite.  Rentré  chez  lui,  il  les 
récrivit  de  mémoire ,  c'est  cette  copie  qui 
figure  au  manuscrit.  Les  héritiers  de  Vil- 
lemain possèdent  l'original. 

Uénm  rit  toute  nue  au-dessus  de  mon  lit. . . 
—  Cette  poésie  constitue  une  description 
de  la  chambre  à  coucher  de  Victor  Hugo 
telle  qu'elle  était  rue  de  la  Tour-d'Au- 
vergne, de  1849  à  1852.  Les  objets  qui  la 
composaient  ont  été  dispersés  à  la  vente 
publique  des  meubles,  en  juin  1852. 

Tu  me  dis  :  Finis  donc  ton  livre  des  Mi- 
sères... —  En  octobre  1851,  date  de 
cette  pièce,  Victor  Hugo  était  en  pleine 
bataille  politique  ;  déjà  il  avait  lancé  à 
la  tribune,  contre  le  prince-président, 
ce  mot  devenu  fameux  :  Napoléon-Ie- 
Petit.  Cette  lutte  journalière  ne  lui  laissait 
pas  de  loisir  et  Les  Misérahles^^\  inter- 
rompus une  première  fois  par  la  révolu- 

'"'  Titre  primitif  :  Les  Miûres. 


tion    de   1848,    ne    s'étaient    enrichis, 
en  1851,  que  de  quelques  chapitres. 

0  toi  qui  m'as  maudit  dans  tes  souffrances 
sombres. . .  —  Nous  avons  cherché  en  vain 
dans  les  journaux,  dans  les  mémoires 
du  temps,  dans  la  correspondance  de  la 
duchesse  d'Orléans,  où  Victor  Hugo 
avait  pu  trouver  l'écho  d'une  plainte  ou 
d'une  malédiction  ;  comment  la  duchesse 
aurait-elle  pu  oublier  l'attitude  coura- 
geuse de  Victor  Hugo,  en  février  1848, 
proclamant,  place  de  la  Bastille,  la  ré- 
gence au  milieu  du  peuple  hostile  ? 

La  poésie  suivante  :  A  un  enfant, 
évoque  les  conversations  que  Victor  Hugo 
avait,  aux  Tuileries,  avec  la  duchesse,  à 
propos  du  comte  de  Paris,  alors  âgé  de 
six  ans'"',  et  prouve  son  fidèle  attache- 
ment dans  le  malheur  à  celle  qui  eût  pu 
être  régente  de  France. 

Victor  Hugo  apprit  d'une  singulière 
façon  la  mort  de  la  duchesse  d'Orléans  ; 
il  écrit  sur  son  carnet  de  1858  : 

20  mai.  —  La  nouvelle  de  la  mort  de 
M"*  la  duchesse  d'Orléans  m'est  parvenue  ce 
matin  de  cette  façon  assez  mystérieuse  :  —  on 
m'apporte  un  petit  journal  illustré  de  Londres, 
le  Tout  Talk^  que  je  ne  reçois  pas  d'ordinaire. 
Je  l'ouvre,  au  centre  il  y  avait  une  caricature 

'*'  Voir  Choses  imes,  tome  I,  1844.  (Edition 
de  l'Imprimerie  Nationale.) 


48o 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


de  Bonaparte,  et  en  marge  de  cette  caricature, 
j'ai  lu  ces  deux  lignes  écrites  au  crayon  :  «  La 
duchesse  d'Orléans  (Hélène)  est  morte  ce 
matin  19.  —  On  fait  courir  le  bruit  que  le 
scélérat  du  2  décembre  l'a  fait  empoisonner.  » 

A.  L.  M. 

C'était  une  noble  femme.  Je  ne  crois  pas  à 
cet  empoisonnement.  Qui  est  cet  A.  L.  M.  ? 

A  deux  ennemis  amis.  —  \bici  le 
brouillon  de  lettre  dont  nous  avons  parlé 
page  376  : 

Maintenant  lisez  les  vers  que  vous  trouverez 
sous  ce  pli.  Je  les  envoie  à  Alex.  Dumas  qui 
les  lira  de  son  côté  et  je  ne  les  publierai  qu'au- 
tant que  tous  les  deux  vous  me  direz  :  publiez. 
Comme  je  respecte  avant  tout  votre  liberté,  il 
suffira  qu'un  de  vous  deux  me  dise  non  pour 
que  ces  vers  rentrent  dans  la  nuit. 

Nous  avons  le  nom  de  l'un  des  deux 
«  ennemis  »  ;  le  livre  de  Clément  Janin, 
neveu  de  Jules  Janin  :  Uictor  Hugo  en 
exil,  nous  donne  le  nom  de  l'autre  et  le 
motif  de  la  brouille. 

Jules  Janin  avait  critiqué  assez  verte- 
ment Flaminio,  un  drame  de  George 
Sand.  Alexandre  Dumas  avait  pris  parti 
violemment  pour  «la  dame  de  Nohant» 
dans  son  journal  Le  Mousquetaire.  Victor 
Hugo  voulut  réconcilier  ses  deux  amis, 
il  écrivit  ces  vers  et  les  soumit  aux  inté- 
ressés. Lequel  dit  :  non? 

Toujours  est-il  que  ces  vers  ne  pa- 
rurent qu'en  1888,  après  leur  mort  à 
tous  les  trois. 

A  Jeanne.  —  Cette  pièce ,  datée  sur  le 
manuscrit  16  août  1870,  n'a  été,  en 
réalité,  écrite  qu'en  1876.  Nous  avons, 
outre  l'écriture ,  un  point  de  repère  pour 
fixer  cette  date  :  nous  trouvons  trois 
strophes  de  cette  poésie  :  A  Jeanne,  au 
verso  d'une  page  de  Guerre  civile  ^^\  Le 
manuscrit  de  :  Guerre  civile  n'est  pas  daté, 
mais  il  est  en  tous  points  conforme  à 
celui  de  U Aigle  du  Casque  (Légende  des 
Siècles),  daté  de  1876. 

'"'  La  Légende  des  Siècles. 


Ave,  Dea;  moriturus  te  sa  lu  ta  t.  —  Un 
carnet  de  Victor  Hugo  porte ,  à  la  date 
du  16  juillet  i8j2  : 

Envoyé  le  sonnet  Ave,  Dea,  moriturui  te 
salutat. 

Et  plus  loin ,  le  2^  juillet  : 

Les  journaux  publient  mon  sonnet  à 
M°"  Judith  Mendès  O. 

Entre  autres  journaux,  ha  Renaissance 
littéraire  et  artiBique  publiait  ces  vers  le 
27  juillet  1872. 

Si  dans  ce  grand  Paris,  ô  charmante  infir- 
mière. ..  —  Le  12  novembre  1870,  Victor 
Hugo  note  dans  son  carnet  qu'il  a  rendu 
visite,  sur  la  demande  des  blessés  qui  y 
étaient  soignés,  à  l'ambulance  installée 
dans  le  foyer  du  théâtre  de  la  Porte  Saint- 
Martin  '^>.  Les  actrices  de  ce  théâtre 
étaient  les  infirmières  de  cette  ambu- 
lance. C'est  pour  l'une  d'elles,  sans 
doute,  que  ces  vers  ont  été  composés. 

Un  vieillard  eft  souvent  puni  de  sa  vieil- 
lesse... —  Pas  de  date  au  manuscrit, 
mais  ces  vers  furent  certainement  écrits 
dans  le  désespoir  où  un  dernier  deuil 
venait  de  plonger  Victor  Hugo. 

Son  second  fils,  François- Victor,  ma- 
lade depuis  plus  d'un  an,  mourait  le 
26  décembre  1873. 

A  Madame  dA.-Sh.  —  M""  d'Alton- 
Shée  était  allée ,  en  1872 ,  avec  son  mari , 
passer  quelque  temps  près  de  Victor 
Hugo,  à  Guernesey.  Nous  trouvons  des 
détails  sur  leur  séjour  dans  une  lettre  du 
poète  à  Judith  Gautier ''l  II  insiste  pour 
qu'elle  aussi  vienne  le  voir  : 

Deux  ans  d'absence  ont  délabré  ma  ma- 
sure,  et   je    n'ose   vous   y   offrir  un   affreux 


f  Fille  de  Théophile  Gautier., 
'"'  Voir  Choses  vues,  tome  IL  (Edition  de  l'Im- 
primeric  Nationale.) 

'''  Collection  de  M.  Louis  Barthou. 


HISTORIQUE  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


481 


coin  C;  mais  en  face  de  Hauteville  House  il  y 
a  un  petit  Familj-Hotel  où  M.  et  M°"  d'Alton- 
Shée  (qui  sont  venus,  eux  !)  ont  deux  chambres 

'''  Victor  Hugo  avait  quitté  Hauteville  House 
en  1870  et  n'y  était  revenu  qu'en  1872. 


pour  20  francs  par  semaine.  Ils  sont  chez  moi 
toute  la  journée,  déjeunent  et  dînent  chez 
moi,  et  n'ont  que  la  rue  à  enjamber. 

Pour  remercier  M""  d'Alton-Shée,  Vic- 
tor Hugo  lui  a  dédié  cette  poésie. 


VI 


Toute  la  vie  d'un  cœur.  — -  Nous  avons 
reproduit,  pages  386-387,  la  liste  chrono- 
logique reliée  dans  \cKeliquat;  cette  même 
liste  existe  dans  un  volume  d'épreuves  ''* 
de  L'Art  d'être  Grand-Fère,  où.  le  titre  : 
Toute  la  vie  d'un  cœur,  a  précédé  celui 
définitivement  adopté  :  Les  Fredaines  du 
Grand-Pere  enfant;  des  épreuves  ont  été 
tirées  pour  deux  de  ces  divisions  :  1817  : 
y  allais  au  Luxembourg  rêver.  —  1820  : 
Printemps.  Mai  le  décrite...  et  pour  une 
pièce  intitulée  :  La  Foret  \^De  q^uoi  parlait 
le  vent^...^^^''.  Ces  trois  poésies  dispa- 
raissent sur  l'épreuve  suivante,  nous  les 
retrouvons  reliées  dans  le  manuscrit  de 
Toute  la  Lyre. 

Un  coup  de  vent  pa^sa ,  soujjle  le  fie  et  char- 
mant. . .  —  Ces  vers  semblent  une  rémi- 
niscence de  la  lettre  que  Victor  Hugo 
avait  adressée  le  4  mars  1822  à  sa  fiancée  j 
dans  cette  poésie ,  il  dit  avoir  été  choqué , 
dans  la  lettre  il  prévient  Adèle  qu'elle 
l'expose,  en  relevant  trop  sa  robe  les 
jours  de  mauvais  temps,  «à  donner  un 
soufHet  au  premier  insolent  dont  le 
regard  osera  se  tourner  vers  toi». 

'"'  Maison  de  Victor  Hugo. 
'*'  Voir  page  146. 


Les  Misérables '^^^  rappellent  aussi  cet 
incident. 

^u'eB-ce  que  cette  année  emporte  sur  son 
aile?  —  Vers  écrits  pour  Juliette  Drouet 
sur  le  Livre  des  anniversaires ,  et  que  Victor 
Hugo  a  transcrits. 

Ouij  je  suis  le  regard  et  vous  êtes  l'étoile. 
—  Ces  mêmes  vers  sont  reproduits  sur 
la  feuille  de  garde  d'un  exemplaire  du 
Conservateur  littéraire  donné  à  M'""  Drouet 
et  qui  a  fait  partie  de  la  collection  de 
M.  Louis  Barthou.  Ils  sont  datés  sur  cet 
exemplaire  20  août  iS^^;  le  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  nationale  n'a  pas  de  date. 

A.U  bal.  —  Cette  poésie  est  écrite  au 
verso  d'une  invitation  imprimée,  du 
II  mars  1850.  L'écriture  correspondant 
bien  à  cette  époque,  nous  avons  attribué 
ces  vers,  datés  2  mars,  à  l'année  1851. 

Tous  deux  —  eft-ce  à  Tibur  ?  elt-ce  à  Uille- 
d'Avray  ?  —  La  note  au  bas  du  manu- 
scrit :  Pendant  le  plébiscite,  date  ces  vers  : 
1870. 


'"'  Tome  II,  Marius.  (Édition  de  l'Imprimerie 

Nationale.) 


VII 


Œticonque  eft  amoureux  eH  esclave...  — 
Nous  avons  situé  cette  pièce  dans  l'année 
1861,  le  manuscrit  étant  absolument  pa- 
reil à  celui  des  vers  publiés  dans  Dernière 
Gerbe^^''  et  ducs  JuiHet-aoât  1861. 


Le  marquis  de  Bade  a  deux  cornes. 
'"'  La  Terre  de  l'eau. 


En 


1863,  Victor  Hugo  avait  dessiné  sur  son 
carnet  de  voyage  le  portrait  d'un  marquis 
de  Bade.  Nous  avons  reproduit  ce  dessin 
dans  le  deuxième  volume  de  :  Ln 
voyage 


(1) 


'''  France  et  Belgique;  Alpes  et  Vy rénées  j  Uoyages 
et  Excursions.  (Edition  de  l'Imprimerie  Natio- 
nale .) 


IM1>MU£MB     HATlOiril.E. 


482 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


En  1865,  passant  à  Bade ,  Victor  Hugo 
a  revu  l'église  : 

Superbe  tombeau  du  xiv'  siècle.  Au  centre 
un  géant  de  pierre,  qui  est  un  margrave  de 
Bade,  couché  sur  une  table  avec  des  lions  sous 
SCS  pieds  et  sous  sa  tête  et  tenant  à  la  main 
son  morion  bicorne, 

La  première  strophe  se  lit  dans  l'album 
emporté  pour  le  voyage  de  1865. 

Uoiseau passe. . .  —  Pour  cette  chanson , 
la  musique  n'a  pas  été  faite  sur  les  vers 
de  Victor  Hugo,  mais  Victor  Hugo  a 
fait  les  vers  pour  la  musique  de  sa  fille. 
Le  carnet  donne  cette  note  : 

/  septembre  1861,  —  J'ai  fait  ce  matin  la  petite 
chanson  de  l'oiseau  pour  la  mélodie  d'Adèle. 

Hacquoil  le  marin.  —  Hacquoil  était  un 
marin  de  Jersey,  on  lit  son  nom  :  Vhilip 
Hacquoil,  sur  l'un  des  feuillets  des  Ta^  de 
Pierres  ^^K 

Le  Château  de  l'ArhreUes.  —  C'est  en 
allant  visiter  les  Alpes,  en  1825,  avec 

'''  Océan  vers.  Moi.  (Inédit.) 


Charles  Nodier,  que  Victor  Hugo  vit  le 
château  de  l'Arbrelles,  qu'on  était  en 
train  de  démolir.  Nous  lisons  dans  Litté- 
rature et  Philosophie  mêlées  '''  ; 

Nous  avons  vu  démolir  encore,  près  de 
Lyon,  le  château  renommé  de  l'Arbrelles.  Je 
me  trompe,  le  propriétaire  a  conservé  une  des 
tours,  il  la  loue  à  la  commune,  elle  sert  de 
prison. 

Chansons  de  Gavroche.  —  Le  19  août  1865, 
avant  de  partir  pour  son  voyage  annuel , 
Victor  Hugo  rangeait  ses  manuscrits  et 
plaçait  dans  un  dossier  spécial  : 

Les  choses  ajournées  (vers)  qui  feront 
partie  des  Poésies  de  Jean  Prouvaire  et  Chansons 
de  Gavroche. 

Poésies  et  chansons  étaient  assez  nom- 
breuses puisqu'elles  devaient,  d'après 
une  autre  note ,  former  un  volume  : 

Ce  qui  est  dans  ce  dossier  est  réservé  et 
fera  partie  du  volume  intitulé  : 

Poésies  de  Jean  Prouvaire  et  Chansons  de 
Gavroche. 

c  Guerre  aux  démolisseurs. 


LA   CORDE  D'AIRAIN. 


Le  tome  II  de  l'édition  originale  de 
Toute  la  Lyre  (1888)  donne,  groupées 
sous  le  titre  :  La  Corde  d'airain,  quinze 
poésies  :  —  Ecrit  sur  un  exemplaire  des 
Châtiments.  —  0  sombre  femme ,  un  pur, 
n'ayant  plm  de  royaume. ..  —  A  des  régi- 
ments découragés.  —  Apres  Sedan.  —  Veltruc- 
tion  de  la  Colonne.  —  L'Orgie  des  meurtres. 
—  Uictoire  de  l'ordre.  —  A  un  roi  de 
troisième  ordre.  —  Alsace  et  Lorraine.  — 
La  libération  du  territoire.  —  Le  lionceau 
songeait.  —  Un  grand  sabre  serait  d'utilité 
publique.  —  Aux  historiens.  —  La  Quejiion 
sociale.  —  0  ses  amis  d'hier,  pas  d'aujour- 
d'hui. . . 

La  première  de  ces  poésies  a  été  attri- 
buée, par  la  suite,  aux  Années  f une/les  ; 
les  quatorze  autres  ont  été  maintenues 


dans  les  éditions  suivantes  de  Toute  la 
Lyre  ;  l'édition  populaire  illustrée  leur  en 
a  adjoint  treize  nouvelles  j  en  tout  vingt- 
sept;  ce  sont  celles  qui  occupent  ici  les 
pages  295  à  369. 

La  deuxième  série  de  Toute  la  Lyre 
(1893)  comprenait  aussi  une  division 
intitulée  :  La  Corde  d'airain;  cette  divi- 
sion a  disparu  des  éditions  postérieures 
et  les  pièces  qui  la  constituaient  ont 
formé  Les  Années  funeiies. 

A  la  France  de  i8j2.  —  Un  carnet  de 
1872'^'  nous  donne  ces  détails  : 

28  jattvier.  —  Avant  le  dîner,  j'ai  lu  à 
Vacquerie,  \  Meurice  et  à  Victor  les  vers  A 

'''  Collection  de  M.  Louis  Barthou. 


HISTORIQUE  DE  TOUTE  LA  LYKE. 


485 


la  France  que  j'ai  faits  ce  matin  pour  la  reprise 
de  Kity  Bios  O.  Ces  vers  pourraient  être  inter- 
dits par  la  censure,  ils  seraient  réclamés  par 
le  public.  De  là  des  troubles  à  la  première 
représentation.  Leur  avis,  comme  le  mien,  est 
qu'il  vaut  mieux  n'en  pas  parler. 

II  mars,  —  he  Rappel  publie  mes  vers  A  la 
France  de  i8j2  qui  seront  en  tête  de  l'édition 
spéciale  de  Kuj  Bios  (^'. 

A.  un  roi  de  troisième  ordre.  —  Victor 
Hugo  a  raconté,  dans  plusieurs  poésies 
de  h' Année  terrible,  dans  Choses  vues  et 
dans  ABes  et  Paroles,  l'agression  dont  il 
fut  victime  en  mai  1871  à  Bruxelles, 
l'expulsion  qui  s'ensuivit  et  qui  motiva 
ces  vers. 

Alsace  et  Lorraine.  —  Nous  extrayons 
d'une  lettre  inédite  de  Victor  Hugo  à 
Paul  Meurice  le  passage  suivant  : 

H.  H.,  12  novembre  [1872]. 

...  Vous  trouverez  sous  ce  pli  la  pièce 
Alsace  et  Lorraine  que  je  viens  de  faire  pour 
le  livre  que  la  Société  des  Gens  de  lettres  publie 
au  profit  de  la  souscription  nationale  (^).  Cette 
pièce  sera  jointe  plus  tard  à  L'Année  terrible^^\ 
Pour  l'instant,  voici  la  question,  je  vous  la 
soumets  :  Est-elle  publiable  }  —  Elle  est  vive. 
Seriez-vous  assez  bon  pour  communiquer 
cette  pièce  de  ma  part  à  M.  Charles  Valois, 
président  du  comité  des  Gens  de  lettres,  et 
pour  lui  demander  son  avis.  On  pourrait 
remplacer  les  vers  trop  furieux  par  des  lignes 
de  points.  Maintenant,  comme  pour  la  pièce 
A  Théophile  Gautier,  vous  décideriez  quelle  est 
la  meilleure  façon  de  publier,  et  s'il  faut 
donner  la  primeur  au  livre  ou  aux  journaux. 

Serez-vous  assez  bon  pour  dire  qu'on  m'en- 
voie une  épreuve. 

Dites-moi  aussi  si  vous  êtes  d'avis  de  main- 
tenir la  note  de  la  page  3.  Cette  note  a  pour 
but  d'expliquer  Ma  Lorraine  W. 


'■'  Qui  eut  lieu  à  l'Odc'on  le  19  février  1872. 
'^'  Édition  publiée  le  18  mars  1872. 
'''  Au  profit  des  Alsaciens  et  des  Lorrains. 
'**  Elle  n'en  fait  pas  partie. 
'^'  Le  père  de  Victor  Hugo  était  ne  à  Nancy  ;  la 
note  ne  fut  pas  publiée  dans  l'édition  originale. 


Le  29  décembre,  note  du  carnet 


(1) 


Conflit  entre  le  Rappel  et  la  Société  des 
Gens  de  lettres  k  qui  publiera  le  premier  mes 
vers  Alsace  et  Lorraine. 

Victor  Hugo  avait  laissé  Paul  Meurice 
maître  de  décider  de  la  meilleure  façon  de 
publier. 

C'était  bien  tentant  ;  donner  la  pri- 
meur au  Rappel  était  tout  indiqué  ;  d'un 
autre  côté  les  vers  avaient  été  écrits  pour 
le  livre  publié  par  la  Société  des  Gens  de 
lettres.  Nouvelle  lettre  à  Paul  Meurice  : 

H.  H.  29  x"""  [1872]  (^).  ' 

Mon  admirable  ami,  je  viens  à  vous.  Je 
suis  perplexe.  M.  Charles  Valois  m'écrit  au 
nom  de  la  Société.  Voici  sa  lettre  ^^K  Lisez-la. 
Il  y  a  du  vrai  dans  ses  raisons.  Et  vous  aussi, 
vous  êtes  dans  le  vrai.  Que  faire  ?  Décidez-le 
vous-même.  Je  vous  remets  la  décision,  et 
je  m'incline  devant  votre  souveraineté.  Vous 
pourriez,  je  crois,  causer  avec  M.  Ch.  Valois, 

(')  Il  y  a  plusieurs  carnets  pour  l'année  1872  ;  celui 
de  juin  à  décembre  fait  partie  de  la  collection  de 
M.  Loucheur. 

('1  Inédit. 

'''  Société  des  Gens  de  lettres. 

Paris,  le  26  x*"*  1872. 
Mon  cher  Maître, 

Paul  Meurice  a  dû  vous  envoyer  l'épreuve  à 
corriger  des  magnifiques  vers  dont  vous  avez 
bien  voulu  faire  don  à  la  Société,  en  faveur  des 
Alsaciens  et  des  Lorrains.  Je  vous  serai  obligé  de 
lui  renvoyer  cette  épreuve  par  le  prochain  cour- 
rier, pour  que  l'imprimeur  puisse  tirer  sans  perdre 
de  temps. 

A  ce  propos,  le  comité  craint  qu'une  publica- 
tion dans  le  Rappel,  faite  quinze  jours  à  l'avance , 
comme  le  désire  M.  Meurice,  ne  soit  hâtive  et 
ne  déflore  le  succès  du  livre.  Il  se  propose  de  lui 
donner  carte  blanche  pour  cette  publication  dans 
son  journal,  quelques  jours  seulement  avant  la 
mise  en  vente,  et  serait  heureux  que  vous  lui 
fissiez  connaître  vos  sentiments  à  cet  égard. 

Le  comité  vous  remerciera  officiellement  du 
cadeau  superbe  que  vous  avez  fait  aux  Alsaciens- 
Lorrains,  nos  malheureux  compatriotes. 

Recevez,  mon  cher  Maître,  la  nouvelle  assu- 
rance de  mes  sentiments  d'affection  et  de  dcvouc- 

"^"^-  Charles  Valois. 

27,  rue  Lepic. 


31  • 


484 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


et  résoudre  la  difficulté  en  commun.  Ce  que 
vous  ferez  sera  bien  fait. 

Voulez-vous  être  assez  bon  pour  transmettre 
cette  lettre  k  M.  Ch.  Valois,  27,  rue  Lepic  : 
l'avantage  de  publier  en  dehors  des  vacarmes 
de  Versailles  est  certain,  d'un  autre  côté,  il  y 
aurait  inconvénient  pour  le  livre. 

Pesez,  et  décidez. 

Les  vers  ne  furent  décidément  pas 
publiés  dans  le  Rappel,  mais  on  en 
fit  des  lectures  publiques,  ainsi  qu'en 
témoigne  ce  passage  d'une  lettre  de 
Paul  Meurice  à  Victor  Hugo  ''^  : 

Avril  1873. 

M"'  Cornélie  a  lu,  dimanche  dernier,  au 
théâtre  de  la  Renaissance,  Alsace  et  Lorraine 
avec  un  effet  immense.  On  avait  grand'peur 
que  cette  lecture  ne  fût  interdite,  et  si  les  bons 
généraux  de  l'état  de  siège  avaient  connu  la 
pièce,  ils  l'auraient  certainement  défendue. 
Voilà  pourquoi  nous  n'avons  pas  osé  la  pu- 
blier dans  le  Rappel,  voilà  pourquoi  j'ai  sup- 
primé huit  vers  dans  le  Peuple  souverain.  Rien 
n'a  été  supprimé  à  la  matinée,  et  le  succès  a 
été  inouï.  C'étaient  des  trépignements  et  des 
bravos  sans  fin.  M""'  Cornélie  a  un  peu  trop 
usé  pourtant  des  notes  basses  et  de  la  voix 
sourde.  Mais  le  cri  est  si  sublime  qu'il  a  tout 
emporté.  On  voudrait  redire  Alsace  et  Lorraine 
une  seconde  fois,  et  on  nous  a  priés  de  ne  pas 
attirer  l'attention  de  Ladmirault^"^)  de  ce  côté. 

Un  tirage  à  part  fut  vendu  au  profit 
des  Alsaciens  et  Lorrains. 

La  Libération  du  territoire.  — On  remar- 
quera que  ces  vers  sont  datés  de  la  Villa 
Montmorency;  François -Victor,  très 
malade,  y  était  soigné,  et,  pour  être 
près  de  son  fils ,  Vic-tor  Hugo  loua  pour 
trois  mois  (aoiit,  septembre,  octobre) 
une  maisonnette  meublée  à  deux  pas  de 
la  maison  de  santé  <'^  Il  s'y  installa  le 
5  août,  y  travailla,  y  reçut  ses  amis,  et 
ne  la  quitta  que   le   4  octobre,   quand 

i"  Correspondance  entre  ViHor  Hugo  et  Vaut  Meu- 
rice. 

("'  Gouverneur  de  Paris. 
W  Carnet  de  1873. 


François-Victor  fut  en  état  d'être  trans- 
porté à  Paris.  C'est  à  Auteuil  qu'il  lut, 
le  31  août,  à  Paul  Meurice,  Vacquerie 
et  Robelin  La  Libération  du  territoire,  qu'il 
avait  achevée  deux  jours  avant. 

Comme  Alsace  et  Lorraine,  la  publica- 
tion de  ces  vers  donna  lieu  à  bien  des 
hésitations ,  nous  en  suivons  les  phases 
dans  le  carnet  de  1873  : 

T  septembre.  —  J'ai  remis  à  Meurice  et  à 
Vacquerie  La  Libération  du  territoire,  en  les  lais- 
sant libres,  vu  l'état  de  siège,  d'y  couper  tout 
ce  qu'ils  trouveraient  dangereux. 

12  septembre.  —  Le  Rappel  annonce  qu'il 
publiera  dimanche  mes  vers  La  Libération  du 
territoire.  En  les  relisant,  je  crois,  vu  l'état 
de  siège,  impossible  de  les  publier  sans  faire 
supprimer  le  journal.  On  me  demande  de  les 
lire  à  haute  voix,  Victor  et  ces  dames  sont  de 
mon  avis.  Vacquerie  persiste  à  vouloir  les  pu- 
blier. J'invite  Meurice  à  déjeuner  pour  demain 
samedi.  Il  décidera  la  question. 

7^  septembre.  —  Paul  Meurice  est  venu 
déjeuner  avec  moi.  Nous  avons  résolu  la 
difficulté.  La  Libération  du  territoire  paraîtra  en 
brochure,  et  je  donnerai  d'autres  vers  au 
Rappel. 

i^  septembre.  —  J'ai  corrigé  les  épreuves  de 
La  Libération  du  territoire  qui  s'imprime  chez 
Claye.  Elle  paraîtra  en  brochure.  J'ai  mis  sur 
le  titre  :  Au  profit  des  Alsaciens-Lorrains,  jo  cen- 
times. Toute  la  vente  ira  à  la  caisse  de  secours 
des  Alsaciens. 

16  septembre.  —  Aujourd'hui  a  paru  La  Libé- 
ration du  territoire. 

i'^  octobre.  —  2.500  exemplaires  sont  vendus 
à  l'heure  qu'il  est. 

La  Bibliothèque  nationale  possède  la 
23"  édition  de  cette  plaquette  datée  1873. 

Une  lettre  d'Edgar  Quinet  à  Victor 
Hugo  donne  un  aperçu  de  l'effet  produit 
par  ces  vers  : 

ViUefranche-en-Lauraguais ,  H"-Garonne. 
.    26  7""  73- 
Cher  ami. 

Dans  ces  heures  d'étouffement ,  de  délire, 
vous  avez  fait  parler  la  France.  Oui,  La  Libé- 
ration du  territoire  est  une  première  revanche. 


HISTORIQUE  DE 

Ce  sont  Ik  les  accents  que  j'attendais.  J'ai 
commencé  à  vous  lire  dans  le  Calvados,  je 
vous  ai  rencontré  partout  dans  notre  voyage  ; 
c'est  vous  qui  nous  avez  accueillis  à  notre 
arrivée  à  Tours,  à  Poitien,  à  Périgueux,  k 
Toulouse.  Tout  résonne  de  ces  vers  sublimes. 
C'est  une  colonne  de  lumière  qui  court  k 
travers  la  France...  et  les  insensés  projettent 
de  l'enterrer  vivante  ! 

En  vous  lisant,  et  vous  relisant,  je  sens  la 
vie  d'un  grand  peuple  immortel  qui  se  rit  des 
ténèbres. 

Vivez,  cher  Hugo,  pour  l'honneur  de  tous! 

Votre 

Edgar  QuiNET. 

Enfin,  le  5  février  1874,  nous  lisons 
dans  le  carnet  : 

La  vente  de  La  Libération  du  territoire  a  pro- 
duit, bénéfice  net,  4.506,30. 

Il  y  a  trois  comités  de  secours  pour  les 
Alsaciens-Lorrains.  Je  partage  en  trois  parts 
égales.  J'envoie  : 

1°  Au  comité  présidé  par  M.  d'Haus- 

son  ville 1.502,10 

2°  Au  comité  présidé  par  M.   Lauth, 

de  Strasbourg 1.502,10 

3°  Au  comité  présidé  par  M.  Crémieux, 

représentant 1.502,10 

4.506,50 

Après  la  publication  en  plaquette, 
ha  Libération  du  territoire  a  paru  dans 
Ailes  et  Farcies,  tome  III,  édition  de 
1875-1876,  et  a  été  jointe  à  L'Année 
terrible,  édition  illustrée,  1879. 

Uiéloires  et  conquêtes  de  la  religion.  — 
Cette  poésie  devait  faire  partie  des 
Quatre  TJents  de  l'Elprit;  nous  avons 
publié  une  note  de  Victor  Hugo  sur  ce 
sujet 


TOUTE  LA  LYKE. 


485 


(') 


Ô  sombre  femme,  un  jour,  n'ayant  plus  de 
royaume. . .  —  Ces  vers  sont  datés  24  no- 
vembre 1867.  Au  début  de  Tannée,  les 
femmes  de  six  condamnés  fenians  avaient 
écrit  à  Victor  Hugo  pour  le  prier  d'in- 

'*'  Les  Quatre  Vents  de  l'Eiprit.  (Historique.) 
[Édition  de  l'Imprimerie  Nationale.] 


tervenir;  une  lettre  «À  l'Angleterre» 
parut  ^''  et  la  reine  Victoria  fit  grâce. 
Six  mois  plus  tard,  le  gibet  reprit  ses 
droits  et  trois  exécutions  eurent  lieu  à 
Dublin. 

0  princes  insensés!  ^uoi!  ne  tremblent-ils 
pas. . .  —  Ces  vers ,  dont  l'écriture  est  de 
1846,  nous  semblent  l'écho  du  discours 
prononcé  par  Victor  Hugo  le  19  mars  1846 
pour  protester  contre  le  massacre  des 
Polonais  qui  luttaient  en  Galicie  pour 
reconquérir  leur  indépendance. 

Voici  un  extrait  de  ce  discours  : 

. . .  Ce  qui  fait  qu'aujourd'hui  j'élève  la 
parole. . .  c'est  que  je  sens  la  civilisation  offensée 
par  les  actes  récents  du  gouvernement  autri- 
chien (*'.  De  ce  qui  vient  de  se  faire  en  Galicie, 
les  paysans  n'ont  pas  été  payés,  on  le  nie 
du  moins  ;  mais  ils  ont  été  provoqués  et 
encouragés,  cela  est  certain.  J'ajoute  que  cela 
est  fatal.  Quelle  imprudence!  S'abriter  d'une 
révolution  politique  dans  une  révolution 
sociale  !  Redouter  des  rebelles  et  créer  des 
bandits  ! 

La  conclusion  en  vers  est  plus  frap- 
pante encore.  En  déchaînant  les  paysans, 
les  faucheurs,  comme  on  les  appelait, 
contre  les  patriotes  de  Cracovie,  com- 
ment les  rois  n'ont-ils  pas  entrevu  la 
conséquence  de  ce  massacre  : 

Les  seigneurs  aujourd'hui,  les  couronnes  demain. 

Grandes  oreilles.  —  La  pensée  qui  a 
dicté  ces  vers  se  lit  en  prose  dans  une 
petite  plaquette  intitulée  FeuiBes paginées  : 

En  France,  que  de  gens  k  longues  oreilles  : 
ânes  en  littérature  et  lièvres  en  politique  ! 

L'écriture  est  de  1828  à  1830. 

Quarante-deux  ans  plus  tard  cette 
remarque  a  trouvé  son  application.  Une 

f  A^es  et  Paroles.  —  Pendant  fexil. 

'''  Qui,  voyant  sa  possession  de  la  Galicie 
menacée  par  l'agitation  des  patriotes  polonais, 
envoya  des  agents  pour  déchaîner  les  paysans 
contre  les  seigneurs  et  les  riches  propriétaires. 
Ces  agents  promettaient  aux  paysans  les  biens  de 
ceux  qu'ils  tueraient. 


486 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


note  dans  les   brouillons,  donne  même 
un  nom  : 

Casimir    Mondon    au    Petit   Figaro.    Ah  ! 
malgré  tant  de  travaux,  que  d'ignorance  et    ' 


de  lâcheté  et  de  routines,  et  que  de  gens  k 
longues  oreilles!  ânes  en  littérature,  lièvres 
en  politique  ! 


II 


REVUE  DE  LA   CRITIQUE. 


Parmi  les  nombreux  éloges  qui  saluè- 
rent en  1888  l'apparition  de  Toute  la  Lyre ^ 
à  peine  quelques  notes  discordantes  se 
firent  entendre  dans  certains  journaux 
royalistes }  le  plus  violent  article  fut  signé 
Jules  Lemaître,  nous  en  avons  donné 
d'importants  extraits  tout  en  laissant  une 
large  place  à  la  réponse  si  serrée  et  si 
concluante  écrite  par  Emile  Blémont. 


Le  Figaro. 
30  mai  1888. 


Philippe  GiLLE. 


Le  grand  poète  a  très  justement  intitulé 
Toute  la  Lyre,  ce  magnifique  recueil  dont 
chaque  partie  le  fait  l'égal  de  ses  aînés.  Ce 
sont,  en  effet,  toutes  les  cordes  de  la  lyre, 
depuis  celle  qui  a  vibré  dans  ses  Odes  et  ballades 
jusqu'à  celle  qui  a  résonné  dans  La  Légende 
des  Siècles,  que  nous  allons  entendre  aujour- 
d'hui. Les  amis  qui,  avec  un  soin  pieux,  ont 
mis  en  ordre  les  pièces  qui  composent  ces 
deux  volumes,  ont  divisé  les  sept  cordes  en 
sept  chapitres,  contenant  chacun  les  morceaux 
qui  chantent  la  nature,  l'humanité,  la  pensée 
philosophique,  l'art,  la  pensée  intime,  l'amour, 
la  fantaisie.  Restait  une  partie  de  ces  poèmes 
plus  sévère  que  les  autres  ;  empruntant  le  titre 
au  vers  célèbre  du  poète,  MM.  Vacquerie  et 
Meurice  les  ont  appelés  :  La  Corde  d'Airain. 
Il  m'est  impossible  de  faire  le  dénombrement 
des  beautés  de  premier  ordre  qui  surgissent 
partout  de  ce  livre  contenant,  à  la  fois,  tout 
ce  que  le  poète  avait  de  grandeur  et  de  charme  ; 
je  ne  puis  que  former  une  sorte  de  bouquet 
de  toutes  ces  fleurs,  fleurs  de  printemps,  d'été 
ou  d'automne,  et  donner  ainsi  une  faible  idée 
de  la  puissance  et  de  la  délicatesse  de  leur  par- 
fum et  de  leur  couleur. 


Le  Gil  Bios. 
31  mai  1888. 


Paul  GiNISTY. 


Demain  paraît  encore  une  autre  œuvre 
d'Hugo,  Toute  la  Ljre,  un  millier  de  pages  de 
vers  que  MM.  Meurice  et  Vacquerie  ont 
réunies,  selon  l'intention  du  poète,  et  que, 
en  familiers  de  sa  pensée,  ils  ont  groupées 
dans  l'ordre  qu'il  eût  vraisemblablement 
adopté  lui-même  s'il  avait  eu  le  temps,  orfèvre 
prodigieux,  de  démêler  tous  les  joyaux  poéti- 
ques qu'il  forgeait. 

Ce  n'est  pas  seulement  un  émerveillement, 
c'est  aussi  une  sorte  de  stupeur  que  l'on 
éprouve  en  pensant  à  cette  incroyable  puis- 
sance de  travail  du  Maître,  à  cette  prodiga- 
lité de  son  génie,  si  bien  que,  après  tout  ce 
que  nous  connaissons  déjà,  nous  avons  à 
attendre  encore  de  continuelles  joies  litté- 
raires, dans  la  révélation  de  ce  qu'il  n'avait 
point  donné  lui-même. . . 

...  Il  y  a  là  des  pièces  de  toutes  les  époques 
de  la  vie  d'Hugo.  Il  en  est  qui  datent  de  la 
floraison  même  du  romantisme,  qui  se  plaisent 
en  d'audacieux  défis  de  rythmes  et  de  mètres, 
qui  portent  de  truculentes  épigraphes,  qui 
évoquent  tous  les  fiers  combats  de  ce  temps 
belliqueux  où  tant  d'idées  furent  remuées,  et 
il  en  est  d'autres  qui  sont  des  derniers  jours 
du  poète,  qui  forment  en  quelque  sorte  son 
testament,  oh.  il  exprimait  encore,  au  seuil  de 
la  tombe,  sa  foi  profonde  en  des  ères  apaisées 
et  meilleures,  apportant  la  revanche  de  la 
raison  sur  les  iniquités  et  les  folies  de  notre 
âge  de  fer. 

Hugo  n'avait  laissé  que  le  titre  de  ce  recueil. 
Toute  la  Lyre.  La  tâche  de  MM.  Meurice  et 
Vacquerie  était  donc  infiniment  délicate,  qui 
consistait  dans  le  groupement  de  ces  mor- 
ceaux. La  division  qui  s'imposait  était  celle 


REVUE  DE  LA  CRITIQUE. 


487 


des  sept  cordes  de  la  lyre,  répondant  à  un 
ensemble  d'idées,  philosophie,  amour,  nature, 
fantaisie,  tragédie,  chansons,  sanglots,  éclats 
de  rire.  Les  héritiers  littéraires  du  poète  n'ont 
point  trop  précisé,  cependant;  ils  se  sont 
bornés  à  une  classification  pour  ainsi  dire 
idéale. . . 

...  Mais  comment  donner,  en  un  article, 
l'impression  d'un  livre  comme  celui-là,  où  les 
idées  bouillonnent,  grondent,  se  pressent  en 
flots  tumultueux,  avec  tout  k  coup  des  apai- 
sements, des  sourires  et  comme  des  saluts  à 
des  levers  d'aurore  ! . .  Voix  de  colère,  de  pitié, 
d'amour,  de  tendresse,  elles  dominent  tout, 
en  résonnant,  les  cordes  féeriques  de  la  grande 
Lyre  qui  survit  au  poète  ! 


Le  Temps. 
1"  juin  1888. 


[Non  signé.] 


Ces  deux  nouveaux  volumes  contiennent 
des  témoignages  de  tous  les  âges  poétiques  de 
Victor  Hugo.  Cet  homme  extraordinaire  vécut 
plusieurs  âges  de  poète  et  son  œuvre  forme  des 
stratifications  comme  les  couches  de  l'écorce 
terrestre.  Si  vous  aimez  mieux,  son  œuvre  est 
une  babel  pleine  de  chants  et  de  murmures, 
de  brises  aériennes  et  de  coups  de  tonnerre. 

On  entend  un  peu  de  tout  cela  dans  le 
recueil  posthume  qui  paraît  aujourd'hui.  C'est 
un  prodigieux  concert.  Il  y  a  dans  Toute  la 
Lyre  de  quoi  étonner;  il  y  a  aussi  de  quoi 
charmer.  Ce  génie  terrible  a  parfois  des  grâces 
exquises.  Ayant  k  choisir  parmi  des  merveilles 
de  tout  genre,  nous  voudrions  ne  citer  que  ce 
qui  est  parfaitement  pur  et  d'une  beauté 
parfaite.  À  cet  égard,  nous  ne  voyons  rien  de 
plus  admirable  que  ces  seize  vers  datés  du 
14  avril  1847  :  «Écrit  sur  un  livre  du  jeune 
Michel  Ney»... 

. . .  Quelques  années  plus  tard,  au  temps  où 
le  génie  du  poète  était  le  plus  large,  le  plus 
ouvert,  le  plus  humain,  il  laissait  tomber  de 
sa  plume  ces  trois  stances  délicieuses,  qui 
restèrent  trente  ans  cachées  : 

Sais-tu  ce  que  Dieu  dit  à  l'enfant  qui  va  naître  ? 

Cette  faculté  de  voir,  que  Victor  Hugo 
avait  au  plus  haut  point,  il  la  garda  jusqu'au 
bout.  Cet  œil  prodigieux,  qui  saisissait  les 
formes  et   les   couleurs   avec    une   puissance 


infaillible,  ne  s'obscurcit  pas  dans  la  vieil- 
lesse... En  1872,  quand  il  écrivait  les  belles 
strophes  qu'on  va  lire,  il  voyait  les  choses 
avec  l'adorable  limpidité  de  la  jeunesse  et  de 
la  poésie  : 

Je  la  revois,  après  vingt  ans,  l'ilc  où  Décembre 

Me  jeta,  pâle  naufragé. 
La  voilà  !  c'est  bien  elle.  Elle  est  comme  une  chambre 

Où  rien  encor  n'est  dérangé. . . 

Porter  dès  aujourd'hui  un  jugement  sur 
ces  deux  volumes  serait  une  inconvenante 
légèreté.  La  poésie  se  goûte  lentement.  Mais 
ce  qui  nous  a  frappé  en  dévorant  ces  mille 
pages  de  vers,  c'est  la  sûreté  de  main  et  la 
puissance  de  vision  de  l'incomparable  ouvrier 
en  poésie  qui,  comme  un  forgeron  du  matin 
au  soir  frappant  sur  son  enclume,  fit  pendant 
soixante  ans  retentir  dans  le  monde  son  vers 
sonore. 


Le  Radical. 
i"  juin    1888. 


Georges  LefÈvre. 


Depuis  combien  d'années  attendons-nous 
ces  deux  volumes  !  Et  avec  quelle  rapidité 
nous  ont-ils  été  donnés,  si  l'on  songe  aux 
effrayantes  difficultés  qu'ont  rencontrées  ceux 
qui  avaient  accepté  la  tâche  écrasante  de  diri- 
ger cette  publication  ! 

C'est  qu'en  eflFet  Victor  Hugo  n'avait  laissé 
que  le  titre  de  l'ouvrage,  et  l'énorme  amon- 
cellement de  joyaux  duquel  il  devait  être  tiré. 
Auguste  Vacquerie  et  Paul  Meurice  pouvaient 
seuls  se  reconnaître  assez  dans  ce  trésor  des 
Mille  et  une  Nuits  pour  désigner  les  pièces 
nombreuses  qui  devaient  composer  l'œuvre 
nouvelle.  Tous  deux  l'ont  fait  en  grands 
poètes  qu'ils  sont,  et  dans  l'énorme  amas  des 
chefs-d'œuvre  encore  inédits,  ils  ont  trouvé 
des  merveilles  assez  sublimes  pour  grandir  la 
gloire  du  Maître,  si  cette  gloire  pouvait  encore 
être  grandie. 

Victor  Hugo  avait  écrit  : 

«Et  j'ajoute  à  ma  lyre  une  corde  d'airain.» 

et  sous  ce  titre  se  retrouvent  groupées  toutes 
les  strophes  indignées  du  poète  contre  les 
crimes,  contre  les  cruautés,  contre  les  mas- 
sacres, contre  les  horreurs  de  l'invasion  alle- 
mande et  les  égorgements  de  citoyens  désarmés. 
...  On  sait  que  les  vers  de  Toute  la  Lyre 


488 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


appartiennent  à  toutes  les  époques. . .  C'est  à 
la  dernière  période  que  se  rattache  cet  admi- 
rable portrait  d'une  femme  que  tout  le  monde 
reconnaîtra  et  saluera  bien  qu'elle  n'y  soit  pas 
nommée.  Cela  s'appelle  Viro  major,  plus 
grande  qu'un  homme. 

Après  avoir  cité  cette  poésie,  G.  Le- 
fèvre  conclut  : 

...  Et  pendant  que  je  découpais  parmi  tant 
de  merveilles  les  vers  qu'on  vient  de  lire,  je 
pensais  k  cette  femme  d'une  légende  orientale 
contrainte  de  choisir  entre  des  perles,  des 
saphirs,  des  rubis  et  des  diamants. 


Lf  Uoltaire. 
3  juin  1888. 


Gustave  Rivet. 


Toute  la  Lyre!  Ce  titre  si  juste,  si  vrai,  dit 
bien  ce  qu'est  cette  œuvre  nouvelle,  car  il  y 
a  dans  ce  merveilleux  recueil  toutes  les  notes. 
Les  sept  cordes  ont  vibré  tour  k  tour  sous 
l'archet  souverain  de  ce  génie. 

Ce  qu'il  dit  d'Horace  : 

Son  doigt  souple  à  la  fois  touche  à  toute  la  lyre. 

combien  mieux  on  pourrait  le   dire   de   lui- 
même. 

Il  est  grand  comme  Eschyle,  puissant  et 
satirique  comme  Juvénal,  souriant  comme 
Anacréon,  et  confondant  toutes  les  grandeurs 
et  tous  les  charmes,  mêlant  les  passions,  les 
joies,  les  tristesses,  les  colères,  les  sourires  :  il 
est  lui-même. 

Et  c'est  tout  Victor  Hugo  que  nous  avons 
dans  ces  volumes  superbes,  depuis  sa  jeunesse 
jusqu'k  sa  mort.  Je  ne  dis  pas  jusqu'k  sa 
vieillesse,  car  pour  ce  grand  esprit,  la  vieillesse 
n'est  jamais  venue  ;  il  n'y  a  eu  en  lui  que  des 
forces  transformées  et  des  maturités  successives. 

Voulez-vous  de  La  Légende  des  Sihles  ?  en 
voici  ;  des  poèmes  en  qui  souffle  le  panthéisme 
qui  s'épanchait  dans  les  vers  merveilleux  du 
Satyre  s  ou  cette  histoire  de  notre  temps,  sou- 
venirs des  guerres  d'Espagne,  choses  racontées 
par  le  père  de  Victor  Hugo. 

Voulez-vous  un  souvenir  des  ballades  de 
1827  ?. . .  Voici  La  blanche  Aminte  avec  ses  rimes 
si  imprévues,  si  originales,  qui  se  répondent 
en  échos,  comme  dans  le  fameux  Voi  d'armes 
du  roi  Jean, 


Voulez-vous  du  théâtre  ?  Voici  les  Comédies 
injouables j  qui  se  jouent  tous  les  jours,  et  où 
le  poète  a  noté  avec  son  observation  géniale 
et  son  ironie,  de  traits  ineffaçables  des  carac- 
tères modernes. 

Voulez-vous  des  chansons?  En  voici,  depuis 
La  Chanson  du  Ipeetre  jusqu'aux  Chansons  de 
Gavroche. 

Et  voulez- vous  la  grande,  la  haute  philo- 
sophie politique,  humanitaire,  dont  le  poète 
a  été  l'apôtre  ?  Voici  les  nobles  pages  histo- 
riques, sociales,  par  lesquelles  s'ouvre  et  se 
ferme  cette  œuvre. 

Une  des  plus  superbes  et  des  plus  hautes, 
des  plus  douces  et  des  plus  mélancoliques, 
des  plus  fortifiantes  et  des  plus  attendries, 
c'est  assurément  la  pièce  :  A  un  enfant j  dont 
il  est  impossible  de  rien  détacher,  tant  l'inspi- 
ration en  est  une,  égalc^  tant  d'un  bout  k 
l'autre  le  développement  en  est  précis  et  serré. 
Voici  la  pièce  k  Louise  Michel  :  Uiro  major. 
Voici  les  poésies  de  combat  contre  les  rois 
et  contre  les  prêtres,  pour  la  liberté  et  pour 
la  conscience. 

Voici  La  Libération  du  territoire ,  La  (^ueiiion 
sociale.  Enfin  ce  magnifique  poème,  L'Echa- 
faudj  dans  lequel  le  Maître  explique  les  gran- 
deurs terribles  et  sanglantes  de  la  Révolution, 
glorifiant  notre  temps  d'en  avoir  fini  avec  le 
meurtre,  prêchant  l'humanité,  la  douceur, 
la  concorde,  et  applaudissant  la  révolution 
de  février,  dont  le  premier  acte  a  été  d'abolir 
réchafaud  politique. 

Cette  œuvre  nouvelle  ajouterait  k  la  gloire 
de  Victor  Hugo,  si  cette  gloire  pouvait  être 
accrue.  Mais  si  Dieu  ne  peut  plus  maintenant 
ni  diminuer  ni  grandir  le  génie  qui  a  empli 
ce  siècle,  nous  ne  pouvons,  nous,  que  nous 
réjouir  de  voir  qu'aux  chefs-d'œuvre  déjk 
connus  viennent  s'en  ajouter  d'autres  ;  et  que 
la  prodigieuse  fécondité  du  grand  poète  a 
entassé  pour  cette  fin  de  siècle  comme  une 
réserve  de  hautes  jouissances  littéraires,  et 
qu'il  nous  donne,  du  fond  de  son  tombeau, 
au  milieu  des  tristesses  de  ce  temps,  de  quoi 
élever  nos  âmes  et  nous  enorgueillir. 


La  Nation, 
14   juin    1888. 


[Non  signé.] 


Quelle  vie  triomphale  que  celle  de  Victor 
Hugo  ! 


REVUE  DE  LA  CRITIQUE. 


489 


. . .  Victor  Hugo  n'a  pas  été  seulement  un 
grand  rhétoricien,  un  grand  révolutionnaire 
de  mots,  comme  des  critiques  aveugles  l'ont 
prétendu  :  il  a  été  aussi  un  grand  remueur 
d'idées.  Donnant  au  mot  de  poète  sa  signi- 
fication ancienne,  il  a  pris  en  pitié  toutes  les 
misères,  toutes  les  infirmités  humaines. 

...  Il  a  combattu  tous  les  préjugés,  toutes 
les  iniquités  sociales.  Il  a  montré,  élargie, 
purulente,  hideuse,  cette  plaie  de  la  Justice  : 
la  peine  de  mort.  Il  a  eu  pour  ennemis  tous 
les  despotes  et  pour  amis  tous  les  vaincus, 
tous  les  opprimés,  tous  les  proscrits.  Il  a  été  le 
soldat  du  droit  et  le  martyr  du  devoir. 

Et  c'est  pourquoi,  si  les  lettrés  l'admirent 
comme  le  plus  grand  poète  du  siècle,  le 
peuple  aime  et  vénère  sa  mémoire  comme 
celle  d'un  apôtre  de  l'humanité. 


Le  Monde  artiste. 
Juin  1888. 

Edouard  Thierry. 

-     Saluons  le  poète  de  Toute  la  Lyre  ! 

Rien  de  vide,  rien  d'inutile  là-dedans.  Rien 
qui  ne  soit  plein  et  précieux,  rien  qui  n'ait  le 
poids  et  le  titre  de  l'or.  Rien  qui  ne  pense  et 
ne  fasse  penser,  qui  n'arrête  et  qui  ne  retienne. 
Ce  n'est  pas  ici  qu'Hamlet  dirait  dédaigneu- 
sement: Des  mots!  des  mots!  des  mots!  Oui, 
des  mots,  et  des  mots  qui  ont  la  force  créatrice 
du  verbe,  des  mots  par  lesquels  les  choses  sont 
ce  qu'il  leur  a  été  départi  d'être  et  deviennent 
ce  qu'elles  n'avaient  jamais  été.  Avec  ces 
mots-là,  le  poète  fait  à  son  gré  le  charme  et 
l'horreur  infinis,  l'Eden  et  la  Géhenne,  le 
nouveau-né,  pur  comme  les  anges,  qui  bal- 
butie encore  leur  langue,  et  le  monstre 
effrayant,  odieuse  épave  d'un  monde  détruit 
dont  le  squelette  atteste  encore  les  hercules  et 
les  hydres  au  fond  des  cavernes  antédilu- 
viennes. 

...  Qu'est-ce  que  le  grand  poète  n'a  pas 
fait  avec  des  vers  !  Quelle  musique ,  quel 
éblouissement  n'en  a-t-il  pas  tiré  ?  On  pou- 
vait croire  qu'il  avait  dit  en  plus  d'un  demi- 
siècle  tout  ce  qu'il  avait  à  dire  pour  sa  gloire, 
et  il  avait  encore  à  nous  donner  tant  de 
chants  inconnus  de  la  dernière  heure  !  Uiro 
major  .'Vins  grand  qu'il  n'est  donné  à  l'homme 
et  plus  grand  que  lui-même. 


La  Nouvelle  Revue. 

Juin  1888, 

Maurice  Peyrat. 

Cette  puissance  si  rare  de  dompter  la 
langue  à  sa  guise,  d'y  puiser  sans  compter  et 
sans  fatigue  l'expression  toujours  heureuse, 
Victor  Hugo  la  possédait  merveilleusement. 
Il  avait  le  vocabulaire  le  plus  riche  et  le  plus 
divers  qui  se  puisse  imaginer,  et  les  mots, 
sans  effort,  accouraient  en  foule- à  l'appel  de 
sa  volonté.  Il  se  jouait  au  milieu  d'eux  comme 
un  jongleur  exercé  s'amuse  des  boules  d'ivoire 
qu'il  lance  dans  l'espace,  et  sa  fantaisie  n'eut 
jamais  rien  de  si  excessif  ni  même  de  si  outré 
que  la  phrase,  esclave  obéissante,  ne  vînt, 
pour  l'exprimer,  immédiatement  se  plier  à  son 
désir. 

Ce  magique  pouvoir,  on  voulut  le  lui  faire 
expier.  On  alla  jusqu'à  prétendre  que  les  plus 
beaux  vers  du  poète  n'étaient  qu'une  éblouis- 
sante fantasmagorie  de  mots  et  de  syllabes, 
ordonnés  avec  un  art  exquis,  mais  dissimulant 
mal  la  pauvreté  de  la  pensée.  On  traita 
d'amplifications  de  rhétorique  ses  plus  belles 
improvisations,  et  encore  aujourd'hui,  ceux 
qui  peinent  à  dompter  une  langue  qui  leur 
sera  toujours  rebelle  essaient  d'ensevelir  le 
maître  sous  l'amoncellement  de  ses  antithèses 
et  de  ses  images,  d'un  coloris  si  puissant.  Mais 
ces  attaques  intéressées  ne  mordent  point  sur 
le  granit  de  sa  gloire.  Vivant,  Hugo  les  dédai- 
gnait ;  mort,  il  peut  dormir  paisiblement, 
mesurant,  au  vide  immense  que  sa  disparition 
a  causé  dans  le  monde,  vide  que  nul  encore 
n'a  comblé,  l'inanité  des  attaques  dirigées 
contre  sa  mémoire. 

Et  d'ailleurs  les  plus  grands  parmi  nous  ne 
se  courbent-ils  pas  docilement  devant  l'uni- 
versalité de  ce  génie  sublime,  qui,  semblable 
à  un  soleil  qui  se  couche,  nous  inonde  encore 
de  ses  rayons,  alors  que  depuis  longtemps 
déjà,  il  a  quitté  notre  horizon  ? 

. . .  Nous  ne  saurions  mieux  terminer  ce 
court  hommage  rendu  à  cette  grande  mé- 
moire qu'en  citant  ces  éloquentes  paroles  que 
Jules  Simon  écrivait  en  février  i88j,  quelques 
mois  avant  la  mort  du  poète  : 

«  D'autres  remercieront  Victor  Hugo  de  ses 
œuvres.  Je  le  remercie  de  l'admiration  una- 
nime qu'elles  inspirent.  Tous  les  partis  et  tous 
les  peuples  applaudissent  ensemble  à  sa  gloire. 


490 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


De  tous  les  spectacles  que  ce  siècle  nous  a 
donnés,  il  n'y  en  a  pas  de  plus  consolant  et 
de  plus  rassurant  que  celui-là  !  » 

Le  Journal  des  Débats. 

4  et  II  juin  1888. 

Jules  LemaÎtre. 

. . .  J'ai  lu  sans  interruption  Toute  la  Lyre, 
et  je  ne  sais  plus  guère  où  j'en  suis.  Je  me 
sens  ivre  de  mots  et  d'images.  Ce  torrent  m'a 
noyé  dans  son  flot  qui  roule  des  ténèbres  et 
des  étoiles.  Et  maintenant. 

Comme  l'eau  qu'il  secoue  aveugle  un  chien  mouillé, 

ou,  si  vous  voulez,  pareil  au  barbet  du  vieux 
conte,  qui  «secouait  des  pierreries»,  je  me 
débats  sur  la  rive,  tout  ruisselant  et  aveugle 
de  métaphores,  le  bruit  des  rythmes  bour- 
donnant dans  mes  oreilles  comme  celui  des 
grandes  eaux  ;  et ,  dompté  par  un  dieu,  je  recon- 
nais et  j'adore  la  toute-puissance  de  son  verbe. 
Ai-je  jamais  dit  autre  chose .''  Des  gens  ont 
voulu  me  persuader,  l'an  dernier,  que  je  lui 
avais  manqué  de  respect.  Pourquoi  ?  Pour 
avoir  dit  que  si  nul  poète  ne  parlait  plus 
haut  à  mon  imagination,  deux  ou  trois  autres 
disaient  peut-être  des  choses  plus  rares  à  ma 
pensée  et  à  mon  cœur.  À  cause  de  cela,  plu- 
sieurs m'ont  traité  de  pygmée,  ce  qui  est  fort 
juste,  —  mais  aussi  de  cuistre,  de  zoïle  et 
même  de  batracien,  ce  qui  est  bien  sévère. 
J'avoue  que  là-dessus,  je  ne  les  ai  pas  crus. 
J'appartiens  à  la  génération  qui  a  le  plus 
aimé  Victor  Hugo.  Je  l'ai  profondément 
et  religieusement  admiré  dans  mon  adoles- 
cence et  ma  première  jeunesse.  Pendant  dix 
ans  je  l'ai  lu  tous  les  jours  et  je  lui  garde  une 
reconnaissance  infinie  des  joies  qu'il  m'a 
données.  J'ajoute  que  c'est  peut-être  pendant 
ces  dix  années-là  que  j'ai  eu  raison.  Mais 
nos  âmes  vont  se  modifiant  et,  par  suite, 
l'idée  que  nous  nous  formons  des  grands  écri- 
vains et  des  grands  artistes  et  l'émotion  qu'ils 
nous  donnent  ne  sont  point  les  mêmes  aux 
diverses  époques  de  notre  vie  :  faut-il  rap- 
peler une  vérité  si  simple  .'*  Tout  ce  que  je 
puis  vous  dire  aujourd'hui,  c'est  donc  l'im- 
pression que  me  laisse,  aujourd'hui  même, 
la  lecture  de  Toute  la  Lyre,  non  celle  que 
j'ai  reçue,  voilà  quinze  ans,  de  La  Légende 
des  Siècles. 


Encore  de  la  critique  personnelle  !  me  dit 
une  voix  que  je  respecte.  —  Hé  !  vous  en 
parlez  à  votre  aise  !  Plût  au  ciel  que  j'en 
puisse  faire  d'autre  et  sortir  de  moi  ! 

Laissez-moi  donc  vous  parler  librement  et 
respectueusement  du  dernier  livre  lyrique  de 
Victor  Hugo.  Librement  ?  Ai-je  donc  tant 
besoin  de  m'excuser  ?  Et  l'espèce  d'éblouisse- 
ment  qui  m'est  resté  dans  les  yeux  après  cette 
lecture  n'est-elle  pas  le  meilleur  hommage, 
étant  le  plus  involontaire,  que  je  puisse  rendre 
au  plus  puissant  assembleur  de  mots  qui  ait 
sans  doute  paru  depuis  que  l'univers  existe, 
depuis  qu'il  y  a  des  yeux  pour  voir  les  objets 
matériels,  des  intelligences  pour  concevoir 
des  idées,  des  imaginations  pour  découvrir 
les  rapports  cachés  entre  tout  ce  visible  et 
tout  cet  invisible,  et  des  signes  écrits  dont  les 
combinaisons  peuvent  exprimer  ces  rapports  ? 

Ainsi  je  suis  tranquille,  et  c'est  en  toute 
sécurité  que  je  vous  confierai  mes  impressions 
successives.  Après  le  bienheureux  ahurisse- 
ment dont  je  vous  ai  parlé,  je  me  recueille  et 
je  cherche  à  me  reprendre.  Qu'ai-je  donc  lu, 
en  somme  ?  Que  me  reste-t-il  dans  l'esprit, 
vme  fois  ces  grandes  vibrations  éteintes  ? 

Après  avoir  analysé  —  à  sa  manière 
—  les  cordes  de  Toute  la  Lyre,  Jules  Le- 
maître  constate  cette  vérité  qui  éclate 
chaque  fois  qu'il  dissèque  une  œuvre  de 
Victor  Hugo  : 

...  L'âme  de  Hugo  (et  c'est  tant  pis  pour 
moi)  est  par  trop  étrangère  à  la  mienne.  II  y 
a  dans  son  œuvre  trop  d'attitudes,  trop  de 
sentiments,  trop  de  façons  de  voir  le  monde 
et  l'histoire  que  j'ai  peine  à  comprendre  et 
qui  même  répugnent  à  mes  plus  chères  habi- 
tudes d'esprit. 

...  Cet  homme-là  peut  avoir  du  génie, 
soyez  sûrs  qu'il  n'a  que  ça.  Son  inintelligence 
des  âmes,  de  la  vie  humaine  et  de  ses  com- 
plexités est  incroyable.  Ses  énumérations  des 
grands  hommes,  des  porte-flambeaux,  sont 
de  merveilleux  coq-à-l'âne,  des  chefs-d'œuvre 
de  bouffonnerie  inconsciente.  C'est  Homais  à 
Pathmos. 

Et  Jules  LemaÎtre,  le  11  juin,  pour- 
suit sa  critique  incompréhensive  : 

—  Oui,  tout  cela  est  vrai,  disais-je.  Mais.  . . 


REVUE  DE  LA  CRITIQUE. 


491 


«Mais  ça  n'est  pas  vrai,  m'écrit  un  de  mes 
amis.  Tu  as  le  droit  de  dire  de  Hugo  encore 
plus  de  mal  que  tu  n'en  as  dit,  mais  seule- 
ment à  propos  de  ses  œuvres.  Ce  qu'on  vient 
d'éditer,  ce  sont  des  relieft,  des  rognures,  — 
ou  des  rinçures,  si  tu  préfères  cette  métaphore. 
Les  héritiers,  —  par  piété  évidemment,  — 
font  flèche  de  tout  bois  et  même  de  tous  co- 
peaux. Ils  publient  tous  les  brouillons,  même 
ceux  du  panier.  Mon  impression,  à  moi,  qui 
ai  lu  tout  Victor  Hugo  comme  toi,  et  assez 
récemment,  c'est  que  Toute  la  Lyre  est  une  col- 
lection d'épreuves  ratées;  sauf  trois  ou  quatre 
exceptions,  guère  plus,  chaque  pièce  me  rap- 
pelle un  équivalent,  un  «original»  supérieur. 
Chaque  théorie  a  déjà  été  exprimée  avec 
plus  de  puissance  et  de  développement. . .  Ce 
qu'on  nous  donne  aujourd'hui,  c'est  de  la 
parodie  de  Hugo,  non  par  Sorel,  mais  par 
Hugo.  C'est  comme  les  charges,  qui  sont  au 
Louvre,  du  rapin  Michel-Ange...  » 

Je  répondrai  alors  qu'il  est  singulièrement 
malaisé  de  distinguer  Hugo  parodiste  de  Hugo 
sérieux,  celui  qui  s'amuse  de  celui  qui  ne 
s'amuse  pas;  et  que,  souvent,  quand  il  ne 
s'amuse  pas,  il  nous  amuse  trop;  et  quand 
il  s'amuse,  il  ne  nous  amuse  pas  assez... 

Le  culte  de  mon  ami  pour  Hugo  le  rend 
tout  k  fait  injuste  à  l'endroit  des  honnêtes 
gens  à  qui  le  grand  poète  a  légué  sa  malle. 
Toutes  les  «rognures»,  ils  ont  mission  de  les 
publier.  Et  quand  même  ils  n'y  seraient  pas 
obligés  par  la  volonté  du  défunt,  comment 
oseraient-ils  décider  que  ce  sont  en  eflFet  des 
rognures  ? 

Hugo  ne  le  pensait  point;  il  avait  annoncé 
lui-même,  sept  ou  huit  ans  avant  sa  mort,  la 
publication  de  Toute  la  Lyre.  Et  il  me  paraît 
bien,  k  moi,  que  ce  dernier  recueil  n'est  pas 
plus  un  assemblage  «d'épreuves  ratées»  que  la 
seconde  Lé^nde  des  Siècles,  Le  Pape,  L'Ane, 
Religions  et  religion,  La  Pitié'  suprême,  le  Théâtre 
en  liberté'  ou  La  Fin  de  Satan, 

La  vérité,  c'est  que  c'est  toujours  la  même 
chose;  et  voilà  précisément  ce  que  j'ai  voulu 
dire.  Les  Chants  du  crépuscule  étaient  la  même 
chose  que  Ljis  Uoix  intérieures  qui  étaient  la 
même  chose  que  Les  Feuilles  d'Automne;  la  se- 
conde Légende  était  la  même  chose  que  la  pre- 
mière; Les  (Quatre  'Vents  de  l'Ecrit  reprenaient 
tous  les  thèmes  des  Contemplations,  etc.  Et,  à 
mon  avis,  dans  cette  interminable  série  de 
farouches  redites,  la  puissance  du  verbe  reste 


égale,  si  même  elle  ne  va  croissant.  La  pièce 
qui  ouvre  Toute  la  Lyre,  et  qui  en  rappelle 
quinze  ou  vingt  autres,  est  peut-être  la  plus 
magistrale  et  la  plus  complète  que  Hugo  ait 
écrite  sur  la  Révolution.  Quelques-uns  des 
paysages  qui  viennent  ensuite  sont  de  purs 
chefs-d'œuvre.  Il  y  a  aussi  deux  ou  trois  poé- 
sies d'amour  qui  égalent  les  plus  belles  des 
Contemplations. 

. . .  L'autre  jour,  M.  Sarcey  écrivait  dans  sa 
causerie  du  Parti  national  :  «Victor  Hugo  a 
plusieurs  manières». 

...  Je  crois  que,  à  le  bien  prendre,  Hugo 
n'a  jamais  eu  qu'une  manière.  La  preuve, 
c'est  que  Toute  la  Lyre  se  compose  de  pièces 
écrites  par  le  poète  aux  diverses  époques  de  sa 
vie,  et  que  cependant  l'unité  d'impression  y 
est  parfaite,  va  presque  jusqu'à  l'ennui. 

...  Si  donc  on  veut  définir  le  génie  de 
Hugo  par  ce  qui  lui  est  essentiel,  je  crois 
qu'il  convient  d'écarter  ses  idées  et  sa  philo- 
sophie. Car  elles  ne  lui  appartiennent  pas, 
ou  ne  lui  appartiennent  que  par  l'outrance, 
l'énormité,  la  redondance  prodigieuse  de  la 
traduction  qu'il  en  a  donnée. . .  Analyser  et 
décrire  sa  poétique  et  sa  rhétorique,  c'est  dé- 
finir Hugo  tout  entier  —  ou  presque. 

...  Mais  avec  tout  cela,  Victor  Hugo  est 
unique,  il  est  dieu.  On  peut  affirmer,  je  crois, 
que  nul  poète,  ni  dans  les  temps  anciens,  ni 
dans  les  temps  modernes,  n'a  eu  à  ce  degré, 
avec  cette  abondance,  cette  force,  cette  pré- 
cision, cet  éclat,  cette  grandeur,  l'imagina- 
tion de  la  forme.  La  qualité  de  son  esprit  ne 
m'éblouit  ni  ne  me  charme,  hélas!  ou  même 
m'incite  à  me  réfugier  dans  la  pensée  délicate 
ou  dans  le  tendre  cœur  des  poètes  qui  me  sont 
chers  :  mais  son  verbe  m'écrase.  «  Une  âme 
violente  et  grossière»,  comme  l'a  appelé  Louis 
Veuillot,  soit;  mais  une  bouche  divine... 

...  Je  me  contenterai  de  choisir  dans  Toute 
laLjre,  pour  votre  plus  noble  divertissement, 
quelques  exemples  de  ce  don  d'amplification 
étourdissante  et  vertigineuse.  Vous  y  verrez 
qu'aucun  homme  n'a  jamais  su  développer 
une  seule  idée  par  un  si  grand  nombre  de 
comparaisons  et  de  métaphores,  ni  si  justes, 
ni  si  brillantes,  ni  si  rares,  ni,  en  général,  si 
claires,  et  n'a  su  enchaîner  ces  images  dans 
des  périodes  qui  eussent  tant  de  mouvement, 
ni  un  mouvement  si  large,  si  emporté,  si  con- 
tinu, —  et  qui  emplissent  l'oreille  de  rythmes 
plus  sensibles   et  plus  sonores.    Je  sais  bien 


492 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


que  le  pauvre  Hugo  n'a  que  cela.  Mais  ce 
rien,  dans  la  mesure  où  je  l'ai  dit,  personne 
ne  l'a  jamais  eu.  Ne  le  plaignons  donc  pas 
trop. 

. . .  Hugo  est  le  monstre  de  la  parole  écrite. 
Il  résume  et  dépasse  tous  les  grands  rhéteurs 
de  culture  latine  qui  ont  excellé  dans  le  déve- 
loppement oratoire  ou  pittoresque.  Imaginez  je 
ne  sais  quel  taureau  de  Phalaris  d'où  sortirait, 
amplifiée,  la  voix  de  Lucain,  de  Juvénal, 
de  Claudien,  —  et  aussi  de  d'Aubigné,  de 
Malherbe,  même  de  Corneille,  de  tous  ceux 
enfin  qui  ont  le  mieux  su  le  verbe  classique. 
Au  delà  de  sa  rhétorique,  il  n'y  a  rien...  On 
peut  dire  en  un  sens  qu'il  ferme  un  cycle.  Il 
est  très  grand.  S'il  ne  l'est  pas  par  la  pensée, 
il  y  a  cependant  en  lui  plus  de  substance  que 
je  n'ai  afiFecte  d'en  voir;  seulement  c'est,  si  je 
puis  dire,  son  imagination  et  sa  rhétorique 
qui  lui  ont  créé  sa  pensée. 

. . .  Autre  chose  encore.  Il  a  été  le  roi  des 
mots.  Mais  les  mots,  après  tant  de  siècles  de 
littérature,  sont  tout  imprégnés  de  sentiments 
et  de  pensée  :  ils  devaient  donc,  par  la  vertu 
de  leurs  assemblages,  le  forcer  k  penser  et  k 
sentir.  A  cause  de  cela,  ce  songeur  si  peu 
philosophe  a  quelquefois  des  vers  profonds; 
et  ce  poëte,  de  beaucoup  plus  d'imagination 
que  de  tendresse,  a  des  vers  délicats  et  tendres. 
(Il  y  en  a  dans  Tonte  la  Lyre;  voyez  Ce  que 
dit  celle  qui  n'a  pas  parlé.  ) 

Puis,  comme  la  moindre  idée  lui  suggère 
une  image,  et  comme  ensuite  les  images  s'ap- 
pellent et  s'enchaînent  en  lui  avec  une  surna- 
turelle rapidité ,  le  sujet  qu'il  traite  a  beau  être 
maigre  et  court  dans  son  fond,  la  forme  dont 
il  le  revêt  est  un  vaste  enchantement.  Ces 
correspondances  qu'il  saisit  entre  les  choses 
nous  intéressent  par  elles-mêmes.  La  figure 
entière  du  monde  finit  par  tenir  dans  le  déve- 
loppement du  moindre  lieu  commun.  Cette 
poésie,  que  ma  pensée  et  mon  cœur  ont 
parfois  trouvée  indigente,  finit  donc  par 
apparaître,  \  qui  sait  lire,  comme  la  plus  opu- 
lente qui  se  puisse  rêver. 

...  Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  Hugo  ne 
pouvait  être  l'incomparable  ouvrier  de  style 
qu'il  a  été,  sans  être  par  là  même  un  fort 
grand  poète.  Et  si  son  nom  est  encore  livré 
aux  vaines  disputes  des  hommes,  s'il  est  mal- 
aisé de  déterminer  l'étendue  et  les  limites  de 
son  génie,  c'est  peut-être  que  son  cas  res- 
semble assez  à  celui  de  Ronsard  ;  c'est  que  son 


œuvre  n'est  pas  toute  dans  ses  livres;  c'est 
qu'il  a  eu  (non  pas  seul,  mais  plus  qu'aucun 
autre)  la  gloire  de  rajeunir  l'imagination  d'un 
siècle  et  de  renouveler  une  langue,  et  que, 
par  conséquent,  nous  ne  pouvons  pas  savoir 
au  juste  ce  que  nous  lui  devons. 


lui  Monde  poétique. 

Juin  1888. 

Emile  BlÉmont. 

Lettre  A   M.   Jules  Lemaîtke. 


Monsieur  et  honoré  confrère, 

A  propos  de  Tottte  la  Lyre^  vous  avez  écrit 
sur  l'œuvre  de  Victor  Hugo  deux  feuilletons 
spirituels,  trop  spirituels  peut-être.  Vous  y 
prêtez  l'appui  de  votre  talent  et  l'autorité 
de  votre  nom  à  des  procédés  de  critique  lit- 
téraire qui  me  semblent  regrettables  et  dan- 
gereux. 

. . .  Eh  quoi  !  ai-je  bien  lu  .-*  «  L'âme  de 
Hugo,  affirmez-vous  brusquement,  est  par 
trop  étrangère  à  la  mienne  !  »  Est-ce  vous  qui 
avez  écrit  cela  ?  Mais  alors  que  signifiaient  ces 
adorations  de  l'adolescence  et  de  la  première 
jeunesse,  et  ces  dix  ans  de  lectures  quoti- 
diennes.? Hélas!  comme  elle  a  vite  pris  fin, 
cette  reconnaissance  infinie.  Hugo  est  resté 
toujours  le  même,  répétez-vous.  C'est  donc 
vous  qui  avez  varié. 

...  Je  m'aperçois  du  reste  que  vos  deux 
articles  sont  remplis  de  ces  voltes,  qui  en 
forment  le  tissu  même. . .  Vouliez-vous  admi- 
nistrer au  spectre  de  Victor  Hugo,  pour  le 
faire  rentrer  sous  terre,  vingt-quatre  colonnes 
de  douches  écossaises.?  Vous  annoncez,  au 
début,  que  vous  allez  parler  de  lui  relpedueu- 
sement.  Et  tout  d'un  coup  vous  vous  répandez 
en  appréciations  qui  ne  sont  ni  des  perles  ni 
des  pierreries  encore  que  vous  vous  compariez 
au  petit  chien  du  fabliau  ! 

[Citation  de  quelques  appréciations  données.] 

...  Et,  redoublant  de  respect  :  «  L'huma- 
nité mise  en  antithèses,  pareille  à  un  immense 
guignol  apocalyptique. . .  »  Hélas  !  qu'auriez- 
vous  dit,  si  vous  n'aviez  juré  d'être  respec- 
tueux ?  Et  vous  continuez,  respectueusement 
toujours,  à  souffler  le  froid  et  le  chaud  :  «  Une 


REVUE  DE  LA  CRITIQUE. 


493 


âme  violente  et  grossière  !  —  Une  bouche 
divine!  —  Victor  Hugo  est  unique,  il  est 
Dieu.  —  Hugo  est  le  monstre  de  la  parole 
écrite.  »  Chaque  fois  que  le  poète  entre  dans 
vos  idées,  vous  l'exaltez  jusqu'aux  étoiles. 
Froisse-t-il  le  moindre  de  vos  préjugés,  il  n'est 
plus  qu'un  rhéteur  misérable. 

. . .  Votre  procédé  d'analyse  ne  me  surprend 
pas  moins,  mon  cher  confrère,  que  votre  pro- 
cédé de  respect.  Pour  donner  à  vos  lecteurs 
une  idée  exacte  des  poèmes  de  Toute  la  Lyre, 
que  faites- vous .''  Vous  les  résumez  tour  à  tour, 
aussi  sèchement  que  possible,  en  une  ou  deux 
lignes  de  prose.  Vous  les  réduisez,  comme 
on  fait  en  arithmétique,  à  leur  plus  simple 
expression.  Et  vous  remplissez  une,  deux, 
trois,  quatre  colonnes,  de  quarante  lignes 
chacune,  avec  ces  singulières  énumérations. 
Cela  fait,  vous  tirez  l'échelle,  vous  vous 
retournez  vers  le  public,  et  dites  aux  gens  en 
guise  de  conclusion  :  «  Vous  ne  tirerez  rien 
de  plus  de  Toute  la  Lyrej  et  pas  grand'chose 
de  plus  des  quinze  volumes  lyriques  de 
l'immense  poète.  »  Je  crois  que  vous  faites 
erreur.  Ils  en  tireront  tout  ce  qui  s'y  trouve, 
beauté,  amour,  enthousiasme,  hautes  pen- 
sées, grandes  actions.  C'est  de  votre  analyse 
qu'ils  auront  peine  à  tirer  quelque  chose,  car 
vous  avez  pris  soin  de  n'y  rien  laisser. 

...  Dans  une  œuvre  d'art,  vous  supprimez, 
oh  !  bien  peu  de  chose,  la  forme,  la  couleur, 
le  parfum,  l'âme,  la  vie,  c'est-à-dire  tout  ce 
qui  constitue  l'art,  et,  montrant  le  résidu  : 
«  C'est  tout  ce  qu'on  en  peut  tirer  !  » 

. . .  Vous  trouvez  Hugo  encombrant.  Vous 
lui  reprochez  vertement  d'avoir  trop  rimé. . . 
Que  de  vers  !  que  de  vers  !  murmurez-vous 
devant  les  débordements  du  poète.  J'ai  bien 
peur  qu'un  de  ces  jours  vous  reprochiez  à 
l'Océan  d'avoir  trop  de  vagues,  au  bois 
d'avoir  trop  de  feuilles,  au  printemps  d'avoir 
trop  de  roses.  Mais  s'ils  en  avaient  moins, 
seraient -ils  encore  le  printemps,  le  bois, 
la  mer.?  Ce  n'est  pas  la  qualité  des  vers 
qui  vous  afflige  ;  vous  constatez  qu'ils  sont 
toujours  faits  de  main  de  maître,  c'est  leur 
multiplicité. 

. . .  Vous  qualifiez  d'impertinent  un  de  vos 
amis,  dont  vous  citez  pourtant  la  lettre  avec 
complaisance,  parce  qu'il  vous  écrit  que 
Toute  la  Lyre  est  une  «  collection  d'épreuves 
ratées,  de  reliefs,  de  rinçures,  de  rognures, 
de  copeaux,   etc.  ».   La   pièce   qui    ouvre  le 


recueil  (''  vous  semble  la  plus  magistrale  et  la 
plus  complète  que  Hugo  ait  écrite  sur  la  Révo- 
lution. Vous  proclamez  de  purs  chefs-d'œuvre 
quelques-uns  des  paysages  et  quelques-uns  des 
poèmes  d'amour  qui  viennent  ensuite.  Mais 
c'est  toujours  du  Victor  Hugo.  Et  cela  suffit 
pour  vous  gâter  le  tout. 

...  Et  un  peu  plus  loin  vous  ajoutez  :  «  La 
vérité,  c'est  que  c'est  toujours  la  même 
chose.  » 

Non ,  ce  n'est  pas  toujours  la  même  chose , 
puisque,  vous  le  reconnaissez,  la  première 
pièce  de  Toute  la  Lyre,  par  exemple,  est  supé- 
rieure à  toutes  les  pièces  précédentes  du  même 
genre.  Non,  ce  n'est  pas  toujours  la  même 
chose,  car  ces  paysages,  qui  vous  plaisent  à  si 
juste  titre,  ces  paysages  d'une  vision  si  intense 
et  d'une  si  puissante  exécution,  donnent  une 
note  sensiblement  neuve  dans  l'œuvre  de 
Hugo,  la  note  du  fantastique  vrai,  du  fantas- 
tique naturel,  que  personne,  pas  même  lui, 
n'avait  encore  accentuée  ainsi.  Rembrandt 
seul,  avec  ses  mystérieux  effets  d'ombre  et  de 
lumière,  avait  rêvé  et  fixé  quelque  chose 
d'analogue. 

. . .  Les  vers  yl  Théophile  Gautier  vous  pa- 
raissent supérieurs  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  beau 
dans  la  prose  de  Bossuet.  Que  voulez-vous 
donc  de  plus.-*  Ce  n'est  pas  Homais  à  Pathmos; 
c'est  Homère  à  Paris. 

. ..  Vous  croyez  et  vous  affirmez  hardiment, 
mon  cher  et  honoré  confrère,  que  Hugo  n'a 
jamais  eu  qu'une  manière. . .  Est-ce  que  le 
rêveur  attendri,  le  penseur  mélancolique  et 
passionné  des  Feuilles  d' Automne ,  des  Uoix  inté- 
rieures, des  Kajons  et  des  Ombres  a  la  même 
manière,  si  manière  il  y  a,  que  «l'enfant 
sublime  »  des  Odes  et  le  virtuose  des  Orien- 
tales ?. . . 

Et,  passant  en  revue  l'œuvre  de 
Victor  Hugo,  le  critique  reprend  : 

Des  manières  ?  Mais  Hugo  en  a  eu  plus 
que  tous  les  autres  poètes,  des  manières...  Il 
a  trouvé  des  accents  inconnus  pour  chanter  sa 
fille  morte,  sa  patrie  déshonorée.  Ah  !  vous 
voulez  de  l'émotion.  Eh  bien  !  en  voilà  pour 
quiconque  est  père  et  citoyen.  Toute  sa  vie, 
sans  trêve,  infatigablement,  merveilleuse- 
ment, il  a  inventé  des  formes,  formes  de  vers, 

'■'  Les  révolutions j  ces  grandes  affranchies. 


494 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


formes  de  stances,  formes  de  rythmes,  formes 
de  poèmes,  formes  de  drames,  formes  de 
livres,  formes  de  sensations,  formes  de  senti- 
ments, formes  d'idées,  formes  de  rêves, 
formes  d'âmes,  formes  de  mondes.  Son  inspi- 
ration inépuisable,  toute-puissante,  coulait 
chaque  jour  le  réel  et  l'idéal  en  de  nouveaux 
moules  littéraires.  Ah  !  comme  il  a  marqué 
de  ses  multiples  empreintes  l'ode,  l'idylle, 
l'élégie,  le  théâtre  et  le  roman,  cet  écrivain 
que  vous  voyez  ankylosé  et  comme  pétrifié 
dans  une  attitude  immuable,  dans  une  inva- 
riable pose  ! 

...  Une  chose  me  frappe  particulièrement 
dans  votre  étude  sur  Hugo,  c'est  que,  ren- 
versant tous  les  termes,  mettant  sens  dessus 
dessous  toutes  les  conditions  de  la  vie  et  de  la 
production  poétiques,  vous  lui  faites  exclusi- 
vement honneur  de  ce  qui  est  la  partie  infé- 
rieure et  inconsciente,  pour  lui  contester  la 
partie  consciente  et  supérieure.  Pour  vous, 
Hugo  est  un  géant,  un  dieu,  mais  un  géant 
ingénu,  un  dieu  automate,  un  Jupiter-Gui- 
gnol. Qu,and  il  sent,  quand  il  aime,  quand  il 
pense,  c'est  sans  le  savoir,  sans  le  faire  exprès, 
malgré  lui,  par  la  force  des  choses...  J'ai  relu 
par  deux  fois,  n'en  croyant  pas  mes  yeux, 
cette  genèse  furieusement  simpliste  du  génie 
mécanique,  ou  plutôt  du  génie  mécanisé. 

. . .  Cette  critique  myope. . .  excelle  à  mettre 
en  relief  toutes  les  petitesses,  à  substituer  par- 
tout les  solutions  basses  aux  solutions  hautes; 
ce  qui  est  grand  lui  échappe.  Elle  est  l'esprit 
qui  nie,  et  qui  finit  par  prendre  plaisir  à  nier 
spirituellement. 

Il  me  semble  qu'à  l'heure  où  nous  sommes, 
entre  les  rimes  décadentes  et  les  romans  fai- 
sandés, un  homme  de  votre  valeur  pourrait 
mieux  employer  son  temps  qu'à  traiter  un 
grand  poète  de  guignol,  et  à  le  travestir 
en  pharmacien  normand  pour  l'envoyer  à 
Pathmos. 


Le  Charivari, 
î  juin  1888. 


Pierre  VÉron. 


Quand  des  mains  pieuses  furent  appelées 
au  périlleux  honneur  d'inventorier  les  richesses 
poétiques  laissées  par  Victor  Hugo,  elles  trou- 
vèrent sur  une  feuille  de  papier  ce  titre  à  la 
fois  éblouissant  et  terrible  :  Toute  la  Lyre, 


Puis  des  manuscrits,  des  manuscrits,  des 
manuscrits. 

Il  fallait  justifier  cela  avec  ceci.  QupUe  tâche  ! 

Mais  MM.  Paul  Meurice  et  Vacquerie  sont 
tellement  imprégnés  de  la  pensée  du  maître, 
leur  admiration  s'est  affirmée  tant  de  fois  déjà 
par  des  prodiges  de  mise  en  œuvre,  qu'on 
n'avait  rien  à  redouter  ni  d'eux  ni  pour  eux. 

Ils  ont  en  effet,  avec  un  tact  merveilleux, 
avec  une  intelligente  piété  filiale,  composé 
deux  volumes  qui  réalisent  toutes  les  espé- 
rances, qui  tiennent  toutes  les  promesses  du 
titre. 

Ce  titre-là  obligeait  à  faire  de  la  variété  la 
première  condition  du  livre. 

Condition  absolument  remplie. 

Pour  cela,  on  a  demandé  à  toute  la  vie  de 
Victor  Hugo  des  fragments  tendres,  souriants, 
pathétiques,  descriptifs,  mystiques,  roma- 
nesques. 

...  Ici,  c'est  le  printemps  de  la  muse;  là, 
c'est  la  Némésis  vengeresse.  Quelles  belles 
pages,  digne  suite  des  Châtiments j  vous  lirez 
dans  le  second  volume  ! 

Je  ne  vois  rien  de  plus  grandiose  que  cette 
protestation  puissante  qui  a  pour  titre  L'Orne 
des  Meurtres, 

...  Ailleurs,  quelle  chose  touchante  que 
ces  quelques  vers  : 

Ecrit  sur  un  livre  du  jeune  Michel  Nej. 

Et  ceux-ci,  d'une  grâce  exquise  : 
Sais-tu  ce  que  Dieu  dit  à  l'enfant  qui  va  naître  ! 

Et... 

Mais  voilà  i'écueil. 

Quand  on  a  commencé  à  citer,  on  ne 
s'arrêterait  plus. 

Faut-il  le  regretter,  en  somme  ?  Lorsqu'on 
a  affaire  au  génie,  citer  n'est-il  pas  la  meil- 
leure façon  de  louer  .-*  La  seule  même  ! 

Que  voulez-vous  que  dise  la  critique,  qui 
n'ait  été  répété  cent  fois  ? 

Que  Victor  Hugo  est  grand  ?  Que  Victor 
Hugo  sait  être,  selon  qu'il  le  veut,  formidable 
ou  doux,  paternel  ou  philosophique.?  Que 
Victor  Hugo  fait  à  son  gré  chanter  l'amour, 
pleurer  la  pitié,  sourire  l'enfance,  rugir  la 
colère  ? 

Tout  cela,  vous  le  direz  pour  moi,  et 
mieux  que  moi,  quand  vous  aurez  achevé  la 
lecture  de  Toute  la  Lyre  et  que,  sous  le  coup 
de  tant  d'émotions,  vous  penserez,  avec  une 


REVUE  DE  LA  CRITIQUE. 


495 


patriotique  fierté,  qu'aucun  autre  peuple  ne 
peut,  au  dix-neuvième  siècle,  s'enorgueillir 
d'un  pareil  poète. 


LiU  Ga<=rette  de  France. 
6  juin  1888. 


SiMMIAS. 


Toute  la  Lyre  vient  de  paraître.  C'est  une 
œuvre  d'autant  plus  posthume  que,  dans 
beaucoup  de  pièces  que  contient  ce  volume, 
il  semble  que  ce  soit  le  cadavre  seul  de  Victor 
Hugo  qui  parle. 

Veut-on,  par  exemple,  de  l'apocalyptique, 
dès  les  premiers  vers  on  en  trouve  : 

Aie  une  muse  belluaire. 
Sinon  tu  seras  dévoré. 
Le  ciel  t'offre  un  double  suaire. 
L'un  étoile,  l'autre  azuré. 

Le  même  homme  qui  chanta  :  Capetj  éveille- 
toi  l  trouve  le  meurtre  de  Louis  XVI  légi- 
time : 

Eruption  des  droits  de  l'homme  !  Sombres  laves  ! 
Et  comment  expliquer  ces  aspects  de  l'abîme  ? 

. . .  Hé  !  grand  homme,  c'est  bien  facile,  en 
appelant  toutes  choses  par  leurs  noms,  les  inno- 
cents et  les  victimes,  innocents  et  victimes; 
les  assassins  et  les  coquins,  assassins  et  coquins. 

Il  est  vrai  qu'une  telle  traduction,  c'est 
pour  les  naïfs  du  vulgaire,  et  j'en  suis;  quant 
aux  déifiés  dont  fut  toujours  cet  immense 
farceur  de  Victor  Hugo,  ils  ont  un  autre  œil 
que  le  reste  des  hommes. 

O  «Jocrisse  à  Pathmos»,  ou  plutôt  Prud'- 
homme \  Guernesey,  comme  te  voilà  bien, 
pontife  sous  le  képi  de  garde  national  ! 

À  côté  de  ces  misères,  des  choses  superbes, 
comme  dans  tout  ce  qu'a  produit  ce  colosse, 
inspiré  et  charlatan,  stupide  et  sublime  : 

£<t;V  sur  un  livre  du  jeune  Michel  Nej. 

De  là,  nous  passons  au  calembour,  —  mais 
au  calembour. . .  par  à  peu  près  : 


Et  si  le  pape  enfin  daigne  rougir  la  jupe 
Du  prêtre  dont  le  nom  commence  comme  dupe 
Et  finit  comme  loup. 

Sincèrement,   après   cela,    est-il    nécessaire 
d'ajouter  beaucoup  de  paroles  pour  établir  que 


Toute  la  Léjre  n'apportera   rien  de   plus  à  la 
renommée  de  Victor  Hugo  ? 

Au  contraire,  l'impression  que  procure  la 
lecture  discursive  de  ces  deux  énormes  volumes 
est  tout  à  fait  déplaisante.  On  se  sent  en  pré- 
sence, —  qu'on  me  passe  cette  expression,  — 
d'un  tas  de  raclures  de  tiroirs  sur  lesquelles  le 
maître  lui-même  avait  voulu  faire  le  silence. 
Ce  n'est  donc  pas  à  lui,  mais  à  ses  héritiers, 
qu'il  faut  s'en  prendre  de  ce  procédé  irrespec- 
tueux qui  consiste  à  exhiber  le  linge,  même 
sale,  d'un  grand  homme.  —  L'homme  est 
mort,  soit!  Ce  n'est  pas  une  raison  pour  faire 
du  demi-dieu  un  polichinelle. 

Le  Rappel. 
8    juin    1888. 

Théodore  de  Banville  s'est  dit  que  les  vers 
n'étaient  bien  glorifiés  qu'en  vers.  Nous  trou- 
vons dans  une  nouvelle  et  intéressante  revue  '"> 
ceux  que  lui  a  inspirés  Toute  la  Lyre  : 

Un  grand  souffle  court  dans  les  bois 
Et  sur  les  cimes  éternelles  ; 
J'entends  parler  toutes  les  voix 
Et  frissonner  toutes  les  ailes. 

Sombre  et  délicieux  tourment. 
Orgueil,  amour,  espoir,  délire, 
Écoutez ,  c'est  l'enchantement 
De  la  prodigieuse  Lyre  !  . . . 

Qui  vous  agite  sur  nos  fronts. 
Epopée  où  le  sang  ruisselle. 
Douce  idylle,  chant  des  clairons, 
O  symphonie  universelle. 

Et  vous,  colères  de  l'autan. 
Caresses  de  l'aube  vermeille. 
Et  toi.  Nuit  ?  —  C'est  le  grand  Titan, 
Hugo,  qui  parle  et  se  réveille. 


L'Illustration. 
9  juin  1888. 


L.  P. 


Victor  Hugo  est  placé  si  haut  que  la  publi- 
cation de  deux  volumes  de  mauvais  vers  — 
en  admettant  qu'il  fut  capable  de  les  com- 
mettre —  ne  pourrait  l'atteindre  ni  porter 
de  préjudice  à  sa  renommée.  Or,  ce  n'est 
point  ce  qui  arrive,  et  ce  n'est  pas  un  petit 
étonnement,  même  pour  ses  admirateurs,  de 

'''  Nous  n'avons  pu  trouver  le  nom  de  cette 
nouvelle  revue. 


496 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


voir  que  ces  deux  volumes  où  le  poète  a  fait 
vibrer,  comme  il  dit,  toutes  les  cordes  de  la 
lyre,  que  l'on  pouvait  croire  à  la  rigueur 
composés  de  pièces  rejetées  comme  imparfaites, 
lors  de  la  composition  des  précédents  recueils, 
étaient  au  contraire  remplis  des  beautés  les 
plus  rares  et  contenaient  des  vers  comme  le 
poète  n'en  a  pas  de  plus  beaux.  Qu'en  con- 
clure? sinon,  ce  qu'on  savait  déjà  :  que  le 
poète  était  doué  d'une  fécondité  merveilleuse 
et  que,  lorsqu'il  publiait  un  volume,  il  se 
préoccupait  avant  tout  de  lui  donner  l'unité 
d'impression,  d'action  lyrique,  si  je  puis  dire, 
et  que  tout  ce  qui  ne  contribuait  pas  à  cette 
unité  était,  sans  égard  pour  la  valeur  de  la  pièce, 
impitoyablement  éliminé.  Entendons-nous  ce- 
pendant, l'élimination  n'allait  pas  jusqu'à  l'exé- 
cution, Victor  Hugo  n'était  pas  un  barbare. 
Ces  pièces  étaient  réservées  pour  de  futurs  re- 
cueils. Mais  ceux  qui  ont  avancé  que  Victor 
Hugo  manquait  de  sens  critique  afin  d'ex- 
pliquer la  publication  posthume  de  certaines 
pièces  comme  celle  qui  débute  par  ce  vers  : 

Quand  la  lune  apparaît  dans  la  brume  des  plaines. . . 

et  que  l'on  peut  considérer  comme  un  pur 
chef-d'œuvre,  se  sont  lourdement  trompés. 
Hugo  l'a  écrite  en  pleine  possession  et  au  plus 
beau  moment  de  son  génie,  et  s'il  l'a  laissée 
dormir  si  longtemps  et  même,  semble-t-il, 
oubliée,  il  ne  faut  y  voir  qu'une  négligence 
sublime  de  poète  à  qui  il  en  coûte  moins  de 
faire  un  nouveau  chef-d'œuvre  que  de  se 
rappeler  les  anciens. 


Le  Siècle. 
Lundi  II  juin  1888. 


Charles  BiGOT. 


Il  nous  était  promis,  il  figurait  sur  les  cou- 
vertures des  livres  du  poète  depuis  une  tren- 
taine d'années  déjà,  ce  recueil  de  Toute  la  Lyrej 
il  vient  de  paraître  pour  le  troisième  anniver- 
saire de  sa  mort.  Il  est  comme  le  testament 
poétique  de  Victor  Hugo,  et  il  ne  ment  point 
au  titre  qui  l'annonce.  C'est  bien  toute  la  lyre 
en  effet,  toute  sa  lyre  du  moins,  et  dans  ces 
deux  volumes,  le  maître  a  voulu  réunir  et 
nous  faire  admirer  toutes  les  formes  de  son 
génie. 

La  lyre  a  sept  cordes  et  le  livre  est  divisé  en 
sept  parties. 

...  Quand  les  sept  cordes  ont  vibré,   une 


dernière  se  fait  entendre,  celle  que  le  poète  a 
appelée  «la  corde  d'airain»,  celle  dont  il  a  tiré 
les  Châtiments  et  plus  d'une  pièce  de  U Année 
terrible.  Dans  ce  dernier  chapitre,  «la  Corde 
d'airain»,  je  signale  un  morceau  d'un  mépris 
hautain  après  l'expulsion  de  Belgique  en  1871, 
et  intitulé  A  un  rci  de  troisième  ordre,  y-y  si- 
gnale surtout  la  pièce  intitulée  ha  Liibération 
du  territoire.  Celle-ci  nous  était  déjà  connue; 
elle  avait  été  publiée  dans  le  Kappelj  et  par- 
tout, au  mois  de  septembre  1873.  Il  faut 
remercier  les  éditeurs  de  Toute  la  Lyre  de  l'avoir 
recueillie. 

. . .  Oui,  il  a  souvent  abusé,  cet  ouvrier  sans 
égal,  du  merveilleux  outil  poétique  qu'il  avait 
forgé.  Pour  être  extraordinaire,  sa  rhétorique 
n'en  est  pas  moins  une  rhétorique,  et  qui  prend 
trop  souvent  la  place  de  l'inspiration.  Il  a  ses 
procédés  de  développement,  ses  alternances, 
comme  marquées  d'avance,  de  vastes  périodes 
et  de  phrases  hachées. 

...  Oui,  je  sais  cela  et  d'autres  choses  en- 
core, comme  tout  le  monde,  et  je  le  sais 
depuis  longtemps.  Mais  ce  que  je  sais  aussi, 
c'est  qu'en  dépit  de  tout  cela,  Victor  Hugo 
n'est  pas  seulement  le  plus  grand  poète  de  ce 
temps,  mais  l'un  des  plus  grands  poètes  de 
tous  les  temps.  C'est  que  là  où  il  est  beau, 
sincère  et  vraiment  inspiré,  il  est  l'égal  d'Ho- 
mère, de  Dante,  de  Shakespeare  et  du  vieux 
Corneille. 

...  Et  maintenant,  je  n'essaierai  pas  de  ré- 
sumer pour  mes  lecteurs  ces  deux  volumes  de 
Toute  la  Lyre.  J'en  veux  citer  seulement  une 
pièce  que  je  choisis  parmi  les  plus  courtes, 
où  par  une  belle  soirée  d'été,  le  poète  invite 
la  bien-aimée  à  venir  avec  lui  se  promener 
dans  les  champs  :  la  pièce  porte  la  date 
de  1849  : 

Quand  la  lune  apparaît  dans  la  brume  des  plaines. . . 

Si  vous  connaissez  dans  la  poésie  française 
des  morceaux  d'un  sentiment  plus  pénétrant 
et  d'une  forme  plus  exquise  que  celui-là, 
dites-le  ! 

Eh  bien  !  il  y  a  dans  les  deux  volumes  de 
Toute  la  Ljre  quarante  pièces  au  moins  qui  ne 
le  cèdent  pas  à  celle-ci.  Donnez-vous  le  plaisir 
de  les  chercher  et  de  les  trouver  vous-mêmes. 

Je  citerai  pourtant  quelques  vers  encore, 
les  derniers  vers  d'une  pièce  écrite  en  1872, 
après  la  mort  de  Théophile  Gautier  et  qui 
prirent  place   en   tête   du  volume    édite   par 


REVUE  DE  LA  CRITIQUE. 


497 


Lcmcrre  et  intitulé  Le  Tombeau  de  Théophile 
Gautier  : 

Passons,  car  c'est  la  loi  ;  nul  ne  peut  s'j  soustraire. 

On  a  souvent  célébré  le  retour  mélancolique 
fait  sur  lui-même  par  Bossuet,  à  la  dernière 
phrase  de  l'Oraison  funèbre  du  prince  de 
Condé.  Je  ne  crois  pas  me  tromper  en  disant 
qu'il  n'y  a  pas  ici  moins  de  grandeur,  moins 
de  courage  à  regarder  en  face  l'inévitable  mort 
qui  approche,  une  moins  fière  résignation. 
Ces  mots  si  simples  :  «C'est  mon  tour»,  valent 
bien  les  cheveux  blancs  de  l'évêque  de  Meaux 
et  «  les  restes  d'une  voix  qui  tombe  et  d'une 
ardeur  qui  s'éteint  ». 


Ulndépendance  belge. 


12  juin  i{ 


Gusuve  FrÉdÉrix. 


Toute  la  Lyre,  c'est  tout  l'instrument  poé- 
tique de  l'auteur  de  La  Légende  des  Siècles  et  des 
Chansons  des  rues  et  des  bois,  trouvant  des  sono- 
rités nouvelles,  avec  les  mêmes  thèmes  et  la 
même  virtuosité. 

Le  chef  du  romantisme  est  maintenant  un 
des  poètes  classiques  de  la  France. 

...  Il  était  déjà  classique  quand  on  le  dé- 
nonçait comme  révolutionnaire,  comme  fai- 
sant des  tempêtes  dans  l'encrier,  disloquant 
le  vieil  alexandrin  et  mêlant  horriblement  les 
mots  nobles  et  les  mots  roturiers.  Un  grand 
écrivain  classique,  a-t-on  dit,  est  celui  qui 
exprime  les  idées  de  tout  le  monde  dans  le 
langage  de  quelques-uns. 

...  Ce  titre  :  Toute  la  Lyre,  vous  avertit  que 
de  l'ode  puissante  à  la  chanson  légère,  tous  les 
genres  seront  touchés  en  ce  dernier  recueil. 
Sept  chapitres  dans  le  livre,  comme  il  y  a  sept 
cordes  à  la  lyre.  Et  la  corde  d'airain  est  ajoutée 
à  celles  de  l'instrument  classique,  ainsi  que  le 
poète  l'avait  annoncé  dans  ses  Feuilles  d'Au- 
tomne. Une  pièce  de  ce  huitième  chapitre  est 
intitulée  :  Aux  hiHoriens. 

...  Pour  le  traître  à  son  pays,  pour  celui 
qui  a  livré  une  ville  ou  une  armée,  l'inflexible 
patriote  ne  veut  pas  qu'on  note  les  circonstances 
atténuantes,  pas  même  qu'on  mentionne  ce 
qui  ferait  comprendre  le  crime.  Nous  ne  si- 
gnalons pas  cette  pièce  comme  une  des  plus 
belles  du  livre.  Nous  remarquons  seulement 


que  le  chauvinisme  de  Victor  Hugo  s'y  fait 
plus  dur,  plus  furieux,  qu'il  n'avait  jamais 
été.  Le  poète  de  la  France  a  eu  là  une  de  ses 
dernières  et  de  ses  plus  farouches  fiertés. 


Le  Soleil, 
vj  juin  1888. 


Charles  Canivet. 


Des  livres  posthumes  de  Victor  Hugo  celui- 
ci  est,  nous  semble-t-il,  le  plus  complet.  D  y 
a  sans  doute,  dans  La  Fin  de  Satan,  des  pages 
plus  grandioses,  où  l'imagination  du  poète 
atteint  des  limites  plus  reculées,  des  pages 
telles  qu'on  pourrait  les  dire  écrasantes.  Dans 
Toute  la  Lyie,  il  y  a  des  instants  de  repos  déli- 
cieux, des  eflFusions  de  tendresse  et  des  richesses 
d'expression  qui  n'ont  jamais  été  dépassées, 
dans  aucune  langue.  Nous  y  retrouvons  l'in- 
comparable palette  de  la  première  Le'gende  des 
Siècles,  et  de  place  en  place,  des  oasis  d'une 
douceur  et  d'une  fraîcheur  charmantes,  quelque 
chose  comme  un  doux  chant  d'oiseau,  après 
un  effrayant  orage,  une  tendresse  infinie  des 
choses  et  des  êtres,  des  tableaux  complets,  en 
quelques  vers,  en  quelques  strophes,  et  qui 
vous  laissent  une  indéfinissable  impression  de 
satisfaction  artistique  très  intense. 

Victor  Hugo  est  plutôt  le  peintre  de  la  ten- 
dresse que  du  sentiment  vague,  tel  qu'on  l'en- 
tend aujourd'hui  encore  et  où  excella  Lamar- 
tine. Victor  Hugo  est  plus  grand  parce  qu'il 
a  touché  à  plus  de  sujets;  il  est  aussi  plus  ar- 
tiste. Cette  espèce  d'ogre  de  génie  qui  fit  peur 
à  certains  esprits  timorés  ou  plutôt  circon- 
venus, n'est  pas  autre  chose  qu'un  spiritualiste 
acharné.  Il  a  lutté  contre  les  hommes,  sou- 
vent avec  passion,  injustice  même,  jamais 
contre  la  doctrine. 

...  Dans  ce  livre  qui  contient,  comme  on 
doit  l'attendre,  des  parties  épiques  nombreuses, 
je  me  suis  plu  à  cueillir,  parmi  tant  d'autres, 
quelques-unes  de  ces  perles  exquises  dont  Victor 
Hugo  eut  toujours  le  secret.  Poète  poliuque, 
il  froisse,  et  c'est  naturel,  tous  ceux  qui  ne 
pensent  pas  comme  lui  et  ne  croient  pas 
que  les  plus  beaux  vers  puissent  excuser  des 
doctrines  qu'ils  condamnent.  Mais  on  passe 
à  travers  tous  ces  bruits  de  bataille  sans  y 
prêter  l'oreille,  jusqu'à  ce  que  se  produise 
une  accalmie  douce,  dans  laquelle  on  entend, 
comme  par  une  nuit  pure  et  calme,  une  de 


POESIE.    —    XIII. 


lavumui  (ATunAi.(. 


498 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


ces  délicieuses  harmonies,  tellement  achevées, 
que  la  musique  la  plus  inspirée  les  dimi- 
nuerait. 


Le  Livre. 
10  juillet  1888. 


Jean  Richepin. 


Ce  n'est  pas  un  article  qu'il  faudrait  entre- 
prendre sur  Toute  la  Lyre^  c'est  un  volume. 
Ce  livre  posthume,  en  effet,  semble  la  revue 
de  tous  les  livres  de  vers  publiés  par  Hugo 
vivant,  et  comme  une  anthologie  où  se  résume 
son  œuvre  entière,  depuis  les  Odes  et  Ballades 
jusqu'aux  (Quatre  Uents  de  l'Esprit.  On  y  voit 
flamboyer  les  mille  reflets  de  tous  les  incendies 
multicolores  qui  ont  jailli  de  ce  volcan  pen- 
dant soixante  années  d'incessante  et  prodi- 
gieuse éruption. 

En  doit-on  conclure  qu'il  y  a  là  une  redite , 
et  que  la  publication  de  Toute  la  Lyre  était 
inutile  }  Loin  de  moi  l'idée  d'un  pareil  blas- 
phème !  À  supposer  même  qu'il  y  ait  redite, 
entendre  répéter  de  telles  choses,  et  par  une 
telle  voix,  me  paraîtrait  encore  une  fête 
incomparable.  Mais  la  vérité  est  qu'il  n'y  a 
pas  redite.  Il  ne  saurait,  avec  Hugo,  y  en 
avoir.  Ce  qui  caractérise,  en  effet,  son  génie, 
c'est  le  perpétuel  renouveau.  Il  eût  pu,  par 
exemple,  passer  sa  vie  à  décrire  uniquement 
des  couchers  de  soleil,  sans  en  faire  deux  qui 
se  ressemblassent.  Il  vous  eût,  pour  chacun, 
réservé  de  merveilleuses  surprises,  combinai- 
sons de  vocables,  inventions  d'images,  de 
rythmes,  de  rimes.  Je  ne  connais  pas  un 
poème  de  lui  où  il  n'y  ait  quelqu'une  de  ces 
magiques  trouvailles.  Elles  abondent  particu- 
lièrement dans  Toute  la  Lyre. 

...  Il  est  des  poètes,  très  sincèrement  poètes, 
mais  dénués  de  virtuosité,  de  rhétorique  et 
d'éloquence,  chez  qui  de  loin  en  loin  éclate 
l'expression  lyrique,  ce  je  ne  sais  quoi  qui  fait 
rêver,  et  qu'on  appelle  aujourd'hui  suggelîif. 
Chez  ceux-là,  on  s'arrête  pour  admirer.  La 
rareté  même  de  la  rencontre  la  rend  plus  pré- 
cieuse. Au  contraire,  chez  le  grand  poète 
complet,  on  n'a  pas  le  loisir  de  faire  ces 
haltes.  On  est  entraîné  sans  relâche.  Sa  virtuo- 
sité, sa  rhétorique  et  son  éloquence  vous 
pressent,  vous  forcent,  vous  enlèvent  à  vous- 
même,  ne  vous  laissent  pas  l'esprit  libre.  On 
admire  en  bloc,  pour  ainsi  dire.  Et  voilà 
pourquoi,  bien  souvent,  on  est  injuste  envers 


ce  terrible  dompteur,  qui  vous  a  comme 
terrassé  d'admiration,  tandis  que  l'autre, 
moins  tyrannique,  vous  a  procuré  le  délicat 
plaisir  d'une  griserie  où  l'on  n'a  point  perdu 
la  tête. 

Mais  ces  coins  de  lyrisme,  ces  expressions 
suggeltiveSj  le  grand  poète  vous  les  offre  aussi. 
Ah  !  tranchons  le  mot  :  il  vous  les  offre  trop 
abondamment,  voilà  son  tort.  Au  lieu  d'un 
rosaire  ou  chaque  dizaine  est  marquée  par 
une  perle  fine,  ce  qu'il  vous  jette  par  la 
face,  c'est  une  grêle  de  diamants.  Vous  êtes 
ébloui,  aveuglé,  blessé  peut-être.  Reprenez 
vos  sens.  Ramassez  au  hasard  un  de  ces  dia- 
mants, et  contemplez-le,  lui  seul.  Par  exemple, 
ceux-ci,  pris  n'importe  où,  dans  Toute  la  Lyre; 

J'entendais  rire  sous  le  chaume 
Les  paysans  à  leur  repas. 
Un  étranger  est  un  fantôme; 
Les  murs  ne  le  connaissent  pas. 

{J'ai  mené  parfois  dure  vie...) 

Et  le  poète-critique  cite  encore  quel- 
ques diamants  et  quelques  perles. 

...  Et  me  voilà  retombé  dans  un  péché 
d'habitude  :  l'apologie  de  Hugo.  Eh  bien, 
soit,  je  ne  m'en  dédis  pas.  D'autant  qu'il  y  a 
maintenant  quelque  courage  littéraire  à  se 
proclamer  hugolâtre.  Les  jeunes  générations 
poétiques  ont  abjuré  cette  religion.  Elles  en 
veulent  au  vieux  roi  qui,  même  mort,  n'a 
point  abdiqué,  et  continue  à  régner  du  fond 
de  la  tombe.  Elles  oublient  que  tous,  tant 
que  nous  sommes,  nous  avons  de  son  sang 
dans  les  veines,  de  sa  moelle  dans  les  os,  et 
qu'il  est  notre  père,  enfin.  Tant  pis  pour 
elles!  Moi,  je  ne  saurais  partager  cette  ingra- 
titude. Loin  de  renier  cette  filiation  glorieuse, 
je  la  revendique.  Et  puisque,  bon  gré  mal 
gré,  il  faut  bien  être  le  fils  de  quelqu'un, 
j'estime  que  nous  devons  nous  montrer  or- 
gueilleux et  ravis  d'être  les  enfants  d'un  tel 
père.  Tâchons  seulement  d'en  être  dignes, 
c'est  la  grâce  que  je  nous  souhaite. 

♦ 
*    * 

En  1893,  la  dernière  série  de  Toute  la 
Lyre  parut  et  la  presse  lui  consacra  de 
nombreux  articles.  Nous  n'en  donnerons 
que  les  principaux,  craignant  de  grossir 
démesurément  cette  partie  des  notes. 


REVUE  DE  LA  CRITIQUE. 


499 


L'Echo  de  Paris. 
2  juin  1893. 


E.  Lepelletier. 


Comme  il  est  d'usage  familial,  en  mémoire 
du  cher  disparu,  lorsque  le  cours  des  ans 
ramène  l'anniversaire  douloureux,  de  déposer 
une  couronne  sur  la  tombe  gardienne  des 
dépouilles,  les  amis  et  veilleurs  pieux  du 
tombeau  toujours  récent  de  Victor  Hugo ,  en 
cette  date  funèbre  de  mai,  qui  fut  celle  d'une 
éclipse  de  gloire,  répandent  les  fleurs  pos- 
thumes de  l'œuvre  du  Maître.  C'est  un  bou- 
quet d'immortalité  que  chaque  bout  de  l'an 
voit  épanouir.  Cette  présente  année,  c'est  la 
dernière  série  de  Tou/e  la  Lyre  qui  rend  au 
grand  poète  l'hommage  consacré. 

La  gerbe  est  éblouissante  et  la  couronne 
merveilleuse.  Victor  Hugo  seul  pouvait  hono- 
rer ainsi  la  mémoire  de  Victor  Hugo  et 
décorer  son  monument. 

Les  petits  grotesques  qui  s'amusent,  sans 
sincérité  d'ailleurs  et  par  pose,  à  faire  croire 
que  Victor  Hugo  n'est  plus  le  bonhomme  de 
marbre  dominant  le  siècle  littéraire,  comme 
l'Autre,  le  bonhomme  de  bronze,  domine 
l'époque  guerrière  et  légiste,  oseront-ils  encore 
lâcher  leur  encre  le  long  des  rimes  superbes 
de  Toute  la  Lyre?  Zoïle,  hélas!  est  presque 
aussi  glorieux  qu'Homère.  Pour  beaucoup, 
c'est  une  aubaine  à  rebours  que  ce  nouveau 
volume  ;  il  sort  sans  doute  d'un  tiroir  profond 
comme  un  sépulcre,  mais  radieux  aussi 
comme  le  sépulcre  de  la  résurrection.  Ils  vont 
encore,  ces  aboyeurs  au  génie,  rééditer  leurs 
ordinaires  sottises  sur  ces  épaves,  sur  ces  sco- 
ries, sur  ces  raclures  de  l'œuvre  du  Maître 
qu'on  aurait  tort  de  rééditer.  Laissons-les 
débiter  leurs  malveillantes  et  intéressées  sor- 
nettes. L'œuvre  est  là  qui  répondra  pour 
nous. 

Dans  ce  dernier  volume  de  Toute  la  Lyre, 
seulement  entr'ouvert  et  parcouru  par  nous, 
les  sept  cordes,  puissamment,  vibrent.  On 
y  retrouve  des  pièces  contemporaines  des 
Châtiments,  implacables  et  vengeresses,  à  côté 
d'idylles  qui  évoquent  les  sereines  Contempla- 
tions des  plages  de  Jersey  et  de  Guernesey. .. 
C'est  un  assortiment  lyrique  admirable,  où  il 
y  a  de  tout,  et  bien  d'autres  choses  encore, 
une  macédoine  de  chefs-d'œuvre,  un  cata- 
logue thématique,  pour  parler  langage  plus 


noble,   de    toute   la    symphonie    géante    du 
Maître. 

...  Toute  la  Lyre,  œuvre  d'un  mort,  est  le 
livre  le  plus  vivant  de  cette  année. 


L'Écho  de  Paris. 
9  juillet  1893. 

E.  Zola. 

Lettre  à  La  Chronique  de  Paris,  qui 
avait  consacré  spécialement  un  numéro 
à  la  glorification  de  Victor  Hugo  et  de 
Toute  la  Lyre  : 

Mon  cher  confrère. 

Vous  me  demandez  une  page  sur  Victor 
Hugo.  Une  page,  grand  Dieu  !  mais  c'est  un 
volume  qu'il  faudrait  écrire  !  Que  voulez-vous 
que  je  dise  en  une  page  sur  le  plus  grand  de 
nos  poètes  lyriques  ? 

Et  puis,  après  les  batailles  d'autrefois,  je 
n'ai  qu'à  m'incliner. 

Ces  jours-ci,  Catulle  Mendès,  qui  est  un 
grand  honnête  homme  littéraire,  en  me  don- 
nant une  belle  et  bonne  poignée  de  main 
publique,  a  signé  définitivement  la  paix. 

Il  a  raison,  il  faut  admirer  et  aimer,  toute 
la  force  est  là. 

Malgré  la  légende,  j'ai  beaucoup  aimé  et 
beaucoup  admiré  Victor  Hugo,  et  voici  ce 
que  j'écrivais  il  y  a  longtemps  :  «  Quelle 
brusque  et  prodigieuse  fanfare  dans  la  langue 
que  ces  vers  de  Victor  Hugo  !  Ils  ont  éclaté 
comme  un  chant  de  clairon,  au  milieu  des 
mélopées  sourdes  et  balbutiantes  de  la  vieille 
école  classique.  C'était  un  soufllle  nouveau, 
une  bouffée  de  grand  air,  un  resplendissement 
de  soleil.  Pour  mon  compte  je  ne  puis  les 
entendre  sans  que  toute  ma  jeunesse  me  passe 
sur  la  face,  ainsi  qu'une  caresse. 

«Je  les  ai  sus  par  cœur,  je  les  ai  jetés  jadis 
aux  échos  des  coins  de  Provence  où  j'ai 
grandi.  Ils  ont  sonné,  pour  moi  comme  pour 
bien  d'autres,  le  siècle  de  la  liberté  dans 
lequel  nous  entrons. . .  » 

Voilà   la  page  que  vous    demandez,   mon 
cher  confrère,  et  je  regrette  simplement  qu'elle 
ne  soit  pas  plus  complète  et  plus  éloquente. 
Cordialement  à  vous. 

Emile  Zola. 


500 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


UÉvénement. 
7  juin  1893. 


Jules  Troubat. 


C'est  bien  Toute  la  Lyre  en  effet.  Escaladez 
le  mont  Ventoux,  et  vous  traversez  tous  les 
climats,  toutes  les  températures  et  toutes  les 
végétations  du  globe.  Avec  Victor  Hugo,  de 
même,  ce  géant  a  des  coups  d'ailes  qui  vous 
transportent  des  terres  sereines  aux  plus  hauts 
sommets;  on  dépasse  l'inhabitable;  mais  il  ne 
vous  laisse  pas  retomber  lourdement  sur  le 
roc.  Les  plus  noirs  abîmes,  créés  par  lui  seul, 
sont  sous  vos  pieds.  Il  vous  déposera  douce- 
ment dans  un  jardin  oh,  si  l'on  veut  faire  un 
bouquet,  on  est  tenté  d'emporter  toute  la 
gerbe.  Comment  choisir,  en  effet,  au  milieu 
de  ces  fleurs  gaies  et  souriantes  ? 

Hugo  taille  des  blocs  à  facettes  et  jongle 
avec  les  immensités.  C'est  le  plus  grand  poète 
lyrique  de  tous  les  siècles. 


Le  Journal. 
8   juin    1893. 


François  CoppÉe. 


Dirigée  par  d'admirables  amis,  la  publi- 
cation des  œuvres  posthumes  de  Victor  Hugo 
s'accomplit  avec  une  admirable  régularité. 

...  Pour  ma  part,  je  me  déclare  incapable 
de  porter  un  jugement  impartial  sur  des  vers 
de  Victor  Hugo.  Même  lorsque,  chez  lui,  la 
pensée  et  l'inspiration  se  perdent  en  des  obscu- 
rités d'Apocalypse,  son  vers  me  donne  tou- 
jours la  jouissance  d'art  la  plus  intense,  un 
plaisir  presque  physique. 

Les  poètes  nouveaux,  dans  leur  préoccupa- 
tion —  très  légitime  —  de  rajeunir  les  formes 
poétiques,  se  mettent  k la  torture  pour  inventer 
des  rythmes.  Mais  presque  tous  ceux  qu'ils  nous 
ont  proposés  jusqu'à  ce  jour  choquent  mon 
oreille,  me  semblent  maladroits  et  boiteux. 
Selon  moi,  Victor  Hugo  a  fait  la  preuve  que 
tous  les  mètres  connus  suffisaient  pour  obtenir 
tous  les  effets  d'harmonie  possibles,  et  pou- 
vaient être  variés  k  l'infini.  On  ne  dira  jamais 
assez  tout  le  parti  qu'il  a  pu  tirer,  notamment, 
de  l'alexandrin,  par  des  coupes  hardies,  des 
rejets,  des  allitérations,  des  déplacements  de 
césure.   Il  en    a   fait  positivement  un   orgue 


aux  mille  voix,  une  lyre  aux  cordes  sans 
nombre,  qui,  sous  ses  doigts  magistraux,  vaut 
tout  un  orchestre.  Le  vers  de  douze  syllabes, 
libre,  souple  et  fort,  tel  que  nous  l'a  légué  le 
grand  Lyrique,  est,  je  le  répète,  un  mer- 
veilleux moyen  d'expression,  un  instrument 
parfait  et  complet.  On  trouvera  mieux,  peut- 
être  ;  mais  j'ai  peine  à  le  croire. 

La  rime  riche,  elle  aussi,  est  a  présent  en 
défaveur  chez  la  plupart  des  jeunes  poètes,  et 
sur  ce  point,  malgré  mes  habitudes  de  vieux 
Parnassien,  je  suis  assez  disposé  à  entrer  dans 
la  voie  des  concessions. 

...  Mais  le  malheur,  c'est  que  la  rime  est, 
à  elle  toute  seule,  presque  toute  la  prosodie 
française.  Et  mal  rimer,  quand  on  n'est  pas 
absolument  sûr  de  dire  des  choses  sublimes, 
me  paraît  grave.  De  plus  la  mode  est  main- 
tenant aux  vagues  assonances,  aux  lointains 
échos.  Et  alors  je  proteste.  La  vérité,  sur  cette 
question,  la  voici  :  Il  ne  suffit  pas  que  la 
rime  soit  riche,  il  faut  encore  qu'elle  soit  rare, 
ingénieuse,  originale,  qu'elle  détruise  la  mono- 
tonie toujours  menaçante,  qu'elle  donne  une 
sensation  d'inattendu,  et  que  le  mot  qui 
tombe  k  la  fin  du  vers  soit  —  sinon  toujours, 
du  moins  autant  que  possible  —  le  mot 
essentiel  de  ce  vers. 

Pas  commode,  direz-vous.  Cela  ressemble 
assez  k  un  tour  de  force.  Eh  bien,  c'est  celui 
que  Victor  Hugo  a  exécuté  quatre-vingt-dix- 
neuf  fois  sur  cent.  Car,  en  matière  de  rimes, 
il  fut  un  virtuose  ou,  pour  mieux  dire,  un 
magicien  incomparable.  Et  cela  ne  l'a  pas  du 
tout  empêché  —  oh  !  mais  pas  du  tout  — 
d'être  en  même  temps  un  des  trois  ou  quatre 
plus  grands  poètes  de  l'humanité. 

On  me  pardonnera  si  je  me  borne  — 
devant  son  dernier  livre  où  il  y  a  tant  de  pages 
admirables  —  k  parler  «métier».  S'il  était 
encore  parmi  nous  il  ne  s'en  offenserait  pas,  au 
contraire.  J'ai  eu  le  bonheur  de  connaître 
Victor  Hugo,  de  l'entendre  quelquefois  dis- 
serter sur  la  technique  de  son  art.  Le  plus 
humble  de  ses  apprentis  a  bien  le  droit  de  dire 
que  —  génie  k  part  —  il  fut  un  ouvrier  extra- 
ordinaire. 

...  Victor  Hugo  exerça,  pendant  toute  son 
existence,  mais  surtout  depuis  l'exil  qui  l'a 
tant  grandi ,  une  sorte  de  royauté  intellectuelle 
et  les  trop  longs  règnes  fatiguent.  Il  était  le 
premier,  je  dirais  presque  le  seul. 

...  Au  lendemain  des  énormes  funérailles , 


REVUE  DE  LA  CRITIQUE. 


501 


la  réaction  se  produisit.  Elle  nia  les  plus 
éclatantes  beautés,  fut  moins  odieuse  encore 
qu'inintelligente. 

. . .  Critiques  dédaigneux  qui  le  prenez  de 
si  haut  avec  l'auteur  des  Contemplations,  de  L,a 
L,egende  des  Siècles  et  des  Mise'rableSj  tout  ce  que 
je  puis  faire  pour  vous,  c'est  de  vous  accorder 
que  Victor  Hugo  subira  l'outrage  du  temps, 
mais  comme  ses  égaux,  Homère,  Dante  et 
Shakespeare. 

En  attendant,  son  tombeau  vient  de  se 
rouvrir  encore  une  fois,  et  il  en  sort  ce  nou- 
veau livre. 

...  Il  y  a  encore  là-dedans  certains  vers  que 
ni  nous  autres,  les  Parnassiens,  ni  les  jeunes 
révolutionnaires  qui  nous  succèdent,  ne 
serions  capables  de  torcher. 

Cela  dit,  je  demande  humblement  excuse 
pour  ma  fidélité  au  vieux  maître. 

Qu'on  ne  se  moque  pas  trop  de  moi,  et 
comme  échange  de  bons  procédés,  je  promets 
de  ne  pas  éclater  de  rire  devant  l'agitation  qui 
se  produira  dans  la  presse,  le  jour  où  l'on 
publiera  les  notes  de  blanchisseuse  de  Stendhal. 


ha   Nation. 
9  juin  1893. 


MONTFERMEIL. 


Nous  y  retrouvons  Victor  Hugo  tout  entier, 
avec  son  ardent  amour  de  la  nature  et  des 
hommes,  avec  sa  haine  implacable  du  mal  et 
son  inépuisable  pitié  pour  les  faibles,  pour  les 
souffrants.  Il  est  là,  oui,  tout  entier,  avec 
sa  gaieté  attendrie,  son  rire  éclatant,  son 
auguste  colère  et  ses  sanglots,  à  travers  lesquels 
il  semble  qu'on  entende  le  gémissement  même 
de  l'humanité.  Là  comme  partout,  il  est 
grand  ;  il  pardonne,  prie  et  lève  ses  mains  vers 
Dieu  en  demandant  justice  et  clémence. 

Il  y  a,  dans  cette  dernière  série  de  Toute  la 
Lyrej  des  pages  sur  l'amour,  si  exquises,  si 
parfumées,  qu'à  les  lire  le  cœur  le  plus 
desséché,  le  plus  durci  s'émeut,  et,  vieux, 
croit  être  redevenu  jeune.  Après  avoir  lu,  le 
livre  sur  les  genoux,  les  mains  jointes,  les 
yeux  humides,  on  balbutie  en  remerciant; 
on  doutait;  Hugo  nous  a  fait  croire  de  nou- 
veau; à  l'âme  chancelante,  troublée,  il  a 
rendu  la  force  d'espérer. 

Merci,  père! 


Le  Matin. 
18  juin  1893. 


SÉVERINE. 


Voici  la  dernière  série  de  l'oeuvre  formi- 
dable du  maître,  pieusement  recueillie  par 
ses  héritiers  intellectuels,  ses  exécuteurs  testa- 
mentaires :  Paul  Meurice,  Auguste  Vacquerie. 

Elle  a  pour  sous-titre  Les  Sept  cordes  —  et 
vraiment,  l'une  après  l'autre,  on  les  entend 
chanter,  vibrer,  frémir;  de  l'aigre  stridon  des 
cigales  au  grondement  de  la  foudre  dans  les 
cieux  profonds  ! 

La  gamme  des  cris  humains  s'y  déroule,  en 
de  chromatiques  envolées!  soupirs  furtifs, 
sanglots  funèbres,  souffles  furieux  ! 

Puis  l'hymne  triomphal  —  qui  s'apaise  dans 
la  sérénité,  dans  le  néant  de  la  victoire  ; 
comme,  sous  le  soleil  revenu,  les  nuages  après 
la  tempête,  les  flots  après  l'ouragan. 

Je  vous  assure,  je  n'ai  pas  d'idolâtrie;  seule- 
ment il  faudrait  avoir  le  cœur  bien  sec,  le 
cerveau  bien  muré  pour  n'être  pas  accessible 
à  l'action  de  ce  génie.  Il  entre  en  vous  comme 
le  soleil  dans  les  pauvres  mansardes  ;  il  filtre 
à  travers  les  vitres  défectueuses,  les  rideaux 
grossiers  ;  il  dore  l'humilité  des  objets  ;  il  fait 
épanouir  aux  murailles  les  fleurs  du  papier 
vulgaire,  —  il  apporte  la  tiédeur  des  nids  et  la 
joie  du  libre  espace  ! 

Physiquement,  matériellement,  son  action 
est  indéniable.  Il  exerce,  sur  l'organisme  débi- 
lité par  les  névroses,  les  fièvres,  toutes  les 
misères  de  notre  dégénérescence,  le  même 
effet  que  la  goutte  de  vin  vieux  aux  veines  du 
convalescent.  Il  réchauffe,  il  réconforte,  il 
donne  goût  à  vivre  —  il  «exalte»  enfin,  comme 
dit  le  bon  maître  Coppée,  ce  qui  est  la  vertu 
suprême  en  ces  temps  de  négation. 

Car  Hugo  a  ce  don  :  ne  pas  vieillir, 
demeurer  immortel,  dans  toute  la  plénitude 
et  l'ampleur  du  mot.  Cet  actualiste  (pour  le 
dernier  tiers  de  sa  vie)  sut  élever  à  lui  l'inci- 
dent, le  transformer  en  fait  —  et  instituer  ce 
fait  l'une  des  pages  éternelles  du  livre  de  l'hu- 
manité ! 

...  Tel  est  le  propre  du  génie,  sa  caracté- 
ristique, le  pouvoir  dont  il  dispose.  Ce  qu'il 
touche  est  acquis  à  la  postérité  ;  l'onde  sonore 
des  phrases  rythmées  est  pareille  à  celle  du 
Styx,  d'où  les  symboliques  héros  sortaient 
invulnérables  ! 


502 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


C'est  pourquoi,  dans  ce  livre  donné  à 
l'admiration  des  foules,  à  la  religion  des  fer- 
vents, même  ce  que  j'appellerai  les  miettes, 
les  bribes,  les  courtes  pièces  si  brèves  qu'elles 
évoquent  l'idée  de  brins  de  palme  glanés 
derrière  l'apothéose  mortuaire,  même  cela, 
exhale  parfum  de  grandeur,  arôme  subtil  et 
puissant,  butiné  au  creux  de  tous  les  lis,  au 
cœur  de  tous  les  astres,  au  ciboire  de  tous  les 
autels  ! 


ha  Chronique  de  Paris. 

Alfred  Paulet. 

Toute  la  Lyre  n'a  pas  été  le  prétexte  de  la 
tentative  attendue  de  démolir  définitivement 
le  poète.  On  dit  même  qu'elle  fut  la  cause 
d'un  banquet  apothéotique. 

Il  n'y  avait  pas  moyen,  en  effet,  de  s'at- 
taquer à  l'oeuvre  nouvelle  qu'une  fois  de  plus 
Hugo  nous  envoie  de  sa  tombe.  Ces  poésies 
posthumes  sont  assez  semblables  à  cet  œil  qui 
au  fond  de  la  tombe  regardait  Caïn.  Elles  ar- 
rivent, victorieuses  et  terribles  comme  une  per- 
sonnification du  remords  pour  les  détracteurs. 

. . .  Que  dire  de  spécial  de  ce  volume  sinon 
que  par  la  perfection  de  certaines  pièces,  sa 
fécondité,  sa  générosité,  sa  diversité,  il  por- 
terait immédiatement  à  la  gloire  l'inconnu 
qui  par  lui  se  révélerait. 

Des  madrigaux  à  toute  beauté,  des  dou- 
ceurs pour  toute  faiblesse,  de  la  pitié  pour 
toute  faute,  de  foudroyantes  invectives  au 
crime,  de  la  gauloiserie  franche,  ronde,  puis- 
sante, de  la  fantaisie,  des  descriptions  ciselées 
—  c'est  plaisant,  c'est  superbe,  —  cela  ne 
peut  être  signé  que  de  Hugo  ! 

Le  Figaro. 
i8  juin  1893. 

F.  M. 
[Francis  Magnard.] 

On  a  fêté  une  fois  de  plus,  avec  la  com- 
ponction qui  convenait,  l'ombre  du  grand 
poète''),  du  magnifique  inventeur  de  rythmes 
et  de  nombres  que  fut  Victor  Hugo. 

'■'  Allusion  au  banquet  donné  par  les  poètes, 
pour  fêter  la  publication  de  Toute  la  Lyre. 


...Toutefois,  maintenant  que  la  fête  est 
finie  et  l'hommage  rendu,  veut-on  me  per- 
mettre de  dire  qu'il  est  heureux  que  la  publi- 
cation des  œuvres  posthumes  de  Victor  Hugo 
soit  près  de  s'achever?  Si  elle  devait  se  pro- 
longer, elle  mettrait  à  une  épreuve  un  peu 
cruelle  le  respect  des  nouvelles  générations 
comme  de  celles  qui  ont  vieilli  en  admiration 
devant  les  magnificences  de  ses  œuvres  an- 
ciennes. 

Les  éditeurs  accomplissent  leur  tâche  avec 
un  soin  pieux  et  un  zèle  admirable.  Je  ne 
sais  s'ils  étaient  tenus  à  tout  publier  comme 
ils  le  font,  mais  en  somme  c'est  très  fâcheux; 
nous  n'avons  plus  que  les  rognures  du  génie, 
que  les  éclats  mal  équarris  du  monument 
grandiose  qui  perpétuera  la  mémoire  du  poète. 

...  Il  est  délicat  de  vouloir  devancer  les 
jugements  de  la  postérité,  mais  on  peut  se 
rendre  compte  de  sa  justice  ou  de  ses  caprices 
en  voyant  ce  qu'on  lit  après  cent  ans  des 
soixante  volumes  de  Voltaire,  des  vingt  vo- 
lumes de  Rousseau  ou  de  Diderot. 

Je  ne  crois  pas  manquer  au  respect  du  au 
génie  en  constatant  que  le  poète  des  Feuilles 
d'Automne,  des  Chants  du  Crépuscule,  de  La 
Le'gende  des  Siècles,  des  admirables  et  terribles 
Châtiments  ne  se  retrouve  que  très  diminué, 
très  alangui,  très  somnolent  dans  Toute  la 
Lyre. 

Si  j'étais  exécuteur  testamentaire,  j'en  res- 
terais là. 


L'Écho  de  Paris. 

21  juin  1893. 

Catulle  MendÈs. 

Lettre  A  M.  Francis  Magnard. 

Vous  paraissez  convaincu  que  les  exécuteurs 
testamentaires  de  Victor  Hugo  auraient  agi 
sagement  en  ne  livrant  point  au  public  les 
poèmes  qui,  groupés,  forment  la  dernière  série 
de  Toute  la  Lyrej  et,  plus  affirmativement,  vous 
leur  conseillez  d'en  «rester  là». 

. . .  Ce  que  vous  reprochez  aux  exécuteurs 
testamentaires  de  Victor  Hugo,  c'est  d'avoir 
fait  leur  devoir,  et  ce  que  vous  leur  conseillez, 
c'est  de  ne  pas  le  faire. 

...  En  un  seul  cas,  un  exécuteur  testamen- 
taire, qui  accepta  la  tâche  imposée,  pourrait 
être  dispensé   d'accomplir  la  volonté  du  tes- 


NOTICE  BIBLIOGRAPHIQUE. 


503 


tateur.  Celui  où  l'accomplissement  de  cette 
volonté  impliquerait  quelque  ignominie.  On 
fera  difficilement  croire  aux  hommes  qu'il  soit 
honteux  de  publier  une  œuvre  de  Victor 
Hugo. 

. . .  La  succession,  ici,  intéresse  l'universalité 
des  vivants.  Elle  est  le  génie  hérité  par  les 
peuples.  Et  puisqu'il  s'agit  de  Victor  Hugo, 
pensons  à  Eschyle,  à  Dante,  à  Shakespeare, 
à  Corneille,  à  "Wagner.  Ah  !  véritablement,  de 
quelle  réprobation  à  travers  tous  les  âges  serait 
chargé  —  songez-y.  Monsieur,  —  celui  qui, 
au  nom  de  sa  jugeote  personnelle  (du  haut  de 
quelle  esthétique,  je  vous  prie.-*),  aurait  sup- 
primé une  tragédie  d'Eschyle,  celui  qui  aurait 
dit,  après  avoir  parcouru  le  manuscrit  d'un 
sonnet  de  Dante  :  «Déchirons  cela»,  celui  qui 
aurait  pensé  qu'une  scène  de  Corneille,  même 
vieilli,  ne  valait  pas  d'être  conservée,  celui 
qui,  possesseur  d'un  drame  de  "Wagner  écrit 
après  Parsifalj  s'écrierait  :  «Hein  ?  quoi.''  que 
voulez-vous  dire  ?  Rien  dans  les  mains,  rien 
dans  les  poches  !  »  Vous  auriez  voulu ,  Monsieur, 
qu'Auguste  Vacquerie  et  Paul  Meurice  char- 
geassent d'une  telle  malédiction  la  durée  de 
leur  mémoire.''  Ils  n'en  feront  rien.  Ils  sont 
incapables  d'attenter  au  patrimoine  de  l'hu- 
manité. 

...  Vous  n'admirez  pas  le  nouveau  livre 
poétique  de  Victor  Hugo,  vous  le  jugez  infé- 
rieur aux  Feuilles  d' Automne j  aux  Chants  du  Cré- 
puscule j  à  La  Ugende  des  Siècles j  aux  Châtiments; 
enfin,  pour  vous  citer,  ce  qui  m'est  une  joie, 
vous  ne  le  jugez  pas  digne  «du  grand  poète, 
du  magnifique  inventeur  de  rythmes  et  de 
nombres  que  fut  Victor  Hugo». 

...  La  vérité,  —  ce  que,  du  moins,  je 
crois  être  la  vérité,  —  c'est  que  la  nouvelle 
œuvre  posthume  de  Victor  Hugo,    n'est  ni 


supérieure  ni  inférieure  à  ses  œuvres  de  naguère 
ou  de  jadis.  Elle  leur  est  égale.  Une  pareille 
sublimité  de  pensées,  une  pareille  abondance 
de  cœur  tout  entier  à  tout  propos  débordant, 
une  semblable  prodigalité  d'images,  toujours 
neuves,  une  aussi  prodigieuse,  une  aussi  par- 
faite réalisation  de  l'idéal  poétique,  la  font 
sœur  des  Châtiments  et  de  Lm  Le'gende  des  Siècles. 
En  outre,  on  y  pourrait  trouver  un  charme, 
encore  inconnu  :  celui  de  surprendre,  çà  et  là, 
dans  plus  d'intimité,  l'âme  tendre  et  enthou- 
siaste, et  moins  politique,  du  divin  poète. 
Mais  n'insistons  pas  sur  ce  point.  En  résumé, 
Victor  Hugo  lui-même  ne  pouvait  surpasser 
Victor  Hugo.  Et  que  sa  nouvelle  œuvre  égale 
ses  anciens  chefs-d'œuvre,  cela  nous  suffit. 
A  qui  nous  a  donné  tout,  nous  ne  pouvons 
demander  autre  chose,  —  nous  ne  pouvons  de- 
mander que  de  nous  donner  la  même  chose, 
encore,  toujours  ! 

Cette  insistance,  cette  obstination,  cette 
continuité  dans  le  beau,  dans  le  beau  et  dans 
le  beau,  c'est  peut-être  ce  qui  importune  des 
esprits  tels  que  le  vôtre.  Monsieur,  si  curieuse- 
ment désireux  d'impressions  nouvelles,  fussent- 
elles  moindres. 

...  Car  tant  de  chefs-d'œuvre  n'ont  fait 
qu'accroître  notre  boulimie  de  nouveaux  chefs- 
d'œuvre,  fussent-ils  pareils  !  Le  fâcheux.  Mon- 
sieur, c'est  que  des  quatre-vingt-dix  pièces 
qu'Eschyle  a  écrites,  —  si  l'on  s'en  rapporte 
à  Suidas,  —  il  ne  nous  en  reste  que  sept;  et 
il  est  désastreux  que  la  Grèce  ne  nous  ait 
légué,  de  Pindare,  que  quatre  livres  d'odes 
composées  en  l'honneur  des  vainqueurs  du 
stade.  Encore  plusieurs  de  ces  odes  semblent- 
elles  apocryphes.  Mais  la  dernière  série  de 
Toute  la  Lyre  est  de  Victor  Hugo,  véritable- 
ment, je  vous  l'affirme. 


III 


NOTICE   BIBLIOGRAPHIQUE. 


A  la  France  de  i8j2.  —  Publié  en  tête  des 
éditions  in-8°  et  in-i6  de  Ejty  Bios,  mars  et 
avril  1872. 

A  la  France.  —  Deuxième  partie  de  :  A  la 
France  de  iSji.  Tirage  spécial  publié  avec  le 
titre  :  Souvenir  de  l'Exposition  universelle  de  iSjS, 
et  le  fac-similé  de  la  signature  de  Victor  Hugo 


et  de  la  date  :  12  mars  i8j8.  Paris,  Moitrier, 
éditeur,  rue  Brézin,  n°  37  (imprimerie  Le- 
mcrcier  et  C",  rue  de  Seine,  n°  57). 

La  Libe'ration  du  territoire.  —  Au  profit  des 
Alsaciens-Lorrains,  jo  centimes.  Paris,  Michel 
Lévy  frères,  éditeurs,  rue  Auber,  n°  3,  et  bou- 
levard des  Italiens,  n°  15,  1873. 


504 


NOTES  DE  L'EDITEUR. 


La  Liibération  du  territoire.  —  Jointe  à  UAn- 
née  terrible,  édition  Michel  Lévy,  in-S",  1873. 

Ltf  Liihe'ration  du  territoire.  —  Jointe  k  UAn- 
ne'e  terrible ,  édition  Hugues,  grand  in-8°,  1879. 

Toute  la  Lyre.  —  Œuvres  inédites  de  Victor 
Hugo.  Paris,  J.  Hetzel  et  C",  éditeurs,  rue  Ja- 
cob, n°i8;  maison  Quantin,  rue  Saint-Benoît, 
n°  7  (imprimerie  Quantin).  Edition  originale, 
parue  le  4  juin  1888.  Deux  volumes  in-S",  cou- 
verture imprimée.  Prix  :  7  fr.  jo  le  volume. 

Toute  la  Lyre.  Dernière  série.  —  Œuvres  iné- 
dites de  Victor  Hugo.  Paris,  J.  Hetzel  et  C",  édi- 
teur, rue  Jacob,  n°  18;  maison  Quantin,  rue 
Saint-Benoît,  n°  7  (imprimerie  May  et  Motte- 
roz),i893.  Edition  originale,  in-8°,  couverture 
imprimée.  A  paru  le  2  juin  1893.  Prix  :  7  fr.  jo. 

Toute  la  Lyre,  —  Œuvres  inédites  de  Victor 
Hugo.  Paris,  G.  Charpentier  et  C'°,  rue  de 
Grenelle,  n°  11  (Imprimeries  réunies  A.).  Pre- 
mière édition  in-i8,  parue  le  14  juin  1889; 
deux  volumes.  Prix  :  3  fr.  jo  le  volume. 

Toute  la  Lyre.  Dernière  série.  —  Œuvres 
inédites  de  Victor  Hugo.  Paris,  ancienne 
maison  Quantin,  librairies-imprimeries  réu- 
nies (May  et  Motteroz,  directeurs),  rue  Saint- 


Benoît,  n°  7  [s.  d.],  II  juillet  1893.  In-i8,  cou- 
verture imprimée.  Prix  :  3  fr.  jo. 

Toute  la  Lyre.  —  Paris,  Librairie  du  Vic- 
tor Hugo  illustré  [s.  d.],  1879  (imprimerie 
P.  Mouillot).  Grand  in-8%  couverture  illustrée. 
Sept  gravures  hors  texte.  A  paru  en  28  livrai- 
sons à  10  centimes.  L'ouvrage  complet  :  4  fr. 

Toute  la  Lyre.  —  Œuvres  posthumes  de 
Victor  Hugo.  Édition  définitive,  in-i8,  tome  1". 
Paris,  librairie  Hetzel  et  C";  May  (imprimerie 
Motteroz).  A  paru  le  18  octobre  1897.  Prix  : 
2  francs. 

Toute  la  Lyre.  —  Même  édition  que  la  pré- 
cédente, tomes  II  et  III.  28  janvier  1898. 

Toute  la  Lyre.  —  Édition  à  25  centimes  le 
volume.  Paris,  Jules  Rouff  et  C",  Cloître 
Saint-Honoré.  Dix  volumes  in-32. 

Toute  la  Lyre.  —  Paris,  Nelson,  éditeurs, 
rue  Saint-Jacques,  n°  189,  et  à  Londres,  Edim- 
bourg et  New-York.  Deux  volumes  in-12  j  cou- 
verture illustrée.  Prix  :  i  fr.  25. 

Toute  la  Lyre.  —  Édition  de  l'Imprimerie 
Nationale.  Paris,  Paul  OllendorfF.  —  Albin 
Michel,  éditeur,  rue  Huyghens,  n°  22.  Deux 
volumes  grand  in-8°,  1935. 


IV 


NOTICE   ICONOGRAPHIQUE. 


1897  [s.  d.].  Édition  du  Victor  Hugo  illustré. 
—  Frontispice  (MoUer)  et  sept  compositions 
hors  texte  : 

La  France,  ô  mes  enfants,  reine  aux  tours  fleu- 
ronnées  (Lix).   —   Hermina  (A.  Willette).  — 


L'Idylle  de  Floriane^^)  [A.  Willette].  —  ^i 
de  la  Ferraille  (Lix).  —  Cette  armée  en  qui  Kome 
uivait...  (Lionel  Royer).  —  La  Libération  du 
territoire  (Lix).  —  Lt  regarde'i  grandir  nos  fils 
encor  petits  ( D. Vierge.  ) 


l''  Cette  poe'sie  a  été,  dans  cette  édition,  publiée  dans  Les  Chansons  des  rues  et  des  Bois, 


ILLUSTRATION   DES    ŒUVRES 


REPRODUCTIONS  ET  DOCUMENTS 


POESIE.    —    XIII.  33 

IMPItllIEniE     KATIOIfALB. 


ŒUVRES    INEDITES 


VICTOR    HUGO 


TOUTE  LA  LYRE 


DERNIERE    SÉRIE 


PARIS 

J.   HETZEL  &  C"'  MAISON    QUANTIN 

l8,    RUE    JACOB  RUE   SAINT-BENOIT,    7 

M    DCCC   XCIII 


Couverture  de  l'Édition  originale.  (Dernière  série.) 


507 


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Hermina.  —  Dessin  de  Willette.    —  Édition  du  Victor  Hugo  illustre. 


509 


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Fac-similé  du  manuscrit.  (Voir  page  33.) 


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Fac-similé  du  manuscrit.  (Voir  page  65.) 


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Fac-similé  du  manuscrit.  (Voir  page  95.) 


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Fac-similé  du  manuscrit.  (Voir,  page  97.) 


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Fac-similé  du  manuscrit.  (Voir  page  145.) 


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Fac-similé  du  manuscrit.  (Voir  page  183.) 


521 


POESIE.   XIII. 


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Fac-similé  du  manuscrit.  (Voir  page  199.) 

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Fac-similé  de  la  strophe  Écrite  vers  1828. 


524 


Fac-similé  du  manuscrit  date  1876.  (Voir  page  286.) 

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Fac-similé  du  manuscrit.  (Voir  page  295.) 

5^7 


TABLE. 


LES   SEPT    CORDES. 


I.  À  Louis  B il 

II.  AdmikEj  enfant!  soui^ent  aux  marins  de  Messine 13 

III.  A    UNE    RELIGIEUSE I  ^ 

*  IV  A  cette  heure  indécise  où  le  jour  va  mourir 15 

V.  La  France^  ô  mes  enfants,  reine  aux  tours  fleuronnees 16 

VI.  L'autre  jour,  ami  cher,  ami  de  'vingt  années 17 

VIL  "Vous  êtes  bien  des  fois  z>enus  dans  ma  demeure 19 

VIII.  À  Ol 20 

IX.  UÉnus  rit  toute  nue  au-dessus  de  mon  lit 2  1 

*  X.  A    cette    heure    de    nuit    où    L'HOMME    'VAGUE    ET    TROUBLE 2  2 

XI.  Le  couchant  flamboyait  À  trai^ers  les  bruines 23 

*  XII.  UiRGILEj    en    ce   beau   mois,    JE   SENS   MOINS   LES   DOULEURS 25 

XIII.  Le  bien  germe  parfois  dans  les  ronces  du  mal 26 

*  XIV.  Mon  Ame  était  en  deuil,-  c'était  l'heure  de  l'ombre 28 

XV.  Je  travaille 29 

XVI.  Tu  ME  DIS  :  Finis  donc  ton  LitmE  des  Misères 31 

XVII.  ^Quand  je  marche  A  mon  but  auguste 32 

*  XVIII.  0  TOI  sut  m'as  maudit  dans  tes  souffrances  sombres 33 

XIX.  A    UN    ENFANT 34 

*  XX.  Je  MARCHAIS;  j'entendais,  comme  tombait  la  nuit 39 

XXI.  J'ai  mené  parfois  dure  vie 40 

XXII.  A    DEUX    ENNEMIS   AMIS 43 

XXIII.  D.  G.  D.  G 46 

*  XXIV.  Un  soir 52 

XXV.  Lettre  de  l'exile  arrivant  dans  le  désert j  3 

*  XXVI.  Ô    DOUX    ÊTRES  !   ma    JOIE    ET   MON    AMOUR    SACRÉ! 5  5 

XXVII.  A    l'heure   où   LE   SOLEIL   SB   COUCHE 56 

*  XXVIII.  J'aspire  A  m' enfouir  sous  les  arbres.  Je  suis 58 

XXIX.  A  Jeanne 59 

XXX.  Si   dans   CE    GRAND   PaRJS,    ô   CHARMANTE   INFIRMIERE 6o 

POESIE.    —    XIII.  35 

IHflUHEIIIE     NATIOXALC 


53o  TABLE. 

XXXI.  Calomnié 6i 

*  XXXII.  Souffrez,  ô  précurseurs  ! 6z 

XXXIII.  L'aquilon  change,  et  met  la  povpe  où  fut  la  proue 63 

XXXIV.  Ave,  Deaj  mohiturus  te  salutat 64 

XXXV.  Envoi 65 

XXXVI.  Pygmée  et  MyrmidoNj  c'est  haine  et  calomnie 66 

XXXVII.  Je  la  revois j  aprÀs  'vingt  ans,  l'Île  où  Décembre 68 

XXXVIII.  Je  ne  m'arrête  pas,  jamais  je  ne  séjourne 70 

XXXIX.  Je  vais  dans  la  fureur  du  gouffre,  dans  l'Écume 71 

XL.  Un  vieillard  est  souvent  puni  de  sa  vieillesse 73 

XLI.  A  Madame  d'A.-Sh 74 

XLII.  Z^OUS    (2UIj    VAINQUEURS,    AVEZ    MIS,    DEPUIS    VINGT-CINQ_^ANS 77 

XLIII.  Tu    NOUS    REGARDES,    NUIT,    GRANDE    PASSANTE    NOIRE 78 

XLIV.  Ah!  vous  faites  du  froid  devoir  votre  bonheur! 80 

XLV.  La  HAUTE  honnêteté,  c'est  la  toute  ma  gloire 81 

XLVI.  L'enfant  est  très  petit  et  l'aïeul  est  très  vieux 82 

XL VII.  Je  suis  enragé.  J'aime  et  je  suis  un  vieux  fou 83 

XLVIII.  Échappé  À  l'erreur 84 

XLIX.  Apres  l'hiver 86 

L.  ^Qi/eS-TU,    PELERIN  ?   Je    ME    NOMME 87 

LI.  Le    VIEILLARD    chaque    JOUR   DANS   PLUS    d' OMBRE    s'ÉVEILLE 88 

LII.  Tu   RENTRERAS    COMME   UoLTAIRE 89 


VI 


I.  LoRSQU,E    MA    MAIN    FRÉMIT    SI    LA    TIENNE    l' EFFLEURE 93 

II.  Oh  !  SI  vous  existez,  mon  ange,  mon  génie 9  j 

III.  ZJois-TU,  mon  ange,  il  faut  accepter  nos  douleurs 96 

*  IV.                 Ce  qu'en  vous  voyant  si  belle 97 

V.  Uous  m'avez  Éprouvé  par  toutes  les  éprewes 98 

VI.  Sais-tu  ce  que  Dieu  dit  À  l'enfant  qui  va  naître  ? 99 

VIL               Certe,  elle  n'Était  pas  femme  et  charmante  en  vain lOO 

VIII.             Roman  en  trois  sonnets i  o  I 

*  IX.                Chanson.  {Il  suffit  de  bien  peu  de  chose.  ..) 103 

X.                 Hermina 1 04 

*  XL                 OhI  LA  femme  et  l'amour  !  inventions  maudites  ! l  O  J 

XII.                    J'ÉTAIS   LE   SONGEUR  QUf.    PENSE IO7 

*  XIII.             L'amour  vient  en  lisant 109 

XIV.             Elle  vint  que  j 'étais  en  train  de  lire  HoMkRE iil 

*  XV.                     UoUS   NE   LA    FUYEZ   PAS,    OISEAUX,    PETITS   FAROUCHES 112 

XVI.             Commencement  d'une  illusion 113 

*  XVIL            Trumeau 115 


TABLE. 

XVIII.  Toute  la  vie  d'un  cœur.  : 

1817.  Adolescence 

1820.  Printemps.  Mai  le  de'crète  et  c'eJf  officiel 

1833.  Puisque  le  gai  printemps  revient  danser  et  rire 

1 83  j.  Promenade 

1 840.  Je  ne  laisserai  pas  se  faner  les  pervenches 

1847.   •^*  '^"^  **  homme  ayant  un  projet  sous  les  deux.  .  .  . 

*  XIX.  L'amouk  n'est  plus  l'anti^e  et  menteur  Cupido 

XX.  Or.  nous  cueillions  e!<semble  la  pervenche 

*  XXI.  Il  Était  une  fois  un  caporal  cipaye 

XXII.  Un  coup  de  tjent  passa^  souffle  leste  et  charmant  .  .  . 

XXIII.  Quinze-vingt 

XXIV.  J'ai  toujours  redouté  d'aborder  une  femme 

XXV.  J^U^EST-CE  £UE    CETTE    ANNÉe    EMPORTE    SUR    SON    AILE? 

XXVI.  Dans  un  vieux  cloître 

*  XXVII.  J'avais  dans  ma  mansarde  un  buste  de  Platon 

XXVIII.  Virgile  dans  l'ombre 

*  XXIX.  Ouij  JE  suis  le  regard  et  vous  êtes  l'Étoile 

XXX.  N'est-ce  pas,  mon  amour,  j^ue  la  nuit  est  bien  lente 

*  XXXI.  Je  ne  -viens  pas  vous  voir  le  jour;  voici  pourquoi  . .  .  . 
XXXII.  L'heure  sonne.   Un  jour  va  naître 

*  XXXIII.  A  DEUX  soeurs 

XXXIV.  Un  jour  qu'elle  m'avait  dit  :  Donnez-moi  vos  yeux.  . 

*  XXXV.  NiVEA    NON    FRIGIDA 

XXXVI.  À  Madame  la  princesse  Sophie  Galitzine 

*  XXXVII.  À  Madame  J.  . 

XXXVIII.  Je  ne  sais  pas  pourquoi  les  femmes 

*  XXXIX.  Pendant  qu'elle  dort 

XL.  La  foret 

XLI.  Chanson.  {Le  prince  de  Joinville, ..) 

XLII.  J'Étais  un  lycéen  honnête 

*  XLIII.  FURENS    FmMINA 

XLIV.  Cela  la  désennuie,-  elle  vit  toute  seule 

XLV.  Chanson  de  celle  qui  n'a  pas  parle 

XL VI.  0    TOI    d'où    ME    VIENT   MA    PENSÉe 

*  XL VII.         Danse  en  rond 

XL VIII.  Oh  !  DiSj  te  souviens-tu  de  cet  heureux  dimanche  ?. . . 

XLIX.  Garde  A  jamais  dans  ta  mémoire 

L.  Ah  ça  mais  !  quelle  idée  as-tu,  capricieuse 

LI.  A   UNE   immortelle 

LU.  Horace,  et  toi,  vieux  La  Fontaine 

*  LUI.  Chanson.  (Bon  empereur,  vous  Êtes  maître...) 

LIV.  A    FORCE   DE   RÊVER   ET  DE   VOIR   DANS   LA    PLAINE 

*  LV.  Les  péripéties  de  l'idylle 


16 

17 
17 
18 

19 

20 
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71 
72 
74 
75 


532 


TABLE. 


LVI.  Je  pressais  ton  bras  qjii  tremble i 

LVII.  Au    BAL I 

LVIII.  Nous  etionSj  elle  et  moIj  dans  cet  avril  charmant i 

LIX.  Aujourd'hui  Galatée  aux  lascives  Épaules i 

*  LX.  Danger  d'aller  dans  les  bois i 

LXI.  Tous    DEUX    EST-CE    A    TiBUR?   EST-CE    A    UiLLE-d'AvRAY  ? I 

LXII.  L'outrage  peut  être  aussi  dans  la  caresse i 

LXIII.  LiA    BELLE    s'appelait   MADEMOISELLE    AmABLE I 


79 
80 
81 
82 

83 
85 

87 


89 

LXIV.         (^UAND   DEUX   C<&URS   EN   s' AIMANT   ONT   DOUCEMENT   VIEILLI I93 


VII 


I.  La  blanche  Aminte 197 

II.  Le    prince    FAINEANT 1 99 

III.  Ce  QUE  Gemma  pense  d'Emma 202 

IV.  Vase  de  Chine 205 

V.  Mauvaises  langues 2  06 

VI.  Danseuse,  écoute-moi.  Le  Dieu  du  firmament 208 

VII.  Le  porche  de  Saint-Luc 209 

*  VIII.         Chanson.  {L'hiver  gronde  et  fait  cent  ^erelles.) 210 

IX.  Oui,  fÔt-on  Homère,  il  faut  rire 212 

X.  En  Afrique 213 

XI.  ^Quiconque  est  amoureux  est  esclave  et  s'abdique 214 

XII.  A    L  AGE    DES    bergeries 2l6 

*  XIII.  Bruit  de  guitare 218 

XIV.  La  lune 219 

XV.  Le  mardis  de  Bade  a  deux  cornes 220 

XVI.  UeUX-TU    'VIVRE,    ÊTRE  ADMIrÉ 222 

XVII.  Chaqjje  smcLE  a  le  sien 223 

XVIII.  Il  avait  le  front  bas,  le  rire  d'un  pirate 224 

XIX.  Messeigneurs ,  NOUS  aurons  pour  lustre  la  Grande  Ourse 225 

XX.  Fils,  je  'veux  dans  ce  conte,  oh  vont  'venir  les  fÉes 226 

XXI.  Quai  de  la  ferraille 227 

XXII.  Comédies  non  jouables  qui  se  jouent  sans  cesse  : 

i.  La  marquise  Antoinette 230 

Idylle 234 

Idylle  (Cocarde  et  Louchon) 236 

Au  Luxembourg 237 

Le  mendiant 2  40 

EUe,  c'eit  le  printemps j  pluie  et  soleil;  je  l'aime 241 

Idylle  de  la  rue  N.-D.  de  Lorette 244 

viii.     Uois-je point  la  dans  l'ombre  un  homme  titubant? 244 

IX.       Susurrant  voces 246 


II. 
III. 

IV. 
V. 
VI. 
VII. 


TABLE.  533 


XXII.  Comédies  non  jouables  qui  se  jouent  sans  cesse  (Suite)  : 

*  X.  On  prétend,  Silvio,  que  toujours  je  uoiis  aime 248 

XI.  Je  te  jure  un  amour  étemel 249 

XII.  Entre  le  zist  et  le  zest 250 

XXIII.  Chansons  : 

I.  J'adore  Suiett; 254 

II.  //  était  une  fois ^5^ 

*  III.  Je  suis  Jean  qui  guette 257 

IV.  L'oiseau  passe 2  60 

V.  Cancion 261 

*  VI.  Chanson  de  Maglia 261 

VII.  Chanson  en  canot 262 

VIII.  La  chanson  du  spectre 2  64 

IX.  Margot 2  66 

X.  Kien  n 'eff  comme  il  devrait  étr; 267 

*  XI.  Tourne-toi  vers  celle  qui  t'aime 270 

XII.  Chanson  de  bord 271 

XIII.  Dans  la  forêt 272 

XIV.  Ronde  pour  les  enfants 273 

*  XV.  Jean ,  Jeanne ,  Jeannot 274 

XVI.  Le  chant  du  vieux  berger 275 

XVII.  Chant  des  songes 278 

XVIII.  Hacquoil  le  marin 280 

UienSj  ô  toi  que  j 'adore 281 


Mai  dans  les  bois  recHe 283 

XX.       Chant  du  bol  de  punch 2  84 

*  XXI.     Sérénade 286 

XXII.    Le  château  de  l'Arbrelles 2 86 

*  XXIII.  L^  joli  page  imberbe 288 

XXIV.   Chansons  de  Gavroche  : 

I      JLï»  tan  plan  ! 289 

*  II.   ^uand  Dalila,  Paméla 290 

III.  I^a  bourgeoisie  elt  un  "veau 291 


LA    CORDE    D'AIRAIN. 

À  LA  France  de  1872 295 

I.  Apres  Sedan 301 

II.  A    DES    REGIMENTS    DECOURAGES 3O3 

III.  Destruction  de  la  colonne 305 

IV.  L.4    GRANDE    RÉpUBL/^UE    A    DES    GKIFFES    FATALES 308 

V.  Apres  l'Écroulement  de  l'homme 309 

VI.  L'orgie  des  meurtres 3^^ 


534  ^  TABLE. 

vu.  Oui,  l'on  a  sauvé  l'okdke  et  l'état,  et  je  crois 314 

■VIII.  En  Belgi^e  —  {et  peut-ètke,  hÉlas !  ailleurs  encor!) 316 

IX.  A   UN    ROI    DE    TROISIEME    ORDRE 318 

X.  Alsace  et  Lorraine 321 

XL  La   LIBERATION    DU   TERRITOIRE 327 

Xn.  Le  uonceau  songeait,'  il  Était  tout  petit 335 

XIII.  0    ROYAUTÉ!    TAS    p'oMBRE  !   AMAS    p'hORREUR,    d' EFFROI 337 

XIV.  „^£P^   DONC  !   AVOIR   POUR   BUT   CETTE   lÂCHETÉ,    PLAIRE  ! 338 

XV.  Un  grand  sabre  serait  d'utilité  publique 340 

XVI.  Aux  HISTORIENS 343 

XVII.  Victoires  et  conquêtes  de  la  religion 349 

XVIII.  0   NOMBRE    FEMME,    UN    JOUR 35I 

XIX.  La  question  sociale 352 

XX.  Crois-tu  donc  qu'on  sera  César  sans  l'expier  ? 3^4 

XXI.  Jeunes  hommes  éclos  sous  l'empire  rapace 355 

XXII.  Rentrée  dans  la  solitude 358 

XXIII.  0    PRINCES    insensés  !  QUOI  !    NE    TREMBLENT-ILS    PAS 360 

XXIV.  Le  POETE  prend  la  parole 362 

XXV.  Grandes  oreilles 363 

\ 

XXVI.  A    DE    CERTAINS    MOMENTS,    LHOMME    JUSTE    EST   RISIBLE 364 

XXVII.  A  vous  tous 367 


NOTES  DE   CETTE  EDITION, 


Les  manuscrits  de  Toute  la  Lyre 373 

I.  Notes  explicatives 373 

II.  Variantes  et  vers  inédits 406 

Notes  de  l'Editeur 479 

I.  Historique 479 

IL  Revue  de  la  Critique 486 

III.  Notice  bibliographique 503 

IV.  Notice  iconographique 5  04 

Illustration  des  Œuvres.  —  Reproductions  et  documents 505 

Couverture  de  l'édition  originale  de  Toute  la  Lyre  (Dernière  série). — 

Hermina. 
Fac-similés  des  manuscrits  :  0  toi  qui  m'as  maudit  dans  tes  soufrâmes 

sombres...  —   Envoi.  —  Oh!  si  vous  existe^,  mon  ange,  mon  génie... 

- — ■  Ce  qu'en  vous  voyant  si  belle.  —  Pendant  qu'elle  dort.  —  Danger 

d'aller  dans  les  bois.  —  Le  Prince  fainéant.  —  Le  Château  de  l'A.r- 

breUes.  —  A.  la  France  de  iSyz. 


ACHEVE    D'IMPRIMER 

PAR    L'IMPRIMERIE    NATIONALE 

POUR 

ALBIN    MICHEL,    EDITEUR 

22,    RUE    HUYGHENS,    22,    PARIS 

LE    II    JUILLET    1935 


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