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Full text of "Oeuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIII siècle"

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ŒUVRES COMPLETES 



Ue Eutebeuf, 



TROUVÈRE DU XIII* SifiCLI. 



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'Pari8^7>^rjfnprimerie aélcan-Lévy, 6i, ruedcLafayette, 



ŒUVRES COMPLÈTES ' 

TROUVÈRE DU XIII* SIÈCLE , 
lificueillies etmises aujourpour la première/ois. 



a4CHILLE JUBIU^AL, 



NOUVfclLLE ÉDITION, 
nvue et corrigie. 



TOME DEUX 




PARIS, 

Padl DAFFIS', éditeur -propriétairk 

db lt bibliothèque u 

7, rue Guén^gtud, 

H D£CC LXXIV. 



; OEUVRES 

Hc ÎHutfbfuf. 



9t llnc^emer, 
(C'ttt if |Srîcl)(iii(r '. 

Mss. ;iig, 761S. 

m'eAuet de Bricheuer 

Qui jue de moi à la briche : 
Endroit de moi je V doi amer ; 
ie ne r tniis aefchars ce chiche. 
N'a fî lai^e jufqu'outre mer, 

t. L^p^nd d'Aussy a donné le texte de celte pièce 
au tome V des Notices des manuierila, pages 411- 
414, en l'accompagnant des réflexions suivantes : 

u Cette pièce, purement littéraire, n'a rien d'histo- 
rique ; je U donne comme un monument de notre 
ancienne poésie, et spécialement comme un indice 

RUTIBEUF. H. I 




2 De Brichemer. 

Quar de promeffe m'a fet riche : 
Du forment qu'il fera femer 
Me fera anc'ouan fiamiche. 
Brichemer ^ eft de bel afère ; 
10 N'eft pas uns hom plains de defroi : 

certain du progrès qu'avait déjà fait Tart de la rime 
vers le milieu du XIII» siècle. 

J*ai dit ailleurs {Fabliaux, discours préliminaire, 
2e édiUon^page io8), en parlant du mélange régu- 
lier des rimes masculines et féminines, que nos 
modernes avaient tort d*en attribuer l'usage aux poètes 
du XVI» sièdef, et de regarder ces écrivains comme 
les premiers qui en eussent donné l'exemple et fait 
une règle; j'ai dit^ çt je Tai prouvé par des citations, 
que plus de trois siècles auparavant nos vieux rimeurs 
le connaissaient, et qu'ils l'employaient même sou- 
vent, quoiqu'il ne fût point encore établi en loi. 

Le Brichemer de Rjitebeuf va en offrir une preuve 
nouvelle : il est composé de trois stances, chacune de 
huit vers sur deux rimes, masculine et féminine, re- 
/ doublées et croisées. 

L'Épître elle-même n'est point sans talent : on y 
trouvera un badinage assez léger pour son temps, 
de l'harmonie dans la versification , de la finesse et de 
la gaieté dans la raillerie, et même un mérite qu'on 
ne s'attend pas à y trouver, celui de la grâce et du 
bon ton. Elle peut donner une idée des poésies fugi- 
tives d'alors. » 

Je ne sais si Brichemer est le nom d'un individu 
existant à l'époque de Rutebeuf , et son débiteui^, ce 
qui est peu probable ( il aurait été plutôt son créan- 
cier), ou un nom supposé, comme les poètes en em- 
ploient souvent dans leurs épigrammes, ou enfin un 
nom allégorique sous lequel on pouvait au XIII« siècle 
découvrir à qui s'adressaient les vers de notre trou- 



De Brichemer. 

Cortois & douz & debonère 
Le trueve-on , & de bel aroi ; 
Mes n*en puis fors promefle atrère, 
Ne je n'y voi autre conroi * : 
1 5 Autele atente m'eihiet fère 

Com li Breton font de lor roi ^. 
Ha, Brichemer! biaus très douz fire^ 



vère. Tout ce que je puis dire, c'est que dans le Roman 
du Renart le cerf s'appelle Brichemer, 

Quant à la briche, c'était un jeu qu'on jouait assis, 
et, par conséquent, À r^xi^e. C'est, je crois, le sens dans 
lequel il faut entendre ici ce mot. Le supplément du 
Glossaire 'd^ Ducange, au mot Bricolla, en cite plu- 
sieurs exemples que voici : « Aucunes bachelettes 
jouoient d'un jeu appelé la briche, et quant le sup- 
pliant et Mathieu Burnel approuchèrent près d'eulx , 
Andrieu d'Azencourt print hors des mains des ditet 
bachelettes le baston duquel bricher devoit. > UtU 
remiss., an 1408. — Alice ^ an 141 1 : « Plusieurs 
gens qui jouoient au geu de brische etgesant à terre», 
etc. — Litt. remiss, j ^n 1450. — Lesquelles filles 
jouoient à ung jeu de la bricque».,; et plus loin c les 
dit^ filles assises au dit jeu de la bricque, • 

M. Paulin Paris qualifie notre pièce dejolie,et ajoute: 
« Qu'on y trouvera de V esprit et même une sorte de 
grâce dans les derniers vers, » En effet , Je sens des 
deux derniers est très-fin , et l'on peut dire que la pièce 
entière est un charmant badinage. 

1, Ms. 7615. Var. Je n'i voi mes autre conroi. — 
Conroi, dessein. 

2. Parmi les prophéties qu'on attribuait à l'en- 
chanteur Merlin, il y en avait une qui annonçait 
qu^Artus, ce roi des Bretons si fameux dans nos ro- 
mans de chevalerie, n'était pas mort réellement comme 



4 De Brichemer. 

Paie m'avez courtoifement , 
Quar voftre bourfe n'en empire , 
20 Ce voit chafcuns apertement ; 

on le cro3rait, quMl reviendrait un jour régner de 
nouveau sur la Grande-Bretagne, et qu'alors il la 
rendrait la plus florissante des monarchies. En con- 
séquence de cette prédiction, les Anglais soupiraient 
après la venue du grand roi Ârtus, comme les Juifs 
après celle du Messie , et cette attente était devenue 
proverbiale et dérisoire. On la citait pour exprimer 
une espérance qui ne doit jamais se réaliser : 

Et Britonum ridenda fîdes , pcr fsecuia multa 
Arturium expectat, expectavitque pereonè. 

J. IsACANus Anglus. — De Bello trojano. 

Cil qui fafole à efcient 

Avec les Bretons puet attendre 

Artus qui jamais ne venra. 

(Vie des Pères.) 

M. Paulin Paris, au vers 6« de la page 238 du premier 
volume de Garin le Loherrain, a placé la note sui- 
vante : a Plusieurs manuscrits ajoutent ici ces deux 
vers, qui me semblent une interpolation du Jongleur : 

Comme as Bretons qui défirent toudis 
Li roi Artu qu'eft dou fiècles parti. 

Si le poôjne original contenait ces deux vers, il 
faudrait en conclure que les fables de la Table ronde 
ont été connue^ en France aussi anciennement que 
les romans des Dous[e Pairs; mais les meilleures le- 
çons et les plus anciennes ne les donnent pas. • 

M. Francisque Michel, page 75 des notes de son 
introduction au recueil de ce qui reste des Poèmes de 
Tristan, déclare qu'il ne partage pas cette opinion, 
et essaie de la réfuter par quelques exemples. 



De Brichemek. 

Mes une chofe vos viieil dire 
Qui n'efi pas de grand couftement : 
■ Ma promeflê feies efcrire ; 
Si foit en votre teflament. " 



<£rf)Unt ït 3tricl)tmtr. 






Cl mcoumtnn 

ii Wi) 'ht» Htbattr U (S^rtm. 

Ms.7633. 

[iBAUT, or eftes vos à point : 
Li aubre defpoillent lor branches 
[Et vos n'aveiz de robe point ; 
^Si en aureiz froit à vos hanches , 
5 Queil vos fuflent or li^orpoint 
Et li feurquot forrei à manches. 
Vos aleiz en eitai (i joint, 
Et en yver aleiz fi cranche , 
Voftre foleir n'ont meftier d*oint, 
10 Vos faites de vos talons planghes. 
Les noires mouches vos ont point , 
Or vos repoinderont les blanches * . 

I. Le sens de cette pièce étant assez difficile à com- 
prendre, je croîs devoir en donner ici une traduction : 
M Ribauds, vous êtes maintenant à point. Les arbres 
dépouillent leurs branches et vous n'avez point de 
robe : vous en aurez froid à vos hanches j quels que 
soient vos pourpoints et vos surcots fourrés à man> 
ches. Vos souliers n'ont pas besoin d'être graissés, vos 
talons vous servent de semelles. Si les mouches noires 
vous ont piqués , bientôt ce sera le tour des blanches. • 



N 



Li 



; Gbe 






— Par les noires mouclies, je crois qu'il &ul t 
■drc: 1m puces, qui viennent surtout durant l'été, 
par les Manches... un autre genre de vi 
de cet deux sens, assez peu. nobles, j'en convieas, ye 
ne vois pas ce que pourraient signiSer les deux der- 
niers vers du Dij des Ribaux deGreive, non plus que 
'•:eui sur te mEme sujet qui se trouvent dans la pièce 
intitulée : De la Griesche d'yver. 



Crpltctt. 





$a IDe^putoi^^n U Cl^aUot et W iBarbter^ 



<l^u ci tntonmtïict 



"bt Cl^arfot et "bon iBarbtec U JKeleuti * 



Mss. 7218,7633, 198N.-D 




'autr'ier .i. jor jouer aloie 
Devers TAuçoirrois Saint-Germain y 
Plus matin que je ne soloie , 
Que ne lief pas volentîers main. 



I. Chénier, dans sa leçon sur les Fabliaux fran^ 
çais t prononcée à l'Athénée, après avoir parlé du 
Testament de Vâme^ quMl trouve plus gai que le 
conte de frère Denise, qualifie la Disputoison de Char- 
lot et du Barbier, du titre de 'Fabliau fort remarqua- 
ble pour le temps. 

Puis, après Pavoir analysé, il ajoute en forme de 
conclusion : a Au XYIII» siècle , on ne parlait pas plus 
nettement sur les croisades. Cependant , le philosophe 
que Rutebeuf met en scène se laisse brusquement con- 
vaincre^ et cette conclusion était apparemment néces- 
saire pour faire passer le reste. £n des siècles plus, 
éclairés, à la fin on a vu les talents du premier ordre 
attaquer un préjugé et pourtant fléchir le genou devant 



La Des^u^oison de Challot, etc. (y 

5 Si vi Charlôt enmi ma voie , 
Qui le barbier tint par la main , 
Et bien monftroient toute voie . 
Qu'ils n'èrent pas coufîn germain. 

Il fe difoient vilonie 
lo Et fi getoient gas de voir * ; 

— « Charlot , tu vas en compaignie 

le nom du préjugé même. Il faut savoir excuser ceux 
qui croient ne pouvoir mieux faire et savoir apprécier 
ceux qui font mieux. » 

Dans un autre ordre d^dées , Legrand d'Aussy (édit. 
de Renouard , t. 2, p. 2o3 ) a dit de notre pièce : 

« Je ne sais si Ton ne devrait pas regarder comme 
de YT9.\sjeux ces sortes de scènes que les ménétriers 
débitaient quelquefois dans les fêtes auxquelles ils 
étaient appelés, et qui représentaient des querelles. 
J'ai trouvé dans les manuscrits trois de ces pièces : la 
première est une querelle entre deux femmes de mau- 
vaise vie; les deux autres sont des querelles d*hom- 
mes. Tune sous le titre de Dispute du barbier et de 
-Chariot, l'autre sous le titre de * Dispute de Renart 
et de Peau-d^oie ( sobriquets de deux ménétriers ). 
Toutes trois, sont divisées par strophes ou couplets 
en rimes croisées , et alternativement chacun des que- 
relleurs disait un des couplets. Très-probablement 
c'était là des farces dramatiques, qui, comme nos 
proverbes d'aujourd'hui, n'étaient composées que de 
quelques scènes détachées. Peut-être' pourrais-je dire 
la même chose du Dict de Vherberie, » 

M. Paulin Paris trouve que cette pièce, pour le 
fond du sujet, rappelle beaucoup les combats de ber- 
gers de Tliéocrite et de Virgile. 

I . Gas de voir, railleries pleines de vérités. 



io La Desputoison 

Por creftienté décevoir ; 
C'eft trahifon & félonife , 
Ce.puet chafcuns apercevoir. 
1 5 La teue loi foit.la honie : 

Tu n'en as point, au dire voir. » 

— f Barbier, foi que doit la baulive' 
Où vous avez voftre repaire , 
Vous avez une goûte vive ; 

20 James n'ert jor qu'il ne vous paire. 
Saint Ladres a rompu la trive , 
Si vous a féru el viaire : 
Por ce que cift maus vous eschive 
Ne requerrez mes saintuaire. » 

2 5 « — Charlot, foi que doifainte Jame, 

Vous avez ouan famé prife : 

Est-ce felonc la loi efclame 

Que Kayfas vous a aprife ? 

Vous créez autant Notre-Dame, 
3o Où virginitez n'eft maumife , 

Com je crois c'uns afnes ait âme ; 

Vous n'amez Dieu ne fainte Yglife. * 

— « Barbier fahz rafoir, fanz cifailles, ij 
Qui ne fez rooigner ne rère , 

35 Tu n'as ne bacins ne toailles ^ , 

I. Toailles : la copie de PÂrsenabmet ici en note : 
« Linge à barbe. » Ce mot signifie, en effet : serviettes, 
«ssuie-mains. 



. '. *' :: 




DE ChALLOT et du BaRBIER. II 

Ne de qoî chaufer eve clère. 
Il n'efl rien née * que tu vailles, 
Fors â dire parole amère ; 
S'outre mer fus, encor i ailles , 
40 Et fais proefce qu'il î père, i 

— < Charlot , tu as toutes les lois : 
Tu es juys & creflien , 

4. ' Tu es chevaliers & borgois , 

Et quant tu veus clerc arcien. * 
45 Tu es maqueriaus chafcun mois , . 
Ce dient bien li ancien ; 
Tu fez fovent par ton gabois ^ 
Joindre .ij. eus à .i. lien. » 

— « Barbier , or ell li tens venuz 
3o De mal parler & de mefdire , 

Et vous ferez ainçois chenuz 
Que vous lefliez cefle matire ; 
Mes vous morrez povres & nuz, 
Car vous devenez de Tempire ; 
55 * Je fui por maqueriaux tenuz : 
L'en vous retient à va-li-dire *. » 

1 . Bien née^ aucune chose vivante. 

2. Gabois, dérision, moquerie; mais je crois qu'il 
faut traduire ici ce mot par : ton entremise, ton beau 
parler. 

3. Va-li'dire : la copie de l'Arsenal met ici en note : 
« Nom d'un raccrocheur de femmes. • En picard ce 
mot signifie : mauvais sujet, goujat. 



12 ' La Desputoison 

— <( Charlot, Charlot, biaus douz amis, 
Tu te fez aus enfanz }e roi ; 
Se tu i es , qui t'i a mis ^ ? 
60 Tu i es autant comme à moi. 
De fambler fols t'es entremis , 
Mes, par les iex dont je t^ voi , 
Tels fa argent en paume mis 
Qui eft aflez plus fols de toi. » 

65 — « Barbier, or vienent les groifeles ; 

I . Ces trois vers et les deux derniers de la cinquième 
strophe semblent indiquer que cette pièce était une 
satire personnelle dirigée contre un certain Charles ou 
Chariot, qui avait suivi saint Louis en Terre-Sainte, et 
que je conjecture être le même que celui dont il est 
question dans la pièce intitulée : De Chariot le Juif, 
qui chia en la pel dou lièvre. Ce qui me le fait croire, 
c'est que ce dernier, dans ce conte, est représenté 
comme un ménestrel , par conséquent, comme un con- 
frère de Rutebeuf, qui avoue lui-même avoir été à 
une noce où se trouvait Chariot. Il n'y aurait donc rien 
d*étonnant à ce qu'ils eussent été rivaux, et, par consé- 
quent, ennemis. Du reste, malgré le sobriquet de mé- 
pris {le Juif) que donne à Chariot le titre de la pièce , 
rien n'indique qu'il ait été réellement d'un judaïsme 
autre que celui que le barbier reproche à son interlo- 
cuteur : 

Chariot , tu as toutes les lois : 
Tu es juys & creftien , &c. 

Ce qui vient encore confirmer mon hypothèse , c'est 
que Rutebeuf fait dire au barbier, en parlant de Char- 
iot, qu'il s'attache aux enfants du roi et qu'il essaye 
de se faire passer pour leur fou : or, qui était plus 
propre à remplir cette dernière fonction de jongleur? 



DE Challot et du Barbirr. i3 

Li groifelier font boutoné , 
Et je vous raport les no vêles 
Qu'el front vous font li borjon né 
Ne fai fe ce feront cenèles ' 
70 Qui ce vis ont avironé : 

Els feront vermeilles & bêles 
Avant que Ten ait moifTonné. » 

— «f Ce n'eft mie méfelerie , 

Charlot , ainçois efl goûte rofe , 
y S Foi que je doi Sainte Marie 

Que vous n'amez de nule chofe. 

Vous créez miex en juerie ^ , 

Qui la' vérité dire en ofe, 

Qu'en celui qui par feignorie 
80 A la porte d*enfer defclofe. 

« Et nequedent ^ fe Rustebues , 
Qui nous connoift bien a .x. anz * 



T. Cinèles : Ce mot est encore en usage dans car- 
taines provinces; on s'en sert dans le département 
du Loiret pour désigner de petites prunes sauvages. 

2. On trouve dans le prologue de la Résurrection du 
Sauveur y mystère que j'ai publié en 1834 ( Paris, Te- 
chener; : 

Od lai feit de la juerie. 

c'e8t-à-<iire : la nation juive , les principaux d'entre les 
Juifs. Ici, au contraire, le mot ^'fiierie est pris dans le 
sens de : la religion juive. 

3. Nequedent, néanmoins. 

4. Ms. 7633. Var. passei. x. ans. 



14 La DispuTOisoN de Challot, etc. 

Voloit dire .ij. motés nues, 
Mes qu'au dire fuft voir difahz , 
85 Ne contre toi , ne à mon oés , 
Mes por le voir fe fuft mis anz , 
Je le vueil bien fe tu le veus , ^ 
Que le meillor foit eflifanz. » 

— « Seignor, par la foi que vous dol| 

90 Je ne fai le meillor eflire ; 

Le mains pieur, fi comme. je croi, 
Vous eflirai-je bien du pire : 
Charlot ne vaut ne ce ne qoi , 
Qui en veut la vérité dire ; 

95 II n'a ne créance ne foi 

Ne que chiens qui charoingne tire. 

Li barbiers connoift bone gent , 
Et fi les fert & les honeure , 
Et met en els cor & argent, 
100 Paine de fervir d'eure en eure ; 
Et fet fon meftier bel & gent , 
Se befoins li recoroit feure, 
Et fa en lui mult biau fergent 
Que com plus vit & plus coleure. » 

Crplicît 
la 9ie0putt0on ïe C|)arlot et "bon iBarbier. 




9e V€f^tût \fn Mûtibt 



Ms. 7218. 




kOR ce que li mondes fe change 
Plus fovent que denier à change 
I Rimer vueil du monde divers : 
'Toz fu elles, or eft y vers ; 
5 , Bons fu , or eft d'autre manière ; 

Quar nule gent n'eft mes manière 

De l'autrui porfît porchacier, 

De fon preu n*i cuide -chacier. 

Chafcuns devient oifel de proie ; 
10 Nul ne vit mes fe il ne proie 2 : 

Por ce dirai l'eftat du monde , 

Qui de toz biens fe vuide & monde . 



Relegieus premièrement 



1. Cette pièce ne manque ni d'originalité, ni de 
de verve. L'auteur y passe en revue les religieux, les 
écoliers, les marchands, les chevaliers, etc., en don* 
nant à chacun un bon coup de griffe; mais les griefs 
qu'il énonce n'en sont pas moins justes. 

2. Proie, deproier, prendre, enlever, ravir; pr<r- 
dare* 



i6 De l'Estat du Monde. 

Déuflènt vivre faintement , 

i5 Ce croi felonc m'entencion. 
Si a double religion : 
Li .i. font moine blanc & noir* , 
Qui maint biau lieu & maint manoir 
Ont & mainte richece affife , 

no Qui toz font fers à covoitife. ^ 

Toz jors Yuelent fanz doner prendre , 
Toz jors achatent sans riens vendre. 
U tolent, l'en ne lor toit rien ; 
Il font fondé sus fort mefrien 2, 

2b Bien puéent lor richece acroiftre ; 
L'en ne préefche mes en cloiftre 
De Jéfus-Chrift ne de fa mère , 
Ne de faint Pol, ne de faint Père : 
Cil qui plus fet de l'art du fiècle, 

3o C'eft le meillor felonc lor riègle. 

1. Les moines blancs étaient les chanoines réguliers 
de Saint- Augustin, les moines noirs les frères de 
Saint-Benoît. Ces noms venaient de leurs habits. 

2. Merrain, poutre de chêne. — On lit dans la Vie 
de saint Louis par le confesseur de la reine Margue- 
rite : « Et (saint Louis ) fifl couper en Ton bois les 
très et autres merrien por Téglife des Frères-Mineurs 
de Paris, & por le cloiftre de la dite églife & le refre- 
tocre des Frères-Préechéeurs de Paris, & por laMefon- 
Dieu de Pontoife , & por les Frères-Sas de Paris ; & 
féift aufû mener touz ledit merrien à tout les liex def- 
fus diz; & les branches & l'autres bois qui demoroit 
des groCTes pièces du merrien eftoit donné por Dieu 
as povres religions. ». (Voy. la pièce intitulée : Du 
Pharisien,) 



*:ul-..^SÊÊitm 



De l'Estat du Monde. 17 

Après fi font li mendiant 
Qui par la vile vont criant : 
« Donez, por Dieu, du pain aus frères * ! » 
Plus en i a de .xx. manières. 
35 Ci a dure fraternité ; 

Quar, par la Sainte Trinité , 

Li uns covenx voudroit de l'autre 

I . On lit dans les Crieries de Paris, par Guillaume 
de La Villeneuve, pièce tirée du Ms. 7218, f^ 246: 
et imprimée par Méon, page 280 du 2« vol. de son 
Nouveau Recueil des Fabliaux, qu'on n'entendait au 
XIII* siècle dans les rues que des cris comme ceux-ci : 

Aus Frères de faint Jacqae pain , 
Pain por Dieu aus Frères-M enors ; 
Cels tieng-|e por bons^preneors; 
Aus Frères de (îaint Auguftin , 
Icil vont criant par matin. 
Du pain aii Sas , pain aus Bacrez , 
Aus povres prifons enferrez , 
A cels du Val des Escoliers ; 
Li uns avant, li autre arriers. 
Aus Frères des Pies demandent 
Et li croifié pas ne's ateadent ; 
A pain crier metent grant paine , 



Les Bons-eofants orrez crier 
Du pain , ne les vueil oublier. 
Les Filles-Dieu sèvent bten dire ; 
Du pain por Jhefu noftre lire. 
Çà du pain por Dieu aus Sacheflès . 
Par les rues font grans les preffes. 
Je vous di , de ces gens menues. 

On voit que Rutebeuf n'exagère probablement pas 
lorsqu'il dit qu'il y avait des Frères quêteurs de 
plus de vingt manières. : en voilà d'un seul coup 
douze de mentionnées, 

Rutebeuf. II. a 



i8 De l' Estât du Monde. 

Qu'il fuit en .i. chapiau de faultre 

£1 plus péreiUueus de la mer : 
40 Ainfî f entraiment li aver. 

Covoitex font, fi com moi famble : 

Fors lerres eft qu'à larfon emWe, 

Et cil lobent les iobéors 

Et defrobent les robéors 
45 Et fervent Iobéors de lobes , 

Oftpnt aux robéors lor robes. 

Après ce que je vous devife, 
M'eftuet parler de Sainte Yglife, 
Que je yoi que plufor chanoine 
* 5 G Qui vivent du Dieu patremoine; 
Il n'en doivent, felonc le livre, 
Prendre que le foùffifant vivre , 
Et , le rémanant humblement , 
Déuffent-il communément 

55 A la povré gént départir ; 
Mes il verront le cuer partir 
Au povfe, de maie aventure. 
De grant fain & de .grant froidure. 
Quant chafcuns a chape forrée , 

ho Et de denier, la grant horfée, 

Les plains coffres, la plaine huche , 
Ne li cliaut qui por Dieu le huche , 
Ne qui riens por Dieu li demande ; 
. Quar avarifce li commande, 

(o Gui il efl fers, à mettre enlamble^ 
Et fi fet-il , fi com moi famble , 



De l'Estat du Monde. 19 

Mes ne me chaut fe Diex me voie. 
En la fin vient à maie voie 
Tels avoirs , & devient noianz ; 

70 Et droiz eft , car fes iex voianz , 
Il efl riches du Dieu avoir ; 
Et Diex n'en puet aumofne avoir; 
Et fe il vait la meffe oïr , 
Ce n'eft pas por Djeu conjoïr, 

75 Ainz eft por des deniers avoir, 
Quar tant vous faz-je à favoir, 
S'il n'en cuidoit rien raporter, 
Jà n'i querroit les^piez porter ^, 

Encor 1 a clers d'autre guife ; 
80 Que quant il ont la loi aprife. 

Si vuelent eftre pledéeur 

Et de lor langues vendéeur ; 

Et penffent haras & cauteles , 

Dont il beftornent les quereles, 
85 Et metent ce devant derrière 2. 

Ce qui ert avant va arrière , 

1. Ce passage rappelle ces deux vers de Racine ? 

11 eût du buvetier emporté les ferviettes 
Plutôt quft revenir au logis les mains nettes. 

Il prouve^ du reste ^ que les chanoines recevaient un 
droit de présence quand ils assistaient au service divin. 

2. Ce passage est le seul de Rutebeuf qui soit rela- 
tif aux avocats ou aux gens qui en remplissaient Pof<* 
fice. Cela tient à ce que la question sociale , au XTII* 
siècle, ne résidait point dans la justice, mais dans 
l'opposition contre le clergé. Si notre poâte au con- 



îo De l'Estat du Monde. 

Car quant dant Denier ^ vient en place 
Droiture faut , droiture efface. 
Briefment tuit clerc fors efcoler 
90 Vuelent avarifce acoler. 

Or m*eftuet parler des genz laies ^ 
Qui refont plaie d'autres plaies. 
Provoft & bailli & majeur 
Sont communément li pieur 2 , 
95 Si com convoitife le voft ; 
Quar je regart que li provoft 

traire eût Vécu au XlVesiède, quand le gouvernement 
fut tombé aux mains des légistes^ — ces hardis démo- 
lisseurs qui répondaient à un procès fait au roi par un 
procès fait au pape, — il n'eût point sans doute man- 
qué de parler plus souvent des avocats, et peut-être, 
au lieu des quelques traits satiriques qu'on trouve çà 
et là dans ses poésies contre les prévôts et les baillis, 
aurions-nous eu quelques-unes de ces virulentes et 
énergiques attaques qui plus tard inspiraient à Ménot, 
gourmandant du haut de la chaire les seigneurs du 
Parlement (domini de parlamento) , ces éloquentes 
paroles : « Aujourd'hui nos seigneurs de la justice 
portent de longues robes et leurs femmes s'en vont 
vêtues comnie des princesses : si leurs vêtements 
étaient pressurés, il en sortirait du sang. »» 

I. Z><tn#Demer, littéralement: Monsieur Denier j rfo- 
minus, domnus Denier.— Nos ancêtres aimaient beau- 
cmxp ces personnifications. Ils avaient même, sous le 
tiire de Dan Denier, un fabliau assez célèbre, que j'ai 
a^p^OTté pages 93 et suivantes de mon recueil intitulé : 
Jisngleurs et Trouvères. On le rencontre aussi dans un 
éas manuscrits français de la bibliothèque de Berne. 
^. Pieur, pires; pejor es. 






' De l'Estat du Monde. «j 

Qui acenffent ^ les provoftez , 
Que il plument toz les coflez 
A cels qui font en lor juftife 

100 Et fe defFendent en tel guife: 
Nous les acenffons chièrement 
Si nous coYient communément , 
Font-il, partout tolir & prendre 
Sanz droit ne fanz refon atendre : 

io5 Trop aurions mauves marchié 
Se perdons en noftre marchié. » 

Encor i a une autre gent, 

Cil qui ne donent nul argent, 

Comment li bailli qui font garde ; 
1 1 o Sachiez que au îor d'ui lor tarde 

Que la lor garde en lor baillie 

Soit à lor tens bien efploitie , 

Que au tens à lor devancier 

N'i gardent voie ne fentier 
1 1 5 Par où onques paflàfl droiture. 

De cèle voie n'ont-il cure ; 

Ainçois penfTent à porchacier . 

Uefploit au Seignor & traitier 

Le lor porfit de l'autre part : 
1 20 Ainfî droiture fe départ. 

Or i a gent d'autres manières 
Qui de vendre font coustumières 
De chofes plus de .v. cens paires 

I. Acenfer, afTertner, donner à cens. 



22 De l'Estat du Monde. 

Qui font au monde néceifaires. 
125 Je vous di bien veraiement 

Il font maint mauves ferement , 
Et fi jurent que lor denrées 
Sont & bones 6C efmerées 
Tels foiz que c'eft mençonge pure. 

1 39 Si vendent à terme & ufure ; 
Vient tantofl & termoierie 
Qui font de privée mefnie ; 
Lors efl li termes achatez , 

Et plus cher vendus li chatez. 

]35 Encor i font ces genz menues 
Qui befoingnent parmi ces rues 
Et chafcuns fet divers meftier 
Si comme eft au monde meftier, 
Qui d'autres plaies font plaie. 

140 II vuelent eftre bien paie 
Et petit de besoingne fère , 
Ainz lor torneroit à contrère 

S'il pafToient lor droit .ij. lingnes ; 
Néisces païfanz des vingnes 
145 Vuelent avoir bon paiement 
Por peu fère , fe Diex m'ament. 

Or m'en vieng par chevalerie 
Qui au jor d'ui eft efbahie. 
Je n'i voi Rollant n' Olivier ; 
i5o Tuit font noie en .i. vivier, 

Et bien puet véoir &. entandre 



De l'Estat du Monde. 23 

Qu'il n'i a mes nul Alixandre. 

Lor mefliers défaut & décline ; 

Li plufor vivent de rapine 
i55 Chevalerie a pafle gales * ; 

Je ne la vois es chans n'es fales : 

Ménesterez font efperdu 2 ; 

Chafciins a fon donet perdu. 

Je n'i voi ne prince ne roi 
160 Qui de prendre face defroi , 

Ne nul prélat de Sainte Yglife 

Qui ne foit compains Covoitîfe , 
* Ou au mains dame Symonie , 

Qui les donéors ne het mie. 
• 1 65 Noblement eft venuz à cort 

Cil qui done au tens qui )à cort , 

Et cil qui ne puet riens doner 

Si voiil aus oifiaus fermoner ; 

Quar Chantez eft pieçà morte : 
a 70 Je n'i vois mes nul qui la porte , 

Se n'eft aucuns par aventure 

Qui" retret à bone nature ; 

Quar trop eft li mondes changiez 

Qui de toz biens eft eftrangiez, 
j 75 Vous poés bien apercevoir ' 

Se je vos conte de, ce voir. 

1. Ga/e^, réjouissances; galas. 

2. Voyez pour ce vers -et le suivant unje des notes 
de La Powretei Rutebeuf. 



s. 






Mss. 7218, 7015, 7633. 

[iMER me covîent de ceft monde 
.Qui de tout bien fe vuide & monde 
Por ce que de tout bien fe vuide 
'Diex foloit tifire & or defvuide ; 
5 Par tens li ert faillie traime. 

Savez porquoi nus ne f entr'aime ? 

Gent ne fe vuelent entr'amer, 

Qu'aus cuers des genz tant entre amer, 

Cruauté , rancune & envie , 
I G Qu'il n'eft nus hom qui foit en vie 

I . Cette pièce est un peu moins vigoureuse que celle: 
qui suit. Les reproches qu'elle formule sont plus 
vagues et moins précis que ceux de La Vie du monde. 
Toutefois elle ne manque pas d'une certaine énergie 
générale assez pareille à celle de nos. vieux sermon-» 
naires, lorsqu'ils s'attaquent à tous les rangs de la 
société. Par une exception honorable^ Rutebeuf y 
ménage beaucoup les écoliers et les chevaliers. Il y 
fait même leur éloge, peut-être parce que ces deux 
classes d'auditeurs se montraient envers lui plus géné- 
reuses que les autres. 



■'-K 



Les Plaies du Monde. 25 

Qui ait talent d'autrui preu * fère , 

S'en fefant n'i fet fon afère. 

N'i vaut riens parenz ne parente : 

Povre parenz nus n'aparente; 
1 5 Mult ed parenz & pou amis. 

Nus n'i prent mes s'il n'i a mis ^ : 

Qui riches eil fa parenté ; 

Mes povres hom n'a paient té, 

S'il le tient plus d'une jornée, 
20 Qu'il ne plaîngne la féjomée, 

Qui auques a, ii eff amez, 

Et qui n'a riens , f eil fols clamez. 

Fols eil clamez cil qui n'a rien ; 

N'a pas vendu tout fon mefrien , 
2 5 Ainz en a .i. fou retenu. 

N'efl mes nus qui revefle nu , 

Ainç ois eil partout la couilume 

Qu'au defouz eil chafcuns le plume j 

Et le gete-on en la longaingne ; 
3o Por c'eil cil fol qui ne gaaingne 

Et qui ne garde fon gaaing , 

Qu'en povreté a grant mehaing. 

Or avez la première plaie 

Pe ceil iiècle for la gent laie. 

35 La féconde n'eft pas petite 
Qui for la gent clergie eil dite. 

1. Preu, profit. 

2. Ms. 7633. Var. N'uns n'at parens ni at mis» 



■20 Les Plaies du Monde. 

Fors efcoliers , autre clergié 

Sont tuit d'avarifce vergié ^. 

Plus eft bons clers qui plus est riches , 
40 Et qui plus a l'eft li plus chiches ; 

Quar il a fet à fon avoir 

Hommage , ce vous faz savoir ; 

Et puifqu'il n'eft lires de lui , 

Comment puet-il aidier nului > 
45 Ce ne puet eftre : ce me famble 

Que plus amaffe & plus aflamble 

Et plus li pleft a regarder. 

Si fe leroit ainfois larder 

Que l'en en péuft bonté trère , 
5o S'on ne li fet à force fère; 

Ainz left bien aler & venir 

Les povres.Dieu fanz'fouvenir. 

I. L'auteur de Renart le Nouvel adresse à peu près 
les mêmes reproches au clergé (édition du Renart de 
Méon, tome IV, page 429) : 

Hélas ! clergiés , que refpondrés 

'Au grant jour quant vous i venrés 
Devant la face Jhéfu-Cris , 
K*en fen lieu vous a çà jus mis 
Por bien dire & por miex ouvrer 
Et por nous avoec lui mener? 
Efcufés ne vos pores mie , 
Car il vera vos félaunie 
De convoitife & d'avarifce 
Et d'efcarfeté , ce let vifce , 
D'orgue] & de ghille & d'envie. 
• . . . vous avez tuit pafcience 
Eftroite, & large confcience, 
Dont je di qu'edes ocoifons 
De tous les maus que nous faifons , &c. 



I 

J 



Les Plaies du Monde. 27 

Toz jors aquiert jufqu'à la mort ; 

Mes quant la mort à lui famort, 
55 Que la mort vient qui le veut mordre , 

Qui de riens n'en fait à remordre , 

Si ne li left pas délivrer. 

A -autrui li covient livrer 

Ce qu'il a gardé longuement , 
60 Et il muert û foudainement 

Con ne veut croire qu'il foit mors ; 

Mors eft-il com vils & com ors , 

Et com fers à autrui chaté ; 

Or a ce qu'il a achaté. 
65 Son teflament ont en lien 

Ou archediacre ou dien * , 

Ou autre qui font (1 acointe , 

Si n'en part puis ne chiez ^ ne pointe : 

Se gent d'ordre l'ont en tre^ mains, 
70 Et il en donent (c'efl le mains) , 

S'en donent por ce c'on^ le fâche , 

Xx. paire de foUers de vache 

Qui ne lor couflent que . xx. fols : 

Qr eft cil fauves & alTous ^ 1 
75 S'il a bien fet, lors fi le trueve , 

Que dès lors eft-il en l'efprueve ! 

!, Ms. 7633. Var. doyen. 

2. Ms- 7633. Var. chief. 

3. Tout ce passage est une critique amère dt ceux 
qui en mourant laissaient lès ordres religieux pour 
exécuteurs testamentaires, et de la manière dont 
ceux-ci s'acquittaient de leur mission. 



28 , Les Plaies du Monde. 

Leffiez-le , ne vous en foviegne ; 

S'il a bien fet, bien l'en coviegne. 

Avoir de lonc tens amaffé 
80 Ne véiftes fi toft paffé , 

Quar H maufez la part en oile 

Por ce qu'il a celui à oile. 

Cil font parent qu'au partir pèrent : 

Les lafles âmes le compèrent 
85 Qui en reçoivent la )uflice 

Et li cors au jor du juife : 

Avoir à clers, toifon < à chien, 

Ne puéent pas venir à bien. 

Tout plainement droit efcolier 
90 Ont plus de paine que colier 

Quant il font en eftrange terre , 

Por pris & por honor conquerre 

Et por honorer cors & âme, 

S'il n'en fovient homme ne famé. 
95 S'on lor envoie , c'est trop pou : 

Il leur fovient plus de faint Pou ^ 

Que d'apoftre de paradis ; 
" Quar ils n'ont mie .x. & .x... 

Les mars d'or ne les mars d'argent : 
100 En dangier font d' eftrange gent. 

Gels pris, cels aim , & je fi doi ; 

Gels doit l'en bien monflrer au doi , 

1. Ms. 7633. Var. teiiTon. 

2. Saint Paul, ( Voyez pour cette locutioli la note 
de la dernière strophe de La Povretei Ruteheuf. 



Qu'il font el fiScle cler femé : 
Si doivent eftre mies amé. 

i5 Chevalerie eft fi grant chofe , 
Que la tierce plaie n'en ofe 
Parler qu'ainfi com par defors; 
Car tout aufli comme li ors 
Eft li mieudres métaus c'on tniife, 

lo Eft-ce li puis là où l'en puife 

Tout fens, tout bien & toute honor : 
Si eft droiz que je les honor; 
MES tout aufli com draperie 
Vaut mieux que ne fet freperie , 

I 5 Valurent miex cil qui )à furent 
De cels qui font & il fi durent ; 
Quar cis fiècles eft fi changiez 
Que uns leus blans a toz mengics 
Les chevaliers loiaus & preus : 

lo Por ce n'eft mes li fiècles preus. 






ou 

C'ei^t In C0mplritnte ^t SSainttdiim \ 

Mss. 7595, 7633, 198 N.-D. , 274 bis N.-D. 

[AUTRiER, par un matin, à l'entrée de mai, 
-Entrai en un jardin : por juer î alai. 
Defous .i. aubefpin .i. petit m'acointai^:. 
Efcrift en parkemin .i. livret i trovai; 
5 Si lue dufqu'à la fin : mult durement Tamai. 

1 . Cette pièce , comme on peut le voir par diverses 
allusions ou citations qui y sont contenues, est évi- 
demment de Tannée i285. La poésie en est nerveuse, 
fébrile^ piquante, et comme le fiEiît très-bien obser- 
ver M. Paulin Paris, gonflée d'amertume et cTindigna-- 
tion contre les désordres de la société en général et de 
V Église ertvarticulien Selon lui, elle aurait pris nais- 
sance à l'occasion des décimes Imposés parle pape au 
clergé de France, vers 1284, pour subvenir aux tais de 
la guerre d'Aragon. Il en est, en efFet, question dans 
l'une des strophes de notre pièce , et la vive apostro- 
phe de Rutebeuf contre Rome à ce sujet nous montre 
que cet impôt, dont le premier exemple remonte à 
1263, était loin d'être populaire en France, même 
parmi le clergé. 

2. Ms. 198 N.-D. Var. m'acostai. 



De la Vie dou Monde. 3r 

Le nom de fon autor ne le ilen je ne fai. 
Or me suis porpenfés comment Tapellerai : 
C'eft La vie dou monde; enfî le baptiffai. 
Si votis plaid , efcoutez , & je le vos lirai ^ . 

Sainte Églife fe plaint ; ce n'ell mie mervelle : 
Cafcuns de guerroier contre li faparelle. 
Si fil font endormi ; n'eft nul qui por li velle ;. 
Elle efl en grant péril fe Diex ne la confelle. 

Puifque juflice cloce, & drois pent & encline, 
3 Et vérités cancelle, & loiautés décline, 
Et carités refroidé , &, fois faut & défine , 
Jou dit qu'il n'a ou monde fondement ne racine *. 

Faufe marcheandiffe eft co verte d'ufurc, 
Et caflés efl mife arrière par luxure. 
Chafcuns penfe du cors, & de Tâme n'a cure ; 
Or fachiés que li mondes efl en grant aventure. 

Onques mais ne fu ^ tant de grans préchéeors ^ 
Et fi ne pert al fiècle , trop efl de péchéors 
Qu'ils font tôt e(bloï * auffi comme li ors 
5 Et fuient en enfer les galos & les cors. 

1. Ms. 274 bis, N.-D. Var. diray. 

2. Le Ms. 274 bis N.-D. ajoute ce vers : 

Fors Dieu croire & amer, c'ot Traie médecine 

3. Ms. 274 bis N.-D. Var. ne véistes. 

4. Ms. 198 N.-D. Var. avueglés. 



32 De la Vie dou Monde. 

Ains puis ke noflre Sires forma le premier home 
Ne puis que noflre père Adans manga la pome , 
Ne fu Diex mains doutés defos la loi de Rome : 
De Rome vient li max qui les vertus afome ^ 

3o Rome, qui déuft eftre de noftre loi 2 la fonde, 
Symonie, avarice, & tos max i abonde : 
Cil font plus cunchié qui doivent eflre monde 
Et par malvais exemple ont honni tôt le monde. 

Qui argent porte à Rome, afés tôt provende a; 
35 On ne les donne mie fi com Diex commenda. 
On fet bien dire à Rome: «Si voille empêtrer: d^ 
Et fi non voille dare, enda la voie, enda ^î » 

Franche , que de francifie efl dite par droit non . 
A perdu de franciiTe le los & le renon ; 
40 II n'i a mais nul franc , ne prélas , ne baron , 
N'en chité, ne à ville, ne en relegion. 

Au tans que li François vivoient en franciife 

1. Ms. 7633. Var. De là vient touz li mauz qui les 
vertus asoume. 

2. Ms, 7633. Var. foi, 

3. Ms. igSN.-D. Var. 

Si donne il empêtra, 

' Et ii ne donne rien, enda la -voie, enda. 

Cet mots da, dore, rappellent ces vers burlesques 
cités par Walsingham, page 456, annot. i3o bis. 

Ecclefiae navis titubât, regni quia clavis 

Errât. Rex, Papa facti funt unica cappa. 

Hoc faciunt, do, des, Pilatus hic, alter Herodet. 



De la Vie dou Monde. 33 

Par els fu mainte terre garandifTe * & conquife , 
Et faifoient li roi dou tout à lor-deviffe, 
.5 Car on prioit por els partout ^ en Sainte Églife. 

J'oferoie bien dire devant tes cez de Rome 
Que Dîex onneroit plus par la voix d'un prudome 
U par une viellete, ce de bon cuer le nome^ 
Que par tôt For d'Efpaingne' fil ert en une fome. 

)0 Juda5 Machabéus nos difl ahchienement 
Que vidoîre n'eft mie en grant maffe d'argent, 
N'engrant chevaucéiires, ne grant pienté de gent , 
Ânçois vient dou Signeur qui maint ou firmament. 

Sainte Égtiiè la noble, qui efl fille de roi, 
55 Efpofe Jéfus-Chrift, efcole de la loi, 

Cil qui Tout afervie ont fait mult grant defroi ; 
Chou a fitit convoitife & déÊiute de foi. 

Convoitife vaut pis que ne fait un ferpens * ; 
A tout honni le monde, dont je fui mult dolans : 
So Se Charles fufl en France encoi« i fufi Rolans ; 
N'éufTent pooir contre els Yaumons ne Agolans '. 

* 
I. Ms. 7633. Yak» Çonquesteet gaingnie. 
a. 19& N.-D. Vas. de cuer. 

3. Ms. 274 bis N.-D. Vas. de Romme. 

4. Mss. 7633 et 274 bis N.*>D. Var. 

Convoitife, qui vaut pis c'uns (erpans Tolani 

5. Voyez, pour rexpltcatlon de ces mots, l'une des 
notes de la pièce intitulée: IÀ^Di\ de Puille* 

RU'IIBBUF. lU 3 



34 I>E LÀ Vie dou Monde. 

Ains puis que li difimes fut pris en Sainte Églife , 
Ne fift li rois de Franche riens qu'il éuft emprife ; 
Damiette, ne Tunes, ne Pulle ne fu prife, 
65 Ne ne prifl Aragane li rois de faint Denife *. 

Or (î gart bien cafcuns : tant comme on le penra , 
Honors, joie, viélore as François n'avenra, 
Et puet bien aprendre cil qui le maintenra^ 
Par les cofes paflees comment il avenra. 

70 Quant Martin Papoftoile , c'on apele Symon 

1. Ce vers a rapport à la guerre que Philippe-le- 
Hardi déclara en i285 au roi d'Aragon, pour se ven- 
ger deTentreprise faite en Sicile par ce prince contre 
Charies d'Anjou, son oncle ^ et pour soutenir les droits 
que CharJes-dc Valois, son deuxième fils, avait acquis 
en 1284 sur les royaumes d* Aragon et de Valence, 
ainsi que sur le comté de Barcelone, par le don que 
lui en avait fiait le pape. 

2. Cette strophe ne se trouve que dans les Mss« 
274 bis N.-D.et 198 N.-D. ; les autres ne k contien- 
nent pas. — Manfin Vapqftoile c*on apele Symon est 
Simon de Brie, cardinal de Sainte-rCécile, envoyé vers 
1253 comme légat en France, où il rendit au roi de 
grands services en calmant, en sa qualité d'arbitre, 
les querelles qui avaient lieu en'tre l'Université et 
l'Ofâcial de Paris, ainsi qu'entre les différents pro- 
cureurs des nations écolières. Après la^mort de Nico- 
las III, il fut élu pape le 23 mars 128 1, et prit, à 
cause de son ancienne dignité de trésorier de l'église 
de Saint-Martin de Tours, le nom de Martin IV. Il 
mourut le 25 mars deM'an i2ft5. 

Quant au don du règne éP Aragon qu'il fît en 1284 



De la Vie dou Monde. 35 

Donna au fil le Roy le règne d'Aragon * , 
S'il li éufl donné .xxx. jours de pardon 
Il li éuft miex valu que faire fi fait don >. 

Oncques ne vi difime qui fii bien enploiés : 
75 Ne puis que Tapoftole fufl à chouaploiiés, 
Que !i difimes fuft donnés & otroiiés , 
Ne poc véoir le tierme que il fufl porpaiés. 

Defous la loi de Rome n'a nule région 
Qui à Rome obéiffe de cuer fe France don , 
80 Et de fobédienche a fi biel guerredon 
Que on li toit Couvent fa laine & fa toifon. 

Por quoi ne prent li papes dizime en Aiemaingne* 
En Baiyieire , en SeifTongne , en Frife & en Sar- 

[daingne^ ? 

à Charles de* Valois , troisième fils de Philippe-k* 
Hardi ^ au préjudice de Pierre, roi légitime de ce 
' pays, pour punir ce dernier du massacre des Vêpres 
siciliennes, il ne fut point heureux, et le succà ne 
sanctionna pas cette injustice flagrante. 

1. Ce fut le 21 février 1284 que Jean Cholet, car- 
dinal à ce délégué , lut à Paris , dans un parlement 
convoqué exprès, la bulle par laquelle le pape don* 
nait à Charles, fils de Philippe«le- Hardi, Finvestiture 
du royaume d'Aragon. 

2. Rutebeuf a raison de s'exprimer ainsi , car la 
guerre contre Pierre d*Aragon ne fut point heureuse. 
Le roi y mourut -le 5 octobre i285; son armée fut 
décimée par une cruelle épidémie, et la flotte fran* 
çaise fut envoyée dans le port de Roses. 

3. Ms. 198 N<>D« Var. Bourgoigne. 

^ 



36 De la Vie dou Monde. 

11 n'i a cardonal ^ , taqt haut refpée çaingne , 
85 Qu'il Talail querre là port eftre rois d'Efpaingne. 

Des prélas vos dirai : mais qu'il ne vos anuit, 
Diex leur a commandé veillier & jor & nuit , 
Et reflraindre leurs rains , & porter fuelle & fruit , 
Et lumières ardans ; mais ne font pas tel tuit ^. 

90 Quel gent a Diex laiffîé por garder fa maifon? 
Sa vigne eil défiertée , n'i labore mais hom ; • 
Li fil Ély le tienent ^ à tort & fans raifon , 
Et fi r'eft fymonie plantée de faifon. 

S'il efquiet une rente à Rains u à Conloingne , 
95 S'uns preudons la demande , cuidiés-vos qu'on li 

[donne? 
Priamides * l'emporte fans noife & fans raloigne , 
Car Diex eil fi fofrans que nus ne le refoigne. 



1. Ms. 7633. Var. chardenaul. 

2. Ms. 198 N.-D. VAft.mais ne V font mie tuit. 

3. M8. 274 *wN.-D. Va». Le fil Hély le tient.^-Ne 
s'agirait-U pas ici de Hélie ou Hély de Cortone , 
compagnon , puis successeur de saint François dans 
la conduite de son ordre ? Je serais assez porté à le 
croire» bien que ces mots à tort et sans raison dus- 
sent paraître dans ce cas une critique des Frères-Mi- 
neurs, qnç Rutebeuf vante plus haut (voyez Li Diiç 
des Cordetiers) ; mais qui peut exiger d'un po6te , 
et surtout d'un poète satirique, une logique rigou- 
reuse ? 

4..Ms, 198 N.-.D. VAR.Symonie. 




De la Vie dou Monde. ij 

Quant Diex venra fa vigne véoir por vendengîcr 
Et il n'i trovera cofe c'on puift mangier, 
100 Des malvais fevaurra multcruement * vengier : 
Il ne feront pas cuite fans plus por laidangier. 

• 

Des biens de Sainte Églife fe complaint Jéfusr-Chciil 
Que on met en joiax & en vair & en gris ; 
S'an traient leur keues Margos &Béatrix 3, 

1. Ms. 198 N.-D. Yak. malement. 

2. Ms. 7633. Vah. 

S'en traînent les coes & Margoz & Biautrix. 

Je crois que ce vers est une allusion au luxe que 
pouvaient dk^Xoy^r Marguerite , reine de France, nlle 
aînée de Raymond Bérenger, comte de Provence, ma- 
riée en 1234 à Louis IX, morte seulement en 1295, 
et Béatrix de Bourgogne , fille de Thibaut IV, comte 
de Champagne, mariée à Hugues VI, duc de Bour- 
gogne, en secondes noces, et morte vers le milieu de 
l'an 1293. J)u moins ne vois-je pas à cette époque 
d'autres princesses, portant ces deux noms, auxquelles 
Tallusion de Rutebeuf puisse s'appliquer avec au* 
tant de probabilité. En effet, Béatrix de Provence, 
quatrième fille de Raymond Bérenger et femme de 
Charles d'Anjou, était mone depuis longtemps, et 
Charles de Valois, dont il est question en note de la 
page 34, note 2, n'avait pas encore épousé Marguerite, 
fiUe de Charles II , roi de Sicile. Leur mariage n'eut lieu 
qu'en 1290, et la composition de notre/ pièce est an- 
térieure à cette époque. Quant au luxe des fourrures 
et des robes traînantes contre lesquelles s'élève ici 
Rutebeuf, je me permettrai de citer un reproche ana- 
logue formulé' contre lui par un autre, écrivain du 
XIII* siècle. La comtesse du Perche, Mahaut, fille de 



38 De la Vie dou Monde. 

io5 Et li membre Diu font povre, nu & defpris. 

Molt volentiers quéfifle une relegion 
U je m^âme falvaifTe en bone ententîon, 
Mais tant voi en plufeur envie , élation , 
Qu'il ne tiennent de Tordre fors Tabit & le non. 

110 Qui en relegion velt faintement venir, 
Trois cofes li covient & voer & tenir : 
Cafté , povreté ^ , & de cuer obéir ; 
Mais on i voit fovent ^ le contraire avenir. 

Obédienche gronche , chaftés fe varie ; 
1 1 5 Cafcuns bée à avoir, povretés eft haïe. 
■ La parole David eft bien entr' oublie ^ , 
Qui dift : « Rendés-vos veus, ne les trepaflës mie. » 

Chanone féculer mainnent très bone vie : 
Chacuns a fon hoftel , fon leu & fa mainie , 
1 20 Et f en i a de tex qui ont grant iîgnorie , 
' Qui poi font por amis & afiés por amie. 

Thibaud-le-Grànd , comte de Champagne, ayant de- 
mandé un règlement de vie à Adam, abbé dePerseigne, 
celui-ci lui conseilla de s'abstenir des jeux de hasard, 
des jeux d'échecs et des farces des histrions, ajou- 
tant que, quant aux femmes qui portent des robes 
traînantes elles devraient rougir de s*habiller comme 
des renards, dont la queue fait le plus bel ornement, 

1. Ms. 198N.-D. Var. Chaafté & simplece. 

2. Ms. 274 bis N-D. Var. Mais hom voi treftouz. 

3. Ms. 198 N.-D. Var. Eft bien de Dieu entreleffiée. 



De la Vie dou MoNpE. 39 

En Torde des canoines qu'on diilSaint-Auguftin, 
Ils viveiit à plenté , fans noife & fans huftin. 
Je lo qui leur * foviègne au foir & au matin 
125 Que la chars bien ^ nourie porte à Tâme venin. 

En Tordre des noirs moines font à ço ^ atorné. 

1. Ms. 7633. Var. De Jhésu lor. % 

2. Ms. 7633. Vak. soeif. 

3. Ms, 7633. Vaa. aceiz. — Les noirs moines étaient, 
comme nous l'avons déjà dit, les Bénédictins. — J'ai 
trouvé sur eux dans le Ms. 65, fonds de Cangé, fol. i33, 
la chanson suivante, que j'attribue i Estienne de 
Miaus parce qu'il est nommé dans une de celles qui 
précèdent immédiatement : 

Trop par eft cift mondes cruaus, 

Poi i a bien , n'en qier mentir. 

Chafcuns entent à fer maus, 

A qoi q'on le veut confentir. 

Por ce vont-il es parfon & gaas 

En enfer le puant oftaus ; < 
Mainte doleur i convendra fouffrir : 
Adonc vendra à tort le repentir. 

Cil noirs moines , qui Dex doint maus 

Refont auqnes à leur pleiir ; 

Trop par ont fouvent généraus 

De diverfes chars, fanz mentir. 

Les vins ont blans comme crillaus : 

A guerfoi boivent par igi^us; 
N'entendent pas fors à la char norrir 
Que Ton metra en la terre porrir. 

Dex! que feront cil defloiaus? 
Bien lor devroit meiavenir. 
Cil clergie qui n'eft pfs loiaas , 
Qui ne fe veut en bien tenir, 
. II ont toz les biens corporiatts 



40 De, LA Vie Dou Monde. 

II foloient Diu querre mais il font reflorné , 
Ne Dius n'en trouve nul, car il font deftomé^ : 
Mult de bien foloient faire , mais il en font lafifô ^. 

i3o Uordre de Ciftiax^ tiengne à bone & bienféant. 

Et chevauchent les cras chevaux, 
Mes de leur bien ne vuelent départir 
A cil que*8 puet de ceft fiède fôiir. 

Dexl que feront prevoz, bediaus-? 

Tel gent devroit-l'on trop hafr : 

Toz jor vivent for autrui piaus ; 

Ne fervent fors du mont tralr 

Et enplent fouvent lor boucians 
De pain, de viui de eras moriiaus. 
Las l quel délit a ci à maintenir ! 
L'âme en aura grief fais à foutenir. 

, Bex! où font ore li loiaus 

Qui au péchié veulent fofr? 

Li Jacobin en font de çaus ; 

Li Frère Meneur, fanz mentir, 

Il fevent bien qu*il font mortaus 

Et que tuit morront bons & maus, 
Et haut & bas tôt convendra morir : 
Por ce vuelent à ceft fiècle foir. . 

1. Ms. 274 his N.-D. Var. qu'il ot le bectorné. 

2. Mss. 7633, 198 N.-D., 274 his N.-D. Var. 

En Tordre Saint-Benoît c'on dit le Beftoumei. 

3. On lit dans une chanson d'Adam U Boçus d'Ar^ 
ras (la dernière du Ms. 184, supp. fr.| fol. 233 ), à la 
louange de la Vierge : 

D'orgueil a jà traite clergie 
Et Jacobins de bons morfiaus. 
Frères Menuz de gloutenie. 



De la Vie dou Monde. 41 

Et fî croi que il foient preudome bien créant, 
Mais de tant me defplaift que il font marcéant * y 
Et de carité faire. deviennent recréant. 

De cex de Prémonftré ^ me Convient dire voir : 
i35 Orgix & convoitife les fet bien décevoir; 

Il font par dehors blanc, & par dedens font noirs : 
S'ils fuffent partot blanc il fefiffent lavoir. 

Jacobin , Cordelier font gent de bon afaire : 
Il délifent affés , mais les convient taire , 

Mes daus efpargne de Cistuus; 
Moines, abbés a trait d'envie 
Et chevaliers de reuberie; 
Prendre nous cuide par monciaus. 

1. Rutebeuf a raison dans ce reproche : il n'était pas 
très-convenable que des religieux fussent en même 
temps commerçants, et c'était une singulière per- 
mission que celle que l'on avait donnée aux moines 
de Cîteaux de £iire le négoce. 

2. Les Prémontrés étaient des chanoines réguliers 
institués par saint Norbert en 11 19, sous Cal- 
lixte 11, durant le règne de Louîs-le-Gros, dans le 
village de Prémontré, ainsi nommé parce qu'En- 
guerrand de Courcy ayant eu peur d'un lion en cet 
endroit, à ce que rapportent naïvement nos anciens 
auteurs, s'écria. : a Saint Jean, tu me l'as de près 
montré ! » Les vêtements et les scapulaires des Pré* 
montrés étaient blancs; lorsqu^ls s^rtaient^ils avaient 
un manteau et un*chapeau blancs; au chœur, dans l'été, 
ils portaient un surplis blanc et une aumusse blanche; 
dans l'hiver, un rochet avec une chape et un camail 
blancs. Ceci dit assez que ces religieux n'appartenaient 
point à l'ordre des moines noirs. 



42 De la Vie dou Monde. 

140 Car h prélat ne vellent qu'il dient nul contraire, 
A cho que il ont fait n'a cho qu'ils voellent £aire. 

Cordelier, Jacobin font granz affliccions ^ , 

Si dient, car il fueffrent moût tribulacions ; 

Mais il ont des riche houmes les exécucions' 

145 Dont il funt bien fondei & en font granz maifops. 

Les blances & les griffes & les noires nonains 
Sont fovent pèlerines as faintes & as Cains ; 
Se Dix leur en fet gret , je ne fui mie certains : 
S'eles jfuiffent bien fages eles alaifent mains. 

1 5o Qant ces nonnains fe vont par le pays efbatre , 
Les unes à Paris, les autres à Monmartre, 
Tel fois emmainne deux ^ qu'on en ramainne. 
J . . [quatre, 

Car Ton en perdoit une il les convanroit batre. 

Molt mainnent bone vie Bégines & Bégin : 
i55 Avec eus me rendiffe ' ennuît u le matin ^ 
Mais jà ne croira jà glouton delès bon vin , 
Ne geline avec coc , ne chat avec fain. 

1 . Cette strophe ne se trouve que dans le Ms. 7633 ; 
elle a été ajoutée en marge, à l'encre rouge (caractère 
du temps) dans le Ms. 274 his N.-D. 

2. Cette plaisanterie -est restée populaire, et l'on ré- 
pète encore à Paris ce vieux dicton :' 

Ccft Tabbaye de Montmartre ; 
On y va deux, on revient quatre. 

% 3. Ms. 274 bis N.-D. Va». Volentiers m'i rendisse. 



De la Vie dou Monde. 43 

J*ai grant pièce penfé à ces doiens ruaus * , 

Car jou trover cuidoie aucun prudome cntr'aux , 

160 Mais il n'a fi prodome dufques en Rainfcevaux , 

S'il devenoit doiens, qu'il ne devenift maux. 

« 
Cil qui doivent les vilTes blâmer & laidangier, 

Qui font preÛre, curé, fueffrant maint grant dangier, 

Et fen i a de tex qui par font fi légier 

65 Quel'évefquespuet dire : « J'ai fait d'un leu bergier. ■ 

» 
Li Barré, li Sachet, li Frère de la Pie ♦ 

Comment troveront-il en ceft fiècle lor vie ^ ? 

Il font trop tart venu, car il efl jà compile , 

Etfeft li pains donnés, ne fi atendent mie. 

I 70 Çonvoitife , qui fait maint avocas mentir 
Et le droit beflorner & le tort consentir, 

I. Ms. 7633. Va», curaux. — Ms. 198 N.-D. Var. 
royaux. ^ Ms. 274 bis N.-IX Var. ruraux. — On 
appelait ainsi les doyens qui avaient droit de visite 
sur les curés de campagne dans les diocèses divisés en 
doyennés. 

2. Les Frères de la Pt^ étaient un ordre de cha- 
noines réguliers établi par saint Louis en 1268. On 
trouve vers la fin de la pièce intitulée : Les Mouftiers 
de Paris : 

JjtL novele ordre de la pib 

Qui font en la Bretonnerie. 

(Voyez Méon , Fabliaux et Contes , tome II , pag. 292 ). 
— Le dernier vers de cette strophe est une allusion à 
leur coutume de mendier en disant : t Du pain aux 
pauvres Frères-Sachets! du pain aux Frères de la 
Pie! » (Voyez page 17, note.) 



44 De la Vie dou Monde. 

Les tient en fa prifon , ne les lait repentir 
Devant qu'ele lor face le feu d'infer fentir. 

Nausavons-.ij. preudomes qui font tos les deftors, 
lyS Car il tienent en caufe & les drois & les tors : 
Se meitm fuft bénis & tuum fuft mors * , 
Teus chevauche à lorain qui troteroit en tors. 

Soi* totes autres ordres doit-on mult honorer ' 
L'ordre de mariage & amer & garder : 
1 80 Li feme à fon baron ne porte loiauté 
Et li homs à fe feme ne amor ne bonté. 
Certes c'eft grans doleurs que je ne puis trover. 
En ceft fîècle cftat ù homs fe puift falver. 

Or prions en la fin au Signor, qui ne ment, 
1.85 Que il. tos nos péchiés nous pardoinft & ament ', 
Et nous doinfl en cefl fiècle vivre fi faintement 
Qu'en aions fentenilè por nous al jugement. 

1. Ms. 7633. Var. Se droiz fuft soutenuz et li torz 
eftoit torz. 

2. Toute cette strophe manque au Ms. 198 N.-D. 
et au Ms. 274 bis N.-D. 

3. Ms. 7633. Var. Qui consaut touz preudommes 
et touz picheurs amant. 



Vrpltnt U la tHU "bon Motibt \ 

• Le Ms. 274 bis N.-D. ajoute, rubrique en rouge, 
après VExplicit : - 

Fox eft li bons qui ne fi monde 
De tous les max que il habonde 
Por qu'il ne chiée en mer partonde. 



i 



9t SSatnU Cglut *. 



Ms. 7615. 




iiMER m'eftuct, c'or ai matire] 
) A bien rimer : por ce m'atire. 
I Rimerai de Sainte Églife : 
N'en puis plus fère que le dire. 
5 S'en ai le cuer taint & plain d'ire 

I. Cette satire, tout en n'abordant dans- le détail 
que des généralités^ oâre cependant , dans son en- 
semble, un sens particulier qui peut donner lieu à 
une explication spéciale. Voici celle qu'on en peut, 
selon nous, proposer. Les professeurs séculiers au- 
raient promptement perdu leur cause (voir le Dit de 
VUnhersité de Paris ^ et la Discorde de PUniversité 
et des Jacobins, etc.}, sans le parti qu'on sut tirer 
de l'apparition de V Évangile étemel, contre les Frè- 
res-Prêcheurs, qu'on accusa de soutenir les témérités 
ou les hérésies qui se rehcontrent dans cet ouvrage. 
Rutebeuf surtout ne se fît pas faute d'attaquer ses 
adversaires sur ce poînt-là. Ami passionné des écoles 
et de l'Université, nous le voyons, dans la pièce qui 
nous occupe , gourmander les prélats et le haut clergé 
de leur froideur à l'égard du livre nouveau, dont il se 
sert comme d'une arme contre ses ennemis et qu'il 
voudrait leur voir condamner. 



46 - De Sainte Église. 

Quant je la vois en tel point mife. 
Ha, Jhéfu-Criz ! car te ravife 
Que la lumière soit efprife , 
Con a eflaint por toi despire. 
10 La loi que tu nous as aprife 
Eft ci vencue & entreprife 
Qu'elle fe torne à defconfiréT^ 

Des yex dou cuer ne véons gote y 
Ne que la taupe foz la mote. 

1 5 Entendez me vers ne vous voir 
Où fe vient chacun fe dote. 
Ahi ! ahi 1 foie gent tote 
Qui n'osez connoiflre le voir, 
Com je dout , por eftovoir, 

20 Ne face Diex for vous plovoir 
Tele pluie qui là dégoûte ! 
Se l'en puet paradis avoir 
Por brun abit, ou blanc, ou noir^ 
Qu'il a mult de fox en fa rote ! 

25 Je tien bien à fol & à nicc 

Saint Pol , faint Jaques de Galice , 
Saint Bertelemieu & faint Vincent ,, 
Qui furent sanz mal & fanz vice 
Et prirent , fanz autre délice , 

3o Martirez por Dieu plus de cent. 
Li (aint preudome qu'en mufant 
j ; , . Aloient au bois porchaceant 
RaeiaBSLCA leu de vice , 



De Sainte Église. 47 

Cil refurent fol voirement , 
35 S'on a Dieu fî légîèrement 
Por large cote & por pélice. 

Vous devins & vous difcretiftre , 

3 e vous jeté fors de mon titre ; 

De mon titre devez fors eftre , 
40 Quant le cinquième efvengelitre * 

Voft* droit frère, mettre & meniftrc ; 

De parler dou roi céleilre , 

Encor vous feroit en champ eftrè , 

Co^ autre brebiz chanpeftre , 
45 Cil qui font la novelleefpitre. 

Vous elles mitres non pas meftre ; 

Vous copez Dieu Toroille dcftre : 

Dieux vous giete de fon regitre. 

De fon regiftre il n'en puet mais ; 

I .' Par ces mots, le cinquième efvengelitre, Rutebeu^ 
veut désigner certainement Jean de Parme, auteur vrai 
ou supposé de. V Évangile étemel, dont les Joachimi 
tes avaient commencé , en 1254, l'explication publi- 
que à Paris. Condamné d'abord par Innocent IV, sur 
la plainte des docteurs et du clergé, V Évangile étemel 
le fut de nouveau en 12 56 par Alexandre IV. Notre 
pièce doit avoir été écrite avant ces condamnations, 
qu'elle sollicite, et, par conséquent, vers I255. C'est 
du reste la date que le Roman de la Rose donne à 
l'apparition du livre, qu'il regarde comme issu du 
diable en ligne directe. Ce n'est pas tout à âiit l'opi- 
nion de Henri Estienne, qui, dans son Apologie pour 
Hérodote (tome II, page 285), lui donne pour au- 
teurs les Jacobins et les Cordeliers. 



48 De Sainte Église. 

5o Bien puet passer & avril & mays 
Et Sainte Églife puet bien brère ; 
Car véritez a fet fon lais. 
Ne l'ofe dire clers ne lais : 
Si fen refuit en fon repère 

55 Qui la vérité veut retrère. 
Vous dotez de voftre doère 
Si ne puet iffir dou palais , 
Car les denz muevent le trère * 
Et li cuers ne f ofe avant trère •: 

60 Se Diex vous het, il n'en puet mais. * 

Ahi ! prélat & nervoié , 

Corn a Ten or bien emploie 

Le patremoine à Crucefî ! 

Par les goles vous ont loié • 
65 Cil quifovant ont rimoié 

Dieu leflié por fon atefi : 

Dou remanant vous di-je : Fi ! 

N'en aurez plus, je vous afi ; 

Encor vous a Diex trop paie. 
70 De par ma langue vous desfî : 

X. Sans aucun doute, Rutebeuf, par le rapproche- 
ment de ces deux expressions den^ et palais, a voulu 
se livrer ici à un jeu de mots assez peu digne du 
titre de la pièce où il se trouve, et qui a le malheur 
de rappeler aujourd'hui ce calembourg d'une spiri- 
tuelle pBTtidQ moderne {le Sourd ou l'Auberge pleine), 
dans laquelle l'un des personnages dit, en parlant d'un 
autre, qu'il a un palais près de Sedan {ses dénis)» 



De Sainte Église. 49 

Vous en yrez de fi en fi 
Juqu'en enfer le roié« 

Il efi bien raifon & droiture 

Vouskdfliez la fainte Écriture^ 
75 Dont Sainte Églife efl defconfite ; 

Vous tefiezla Sainte Efcriture, 

Selonc Dieu menez vie ofcure , 

Et c'eft voilre vie petite : 

Qui vous fiate entor vous abite. 
So La profécie efi bien efcrite : 

Qui Dieu aime, droit prent en cure; 

La char efi en enfer afflite , 

Qui por paor aura defpite 

Droiture & raison & mefure. 

85 L*eve qui fanz corre tomoie 

AfTez plus tofi .L home noie 

Que celle qui adès decort. 

Por ce vous di , fe Diex me voie , 

Tiex fet (emblent qu'à Dieu faploie 
90 Que deù. Teve qui pas ne cort. 

Hélas ! tant en corent à cort 

Qu'à povre gent font fi le fort 

Et aus riches font fefie & joie, 

Et prometent à .i. mot cort 
93 Saint paradis ; à coi que tort , 

Jà ne diront fe Diex Totroie. 

Je ne blâme pas gent menue , 

RVTEBKUF. II. 4 



5o. De Sainte Égliset. _ 

Si font au(i comme cochon 
L'en lor fet entendre canç on * , 
loo L'en lor fet croire de veve voix 
Une fî grant defcovenue 
Que brebiz blanche eft tote noire. 
^ Si Ton laus cefle gloire loire^, 

Il n'en font une grant eiloire 
I o5 Nés dou manche de la charrue , 
Por coi il n'ont aj^tre mimoire. 
Dites-lor : « Ces de faint Grigoire : » 
Quelque chofe foit , eft créue. 

Se li Rois féift or enquefte 
1 10 Sor ceus qui ce fut fi honefte 
Si com il fet for ces bailliz^ 
C'aufîn ne trueve cler ne preftre 
Qui eft enquerre de lor gefte 
Dont h ciègles eft mal bailliz. 
1 15 Sanz naturel lor eft failliz 
Quant cil qui jurent es palliz 
Ne font orendroit grant molefte 
S'il n'ont bon vins 5c les blanz liz. 
Se Diex les a por ce efliz, 
120 Por pou perdi (aint Poz la tefte. ] 

I . Je supplée par ces deux rimes en on à la lacune 
du manuscrit. 

1. Lçire, permise; de licere 



tfrplmt U SSamtt €ilm. 



X 



Ci coimunce 

fi Jlij tft V€tb<tit *, 

®u n cotnmma 

Mas. 7633, 198 N.-D. 




|EIGN£UR qui ci elles venu, 
Petit & grant, jone & chenu, 
m vos eft trop bien avenu, 
Sachiez de voir ; 
5 Je ne vos.vuel pas defovoir : 

I. Il existe une pièce qui porte le même titre dans 
le Ms. i83o du fonds Saint-Germain , de la Biblio- 
thèque nationale. Je l'ai dontïée dans ma première 
édition de Rutebeùf; on la trouvera également 
plus loin. Elle est en prose et très-curieuse. — 
Méon^ dans son Nouveau Recueil de Fabliaux , a 
imprimé celle-ci d'après le Ms^7633 seulement. Le* 
grand d'Âussy '(tome lY, page 239, édition Re- 
nouard) en a donné une traduction fort infidèle, 
qu'il a fiiiit précéder de Tavis suivant : «De VHerberie, 
ou le Dit de PHerberie, tels sont les deux titres de 
deux pièces totalement diffSi'entes, que j'ai réunies 
et fondues ensemble ^ parce quelle sujet en est le 



52 Li Diz DE l'Erberie. 

Bien le porreiz aparfouvoir, 

Ainz que m'en voize. 

Aféeiz-vos, ne faites noife : 

méme^ ne contenant toutes deux que des propos de 
charlatan dans une place publique. Elles sont intitu- 
lées Herberie, du métier de ces sortes de gens qui 
alors vendaient au peuple des herbes. L'une est en 
prose, l'autre est moitié en pirose et moitié en vers ; 
toutes deux dans.roriginal sont fort ordurières. C'é- 
tait ainsi qu'alors on amusait la canaille , et bien de 
hauts seigneurs n'avaient point le goût plus difficile. 
Telles étaient, je ne cesserai de le répéter, les mœurs 
de ce bon vieux temps qu'aujourd'hui l'on nous vante 
sans cesse. » 

Vient alors le travail de Legrand , qui n^est pas 
même une imitation, tant il s'éloigne des originaux. 
Il est suivi de ces réflexions : « Cette pièce pourrait 
fort bien avoir été un de ces jeux dont il a été parlé 
dans le second volume à la suite du Lai de Courtois 
iTArras, une sorte de farce dramatique à deux per- 
sonnages, ou à trois si Ton y faisait jouer Thomme 
qui vient se plaindre du mal de dents. i» 

Legrand d'Aussy parle après cela des Geus cfaven. 
tare, petite pièce tirée du Ms. 7218, et il en eitemême 
quelques couplets; mais, malgré son titre de Geus^ 
ce petit poâme n'a ^ien de dramatique. C'est totit 
y simplement une parade, un boniment dans le 'genre 
de ceux que les charlatans d'aujourd'hui débitent sur 
les places publique^. Seulement Rutebeuf l!y récjtait-U 
lui-même, ou ravaitpilix>mpo6éco'mtDe Un mod^eà 
l'usage des jongleurs et?<fies trouvères de bas étage 2 je 
l'ignore; mais il flto répugne de croire que l'auteur <ies 
plaintes éloquentes sur la Terre-Sainte, qu'on Im. 
plus loin , ait pu s'abaisser à hurler 4e pareilles 
sornettes et des plaisanteries aussi grossières dans 
un carrefour. 



Li Diz DE l'Erberi^. 53 

Si efcoutez, c'îl ne vos poize. 
lo Je fui uns mires; 

Si ai eflei en mainz empires : 
Dou Caire m'a tenu li (ires 

Plus d'un eftei ; 
Lonc tanz ai avec li eftei ; 
1 5 'Grant avoir i ai conqueftei. 

Meir ai paiTée, 
Si^m'en reving par la Morée , 
Où j*ai fait moût grant demorée, 

Et par Saleme , 
20 Par Burienne & par Byterne '. 
En Puille', en Calabre , Palerne ^ 

Ai herbes prises 
Qui de granz vertu z funt emprifes : 
Sus quelque mal qu'el foient mifes , 
25 Li maux c'enfuit. 

Ju^u'à la rivière qui bruit 
Dou flun des pierres jor et nuit 

Fui pierres querre. 
Preftres Jehans ' i a fait guerre : 

1. Burienne, dans le Siennois^ en Italie, avec un 
lac qui porte ce nom. Quant à Byterne , c'est peut- 
être Viterbe. 

2. Ms. igSN.-D, Var. Luserne. 

3. La légende de Prestre Jehan est une des plut sin- 
gulières et des plus répandues qui nous soient restées 
du moyen âge. Elle remonte au XII* siècle et contient 
le récit fabuleux des productions qui se trouvent dans 
les royaumes de ce, prince, prêtre nestorien qui, à 
cette époque, au dire de nos vieux et crédules chro- 



54 Li Diz DE l'Erberie. 

3o Je n'ofaî entref en la terre, 
Je fui au port. 
Moût riches pierres en aport 
Qui font refufciter le mort. 
Ce funt ferrites 
35 Et dyamans & cre^erites, 

Rubiz, jagonces, marguarites, ^ 

Grenaz, stopaces, 
Et tellagons, & galofaces : 
De mort ne doutera menaces 
40 Cil qui les porte *, 

niqueurs , aurait soumis à sa domination de vastes 
contrées en Abyssinie. Ces productions sont à peu près 
dans le genre de celles dont parle Rutebeuf. (Voir les 
publications que j'ai faites de la Légende de saint 
Brandaines et de celle de Prestre Jehan.) 

I. La croyance aux diverses vertus des pierres était 
fort répandue dans le moyen âge. C'est de là qu'est 
venue la recherche de la pierre philosôphale. On 
trouve dans l'inventaire des meubles, joyaux, etc«, du 
roi Charles V, exécuté en iSyg, M s. 8356 de la Bibl. 
nationale, f^ LXXII, v*, la mention de deux pierres 
ejtans en ung coffre de cypraès que le roy fait porter 
continuellement avecques soy, dont il porte la clef. 
La première est une pierre appelée la pierre sainâe, 
qui aide aux femmes à avoir enfant, laquelle est en- 
châfféeen or, & y font quatre perles, fix efmeraudes^ 
deux hallai^ & au dos y a ung efcu de France, eftant 
en ung efiuy de cuir. 

Item , la pierre qui guérift de la goûte , en laquelle 
eft entaillé ung Roy & lettres en ebrieu d'un cqfté 
& d'autre , laquelle eft afftfe en or à flllet , & a 
efcript au dos fur ledit fillet, & eft la dide pierre en 



Lx Diz DE l'ërberie. 55 

Foux eft ce il ce defconforte ; 
N'a garde que lièvres l'en porte 

Cil fe tient bien ; 
Si n'a garde d'aba de chien , 
45 Ne de reching * d'azne anciien ; 

Cil n'eft coars 
Il n'a garde de toutes pars. 
Carbonculus & garcelars 3, 

Qui funt tuit ynde, 
5o Herbes aport des dézers d'Ynde 
Et de la terre Lincorinde ^ 

Qui fîet feur .Fonde , 
Elz quatre parties dou monde * , 

ung eftuy de cuyr baully pendant à ung l(V(de soye où 
il a deux boutons de perles. 

1. Reching , action de braire. 

2. Ms. 196N.-D. Var. Charbon ne los etgarolas. 

3. Dans les romans du cycle carlovingien. Je nom 
de Lincorinde est donné à la fille de . 

J0NA8, fier admirai du règne de Perfie, 
Qui tint toute la terre jufqu!à la mer Rougie. 

4. Il est évident que ce mot a les quatre parties du 
monde » n*est pas sérieux pour Rutebeuf , et qu'il 
croit continuer ici sa plaisanterie sur toute chose. On 
ne se doutait pas de l'Amérique , du moins en France, 
au XIII* siècle ; )e ne dirais pas la même chose de 11* 
talie, où, grâce aux navigations génoises, la tradition, 
comme le prouvent certains passages de Dante y n'a- 
▼aît jamais été interrompue. Chez nous, à l'époque 
où parle notre poète ^ on croyait généralement la 
terre carrée, placée au milieu des mers et ne' renfer- 
mant que deux parties, l'Europe et l'Asie. D'autres y 



56 Lï Diï DE 1,'Erberie. 

■ Si com il tient à la roonde. 
55 Or m'en creeiz : 

Vos ne faveiz cui vo« véeiz.; 
Taifiez-vos, & fî vos féeiz. 
Véiz m'erberie : 
' Je To» di , par làinte Marie , 
60 Que ce n'eft mie freperie , 
Mais granz noblelce ; 
i'ai l'herbe qui les v... redrefce 
Et celé qui les c... eftrefce 
A pou de painne ; 
65 De toutf fièvre fanz quartainne 
Gariz en mainz d'une femainne , 

Ce n'eft pas faute; 
Et fi gariz de goûte flautre : 
Jà tant n'en iert basse ne haute, 
70 Toute l'abat. 

Ce la vainne dou cui vos bat. 
Je vos en garrai fanz débat, 

Et de la dent 
Gariz-je trop apertement 
75 Par .i. petitet d'oignemeni. 

.ajoutaient l'Afrique, sans trop savoir où lamettre.Un 
manuscrit de la Bibliothèque Sainte-Geneviève ^.'BB.a, 
qui remonte à Pbilippe-le-Hardi, compare llinivers î 
un ceuf. La (erre est le jaune; l'eau le blanc, et l'air la 
pellicule; U toal til enveloppé par le feu, qui tiaU lieu 
de coque. Dans un autre ouvrage, on trouve que le 
wlcil passe la nuit à éclairer tantôt le purgatoire, 
tantôt la mer, etc. 



Li Diz DE l'Erberie. Sy 

Que vos dirai ? 
Oiez,cûument jou confirai : 
Dou confire ne mentirai , 

C'eft cens riote ^ 
80 Preneiz dou fayn de la marmote, 
De la merde de la linote 

Au mardi main 
Et de la fuelle dou pkntam , 
Et de FeAront de la putain 
85 Qui foit bien viUe « ; 

Et de la pourre.de Tefirille , 
Et du ruyl ^ de la faucille , 

Et de la lainne , 
Et de l'efcorce de Tavainne 
()0 Pilei premier )or de femainne ; 

Si en fereiz 
Un amplafire : dou juz laveiz 
La dent, Tamplaflrei metereiz 

Defus la joe. 
95 Dormeiz .ir pou , je le vos loe ; 
S'au leveir n'i a merde ou boe, 

1. Riot/s, raillerie, et plus particulièrement ba- 
vardage. 

Li uns chante, li autres note, 
Et H autres dit la hiote. 

(Le Dit du. Bvffet.— Fabliaux et Contes de Barbazan.) 

Il y aussi une pièce intitUlée la Riote de V monde, 
qui a été publiée par M. Francisque Michel. 

2. Ms. 198N.-D. Var. vielle. 

3. Ruyl, rouille. 



5S Li Diz DE l'Erberie. 

Diex vos deftruie 1 
Efcouteiz , cil ne vos ànuie , . 
Ce n'eft pas jomée de truie 
100 Cui poéiz faire ; 

Et vos cui la pierre fait braire, 
Je vos en garrai fanz contraire 

Ce g'i met cure. 
De foie efchaulTei , de routure , 
io5 Gariz-je tout àdèfmefure, 

A quel que tort ; 
Et ce voz faveîz home fourt * , 
Faites-le venir à ma cort : 

Jà iert touz fainz. 
1 10 Onques mais nul )or n'oy mains, 
Ce Diex me gari ces .ij. mains, . 

Qu'il orra jà. 
Or oeiz ce que m'en charja 
Ma dame, qui m'envoia fâ. 

Bêle gent, je ne fuis pas de ces povres pre(« 
cheurs, ne de ces povres herbiers^ qui vont par 
devant ces mostiers, à ces povres chapes mau 
cozues, qui portent boîtes & fâchez, & û eilen- 

1. Ms. 7633. Var. tort. 

2. Herbiers : le statut de la Faculté de médecine 
rédigé en 1281, sous le décanatdeJean deChérolles« 
défend aux herbiers de donner aucun remède alté- 
rant» laxatif ou autre» si ce n'est en présence d'un 
médecin, excepté les remèdes. vulgaires, tels que su- 
cre rosat, eau de rose, etc. 



Li Diz DE l'Erberie. 59 

dent .i. tapiz ; car teiz vent, poivre & coumin 
& autres efpices, qui n'a pas autant de fâchez 
com il ont. Sachiez que de ceulz ne fui- je pas ; 
ainz fuis à une dame qui a non madame Trote * 
de Salerne , qui fait cuevre-chief de ces oreilles , 
& li forciz li pendent à chaainnes ^ d'argent par* 
defus les efpaules ; & fâchiez que c^eft la plus 
fage dame qui foit enz quatre parties dou monde. 
Ma dame fî nos envoie en diverfes terres & en 
divers païs, en Puille, en Calabre, en Tof«- 
quanne, en Terre de Labour, en Alemaingne, 
en Soiffoinne, en Gafcoingne, en Efpàigne, en 
Brie, en Champaingne, en Borgoigne, en la 
torefl d'Ardanne , por occir les belles fauvages & 
por traire les oignemens, por doneir médecines 
à ceux qui ont les maladies es cors. Ma dame û 
me difl & me commande que, en queilque leu 
que je veniife, que je déiife aucune choze fi que 
cil qui fuffent entour moi i priffent boen eifam- 
ple, &. por ce qu'ele me fîft jureir feur (ainz 
quant je me départi de li , je vos apanrai à ^rîr 
dou mal des vers fe volez oïr. — Voleiz oïr ? 

Aucune genz i a qui me demandent dont les 
vers viennent. Je vos fais afavoir qu'ils viennent 
de diverses viandes refchauffées , & de ces vins 
enfiiteiz. & boteiz. Si fe congrient es cors par cha- 
leur & par humeurs ; car, fi com dient li philo- 



1. Ms. 198 N.-D. Var. Crote. 

2. Ms. 198 N.-D. Var. à .ij. channes. 



6o Li piz DE l'Erberie. 

fophe, toutes chozes en font criées, & perce, 
fi viennent li ver es cors qui montent jufqu'au 
cuer, & font morir d'une maladie c'en apele 
mort fobitainne. Seigniez-vos ! Diex vos en gart 
touz &. toutes. 

Por la maladie des vers garir (â vos iex k 
véeiz , à vos piez la marchiez l) la meilleur herbe 
<{\ii foit elz quatre parties dou monde, ce eft 
Termoize. Ces famés c'en ceignent le foir de la 
Saint-Jehan , & en font chapiaux feur lor chiez , 
& dient que goûte ne avertinz ^ ne les puet panre 
n'en chiez, n'en braz, n'en pié, n'en main; 
mais je me merveil quant les telles ne lor brifent 
et que li cors ne rompent parmi, tant a Herbe 
de vertu en foi. En celé Champaigne où je fui 
néiz^ Fappele^hon marreborc^ qui vaut autant 
comme la meire des herbes. De celg herbe panr- 
roiz troiz racines , .v. fuelles de fauge , .x. fuelles 
de plaintaing. Bateiz ces chozes en .i. mortier 
de cùyvre , à un peteil de fer , defgeuneiz-vos dou 
jus par .il), matins: gariz fereiz de la maladie des 
vers. 

Ofteiz vos chaperons, tendeiz les oreilles, 
regardeiz mes herbes que ma dame envoie en 
ceft païs & en ceft terre ; & por ce qu'el vuet 
que li povres i puift aufi bien avenir coume li 
riches, ele me difl que j'en féilTe danrrée ; car 



1. Avertin:^ , vertige, épilepsîe. 

2. Voir pour ces mots la préfece de ce volume. 



\ 



Li Diz DE l'Erberie. 6i 

teiz a .i. denier en fa borce qui n'i a pas .v. 
livres ; & me dift & me commanda que je prifle 
.i. denier de la monole qui corroit el pats &. en 
la contrée où je vanrroie : à Paris .i. pariii, à 
Orliens .i. orlenois^, au Mans .1. manfois, à 
Chartes .i. chartain, à Londres en Aingleterré 
.i. eilerlin ; por dou pain , por dou vin à moi ; 
por dou iàïn , por de Tavainne à mon roncin ; 
car teil qui auteil fert d'auteil doit vivre. 

Et je di que cil eiloit fi povres, ou honz ou 
famé , qu'il n'éufl que doner, venifl avant : je ii 
presterbie Tune de mes mains por Dieu & l'autre 
por fa meire, ne mais que d'ui en .i. an féift 
chanter une n^fTe do Saint-Efpérit , je di nou- 
méement por Tarme de ma dame, qui ceft mef- 
tier m'aprifl je ne faife )k trois pez que li quars 
ne foit por que Tarme de fon père & de fa mère 
en rémiiïîon de leur péchiez. Ces herbes vous ne 
les mangereiz pas ; car il n'a si fort buef en cel( 
pays, ne fi fort deilrier que ç'il en avoit aufi 
groz com .i. pois for la langue qu*il ne moruft 
de mal mort, tant font forts & ameîres*, & ce qui 
eft .ameir à la bouche , fi eft boen au cuer. Vos 
les metreiz .iij. jors dormir en boen vin blanc^; 

I. Le Ms i6$ N.-D. ajoute: « A Estampe .i. es- 
tampois> à Bar .i. Barrois, à Viane .i,yianois^ à Gler- 
mont .i. dèrmondois, à Dyjon .i. dijonnois, à Mascon, 
.i. masconois^ à Tors .i. tornois^ à Troies .i. trées- 
sien, à Raiod.l. rencien/à Prouvins '.i. provenoisien, 
•à Amiens .i. moncien, à Arras .i. artisien. 



62 Li Diz DE l'Erberie. 

fe vos n'aveiz blanc, fi preneiz vermeil * ; fi vos 
n'aveiz vermeil, preneiz de la bêle yaue clère; 
car teiz a un puis devant fon huix , qui n'a pas 
.i. tonel de vin en fon célier. Si vos en de%eune- 
reiz par .xiij. matins. Ce vos failleiz à un , pre- 
neiz autre ^ ; car ce ne font pas eharaies ' ; & je 
vos di par la paiflion dont Diex maudifl Corbi- 
taz ^ le juif qui forja les .xxx. pièces d'argent en 
la tour d'Abilent, àiij. lieues de Jhérufalem dont 
Diex fil venduz, que vos fereiz gariz de diverfes 
maladies & de divers mahainz, de toutes fièvres 
fanz quartainne , de toutes goûtes fanz palazine^ 
de Tenflure dou cors, de la vainne dou cul c*ele 
vos débat; car ce mes p'ères & ma mère efioient 
ou péril de la mort & il me demandoient la meil» 
leure herbe que je lorpéufie doneir, je lor don«» 
roie cefte. 

En teil menière venz-je mes herbes & mes 
oignemens : qui vodra fi en preingne, qui ne 
vodra fi les laift *. 

1. Ms. 198 N.-D. Addition. Si vous n'aveiz ver-^ 
meil, preneiz châtain; se voz n'aveiz châtain^ etc. ^ 

2. Ms. 198 N.-D. Var. Se vous i tailliez le qumrt^ 
prenés le quint. 

3. Ci^raie^, sortilèges. 

4. Ms. 198 N.-D. Var. Gorbacas. 

5. Cette dernière phrase manque au Ms. 198 N.-D^ 



€tpMt V^thttU mntftthntf. 




Wt £xht 9tnmf 

<(Dtt ci nummtxut 

fi Pi3 te /retre IHenije ie ^oxUlUt \ 

Mss. 7218, 7633. 



5 



r abis ne fet pas Termite ; 
^S'uns hom en hermitage abite 
'Et il en a les dras veilus , 
Je ne pris mie .ij. feUus 
Son abit ne fa véiléuré , 
S*il ne maine vie aufî pure 




I. Legrand d'Aussy (voyez tome III, page 380^ 
édition Renouard) a fait de cette pièce une très-courte- 
analyse , et Méon en a imjprimé le texte dans le recueih 
de^Barbazan , tome III , pag^e 76. L'ayenture qui fiait 
le sujet de ce fabliau a été traitée bien souvent. D'a- 
près le Journal de Paris , sous Henri III elle serait 
plus vraie qu'elle n'en a Tair. c En 1577, lit-on dans 
cet ouvrage^ fut prise et découverte, dans le couvent 
des Cordeliers de Paris, une garce fort belle defguisée 
& habillée en homme, qui se fefoit appeler Antoine. 
Bile fervoit, entre les autres , Frère Jacques Berfon... 
& par dévotion avoit fervy bien dix ans les beaux 
frères fans avoir jamais été intéreCfée en fon hon* 



'^m^ 



64 De Frère Denise. 

Comme fon abit * nous démonftre; 
Mes maintes genz font bêle monflre 

neur. » L'auteur ajoute qu'elle fut mise en prison et 
condamnée au fouet. 

Dans V Apologie pour Hérodote , il y a aussi une 
jeune fille de quinze ans, réduite à demander Tau- 
mône, qu'un Cordelier emmenait avec lui et dont 
il faisait son compagnon. Enfin, dans les Contes de 
la reine de Navarre, nouvelle 3i, dans les Cent Nou- 
velles de la cour de Bourgogne , dans un conte de 
La Fontaine (les Cor délier s delà Catalogne), dans 
les Annales galantes de M"" de VilledieUf la pièce de 
Rutebeuf se retrouve avec diverses modifications. 

Enfin, Marie-Joseph Chéniar, dans sa leçon de l'Athé- 
née sur les Fabliaux français (leçon dont il est ques- 
tion dans notre Notice sur Rutebeuf, p. x, dit, à propos 
de ce fabliau : « Rutebeuf, le plus original des auteurs 
de fabliaux, mérite un article à part. Dans l'un de 
ses contes, une jeune fille séduite prend l'habit de 
Cordelier; mais une dame charitable et sage s'aper- 
çoit du déguisement^ sauve la jeune fille et force le 
moine séducteur de contribuer à l'établi ssenient de 
celle qu'il a voulu perdre. La dame , en reprochant 
au béat sa conduite coupable, l'appelle hypocrite et 
même papelart, mot fort usité dans les Fabliaux : 
ce que nous observons en passant, mais sans vouloir 
en tirer de nouvelles conséquences , et seulement pour 
conserver la tradition. i> ' 

A propos de ce fabliau, Daunou s'exprime ainsi: 
tt Le déguisement de la demoiselle en Cordelier est 
Tefiet des artifices du frère; c'est pour Rutebeui 
une occasion d'exercer sa verve satirique contre 
les hypocrites ou, comme il dit, les papelards ^ mot 
dont l'usage est on ne peut plus fréquent dans les 
poésies de ce siècle. » 

I. Ms. 7633. Var. ces habiz. 



De Frère Denise. û> 

Et merveilleux fanblant qu*il vaillent : 
lo II fanblent-les arbres qui £iillent 

Qui furent trop bel au florir. 

Bien devroient tels genz morir 

A grant dolor * & à grant honte. ^ 

I. proverbe dift & raconte 
1 5 Que tout n'eft pas^or c'om voift luire : 

Por ce m'eiluet ains que- je mu ire 

Fere .i. ditié ^ d'une aventure 

De la plus bêle créature 

Que Fen puilfe trover ne querre 
20 De Paris jufqu*en Engle terre ; 

Vous dirai comment il avint. 

Granz gentiz homes plus de .xx. 

L'avoient à famé requife*, 

Mes ne voloit en nule guife 
i5 Avoir ordre de mariage, 

Ainz a fet de fon pucelage 

Veu à Dieu & à Noftre-Dame. 

La pucele fu gentil famé ; 

Chevaliers ot efté fon père : 
3o Mère avoit, mes n'ot fuer ne frère. 

Mult fentr'amèrent, ce me sanble , 

La pucele & la mère enfanble. 

Frères Meneurs laianz hantoient 

Tuit cil qui par iluec paffoient. 
35 Or avint c'uns en 1 hanta 



1. Ms. 7633. Var. vilainnement. 

2. Ms. 7633. Var. flabel, 

RUTEBEUF. II. 



(*>6 De Frère Denise. 

Qui la damoilele enchanta : 
Si vous dirai en quel manière. 
La pucele li fîft proière 
Que il fa mère requéift 

40 Qu'en relégion la méift , 

Et il li difl : a Ma douce amie , 
Se mener voliiez la vie 
Saint François , comme nous fefon^ 
Vous ne porriiez par refon 

45 Faillir que vous nef uffiez fainte. » 
Et celé, qui fu jà atainte, 
Et conquife , & mate . & vaincue ; 
Si toft comme ele ot entendue 
La refon du Frère Meneur , 

5o Si dift : « Se Diex me doind honeur ! 
Si grant joie avoir ne pofroie 
De nule riens comme j'auroie 
Si de voftre ordre pooie eftre. 
Ds bone eure me fift Diex neftre 

55 Se g'i pooie eftre rendue ! » 
Quant li frères ot entendue 
La parole * à la damoifele , 
Se Ù a dit : « Gentil pucele , 
Se me doinft Diex f amor avoir, 

60 Se de voir pooie favoir 

Qu'en noftre ordre entrer voufiffiez ^ 
Et que fanz fauffer péuffiez 

1. Ms. 7218. Var. reson. 



De Frère Denise. 67 

Garder voftre virginité , 
Sachiez en fine vérité 
65 Qu'en noftre oindre bien vous metroie. » 
Et la pucèle li otroie 
Qu'el gardera fon pucelage 
Treftoz les jors de fon éage. 
Atant li Frères ^ la reçut ; 
70 Par fa guile celé decut 
Qui à barat n'i entendi : 
Defus f âme li deffendi 
Que riens fon confeil ne déift , 
Mes fi céelement féifl 
75 Coper fes bcles treces blondes 
Que jà ne le féuft li mondes , 
Et féift rère eftancéure , 
Et préift tele veftéure 
Comme â tel homme covendroit, 
80 Et qu'en tel guife venift droit 
En .i. leu dont il ert cuflodes. 
Cil , qui eftoit plus faus qu'Hérodes , 
S'en part atant & li met terme ; 
Et celé a ploré mainte lerme 
85» Quant de li départir le voit. 
Cil qui la glofe li devoit 
Fère entendre de la leçon 
L'a mîfe en maie foupeçon. 
Maie mort le praingne éc ocie ! 
90 Celé tient toute à prophéfie 

I. Ms. 7633. Va». Et cil maintenant la reçut. 



68 De Frère Denise. 

Quanques cil 11 a fermoné. 

Celé a ion cuer à Dieu doné ; 

Cil refet du fien autel don 

Qui bien l'en rendra guerredon : 
95 Mult par eft contrère fa penfle 

Au bon penffer où ele penfle ; 
' Mult eft lor penflee contrère ; 

Car celé penfle à li retrère , 

Et ofter de l'orgueil du monde , 
100 Et c'il, en qui pechié foronde, 

Qui toz art du feu de luxure , 

A mis fa penflee & fa cure 

A la pucele acompaignier 

Au baing où il fe veut baignier, 
io5 Où il fardra, fe Diex n'en penfle, 

Que jà ne li fera deflenfe , 

Ne ne li faura contredire 

Chofe que il li veuille dire. 

A cevait li Frères penflant, ' 
no Et fes compains en trefpaflànt , 

Qui f efbahift qu'il ne parole , 

Li a dite cefte parole : 

« Où penfez-vous, frère Symon? » 

— « Je péris, fet-il, à à. fermon , . 
1 15 Au meilleur que je penfaifle oncques. 

Et cil refpont : « Or penflez donques ! 

Frère Symons ne puet deffenfle 

Mètre en {on cuer que il ne penfle 

A la pucele qui den^eure , 
1 20 Et celé défirre mult Teure 



De Frère Denise. 69 

Qu'ele foit çainte de la corde : 

Sa leçon en fon cuer recorde 

Que li Frères li a donée. 

Dedenz .iij. jors f en eft emblée 
125 De la mère qui la, porta, 

Qui forment f en defconforta. 

Mult fu à malaife la mère , 

Qu'el' ne favoit où fa fille ère ; 

Grant dolor en fon cuer demaine 
1 3o Trefloz les jors de la femaine , 

En plorant regirete fa fille ; 

Mes celé ne done une bille , 

Ainz penfle de li efloingnier : 

Ses biaus crins ot fet rooingnier : 
F 35 Comme vallet fu eftancie 

Et fu de bons houfiaus * chaucie , 

Et de robe à homme veftue 

Qui efioit par devaht fendue : 

Bien fambloit jone homme de chière ^ ; 
140 Et vint en itèle manière 

Là où cil li ot terme mis. 

Li Frères, que li anemis 

1. Ou hueses, heuses. Ce mot, qu'on trouve aussi 
écrit hue:{es , heuses y koses, houcettes au diminutif, 
houseauXj signifie, le plus souvent, comme ici : des 
guêtres , des bottines ; d'où on à fait encore le verbe 
huêser, huésier, mettre ses houses ou ses houseaux, 
(Voyez le Commentaire d^Éloi Johanneau, qui suit 
notre édition Des XXIII Manières de Vilains, — 
Paris, Silvestre et Techener, 1834.) 

2. Ms 7633. Var. Pointe devant, pointe derrière. 



70 De Frère Denise. 

Contraint & femont & argue , 

Ot grant joie de fa venue. 

En Tordre la fift recevoir : 

Bien lot fes frères décevoir. 

La robe de l'ordre li done 

Et li lift fère grant corone * ; 

Puis la fift au mouftier venir. 
1 5o Bel & bien fe fot contenir 

Et en cloiftre & dedenz mouftier, 

Et ele fot tout fon fautier, 

Et fu bien de chanter aprife : 

O 2 les autres chante en Téglife 
1 55 Mult bel & mult cortoifement ; 

Mult fe contient honeftement. 

Or ot damoifele Denise 

Quanqu'ele vout à fa devife. 

Oncques fon non ne li muèrent; 
i6o Frère Denise l'apelèrent 3. 

Frère Denise mult amèrent 

Tuit li Frère qui léenz èrent ; 

Mult plus Tamoit frères Symons. 

1 . Il la fit tonsurer. 

2, O, ou od, cum, avec. 

^i\}^ ^?' 7^^^ *i°"^® ^P^^s ^e vcFs la variante sui- 
vante, qui n'est pas reproduite par Méon : 

Que vos iroi#-ge dizant ? 
Frère Symons fift vers li tant 
Qu'il fift de li touz cçs aviaux, 
Et li aprift ces geux noviaux 
Si que n'uns ne fen aparfut. 
Par fa contenance defut 
Touz ces frères frère Denize. 



De Frère Denise. 

SoVent fe metoit es limons , 
IÔ5 Com cil qui n'en ert pas retrais , 

Et il fi amoit mi ex qu'ens trais : 
V Mult ot en lui bon limonier. 

Vie menoit de pautonier ^ , 

Et ot leffié vie d'apoftre. 
1 70 A celé aprift fa patrenoftre , 

Qui volentiers la retenoit. 

Parmi le païs la menoit ; 

N'a voit d'autre compaignon cure : 

Tant qu'il avint par aventure 
175 Qu'il vindrent chiés .i. chevalier 
' Qui ot bons vins en fon celier, 

Qui volentiers lor en dona ; 

Et la dame fabandona 

A regarder frère Denise : 
1 80 Sa chière & fon famblant avife ; 

Aparcéue f eft la dame 

Que frère Denise eftoit famé. 

Savoir veut fe c'eft voirs ou fable : 

Quant l'en ot fet ofter la- table 
i65 La dame, qui bien fu aprife, 

Prift par la main Frère Denise. 

A fon feignor prift à forrire ; 

En fouriant li dift : « Biaus lire , 

Alés-vous.là defors efbatre, 
190 Et fefons .ij. pars de nous .iii). : 

Frère Symon o vous menez, 

I. Pautonier, homme de mauvaise? mœurs. 



/- 



De Frère Denise. 



Frère Denise efl alTenea 

De ma confefîion oïr. » 

Lor n'ont talent d'els efjoïr : 
i()5 Li Cordelier dedens Pontoife * 

Voufiflent eftre ; mult lor poife 

Que la dame de ce parole ; 

Ne leur plut pas cette parole » 

Quar paor ont d'apercevance. 
200 Frère Symons vers li favance , 

Puis li dift quant de li f apreJÛTe : 

« Dame , à moi vous ferez confeffe ,, 

Quar cil Frères n'a pas licence 

De vous enjoindre pénitence. » 
20 5 Et ele refpondi : t Biausfire, 

A cettui vueil mes péchiez dire 

Et de confefîion parler. » 

Lors l'a fet en fa chambre aler , 
* Et puis clôt l'uis & bien le ferme ; 
2 jo Avoec li dant Denise enferme , 

Puis il a dit : « Ma douce amie, 

Qui vous confeiUa tel folie 

D'entrer en tel relégion? 

Si me doinft Diex confeffibn 
2 1 5 Quant Fâme du cors partira , 

Que jà pis ne vous en fera 

Se vous la vérité me dites. 

Si m'ait li Sains-Efpérites , 

• » 

I. Les Gordeliers avaient à Pontoise un fort beain 
couvent. 



De Frère Denise. ' 7> 

Bien vous poez.fier en moL » 
220 Et celé, qui ot grant efmoi ^ ^ 

Au miex que pot de ce f efcufe ; 

Mes la dame la lift concluiè 

Par les reCons qu'el li fot rendre , 

Si que plus ne fe pot. deffendre. 
225 A genillons merci li crie , 

Jointes mains li requiert & prie 

Qu'ele ne li face fère honte , 

Et puis de chief en chief li conte 

Que il Ta treft de chiés fa mère , 
2 3o Et fe 2 li conta qui ele ère , 

Si que riens ne li a celé. 

La dame a le Frère ap^lé , 

Puis li dift devant fon feignor 

Si grant honte c'onques greignor 
235 Ne fil mes à nul homme dite : 

f Faus papelars,^ , faus ypocrite^ 

Faufle vie menez & orde. 

Qui vous pendroit à voftre corde 

Qui eflen tant de lieuâ noée, 
240 II auroit fet bone jomée. , 

Tels genz font bien le fiècle peftre 

Qui par dehors famhlent bons eflre 

Et par dedens font tuit porri ! 

La norrice qui vous norri . 



1. Ms. 7218. Var". esfroi. 

2. Ms. 7633. Var. puis. 

3. Papelars, faux dévot. 






74 De Frèrb Denise. 

245 Fift mult mauvèfe norreture, 

Qui fi très belle créature 

Avez à fi grant honte tnife ! 

I. tel ordre i par faint * Denise! 

N'eil mie biaus, ne bons, ne genz. 
2 5o Vous deffendez aus. bones ^ genz 

Et les danlTes & les caroles ^ , 

Vièles, tabors & ci tôles -*, 

Et déduis ^ de ménefterez : 

Or, me dites, fîre haus rez <•, 
2 53 Mena faint Françoys tele vie? 

Bien avez honte défervie 

, Comme faus trahi tre prové, 

Et vous avez mult bien trové 

Qui vous rendra voftre déferte l » 
260 Lors a une grant huche ouverte 

Por mètre le frère dedenz ; 

Et frère Symons tout adenz 

Lez la dame fe crucefie ; 

Et li chevaliers f umélie, 
265 Qui de firanchife ot le cuer tendre , 

X Quant celi vit çn crois eftendre, 

Si le liève par la main délire : 

Frère, fet-il, volez- vous eftre 

I. Ms. 7218. Var. sœur. 
1. Ms. 7633. Var\ Jones. 

3. Caroles, danse à la parole. 

4. CitoleSy instruments à cordesqui existent encore. 

5. Ms. 7633. Var. Et toz déduis. 

^. Haus rejf, haut rasé; par allusion à sa tonsure. 



De Frère Denise. jb 

De ceft a^re tôt délivres ? 
270 Porchaciés-nous jufqu'à .c. livres * 

A marier la damoifele. 1 

Quant li Frères ot la novele , 

Oncques n'ot tel joie en fa vie. 

Lors .a fa fiance plevie 
275 Au chevalier des deniers rendre ; 

Bien les rendra fanz gage vendre : 

Auques fet où il feront pris. 

Atant fen part , congié a pris. 

La dame , par fa grant franchife , 
280 . Retint damoifele Denise , 

Conques de riens ne Teffrota , 

Mes mult durement li proia 

Qu'ek fuft treftoute féure ' , 

Que )à de nule créature 
285 Ne fera fon fecré feu , 

Ne qu'ele ait à homme géu , 

Ainçois fera bien mariée ; 

Choififle en toute la contrée 

Celui que miex avoir voudroit , 
290 Ne mes qu'il fuft de fon endroit. 

Tant fift la dame envers Denise 

Qu'ele l'a en bon penffé mise : 

Ne Ta fervi mie de lobes. 

Une de fes plus bêles robes 
295 Devant fon lit li aporta : 

A fon pooir la conforta 

j 
1. Ms. '7633. Var. Porchaciés tost .iiij, c. livres. 



jh De Frère Denis. 

Com celé qui ne fe ^Eiînt çiie. 
El li a dit : 't Ma douce amie , 
Cefle veflirez-vous demain. » 

3oo Ele-méifme de fa main 

La veft ainçois qu'ele couchait : 
Ne foufri pas qu'autre i touchaft . 
Quar privéement voloit fère 
Et courtoifement fon afère, 

3o5 Que fage dame & cortoifp ère. 
Privéement-manda la mère 
Denise par .i. Hen mefîage. 
Mult ot grant joie en fon corage 
Quant ele ot fa fille yéue, 

3 1 G Qu'ele cuidoit avoir perdue ; 
Af es la dame li fift acroire 
Et par droite vérité croire 
Qu'ele ert aux Fiiles-Dieu Fendue , 
Et qu'à une autre l*ot tolue 

3 1 5 Qui .i. foir léenz Tarnena ; 
Que por pou ne fen forfena. 
Que vous iroie-je contant 
Ne leur paroles devifant ? 
' Du rioter feroit néenz ; 

320 Mes tant fu Denise léenz 
Que li denier furent rendu. 
Après n'oi guères atçndu 
Qu'el' fu â fon gré affenée : 
A .i. chevalier fu donée 

325 Qui l'avoit autrefoiz requife. 
Or ot non madame Dépose , 



.De Frère Denise. 
Et fu à niult plus grant honor 
Qu'en abit de Frère Mener, 



Cfpltnt )t irtce ^m\»t. 





C'e«t « «eetament "bt V3int \ 




Mss. 7633. 

ui vuet au iiôcle à honeur vivre 
Et la vie de feux enfuyvre 
Qui béent à avoir 'chevance, 
Moût treuve au fiècle de nuifance , 
5 Qu'il at mefdizans davantage 
Qui de ligier li font damage , 

1. Cette pièce, dont Legrand d'Aussy a donné une 
traduction avec de fort longs commentaires^ qui n'ont 
aucun rapport avec son texte (voyez tome III de ses 
Fabliaux, pag. io5 et suivantes, édition de Re- 
noua rd), a été imprimée par EÎarbazan. ( Voyez 
t. III de Méon , pag. 70. ) On en retrouve le sujet dans 
les Facéties et Mots subtils en français et en italien , 
ioK 17; dans les Novelle diMalespini, t. IT, nov. Sg ; 
dans les Mille et une Nuits (histoire du cadi qui veut 
faire punir un Musulman pour avoir fait des funé- 
railles à son chien); dans le Dictionnaire d'anecdotes, 
t. II, pag. 45 1 ; dans les Fables (tA bstémius ; dans les 
Contes deSedaine; dans les Facetiœ Pogii; dans les 
Facetiœ Frischlini, pag. 270; dans VArcadia in 
Brenta, pag. 323; et dans les Convivales sermones, 
t. I, pag. 154; enfin, Imbert Ta mise en vers fmn- 
çais, t. ly pag. 264, de son Recueil de Fabliaux (Pa- 
ris, 1795). Daunou a dit, tant à son sujet qu'à 
celui des autres contes de notre po6te : a Les fabliaux 



C'est li Testament de l'Ane. 79 

Et fi eft touz plains d'envieux. 

Jà n'ieft tant biaux ne gracieux , 

Se dix en font chiez lui assis , 
I o Des mefdizans i aura fix. 

Et d'envieux i aura nuef. 

Par derrier ne prifent .i. oés, 

Et par devant U font teil fefte 

Chafcuns l'encline de la tefte. 
1 5 Coument n'auront de lui envie 

Cil qui n'amandent de fa vie , 

Quant cil l'ont qui font de fa table , 

Qui ne li font ferm ne metable ? 

Ce ne puet eftre, c'eft la voire. 
20 Je le vos di por .i. prou voire 

Qui avoit une bone efglife *, 

Si ot toute fenténte mife 

A lui chevir & ^aire avoir : 

A ce ot tornei fon favoir. 
25 Affeiz ot robes & deniers; 

Et de bleif toz plains ces greniers, 

Que li preftres favoit bien vendre , 

Et pour la vendue atendre 

De Pasques à la Saint-Remi ; 
3q Et fi n'éuft û boen ami 

Qui en péuft riens née traire , 

S'om ne li fait à force faire. 

de Rutebeuf ont trop d'originalité pour ne pas indi- 
quer au moins son Testament de VAne, sa Jeune fllle 
déguisée en Cordelier, et la Dame qui fit trois tours 
autour le moufiier, i 



^o C'est li Testament d^ l'Ane, 

Un afne avoit en fa maifon , 

Mais teil afne ne vit mes hom 
35 Qui vint ans entiers le fervi ; 

Mais ne fai fonques teil ferf vi. 

Li afne morut de viellefce 
. Qui mult aida à, la richefce. 

Tant tint li preftre fon cors chier 
40 Conques non laiflaft acorchier 

Et l'enfoy ou femetiôre ; 

Ici lairai cefle matière. 

L'evefque ert d'autre manière 
Que covoiteux ne efchars n'iere , 

45 Mais cortoîs & bien afaitiez 
Que cil fuit jà bien defhaitiez 
Et véift preudome venir 
N' uns ne Ppéuft el lift tenir. 
Compeignie de boens creftiens 

5o Eftoit fes droiz lîficiens ; 

Toujours eftoit plainne fa fale : 
Sa maignie n'eftoit pas maie ; 
Mais quanque li fires voloit 
N*uns de ces fers ne fen doloit : 

55 Cil ot mueble, ce fut de dete ; 
Car qui trop defpent il f endete. 
Un jour grant compaignîe avoit 
Li preudons qui toz biens favoit. 
Si parla l'en de* ces clers riches, 

60 Et des preftres avers & chiches 
Qui ne font bontei ne honour 



C'est li Testament de l'Ane. 8i 

A evefque ne à feignour. 

Cil preflres i fut emputeiz , 

Qui tant fut riches & monteiz : 
65 Aufi bien fut fa vie dite 

Com ci la véiflènt efcrite , 

Et 11 dona l'en plus d'avoir 

Que troi n'em péuïTent avoir ; 

Car hom dit trop plus de la choze 
7P Que hom n'i trueve à la parcloze. 

« An cor a-t-il teil choze faite , 
Dont granz monoie feroit traite , 
S'eftoit qu'il la méift avant , 
Fait cil qui vuet fervir devant , . 
75 Et c'en devroit grant guerredon. » 

— f Et qu'a-il fait? » dit li preudon. 

— « IJ a pis fait c'un Béduyn , 
Qu'il at fon afne Bauduyn 
Mis en la terre bénéoite. » 

80 — f Sa vie foit la maléoite , 
Fait l'evefques ; fe ce eft voirs , 
Honiz foit-il, & ces avoirs. 
Gautier, faites-le-nous femondre : 
Si orrons le preftres refpondre 

85 A ce que Robjers li meft feure ; 
Et je dî, fe Dex me fecoure, 
Se c'eft voirs , j'en aurai l'amende. * » 

I . L'usage permettait, en effet, à un évêque de con- 
damner un prêtre à l'amende et de le faire mettre en 
prison pour un délit ecclésiastique. On aura une idée 

RUTBBBUF. 11. 6 



S2 C'est li Testament de i>*Ane. 

— a Je vous otroi que l'en me pânde , 
Se ce n'eft voirs que j'ai contei , 
fjo Si ne vous Çft onques bontei. » 

Il fut femons ; li preftres vient : 

Venuz eft refpondre convient 

A fon évefque de cefl quas 

Dont li preftres doit eftre quas. 
«)3 — f Faux , defléaux , Deu anemis ^ 

Où aveiz-vos voftre afne mis ? 

Dift l'evelques. Moût aveiz fait 

A fainte Églife grant meffait ; 

Onques mais n'uns (î grant n'oy , 
1 00 Qui aveiz votre afne enfoy 

Là où on met gent crefti.enne!... 

Par Marie l'Egyptienne ! 

Cil puet eftre choze provée , . 

Ne par la bone gent trovée , 
io5 Je vos ferai mètre en prifon, 

Conques n'oy teil mefprifon. » 

Dit li preftres : c Bîax très dolz (ire , 

Toute parole fe lait dire ; 

Mais je demant jor de confeil , 

de la police de ces temps-là quand on saura que ces 
amendes formaient en grande partie, avec les confis- 
cations, le produit de la justice des seigneurs^ et que 
ce produit était un de leurs revenus les plus considé- 
rables. Philippe-Auguste comptait au nombre de ses 
différents droits les forfaits et les crimes : Nostra 
jura et nostram justitiam, et fore-fada quœ proprie 
nostra sunt. (Legrand d'Aussy, t. III^ édit. Renouard.) 



C'est li Testament de l'Ane. 

1 10 Qu'il eft droîz'que je me confeil 
De cefte choze , c41 vos plait , 
Non pas que je i bée en plait. » 

— « Je vuel bien le confeil aiez , 
Mais ne me tieng pas apaiez 

1 1 5 De cefte choze; c'ele eft voire. » 

— t Sire , ce ne fait pas à croire. » 

Lors fe part li vefques dou preftre, 
Qui ne tient pas le fait à fefle. 
Li preftres ne fefmaie mie , 
1 20 Qu'il feit bien qu'il at bone amie : 
^Ceft fa borce, qui ne li faut 
Por amende ne por défaut. 

Queque foz dort & termes vient. 

Li terme vint, & cil revient : 
125 Xx. livres en une corroie 

Touz fes ^ & de bonne monoie 

Aporta li preftres o foi ; 

N'a garde qu'il ait fain ne foi. 

Quant l'efvefques le voit venir, 
1 3o De parler ne fe pot tenir : 

Preftres , confoil aveiz eu , 

Qui aveiz vollre fens béu ? » 

— « Sires , confoil oi-ge, cens faille ; 

Mais à confoil n'afiert bataille. 
»35 Ne vos en devez mervillier, 

I . Tout secs. 



83 



84 C'est li Testament de l'Ane. 

Qu'à confoil doit-on concilUer. 
Dire vos vueul ma confcience; 
Et c'ii i afiert pénitance , 
Ou foit d'avoirs, ou foit de cors, 
140 Adons û me corrigiez lors. • 

L'cvefques fi de li faprouche 
Que parleir i pout bouche à bouche. 
Et li preftres liève la chière, 
Qui lors n'out pas monoie chière. 

145 Defoz fa chape tint l'argent : 
Ne l'ozat montreir por la gent. 
En conciliant conta fon conte : 
« Sire , ci n'afiert plus lonc conte : 
Mes afnes at lonc tans vefcu ; 

i5o Moût avoie en li boen efcu, 
Il m'at fervi, & volentiers, 
Moult loiaument .xx. ans entiers , 
Se je foie de Dieu aflbux. 
Chacun an gaaingnoit .xx. fols, 

i55 Tant qu'il ot efpargnié .xx. livres. 
Pour ce qu'il foit d'enfer délivres 
Les vos laiffe en fon teflament. • 
Et dift l'efvefques : t Diex l'ament , 
Et fî li pardoint ces méfiais 

1 60 Et toz les péchiez qu'il at fais M • 

I. Dans les Fables d* A bstémius, le dénouemtnl est 
encore plus spirituel : le prêtre vient apporter à l'évê* 
que une grosse somme en écus dont l'empreinte re- 
présente un roi qui a des armes en main, et Pévéque 



Enfi corn vos aveiz oy, 

Dou riche preftre fefjoy 

L'evefques; por ce qu'il mefprit 

A bonitei faire li aprift. 
IÛ5 RuTEBUiîs nos diS & enreigne 

Qui deniers porte à fa befoîngne 

Ne doit douteir mauvais lyens. 

Li afnes remell crelliens : 

Atant la rime vos en lais, 
1 70 Qu'il paiat bien & bel fon lais. 

répond qu'iV ne peut résister à tant <ehommes armés. 
— La pièce de Rutebcuf est une charmante satire des 
donations raiies aux églises par testament. 



Vrpltttt. 






CSDu ci <n(0uinen(c 

1*1 Wxi ^on |let an tPUain * . 

Mss. 7218, 7615, 7633. 



N paradis refpéritable 
Ont grant part la gent chéritable , 
Mais cil qu'en aus n'ont charité , 
Ne fens, ne bien, ne vérité, 



I. Legrand d'Âussy ( t. II de ses Fabliaux, p. 352, 
édit. Renouard) a donné un analyse fort raccourcie 
de ce fabliau sous le titre de l'Indigestion du vilain , 
et il y a mis une note que je crois devoir repro* 
duire : < J'ai changé, dit-il, le titre de ce fabliau , qui 
dans Poriginal est intitulé Dou Pet au villain. J'eusse 
même supprimé le conte sans hésiter s*il n'eût con- 
tenu que la polissonnerie grossière qu'annonce son 
titre; mais, en l'admettant, j'ai moins considéré le 
genre de plaisanterie qu'il offre que l'objet môme sur 
lequel roule cette plaisanterie. On a déjà vu plusieurs 
exemples de la licence avec laquelle les fabliers se per- 
mettaient de badiner sur le paradis et l'enfer. Aux 
réflexions que mes lecteurs n'auront pas manqué de 
faire à ce sujet, j'ajouterai seulement quelques faits, 
qui sûrement en occasionneront de nouvelles : c'est 



Dou Pet au Vilain. 87 

5 Si ont failli à celé joie S 
Ne ne cuit que jà nus en joie 
S'il n'a en li pitié humaine. 
Ce di-je por la gent vilaine 
Conques n'amèrent clerc ne prefte , 
10 Si ne cuit pas que Diex lor prefte 
En paradis ne leu ne place. 
Onques à Jhéfu-Chrift ne place 

que ces scandaleuses facéties étaient la récréation des 
grands seigneurs aux fêtes de l'année les plus solen- 
nelles; c'est que, tandis qu'on exterminait par le feu, 
par des croisades particulières , etc. ^ certains héréti- 
ques qui ne différaient qu'en quelques points de la 
•croyance générale^ les poètes qui composaient ces 
impiétés, les musiciens qui les chantaient, ont vécu 
tranquillement et sont morts dans leur lit; c'est que 
ces pièces ont paru presque toutes sous le règne du 
plus dévot de nos monarques, sous un prince dont 
la maxime était qu'il ne faut répondre que par un 
•coup d'épée à celui qui ose médire de la loi chrétienne^ 
sous un prince qui fit percer d'un fer rouge la langue 
d'un bourgeois de Paris convaincu de blasphème ; 
qui, lorsque les Languedociens, révoltés contre l'é- 
tablissement de l'Inquisition , prirent les armes, em- 
ploya son autorité contre eux, etc. wMéon a également 
laissé cette pièce dans son édition du recueil de Barba- 
zan. (Voyez Fabliaux , t. III , pag. 67. ) 

I . Ms. 761 5 offre pour I3 vers précédent la variation 
suivante: 

Mes cil qu'en au» n'ont vérité , 

Ne bien, ne pais, ne charité. 

Ms. 7633. Var. 

Ne bien, ne foi, ne loiaute*. 



88 Dou Pet au Vilain. 

.Que vilainz ait herbregerie 
Avoec le filz fainte Marie ; 

1 5 Quar il n'eft refon ne droiture 
(Ce trovons-nous en Efcriture) r 
Paradix ne puéent avoir 
Por deniers ne por autre avoir ^ 
Et à enfer r*Qnt-il failli , 

20 Dont li maufez font maubailli v 
Si orrez par quel mefprifon 
Il perdirent celé prifon. 

Jadis fîi uns vilains enfers : 
Appareilliez * eftoit enfers 

25 Por l'âme au vilain recevoir ; 
Ice vou di-je bien de voir, 
Uns déables iert venuz 
Par qui li droiz ert maintenuz. 
Maintenant que léenz defcent, 

3o .1. fac de cuir au cul li pent, 
Quar li maufez cuide fanz faille 
Que l'âme par le cul^fen aille. 
Mes li vilains , por garifon , 
Avoit ce foir prife poifon. 

35 Tant ot mangié bon buef as aus- 
Et du cras humé qui fu chaus , ^ 
Que la pance ne fu pas mole , 
Ainz li tent com corde à ci tôle. 
N'a mais doute qu'il foit périz ; 

I. Ms. 7633. Var. Empareilliez, 



Dou Pet au Vilain. 8(> 

40 S or puet poirre , fi efl gariz. 

A ceft enfort forment f efforce , 

A ceft effort met-il fa force ; 

Tant f efforce , tant fefvertue , 

Tant fe tome , tant fe remue * , 
45 Cuns pet en faut qui fe deCroie , 

Li fas emplifl & cil le loie ; 

Quar li maufez por pénitance 

Li ot aus piez foulé la pance, 

Et Ten dit bien en reprovier 
5o Que trop eftraindre ïet chiier. 

Tans ala cil qu'il vint à porte 

Atout le pe\ qu'el fac enporte ; 

En enfer gete & fac & tout , 

Et li pez en failli à bout. 
5 5 Eftes-vous chaicun des maufez 

Mautalentiz & efchaufez, 

Et maudient Tâme à vilain. 

Chapitre tindrent lendemain^ 

Et facordent à cel accort 
60 Que jamais, nus âme n'aport 

Qui de vilain fera iffue *, 

Ne puet eftre qu'cle ne pue. 

A ce f acordèrent jadis , 

Qu'en enfer ne en paradis 
65 Ne puet vilains entrer fanz doute : 

Oï avez la refon toute. 

RusTEBUES ne fet entremetre 

Où l'en puiffe âme à vilain mètre y 



<)0 Dou Pet au Vilain. 

Qu'ele a failli à ces deux raignes ; 
70 Or voift chanter avec les riiines * * 
' Que ç*eft li mieildres qu'il i voie , 
Ou el tiègne droite la voie , 
'Por fa pénitence alégier, 
En la terre au père Audegier : 
'75 Ceft en la terre de Cocuce, 

Où AuDEGiERS chie en faumuce ^. 

I. Grenouilles; raSaa. 

2. Le fiabliau d*Audigier, qui se trouve au Ms. i83o 
Saint-Germain, et qu'a donné Barbazan (voyez Fa- 
bliaux de Méon , t. IV, pag. 2 17 ), est une des pièces 
les plus ordurières qui nous soient restées du moyen 
âge. Il paraît qu'elle a joui, au XIII« siècle, d'une 
grande réputation , car, outre la mention qu'en fiait 
ici Rutebeuf , Adam de la Halle , daos le Jeu de 

Marion et Robin, ftiit dire à l'un de ses personnages: 

• 

Je fai trop bien canter de geile ; 
Me volés-vous oïr conter? 

BAUOONS. • 

on. 

OAUTHIERS. 

Fais-moi donc efcouter. 
{R commence.) 

AuDiGiER, dift Raimberge, boufe vous di, &c. 

Il en est également question dans le roman d'Aio/ 
et de Mirabel, sa femme. Lorsque Aiol entre dans 
la^yille de Poitiers, monté sur son coursier Marche- 
gai j que les privations ont rendu aussi maigre pour 
le moins que celui du chevalier de la Manche, tandis 
que lui-même n'est guère mieux équipé non plus que 
le héros de Cervantes, les enfants courent après lui 



Dou Pet au Vilain. «ji 

et la foule se moque de son harnachement. C'est alors 
qu'on lui dit par dérision : 

Fu AuDENGiERS vo père qui tant fa ber, ' 
Et Raiberghb vo mère o le vis cler : 
Iteus armes foloit toudis porter. 

V 

(Voyez fol. io3, r, ire col., Ms. LaVaI.,n»8o; et 
fol. io2, V*, 2"'* col.) Un peu auparavant, il est éga- 
lement question d'Audigier dans ce roman. 

Le fabliau d'Audigier commence par nous raconter 
la vie de Turgibus , seigneur de Cocuce et fils de 
Poitruce , qui épousa Rainberge , dont il eut Audi- 
gier. Les exploits grotesques de Turgibus, s'il» n'é- 
taient pas entremêlés de récits dégoûtants et dont on 
n'oserait citer le moindre fragment, seraient assez 
curieux. Ainsi, lorsqu'il vin^en France, il fit tout de 
suite éclater sa valeur en perçant ' de sa lance une 
araignée. Un autre jour il traversa d'un coup de 
Hèche Paile <Vun papillon , qui depuis ne put. voler 
si ce rCest un peu, Q.uant à ceux d'Audigier, ils sont 
de la même force. Dans une de Ses aventures, il reâte 
j>endu à une haie par son éperon, et, lorsque le vent 
le fait tomber à terre, il coupe à cette haie, pour en 
tirer vengeance, trois ronces et un chardon, D\x reste, 
voici son portrait : 

11 ot pâle le vis & telle noire , ' 

Et ot groffes efpaules & ventre maire (major ). 
11 ne n covieat'pas faire efclitoire, 
Quar en toutes faifqns avoit la foire. 

Audigier, selon l'auteur du fabliau, épousa Tron- 
cecrevace, sœur de Maltrecie et filleule de Rainberge. 
Le lendemain de ses. noces, pour récompenser les 
jongleurs qui étaient accourus, il leur donna à cha- 
cun trente crottes de chèvre. 

Tout ceci n'est pas, comme on le voit, d'un goût 
littéraire bien raffiné; il y a loin de ces compositions 



à noi beaux roitians du Dou:je Pairs , aux pasionlu 
naives d'Adam le Baisu et «uz Compltùntes de Ruic- 
beiif; mais, malgrf leur groEsièreié, c«s Ikbliaui ne 
sont pas dénués d'esprit. 



tfrpiicit Imn |9tt an Vilain. 





C'wt U ÏHt V3ixhtont \ 



Ms. 7633. 




RISTOLES à AlIXANDRE 

Enfeigne & fi li fait entendre 

En fon livre verfié ^ , 

Enz el premier quaier lié ^ , 



1. Cette pièce^qui n'a été jusqu'ici imprimée nulle 
part , me semble tout simplement une espèce d'apo- 
logue que Rutebeuf adresse au roi pour Tezciter à la 
générosité, car il n*y est, pour ainsi dire, question 
que de l'urgence pour un prince de posséder cette qua- 
lité, que le poète lui a déjà refusée ailleurs. Voyez la 
pièce de Renart le Beftotîrné, 

2. Verfié pour verfifié. 

3. Le trouvère veut désigner ici le roman d'Alexan- 
dre, par Lambert li Cort, clerc de Chasteaudun; et 
il en cite les premiers vers. Quant à la teneur géné- 
rale de la pièce, dirigée contre les parvenus, elle 
pourrait renfermer une satire à l'adresse de Pierre de 
la Brosse et des autres courtisans déjà attaqués dans 
Renart le Bes/ourné. Ces allusions, aujourd'hui assez, 
obscures, devaient être justes très-évidemment alors , 
car elles préparaient la catastrophe du ministre. 



«)4 C'est le Dit d'Aristotle. 

3 Coument il doit el fiècle vivre , 
Et RuTEBUES l'a trait dou livre. 
De tes barons croi lé confoil : 
t Ce te loz-je bien & confoil , 
Jà ferf de .ij. langues n'ameir 

îo Qu'il porte le miel & l'ameir ; 
N'effaucier home que ne doies . 
Et par cet example le voies 
Cuns ruifliaux acréuz de pluie 
Sort plus de roit & tome en fuie 

1 5 Que ne fait Tiaue qui décourt. 
Aufi fel eifauciez en court 
Eft plus crueuz & plus vilains 
Que n'eft ne cuens ne châtelains 
Qui font riche d'anceferie. 

20 Si te prie , por fainte Marie ^ , 
Se tu voiz home qui le vaille , 
Garde qu'à ton bienfait ne faille ; 
N'i prent jà garde à parentei : 
G'om voit de teux à grant plantei 

25 Qui font de bone.gent eftrait 
Dont on alTeiz de mal retrait. 

Jadiz ot en Egypte .i. roi 

I. Por sainte Marie est une singulière expression 
dans la bouche d'Aristote. Elle rappelle involontaire- 
ment nos manuscrits des histoires romaines où les sol- 
dats sont représentés vêtus comme au XI V« siècle, et 
l'usage, qui a duré jusqu'à la Révolution, de représen- 
ter au théâtre les héros grecs en habits à la française. 



C'est le Dit d'Aristotle. oS 

Sage, large, de grant effroi , 

Liez & joians, haitiez & baux, 
3o Et ces ûz fil povres ribaux , 

Et conquifl affeiz anemis. 
, Puis que nature en Tome a mis 

Sens & valour & cortoifie , 

Il eft quites de vilonie. 
35 Tex eft li bons com il fe feit : 

I. homs fon lignage refait ' 

Et uns autres lou fîen depièce. 

Je ne porroie croire à pièce 

Que cil ne fîi droiz gentiz bpme 
40 Qui faufetei & trahifon 

Heit &. efchive & honeur ainme , 

Ou je ne fai pas qui fen claimme , 

Jentil ne vilain autrement. 

Or n'i a plus ; je te demant 
45 En don que tu ainmes preudoume , 

Car de tout bien eft-ce la fome. 

Hon puet bien reigneir une pièce 
Par faucetei avant c'om chièce , 
Et plus qui plus seit de barat *, 
5 G Mais il covient qu'il fe barat 
Li-méifmes , que qu'il i mète ; 
Ne jamais n'uns ne i'entremète 
De bareteir que il ne (ache 
Que baraz li rendra la vache. 

55 Se tu iez de quereie juge , 



96 C'est le Dit d'Aristotle. 

Garde que tu fi à droit juges 
Que tu n'en faces à reprandre : 
Juge le droit fans l'autrui prandre. 
Juges qui prent n'eft pas jugerres, 
60 Ainz eft jugiez à eftre lerres. 

Et fe il te covienl doneir, 
Je ne ti vuel plus farmoneir : 
Au doneir done en teil menière 
' Que miex vaille la bêle chière 
65 Que feras au doneir le don 

Que li dons, car ce feit preudom ^ 

Qui at les bones mours al cuer , 
Les euvres monftrent par defiier : 
Seule noblefce franche & fage 

70 Emplit de tout bien le corage 
Dou preudoume loiaul & fin. 
Ses biens li moinne à boenne fin 
Au mauvaiz part fa mauvifliez , 
Tout adès fait le defhaitiez 

75 Quant il voit preudoume venir, 
Et ce fi nos fait retenir 
C'on doit connoiflre boens & maus , 
Et defevreir les boens des faus. 
Murs ne arme ne puet defîendre 

80 Roi qu'à doneir ne vuet entendre ; 

I. On retrouve presque textuellement ces vers dans 
la Complainte de Geofroy de Sargines. 



C'zsT Li Dit d'Aristotls. 
^ois n'at meftier de forterrefce 
Qui a le cuer plain de largefce. 
Hauz hom ne puet avoir nul vice 
Qui tant h griet comme avarice : 
A Dieu ce coumeat qu'il te gart. 
Prent bien à ces chozes regart 



tfipurit a iPa vzti^ttttf. 





Ci tncmmtna 



Wt €\faxi0t le Juif 
CHui c\)xa tn la |lei l^on jfîhire * 



Ms. 7633. 



lO 




■ui méneftreil vuet engignier 
[Moût en porroitmieulz bargignier; 
Car moût foventes fois avient ^ 
Que cil por^engignié fe tient 

Qui méneilreil engignier cuide , 

Et f en trueve fa bource vuide : 

Ne voi nelui cui bien en chiée. 

Por ce devroit eftre eftanchiée 

La vilonie c'om lor fait , 

Garfon & efcuier forfait , 



f. Cette pièce a été mise en prose par Legrand 
d'Aussy (voyez t\ III, page 90 de ses Fabliaux , édii 
Renouard), et le texte en a été imprimé par Bar- 
bazan ( voyez t. III , page 87, édit. de Méon ). L^His- 
toire littéraire de la France ^ tome XX, trouve que, 
« dans son genre grossier, ce conte est irréprochable; 
que le dialogue en est vif et la diction généralement 
élégante. » 



De Charlot le Juif. 

Et teil qui ne valent .ij. ciennes. 
Por ce le di qu'à Aviceinnes * 
Avint, n'a pas .i, an entier, 
A Guillaume le penetier 2. 

1 5 Cil Guillaumes dont je vos conte, 
Qui efl à monfeigneur le conte 
De Poitiers , chaflbit l'autre jour ^ 
I. lièvre qui ert à féjour. 
Mult durement fe defrouta ; 

20 Li lièvres , qui les chiens douta , 
AlTeiz foi & longuement, 
Et cil le chaiTa durement ; 
AlTeiz corut, affeiz ala , 
AiTeiz guenchi & fà & là; 

2 5 Mais en la fin, vos*di-ge bien 
Qu'à force le prii^ent li chien . 



99 



I . Vincennes, qui fut presque toujours la résidence 
d'Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse, frère de 
saint Louis, jusqu'à son départ pour la croisade. 

2. Il est probable que Guillaume est id un nom 
véritable, et que celui qui le portait était réellement 
panetier dm comte de Poitiers ; mais nous n'avons 
aucun moyen de vérifier ce fait. Tout ce qui peut res- 
sortir de notre pièce, c'est que Rutebeuf, qui était 
favorisé par le frère de saint Louis, avait probable* 
ment essuyé de son panetier quelque avanie ou quel- 
que refus. Sans cela Teût-il fait le héros d'une his- 
toire aussi ridicule que celle qu'il raconte ? 

3. Ce vers et le précédent, en faisant entendre que 
le comte de Poitiers existait en<-ore lorsque Rutebeuf 
écrivait, placent la date de notre pièce avant 1270, 
époque de la mort d'Alphonse. 



100 De Charlot le Juifv 

Pris fu fire coars li lièvres : 
Mais li roncins en ot les fièvres , 
Et fâchiez que mais ne les tremble, 

3o Efcorchiez en fu , ce me cemble. 
Or pot cil fon roncin ploteir 
Et mettre la pel efforeir ; 
La pel , fe Diex me doint falu , 
Coûta plus qu'ele »ne valu. 

35 Or laiflerons elleir la pel , 
Qu'il la garda & bien & bel 
Jufqu*à ce tens que vos orroiz , 
Dont de Toir vos e(j orroiz. 
' Partout eft bien choze commune , 

40 Ce feit chafcuns , ce feit chafcune ,' 
(^uant .i. hom fait noces ou fefte 
Où il a gens de bone gefle , 
Li meneftreil, quant il l'entendent, 
Qui autre chofe ne demandent , 

45 Vont là , foit amont , foit aval , 
L'un à pié, Tautres à cheval *. 

I. Tout le monde sait que c^était^ en effets la coutume 
des jongleurs et des trouvères. Il ne se célèbre pas de 
mariage dans nos fabliaux et nos chansons de gestes 
sans que l'auteur dise immédiatement qu'il y vint 
une foule de jongleurs , lesquels mangèrent bien , 
burent mieux, racontèrent une foule d'histoires , et 
furent très«bien payés. Leur salaire consistait en a- 
deaux, soit d'argent, soit de vêtements, et quelque- 
fois des deux ensemble. Ainsi aux noces de Gauthier 
d'Aupais l'auteur dit : 

Il n*i ot jongleor n*éufl bone foldée, 
N'éuft cote ou forcot ou grant chape forrée. 



De Chahlot LE Juif. lOi 

Lî couzins Guillaume en (it unes 
Des noces qui furent communes , 
Où alfeiz ot de bêle gent , 

5o Dont moût 11 fu & bel & gent : 
AlTeiz mangèrent , aileiz burent ; 
Se ne fai-ge «combien i furent 
Je méifmes, qui i eftoie. 
Alfeiz firent & feue & joie. 

55 Ne vi piefa fî bêle faire , 

Ne qui autant me péuil plaire. 
Se Diex de ces biens me reparte , 
N'efl (i grant cors qui ne départe : 
La bonne gent c'eft départie ; 

60 Chafcuns fen va vers fa partie. 
Li ménedreil trefluit huezei ^ 
S'en vinrent droit à Tefpouzei. 
N'uns n'i fu de parleir laniers ^ : 
c Doneiz-nos maîtres ou deniers, 

65 Font-il , qu'il eft drois & raifons ; 

Je ierai remarquer en même temps que cette pro- 
fession exigeait une multitude de coQnaiMances et de 
talents dont la réunion^ surprenante qu'elle serait 
aujourd'hui chez un seul individu , doit le paraître 
encore bien davantage chez des gens du XIII* siècle* 
Ainsi, il ne s'agissait pas seulement pour eux de ra- 
conter quelques fragments de romans; il fallait en- 
core composer des fabliaux^ des Dits, des Moralités, 
les mettre en musique , et s'accompagner ea même 
temps de plusieurs instruments. 

1. Trestuit huei^e:, tout bottés. 

2 . Laniers, lent, paresseux. C'est dans ce sens qu'on 
disait : un faucon lanier. 



102 De Charlot le Juif. 

S^ira chafcuns en fa maifon. i 

Que vos iroie-je dizant , 

Ne me paroles efloignant ? 

Chafcun ot maître, nèsCnALLOz * 
70 Qui n*eftoit pas mult biauz valloz, 

Challoz ot à maître celui 

Qui li lièvres fift teil anui. 

Ces lettres li furent efcrites , 

Bien faellées & biefi dites ; 
j5 Ne, cûidiez pas que je vos boiz. 

Challoz en eft venuzau bois, 

A Guu.LAUME ces lettres baille ; 

Guillaume les refut cens faille ; 

GuiLLAUMEs les commauce à lire , 
80 Guillaumes li a pris à dire : 

« Challôt, CHarlot, biauz dolz amis, 

Vos elles ci à moi tramis 

Des noces mon couzin germain ; 

Mais je croi bien , par faint Germain , 
85 Que vos cuit teil choze doneir , 

Que que en doie gronfonneir, 

Qui m*a coutei plus de .c. fouz, 

Se je foie de Dieu affouz. » 

Lors a apelei fa maignie , 
90 Qui fu fage & bien enfeignie , 

La pel d'un lièvre rova querre , 



I. Voyez une des notes de La Desputoison de Chai- 
lot et du Barbier, 



De Çharlot le Juif. io3 

Por cui il ûi\ maint pas de terre ; 
Cil Taportèrent à grant aléure , 
Et GuiLLAUMEs de rechief jure : 
9 5 « Charlot, fe Diex me doint fa grâce, 
Ne fe Dieux plus grant bien me face, 
Tant me coûta com je te di. » 

— € Hom n'en auroit pas famedi, 
Fait Charlos , autant au marchié , 

loo. Et fen aveiz mains pas marchié. 
Or voige-bien que marchéant 
Ne font pas toz jors bien chéant. » 

La pel prent que cil li tendi ; 

Onques gn\ces ne Ten rendi ; 
io5 Car bien faveiz, n*i ot de quoi. 

Pencis la véiffiez & quoi ; 

Penfîs Cen eft ifTus là fuer ; 

Et Cl pence dedens fon cuer, 

Se il puet , qu'il li vodra vendre , 
I lo Et li vendi bien au rendre. 

Porpenceiz c'ell que il fera , 

Et comeht il li rendera. 

Por li rendre la félonie , 

Fift en la pel la vilonie... 
1 1 S Vos favez bien ce que vuet dire. 

Arier vint & li dift : « Biau fîre , 

Se ci a riens, fî le preneiz. » 

— € Or as-tu dit que bien feneiz ? » 

— « Oïl, foi que doi Notre Dame » 
120 — « Je cuit c'eft la coiffe ma famé. 



14 De Cbarlot le Juif. 

Ou fk toaiUe , ou fon chapel ; 
Je ne t'ai donei que la pel. •> 
Lors a boutei fe main dedens : 
Eiz-vos l'efcuier qui ot gans 

25 Qui furent punais & puerri, 
Et de l'ouvrage maître Horri *. 
Enfî Al i). fois conciliez : 
Don méneArcil iii efpiez 
Et dou lièvre fa. mal bailliz , 

3o Que ces chevaus l'en fii Ëiilliz. 

RuTEBUEz dit, Wen m'en fourient : 
K Qui baratquiert, barazli vient. » 

I, Voyez, pour les deuils sur ce penonnage, 
s notet de la Complainte Ratebeuf. 





9e la 

jPamme i|ttt fbt U$ tvoU tonx^ tnUnt 

0u n tnccvmtnu 

9t la ^amt qui aia* «iti* f^i^ ^^tor 
ie Montm \ 

Mm. 7218, 7633, 7615. 




ui famé voudroit décevoir, 
[je li ÙLZ bien apercevoir 
I Qu'avant decevroit Tanemî, 
Le déable, à champ arami. 
5 Cil qui Êime viaut jufticier , 

I. Cette pièce a été imprimée par Barbazan. ( V07. 
rédition de ses Fabliaux , donnée par Méon, t. III ,. 
page 3o. ) Daunou , dans son Discours sur Pétat 
des lettres au xiix* siècle, t. XVI de VHistoire Utté-- 
raire de la France , a dit avec raison à propos de ce 
fabliau : • 

• Quelques libres que soient ces contes , on se mé- 
prendrait fort si on les croyait dictés par un esprit 
irréligieux. C*est de la meilleure foi du monde que 
leurs auteurs associent le profane au sacré; ils mêlent 



io6 De LA Damme qui fist trois tours 

Chafcun jor la puet combrifier, 

Et lendemain r*eil tote laine 

Por refouffrir autre tel paine ; 

Mes quant famé a fol débonère , 
lo Et ele a riens de lui afère, . 

Ele li diil tant de bellues , 

De truffes & de fanfelues , 

Qu*ele li fet à force entendre 

Que le ciel fera demain cendre : 
i5 Ifli gaaingne le querele. 

Je r dis por une damoifele 



à leurs facéties et à leurs satires des témoignages non 
équivoques de leur croyance sincère. Il y a même des 

fiibliaux consacrés spécialement à la dévotion La 

Sainte-Vierge y joue presque toujours le principal 
rôle. » 

Chénier avait dit avant Daûnou : 

« Des fabliaux assez nombreux roulent sur des su- 
jçts de dévotion , et dans plusieurs Notre-Dame joue 
un rôle considérable. Sa protection est regardéecomme 
UQ infoillible moyen de se tirer d'affaire en ce monde 

et en l'autre Les écrivains composaient de bonne 

foi ces pieuses nouvelles. Cest contre leur intention 
qu'elles sont ridicules ; mais il faut leur rendre une 
justice complète. Si leur zèle n'est pas selon la science, 
il est selon la bonté; les saints, chez eux, sont cons- 
tamment secourables, etc. » 

Enfin , l'auteur de l'article sur Rutebeuf (t. XX de 
VHisU littér, de la France ) dit, en parlant de ce 
fabliau : c Que l'on compare ce joli badinage à la 
grossière conclusion des Cent Nouvelles nouvelles f et 
Fon verra si le premier conteur n'est pas aussi le plus 
habile et le plus agréable des deux, » 



Entour le Moustier. 107 

Qui ert farrie à à. efcuier, 

Ne fai chartrain ou berruier. 

La damoifele, c'efl la voire, 
20 Eftoit amie à un pro voire. 

Mult Tamoit cil & ele lui , 

Et ci ne leflaft por nului 

Qu'ele ne féift fon voloir , 

Cui qu'en déuft le cuer doloir. 
a5 Un jor, au partir de Téglife, 

Ot 11 preftres fet fon fervife : ' 

Ses veftemenz left à ploier , 

Et n vet la dame proier 

Que le foir en un bofchet viengne : 

Parler li veut d'une befoingne 

Où je cuit que pou conquerroie 

Se la befoingne vous nommoie. 

La dame refpondi au preftre : 

f Sire , vez me ci toute prefte , 

Cor eft-il poins & faifon : 

Aufî n'eil pas cil en maifon. » 

Or avoît en cek aventure , 

Sans plus itant de mefprefure, 

Que les maiforis n'eftoient pas 
40 L'une lez l'autre à quatre pas ; 

Ains i avoit , dont mult lor poife , 

Le tiers d'une liue franchoife. 

Chafcune ert en un efpinois 

Com ces maifons de Gaflinois ; 
45 Mes 11 bochez que je vous nome 



io8 De la Damme qui fist trois tours 

Eiloit à ce vaillant preudomme 
Qu'à faint Ernoul doit la chandoile. 
Le foir, qu'il ot jà mainte eiloile 
Parant el ciel , û com moi famble , 

5o Li preftres de fa maifon famble, 
Et fe vint el bofchet féoir 
Por ce c'on ne T puisse véoir. 
Mes à la dame méfavint, 
Que fîre Ernous fes mariz vint 

55 Toz moilliez ^ & toz engelez ; 
Ne fai dont où il ert alez ; 
Por ce remanoir là covint : 
De fon provoire li fovint. 
Si fe hafle d'appareillier ; 

60 Ne le vout pas faire veillier : 
Por ce n*i ot .v. * mes ne .iiij. 
Après mengier petit efbattre 
Le leila , bien le vos puis dire. 
Sovent li a dit : « Biaus dou lire , 

65 Alez géiîr, fi ferez bien. 
Veillier griève for toute rien 
A homme quant il eft lalfez : 
Vous avez chevauchié affez. » 
D'aler géfîr tant li reprouche 

70 Por pou le morcel en la bouche 
Ne &it celui aler géfir, 
Tant a d'efchaper grant défîr. 



1. Ms. 7615. Var. Touz emplus. 

2. Ms. 7633» Var. .tij. mes ne quatre. 



Entour le Moustier. 109 

Li bons efcuier i ala , ^ 
Qui fa damoifele apela , 
75 Por ce que mult la prife & aime. 

— « Sire , fet-elle , il me faut traime 
A une toile que je fais, 

Et li m'en faut encor grant fais < 
Dont )e ne me foi garde prendre, 
80 Et je n'en truis nés point à vendre ; 
Par Dieu , fi ne fai que j'en &ce. i 

— f Au déable foit tel fîlace , 
Fet li vallés * , comme la voftre ! 
Foi que je doi faint Pol Tapoflre , 

85 Je voudroie qu'el fuft en Saine *. » 

Atant fe couche , fi fe faine , 

Et celé fe part de la chambre. 

Petit féjornèrent fi membre 

Tant qu'el vint là où dl l'atent : 
90 Li uns les bras à l'autre tent. 

Iluec furent à grant déduit, 

Tant qu'il fu près de mienuit. 

Du premier fomme cilf efveille, 
Mes mult li vient à grant merveille 
95 Quant il ne fent lez lui fa famé. 

— « Chamberière , où eft voflre dame ? » 

— € Ele efl là fors, en celé vile, 
Chiés fa comère, où ele file. » 

f. Mss. 7615, 7633. Var« Di li efcuiers. 
2. Ms. 7633. Var. Seinne. 



m 

iio De la Dammle qui fist. trois Tours 

Quant cil oï que là fors ière , 
100 Voirs eft qu'il fift mult laide chière. 

Son fercot veft , fi fe leva , 

Sa damoifele querre va. 

Chiés fa comère la demande. 

Ne trueve qui raifon F en rande , 
io5 Qu'ele n'i avoit efté mie. 

Elz-Yous celui «n frénéfie ! 

Par delez cels quel bofchet furent 

Ala & vint (cil ne f e. murent) , 

Et quant il fu outre paflez : 
1 10 «c Sire, fet-ele, or eft alTez ; 

Or covient-il que je m'en aille : 

Vous orrez jà noife & bataille. » 

Fait li preftres : t Ice me tue 

Que vous ferez )à trop batue : 
1 1 5 Onques de moi ne vous foviengne. » 

— « Dantpreflres, de vous vouscoviengne, ^ 

Difl la damoifele en riant. 

Que vous iroie con trouvant ? 

Chafcuns f'en vint à fon repère. 
120 Cil qui fe jut ne fe pot tère : 

« Dame orde , viex pute provée , 

Vous foiez or la mal trovée l . 

Difl li efcuiers. Dont \tnez ? 

Bien pert que pour fol me tenez. » 
125 Celé fe tut & cil f effroie : 

« Voiz por le fane & por le foie , 

Por la froiffure, por la telle,. 



EnTOUR LE MOUSTIER. III 

Ele vient d'avec noftre preftre !. » 

Iffî dit voir, & fî ne F fot; 
j 3o Celé fe tut , fi ne dift mot. 

Quant cil ot qu'el né fe deffent , 

Par un petit d'iror ne fent 

Qu'il cuide bien en aventure 

Avoir dît la vérité pure. 
i35 Mautalenz l'arguë & atife : 

Sa famé a par les trèces prifé ; 

Por le trenchier fon coutel tret : 

— € Sire, fet-ele, por Dieu. atret,. 

Or covient-il que je vous die 
140 (Or orrez jà trop grant voifdie); 

J'amaife miex eflre en la foife. 

Voirs eft que je fui de vous groffe :: 

Si m'enfeigna l'en à aler 

Entor le mouftier fans parler 
145 lij. tors, dire trois patrenoilres 

En l'onor Dieu & fes apoflres ; 

Une foife au talon féiffe 

Et par trois jorz i revenifle. 

S'au tiers jorz ouvert le trovoie y 
i5o C'efloit .i. filz qu'avoir dévoie, 

Et fil eftoit-clos, c'eftoit fille. 

Or ne revaut tout une bille , 

Dift la dame , quanques j'ai fet ; 
• Mes, par faint Jaque, il ert refet 
1 5 5 Se vous tuer m'en deviiezf » 

Atant f'eft cil defavoiez. 

De la voie où avoiei ière ; 



111 DelaDammequi FisT TROIS Tours, ETC. 

Si parla en autre manière : 

a Dame, dift-il, je que favoie 
1 60 Du voiage ne de la voie ^ 

Se je féuffe cefte chofe 

Dont je à tort vous blafme & chôfe , 

Je fui cil qui mot n'en déiûe , 

Se je anuit de celt foir ilTe ! ■ 
i65 Atant fe turent; ûfontpés, 

Que cil n'en doit parler jamès ; 

De chofe que fa famé &ce , 
' N'en orra noife ne menace. 

RosTEBUEF diA en cell iablel < : 
1 70 Quant feme a fol , fa fon avel *. 

1. M». 7O33. V*«.flabel. 

1. Voyez, page 75 de mon recueil intitulé: Jûh- 
gieurt et Trouvères, deux satires analogues contre les 



Ifopltcit ït la ^amt i)nt fist Its ,Hi. toxt 
entor U S&amiUx.. 




9n ^ectei^tain 

et 

Wt la lammt an Ciyetialier/ 

<EDu ci tncoumtnct 

(S^onctétain et Vnnt Wamt V 

Mss. 7318, 7633. 

£ foit en la bénéoite heure 
Que Benéoiz^, qui Dieuaeure, 
Me fet fère bénéoite œvre , 
Por Benéoit, un poi m'aœvre. 
5 Benoiz foit qui efcoutera 

I. Cette pièce a été imprimée parMéon à la pag. i lu 
de son quatrième volume de F-abliaux. Elle n'avait 
point été donnée par Barbazan ; mais Legrand-d'Âussy 
( t. IV, page 83 , édit. Renouard ) en avait tracé , dans 
une note, l'analyse assez fidèle à la suite du joli conte 
de la Sacristine y qui n'est pas sans analogie avec 
celui de Rutebeuf. 

1. Méon a imprimé ce mot par une petite lettre^ 
beneoitf comme s'il s'agissait du verbe bénir. C'est 

Rutebeuf .11. 8 r 




114 Du Secrestaïn 

Ce que por Benéoit fera 

RusTEBUES , que Diex bénéiffe. 

Diex doinft que fuevre efpénéifle- 

En tel manière que il face ^ 

lo Chofe dont il ait gré & grâce. 
Cil qui bien fet bien doit avoir ; . 
Mes cil qui n'a fens ne favoir 
Por qoi il puiffe en bien ouvrer, 
Si ne doit mie recouvrer 

1 5 A avoir garifon ne rente ; ^ 

L'en dit : De tel marchié tel vente^ 

Clft fiècles n'eft mes que marchiez; 

Et vous qui au marchié marchiesr, 

S'au marchié eftes mal chéant 
20 Vous n'eftes pas bon marcTiéant. 

Li marchéanz , la marcHéande , 

Qui fagement ne marchéande^ 

Pert fes pas & quanqu'ele marche. 

Puifque nous fons en bone marche , 
25 PenfTons de fi marchéander 

C'on ne nous puifle demander 

Nule riens au jor du juife , 

Quant Diex prendra de cels juflife 

une erreur; Bénéoit est ici un nom pr<^re : Rute- 
beuf, vers la fin de la pièce, dit qu'il tient cette his- 
toire de messire Bénéoi{ , et quil n'a fait, lui, que 1» 
mettre en rimes. Mais quel était ce messire Bénéot:(? 
C'est ce qud nous ignorons, faute d'une désignation 
plus spéciale de la part de Rutebeuf. 



Et de la Famme au Chevalier. ii5 

Qui auront iHi barguingnié, 
3o Qu'au marchié feront engingnié. 

Or, gardez que ne vous engingne 

Li maufès , qu'adès vous barguingne : 

N'aiez envie for nule âme : 

Ceft la chofe qui deftruit l'âme. 
35 Envie famble hériçon : 

De toutes pars font li poiçon : 

E^vie point de toutes pars ; 

Pis vaut que guivre ne liépars. 

Li cors où envie fembat 
40 Ne fe folace ne efbat. 

Toz jors eft fes viaires pales , 

Tos jors font fes paroles maies ; 

Lors rift-il que fon voifîn pleure , 

Et lors li recort li deuls feure 
45 Que fes voifins a bien aflez ; 

Jà n'ert de mefdire laffez. 

Or poez-vous favoir la vie 

Que cil maine qui a envie 

Envie fet home tuer 
5o Et li fet bonne remuer ; 

Envie fet rooingner terre , 

Envie met ou fiècle guerre , 

Envie fet mari & famé 
. Haïr, envie deftruit âme, 
55 Envie met defcorde as frères, 

Envie fet haïr les mères , ^ 



j,5 Du Secrestain 

Envie deftruit gentillece , 
Envie grève , envie blece , 
Envie confont charité , 
60 Envie ocift humilité. 

Et por Tenvie d*un maufé < , 
. Dont maintes genz font efchaufé, 
Vous vueil raconter de deus genz 
Dont li miracles eft molt genz. 

65 Granment n'a mie que la famé 

A un chevalier, gentizdame, 

Eftoit en ce païs en vie. 

Sanz orgueil ère & fanz envie , 

Simple , cortoife , preus & fage. 
70 N'eftoit ireufe ne fauvage , 

Mes fa bonté , fa loiauté 

Paflbit cortoifie & biauté. 

Dieu amoit & fa douce mère ; 

N'eftoit pas aus pgiuvres amère ^. 
75 Le foir , ^uand l'en doit herbregier 

La povre gent , nés un bergier 

Fefoit-èle fi très biau lit 

Cuns rois i géuft à délit. 

1. Le Ms. y633ja,]outQ ici ces deux vers ; 

Ne fai que plus briement vous die. 
Tuit li mal vienent par envie. 

2. Le Ms. 7633 a-oute ici les deux vers qui 

vent : 

Ne marraftre au defconceilliez ; 
N'eftoit pas fes huis verrui liiez. 



sui- 



ET DE LA FaMME AU ChEVALIER. II7 

Plusavoit en li charité 
80 (Ce vous di-je par vérité) 

Qvl'û n'a demi en cels du monde ; 

N'eft pas orendroit la féconde. 

De tout ce me doi-je bien tère , 

Avers le très biau luminère 
85 Qu*ele monftroit au famedi. 

Et bien fâchiez , fus m* âme di , 

Que matines voloit oïr : 

Jà ne l'en véiffiez fuir 

Tant com avoit fet le fervife ; 
90 Ce ne vous fai-je en quelguife 

Fefoit les feftes Noftre-Dame ; 

Ce ne porroit dire nule âme. 

Se j'eftoie bons efci^ivains , 

Ainz feroie d'efcrire vains 
95 Que J'éufTe efçrit la moitié 

De Tamour & de Tamiflié 

Qu'à Dieu monftroit & jor & nuit. 

Encor dout-je ne vous anuit 

Ce que j'ai un petit conté 
1 00 De fon fens & de fa bonté* 

Ses fires l'avoit forment chière 

Et mult li fefôit bêle chière 

De ce qu'en vérité favoit, . 

Que fi grant preude famé avoit ; 
io5 Mult Tamoit, & mult li plefou 

Treftoz li biens qu'ele fefoit. 

En la vile ot unç abeïe 



ii8 Du Secrestain 

Qui n'eftoit pas mult elbahie 
De fervir Dieu refpéritable , 

1 10 Et (i eiloit mult charitable 
La gent qui eiloit en cel leu. 
Bien féuft véoir cler de leu 
Qui i véift un mauves cas : 
Or , ont tout atorné à gas. 

1 15 Chanoine réguler efloient ; 

Lors riègle honeftement gardoient. 
Léenz avoit .i. foucrétain ; 
Orendroit nul home ne tain 
A (i preudome comme il ière. 

1 20 La glorieule dame chière 
Servoit de bon cuer & de fin 
Si com il parut à la fin ; 
Et fi vous di quen .iij . parties 
Efloient fes evres parties : 

125 Dormir, ou mengier, ou orer 
Voloit ; ne favoit laborer. 
To$ jors vous fuft devant Tautel. 
Vous ne verrez jamès autel 
Comme il efloit , ne fi preudome. 

1 3o N'en prifoit avoir une pome , 
Ne n'avoit cure ne côrage 
De ce qui efl chofe volage , 
Con voit bien avenir fovent 
Qu'avoirs l'envoie avoec le vent; 

1 35 Por ce n^en avoit covoitife. 

Quant la chandoile efloit- efprife 
Devant la Virgc débonèrc , 



^c I 



Et de la -Famme au Chevalier. 119 

De Tofter n'avoit-il que fère : 
Tout ardoit, n'i remanoit point. 
«40 Je ne di pas fil fuft à point 
Que plains li chandelabres fiiil 
Ou li granz chandeliers de fuft , 
Il en otail ^ufqu'à refon 
Quifefoit bien à la mefon. 

!i45 Par maintes foiz fi avenoit 

Que la bone dame vefloit 

A Téglife por Dieu proier ; 

Celui trovoit qui otroier 

Doit Noftre-Daœe fon dou2 raine; 
1 5o James n'aura fi bon chanoine. 

Ces genz molt faintement vivoient. 

Li félon ênvieus qui voient 

Cels qui vivent de bone vie 

D'els defvoier orent envie; 
1 5 5 De lor enviaus envoièrent ; 

Soventes foiz i avoièrent 

Tant qu'il les firent defvoier 

De lor voie , & avoÀer 

A une péreilleufe voi€. 
160 Or, efl meftiers que Diex les voie; 

Toft va (ce poez vous véoir) 

Chofe qui prent à déchéoir : 

Tofl fil lors pénitance frète 

Qui n'eftoît pas demie fête : 
i65 Anemis fi les entama 

Que li amis Tamie ama , 



I2Ô Du Secrestain 

Et Tamie Tami amot. 

Li uns ne fet de l'autre mot ; 

De plus en plus* les enchanta. 
170 Quant cil chantoit Salve, sanâa K 

Li parens eftoit oubliez , 

Tant eftoit fort defavoiez ; 

Et quant il voloirgrâces rendre , 

•Vii. foiz li convenoit reprendre , 
1 75 Àinz que la moitié dit éuft. 

Or eft meftiers Diex les aïut. 

Du tout en tout a geté fuer 

L'abit faint Auguftin de cuer ; 

N*i a mes fe folie non. 
1 80 Fors tant que chanoines a non : 

De Tordre Auguftin n4 a goûte 

Fors que l'abit, ce n'eft pas doute. 

Or cft vaincus , or eft conclus 
Noftre religieus reclus. 

i85 N'a plus fol en la région 
Que cil de la relégion ; 
Et la dame relegieufe 
R'eft d'amer fi fort curieufe 
Qu'ele n'a d'autre chofe cure. 

190 Or eft la dame mult obfcure, 
Quar li obfcurs l'a obfcurcie 
De fobfcurté & endurcie : 

V 

I. Ce sont les premiers rnots d'un hymne 
Vierge ; Salve , sancta parens , etc 



à la 



Et de la Famme au Chevalier. 121 

V <De maie cure l'a curie ;' 

Ci a mult obfcure curie 
195 Qui n'eft pas entre «har 8c cuir, 

Ainz eit dedenz le cuer obfcuir 

Qui eftoit clers & curiex 

De fervir Dieu le gloriex. 

Curer la puilTe li curières 
200 Qui des obfcurs eft efcurières ; 

Quar fî forment eft tormentée , 

Si vaincue &*fî enchantée 

Quant ele eu ailife au mengier 

Il li covient avant changier 
2o5 Color .V.' fois ou .vi. , 

Por fon cuer qui «ft fî penffis , 

Que li premiers mes foit mengiez* 

Or eft fesafères changiez. 

Voirement dit-on , ce me famble : 
210 Diex done bief, déable Tanble,* 

Et li déable ont bien enblé 

Ce que Diex amoit miex que blé. 

Or face Diex novele amie 

Qu'il fanble cefte ne 1' foit mie. 
2 1 5 Toll eft aie , prenez-y garde 

Ce que. noftre Sires ne garde. 

Dift la dame dolente laffe : 
c Cèfte dolor toute autre paife. 
Lalfe 1 que porrai devenir ? 
220 Comment me porrai contenir 
En tel manière qu'il parçoive 



4(22 Du SeCRESTAIN 

Que la feue amor me déçoive? • 
Dirai- je lui ? nenil , fanz doute. 
Or ai-je dit que foie gloute , 

22 5 Que ^me ne doit pas proier ; 
Or me puet f amor afproier 
Que par moi n'en faura mes riens. 
Or fui auffi com li mefricns 
Qui porrift dcfouz la goutière : 

23o Or amerai en tel manière. » 
Ainfine la dame fe demaine : 
Or vous vueil remener au moine. 

Li bons moines aime la dame 
Qui acroift for fa laiTe d'âme ; 

235 Mes la dame n*en fet noiant. 
Mult va entor li tornoiant 
Quant ele eft au mouftier venue ; 
Et * il féuft la convenue 
Que la dame Tamafl. fi fort , 

240 Confortez fuft de grant confort. 
Il n'eil en chemin ne en voie 
Que li déables ne le voie : 
Tout adès le tient par l'oreille ; 
D'eures en autres li confeille : 

245 c Va , fols chanoines , por qoi tardes 
Que cefte dame ne regardes ? 
Va , à li cor, & fi la proie ! • 
Tant le femont & tant le proie 
Que li chanoines à li vient ; 

25o Par force venir li cpvient. 



Et de la Famme au Chevalier. i23 

Quant la dame le voit venir 

De rire ne fe puet tenir ; 

Ses cuers li femont bien à dire : 

c Embrachiez-moi , biau très douz fîre ; » 
2 55 Mes nature la tient ferrée. 

Nule des denz n'a delTerrée 

Fors que por rire. Quant ris ot , 

Les dens reflerre & ne dift mot. 

Li preudom la prent par la main : 
260 -— « Dame , vous venez chafcun main 

Mult matinet à cefte églife : 

Eft-ce por oïr le fervife ? 

Ne puis plus ma dolor couvrir, 

Ainz me covient ma bouche ouvrir ; 
265 Les denz me covient deiTerrer. 

Vous me fêtes fovent ferrer 

Le-cuer el ventre fanz demor : 

Dame , je vous aim par amor ! i 
« 

Dift la dame : « Vous elles nice. ^ 
270 Plus a en ;<rous affez de vice 

Que ne cuidoie qu'il éuft. 

Se fainte charité m'éuft, 

Mult favez bien fervir de guile. 

Elles vous por ce en la vile , 
275 Por la bonc gent engingnier? 

Ha i com favez bien bar^ingnier 

Voiz du papelart , du béguin ! 

Dès or ne pris .i. angevin 

Son bien fet ne fa pénitance ; 



124 Du Secrestain 

280 Si m'aït Diex & fa puiflance, 

Je cuidai qu'il fufl un hermites , 

Et il efl uns faus ypocrités. 

Ahi ! ahi ! quel norriçon ! 

Il efl de piau de hériçon 
285 Envelopez defouz la robe , 

Et defors fer t la gent de lobe , 

Et Ta la trahifon ou cors , 

Et fet biau fanblant par defors. i 

— 4 Dafne, dame, ne vos anuit l 
290 Avant foufferai jor & nuit 

Dès or mès>nK)n mal & ma paine 
Que vous die chofe grevaine. 
Tère m'efluet, jemeterai; 
Leffîer l'eftuet, jelelerai. 
295 Vous aproier, n'en puis plus fère » 

— « Biaus fire chiers, ne me puis tère 
Tant vous aim , nus ne V porroit dire. 
Or n'i a plus, biaus trèsdous fire, 
Mes que le meiUor regardez 

3oo Et du defcouvrir vous gardez ; 
Quar fe la chofe eft defcouverte 
L'en nous tendra a gent cuiverte, 
Sachiez & fi n'en doutez pas. 
Alons-nous-en plus que le pas 

3o5 A tout quaïiques porrons avoir. 
Prenons denier & autre avoir, 
Si que nous vivons à honor 
Là où nous ferons à féjor ; 



i'— - 



J 



Et de la Famme au Chevalier. i25 

Quar a gent qui va defgarnie 
3 10 En ellrange leu eil honie. » 

Diiili chanoines : < Douce amie <, 

Sachiez ce ne refus-je mie ; 

Quar c'eft li mieudres que g'i voie. 

Or nous, meterons à la voie 
3 1 5 Anquenuit ; de nuiz mouverons 

Atout quanques nous porterons. » 

Or eft la chofe porparlée 

Et de la muete & de Talée. 

La dame vint en fon oflé : 
320 Contre la nuit en a oflé 

Robes, deniers & de }oiaus 

Les plus riches & les plus biaus : 

S'ele en péuft porter la cendre 

Ele Tala volentiers prendre : 
325 Quar la gent qui ainfi labeure 

Tient à perdu ce qui demeure, 

Li chanoines eil d'autre part 

Qui au tréfor fait grant eflart^ .... 

Le tréfor très anotantiil 
33oi Aifnli.bien com fil le nantift. 

Tout .prent y tout robe^, tout pelice.; 

N'i a laifïié croiz ne chaHce. 

1. trouffiau fet, trouffiau mes troufle; 

Le trouffiau prent ^ au col le troulfe : 
335 Or, a-il le trouffiau trouffé , 

Mes fon le tnieve a eftrous fé 

Qu'il fera, pris & retenuz. 



126 Du Secrsstain 

Il eft à la datne venuz, 
Qui Tatendoit iluee acou. 
340 Chafcuns met le trouifel au cou : 
Or fanble qu*il vont au marchié. 
Tant ont aie, tant ont marchiez 
Qu'efloingnié ot li fols nais 
Xv. granz liues de fon pals. 

345 En la vile ont .1. oftel pris. 

Encor n'ont de noient mefpris. 
Ne fet pechié , ne autre chofe 
Dont Diex ne fa mère les chofe , 
Ainz font aufi com fuer &. frère : 

35o La douce Dame lor foit mère ! 
Venir me covient au couvent, 
Où il n'avoit pas ce couvent. 
Li couvenz dort, ne fe remue ; 
Li couvenz la defconvenue 

355 Ne fet pas : favoir li covient, 

Quar uns convers au couvent vient 
Et dift : ( Seignor , fus vous levez I 
S'anuit mes lever vous devez , 
Qu'il eft biaus jors & clers & granz. r 

36o Chafcuns eft de lever engranz. 
Quant il ont le convers ol 
Durement furent efbahi 
Qu'il n'orent oï loner cloche 
Ne champenelle, ne reloge.^ 

365 Or dient bien tuit à délivre 
Que ce foir avoit cfté yvrc 



Et de la Famme au Chevalier. 127 

Lor foucretains , tant ot béu 

Que li vins Tavoit décéu ; 

Mes je cuit qu'autre chofe i a, • 
370 Foi que doi Ave Maria. 

Ils font à l'égUfe venu , 

Petit & grant ,. jone & chanu ; 

Le foucretain ont apelé 

Qui le tréfor ot trapelé. 
375 Cil ne relj^ont ne que muiz : ^ 

Por qoi ? qu'il fen eftoit fiiiz. 

Quant il furent entré el cuer, 
Chafcuns voufift biens eftre fùer. 
Car treftruit (i grant paor orent ; 

38o Li uns des autres riens ne forent , 
Que la char lor frémift & tranble. 
L'abés parole à toz enfanble : 
Seignor, dift-il, nous fons lobez, 
Li foucretaius nous a robez, 

385 Frère, difl-il au tréforier, 
Leiikftes-vous le tréfor ier 
Bien fermé ? quar, i prenez garde ! »■ 
Et li tréforiers i regarde. 
Onques ne trova au tréfor 

390 Ne chalice, ne croiz, ne or. 
Au couvent dift & àTabé : 
c Seignor, diil-il, nous fons lobé : 
N'avons ne calice , ne croiz , 
Ne tréfor qui vaille -ij. nois. » 

395 Difl li abés : « Ne vous en chaille. 



128 Du Secrestain " 

Va f en-il l oïl bien f en aiUe. 
S'il eft de droit , encor faurons 
Là où il eft ; fi le r' aurons. » 

Papelars fet bien ce qu^il doit, 
400 Qui fi forment popel^rdoit. 

De l'engin fèvent & de l'art 

Li ypocrite papelart : 
, De la loenge du pueple anient ; 

Por ce papelart papelardent. 
4o5 Ne vaut rien papelarderie , 

Puis que la papelarde rie. 

James ne papelardirai ; 

Ainçois des papelars dirai. 

Por chofe que papelars die, 
410- Ne croirai mes papelardie. 

La rcînommée, qui toft cort, 
Eft venue droit à la cort 
Au chevalier qui fa famé ot 
Defrobé , ne il n'en fet mot , 

41 5 Qu'il n'avoit pas leenz géu. 
Quant il a fon oftel véu 
Si robe & fi defgarni : 
« Ha , Diex ! com m'avez efcharni , 
Dift li chevaliers, biaus dous fire î 

420 Or ne.<;uidai qu'en nul empire 
Éuft tel .famé com la moie. 
De grant noient m'efjoïffoie : 
Or vôi-je bien , & croi & cuit 



Et de la Famme au Chevalier. 129 
N'eit pas tout or quanqu*il reluit. » 

425 Or fet-il & fevent li moine 

Li foucretains fa famé çnmaine. 

Après f en vont à grant aléure ; 

Ne chevauchent pas Tambléure , 

Mes tant com chevaus puéent corre , 
43o . Qu'il cuident lor proie refcorre. 

Ce jor les mena bien fortune : 

Voie n'es deftorna nis une , 

Ainz ont la droite voie alée 

Là où cil firent lor alée. 
435 Tant ont le jor efperoné , 

Qu'avant que l'en éuft foné 

Nonne, vindrent au leu, je cuit, ^^ 

Qui plus lor griève & plus lor cuit. 

Es rues foraines fe metent, 
440 Et du demander T'en tremetent 

Se l'en auroit tel gent véue 

Qui ont tel vis & tel véue : 

Toute devifent la Êtçon. 

— « Por Dieu ! favoir le nous face-on 
445 S'il demeurent en cède vile, 

Qui molt nous ont fervi de guile ! • 

Li chevaliers lor redecuefvre 

De chief en chief le fet & Tuevre. 

La renommée, qui toft vole, 
45o A tant portée la parole 

Qu'ele eft à lor voifins venue 

RUTEBEVF. II. Q 



,3o ' Du Secrestain 

En uae mult foraine rue ; 
Quar la gent qui à ce fatorne 
En deftorné lieu fe deftorne. 

455 Els encufa une Béguine : 

Sa langue ot non Maie voifine. 
Or ont Béguin chié ou fautre : 
Béguin encufent li uns l'autre ; 
Béguins font volentiers domage : 

460 Que c'eft li drois de béguinage , 
Mes que los en puiffent avoir ; 
Béguin ne, quièrent autre avoir. 

Cil f en revont à la juftife. 
Li chevaliers lor redevife 
-^465 Si corn ces genz ont meferré , 
Et tout Terre qu'ils ont erré, 
Et l'avoir qu'aporté en orent ; 
Devinrent au miex qu'il forent. 
Por ce c'on les trova ou voir, 
470 Si covint tout par eftovoir 
Que cil liiflent lié & pris 
Cjui fi durement ont mefpris. 
Pris furent & rois en prifon 
Por tel fet & tel mefprifon ; . 
475 Et cil fen vont lor garant querre 
Qui ne font pas loing de lor tetre. 

Or furent pris cil & loié: 
Que li maufès ot defyoié. 
Par maintes foiz m'a l'en conté 



Et de la' Famme au Chevalier. i3i 

480 Con doit réprover fa bonté. 

Li preudom fa bonté reprueve :. 

La glorieufe dame nieve 

Que de cel péril les délivre , 

Qu'il cuident avoir èfté yvre. 
485 Dift li preudom : « Virge pucele , 

Qui de Dieu fus mère & ancele , 

Qu'en toi eus la déité, 

Qu'il prift en toi humanité , 

Se ta portéure ne fuft 
490 Qui fil mife en la crois de fîift * » 

En enfer fuflfons fanz retor : 

Ci éuft péreilleufe tor. 

Dame , qui par ton douz falu 

Nous a geté de la palu 2 
495 D'enfer qui eft vil & obfcure, 

Virge pucele , nete & pure, 

Dame fer vie & réclamée , 

Par qui toute famé efl amée , 

Si com la rofe ift de l'efpine , * > . 

5oo Iffis, glorieufe roïne, 

De juerie qui eft poingnanz , 

Et tu es-fouez & oingnanz ; ^ 

Dame , je vous ai tant fervi , 

Se ce pert que j'ai defervi , 
5o5 Ci aura trop grant cruauté. 

Virge plaine de léauté , 

I. Fust, bois; fiiStuvî ; d'où futaie. 
2. Falu, marais; folus; d'où \qs Palus .M<^otides. 



i32 Du Secrestain 

Par ta pitié de ci nous ofle I 
Ci a mal oflel & mal ofle. » 

Dift la dame : c Virge honorée , 

5 10 Que j'ai tantes foiz aorée 
Et fervie fi volentiers, 
Secor-nous , c'or en efl melliers ! 
Virge pucele, Virge dame, 
Qui es faluz de cors & d'âme, 

5 1 5 Secor ton ferf , fecor ta ferve 
Où ci a péreilleufe verve. 
Pors de falu , voie de mer 
Que toz li liècles doit amer, 
Quar regarde celte forfète 

520 Qui de faïde a grant foufrete. 
Dame , cui la grâce eft donée 
D'eftre des angles coronée 
Et d'aidier toute créature , 
De celle grant prifon obfcure 

525 Nous gète par ta volante 
Qu'anemis nous a enchanté ; 
Et fe par toi ne fons délivre , 
A grant dolor nous co vient vivre. » 

Bien a oïe la complainte 
53o La mère Dieu de la gent fainte. 
Si comme il i a bien paru : 
En la chartre à els faparu. 
De la grant clarté fouveraine 
Fu fi toute la chartre plaine 



Et de la Famme au Chevalier. i33 

535 Que la gent qui furent humain 

Ne porent movdir pié ne main. 
. Celé clartez qui fi refclère 

Avoec tout ce fi fouef flère. 

Devaiv^ els vint la glorieufe 
540 Qu'à nul befoing n'efl oublieufe : 

Les maufez tint enchaenez 

Qui ces gens ont fi mal menez; 

Tant d'amor lor commande à fère 

Comme il lor ont fet de contrère. 
545 Cil ne Tofèrent refufer; 

Ne ne f en porent efcufer. 

Chafcuns de ces deux anemis 

A Tun de cels for fon col mis : 

D'iluec fen tornèrent grant oirre;- 
55 Lor petit pas fanble tonoirre. 

Ifnel & toft vindrent à porte 

Atout ce que chafcuns enporte; 

Li uns met celui en fa couche 

Et li autres la dame couche , 
555 Lez fon feignor fi doucement 

Que cil qui dormoit durement 

Ne fefveilla, ne ne dift mot, 

Ne ne fot quant il fa famé ot. 

Et l'avoir ont fi ordené 
56o Qu'il ont aus moines or doné 

Et argent que cil avoit pris 

Qui fi durement ot mefpris. 

Li chevaliers r*ot fon avoir 

Conques ne pot apercevoir. 



<ï54 Du Secrestain 

565 C'on i éuft onques touchié. 

Ès-vOus l'afère fi couchié 

C*or n'i pert ne que cops en eve. 

Dès que Diex fift Adan ne Eve 

Ne fil afères fi deffez 
570 Ne effaciez fi grant meffez. 

Cil , qui favoit de la nuit l'eure , 
Veft fa robe & fe liève feure 
Et va fes matines foner. 
Qui oïft moines tençoner 

575 Si fis : « Ha, ha ! hé, hé l fus, fus! » 
Difl li abès : « Vois de lafus, 
Biaus douz Père, ce que puet efire, 
Ce foit de par le roi céleflre ! » 
Tuit fe ILèvent ifnel le .pas ; 

58o Apris l'ont : ne lor griève pas. 
Si f'en font venu à léglife 
Por commencier le Dieu fervife. 
Quant le foucretain ont véu 
Durement furent efméu. 

585 Difl li abés : « Biaus douz amis, 
Qui vous a ci iluec tramis ? 
Alez en autre leu entendre , 
Qu'il n'a mes ou tréfor que prendre. » 
Difl li foucretains : « Biaus dous fire, 

590 Qu'efl or ca que vous volez dire ? 
Pre'nez-vous garde que vous dites? 
— « Je cuidai vous fuffîez hermite, 



Et de la Famme au Chevalier. i35 

Dift li abés, Dans glouz léchîerres, 

Et vous eftes .i. mauves lerres 
595 Qui nous avez emblé le noftre! » 

— c Foi que je doi fains Pol Tapoftre, 

Dift li foucretains , fîre chiers , 

De parler eftes trop légiers : 

Se je vous ai fet vilonie , 
600 Ne fui- je en voftre baillie ? 

Si me poez en prifon mètre. 

Ne vous devez pas entremette 

De dire chofe fe n'eft voire , 

Ne ne me devez pas mefcroire. 
60 5 Alez véoir à voftre perte : 
* Se vous la trovez défcouverte 

Et j'ai vers vous de rien mefpns , 

Je lo bien que je sois pris, t 

Au tréfor aler les rouva ; 
610 Chafcuns i va : aînz n'i trova 

Con i éuft meffet noiant. 

f Fantofme nous va fauvoïant ^ , 

Dift li abés. Seignor, fanz faille , 

N'avoit ier ci vaillant maaille , 
61 5 Et or.n'i pert ne que devant, t 

Ez-vos efbahi le couvant. 

I. Ce vers et les trois qui le suivent manquent au 
Ms. 7633. — Maaille, petite monnaie qui valait la 
moitié d'un denier. Il y a un Dit assez spirituel qui 
porte ce nom, et que^ )*ai imprimé à la page loi de 
mon recueil intitulé: Jongleurs et Trouvères (Paris, 
Merklein, i835). : 



i36 Du Secrestain 

La dame , qui aler voloit 
Au mouilier fi com el foloit y 
Gtta en fon dos fa chemife 

620 Et puis (i a fa robe prife. 
Âtant li chevaliers f efveilie , 
Quar mult li vint à grant merveille 
Quant il fenti lez lui la dame : 
t Qui eft ceci? — Ceft voftre famé. 

625 — Ma famé ne fufles vous oncques. » 
Li chevaliers fe faine adoncques, 
Saut fus ; fa un tortiz ^ pris , 
Au lit f en vient d'iror efpris ; 
Plus de cent croiz a fet for lui. 

63o a Ne cuidai qu'il éùft nului , 
« Dillli chevaliers, avoec moi, 

Et orendroit géfir i voi 
' La rien que je doi plus haïr. 
Or me doi-je bien efbahir, 

635 Que ore aurai non fire Ernous ; 
Ce feurenon ai- je par vous. » 
Diil la dame : « Bien porriez 
Miex dire fe vous v(îliiez. 
Alez véoir à voftre chofe ; 

646 Péchié fet qui de néant chofê. » 

Tant l'amena , çà va , là va. : 
Li chevaliers véoirs i va ; 
Ne trueve qu'il ait rien perdu. 

i« Tortis, flambeau, torche. 



^U 



Et de la Famme au Chevalier. iBj 

« 

Ez-le-vous fi fort efperdu 

645 C*on le péuft penre à la main, 
tf S'il ne me convenifl demain 
A mon }or aler, fâchiez , dame , 
Ne vous mefcréifle par m'âme ; 
Quar i'ai quanque perdu avoie : 

65o Cell fantofme qui me defvoie. 1 
Au point du jor tantoil fe liève , 
Au couvent vient & ne li griève. 
« Seignor , dift-il , ma faime tain : 
R'avez-vous voflre foucrétain ? » 

655 — Oïl, oïl, dient li moine; 

Ceil fantofme qui nous deimiine. » 
— c Biau , feignor , dift-il au couvent , 
Nous avons à enqui couvent 
Que nous irons à noftre jor 

660 Et nous fomes ci à féjor. » 

Por ce chafcuns fappareilla , 

Montent , chevauchent viennent là , 

Et truevent les deus anemis 

Qui es fanblances fe font mis 
665 De ceb qu*ils en orent getié 

Quant Noftre Dame en ot pitié. 

E^vous la gent toute efbahie 

Et du fiècle & de l'abéie , 

Conques mes fi fort ne le furent , 
670 Por ce c*onques ne f aperçurent 

D'avoir perdu or ne argent ; 

Et û r' orent arrier la gent 



i38 Du Secrestain 

Qu'il avoient devant perdue. 
Por ce en fu gent efperdue. 
675 Confeus lor done qu'il alaiffent 
A l'évefque & li demandaiffent 
Quel chofe il loeroit à fère 
D'un tel cas & d'un tel afère: 

Tuit ont pie en eftrier mis «* 

680 Et fe font à îa voie remis ; 

Mes n'orent pas aie granment, 
Se li Efcripture ne ment , 
Que de l'évefque oient parler. 
Cèle part prennent à aler ; 

€85 Viennent là : li uns li raconte 
La chofe , & li évefques monte , 
Qu'il veut favoir ce qije puet eftre ; 
Mult fe faine de la main deilre. 
Tant ont chevauchié que là vienent 

^690 Et li déable qui fe tienent 

En lieu de cels que il avoient 
Délivré, quant il venir voient 
Le prélat molt grant paor orent, 
Por ce que en vérité forent 

€95 Que li prélas mult preudom iere : 
Chafcuns en inclina la chière. 

Li prélas entre en la prifon : 
Si refgarde chafcuns prifon , 
Et quant il les a regardez 
700 Si lor a dit : « Or vous gardez 



-i:^ 



Et de la Famme au Chevalier, ijg 

Que vous me dites de ce voir : 
' Eft-ce por la gent décevoir 

Que pris en prifon vous tenez ? 

Or me dites dont vous venez. » 
7o5 Cil , qui n'ofèrent au preudomme 

Mentir, li ont dite la fome 

De lor afère & de lor voie. 

Dift li uns : « Guerroie avoie 

Une dame & un foucretain , 
710 Par qoi pris en prifôn me tain ; 

Quar honte lor cuidoie fère. 

Onques ne les poi à moi trère , 

Ne atorner à mon feryife ; 

Si m'en fui mis en mainte guife 
715 Par qoi for els pooir éufle , 

Et que décevoir les péufle. 

Mult cuidai bien avoir gabé 

Chevalier, coirvent & abé 

Quant jufques ci les fis venir, 
720 Quar lors les cuidai bien tenir. 

Onques n'es poi à ce mener, 

Tant fort m'en léufle pener 

Que péchier les péufle fêre. 

Or ai perdu tout mon afère ; 
725 Si m'en r'irai là dont je vain , 

Quar j'ai bien laboré en vain. 

Or aint li chevaliers fa dame , 

Conques ne vi fi preude famé ; 

Cil tiegnent lor chanoine chier, 
73o Conques ne 1' poi fère péchier. » 



140 Du SecresI'ain 

Quant ces genz la parole oïrent, 

Molt durement f en eljoïrent. 

Li chevaliers' a molt grant joie ; 

Tart li eft que fa famé voie. 
735 Si Tembracera doucement , 

Quar or fet-il bien voi rement 

Qu'il a preude famé fanz doute. 

La gent de Tabéie toute 

Refet grant joie d'autre part ; 
740 D'iluec celé gent fe départ, 

Molt fu bien la paine féué 

Que ces gens avoient eue : 

Se r fot mefires Benéoiz , 

Qui de Dieu foit tos bénéoiz , 
745 A RusTEBUEF le raconta, 

Et RusTEBUEF en un conte a 

Mife la chofe & la rima. 

Or dift-il que l*en la rime a 

Chofe où il ait fe bien non , 
750 Que vous regardez à fon non : 

Rudes eft , & rudement œuvre ; 

Li rudes hom fet la rude œuvre ; 

Se rudes eft , rude eft bues , 

Rudes eft fa non Rudebués * : 

I. Cette pièce contient plusieurs passages qui sont 
singulièrement peu harmonieux : d'abord celui auquel 
je mets cette note , et qui n'offre que de détestables 
jeux de mots fort en usage non-seulement chez Rute- 
beuf , mais encore chez les autres trouvères de cette 
époque, lesquels n'ont de poésie que la rime; et 
ensuite deux vers d'une remarquable cacophonie , 



Et de la Famm£ au Chevalier. 141 

755 RusTEBUÉs œvre rudement, 
Savez en fa i^udèce ment 
Or prions au défînement 
Jhéfu-Crift , le roi bonement , 
Qu'il nous doint joie parcTurable 

760 Et paradis Fespéri table. 

Dites Amen treftuit enfanble : * 

Ci faut li diz, fi com moi fanble. 

et que le lecteur aura sans doute remarqués plus 
haut; les voici : 

Anemis fi les entama 
Qae LI Auis l'amie aua, 
Et l'amie l'ami amôt. 

Une autre chose remarquable dans cette pièce ^ c*est 
le rôle qu'y joue la Sainfe Vierge par suite du culte 
spécial qu'on avait eu pour la mère de Dieu au XII« 
siècle, etqui régnait encore, quoiquenioins vif, au XIII«, 
tout ce qui pouvait faire éclater la puissance de Marie 
était admis sans exception regar et dé comme un éloge. 



CrpUcit ^u SSttxtsimx et ^t la /amme 





£' 3ittt-Mavia làwttktnf 



Ms. 7218. 




TOUTES genz qui ont fa voir 
Fet RusTEBUEs bien afavoir 

Et les femont : 
Gels qui ont les cuers purs & mont 
5 Doivent tuit déguerpir le mont 
Et débouter ; 
Car trop covient à redouter 
Les ordures à raconter 
Que chafcuns conte. 
10 Ceft vérités que je vous conte : 
Chanoine , clerc, & roi , & conte 

Sont trop aver ; 
N'ont cure des âmes fauver, 
Mes les cors baignier & laver 

I, Ce genre de pièce est très fréquent chez les 
.poètes du moyen âge; il y a dans le seul Ms. 7218 : 
L'Ave-Mariaen français, La Patenostre Qn français, 
Le Credo de VUserier, etc. M. Paris ajoute à cette 
remarque que sous le règoe^ de Louis XIV nous 
trouvons encore le De Frofundis et le Confiteor de. 
Ma^^arin. 



L'Ave-Maria Rustebeuf. 143. 

1 5 Et bien norrir ; 

Car il ne cuident pas morir 
Ne dedenz la terre porrir ; 

Mes fi feront , 
Que jà garde ne fi prendront , 
20 Que tel mors el engloutiront 
Qui leur nuira, 
Que la lafîe d'âme cuira 
En enfer, où jà ne 1' lera 
Eftez n'y vers. 
25 Trop par font les morfiaus divers 
Dont la char^nenjuent les vers 

Eten. pert l'âme. 
I. Salu de la douce Dame , * 
Por ce qu'ele nous gart de blafme , 
3o Vueil commencier ; * 

Quar en digne lieu & en chier, 
Doit chafcun mètre fanz tencier 
Cu«r & penflee. 

• - 

Ave^ roïne. coronée , 
35 Com de bone eure tu fus née ,, 
Qui Dieu portas l 
Theophilus reconfortas ^ 
Quant fa chartre li raportas 
.Que l'anemis , 
40 Qui de mal fère eft entremis , 

I . Voyez plus loin Le Miracle de Théophile. Ce 
passage de VAve-Maria en est une analyse fort 
exacte. 



144 L'AvE-MaRIA RuSTfeBEUF. 

Guida avoir lacié & mis 
En fa prifon. 

Maria^ fi com nous lifon , 
Tu lui envoias garifon 
45 De fon malage 

Qui déguerpi Dieu & f ymage j 
Et fi lift au déable homage 

Par fa folor ; 
Et puis li fifl à fa dolor 
5o Du vermeil fane de fa color 
Tel chartre efcrire 
Qui devifa tout fon màrtire , 
Et puis après li eftuet dire , 
Par eftavoir : 
5 5 Par ceft efcrit fet asavoir 
Théophilus ot , por avoir, 

Dieu renoié. » 
Tant l'ot deables defvoié , 
Que il efloit toz marvoié 
60 Par despérance ; 

Et quant li vint en remembrante 
De vous, Dame plefant & franche , 

Sanz demorer 
Devant vous s*en ala orer ; 
65 De cuer commença à plorer ^ 
Et larmoier. 
Vous l'en rendiftes tel loier 
Quant de cuer l'oïftes proier 
Que vous alafles , 



I 

* 

• I 



L'Ave-Maria Rutkbeuf. 145 

70 D'enfer fà chartre raportaftes , 
De Tanemi le délivraftes 
Et de fa route * . 

Gracia pîena elles toute ; « 

Qui ce ne croit il ne voit goûte , 
75 Et le compère. 

Dominus, li fauvères père 
Fift de vous fa fille & fa mère ; 

Tant vous ama 
Dame des angles vous clama ; 
~ So En vous f encloft , ainz n*entama 

Vo dignité; 
N'en perdiftes virginité. 

Tecum , par fa digne pité , 
Vout toz jors eftre 
85 Lafus en la gloire céleltre ; 
Donez-le-nous ainfînques eftre 
Lez fon cofté. 

Benedicta tu, qui ofté 
Nous as de'l dolereus ofté 
90 Qui tant eft'ors, 

Qu'il n'eft en ceft (îècle tréfors 

I. Route, rote, troupe, compagnie; exemple : « Si 
\irent venir une rote de demoiselles jusqu'à quatre.» 

(Roman de Perceval. ) 

RUTEBEUF. II. 10 



146 L'âye-Maria Rustebeuf. 

Qui nous péull fère rellors 

De la grant perte 
Par quoi Adam fift la déferte. 
95 Prie à ton Fil qui nous en terde 

Et nous eflève 
De l'ordure qu'aporta Eve 
Quant de la pome oita la fève; 

Par qoi tes Fis, 
100 Si com je fui certains & fis, 
Souffri mort & fu crucefis 

Au vendredi ; 
C'eft véritez que je vous di ; 
Et au tiers jor (plus n'atendi) 
io5 Refufcita; 

La Magdèlene viflta , 
De toz fes péchiez l'acuita , 

Et la fifl faine : 
De paradis eft la fontaine. 

no In mulieribîis , & plaine 

De feignorie : 
Fols eft qui en toi ne fe fie. 
Tu hez orgueil & félonie 
Seur toute chofe; 
I f 5 Tu es li lis où Diex repofe ; 
Tu es rofîer qui porte rofe 

Blanche & vermeille; 
-«► Tu as en ton faint chief l'oreille 
Qui les defconfeilliez confeille 
1 20 Et met à voie ; 



L'Ave-Maria Rustebeuf. 147 

m 

Tu as de fokz & de joie 

Tant que raconter n'en porroie 

La tierce part. 
Fols eft cil qui penlfe autre part 
125 Et plus eil fols qui fe départ 

De voftre accorde; 
Quar honeite miféricorde 
Et pacience à vous f acorde 

Et abandone. 
i3o Hé! bénoite foît la corone 
De Jéfu-Chrift qui environe 

Le voftre chief 1 

Et benedicUis de rechief , 
Fructus qui fouffri grant mefchief 
i35 Et grant méfaife 

Por nous geter de la fornaise 
D'enfer, qui tant par eft pufnaife 

Laide & obfcure. 
Hé ! douce Virge ncte & pure ! 
140 Toutes famés, por ta figure, 
Doit Ten amer ! 
Douce te doit l'en bien clamer, ' 
Quar en toi fi n'a point d'amer 
N'autre durté ; 
145 Chacié en as toute obfcurté 
Par la grâce , par la purté 

Ventris tut. 
Tuit f en font déable foi ; 



i L'Ave-Maria Rustebeuf. 

N'ofeni parler, car amui ' 
o Sont leur folas. 

Quant tu tenis & acolas 

Ton cher ¥ih , tu les afolas 
Et maumêis. 

Hé! biaus Père qui me féis, 
5 Si com c'eft voirs que tu déîs, 

• Je fui t'ancèle; * 

Toi, dépri-je, Virge pucèle. 

Prie à ton Fil qu'il nous apÈle 
Au jugement, 
o Quant il fera fi aigrement 

Tout le monde communément 
Trambler com fueille, 

Qu'en fa pitié nous acueille! 

Difons ameit : qu'ainfi le vueille ! 

. Amui, mueti, de ntuttis. 



^rpiint VAvt-Maxia Huetebutf. 





0U 

Une €l)an5mi >e Mo^ixe-^amt \ 

Mss. 7615, 7633. ■ 




HANSON m'eftuet chànteir de la meillour 
Qui onques fuft ne qui jamais ^era ; 
Li fiens douz chanz garit toute dolour 
Bien iert gariz cui ele garia. 
5 Mainte arme a garie, 

Huimais ne dot mie 

Que n'aie boen jour, 

Car fa grant dofour 

N'eft n'uns qui vous die. 

10 Moût a en li cortoizie & valour, 
Bien & bontei & charitei i a ; 
Con folz li cri merci de ma folbur : 

I. Il est évident, par le rhythme même de cette 
pièce, que son titre .est très-exact et qu'elle est une 
véritable chanson. 



i5o C!est de Nostre-Dame. 

Foloié ai, fonques n'uns foloia. 
Si pleur ma folie 
1 5 Et ma foie vie , 

Et mon fol fenz plour, 
Et ma foie errour 
Où trop m'entr'oblie. 

Quand fondoulz non reclaimment péchéour 
20 Et il dient fon Ave-Maria, 

N'ont puis doute du maufei trichéour, 
Qui moût doute le bien que Marie a, 
Car qui fe marie 
En~ telle Marie, 
25 Boen mariage a : 

Marions-nos là ; 
Si aurions faïe. 

Moût Tama cil qui de fî haute tour < 
Com li ciel funt defcendi juque fà. 
3o Mère & fille porta fon créatour, 
Qui de noiant li & autres cria. 
Qui de cuer f efcrie 
Et merci li crie 
Merci trovera : 
35 Jà n'uns n'i faudra 

Qui de cuer la prie. 

Si comme hom voit le foleil toute )or 
I. Cette strophe n'est pas dans le manuscrit 7615. 



C'est de Nostrb-Damr. 
Qu'en la verrière entre & ïft & feo v 
Ne l'enpire , tant i flère à féjor, 
4a Aufi vos di que onques n'empira 
La vierge Marie*. 
Vierge fu norrie, 
Viei^e Dieu porta, 
" Vierge l'aleta, 
Vierge fti là vie. 

I sujet auisi d4 



Hfrplirit la iûtaracn Vustr^'jiân». 






0u et cncoumenci ^ 

fi Wii >ej0 pxopxktti} Mo^txt-^tmt * . 

Mss. 7218, 7615, 7633, Bib. royale^ Y in-Jhl., 10, 
Bib. S. -Geneviève, et B. L. 175, Bibl. de TArsenal. 

lOÏNE de pitié, Marie, 
En qui déiteiz.pure & clère* 
I A mortalité! fe marie, 
'Tu iez & vierge & fille & mère. 
5 Vierge , eiffantaz le fruit de vie ; 

1. En tête du deuxième volume de Mystères iné- 
dits du X K« siècle^ j'ai cité, en l'empruntant au manus- 
crit in~folio, 10, de la bibliothèque- Sainte-Geneviève 
que je reproduisais, mais sans me rappeler qu'elle fût 
de Rutebeuf , la première strophe de cette pièce. Je, ne 
m'en suis aperçu que plus tard. Il faut que les pièces 
de Rutebeuf aient joui jusqu'au XV* siècle d'une grande 
célébrité pour que celle-ci, qui n'a rien de remar- 
quable, se trouve ainsi dans un manuscrit de 1450 
environ^ et presque sans modifications aux leçons 
contemporaines du poète, si ce n'est relativement à 
l'orthographe. 

A cette note de ma première édition de Rutebeuf,. 



Les .IX. Joies Nostre-Dame. i53- 

Fille, ton fil, mère, ton peire; 
Moût as de nonsen prophécie : 
Si n'i a non qui n'ait miftère. 

Tu iez fuers , efpouze & amie c 

10 Au Roi qui toz jors fu & ère ; 



je suis obligé d'ajouter celle->ci que j'emprunte au tra- 
vail que M. Paulin Paris a publié depuis djins YHis- 
toire littéraire de la France, sur le poète qui nous 
occupe. Le spirituel académicien s'exprime ainsi' : 
t L'auteur d'un opuscule inédit, intitulé : Les Règles 
de la seconde rhétorique , dont nous devons la com- 
munication à notre savant confrère, M. Montmer- 
qué, attribue cette pièce à Guillaume de Saint-Aiiiour ; 
mais cet auteur anonyme appartient à la fin du XV* 
siècle, et son témoignage ne peut balancer celui des 
manuscrits coiitemporains. Guillaume de Saint- Amour, 
qui inspira beaucoup de vers à Rutebeuf , ne paraît 
pas en avoir composé lui-même; cependant, les 
expressions du rhéteur paraissent se rapporter fort 
exactement au célèbre professeur des écoles du parvis 
de Notre-Dame, a Maifire Guillaume de Saint-Amour, 
lequel au parvis de Paris, fift déftruire hérifie, ypo- 
crifie et papelardie , la mère de faulx semblant, en 
après en l'honneur de Notre-Dame, mift les figures 
de la Bible et tes appliqua à la Vierge Marie et en 
fift un diz.de vers, croifel, qui se commence ainsi : 
(suivent les premiers vers des IX joies N.-D.)» 

Je ne connaissais pas le Ms. de l'Arsenal lors de ma 
première édition de Rutebeuf; ipais en le voyant, 
j'aurais pensé comme M. Paris. Jamais ce grave 
théologien, Guillaume de Saint-Amour, n'a fait de 
vers, et l'auteur de la Seconde rhétorique se trompe 
évidemment. 



i54 Les .ix. Joies 

Tu iez vierge lèche & fiorie, ~ 
Doulz remèdes de mort amère ; 
Tu iez Hefter qui f umelie , 
Tu iez Judit qui biau fè père : . 
i5 Admon^ en pert fafeignerie 
Et Olofernes le compère. 

Tu iez & cielz, & terre & onde 
Par diverfes fénéfiances : 
Cielz , qui donc lumière au monde ; 
20 Terre , qui dones foutenance ; 
Onde , qui les ordures monde. 
Tu iez pors de noftre efpérance, 
Matière de noftre faconde , 
Argumens de noftre créance. 

• 

a 5 De toi, pucelei>ure & monde, 
Porte cloze , arche d'aliance , 
Qui n'iez première ne féconde , 
Deigna naître par fa poiïïance 
Cil qui noz anemis vergonde , 

3o Li jaians de double fuftanee : 
Il fil la pierre & tu la fonde 
Qui de Golie prift venjance. 

Dame de fens enluminée, 
Tu as le trayteur tray ; 
1 as fouz tes plantes triblée 

!• Admon, Aman. 



Nostre-Dame. i55 

La telle dou ferpent hay. 

Tu iez com efchiele ordenée 

Qui le pooir as envay 

De la beile deffîgurée 
40 Par cui 11 monde dechay. 

Tu yez Rachel la defirrée , 

Tu yez la droite Sarray * , 

Tu iez la toifon arouzée, 

Tu yez li bouchons Synay 2. 
45 Dou Saint-Efpir fuz enfeintée , 

En toi vint-il & ombray , 

Tant que tu fus chambre clamée 

Au roy de gloire Adonay. 

De toi, fanz ta char entameir, 
5o Nafqui li bers"^ de haut parage 
Por le mal ferpent effreneir 
Qui nos tenoit en grief fervage , 
Qui venoit les armes tenteir 
Et n'en voloit panre autre gage ^, 
55 Por les chétives affameir 

Eu fa chartre antive et ombrage '. 

1. Sara. 

2. Le buisson du Sinal. 

3. Baron, seigneur. 

4. Ms. Y, 10, fonds Saint-Germain» Vas. 

Qai venoit les âmes tempter 
Et il meftoit tout fôn ufage 
Pour les chétives enfermer, &c. 

5. Antique et cachée.— Au lieu de Vépithète antive, 
le Ms. 7218 met obscure. 



i56 Les .ix. Joies 

Dame , toi doit-hon réclameir 
En tempefte & en grant orage : 
Tu iez eftoile de la meir, 
60 Tu iez à nos neiz & rivage *. 
Toi doi-hon fervir & ameir : 
Tu iez flors ^ de l'umain linage , 
Tu iez li colons fenz ameir 
Qui porte au cheitiz lor melTage. 

i)S Seule fanz peir, à cui fancline 
Li noblois dou haut confiiloire , 
Bien fe tient à ferme racine , 
Jamais ne charra ta mémoire. 
Tu yez fins de noftre ruyne , 

70 Que mort eftions, c'eû la voire ; 
Solaux qui le monde enlumine , 
Lune fanz lueur tranfîtoire. 

Tu iez fale , chambre & cortine , 
Liz & trônes au Roi de gloire ; 
y 5 Thrones de jame^ pure & fine, 
D'or efmerei * de blanc yvoire; 
Recovriers de noflre-failîne, 
Maifons de pais, tors de victoire ^ 
Plantains ^^ olive , fleurs d'épine , 

1. Ms. 7218. Var. Tu es ancre, nef et rivage. 

2. Ms. fonds Saint-Germain. Va», port, 

3. Jame, pierre précieuse; gemma. 

4. D'or épuré. 

5. Ms. 7218. Var. Aiglentier. 



V 4 



Nostre-Dame. 157 

8q Cyprès & palme de juftoire. 

Tu iez la verge de fumée 
D'aromat remis en ardure , 
Qui par le défert iez montée 
El ciel feur toute créature; 
85 Vigne de noble fruit chargée 
Sanz humaine cultivéure , 
Violete non violée, 
Cortilz ^ touz enceinz à cloiture. 

A faint Jehan fii démontrée 
90 L'eucellance de ta figure 

De .XII. étoiles coronée. ; 

Li foleux eft ta couverture : 

' La tine , fouz tes piez pozée , 

Se" nos fénéfie à droiture 
95 Que for nos ferez eflaucée 

Et feur fortune & feur nature. 

Tu iez chatiaux , roche hautainne 
Qui ne crienz oft ne forvenue ; 
Tu iez li puis & la fontainne 
100 Dont noftre vie eft foutenue, 
Li firmamenz de cui alainne 
Verdure eft en terre efpandue , 
Aube qui le jor nos amainne , 
Turtre qui ces amors ne mue ^ ! 

ir Cortil:(, jardin^ verger. 
2. Turtre, tourterelle. - 



i58 Les .ix. Joies 

io5 Tu iez roïne fouverainne 

De diverfes coleurs veftue ; 

Tu iez eftoile promerainne , 

La meilleurs, la plus chier tenue, 

En cui la déiteiz fouvrainne 
1 10 Por nos fauveir a recondue 

Sa lumière , & fon rai demainne , 

Si com li folaux en la nue. 

Citeiz cloze à tours macizes , 

Li maulz qui les maulz acravente , 
j 1 5 Qui recéuz eft en tes lices 

Pou li chaut c'il pluet ou c'il vente. 

Tu iez la raanfons des vices , 

Li repos après la tormente , 

Li purgatoires des malices , 
120 Li confors de l'arme dolente. 

Tu as des vertuz les promifces , 
C'eft tes droiz , c'eft ta propre rente ; 
Tu iez l'aigles & li fénifces;*. 
Qui dou foleil 2 reprent jovente , 
1 2 5 Larriz de fleurs , celle d'efpices 3 , 
Baumes , kanele , encens & mente , 

1. Phénix. 

2. Mb. 7218. Var. Qui de son bec. 

3. Mot à mot : Lande de fleurs, chambre d'épices. 
« Tant chevaulcha par plains , par bois , par carrés,..* 
qu'il vint en une grande valée. v 

( Roman de Gérard de Nevbrs.) 



Nostre-Dame iSg 

Noftre paradix de délices , 
Noftre efpérance, noftre atente. 

Dame de la haute citei 
i3o A cui tuit portent révérance , 

Tuit eftienz déferitei 

Par une général fentence : 

Tu en as le mont aquitei ; 

Tu iez faluz de noftre eflënce 
j35 Balaîz de noftre vanitei , 

Cribles de uoftre concience, 

Temples de fainte Trinitei , 

Terre empreignie fanz femance , 

Et lumière de véritei , . 
140 Et aumaires de fapience , 

Et yfopes d^umilitei , 

Et li cèdres de fapience * , 

Et li lyx de virginitei , 

Et la roze de paciance. 

145 Maudite fu famé & blâmée , 

Qui n'ot fruit anciennement; 

Mais ainz n'en fuz efpoantée, 

Ainz Yoas à Dieu qui ne ment 

Que ta virginiteiz gardée 
i5o Li feroit pardurablement : 

Ce fu la première voée ; 

I. Ms. 72 18. Var. Et li ceptres de providence.— Ms. 
fonds Saint-Germain. Var. Et le fleuve de providence. 



i6o Les .ix.- Joies 

Moût te vint de grant hardement. 

Tantoft te fu grâce donée 

De gardeir ton ven purement ; 

1 5 5 Ton cuer, ton cors & ta pencée 
Saifit Diex à foi voirement 
En ce que tu fuz faluée 
Vout Diex montrer apertement 
Tu iez Eva la beftornée 

ibo Et de voiz & d'entendement. 

« 

Ne porroie en nule menière 
De tesnons, conbien que penfaffe, 
Tant dire que plus n'i affière 
Se toute ma vie i ufafTe ; 
i65 Mais de tes joies , Dame chière; 
Ne lairoie que ne contalTe. 
Li faluz , ce fu la première , 
Dame , lors t'apelas baaffe <. 

Ne fus orguilleùze ne fière , 
170 Ainz fumelias tôt à mafle. 

Por ce vint la haute lumière 

En toi qu'ele te vit (î baffe. 

Lors fus auffî com la verrière ^ 

Par où li raiz dou foleil paffe : 
175 Elle n'eft pas por ce mainz entière, 

Qu'il ne la perce , ne ne quaffe. 

1. Baasse, servante, 

2. Cette <:oh[iparaison de la virginité de la mère de 



Nostre-Dame. i6i 

La preînière fa de tes joies , 
Quant ton créatour tu concéuz ; 
La féconde fu totes voies ^ 
180 Quant par Élyzabeth feus 
Que le fil Dieu en^amteroies", 
La tierce quant enfant éuz : 
. Sanz péchié concéuz l'avoies 
Et fanz doleur de li géuz. 

18S A la quarte te merveîlloies 
<2uant tu véiz & tu feus 
Que li troi roi fi longues voies 
Li vindrent offrir lor tréuz. 
Au Temple quant ton fil offroies 

190 Ta quinte joie recéuz 

Quant par faint Syméon favoies 

Jésus avec le soleil, qui passe sans la briser au tra- 
vers d'une verrière , est fréquente chez les poètes du 
moyen âge. On la trouve d'abord à la tin de la Chati' 
son de Nostre-Dame f page 49, de mon premier vo- 
lume des Mystères inédits , où Tauteur fait dire à 
saint Paul que le Dieu qu'il prêche est 

Le créateur de tout le monde 
Qui d'une vierge pure & monde 
Comme soleil parmy voirrière 
Pafle & adàs demeure entière 
Naquit fans peine en Bethléem. 

I. Ms. 7218. Var. 

Droiz eft que tes loenges oies : 
Quant tu ton cbier fil concéus^ .j 
La féconde fti de tes joies ,-.oUt ou-^ 

RUTIBEUF. IL II 



i62 Les .ix. Joies 

Que tes filz ert Homo Deus.\ 

La feite.puis que fuz affî£e 
O Faignel, par compaffîoo, 

195 Qui por nos avoit farme mife, 
Quant reyefqui comme lyons 
Et tu o Lui en-iteil guife. . 
La feptime TAfémilion , 
Quant la chars qu'il ot en toi prize * 

200 Fit el trône devifion. 

L'uitime , par iteil devife , 
Quant par fa fainte Anoncion 
Dqu Saint-£(perit fut empriCe ; 
La nuevime l'afQmpGôns ^ , 
2o5 Quant eti arme & en cors affife 
Fus for toute créacion. 

Dame cui toz li mondes prife , 
Partes .ifx. joies te prions : 
Aïde nos par ta franchife , 
210 Et par ta fainte noncion , 

I. Le Mg. 7218 place ici ces deux vers : 

Quant eii> âme & en cors affife 
Fas feur toute' créacion. 

a. Le Ma. 7218 termine ainsi cette stance : 

Dame qui toz li fiècles prife, 
Par ces .ix. joies te prion 
Humblement par ta graot franchife 
Quç' jMnis fiions rémlâion. 



Nostbe-Dame. 

Qu'au daerrain jour du juife 
O les -iK. ordres manfîon 
Nos doinfl en celé haute égltze, 
Dame , par 



«rpiicit. 




Mn WM >e Vicf^Ut'9amt, 



Ms. 7615. 




|E la très glorieufe Dame 
JQuî efl faluz de cors & d'ame 
I Dirai , que tère ne m'en pui ; 
Mes l'en porroit avant .i. pui 
5 Efpuifier c'on poïft retrère 

Combien la dame e&. débonaire. 
Por ce (i la devons requerre 
Qu'avant qu'elle chaîfl for terre 
Mift Diex eu li humilité , 
10 Pitiez, doufors & charitez, 

Tant que ne fai où je commance : 
Befoignex fui par l'abondance , 
L'abondance de fa loance . 
Remue mon corage & change, 
1 5 Si qu'efprouver ne me porroie , 
Tant parlaiOfe je voudroie. 
Tant a en li de bien à dire 
Que trop eft belle la matire : 
Se j'eftoie bons efcrivens 



.-. 4 



Un Dist de NbsTRE-DAME. i65 

20 Ainz feroie d'efcrire vaâns 

Que je vous éuffe cpnté 

La tierce part de fa bonté 

Ne la quarte ne redéUine. 

Se fet chacuns par lui-siéirm^, 
2 5 Qui orroit comment ellç pjxHQ 

Celi qui de fon cors- fift proie 

Por nous tous d'enfer d^praer, 

Conques ne veft le cous defptaer, 

Ainz fu por nos prae» & pris 
3o Dou feu de charité efpri» ; 

Et tôt ce li ramantoit-ellp ; 

La très douce Virge dél|oaaijr«, : 

c Biaus iilz, tu fais famé & borne., 

Quant il orent mors en la^pome, 
35 II furent mort par le. pechi^ : 

Dou maufez efl toz entechiez ; 

En enfer il dui défendirent' 

Et tuit cil qui d'eus iffireobt. 

Biaux chiers fis , il femprifi' pitiez 
40 Et tant lor montras dfamities 

Que por aus decendis>ès ciaus : 

Li deflandres fu bons.&biax. 

De ta fille féis ta mère ; 

Tiex fu la volante dou père; 
45 De la crèche te fit-on coche; 

Sans orguel eil qui là fe ooi^be. 

Porter te covint en Egypte.; 

La demorance i fu petite, 

Car après toi ne vefqui gaires 



i66 Un Dist de Nostre-Dame. 

5o Tes anemis, li deputaires 

Hérodes, qui fîil decoler 

Les inocens & afoler, 

Et defmembrer par chacuns membre , 

Si com TEfcriture remembre. 
55 Après ce revenis arrière : 

Jui refirent belle chière , 

Car tu lor montroies ou Temple 

Maint bel mot & maint bel example : 

Moût lor plot canques tu déis 
60 Juqu'à ce tens que tu féis 

Ladre venir de mort à vie ; 

Lors orent-il sor toi envie , 

. Lors fus d'aus huiez & haïz , 

Lors fus enginiez & tratz 
65 Par les tiens & à aus bailliez. 

Lors fus penez & travillez, 
. Et lors fus liez à Teflache ; 

N'efl nus qui ne le croie & fâche. 

Là fus batuz & deplaiez , ' 
70 Là fus de la mort efmaiez, 

Là te covint porter la croiz, 

Où tu crias à haute voiz 

Au Juis que tu foif avoies ; 

La foif efloit que tu favoies 
75 Tes amis mors & à malaife 

En la dolor d'enfer punaife. 

L'âme dou cors fu en Enfer 

Et brifa la porte d'enfer ; 

Tes amis treffis de léans ; 



Un Dist de Nostre-Dame, 167 

80 Aine ne remeil clerc ne lai anz. 
Li cors remefl en la croiz mis : 
Jofeph , qui tant fu tes aniis , 
A Pilate te demanda ; 
Li demanders moût Tamanda. 

85 a Lors fu ou fépucre pofez. 

De ce fu hardiz & ofez 

Pilate, qu'à toi garde mifl, 

Car de folie fentremiil. 

Au tiers jors fi[;refufcitez : 
[ 90 Lors fu & cors & déitez 

Enfamhle fans corricion , 

Lors montas à TAfcencion. . 

t Au jor de Pentecoufle droit, 

Droit à celle hore &c à cel androit 
95 Que li apoftres èrent af!îs 

A la table chacuns pencis, 

Lors envoias-tu à la table 

La toe grâce efperitable 

Dou Saint-Efpérit emflamée , 
100 Que tant fu joïe & amée. 

Lors fus chacuns d'aus ci. hardiz, 

Et par paroles & par diz, 

Çautant pris a mort comme vie : 

N'orent fors de famor envie. 
io5 Biaxchiers fiz, por Tumain lignage , 

Jeter de honte & de domage 

Féifl tote cefle bonté , 



i68 Un Dist de NosTRE-DA?iE. 

Et plus afTez que n'ai conté. 

^'or laîfToies fi efgaré 
110 Ce que fi chîer as comparé , 

Ci auroit trop grand mefprifon: 

S* or les lefToies en prifon 

Entrer don tu les as odé , 

Car ci auroit trop mal hofté , 
1 1 5 Trop grant duel & trop grant martire ^ 

Biau filz , bîau père , bîau doz fire. i 

Ainfi recorde tote jor 

La doce Dame fans fëjor : 

Jà ne fina de recorder ; 
1 20 Car bien nous voudroit racorder 

A li , don nos nos defcordons 

De fa corde & de fes cordons. 

Or nous acordons à facorde. 

La Dame de miféricorde 
125 Et li prions que nous acort 

Par fa pitié au dine acort 

Son chier fil, le dine cor Dé ^ : 

Lors fi ferons bien racordé ^. 



I Le dine cor Dé, le dign« corps de Dieu. 

2. Voyez y pour des cacophonies semblables et sur 
le même mot, les strophes deuxième et cinquième 
de ht pièce intitulée : Les Di:; des Cordeliers. 



Crpltdt U Moùtxt'^amt. 



•-î-fw 




£a Voit >e flaraït^^ 

^n et encoumrncr 

jTa Il0te li'Kmtlttef \ 

MS8. 7218, 7632, 7633. 



[i marz , tout droit en cel termine 
'Que defouz terre ift la vermine 
Où ele a tout Fyver efté , 
'Si Peljoït contre Tefté ; 
Cil arbre fe cuevrent de fueille 




I. Legrand d'Âussy a donné l'analyse de cette 
pièce dans son recueil de Fabliaux. Voyez tome II, 
page 226 , édition Renouard. Voyez aussi , pour le 
même sujet , une autre Voie de Paradis , ms. 72 18 ,— 
et pour des pièces pareilles sur Tenfer, page 384 de 
mon deuxième volume des Mystères inédits, Le 
Songe d? Enfer y ainsi que page 43 de mes Jongleurs 
et Trouvères, la pièce intitulée : Le Salut d'Enfer, 
Elles prouvent que la fabulation mise en œuvre par 
Dante dans son immortel poème était fréquente à 
l*époque où il vivait. J'ajoute que Daunou, dans 
son Discours sur l'état des lettres au XIII* siècle , a 
dit, à propos de ce genre de pièces : « Plusieurs per- 



170 La Voie de Paradis. 

Et de flor la terre f orgueille, 

Si fe cuevre de flors dîverfes , 

D'indes, de jaunes & de perfes ; 

Li preudon, quant voit le jor né, 
10 Rêva arer en fon jomé ; 

Après arer fon jomé famé. 

Qui lors femeroit fi que f âme 

Moiffonnafl femence devine, 

Je di por voir, non pas devine , 
1 5 Que buer feroit nez de fa mère, 

Quar tel moiffon n'efl pas amère. 

Au point du jor c'on entre en oevre 

sonnages du temps se rencontrent dans le chemin 
d'enfer de Raoul de Houdan ; la plupart sont des bour- 
geois dont les noms, restés obscurs, ne rappellent au- 
jourd'hui aucun souvenir; mais on^emarque^aumilieu 
de cette liste et dans la demeure de Filouterie, Jeaxi 
le Bossu cTArras, Tun des trouvères de ce siècle. La 
Voie de Paradis , par Rutebeuf, a aussi un caractère 
satirique, mais il n'y a pas de personnalités; c'est une 
description générale des vices ou péchés capitaux. » 

M. Paris trouve que La Voie de Paradis « doit 
beaucoup à la première partie du Roman de la Rose^ 
composé, suivant toutes les apparences, plus de vingt 
ans auparavant (c'est-à-dire vers le milieu du règne 
de saint Louis). » 

Selon le même érudit, a Rutebeuf a fût preuve, dans 
La Voie de Paradis, d*ua incontestable talent; seu- 
lement, vers la fin, son .malheureux goût pour les 
pointes et les antithèses reprend sur lui de l'empire ,- 
et le fiiit renoncer à la correction élégante et ncile 
qui distingue l'œuvre de Guillaume de Lorris. » 



3. 



La Voie de Paradis. 171 

RusTEBUEF , qui rudement oevre, 

Quar rudes efl, ce eft la fomme, ' 
20 Fu auffi com du premier fomme. 

Or fâchiez que guères ne penfTe 

Où fera prife fa defpenfle. 

En dormant A. fonge fonja : 

Or entendez dont qu'il fdnja, 
2 5 Que pas du fonge ne bordon. 

En fonjant, efcharpe & bordon 

Prift RusTKBUES, ifiî fefmuet: 

Or chemine, fi ne fe muet. 

Quant la gent de moi deffambla , 
3o Vers paradis , ce me fambla , 
' Âtornai mon pèlerinage. 

Des odes que j'oi au paiTage 

Vous vueil conter & de tna voie ; 

N'a guères que riens n'en favoie : 
35 J'entrai en une voie eflroite ; 

Moult i trovai de gent deftroite 

Qui à aler fi atomoient; 

Mes trop en vi qui retomoient , 

Por la voie qui efloit maie» 
40 Tant vous di n'i a pas grant aie , 

Mes mendre que je ne créuiTe. 

Ainz que guères aie éuffe 

Trovai .i. chemin à feneftre : 

Je vous déiffe de fon eflre 
45 Se je n'éuffe tant afère ; 

Mes la gent qui du mien repère 



172 La Voie de Paradis. 

Va celui fi grant aléure 
Com palefroiz va Tambléure. 

Li chemins efi biaus & plefanz , 
5o Délitables & aaifanz : 

Chafcuns i a à fa devife; 

Quanques foihaite ne devife ; 

Tant efl plefanz chafcuns le va , 

Mes de fort eure fe leva 
5 5 Qui le va fe il n'en repère. 

Li chemins va à .i. repère 

Où trop a dolor & deftrece ; 

Larges efl , mes toz jors eftrece. 

Li pèlerin ne font pas fage : 
60 PafTer lor efluet i. pafTage 

Dont jà nus ne refortira. 

Or fâchiez qu'au refortir a 

Une gent maie & féloneffe 

Qui por loier ne por promefTe 
65 N'en leffent .i. feul efchaper 

Puis qu'il le puilfent atraper. 

Gel chemin nevoilpas tenir, 

Trop me fuft tart à revenir. 

Le chemin ting à délire main ; 
70 Je , qui n'ai pas non d'eftre main 
Levez , jui la première nuit , 
Por ce que mes contes n'anuit, 
A la cité de Pénitance : 
Moult oi cel foir povre pitance» 



— -^ *!?-.« À 



La Voie de Paradis. 173 

75 Quant je fui entrez en la vile , 

Ne cuidiez pas que ce foit guile, 

Uns preudom qui venir me vit , 

Que Diex confeut fe encor vit , 

Et fil eft mors Diex en ait Pâme, 
^o Me priit par la main , & ùl famé 

Me dift : « Pèlerins , bien veigniez. » 

Léenz trovai bien enfeigniez 

La mefnie de la mefon , 

Et plains de fens & de refon. 
S5 Quant je fui en Toflel, mon oile 

Mon bordon & m'efcharpe m'oile 

Il méifmes , fanz autre querre ; 

Puis me demande de ma terre 

Et du chemin qu'aie avoie. 
90 Je l'en dis ce que j'en fa voie 

Tant l'en dis-je , bien m'en fouvient : 

€ Se tel voie aler me covient 

Com j'ai la première jomée, 

Je crierai la retornée. » 

95 Li preudom me dift : « Biaus amis, 

Cil fîres Diex , qui vous a mis 

El cuer de fère ceft voiage , 

Vous aidera au mal paflage. 

Aidiez cels que vous troverez , 
100 Confeilliez cels que vous verrez 

Qui requerront voftre confeil , 

Ce vous lo-ge bien & confeil. » 

Encor me dift icil preudon 



174 i-A Voie de Paradis. 

Se je fefoie mon preu don 
io5 Orroie-je le Dieufervile ; 

Quar trop petit en apetife 

La jomée don a à fere. 

Je le vî dou2 & débonère, 

Si m'abelirent fes paroles , 
1 10 Qui ne furent vai|[ies ne voles. 

Quant il m'ot tout ce commandé , 

Je li ai après demandé 

Qu'il me difl par amiftié 

Son non. c J'ai non, difl-il, Pitié, i 
1 1 5 — < Pitié ? dis-je , c'en trop biau non. > 

— f Voire, fet-il; mès.lerenon 

Eft petiz *, toz jors amenuife. 

Ne truis nului qui ne me nuife ; 

Dame Avarice & dame Envie 
1 20 Se duelent moult quant fui. en vie , 

Et Vaine-Gloire me r*amort , 

Que ne déiîrre que ma mort'; 

Et ma famé a non Charité. 

Or vous ai dit la vérité , 
125 Mais de ce fommes mal bailli , 

Que fovent fommes affailli 

D'Orgueil , le gendre Félonie , 

Qui nous fet trop grant vilonie. 

Cil nous aifaut & nuit & jor : 
i3o Li fiens aflaus efl fanz féjor. 

c De cels que je vous ai conté , 
Où il n'a amor ne bonté , 



La Voie de Paradis. lyS 

Vous gardez , je le vous commant. » 

— « Ha Diex ! oiles, & je commant? 
i35 Ainz neles yi ne ne connui. 

Si me porront bien faire anui : 

Jà ne fauroi qui ce fera. - * 

Ha Diex l &. i{\xï m'enfeignera 

Comment je les efchiverai? *■ 
140 — f Oiles, je vous enfeignerai 

Lor connoififance & lor mefon ; 

S'il a en vous feas ne refon , 

Que moult bien les efchiverez. 

Or efcoutez comment irez 
145 Jufque la mefon de Con&iTe, 

Qui la voie eft À. poi engrelTe , 

Et feft aiTez mal à tenir 

Ainçois c'on i puift avenir. 

a Quant vous cheminerez demain , 

1 5o Si verrez à feneftre main 

Une mefon moult orguilleufe ; 
Bêle eft, mes ele eil péreilleufe, 
Qu'ele chiet par i. pou devant. 
Moult eft bien fet« par devant , 

i55 AfTez miex que n'eft par derrière, 
Et fa efcrit en la mesière : 
« Céenz eft à Orguex li cointes , 
« Qu'à toz péchiez eft bien aointes. » 
Cil granz fires dont je vous conte 

160 A moult fouvent & duel & honte 
Par fa manière qui eft foie , 



176 La Voie de Paradis. 

Et par fa diverfe parole , 
Où il n*a ne fens ne favoir, 
Et f en porte cors & avoir. 

i65 Sa mefon que je vous devife ' 
A-il par fon beubant aflife 
Sor .i. turet* enmi la voie, 
Por ce que chafcuns miex la voie. 
Moult a oiles en fon oilel , 

1 70 Qu'il a oftez d'autrui oftel 

Qui fefoient autrui ouvraingne ^ , 
Qui auroient [honte & vergoingne 
Qui de ce lor feroit reproche ; 
Mes li termes vient & aprpche 

175 Que Fortune , qui met & ofte ^ , 
Les ollera de chiés tel oile^. 

« Sire Orguex lor promet Tavoir, 
Mes n'ont pas pièges de l'avoir. 
Si vous dirai que il en feit 
1 80 Par parole non pas par fet : 
Il fet du clerc archediacre 
Et du grant-doien fouz-diacre ; 
Du lài fet provoft ou bailli , 
Mes ien la fin font mal bailli , 

1. Turet, quelquefois turon\ butte, élévation. 

2. Ms. 7633. Var. besoigne. 

3. Ms. 7633. Var. m'est à hoste. 

4. Le Ms. 7633 ajoute ici ces deux vers : 

Et oeaix que li fîècles aroe 
Âroera defouz fa roe. 



La Voie de Paradis. 177 

i85 Que vous véez avenir puis 

Qu'il chiéent en û parfont puis, 
Par Dieu le père efperitable , 
Por du pain curent une eitable. 

<c Icele gent que je vous nomme 
190 Que Orguex eifauce & aÛbmme , 
Sont veilus d'un cendal vermeil 
Qui deftaint contre le foieil ; 
Chapelez ont de flor vermeille 
Qui trop eil bêle à grant merveille 
195 Quant ele eft frefchement cueillie ; 
Mes quant ii chauz l'a acueiUie 
Toil eft morte , matie & mate : 
Tel marchié prent qui tel Fachate. 

a Defouz Orgueil, .i, poi aval , 
200 A l'avaler d'un petit val,^ 

A Avarifce fon manoir, 

Et fi font tuit fi homme noir , 

Non pas très noir, mes maigie & pâle, 

Por lor dame qui eil trop maie. 
2o5 Aufi les tient comme en prifon , 

Mes de ce fet grant mefprifon 

Qu'à nului nule bonté n'offre. 

Enmi fa fale fus .i. coffre 

Efl affîfe mate & penfîve ; 
210 Miex famble elbe morte que vive ; 

Jà ne fera fa borfe ouverte , 

Et fi eft fa mefon couverte 
RuTEBEur. II. la 



17^^ La Voie de Paradis, 

D'une grant pierre d'aymant ; 

Li mur entor font à cimant : 
2 1 5 Moult eft bien fermez li porpris. 

Cil fe doit bien tenir por pris 

Qui vient en icele porprife , 

Quar al porpris a tel porprife 

Qu'ele n'eft fête que por prendre. 
220 Grant efpace li fift porprendre 

Cil qui n'i fift c*une huiflerie, 

Qui à l'ifïïr eft briferie. 

Si fouef clôt , û fouef oevre. 

C'on ne voit guôres de tel oevre. 

2 25 « Après Avarifce la dame 

Efta une vilaine famé 

Et ireufe : fa à non Ire , 

Or vous vueil fa manière dire : 

Ire, qui eft tnale & vilaine, 
23o Ne fet pas tant defcharpir laine 

Comme ele fet de cheveus rompre ; 

Tout ront quanqu'ele puet arompre ; 

Tout a corouz , tant o dolor 

Qui tant li fet muer color, 
2*35 Que toz jors font fes denz ferrées, 

Qui jà ne feront deflerrées 

Se n'eft por félonie dire ; 

Car tels eft la manière d'Ire, 

Que ne li left les denz eftraindre 
240 Et foufpirer & parfont plaindre , 

Et coroucier à lui-méifme , 



La Voie de Paradis. 179 

Et 'ce toz jors li regaîûne ; 

Jà ne qnerroit por nule cho£e. 

Tel manière a que toz jors chofe : 
245 Fols eft qui en chiés li ira. 

Tele manière en Ire a 

Qu'ele fe veult à chafcun prendre 

De ce vous vueil je bien aprendre. 

Par cefte refon entendez , 
2 DO Vous qui la voie demandez 

•Pot aler a Confeffîan , 

Que nus ne doit en fa mef^a 

Nul hom receter ne enbatre, 

S'il ne veult tencier ou combatre. 
233 Or oiez de fon habitacle, . . 

Où Diex ne fet point d^ miracle. 

<( Du fondement de la mefon 
Vous di, que tel ne vit mes hom. 
I. mur i a de félonie * 
260 Tout deftempré à vilonie ; 
Li fueil font de défefpérance 
Et li pommel de mefchéance ; 
Li torchéis eft de haïne. 

I. Ces vers rappellent le passage suivant du Fablel 
dou Dieud'Amows, pièce que j'ai publiée^ en 1834, 
chez Techener : ' 

De rotruenges efloit tos fais li pons ; 
Toutes les plankes de dis & de canchons, 
Dtt fons de harpe les eflaces del fons , 
Et les falijes de dous lais de Breton^ ; 
Li folTés ert de foupirs en plaignant , &c. ^ 



i8o La Voie de Paradis. 

D'autre chofe que de faîne * 

265 Fu celé mefon enpalée , 
Quar Tenduire fu engelée. 
Si en a efté coroucie 
Quant fa hiefon eil depecîe. 
De tristece eft Fempaléure : 

270 Passez outre grant aléure , 

Quar ce ne vous porroit aidier ; 
Qui n'aime rancune & plaidier, 
Je ne lo pas que fi eiloife , 
Quar preudom n'a cure de noife. 

275 Por ce que tu ne t'i arrives, 
Li braz , les laz & les (olives 
Et les chevilles & li tré 
Sont, par faint Blanchart de Vitré , 
D'un fiift; fa non Dures-noveles ; 

280 Et de ce refont les aÛeles ^ ; 

Li chevron font d'autre mefrien , 
Mes tel merrien ne vaut mes rien, 
Quar il eft de méfavanture : 
S'en eft la mefon plus obfcure. 

285 Là ne vont que li forsené 
Qui ne font pas bien aûené. 

« El fons d'une ôbfcure valée 
Dont la clarfez fen eft alée, 
S'eft Envie repofée & mife. 



1. Fraternité. 

2. Ms. 7633. Var. astelas (ais). 



La Voie de Paradis. i8i 

290 Devifer vous vueil fa devife : 

Ne fai f onc nus la devifa , 

Mes bien iai que pâle vis a , 

Car el lit où ele fe couche 

N'a-il ne chaelit ne couche, 
295 Ainz giil en fiens & en ordure ; 

Moult a duré '& encor dure : 

N'i a feneftre ne verrière * 

Qui rende clarté ne lumière, 

Ainz eft la mefon fi obfcure 
3oo C'on ni verra jà foleil luire. 

Ovides raconte en fon livre , 

Quant il parole de fon vivre , 

Qu'il dift char de ferpent menjue 

Dont merveille eft qu'il ne fe tue ; 
3o5 Mes RusTEBUES à ce refpont 

Qui la char du ferpent efpont 

Ceft li venins qu'ele maintient : 

Ez vous la char qu'en fa main tient? 

Moult a grant obfcurté laienz; 
3 10 J'à n'enterront clerc ne lai enz 

Qui jamès nul jor aient joie. 

Ne cmdiez pas qu'ele f efjoie 

S'ele ne fet qu'autres fe dueille : 

Lorsf efjoït & lors f orgueille 
3 1 5 Que ele ot là dure novele ; 

Mes lors li tome la roele , 

I. Dans le Ms. 7633 , après ce vers on lit celui-ci : 

Ne par devant ne par derrière 



i8i La Voie de Paradis. 

Et lors li'font li dé changié 
Et geu & rrs bien eftrangié 
Quant ele fet autrui' léefce *, 
320 Deuls Tcfjoh, joie la blefce. 

t Mouk éft f entrée viex & fale ; 

Si eft fa nreîon & fa fale 

Et fa yalép & orde & vils. 

AprèMés ichofes or devis 
325 De cehtjuifî fort fe defvoient 

Quant la mefon Envie voient , 

Que il vuelent véoir Envie , 

Qui ne muert pas, ainz eft en vie. 

Quant il aprochent du repère 
33o Dont nuis en fanté ne repère, 

Lors (î lor trouble la véue , 

Et la joie qu'il ont eue 

Perdent-il au pafler la porte. 

Or favéz que chafcuns en porte * : 

335 « Li cors où Envie fembat 

Ne fe folace ne efbat ; 

Toz jors^lt fes viaires pâles , 

Toz joi*s font fes paroles maies. 

Lors rift-il que fon voifin pleure, 
340 Et lors li recort di deuls feure 

Quant fon vdifîn a bien affez : 

I . Les vingt-quatre vers qui suivent manquent au 
manuscrit 7633. 



La Voie de Paradis. i83 

Jà n'ert fes viaires laffez. 

Or poez-vous favoir la vie 

Que cil maine qui a Envie. 

Envie fet homme tuer , 
345 Et fi fet bonnes remuer , 

Envie fet rooingner terre, 

Envie met ou (îècle guerre , 

Envie fet mari & famé 

Haïr , Envie deflruit âme , 
35o Envie met defcorde es frères , 

Envie fet haïr les mères. 

Envie deftruit gentillece , 

Envie griève , Envie blece , 

Envie confont charité 
355 Et fi deftruit humilité. 

Ne fai que plus briefment vous die : 

Tuit li mal vlenent par Envie. 

€ Accide^, qui fa tefte cuevre, 
36o Qu'ele n'a cure de fère œvre 

Qu'à Dieu plaife n'a faint qu'il ait , 

Por ce que trop li feroit lait 

Qui li verroit bon œvre fère , 

Lez Envie a mis fon repère. 
365 Or efcoutez de. la mauvaife , 

Qui jamès n'aura bien ne aife : 

Si vous conterai de fa vie 

Dont nul preudomme n'ont envie. 

j. Âccide, froideur, paresse. 



184 La Voie de Paradis. 

< Âccide, la taate Parece, 

370 Qui trop pou en eftant fe drece 
Poi ou noient puis qu'il coviegne 
Qu'ele face bone befoingne , 
Voudroit bien que clerc & provoire 
Fuffent « marchié. ou à foire , 

375 Si c'on ne féift jà fervife 
En chapele ne en églife ; 
Quar qui voudra de li Joïr 
Ne fa bêle parole oïr 
Ne parolt de faint ne de iamte, 

38o Qu'ele eft de tel corroie çainte , 
S'ele va droit , maintenant cloche 
Que ele ot clocheter la cloche ; 
Lors voudroit bien que li batiaus 
Et li coivres & li métaus 

385 FujOTent encor tuit à refondre. 

La riens qui plus la puet confondre » 
Qui plus li anuie & li griève , 
C'est ce quant delez li fe liève 
Aucuns por aler au mouftier, 

390 Et dift : t Vous i fuftes moult ier : 
Qu*alez-vous querre (i fou vent? 
Leffîez i aler le couvent 
De Pruilli * ou d'a,utre abéie. » 
Iffi remaint toute efbahie : 

395 Encor a-ele tel manière ^ 
Que jà ne fera bêle chière 

I. Ms. 7633.VAR. Puili. 



/ 

I 



La Voie de Paradis. i83. 

Por qu'ele voie les denz muevre , 
Tant fort redoute la bone œvre. 
Que vousiroie |e aloingnant^ 
400 Ne meis paroles porloîngnant ? 
Quanques Diex aime 11 anuie 
Et 11 eft plus amer cfue suie. 

f Gloutonie , la, fuer Outrage , 

Qui n'efl ne cortoife ne fage , 
4o5 Qui n'aime refon ne mefure , 

Refet fovent le mortier bruire, 

Et chics JFIafart le tavernier. 

Et fi fu en la taverne ier 

Autant com il a hui eilé : 
410 Ce ne faut yver ne elle. 

Quant ele fe liève au matin ,; 

Jà en rômanz ne en latin 

Ne quiert oïr que boule & fefte, 

Dufoir li refet mal la tefte, 
41 5 Or éft tout au recommancierl 

Affez aime miex Monpancier ^ 

Que Marfeille ne Carlion ^. 

1. Mb. 7633. Var. délaiant. 

2. Probablement Montpellier. 

3. Le" Ms. 7633 dit : « que Lyons; t mais^ à la 
rigueur, on pourrait laisser Carlion : cette ville est 
célèbre chez les auteurs du moyen âge. Ainsi Ton voit 
dans le lai de VEspinef par Marie de France : 

Les eflores en trai avant 
Ki encore font à Caruon , 
Ens le moHftier Saint-A^ron. 

Walter Scott, dans une note de Sir Tristrem, édit. 



-•*. 



i86 La Voie de Paradis. 

Por ce vous di-je quar li hon 

Qui efl fes kex a aiTez paine : 
420 Xiiij, foiz en la femaine 

Demande bien Ton efcovoir. 

Mes il covient chiés li plovoir 
' Se tant avieift que aus chans plueve, 

Que fa mefons n'eft mie nueve 
425 Âinz eft par les paroiz ouverte 

EJ par defeure defcouverte. 

Or fâchiez que mauves meftre a ; 

James plus mauves ne neflra. 

Si herberge ele mainte gent , 
43o Et leu qu*el n'a ne bel ne gent ; 

Bediaus &l bailliz &. borgois , 

Qui .iij. femaines por .i. mois 

LeiTent aler â pou de conte ; 

Por ce que de Tourer ont honte 



de 18 19, i^age 3oo, parle de cette ville ^ qui, selon 
quelques auteurs , passe pour la première où 
le roi Arthur ait établi la Table^ronde, et M. Fran- 
cisque Michel, tome II de son Tristan^ page 182, a 
écrit les lignes suivantes : Cuerlion, Carleon (upon 
Usk), ville du pays de Galles, nommée dans Les 
Triades copime l'une des trois principales résidences 
du roi Arthur, et appelée Urbs legionum, par Geof- 
froy de Monmouth. 

Li bons reis Arzurs teneit 
A Karliiim, cum l'en difeit , 
A une fefte, qui mont coufte 
A UB jour de Pentecoufte. 

(Le Lai du Corn, Ms. de la Bibl. Bodiéienne, n* 1687.) 



La Voie de Paradis. 187 

435 Sont en cel recet receté ; 

Tant i font qu'il font endété 

Et créance lor eft faillie. 

Lors efl la dame mal baillie , 

Quar fes oftes il covient perdre ; 
440 Si ne fen fet à cui aerdre , 

Âus chanoines des granz églifes. 

Por ce que grans eft li fervifes 

Si fen defcombrent en contant. 

Que vous diroie ? il font tant 
445 Que clerc , que chanoine , que lai ; 

Trop i feroie grant délai. 

Luxure , qui les fols defrobe , 

Qu'au fol ne left chape ne robe * , 

Qui mainte gent a jà honie , 
45o Eft bien voifine Gloutonie ; 

Ne faut fors avaler le val. 

Tels entre chiés li à cheval 

Qui fen revient nuz & defchaus. 

Trop eft vilains fes fenefchaus : 
435 Tout prent, tout robe, tout pelice : 

Ne left peliçon ne pelice ; 

Des maus qu'el' fet ne fai le nombre ; 

La fomme en eft en une eflbmbre , 

En une reculée obfcure. 
460 Onques nus preudon n'en ot cure 



I. Les quarante vers qui suivent manquent au 
manuscrit 7633. 



i88 La Voie de Paradis. 

D'entrer laians pori'obfcurté, 
Qu'il n'i a point de féurté. 
Nus n'i va ne riant ne haut , 
Tant foit ne garçon ne ribaut, 

465 Qui corouciez ne i'en reviegne ; 
Et cefle refon nous enfeigne 
Que nus hon ne fi doit enbatre 
Por folacier ne por efbatre. 
Cil dient qui i ont efté 

470 Que la mefon eft en eflé 

Tel' que de glay glagié à point, 
Jons ne mentallre n'i a point , 
Ainz ell la glagéure eflraiige ; 
Si a non Folie & Lo&nge. 

475 La d^me eft moult plaine d'orgueil ; 
Li portiers a non Bel-Acueil : 
Bel-Acueil , qui garde la porte ; 
Connoift bien celui qui aporte ; 
A celui met les bras au col, 

480 Quar bien fet afoler le fol. 
Cil qui i va à borfe vuide 
Efl bien fols fe trover i cuide 
Biau geu , biau ris ne bêle chière : 
De vuide main vuîde proière , 

485 Quar vous oez dire à la gent : 

« A l'uis , à l'uis qui n'a argent. » 

Luxure , qui eft fi grant dame , 
Qui bien deftruit le cors & l'âme, 
Prent bien le loier de fon ofte; 



La Voie de Paradis. 189 

490 Le cors deflruit , la rîchece ode , 
Et quant ele a li tout ofté , 
S'ofte rofte de fon ofté. 
En toz mauves esforz f esforce , 
L'âme ocift & fen tret la force. 

495 Après tout ce fiert fi el maigre , 
Les iex trouble, la voiz fait aigre. 
Ci a feloneffe efpoufée : 
Sa chamberière a non Rdufée , 
Et fes chambellenz Faus-f i-fie *. 

5oo Or ne fai que ce fénéfie , 

Quar tant de gent la vont véoir 
Qu'à granz paines ont où féoir : ' 
Li .i. fen vont, li autre vienent, 
Li revenant por fol fe tienent. 

5o5 « Biaus'douz oftes, ce dift Pitié, 
Bien vous devroie avoii gitié 
D'aler aus leus que je vous nomme, 
Cor véez-vous , ce èft la fomme , 
Que nus n'i vit en fon aage : 

5 10 Si left-ont l'âme de paiage. 
De l'autre voie vous devife , 
Qui trop eft bêle à grant devife 
Et trop plefant qui en a cure ; 
Et feft affez la plus obfcure , 

5 1 5 La droite voie , le droit chemin 
Aufïî plain com .i. parchemin 

.1. Ms. 7633. Var. Fouz-i'i-fie. 



i^o. La Voie de Paradis. 

Por aler à confefle droit. 

Or vous vueil-je dire orendroit 

Les deftroiz qui font dufque là : 

520 Si lais la voie pfi^r delà. 

A délire main , vert oriant , 
Verrez une mefon riant , 
Ceft à dire de bon afère. 
Humilitez la débonère 

52 5 Efta léenz, n'en doutez mie. 
Raconter vous vueil de fa vie : 
Ne cuidiez pas que je vous mante ^ 
Ne por ce qu'ele foit ma tante 
Vous en die ce que j'en fai , 

55o Conques por ce ne 1' me penflai» 

Dame Humilitez la cortoife , 
Qui n'eft vilaine ne bufoife * , 
Mes douce , débonère & franche , 
A veftu une cote blanche 

535 Qui n'eftpas de blanc de Nicole, 
Ainçois vous di à brief parole 
Que li drasa non Bon-Éur. 
Nus n'eft eh chiés li afféur, 
Quar Dans Orguex li outrageus 

540 N'i a pas pris la guerre à geus : 
Soventes foiz affaut li livre ; 
Or oiez comment fe délivre 
Et efcoutez en quel manière : 

lé Ms. 763?. Var. borjoise. 



La Voie de Paradis. 191 

S'ele rift & fet bêle chière , 
545' Et fet famblant riens ne li griève , 

Ce qu'Orguex contre li fe liève. 

Lors acore de duel & d'ire. 

Orguex fi qu'il ne puet mot dire. 

A tant f en part , ne parle puis *, 
55o Maz & confus ferme fon huis : 

Lors qui veut &voir pais , fi l'a ; 

Qui ne veut , (i va par delà, 

Or vous dirai de fon oftel , 

Onques nus riches hon n'ot tel. 
555 Li fondemenz efi de concorde ; 

La dame de Miféricorde 

1 eftoit quant ele acorda 

Le defcort qu' Adans defcorda , 
. Et qui nous a toz acordé 
56o A l'acort au digne cors Dé, 

Qui a , fi com nous recordons , 

En fa corde les .iij« cordons. 

C'eft la Trinité toute entière : 

Cil fainz arbres & celé ente ière 
365 Enchiés Humilité la fage 

Quant Diex priil en li herbrégage. 

Lors porta l'ente fleur & fruit 

Qui puis leifa enfer deflruit. 

Li fueil i font de plifcience ; 
370 Sages hom & de grant fcience 

Fu cil qui ouvra tel ouvraingne. 

La mefon fiet en une plaingne : 

Si font les paroiz d'amillié. 



192 La Voie be Paradis. 

N'i eila pas de la moitié 

575 Tant gent com il i foloit eftre , 
Âinz vont le chemin à feneftre; 
Poft & chevron & tref enfamble , 
Si com je. cuit & il me famble , 
Sont d'un ouvrangne moult johve 

5 80 Si apele on le fuft oUve ; 
For ce le fift , je vous afie , 
Que pais &. amor fénefie. 
La couverture atout les lates , 
Et li chevron & les chanlates 

585 Sont fêtes de bone-aventurc : 
S'en eil la mefon plus féure. 
En la mefon a .vi. verrières, 
lij. par devant &. .ii). derrières ; 
Les .ij. en font, fe Diez me gart, 

590 D'un œvre, fa non Douz-Regart. 
Les .ij. méifmes* font de grâce 
Plus luifanz que cyllaus ne glace ; 
Les .ij. autres , fi com je croi , 
Sont de Léauté & de Foi^ . 

595 Mes ces .ij. font pieça brifij^s 
Et fendues &. esfrifiées. 
Moult par fuit bêle la mefon 
Se il i reperail mes hon. 
Mes tel gent i ont-repairié 

600 Qui fe font mis en autre airié. 

(( Biaus ofle , Larguées , ma nièce , 

I. Ms. 7633 Var, autres. 



La Voie DE Paradis. 193 

Qui a langui (i longue pièce 
. Que je croi bien qu'ele foit morte ^ , 

Verrez à l'entrer de la porte; v 

6o5 S'ele puet parler ne véoir, 

Si vous fera lez li féoir ; 

Quar plus volentiers fé gaimante , 

Sachiez , qu'ele ne riil ne chante. 

N'a en Toftel homme ne fsime 
610 Qui gart ne Toilel ne la dame^ 

Fort Gentillece & Cortoifîe ; 

Et cil ont mes fi corte vie 

Que ne gart Teure que tout mUire. 

Qui orroît une befte muire 
61 5 S'en auroit-il au cuer méfaife. 

Biaus douz olle, ne vous defplaife, 

Alez - i , fe;'s réconfortez , 

Quar trop eft li lieus amt>rtez* 

Prenez en gré fe pou avez ; 
620 Se cefl proverbe ne favez 

Je vueil que Vaprenezk mi : 

L'en doit penre chiés fon ami 

Poi.ou auques, ce (fon i trueve; 

Qu'amis eft, au befcùng le trueve. 
<625 Mainte gent f en font départi 

Qui du leur i ont départi 

u L'auteur aurait pu ici affirmer au lieu de croire 
seulement, car, selon les poètes du XIII* siècle, l'a- 
varice régnait fort à cette époque. 

On trouve à ce sujet, dans mon Recueil ^des Fa- 
iliaux, une pièce assez remarquable intitulée : De la 
^ort Largesce. 

RuTiBKUF. n. i3 



ig4 La Voie de Paradis. 

Çà en arrière une partie. 
Or eft la chofe mal partie , 
Quar la mort, qui les biens départ ^ 
63o Les a départiz d'autre part. 

« Hoftes, jà ne vous quier celer, 
Làfe foloient ofteler 
Empereor & roi & conte 
Et cil autre dont Ten Vous conte 

635 Qui d'amors ont chançon chanté 
Mes Âvarifce a enchanté 
Si les chenuz & les ferranz 
Et toz les bachelers erranz, 
Et chanoines & moines noirs 

640 Que toz eft gaftés li manoirs. 
L'en foloit por amors amer , 
L'en foloit tréfors entamer, 
L'en foloit doner & prometre : 
Or ne fen veut nus entremetre. 

64S Voirs eft qu' Amors ne vaut mes riens 
Amors eft mes de viez mefrien , 
Amors eft mes à mains amère , 
Se la borfe n'eft dame & mère* 
Amors eftoit fa chambellaine, 

65o Qui n'eftoit foie ne vilaine , 

Larguefce muert & Amors change , 
L'une eft mes trop à l'autre eftrange,. 
Quar l'en dit & bien l'ai apris : 
c Tant as, tant vaus . & tant te pris. » 

655 Débonèretez , qui jadis 



La Voie de Paradis. 195 

Avoit les oftes .x. & .x. 

Et .xix. & .xix., 

N'eft prifîé vaillant .i^ oef ; 

Quar bien a .Ix. & .x. anz, 
660 Se RusTEBUKS eft voir difanz, 

Qu'aie prift à Envie guerre , 

Qui or efl dame de la terre. 

Envie, qui plus ot mefnie, 

A la querele defrefnie. 
665 Si a régné dès lors el règne 

Et régnera & encor règne : 

James à régner ne fîn'ra ; 

Mes fe jamais en la fin r'a 

Débonèreté en prifon , 
670 Sans mesfez & fanz mefprifon 

Croi je que tenir la voudra : 

Ce ne fai je fêle pourra. 

Franchife me difl l'autre jor , 

Qui en mefon ert à féjor , 
675 Que Débonèreté n'avoit 

Recet, ne homme ne favpit 

Qui fe meOaft de fon afère ' 

Ne"qui point amaft fon repère. 

Or a tel honte qu'il ne f ofe 
680 Monstrer aus genz por nule chofe ; 

Quar, bien favez, c'eft la coufhime 

Qu'au-defouz eft chafcuns le plume. 

Biaus douz oftes , ce dift Pitiez , 

Gardez onques ne defpifiez 
685 Voftre oftelfe quant la verrez , 



496 L'A VcMB DE Paradis. 

Mes d'une cbofe m« osées » 
Que tels fet fefte & m lri|imt 
Qui ne fct^sfqu'à jFiwllî:pi9ilU 

€ Oftel-trfwercK.ponrTe'&jgftftej, 
690 Qu'il n'a léonc m {gmmmtf^t^* 
Bien fai q«e pioii (kurmiuM : 
Savez portqoi vomus atipôisie^, 
Quar qui a c^Knpaigtnie>ifirif6 ^ 
Bien fai de vmr que pffùt^pnfe 
695 L'aife qu'il a iaiu>cQn|K^gMe ; 
Nequedentaiib n'eft «^ loie. - 
OHes , dites-U dep^r jsoî 
Ne fefmait ne qne ]t mtefaioi, 
Quar j« fti bimi^que tpftiMi4ra : 
700 Jà nulle rinn necdw^ .vaudra 
Fors que l'anipr de JW&i-Cfift : 
Ce trovi9iis.D«ms \fwnim «(km- » 

Dift Pitiez : « ChanC»s« 1»» £|ii»«, 
Qui a efté.fi vaiUant dame, 

705 £11 bien près v,oifiiie celui 
Qui tant a ai^xeràfi toi, 
Qui a non 1>é>bM^i;eté , 
Qui /chièremeot a adMé 
Le&eaviaus aux eaviens 

710 Et les, maufi aus i^itUcioi»»* 

Noftiê oAel verrez M ^cwue;, 
Mes mainte ^at f^nràéùicomtfi : 
Qu'au fbir i vient , f^en va au 1119JQ ; 



La VorE de Paradis. 137 

François font «leveaii'RicMiiBifi^ 
715 Et li ricbr hoimne «ver &ehid&e. 

Cil font preuiomme ^ foM itdie; 

A cels rast mi Ibs %na «tts>«ol$ : 

Li povnsr lKMn< eft li d!roiv Mk. 

Et bien finrhiercn irrité' 
720 Que fe il aifcne Charité 

L'en dira : « Ceft'por (àt iblie 

Et pcr^k'gnmt méîknoolitf 

Qui li efteurtnée en kteAe; •^ 

Ice me fet perdre lu fefte 
72 5 Et le lofa» que g'î «vote. 

Nus n'i veut mes tenir la vmp, 

Fors li moine* de Saiïit'-Vlotor* , 

Quar )e vous dî nus ne vit or 

Si preude-'gent, c/eft ians dbtrtaace. 
73o Ne font ps9 ior DieoB' d» tffr panée 

Comme li autre' mdina' Ibac 

A oui tca> biens déchiecdi font. 

Ce font cil qoî Poflei maindeocnt,. 

Ce fout cil qui en kv maia^fienent 



I. M. Paulin Piiri^ ineduit d(< Of rfliwc>;0ùi Rute- 
beuf fait des compliments aux moines éeiâahit- Vic- 
tor, qu'il pourrait bien s'être retiré, vers la fin de 
ses jours, dans leur maison^ d'autant plus que, se- 
lon lui, le ton gétiéral à^La.Vak'd€ Pm^ ué^ semble 
révéler, dan» açn. auteur» « un' mofnr pla^ gÊfiHfi 
écrivain du siècle. » J« n'ai ni à blâmer ni à louer 
cette conjectpre, mais j^ dois faire observer que ce 
n'est qu'une opinion purement personnelle que rien 
de positif ne vient appuyer.v 



r 



198 La Voie de Paradis. 

735 Charité & Miféricorde , 

Si com lor oevre me recorde. 
Encor raconté li efcriz 
Que Charitez c'eft Jhéfu-Criz , 
Bor ce dient maintes & maint 

740 Que cil qui en Charité maint 
Il maint en Dieu & Diez en lui. 
Charitez n'efpargne zlului , 
Por fe (i me merveil moult fort 
C'on ne 11 fet autre, confort : 

745 Nus n'i va iriez n*a mal aife 
Que la mefon tant ne li pkife 
Que toute rancune là pert : 
Ce poez véoir en apert. 
Por ce lo que vous^i ailliez, 

750 Que ce voiis eftes traveilliez, 
Léonz repofer vous porrez 
Et tant eftre com vous voudrez. 
Nous voudrions, por vous efbatre, 
Por .i, jor vous i fufïiez .iiij. 

765 Tant vous verrions volentiers ; 
Et bien fâchiez que li fentîers 
I fut moult plus batuz jadis 
De cels c'or fpnt en paradis. 

Prouefce , qui des ciex abonde , 
760 Qui n'cft pas en fervir le monde, 
Mes en cel Seignor honorer 
Que toz li mons doitaorer, 
A dè$ or mes meitier d'aïde ; 



> * 



La Voie ds Paradis. 199 

Quar je vous di que dame Accide, 
765 Qu'à toz preudommes.doit puir , 

L'en cuide bien fère fuir. 

Moult i a ia des fiens laûez : 

L'uns eft bleeiez, l'autre quafles; 

Li autres par fa lécherie 
770 Efl entrez en Tenfermerie 

Por le cors ef batre & déduire ; . 

Li autre doutent la froidure ; 

A l'autre trop forment renuit 

Ce que il veilla l'autre nuit ; 
775 Si doute du cors enmaigrir. 
* Itels genz fi font enaigrir 

Le chant de Dieu & les chançons; 

Il aiment miex les efchançons 

Et les kex * et les bouteilliers 
780 Que les chanters ne les veilliers. 

• Je ne vous ofte de la riègle 
^ Ne cels d'ordre ne cels du fîècle ; 

Tuit ont à bien fère leflîé , 

Et f en fuient col efleflié 
785 Tant que la mort lor toit les cors. 

Or n'a la dame nul fecors , 

Et ele fî voudroit veillier, 

Et jeûner & traveillier, 

Et efcouter le Dieu fervife ; 
790 Mes orendroit nus ne f avife 

t. Qiiex, queux, cuisinier. 



200' La Voib de Pauadis. 

A fère ce qu'ele eocnmande , 
Quar nus enrefs li ne famande,. 
Fors une gent qui eu venue 
Qui dient qu'il Tont retenue ; 

795 Et Cxi font de fesenfachié^ , 
Et dient que il ont ÙLCtlé 
Lof ordre des fez aus apoftres. 
Por lor meffex & por les noftres 
Dient il bien tout fanz doutance 

800 Que il font autel pénitance 
Com Diex & fi apoftre firent; 
Ce ne iài je fe il empirent 
Et fifl feront fi com maint autre 
Qui ibloient géfir en ptautre ; 

8o5 Or demandent à briez paroks 

I^s bons vins& les coûtes moks^ 
Et ont en leu d' Umîlité 
Pris Oii^ueil & Iniquité» 

f Abftinence , la fuer Relbn , 
810 Efl prefque feule en lia mefoa 

Qui tant eft délitable & bek ; 

Si n'eft pas en ordre ruele, 

Ainz la porrez yéoir à plain» 

Or n'i font mes li dois £ plaia 
81 5 De gent comme il foloient eflre : 

Or vous vueil dire de fon eftre : 

Toz les .vij. jors de la femaine 

I. Les Frères-Sacs ou Sachets^ établis par saint 
Louis ea 126 £. ( Yoir^Lg Dit des Ordres àe Paris:^ 



La Vcfîfi DE Paradis. 2<w 

Eft vendrediz ou quaranti^iïe 

Léenz, cevdUd'iîKr'afevoîr'; 
820 Et fe n'i piiet! oiv po^is^mir* 

Tel chofe tf FM tn WfSkfemUi 

Por <$«'éh l'ètt^qu'âfifez'el^ergtie 

De biteti' li pfcmdém qui ntiVm^ 

Qui AbllinIsfneiK VÉlpéist; 
B25 Je di qa'tHlà bli^ft t^lf, 

Quar ne tu puÂsr-Ie ieii»^ÂA>cf 

Mefeii' # bêlé n»^ isMitt' : 

MefonfU, ôr eil meibfiete ;' 

Goniirrer^* eti fb- chàrpciMi«rs ; 
83o Bien fu fes eueirs fins i& entitw^ 

A la mefonfbnder^ f^pt. 

Moult eft li leus de bel afère 

Et moult î dure grant tennîne 

Cil qui léenz fà vie fîne^ 

835 I Li preadowme, li ancien 

Ont lëenz .i. ^llcien 

Qui tanrpareff de franche onne 

Qu'il garift fen2 véoir orinc ; 

C'eft Die* , qui flfîque fèttoute , 
840 Qui mouît aime la gent fanr dbutè * 

Qui repèrent crHiés Aisfttnant)» , 

Quar a20ttl^eii.iû.hele fem^ace. 

« Chaffée la nete , la pure , 
Qui fanz^péchîé & iian^ ordure 

I. ConfirrerSj prHwVÎQW. 




4 



ài«l..7»i8^«.7<>33t 




sQ^A9TetiRs Al auctnrkes 
S^aGordettt quB* c'eft ivéfritfer 
I Qvî efV oileu9, de tégier pèche , 
Et al fàme trafaiA' ft trtchie 
5 Qui fânz orayrer fil vie fine , 

i. Legrand d'AiH^ «r donné. U9 extrait de cette 
pièce^ qui date de 1270 environ et du vivant encore 
de Louis IX, dans le tome V des Notices des ma- 
nuscrits, page 404. Pkrmi' Its réflexions qui précè- 
dent son extrait, ili oti a dtcigé ooiiXTBi saiBitt Louis 
quelques-unes qui.nouS' oAt paru lort inljostr^, mais 
qui n^étaient peut-être que sévères, à. l'époque où 
Legrand d'Aussy écrivait (an VII de la. Rî^pu5Iique ). 
Toutefdis nous ne crdyonspafl'qu^on'paiése*, ft* moins 
d*étre aveuglé par fes^itdep^rtrv. SDVteohrtAijour- 
d'hui que Louis IK^JhI Pu» dessouverains le$,fkis mé^ 
diocres et même Vun des plus funestes qu'ait eus la 
France, PçutF-étre ce prince, eut-il tort, de -«outeoir 
aussi vivement quiil le fhr tes ordres* rdi^ux, au 



La BatiAille de$ Viçps^ ^tc. ao3 

Quar tel vie n'jefi oûe jQae , 

Por ce me viijeil â oevr^e mètre 

Si corn je m'en.fai eatremeuie : 

C'eft à rimer * ime,«iattre 
I o Au leu d'0ttvi;er, à ^ aaa'atiw , 

Quar autre QMvminj^ne «e îCai ftre.^ ; 

Or entendez à moaafàre : 

Si Qrrezde .1]. ordres. laime$ 

Que Diex a ^léus^ea .maintes 
1 5 Qu'aus vices te ù^M. comhatii,» 

Si que vice ibot^batu 

Et les vertuz 6)nt^aiucie$ ; 

S'orrez c(HOO)eat.els.(Qat haucies ; 

EtQommootvilce.iQnt viaincu. 
20 Humilité par Xop relcu 

A Orgueil a la^torre oii^^-i 

détriment 4«s fipfpontioi^t'Mifk .ét^bHos» li^ties que 
l'Université^ p«r eze^oplej mais Ae cdLiù Aute (en 
admettant qu^il y en ait une à cela) aux assertions 
de Legrand d'Aussy, il nous «etnble que la distance 
est grande. La piétéiexcnCme ideisàint Louis ëtait re- 
levée par d'émin«Q^es -^.uolités, ^t si .nfMU» voyons 
aisément en quoi soo r^gAe a été ^glpiûeux ^ur la 
France , nous n'apercevons point avec autant de faci- 
lité bn quoi il lui a été funeste. 

La Batailledes MieeSiOantr^ies fVw1$is^t9X , comme 
beaucoup d'autres pièces de RuHsbeul» UO^ satire 
contre les Jaçpbias «t Ifls Corddiejs. 

1. Ms. 7633. Var. ouvrier. 

2. Rutebeuf nous dh, -en efiet, -dans^k pièce inti- 
tulée: Le Mariage Rutebeuf, qu'i7 n'est pas ouvriers 
des maimu 



2o6 La Bataille des Vices 

Qui tant eftoit fes anemis. 

Larguece i a mis Avârifce , 

Et Débonèretez .i. vifce 
2 5 Con apele Ire la vilaine ; 

Et Envie , qui partout raine , 

R'eft vaincue par Charité. 

De ce dirai la vérité : 

Çeft or ce que poi de gent cuide. 
3o Proefce r'a vaincue Accide ,* 

Et Abflinence Gloutonie 

Qui mainte gent avoit honîe 

Et mainte richece gallée. 

S' orrez comment dame Chaflée , 
35 Qui tant eft fine & nete & pure, 

A vaincue dame Luxure. 

N'a pas bien ,lx. & x. anz, • 

Se RusTEBuÉs eft voir difanz * , 

Que ces .ij. faintes ordres vinrent 
40 Qui les fez aus apoftres tindrent , 

Par préefchier, par laborer, 

Par Dieu fervir & aorer. 

Menor& Frère Prêchéeur, 

Qui des âmes font pefchéeur , 
45 Vindrent par volenté devine. 

Se di por voir, non pas devine, 

S'il ne ftiflent encor venu 

Maint grant mal fuffentlavenu 

Qui font remez & qui remaingnent 

X. 7633. Var. Se bonë gent funt voir dizans. 



Contre les Vertus. 207 

5o Par les granz biens que il enfeignent. 
Por prefchier humilité 
Qui eft voie de vérité , 
Por l'eflaucier & por Tenlivre , 
Si comme il truevent en lor livre , 

55 Vindrent ces faintes genz en terre : 
Diex les envoia por nousquerre. 
Quant il vindrent premièrement 
Si vindrent allez humblement : 
Du pain quiftrent, tel fu la riègle , 

60 Por ofler les péchiez du (iècle. 

S'il vindi^nt chiés povre provoire , 
Tel bien comme il ot , c'eil la voire» 
Priftrent en bone paciance 
El non de fainte Pénitance ^ : 

65 Humilitez efloit petite 

Qu'il avoient por aus eflite : 
Or efl Humilitez greignor 
Que li frère font or feignor 
Des rois , des prélas & des contes. 

70 Par foi , fi feroit or granz hontes 
S'il n'avoient autre viande 
Que FEfcripture ne demande ^, 
Et ele n'i met riens ne olle 
Que ce c'on trueve en chiés fon ofte ', 

1. Wayez, dans Z^ Dit des Règles, ur.e critique 
semblable. 

2. Ms. 7633. Var. commande. 

3. Allusion à ces paroles de Jésus-Christ : c Prenez 
ce que vous trouverez* » 



L 






.^08 • La Eataili-ç de* Vices 

C'Orguex a^mt JU necréo^ ; ' 'x: 

Orguex fen vai, IHeKle^Qiavftfit., 
Et HmaSIitgz 'vient lansunt.; 
Et -or îeft ibiftn dffoi^ ^âc ftefaa» 

Et bîAiis p«lAt$ ^ beU» ftie», 

Maugné ^laùtc» , ks iaogiMs ;0[«lo& , 

Et lfi,Ri7ST«s«ffiF:lx>]ftt:prM»terfi| : 

Qui 4'm\is blafiflicr 6x omftiiittmTS 

^:85 Ne vaut 'û mkxc'IUmilifié ' . 

Et la /Sainte X^iviaité ^ ^ 

Soit léue emtûsA pafeis« 

C'on lift d^aunafafis ilcifk.laia ^ 

Et de Paroir an meillor toi * 

^o Conques encor hfîtfk 4K£n3à » 

Que ce don ieoanift la terre 

Où li fol imot iiilie jqufinriie; 

Conftantmoble ^^ fb ottamme? 

» » 

1, Divinité* — Voyez Tezplicatîan de ce mot; â* fa 
-fin du Dif des Jacobins. 

2. Legrand d'Aussf a miê fcl- cette ftéte : c C«n§^ 
tantinople, prise par -les «liatîns e& '1304^ avait été 
reprise, en i26i,jpar Michel.PaléQlogue*Cee mots^ 
recouvrement de Cpnstantinqple annoncent donc qfde 
c'est postérieurement à l'annAe 126 1 que 'ftutel?eiïf 
composa sa satire. D'un autre côté, comme il écrivait 
flOMB saillit Louis ec que ce priaoe mourut en' 1270, 
il s'ensuit qu'elle parut en 1270, et que, pàt Mmsé- 
quent, il se trompe qtiftnd il dit qu^l y Mfmxt ^us de 
fixante €t dix om^ ^que les deosK ovdrss étaient iïistf' 
tués. L'un est de l'an 121 5 et l'asitse de 'i9i6Ln Par 



CoNTR« LES Vertus. 209 

Se Sainte Yglife efcommenîe, 
^5 Li Frère puéent bien aflaudre, 
S'efcommeniez a que faudre. 
Por miex Humilité defifendre , 

le.fiùt» le raisonnement de Legrand d'Aussy-eat 
juste^ et le vers .de Rutebeuf n'est pas. exact; mais 
Legrand d'Aussy avait , pour s'assurer de quelle épo» 
que datait \a Bataille des Vices, un moyen bien plus 
simple que de chercher chicane â propos de quelques 
années à notre poète, car dire qu'il a composé sa 
pièce avant 1270^ parce qu'il écrivait sous saint 
Louis et que ce prince mourut avant cette époque, 
n'est pas un raisonnement fort concluant, .attendu 
que notre poôte vécut et écrivit bien au-delà de l'é- 
poque précitée. li allait tout simplement, pour ren- 
dre cette preuve logique, parcourir la fin de la pièce, 
où il est dit que xnaître Chrétien était mort quand 
Rutebeuf écrivit sa Bataille. Or Chrétien mourut de 
1269a 1270, ce qui précise la date d'une façon inat- 
taquable. Mais Legrand d'Aussy (et ce n'est pas un im- 
mense tort) ignorait ce que c'était que maiïte Chrétien, 
Nous avouons bien nafvement que nous ne le saurions 
peut-être pas davantage si notre projet de donner 
une édition de Ruteb^f ne nous avait fait étudier 
les querelles théc^ogiqueS du XllU siècle. Mais ce que 
je pardonnerai moins volontiers au spirituel traducteur 
de nos fabliaux, c'est d'avoir mis à la fin de son 
analyse la note suivante : • A la suite de la satire de 
Rutebeuf, le copiste du manuscrit en a par erreur 
inséré une autre qu'il confond avec la première, 
quoiqu'elle en soit distincte. Dans celle-ci les Jaco- 
bins, à la vérité, sont maltraités comme dans l'au- 
tre; mais il s'agit de leur querelle avec l'Université 
et avec Guillaume de Saint-Amour, ce fameux cham> 
pion qui combattit contre eux avec tant de cott-> 

RuTBBEUP. II. 14 



aïo La Bataille des Vices 

S'Orgue?c fe voloit à li i^ndre , 
Ont fondé ,ij . palais li Frère , ^ 

loo Que foi que doi l'âme mon père ^ 
S' de avoit léenz à mengicr ^ 

Ne fire Orgueil ne ion dangier 
Nç priferoit vaillant .i. oef ^ 
Deçà .viLj. mois, non- deçà. ix. 

io3 Ainz atendroit bien dès le Bégr 

C'on li venift lever le fiége . 1 

, . Or parlent, auçmi mefdifo^t 
- Qui par le pals vont difant 
Que fe Diex avoit le roi pris ^■ 

I lô Par qui il ont honor &. pri§, 
\ Mult feroit la chofe changie ^ 
Et lor feignorie efbangie ;• « 
Et tels lorfet orhèle chièré ' ' 
,Qui pou auroit lor amor chière , 

rage et si peu 'de succès^ Ce sujet, bien qu'anal^g^ae t 
n^ft liea de commun avec ia. Batâkille des Vices Con-. 
tre . Us Vertus. Évidemment . JUsgvand d-hvUsy. se 
trompe : tout le dernier a^in^ de potre pito en foit 
certaipem^nt partie intégrante et n'a point été ajouté 
par Iç copiste. Il est iiaém^ tout simple qqe Rutebeuf , 
qui vient ^ la fin de Talinéa précédent ^e parler de 
Chrétien, parle au commencement de €^b*ci de 
Guillaume de Sainte Amour, collègue du. premier» 
et q^i souffrit pour la même cause des per8éctttkm& 
énçpre plus grandes, 
.ri, Ms.7633, VAR.-oef» 

^^f, Q^ pas^^e et celui de la page suivante, où saint 
Lpuis est «n(Hnmé comme étant vivant, prouvent 
clairement que cette pi^ce a 4técompoaiëè avant 1270. 



GONTRB LES VeK/TUS. XI» 

1 1 5 Et tets k» bi tenUnt cTtvior 
Qui oele fet^foca par «misDc. 
Et je refpont à lor pcroiesv 
Et di qfufekfant Taincs* Ai -nàm. : 
Se lî Roîs^ fe$ enu ams . faumsTus 

1 20 Ëtii de fcs bieasrlor aumofrie: 
. Bt il on. pc£Kncnc y il font ^ma v 
Quar il isBrieT6Qtpas>OQiDbien« 
Ne com longnos oe poacduœL 
Li fages hom fe:doic lanonsr 

123 ^garnir porcaieoie dfa^âiot : 
i%r c& YCHts. di. ,. fe Diex m&iîam ,, 
Qu'il n'en font détiens àhktfmer. 
Se Ten loc £et &mbUnt: dhisur 
Il en fevent aucunes chafe : 

1 3o Por ce ont il & bieoi lortoact «èofa:^. 
Et por cdifontii ce. qu^il ibsti 
L'en dit nMuvàs. ûmdemeoii fiNUt ;, ' 
Por ce font, il lor fondement. 
En terre fi parfiindéinent ,» 

1 3 3 Quar fil eiWûit demain diétt& 
Et li rois Loys fuft feus ^ 
lî fepenffent bien tout Fatère 
Que il auroient mult à fère 
Aiiu. qu!iX éuflent porchacié 

ii4a> Tel ioéii éomme'. iltont bisffîé' : 

I I. Ce passage prouve que La Bataille des Vïces litfi 
éciite:9v««it lit mort de- saint Louis , probablârmttit 

I peu ém. temps atoxit' son départ pour Tunis , &t pewtt- 
être même qu*il était devant cette place. . > 



212 La Bataille des Vices 

Le bien praingne l'en quant l'en puet, 
Con ne le prent pas quant l'en vuet. 
Humiliiez eft (1 grant dame 
Qu'ele ne crient home ne famé , ;, , 

145 Et li frère qui la maintienent 

Tout le roiaume en lor main tienent; 
Les fecrez encerchent & quièrent ^ , 
Partout fembatent & fe fièrent : 
S'on les lefl entrer es mefons 

1 3o II i a .il j. bônes refons : 

L'une efl qu'il portent bone bouche, 
Et chafcuns doit douter reprouche*, 
L'autre c'oh ne fe doit amordre 
A vilener nute gent d'ordre ; * 

1 55 La tierce fi efl por Tabit , 
Où l'en cuide que Diex abit , 
Et fi fet il , je n'en dont mie 
Ou ma penfTée efl m'anémie. 
Par ces refons & par mainte autre 

160 Font-il aler lance for £siutfe ^ 
Larguece defor Âvarifce ; 

1. Ce passage, qu*on peut rapprocher de plusieurs 
autres de Rutebeuf qui contiennent les mêmes repro* 
ches, est très-important; il confirme la vérité des 
paroles de Guillaume de Saint*Amour lorsqu'il ap* 
pelle les Dominicains ^eudo^prœdicatorety otiosos, 
pénétrantes domos, thaîamorum regalium suHnlra- 
toreSf etc, 

2. Voir p<mr cette expression îance sor fÊidrt, 
une des notes de la septième strophe du DH M J^ 



Contre les Vertus. 2i3 

' Quar treftoute la char hérice 

Au mauves qui les voit venir : 

Tart li eft qu'il pu*fle tenir 
i65 Chofe qui lor foit bone & bêle ; 

Quar il fevent mainte novele. 

Si lor fet cil joie & fefte 

Por ce qu'il fe doute d'enqùefte , 

Et font tel tenir à preudomme 
170 Qui ne foit pas la loi de Ronime. « 

Âinfi font large de Taver , 

De tel qu'il devroient laver 

Le don qu'il reçoivent de lui. 

Li frère ne doutent nului , 
175 Ce puet l'ea bien jurer & dire. 

De Débonèrèté & Ire 

Orrez le poingneis mortel ; 

Mes en l'eilor i ot mort tel , 

Dont domages fu de fa mort. 
180 La mort, qui à mordre Tamort 

Qui n'efpargne ne blanc né noir, 

Mena celui â fon manoir. 

Si n'eftoit pas mult anciens , 

Et ot non meftre Crestiens ^ 

i85^ Meftre eftoit de divinité « ; 



' lé Crestiens ou Chrétien , chanoine de Beauvmis^ 
l'un des collègues de Guillaume de Saint-Amour, et 
qilf^^a à Rome avec lui pour la défense du livre des 
'fi^Us, mort vers 1270. 

2. J'ai dit plus haut qu'on appelait ainsi la théo- 
logie. 



214 L^ Bataille des Vices 

Pou vtfteirmès devin it<é. 

Débonèret«t Stètme Ite, 
Qui iovent a'meftfer d« mïvt^ 
Vindreiit , lor gem; toutes -^eKigîes , 
190 L'une des açiiti>es''eftrtttigies , 

Por ite>oit iMnr48t por dréit pendre. 

Li mW Jtcdbîn i ^iurent 

Por oïr di^t fi comme il dtitenr, 
1 95 Et GuiLLAVME de Sftrnt^Amor ^ ; 

Quar H «vbîetit fet JsâMmcfc 

De (es feitiMms , de Tes parole». 

Si mVxft avis ^ue ^sqâ^ftolês ^ 

Bani icel meftre Gvtlulvu^^ 
200 D'autruî terre & d^autne tolanmè. 

S'il a partout tel avantage* , 

1. AlexanKbe IV fut élu pape en. va54 et mourut 
en 1261. 

2. L'Univenité fit des quêtes pour subvenir aux 
frais de voyage de Guitlaume de Sàiflt-Aniour et de 
ses compagnons, <)ui étaient Eudes de Déual, Nico- 
las de Bar-su^-Aube et Chrcttiena; aats. le produit 
n*en fut probablement pas aaifisaaC:, pnisgiie, plus 
tard, Guillaume fut autorisé à retirer, sur les biens 
de l'Université, les avances faites, par lui pour ce 
pcwAt, tet à nnpnater, m liypothâ(|iMmt de ses 
l>iena, k Mmane .de :3!0». livres taumoià^ 

3m lOn retrouve (£uiie mani&it très^eiaûlè lea mêmes 
arguments dans la complainte^ GuiUattwte de Saint. 

4. Henri Estîenne, dans son Apologie pour Héro- 



Contre iES Vertus. 21S 

Baron î ont honte & domage , 

Qu'ainfî n'ont il rien en lor terre 

Qui la vérité veut enquerre. * 
^o5 Or dient mtilt de bone gent , 

Oui il ne fu ne bel ne gent 

Qu'il fuft baniz^ c*on li M tort; 

Mes ce fâchent & droit & tort 

C'on puet bien trop dire trop de voir ; 
210 Bien le poez apercevoir 

.Par ceftui qui en fu banis. 

Et fî ne fu mie fenis 

Li plais, ainz dura par^ grant pièce *; 

dote, dit, en parlant de Guillaume de Saint-Amour^ 
livre I*'^ chapitre XXX:: a II faut noter queceluyquî, 
-environ Pan 1260 ne fut que banni , s'il euft été trois 
cents ans après, il n'euiî pas eflé quitte à û bon 
marché : mais çn Teuil ^Eiit éifputer contre les bour- 
rées et les fagots^ auffi bien qu'on a fait à une infinité 
d^autres depuis cinquante ans. § Ce n*en fut pas 
moins une chose curieuse et que Rutebeuf relève en 
plus d'un endroit, que de voir le pape s'arroger le 
droit, lui souverain étranger, .^e bannir (comme il le 
fit), du royaume de France y des gens qui n'étaient 
pas ses sujets. Guillaume de Nangis fait remarquer, en 
outre, que le Livre des Périls fut brûlé à i^guani : 
a fioH propter haresiam quam continebat^ su quia 
montra prœfatos réligiosos ieditionem et scandala 
-concitabat, » 

1. Ms. 7633. Var. puis. 

2. Rutebeuf a parfaitement raison : le souvenir de 
cette querelle dura longtems, et Guillaume laissa 
après lui une réputation d'éloquence , de courage et 
•de fermeté qui lui survécut de beaucoup. Nous en 



r 



$ 

V 



21.6 La Bataille des Vices, etc» 

Quar la cort, qui fet & depièce, . 

21 5 N'ut Guillaume de Saiat-Amor, - . 
Et par prière & par cremor. 
Cil de cort ne fevent qu'il font , 
Quar il font ce qu'autres desfont ^, 
Et fi desfent ce qu'ajitres fet ; 

220 Ainfi n'auront il }amès fet. 

trouvons une preuve dans le Roman de la Rose 

« Qai de mendiance vuet vivre 
Faire lepuet non autrement, 
Se cil de Saint^Amovr folment. 
Qui defputer favoit & lire. , 

Et preefchier oefte matire 
A Paris arec les devins .... » 

Ailleurs, ^ean de Mung dit encore : 

« Et je ne men tiroie mie 
Se je dévoie perdre la vie 
Ou eftre bannis du royaulme 
A tort cutn me/ire Guillaume 
De Sahtt'Amour qu'Ypocrific 
Fift eOilier par grant envie. » ' 

I. Ms. 7633, Var. 

• Cil de cort font bien ce qu'il font, ... 

Car il défont ce qu'autre font 



*î. 



«rpltât 
la BfltttUU ïw lêictf cfintvt Im Utrtig: 




fa iTedUn» )«1pf>(icmt< et ^'VmUiUi, 

<ta ri mtemuaut 

•> •• • 

Mb». 7615, 7633. 




u temps que les cornoîUes braient, 
[Qui por la froidure f efmaient 
iQui for les cors lor vient errant , 
Qu'eles vont ces noiz enterrant 
5 Et f en garniffent por l'iver, 

I. Le sens de cette pièce est très-obscur, et d'au* 
tant plus difficile à découvrir que Rutebeuf, sans 
doute par suite de quelque mésaventure, le dissimule 
expfès. Cependant la fin du po€me nous en donne la 
clef. Il s'agît évidemment de l'élection, faîte en 1271, 
après trois ans de vacance du siège pontifical de Thi* 
baud, archidiacre de Liège, sous le nom de Gr^ 
goire X^ pour succéder à Clément IV. Le poôte n*ose 
pas i'expliquer trop clairement; mais toute èa fabu- 
lation, dans laquelle on trouve une énergique pein- 
ture des abus de la cour de Rome, tend à nous ap- 
prendre enfin l'élection du nouveau pape, qu'il dési- 
gne galamment sous le nom de Courtois. Pour qu'on 



ii8 La L^ecti ôît* .fi*Y:p:ociwsiE 

Qu'en terre ibnt'Gstfé 11 T£r 

Qtti fcn Hïtrent por l'èflei ^ 

Si y ont par le chaut eftei , 

Et la froidure f achemine * , 
10 En fe tens & en ce termine 

Où Je béu à grant plentei 

Bntm tin que lîictRt A\ne>it ^Aàtifèi 

La vigne &.fÎQiUei le via^^ 

Ce foir me jeta fi fovin 
1 5 Que ip'iendémi en efl& ^ad ; 

Mes éfperîz ne dormi pas , 

Ainfois ch^abna jtouterauit. 

Or efcouteiz , ne vos anuit, 

Si orroiz qu'il m'avint en fonge 
20 Qui puis ne Tu mie mentonge, ' 

Ce foîr ne fui point efperi^ 
Ainz cheniina jnes efperiz 
Par mainz leu èi par mainz j^ays. 
En une grant citei.layz3 

«« .t'y trompe (pè&„ il a h^v^ acâsi de i nouft. dire «i^e 
l^éiftctioA .fttÎM^^.il .fiepflAs^ imsiédiateineDt ks moHts 
4e MoHgieUt c'^est-^à^^dise ks AlpMk* 'Oofiime on les 
.désigna soav{eot.daAftJV9fi vieux jxxBan^^dfit^te : ce 
^\» prDuw.%u% s'j^t bÂen d'une. <^cak»Âite à la 
>ۉtir deJEiome. v 

M. Eiit«beuf;a«ri|iontceâd xrhsHèj£fc%^Gmc J^élection 
.du>^c4)e ;aouv39au «eut Ueu au mw» ^de-A^tembre, 
v.'«#t;nàr^ii» lea Automne^ Batsoa dpnt y. iiit U des- 
cription. 
, 2, Une f^rax^t «itei %-f , (fogx-BrdkQj^mnp* 



Et D'4Jil:iLiTE.I. 249 

25 Mt fismhla.que .je mfaceftoie., 
Car tn^ ionoient iafleiz leftote , 
Et c'efk>itgnuitifMièâe.«pTà6.ixo«i0. 
Uns pfeudons vînt : û mtabaiuloiie 
Son hofteil imr moi hafacvg^er. 

3o Qui ne cenbhùt^tiiÂe'foerBicr^ 
Ainzitt OQvlois êi déboasârfes : 
£1 païs n'a àt («il ^eaxjgtïaâaùs , 
Et (i vosidi tsneftotiiiRis^lle 
Qu'il n!eftoic mi£*ée k vik 

35 Ne:ii-i avi>k£ooor«âd 
C'tsne paitiLe de J-fiftct * : 
>G1 m'enmcflHL/en ii.maifoa ; 
Et (I vos di fC^OA^fufiBBBAis^hom 
LaiTeiz ne fîi fi bien venuz : 

40 Mor^fui^meiz (kohier tesul!, 
Etixonorétt par le prendoume ; 
. . £t U m*enquill : « Çammjent .vous nouxne 
La < gem >de ^vsoftve ico&iifiuiae <? ;» 
— a Sire , fâchiez bien, iians dou tance , 

45 Que hom m'apelle Rufebdef, 
Qui éll drs de rude âc de buef. » 
— - f RuTËBûBF, biatt «^ dotilziami«, 
P.ùifqiie 'Dieux laians vous a mis 
Moult fui Jiez de yoflf e .v.enui^ 

ào Mak&tfe paitok AvûQs vtemie. ^ 

As 'T^uft^oedi est tKàB^iact.Thiëaiid n^élait. pas Ro- 
main; ilianrait Aéidnmolae aie <Lyim« (psis mrchi- 
diaonecke Liè^Ci et il ne résidait ùnê k iv&lle létcff- 
xielleque depuis api i v mm (dix . mois quand il iit ^u. 



220 La Lections d'Ypocrisie 

De vos, c'onques osais ne vousvéifines, 

Et de voz dis & de voz rimes 

Que chacuns déuft conjoïr * ; 

Mais ii coars ne*s daingne oTr 
55 Pour ce que trop y a de voir. 

Par ce poeiz aparfouvoîr 

Et par les rimes que vous dites 

Qui plus doute Dieu qu*ypocrites ;^ ' 

Car qui plus ypocrites doute 
60 En redoutant vos dis efcoute 

Se n'eft en fecreit ou en chambre ; 

Et par ce me fouvient & membre 

De ceulz qu'à Dieu vindrent de nuiz 

Qui redoutoient les anuiz 

I. On voit ici que notre poète avait de lui une 
certaine opinion, puisqu'il prétend que l'on connais- 
sait ses rimes et ses dis jusqu'à Rome. Il a, du reste, 
lAanifesté cette opinion en d'autres endroits de ses 
œuvres y témoin Le Mariage Rutebeuf^ où il dit : 

« L*en fe faine pann! la ville 

« De mes merveilles. 
« On les doit bien conter aux veilles, etc..» 

Je serais, du reste, assex porté à croire que ses en- 
nemis même avaient contribué à la lui inspirer. 
Ainsi le pape Alexandre IV voulut faire brûler à Pa- 
ris, non-seulement le livre des Périls des derniers 
temps, mais 'encore a qnelques autres libelles fameux 
en iftfamie et détractation des Frères^PrécheUrs ^ 
ainsi que des rhythmes et chansons. • Il est probable 
que certaines pièces de Rutebeuf se trouvèrent a^rr. 
prises dans la proscription. Cela put^ à coup sûr, 
donner quelque orgueil à notre poète. 



Et d'Umilitei. 221 

65 De ceulz qui en croix mis Tavoient 

Que félons & crueulz favoient ; 

Et fi r'a il une autre gent 

A cui il n'eil ne biau ne gent 

Qu'il lesoent; fes oent il. 
70 Cil funt boen qui funt doble oftil ; 

Celx refemble U beiaguz * : 

De .ij. pars trenche & eitaguz; 

Et cil vueient fervir à riègle 

Et 3rpocrifie & le ûècle. 
75 Si r'a de teilz cui il ne chaut . 

S'ypocrite ont ne froit ne chaut, 

Ne c'il .ont ne corroz ne ire ; 

Cil vos efcoutent bien à dire 

La véritei trefloute plainne 
80 Qu'il plaidoient de tefte (ainne. > 

Ne feroit ci pas li redéimes ^ 
Des paroles que nos déîmes 
Conteiz à petit 4e féjour ; 
Ainfinc envoîames le ^ur, 
85 Tant qu'il fut tanz de table mètre , 
Car bien fen favoit entremetre 
Mes hoftes de parleir à moi 
Sans enquerre ne ce ne quoi. 
Les mains lavâmes por foupeir : 
' 90 Mes bons hofles ne fift fopeir, 

t. Ce nom s'est conservé jusqu'à nous : la besaigué 
est Un instrument dont se servent les charpentiers. 
1. Redéime, dixième du dixième. 



'2.%'Ji LA'LeCTIOMS D'YPaCRISIE 

Et me fift iiioiir àfa coAk : 
Hom puetfaîenûdllir àteilihote; 
Et delez moifafiiftik mdra, 
Qui xi'eAxnt'viUéne n'amère. 

95 NeTos vaeLâiiieloiigiM'i<A>le : 

Bien fûnïes fervil à la» tsbk. 

Affeiz béôfne» de. ii»i»)âaivs* : 

Après mangrer ler.Kitinsi^lavlhMs; 

S'alâmes eibacvéttlpraeL 
1 00 J'enquis au pneudoiiitt UÀd 

Coument xi eUbiti apclëw\ 

Que ceft no» m me foft ocleic ; 

Et il me.dift :* » Jfai non Cortois ^ 

Mais ne ma prifent ,'u namois- 
I o5 La gens: de' cefte régioo ; 

Ainz fui en grant confufion , 

Que chaonn d*euk ne monftre ao doi , 

Si que ae iai quefatm dk». 

Ma mère t'a noirGortoifiei 
1 10 Qui bien eft ipats^eniciMt^teifie, 

Et ma famé a non BtlèMChîèise , 

Que forvenane avoienrohièoev 
Et li eftrange & li ptà^^i 

Quant iLoftoient avivei ;. 

1 1 5 Mais cift l-odftnBmr au'<Teinr 

Tantoft qiifiUla porentt tenir; . 

Qui Bele-Cbière vUet avoir, 

H Vachate.de C)ïi,avojr. . 

Il li'ainmeot joie a« déd^jti; 



•Et Q'UMU«irfijb^ 223^. 

1 20 Qui lor dooee j û ha% dédbit , 

Et le;s^fo]Met^}c»id0ponift^ ;. 

N'inu poyres-ns'i pafeelaporte 

Qui ne puet dofMÎr ÛMiz^potEiictre. 

Qui n'a aifetz. k main où mctoB. 
1 2 5 N'atende paSiqWiL iai& : cfanose: 

Doncfaions li;iicifigat àil» paccl^S. 

Ainz f en. cwiait.'&mfQar.paUr, 

Que dov vesic ûa fois naizu 

« En:G«Aenle:a:ime.cost.; 
1 3o Nui kw teil droitoreiw ooartr ^ 

Corne de: court à lé court cL^ ,. 

Car tuielt droit ioantaccninn^ 

Et droitune^adès i acouite : 

Se petite/ ière , or eft pio» couîDe > 
i35 Et toijors^Tnais acourtirav 

Ce fâché cil qu'à court ira ; 

Et teiz fa droiture i achate 

Qui n'èw porte chaton ne chafe ; 

Si l'a chièrement achaté 
140 De fon cors & de Ton cheté, 

Et avoir dtoit quant il là vint r 

Mais au venir H méfavint , 

Car fa droiture ert en (bn- coffre^ : 

Si fu piUierenroi' di cofift^. 
145 Sachiez de la court de laienz . 



I. Ms. 761 3». Vaiu, cooloFtie. 

2> M^ 7613, Nelui por droiture. nU.coct. 

3. Ms. 7615. Var, acp&ci. 



224 ^^ Lections d*Ypocrisie 

Que il n*i a derc ne lai enz, 
Se vos volei2 ne plus ne mains , 
Qu'avant ne vos regart au mains 
Se vos aveiz vos averoiz ; 

1 5o Se vos n'aveiz vos i feroiz 

Autant com l'oe feur la glace , ■ 
Fors tant que vos aureiz efpace 
De vos moqueir & éfchamir. 
De ce vos vuel je bien garnir, 

i55 Car la terre eft de teil menière 

Que touz povres ùàt laide chière. 

Mains ruungent & vuident borces^ 

Et faillent qtiant elz font rebourees, 

Ne ne vuelent nelui enteddre 

160 Cil n'i puéent runger & prendre, 
Car de reungier^ mains eu dite 

La citeiz qui n'eft pas petite ; 

Teiz i va riches & rians 

Qui f en vient povres mendianz. 
i65 Laiens vendent, je vos afi, 

Le patrimoinne au Cruceû 

A boens deniers fés ^ &contans. 

Si lor eft à pou dou contanz 

Et de la perde que cil ait 
1 70 Qui puis en a & honte & lait, 

I. Il y a ici en note^ de la main de Fauchet, sur la 
marge du manuscrit 7613 : Roma-rodans manû.TàMt 
ceci, en elfet, est une allusion des plus sévères à la 
cour de Rome, et s'accorde très*bien avec le tibleau 
que nous en tracent les hiatonens. 



* Et d'Ùmilitei. 225 

Qui Tachate ainz qu'il foit délivres; 
RuTEBUEz dit que cil efl yvres. 
Quant il achatè chat en fac ; 
S'^vient puis que hon dit : efchac 
175 De folie , matei en Tangle, 
Que hoii n'a cure de fa j angle. 

• ^ , 

€ Avarifce éft de la cort dame , , 

A cui il funt de cors & d'âme , 

Et ele en doit par droit dame eflre , 
180 Qu'il funt eftrait de fon anceftre, 

Et ele efl dou mieulz de la vile ; 

Ne cuidiez pas que ce foit guile , 

Car ele en efl niée & eftraite , 

Et Covoitifè laTeur faite, 
i85 Qui efl fa couzine germainne ; 

Par ces .ij. fe conduit & mainne 

Toute la cours entièrement. . 

Cel compéire trop chièrement 

Sainte Églize pan mainte fois ; 
190 Et fi em empire la foiz . 

Car teiz i va boens Creftiens 

Qui fen vient fauz Farifiens. 

Quant il m'ot afïèîz racontei 
De ces gehx qui sunt fanz bontei , 
19.5' Je démandai qui eft li fîres, 
Ce c'eft roiauteiz ou empires ; 
* Et il me réfpont fanz defroi : 
€ N'i a empéreor ne roi , 

KUTEBEUF. II. l3 



%z$ La LectitOns d'Yp^^crisie 

Ne feîgneur, qu'il eft tvefpafîeîz; 
200 Mais atentlans h a aifeiz 

Qui béent à la feignorie : ■'■'i^ 

Vaine-Gloire, & Hipocrisiev 

Et Avarifce & Covoitize 

Guident bien avoir Ja juflife , 
2o5 Car la terre remaint fans hoir y 

Si la cuide chacuns savoir. ^' ? 

c D'autre part eil Humiliteiz ,. 

Et Bone-Foiz & Chariteiz, 

Et Loiauteiz y cil font à deftre ^ 
2 lo Qui déuifent eftre li meftre \ 

Ex cil les Yuelent maStroier 

Qui ne ce yuelent otroier ; : 

A faire feigneur fe n'eft d'eux,. 

Si feroit damages &. deulz ; 
2 1 5 Cil f afemblent alTeiz fouvent 

Et en chapitre & en couvant ; 

AiTeîz dient , mais Jl font pou 

Ni à faînt Père ne à làint Pou : 

C'eft ce auques de lor afère, 
220 Mais orendroit n'en ont que Êiire. » 

Je vox lay(nr de lor couvainne 
Et enquerre la maître vainne 
De lor afaire & de lor eftre , 
Li queiz d'eulz porroit fyts eftre ',; 
225 Et vi qu'à cette veftéure 

N'auroie pain n'endofiTéure* '-L 

Viii. aunes d'un camelin pris ,, 



J 



Et A^Uiicift^'ririi. adi9^ 

Brunet & g^ox^ ^'w ponnsprisi, 

Dont pas ne fuit à graoti efao^v 
23o S'en fis âiire cote^fosDOt . 

Et une houee graûl & lar^e 

Forrée d'une nomâorgè 

Lî forcoz'^ à noio^panne r 

Lors ou-ge bien<tnnreit htii 
235 Car bien ibsi Mreder jornate v 

Si que je refiemUoie benamtf 

Celui qui jn'dj^aodeilt diDiors, 

Mais autre astotMwmt oa 



Ypocrifie me mfot,. 

240 Qui trop dufenufitfe défîttv 
Car ces fecreis.âc» cat 9hà99s^ 
Por ce que je ait et» notantes f 
Sou touz.&qttaaaqu-eteffieflftit:. ^ 
Sor ce que vsQ&.onoiztnlQib 

245 Ele vont Êdre fon voloir, 

Cui qu'en doie-ti cuMrs>dobiv; . 
Il ne lor cbâut» naib jqu'ikierrpiiii^, 
Qui qu'en ait poios» nstméfaita. 
Vins & viandiK$ Tue^.a^rait^v 

2 5o S'om les puet tcovetr) pMcr atraitr 
Juqu'à refoule' Mftrkâfc^ 
Et non d'anifttrrelâgiaai;^ . 
£t de toutes vertazi atoeth: 
S'a en li tant.fid écamctr 

255 Qu'il n'efl n'unsifeom qindfimeste^ 
Qui jamais puiil avoicfa:grice». « 



228 La Lections d'Ypocrisib 

Ceft li glafons qui ne puét fondre T. 
Chacv^ii )or la vodroit confondre 
Ce chacun jor pooit revivre. 

260 Ours ne lyons , ferpent ne vuyvre 
N'ont tant de cruautei encemble 
Com ele feule, n^ me cemble. 
Ce vous iaveiz raifon entendre, 
Ceft li charbons defoz^ la cendre, 

265 Qui eft plus chauz que cil qui âame. 
Après il vaetque hq^s ne famé 
Ne foit oïz ne- entendue, 
Ce il ne c'eil à li renduz. 
Puis qu*il eft armëiz de* ces armes \ 

270 Et il puet Ten ploreir ,iji lannes , 
Ou faire cemblant dbu ploreir.. . 
Il n'i a fors de l'aorelr : 
Guerroier puet Dieu âcle^mondey 
Que n'ims n'eft tdz qui li" refponde. 

275 Teil avenitage oîit>ypocrite, ' 
Quam il ont la parole dites 
-Que.il: vueient eftrè Cféùs 
Et ce c'onquesne fii véu^ 
Vellent*it.tefmoignier à-vqir. <• 

280 Qui porroit teil èuravoir : ^ 

Conde lui loeir &.pri(îer,. 
Il l'en feroii.boen defguifier 
Et veftir robe fenz coïeur^ 
Où \\ n'a iroit , n'autre âoleur , 

285 Large robe, folersforreiz; . 



Et d'Umilitei. 229 

Et quant il efl bien afeutreiz , 
Si doute autant froit comme chaut, 
Ne de povre home né li chaut, 
Qu'il cuide avoir Dieu baudément 
290 Ou cors tenir tôt chaudement. 

'{'ant a Ypocrifie ovrei 

Que grant partie a recovrei 

En. celé terre dont je vin; 

Grant defcretiilre , grant devin 
295 Sont à la cour de sa maignie: 

Bien eft la choze defreignie , 

Qu'ele avoit à éle(^ion 

La greigneur congrégation , 

Et di por voir, non pas devine , 
3oo Se la choze alaft par crutine , 

Qu'ele en portaft la feignerie 

Ne n'eftoit pas efpoérie. 

Mais Dieux regarda au damage 

Qui venift à Tumaîn linage 
3o5 S'Ypocrifie à ce venift 

Et fe fi grant choze tenift. 

Que vous iroie aloignant 

Ne mes paroles perloignant ? 

Li uns ne pot Tautre foffrir ; 
3io Si le priftrent à en tr' offrir. 

L'uns à Tautre Cortois mon ofte *. 

I. Ceci nous peint bien la discorde qui régnait en- 



oSd La Lectiohs d'Ypocrisib, xtc, ' ) 
Chacuns-te vuet, a'ansAC l'en ofte : ^' 
iMKSfifii-Cortoùieâéux, —^ 

Et jeJoidc )we -effiiiéis. 

3iS Sîjnlrfnù&aiiibele pas. 
Et riDiitoftpaHeizies pas 
Et les mons de Mongieu foDz nots. 
Ce ne vos me^-je p>s ^i noi 
Qu'il nli Éatt malt de ^paroles 

3io Ainz ({ne iCoisoisiult «poftoles. 

tre les cardiiMvnc,'paisquenepoa«aiit l'entendre poui 
Vé\tctioa, ni£iNC'4pci» iroii aas écouUs depuis la 
mort de Clément IV, et n'étant pas d'accord sur le 
choix du BUCCCEieur à donner à ce pape, ils furent 
obligés deremettre leur pouvoir aui mains dewx d'en- 
tre eux. Canx-^ ne s'entendirent guère davantage; 
mais, pour ne pas £ure de jaloux, ils finirent, de 
guerre lasse, por proclamer Gr^oire X, tnen qn^l 
ne fût pas cardinal . 



t^ùit i'I^fmcciatc. 





€i cammmtt 



St Mimi!U )( '^iiiopW*, 



Ms. 7218. 



^Hil ahi! t>iex, rois de gloire, 
JTant vous ai eu en mémoire , 
|Tout ai ddné & defpendu. 
Et tout ai aus povres tendu ; 
^ Ne m'eft remez vaillant à. fac. 




T. Cette pièce a été analysée d'une tnanière 
bien incomplète par jLegrand d'Aussy (voyez tome II 
de ses Fabliaux, édition Renouard, pages 180 et 
suivantes)'; mais, jusqu'à ma première édition , le 
texte n^en avait pas été publié. Il le méritait cependant » 
car ir constitue l'un de nos premiers essais drama- 
tiques. 

Voici le^fond du sujet : Théophile qxxî vivait^ d'a- 
près BoUandus , vers Tan 5S8, fut, à ce qu'il paraît, 
YÎdame {vice dominus; Paul IMacre, dit œcûnomus) , 
de l'église d'Adana en Cilicie. Il acquit^ dans cette 
charge, une telle considération, qu'à la mort de son 
évoque on voulut PéKre à sa place ; mais soit humi- 
lité/ soit défiance de lui-même, il refusa et un autre 
fut nommé. A peine ce nouveau supérieur fut-il 



232 Le Miracle de Théophile. 

Bien m'a dit li évefqiie : « Efchac, » 
El m'a rendu maté en l'angle : 
Sanz avoir m'a leffié tout fangle. 
Or m'eftuet-il morir de fein , 
10 Se je n'envoi ma robe au pain! 

promu à Tépiscopat , queThéophile tomba en disgfice 
auprès de lui, et se vit retirer ses fonctions. Irrfté:de 
rinjustice qu'il éprouvait, Tex-vidame se laissa ^âler 
à de mauvaises pensées. Par Tentremise d'un Juif,qtti 
avait, disait-on, des relations avec Satan, il rèma 
Jésus-Christ et fit un pacte avec le mauvais esprit ,. 
à condition que celui-ci l'enrichirait et lui ferait f«R- 
dre ses honneurs ; mais à peine eut-il signé celte 
convention, qu*il eut horreur de son crime. U se mit 
alors à implorer la Sainte -Vierge, pour laquette il 
avait toujours eu une grande dévotion, et la pria délai 
faire rendre le contrat. Marie, la douce mèreDUHy 
comme disent nos anciens poètes, se souvint de son set" 
viteur; elle consentit à ce qu'il lui demandait shhttlto- 
blement avec tant de repentir, et força le démon ^ 
rendre à Théophile le pacte qu'ils avaient conclu 
ensemble. 

Telle est la légende que Rutebeufariméeet^drama» 
tisée, et qui a joui durant tout le nçioyen âge de la 
plus grande popularité. Écrite d'abord en gr«c par 
Eutychien, puis par Siméon le Metaphraste, elle fat 
traduite en prose latine par Paul Diacre, niise «a 
vers par la fameuse abbesse de GanderaheiKn^Ros*< 
witha, au X® siècle, et sur la fin du XI% pàr-on 

'écrivain que' les BoUandisles ont cru être Marbode:^ 

, évéque de Rennes. 

Les mentions qui en furent faites par les écrivains 
sacrés, tels que saint Damien, saint Bernard], saint 
Bonaventure, etc., sont innombrables. Enfin, nos 
trouvères ne restèrent point en arrière de la poésk 



.Le MiRACLE DE THÉOP'H'iDE. . 233 

Etma„ùiefmierqu€!ferai ' . ' '. r^ 
Ne fai fe Diex les ptefefteira. , -/■] 
Diex ! loil ; ^u'en arUrà fer$ l iu^\l 
En autre lieu les covi'çat trtr^»,: ' / 
1 5 Où jyi me fet l'oreiUe forde. ; i c '^ c . 

iâthie; ils célébrèrent à l'envi en la langue d'oi^, comme 
les troubadours en langue d'oc, l*hfsfoire de Théophile. 
Gauthier deCoinsi-en composa un poérfrea^sez con- 
sidérable; le Reclus du Maliens eà paHaîAans son 
Miserere; VsLuteur dfi^ Vins d'Ouan, celui. dp la^com- 
plflinte d'Engûerrand, évêque de Cambrai; Villon 
kii<-même, la citèrent dans leurs poésies. Les arts s*en 
emparèrent également. Le^- ymagiers la' taillèrent 
dans le bois et sur: l'ivoire des dyptiques; les sculp- 
te^jârs sur le marbre et la pierre des cathédrales , 
çojOime à Notre-Dame de Paris où elle est retracée 
deux fois. Enfin; en ibSg, un Miracle dé Théophile 
fut ioué au Mans sur là place deS' Jacobins. Était-ce 
une nourelle comj^Qsitibnr Était-ce i'œiiyre'^de Rute- 
bœof, rajeunie et. retouchée? r- Je Tignoref . 
, Voici ce que dit' àe ce Miracle. Qe lui laisse le nom 
donné par Tauteiir lui-même) VHistoire littéraire de 
la- France y volume XX* : « Ce qui donne à l'ouvrage 
de Rutebeuf un' prix véritable^ c'est sa forme dra- 
matique , car il fut composé pour être . représenté 
devant une assemblée nombreuse^ n offre le principal 
éHment des pièces de théâtre au moyen-âge, c'est-à- 
dire rintervention du del et de l'enfet^dans les des- 
tinées d'une créature hUmaine% San^.dou^e le Miracle 
de Théophile n'est pas le premier qùvrage draniati- 
quede notre littérature; mais il doit compter parmi 
les plus anciens d*une date incontestable, puisque 
Tauteur était contemporain d'Adam de La Halle, à 
<\}g\ Ton doit les Jeux de la Feuillée et de Robin et 



a34 Lk Miracle de Théophile. 

Qu'il n'a cure de ma faïorde 

Et je li referai la moe. t . 

Honiz (bit qui de lui fe loe ! 

N'eii riens c'en por avoir né fece : 
20 Ne pris liens Dieu ne fa manacé. 

Irai-je me noier ou pendre? 
" Je ne m'en puis pas à Dieu prendre» 

.Ç'on ne puet a lui avenir. ^ 

Ha !' qui or le porroit tenir - 
aS Et bien batre à la i-etornéé, 

Mult auroît fèt bone jornée ; . 

Mes il l'eil en û haut leu mis 

Por efchiver fes anèmis , . 

Con n'i puet trère ne lancier '• 
3a Se or pooie à lui lancier, 

Etxonvbatre, & efcremiry 
. . La chsii H fcroie frémir l 

Or eft lafus eîi fon fôlaz ; : ' ' 

Laz chétis ! & je fui es laz 
35 De povreté & de foufrète. c 

Oreilbien ma viele frète , 

Or dira l'en que je rafote : 
. De ce fera mes la r^ote* , . 

Je rfaferai nului véoir : 
40 Entre gent ne devrai féoir, 

Queretiriftî.monlterrdîtaudoi. 

. r Or ne fai-je que fère doi ; 

Or m'a bien Diex fervi de guile* . 
' . * ■ . . . ' 

I. Cette plaisanterie n'est-elle pas charmante i 



Lb Miracle de Théophils. 233 

ici vient Tuiov(mvBs 
45 A Salatin , qui parloit 
Au diable quant il vo/oif. j 

Qu*es-ce? qu'avez-vous, Théophile? 
Por le grant Dél quel mautalent. 
Vous .a fet eftre fi dolent ? 
5o Vous foUîez iî joiant eftre 1 

THéoPHiLES parole. 

C'on m'apeloit feignor & meftre 

De ceft païs , ce fez-tu bien : . 

Or ne me laiffe-on nule rien ! - 

S'en fui plus dolenz, Salatin, 
55 Quar en françois ne en latin 

Ne finài oncques de proier 

Celui c'or me veut afproier, 

Et qui me fet leffîer fi monde 

Qu'il ne m'eft remez riens el monde. 
60 Or n'eft nule chofe fi fière 

Ne de fi diveife manière 

Que volentiers ne la féîffe , 

Par tel qu'à m'onor reveniffe. 

Li perdres m'eft honte & domages. 

Ici parole salatins. 

65 Biaus fire , vous dites que fages , , 
Quar qui a apris la richèce , 
Mult i a dolor & deftrèce 



235 X-E Miracle de Théophile. 

Quant Ten chiet,en autrui dangier 
Por fon boîvre. & por fon.mengier ; 
70 Trop i coVieiat gros mos oïr. 

THÉOPHILES. 

C'éft ce qui me fet efbahir , 
Salatin-, biaus très douz amis : 
Quant en autrui dangier fui mis 
Par pou que li cuers ne m'en criève, 

SALATINS. 

75 Je fai or bien que mult vous griève 
Et mult en eftes entrepris ; 
Comme hom qui eft de si grant pris 
Mult en eftes mas & penffîs. 

THÉOPHILES. 

Salatin frère, or eft enfis : 
80 Se-tu riens pooies favoir . 
Por qoi je péufle r'avoir 
M'ônor , ma baillie & ma grâce , 
Il n eft chofe que je n'en face. 

SALATINS. 

Voudriiez-vous Dieu renoier, 
85 Celui que tant folez. proier, 

Toz fes fainz & toutes fes fainies? 
Et fi devenifïïez mains jointes 
Hom à celui qui ce feroit 



'\\ 






Lb Miracle db TfiéopnVLE.^ 237 

Qui voftré 'honor votis reiidérok ; 
90 Et plus honorez ferîiez, 
S'a lui fervir demôriiez , 
Conques jof li^ péuftes eftrè. 
Créje^moi , leffiez voftrfe meftre. 
Qu'en avez-voùs entalente ? 

TlféOf^HlLÇS) . 

95 J'en ai trop bone voleritë : 
Tout ton plefîr ferôi briefment. 



IV- 



SAtAi'ï'l^S: 

t 

Alez-vous-en féurement ; 
MaiMgtêz: qu'il: eil puifient avoir 
Vous ferai voftre hon<>r x'avoir. 
100 Revenez demain aum^tin*. 

t 

TMJÊOPHILES., 

Volentîers , frère SalatinI , 
Cil Diex que tù croiz & aeures 
Te gart', fen ce propos demeure^! 

Or/e de/part Théophiles de Saîatin, $ si penffe 
que trop a grant cHofe en Dieu rettoier & difi. 

• Ha y lazV qae pormi devenir ? 

I. U faut remarquer les différents rhythmes du 
Jfiràcte '<ie ' 7%éopM7e , d'abord parce qu'ils sont 
réeilem^t agréables à l'oreille et à la lectUre; ensuite' 



23S Lb MiRACLB DB THéOPHILS» 

I o5 Biea.ine doi li €ors ckfieùîr ^ t < 

Quant il m'elhiet à ce venir. 

Que ferai, las! 
Se je reni faiat Nieholas, 
Et faist Jehan, & faînt Thomas^ 
no Et Noftre<-Dame ? • ^ 

Que fera ma chétive d'âme ? 
Ele fera arfe en la flame 

D'enfer le noir : 
Là la çonvendra remanoir. 
ii5 Ci aura trop hideus manoir, 

Ce n'eft pas Êible , 
En celé flambe perdurable 
N'i a nule gent amiable,- 
Ainçois font mal qu*il font déabk\ 
120 C'eft lor nature; ^ i 

Et lor mefons r'eft û obfcure 
C'on n'i verra jà foleil luire , 
Ain2 ell uns puis tôt plains d'ordure. 
Là irai gié! 
123 Bien me feront li dé cbangié , - 
Quant por ce que j'aurai mengié 
* M'aura Diex iili eftrangié '^ << 

De (a mefon ; 
. Et ci a\ira bone re(on : 

parce qu'ils 80i|t]devcnj48 1 pu à p«« prjb» le rhythme 
des Mystères aux siècles suivants. Qr, on ne -peut 
disconvenir qpe ce vers de huit pieds ne 4pnile iu 
dialogue une très<grande vivacité incorniue à raleuo- 
ddn classique. 



Le MlRAÇJL^ i>£ .Th&<>PR!LE. %i^ 

i3o Si efbahiz ne fu mes liom ^ ^j . . 

Com j.e rii^î , voir. 
Or dit qu'il me fera r'avoif 
Et ma richèoe tu .moa avoiç ; ^ . : ^ 
Jà nus n'en porra ri^ns &voir : 
i35 Je le ferai. 

Diez. i^'a. graré, je l' grèverai ; 
James jor ne le fervirai : , 

Je li ennui. 
Riches ferai fe povres ifut : 
140 Se il me het je barrai lui. , 

Preingne fes erres^ 
Ou il face movoir fes guerres : 
Tout a en main & ciel & Utrres; 
Je li claim cuite 
145 Se Salatins tout ce m'acuite 

Qu'il m'a promis. 

Ici parole Salatins au déabté 6 difi : /' 

Uns Crelliens f eft for molmis 

Et je m'en fui mult entremis , 

Quar tuii'es pas mes anemis ; 
i5o Os-tu, Sathanz? 

Demain vendra £e tu Fatans. 

Je li ai promis .iiij. tans : 
Aten-le don , 

Qu'il a efté mult grant preudon : 
'r55 por ce il a plus riche don, 

Met-li ta richèce à bandon. 
Ne m*os tu pas? 



.»rj 






ti4Ô* XîE Miracle de Théophile. 

Je te ferai Iplus que le pas 
Venif, je cuit,* 
160 Et fî vendras encore anûit S ' 
Car ta demorée me nuit-; 

(yiaibéé. ^ 

Cl conjure Sàlatins le iéabie . 

Bagahi a, Lacà, Baehahé , 
Lamac , Cahi , Achabahé , 
i65 Karrelyos, 

Lamac, Lamec, Bachalyos, 
Cabahagi, Sabalyos, 
Baryolas', 
Lagozatha . Cabyolas , 
170 Samahac & Famyolas, 

Hârrahya. 

Or vient. H Déables qui ^ conjuré & dift : 

• .* ' . " ■•-••• 

Tu as bien dit ce qu'il i a. . - . 
Cil qui t'?ipri^ rien n'oublia ; 
Mult me travailles. 



1. A nuit, cctu^ nuit, haà noctef pour : aujour- 
d'hui. 

2. La copie de TÀrsenal met ici en note : a Be- 
rnons. Ce sont leurs. noms. » Ce* qu'il y .a de sûr, 
c'est que c^estlS^ une formule d'invocation, mais en. 
quelle langue? Les mots qui la cbmposenjt nef^sont ni 
hébreux, ni arabes, ni syriaques. Il est probable 
que cet idiome est sorti tout entier du cerveau de 
nôtre trouvère. . 



Le Miraclb de Théophile. 241 
salatins. 

lyS Qu'il n^eft pas droiz que tu me failles 

Ne que tu encontre moi ailles 
Quant je t'apel. 

Je te faz bien fuer ta pel. 

Veus-tu oïr .i. geu novel? 
180 I. clerc avons 

De tel gaaing, com nous favons ; 

Soventes foiz nous en grevons 
Por noflre afêre. 

Que loez-vous du clerc à fèré 
i85 Qui fe voudra Jà vers çà trère ? 

LI DÉABLES, 

Comment a- non? 

SALATINS. 

Théophiles par fon droit non. 
Mult a efté de grant renon 
En cefte terre. 

li déables. 

190 J*ai toz jors eu à lui guerre , • 

Conques jour ne le poi conquerre. 
Puifqu'il fe veut à nous ofFerre , ' 

Viengne en cel val 
Sanz compaignie âc fanz cheval; 

igS N'i aura guères dé travail , 

RUTEBEUP. IL 16 



142 Le Miracle de Théophile. 

1 

Ccft près de ci. 
Mult aura bien de lui merci 
Sathan & li autre nerci ; 

Mes n'apiaut mie 
200 Jhéfu le fil Sainte Marie .: 
Ne li ferions point d'aïe 

De ci m'en vois : 
Or foiez vers moi plus cortois; 
Ne me traveilliez mes des mois , . 
2o5 Va,Salatin, 

Ne en ébrieu ne en latin. 

Or revient Théophiles à Salatin, 

Or fuis- je venu trop matin ? 
< As-tu riens fet ? 

SALATINS. 

Je t'ai baili fi bien ton plet 
210 Quanques tes fires t'a mesfet 

Tamendera , 
Et plus forment t'onorera , 
Et plus grant feignor te fera 
Conques ne fus. 
2 1 5 Tu n'es or pas fi du refus 
• Corn tu feras encor du plus. 
Ne t'efmaier : 
Va là aval fanz délaier ; 
Ne t'i covient pas Dieu proier 
2:10 Ne réclamer: 



«fe^aia 



■a *i *1 -«. 



Le Miracle de Théophile. 243 

Se tu veus ta befoingne amer. 
Tu Tas trop trové à amer, 

Qu'il t'a faim ; 

Mauvèfement as or failli. 

225 Bien t'éuft ore mal bailU 

Se ne f aidafle 
Va-fen, que ilfatendent; pafle 

Grant aléure ; 
De Dieu réclamer n'aies cure. 

THjéOPHILES. 

23o Je m'en vois; Diex ne m'i puet nuire 

Ne riens aidier, 
Ne je ne puis à lui plaidier. 

Ici va Théophile au Déable, Si a trop grant 
paor, & H Déables H dift : 

Venez avant, passez grant pas; 
Gardez que ne refanblez pas 
235 Vilain qui va à offerande. 

Que vous veut ne que vous demande 
Vollre fires? Il eft mult fiers! 

THÉOPHILES. 

Voire fire l il fu chanceliers ; 
Si me cuide chacier pain querre. 
340 Or vous vieng proier & requerre 
Que vous m'aidiez à cefl befoing. 



l^fi.MtftACLB pB ThÂOI^HILE. 
.LI DÛJÙBUES. 

Requiers-'m- en tu]? 

rraéoPHiLBS. 
Oïl. 

•U DIABLES. 

Or joiiig 
Tas odôki», ^ ft devitfti méè hon. 
Je t'aiderai outre reson. 



THÉOPHILES. 

245 Vtt 'd iqW je vous fez horttmàge , 
Mes quc'jfe T'aie mbn domage, 
Biaus fire, tite <yr-e«i 'lavartt. 

£t')ô t» fèfài .i. ^uVam 
Que te ferai fi ^rant feignor 

25o C'on ne te vît oncques greignor. 
Et puifqlie ainfinques avieht , 
Saches de voir quil te coVient 
De toi aie lettres pendanz 
Bien dîtes & bien entendanz; 

255 Quar maintes genz m'en ont forpris 
Por ce que lor lettres n'en pris : 
Poj; ce les TBCtl avcdf bien tdittts. 

TttéOPHILBS. 



Le Miracle de THéorRBiL.E. 34^1 

Or baille Tkéophiles les lettres} au Déable, 
& H Déables H commande à oiumer tùiffi : 

Théophile , bîaus douz amis , 
260 Puifque tu t*es en mes mains mis , 

Je te dirai que tu foras. 

James povre homme n'ameras : 

Se povres hom fôrpris te proie, 

Tome r oreille , va ta voie ; 
265 S'aucuns envers toifumélie, 

Refpan orgueil '4c félonie; 

Se pauvres demande à ta porte , 

Si gardes qu'aumofne n'cnportc. 

Douçor, humîlitez, pîtiez, 
270 Et charitez & amiftiez, 

Jeûne fère, pénitance, 

Memetent grant duel en la pance;; 

Aumt)fne fère & Dieu proiçr,. 

Ce me repuet trop anoîer;* 
275 Dieu amer & chaflement vivre, 

Lors me famblie ferpent de guivre 

Me menjue le cuer el ventre. 

Quant Ten en là mefôn* Dieu* eirtrc 

Por regarder aucun malade , 
280 Lors ai. le cuer fi mpriA fadfc 

Qu'il m'oft avi&.qye point tfen fente; 

Cil qui fet bien fi me tormente. 

Va-fenJ tu feras fénefchaus.:- 

Lai les bictns & û fai les maus : 
285 Ne juge )à bien en ta vie*, 



246 Le Miracle de Théophile. 

Que tu feroîesgrant folie 
Et fi feroies contre moi. 



THÉOPHILES. 

Je ferai ce que fère doi*, 
Bien eft droiz voflre plefir face 
290 Puifque j'en doi r'avoir ma grâce. 

Or envoie VÉvefque querre Théophile. 

Or toft liève fus , Pince-Guerre ; 
Si me va Théophile querre : 
Se li renderài fa baillie. 
J'avoie fet mult grant folie 
295 Quant je tolue 11 avoie, 

Que c'eft li mieudres que je voie , 
Ice puis-je bien por voir dire. 

Or refpont Pince^Guerre. 
Vous dites voir, biaus très douz lire! 

Or parole Pince- Guerre à Théophile 
& Théophile refpont. 

— Qui eft céenz ? — Et vous qui eftea? 
3oo — Je. fui tin clers. — Et je fui prellres, 
• — Théophile, biau lire chiers^ 



Le Miracle de Théophile. 2^7 

• Or ne foiez vers moi (i fiers : 
Mes lires .1. pou vous demaitde ; 
Si r'aurez jà voftre provande , 
3o5 Voftre baillie toute entière. 
Soiez liez , fêtes bêle chière : 
Si ferez & fens & favoir. 

THÉOPHILES. 

Déable i puiflent part avoir ! 

J'éufle eue révefchié , 
3 10 Et je ri mis , fi fis péchié. 

Quant ili fu foi à lui guerre ; 

Si me cuida chacier pain querre. 

Tripçt lirot ! por fa haïne 

Et par fa tençon qui ne fine. 
3 1 5 G'i irai ;^ Tgrrai qu!il dira. 

r 

PINCE-GUERRE. 

Quant il vous verra fi rira , 
Et dira por vous efiaier 
Le fift ; or vous reveut paier , 
Et ferez ami com devaiit. 

THéOPHILES. 

32Q Or difoient ailez fouvant 

Li chanoine de moi granz fables ; 
Je les rent â toz les déables. 



248 -Le Miblaclede THéopHiLc. 

, Or Je liève VÉvefque contre Théophiles^â H rent 

fa dignité ^ & dift : 

Sire, bien puiffiez-vous veàirL 

THIÊOPHILES; - 

I 

\ 

Si fai-je bien me follenir : 
325 Je ne fui pas chéus par voie. 

. U ÉVESQUES. . 

Biau^ (ire , de ce que j'avoie 
Vers vous mefpris je 1* vous ament , 
Et (î vous rent mult bonèrtiênt - 
Voflre baillie : or la prenez , 
33o Quar preudom eftes & fehez , 
Et quanques j'ai lî fera voflre. 

- THÉCIPHILES. 

Ci a mult bone patrenoftre j 
Mieudre affez cloaques mes ne dis. 
Déformés vendront .x. & .x. 
335 Li vilain por moi aorer, 
Et je les ferai laborer. 
Il ne vaut rien qui Tèn ne daute ; 
Cuident-ilje n'i voie goûte? 
Je lor ferai fel & iroas.' 



. Le Miracle de THÉot^niLE. 249 

Ll ÉVESQ'UES. 

340 Théophile , OÙ en tendes- VOUS ? 

Biaus.amis, penfïez de bien ière. 

Vez-vous céenz voftre repère ^ 

Vez-ci voftre bftel & le mieri : 

Noz richèces & noftfe bien 
345 . Si ferongr déformés enfanxble ; - 

Bon ami ferons , ; ce ipç fai^ifele . : . 

Tout fera voftre & to^t.ert mien. 

THÉOPHaLKS. 

Par foi, .'(ire, je le viièil bien. 

Ici va Théophile à /es tompai gnons tencier, pre^ 
mièrement à A, qui avoii non Pierres. 

fiierres I vcîùx-tu oïr novèle ? 
35o Or eft tornéçta rouelc, 

Or f eft'-il chéu ambes as , 

Or te tien à Ce que tu as , 

Qu'àitia bailiie as-tù failli; 

L'évefque m'en a fet bajUi : 
355 Si ne t'en fai ne gré ne grâces. 

PIERRES refpont. ' 

* 

Théophiles, font-ce manaces ? 
Dès ier priai- je mon feignor 
Que il vous rendiil voftre honor^ 
Et bien eftoit droîz ât refons* • 



25o I^E Miracle de Théophile. . 

THÉOPHILES, 

36o Ci ayoit dures faoifons 

Quant vous m'aviiez forjugîé. 
Maugré voftres or le r'ai-gié : 
Oublié aviiez le duel. 

PIERRES. 

Certes , biaus chers fire , à ôion vuel . 
365 Fuffîez-vous évefques eus 

Quant noftre ëvefques fu feus ; 
Mes vous ne le vouiifles eflre 
Tant doutiiez le roi céleftre. 

Or.tenèe Théophile à ,i. autre, î 

Thomas, Thomas! or te chiet mal, 
379 Quant l'en me r'a fet fénefchal; 
br leras-tu le regiber, 
Et le combattre^^ le riber; f 

N'auras pior voifîn de moi. 

THOMAS. 

Théophile , foi que vous doi , 
375 II femUe que yous foiez yvres. 

théophiles. 

Or en ferai demain délivres, 
Maugrez en ait vollre vifages. 

THOMAS. 

PdkT Dieu! vous n'efles pas.biea&ges : 
Je vous aim tant & tant vous prisj 



Le Miracle de Théophile. 2bi 

THÉOPHILES. 

k) Thomas , Thomas! ne fui pas pris : 
Encor porrai nuire & aidier. 

THOMAS. 

Il famble vous volez plaidier, 
Théophile ; lefîîez mè en pais. 

THÉOPHILES. 

Thomas, Thomas! je que vous fais? 
Ib Encor vous plaindrez bien à tens , 
Si com je cuit & com je pens. 

Ife repent Théophile & vient à une chapèle 
de Nqftre-Dame & difi : 

Hé , laz! chétis, dolenz, que porrai devenir ^ ? 
Terre, comment me pues porter ne foustenir 
Quant j'ai Dieu renoié & celui voil tenir 
90 A feignor & à meflre qui toz maiis fet venir ? 

Or ai Dieu renoié , ne puet eflre téu , 
Si ai laiflié le bafine , pris me fui au féu. 
De moi a pris la chartre & le brief recéti 
Maufezj fe li rendrai de m'âme le tréu. 

)5 Hé, Diex? que feras-tu de ceil chétis dolent 
De qui Tâme en ira en enfer le boillant , 

I Toute cette prière se retrouve, détachée, dans le 
Ms. 7^633 , sous le titre : Ci encoumence la Repentance 
Théophilus, 



252 Le MiaACLE de Théophile. 

Et li maufez Tiront à leur piez défoulant? 
Ahi terre , quar oçvre fi me va engloutànt ! • 

Sire Diex! que fera cift dolenz efbahis 
400 Qui de Dieu & du monde efl huez & haïs 
Et des maufez d'enfer engigniez & trahis ^ 
Dont fui-îe de ^riftoz chaciez & envaïs ? 

Hé , las ! corn j'ai efté plains de grant non (avoir 
Quant j'ai Dieu renoié por .i; petit d'avoir! 
405 Les richèces du monde que je voloie lavpir 
M'ont geté en tel leu dont ne me {Suis r'avoir. 

Sathan , plus dé .vii. anz ai tenu ton fenticr; 
Mauschansm'ontfetchanterllvindemonchanj 
Mult félonefle rente m'en rendront mi rentier 
410 Ma char charpenteront 11 félon charpentier. 

Ame doit l'en amer ; m'âme n'ert pas amée : j 
N'os demander la Dame qu'ele ne foit dampd 
Trop a maie femence en femoifons ^ femée 
De qui rame fera en enfer forfemée K 

, 4i5 Ha ) las! com fol bailli & com foie baiUiel . 
Or fui-je mal baillis & m'âme mal baiUie! 
S'or m'ofoie baiUier à la douce baillie , 
G'i feroie bailliez & m'âme jà baillie. 

1. Ms. 7633. Var. fta maison. 

2. M. 7633. Var. fteursemée. 



Le Miracle de Théophile. ^53 

Ors fui, &ordoiez doif.aleren ordure ; 
20 Ordement ai ouvré, ce £et cil qui or dure 

Et qui toz jorS:durra : l'en aurai la mort dure. 
Maufez , cotii m'avez mort de mauvèfe morfure ! 

Or n'ai-je remanance ne en ciel ne en terre. 
Ha , las! où efl li liéus qui me puîfTe foufferre? 
^25 Enfers ne me pleft pas où je me voil ofFerre ? 
Paradis n'eft pas miens quant j'ai au Seignor guerre. 

Je n'os Dieu réclamer ne Ces fainz ne fes faintes, 
Las ! que j 'ai fet hommage au déable mains jointes. 
Li maufez en a lettres de mon anel empraiiftes. 
(3o Richèce , mar te vi : j'en aurai dolors maintes. 

Je n'os Dieu ne fes faintes ne fes fainz réclamer, 
Ne la très douce dame que chafcuns doit amer. 
Mes por ce qu'en li n'a félonie n'amer, 
Se je li cri merci nus ne m'en doit blafmer. 

C'eft la proière que Théophiles dift devant 
No/lre-Dame * : 

435 Sainte roïne ^ bêle, 

Glorieufe pucèle, 
Dame de grâce plaine 

1. Ces vers se retrouvent dans le Ms, 7633 , sous 
le titre : C'est la prière Théophilus, 

2. Ms. 7633. Var. Marie. 



2^4 . Le Miracle de Théophile. 

Par qui toz biens révèle , 

Qu'au befoing vous apèle 
44a Délivrez ell de paine, 

Qu'à vous fon cuer amaine 

Ou pardurable raine 

Aura joie novèle, 

Aroufable fontaine 
445 Et délitable & faine , 

A ton Filz me rapèle l 

En voflre douz fervife 

Fu jà m'entente mife, 
• Mes trop toft fui temptez 

450 Par celui qui atife 

Le mal & le bien brife. 

Sui trop fort enchantez ; 

Car me défenchantez , 

Que voftre volentez 
455 Efl plaine de franchife. 

Ou de grans x>rfentez 

Sera mes cors rentez 

Devant la fort juftice. 

Dame Sainte Marie y 
460 Mon corage varie ; ■ 

Ainfî que il te ferve , 

Ou jamès n'ert tarie 

Ma dolors ne garie , 

Ains fera m' âme ferve ; 
465 Ci aura dure verve 



• Le Miracls db Théophile. 255 

S'ainz ique la mort m'énerve 
En vous ne fe marie 
M'âme qui vous enterve. 
Souffrez li cors défefvé , 
470 Uâme ne foit périe. 

Dame de charité 

Qui par humilité 

Portas noftre falu , 

Qui toz nos a geté 
475 De duel & de vilté 

Et'd'enfeme palu ; 

Dame , je te falu ! 

Ton falu m'a valu 

pe r fai de vérité) , 
480 Gar qu'avoec Tentalu 

En enfer le jalu 

Ne praingne m'érité. 

En enfer ert offerte 

Dont la porte eft ouverte 
485 M'âme par inon outrage : 

Ci aura dure perte 

Et grant folie aperte 

Se là praing herbregage. 

Dame, or te faz hommage : 
490 Tome ton douz vifage ; 

Por ma dure déferte 

£1 non ton fîlz le fage 

Ne fouffrir que mi gage 



256 . Lb MiïiAQLE DB TaéopaiLf. 
Voifent à tel povei*te. 

495 Si com en la verrière 
Entre & rêva arrière 
Li folaus que n'entame y 
Ainfînc fus virge entière 
Quant Diex , qui es ciex ière : 

5oo Fifl de toi mère & dame. 
Ha! refplendiflknt jame, 
Tendre & piteufe famé , 
Quar entent ma proière, 
Que mon vil cors & m' âme 

5o5 Le pardurable flame 
RapelaifTes ^ arrière. 

Roïnedébonaire , 

Les iex du cuer m'efclaire 

Et Tobfcurté m'esface , 

Sic Si qu'à toi puifle plaire 
Et ta volenté faire , 
Car m'en done la grâce ; 
Trop ai eu efpace 
D'eftre en obfcure trace : 

5 1 5 Encor m'i cuident traire 
Li ferf de pute eftracé ; 
Damé, jàtoi ne place 
Qu'il facent le contraire 

En vilté , en ordure , 
i, M«, 7633. Va». Fai retorneir* 



Le Miracle de Théophile. 267 

5 20 En vie trop obfcure 

Ai efté lonc termine , 

Roi'ne nete & pure , 

Quar me pren en ta cure 

Et (i me médecine. 
525 Par ta vertu devine, 

Qu'adès eft entérine , 

Fai dedenz mon cuer luire 

La clarté pure & fine , 

Et lés iex m'enlumine 
53o Que ne m'en voi conduire. 

Li proières qui proie 

M'a jà mis en fa proie : 

Pris ferai & préez ; 

Trop afprement m'afproie. 
535 Dame, ton chier Filz proie 

Que foie defpréez ; . 

Dame , car leur véez 

Qui mes mesfez véez 

Que n'avoié à leur voie. 
540 Vous qui lafus féez , 

M'âme leur dévéez 

Que nus d'aus ne la voie. 

Ici parole Nqftre-Dame à Théophile & dift : 

Qui es-tu , va , qui vas par ci ? 
— Ha, Dame! aiez de moi merci I 
545 Ceft li chétis 

Théophile, li entrepris • • ^ 

RUTIBKUF. II. Ij 



aS8 Le Miracle de Théophile, 

Que maufé ont loié & pris. 

Or vieng proier 
A vous , Dame , & merci crier 
55o Que ne gart l'eure qu'afproier 

Me viengne cil 
Qui m'a mis à (i grant efcil. 
Tu me tenis jà par ton fil, 

Roïne bêle ! 

NOSTRE-DAME purolc. 

555 Je n'ai cure de ta favèle ; 

Va-t'en , is fors de ma chapèle. 

TKÉo^HiLEs, parole. 

Dame, je n'ofe. 
Flors d'aiglentier & lis & rofe 
En qui li fîlz Dieu fe repofe , 
5 60 Que ferai-gié ? 

Malement me fens engagié 
Envers le maufé enragié. 

Ne fai que fère. 
James ne finerai de brère , 
565 Virge, pucèle débonère. 

Dame honorée , 
Bien fera m'âme dévorée 
Qu'en enfer fera demorrée 
Avoec Cahu. 

NOSTRE-DAMÊ. 

570 Théophile, je t'ai féu 



'u 



d 



Le Miracle de Théophile. zb^ 

Ça en arrière à moi eu ; 

Saches devoir, 
Ta chartre te ferai ravoir 
Que tu baillas par mon favoir : . 
5y5 Je la vois querre. 

Ici va Nojïre-Dame prendre la chartre Théophile ^ 

Sathan, Sathan! es-tu en ferre? 
S' es or venuzes en cefte terre 
Por commencier à mon clerc guerre , 
Mar le penflas. 
5 80 Rent la chartre que du clerc as, 
Quar tu as fet trop vilains cas. 

SATHAN parole. 

Je la vous rande!... 
J'aim miex affez que Ten me pende. 
Jà li rendi-je fa provande 
585 Et il me fifl de lui offrande 

Sanz demorance, 
De cors & d'âme & de fuftance 

NOSTRE-DAME 

Et je te foulerai la pance. 

Ici aporte Nofire-Dame la chartre à Théophile. 

Amis, ta chartre te raport. 
590 Arivez fiilfes à mal port 
Où il n'a folaz ne déport ; 



) 



^6o Le Miaaci^s ps THéoPH^m. 

A moi eatent : 
Va à révefqu^ & plus xx'atent ; 
De la chartre U Sàï préient, 
595 Et qu'il k life 

Devant le pue^le cti, Saiqte Yglife , 
Que bone gent n'en foit forprife 

Par tel barate. 
Trop aime avqir qui û l'achate;! 
600 L'âme ea eft 4i hotnteufe & mate. 

Volentiera, Damç,^ 
Bien fuffe mors de cors & d'âme : 
Sa painne pert qui sd^û lame , 

Ce voi-je bien. 

Ici vient ThéùpMè â fÉvefytte, & H baille 
fa ehartfi' â (Ufi- : 

[6o5 Sire , oiez-moi ! Por Dieu merci, 

Quoi que jlàiè fet or fût ici. 
Par tenz laùroiz 

De qoi j'ai mult elle deftroiz : 

Povres & nus , & maigres & froiz 
610 Fui pai^ dëfaute. 

Anemis qui les bons aflaute 

Or fet à m*âme geter feute 

.:JJommQr?€ft<iicu. , 

La Dame qui tes fimi$î a^^: 
61 5 M'a defvoi^ 4c mate voift 



Le Miracle de ThéO'phile. "^ 

Où avoiei: 
Eftoîe & fî forvoici 
Qu*en enfer fuffe ^îoirvoiels 
Parle^éâbte, 
620 Que Dieu , le père efpéritable , 
Et toute ouvraingne charitable 
Leffier me M. 
- Ma chartre en ot de quanqu'il dift ; 
Séel^ fil quanqu'il requift : 
625 Mult me greva 

Par poi li cuers ne me creva. 
La Virge la me raporta , 

Qu'à Dieu eft mêrè , 
La qui bonté eft pure & dète. 
63o Si vous vueil proier com mon père 

Qu'el foit léue, 
Qu'autre gent n'en foit decéue 
'Qui n'ont encore apercéue , 
Tel tricherie. 

Ici lift VÉvefque la ckartré] S dift ; 

635 Oiez, por Dieu le fîlz Marie : 
Bone gent , û orrez la Vie ' 

De Théopôilés 
Qu'anemis a fervi de guile^ 
Aufî voir comme eft Évangile 

640 Eft cefte chofe : 

Si vous doit bien eftre defclofe 
Or efcoutez que vous propofe : 



ft63 Le Miracle de Théophile. 

c A tos cels qui verront cefte lettre commue 
«c Fet Sathan à fa voir que jà torna fortune, 
645 c Que Théophiles ot à Tévefque rancune, 
c Ne li leflà Tévefque feignorie nefune. 

c II fu défefpérez quant Ten li fifl l'outrage ; 

« A Sal\tin fen vint qui ot el cors la nqgc , 

c Et difl qu'il 11 feroit mult volentiers hommage 

65o c Se rendre li pooit fonor & fon'domage. I 

c Je le guerroiai tant com mena fainte vie , | 
« Conques ne poi avoir defor lui feignorie. 
tt Quant il me vint requerre, j'oi de lui grantenyie, 
c Et lors me fifl hommage , fi r'ot fa feignorie. I 

655 c De Tanel de fon doit féela cefle lettre ; 

« De fon fane les efcrifl, autre enque n*i fifl mètre, 

<( Ainsque je me voufiffe de lui point entremettre 

« Ne que je le féiffe en dignité remettre. • 

Iffî ouvra icil preudom. • • 

660 Délivré Ta tout à bandon 

La Dieu ancele ; 
Marie , la Yirge pucele, 
Délivré Ta de tel querele : 
Chantons tuit por cefle novele. 

Or levez fus ; 
Difons : Te Deum laudamus ! 

tfrpltdt le MixacU \>t ^l^tapl^Ur. 




i^a Vit SSaxnU Maxxt riCgtptiannej 



^u n mcoununre 



fa Vie It SSaintt MaxU l^CjUpcitnne V 



Mss. 7218, 7633. 




E puet venir trop tart à ocvre 
Bons ouvriers qui fanzlaffer oevrc, 
Quat bons ouvriers, fâchiez, regarde 
Quant il vient tart, fe il fe tarde, 
5 Et Ten n'i a ne plus ne mains, 

I. Aucun passage de ces douze cent quatre-vingt- 
dix vers ne peut servir à fixer, d'une manière certaine, 
la date de cette pièce; cependant je me range volon* 
tiers à l'avis de M. Paulin Paris qui , dans V Histoire 
littéraire de la France, s'exprime ainsi à son égard : 
« Rutebeuf a mis la pieuse histoire de sainte Marie 
l'Égyptienne en yers élégants et faciles : c'est évidem- 
ment un travail de sa vieillesse , car l'étude attentive 
de ses compositions prouve que plus il acquit d'expé- 
rience, moins il se permit les pointes et les pénibles 
jeux de mots que nous avons dû si fréquemment lui 
reprocher. » _ , 



a64 I-'A Vie 

Ainz met en oevre les .ij. mains , 

Et d'ouvrer eft fi couftumiers 

Que il ataint toz les premiers. > 

D'une ouvrière vous vueil retrère 
1 Qui en la fin de fon afère 

Ouvra fi bien qu'il i parut, 

Que ^ joie li apparut 

De paradis à porte ouverte 

Por f ouvraingne & por fa déferte. | 

i5 D'Egypte fii la Crefliene I 

Et avoit non Égypcienne ; , 

Son droit non fi fu de Marie. i 

Malade fu , puis fîi garie ; 

Malade fu, voire de l'âme, 
10 Qu'ainz n'oïfles parler de famé 

Qui tant fufl à fâme vilaine , 

Nés Marie la Magdeleine 

Foie vie mena & orde : 

La Danxe de miféricorde 
a5 La rapela, puis vint arrière, 

Et fu à Dieu bone & entière. 

Cefle dame dont je vous conte 
(Ne fai fêle fu fille â conte, 
A roi ou à empereor) 
3o Corouça mull fon Sauréor. 

Quant .xij. ans mult par fu beley 
,, Mult i ot gente damoifele, 
f Plefant de cors, gente de vis. 

Je ne fai que plus vous devis :. 



Sainte Marie l'Egiptianne. 265 

35 Mult fu bien fête par defors 

De quanqu'il apartint au cors; 

Mes li cors fu & vains & voles 

Et chanjoit à pou de paroles. 

A .xij. anz leffa père & mère 
40 Por fa vie dure & amère. 

Por fa vie en fol us defpandre 

Ala d'Egypte en 'Alixandre. 

De .iij. manières de péchiez 

I fu li liens cors entechiez : 
45 Li uns fu de li enjrvrer, 

Li autres de fon cors livrer 

Du tout en tout à la luxure.. 

N'i avoit borne ne mefure ; 

En geus, en boules & en veilles 
5o Entendoit fi qu'à granz merveilles 

Devoit à toute gent venir 

Conmient ce pooit fouftenir. 

Xvij. ans mena tel vie ; 

Mes de Tautrui n'avoit envie : 
55 Robes, deniers, ne autre avoir 

Ne voloit de Tautrui avoir. 

Por gaaing tenoit bordelage 

Et por proefce tel outrage : 

Son tréfor eiloit de mal fêre. 
60 Por plus d'amis à li atrère 

Se fefoit riche & comble & plaine ; 

Es vous fa vie & fon couvaine : 
• N'i gardoit ne coulîn ne frère , 



a66 La Vie 

Ne refdfoit ne filz ne père. 
65 Toute l'autre vilaine vie 
Paffoit la feue lécherie. 

Ainli corn tefmoingne la lettre , 
Sanz riens ofler & fanz plus mètre , 
Ot la dame ou pais eilé ; 

70 Mes or avint en .i. eflé 
C'une torbe d'Egypciens , 
De preudommes, bons Creiliens, 
Voudrent le fépulcre requerre. 
Si fe partirent de lor terre 

75 Por aler à Jhérufalem, 
Qu'en celé Cefon i va Ten , 
Au mains la gent de la contrée. 
Marie a la gent encontrée : 
Venue fen eft au paflage. 

80 Celé qui Iprs n'efloit pas fage , 
Qui ainfi demenoit fa vie , 
Vit .i. homme lez la navie 
Qui atendoit la gent d'Egypte 
Que je vous ai ci-devant dite; 

85 Lor compains fu : fi vint avant. 
Celé il eft venu devant : 
Proie Fi a qu'ele li die 
De lui & de fa compaignie 
Quel part il voudront cheminer. 

90- Cil li refpont fans demorer 
Por aler là où j'ai conté 
Voudroient eftre en mer monté. 



Sainte Marie l'Egiptianne. 267 

— « Amis , dites-moi une chofe : 
Vérîtez eft que je propofe 

95 A aler là où vous voudrez. 
Ne fai fe vous m'efcondirez 
D'ayoec vous en voftre nef eftre. i 

— « M'amie , fâchiez que li meftre 
Ne r vous porront par droit desfendre 

100 Se vous lor avez riens que tendre; 
Mes vous oez dire à la gent : 
« A Fuis, à l'uis qui n'a argent 1 t 

— € Amis, je vousfaz afavoir 
Je n'ai argent ne autre avoir , 

io5 Ne chofe dont je puiffe vivre ; 
Mes fe léenz mon cors lor livre 
Il me foufferront bien atant. t 
Ne difl plus , ainçois les atant ; 
S'entencion fu toute pure 

II A plus ouvrer de la luxure. 

Li preudom oï la parole 

Ft la penffée de la foie : 

Preudom fu , por ce li greva. 

La fcdc left , fi fe leva. 
1 1 5 Celé ne fu pas efperdue ; 

A la nave f en eft venue. 

Ij. jovenciàus trbvà au port 

Où mener foloit fon déport. 

Proie lor qu'en mer la méiffent 
120 Por tel convent que il féiflent 

Toute leur volenté de H. 



a68 La Vie 

Celui & celui abeli , 
Qui lor compaignons atendoient 
Sor le port où il fefbatoient ; 
laS Ne fi font c'un petit tenu 

Que lor compaignon font venu , 

Li marinier les voiles tendent , 

En mer f empaignent , plus n'atendent. 

L'Égypciene efl mise en mer. 
1 3o Or font li mot dur & amer 

De raconter fa vie amère , 

Qu'en. la nef ne fii nez de mère , 

S'il fu de li avoir temptez , 

Qu'il n'en féift fes volentez. 
i35 Fornicacions , advoltire * , 

Et pis allez que ne fai dire 

Fift en la nef ; ce fuft fa fefte. 

Por orage ne por tempefle 

Ne lefla fon voloir à fère 
140 Ne péchié que li péuft plère. 
Ne li fouffiffoit lanz plus mie 
Des jovenciaus la compagnie, 
Des viex & des jones enfamhle , 
Et des chaftes, fi com moi famble ; 
145 Se metoit en itèle guife 
Qu'ele en avoit à fa devife. 
Ce qu'ele efloit fi bêle feme 
Fefoit à Dieu perdre niainte âme , 

I. Ms. 7633. Var. avoutîre, adultère» 



•^ 



Sainte Marie l'Egiptianne. aôg 

Qu'ele eftoît laz de decevance. 
i5o De ce me merveil fanz doutaace 

Quant la mer, qui eil nète Si pure , 

Soufifroit fon péchié & fordure , 

Et qu'enfers ne l'aforbiffoit , 

Ou terre , quant de mer ilToit. 
i55 Mes Dîex atent , & por atendre 

Se.fiitles braz en croîz eilendre ; 

Ne veut pas que péchierres muire , 

Ainz convertifle à fa droiture. 

Sanz grant anui vindrent au port ; 
160 Mult i orent joie & déport. 

Grant fefte firent cèle nuit , 

Mes celé où tant ot de déduit, 

De geu & de joliveté , 

S'en ala parmi la cité. 
i65 Ne fambla pas eflre reclufe : 

Partout regarde , partout muse, 

Por connoître liqueL font fol . 

Ne li covient foaete à col : 

Bien fiilikmblant qu'ele eiloit foie , 
1 70 Que par &Qxbtant , que par parole , 
• Car fon abit & ik femblance 

Démonflroient fa connoiffance. 

S'ele ot fet mal devant alTez 

Son melTet ne fu pas paffez. 
175 Pis fift que devant fet n'avoit , 

Quar du pis fift qu'ele favoit. 

A réglife.f aloit monilrer 



ajo La Vis 

Por les jovenciaus encontrer, 
Et les fivoit jufqu'à la porte , 
i8o Si corn fes aaemis la porte. 

Li jors vint de rAcenffion : ; 

La gent à grant porcefiion 

Aloit aorer la croiz fainte 

Qui du fane Jhéfu-Crift fii tainte» 
i85 Ceie penila en fon corage 

Gel jor leroit fon kborage , 

Et por celui faintifme jor 

Seroit de péchier à féjor. 

Venue l'en eft en la prefïe 
190 Là où èle fu plus efpefle 

Por aler la croiz aorer, 

Que n'i voloit plus demorer. 

Venue en eft jufqu'à l'églifc. 

Ele ne pot en nule guife 
195 Mètre le pié for le degré ; 

Mes tout auffi com de fon gré , 

Et volentiers venift arrière , 

Se trova à la gent première ; 

Dont fe refmuet & vient avant , 
200 Mes ne valut ne que devant *. 

V ■ 

I. Après ce Vers, le Ms. 7633 ajoute les quatre ui» 
vants : 

Par maintes fois lî avenoit 

Quant jusqu'à l'églifeVenoit, 

Ariers venoit maugré ces dens 

Que ne pooit entrer dedeo*. . " 



•^'^"'"^'"'^""^- — ■ >^-^^ -.^^..^^^^me^ . _ 



Sainte Marie l'Egiptianne- ayi 

4 

La dame voit bien & entent 
Que c*eft noient à qu'ele tent : 
Corn plus d'entrer léenz f engreffe 
Et plus la recule la prefle. 

2o5 Or dift la dame à foi-méifme : 
« Laffe moi I com petit d'aïfme , 
Corn fol tréu, com fier paiage 
Ai rendu Dieu de mon aage \ 
Onques nul jor Dieu ne fervi, 

210 Ainçois ai le cors affervi 

A péchier pqr l'âme confondre : 
Terre devroit defouz moi fondre. 
Biaus doûz Diex , bien voi par tes figncs 
Que li mien cors n'eft pas fi dignes 

2 1 5 Que il entre en fi digne place , 
Por mon péchié qui fi m'enlace! 
Ha, Diexl fire du firmament! ' 
Quant c*ert au jor du jugement 
Que tu jugeras mors & vis^ 

220 Par mon cors qui eft ors & vils 
Sera en enfer m'âme mife 
Et mon cors après le juife. 
Mon péchié m'ert el front efcriz; 
Comment puet ceffer brais ne criz? 

»25 Comment puet ceffer plors & lermes > 
Laffe ! jà eft petiz li termes : 
Li juftes n'ofera mot dire , 
Et cil qui eft en advoltire 
Quel part fe porra-il repondre, 

a3o Qu'à Dieu ne l'eftuiferefpondre? 



272 La Vik 

Ainfi fe complaint & démente , 

Et fe claime laffe dolente. 

c Laffe! fet-ele,que ferai? 

Laffe moi ! comment oferai 
a35 Merci crier au Roi de gloire , 

Qui tant ai mis le cors en foire ? 

Mes por ce que Diex vint en terre 

Non mie por les juftesquerre 

Mes por péchéorsapeler, 
40 Mon mesfet ne li doi celer. » 

Lors garde à l'entrer de l'églife 

Une ymage par grant devife 

En l'onor de la Dame fête 

Par qui ténébror fu dcsfete : 
45 Ce fu la glorieufe Dame. 

Adonc fe miff la bone famé 

A nuz genouz & à nuz coûtes ; 

Le payement moille de goûtes 

Qui des iex li chiéent aval, 
uSo Qui li moillent tout contre val 

Le vis & la face vermeille. 

Enfi raconte fa merveille 

Et fon péchié à celé ymage. 

Comme à .i. faint preudomme fage ; 

255 En plorant dift : c Virge pucele * , 

I . Les quatorze vers suivants ne se trouvent pas au 
Ms. 7633; ils sont reproduits dans le Dit de la famé 
et du Soucretain. (Voyez cette pièce, vers vifigt-cin- 
quième et suivants. ) 



^ 



Sainte Marie l'Kgiptianne. 27^ 

Qui de Dieu fus mère & ancele., . 

Qui portas ton fil & ton père , . 

Et tu fus fa fille & (a mère, 

Se ta portéure ne fuft* 
260 Qui fu mife en la croiz de fuit, . . c * 

En enfer fuffons fahz retor; . . 

Ci éuft péreilleufe ter. 

Dame, qui por ton douz falu 

Nous as geté de la paiu 
265 D'enfer , qui eft vils & obfcure , ' 

Virge , pucele nète & pure , . . 

Si com la rofe ifl de l'efpine , 

Iflis, glorieufe Rôïnë, 

De juerie qui eH poingnanz 
270 Ettu es fouef&oingnanz; 

Tu es rofe , & ton fils fruis. v . 

Enfer fu par ton fruit defirtiis. . .. 

Dame , tu amas ton ami , 

Et j'ai amé mon anemi ; 
275 Chaftée amas & je luxure : .: 

Bien fons de diverfe nature : û» . 

Je & tu qui avons .i. non. 

Le tien eft.de (i douz renon 

Que nus ne l'ot ne fi déduie; 
280 Li miens eft plus amer quç. fuie 

Nofire Sires ton cors ama; . /, 

Bien i pert, que cors & âme a 

Mis o foi en fon habitacle. 
• Por toi a fet maint biau miracle , 
285 Por toi honore-il toute famé , 

RlTTIBSUF, II. 1 8 



c.: 



274 ^^ ^^^ 

Por toi a*il fauve mainte âme,. 
. Por toi portière & por toi pottc:,, 

Por toi bri^ d'enfer la porte,, 

Por toi & por t'umilité , 
ago Por toi , por ta bénignité * , „ .: t £ 

Se fift ferjanz qui lires ière ; 

Por toi eft eftoiie & lumière 

A cels qui font en toz^ périls ; 

Daigna li tiens gloriex û\z 
295 A nous fère ceile bonté, :.t 

Et plus affez que n'ai conté. 



f Quant ce ot fet li Rois du monde, 
Li Rois par qui toz biens habonde , 
Monta es ciex avoee fon père. > 

3oo Dame , or te pri que à moi père ' 
Ce qu'il à péchéors promifi 
Quant le Saint-Efpir lor tramift : 
Il dift que )à de nul péchié 
Dont péchierres fuâ entechié^ 

3o5 Puis que de ce fe repentift 
Et dolor au cueren fentift, 
Jà ne les recorderoit puis. 
Dame , je qui fui mife el puis 
D'enfer par ma grant mefprifon i 

3io Getez-moî dé celle prifon. 



'■ ^ ^ 



I. Ms. 7633. Vax. 



Por toi, por ta miféricordei 

Por toi, Damt, &portacQaiord«, &«.< 



^ j 



Sainte Marie l'Ëgiptianns. 1^5 

Soviegne-vous de ceftt Idffe 

Qui de péchier toute autre pdTe. ' 

Quand vous lez voftre Fîl fertft, 

Que vous toute gent jugerez, 
3i5 Ne vous souviegne de itte$ fex 

Ne des grans péchiez que j'ai fet ; 

Mes , li com vous le poez fère , 

Prenez en cure mon afère 

Que fanz vous fui efi fort berete , 
3 20 Sanz vous ai perdu la quefde. 

Si com c'eft voirs &?je le faî 

Et par efpoir & par effai , 

Si aiez-vous de moi merci. 

Trop ai le cuer pâle & noirci 
3a3 De mes péchiez dont ne fal nomhtft 

Se ta douceur ne m'en defcombre. > 

Adonc fefl levée Marie ; 

Près li Ikmble que fu garie. 

Si ala la croiz aorer 
33o Que toz 11 mons doit hoitoftr; 

Quant ot oï le Dieu fetvMc 

Si fefl partie de l'églife. 

Devant Tymage eft reventre : 

De rechief diil fa convenue , 
333 Comment ele fe contendta. 

Si demande que devendra 

Ne en quel leu porra gauchir. 

Meftier a de Fâme franchir; 

Trop a efté à péchier ferv^. 



276 La Vik 

340 Dès or veut que 11 cors déferve 

Par quoi rame n'ait dampnement 
Quant c'ert au jor du jugement; 
Et difl : a Dame , en pièges vous met. 
Et fi vous créant & promet 

345 James en péchié n'encharrai. 
Entrez-i , je vous en garrai, 
Et m'enfeigniez quel part je fuie 
Le monde < , qui put & anuie 
A cels qui vuelent chafle vivre. » 

35o Une voiz oï à délivre , 

Qui li difl : « De ci partiras, . 
Auf moufUer Saint-Jehan iras ; 
Puis palTeras le flun Jordain , 
Et en pénitance t'enjoin 

355 Qu'avant foies confeffe fête 

De ce qu'à Dieu t'es fi meffete. 

a Quant .tu auras l'eve pafTée , 

Une forefl efpefTe & lée 

Delà le fleuve troveras. 
36o En celé foreft enterras ; 

lluec feras ta pénitance 

De tes péchiez , de t'ingnorance ; 

Ilueques feniras ta vie , 

Tant qu'aus fainz ciex feras ravie.' » 
365 Quant la dame ot la voiz oîe, 

Durement en fu efjoïe ; ' 

I. Ma. 7633. Var. Le siècle. 



Sainte Marie l'Egiptianne. 

Leva fa main, lî fe feigna, 
Ce fîfl que la voîz enfeigna , 
Qu'à Dieu ot le cuer enterin. 

370 Lors encontra .i. pèlerin ; 
li j. maailles , ce difl Teiloire , 
Li dona por le Roi de gloire. 
lij. petiz pains en acheta ; 
De cels vefqui , plus n'enporta : 

3jS Ce fil toute fa fouflenance 

Tant comme el fu en pénîtance. 

Au âun Jordain en vint Marie ; 

La nuit i prift hcbregerie : 

Du mouftier Saint- J ehan fu près. 

38o Sor la rive , dont doit après 
Paffer le âun à lendemain , 
Menja la moitié d'un fien pain *, 
De l'eve but faintefiée , 
Quant béu Tôt , mult en fu liée : 

385 De rêve a lavée fa tefte ; 

Mult en ûû grant joie & grant fefte. 
Laffe fe fent & traveillie ; 
N'ot point de couche appareillie, 
Ne dras de lin , ne oreiller : 

390 A terre Teflut fommeillier. 
S'ele dormi ce ne fîi gaires ; 
N'ot pas toz jors géu en aires. 
Par matin la dame fe liève. ^ 
Au mouftier vient & ne li griève ; 

3^5 Là reçut le cors Jhéfu-Crift , 



77^ 



^y8 La Vie 

Si com Qou^trovons enefcrit. 

Quant ek ot recéu le cors 
Celui qui d'enfer nous miil fors , 
Lors fe part de Jhérufalem , 

400 Puis f ea entra en .i. chalan \ 
Le flun paifa, el bois en vint : 
Sovçm de celui li fouviiit 
Qu'ele avoit mife en oftage 
A régli& devant Tymage ; 

405 Sovent prie qu'il la garifle , 

Que par cemptement ne guerpiile 
Cette vie ^Kifqu'à la mort ; 
Quar l'autre l'âme & le cors mort. 
Or n'a que .i). pains & demi ; 

41 o Meilier eft Dieu ait à ami ; 
De ççbne vivra-ele mie , 
Se Diex ne U fet autre aïe. 

Parmi le bois fen va la dame ; 
Ei% Dnati a mis fon cors & fâme. 

4 1 5 Toute j or va , toute j or vient , 
Tant ^ue la nuit venir covient. 
En lieu de biau palais de marbre 
S'eft couçhie defouz .i. arbre. 
, J . petit :iv»n)a de fon pain , 

420 Puis fendormi jufqu'à demain. 
Lendemain au chemin fe met 
Et du cbeimboer f entremet 
Vers oriant la droite voie. 



Sainte Marie x.'^Egiptianns. S79 

Tant chemina (que vous diroie ?) * 
^25 Toute devint el bois fauvage. 

Sovent réclaime fon oftage * 

Qu'ele ot devant Tymage mis : 

Meflier eft Diex li foit amis. 

La dame fu en la forefi ; 
-43o Mes que de nuit ne prent areft. 

Sa robe deront & defpièce : 

Chafcuns rains emporte une pièce; 

Quar tant ot en fon dos eflé ; 

Et par yver & par efté, 
435 De pluie , de chaut & de vant , 

Toute eft déroute par devant. 

N*i remeil mes coullure entière 

Ne par devant ne par derrière. 

Si cheveil font par fes épaules ; 
440 Lors n'ot talent de mener baules K 

A paine déiil ce fuft ele 

Qui' réuft véu damoifele , 

Quar ne paroit en li nul fîgne. 

Char ot noire com pel de cîgna ; 
445 Sa poitrine devint mofiue , 

Tant fu de pluie débatue. 

Les braz, les Ions dois & les mains 

Avoit plus noirs (& c'ert du mains) 

I. Le Ms. 7633 ajoute ces deux vers : 

A tout la foif , à tout lâ fin 
Et à petit d'yaue & de paim 

a. Bauïesi, danses, joyeusetés. 



^8o La Vie 

Que n'eftoit pois ne arremen^. 
4S0 Ses ongles rooingnoit aus denz ; 

Ne famble qu'ele ait point de ventre 

Por ce que viande n*i entre. 

Les pîez avoit crevez defus , 

Defous navrez que ne pot plus. 
455 Quant une efpine la poingnoit 

En Dieu priant les mains joingncHt : 

Celle règle a tant maintenue 

Plus de .xl. anz ala nue ; 

.Ij. petits pains non guères granz, 
460 De cels vefqui par plufors anz y 

Le premier an devindrent dur 

Com fe fulfent pierres de mur; 

Chafcun joren menja Marie, 

Mes ce fil petite partie. 

465 Si pain font feilli & mengié, 
Ne por ce n'a pas eflrangié 
Le bois por faute de viande. 
Autres délices ne demande 
Fors que Terbe du pré mefnue 

470 Si com une autre befle mue ; 
De Teve bevoit au ruifTel , 
Qù'ele n'avoit point de veflel. 
Ne fet à plaindre li péchiez ^ 

Puis que li cors feil atachiez 

475 A fêre lî port pénitance. 

D'erbes eftoit fa fouftenance : 
Déables tempter la yenoit 



I 

Sainte Marie l'Egiptianne. 281 

Et les fez li ramentevoît 

Qu'ele avoit fet en fâ jovente. 
480 Li uns après l'autre la tempte : 

t Marie , qu'es-tu devenue 

Qui en ceft bois es toute nue ? 

Léffe le bois & fi t'en is ! 

Foie fus quant tu i venis * . 
485 Tenir le doit à grant folie 

Cil qui voit ta mélancolie. 1 

La dame entent bien le déable, 

Bien fet que c'efl mençonge &. fable» 

Tant a apris l'onefte vie 
490 Que toute la mauvèfe oublie ; 

Ne Ten fovient , ne ne F en chaut 

De temptacion ne d'aifaut , 

Quar tant a le bofcage apris, 

Et tant de repas i a pris, 
495 Et fes pièges qui bien la garde, 

Et la viiîte & la regarde, 

Qu'ele n'a garde qu'ele en chiée 

Ne que déformés li mefchiée. 

Toz les .xvij. anz premiers 
5oo Fu li déables couflumiers 

De li tempter en itel guife ; 

Mes quant il voit que petit prife 

Son dit, fon amoneilement , ^ . \',i 

I. Le manuscrit ajoute : 

Bien a* getei ton cors à gafte 
Quant cil viz fans pain & fans pafte. 



^g2 La Vib 

5o5 Son geu & fon efbatement, 
Si la le0a; plus ne li nuit , 
Ne Ten fovint, ne la connuit. 

Or vous lerai efter la dame 

Qui le cors pert por garder Tâme; 

5 10 Si vous dirai d'une gent fainte 
Qui fefoit pénitance mainte 
En réglife de Paleftine; 
Eiloit la gent de bone orine. 
Entre ces genz ot j. preudomme 

5 1 S Que ZoziMAS Teftoire nomme. 
Preudom fu & de fainte vie : 
N'avoit des richèces envie 
Fors d'onefte vie mener, 
Et bien i favoit affener ; 

520 Quar dès le bercuel commença, 
Dès le bercuel , & puis en çà 
Jufqu'en la fin de fon eage , 
Jufques mort en prifl le paage. 
Uns autres Zozimas eiloit 

525 Â ce tens , qui guères n'amoit 
Ne Jhéfu^Crift ne fa créance, 
Âinz eiloit plains de mefcréance. 
Por ce c'on ne doit mentevoir 
Homme où il n'a point de favoir, 

53o Ne de léauté, ne de foi, 
Por ce le lais, de je ii doi. 
Gil ZoziMAs li bien créanz , 
Qui onques ne fu recréanz 



Sainte Marie l'Egiptiannb. 283 

De Di«u fervir entièrement , 

535 Cil trova tout parfètement, * 
Règle de moine & toute Tordre 
Que de riens n'en fîil à remordre. 
La converfacion des frères 
Procuroit comme abés & pères , 

540 Et par parole & par ouvraingne , 
Si que la gent de par le raine 
Venoient tuit à fa dodrine 
En réglife de Paleftîne, 
Por aprendre à ehaftement vivre 

545 Par les enfeignemens qu'il livre. 
L.iij. ans demora 
En réglife , & labora 
Tel labor com moines labeure : 
Ceft Dieu proier à chafcune eure. 

55o Un )or en grant elaélion 

De cuer en fa relégion 

Chéi , & diil en tel manière : 

c Je ne fai avant ne arrière 

Qui de mordre me péuft reprendre, 
555 Ne qui noient m'en péuft aprendre. 

Philofophe n'autre homme fage , 

Tant aient apris moniage 

N*a-il es defers qui me vaille : 

Je fui li grains, il font la paille. » 
5 60 ZoLiMAS a ainfi parlé : 

Lui loe par lonc & par lé. 

Si comt^mptez de vaine gloire , 



Jhéfu-Criz le prift en mémoire. 
J. Saint-Efperit lir envoie, ^ 

565 En haut li dift, fi que il Toie : 
c ZûziMAs , mult as èflrivé , 
Et mult as ton cuer fors rivé 
Quant tu dis que tu es parfez 
Et par paroles & par fez. 

570 Voirs eft , ta règle a mult valu; 
Mes autre voie eft de ûdu ; 
Et fe l'autre voie veus querre , 
Lais ta mefon , is de ta terre , 
Lai Télacion de ton cuer, 

575 Qu'ele n'eft preus qu'à geter puer, 
Fai aufî com fîft Abraham, 
Qui por Dieu foufri maint ahan , 
Qui f enfui en .i. mouftier 
Por aprendre le Dieu meftier 

58o De joufte le flun Jordain droit : 
Et tu fai iffi orendroit. » 

— c Biaus fires Diex, dift ZozuiAS, 

Gloriex père , tu qui m'as 

Par ton efperit vifîté , 
585 Lai-moi fère ta volenté. » 

Âdonc ifïî de fa mefon , 

Conques n'i ot autre refon; 

Le lieu left où tant ot efté 

Et par yver & par efté. 
590 Au ftun Jordain tantoft en vint, 

Quar le commandement retint 



Sainte Maiiie l'Ëgiptianne. 28S 

Que Diex'li avoit cominandé. 

Droit à réglife qui de Dé 

Efloijt iluec fête & fondée 
595 Le lâena cil fans demôrée. 

Venuz f en eft droit à la porte , 

Si cora Saint-Efperiz le porte. » 

Le portier apèle : il refpont, 

Que de -noient ne fe repont, 
600 Ainz ala querre fon abé ; 

Ne l'a efcharni né gabé. 

Li abés vient, celui regarde , 

De fourabit f eft bien pris gatdC , . - 

Puis fi f eft mis à oroifôji : 
6o5 Après orer dift fa refon ; 

Dift l'abés : t Dont eftes-vous , frère ? > - 

— De Paleftine , biaus douz père,. =: 
Por l'âme de moi miex^valoir 

Ai mis mon cors en nonchaloir, 
610 Por plus d'édificacion . • ^ 

Vieng en une relegion» » 
Et dift Û abés : « Biaus amis, 'i 
En povrc lieu vous eftes mis, » ' 

— € Sire j je vi par plufbrs fignes 

61 5 Que eifl lieus eft du mien plus dignes. » 

Dift Tabès par humilité : 
. « Diç3^ fet voftre fragilité , 

Et il fi vous enfaint à fère 

Tel chofe qui U doie plère ; 
620 Quar je vous puis bien afier . 
Nus ne puet î^iitre édefier ^ * ^ 



a66 La Vis 

S'il méi&nes à lui n'aprent 
Les biens , & il ne fe repent 
Des maus de qoi il eft temptez ; 
6a 5 Quar tels. font les Dieu vcdentez» 

c Et puifque la grâce devine 
Vous amaine à noftre doctrine y , 
Prenez autel corn nous avons , 
Que miez dire ne vous favons. 

63o Puifque Die^ nous a mis enfamble^^ 
Bien en penifera, ce me famble, . 
Et nous Ten leflbn convenir , 
Quar biea fet les fîens fouftenir. ?► 
ZoziMAs le preudomme entent ^ 

635 Qui nefe va mie vantant ^ 

Les frères vit de mult faint eftre» - 
Bien fervanz Dieu le roi céleltre . 
En géunes , en pénitances , 
Et en autres granz abilinances; 

640 En vigiles, en'faumoier 
Ne fi favoient amoier. 
N'avoient pas rentes à vivre 
Chalcune de centaine livre , 
Ne vendoient pas blé à terme ^ : 

I. Le Ms. 7633 ajoute les deux vers suivants r::. 

Mult li plout , nmlt li abeli, 

Qtf il n'cft prefompcions de li. ■< ^j 

a. Rutebeuf , dans une autre de ses pièces, adresse 
encore ce reproche au dergé-du XHI* siècle.- j^-i s 



.-.T 



Sainte Marie l'Egiptiannb. 287 

645 II finaiflent miex d'une lehne' 

Que d'une mine où d'un feiiier 

De forment fil lor fuft meftier. 

Quant ZoziMAs vit cefle gent 

Qu'à Dieu font li faint & fi gent, 
65o Et que de la devine grâce 

RefplendilToit toute lor face , 

Et il vit qu'il n'avoient cure 

D'avarifce ne de luxure , 

Ainz èrent en leu folitaite 
655 Por plus de pénitance faire, • 

Mult li fift grant bien , ce fâchiez ; 

Quar mult en fîi plus atachiez 

A Dieu fervir de bon corage ; 

Et bien fe penife. qu'ils font fage 
660 Des fecrez à leur créator. 

Devant Pafques font lor ator 

Dès la Purification , 

Et prenent âbfolucîon . 

De lor abé , fi com moi famble , 
665 Et puis f en iffent tuit enfanble 

Por fouflfrir & travail & paine 

Par les défers la quarentaine. 

Li .i. portent pain ou léun * , 

Li autre f en vont tuit géun. 
67a Se devient-il n'ont tant d'avoir 

Qu'il en puiflent du pain avoir ? 

En lieu de potage & de pain 
. _> -• 
u £éMii> légumes . 



%6% La Vie 

.' • ► •■-• 

Peffent de l'erbe par le plain 

Et des racines que il truevent ; . 

675 Ainfîne en quareifaie f efprueveat :' 

Grâces rendept & fi faumqient ; 

Et quant li .i. les autres voient-, 

Sanz arefnier & fanz mot dire 

t 

S'en paffent outre tout atire * \ 

680 Et àl'iffirde lor. mouftier, 

Dient ceft fiaume du fautier : ' 

t Sire , mes enluminemenz , . ] 

Mesf^us & mesfauvemenz, » . 
' Et les autres vers de ce fiaume. 

685 Ifli vont toute la quarefme. 
Nule foiz n'uevrent il la porte 
Se n'eft iffi com.Diex aporte . 
Aucun moine par aventure ; 
Quar li.lieus eft à defmefure • 

690 Si fauvages , fi folitaires. '.'■■/ 

Que trefpaflanz n'i p'afle gaires. 
Por ce i mena Diex fon preudommêi 
Et bien le perçut, c'eft la fomme, 
Que por ce lui amena Diex, 

695 Que mult eftoit humbles li lieus. 

Quant il partirent de Féglife , - 
Qu'el né remainfifl fanz fervîfe , ^ 
I frère ou .ij. il i leffoient 
Et tout àinfînques f en iflbient , 
700 Et lors feftoient clos li huis, 

I. Les six vers suivants manquent au M^< 7033, 



■B 



Saints Marie l'Egiptianne. 389 

Que jà ne fuflent ouvert puis. 

Devant à la Pafques florie 

Qu'amers, en lor herbrégerie 

Reperoient de cel bofcage, 
705 Et raportoit en fon corage 

Son fruit fanz Tun à Tautre dire ; 

Quar bien péuffent defconfire 

Lor penifée par gloire vaine 

Se chafcuns déiil fon couvaine. 
710 Avoec els ala Zozimas 

Qu'ainz de Dieu fervir ne fu las, 

Icil por fon cors fouflenir, 

Por Faler & por le venir 

Porta aucune garifon ; 
71 5 Ici n'ot point de mefprifon. 

.1. jor aloit parmi le bois 

Ne trova pas voie à fon chois, 

Nequedent fi ûfl grant jornée 

Et ala tant fanz demorée 
720 Que vint entre nonne & midi. 

Lors a crié à Dieu merci , 

Ses eures difl de chief en chief , 

Que bien en fot venir à chief ; 

Puis fe reprent à cheminer, 
725 Et bien vous di fans deviner 

Qu'il i cuidoit trover hermites 

Por amender par lor mérites. 

Iffi chemina les. ij. jors, 

Que petiz 11 fu li féjors. 
730 N'en trova nus , ii fe demeure ; 

RumEUP: II. 19 



390 La Vie 

A miédi commença feure. 

Quant.il ot f oroifon fénic 

Si fe torna d'autre partie , 

Et regarda vert orient, 
735 .1. ombre vit fonefcient ; 

.1. ombre vit d'omme ou de famé, 

Mes c'eftoit de la bone dame. 

Diex Tavoit iluec amenée. 

Ne voloit que plus fiift celée ; 
740 Defcouvrir li vout le trélor, 

Et bien eftoit refon dès or. 

Quant li preudom vit la figure 
Vers li fen va grant aléure. 
Mult fu cèle de joie plaine 

745 Quant ele ot véu forme humaine , 
Nequedent ele fu honteufe. 
De fuir ne fa péreceufe : 
Mult f enfui ifnèlement , 
Et cil la fuitapertcment, 

75o Cui no paroit point de viellèce , 
De f^tintife ne de perèce. 
Celui coroit tant à esfors, 
Et fî n'efloit-il guères fors, 
Sovent Fapele & dift : c Amie , 

755 Por Dieu, quarne me fêtes mie 
Corre après vous ne moi lafTer, 
Quar foiblesfui, ne pui paiTer. 
Je te conjurde Dieu le roi 
Que en ton cors metesaroi. 



iaesa^^ — ,.. ^^-» — ■..*> 



Sainte Marie l'Egiptianne. 291 

760 Briefment te conjur par celui 

Qui refufer ne fet nului , 

Par qui li tiens cors eft defers 

Et fi brullés par ces défers , 

De qui tu le pardon atens , 
765 Que tu m'efcoute & ii m'entens. » 

Quant Marie ot parler de Dieu 

Por qui ele vint en cel lieu , 

En plorant vers le ciel tendi 

Ses mains , & celui atendi ; 
770 Mes un ruiffel par maintes fois 

Avoit coru par les defroiz : 

Si a départi Fun de Tautre. 

Cèle qui n'ot lange ne fautre , 

Ne linge n'autre couverture 
775 N'ofa pas monftrer fa figure , 

Ainz li dift : f Père Zozimas , 

Por qoi tant enchacié m'as ? 

Une famé fui toute nue : 

Ci a mult grant defconvenue 
780 Gète-moi aucun garnement. 
' Si me verras apertement, 

Et lors m'orras à toi parler, 

Que ne mevueil à toi celer. » 

Quant Zozimas nommer Toî, 
785 Mult durement fen efjoï, 

Nequedent bien fet & entent 

Que deû de Dieu omnipotent. 

.1. de fes gamemenz li done , 



^9* 



790 



795 



8oo 



8o5 



8io 



8i5 



La Vie 

Et puis après l'en arefone , 

Et quant Marie fu couverte : 

Si a parlé à bouche ouverte : 

ff Sire , fet-ele , biaus amis , 

Je vol bien que Diex vous a mis 

Ci iluec por parler enfamble. 

Je ne fai que de moi te fanble , 

Mes je fui une pécherelTe 

Et de m'âme murtriflerefTe. 

Por mes péchiez, por mes mesfez , 

Et por les granz maus que j'ai fez 

Ving ci fère ma pénitance. » 

Quant cil ot fa reconnoifiance 

Se li vint à mult grant merveille , 

Mult f en elbahiil & merveille ; * 

A fes piez à genouz fe met , 

De li aorer fentremet 

Et béneïcon li demande. 

Cèle difl : c Droiz eil que j'atande 

La voftre par droite refon , 

Quar Êime fui, vous elles hom. » 

Li uns merci à l'autre crie 

Li béneïcon avant die. 

ZoziMAs fe jut en la place , 

L'éve li cort parmi la face : 

La dame prie par amor 

Bénéilfe-le lanz demor, 

Et li prie fanz mefprifon 

Por le pueple face orifon. 

Celé diil que il li devife 



Sainte Marie l'Egiptiannb. agS 

En quel point eft or fainte Yglife. 

Cil refpont : « Dame, ce me fanble , 

Que mult ont ferme pais enfanble , 

Li prélat & li apoftoles. » 

Et cil revient à fes paroles; 

Prie li qu'el le bénéiffe. 
[5 — « Ne feroit pas droiz je déilTe 

Avant de vous, Zozimas, fire : 

Preftres eftes, (î devez dire. 

Mult ert la riens faintefiée 

Qui de ta main fera feigniée. 

Diex aime ton prier & prife : 

Toute ta vie m'a aprife ; 

Quar tu Tas fervi dés enfance. 

En lui dois avoir grant fiance , 

Et je r^ai grant fiance en toi. 
15 Bénéis-moi, je te le proi. » 

-^ € Madame, ce difl Zozimas, 

Jà ma béneïçon n'auras 

Ne de ci ne lèverai mais , 

Ainz ert paffez avrils & mays 
40 For fain , por froit & por foufFrète , 

Devant que tu la m'aies fête, » 

Or voit bien & entent Marie 
Que por noient le détarie ; 
Sanz béneir n'en veut lever, 
Que que il li doie grever. 
Lors f eft vers Oriant tornée 
Et de prier f eft atornée. 



^94 La Vis 

c Diex , difl-ele , rois débonère, 
Toi pri & lo & je V doi fère. 
85o Sire, benéoiz foies- tu , 
Et toute la téue vertu ! 
Sire , noz péchiez nous pardone 
Et ton règne nous abandone , 
Si que nous t'i puiffons véir ; 

855 Si nous puiffes-tu béneir! » 
Adonc i'efl Zozimas levez 
Qui de corre fu mult grevez. 
Aflez ont parlé ambedui ; 
Cil l'efgarde, & ele lui. 

860 De rechief li dift : « Douce amie , 
Sainte "^life n'oubliez mie : 
Meilier eft qu'il vous en fouviegne , 
Que c'eft or la plus grant befoingneii 
La dame commence à orer 

865 Et en oraifon demorer, . 
Mes cil néant n'en entendi 
Des grâces qu'ele à Dieu rendi ; 
Mes ce vit-il bien tout fanz doute 
Que plus la longor du coûte 

870 Fu el levée en Pair amont , 
En Dieu priant demeura mult 
Zozimas fu fi efbahiz ; 
Qu'il cuida bien eftre trahiz. 
Enfantozmez cuida bien eftre : 

875 Dieu réclama , le Roi céleflre , 
Et fe treft .i. petit arrière 
Quant ele fefoit fa prière. 



liai 



Sainte Marie l'Egiptiannb. sgS 

Ele le prift â apeler : 

— f Sire, je ne te quiercéler : 
880 Tu cuides que fantofmes foie , 

Mauves efpériz qui te doie 

Décevoir , & por ce fea vas. 

Non fui, voir, frère Zozimas ; 

Ci fui ppr moi efpenéir 
885 Se Diex me puilfe bénéir, 

£t jufqu'à la mort i ferai , 

Que jamès de ci n'iflerai. > 

Lors a levée fa main deilre , 

Si le feigna du Roi céleflre. 
890 La croiz li fîfl el front devant , 

Ez le féur comme devant. 

De rechief commence à plorçr 

Et li prier & aorer , ^ 

Qu'ele li die fon couvaine, 
895 Dont ele eil née & de quel raine; 

Et li prie qu'ele li die 

Tout fon eilre & toute fa vie* 

L'Egypciene li refpont : 

f Que diras or fe te defpont 
900 Mes ors péchiez, ma mauvèfe oevre? 

Ne fai comment les te defcuevre . 

Nés li airs feroit ordoiez 

Se les avoie defploiez. 

Nequedent je le te's dirai , 
9o5 Que jà de mot n'en mentirai. 9 

Lors 11 a fa vie contée. . .... I - . . 



296 La Vie 

Tele comme ele Tôt men^é. 

Endementre qu'ele li conte 

Pocz ikvoir qu'ele ot grant honte 
910 En racontant fes granz péchiez. 

De honte li chéi aus piez , 

Et cil qui fes paroles ot 

Dieu en mercie & grant joie ot. 

« Dame , ce li dîil li preudom 
915 Gui Diex a fet fi riche don, 

Por qu'es-tu â mes piez chéue? 

Ci a mult grant defconvenue. 

De toi véoir ne fui pas dignes ; 

Diex m'en a bien monilré les fîgnes. » 

920 — « Père ZoziBfAS, dift Marie, 

Jufqu'â tant que foie fénie 

A nului ne me defcouvrir , 

N'a ton abé pas ne 1* ouvrir. 

Par toi voudrai eftre celée , 
925 Se Diex m'a à toi demonilrée : 

A l'abé Jehan parleras 

Ceft meffage li porteras : 

De fes oaiUes praingne cure. 

Tele i a qui trop f afféure ; 
930 De les amender ont meilier. 

Or te remetras au fentier. 

Saches en l'autre quarantaine 

Auras mis â une autre paine , 

N'afouviras pas ton défîr. 
935 En ton lit t'eUpura géfir 



Sainte Marie l'Egiptianne. 297 

Quant li autre f en iront fors , 
Quar trop fera foibles tes cors. 
Malades feras durement 
La quarantaine entirement. 

940 « Quant paflee ert la quarantaine 

Et vendra le jor de la çaine 

Garis fera ne m'en efmoi. 

Lors te pri devenir a moi. 

Adonc f en is parmi la porte ; 
945 Le cors noflre Seignor m'aporte 

En .i. veifel qui mult foitnet; 

Le faint fane en .i. autre met. 

Por ce que tu Taporteras 

Plus près de toi me troveras. 
950 Delez le flun habiterai 

Pou toi que g'i atenderai. 

Iluec ferai communiée ; 

Por après ferai déviée. 

Ne vi piecà homme que toi. 
955 Aler m'en vueil. Prie por moi. • 

A ceft mot f eft. de lui partie , 

Et cil fen va autre partie. 

Quant li fainz hom aler Ten voit 
Il n'a pooir qu'il l'a convoit. 
960 A terre f eft agenoiUez 

Où ele avoit tenu fes piez : 
Por feue amor la terre baife. 
Mult li fet grant preu & grant aife. 



298 La Vie 

• He! Diex, dift-il, gloriex Père 
965 Qui de ta fille féis mère. 
Aorez , fîre , foies tu ! 
Monftré m'as fi bêle vertu 
De ce que tu m'as enfeignié 
Quant defcouvrir le m'as daingnié. » 

970 Puis li membra du Dieu meftier. 

Si fen repère à fon mouftier 

Et fi compaignon enfemant. 

Que vous iroie plus rimant? 

Li tens pafla; quarefmes vint. 
975 Oiez que Zozimas avint. 

Malages le prift à grever ; 

Malades fu , ne pot lever ; 

Sot que voire ert la prophéfie 

Qu'il avoit 01 de Marie. 
980 Toute la quarantaine entière 

Jut Zozimas en tel manière. 

A la çaine garis fe fent , 

Que nus maus ne V va apreffent. 

Lors prift le cors noftre Seignor 
985 Et le faint fane à grant honor. 

Por le plefir la dame fère 

S'eft departiz de fon repère : 

Lentilles , cerres & formant 

A pris, puis fen va aitant , 
990 Et tèle fil fa fouftenance 

En bon gré & en pénitance. 

Au fiun Jordain vint Zozimas , 



Sainte Marie l^Egiptianne. 

Mes Marie n'i trova pas. 
Crient de la riens que plus coyoite 
995 Son péchié ne li ait toloite 
Ou que il ait trop demoré. 
Des iex a tendrement ploré , 
• Et dift : « Biaus Diex qui me féis , 
Qui le tien fecré me géhis, 

1000 Du tréfor que tu m'as ouvert, 
Qu'l toute gent eftoit couvert , 
Sire , monftre-moi la merveille 
Vers qui nule ne fapareille ! 
Quant ele à moi parier vendra , 

1 ooS Sire Diex , qui la m'amenra , 
Qu'il n'i a ne nef ne galie ? 
Le flun ne pafleroie mie. 
Père de toute créature , 
En ce pues-tu bien mètre cure. » 

10 10 De l'autre part Marie voit. 

Or croi-je que mult la connoit 
A avoir devers lui paflée , 
Que Teve eft aflez grant & Ice 
Il li crie : « Ma douce amie , 

I oi5 Comment n'i pafTerez-vous mie ? » 
Celé ot du preudomme pitié. 
Si fe fia eA Tamiflié 
De Jhéfu-Crift le roi du monde : 
De la main deflre faigna l'onde , 

1020 Puis entré cnz Outre fen pafla , 
Que de noient ne fi laffa 
Ne n'i moilla onques la plante, 



299 



3oo La Vie 

Si com l'Efcripture le chante. 

Quant li preudom a ce véu , 
1025 Grant joie en a au cuer eu : 

Por li aidier vint à rencontre; 

Le cors notre Seignor li monflre. 

N'oia por li fère feignacle 

Quant Diex por li fet tel miracle ; 
io3o Et quant de li fu aprochié 

Par grant amiilié Ta befié. 

c Amis , ce diil i'Égypciene 

Qui mult fu bone Creilieae , 

Tu m'as mult bien à gré fervie. 
io35 Ma volenté m'as aflouvie 

Quant tu m'as aporté celui : 

Grant joie doi avoir de lui. » 

Madame, dift li fainz hermites, 

Cil qui d'enfer nous a fet quites 
1040 Et de la grant dolor pefant, 

Eft-ci devant toi en préfant. 

C'efl cil qui par anoncement 

Prift en la Virge aombrement ; 

Ceil cil qui nafqui fanz péchié ; 
1045 Cefl cil qui foufiri atachié 

Son cors en la crois & cloé ; 

Ceil cil qui nafqui au noé ; 

Ceft cil de qui eft noftre lois ; 

Cea cil qui conduiil les .îij. rois 
io5o Par autre voie en lor régné 

Quant à lui furent amené ; 

Ceft cil qui por nous reçut mort ; 



Sainte Marie l'Egiptianne. 3oi 

C'eft li lires qui la mort mort , 

C'eft cil par qui la mors eft morte 
I o55 Et qui d'enfer brifa la porte ; 

C'eil li fîres tout fanz doutance 

Que Longis feri de la lance , 

Dont il iffî & fane & eve 

Qui fes amis nétoie & levé 
1060 CeU, cil qui au jor du juife 

Fera des péchéors juflife : 

Les tiens fera avoec lui eflre , 

Et li autre iront à feneflre. » 

— Je le croi bien , ce dift la dame. 
io65 En fa main met mon cors & m'âme : 

Ceil li fîres qui tout nétoie : 

Avoir le vueil quel que je foie. » 

Cil li done & èle Tufa. 

Le faint fane ne li refuf$i, 
1 070 Ainz li dona ; mult en fa liée. 

Quant èle fii communiée 

Grâces rent à fon Creator 

Quant èle a fi bien fon ator , 

Dont difl la dame : c Biaus douz père , 
1075 Toi pri que ta bontez me père : 

.XI & .ix. ans t'ai fervi ; 

A toi ai mon cors affervi. 

Fai de ta fîUe ton voloir , 

Mes que ne t'en doies doloir 
1080 Du fiècle voudroie venir 

Et voudroie à toi parvenir. 

Moult volentîers , biaus très donz lire , 



3o2 La Vie 

Qu'à toz mes maus m'as eflé mire. 

Moult me pleroit la compaignîe 
io85 A ta douce mère Marie. » 

Quant èle ot i'oroifon fînée 

Vers le preudomme l'eit tornée. 

Dift 11 qu'il Ten revoift arrier, 

Qu'acompli a fon défirrier. 
1090 — € A l'autre an, quant çâ revendras, 

Saches morte me troveras 

Ou leu où premier me véis ; 

Et garde que ne regéhis 

Mon fecré tant que me revoies , 
lOgS Et fi vueil encor toutes voies, 

Quant Diex nous a ci aflanblé , 

Que tu me dones de ton blé. 

Cil a pris de fa garifon , 

Si Ten doiia fanz mefprifon. 
1 100 .lij. grainz en a mangié fanz plus 

Que n'otcure de feureplus *. 

Lors a vers le ciel regardé ; 

Si fil ravie de par Dé 

Et portée à fon leu premier , 
I io5 Et cil f en retoma arrier. 

La dame éfl à fon leu venue : 
La très douce dame en falue , 

!• Le Mft. 7633 ajoute ici : 

, '^x. anz. ot eftei e] leu gafte 

Que n*ot mangié ne pain ne pafte. 



iSiii^É— Il I Mil ^'111 iiaiM 



SAiNTfi Marie l'Egiptiannb. 3o3 

Et lî & fon glorièx fil , 
Et que de li li fovîegne-il. 
1 1 10 c Diex , dift-èle, qui me féis 

Et en mon cors âme méîs , 

Bien fai que tu m'as eu chière 

Quant tu as oï ma prière. 

Aler m'en vueil de cefte vie : » 

1 1 1 5 Je voi venir ta compaignie , 

Je croi que il vienent por moi ; 

M'âme & mon corscommantà toi. » 

Lors fefl a la terre eilendue 

Si comme ele efloit prefque nue ; 
1 1 20 Ses mains croifa for fa poitrine , 

Si fenvelope de fa crine , 

Ses iex a clos avenaument 

Et toute fa bouche enfement. 

Dedenz la joie perdurable , 
II25 Sanz avoir paor du déable, 

Ala Marie avoec Marie. 

Li mariz qui là fe marie 

N'eA pas mariz à Marîon : 

Bien ell fauvez par Marie hom 
1 1 3o Qu'a Marie feil mariez 

Qu'il n'eil pas aus maris iez. 

Povrement fu enfevelie ; 
Couverte n'ot c'une partie 
De li du drap que Zozimas 
II 35 Li dona, qui fu povres dras. 
Poi ot le cors acouveté ; " 



304 La Vie 

Diex ama moult tel povreté , 
Et riche & povre & foible & fort 
Sachent font à lor âme tort 

1 140 Se richement partent du fîècle y 
Quar l'âme n'aime pas tel riègle. 
I^ dame jut defus la terre , 
Qu'il n'eft nus qui le cors enterre » 
Ne oifel ne autre vermine 

1 145 N'i aprocha tout le termine. 
De li garder Diex fentremifl, 
Si que fa char ainz ne maumiil» 
ZoziMAS ne foublia mie 
Qui fîi venuz en f abéie , 

1 1 5o Mes d'une rien li griève fort 
Et moult en a grant defconfort. 
Que il ne fet ne o ne non 
A dire comment ele ot non. 
Quand cel an fu tout trefpaffé 

1 1 55 Si a outre le flun paffé ,' 

Par le bois va la dame querre 
Quigift encor defus la terre. 
Aval & amont la reverche 
Si qu'entor li méifmes cerche ; 

1 160 Près de li eft, n*il n'en fet mot. 
f Que ferai- je , fe Diex ne m'ot 
Et il la dame ne m'enfeigne ? 
Or ne lai-je que je deviegne ! 

t Sire Diex, ce dîft li preudom , 
1 165 S'il te pleil done-moi tel don 



Sainte Marie l'Egiptianne. 3o5 

Que je puidè véoir celi 

Qui tant a à toi abeli. 

Ne me mouvrai Ton ne m'emporte , 

Se ne la truis ou vive ou morte ; 
1 170 Mes fêle fuft vive , je'crôi 

Qu'ele venift parler â moi. 

Sire , fe'tu de moi as cure , 

Lai^moi fère fa fépulture* » 

Quant il ot proie Jhéfu-Crift , 
1175 Si ccvn nous trovons en efcrit , 

En grant clarté , en grant odor , 

Vit celé où tant avoit d'pmor. 

De Tun de fes dras fell mis fors, 

S'en a envelopé le cors; 
1 1 80 Mult tendrement les piez li baife. 

Grant douçor il ûiï & grant aife, 

Puis Tefgarda de chief en chief : 

Si vit .i. efcrit à fon chief 

Qui nommoient la creftiene : 
1 185 Oeji Marie VÈgypcieneî 

Adonc a pris le cors de li ; 
Mult humblement l'enfeveli. 
Grâces rendi noilre Seignor 
Quant il li a fet tele honor. 
1 190 Ce le féiil mult e()oîr 
S'il éuft por li enfouir 
Aucune âme â la foffe fère. 
Adonc n'i a demoré guère 
Que il vit vienir .i. lyon ; 

lUjTtBIOF. IL tO 



3o6, La Vie 

1 195 Mult en fil efbahiz li hom ; 
Mes il vit fi h.umble la belle , 
Sanz (anblant de fère moleile , 
Bien fot que Diex li ot tranfmis. 
Puis li a dit : « Biaus douz amis, 

laoo Celle famé avoit non Marie , 
Qui mult par fu de fainte vie« 
Or tepri que nous Fenterriens, 
Si f en pri mult for toute riens ; 
Or te pri de la folTe fère. • 

iao5 Qui lors la belle debonère 
Véill piez en terre fichier 
Et à fon mufel afichier ; 
De terre gète grant foifon 
Et de fablon mult plus c'uns hom. 

1210 La folTe fet grant & parfonde 
Por celé dame nète & monde. 
Quant la folfe fu bien chevée 
Li fainz hermites Ta levée 
A fes mains par devers la telle , 

la 1 5 Et par les piez le prill la belle. 
En la folle Pont-il dui mife 
Et bien couverte à grant devife. 

Quant la dame fu enfouie 
Et la belle f en ell fuie , 
1220 ZozncAS remell lez la dame 
(Ne troverez mes tèle lame). 
Toz jors volentiers i féill ; 
James mouvoir ne fen qu^iû» 



j 



Sainte Marie l'Egiptianne. 307 

Grâces rent au Roi glorieux 
1 225 Qui aus fiens n'eft pas oublieus , 

Et dift : c Diex ! bien fai fanz doutance , 
Fols eft qui /en toi n'a fiance. 
Bien m'as monftré, biaus très douz fire. 
Que nus ne fe doit defconfire 
1 23o Tant ait elle péchierres fors ; 
Que tes fecors & tes confors 
Li eft toz jors appareilliez , 
Puifqu'il fe foit tant traveilliez 
Qu'il en ait pénitance fête. 
1235 Bien doit à toz eftre retrète 

La vie à la benéurée 
^ Qui tant fe fift deffigurée. 
Déformés , por la feue amor 
Etpor la teue, à toi demor'; 
1240 Ne jà por mal ne por defcorde 
Ne vueil defcorder de ta corde. > 
En plorant retorna arrière ; 
Toute la vie & la manière 
Conta au chapitre en couvent 
1245 Conques n'en menti par couvent, 
Comme il es défers la trova 
Et com fa vie li rouva 
A raconter de chief en chief ; 
Comment il trova^â fon chief 
i25o En .i. petit brievet efcrit 

Ce qui fon nom bien li defcrit ; 
Comment il li vit paffer Tonde 
Du flun Jordaingrant & parfonde, 



3o8 La Vie 

Tout fanz chalant & fanz batel , 
1255 Toutauii com fen .i. chaftel *' 

Entraft parmi outre la porte , 

Et comment il la trova morte ; 

Comment il l'acommenia , 

Comment ele prophécia 
1 260 Qu'il girroit en la quarantaine ; 

Comment ele di/l fon couvaine 

Qu'il efloit , comment avoit non 

Et fil eftoit preftres ou non ; 

Comment uns lyons i forvint, 
1 265 Qui par devers les piez la tint ; 

Comment l'aida à enfouir, 

Et puis fi fen prift à fuir. • 

Li preudomme oient les paroles 

Qui ne font mie de frivoles ; 
1 2 70 Les mains joingnent, vers Dieu les tendent, 

Et grâces & merciz li rendent. 

N'i ot nul n'amendail fa vie 

Por le miracle de Marie ; 

Et nous tuit nous en amendon 
1275 Tant com nous en avons ban don ; 

N'atendons pas jufqu'à la mort : 

Nous ferions trahi & mort ; 

Quar cil fe repent trop à tart 

Qui por pendre a nu col la hart. 

laSo Or prions tuit à cefte fainte 

Qui por Dieu fouffri paine mainte 
Qu'ele prit à celui Seignor 



: Ma 






Qu'en la fin li fift tele honor 
Qu'il nous doinll joie perdurable 

ia8S Avoec le père efpériiab'e. 

Por moi qui ai non Rustebuef , 
Qui efl dit de rude & de buef, 
Qui ceftevie ai mife en rime, 
Que icefle Dame faintifme 

1290 Prit celui cui ete eft amie 

Qu'il Rustebuef n'oublie mie. 

. . %mtn. 



Crpltcit la 10tc JHarte l'Cggpticnt. 





fa Vit SSainU ClQ^obeli 

^ ci enctrnmence 

fa Mit SSainU (Cl^aabrl^ 

Ms8. 7318, 7633. 

IL Sires dîil que l'en aeure : 
>« Ne doit mengier qui ne labeure ; i 
Mes qui bien porroit laborer, 
Et en laborant aourer 
5 J héfu , le père efpéritable , 



I. M. de Montalembert a publié en i836 l'Histoire 
de sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringt 
<x 207-1231). Ce livre est précédé d'une instruction 
où l'auteur développe brillamment toute l'histoire de 
la première partiedu XIII«slècle. A la suite de cetteintro- 
duction , il donne l'indication des sources historiques 
consultées par lui pour la Vie de ^sainte Elisabeth; 
elles sont nombreuses. Parmi elles se trouvent deux 
poèmes allemands du XIII* et du XV* siècles, l'un exis- 
tant aux archives deDarmstadt, l'autre faisait, hélas 1 
partie de la bibliothèque de Strasbourg. Nous avons 




La Vie Sainte Élysabel. 3ii 

A qui loenge eft honorable , 

Le preu feroit de cors &. d'âme. 

Or pri la glorieufe Dame , 

La Virge pucèle Marie , 
lo Par qui toute famé efl garie 

Qui la veut proier & amer, 

Que je puKTe en tel lieu femer 

Ma parole & mon dit retrère 

Quar autre labor ne fai fère) ^ 
1 5 Que en bon gré celé le praingne 

Por qui j'empraing celle befoingne , 

YsABYAUS, famé au roi Thibaut^, 

aussi en France un poème du même temps (Ms. 1862 , 
fonds Saint-Germain ) sur le même sujet. Son auteur, 
qui se nomme àlafin de son œuvre^ est frère Robert de 
GambHnnuel. J'ai donné ce poôme dans ma première 
édition de Rutebeuf. Quant à sainte Elisabeth, voici 
quelques détails sur elle. Elle était fille de Gertrude 
de Méranie ou d'Andechs. Dès son enfance , elle fut 
fiancée au jeune Louis de Thuringe , fils du landgrave 
Hermann, et, à peine parvenue kVàgc de raison, elle 
>se fit remarquer par sa piété ainsi que par sa charité. 
Elle mourut à vingt-quatre ans, en odeur de sainteté, 
ctGr^ire IX la fit canoniser en i235. L'une de ses 
filles, Gertrude, abbessed'Aldenberg, reçut plus tard 
le même honneur de Clément V. 

I. Il paraît que Rutebeuf tenait à bien inculquer 
cette idée à ses protecteurs, car elle se représente plu- 
sieurs fois dans ses poésies. Voyez La Bataille des 
vices contre les vertus et Le Mariage Ruftebeuf, 
: a. Ceci indique que la Vie de sainte Élysabel a été 
composée de i255à 1271, puisque ce fut à la première 
de ces époques qu'Isabelle, fille de S. Louis, épousa 



3i2 La Viç Sainte Elysarkl. 

Que Diex i^ce haitié & haut 

En fon règne , avoec fes annis , 
20 Là où fes difciples a mis. 

Por li me vueil-je entremetre 

De ceile eiloire en rime mètre 

Qui eft venue de Hongrie. 

Si eft li procès & la vie 
«S D'une dame que Jhéfu-Criz 

Ama tant (ce dift li efcriz) 

Qu'il Tapela à fon fervife : 

De li lift-on en Sainte Yglife. . 

Elyfabel ot non la dame 
3o Qu'à Dieu rend! le cors & l'âme. 

Si com r en tient le lis à bel, 

Doit l'en tenir Elyfabel 

A fainte , à fage & à fenée. 

Vers Dieu fe fii 11 aliénée 
35 Que toz i fu fes cuers entiers 

Thibaut de Navarre, et qu'à la seconde elle mourut 
peu de temps après son mari. Si je ne me trompe, 
Rutebeuf ne veut pas dire ici que la vie de sainte 
Elisabeth lui avait été commandée^ par Isabelle de 
Champagne y comme on l'a cru; mais qu'il sait bien 
que son travail était destiné à cette princesse. La 
preuve s*en trouve à la fin de cette pièce même, où il 
avoue, non sans un orgueil mal déguisé, que l'his- 
toire de sainte Elisabeth, lui a été commandée par 
Érart de Valéry, alors . connétable de Champagne, 
qui la lui fit traduire du latin en rimefrançoise, et au* 
quel il adresse la prière de la présenter à la reine de 
Navarre, afin qu^elle éprouve une grande joie cnten» 
tendant lire. » 



^■l^fli 



La Vie Sainte Elysabel. 3iS 

Et fatendue & fes meiliers. 
Yfabiaus fu mult gentiz famé. 
De.grant lingnage & preude famé, 
De ro,is,.d'empereors, de contes, 
40 Si com nous raconte li contes. 

La renommée de feiloire 
Ala à la pape Grigoire. 
.Viij. apoiloiles ot à Rome 
Devant ceftui , ce eft la fomme , 
45 Qui furent nommé par ceil non. 
Preudom fu & de grant renon , 
Et droiz pères en yérité 
Et au pueple & à la cité. 

I 

i 

- : Chafcuns de la dame parla 
5o Et des miracles que par là 

Fefoit, de contrez redrecier, 

De fours oïr fols radrecier , . 

De malades doner fanté , 

D'autres vertuz à grant plenté. 
55 Quant noftre pères l'apoiloles 

Ot entendues les paroles 
^ Et la fainte vie à celi 

Que Dieu & au fiècle abeh , 

Par feremenz le fift enquerre 
60 Aux^ranz preudommes de la terre 

C'on li mandait par lettres clofes 

Le procès & toutes les chofes 

Que Ten en la dame favoit, 



3i4 La Vie Sainte Élysabel. 

Qui fi grant renommée avoit. 

65 Li grant preudomme net & pur 
S'en alèrent droit à Mapur ^ , 
Là où celte dame repofe, 
Por miex enquerre cède chofe. 
Si alTamblèrent, ce me famble, 

70 Evefque & arcevefque enfamble , 
Et preudomme relégieus 
Qui n'eftoient pas envieus 
De dire fisible en lieu de voir. 
Quanques Ten pot apercevoir 

75 De fes miracles & trover 

Que l'en pooit par droit prover 
Enquiilrent bien icil preudomme , 
Dont je les nons pas ne vous nomme ; 
Et ne porquant ifnelement 

80 Se il ne fulfent Alemant 

Les nommailTe , mes ce feroit 
Tens perduz qui les nommeroit : 
Pluftoft les nommaifle & ainçoîs 
Se ce fuit langages françois ; 

85 Mes n'ai meltier de dire fable : 
Preudhomme furent & créable. 

Les preudes genz firent éfcrire 
En parchemin & clorre en cire 
Quanqu'il porent apercevoir, 

I. Marbourg. 



La Vie Sainte Élysabsl. 3i5 

90 Sanz affembler mençonge à voir. 

Li meffagier furent mandé ; 

Oncques n'i ot contreinandé. 

Âifamblant foi ; ailkinblé furent. 

Enfamble , ce me lamble, murent , 
95 Lor befoingnes bien atorhées ; 

Tant alèrent par lor jornées , 

La voie plaine & la perroufe. 

La pape truèvent à Perroufe. 

Toft fuft la novèle feue ; 
100 La piétaille f efl efméue : 

Chafcuns vi^nt , chafcuns i acort. 

Li meflagier vindrent à cort ; 

L*apofloile baillent Tefcrit 

Là où li fet furent defcrit 
io5 D'Él)rfabel la dame fage : 

Mult furent joï li meflage. 

L'apoftoiles les^lettres œvre 

Là où li procès & li œvre 

De celé dame fu defcrite 
1 10 Qui fi fu de très grant mérite. 

Cil iains preudom la lettre lut : 

Li lires mult li abelut. 
- Mult prife la dame & honeure ; 

Por la dame de pitié pleure 
II 5 Et de la grant joie enfemant. 

Que vous iroie plus rimant ? 

Saintefiée fu & fainte ; 

Puis flfl-ele miracle mainte , 



3i6 La Vie Sainte ÉlysâbeL. 

Que vous m'orrez retraire & dire : 
1 20 Dès or commence le matire. 

Ce fti doné à la Parrouffe 

Por la dame relegioufe 

De bone converfacion , 

En Tan de Tincarnacion 
laS .M. & .ce. & .iiij. & .xxx., 

Si com Tefcripture le chante. 

Por noient vit qui ne f avoie : 
Qui ne veut tenir bone voie 
Toft eft de vole defvoiez : 

i3o Por ce vous pri que vous voiez 
La vanité de cette vie 
Où tant a rancune & envie. 
Cil qui tout voit nous ravoia 
Qui de paradis la voie a 

1 33 Batue por nous avoier ; 

Véez , provoft ; véez , voier ; 
Voie chafcuns, voie chafcune : 
Or ni a-il voie que une , 
Quar l'autre voie avoiera ; 

140 Fols ert qui le convoiera : 
N'i fu par la dame avoié 
Qui des angles fu convoie 
Lafus en paradis céleftre , 
Quant du ftècle déguerpi Peftre , - 

145 Que fainte vie & nète & monde 
Ot menée la dame el monde. 
Au roi de Hongrie lii fille. 



La Vie Sainte Élysabel. 3i7 

Sa vie , qui pas ne l'avilie , 
Difl que dame fu de Teringe. 

1 5o Aflez fovent le(& le linge 
Et n frotta le dos au lange. 
Du fîècle fîi alTez eflrange : 
A Dieu fervir vout fon cuer mètre , 
Quar ; fi com tefmoigne la lettre , 

i55 Vertuz planta dedenz fon cuer : , 
Aus œvres parut par defuer, 
Toz vifces de fa vie ofla : 
De Dieu fofte qui tel ofte a ; 
Ne puet amer Dieu par amors. 

i6o Efcolefu de bones mors, 
Examples fu de pénitance 
Et droiz mireors d'ingnorance , 
Si com briefment m'orrez retrère , 
Mes qu*il ne vous doie déplère. 

i65 Si honefte vie mena 

Tant comme en cefl fîècle régna, 

Dès qu'eie n'avoit que .v. anz 

Jufqu'ele en ot ^ ne fai quanz , 

C'eft-à-dire toute fa vie , 
170 Que d'autre vie n'ot envie , 

Si com li preudomme Tenquiftrent 

Qui à Tapoftoile le diflrent. 

N'ofla pas bien vifces de li 

Cele qu'à Dieu tant abeli , 
1 75 Quant ele , qui fi gentiz dame 

Eftoit com plus puet eftre &me , 



3iS La Vie Sainte Élysabel. 

Firioit les vanitez du fiècle, 
Et enfeignoit la droite riègle 
D'avoir le règne perdurable 

i8o Âvoec le Père efpéritable 
A celsqui avoec li eiloient, 
Qui de tel vie la iavoient ? 
Orgueil, iror & gloutonie, 
Et vifces dont Tâme eft honie , 

x85 Luxure, accide & avarifce, 
Et puis après le vilain vifce 
Qui a non envie la maie , 
Qui Tenvieus fet morne & pâle , 
Oila ii & miii à fenellre 

190 Que Diex en ama miex fon élire, 

Por ce que fermoner me griève , 
Le prologue brieûnent achiève , 
Que ma matire ne deilruie. 
L*en dit que biau chanter anuie ; 

195 Dr m'eftuet brief voie tenir ; 
A mon propos m'efluet venir. 
Efcoutez donc , ne fêtes noife : 
Si orrez jà , fil ne vous poife, 
Les miracles apers & biaus 

300 Que celé fainte Elyfabiaus 
Fift à fa vie & à fa mort. 
Ainz puis meillor dame ne mort 
La mort qu'ele vint celi mordre , 
Que Dieu fervir fe vout amordre. 

3o5 Ne tint mie trop le cors chier : 



La Vie Saintç Élysabel. 319 

Ayant fe lelTaft efcorcier 
Qu'au cors féift fa volenté , 
Tant ot le cuer. à Dieu planté. 

En .iii j . pars eft devifiée 
210 Sa vie , qui tant eft proifîée. 

La première partie diil 

Les oevres qu'en fa vie fiil : 

Comment à Dieu fervir aprift 

Jufques lors qu'ele mari prift, 
2i5 Comment'fe tint & nète & monde. 

Or dit la partie féconde 

Comment fu preude famé & fage 

Puifqu'ele entra en mariage. 

La tierce partie devife 
220 En quel manière & en quel guife 

Vefqui puis, la mort fon feignor, 

Qui tant la tint à grant honor, 

Tant que par grant dévocion 

Prift Tabit de relegion. 
225 Ne vous vueil pas fère lonc conte : 

La quarte partie raconte 

Comment celé qui tel fin a 

Sa vie en Tordre defina. 

Puis orrez en la fin du livre , 
23o Se Jhéfu-Criz ianté me livre, 

Miracles une fînité , 

Que cil de fa voifinité 

Qui furent créabït & preudomme 

Provèrent à la cort de Romme. 



330 * La Vie Sain.te Slysabel 

235 Mult eft mufars qui Dieu me croit 
Et cil mauves qui fe recroit 
De celui Seignor crlembre & croire 
Qui nule foiz ne fet recroire 
D'acroiftre cels qui en lui croient ; 

240 Dont font cil fol qui fe recroient , 
Qu'au <Iréator merci ne crient. / 
Cil qui de cuer vers lui Tefcrient , 
S'ils ont el créator créance , 
Endroit de moi, je croi en ce 

245 Que lor lermes , lor plor , lor criz , 
ûu David ment & fes efcriz , 
Seront en joie converti ; 
Et cil feront acuiverti 
Qu'adès acroient for lor piaus, 

25o Quar li paiers n'ert mie biaus. 
Cefle dame, qui en Dieu crut, 
Qui for fes piaus guères n'acrut , 
Se dut bien vers Dieu apaier, 
Quar de légier le pot paier, 

255 Or, dit Teftoire ci endroit, 
.V. anz a voit d'aage droit 
Elyfabel, la Dieu amie, 
Qui fille ert au roi de Hongrie , 
Quant à bien fère commença. 

260 Dès les .V. ans & puis en cà, 
Ot avec li une pucèle. 
Gente de cors & j<5ne & bêle 
Et virge efloit, & monde & note : 



i^ 



La Vie Sainte. Élysabe^. 3ai 

Pucèle, non , mes pucelète. 
a65 Avoec li fii por li efbatre : 

L'une ot .v. anz, & Tautre .îv. 

A celé virge fu requis 

Et bien encerchié &, enquis , 

Qu'avoec la dame avoit elle 
170 Et maint yver & maint eflé , 

Qu'ele déift tout le couvaine 

Comment la dame fe demaine. 

Celé jura & diil après : 

t Or, efcoutez ; traiez-vous près; 
ajS S'orrez, dift-ele, de celi 

Qu'à Dieu & au fiècle abeli. 

Je vous di defeur ma créance 

Que celle dame dès enÊince 

Si mifl toute fentencion 
280 En Dieu & en rélegion ; 

Là fu fes droiz entendemenz , 

Ses geus & fes efbatemenz. 

Quant dès lors que .v. anz n'avoit 

(Je ne fai fe lettres favoit) 
285 Portoit .i. fautier à Téglife 

Si com por dire fon fervife. 

Lez Tautel voloit demorer 

Si com fêle déufl ourer. 

Aifiiélions fefoit-el toutes 
290 A nuz genouz & à nus coûtes ; 

Au pavement joingnoit fa bouche ; 

N*i favoit nul vilain reprouche. 

RUTEBEUF. II. ai 



^ 322 La Vie Sainte Élysabel. 

t 
c Li enfant qu'avoec ii efloient 

.1. geu foventes foiz fefoient, 

295 Si com de faillir à .i. pié ; 

Et celé par grant amiftié t 

Si.feufuioit vers la chapele, 
Et leifoit chafcune pucèle , - £:£ 

Si com fades deuil faillir, 

3oo Quant à l'entrer devoit faillir , 
Tant avoit cuer fin & entier 
Que por Dieu befoit le fentier. 
Sachiez jà ne fuft en cel lieu , : Ii 

S'ele jouafl à quelque gieu , 

3o5 Que fefpérance & fa mémoire 
Ne fufl à Dieu , le Roi de gloire ; 
Quar fe li cors juoit là fuer, 
A Dieu avoit fichié le cuer. Ii£ 

Ainii juoit fanz cuer li cors : 

3 10 Li uns à Dieu, Fautre là fors < ; 
Affez avoit de geu en aus. 
Un geu que l'en dit des aniaus, 
A quoi l'en gaaingne & pert, 
Savoit-ele tout en apert ; ri^c 

3 1 5 A ce geu gaaingnoit fovent , 

Et il départoit par couvent - 

Aus povres pucèlës meifme ^ 

De treilout fon gaaing la difme. 
Celé qui fon don recevoit '^^^ 

320 Par covent fet dire devoit 

I. Les seize vers suivants manquent au A^ 76^3. 



La Vis Saints Élysabjcl. i%i 

La pâtre noilre & le fala 
La dame qui tant a valu. 

c A ce geu mult fagenoilloit ; 

Couvertement les mains joingnoit^ 
3a5 Et difoit : Ave^ Maria, 

De chief en chief ce qu'il i a. 

A aucune des pucelètes 

Difoit : c Je vueil lez moi te inètes^ 

Si' te vueil proier & requerre 
33o Que nous mefurons à la terre , 

Quar de favoir fui mult engrant 

Laquel de nous .ij . eil plus grant. » 

Si n'avoit de mefurer cure : 

Por li couvrir, parla mefure 
335 Voloit que plus de bien féift 

Et plus de proières dél&. 

tEncorvous di-je de rechlef, 

Por ce que faint Jehan en chief 

Efl garde de toute chailé , 
340 Que la feue ne fufl gaflée ; * 

Por ce i ot^el famor naife 

Et fon cuer mis en fon fervife. 

Celui évangeliilre amoit ; 

Après Dieu feignor le clamoit. 
345 S'on li demandoit por celui 

Ele n'efcondifoit nului : 

Celui fervi , celui ama ; 
IRx AfT^ Dieu fon cors & fâmea 



3i4 La Vie Sainte Élysabel. 

Mis à celui du tout en garde : 
35o Ne fift pas que foie mufarde. 

Se l'en li éufl chofe fête 

Dont ele fuft en iror trète , 

Por faint Jehan Tevangeliftre , 

Son droit meftre & fon droit meniftre , 
355 Li eftoit du tout pardoné 

Que ja puis n'en fuft mot foné.' 

•Encor vous di fil avenift 

Qu'aler géfir la cônvenift , 

S'ele n'éuft affez prié 
36o Dieu & de cuer regracié , 

Ele prioit en fon lit tant 

Que mult fi aloit délitant. 

Après vous di en briez paroles , 

En geusy en feftes, en caroles 
365 Et à quanqu' enfant doit plère , 

Si com fe n'en éuft que fère , 

Leffoit-ele , fâchiez fans doute ; 

Quar ne prifoit guères tel route 

Envers l'ami c'on doit amer, 
370 En qui amor n'a point d'amer. • • 

<r Aus feftes & aus diemanches* 
Ne metoitganz, ne veftbit manches 
Tant que midis eftoit paffez ; 
Et autres veus fefoit affez 
375 Dont anuis feroit à retrère , 

I. Les six vers suivants manquent au Ms« 7633. 



J 



La Vie Sainte Elysabel. 3a5 

Et j'ai mult autre chofe à fère. 
-Âinfî vefqui en fa jonece. 

Affezot anui & deftrece 

Ainçois qu'ele fuft mariée , 
38p Quar à nomr eftoit livrée 

Aus plus granz feignors de Tempirc : • 

De toutes genz eftoit la pire 

Qui fuft en la maifon fon père. 

Dure gent i ot & amère 
385 Envers li plus qu'il ne dévoient : . 

Par envie mult li grevoient , 

Tant i avoit venin & fiel. 
' • Cefte prendra la grue au ciel y 

Fefoient-il , par ataïne , » 
390 Tant avoient à li haïne 

Por ce c'oneftement vivoit ; 

Et li faus envieus qui voit 

Honefte gent d'onefte vie 

A toz jors d'aus grever envie. 

395 Quant que fon ieignor éuft 

Ne que de l'avoir riens féuft 

Fors , ainfi com la gent devine , 

Cil qui fiavoient le couvine 

^ Sfl n feignor li blafmUent fouvant, 
400 Et li.aloient reproyant 

Ce que il la voloit jà prendre. 

Se il li péuflent desJfendre 

11 li éuifent desfendu 

Que jà n'i éuft entendu; 



:>^ 



3s6 La Vie Sainte Élysabel. 

4o5 Et difoient (i confeillier : 

c Nous nous poons mult merveillîer '-'^ 

Que béguins volez devenir ; 

Ne vous en poez plus tenir ! 

Ceft folie qui vous enhète. • 
410 Volentiers Teuflent fouftrète 

Et menée en aucun manoir. 

Quant il virent que remanoir 

Ne porroit mes , c'eft la parclofe , 

Et li éuflënt fet tel chofe 
415 Dont ele perdift fon douaire, 

Et f en reperaft au repaire r^ 

Son père dont ele ert ifTue ; 

Mes Diex Ten a bien desfendue, 

Quar celui que Diex prent en cure 
420 Nus ne li puet grever ne nuire. 

Or avez oïe fenfance - * ^'^^ 

Toute , fet celé , fanz doutance. i 

— f Bêle fuer , combien puet avoir 
Que vous poez apercevoir 
425 Qu'avoec li converfé avez ? ' f 

Dites-le-nous fe vous favez, » 
Firent cil qui firent PefTai. 
' c Seignor, difl-ele , je ne fai ; 

Je di por voir, non pas devin, 
43o Dès lors qu'avoec madame ving '-'^^ 

Vj î J[i). anzavoie & ele .v. 

^ iSèTlors i a) eflé ainfinc 

Tant qu'ele vefli cote grife ; • ' 



La Vie Sainte Elysabel. 3^7 

Tant vous en di, plus n'en devife, 
435 Ceft-à-dire Tabit de l'ordre 

Qu'à tel amors fe vout amordre* i 

Piez poudreus & peniTée vole 

Et oeil qui par cinier parole 

Sont .iij. chofes, tout fanz doutance , 
440 Dont je n'ai pas bone efpérance, 

Ne nus preudom ne doit avoir ; 

Quar par ces .iij. puet Ten favoir 

Qui à droit fen le remenant, 

Qui lors va celui reprenant , 
44,5 Et qui à bien fère Tenfaigne ; 

Si vaut autant com batre Saine : 

Tout eft perdu quanqu'on li monilre. 

Dites-li bien , il fera contre , 

Quar il cuideroit eftre pris 
45o S'il avoit à bien fère apris. 

Ne vaut noient ; li cuers aprent, 

Li cuers enfeigne & fe repent, 

Au cuer va tout. Qui a bon cuer 

Les oevres monilre par defuer : 
455 Li mauvàs cuers fet mauves homme. 

La preude famé & le preudomme 

Fet li bons cuers, je n'en dout mie. 

Celle qui à Dieu fù amie 

Et qui à Dieu fe vout doner 
460 Ne fen ûfï guères fermoner. 

Sa ferve fu ; bien le fervi ; 

Par bien fervir le fléfervi. 

Li bons ferjanz qui de cuers fert 



SaS La Vie Sainte Élysabel. 

En bien fervir Tamor défert 
465 De Ton feigaor por bien fervir. 
Qui ne fe voudra afTervir, 
Je lo Tamor de Dieu déierve 
Quels que il foit , ou fers ou ferve» 
• Quar qui de cuer le fesvira 
470 Bien fâchiez qu'il défervira 

Par qoi Tâme de lui ert frandtie : 
Ci n'a meftier, fuie ne ganche. 

Elyfabél ot droit aage 

D'avoir Tordre de mariage * 
475 Que famé per non de pucèle. 

De cefle qui dame novèle 

Eft orendroit vous vueil retrère. 

Or entendez de fon afère : 

Li preudomme orent mult grant cure 
480 De favoir la vérité pure 

De la lainte vie de cefle ; 

Mult en furent en mainte enquefle. 

Yfentruz , qui fa veve famé, 
-Relegieufe & bone dame, 

I . Après ce vers , le Ms. 763 3 ajoute les huit suivants : 

Mari li donent» mari a, 
Car cil qui bien la maria 
N'en douta gaires chevaliert, 
Ne ftnécbaux ne conciliiez. 
Ce fut fi rois qui tôt aroie, 
Jhéfu-Crift qui les liens aToie, 

Or dit la féconde partie 

Qae renfance elt lors départie , 9x. 



BSl 



La Vie Sainte Elysabei.. Jag 

485 Fu avoec li .v. anz , ce croi , 

De fon confel, de fon fecroi. 

Au vivant Lo3rs landegrave. 

Après i fu la dame veve , 

Puis que Loys lu trefpaiiez , 
490 .1. an entier & plus alTez 

Tant que fe fu en Tordre mife. 

Des enquereors fu requife 

Yfentruz de dire le voir ; 

Jurer Teftut par eflavoir. 
495 Yfentruz fifl fon ferement, 

Et puis (i dift apertement 

A fon pooir la vérité : 

« Humble , plaine de charité 

Eft mult Elyfabel , fet-ele ; 
5oo Jà ne querroit de la chapele 
. Yffir ; jà ne querroit qu'orer 

Et en oroifon demorer. 

Mult murmurent fes chamberières 

Que jamès ne querroit arrières 
5o5 Venir du mouftier, ce lor famble ; 

Mes .coiement d'entr'eles femble , 

Et va Dieu proîer en ambiant. 

Jamès ne verrez fa faniblant ; 

Quant plus ert en grant feignorie , 
5 10 Et plus ert amée & chiérie ; 

Lors.avoit-ele .i. mendiant, 

Qu'ele n'alàil Dieu oubliant , 

Qui n'àvoit pas la telle faine ; 

Ainz vous di qu'il Tavoit iî plaine 



. 3 



33o La Vie Sainte Elysabel. 

5i5 D'une diverfe maladie 

Que n'eft pas droiz que je la die 

(Sanz nommer la poez entendre) i 

Que nus n*i ofaft la main tendre. 

Celui nétioit& mondoit, 
. 520 Celui lavoit , celui tondoit ; v 

Plus li fefqit que vous diroie, (^11 

Que dire ne vous oferoie. 

En fon vergier menoît celui 

Por ce que ne véifl nului 
5 25 Et que nus hom ne la véifl, 

Et faucune la repréift 

Et ele ne favoit que dire, --Vi 

Si prenoit par amors à rire. 

c Entor li avoit .i. preudhomme 
53o Que chafcuns meftre Corras nomme 

De Mapur , qui obédiance c -; 

Li fift fére par Totriance 

De fon feignor : or foit féu 

De qoi l'obédience fii : 
535 Qui le voudra favoir fe Tfache. 

En l'abéie d'Yfenache jî 

Qui eft de fainte Katherine, 

Voua de penifée entérine 

A entrer, ce trovons el livre, 
540 Se fon feignor pooit forvivre ;^ 

Puis après li fift eilrangier c ! 

Toute la viande à mengier 

Dont ele peniTe ne devine 



La Vie Sainte Elysabel. 33i 

Qui foit venue de rapine ; 
545 Et de ce fe garda fi bien 

Qu'(}nques n'i mefpriftde rien ; 

Quar quant la viande venoit 

De leu qu'ele fôupej^onoit 

Et lez fon feignor àdlfe ière , 
55o Si déiiïiez à fa manière^ . 

Qu'ele menjaft (ce n*eft pas fable) 

Plus que nus qui fuil à la table ; 

Ce de mengier n'efconfdifoit , 

Que ça & là le pain brifoit. 

555 c Or favoient ices novèles 

.lii)., fanz plus, de damoifèles. t 

Son feignor dient en apert 

Que il l'âme détruit & pert , 

Et que jamès n'ert abfolue 
360 De mengier viande tolue. 

Il lor refpont ; t Forment me griève, 

Mes ne voi comment j'en achiève , 

Et fâchiez je m'en garderoie 

Se les paroles ne doutoie. 
565 Si en faz ce que fëre doi , 

Ma gent me monflerront au doi : 

Mes bien vous di certainement , 

Se je puis vivre longuement , 

Sor toute rien que je propofe 
570 Moi amender de celle chofe. » 

c Quant de droite rente venoit 



33a La Vie Sainte Élysabbl. 

La viande , û la prenoit , 

Ou des biens de fon droit doaire ; 

D'autres n*ayoit-ele que faire. 
575 De cels menjue , de cels ufe , 

Et fe cil^li Êiillent , fi mufe 
' Et ele & toute fa mefnie. 

Ez vous fa vie defrefnie ; 

Mes aus plus granz feignors mandoit 
58o Ou en préfent lor demandoit 

Qu'il li donaifTenjt de lor biens, 

S*on ne trovaft à vendre riens ; 

Quar de droite rente eftoit cort 

Li biens qui venoit à la cort ; 
585 Et ele avoit bien entendu 

Que li meilres ot desfendu. 

« Aifez fovent menjailTent bien 

Mult volentiers ele & li lien 
..Du pain fe afTez en éuffent, 
590 Que fanz doute mengier péuifent'; 

Et à la table endroit de foi 

Avoit fovent & fain & foi * , 

Et favoit-il mult à la table 

Bone viande & bien metable ^ 
595 Mes tout adès redoute & penlfe 

Que ce ne foit for fa desfenffe. 

c Une foiz ert à table aflife 

I. Les cinquante-six vers suivants manquent tu 
Ms. 7633. 



La Vie Sainte Élysabel. 333 

Où aflez ot viande mife 

De qoi , fauve fa confcîance , 
600 Ne pot penre fa fouftenance 

Fors d'un préfent qui fu venuz 

Où il ot .v. oifiaus menuz^ 

De cels menja, mes ce fu pou, 

Qu'ele douta devers faint Pou 
^5 Ne venîft lendemain viande. 

Les .iii. à garder en commande ; 

De cels menja mult volen tiers 

Et en vefqui .iii. jors entiers : 

A chafcun menga la moitié. 
€]0 Aifez avoit plus grand pitié 

De fa mefnîe que de li , 

Quar chafcun jor véoit feli^ 

Mengiers fuft preft pou en priffent ; 

Quel que fain que il fouileniffent. 

€i5 Aus vilains viande rouvoiit , 
Et fêle honefte la trovoit , 
Si difoit : c Mengiez , de par Dé ^ 
Que Diex nous a bien regardé. » 
Une foiz fe fu atornée 

^20 Porchevauchier une j ornée , 
Là où fes lires devoit eftre; 
Bien lor fu viande à feneftre^ 
Que il ofaiflent par droit prendre 
Sans els tnesfère ne mefprendre , 

625 Fors que pain noir, dur & halle, 

^ ' Tout muilî & tout très-fale. 



334 La ^^^ Sainte Élysabel. 

Onques plus n'orent que je di ; J- i 
Et fi fu à .i. famedi 
Qu'il efloient tuit géun. 
63o N'orent pois ne autre léun : 
Cel1o^)or;pot dire la geul^ : 
« Cui avient une n'avient feulc^^ « :: 

Durs fu li pains & croufte & mie i 

Li dui n'en menjailfent demie 
X \ 635 StJfeioT mengier en déuifént, 
■J Se il atendri ne réufTent ; 

Mes fanz faille atendrir le firent 

En ève chaude où il le mirent. 

Après ce digner povre &. galle, 
640 Que l'en ot du pain dur pafle 

Par l'ève chaude où il fu mis, : . 

Se font-il d'errer entremi^ 

N'orent meflier de desfen^ 

Que puis les covint-il errer 
645 Tels .vii). Hues que, par droit conte. 

L'une de là, .ij. de çà monte. 

« Affez parlèrent maintes boches 
Et diftrent mult de tels reprdèhes^ V^\"i4 
Qui ne furent ne bel ne gent : 
65o Si n'èrent pas eilrange gent , 
Mes de lor genz de lor oflel , 
Et dient c'onques mes n'ot tel 
Mari dame com cefle-là : 
Chafcuns le dit, nus ne 1' cela*. . :.; 





La Vie Sainte Elysabel. 335 

655 c James ne lî fiiil nus anuiz 

En relever toz jors de nuiz 

Por aler à régUfe orer ; 

Et tant i voloit demorer 

Que nus penfler ne Toferoit. 
66o Du dire folie feroit ; 

Mult fovent li difoit fes fires : 

c Dame , taudroit i riens li dires : 

Je dont mult que mal ne vous £ice ; 

Cil qui n'a de repos efpaife , 
665 Gui adès covient endurer , 

Je vous di qu'il ne puet durer. » 

Mult prioit à fes damoifeles, 

A toutes enfamble que eles 

L*efveillairent chafcùn matin : 
670 Ne lor parloit autre latin. 

Par le pié fe fefoit tirer ; 

Quar mult doutoit de fère irer 

Son feignor & de Tefveillier ; 

Et il feloit de fommeiUier 
675 Tel foiz famblant que il veilloit 

Que que Ten la dame efveilloit. i 

Dift Yfentruz : c Quant je voloie 
Li efveillier, & je venoie 
A fon lit, li par le pié prendre, 
680 Et je voloie la main tendre 
Au pié ma dame , âc j'efveilloie 
Mon feignor que fon pié tenoie , 
Il retraioit à lui fon pié 



336 La Vib Sainte Élysabel. 

Et le fouffroit par amiftié. 

685 Sor .i. tapie devant fon lit 
Dormoit fovent à grant délit 
Par la graût plenté de proières 
Que Diex amoit & tenoit chières. 

• 
Quant du dormir eftoît reprife 

690 Devant fon lit en itel guife. 
Si refpondoit corn dame fage, 
Je vueil que la char aitdomage. 
En ce qu'ele fouffrir ne puet 
A fère ce qu'à l'âme eftuet. » 

695 Quant fon feignor leffoit dormant , 
En une chambre coiemant 
Se fefoit batre à ses ba jaifes 
Tant que de batre eftôient laifes , 
Quant ç*avoit fet par grant défir, 

700 Plus liement venoit géfir. 

Chafcun jor en la quarantaine • 
Et une foiz en la femaine 
La batoient , ce vous redi , 
En charnage , le vendredi. 

705 Ainfînc fouffroit cefte molefte : 
Devant geitt fefoit )oie Ôl fefle ; 
Quant les (ires n'i eftoit pas, 
Si n'eftoit pas la chofe à gas. 
En jeûner & en veillier, 

710 En orer, fon cors traveillier, 
Efloit-ele fi ententive 



J 



La Vie Sainte Élysabel. 337 

Qu'à granz merveilles eftoit vive. 

Ainfînc vivoit & nuit & jor 
' Com dame qui eft fanz feignor; 
715 Si eftoit débonère & fîmple ; 

Bêle robe ne bêle guimple 

Ne metoit pas, mes la plus fale 

Tant que l'en menjoit en la fale ; 

Et fi eftoit la haire mife 
720 Emprès la char foz la chemife ; 

Et de robe eftoit par defors 

Mult gentiment veftuz li cors. 

Lors péuft Tcn dire, ce cuit : 

N'eft pas tout or quanqu'il reluift. » 

725 Lors eftoit parée & veftue 

Que ele favolt la venue 

Que fon feignor devoit venir , 

Ne mie por plus chier tenir 

Le cors, ce fâchiez bien de voir, 
730 Ainz poez bien apercevoir 

Que ce por fon feignor fefoit 

Et que por ce miex li plefoit, 

A fes féculiôres voifînes , 

Par jeûnes & par difciplines , ^ 
735 Enfeignoit à fuir le lîècle 

Qui ne va pas à droite riègle , 

Et que chafcuhs devroit haïr 

Qui ne voudroit f âme trahir. 

Les caroles lor dévéoit 
740 Et toz les gens qu'ele véoit 

RVTIBBUF. II. J2 



338 La. Vis Sainte Élysabeu 

Qui rfttne puéent ceroucier ; 
Mult les amaft à adrecier 
Et honefte vie mener 
Par les bons examines doner. 

745 Quant les borgoifes du chaftel ^ 
Affublées de lor mantel, 
Aloient d'un enfent à la mefle, 
Chalcune aloit comme comtefle 
Mult bien parée à grant devife : 

ySo Ainfinc aloient à Téglife ; 
Mes e le i aloit autrement, 
Quar ele i aloit povrement 
Veftue & toute defchaucie. 
Par les boes de la chaucie. 

y 5b Defcendoit du chaftel aval 

San2 demander char ne cheval. 
Son enfiint en Ton braz venoit , 
Et (a chandoile ardant tenoit. 
Tout ce metoit defor l'autel , 

760 Et .i. aignel treftout autel 

Com Noftre-Dame fift au Temple ; 
De ce prift->ele à li example. 
En Tonor Dieu & Noftre-Dame 
Donoit à une povre Êime 

765 La robe qu'ele avoit vefti\e 
Quant de melfe eftoit revenue. 

Mult ert la dame en oroifons, 
Tant com duroient rouvoifons, 



La Vik Sainte Élysabel. 539 

Qu'entre les femcs de la vile - 
770 (Né cuidiez pas que ce soit guile) 
Se muçoit por aler à viau. 
Lors avoit-ele fon aviau 
Quant tele ouvraingne pooit fère : 
James ne li péuft defplère. 

775 Filer fefoit por fère toile ; 

N'eft pas refon que je vous çoile 

Qu'ele en fefoit quant fète eftoit : 

Frères Menors en reveftoit 

Et les autres qui de poverte 
780 Trovoient trop la porte ouverte. 

Que vous iroie-je aloingnant * , 

Ne mes paroles porloignant ? 

Toz biens à fère li plefoit : 

Les mors enfevelir fefoit. 

785 S*aucun povre oîflefmaler 

Qui déift : 4 Je ne puis paier ; 

Je ne fai quel confeil g'i mète , 

Ele paioit por lui la dète. 

Si ne li pooit abelir 
790^ S'on fefoit povre enfevelir 

Qu'il en portail nueve chemife ; 

La viez li eftoit el dos mife 

Et la nueve por Dieu donée ; 

Si eftoit la chofe ordenée. 

I. Ce vers et te suivant manquei\t au Ms. 7633. 



l0O La Vie Saints Élysabe.l. 

795 Encor vous di, feignor, après, 
Où que ce Aift ou loin ou près, 
Aloit les malades véoir , 
'Et delez lor lit afiféoir ; 
Jà il ne fut la mefon orde ; 

800 Tant ot en lui miféricorde 

Que ne redoutoit nule ordure, 
Car d'aus aidier avoit grant cure. 
Mirgefle lor eiloit & mère , 
Quar n'eiloit pas mirgelTe amère 

8o5 Qui prent Targent & û ren torne , 
Queque li malade féjorne ; 
Âinçois ouvroit de fon meftier 
Et i metoit le cuer entier. 
Se li cors ert en guerredon , 

810 L'âme en atendoit guerre don. 
Meftre Corras , por fermoner 
Etpor bons examples doner, 
^ Voloit alors parmi la terre : 
/• S'envoia celé dame querre. 

81 5 Celé ç'une dame atendoit 
De là aler fe desfendoit , 
Quar c' eiloit une grant marchife ; 
Si ne vouiiit en nule guife 
C'on ne la trovail en mefon , 

820 C'on n'en déiil foie réfon. 
Por ce li fuil de l'aler grief, 
Et cil la manda de rechief , 
Que for obédience viengne, 
Que nule riens ne la détiengne. 



- V' - 



La Vie Sainte Elysabbl. 341 

825 Quant d'obédience parla , 

Et la dame celé part là 

S'en ala fanz fa compaîgnie, 

S'ele en deuil' eilre honie ; 

Merci cria de fon mesfet 
83o Et de l'iror <iu'il 11 ot fet. 

Ses compaignes furent batues 

Sanz plus de chemifes vei^ues 

Por le demorer qu'eles iirent 

Puis que fon meifagier oîrent. 
835 Or fu jadis en .i. termine 

Que il efloit mult grant famine : 

Landegrave, qui preudomière 

Et qui l'amor Dieu avoit chière , 

Envoia com preudom loiaus 
840 De fes gran\:hes efpéciaus 

Tout le gaaignage as Strémone, 

Sanz ce que nus ne Ten fermone , 

Por départir aus povres genz. 

Mult ert li dons & biaus & gens ; 
845 Quar povres qui ert à féjor 

De Paufmofne paffoit le jor. 

A Watebert * demoroit lors , 

•I. chailel de la vile fors : 

Léenz à une grant mefon 
85o Qui lors eiloit en la fefon 

Plaine d'enfermés & d'enfers : 

Aflez efloit griez cis enfers. 

I. Ms. 7633. Var. Watebort, — Watteboui^. 



34* La Vie Sainte Élysabel* 

Cil ne pooit pas tant attendre 

Celé eure a qoi l'en foloit reiklre 
855 Aus povres l'aumofne commune. 

Mes jà n'i éuit un ne une 

Qu'il ne véift chafcun par foi : • 

Cil n'avoient ne Êiin ne foi. 

Cels fermonoit Elyfabiaus ; 
860 Les rooz.lor difoit douz & biaus 

De pafcience &, de falu 

Qui lor à aus âmes valu. 

Mult iffoit forent grant puor 

De lor robes por la fuor , 
865 Si que fouffrir ne le pooient 

Celés qui avoec li eiloient ; 

Mes ele le fouffroit fi bien 

Que jamès ne li grevaft rien ; 

Ainz les couchoit & les levoit , 
870 Que nule riens ne li grevoit , 

Et lor nétioit nez & bouche , 

S' on l'en déuft fêre reprouche. 

Là furent de par li venu 

Petit enfant & povre & nu 
875 Qu'ele-meifme fifï venir ; 

Qui les li véift chier tenir , 

Baignier, couchier, lever &peftre^ 

Il la tenift à bone meftre. 

Ne lor eftoit dure n'amère : 
880 Li enfant Tapeloient mère ; 

A cels aloit-ele environ , 



La Vie Sainte Elysabel. 343 

Gels metoit-ele en fon giron. 

A cel tens & à celui terme 

.lij. manières de gent enferme 
885 Ot-ele lors à gouverner 

Que toz li covint yvémer, 

Et cil qui plus eftoit haitiez 

Ne fe fouftenoit for fes piez. 

Mauves i ot, & fi ot pires, 
890 Et très mauves. C'eil granz martyres. 

Des .ij. ai dit qu'ele en fefoit , 

Comment ele les aaifoit : 

Des autres vous^vueil dire après. 

Gels voloit avoir de li près 
895 Devant le chaflel , lez la porte, 

La où ele-méifme porte 

Ge qui à table lor remaint. 

Si lor efpargnoit-ele maint 

Bon morfel qu'ele menjaft bien : 
900 Ge fefoit & ele & li flen. 

A la table lor fu remis 

Une poz qui n'eiloit pas demis 

De vin ; (i lor porta à boivre : 

Si pou i ot , ne l'os mentoivre , 
9o5 Mes Diex, à cui riens. n'eft celé, . 

Gui tuit fecré font révélé , 

A cui nul cuer ne font couvert, 

I ouvra fi à découvert 

Que chafcuns but tant comme il pot 
910 Et fen remeil autant ou pot, 



^44 La V'*^ Sainte Élysabbl. 

Quant chafcun ot allez béu , 
Comme au commencier ot eu. 

Je di por voir , non pas devine , 
MotiTon de femence devine 

91 5 MoifTonna en itel manière 

Tant que moilfons entra plenière«. 
Toz cels qui fe porent lever 
Sanz els trop durement grever 
Reveili de lange & de linge 

920, La bone dame de Turinge. 
A chafcun dona fa feucIUe, 
Por ce quant l'en les blez faucille 
Povres qui ne va faucillier 
Ne fe porroit plus avilUer 

925 S'il efl tels que Êiucillier puifTe; 
Quar il n'êil nus qui oifeus truife 
Lors, clerc, ne lai^, ne efcuier. 
Que il ne le doie huîer. 

Ainz que fes lires rendill âme , 
93o Qu'ele eitoit de Turinge dame y 
Fefoit merveilles a oïr , 
Que lors k vidiez efjoïr 
Et de felle fère enrainie 
Qu'ele ert à privée mefnie 
93 5 Sanz compaigne d'eilrange gent , 
Ne demandoit pas le plus gent 
Mantel qui fuft dedenz fa chambre , 
Si com Telloire me remambre, 



La Vie Sainte Élysabel. 345 

Mes le plus vil &i le plus fale : 
940 Ainfinc aloit parmi la fale , 

Et bien difoit à bouche ouverte : 

c Quant je ferai en grant poverte 

Ainfinc ferai mes tout fanz doute. » 

Puis ot-ele povreté toute, 
945 Et bien prophétiza le puis 

De povreté où chéi puis, 

Si com vous orrez après .dire , 

Se vos entendez la matire. . 

Toz jors à la çaine par rente , 
gSo Ne cuidiez pas que je vous mente, 

Fefoit la dame .i. grant mandé 

Là oti li povre èrent mandé 

Que la dame entor li favoit; 

A treiloz cels lor piez lavoit 
955 Et befoit api'ès effuier. 

Jà ne li péuft anuier ; 

Et puis fefoit méfiaus venir, 

Qui lors Ten véift convenir, ^ 

Laver les piez, befier les mains, 
960 Et treftout ce efloit du mains ; 

Quar avoec aus fe voloit feoir , 

Et les voloit ou vis véoir. 

Lors fermonoit en tel manière : 

« Mult devez bien à bêle chière, 
965 Biau feignor, fouffrir ce martire; 

N'en devez duel avoir ne ire, 

Qu'endroit de moi ai la créance , 



346 La Vie Sainte Élysabel. 

Se vous prenez en paçiance 
Ceil enfer qu'en ceft iîècle avez , 
970 Ne fe Dieu mercier iavez 

De Tautre enfer ferez tuit cuite : 
Or lâchiez ci a grant mérite. » 

Ainfinc la dame fermonoit, 
Et puis après si lor donoit 

975 A boivre & à mangier & robe. 
Que ne. les fervoit d'autre lobe, . 
Se j'eftoie bons efcrivaîns 
Ainz feroie d'efcrire vains, 
Que j'éuiTe dit la moitié 

980 De Tamor &.de Tamiftié 

Qu'à Dieu monflroit &.jor & nuit. 
Et je dout qu'il ne vous anuit. 
Or à la dame ainfinc veicu 
Que de fa vie. a fet efcu 

985 Por fâme desfendre & couvrir 
Et por faint paradis ouvrir 
Envers li après fon décès. 
Pou en verrez jamès de ces 
Qui facent autant por lor âme. 

990 Ainfinc vefqui la bone dame 
Tant com fes fires fu en vie. 
Or orrez la tierce partie 
Qui parole de fa vevée , 
Ou èle fu forment grevée. 

995 Ces .ij. dames qui juré orent , 



La Vie Sainte Élysabel. 347 

Qui la vie à la dame forent^, 
S'accordèrent fi bien enfatnble 
Que Tune refon l'autre famble. 
Par qoi cil qui Tcnqueile firent 
1000 Mult durement f en efjoïrent ; 
Et ces .ij. avoient véue 
La bone vie & connéue 
Que cefle dame avoit menée 
Qui tant fu & fage & fenée. 

100 5 Bons ouvriers eft qui ne fe laile : 
Iteils ouvriers toz autres paffe. 
Qui porroit trovcr tel ouvrier , 
Mult i auroit bon recouvrier , 
Et mult efl bons à mètre en œvre 

loio Bons ouvriers qui fanz laiTer œvre. 
Ceft ouvrier vous vueil defcouvrir; 
Por l'ouvrier vueil la bouche ouvrir : 
Li bons cuers qui Dieu doute &^me , 
Et la bouche qui le réclaime , 

10x3 Et li cors qui les oevres fet 
Et en paroles & en fet : 
Ces .i). chofes mifes enfamble, 
C'efl li ouvriers , fi com moi famble ; 
C'cfl cil qui Dieu fert & aeure , 

1020 OcR li labors que il labeure : 
Cefle dame tele oevre ouvra ; 
Bons ouvriers fu, bien faouvra*. 

I. Le Ms. 7633 ajoute : 

Car fenz lafleiz le Roi de gloire 
Servi, ce tefmoigne reftoîrè. 



348 La Vie Saints Élysabbl. 

La mort , qui fet a fon pafTage 
Palier chafcun , & fol & fage , 

I025 I fet ci pafler landegrave. 

La dame remaint dame veve ; » 
Dame , non pas , mes povre feme , 
Que petit doutèrent lor âme 
Li chevalier d'iluec entor. 

io3o Fors du chaftel & de la tor 
La getent, & de fon douaire ; 
Ne li leÛent en nul repaire 
A qu'ele fe puiffe acouper,. 
Ne penre repafl ne fouper. 

io35 Li frères fon feignor vivoit, 
Qui Jones hom ert , & fi voit 
L'outrage que l'en fa fuer fet , 
Conques n*amenda ce forfet. 
Or a quanques demandé a , 

1040 Or a ce à qu'ele béa, 
Or a-ele fa volonté 
Puifqu'ele chiet en orfenté ; 
Ceft ce qu'ele onques plus prifa, 
Ceft ce qu'à Dieu plus requis a ; 

XO45 Et por ce dill ci Rustebues : 
€ Qui à bues bée û a bues. > 

I 

1 

I 
La dame eil du chailel iifue , 

En la cité l'en efl venue 

Chiez .1. tavernier en la cort , 

I o5o Et la tavernière Tacort , 

Et li difl : « Dame , bien vîegniez ! » 



La Vis Sainte Élysabbl. 349 

Li tavemiers, bien enfeigniez, 

Li dtft : < Dame', venez féoir : 

Pieçà mes ne vous poi véoir. i 
io55 — f Or eft mefliers que l'en me voie : 

L'en m'a tolu quanques )'avoie, 

Dift la bone dame en plorant : 

De cevois-je. Dieu aorant. » 

Ainfinc jut la nuit en Toilel , 
1060 Conques mes d^me ne Tôt tel ; 

Mes li géfirs petit li griève. 

D'entor la mienuit fe liève ; 

Si ala oîr les matines 

Aus Cordeliers ; mes fes voiiines 
io65 N'i aloient pas à tele eure. 

Mult merci Dieu & aeure 

De celle tribulacion,. 

Et par mult grant dévocion ' 

Pria toz les Frères Meneurs 
1070 GrâcesYendiffent des honeurs 

A Dieu que il li avoit fêtes 

Et de ce qu'il li a foutrètes. 

De grant charge l'a defchargie , 

Quar qui richèce a en chargie , 
1075 L'âme efl chargie d'une charge 

Dont trop à en vis fe décharge , 

Que mult fi délite la char : 

Tel charge fet le large efchar ; 

Qui de tel charge efl defchargiez , 
1080 Si ne met pas en fa char giez ; 

Li maufez , por l'âme enchargier, 



35o La Vie Sainte Elysabel. 

Ne fe vout pas celé enchargier ; 
De tel charge ainz la defcharga : 
Mife )us toute la charge a. 
io85 Or la repraîgne qui fe viaut^ 

Chaînez ne puet voler en haut^ 

A lendemain , fâchiez de voir. 
Que nus ne l'ofa recevoir 
En fon hoflel herbergier ; 

1090 Ainz mena chiés .i. lien bergier 
Ses enfanz & fes damoilèles. 
Or i a plus dures novèles , 
Qu'il fift fi froit que là dedenz 
Firent tuit martiaus de lor denz ; 

1 095 La froidure lor fu deilroite , 
Et la mefon efloit eftroite. 
Li bachelers ,' il & fa famé , 
S'en iflîrent fors por la dame. 
Dift la dame : c Se je véiiTe 

1 100 Noftre ofle , grâces li rendifle 
De ce qu'il nous a oftelez. > 
Mes li ofteus n'eft guères lez. 
A lendemain efl revenue 
A Toflel dont ele ert iifue ; 

I io5 Mes liusdes hommes fon feignor 
Ne li porte foi ne honor : 
Chafcuns du pis qu'il puet li fet 
Sanz ce que riens n'i a mesfet. 
Chiés les parenz de par le pèfe , 

1 1 16 Ne fai chiés confins ou chiés frère, 



— v*i 



La Vie Sainte Élysabel. 35i 

Ses enfanz norrîr envoia : 
Celé remefl qui Dieu proia. 

Une foiz aloit à l'églife 

Por efcouter le Dieu fervife ; 
1 1 1 5 Si paffoit une eftroite rue : 

Contre li fe r'eft embatue 

Une vieillete qui venoit , 

Cui elefaufmone donnoit. 

Mult avoît en la rue fange, 
1 120 Si fil la voie mult eftrange ; 

De pierres i ot .i. paflage. 

La viellete , qui pou fu fage , 

Jeta la dame toute enverfe 

En ccle grant boe diverfe. 
1125 La dame d'iluec fe leva , 

Defvefti foi , fi fe lava , 

Et rift alfez de l'aventure 

Et de la vielle & de l'ordure. 
„Petit menja & petit but ^ , 
1 1 3o Que la maladie li nut , 

Où ele ot grant pièce géu. 

Sus fe leva , fi a véu 

Lez li une feneflre grant ; 

Celé, qui d*orer fu engrant; 
1 1 35 Mift fon chief fors par la feneflre 

Por gracier le Roi céleflre. 

i« Ce vers et tous ceux qui suivent, jusqu'à l'ali- 
néa, manquent au Ms. 7633. 



35a La Vie Sainte Élysabbl. 

Quant les iex clôt, longuement pleure, 
Longuement en ce plor demeure , 
Et quant les iex vers le ciel oevre i 

1 140 Le plorer pert , joie recuevre ; 
Et mena ainfmc tele vie 
Jufqu'endroit Teure de compile : 
A iex clo$, plaine de triftèce, 
A l'ouvrir recuevre leèce. 

1 145 Puis dift la dame : « Hal Rois de gloire, 
Puifqu'avoir me veus en mémoire, 
Enfamble o toi fanz départir 
EUre vueil; & tu repartir 
Me vueilles , fire , de ton règne 

1 1 5o Et de famor, qui partout règne. » 

Yfentruz, qui plus fu famie 
Que nule de fa compaignie , 
Li diil : Dame , à cui avez tant 
Dit ces paroles que j'entent? 

II 55 Sainte Élyfabiaus li refpont 
Et les paroles li defpont \ 
Son fecré li a defcDuvert , 
Et difl : « Je vi le ciel ouvert , 
Et vi Dieu vers moi enclinier, 

1 160 Qui nului ne veut engingnier. 
Confoiter me vint du torment 
Et de TangoifTe qui forment 
M'avoit tenu jufc'orendroit. 
En cel point & en cel endroit 

1 165 Que le ciel vi, fi fui en joie; ; 



La Vie Sainte Élysabel. 353 

Quant les iex d'autre part toraoie 
Lors fi me convenoit plorer 
Et la grant joie demorer. > 

Or avint en celui termine 
1 1 70 De la dame de bonne orine , 

C'une feue tante abéeffe 

De ce païs fu mult engreffe 

C'uns fiens frères, cui ele ert nièce, 

La méift chiés li une pièce, 
1 173 Si corn tel dame , à grant honôr, 

Jufqu'ele éuft autre feignor ; 

Evefque efloit d'un païs 
, Vers celé Hongroie laïs. 

Celés qu'avoec la dame eftoient 
1180 Qui chaftée vouée avoient , ^ 
Orent grant paor de falée , 
Et qu'ele ne fiifl mariée ; 
Et la d^me les reconforte , 
Et dift : f Miex voudroie eftre morte 
1 185 Qu'avoir ma foi vers Dieu mentie 
Vers qui je me fui affentie ' 

A eftre fa famé efpoufée. 
Tels refons ne font que roufée : 
Ne vous en devez defconfire : 
1 190 Toutes refons fe leflent dire. 

Sachiez , fe mon oncle m'esforce 
Que je preingne mari à force , 
Je m'enfuirai en aucun leu 
Où je me ferai .i. tel geu 

RlJTEBEUF. II, - 



L ^ 



3S4 L.A Vie Sainte ÉlysabbL. 

1 195 Que je me coperai le nez : 
S'ert lî mariage remez , 
Qu'il n'ert lors nus hom qui ait cuce 
De fi desfete créature. » 

Cil fiens oncles la fift mener 

1300 A «i. chaflel, tant qu'aiïener 
La péuft à aucun preudomme ; 
Et vous favez (ce efl la fomme) 
D'amer Dieu fift femblant & chière ; 
Si n'en fu faulTe ne doublière. 

1305 Dementières qu'en tel torment 
Eftoit dementanz (1 forment , 
Vint uns meilages qui aporte 
Noveles , & hurte à la porte , 
Qu'en fon pays l'eftuet errer 

laio Les os fon feignor enterrer 
C'on aporte d'outre-mer. 
Celé qui tant le pot amer 
Rendi grâces a Dieu le père 
Et à la feue douce mère 

131 5 De ce qu'ainfinc Ta confeiUié ^ 
De l'errer f eft apareillié : 
yint où li yavalTor Tatendent , 
Qui les os enterrer commandent 
En .1. cloiflre d'une abéie. 

1320 Or ait Diex l'âme en fa baillie. 
Landegrave fu mis en terre.. 
La dame prièrent à requerre 
Qu'ele à Turinge fèn viengne. 



La Vie Sainte Elysabel, 335 

Il atomèrent fa befoingne 
122 5 De fon douaire en itel guife 

Cotn la droiture le devife. 

Difl révefque : « Ele i ira, 

Mes que chafcuns m'âliera 

Que fôn douaire li rendrez 
i23o Tantofl qu'à Turinge vendrez. » 

Mes pou priik douaire & don ; . 

Si qu'artiers f en vint à bandoo 

Au leu dont ele eftoit iflue ; . 

Mes pou i eft arefléue 
is^35 Quant fes meftres par eftovoir, 

Meftre Corras , l'en fift movoir. 

De fon douaire eftoit la vile 

Et li chaftiaus (ce n*eft pas guiie) , 

Mes avoir n'i pot remanance, 
1240 Qu*èle i ière for la pefance 

De cels qui aidier li dévoient , 

Et il a force Fi grevoient. 

Iffi f en , qu'iffir l'en covint : 

A une YÎlète fen vint ; 
1245 Si entre en une mefon 

Qui n'eftoit pas mult de fefon : 

Par les paroiz eftoit ouverte 

Et pàrdefeure defcouverte. 

Fols eft qui por tel leu forgueille ; 
i25o Aflez i pléuft , fe la feuille 

Des arbres n'en oftaft la pluie : 

S'a pluie moille , â ùhaut efluie . 

N'i menjue faumon ke îrute , 



H6 La Vie Sainte Elysabel. 

Barbiau , ne luz * la bien eftrute ; 

1255 Du pain menjue volentiers, 

Non pas tant com li'efi meftiers : 
Ne li chalut du feureplus. 
Aufî fu comme en .i. reclus 
Et fa gent fi com gent reclufe ; 

1 260 N'eft pas droiz que Diex les refu£e. 
Li chauz,ii venz & la fiimée 
I efloit bien acoullumée : 
Ce les grevoit aus iex formen 
Et les metoit en gtief torment , 

1265 Nequedent fes mains en tendo 

Vers Dieu , & grâtes Ten renddit. 
D'iluec fen ala à Mapur, 
Une mefon fête de mur 
Et de boe & de viez méfrien 

1270 Si yiels que il ne vaut mes rien. 
Iluecques mult i dèmora ; 
Dieu i fervi &'aora. 
A la bone dame donèrent ' T 
.Ij. mile mars ; à tant finèrent ' 

1 275 De fon douaire fi ami ; 

Ainz n'en retint marc ne demi : 
Tout départi aiis povres genz ; 
Aînfi Ten ala li argenz. 

Or li firent remez encor 

1280 Robes, veflel d'argent & d'or, 

• • • ' 

I. I.«f, brochet. 



*;. ♦ 



La Vie Sainte Élysabel. 357 

Et dras de foie à or batu2 , 
. Si fu H orguex abatuz 

Conques nul n'en vout retenir : 

A Dieu en lefla convenir. 
1285 El non du Père efpérital 

Fonda iluec .i. hofpital ; 

Iluec couchoit à grant honor 

Mult de povres Noftre Seignor. 

A boivre , à mengier lor donoit , 
1990 Tout le fîen i abandonoit. 

De fes amis en fu blafmée , 

Et lédengie & méfamée , 

Et clamée foie & ihufarde , 

Por ce que les povres regarde. 
1295 Qi^ant tels chofes pooit oïr, 

Riens ne T pooit plusefjoïr. 

En paine , en tribulacion 
. Et en fa grant temptacion , 

La conforta, ce dift Fefloire, 
1 3oo Après Dieu k Pape Grigoire , 

Qui par lettres la faluoit 

Et multd'efcriz 11 envoioit 

Où multavoit enfeignement ' 

Por qu'ele vefquift chaftement , 
1 3o5 Examples de fainz & de faintes 

Et de douces paroles maintes ; 

Et 11 prometoit à avoir 

Avoec tout ce .i. douz avoir : 

Cefl la, joie de paradis, 
i3io Que li faint conquiflrenc jadis. 



358 La Vie Sainte Élysabel. 

S'ele voufift greignor avoir, 
Grant feignorie & grant avoir 
Euft eu plus que devant : 
Tout ne prife .i. trefpas de vant. 

i3i5 Mettre CoRRAs bien li fermone ; 
Temporels chofe ne ibifone : 
Toft efl pafle du foir au main ; 
Teb richeces c'on a en main 
Ainiinc f en vont comme eles vienent t 

1 320 Que Ten ne iet qu'eles devienent. 
L'amor Dieu ot fi ou cuer, 
Toutes tels chofes geta fuer. 
Des diz au meflre Û fouvint , 
Si que par force li convint 

i325 Enfanz et richece oublier 
Et feignorie & marier. 
Lors difl-ele à fes chamberières : 
t Diex a oïes mes proières ; 
Seignorie que j'aie eue 

i33o Ne pris pas .i. rain de fégue ; 

Mes enfanz aim pou plus d*ainfins 
Que les enfanz à mes voifîns ; 
A Dieu les doing^ à Dieu les lais t 
Face en fon plefir déformais. 

1 335 En defpiz , en deflractions * , 
En autres tribulacions, ' 



I. Ce vers et les trois suivants manquent au Ma* 
7633. 



La ViK Saints Élysabsu 359 

Sachiez , de voir, tant m'i délite 
Que la joie n'efl pas petite. 
Je n'aim fors Dieu tant feulement, 
1 340 Mon créator, mon fauvement. i 

Meilre Corras mult la tençoit. 

Por ce que plus la tormentoit , 

Li oftoit d'entor li la gent 

Dont plus li eftoit bel & gent. 
I ^ Ce fift por li plus tormenter 

Et por h fère gaimenter. 

Dift Yfentruz : « Por ce que pltu 

M'amoit que tout le feureplus , 

Ne mift-il fors de la mefon , 
i35o Et fe n'i fot autre refon ^^ 

Fors li grever & anoier, 

Et por croiflre le Dieu loier 

Par celé tribulacion , 

Es vous toute fentencîon. 
i355 Sa compaigne qui dès enfance 

Ot fet avoec li pénitance 

Li ofla, fî que de nous .ij. 

Li engreignoit toz jors li deuls. 

Por nous .ij. mult fovent ploroit 
i36o Por ce que fanz nous demoroit , 

Que vous feroie longue rime ? 

La gent félonefTe & encrime 

Mifl entor li , la bone ofla. 

Si cruels vielles à ode a , 
i36S S'ele mefprent eles Tencufent; 



16o. La Vie Sainte Elysabel. 

A li grever mult fovent mufent : 
Ne refhiet pas penfer à trufes , 
Batre la font & doner bufes. 
Quant meflre Corras à li vient, 

1370 Puis que des bufies li fovient 
Que Diex reçut , fi les reçoit : 
Aiafinc vaint la char & déçoit. 
Toz jors à bien fère famort 
De Tenfance jufqu^à la mort. 

iSyS Tant comme au fiècle fu en vie , 
Por haine ne por envie , 
Ne por mal c'on li féut trère, 
Ne lelfa onques à bien fère. » 
Ainfinc difl Yfentruz & Gronde , 

i38o Les .ij. meillors dames du monde ; 
Lor feremenz fi bien facorde ^ 
Ce c'une dit l'autre recorde. 

Efpérance d'avoir pardon 
Ou par pénitance ou par don 

i385 Fet endurer mainte méfaife ; 
Li endurers fet mult grant aife , 
Quar mult legièrement endure 
Qui efchive paine plus dure. 
Cefie dame qui pou dura 

iSgo Pénitance dure endura 
Por avoir vie perdurable 
Avoec le père efpéritable. 

Ici difl la quarte partie ^ 



La Vie Sainte Elysabel. 36i 

Là où efl la fins de fa vie , 

1 395 Qu'ele avoit une damoîfele 

Qui avoit autel non comme ele : 
An .ij. Élyfabiaus^ ont non 
Prcude famé & de grant renon 
Fu mult ceftc, ce dift Teftoire. 

1400 Por ce c'onla péufl miéx croire, 
Jura qu'ele diroit le voir 
De quanqu'ele porroit favoir 
De toute la vie fa dame ; 
Ainfinc le jura defeur f âme » 

1405 -c Seignors, diil-ele , ce fâchiez, 
Sanz mauves vifces , fanz péchiez 
Eft mult ma dame , & de vertuz 
Efl mult li fîens cor reveibiz. 
Ûï avez en quel manière 

1410 Aus povres fefoit bêle chière : 

/ Aus povres fifl plus grant fervife , 
Puis qu'ele fu en Tordre mife 
Qu'onques n'avoit fet devant. 
Aucune foiz & mult fouvant 

1415 Lor donoit, ce difl Yfabîaus, 

Le mes qui plus lor efloit biaus. » 
Et difl encor que une dame 
Guertrus , qui efloit gentiz famé , 
Vint véoir cefle dame fainte 

1420 Dont l'en difoit parole niainte. 

I. Ma. 7633. Var. Anbreduz Ysabiaus. 



362 La Vib Sainte Élysabel. 

Bertous , uns enfés , vint o foi ; 
De Dieu fervir avoit grant foi : 
Se li pria mult doucement 
Qu'à Dieu priaft dévotement 

1425 Que diez Tefperit de fa flame • 
Si que iauver en péuil fâme* 
Élyïabel Dieu réclama. 
Que de cuer finement ama , 
Qu'à l'enfant otroiafl fa grâce. 

1430 Ne demora guères d'efpace. 
Quant il et la dame prioit, 
Que li enfès haut fefcrioit : . 
f Dame , leffiez voftre oroifon , 
Que Diex m'a mis hors de prifon 

1435 Et m'a de famor efchaufé , 

Et mis hors des mains au maulé* 
A chafcun ainfînc avenoit 
Qui por tel cas à li venoit. 
Ce li avint que je recort 

1440 .1. an tout droit devant la mort. 

Or avint, fi com d'aventure , 
Cune trop bêle créature 
Vint à li , l'ot non Herluiz. 
Li corages l\ ert fuiz 
144.5 De Dieu amer parfètement ; 
Ainz ot mis ion entendement 
A fes bêles. trèces pingnier. 
Ne vint pas por li enfeignier 
Comment Fen devoit Dieu fervir 



.% 



La Vie Sainte Elysabel. 363 

1450 Por faint paradis défervir : 

Une feue fucr vint véoir, 

Conforter & lèz ii féoir, 

Qui chiés celé dame gifoit. 

Or n'cft nus hom, fil devifoit 
1455 Comment ele avoit biaus chevols, 

Qui ne fufl au devifer fols; 

Quar qui delez li f acoutaft 

Il déifl qu'ors en déboutait. 

Tant par eftoient crefpe & blonde , 
1460 Tant de fî biaus n'avoit el monde. 

Ces cheveus fî crefpés & biaus 

Fift coper fainte Elyfabiaus ; 

Et celé pljcure, & brait, & crie, 

Si que hautement fu oïe. 
1465' Les genz qui ceft afère virent 

A cefle bpne dame dirent 

Por qu'ele avoit ce chief tondu. 

La dame lor a refpondu : 

« Seignor, fet-ele à briez paroles, 
1470 N'ira-ele mie aus caroles : 

Bien cuideroit eftre honie 

A tout fa tefle defgarnie. 1/ 

Lors commanda c'on li apèle , 
^ A li venir celé pucèle. 
1475 Celé i vint. Adonc li demande 

De les cheveus refon li rande, 

Qu*il li ont au fîècle valu 

Puifque Tâme en perl fon falu. . 

c Dame , ja en orrez la voire : 



364 La Vie Sainte Elysabel. 

1480 pu nonnaÎR blanche ou nonnaia noire 
Éuife eflé , fe mi chevol 
N'euffent fet mon cuer fi fol. t 
— c Dont aim-je miex que ainfi foies , 
Tout por toi mètre en bones voies, 

1485 Que li miens iilz fuil emperères , 
Si m'aït mefîres faint Pères, f 
Âinfinc la prifl & la déçut ; 
Eln Tordre avoec li la reçut. 

En ce méifme jor avint 
1490 Que Herluiz en l'ordre vint, 

.L. marz dona d'argent 

Et départi à povre gent ; 

Mes ne pot pas celé pécune 

Départir de jors fanz la lune. 
1495 Li povres fen vont , li plus fort ; 

Cil qui plus orent de confort 

Meflier demorèrent o foi, 

Mes cil n'orent ne £ain ne foi, 

Ançois furent à grant délit 
1 3oo Bien peu & forent bon lit , 

Bien aifiez treflout à point, 

Lor piez lavez & furent oint 

Qui crevé erent de méfaife. 

Que diroi^ ? Tant orent aîfe 
l5o5 Qu'oublié orent la deftrèçe 

Et chanta chafcuns de léèce ; 

Quar povres qui a bien , fanz foille y 

Met tout le mal à la viez taille. 



La Vie [Sainte Elysabel. 365 

Efbatrc eftoit alée À. jor : 
i5io Si comme ele efloit alée à fejor * , 
Loing trova de Ton hofpital 
Une famé qui aloit mal. 
La bone dame ûA la couche : 
Dedenz une granche Tacouche ; 
1 5 1 5 L'enfant reçut & en fu baille. 
La pfemière fu qui le baille ; 
Lever le fifl & baptifîer : 
Son nom , qui tattit ûH à prifîer, 
Mifl à l'enfant , Ten fu marraine : 
i5lo Tel marraine n'a mes el raine. 
Çhafcun jor le mois tout entier 
Sot bien léenz le droit fentier. 
Bien la porvit en fa géfine 
De pain, de vin & de euifine. 

1525 Quant li termines fu pafTez 
Là où ele ot eu affez 
Quanques droit à tel famé fu , 
Le pain, le vin, la char, le fu, 
Et le baing quant il fu à point, 

i33o Que de mefaife n'i ot point, 
Et du mouflier fu revenue , 
Et la dame feil defveflue 
* De fon mantel grant aléute 

I. Le Ms. 7633 ajoute ici ces deux vers : 

Loing de foii hôpital trourt 
Une £Eune qui traviUa. 



366 La Vie Sainte ^lysabel. 

Et de fa propre chaucéure , 

i535 Avoec tout .xi), coloingnois 
Dont li uns vaut .iiij. tomois ; 
Tout li done. Lors fen parti , 
Quant tout ce li ot reparti ; 
Et celé & fes mariz enlamble 

1540 S'en fuirent, fi corn moi (amble. 
Uenfiint lelïièrent en Tofté : 
Tout l'autre avoir en ont oflé. 
Devant c'on commençaft matines ,. 
Ces .ij. qu'à Dieu font entérines, 

1545 Yfabiaus , otr le fervife. 
Et fa dame font à l'égUfe 
Venues : quant la dame i vint 
De fa fillole li fouvint. 
Yfabel favoir i envoie ; 

1 S5o Celé vint là. Que vous diroie ? 

N'i trova que Tenfiint dormant. "^ 
Es-vous celi en grant tormant ; P 
A ùl dame en eft revenue 
Et li di la defconvenue : 

i555 Va donc, fet-ele, l'enfant querre. » 
Puis qu*ele font fors de la terre , 
Por norrir Tenvoia la dame 
Tout maintenant enchiés la iknifr 
D'un chevalier qui fa voifine 

1 56o Eftoit , & de mult franche orine» 

Lors envoîa querre le juge 
Qui les droiz de la cité juge '^ 



La Vie Saïnte Élysabel. 367 

Si commanda c'on les querrifl 

Là où li querres f aferifï. 
1 565 Demandé furent & rouvé , 

Et quîs , ainz ne furent trové. 

Dift Yikbiaus : c Ma dame chîère ^ 

L'en ne'f puet en nule manière 

Trover. Priez à Dieu le Père 
1S70 Qu'il rende à l'enfant ùl mère. % 

Celé difl qu'ele n'oferoit, 

Que meflre Corras le fauroit ; 

Mes face en Diex fa volenté. 

Ainz n'i ot plus dit ne chanté ; 
1575 Ne demora mie granment, 

Se li efcripture ne ment , 

Li mariz & la famé vindrent , 

A genillons lez li fe tindrent , 

Et regehirent lor pechié 
1 58o Dont maufez les ot entechié. 

Devant li diflrent par couvant 

Qu'aler ne pooient avant. 

Remède quiilrent du mesfet 

Que fanz refon a voient fet. 
i585 Lorsdiflrent les genz du chaftel 

Que des foUers ne du mantel 

N'aura point ; ainz ert départi 

Por ce que vilment f en parti. 

La dame lor dift ; c Bien me pleft : 
iSgo « Fètes-en tout quanques droiz eft. » 

A une pucèle douèrent 



368 La Vie Sainte Élysabel. 

Le mantel qu'à celi oflèrent ; 

Celé voua relégion 

Tantoft de bone entencion, . 
1 595 Une veve r'ot en fes piez 

Les follers qu'ele avoît chaucie2 ; 

Et celé reprift fon enfent 

Qu'cle ot leflié mauvefement. 

La vile lefle ; fi fen ift : 
1600 Tant grate chièvre que mal gift. 

Ermenjart, qui relégieufe 
Efloit mult & fu curie ufe 
De fervir Dieu parfètemcjût, , ,. 
Reiifl aînfî fon ferement. 

i6o5 Ainz fu de gris abit veflue 
Que la dame fe fufl rendue , 
Et bien difl qu'ele acoufluma 
La dame qui tel couftume a 
A meniftrer aus povres feule. 

16 10 Jufques lors ne menjoit lor gueule, 
Qu'ele-méifme les peffoit , 
Que pou ou noient les leffoit,. 
Tant eftoit la dame humble & fimple. 
Aniaus d'or , & npiaus , & guimple 

161 5 Vendoit & en prenoit Targent 
Por doner à la povre gent. 
Ci n'avoit mie grant orgueil , 
C'un enfant qui n'avoit c*un œil 
Et fert tingneus , fi com moi mambre, 

1620 Porta la nuit .vi. foiz à chambre ; 



La Vie Sainte Élysabel. 369 

Si girant pitié de lui avoit, 

Ses drapiaus ordoiez lavoit , 

Et Tareinoit fi doucement 

Con f éuft grant entendement. 
«625 Puis qu'ele fu en Tordre entrée, 

Tel cpuflum^ a acouflupiée : 

Les malades baîgnoit fes cors 

Et les traioit de lor lit fors. 

Les baigniez recouchoit arrière 
i63o Et les couvroit à bêle chière , 

Et fet coper une cortine 

Qui la mefon toute encortîne 

Por les baingniez enveloper ; 

Por ce fanz plus la fift coper. 
i635 Une mefele fî poacre 

Qu'il n'avoit fi défi en Acre 

Couchoit la dame & la levoit , 

Que nule riens ne li grevoit. 

Les piez & les mains li lavoit 
1640 Et le3 plaies qu'ele i favoit , 

Qu'ele gifoit en rofpital ; 

N'onques li cuerrne Fen fift niai. 

Ses compaignes ne la pooient 

Regarder, ainçois f erj^ fuioient 
1645 Mult aléja fa maladie": 

Au chief de la herbei^erie - 

La coucha por miex aaifier 

Et por les plaies apaifier. 

Mult doucement à li aloit ; 
i.65o A li muli doucement parloit. 

RUTBBEUF. II. 24 



yjo La Vie Sainte Elysabel. 

La laine qui de Tabéie ' 
Venoit (ce tefinomgne fa vie] 
Filoit , & il ofifroit ^argent 
Qu'el' gaaignoit à celé gent. ' 

i655 Des mains 11 odoit la quenoille 
Por ce que trop fefoit befoingne ; 
Si doutoient de li grever - 
Et fi la fefoient lever 
Por efbatre & efbanoier ; 

1660 Mes mult li pooit anoier 

Quant rien ne li leflbient fère. 
Si prenoit'fa quenoille à trère 
Por le filer appareillier ; 
Quar toz jors voloit traveillier, 

i665 Des grois poifions li envoioient 

Riche homme qu'entor li efioient : 
Fefoit vendre & doner por Dieu ; 
Ne les metoit en autre preu. 

Son père novèles oï 
1670 Teles que pas ne refjoY , 
Que l'en H difl fa fille eftoit 
Si povre qu'ele veftoit 
Robe de laine fanz color'. 



!• Les dix-huit vers qui suivent manquent au Ms. 
7633. 

a. Nos ancêtres tenaient beaucoup, à ce qu'il parait, 
aux éto£GBs brillantes, surtout à la couleur écarlate. 
On peut voir à ce sujet une note de Legrand d'Aussy, 
tome II d%se$ Fabliaux, page aSi, édition Renbuard» 



La Vie Sainte ;ÉLysABEL, 371 

S'en ot lî preudom grant dolor , 
1675 Dont Tefloire ci endroit conte , 

Li Rois i envoia .i. conte : 

Preudom ert & bon creftien , 

Si ot non ii quens Pavien , 

Et li diil : Quant vous revenez , * 
1680 Ma fille avoec vous amenez. » 

Li quens fe parti de Hongrie 

A mult trè^ bêle compaignie ; 

De chevauchier bien fentremifl. 

Ce ne fai-je combien il mifl 
i685 A venir jufqu'à Mapur droit. 

Si la trova en tel endroit 

Qu'il ne la cuida pas trover, 

Et lors pot'il bien efprover 

Les paroles de la poverte 
1690 Con avoit au Roi defcouverte^ 

Quar il la trova el chaftel 

Afublée d'un viez mantel. 

Dont la pane le drap paiToit : 

Li porters toute la îaifoit. 
1695 Si la trova laine filant, 

Et ii ne filoit pas fi lant 

Com les autres , mes à granz trais ; 

Et li preudom fefl avant trais. ' 

Quant il la vit fi povrement . 
1700 Si fe merveille durement 
. . Et difl : « Je voi ci grant defroi : 

Ainz mes ne vi fille de roi 
^'^ Laine filçr, n'avoir tel robe, t 



372 La Vie Sainte Élysabel. 

Cefte ne fet pas trop le gobe : 
i7o5> Là où £ei marche lî dépièce 

D'autre drap i met une pièce. 

Volentiers l'en éuft menée , 

Et réuft mult miex aflenée 

De fa vie , & enchiés fon père , 
1710 Quar vie menoit trop amère. 

Il f en ala , n'emmena point, 

Et celé remeft en tel point. 

En y ver , par la grant froidure , • 

Se gifoit for la chaume dure : 
1715 Ij . coûtes jnetoit defus foi . 
S'ele avoit aifez fain & foi , 
Si fe penfle que ne F en chaut 
Puifqu'ele avoit aus codez chaut. 
Aucune foiz ce li avint 
1 720 Que mettre CorHas à li vint * 
Por li mener : fi renmenoit ; 

De fa laine li remanoit 

A filer ; fi vendoit la laine : 

De l'argent retenoit fa paine 
17^5 Et lor rendroit l'autre partie 

Quant la feue en eftoit partie; 

Quar léaument vivre Voloit 

De la laine qu'ele filoit. 

Mettre Corras forment cremoit 

I. Lçs huit vers qui suivent celui-ci manquent au 
7633 , et ceux qui le précèdent n'y. sont point placés 
dans le même ordre qu'au Ms. 7218 



La Vie Sainte Élysabel. 37 

1780 Por Tamor Dieu que tant atnoit , 
' Et difoit une tel refon : 
, c Doit eflre il uns mortels hom 

Doutez. Nenil, mes Diex li Pères, 

Lès qui amors ne font amères. » 
1735 , En .i. ploiftre fenfu entrée 

Où meflre Corras l'ot mandée , 

Por prendre là confeil le plus, 

Se il la metroit en reclus ; 

Et lors prièrent les nonnains 
1740 M eflre Corras à jointes mains . 

Qui léenz entrer la féifl 

Si que chafcune la véifl. 

« Je vueil bien, dift-il, qu'ele i aille. » 

Nequedent , il cuidoit fanz faille 
1745 Qu'el n'i entrafl por nule chofe. 

Atant fi Tont léenz enclofe; 

Chafcune d'eles l'a véue , 

Et quant de léenz fîi ifiue , 

Meffre Corras li vint devant - 
1750 Qui li ala ramentevant : 

t Voftrc voie eft mal emploiée : 

Vous eftes efcommeniée. » 

Ne li pot miex la jangle abatre, 

A .i. Frère les a fet batre 
1755 Qui avoit non frère Gautier. 

Meftre Corras difl el fautier 

La Miferere toute entière , 

Et cil batoit endementière. 

Ermenjart n'i ot rien mesfet , 



374 La Vie Sainte Elysabel. 

1760 Qi^e meflre Corras bâtre fet ; 
Mes lî meflres bien ce retient : 
« Bien efcorce qui le pîé tient. » 

Lors dîft la dame : « Ermen)àrt fuefi 
N'aîans pas ces cops contre cuer ; 

1765 L'erbe qui eroift en la rivière 
Se pleife , puis revient arrière , 
Joieufement fe liève & plefle ; 
Auffî te di que le cop befle 
Pdr recevoir la defcipline 

1770 De componcion entérine, 

Que Diex le mesfet li pardonne , 
Por que il aus cops f abandonne ! t 

Ermenjart dit bien & recorde 

Que la dame fovent facorde 
1 775 Au vivre de garder diète ; 

Que fa complexion ne V mete 

En maladie, que l'orer 

^e convenift à demorer. 

Ses bajalfes , fes damoîfeles 
1780 Ne pooit pas foufrirque eles 

L'apelaiflent dame à nul fuer, 

Fors fetil El3rfabel ou fuer. * 

A fa table, delez (a cofte, 

Les^fet féoir , d'autre les oile 
1 785 S'a autre vuelent aiféoir ; 

Ainz les vetit delez li véoîr. 

Mengieries fet en fefcuele : 



La Vie Sainte Eltsabsl. SyS 

S'or fa dame , or eft damoifele. 

Diit Ermenjars , qui mult fu fage : 
1 790 c Vous querez le noilre domage , 

De ce que nous orguillifïons , 

Quant lez vous à table féons, 

Et aquerrez en ceftui geu 

Voftre mérite & voftre preu. » 
1795 Lors répondi la dame adonques : 

c En mon giron ne féez oncques ; 

Mes or vous i co vient féoir : 

Si vous porrai de près véoir. > 

Pot & efcueles lavoit , 
1800 Là où ordoiez les favoit, 

Com fe de Toftel fu bajafle : 

Iffi f ufe & iffî fe lalTe. 

Aus povres fa robe donoit , 

Si que petit Temremanoit ' 

i8o5 Por chaufer ou por le pot cuire ; 

Por efchiver la grant froidure 

Aloit féoir en la cuifîne , 

Et né penfle ne ne devine 

Fors à regardée vers le ciel. 
1810 Por doutoit lors froidure & giel * ; 

Ne li chaloit fêle trambloitT* 

(j. C'est ici que le Ms. place ces quatre vers^ qui te 
trouvent page 211: ,.—-*' 



- ^ 



Maiftre Corras forment cremoit l^'-^^f i^ 

Por l'amor Dieu que t«nt amoit, 

Et difoit une teil raifon : "^ 

« Doit eftre si uns morteiz hom. » 



376 La Vie Sainte Élysabel* 

De ce , fains Martin refambloit, 

Qui vers le ciel regarda tant 

Dieu , qui les liens toz jors atant ;. 
181 5 Aucune foiz fa robe ardoit 

Que que vers le ciel regardoit. 

Les bajalfes convenoit corre 

Por fa robe du feu. refcorre 

Là où li dras efloit ufez. 
i8ao Jà autres n'i fiifl refufez ; 

Ne li chaloit ou viez ou nues V- 

Volentiers le metoit en oes ; 

Les povres aloit reverchant 

Et lor afères encerchant ; 
1 82 5 Si lor portoit pain & Êirine 

Celé dame tle bone orine y 

Puis revenoit à Forifon : 

Lors déiffiez qu'efl en prifon 

Reliques de fainz & de faintes. 
i83o A nus genouz & à mains jointes, 

Aoroit ; yolentiers , Iknz doute , 

Bien aloit après Dieu lor route. 

Meflre Corras fot fon grant don * 

Qu'ele donoit tout à bandon : 
i835 Se li desfent qu'ele ne doingne 

A nul povre qui à li viengne 

Cun feul denier à une vpie 

(Ifli de doner la defvoie) , 

I. Les huit vers suivants ne se trouvent qu'au Ms. 
7218. 



miwi^P^mimv 



La Vje Sainte Élysabel. 377 

Ou de pain une feule pièce ; 
1840 Mult bien fen g^irt^i^ue qu'il li grièce. 

Une foiz aloit .i. hernikc^ 

Vifiter, mes voie petite 

Ot aie , que li meflres mande 

Qu'ele retort , que plus n'atande. 
1845 La dame refpont au mefTage : 

c Amis , bien pert que nous fons fage» 

S'dr ne refamblons la limace 

Jà aurons perdu noïlre grâce. 

La limace gète fon cors 
i85o De Pefcalope toute fors 

Par le biaus tens; mes par la pluie 
: Rentre enz quant ele li anuie : 

Iffi covient-il or nous fère 

Reperier à noflre repère. 1 
1 855 .L en&nt ot petit & tendre , 

De fes enfanz treftout le mendre , 

Qu'enfus de !i fift eHoingnier, 

Qu'ele doutoit à porloingnier 

Ses prières por cel enfant : 
1860 Por ce le venir li desfant ; 

Et fi avoit une couflume 

Qu'autre gent guères n'acouflume : 

Ne cuit que jamès nus tele oie , 

Que lorfqu'ele avoit plus grant joie 
i865 Ploroit-ele plus tendrement ; 

♦Et véiffîez apertement 

Qu'il ne paroit dedenz fon vis 

Corouz ne fronce , c'eft avis, 



378 La Vie Sainte Élysabejl. 

Ainçois chéoit à lerme plaine 
1870 Com li ruiflîaus de la fontaine* 
Les lermes vienent , c*eïl la fin , 

Du cuer loial & piir & fin. 

.11. . 

UAe foiz en|;fa e^ ,.i. clpiftre 
De povreç genz qui par acroiflre 

.1,875 Ne fe pooient de lor biens ; 

Fors d'aumofne n'avoient riens. 
Ymages li monftrent bien fêtes, 
Bien entaillies à. portrètes; 
Mult or^nt cpuflé, ce li famble, 

I 88q Ainçois que il fiiflent eniamble ; 

Mult l'en pela , & bien.lor monftrei 
Et mult loren va à rencontre, 
Et difl : c Je çroi miex vous en fuft| 
Se ce c'on a mis en ce fufl 

i885 . Por fère entaillier ces ymages 

Fuit mis en preu ; c'or efl domages 
Qui a Tamor de Dieu el cuer 
Les ymages qu'il voit deiuer « 
Si ne ii font ne froit ne chaut. 

1890 Endroit de moi il ne m'en chaut, ' 
Et bien fâchiez, ce me conforte, 
Que chafcuus Crefliens, là, porte 
Les ymages el cuer dedenz. 
Les lèvres muevi:e ne les denz 

1 895 Ne font pas la relegion , 

Mes la bone componcipn. 9 

Ne pooît oïr les paroles 



La Vie Sainte Elysabel. 379 

Qni yîeanent des penffées voles , 

Ainz difoit de cuer graciex : 
1900 c Que font ore, Diéx , li gloriex? t 

Ceft-à-dire qui a favoir 

Que de Dieu doit paor avoir, 

Qu'il ne mefpraingne en fon fervife. 

Or avez oï en quel guife 
1905 Vefquî : encore i a aflez ; 

Mes je fui d'efcrire laffez 

De paiciencé & de pitié * , 

De charité &d'amiflié, 

Et de fens & d'umilité , 
1910 De douçor & de charité, 

De foi & de miféricôrdé, 

Aflez plus que ne vous recorde. 

Si com nous avons bien apris 

De eels qui entre bons e(l pris 
1915 De bon regnier avoir au (îèclè 

Qui nous diflrent la droite riêgle 

Et qui font eu fanz dàngier 

A fon boivre &. à fon niengien 

Yfabiaus dont je dis devant 
1920 Fu avoec li a fon vivant, 

Qui tout ifli la téfmoingna ; 
Mes à ce plus de téfmoing a , 
Qu'autres i furent, ce me famble, 

I. Les douze vers suivants ne se trouvent pas au 
Ms. 7633. 



38o La Vie Sainte Elysabel. 
Qui bien f acordèrent enfamble. 

1 92 5 Mult eft fols qu'en fon cors fe fie , 
Quar la mort , qui lé cors desfie , 
Ne dort mie quant li cors veille, 
Ainz li efl toz jors à Toreille : "" 
N'eft fors qu'aprèz li granz avoirs. 

1930 Tout va^ & biauté & avoirs : 

Por c'eft cil fols qui f en orgueille ; 
Quar il Fefprent , vueille ou ne vueille. 
Folie & Orgueil font parent ; 
Sovent i eft bien apparant. 

1935 Tout va , ce trovons en efcrit, 
Fors que Tamor de Jhéfu-Crift. 
Li fel , li mauves , li cuivers , 
Qui adès a les ciex ouvers 
A regarder la mauvèfe oevre ; 

1940 Qui nule foiz fa bouche n'uevre 
Por bien parler ne por bien dire , 
Doit bien avoir le cuer plain d*irc 
Quant du fiècle doit départir. 
De duel li doit li cuers partir 

1945 Quant il voit bien Êins féjomer 
Qu'il n'en puet plus retorner, 
Perdre li eftuet cors & âme 
Et mètre en perdurable flame. 
Mes li bons qui a Dieu fervi 

19S0 Et qui aie cors aÛervi 

Au fiècle por l'âme franchir, 
Cil ne peut chéoir ne guenchir , 



La Vie Sainte Elysabel. 38i 

Que fâme n'ait îfnel le pas 
. Paradis après le trefpas. 
1955 Liement le paflage pafTe 

Qui toz maus au. paiTer trefpafle. 

En la mort a félon paflage : 

Palfer i efluet fol & fage. 

Qui cel pas cuide trefpafTer 
1 960 En fol cuidier fe puet laffer. 

Tout li efluet leffîer; tout lefle. 

La mort ne fet plus longue leile 

 celle dame ci endroit. 

Por ce vous vueil dire orendroit 
1965 De fa vie ce que j'en truis. ; 

Ne dites pas que je contruis , 

Ainz fâchiez bien , en vérité , 

C'efl droiz efcriz d'auélorité 

Yfabiaus difl : a Seignor, j'eftoie 
1 970 Lez ma dame , où je me féoie , 

Quant ele ert au point de la mort ; 

Et lors 01, non guères fort, 

Une douce voiz & férié. 

De fon col me vint cèle oïe : 
1975 Tornée ert devers la paroi , 

Et lors fe torna devers moi. 

Se li dis lors tout efraumeht : 

i Chanté avez trop doucement , 

Ma dame. — As-le tu oï ? 
1 980 -t- Oil ; il m'a tout efjoï. » 

Lors difl : t Uns oifeles chantoit 



38a La Vie Saints Élysabbu 

Lez moi , lî qu'il m'atalentoit 
De chanter : por ce lî chantai ; 
Grand confort de fon douz chant ai. 

1 985 Et quant nous vit delez fon' lit ^ 
Si vous di mult li embelit , 
Et diil : « Dité^ que feriiez 
Se ci Tanemi veiiez ? » 
Mult petit demoré i a 

1990 Quant à haute voiz Tefcria' : 

« Fui de ci , fui ! fdii de ci , fui I » 
Ce or-)e,&àce fui. 
Puis difl après : t Or fen va cîi, 
Parlons de Dieu & de fon fîl. 

1 995 Li parlers pas ne nous anuit \ 
Quar il eft près de mienuit 
Et à tele eure fu-il net , 
Li purs , li fins , lî afiney* \ 
Et f ot en lui fi douce touche * ^ 

2000 Qu'il vout eflre mis en la* couche. 
Lors cria-il l'éftoilè clêre 
Qu'il fu nez de fa dôilce mère , 
Qui les .iij. rOis â lui'coaduit , 
Sans avoir nul autre conduit, t 



2005 c Au parler de Dieu déifiiez, 
Se vous él vis la véifïîez , 
Qu'ele n'avo itmî^l ne dolor, 
Que lors ne perdift jà color. 
Dire li oï de fa bouche : 

!• Les six vers suivants manquent au Ms. 7^3 3« 



-• -î 



La VjE Sainte Elysabel. 

20 lO c Ermenjart, que li jors aprouche 
Que Diex apèlera les liens, t 
Cel jor fu lie for toutes riens 
En cel eure qu'ele fina. 
Celé qui fî douce fin a 

201 5 Fu tout auii comme endormie , 
Qu'au trefpafler n'efl point fenie. 
•liij • jors fa 11 cors for terre 
C'on ne le muet n'on ne Tenterre. 
Une odor lî douce en ifToit 

ao20 Qui de grant odor rempliiloit 
Toz cels qui entor li venoient 
Qui envis la bière leflpient. 
Au cors couvrir n'ot pas riote : 
Couvers fu d'une grife cote , 

202 5 Le vis d'un drap , c'on ne le voie ; 
N'i ot autre or ne autre foie. 
. Aifez i vint grant alëure 
De gent coper fa vedéure ; 
Des cheveus & du mammeron 

2o3io Li copa l'en le fommeron; 

Doiz de piez & ongles de mains 
Li copa l'en, ce fîi du mains. 
Toute l'éuflent dérompue 
Qui ne lor éuil desfendue. 

2o35 Povre gent & malade & (ain^ 
Vinrent léenz treftuit à plain. 
Chafcuns la plaint * & la gaimante 

!• Ms. 76J3. Vax. pleure. 



383 



384 La Vie Sainte Élysabel. 

Com fêle lor fiift mère ou tante. 
Ânuiz fambleroit à retrère 

2040 Qui vous conteroit tout Tafère. 
Par tout est bien chofe feue , 
(Ce fçt la gent grant & menue, 
Et par les tefmoins par couvent) 
Que Diex le refveilloit fovent 

2045 De fes fecrez , & nis fi ange 
N'efloient pas de li eftrange. 
Lui-méifmes vit face à face 
Et mult d'angles à grant efpafiè ; 
Et lors qu'ele eftoit ravie 

2o5o Con déift qu'ele eftoit en vie , 
Avoit mult très clèré la chière : 
^ Ceftoit avis qn'en bon lieu ière. 
^ . De ce fe tut , bien le cela ; 
Fors à gent ne le révéla , 

2o55 D'ordre fage & relegieufe 

Qui n'eftoit foie n'envieufe ; 
Quar mult doutoit en fon mémoire 
Qu'il ne chéift en vaine gloire , 
Quar el ne l'a voit pas apris , 

^060 Âinçois avoit le bon mors pris 
D'ellre piteufe dès enfance, 
Et à fère grief pénitance. 
Allez vous puis ci raconter 
Chofe qu'à anui puet monter ; 

:2o65 Quar je n'ai pas dit la moitié 
De l'amor & de l'amiftié 
Qu'à Dieu monftroit & jor & nuit ", 



SAUDAÇOES 



DE UMA MëNINA a SEU PAI E A SUA MAI 



nos 8BDS DUS RàTAI.ICIOS 



Querido Pai, 

Nâo ha dia no anno em que nâo 
faça eu votos d'alma por vossa feli- 
cidade; porém vosso dia natalicio 
deve ser consagrado mais particu- 
lannente a vos exprimir o amor e o 
respeito, que vos dedica a mais 
terna e amante das fîlhas. 

Sim, querido Pai, eu rogo lodos 



- 'Ji — 

os (lias a Deus para que torne vossos 
an nos tào numerosos , qiiantos teem 
sido os cuidados que haveis toniiado 
com minha infancia. 

Gozai sempre- da saude a mais 
pei'feita e mais constante; e seja vossa 
felicidade tào duradoura, quanto 
serào, para comvosco, os sentimentos 
de véneraçào e profundo amor da 

Vossa filha do coraçào. 



Querida Mai, 

N*este dia, em que meu coraçào vos 
deve uma terna homenagem, recebei 
de minha mào a offerta d*esta flor. 

É um présente proprio da minha 



Ua. Vis Saints ÉlysabiUm. 3>tt 

Quar je doute qu'il ne voustnult; 

Et néquedent fil vous grctvoil 
2070 Et fil anuier vous devoit* 

Vou& di là oiï ek habita 

.Xvi. mors i reiufcîta, 

.1. avugle raluma là 

Qui dévotement i «la^ 
2075 Qui ooques osil a'ot eit \a telle, ' 

Ne famhlajat où [il déuft eftre ^ 

Dont chafcuns qui V vit fe eoerveille ; 

Hès Diex fet bien fi gracil ntenresllel... 

Puifi}u'ele fu mife en la ch&âb 
2080 De plors voua di a une mtiTe 

D'ulle* decocu une goûte , 

Qui petit .& petit dégoûte ; 

Et c'eil bien à favoir certaiik 

Con le piiAet bkn véoir à plain : 
2o85 Goûte de roufée reiam1:de , 

Quant r«2ae gpute à Vautre aifiuDblc^ 

Si com dxk cors faiat Nicolas, 

Qu'aiox. nus des à), n'ot le collas 

De lèira «avre^ de charité : 
2090 Ce fet chaiictta& de vérité. 

Celle dame iainjulme & iainte 
Qu'aûu de Dieu fervir ae fu fiiunte, 
AperteaMtat èk main à maîn 
* Trefpa& Uy^t droit lendemaiii 
2095 Des odaves la Saint-Martin 
En yver, fî com je tfevin. 

RUTIBKUF. II. a 5 



386 La Vie Sainte Elysabbl. 

En rofpital en fa chapele 
Fu enterrée comme celé 
Qui de faint Nicolas la fifl 

2IOO Vers qui onques rien ne mesiîiL 
Par la volente Jhéfu-Crift , 
Si com nous trouvons en efcrit y 
Vindrent abé & autre gent , 
XJu'à l'enterrer furent ferjent , 

2io5 Et li firent très biau fervife 

Tel com Ten puet fère en égli^g^ 
Uns riches hom vint à fa châfTe * . 
Où mult avoit d'orgueil grant mafle 
Et de très grant péchié mortel , 

2IIO Quar fe la mort éuft mort tel , 
En enfer en alall errant , 
Ne fus morel , ne fus ferrant. 
Vers la dame fift fa clamor, 
Quar mult i ot foi & amor : * 

a II 5 Gariz fîi envers la maufé , 
Qui de ce Tavoit efchaufé. 
Cil riches hom bien le connut , 
Qu'ainz puis temptement ne li mut , 
'Par quoi rechéiil en péchié , 

ai 20 Dont maufé Favoit entechié. 
Tel dame fu de toz endroi?*, 
Qu'ele fefoit les contrez droiz , 
Les fours oïr , fols ravoier : 
Onques ne la fot déproier 

I. Ce vers et les treize qui le suivent manquent au 
Ms. 7633. 



La Vie Sainte Élysabbl. 887 

aiaS Qui de fon mal n'éuft fanté. 

Ne vous auroîe hui tbut chanté : 

AiTez fîft de miracles biaus 

Ma dame faint Élyfabiaus. 

Bien la doivent' enfant amer, 
2 1 3o Qu'en li ne trovèrent amer : 

Ne lor fil dure ne amère , 

Ainçois lor fu fanz amer mère ; 

Et li jovent en lor jovant?* 

La doivent amer fanz doutance ; 
21 35 Quar de la mort efpériteT* 

En gari mains, & tout itel 

Fift-ele de temporel mort , 

Qu'ele refufcita le mort. 

Amer la doivent povre & riche , 
2140 Conques aus povres ne fut chiche , 

Ainz lor dônoit fans retenir 

Quanques fes mains pooit tenir. 

Ainfinc fîft la benéurée : 

Bien dut f âme eftre afféurée , 
2145 Dont RusTEfeuÉs a fet la rime* 

Se RusTEBués rudement rime 

Et fe rudèce en fa rime a , 

Prenez garde qui la rima. 

RusTEBUEF , qui rudement œvre , 
2 1 5o Qui rudement fet la rude œvre , 
Qu'aflez en la rudèce metit , 
, Flima la rime rudement ; 

Quar por nule riens ne croiroie 



M8 La Vis Saints Élysabal. 

Que bttés im £éift irude roîe , 

2 1 5 5 Taat i rnéiH Ten graat eilude. 
Se Ru&TBBuÉs fet rime cudfi , 
Je n'i part plus ; mes Rustbsués 
Eft auû rudes coinme uns bu^ ; 
Mes une cieas me récoafoite : 
^2 i6o Que cil par qui la ^ la pOrte 
A la roïne Ysabsl 
De Navarre, chimult ert bel; 
Que Ten li li£e & c^u'ele l'oie , 
Et mult en aura-el grantjoie^. 

2 165 Mefire Erasls la me ôfl fère ^ 
De li fignes-, & toute teère 
De latin en rime françoife \ 
Quar Teftoire eil bêle & cortoile, 
Ueiloire de la dame, a£a 

2 1 70 Qu'à Dieu ot cuer féable &. fuu 
De fin cuer loial finement , 
Se Tefloire en la fin ne ment, 
Bien dut finement définer, 
Quar bien volt fan tens afiner 

2175 En iervir de penfiee fine 

Celui Seignor qui lanx fia fixie 

1. Ce passage, comme nous Tavons dit, prouve 
que cette ^pièce a été composée avaal 1^719 époque 
où mourut Isabelle. 

2, Évrart de Valéry, chambrier de France et con- 
nétable de Champagne, mort en 1277. (Voyez^ pour 
plus de détails sur lui, la Complainte du roi de Na- 
varre et celk du Comte de Neifera, ) 



La Vie Sainie Ëlysabel. 
Or prions donc à celi 
A cui tant bien fère enbeli 
Que por nous deprit à celui 

SI 80 Dieu qui ne refufe nului. 

Et par fa proiëre en proit celé 
Qui fil & fa mère &fancele, 
Que il nous otroit celé joie 
Que il â celé Dame otroie. 

ai8S Explicil, Diexenfoit léez ! 
Dites Amen , vous qui l'cez. 



i&ifËA Ifi We jriiâc €lgMb(l. 





TABLE 

DU DEUXIÈME VOLUME 



Pages. 

De Brichemer i 

Li diz des ribaux de Oreive 6 

La defputoifon de Challot & du barbier 8 

De Peftat du monde i5 

Les plaies du monde 24 

De la vie dou monde , ou (7eft la complainte 

de Sainte Eglife : 3o 

De Sainte Eglife 45 

Ci coumence le diz de l'erberie b i 

De Frère Deniie » 63 

C'eft li teftament de Tâne 78 

Le pet au vilain 86 

C'eft le dit d'Ariftotlô g3 

Ci encoumence de Chariot le Juif, qui chia en 

la pel dou lièvre 98 

De la dam me qui fîft les trois tours entour le 

mouftier ia3 

Du secreftain & de la famme au chevalier. ... ii3 

L'Ave-Maria Ruftebeuf • • 142 

Cest de Noftre - £>ame, ou Une chanfon de 

Noftre-Dame •....• < 149 



39s Taslk r>9 Debxj^mk V«x.inu. 

Wdii dea proprietBci NoftnvCsnw, tSa 

Un difl de Noftre Dame 164 

La voie de Paradis, ou Ci eueoumence la voie 

d'uroilitei 169 

Lk bataille de* vices coBtn )M vertus, ou Ci 

encoumence li dix de la menfuoge 204. 

La lectioni d'rpodîTttt ft d'aatiÏKî ou Ci 

encoumence le dit d'ypocrilïe -. . 217 

Ci commence le miracle de Ttiéophile 23i 

La vie Sainte Marie l'EgypIianne ou Ci encon- 

, raence la vie de Sainte Marie l'Egypcienne. . i63 

La Vie Sainte Elyfabel, ou Ci enceuntetite la 

Tie aainte Etyfabel, filfe an trn île Hongrie.. îio 



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ACBZYÈ o'iMPRIMER 

LE XXX* 70UR d'octobre MDCCCLXXIV, 

AP&àS A.YOIR ÉTé REVU AYKC SOIN 

SXJR LBS MANaSCRlTS 

ORIGINAUX 

PAR ACHILLE JURFlfAL, 

QUI AVAIT PUBLIÉ LA PREMIÈRE ÉDITION 

PROPRIIS IMPENSIS ET CURIS.