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Full text of "Oeuvres complètes"

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University  of  Toronto 


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HISTOIRE 


DE  FRANCE 


IV 


IMPRIMERIE  E,   FLAMMARION,   26,   RUE  RACINE,   PARIS. 


ŒUVRES  COMPLÈTES  DE  J.  MICHELET 


HISTOIRE 


DE  FRANCE 


MOYEN  AGE 


EDITION    DEFINITIVE,    REVUE    ET    CORRIGEE 


BIBLIOTHEQUES 


TOME    QUATRIÈME 


0        UBRARI6S  * 

PARIS 

ERNEST    FLAMMARION,    ÉDITEUR 

26,    RUE    RACINE,    PRÈS   l'oDÉON" 

Tous  droits  réservés. 


DC 


HISTOIRE 

DE   FRANCE 


LIVRE   VII 


CHAPITRE    PREMIER 

Jeunesse  de  Charles  VI  (1380-1383). 

Si  le  grave  abbé  Suger  et  son  dévot  roi  Louis  VII 
s'étaient  éveillés,  du  fond  de  leurs  caveaux,  au  bruit 
des  étranges  fêtes  que  Charles  VI  donna  dans  l'abbaye 
de  Saint-Denis,  s'ils  étaient  revenus  un  moment  pour 
voir  la  nouvelle  France,  certes,  ils  auraient  été  éblouis, 
mais  aussi  surpris  cruellement;  ils  se  seraient  signés 
de  la  tête  aux  pieds  et  bien  volontiers  recouchés  dans 
leur  linceul. 

Et  en  effet,  que  pouvaient-ils  comprendre  à  ce  spec- 
tacle ?  En  vain  ces  hommes  clés  temps  féodaux,  stu- 
dieux contemplateurs  des  signes  héraldiques,  auraient 
parcouru  des  yeux  la  prodigieuse  bigarrure  des  écus- 


2  HISTOIRE    DE    FRANCE 

sons  appendus  aux  murailles;  en  vain  ils  auraient 
cherché  les  familles  des  barons  de  la  croisade  qui  sui- 
virent Godefroi  ou  Louis-le-Jeune;  la  plupart  étaient 
éteintes.  Qu'étaient  devenus  les  grands  fiefs  souverains 
des  ducs  de  Normandie,  rois  d'Angleterre,  des  comtes 
d'Anjou,  rois  de  Jérusalem,  des  comtes  de  Toulouse  et 
de  Poitiers?  On  en  aurait  trouvé  les  armes  à  grand' - 
peine,  rétrécies  qu'elles  étaient  ou  effacées  par  les 
fleurs  de  lis  dans  les  quarante-six  écussons  royaux.  En 
récompense,  un  peuple  de  noblesse  avait  surgi  avec 
un  chaos  de  douteux  blasons.  Simples  autrefois  comme 
emblèmes  des  fiefs,  mais  devenus  alors  les  insignes 
des  familles,  ces  blasons  allaient  s'embrouillant  de 
mariages,  d'héritages,  de  généalogies  vraies  ou  fausses. 
Les  animaux  héraldiques  s'étaient  prêtés  aux  plus 
étranges  accouplements.  L'ensemble  présentait  une 
bizarre  mascarade.  Les  devises,  pauvre  invention 
moderne1,  essayaient  d'expliquer  ces  noblesses  d'hier. 
Tels  blasons,  telles  personnes.  Nos  morts  du  dou- 
zième siècle  n'auraient  pas  vu  sans  humiliation,  que 
dis-je  !  sans  horreur,  leurs  successeurs  du  quatorzième. 
Grand  eût  été  leur  scandale,  quand  la  salle  se  serait 
remplie  des  monstrueux  costumes  de  ce  temps,  des 
immorales  et  fantastiques  parures  qu'on  ne  craignait 
pas  de  porter.  D'abord  des  hommes-femmes,  gracieu- 
sement attifés,  et  traînant  mollement  des  robes  de 
douze  aunes;  d'autres  se  dessinant  dans  leurs  jaquettes 
de  Bohême  avec  des  chausses  collantes,  mais  leurs 

1.  Moderne,  c'est-à-dire  renouvelée  alors  récemment  Les  anciens  avaient 
eu  aussi  des  devises.  App.  1. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  3 

manches  flottaient  jusqu'à  terre.  Ici,  des  hommes- 
bêtes  brodés  de  toute  espèce  d'animaux  ;  là  des 
hommes-musique,  historiés  de  notes  \  qu'on  chantait 
devant  ou  derrière,  tandis  que  d'autres  s'affichaient 
d'un  grimoire  de  lettres  et  de  caractères  qui  sans  doute 
ne  disaient  rien  de  bon. 

Cette  foule  tourbillonnait  dans  une  espèce  d'église  ; 
l'immense  salle  de  bois  qu'on  avait  construite  en  avait 
l'aspect.  Les  arts  de  Dieu  étaient  descendus  complai- 
samment  aux  plaisirs  de  l'homme.  Les  ornements  les 
plus  mondains  avaient  pris  les  formes  sacrées.  Les 
sièges  des  belles  dames  semblaient  de  petites  cathé- 
drales d'ébène,  des  châsses  d'or.  Les  voiles  précieux 
que  l'on  n'eût  jadis  tirés  du  trésor  de  la  cathédrale 
que  pour  parer  le  chef  de  Notre-Dame  au  jour  de 
l'Assomption  voltigeaient  sur  de  jolies  têtes  mondaines. 
Dieu,  la  Vierge  et  les  Saints  avaient  l'air  d'avoir  été 
mis  à  contribution  pour  la  fête.  Mais  le  Diable  four- 
nissait davantage.  Les  formes  sataniques,  bestiales, 
qui  grimacent  aux  gargouilles  des  églises,  des  créa- 
tures vivantes  n'hésitaient  pas  à  s'en  affubler.  Les 
femmes  portaient  des  cornes  à  la  tète,  les  hommes  aux 
pieds;  leurs  becs  de  souliers  se  tordaient  en  cornes, 
en  griffes,  en  queues  de  scorpion.  Elles  surtout,  elles 
faisaient  trembler;  le  sein  nu,  la  tête  haute,  elles  pro- 
menaient par-dessus  la  tête  des  hommes  leur  gigan- 
tesque hennin,  échafaudé  de  cornes;  il  leur  fallait  se 
tourner  et  se  baisser  aux  portes.  A  les  voir  ainsi  belles, 

1.  App.  2. 


4  HISTOIRE    DE    FRANCE 

souriantes,  grasses1,  dans  la  sécurité  du  péché,  on 
doutait  si  c'étaient  des  femmes;  on  croyait  reconnaître, 
dans  sa  beauté  terrible,  la  Bête  décrite  et  prédite;  on 
se  souvenait  que  le  Diable  était  peint  fréquemment 
comme  une  belle  femme  cornue2...  Costumes  échangés 
entre  hommes  et  femmes,  livrée  du  Diable  portée  par 
dos  chrétiens,  parements  d'autel  sur  l'épaule  des 
rïbauds,  tout  cela  faisait  une  splendide  et  royale  figure 
de  sabbat. 

Un  seul  costume  eût  trouvé  grâce.  Quelques-uns, 
de  discret  maintien,  de  douce  et  matoise  figure,  por- 
taient humblement  la  robe  royale,  l'ample  robe  rouge 
fourrée  d'hermine.  Quels  étaient  ces  rois?  D'honnêtes 
bourgeois  de  la  cité,  domiciliés  dans  la  rue  de  la 
Calandre  ou  dans  la  cour  de  la  Sainte-Chapelle.  Scribes 
d'abord  du  royal  parlement  des  barons,  puis  siégeant 
près  d'eux  comme  juges,  puis  juges  des  barons  eux- 
mêmes,  au  nom  du  roi  et  sous  sa  robe.  Le  roi,  laissant 
cette  lourde  robe  pour  un  habit  plus  leste,  l'a  jetée 
sur  leurs  bonnes  grosses  épaules.  Voilà  deux  dégui- 
sements :  le  roi  prend  l'habit  du  peuple,  le  peuple 
prend  l'habit  du  roi.  Charles  YI  n'aura  pas  de  plus 


t.  L'obésité  est  un  caractère  des  figures  de  cette  sensuelle  époque.  Voir  les 
statues  de  Saint-Denis;  celles  du  quatorzième  siècle  sont  visiblement  des 
portraits.  Voir  surtout  la  statue  du  duc  de  Berri  dans  la  chapelle  souterraine 
de  Bourges,  avec  l'ignoble  chien  gras  qui  est  à  ses  pieds. 

'35.  «  Les  dames  et  demoiselles  menoient  grands  et  excessifs  estats,  et  cornes 
merveilleuses,  hautes  et  larges  ;  et  avoient  de  chacun  costé,  au  lieu  de  bourlées, 
deux  grandes  oreilles  si  larges  que  quand  elles  vouloient  passer  l'huis  d'une 
chambre,  il  falloit  qu'elles  se  tournassent  de  costé  et  baissassent.  »  (Juvénal 
des  Ursins.)  —  «  Quid  de  cornibus  et  caudis  loquar?...  Adde  quod  in  effigie 
cornutœ  fœminae  Diabolus  plcrumquc  pingitur.  »  (Clcmengis. ) 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  5 

grand  plaisir  que  de  se  perdre  dans  la  foule,  et  de 
recevoir  les  coups  des  sergents1.  Il  peut  courir  les 
rues,  danser,  jouter  dans  sa  courte  jaquette;  les  bour- 
geois jugeront  et  régneront  pour  lui. 

Cette  Babel  des  costumes  et  des  blasons  exprimait 
trop  faiblement  encore  l'embrouillement  des  idées. 
L'ordre  politique  naissait  ;  le  désordre  intellectuel  sem- 
blait commencer.  La  paix  publique  s'était  établie;  la 
guerre  morale  se  déclarait.  On  eût  dit  que  du  sérieux 
monde  féodal  et  pontifical  s'était,  un  matin,  déchaîne e 
la  fantaisie.  Cette  nouvelle  reine  du  temps  se  dédom- 
mageait après  sa  longue  pénitence.  C'était  comme  un 
écolier  échappé  qui  fait  du  pis  qu'il  peut.  Le  moyen 
âge,  son  digne  père,  qui  si  longtemps  l'avait  contenue, 
elle  le  respectait  fort;  mais,  sous  prétexte  d'honneur, 
elle  l'habillait  de  si  bonne  sorte  que  le  pauvre  vieil- 
lard ne  se  reconnaissait  plus. 

On  ne  sait  pas  communément  que  le  moyen  âge 
s'est,  de  son  vivant,  oublié  lui-même. 

Déjà  le  dur  Speculator  Durandus ,  ce  gardien 
inflexible  du  symbolisme  antique,  déclare  avec  dou- 
leur que  le  prêtre  même  ne  sait  plus  le  sens  des  choses 
saintes2. 

Le  conseiller  de  saint  Louis,  Pierre  de  Fontaines, 
se  croit  obligé  d'écrire  le  droit  de  son  temps.  «  Car, 
dit-il,  les  anciennes  coutumes  que  les  prud'hommes 
tenoient,  sont  tantôt  mises  à  rien...  En  sorte  que  le 
pays  est  à  peu  près  sans  coutume  3.  » 

l.  Voir  plus  bas  l'entrée  de  la  reine  Isabeau.  —  2.  App.  3.  —  3.  App.  4. 


6  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Les  chevaliers,  qui  se  piquaient  tant  de  fidélité, 
étaient-ils  restés  fidèles  aux  rites  de  la  chevalerie? 
Nous  lisons  que,  lorsque  Charles  YI  arma  chevaliers 
ses  jeunes  cousins  d'Anjou,  et  qu'il  voulut  suivre  de 
point  en  point  l'ancien  cérémonial,  beaucoup  de  gens 
«  trouvèrent  la  chose  étrange  et  extraordinaire1  ». 

Ainsi,  avant  1400,  les  grandes  pensées  du  moyen 
âge,  ses  institutions  les  plus  chères,  vont  s'altérant 
pour  les  signes,  ou  s'obscurcissant  pour  le  sens.  Nous 
connaissons  aujourd'hui  ce  que  nous  fûmes  au  trei- 
zième siècle  mieux  que  nous  ne  le  savions  au  quin- 
zième. Il  en  est  advenu  comme  d'un  homme  qui  a 
perdu  de  vue  sa  famille,  ses  parents,  ses  jeunes 
années,  et  qui,  plus  tard,  se  recueillant,  s'étonne 
d'avoir  délaissé  ces  vieux  souvenirs. 

Quelqu'un  offrant  un  jour  une  mnémonique  au  grand 
Thémistocle,  il  répondit  ce  mot  amer  :  «  Donne-moi 
plutôt  un  art  d'oublier.  »  Notre  France  n'a  pas  besoin 
d'un  tel  art;  elle  n'oublie  que  trop  vite  ! 

Qu'un  tel  homme  ait  dit  ce  mot  sérieusement,  je  ne 
le  croirai  jamais.  Si  Thémistocle  eût  vraiment  pensé 
ainsi,  s'il  eût  dédaigné  le  passé,  il  n'eût  pas  mérité  le 
solennel  éloge  que  fait  de  lui  Thucydide  :  «  L'homme 
qui  sut  voir  le  présent  et  prévoir  l'avenir.  » 

Quiconque  néglige,  oublie,  méprise,  il  en  sera  puni 
par  l'esprit  de  confusion.  Loin  d'entrevoir  l'avenir,  il 
ne  comprendra  rien  au  présent  :  il  n'y  verra  qu'un  fait 
sans  cause.  Un  fait,  et  rien  qui  le  fasse!  quelle  chose 

1.  App.  5. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  7 

plus  propre  à  troubler  le  sens?...  Le  fait  lui  apparaîtra 
sans  raison,  ni  droit  d'exister.  L'ignorance  du  fait, 
l'obscurcissement  du  droit,  sont  le  fléau  du  quatorzième 
et  du  quinzième  siècle. 

Les  chroniqueurs,  ne  pouvant  expliquer  ces  choses, 
y  voient  la  peine  du  schisme.  Ils  ont  raison  en  un 
sens.  Mais  le  schisme  pontifical  était  lui-même  un 
incident  du  schisme  universel  qui  travaillait  les 
esprits. 

La  discorde  intellectuelle  et  morale  se  traduisait  en 
guerres  civiles.  Guerre  dans  l'Empire,  entre  Wenceslas 
et  Robert;  en  Italie,  entre  Duras  et  Anjou;  en  Portugal, 
pour  et  contre  les  enfants  d'Inès;  en  Aragon,  entre 
Pierre  YI  et  son  fils  ;  tandis  qu'en  France  se  préparent 
les  guerres  d'Orléans  et  de  Bourgogne,  en  Angleterre 
celles  d'York  et  de  Lancastre. 

Discorde  dans  chaque  État,  discorde  dans  chaque 
famille.  «  Deux  hommes,  se  levant  d'un  même  lit, 
disent  à  peine  un  mot  qu'ils  s'enfuient  l'un  de  l'autre; 
l'un  crie  York,  l'autre  Lancastre;  et,  pour  adieu,  ils 
croisent  leurs  épôes1.  » 

Yoilà  les  parents,  les  frères.  Mais  qui  eut  pénétré 
plus  avant  encore,  qui  eût  ouvert  un  cœur  d'homme, 
il  y  aurait  trouvé  toute  une  guerre  civile,  une  mêlée 
acharnée  d'idées,  de  sentiments  en  discorde. 

Si  la  sagesse  consiste  à  se  connaître  soi-même  et  à 
se  pacifier,  nulle  époque  ne  fut  plus  naturellement 
folle.  L'homme,  portant  en  lui  cette  furieuse  guerre, 

1.  Michael  Drayton's,  The  miseries  of  Queen  Margaret. 


8  HISTOIRE    DE    FRANCE 

fuyait  de  l'idée  dans  la  passion,  du  trouble  dans  le 
trouble.  Peu  à  peu,  esprit  et  sens,  âme  et  corps,  tou( 
se  détraquant,  il  n'y  avait  bientôt  plus  dans  la  machine 
humaine  une  pièce  qui  tînt.  Gomment,  d'ignorance  en 
erreur,  d'idées  fausses  en  passions  mauvaises,  d'ivresse 
en  frénésie,  l'homme  perd-il  sa  nature  d'homme?  Nous 
ferons  ce  cruel  récit.  L'histoire  individuelle  explique 
l'histoire  générale.  La  folie  du  roi  n'était  pas  celle  du 
roi  seul  :  le  royaume  en  avait  sa  part. 

Reprenons  Charles  VI  à  son  enfance,  à  son  avène- 
ment. 


Le  petit  roi  de  douze  ans,  déjà  fol  de  chasse  et  de 
guerre,  courait  un  jour  le  cerf  dans  la  forêt  de  Senlis. 
Nos  forets  étaient  alors  bien  autrement  vastes  et  pro- 
fondes, et  la  dépopulation  des  quarante  dernières 
années  les  avait  encore  épaissies.  Charles  VI  fît  dans 
cette  chasse  une  merveilleuse  rencontre  :  il  vit  un 
cerf  qui  portait,  non  la  croix,  comme  le  cerf  de  saint 
Hubert,  mais  un  beau  collier  de  cuivre  doré,  où  on 
lisait  ces  mots  latins  :  «  César  hoc  mihi  donavit  (César 
me  l'a  donné  *).  »  Que  ce  cerf  eût  vécu  si  longtemps, 
c'était,  tout  le  monde  en  convenait,  chose  prodigieuse 
et  de  grand  présage.  Mais  comment  fallait-il  l'entendre? 
Était-ce  un  signe  de  Dieu  qui  promettait  des  victoires 
au  règne  de  son  élu?  ou  bien  une  de  ces  visions  diabo- 
liques par  où  le  Tentateur  prend  possession  des  siens, 

1.  Religieux  de  Saint-Denis. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  9 

et  les  pousse  au  hasard  à  travers  les  précipices  jusqu'à 
ce  qu'ils  se  rompent  le  col? 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  faible  imagination  de  l'enfant 
royal,  déjà  gâtée  par  les  romans  de  chevalerie,  fut 
frappée  de  cette  aventure  :  il  vit  encore  le  cerf  en 
songe  avant  sa  victoire  de  Roosebeke.  Dès  lors,  il  plaça 
sous  son  écusson  le  cerf  merveilleux,  et  donna  pour 
support  aux  armes  de  France  la  malencontreuse  figure 
du  cornu  et  fugitif  animal. 

C'était  chose  peu  rassurante  de  voir  un  grand 
royaume  remis,  comme  un  jouet,  au  caprice  d'un 
enfant.  On  s'attendait  à  quelque  chose  d'étrange  ;  des 
signes  merveilleux  apparaissaient. 

Ces  signes,  qui  menaçaient-ils  ?  le  royaume  ou  les 
ennemis  du  royaume?  On  pouvait  encore  en  douter. 
Jamais  plus  faible  roi;  mais  jamais  la  France  n'avait 
été  si  forte.  Pendant  tout  le  treizième,  tout  le  quator- 
zième siècle,  à  travers  les  succès  et  les  désastres,  elle 
avait  constamment  gagné.  Poussée  fatalement  dans 
la  grandeur,  elle  croissait  victorieuse;  vaincue,  elle 
croissait  encore.  Après  la  défaite  de  Gourtrai,  elle 
gagna  la  Champagne  et  la  Navarre l  ;  après  la  défaite 
de  Créci,  le  Dauphiné  et  Montpellier;  après  celle  de 
Poitiers,  la  Guyenne,  les  deux  Bourgognes,  la  Flandre. 
Etrange  puissance,  qui  réussissait  toujours  malgré  ses 
fautes,  par  ses  fautes. 

Non  seulement  le  royaume  s'étendait,  mais  le  roi 
était  plus  roi.   Les  seigneurs  lui  avaient  remis  leur 

1.  Par  la  mort  de  la  reine  Jeanne,  femme  de  Philippe-le-Bel. 


10  HISTOIRE    DE    FRANCE 

épée  de  justice1  et  de  bataille;  ils  n'attendaient  qu'un 
signe  de  lui  pour  monter  à  cheval  et  le  suivre  n'importe 
où.  On  commençait  à  entrevoir  la  grande  chose  des 
temps  modernes,  un  empire  mû  comme  un  seul 
homme. 

Cette  force  énorme,  où  allait-elle  se  tourner?  Qui 
allait-elle  écraser?  Elle  flottait  incertaine  dans  une 
jeuue  main,  gauche  et  violente,  qui  ne  savait  pas 
même  ce  qu'elle  tenait. 

Quelque  part  que  le  coup  tombât,  il  n'y  avait  dans 
toute  la  chrétienté  rien,  ce  semble,  qui  pût  résister. 

L'Italie,  sous  ses  belles  formes,  était  déjà  faible  et 
malade.  Ici  les  tyrans,  successeurs  des  Gibelins;  là  les 
villes  guelfes,  autres  tyrans,  qui  avaient  absorbé  toute 
vie.  Naples  était  ce  qu'elle  est,  mêlée  d'éléments  divers, 
une  grosse  tête  sans  corps.  Sous  le  prétexte  du  vieux 
crime  de  la  reine  Jeanne,  les  uns  appelaient  les  princes 
hongrois  de  la  première  maison  d'Anjou,  sortie  du  frère 
de  saint  Louis;  les  autres  réclamaient  le  secours  de  la 
seconde  maison  d'Anjou,  c'est-à-dire  de  l'aîné  des 
oncles  de  Charles  VI. 

L'Allemagne  ne  valait  pas  mieux.  Elle  se  dégageait 
à  grand'peine  de  son  ancien  état  de  hiérarchie 
féodale,  sans  atteindre  encore  son  nouvel  état  de 
fédération.  Elle  tournait,  cette  grande  Allemagne, 
vacillante  et  lourdement  ivre,  comme  son  empereur 
Wenceslas.  La  France  n'avait,  ce  semble,  qu'à  lui 
prendre  ce  qu'elle  voulait.  Aussi  le  duc  de  Bourgogne, 

1.  Pour  les  appels,  sans  parler  de  l'influence  indirecte  des  juges  royaux. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  11 

le  plus  jeune  des  oncles  et  le  plus  capable,  poussait 
le  roi  de  ce  côté.  Par  mariage,  par  achat,  par  guerre, 
on  pouvait  enlever  à  l'Empire  ce  qui  y  tenait  le 
moins,  à  savoir  les  Pays-Bas. 

Par  delà  les  Pays-Bas,  le  duc  de  Bourgogne  mon- 
trait l'Angleterre.  Le  moment  était  bon.  Cette  orgueil- 
leuse Angleterre  avait  alors  une  terrible  fièvre.  Le 
roi,  les  barons  et  leur  homme  Wicleff  avaient  lâché 
le  peuple  contre  l'Église.  Mais  le  dogue,  une  fois 
lancé,  se  retournait  contre  les  barons.  Dans  ce  péril, 
tout  ce  qui  avait  autorité  ou  propriété,  roi,  évêques, 
barons,  se  serrèrent  et  firent  corps.  Le  roi,  jeune  et 
impétueux,  frappa  le  peuple,  raffermit  les  grands, 
puis  s'en  repentit,  recula.  La  France  pouvait  profiter 
de  ce  faux  mouvement,  et  porter  un  coup. 

Cette  France,  si  forte,  n'avait  d'empêchement  qu'en 
elle-même.  Les  oncles  la  tiraient  en  sens  inverse, 
au  midi,  au  nord.  Il  s'agissait  de  savoir  d'abord  qui 
gouvernerait  le  petit  Charles  VI.  Ces  princes  qui, 
pendant  l'agonie  de  leur  frère1,  étaient  venus  avec 
deux  armées  se  disputer  la  régence,  consentirent 
pourtant  à  plaider  leur  droit  au  Parlement2.  Le  duc 
d'Anjou,  comme  aîné,  fut  régent.  Mais  on  produisit 


1.  Pendant  que  son  frère  expirait,  le  duc  d'Anjou  s'était  tenu  caché  dans 
une  chambre  voisine,  puis  il  avait  fait  main  basse  sur  tous  les  meubles,  toute 
la  vaisselle,  tous  les  joyaux.  —  On  disait  que  le  feu  roi  avait  fait  sceller  des 
barres  d'or  et  d'argent  dans  les  murs  du  château  de  Melun,  et  que  les  maçons 
employés  à  ce  travail  avaient  ensuite  disparu.  Le  trésorier  avait  juré  de 
garder  le  secret.  Le  duc  d'Anjou,  n'en  pouvant  rien  tirer,  fit  venir  le  bourreau  : 
«  Coupe  la  tête  à  cet  homme  »,  lui  dit-il.  Le  trésorier  indiqua  la  place. 

2.  Religieux  de  Saint-Denis. 


Ii>  HISTOIRE    DE    FRANCE 

une  ordonnance  du  feu  roi,  qui  réservait  la  garde  de 
son  fils  au  duc  de  Bourgogne  et  au  duc  de  Bourbon, 
son  oncle  maternel.  Charles  VI  devait  être  immédia- 
tement couronné1. 

Une  autre  difficulté,  c'est  que,  si  le  pays  s'était 
un  peu  refait  vers  la  fin  du  règne  de  Charles  V,  il 
n'y  avait  pas  plus  d'ordre  ni  d'habileté  en  finances  ;  le 
peu  d'argent  qu'on  levait  mettait  le  peuple  au  déses- 
poir, et  le  roi  n'en  profitait  pas. 

On  se  plaisait  à  croire  que  le  feu  roi  avait  un 
moment  aboli  les  nouveaux  impôts  pour  le  remède  de 
son  âme.  On  crut  ensuite  qu'ils  seraient  remis  par 
le  nouveau  roi,  comme  joyeuse  étrenne  du  sacre. 
Mais  les  oncles  menèrent  leur  pupille  droit  à  Reims, 
sans  lui  faire  traverser  les  villes,  de  crainte  qu'il 
n'entendît  les  plaintes.  On  lui  fit  même,  au  retour, 
éviter  Saint-Denis,  où  l'abbé  et  les  religieux  l'atten- 
daient en  grande  pompe  ;  on  l'empêcha  de  faire  ses 
dévotions  au  patron  de  la  France,  comme  faisaient 
toujours  les  nouveaux  rois. 

La  royale  entrée  fut  belle  ;  des  fontaines  jetaient 
du  lait,  du  vin  et  de  l'eau  de  rose.  Et  il  n'y  avait  pas 
de  pain  dans  Paris.  Le  peuple  perdit  patience.  Déjà, 
tout  autour,  les  villes  et  les  campagnes  étaient  en  feu. 
Le  prévôt  crut  gagner  du  temps  en  convoquant  les 


1.  Les  trois  oncles  de  Charles  VI  étaient  tout  aussi  ambitieux  et  avares 
que  les  oncles  de  Richard  II.  Il  leur  fallait  aussi  des  couronnes.  En  France 
même,  le  trône  pouvait  vaquer.  Les  jeunes  enfants  du  maladif  Charles  V 
pouvaient  suivre  leur  père.  La  devise  du  duc  de  Rerri,  telle  qu'on  la  lisait 
dans  sa  belle  chapelle  de  Rourges,  indiquait  assez  ces  vagues  espérances  : 
«  Oursine,  le  temps  venra!  »  App.  6. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    Vi  13 

notables  au  Parloir  aux  bourgeois  ;  mais  il  en  vint 
bien  d'autres  ;  un  tanneur  demanda  si  l'on  croyait  les 
amuser  ainsi.  Ils  menèrent,  bon  gré  mal  gré,  le  prévôt 
au  palais.  Le  duc  d'Anjou  et  le  chancelier  montèrent 
tout  tremblants  sur  la  Table  de  marbre  et  promirent 
l'abolition  des  impôts  établis  depuis  Philippe-de- 
Valois,  depuis  Philippe-le-Bel.  La  populace  courut  de 
là  aux  juifs,  aux  receveurs,  pilla,  tua1. 

Le  moyen  d'occuper  ces  bêtes  furieuses,  c'était  de 
leur  jeter  un  homme.  Les  princes  choisirent  un  de 
leurs  ennemis  personnels,  un  clés  conseillers  du  feu 
roi,  le  vieil  Aubriot,  prévôt  de  Paris.  Ils  avaient 
d'ailleurs  leurs  raisons  ;  Aubriot  avait  prêté  de  l'ar- 
gent à  plus  d'un  grand  seigneur,  qui  se  trouvait 
quitte,  s'il  était  pendu.  Ce  prévôt  était  un  rude  justi- 
cier, un  de  ces  hommes  que  la  populace  aime  et  hait, 
parce  que,  tout  en  malmenant  le  peuple,  ils  sont 
peuple  eux-mêmes.  Il  avait  fait  faire  d'immenses 
travaux  dans  Paris,  le  quai  du  Louvre,  le  mur  Saint- 
Antoine,  le  pont  Saint-Michel,  les  premiers  égouts, 
tout  cela  par  corvée,  en  ramassant  les  gens  qui  traî- 
naient dans  les  rues.  Il  ne  traitait  pas  l'Église  ni 
l'Université  plus  doucement  ;  il  s'obstinait  à  ignorer 
leurs  privilèges.  Il  avait  fait  tout  exprès  au  Ghâtelet 
deux  cachots  pour  les  écoliers  et  les  clercs2.  Il 
haïssait  nommément  l'Université  «  comme  mère  des 


1.  Maints  débiteurs  profitèrent  du  tumulte  pour  faire  enlever  chez  leurs 
créanciers  les  titres  de  leurs  obligations.  (Religieux.) 

2.  «  Teterrimos  carceres  composuerat,  uni  Claustri  Brunelli,  alteri  Vici 
Straminum  adaptans  nomina  ».  [Idem.) 


14  HISTOIRE    DE    FRANCE 

prêtres  ».  Il  disait  souvent  à  Charles  V  que  les  rois 
étaient  des  sots  d'avoir  si  bien  rente  les  gens  d'Église. 
Jamais  il  ne  communiait.  Railleur,  blasphémateur, 
fort  débauché,  malgré  ses  soixante  ans,  il  était  bien 
avec  les  juifs,  mieux  avec  les  juives  ;  il  leur  rendait 
leurs  enfants,  qu'on  enlevait  pour  les  baptiser.  Ce 
fut  ce  qui  le  perdit.  L'Université  l'accusa  devant 
l'évêque.  Un  siècle  plus  tôt,  il  eût  été  brûlé.  Il  en 
fut  quitte  pour  l'amende  honorable  et  la  pénitence 
perpétuelle,  qui  ne  dura  guère. 

Abolir  les  impôts  établis  depuis  Philippe-le-Bel, 
c'eût  été  supprimer  le  gouvernement.  Par  deux  fois, 
le  duc  d'Anjou  essaya  de  les  rétablir  (octobre  1381, 
mars  1382).  A  la  seconde  tentative,  il  prit  de  grandes 
précautions.  Il  fit  mettre  les  recettes  à  l'encan,  mais 
à  huis  clos  dans  l'enceinte  du  Châtelet.  Il  y  avait  des 
gens  assez  hardis  pour  acheter,  personne  qui  osât 
crier  le  rétablissement  des  impôts.  Pourtant,  à  force 
d'argent,  on  trouva  un  homme  déterminé,  qui  vint 
à  cheval  dans  la  halle,  et  cria  d'abord,  pour  amasser 
la  foule  :  «  Argenterie  du  roi  volée  !  Récompense 
à  qui  la  rendra  !  »  Puis,  quand  tout  le  monde  écouta, 
il  piqua  des  deux,  en  criant  que  le  lendemain  on 
aurait  à  payer  l'impôt. 

Le  lendemain,  un  des  collecteurs  se  hasarda  à 
demander  un  sol  à  une  femme  qui  vendait  du  cres- 
son1; il  fut  assommé.  L'alarme  fut  si  terrible,  que 
l'évêque,  les  principaux  bourgeois,  le  prévôt  même 

1.  Religieux  de  Saint-Denis. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  15 

qui  devait  mettre  l'ordre,  se  sauvèrent  de  Paris.  Les 
furieux  couraient  toute  la  ville  avec  des  maillets  tout 
neufs  qu'ils  avaient  pris  à  l'arsenal.  Ils  les  essayèrent 
sur  la  tête  des  collecteurs.  L'un  d'eux  s'était  réfugié  à 
Saint-Jacques,  et  tenait  la  Vierge  embrassée  ;  il  fut 
égorgé  sur  l'autel  (1er  mars  1382).  Ils  pillèrent  les 
maisons  des  morts  ;  puis,  sous  prétexte  qu'il  y  avait 
des  collecteurs  ou  des  juifs  clans  Saint-Germain-des- 
Prés,  ils  forcèrent  et  pillèrent  la  riche  abbaye.  Ces 
gens,  qui  violaient  les  monastères  et  les  églises, 
respectèrent  le  palais  du  roi. 

Ayant  forcé  le  Châtelet,  ils  y  trouvèrent  Aubriot,  le 
délivrèrent,  et  le  prirent  pour  capitaine.  Mais  l'ancien 
prévôt  était  trop  avisé  pour  rester  avec  eux.  La  nuit 
se  passa  à  boire,  et  le  matin,  ils  trouvèrent  que  leur 
capitaine  s'était  sauvé.  Le  seul  homme  qui  leur  tint 
tête  et  gagna  quelque  chose  sur  eux,  c'était  le  vieux 
Jean  Desmarets ,  avocat  général.  Ce  bonhomme, 
qu'on  aimait  beaucoup  dans  la  ville,  empêcha  bien 
d'autres  excès.  Sans  lui,  ils  auraient  détruit  le  pont 
de  Gharenton. 

Rouen  s'était  soulevé  avant  Paris,  et  se  soumit 
avant.  Paris  commença  à  s'alarmer.  L'Université,  le 
bon  vieux  Desmarets,  intercédèrent  pour  la  ville.  Ils 
obtinrent  une  amnistie  pour  tous,  sauf  quelques-uns 
des  plus  notés,  que  l'on  fit  tout  doucement  jeter,  la 
nuit,  à  la  rivière.  Cependant,  il  n'y  avait  pas  moyen 
de  parler  d'impôt  aux  Parisiens.  Les  princes  assem- 
blèrent à  Gompiègne  les  députés  de  plusieurs  autres 
villes  de  France  (mi-avril  1382).  Ces  députés  deman- 


16  HISTOIRE    DE    FRANCE 

dèrent  à  consulter  leurs  villes,  et  les  villes  ne 
voulurent  rien  entendre1.  Il  fallut  que  les  princes 
cédassent.  Ils  vendirent  aux  Parisiens  la  paix  pour 
cent  mille  francs. 

Ce  qui  brusqua  l'arrangement,  c'est  que  le  régent 
était  forcé  de  partir  ;  il  ne  pouvait  plus  différer  son 
expédition  d'Italie.  La  reine  Jeanne  de  Naples, 
menacée  par  son  cousin  Charles  de  Duras,  avait 
adopté  Louis  d'Anjou,  et  l'appelait  depuis  deux  ans2. 
Mais,  tant  qu'il  avait  eu  quelque  chose  à  prendre  dans 
le  royaume,  il  n'avait  pu  se  décider  à  se  mettre  en 
route.  Il  avait  employé  ces  deux  ans  à  piller  la  France 
et  l'Église  de  France.  Le  pape  d'Avignon,  espérant 
qu'il  le  déferait  de  son  adversaire  de  Rome,  lui  avait 
livré  non  seulement  tout  ce  que  le  Saint-Siège  pou- 
vait recevoir,  mais  tout  ce  qu'il  pourrait  emprunter, 
engageant,  de  plus,  en  garantie  de  ces  emprunts, 
toutes  les  terres  de  l'Église3.  Pour  lever  cet  argent,  le 
duc  d'Anjou  avait  mis  partout  chez  les  gens  d'Église 
des  sergents  royaux,  des  garnisaires,  des  mangeurs, 
comme  on  disait.  Ils  en  étaient  réduits  à  vendre  les 
livres  de  leurs  églises,  les  ornements,  les  calices, 
jusqu'aux  tuiles  de  leurs  toits. 

Le  duc  d'Anjou  partit  enfin,  tout  chargé  d'argent  et 
de  malédictions  (fin  avril  1382).  Il  partit  lorsqu'il 
n'était  plus  temps  de  secourir  la  reine  Jeanne.  La 
malheureuse,  fascinée  par  la  terreur,  affaissée  par 
Page  ou  par  le  souvenir  de  son  crime,  avait  attendu 

1.  «  Quibusdam  ex  potentioribus  urbibus...    Potius  mori  optamus   quam 
leventur.  »  (Religieux.).  —  2.  App.  T.  —  3.  A  pp.  8. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  17 

son  ennemi.  Elle  était  déjà  prisonnière,  lorsqu'elle 
eut  la  douleur  de  voir  enfin  devant  Naples  la  flotte 
provençale,  qui  l'eût  sauvée  quelques  jours  plus  tôt. 
La  flotte  parut  dans  les  premiers  jours  de  mai.  Le  12, 
Jeanne  fut  étouffée  sous  un  matelas. 

Louis  d'Anjou,  qui  se  souciait  peu  de  venger  sa 
mère  adoptive,  avait  envie  de  rester  en  Provence,  et 
de  recueillir  ainsi  le  plus  liquide  de  la  succession  ;  le 
pape  le  poussa  en  Italie.  Il  semblait,  en  effet,  honteux 
de  ne  rien  faire  avec  une  telle  armée,  une  telle  masse 
d'argent.  Tout  cela  ne  servit  à  rien.  Louis  d'Anjou 
n'eut  même  pas  la  consolation  de  voir  son  ennemi. 
Charles  de  Duras  s'enferma  dans  les  places,  et  laissa 
faire  le  climat,  la  famine,  la  haine  du  peuple.  Louis 
d'Anjou  le  défia  par  dix  fois.  Au  bout  de  quelques 
mois,  l'armée,  l'argent,  tout  était  perdu.  Les  nobles 
coursiers  de  bataille  étaient  morts  de  faim  ;  les  plus 
fiers  chevaliers  étaient  montés  sur  des  ânes.  Le  duc 
avait  vendu  toute  sa  vaisselle,  tous  ses  joyaux,  jus- 
qu'à sa  couronne.  Il  n'avait  sur  sa  cuirasse  qu'une 
méchante  toile  peinte.  Il  mourut  de  la  fièvre  à  Bari. 
Les  autres  revinrent  comme  ils  purent,  en  mendiant, 
ou  ne  revinrent  pas  (1384). 

Des  trois  oncles  de  Charles  VI,  l'aîné,  le  dur 
d'Anjou,  alla  ainsi  se  perdre  à  la  recherche  d'une 
royauté  d'Italie.  Le  second,  le  duc  de  Berri,  s'en  était 
fait  une  en  France,  gouvernant  d'une  manière 
absolue  le  Languedoc  et  la  Guyenne,  et  ne  se  mêlant 
pas  du  reste.  Le  troisième,  le  duc  de  Bourgogne, 
débarrassé  des  deux  autres,  put  faire  ce  qu'il  voulait 


T.    IV. 


13  HISTOIRE    DE    FRANCE 

du  roi  et  du  royaume.  La  Flandre  était  son  héritage, 
celui  de  sa  femme  ;  il  mena  le  roi  en  Flandre,  pour  y 
terminer  une  révolution  qui  mettait  ses  espérances 
en  danger. 

Il  y  avait  alors  une  grande  émotion  dans  toute  la 
chrétienté.  Il  semblait  qu'une  guerre  universelle 
commençât,  des  petits  contre  les  grands.  En  Lan- 
guedoc, les  paysans,  furieux  de  misère,  faisaient 
main  basse  sur  les  nobles  et  sur  les  prêtres,  tuant 
sans  pitié  tous  ceux  qui  n'avaient  pas  les  mains  dures 
et  calleuses,  comme  eux  ;  leur  chef  s'appelait  Pierre 
de  La  Bruyère1.  Les  chaperons  blancs  de  Flandre 
suivaient  un  bourgeois  de  Gand  ;  les  ciompi  de  Flo- 
rence, un  cardeur  de  laine  ;  les  compagnons  de  Rouen 
avaient  fait  roi,  bon  gré  mal  gré,  un  drapier,  «  un 
gros  homme,  pauvre  d'esprit2  ».  En  Angleterre,  un 
couvreur  menait  le  peuple  à  Londres,  et  dictait  au 
roi  l'affranchissement  général  des  serfs. 

L'effroi  était  grand.  Les  gentilshommes,  attaqués 
partout  en  même  temps,  ne  savaient  à  qui  entendre. 
«  L'on  craignoit,  dit  Froissart,  que  toute  gentillesse 
ne  périt.  »  Dans  tout  cela,  pourtant,  il  n'y  avait  nul 
concert,  nul  ensemble.  Quoique  les  maillotins  de 
Paris  eussent  essayé  de  correspondre  avec  les  blancs 
chaperons  de  Flandre3,  tous  ces  mouvements,  analo- 


1.  Ils  tuèrent  ainsi  un  écuyer  écossais,  après  l'avoir  couronné  de  fer  rouge, 
et  un  religieux  de  la  Trinité,  qu'ils  traversèrent  de  part  en  part  d'une  broche 
de  fer.  Le  lendemain,  ayant  pris  un  prêtre  qui  allait  à  la  cour  de  Rome,  ils 
lui  coupèrent  le  bout  des  doigts,  lui  enlevèrent  la  peau  de  sa  tonsure  et  le 
brûlèrent.  —  2.  App.  9. 

3.  On  trouva,  dit-on,  au  pillage  de  Courtrai  des  lettres  de  bourgeois  de 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  19 

g ues  en  apparence,  procédaient  de  causes  au  fond  si 
différentes  qu'ils  ne  pouvaient  s'accorder,  et  devaient 
être  tous  comprimés  isolément. 

En  Flandre,  par  exemple,  la  domination  d'un 
comte  français,  ses  exactions,  ses  violences,  avaient 
décidé  la  crise  ;  mais  il  y  avait  un  mal  plus  grave 
encore,  plus  profond,  la  rivalité  des  villes  de  Gand 
et  de  Bruges1,  leur  tyrannie  sur  les  petites  villes  et 
sur  les  campagnes.  La  guerre  avait  commencé  par 
l'imprudence  du  comte,  qui,  pour  faire  de  l'argent, 
vendit  à  ceux  de  Bruges  le  droit  de  faire  passer  la 
Lys  dans  leur  canal,  au  préjudice  de  Gand.  Cette 
grosse  ville  de  Bruges,  alors  le  premier  comptoir  de 
la  chrétienté,  avait  étendu  autour  d'elle  un  monopole 
impitoyable.  Elle  empêchai L  les  ports  d'avoir  des 
entrepôts,  les  campagnes  de  fabriquer2;  elle  avait 
établi  sa  domination  sur  vingt-quatre  villes  voisines. 
Elle  ne  put  prévaloir  sur  Gand.  Celle-ci,  bien  mieux 
située,  au  rayonnement  des  fleuves  et  des  canaux, 
était  d'ailleurs  plus  peuplée,  et  d'un  peuple  violent, 
prompt  à  tirer  le  couteau.  Les  Gantais  tombèrent 
sur  ceux  de  Bruges,  qui  détournèrent  leur  fleuve, 
tuèrent  le  bailli  du  comte,  brûlèrent  son  château. 
Ypres,  Courtrai  se  laissèrent  entraîner  par  eux.  Liège, 
Bruxelles,  la  Hollande  même,  les  encourageaient,  et 
regrettaient  d'être  si  loin3.  Liège  leur  envoya  six 
cents  charrettes  de  farine. 


Paris    qui   établissaient    leurs    intelligences  avec  les    Flamands.  Voy.    aussi 
App.  18.  —  App.  10. 

1.  App.  11.  —  2.  App.  12.  —  3.  App.  13. 


20  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Garni  ne  manqua  pas  d'habiles  meneurs.  Plus  on  en 
tuait,  plus  il  s'en  trouvait.  Le  premier,  Jean  Hyoens, 
qui  dirigea  le  mouvement,  fut  empoisonné  ;  le  second, 
décapité  en  trahison.  Pierre  Dubois,  un  domestique 
d'Hyoens,  succéda  ;  et  voyant  les  affaires  aller  mal, 
il  décida  les  Gantais,  pour  agir  avec  plus  d'unité, 
à  faire  un  tyran1.  Ce  fut  Philippe  Artevelde,  fils 
du  fameux  Jacquemart,  sinon  aussi  habile,  du  moins 
aussi  hardi  que  son  père.  Assiégé,  sans  secours,  sans 
vivres,  il  prend  ce  qui  restait,  cinq  charrettes  de 
pain,  deux  de  vin;  avec  cinq  mille  Gantais,  il  marche 
droit  à  Bruges,  où  était  le  comte.  Les  Brugeois,  qui 
se  voyaient  quarante  mille,  sortent  fièrement,  et  se 
sauvent  aux  premiers  coups.  Les  Gantais  entrent  dans 
la  ville  avec  les  fuyards,  pillent,  tuent,  surtout  les 
gens  des  gros  métiers2.  Le  comte  échappa  en  se 
cachant  dans  le  lit  d'une  vieille  femme  (3  mai  1382). 

Le  duc  de  Bourgogne,  gendre  et  héritier  du  comte 
de  Flandre,  n'eut  pas  de  peine  à  faire  croire  au  jeune 
roi  que  la  noblesse  était  déshonorée,  si  on  laissait 
l'avantage  à  de  tels  ribauds.  Ils  avaient  d'ailleurs  couru 
le  pays  de  Tournai,  qui  était  terre  de  France.  Une 
guerre  en  Flandre,  dans  ce  riche  pays,  était  une  fête 
pour  les  gens  de  guerre  ;  il  vint  à  l'armée  tout  un 
peuple  de  Bourguignons,  de  Normands,  de  Bretons  3. 
Ypres  eut  peur;  la  peur  gagna,  les  villes  se  livrèrent. 

1.  App.  14.  —  2.  App.  15. 

3.  Le  Religieux  de  Saint-Denis  prétend  que  cette  armée  montait  à  plus  de 
cent  mille  hommes.  Ce  fut  un  seul  fournisseur,  un  bourgeois  de  Paris,  Nicolas 
Boulard,  qui  se  chargea  d'approvisionner  pour  quatre  mois  le  marché  qui  se 
tenait  au  camp. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  21 

Les  pillards  n'eurent  qu'à  prendre;  draps,  toiles,  cou- 
tils, vaisselle  plate,  ils  vendaient,  emballaient,  expé- 
diaient chez  eux. 

Les  Gantais,  ne  pouvant  compter  sur  personne  l, 
réduits  à  leurs  milices,  n'ayant  presque  point  de  gen- 
tilshommes avec  eux,  partant,  point  de  cavalerie,  se 
tinrent  à  leur  ordinaire  en  un  gros  bataillon.  Leur 
position  était  bonne  (Roosebeke  près  Courtrai) ,  mais 
la  saison  devenait  dure  (27  novembre  1382;.  Ils  avaient 
hâte  de  retrouver  leurs  poêles.  D'ailleurs,  les  défec- 
tions commençaient;  le  sire  de  Herzele,  un  de  leurs 
chefs,  les  avait  quittés.  Ils  forcèrent  Artevelde  de  les 
mener  au  combat. 

Pour  être  sûrs  de  charger  avec  ensemble,  et  de  ne 
pas  être  séparés  par  la  gendarmerie,  ils  s'étaient  liés 
les  uns  aux  autres.  La  masse  avançait  en  silence,  toute 
hérissée  d'épieux  qu'ils  poussaient  vigoureusement  de 
l'épaule  et  de  la  poitrine.  Plus  ils  avançaient,  plus  ils 
s'enfonçaient  entre  les  lances  des  gens  d'armes  qui  les 
débordaient  de  droite  et  de  gauche.  Peu  à  peu,  ceux-ci 
se  rapprochèrent.  Les  lances  étant  plus  longues  que 
les  épieux,  les  Flamands  étaient  atteints  sans  pouvoir 
atteindre.  Le  premier  rang  recula  sur  le  second;  le 
bataillon  alla  se  serrant  ;  une  lente  et  terrible  pression 
s'opéra  sur  la  masse;  cette  force  énorme  se  refoula 
cruellement   contre   elle-même.    Le   sang   ne  coulait 


1.  Les  Gantais  avaient  demandé  du  secours  aux  Anglais  ;  mais,  de  crainte 
qu'on  ne  voulût  leur  faire  payer  ce  secours,  ils  réclamèrent  les  sommes  que 
la  Flandre  avait  autrefois  prêtées  à  Edouard  III.  Ils  n'eurent  ni  secours  ni 
argent.  App.  16. 


22  HISTOIRE    DE    FRANCE 

qu'aux  extrémités;  le  centre  étouffait.  Ce  n'était  point 
le  tumulte  ordinaire  d'une  bataille,  mais  les  cris  inar- 
ticulés de  gens  qui  perdaient  haleine,  les  sourds  gémis- 
sements, le  râle  des  poitrines  qui  craquaient  \ 

Les  oncles  du  roi,  qui  l'avaient  tenu  hors  de  l'action 
et  à  cheval,  l'amenèrent  ensuite  sur  la  place,  et  lui 
montrèrent  tout.  Ce  champ  était  hideux  à  voir;  c'était 
un  entassement  de  plusieurs  milliers  d'hommes  étouf- 
fés. Ils  lui  dirent  que  c'était  lui  qui  avait  gagné  la 
bataille,  puisqu'il  en  avait  donné  l'ordre  et  le  signal. 
On  avait  remarqué  d'ailleurs  qu'au  moment  où  le  roi 
fit  déployer  l'oriflamme,  le  soleil  se  leva,  après  cinq 
jours  d'obscurité  et  de  brouillard. 

Contempler  ce  terrible  spectacle,  croire  que  c'était 
lui  qui  avait  fait  tout  cela,  éprouver,  parmi  les  répu- 
gnances de  la  nature,  la  joie  contre  nature  de  cet 
immense  meurtre,  c'était  de  quoi  troubler  profondé- 
ment un  jeune  esprit.  Le  duc  de  Bourgogne  put  bientôt 
s'en  apercevoir,  à  son  propre  dommage.  Lorsqu'il 
ramena  à  Gourtrai  son  jeune  roi,  le  cœur  ivre  de  sang, 
quelqu'un  ayant  eu  l'imprudence  de  lui  parler  des 
cinq  cents  éperons  français  qu'on  y  gardait  depuis  la 
défaite  de  Philippe-le-Bel,  il  ordonna  qu'on  mît  la  ville 
à  sac  et  qu'on  la  brûlât. 

Le  roi,  ainsi  animé,  voulait  pousser  la  guerre,  aller 
jusqu'à  Gand,  l'assiéger;  mais  la  ville  était  en  défense. 
Le  mois  de  décembre  était  venu;  il  pleuvait  toujours. 
Les  princes  aimèrent  mieux  faire  la  guerre  aux  Pari- 
siens soumis  qu'aux  Flamands  armés.  Paris  était  ému 

1.  App.  17. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  23 

encore,  mais  disposé  à  obéir.  L'avocat  général  Desmarets 
avait  eu  l'adresse  de  tout  contenir,  donnant  de  bonnes 
paroles,  promettant  plus  qu'il  ne  pouvait,  trahissant 
vertueusement  les  deux  partis,  comme  font  les  modérés. 
Lorsque  le  roi  arriva,  les  bourgeois,  pour  le  mieux 
fêter,  crurent  faire  une  belle  chose  en  se  mettant  en 
bataille.  Peut-être  aussi  espéraient-ils,  en  montrant 
ainsi  leur  nombre,  obtenir  de  meilleures  conditions. 
Ils  s'étalèrent  devant  Montmartre  en  longues  files;  il 
y  avait  un  corps  d'arbalétriers,  un  corps  armé  de  bou- 
cliers et  d'épées,  un  autre  armé  de  maillets;  ces  mail- 
lotins,  à  eux  seuls,  étaient  vingt  mille  hommes  \ 

Ce  spectacle  ne  fît  pas  l'impression  qu'ils  espéraient. 
La  noblesse,  qui  menait  le  roi,  revenait  bouffie  de  sa 
victoire  de  Roosebeke.  Les  gens  d'armes  commen- 
cèrent par  jeter  bas  les  barrières  ;  puis  on  arracha  les 
portes  même  de  leurs  gonds  ;  on  les  renversa  sur  la 
chaussée  du  roi;  les  princes,  toute  cette  noblesse, 
eurent  la  satisfaction  de  marcher  sur  les  portes  de 
Paris  3.  Ils  continuèrent  en  vainqueurs  jusqu'à  Notre- 
Dame.  Le  jeune  roi,  bien  dressé  à  faire  son  personnage, 
chevauchait  la  lance  sur  la  cuisse,  ne  disant  rien,  ne 
saluant  personne,  majestueux  et  terrible. 

Le  soldat  logea  militairement  chez  le  bourgeois.  On 
cria  que  tous  eussent  à  porter  leurs  armes  au  Palais 
ou  au  Louvre.  Ils  en  portèrent  tant,  dans  leur  peur, 
qu'il  s'en  trouvait,  disait-on,  de  quoi  armer  huit  cent 


1.  App.  18. 

2.  «  ...  Quasi  leoninam  civium  superbiam   conculcarent...  »  (Religieux  de 
Saint-Denis.) 


c2ï  HISTOIRE    DE    FRANCE 

mille  hommes  \  La  ville  désarmée,  on  résolut  de  la 
serrer  entre  deux  forts  ;  on  acheva  la  Bastille  Saint- 
Antoine,  et  l'on  bâtit  au  Louvre  une  grosse  tour  qui 
plongeait  dans  l'eau  ;  on  croyait  qu'une  fois  pris  dans 
cet  étau,  Paris  ne  pourrait  plus  bouger. 

Alors  commencèrent  les  exécutions.  On  mit  à  mort 
les  plus  notés,  les  violents2;  puis  d'honnêtes  gens  qui 
les  avaient  contenus  et  qui  avaient  rendu  les  plus 
grands  services,  comme  le  pauvre  Desmarets  3.  On  ne 
lui  pardonna  pas  de  s'être  mis  entre  le  roi  et  la  ville. 
Après  quelques  jours  d'exécutions  et  de  terreur,  on 
arrangea  une  scène  de  clémence.  L'Université ,  la 
vieille  duchesse  d'Orléans,  avaient  déjà  demandé 
grâce  ;  mais  le  duc  de  Berri  avait  répondu  que  tous  les 
bourgeois  méritaient  la  mort.  Enfin  on  dressa,  au  plus 
haut  des  degrés  du  Palais,  une  tente  magnifique,  où 
le  jeune  roi  siégea  avec  ses  oncles  et  les  hauts  barons. 
La  foule  suppliante  remplissait  la  cour.  Le  chancelier 
énuméra  tous  les  crimes  des  Parisiens  depuis  le  roi 
Jean,  maudit  leur  trahison,  et  demanda  quels  supplices 
ils  n'avaient  pas  mérités.  Les  malheureux  voyaient 
déjà  la  foudre  tomber  et  baissaient  les  épaules;  ce 
n'était  que  cris,  des  femmes  surtout  qui  avaient  leurs 


1.  Cette  exagération  prouve  seulement  l'idée  qu'on  se  formait  déjà  de  la 
population  de  cette  grande  ville.  (Religieux  de  Saint-Denis.) 

2.  Le  lundi  qui  suivit  la  rentrée  du  roi,  on  exécuta  un  orfèvre  et  un  mar- 
chand de  drap,  plusieurs  autres  dans  la  quinzaine  suivante,  parmi  lesquels 
Nicolas  le  Flamand,  un  des  amis  d'Etienne  Marcel,  qui  avait  assisté  au 
meurtre  de  Robert  de  Clermont. 

3.  On  prétend  qu'à  sa  mort  il  refusa  de  dire  merci  au  roi,  et  dit  seulement 
merci  à  Dieu.  Il  était  l'auteur  d'un  Recueil  de  décisions  notoires,  établies 
par  cnguestes,  par  tourbes,  de  1300  à  1387. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  25 

maris  en  prison  :  elles  pleuraient  et  sanglotaient.  Les 
oncles  du  roi,  son  frère,  furent  touchés;  ils  se  jetèrent 
à  ses  pieds,  comme  il  était  convenu,  et  demandèrent 
que  la  peine  de  mort  fût  commuée  en  amende. 

L'effet  était  produit;  la  peur  ouvrit  les  bourses.  Tout 
ce  qui  avait  eu  charge,  tout  ce  qui  était  riche  ou  aisé, 
fut  mandé,  taxé  à  de  grosses  sommes,  à  trois  mille,  à 
six  mille,  à  huit  mille  francs.  Plusieurs  payèrent  plus 
qu'ils  n'avaient.  Lorsqu'on  crut  ne  pouvoir  plus  rien 
tirer,  on  publia  à  son  de  trompe  que  désormais  on 
aurait  à  payer  les  anciens  impôts,  encore  augmentés; 
on  mit  une  surcharge  de  douze  dejmiers  sur  toute 
marchandise  vendue.  La  ville  ne  pouvait  rien  dire;  il 
n'y  avait  plus  de  ville,  plus  de  prévôt,  plus  d'échevins, 
plus  de  commune  de  Paris1.  Les  chaînes  des  rues 
furent  portées  à  Vincennes.  Les  portes  restèrent 
ouvertes  de  nuit  et  de  jour. 

On  traita  à  peu  près  de  même  Rouen2,  Reims, 
Ghâlons,  Troyes,  Orléans  et  Sens;  elles  furent  aussi 
rançonnées.  La  meilleure  partie  de  cet  argent,  si 
rudement  extorqué,  alla  finalement  se  perdre  dans  les 
poches  de  quelques  seigneurs.  Il  n'en  resta  pas  grand'- 
chose  3.  Ce  qui  resta,  ce  fut  l'outrecuidance  de  cette 
noblesse  qui  croyait  avoir  vaincu  la  Flandre  et  la 
France  ;  ce  fut  l'infatuation  du  jeune  roi,  désormais  tout 
prêt  à  toutes  sottises,  la  tête  à  jamais  brouillée  par  ses 
triomphes  de  Paris  et  de  Roosebeke,  et  lancé  à  pleine 
course  dans  le  grand  chemin  de  la  folie. 

1.  App.  19.  —  2.  App.  20. 

3.  «  Nec  inde  regale  œrarium  datatum  est.  »  (Religieux.) 


26  HISTOIRE    DE    FRANCE 


CHAPITRE  II 


Jeunesse  de  Charles  VI  (1384-1391). 


La  Flandre,  qu'on  disait  vaincue,  domptée,  l'était  si 
peu  qu'il  y  fallut  encore  deux  campagnes,  et  pour  finir 
par  accorder  aux  Flamands  tout  ce  qu'on  leur  avait 
refusé  d'abord. 

Cette  pauvre  Flandre  était  pillée  à  la  fois  par  les 
Français,  ses  ennemis  et,  par  les  Anglais,  ses  amis. 
Ceux-ci,  irrités  du  succès  des  Français  à  Roosebeke, 
préparèrent  une  croisade  contre  eux  comme  schis- 
matiques  et  partisans  du  pape  d'Avignon.  Cette  croi- 
sade, dirigée,  disait-on,  contre  la  Picardie,  tomba  sur 
la  Flandre.  Les  Flamands  eurent  beau  représenter 
au  chef  de  la  croisade,  à  l'évêque  de  Norwick,  qu'ils 
étaient  amis  des  Anglais,  point  schismatiques,  mais, 
comme  eux,  partisans  du  pape  de  Rome;  l'évêque  qui, 
sous  ce  titre  épiscopal,  n'était  qu'un  rude  homme 
d'armes  et  grand  pillard,  s'obstina  à  croire  que  la 
Flandre  était  conquise  par   les  Français  et  devenue 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  27 

toute  française.  Il  prit  d'assaut  Gravelines,  une  ville 
amie,  sans  défense,  qui  ne  s'attendait  à  rien.  Cassel, 
pillée  par  les  Anglais,  fut  ensuite  brûlée  par  les  Fran- 
çais. Bergues  eut  beau  ouvrir  ses  portes  au  roi  de 
France;  le  jeune  roi,  qui  n'avait  pas  encore  pris  de 
ville,  s'obstina  à  donner  l'assaut;  il  escalada  les  murs 
dégarnis,  força  les  portes  ouvertes. 

Le  comte  de  Flandre  insistait  pour  qu'on  agît  sérieu- 
sement et  qu'on  terminât  la  guerre.  Mais  tout  le  monde 
était  las.  Le  pays  commençait  à  être  bien  appauvri;  il 
n'y  avait  plus  rien  à  prendre  sans  combat.  Ce  qu'il 
fallait  prendre,  si  on  pouvait,  c'était  cette  grosse  ville 
de  Gancl  ;  à  quoi  il  fallait  un  siège,  un  long  et  rude 
siège  ;  personne  ne  s'en  souciait.  Le  duc  de  Berri 
surtout  se  désolait  d'être  tenu  si  longtemps  loin  de 
son  beau  Midi,  de  passer  tous  ses  hivers  dans  la  boue 
et  le  brouillard,  à  faire  les  affaires  du  duc  de  Bourgogne 
et  du  comte  de  Flandre.  Heureusement  celui-ci  mourut. 
Les  Flamands,  clans  leur  haine  contre  les  Français, 
prétendirent  que  le  duc  de  Berri  l'avait  poignardé  j.  Si 
ce  prince,  naturellement  doux  et  plutôt  homme  de 
plaisir ,  eût  fait  ce  mauvais  coup,  ce  qui  est  peu 
croyable,  il  eût  servi  mieux  qu'il  ne  voulait  le  duc  de 
Bourgogne,  gendre  et  héritier  du  mort.  Ce  gendre  ne 
fut  pas  difficile  sur  les  conditions  de  la  paix  ;  il  n'avait 
contre  les  Flamands  ni  haine  ni  rancune  ;  l'essentiel 
pour  lui  était  d'hériter.  Il  leur  accorda  tout  ce  qu'ils 
voulurent,  jura  toutes  les  chartes  qu'ils  lui  donnèrent 

1.  App.  21. 


28  HISTOIRE    DE    FRANCE 

à  jurer.  Il  les  dispensa  même  de  parler  à  genoux, 
cérémonial  qui  pourtant  était  d'usage  du  vassal  au 
seigneur,  et  qui  n'avait  rien  d'humiliant  dans  les 
idées  féodales  (18  décembre  1384). 

Le  duc  de  Bourgogne  était  la  seule  tète  politique 
de  cette  famille.  Il  s'affermit  dans  les  Pays-Bas  par  un 
double  mariage  de  ses  enfants  avec  ceux  de  la  maison 
de  Bavière,  laquelle,  possédant  à  la  fois  le  Hainaut,  la 
Hollande  et  la  Zélande,  entourait  ainsi  la  Flandre  au 
nord  et  au  midi.  Il  eut  encore  l'adresse  de  marier  le 
jeune  roi,  et  de  le  marier  dans  cette  môme  maison  de 
Bavière.  On  proposait  les  filles  des  ducs  de  Bavière,  de 
Lorraine  et  d'Autriche.  Un  peintre  fut  envoyé  pour 
faire  le  portrait  des  trois  princesses.  La  Bavaroise  ne 
manqua  pas  d'être  la  plus  belle,  comme  il  convenait 
aux  intérêts  du  duc  de  Bourgogne.  On  la  fit  venir  en 
grande  pompe  à  Amiens1.  Le  mariage  devait  se  faire  à 
Arras.  Mais  le  roi  déclara  qu'il  voulait  avoir  tout  de 
suite  sa  petite  femme;  il  fallut  la  lui  donner.  C'étaient 
pourtant  deux  enfants;  il  avait  seize  ans,  elle  quatorze. 

Voilà  le  duc  de  Bourgogne  bien  fort ,  un  pied  en 
France,  un  pied  dans  l'Empire.  Il  voulait  faire  une 
plus  grande  chose,  chose  immense,  et  pourtant  alors 
faisable  :  la  conquête  de  l'Angleterre.  Les  Anglais 
désolaient  tout  le  midi  de  la  France  ;  ils  envahissaient 
la  Gastille,  notre  alliée.  Au  lieu  de  traîner  cette  guerre 
interminable  sur  le  continent,  il  valait  mieux  aller  les 
trouver  dans  leur  île,  faire  la  guerre  chez  eux  et  à  leurs 

1.  «  La  jeune  dame,  en  estant  debout,  se  tenoit  coie  et  ne  mouvoit  ni  cil 
ni  bouche;  et  aussi  à  ce  jour  ne  savoit  point  de  françois.  »  (Froissart.) 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  29 

dépens.  Ils  avaient  entre  eux  une  autre  guerre  qui  les 
occupait ,  guerre  sourde ,  silencieuse  et  terrible.  Ils 
étaient  si  enragés  de  haines,  si  acharnés  à  se  mordre, 
qu'on  pouvait  les  battre  et  les  tuer  avant  qu'ils  s'en 
aperçussent. 

L'effort  fut  grand,  digne  du  but.  On  rassembla  tout 
ce  qu'on  put  acheter,  louer  de  vaisseaux,  depuis  la 
Prusse  jusqu'à  la  Gastille.  On  parvint  à  en  réunir  jusqu'à 
treize  cent  quatre-vingt-sept1.  Vaisseaux  de  transport 
plus  que  de  guerre  ;  tout  le  monde  voulait  s'embarquer. 
Il  semblait  qu'on  préparât  une  émigration  générale  de 
la  noblesse  française.  Les  seigneurs  ne  craignaient  pas 
de  ruine,  sûrs  d'en  trouver  dix  fois  plus  de  l'autre 
côté  du  détroit.  Ils  tenaient  à  passer  galamment;  ils 
paraient  leurs  vaisseaux  comme  des  maîtresses.  Ils  fai- 
saient argenter  les  mâts,  dorer  les  proues;  d'immenses 
pavillons  de  soie ,  flottant  dans  tout  l'orgueil  héral- 
dique, déployaient  au  vent  les  lions,  les  dragons,  les 
licornes,  pour  faire  peur  aux  léopards. 

La  merveille  de  l'expédition,  c'était  une  ville  de  bois 
qu'on  apportait  toute  charpentée  des  forêts  de  la  Bre- 
tagne, et  qui  faisait  la  charge  de  soixante-douze  vais- 
seaux. Elle  devait  se  remonter  au  moment  du  débar- 
quement, et  s'étendre,  pour  loger  l'armée,  sur  trois 
mille  pas  de  diamètre  \  Quel  que  fût  l'événement 
des  batailles,  elle  assurait  aux  Français  le  plus  sûr 
résultat  du  débarquement;  elle  leur  donnait  une 
place  en  Angleterre,  pour  recueillir  les  mécontents, 
une  sorte  de  Calais  britannique. 

1.  App.  22.  —  2.  Knyghton.  Walsingham. 


30  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Tout  cela  était  assez  raisonnable.  Mais  le  duc  de 
Bourgogne  n'était  pas  roi  de  France.  Le  projet  avait  le 
tort  de  lui  être  trop  utile  ;  le  maître  de  la  Flandre  eût 
profité  plus  que  personne  du  succès  de  l'invasion 
d'Angleterre.  On  obéit  donc  lentement  et  de  mauvaise 
grâce.  La  ville  de  bois  se  fit  attendre,  et  n'arriva  qu'à 
moitié  brisée  par  la  tempête.  Le  duc  de  Berri  amusa  le 
roi,  le  plus  longtemps  qu'il  put,  en  mariant  son  fils 
avec  la  petite  sœur  du  roi,  âgée  de  neuf  ans.  Charles  VI 
partit  seulement  le  5  août ,  et  on  lui  fit  encore  visiter 
lentement  les  places  de  la  Picardie  ,  de  manière  qu'il 
n'arriva  à  Arras  qu'à  la  mi-septembre.  Le  temps  était 
beau,  on  pouvait  passer.  Mais  les  Anglais  négociaient. 
Le  duc  de  Berri  n'arrivait  pas  ;  il  n'était  aucunement 
pressé.  Lettres,  messages,  rien  ne  pouvait  lui  faire 
hâter  sa  marche.  Il  arriva  lorsque  la  saison  rendait  le 
passage  à  peu  près  impossible1.  Le  mois  de  décembre 
était  venu,  les  mauvais  temps,  les  longues  nuits. 
L'Océan  garda  encore  cette  fois  son  île,  comme  il  a  fait 
contre  Philippe  II,  contre  Bonaparte  2. 

Notre  meilleure  arme  contre  la  Grande-Bretagne, 
c'est  la  Bretagne.  Nos  marins  bretons  sont  les  vrais 
adversaires  des  leurs  ;  aussi  fermes,  moins  sages  peut- 
être,  mais  réparant  cela  par  l'élan  dans  le  moment 
critique.  Le  connétable  de  Glisson,  homme  du  roi  et 
chef  des  résistances  bretonnes  contre  le  duc  de  Bre- 

1.  App.  23. 

■2.  ...  And  Océan,  'mid  his  uproar  wild, 

Speaks  safety  to  his  island  child. 
«  L'Océan  qui  la  garde,  en  son  rauque  murmure,  dit  amour  et  salut  à  son 
île,  à  son  enfant  !  »  (Coleridge.) 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  31 

tagne,  reprit  l'expédition,  et  en  fît  l'affaire  de  sa  pro- 
vince. Glisson  visait  haut;  il  venait  de  racheter  aux 
Anglais  le  jeune  comte  de  Blois,  prétendant  au  duché 
de  Bretagne;  il  lui  donna  sa  fille,  et  il  l'aurait  fait  duc. 
Le  duc  régnant,  Jean  de  Montfort ,  prit  Glisson  en  tra- 
hison; mais  ses  barons  l'empêchèrent  de  le  tuer1.  Ce 
petit  événement  fit  encore  manquer  la  grande  expé- 
dition d'Angleterre. 

Les  Anglais,  réveillés  toutefois  et  bien  avertis,  prirent 
des  mesures.  Ils  désarmèrent  leur  roi,  qui  leur  était 
suspect.  Leur  nouveau  gouvernement  nous  chercha 
de  l'occupation  en  Allemagne.  Il  y  avait  force  petits 
princes  nécessiteux  qu'on  pouvait  acheter  à  bon 
marché.  Le  duc  de  Gueldre,  qui  avait  plus  d'un  diffé- 
rend avec  les  maisons  de  Bourgogne  et  de  Blois,  se 
vendit  aux  Anglais  pour  une  pension  de  vingt-quatre 
mille  francs;  il  leur  fit  hommage,  et,  d'autant  plus 
hardi  qu'il  avait  moins  à  perdre2,  il  défia  majestueu- 
sement le  roi  cle  France. 

Le  duc  de  Bourgogne  fut  charmé,  pour  l'extension 
de  son  influence,  de  faire  sentir  dans  les  Pays-Bas  et 
si  loin  vers  le  nord  ce  que  pesait  le  grand  royaume. 
Il  fit  faire  contre  cette  imperceptible  duc  de  Gueldre 


1.  Le  sire  de  Laval  dit  au  duc  de  Bretagne  :  «  Il  n'y  auroit  en  Bretagne 
chevalier  ni  écuyer,  cité,  chastel  ni  bonne  ville,  ni  homme  nul,  qui  ne  vous 
haït  à  mort  et  ne  mit  peine  à  vous  déshériter.  Ni  le  roi  d'Angleterre  ni  son 
conseil  ne  vous  en  sauroient  nul  gré.  Vous  voulez-vous  perdre  pour  la  vie 
d'un  homme?  x>  (Froissart.) 

2.  Et  plus  à  gagner  :  «  Plus  est  riche  et  puissant  le  duc  de  Bourgogne,  tant 
y  vaut  la  guerre  mieulx...  Pour  une  buffe  que  je  recevrai,  j'en  donnerai  six.  » 
(Froissart.) 


32  HISTOIRE    DE    FRANCE 

presque  autant  d'efforts  qu'il  en  aurait  fallu  pour  con- 
quérir l'Angleterre.  On  rassembla  quinze  mille  hommes 
d'armes,  quatre-vingt  mille  fantassins1.  La  difficulté 
n'était  pas  de  lever  des  hommes,  mais  de  les  faire 
arriver  jusque-là.  Le  duc  de  Bourgogne,  pour  qui  on 
faisait  la  guerre,  ne  voulut  pas  que  cette  grande  et 
dévorante  armée  passât  par  son  riche  Brabant,  dont  il 
allait  hériter.  Il  fallut  tourner  par  les  déserts  de  la 
Champagne ,  s'enfoncer  dans  les  Ardermes ,  par  les 
basses,  humides  et  boueuses  forêts,  en  suivant,  comme 
on  pouvait,  les  sentiers  des  chasseurs.  Deux  mille  cinq 
cents  hommes  armés  de  haches  allaient  devant  pour 
frayer  la  route,  jetaient  des  ponts,  comblaient  les  marais. 
La  pluie  tombait;  le  pays  était  triste  et  monotone.  On 
ne  trouvait  rien  à  prendre,  personne,  pas  même 
d'ennemis.  D'ennui  et  de  lassitude,  on  finit  par  écouter 
les  princes  qui  intercédaient,  l'archevêque  de  Cologne, 
l'évêque  de  Liège,  le  duc  de  Juliers.  Charles  VI 
fut  touché  surtout  des  prières  d'une  grande  dame  du 
pays,  qui  se  disait  éprise  d'amour  pour  l'invincible  roi 
de  France  2.  Sous  ce  doux  patronage,  le  duc  de  Gueldre 
fut  reçu  à  s'excuser;  il  parla  à  genoux,  et  affirma  que 
les  défis  n'avaient  pas  été  écrits  par  lui,  que  c'étaient 
ses  clercs  qui  lui  avaient  joué  ce  tour  (1388). 

Le  résultat  était  grand  pour  le  duc  de  Bourgogne  3 
petit  pour  le  roi.  Deux  mots  d'excuses  pour  payer  tant  de 
peines  et  de  dépenses,  c'était  peu.  Au  reste,  les  autres 


1.  On  renvoya,  il  est  vrai,  le  plus  grand  nombre  comme  impropre  au  service. 
Le  même  Nicolas  Boulard,  dont  nous  avons  parlé,  pourvut  aux  approvision- 
nements. App.  2i.  —  2.  App.  25. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  33 

expéditions  n'avaient  pas  mieux  tourné.  La  France 
avait  envahi  l'Italie,  menacé  l'Angleterre,  touché 
l'Allemagne.  Elle  avait  fait  de  grands  mouvements,  elle 
avait  fatigué  et  sué,  et  il  ne  lui  en  restait  rien.  Elle 
n'était  pas  heureuse;  rien  ne  venait  à  bien.  Le  roi, 
gâté  de  bonne  heure  par  la  bataille  de  Roosebeke, 
avait  cru  tout  facile,  et  il  ne  rencontrait  que  des 
obstacles1.  A  qui  pouvait-il  s'en  prendre,  sinon  à  ceux 
qui  l'avaient  jeté  dans  les  guerres?  A  ses  oncles, 
qui  l'avaient  toujours  conseillé  à  son  dam  et  à  leur 
profit. 

Les  pacifiques  conseillers  de  Charles  Y  prévalurent 
à  leur  tour,  le  sire  de  La  Rivière,  l'évêque  de  Laon, 
Montaigu  et  Glisson.  Charles  YI,  tout  enfant  qu'il  était, 
avait  toujours  aimé  ces  hommes.  Il  avait  obtenu  de 
bonne  heure  que  Clisson  fût  connétable.  Il  avait  sauvé 
la  vie  au  doux  et  aimable  sire  de  La  Rivière,  que  ses 
oncles  voulaient  perdre.  La  Rivière  était  l'ami  et  le 
serviteur  personnel  de  Charles  Y;  il  a  été  enterré  à 
Saint-Denis,  aux  pieds  de  son  maître. 

Le  roi  avait  atteint  vingt  et  un  ans.  Mais  les  oncles 
avaient  le  pouvoir  en  main:  il  fallait  de  l'adresse  pour 
le  leur  ôter.  L'affaire  fut  bien  menée2.  Au  retour  de 
leur  triste  expédition  de  Gueldre,  un  grand  conseil  fut 
assemblé  à  Reims,  dans  la  salle  de  l'archevêché.  Le 


1.  Une  expédition  sollicitée  par  les  Génois  et  commandée  par  le  duc  de 
Bourbon  alla  échouer  en  Afrique  (1390).  Le  comte  d'Armagnac,  ramassant 
tous  les  soldats  qui  pillaient  la  France,  passa  les  Alpes,  attaqua  les  Visconti 
et  se  fit  prendre  (1391).  Le  roi  lui-même  projetait  une  croisade  d'Italie;  il 
aurait  établi  le  jeune  Louis  d'Anjou  à  Naples,  et  terminé  le  schisme  par  la 
prise  de  Rome.  —  2.  App.  26. 

T.  iv.  3 


34  HISTOIRE    DE    FRANCE 

roi  demanda  les  moyens  de  rendre  au  peuple  un  peu 
de  repos,  et  ordonna  aux  assistants  de  donner  leur 
avis.  Alors  l'évêque  de  Laon  se  leva,  énuméra  doc- 
tement toutes  les  qualités  du  roi,  corporelles  et  spi- 
rituelles, la  dignité  de  sa  personne,  sa  prudence  et  sa 
circonspection1;  il  déclara  qu'il  ne  lui  manquait  rien 
pour  régner  par  lui-même.  Les  oncles  n'osant  dire  le 
contraire,  Charles  VI  répondit  qu'il  goûtait  l'avis  du 
prélat;  il  remercia  ses  oncles  de  leurs  bons  services, 
et  leur  ordonna  de  se  rendre  chez  eux,  l'un  en  Lan- 
guedoc, l'autre  en  Bourgogne.  Il  ne  garda  que  le  duc 
de  Bourbon,  son  oncle  maternel,  qui  était  en  effet  le 
meilleur  des  trois. 

L'évêque  de  Laon  mourut  empoisonné,  mais  il  avait 
rendu  un  double  service  au  royaume.  Les  oncles,  ren- 
voyés chez  eux,  s'occupèrent  un  peu  de  leurs  pro- 
vinces, les  purgèrent  des  brigands  qui  les  dévastaient. 
Les  nouveaux  conseillers  du  roi,  ces  petites  gens,  ces 
marmousets,  comme  on  les  appelait,  rendirent  à  la 
ville  de  Paris  ses  échevins  et  son  prévôt  des  mar- 
chands. Ils  conclurent  une  trêve  avec  l'Angleterre, 
favorisèrent  l'Université  contre  le  pape,  et  cherchèrent 
les  movens  d'éteindre  le  schisme.  Ils  auraient  aussi 
voulu  réformer  les  finances.  Ils  allégèrent  d'abord  les 
impôts,  mais  furent  bientôt  obligés  de  les  rétablir. 

Le  gouvernement  était  plus  sage,  mais  le  roi  était 
plus  fol.  A  défaut  de  batailles,  il  lui  fallait  des  fêtes.  Il 
avait  eu  le  malheur  de  commencer^son  règne  par  un 

1.  Le  Religieux. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  35 

de  ces  heureux  hasards  qui  tournent  les  plus  sages 
tètes  ;  il  avait  à  quatorze  ans  gagné  une  grande  bataille  ; 
il  s'était  vu  salué  vainqueur  sur  un  champ  couvert  de 
vingt-six  mille  morts.  Chaque  année  il  avait  eu  les 
espérances  de  la  guerre;  à  chaque  printemps  sa  ban- 
nière s'était  déployée  pour  les  belles  aventures.  Et 
c'était  à  vingt  ans,  lorsque  le  jeune  homme  avait 
atteint  sa  force,  lorsqu'il  était  reconnu  pour  un  cava- 
lier accompli  dans  tout  exercice  de  guerre,  qu'on  le 
condamnait  au  repos  !  Un  gouvernement  de  marmou- 
sets lui  défendait  les  hautes  espérances,  les  vastes 
pensées...  Combien  fallait -il  de  tournois  pour  le 
dédommager  des  combats  réels,  combien  de  fêtes, 
de  bals,  de  vives  et  rapides  amours,  pour  lui  faire 
oublier  la  vie  dramatique  de  la  guerre,  ses  joies, 
ses  hasards  ! 

Il  se  jeta  en  furieux  dans  les  fêtes,  fît  rude  guerre 
aux  finances,  prodiguant  en  jeune  homme,  donnant 
en  roi.  Son  bon  cœur  était  une  calamité  publique.  La 
chambre  des  Comptes,  ne  sachant  comment  résister, 
notait  tristement  chaque  don  du  roi  de  ces  mots  : 
«  Nimis  habuit  »  ou  «  Recuperetur  ».  Les  sages  conseil- 
lers de  la  chambre  avaient  encore  imaginé  d'employer 
ce  qui  pouvait  rester,  après  toute  dépense,  à  faire 
un  beau  cerf  d'or,  dans  l'espoir  que  cette  figure 
aimée  du  roi  serait  mieux  respectée.  Mais  le  cerf 
fuyait,  fondait  toujours  ;  on  ne  put  même  jamais 
l'achever1. 

1.  «  Non  nisi  usque  ad  colli  summitatem  peregcrunt.  »  (Religieux.) 


36  HISTOIRE    DE    FRANCE 

D'abord,  les  fils  du  duc  d'Anjou  devant  partir  pour 
revendiquer  la  malheureuse  royauté  de  Naples,  le  roi 
voulut  auparavant  leur  conférer  l'ordre  de  cheva- 
lerie. La  fête  se  fit  à  Saint-Denis,  avec  une  magnifi- 
cence et  un  concours  de  monde  incroyables.  Toute 
la  noblesse  de  France,  d'Angleterre,  d'Allemagne, 
était  invitée.  Il  fallut  que  la  silencieuse  et  vénérable 
abbaye,  l'église  des  tombeaux,  s'ouvrît  à  ces  pompes 
mondaines,  que  les  cloîtres  retentissent  sous  les 
éperons  dorés,  que  les  pauvres  moines  accueil- 
lissent les  belles  dames.  Elles  logèrent  dans  l'abbaye 
même1.  Le  récit  du  moine  chroniqueur  en  est  encore 
tout  ému. 

Aucune  salle  n'était  assez  vaste  pour  le  banquet 
royal;  on  en  fit  une  dans  la  grande  cour.  Elle  avait  la 
forme  d'une  église2,  et  n'avait  pas  moins  de  trente- 
deux  toises  de  long.  L'intérieur  était  tendu  d'une 
toile  immense,  rayée  de  blanc  et  de  vert.  Au  bout 
s'élevait  un  large  et  haut  pavillon  de  tapisseries  pré- 
cieuses, bizarrement  historiées  ;  on  eut  dit  l'autel  de 
cette  église,  mais  c'était  le  trône. 

Hors  des  murs  de  l'abbaye,  on  aplanit,  on  ferma  de 
barrières  des  lices  longues  de  cent  vingt  pas.  Sur  un 
côté  s'élevaient  des  galeries  et  des  tours,  où  devaient 
siéger  les  dames,  pour  juger  des  coups. 

Il  y  eut  trois  jours  de  fêtes  :  d'abord  les  messes,  les 
cérémonies  de  l'Église,  puis  les  banquets  et  les  joutes, 
puis  le  bal  de  nuit;  un  dernier  bal  enfin,  mais  celui-ci 

1.  App,  27.  —  2.  «  Ad  tcmpli  similituclinem.  »  (Religieux.) 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  37 

masqué,  pour  dispenser  de  rougir.  La  présence  du 
roi,  la  sainteté  du  lieu ,  n'imposèrent  en  rien.  La  foule 
s'était  enivrée  d'une  attente  de  trois  jours.  Ce  fut  un 
véritable  Pervigilium  Veneris;  on  était  aux  premiers 
jours  du  mois  de  mai.  «  Mainte  demoiselle  s'oublia, 
plusieurs  maris  pâtirent...  »  Serait-ce  par  hasard  dans 
cette  funeste  nuit  que  le  jeune  duc  d'Orléans,  frère  du 
roi,  aurait  plu,  pour  son  malheur,  à  la  femme  de  son 
cousin  Jean-sans-Peur,  comme  il  eut  ensuite  l'impru- 
dence de  s'en  vanter  1  ? 

Cette  bacchanale  près  des  tombeaux  eut  un  bizarre 
lendemain.  Ce  ne  fut  pas  assez  que  les  morts  eussent 
été  troublés  par  le  bruit  de  la  fête,  on  ne  les  tint  pas 
quittes.  Il  fallut  qu'ils  jouassent  aussi  leur  rôle.  Pour 
aviver  le  plaisir  par  le  contraste,  ou  tromper  les  lan- 
gueurs qui  suivent,  le  roi  se  fît  donner  le  spec- 
tacle d'une  pompe  funèbre.  Le  héros  de  Charles  VI2, 
celui  dont  les  exploits  avaient  amusé  son  enfance, 
Duguesclin,  mort  depuis  dix  ans,  eut  le  triste  hon- 
neur d'amuser  de  ses  funérailles  la  folle  et  luxurieuse 
cour. 

Les  fêtes  appellent  les  fêtes;  le  roi  voulut  que  la 
reine  Isabeau,  qui,  depuis  quatre  ans,  était  entrée  cent 
fois  dans  Paris,  y  fit  sa  première  entrée.  Après  la  noble 
fête  féodale,  le  populaire  devait  avoir  la  sienne,  celle-ci 
gaie,  bruyante,  avec  les  accidents  vulgaires  et  risibles, 
le  vertige  étourdissant  des  grandes  foules.  Les  bour- 
geois étaient  généralement  vêtus  de  vert,  les  gens  des 

1.  App.  28.—  2.  App.  29. 


38  HISTOIRE    DE    FRANCE 

princes  l'étaient  en  rose.  On  ne  voyait  aux  fenêtres 
que  belles  filles  vêtues  d'écarlate  avec  des  ceintures 
d'or.  Le  lait  et  le  vin  coulaient  des  fontaines;  des 
musiciens  jouaient  à  chaque  porte  que  passait  la  reine. 
Aux  carrefours,  des  enfants  représentaient  de  pieux 
mystères.  La  reine  suivit  la  rue  Saint-Denis.  Deux 
anges  descendirent  par  une  corde,  lui  posèrent  sur  la 
tète  une  couronne  d'or  en  chantant  : 

Dame  enclose  entre  fleurs  de  lis, 
Etes-vous  pas  du  paradis? 

Lorsqu'elle  fut  arrivée  au  pont  Notre-Dame,  on  vit 
avec  étonnement  un  homme  descendre,  deux  flam- 
beaux à  la  main,  par  une  corde  tendue  des  tours  de  la 
cathédrale. 

Le  roi  avait  pris  tout  comme  un  autre  sa  part  de  la 
fête  ;  il  s'était  mêlé  à  la  foule  des  bourgeois,  pour  voir 
aussi  passer  sa  belle  jeune  Allemande.  Il  reçut  même 
des  sergents  «  plus  d'un  horion  »  pour  avoir  approché 
trop  près;  le  soir,  il  s'en  vanta  aux  dames1.  Le  prince 
débonnaire,  sachant  aussi  qu'il  y  avait  à  la  fête  beau- 
coup d'étrangers  qui  regrettaient  de  n'avoir  jamais  vu 
jouter  le  roi,  se  mêla  aux  joutes  pour  leur  faire  plaisir. 

Bientôt  après,  le  jeune  frère  du  roi,  le  duc  d'Orléans, 
épousa  la  fille  de  Yisconti,  le  riche   duc  de  Milan2. 

1.  «  En  eut  le  roy  plusieurs  coups  et  horions  sur  les  espaules  bien  assez. 
Et  au  soir,  en  la  présence  des  dames  etdamoiselles,  fut  la  chose  sçue  et  récitée, 
et  le  roy  mesme  se  farçoit  des  horions  qu'il  avoit  reçus.  »  (Grandes  chroniques 
de  Saint-Denis.) 

2.  Ce  mariage  eut  de  grandes  conséquences  qu'on  verra  plus  tard.  Elle 
apporta  Asti  en  dot,  avec  450,000  florins.  (Archives.) 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  39 

Charles  VI  voulut  que  la  fête  se  fit  à  Melun.  Il  y  reçut 
magnifiquement  la  charmante  Valentina,  qui  devait 
exercer  un  si  doux  et  si  durable  ascendant  sur  ce 
faible  esprit. 

La  ville  de  Paris  avait  cru  que  Ventrée  de  la  reine  lui 
vaudrait  une  diminution  d'impôt.  Ce  fut  tout  le  con- 
traire. Il  fallut,  pour  payer  la  fête,  hausser  la  gabelle, 
et,  de  plus,  l'on  décria  les  pièces  de  douze  et  de  quatre 
deniers,  avec  défense  de  les  passer,  sous  peine  de  la 
hart.  C'était  la  monnaie  du  petit  peuple,  des  pauvres. 
Pendant  quinze  jours  ces  gens  furent  au  désespoir,  ne 
pouvant,  avec  cette  monnaie,  acheter  de  quoi  man- 
ger1. 

Cependant  le  roi  s'ennuyait;  il  s'avisa  d'un  voyage. 
Il  n'avait  pas  fait  son  tour  du  royaume,  sa  royale  che- 
vauchée. Il  ne  connaissait  pas  encore  ses  provinces  du 
Midi.  Il  en  avait  reçu  de  tristes  nouvelles.  Un  pieux 
moine  de  Saint-Bernard  était  venu  du  fond  du  Langue- 
doc lui  dénoncer  le  mauvais  gouvernement  de  son 
oncle  de  Berri.  Le  moine  avait  surmonté  tous  les 
obstacles,  forcé  les  portes,  et,  en  présence  même  de 
l'oncle  du  roi,  il  avait  parlé  avec  une  hardiesse  toute 
chrétienne.  Le  roi,  qui  avait  bon  cœur,  l'écouta 
patiemment,  le  prit  sous  sa  sauvegarde,  et  promit 
d'aller  lui-même  voir  ce  malheureux  pays.  Il  voulait, 
d'ailleurs,  passer  à  Avignon,  et  s'entendre  avec  le 
pape  sur  les  moyens  d'éteindre  le  schisme. 

Après  avoir,  selon  l'usage  de  nos  rois  en  pareille 

1.  Le  Religieux. 


40  HISTOIRE    DE    FRANCE 

circonstance,  fait  ses  dévotions  à  l'abbaye  de  Saint- 
Denis,  il  prit  sa  route  par  Nevers,  et  y  fut  reçu  avec  la 
prodigue  magnificence  de  la  maison  de  Bourgogne. 
Mais  il  ne  permit  pas  à  ses  oncles  de  le  suivre  *  ;  il  ne 
voulait  qu'ils  fermassent  ses  oreilles  aux  plaintes  des 
peuples.  Peut-être  aussi  se  sentait-il  moins  libre,  en 
leur  présence,  de  se  livrer  à  ses  fantaisies  de  jeune 
homme.  Pour  la  même  raison,  il  n'emmena  point  la 
reine;  il  voulait  jouir  sans  contrainte,  goûter  royale- 
ment tout  ce  que  la  France  avait  de  plaisirs. 

Il  s'arrêta  d'abord  à  Lyon,  dans  cette  grande  et 
aimable  ville,  demi-italienne.  Il  fut  reçu  sous  un  dais 
de  drap  d'or  par  quatre  jeunes  belles  demoiselles,  qui 
le  menèrent  à  l'archevêché.  Ce  ne  fut,  pendant  quatre 
jours,  que  jeux,  et  bals  et  galanteries. 

Mais  nulle  part  le  roi  ne  passa  le  temps  plus  agréa- 
blement qu'à  Avignon,  chez  le  pape.  Personne  n'était 
plus  consommé  que  ces  prêtres  dans  tous  les  arts  du 
plaisir.  Nulle  part  la  vie  n'était  plus  facile,  nulle  part 
les  esprits  plus  libres.  L'eussent-ils  été  moins,  ils  se 
trouvaient  à  la  source  même  des  indulgences  ;  le  par- 
don était  tout  près  du  péché.  Le  roi,  au  départ,  laissa 
de  riches  souvenirs  aux  belles  dames  d'Avignon,  «  qui 
s'en  louèrent  toutes 2  ». 

Il  partit  grand  ami  du  pape,  et  tout  gagné  à  son 


1.  App.  30. 

2.  «  Quoiqu'ils  fussent  logés  de  lez  le  pape  et  les  cardinaux,  si  ne  se 
pouvoient-ils  tenir...  que  toute  nuit  ils  ne  fussent  en  danses,  en  caroles  et  en 
esbattements  avec  les  dames  et  damoiselles  d'Avignon,  et  leur  administroit 
leurs  reviaux  (fêtes)  le  comte  de  Genève,  lequel  étoit  frère  du  pape.  » 
(Froissart.) 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  41 

parti.  Clément  VIII  avait  donné  au  jeune  duc  d'Anjou 
le  titre  de  roi  de  Naples,  et  au  roi  lui-même  la  dispo- 
sition de  sept  cent  cinquante  bénéfices,  celle,  entre 
autres,  de  l'archevêché  de  Reims.  Mais  l'élu  du  roi, 
qui  était  un  fameux  adversaire  du  pape  et  des  domi- 
nicains, mourut  bientôt  empoisonné1. 

Arrivé  en  Languedoc,  le  roi  n'entendit  que  plaintes 
et  que  cris.  Le  duc  de  Berri  avait  réduit  le  pays  à  un 
tel  désespoir,  que  déjà  plus  de  quarante  mille  hommes 
s'étaient  enfuis  en  Aragon.  Ce  prince,  bon  et  doux  dans 
son  Berri,  livrait  le  Languedoc  à  ses  agents  comme 
une  ferme  à  exploiter.  Avide  et  prodigue,  il  se  faisait 
bénir  des  uns,  détester  des  autres.  Il  était  homme  à 
donner  deux  cent  mille  francs  à  son  bouffon.  Il  est 
vrai  qu'en  récompense  il  donnait  aussi  aux  clercs  et 
construisait  des  églises.  Il  bâtissait  ces  tourelles 
aériennes,  faisait  tailler  à  grands  frais  ces  dentelles 
de  pierre  que  nous  admirons  et  que  le  peuple  maudis- 
sait. Précieux  manuscrits,  riches  miniatures,  sceaux 
admirables,  rien  ne  lui  coûtait.  En  dernier  lieu,  à 
soixante  ans,  il  venait  d'épouser  une  petite  fille  de 
douze  ans,  la  nièce  du  comte  de  Foix.  Combien  de  fêtes 
et  de  dépenses  fallait-il  au  sexagénaire  pour  se  faire 
pardonner  son  âge  par  cette  enfant  ? 

Le  roi,  retenu  douze  jours  entiers  à  Montpellier  par 
les  vives  et  «  frisques  »  demoiselles  du  pays2,  vint 


1.  Selon    le  bénédictin  de    Saint-Denis,  on  soupçonna  généralement   les 
Dominicains. 

2.  «  Et   leur  donnoit  anals  d'or  et  fermaillets  (agrafes)  à  chascune...  » 
(Froissart.) 


42  HISTOIRE    DE    FRANCE 

ensuite  assister,  à  Toulouse,  à  l'exécution  de  Bétisac, 
trésorier  de  son  oncle.  Cet  homme  avouait  tous  ses 
crimes,  mais  il  ajoutait  qu'il  n'avait  rien  fait  que  par 
ordre  de  monseigneur  de  Berri.  Ne  sachant  comment 
le  tirer  de  cette  puissante  protection,  on  lui  persuada 
qu'il  n'avait  d'autre  ressource  que  de  se  dire  héré- 
tique, qu'alors  on  l'enverrait  au  pape,  qu'Userait  sauvé. 
Il  crut  ce  conseil,  se  déclara  hérétique,  et  fut  brûlé 
vif.  L'exécution  eut  lieu  sous  les  fenêtres  du  roi,  aux 
acclamations  du  peuple.  Le  roi  donna  cette  satisfac- 
tion aux  plaintes  du  Languedoc. 

Pour  faire  encore  chose  agréable  à  la  bonne  ville  de 
Toulouse,  Charles  VI  accorda  aux  abbayes  des  filles  de 
joie,  que  ces  filles  ne  fussent  plus  obligées  de  porter 
un  costume1,  mais  que  désormais  elles  s'habillassent 
à  leur  fantaisie.  Il  voulait  qu'elles  prissent  part  à  la 
joie  de  sa  royale  entrée. 

Il  revint  droit  à  Paris,  soûl  de  plaisirs,  las  de  fêtes  ; 
il.  évita  au  retour  celles  qu'on  lui  préparait.  Il  gagea 
avec  son  frère  que,  tous  deux  partant  à  franc  étrier,  il 
arriverait  avant  lui.  Il  n'y  avait  plus  de  repos  pour  lui 
que  dans  l'étourdissement.  A  vingt-deux  ans,  il  était 
fini  ;  il  avait  usé  deux  vies,  une  de  guerre,  une  de  plai- 
sirs. La  tète  était  morte,  le  cœur  vide  ;  les  sens  com- 
mençaient à  défaillir.  Quel  remède  à  cet  état  désolant  ? 
L'agitation,  le  vertige  d'une  course  furieuse.  «  Les 
morts  vont  vite.  » 

La  vie  est  un  combat,  sans  doute,  mais  il  ne  faut 

1.  ...  Sauf  une  jarretière  d'autre  couleur  au  bras...  {Ordonnances.) 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  43 

pas  s'en  plaindre;  c'est  un  malheur  quand  le  combat 
finit.  La  guerre  intérieure  de  Y  Homo  duplex  est  juste- 
ment ce  qui  nous  soutient.  Contemplons-la,  cette 
guerre,  non  plus  dans  le  roi,  mais  dans  le  royaume, 
dans  le  Paris  d'alors,  qui  la  représentait  si  bien. 

Le  Paris  de  Charles  VI,  c'est  surtout  le  Paris  du 
Nord,  ce  grand  et  profond  Paris  de  la  plaine,  étendant 
ses  rues  obscures  du  royal  hôtel  Saint-Paul  à  l'hôtel  de 
Bourgogne,  aux  halles.  Au  cœur  de  ce  Paris,  vers  la 
Grève,  s'élevaient  deux  églises,  deux  idées,  Saint- 
Jacques  et  Saint-Jean. 

Saint-Jacques  de  la  Boucherie  était  la  paroisse  des 
bouchers  et  des  lombards,  de  l'argent  et  de  la  viande. 
Dignement  enceinte  d'écorcheries,  de  tanneries  et  de 
mauvais  lieux,  la  sale  et  riche  paroisse  s'étendait  de 
la  rue  Troussevache  au  quai  des  Peaux  ou  Pelletier.  À 
l'ombre  de  l'église  des  bouchers,  sous  la  protection  de 
ses  confréries,  dans  une  chétive  échoppe,  écrivaient, 
intriguaient,  amassaient  Flamel  et  sa  vieille  Pernelle, 
gens  avisés,  qui  passaient  pour  alchimistes,  et  qui  de 
cette  boue  infecte  surent  en  effet  tirer  de  l'or1. 

Contre  la  matérialité  de  Saint-Jacques,  s'élevait,  à 
deux  pas,  la  spiritualité  de  Saint-Jean.  Deux  événe- 
ments tragiques  avaient  fait  de   cette   chapelle  une 

1.  Saint-Jacques  était  le  Saint-Denis,  le  Westminster  des  confréries; 
l'ambition  des  bouchers,  des  armuriers,  était  d'y  être  enterré.  Le  premier 
bienfaiteur  de  cette  église  fut  une  teinturière.  Les  bouchers  l'enrichirent. 
Ces  hommes  rudes  aimaient  leur  église.  Nous  voyons  par  les  chartes  que  le 
boucher  Alain  y  acheta  une  lucarne  pour  voir  la  messe  de  chez  lui;  le  boucher 
Haussecul  acquit  à  grand  prix  une  clef  de  l'église.  —  Cette  église  était  fort 
indépendante,  entre  Notre-Dame  et  Saint-Martin,  qui  se  la  disputaient.  C'était 
un  redoutable  asile  que  l'on  n'eût  pas  violé  impunément.  Voilà  pourquoi  le 


44  HISTOIRE    DE    FRANCE 

grande  église,  une  grande  paroisse  :  le  miracle  de  la 
rue  clés  Billettes,  où  «  Dieu  fat  boulu  par  un  juif  »  ; 
puis,  la  ruine  du  Temple,  qui  étendit  la  paroisse  de 
Saint-Jean  sur  ce  vaste  et  silencieux  quartier.  Son 
curé  était  le  grand  docteur  du  temps,  Jean  Gerson, 
cet  homme  de  combat  et  de  contradiction.  Mystique, 
ennemi  des  mystiques,  mais  plus  ennemi  encore  des 
hommes  de  matière  et  de  brutalité,  pauvre  et  impuis- 
sant curé  de  Saint-Jean,  entre  les  folies  de  Saint-Paul 
et  les  violences  de  Saint-Jacques,  il  censura  les  princes, 
il  attaqua  les  bouchers  ;  il  écrivit  contre  les  dange- 
reuses sciences  de  la  matière,  qui  sourdement  minaient 
le  christianisme,  contre  l'astrologie,  contre  l'alchimie. 

Sa  tâche  était  difficile  ;  la  partie  était  forte.  La  nature, 
et  les  sciences  de  la  nature,  comprimées  par  l'esprit 
chrétien,  allaient  voir  leur  renaissance. 

Cette  dangereuse  puissance,  longtemps  captive  dans 
les  creusets  et  les  matrices  des  disciples  cl'Averroès, 
transformée  par  Arnauld  de  Villeneuve  et  quasi  spiri- 
tualisée1,  se  contint  encore  au  treizième  siècle;  au 
quinzième,  elle  flamba... 

Combien,  en  présence  de  cette  éblouissante  appa- 
rition, la  vieille  éristique  pâlit  !  Celle-ci  avait  tout 
occupé  en  l'homme;  puis,  tout  laissé  vicie.  Dans  l'en- 

rusé  Flamel,  écrivain  non  jure,  non  autorisé  de  l'Université,  s'établit  à  l'ombre 
de  Saint-Jacques.  Il  put  y  être  protégé  par  le  curé  du  temps,  homme  consi- 
dérable, greffier  du  Parlement,  qui  avait  cette  cure  sans  même  être  prêtre 
(voir  les  Lettres  de  Clémengis).  Flamel  se  tint  là  trente  ans  dans  une  échoppe 
de  cinq  pieds  sur  trois,  et  il  s'y  aida  si  bien  de  travail,  de  savoir-faire, 
d'industrie  souterraine,  qu'à  sa  mort  il  fallut,  pour  contenir  les  titres  de  ses 
biens,  un  coffre  plus  grand  que  l'échoppe.  App.  31. 
1.  App.  32. 


JEUNESSE    DE    CHARLES    VI  45 

tracte  de  la  vie  spirituelle,  l'éternelle  nature  reparaît, 
toujours  jeune  et  charmante.  Elle  s'empare  de  l'homme 
défaillant,  et  l'attire  contre  son  sein. 

Elle  revient  après  le  christianisme,  malgré  lui,  elle 
revient  comme  péché.  Le  charme  n'en  est  que  plus 
irritant  pour  l'homme,  le  désir  plus  âpre.  N'étant  pas 
encore  comprise,  n'étant  pas  science,  mais  magie, 
elle  exerce  sur  l'homme  une  fascination  meurtrière. 
Le  fini  va  se  perdre  dans  le  charme  infiniment  varié 
de  la  nature.  Lui,  il  donne,  donne  sans  compter.  Elle, 
helle,  immuable,  elle  reçoit  toujours  et  sourit. 

Il  faut  donc  que  tout  y  passe.  L'alchimiste  vieillis- 
sant à  la  recherche  de  l'or,  maigre  et  pâle  sur  son 
creuset,  soufflera  jusqu'à  la  fin.  Il  brûlera  ses  meubles, 
ses  livres;  il  brûlerait  ses  enfants...  D'autres  poursui- 
vront la  nature  dans  ses  formes  les  plus  séduisantes  ; 
ils  languiront  à  la  recherche  de  la  beauté.  Mais  la 
beauté  fuit  comme  l'or;  chacune  de  ses  gracieuses 
apparitions  échappe  à  l'homme,  vaine  et  vide,  et  toute 
vaine  qu'elle  est,  elle  n'emporte  pas  moins  les  plus 
riches  dons  de  son  être...  Ainsi  triomphe  de  l'être 
éphémère  l'insatiable,  l'infatigable  nature.  Elle  absorbe 
sa  vie,  sa  force;  elle  le  reprend  en  elle,  lui  et  son 
désir,  et  résout  l'amour  et  l'amant  dans  l'éternelle 
chimie. 

Que  si  la  vie  ne  manque  point,  mais  que  seulement 
l'âme  défaille,  alors  c'est  bien  pis.  L'homme  n'a  plus 
de  la  vie  que  la  conscience  de  sa  mort.  Ayant  éteint 
son  dieu  intérieur,  il  se  sent  délaissé  de  Dieu,  et 
comme  excepté  seul  de  l'universelle  providence. 


46  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Seul...  Mais  au  moyen  âge  on  n'était  pas  longtemps 
seul.  Le  Diable  vient  vite,  dans  ces  moments,  à  la 
place  de  Dieu.  L'âme  gisante  est  pour  lui  un  jouet 
qu'il  tourne  et  pelote...  Et  cette  pauvre  âme  est  si 
malade  qu'elle  veut  rester  malade,  creusant  son  mal 
et  fouillant  les  mauvaises  jouissances  :  Ma  la  mentis 
gandia.  Leurrée  de  croyances  folles,  amusée  de  lueurs 
sombres,  menée  de  côté  et  d'autre  par  la  vaine  curio- 
sité, elle  cherche  à  tâtons  dans  la  nuit;  elle  a  peur  et 
elle  cherche... 

Ce  sont  d'étranges  époques.  On  nie,  on  croit  tout. 
Une  fiévreuse  atmosphère  de  superstition  sceptique 
enveloppe  les  villes  sombres.  L'ombre  augmente  dans 
leurs  rues  étroites;  leur  brouillard  va  s'épaississant 
aux  fumées  d'alchimie  et  de  sabbat.  Les  croisées 
obliques  ont  des  regards  louches.  La  boue  noire  des 
carrefours  grouille  en  mauvaises  paroles.  Les  portes 
sont  fermées  tout  le  jour;  mais  elles  savent  bien 
s'ouvrir  le  soir  pour  recevoir  l'homme  du  mal,  le  juif, 
le  sorcier,  l'assassin. 

On  s'attend  alors  à  quelque  chose.  A  quoi?  On 
l'ignore.  Mais  la  nature  avertit;  les  éléments  semblent 
chargés.  Le  bruit  courut  un  moment,  sous  Charles  VI, 
qu'on  avait  empoisonné  les  rivières1.  Dans  tous  les 
esprits,  flottait  d'avance  une  vague  pensée  de  crime. 

1.  App.  33. 


l'OLlE   DE   CHARLES   VI  47 


CHAPITRE    III 


Folie  de  Charles  VI  (1392-1400). 


Cette  brutale  histoire  qui  va  présenter  tant  de  crimes 
hardis,  de  crimes  orgueilleux  qui  cherchent  le  jour, 
elle  commence  par  un  vilain  crime  de  nuit,  un  guet- 
apens.  Ce  fut  un  attentat  de  la  féodalité  mourante 
contre  le  droit  féodal,  commis  en  trahison  par  un 
arrière-vassal  sur  un  officier  de  son  suzerain,  dans  la 
résidence  du  suzerain  même  ;  et  par-dessus,  ce  fut  un 
sacrilège,  l'assassin  ayant  pris  pour  faire  son  coup  le 
jour  du  Saint-Sacrement. 

Les  Marmousets,  les  petits  devenus  maîtres  des 
grands,  étaient  mortellement  haïs;  Glisson,  de  plus, 
était  craint.  En  France,  il  était  connétable,  l'épée  du  roi 
contre  les  seigneurs  ;  en  Bretagne,  il  était  au  contraire 
le  chef  des  seigneurs  contre  le  duc.  Lié  étroitement 
aux  maisons  de  Penthièvre  et  d'Anjou,  il  n'attendait 
qu'une  occasion  pour  chasser  le  duc  de  Bretagne  et 
le  renvoyer  chez  ses  amis,  les  Anglais.  Le  duc,  qui  le 


\ 


48  HISTOIRE    DE    FRANCE 

savait  à  merveille,  qui  vivait  en  crainte  continuelle 
de  Clisson,  et  ne  rêvait  que  du  terrible  borgne1,  ne 
pouvait  se  consoler  d'avoir  eu  son  ennemi  entre  les 
mains,  de  l'avoir  tenu  et  de  n'avoir  pas  eu  le  courage 
de  le  tuer.  Or  il  y  avait  un  homme  qui  avait  intérêt  à 
tuer  Clisson,  qui  avait  tout  à  craindre  du  connétable 
et  de  la  maison  d'Anjou.  C'était  un  seigneur  angevin, 
Pierre  de  Craon,  qui,  ayant  volé  le  trésor  du  duc 
d'Anjou,  son  maître,  clans  l'expédition  de  Naples,  fut 
cause  qu'il  périt  sans  secours  2.  La  veuve  ne  perdait 
pas  de  vue  cet  homme,  et  Clisson,  allié  de  la  maison 
d'Anjou,  ne  rencontrait  pas  le  voleur  sans  le  traiter 
comme  il  le  méritait. 

Les  deux  peurs,  les  deux  haines  s'entendirent. 
Craon  promit  au  duc  de  Bretagne  de  le  défaire  de 
Clisson.  Il  revint  secrètement  à  Paris,  rentra  de  nuit 
dans  la  ville  ;  les  portes  étaient  toujours  ouvertes 
depuis  la  punition  des  Maillotins.  Il  remplit  de  coupe- 
jarrets  son  hôtel  du  Marché-Saint-Jean.  Là,  portes  et 
croisées  fermées,  ils  attendirent  plusieurs  jours.  Enfin 
le  13  juin,  jour  de  la  fête  du  Saint-Sacrement,  un  grand 
gala  ayant  eu  lieu  à  l'hôtel  Saint-Paul,  joutes,  souper 
et  danses  après  minuit,  le  connétable  revenait  presque 
seul  à  son  hôtel  de  la  rue  de  Paradis.  Ce  vaste  et  silen- 
cieux Marais,  assez  désert  même  aujourd'hui,  l'était 
bien  plus  alors;  ce  n'étaient  que  grands  hôtels,  jardins 


1.  Il  avait  perdu  un  œil  à  la  bataille  d'Auray,  en  1364. 

2.  Le  duc  de  Berri  lui  dit  un  jour  :  «  Méchant  traître,  c'est  toi  qui  as  causé 
la  mort  de  notre  frère.  »  Et  il  donna  ordre  de  l'arrêter,  mais  personne 
n'obéit.  (Religieux.) 


FOLIE   DE   CHARLES   VI  49 

et  couvents.  Graon  se  tint  à  cheval  avec  quarante 
bandits  au  coin  de  la  rue  Sainte-Catherine;  Clisson 
arrive,  ils  éteignent  les  torches,  fondent  sur  lui.  Le 
connétable  crut  d'abord  que  c'était  un  jeu  du  jeune 
frère  du  roi.  Mais  Graon  voulut,  en  le  tuant,  lui  donner 
l'amertume  de  savoir  par  qui  il  mourait.  «  Je  suis  votre 
ennemi,  lui  dit  il,  je  suis  Pierre  de  Graon.  »  Le  conné- 
table, qui  n'avait  qu'un  petit  coutelas,  para  du  mieux 
qu'il  put.  Enfin,  atteint  à  la  tête,  il  tomba;  fort  heureu- 
sement, il  ouvrit  en  tombant  une  porte  entre-bâillée, 
celle  d'un  boulanger  qui  chauffait  son  four  à  cette 
heure  avancée  de  la  nuit.  La  tète  et  la  moitié  du  corps 
se  trouvèrent  dans  la  boutique;  pour  l'achever,  il  eût 
fallu  entrer.  Mais  les  quarante  braves  n'osèrent  des- 
cendre de  cheval  ;  ils  aimèrent  mieux  croire  qu'il  en 
avait  assez,  et  se  sauvèrent  au  galop  par  la  porte  Saint- 
Antoine. 

Le  roi,  qui  se  couchait,  fut  averti  un  moment  après. 
Il  ne  prit  pas  le  temps  de  s'habiller;  il  vint  sans 
attendre  sa  suite,  en  chemise,  dans  un  manteau.  Il 
trouva  le  connétable  déjà  revenu  à  lui  et  lui  promit 
de  le  venger,  jurant  que  jamais  chose  ne  serait  payée 
plus  cher  que  celle-là. 

Cependant  le  meurtrier  s'était  blotti  dans  son  château 
de  Sablé  au  Maine,  puis  dans  quelque  coin  de  la 
Bretagne.  Les  oncles  du  roi  qui  étaient  ravis  de  l'évé- 
nement, et  qui  d'avance  en  avaient  su  quelque  chose, 
disaient,  pour  amuser  le  roi  et  gagner  du  temps,  que 
Craon  était  en  Espagne.  Mais  le  roi  ne  s'y  trompait 
pas.  C'était  le  duc  de  Bretagne  qu'il  voulait  punir.  Il 

T.   IV.  4 


50  HISTOIRE    DE    FRANCE 

était  loin,  ce  duc;  il  fallait  l'atteindre  chez  lui,  dans 
son  pauvre  et  rude  pays,  à  travers  les  forêts  du  Mans, 
de  Yitré,  de  Rennes.  Il  fallait  que  les  oncles  du  roi  lui 
amenassent  leurs  vassaux,  c'est-à-dire  qu'ils  se  prê- 
tassent à  punir  le  crime  de  leurs  amis,  le  leur  peut- 
être  \  Le  roi,  ne  sachant  comment  venir  à  bout  de  leur 
répugnance  et  de  leurs  lenteurs,  alla  jusqu'à  rendre 
au  duc  de  Berri  le  Languedoc  qu'il  lui  avait  si  juste- 
ment retiré  2. 

Il  était  languissant,  malade  d'impatience.  Il  avait  eu 
une  fièvre  chaude  peu  de  temps  auparavant,  et  n'était 
pas  trop  remis.  Il  y  avait  en  lui  quelque  chose  d'égaré 
et  comme  d'étrange.  Ses  oncles  auraient  voulu  qu'il 
se  soignât,  qu'il  se  tînt  tranquille,  qu'il  s'abstînt  sur- 
tout de  venir  au  conseil;  mais  ils  ne  gagnaient  rien 
sur  lui.  Il  monta  à  cheval  malgré  eux,  et  les  mena 
jusqu'au  Mans.  Là,  ils  parvinrent  encore  à  le  retenir 
trois  semaines.  Enfin,  se  croyant  mieux,  il  n'écouta 
plus  rien  et  fit  déployer  son  étendard. 

C'était  le  milieu  de  l'été,  les  jours  brûlants,  les 
lourdes  chaleurs  d'août.  Le  roi  était  enterré  dans  un 
habit  de  velours  noir,  la  tête  chargée  d'un  chaperon 
écarlate,  aussi  de  velours.  Les  princes  traînaient  der- 
rière sournoisement,  et  le  laissaient  seul,  afin,  disaient- 
ils,  de  lui  faire  moins  de  poussière.  Seul,  il  traversait 
les  ennuyeuses  forêts  du   Maine,   de  méchants  bois 

1.  Ils  ne  tardèrent  pas  à  obtenir  la  grâce  de  Craon  (13  mars  1395). 
A  pp.  34. 

2.  Nous  suivons  pas  à  pas  le  Religieux  de  Saint-Denis.  Ce  grave  historien 
mérite  ici  d'autant  plus  d'attention  qu'il  était  lui-même  à  l'armée  et  témoin 
oculaire  des  événements. 


FOLIE   DE    CHARLES   VI  51 

pauvres  d'ombrage,  les  chaleurs  étouffées  des  clai- 
rières, les  mirages  éblouissants  du  sable  à  midi. 
C'était  aussi  dans  une  forêt,  mais  combien  différente! 
que,  douze  ans  auparavant,  il  avait  fait  rencontre  du 
cerf  merveilleux  qui  promettait  tant  de  choses.  Il  était 
jeune  alors,  plein  d'espoir,  le  cœur  haut,  tout  dressé 
aux  grandes  pensées.  Mais  combien  il  avait  fallu  en 
rabattre  !  Hors  du  royaume,  il  avait  échoué  partout, 
tout  tenté  et  tout  manqué.  Dans  le  royaume  même, 
était-il  bien  roi?  Voilà  que  tout  le  monde,  les  princes, 
le  clergé,  l'Université,  attaquaient  ses  conseillers.  On 
lui  faisait  le  dernier  outrage,  on  lui  tuait  son  conné- 
table et  personne  ne  remuait;  un  simple  gentilhomme, 
en  pareil  cas,  aurait  eu  vingt  amis  pour  lui  offrir  leur 
épée.  Le  roi  n'avait  pas  même  ses  parents;  ils  se  lais- 
saient sommer  de  leur  service  féodal,  et  alors  ils  se 
faisaient  marchander  ;  il  fallait  les  payer  d'avance,  leur 
distribuer  des  provinces,  le  Languedoc,  le  duché 
d'Orléans.  Son  frère,  ce  nouveau  duc  d'Orléans,  c'était 
un  beau  jeune  prince  qui  n'avait  que  trop  d'esprit  et 
d'audace,  qui  caressait  tout  le  monde;  il  venait  de 
mettre  dans  les  fleurs  de  lis  la  belle  couleuvre  de 
Milan  1...  Donc,  rien  d'ami  ni  de  sûr.  Des  gens  qui 
n'avaient  pas  craint  d'attaquer  son  connétable  à  sa 
porte,  ne  se  feraient  pas  grand  scrupule  de  mettre  la 
main  sur  lui.  Il  était  seul  parmi  des  traîtres. . .  Qu'avait-il 
fait  pourtant  pour  être  ainsi  haï  de  tous,  lui  qui  ne 
haïssait  personne,  qui  plutôt  aimait  tout  le  monde?  Il 

1.  Il  venait  d'épouser  la  fille  du  duc  de  Milan,  qui  avait  une  couleuvre  dans 
ses  armes. 


52  HISTOIRE    DE    FRANCE 

aurait  voulu  pouvoir  faire  quelque  chose  pour  le  soula- 
gement du  peuple,  tout  au  moins  il  avait  bon  cœur; 
les  bonnes  gens  le  savaient  bien. 

Gomme  il  traversait  ainsi  la  forêt,  un  homme  de 
mauvaise  mine,  sans  autre  vêtement  qu'une  méchante 
cotte  blanche,  se  jette  tout  à  coup  à  la  bride  du  cheval 
du  roi,  criant  d'une  voix  terrible:  «Arrête,  noble  roi, 
ne  passe  outre,  tu  es  trahi  !  »  On  lui  fit  lâcher  la  bride, 
mais  on  le  laissa  suivre  le  roi  et  crier  une  demi-heure. 

Il  était  midi,  et  le  roi  sortait  de  la  forêt  pour  entrer 
dans  une  plaine  de  sable  où  le  soleil  frappait  d'aplomb. 
Tout  le  monde  souffrait  de  la  chaleur.  Un  page  qui 
portait  la  lance  royale  s'endormit  sur  son  cheval,  et  la 
lance  tombant  alla  frapper  le  casque  que  portait  uu 
autre  page.  A  ce  bruit  d'acier,  à  cette  lueur,  le  roi  tres- 
saille, tire  l'épée  et,  piquant  des  deux,  il  crie  :  «  Sus, 
sus  aux  traîtres!  ils  veulent  me  livrer!  »  Il  courait  ainsi 
l'épée  nue  sur  le  duc  d'Orléans.  Le  duc  échappa,  mais 
le  roi  eut  le  temps  de  tuer  quatre  hommes  avant  qu'on 
put  l'arrêter  1.  Il  fallut  qu'il  se  fût  lassé;  alors,  un  de 
ses  chevaliers  vint  le  saisir  par  derrière.  On  le  désarma, 
on  le  descendit  de  cheval,  on  le  coucha  doucement 
par  terre.  Les  yeux  lui  roulaient  étrangement  dans  la 
tète,  il  ne  reconnaissait  personne  et  ne  disait  mot.  Ses 
oncles,  son  frère,  étaient  autour  de  lui.  Tout  le  monde 
pouvait  approcher  et  le  voir.  Les  ambassadeurs  d'Angle- 
terre y  vinrent  comme  les  autres,  ce  qu'on  trouva  géné- 
ralement fort  mauvais.  Le  duc  de  Bourgogne,  surtout, 

1.  App.  35. 


FOLIE   DE    CHARLES   VI  53 

s'emporta  contre  le  chambellan  La  Rivière  qui  avait 
laissé  voir  le  roi  en  cet  état  aux  ennemis  de  la  France. 

Lorsqu'il  revint  un  peu  à  lui,  et  qu'il  sut  ce  qu'il 
avait  fait,  il  en  eut  horrreur,  demanda  pardon  et  se 
confessa.  Les  oncles  s'étaient  emparés  de  tout,  et 
avaient  mis  en  prison  La  Rivière  et  les  autres  conseil- 
lers du  roi;  Clisson  avait  seul  échappé.  Toutefois  le 
roi  défendit  qu'on  leur  fit  mal,  et  leur  fît  même  rendre 
leurs  biens1. 

Les  médecins  ne  manquèrent  point  au  royal  malade, 
mais  ils  ne  firent  pas  grand'chose.  C'était  déjà,  comme 
aujourd'hui,  la  médecine  matérialiste,  qui  soigne  le 
corps  sans  se  soucier  de  l'âme,  qui  veut  guérir  le  mal 
physique  sans  rechercher  le  mal  moral,  lequel  pour- 
tant est  ordinairement  la  cause  première  de  l'autre. 
Le  moyen  âge  faisait  tout  le  contraire  ;  il  ne  connaissait 
pas  toujours  les  remèdes  matériels;  mais  il  savait  à 
merveille  calmer,  charmer  le  malade,  le  préparer  à  se 
laisser  guérir.  La  médecine  se  faisait  chrétiennement, 
au  bénitier  même  clés  églises.  Souvent  on  commençait 
par  confesser  le  patient,  et  l'on  connaissait  ainsi  sa 
vie,  ses  habitudes.  On  lui  donnait  ensuite  la  commu- 
nion, ce  qui  aidait  à  rétablir  l'harmonie  des  esprits 
troublés.  Quand  le  malade  avait  mis  bas  la  passion, 
l'habitude  mauvaise,  dépouillé  le  vieil  homme,  alors 
on  cherchait  quelque  remède.  C'était  ordinairement 
quelque  absurde  recette  ;  mais  sur  un  homme  si  bien 
préparé  tout  réussissait.  Au  quatorzième  siècle,  on  ne 

1.  On   était  loin  de  s'attendre  à  un  traitement  si  humain.  Les  Parisiens 
allaient  tous  les  jours  à  la  Grève,  dans  l'espoir  de  les  voir  pendre. 


5i  HISTOIRE    DE    FRANCE 

connaissait  déjà  plus  ces  ménagements  préalables;  on 
s'adressait  directement,  brutalement  au  corps  ;  on  le 
tourmentait.  Le  roi  se  lassa  bientôt  du  traitement,  et 
dans  un  moment  de  raison  il  chassa  ses  médecins. 

Les  gens  de  la  cour  l'engageaient  à  ne  chercher 
d'autre  remède  que  les  amusements,  les  fêtes,  à  guérir 
la  folie  par  la  folie.  Une  belle  occasion  se  présenta  : 
la  reine  mariait  une  de  ses  dames  allemandes,  déjà 
veuve.  Les  noces  de  veuves  étaient  des  charivaris,  des 
fêtes  folles,  où  l'on  disait  et  faisait  tout.  Afin  d'en 
faire,  s'il  se  pouvait,  davantage,  le  roi  et  cinq  cheva- 
liers se  déguisèrent  en  satyres.  Celui  qui  mettait  en 
train  ces  farces  obscènes  était  un  certain  Hugues  de 
Guisay,  un  mauvais  homme,  de  ces  gens  qui  devien- 
nent quelque  chose  en  amusant  les  grands  et  mar- 
chant sur  les  petits.  Il  fît  coudre  ces  satyres  dans  une 
toile  enduite  de  poix-résine,  sur  quoi  fut  collée  une 
toison  d'étoupes  qui  les  faisait  paraître  velus  comme 
des  boucs.  Pendant  que  le  roi,  sous  ce  déguisement, 
lutine  sa  jeune  tante,  la  toute  jeune  épouse  du  vieux 
duc  de  Berri,  le  duc  d'Orléans,  son  frère,  qui  avait 
passé  la  soirée  ailleurs,  rentre  avec  le  comte  de  Bar  ; 
ces  malheureux  étourdis  imaginent,  pour  faire  peur 
aux  dames,  de  mettre  le  feu  aux  étoupes.  Ces  étoupes 
tenaient  à  la  poix-résine;  à  l'instant  les  satyres  flam- 
bèrent. La  toile  était  cousue  ;  rien  ne  pouvait  les  sau- 
ver. Ce  fut  chose  horrible  de  voir  courir  dans  la  salle 
ces  flammes  vivantes,  hurlantes...  Heureusement,  la 
jeune  duchesse  de  Berri  retint  le  roi,  l'empêcha  de 
bouger,  le  couvrit  de  sa  robe,  de  sorte  qu'aucune  étin- 


FOLIE   DE   CHARLES  VI  53 

celle  ne  tombât  sur  lui.  Les  autres  brûlèrent  une  demi- 
heure,  et  mirent  trois  jours  à  mourir1. 

Les  princes  avaient  tout  à  craindre,  si  le  roi  n'eût 
échappé  ;  le  peuple  les  aurait  mis  en  pièces.  Quand  le 
bruit  de  cette  aventure  se  répandit  dans  la  ville,  ce 
fut  un  mouvement  général  d'indignation  et  de  pitié. 
Que  l'on  abandonnât  le  roi  à  ces  honteuses  folies, 
qu'il  eût  risqué,  innocent  et  simple  qu'il  était,  d'être 
enveloppé  dans  ce  terrible  châtiment  de  Dieu,  l'hon- 
nête bourgeoisie  de  Paris  frémissait  d'y  penser.  Ils  se 
portèrent  plus  de  cinq  cents  à  l'hôtel  Saint-Paul.  On 
ne  put  les  calmer  qu'en  leur  montrant  leur  roi  sous 
son  dais  royal,  où  il  les  remercia  et  leur  dit  de  bonnes 
paroles. 

Une  telle  secousse  ne  pouvait  manquer  d'amener  une 
rechute.  Celle-ci  fut  violente.  Il  soutenait  qu'il  n'était 
point  marié,  qu'il  n'avait  pas  d'enfant.  Un  autre  trait 
de  sa  folie,  et  ce  n'était  pas  le  plus  fol,  c'était  de  ne 
vouloir  plus  être  lui-même,  point  Charles,  point  roi. 
S'il  voyait  clés  lis  sur  les  vitraux  ou  sur  les  murs,  il 
s'en  moquait,  dansait  devant,  les  brisait,  les  effaçait. 
«  Je  m'appelle  Georges,  disait-il;  mes  armes  sont  un 
lion  percé  d'une  épée  2.  » 

Les  femmes  seules  avaient  encore  puissance  sur  lui, 
sauf  la  reine,  qu'il  ne  pouvait  plus  souffrir.  Une  femme 


1.  L'inventeur  de  la  mascarade  fut  un  des  brûlés,  à  la  grande  joie  du 
peuple.  Il  avait  toujours  traité  les  pauvres  gens  avec  la  plus  cruelle  insolence. 
11  les  battait  comme  des  chiens,  les  forçait  d'aboyer,  les  foulait  aux  pieds 
avec  ses  éperons.  Quand  son  corps  passa  dans  Paris,  plusieurs  crièrent  après 
lui  son  mot  ordinaire  :  «  Aboie,  chien  !  »  (Religieux.) 

2.  On  fut  obligé  de  murer  toutes  les  entrées  de  l'hôtel  Saint-Paul.  App.  36. 


5fi  HISTOIRE    DE    FRANCE 

l'avait  sauvé  du  feu.  Mais  celle  qui  avait  sur  lui  le  plus 
d'empire,  c'était  sa  belle-sœur,  Yalentina,  la  duchesse 
d'Orléans.  Il  la  reconnaissait  fort  bien,  et  l'appelait  : 
«  Chère  sœur.  »  Il  fallait  qu'il  la  vît  tous  les  jours;  il 
ne  pouvait  durer  sans  elle;  si  elle  ne  venait,  il  l'allait 
chercher.  Cette  jeune  femme,  déjà  délaissée  de  son 
mari,  avait  pour  le  pauvre  fol  un  singulier  attrait  ;  ils 
étaient  tous  deux  malheureux.  Elle  seule  savait  se 
faire  écouter  de  lui  ;  il  lui  obéissait,  ce  fol,  elle  était 
devenue  sa  raison. 

Personne,  que  je  sache,  n'a  bien  expliqué  encore  ce 
phénomène  de  l'infatuation,  cette  fascination  étrange 
qui  tient  de  l'amour  et  n'est  pas  l'amour.  Ce  ne  sont 
pas  seulement  les  personnes  qui  l'exercent;  les  lieux 
ont  aussi  cette  influence  ;  témoin  le  lac  dont  Charle- 
magne  ne  pouvait,  dit-on,  détacher  ses  yeux1.  Si  la 
nature,  si  les  forêts  muettes,  les  froides  eaux,  nous 
captivent  et  nous  fascinent,  que  sera-ce  donc  de  la 
femme?  Quel  pouvoir  n'exercera-t-elle  pas  sur  lame 
souffrante  qui  viendra  chercher  près  d'elle  le  charme 
des  entretiens  solitaires  et  des  voluptueuses  compas- 
sions? 

Douce,  mais  dangereuse  médecine,  qui  calme  et  qui 
trouble.  Le  peuple,  qui  juge  grossièrement,  et  qui  juge 
bien,  sentait  que  ce  remède  était  un  mal  encore.  Elle 
a,  disaient-ils,  cette  Visconti,  venue  du  pays  des  poi- 
sons, des  maléfices,  elle  a  ensorcelé  le  roi...  Et  il  pou- 
vait bien  y  avoir,  en  effet,  quelque  enchantement  dans 

1.  On  expliquait  aussi  par  un  talisman  l'influence  de  Diane  de  Poitiers  sur 
Henri  II.  (Guilbcrt.) 


FOLIE   DE    CHARLES   VI  57 

les  paroles  de  l'Italienne,  un  subtil  poison  clans  le 
regard  de  la  femme  du  Midi. 

Un  meilleur  remède  aux  troubles  d'esprit,  un  moyen 
plus  sage  d'harmoniser  nos  puissances  morales,  c'est 
de  recourir  à  la  paix  suprême,  de  se  réfugier  en  Dieu. 
Le  roi  se  voua  à  saint  Denis,  et  lui  offrit  une  grosse 
châsse  d'or.  Il  se  fît  mener  en  Bretagne,  au  mélanco- 
lique pèlerinage  du  Mont-Saint-Michel,  in  periculo  ma- 
ris; plus  tard,  aux  affreuses  montagnes  volcaniques  du 
Puy-en-Velay.  On  lui  fît  faire  aussi  de  sévères  ordon- 
nances contre  les  blasphémateurs,  contre  les  juifs. 
Cette  fois,  du  moins,  les  juifs  furent  mieux  traités;  le 
roi,  en  les  chassant,  leur  permit  d'emporter  leurs 
biens.  Une  autre  ordonnance  accordait  un  confesseur 
aux  condamnés,  de  manière  qu'en  tuant  le  corps  on 
sauvât  du  moins  l'âme.  Tout  jeu  fut  défendu,  sauf 
l'utile  exercice  de  l'arbalète.  Une  fille  du  roi  fut  offerte 
à  la  Vierge,  et  faite  religieuse  en  naissant;  on  espérait 
que  l'innocente,  créature  expierait  les  péchés  de  son 
père  et  lui  obtiendrait  guérison. 

De  toutes  les  bonnes  œuvres  royales,  la  plus  royale 
c'est  la  paix;  ainsi  en  jugeait  saint  Louis  \  Les  rois  ne 
sont  ici-bas  que  pour  garder  la  paix  de  Dieu.  On  croyait 
généralement  que  la  maison  de  France  était  frappée 


1.  Voir  ses  belles  paroles,  à  ce  sujet,  dans  son  Instruction  à  son  fils  : 
«  Chier  fils,  je  t'enseigne  que  les  guerres  et  les  contens  qui  seront  en  ta 
terre,  ou  entre  tes  homes,  que  tu  metes  peine  de  l'apaiser  à  ton  pouvoir;  car 
c'est  une  chose  qui  moult  plest  à  Notre-Seigneur  :  et  messire  saint  Martin 
nous  a  donné  moult  grant  exemple,  car  il  ala  pour  mètre  pès  entre  les  clers 
qui  estoient  en  sa  archevêché,  au  tems  qu'il  savoit  par  Notre-Seigneur  que  il 
devoit  mourir  ;  et  li  sembla  que  il  metoit  bone  fin  en  sa  vie  en  ce  fere.  » 


58  HISTOIRE    DE    FRANCE 

pour  avoir  mis  la  guerre  et  le  schisme  dans  le  monde 
chrétien.  Donc,  la  paix  était  le  remède;  paix  de  l'Église 
entre  Rome  et  Avignon,  par  la  cession  des  deux  papes; 
paix  de  la  chrétienté  entre  la  France  et  l'Angleterre, 
par  un  bon  traité  entre  les  deux  rois,  par  une  belle 
croisade  contre  le  Turc,  c'était  le  vœu  de  tout  le  monde  ; 
c'était  ce  que  disaient  tout  haut  les  sermons  des  pré- 
dicateurs, les  harangues  de  l'Université;  tout  bas  les 
pleurs  et  les  prières  de  tant  de  misérables,  la  prière 
commune  des  familles,  celle  que  les  mères  ensei- 
gnaient le  soir  aux  petits  enfants. 

Il  faut  voir  avec  quelle  vivacité  Jean  Gerson  célèbre 
ce  beau  don  de  la  paix,  dans  un  de  ces  moments 
d'espoir  où  l'on  crut  à  la  cession  des  deux  papes.  Ce 
sermon  est  plutôt  un  hymne;  l'ardent  prédicateur 
devient  poète  et  rime  sans  le  vouloir  ;  nul  doute  que 
ces  rimes  n'aient  été  redites  et  chantées  par  la  foule 
émue  qui  les  entendait  : 

«  Allons,  allons,  sans  attarder, 
«  Allons  de  paix  le  droit  chemin... 
«  Grâces  à  Dieu,  honneur  et  gloire, 
«  Quand  il  nous  a  donné  victoire. 

«  Élevons  nos  cœurs,  ô  dévot  peuple  chrétien  !  met- 
«  tons  hors  toute  autre  cure,  donnons  cette  heure  à 
«  considérer  le  beau  don  de  paix  qui  approche.  Que 
<(  de  fois,  par  grands  désirs,  depuis  près  de  trente  ans, 
«  avons-nous  demandé  la  paix,  soupiré  la  paix  !  Ventât 
«  pax 1  /  )> 

1.  App.  37. 


FOLIE   DE   CHARLES   VI  59 

Les  rois  se  réconcilièrent  plus  aisément  que  les 
papes.  Les  Anglais  ne  voulaient  point  la  paix1;  mais 
leur  roi  la  voulut;  il  signa  du  moins  une  trêve  de 
vingt-huit  ans.  Richard  II,  haï  des  siens,  avait  besoin 
de  l'amitié  de  la  France.  Il  épousa  une  fille  du  roi 2, 
avec  une  dot  énorme  de  huit  cent  mille  écus3.  Mais  il 
rendait  Brest  et  Cherbourg. 

Cet  heureux  traité  permit  à  la  noblesse  de  France, 
ce  qu'elle  souhaitait  depuis  si  longtemps,  de  faire 
encore  une  croisade.  La  guerre  contre  les  infidèles, 
c'était  la  paix  entre  les  chrétiens.  Il  n'y  avait  plus  si 
loin  à  chercher  la  croisade;  elle  venait  nous  chercher. 
Les  Turcs  avançaient;  ils  enveloppaient  Constanti- 
nople,  serraient  la  Hongrie.  Ce  rapide  conquérant. 
Bajazet  Y  Éclair  (Hilderim),  avait,  disait-on ,  juré  de 
faire  manger  l'avoine  à  son  cheval  sur  l'autel  de 
Saint-Pierre  de  Rome.  Une  nombreuse  noblesse  par- 
tit, le  connétable,  quatre  princes  du  sang,  plusieurs 
hommes  de  grande  réputation,  l'amiral  de  Vienne,  les 
sires  de  Gouci,  de  Boucicaut.  L'ambitieux  duc  de  Bour- 
gogne obtint  que  son  fils,  le  duc  de  Nevers,  un  jeune 
homme  de  vingt-deux  ans,  fut  le  chef  de  ces  vieux  et 
expérimentés  capitaines4.  Une  foule  de  jeunes  sei- 
gneurs qui  faisaient  leurs  premières  armes  déployè- 
rent un  luxe  insensé.  Les  bannières,  les  guidons,  les 
housses,  étaient  chargés  d'or  et  d'argent;  les  tentes 
étaient  de  satin  vert.  La  vaisselle  d'argent  suivait  sur 

1.  App.  38. 

2.  La  jeune  Isabelle  avait  sept  ans.  Richard  assura  qu'il  en  était  épris  sur 
la  vue  de  son  portrait.  —  3.  App.  39.  —  4.  App.  40. 


60  HISTOIRE    DE    FRANCE 

des  chariots;  les  bateaux  de  vins  exquis  descendaient 
le  Danube.  Le  camp  de  ces  croisés  fourmillait  de 
femmes  et  de  filles. 

Que  devenait,  pendant  ce  temps,  l'affaire  du  schisme? 
Reprenons  d'un  peu  plus  haut. 

Longtemps  les  princes  avaient  exploité  à  leur  profit 
la  division  de  l'Église;  le  duc  d'Anjou  d'abord,  puis  le 
duc  de  Berri.  Les  papes  d'Avignon,  servîtes  créatures 
cle  ces  princes,  ne  donnaient  de  bénéfices  qu'à  ceux 
qu'ils  leur  désignaient.  Les  prêtres  erraient,  mouraient 
de  faim.  Les  suppôts  de  l'Université,  les  plus  savants 
élèves  qu'elle  formait,  ses  plus  éloquents  docteurs, 
restaient  oubliés  à  Paris,  languissant  dans  quelque 
grenier1. 

A  la  longue  pourtant,  quand  l'Église  fut  presque 
ruinée,  et  que  les  abus  devinrent  moins  lucratifs, 
alors,  enfin,  les  princes  commencèrent  à  écouter  les 
plaintes  de  l'Université.  Cette  compagnie,  enhardie 
par  l'abaissement  des  papes,  prit  en  main  l'autorité; 
elle  déclara  qu'elle  avait  de  droit  divin  la  charge  non 
seulement  d'enseigner,  mais  de  corriger  et  de  cen- 
surer, de  censurer  et  doctrinaliter  et  judicialiter ,  pour 
parler  le  langage  du  temps.  Elle  appela  tous  ses  mem- 
bres à  donner  avis  sur  la  grande  question  de  l'union 
de  l'Église.  Tous  votèrent,  du  plus  grand  au  plus  petit. 
Un  tronc  était  ouvert  aux  Mathurins.  Le  moindre  des 
pauvres  maîtres  de  Sorbonne,  le  plus  crasseux  des  cap- 
pets  de  Montaigu,  y  jeta  son  vote.  On  en  compta  dix 

1.  Nous  analyserons  plus  tard  le  terrible  pamphlet  de  Clémengis. 


FOLIE   DE   CHARLES   VI  61 

mille  ;  mais  les  dix  mille  votes  se  réduisirent  à  trois 
avis  :  compromis  entre  les  deux  papes,  cession  de  l'un 
et  de  l'autre,  concile  général  pour  juger  l'affaire.  La 
voie  de  cession  sembla  la  plus  sûre.  On  la  croyait 
d'autant  plus  facile  que  Clément  YII  venait  de 
mourir.  Le  roi  écrivit  aux  cardinaux  de  surseoir  à 
l'élection.  Ils  gardèrent  ses  lettres  cachetées,  et  se 
hâtèrent  d'élire.  Le  nouvel  élu,  Pierre  de  Luna, 
Benoît  XIII,  avait  promis,  il  est  vrai,  de  tout  faire  pour 
l'union  de  l'Église,  et  de  céder,  s'il  le  fallait1. 

Pour  obtenir  de  lui  qu'il  tînt  parole,  on  lui  envoya 
la  plus  solennelle  ambassade  qu'aucun  pape  eût 
jamais  reçue.  Les  ducs  de  Berri,  de  Bourgogne  et 
d'Orléans  vinrent  le  trouver  à  Avignon,  avec  un  doc- 
teur envoyé  par  l'Université  de  Paris.  Celui-ci 
harangua  le  pape  avec  la  plus  grande  hardiesse.  Il 
avait  pris  ce  texte  :  «  Illuminez,  grand  Dieu,  ceux  qui 
«  devraient  nous  conduire  et  qui  sont  eux-mêmes 
«  dans  les  ténèbres  et  clans  l'ombre  de  la  mort.  »  Le 
pape  parla  à  merveille  ;  il  répondit  avec  beaucoup  de 
présence  d'esprit  et  d'éloquence,  protestant  qu'il  ne 
désirait  rien  plus  que  l'union.  C'était  un  habile 
homme,  mais  un  Aragonais,  une  tête  dure,  pleine 
d'obstination  et  d'astuce.  Il  se  joua  des  princes,  lassa 
leur  patience,  les  excédant  de  doctes  harangues,  de 
discours,  de  réponses  et  de  répliques,  lorsqu'il  ne  fal- 
lait, comme  on  le  lui  dit,  qu'un  tout  petit  mot  :  Ces- 
sion2. Puis,  quand  il  les  vit  languissants,  découragés, 

1.  App.il.  —  2.  Le  Religieux. 


62  HISTOIRE    DE    FRANCE 

malades  d'ennui,  il  s'en  débarrassa  par  un  coup  hardi. 
Les  princes  ne  demeuraient  pas  clans  la  ville  d'Avi- 
gnon, mais  de  l'autre  côté,  à  Villeneuve,  et  tous  les 
jours  ils  passaient  le  pont  du  Rhône,  pour  conférer 
avec  le  pape.  Un  matin,  ce  pont  se  trouva  brûlé,  on  ne 
passait  qu'en  barque  avec  danger  et  lenteur.  Le  pape 
assura  qu'il  allait  rétablir  le  pont1.  Mais  les  princes 
perdirent  patience,  et  laissèrent  l'Aragonais  maître 
du  champ  de  bataille.  La  paix  de  l'Église  fut  ajournée 
pour  longtemps. 

Les  affaires  de  Turquie,  d'Angleterre,  ne  tournèrent 
pas  mieux. 

Le  25  décembre  1396,  pendant  la  nuit  de  Noël,  au 
milieu  des  réjouissances  de  cette  grande  fête,  tous  les 
princes  étant  chez  le  roi,  un  chevalier  entra  à  l'hôtel 
Saint -Paul,  tout  botté  et  en  éperons.  Il  se  jeta  à 
genoux  devant  le  roi,  et  dit  qu'il  venait  de  la  part  du 
duc  de  Nevers,  prisonnier  des  Turcs.  L'armée  tout 
entière  avait  péri.  De  tant  de  milliers  d'hommes,  il 
restait  vingt-huit  hommes,  les  plus  grands  seigneurs, 
que  les  Turcs  avaient  réservés  pour  les  mettre  à 
rançon. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner;  la  folle  présomp- 
tion des  croisés  ne  pouvait  qu'amener  un  tel  désastre. 
Ils  n'avaient  pas  même  voulu  croire  que  les  Turcs 
pussent  les  attendre.  Bajazet  était  à  six  lieues,  que  le 
maréchal  Boucicaut  faisait  couper  les  oreilles  aux  inso- 
lents qui  prétendaient  que  cette  canaille  infidèle  osait 
venir  à  sa  rencontre  2. 

1.  Le  Religieux.  —  2.  Idem. 


FOLIE   DE   CHARLES   VI  63 

Le  roi  de  Hongrie,  qui  avait  appris  à  ses  dépens  ce 
genre  de  guerre,  pria  du  moins  les  croisés  de  laisser 
ses  Hongrois  à  Favant-garde,  d'opposer  ainsi  des 
troupes  légères  aux  troupes  légères,  de  se  réserver. 
C'était  l'avis  du  sire  de  Gouci.  Mais  les  autres  ne  vou- 
lurent rien  écouter.  L'avant-garde  était  le  poste  d'hon- 
neur pour  des  chevaliers  ;  ils  coururent  à  l'avant- 
garde,  ils  chargèrent,  et  d'abord  renversèrent  tout 
devant  eux.  Derrière  les  premiers  corps,  ils  en  trou- 
vèrent d'autres,  et  les  dispersèrent  encore.  Les 
janissaires  mêmes  furent  enfoncés.  Arrivés  ainsi  au 
haut  d'une  colline,  ils  aperçurent  de  l'autre  côté  qua- 
rante mille  hommes  de  réserve,  et  virent  en  même 
temps  les  grandes  ailes  de  l'armée  turque  qui  se  rap- 
prochaient pour  les  enfermer.  Alors,  il  y  eut  un 
moment  de  terreur  panique;  la  foule  des  croisés  se 
débanda;  les  chevaliers  seuls  s'obstinèrent;  ils  pou- 
vaient encore  se  replier  sur  les  Hongrois,  qui  étaient 
tout  près  derrière  eux  et  encore  entiers.  Mais  après  de 
telles  bravades  il  y  aurait  eu  trop  de  honte  ;  ils  s'élan- 
cèrent à  travers  les  Turcs,  et  se  firent  tuer  pour  la 
plupart. 

Quand  le  sultan  vit  le  champ  de  bataille  et  l'im- 
mense massacre  qui  avait  été  fait  des  siens,  il  pleura, 
se  fit  amener  tous  les  prisonniers,  et  les  fît  décapiter 
ou  assommer  ;  ils  étaient  dix  mille  \  Il  n'épargna  que 
le  duc  de  Nevers  et  vingt-quatre  des  plus  grands  sei- 
gneurs; il  fallut  qu'ils  fussent  témoins  de  cette  hor- 
rible boucherie. 

1.  App.  42. 


64  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Dès  qu'on  sut  l'événement,  et  dans  quel  péril  se 
trouvait  encore  le  comte  de  Nevers,  le  roi  de  France  et 
le  duc  de  Bourgogne  se  hâtèrent  d'envoyer  au  cruel 
sultan  de  riches  présents  pour  l'apaiser  ;  un  drageoir 
d'or,  des  faucons  de  Norwège,  du  linge  de  Reims,  des 
tapisseries  d'Arras  qui  représentaient  Alexandre-le- 
Grand.  On  rassembla  promptement  les  deux  cent  mille 
ducats  qu'il  exigeait  pour  rançon.  Lui,  il  envoya  aussi 
des  présents  au  roi  de  France;  mais  c'étaient  des  dons 
insolents  et  dérisoires  :  une  masse  de  fer,  une  cotte 
d'armes  de  laine  à  la  turque,  un  tambour  et  des  arcs 
dont  les  cordes  étaient  tissues  avec  des  entrailles 
humaines  \  Pour  que  rien  ne  manquât  à  l'outrage,  il 
fit  venir  ses  prisonniers  au  départ,  et,  s'adressant  au 
comte  de  Nevers,  il  lui  dit  ces  rudes  paroles 2  :  «  Jean, 
je  sais  que  tu  es  un  grand  seigneur  en  ton  pays,  et 
fils  d'un  grand  seigneur.  Tu  es  jeune,  tu  as  long 
avenir.  Il  se  peut  que  tu  sois  confus  et  chagrin  de  ce 
qui  t'est  advenu  lors  de  ta  première  chevalerie,  et  que, 
pour  réparer  ton  honneur,  tu  rassembles  contre  moi 
une  puissante  armée.  Je  pourrais,  avant  de  te  délivrer, 
te  faire  jurer,  sur  ta  foi  et  ta  loi,  que  tu  n'armeras 
contre  moi  ni  toi  ni  tes  gens.  Mais  non,  je  ne  ferai 
faire  ce  serment  ni  à  eux  ni  à  toi.  Quand  tu  seras  de 
retour  là-bas,  arme-toi,  si  cela  te  fait  plaisir,  et  viens 
m'attaquer.  Et  ce  que  je  te  dis,  je  le  dis  pour  tous  les 
chrétiens  que  tu  voudrais  amener.  Je  suis  né  pour 
guerroyer  toujours,  toujours  conquérir.  » 

1.  App.  43.  —  2.  «  L'Amorath  parla  au  comte  de  Nevers  par  la  bouche 
d'un  latinier  qui  transportait  la  parole.  »  (Froissart.) 


FOLIE    DE    CHARLES   VI  65 

La  honte  était  grande  pour  le  royaume,  le  deuil  uni- 
versel. 11  y  avait  peu  de  nobles  familles  qui  n'eussent 
perdu  quelqu'un.  On  n'entendait  aux  églises  que  des 
messes  des  morts.  On  ne  voyait  que  gens  en  noir. 

A  peine  on  quittait  ce  deuil,  que  le  roi  et  le  royaume 
en  eurent  un  autre  à  porter.  Le  gendre  de  Charles  VI, 
le  roi  d'Angleterre  Richard  II,  fut,  au  grand  étonne- 
ment  de  tout  le  monde,  renversé  en  quelques  jours 
par  son  cousin  Bolingbroke,  fils  du  duc  de  Lancastre. 
Richard  était  ami  de  la  France.  Sa  terrible  catastrophe 
et  l'usurpation  des  Lancastre  nous  préparaient  Henri  V 
et  la  bataille  d'Azincourt. 

Nous  parlerons  ailleurs,  et  tout  au  long,  de  cette 
ambitieuse  maison  de  Lancastre,  les  sourdes  menées 
par  lesquelles,  ayant  manqué  le  trône  de  Gastille,  elle 
se  prépara  celui  de  l'Angleterre.  Un  mot  seulement  de 
la  catastrophe. 

Quelque  violent  et  aveugle  que  fut  Richard,  sa 
mort  fut  pleurée.  C'était  le  fils  du  Prince  Noir;  il  était 
né  en  Guyenne,  sur  une  terre  conquise,  dans  l'inso- 
lence des  victoires  de  Créci  et  de  Poitiers  ;  il  avait  le 
courage  de  son  père,  il  le  prouva  dans  la  grande 
révolte  de  1380,  où  il  comprima  le  peuple,  qui  voulait 
faire  main  basse  sur  l'aristocratie.  Il  était  difficile  qu'il 
se  laissât  faire  la  loi  par  ceux  qu'il  avait  sauvés,  par 
les  barons  et  les  évêques,  par  ses  oncles,  qui  les  exci- 
taient sous  main.  Il  entra  contre  eux  tous  dans  une 
lutte  à  mort;  provoqué  par  le  Parlement  impitoyable^ 
qui  lui  tua  ses  favoris,  il  fut  à  son  tour  sans  pitié  ;  il 
fit  tuer  son  oncle  Glocester,  et  chassa  le  fils  de  son 

T.    IV.  5 


66  HISTOIRE    DE    FRANCE 

autre  oncle  Lancastre.  C'était  jouer  quitte  ou  double. 
Mais  sa  violence  sembla  justifiée  par  la  lâcheté 
publique.  Il  trouva  un  empressement  extraordinaire 
dans  les  amis  à  trahir  leurs  amis;  il  y  eut  foule  pour 
dénoncer,  pour  jurer  et  parjurer;  chacun  tâchait  de  se 
laver  avec  le  sang  d'un  autre1.  Richard  en  eut  mal 
au  cœur,  et  un  tel  mépris  des  hommes,  qu'il  crut  ne 
pouvoir  jamais  trop  fouler  cette  boue.  Il  osa  déclarer 
dix-sept  comtés  coupables  de  trahison  et  acquis  à  la 
couronne,  condamnant  tout  un  peuple  en  masse  pour 
le  rançonner  en  détail,  escomptant  le  pardon,  reven- 
dant aux  gens  leurs  propres  biens,  brocantant  l'ini- 
quité. Cet  acte,  audacieusemént  fou,  par  delà  toutes 
les  folies  de  Charles  VI,  perdit  Richard  IL  Les  Anglais 
lui  léchaient  les  mains,  tant  qu'il  se  contentait  de 
verser  du  sang.  Dès  qu'il  toucha  leurs  biens,  à  leur 
arche  sacro-sainte,  la  propriété,  ils  appelèrent  le  fils 
de  Lancastre2. 

Celui-ci  était  encouragé  tantôt  par  Orléans,  tantôt 
par  Bourgogne,  qui,  sans  doute,  souhaitait,  comme 
précédent,  le  triomphe  des  branches  cadettes.  Il  passa 


1.  Shakespeare  n'exagère  rien  dans  la  scène  où  le  père  court  dénoncer  son 
fils  à  l'usurpateur  qu'il  vient  lui-même  de  combattre.  Cette  scène,  d'un 
comique  horrible,  n'exprime  que  trop  fidèlemeut  la  mobile  loyauté  de  ce 
temps  si  prompt  à  se  passionner  pour  les  forts.  Peut-être  aussi  faut-il  y 
reconnaître  la  facilité  qu'on  acquérait,  parmi  tant  de  serments  divers,  de  se 
mentir  à  soi-même  et  de  tourner  son  hypocrisie  en  un  fanatisme  farouche. 
Dans  tout  ceci,  Shakespeare  est  aussi  grand  historien  que  Tacite.  Mais  lorsque 
Froissart  montre  le  chien  même  du  roi  Richard  qui  laisse  son  maître  jet  vient 
faire  fête  au  vainqueur,  il  n'est  pas  moins  tragique  que  Shakespeare. 

2.  L'Église  eut  au  fond  la  part  principale  dans  cette  révolution.  La  maison 
de  Lancastre,  qui  avait  d'abord  soutenu  Wicleff  et  les  lollards ,  se  concilia 
ensuite  les  évoques  et  réussit  par  eux.  Turner  seul  a  bien  compris  ceci. 


FOLIE   DE   CHARLES    VI  67 

en  Angleterre,  protestant  hypocritement  qu'il  ne 
demandait  autre  chose  que  l'héritage  de  son  père. 
Mais  quand  même  il  eût  voulu  s'en  tenir  là,  il  ne  l'au- 
rait pu.  Tout  le  monde  vint  se  joindre  à  lui,  comme  ils 
ont  fait  tant  de  fois1,  et  pour  York  et  pour  Warwick, 
et  pour  Edouard  IY  et  pour  Guillaume.  Richard  se 
trouva  seul;  tous  le  quittèrent,  même  son  chien2.  Le 
comte  de  Northumberland  l'amusa  par  des  serments, 
le  baisa  et  le  livra.  Conduit  à  son  rival  sur  un  vieux 
cheval  étique,  abreuvé  d'outrages,  mais  ferme,  il 
accepta  avec  dignité  le  jugement  de  Dieu,  il  abdiqua3. 
Lancastre  fut  obligé  par  les  siens  de  régner,  obligé, 
pour  leur  sûreté,  de  leur  laisser  tuer  Richard4. 

Le  gendre  du  roi  avait  péri,  et  avec  lui  l'alliance 
anglaise  et  la  sécurité  de  la  France.  La  croisade  avait 
manqué,  les  Turcs  pouvaient  avancer.  La  chrétienté 
semblait  irrémédiablement  divisée,  le  schisme  incu- 
rable. Ainsi  la  paix,  espérée  un  instant,  s'éloignait  de 
plus  en  plus.  Elle  ne  pouvait  revenir  dans  les  affaires, 
n'étant  pas  dans  les  esprits;  jamais  ils  ne  furent  moins 
pacifiés,  plus  discordants  d'orgueil,  de  passions  vio- 
lentes et  de  haines. 

On  avait  beau  prier  Dieu  pour  la  paix  et  pour  la 
santé  du  roi;  ces  prières,  parmi  les  injures  et  les  malé- 
dictions, ne  pouvaient  se  faire  entendre.  Tout  en 
s'adressant  à  Dieu,  on  essayait  aussi  du  Diable.  On 


1.  «  Leur  coustume  d'Angleterre  est  que,  quand  ils  sont  au-dessus  de  la 
bataille,  ils  ne  tuent  riens,  et  par  espécial  du  peuple,  car  ils  connoissent  que 
chacun  quiert  leur  complaire,  parce  qu'ils  sont  les  plus  forts.  »  (Comines.) 

2.  App.  44.  —  3.  App.  45.  —  4.  App.  46. 


68  HISTOIRE    DE    FRANCE 

faisait  des  offrandes  à  l'un,  pour  l'autre  des  conjura- 
tions. On  implorait  à  la  fois  le  ciel  et  l'enfer. 

On  avait  fait  venir  du  Languedoc  un  homme  fort 
extraordinaire  qui  veillait,  jeûnait  comme  un  saint, 
non  pour  se  sanctifier,  mais  afin  d'acquérir  influence 
sur  les  éléments  et  de  faire  des  astres  ce  qu'il  voulait. 
Sa  science  était  dans  un  livre  merveilleux  qui  s'appe- 
lait Smagorad,  et  dont  l'original  avait  été  donné  à 
Adam1.  Notre  premier  père,  disait-il,  ayant  pleuré 
cent  ans  son  fils  Abel,  Dieu  lui  envoya  ce  livre  par  un 
ange  pour  le  consoler,  le  relever  de  sa  chute,  pour 
donner  à  l'homme  régénéré  puissance  sur  les  étoiles. 

Le  livre  ne  réussissant  pas  pour  Charles  YI  aussi 
bien  que  pour  Adam,  on  eut  recours  à  deux  Gascons 
ermites  de  Saint-Augustin.  On  les  établit  à  la  Bastille 
près  de  l'hôtel  Saint-Paul.  On  leur  fournit  tout  ce  qu'ils 
demandaient,  entre  autres  choses  des  perles  en  poudre, 
dont  ils  firent  un  breuvage  pour  le  roi.  Ce  breuvage, 
et  les  paroles  magiques  dont  ils  le  fortifiaient,  ne  pro- 
duisirent aucun  bien  durable;  les  deux  moines,  pour 
s'excuser,  accusèrent  le  barbier  du  roi  et  le  concierge 
du  duc  d'Orléans  de  troubler  leurs  opérations  par  de 
mauvais  sortilèges.  Ce  barbier  avait  été  vu,  disait-on, 
rôdant  autour  du  gibet,  pour  y  prendre  les  ingrédients 
de  ses  maléfices.  Toutefois  les  moines  ne  purent  rien 
prouver;  on  les  sacrifia  au  duc  d'Orléans,  au  clergé. 
Ils  avaient  fait  grand  scandale.  Tout  le  monde  venait 
les  consulter  à  la  Bastille,  leur  demander  des  remèdes 

l    App.  47. 


FOLIE   DE    CHARLES   VI  69 

pour  les  maladies,  des  philtres  d'amour.  Ils  furent 
dégradés  en  Grève  par  l'évêque  de  Paris,  puis  prome- 
nés par  la  ville,  décapités,  mis  en  quartiers,  et  les 
quartiers  attachés  aux  portes  de  Paris. 

L'effet  de  ces  mauvais  remèdes  fut  d'aggraver  le 
mal.  Le  pauvre  prince,  après  une  lueur  de  raison,  sen- 
tit l'approche  de  la  frénésie  ;  il  dit  lui-même  qu'il  fal- 
lait se  hâter  de  lui  ôter  son  couteau1.  Il  souffrait  de 
grandes  douleurs,  et  disait,  les  larmes  aux  yeux,  qu'il 
aimerait  mieux  mourir.  Tout  le  monde  pleurait  aussi, 
quand  on  l'entendait  dire,  comme  il  fit  au  milieu  de 
toute  sa  maison  :  «  S'il  est  ici  parmi  vous,  celui  qui 
me  fait  souffrir,  je  le  conjure,  au  nom  de  Notre-Sei- 
gneur,  de  ne  pas  me  tourmenter  davantage,  de  faire 
que  je  ne  languisse  plus;  qu'il  m'achève  plutôt,  et  que 
je  meure.  » 

Hélas  !  disaient  les  bonnes  gens,  comment  un  roi 
si  débonnaire 2  est-il  ainsi  frappé  de  Dieu  et  livré  aux 
mauvais  esprits  ?  Il  n'a  pourtant  jamais  fait  de  mal.  Il 
n'était  pas  fier;  il  saluait  tout  le  monde,  les  petits 
comme  les  grands 3.  On  pouvait  lui  dire  tout  ce  qu'on 
voulait.  Il  ne  rebutait  personne;  dans  les  tournois,  il 
joutait  avec  le  premier  venu.  Il  s'habillait  simplement, 
non  comme  un  roi,  mais  comme  un  homme.  Il  était 
paillard,  il  est  vrai;  il  aimait  les  femmes,  les  filles. 
Après  tout,  on  ne  pouvait  dire  qu'il  eût  jamais  fait  de 
peine  aux  familles  honnêtes.  La  reine  ne  voulant  plus 
coucher  avec  lui,  on  lui  mettait  dans  son  lit  une  petite 

1.  App.  48.  —  2.  App.  49.  —  3.  App.  50. 


-0  HISTOIRE    DE    FRANCE 

fille1,  mais  c'était  en  la  payant  bien,  et  jamais  il  ne 
lui  fît  mal  dans  ses  plus  mauvais  moments. 

Ah  !  s'il  avait  eu  sa  tête,  la  ville  et  le  royaume  s'en 
seraient  bien  mieux  trouvés.  Chaque  fois  qu'il  revenait 
à  lui,  il  tâchait  de  faire  un  peu  de  bien,  de  remédier 
à  quelque  mal.  Il  avait  essayé  de  mettre  de  l'ordre 
dans  les  finances,  de  révoquer  les  dons  qu'on  lui  sur- 
prenait dans  ses  absences  d'esprit.  Gomment  n'aurait- 
il  pas  eu  bon  cœur  pour  les  chrétiens,  lui  qui  avait 
ménagé  les  juifs  même,  en  les  renvoyant?... 

En  quelque  état  qu'il  fût,  il  voyait  toujours  avec 
plaisir  ses  braves  bourgeois.  «  Je  n'ai,  disait-il,  con- 
fiance qu'en  mon  prévôt  des  marchands,  Juvénal,  et 
mes  bourgeois  de  Paris.  »  Quand  d'autres  gens  ve- 
naient le  voir,  il  regardait  d'un  air  effaré  ;  mais  quand 
c'était  le  prévôt,  il  lui  parlait;  il  disait  :  «  Juvé- 
nal, ne  perdons  pas  notre  temps,  faisons  de  bonne 
besogne.  » 

Nous  avons  remarqué  au  commencement  de  cette 
histoire,  en  parlant  des  rois  fainéants,  combien  le 
peuple  était  naturellement  porté  à  respecter  ces 
muettes  et  innocentes  figures,  qui  passaient  deux 
fois  par  an  devant  lui  sur  leur  char  attelé  de  bœufs. 
Les  musulmans  regardent  les  idiots  comme  marqués 
du  sceau  de  Dieu,  et  souvent  comme  personnes  saintes. 
Dans  certains  cantons  de  la  Savoie,  c'est  un  touchant 
préjugé  que  le  crétin  porte  bonheur  à  sa  famille.  La 
brute  qui  ne  suit  que  l'instinct,  en  qui  la  raison  indi- 

1.  App.  51. 


FOLIE   DE   CHARLES  VI  71 

viduelle  est  nulle,  semble,  par  cela  même,  rester  plus 
près  de  la  raison  divine.  Elle  est  tout  au  moins  inno- 
cente. 

Rien  d'étonnant,  si  le  peuple,  au  milieu  de  tous  ces 
princes  orgueilleux,  violents  et  sanguinaires,  prenait 
pour  objet  de  prédilection  cette  pauvre  créature, 
comme  lui  humiliée  sous  la  main  de  Dieu.  Dieu  pou- 
vait par  lui,  aussi  bien  que  par  un  plus  sage,  guérir 
les  maux  du  royaume.  11  n'avait  pas  fait  grand'chose; 
mais  visiblement  il  aimait  le  peuple.  Il  aimait  !  mot 
immense.  Le  peuple  le  lui  rendit  bien.  Il  lui  resta  tou- 
jours fidèle.  Dans  quelque  abaissement  qu'il  fût,  il 
s'obstina  à  espérer  en  lui  ;  il  ne  voulait  être  sauvé  que 
par  lui.  Rien  de  plus  touchant,  et  en  même  temps  de 
plus  hardi  que  les  paroles  par  lesquelles  le  grand  pré- 
dicateur populaire,  Jean  Gerson,  bravant  à  la  fois  les 
ambitions  rivales  des  princes  qui  attendaient  la  suc- 
cession du  malade,  s'adresse  à  lui,  et  lui  dit  :  Rex,  in 
sempiterniim  vive!...  0  mon  roi,  vivez  toujours!... 

Cet  attachement  universel  du  peuple  pour  Charles  VI 
parut  dans  un  de  ces  malheureux  essais  que  l'on  fit 
pour  le  guérir.  Deux  sorciers  offrirent  au  bailli  de 
Dijon  de  découvrir  d'où  venait  sa  maladie.  Au  fond 
d'une  forêt  voisine,  ils  élevèrent  un  grand  cercle  de 
fer  sur  douze  colonnes  de  fer;  douze  chaînes  de 
fer  étaient  à  l'entour.  Mais  il  fallait  trouver  douze 
hommes,  prêtres,  nobles  et  bourgeois,  qui  voulussent 
entrer  dans  ce  cercle  formidable  et  se  laisser  lier  de 
ces  chaînes.  On  en  trouva  onze  sans  peine,  et  le  bailli 
fut  le  douzième,  qui  se  dévouèrent  ainsi,  au  risque 


72  HISTOIRE    DE    FRANCE 

d'être  peut-être  emportés  corps  et  âme  par  le  Diable1. 

Le  peuple  de  Paris  voulait  toujours  voir  son  roi. 
Quand  il  n'était  pas  trop  fol,  et  qu'on  ne  craignait  pas 
qu'il  fit  rien  d'inconvenant,  on  le  menait  aux  églises. 
Ou  bien  encore,  abattu  et  languissant,  il  allait  aux 
représentations  des  Mystères  que  les  Confrères  de  la 
Passion  jouaient  alors  rue  Saint-Denis.  Ces  Mystères, 
moitié  pieux,  moitié  burlesques,  étaient  considérés 
comme  des  actes  de  foi.  Ceux  qui  n'y  auraient  pas 
trouvé  d'amusement  n'y  eussent  pas  moins  assisté, 
pour  leur  édification.  Dans  plusieurs  églises,  on  avan- 
çait l'heure  des  vêpres  pour  qu'on  pût  aller  aux  Mys- 
tères. 

Mais  on  n'osait  pas  toujours  faire  sortir  le  roi.  Alors 
dans  son  retrait  de  l'hôtel  Saint-Paul,  ou  dans  la 
librairie  du  Louvre,  amassée  par  Charles  Y,  on  lui  met- 
tait dans  les  mains  des  figures  pour  l'amuser.  Immo- 
biles dans  les  livres  écrits,  ces  figures  prirent  mouve- 
ment, et  devinrent  des  cartes2.  Le  roi  jouant  aux 
cartes,  tout  le  monde  voulut  y  jouer.  Elles  étaient 
peintes  d'abord;  mais  cela  étant  trop  cher,  on  s'avisa 
de  les  imprimer3.  Ce  qu'on  aimait  dans  ce  jeu,  c'est 
qu'il  empêchait  de  penser,  qu'il  donnait  l'oubli.  Qui 
eût  dit  qu'il  en  sortirait  l'instrument  qui  multiplie  la 
pensée  et  qui  l'éternisé,  que  de  ce  jeu  des  fols  sortirait 
le  tout-puissant  véhicule  de  la  sagesse? 

Quelque  recette  de  distraction  qu'il  y  eût  au  fond 


1.  Le  Religieux. 

2.  Les  cartes  étaient  connues  avant  Charles  VI,  mais  peu  en  usage.  App.  52. 

3.  App.  53. 


FOLIE   DE   CHARLES   VI  73 

de  ce  jeu,  ces  rois,  ces  dames,  ces  valets  dans  leur 
bal  perpétuel,  dans  leurs  indifférentes  et  rapides  évo- 
lutions, devaient  quelquefois  faire  songer.  A  force  de 
les  regarder,  le  pauvre  fol  solitaire  pouvait  y  placer 
ses  rêves  ;  le  fol?  pourquoi  pas  le  sage  ?...  N'y  avait-il 
pas  dans  ces  cartes  de  naïves  images  du  temps? 
N'était-ce  pas  un  beau  coup  de  cartes,  et  des  plus 
soudains,  de  voir  Bajazet  l'Éclair,  vainqueur  à  Nico- 
polis,  quasi-maître  de  Gonstantinople,  entrer  dans  une 
cage  de  fer?  N'en  était-ce  pas  un  de  voir  le  gendre  du 
roi  de  France,  le  magnifique  Richard  II,  supplanté  en 
quelques  jours  par  l'exilé  Bolingbroke?  Ce  roi,  en  qui 
tout  à  l'heure  il  y  avait  dix  millions  d'hommes,  le  voilà 
qui  est  moins  qu'un  homme,  un  homme  en  peinture, 
roi  de  carreau... 

Dans  une  des  farces  de  la  basoche  que  les  petits 
clercs  du  palais  jouaient  sur  la  royale  Table  de  marbre, 
figuraient  comme  personnages  les  temps  d'un  verbe 
latin  :  «  Regno,  regnavi,  regnabo.  »  Pédantesque 
comédie,  mais  dont  il  était  difficile  de  méconnaître  le 
sens. 

Dans  l'ordonnance  par  laquelle  Charles  VI  autorise 
ceux  qui  jouaient  les  Mystères  de  la  Passion,  il  les 
appelle  «  ses  amés  et  chers  confrères1  ».  Quoi  de  plus 
juste,  en  effet?  Triste  acteur  lui-même,  Pauvre  jon- 
gleur du  grand  Mystère  historique,  il  allait  voir  ses 
confrères,  saints,  anges  et  diables,  bouffonner  triste- 
ment la  Passion.  Il  n'était  pas  seulement  spectateur, 

1.  App.  54. 


71  HISTOIRE    DE    FRANCE 

il  était  spectacle.  Le  peuple  venait  voir  en  lui  la  Pas- 
sion de  la  royauté.  Roi  et  peuple,  ils  se  contemplaient, 
et  avaient  pitié  l'un  de  l'autre.  Le  roi  y  voyait  le 
peuple  misérable,  déguenillé,  mendiant.  Le  peuple  y 
voyait  le  roi  plus  pauvre  encore  sur  le  trône,  pauvre 
d'esprit,  pauvre  d'amis,  délaissé  de  sa  famille,  de  sa 
femme,  veuf  de  lui-même  et  se  survivant,  riant  tris- 
tement du  rire  des  fols,  vieil  enfant  sans  père  ni  mère 
pour  en  avoir  soin. 

La  dérision  n'eût  pas  été  suffisante,  la  tragédie  eût 
été  moins  comique,  s'il  eût  cessé  de  régner.  Le  mer- 
veilleux, le  bizarre,  c'est  qu'il  régnait  par  moments. 
Toute  négligée  et  sale  qu'était  sa  personne,  sa  main 
signait  encore,  et  semblait  toute-puissante.  Les  plus 
graves  personnages,  les  plus  sages  têtes  du  conseil, 
venaient  entre  deux  accès  profiter  d'un  moment 
lucide,  épier  les  faibles  lueurs  d'une  intelligence  obs- 
curcie, provoquer  les  douteux  oracles  qui  tombaient 
de  cette  bouche  imbécile. 

C'était  toujours  le  roi  de  France,  le  premier  roi 
chrétien,  la  tête  de  la  chrétienté.  Les  principaux  États 
d'Italie,  Milan,  Florence,  Gênes,  se  disaient  ses  clients. 
Gènes  ne  crut  pouvoir  échapper  à  Yisconti  qu'en  se 
donnant  à  Charles  VI.  Ainsi  la  fortune  moqueuse 
s'amusait  à  charger  d'un  nouveau  poids  cette  faible 
main  qui  ne  pouvait  rien  porter. 

Ce  fut  un  curieux  spectacle  de  voir  l'empereur  Wen- 
ceslas,  amené  en  France  par  les  affaires  de  l'Eglise, 
conférer  avec  Charles  YI  (1398).  L'un  était  fol,  l'autre 
presque  toujours  ivre.  Il  fallait  prendre  l'empereur  à 


FOLIE   DE   CHARLES   VI  75 

jeun;  mais  pour  le  roi  ce  n'était  pas  toujours  le  moment 
lucide. 

Charles  VI  ayant  eu  pourtant  trois  jours  de  bon,  on 
en  profita  pour  lui  faire  signer  une  ordonnance  qui7 
selon  le  vœu  de  l'Université,  suspendait  l'autorité  de 
Benoît  XIII  dans  le  royaume  de  France.  Le  maréchal 
Boucicaut  fut  envoyé  à  Avignon  pour  le  contraindre 
par  corps.  Le  vieux  pontife  se  défendit  dans  le  château 
d'Avignon,  en  vrai  capitaine  (1398-1399).  N'ayant  plus 
de  bois  pour  sa  cuisine,  il  brûla  une  à  une  les  poutres 
de  son  palais.  Les  Français  avaient  honte  eux-mêmes 
de  cette  guerre  ridicule.  Les  partisans  de  l'autre  pape 
ne  lui  étaient  pas  plus  soumis.  Les  Romains  étaient 
en  armes  contre  Boniface,  comme  les  Français  contre 
Benoît. 

Voilà  donc  la  papauté,  l'empire,  la  royauté  aux 
prises  et  s'injuriant;  l'empereur  ivre,  le  roi  idiot,  pre- 
nant le  pouvoir  spirituel,  suspendant  le  pape,  tandis 
que  le  pape  saisit  les  armes  temporelles  et  endosse  la 
cuirasse.  Les  dieux  humains  délirent,  défendent  qu'on 
leur  obéisse,  et  se  proclament  fols... 

Gela  était  certain,  réel,  mais  aucunement  vraisem- 
blable, contraire  L  toute  raison,  propre  à  faire  croire 
de  préférence  les  mensonges  les  plus  hasardés.  Nulle 
comédie,  nul  Mystère  ne  devait  dès  lors  choquer  les 
esprits.  Le  plus  fol  n'était  pas  celui  qui  oubliait  des 
réalités  absurdes  pour  des  fictions  raisonnables.  Ces 
Mystères  aidaient  d'ailleurs  à  l'illusion  par  leur  prodi- 
gieuse durée;  quelques-uns  se  divisaient  en  quarante 
jours.  Une  représentation  si  longue  devenait  pour  le 


76  HISTOIRE    DE    FRANCE 

spectateur  assidu  une  vie  artificielle  qui  faisait  oublier 
l'autre,  ou  pouvait  lui  faire  douter  souvent  de  quel 
côté  était  le  rêve 1 . 


1.  «  Si  nous  rêvions  toutes  les  nuits  la  même  chose,  elle  nous  affecteroit 
peut-être  autant  que  les  objets  que  nous  voyons  tous  les  jours.  Et  si  un 
artisan  étoit  sûr  de  rêver  toutes  les  nuits  douze  heures  durant  qu'il  est  roi, 
je  crois  qu'il  seroit  presque  aussi  heureux  qu'un  roi  qui  rêveroit  toutes  les 
nuits  douze  heures  qu'il  est  artisan.  »  (Pascal.) 


LIVRE  VIII 


CHAPITRE    PREMIER 


Le  duc  d'Orléans,  le  duc  de  Bourgogne.  —  Meurtre  du  duc  d'Orléans 
(1400-1407). 


Il  y  a  dans  la  personne  humaine  deux  personnes, 
deux  ennemis  qui  guerroient  à  nos  dépens,  jusqu'à 
ce  que  la  mort  y  mette  ordre.  Ces  deux  ennemis, 
l'orgueil  et  le  désir,  nous  les  avons  vus  aux  prises 
dans  cette  pauvre  âme  de  roi.  L'un  a  prévalu  d'abord, 
puis  l'autre:  puis,  dans  ce  long  combat,  cette  âme 
s'est  éclipsée,  et  il  n'y  a  plus  eu  où  combattre.  La 
guerre  finie  dans  le  roi,  elle  éclate  dans  le  royaume; 
les  deux  principes  vont  agir  en  deux  hommes  et  deux 
factions,  jusqu'à  ce  que  cette  guerre  ait  produit  son 
acte  frénétique,  le  meurtre;  jusqu'à  ce  que,  les  deux 
hommes  ayant  été  tués  l'un  par  l'autre,  les  deux  fac- 
tions, pour  se  tuer,  s'accordent  à  tuer  la  France. 

Gela  dit,  au  fond  tout  est  dit.  Si  pourtant  on  veut 


78  HISTOIRE    DE    FRANCE 

savoir  le  nom  des  deux  hommes,  nommons  l'homme 
du  plaisir,  le  duc  d'Orléans,  frère  du  roi;  l'homme  de 
l'orgueil,  du  brutal  et  sanguinaire  orgueil,  Jean-sans- 
Peur,  duc  de  Bourgogne. 

Les  deux  hommes  et  les  deux  partis  doivent  se  cho- 
quer dans  Paris.  Deux  partis,  deux  paroisses;  nous  les 
avons  nommées  déjà,  celle  de  la  cour,  celle  des  bou- 
chers, la  folie  de  Saint-Paul,  la  brutalité  de  Saint- 
Jacques.  La  scène  de  l'histoire  dit  d'avance  l'histoire 
même. 

Louis  d'Orléans,  ce  jeune  homme  qui  mourut  si 
jeune,  qui  fut  tant  aimé  et  regretté  toujours,  qu'avait-il 
fait  pour  mériter  de  tels  regrets?  Il  fut  pleuré  des 
femmes,  et  c'est  tout  simple,  il  était  beau,  avenant, 
gracieux1  ;  mais  non  moins  regretté  de  l'Église,  pleuré 
des  saints...  C'était  pourtant  un  grand  pécheur.  Il 
avait,  dans  ses  emportements  de  jeunesse,  terrible- 
ment vexé  le  peuple;  il  fut  maudit  du  peuple,  pleuré 
du  peuple...  Vivant,  il  coûta  bien  des  larmes;  mais 
combien  plus,  mort! 

Si  vous  eussiez  demandé  à  la  France  si  ce  jeune 
homme  était  bien  digne  de  tant  d'amour,  elle  eût 
répondu  :  Je  l'aimais2.  Ce  n'est  pas  seulement  pour 
le  bien  qu'on  aime;  qui  aime,  aime  tout,  les  défauts 
aussi.  Celui-ci  plut  comme  il  était,  mêlé  de  bien  et  de 


1.  App.  55. 

2.  «  Si  on  me  presse  de  dire  pourquoy  je  l'aymois,  je  sens  que  cela  ne  se 
peut  exprimer  qu'en  respondant  :  Parceque  c'estoit  luy.  pareeque  c'estoit  moy.  » 
(Montaigne.) 


LE   DUC   D'ORLEANS,    LE   DUC   DE   BOURGOGNE  79 

mal.  La  France  n'oublia  jamais  qu'en  ses  défauts 
mêmes  elle  avait  vu  poindre  l'aimable  et  brillant 
esprit,  l'esprit  léger,  peu  sévère,  mais  gracieux  et 
doux,  de  la  Renaissance;  tel  il  se  continua  clans  son 
fils,  Charles  d'Orléans,  l'exilé,  le  poète1,  dans  son 
bâtard  Dunois,  clans  son  petit-fils  le  bon  et  clément 
Louis  XII. 

Cet  esprit,  louez-le,  blàmez-le,  ce  n'est  pas  celui  d'un 
temps,  d'un  âge,  c'est  celui  de  la  France  même.  Pour 
la  première  fois,  au  sortir  du  roide  et  gothique  moyen 
âge,  elle  se  vit  ce  qu'elle  est,  mobilité,  élégance 
légère,  fantaisie  gracieuse.  Elle  se  vit,  elle  s'adora. 
Celui-ci  fut  le  dernier  enfant,  le  plus  jeune  et  le  plus 
cher,  celui  à  qui  tout  est  permis,  celui  qui  peut  gâter, 
briser;  la  mère  gronde,  mais  elle  sourit...  Elle  aimait 
cette  jolie  tète  qui  tournait  celle  des  femmes;  elle 
aimait  cet  esprit  hardi  qui  déconcertait  les  docteurs  : 
c'était  plaisir  de  voir  les  vieilles  barbes  de  l'Univer- 
sité au  milieu  de  leurs  lourdes  harangues,  se  troubler  à 
ses  vives  saillies  et  balbutier2.  Il  n'en  était  pas  moins 
bon  pour  les  doctes,  les  clercs  et  les  prêtres,  pour  les 
pauvres  aumônier  et  charitable.  L'Église  était  faible 
pour  cet  aimable  prince;  elle  lui  passait  bien  des 
choses;  il  n'y  avait  pas  moyen  d'être  sévère  avec  cet 
enfant  gâté  de  la  nature  et  de  la  grâce. 

De  qui  Louis  tenait-il  ces  dons  qu'il  apporta  en  nais- 
sant? De  qui,  sinon  d'une  femme?  De  sa  charmante 


1.  Louis  d'Orléans  était  poète  aussi,  s'il  est  vrai  qu'il  avait  célébré  dai 
des  vers  les  secrètes  beautés  de  la  duchesse  de  Bourgogne.  (Barante.) 

2.  App.  56. 


80  HISTOIRE    DE    FRANCE 

mère  apparemment,  dont  son  mari  même,  le  sage  et 
froid  Charles  V,  ne  pouvait  s'empêcher  de  dire  :  &  C'est 
le  soleil  du  royaume.  »  Une  femme  mit  la  grâce  en  lui. 
et  les  femmes  la  cultivèrent....  Et  que  serions-nous 
sans  elles?  Elles  nous  donnent  la  vie  (et  cela,  c'est 
peu),  mais  aussi  la  vie  de  l'âme.  Que  de  choses  nous 
apprenons  près  d'elles  comme  fils,  comme  amants  ou 
amis...  C'est  par  elles,  pour  elles,  que  l'esprit  français 
est  devenu  le  plus  brillant,  et,  ce  qui  vaut  mieux,  le 
plus  sensé  de  l'Europe.  Ce  peuple  n'étudiait  volon- 
tiers que  dans  les  conversations  des  femmes;  en  cau- 
sant avec  ces  aimables  docteurs  qui  ne  savaient  rien, 
il  a  tout  appris1. 

Nous  n'avons  pas  la  galerie  où  le  jeune  Louis  eut  la 
dangereuse  fatuité  de  faire  peindre  ses  maîtresses. 
Nous  connaissons  assez  mal  les  femmes  de  ce  temps- 
là.  J'en  vois  trois  pourtant  qui  de  près  ou  de  loin 
tinrent  au  duc  d'Orléans.  Toutes  trois,  de  père  ou  de 
mère,  étaient  Italiennes.  De  l'Italie  partait  déjà  le 
premier  souffle  de  la  Renaissance;  le  Nord,  réchauffé 
de  ce  vent  parfumé  du  Sud,  crut  sentir,  comme  dit  le 
poète,  «  une  odeur  de  Paradis2  ». 

De  ces  Italiennes,  l'une  fut  la  femme  du  duc  d'Or- 


1.  L'éducation  d'un  jeune  chevalier  par  les  femmes  est  l'invariable  sujet 
des  romans  ou  histoires  romanesques  du  quinzième  siècle.  App.  57. 

2,  Quan  la  doss  aura  venta 
Deves  vostre  pais, 

M'es  veiaire  que  senta 
Odor  de  Paradis. 
«  Quand  le  doux  zéphyr  souffle  de  votre  pays,  ô  ma  Dame,  il  me  semble 
que  je  sens  une  odeur  de  Paradis.  »  (Bernard  de  Ventadour.) 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE  81 

léans,  Valentkia  Visconti,  sa  femme,  sa  triste  veuve, 
et  elle  mourut  de  sa  mort.  L'autre,  Isabeau  de  Bavière 
(Visconti  du  côté  maternel)  fut  sa  belle-sœur,  son 
amie,  peut-être  davantage.  La  troisième,  dans  un  rang 
bien  modeste,  la  chaste,  la  savante  Christine1,  n'eut 
avec  lui  d'autre  rapport  que  les  encouragements  qu'il 
donna  à  son  aimable  génie"2. 

L'Italie,  la  Renaissance,  l'art,  l'irruption  de  la  fan- 
taisie, il  y  avait  dans  tout  cela  de  quoi  séduire  et  cle 
quoi  blesser.  Ce  jour  du  seizième  siècle,  qui  éclatait 
brusquement  dès  la  fin  du  quatorzième,  dut  effarou- 
cher les  ténèbres.  L'art  n'était-il  pas  une  coupable 
contrefaçon  de  la  nature?  Celle-ci  n'a-t-elle  pas  assez 
de  danger,  assez  de  séduction,  sans  qu'une  diabolique 
adresse  la  reproduise  encore  pour  la  perdition  des 
âmes?  Cette  perfide  Italie,  la  terre  des  poisons  et  des 
maléfices,  n'est-ce  pas  aussi  le  pays  de  ces  miracles 
du  Diable  ? 

C'étaient  là  les  propos  du  peuple,  ce  qu'il  disait 
tout  haut.  Joignez-y  le  silence  haineux  des  scolasti- 
ques,  qui  voyaient  bien  que  peu  à  peu  il  leur  fallait 
céder  la  place.  Derrière,  appuyaient  la  foule  des  esprits 
secs  et  étroits,  qui  demandent  toujours  :  A  quoi  bon?.. . 
A  quoi  bon  un  tableau  du  Giotto,  une  miniature  du 
beau  Froissart,  une  ballade  de  Christine? 

De  tels  esprits  sont  toujours  un  grand  peuple.  Mais 
alors  ils  avaient  pour  eux  un  grave  et  puissant  auxi- 

1.  Christine  de  Pisan  semble  avoir  commencé  la  suite  des  femmes  de 
lettres,  pauvres  et  laborieuses,  qui  ont  nourri  leur  famille  du  produit  de  leur 
plume.  App.  58.  —  2.  App.  59. 

T.    IV.  6 


82  HISTOIRE    DE     FRANCE 

liaire,  la  pauvreté  publique,  qui  ne  voyait  dans  les 
dépenses  d'art  et  de  luxe  qu'une  coupable  prodigalité. 

A  ces  mécontentements,  à  ces  malveillances,  à  ces 
haines  publiques  ou  secrètes,  il  fallait  un  envieux 
pour  chef.  La  nature  semblait  avoir  fait  le  duc  de 
Bourgogne  Jean-sans-Peur  tout  exprès  pour  haïr  le 
duc  d'Orléans.  Il  avait  peu  d'avantages  physiques,  peu 
d'apparence,  peu  de  taille,  peu  de  facilité  1.  Son  silence 
habituel  couvrait  un  caractère  violent.  Héritier  d'une 
grande  puissance,  il  tenta  de  grandes  choses  et  échoua 
d'autant  plus  tristement.  Sa  captivité  de  Nicopolis 
coûta  gros  au  royaume.  Nourri  d'amertume  et  d'envie, 
il  souffrait  cruellement  de  voir  en  face  cette  heureuse 
et  brillante  figure  qui  devait  toujours  l'éclipser.  Avant 
que  leur  rivalité  éclatât,  avant  que  de  secrets  outrages 
eussent  engendré  en  eux  de  nouvelles  haines,  il  sem- 
blait être  déjà  le  Gain  prédestiné  de  cet  Abel. 

L'équité  nous  oblige  de  faire  remarquer  avant  tout 
que  l'histoire  de  ce  temps  n'a  guère  été  écrite  que  par 
les  ennemis  du  duc  d'Orléans.  Gela  doit  nous  mettre 
en  défiance.  Ceux  qui  le  tuèrent  en  sa  personne,  ont 
dû  faire  ce  qu'il  fallait  pour  le  tuer  aussi  dans  l'his- 
toire. 

Monstrelet  est  sujet  et  serviteur  de  la  maison  de 
Bourgogne'2.  Le  Bourgeois   de  Paris  est  un  bourgui- 


1.  Le  Religieux  de  Saint-Denis  ajoute  toutefois  que,  quoiqu'il  parlât  peu, 
il  avait  de  l'esprit;  ses  yeux  étaient  intelligents.  11  en  existe  un  portrait  fort 
ancien  au  musée  de  Versailles  et  au  château  d'Eu.  Il  est  en  prières,  déjà 
vieux,  les  chaires  molles,  l'air  bonasse  et  vulgaire.  Christine  l'appelle  en  1404  : 
«  Prince  de  toute  bonté,  salvable,  juste,  saige,  bénigne,  douls  et  de  toute 
bonne  meurs.  »  —  2.  App.  60. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE  83 

gnon  furieux.  Paris  était  généralement  hostile  au  duc 
d'Orléans,  et  cela  pour  un  motif  facile  à  comprendre  : 
le  duc  d'Orléans  demandait  sans  cesse  de  l'argent  ;  le 
duc  de  Bourgogne  défendait  de  payer. 

Cette  rancune  de  Paris  n'a  pas  été  sans  influence 
sur  le  plus  impartial  des  historiens  de  ce  temps,  sur 
le  Religieux  de  Saint-Denis.  Il  n'a  pu  se  défendre  de 
reproduire  la  clameur  de  cette  grande  ville  voisine.  Le 
moine  a  pu  céder  aussi  à  celle  du  clergé,  que  le  duc 
d'Orléans  essayait  indirectement  de  soumettre  à 
l'impôt1. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  le  duc  d'Orléans,  ne  pos- 
sédant rien,  ou  presque  rien,  hors  du  royaume,  tirait 
toutes  ses  ressources  de  la  France,  de  Paris  surtout.  Le 
duc  de  Bourgogne  au  contraire  était,  tout  à  la  fois,  un 
prince  français  et  étranger  ;  il  avait  des  possessions  et 
dans  le  royaume  et  dans  l'Empire  ;  il  recevait  beau- 
coup d'argent  de  la  Flandre,  et  demandait  plutôt  des 
gens  d'armes  à  la  Bourgogne 2. 

Remontons  à  la  fondation  cle  cette  maison  de  Bour- 
gogne. Nos  rois  ayant  presque  détruit  le  seul  pouvoir 
militaire  qui  se  trouvât  en  France,  la  féodalité,  essayè- 
rent, au  treizième  et  au  quatorzième  siècle,  d'une 
féodalité  artificielle  ;  ils  placèrent  les  grands  fiefs  dans 
la  main  des  princes  leurs  parents.  Charles  Y  fit  un 
grand  établissement  féodal.  Tandis  que  son  frère  aîné, 
gouverneur  du  Languedoc,  regardait  vers  la  Provence 
et  l'Italie,  il  donna  la  Bourgogne  en  apanage  à  son 

1.  Yoy.  1402  et  les  projets  du  parti  d'Orléans,  1411. 

2.  Au  témoignage  de  Charles-le-Téméraire.  (Gachard.) 


84  HISTOIRE    DE    FRANCE 

plus  jeune  frère,  de  manière  à  agir  vers  l'Empire  et 
les  Pays-Bas.  Il  fit  pour  ce  dernier  l'immense  sacrifice 
de  rendre  aux  Flamands  Lille  et  Douai,  la  Flandre 
française1,  la  barrière  du  royaume  au  nord,  pour  que 
ce  frère  épousât  leur  future  souveraine,  l'héritière  des 
comtés  de  Flandre,  d'Artois,  de  Rethel,  de  Nevers  et 
de  la  Franche-Comté.  Il  espérait  que  dans  cette 
alliance  la  France  absorberait  la  Flandre,  que  les 
peuples  étant  réunis  sous  une  même  domination,  les 
intérêts  se  confondraient  peu  à  peu.  Il  n'en  fut  pas 
ainsi.  La  distinction  resta  profonde,  les  mœurs  diffé- 
rentes, la  barrière  des  langues  immuable  ;  la  langue 
française  et  wallone  ne  gagna  pas  un  pouce  de  ter- 
rain sur  le  flamand  2.  La  riche  Flandre  ne  devint  pas 
un  accessoire  de  la  pauvre  Bourgogne  3.  Ce  fut  tout  le 
contraire  :  l'intérêt  flamand  emporta  la  balance.  Quel 
intérêt?  un  intérêt  hostile  à  la  France,  l'alliance  com- 
merciale de  l'Angleterre,  commerciale  d'abord,  puis 
politique. 

Nous  avons  dit  ailleurs  comment  la  Flandre  et  l'An- 
gleterre étaient  liées  depuis  longtemps.  S'il  y  avait 
mariage  politique  entre  les  princes  cle  la  France  et  de 
la  Flandre,  il  y  avait  toujours  eu  mariage  commercial 
entre  les  peuples  de  la  Flandre  et  de  l'Angleterre. 
Edouard  III  ne  put  faire  son  fils  comte  de  Flandre; 
Charles  Y  fut  plus  heureux  pour  son  frère.  Mais  ce 
frère,  tout  Français  qu'il  était,  ne  se  fît  accepter  des 

1.  App.  61.  —  2.  App.  62. 

3.  a  Mon  pays  de  Bourgoigne  n'a  point  d'argent;  il  sent  la  France.  »  Mot 
de  Charles-lc-Téméraire.  (Gachard.) 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE  85 

Flamands  qu'en  se  résignant  aux  relations  indis- 
pensables de  la  Flandre  et  de  l'Angleterre.  Ces  rela- 
tions faisaient  la  richesse  du  pays,  celle  du  prince. 
Toutefois,  les  Anglais  qui  depuis  Edouard  III  avaient 
attiré  beaucoup  de  drapiers  de  la  Flandre1,  n'avaient 
plus  tant  de  ménagements  à  garder  avec  les  Flamands; 
ils  pillaient  souvent  leurs  marchands,  et  secondaient 
les  bannis  de  Flandre  dans  leurs  pirateries.  Le  fameux 
Pierre  Dubois,  l'un  des  chefs  de  la  révolution  de 
Flandre  en  1382,  se  fît  pirate,  et  fut  la  terreur  du 
détroit.  En  1387,  il  enleva  la  flotte  flamande  qui 
chaque  année  allait  à  La  Rochelle  acheter  nos  vins  du 
Midi 2.  La  Flandre  et  le  comte  de  Flandre  étaient 
ruinés  par  ces  pirateries,  si  ce  comte  ne  devenait  ou 
le  maître  ou  l'allié  de  l'Angleterre.  Ayant  essayé  en 
vain  de  s'en  rendre  maître  (1386),  il  fallait  qu'il  en  fût 
l'allié,  qu'il  y  fit,  s'il  pouvait,  un  roi  qui  garantît  cette 
alliance.  Il  y  parvint  en  1399,  contre  l'intérêt  de  la 
France. 

Cette  puissance  de  Bourgogne,  ainsi  partagée  entre 
l'intérêt  français  et  étranger,  n'allait  pas  moins  s'éten- 
dant  et  s'agrandissant.  Philippe-le-Hardi  compléta  ses 
Bourgognes  en  achetant  le  Charolais  (1390),  ses  Pays- 
Bas  en  faisant  épouser  à  son  fils  l'héritière  de  Hai- 
naut  et  de  Hollande  (1385) .  Le  souverain  de  la  Flandre, 
jusque-là  serré  entre  la  Hollande  et  le  Hainaut,  allait 
saisir  ainsi  deux  grands  postes,  par  la  Hollande  des 
ports  sur  l'Océan,  c'était  comme  des  fenêtres  ouvertes 

1.  Voy.  au  tome  III,  livre  VI,  chap.  i,  les  étranges  promesses  par  lesquelles 
les  Anglais  s'efforçaient  de  les  attirer...  —  2.  App.  63. 


86  HISTOIRE   DE    FRANCE 

sur  l'Angleterre;  par  le  Hainaut  des  places    fortes, 
Mons  et  Valenciennes,  les  portes  de  la  France. 

Voilà  une  grande  et  formidable  puissance,  formi- 
dable par  son  étendue  et  par  la  richesse  de  ses  posses- 
sions, mais  bien  plus  encore  par  sa  position,  par  ses 
relations,  touchant  à  tout,  ayant  prise  sur  tout.  Il  n'y 
avait  rien  en  France  à  opposer  à  une  telle  force.  La 
maison  d'Anjou  avait  fondu  en  quelque  sorte,  dans  ses 
vaines  tentatives  sur  l'Italie.  Le  duc  de  Berri,  lors 
même  qu'il  était  gouverneur  du  Languedoc,  n'y  était 
pas  sérieusement  établi;  il  n'était  que  le  roi  de 
Bourges.  Le  duc  d'Orléans,  frère  du  roi,  s'était  fait 
donner  successivement  l'apanage  d'Orléans,  puis  une 
bonne  part  du  Périgord  et  de  l'Angoumois,  puis  les 
comtés  de  Valois,  Blois  et  Beaumont,  puis  encore  celui 
de  Dreux.  Il  avait,  par  sa  femme,  une  position  dans 
les  Alpes,  Asti.  C'étaient  certes  de  grands  établisse- 
ments, mais  dispersés;  ce  n'était  pas  une  grande 
puissance.  Tout  cela  ne  faisait  point  masse  en  pré- 
sence de  cette  masse  énorme  et  toujours  grossissante 
des  possessions  du  duc  de  Bourgogne. 

Philippe-le-Hardi  avait  eu,  à  son  grand  profit,  la 
part  principale  à  l'administration  du  royaume  sous  la 
minorité  de  Charles  VI,  et  bien  au  delà,  jusqu'à  ce 
qu'il  eut  vingt  et  un  ans.  Il  l'avait  perdue  quelque 
temps,  pendant  le  gouvernement  des  Marmousets, 
La  Rivière,  Clisson,  Montaigu.  La  folie  de  Charles  VI 
fut  comme  une  nouvelle  minorité  ;  cependant  il  deve- 
nait impossible  de  ne  pas  donner  part,  dans  le  gou- 
vernement,  au   duc  d'Orléans,   frère  du  roi,  qui  en 


LE   DUC   D'ORLEANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE  87 

1401  avait  trente  ans.  Ce  prince,  héritier  probable  du 
roi  malade  et  de  ses  enfants  maladifs,  avait  apparem- 
ment autant  d'intérêt  au  bien  du  royaume  que  le  duc 
de  Bourgogne,  qui,  s'étenclant  toujours  vers  l'Empire 
et  les  Pays-Bas,  devenait  de  plus  en  plus  un  prince 
étranger.  Toutefois,  les  légèretés  du  duc  d'Orléans,  ses 
passions,  ses  imprudences,  lui  faisaient  tort  ;  la  viva- 
cité même  de  son  esprit,  ses  qualités  brillantes,  met- 
taient en  défiance.  Son  oncle,  déjà  âgé,  solide  sans 
éclat  (comme  il  faut  pour  foncier),  rassurait  davantage. 
D'ailleurs,  il  était  riche  hors  du  royaume  ;  on  pensait 
que  le  maître  de  la  riche  Flandre  prendrait  moins 
d'argent  en  France. 

Ce  fut  un  moment  décisif,  entre  l'oncle  et  le  neveu, 
que  celui  de  la  révolution  d'Angleterre,  en  1399.  Tous 
deux  avaient  caressé  le  dangereux  Lancastre,  pendant 
son  séjour  au  château  de  Bicêtre.  Le  duc  d'Orléans  en 
fit  son  frère  d'armes,  et  se  crut  sûr  cle  lui.  Mais  Lan- 
castre, avec  beaucoup  de  sens,  préféra  l'alliance  du 
duc  de  Bourgogne,  comte  cle  Flandre.  Celui-ci  montra 
dans  cette  circonstance  une  extrême  prudence.  Il  en 
avait  besoin.  Richard  avait  épousé  sa  petite-nièce,  il 
était  gendre  du  roi  cle  France,  et  notre  allié.  Le  duc  de 
Bourgogne  se  serait  perdu  clans  le  royaume,  s'il  avait 
ostensiblement  concouru  à  une  révolution  qui  nous 
était  si  préjudiciable.  Il  ne  laissa  pas  passer  Lancastre 
par  ses  états  ;  il  donna  même  ordre  clé  l'arrêter  à  Bou- 
logne, où  il  ne  devait  point  aller.  Lancastre  fît  le  tour 
par  la  .Bretagne,  dont  le  duc  était  ami  et  allié  du  duc 
cle  Bourgogne  ;  ils  lui  donnèrent  pour  l'accompagner 


88  HISTOIRE    DE    FRANCE 

quelques  gens  d'armes,  et  leur  homme,  Pierre  de 
Graon1,  l'assassin  de  Glisson,  l'ennemi  mortel  du  duc 
d'Orléans.  C'étaient  de  faibles  moyens,  mais  ce  qu'ils 
y  joignirent  d'argent,  on  ne  peut  le  deviner.  Or,  c'était 
surtout  d'argent  que  Lancastre  avait  besoin;  les 
hommes  ne  manquaient  pas  en  Angleterre  pour  en 
recevoir. 

Ce  ne  fut  pas  tout.  Le  duc  de  Bretagne  étant  mort 
peu  après,  sa  veuve,  qui  avait  vu  Lancastre  à  son  pas- 
sage, déclara  qu'elle  voulait  l'épouser.  Cette  veuve 
était  la  fille  du  terrible  ennemi  de  nos  rois,  de 
Charles-le-Mauvais.  Rien  n'était  plus  dangereux  que 
ce  mariage.  Le  duc  de  Bourgogne  en  détourna  la 
veuve,  comme  il  devait;  mais  il  eut  le  bonheur  de 
ne  pas  être  écouté;  le  mariage  se  fit  au  grand  profit 
du  duc  de  Bourgogne,  qui,  malgré  le  duc  d'Orléans, 
malgré  le  vieux  Glisson,  vint  prendre  la  garde  du  jeune 
duc  de  Bretagne  et  de  la  Bretagne,  et  bâtit  à  Nantes 
même  sa  tour  de  Bourgogne  2. 

Ainsi  se  formait  autour  du  royaume  un  vaste  cercle 
d'alliances  suspectes.  Le  maître  de  la  Franche-Comté, 
de  la  Bourgogne  et  des  Pays-Bas  se  trouvait  aussi 
maître  de  la  Bretagne,  ami  du  nouveau  roi  d'Angle- 


1.  La  misère  força  peut-être  Craon  à  cet  acte  monstrueux  d'ingratitude. 
11  avait  dû  la  grâce  de  son  premier  crime  aux  prières  de  la  jeune  Isabelle 
de  France,  épouse  de  Richard  II.  Voy.  App.  34. 

2.  De  plus,  il  emmena  avec  lui  le  duc  et  ses  deux  frères.  —  Lorsque  le 
jeune  duc  de  Rrctagne  retourna  chez  lui,  on  lui  donna,  non  seulement  le 
comté  d'Évreux,  mais  la  ville  royale  de  Saint-Malo,  l'un  des  plus  précieux 
fleurons  de  la  couronne  de  France.  Il  n'en  resta  pas  moins  à  moitié  Anglais; 
son  frère  Arthur  tenait  le  comté  de  Richcmont  du  roi  d'Angleterre. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE  BOURGOGNE  89 

terre  et  du  roi  de  Navarre.  La  maison  de  Lancastre 
s'était  alliée,  en  Gastille,  à  la  maison  bâtarde  de  Trans- 
tamare,  comme  celle  de  Bourgogne  s'unit  plus  tard  à 
la  maison  non  moins  bâtarde  de  Portugal.  Bourgogne, 
Bretagne,  Navarre,  Lancastre,  toutes  les  branches 
cadettes  se  trouvaient  ainsi  liées  entre  elles,  et  avec 
les  branches  bâtardes  du  Portugal  et  de  la  Gastille. 

Contre  cette  conjuration  de  la  politique,  le  duc 
d'Orléans  se  porta  pour  champion  du  vieux  droit.  Il 
prit  cette  cause  en  main  dans  toute  la  chrétienté,  se 
déclarant  pour  Wenceslas  contre  Robert,  pour  le  pape 
contre  l'Université,  pour  la  jeune  veuve  de  Richard 
contre  Henri  IV.  Après  avoir  provoqué  un  duel  de 
sept  Français  contre  sept  Anglais,  il  jeta  le  gant  à 
son  ancien  frère  d'armes,  pour  venger  la  mort  de 
Richard  II1.  Il  lui  reprochait  de  plus  d'avoir  manqué, 
dans  la  personne  cle  la  veuve,  Isabelle  de  France,  à 
tout  ce  qu'un  homme  noble  devait  «  aux  dames  veuves 
et  pucelles2  ».  Il  lui  demandait  un  rendez-vous  aux 
frontières,  où  ils  pourraient  combattre  chacun  à  la  tête 
de  cent  chevaliers. 

Lancastre  répondit,  avec  la  morgue  anglaise,  qu'il 
n'avait  vu  nulle  part  que  ses  prédécesseurs  eussent 
été  ainsi  défiés  par  gens  de  moindre  état;  ajoutant, 
clans  le  langage  hypocrite  du  parti  ecclésiastique  qui 
l'avait  mis  sur  le  trône,  que  ce  qu'un  prince  fait, 
«  il  le  doit  faire  à  l'honneur  cle  Dieu,  et  comme 
profit  cle  toute  chrestienté  ou  cle   son   royaume,    et 

1    App.  64.  —  2.  Monstrelet. 


90  HISTOIRE    DE    FRANCE 

non  pas  pour  vaine  gloire  ni  pour  nulle  convoitise 
temporelle1  ». 

Henri  IV  avait  de  bonnes  raisons  pour  refuser  le 
combat  ;  il  avait  bien  autre  chose  à  faire  chez  lui  ;  il 
ne  voyait  qu'ennemis  autour  de  lui  ;  ce  trône  tout 
nouveau  branlait.  Le  duc  de  Bourgogne  lui  rendit  le 
service  de  faire  continuer  la  trêve  avec  la  France. 

Ces  affaires  d'Angleterre  et  de  Bretagne  sont  déjà 
une  guerre  indirecte  entre  les  ducs  d'Orléans  et  de 
Bourgogne.  La  guerre  va  devenir  directe,  acharnée. 
Le  neveu  essaye  d'attaquer  l'oncle  clans  les  Pays-Bas  ; 
l'oncle  attaque  et  ruine  le  neveu  en  France,  à  Paris. 

Le  duc  d'Orléans,  battu  par  son  habile  rival  dans 
l'affaire  de  Bretagne,  fît  une  chose  grave  contre  lui  ; 
si  grave  que  la  maison  de  Bourgogne  dut  vouloir  dès 
lors  sa  ruine.  Il  se  fît  un  établissement  au  milieu  des 
possessions  de  cette  maison,  parmi  les  petils  états 
qu'elle  avait  ou  qu'elle  convoitait  ;  il  acheta  le 
Luxembourg,  se  logeant  comme  une  épine  au  cœur 
du  Bourguignon,  entre  lui  et  l'Empire,  à  la  porte  de 
Liège,  de  manière  à  donner  courage  aux  petits  princes 
du  pays,  par  exemple  au  duc  de  Gueldre.  Le  duc 
d'Orléans  paya  ce  duc  pour  faire  ce  qu'il  avait  tou- 
jours fait,  pour  piller  les  Pays-Bas. 

Louis  d'Orléans  ayant  engagé  ce  condottiere  au 
service  du  roi,  il  l'amène  à  Paris  avec  ses  bandes; 


1.  Monstrelet.  —  Quant  à  Isabelle  de  France,  il  récriminait  d'une  manière 
toute  satirique  :  «  Plût  à  Dieu  que  vous  n'eussiez  fait  rigueur,  cruauté  ni 
vilenie  envers  nulle  dame  ni  damoisellc,  non  plus  qu'avons  fait  envers  elle; 
nous  croyons  que  vous  en  vaudriez  mieux.  » 


LE   DUC   D'ORLEANS,   LE   DUC   DE  BOURGOGNE  91 

et,  d'autre  part,  il  fait  venir  des  Gallois  des  garnisons 
de  Guyenne.  Le  duc  de  Bourgogne  y  accourt  ;  l'évêque 
de  Liège  lui  amène  du  renfort  ;  une  foule  d'aven- 
turiers du  Hainaut,  de  Brabant,  de  l'Allemagne, 
arrivent  à  la  file.  Le  duc  d'Orléans,  de  son  côté,  se 
fortifie  des  Bretons  de  Glisson,  d'Écossais,  de  Nor- 
mands. Paris  se  mourait  de  peur.  Mais  il  n'y  eut  rien 
encore  ;  les  deux  rivaux  se  mesurèrent,  se  virent  en 
force,  et  se  laissèrent  réconcilier. 

Le  duc  de  Bourgogne  n'avait  pas  besoin  d'une 
bataille  pour  perdre  son  neveu  ;  il  n'y  avait  qu'à  le 
laisser  faire  :  il  avait  pris  un  rôle  impopulaire  qui  le 
menait  à  sa  ruine.  Le  duc  d'Orléans  voulait  la  guerre, 
demandait  de  l'argent  au  peuple,  au  clergé  même. 
Le  duc  de  Bourgogne  voulait  la  paix  (le  commerce 
flamand  y  avait  intérêt)  ;  riche  d'ailleurs,  il  se  popula- 
risait ici  par  un  moyen  facile,  il  défendait  de  payer 
les  taxes.  Si  l'on  en  croyait  une  tradition  conservée 
par  Meyer,  historien  flamand,  ordinairement  très 
partial  pour  la  maison  de  Bourgogne,  les  princes  de 
cette  maison,  ulcérés  par  les  tentatives  galantes  du 
duc  d'Orléans  sur  la  femme  du  jeune  duc  de  Bour- 
gogne, auraient  organisé  contre  leur  ennemi  un 
vaste  système  d'attaques  souterraines,  le  représen- 
tant partout  au  peuple  comme  l'unique  auteur  des 
taxes  sous  le  poids  desquelles  il  gémissait,  le  dési- 
gnant à  la  haine  publique,  préparant  longuement, 
patiemment  l'assassinat  par  la  calomnie1. 

1.  App.  65. 


92  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Il  n'y  aurait  eu  pour  le  duc  d'Orléans  qu'un  moyen 
de  sortir  de  cette  impopularité,  une  guerre  glorieuse 
contre  l'Anglais.  Mais  pour  cela  il  fallait  de  l'argent. 
L'Église  en  avait.  Le  duc  d'Orléans  fit  ordonner  un 
emprunt  général,  dont  les  gens  d'Eglise  ne  seraient 
point  exempts.  Mais  le  duc  de  Bourgogne  se  mit  du 
côté  du  clergé,  et  l'encouragea  à  refuser  l'emprunt. 
Une  ordonnance  de  taxe  générale  fut  de  même  inutile. 
Le  duc  de  Bourgogne  déclara  que  l'ordonnance  men- 
tait, en  se  disant  consentie  par  les  princes,  que  ni  lui 
ni  le  duc  de  Berri  n'y  avaient  consenti  ;  que  si  les 
coffres  du  roi  étaient  vides,  ce  n'était  pas  du  sang  des 
peuples  qu'il  fallait  les  remplir;  qu'il  fallait  faire 
regorger  les  sangsues  ;  que  pour  lui,  il  voulait  bien 
qu'on  sût  que  s'il  eût  autorisé  cette  nouvelle  exaction, 
il  aurait  emboursé  deux  cent  mille  écus  pour  sa  part. 

Qu'on  juge  si  de  telles  paroles  étaient  bien  reçues 
du  peuple.  Le  duc  de  Bourgogne  eut  tout  le  monde 
pour  lui.  On  l'appela,  on  le  mit  à  l'œuvre,  et  alors 
il  ne  fut  pas  médiocrement  embarrassé.  Après  avoir 
tant  déclamé  contre  les  taxes,  il  n'en  pouvait  guère 
lever  lui-même.  Il  lui  fallut  avoir  recours  à  un  étrange 
expédient.  Il  envoya  dans  toutes  les  villes  du  royaume 
des  commissaires  du  parlement  pour  examiner  les 
contrats  entre  particuliers  et  frapper  d'amendes  arbi- 
traires ceux  qu'ils  trouveraient  usuraires  ou  fraudu- 
leux1. Tous  ceux  «  qui  auraient  vendu  trop  cher  de 
moitié  »  devaient  être  punis.  Cette  absurde  et  impra- 

I.  A  pp.  66. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,    LE   DUC   DE  BOURGOGNE  93 

ticable    inquisition    ne    produisit   pas    grand 'chose. 

Le  duc  d'Orléans  reprit  son  influence.  Il  s'était 
étroitement  lié  avec  le  pape  Benoît  XIII  ;  ce  pape 
ayant  enfin  échappé  aux  troupes  qui  l'assiégeaient 
dans  Avignon,  le  duc  surprit  au  roi  une  ordonnance 
qui  restituait  au  pape  l'obédience  du  royaume  ; 
l'Université  en  rugit.  D'autre  part,  le  duc,  s'étant 
lié  étroitement  avec  sa  belle-sœur  Isabeau,  la  fit 
entrer  dans  le  conseil,  et  s'y  trouva  prépondérant. 
Il  parut  ainsi  maître  et  de  l'Église  et  de  l'État,  c'est-à- 
dire  que  dès  lors  tout  ce  qui  se  fit  d'impopulaire 
retomba  sur  lui. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  ne  peut  nier  que  le  parti 
d'Orléans  ne  fût  le  seul  qui  agît  pour  la  France  et 
contre  l'Anglais,  qui  sentît  qu'on  devait  profiter  de 
l'agitation  de  ce  pays  *,  qui  tentât  des  expéditions.  Je 
vois  en  1403  les  Bretons  de  ce  parti  mettre  une  flotte 
en  mer  et  battre  les  Anglais2.  Plus  tard  des  secours 
sont  envoyés  aux  chefs  gallois,  avec  lesquels  le  roi 
fait  alliance3.  Je  vois  l'homme  du  duc  d'Orléans,  le 
connétable  d'Albret,  faire  une  guerre  heureuse  en 
Guyenne4.  On  envoie  en  Castille  pour  demander 
les  secours  d'une  flotte  contre  les  Anglais.  Une 
transaction  utile  leur  ferme  la  Normandie  ;  on  tire 
Cherbourg  et  Évreux  des  mains  suspectes  du  roi  de 
Navarre,  en  le  dédommageant  ailleurs. 


1.  C'était  le  temps  de  la  révolte  des  Percy. 

2.  C'étaient  les  Bretons  de  Clisson,  conduits  par  Guillaume  Duchâtel. 

3.  Rymer.  —  4.  Le  comte  de  Clermont,  très  jeune  encore,  était  le  chef 
nominal  de  cette  armée. 


94  HISTOIRE    DE    FRANCE 

En  1404,  tout  le  royaume  souffrant  des  courses 
des  Anglais,  un  grand  armement  fut  ordonné,  une 
lourde  taxe.  Tout  l'argent  fut  placé  dans  une  tour  du 
palais,  pour  n'en  sortir  que  du  consentement  des 
princes.  Le  duc  d'Orléans  n'attendit  pas  ce  consen- 
tement ;  il  vint  la  nuit  forcer  la  tour  et  en  tira 
l'argent1.  C'était  un  acte  violent,  injustifiable,  une 
sorte  de  vol.  Toutefois,  quand  on  songe  que  le  duc 
de  Bourgogne  venait  d'abandonner  le  comte  de  Saint- 
Pol  aux  vengeances  de  l'Anglais 2,  quand  on  songe 
que  le  duc  de  Berri  avait  fait  manquer  l'invasion 
de  1386,  et  qu'il  empêcha  encore  le  roi  de  combattre 
en  1415,  on  comprend  que  jamais  ces  princes  n'au- 
raient employé  cet  argent  contre  les  ennemis  du 
royaume. 

L'armement  se  fit  à  Brest,  une  flotte  fut  préparée. 
Elle  devait  être  conduite  dans  le  pays  de  Galles  par 
le  comte  de  La  Marche,  prince  de  la  maison  de  Bour- 
bon, qui  était  agréable  aux  deux  partis.  Mais  ce 
prince  fît  ce  que  le  duc  de  Berri  avait  fait  autrefois. 
Il  s'obstina  à  ne  bouger  de  Paris  ;  il  y  resta  d'août  en 
novembre  pour  les  fêtes  d'un  double  mariage  entre 
les  princes  de  la  maison  de  Bourgogne  et  les  enfants 
du  roi.  On  allégua  que  le  vent  était  contraire.  Et  en 
effet,  on  voit  bien  qu'il  soufflait  d'Angleterre  ;  les 
Anglais  étaient  instruits  de  tout  par  des  traîtres  ;  ils 
avaient  ici  des  agents  à  qui  ils  payaient  pension  ;  ils 


1.  Le  Religieux  dit  qu'il  s'était  muni  d'un  ordre  du  roi. 

2.  Le  comte  de  Saint-Pol  avait  pris  les  armes  pour  les  intérêts  de  sa  fille, 
belle-fille  du  duc  de  Rourgognc. 


LE   DUC    D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE  95 

pensionnaient  entre  autres  le  capitaine  de  Paris1.  Le 
nouveau  duc  de  Bourgogne,  Jean-sans-Peur,  avait 
d'ailleurs  intérêt  à  ne  pas  commencer  par  déplaire 
aux  Flamands  en  leur  fermant  l'Angleterre.  Il  conclut 
au  contraire  une  trêve  marchande  avec  les  Anglais2. 

L'habile  et  heureux  fondateur  de  la  maison  cle 
Bourgogne  était  mort  au  milieu  de  la  crise  (1404), 
au  moment  où  il  venait  encore  de  mettre  un  de  ses 
fils  en  possession  du  Brabant.  Il  avait  recueilli  tous 
les  fruits  de  sa  politique  égoïste 3  ;  il  s'était  cons- 
tamment servi  des  ressources  de  la  France,  de  ses 
armées,  de  son  argent,  et  avec  cela  il  mourut  popu- 
laire, laissant  à  son  fils,  Jean-sans-Peur,  un  grand 
parti  dans  le  royaume. 

Philippe-le-Hardi  était,  dans  son  intérieur,  un 
homme  rangé  et  régulier;  il  n'eut  d'autre  femme  que 
sa  femme,  la  riche  et  puissante  héritière  des  Flandres 
et  de  tant  de  provinces,  et  qui  lui  aidait  à  les  main- 
tenir. Il  fut  toujours  bien  avec  le  clergé  ;  il  le 
défendait  volontiers  au  conseil  du  roi  ;  du  reste, 
donnant  peu  aux  églises. 

On  ne  lui  reproche  aucun  acte  violent.  Eut-il 
connaissance  de  l'assassinat'  de  Glisson  et  cle  l'em- 
poisonnement cle  l'évêque  de  Laon?  La  chose  est 
possible,  mais  encore  moins  prouvée. 

Ce  politique  mettait  dans  toute  chose  un  faste 
royal,  qu'on  pouvait  prendre  pour  de  la  prodigalité,  et 
qui  sans  doute  était  un  moyen.  Le  culte  était  célébré 

1.  App.  67.  —  2.  App.  68.  —  3.  App.  69. 


96  HISTOIRE    DE    FRANCE 

dans  sa  maison  avec  plus  de  pompe  que  chez  aucun 
roi  ;  la  musique  surtout  nombreuse,  excellente.  Dans 
les  occasions  publiques,  clans  les  fêtes,  il  tenait  à 
éblouir  et  jetait  l'argent.  Lorsqu'il  alla  recevoir,  à 
Lélinghen,  Isabelle  de  France,  veuve  de  Richard  II, 
qu'Henri  IV  renvoyait,  il  déploya  un  luxe  incroyable, 
inconvenant  dans  une  si  triste  circonstance;  mais  il 
voulait  sans  doute  imposer  à  ses  amis  les  Anglais. 
Au  reste,  il  ne  lui  en  coûta  rien,  il  profita  de  cette 
dépense  pour  se  donner,  au  nom  du  roi  de  France, 
une  énorme  pension  de  trente-six  mille  livres.  Il  en 
fut  de  même  au  mariage  de  son  second  fils  ;  il  donna 
à  tous  les  seigneurs  des  Pays-Bas  qui  y  assistaient, 
des  robes  de  velours  vert  et  de  satin  blanc,  et  leur 
distribua  pour  dix  mille  écus  de  pierreries  ;  il  avait 
pourvu  d'avance  à  ces  dépenses  en  se  faisant  assi- 
gner, sur  le  trésor  de  France,  une  somme  de  cent 
quarante  mille  francs. 

La  rançon  de  son  fils,  loin  de  lui  coûter,  fut  pour 
lui  une  occasion  de  lever  des  sommes  énormes.  Indé- 
pendamment de  tout  ce  qu'il  tira  de  la  Bourgogne, 
de  la  Flandre,  etc.,  il  s'assigna,  au  nom  du  roi,  quatre- 
vingt  mille  livres.  Nous  voyons  le  même  fils,  à  peine 
de  retour,  tirer  encore,  l'année  suivante,  douze  mille 
livres  de  Charles  VI1.  Cette  maison  si  riche  ne 
méprisait  pas  les  plus  petits  gains. 

Le  duc  de  Bourgogne  n'aimait  pas  à  payer.  Ses 
trésoriers  n'acquittaient  rien,  pas  même  les  dépenses 

1.  D.  Plancher. 


LE   DUC   D'ORLEANS,    LE   DUC   DE   BOURGOCNE  97 

journalières  de  sa  maison1.  Quoiqu'il  laissât  à  sa 
mort  une  masse  énorme,  inestimable,  de  meubles,  de 
joyaux,  d'objets  précieux,  il  y  avait  lieu  de  craindre 
qu'ils  ne  suffissent  point  à  payer  tant  de  créanciers. 
Plutôt  que  de  toucher  aux  immeubles,  la  veuve  se 
décida  à  renoncer  à  la  succession  des  biens  mobiliers. 

Ce  n'était  pas  chose  simple,  au  moyen  âge,  que 
cession  et  renonciation.  Le  débiteur  insolvable  faisait 
triste  figure  ;  il  devait  se  dégrader  lui-même  de  cheva- 
lerie en  s'ôtant  le  ceinturon.  Dans  certaines  villes,  il 
fallait  que,  par-devant  le  juge  et  sous  les  huées  de- 
là foule,  «  il  frappât  du  cul  sur  la  pierre2  ».  La 
cession  du  débiteur  était  honteuse.  La  renonciation 
de  la  veuve  était  odieuse  et  cruelle.  Elle  venait  déposer 
les  clefs  sur  le  corps  du  défunt,  comme  pour  lui  dire 
qu'elle  lui  rendait  sa  maison,  renonçant  à  la  commu- 
nauté, et  n'ayant  plus  rien  à  voir  avec  lui  ;  elle 
reniait  son  mariage  3.  Il  n'y  avait  guère  de  pauvre 
femme  qui  se  décidât  à  boire  une  telle  honte,  à  briser 
ainsi  son  cœur...  Elles  donnaient  plutôt  leur  dernière 
chemise. 

La  duchesse  de  Bourgogne  ne  recula  pas.  Cette 
femme  d'une   audace  virile    accomplit  bravement  la 


1.  Le  Religieux.  —  2.  App.  70. 

3.  La  renonciation  de  la  veuve  n'est  pas  en  effet  sans  analogie  avec  le 
reniement  du  mariage,  par  lequel  la  loi  de  Castille  permettait  à  la  femme 
noble  qui  avait  épousé  un  roturier  de  reprendre  sa  noblesse  à  la  mort  de  son 
mari.  Il  fallait  qu'elle  allât  à  l'église  avec  une  hallebarde  sur  l'épanje  ;  là  elle 
touchait  de  la  pointe  la  fosse  du  défunt  et  elle  lui  disait  :  «  Vilain,  garde  ta 
vilainie,  que  je  puisse  reprendre  ma  noblesse.  »  (Note  communiquée  par 
M.  Rossew-Saint-Hilaire.)  App.  71. 

T.   IV.  7 


98  HISTOIRE    DE    FRANCE 

cérémonie1.  Elle  descendait,  comme  Charles -le -Mau- 
vais, de  cette  violente  Espagnole  Jeanne  de  Navarre 
et  de  Philippe-le-Bel2.  La  petite-fille  de  Jeanne,  Mar- 
guerite, avait  fondé  avec  non  moins  de  violence  la 
maison  de  Bourgogne.  On  dit  que,  voyant  son  fils  le 
comte  de  Flandre  hésiter  à  accepter  pour  gendre  Phi- 
lippe- le -Hardi,  elle  lui  montra  sa  mamelle,  et  lui 
dit  que,  s'il  ne  consentait,  elle  trancherait  le  sein  qui 
l'avait  nourri.  Ce  mariage,  comme  nous  l'avons  vu,  mit 
tout  un  empire  dans  les  mains  de  la  maison  de  Bour- 
gogne. La  seconde  Marguerite,  petite-fille  cle  l'autre, 
femme  de  Philippe-le-Hardi,  digne  mère  de  Jean-sans- 
Peur,  aima  mieux  faire  cette  banqueroute  solennelle 
que  de  diminuer  d'un  pouce  de  terre  les  possessions 
de  sa  maison.  Elle  connaissait  son  temps,  cet  âge  de 
fer  et  de  plomb.  Ses  fils  n'y  perdirent  rien,  ils  n'en 
furent  pas  moins  honorés  ni  moins  populaires.  Une 
telle  audace  fit  peur;  on  sut  ce  qu'on  avait  à  craindre 
de  ces  princes. 

La  mort  de  Philippe-le-Hardi  semblait  laisser  le 
duc  d'Orléans  maître  du  conseil.  Il  en  profita  pour 
se  faire  donner  des  places  qui  couvraient  Paris  au 
nord,  Gouci,  Ham,  Soissons.  Avec  la  Fère,  Ghâlons, 
Château-Thierry,  Orléans  et  Dreux,  il  possédait  ainsi 
une  ceinture  de  places  autour  de  Paris.  Le  duc  de 
Bourgogne  avait  pris,  il  est  vrai,  au  Midi  le  poste 
important  d'Étampes3. 

1.  «  Et  de  ce  demanda  instrument  à  un  notaire  public,  qui  estoit  là  présent.  » 
(Monslrelet.)  App.  72.  —  2.  Voy.  tome  III. 
3.  Il  se  l'était  fait  céder  en  1400  par  le  duc  de  Berri. 


LE  DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE  BOURGOGNE  <J9 

Le  duc  d'Orléans  obtint  de  son  pape  une  défense  au 
nouveau  duc  de  Bourgogne  de  se  mêler  des  affaires  du 
royaume1.  Pour  que  cette  défense  signifiât  quelque 
chose,  il  fallait  être  le  plus  fort.  Il  ne  put  empêcher 
Jean-sans-Peur  d'entrer  au  conseil ,  et  non  seulement 
lui,  mais  trois  autres  qui  n'étaient  qu'un  avec  lui,  ses 
frères,  les  ducs  de  Limbourg  et  de  Nevers,  et  son 
cousin  le  duc  de  Bretagne.  Jean-sans-Peur,  suivant  la 
politique  de  son  père ,  commença  par  se  déclarer 
contre  la  taille  que  faisait  ordonner  le  duc  d'Orléans 
pour  la  continuation  de  la  guerre ,  déclarant  qu'il 
empêcherait  ses  sujets  de  la  payer.  Paris,  encouragé, 
n'avait  pas  envie  de  payer  non  plus.  En  vain,  les 
crieurs  qui  proclamaient  la  taxe  annonçaient  en 
même  temps  que  celle  de  l'année  dernière  avait  été 
bien  employée,  qu'on  avait  repris  plusieurs  places 
du  Limousin.  Le  peuple  de  Paris  ne  se  souciait  du 
Limousin  ni  du  royaume;  il  ne  paya  point.  Les  pri- 
sons se  remplirent,  les  places  se  couvrirent  de  meu- 
bles à  l'encan.  L'exaspération  était  telle  qu'il  fallut 
défendre,  à  son  de  trompe,  de  porter  ni  épée  ni  cou- 
teau 2. 

Tout  porte  à  croire  que  les  impôts  n'étaient  pas 
excessifs,  quoi  qu'en  disent  les  contemporains.  La 
France  était  redevenue  riche  par  la  paix;  la  main- 
d'œuvre  était  à  haut  prix  dans  les  villes.  Le  fisc 
levait  plus  facilement  six  francs  par  feu  qu'il  n'aurait 
levé   un  franc  cinquante  ans  auparavant3.  Mais  cet 

1.  Meyer.  —  2.  Le  Religieux.  —  3.  App.  73. 


•  10  HISTOIRE    DE    FRANCE 

urgent  était  levé  avec  une  violence,  une  précipitation, 
une  inégalité  capricieuses,  plus  funestes  que  l'impôt 
même. 

Que  le  peuple  eût  ou  n'eût  pas  d'argent,  il  n'en 
voulait  pas  donner.  On  lui  disait  que  la  reine  faisait 
passer  en  Allemagne  tout  ce  que  le  duc  d'Orléans  ne 
gaspillait  pas.  On  avait,  disait-on,  arrêté  à  Metz  six 
charges  d'or  que  la  Bavaroise  envoyait  chez  elle1.  Les 
esprits  les  plus  sages  accueillaient  ces  bruits  ;  le  grave 
historien  du  temps  croit  que  la  taxe  précédente  avait 
fourni  la  somme  monstrueuse  de  huit  cent  mille  écus 
d'or2,  et  que  le  duc  et  la  reine  avaient  tout  mangé. 
Pour  juger  ces  assertions,  pour  apprécier  l'ignorance 
et  la  malveillance  avec  laquelle  on  raisonnait  des 
ressources  du  royaume,  il  faut  voir  le  beau  plan  que 
le  parti  du  duc  de  Bourgogne  proposait  pour  la 
réforme  des  finances.  «  Il  y  a,  disait-on,  dans  le 
royaume  dix-sept  cent  mille  villes,  bourgs  et  villages; 
ôtons-en  sept  cent  mille  qui  sont  ruinés;  qu'on  impose 
les  autres  à  vingt  écus  seulement  par  an,  cela  fera 
vingt  millions  d'écus  ;  en  payant  bien  les  troupes,  la 
maison  du  roi,  les  collecteurs  et  receveurs,  en  réser- 
vant même  quelque  chose  pour  réparer  les  forte- 
resses, il  restera  trois  millions  dans  les  coffres  du 
roi3.  »  Ce  calcul  de  dix-sept  cent  mille  clochers  est 
justement  celui  sur  lequel  s'appuie  le  facétieux  rec- 
teur de  la  Satire  Ménippée. 

Rien  ne  servit  mieux  le  parti  bourguignon  que  le 

1,  App.lï.  —  2.  App.  75.  —  3.  Le  Religieux. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE  101 

sermon  d'un  moine  augustin  contre  la  reine  et  le  duc. 
La  reine  pourtant  était  présente.  Le  saint  homme  ne 
parla  qu'avec  plus  de  violence,  et  probablement  sans 
bien  savoir  qui  il  servait  par  cette  violence.  Il  n'y 
a  pas  de  meilleur  instrument  pour  les  factions  que 
ces  fanatiques  qui  frappent  en  conscience.  Dans  sa 
harangue,  il  attaquait  pêle-mêle  les  prodigalités  de  la 
cour,  les  abus,  les  nouveautés  en  général,  la  danse, 
les  modes,  les  franges,  les  grandes  manches1.  Il  dit, 
en  face  de  la  reine,  que  sa  cour  était  le  domicile  de 
dame  Vénus,  etc.2. 

On  en  parla  au  roi,  qui,  loin  de  se  fâcher,  voulut  aussi 
l'entendre.  Devant  le  roi,  il  en  dit  encore  plus  :  que 
les  tailles  n'avaient  servi  à  rien  ;  que  le  roi  même  était 
vêtu  du  sang  et  des  larmes  du  peuple;  que  le  duc 
(il  ne  le  désignait  pas  autrement)  était  maudit,  et  que, 
sans  doute,  Dieu  ferait  passer  le  royaume  dans  une 
main  étrangère 3. 

Le  duc  d'Orléans,  si  violemment  attaqué,  n'essayait 
point  de  regagner  les  esprits.  On  l'accusait  de  prodi- 
galité; il  n'en  fut  que  plus  prodigue;  il  y  avait  trop 
peu  d'argent  pour  la  guerre,  il  y  en  avait  assez  pour 
les  fêtes,  les  amusements.  Éloigné  si  longtemps  du 
gouvernement  par  ses  oncles,  sous  prétexte  de  jeunesse, 
il  restait  jeune  en  effet;  il  avait  passé  la  trentaine,  et 


1.  «    Loricatis,   fimbriatis    et  manicatis  vestibus.   »  (Religieux.) 

2.  «  Domina  Venus.  »  (Idem.)  —  Cet  Augustin,  qui  prêcha  contre  le  duc 
d'Orléans,  lui  avait  dédié  un  livre  qui,  peut-être,  n'avait  pas  été  assez 
payé. 

3.  «  Te  induere  de  substantia,  lacrimis  et  geniitibus  miserrimae  plebis.  ) 
(Idem.) 


102  HISTOIRE    DE    FRANCE 

n'en  était  que  plus  ardent  dans  ses  folles  passions. 
A  cet  âge  d'action,  l'homme  que  les  circonstances 
empêchent  d'agir,  se  retourne  avec  violence  vers  la 
jeunesse  qui  s'en  va,  vers  les  caprices  d'un  autre  âge; 
mais  il  y  porte  une  fantaisie  tout  autrement  difficile, 
insatiable;  tout  y  passe,  rien  n'y  suffit;  le  plaisir 
d'abord,  mais  c'est  bientôt  fini;  puis,  dans  le  plaisir, 
l'aigre  saveur  du  péché  secret  ;  puis  le  secret 
dédaigné,  les  jouissances  insolentes  du  bruit,  du 
scandale. 

La  petite  reine  de  Charles  VI  n'était  pas  ce  qu'il  lui 
fallait;  il  n'aimait  que  les  grandes  dames,  c'est-à- 
dire  les  aventures,  les  enlèvements,  les  folles  tra- 
gédies de  l'amour.  Il  prit  ainsi  chez  lui  la  dame  de 
Canny,  et  il  la  garda,  au  vu  et  au  su  de  tout  le 
monde,  jusqu'à  ce  qu'il  en  eut  un  fils.  Ce  fut  le 
fameux  Dunois. 

Fut-il  l'amant  des  deux  Bavaroises,  de  Marguerite, 
femme  de  Jean -sans -Peur,  et  de  la  reine  Isabeau, 
propre  femme  de  son  frère,  la  chose  n'est  pas  impro- 
bable. Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'il  semblait  fort  uni 
avec  îsabeau  au  conseil  et  dans  les  affaires  ;  une  si 
étroite  alliance  d'un  jeune  homme  trop  galant  avec 
une  jeune  femme  qui  se  trouvait  comme  veuve 
du  vivant  de  son  mari ,  n'était  rien  moins  qu'édi- 
fiante. 

Maître  de  la  reine,  il  semblait  vouloir  l'être  du 
royaume.  Il  profita  d'une  rechute  de  son  frère  pour 
se  faire  donner  par  lui  le  gouvernement  de  la  Nor- 
mandie. Cette  province,  la  plus  riche  de  toutes,  avait 


LE   DUC   D'ORLEANS,   LE   DUC   DE   BOURG OONE         103 

été  convoitée  par  le  feu  duc  de  Bourgogne.  Le  duc 
d'Orléans,  qui  ne  pouvait  plus  tirer  d'argent  de  Paris, 
eût  trouvé  là  d'autres  ressources.  C'était  aussi  des 
ports  de  Normandie  qu'il  eût  pu  le  mieux  diriger 
contre  l'Angleterre,  les  capitaines  de  son  parti.  L'ex- 
pédition du  comte  de  La  Marche,  préparée  à  Brest, 
n'avait  abouti  à  rien;  elle  eût  peut-être  réussi  en 
partant  cl'Honfleur  ou  de  Dieppe.  Les  Normands, 
sans  doute  encouragés  sous  main  par  le  parti  de 
Bourgogne,  reçurent  fort  mal  leur  nouveau  gouver- 
neur; il  essaya  en  vain  de  désarmer  Rouen1.  Il  y 
avait  une  grande  imprudence  à  irriter  ainsi  cette  puis- 
sante commune.  Les  capitaines  clés  villes  et  forte- 
resses gardèrent  leurs  places,  contre  lui,  jusqu'à 
nouvel  ordre  du  roi. 

Cette  tentative  du  duc  d'Orléans  sur  la  Normandie 
excita  de  grandes  défiances  contre  lui  dans  l'esprit  de 
Charles  VI,  lorsqu'il  eut  une  lueur  de  bon  sens.  On 
s'adressa  aussi  à  son  orgueil.  On  lui  apprit  dans  quel 
honteux  abandon  sa  femme  et  son  frère  le  laissaient2; 
on  lui  dit  que  ses  serviteurs  n'étaient  plus  payés,  que 


1.  Ceux  de  Rouen  répondirent  avec  dérision  :  «  Nous  porterons  nos 
armes  au  château,  c'est-à-dire  que  nous  irons  armés,  armés  aussi  nous 
reviendrons.  » 

2.  «  Cestoit  grande  pitié  de  la  maladie  du  roy,  laquelle  luy  tenoit  longue- 
ment. Et  quand  il  mangeoit,  c'estoit  bien  gloutement  et  louvissement.  Et  ne  le 
pouvoit-on  faire  despoiiiller,  el  estoit  tout  plein  de  poux,  vermine  et  ordure. 
Et  avoit  un  petit  lopin  de  fer,  lequel  il  mit  secrettement  au  plus  près  de  sa  chair. 
De  laquelle  chose  on  ne  sçavoit  rien,  et  luy  avoit  tout  pourry  la  pauvre  chair,  et 
n'y  avoit  personne  qui  ozast  approcher  de  luy  pour  y  remédier.  Toutefois  il 
avoit  un  physicien  qui  dit  qu'il  estoit  nécessité  d'y  remédier,  ou  qu'il  estoit  en 
danger,  et  que  de  la  garison  de  la  maladie  il  n'y  avoit  remède,  comme  il  luy 
sembloit.  Et  advisa  qu'on  ordonnast  quelque  dix  ou  douze  compagnons  des- 


104  HISTOIRE    DE    FRANCE 

ses  enfants  étaient  négligés,  qu'il  n'y  avait  plus  moyen 
de  faire  face  aux  dépenses  de  sa  maison.  11  demanda 
au  dauphin  ce  qui  en  était,  l'enfant  dit  oui,  et  que 
depuis  trois  mois  la  reine  le  caressait  et  le  baisait  pour 
qu'il  ne  dît  rien1. 

On  obtint  ainsi  de  Charles  VI  qu'il  appelât  le  duc 
de  Bourgogne;  celui-ci,  sous  prétexte  de  faire  hom- 
mage de  la  Flandre,  vint  avec  un  cortège  qui  était 
plutôt  une  armée.  Il  amenait  avec  lui  la  foule  de  ses 
vassaux  et  six  mille  hommes  d'armes.  La  reine  et  le 
duc  d'Orléans  se  sauvèrent  à  Melun.  Les  enfants  de 
France  devaient  les  suivre  le  lendemain  ;  mais  le  duc 
de  Bourgogne  arriva  à  temps  pour  les  arrêter2. 

Il  avait  besoin  du  jeune  dauphin3.  En  l'absence  du 
roi,  il  lui  fît  présider  un  conseil,  composé  des  princes, 
des  conseillers  ordinaires,  où,  de  plus,  on  avait  appelé, 
chose  nouvelle,  le  recteur  et  force  docteurs  de  l'Uni- 
versité \  Là,  maître  Jean  de  Nyelle,  un  docteur  de 
l'Artois,  serviteur  du  duc  de  Bourgogne,  prononça  une 
longue  harangue  sur  les  abus  dont  son  maître  deman- 


guisez,  qui  fussent  noircis,  et  aucunement  garnis  dessous,  pour  doute  qu'il 
ne  les  blessast.  Et  ainsi  fut  fait,  et  entrèrent  les  compagnons,  qui  estoient 
bien  terribles  à  voir,  en  sa  chambre.  Quand  il  les  vid,  il  fut  bien  esbahi,  et 
vinrent  de  faict  à  luy  :  et  avoit-on  fait  faire  tous  habillements  nouveaux, 
chemise,  gippon,  robbe,  chausses,  bottes,  qu'un  portoit.  Ils  le  prirent,  luy 
cependant  disoit  plusieurs  paroles,  puis  le  dépouillèrent,  et  luy  vestirent 
lesdites  choses  qu'ils  avoient  apportées.  C'estoit  grande  pitié  de  le  voir,  car 
son  corps  estoit  tout  mangé  de  poux  et  d'ordure.  Et  si  trouvèrent  ladite  pièce 
de  fer  :  toutes  les  fois  qu'on  le  vouloit  nettoyer,  falloit  que  ce  fust  par  ladite 
manière.  »  (Juvénal  des  Ursins.) 

1.  Il  témoigna  beaucoup  de  reconnaissance  à  une  dame  qui  avait  soin  du 
dauphin  et  suppléait  à  la  négligence  de  sa  mère.  Il  lui  donna  le  gobelet  d'or 
dans  lequel  il  venait  de  boire.  (Religieux.)  —  2.  App.  76. 

3.  11  logea  avec  le  dauphin  pour  être  plus  sûr  de  lui.  —  i.  Le  Religieux. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE  BOURGOGNE         105 

clait  la  réforme.  Il  termina  en  accusant  le  duc  d'Or- 
léans de  négliger  la  guerre  des  Anglais,  montrant 
comment  cette  guerre  était  juste,  prétendant  qu'avec 
les  subsides  annuels,  les  tailles  générales  et  l'emprunt 
fait  récemment  aux  riches  et  aux  prélats,  on  pouvait 
bien  la  soutenir. 

On  ne  peut  que  s'étonner  d'un  tel  discours,  lors- 
qu'on voit  qu'alors  même  le  duc  de  Bourgogne, 
comme  comte  de  Flandre,  venait  de  traiter  avec  les 
Anglais,  et  que,  de  plus,  il  avait  donné  l'exemple  de 
ne  rien  payer  pour  la  guerre.  Le  parti  d'Orléans,  à  ce 
moment  même,  reprenait  dix-huit  petites  places,  puis 
soixante  dans  la  Guyenne.  Le  comte  d'Armagnac  leur 
offrait  la  bataille  sous  les  murs  de  Bordeaux  l.  Le  sire 
de  Savoisy  fît  une  course  heureuse  contre  les  Anglais. 
Des  secours  furent  envoyés  aux  Gallois.  Les  chefs  de 
ces  expéditions,  Albret,  Armagnac,  Savoisy,  Rieux, 
Duchâtel,  étaient  tous  du  parti  d'Orléans. 

L'exaspération  de  Paris  contre  les  taxes,  la  jalousie 
des  princes  contre  le  duc  d'Orléans,  rendirent  un 
moment  Jean-sans-Peur  maître  de  tout.  Le  roi  de 
Navarre,  le  roi  de  Sicile,  le  duc  de  Berri,  déclarèrent 
que  tout  ce  que  le  duc  de  Bourgogne  avait  fait  était 
bien  fait.  Le  clergé  et  l'Université  prêchèrent  en  ce 
sens.  Puis,  les  princes  allèrent  un  à  un  à  Melun  prier 
le  duc  d'Orléans  de  ne  plus  assembler  de  troupes,  et 
de  laisser  la  reine  revenir  dans  sa  bonne  ville.  Le 
vieux  duc  de  Berri  s'emporta  jusqu'à  dire  à  son  neveu 

1.  App.  77. 


106  HISTOIRE   DE   FRANCE 

qu'il  n'y  avait  aucun  des  princes  qui  ne  le  tînt  pour 
ennemi  public  ;  à  quoi  le  duc  d'Orléans  répliqua  seu- 
lement :  «  Qui  a  bon  droit,  le  garde  *  !  » 

Il  répondit  aussi  à  l'ambassade  de  l'Université,  au 
recteur,  aux  docteurs,  qui  venaient  le  sermonner  sur 
les  biens  de  la  paix.  Il  les  harangua  à  son  tour  en 
langue  vulgaire,  mais  dans  leur  style,  opposant  syllo- 
gisme à  syllogisme,  citation  à  citation.  Il  concluait  par 
les  paroles  suivantes,  auxquelles  il  n'y  avait,  ce  semble, 
rien  à  répondre  :  «  L'Université  ne  sait  pas  que  le  roi 
étant  malade  et  le  dauphin  mineur,  c'est  au  frère  du 
roi  qu'il  appartient  de  gouverner  le  royaume.  Et  com- 
ment le  saurait-elle?  L'Université  n'est  pas  française; 
c'est  un  mélange  d'hommes  de  toute  nation2;  ces 
étrangers  n'ont  rien  à  voir  dans  nos  affaires...  Doc- 
teurs, retournez  à  vos  écoles.  Chacun  son  métier.  Vous 
n'appelleriez  pas  apparemment  des  gens  d'armes  à 
opiner  sur  la  foi 3.  »  Et  il  ajouta  d'un  ton  plus  léger  : 
«  Qui  vous  a  chargés  de  négocier  la  paix  entre  moi  et 
mon  cousin  de  Bourgogne  ?  Il  n'y  a  entre  nous  ni  haine 
ni  discorde4.  » 

Le  duc  de  Bourgogne  comptait  sur  Paris.  Il  avait 
achevé  de  gagner  les  Parisiens  par  la  bonne  discipline 
de  ses  troupes,  qui  ne  prenaient  rien  sans  payer.  Les 

1.  «  Sur  les  pennonceaux  de  leurs  lances  les  Bourguignons  portaient  :  ich 
houd,  je  tiens,  à  rencontre  des  Orléanois,  qui  avoient  :  je  l'envie  ». 
(Monstrelet.)  —  2.  Bulaeus. 

3.  «  In  casu  fidei  ad  consilium  milites  non  evocarctis.  »  (Religieux.) 

4.  Monstrelet  prétend  que  le  duc  d'Orléans  avait  pris  l'Université  pour  juge 
et  arbitre.  —  Ce  qui  est  plus  sûr,  c'est  qu'il  s'adressa  au  parlement  :  «  Si 
requeroit  la  cour  qu'elle  ne  souffrist  ledict  dauphin  estre  transporté...  m 
(Archives,  Reg.  du  Parlera.  Cons.,  vol.  XII,  f°  222.) 


LE  DUC  D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   ROURGOGNE  107 

bourgeois  avaient  été  autorisés  à  se  mettre  en  défense, 
à  refaire  les  chaînes  de  fer  qui  barraient  les  rues  ;  on 
en  forgea  plus  de  six  cents  en  huit  jours.  Mais  quand 
il  voulut  mener  plus  loin  les  Parisiens,  et  les  décider 
à  le  suivre  contre  le  duc  d'Orléans,  ils  refusèrent  nette- 
ment. Ce  refus  rendit  la  réconciliation  plus  facile.  Les 
princes  consentirent  à  un  rapprochement.  Les  deux 
partis  avaient  à  craindre  la  disette.  Le  duc  d'Orléans 
rentra  dans  Paris,  toucha  dans  la  main  du  duc  de  Bour- 
gogne1, et  consentit  aux  réformes  qu'il  avait  propo- 
sées. Quelques  suppressions  d'officiers,  quelques 
réductions  de  gages,  ce  fut  toute  la  réforme.  Mais  la 
discorde  restait  la  même  entre  les  princes.  Le  duc 
d'Orléans,  doux  et  insinuant,  avait  trouvé  moyen  de 
regagner  son  oncle  de  Berri  et  presque  tout  le  con- 
seil ;  il  reprenait  peu  à  peu  le  pouvoir.  On  essaya  bien- 
tôt d'un  nouvel  accord  aussi  inutile  que  le  premier. 

Il  n'y  avait  qu'une  chance  de  paix  ;  c'était  le  cas  où 
les  Anglais,  par  leurs  pirateries,  par  leurs  ravages 
autour  de  Calais,  décideraient  le  duc  de  Bourgogne, 
comte  de  Flandre,  à  agir  sérieusement  contre  eux,  et 
à  s'arranger  avec  le  duc  d'Orléans.  On  put  croire  un 
moment  que  les  ennemis  de  la  France  lui  rendraient 
ce  service.  En  1405,  les  Anglais,  voyant  que  Philippe- 
le-Hardi  était  mort,  crurent  avoir  meilleur  marché  de 
la  veuve  et  du  jeune  duc;  ils  tentèrent  de  s'emparer 
du  port  de  l'Écluse.  Et  ceci  ne  fut  pas  une  tentative 
individuelle,  un  coup  de  piraterie,  mais  bien  une  expé- 

1.  Si  l'on  en  croyait  la  chronique  suivie  par  M.  de  Rarante,  ils  auraient 
couché  dans  le  même  lit. 


108  HISTOIRE    DE    FRANCE 

dition  autorisée,  par  une  flotte  royale,  et  sous  la  con- 
duite du  duc  de  Clarence,  le  propre  fils  d'Henri  IV. 
C'était  justement  le  moment  où  le  nouveau  comte  de 
Flandre  venait  de  renouveler  les  trêves  marchandes 
avec  les  Anglais  \ 

Yoilà  les  princes  d'accord  pour  agir  contre  l'ennemi. 
Le  duc  de  Bourgogne  se  charge  d'assiéger  Calais,  tan- 
dis que  le  duc  d'Orléans  fera  la  guerre  en  Guyenne. 
Calais  et  Bordeaux  étaient  bien  les  deux  points  à  atta- 
quer, mais  ce  n'était  pas  trop  des  forces  réunies  du 
royaume  pour  une  seule  des  deux  entreprises;  les 
tenter  toutes  deux  à  la  fois,  c'était  tout  manquer. 

Calais  ne  pouvait  guère  se  prendre  que  l'hiver  et  par 
un  coup  de  main  ;  c'est  ce  que  vit  plus  tard  le  grand 
Guise 2.  Le  duc  de  Bourgogne  avertit  longuement  l'en- 
nemi par  d'interminables  préparatifs;  il  rassembla  des 
troupes  considérables,  des  munitions  infinies,  douze 
cents  canons 3,  petits  il  est  vrai.  Il  prit  le  temps  de 
bâtir  une  ville  de  bois  pour  enfermer  la  ville.  Pendant 
qu'il  travaille  et  charpente,  les  Anglais  ravitaillent 
la  place,  l'arment,  la  rendent  imprenable. 

Le  duc  d'Orléans  ne  réussit  pas  mieux.  Il  commença 
la  campagne  trop  tard,  comme  à  l'ordinaire,  se  met- 
tant en  route  lorsqu'il  eût  fallu  revenir.  On  lui  disait 
bien  pourtant  qu'il  ne  trouverait  plus  rien  dans  la 
campagne,  ni  vivres  ni  fourrages,  que  l'hiver  appro- 
chait; il  répondait  avec  légèreté  que  la  gloire  en  serait 
plus  grande  d'avoir  à  vaincre  l'Anglais  et  l'hiver. 

1.  App.  78.  —  2.  L'hiver,  au  contraire,  découragea  le  duc  de  Bour- 
gogne. (Juvénal  des  Ursins.)  —  3.  App.  79. 


LE   DUC   D'ORLEANS,    LE   DUC   DE   BOURGOGNE         109 

Les  Gascons  qui  l'avaient  appelé,  se  ravisèrent  et 
ne  l'aidèrent  point1.  N'ayant  qu'une  petite  armée  de 
cinq  mille  hommes,  il  ne  pouvait  se  hasarder  d'atta- 
quer Bordeaux  ;  il  aurait  voulu  du  moins  en  saisir  les 
approches;  il  tâta  Blaye,  puis  Bourg.  Le  siège  traîna 
dans  la  mauvaise  saison  ;  les  vivres  manquèrent,  une 
flotte  qui  en  apportait  de  La  Rochelle  fut  prise  en  mer 
parles  Anglais.  Les  troupes  affamées  se  débandèrent. 
Le  duc  d'Orléans  s'obstinait  à  ce  malheureux  siège, 
sans  espoir,  mais  s'étourdissant,  jouant  la  solde  des 
troupes,  n'osant  revenir. 

Il  savait  bien  ce  qui  l'attendait  à  Paris.  Le  duc  de 
Bourgogne  y  était  déjà,  il  ameutait  le  peuple  contre 
lui,  le  désignait  comme  l'ami  des  Anglais,  l'accusait 
d'avoir  détourné  pour  sa  belle  expédition  de  Guyenne 
l'argent  avec  lequel  on  eût  pris  Calais2.  Paris  était  fort 
ému,  l'Université,  le  clergé  même.  Le  duc  d'Orléans 
avait  récemment  irrité  l'évèque  et  l'Église  de  Paris  ;  à 
son  départ  pour  la  Guyenne,  il  avait  été  à  Saint-Denis 
baiser  les  os  du  patron  de  la  France;  ceux  de  Paris 
qui  prétendaient  avoir  les  vraies  reliques  du  saint,  ne 
pardonnèrent  pas  au  duc  de  décider  ainsi  contre  eux. 

Peu  à  peu,  Paris  devenait  unanime  contre  le  duc 
d'Orléans.  Les  gens  de  l'Université  de  Paris  couvaient 
contre  lui  une  haine  profonde,  haine  de  docteurs, 
haine  de  prêtres.  D'abord,  il  était  l'ami  du  pape  leur 
ennemi,  il  faisait  donner  les  bénéfices  à  d'autres 
qu'aux  universitaires,  il  les  affamait.  Autre  crime  :  à 

1.  App.  80.—  2.  App.  81. 


110  HISTOIRE    DE    FRANCE 

l'Université  de  Paris  il  opposait  les  universités  d'Or- 
léans, d'Angers,  de  Montpellier  et  de  Toulouse,  toutes 
favorables  au  pape  d'Avignon1.  Il  soutenait,  comme 
on  l'a  vu,  que  l'Université  de  Paris  n'était  pas  française, 
que,  composée  en  grande  partie  d'étrangers,  elle  ne 
pouvait  s'immiscer  dans  les  affaires  du  royaume. 
C'étaient  là  de  terribles  griefs  auprès  de  nos  docteurs. 
Peut-être  cependant  lui  auraient-ils  à  la  rigueur  par- 
donné tout  cela;  mais,  ce  qui  était  bien  autrement 
grave  pour  des  lettrés,  décidément  irrémissible  et 
inexpiable,  il  se  moquait  d'eux. 

Déjà  surannée,  pour  la  science  et  l'enseignement, 
l'Université  de  Paris  avait  atteint  l'apogée  de  sa  puis- 
sance. Elle  était  devenue,  pour  ainsi  dire,  l'autorité. 
Depuis  plus  d'un  siècle,  cette  vieille  aînée  des  rois 
avait  parlé  haut  dans  la  maison  de  son  père,  fille  équi- 
voque2 en  soutane  de  prêtre,  et,  comme  les  vieilles 
filles,  aigre  et  colérique.  Le  roi  aussi  l'avait  gâtée, 
ayant  besoin  d'elle  contre  les  Templiers,  contre  les 
papes.  Dans  le  grand  schisme,  elle  se  chargea  de  choi- 
sir pour  la  chrétienté,  et  choisit  Clément  VII;  puis 
elle  humilia  son  pape. 

C'était  pour  le  roi  un  instrument  peu  sûr,  et  qui 
souvent  le  blessait  lui-même.  Au  moindre  méconten- 
tement l'Université  venait  lui  déclarer  que  la  Fille  des 
rois,  lésée  dans  ses  privilèges,  irait,  brebis  errante3, 
chercher  un  autre  asile.  Elle  fermait  ses  classes,  les 


1.  Rulaeus.  —  2.  On  a  débattu  pendant  cinq  cents  ans  cette  question  inso- 
luble si  l'Université  était  un  corps  ecclésiastique  ou  laïque. 
3.  ».  Quasi  ovem  errabundam.  »  (Religieux.) 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC    DE   BOURGOGNE  111 

écoliers  se  dispersaient,  au  grand  dommage  de  Paris. 
Alors  on  se  hâtait  de  courir  après  eux,  de  finir  la 
secessio,  de  rappeler  la  gens  togata  du  mont  Aventin. 

L'Université  ne  s'en  tint  pas  à  ces  moyens  négatifs. 
Bientôt,  associée  au  petit  peuple,  elle  donna  ses 
ordres  à  l'hôtel  Saint-Paul,  et  traita  le  roi  presque 
aussi  mal  qu'elle  avait  traité  le  pape.  Dans  cette 
éclipse  misérable  de  la  papauté,  de  l'empire,  de  la 
royauté,  l'Université  de  Paris  trônait,  férule  en  main, 
et  se  croyait  reine  du  monde. 

Et  il  y  avait  bien  quelque  raison  dans  cette  absur- 
dité. Avant  l'imprimerie,  avant  la  domination  de  la 
presse,  sous  laquelle  nous  vivons,  toute  publicité  était 
dans  l'enseignement  oral,  que  dispensaient  les  uni- 
versités ;  or,  la  première  et  la  plus  influente  de  toutes 
était  celle  de  Paris. 

Puissance  immense,  à  peu  près  sans  contrôle.  Et 
dans  quelles  mains  se  trouvait-elle?  Aux  mains  d'un 
peuple  de  docteurs,  aigris  par  la  misère,  en  qui  d'ail- 
leurs la  haine,  l'envie,  les  mauvaises  passions  avaient 
été  soigneusement  cultivées  par  une  éducation  de 
polémique  et  de  dispute.  Ces  gens  arrivaient  à  la  puis- 
sance, ils  devaient  montrer  bientôt  combien  l'éristique 
sèche  et  durcit  la  fibre  morale,  comment,  portée  du 
raisonnement  dans  la  réalité,  elle  continue  d'abs- 
traire, abstrait  la  vie  et  raisonne  le  meurtre,  comme 
toute  autre  négation. 

De  bonne  heure,  l'Université  avait  commencé  la 
guerre  contre  le  duc  d'Orléans.  Dès  1402,  elle  déclara 
les  ennemis  de  la  soustraction  d'obédience,  les  amis 


112  HISTOIRE    DE    FRANCE 

du  pape,  pécheurs  et  fauteurs  du  schisme.  Le  prince 
si  clairement  désigné  demanda  réparation  ;  mais  le 
même  soir,  l'un  des  plus  célèbres  docteurs  et  prédica- 
teurs, Gourtecuisse,  renouvela  l'invective. 

Deux  ans  après,  l'Université  saisit  une  occasion  de 
frapper  un  des  principaux  serviteurs  du  duc  d'Orléans 
et  de  la  reine,  le  sire  de  Savoisy.  Ce  seigneur,  qui 
avait  fait  des  expéditions  heureuses  contre  les  Anglais, 
avait  autour  de  lui  une  maison  toute  militaire,  des 
serviteurs  insolents,  des  pages  fort  mal  disciplinés;  un 
de  ceux-ci  donna  des  éperons  à  son  cheval  tout  au 
travers  d'une  procession  de  l'Université;  les  écoliers 
le  souffletèrent,  les  gens  de  Savoisy  prirent  parti, 
poursuivirent  les  écoliers,  qui  se  jetèrent  dans  Sainte- 
Catherine  ;  des  portes,  ils  tirèrent  au  hasard  dans 
l'église,  au  grand  effroi  du  prêtre  qui  disait  la  messe 
en  ce  moment.  Plusieurs  écoliers  furent  blessés. 
Savoisy  eut  beau  demander  pardon  à  l'Université,  et 
offrir  de  livrer  les  coupables  \  Il  fallut  qu'il  perpétuât 
le  souvenir  de  son  humiliation,  en  fondant  une  cha- 
pelle de  cent  livres  de  rentes  ;  que  son  propre  hôtel, 
l'un  des  plus  beaux  d'alors,  fût  démoli  de  fond  en 
comble.  Les  peintures  admirables  dont  il  était  décoré, 
ne  purent  toucher  les  scolastiques2.  La  démolition  se 
fit  à  grand  bruit,  au  son  des  trompettes  qui  procla- 
maient la  victoire  de  l'Université  3. 


1.  Il  déclara  même  qu'il  était  prêt  à  pendre  le  coupable  de  sa  propre  main. 
(Religieux.) 

2.  Le  roi  ne  put  sauver  qu'une  galerie  peinte  à  fresque,  qui  était  bâtie  sur 
les  murs  de  la  ville,  et  on  lui  en  fit  payer  la  valeur. 

3.  «  Cum  lituis  et  instruments  musicis.  »  (Religieux.) 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE  113 

Elle  avait  suspendu  ses  leçons,  et  défendu  les  prédi- 
cations, jusqu'à  ce  qu'elle  eût  obtenu  cette  réparation 
éclatante.  Elle  usa  du  même  moyen  lorsque  Benoît  XIII 
s'étant  échappé  d'Avignon,  le  duc  d'Orléans  fit  révo- 
quer par  le  roi  la  soustraction  d'obédience,  et  que  le 
pape  ordonna  la  levée  d'une  décime  sur  le  clergé,  dont 
le  duc  aurait  profité  sans  doute.  Un  concile  assemblé 
à  Paris  n'osait  rien  décider.  L'Université,  par  l'organe 
d'un  de  ses  docteurs,  Jean  Petit,  éclata  avec  violence 
contre  le  pape,  contre  les  fauteurs  du  pape,  contre 
l'université  de  Toulouse  qui  le  soutenait;  celle  de 
Paris  exigea  du  roi  un  ordre  au  Parlement  de  faire 
brûler  la  lettre  qu'avaient  écrite  ceux  de  Toulouse  à 
cette  occasion.  La  terreur  était  si  grande  que  le  même 
Savoisy,  récemment  maltraité  par  l'Université,  se 
chargea  de  porter  au  Parlement  l'ordre  du  roi.  Cet 
homme,  intrépide  devant  les  Anglais,  rampait  devant 
la  puissance  populaire,  dont  il  avait  vu  de  si  près  la 
force  et  la  rage. 

On  peut  juger  de  l'insolence  des  écoliers  après  de 
telles  victoires,  ils  se  croyaient  décidément  les  maî- 
tres sur  le  pavé  de  Paris.  Deux  d'entre  eux,  un  Breton 
et  un  Normand,  firent  je  ne  sais  quel  vol.  Le  prévôt, 
messire  de  Tignonville,  ami  du  duc  d'Orléans,  jugeant 
bien  que,  s'il  les  renvoyait  à  leurs  juges  ecclésiasti- 
ques, ils  se  trouveraient  les  plus  innocentes  personnes 
du  monde,  les  traita  comme  déchus  du  privilège  de 
cléricature,  les  mit  à  la  torture,  les  fit  avouer,  puis  les 
envoya  au  gibet.  Là-dessus,  grande  clameur  de  l'Uni- 
versité et  des  clercs  en  général. 

T.   IV.  8 


114  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Les  princes,  ne  pouvant  abandonner  le  prévôt, 
répondaient  aux  universitaires  qu'ils  pouvaient  aller 
dépendre  et  inhumer  les  corps,  et  qu'il  n'en  fût  plus' 
parlé.  Mais  ce  n'était  pas  leur  compte;  ils  voulaient 
que  le  prévôt  fondât  deux  chapelles,  qu'il  fût  déclaré 
inhabile  à  tout  emploi,  qu'il  allât  dépendre  lui-même 
les  deux  clercs  et  les  inhumât  de  ses  mains,  après  les 
avoir  baisés,  ces  cadavres  déjà  pourris  et  infects,  à  la 
bouche  *. 

Tout  le  clergé  soutint  l'Université.  Non  seulement 
les  classes  furent  fermées,  mais  les  prédications  sus- 
pendues, et  cela  dans  le  saint  temps  de  Noël,  pendant 
tout  l'Avent,  tout  le  carême,  à  la  fête  même  de  Pâques. 
Déjà,  l'année  précédente,  les  prédications  et  l'ensei- 
gnement avaient  été  suspendus  aux  mêmes  époques, 
pour  ne  pas  payer  la  décime.  Ainsi  le  clergé  se  ven- 
geait aux  dépens  des  âmes  qui  lui  étaient  confiées,  il 
refusait  au  peuple  le  pain  de  la  parole,  dans  le  temps 
des  plus  saintes  fêtes,  parmi  les  misères  de  l'hiver, 
lorsque  les  âmes  ont  tant  besoin  d'être  soutenues.  La 
foule  allait  aux  églises,  et  n'y  trouvait  plus  de  consola- 
tion2. L'hiver,  le  printemps,  passèrent  ainsi  silen- 
cieux et  funèbres. 

Le  duc  d'Orléans  avait  beaucoup  à  craindre;  le 
peuple  s'en  prenait  de  tout  à  lui.  Son  parti  s'affaiblis- 
sait. Il  reçut  un  nouveau  coup  par  la  mort  de  son  ami 


1.  «  Post  oris  osculum.  (Religieux.) 

2.  En  récompense,  les  ménétriers  semblent  s'être  multipliés.  Leur  corpora- 
tion devient  importante.  Elle  fait  confirmer  ses  statuts.  (Portef.  Fontanieu, 
24  avril  1407.) 


LE   DUC   D'ORLEANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE         115 

Glisson.  Tant  qu'il  vivait,  tout  vieux  qu'il  était,  Glisson 
faisait  peur  au  duc  de  Bretagne. 

Quelque  temps  auparavant,  le  duc  et  la  reine  se 
promenant  ensemble  du  côté  de  Saint-Germain,  un 
effroyable  orage  fondit  sur  eux;  le  duc  se  réfugia  dans 
la  litière  de  la  reine;  mais  les  chevaux  effrayés  failli- 
rent les  jeter  dans  la  rivière.  La  reine  eut  peur,  le  duc 
fut  touché;  il  déclara  vouloir  payer  ses  créanciers,  ne 
sachant  pas  sans  doute  lui-même  combien  il  était 
endetté.  Mais  il  en  vint  plus  de  huits  cents;  les  gens 
du  duc  ne  payèrent  rien  et  les  renvoyèrent. 

Dans  ce  triste  hiver  de  1407  le  duc  et  la  reine  cru- 
rent ramener  les  esprits  en  ordonnant,  au  nom  du  roi, 
la  suspension  du  droit  de  prise,  celui  de  tous  les  abus 
qui  faisait  le  plus  crier.  Les  maîtres  d'hôtel  du  roi,  des 
princes,  des  grands,  prenaient  sur  les  marchés,  clans 
les  maisons,  tout  ce  qui  pouvait  servir  à  la  table  de 
leurs  maîtres,  ce  qui  les  tentait  eux-mêmes,  ce  qu'ils 
pouvaient  emporter;  meubles,  linges,  tout  leur  était 
bon.  Les  gens  du  duc  et  de  la  reine  avaient  rudement 
pillé  ;  ils  eurent  beau  suspendre  l'exercice  de  ce  droit 
odieux  *  :  le  peuple  leur  en  voulait  trop,  il  ne  leur  en 
sut  aucun  gré. 

Tout  tournait  contre  eux.  La  reine,  depuis  longtemps 
éloignée  de  son  mari,  n'en  était  pas  moins  enceinte  ; 
elle  attendait,  souhaitait  un  enfant.  Elle  accoucha  en 
effet  d'un  fils,  mais  qui  mourut  en  naissant.  11  fut 
pleuré  de  sa  mère,  plus  qu'on  ne  pleure  un  enfant  de 

1.  Ils  le  suspendirent  pour  quatre  ans  (7  septembre  1407). 


116  HISTOIRE    DE    FRANCE 

cet  âge  quand  on  en  a  déjà  plusieurs  autres,  pleuré 
comme  un  gage  d'amour. 

Le  duc  d'Orléans,  lui-même,  était  malade,  il  se  tenait 
à  son  château  de  Beauté.  Ce  replis  onduleux  de  la 
Marne  et  ses  îles  boisées1,  qui  d'un  côté  regardent  l'ai- 
mable coteau  de  Nogent,  de  l'autre  l'ombre  monacale 
de  Saint-Maur2,  a  toujours  eu  un  inexplicable  attrait 
de  grâce  mélancolique.  Dans  ces  îles,  sur  la  belle  et 
dangereuse  rivière,  s'éleva  jadis  une  villa  mérovin- 
gienne, un  palais  de  Frédégonde3;  là,  plus  tard,  fut  la 
chère  retraite  où  Charles  VII  crut  vraiment  mettre  en 
sûreté  son  trésor,  la  bonne  et  belle  Agnès4.  Ce  châ- 
teau d'Agnès  Sorel  était  celui  même  de  Louis  d'Or- 
léans; il  s'y  tenait  malade  au  mois  de  novembre  1407, 
c'était  la  fin  de  l'automne,  les  premiers  froids,  les 
feuilles  tombaient. 

Chaque  vie  a  son  automne,  sa  saison  jaunissante,  où 
toute  chose  se  fane  et  pâlit;  plût  au  ciel  que  ce  fut  la 
maturité;  mais  ordinairement  c'est  plus  tôt,  bien  avant 
l'âge  mûr.  C'est  ce  point,  souvent  peu  avancé  de  l'âge, 
où  l'homme  voit  les  obstacles  se  multiplier  tout  autour, 


1.  Marne  l'enceint 

Et  belle  tour  qui  garde  les  détrois. 
Où  l'en  se  puet  retraire  à  sauveté; 
Pour  tous  ces  poins  li  doulz  prince  courtois 
Donna  ce  nom  à  ce  lieu  de  Beauté. 

Eustache  Deschamps. 

2.  Saint-Maur  était  alors  une  grande  abbaye  fortifiée 

3.  C'est  de  la  Marne  qu'un  pêcheur  retire  le  corps  du  jeune  fils  de  Chilpéric, 
noyé  par  sa  marâtre. 

4.  Elle  mourut  jeune,  et  l'on  crut  qu'elle  était  empoisonnée.  Ce  château 
d'Agnès  dans  une  île  fait  penser  au  labyrinthe  de  la  belle  Rosamonde.  Voy.  la 
jolie  ballade. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE  117 

où  les  efforts  deviennent  inutiles,  où  s'abrège  l'espoir, 
où,  le  jour  diminuant,  grandissent  peu  à  peu  les 
ombres  de  l'avenir...  On  entrevoit  alors,  pour  la  pre- 
mière fois,  que  la  mort  est  un  remède,  qu'elle  vient 
au  secours  des  destinées  qui  ont  peine  à  s'accomplir. 

Louis  d'Orléans  avait  trente-six  ans  ;  mais  déjà, 
depuis  plusieurs  années,  parmi  ses  passions  même 
et  ses  folles  amours,  il  avait  eu  des  moments  sérieux  \ 
Il  avait  fait,  écrit  de  sa  main  un  testament  fort  chré- 
tien, fort  pieux,  plein  de  charité  et  de  pénitence.  Il 
y  ordonnait  d'abord  le  payement  de  ses  créanciers, 
puis  des  legs  aux  églises,  aux  collèges,  aux  hôpitaux, 
d'abondantes  aumônes.  Il  y  recommandait  ses  enfants 
à  son  ennemi  même,  au  duc  de  Bourgogne  ;  il  éprou- 
vait le  besoin  d'expier;  il  demandait  à  être  porté  au 
tombeau  sur  une  claie  couverte  de  cendres 2. 

Au  temps  où  nous  sommes  parvenus,  il  n'eut  un 
pressentiment  que  trop  vrai  de  sa  fin  prochaine.  Il 
allait  souvent  aux  Gélestins;  il  aimait  ce  couvent;  dans 
son  enfance,  sa  bonne  dame  de  gouvernante  l'y  menait 
tout  petit  entendre  les  offices.  Plus  tard,  il  y  visitait 
fréquemment  le  sage  Philippe  de  Maizières,  vieux  con- 
seiller de  Charles  V,  qui  s'y  était  retiré 3.  Il  séjournait 
même  quelquefois  au  couvent,  vivant  avec  les  moines, 

1.  «  Ad  multa  vitia  praeceps  fuit,  quœ  tamen  horruit  cum  ad  virilem  setatem 
pervenisset.  »  (Religieux.) 

2.  Son  testament  fut  trouvé  écrit  tout  entier  de  sa  main,  quatre  ans  avant 
sa  mort.  La  bonté  de  son  àme  confiante  et  sans  fiel  se  manifestait  dans  la 
recommandation  qu'il  faisait  de  ses  enfants  aux  soins  de  son  oncle  le 
duc  Philippe,  tandis  qu'ils  étaient  déjà  au  plus  fort  de  leurs  querelles. 
App.  82. 

3.  Jean  Petit  prétend  qu'ils  conspiraient  ensemble.  (Monstrelet.) 


118  HISTOIRE   DE   FRANCE 

comme  eux,  et  prenant  part  aux  offices  de  jour  et  de 
nuit.  Une  nuit  donc  qu'il  allait  aux  matines,  et  qu'il 
traversait  le  dortoir,  il  vit,  ou  crut  voir  la  Mort1.  Cette 
vision  fut  confirmée  par  une  autre  ;  il  se  croyait 
devant  Dieu  et  prêt  à  subir  son  jugement.  C'était  un 
signe  solennel  qu'au  lieu  même  où  avait  commencé 
son  enfance,  il  fut  ainsi  averti  de  sa  fin.  Le  prieur  du 
couvent  auquel  il  se  confia,  crut  aussi  qu'en  effet  il  lui 
fallait  songer  à  son  âme  et  se  préparer  à  bien  mourir. 
Ce  ne  fut  pas  une  apparition  moins  sinistre  qu'il 
eut  bientôt  au  château  de  Beauté.  Il  y  reçut  une  étrange 
visite,  celle  de  Jean -sans -Peur.  Il  devait  peu  s'y 
attendre,  un  nouveau  motif  avait  encore  aigri  leur 
haine.  Les  Liégeois  ayant  chassé  leur  évéque,  jeune 
homme  de  vingt  ans,  qui  voulait  être  évêque  sans  se 
faire  prêtre2,  ils  en  avaient  élu  un  autre,  avec  l'appui 
du  duc  d'Orléans  et  du  pape  d'Avignon.  L'évêque 
chassé  était  justement  le  beau-frère  du  duc  de  Bour- 
gogne. Si  le  duc  d'Orléans,  maître  du  Luxembourg, 
étendait  encore  son  influence  sur  Liège,  son  rival 
allait  avoir  une  guerre  permanente  chez  lui,  en  Bra- 
bant,  en  Flandre;  la  France  lui  échappait.  Ce  danger 
devait  porter  son  exaspération  au  comble  3. 

1.  Telle  était  la  tradition  du  couvent.  Les  moines  avaient  fait  peindre  cette 
vision  dans  leur  chapelle  à  côté  de  l'autel;  on  y  voyait  la  Mort  tenant  une 
faux  à  la  main,  et  montrant  au  duc  d'Orléans  cette  légende  :  «  Juvenos  ac 
sencs  rapio.  »  (Millin.) 

2.  App.  83. 

3.  Dans  l'attente  d'une  guerre  prochaine,  il  s'était  assuré  de  l'alliance  du 
duc  de  Lorraine  (6  avril  1407),  et  il  avait  pris  à  son  service  le  maréchal  de 
Boucicaut.  Boucicaut  promet  de  le  servir  envers  et  contre  tous,  sauf  le  roi 
et  ses  enfants,  «  en  mémoire  de  ce  que  le  duc  de  Bourgogne  lui  a  sauvé  la  vie, 
estant  pris  des  Turcs  ».  (Fonds  Baluze,  J8  juillet  1407.) 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE  119 

Dès  longtemps,  il  avait  annoncé  des  résolutions 
violentes.  En  1405,  lorsque  les  deux  rivaux  étaient 
en  présence,  sous  les  murs  de  Paris,  Louis  d'Orléans 
ayant  pris  pour  emblème  un  bâton  noueux,  Jean- 
sans-Peur  prit  pour  le  sien  un  rabot.  Gomment  le 
bâton  devait-il  être  raboté1?  on  pouvait  tout  craindre. 

Le  duc  de  Berri,  plein  d'inquiétude,  crut  gagner 
beaucoup  sur  son  neveu  en  le  décidant  à  aller  voir 
le  malade.  Soit  pour  tromper  son  oncle,  soit  par  un 
sentiment  de  haineuse  curiosité,  il  se  contraignit 
jusque-là.  Le  duc  d'Orléans  allait  mieux  ;  le  vieil 
oncle  prit  ses  deux  neveux,  les  mena  entendre  la 
messe,  et  les  fit  communier  de  la  même  hostie  ;  il 
leur  donna  un  grand  repas  de  réconciliation,  et  il 
fallut  qu'ils  s'embrassassent.  Louis  d'Orléans  le  fît 
de  bon  cœur,  tout  porte  à  le  croire  ;  la  veille  il  s'était 
confessé  et  avait  témoigné  amendement  et  repen- 
tance.  Il  invita  son  cousin  à  dîner  avec  lui  le 
dimanche  suivant  ;  il  ne  savait  point  qu'il  n'y  aurait 
pas  de  dimanche  pour  lui. 

On  voit  encore  aujourd'hui,  au  coin  de  la  Vieille 
rue  du  Temple  et  de  la  rue  des  Francs-Bourgeois, 
une  tourelle  du  quinzième  siècle,  légère,  élégante,  et 
qui  contraste  fort  avec  la  laide  maison,  qui  de  côté 
et  d'autre  s'y  est  gauchement  accrochée.  Cette  tou- 

1.  On  disait  après  la  mort  du  duc  d'Orléans  :  «  Baculum  nodosum  factum 
esse  planum.  »  (Meyer.)  —  Devises  :  M5r  d'Orléans,  Je  suis  mareschal  de 
grant  renommée,  II  en  appert  bien,  fay  forge  levée.  MBr  de  Bourgogne, 
Je  suis  charbonnier  d'étrange  contrée,  J'ay  assez  charbon  pour  faire 
fumée.  (Mss.  Colbert,  Regius.) 


120  HISTOIRE  DE    FRANCE 

relie  fermait,  de  ce  côté,  le  grand  enclos  de  l'hôtel 
Barbette,  occupé  en  1407  par  la  reine  Isabeau,  en 
1550  par  Diane  de  Poitiers. 

L'hôtel  Barbette,  placé  hors  de  l'enceinte  de 
Philippe-Auguste,  entre  les  deux  juridictions  de  la 
ville  et  du  Temple,  libre  également  de  l'une  et  de 
l'autre,  avait  été  longtemps  soustrait,  par  sa  posi- 
tion, aux  gênes  cle  la  ville,  couvre -feu,  fermeture 
des  portes,  etc.  Enfermé  plus  tard  dans  l'enceinte  de 
Charles  V,  il  n'en  était  pas  moins,  clans  ce  quartier 
peu  fréquenté,  hors  de  la  surveillance  des  honnêtes 
et  médisants  bourgeois  de  Paris1. 

Cet  hôtel,  bâti  par  le  financier  Etienne  Barbette, 
maître  cle  la  monnaie  sous  Philippe-le-Bel,  fut  pillé 
dans  la  grande  sédition  où  le  peuple  enragé  pour- 
suivit le  roi  jusqu'au  Temple  (1306).  Le  même  hôtel, 
quatre-vingts  ans  après,  appartenait  à  un  autre 
parvenu,  au  grand  maître  Montaigu,  l'un  des  Mar- 
mousets qui  gouvernaient  le  royaume.  Ils  y  firent 
coucher  Charles  VI,  la  veille  de  son  départ  pour  la 
Bretagne,  lorsque,  malgré  ses  oncles,  ils  parvinrent  à 
le  tirer  de  Paris  pour  lui  faire  poursuivre  la  vengeance 
de  l'assassinat  de  Clisson.  Montaigu,  ami,  comme 
Clisson,  du  duc  d'Orléans,  fit  sa  cour  à  la  reine,  en 
lui  cédant  cette  maison  commode  ;  elle  n'aimait  pas 
l'hôtel  Saint- Paul,   où  vivait  son  mari  ;  ce  mari  la 

1.  Les  maisons  placées  ainsi  n'avaient  pas  bon  renom.  On  le  voit  par  les 
plaintes  que  faisaient  les  chanoines  de  Saint-Méry  contre  les  mauvais  lieux  qui 
se  trouvaient  le  long  de  la  vieille  enceinte  de  Philippe-Auguste.  Ils  obtinrent 
une  ordonnance  d'Henri  VI,  roi  de  France  et  d'Angleterre,  pour  en  purger  ce 
quartier. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE  DUC   DE   BOURGOGNE         121 

gênait  quand  il  était  fou,  bien  plus  encore  quand  il 
ne  l'était  pas. 

Elle  avait  embelli  à  plaisir  ce  séjour  de  prédilec- 
tion, l'avait  agrandi,  étendu  jusqu'à  la  rue  de  la 
Perle.  Les  jardins  étaient  d'autant  mieux  fermés  et 
solitaires,  que  le  long  de  la  Vieille  rue  du  Temple 
ils  se  trouvaient  masqués  d'une  ligne  de  maisons 
qui  regardaient  la  rue,  et  ne  voyaient  rien  derrière, 
tout  au  plus  le  mur  du  mystérieux  hôtel. 

La  reine  y  accoucha  le  10  novembre.  Les  deux 
princes  communièrent  ensemble  le  20  :  le  2'2,  ils 
mangèrent  chez  le  duc  de  Berri,  s'embrassèrent  et  se 
jurèrent  une  amitié  de  frères.  Cependant,  depuis 
le  17,  le  duc  de  Bourgogne  avait  tout  préparé  pour 
tuer  ce  frère  ;  il  lui  avait  dressé  embuscade  près  de 
l'hôtel  Barbette,  les  assassins  attendaient. 

Dès  la  Saint-Jean ,  c'est-à-dire  depuis  plus  de 
quatre  mois,  Jean-sans-Peur  cherchait  une  maison 
pour  ce  guet-apens.  Un  clerc  de  l'Université,  qui 
était  son  homme,  avait  chargé  un  couratier  public 
de  maisons  de  lui  en  louer  une,  où  il  voulait, 
disait-il,  mettre  du  vin,  du  blé  et  autres  denrées  que 
les  écoliers  et  les  clercs  recevaient  de  leur  pays,  et 
qu'ils  avaient  le  privilège  universitaire  de  vendre 
sans  droit.  Le  courtier  lui  trouva  et  lui  fît  livrer, 
le  17  novembre,  la  maison  de  l'image  Notre-Dame, 
Vieille  rue  du  Temple,  en  face  de  l'hôtel  de  Rieux  et 
de  la  Bretonnerie.  Le  duc  de  Bourgogne  y  fît  entrer 
de  nuit  des  gens  à  lui,  entre  autres  un  ennemi 
mortel  du  duc  d'Orléans,  un  Normand,  Raoul  d'Au- 


122  HISTOIRE    DE    FRANCE 

quetonville,  ancien  général  des  finances,  que  le  duc 
avait  chassé  pour  malversation.  Raoul  répondait  de 
tuer  ;  un  valet  de  chambre  du  roi  promit,  pour  argent, 
de  livrer  et  de  trahir. 

Le  lendemain  du  repas  de  réconciliation,  le  mer- 
credi 23  novembre  1407,  Louis  d'Orléans  avait  été, 
comme  à  l'ordinaire,  chez  la  reine  ;  il  y  avait  soupe, 
et  gaiement,    pour   essayer    de   consoler   la  pauvre 
mère1.  Le  valet  de  chambre  du  roi  arrive  en  hâte,  et 
dit  que  le  roi  demande  son  frère,  qu'il  veut  lui  parler2. 
Le  duc,  qui  avait  dans  Paris  six  cents  chevaliers  ou 
écuyers,   n'avait  pourtant  pas  amené   grand   monde 
avec  lui,  aimant  mieux  sans  doute  faire  à  petit  bruit 
ces  visites  dont  on  ne  médisait  que  trop.   Il   laissa 
même   à    l'hôtel    Barbette   une    partie  de   ceux   qui 
l'avaient  suivi,  comptant  peut-être  y  retourner  quand 
il  serait  quitte  du  roi.  11   n'était   que   huit   heures  ; 
c'était  de  bonne  heure  pour  les  gens  de  cour,  mais 
tard  pour  ce  quartier  retiré,  en  novembre  surtout.  Il 
n'avait  avec  lui    que  deux   écuyers  montés   sur  un 
même    cheval,    un    page    et    quelques    valets    pour 
éclairer.    Il   s'en  allait,  vêtu   d'une   simple   robe  de 
damas  noir,  par  la  Vieille  rue  du  Temple,  en  arrière 
de  ses  gens,  chantant  à  demi  voix,  et  jouant  avec  son 
gant,    comme  un    homme   qui  veut  être  gai.  Nous 
savons  ces  détails  par  deux  témoins  oculaires  :  un 
valet  de  l'hôtel  de  Rieux,  et  une  pauvre  femme  qui 
logeait  dans  une  chambre  dépendante  du  même  hôtel. 

1.  «  Dolorcm...  studuit  mitigare...  cœna  jocunda  pcracta.  »  (Religieux.) 

2.  Monstrelet. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE         123 

Jaquette,  femme  de  Jacques  Griffart,  cordonnier, 
déposa  qu'étant  à  sa  fenêtre  haute  sur  la  rue,  pour 
voir  si  son  mari  ne  revenait  pas,  et  y  prenant  un  lange 
qui  séchait,  elle  vit  passer  un  seigneur  à  cheval,  et 
un  moment  après,  comme  elle  couchait  son  enfant, 
elle  entendit  crier  :  «  A  mort  !  à  mort  !  »  Elle  courut  à 
la  fenêtre,  son  enfant  dans  les  bras,  et  elle  vit  le 
même  seigneur  à  genoux,  clans  la  rue,  sans  chape- 
ron; autour  de  lui,  sept  ou  huit  hommes,  le  visage 
masqué,  qui  frappaient  dessus,  de  haches  et  d'épées  ; 
lui,  il  mettait  son  bras  devant,  en  disant  quelques 
mots,  comme  :  «  Qu'est  ceci?  D'où  vient  ceci?  »  Il 
tomba,  mais  ils  ne  continuaient  pas  moins  à  frapper 
d'estoc  et  de  taille.  La  femme,  qui  voyait  tout,  criait 
au  meurtre  tant  qu'elle  pouvait.  Un  homme  qui 
l'aperçut  à  la  fenêtre,  lui  dit  :  «  Taisez-vous,  mau- 
vaise femme.  »  Alors,  à  la  lueur  des  torches,  elle  vit 
sortir  de  la  maison  de  l'image  Notre-Dame  un  grand 
homme,  avec  un  chaperon  rouge  descendant  sur  les 
yeux;  il  dit  aux  autres:  «  Eteignez  tout,  allons- 
nous-en,  il  est  bien  mort  !  »  Quelqu'un  lui  donna 
encore  un  coup  de  massue,  mais  il  ne  remuait  plus. 
Près  de  lui  gisait  un  jeune  homme,  qui,  tout  mourant 
qu'il  était,  se  souleva  en  criant  :  «  Ah  !  monseigneur 
mon  maître1.  »  C'était  le  page,  qui  ne  l'avait  pas  quitté 
et  s'était  jeté  au-devant  des  coups.  Ce  page  était 
Allemand  ;  il  avait  peut-être  été  donné  à  Louis 
d'Orléans  par  Isabeau  de  Bavière. 

1.  App.  84. 


124  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Depuis  l'assassinat  manqué  de  Glisson,  on  savait 
qu'il  ne  fallait  pas  croire  à  la  légère  qu'un  homme 
était  tué  ;  aussi,  selon  un  autre  récit,  le  grand  homme 
au  chaperon  rouge  vint,  avec  un  falot  de  paille, 
regarder  à  terre  si  la  besogne  avait  été  faite  cons- 
ciencieusement1. Il  n'y  avait  rien  à  dire;  le  mort 
était  taillé  en  pièces,  le  bras  droit  était  tranché  à  deux 
places,  au  coude,  au  poignet  ;  le  poing  gauche  était 
détaché,  jeté  au  loin  par  la  violence  du  coup  ;  la  tête 
était  ouverte  de  l'œil  à  l'oreille,  d'une  oreille  à  l'autre  ; 
le  crâne  était  ouvert,  la  cervelle  épandue  sur  le  pavé2. 

Ces  pauvres  restes  furent  portés  le  lendemain 
matin,  parmi  la  consternation  et  la  terreur  générale3, 
à  l'église  voisine  des  Blancs-Manteaux.  Ce  fut  au  jour 
seulement  qu'on  ramassa,  dans  la  boue,  la  main 
mutilée  et  la  cervelle.  Les  princes  vinrent  lui  donner 
l'eau  bénite.  Le  vendredi,  il  fut  enseveli  à  l'église 
des  Gélestins,  clans  la  chapelle  qu'il  avait  bâtie  lui- 
même4.  Les  coins  du  drap  mortuaire  étaient  portés 
par  son  oncle,  le  vieux  duc  de  Berri,  par  ses  cousins, 
le  roi  de  Sicile,  le  duc  de  Bourgogne  et  le  duc  de 
Bourbon  ;  puis,  venaient  les  seigneurs,  les  chevaliers, 
une  foule  innombrable  de  peuple.  Tout  le  monde 
pleurait,  les  ennemis  comme  les  amis5.  Il  n'y  a  plus 
d'ennemis  alors;  chacun,  dans  ces  moments,  devient 
partial  pour  le  mort.  Quoi  !  si  jeune,  si  vivant  naguère, 

1.  App.  85. 

2.  «  Lesquellos  playes  estoicnt  telles  et  si  énormes  que  le  test  estoit  fendu, 
et  que  toute  la  cervelle  en  sailloit.  .  Item  que  son  bras  destre  estoit  rompu  tant 
que  le  maistre  os  sailloit  dehors  au  droit  du  coude...  »  (Information  du  sire 
dcTïgnonville,  prévôt  de  Paris.)—  3.  App.  86.  —  4.  App.  87.  —  5.  App.  88. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,   LE   DUC   DE   BOURGOGNE         125 

et  déjà  passé  !  Beauté,  grâce  chevaleresque,  lumière 
de  science,  parole  vive  et  douce  ;  hier  tout  cela, 
aujourd'hui  plus  rien1... 

Rien?...  davantage  peut-être.  Celui  qui  semblait 
hier  un  simple  individu,  on  voit  qu'il  avait  en  lui 
plus  d'une  existence,  que  c'était  en  effet  un  être 
multiple,  infiniment  varié2!...  Admirable  vertu  de  la 
mort!  Seule  elle  révèle  la  vie.  L'homme  vivant  n'est 
vu  de  chacun  que  par  un  côté,  selon  qu'il  le  sert  ou 
le  gêne.  Meurt-il?  on  le  voit  alors  sous  mille  aspects 
nouveaux,  on  distingue  tous  les  liens  divers  par 
lesquels  il  tenait  au  monde.  Ainsi,  quand  vous  arra- 
chez le  lierre  du  chêne  qui  le  soutenait,  vous  aper- 
cevez dessous  d'innombrables  fils  vivaces,  que  jamais 
vous  ne  pourrez  déprendre  de  l'écorce  où  ils  ont  vécu; 
ils  resteront  brisés,  mais  ils  resteront3. 

Chaque  homme  est  une  humanité,  une  histoire 
universelle...  Et  pourtant  cet  être,  en  qui  tenait  une 
généralité  infinie,  c'était  en  même  temps  un  individu 
spécial,  une  personne,  un  être  unique,  irréparable, 
que  rien  ne  remplacera.  Rien  de  tel  avant,  rien  après  ; 
Dieu  ne  recommencera  point.  Il  en  viendra  d'autres, 
sans  cloute  ;  le  monde,  qui  ne  se  lasse  pas,  amènera  à 
la  vie  d'autres  personnes,  meilleures  peut-être,  mais 
semblables,  jamais,  jamais... 


1.  A  pp.  89. 

2.  Henri  III  s'écria  en  voyant  le  corps  du  duc  de  Guise  :  «  Mon  Dieu,  qu'il 
est  grand!  11  paroît  encore  plus  grand  mort  que  vivant.  »  Il  disait  mieux  qu'il 
ne  croyait;  cela  est  vrai  dans  un  bien  autre  sens. 

3.  Je  faisais  l'autre  jour  cette  observation  dans  la  forêt  de  Saint -Germain 
(12  septembre  1839). 


126  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Celui-ci  sans  doute  eut  ses  vices  ;  mais  c'est  en 
partie  pour  cela  que  nous  le  pleurons  ;  il  n'en  appar- 
tint que  davantage  à  la  pauvre  humanité  ;  il  nous 
ressembla  d'autant  plus;  c'était  lui,  et  c'était  nous. 
Nous  nous  pleurons  en  lui  nous-mêmes,  et  le  mal 
profond  de  notre  nature. 

On  dit  que  la  mort  embellit  ceux  qu'elle  frappe, 
et  exagère  leurs  vertus  ;  mais  c'est  bien  plutôt  en 
général  la  vie  qui  leur  faisait  tort.  La  mort,  ce  pieux 
et  irréprochable  témoin,  nous  apprend,  selon  la 
vérité,  selon  la  charité,  qu'en  chaque  homme  il  y  a 
ordinairement  plus  de  bien  que  de  mal.  On  connais- 
sait les  prodigalités  du  duc  d'Orléans,  on  connut  ses 
aumônes.  On  avait  parlé  de  ses  galanteries  ;  on  ne 
savait  pas  assez  que  cette  heureuse  nature  avait  tou- 
jours conservé,  au  milieu  même  des  vaines  amours, 
l'amour  divin  et  l'élan  vers  Dieu.  On  trouva  aux 
Gélestins  la  cellule  où  il  aimait  à  se  retirer1.  Lors- 
qu'on ouvrit  son  testament,  on  vit  qu'au  plus  fort 
de  ses  querelles  cette  âme  sans  fiel  était  toujours 
confiante,  aimante  pour  ses  plus  grands  ennemis. 

Tout  cela  demande  grâce.  .  Eh!  qui  ne  pardonne- 
rait, quand  cet  homme,  dépouillé  de  tous  les  biens 
de  la  vie,  redevenu  nu  et  pauvre,  est  apporté  dans 
l'église,  et  attend  son  jugement  ?  Tous  prient  pour  lui, 
tous  l'excusent,  expliquant  ses  fautes  par  les  leurs, 
et  se  condamnant  eux-mêmes...  Pardonnez-lui,  Sei- 
gneur, frappez-nous  plutôt. 

Personne  n'avait  plus  à  se  plaindre  du  duc  d'Or- 

1.  App.  90. 


LE   DUC   D'ORLÉANS,    LE   DUC    DE   BOURGOGNE         127 

léans  que  sa  femme  Yalentine  ;  elle  l'avait  toujours 
aimé,  et  toujours  il  en  aima  d'autres.  Elle  ne  l'excusa 
pas  moins  autant  qu'il  était  en  elle  ;  elle  prit  comme 
sien  avec  elle  le  bâtard  de  son  mari,  et  l'éleva  parmi 
ses  enfants.  Elle  l'aimait  autant  qu'eux,  davantage. 
Souvent,  lui  voyant  tant  d'esprit  et  d'ardeur,  l'Ita- 
lienne le  serrait,  lui  disait  :  «  Ah!  tu  m'as  été  dérobé  ! 
c'est  toi  qui  vengeras  ton  père1.  » 

La  justice  ne  vint  jamais  pour  la  veuve,  elle  n'eut 
pas  cette  consolation.  Elle  n'eut  pas  celle  d'élever  au 
mort  l'humble  tombe  «  de  trois  doigts  au-dessus  de 
terre  »  qu'il  demandait  dans  son  testament2;  elle  ne 
put  même  lui  mettre  sous  la  tête  «  la  rude  pierre,  la 
roche  »  qu'il  voulait  pour  oreiller.  Louis  d'Orléans, 
proscrit  dans  la  mort,  attendit  cent  ans  un  tombeau. 

Aux  premiers  âges  chrétiens,  dans  les  temps  de  vive 
foi,  les  douleurs  étaient  patientes;  la  mort  semblait 
un  court  divorce;  elle  séparait,  mais  pour  réunir.  Un 
signe  de  cette  foi  dans  l'âme,  clans  la  réunion  des 
âmes,  c'est  que,  jusqu'au  douzième  siècle,  le  corps, 
la  dépouille  mortelle,  semble  avoir  moins  d'impor- 
tance; elle  ne  demande  pas  encore  de  magnifiques 
tombeaux;  cachée  dans  un  coin  de  l'église,  une  simple 
dalle  la  couvre;  c'est  assez  pour  la  désigner  au  jour 
de  la  résurrection  :  Hinc  surrectura* . 

Au  temps  dont  nous  écrivons  l'histoire,  il  y  avait 
déjà  un  changement,  peu  avoué,  d'autant  plus  pro- 
fond.   Même   dévotion   extérieure,  mais   la   foi   était 

1.  «  Qu'il  lui  avoit  été  emblé,  et  qu'il  n'y  avoit  à  peine  des  enfants  qui  fust 
si  bien  taillé  de  venger  la  mort  de  son  père  qu'il  estoit.  »  (Juvénal.) 

2.  App.  91.  —  3;  App.  92. 


128  HISTOIRE    DE    FRANCE 

moins  vive;  au  plus  profond  des  cœurs,  à  leur  insu, 
l'espoir  faiblissait.  La  douleur  ne  se  laissait  plus  aisé- 
ment charmer  aux  promesses  de  l'avenir;  aux  pieuses 
consolations,  elle  opposait  la  mot  de  Yalentine  : 
«  Rien  ne  m'est  plus,  plus  ne  m'est  rien  1.  » 

S'il  lui  restait  quelque  chose,  c'était  de  parer  la  triste 
dépouille,  de  glorifier  les  restes,  de  faire  de  la  tombe 
une  chapelle,  une  église,  dont  ce  mort  serait  le  dieu. 

Vains  amusements  de  la  douleur,  qui  ne  l'arrêtent 
pas  longtemps.  Quelque  profond  que  soit  le  sépulcre, 
elle  n'en  ressent  pas  moins  à  travers  les  puissantes 
attractions  de  la  mort;  elle  les  suit...  La  veuve  du  duc 
d'Orléans  vécut  ce  que  dura  sa  robe  de  deuil. 

C'est  que  les  mots  de  l'union  :  Vous  devenez  même 
chair,  ils  ne  sont  pas  un  vain  son  ;  ils  durent  pour 
celui  qui  survit.  Qu'ils  aient  donc  leur  effet  suprême  !... 
Jusque-là,  il  va  chaque  jour  heurter  cette  tombe  à 
l'aveugle,  l'interroger,  lui  demander  compte...  Elle  ne 
sait  que  répondre;  il  aurait  beau  la  briser,  qu'elle 
n'en  dirait  pas  davantage...  En  vain,  s'obstinant  à 
douter,  s'irritant,  niant  la  mort,  il  arrache  l'odieuse 
pierre;  en  vain,  parmi  les  défaillances  de  la  douleur  et 
de  la  nature,  il  ose  soulever  le  linceul,  et  montrant  à 
la  lumière  ce  qu'elle  ne  voudrait  pas  voir,  il  dispute 
aux  vers  le  je  ne  sais  quoi,  informe  et  terrible,  qui 
fut  Inès  de  Castro  \ 


1.  La  devise  de  Valentine  se  lisait  dans  sa  chapelle  aux  Cordeliers  de  Blois. 

2.  «  Le  roi  se  rendit  à  l'église  de  Santa-Clara,  où  il  fit  exhumer  le  corps  de 
la  femme  qu'il  chérissait.  11  ordonna  que  son  Inès  fut  revêtue  des  ornements 
royaux,  et  qu'on  la  plaçât  sur  un  trône  où  ses  sujets  vinrent  baiser  les  ossements 
qui  avaient  été  une  si  belle  main.  »  (Faria  y  Souza.)  App.  93. 


LUTTE   DES   DEUX   PARTIS.    -   CABOCHIENS  129 


CHAPITRE    II 


Lutte  des  deux  partis.  —  Cabochiens.  —  Essais  de  réforme  dans  l'État 
et  dans  l'Église  (1408-1414). 


L'étranger  qui  visite  la  silencieuse  Vérone  et  les 
tombeaux  des  La  Scala,  découvre  dans  un  coin  une 
lourde  tombe  sans  nom1.  C'est,  selon  toute  apparence, 
la  tombe  de  Yassassiné*.  A  côté,  s'élève  un  somptueux 
monument  à  triple  étage  de  statues,  et  par-dessus  ce 
monument,  sur  la  tête  des  saints  et  des  prophètes, 
plane  un  cavalier  de  marbre.  C'est  la  statue  de 
l'assassin.  Gan  Signore  de  La  Scala  tua  son  frère  dans 
la  rue  en  plein  jour,  il  lui  succéda.  Cela  ne  produisit, 
ce  semble,  ni  étonnement,  ni  trouble3.  Le  meurtrier 
régna  doucement  pendant  seize  années,  et  alors,  sen- 
tant sa  fin  venir,  il  donna  ordre  à  ses  affaires,  fît 
encore  étrangler  un  de  ses  frères  qu'il  tenait  prison- 
nier, et  laissa  la  seigneurie  de  Vérone  à  son  bâtard, 
comme  tout  bon  père  de  famille  laisse  son  bien  à 
son  fils. 

1.  App.  94.  —  2.  App.  95.  —  3.  A  pp.  96. 

T.   IV.  9 


130  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Les  choses  ne  se  passèrent  pas  ainsi  en  France  à  la 
mort  du  duc  d'Orléans.  La  France  n'en  prit  pas  si  aisé- 
ment son  parti.  S'il  n'eut  pas  un  tombeau  de  pierre1, 
il  en  eut  un  dans  les  cœurs.  Tout  le  pays  sentit  le 
coup  et  en  fut  profondément  remué,  et  l'Etat,  et  la 
famille,  et  chaque  homme  jusqu'aux  entrailles.  Une 
dispute,  une  guerre  de  trente  années  commença;  il  en 
coûta  la  vie  à  des  millions  d'hommes.  Cela  est  triste, 
mais  il  n'en  faut  pas  moins  féliciter  la  France  et  la 
nature  humaine. 

«  Ce  n'était  pourtant  que  la  mort  d'un  homme  »,  dit 
froidement  le  chroniqueur  de  la  maison  de  Bour- 
gogne2. Mais  la  mort  d'un  homme  est  un  événement 
immense,  lorsqu'elle  arrive  par  un  crime  ;  c'est  un 
fait  terrible  sur  lequel  les  sociétés  ne  doivent  se  rési- 
gner jamais. 

Cette  mort  engendra  la  guerre,  et  la  guerre  entre  les 
esprits.  Toutes  les  questions  politiques,  morales,  reli- 
gieuses, s'agitèrent  à  cette  occasion3.  La  grande  polé- 
mique des  temps  modernes,  elle  a  commencé  pour  la 
France  par  le  sentiment  du  droit,  par  l'émotion  de  la 
nature,  par  la  douce  et  sainte  pitié. 

Où  se  livra  d'abord  ce  grand  combat  ?  Là  même 
d'où  partit  le  crime,  au  cœur  du  meurtrier.  Le  len- 
demain au  matin,  lorsque  tous  les  parents  du  mort 
allèrent  aux  Blancs-Manteaux  visiter  le  corps,  et  lui 
donner  l'eau  bénite,  le  duc  de  Bourgogne  qualifia  lui- 
même  l'acte  selon  la  vérité  :  «  Jamais  plus  méchant  et 

1.  Ce  tombeau  ne  fut  élevé  que  par  Louis  XII. 

2.  «  ...  Pour  la  mort  d'un  seul  homme...  »  (Monstrelet.)  —  3.  App.  97. 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.  —   CABOCHIENS  131 

plus  traître  meurtre  n'a  été  commis  en  ce  royaume.  » 
Le  vendredi,  au  convoi,  il  tenait  un  des  coins  du  drap 
mortuaire  et  pleurait  comme  les  autres. 

Plus  que  tous  les  autres  sans  doute,  et  non  moins 
sincèrement.  Il  n'y  avait  pas  là  d'hypocrisie.  La  nature 
humaine  est  ainsi  faite.  Nul  doute  que  le  meurtrier 
n'eût  voulu  alors  ressusciter  le  mort  au  prix  de  sa  vie. 
Mais  cela  n'était  pas  en  lui.  Il  fallait  qu'il  traînât  à 
jamais  ce  fardeau,  qu'à  jamais  il  portât  ce  pesant  drap 
mortuaire. 

Lorsqu'il  fut  constant  que  les  assassins  avaient  fui 
vers  la  rue  Mauconseil,  où  était  l'hôtel  du  duc  de 
Bourgogne,  lorsque  le  prévôt  de  Paris  déclara  qu'il 
se  faisait  fort  de  trouver  les  coupables,  si  on  lui  per- 
mettait de  fouiller  les  hôtels  des  princes,  le  duc  de 
Bourgogne  se  troubla;  il  tira  à  part  le  duc  de  Berri  et 
le  roi  de  Sicile,  et  leur  dit  tout  pâle  :  «  C'est  moi  ;  le 
diable  m'a  tenté1.  »  Ils  reculèrent;  le  duc  de  Berri 
fondit  en  larmes,  et  ne  dit  qu'une  parole  :  «  J'ai  perdu 
mes  deux  neveux.  » 

Le  duc  de  Bourgogne  s'en  alla  accablé,  humilié,  et 
l'humiliation  le  changea.  L'orgueil  tua  le  remords.  Il 
se  souvint  qu'il  était  puissant,  qu'il  n'y  avait  pas  de 
juge  pour  lui.  Il  s'endurcit,  et  puisque  enfin  le  coup 
était  fait,  le  mal  irréparable,  il  résolut  de  revendiquer 
son  crime  comme  vertu,  d'en  faire,  s'il  pouvait,  un 
acte  héroïque.  Il  osa  venir  au  conseil.  Il  en  trouva  la 


1.  App.  98. 


132  HISTOIRE    DE    FRANCE 

doucement  qu'on  ne  l'y  verrait  pas  avec  plaisir.  A 
quoi  le  coupable  répondit,  avec  le  masque  d'airain 
qu'il  s'était  décidé  à  prendre  :  «  Je  m'en  passerai 
volontiers,  monsieur;  qu'on  n'accuse  personne  de  la 
mort  du  duc  d'Orléans;  ce  qui  s'est  fait,  c'est  moi  qui 
l'ai  fait  faire.  » 

Avec  ce  beau  semblant  d'audace,  le  duc  de  Bour- 
gogne n'était  pas  rassuré.  Il  retourna  à  son  hôtel, 
monta  à  cheval  et  galopa  sans  s'arrêter  jusqu'en 
Flandre.  Dès  qu'on  sut  qu'il  fuyait,  on  le  poursuivit  ; 
cent  vingt  chevaliers  du  duc  d'Orléans  coururent  après 
lui.  Mais  il  n'y  avait  pas  moyen  de  l'atteindre;  à  une 
heure  il  était  déjà  à  Bapaume.  Il  ordonna,  en  mémoire 
de  ce  péril,  que  dorénavant  les  cloches  sonnassent  à 
cette  heure-là.  Gela  s'appela  longtemps  l' Angélus  du 
duc  de  Bourgogne. 

Il  avait  échappé  à  ses  ennemis,  non  à  lui-même.  A 
peine  arrivé  à  Lille,  il  convoqua  ses  barons,  ses  prê- 
tres. Ils  lui  prouvèrent  invinciblement  qu'il  n'avait 
fait  que  son  devoir,  qu'il  avait  sauvé  le  roi  et  le 
royaume.  Il  reprit  courage,  rassembla  les  États  de 
Flandre,  d'Artois,  ceux  de  Lille  et  de  Douai,  et  leur  en 
fît  répéter  autant l.  Il  le  fit  dire,  prêcher,  écrire,  et  ces 
écrits  furent  répandus  partout,  tant  il  sentait  le  besoin 
de  mettre  son  crime  en  commun  avec  ses  sujets,  de  se 
faire  donner  par  eux  l'approbation  qu'il  ne  pouvait 
plus  se  donner  lui-même,  d'étouffer  sous  la  voix  du 
peuple  la  voix  de  son  cœur. 

1.  App.  99. 


LUTTE   DES   DEUX   PARTIS.   --   CAB0CH1EM  133 

Entre  autres  bruits  qu'il  fit  répandre,  on  dit  partout 
que  le  duc  d'Orléans  depuis  longtemps  lui  dressait  des 
embûches,  qu'il  n'avait  fait  que  le  prévenir1.  Il  fit 
croire  cette  grossière  invention  aux  braves  Flamands  ; 
sans  doute  il  eût  bien  voulu  y  croire  aussi. 

Cependant  l'émotion  du  tragique  événement  ne  s'af- 
faiblissait pas  dans  Paris.  Ceux  même  qui  regardaient 
le  duc  d'Orléans  comme  l'auteur  de  tant  d'impôts,  et 
qui  peut-être  s'étaient  réjouis  tout  bas  de  sa  mort,  ne 
purent  voir,  sans  être  touchés,  sa  veuve  et  ses  enfants 
qui  vinrent  demander  justice.  La  pauvre  veuve, 
madame  Valentine,  amenait  avec  elle  son  second  fils, 
sa  fille  et  madame  Isabeau  de  France,  fiancée  au  jeune 
duc  d'Orléans,  et  déjà  veuve  elle-même,  à  quinze  ans, 
d'un  autre  assassiné,  du  roi  d'Angleterre  Richard  II. 
Le  roi  de  Sicile,  le  duc  de  Berri,  le  duc  de  Bourbon, 
le  comte  de  Glermont,  le  connétable,  allèrent  au-de- 
vant. La  litière  était  couverte  de  drap  noir  et  traînée 
par  quatre  chevaux  blancs.  La  duchesse  était  en  grand 
deuil,  ainsi  que  ses  enfants  et  sa  suite  ;  ce  triste  cor- 
tège entra  à  Paris  le  10  décembre,  par  le  plus  triste  et 
plus  rude  hiver  qu'on  eût  vu  depuis  plusieurs  siècles  '2. 

Descendue  à  l'hôtel  Saint-Paul,  elle  se  jeta  à  genoux 
en  pleurant  devant  le  roi,  qui  pleurait  aussi.  Deux 
jours  après  elle  revint  par-devant  le  roi  et  son 
conseil,  portant  plainte  et  demandant  justice.  Le  dis- 
cours des  avocats  qui  parlèrent  pour  elle,  celui  des 
prédicateurs  qui  firent  l'éloge  funèbre  du  duc  cl'Or- 

1.  App.  100.  —  ±  App.  101. 


134  HISTOIRE    DE    FRANCE 

léans,  la  lettre  que  son  fils  répandit  quelques  années 
après,  sont  pleins  de  choses  touchantes  et  d'une 
naïveté  douloureuse. 

Vox  sanguinis  fratris  tui  clamât  ad  me  de  terra. 

«  Tu  peux,  ô  roi,  dire  à  la  partie  adverse  cette  parole 
qu'a  dite  le  Seigneur  à  Gain,  après  qu'il  eut  tué  son 
frère...  Certes  oui,  la  terre  crie  et  le  sang  réclame; 
car  il  ne  serait  pas  un  homme  naturel,  ni  d'un  sang 
pur,  celui  qui  n'aurait  pas  compassion  d'une  mort  si 
cruelle. 

«  Et  toi,  ô  roi  Charles  de  bonne  mémoire,  si  tu  vivais 
maintenant,  que  dirais-tu  ?  quelques  larmes  pourraient 
t'apaiser?  qui  t'empêcherait  de  faire  justice  d'une  telle 
mort?  Hélas!  tu  as  tant  aimé,  honoré  et  élevé  avec 
tant  de  soin  l'arbre  où  est  né  le  fruit  dont  ton  fils  a 
reçu  la  mort  !  Hélas  !  roi  Charles  !  tu  pourrais  bien 
dire  comme  Jacob  :  Fera  pessima  devoravit  filium 
meum  :  Une  bête  très  mauvaise  a  dévoré  mon  fils. 

a  Hélas!  il  n'y  a  si  pauvre  homme,  ou  de  si  bas  état 
en  ce  monde,  dont  le  père  ou  le  frère  ait  été  tué  si 
traîtreusement,  que  ses  parents  et  ses  amis  ne  s'en- 
gagent à  poursuivre  l'homicide  jusqu'à  la  mort. 
Qu'est-ce  donc  quand  le  malfaiteur  persévère  et  s'obs- 
tine dans  sa  volonté  criminelle.?...  Pleurez,  princes 
et  nobles,  car  le  chemin  est  ouvert  pour  vous  faire 
mourir  en  trahison  et  à  l'improviste  ;  pleurez,  hommes, 
femmes,  vieillards  et  jeunes  gens  ;  la  douceur  de  la 
paix  et  de  la  tranquillité  vous  est  ôtée,  puisque  le 
chemin  vous  est  montré  pour  occire  et  porter  le  glaive 


LUTTE   DES   DEUX   PARTIS.  —   CABOCHIENS  135 

contre  les  princes,  et  qu'ainsi  vous  voilà  en  guerre,  en 
misère,  en  voie  de  destruction.  » 

La  prophétie  ne  s'accomplit  que  trop.  Celui  contre 
lequel  on  venait  d'accueillir  cette  plainte,  celui  qu'on 
jugeait  digne  de  toute  peine,  d'amende  honorable,  de 
prison,  il  n'y  eut  pas  besoin  de  le  poursuivre  :  il 
revint  de  lui-même,  mais  en  maître  ;  l'on  n'avait  que 
des  plaidoiries  à  lui  opposer.  Il  revint,  malgré  les  plus 
expresses  défenses,  entouré  d'hommes  d'armes,  et  fît 
mettre  sur  la  porte  de  son  hôtel  deux  fers  de  lance, 
l'un  affilé,  l'autre  émoussé1,  pour  dire  qu'il  était  prêt 
à  la  guerre  et  à  la  paix,  qu'il  combattrait  aux  armes 
courtoises,  ou,  si  l'on  aimait  mieux,  à  mort.  Les 
princes  avaient  été  jusqu'à  Amiens  pour  l'empêcher 
de  venir.  11  leur  donna  des  fêtes,  leur  fit  entendre 
d'excellente  musique,  et  continua  sa  route  jusqu'à 
Saint-Denis,  où  il  fît  ses  dévotions.  Là,  nouvelle 
défense  des  princes2.  Mais  il  n'entra  pas  moins  à 
Paris.  Il  se  trouva  des  gens  pour  crier  :  «  Noël  au  bon 
duc  3  !  »  Le  peuple  croyait  qu'il  allait  supprimer  les 
taxes.  Les  princes  l'accueillirent.  La  reine,  chose 
odieuse,  se  contraignit  au  point  de  lui  faire  bonne 
mine. 

Tout  semblait  rassurant;  et  pourtant,  en  entrant 
dans  la  ville  où  l'acte  avait  été  commis,  il  ne  pouvait 
s'empêcher  de  trembler.  Il  alla  droit  à  son  hôtel,  fît 


1.  App.  102.  —  2.  App.  103. 

3.  C'est  du  moins  ce  que  rapporte  le  chroniqueur  bourguignon  :  «  Mesine- 
mement  les  petits  enfants  en  plusieurs  carrefours  à  haute  voix  crioient  Noël.  » 
(Monstrelet.) 


136  HISTOIRE    DE    FRANCE 

camper  toutes  ses  troupes  autour.  Mais  sou  hôtel  ne 
lui  semblait  pas  sûr.  Il  fallut,  pour  calmer  son  imagina- 
tion, que  dans  son  hôtel  même  on  lui  bâtit  une  chambre 
toute  en  pierres  de  taille,  et  forte  comme  une  tour1. 
Pendant  que  ses  maçons  travaillaient  à  défendre  le 
corps,  ses  théologiens  faisaient  ce  qu'ils  pouvaient  pour 
cuirasser  l'âme.  Déjà  il  avait  les  certificats  de  ses  doc- 
teurs de  Flandre;  mais  il  voulait  celui  de  l'Université, 
une  bonne  justification  solennelle  en  présence  du  roi, 
des  princes,  du  peuple,  qui  approuveraient,  au  moins 
par  leur  silence.  Il  fallait  que  le  monde  entier  suât  à 
laver  cette  tache. 

Le  duc  de  Bourgogne  ne  pouvait  manquer  de  défen- 
seurs parmi  les  gens  de  l'Université.  Son  père  et  lui 
avaient  toujours  été  liés  avec  ce  corps  par  la  haine 
commune  du  duc  d'Orléans  et  de  son  pape  Benoît  XIII. 
Ils  avaient  protégé  les  principaux  docteurs.  Philippe- 
le-Hardi  avait  donné  un  bénéfice  au  célèbre  Jean 
Gerson2;  son  successeur  pensionnait  le  cordelier  Jean 
Petit,  tous  deux  grands  adversaires  du  pape. 

Toutefois,  pour  soutenir  cette  thèse  que  le  partisan 
du  pape  avait  été  bien  et  justement  tué,  il  fallait  trou- 
ver un  aveugle  et  violent  logicien,  capable  de  suivre 
intrépidement  le  raisonnement  contre  la  raison,  l'es- 
prit de  corps  et  de  parti  contre  l'humanité  et  la  nature. 

Cette  logique  n'était  pas  celle  des  grands  docteurs 
de  l'Université,  Gerson,  d'Àilly,  Clémengis.  Ils  res- 


1.  «  Fist  faire...  à  puissance  d'ouvriers,  une  forte  chambre  de  pierre,  bien 
taillée,  en  manière  d'une  tour.  »  (Monstrelet.) 

2.  Un  canonicat  de  Bruges,  auquel  Gerson  renonça  de  bonne  heure. 


LUTTE   DES   DEUX   PARTIS.  —   CAB0CH1ENS  137 

tèrent  plutôt-  dans  l'inconséquence;  dans  leur  plus 
grande  passion,  ils  ne  furent  jamais  aveuglés.  D'Ailly 
et  Glémengis  écrivirent  contre  le  pape;  puis,  quand 
ils  craignirent  d'avoir  ébranlé  l'Église  même,  ils  se 
rallièrent  à  la  papauté.  Gerson  attaqua  le  duc  d'Orléans 
pour  ses  exactions;  puis  il  pleura  l'aimable  prince,  il 
fît  son  oraison  funèbre. 

Au-dessous  de  ces  illustres  docteurs,  en  qui  le  bon 
sens  et  le  bon  cœur  firent  toujours  équilibre  à  la 
dialectique,  se  trouvaient  les  vrais  scolastiques,  les 
subtils,  les  violents,  qui  paraissaient  les  forts,  les 
grands  hommes  du  temps  qui  n'ont  pas  été  ceux  de 
l'avenir.  Ceux-ci  étaient  généralement  plus  jeunes  que 
Gerson,  qui  lui-même  était  disciple  de  Pierre  d'Ailly 
et  de  Glémengis.  Ces  violents  étaient  donc  la  troisième 
génération  dans  cette  longue  polémique,  d'autant  plus 
violents  qu'ils  y  venaient  tard.  Ainsi  la  Constituante 
fut  dépassée  par  la  jeune  Législative,  celle-ci  par  la 
très  jeune  Convention. 

Ces  hommes  n'étaient  pas  des  misérables,  des 
hommes  mercenaires,  comme  on  l'a  dit,  mais  généra- 
lement déjeunes  docteurs,  estimés  pour  la  sévérité  de 
leurs  mœurs,  pour  la  subtilité  de  leur  esprit,  pour  leur 
faconde.  Les  uns  étaient  des  moines  comme  le  corcle- 
lier  Jean  Petit,  comme  le  carme  Pavilly,  l'orateur  des 
bouchers,  le  harangueur  de  la  Terreur  de  1413.  Les 
autres  furent  les  meneurs  des  conciles,  et  marquèrent 
comme  prélats;  tels  furent,  au  concile  de  Constance, 
Courcelles  et  Pierre  Cauchon,  qui  déposèrent  le  pape 
Jean  XXIII  et  jugèrent  la  Pucelle. 


138  HISTOIRE    DE    FRANCE 

L'apologiste  du  duc  de  Bourgogne,  Jean  Petit,  était 
un  Normand,  animé  d'un  âpre  esprit  normand,  un 
moine  mendiant,  de  la  pauvre  et  sale  famille  de  saint 
François.  Ces  cordeliers,  d'autant  plus  hardis  qu'ils 
n'avaient  que  leur  corde  et  leurs  sandales,  se  jetaient 
volontiers  en  avant.  Au  quatorzième  siècle,  ils  avaient 
été  pour  la  plupart  visionnaires,  mystiques,  malades 
et  fols  de  l'amour  de  Dieu;  ils  étaient  alors  ennemis 
de  l'Université.  Mais,  à  mesure  que  le  mysticisme  fît 
place  à  la  grande  polémique  du  schisme,  ils  furent  du 
parti  de  l'Université,  et  au  delà.  Le  cordelier  Jean  Petit 
n'avait  pas  le  moyen  d'étudier  ;  il  fut  soutenu  par  le 
duc  de  Bourgogne,  qui  l'aida  à  prendre  ses  grades  et 
lui  fît  une  pension1.  A  peine  docteur,  il  se  fît  remar- 
quer par  sa  violence.  L'Université  l'envoya  parmi  ceux 
de  ses  membres  qu'elle  députait  aux  papes.  Lorsque 
l'assemblée  du  clergé  de  France,  en  1406,  flottait  et 
n'osait  se  déclarer  entre  l'Université  de  Paris  qui  atta- 
quait le  pape  Benoît,  et  celle  de  Toulouse  qui  le  défen- 
dait, Jean  Petit  prêcha  avec  la  fureur  burlesque  d'un 
prédicateur  de  carrefour  «  contre  les  farces  et  tours 
de  passe-passe  de  Pierre  de  la  Lune,  dit  Benoît  ». 
Il  demanda  et  obtint  que  le  parlement  fît  brûler  la 
lettre  de  l'université  de  Toulouse.  C'est  alors  que  le 
parti  de  Benoît  et  du  duc  d'Orléans  fut  jugé  vaincu, 
que  les  gens  avisés  le  quittèrent2,  que  ses  ennemis 
s'enhardirent,  et  que,  la  suspension  des  prédications 
ayant  suffisamment  irrité  le  peuple,  on  crut  pouvoir 

1.  App.  104.  —  2.  Par  exemple  Savoisy. 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.  —   CABOCHIENS  139 

enfin  tuer  celui  qu'on  désignait  depuis  longtemps  à  la 
haine  comme  l'auteur  des  taxes  et  le  complice  du 
schisme. 

L'Université  avait  récemment  arraché  au  roi  l'ordre 
de  contraindre  par  corps  le  pape  qui  refusait  de  céder. 
Ce  pape  avait  été  jugé  schismatique,  et  ses  partisans 
schismatiques.  Par  deux  fois  on  essaya  d'exécuter  cette 
contrainte  par  l'épée.  La  mort  d'un  prince  qui  soute- 
nait le  pape  semblait  aux  universitaires  un  résultat 
naturel  de  cette  condamnation  du  pape;  c'était  aussi 
une  contrainte  par  corps. 

Je  n'ai  pas  le  courage  de  reproduire  la  longue 
harangue  par  laquelle  Jean  Petit  entreprit  de  justifier 
le  meurtre.  Il  faut  dire  pourtant  que,  si  ce  discours 
parut  odieux  à  beaucoup  de  gens,  personne  ne  le 
trouva  ridicule.  Il  est  divisé  et  subdivisé  selon  la 
méthode  scolastique,  la  seule  que  l'on  suivit  alors. 

Il  prit  pour  texte  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  «  La 
convoitise  est  la  racine  de  tous  maux.  »  Il  déduisait  de 
là  doctement  une  majeure  en  quatre  parties,  que  la 
mineure  devait  appliquer.  La  mineure  avait  quatre 
parties  de  même  pour  établir  que  le  duc  d'Orléans 
tombant  dans  les  quatre  genres  de  convoitise,  concu- 
piscence, etc.,  s'était  rendu  coupable  de  lèse-majesté 
en  quatre  degrés.  Il  établissait,  par  le  témoignage  des 
philosophes,  des  Pères  de  l'Église  et  de  la  sainte  Écri- 
ture qu'il  était  non  seulement  permis,  mais  honorable 
et  méritoire  de  tuer  un  tyran1.  A  cela  il  apportait  douze 

1.  App.  105. 


140  HISTOIRE    DE    FRANCE 

raisons  en  l'honneur  des  douze  apôtres,  appuyées  de 
nombreux  exemples  bibliques. 

Cet  épouvantable  fatras  n'a  pas  moins  de  quatre- 
vingt-trois  pages  dans  Monstrelet.  Le  copier,  ce  serait 
à  en  vomir.  Il  faut  résumer.  Tout  peut  se  réduire  à 
trois  points  : 

1.  Le  duc  de  Bourgogne  a  tué  pour  Dieu1.  Ainsi 
Judith,  etc.  Le  duc  d'Orléans  n'était  pas  seulement 
l'ennemi  du  peuple  de  Dieu,  comme  Holopherne.  11 
était  l'ennemi  de  Dieu,  l'ami  du  Diable  ;  il  était  sor- 
cier2. La  diablesse  Vénus  lui  avait  donné  un  talisman 
pour  se  faire  aimer,  etc. 

2.  Le  duc  de  Bourgogne  a  tué  pour  le  roi.  Il  a, 
comme  bon  vassal,  sauvé  son  suzerain  des  entreprises 
d'un  vassal  félon. 

3.  Il  a  tué  pour  la  chose  publique,  et  comme  bon 
citoyen.  Le  duc  d'Orléans  était  un  tyran.  Le  tyran  doit 
être  tué,  etc. 3. 

Mais  il  faut  lire  l'original,  Il  faut  voir  dans  sa  lai- 
deur ce  monstrueux  accouplement  des  droits  et  des 
systèmes  contraires.  Le  cruel  raisonneur  prend  indif- 
féremment, et  partout,  tout  ce  qui  peut,  tant  bien  que 
mal,  fonder  le  droit  de  tuer;  tradition  biblique,  clas- 
sique, féodale,  tout  lui  est  bon,  pourvu  qu'on  tue. 

Le  discours  de  Jean  Petit  ne  mériterait  guère  d'atten- 


1.  «  Les  légistes  disent  que  toute  occision  d'homme,  juste  ou  injuste,  est 
homicide.  Mais  les  théologiens  disent  qu'il  y  a  deux  manières  d'homicides,  etc.  » 

2.  App.  106. 

3.  «  Celui  qui  l'occit  par  bonne  subtilité,  par  cautelle  en  l'épiant,  pour 
sauver  la  vie  de  son  roi...  il  ne  fait  pas  nefas...  »  —  Ceci  fait  penser  aux 
Provinciales. 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.  —  CABOCHIENS  141 

lion,  si  c'était  l'œuvre  individuelle  du  pédant,  l'indi- 
geste avorton  éclos  du  cerveau  d'un  cuistre.  Mais  non; 
il  ne  faut  pas  oublier  que  Jean  Petit  était  un  docteur 
très  important,  très  autorisé.  Cette  monstrueuse  lai- 
deur de  confusion  et  d'incohérence,  ce  mélange  sau- 
vage de  tant  de  choses  mal  comprises,  c'est  du  siècle, 
et  non  de  l'homme.  J'y  vois  la  grimaçante  figure  du 
moyen  âge  caduque,  le  masque  demi-homme,  demi- 
bête  de  la  scolastique  agonisante. 

L'histoire,  au  reste,  ne  présente  guère  d'objet  plus 
choquant.  On  rirait  de  ce  pêle-mêle  d'équivoques,  de 
malentendus,  d'histoires  travesties,  de  raisonnements 
cornus,  où  l'absurde  s'appuie  magistralement  sur  le 
faux.  On  rirait;  mais  on  frémit.  Les  syllogismes  ridi- 
cules ont  pour  majeure  l'assassinat,  et  la  conclusion  y 
ramène.  L'histoire  devient  ce  qu'elle  peut.  La  fausse 
science,  comme  un  tyran,  la  violente  et  la  maltraite. 
Elle  tronque  et  taille  les  faits,  comme  elle  ferait  des 
hommes.  Elle  tue  l'empereur  Julien  avec  la  lance  des 
croisades;  elle  égorge  César  avec  le  couteau  biblique, 
en  sorte  que  le  tout  a  l'air  d'un  massacre  indistinct 
d'hommes  et  de  doctrines,  d'idées  et  de  faits. 

Quand  il  y  aurait  eu  le  moindre  bon  sens  dans  ce 
traité  de  l'assassinat,  quand  les  crimes  du  duc  d'Or- 
léans eussent  été  prouvés  et  qu'il  eût  mérité  la  mort, 
cela  ne  justifiait  pas  encore  la  trahison  du  duc  de 
Bourgogne.  Quoi!  pour  des  fautes  si  anciennes,  après 
une  réconciliation  solennelle ,  après  avoir  mangé 
ensemble  et  communié  de  la  même  hostie  ! ...  Et  l'avoir 
tué  de  nuit,  en  guet-apens,  désarmé,  était-ce  d'un 


142  HISTOIRE    DE    FRANCE 

chevalier?  Un  chevalier  devait  l'attaquer  à  armes 
égales,  le  tuer  en  champ  clos.  Un  prince,  un  grand 
souverain,  devait  faire  la  guerre  avec  une  armée, 
vaincre  son  ennemi  en  bataille;  les  batailles  sont  les 
duels  des  rois. 

Au  reste,  la  harangue  de  Jean  Petit  était  moins  une 
apologie  du  duc  de  Bourgogne  qu'un  réquisitoire 
contre  le  duc  d'Orléans.  C'était  un  outrage  après  la 
mort,  comme  si  le  meurtrier  revenait  sur  cet  homme 
gisant  à  terre,  ayant  peur  qu'il  ne  revécût,  et  tâchant 
de  le  tuer  une  seconde  fois. 

Le  meurtrier  n'avait  pas  besoin  d'apologie.  Pendant 
que  son  docteur  pérorait,  il  avait  en  poche  de  bonnes 
lettres  de  rémission  qui  le  rendaient  blanc  comme 
neige.  Dans  ces  lettres,  le  roi  déclare  que  le  duc  lui  a 
exposé  comment  pour  son  bien  et  celui  du  royaume 
il  a  fait  mettre  hors  de  ce  monde  son  frère  le  duc  d'Or- 
léans; mais  il  a  appris  que  le  roi  «  sur  le  rapport 
d'aulcuns  ses  malveillans...  en  a  pris  desplaisance... 
Savoir  faisons  que  nous  avons  osté  et  ostons  toute 
desplaisance  que  nous  pourrions  avoir  eue  envers 
lui,  etc. l  ». 

Les  gens  de  l'Université  ayant  si  bien  soutenu  le  duc 
de  Bourgogne,  il  était  bien  juste  qu'il  les  soutînt  à  son 
tour.  D'abord  il  termina  à  leur  avantage  l'affaire  qui 
depuis  un  an  tenait  en  guerre  les  deux  juridictions, 
civile  et  ecclésiastique.  La  première  eut  tort.  L'Uni- 
versité, le  clergé,  allèrent  dépendre  les  deux  écoliers 

1.  Cartons  de  Fontanien,  année  1407. 


LUTTE   DES   DEUX   PARTIS.  —   CABOCHIENS  143 

voleurs  dont  les  squelettes  branlaient  encore  à  Mont- 
faucon.  Tout  un  peuple  de  prêtres,  de  moines,  de 
clercs  et  d'écoliers,  animés  d'une  joie  frénétique,  les 
mena  à  travers  Paris  jusqu'au  parvis  de  Notre-Dame, 
où  ils  furent  remisa  la  justice  ecclésiastique,  et  dépo- 
sés aux  pieds  de  l'évêque1.  Le  prévôt  demanda  pardon 
aux  recteurs,  docteurs  et  régents2.  Ce  triomphe  des 
deux  cadavres,  qui  était  l'enterrement  de  la  justice 
royale,  eut  lieu  au  soleil  de  mai,  attristé  par  la  lueur 
des  torches  que  portait  tout  ce  monde  noir. 

Le  14  mai,  la  veille  même  de  la  grande  victoire  de 
l'Université,  deux  messagers  du  pape  Benoît  XÏII 
avaient  eu  la  hardiesse  de  venir  braver  dans  Paris 
cette  colérique  puissance.  Ils  avaient  apporté  des 
bulles  menaçantes  où  l'ennemi,  qu'on  croyait  à  terre, 
semblait  plus  vivant  que  jamais3.  C'était  un  gentil- 
homme aragonais  (comme  son  maître  Benoit  XIII)  qui 
avait  hasardé  ce  coup. 

Une  députation  de  l'Université  vint  à  grand  bruit 
demander  justice.  Une  grande  assemblée  se  lit  à  Saint- 
Paul  en  présence  du  roi,  du  duc  de  Bourgogne  et  des 
princes.  Un  violent  sermon  y  fut  prononcé  par  Gour- 
tecuisse,  qui  faisait  le  pendant  du  discours  de  Jean 


1.  A  pp.  107. 

2.  «  Messeigneurs,  leur  dit-il,  se  raillant  de  leur  puissance  et  de  leur  obs- 
tination, outre  le  pardon  que  vous  m'accordez,  je  vous  ai  grande  obligation  ; 
car  lorsque  vous  m'avez  attaqué,  je  me  tins  pour  assuré  d'être  mis  hors  de 
mon  état;  mais  je  craignais  qu'il  ne  vous  vint  en  idée  de  conclure  aussi  à  ce 
que  je  fusse  marié,  et  je  suis  bien  certain  que  si  une  fois  vous  eussiez  mis 
cette  conclusion  en  avant,  il  m'aurait  fallu,  bon  gré,  mal  gré,  me  marier.  Par 
votre  grâce,  vous  avez  bien  voulu  m'exempter  de  cette  rigueur,  ce  dont  je  vous 
remercie  très  humblement.  »  (Chronique,  n°  10297.)  —  3.  App.  108. 


144  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Petit.  C'était  la  condamnation  du  pape,  comme  l'autre 
était  la  condamnation  du  prince,  partisan  du  pape. 

Le  texte  était  :  «  Que  la  douleur  en  soit  pour  lui  ; 
tombe  sur  lui  son  iniquité  !  »  Si  le  pape  eût  été  là,  il 
n'y  eût  guère  eu  plus  de  sûreté  pour  lui  que  pour  le 
duc  d'Orléans.  Le  pape  n'y  étant  pas,  on  ne  frappa  que 
ses  bulles.  Le  chancelier  les  condamna  au  nom  de 
l'assemblée,  les  secrétaires  royaux  y  enfoncèrent  le 
canif,  et  les  jetèrent  au  recteur  qui  les  mit  en  menus 
morceaux. 

Ce  n'était  pas  assez  de  poignarder  un  parchemin. 
On  envoya  ordre  à  Boucicaut  d'arrêter  le  pape  ;  et  en 
attendant,  on  prit,  comme  suspects  d'aimer  le  pape, 
l'abbé  de  Saint-Denis  et  le  doyen  de  Saint-Germain- 
l'Auxerrois.  Saint-Denis  étant,  comme  on  l'a  vu,  fort 
mal  avec  l'Église  de  Paris,  l'arrestation  de  l'abbé  était 
populaire.  Mais  le  doyen  de  Saint-Germain-l'Auxerrois 
était  membre  du  parlement.  Il  y  avait  imprudence  à 
l'arrêter;  le  parlement  en  garda  rancune.  Les  prison- 
niers, ayant  tout  à  craindre  dans  ce  moment  de  vio- 
lence, essayèrent  d'apaiser  l'Université  en  se  réclamant 
d'elle,  et  demandant  l'adjonction  de  quelques-uns  de 
ses  docteurs  à  la  commission  qui  devait  les  juger.  Ils 
eurent  lieu  de  s'en  repentir.  Ces  scolastiques,  étran- 
gers aux  lois,  aux  hommes  et  aux  affaires,  ne  purent 
jamais  s'accorder  avec  les  juges  \  Ils  montrèrent  autant 
de  gaucherie  que  de  violence,  firent  arrêter  au  hasard 
nombre  de  gens.  Les  prisonniers  avaient  beau  invo- 

1.  App.  109. 


LUTTE  DES  DEUX  PARTIS.  —  CABOCHIENS     Ho 

quer  le  parlement,  l'evèque  de  Paris;  les  princes 
même  intercédaient.  Ces  implacables  pédants  ne  vou- 
laient point  lâcher  prise. 

Le  dimanche  25  mai,  un  professeur  de  l'Université, 
Pierre-aux-Bœufs  (cordelier,  comme  Jean  Petit),  lut 
devant  le  peuple  les  lettres  royaux  qui  déclaraient  que 
dorénavant  on  n'obéirait  ni  à  l'un  ni  à  l'autre  pape. 
Gela  s'appela  l'acte  de  Neutralité.  Aucune  salle,  aucune 
place  n'aurait  contenu  la  foule.  La  lecture  se  fît  à  la 
culture  de  Saint-Martin-des-Champs.  Cette  ordonnance 
n'est  point  dans  le  style  ordinaire  des  lois.  C'est  visi- 
blement un  factum  de  l'Université,  violent,  acre,  et 
qui  n'est  pas  sans  éloquence  :  «  Qu'ils  tombent,  qu'ils 
périssent,  plutôt  que  l'unité  de  l'Eglise.  Qu'on  n'en- 
tende plus  la  voix  de  la  marâtre  :  Coupez  V enfant,  et 
qu'il  ne  soit  ni  à  moi,  ni  à  elle;  mais  la  voix  de  la  bonne 
mère  :  Donnez-le  lui  plutôt  tout  entier...  » 

On  ne  s'en  tint  pas  à  des  paroles.  Un  concile 
assemblé  dans  la  Sainte-Chapelle  détermina  comment 
l'Église  se  gouvernerait  dans  la  vacance  du  Saint- 
Siège.  Benoît  ne  put  être  atteint  ;  il  se  sauva  à  Per- 
pignan, entre  le  royaume  d'Aragon,  son  pays,  où  il 
était  soutenu,  et  la  France,  où  il  guerroyait  contre  le 
concile  à  force  de  bulles.  Mais  ses  deux  messagers 
furent  pris,  et  traînés  par  les  rues  dans  un  étrange 
accoutrement  ;  ils  étaient  coiffés  de  tiares  de  papier, 
vêtus  de  dalmatiques  noires  aux  armes  de  Pierre  de 
Luna,  et  de  plus  chargés  d'écriteaux  qui  les  quali- 
fiaient traîtres  et  messagers  d'un  traître.  Ainsi  équipés, 


T.    IV. 


146  HISTOIRE    DE    FRANCE 

dans  la  cour  du  Palais,  parmi  les  huées  du  peuple, 
qui  s'habituait  à  mépriser  les  insignes  du  pontificat1. 
Le  dimanche  suivant,  même  scène  au  parvis  Notre- 
Dame  :  un  moine  trinitaire,  régent  de  théologie, 
invectiva  contre  eux  et  contre  le  pape,  avec  une  vio- 
lence furieuse  et  des  farces  de  bateleur,  le  tout  dans 
une  langue  si  fangeuse,  que  bonne  part  de  cette  boue 
retombait  sur  l'Université2. 

Le  pape  de  Rome,  le  pape  d'Avignon,  étaient  tous 
les  deux  en  fuite  ;  leurs  cardinaux  avaient  déserté. 
La  reine  s'enfuit  aussi,  emmenant  de  Paris  le  dau- 
phin, gendre  du  duc  de  Bourgogne.  Les  ducs  d'Anjou 
(roi  de  Sicile),  de  Berri  et  de  Bretagne  ne  tardèrent 
pas  à  les  suivre.  Le  duc  de  Bourgogne  allait  se  trouver 
seul  de  tous  les  princes  à  Paris,  ayant  toutefois  dans 
les  mains  le  roi,  le  concile,  l'Université.  Lâcher  le 
roi  et  Paris,  c'était  risquer  beaucoup.  Cependant  il 
ne  pouvait  plus  remettre  son  retour  aux  Pays-Bas. 
Pendant  qu'il  faisait  ici  la  guerre  au  pape  et  écoutait 
les  prolixes  harangues  des  docteurs,  le  parti  de  Benoît 
et  d'Orléans  se  fortifiait  à  Liège.  Le  jeune  évêque  de 
Liège,  son  cousin  Jean  de  Bavière,  ne  pouvait  plus 
résister3.  Les  Liégeois  étaient  menés  par  un  homme 
de  tête  et  de  main,  le  sire  de  Perweiss,  père  de  l'autre 
prétendant  à  l'évêché  de  Liège  ;  il  appelait  les  Alle- 
mands ;  il  faisait  venir  des  archers  anglais.  Le 
Brabant  était    en  péril.    Que   serait-il   advenu   si  la 


1.  Le  Religieux.  App.  110. 

2.  «  Quod  anum  sordidissimœ  omasariae  osculari  mallet  quam  os  Pétri. 
(Religieux.)  —  3.  App.  111. 


LUTTE   DES  DEUX  PARTIS.  —  CABOCHIENS  147 

Flandre  avait  pris  parti  pour  Liège,  si  les  gens  de 
Gand  s'étaient  souvenus  que  les  Liégeois  leur  avaient 
envoyé  des  vivres  avant  la  bataille  de  Roosebeke  ? 

Je  parlerai  plus  tard  de  ce  curieux  peuple  de  Liège, 
de  cette  extrême  pointe  de  la  race  et  de  la  langue 
wallonnes  au  sein  des  populations  germaniques,  petite 
France  belge  qui  est  restée,  sous  tant  de  rapports, 
si  semblable  à  la  vieille  France,  tandis  que  la  nôtre 
changeait.  Mais  tout  cela  ne  peut  se  dire  en  passant. 

Les  Liégeois  étaient  quarante  mille  intrépides 
fantassins.  Mais  le  duc  avait  contre  eux  toute  la 
chevalerie  de  Picardie  et  des  Pays-Bas,  qui  regardait 
avec  raison  cette  guerre  comme  l'affaire  commune 
de  la  noblesse.  La  noblesse  était  d'accord.  Les  villes, 
Liège,  Gand  et  Paris,  ne  s'entendaient  pas.  Gand  et 
Paris  ne  suivaient  pas  le  même  pape  que  les  Liégeois. 
Le  duc  de  Bourgogne,  qui  soulevait  les  communes 
en  France,  écrasa  en  Belgique  celle  de  Liège. 

Les  Liégeois  étaient  une  population  d'armuriers 
et  de  charbonniers,  brutale  et  indomptable,  que  leurs 
chefs  ne  pouvaient  mener.  Dès  que  les  bannières 
féodales  apparurent  dans  la  plaine  de  Hasbain,  le 
proverbe  se  vérifia  : 

Qui  passe  dans  le  Hasbain 
A  bataille  le  lendemain. 

Ils  se  postèrent  quarante  mille  dans  une  enceinte 
fermée  de  chariots  et  de  canons,  et  attendirent  fière- 
ment. Le  duc  de  Bourgogne,  qui  savait  qu'il  allait 
leur  venir  encore  dix  mille  hommes  de  troupes  et 


148  HISTOIRE    DE    FRANCE 

des  archers  d'Angleterre,  se  hasarda  d'attaquer.  Les 
Liégeois  avaient  un  peu  de  cavalerie,  quelques  cheva- 
liers ;  mais  ils  s'en  défiaient  trop  ;  ils  les  empêchèrent 
de  bouger.  Ceux  de  Bourgogne,  ne  pouvant  les  forcer 
par  devant,  les  tournèrent  ;  une  terreur  panique  les 
prit  ;  plusieurs  milliers  de  Liégeois  se  rendirent  pri- 
sonniers. Le  duc  de  Bourgogne,  presque  vainqueur, 
voit  apparaître  alors  les  dix  mille  paresseux  de  Ton- 
gres,  qui  venaient  enfin  combattre.  Il  craignit  qu'ils 
ne  lui  arrachassent  la  victoire,  et  ordonna  le  massacre 
des  prisonniers.  Ce  fut  une  immense  boucherie  ; 
toute  cette  chevalerie,  cruelle  par  peur,  s'acharna  sur 
la  multitude  qui  avait  posé  les  armes.  Le  duc  de 
Bourgogne  prétend,  dans  une  lettre1,  qu'il  resta 
vingt-quatre  mille  hommes  sur  le  carreau  :  il  avait 
perdu  seulement  de  soixante  à  quatre-vingts  cheva- 
liers ou  écuyers,  sans  compter  les  soldats  apparem- 
ment. Néanmoins,  cette  disproportion  fait  sentir  assez 
combien,  dans  la  nouveauté  et  l'imperfection  des 
armes  à  feu,  les  moyens  offensifs  étaient  faibles  contre 
ces  maisons  de  fer  dont  les  chevaliers  s'affublaient. 
Je  me  défie  un  peu  de  ce  nombre  de  vingt-quatre 
mille  hommes  ;  c'est  juste  celui  de  la  bataille  de 
Roosebeke,  que  gagna  Philippe-le-Hardi.  Le  fils  ne 
voulut  pas  sans  doute  avoir  tué  moins  que  le  père. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  récit  des  cruautés  épouvantables 
du  parti  de  Bourgogne,  qui,  dans  le  Hasbain  seul, 
avait  brûlé,  disait-on,    quatre  cents    églises   parois- 

1.  App.  112. 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.   —  CABOCHIENS  149 

siales,  souvent  même  avec  les  paroissiens,  la  vengeance 
de  l'évêque  de  Liège,  Jean-sans-Pitié,  ses  noyades 
dans  la  Meuse,  tout  cela,  chose  triste  à  dire,  mais  qui 
peint  le  siècle,  frappa  les  imaginations  et  releva  le 
duc  de  Bourgogne.  Cette  bataille  fut  prise  pour  le 
jugement  de  Dieu.  On  savait  qu'il  avait  d'ailleurs 
payé  de  sa  personne  \,  Le  peuple,  comme  les  femmes, 
aime  les  forts  :  Ferrum  est  quod  amant.  On  donna 
au  duc  de  Bourgogne  le  surnom  de  Jean-sans-Peur  : 
sans  peur  des  hommes  et  sans  peur  de  Dieu2. 

La  reine  et  les  princes  étaient  revenus  à  Paris 
dans  l'absence  du  duc  de  Bourgogne  3,  et  procédaient 
contre  lui.  Un  éloquent  prédicateur,  Cérisy,  pronon- 
çait une  touchante  apologie  de  Louis  d'Orléans,  qui  a 
effacé  à  jamais  le  discours  de  Jean  Petit.  L'avocat  de 
la  veuve  et  des  orphelins  concluait  à  ce  que  le  duc  de 
Bourgogne  fît  amende  honorable,  demandât  pardon 
et  baisât  la  terre,  et  qu'après  avoir  fait  diverses 
fondations  expiatoires,  il  allât  pendant  vingt  ans 
outre-mer  pour  pleurer  son  crime.  Cela  se  disait  le 
11  septembre;  le  23,  il  gagnait  la  bataille  d'Hasbain  ; 
le  24  novembre,  il  arrivait  à  Paris.  La  foule  alla  voir 
avec  respect  l'homme  qui  venait  de  tuer  vingt-cinq 
mille  hommes  ;  il  s'en  trouva  pour  crier  Noël  ! 

La   reine  et   les  princes  avaient   enlevé   le   roi  à 


1.  A  pp.  113.  ^ 

2.  11  eût  pu  être  nommé,  tout  aussi  bien  que  son  cousin  l'évêque,  Jean- 
sans-pitié.  Monstrelet  dit  lui-même  :  «  Quand  il  fut  demandé,  après  la  décon- 
fiture, si  on  cesseroit  de  plus  occire  iceux  Liégeois,  il  fit  réponse  qu'ils 
mourroient  tous  ensemble,  et  que  pas  ne  vouloit  qu'on  les  prenst  à  rançon  ni 
mist  à  finance.  »  —  3.  App.  11  i. 


130  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Chartres  ;  ils  pouvaient  en  son  nom  agir  contre  le 
duc.  Gela  le  décida  à  un  accommodement1.  La  chose 
fut  négociée  par  le  grand  maître  Montaigu,  serviteur 
de  la  reine  et  de  la  maison  d'Orléans,  principal 
conseiller  de  ce  parti,  qui  avait  été  envoyé  au  duc  de 
Bourgogne,  qui  en  avait  rapporté  une  grande  peur,  et 
qui  ne  sentait  pas  sa  tète  bien  ferme  sur  ses  épaules. 
Il  arrangea  avec  la  crédulité  de  la  peur  ce  triste  traité 
qui  déshonorait  les  deux  partis.  Le  principal  article 
était  que  le  second  fils  du  mort  épouserait  une  fille 
du  meurtrier,  avec  une  dot  de  cent  cinquante  mille 
francs  d'or.  Comme  dot,  c'était  beaucoup,  mais  comme 
prix  du  sang,  combien  peu  ! 

Ce  fut  une  laide  scène,  laide  encore  comme  profa- 
nation d'une  des  plus  saintes  églises  de  France. 
Notre-Dame  de  Chartres,  ses  innombrables  statues 
de  saints  et  de  docteurs,  furent  condamnées  à  être 
témoins  de  la  fausse  paix  et  des  parjures.  On  dressa, 
non  pas  au  parvis  où  se  faisaient  les  amendes  honora- 
bles, mais  à  l'entrée  du  chœur,  un  grand  échafaucl. 
Le  roi,  la  reine,  les  princes,  y  siégeaient.  L'avocat 
du  duc  de  Bourgogne  demanda  au  roi,  au  nom  du 
duc,  qu'il  lui  plût  «  de  ne  conserver  dans  le  cœur  ni 
colère,  ni  indignation  à  cause  du  fait  qu'il  a  commis  et 
fait  faire  sur  la  personne  de  monseigneur  d'Orléans, 
pour  le  bien  du  royaume  et  de  vous  ». 

Puis  les  enfants  d'Orléans  entrèrent  ;  le  roi  leur  fit 


1.  A  la  rentrée  du  parlement,  le  vieux  chancelier  traça  un  tableau  touchant 
de  la  désolation  du  royaume.  (Archives,  Registre  du  Parlement,  Conseil, 
XIII,  folio  49.) 


LUTTE   DES   DEUX   PARTIS.  —  CABOCHIENS  151 

part  du  pardon  qu'il  avait  accordé,  et  les  requit  de 
l'avoir  pour  agréable.  L'avocat  de  Bourgogne  parla 
en  ces  termes  :  «  Monseigneur  d'Orléans  et  messei- 
gneurs  ses  frères,  voici  monseigneur  de  Bourgogne 
qui  vous  supplie  de  bannir  de  vos  cœurs  toute  haine 
et  toute  vengeance,  et  d'être  bons  amis  avec  lui.  » 
Le  duc  ajouta  de  sa  propre  bouche  :  «  Mes  chers 
cousins,  je  vous  en  prie.  » 

Les  jeunes  princes  pleuraient.  Selon  le  cérémonial 
convenu,  la  reine,  le  dauphin  et  les  seigneurs  du  sang 
royal  s'approchèrent  d'eux,  et  intercédèrent  pour  le 
duc  de  Bourgogne  ;  ensuite,  le  roi,  du  haut  de  son 
trône,  leur  adressa  ces  mots  :  «  Mon  très  cher  fils  et 
mon  très  cher  neveu,  consentez  à  ce  que  nous  avons 
fait,  et  pardonnez.  »  Le  duc  d'Orléans  et  son  frère 
répétèrent  alors,  l'un  après  l'autre,  les  paroles  pres- 
crites. 

Montaigu,  qui  avait  dressé  d'avance  ce  traité,  par 
lequel  les  enfants  reconnaissaient  que  leur  père  était 
tué  pour  le  bien  du  royaume,  avait  au  fond  trahi  son 
ancien  maître,  le  duc  d'Orléans,  pour  le  duc  de  Bour- 
gogne. Celui-ci  néanmoins  lui  en  voulut  mortellement. 
Il  n'avait  pas  probablement  deviné  d'avance  l'humi- 
liante attitude  qu'il  lui  faudrait  prendre  dans  cette 
cérémonie,  et  ce  qu'il  lui  en  coûterait  pour  dire  aux 
enfants  :  Pardonnez. 

Tout  le  monde  savait  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  valeur 
d'une  telle  paix.  Le  greffier  du  parlement,  en  l'ins- 
crivant sur  son  registre,  ajoute  ces  mots  à  la  marge  : 
Pax,  paœ,  inquit  Propheta,  et  non  est  pax. 


152  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Les  réconciliés  revinrent  à  Paris,  plus  ennemis  que 
jamais,  mais  d'accord  pour  sacrifier  le  trop  conciliant 
Montaigu.  Ce  pauvre  diable  n'avait  après  tout  péché 
que  par  peur.  Mais  il  avait  encore  un  autre  crime  ; 
il  était  trop  riche.  On  se  demandait  comment  ce  fils 
d'un  notaire  de  Paris,  médiocrement  lettré,  de  pauvre 
mine,  petite  taille,  barbe  claire,  la  langue  épaisse1, 
comment  il  s'y  était  pris  pour  gouverner  la  France 
depuis  si  longtemps.  Il  fallait  bien,  avec  tout  cela, 
qu'il  fût  pourtant  un  habile  homme,  pour  que  la  reine, 
le  duc  d'Orléans,  les  ducs  de  Berri  et  de  Bourbon 
eussent  tous  besoin  de  lui  et  l'appelassent  leur  ami. 

L'habileté  qui  lui  manqua,  ce  fut  de  se  faire  petit. 
Sans  parler  de  ses  grandes  terres,  il  avait  bâti  ;ï 
Marcoussis  un  délicieux  château.  A  Paris,  le  peuple 
montrait  avec  envie  son  splendide  hôtel.  Les  plus 
grands  seigneurs  avaient  recherché  ses  filles.  Récem- 
ment encore,  il  avait  marié  son  fils  avec  la  fille  du 
connétable  d'Albret,  cousin  du  roi.  Il  fit  encore  son 
frère  évêque  de  Paris,  et  à  cette  occasion  il  eut  l'im- 
prudence de  traiter  les  princes,  d'étaler  une  incroyable 
quantité  de  vaisselle  d'or  et  d'argent.  Les  convives 
.ouvrirent  de  grands  yeux  ;  leur  cupidité  attisa  leur 
haine.  Ils  trouvèrent  fort  mauvais  que  Montaigu  eût 
tant  de  vaisselle  d'or,  lorsque  celle  du  roi  était  en 
gage. 

Pour  un  homme  nouveau,  Montaigu  semblait  bien 
assis.  Dès  le  temps  du  gouvernement  des  Marmousets, 

1.  Le  Religieux. 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.  —   CABOCHIENS  153 

il  s'était  acquis  beaucoup  de  gens  ;  il  était  bien 
apparenté,  bien  allié.  Frère  de  l'archevêque  de  Sens, 
il  venait  de  prendre  une  forte  position  populaire 
dans  Paris  en  y  faisant  son  frère  évêque.  Aussi  les 
princes  menèrent  l'affaire  à  petit  bruit.  Ils  s'assem- 
blèrent secrètement  à  Saint-Victor,  délibérèrent  sous 
le  sceau  du  serment  ;  ils  conspirèrent,  trois  ou  quatre 
princes  du  sang  et  les  plus  grands  seigneurs  de 
France,  contre  le  fils  du  notaire.  On  avertit  Montaigu  ; 
mais  il  s'obstina  à  ne  rien  craindre.  N'avait-il  pas  pour 
lui  le  roi,  le  bon  duc  de  Berri,  la  reine  surtout,  en 
mémoire  du  duc  d'Orléans  ?  La  reine  s'employa,  il 
est  vrai,  un  peu  en  sa  faveur.  Mais  il  ne  fallut  pas 
grande  violence  pour  lui  forcer  la  main  ;  on  lui  promit 
que  les  grands  biens  de  Montaigu  seraient  donnés 
au  dauphin1.  Après  tout,  elle  était  absente,  à  Melun  ; 
ce  triste  spectacle  de  la  mort  d'un  vieux  serviteur  ne 
devait  pas  affliger  ses  yeux. 

Il  y  eut  à  la  mort  de  Montaigu  une  chose  qu'on  ne 
voit  guère  à  la  chute  des  favoris  :  le  peuple  se  sou- 
leva 2.  Montaigu,  il  est  vrai,  intéressait  les  trois  puis- 
sances de  la  ville  :  il  était  frère  de  l'évêque;  il  récla- 
mait le  privilège  de  cléricature,  celui  du  clergé  et  de 
l'Université;  enfin,  il  en  appelait  au  parlement.  Rien 
ne  lui  servit.  La  ville  était  pleine  des  gentilshommes 
du  duc  de  Bourgogne.  Le  nouveau  prévôt  de  Paris, 
Pierre  Desessarts,  monta  à  cheval,  courut  les  rues 
avec  une  forte  troupe,  criant  qu'il  tenait  les  traîtres 

1.  Bibliothèque  royale,    mss.,   Dupuy,   vol.  744.   Fontanieu,  107-108, 
ann.  1409.  —  2.  Le  Religieux. 


154  HISTOIRE    DE    FRANCE 

qui  étaient  cause  de  la  maladie  du  roi,  qu'il  en  ren- 
drait bon  compte,  que  les  bonnes  gens  n'avaient  qu'à 
retourner  à  leurs  affaires  et  à  leurs  métiers  \ 

Montaigu  nia  tout  d'abord  ;  mais  il  était  entre  les 
griffes  d'une  commission  ;  on  lui  fit  tout  avouer  par 
la  torture.  Le  17  octobre,  sans  perdre  de  temps, 
moins  d'un  mois  après  sa  belle  fête,  il  fut  traîné  aux 
halles.  On  ne  lut  pas  même  l'arrêt.  Brisé  qu'il  était 
par  la  torture,  les  mains  disloquées,  le  ventre  rompu, 
il  baisait  la  croix  de  tout  son  cœur,  affirmant  jusqu'au 
bout  qu'il  n'était  pas  coupable,  non  plus  que  le  duc 
d'Orléans,  que  seulement  il  ne  pouvait  nier  qu'ils 
n'eussent  mal  usé  des  deniers  du  roi  et  trop  dépensé 2. 
L'assistance  pleurait  ;  ceux  même  que  les  princes 
avaient  envoyés  pour  s'assurer  du  supplice  revinrent 
tout  en  larmes. 

Cette  mort  avait  touché  tout  le  monde,  mais  effravé 
encore  plus.  Quel  en  fut  le  résultat?  Celui  qu'on  devait 
attendre  de  la  lâcheté  du  temps.  Tous  voulurent  être 
du  côté  d'un  homme  qui  frappait  si  fort  ;  la  mort  du 
duc  d'Orléans,  celle  de  Montaigu,  le  massacre  de 
Liège,  c'étaient  trois  grands  coups.  Le  roi  de  Navarre 
était  déjà  allié  du  duc  de  Bourgogne3,  dont  il  avait 
besoin  contre  le  comte  d'Armagnac.  Le  duc  d'Anjou  le 
fut  pour  de  l'argent;  il  en  reçut,  comme  dot  d'une 
fille  de  Bourgogne,  pour  aller  perdre  encore  cet  argent 

1.  Le  Religieux.  —  2.  App.  115. 

3.  Le  duc  de  Rourgogne  déploie  dans  cette  année  1409  une  remarquable 
activité.  Il  cherche  des  alliances  au  Midi  et  au  Nord.  Voy.  les  traités  avec  le 
roi  de  Navarre,  le  comte  de  Foix,  le  duc  de  Ravière  et  Edouard  de  Rar.  {Mss., 
Baluze,  9484,  2.) 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.  —   CABOCHIENS  155 

en  Italie.  La  reine  fut  aussi  gagnée  par  un  mariage  ; 
le  duc  de  Bourgogne  alla  la  voir  à  Melun  et  promit  de 
faire  épouser  au  frère  d'Isabeau  (Louis  de  Bavière)  la 
fille  de  son  ami,  le  roi  de  Navarre.  Il  était  d'ailleurs 
arrangé  que  le  jeune  dauphin  présiderait  désormais  le 
conseil;  la  grosse  Isabeau1  crut  sottement  qu'elle  gou- 
vernerait son  fds,  et  par  son  fils  le  royaume.  Elle 
revint  à  Paris,  c'est-à-dire  qu'elle  se  remit  entre  les 
mains  du  duc  de  Bourgogne. 

Ainsi,  les  choses  tournaient  à  souhait  pour  lui  et 
pour  son  parti.  L'Université,  toute-puissante  au  concile 
de  Pise,  venait  de  mettre  à  profit  la  déposition  des 
deux  papes  pour  faire  donner  la  papauté  à  l'un  de  ses 
anciens  professeurs,  qui  apparemment  n'aurait  rien  à 
refuser  à  l'Université  et  au  duc  de  Bourgogne. 

Que  manquait-il  à  celui-ci,  sinon  de  se  réhabiliter, 
s'il  pouvait,  de  faire  oublier?  Il  y  avait  deux  moyens, 
réformer  l'Etat  et  chasser  l'Anglais.  Il  entreprit  de 
nouveau  d'assiéger  Calais  ;  cette  fois,  le  duc  d'Orléans 
n'était  plus  là  pour  faire  manquer  l'entreprise.  Il  s'y 
prit  comme  la  première  fois  ;  il  fit  bâtir  une  ville  de 
bois  autour  de  la  ville;  il  entassa  dans  l'abbaye  de 
Saint-Omer  force  machines  et  quantité  d'artillerie. 
Mais  les  Anglais,  pour  la  somme  de  dix  mille  nobles 
à  la  rose,  trouvèrent  un  charpentier  qui  y  jeta  le  feu 
grégeois  et  brûla  en  un  moment  tout  ce  qu'on  avait 
longuement  préparé. 

La  réforme  n'alla  guère  mieux  que  la  guerre.  Le  duc 

i.  «  Mole  carnis  gravata  nimium.  »  (Religieux.) 


156  HISTOIRE    DE    FRANCE 

de  Bourgogne  l'avait  commencée  à  sa  manière,  rude- 
ment. Il  avait  rendu  à  Paris  ses  privilèges,  en  y  met- 
tant un  prévôt  à  lui,  le  violent  Desessarts.  Il  avait  con- 
voqué une  assemblée  générale  de  la  noblesse,  sous  la 
présidence  du  dauphin,  s'emparant  du  dauphin  même 
et  mettant  de  côté  le  vieux  duc  de  Berri. 

Cependant  il  prenait  les  finances  en  main,  desti- 
tuant au  nom  du  roi  et  des  princes  tous  les  trésoriers, 
et  mettant  à  leur  place  des  bourgeois  de  Paris,  des 
gens  riches,  timides  et  dépendants.  Tous  les  receveurs 
devaient  rendre  compte  à  un  haut  conseil  qu'il  domi- 
nait par  le  comte  de  Saint-Pol.  Ce  conseil  fit  une  chose 
inouïe,  il  interdit  la  Chambre  des  comptes,  fit  arrêter 
plusieurs  de  ses  membres1,  et  néanmoins  il  se  servit 
de  ses  registres,  relevant  sur  les  marges  les  Ni  mi  s 
habuit  ou  Recuperetur  dont  cette  sage  et  honnête  com- 
pagnie marquait  les  payements  excessifs.  On  voulait 
s'autoriser  de  ces  notes  pour  tirer  de  l'argent  de  ceux 
qui  avaient  reçu,  ou  même  de  leurs  héritiers. 

Cela  était  inquiétant  pour  beaucoup  de  monde,  sus- 
pect pour  tous,  d'autant  plus  que  dans  toutes  ces 
mesures  on  voyait  derrière  le  duc  de  Bourgogne  un 
homme  emporté,  passionné  et  brouillon,  le  nouveau 
prévôt  de  Paris,  Desessarts,  homme  de  peu,  qui  se 
hâtait  de  faire  sa  main,  d'enrichir  les  siens,  comme 
avait  fait  Montaigu;  il  l'avait  mené  au  gibet,  et  il  y 
courait  lui-même. 

Tel  était  Paris;  hors  de  Paris,  se  formait  un  grand 

1.  App.  116. 


LUTTE   DES   DEUX   PARTIS.  —    CABOCHIENS  157 

orage.  Le  duc  d'Orléans  n'était  qu'un  enfant,  un  nom; 
mais  autour  de  ce  nom  se  serraient  naturellement  tous 
ceux  qui  haïssaient  le  duc  de  Bourgogne  et  le  roi  de 
Navarre.  D'abord  le  comte  d'Armagnac,  ennemi  du 
second  par  voisinage,  du  premier  pour  avoir  dès  long- 
temps été  forcé  de  céder  le  Gharolais;  puis  le  duc  de 
Bretagne,  les  comtes  de  Glermont  et  d'Alençon  ;  enfin, 
les  ducs  de  Berri  et  de  Bourbon,  qui,  se  voyant 
comptés  pour  rien  par  le  duc  de  Bourgogne,  passèrent 
de  l'autre  côté.  Ces  princes  s'allièrent  «  pour  la 
réforme  de  l'État  et  contre  les  ennemis  du  royaume  ». 

C'était  aussi  contre  les  ennemis  du  royaume  que  le 
duc  de  Bourgogne  levait  des  troupes  et  demandait  de 
l'argent.  Il  fit  venir  à  Paris  les  principaux  bourgeois 
des  villes  de  France  pour  obtenir,  non  une  taxe,  mais 
un  prêt;  les  Anglais,  disait-il,  menaçaient  de  débar- 
quer. Les  bourgeois,  sans  délibérer,  répondirent  nette- 
ment que  leurs  villes  étaient  déjà  trop  chargées,  que 
le  duc  de  Bourgogne  n'avait  qu'à  faire  usage  de  trois 
cent  mille  écus  d'or  qui,  disait-on,  avaient  été  recou- 
vrés. Mais  cet  argent  s'était  écoulé  sans  qu'on  sût 
comment  \ 

Paris  ne  montrait  pas  plus  de  zèle  que  les  autres 
villes;  le  duc  avait  voulu  lui  rendre  ses  armes  et  ses 
divisions  militaires  de  centeniers,  soixanteniers,  cin- 
quanteniers,  etc.  Les  Parisiens  le  remercièrent,  et 
n'en  voulurent  pas,  ne  se  souciant  pas  de  devenir  les 
soldats  du  duc  de  Bourgogne.  Il  n'avait  pu  non  plus 

1.  App.  117. 


158  HISTOIRE    DE    FRANCE 

faire  un  capitaine  de  Paris  ;  la  ville  prétendit  qu'ayant 
eu  un  prince  du  sang  pour  capitaine  (le  duc  de  Berri), 
elle  ne  pouvait  accepter  un  capitaine  de  moindre 
rang. 

Le  duc  de  Bourgogne,  ayant  contre  lui  les  princes, 
sans  avoir  pour  lui  les  villes,  fat  obligé  de  recourir  à 
ses  ressources  personnelles.  Il  appela  ses  vassaux. 
Une  nuée  de  Brabançons  vint  s'abattre  sur  la  France 
du  Nord,  sur  Paris,  pillant,  ravageant.  Paris,  devenu 
sensible  au  mal  général  par  ses  propres  souffrances, 
demanda  la  paix  à  grands  cris.  Son  organe  ordinaire, 
l'Université,  avec  cet  aplomb  propre  aux  gens  qui  ne 
connaissent  ni  les  hommes  ni  les  choses,  trouvait  un 
moyen  fort  simple  de  tout  arranger  :  c'était  d'exclure 
du  gouvernement  les  deux  chefs  de  partis,  les  ducs  de 
Berri  et  de  Bourgogne,  de  les  renvoyer  dans  leurs 
terres  et  de  prendre  dans  les  trois  États  des  gens  de 
bien  et  d'expérience,  qui  gouverneraient  à  merveille. 
Le  duc  de  Bourgogne  et  le  roi  cle  Navarre  accueil- 
lirent d'autant  mieux  la  chose,  qu'elle  était  imprati- 
cable. Ils  firent  parade  de  désintéressement;  ils  étaient 
prêts,  disaient-ils,  soit  à  servir  l'État  gratuitement,  en 
sacrifiant  même  leurs  biens,  ou  encore  à  se  retirer,  si 
c'était  l'utilité  du  royaume. 

L'Université  n'eut  pas  à  aller  loin  pour  trouver 
le  duc  cle  Berri.  11  était  déjà  avec  ses  troupes  à 
Bicêtre.  Il  avait  répondu  à  une  première  ambassade, 
qui  lui  demandait  la  paix  au  nom  du  roi,  que  juste- 
ment il  venait  pour  s'entendre  avec  le  roi.  Il  reçut 
parfaitement  les    députés  de  l'Université,  goûta  leur 


LUTTE   DES  DEUX  PARTIS.  —  CABOCHIENS  159 

conseil,  répondant  gaiement  :  «  S'il  faut  pour  gou- 
verner des  gens  pris  dans  les  trois  États,  j'en  suis  et 
je  retiens  place  dans  les  rangs  de  la  noblesse.  » 

L'hiver  et  la  faim  forcèrent  pourtant  les  princes  à 
accepter  l'expédient  que  se  proposait  l'Université.  Il 
donnait  satisfaction  à  leur  gloriole.  Le  duc  de  Bour- 
gogne consentait  à  s'éloigner  en  même  temps  qu'eux. 
Le  conseil  devait  être  composé  de  gens  qui  jureraient 
de  n'appartenir  ni  à  l'un  ni  à  l'autre.  Le  dauphin  était 
remis  à  deux  seigneurs  nommés,  l'un  par  le  duc  de 
Berri.  l'autre  par  le  duc  de  Bourgogne.  (Paix  de 
Bicêtre,  1er  nov.  1410.) 

Au  fond,  celui-ci  restait  maître.  Il  avait  l'air  de 
quitter  Paris,  mais  il  le  gardait.  Son  prévôt,  Deses- 
sarts,  qui  devait  sortir  de  charge,  y  fut  maintenu.  Le 
dauphin  n'eut  guère  autour  de  lui  que  de  zélés  Bour- 
guignons. Son  chancelier  était  Jean  de  Nyelle,  sujet  et 
serviteur  du  duc  de  Bourgogne  ;  ses  conseillers,  le  sire 
de  Heilly,  autre  vassal  du  même  prince,  le  sire  de 
Savoisy,  qui  avait  embrassé  récemment  son  parti, 
Antoine  de  Craon,  de  la  famille  de  l'assassin  de 
Glisson,  le  sire  de  Gourcelles,  parent  sans  doute  du 
célèbre  docteur  qui  fut  l'un  des  juges  de  laPucelle,  etc. 

Le  duc  de  Bourgogne  s'était  retiré,  conformément  au 
traité.  Il  n'armait  pas  et  ses  adversaires  armaient.  Les 
torts  paraissaient  être  du  côté  des  amis  du  duc  d'Or- 
léans. Le  conseil  du  dauphin,  pour  mieux  faire  croire 
à  son  impartialité,  s'adjoignit  le  parlement,  quelques 
évêques,  quelques  docteurs  de  l'Université,  plusieurs 
notables  bourgeois,  et,  au  nom  de  cette  assemblée,  il 


160  HISTOIRE    DE    FRANCE 

défendit  aux  ducs  d'Orléans  et  de  Bourgogne  d'entrer 
dans  Paris. 

La  défense  était  dérisoire  ;  ce  dernier  était  en  réalité 
si  bien  présent  dans  Paris  qu'à  ce  moment  même  il 
décidait  la  ville  alarmée  à  prendre  pour  capitaine  un 
homme  à  lui,  le  comte  de  Saint-Pol. 

Il  s'agissait  de  mettre  Paris  en  défense.  On  proposa 
une  taxe  générale  dont  personne  ne  serait  exempt,  ni 
le  clergé  ni  l'Université.  Mais  leur  zèle  n'alla  pas 
jusque-là  pour  le  parti  de  Bourgogne  ;  à  ce  mot  d'ar- 
gent, ils  se  soulevèrent.  Le  chancelier  de  Notre-Dame, 
parlant  au  nom  des  deux  corps,  déclara  qu'ils  ne  pou- 
vaient donner  ni  prêter;  qu'ils  avaient  bien  de  la  peine 
à  vivre;  qu'on  savait  bien  que  si  les  finances  du  roi 
n'étaient  dilapidées,  il  entrerait  tous  les  mois  deux 
cent  mille  écus  d'or  dans  ses  coffres;  que  les  biens  de 
l'Église,  amortis  depuis  longtemps,  n'avaient  rien  à 
voir  avec  les  taxes.  Enfin  il  s'emporta  jusqu'à  dire 
que,  lorsqu'un  prince  opprimait  ses  sujets  par  d'in- 
justes exactions,  c'était,  d'après  les  anciennes  his- 
toires, un  cas  légitime  de  le  déposer1. 

Cette  hardiesse  extraordinaire  de  langage  indiquait 
assez  que  le  clergé  et  l'Université  ne  seraient  point 
pour  le  parti  bourguignon  un  instrument  docile.  Le 
nouveau  capitaine  de  Paris  chercha  ses  alliés  plus  bas  ; 
il  s'adressa  aux  bouchers.  Ce  fut  un  curieux  spectacle 
de  voir  le  comte  de  Saint-Pol,  de  la  maison  de  Luxem- 
bourg, cousin  des  empereurs  et  du  chevaleresque  Jean 

"1.  App.  118. 


LUTTE   DES   DEUX   PARTIS.  —  CABOCHIENS  161 

de  Bohême,  partager  sa  charge  de  capitaine  de  Paris 
avec  les  Legoix1  et  autres  bouchers;  de  le  voir  armer 
ces  gens,  marcher  dans  Paris  de  front  avec  cette  milice 
royale,  les  charger  de  faire  les  affaires  de  la  ville,  et 
de  poursuivre  les  Orléanais.  Il  risquait  gros  en  s'alliant 
ainsi.  Il  croyait  tenir  les  bouchers  ;  n'étaient-ce  pas  eux 
qui  allaient  bientôt  le  tenir  lui-même?  Le  comte  de 
Saint-Pol  et  son  maître  le  duc  de  Bourgogne  mettaient 
là  en  mouvement  une  formidable  machine;  mais,  le 
doigt  pris  dans  les  roues,  ils  pouvaient  fort  bien,  doigt, 
tète  et  corps,  y  passer  tout  entiers. 

Je  ne  sais  au  reste  s'il  y  avait  moyen  d'agir  autre- 
ment. Tout  esprit  de  faction  à  part,  Paris,  au  milieu 
des  bandes  qui  venaient  batailler  autour,  avait  grand 
besoin  de  se  garder  lui-même.  Or,  depuis  la  punition 
des  Maillotins  et  le  désarmement,  les  seuls  des  habi- 
tants qui  eussent  le  fer  en  main  et  l'assurance  que 
donne  le  maniement  du  fer,  c'étaient  les  bouchers. 
Les  autres,  comme  on  l'a  vu,  avaient  refusé  de 
reprendre  leurs  centeniers,  de  crainte  de  porter  les 
armes.  Les  gentilshommes  du  comte  de  Saint-Pol  n'au- 
raient pas  suffi,  ils  auraient  même  été  bientôt  suspects, 
si  on  ne  les  eût  vus  toujours  à  côté  d'une  milice,  bru- 
tale, il  est  vrai,  violente,  mais  après  tout  parisienne 
et  intéressée  à  défendre  Paris  du  pillage.  Quelque  peur 
qu'on  eût  des  bouchers,  on  avait  bien  autrement  peur 
des  innombrables  pillards  qui  venaient  jusqu'aux  portes 

1.  Peu  après,  nous  voyons  le  duc  de  Bourgogne  assister  aux  obsèques  du 
boucher  Legoix  :  «  Et  lui  fit-on  moult  honorables  obsèques,  autant  que  si 
c'eust  été  un  grand  comte.  »  (Juvénal.) 

T.    IV.  11 


162  HISTOIRE    DE    FRANCE 

observer,  tâtër  Ja  ville,  et  qui  auraient  fort  bien  pu,  si 
elle  n'eût  pris  garde  à  elle,  l'enlever  par  un  coup  de 
main1. 

C'était  une  terrible  chose,  pour  la  gent  innocente  et 
pacifique  des  bourgeois,  de  voir  du  haut  de  leurs  clo- 
chers le  double  flot  des  populations  du  Midi  et  du  Nord 
qui  battait  leurs  murs.  On  eût  dit  que  les  provinces 
extrêmes  du  royaume,  longtemps  sacrifiées  au  centre, 
venaient  prendre  leur  revanche.  La  Flandre  se  souve- 
nait de  sa  défaite  de  Roosebeke.  Le  Languedoc  n'avait 
pas  oublié  les  guerres  des  Albigeois,  encore  moins  les 
exactions  récentes  des  ducs  d'Anjou  et  de  Berri.  Ce  que 
le  Centre  avait  gagné  par  l'attraction  monarchique,  il 
le  rendit  avec  usure.  Le  Nord,  le  Midi,  l'Ouest,  envoyè- 
rent ici  tout  ce  qu'ils  avaient  de  bandits. 

D'abord,  pour  défendre  Paris  contre  les  gens  du 
Midi  qu'amenait  le  duc  d'Orléans,  arrivèrent  les  Bra- 
bançons mercenaires  du  duc  de  Bourgogne.  Pour  mieux 
le  défendre,  ils  ravagèrent  tous  les  environs,  pillèrent 
Saint-Denis.  Autres  défenseurs,  les  gens  des  communes 
de  Flandre;  ceux-ci,  gens  intelligents  qui  savaient  le 
prix  des  choses,  pillaient  méthodiquement,  avec  ordre, 
à  fond,  de  manière  à  faire  place  nette  ;  puis  ils  embal- 
laient proprement.  De  guerre,  il  ne  fallait  pas  leur  en 
parler;  ce  n'était  pas  pour  cela  qu'ils  étaient  venus. 
Leur  comte  avait  beau  les  prier,  chapeau  bas,  de  se 
battre  un  peu,   ils  n'en  tenaient  compte.  Quand  ils 


1.  Dans  une  de  ces  alarmes,  on  fit  loger  le   roi  au  Palais  avec   une  forte 
troupe  de  gens  d'armes,  au  grand  effroi  du  greffier.  App.  119. 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.   —  CABOCHIENS  163 

avaient  rempli  leurs  charrettes1,  les  seigneurs  deGand 
et  de  Bruges  reprenaient,  quoi  qu'on  pût  leur  dire,  le 
chemin  de  leur  pays. 

Mais  la  grande  foule  des  pillards  venait  des  pro- 
vinces nécessiteuses  de  l'Ouest  et  du  Midi.  La  cam- 
pagne, à  la  voirau  loin,  était  toute  noire  de  ces  bandes 
fourmillantes;  gueux  ou  soldats,  on  n'eût  pu  le  dire; 
qui  à  pied,  qui  à  cheval,  à  âne;  bêtes  et  gens  maigres 
et  avides  à  faire  frémir,  comme  les  sept  vaches  dévo- 
rantes du  songe  de  Pharaon. 

Démêlons  cette  cohue.  D'abord  il  y  avait  force  Bre- 
tons. Les  familles  étaient  d'autant  plus  nombreuses, 
en  Bretagne,  qu'elles  étaient  plus  pauvres.  C'était  une 
idée  bretonne  d'avoir  le  plus  d'enfants  possible,  c'est- 
à-dire  plus  de  soldats  qui  allassent  gagner  au  loin  et 
qui  rapportassent2.  Dans  les  vraies  usances  bretonnes, 
la  maison  paternelle,  le  foyer  restait  au  plus  jeune3; 
les  aînés  étaient  mis  dehors;  ils  se  jetaient  dans  une 
barque,  ou  sur  un  mauvais  petit  che\al,  et  tant  les 
portait  la  barque  ou  l'indestructible  bête,  qu'ils  reve- 
naient au  manoir  refaits,  vêtus  et  passablement  garnis. 

En  Gascogne,  un  droit  différent  produisait  les  mêmes 


1.  Deux  mille  charrettes,  selon  Meyer;  douze  mille,  selon  Monstrclet.  — 
«  Leur  requist  bien  instamment  qu'ils  le  voulsissent  servir  encore  huit  jours... 
Commencèrent  à  crier  à  haulte  voix  :  Wap  !  wap  !  (qui  esta  dire  en  françois  : 
A  l'arme!  à  l'arme!)...  boutèrent  le  feu  par  tous  leurs  logis,  en  criant  dere- 
chef tous  ensemble  :  Gau!  gau!  se  départirent  et  prirent  leur  chemin  vers 
leurs  pays...  Le  duc  de  Bourgogne...  le  chaperon  ôté  hors  de  la  tête  devant 
eux,  leur  pria  à  mains  jointes  très  humblement  ..  eux  disant  et  appelant  frères, 
compains  et  amis...  »  (Monstrelet.) 

2.  Quelquefois  cinquante  enfants,  de  dix  femmes  différentes...  (Guillaume 
de  Poitiers.)  —  3.  App.  120. 


164  HISTOIRE    DE    FRANCE 

effets.  L'aîné  restait  fièrement  au  castel,  sur  sa  roche, 
sans  vassal  que  lui-même,  et  se  servant  par  simplicité. 
Les  cadets  s'en  allaient  gaiement  devant  eux,  tant  que 
la  terre  s'étendait,  bons  piétons,  comme  on  sait,  allant 
à  pied  par  goût,  tant  qu'ils  ne  trouvaient  pas  un  cheval, 
riches  d'une  épée  de  famille,  d'un  nom  sonore  et  d'une 
cape  percée  ;  du  reste,  nobles  comme  le  roi,  c'est-à-dire 
comme  lui  sans  fief1,  et  n'en  levant  pas  moins  quint 
et  requint  sur  la  terre,  péage  sur  le  passant. 

Ce  vieux  portrait  du  Gascon,  pour  être  vieux,  n'est 
pas  moins  ressemblant,  et  je  crois  que,  mutatis 
mutandis,  il  en  reste  quelque  chose.  Tels  les  peint  la 
chronique  dès  le  temps  du  bon  roi  Robert2;  tels  au 
temps  des  Plantagenets 3  ;  tels  sous  Bernard  d'Arma- 
gnac,- et  enfin  sous  Henri  IV.  L'excellent  baron  de 
Feneste4  n'exprime  pas  seulement  l'invasion  des  intri- 
gants du  Midi  sous  le  Béarnais  ;  plus  sérieux  en  appa- 
rence, moins  amusant,  moins  gasconnant,  ce  baron 
subsiste.  Alors,  aujourd'hui  et  toujours,  ces  gens  ont 
exploité  de  préférence  un  fonds  excellent,  la  simplicité 
et  la  pesanteur  des  hommes  du  Nord.  Aussi  émigraient- 
ils  volontiers.  Ce  n'était  pas  pour  bâtir,  comme  les 
Limousins,  ni  pour  porter  et  vendre,  comme  les  gens 
d'Auvergne.  Les  Gascons  ne  vendaient  qu'eux-mêmes. 
Gomme  soldats,  comme  domestiques  des  princes,  ils 
servaient  pour  devenir  maîtres.  Ne  leur  parlez  pas 

1.  Le  roi  n'en  est  pas  moins  le  grand  fie/feux;  il  n'a  rien  et  il  a  tout. 

2.  Voir  au  tome  II,  coux  qui  vinrent  avec  la  reine  Constance. 

3.  Voy.  tomes  II  et  III.  Sous  la  plupart  de  ces  princes,  aux  douzième  et  trei- 
zième siècles,  les  Poitevins  et  les  Gascons  gouvernèrent  l'Angleterre. 

4.  Aventures  du  baron  de  Feneste,  par  d'Aubigné  (1620). 


LUTTE   DES   DEUX.  PARTIS.  —  CABOCHIENS  165 

d'être  ouvriers  ou  marchands;  ministres  ou  rois,  à  la 
bonne  heure  !  Il  leur  faut,  non  pas  ce  que  demandait 
Sancho,  une  toute  petite  île,  mais  bien  un  royaume,  un 
royaume  de  Naples,  de  Portugal,  s'il  se  pouvait;  de 
Suède  au  moins1,  ils  s'en  contenteront,  hommes  hon- 
nêtes et  modérés.  Tout  le  monde  ne  peut  pas,  comme 
le  meunier  du  moulin  de  Barbaste2,  gagner  Paris  pour 
une  messe. 

Quoiqu'au  fond  le  caractère  ait  peu  changé,  nous 
ne  devons  pas  nous  figurer  les  Méridionaux  d'alors, 
comme  nous  les  voyons  et  les  comprenons  aujour- 
d'hui. Tout  autres  ils  apparurent  à  nos  gens  du 
quinzième  siècle,  lorsque  les  oppositions  provinciales 
étaient  si  rudement  contrastées,  et  encore  exagérées 
par  l'ignorance  mutuelle.  Ce  Midi  fit  horreur  au 
Nord.  La  brutalité  provençale,  capricieuse  et  violente; 
1  apreté  gasconne,  sans  pitié,  sans  cœur,  faisant  le  mal 
pour  en  rire  ;  les  durs  et  intraitables  montagnards  du 
Rouergue  et  des  Gévennes,  les  sauvages  Bretons  aux 
cheveux  pendants,  tout  cela  dans  la  saleté  primitive, 
baragouinant,  maugréant  dans  vingt  langues,  que 
ceux  du  Nord  croyaient  espagnoles  ou  mauresques. 
Pour  mettre  la  confusion  au  comble,  il  y  avait  parmi 
le  tout  des  bandes  de  soldats  allemands,  d'autres  de 
lombards.  Cette  diversité  de  langues  était  une  terrible 
barrière  entre  les  hommes,  une  des  causes  pour  les- 
quelles ils  se  haïssaient  sans  savoir  pourquoi.   Elle 

1.  L'affaire  de  Portugal,    pour  être  moins  éclaircie,  n'en    est  pas   moins 
probable. 

2.  C'est  le  sobriquet  d'amitié  que  les  Gascons  donnaient  à  leur  Henri. 


166  HISTOIRE    DE    FRANCE 

rendait  la  guerre  plus  cruelle  qu'on  ne  peut  se  le  figu- 
rer. Nul  moyen  de  s'entendre,  de  se  rapprocher.  Le 
vaincu  qui  ne  peut  parler  se  trouve  sans  ressource,  le 
prisonnier  sans  moyen  d'adoucir  son  maître.  L'homme 
à  terre  voudrait  en  vain  s'adresser  à  celui  qui  va 
l'égorger;  l'un  dit  grâce,  l'autre  répond  mort. 

Indépendamment  de  ces  antipathies  de  langage  et 
de  race,  dans  une  même  race,  clans  une  même  langue, 
les  provinces  se  haïssaient.  Les  Flamands,  même 
de  langue  wallonne,  détestaient  les  chaudes  tètes 
picardes1.  Les  Picards  méprisaient  les  habitudes  régu- 
lières des  Normands,  qui  leur  paraissaient  serviles2. 
Yoilà  pour  la  langue  d'oil.  Dans  la  langue  d'oc,  les 
gens  du  Poitou  et  de  la  Saintonge,  haïs  au  Nord  comme 
méridionaux,  n'en  ont  pas  moins  fait  des  satires  contre 
les  gens  du  Midi,  surtout  contre  les  Gascons3. 

Au  bout  de  cette  échelle  de  haines,  par  delà  Bor- 
deaux et  Toulouse,  se  trouve,  au  pied  des  Pyrénées, 
hors  des  routes  et  des  rivières  navigables,  un  petit 
pays  dont  le  nom  a  résumé  toutes  les  haines  du  Midi 
et  du  Nord.  Ce  nom  tragique  est  celui  d'Armagnac. 

Rude  pays,  vineux,  il  est  vrai,  mais  sous  les  grêles 
de  la  montagne,  souvent  fertile,  souvent  frappé.  Ces 
gens  d'Armagnac  et  de  Fézenzac,  moins  pauvres  que 

1.  Monstrelet. 

2.  Je  lis  dans  une  lettre  de  grâce  que  des  Picards  entendant  parler  d'uno 
somme  de  800  livres,  que  le  capitaine  de  Gisors  exigeait  des  Normands, 
disaient  :  «  Se  c'estoit  en  Picardie,  l'en  abateroit  les  maisons  de  ceulz  qui  se 
accordcroicnt  de  les  paier.  »  (Archives,  Trésor  des  chartes,  Registre  148, 
214;  ann.  1395.) 

3.  D'Aubigné,  l'auteur  du  Baron  de  Feneslc,  était  né  en  Saintongo,  établi 
en  Poitou. 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.   —  CABOCHIENS  167 

ceux  des  Landes,  furent  pourtant  encore  plus  inquiets. 
De  bonne  heure  leurs  comtes  déclarent  qu'ils  ne  veu- 
lent dépendre  que  de  Sainte-Marie  d'Auch,  et  ensuite 
ils  battent  et  pillent  l'archevêque  d'Auch  pendant  près 
de  deux  siècles.  Persécuteurs  assidus  des  églises, 
excommuniés  de  génération  en  génération,  ils  vécu- 
rent, la  plupart,  en  vrais  fils  du  Diable. 

Lorsque  le  terrible  Simon  de  Montfort  tomba  sur  le 
Midi,  comme  le  jugement  de  Dieu,  ils  s'amendèrent, 
lui  firent  hommage,  puis  au  comte  de  Poitiers.  Saint 
Louis  leur  donna  plus  d'une  sévère  leçon.  L'un  d'eux 
fut  mis,  pour  réfléchir,  deux  ans  dans  le  château  de 
Péronne.  Ils  finirent  par  comprendre  qu'ils  gagne- 
raient plus  à  servir  le  roi  de  France;  la  succession 
de  Rhodez,  si  éloigné  de  l'Armagnac,  les  engagea 
d'ailleurs  dans  les  intérêts  du  royaume. 

Les  Armagnacs  devinrent  alors,  avec  les  Albret,  les 
capitaines  du  midi  pour  le  roi  de  France.  Battants, 
battus,  toujours  en  armes,  ils  menèrent  partout  les 
Gascons,  jusqu'en  Italie.  Ils  formèrent  une  leste  et 
infatigable  infanterie,  la  première  qu'ait  eue  la  France. 
Ils  poussaient  la  guerre  avec  une  violence  inconnue 
jusque-là,  forçant  tout  le  monde  à  prendre  la  croix 
blanche,  coupant  le  pied,  le  poing,  à  qui  refusait  de 
les  suivre1. 

Nos  rois  les  comblèrent.  Ils  les  étouffèrent  dans  l'or. 
Ils  les  firent  généraux,  connétables.  C'était  mécon- 
naître leur  talent  ;  ces  chasseurs  des  Pyrénées  et  des 

1.  App.  121. 


168  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Landes,  ces  lestes  piétons  du  Midi,  valaient  mieux 
pour  la  petite  guerre  que  pour  commander  de  grandes 
armées.  Les  comtes  d'Armagnac  furent  faits  deux  fois 
prisonniers  en  Lombardie.  Le  connétable  d'Albret 
conduisait  malheureusement  l'armée  d'Azincourt. 

C'était  trop  faire  pour  eux,  et  l'on  fît  encore  davan- 
tage. Nos  rois  crurent  s'attacher  ces  Armagnacs  en  les 
mariant  à  des  princesses  du  sang.  Voilà  ces  rudes 
capitaines  gascons  qui  se  décrassent,  prennent  figure 
d'homme  et  deviennent  des  princes.  On  leur  donne  en 
mariage  une  petite-fille  de  saint  Louis.  Qui  ne  les  croi- 
rait satisfaits?  Chose  étrange  et  qui  les  peint  bien  :  à 
peine  eurent-ils  cet  excès  d'honneur  de  s'allier  à  la 
maison  royale  qu'ils  prétendirent  valoir  mieux  qu'elle, 
et  se  fabriquèrent  tout  doucement  une  généalogie  qui 
les  rattachait  aux  anciens  ducs  d'Aquitaine,  légitimes 
souverains  du  Midi;  d'autre  part  aux  Mérovingiens, 
premiers  conquérants  de  la  France.  Les  Capétiens 
étaient  des  usurpateurs  qui  détenaient  le  patrimoine 
de  la  maison  d'Armagnac. 

Tout  Français  et  princes  qu'ils  étaient  devenus, 
le  naturel  diabolique  reparaissait  à  tout  moment. 
L'un  d'eux  épouse  sa  belle-sœur  (pour  garder  la  dot)  ; 
un  autre  sa  propre  sœur,  avec  une  fausse  dispense. 
Bernard  VII,  comte  d'Armagnac,  qui  fut  presque  roi 
et  finit  si  mal,  avait  commencé  par  dépouiller  son 
parent,  le  vicomte  de  Fézenzaguet,  le  jetant  avec  ses 
fils,  les  yeux  crevés,  dans  une  citerne.  Ce  même 
Bernard,  se  déclarant  ensuite  serviteur  du  duc  d'Or- 
léans, fît    bonne    guerre    aux    Anglais,    leur  reprit 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.   —  CABOCHIENS  169 

soixante  petites  places.  Au  fond,  il  ne  travaillait  que 
pour  lui-même  :  quand  le  duc  d'Orléans  vint  en 
Guyenne,  il  ne  le  seconda  pas.  Mais,  dès  que  le  prince 
fut  mort,  le  comte  d'Armagnac  se  porta  pour  son  ami, 
pour  son  vengeur  ;  il  saisit  hardiment  ce  grand  rôle, 
mena  tout  le  Midi  au  ravage  du  Nord,  fît  épouser  sa 
fille  au  jeune  duc  d'Orléans,  lui  donnant  en  dot  ses 
bandes  pillardes  et  la  malédiction  de  la' France. 

Ce  qui  rendit  ces  Armagnacs  exécrables,  ce  fut, 
outre  leur  férocité,  la  légèreté  impie  avec  laquelle 
ils  traitaient  les  prêtres,  les  églises,  la  religion.  On 
aurait  dit  une  vengeance  d'Albigeois,  ou  l'avant-goût 
des  guerres  protestantes.  On  l'eût  cru,  et  l'on  se  fût 
trompé.  C'était  légèreté  gasconne1,  ou  brutalité  sol- 
datesque. Probablement  aussi,  dans  leur  étrange 
christianisme,  ils  pensaient  que  c'était  bien  fait  de 
piller  les  saints  de  la  langue  d'oil,  qu'à  coup  sûr  ceux 
de  la  langue  d'oc  ne  leur  en  sauraient  pas  mauvais 
gré.  Ils  emportaient  les  reliquaires  sans  se  soucier 
des  reliques  ;  ils  faisaient  du  calice  un  gobelet,  jetaient 
les  hosties.  Ils  remplaçaient  volontiers  leurs  pour- 
points percés  par  des  ornements  d'église  ;  d'une 
chape  ils  se  taillaient  une  cotte  d'armes,  d'un  corporal 
un  bonnet. 

Arrivés  devant  Paris,  ils  avaient  pris  Saint -Denis 
pour  centre.  Ils  logèrent  dans  la  petite  ville  et  dans 
la  riche  abbaye.  La  tentation  était  grande.  Les  reli- 
gieux, de  peur  d'accident,  avaient  fait  enfouir  le  trésor 
du  bienheureux  ;    mais   ils   n'avaient    pas    songé    à 

1.  App.  122. 


170  HISTOIRE    DE    FRANCE 

prendre  la  même  précaution  pour  la  vaisselle  d'or  et 
d'argent  que  la  reine  leur  avait  confiée.  Un  matin, 
après  la  messe,  le  comte  d'Armagnac  réunit  au  réfec- 
toire l'abbé  et  les  religieux  ;  il  leur  expose  que  les 
princes  n'ont  pris  les  armes  que  pour  délivrer  le  roi 
et  rétablir  la  justice  dans  le  royaume,  que  tout  le 
monde  doit  aider  à  une  si  louable  entreprise.  «  Nous 
attendons  de  l'argent,  dit-il,  mais  il  n'arrive  pas  ;  la 
reine  ne  sera  pas  fâchée,  j'en  suis  sûr,  de  nous  prêter 
sa  vaisselle  pour  payer  nos  troupes  ;  messieurs  les 
princes  vous  en  donneront  bonne  décharge,  scellée 
de  leur  sceau.  »  Gela  dit,  sans  s'arrêter  aux  repré- 
sentations des  religieux,  il  se  fait  ouvrir  la  porte  du 
trésor,  entre,  le  marteau  à  la  main,  et  force  les 
coffres.  Encore  ne  craignit-il  pas  de  dire  que  si  cela 
ne  suffisait  pas,  il  faudrait  bien  aussi  que  le  trésor  du 
saint  contribuât.  Les  moines  se  le  tinrent  pour  dit,  et 
firent  sortir  de  l'abbaye  ceux  des  leurs  qui  connais- 
saient la  cachette  l* 

Des  gens  qui  prenaient  de  telles  libertés  avec  les 
saints  ne  pouvaient  pas  être  fort  dévots  à  l'autre 
religion  de  la  France,  la  royauté.  Ce  roi  fou  que  les 
gens  du  Nord,  que  Paris,  au  milieu  de  ses  plus 
grandes  violences,  ne  voyaient  qu'avec  amour,  ceux 
du  Midi  n'y  trouvaient  rien  que  de  risible.  Quand  ils 
prenaient  un  paysan,  et  que,  pour  s'amuser,  ils  lui 
coupaient  les  oreilles  ou  le  nez  :  «  Va,  disaient-ils  ; 
va  maintenant  te  montrer  à  ton  idiot  de  roi2.  » 


1.  App.  123. 

2.  «  Ite  ad  regem  vestrum  insanum,  inutilcm  et  captivum.  »  (Religieux.) 


LUTTE    DES   DEUX  PARTIS.   —   CABOCHIENS  171 

Ces  dérisions,  ces  impiétés,  ces  cruautés  atroces, 
rendirent  service  au  duc  de  Bourgogne.  Les  villes 
affamées  par  les  pillards  tournèrent  contre  le  duc 
d'Orléans.  Les  paysans,  désespérés,  prirent  la  croix 
de  Bourgogne,  et  tombèrent  souvent  sur  les  soldats 
isolés.  Avec  tout  cela,  il  n'y  avait  guère  en  France 
d'autre  force  militaire  que  les  Armagnacs.  Le  duc  de 
Bourgogne,  ne  pouvant  leur  faire  lâcher  Paris,  qu'ils 
serraient  de  tous  côtés,  eut  recours  à  la  dernière,  à  la 
plus  dangereuse  ressource  :  il  appela  les  Anglais1. 

Les  choses  en  étaient  venues  à  ce  point,  que  les 
Anglais  étaient  moins  odieux  aux  Français  du  Nord 
que  les  Français  du  Midi.  Le  duc  de  Bourgogne  con- 
clut d'abord  une  trêve  marchande  avec  les  Anglais, 
dans  l'intérêt  de  la  Flandre  ;  puis  il  leur  demanda  des 
troupes,  offrant  de  donner  une  de  ses  filles  en  ma- 
riage au  fils  aîné  d'Henri  IV2  (1er  septembre  1411). 
Quelles  furent  les  conditions,  quelle  part  de  la  France 
leur  promit-il?  Rien  ne  l'indique.  Le  parti  d'Orléans 
publia  qu'il  faisait  hommage  de  la  Flandre  à  l'Anglais, 
et  s'engageait  à  lui  faire  rendre  la  Guyenne  et  la 
Normandie. 

L'arrivée  des  troupes  anglaises  fît  refluer  les  Arma- 
gnacs de  Paris  à  la  Loire,  jusqu'à  Bourges,  jusqu'à 
Poitiers.  Ils  perdirent  même  Poitiers  ;  mais  les  princes 
tinrent  dans  Bourges,  où  le  duc  de  Bourgogne  vint 

1.  Selon  le  Religieux  de  Saint-Denis,  qui  prit  des  informations  à  ce  sujet, 
le  duc  d'Orléans  pria  le  roi  d'Angleterre,  au  nom  de  la  parenté  qui  les 
unissait,  de  ne  pas  envoyer  de  troupes  à  son  adversaire.  Henri  IV  répondit 
qu'il  avait  craint  de  soulever  les  Anglais  (alliés  des  Flamands),  et  qu'il  avait 
accepté  les  offres  du  duc  de  Rourgogne.  —  2.  Rymer. 


172  HISTOIRE    DE    FRANCE 

les  assiéger  avec  les  Anglais,  avec  le  roi,  qu'il  traînait 
partout.  Néanmoins,  le  siège  fut  long.  Le  manque 
de  vivres,  les  exhalaisons  des  marais,  des  champs 
pleins  de  cadavres,  la  peste  enfin,  qui,  du  camp,  se 
répandit  dans  le  royaume,  décidèrent  les  deux  partis 
à  une  vaine  et  fausse  paix,  qui  fut  à  peine  une  trêve 
(traité  de  Bourges,  15  juillet  1412).  Le  duc  de  Bour- 
gogne promettait  ce  qu'il  ne  pouvait  tenir,  d'obliger 
les  siens  de  rendre  aux  princes  leurs  biens  confisqués. 
Tout  ce  que  le  duc  de  Bourgogne  y  gagna,  ce  fut  de 
faire  quelque  réparation  à  la  mémoire  de  Montaigu  : 
le  prévôt  de  Paris  alla  détacher  son  corps  du  gibet  de 
Montfaucon  et  le  fit  enterrer  honorablement. 

Cependant  les  Orléanais,  voyant  que  leur  adversaire 
ne  les  avait  chassés  que  par  le  secours  de  l'Anglais, 
essayaient  de  le  détacher  à  tout  prix  du  Bourguignon. 
Celui-ci,  au  contraire,  était  déjà  las  de  ses  alliés,  et 
il  avait  envoyé  des  troupes  pour  les  combattre  en 
Guyenne.  Le  comte  d'Armagnac  prit  à  l'instant  la 
croix  rouge,  et  se  fît  Anglais,  confirmant  ainsi  les 
accusations  du  duc  de  Bourgogne.  Il  avait  fait  publier 
à  grand  bruit  dans  Paris  qu'on  avait  saisi  sur  un 
moine  les  papiers  des  princes  et  les  propositions  qu'ils 
faisaient  aux  ennemis.  Ils  avaient  fait  serment, 
disait-on,  de  tuer  le  roi,  de  brûler  Paris,  de  partager 
la  France.  Cette  bizarre  invention  du  parti  de  Bour- 
gogne produisit  le  plus  grand  effet  à  Paris1.  Les  gens 
de  l'Université,    les  bourgeois,   tout   le   peuple,  les 

1.  App.  124. 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.  —   CAB0CH1ENS  173 

femmes  et  les  enfants,  prononçaient  mille  impréca- 
tions contre  ceux  qui  livraient  ainsi  le  roi  et  le 
royaume.  Le  pauvre  roi  pleurait,  et  demandait  ce 
qu'il  fallait  faire, 

Le  traité  réel  était  assez  odieux  sans  y  ajouter  ces 
fables  :  les  princes  faisaient  hommage  à  l'Anglais, 
s'engageaient  à  lui  faire  recouvrer  ses  droits,  et  lui 
remettaient  vingt  places  dans  le  Midi.  Pourtant  d'avan- 
tages, il  ne  laissait  aux  ducs  de  Berri  et  d'Orléans 
le  Poitou ,  l'Angoumois  et  le  Périgord  que  leur  vie 
durant.  Le  seul  comte  d'Armagnac  conservait  tous  ses 
fiefs  à  perpétuité.  Le  traité  visiblement  était  son 
ouvrage1  (18  mai  1412). 

Ainsi,  des  princes  sans  cœur  jouaient  tour  à  tour  à 
ce  jeu  funeste  d'appeler  l'ennemi  du  royaume.  La 
chose  était  pourtant  sérieuse.  Ils  s'en  seraient  aperçus 
bientôt,  si  la  mort  d'Henri  IV  n'eût  donné  un  répit  à 
la  France.  Trahie  par  les  deux  partis,  n'ayant  rien  à 
attendre  que  d'elle,  elle  va  essayer  dans  cet  intervalle 
de  faire  ses  affaires  elle-même.  En  est -elle  déjà 
capable?  on  peut  en  douter. 


Dans  cette  période  de  cinq  années,  entre  un  crime 
et  un  crime,  le  meurtre  du  duc  d'Orléans  et  le  traité 
avec  l'Anglais,  les  partis  ont  prouvé  leur  impuissance 
pour  la  paix  et  pour  la  guerre  ;  trois  traités  n'ont  servi 
qu'à  envenimer  les  haines. 

1.  Rymer." 


174  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Est-ce  à  dire  pourtant  que  ces  tristes  années  aient 
été  perdues,  que  le  temps  ait  coulé  en  vain?...  Non, 
il  n'y  a  point  d'années  perdues  ;  le  temps  a  porté  son 
fruit.  D'abord,  les  deux  moitiés  de  la  France  se  sont 
rapprochées,  il  est  vrai,  pour  se  haïr  ;  le  Midi  est 
venu  visiter  le  Nord,  comme  au  temps  des  Albigeois 
le  Nord  visita  le  Midi.  Ces  rapprochements,  même 
hostiles,  étaient  pourtant  nécessaires  ;  il  fallait  que 
la  France,  pour  devenir  une  plus  tard,  se  connût 
d'abord,  qu'elle  se  vît,  comme  elle  était,  diverse 
encore  et  hétérogène. 

Ainsi  se  prépare  de  loin  l'unité  de  la  nation.  Déjà 
le  sentiment  national  est  éveillé  par  les  fréquents 
appels  à  l'opinion  publique,  que  font  les  partis  dans 
cette  courte  période.  Ces  manifestes  continuels  pour 
ou  contre  le  duc  de  Bourgogne1,  ces  prédications 
politiques  dans  l'intérêt  des  factions,  ces  représenta- 
tions théâtrales  où  la  foule  est  admise  comme  témoin 
des  grands  actes  politiques,  l'échafaud  de  Chartres, 
le  sermon  de  la  Neutralité,  tout  cela,  c'est  déjà 
implicitement  un  appel  au  peuple. 

Dans  les  pédantesques  harangues  du  temps,  parmi 
les  violences,  les  mensonges,  parmi  le  sang  et  la  boue, 
il  y  a  pourtant  une  chose  qui  fait  la  force  du  parti 
de  Bourgogne,  si  souillé  et  si  coupable,  à  savoir  : 
l'aveu  solennel  de  la  responsabilité  des  puissants, 
des  princes  et  des  rois.  L'Université  professe  cette 
doctrine  alors  inouïe,  qu'un  roi  qui  accable  ses  sujets 

1.  App.  125. 


LUTTE   DES   DEUX  PARTIS.  —   CABOCHIENS  175 

d'exactions  injustes  peut  et  doit  être  déposé.  Cette 
parole  est  réprouvée  ;  mais  ne  croyez  pas  qu'elle 
tombe.  Des  pensées  inconnues  fermentent.  C'est  vers 
cette  époque,  ce  semble,  qu'au  front  même  de  la 
cathédrale  de  Chartres,  témoin  de  l'humiliation  des 
princes,  on  sculpte  une  figure  nouvelle,  celle  de  la 
Liberté1;  liberté  morale,  sans  doute,  mais  l'idée 
de  la  liberté  politique  s'y  mêle  et  s'y  ajoute  peu 
à  peu. 

Le  duc  de  Bourgogne  était  bien  indigne  d'être  le 
représentant  du  principe  moderne.  Ce  principe  ne  se 
démêle  en  lui  qu'à  travers  la  double  laideur  du  crime 
et  des  contradictions.  Le  meurtrier  vient  parler 
d'ordre,  de  réforme  et  de  bien  public  ;  il  vient  attester 
les  lois,  lui  qui  a  tué  la  loi  ;  nous  allons  pourtant 
voir  paraître,  sous  les  auspices  de  cet  odieux  parti, 
la  grande  ordonnance  du  quinzième  siècle. 

Autre  bizarrerie.  Ce  prince  féodal,  qui  vient,  à  la 
tête  d'une  noblesse  acharnée,  d'exterminer  la  com- 
mune de  Liège,  puise  dans  cette  victoire  même  la 
force  qui  relève  la  commune  de  Paris  ;  là-bas  prince 
des  barons,  ici  prince  des  bouchers. 

Ces  contradictions  font,  nous  l'avons  dit,  la  laideur 
du  siècle,  celle  surtout  du  parti  bourguignon.  Le  chef, 
au  reste,  parut  comprendre  que,  quoi  qu'il  eût  fait, 
il  n'avait  rien  fait  lui-même,  qu'il  ne  pouvait  pas 
grand'chose.  Lorsque  l'Université  proposa  de  tirer 
des  trois  États  des  gens  sages  et  non  suspects  pour 

1.  App.  126. 


176  HISTOIRE    DE    FRANCE 

aider  au  gouvernement,  il  prononça  cette  grave 
parole,  «  qu'en  effet,  il  ne  se  sentait  pas  capable  de 
gouverner  si  grand  royaume  que  le  royaume  de 
France1  ». 


1.  «  Indignum  se  reputavit  regimine  tanli  regni  ut  eral  regnum  Francîœ.  » 

(Religieux.) 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ECLISE  177 


CHAPITRE   III 


Essais   de  réforme  dans   l'État  et  dans  l'Église.  —   Cabochiens   do  Paris: 
grande  ordonnance.  —  Conciles  de  Pise  et  de  Constance  (1409-1415). 


Le  gouvernement  d'un  seul  étant  avoué  impos- 
sible, il  fallut  bien  essayer  du  gouvernement  de 
plusieurs.  Le  parti  de  Bourgogne,  clans  sa  détresse, 
convoqua,  au  nom  du  roi,  une  grande  assemblée  des 
députés  des  villes,  des  prélats,  chapitres,  etc.  (30  jan- 
vier 1413).  Cette  assemblée  de  notables  est  qualifiée  par 
quelques-uns  du  nom  d'États  généraux.  Ils  furent  si 
peu  généraux  qu'il  n'y  vint  presque  personne,  sauf 
les  envoyés  de  quelques  villes  du  centre.  Dans  ce 
moment  de  crise,  entre  la  guerre  civile  et  la  guerre 
étrangère,  que  l'on  voyait  imminente,  la  France  se 
chercha,  et  elle  ne  put  se  trouver. 

C'était,  il  est  vrai,  l'hiver;  les  chemins  imprati- 
cables, pleins  de  bandits  ;  la  moitié  du  royaume 
étrangère  ou  hostile  à  l'autre.  Il  vint  peu  de  gens, 
et  ce  peu  ne  savait  que  dire.  Il  n'y  avait  point  de 
traditions,  de  précédents,  pour  une  telle  assemblée  ; 

T.    IV.  12 


178  HISTOIRE    DE    FRANCE 

un  demi-siècle  s'était  écoulé  depuis  les  derniers  Etats. 
Les  gens  de  Reims,  de  Rouen,  de  Sens  et  de  Bourges 
parlèrent  seuls,  ou  plutôt  prêchèrent  sur  un  texte  de 
l'Écriture,  prouvant  doctement  les  avantages  de  la 
paix,  mais  avec  non  moins  de  force  l'impossibilité 
de  payer  pour  finir  la  guerre  ;  ils  concluaient  qu'il 
fallait  avant  tout  recouvrer  les  deniers  mal  perçus  ou 
détournés.  Maître  Benoît  Gentien,  célèbre  docteur  et 
moine  de  Saint-Denis,  parla  au  nom  de  Paris  et  de 
l'Université.  Il  demanda  des  réformes,  indiqua  des 
abus,  déclama  contre  l'ambition  et  la  convoitise,  tou- 
tefois en  termes  généraux  et  sans  nommer  personne. 
Il  déplut  à  tout  le  monde. 

Dans  la  réalité,  les  maux  étaient  trop  grands  pour 
s'en  tenir  à  une  médecine  expectante.  Les  généralités 
vagues  n'avançaient  à  rien.  L'assemblée  fut  congé- 
diée ;  Paris  prit  la  parole,  au  défaut  de  la  France, 
Paris,  et  la  voix  de  Paris,  son  Université. , 

L'Université,  nous  l'avons  vu,  avait  plus  de  zèle  que 
de  capacité  pour  s'acquitter  d'une  telle  tâche.  Elle 
avait  grand  besoin  d'être  dirigée.  Or  il  n'y  avait 
qu'une  classe  qui  pût  le  faire,  qui  eût  connaissance 
des  lois,  des  faits  et  quelque  esprit  pratique  :  c'étaient 
les  membres  des  hautes  cours,  du  Parlement1,  de  la 
Chambre  des  comptes  et  de  la  Cour  des  aides.  Je  ne 
vois  pas  que  l'Université  se  soit  adressée  aux  deux 
derniers  corps;  leur   extrême  timidité  lui  était  sans 


1.  C'était  l'opinion  de  Clémengis.  II  implore  dans  ses  lettres  l'intervention 
du  Parlement  comme  l'unique  remède  aux  maux  présents  et  futurs  du  royaume. 
App.  127. 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  179 

doute  trop  bien  connue  ;  mais  elle  demanda  l'appui  du 
Parlement,  l'engageant  à  se  joindre  à  elle  pour 
demander  les  réformes  nécessaires. 

Le  Parlement  n'aimait  pas  l'Université,  qui  dès  long- 
temps l'avait  fait  déclarer  incompétent  dans  les  causes 
qui  la  regardaient;  la  victoire  récente  de  la  juridiction 
ecclésiastique  (1408)  n'était  pas  propre  à  les  réconci- 
lier. Cette  puissance  tumultueuse,  qui  peu  à  peu  deve- 
nait l'alliée  de  la  populace,  était  antipathique  à  la 
gravité  des  parlementaires,  autant  qu'à  leurs  habitudes 
de  respect  pour  l'autorité  royale.  Ils  répondirent  à 
l'Université  de  la  manière  suivante  :  «  Il  ne  convient 
pas  à  une  cour  établie  pour  rendre  la  justice  au 
nom  du  roi  de  se  rendre  partie  plaignante  pour  la 
demander.  Au  surplus,  le  Parlement  est  toujours  prêt, 
toutes  et  quantes  fois  il  plaira  au  roi  de  choisir  quel- 
ques-uns de  ses  membres  pour  s'occuper  des  affaires 
du  royaume.  L'Université  et  le  corps  de  la  ville  sau- 
ront bien  ne  faire  nulle  chose  qui  ne  soit  à  faire.  » 

Ce  refus  du  Parlement  de  prendre  part  à  la  révolu- 
tion devait  la  rendre  violente  et  impuissante.  Paris  et 
l'Université  pouvaient  dès  lors  faire  ce  qu'ils  vou- 
laient, obtenir  des  réformes,  de  belles  ordonnances; 
il  n'y  avait  personne  pour  les  exécuter.  Il  faut  aux  lois 
des  hommes  pour  qu'elles  soient  vivantes,  efficaces. 
Le  temps,  les  habitudes,  les  mœurs,  peuvent  seuls 
faire  ces  hommes. 

Je  dirai  ailleurs  tout  au  long  ce  que  je  pense  du 
Parlement,  comme  cour  de  justice.  Ce  n'est  pas  en 
passant  qu'on   peut  qualifier   ce  long  travail   de   la 


180  HISTOIRE    DE    FRANCE 

transformation  du  droit,  cette  œuvre  d'interpréta- 
tion de  ruse  et  d'équivoque1.  Qu'il  me  suffise  ici  de 
regarder  le  Parlement  du  point  de  vue  extérieur  et 
d'expliquer  pourquoi  un  corps  qui  pouvait  agir  si  uti- 
lement refusa  son  concours. 

Le  Parlement  n'avait  pas  besoin  de  prendre  le  pou- 
voir des  mains  de  l'Université  et  du  peuple  de  Paris; 
le  pouvoir  lui  venait  invinciblement  par  la  force  des 
choses.  Il  craignit  avec  raison  de  compromettre,  par 
une  intervention  directe  dans  les  affaires,  l'influence 
indirecte,  mais  toute-puissante,  qu'il  acquérait  chaque 
jour.  Il  n'avait  garde  d'ébranler  l'autorité  royale, 
lorsque  cette  autorité  devenait  peu  à  peu  la  sienne. 

La  juridiction  du  Parlement  de  Paris  avait  toujours 
gagné  dans  le  cours  du  quatorzième  siècle.  Ceux  qui 
avaient  le  plus  réclamé  contre  elle  finissaient  par 
regarder  comme  un  privilège  d'être  jugés  par  le  Parle- 
ment. Les  églises  et  les  chapitres  réclamaient  souvent 
cette  faveur. 

Suprême  cour  du  roi,  le  Parlement  voyait,  non  seu- 
lement les  baillis  du  roi  et  ses  juges  d'épée,  mais  les 
barons,  les  plus  grands  seigneurs  féodaux,  attendre  à 
la  grand'salle  et  solliciter  humblement.  Récemment 
il  avait  porté  une  sentence  de  mort  et  de  confiscation 
contre  le  comte  de  Périgord2.  Il  recevait  appel  contre 
les  princes,  contre  le  duc  de  Bretagne,  contre  le  duc 
d'Anjou,  frère  du  roi  (1328,  1371).  Bien  plus,  le  roi,  en 
plusieurs  cas,  lui  avait  subordonné  son  autorité  même, 

1.  App,  128.  —  2.  App.  129. 


RÉFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  181 

lui  défendant  d'obéir  aux  lettres  royaux,  déclarant  en 
quelque  sorte  que  la  sagesse  du  Parlement  était  moins 
faillible,  plus  sûre,  plus  constante,  plus  royale  que 
celle  du  roi l. 

«  Le  Parlement,  dit-il  encore  dans  ses  ordonnances, 
est  le  miroir  de  justice.  Le  Ghàtelet  et  tous  les  tribu- 
naux doivent  suivre  le  style  du  Parlement.  » 

Admirable  ascendant  de  la  raison  et  de  la  sagesse! 
Dans  la  défiance  universelle  où  l'on  était  de  tout  le 
reste,  cette  cour  de  justice  fut  obligée  d'accepter  toute 
sorte  de  pouvoirs  administratifs,  de  police,  d'ordre 
communal,  etc.  Paris  se  reposa  sur  le  Parlement  du 
soin  de  sa  subsistance  ;  le  pain,  l'arrivage  de  la  marée, 
une  foule  d'autres  détails,  la  surveillance  des  mon- 
nayeurs,  des  barbiers  ou  chirurgiens,  celle  du  pavé  de 
la  ville,  ressortirent  à  lui.  Le  roi  lui  donna  à  régler  sa 
maison2. 

Les  seules  puissances  qui  résistassent  à  cette  attrac- 
tion, c'étaient,  outre  l'Université3,  les  grandes  cours 
fiscales,  la  Chambre  des  comptes,  la  Cour  des  aides4. 
Encore  voyons-nous,  dans  une  grande  occasion,  qu'il 
est  ordonné  aux  réformateurs  des  aides  et  finances  de 
consulter  le  Parlement5.  On  croit  devoir  expliquer  que 
si  les  maîtres  des  comptes  sont  juges  sans  appel,  c'est 
«  qu'il  y  aurait  inconvénient  à  transporter  les  regis- 
tres, pour  les  mettre  sous  les  yeux  du  Parlement6  », 

Il  fut  réglé  en  1388  et  1400,  ordonné  de  nouveau  en 

1.  Voy.  Ordonnances,  passim,  particulièrement  aux  années  1344,  1359, 
1389,  1400.  —  2.  Ord.,  ann.  1358,  1369,  1372,  1382.  —  3.  Ord.,  ann.  1366. 
—  4.  Ord.,   ann.  1375.  —  5.  Ord.,   ann.  1374.  —  6.  Ord.,  ann.  1408. 


182  HISTOIRE    DE    FRANCE 

1413,  que  le  Parlement  se  recruterait  lui-même  par 
voie  d'élection1.  Dès  lors  il  forma  un  corps  et  devint 
de  plus  en  plus  homogène.  Les  charges  ne  sortirent 
plus  des  mêmes  familles.  Transmises  par  mariage,  par 
vente  même,  elles  ne  passèrent  guère  qu'à  des  sujets 
capables  et  dignes.  Il  y  eut  des  familles  parlemen- 
taires, des  mœurs  parlementaires.  Cette  image  de 
sainteté  laïque  que  la  France  avait  vue  une  fois  en 
un  homme,  en  un  roi,  elle  l'eut  immuable  dans  ce  roi 
judiciaire,  sans  caprice,  sans  passion,  sauf  l'intérêt  de 
la  royauté.  La  stabilité  de  l'ordre  judiciaire  se  trouve 
ainsi  fondée,  au  moment  où  l'ordre  politique  va  subir 
les  plus  rapides  variations.  Quoi  qu'il  advienne,  la 
France  aura  un  dépôt  de  bonnes  traditions  et  de 
sagesse;  dans  les  moments  extrêmes  où  la  royauté,  la 
noblesse,  tous  ces  vieux  appuis  lui  manqueront,  où 
elle  sera  au  point  de  s'oublier  elle-même,  elle  se 
reconnaîtra  au  sanctuaire  de  la  justice  civile. 

Le  Parlement  n'a  donc  pas  tort  de  se  refuser  à  sortir 
de  cette  immobilité  si  utile  à  la  France.  Il  regardera 
passer  la  révolution,  il  lui  survivra,  pour  en  reprendre 
et  en  appliquer  à  petit  bruit  les  résultats  les  plus 
utiles. 

Le  Parlement  se  récusant,  l'Université  n'en  alla  pas 
moins  son  chemin.  Cette  bizarre  puissance,  théolo- 
gique, démocratique  et  révolutionnaire,  n'était  guère 
propre  à  réformer  le  royaume.  D'abord,  elle  avait  en 
elle  trop  peu  d'unité,  d'harmonie,  pour  en  donner  à 

1.  On  ajoute  qu'on  élira  aussi  des  nobles,  ce  qui  prouve  qu'ordinairement 
la  chose  n'arrivait  guère.  (Ord.,  ann.  1407-8.) 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  183 

l'Etat.  Elle  ne  savait  pas  même  si  elle  était  un  corps 
ecclésiastique  ou  laïque,  quoiqu'elle  réclamât  les  pri- 
vilèges des  clercs.  La  faculté  de  théologie,  dans  la 
morgue  de  son  orthodoxie,  dans  l'orgueil  de  sa  vie*' 
toire  sur  les  chefs  de  l'Église,  était  Église  pourtant. 
Elle  semblait  diriger,  mais  au  fond  elle  était  menée, 
violentée  par  la  nombreuse  et  tumultueuse  faculté  des 
Arts  (c'est-à-dire  de  logique)1.  Celle-ci,  peu  d'accord 
avec  l'autre,  ne  l'était  pas  davantage  avec  elle-même  ; 
elle  se  divisait  en  quatre  nations,  et,  dans  ce  qu'on 
appelait  une  nation,  il  y  avait  bien  des  nations  diver- 
ses, Danois,  Irlandais,  Écossais,  Lombards,  etc. 

Une  révolution  avait  eu  lieu  dans  l'Université  au 
quatorzième  siècle.  Pour  régulariser  les  études  et  les 
mœurs,  on  avait  peu  à  peu,  par  des  fondations  de 
bourses  et  autres  moyens,  cloîtré  les  écoliers  dans  ce 
qu'on  appelait  clés  collèges.  La  plupart  des  collèges 
semblaient  être  au  fond  la  propriété  des  boursiers,  qui 
nommaient  au  scrutin  les  principaux,  les  maîtres.  Rien 
n'était  plus  démocratique  2. 

Ces  petites  républiques  cloîtrées  de  jeunes  gens 
pauvres  étaient,  comme  on  peut  croire,  animées  de 
l'esprit  le  plus  inquiet,  surtout  à  l'époque  du  schisme, 
où  les  princes  disposaient  de  tout  dans  l'Église,  et  fer- 
maient aux  universitaires  l'accès  des  bénéfices.  Dans 
ces  tristes  demeures,  sous  l'influence  de  la  sèche  et 

i.  Les  règlements  de  ces  deux  facultés  se  modifièrent  en  sens  inverse.  La 
faculté  de  théologie  prolongea  ses  cours  ;  elle  exigea  six  ans  d'études  au  lieu 
de  cinq  avant  le  baccalauréat.  La  faculté  des  arts  réduisit  ses  cours  de  six 
ans  à  cinq,  puis  à  trois  et  demi,  et  enfin,  en  1600,  à  deux.  La  scolastique 
perdait  peu  à  peu  son  importance.  (Bulœus.)  —  2.  App.  130. 


184  HISTOIRE    DE    FRANCE 

stérile  éducation  du  temps,  languissaient  sans  espoir 
de  vieux  écoliers.  Il  y  avait  là  de  bizarres  existences, 
des  gens  qui,  sans  famille,  sans  amis,  sans  connais- 
sance du  monde,  avaient  passé  toute  une  vie  dans  les 
greniers  du  pays  latin,  étudiant,  faute  d'huile,  au 
clair  de  la  lune,  vivant  d'arguments  ou  déjeunes,  ne 
descendant  des  sublimes  misères  de  la  Montagne,  de 
la  gouttière  de  Standonc1,  de  la  lucarne  d'où  fut  jeté 
Ramus,  que  pour  disputer  à  mort  dans  la  boue  de  la 
rue  du  Fouarre  ou  de  la  place  Maubert. 

Les  moines  Mendiants,  nouveaux  membres  de  l'Uni- 
versité, avaient,  outre  l'aigreur  de  la  scolastique,  celle 
de  la  pauvreté  ;  ils  étaient  souvent  haineux  et  envieux 
par-dessus  toute  créature  ;  misérables  et  faisant  de  leur 
misère  un  système,  ils  ne  demandaient  pas  mieux  que 
de  l'infliger  aux  autres.  On  a  dit  (et  je  crois  qu'il  en 
était  ainsi  pour  beaucoup  d'entre  eux)  qu'ils  ne  com- 
prenaient le  christianisme  que  comme  religion  de  la 
mort  et  de  la  douleur.  Mortifiés  et  mortifiants,  ils  se 
tuaient  d'abstinences  et  de  violences,  et  ils  étaient 
prêts  à  traiter  le  prochain  comme  eux-mêmes.  C'est 
parmi  eux  que  le  duc  de  Bourgogne  trouva  sans 
peine  des  gens  pour  louer  le  meurtre. 

Le  mépris  que  les  autres  ordres  avaient  pour  les 
Mendiants    était    propre    à    irriter    cette    disposition 


1.  Fils  d'un  cordonnier  de  Malines,  il  vint  à  Paris  comme  domestique  ou 
marmiton,  selon  l'histoire  manuscrite  de  Sainte-Geneviève  :  le  jour  il  était  à 
sa  cuisine,  la  nuit  il  se  retirait  au  clocher  de  l'église  et  y  étudiait  au  clair  de 
lune.  11  entra  au  collège  de  Montaigu,  releva  ce  collège  alors  ruiné,  et  en  fut 
comme  le  second  fondateur.  Il  n'est  pas  moins  célèbre  pour  la  violence  avec 
laquelle  il  prêcha  contre  le  divorce  de  Louis  XII. 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  185 

farouche.  Or,  parmi  les  Mendiants,  il  y  avait  un  ordre 
moins  important,  moins  nombreux  que  les  Domini- 
cains et  les  Franciscains,  mais  plus  bizarre,  plus 
excentrique,  et  dont  les  autres  Mendiants  se  moquaient 
eux-mêmes.  Cet  ordre,  celui  des  Carmes,  ne  se  con- 
tentait pas  d'une  origine  chrétienne  ;  ils  voulaient, 
comme  les  Templiers,  remonter  plus  haut  que  le 
christianisme1.  Ermites  du  mont  Carmel,  descendants 
d'Élie,  ils  se  piquaient  d'imiter  l'austérité  des  pro- 
phètes hébraïques,  de  ces  terribles  mangeurs  de  sau- 
terelles qui,  dans  le  désert,  luttaient  contre  l'esprit  de 
Dieu  \ 

Un  carme,  Eustache  de  Pavilly,  se  chargea  de  lire  la 
remontrance  de  l'Université  au  roi.  Cet  Élie delà  place 
Maubert  parla  presque  aussi  durement  que  celui  du 
Carmel.  On  ne  pouvait  du  moins  reprocher  à  cette 
remontrance  d'être  générale  et  vague.  Rien  n'était  plus 
net3.  Le  carme  n'accusait  pas  seulement  les  abus,  il 
dénonçait  les  hommes;  il  les  nommait  hardiment  par 
leurs  noms,  en  tête  le  prévôt  Desessarts,  jusque-là 
l'homme  des  Bourguignons ,  celui  qui  avait  arrêté 
Montaigu.  Mais  alors  on  n'était  plus  sur  de  lui  et  il 
venait  de  se  brouiller  avec  l'Université4. 


1.  App.  131. 

2.  La  règle  des  Carmes  était  très  propre  à  développer  l'exaltation  :  de  longs 
jeûnes,  de  longs  silences,  les  jours  et  les  nuits  passés  dans  une  cellule. 

3.  App.  132. 

4.  Desessarts  et  son  frère  recevaient  ou  prenaient  beaucoup  d'argent.  Mais 
l'Université  avait  contre  le  prévôt  un  sujet  particulier  de  haine.  Il  avait  pris 
parti  contre  les  écoliers  dans  leur  querelle  avec  un  sergent  du  prévôt  qui  était 
en  même  temps  aubergiste  et  qui,  en  dérision  des  écoliers,  avait  traîné  un 
àne  mort  à  la  porte  du  collège  d'Harcourt. 


186  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Le  duc  de  Bourgogne  accueillit  la  remontrance. 
Menacé  par  les  princes,  et  voyant  le  dauphin  son 
gendre  s'éloigner  de  lui,  il  résolut  de  s'appuyer  sur 
l'Université  et  sur  Paris.  Il  força  le  conseil  à  destituer 
les  financiers,  comme  l'Université  le  demandait.  Deses- 
sarts  se  sauva,  déclarant  qu'en  effet  il  lui  manquait 
deux  millions,  mais  qu'il  en  avait  les  reçus  du  duc  de 
Bourgogne. 

Celui-ci  se  trouvait  fort  intéressé  à  tenir  loin  un  tel 
accusateur.  Un  mois  après,  il  apprend  qu'il  est  revenu, 
qu'il  a  forcé  le  pont  de  Charenton,  et  qu'il  occupe  la 
Bastille  au  nom  du  dauphin.  Les  conseillers  du  dau- 
phin s'étaient  imaginé  que,  la  Bastille  prise,  Paris  tour- 
nerait pour  lui  contre  le  duc  de  Bourgogne.  lien  fut 
tout  autrement.  Le  poste  de  Charenton,  qui  assurait 
les  arrivages  de  la  haute  Seine  et  les  approvisionne- 
ments de  la  ville,  était  la  chose  du  monde  qui  intéres- 
sait le  plus  les  Parisiens.  L'attaque  de  ce  poste  fit 
croire  que  Desessarts  voulait  affamer  Paris.  Un  immense 
flot  de  peuple  vint  heurter  à  l'hôtel  de  ville,  réclamant 
l'étendard  de  la  commune,  pour  aller  attaquer  la  Bas- 
tille. Le  premier  jour,  on  parvint  à  les  renvoyer1.  Le 
second,  ils  prirent  l'étendard  et  assiégèrent  la  forte- 
resse. Ils  auraient  eu  peine  à  la  forcer.  Mais  le  duc  de 
Bourgogne  aida  :  il  décida  Desessarts  effrayé  à  sortir, 
lui  répondant  de  la  vie 2.  Il  lui  fit  une  croix  sur  le  dos 


1.  Ils  respectèrent  la  courageuse  résistance  du  clerc  de  l'hôtel  de  ville. 

2.  Le  duc  lui  dit  :  «  Mon  ami,  ne  te  soucie,  car  je  te  jure  que  tu  n'auras 
autre  garde  que  de  mon  propre  corps.  »  Et  lui  fit  la  croix  sur  le  dos  de  la 
main  et  l'emmena.  (Juvénal.) 


RÉFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  187 

de  sa  main,  et  jura  dessus.  Le  duc  croyait  mener  le 
peuple;  il  vit  bientôt  qu'il  le  suivait. 

Ceux  qui  venaient  de  planter  l'étendard  de  la  com- 
mune contre  une  forteresse  royale  n'étaient  pourtant 
pas,  autant  qu'on  pourrait  croire,  des  ennemis  de 
l'ordre.  Ils  ne  mirent  pas  la  main  sur  Desessarts,  ne 
lui  firent  aucun  mal;  ils  voulaient  qu'on  lui  fît  son 
procès.  Ils  le  menèrent  au  château  du  Louvre,  et  lui 
donnèrent  une  garde  demi-bourgeoise  et  demi-royale. 

Ces  hommes,  modérés  dans  la  violence  même, 
n'étaient  pas  des  gens  de  la  bonne  bourgeoisie  de 
Paris,  de  celle  qui  fournissait  les  échevins,  les  cin- 
quanteniers.  Cette  bourgeoisie  avait  parlé  par  l'organe 
de  Benoît Gentien,  parlé  modérément,  vaguement;  elle 
était  incapable  d'agir.  Les  cinquanteniers  avaient  fait 
ce  qu'ils  avaient  pu  pour  empêcher  qu'on  ne  marchât 
sur  la  Bastille.  Il  y  avait  des  gens  plus  forts  qu'eux,  et 
que  la  foule  suivait  plus  volontiers,  gens  riches,  mais 
qui,  par  leur  position,  leur  métier  et  leurs  habitudes, 
se  rapprochaient  du  petit  peuple  :  c'étaient  les  maîtres 
bouchers,  maîtres  héréditaires  des  étaux  de  la  grande 
boucherie  et  de  la  boucherie  Sainte-Geneviève1.  Ces 
étaux  passaient,  comme  des  fiefs,  d'hoir  en  hoir,  et 
toujours  aux  mâles.  Les  mêmes  familles  les  ont  pos- 
sédés pendant  plusieurs  siècles.  Ainsi  les  Saint- Yon  et 
les  Thibert,  déjà  importants  sous  Charles  Y  (1376). 
subsistaient  encore  au  dernier  siècle2.  Ce  qui,  malgré 
leur  richesse,  leur  conservait  les  habitudes  énergiques 

1.  App.  133.  —  2.  App.  134. 


188  HISTOIRE    DE    FRANCE 

du  métier,  c'est  qu'il  leur  était  enjoint  d'exercer  eux- 
mêmes,  de  sorte  que,  tout  riches  qu'ils  pouvaient  être, 
ces  seigneurs  bouchers  restaient  de  vrais  bouchers, 
tuant,  saignant  et  détaillant  la  viande. 

C'étaient  du  reste  des  gens  rangés,  réguliers  et  sou- 
vent dévots.  Ceux  de  la  grande  boucherie  étaient  fort 
affectionnés  à  leur  paroisse,  Saint-Jacques-la-Boucherie. 
Nous  voyons,  dans  les  actes  de  Saint-Jacques,  le  bou- 
cher Alain  y  acheter  une  lucarne  pour  voir  la  messe 
de  chez  lui1,  et  le  boucher  Haussecul  une  clef  de 
l'église  pour  y  faire  à  toute  heure  ses  dévotions. 

Dans  cette  classe  honnête,  mais  grossière  et  violente, 
les  plus  violents  étaient  les  bouchers  de  la  boucherie 
Sainte-Geneviève,  les  Legoix  surtout.  Ceux-ci,  anciens 
vassaux  de  l'abbaye,  vivaient  assez  mal  avec  elle.  Ils 
s'obstinaient,  malgré  l'abbé,  à  vendre  de  la  viande  les 
jours  maigres,  et  de  plus,  à  fondre  leur  suif  chez  eux, 
au  risque  de  brûler  le  quartier.  Établis  au  milieu  des 
écoles  et  des  disputes,  ils  participaient  à  l'exaltation 
des  écoliers.  La  boucherie  Sainte-Geneviève  était  jus- 
tement près  de  la  Croix  des  Carmes,  et,  par  conséquent, 
à  la  porte  du  couvent  des  Carmes  ;  les  Legoix  étaient 
ainsi  voisins,  amis  sans  doute  de  ce  violent  moine 
Eustache  de  Pavilly,  le  harangueur  de  l'Université. 

La  force  des  maîtres  bouchers,  c'était  une  armée  de 
garçons,  de  valets,  tueurs,  assommeurs,  écorcheurs, 
dont  ils  disposaient.  Il  y  avait,  parmi  ces  garçons,  des 
hommes  remarquables  par  leur  audace  brutale,  deux 

1.  A  pp.  135. 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  189 

surtout,  l'écorcheur  Caboche  et  le  fils  d'une  tripière. 
C'étaient  des  gens  terribles  dans  une  émeute  ;  mais 
leurs  maîtres,  qui  les  lançaient,  croyaient  toujours 
pouvoir  les  rappeler. 

Il  était  curieux  de  voir  comment  les  maîtres  bou- 
chers, ayant  un  moment  Paris  entre  les  mains,  Paris, 
le  roi,  la  reine  et  le  dauphin,  comment  ils  useraient 
de  ce  grand  pouvoir.  Ces  gens,  honnêtes  au  fond,  reli- 
gieux et  loyaux,  regardaient  tous  les  maux  du  royaume 
comme  la  suite  du  mal  du  roi,  et  ce  mal  lui-même 
comme  une  punition  de  Dieu.  Dieu  avait  frappé  pour 
leurs  péchés  le  roi  et  le  duc  d'Orléans,  son  frère.  Res- 
tait le  jeune  dauphin  ;  ils  mettaient  en  lui  leur  espoir; 
toute  leur  crainte  était  que  le  châtiment  ne  s'étendît  à 
celui-ci,  qu'il  ne  ressemblât  à  son  père1.  Ce  prince, 
tout  jeune  qu'il  était,  leur  donnait  sous  ce  rapport 
beaucoup  d'inquiétude.  Il  était  dépensier,  n'aimait  que 
les  beaux  habits  ;  ses  habitudes  étaient  toutes  con- 
traires à  celles  des  bourgeois  rangés.  Ces  gens,  qui  se 
couchaient  de  bonne  heure,  entendaient  toute  la  nuit 
la  musique  du  dauphin;  il  lui  fallait  des  orgues,  des 
enfants  de  chœur,  pour  ses  fêtes  mondaines.  Tout  le 
monde  en  était  scandalisé. 

Ils  avisèrent,  dans  leur  sagesse,  qu'ils  devaient,  pour 
réformer  le  royaume,  réformer  d'abord  l'héritier  du 
royaume,  éloigner  de  lui  ceux  qui  le  perdaient,  veiller 
à  sa  santé  corporelle  et  spirituelle. 

Pendant  que  Desessarts  était  encore  dans  la  Bastille 

1.  App.  136. 


190  HISTOIRE    DE    FRANCE 

s' excusant  sur  les  ordres  du  dauphin,  nos  bouchers 
se  rendaient  à  Saint-Paul,  ayant  à  leur  tête  un  vieux 
chirurgien,  Jean  de  Troyes,  homme  d'une  figure  res- 
pectable et  qui  parlait  à  merveille.  Le  dauphin,  tout 
tremblant,  se  mit  à  sa  fenêtre,  par  le  conseil  du  duc 
de  Bourgogne,  et  le  chirurgien  parla  ainsi  :  «  Monsei- 
gneur, vous  voyez  vos  très  humbles  sujets,  les  bour- 
geois de  Paris,  en  armes  devant  vous.  Ils  veulent 
seulement  vous  montrer  par  là  qu'ils  ne  craindraient 
pas  d'exposer  leur  vie  pour  votre  service,  comme  ils 
l'ont  déjà  su  faire;  tout  leur  déplaisir  est  que  votre 
royale  jeunesse  ne  brille  pas  à  l'égal  de  vos  ancêtres, 
et  que  vous  soyez  détourné  de  suivre  leurs  traces  par 
les  traîtres  qui  vous  obsèdent  et  vous  gouvernent. 
Chacun  sait  qu'ils  prennent  à  tâche  de  corrompre  vos 
bonnes  mœurs,  et  de  vous  jeter  dans  le  dérèglement. 
Nous  n'ignorons  pas  que  notre  bonne  reine ,  votre 
mère,  en  est  fort  mal  contente  ;  les  princes  de  votre 
sang  eux-mêmes  craignent  que  lorsque  vous  serez  en 
âge  de  régner,  votre  mauvaise  éducation  ne  vous  en 
rende  incapable.  La  juste  aversion  que  nous  avons 
contre  des  hommes  si  dignes  de  châtiment  nous  a  fait 
solliciter  assez  souvent  qu'on  les  ôtâtde  votre  service. 
Nous  sommes  résolus  de  tirer  aujourd'hui  vengeance 
de  leur  trahison,  et  nous  vous  demandons  de  les  mettre 
entre  nos  mains.  » 

Les  cris  de  la  foule  témoignèrent  que  le  vieux  chi- 
rurgien avait  parlé  selon  ses  sentiments.  Le  dauphin, 
avec  assez  de  fermeté,  répondit  :  «  Messieurs  les  bons 
bourgeois,  je  vous  supplie  de  retourner  à  vos  métiers, 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  191 

et  de  ne  point  montrer  cette  furieuse  animosité  contre 
des  serviteurs  qui  me  sont  attachés.  » 

«  Si  vous  connaissez  des  traîtres,  dit  le  chancelier 
du  dauphin,  croyant  les  intimider,  on  les  punira,  nom- 
mez-les. 

—  Vous,  d'abord  »,  lui  crièrent-ils.  Et  ils  lui  remi- 
rent une  liste  de  cinquante  seigneurs  ou  gentils- 
hommes, en  tête  de  laquelle  se  trouvait  son  nom.  Il 
fut  forcé  de  la  lire  tout  haut,  et  plus  d'une  fois. 

Le  dauphin,  tremblant,  pleurant,  rouge  de  colère, 
mais  voyant  bien  pourtant  qu'il  n'y  avait  pas  moyen  de 
résister,  prit  une  croix  d'or  que  portait  sa  femme,  et 
fit  jurer  au  duc  de  Bourgogne  qu'il  n'arriverait  aucun 
mal  à  ceux  que  le  peuple  allait  saisir.  Il  jura,  comme 
pour  Desessarts,  ce  qu'il  ne  pouvait  tenir. 

Cependant  ils  enfonçaient  les  portes,  et  se  mettaient 
à  fouiller  l'hôtel  du  roi  pour  y  chercher  les  traîtres. 
Ils  saisirent  le  duc  de  Bar,  cousin  du  roi,  puis  le  chan- 
celier du  dauphin,  le  sire  de  La  Rivière,  son  chambel- 
lan, son  écuyer  tranchant,  ses  valets  de  chambre  et 
quelques  autres.  Ils  en  arrachèrent  un  brutalement  à 
la  dauphine,  fille  du  duc  de  Bourgogne,  qui  voulait  le 
sauver.  Tous  les  prisonniers,  mis  à  cheval,  furent 
menés  à  l'hôtel  du  duc  de  Bourgogne,  puis  à  la  tour 
du  Louvre. 

Tous  n'arrivèrent  pas  jusqu'au  Louvre.  Ils  égorgè- 
rent ou  jetèrent  à  la  Seine  ceux  qu'ils  croyaient  cou- 
pables des  dérèglements  du  dauphin  ou  de  ses  folles 
dépenses,  un  riche  tapissier,  un  pauvre  diable  de 
musicien  appelé  Gourtebotte.  Ils  rencontrèrent  aussi 


192  HISTOIRE    DE    FRANCE 

un  habile  mécanicien  ou  ingénieur,  qui  avait  aidé  le 
duc  de  Berri  à  défendre  Bourges;  quelqu'un  s'étant 
avisé  de  dire  que  cet  homme  se  vantait  de  pouvoir 
mettre  le  feu  à  la  ville,  sans  qu'on  pût  l'éteindre,  il 
fut  tué  à  l'instant. 

Les  bouchers  croyaient  avoir  fait  une  chose  méri- 
toire et  comptaient  bien  être  remerciés  ;  ils  vinrent  le 
lendemain  à  l'hôtel  de  ville.  Là,  les  gros  bourgeois, 
échevins  et  autres,  repassaient  en  frémissant  les  évé- 
nements de  la  veille,  l'hôtel  royal  forcé,  l'enlèvement 
des  serviteurs  du  roi,  le  sang  versé.  Ils  craignaient 
que  le  duc  d'Orléans  et  les  princes  ne  vinssent,  en 
punition,  anéantir  la  ville  de  Paris.  Ils  avaient  peur 
des  princes;  mais,  d'autre  part,  ils  avaient  peur  des 
bouchers;  ils  n'osaient  les  désavouer.  Ils  envoyèrent 
aux  princes  quelques-uns  des  leurs  avec  des  docteurs 
de  l'Université,  pour  leur  faire  entendre,  s'ils  pou- 
vaient, que  tout  s'était  fait  par  bonne  intention  et  sans 
qu'on  voulut  leur  déplaire. 

Cependant  les  bouchers,  persévérant  dans  leur  projet 
de  réformer  les  mœurs  du  dauphin,  ne  cessaient  de 
revenir  à  Saint-Paul,  ou  d'y  envoyer  des  docteurs  de 
leur  parti.  C'était  un  spectacle  terrible  et  comique  que 
ce  peuple,  naïvement  moral  et  religieux  dans  sa  féro- 
cité, qui  ne  songeait  ni  à  détruire  le  pouvoir  royal,  ni 
à  le  transporter  à  une  autre  maison,  pas  même  à  une 
autre  branche,  mais  qui  voulait  seulement  amender  la 
royauté,  qui  venait  lui  tâter  le  pouls,  la  médeciner 
gravement.  L'hygiène  appliquée  à  la  politique1  n'avait 

1.  Jpp.  13"\ 


REFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  193 

rien  d'absurde,  lorsque  l'État,  se  trouvant  encore  ren- 
fermé dans  la  personne  du  roi ,  languissait  de  ses 
infirmités,  était  fol  de  sa  folie. 

Le  carme  Eustache  de  Pavilly  s'était  particulière- 
ment chargé  d'administrer  au  jeune  prince  cette  méde- 
cine morale,  n'y  épargnant  nul  remède  héroïque.  Il  lui 
disait  en  face,  par  exemple  :  «  Ah  !  Monseigneur,  que 
vous  êtes  changé  !  tant  que  vous  vous  êtes  laissé  édu- 
quer  et  conduire  au  bon  gouvernement  de  votre  res- 
pectable mère,  vous  donniez  tout  l'espoir  qu'on  peut 
concevoir  d'un  jeune  homme  bien  né.  Tout  le  monde 
bénissait  Dieu  d'avoir  donné  au  roi  un  successeur  si 
docile  aux  bons  enseignements.  Mais,  une  fois  échappé 
aux  directions  maternelles,  vous  n'avez  que  trop 
ouvert  l'oreille  à  des  gens  qui  vous  ont  rendu  indé- 
vot envers  Dieu,  paresseux  et  lent  à  expédier  les 
affaires.  Ils  vous  ont  appris,  chose  odieuse  et  insup- 
portable aux  bons  sujets  du  roi,  à  faire  de  la  nuit  le 
jour,  à  passer  le  temps  en  mangeries,  en  vilaines 
danses  et  autres  choses  peu  convenables  à  la  majesté 
royale.  » 

Pavilly  l'admonestait  ainsi,  tantôt  en  présence  de 
la  reine,  tantôt  devant  les  princes.  Une  fois,  il  lui  fît 
entendre  tout  un  traité  complet  de  la  conduite  des 
princes1,  examinant  dans  le  plus  grand  détail  toutes 
les  vertus  qui  peuvent  rendre  digne  du  trône,  et  rap- 
pelant tous  les  exemples  des  vertus  et  des  vices  que 
l'histoire,  surtout  l'histoire  de  France,  pouvait   pré- 


1.  «  Ex  quibus  posset  componi  tractatus  valde  magnus.  »  (Religieux.) 

T.    IV.  13 


494  HiSTOIRE    DE    FRANCE 

senter.  Les  derniers  exemples  étaient  ceux  du  roi 
encore  vivant  et  de  son  frère,  celui  du  dauphin  même, 
qui,  s'il  ne  s'amendait  pas,  obligerait  de  transférer  son 
droit  d'aînesse  à  son  jeune  frère,  ainsi  que  la  reine 
l'en  avait  menacé. 

Il  conclut  en  demandant  qu'on  choisît  des  commis- 
saires pour  informer  contre  les  dissipateurs  des 
deniers  publics,  d'autres  pour  faire  le  procès  des  traî- 
tres emprisonnés,  enfin,  des  capitaines  contre  le  comte 
d'Armagnac.  «  Ce  peuple,  ajoutait-il,  est  là  pour 
m'avouer  de  tout  cela;  je  viens  d'exposer  ses  humbles 
demandes.  » 

Le  dauphin  répondait  doucement  ;  mais  il  n'y  pou- 
vait plus  tenir.  Il  aurait  voulu  s'échapper.  Le  comte 
de  Vertus,  frère  du  duc  d'Orléans,  s'était  enfui  sous 
un  déguisement.  Le  dauphin  eut  l'imprudence  d'écrire 
aux  princes  de  venir  le  délivrer.  Les  bouchers,  qui 
s'en  doutaient,  prirent  leurs  mesures  pour  que  leur 
pupille  ne  pût  échapper  à  leur  surveillance  ;  ils  mirent 
bonne  garde  aux  portes  de  la  ville,  et  s'assurèrent  de 
l'hôtel  Saint-Paul1,  dont  ils  constituèrent  gardien  et 
concierge  le  sage  chirurgien  Jean  de  Troyes.  Et 
cependant  ils  faisaient  jour  et  nuit  des  rondes  tout 
autour  «  pour  la  sûreté  du  roi  et  de  monseigneur 
le  duc  de  Guyenne  ».  C'est  ainsi  qu'on  nommait  le 
dauphin. 

Garder  son  roi  et  l'héritier  du  royaume,  les  tenir 
en  geôle,  c'était  une  situation  nouvelle,  étrange,  et 


1.  «  Gardèrent  curieusement  les  portes...,  et  disoient  aucuns  d'eux  qu'on 
le  faisoit  pour  sa  correction,  car  il  estoit  de  jeune  âge.  »  (Monstrelet.) 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'EGLISE  195 

qui  devait  étonner  les  bouchers  eux-mêmes.  Mais 
quand  ils  se  seraient  repentis,  ils  n'étaient  plus  maî- 
tres. Leurs  valets,  qu'ils  avaient  menés  d'abord,  les 
menaient  maintenant  à  leur  tour.  Les  héros  du  parti 
étaient  les  écorcheurs,  le  fils  de  la  tripière,  Caboche 
et  Denisot.  Ils  avaient  pour  capitaine  un  chevalier 
bourguignon,  Hélion  de  Jacqueville,  aussi  brutal 
qu'eux.  La  garde  des  deux  postes  de  confiance,  d'où 
dépendaient  les  vivres,  Gharenton  et  Saint-Gloud,  les 
écorcheurs  se  l'étaient  réservée  à  eux-mêmes.  Appa- 
remment les  maîtres  bouchers  n'étaient  plus  jugés 
assez  sûrs. 

Le  duc  de  Bourgogne  n'en  était  pas  sans  doute  à 
regretter  ce  qu'il  avait  fait.  Les  Parisiens  gardant  le 
dauphin,  les  Gantais  voulurent  garder  le  fils  du  duc 
de  Bourgogne1.  Ils  vinrent  le  demander  à  Paris.  Les 
Parisiens  avaient  pris  le  blanc  chaperon  de  Gand  ;  les 
Gantais  le  reprirent  cle  leur  main.  Le  duc  de  Bour- 
gogne fut  obligé  d'envoyer  son  fils  aux  Gantais,  de 
leur  donner  ce  précieux  otage.  Il  subit  le  chaperon. 

Un  jour  que  le  roi  mieux  portant  allait  en  grande 
pompe  remercier  Dieu  à  Notre-Dame,  avec  ses  princes 
et  sa  noblesse,  le  vieux  Jean  de  Troyes  se  trouve  sur 
son  passage  avec  le  corps  de  ville  ;  il  supplie  le  roi  de 
prendre  le  chaperon,  en  signe  de  l'affection  cordiale 
qu'il  a  pour  sa  ville  de  Paris.  Le  roi  l'accepte  bonnement. 
Dès  lors  il  fallut  bien  que  tout  le  monde  le  portât2,  le 


1.  App.  138. 

2.  «  Et  en  prinrent  hommes  d'église,  femmes  d'honneur,  marchandes  qui 
à  tout  vendoient  les  denrées.  »  [Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris.) 


196  HISTOIRE   DE   FRANCE 

recteur,  les  gens  du  Parlement.  Malheur  à  ceux  qui 
l'auraient  porté  de  travers1  ! 

Le  chaperon  fut  envoyé  aux  autres  villes,  et  presque 
toutes  le  prirent.  Néanmoins  aucune  n'entra  sérieu- 
sement dans  le  mouvement  de  Paris.  Les  cabochiens, 
ne  trouvant  aucune  résistance,  mais  n'étant  aidés  de 
personne,  furent  obligés  de  recourir  à  des  moyens 
expéditifs  pour  faire  de  l'argent.  Ils  demandèrent  au 
dauphin  l'autorisation  de  prendre  soixante  bourgeois, 
gens  riches,  modérés  et  suspects.  Ils  les  rançon- 
nèrent. 

On  avait  commencé  par  emprisonner  les  courti- 
sans, les  seigneurs.  Déjà  on  en  venait  aux  bourgeois. 
On  ne  pouvait  deviner  où  s'arrêteraient  les  violences. 
Les  petites  gens  prenaient  peu  à  peu  goût  au  désor- 
dre; ils  ne  voulaient  plus  rien  faire  que  courir  les 
rues  avec  le  chaperon  blanc;  ne  gagnant  plus,  il  fal- 
lait bien  qu'ils  prissent.  Le  pillage  pouvait  commencer 
d'un  moment  à  l'autre. 

Les  gens  de  l'Université,  qui  avaient  mis  tout  en 
mouvement  sans  savoir  ce  qu'ils  faisaient,  n'étaient 
pas  les  moins  effrayés.  Ils  avaient  cru  accomplir  la 
réforme  en  compagnie  du  duc  de  Bourgogne,  du  corps 
de  ville  et  des  bourgeois  les  plus  honorables.  Et  voilà 
qu'il  ne  leur  restait  que  les  bouchers,  les  valets  de 
boucherie,  les  écorcheurs.  Ils  frémissaient  de  se  ren- 


1.  Le  dauphin  ayant  fait  l'espièglerie  de  tirer  en  bas  une  corne  de  son 
chaperon,  de  manière  à  ce  qu'elle  figurât  une  bande  (signe  des  Armagnacs), 
les  bouchers  faillirent  éclater  :  «  Regardez,  disaient-ils,  ce  bon  enfant  de 
dauphin,  il  en  fera  tant  qu'il  nous  mettra  en  colère.  »  (Juvénal.) 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  197 

contrer  dans  les  rues  avec  ces  nouveaux  frères  et 
amis,  qu'ils  voyaient  pour  la  première  fois,  sales,  san- 
glants, manches  retroussées,  menaçant  tout  le  monde, 
hurlant  le  meurtre. 

L'alliance  monstrueuse  des  docteurs  et  des  assom- 
meurs  ne  pouvait  durer.  Les  universitaires  se.  réu- 
nirent au  couvent  des  Carmes  de  la  place  Haubert, 
dans  la  cellule  même  d'Eustache  de  Pavilly1.  Ils  étaient 
singulièrement  abattus,  et  ne  savaient  quel  parti 
prendre.  Ces  pauvres  docteurs,  ne  trouvant  dans  leur 
science  aucune  lumière  qui  put  les  guider,  se  déci- 
dèrent humblement  à  consulter  les  simples  d'esprit. 
Ils  s'enquirent  des  personnes  dévotes  et  contempla- 
tives, des  religieux,  des  saintes  femmes  qui  avaient 
des  visions.  Pavilly,  plein  de  confiance,  s'offrit  d'aller 
les  consulter.  Mais  les  visions  de  ces  femmes  n'avaient 
rien  de  rassurant.  L'une  avait  vu  trois  soleils  dans 
le  ciel.  Une  autre  voyait  sur  Paris  flotter  des  nuées 
sombres,  tandis  qu'il  faisait  beau  au  midi,  vers  les 
marches  de  Berri  et  d'Orléans.  «  Moi,  disait  la  troi- 
sième, j'ai  vu  le  roi  d'Angleterre  en  grand  orgueil 
au  haut  des  tours  de  Notre-Dame  ;  il  excommuniait 
notre  sire  le  roi  de  France  ;  et  le  roi,  entouré  de  gens 
en  noir,  était  assis  humblement  sur  une  pierre  dans 
le  parvis 2. 

La  terreur  de  ces  visions  ébranla  les  plus  intré- 
pides. Ils  voulurent  consulter  un  honnête  homme  du 


1.  App.  139. 

2.  Quelques-uns  disaient  qu'il  fallait  s'attendre  à  tous  les  maux,  depuis  la 
malédiction  prononcée  par  Boniface  et  depuis  renouvelée  par  Benoît  XIII. 


198  HISTOIRE   DE   FRANCE 

parti  opposé ,  le  modéré  des  modérés ,  Juvénal  des 
Ursins.  Ils  le  firent  venir;  mais  ils  n'en  purent  tirer 
rien  de  praticable.  Il  ne  voyait  rien  à  faire,  sinon 
prier  les  princes  de  se  réconcilier  et  de  rompre  les 
négociations  qu'ils  avaient  entamées  avec  les  Anglais1. 
C'était  simplement  se  soumettre  et  renoncer  aux 
réformes.  Cependant  l'abattement  était  tel,  le  désir  de 
la  paix  si  fort,  que  cet  avis  entraînait  tout  le  monde. 
Le  seul  Pavilly  s'obstina;  il  soutint  que  tout  ce  qui 
s'était  fait  était  bien  fait,  et  qu'il  fallait  aller  jusqu'au 
bout2. 

Ces  divisions,  dont  les  princes  étaient  instruits, 
les  encouragèrent  sans  doute  à  différer  la  publication 
de  la  grande  ordonnance  de  réforme  que  l'Université 
avait  d'abord  si  vivement  sollicitée.  Alors,  sans  plus 
s'inquiéter  des  docteurs  qui  l'abandonnaient,  le  moine, 
entraînant  après  lui  le  prévôt  des  marchands,  les  éche- 
vins,  une  foule  de  petit  peuple  et  bon  nombre  de 
bourgeois  intimidés,  s'en  alla  hardiment  prêcher  le 
roi  à  Saint-Paul3  (22  mai)  :  «  Il  y  a  encore,  dit-il,  de 
mauvaises  herbes  au  jardin  du  roi  et  de  la  reine;  il 
faut  sarcler  et  nettoyer;  la  bonne  ville  de  Paris, 
comme  un  sage  jardinier,  doit  ôter  ces  herbes  funestes, 


1.  Il  savait  que  les  princes  faisaient  venir  le  duc  de  Clarence,  et  le  duc  de 
Bourgogne  le  comte  d'Arundel. 

2.  App.  140. 

3.  «  Et  dans  les  trois  tours  dudit  hostel  mirent  et  ordonnèrent  leurs  gens 
d'armes.  »  (Monstrelet.)  —  «  ...  Ont  esté  à  Saint-Paul...,  et  après  une  collation 
faite  par  M.  Eustace  de  Pavilly,  maistre  en  théologie,  de  l'ordre  de  N.-D.  des 
Carmes,  tendant  à  fin  d'oster  les  bons  des  mauvais...  »  (Archives,  Registres 
du  Parlement,  Conseil.) 


REFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  199 

qui  étoufferaient  les  lis1...  »  Quand  il  eut  fini  cette 
sinistre  harangue,  et  accepté  la  collation  qu'on  offrit, 
selon  l'usage,  au  prédicateur,  le  chancelier  lui 
demanda  au  nom  de  qui  il  parlait.  Le  carme  se  tourna 
vers  le  prévôt  et  les  échevins,  qui  l'avouèrent  de  ce 
qu'il  avait  dit.  Mais  le  chancelier  objectant  que  cette 
députation  était  peu  nombreuse  pour  représenter  la 
ville  de  Paris,  ils  appelèrent  quelques  bourgeois  des 
plus  considérables  qui  étaient  dans  la  cour  ;  ceux-ci 
montèrent,  à  contre-cœur,  et,  se  mettant  à  genoux 
devant  le  roi,  protestèrent  de  leur  bonne  intention. 
Cependant,  la  foule  augmentait  ;  toutes  sortes  de  gens 
entraient  sans  qu'on  osât  leur  interdire  la  porte,  l'hô- 
tel s'emplissait.  Le  duc  de  Bourgogne  lui-même  com- 
mençait à  avoir  peur  de  ses  amis  ;  pour  les  décider  à 
s'en  aller,  il  s'avisa  de  leur  dire  que  le  roi  était  à  peine 
rétabli,  que  ce  tumulte  allait  lui  faire  mal,  lui  causer 
une  rechute.  Mais  ils  criaient  de  plus  belle  qu'ils 
étaient  venus  justement  pour  le  bien  du  roi. 

Alors  le  chirurgien  Jean  de  Troyes  exhiba  une  nou- 
velle liste  de  traîtres.  En  tête,  se  trouvait  le  propre 
frère  de  la  reine,  Louis  de  Bavière.  Le  duc  de  Bour- 
gogne eut  beau  prier,  la  reine  verser  des  larmes2; 
Louis  de  Bavière,  qui  allait  se  marier,  demandait  au 
moins  huit  jours,  promettant  de  se  constituer  prison- 
nier la  semaine  d'après;  ils  furent  inflexibles.  Pour 


1.  «  Très  mauvaises  herbes  et  périlleuses,  c'est  à  savoir  quelques  serviteurs 
et  servantes  qu'il  falloit  sarcler  et  oster.  »  (Juvénal.)  App.  141. 

2.  Le  dauphin  «  s'abstint  de  pleurer  ce  qu'il  put  en  torchant  ses  lermes  ». 
(Monstrelet.) 


200  HISTOIRE    DE    FRANCE 

abréger,  le  capitaine  de  la  milice,  Jacque ville,  monta 
avec  ses  gens,  et  brutalement,  sans  égard  pour  la 
reine,  pour  le  roi  ni  le  dauphin,  pénétrant  partout, 
brisant  les  portes,  il  mit  la  main  sur  ceux  que  le 
peuple  demandait.  Pour  comble  de  violence,  ils  em- 
menèrent treize  dames  de  la  reine  et  de  la  dauphine1. 
Il  ne  fallait  pas  parler  à  ces  gens  de  respect  pour  les 
dames  ni  de  chevalerie.  Parmi  les  prisonniers  qu'ils 
emmenèrent,  se  trouvait  un  Bourguignon,  un  des 
leurs,  que  huit  jours  auparavant  ils  avaient  donné 
pour  chancelier  au  dauphin.  La  défiance  croissait 
d'heure  en  heure. 

Cependant  le  duc  de  Berri  et  d'autres  parents  des 
prisonniers  envoyèrent  demander  à  l'Université  si 
elle  avouait  ce  qui  s'était  fait.  Celle-ci,  consultée  en 
masse  et  comme  corps,  se  rassura  un  peu  par  sa  mul- 
titude, et  donna  du  moins  une  réponse  équivoque, 
«  que  de  ce  elle  ne  vouloit  en  rien  s'entremettre  ni 
empêcher  ».  Dans  le  conseil  du  roi,  les  universitaires 
allèrent  plus  loin,  et  déclarèrent  qu'ils  n'étaient  pour 
rien  dans  l'enlèvement  des  seigneurs,  et  que  la  chose 
ne  leur  plaisait  pas. 

Le  désaveu  timide  de  l'Université  ne  rassurait  pas 
les  princes.  Cette  fois  ils  craignaient  pour  eux-mêmes  ; 
le  coup  avait  frappé  si  près  d'eux,  qu'ils  firent  signer 
au  roi  une  ordonnance  où  il  approuvait  ce  qui  s'était 
fait.  Le  lendemain  (25  mai  1413),  fut  lue  solennelle- 
ment la  grande  ordonnance  de  réforme. 

\.  «  Et,  ce  fait,  le  roi  s'en  alla  dîner.  »  (Monst'relet.) 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'EGLISE  201 

Cette  ordonnance,  si  violemment  arrachée,  ne  porte 
pas,  autant  qu'on  pourrait  croire,  le  caractère  du  mo- 
ment; c'est  une  sage  et  impartiale  fusion  des  meil- 
leures ordonnances  du  quatorzième  siècle.  On  peut 
l'appeler  le  code  administratif  de  la  vieille  France, 
comme  l'ordonnance  de  1357  avait  été  sa  charte  légis- 
lative et  politique. 

On  peut  s'étonner  de  voir  cette  ordonnance  à  peine 
mentionnée  dans  les  historiens.  Elle  n'a  pourtant  pas 
moins  de  soixante-dix  pages  in-folio1.  Sauf  quelques 
articles  trop  minutieux  et  d'une  rédaction  enfantine2, 
ou  bien  encore  dirigés  hostilement  contre  certains 
individus,  on  ne  peut  qu'admirer  l'esprit  qui  y  règne, 
esprit  très  spécial,  très  pratique  :  sans  spécialité, 
point  de  réforme  réelle.  Celle-ci  part  de  bien  bas, 
mais  elle  va  haut,  et  pénètre  partout.  Elle  réduit  les 
gages  de  la  lingère,  de  la  poissonnière  du  roi  ;  mais 
elle  règle  les  droits  des  grands  corps  de  l'État,  et 
tout  le  jeu  de  la  machine  administrative,  judiciaire  et 
financière. 

La  forme  est  curieuse,  je  voudrais  pouvoir  la  con- 
server; mais  alors  cette  ordonnance  seule  occuperait 
le  reste  du  volume,  et  encore  l'ensemble  resterait 
confus.  Il  m'est  impossible  de  résumer  ce  code  en 
quelques  lignes,  sans  emprunter  notre  langage 
moderne,  plus  précis  et  plus  formulé. 

Tout  ce  détail  immense  semble  dominé  par  deux 
idées  :  la  centralisation  de  l'ordre  financier,  de  l'ordre 

1.  Ord.,  t.  X,  p.  71-134.  —  2.  App.  142. 


202  HISTOIRE   DE  FRANCE 

judiciaire.  Dans  le  premier  tout  aboutit  à  la  Chambre 
des  comptes  ;  clans  le  second,  tout  au  Parlement. 

Les  chefs  des  administrations  financières  (domaine, 
aides,  trésor  des  guerres)  sont  réduits  à  un  petit 
nombre;  mesure  économique,  qui  contribue  à  assurer 
la  responsabilité.  La  Chambre  des  comptes  examine 
les  résultats  de  leur  administration;  elle  juge  en  cas 
de  doute,  mais  sur  pièces  et  sans  plaidoiries. 

Tous  les  vassaux  du  roi  sont  tenus  de  faire  dresser 
les  aveux  et  dénombrements  des  fiefs  qu'ils  tiennent 
de  lui,  et  de  les  envoyer  à  la  Chambre  clés  comptes1. 
Ce  tribunal  de  finance  se  trouve  ainsi  le  surveillant, 
l'agent  indirect  cle  la  centralisation  politique. 

L'élection  est  le  principe  cle  l'ordre  judiciaire;  les 
charges  ne  s'achètent  plus.  Les  lieutenants  des  séné- 
chaux et  prévôts  sont  élus  par  les  conseillers,  les 
avocats  et  autres  saiges. 

Pour  nommer  un  prévôt,  le  bailli  demande  aux 
«  advocats,  procureurs,  gens  cle  pratique  et  d'autre 
estât  »  la  désignation  cle  trois  ou  quatre  personnes 
capables.  Le  chancelier  et  une  commission  de  Parle- 
ment, «  appelez  avec  eux  des  gens  cle  notre  grand 
conseil  et  des  gens  de  nos  comptes  »,  choisissent  entre 
les  candidats. 

Aux  offices  notables,  c'est  directement  le  Parlement 
qui  nomme,  en  présence  du  chancelier  et  de  quelques 
membres  du  grand  conseil. 

Le  Parlement  élit  ses  membres,  en  présence  du  chan- 

1.  Ord.,  p.  109. 


REFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  203 

celier  et  de  quelques  membres  du  grand  conseil.  Ce 
corps  se  recrute  désormais  lui-même  ;  l'indépendance 
de  la  magistrature  est  ainsi  fondée. 

Deux  juridictions  oppressives  sont  limitées,  res- 
treintes. L'hôtel  du  roi  n'enlèvera  plus  les  plaideurs  à 
leurs  tribunaux  naturels,  ne  les  ruinera  plus  préala- 
blement en  les  forçant  de  venir  des  provinces  éloi- 
gnées implorer  à  Paris  une  justice  tardive.  La  charge 
du  grand  maître  des  eaux  et  forêts  est  supprimée.  Ce 
grand  maître,  ordinairement  l'un  des  hauts  seigneurs 
du  royaume,  n'avait  que  trop  de  facilités  pour  tyranni- 
ser les  campagnes.  Il  y  aura  six  maîtres  et  l'on  pourra 
appeler  de  leurs  tribunaux  au  Parlement.  Les  usages  des 
bonnes  gens  seront  respectés.  Les  louvetiers  n'empê- 
cheront plus  le  paysan  de  tuer  les  loups.  Il  pourra 
détruire  les  nouvelles  garennes  que  les  seigneurs  ont 
faites,  «  en  dépeuplant  le  pays  voisin  des  hommes  et 
habitants  et  le  peuplant  de  bêtes  sauvages1  ». 

Dans  la  lecture  de  ce  grand  acte,  une  chose  inspire 
l'admiration  et  le  respect,  c'est  une  impartialité  qui  ne 
se  dément  nulle  part.  Quels  en  ont  été  les  véritables 
rédacteurs?  De  quel  ordre  de  l'Etat  cette  ordonnance 
est-elle  plus  particulièrement  émanée?  On  ne  saurait 
le  dire. 

L'Université  elle-même,  à  qui  elle  est  principale- 
ment attribuée  dans  le  préambule2,  ne  pouvait  avoir 


1.  Ord.,  p.  163. 

2.  «  ...  Eussions  requis  les  Prélats,  Chevaliers,  Écuyers,  Bourgeois  de  nos 
citez  et  bonnes  villes,  et  mesmement  nostre  très  chière  et  très  amée  fille, 
l'Université  de  Paris....  que  nous  baillassent  leur  bon  avis...»  (Ibid.,  p.  71.) 


20i  HISTOIRE    DE    FRANCE 

cet  esprit  d'application,  cette  sagesse  pratique.  La 
remontrance  de  l'Université,  telle  qu'on  la  lit  dans 
Monstrelet,  n'est  guère  qu'une  violente  accusation  de 
tel  abus,  de  tel  fonctionnaire. 

Les  parlementaires,  auxquels  l'ordonnance  accorde 
tant  de  pouvoir,  ne  semblent  pourtant  pas  avoir 
dominé  dans  la  rédaction.  On  leur  reproche  l'igno- 
rance de  quelques-uns  d'entre  eux,  leur  facilité  à 
recevoir  des  présents  ;  on  leur  défend  d'être  plusieurs 
membres  du  Parlement  d'une  même  famille. 

Les  avocats,  notaires,  greffiers,  sont  tancés  pour 
l'esprit  fiscal,  pour  la  paperasserie  ruineuse  qui  déjà 
dévorait  les  plaideurs. 

Les  gens  des  comptes  sont  traités  avec  défiance.  Ils 
ne  doivent  rien  décider  isolément,  mais  par  délibéra- 
tion commune  «  et  en  plein  bureau  ». 

Les  prévôts  et  sénéchaux  doivent  être  nés  dans  une 
autre  province  que  dans  celle  où  ils  jugent.  Ils  ne 
peuvent  y  rien  acquérir,  ni  s'y  marier,  ni  y  marier 
leurs  filles.  Quand  ils  vont  quitter  la  province,  ils 
doivent  y  rester  quarante  jours  pour  répondre  de 
ce  qu'ils  ont  fait. 

Les  gens  d'Église  n'inspirent  pas  plus  de  confiance 
au  rédacteur  de  l'ordonnance.  Il  ne  veut  pas  que  des 
prêtres  puissent  être  avocats.  Il  accuse  les  présidents 
clercs  du  Parlement  de  négligence  et  de  connivence. 
Je  ne  reconnais  pas  ici  la  main  ecclésiastique. 

Cette  ordonnance  n'émane  pas  non  plus  exclusive- 
ment de  l'esprit  bourgeois  et  communal.  Elle  protège 
les  habitants  des  campagnes.    Elle   leur   accorde  le 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  205 

droit  de  chasse  dans  les  garennes  que  les  seigneurs 
ont  faites  sans  droit.  Elle  leur  permet  de  prendre  les 
armes  pour  seconder  les  sénéchaux  et  courir  sus  aux 
pillards  '. 

De  tout  ceci,  nous  pouvons  conclure  qu'une  réforme 
aussi  impartiale  de  tous  les  ordres  de  l'État  ne  s'est 
faite  sous  l'influence  exclusive  d'aucun  d'eux,  mais 
que  tous  y  ont  pris  part. 

Les  violents  ont  exigé  et  quelquefois  dicté  ;  les 
modérés  ont  écrit  ;  ils  ont  transformé  les  violences 
passagères  en  réformes  sages  et  durables.  Les  doc- 
teurs, Pavilly,  Gentien,  Gourtecuisse;  les  légistes, 
Henri  de  Marie,  Arnaud  de  Gorbie,  Juvénal  des  Ursins, 
tous  vraisemblablement  auront  été  consultés.  Toutes 
les  ordonnances  antérieures  sont  venues  se  fondre  ici. 
C'est  la  sagesse  de  la  France  d'alors,  son  grand  monu- 
ment, qu'on  a  pu  condamner  un  moment  avec  la  révo- 
lution qui  l'avait  élevé,  mais  qui  n'en  est  pas  moins 
resté  comme  un  fonds  où  la  législation  venait  puiser, 
comme  un  point  de  départ  pour  les  améliorations  nou- 
velles. 

Quelque  sévères  que  nous  puissions  être,  nous 
autres  modernes,  pour  ces  essais  gothiques,  conve- 
nons pourtant  qu'on  y  voit  poindre  les  vrais  principes 
de  l'organisme  administratif,  principes  qui  ne  sont 
autres  que  ceux  de  tout  organisme,  centralisation  de 
l'ensemble,  subordination  mutuelle  des  parties.  La 
séparation  des  pouvoirs  administratif  et  judiciaire,  des 

1.  Ord.,  p.  137, 


206  HISTOIRE    DE    FRANCE 

pouvoirs  judiciaire  et  municipal,  quoique  impossible 
encore,  n'en  est  pas  moins  indiquée  dans  quelques 
articles. 

La  confusion  des  pouvoirs  judiciaire  et  militaire,  ce 
fléau  des  sociétés  barbares,  y  subsiste  en  droit  dans 
les  sénéchaux  et  les  baillis.  En  fait,  ces  juges  d'épée 
ne  sont  plus  déjà  les  vrais  juges  ;  ils  ont  la  représen- 
tation et  les  bénéfices  de  la  justice  plus  qu'ils  n'en  ont 
le  pouvoir  même.  Les  vrais  juges  sont  leurs  lieute- 
nants, et  ceux-ci  sont  élus  par  les  avocats  et  les 
conseillers,  par  les  sages,  comme  dit  l'ordonnance. 

Elle  accorde  beaucoup  à  ces  sages,  aux  gens  de  loi, 
beaucoup  trop,  ce  semble.  Les  Compagnies  se  recru- 
tant elle-mêmes  se  recruteront  probablement  en 
famille;  les  juges  s'associeront,  malgré  toutes  les  pré- 
cautions de  la  loi,  leurs  fils,  leurs  neveux,  leurs  gen- 
dres. Les  élections  couvriront  des  arrangements  d'in- 
térêt ou  de  parenté.  Une  charge  sera  souvent  une  dot  ; 
étrange  apport  d'une  jeune  épousée,  le  droit  de  faire 
rompre  et  pendre...  Ces  gens  se  respecteront,  je  le 
crois,  en  proportion  même  des  droits  immenses  qui 
sont  en  leurs  mains.  Le  pouvoir  judiciaire,  transmis 
comme  propriété,  n'en  sera  que  plus  fixe,  plus  digne 
peut-être.  Ne  sera-t-il  pas  trop  fixe?  Ces  familles,  ne 
se  mariant  guère  qu'entre  elles,  ne  vont-elles  pas 
constituer  une  sorte  de  féodalité  judiciaire?  immense 
inconvénient...  Mais  alors  c'était  un  avantage.  Cette 
féodalité  était  nécessaire  contre  la  féodalité  militaire, 
qu'il  s'agissait  d'annuler.  La  noblesse  avait  la  force  de 
cohésion   et  de  parenté  ;  il  fallait  qu'il    y   eût  aussi 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  207 

parenté  clans  la  judicature;  à  ces  époques,  matérielles 
encore,  il  n'y  a  d'association  solide  que  par  la  chair  et 
le  sang. 

Deux  choses  manquaient  pour  que  la  belle  réforme 
administrative  et  judiciaire  de  1413  fût  viable1: 
d'abord  d'être  appuyée  sur  une  réforme  législative  et 
politique;  celle-ci  avait  été  essayée  isolément  en  1357. 
Mais  ce  qui  manquait  surtout,  c'étaient  des  hommes  et 
les  mœurs  qui  font  les  hommes  :  sans  les  mœurs,  que 
peuvent  les  lois?...  Ces  mœurs  ne  pouvaient  se 
former  qu'à  la  longue,  et  d'abord  dans  certaines 
familles,  dont  l'exemple  pût  donner  à  la  nation  ce 
qu'elle  a  le  moins,  il  faut  le  dire,  ce  qu'elle  acquiert 
lentement,  le  sérieux,  l'esprit  de  suite,  le  respect  des 
précédents.  Tout  cela  se  trouva  dans  les  familles  par- 
lementaires. 

Cette  ordonnance  des  ordonnances  fut  déclarée 
solennellement  par  le  roi  obligatoire,  inviolable.  Les 
princes  et  les  prélats  qui  étaient  à  ses  côtés,  en  levè- 
rent la  main.  L'aumônier  du  roi,  maître  Jean  Courte- 
cuisse,  célèbre  docteur  de  l'Université,  prêcha  ensuite 
à  Saint-Paul  sur  l'excellence  de  l'ordonnanee.  Dans 
son  discours,  généralement  faible  et  traînant,  il  y  a 
néanmoins  une  figure  pathétique;  il  y  représente 
l'Université  comme  un  pauvre  affamé  qui  a  faim  et 
soif  des  lois 2. 

1.  La  seule  garantie  qu'on  lui  donne,  c'est  la  publicité,  l'insuffisante  publicité 
de  ce  temps.  Elle  doit  être  lue  et  afficbée  une  fois  au  siège  de  chaque 
sénéchaussée  et  bailliage,  le  premier  jour  des  assises.  (Ord.,  p.  113.) 

2.  App.  143. 


208  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Il  s'agissait  d'appliquer  ce  grand  code.  Là  devait 
apparaître  la  terrible  disproportion  entre  les  lois  et 
les  hommes.  Les  modérés,  les  capables  se  tenant  à 
l'écart,  restaient  pour  commencer  l'application  de  ces 
belles  lois  les  gens  les  moins  propres  à  mettre  en 
mouvement  une  telle  machine,  les  scolastiques  et  les 
bouchers,  ceux-ci  trop  grossiers,  ceux-là  trop  subtils, 
trop  étrangers  aux  réalités. 

Quelle  qu'ait  été  leur  gaucherie  brutale  dans  un 
métier  si  nouveau  pour  eux,  l'histoire  doit  dire  qu'ils 
ne  se  montrèrent  pas  aussi  indignes  du  pouvoir  qu'on 
l'eût  attendu.  Ces  gens  de  la  commune  de  Paris, 
délaissés  du  royaume,  essayèrent  tout  à  la  fois  de  le 
réformer  et  de  le  défendre.  Ils  envoyèrent  leur  prévôt 
contre  les  Anglais,  en  même  temps  que  leur  capitaine 
Jacqueville  allait  bravement  à  la  rencontre  des 
princes1.  Dans  Paris  même,  ils  commencèrent  un 
grand  monument  d'utilité  publique,  qui  complétait  la 
triple  unité  de  cette  ville;  je  parle  du  pont  Notre 
Dame,  grand  ouvrage,  fondé  héroïquement  dans  des 
circonstances  si  difficiles  et  avec  si  peu  de  res- 
sources2. 

Le  fait  est  que  ce  gouvernement  ne  fut  soutenu  de 
personne.  Les  Anglais  étaient  à  Dieppe,  si  près  de 
Paris;  personne  ne  voulut  donner  d'argent.  Gerson 
refusa   de  payer  et  laissa  plutôt  piller  sa   maison 3. 


1.  Jusqu'à  Montereau...  «  ils  ne  rencontrèrent  pas  l'un  l'autre  ».  (Monstrelet  ) 

2.  App.  lbi. 

3.  Cependant  le  nouveau  gouvernement  avait  essayé  de  s'assurer  de  l'Uni- 
versité en  enjoignant  au  prévôt  de   Paris  et  aux   autres  justiciers  de  faire 


REFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  209 

L'avocat  général  Juvénal  refusa  aussi,  aimant  mieux 
être  emprisonné. 

En  donnant  ainsi  l'exemple  d'annuler  par  une  résis- 
tance d'inertie  ce  gouvernement  irrégulier,  les 
modérés  n'en  prirent  pas  moins  une  'responsabilité 
bien  grave.  Ils  abandonnaient  tout  à  la  fois  et  la 
défense  du  pays  et  la  belle  réforme  qu'on  avait  obtenue 
avec  tant  de  peine.  Ce  n'est  pas  la  seule  fois  que  les 
honnêtes  gens  ont  ainsi  trahi  l'intérêt  public,  et  puni 
la  liberté  du  crime  de  son  parti.  Les  cabochiens  ne 
purent  faire  contribuer  ni  l'Église  ni  le  Parlement. 
Ayant  saisi  l'argent  de  la  foire  du  Landit,  qui 
appartenait  aux  moines  de  Saint-Denis,  ils  virent 
s'élever  une  clameur  générale.  Leurs  amis,  les  uni- 
versitaires, refusèrent  de  les  aider  et  les  obligèrent 
de  rapporter  l'argent  qu'ils  avaient  levé  sur  quelques 
suppôts  de  l'Université. 

Se  voyant  ainsi  entravés  de  toute  part  et  ne  trouvant 
que  des  obstacles,  les  cabochiens  entrèrent  en  fureur. 
Ils  poursuivirent  Gerson,  qui  fut  obligé  de  se  cacher 
dans  les  voûtes  de  Notre-Dame.  Le  jugement  des  pri- 
sonniers fut  hâté;  la  commission  eut  peur,  et  signa 
des  condamnations.  D'abord  on  fît  mourir  des  gens 
qui  l'avaient  mérité,  par  exemple  un  homme  qui  avait 
livré  à  l'ennemi,  à  la  mort,  quatre  cents  bourgeois  de 
Paris.  Puis,  on  traîna  à  la  Grève  le  prévôt  Desessarts, 
qui  avait  trahi  les  deux  partis  tour  à  tour.  Les  bou- 


jouir  l'Université  des  avantages  que  le  pape  Jean  XX.1II  lui  avait  accordes 
dans  la  répartition  des  bénéfices.  (Ord.,  p.  155,  6  juillet  1413.) 

T.  IV.  14 


210  HISTOIRE    DE    FRANCE 

chers  hâtèrent  sa  mort,  justement  parce  qu'ils  esti- 
maient sa  bravoure  et  sa  cruauté1  (1er  juillet). 

Les  juges  allant  encore  trop  lentement,  les  assassi- 
nats abrégèrent.  Jacqueville  alla  insulter  clans  sa 
prison  le  sire  de  La  Rivière,  et  celui-ci  l'ayant 
démenti,  ce  digne  capitaine  des  bouchers  assomma  le 
prisonnier  désarmé.  La  Rivière  n'en  fut  pas  moins 
porté  le  lendemain  à  la  Grève;  l'on  décapita  pêle- 
mêle  les  vivants  et  le  mort 2. 

Si  la  prison  même  n'était  plus  une  sauvegarde, 
l'hôtel  du  roi  risquait  fort  de  n'en  plus  être  une.  Un 
soir  que  Jacqueville  et  ses  bouchers  faisaient  leur 
ronde,  ils  entendirent,  vers  onze  heures,  un  grand 
bruit  de  fête  chez  le  dauphin.  Ce  jeune  homme  dan- 
sait, pendant  qu'on  tuait  ses  amis.  Les  bouchers  mon- 
tèrent, et  lui  firent  demander  par  Jacqueville  s'il  était 
décent  à  un  fils  de  France  de  danser  ainsi  à  une  heure 
indue 3.  Le  sire  de  La  Trémouille  répliqua.  Jacque- 
ville lui  reprocha  d'être  l'auteur  de  ces  désordres.  La 
patience  manqua  au  dauphin  ;  il  s'élança  sur  Jacque- 
ville, et  lui  porta  trois  coups  de  poignard  qu'arrêta 
sa  cotte  de  mailles.  La  Trémouille  eût  été  massacré, 
si  le  duc  de  Rourgogne  n'eût  prié  pour  lui  (10  juillet). 

Cette  violation  de  l'hôtel  du  roi  détacha  bien  des 


1.  «  Depuis  qu'il  fust  mis  sur  la  claye  jusques  à  sa  mort,  il  ne  faisoit 
toujours  que  rire.  »  {Journal  du  Bourgeois.) 

2.  Les  cabochiens  s'inquiétèrent  pourtant  de  l'effet  que  produisait  cette 
barbarie.  Ils  envoyèrent  dans  les  villes  une  sorte  d'apologie  ;  ils  y  disaient 
«  que  chacune  information  de  ceux  qui  avoient  esté  décolés  contenoit  soixante 
feuilles  de  papier.  »  (Monstrelet.) 

3.  «  Entre  onze  et  douze  heures  du  soir.  »  (Juvénal.) 


REFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  211 

gens  de  ce  parti  qui  ne  respectait  rien.  La  religion  de 
la  royauté  était  encore  entière,  et  le  fut  longtemps1. 
Les  bons  bourgeois  assurèrent  le  dauphin  de  leur  dou- 
leur et  de  leur  dévouement.  Les  bouchers  avaient 
lassé  tout  le  monde.  Les  artisans  même,  les  derniers 
du  peuple,  commençaient  à  en  avoir  assez  ;  plus  de 
commerce,  plus  d'ouvrage  ;  ils  étaient  sans  cesse 
appelés  à  faire  le  guet,  excédés  de  gardes,  de  rondes 
et  de  veilles. 

Les  princes,  qui  n'ignoraient  pas  l'état  de  Paris, 
approchaient  toujours,  en  offrant  la  paix2.  Tout  le 
monde  la  désirait,  mais  on  avait  peur.  Le  dauphin  fit 
part  des  propositions  aux  grands  corps,  au  Parlement, 
à  l'Université.  Il  fut  décidé,  malgré  les  bouchers,  qu'il 
y  aurait  conférence  avec  les  princes.  L'éloquence  de 
Caboche,  qui  pérora  dans  un  brillant  costume  de  che- 
valier, ne  persuada  personne  ;  ses  menaces  eurent  peu 
d'effet. 

Personne  dans  la  bourgeoisie  n'agit  plus  habilement 
contre  les  bouchers  que  l'avocat  général  Juvénal.  Cet 
honnête  homme  poursuivait  alors,  sans  souci  des 
réformes,  sans  intelligence  de  l'avenir3,  un  seul  but  : 
la  fin  des  désordres  et  la  sécurité  de  Paris.  Cette 
pensée  ne  lui  laissait  ni  repos  ni  sommeil.  Une  nuit, 
s'étant  endormi  vers  le  matin,  il  lui  sembla  qu'une 
voix  lui  disait  :  Surgite  cum  sederetis,  qui  manducatis 


1.  App.  145. 

2.  Le  Bourgeois  de  Paris  est  l'écho  fidèle  des  bruits  absurdes  qu'on  faisait 
circuler  :  «  Mais  bien  sçay  que  ils  demandoient  toujours...  la  destruction  de 
la  bonne  ville  de  Paris.  »  —  3.  App.  146. 


212  HISTOIRE    DE    FRANCE 

panent  doloris.  Sa  femme,  qui  était  une  bonne  et 
dévote  dame,  lorsqu'il  s'éveilla,  lui  dit  :  «  Mon  ami, 
j'ai  entendu  ce  matin  qu'on  vous  disait,  ou  que  vous 
prononciez  en  rêvant  des  paroles  que  j'ai  souvent  lues 
dans  mes  Heures  »,  et  elle  les  lui  répéta.  Le  bon 
Juvénal  lui  répondit  :  «  Ma  mie,  nous  avons  onze 
enfants,  et  par  conséquent  grand  sujet  de  prier  Dieu 
de  nous  accorder  la  paix  ;  ayons  espoir  en  lui,  il  nous 
aidera.  » 

La  ruine  des  bouchers  fut  décidée  par  une  chose, 
petite,  et  pourtant  de  grand  effet.  Il  fut  convenu, 
malgré  eux,  que  les  propositions  des  princes  seraient 
lues  d'abord,  non  dans  l'assemblée  générale,  mais 
dans  chaque  quartier  (21  juillet).  La  faible  minorité 
qui  tyrannisait  Paris  pouvait  effrayer  encore,  quand 
elle  était  réunie  ;  divisée,  elle  devenait  impuissante, 
presque  imperceptible.  Ce  point  fut  emporté  contre  les 
bouchers  par  l'énergie  d'un  quartenier  du  cimetière 
Saint-Jean,  le  charpentier  Guillaume  Cirasse,  qui  osa 
bien  dire  en  face  aux  Legoix  :  «  Nous  verrons  s'il  y  a 
à  Paris  autant  de  frappeurs  de  cognée  que  d'assom- 
meurs  de  bœufs.  » 

Les  bouchers  n'obtinrent  pas  même  que  la  paix 
accordée  aux  princes  le  fût  sous  forme  d'amnistie. 
Quoi  qu'ils  pussent  dire,  on  criait  :  «  La  paix!  »  Ce 
parti  vint  finir  à  la  Grève  même.  Dans  une  assemblée 
qui  s'y  tint,  une  voix  cria  :  «  Que  ceux  qui  veulent  la 
paix  passent  à  droite  !  »  Il  ne  resta  presque  personne 
à  gauche.  Ils  n'eurent  d'autre  ressource,  eux  et  le  duc 
de  Bourgogne,  que  de  se  joindre  au  cortège  du  dau- 


REFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  213 

phin  qui  allait  au  Louvre  délivrer  les  prisonniers 
(3  août;. 

La.  réaction  alla  si  vite  qu'en  sortant  de  la  prison 
du  Louvre,  le  duc  de  Bar  en  fut  nommé  capitaine;  et 
l'autre  fort  de  Paris,  la  Bastille,  fut  confié  à  un  autre 
prisonnier,  au  duc  de  Bavière.  Deux  des  échevins 
furent  changés  ;  le  charpentier  fut  échevin  à  la  place 
de  Jean  de  Troyes1. 

Peu  après,  un  des  De  Troyes  et  deux  bouchers, 
coupables  des  premiers  meurtres,  furent  condamnés 
et  mis  à  mort.  Plusieurs  s'enfuirent,  et  la  populace 
se  mit  à  piller  leurs  maisons.  On  faisait  courir  le 
bruit  qu'on  avait  trouvé  une  liste  de  quatorze  cents 
personnes,  dont  les  noms  étaient  marqués  d'un  T, 
d'un  B  ou  d'un  R  (tué,  banni  ou  rançonné). 

Le  duc  de  Bourgogne  n'essaya  pas  de  résister  au 
mouvement.  Il  laissa  arrêter  deux  de  ses  chevaliers 
dans  son  hôtel  même,  et  partit  sans  rien  dire  aux 
siens,  qu'il  laissait  en  grand  danger.  Il  voulait 
emmener  le  roi.  Mais  Juvénal  et  une  troupe  de 
bourgeois  les  rejoignirent  à  Yincennes,  et  il  leur 
laissa  reprendre  ce  précieux  otage2  (23  août). 

Dans  l'arrangement  avec  les  princes,  il  était  con- 
venu qu'ils  n'entreraient  pas  clans  Paris.  Mais  toute 


1.  Âpp.  147. 

2.  Juvénal  donne  encore  ici  le  beau  rôle  à  son  père.  «  Le  duc  de  Bourgogne 
dit  au  roy  que  s'il  luy  plaisoit  aller  esbattrc  jusques  vers  le  bois  de  Vincennes 
qu'il  y  l'aisoit  beau,  et  en  fut  le  roy  content.  Mais  Juvénal  alla  aussitôt 
avec  deux  cents  chevaux  vers  le  bois,  et  dit  au  roy  :  «  Sire,  venez-vous-en  en 
«  vostre  bonne  ville  de  Paris,  le  temps  est  bien  chaud  pour  vous  tenir  sur  les 
«  champs.  »  Dont  le  roy  fut  très  content,  et  se  mit  à  retourner.  » 


214  HISTOIRE    DE    FRANCE 

condition  fut  oubliée,  à  commencer  par  celle-ci.  Le 
dauphin  et  le  duc  d'Orléans  parurent  ensemble,  vêtus 
des  mêmes  couleurs,  portant  une  huque  italienne  en 
drap  violet  avec  une  croix  d'argent.  C'était,  et  ce 
n'était  pas  deuil  ;  le  chaperon  était  rouge  et  noir  ; 
pour  devise  :  «  Le  droit  chemin.  »  Ce  qui  était  plus 
hostile  encore  pour  les  Bourguignons,  c'était  la 
blanche  écharpe  d'Armagnac.  Tout  le  monde  la  prit  ; 
on  la  mit  même  aux  images  des  saints.  Lorsque  les 
petits  enfants,  moins  oublieux,  moins  enfants  que  ce 
peuple,  chantaient  les  chansons  bourguignonnes,  ils 
étaient  sûrs  d'être  battus  *. 

L'ordonnance  de  réforme,  si  solennellement  pro- 
clamée, fut  non  moins  solennellement  annulée  par  le 
roi  dans  un  lit  de  justice  (5  septembre).  Le  sage 
historien  du  temps,  affligé  de  cette  versatilité,  osa 
demander  à  quelques-uns  du  conseil  comment,  après 
avoir  vanté  ces  ordonnances  comme  éminemment 
salutaires,  ils  consentaient  à  leur  abrogation.  Ils 
répondirent  naïvement  :  «  Nous  voulons  ce  que  veu- 
lent les  princes.  »  «  A  qui  donc  vous  comparerai-je, 
dit  le  moine,  sinon  à  ces  coqs  de  clocher  qui  tournent 
à  tous  les  vents2?  » 

On  renvoya  à  Jean-sans-Peur  sa  fille,  que  devait 
épouser  le  fils  du  duc  d'Anjou.  L'Université  condamna 
les  discours  de  Jean  Petit.  Une  ordonnance  déclara  le 


1.  «  Mesmes  les  petits  enfants  qui  chantoient  une  chanson  ..  où  on  disoit  : 
«  Duc  de  Bourgogne,  Dieu  te  remaint  en  joie!...  ».  [Journal  du  Bourgeois.) 

2.  «    Gallis    cainpanilium    ecclcsiarum,     a     cunctis    ventis    volvendis.  » 
(Religieux.) 


RÉFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  215 

duc  de  Bourgogne  rebelle  (10  février)  ;  on  convoqua 
contre  lui  le  ban  et  l'arrière-ban.  Il  ne  s'agissait  de 
rien  moins  que  de  confisquer  ses  Etats. 

Il  crut  pouvoir  prévenir  ses  ennemis.  Les  cabo- 
chiens  exilés  lui  persuadaient  qu'il  lui  suffirait  de 
paraître  devant  Paris  avec  ses  troupes  pour  y  être 
reçu.  Le  dauphin,  déjà  las  des  remontrances  de  sa 
mère  et  de  celles  des  princes,  appelait  en  effet  le 
Bourguignon.  Il  vint  camper  entre  Montmartre  et 
Ghaillot  ;  le  comte  d'Armagnac,  qui  avait  onze  mille 
chevaux  dans  Paris,  tint  ferme,  et  rien  ne  bougea. 

Le  duc  de  Bourgogne  se  retirant,  les  princes  entre- 
prirent de  le  poursuivre,  d'exécuter  la  confiscation. 
Mais  les  effroyables  barbaries  des  Armagnacs  à 
Soissons  avertirent  trop  bien  Arras  de  ce  qu'elle 
avait  à  craindre.  Ils  échouèrent  devant  cette  ville, 
comme  le  duc  de  Bourgogne  avait  échoué  devant 
Paris1. 

Voilà  les  deux  partis  convaincus  de  nouveau 
d'impuissance.  Ils  font  encore  un  traité.  Le  duc  de 
Bourgogne  est  quitte  pour  un  peu  de  honte,  mais  il 
ne  perd  rien;  il  offre  au  roi,  pour  la  forme,  les 
clefs  d' Arras2.  Il  est  défendu  de  porter  désormais 
la  bande  d'Armagnac  et  la  croix  de  Bourgogne 
(4  septembre  1414). 


1.  Ce  qui  força  le  duc  de  Bourgogne  à  traiter,  c'est  que  les  Flamands 
l'abandonnaient.  Les  députés  de  Gand  dirent  au  roi  qu'ils  se  chargeaient  de 
ranger  le  duc  à  son  devoir. 

2.  Le  roi  désirait  fort  traiter.  Juvénal  donne  là-dessus  une  jolie  scène 
d'intérieur.  App.  148. 


216  HISTOIRE    DE    FRANCE 

La  réaction  ne  fut  point  arrêtée  par  cette  paix. 
Les  modérés,  qui  avaient  si  imprudemment  aban- 
donné la  réforme,  eurent  sujet  de  s'en  repentir. 
Les  princes  traitèrent  Paris  en  ville  conquise.  Les 
tailles  devinrent  énormes,  et  l'argent  était  gaspillé, 
donné,  jeté.  Juvénal,  alors  chancelier,  ayant  refusé 
de  signer  je  ne  sais  quelle  folie  de  prince,  on  lui 
retira  les  sceaux.  Toute  modération  déplut.  La  violence 
gagna  les  meilleures  tètes.  Au  service  funèbre  qui 
fut  célébré  pour  le  duc  d'Orléans,  Gerson  prêcha 
devant  les  rois  et  les  princes  ;  il  attaqua  le  duc  de 
Bourgogne,  avec  qui  l'on  venait  de  faire  la  paix,  et 
déclama  contre  le  gouvernement  populaire  (5  janvier 
1415). 

«  Tout  le  mal  est  venu,  dit  Gerson,  de  ce  que  le 
roi  et  la  bonne  bourgeoisie  ont  été  en  servitude  par 
l'outrageuse  entreprise  de  gens  de  petit  état...  Dieu 
l'a  permis  afin  que  nous  connussions  la  différence 
qui  est  entre  la  domination  royale  et  celle  d'aucuns 
populaires  ;  car  la  royale  a  communément  et  doit 
avoir  douceur  ;  celle  du  vilain  est  domination 
tyrannique,  et  qui  se  détruit  elle-même.  Aussi 
Aristote  enseignoit-il  à  Alexandre  :  «  N'élève  pas 
ceux  que  la  nature  fait  pour  obéir.  »  —  Le  pré- 
dicateur croit  reconnaître  les  divers  ordres  de 
l'État  dans  les  métaux  divers  dont  se  composait 
la  statue  de  Nabuchodonosor:  «  L'état  de  bour- 
geoisie, des  marchands  et  laboureurs  est  figuré 
par  les  jambes  qui  sont  de  fer  et  partie  de  terre, 
pour  leur  labeur   et   humilité    à  servir   et   obéir...; 


REFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  217 

en  leur  état  doit  être  le  fer  de  labeur  et  la  terre 
d'humilité1.  » 

Le  même  homme  qui  condamnait  le  gouvernement 
populaire  dans  l'État,  le  demandait  dans  l'Église. 
Donnons-nous  ce  curieux  spectacle.  Il  peut  sembler 
humiliant  pour  l'esprit  humain  ;  il  ne  l'est  pas  pour 
Gerson  même.  Dans  chaque  siècle,  c'est  le  plus  grand 
homme  qui  a  mission  d'exprimer  les  contradictions, 
apparentes  ou  réelles,  de  notre  nature  ;  pendant  ce 
temps-là,  les  médiocres,  les  esprits  bornés  qui  ne 
voient  qu'un  côté  des  choses,  s'y  établissent  fièrement, 
s'enferment  dans  un  coin,  et  là  triomphent  de  dire... 

Dès  qu'il  s'agit  de  l'Église,  Gerson  est  républicain, 
partisan  du  gouvernement  de  tous.  Il  définit  le 
concile  :  «  Une  réunion  de  toute  l'Église  catholique, 
comprenant  tout  ordre  hiérarchique,  sans  exclure 
aucun  fidèle  qui  voudra  se  faire  entendre.  »  Il  ajoute, 
il  est  vrai,  que  cette  assemblée  doit  être  convoquée 
«  par  une  autorité  légitime  »  ;  mais  cette  autorité  n'est 
pas  supérieure  à  celle  du  concile,  puisque  le  concile 
a  droit  de  la  déposer.  Gerson  ne  s'en  tint  pas  à  la 
théorie  du  républicanisme  ecclésiastique  ;  il .  fit 
donner  suffrage  aux  simples  prêtres  dans  le  concile 
de  Constance,  et  contribua  puissamment  à  déposer 
Jean  XXII2. 

Reprenons  d'un  peu  plus  haut.  Avant  que  les 
griefs  de  l'État  fussent  signalés  par  la  remontrance  de 
l'Université  et  la  grande  ordonnance  de  1413,  ceux 

1.  Jean  Gerson.  —  2.  App.  149. 


218  HISTOIRE    DE    FRANCE 

de  l'Église  l'avaient  été  par  un  violent  pamphlet 
universitaire,  qui  eut  un  bien  autre  retentissement. 
La  remontrance,  l'ordonnance,  ces  actes  mort-nés, 
furent  à  peine  connus  hors  de  Paris.  Mais  le  terrible 
petit  livre  de  Glémengis  :  Sur  la  corruption  de  V Église, 
éclata  dans  toute  la  chrétienté.  Peut-être  n'est-ce  pas 
exagérer  que  d'en  comparer  l'effet  à  celui  de  la 
Captivité  de  Babylone ,  écrite  un  siècle  après  par 
Luther. 

De  tout  temps,  on  avait  fait  des  satires  contre  les 
gens  d'Église.  L'une  des  premières,  et  certainement 
l'une  -des  plus  piquantes,  se  trouve  dans  un  des 
Gapitulaires  de  Charlemagne.  Ces  attaques,  générale- 
ment, avaient  été  indirectes,  timides,  le  plus  souvent 
sous  forme  allégorique.  L'organe  de  la  satire,  c'était 
le  renard,  la  bête  plus  sage  que  l'homme  ;  c'était  le 
bouffon,  le  fol  plus  sage  que  les  sages;  ou  bien  enfin 
le  diable,  c'est-à-dire  la  malignité  clairvoyante.  Ces 
trois  formes  où  la  satire,  pour  se  faire  pardonner, 
s'exprime  par  les  organes  les  plus  récusables,  com- 
prennent toutes  les  attaques  indirectes  du  moyen  âge. 
Quant  aux  attaques  directes,  elles  n'avaient  guère 
été  hasardées  jusqu'au  treizième  siècle  que  par  les 
hérétiques  déclarés ,  Albigeois ,  Vaudois ,  etc.  Au 
quatorzième  siècle,  les  laïques,  Dante,  Pétrarque, 
Chaucer,  lancèrent  contre  Rome,  contre  Avignon,  des 
traits  pénétrants.  Mais  enfin,  c'étaient  des  laïques  ; 
l'Église  leur  contestait  le  droit  de  la  juger.  Ici, 
vers  1400,  ce  sont  les  universités,  ce  sont  les  plus 
grands  docteurs,  c'est  l'Église   dans  ce  qu'elle  a  de 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  219 

plus  autorisé,  qui  censure,  qui  frappe  l'Eglise.  Ce 
sont  les  papes  eux-mêmes  qui  se  jettent  au  visage  les 
plus  tristes  accusations. 

Ce  dialogue,  qui  se  prolongea  entre  Avignon  et 
Rome  pendant  tout  le  temps  du  schisme,  n'en  apprit 
que  trop  sur  toutes  les  deux.  La  fiscalité  surtout  des 
deux  sièges,  qui  vendaient  les  bénéfices  longtemps 
avant  qu'ils  ne  vaquassent,  cette  vénalité  famélique 
est  caractérisée  par  des  mots  terribles  :  «  N'a-t-on  pas 
vu,  disent  les  uns,  les  courtiers  du  pape  de  Rome 
courir  toute  l'Italie,  pour  s'informer  s'il  n'y  avait  pas 
quelque  bénéficier  malade,  puis  bien  vite  dire  à  Rome 
qu'il  était  mort1?  N'a-t-on  pas  vu  ce  pape,  ce  mar- 
chand de  mauvaise  foi,  vendre  à  plusieurs  le  même 
bénéfice,  et  la  marchandise  déjà  livrée,  la  proclamer 
encore  et  la  revendre  au  second,  au  troisième,  au 
quatrième  acheteur?))  —  «  Et  vous,  répondaient  les 
autres,  vous  qui  réclamez  pour  le  pape  la  succession 
des  prêtres,  ne  venez-vous  pas  au  chevet  de  l'agoni- 
sant rafler  toute  sa  dépouille?  Un  prêtre  déjà  inhumé 
a  été  tiré  du  sépulcre,  et  le  cadavre  déterré  pour  le 
mettre  à  nu2.  » 

Ces  furieuses  invectives  furent  ramassées,  comme 
en  une  masse,  dans  le  pamphlet  de  Glémengis,  et 
cette  masse  lancée,  de  façon  à  écraser  l'Église.  Le 
pamphlet  n'était  pas  seulement  dirigé  contre  la  tête, 


1.  «  Et    si    aliquos   invenerunt    œgrolantes,    tune    currebant    ad    curiam 
Romanam,  et  mortem  talium  intimabant  ».  (Theodor.  à  Niem,  de  Schism.) 

2.  «  Ut  inhumatus  evulso  monumento  atque  corrupto  corpore  suis  spoliis 
effossus  privaretur  ».  (Appellatio  Univers.  Paris,  a  D.  Benedicto.) 


220  HISTOIRE    DE    FRANCE 

tous  les  membres  étaient  frappés.  Pape,  cardinaux, 
évèques,  chanoines,  moines,  tous  avaient  leur  part, 
jusqu'au  dernier  Mendiant.  Certainement  Clémengis 
fit  bien  plus  qu'il  ne  voulait.  Si  l'Église  était  vraiment 
telle,  il  n'y  avait  pas  à  la  réformer  ;  il  fallait  prendre 
ce  corps  pourri  et  le  jeter  tout  entier  au  feu. 

D'abord  l'effroyable  cumul,  jusqu'à  réunir  en  une 
main  quatre  cents,  cinq  cents  bénéfices  ;  l'insouciance 
des  pasteurs  qui  souvent  n'ont  jamais  vu  leur  église  ; 
l'ignorance  insolente  des  gros  bonnets,  qui  rougissent 
de  prêcher;  l'arbitraire  tyrannique  de  leur  juridiction, 
au  point  que  tout  le  monde  fait  maintenant  le  jugement 
de  l'Église  ;  la  confession  vénale,  l'absolution  merce- 
naire :  «  Que  si,  dit-il,  on  leur  rappelle  le  précepte  de 
l'Evangile  :  Donnez  gratuitement,  ainsi  que  vous  avez- 
reçu,  ils  répondent  sans  sourciller  :  «  Nous  n'avons 
pas  reçu  gratis;  nous  avons  acheté,  nous  pouvons 
revendre  1 .  » 

Dans  l'ardeur  de  l'invective,  ce  violent  prêtre  aborde 
hardiment  mille  choses  que  les  laïques  auraient  craint 
d'expliquer  :  l'étrange  vie  des  chanoines,  leurs  quasi- 
mariages,  leurs  orgies  parmi  les  cartes  et  les  pots,  la 
prostitution  des  religieuses,  la  corruption  hypocrite 
des  Mendiants  qui  se  vantent  de  faire  la  besogne  de 
tous  les  autres,  de  porter  seuls  le  poids  de  l'Église, 
tandis  qu'ils  vont  de  maison  en  maison  boire  avec  les 
femmes  :  «  Les  femmes  sont  celles  des  autres,  mais 
les  enfants  sont  bien  d'eux2.  » 

1.  Clémengis. 

2.  «  Cum  non  suis  uxoribus,  licet  saepe  cum  suis  parvulis.  »  (Clémengis.) 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  221 

En  repassant  froidement  ces  virulentes  accusations 
on  remarque  qu'il  y  a  clans  le  factum  ecclésiastique  de 
l'Université,  comme  dans  le  factum  politique  de  1413, 
plus  d'un  grief  mal  fondé.  Il  était  injuste  de  reprocher 
d'une  manière  absolue  au  roi,  au  pape,  aux  grands 
dignitaires  de  l'Église,  l'augmentation  des  dépenses. 
Cette  augmentation  ne  tenait  pas  seulement  à  la  prodi- 
galité, au  gaspillage,  au  mauvais  mode  de  perception, 
mais  bien  aussi  à  Y  avilissement  progressif  du  prix  de 
l'argent,  ce  grand  phénomène  économique  que  le 
moyen  âge  n'a  pas  compris  ;  de  plus,  à  la  multiplicité 
croissante  des  besoins  de  la  civilisation,  au  développe- 
ment de  l'administration,  au  progrès  des  arts 1.  La 
dépense  avait  augmenté,  et  quoique  la  production  eût 
augmenté  aussi,  celle-ci  ne  croissait  pas  dans  une  pro- 
portion assez  rapide  pour  suffire  à  l'autre.  La  richesse 
croissait  lentement,  et  elle  était  mal  répartie.  L'équi- 
libre de  la  production  et  de  la  consommation  avait 
peine  à  s'établir. 

Un  autre  grief  de  Glémengis,  et  le  plus  grand  sans 
doute  aux  yeux  des  universitaires,  c'est  que  les  béné- 
fices étaient  donnés  le  plus  souvent  à  des  gens  fort 
peu  théologiens,  aux  créatures  des  princes,  du  pape, 
aux  légistes  surtout.  Les  princes,  les  papes,  n'avaient 
pas  tout  le  tort.  Ce  n'était  pas  leur  faute  si  les  laïques 
partageaient  alors  avec  l'Église  ce  qui  avait  fait  le  titre 
et  le  droit  de  celle-ci  au  moyen  âge,  Yesprit,  le  pouvoir 
spirituel.  Le  clergé  seul  était  riche,  les  récompenses 

1.  App.  150. 


222  HISTOIRE    DE    FRANCE 

ne  pouvaient  guère  se  prendre  que  sur  les  biens  du 
clergé. 

Clémengis  lui-même  fournit  une  bonne  réponse  à 
ses  accusations.  Quand  on  parcourt  le  volumineux 
recueil  de  ses  lettres,  on  est  étonné  de  trouver  dans 
la  correspondance  d'un  homme  si  important,  de 
l'homme  d'affaires  de  l'Université,  si  peu  de  choses 
positives.  Ce  n'est  que  vide,  que  généralités  vagues. 
Nulle  condamnation  plus  décisive  de  l'éducation 
scolastique. 

Les  contemporains  n'avaient  garde  de  s'avouer  cette 
pauvreté  intellectuelle,  ce  dessèchement  de  l'esprit1. 
Ils  se  félicitaient  de  l'état  florissant  de  la  philosophie 
et  de  la  littérature.  N'avaient-ils  pas  de  grands 
hommes,  tout  comme  les  âges  antérieurs?  Clémengis 
était  un  grand  homme,  d'Ailly  était  un  grand  homme  2, 
et  bien  d'autres  encore,  qui  dorment  dans  les  biblio- 
thèques, et  méritent  d'y  dormir. 

L'esprit  humain  se  mourait  d'ennui.  C'était  là  son 
mal.  Cet  ennui  était  une  cause  indirecte,  il  est  vrai, 
mais  réelle,  de  la  corruption  de  l'Église.  Les  prêtres 
excédés  de  scolastique,  de  formes  vides,  de  mots  où  il 
n'y  avait  rien  pour  l'âme,  ils  la  donnaient  au  corps, 
cette  âme  dont  ils  ne  savaient  que  faire.  L'Église  péris- 

1.  Yoy.  Renaissance,  Introduction,  sur  la  défaillance  du  caractère  et  des 
forces  vives  de  l'àme  dans  la  religion,  la  littérature  et  la  politique  aux 
quatorzième' et  quinzième  siècles.  La  prose  française,  si  rapide  de  Joinville 
à  Froissart,  si  lente  de  Froissart  à  Comines!  Les  États  de  1357  avaient 
nettement  vu  l'avenir;  mais  les  cabochiens  de  1413  croient  pouvoir  améliorer 
l'administration  sans  changer  le  cadre  politique  qui  l'enserre  et  l'étouffé!  La 
scolastique  a  fini.  C'est  cet  aplatissement  moral  qui  a  livré  la  France  désarmée 
a  l'invasion  anglaise.  (1860.)  —  2.  A  pp.  151. 


RÉFORME    DANS    L'ÉTAT    ET    DANS    L'ÉGLISE  223 

sait  par  deux  causes  en  apparence  contraires,  et  dont 
pourtant  l'une  expliquait  l'autre  :  subtilité,  stérilité 
dans  les  idées,  matérialité  grossière  dans  les  mœurs. 

Tout  le  monde  parlait  de  réforme.  Il  fallait,  disait- 
on,  réformer  le  pape,  réformer  l'Église  ;  il  fallait  que 
l'Église,  siégeant  en  concile,  ressaissît  ses  justes 
droits.  Mais  transporter  la  réforme  du  pape  au  concile, 
ce  n'était  guère  avancer.  De  tels  maux  sont  au  fond 
des  âmes  :  In  culpa  est  animus.  Un  changement  de 
forme  dans  le  gouvernement  ecclésiastique,  une 
réforme  négative  ne  pouvait  changer  les  choses  ;  il  eût 
fallu  l'introduction  d'un  élément  positif,  un  nouveau 
principe  vital,  une  étincelle,  une  idée. 

Le  concile  de  Pise  crut  tout  faire  en  condamnant 
par  contumace  les  deux  papes  qui  refusaient  de  céder, 
en  les  déclarant  déchus,  en  faisant  pape  un  frère 
mineur,  un  ancien  professeur  de  l'Université  de  Paris, 
Ce  professeur,  qui  était  Mineur  avant  tout,  se  brouilla 
bien  vite  avec  l'Université.  Au  lieu  de  deux  papes,  on 
en  eut  trois  ;  ce  fut  tout. 

Ceux  qui  aiment  les  satires,  liront  avec  amusement 
le  piquant  réquisitoire  du  concile  contre  les  deux 
papes  réfractaires  l.  Cette  grande  assemblée  du  monde 
chrétien  comptait  vingt-cleux  cardinaux,  quatre  patriar- 
ches, environ  deux  cents  évêques,  trois  cents  abbés, 
les  quatre  généraux  des  ordres  mendiants,  les  députés 
de  deux  cents  chapitres,  de  treize  universités2,  trois 


1.  App.  152. 

2.  Les   Universités  de  Bologne,   d'Angers,  d'Orléans,    de  Toulouse  même, 
avaient  fini  par  se  réunir  contre  les  papes  à  celle  de  Paris. 


224  HISTOIRE    DE    FRANCE 

cents  docteurs,  et  les  ambassadeurs  des  rois  ;  elle 
siégeait  dans  la  vénérable  église  byzantine  de  Pise,  à 
deux  pas  du  Campo-Santo.  Elle  n'en  écouta  pas  moins 
avec  complaisance  le  facétieux  récit  des  ruses  et  des 
subterfuges  par  lesquels  les  deux  papes  éludaient 
depuis  tant  d'années  la  cession  qu'on  leur  demandait. 
Ces  ennemis  acharnés  s'entendaient  au  fond  à  mer- 
veille. Tous  deux,  à  leur  exaltation,  avaient  juré  de 
céder.  Mais  ils  ne  pouvaient,  disaient-ils,  céder  qu'en- 
semble, qu'au  même  moment  :  il  fallait  une  entrevue. 
Poussés  l'un  vers  l'autre  par  leurs  cardinaux,  ils  trou- 
vaient chaque  jour  de  nouvelles  difficultés.  Les  routes 
de  terre  n'étaient  pas  sûres  ;  il  leur  fallait  des  sauf- 
conduits  des  princes.  Les  sauf-conduits  arrivaient-ils  : 
ils  ne  s'y  fiaient  pas.  Il  leur  fallait  une  escorte,  des 
soldats  à  eux.  D'ailleurs,  ils  n'avaient  pas  d'argent 
pour  se  mettre  en  route  ;  ils  en  empruntaient  à  leurs 
cardinaux.  Puis,  ils  voulaient  aller  par  mer  :  il  leur 
fallait  des  vaisseaux.  Les  vaisseaux  prêts,  c'était  autre 
chose.  On  parvint  un  moment  à  les  approcher  un  peu 
l'un  de  l'autre.  Mais  il  n'y  eut  pas  moyen  de  leur  faire 
faire  le  dernier  pas.  L'un  voulait  que  l'entrevue  eût 
lieu  dans  un  port,  au  rivage  même  ;  l'autre  avait  hor- 
reur de  la  mer.  C'étaient  comme  deux  animaux  d'élé- 
ment différent,  qui  ne  peuvent  se  rencontrer1. 

Benoît  XIII,  l'Aragonais,  finit  par  jeter  le  masque,  et 
dit  qu'il  croirait  pécher  mortellement  s'il  acceptait  la 
voie  de  cession2.   Et  peut-être  était-il  sincère.   Céder, 

1.  App.  153. 

2.  Lorsqu'on  lui  apprit  que  la  France  avait  déclaré  sa  soustraction  (Tobé- 


REFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  225 

c'était  reconnaître  comme  supérieure  l'autorité  qui 
imposait  la  cession,  c'était  subordonner  la  papauté  au 
concile,  changer  le  gouvernement  de  l'Église  de 
monarchie  en  république.  Était-ce  bien  au  milieu  d'un 
ébranlement  universel  du  monde  qu'il  pouvait  toucher 
à  l'unité  qui,  si  longtemps,  avait  fait  la  force  du 
grand  édifice  spirituel,  la  clef  de  la  voûte  ?  Au  moment 
où  la  critique  touchait  à  la  légende  législative  de  la 
papauté,  lorsque  Yalla  élevait  les  premiers  doutes  sur 
l'authenticité  des  décrélales1,  pouvait-on  demander  au 
pape  d'aider  à  son  abaissement,  de  se  tuer  de  ses 
propres  mains? 

Il  faut  le  dire.  Ce  n'était  pas  une  question  de  forme, 
mais  bien  de  fond  et  de  vie.  Monarchie  ou  république, 
l'Église  eût  été  également  malade.  Le  concile  avait-il  en 
lui  la  vie  morale  qui  manquait  au  pape?  les  réforma- 
teurs valaient-ils  mieux  que  le  réformé  ?  le  chef  était 
gâté,  mais  les  membres  étaient-ils  sains?  Non,  il  y  avait, 
dans  les  uns  et  dans  les  autres,  beaucoup  de  corrup- 
tion ;  tout  ce  qui  constituait  le  pouvoir  spirituel  tendait 
à  se  matérialiser,  à  n'être  plus  spirituel.  Et  cela  venait 
principalement,  nous  l'avons  dit,  de  l'absence  des 
idées,  du  vide  immense  qui  se  trouvait  dans  les  esprits. 

C'en  était  fait  de  la  scolastique.  Raimond  Lulle 
l'avait  fermée  par  sa  machine  à  penser  ;  puis  Ockam 
en  refusant  la  réalité  aux  universaux,  en  replaçant  la 
question  au  point  où  l'avait  laissée  Abailard. 

dience,  il  dit  avec  beaucoup  de  dignité  :  «  Qu'importe?  saint  Pierre  n'avait 
pas  ce  royaume  dans  son  obédience.  » 
1.  App.  154. 

T.    IV.  15 


226  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Raimoncl  Lulle  pleura  aux  pieds  de  son  Arbor\  qui 
finissait  la  scolastique.  Pétrarque  pleura  la  poésie.  Les 
grands  mystiques  d'alors  avaient  de  même  le  senti- 
ment de  la  fin.  Le  quatorzième  siècle  voit  passer  ces 
derniers  génies  ;  chacun  d'eux  se  tait,  s'en  va,  étei- 
gnant sa  lumière  :  il  se  fait  d'épaisses  ténèbres. 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  si  l'esprit  humain  s'effraye 
et  s'attriste.  L'Église  ne  le  console  pas.  Cette  grande 
épouse  du  moyen  âge  avait  promis  de  ne  pas  vieillir, 
d'être  toujours  belle  et  féconde,  de  renouveler2  tou- 
jours, de  sorte  qu'elle  occupât  sans  cesse  l'inquiète 
pensée  de  l'homme,  l'inépuisable  activité  de  son  cœur. 
Cependant  elle  avait  passé  de  la  jeune  vitalité  popu- 
laire aux  abstractions  de  l'école,  à  saint  Thomas8.  Dans 
sa  tendance  vers  l'abstrait  et  le  pur,  la  religion  spiri- 
tualiste  refusait  peu  à  peu  tout  autre  aliment  que  la 
logique.  Noble  régime,  mais  sobre,  et  qui  finit  par  se 
composer  de  négations.  Aussi  elle  allait  maigrissant  ; 
maigreur  au  quatorzième  siècle,  consomption  au  quin- 
zième, effrayante  figure  de  dépérissement  et  de  phti- 
sie, comme  vous  la  voyez,  à  la  face  creuse,  aux  mains 
transparentes  du  Christ  maudissant  d'Orcagna. 

Telles  étaient  les  misères  de  cet  âge,  ses  contradic- 


1.  App.  155.  —  2.  App.  156. 

3.  Saint  Thomas,  comme  Albert-le-Grand,  fait  profession  de  partir  toujours 
d'un  texte,  de  commenter,  rien  de  plus.  Que  sera-ce  s'il  est  démontré  qu'ils 
n'ont  pas  eu  de  texte  sérieux,  qu'ils  ont  marché  constamment  sur  le  chemin 
peu  solide,  perfide,  des  traductions  les  plus  infidèles,  et  cela  sans  s'apercevoir 
que  tel  prétendu  passage  d'Aristote,  par  exemple,  est  anti-aristotélique.  (Voy. 
Renaissance,  Introduction.  1860.) 


REFORME    DANS    L'ETAT    ET    DANS    L'EGLISE  227 

lions.  Réduit  au  formalisme  vide,  il  y  plaçait  ses  espé- 
rances. Gerson  croyait  tout  guérir  en  ramenant  l'Eglise 
aux  formes  républicaines,  au  moment  même  où  il  se 
déclarait  contre  la  liberté  dans  l'État.  L'expérience  du 
concile  de  Pise  n'avait  rien  appris.  On  allait  assembler 
un  autre  concile  à  Constance,  y  chercher  la  quadra- 
ture du  cercle  religieux  et  politique  :  lier  les  mains 
au  chef  que  l'on  reconnaît  infaillible,  le  proclamer 
supérieur,  en  se  réservant  de  le  juger  au  besoin. 

Ce  tribunal  suprême  des  questions  religieuses, 
devait  aussi  décider  une  grande  question  de  droit.  Le 
parti  d'Orléans,  celui  de  Gerson,  voulait  y  faire  con- 
damner la  mémoire  de  Jean  Petit,  son  apologie  du  duc 
de  Bourgogne,  et  proclamer  ce  principe  qu'aucun  inté- 
rêt, aucune  nécessité  politique  n'est  au-dessus  de 
l'humanité.  C'eût  été  une  grande  chose,  si,  dans  l'obs- 
curcissement des  idées,  on  fût  revenu  aux  sentiments 
de  la  nature. 

La  France  semblait  tout  entière  à  ces  éternels  pro- 
blèmes ;  on  eût  dit  qu'elle  oubliait  le  temps,  la  réalité, 
sa  réforme,  son  ennemi.  Au  moment  où  l'Anglais  allait 
fondre  sur  elle,  étrange  préoccupation,  un  grand  poli- 
tique d'alors  pense  que  si  le  royaume  doit  craindre, 
c'est  du  côté  de  l'Allemagne  et  du  duc  de  Lorraine1. 
Lorsqu'on  vint  avertir  Jean-sans-Peur  que  les  Anglais, 
débarqués  depuis  près  de  deux  mois,  étaient  sur  le 
point  de  livrer  à  l'armée  royale  une  grande  et  décisive 
bataille,  les  messagers  le  trouvèrent  dans  ses  forêts 

1.  App.  157. 


228  HISTOIRE    DE    FRANCE 

de  Bourgogne1.  Sous  prétexte  de  la  chasse,  il  s'était 
rapproché  de  Constance,  rêvant  toujours  à  Jean  Petit 
et  à  son  vieux  crime,  inquiet  du  jugement  que  le  con- 
cile allait  rendre,  et,  en  attendant,  vivant  sous  la  tente 
au  milieu  des  bois,  et  prêtant  l'oreille  aux  voix  des 
cerfs  qui  bramaient  la  nuit2. 


1    Peut-être  y  avait-il  moins  d'insouciance  que  do  connivence.  On  jugera. 

2.  «  Le  duc  de  Bourgogne,  qui  longtemps  n'avoit  demouré  ni  séjourné  en  son 
pays  de  Bourgogne,  et  qui  vouloit  bien  avoir  ses  plaisirs  et  soullas,  se  advisa 
que  pour  mieux  avoir  son  déduit  de  la  chasse  des  cerfs,  et  les  ouyr  bruire 
par  nuit,  il  se  logeroit  dedans  la  forest  d'Argilly,  qui  est  grande  et  léc.  » 
(Lefebvre  de  Saint-Remy.) 


LIVRE  IX 


CHAPITRE    PREMIER 


L'Angleterre,  l'Etat,  l'Eglise.  —  Azincourt  (1415). 


Pour  comprendre  le  terrible  événement  que  nous 
devons  raconter,  —  la  captivité,  non  du  roi,  mais  du 
royaume  même,  la  France  prisonnière,  —  il  y  a  un  fait 
essentiel  qu'il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  : 

En  France,  les  deux  autorités,  l'Église  et  l'État, 
étaient  divisées  entre  elles,  et  chacune  d'elles  en  soi  ; 

En  Angleterre,  l'État  et  l'Église  établie  étaient  par- 
venus, sous  la  maison  de  Lancastre,  à  la  plus  complète 
union. 

Edouard  III  avait  eu  l'Église  contre  lui,  et  malgré 
ses  victoires,  il  avait  échoué.  Henri  V  eut  l'Église  pour 
lui,  et  il  réussit,  il  devint  roi  de  France1. 

1.  Du  moins  roi  de  la  France  du  Nord.  Il  n'eut  pas  le  titre  de  roi,  étant 
mort  avant  Charles  VI,  mais  il  le  laissa  à  son  fils. 


230  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Cette  cause  n'est  pas  la  seule,  mais  c'est  la  princi- 
pale, et  la  moins  remarquée. 

L'Église,  étant  le  plus  grand  propriétaire  de  l'Angle- 
terre, y  avait  aussi  la  plus  grande  influence.  Au 
moment  où  la  propriété  et  la  royauté  se  trouvèrent 
d'accord,  celle-ci  acquit  une  force  irrésistible  ;  elle  ne 
vainquit  pas  seulement,  elle  conquit. 

L'Église  avait  besoin  de  la  royauté.  Ses  prodigieuses 
richesses  la  mettaient  en  péril.  Elle  avait  absorbé  la 
meilleure  partie  des  terres;  sans  parler  d'une  foule  de 
propriétés  et  de  revenus  divers,  des  fondations  pieuses, 
des  dîmes,  etc.,  sur  les  cinquante-trois  mille  fiefs  de 
chevaliers  qui  existaient  en  Angleterre,  elle  en  possé- 
dait vingt-huit  mille 1.  Cette  grande  propriété  était  sans 
cesse  attaquée  au  Parlement,  et  elle  n'y  était  pas  repré- 
sentée, défendue  en  proportion  de  son  importance;  les 
membres  du  clergé  n'y  étaient  plus  appelés  que  ad 
consentiendum*. 

La  royauté,  de  son  côté,  ne  pouvait  se  passer  de 
l'appui  du  grand  propriétaire  du  royaume,  je  veux 
dire  du  clergé.  Elle  avait  besoin  de  son  influence, 
encore  plus  que  de  son  argent.  C'est  ce  que  ne  sen- 
tirent ni  Edouard  Ier  ni  Edouard  III,  qui  toujours  le 
vexèrent  pour  de  petites  questions  de  subsides.  C'est 
ce  que  sentit  admirablement  la  maison  de  Lancastre, 
qui,  à  son  avènement,  déclara  qu'elle  ne  demandait  à 
l'Église  «  que  ses  prières3  ». 


1.  App.  158. 

2.  Ils  finirent  "par  n'y  plus  aller.  (Hallam.) 

3.  Turner.  Wilkins. 


L'ANGLETERRE.   -    AZ1NC0URT  231 

L'on  comprend  combien  la  royauté  et  la  propriété 
ecclésiastique  avaient  besoin  de  s'entendre,  si  l'on  se 
rappelle  que  l'édifice  tout  artificiel  de  l'Angleterre  au 
moyen  âge  a  porté  sur  deux  fictions  :  un  roi  infaillible 
et  inviolable1,  que  l'on  jugeait  pourtant  de  deux 
règnes  en  deux  règnes  ;  d'autre  part,  une  Église  non 
moins  inviolable,  qui,  au  fond,  n'étant  qu'un  grand 
établissement  aristocratique  et  territorial  sous  pré- 
texte de  religion,  se  voyait  toujours  à  la  veille  d'être 
dépouillée,  ruinée. 

La  maison  cadette  de  Lancastre  unit  pour  la  pre- 
mière fois  les  deux  intérêts  en  péril  ;  elle  associa  le  roi 
et  l'Église.  Ce  fut  sa  légitimité,  le  secret  de  son  prodi- 
gieux succès.  Il  faut  indiquer,  rapidement  du  moins, 
la  longue,  oblique  et  souterraine  route  par  où  elle 
chemina. 

Le  cadet  hait  l'aîné,  c'est  la  règle 2,  mais  nulle  part 
plus  respectueusement  qu'en  Angleterre,  plus  sour- 
noisement3. Aujourd'hui  il  va  chercher  fortune,  le 
monde  lui  est  ouvert,  l'industrie,  la  mer,  les  Indes; 

1.  Les  Anglais  ont  porté  dans  le  droit  politique  ce  génie  de  fiction  que  les 
Romains  n'avaient  montré  que  dans  le  droit  civil.  M.  Allen,  dans  son  livre 
sur  la  Prérogative  royale,  a  résumé  les  prodigieux  tours  de  force  au  moyen 
desquels  se  jouait  cette  bizarre  comédie,  chacun  faisant  semblant  de  confondre 
le  roi  et  la  royauté,  l'homme  faillible  et  l'idée  infaillible.  De  temps  en  temps 
la  patience  échappait,  la  confusion  cessait  et  l'abstraction  se  faisait  d'une 
manière  sanglante;  si  le  roi  ne  périssait  (comme  Edouard  11,  Richard  II, 
Henri  VI  et  Charles  Ier),  il  était  renversé,  ou  tout  au  moins  humilié,  réduit  à 
l'impuissance  (Henri  II,  Jean,  Henri  III,  Jacques  II). 

2.  Bien  entendu,  là  où  il  y  a  privilège  pour  l'aîné. 

3.  Ceci  est  moins  vrai  depuis  que  l'Angleterre  a  créé  une  immense  pro- 
priété mobilière,  qui  se  partage  selon  l'équité.  La  propriété  territoriale 
reste  assujettie  aux  lois  du  moyen  âge.  —  Au  reste,  le  droit  d'aînesse  est  dans 
les  mœurs,  dans  les  idées  même  du  peuple.  J'ai  cité  a  ce  sujet  une  anecdote 


232  HISTOIRE    DE    FRANCE 

au  moyen  âge,  il  restait  souvent,  rampait  devant 
l'aîné,  conspirait1. 

Les  fils  cadets  d'Edouard  III,  Glarence,  Lancastre, 
York,  Glocester,  titrés  de  noms  sonores  et  vides, 
avaient  vu  avec  désespoir  l'aîné,  l'héritier,  régner 
déjà,  du  vivant  de  leur  père,  comme  duc  d'Aquitaine. 
Il  fallait  que  ces  cadets  périssent,  ou  régnassent  aussi. 
Glarence  alla  aux  aventures  en  Italie,  et  il  y  mourut. 
Glocester  troubla  l'Angleterre,  jusqu'à  ce  que  son 
neveu  le  fît  étrangler.  Lancastre  se  fît  appeler  roi  de 
Gastille,  envahit  l'Espagne  et  échoua;  puis  la  France, 
et  il  échoua  encore2.  Alors  il  se  retourna  du  côté  de 
l'Angleterre. 

Le  moment  était  favorable  pour  lui.  Le  mécontente- 
ment était  au  comble.  Depuis  les  victoires  de  Gréci  et 
de  Poitiers,  l'Angleterre  s'était  méconnue;  ce  peuple 
laborieux,  distrait  une  fois  de  sa  tâche  naturelle,  l'ac- 
cumulation de  la  richesse  et  le  progrès  des  garanties, 
était  sorti  de  son  caractère;  il  ne  rêvait  que  conquêtes, 
tributs  de  l'étranger,  exemption  d'impôts.  Le  riche 
fonds  de  mauvaise  humeur  dont  la  nature  les  a  doués, 
fermentait  à  merveille.! Ils  s'en  prenaient  au  roi,  aux 
grands,  à  tous  ceux  qui  faisaient  la  guerre  en  France  ; 
c'étaient  des  traîtres,  des  lâches.  Les  cokneys  de  Lon- 

très  curieuse  (t.  Ipr,  à  la  fin  du  livre  Ier).  —  Dès  que  le  père  s'enrichit,  sa 
première  pensée  est  :  Faire  un  aine.  A  quoi  réplique  tout  bas  la  pensée  du 
cadet  :  Être  indépendant,  avoir  une  honnête  suffisance  (to  be  independent, 
to  hâve  a  compétence).  Ces  deux  mots  sont  le  dialogue  tacite  de  la  famille 
anglaise.  App.  159. 

1.  Rapprocher   l'histoire  des  trois  Glocester  du  frère  du  Prince  Noir,  du 
frère  d'Henri  V  et  du  frère  d'Edouard  IV. 

2.  En  1373. 


L'ANGLETERRE.   —  AZINCOURT  233 

cires,  dans  leur  arrière-boutique,  trouvaient  fort  mal 
qu'on  ne  leur  gagnât  pas  tous  les  jours  des  batailles 
de  Poitiers.  «  0  richesse,  richesse,  dit  une  ballade 
anglaise,  réveille-toi  donc,  reviens  dans  ce  pays 1  !  » 
Cette  tendre  invocation  à  l'argent  était  le  cri  national. 

La  France  ne  rapportant  plus  rien,  il  fallut  bien  que, 
dans  leur  idée  fixe  de  ne  rien  payer,  ils  regardassent 
où  ils  prendraient.  Tous  les  yeux  se  tournèrent  vers 
l'Église.  Mais  l'Eglise  aussi  avait  son  principe 
immuable,  le  premier  article  de  son  credo  :  De  ne  rien 
donner.  A  toute  demande,  elle  répondait  froidement  : 
«  L'Eglise  est  trop  pauvre.  » 

Cette  pauvre  Église  ne  donnant  rien,  on  songeait  à 
lui  enlever  tout.  L'homme  du  roi,  WiclefE"2,  y  pous- 
sait; les  lollards  aussi,  par  en  bas,  obscurément  et 
dans  le  peuple.  Lancastre  en  fit  d'abord  autant; 
c'était  alors  le  grand  chemin  de  la  popularité. 

J'ai  dit  ailleurs  comment  les  choses  tournèrent, 
comment  ce  grand  mouvement  entraînant  le  peuple, 
et  jusqu'aux  serfs,  toute  propriété  se  trouva  en  péril, 
non  plus  seulement  la  propriété  ecclésiastique;  com- 
ment le  jeune  Richard  II  dispersa  les  serfs,  en  leur 
promettant  qu'ils  seraient  affranchis.  Lorsque  ceux-ci 
furent  désarmés,  et  qu'on  les  pendait  par  centaines, 

1.  «  Awake,  wealth,  and  walk  in  this  région...  »  (Turner.)  —  La  foi  des 
Anglais  dans  la  toute-puissance  de  l'argent  est  naïvement  exprimée  dans  les 
dernières  paroles  du  cardinal  Winchester;  il  disait  en  mourant  :  «  Comment 
est-il  donc  possible  que  je  meure,  étant  si  riche?  Quoi!  l'argent  ne  peut  donc 
rien  à  cela?  »  (Ibid.) 

2.  Lewis.  Richard  II  prit  Wicleff  pour  son  chapelain.  Voy.  dans  Walsingham 
la  grande  scène  où  Wicleff  est  soutenu  par  les  princes  et  les  grands  contre 
l'évêque  et  le  peuple  de  Londres. 


234  HISTOIRE    DE    FRANCE 

le  roi  déclara  pourtant  que  si  les  prélats,  les  lords  et 
les  communes  confirmaient  l'affranchissement,  il  le 
sanctionnerait.  A  quoi  ils  répondirent  unanimement  : 
«  Plutôt  mourir  tous  en  un  jour1.  »  Richard  n'insista 
pas;  mais  l'audacieuse  et  révolutionnaire  parole  qui 
lui  était  échappée,  ne  fut  jamais  oubliée  des  proprié- 
taires, des  maîtres  de  serfs,  barons,  évêques,  abbés. 
Dès  ce  jour,  Richard  dut  périr.  Dès  lors  aussi,  Lan- 
castre  dut  être  le  candidat  de  l'aristocratie  et  de 
l'Église. 

Il  semble  qu'il  ait  préparé  patiemment  son  succès. 
Des  bruits  furent  semés,  qui  le  désignaient.  Une  fois, 
c'était  un  prisonnier  français  qui  aurait  dit  :  «  Ah  !  si 
vous  aviez  pour  roi  le  duc  de  Lancastre,  les  Français 
n'oseraient  plus  infester  vos  côtes.  »  On  faisait  cir- 
culer d'abbaye  en  abbaye,  et  partout,  au  moyen  des 
frères,  une  chronique  qui  attribuait  au  duc  je  ne  sais 
quel  droit  de  succession  à  la  couronne,  du  chef  d'un 
fils  d'Edouard  Ier.  Un  carme  accusa  hardiment  le  duc 
de  Lancastre  de  conspirer  la  mort  de  Richard;  Lan- 
castre nia,  obtint  que  son  accusateur  serait  provisoire- 
ment remis  à  la  garde  de  lord  Holland,  et,  la  veille  du 
jour  où  l'imputation  devait  être  examinée,  le  carme 
fut  trouvé  mort. 

Richard  travailla  lui-même  pour  Lancastre.  Il  s'en- 
toura de  petites  gens,  il  fatigua  les  propriétaires  d'em- 
prunts, de  vexations;  enfin,  il  commit  le  grand  crime 
qui  a  perdu  tant  de  rois  d'Angleterre 2  :  il  se  maria  en 

1.  Turner. 

2.  Henri  II,  Jean,  Edouard  II,  Richard  II,  Henri  VI,  Charles  1er. 


L'ANGLETERRE.  —    AZ1NC0URT  235 

France.  Il  n'y  avait  qu'un  point  difficile  pour  Lancastre 
et  son  fils  Derby,  c'était  de  se  décider  entre  les  deux 
partis,  entre  l'Église  établie  et  les  novateurs.  Richard 
rendit  à  Derby  le  service  de  l'exiler;  c'était  le  dispen- 
ser de  choisir.  De  loin,  il  devint  la  pensée  de  tous; 
chacun  le  désira,  le  croyant  pour  soi. 

La  chose  mûre,  l'archevêque  de  Cantorbéry  alla 
chercher  Derby  en  France1.  Celui-ci  débarqua,  décla- 
rant humblement  qu'il  ne  réclamait  rien  que  le  bien 
de  son  père.  On  a  vu  comment  il  se  trouva  forcé  de 
régner.  Alors  il  prit  son  parti  nettement.  Au  grand 
étonnement  des  novateurs,  parmi  lesquels  il  avait  été 
élevé  à  Oxford,  Henri  IV  se  déclara  le  champion  de 
l'Église  établie  :  «  Mes  prédécesseurs,  dit-il  aux  prélats, 
vous  appelaient  pour  vous  demander  de  l'argent.  Moi, 
je  viens  vous  voir  pour  réclamer  vos  prières.  Je  main- 
tiendrai les  libertés  de  l'Église;  je  détruirai,  selon 
mon  pouvoir,  les  hérésies  et  les  hérétiques  2.  » 

III  y  eut  un  compromis  amical  entre  le  roi  et  l'Église. 
Elle  le  sacra,  l'oignit.  Lui,  il  lui  livra  ses  ennemis.  Les 
adversaires  des  prêtres  furent  livrés  aux  prêtres,  pour 
être  jugés,  brûlés3.   Tout  le  monde  y   trouvait  son 
1.  Il  avait  été  banni  par  Richard  II,  et  son  temporel  confisqué. 

2.  Henri  IV,  intimement  uni  aux  évoques  d'Angleterre,  commença  son 
règne  par  leur  donner  des  armes  contre  les  trois  genres  d'ennemis  qu'ils 
avaient  à  craindre  :  1°  contre  le  pape,  contre  l'invasion  du  clergé  étranger; 
2°  contre  les  moines  (les  moines  achetaient  des  bulles  du  pape  pour  se 
dispenser  de  payer  la  dîme  aux  évêques);  3°  contre  les  hérétiques.  (Statutes 
of  the  Realm.) 

3.  Les  diocésains  peuvent  faire  arrêter  ceux  qui  prêchent  ou  enseignent 
sans  leur  autorisation  et  les  faire  brûler  en  lieu  apparent  et  élevé  :  «  In 
eminenti  loco  comburi  faciant.  »  —  «  And  them  before  the  people  in  an  high 
place  do  to  be  burnt.  »  (Ibid.) 


236  HISTOIRE    DE    FRANCE 

compte.  Les  biens  des  lollards  étaient  confisqués  ;  un 
tiers  revenait  au  juge  ecclésiastique,  un  tiers  au  roi.  Le 
dernier  tiers  était  donné  aux  communes  où  Ton  trou- 
verait des  hérétiques  ;  c'était  un  moyen  ingénieux  de 
prévenir  leur  résistance,  de  les  allécher  à  la  déla- 
tion \ 

Les  prélats,  les  barons,  n'avaient  mis  leur  homme 
sur  le  trône  que  pour  régner  eux-mêmes.  Cette  royauté 
qu'ils  lui  avaient  donnée  en  gros,  ils  la  lui  reprirent  en 
détail.  Non  contents  de  faire  les  lois,  ils  s'emparèrent 
indirectement  de  l'administration.  Ils  finirent  par  nom- 
mer au  roi  une  sorte  de  conseil  de  tutelle,  sans  lequel 
il  ne  pouvait  rien  faire2.  Il  regretta  alors  d'avoir  livré 
les  lollards;  il  essaya  de  soustraire  aux  prêtres  le 
jugement  des  gens  de  ce  parti.  Il  songeait,  comme 
Richard  II,  à  chercher  un  appui  chez  l'étranger;  il 
voulait  marier  son  fils  en  France. 

Mais  son  fils  même  n'était  pas  sûr.  On  a  remarqué, 
non  sans  apparence  de  raison,  qu'en  Angleterre  les 
aînés  aiment  moins  leurs  pères3;  avant  d'être  fils,  ils 

1.  Turner.  En  1430  il  n'en  était  plus  ainsi;  tout  revenait  au  roi. 

2.  Ces  conditions  étaient  plus  humiliantes  qu'aucune  de  celles  qui  avaient 
été  imposées  à  Richard  II.  Il  devait  prendre  seize  conseillers,  se  laisser  guider 
uniquement  par  leurs  avis,  etc. 

3.  «  Le  droit  de  primogéniture  met  de  la  rudesse  dans  les  rapports  du  père 
au  fils  aîné.  Celui-ci  s'habitue  à  se  considérer  comme  indépendant;  ce  qu'il 
reçoit  de  ses  parents  est  à  ses  yeux  une  dette  plus  qu'un  bienfait.  La  mort 
d'un  père,  celle  d'un  frère  aîné,  dont  on  attend  l'héritage,  sont  sur  la  scène 
anglaise  l'objet  de  plaisanteries  que  l'on  applaudit  et  qui  chez  nous  révol- 
teraient le  public.  »  (Mmc  de  Staël.)  —  Je  ne  puis  m'empêcher  de  rapprocher 
de  ceci  le  mot  de  l'historien  romain  dans  son  tableau  des  proscriptions  : 
«Il  y  eut  beaucoup  de  fidélité  dans  les  épouses,  assez  dans  les  affranchis, 
quelque  peu  chez  les  esclaves,  aucune  dans  les  fils;  tant,  l'espoir  une  fois 
conçu,  il  est  difficile  d'attendre!  »  (Velleius  Paterculus.) 


L'ANGLETERRE.   —   AZ1NC0URT  237 

sont  héritiers.  Le  fils  de  Lancastre  était  d'autant  plus 
impatient  de  porter  la  couronne  à  son  tour,  qu'il  avait, 
par  une  victoire,  raffermi  cette  couronne  sur  la  tête  de 
son  père.  Lui  aussi,  il  traitait  avec  les  Français  ',  mais 
à  part  et  pour  son  compte. 

Ce  jeune  Henri  plaisait  au  peuple.  C'était  une  svelte 
et  élégante  figure,  comme  on  les  trouve  volontiers 
dans  les  nobles  familles  anglaises.  C'était  un  infati- 
gable fox-hunter,  si  leste  qu'il  pouvait,  disait -on, 
chasser  le  daim  à  pied.  Il  avait  fait  longtemps  les 
petites  et  rudes  guerres  des  Galles,  la  chasse  aux 
hommes. 

Il  se  lia  aux  mécontents,  se  faufila  parmi  les  lollards, 
courant  leurs  réunions  nocturnes,  dans  les  champs2, 
dans  les  hôtelleries.  Il  se  fit  l'ami  de  leur  chef,  du 
brave  et  dangereux  Olclcastle,  celui  même  que  Shakes- 
peare, ennemi  des  sectaires  de  tout  âge3,  a  malicieu- 
sement transformé  dans  l'ignoble  Falstaff.  Le  père 
n'ignorait  rien.  Mais,  enfermer  son  fils,  c'eût  été  se 
déclarer  contre  les  lollards,  dont  il  voulait  justement 
se  rapprocher  à  cette  époque.  Cependant,  ce  roi, 
malade,  lépreux,  chaque  jour  plus  solitaire  et  plus 
irritable,  pouvait  être  jeté  par  ses  craintes  dans  quelque 
résolution  violente.  Son  fils  cherchait  à  le  rassurer  par 
une  affectation  de  vices  et  de  désordres,  par  des  folies 
de  jeunesse,  adroitement  calculées.  On  dit  qu'un  jour 

1.  Le  fils   négociait  avec  le  parti  de  Bourgogne,  tandis  que    le  père  se 
rapprochait  du  parti  d'Orléans. 

2.  C'était  comme  nos  écoles  buissonnières  du  seizième  siècle. 

3.  11  est  dit  toutefois  dans  Henri  V  que  Falstaff  parlait  «  contre  la  prosti- 
tuée de  Babylone  ».  App.  160. 


238  HISTOIRE    DE    FRANCE 

il  se  présenta  devant  son  père  couvert  d'un  habit  de 
satin  tout  percé  d'œillets,  où  les  aiguilles  tenaient 
encore  parleur  fil;  il  s'agenouilla  devant  lui,  lui  pré- 
senta un  poignard  pour  qu'il  l'en  perçât,  s'il  pouvait 
avoir  quelque  défiance  d'un  jeune  fol,  si  ridiculement 
habillé. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  histoire,  le  roi  ne  put 
s'empêcher  de  faire  comme  s'il  se  fiait  à  lui.  Pour 
lui  donner  patience,  il  consentit  à  ce  qu'il  entrât  au 
conseil.  Mais  ce  n'était  pas  encore  assez.  Le  jour  de 
sa  mort,  comme  il  ouvrait  les  yeux  après  une  courte 
léthargie,  il  vit  l'héritier  qui  mettait  la  main  sur  la 
couronne,  posée  (selon  l'usage)  sur  un  coussin  près 
du  lit  du  roi.  il  l'arrêta,  avec  cette  froide  et  triste 
parole  :  «  Beau  fils,  quel  droit  y  avez-vous?  Votre 
«  père  n'y  eut  pas  droit1.  » 

Dans  les  derniers  temps  qui  précédèrent  son  avène- 
ment, Henri  Y  avait  tenu  une  conduite  double,  qui 
donnait  de  l'espoir  aux  deux  partis.  D'un  côté,  il  resta 
étroitement  lié  avec  Oldcastle 2,  avec  les  lollards.  De 
l'autre,  il  se  déclara  l'ami  de  l'Église  établie,  et  c'est 
sans  doute  comme  tel  qu'il  finit  par  présider  le  con- 
seil. A  peine  roi,  il  cessa  de  ménager  les  lollards;  il 
rompit  avec  ses  amis.  Il  devint  l'homme  de  l'Église, 
le  prince  selon  le  cœur  de  Dieu;  il  prit  la   gravite 


1.  Le  roi  lui  demanda  pourquoi  il  emportait  sa  couronne,  et  le  prince  lui 
dit  :  «  Monseigneur,  voici  en  présence  ceux  qui  m'avoient  donné  à  entendre 
que  vous  estiez  trépassé;  et  pour  ce  que  je  suis  votre  fils  aîné...  » 
(Monstrelet.) 

2.  Tellement  que  l'archevêque  de  Cantorbéry  hésitait  à  l'attaquer,  le 
croyant  encore  ami  du  roi.  (Walsingham.) 


L'ANGLETERRE.   —   AZ1NC0URT  239 

ecclésiastique,  «  au  point,  dit  le  moine  historien,  qu'il 
eût  servi  d'exemple  aux  prêtres  même1  ». 

D'abord,  il  accorda  des  lois  terribles  aux  seigneurs 
laïques  et  ecclésiastiques,  ordonnant  aux  justices  de 
paix  de  poursuivre  les  serviteurs  et  gens  de  travail,  qui 
fuyaient  de  comté  en  comté  2.  Une  inquisition  régu- 
lière fut  organisée  contre  l'hérésie.  Le  chancelier,  le 
trésorier,  les  juges,  etc.,  devaient,  en  entrant  en 
charge,  jurer  de  faire  toute  diligence  pour  rechercher 
et  détruire  les  hérétiques.  En  même  temps  le  primat 
d'Angleterre  enjoignait  aux  évêques  et  archidiacres 
de  s'enquérir  au  moins  deux  fois  par  an  des  personnes 
suspectes  d'hérésie,  d'exiger  dans  chaque  commune 
que  trois  hommes  respectables  déclarassent  sous  ser- 
ment s'ils  connaissaient  des  hérétiques,  des  gens  qui 
différassent  des  autres  dans  leurs  vie  et  habitudes,  des 
gens  qui  tolérassent  ou  reçussent  les  suspects,  des 
gens  qui  possédassent  des  livres  dangereux  en 
langue    anglaise ,  etc. 

Le  roi,  s'associant  aux  sévérités  de  l'Église,  aban- 
donna lui-même  son  vieil  ami  Oldcastle  à  l'arche- 
vêque de  Cantorbéry3.  Des  processions  eurent  lieu 
par  ordre  du  roi,  pour  chanter  les  litanies  avant  les 
exécutions. 

1.  «  Repente  mutatus  est  in  virum  alterum...  cujus  mores  et  gestus  omni 
condition],  tam  religiosorum  quam  laïcorum,  in  excmpla  fuere.  »  (Wal- 
singham.) 

2.  Statutes  of  the  Realm. 

3.  L'examen  d'Oldcastle  par  l'archevêque  est  très  curieux  dans  l'histoire 
du  moine  Walsingham  ;  il  est  impossible  de  tuer  avec  plus  de  sensibilité  ;  le 
juge  s'attendrit,  il  pleure;  on  le  plaindrait  volontiers  plus  que  la  victime. 
App.  161. 


240  HISTOIRE    DE    FRANCE 

L'Eglise  frappait,  et  elle  tremblait.  Les  lollards 
avaient  affiché  qu'ils  étaient  cent  mille  en  armes.  Ils 
devaient  se  réunir  au  champ  de  Saint-Gilles,  le  len- 
demain de  l'Epiphanie.  Le  roi  y  alla  de  nuit  et  les 
attendit  avec  des  troupes  :  mais  ils  n'acceptèrent  pas 
la  bataille. 

Ce  champion  de  l'Église  n'avait  pas  seulement 
contre  lui  les  ennemis  de  l'Église  ;  il  avait  les  siens 
encore,  comme  Lancastre,  comme  usurpateur.  Les 
uns  s'obstinaient  à  croire  que  Richard  II  n'était  pas 
mort.  Les  autres  disaient  que  l'héritier  légitime  était 
le  comte  de  Mardi;  et  ils  disaient  vrai.  Scrop  lui- 
même,  le  principal  conseiller  d'Henri,  le  confident, 
Y  homme  du  cœur,  conspira  avec  deux  autres  en  faveur 
du  comte  de  March. 

A  cette  fermentation  intérieure,  il  n'y  avait  qu'un 
remède,  la  guerre.  Le  16  avril  1415,  Henri  avait 
annoncé  au  Parlement  qu'il  ferait  une  descente  en 
France.  Le  29,  il  ordonna  à  tous  les  seigneurs  de  se 
tenir  prêts.  Le  28  mai,  prétendant  une  invasion 
imminente  des  Français,  il  écrivit  à  l'archevêque  de 
Gantorbéry  et  aux  autres  prélats,  d'organiser  les  gens 
d'Église  pour  la  défense  du  royaume1.  Trois  semaines 
après,  il  ordonna  aux  chevaliers  et  écuyers  de  passer 
en  revue  les  hommes  capables  de  porter  les  armes, 
de  les  diviser  par  compagnies.  L'affaire  de  Scrop  le 
retardait,  mais  il  complétait  ses  préparatifs2.  Il  ani- 
mait le  peuple  contre  les  Français,  en  faisant  courir 

1.  App.   162.  —  2.  App.  163. 


L'ANGLETERRE.  —    AZINCOURT  241 

le  bruit  que  c'étaient  eux  qui  payaient  des  traîtres, 
qui  avaient  gagné  Scrop,  pour  déchirer,  ruiner  le 
pays1. 

Henri  envoya  en  France  deux  ambassades  coup 
sur  coup,  disant  qu'il  était  roi  de  France,  mais  qu'il 
voulait  bien  attendre  la  mort  du  roi,  et  en  attendant 
épouser  sa  fille,  avec  toutes  les  provinces  cédées  par 
le  traité  de  Bretigni  ;  c'était  une  terrible  dot  ;  mais  il 
lui  fallait  encore  la  Normandie,  c'est-à-dire  le  moyen 
de  prendre  le  reste.  Une  grande  ambassade2  vint  en 
réponse  lui  offrir,  au  lieu  de  la  Normandie,  le 
Limousin,  en  portant  la  dot  de  la  princesse  jusqu'à 
850.000  écus  d'or.  Alors  le  roi  d'Angleterre  demanda 
que  cette  somme  fût  payée  comptant.  Cette  vaine 
négociation  dura  trois  mois  (13  avril-28  juillet), 
autant  que  les  préparatifs  d'Henri.  Tout  étant  prêt, 
il  fit  donner  des  présents  considérables  aux  ambas- 
sadeurs et  les  renvoya,  leur  disant  qu'il  allait  les 
suivre. 

Tout  le  monde  en  Angleterre  avait  besoin  de  la 
guerre.  Le  roi  en  avait  besoin.  La  branche  aînée  avait 
eu  ses  batailles  de  Gréci  et  de  Poitiers.  La  cadette  ne 
pouvait  se  légitimer  que  par  une  bataille. 

L'Église  en  avait  besoin,  d'abord  pour  détacher  des 
lollards,  une  foule  de  gens  misérables  qui  n'étaient 
lollards    que    faute   d'être    soldats.    Ensuite,    tandis 

1.  Walsingham  y  croit.  Mais  Turner  voit  très  bien  que  ce  n'était  qu'un 
faux  bruit. 

2.  Jamais  le  roi  de  France  n'avait  envoyé  à  celui  d'Angleterre  une  ambas- 
sade aussi  solennelle  ;  il  y  avait  douze  ambassadeurs,  et  leur  suite  se  com- 
posait de  cinq  cent  quatre-vingt-douze  personnes.  (Rymer.) 

t.  îv.  16 


242  HISTOIRE    DE    FRANCE 

qu'on  pillerait  la  France,  on  ne  songerait  pas  à  piller 
l'Église;  la  terrible  question  de  sécularisation  serait 
ajournée. 

Quoi  de  plus  digne  aussi  de  la  respectable  Église 
d'Angleterre  et  qui  pût  lui  faire  plus  d'honneur,  que 
de  réformer  cette  France  schismatique,  de  la  châtier 
fraternellement,  de  lui  faire  sentir  la  verge  de  Dieu? 
Ce  jeune  roi  si  dévoué,  si  pieux,  ce  David  de  l'Église 
établie,  était  visiblement  l'instrument  prédestiné  d'une 
si  belle  justice. 

Tout  était  difficile  avant  cette  résolution;  tout 
devint  facile.  Henri,  sûr  de  sa  force,  essaya  de  calmer 
les  haines  en  faisant  réparation  au  passé.  Il  enterra 
honorablement  Richard  II.  Les  partis  se  turent.  Le 
Parlement  unanime  vota  pour  l'expédition  une  somme 
inouïe.  Le  roi  réunit  six  mille  hommes  d'armes, 
vingt -quatre  mille  archers,  la  plus  forte  armée 
que  les  Anglais  eussent  eue  depuis  plus  de  cinquante 
ans1. 

Cette  armée,  au  lieu  de  s'amuser  autour  de  Calais, 
aborda  directement  à  Harfleur,  à  l'entrée  de  la  Seine. 
Le  point  était  bien  choisi.  Harfleur,  devenu  ville 
anglaise,  eût  été  bien  autre  chose  que  Calais.  Il  eût 
tenu  la  Seine  ouverte;  les  Anglais  pouvaient  dès  lors 
entrer,  sortir,  pénétrer  jusqu'à  Rouen  et  prendre  la 
Normandie,  jusqu'à  Paris,  prendre  la  France  peut- 
être. 

L'expédition    avait    été   bien    conçue,    très    bien 

1.  Outre  les  canonniers,  ouvriers,  etc.  Quinze  cents  bâtiments  de  transport. 
App.  164. 


L'ANGLETERRE.  —  AZ1NC0URT  243 

préparée.  Le  roi  s'était  assuré  de  la  neutralité  de 
Jean-sans-Peur;  il  avait  loué  ou  acheté  huit  cents 
embarcations  en  Zélande  et  en  Hollande,  pays  soumis 
à  l'influence  du  duc  de  Bourgogne,  et  qui  d'ailleurs 
ont  toujours  prêté  volontiers  des  vaisseaux  à  qui 
payait  bien1.  Il  emporta  beaucoup  de  vivres,  dans  la 
supposition  que  le  pays  n'en  fournirait  pas. 

D'autre  part,  l'Église  d'Angleterre,  de  concert  avec 
les  communes,  n'oublia  rien  pour  sanctifier  l'entre- 
prise; jeûnes,  prières,  processions,  pèlerinages2.  Au 
moment  même  de  rembarquement  on  brûla  encore 
un  hérétique.  Le  roi  prit  part  à  tout  dévotement.  Il 
emmena  bon  nombre  de  prêtres,  particulièrement 
l'évêque  de  Norwich,  qui  lui  fut  donné  pour  principal 
conseiller. 

Le  passage  ne  fut  pas  disputé,  la  France  n'avait  pas 
un  vaisseau3;  la  descente  ne  le  fut  pas  non  plus,  les 
populations  de  la  côte  n'étaient  pas  en  état  de  com- 
battre cette  grande  armée.  Mais  elles  se  montrèrent 
très  hostiles  ;  le  duc  de  Normandie,  c'est  le  premier 
titre  que  prit  Henri  V,  fut  mal  reçu  dans  son  duché  ; 
les  villes,  les  châteaux  se  gardèrent;  les  Anglais 
n'osaient  s'écarter,  ils  n'étaient  maîtres  que  de  la 
plage  malsaine  que  couvrait  leur  camp. 


1.  Sous  Charles  VI,  sous  Louis  XIII,  etc. 

2.  Les  scrupules  d'Henri  allèrent  jusqu'à  refuser  le  service  d'un  gentleman 
qui  lui  amenait  vingt  hommes,  mais  qui  avait  été  moine,  et  n'était  rentré 
dans  la  vie  séculière  qu'au  moyen  d'une  dispense  du  pape.  Ces  dispenses 
étaient  le  sujet  d'une  guerre  continuelle  entre  Rome  et  l'Église  d'Angleterre. 

3.  Le  roi  n'en  avait  pas;  mais  plusieurs  villes,  telles  que  La  Rochelle, 
Dieppe,  etc.,  en  avaient  un  assez  grand  nombre. 


244  HISTOIRE    DE    FRANCE 

N'oublions  pas  que  notre  malheureux  pays  n'avait 
plus  de  gouvernement.  Les  deux  partis  ayant  reflué  au 
nord,  au  midi,  le  centre  était  vide;  Paris  était  las, 
comme  après  les  grands  efforts,  le  roi  fol,  le  dauphin 
malade,  le  duc  de  Berri  presque  octogénaire.  Cepen- 
dant ils  envoyèrent  le  maréchal  de  Boucicaut  à  Rouen, 
puis  ils  y  amenèrent  le  roi,  pour  réunir  la  noblesse  de 
l'Ile-de-France,  de  la  Normandie  et  de  la  Picardie.  Les 
gentilshommes  de  cette  dernière  province  reçurent 
ordre  contraire  du  duc  de  Bourgogne 1  ;  les  uns  obéirent 
au  roi,  les  autres  au  duc;  quelques-uns  se  joignirent 
même  aux  Anglais. 

Harfleur  fut  vaillamment  défendu ,  opiniâtrement 
attaqué.  Une  brave  noblesse  s'y  était  jetée.  Le  siège 
traîna;  les  Anglais  souffrirent  infiniment  sur  cette 
côte  humide.  Leurs  vivres  s'étaient  gâtés.  On  était  en 
septembre,  au  temps  des  fruits;  ils  se  jetèrent  dessus 
avidement.  La  dyssenterie  se  mit  dans  l'armée  et 
emporta  les  hommes  par  milliers,  non  seulement  les 
soldats,  mais  les  nobles,  écuyers,  chevaliers,  les  plus 
grands  seigneurs,  l'évêque  même  de  Norwich.  Le 
jour  de  la  mort  de  ce  prélat,  l'armée  anglaise,  par 
respect,  interrompit  les  travaux  du  siège. 

Harfleur  n'était  pas  secouru.  Un  convoi  de  poudre 
envoyé  de  Rouen  fut  pris  en  chemin.  Une  autre  tenta- 


1.  Le  serviteur  des  ducs  de  Bourgogne,  qui  depuis  fut  leur  héraut  d'armes, 
sous  le  nom  de  Toison  d'Or,  avoue  ceci  expressément  :  «  Y  allèrent  à  puis- 
sance de  gens,  jà  soit  (quoique)  le  duc  de  Bourgogne  mandât  par  ses 
lettres  patentes,  que  ils  ne  bougeassent,  et  que  ne  servissent  ni  partissent 
de  leurs  hostels,  jusques  à  tant  qu'il  leur  fist  sçavoir  ».  (Lefebvre  de  Sajnt- 
Remy.) 


L'ANGLETERRE.   —   AZINCOURT  245 

tive  ne  fut  pas  plus  heureuse  ;  des  seigneurs  avaient 
réuni  jusqu'à  six  mille  hommes  pour  surprendre  le 
camp  anglais;  leur  impétuosité  fit  tout  manquer,  ils 
se  découvrirent  avant  le  moment  favorable. 

Cependant  ceux  qui  défendaient  Hartleur  n'en  pou- 
vaient plus  de  fatigue.  Les  Anglais  ayant  ouvert  une 
large  brèche,  les  assiégés  avaient  élevé  des  palissades 
derrière.  On  leur  brûla  cet  immense  ouvrage,  qui  fut 
trois  jours  à  se  consumer.  L'Anglais  employait  un 
moyen  infaillible  de  les  mettre  à  bout  :  c'était  de  tirer 
jour  et  nuit  ;  ils  ne  dormaient  plus. 

Ne  voyant  venir  aucun  secours,  ils  finirent  par 
demander  deux  jours  pour  savoir  si  l'on  viendrait,  à 
leur  aide.  «  Ce  n'est  pas  assez  de  deux  jours,  dit  l'An- 
glais; vous  en  aurez  quatre.  »  Il  prit  des  otages,  pour 
être  sûr  qu'ils  tiendraient  leur  parole.  Il  fit  bien,  car 
le  secours  n'étant  pas  venu  au  jour  dit,  la  garnison 
eût  voulu  se  battre  encore.  Quelques-uns  même,  plutôt 
que  de  se  rendre,  se  réfugièrent  dans  les  tours  de  la 
côte,  et  là  ils  tinrent  dix  jours  de  plus. 

Le  siège  avait  duré  un  mois.  Mais  ce  mois  avait  été 
plus  meurtrier  que  toute  l'année  qu'Edouard  III  resta 
campé  devant  Calais.  Les  gens  d'Harfleur  avaient, 
comme  ceux  de  Calais,  tout  à  craindre  des  vainqueurs. 
Un  prêtre  anglais  qui  suivait  l'expédition  nous  apprend, 
avec  une  satisfaction  visible,  par  quels  délais  on  pro- 
longea l'inquiétude  et  l'humiliation  de  ces  braves 
gens  :  «  On  les  amena  dans  une  tente,  et  ils  se  mirent 
à  genoux,  mais  ils  ne  virent  pas  le  roi;  puis  dans  une 
tente  où  ils  s'agenouillèrent  longtemps,  mais  ils  ne 


246  HISTOIRE    DE    FRANCE 

virent  pas  le  roi.  En  troisième  lieu,  on  les  introduisit 
dans  une  tente  intérieure,  et  le  roi  ne  se  montra  pas 
encore.  Enfin,  on  les  conduisit  au  lieu  où  le  roi 
siégeait.  Là  ils  furent  longtemps  à  genoux,  et  notre 
roi  ne  leur  accorda  pas  un  regard,  sinon  lorsqu'ils 
eurent  été  très  longtemps  agenouillés.  Alors  le  roi 
les  regarda,  et  fit  signe  au  comte  de  Dorset  de  rece- 
voir les  clefs  de  la  ville.  Les  Français  furent  relevés 
et  rassurés1.  » 

Le  roi  d'Angleterre,  avec  ses  capitaines,  son  clergé, 
son  armée,  fit  son  entrée  dans  la  ville.  A  la  porte,  il 
descendit  de  cheval  et  se  fit  oter  sa  chaussure;  il 
alla,  pieds  nus,  à  l'église  paroissiale  «  regrâcier  son 
Créateur  de  sa  bonne  fortune  ».  La  ville  n'en  fut  pas 
mieux  traitée  ;  une  bonne  partie  des  bourgeois  furent 
mis  à  rançon  tout  comme  les  gens  de  guerre;  tous 
les  habitants  furent  chassés  de  la  ville,  les  femmes 
même  et  les  enfants  ;  on  leur  laissa  cinq  sols  et  leurs 
jupes2. 

Les  vainqueurs,  au  bout  de  cette  guerre  de  cinq 
semaines,  étaient  déjà  bien  découragés.  Des  trente 
mille  hommes  qui  étaient  partis,  il  en  restait  vingt 
mille;  et  il  en  fallut  renvoyer  encore  cinq  mille,  qui 
étaient  blessés,  malades  ou  trop  fatigués.  Mais,  quoi- 
que la  prise  d'Harfleur  fût  un  grand  et  important  résul- 
tat, le  roi,  qui  l'avait  achetée  par  la  perte  de  tant  de 
soldats,  de  tant  de  personnages  éminents,  ne  pouvait 
se  présenter  devant  le  pays  en  deuil,  s'il  ne  relevait 

1.  App.  165.  —  App.  166. 


L'ANGLETERRE.   —  AZINCOURT  2i7 

les  esprits  par  quelque  chose  de  chevaleresque  et  de 
hardi.  D'abord  il  défia  le  dauphin  à  combattre  corps  à 
corps.  Puis,  pour  constater  que  la  France  n'osait  com- 
battre, il  déclara  que  d'Harfleur  il  irait,  à  travers 
champs,  jusqu'à  la  ville  de  Calais1. 

La  chose  était  hardie,  elle  n'était  pas  téméraire.  On 
connaissait  les  divisions  de  la  noblesse  française,  les 
défiances  qui  l'empêchaient  de  se  réunir  en  armes.  Si 
elle  n'était  pas  venue  à  temps,  pendant  tout  un  grand 
mois,  pour  défendre  le  poste  qui  couvrait  la  Seine  et 
tout  le  royaume,  il  y  avait  à  parier  qu'elle  laisserait 
bien  aux  Anglais  les  huit  jours  qu'il  leur  fallait  pour 
arriver  à  Calais  selon  le  calcul  d'Henri. 

Il  lui  restait  deux  mille  hommes  d'armes,  treize 
mille  archers,  une  armée  leste,  robuste  ;  c'étaient 
ceux  qui  avaient  résisté.  Il  leur  fit  prendre  des  vivres 
pour  huit  jours.  D'ailleurs,  une  fois  sorti  de  Nor- 
mandie, il  y  avait  à  parier  que  les  capitaines  du  duc 
de  Bourgogne  en  Picardie,  en  Artois,  aideraient  à 
nourrir  cette  armée,  ce  qui  arriva.  C'était  le  mois 
d'octobre,  les  vendanges  se  faisaient  ;  le  vin  ne  man- 
querait pas  ;  avec  du  vin,  le  soldat  anglais  pouvait 
aller  au  bout  du  monde. 

L'essentiel  était  de  ne  pas  soulever  les  populations 
sur  sa  route,  de  ne  pas  armer  les  paysans  par  des 
désordres.  Le  roi  fit  exécuter  à  la  lettre  les  belles 
ordonnances  de  Richard  II  sur  la  discipline2  :  Défense 
du  viol  et  du  pillage  d'église,  sous  peine  de  la  potence; 

1.  App.  167. 

2.  Règlement  de  1386.  Voy.  Sir  Nicolas. 


248  HISTOIRE    DE    FRANCE 

défense  de  crier  havoc  (pille!),  sous  peine  d'avoir  la 
tête  coupée  ;  même  peine  contre  celui  qui  vole  un 
marchand  ou  vivandier  ;  obéir  au  capitaine,  loger  au 
logis  marqué,  sous  peine  d'être  emprisonné  et  de 
perdre  son  cheval,  etc. 

L'armée  anglaise  partit  d'Harfleur  le  8  octobre.  Elle 
traversa  le  pays  de  Caux.  Tout  était  hostile.  Arques 
tira  sur  les  Anglais  ;  mais  quand  ils  eurent  fait  la 
menace  de  brûler  tout  le  voisinage,  la  ville  fournit 
la  seule  chose  qu'on  lui  demandait,  du  pain  et  du 
vin.  Eu  fit  une  furieuse  sortie  ;'  même  menace,  même 
concession  ;  du  pain,  du  vin,  rien  de  plus. 

Sortis  enfin  de  la  Normandie,  les  Anglais  arrivèrent 
le  13  à  Abbeville,  comptant  passer  la  Somme  à  la 
Blanche-Tache,  au  lieu  même  où  Edouard  III  avait 
forcé  le  passage  avant  la  bataille  de  Gréci.  Henri  Y 
apprit  que  le  gué  était  gardé.  Des  bruits  terribles 
circulaient  sur  la  prodigieuse  armée  que.  les  Français 
rassemblaient  ;  le  défi  chevaleresque  du  roi  d'Angle- 
terre avait  provoqué  la  furie  française1  ;  le  duc  de 
Lorraine,  à  lui  seul,  amenait,  disait-on,  cinquante 
mille  hommes2.  Le  fait  est  que,  quelque  diligence  que 
mît  la  noblesse,  celle  surtout  du  parti  d'Orléans,  à  se 
rassembler,  elle  était  loin  de  l'être  encore.  On  crut 
utile   de  tromper  Henri  Y,  de  lui  persuader  que  le 


1.  La  noblesse  était  animée  par  la  honte  d'avoir  laissé  prendre  Harfleur. 
Le  Religieux  exprime  ici  avec  une  extrême  amertume  le  sentiment  national  : 
«  La  noblesse,  dit-il,  en  fut  moquée,  sifflée,  chansonnée  tout  le  jour  chez  les 
nations  étrangères.  Avoir  sans  résistance  laissé  le  royaume  perdre  son  meilleur 
et  son  plus  utile  port,  avoir  laissé  prendre  honteusement  ceux,  qui  s'étaient  si 
bien  défendus!  »  —  2.  App.  168. 


L'ANGLETERRE.  —  AZINCOURT  249 

passage  était  impossible.  Les  Français  ne  craignaient 
rien  tant  que  de  le  voir  échapper  impunément.  Un 
Gascon,  qui  appartenait  au  connétable  d'Albret,  fut 
pris,  peut-être  se  fît  prendre;  mené  au  roi  d'Angle- 
terre, il  affirma  que  le  passage  était  gardé  et  infran- 
chissable. «  S'il  n'en  est  ainsi,  dit-il,  coupez-moi  la 
tète.  »  On  croit  lire  la  scène  où  le  Gascon  Montluc 
entraîna  le  roi  et  le  conseil,  et  le  décida  à  permettre 
la  bataille  de  Gérisoles. 

Retourner  à  travers  les  populations  hostiles  de  la 
Normandie,  c'était  une  honte,  un  danger;  forcer  le 
passage  du  gué  était  difficile,  mais  peut-être  encore 
possible.  Lefebvre  de  Saint-Remy  dit  lui-même  que 
les  Français  étaient  loin  d'être  prêts.  Le  troisième 
parti,  c'était  de  s'engager  dans  les  terres,  en  remon- 
tant la  Somme  jusqu'à  ce  qu'on  trouvât  un  passage. 
Ce  parti  eût  été  le  plus  hasardeux  des  trois,  si  les 
Anglais  n'eussent  eu  intelligence  dans  le  pays.  Mais  il 
ne  faut  pas  perdre  de  vue  que,  depuis  1406,  la  Picardie 
était  sous  l'influence  du  duc  de  Rourgogne  ;  qu'il  y 
avait  nombre  de  vassaux,  que  les  capitaines  des  villes 
devaient  craindre  de  lui  déplaire,  et  qu'il  venait  de 
leur  défendre  d'armer  contre  les  Anglais.  Ceux-ci, 
venus  sur  les  vaisseaux  de  Hollande  et  de  Zélande, 
avaient  dans  leurs  rangs  des  gens  du  Hainaut  ;  des 
Picards  s'y  joignirent,  et  peut-être  les  guidèrent1. 

L'armée,  peu  instruite  des  facilités  qu'elle  trouve- 
rait dans  cette  entreprise  si  téméraire  en  apparence, 

1.  App.  169. 


250  HISTOIRE    DE    FRANCE 

s'éloigna  de  la  mer  avec  inquiétude.  Les  Anglais 
étaient  partis  le  9  d'Harfleur  ;  le  13,  ils  commencèrent 
à  remonter  la  Somme.  Le  14,  ils  envoyèrent  un  déta- 
chement pour  essayer  le  passage  de  Pont-de-Remy  ; 
mais  ce  détachement  fut  repoussé;  le  15,  ils  trou- 
vèrent que  le  passage  de  Pont-Àudemer  était  gardé 
aussi.  Huit  jours  étaient  écoulés  au  17,  depuis  le 
départ  d'Harfleur,  mais  au  lieu  d'être  à  Calais,  ils  se 
trouvaient  près  d'Amiens.  Les  plus  fermes  commen- 
çaient à  porter  la  tête  basse  ;  ils  se  recommandaient 
de  tout  leur  cœur  à  saint  Georges  et  à  la  sainte  Vierge. 
Après  tout,  les  vivres  ne  manquaient  pas.  Ils  trou- 
vaient à  chaque  station  du  pain  et  du  vin  ;  à  Boves, 
qui  était  au  duc  de  Bourgogne,  le  vin  les  attendait 
en  telle  quantité  que  le  roi  craignit  qu'ils  ne  s'eni- 
vrassent. 

Près  de  Nesles,  les  paysans  refusèrent  les  vivres  et 
s'enfuirent.  La  Providence  secourut  encore  les  Anglais. 
Un  homme  du  pays  vint  dire1  qu'en  traversant  un 
marais,  ils  trouveraient  un  gué  clans  la  rivière.  C'était 
un  passage  long,  dangereux,  auquel  on  ne  passait 
guère.  Le  roi  avait  ordonné  au  capitaine  de  Saint- 
Quentin  de  détruire  le  gué,  et  même  d'y  planter  des 
pieux,  mais  il  n'en  avait  rien  fait. 

Les  Anglais  ne  perdirent  pas  un  moment.  Pour 
faciliter  le  passage,  ils  abattirent  les  maisons  voisines, 
jetèrent  sur  l'eau  des  portes,  des  fenêtres,  des  échelles, 
tout  ce  qu'ils  trouvaient.  Il  leur  fallut  tout  un  jour;  les 

1.  App.  170. 


L'ANGLETERRE.   —  AZINCOURT  251 

Français  avaient  une  belle  occasion  de  les  attaquer 
dans  ce  long  passage. 

Ce  fut  seulement  le  lendemain,  dimanche  20  octobre, 
que  le  roi  d'Angleterre  reçut  enfin  le  défi  du  duc 
d'Orléans,  du  duc  de  Bourbon  et  du  connétable  d'Al- 
bret.  Ces  princes  n'avaient  pas  perdu  de  temps,  mais 
ils  avaient  trouvé  tous  les  obstacles  que  pouvait  ren- 
contrer un  parti  qui  se  portait  seul  pour  défenseur 
du  royaume.  En  un  mois,  ils  avaient  entraîné  jusqu'à 
Àbbeville  toute  la  noblesse  du  Midi,  du  Centre.  Ils 
avaient  forcé  l'indécision  du  conseil  royal  et  les  peurs 
du  duc  de  Berri.  Ce  vieux  duc  voulait  d'abord  que  les 
partis  d'Orléans  et  de  Bourgogne  envoyassent  chacun 
cinq  cents  lances  seulement1  ;  mais  ceux  d'Orléans 
vinrent  tous.  Ensuite  se  souvenant  de  Poitiers,  où  il 
s'était  sauvé  jadis,  il  voulait  qu'on  évitât  la  bataille, 
que  du  moins  le  roi  et  le  dauphin  se  gardassent  bien 
d'y  aller.  Il  obtint  ce  dernier  point;  mais  la  bataille 
fut  décidée.  Sur  trente-cinq  conseillers,  il  s'en  trouva 
cinq  contre,  trente  pour.  C'était  au  fond  le  sentiment 
national;  il  fallait,  dût-on  être  battu,  faire  preuve  de 
cœur,  ne  pas  laisser  l'Anglais  s'en  aller  rire  à  nos 
dépens  après  cette  longue  promenade.  Nombre  de 
gentilshommes  des  Pays-Bas  voulurent  nous  servir  de 
seconds  dans  ce  grand  duel.  Ceux  du  Hainaut,  da 
Brabant,  de  Zélande,  de  Hollande  même  si  éloignés, 
et  que  la  chose  ne  touchait  en  rien,  vinrent  combattre 
dans  nos  rangs,  malgré  le  duc  de  Bourgogne. 

1.  App.  171. 


252  HISTOIRE    DE    FRANCE 

D'Abbeville,  l'armée  des  princes  avait  de  son  côté 
remonté  la  Somme  jusqu'à  Péronne,  pour  disputer  le 
passage.  Sachant  qu'Henri  était  passé,  ils  lui  envoyèrent 
demander,  selon  les  us  de  la  chevalerie,  jour  et  lieu 
pour  la  bataille,  et  quelle  route  il  voulait  tenir.  L'An- 
glais répondit,  avec  une  simplicité  digne,  qu'il  allait 
droit  à  Calais,  qu'il  n'entrait  dans  aucune  ville, 
qu'ainsi  on  le  trouverait  toujours  en  plein  champ,  à  la 
grâce  de  Dieu.  A  quoi  il  ajouta  :  «  Nous  engageons  nos 
ennemis  à  ne  pas  nous  fermer  la  route  et  à  éviter 
l'effusion  du  sang  chrétien.  » 

De  l'autre  côté  de  la  Somme,  les  Anglais  se  virent 
vraiment  en  pays  ennemi.  Le  pain  manqua  ;  ils  ne 
mangèrent  pendant  huit  jours  que  de  la  viande,  des 
œufs,  du  beurre,  enfin  ce  qu'ils  purent  trouver.  Les 
princes  avaient  dévasté  la  campagne,  rompu  les 
routes.  L'armée  anglaise  fut  obligée,  pour  les  loge- 
ments, de  se  diviser  entre  plusieurs  villages.  C'était 
encore  une  occasion  pour  les  Français  :  ils  n'en  pro- 
fitèrent pas.  Préoccupés  uniquement  de  faire  une 
belle  bataille,  ils  laissaient  l'ennemi  venir  tout  à  son 
aise.  Ils  s'assemblaient  plus  loin,  près  du  château 
d'Azincourt,  dans  un  lieu  où  la  route  de  Calais  se 
resserrant  entre  Azincourt  el  Tramecourt,  le  roi  serait 
obligé,  pour  passer,  de  livrer  bataille. 

Le  jeudi  24  octobre,  les  Anglais  ayant  passé  Blangy  * 
apprirent  que  les  Français  étaient  tout  près  et  crurent 

1.  «  Comme  il  fut  dit  au  roy  d'Angleterre  que  il  avoit  passé  son  logis,  il 
s'arrêta  et  dit  :  «  Jà  Dieu  ne  plaise,  entendu  que  j'ai  la  cotte  d'armes  vestue, 
«  que  je  dois  retourner  arrière.  »  Et  passa  outre  ».  (Lefebvre.) 


L'ANGLETERRE.   —  AZINCOURT  253 

qu'ils  allaient  attaquer.  Les  gens  d'armes  descen- 
dirent de  cheval,  et  tous,  se  mettant  à  genoux,  levant 
les  mains  au  ciel,  prièrent  Dieu  de  les  prendre  en  sa 
garde.  Cependant  il  n'y  eut  rien  encore  ;  le  connétable 
n'était  pas  arrivé  à  l'armée  française.  Les  Anglais 
allèrent  loger  à  Maisoncelle,  se  rapprochant  d'Azin- 
court.  Henri  Y  se  débarrassa  de  ses  prisonniers.  «  Si 
vos  maîtres  survivent,  dit-il,  vous  vous  représenterez 
à  Calais.  » 

Enfin  ils  découvrirent  l'immense  armée  française, 
ses  feux,  ses  bannières.  Il  y  avait,  au  jugement  du 
témoin  oculaire,  quatorze  mille  hommes  d'armes,  en 
tout  peut-être  cinquante  mille  hommes  ;  trois  fois  plus 
que  n'en  comptaient  les  Anglais1.  Ceux-ci  avaient 
onze  ou  douze  mille  hommes,  de  quinze  mille  qu'ils 
avaient  emmenés  d'Harfleur  ;  dix  mille  au  moins,  sur 
ce  nombre,  étaient  des  archers. 

Le  premier  qui  vint  avertir  le  roi,  le  Gallois2  David 
Gam,  comme  on  lui  demandait  ce  que  les  Français 
pouvaient  avoir  d'hommes,  répondit  avec  le  ton  léger 
et  vantard  des  Gallois  :  «  Assez  pour  être  tués,  assez 
pour  être  pris,  assez  pour  fuir3.  »  Un  Anglais,  sir 
Walter  Hungerford,  ne  put  s'empêcher  d'observer 
qu'il  n'eût  pas  été  inutile  de  faire  venir  dix  mille 
bons  archers  de  plus  ;  il  y  en  avait  tant  en  Angleterre 
qui  n'auraient  pas  mieux  demandé.  Mais  le  roi  dit 
sévèrement  :  «  Par  le  nom  de  Notre-Seigneur,  je  ne 

1.  App.  172. 

2.  Henri  avait  des  Gallois  et  des  Portugais.  On  a  vu  déjà  qu'il  avait  des 
gens  du  Hainaut.  —  3.  Powel.  Turner. 


254  HISTOIRE    DE    FRANCE 

voudrais  pas  un  homme  de  plus.  Le  nombre  que 
nous  avons,  c'est  le  nombre  qu'il  a  voulu;  ces  gens 
placent  leur  confiance  dans  leur  multitude,  et  moi  dans 
Celui  qui  fit  vaincre  si  souvent  Judas  Macchabée.  » 

Les  Anglais,  ayant  encore  une  nuit  à  eux,  l'em- 
ployèrent utilement  à  se  préparer,  à  soigner  l'âme  et 
le  corps,  autant  qu'il  se  pouvait.  D'abord  ils  roulèrent 
les  bannières,  de  peur  de  la  pluie,  mirent  bas  et 
plièrent  les  belles  cottes  d'armes  qu'ils  avaient  endos- 
sées pour  combattre.  Puis,  afin  de  passer  conforta- 
blement cette  froide  nuit  d'octobre,  ils  ouvrirent  leurs 
malles  et  mirent  sous  eux  de  la  paille  qu'ils  envoyaient 
chercher  aux  villages  voisins.  Les  hommes  d'armes 
remettaient  des  aiguilleltes  à  leurs  armures,  les 
archers  des  cordes  neuves  aux  arcs.  Ils  avaient  depuis 
plusieurs  jours  taillé,  aiguisé  les  pieux  qu'ils  plantaient 
ordinairement  devant  eux  pour  arrêter  la  gendarmerie. 
Tout  en  préparant  la  victoire,  ces  braves  gens  son- 
geaient au  salut  ;  ils  se  mettaient  en  règle  du  côté  de 
Dieu  et  de  la  conscience.  Ils  se  confessaient  à  la  hâte, 
ceux  du  moins  que  les  prêtres  pouvaient  expédier. 
Tout  cela  se  faisait  sans  bruit,  tout  bas.  Le  roi  avait 
ordonné  le  silence,  sous  peine,  pour  les  gentlemen, 
de  perdre  leur  cheval,  et  pour  les  autres  l'oreille  droite. 

Du  côté  des  Français,  c'était  autre  chose.  On  s'oc- 
cupait à  faire  des  chevaliers.  Partout  de  grands  feux 
qui  montraient  tout  à  l'ennemi;  un  bruit  confus  de 
gens  qui  criaient,  s'appelaient,  un  vacarme  de  valets 
et  de  pages.  Beaucoup  de  gentilshommes  passèrent  la 
nuit  dans  leurs  lourdes  armures,  à  cheval,  sans  doute 


L'ANGLETERRE.  —  AZINCOURT  255 

pour  ne  pas  les  salir  dans  la  boue  ;  boue  profonde, 
pluie  froide  ;  ils  étaient  morfondus.  Encore,  s'il  y  avait 
eu  de  la  musique  * . . .  Les  chevaux  même  étaient  tristes  ; 
pas  un  ne  hennissait...  A  ce  fâcheux  augure,  joignez 
les  souvenirs  ;  Azincourt  n'est  pas  loin  de  Créci. 

Le  matin  du  25  octobre  1415,  jour  de  saint  Grépin 
et  saint  Grépinien,  le  roi  d'Angleterre  entendit,  selon 
sa  coutume,  trois  messes2,  tout  armé,  tête  nue.  Puis 
il  se  fit  mettre  en  tête  un  magnifique  bassinet  où  se 
trouvait  une  couronne  d'or,  cerclée,  fermée,  impé- 
riale. Il  monta  un  petit  cheval  gris,  sans  éperons,  fît 
avancer  son  armée  sur  un  champ  de  jeunes  blés  verts, 
où  le  terrain  était  moins  défoncé  par  la  pluie,  toute 
l'armée  en  un  corps,  au  centre  les  quelques  lances 
qu'il  avait,  flanquées  de  masses  d'archers  ;  puis  il  alla 
tout  le  long  au  pas,  disant  quelques  paroles  brèves  : 
«  Vous  avez  bonne  cause,  je  ne  suis  venu  que  pour 
demander  mon  droit...  Souvenez-vous  que  vous  êtes 
de  la  vieille  Angleterre  ;  que  vos  parents,  vos  femmes 
et  vos  enfants  vous  attendent  là-bas  ;  il  faut  avoir  un 
beau  retour.  Les  rois  d'Angleterre  ont  toujours  fait  de 
belle  besogne  en  France...  Gardez  l'honneur  de  la 
Couronne;  gardez-vous  vous-mêmes.  Les  Français 
disent  qu'ils  feront  couper  trois  doigts  de  la  main  à 
tous  les  archers.  » 

Le  terrain  était  en  si  mauvais  état  que  personne  ne 
se  souciait   d'attaquer.  Le  roi  d'Angleterre  fit  parler 


1.  Lefebvre  de  Saint-Remy. 

2.  «  Car  il  avoit  coustume  d'en  oyr  chascun  jour,  trois  l'une  après  l'autre.  » 
(Jehan  de  Vaurin,  ms.) 


256  HISTOIRE    DE    FRANCE 

aux  Français.  Il  offrait  de  renoncer  au  titre  de  roi  de 
France  et  de  rendre  Harfleur,  pourvu  qu'on  lui  donnât 
la  Guyenne,  un  peu  arrondie,  le  Ponthieu,  une  fille  du 
roi  et  huit  cent  mille  écus.  Ce  parlementage  entre  les 
deux  armées  ne  diminua  pas,  comme  on  eût  pu  le 
croire,  la  fermeté  anglaise  ;  pendant  ce  temps,  les 
archers  assuraient  leurs  pieux. 

Les  deux  armées  faisaient  un  étrange  contraste.  Du 
côté  des  Français,  trois  escadrons  énormes,  comme 
trois  forêts  de  lances,  qui,  dans  cette  plaine  étroite, 
se  succédaient  à  la  file  et  s'étiraient  en  profondeur  ; 
au  front,  le  connétable,  les  princes,  les  ducs  d'Or- 
léans, de  Bar  et  d'Alençon,  les  comtes  de  Nevers, 
d'Eu,  de  Richemont,  de  Vendôme,  une  foule  de  sei- 
gneurs, une  iris  éblouissante  d'armures  émaillées, 
d'écussons,  de  bannières,  les  chevaux  bizarrement 
déguisés  dans  l'acier  et  dans  l'or.  Les  Français  avaient 
aussi  des  archers,  des  gens  des  communes1:  mais  où 
les  mettre?  Les  places  étaient  comptées,  personne 
n'eût  donné  la  sienne2;  ces  gens  auraient  fait  tache 


1.  Quatre  mille  archers,  sans  compter  de  nombreuses  milices.  Les  Parisiens 
avaient  offert  six  mille  hommes  armés;  on  n'en  voulut  pas.  Un  chevalier  dit 
à  cette  occasion  :  «  Qu'avons-nous  besoin  de  ces  ouvriers?  nous  sommes  déjà 
trois  fois  plus  nombreux  que  les  Anglais.  »  Le  Religieux  remarque  qu'on  fit 
la  même  faute  à  Courtrai,  à  Poitiers  et  à  Nicopolis,  et  il  ajoute  des  réflexions 
hardies  pour  le  temps. 

2.  Tous,  dit  le  Religieux,  voulaient  être  à  l'avant-garde  :  «  Cum  singuli 
anti - guardiam  poscerent  conduccndam...  essetque  inde  exorta  verbalis 
controversia,  tandem  tamen  unanimiter  (proh  dolor!)  concluserunt  ut  omnes 
in  prima  fronte  locarentur,  »  —  C'est  ainsi  que  le  grand-père  de  Mirabeau 
nous  apprend  qu'au  pont  de  Cassano  les  officiers  furent  au  moment  de  tirer 
l'épée  les  uns  contre  les  autres,  tous  voulant  être  les  premiers  au  combat. 
(Mémoires  des  Mirabeau.) 


L'ANGLETERRE.  —  AZINCOURT  257 

en  si  noble  assemblée.  Il  y  avait  des  canons,  mais  il 
ne  paraît  pas  qu'on  s'en  soit  servi  ;  probablement  il 
n'y  eut  pas  non  plus  de  place  pour  eux. 

L'armée  anglaise  n'était  pas  belle.  Les  archers 
n'avaient  pas  d'armure,  souvent  pas  de  souliers;  ils 
étaient  pauvrement  coiffés  de  cuir  bouilli,  d'osier  même 
avec  une  croisure  de  fer  ;  les  cognées  et  les  haches, 
pendues  à  leur  ceinture,  leur  donnaient  un  air  de 
charpentiers.  Plusieurs  de  ces  bons  ouvriers  avaient 
baissé  leurs  chausses,  pour  être  à  l'aise  et  bien  tra- 
vailler, pour  bander  l'arc  d'abord1,  puis  pour  manier 
la  hache,  quand  ils  pourraient  sortir  de  leur  enceinte 
de  pieux,  et  charpenter  ces  masses  immobiles. 

Un  fait  bizarre,  incroyable,  et  pourtant  certain,  c'est 
qu'en  effet  l'armée  française  ne  put  bouger,  ni  pour 
combattre,  ni  pour  fuir.  L'arrière-garde  seule  échappa. 

Au  moment  décisif,  lorsque  le  vieux  Thomas  de 
Herpinghem,  ayant  rangé  l'armée  anglaise,  jeta  son 
bâton  en  l'air  en  disant  :  «  Now  strike2!  »,  lorsque  les 
Anglais  eurent  répondu  par  un  formidable  cri  de 
dix  mille  hommes,  l'armée  française  resta  encore 
immobile  à  leur  grand  étonnement.  Chevaux  et  cheva- 
liers, tous  parurent  enchantés,  ou  morts  dans  leurs 
armures.  Dans  la  réalité,  c'est  que  ces  grands  chevaux 
de  combat,  sous  la  charge  de  leur  pesant  cavalier,  de 


1.  Les  archers  anglais  poussaient  l'arc  avec  le  bras  gauche,  ceux  de  France 
tiraient  la  corde  avec  le  bras  droit;  chez  ceux-ci  c'était  le  bras  gauche,  chez 
ceux-là  le  bras  droit  qui  restait  immobile.  M.  Gilpin  attribue  à  cette  différence 
de  procédé  celle  d'expression  dans  les  deux  langues  :  tirer  de  l'arc,  en 
français;  bander  l'arc,  en  anglais. 

2.  «  Maintenant,  frappe!  »  (Monstrelet.) 

T.   IV.  17 


258  HISTOIRE    DE    FRANCE 

leur  vaste  caparaçon  de  fer,  s'étaient  profondément 
enfoncés  des  quatre  pieds  dans  les  terres  fortes  ;  ils  y 
étaient  parfaitement  établis,  et  ils  ne  s'en  dépêtrèrent 
que  pour  avancer  quelque  peu  au  pas. 

Tel  est  l'aveu  des  historiens  clu  parti  anglais,  aveu 
modeste  qui  fait  honneur  à  leur  probité. 

Lefebvre,  Jean  de  Vaurin  et  Walsingham1  disent 
expressément  que  le  champ  n'était  qu'une  boue 
visqueuse.  «  La  place  estoit  molle  et  effondrée  des 
chevaux,  en  telle  manière  que  à  grant  peine  se  pou- 
voient  ravoir  hors  de  la  terre,  tant  elle  estoit  molle.  » 

«  D'autre  part,  dit  encore  Lefebvre,  les  Franchois 
estoient  si  chargés  de  harnois  qu'ils  ne  pouvoient 
aller  avant.  Premièrement,  estoient  chargés  de  cottes 
d'acier,  longues,  passants  les  genoux  et  moult  pesantes, 
et  pardessous  harnois  de  jambes,  et  pardessus  blancs 
harnois,  et  de  plus  bachinets  de  caruail...  Ils  étoient 
si  pressés  l'un  de  l'autre,  qu'ils  ne  pouvoient  lever 
leurs  bras  pour  férir  les  ennemis,  sinon  aucuns  qui 
estoient  au  front.  » 

Un  autre  historien  clu  parti  anglais  nous  apprend 
que  les  Français  étaient  rangés  sur  une  profondeur  de 
trente-deux  hommes,  tandis  que  les  Anglais  n'avaient 
que  quatre  rangs2.  Cette  profondeur  énorme  des 
Français  ne  leur  servait  à  rien;  leurs  trente-deux 
rangs  étaient  tous,  ou  presque  tous,  de  cavaliers  ;  la 
plupart,  loin  de  pouvoir  agir,  ne  voyaient  même  pas 

1.  Les  fantassins  même  avaient  peine  à  marcher  :  «  Propter  soli  mollitiem... 
per  campum  lutosum.  »  (Walsingham.) 

2.  Titus  Livius. 


L'ANGLETERRE.  —  ÀZINCOURT  259 

l'action;  les  Anglais  agirent  tous.  Des  cinquante  mille 
Français,  deux  ou  trois  mille  seulement  purent  com- 
battre les  onze  mille  Anglais,  ou  du  moins  l'auraient 
pu,  si  leurs  chevaux  s'étaient  tirés  de  la  boue. 

Les  archers  anglais,  pour  réveiller  ces  inertes 
masses,  leur  dardèrent,  avec  une  extrême  roideur, 
dix  mille  traits  au  visage.  Les  cavaliers  de  fer  baissè- 
rent la  tète,  autrement  les  traits  auraient  pénétré  par 
les  visières  des  casques.  Alors  des  deux  ailes,  de 
Tramecourt,  d'Azincourt,  s'ébranlèrent  lourdement  à 
grand  renfort  d'éperons,  deux  escadrons  français  ;  ils 
étaient  conduits  par  deux  excellents  hommes  d'armes, 
messire  Glignet  cle  Brabant,  et  messire  Guillaume  de 
Saveuse.  Le  premier  escadron,  venant  de  Tramecourt, 
fut  inopinément  criblé  en  flanc  par  un  corps  d'archers 
cachés  clans  le  bois1;  ni  l'un  ni  l'autre  escadron 
n'arriva. 

De  douze  cents  hommes  qui  exécutaient  cette  charge, 
il  n'y  en  avait  plus  cent  vingt,  quand  ils  vinrent  heur- 
ter aux  pieux  des  Anglais.  La  plupart  avaient  chu  en 
route,  hommes  et  chevaux,  en  pleine  boue.  Et  plût  au 
ciel  que  tous  eussent  tombé  ;  mais  les  autres,  dont  les 
chevaux  étaient  blessés,  ne  purent  plus  gouverner 
ces  bêtes  furieuses,  qui  revinrent  se  ruer  sur  les  rangs 
français.  L'avant-garde,  bien  loin  cle  pouvoir  s'ouvrir 
pour  les  laisser  passer,  était,  comme  on  l'a  vu,  serrée 
à  ne  pas  se  mouvoir.  On  peut  juger  des  accidents 

1.  Monstrelct.  —  Quelques-uns  disaient  aussi  que  le  roi  d'Angleterre  avait 
envoyé  des  archers  derrière  l'armée  française;  mais  les  témoins  oculaires 
affirment  le  contraire. 


260  HISTOIRE    DE    FRANCE 

terribles  qui  eurent  lieu  dans  cette  masse  compacte, 
les  chevaux  s'effrayant,  reculant,  s'étouffant,  jetant 
leurs  cavaliers,  ou  les  froissant  dans  leurs  armures 
entre  le  fer  et  le  fer. 

Alors  survinrent  les  Anglais.  Laissant  leur  enceinte 
de  pieux,  jetant  arcs  et  flèches,  ils  vinrent,  fort  à  leur 
aise,  avec  les  haches,  les  cognées,  les  lourdes  épées 
et  les  massues  plombées1,  démolir  cette  montagne 
d'hommes  et  de  chevaux  confondus.  Avec  le  temps,  ils 
vinrent  à  bout  de  nettoyer  l'avant-garde,  et  entrèrent, 
leur  roi  en  tête,  dans  la  seconde  bataille. 

C'est  peut-être  à  ce  moment  que  dix-huit  gentils- 
hommes français  seraient  venus  fondre  sur  le  roi 
d'Angleterre.  Ils  avaient  fait  vœu,  clit-on,  de  mourir 
ou  de  lui  abattre  sa  couronne  ;  un  d'eux  en  détacha  un 
fleuron;  tous  y  périrent.  Cet  on  dit  ne  suffit  pas  aux 
historiens  ;  ils  l'ornent  encore,  ils  en  font  une  scène 
homérique  où  le  roi  combat  sur  le  corps  de  son  frère 
blessé,  comme  Achille  sur  celui  de  Patrocle.  Puis, 
c'est  le  duc  d'Alençon,  commandant  de  V armée  fran- 
çaise, qui  tue  le  duc  d'York  et  fend  la  couronne  du 
roi.  Bientôt  entouré,  il  se  rend;  Henri  lui  tend  la 
main;  mais  déjà  il  était  tué2. 

Ce  qui  est  plus  certain,  c'est  qu'à  ce  second  moment 
de  la  bataille,  le  duc  de  Brabant  arrivait  en  hâte. 
C'était  le  propre  frère  du  duc  de  Bourgogne  ;  il  semble 
être  venu  là  pour  laver  l'honneur  de  la  famille.  Il  arri- 
vait bien  tard,  mais  encore  à  temps  pour  mourir.  Le 

1.  App.  173.  —  2.  App.  174. 


L'ANGLETERRE.  —  AZINCOURT  261 

brave  prince  avait  laissé  tous  les  siens  derrière  lui,  il 
n'avait  pas  même  vêtu  sa  cotte  d'armes  ;  au  défaut,  il 
prit  sa  bannière,  y  fit  un  trou,  y  passa  la  tête,  et  se 
jeta  à  travers  les  Anglais,  qui  le  tuèrent  au  moment 
même. 

Restait  l'arrière-garde,  qui  ne  tarda  pas  à  se  dissiper. 
Une  foule  de  cavaliers  français,  démontés,  mais  relevés 
par  les  valets,  s'étaient  tirés  de  la  bataille  et  rendus 
aux  Anglais.  En  ce  moment,  on  vient  dire  au  roi  qu'un 
corps  français  pille  ses  bagages,  et  d'autre  part  il  voit 
dans  l'arrière-garde  des  Bretons  ou  Gascons  qui 
faisaient  mine  de  revenir  sur  lui.  Il  eut  un  moment  de 
crainte,  surtout  voyant  les  siens  embarrassés  de  tant 
de  prisonniers  ;  il  ordonna  à  l'instant  que  chaque 
homme  eût  à  tuer  le  sien.  Pas  un  n'obéissait;  ces 
soldats,  sans  chausses  ni  souliers,  qui  se  voyaient  en 
main  les  plus  grands  seigneurs  de  France  et  croyaient 
avoir  fait  fortune,  on  leur  ordonnait  de  se  ruiner... 
Alors  le  roi  désigna  deux  cents  hommes  pour  servir  de 
bourreaux.  Ce  fut,  dit  l'historien,  un  spectacle  effroyable 
de  voir  ces  pauvres  gens  désarmés  à  qui  on  venait  de 
donner  parole,  et  qui,  de  sang-froid  furent  égorgés, 
décapités,  taillés  en  pièces!...  L'alarme  n'était  rien. 
C'étaient  des  pillards  du  voisinage,  des  gens  d'Azin- 
court,  qui,  malgré  le  duc  de  Bourgogne  leur  maître, 
avaient  profité  de  l'occasion;  il  les  en  punit  sévère- 
ment1, quoiqu'ils  eussent  tiré  du  butin  une  riche  épée 
pour  son  fils. 

1.  C'est  justement  de  l'historien  bourguignon  que  nous  tenons  ce   détail. 
(Monstrelet.) 


262  HISTOIRE    DE    FRANCE 

La  bataille  finie,  les  archers  se  hâtèrent  de  dépouil- 
ler les  morts,  tandis  qu'ils  étaient  encore  tièdes.  Beau- 
coup furent  tirés  vivants  de  dessous  les  cadavres, 
entre  autres  le  duc  d'Orléans.  Le  lendemain,  au 
départ,  le  vainqueur  prit  ou  tua  ce  qui  pouvait  rester 
en  vie1. 

«  C'était  pitoyable  chose  à  voir,  la  grant  noblesse 
qui  là  avoit  été  occise,  lesquels  étoient  desjà  tout  nucls 
comme  ceux  qui  naissent  de  niens.  »  Un  prêtre  anglais 
n'en  fut  pas  moins  touché.  «  Si  cette  vue,  dit-il,  exci- 
tait compassion  et  componction  en  nous  qui  étions 
étrangers  et  passant  par  le  pays,  quel  deuil  était-ce 
donc  pour  les  natifs  habitants  !  Ah  !  puisse  la  nation 
française  venir  à  paix  et  union  avec  l'anglaise, 
et  s'éloigner  de  ses  iniquités  et  de  ses  mauvaises 
voies!»  Puis  la  dureté  prévaut  sur  la  compassion,  et 
il  ajoute  :  «  En  attendant,  que  leur  faute  retombe  sur 
leur  tête2.  » 

Les  Anglais  avaient  perdu  seize  cents  hommes,  les 
Français  dix  mille,  presque  tous  gentilshommes,  cent 
vingt  seigneurs  ayant  bannière.  La  liste  occupe  six 
grandes  pages  dans  Monstrelet.  D'abord  sept  princes 
(Brabant,  Nevers,  Albret3,  Alençon,  les  trois  de  Bar), 
puis  des  seigneurs  sans  nombre,  Dampierre,  Yaude- 
mont,  Marie,  Roussy,  Salm,  Dammartin,  etc.,  etc.,  les 
baillis  du  Yermandois,  de  Mâcon,  de  Sens,  de  Sentis, 


1.  App.  175. 

2.  «  Let  his  grief  be  lurned  upon  his  head.  »  (Ms.,  Sir  Nicolas.) 

3.  Le  connétable  fut  très  heureux  en  cela;  sa  mort  répondit  à  ceux  qui 
l'accusaient  de  trahir.  App.  176. 


L'ANGLETERRE.  —  AZINCOURT  263 

de  Caen,  de  Meaux,  Lin  brave  archevêque,  celui  de 
Sens,  Montaigu,  qui  se  battit  comme  un  lion. 

Le  fils  du  duc  de  Bourgogne  fit  à  tous  les  morts  qui 
restaient  nus  sur  le  champ  de  bataille  la  charité  d'une 
fosse.  On  mesura  vingt-cinq  verges  carrées  de  terre, 
et  dans  cette  fosse  énorme  l'on  descendit  tous  ceux 
qui  n'avaient  pas  été  enlevés;  de  compte  fait,  cinq  mille 
huit  cents  hommes.  La  terre  fut  bénie,  et  autour  on 
planta  une  forte  haie  d'épines,  de  crainte  des  loups  *, 

Il  n'y  eut  que  quinze  cents  prisonniers,  les  vain- 
queurs ayant  tué,  comme  on  a  dit,  ce  qui  remuait 
encore.  Ces  prisonniers  n'étaient  rien  moins  que  les 
ducs  d'Orléans  et  de  Bourbon,  le  comte  d'Eu,  le  comte 
de  Vendôme,  le  comte  de  Richemont,  le  maréchal  de 
Boucicaut,  messire  Jacques  d'Harcourt,  messire  Jean 
de  Craon,  etc.  Ce  fut  toute  une  colonie  française 
transportée  en  Angleterre. 

Après  la  bataille  de  la  Meloria,  perdue  par  les  Pisans, 
on  disait  :  «  Voulez-vous  voir  Pise,  allez  à  Gênes.  » 
On  eût  pu  dire  après  Azincourt  :  «  Voulez-vous  voir 
la  France,  allez  à  Londres.  » 

Ces  prisonniers  étaient  entre  les  mains  des  soldats. 
Le  roi  fit  une  bonne  affaire  ;  il  les  acheta  à  bas  prix, 
et  en  tira  d'énormes  rançons2.  En  attendant  ils  furent 
tenus  de  très  près.  Henri  ne  se  piqua  point  d'imiter  la 
courtoisie  du  Prince  Noir. 

La  veuve  d'Henri  IV,  veuve  en  premières  noces  du 
duc  de  Bretagne,  eut  le  malheur  de  revoir  à  Londres 

1.  App.  177.  —  2.  Le  Religieux. 


26Î  HISTOIRE    DE    FRANCE 

son  fils  Arthur  prisonnier.  Dans  cette  triste  entrevue, 
elle  avait  mis  à  sa  place  une  dame  qu'Arthur  prit  pour 
sa  mère.  Le  cœur  maternel  en  fut  brisé.  «  Malheureux 
enfant,  dit-elle,  ne  me  reconnais-tu  donc  pas?  »  On  les 
sépara.  Le  roi  ne  permit  pas  cle  communication  entre 
la  mère  et  le  fils  *. 

Le  plus  dur  pour  les  prisonniers,  ce  fut  cle  subir  le 
sermon  de  ce  roi  des  prêtres2,  d'endurer  ses  moralités, 
ses  humilités.  Immédiatement  après  la  bataille,  parmi 
les  cadavres  et  les  blessés,  il  fit  venir  Montjoie,  le 
héraut  de  France,  et  dit  :  «  Ce  n'est  pas  nous  qui 
avons  fait  cette  occision,  c'est  Dieu,  pour  les  péchés 
des  Français.  »  Puis  il  demanda  gravement  à  qui  la 
victoire  devait  être  attribuée,  au  roi  de  France  ou  à 
lui?  «  A  vous,  monseigneur  »,  répondit  le  héraut  de 
France3. 

Prenant  ensuite  son  chemin  vers  Calais,  il  ordonna, 
dans  une  halte,  qu'on  envoyât  du  pain  et  du  vin  au 
duc  d'Orléans,  et,  comme  on  vint  lui  dire  que  le  prison- 
nier ne  prenait  rien,  il  y  alla,  et  lui  dit  :  «  Beau  cousin, 
comment  vous  va?  —  Bien,  monseigneur.  —  D'où 
vient  que  vous  ne  voulez  ni  boire  ni  manger?  —  Il  est 
vrai,  je  jeûne.  —  Beau  cousin,  ne  prenez  souci;  je 
sais  bien  que  si  Dieu  m'a  fait  la  grâce  de  gagner  la 
bataille  sur  les  Français,  ce  n'est  pas  que  j'en  sois 
digne  ;  mais  c'est,  je  le  crois  fermement,  qu'il  a  voulu 
les  punir.  Au  fait,  il  n'y  a  pas  à  s'en  étonner,  si  ce 
qu'on  m'en  raconte  est  vrai  ;  on  dit  que  jamais  il  ne 

1.  Mémoire  d'Arlus  III.  —  2.  «  Princeps  presbyterorum.  »  (Walsin- 
gham.)  —  3.  Monstrelet. 


L'ANGLETERRE.  —  AZ1NC0URT  265 

s'est  vu  tant  de  désordres,  de  voluptés,  de  péchés 
et  de  mauvais  vices  qu'on  en  voit  aujourd'hui  en 
France.  C'est  pitié  de  l'ouïr,  et  horreur  pour  les  écou- 
tants. Si  Dieu  en  est  courroucé  ce  n'est  pas  mer- 
veille *.  » 

Était-il  donc  bien  sûr  que  l'Angleterre  fut  chargée 
de  punir  la  France  ?  La  France  était-elle  si  complète- 
ment abandonnée  de  Dieu,  qu'il  lui  fallût  cette  disci- 
pline anglaise  et  ces  charitables  enseignements? 

Un  témoin  oculaire  dit  qu'un  moment  avant  la 
bataille  il  vit,  des  rangs  anglais,  un  touchant  spectacle 
dans  l'autre  armée.  Les  Français  de  tous  les  partis  se 
jetèrent  dans  les  bras  les  uns  des  autres  et  se  pardon- 
nèrent; ils  rompirent  le  pain  ensemble.  De  ce  moment, 
ajoute-t-il,  la  haine  se  changea  en  amour2. 

Je  ne  vois  point  que  les  Anglais  se  soient  réconci- 
liés3. Ils  se  confessèrent;  chacun  se  mit  en  règle, 
sans  s'inquiéter  des  autres. 

Cette  armée  anglaise  semble  avoir  été  une  honnête 
armée,  rangée,  régulière.  Ni  jeu,  ni  filles,  ni  jure- 
ments. On  voit  à  peine  vraiment  de  quoi  ils  se  confes- 
saient. 

Lesquels  moururent  en  meilleur  état?  Desquels 
aurions-nous  voulu  être?...  Le  fils  du  duc  de  Bour- 
gogne, Philippe-le-Bon,  que  son  père  empêcha  d'aller 
joindre  les  Français,  disait  encore  quarante  ans  après  : 


1.  Lefebvre  de  Saint-Remy.  —  2.  Idem. 

3.  Et  pourtant  il  s'en  fallait  bien  qu'ils  fussent  de  même  parti,  il  y  avait 
certainement  des  partisans  de  Mortimer  et  des  partisans  de  Lancastre,  des 
lollards  et  des  orthodoxes. 


266  HISTOIRE    DE    FRANCE 

«  Je  ne  me  console  point  de  n'avoir  pas  été  à  Azin- 
court,  pour  vivre  ou  mourir1.  » 

L'excellence  du  caractère  français,  qui  parut  si  bien 
à  cette  triste  bataille,  est  noblement  avouée  par  l'An- 
glais Walsingham  dans  une  autre  circonstance  : 
«  Lorsque  le  duc  de  Lancastre  envahit  la  Castille,  et 
que  ses  soldats  mouraient  de  faim,  ils  demandèrent 
un  sauf-conduit,  et  passèrent  dans  le  camp  des  Castil- 
lans, où  il  y  avait  beaucoup  de  Français  auxiliaires. 
Ceux-ci  furent  touchés  de  la  misère  des  Anglais  ;  ils 
les  traitèrent  avec  humanité  et  ils  les  nourrirent2.  »  Il 
n'y  a  rien  à  ajouter  à  un  tel  fait. 

J'y  ajouterais  pourtant  volontiers  des  vers  char- 
mants, pleins  de  bonté  et  de  douceur  d'âme3,  que  le 
duc  d'Orléans,  prisonnier  vingt- cinq  ans  en  Angle- 
terre, adresse  en  partant  à  une  famille  anglaise  qui 
l'avait  gardé4.  Sa  captivité  dura  presque  autant  que  sa 
vie.  Tant  que  les  Anglais  purent  croire  qu'il  avait 
chance  d'arriver  au  trône,  ils  ne  voulurent  jamais 
lui  permettre  de  se  racheter.  Placé  d'abord  dans  le 
château  de  Windsor  avec  ses  compagnons,  il  en  fut 
bientôt  séparé  pour  être  renfermé  dans  la  prison  de 
Pomfret;  sombre  et  sinistre  prison,  qui  n'avait  pas 
coutume  de  rendre  ceux  qu'elle  recevait;  témoin 
Richard  II. 

Il  y  passa  de  longues  années,  traité  honorablement5, 


1.  «  Et  ce...  j'ai  ouï  dire  au  comte  de  Charolois,  depuis  que  il  avoit  atteint 
l'âge  de  soixante-sept  ans.  »  (Lefebvre  de  Saint-Remy.) 

2.  App.  178.  —  3.  App.  179.  —  4.  Mon  très  bon  hôte  et  ma  très  doulcc 
hôtesse...  —  5.  App.  180. 


L'ANGLETERRE.  —  AZINCOURT  267 

sévèrement,  sans  compagnie,  sans  distraction  ;  tout 
au  plus  la  chasse  au  faucon1,  chasse  de  dames,  qui  se 
faisait  ordinairement  à  pied,  et  presque  sans  changer 
de  place.  C'était  un  triste  amusement  dans  ce  pays 
d'ennui  et  de  brouillard,  où  il  ne  faut  pas  moins  que 
toutes  les  agitations  de  la  vie  sociale  et  les  plus 
violents  exercices,  pour  faire  oublier  la  monotonie 
d'un  sol  sans  accident,  d'un  climat  sans  saison,  d'un 
ciel  sans  soleil. 

Mais  les  Anglais  eurent  beau  faire,  il  y  eut  toujours 
un  rayon  du  soleil  de  France  dans  cette  tour  de 
Pomfret.  Les  chansons  les  plus  françaises  que  nous 
ayons  y  furent  écrites  par  Charles  d'Orléans.  Notre 
Béranger  du  quinzième  siècle  2,  tenu  si  longtemps  en 
cage,  n'en  chanta  que  mieux. 

C'est  un  Béranger  un  peu  faible,  peut-être,  mais 
sans  amertume,  sans  vulgarité,  toujours  bienveillant, 
aimable,  gracieux;  une  douce  gaieté  qui  ne  passe 
jamais  le  sourire;  et  ce  sourire  est  près  des  larmes3. 
On  dirait  que  c'est  pour  cela  que  ces  pièces  sont  si 
petites  ;  souvent  il  s'arrête  à  temps,  sentant  les  larmes 
venir...  Viennent-elles,  elles  ne  durent  guère,  pas 
plus  qu'une  ondée  d'avril. 

Le  plus  souvent  c'est,  en  effet,  un  chant  d'avril  et 
d'alouette4.  La  voix  n'est  ni  forte,  ni  soutenue,   ni 


1.  Il  y  avait  d'autres  poètes  parmi  les  prisonniers  d'Azincourt,  entre  autres 
le  maréchal  Boucicaut. 

2.  App.  181. 

3.  App.  182.  i 

4.  César,  qui  était  poète  aussi,  et  qui  avait  tant  d'esprit,  appela  sa  légion 
gauloise  l'alouette  (alauda),  la  chanteuse... 


268  HISTOIRE    DE    FRANCE 

profondément  passionnée1.  C'est  l'alouette,  rien  de 
plus2.  Ce  n'est  pas  le  rossignol. 

Telle  fut  en  général  notre  primitive  et  naturelle 
France,  un  peu  légère  peut-être  pour  le  sérieux 
d'aujourd'hui.  Telle  elle  fut  en  poésie  comme  elle 
est  en  vins,  en  femmes.  Ceux  de  nos  vins  que  le 
monde  aime  et  recherche  comme  français  ne  sont,  il 
est  vrai,  qu'un  souffle,  mais  c'est  un  souffle  d'esprit. 
La  beauté  française,  non  plus,  n'est  pas  facile  à  bien 
saisir;  ce  n'est  ni  le  beau  sang  anglais,  ni  la  régula- 
rité italienne  ;  quoi  donc?  le  mouvement,  la  grâce,  le 
je  ne  sais  quoi,  tous  les  jolis  riens. 

Autre  temps,  autre  poésie.  N'importe;  celle-là 
subsiste;  rien,  en  ce  genre,  ne  l'a  surpassée.  Naguère 
encore,  lorsque  ces  chants  étaient  oubliés  eux-mêmes, 
il  a  suffi,  pour  nous  ravir,  d'une  faible  imitation,  d'un 
infidèle  et  lointain  écho 3. 

1.  Il  y  a  pourtant  un  vif  mouvement  de  passion  dans  les  vers  suivants  : 

Dieu  !  qu'il  la  fait  bon  regarder, 
La  gracieuse,  bonne  et  belle! 


Qui  se  pourrait  d'elle  lasser? 
Tons  jours  sa  beauté  renouvelle. 
Dieu!  qu'il  la  fait  bon  regarder, 
La  gracieuse,  bonne  et  belle! 
Tar  deçà,  ni  delà  la  mer, 
Ne  scays  dame  ni  demoyselle 
Qui  soit  en  tout  bien  parfait  telle. 
C'est  un  songe  que  d'y  penser! 
Dieu  !  qu'il  la  fait  bon  regarder. 

(Charles  d'Orléans.)       App.  183. 

2.  App.  184. 

3.  Peu  m'importe  de  savoir  l'auteur  des  vers  de  Clotilde  de  Surville  ;  il  me 
suffit  de  savoir  que  Lamartine,  très  jeune,  les  avait  retenus  par  cœur. 
Personne  n'ignore  maintenant  que  le  second  volume  est  l'ouvrage  de  L'in- 
génieux Nodier. 


L'ANGLETERRE.  —  AZINCOURT  269 

Quelque  blasés  que  vous  soyez  par  tant  de  livres 
et  d'événements,  quelque  préoccupés  des  profondes 
littératures  des  nations  étrangères,  de  leur  puissante 
musique,  gardez,  Français  d'aujourd'hui,  gardez  tou- 
jours bon  souvenir  à  ces  aimables  poésies,  à  ces  doux 
chants  de  vos  pères  dans  lesquels  ils  ont  exprimé 
leurs  joies,  leurs  amours,  à  ces  chants  qui  touchèrent 
le  cœur  de  vos  mères  et  dont  vous-mêmes  êtes  nés... 

Je  me  suis  écarté,  ce  semble;  mais  je  devais  ceci  au 
poète,  au  prisonnier.  Je  devais,  après  cet  immense 
malheur,  dire  aussi  que  les  vaincus  étaient  moins 
dignes  de  mépris  que  les  vainqueurs  ne  l'ont  cru... 
Peut-être  encore,  au  milieu  de  cette  docile  imitation 
des  mœurs  et  des  idées  anglaises  qui  gagne  chaque 
jour1,  peut-être  est-ce  chose  utile  de  réclamer  en 
faveur  de  la  vieille  France,  qui  s'en  est  allée...  Où 
est-elle,  cette  France  du  moyen  âge  et  de  la  Renais- 
sance, de  Charles  d'Orléans,  de  Froissart?...  Villon  se 
le  demandait  déjà  en  vers  plus  mélancoliques  qu'on 
n'eût  attendu  d'un  si  joyeux  enfant  de  Paris  : 

«  Dites-moi  en  quel  pays 
«  Est  Flora,  la  belle  Romaine? 
«  Où  est  la  très  sage  Héloïs?.,. 
«  La  reine  Blanche,  comme  un  lis, 
«  Qui  chantoit  à  voix  de  Sirène? 
«  ...  Et  Jeanne,  la  bonne  Lorraine 
«  Qu'Anglais  brûlèrent  à  Rouen? 


«  Où  sont-ils,  Vierge  souveraine? 

—  «  Mais  où  sont  les  neiges  d'antan?  » 

1.  Perlin  s'en  plaignait  déjà  au  seizième  siècle  :  «  11  me  desplaît  que  ces 
vilains  estans  en  leur  pays  nous  crachent  à  la  face,  et  eulx  estans  à  la  France, 
on  les  honore  et  révère  comme  petits  dieux.  »  (1558.) 


270  HISTOIRE    DE    FRANCE 


CHAPITRE   II 


Mort  du  connétable  d'Armagnac  ;  mort  du  duc  de  Bourgogne. 
Henri  V  (1416-1422). 


Deux  hommes  n'avaient  pas  été  à  la  bataille 
d'Azincourt,  les  chefs  des  deux  partis,  le  duc  de 
Bourgogne,  le  comte  d'Armagnac.  Tous  deux  s'étaient 
réservés. 

Le  roi  d'Angleterre  leur  rendit  service;  il  tua  non 
seulement  leurs  ennemis,  mais  aussi  leurs  amis,  leurs 
rivaux  dans  chaque  faction.  Désormais  la  place  était 
nette,  la  partie  entre  eux  seuls  ;  les  deux  corbeaux 
vinrent  s'abattre  sur  le  champ  de  bataille  et  jouir  des 
morts. 

Il  s'agissait  de  savoir  qui  aurait  Paris.  Le  duc  de 
Bourgogne,  qui  gardait,  depuis  le  mois  de  juillet,  une 
armée  de  Bourguignons,  de  Lorrains  et  de  Savoyards, 
prit  seulement  dix  mille  chevaux,  et  galopa  droit  à 
Paris.  Il  n'arriva  pourtant  pas  à  temps;  la  place  était 
prise. 

Armagnac  était  dans  la  ville  avec  six  mille  Gascons. 


HENRI    V  271 

Il  tenait  dans  ses  mains,  avec  Paris,  le  roi  et  le 
dauphin.  Il  prit  l'épée  de  connétable. 

Le  duc  de  Bourgogne  resta  à  Lagny,  faisant  tous 
les  jours  dire  à  ses  partisans  qu'il  allait  venir,  leur 
assurant  que  c'était  lui  qui  avait  défendu  les  passages 
de  la  Somme  contre  les  Anglais,  espérant  que  Paris 
finirait  par  se  déclarer.  Il  resta  ainsi  deux  mois  et 
demi  à  Lagny.  Les  Parisiens  finirent  par  l'appeler 
«  Jean  de  Lagny  qui  n'a  hâte  ».  Il  emporta  ce 
sobriquet. 

Armagnac  resta  maître  de  Paris ,  et  d'autant  plus 
maître  que  tous  ceux  qui  l'y  avaient  appelé  moururent 
en  quelques  mois,  le  duc  de  Berri,  le  roi  de  Sicile,  le 
dauphin1.  Le  second  fils  du  roi  devenait  dauphin,  et 
le  duc  de  Bourgogne,  près  de  qui  il  avait  été  élevé, 
croyait  gouverner  en  son  nom.  Mais  ce  second  dau- 
phin mourut,  et  un  troisième  encore  vingt-cinq  jours 
après.  Le  quatrième  dauphin  vécut;  il  était  ce  qu'il 
fallait  au  connétable  :  il  était  enfant. 

Armagnac,  si  bien  servi  par  la  mort,  se  trouva  roi 
un  moment.  Le  royaume  en  péril  avait  besoin  d'un 
homme.  Armagnac  était  un  méchant  homme  et  capable 
de  tout,  mais  enfin  c'était,  on  ne  peut  le  nier,  un 
homme  de  tête  et  de  main  2. 

Les  Anglais  faisaient  des  triomphes,  des  processions, 
chantaient  des  Te  Deumz\  ils  parlaient  d'aller  au  prin- 

1.  App.  185. 

2.  Le  Pveligieux  de  Saint-Denis  est  dès  ce  moment  tout  Armagnac  ;  c'est  un 
grand  témoignage  en  faveur  de  ce  parti,  qui  était  en  effet  celui  de  la  défense 
nationale. 

3.  Et  des  ballades.  App.  186. 


272  HISTOIRE    DE    FRANCE 

temps  prendre  possession  de  leur  ville  de  Paris.  Et 
tout  à  coup  ils  apprennent  qu'Harfleur  est  assiégé. 
Après  cette  terrible  bataille,  qui  avait  mis  si  bas  les 
courages,  Armagnac  eut  l'audace  d'entreprendre  ce 
grand  siège. 

D'abord  il  crut  surprendre  la  place.  Il  quitta  Paris, 
dont  il  était  si  peu  sûr;  c'était  risquer  Paris  pour 
Harfleur.  Il  y  alla  de  sa  personne  avec  une  troupe  de 
gentilshommes  ;  ils  lâchèrent  pied,  et  il  les  fit  pendre 
comme  vilains. 

Harfleur  ne  pouvait  être  attaqué  avec  avantage  que 
par  mer;  il  fallait  des  vaisseaux.  Armagnac  s'adressa 
aux  Génois;  ceux-ci,  qui  venaient  de  chasser  les 
Français  de  Gênes,  n'acceptèrent  pas  moins  l'argent 
de  France  et  fournirent  toute  une  flotte,  neuf  grandes 
galères,  des  carraques  pour  les  machines  de  siège, 
trois  cents  embarcations  de  toute  grandeur,  cinq  mille 
archers  génois  ou  catalans.  Ces  Génois  se  battirent 
bravement  avec  leurs  galères  de  la  Méditerranée 
contre  les  gros  vaisseaux  de  l'Océan.  Une  première 
flotte  qu'envoyèrent  les  Anglais  fut  repoussée. 

Avec  quel  argent  Armagnac  soutenait-il  cette  énorme 
dépense?  La  plus  grande  partie  du  royaume  ne  lui  payait 
rien.  Il  n'avait  guère  que  Paris  et  ses  propres  fiefs  du 
Languedoc  et  de  Gascogne.  Il  suça  et  pressura  Paris. 

Le  Bourguignon  y  était  très  fort;  une  grande  conspi- 
ration se  fît  pour  l'y  introduire.  Le  chef  était  un 
chanoine  boiteux,  frère  du  dernier  évèque1,  Armagnac 

1.  A  en  croire  l'historien  même  du  parti  bourguignon,  le  chanoine   et  les 


HENRI    V  273 

découvrit  tout.  Le  chanoine,  en  manteau  violet,  fut 
promené  dans  un  tombereau,  puis  muré,  au  pain  et  à 
l'eau.  On  publia  que  les  condamnés  avaient  voulu  tuer 
le  roi  et  le  dauphin.  Il  y  eut  nombre  d'exécutions,  de 
noyades.  Armagnac,  qui  savait  quelle  confiance  il 
pouvait  mettre  dans  le  peuple  de  Paris,  organisa  une 
police  rapide,  terrible,  à  l'italienne;  il  faisait  aussi, 
disait-on,  la  guerre  à  la  lombarde.  Défense  de  se 
baigner  à  la  Seine,  pour  qu'on  n'allât  pas  compter  les 
noyés;  on  sait  qu'il  était  défendu  à  Venise  de  nager 
dans  le  canal  Orfano. 

Le  Parlement  fut  purgé,  le  Ghâtelet,  l'Université, 
trois  ou  quatre  cents  bourgeois  mis  hors  de  Paris,  et 
tous  envoyés  du  côté  d'Orléans.  La  reine,  qui  négociait 
sous  main  avec  le  Bourguignon,  fut  transportée  pri- 
sonnière à  Tours,  et  l'un  de  ses  amants  jeté  à  la 
rivière1. 

Armagnac  ôta  aux  bourgeois  les  chaînes  des  rues; 
il  les  désarma.  Il  supprima  la  grande  boucherie,  en 
fit  quatre,  pour  quatre  quartiers;  plus  de  bouchers 
héréditaires  ;  tout  homme  capable  put  s'élever  au  rang 
de  boucher. 

Pour    n'avoir    plus    leurs    armes ,    les    bourgeois 


autres  conjurés  voulaient  massacrer  les  princes  «  le  jour  de  Pasques,  après 
dyner.  »  (Monstrelet.) 

1.  «  Messire  Loys  Bourdon  allant  de  Paris  au  bois  (de  Vincennes)...  en 
passant  assez  près  du  Roy,  lui  fist  la  révérence,  et  passa  outre  assez  legiè- 
rement...  (on  l'arrêta).  Et  après,  par  le  commandement  du  Roy,  fut  ques- 
tionné, puis  fut  mis  en  un  sacq  de  cuir  et  gecté  en  Saine  ;  sur  lequel  sacq 
avoit  escript  :  Laissez  passer  la  justice  du  Roy.  »  (Lefebvre  de  Saint- 
Remy.) 

t.  iv.  18 


271  HISTOIRE    DE    FRANCE 

n'étaient  pas  quittes  de  la  guerre  '.  On  les  obligeait 
de  se  cotiser  de  manière  qu'à  trois  ils  fournissent  un 
homme  d'armes.  Eux-mêmes,  on  les  envoyait  tra- 
vailler aux  fortifications,  curer  les  fossés,  chacun  tous 
les  cinq  jours. 

Ordre  à  toute  maison  de  s'approvisionner  de  blé; 
pour  attirer  les  vivres,  Armagnac  supprima  l'octroi. 
En  récompense,  les  autres  taxes  furent  payées  deux 
fois  dans  l'année.  Les  bourgeois  furent  obligés  d'ache- 
ter tout  le  sel  des  greniers  publics  à  prix  forcé  et 
comptant,  sinon  des  garnisaires.  Paris  succombait  à 
payer  seul  les  dépenses  du  roi  et  du  royaume. 

La  position  du  duc  de  Bourgogne  était  plus  facile 
à  coup  sûr  que  celle  du  connétable.  Il  envoyait  dans 
les  grandes  villes  des  gens  qui,  au  nom  du  roi  et  du 
dauphin,  défendaient  de  payer  l'impôt.  Abbeville, 
Amiens,  Auxerre,  reçurent  cette  défense  avec  recon- 
naissance et  s'y  conformèrent  avec  empressement. 
Armagnac  craignait  que  Rouen  n'en  fît  autant,  et 
voulait  y  envoyer  des  troupes;  mais,  plutôt  que  de 
recevoir  les  Gascons,  Rouen  tua  son  bailli  et  ferma 
ses  portes 2. 

Le  duc  de  Bourgogne  vint  tâter  Paris,  qui  n'aurait 
pas  mieux  demandé  que  d'être  quitte  du  connétable. 
Mais  celui-ci  tint  bon.  Le  duc  de  Bourgogne,  ne  pou- 
vant entrer,  augmenta  du  moins  la  fermentation  par 


1.  «  Et  pour  loger  les  gens  des  capitaines  armagnacs  furent  les  povres  gens 
boutés  hors  de  leurs  maisons,  et  à  grant  prière  et  à  grant  peine  avoient-ils  le 
couvert  de  leur  ostel,  et  cette  laronaille  couchoient  en  leurs  licts.  »  (Journal 
du  Bourgeois.)  —  2.  App.  187. 


HENRI    V  275 

la  rareté  des  vivres;  il  ne  laissait  plus  rien  venir  ni 
de  Rouen  ni  de  la  Beauce.  Les  chanoines  mêmes,  dit 
l'historien,  furent  obligés  de  mettre  bas  leur  cuisine. 
Le  roi,  revenant  à  lui  et  apprenant  que  c'étaient  les 
Bourguignons  qui  rendaient  ses  repas  si  maigres, 
disait  au  connétable  :  «  Que  ne  chassez -vous  ces 
gens-là!  » 

Le  duc  de  Bourgogne,  ne  pouvant  blesser  directe- 
ment son  ennemi,  lui  porta  indirectement  un  grand 
coup.  Il  enleva  la  reine  de  Tours;  elle  déclara  qu'elle 
était  régente  et  qu'elle  défendait  de  payer  les  taxes. 
Cette  défense  circula  non  seulement  dans  le  Nord, 
mais  dans  le  Midi,  en  Languedoc.  Gela  devait  tuer 
Armagnac;  il  ne  lui  restait  que  Paris,  Paris  ruiné, 
affamé,  furieux. 

Le  roi  d'Angleterre  n'avait  pas  à  se  presser;  les 
Français  faisaient  sa  besogne;  ils  suffisaient  bien  à 
ruiner  la  France.  Fier  de  la  neutralité,  de  l'amitié 
secrète  des  ducs  de  Bourgogne  et  de  Bretagne,  négo- 
ciant toujours  avec  les  Armagnacs,  il  eut  le  bon  esprit 
d'attendre  et  de  ne  pas  venir  à  Paris.  Il  fît  sagement, 
politiquement,  la  conquête  de  la  Normandie,  de  la 
basse  Normandie  d'abord,  puis  de  la  haute,  Gaen  en 
1417,  Rouen  en  1418. 

Armagnac  ne  pouvait  s'opposer  à  rien.  Il  avait  assez 
de  peine  à  contenir  Paris  ;  le  duc  de  Bourgogne  cam- 
pait à  Montrouge.  Henri  V  put  sans  inquiétude  faire 
le  siège  de  cette  importante  ville  de  Gaen.  C'était  dès 
lors  un  grand  marché,  un  grand  centre  d'agriculture. 
Une  telle  ville  eût  résisté,  si  elle  eût  eu  le  moindre 


276  HISTOIRE    DE    FRANCE 

secours.  Aussi,  tout  en  l'attaquant,  il  envoyait  pro- 
poser la  paix  à  Paris.  Il  parlait  de  paix  et  faisait  la 
guerre.  Au  milieu  de  cette  négociation,  on  apprit 
qu'il  était  maître  de  Gaen,  qu'il  en  avait  chassé  toute 
la  population,  hommes,  femmes  et  enfants,  en  tout 
vingt-cinq  mille  âmes,  que  cette  capitale  de  la  basse 
Normandie  était  devenue  une  ville  anglaise,  aussi 
bien  qu'Harfleur  et  Calais. 

La  Normandie  devait  nourrir  les  Anglais  pendant 
cette  lente  conquête.  Aussi  Henri  Y,  avec  une  remar- 
quable sagesse,  y  assura  autant  qu'il  put  l'ordre,  la 
continuation  du  travail  de  l'agriculture.  Il  fit  respecter 
les  femmes,  les  églises,  les  prêtres,  les  faux  prêtres 
même  (il  y  avait  une  foule  de  paysans  qui  se  ton- 
suraient) 1.  Tout  ce  qui  se  soumettait  était  protégé; 
tout  ce  qui  résistait  était  puni.  Aux  prises  de  ville,  il 
n'y  avait  point  de  violence;  mais  le  roi  exceptait  ordi- 
nairement de  la  capitulation  quelques-uns  des  assiégés 
à  qui  il  faisait  couper  la  tête,  comme  ayant  résisté  à 
leur  souverain  légitime,  roi  de  France  et  duc  de  Nor- 
mandie 2. 

Le  roi  d'Angleterre  faisait  si  paisiblement  cette 
promenade  militaire,  qu'il  ne  craignit  pas  de  partager 
son  armée  en  quatre  corps,  pour  mener  plusieurs 
sièges  à  la  fois.  Que  pouvait-il  craindre,  en  effet, 
lorsque  le  seul  prince  français  qui  fût  puissant,  le  duc 
de  Bourgogne,  était  son  ami? 

L'unique  affaire  de  celui-ci  était  la  perte  du  conné- 

4.  Walsingham.  —  %  A  pp.  188. 


HENRI   Y  277 

table  d'Armagnac.  Elle  ne  pouvait  manquer  d'arriver; 
il  avait  mangé  ses  dernières  ressources  ;  il  en  était  à 
fondre  les  châsses  des  saints  *.  Ses  Gascons,  n'étant 
plus  payés ;  disparaissaient  peu  à  peu;  il  n'en  avait 
plus  que  trois  mille.  Il  fallait  qu'il  employât  les  bour- 
geois à  faire  le  guet,  ces  bourgeois  qui  le  détestaient 
pour  tant  de  causes,  comme  Gascon,  comme  brigand, 
comme  schismatique 2.  Le  Bourgeois  de  Paris  dit  expres- 
sément qu'il  croit  que  cet  «  Arminac  est  un  diable  en 
fourrure  d'homme  ». 

Le  duc  de  Bourgogne  offrait  la  paix.  Les  Parisiens 
crurent  un  moment  l'avoir.  Le  roi,  le  dauphin  con- 
sentaient. Le  peuple  criait  déjà  Noël3.  Le  connétable 
seul  s'y  opposa;  il  sentait  bien  qu'il  n'y  avait  pas  de 
paix  pour  lui,  que  ce  serait  seulement  remettre  le  roi 
entre  les  mains  du  duc  de  Bourgogne.  Cette  joie 
trompée  jeta  le  peuple  clans  une  rage  muette. 

Un  certain  Perrinet  Leclerc4,  marchand  de  fer  au 
Petit-Pont,  qui  avait  été  maltraité  par  les  Armagnacs, 
s'associa  quelques  mauvais  sujets,  et  prenant  les  clefs 


1.  11  le  fit  avec  ménagement,  déclarant  que  c'était  un  emprunt,  et  assignant 
un  revenu  pour  remplacer  les  châsses.  Néanmoins  les  moines  de  Saint-Denis 
lui  déclarèrent  que  ce  serait  dans  leurs  chroniques  une  tache  pour  ce 
règne  :  «  Opprobrium  sempiternum...  si  redigeretur  in  chronicis...  »  (Le 
Religieux.) 

2.  Armagnac  persévérait  dans  son  attachement  au  vieux  pape  du  duc 
d'Orléans,  au  pape  des  Pyrénées,  à  l'Aragonais  Pedro  de  Luna  (Benoît  XIII), 
condamné  par  les  conciles  de  Pise  et  de  Constance.  App.  189. 

3.  Depuis  longtemps,  c'était  l'unique  vœu  du  peuple  :  «  Vivat,  vivat,  qui 
dominari  poteril!  dum  pax...  »  (Le  Religieux.)  —  Pendant  le  massacre  de 
1418,  on  criait  de  même  :  «  Fiat  pax  !  » 

4.  «  Jeunes  compagnons  du  moyen  estât  et  de  légère  volonté,  qui  autrefois 
avoient  été  punis  pour  leurs  démérites.  »  (Monstrelet.) 


278  HISTOIRE    DE    FRANCE 

sous  le  chevet  de  son  père  qui  gardait  la  porte  Saint- 
Germain,  il  ouvrit  aux  Bourguignons.  Le  sire  de  L'Ile- 
Adam  entra  avec  huit  cents  chevaliers  ;  quatre  cents 
bourgeois  s'y  joignirent.  Ils  s'emparèrent  du  roi  et  de 
la  ville.  Les  gens  du  dauphin  le  sauvèrent  dans  la 
Bastille.  De  là,  leurs  capitaines,  le  Gascon  Barbasan, 
et  les  Bretons  Rieux  et  Tannegui  Duehâtel  osèrent, 
quelques  jours  après,  rentrer  dans  Paris  pour  repren- 
dre le  roi;  mais  le  roi  était  bien  gardé  au  Louvre; 
L'Ile-Adam  les  combattit  dans  les  rues,  le  peuple  se 
mit  contre  eux,  et  les  écrasa  des  fenêtres. 

Le  connétable  d'Armagnac,  qui  s'était  caché  chez 
un  maçon,  fut  livré  et  emprisonné  avec  les  principaux 
de  son  parti.  Alors  rentrèrent  dans  la  ville  les  enne- 
mis des  Armagnacs,  et  avec  eux  une  foule  de  pillards. 
Tous  ceux  qu'on  disait  Armagnacs  furent  rançonnés 
de  maison  en  maison.  Les  grands  seigneurs  bour- 
guignons s'y  opposèrent  d'autant  moins ,  qu'eux- 
mêmes  prenaient  tant  qu'ils  pouvaient. 

Ces  revenants  étaient  justement  les  bouchers,  les 
proscrits,  les  gens  ruinés,  ceux  dont  les  femmes 
avaient  été  menées  à  Orléans  (fort  mal  menées)  par  les 
sergents  d'Armagnac.  Ils  arrivaient  furieux,  maigres, 
pâles  de  famine.  Dieu  sait  en  quel  état  ils  retrouvaient 
leurs  maisons. 

On  disait  à  chaque  instant  que  les  Armagnacs  ren- 
traient dans  la  ville  pour  délivrer  les  leurs.  Il  n'y  avait 
pas  de  nuit  qu'on  ne  fût  éveillé  en  sursaut  par  le 
tocsin.  A  ces  continuelles  alarmes  joignez  la  rareté 
des  vivres  ;    ils  ne   venaient  qu'à  grand'peino.    Les 


HENRI    V  279 

Anglais  tenaient  la  Seine  ;  ils  assiégeaient  le  Pont-de- 
l'Arche. 

La  nuit  du  dimanche  12  juin,  un  Lambert,  potier 
d'étain,  commença  à  pousser  le  peuple  au  massacre 
des  prisonniers.  C'était,  disait-il,  le  seul  moyen  d'en 
finir;  autrement,  pour  de  l'argent,  ils  trouveraient 
moyen  d'échapper1.  Ces  furieux  coururent  d'abord 
aux  prisons  de  l'hôtel  de  ville.  Les  seigneurs  bour- 
guignons, L'Ile-Adam,  Luxembourg  et  Fosseuse,  vin- 
rent essayer  de  les  arrêter;  mais,  quand  ils  sévirent 
un  millier  de  gentilshommes  devant  une  masse  de 
quarante  mille  hommes  armés,  ils  ne  surent  dire 
autre  chose,  sinon  :  «  Enfants,  vous  faites  bien.  » 
La  tour  du  Palais  fut  forcée,  la  prison  Saint-Éloi,  le 
grand  Ghâtelet,  où  les  prisonniers  essayèrent  de  se 
défendre,  puis  Saint-Martin,  Saint-Magloire  et  le 
Temple.  Au  petit  Ghâtelet,  ils  firent  l'appel  des  pri- 
sonniers; à  mesure  qu'ils  passaient  le  guichet,  on  les 
égorgeait. 

Ce  massacre  ne  peut  se  comparer  aux  2  et  3  sep- 
tembre. Ce  ne  fut  pas  une  exécution  par  des  boucliers 
à  tant  par  jour.  Ce  fut  un  vrai  massacre  populaire, 
exécuté  par  une  populace  en  furie.  Ils  tuaient  tout,  au 
hasard,  même  les  prisonniers  pour  dettes.  Deux  prési- 
dents du  Parlement,  d'autres  magistrats  périrent,  des 
évêques  même.  Cependant,  à  Saint-Éloi,  trouvant 
l'abbé  de  Saint-Denis  qui  disait  la  messe  aux  prison- 
niers, et  tenait  l'hostie,  ils  le  menacèrent,  brandirent 

1.  App.  190. 


280  HISTOIRE    DE    FRANCE 

sur  lui  le  couteau  ;  mais,  comme  il  ne  lâcha  point  le 
corps  du  Christ,  ils  n'osèrent  pas  le  tuer. 

Seize  cents  personnes  périrent  du  dimanche  matin 
au  lundi  matin1.  Tout  ne  fut  pas  aux  prisons;  on  tua 
aussi  dans  les  rues;  si  l'on  voyait  passer  son  ennemi, 
on  n'avait  qu'à  crier  à  l'Armagnac,  il  était  mort.  Une 
femme  grosse  fut  é ventrée  ;  elle  resta  nue  dans  la  rue, 
et  comme  on  voyait  l'enfant  remuer,  la  canaille  disait 
autour  :  «  Yois  donc,  ce  petit  chien  remue  encore.  » 
Mais  personne  n'osa  le  prendre.  Les  prêtres  du  parti 
bourguignon  ne  baptisaient  pas  les  petits  Armagnacs, 
afin  qu'ils  fussent  damnés. 

Les  enfants  des  rues  jouaient  avec  les  cadavres.  Le 
corps  du  connétable  et  d'autres  restèrent  trois  jours 
dans  le  palais,  à  la  risée  des  passants.  Ils  s'étaient 
avisés  de  lui  lever  dans  le  dos  une  bande  de  peau, 
afin  que  lui  aussi  il  portât  sa  bande  blanche  d'Arma- 
gnac. La  puanteur  força  enfin  de  jeter  tous  les  débris 
dans  des  tombereaux,  puis,  sans  prêtres  ni  prières, 
dans  une  fosse  ouverte  au  Marché-aux-Pourceaux  \ 

Les  gens  du  Bourguignon,  effrayés  eux-mêmes,  le 
pressaient  fort  de  venir  à  Paris.  Il  y  fît  en  effet  son 
entrée  avec  la  reine.  Ce  fut  une  grande  joie  pour  le 
peuple  ;  ils  criaient  de  toutes  leurs  forces  :  «  Vive  le 
roi  î  vive  la  reine  !  vive  le  duc  !  vive  la  paix  !  » 

La  paix  ne  vint  pas,  les  vivres  non  plus.  Les  Anglais 
tenaient  la  rivière  par  en  bas,  par  en  haut  les  Arma- 
gnacs étaient  maîtres  de  Melun.  Une  sorte  d'épidémie 

1.  App.  191. 

2.  «  En  une  fosse  nommée  la  Louvière...  »  (Lefcbvre  de  Saint-Remy.) 


HENRI    V  281 

commença  clans  Paris  et  les  campagnes  voisines, 
qui  emporta  cinquante  mille  hommes.  Ils  se  laissaient 
mourir;  l'abattement  était  extrême,  après  la  fureur. 
Les  meurtriers  surtout  ne  résistèrent  pas  :  ils  repous- 
saient les  consolations,  les  sacrements;  sept  ou  huit 
cents  moururent  à  l'Hôtel-Dieu,  désespérés.  On  en  vit 
un  courir  les  rues  en  criant  :  «  Je  suis  damné  !  »  Et  il 
se  jeta  dans  un  puits  la  tète  la  première. 

D'autres  pensèrent  tout  au  contraire  que,  si  les 
choses  allaient  si  mal,  c'est  qu'on  n'avait  pas  assez 
tué.  Il  se  trouva,  non  seulement  parmi  les  bouchers, 
mais  dans  l'Université  même,  des  gens  qui  criaient 
en  chaire  qu'il  n'y  avait  pas  de  justice  à  attendre 
des  princes,  qu'ils  allaient  mettre  les  prisonniers  à 
rançon  et  les  relâcher  aigris  et  plus  méchants  encore. 

Le  21  août,  par  une  extrême  chaleur,  un  formidable 
rassemblement  s'ébranle  vers  les  prisons,  une  foule 
à  pied,  en  tête  la  mort  même  à  cheval f,  le  bourreau 
de  Paris,  Gapeluche.  Cette  masse  va  fondre  au  grand 
Ghâtelet;  les  prisonniers  se  défendent,  du  consente- 
ment des  geôliers.  Mais  les  assassins  entrent  par  le 
toit;  tout  est  tué,  prisonniers  et  geôliers.  Même  scène 
au  petit  Ghâtelet 2.  Puis,  les  voilà  devant  la  Bastille. 
Le  duc  de  Bourgogne  y  vient,  sans  troupes,  voulant 
rester  à  tout  prix  le  favori  de  la  populace  ;  il  les  prie 
honnêtement  de  se  retirer,  leur  dit  de  bonnes  paroles. 
Mais  rien  n'opérait.  Il  avait  beau  montrer  de  la  con- 
fiance, de  la  bonhomie,  se  faire  petit,  jusqu'à  toucher 

1.  «  Solus  equester.  »  (Religieux.)  —  2.  App.  192. 


282  HISTOIRE    DE    FRANCE 

dans  la  main  au  chef  (le  chef  c'était  le  bourreau).  Il 
en  fut  pour  cette  honte.  Tout  ce  qu'il  obtint,  ce  fut 
une  promesse  démener  les  prisonniers  au  Châtelet; 
alors  il  les  livra.  Arrivés  au  Châtelet,  les  prisonniers 
y  trouvèrent  d'autres  gens  du  peuple  qui  n'avaient 
rien  promis  et  qui  les  massacrèrent. 

Le  duc  de  Bourgogne  avait  joué  là  un  triste  rôle.  Il 
fut  enragé  de  s'être  ainsi  avili.  Il  engagea  les  massa- 
creurs à  aller  assiéger  les  Armagnacs  à  Montlhéry 
pour  rouvrir  la  route  aux  blés  de  la  Beauce.  Puis 
il  fît  fermer  la  porte  derrière  eux  et  couper  la  tête  à 
Gapeluche.  En  même  temps,  pour  consoler  le  parti, 
il  fait  décapiter  quelques  magistrats  armagnacs. 

Ce  Gapeluche,  qui  paya  si  cher  l'honneur  d'avoir 
touché  la  main  d'un  prince  du  sang,  était  un  homme 
original  dans  son  métier,  point  furieux,  et  qui  se 
piquait  de  tuer  par  principe  et  avec  intelligence.  Il 
tira  un  bourgeois  du  massacre  au  péril  de  sa  vie  l. 
Quand  il  lui  fallut  franchir  le  pas  à  son  tour,  il  montra 
à  son  valet  comment  il  devait  s'y  prendre  2. 

Le  duc  de  Bourgogne,  en  devenant  maître  de  Paris, 
avait  succédé  à  tous  les  embarras  clu  connétable  d'Ar- 
magnac. Il  lui  fallait  à  son  tour  gouverner  la  grande 
ville,  la  nourrir,  l'approvisionner;  cela  ne  pouvait 
se  faire  qu'en  tenant  les  Armagnacs  et  les  Anglais  à 
distance,  c'est-à-dire  en  faisant  la  guerre,  en  rétablis- 
sant les  taxes  qu'il  venait  de  supprimer,  en  perdant  sa 
popularité. 

1.  Le  Religieux.  —  2.  Journal  du  Bourgeois. 


HENRI    V  283 

Le  rôle  équivoque  qu'il  avait  joué  si  longtemps, 
accusant  les  autres  de  trahison,  tandis  qu'il  trahissait, 
ce  rôle  devait  finir.  Les  Anglais  remontant  la  Seine, 
menaçant  Paris,  il  fallait  lâcher  Paris,  ou  les  com- 
battre. Mais,  avec  son  éternelle  tergiversation  et 
sa  duplicité,  il  avait  énervé  son  propre  parti  ;  il  ne 
pouvait  plus  rien  ni  pour  la  paix,  ni  pour  la  guerre. 
Juste  jugement  de  Dieu;  son  succès  l'avait  perdu;  il 
était  entré,  tête  baissée,  dans  une  longue  et  sombre 
impasse,  où  il  n'y  avait  plus  moyen  d'avancer,  ni  de 
reculer. 

Le  peuple  de  Rouen,  de  Paris,  qui  l'avait  appelé, 
était  Bourguignon  sans  doute  et  ennemi  des  Arma- 
gnacs, mais  encore  plus  des  Anglais.  Il  s'étonnait, 
dans  sa  simplicité,  de  voir  que  ce  bon  duc  ne  fit  rien 
contre  l'ennemi  du  royaume.  Ses  plus  chauds  parti- 
sans commençaient  à  dire  «  qu'il  était  en  toutes  ses 
besognes  le  plus  long  homme  qu'on  pût  trouver1  ». 
Cependant  que  pouvait-il  faire?  Appeler  les  Flamands? 
un  traité  tout  récent  avec  l'Anglais  ne  le  lui  permettait 
pas2.  Les  Bourguignons?  ils  avaient  assez  à  faire  de  se 
garder  contre  les  Armagnacs.  Ceux-ci  tenaient  tout  le 
centre  :  Sens,  Moret,  Créci,  Compiègne,  Montlhéry, 
un  cercle  de  villes  autour  de  Paris,  Meaux  et  Melun, 
c'est-à-dire  la  Marne  et  la  haute  Seine.  Tout  ce  dont  il 
put  disposer,  sans  dégarnir  Paris,  il  l'envoya  à  Rouen; 
c'était  quatre  mille  cavaliers. 

On  pouvait  prévoir  de  longue  date  que  Rouen  serait 

1.  Journal  du  Bourgeois.  —  2.  App.  193. 


284  HISTOIRE    DE    FRANCE 

investi.  Henri  V  s'en  était  approché  avec  une  extrême 
lenteur.  Non  content  d'avoir  derrière  lui  deux  grandes 
colonies  anglaises,  Harfleur  et  Caen,  il  avait  complété 
la  conquête  de  la  basse  Normandie  par  la  prise  de 
Falaise,  de  Vire,  de  Saint-Lô,  de  Coutances  et  d'Évreux. 
Il  tenait  la  Seine,  non  seulement  par  Harfleur,  mais 
par  le  Pont-de-1' Arche.  Il  avait  déjà  rétabli  un 
peu  d'ordre,  rassuré  les  gens  d'Église,  invité  les 
absents  à  revenir,  leur  promettant  appui,  et  déclarant 
qu'autrement  il  disposerait  de  leurs  terres  ou  de  leurs 
bénéfices.  Il  rouvrit  l'Échiquier  et  les  autres  tribunaux, 
et  leur  donna  pour  président  suprême  son  grand  tréso- 
rier de  Normandie.  Il  réduisit  presque  à  rien  l'impôt  du 
sel,  «  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge  1  ». 

Peu  de  rois  avaient  été  plus  heureux  à  la  guerre, 
mais  la  guerre  était  son  moindre  moyen.  Henri  V 
était,  ses  actes  en  témoignent,  un  esprit  politique,  un 
homme  d'ordre,  d'administration,  et  en  même  temps 
de  diplomatie.  Il  avançait  lentement,  parlementant 
toujours,  exploitant  toutes  les  peurs,  tous  les  intérêts, 
profitant  à  merveille  de  la  dissolution  profonde  du 
pays  auquel  il  avait  à  faire,  fascinant  de  sa  ruse,  de 
sa  force,  de  son  invincible  fortune,  des  esprits  vacil- 
lants qui  n'avaient  plus  rien  où  se  prendre,  ni  prin- 
cipe ni  espoir;  personne  en  ce  malheureux  pays  ne 
se  fiait  plus  à  personne ,  tous  se  méprisaient  eux- 
mêmes. 

Il  négociait  infatigablement,    toujours,  avec  tous; 

1.  Rvmer. 


HENRI    V  285 

avec  ses  prisonniers  d'abord,  c'était  le  plus  facile.  Les 
tenant  sous  sa  main,  tristement,  durement,  il  eut  bon 
marché  de  leur  fermeté. 

Chacun  des  princes  n'eut  au  commencement  qu'un 
serviteur  français1.  Du  reste  honorablement,  bon  lit, 
sans  doute  bonne  table  ;  mais  le  besoin  d'activité 
n'en  était  que  plus  grand;  ils  se  mouraient  d'ennui. 
Chaque  fois  que  le  roi  d'Angleterre  revenait  dans  son 
île,  il  faisait  visite  «  à  ses  cousins  d'Orléans  et  de 
Bourbon  »  ;  il  leur  parlait  amicalement,  confidentiel- 
lement. Une  fois  il  leur  disait  :  «  Je  vais  rentrer  en 
campagne;  et  pour  cette  fois,  je  n'y  épargne  rien;  je 
m'y  retrouverai  toujours;  les  Français  en  feront  les 
frais.  »  Une  autre  fois,  prenant  un  air  triste  :  «  Je 
m'en  vais  bientôt  à  Paris...  C'est  dommage,  c'est  un 
brave  peuple.  Mais  que  faire?  le  courage  ne  peut  rien, 
s'il  y  a  division2.  » 

Ces  confidences  amicales  étaient  faites  pour  déses- 
pérer les  prisonniers.  Ce  n'étaient  pas  des  Régulus. 
Ils  obtinrent  d'envoyer  en  leur  nom  le  duc  de  Bour- 
bon pour  décider  le  roi  de  France  à  faire  la  paix  au 
plus  vite,  en  passant  par  toutes  les  conditions  d'Henri  ; 
qu'autrement  ils  se  feraient  Anglais  et  lui  rendraient 
hommage  pour  toutes  leurs  terres 3. 

C'était  un  terrible  dissolvant,  une  puissante  conta- 
gion de  découragement,  que  ces  prisonniers  d'Azin- 
court  qui  venaient  prêcher  la  soumission  à  tout  prix. 


4.  App.  194. 

2.  «  Ut  communiter  dicitur,  divisa  virtus  cito  dilabitur.  »  (Religieux.} 

3.  Rymer,  27  janvier  1417. 


286  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Gela  aidait  aux  négociations  qu'Henri  menait  de  front 
avec  tous  les  princes  de  France.  Dès  l'ouverture  de  la 
campagne,  au  mois  de  mars  1418,  il  renouvela  les 
trêves  avec  la  Flandre  et  le  duc  de  Bourgogne.  En 
juillet,  il  en  signa  une  pour  la  Guyenne  ;  le  4  août,  il 
prorogea  la  trêve  avec  le  duc  de  Bretagne.  Il  accueil- 
lait avec  la  même  complaisance  les  sollicitations  de  la 
reine  de  Sicile,  comtesse  d'Anjou  et  du  Maine.  Ce  roi 
pacifique  n'avait  rien  plus  à  cœur  que  d'éviter  l'effu- 
sion du  sang  chrétien.  Tout  en  accordant  des  trêves 
particulières,  il  écoutait  les  propositions  continuelles 
de  paix  générale  que  les  deux  partis  lui  faisaient;  il 
prêtait  impartialement  une  oreille  au  dauphin,  l'autre 
au  duc  de  Bourgogne,  mais  il  n'en  était  pas  tellement 
préoccupé  qu'il  ne  mît  la  main  sur  Rouen. 

Dès  la  fin  de  juin,  il  avait  fait  battre  la  campagne, 
de  sorte  que  les  moissons  ne  pussent  arriver  à  Rouen 
et  que  la  ville  ne  fût  point  approvisionnée.  Il  avait 
importé  pour  cela  huit  mille  Irlandais,  presque  nus, 
des  sauvages,  qui  n'étaient  ni  armés  ni  montés,  mais 
qui,  allant  partout  à  pied,  sur  de  petits  chevaux  de 
montagne,  sur  des  vaches,  mangeaient  ou  prenaient 
tout.  Ils  enlevaient  les  petits  enfants  pour  qu'on  les 
rachetât.  Le  paysan  était  désespéré1. 

Quinze  mille  hommes  de  milice  dans  Rouen,  quatre 
mille  cavaliers,  en  tout  peut-être  soixante  mille  âmes  : 
c'était  tout  un  peuple  à  nourrir.  Henri,  sachant  bien 

1.  «  Un  de  leurs  pieds  chaussé  et  l'autre  nud,  sans  avoir  braies...  prenoient 
petits  enfants  en  berceaux...  montoient  sur  vaches,  portant  lesdits  petits 
enfants...  »  (Monstrelct  ) 


HENRI    V  287 

qu'il  n'avait  rien  à  craindre  ni  des  Armagnacs  disper- 
sés, ni  du  duc  de  Bourgogne,  qui  venait  de  lui  demander 
encore  une  trêve  pour  la  Flandre,  ne  craignit  pas  de 
diviser  son  armée  en  huit  ou  neuf  corps,  de  manière 
à  embrasser  la  vaste  enceinte  de  Rouen.  Ces  corps 
communiquaient  par  des  tranchées  qui  les  abritaient 
du  boulet;  vers  la  campagne,  ils  étaient  défendus 
d'une  surprise  par  des  fossés  profonds  revêtus  d'épines. 
Toute  l'Angleterre  y  était,  les  frères  du  roi  :  Glocester, 
Glarence,  son  connétable  Cornwall,  son  amiral  Dorset, 
son  grand  négociateur  Warwick,  chacun  à  une  porte. 

11  s'attendait  à  une  résistance  opiniâtre  ;  son  attente 
fut  surpassée.  Un  vigoureux  levain  cabochien  fermen- 
tait à  Rouen.  Le  chef  des  arbalétriers,  Alain  Blanchard1, 
et  les  autres  chefs  rouennais  semblent  avoir  été  liés 
avec  le  carme  Pavilly,  l'orateur  de  Paris  en  1413.  Le 
Pavilly  de  Rouen  était  le  chanoine  Delivet.  Ces  hommes 
défendirent  Rouen  pendant  sept  mois,  tinrent  sept 
mois  en  échec  cette  grande  armée  anglaise.  Le  peuple 
et  le  clergé  rivalisèrent  d'ardeur;  les  prêtres  excom- 
muniaient, le  peuple  combattait;  il  ne  se  contentait 
pas  de  garder  ses  murailles;  il  allait  chercher  les 
Anglais,  il  sortait  en  masse,  «  et  non  par  une  porte, 
ni  par  deux,  ni  par  trois,  mais  à  la  fois  par  toutes  les 
portes2  ». 

La  résistance  de  Rouen  eût  été  peut-être  plus  longue 
encore,  si  pendant  qu'elle  combattait,  elle  n'eût  eu  une 
révolution   dans   ses  murs.  La   ville   était  pleine  de 

1.  App.  193.  —  2.  App.  196. 


288  HISTOIRE    DE    FRANCE 

nobles  et  croyait  être  trahie  par  eux.  Déjà  en  1415, 
les  voyant  faire  si  peu  de  résistance  aux  Anglais  des- 
cendus en  Normandie,  le  peuple  s'était  soulevé  et 
avait  tué  le  bailli  armagnac.  Les  nobles  bourguignons 
n'inspirèrent  pas  plus  de  confiance 1 .  Le  peuple  crut 
toujours  qu'ils  le  trahissaient.  Dans  une  sortie,  les 
gens  de  Rouen  attaquant  les  retranchements  des 
Anglais,  apprennent  que  le  pont  sur  lequel  ils  doivent 
repasser  vient  d'être  scié  en  dessous.  Ils  accusèrent 
leur  capitaine,  le  sire  de  Bouteiller.  Celui-ci  ne  justifia 
que  trop  ces  accusations  après  la  reddition  de  la  ville  ; 
il  se  fit  Anglais  et  reçut  des  fiefs  de  son  nouveau 
maître. 

Les  gens  de  Rouen  ne  tardèrent  pas  à  souffrir 
cruellement  de  la  famine.  Ils  parvinrent  à  faire  passer 
un  de  leurs  prêtres  jusqu'à  Paris.  Ce  prêtre  fut  amené 
devant  le  roi  par  le  carme  Pavilly,  qui  parla  pour  lui  ; 
puis  l'homme  de  Rouen  prononça  ces  paroles  solen- 
nelles :  «  Très  excellent  prince  et  seigneur,  il  m'est 
enjoint  de  par  les  habitants  de  la  ville  de  Rouen 
de  crier  contre  vous,  et  aussi  contre  vous,  sire  de 
Bourgogne,  qui  avez  le  gouvernement  du  roi  et  de 
son  royaume,  le  grand  haro,  lequel  signifie  l'oppres- 
sion qu'ils  ont  des  Anglais  ;  ils  vous  mandent  et  font 
savoir  par  moi,  que  si,  par  faute  de  votre  secours,  il 
convient  qu'ils  soient  sujets  au  roi  d'Angleterre, 
vous  n'aurez  en  tout  le  monde  pires  ennemis  qu'eux, 
et  s'ils  peuvent,  ils  détruiront  vous  et  votre  généra- 
tion2. » 

1.  App.  197.  —  2.  Monstrelet. 


HENRI    V  289 

Le  duc  de  Bourgogne  promit  qu'il  enverrait  du 
secours.  Le  secours  ne  fut  autre  chose  qu'une  ambas- 
sade. Les  Anglais  la  reçurent,  comme  à  l'ordinaire, 
volontiers  ;  cela  servait  toujours  à  énerver  et  à  endor- 
mir. Ambassade  du  duc  de  Bourgogne  au  Pont-de- 
l' Arche,  ambassade  du  dauphin  à  Alençon. 

Outre  les  cessions  immenses  du  traité  de  Bretigni, 
le  duc  de  Bourgogne  offrait  la  Normandie  ;  le  dauphin 
proposait,  non  la  Normandie,  mais  la  Flandre  et  l'Ar- 
tois, c'est-à-dire  les  meilleures  provinces  du  duc  de 
Bourgogne. 

Le  clerc  anglais  Morgan,  chargé  de  prolonger  quel- 
ques jours  ces  négociations,  dit  enfin  aux  gens  du 
dauphin  :  «  Pourquoi  négocier  ?  Nous  avons  des  lettres 
de  votre  maître  au  duc  de  Bourgogne,  par  lesquelles  il 
lui  propose  de  s'unir  à  lui  contre  nous.  »  Les  Anglais 
amusèrent  de  même  le  duc  de  Bourgogne  et  finirent 
par  dire  :  «  Le  roi  est  fol,  le  dauphin  mineur,  et  le 
duc  de  Bourgogne  n'a  pas  qualité  pour  rien  céder  en 
France  * .  » 

Ces  comédies  diplomatiques  n'arrêtaient  pas  la  tra- 
gédie de  Rouen.  Le  roi  d'Angleterre,  croyant  faire  peur 
aux  habitants,  avait  dressé  des  gibets  autour  de  la 
ville,  et  il  y  faisait  pendre  des  prisonniers.  D'autre  part 
il  barra  la  Seine  avec  un  pont  de  bois,  des  chaînes  et 
des  navires,  de  sorte  que  rien  ne  pût  passer.  Les 
Rouennais  de  bonne  heure  semblaient  réduits  aux  der- 
nières extrémités,  et  ils  résistèrent  six  mois  encore;  ce 

1.  Yoy.  le  journal  des  négociations  dans  Rymer,  nov.  1418. 

t.  iv.  19 


290  HISTOIRE    DE    FRANCE 

fut  un  miracle.  Ils  avaient  mangé  les  chevaux,  les 
chiens  et  les  chats1.  Ceux  qui  pouvaient  encore  trou- 
ver quelque  aliment,  tant  fût-il  immonde,  ils  se  gar- 
daient bien  de  le  montrer;  les  affamés  se  seraient 
jetés  dessus.  La  plus  horrible  nécessité,  c'est  qu'il  fal- 
lut faire  sortir  de  la  ville  tout  ce  qui  ne  pouvait  pas 
combattre,  douze  mille  vieillards,  femmes  et  enfants. 
Il  fallut  que  le  fils  mit  son  vieux  père  à  la  porte,  le 
mari  sa  femme;  ce  fut  là  un  déchirement.  Cette  foule 
déplorable  vint  se  présenter  aux  retranchements 
anglais;  ils  y  furent  reçus  à  la  pointe  de  l'épée. 
Repoussés  également  de  leurs  amis  et  de  leurs  enne- 
mis, ils  restèrent  entre  le  camp  et  la  ville,  dans  le 
fossé,  sans  autre  aliment  que  l'herbe  qu'ils  arrachaient. 
Ils  y  passèrent  l'hiver  sous  le  ciel.  Des  femmes,  hélas! 
y  accouchèrent...;  et  alors  les  gens  de  Rouen,  voulant 
que  l'enfant  fut  du  moins  baptisé,  le  montaient  par 
une  corde  ;  puis  on  le  redescendait,  pour  qu'il  allât 
mourir  avec  sa  mère2.  On  ne  dit  pas  que  les  Anglais 


1.  La  chronique  anglaise  donne  un  étrange  tarif  des  animaux  dégoûtants 
dont  les  gens  de  Rouen  se  nourrirent  ;  peut-être  ce  tarif  n'est  qu'une  dérision 
féroce  de  la  misère  des  assiégés  :  On  vendait  un  rat  40  pences  (environ 
40  francs,  monnaie  actuelle),  et  un  chat  2  nobles  (60  francs),  une  souris  se 
vendait  6  pences  (environ  6  francs),  etc.  App.  198. 

2.  Monstrclet.  —  La  saison,  dit  le  chroniqueur  anglais,  était  pour  eux 
une  grande  source  de  misère;  il  ne  faisait  que  pleuvoir.  Les  fossés  présen- 
taient plus  d'un  spectacle  lamentable;  on  y  voyait  des  enfants  de  deux  à 
trois  ans  obligés  de  mendier  leur  pain  parce  que  leurs  père  et  mère  étaient 
morts.  L'eau  séjournant  sur  le  sol  qu'ils  étaient  contraints  d'habiter,  et,  gisant 
ça  et  là,  ils  poussaient  des  cris,  implorant  un  peu  de  nourriture.  Plusieurs 
avaient  les  membres  fléchis  par  la  faiblesse  et  étaient  maigres  comme  une 
branche  desséchée;  les  femmes  tenaient  leurs  nourrissons  dans  leurs  bras, 
sans  avoir  rien  pour  les  réchauffer;  des  enfants  tétaient  encore  le  sein  de 
leur  mère  étendue  sans  vie.  On  trouvait  dix  à  douze  morts  pour  un  vivant. 


HENRI    V  291 

aient  eu  cette  charité  ;  et  pourtant  leur  camp  était  plein 
de  prêtres,  d'évêques;  il  y  avait  entre  autres  le  primat 
d'Angleterre,  archevêque  de  Gantorbéry. 

Au  grand  jour  de  Noël,  lorsque  tout  le  monde  chré- 
tien dans  la  joie  célèbre  par  de  douces  réunions  de 
famille  la  naissance  du  petit  Jésus,  les  Anglais  se 
firent  scrupule  de  faire  bombance1  sans  jeter  des 
miettes  à  ces  affamés.  Deux  prêtres  anglais  descendi- 
rent parmi  les  spectres  du  fossé  et  leur  apportèrent  du 
pain.  Le  roi  fit  dire  aussi  aux  habitants  qu'il  voulait 
bien  leur  donner  des  vivres  pour  le  saint  jour  de  Noël  ; 
mais  nos  Français  ne  voulurent  rien  recevoir  de 
l'ennemi. 

Cependant  le  duc  de  Bourgogne  commençait  à  se 
mettre  en  mouvement.  Et  d'abord,  il  alla  de  Paris  à 
Saint-Denis.  Là,  il  fit  prendre  au  roi  solennellement 
l'oriflamme;  cruelle  dérision;  ce  fut  pour  rester  à  Pon- 
toise,  longtemps  à  Pontoise,  longtemps  à  Beauvais.  Il 
y  reçut  encore  un  homme  de  Rouen  qui  s'était  dévoué 
pour  risquer  le  passage  ;  c'était  le  dernier  messager,  la 
voix  d'une  ville  expirante  ;  il  dit  simplement  que  dans 
Rouen  et  la  banlieue  il  était  mort  cinquante  mille 
hommes  de  faim.  Le  duc  de  Bourgogne  fut  touché,  il 
promit  secours,  puis,  débarrassé  du  messager,  et  comp- 
tant bien  sans  cloute  ne  plus  entendre  parler  de  Rouen, 
il  tourna  le  dos  à  la  Normandie  et  mena  le  roi  à 
Provins. 

Il  fallut  donc  se  rendre.  Mais  le  roi  d'Angleterre, 

1.  Le  camp  anglais  regorgeait  de  vivres;  les  habitants  de  Londres  avaient 
envoyé  à  eux  seuls  un  vaisseau  chargé  de  vin  et  de  cervoise.  (Chéruel.) 


292  HISTOIRE    DE    FRANCE 

croyant  utile  de  faire  un  exemple  pour  une  si  longue 
résistance,  voulait  les  avoir  à  merci.  LesRouennais  qui 
savaient  ce  que  c'était  que  la  merci  d'Henri  Y,  prirent 
la  résolution  de  miner  un  mur,  et  de  sortir  par  là  la 
nuit  les  armes  à  la  main,  à  la  grâce  de  Dieu.  Le  roi  et 
les  évêques  réfléchirent,  et  l'archevêque  de  Gantor- 
béry  vint  lui-même  offrir  une  capitulation  :  1°  La  vie 
sauve,  cinq  hommes  exceptés1;  ceux  des  cinq  qui 
étaient  riches  ou  gens  d'Église  se  tirèrent  d'affaire; 
Alain  Blanchard  paya  pour  tous  ;  il  fallait  à  l'Anglais 
une  exécution,  pour  constater  que  la  résistance  avait 
été  rébellion  au  roi  légitime.  2°  Pour  la  même  raison, 
Henri  assura  à  la  ville  tous  les  privilèges  que  les  rois 
de  France,  ses  ancêtres,  lui  avaient  accordés,  avant 
V  usurpation  de  Philippe -de -Valois.  3°  Mais  elle  dut 
payer  une  terrible  amende,  trois  cent  mille  écus  d'or, 
moitié  en  janvier  (on  était  déjà  au  19  janvier2),  moitié 
en  février.  Tirer  cela  d'une  ville  dépeuplée,  ruinée3, 
ce  n'était  pas  chose  facile.  Il  y  avait  à  parier  que  ces 
débiteurs  insolvables  feraient  plutôt  cession  de  biens, 
qu'ils  se  sauveraient  tous  cle  la  ville,  et  que  le  créan- 
cier se  trouverait  n'avoir  pour  gage  que  des  maisons 
croulantes.  —  On  y  pourvut  ;  la  ville  fut  contrainte  par 
corps;  tous  les  habitants  consignés  jusqu'à  parfait 
payement.  Des  gardes  étaient  mis  aux  portes;  pour 
sortir,  il  fallait  montrer  un  billet  qu'on  achetait  fort 
cher*. 

1.  App.  199.  —  2.  App.  200. 

3.  L'entrée  magnifique    du  vainqueur,    au    milieu   de   ces  ruines,   fit   un 
contraste  cruel.  L'honnête  et  humain  M.  Turner  en  est  lui-même  blessé. 

4.  Monstrelet. 


HENRI    V  293 

Ces  billets  parurent  une  si  heureuse  invention  de 
police  et  d'un  si  bon  rapport,  que  désormais  on  en 
exigea  partout.  La  Normandie  entière  devint  une  geôle 
anglaise.  Ce  gouvernement  sage  et  dur  ajouta  à  ces 
rigueurs  un  bienfait,  qui  parut  une  rigueur  encore  : 
l'unité  de  poids,  de  mesures  et  d'aunage,  poids  de 
Troyes,  mesure  de  Rouen  et  d'Arqués,  aunage  de 
Paris  1. 

Le  roi  d'Angleterre,  occupé  d'organiser  le  pays  con- 
quis, accorda  une  trêve  aux  deux  partis  français,  aux 
Bourguignons  et  aux  Armagnacs.  Il  avait  besoin  de 
refaire  un  peu  son  armée.  Il  lui  fallait  surtout  ramas- 
ser de  l'argent  et  s'acquitter  envers  les  évêques  qui  lui 
en  avaient  prêté  pour  cette  longue  expédition.  L'Église 
lui  faisait  la  banque,  mais  en  prenant  ses  sûretés; 
tantôt  les  évoques  se  faisaient  assigner  par  lui  le  pro- 
duit d'un  impôt2;  tantôt  ils  lui  prêtaient  sur  gage, 
sur  ses  joyaux  3,  sur  sa  couronne,  par  exemple.  Yoilà 
sans  doute  pourquoi  ils  suivaient  le  camp  en  grand 
nombre  4.  A  chaque  conquête,  ils  pouvaient  récupérer 
leurs  avances,  occupant  les  bénéfices  vacants,  les 
administrant,  en  percevant  les  fruits.  Si  les  absents 
s'obstinaient  à  ne  pas  revenir,  le  roi  disposait  de  leurs 
bénéfices,  de  leurs  héritages,  en  faveur  de  ceux  qui  le 
suivaient.  La  terre  ne  manquait  pas.  Beaucoup  de  gens 
aimaient  mieux  tout  perdre  que  de  revenir.  Le  pays  de 

1.  Rymer. 

2.  Par  exemple,  en  1415,  il  engage  à  l'archevêque  de  Cantorbéry  et  aux 
évêques  de.  Winchester,  etc.,  la  perception  de  droits  féodaux.  App.  219. 

3.  Par  exemple,  le  24  juillet  1415,  le  22  juin  1417.  (Rymer.) 

4.  «  Praelatorum,  semper  sibi  assistentium,  consilio...  »  (Religieux.) 


294  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Gaux  était  désert  ;  il  se  peuplait  de  loups  ;  le  roi  y  créa 
un  louvetier. 

Ce  grand  succès  de  la  prise  de  Rouen  exalta  l'or- 
gueil d'Henri  V  et  obscurcit  un  moment  cet  excellent 
esprit;  telle  est  la  faiblesse  de  notre  nature.  Il  se  crut 
si  sur  de  réussir,  qu'il  fit  tout  ce  qu'il  fallait  pour 
échouer. 

Chose  étrange,  et  pourtant  certaine,  ce  conquérant 
de  la  France  n'avait  encore  qu'une  province,  et  déjà  la 
France  ne  lui  suffisait  plus.  Il  commençait  à  se  mêler 
des  affaires  d'Allemagne.  Il  y  voulait  marier  son  frère 
Bedforcl1;  la  désorganisation  de  l'Empire  l'encoura- 
geait sans  doute;  un  frère  du  roi  d'Angleterre,  c'était 
bien  assez  pour  faire  un  empereur;  témoin  le  frère 
d'Henri  III,  Richard  de  Gornouailles.  Déjà  Henri  V 
marchandait  l'hommage  des  archevêques  et  autres 
princes  du  Rhin. 

Autre  folie,  et  plus  folle.  Il  voulait  faire  adopter  son 
jeune  frère,  Glocester,  à  la  reine  de  Naples,  et  provi- 
soirement se  faire  donner  le  port  de  Brindes  et  le 
duché  de  Calabre 2.  Brindes  était  un  lieu  d'embarque- 
ment pour  Jérusalem  ;  l'Italie  était  pour  Henri  le  che- 
min de  la  terre  sainte;  déjà  ses  envoyés  prenaient  des 
informations  en  Syrie.  En  attendant,  ce  projet  lui  fai- 
sait un  ennemi  mortel  du  roi  d'Aragon,  Alfonse-le- 
Magnanime,  prétendant  à  l'adoption  de  Naples;  il  met- 
tait d'accord  contre  lui  les  Aragonais 3  et  les  Castillans, 

1.  App.  201.  —  2.  App.  202. 

3.  Les  Anglais  s'étaient  fort  maladroitement  mêlés  des  affaires  intérieures 
de  l'Aragon,  dès  1413.  (Ferreras.) 


HENRI    V  295 

deux  puissances  maritimes.  Dès  lors  la  Guyenne1, 
l'Angleterre  même,  étaient  en  péril.  Naguère  les  Cas- 
tillans, conduits  par  un  Normand,  amiral  de  Gastille, 
avaient  gagné  snr  les  Anglais  une  grande  bataille 
navale2.  Leurs  vaisseaux  devaient  sans  difficulté,  ou 
ravager  les  côtes  d'Angleterre,  ou  tout  au  moins  aller 
en  Ecosse  chercher  les  Ecossais  et  les  amener  comme 
auxiliaires  au  dauphin. 

Henri  V  voyait  si  peu  son  danger  du  coté  du  dau- 
phin, de  l'Ecosse  et  de  l'Espagne,  qu'il  ne  craignit  pas 
de  mécontenter  le  duc  de  Bourgogne.  Celui-ci,  miséra- 
blement dépendant  des  Anglais  pour  les  trêves  de 
Flandre,  avait  essayé  de  fléchir  Henri.  Il  lui  demanda 
une  entrevue,  et  lui  proposa  d'épouser  une  fille  de 
Charles  YI,  avec  la  Guyenne  et  la  Normandie  ;  mais  il 
voulait  encore  la  Bretagne  comme  dépendance  de  la 
Normandie,  et  de  plus  le  Maine,  l'Anjou  et  la  Tou- 
raine.  Le  duc  de  Bourgogne  n'avait  pas  craint  d'amener 
à  cette  triste  négociation  la  jeune  princesse,  comme 
pour  voir  si  elle  plairait.  Elle  plut,  mais  l'Anglais  n'en 
fut  pas  moins  dur,  moins  insolent;  cet  homme,  qui 
ordinairement  parlait  peu  et  avec  mesure,  s'oublia 
jusqu'à  dire  :  «  Beau  cousin,  sachez  que  nous  aurons 
la  fille  de  votre  roi,  et  le  reste,  ou  que  nous  vous  met- 
trons, lui  et  vous,  hors  de  ce  royaume3.  » 

Le  roi  d'Angleterre  ne  voulait  pas  traiter  sérieuse- 
ment; et  le  duc  de  Bourgogne  avait  près  de  lui  des 


1.  App.  203. 

2.  Le  Normand  Robert  de  Rraquemont,  amiral  de  Castille.  (Le  Religieux.) 
App.  204.  —  3.  Monstrelct. 


296  HISTOIRE    DE    FRANCE 

gens  qui  le  suppliaient  de  traiter  avec  eux,  les  gens 
du  dauphin,  deux  braves  qui  commandaient  ses 
troupes,  Barbazan  et  Tannegui  Duchâtel.  Il  était 
bien  temps  que  la  France  se  réconciliât,  si  près  de 
sa  perte.  Le  Parlement  de  Paris  et  celui  de  Poitiers  y 
travaillaient  également;  la  reine  aussi,  et  plus  effi- 
cacement, car  elle  employait  près  du  duc  de  Bour- 
gogne une  belle  femme,  pleine  d'esprit  et  de  grâce, 
qui  parla,  pleura1,  et  trouva  moyen  de  toucher  cette 
âme  endurcie. 

Le  11  juillet,  on  vit  au  ponceau  de  Pouilly  ce  spec- 
tacle singulier  :  le  duc  de  Bourgogne  au  milieu  des 
anciens  serviteurs  du  duc  d'Orléans,  parmi  les  frères  et 
les  parents  des  prisonniers  ct'Azincourt  et  des  égorgés 
de  Paris.  Il  voulut  lui-même  s'agenouiller  devant  le 
dauphin.  Un  traité  d'amitié,  de  secours  mutuel,  fut 
signé,  subi  par  les  uns  et  les  autres.  Il  fallait  voir  aux 
preuves  ce  que  deviendrait  cette  amitié  entre  gens  qui 
avaient  de  si  bonnes  raisons  de  se  haïr. 

Les  Anglais  n'étaient  pas  sans  inquiétude2.  Sept 
jours  après  ce  traité,  le  18  juillet,  Henri  V  dépêcha  de 
nouveaux  négociateurs  pour  renouer  l'affaire  du 
mariage.  Ce  qui  est  plus  étrange,  ce  qui  étonnera  ceux 
qui  ne  savent  pas  combien  les  Anglais  sortent  aisé- 
ment de  leur  caractère  quand  leur  intérêt  l'exige,  c'est 
qu'il  devint  tout  à  coup  empressé  et  galant  ;  il  envoya 

1.  Le  bon  Religieux  de  Saint-Denis  l'appelle  «  la  respectable  et  pru- 
dente dame  de  Giac...  »  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'elle  était  fort  habile.  Son 
mari,  le  sire  de  Giac,  ne  devinant  pas  pourquoi  il  réussissait  dans  tout, 
croyait  le  devoir  au  Diable,  à  qui  il  avait  voué  une  de  ses  mains. 

2.  App.  205. 


HENRI    V  297 

à  la  princesse  un  présent  considérable  de  joyaux  \  Il 
est  vrai  que  les  gens  du  dauphin  arrêtèrent  ces  joyaux 
en  route  ;  ils  crurent  pouvoir  porter  au  frère  ce  qu'on 
destinait  à  la  sœur. 

Le  roi  d'Angleterre  eut  bientôt  lieu  de  se  rassurer. 
Le  duc  de  Bourgogne,  quoi  qu'il  fit,  ne  pouvait  sortir 
de  la  situation  équivoque  où  le  plaçait  l'intérêt  de  la 
Flandre.  Son  traité  avec  le  dauphin  ne  rompit  pas  les 
négociations  qu'il  avait  engagées  depuis  le  mois  de 
juin  pour  continuer  les  trêves  entre  la  Flandre  et  l'An- 
gleterre. Le  28  juillet,  à  Londres,  le  duc  de  Bedford 
proclama  le  renouvellement  des  trêves.  Le  29,  près  de 
Paris,  les  Bourguignons  en  garnison  à  Pontoise  se 
laissèrent  surprendre  par  les  Anglais  ;  les  habitants 
fugitifs  arrivèrent  à  Paris  et  y  jetèrent  une  extrême 
consternation.  Elle  augmenta  lorsque,  le  30,  le  duc  de 
Bourgogne,  emmenant  précipitamment  le  roi  de  Paris 
à  Troyes,  passa  sous  les  murs  de  Paris  sans  y  entrer, 
sans  pourvoir  à  la  défense  des  Parisiens  éperdus, 
autrement  qu'en  nommant  capitaine  de  la  ville  son 
neveu,  enfant  de  quinze  ans â. 

D'après  tout  cela,  les  gens  du  dauphin  crurent,  à  tort 
ou  à  droit,    qu'il   s'entendait   avec  les   Anglais.    Ils 


1.  Le  Religieux  croit,  sans  doute  d'après  un  bruit  populaire,  qu'il  y  en 
avait  pour  cent  mille  écus  ! 

2.  Le  mécontentement  extrême  de  Paris  se  fait  sentir  jusque  dans  les  pâles 
et  timides  notes  du  greffier  du  Parlement  :  «  Ce  jour  (9  août),  les  Anglois 
vinrent  courir  devant  les  portes  de  Paris...  Et  lors,  y  avoit  à  Paris  petite 
garnison  de  gens  d'armes,  pour  l'absence  du  Roy,  de  la  Royne,  de  Mess,  le 
Dauphin,  le  duc  de  Bourgoinghe  et  des  autres  seigneurs  de  France  qui 
jusques  cy  ont  fait  petite  résistence  aus  dits  Anglois  et  à  leurs  entre- 
prises... »  {Archives,  Registres  du  Parlement.) 


298  HISTOIRE    DE    FRANCE 

savaient  que  les  Parisiens  étaient  fort  irrités  de  l'aban- 
don où  les  laissait  leur  bon  duc,  sur  lequel  ils  avaient 
tant  compté.  Ils  crurent  que  le  duc  cle  Bourgogne 
était  un  homme  ruiné,  perdu.  Et  alors,  la  vieille  haine 
se  réveilla  d'autant  plus  forte  qu'enfin  la  vengeance 
parut  possible  après  tant  d'années. 

Ajoutez  que  le  parti  du  dauphin  était  alors  dans  la 
joie  d'une  victoire  navale  des  Castillans  sur  les  Anglais; 
ils  savaient  que  les  armées  réunies  de  Gastille  et  d'Ara- 
gon allaient  assiéger  Bayonne,  qu'enfin  les  flottes 
espagnoles  devaient  amener  au  dauphin  des  auxiliaires 
écossais.  Ils  croyaient  que  le  roi  d'Angleterre,  attaqué 
ainsi  de  plusieurs  côtés,  ne  saurait  où  courir. 

Le  dauphin,  enfant  de  seize  ans,  était  fort  mal 
entouré.  Ses  principaux  conseillers  étaient  son  chan- 
celier Maçon,  et  Louvet,  président  de  Provence,  deux 
légistes,  de  ces  gens  qui  avaient  toujours  pour  justifier 
chaque  crime  royal  une  sentence  de  lèse-majesté.  Il 
avait  aussi  pour  conseillers  des  hommes  d'armes,  de 
braves  brigands  armagnacs,  gascons  et  bretons,  habi- 
tués depuis  dix  ans  à  une  petite  guerre  de  surprises, 
de  coups  fourrés,  qui  ressemblaient  fort  aux  assas- 
sinats. 

Les  serviteurs  du  duc  lui  disaient  presque  tous 
qu'il  périrait  dans  l'entrevue  que  le  dauphin  lui 
demandait.  Les  gens  du  dauphin  s'étaient  chargés  de 
construire  sur  le  pont  de  Montereau  la  galerie  où  elle 
devait  avoir  lieu,  une  longue  et  tortueuse  galerie  de 
bois;  point  de  barrière  au  milieu,  contre  l'usage 
qu'on  observait  toujours  dans  cet  âge  défiant.  Malgré 


HENRI    V  299 

tout  cela,  il  s'obstina  d'y  aller  ;  la  clame  de  Giac,  qui 
ne  le  quittait  point,  le  voulut  ainsi1. 

Le  duc  tardant  à  venir,  ïannegui  Duchâtel  alla  le 
chercher.  Le  duc  n'hésita  plus  ;  il  lui  frappa  sur 
l'épaule,  en  disant  :  «  Voici  en  qui  je  me  fie.  »  Duchâtel 
lui  fît  hâter  le  pas;  le  dauphin,  disait-il,  attendait; 
de  cette  manière  il  le  sépara  de  ses  hommes,  de  sorte 
qu'il  entra  seul  dans  la  galerie  avec  le  sire  de  Navailles, 
frère  du  captai  de  Buch,  qui  servait  les  Anglais  et 
venait  de  prendre  Pontoise.  Tous  deux  y  furent 
égorgés  (10  septembre  1419). 

L'altercation  qui  eut  lieu  est  diversement  rapportée. 
Selon  l'historien  ordinairement  le  mieux  informé, 
les  gens  du  dauphin  lui  auraient  dit  durement  : 
«  Approchez  donc  enfin,  monseigneur,  vous  avez  bien 
tardé2!  »  A  quoi  il  aurait  répondu  que  «  c'était  le 
dauphin  qui  tardait  à  agir,  que  ses  lenteurs  et  sa  négli- 
gence avaient  fait  bien  du  mal  dans  le  royaume  ». 
Selon  un  autre  récit,  il  aurait  dit  qu'on  ne  pouvait 
traiter  qu'en  présence  du  roi,  que  le  dauphin  devait 
y  venir  ;  le  sire  de  Navailles,  mettant  la  main  sur 
son  épée,  de  l'autre  saisissant  le  bras  du  jeune  prince, 
aurait  crié,  avec  la  violence  méridionale  de  la  maison 
de  Foix  :  «  Que  vous  le  veuillez  ou  non,  vous  y  vien- 
drez, monseigneur.  »  Ce  récit,  qui  est  celui  'des  dau- 

1.  Le  trahit-elle?  Tout  le  monde  le  crut  quand,  après  l'événement,  on  la 
vit  rester  du  côté  du  dauphin.  Pourtant  elle  avait  perdu,  par  la  mort  de 
Jean-sans-Peur,  l'espoir  d'une  grande  fortune.  Innocente  ou  coupable,  qu'au- 
rait-elle été  chercher  en  Bourgogne?  la  haine  de  la  veuve,  toute-puissante 
sous  son  fils? 

2.  «  Tardavistis...  tardavistis...  »  (Religieux.) 


300  HISTOIRE    DE    FRANCE 

phinois,  n'en  est  pas  moins  assez  croyable  ;  ils 
avouent,  comme  on  voit,  que  leur  plus  grande  crainte 
était  que  le  dauphin  ne  leur  échappât,  qu'il  ne  revînt 
près  de  son  père  et  du  duc  de  Bourgogne. 

Tannegui  Duchàtel  assura  toujours  qu'il  n'avait  pas 
frappé  le  duc.  D'autres  s'en  vantèrent.  L'un  d'eux,  Le 
Bouteiller,  disait  :  «  J'ai  dit  au  duc  de  Bourgogne  : 
Tu  as  coupé  le  poing  au  duc  d'Orléans,  mon  maître, 
je  vais  te  couper  le  tien.  » 

Quelque  peu  regrettable  que  fût  le  duc  de  Bour- 
gogne, sa  mort  fît  un  mal  immense  au  dauphin1.  Jean- 
sans-Peur  était  tombé  bien  bas,  lui  et  son  parti.  Il  n'y 
avait  bientôt  plus  de  Bourguignons.  Rouen  ne  pou- 
vait jamais  oublier  qu'il  l'avait  laissé  sans  secours. 
Paris,  qui  lui  était  si  dévoué,  s'en  voyait  de  même 
abandonné  au  moment  du  péril.  Tout  le  monde  com- 
mençait à  le  mépriser,  à  le  haïr.  Tous,  dès  qu'il  fut 
tué,  se  retrouvèrent  Bourguignons. 

La  lassitude  était  extrême,  les  souffrances  inexpri- 
mables ;  on  fut  trop  heureux  de  trouver  un  prétexte 
pour  céder.  Chacun  s'exagéra  à  lui-même  sa  pitié  et 
son  indignation.  La  honte  d'appeler  l'étranger  se  cou- 
vrit d'un  beau  semblant  de  vengeance.  Au  fond, 
Paris  céda  parce  qu'il  mourait  de  faim.  La  reine  céda 
parce  qu'après  tout,  si  son  fils  n'était  roi,  sa  fille  au 
moins   serait  reine.   Le  fils  du  duc  de   Bourgogne, 


1.  «  Le  seigneur  de  Barbezan  par  plusieurs  fois  reprocha  à  ceux  qui 
avoient  machiné  le  cas  dessus  dit,  disant  qu'ils  avoient  détruit  leur  maître  de 
chevance  et  d'honneur,  et  que  mieux  vaudroit  avoir  été  mort  que  d'avoir  été 
à  icellc  journée,  combien  qu'il  en  fût  innocent.  »  (Monstrelet.)  App.  206. 


HENRI    Y  301 

Philippe-le-Bon,  était  le  seul  sincère  ;  il  avait  son  père 
à  venger.  Mais  sans  doute  aussi  il  croyait  y  trouver 
son  compte  ;  la  branche  de  Bourgogne  grandissait  en 
ruinant  la  branche  ainée,  en  mettant  sur  le  trône  un 
étranger  qui  n'aurait  jamais  qu'un  pied  de  ce  côté  du 
détroit,  et  qui,  s'il  était  sage,  gouvernerait  la  France 
par  le  duc  de  Bourgogne. 

Il  ne  faut  pas  croire  que  Paris  ait  appelé  facilement 
l'étranger.  Il  avait  été  amené  à  cette  dure  extrémité 
par  des  souffrances  dont  rien  peut-être,  sauf  le  siège 
de  1590,  n'a  donné  l'idée  depuis.  Si  l'on  veut  voir 
comment  les  longues  misères  abaissent  et  matéria- 
lisent l'esprit,  il  faut  lire  la  chronique  d'un  Bourgui- 
gnon de  Paris  qui  écrivait  jour  par  jour.  Ce  désolant 
petit  livre  fait  sentir  à  la  lecture  quelque  chose  des 
misères  et  de  la  brutalité  du  temps.  Quand  on  vient  de 
lire  le  placide  et  judicieux  Religieux  de  Saint-Denis, 
et  que  de  là  on  passe  au  journal  de  ce  furieux  Bour- 
guignon, il  semble  qu'on  change,  non  d'auteur  seule- 
ment, mais  de  siècle  ;  c'est  comme  un  âge  barbare  qui 
commence.  L'instinct  brutal  des  besoins  physiques 
y  domine  tout  ;  partout  un  accent  de  misère,  une  âpre 
voix  de  famine.  L'auteur  n'est  préoccupé  que  du  prix 
des  vivres,  de  la  difficulté  des  arrivages;  les  blés  sont 
chers,  les  légumes  ne  viennent  plus,  les  fruits  sont 
hors  de  prix,  la  vendange  est  mauvaise,  l'ennemi 
récolte  pour  nous.  En  deux  mots,  c'est  là  le  livre  : 
«  J'ai  faim,  j'ai  froid  »  ;  ce  cri  déchirant  que  l'auteur 
entendait  sans  cesse  dans  les  longues  nuits  d'hiver. 

Paris    laissa    donc    faire    les    Bourguignons,    qui 


302  HISTOIRE    DE    FRANCE 

avaient  encore  toute  autorité  dans  la  ville.  Le  jeune 
Saint-Pol,  neveu  du  duc  de  Bourgogne  et  capitaine  de 
Paris,  fut  envoyé  en  novembre  au  roi  d'Angleterre 
avec  maître  Eustache  Atry,  «  au  nom  de  la  cité,  du 
clergé  et  de  la  commune  ».  Il  les  reçut  à  merveille, 
déclarant  qu'il  ne  voulait  que  la  possession  indépen- 
dante de  ce  qu'il  avait  conquis  et  la  main  de  la  prin- 
cesse Catherine.  Il  disait  gracieusement  :  «  Ne  suis-je 
pas  moi-même  du  sang  de  France?  Si  je  deviens 
gendre  du  roi,  je  le  défendrai  contre  tout  homme  qui 
puisse  vivre  et  mourir1.  » 

Il  eut  plus  qu'il  ne  demandait.  Ses  ambassadeurs, 
encouragés  par  les  dispositions  du  nouveau  duc  de 
Bourgogne,  réclamèrent  le  droit  de  leur  maître  à  la 
couronne  de  France,  et  le  duc  reconnut  ce  droit 
(2  décembre  1419).  Le  roi  d'Angleterre  avait  mis  trois 
ans  à  conquérir  la  Normandie  ;  la  mort  cle  Jean-sans- 
Peur  sembla  lui  donner  la  France  en  un  jour. 

Le  traité  conclu  à  Troyes  au  nom  de  Charles  VI 
assurait  au  roi  d'Angleterre  la  main  de  la  fille  du  roi 
de  France,  et  la  survivance  du  royaume  :  «  Est  accordé 
que  tantôt  après  nostre  trépas,  la  couronne  et  royaume 
de  France  demeureront  et  seront  perpétuellement  à 
nostre  dit  fils  le  roy  Henry  et  à  ses  hoirs...  La  faculté 
et  Y  exercice  de  gouverner  et  ordonner  la  chose  publique 
dudit  royaume,  seront  et  demeureront,  notre  vie  durant , 
à  nostre  dit  fils  le  roi  Henri,  avec  le  conseil  des  nobles 
et  sages  duclit royaume...  Durant  nostre  vie,  les  lettres 

1.  Le  Religieux. 


HENRI    V  303 

concernées  en  justice  devront  être  écrites  et  procéder 
sous  nostre  nom  et  scel  ;  toutefois,  pour  ce  qu'aucuns 
cas  singuliers  pourroient  advenir...,  il  sera  loisible  à 
nostre  fils...  écrire  ses  lettres  à  nos  sujets,  par  lesquels 
il  mandera,  défendra  et  commandera,  de  par  nous  et 
de  par  lui,  comme  régent...  » 

Après  ceci,  l'article  suivant  n'était-il  pas  dérisoire? 
«  Toutes  conquestes  qui  se  feront  par  nostre  dit  fils 
le  roi  Henri  sur  les  désobéissants,  seront  et  se  feront 
à  notre  profit.  » 

Ce  traité  monstrueux  finissait  dignement  par  ces 
lignes,  où  le  roi  proclamait  le  déshonneur  de  sa 
famille,  où  le  père  proscrivait  son  fils  :  «  Considéré  les 
horribles  et  énormes  crimes  et  délits  perpétrés  audit 
royaume  de  France  par  Charles,  soi-disant  dauphin 
de  Viennois,  il  est  accordé  que  nous,  nostre  dit  fils  le 
roi,  et  aussi  nostre  très  cher  fils  Philippe,  duc  de 
Bourgogne,  ne  traiterons  aucunement  de  paix  ni  de 
concorde  avecque  ledit  Charles,  ni  traiterons  ou  ferons 
traiter,  sinon  du  consentement  et  du  conseil  de  tous 
et  chacun  de  nous  trois,  et  des  trois  états  des  deux 
royaumes  dessusdits1.  » 

Ce  mot  honteux,  soi-disant  dauphin,  fut  payé 
comptant  à  la  mère.  Isabeau  se  fît  assigner  immédia- 
tement deux  mille  francs  par  mois,  à  prendre  sur  la 
monnaie  de  Troyes2.  A  ce  prix,  elle  renia  son  fils  et 
livra  sa  fille.  L'Anglais  prenait  tout  à  la  fois  au  roi 

1.  Voy.  cet  acte  en  trois  langues,  latine,  française  et  anglaise,  dans  Rymer, 
21  mai  1420. 

2.  Rymer,  9  juin  1420. 


304  HISTOIRE    DE    FRANCE 

de  France  son  royaume  et  son  enfant.  La  pauvre 
demoiselle  était  obligée  d'épouser  un  maître  ;  elle  lui 
apportait  en  dot  la  ruine  de  son  frère.  Elle  devait 
recevoir  un  ennemi  dans  son  lit,  lui  enfanter  des  fils 
maudits  de  la  France. 

Il  eut  si  peu  d'égard  pour  elle,  que  le  matin  même 
de  la  nuit  des  noces  il  partit  pour  le  siège  de  Sens1. 
Cet  implacable  chasseur  d'hommes  court  ensuite  à 
Montereau.  Et  ne  pouvant  réduire  le  château,  il  fait 
pendre  les  prisonniers  au  bord  des  fossés2.  C'était 
pourtant  le  premier  mois  de  son  mariage,  le  moment 
où  il  n'y  a  point  de  cœur  qui  n'aime  et  ne  pardonne  ; 
sa  jeune  Française  était  enceinte;  il  n'en  traitait  pas 
mieux  les  Français. 

Avec  toute  cette  impétuosité ,  il  fallut  bien  qu'il 
patientât  devant  Melun  ;  le  brave  Barbazan  l'y  arrêta 
plusieurs  mois.  Le  roi  d'Angleterre,  employant  tous 
les  moyens,  amena  au  siège  Charles  VI.  et  les  deux 
reines,  se  présentant  comme  gendre  du  roi  de  France, 
parlant  au  nom  de  son  beau-père,  se  servant  de  sa 
femme  comme  d'amorce  et  de  piège.  Toutes  ces 
habiletés  ne  réussirent  pas.  Les  assiégés  résistèrent 
vaillamment  ;  il  y  eut  des  combats  acharnés  autour 
des  murs  et  sous  les  murs,  dans  les  mines  et  contre- 


1.  Comme  on  allait  faire  des  joutes  pour  le  mariage,  «  il  dit,  oïant  tous, 
de  son  mouvement  :  Je  prie  à  M.  le  Roy,  de  qui  j'ai  espousé  la  fille,  et  à  tous 
ses  serviteurs,  et  à  mes  serviteurs  je  commande  que  demain  au  matin  nous 
soyons  tous  prêts  pour  aller  mettre  le  siège  devant  la  cité  de  Sens,  et  là, 
pourra  chascun  jouster  ».  {Journal  du  Bourgeois.) 

2.  «  Auquel  lieu  le  roi  d'Angleterre  fit  dresser  un  gibet,  où  les  dessusdits 
prisonniers  furent  tous  pendus,  voyant  ceux  du  chastcl.  »  (Monstrelet.) 


HENRI    V  305 

mines,  et  Henri  lui-même  ne  s'y  épargna  pas.  Cepen- 
dant, les  vivres  manquant,  il  fallut  se  rendre.  L'An- 
glais, selon  son  usage,  excepta  de  la  capitulation  et 
fit  tuer  plusieurs  bourgeois,  tout  ce  qu'il  y  avait 
d'Écossais  dans  la  place,  et  jusqu'à  deux  moines. 

Pendant  le  siège  de  Melun,  il  s'était  fait  livrer  Paris 
par  les  Bourguignons,  les  quatre  forts,  Yincennes,  la 
Bastille,  le  Louvre  et  la  tour  de  Nesle.  Il  fit  son  entrée 
en  décembre.  Il  chevauchait  entre  le  roi  de  France 
et  le  duc  de  Bourgogne.  Celui-ci  était  vêtu  de  deuil1, 
en  signe  de  douleur  et  de  vengeance  ;  par  pudeur 
aussi  peut-être,  pour  s'excuser  du  triste  personnage 
qu'il  faisait  en  amenant  l'étranger.  Le  roi  d'Angle- 
terre était  suivi  de  ses  frères,  les  ducs  de  Clarence  et 
de  Bedford,  du  duc  cl'Exeter,  du  comte  de  Warwick 
et  de  tous  ses  lords.  Derrière  lui,  on  portait,  entre 
autres  bannières,  sa  bannière  personnelle,  la  lance 
à  queue  de  renard 2  ;  c'était  apparemment  un  signe 
qu'il  avait  pris  jadis,  en  bon  foœ-hunter,  dans  sa  vive 
jeunesse  ;  homme  fait,  roi  et  victorieux,  il  gardait 
avec  une  insolente  simplicité  le  signe  du  chasseur 
dans  cette  grande  chasse  de  P'rance. 

Le  roi  d'Angleterre  fut  bien  reçu  à  Paris 3.  Ce  peuple 
sans  cœur  (la  misère  l'avait  fait  tel)  accueillit  l'étranger 
comme  il  eût  accueilli  la  paix  elle-même.  Les  gens 
d'Eglise  vinrent  en  procession  au-devant  des  deux 
rois  leur  faire  baiser  les  reliques.  On  les  mena  à 
Notre-Dame,  où  ils  firent  leurs  prières  au  grand  autel. 

1.  Monstrelet.  —  2.  App.  207.  —  3.  App.  208. 

t.  iv.  20 


306  HISTOIRE    DE    FRANCE 

De  là  le  roi  de  France  alla  loger  à  sa  maison  de  Saint- 
Paul  ;  le  vrai  roi,  le  roi  d'Angleterre,  s'établit  dans  la 
bonne  forteresse  du  Louvre  (décembre  1420). 

Il  prit  possession,  comme  régent  de  France,  en 
assemblant  les  États  le  6  décembre  1420  et  leur  fai- 
sant sanctionner  le  traité  de  Troyes1. 

Pour  que  le  gendre  fût  sûr  d'hériter,  il  fallait  que  le 
fils  fût  proscrit.  Le  duc  de  Bourgogne  et  sa  mère 
vinrent  par-devant  le  roi  de  France,  siégeant  comme 
juge  à  l'hôtel  Saint-Paul,  faire  «  grand'plainte  et  cla- 
meur de  la  piteuse  mort  de  feu  le  duc  Jean  de  Bour- 
gogne ».  Le  roi  d'Angleterre  était  assis  sur  le  même 
banc  que  le  roi  de  France.  Messire  Nicolas  Raulin 
demanda,  au  nom  du  duc  de  Bourgogne  et  de  sa  mère, 
que  Charles,  soi-disant  dauphin,  Tannegui  Duchâtel 
et  tous  les  assassins  du  duc  de  Bourgogne  fussent 
menés  dans  un  tombereau,  la  torche  au  poing,  par  les 
carrefours,  pour  faire  amende  honorable.  L'avocat  du 
roi  prit  les  mêmes  conclusions.  L'Université  appuya2. 
Le  roi  autorisa  la  poursuite,  et  Charles  ayant  été  crié 
et  cité  à  la  Table  de  marbre,  pour  comparaître  sous 
trois  jours  devant  le  Parlement,  fut,  par  défaut, 
condamné  au  bannissement  et  débouté  de  tout  droit 
à  la  couronne  de  France  (3  janvier  1421)  \ 

1.  Le  Parlement  d'Angleterre  en  fit  autant  le  21  mai  1421.  (Rymer.) 

2.  Monstrelet.  —  3.  App.  209. 


MORT  D'HENRI  V  ET  DE  CHARLES  VI  307 


CHAPITRE   III 


Suite  du  précédent.  —  Concile  de  Constance  (1414-1418). 

Mort  d'Henri  V  et  de  Charles  VI  (1422). 

Deux  rois  de  France,  Charles  VII  et  Henri  VI. 


Dans  les  années  1421  et  1422,  l'Anglais  résida  sou- 
vent au  Louvre,  exerçant  les  pouvoirs  de  la  royauté, 
faisant  justice  et  grâce,  dictant  des  ordonnances, 
nommant  des  officiers  royaux.  A  Noël,  à  la  Pentecôte, 
il  tint  cour  plénière  et  table  royale  avec  la  jeune  reine. 
Le  peuple  de  Paris  alla  voir  Leurs  Majestés  siégeant 
couronne  en  tête,  et  autour,  clans  un  bel  ordre,  les 
évêques,  les  princes,  les  barons  et  chevaliers  anglais. 
La  foule  affamée  vint  repaître  ses  yeux  du  somptueux 
banquet,  du  riche  service  ;  puis  elle  s'en  alla  à  jeun, 
sans  que  les  maîtres  d'hôtel  eussent  rien  offert  à 
personne.  Ce  n'était  pas  comme  cela  sous  nos  rois, 
disaient-ils  en  s'en  allant  ;  à  de  pareilles  fêtes,  il  y 
avait  table  ouverte  ;  s'asseyait  qui  voulait  ;  les  servi- 
teurs servaient  largement,  et  des  mets,  des  vins  du 
roi  même.  Mais  alors  le  roi  et  la  reine  étaient  à 
Saint-Paul,  négligés  et  oubliés. 


308  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Les  plus  mécontents  ne  pouvaient  nier,  après  tout, 
que  cet  Anglais  ne  fût  une  noble  figure  de  roi  et  vrai- 
ment royale.  Il  avait  la  mine  haute,  l'air  froidement 
orgueilleux,  mais  il  se  contraignait  assez  pour  parler 
honnêtement  à  chacun,  selon  sa  condition,  surtout 
aux  gens  d'Eglise.  On  remarquait,  à  sa  louange,  qu'il 
n'affirmait  jamais  avec  serment;  il  disait  seulement  : 
«  Impossible  »  ou  bien  :  «  Gela  sera1.  »  En  général,  il 
parlait  peu.  Ses  réponses  étaient  brèves  «  et  tran- 
chaient comme  rasoir  \  » 

Il  était  surtout  beau  à  voir,  quand  on  lui  apportait 
de  mauvaises  nouvelles;  il  ne  sourcillait  pas,  c'était 
la  plus  superbe  égalité  d'âme.  La  violence  du  carac- 
tère, la  passion  intérieure,  ordinairement  contenue, 
perçait  plutôt  dans  les  succès;  l'homme  parut  à  Azin- 
court...  Mais  au  temps  où  nous  sommes  il  était  bien 
plus  haut  encore,  si  haut  qu'il  n'y  a  guère  de  tête 
d'homme  qui  n'y  eût  tourné  :  roi  d'Angleterre  et  déjà 
de  France,  traînant  après  lui  son  allié  et  serviteur  le 
duc  de  Bourgogne,  ses  prisonniers  le  roi  d'Ecosse,  le 
duc  de  Bourbon,  le  frère  du  duc  de  Bretagne,  enfin 
les  ambassadeurs  de  tous  les  princes  chrétiens.  Ceux 
du  Rhin  particulièrement  lui  faisaient  la  cour;  ils 
tendaient  la  main  à  l'argent  anglais.  Les  archevêques 
de  Mayence  et  de  Trêves  lui  avaient  rendu  hommage, 
et  étaient  devenus  ses  vassaux3.  Le  palatin  et  autres 
princes  d'Empire,  avec  toute  leur  fierté  allemande, 
sollicitaient  son  arbitrage,  et  n'étaient  pas  loin   de 

1.  «  Impossibile  est;  vel  :  Sic  fieri  oportebit.  »  (Religieux.) 

2.  Chronique  de  Georges  Chastellain.  App.  210.  —  3.  App.  211. 


MORT   D'HENRI   V  ET   DE   CHARLES  VI  309 

reconnaître  sa  juridiction.  Cette  couronne  impériale 
qu'il  avait  prise  hardiment  à  Azincourt,  elle  semblait 
devenue  sur  sa  tête  la  vraie  couronne  du  saint  Empire, 
celle  de  la  chrétienté. 

Une  telle  puissance  pesa,  comme  on  peut  croire,  au 
concile  de  Constance.  Cette  petite  Angleterre  s'y  fit 
d'abord  reconnaître  pour  un  quart  du  monde,  pour  une 
des  quatre  nations  du  concile.  Le  roi  des  Romains,  Sigis- 
mond,  étroitement  lié  avec  les  Anglais,  croyait  les  mener 
et  fut  mené  par  eux.  Le  pape  prisonnier,  confié  d'abord 
à  la  garde  de  Sigismond,  le  fut  ensuite  à  celle  d'un 
évêque  anglais;  Henri  Y,  qui  avait  déjà  tant  de  princes 
français  et  écossais  dans  ses  prisons,  se  fit  encore 
remettre  ce  précieux  gage  de  la  paix  de  l'Eglise. 

Pour  faire  comprendre  le  rôle  que  l'Angleterre  et  la 
France  jouèrent  dans  ce  concile,  nous  devons  remon- 
ter plus  haut.  Quelque  triste  que  soit  alors  l'état  de 
l'Église,  il  faut  que  nous  en  parlions  et  que  nous  lais- 
sions un  moment  ce  Paris  d'Henri  V.  Notre  histoire  est 
d'ailleurs  à  Constance  autant  qu'à  Paris. 

Si  jamais  concile  général  fut  œcuménique,  ce  fut 
celui  de  Constance.  On  put  croire  un  moment  que  ce 
ne  serait  pas  une  représentation  du  monde,  mais  que 
le  monde  y  venait  en  personne,  le  monde  ecclésias- 
tique et  laïque1.  Le  concile  semblait  bien  répondre  à 
cette  large  défininition  que  Gerson  donnait  d'un 
concile  :  «  Une  assemblée...  qui  n'exclue  aucun  fidèle.  » 
Mais  il  s'en  fallait  de  beaucoup  que  tous  fussent  des 

1.  On  dit  qu'il  y  vint  cent  cinquante  mille  personnes,  que  les  chevaux  des 
princes  et  prélats  étaient  au  nombre  de  trente  mille. 


310  HISTOIRE    DE    FRANCE 

fidèles;  cette  foule  représentait  si  bien  le  monde, 
qu'elle  en  contenait  toutes  les  misères  morales,  tous 
les  scandales.  Les  Pères  du  concile  qui  devait  réformer 
la  chrétienté  ne  pouvaient  pas  même  réformer  le 
peuple  de  toute  sorte  qui  venait  à  leur  suite  ;  il  leur 
fallut  siéger  comme  au  milieu  d'une  foire,  parmi  les 
cabarets  et  les  mauvais  lieux. 

Les  politiques  doutaient  fort  de  l'utilité  du  concile1. 
Mais  le  grand  homme  de  l'Église,  Jean  Gerson,  s'obsti- 
nait à  y  croire;  il  conservait,  par  delà  tous  les  autres, 
l'espoir  et  la  foi.  Malade  du  mal  de  l'Église2,  il  ne 
pouvait  s'y  résigner.  Son  maître,  Pierre  d'Ailly,  s'était 
reposé  clans  le  cardinalat.  Son  ami,  Glémengis,  qui 
avait  tant  écrit  contre  la  Babylone  papale,  alla  la  voir 
et  s'y  trouva  si  bien  qu'il  devint  le  secrétaire,  l'ami 
des  papes. 

Gerson  voulait  sérieusement  la  réforme,  il  la  voulait 
avec  passion,  et  quoi  qu'il  en  coûtât. 'Pour  cela,  il 
fallait  trois  choses  :  1°  rétablir  l'unité  du  pontificat, 
couper  les  trois  tètes  de  la  papauté  ;  2°  fixer  et  consa- 
crer le  dogme;  Wicleff,  déterré  et  brûlé  à  Londres3, 
semblait  reparaître  à  Prague  dans  la  personne  de 
Jean  Huss;  3°  il  fallait  raffermir  enfin  le  droit  royal, 
condamner  la  doctrine  meurtrière  du  franciscain  Jean 
Petit. 

Ce  qui  rendait  la  position  de  Gerson  difficile,  ce  qui 

1.  App.  212. 

2.  «  In  lecto  adversae  valetudinis  meœ.  »  (Gerson,   Epistola  de  Reform. 
Iheologiœ.) 

3.  Cette  scène  atroce  eut  lieu  à  Londres  en  1412,  la  même  année  où  Jérôme 
de  Prague  afficha  la  bulle  sur  la  gorge  d'une  fille  publique. 


MORT   D'HENRI   V  ET  DE    CHARLES    VI  311 

l'animait  d'un  zèle  implacable  contre  ses  adversaires, 
c'est  qu'il  avait  partagé,  ou  semblait  partager  encore 
plusieurs  de  leurs  opinions.  Lui  aussi,  à  une  autre 
époque,  il  avait  dit  comme  Jean  Petit  cette  parole 
homicide  :  «  Nulle  victime  plus  agréable  à  Dieu  qu'un 
tyran1.  »  Dans  sa  doctrine  sur  la  hiérarchie  et  la  juri- 
diction de  l'Eglise,  il  avait  bien  aussi  quelque  rapport 
avec  les  novateurs.  Jean  Huss  soutenait,  comme 
Wicleff,  qu'il  est  permis  à  tout  prêtre  de  prêcher  sans 
autorisation  de  l'évêque  ni  du  pape.  Et  Gerson,  à 
Constance  même,  fît  donner  aux  prêtres  et  même  aux 
docteurs  laïques  le  droit  de  voter  avec  les  évêques  et 
de  juger  le  pape.  11  reprochait  à  Jean  Huss  de  rendre 
l'inférieur  indépendant  de  l'autorité,  et  cet  inférieur,  il 
le  constituait  juge  de  l'autorité  même. 

Les  trois  papes  furent  déclarés  déchus.  Jean  XXIII 
fut  dégradé,  emprisonné.  Grégoire  XII  abdiqua.  Le 
seul  Benoît  XIII  (Pierre  de  Luna),  retiré  dans  un  fort 
du  royaume  de  Valence,  abandonné  de  la  France,  de 
l'Espagne  même,  et  n'ayant  plus  dans  son  obédience 
que  sa  tour  et  son  rocher,  n'en  brava  pas  moins  le 
concile,  jugea  ses  juges,  les  vit  passer  comme  il  en 
avait  vu  tant  d'autres,  et  mourut  invincible  à  près  de 
cent  ans. 

Le  concile  traita  Jean  Huss  comme  un  pape,  c'est-à- 
dire  très  mal.  Ce  docteur  était  en  réalité,  depuis  1412, 
comme  le  pape  national  de  la  Bohême.  Soutenu  par 
toute  la  noblesse  du  pays,  directeur  de  la  reine,  poussé 


1.  D'après  Sénèque  le  Tragique,  «  nulla  Deo  gratior  victima  quam  tyrannus  ». 
(Gerson,  Considerationes  contra  adulatores.^ 


312  HISTOIRE    DE    FRANCE 

peut-être  sous  main  par  le  roi  Wenceslas1,  comme 
Wicleff  semble  l'avoir  été  par  Edouard  III  et  Richard  II, 
beau-frère  de  Wenceslas,  Jean  Huss  était  le  héros  du 
peuple  beaucoup  plus  qu'un  théologien2  ;  il  écrivait 
dans  la  langue  du  pays  ;  il  défendait  la  nationalité  de 
la  Bohème  contre  les  Allemands,  contre  les  étrangers 
en  général;  il  repoussait  les  papes,  comme  étrangers 
surtout.  Du  reste,  il  n'attaquait  pas,  comme  fit  Luther, 
la  papauté  même.  Dès  son  arrivée  à  Constance,  il  fut 
absous  par  Jean  XXIII. 

Jean  Huss  soutenait  les  opinions  de  Wicleff  sur  la 
hiérarchie  ;  il  voulait,  comme  lui,  un  clergé  national, 
indigène,  élu  sous  l'influence  des  localités.  En  cela 
il  plaisait  aux  seigneurs,  qui,  comme  anciens  fonda- 
teurs, comme  patrons  et  défenseurs  des  Églises,  pou- 
vaient tout  dans  les  élections  locales.  Huss  fut  donc, 
comme  Wicleff,  l'homme  de  la  noblesse.  Les  cheva- 
liers de  Bohème  écrivirent  trois  fois  au  concile 
pour  le  sauver  ;  à  sa  mort ,  ils  armèrent  leurs 
paysans  et  commencèrent  la  terrible  guerre  des 
hussites. 

Sous  d'autres  rapports,  Huss  était  bien  moins  le 
disciple  de  Wicleff  qu'il  ne  se  le  croyait  lui-même.  Il 
se  rapprochait  de  lui  pour  la  Trinité;  mais  il  n'attaquait 
pas  la  présence  réelle,  pas  davantage  la  doctrine  du 
libre  arbitre.  Je  ne  vois  pas  du  moins  dans  ses  ouvrages 
que,   sur  ces  questions  essentielles,  il  se  rattache  à 

1.  Wenceslas  le  défendit  contre  les  accusations  des  moines  et  des  clercs. 
Voy.  sa  réponse  dans  Pfister,  Hist.  d'Allemagne. 

2.  Voy.  Renaissance.  Notes  de  l'Introduction. 


MORT  D'HENRI  V  ET   DE   CHARLES   VI  313 

WiclefF,  autant  qu'on  le  croirait  d'après  les  articles  de 
condamnation. 

En  philosophie,  loin  d'être  un  novateur,  Jean  Huss 
était  le  défenseur  des  vieilles  doctrines  de  la  scolas- 
tique.  L'Université  de  Prague,  sous  son  influence, 
resta  fidèle  au  réalisme  du  moyen  âge,  tandis  que  celle 
de  Paris,  sous  d'Ailly,  Glémengis  et  Gerson,  se  jetait 
dans  les  nouveautés  hardies  du  nominalisme  trouvées 
(ou  retrouvées)  par  Occam.  C'était  le  novateur  reli- 
gieux, Jean  Huss,  qui  défendait  le  vieux  credo  philoso- 
phique des  écoles.  Il  le  soutenait  dans  son  Université 
bohémienne,  d'où  il  avait  chassé  les  étrangers  ;  il  le 
soutenait  à  Oxford,  à  Paris  même,  par  son  violent 
disciple  Jérôme  de  Prague.  Celui-ci  était  venu  braver 
dans  sa  chaire,  dans  son  trône,  la  formidable  Univer- 
sité de  Paris1,  dénoncer  les  maîtres  de  Navarre  pour 
leur  enseignement  nominaliste,  les  signaler  comme 
des  hérétiques  en  philosophie,  comme  de  pernicieux 
adversaires  du  réalisme  de  saint  Thomas. 

Jusqu'à  quel  point  cette  question  d'école  avait-elle 
aigri  nos  gallicans,  les  meilleurs,  les  plus  saints?... 
On  n'ose  sonder  cette  triste  question.  Eux-mêmes 
probablement  n'auraient  pu  l'éclaircir.  Ils  s'expli- 
quaient leur  haine  contre  Jean  Huss  par  sa  participa- 
tion aux  hérésies  de  Wicleff. 

Le  concile  s'ouvrit  le  5  novembre  1414;  dès  le 
27  mai,  Gerson  avait  écrit  à  l'archevêque  de  Prague 
pour  qu'il  livrât  Jean  Huss  au  bras  séculier.  «  Il  faut, 

1.  App.  213. 


314  HISTOIRE    DE    FRANCE 

disait-il,  couper  court  aux  disputes  qui  compromettent 
la  vérité;  il  faut,  par  une  cruauté  miséricordieuse, 
employer  le  fer  et  le  feu1.  »  Les  gallicans  auraient  bien 
voulu  que  l'archevêque  pût  épargner  au  concile  cette 
terrible  besogne.  Mais  qui  aurait  osé  en  Bohême  mettre 
la  main  sur  l'homme  des  chevaliers  bohémiens? 

Jean  Huss  était  brave  comme  Zwingli  ;  il  voulut  voir 
en  face  ses  ennemis;  il  vint  au  concile.  Il  croyait 
d'ailleurs  à  la  parole  de  Sigismond,  dont  il  avait  un 
sauf-conduit.  Là,  excepté  le  pape,  il  trouva  tout  le 
monde  contre  lui.  Les  Pères,  qui  par  leur  violence 
contre  la  papauté  se  sentaient  devenus  fort  suspects 
aux  peuples,  avaient  besoin  d'un  acte  vigoureux 
contre  l'hérésie,  pour  prouver  leur  foi.  Les  Allemands 
trouvaient  fort  bon  qu'on  brûlât  un  Bohémien  ;  les 
Nominaux  se  résignaient  aisément  à  la  mort  d'un 
Réaliste2.  Le  roi  des  Romains,  qui  lui  avait  promis 
sûreté3,  saisit  cette  occasion  de  perdre  un  homme 
dont  la  popularité  pouvait  fortifier  Wenceslas  en 
Bohême. 

Ceux  même  qui  ne  trouvaient  pas  le  Bohémien  héré- 
tique, le  condamnèrent  comme  rebelle;  qu'il  eût  erré 
ou  non,  il  devait,  disaient-ils,  se  rétracter  sur  l'ordre 
du  concile4.  Cette  assemblée,  qui  venait  de  nier  trois 


1.  App.  214. 

2.  Pierre  d'Ailly  avait  contribué  puissamment  à  la  chute  de  Jean  XXIII.  Il 
se  montra,  en  compensation,  d'autant  plus  zélé  contre  l'hérétique;  il  l'em- 
barrassa par  d'étranges  subtilités,  voulant  l'amener  à  avouer  que  celui  qui  ne 
croit  pas  aux  universaux,  ne  croit  pas  à  la  Transsubstantiation. 

3.  Le  sauf-conduit  était  daté  du  18  oct.  1414. 

4.  Jean  Huss  nous  fait  connaître  lui-même  les  efforts  que  l'on  fit  auprès 


MORT   D'HENRI  V  ET  DE   CHARLES   VI  315 

fois  l'infaillibilité  du  pape,  réclamait  pour  elle-même 
l'infaillibilité,  la  toute-puissance  sur  la  raison  indivi- 
duelle. La  république  ecclésiastique  se  déclarait  aussi 
absolue  que  la  monarchie  pontificale.  Elle  posa  de 
même  la  question  entre  l'autorité  et  la  liberté,  entre  la 
majorité  et  la  minorité;  faible  minorité  sans  doute, 
qui,  dans  cette  grande  assemblée,  se  réduisait  à  un 
individu;  l'individu  ne  céda  pas,  il  aima  mieux  périr. 

Il  dut  en  coûter  au  cœur  de  Gerson  cle  consommer 
ce  sacrifice  à  l'unité  spirituelle,  cette  immolation  d'un 
homme...  L'année  suivante,  il  fallut  en  immoler  un 
autre.  Jérôme  de  Prague  avait  échappé  ;  mais  quand  il 
apprit  comment  son  maître  était  mort,  il  rougit  de 
vivre  et  revint  devant  ses  juges.  Le  concile  devait 
démentir  son  premier  arrêt  ou  brûler  encore  celui-ci1. 

L'un  des  vœux  de  Gerson,  l'une  des  bénédictions 
qu'il  attendait  du  concile,  c'était  qu'il  condamnerait 
solennellement  ce  droit  de  tuer,  prêché  par  Jean  Petit... 
Et  pour  en  venir  là,  il  a  fallu  commencer  par  tuer  deux 
hommes!...  Deux?  Deux  cent  mille  peut-être.  Ce  Huss. 
brûlé,  ressuscité  dans  Jérôme  et  encore  brûlé,  il  est 
si  peu  mort  que  maintenant  il  revient  comme  un  grand 

de  lui  pour  obtenir  le  sacrifice  absolu  de  la  raison  humaine.  On  n'y  épargna 
ni  les  arguments  ni  les  exemples.  On  lui  citait  entre  autres  cette  étrange 
légende  d'une  sainte  femme  qui  entra  dans  un  couvent  de  religieuses  sous 
habit  d'homme,  et  fut,  comme  homme,  accusée  d'avoir  rendue  enceinte  une 
des  nonnes;  elle  se  reconnut  coupable,  confessa  le  fait  et  éleva  l'enfant;  la 
vérité  ne  fut  connue  qu'à  sa  mort. 

1.  Le  Pogge,  témoin  du  jugement  de  Jérôme,  fut  saisi  de  son  éloquence.  Il 
l'appelle  :  «  Yirum  dignum  mémorise  sempilernœ.  »  —  Cet  homme,  si  fier  et  si 
obstiné,  montra  sur  le  bûcher  une  douceur  héroïque;  voyant  un  petit  paysan 
qui  apportait  du  bois  avec  grand  zèle,  il  s'écria  :  «  0  respectable  simplicité, 
qui  te  trompe  est  mille  fois  coupable!  »  App.  215. 


316  HISTOIRE    DE    FRANCE 

peuple,  un  peuple  armé,  qui  poursuit  la  controverse 
l'épée  à  la  main.  Les  hussites,  avec  l'épée,  la  lance  et 
la  faux,  sous  le  petit  Procope,  sous  Ziska,  l'indomptable 
borgne,  donnent  la  chasse  à  la  belle  chevalerie  alle- 
mande :  et  quand  Procope  sera  tué,  le  tambour  fait  de 
sa  peau  mènera  encore  ces  barbares,  et  battra  par 
l'Allemagne  son  roulement  meurtrier. 

Nos  gallicans  avaient  payé  cher  la  réforme  de 
Constance,  et  ils  ne  l'eurent  pas1.  Elle  fut  habilement 
éludée.  Les  Italiens,  qui  d'abord  avaient  les  trois 
autres  nations  contre  eux,  surent  se  rallier  les  Anglais; 
ceux-ci,  qui  avaient  paru  si  zélés,  qui  avaient  tant 
accusé  la  France  de  perpétuer  les  maux  de  l'Église, 
s'accordèrent  avec  les  Italiens  pour  faire  décider, 
contre  l'avis  des  Français  et  des  Allemands,  que  le 
pape  serait  élu  avant  toute  réforme,  c'est-à-dire  qu'il 
n'y  aurait  pas  de  réforme  sérieuse.  Ce  point  décidé, 
les  Allemands  se  rapprochèrent  des  Italiens  et  des 
Anglais,  et  les  trois  nations  firent  ensemble  un  pape 
italien.  Les  Français  restèrent  seuls  et  dupes,  ne 
pouvant  manquer  d'avoir  le  pape  contre  eux,  puisqu'ils 
avaient  entravé  son  élection.  Il  était  beau,  toutefois, 
d'être  ainsi  dupes,  pour  avoir  persévéré  dans  la 
réforme  de  l'Église. 

C'était  en  1417;  le  connétable  d'Armagnac,  partisan 
du  vieux  Benoît  XIII,  gouvernait  Paris  au  nom  du  roi 
et  du  dauphin.  Il  fit  ordonner  par  le  dauphin,  à  l'Uni- 
versité, de  suspendre  son  jugement  sur  l'élection  du 

1.  App.  216. 


MORT    D'HENRI   V  ET  DE   CHARLES   VI  317 

nouveau  pape,  Martin  V;  mais  son  parti  était  tellement 
affaibli  dans  Paris  même,,  malgré  les  moyens  de  terreur 
dont  il  avait  essayé,  que  l'Université  osa  passer  outre 
et  approuver  l'élection.  Elle  avait  hâte  de  se  rendre  le 
pape  favorable  ;  elle  voyait  que  le  système  des  libres 
élections  ecclésiastiques  qu'elle  avait  tant  défendu,  ne 
profitait  point  aux  universitaires.  Elle  avait  abaissé  la 
papauté,  relevé  le  pouvoir  des  évêques;  et  ceux-ci,  de 
concert  avec  les  seigneurs,  faisaient  élire  aux  béné- 
fices des  gens  incapables,  illettrés,  les  cadets  des 
seigneurs,  leurs  ignares  chapelains,  les  fils  de  leurs 
paysans,  qu'ils  tonsuraient  tout  exprès.  Les  papes,  du 
moins,  s'ils  plaçaient  des  prêtres  peu  édifiants,  choi- 
sissaient parfois  des  gens  d'esprit.  L'Université  déclara 
qu'elle  aimait  mieux  que  le  pape  donnât  les  bénéfices1. 
C'était  un  curieux  spectacle  de  voir  l'Université,  si 
longtemps  alliée  aux  évêques  contre  le  pape,  de  la 
voir  retourner  à  sa  mère,  la  papauté,  et  attester  contre 
les  évêques,  contre  les  élections  locales,  la  puissance 
centrale  de  l'Eglise.  Mais  l'Université  l'avait  tuée, 
cette  puissance  pontificale  ;  elle  n'y  revenait  qu'en 
abdiquant  ses  maximes,  en  se  reniant  et  se  tuant  elle- 
même. 

Ce  fut  le  sort  de  Gerson  de  voir  ainsi  la  fin  de  la 
papauté  et  de  l'Université.  Après  le  concile  de 
Constance,  il  se  retira  brisé,  non  en  France,  il  n'y 

1.  Rulœus.  Une  assemblée  de  grands  et  de  prélats,  présidée  parle  dauphin, 
fit  emprisonner  le  recteur  qui  avait  parlé  contre  la  manière  dont  ils  dirigeaient 
les  élections  ecclésiastiques  et  conféraient  les  bénéfices.  Le  Parlement  ne 
soutint  pas  l'Université,  qui  fit  des  excuses.  Ce  fut  l'enterrement  de  l'Univer- 
sité, comme  puissance  populaire. 


318  HISTOIRE    DE    FRANCE 

avait  plus  de  France.  Il  chercha  un  asile  clans  les  forêts 
profondes  du  Tyrol,  puis  à  Vienne,  où  il  fut  reçu  par 
Frédéric  d'Autriche,  l'ami  du  pape  que  Gerson  avait 
fait  déposer. 

Plus  tard,  la  mort  du  duc  de  Bourgogne  encouragea 
Gerson  à  revenir,  mais  seulement  jusqu'au  bord  de  la 
France,  jusqu'à  Lyon.  C'était  une  ville  française, 
naguère  d'Empire,  mais  toujours  une  ville  commune 
à  tous,  une  république  marchande  dont  les  privilèges 
couvraient  tout  le  monde,  une  patrie  commune  pour 
le  Suisse,  le  Savoyard,  l'Allemand,  l'Italien,  autant 
que  pour  le  Français.  Ce  confluent  des  fleuves  et  des 
peuples,  sous  la  vue  lointaine  des  Alpes,  cet  océan 
d'hommes  de  tout  pays,  cette  grande  et  profonde  ville 
avec  ses  rues  sombres  et  ses  escaliers  noirs  qui  ont 
l'air  de  grimper  au  ciel,  c'était  une  retraite  plus  soli- 
taire que  les  solitudes  du  Tyrol.  Il  s'y  blottit  dans  un 
couvent  de  Gélestins  dont  son  frère  était  prieur  ;  il  y 
expia,  par  la  docilité  monastique,  sa  domination  sur 
l'Église,  goûtant  le  bonheur  d'obéir,  la  douceur  de  ne 
plus  vouloir,  de  sentir  qu'on  ne  répond  plus  de  soi. 
S'il  reprit  par  intervalles  cette  plume  toute-puissante, 
ce  fut  pour  chercher  le  moyen  de  calmer  la  guerre 
qui  le  travaillait  encore  ;  pour  trouver  le  moyen 
d'accorder  le  mysticisme  et  la  raison,  d'être  scientifi- 
quement mystique,  de  délirer  avec  méthode.  Sans  doute 
que  ce  grand  esprit  finit  par  sentir  que  cela  encore 
était  vain.  On  dit  qu'en  ses  dernières  années  il  ne 
pouvait  plus  voir  que  des  enfants,  comme  il  arriva  sur 
la  fin  à  Rousseau  et  à  Bernardin  de  Saint-Pierre.  Il  ne 


MORT  D'HENRI   V  ET  DE   CHARLES   VI  319 

vécut  plus  qu'avec  les  petits,  les  enseignant1,  ou 
plutôt  recevant  lui-même  l'enseignement  de  ces  inno- 
cents2. Avec  eux,  il  apprenait  la  simplicité,  désap- 
prenait la  scolastique.  On  inscrivit  sur  sa  tombe  : 
Sursum  corda 3  / 

Le  résultat  du  concile  de  Constance  était  un  revers 
pour  la  France,  une  défaite,  et  plus  grande  qu'on  ne 
peut  dire,  une  bataille  d'Azincourt.  Après  avoir  eu  si 
longtemps  un  pape  à  elle,  une  sorte  de  patriarche 
français,  par  lequel  elle  agissait  encore  sur  ses  alliés 
d'Ecosse  et  d'Espagne,  elle  allait  voir  l'unité  de 
l'Église  rétablie  en  apparence,  rétablie  contre  elle  au 
profit  de  ses  ennemis;  ce  pape  italien,  client  du  parti 
anglo-allemand,  n'allait-il  pas  entrer  dans  les  affaires 
de  France,  y  dicter  les  ordres  de  l'étranger? 

L'Angleterre  avait  vaincu  par  la  politique,  aussi 
bien  que  par  les  armes.  Elle  avait  eu  grande  part  à 
l'élection  de  Martin  Y;  elle  tenait  entre  les  mains  son 
prédécesseur,  Jean  XXIIi,  sous  la  garde  du  cardinal  de 
Winchester,  oncle  d'Henri  V.  Henri  pouvait  exiger  du 
pape  tout  ce  qu'il  croirait  nécessaire  à  l'accomplis- 
sement de  ses  projets  sur  la  France,  Naples,  les  Pays- 
Bas,  l'Allemagne,  la^terre  sainte. 

Dans  cette  suprême  grandeur  où  l'Angleterre  sem- 
blait arrivée,  il  y  avait  bien  pourtant  un  sujet  d'inquié- 
tude. Cette  grandeur,  ne  l'oublions  pas,  elle  la  devait 

1.  Lire  son  traité  Deparvulis  ad  Christum  trahendis. 

2.  Il  comptait  sur  leur  intercession,  et  les  réunit  encore  la  veille  de  sa 
mort,  pour  leur  recommander  de  dire  dans  leurs  prières  :  «  Seigneur,  ayez 
pitié  de  votre  pauvre  serviteur  Jean  Gerson.  »  —  3.  App.  217. 


320  HISTOIRE   DE    FRANCE 

principalement  à  l'étroite  alliance  de  l'épiscopat  et  de 
la  royauté  sous  la  maison  de  Lancastre  :  ces  deux 
puissances  s'étaient  accordées  pour  réformer  l'Église 
et  conquérir  la  France  schismatique.  Or,  au  moment 
de  la  réforme,  l'épiscopat  anglais  n'avait  que  trop 
laissé  voir  combien  peu  il  s'en  souciait;  d'autre  part, 
la  conquête  de  la  France  à  peine  commencée,  la  bonne 
intelligence  des  deux  alliés,  épiscopat  et  royauté,  était 
déjà  compromise. 

Depuis  un  siècle,  l'Angleterre  accusait  la  France  de 
ne  vouloir  aucune  réforme,  de  perpétuer  le  schisme. 
Elle  en  parlait  à  son  aise,  elle  qui',  par  son  statut  des 
Proviseurs,  avait  de  bonne  heure  annulé  l'influence 
papale  dans  les  élections  ecclésiastiques.  Séparée  du 
pape  sous  ce  rapport,  elle  avait  beau  jeu  de  reprocher 
le  schisme  aux  Français.  La  France,  soumise  au  pape, 
voulait  un  pape  français  à  Avignon;  l'Angleterre, 
indépendante  du  pape  dans  la  question  essentielle, 
voulait  un  pape  universel,  et  elle  l'aimait  mieux  à 
Rome  que  partout  ailleurs.  Dès  qu'il  n'y  eut  plus  de 
pape  français,  les  Anglais  ne  s'inquiétèrent  plus  de 
réformer  le  pontificat  ni  l'Église. 

Les  Anglais  avaient  donné  leur  victoire  pour  la 
victoire  de  Dieu;  leur  roi,  sur  les  premières  monnaies 
qu'il  fît  frapper  en  France,  avait  mis  :  «  Ghristus 
régnât ,  Ghristus  vincit ,  Ghristus  imperat.  »  Il  eut 
beaucoup  d'égards  et  de  ménagements  pour  les  prêtres 
français;  il  entendait  son  intérêt  :  ces  prêtres,  qui 
étaient  prêtres  bien  plus  que  Français,  devaient  s'atta- 
cher aisément  à  un  prince  qui  respectait  leur  robe. 


MORT   D'HENRI   V  ET   DE    CHARLES   VI  321 

Mais  ce  n'était  pas  l'intérêt  des  lords  évoques  qui  sui- 
vaient le  roi  comme  conseillers,  comme  créanciers; 
ils  devaient  trouver  avantage  à  ce  que  la  fuite  des 
ecclésiastiques  français  laissât  un  grand  nombre  de 
bénéfices  vacants  qu'on  pût  administrer,  ou  même 
prendre,  donner  à  d'autres.  C'est  ce  qui  explique 
peut-être  la  dureté  que  ce  conseil  anglais,  presque 
tout  ecclésiastique,  montra  pour  les  prêtres  qu'on 
trouvait  dans  les  places  assiégées.  Dans  la  capitulation 
de  Rouen,  dressée  et  négociée  par  l'archevêque  de 
Gantorbéry,  le  fameux  chanoine  Delivet  fut  excepté 
de  l'amnistie  ;  il  fut  envoyé  en  Angleterre  ;  s'il  ne  périt 
pas,  c'est  qu'il  était  riche,  et  qu'il  composa  pour  sa 
vie.  Les  moines  étaient  traités  plus  durement  encore 
que  les  prêtres.  Lorsque  Melun  se  rendit,  on  en  trouva 
deux  dans  la  garnison,  et  ils  furent  tués.  A  la  prise 
de  Meaux,  trois  religieux  de  Saint-Denis  ne  furent 
sauvés  qu'à  grand'peine  par  les  réclamations  de  leur 
abbé;  mais  le  fameux  évêque  Gauchon,  l'âme  dam- 
née du  cardinal  Winchester,  les  jeta  clans  d'affreux 
cachots  \ 

Gela  devait  effrayer  les  bénéficiers  absents.  L'évê- 
que  de  Paris,  Jean  Gourtecuisse,  n'osait  revenir  dans 
son  évêché;  ces  absences  laissaient  nombre  de  béné- 
fices à  la  discrétion  des  lords  évêques,  bien  des  fruits 
à  percevoir.  Le  roi,  qui  sans  doute  aurait  mieux  aimé 
que  les  absents  revinssent  et  se  ralliassent  à  lui,  ne 
se  lassait  pas  de  les  rappeler,  avec  menaces  de  dis- 


1.  App.  218. 

T.    IV.  21 


322  HISTOIRE    DE    FRANCE 

poser  de  leurs  bénéfices;  mais  ils  n'avaient  garde  de 
revenir.  Les  bénéfices  étant  alors  considérés  comme 
vacants,  les  lords  évêques  en  disposaient  pour  leurs 
créatures;  cela  faisait  deux  titulaires  pour  chaque 
bénéfice.  Après  avoir  tant  accusé  la  France  de  perpé- 
tuer le  schisme  pontifical,  la  conquête  anglaise  créait 
peu  à  peu  un  schisme  dans  le  clergé  français. 

Ces  grandes  et  lucratives  affaires  expliquent  seules 
pourquoi,  dans  toutes  les  expéditions  d'Henri  V,  nous 
voyons  les  grands  dignitaires  de  l'Église  d'Angleterre 
ne  plus  quitter  son  camp,  le  suivre  pas  à  pas.  Ils  sem- 
blent avoir  oublié  leur  troupeau  :  les  âmes  insulaires 
deviennent  ce  qu'elles  peuvent  ;  les  pasteurs  anglais 
sont  trop  préoccupés  de  sauver  celles  du  continent. 
Nous  ne  voyons  encore  au  siège  d'Harfleur  que 
Tévêque  de  Norwich  comme  principal  conseiller 
d'Henri.  Mais  après  la  bataille  d'Azincourt  le  roi, 
pressé  de  revenir  en  France,  se  remet  entre  les  mains 
des  évêques;  il  charge  les  deux  chefs  de  l'épiscopat, 
l'archevêque  de  Gantorbéry  et  le  cardinal  de  Win- 
chester, de  percevoir,  au  nom  de  la  couronne,  les 
droits  féodaux  de  gardes,  mariages  et  forfaitures  pour 
notre  prochain  passage  de  mer1.  Il  fallait,  avant  même 
de  commencer  une  autre  expédition,  mettre  Harfleur 
en  état  de  défense1;  le  roi,  parfaitement  instruit 
des  affaires  de  France,  ne  doutait  pas  qu'Armagnac 
n'essayât  de  lui  arracher  cet  inappréciable  résultat  de 
la  dernière  campagne.  Les  évêques,  qui  seuls  avaient 

1.  App.  219. 


MORT   D'HENRI  V  ET   DE    CHARLES   VI  323 

de  l'argent  toujours  prêt,  rirent  évidemment  les 
avances,  et  se  firent  assigner  en  garantie  le  produit  de 
ces  droits  lucratifs. 

Le  cardinal  Winchester,  oncle  d'Henri  V,  devint 
peu  à  peu  l'homme  le  plus  riche  de  l'Angleterre  et 
peut-être  du  monde.  Nous  le  voyons  plus  tard  faire  à 
la  Couronne  des  prêts  tels  qu'aucun  roi  n'eût  pu  les 
faire  alors;  des  vingt  mille,  cinquante  mille  livres 
sterling  à  la  fois1.  Quelques  années  après  la  mort 
d'Henri,  il  se  trouva  un  moment  le  vrai  roi  de  la 
France  et  de  l'Angleterre  (1430-1432).  Henri,  de  son 
vivant  même,  lui  reprocha  publiquement  d'usurper 
les  droits  de  la  royauté2;  il  croyait  même  que  Win- 
chester souhaitait  impatiemment  sa  mort,  et  qu'il  eût 
voulu  la  hâter. 

Il  se  trompait  peut-être;  mais  ce  qui  est  sûr,  c'est 
que  les  deux  royautés,  la  royauté  militaire  et  la 
royauté  épiscopale  et  financière,  avaient  pu  commencer 
ensemble  la  conquête,  mais  qu'elles  n'auraient  pu 
posséder  ensemble,  qu'elles  ne  pouvaient  tarder  à  se 
brouiller.  Au  moment  de  ce  grand  effort  du  siège  de 
Rouen,  le  roi,  ayant  besoin  d'argent,  se  hasarda  à 
parler  de  réformer  les  mœurs  du  clergé 3.  Les  évêques 
lui  accordèrent  une  aide  pour  la  guerre,  mais  ce  ne 
fut  pas  gratis  :  ils  se  firent  livrer  en  retour  plusieurs 
hérétiques. 

En  1420,  sous  prétexte  d'invasion  imminente  des 


1.  Voy.  l'énumération  détaillée  de  ces  prêts,  dans  Turner. 

2.  Henri  lui  reprochait,  entre  autres  félonies,  de  contrefaire  la  monnaie 
royale.  App.  220.  —  3.  Turner. 


324  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Écossais,  il  obtint  une  demi-décime  du  clergé  du  nord 
de  l'Angleterre,  et  chargea  l'archevêque  d'York  de 
lever  cet  impôt1.  C'était  la  terrible  année  du  traité  de 
Troyes,  il  n'avait  pas  à  espérer  de  rien  tirer  de  la 
France,  d'un  pays  ruiné,  à  qui  cette  année  même  on 
prenait  son  dernier  bien ,  l'indépendance  et  la  vie 
nationale.  Au  contraire,  il  essaya  de  rattacher  étroi- 
tement la  Normandie  et  la  Guyenne  à  l'Angleterre, 
d'une  part,  en  exemptant  de  certains  droits  les  ecclé- 
siastiques normands;  de  l'autre,  en  diminuant  les 
droits  que  payaient  en  Angleterre  les  marchands  de 
vins  de  Bordeaux'2. 

Mais  en  1421,  il  fallut  de  l'argent  à  tout  prix. 
Charles  YII  occupait  Meaux  et  assiégeait  Chartres.  Les 
Anglais  avaient  mis  toute  la  campagne  précédente  à 
prendre  Melun.  Henri  V  fut  obligé  de  pressurer  les 
deux  royaumes,  et  l'Angleterre,  mécontente  et  gron- 
dante, tout  étonnée  de  payer  lorsqu'elle,  attendait  des 
tributs,  et  la  malheureuse  France,  un  cadavre,  un 
squelette,  dont  on  ne  pouvait  sucer  le  sang,  mais  tout 
au  plus  ronger  les  os.  Le  roi  ménagea  l'orgueil  anglais 
en  appelant  l'impôt  un  emprunt;  emprunt  volontaire, 
mais  qui  fut  levé  violemment,  brusquement;  dans 
chaque  comté,  il  avait  désigné  quelques  personnes 
riches  qui  répondaient  et  payaient,  sauf  à  lever  l'argent 
sur  les  autres,  en  s'arrangeant  comme  ils  pourraient  : 
les  noms  de  ceux  qui  auraient  refusé  devaient  être 
envoyés  au  roi  3. 

1.  Rymer,  27  octobre  1420.   —  2.  Idem,  22  januarii,  22  mart.  1420.  — 
3.  Idem,  21  april  1421. 


MORT  D'HENRI   V  ET   DE   CHARLES   VI  323 

La  Normandie  fut  ménagée,  quant  aux  formes, 
presque  autant  que  l'Angleterre.  Le  roi  convoqua  les 
trois  Etats  de  Normandie  à  Rouen,  pour  leur  exposer 
ce  qu'il  voulait  faire  pour  l'avantage  général.  Ce  qu'il 
voulait  d'abord,  c'était  cle  recevoir  du  clergé  une 
décime.  En  récompense,  il  limitait  le  pouvoir  militaire 
des  capitaines  des  villes1,  réprimait  les  excès  des 
soldats.  Le  droit  de  prise  ne  devait  plus  être  exercé 
en  Normandie,  etc. 

L'emprunt  anglais,  la  décime  normande,  ne  suffi- 
saient pas  pour  solder  cette  grosse  armée  de  quatre 
mille  hommes  d'armes  et  de  plusieurs  milliers  d'archers 
qu'il  amenait  d'Angleterre.  Il  fallut  prendre  une  mesure 
qui  frappât  toute  la  France  anglaise  ;  le  coup  fut  sur- 
tout terrible  à  Paris.  Henri  V  fit  faire  une  monnaie 
forte,  d'un  titre  double  ou  triple  de  la  faible  monnaie 
qui  courait;  il  déclara  qu'il  n'en  recevrait  plus  d'autre; 
c'était  doubler  ou  tripler  l'impôt.  La  chose  fut  plus 
funeste  encore  au  peuple  qu'utile  au  Trésor;  les 
transactions  particulières  furent  étrangement  trou- 
blées; il  fallut  pendant  toute  l'année  des  règlements 
vexatoires  pour  interpréter,  modifier  cette  grande 
vexation 2. 

La  lourde  et  dévorante  armée  que  ramenait  Henri 
ne  lui  était  que  trop  nécessaire.  Son  frère  Glarence 
venait  d'être  battu  et  tué  avec  deux  ou  trois  mille 
Anglais  en  Anjou  (bataille  de  Baugé,  23  mars  1421). 
Dans  le  Nord  même,  le  comte  d'Harcourt  avait  pris 

1.  Un  chevalier  est   chargé   de   faire    une  enquête  à  ce   sujet.   (Rymer, 
5  mai  1421.)  —  2.  Ordonnances,  XI. 


326  HISTOIRE    DE    FRANCE 

les  armes  contre  les  Anglais  et  courait  la  Picardie. 
Saintrailles  et  La  Hire  venaient  à  grandes  journées  lui 
donner  la  main.  Tous  les  gentilshommes  passaient 
peu  à  peu  du  côté  de  Charles  YII  *,  du  parti  qui  faisait 
les  expéditions  hardies,  les  courses  aventureuses.  Les 
paysans,  il  est  vrai,  souffrant  de  ces  courses  et  de  ces 
pillages,  devaient  à  la  longue  se  rallier  à  un  maître 
qui  saurait  les  protéger2. 

La  férocité  des  vieux  pillards  armagnacs  servait 
Henri  V.  Il  fit  une  chose  populaire  en  assiégeant  la 
ville  de  Meaux,  dont  le  capitaine,  une  espèce  d'ogre3, 
le  bâtard  de  Vaurus,  avait  jeté  dans  les  campagnes 
une  indicible  terreur.  Mais  comme  le  bâtard  et  ses 
gens  n'attendaient  aucune  merci,  ils  se  défendirent 
en  désespérés.  Du  haut  des  murs,  ils  vomissaient  toute 
sorte  d'outrages  contre  Henri  V,  qui  était  là  en  per- 
sonne; ils  y  avaient  fait  monter  un  âne,  qu'ils  couron- 
naient et  battaient  tour  à  tour;  c'était,  disaient-ils,  le  roi 
d'Angleterre  qu'ils  avaient  fait  prisonnier.  Ces  brigands 
servirent  admirablement  la  France,  dont  pourtant 
ils  ne  se  souciaient  guère.  Ils  tinrent  les  Anglais 
devant  Meaux  tout  l'hiver,  huit  grands  mois  ;  la  belle 
armée  se  consuma  par  le  froid,  la  misère  et  la  peste. 
Le  siège  ouvrit  le  6  octobre;  le  18  décembre,  Henri, 
qui  voyait  déjà  cette  armée  diminuer,  écrivait  en  Alle- 
magne, en  Portugal,  pour   en  tirer  au  plus  tôt  des 


1.  Journal  du  Bourgeois.  —  Monstrelct.  —  2.  App.  221. 

3.  Tout  le  monde  a  lu  cette  terrible  histoire  populaire  de  la  pauvre  femme 
enceinte  qu'un  des  Vaurus  fit  lier  à  un  arbre,  qui  accoucha  la  nuit  et  fut 
mangée  des  loups.  (Journal  du  Bourgeois.) 


MORT   D'HENRI   V  ET   DE   CHARLES   VI  327 

soldats.  Les  Anglais  probablement  lui  coûtaient  plus 
cher  que  ces  étrangers.  Pour  décider  les  mercenaires 
allemands  à  se  louer  à  lui  plutôt  qu'au  dauphin,  il  leur 
faisait  dire  entre  autres  choses  qu'il  les  payerait  en 
meilleure  monnaie1. 

Il  n'avait  pas  à  compter  sur  le  duc  de  Bourgogne. 
Il  vint  un  moment  au  siège  de  Meaux,  mais  s'éloigna 
bientôt  sous  prétexte  d'aller  en  Bourgogne  pour  obliger 
les  villes  de  son  duché  à  accepter  le  traité  de  Troyes. 
Henri  avait  bien  lieu  de  croire  que  le  duc  lui-même 
avait  sous  main  provoqué  cette  résistance  à  un  traité 
qui  annulait  les  droits  éventuels  de  la  maison  de 
Bourgogne  à  la  couronne,  aussi  bien  que  ceux  du 
dauphin,  du  duc  d'Orléans  et  de  tous  les  princes  fran- 
çais. Et  pourquoi  le  jeune  Philippe  avait-il  fait  un  tel 
sacrifice  à  l'amitié  des  Anglais?  Parce  qu'il  croyait 
avoir  besoin  d'eux  pour  venger  son  père  et  battre  son 
ennemi.  Mais  c'étaient  eux,  bien  plutôt,  qui  avaient 
besoin  de  lui.  Le  bonheur  les  avait  quittés.  Pendant 
que  le  duc  de  Glarence  se  faisait  battre  en  Anjou,  le 
duc  de  Bourgogne  avait  eu  en  Picardie  un  brillant 
succès;  il  avait  joint  les  Dauphinois,  Saintrailles  et 
Gamaches,  avant  qu'ils  eussent  pu  se  réunir  à  d'Har- 
court,  et  les  avait  défaits  et  pris. 

La  malveillance  réciproque  des  Anglais  et  des  Bour- 
guignons datait  de  loin.  De  bonne  heure,  ceux-ci 
avaient  souffert  de  l'insolence  de  leurs  alliés.  Dès 
1416,  le  duc  de  Glocester,  se  trouvant  comme  otage 

1.  Rymer. 


328  HISTOIRE    DE    FRANCE 

chez  le  duc  de  Bourgogne,  Jean-sans-Peur,  le  fils  de 
celui-ci,  alors  comte  de  Gharolais,  vint  faire  visite  à 
Glocester;  celui-ci,  qui  parlait  en  ce  moment  à  des 
Anglais,  ne  se  dérangea  point  à  l'arrivée  du  prince,  et 
lui  dit  simplement  bonjour  sans  même  se  tourner  vers 
lui1.  Plus  tard,  dans  une  altercation  entre  le  maréchal 
d'Angleterre  Conrwall  et  le  brave  capitaine  bour- 
guignon Hector  de  Saveuse,  le  général  anglais,  qui 
était  à  la  tête  d'une  forte  troupe,  ne  craignit  pas  de 
frapper  le  capitaine  de  son  gantelet.  Une  telle  chose 
laisse  des  haines  profondes.  Les  Bourguignons  ne  les 
cachaient  point. 

L'homme  le  plus  compromis  peut-être  du  parti  bour- 
guignon était  le  sire  de  L'Ile-Aclam,  celui  qui  avait 
repris  Paris  et  laissé  faire  les  massacres.  Il  croyait  du 
moins  que  son  maître  le  duc  de  Bourgogne  en  pro- 
fiterait, mais  celui-ci,  comme  on  a  vu,  livra  Paris  à 
Henri  Y.  L'Ile-Adam  avait  peine  à  cacher  sa  mauvaise 
humeur.  Un  jour,  il  se  présente  au  roi  d'Angleterre 
vêtu  d'une  grosse  cotte  grise.  Le  roi  ne  passa  point 
cela  :  «  L'Ile-Adam,  lui  dit-il,  est-ce  là  la  robe  d'un 
maréchal  de  France?  »  L'autre,  au  lieu  de  s'excuser, 
répliqua  qu'il  l'avait  fait  faire  tout  exprès  pour  venir 
par  les  bateaux  de  la  Seine.  Et  il  regardait  le  roi 
fixement.  ((Gomment  donc,  dit  l'Anglais  avec  hauteur, 
osez-vous  bien  regarder  un  prince  au  visage,  quand 
vous  lui  parlez  !  —  Sire,  dit  le  Bourguignon,  c'est 
notre  coutume   à   nous   autres   Français;  quand  un 

1.  Monstrelet. 


MORT   D'HENRI  V  ET   DE    CHARLES  VI  329 

homme  parle  à  un  autre,  de  quelque  rang  qu'il  soit, 
les  yeux  baissés,  on  dit  qu'il  n'est  pas  prud'homme 
puisqu'il  n'ose  regarder  en  face.  —  Ce  n'est  pas  l'usage 
d'Angleterre  »,  dit  sèchement  le  roi.  Mais  il  se  tint 
pour  averti;  un  homme  qui  parlait  si  ferme,  avait  bien 
l'air  de  ne  pas  rester  longtemps  du  côté  anglais.  L'Ile- 
Adam  avait  pris  une  fois  Paris,  peut-être  aurait-il 
essayé  de  le  reprendre,  en  cas  d'une  rupture  d'Henri 
avec  le  duc  de  Bourgogne.  Peu  après,  sous  un  pré- 
texte, le  duc  d'Exeter,  capitaine  de  Paris,  mit  la  main 
sur  le  Bourguignon  et  le  traîna  à  la  Bastille.  Le  petit 
peuple  s'assembla,  cria  et  fît  mine  de  le  défendre.  Les 
Anglais  firent  une  charge  meurtrière,  comme  sur  une 
armée  ennemie  \ 

Henri  Y  voulait  faire  tuer  L'Ile-Adam,  mais  le  duc  de 
Bourgogne  intercéda.  Ce  qui  fut  tué,  et  à  n'en  jamais 
revenir,  ce  fut  le  parti  anglais  dans  Paris. 

Le  changement  est  sensible  dans  le  Journal  du 
Bourgeois.  Le  sentiment  national  se  réveille  en  lui,  il 
se  réjouit  d'une  défaite  des  Anglais2;  il  commence  à 
s'attendrir  sur  le  sort  des  Armagnacs  qui  meurent 
sans  confession3. 

Le  roi  d'Angleterre,  prévoyant  sans  doute  une 
rupture  avec  le  duc  de  Bourgogne,  semble  avoir  voulu 
prendre  des  postes  contre  lui  clans  les  Pays-Bas.  Il 
traita  avec  le  roi  des  Romains  pour  l'acquisition  du 

1.  App.  222. 

2.  «  Le  peuple  les  avoit  en  trop  mortelle  haine  les  uns  et  les  autres.   » 
{Journal  du  Bourgeois.) 

3.  «  Fut  faite  grand  feste  à  Paris...  Mieux  on  dust  avoir  pleuré...  Quel 
dommaige  et  quel  pitié  par  toute  chrestienté...  »  (Ibid.) 


330  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Luxembourg,  puis  chercha  à  conclure  une  étroite 
alliance  avec  Liège1.  On  se  rappelle  que  c'est  jus- 
tement par  la  même  acquisition  et  la  même  alliance 
que  la  maison  d'Orléans  se  fît  une  ennemie  irrécon- 
ciliable cle  celle  de  Bourgogne. 

Agir  ainsi  contre  un  allié  qui  avait  été  si  utile,  se 
préparer  une  guerre  au  Nord  quand  on  ne  pouvait 
venir  à  bout  de  celle  du  Midi,  c'était  une  étrange 
imprudence.  Quelles  étaient  donc  les  ressources  du 
roi  d'Angleterre? 

D'après  son  budget,  tel  qu'il  fut  dressé  en  1421  par 
l'archevêque  de  Cantorbéry,  le  cardinal  Winchester 
et  deux  autres  évêques,  son  revenu  n'était  que  de 
cinquante-trois  mille  livres  sterling,  ses  dépenses 
courantes  cle  cinquante  mille  (vingt  et  un  mille  seu- 
lement pour  Calais  et  la  marche  voisine2).  Il  y  avait 
un  excédent  apparent  de  trois  mille  livres.  Mais,  sur 
cette  petite  somme,  il  fallait  qu'il  pourvût  aux  dépenses 
de  l'artillerie,  des  fortifications  et  constructions,  des 
ambassades,  de  la  garde  des  prisonniers,  à  celles  de  sa 
maison,  etc.,  etc.  Dans  ce  compte,  il  n'y  avait  rien3 
pour  servir  les  intérêts  des  vieilles  dettes  d'Harfleur, 
de  Calais,  etc.,  qui  allaient  s'accroissant. 

La  situation  d'Henri  Y  devenait  ainsi  fort  triste.  Ce 
conquérant,  ce  dominateur  de  l'Europe,  allait  se 
trouver  peu  à  peu  sous  la  domination  la  plus  humi- 
liante, celle  de  ses  créanciers.  D'une  part,  il  traînait 
après  lui  ce  pesant  conseil  cle  lords  évêques,  qui  ne 

1.  Rymer,  17  jul.  1421;  6  aug.  1422. 

2.  App.  223.  —3.  «  Et  nondum  provisum  est,  etc.  »  (Rymer.) 


MORT  D'HENRI  V  ET   DE   CHARLES  VI  331 

pouvait  manquer  de  devenir  chaque  jour  et  plus 
nécessaire  et  plus  impérieux;  d'autre  part,  les  hommes 
d'armes,  les  capitaines,  qui  lui  avaient  engagé,  amené 
des  soldats,  devaient  sans  cesse  réclamer  l'arriéré1. 

Henri  V  avait  trouvé  au  fond  de  sa  victoire  la 
détresse  et  la  misère.  L'Angleterre  rencontrait  dans 
son  action  sur  l'Europe,  au  quinzième  siècle,  le  même 
obstacle  que  la  France  avait  trouvé  au  quatorzième. 
La  France  aussi  avait  alors  étendu  vigoureusement 
les  bras  au  midi  et  au  nord,  vers  l'Italie,  l'Empire,  les 
Pays-Bas.  La  force  lui  avait  manqué  dans  ce  grand 
effort,  les  bras  lui  étaient  retombés,  et  elle  était  restée 
dans  cet  état  de  langueur  où  la  surprit  la  conquête 
anglaise. 

Les  Anglais  s'étaient  figuré,  en  faisant  la  guerre, 
que  la  France  pouvait  la  payer.  Ils  trouvèrent  le  pays 
déjà  désolé.  Depuis  quinze  ans,  les  misères  avaient 
crû,  les  ruines  étaient  ruinées.  Ils  tirèrent  si  peu  des 
pays  conquis  que,  pour  n'y  pas  périr  eux-mêmes,  il 
fallait  qu'ils  apportassent.  Où  prendre  donc?  Nous 
l'avons  dit,  l'Église  seule  alors  était  riche.  Mais  com- 
ment la  maison  de  Lancastre,  qui  s'était  élevée  à 
l'ombre  de  l'Église,  et  en  lui  livrant  ses  ennemis, 
comment  eût -elle  repris  contre  l'Église  le  rôle  de 
ces  ennemis  même,  celui  des  niveleurs  hérétiques 
qu'elle  avait  livrés  aux  bûchers? 


1.  Ces  réclamations  furent  si  vives  à  la  mort  d'Henri  V,  que  le  conseil  de 
régence  fut  obligé  de  leur  assigner  en  payement  le  tiers  et  le  tiers  du  tiers 
de  tout  ce  que  le  roi  avait  pu  gagner  personnellement  à  la  guerre,  butin  pri- 
sonniers, etc.  (Statutes  of  the  Realm.) 


332  HISTOIRE    DE    FRANCE 

L'Angleterre  avait  reproché  à  la  France.,  pendant 
un  siècle,  d'exploiter  l'Église,  de  détourner  les  biens 
ecclésiastiques  à  des  usages  profanes;  elle  s'était 
chargée  de  mettre  fin  à  un  tel  scandale,  l'Église  et  la 
royauté  anglaises  s'étaient  unies  pour  cette  œuvre,  et 
elles  avaient  en  effet  écrasé  la  France...  Gela  fait,  où 
en  étaient  les  vainqueurs?  au  point  où  ils  avaient 
trouvé  les  vaincus,  dans  les  mêmes  nécessités  dont 
ils  leur  avaient  fait  un  crime  ;  mais  ils  avaient  de  plus 
la  honte  de  la  contradiction.  Si  le  roi  des  prêtres  ne 
touchait  au  bien  des  prêtres,  il  était  perdu.  Ainsi  com- 
mençait à  apparaître  tel  qu'il  était  en  réalité,  faible 
et  ruineux,  ce  colossal  édifice  dont  le  pharisaisme 
anglican  avait  cru  sceller  les  fondements  du  sang  des 
lollards  anglais  et  des  Français  schismatiques. 

Henri  V  ne  voyait  que  trop  clairement  tout  cela;  il 
n'espérait  plus.  Rouen  lui  avait  coûté  une  année, 
Melun  une  année,  Meaux  une  année.  Pendant  cet 
interminable  siège  de  Meaux,  lorsqu'il  voyait  sa  belle 
armée  fondre  autour  de  lui,  on  vint  lui  apprendre  que 
la  reine  lui  avait  mis  au  monde  un  fils  au  château  de 
Windsor  :  il  n'en  montra  aucune  joie,  et,  comparant  sa 
destinée  à  celle  de  cet  enfant,  il  dit  avec  une  tristesse 
prophétique  :  «  Henri  de  Monmouth  aura  régné  peu  et 
conquis  beaucoup;  Henri  de  Windsor  régnera  long- 
temps et  il  perdra  tout.  La  volonté  de  Dieu  soit  faite  !  » 

On  conte  qu'au  milieu  de  ses  sombres  prévisions, 
un  ermite  vint  le  trouver  et  lui  dit  :  «  Notre-Seigneur, 
qui  ne  veut  pas  votre  perte,  m'a  envoyé  un  saint 
homme,  et  voici  ce  que  le  saint  homme  a  dit  :  «  Dieu 


MORT  D'HENRI   V  ET   DE    CHARLES  VI  333 

ordonne  que  vous  vous  désistiez  de  tourmenter  son 
chrétien  peuple  de  France;  sinon,  vous  avez  peu  à 
vivre1.  » 

Henri  V  était  jeune  encore  ;  mais  il  avait  beaucoup 
travaillé  en  ce  monde,  le  temps  était  venu  du  repos. 
Il  n'en  avait  pas  eu  depuis  sa  naissance.  Il  fut  pris 
après  sa  campagne  d'hiver  d'une  vive  irritation  d'en- 
trailles, mal  fort  commun  alors,  et  qu'on  appelait  le 
feu  Saint-Antoine.  La  dyssenterie  le  saisit2.  Cependant 
le  duc  de  Bourgogne  lui  ayant,  demandé  secours  pour 
une  bataille  qu'il  allait  livrer,  il  craignit  que  le  jeune 
prince  français  ne  vainquît  encore  cette  fois  tout  seul, 
et  il  répondit  :  «  Je  n'enverrai  pas,  j'irai.  »  Il  était  déjà 
très  faible,  et  se  faisait  porter  en  litière  ;  mais  il  ne  put 
aller  plus  loin  que  Melun  ;  il  fallut  le  rapporter  à  Yin- 
cennes.  Instruit  par  les  médecins  de  sa  fin  prochaine, 
il  recommanda  son  fils  à  ses  frères,  et  leur  dit  deux 
sages  paroles  :  premièrement  de  ménager  le  duc  de 
Bourgogne  ;  deuxièmement,  si  l'on  traitait,  de  s'ar- 
ranger toujours  pour  garder  la  Normandie. 

Puis  il  se  fit  lire  les  psaumes  de  la  pénitence  ;  et 
quand  on  en  vint  aux  paroles  du  Miserere  :  Ut  œdi- 
ficentur  mûri  Hierusalem ,  le  génie  guerrier  du 
mourant  se  réveilla  dans  sa  piété  même  :  «  Ah!  si 
Dieu  m'avait  laissé  vivre  mon  âge,  dit-il,  et  finir  la 
guerre  de  France,  c'est  moi  qui  aurais  conquis  la 
terre  sainte3!  » 

Il  semble  qu'à  ce  moment  suprême  il  ait  éprouvé 

1.  Chas  tel  lai  n. 

2.  Le  parti  ennemi  publia  qu'il  était  mort  mangé  des  poux.  —  3.  App.  224. 


334  HISTOIRE    DE    FRANCE 

quelque  doute  sur  la  légitimité  de  sa  conquête  de 
France,  quelque  besoin  de  se  rassurer.  On  en  juge- 
rait volontiers  ainsi,  d'après  les  paroles  qu'il  ajouta 
comme  pour  répondre  à  une  objection  intérieure  : 
«  Ce  n'est  pas  l'ambition  ni  la  vaine  gloire  du  monde 
qui  m'ont  fait  combattre.  Ma  guerre  a  été  approuvée 
des  saints  prêtres  et  des  prud'hommes  ;  en  la  faisant, 
je  n'ai  point  mis  mon  âme  en  péril.  »  Peu  après  il 
expira  (31  août  1422). 

L'Angleterre,  dont  il  avait  exprimé  l'opinion  en 
mourant,  lui  rendit  même  témoignage.  Son  corps  fut 
porté  à  Westminster,  parmi  un  deuil  incroyable,  non 
comme  celui  d'un  roi,  d'un  triomphateur,  mais 
comme  les  reliques  d'un  saint1. 

Il  était  mort  le  31  août  ;  Charles  YI  le  suivit  le 
21  octobre2.  Le  peuple  de  Paris  pleura  son  pauvre  roi 
fol,  autant  que  les  Anglais  leur  victorieux  Henri  V. 
«  Tout  le  peuple  qui  étoit  clans  les  rues  et. aux  fenêtres 
pleuroit  et  crioit,  comme  si  chacun  eût  vu  mourir  ce 
qu'il  aimoit  le  plus.  Vraiment  leurs  lamentations 
étoient  comme  celles  du  prophète  :  Quomodo  scdet 
sola  civitas  plena  populo?  » 

Le  menu  commun  de  Paris  criait  :  «  Ah  !  très  cher 
prince,  jamais  nous  n'en  aurons  un  si  bon  !  Jamais 
nous  ne  te  verrons.  Maudite  soit  la  mort  !  Nous  n'au- 
rons jamais  plus  que  guerre,  puisque  tu  nous  a  laissés. 


1.  «  Comme  s'ils  fussent  acertenez  qu'il  fust  ou  soit  saint  en  paradis.  » 
(Monstrelet.) 

2.  «  Après  le  quatrième  ou  cinquième  accès  de  fièvre  quarte.  »  (Archives, 
Registres  du  Parlement.) 


MOUT   D'HENRI  V  ET  DE    CHARLES   VI  335 

Tu  vas  en  repos  ;  nous  demeurons  en  tribulation  et 
douleur1.  » 

Charles  VI  fut  porté  à  Saint-Denis,  «  petitement 
accompagné  pour  un  roi  de  France  ;  il  n'avoit  que  son 
chambellan,  son  chancelier,  son  confesseur  et  quel- 
ques menus  officiers  ».  Un  seul  prince  suivait  le 
convoi,  et  c'était  le  duc  de  Bedford.  «  Hélas  !  son  fils 
et  ses  parens  ne  pouvoient  être  à  l'accompagner,  de 
quoi  ils  estoient  légitimement  excusez2.  »  Cette  belle 
famille  était  presque  éteinte  ;  les  trois  fils  aînés  étaient 
morts.  Des  filles,  l'aînée  avait  épousé  l'infortuné 
Richard  II,  puis  le  duc  d'Orléans,  prisonnier  pour 
toute  sa  vie  ;  la  seconde,  femme  du  duc  de  Bourgogne, 
mourut  de  chagrin  ;  la  troisième  avait  été  contrainte 
d'épouser  l'ennemi  de  la  France.  Le  seul  qui  restât 
des  fils  de  Charles  YI  était  proscrit,  déshérité. 

Lorsque  le  corps  fut  descendu,  les  huissiers  d'armes 
rompirent  leurs  verges  et  les  jetèrent  dans  la  fosse, 
et  ils  renversèrent  leurs  masses.  Alors  Berri,  roi 
d'armes  de  France,  cria  sur  la  fosse  :  «  Dieu  veuille 
avoir  pitié  de  l'âme  de  très  haut  et  très  excellent 
prince  Charles,  roi  de  France,  sixième  du  nom,  notre 
naturel  et  souverain  seigneur.  »  Ensuite  il  reprit  : 
«  Dieu  accorde  bonne  vie  à  Henri  par  la  grâce  de 
Dieu  roi  de  France  et  d'Angleterre,  notre  souverain 
seigneur3.  » 

Après  avoir  dit  la  mort  du  roi,  il  faudrait  dire  la 
mort  du  peuple.  De  1418  à  1422,  la  dépopulation  fut 

1.  Journal  du  Bourgeois.  —  2.  Juvénal.  —  3.  Monstrelet. 


336  HISTOIRE  DE   FRANCE 

effroyable.  Dans  ces  années  lugubres,  c'est  comme 
un  cercle  meurtrier  :  la  guerre  mène  à  la  famine,  et 
la  famine  à  la  peste  ;  celle-ci  ramène  la  famine  à  son 
tour.  On  croit  lire  cette  nuit  de  l'Exode  où  l'ange 
passe  et  repasse,  touchant  chaque  maison  de  l'épée. 

L'année  des  massacres  de  Paris  (1418),  la  misère, 
l'effroi,  le  désespoir,  amenèrent  une  épidémie  qui 
enleva,  dit-on,  dans  cette  ville  seule  quatre-vingt 
mille  âmes1.  «  Vers  la  fin  de  septembre,  dit  le  témoin 
oculaire,  dans  sa  naïveté  terrible,  on  mouroit  tant  et 
si  vite,  qu'il  falloit  faire  dans  les  cimetières  de  grandes 
fosses  où  on  les  mettoit  par  trente  et  quarante, 
arrangés  comme  lard,  et  à  peine  poudrés  de  terre.  On 
ne  rencontroit  dans  les  rues  que  prêtres  qui  portoient 
Notre-Seigneur.  » 

En  1419,  il  n'y  avait  pas  à  récolter;  les  laboureurs 
étaient  morts  ou  en  fuite  :  on  avait  peu  semé,  et  ce 
peu  fut  ravagé.  La  cherté  des  vivres  devint  extrême. 
On  espérait  que  les  Anglais  rétabliraient  un  peu 
d'ordre  et  de  sécurité,  et  que  les  vivres  deviendraient 
moins  rares;  au  contraire,  il  y  eut  famine.  «  Quand 
venoient  huit  heures,  il  y  avoit  si  grande  presse  à  la 
porte  des  boulangers,  qu'il  faut  l'avoir  vu  pour  le 
croire...   Vous   auriez  entendu   dans   tout  Paris  des 


1.  «  Comme  il  fut  trouvé  par  les  curés  des  paroisses.  »  (Monstrelet.)  — 
«  Ceux  qui  faisoient  les  fosses...  aifermoient...  qu'avoient  enterré  plus  de  cent 
mille  personnes.  »  {Journal  du  Bourgeois  de  Paris.)  Il  a  dit  un  peu  plus 
haut  que  dans  les  cinq  premières  semaines  il  était  mort  cinquante  mille  per- 
sonnes. A  ces  calculs  fort  suspects  d'exagération,  il  en  ajoute  un  qui  semble 
mériter  plus  de  confiance  :  «  Les  corduaniers  comptèrent  le  jour  de  leur 
confrérie  les  morts  de  leur  mestier...  et  trouvèrent  qu'ils  estoient  trépassés  bien 
dix-huit  cents,  tant  maistres  que  varlets,  en  ces  deux  mois.  » 


MORT   D'HENRI  V  ET   DE    CHARLES   VI  337 

lamentations  pitoyables  des  petits  enfants  qui  crioient  : 
«  Je  meurs  de  faim  !  »  On  voyoit  sur  un  fumier  vingt, 
trente  enfants,  garçons  et  filles,  qui  mouroient  de 
faim  et  de  froid.  Et  il  n'y  avoit  pas  de  cœur  si  dur, 
qui,  les  entendant  crier  la  nuit  :  «  Je  meurs  de  faim  !  » 
n'en  eût  grand'pitié.  Quelques-uns  des  bons  bour- 
geois achetèrent  trois  ou  quatre  maisons  dont  ils  firent 
hôpitaux  pour  les  pauvres  enfants  *.  » 

En  1421,  même  famine  et  plus  dure.  Le  tueur  de 
chiens  était  suivi  des  pauvres,  qui,  à  mesure  qu'il 
tuait,  dévoraient  tout,  «  chair  et  trippes2  ».  La  cam- 
pagne, dépeuplée,  se  peuplait  d'autre  sorte  :  des 
bandes  de  loups  couraient  les  champs,  grattant, 
fouillant  les  cadavres  ;  ils  entraient  la  nuit  dans 
Paris,  comme  pour  en  prendre  possession.  La  ville, 
chaque  jour  plus  déserte,  semblait  bientôt  être  à 
eux  :  on  dit  qu'il  n'y  avait  pas  moins  de  vingt-quatre 
mille  maisons  abandonnées3. 

On  ne  pouvait  plus  rester  à  Paris.  L'impôt  était 
trop  écrasant.  Les  mendiants  (autre  impôt)  y  affluaient 
de  toute  part,  et  à  la  fin  il  y  avait  plus  de  mendiants 
que  d'autres  personnes,  on  aimait  mieux  s'en  aller, 
laisser  son  bien.  Les  laboureurs  de  même  quittaient 
leurs  champs  et  jetaient  la  pioche  ;  ils  se  disaient 
entre  eux  :  «  Fuyons  aux  bois  avec  les  bêtes  fauves... 
adieu  les  femmes  et  les  enfants...  Faisons  le  pis  que 
nous  pourrons.  Remettons -nous  en  la  main  du 
Diable4.  » 


1.  Journal  du  Bourgeois.  —  2.  Ibid.  —  3.  App.  225. 
4.  Journal  du  Bourgeois.  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir,  faute  d'espace, 
t.  iv.  22 


338  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Arrivé  là,  on  ne  pleure  plus  ;  les  larmes  sont  finies, 
ou  parmi  les  larmes  même  éclatent  de  diaboliques 
joies,  un  rire  sauvage...  C'est  le  caractère  le  plus  tra- 
gique du  temps,  que,  dans  les  moments  les  plus 
sombres,  il  y  ait  des  alternatives  de  gaieté  frénétique. 

Le  commencement  de  cette  longue  suite  de  maux, 
«  de  cette  douloureuse  danse  »,  comme  dit  le  Bour- 
geois de  Paris,  c'est  la  folie  de  Charles  VI,  c'est  le 
temps  aussi  de  cette  trop  fameuse  mascarade  des 
satyres,  des  mystères  pieusement  burlesques,  des 
farces  de  la  Bazoche. 

L'année  de  l'assassinat  du  duc  d'Orléans  a  été 
signalée  par  l'organisation  du  corps  des  ménétriers. 
Cette  corporation,  tout  à  fait  nécessaire  sans  doute 
dans  une  si  joyeuse  époque,  était  devenue  impor- 
tante et  respectable.  Les  traités  de  paix  se  criaient 
dans  les  rues  à  grand  renfort  de  violons  ;  il  ne  se 
passait  guère  six  mois  qu'il  n'y  eût  une,  paix  criée  et 
chantée1. 

L'aîné  des  fils  de  Charles  VI,  le  premier  dauphin, 


suivre  pour  ces  tristes  années,  le  conseil  que  M.  de  Sismondi  donne  à  l'histo- 
rien avec  un  sentiment  si  profond  de  l'humanité  : 

«  Ne  nous  pressons  pas;  lorsque  le  narrateur  se  presse,  il  donne  une  fausse 
idée  de  l'histoire...  Ces  années,  si  pauvres  en  vertus  et  en  grands  exemples, 
étaient  tout  aussi  longues  à  passer  pour  les  malheureux  sujets  du  royaume 
que  celles  qui  paraissent  resplendissantes  d'héroïsme.  Pendant  qu'elles 
s'écoulaient,  les  uns  étaient  affaissés  par  le  progrès  de  l'âge  ;  les  autres  étaient 
remplacés  parleurs  enfants  :  la  nation  n'était  déjà  plus  la  même...  Le  locteur 
ne  s'aperçoit  jamais  de  ce  progrès  du  temps,  s'il  ne  voit  pas  aussi  comment 
ce  temps  a  été  rempli  :  la  durée  se  proportionne  toujours  pour  lui  au  nombre 
des  faits  qui  lui  sont  présentés,  et  en  quelque  sorte,  au  nombre  des  pages 
qu'il  parcourt.  Il  peut  bien  être  averti  que  des  années  ont  passé  en  silence, 
mais  il  ne  le  sent  pas.  » 

1.  App.  226. 


MORT  D'HENRI   V  ET  DE   CHARLES    VI  339 

était  un  joueur  infatigable  de  harpe  et  d'épinette.  Il 
avait  force  musiciens,  et  faisait  venir  encore,  pour 
aider,  les  enfants  de  chœur  de  Notre-Dame.  Il  chan- 
tait, dansait  et  «  balait  »,  la  nuit  et  le  jour1,  et  cela 
Tannée  des  cabochiens,  pendant  qu'on  lui  tuait  ses 
amis.  Il  se  tua,  lui  aussi,  à  force  de  chanter  et  de 
danser. 

Cette  apparente  gaieté,  clans  les  moments  les  plus 
tristes,  n'est  pas  un  trait  particulier  de  notre  histoire. 
La  chronique  portugaise  nous  apprend  que  le  roi 
D.  Pedro,  dans  son  terrible  deuil  d'Inès  qui  lui  dura 
jusqu'à  la  mort,  éprouvait  un  besoin  étrange  de  danse 
et  de  musique.  Il  n'aimait  plus  que  deux  choses  :  les 
supplices  et  les  concerts.  Et  ceux-ci,  il  les  lui  fallait 
étourdissants,  violents,  des  instruments  métalliques, 
dont  la  voix  perçante  prît  tyranniquement  le  dessus, 
fît  taire  les  voix  du  dedans  et  remuât  le  corps,  comme 
d'un  mouvement  d'automate.  Il  avait  tout  exprès  pour 
cela  de  longues  trompettes  d'argent.  Quelquefois, 
quand  il  ne  dormait  pas,  il  prenait  ses  trompettes 
avec  des  torches,  et  il  s'en  allait  dansant  par  les  rues  ; 
le  peuple  alors  se  levait  aussi,  et  soit  compassion,  soit 
entraînement  méridional,  ils  se  mettaient  à  danser 
tous  ensemble,  peuple  et  roi,  jusqu'à  ce  qu'il  en  eût 
assez,  et  que  l'aube  le  ramenât  épuisé  à  son  palais  2. 

Il  paraît  constant  qu'au  quatorzième  siècle  la 
danse  devint,  dans  beaucoup  de  pays,  involontaire 
et  maniaque.  Les  violentes  processions  des  Flagel- 


1.  C'est  ce  que  lui  reprochaient  tant  les  bouchers. 

2.  Chroniques  de  l'Espagne  et  duPortugal.  (Ferd.  Denis. 


340  HISTOIRE    DE    FRANCE 

lants  en  donnèrent  le  premier  exemple.  Les  grandes 
épidémies,  le  terrible  ébranlement  nerveux  qui  en 
restait  aux  survivants ,  tournaient  aisément  en 
danse  de  Saint- Gui1.  Ces  phénomènes  sont,  comme 
on  sait,  de  nature  contagieuse.  Le  spectacle  des 
convulsions  agissait  d'autant  plus  puissamment  qu'il 
n'y  avait  dans  les  âmes  que  convulsions  et  vertige. 
Alors  les  sains  et  les  malades  dansaient  sans  distinc- 
tion. On  les  voyait  dans  les  rues,  dans  les  églises, 
se  saisir  violemment  par  la  main  et  former  des  rondes. 
Plus  d'un,  qui  d'abord  en  riait  ou  regardait  froidement, 
en  venait  aussi  à  n'y  plus  voir,  la  tète  lui  tournait,  il 
tournait  lui-même  et  dansait  avec  les  autres.  Les 
rondes  allaient  se  multipliant,  s'enlaçant  ;  elles  deve- 
naient de  plus  en  plus  vastes,  de  plus  en  plus 
aveugles,  rapides,  furieuses  à  briser  tout,  comme 
d'immenses  reptiles  qui,  de  minute  en  minute,  iraient 
grossissant,  se  tordant.  Il  n'y  avait  pas  à  arrêter  le 
monstre  ;  mais  on  pouvait  couper  les  anneaux  ;  on 
brisait  la  chaîne  électrique,  en  tombant  des  pieds  et 
des  poings  sur  quelques-uns  des  danseurs.  Cette  rude 
dissonance  rompant  l'harmonie,  ils  se  trouvaient 
libres  ;  autrement,  ils  auraient  roulé  jusqu'à  l'épui- 
sement final  et  dansé  à  mort. 

Ce  phénomène  du  quatorzième  siècle  ne  se  repré- 
sente pas  au  quinzième.  Mais  nous  y  voyons,  en 
Angleterre,  en  France,  en  Allemagne,  un  bizarre 
divertissement  qui  rappelle  ces  grandes  danses  popu- 

1.  A  pp.  227. 


MORT  D'HENRI  Y  ET   DE   CHARLES  VI  341 

laires  de  malades  et  de  mourants.  Gela  s'appelait  la 
danse  des  morts,  ou  danse  macabre1.  Cette  danse 
plaisait  fort  aux  Anglais,  qui  l'introduisirent  chez 
nous2. 

On  voyait  naguère  à  Bàle  3,  on  voit  encore  à  Lucerne, 
à  la  Chaise-Dieu  en  Auvergne,  une  suite  de  tableaux 
qui  représentent  la  Mort  entrant  en  danse  avec  des 
hommes  de  tout  âge,  de  tout  état,  et  les  entraînant 
avec  elle.  Ces  danses  en  peinture  furent  destinées  à 
reproduire  de  véritables  danses  en.  nature  et  en 
action4.  Elles  durent  certainement  leur  origine  à 
quelques-uns  des  mimes  sacrés  qu'on  jouait  dans  les 
églises,  aux  parvis,  aux  cimetières,  ou  même  dans  les 
rues  aux  processions5.  L'effort  des  mauvais  anges 
pour  entraîner  les  âmes,  tel  qu'on  le  voit  partout 
encore  dans  les  bas-reliefs  des  églises,  en  donna  sans 
doute  la  première  idée.  Mais,  à  mesure  que  le  senti- 
ment chrétien  alla  s'affaiblissant,  ce  spectacle  cessa 
d'être  religieux,  il  ne  rappela  aucune  pensée  de  juge- 
ment, de  salut,  ni  de  résurrection6,  mais  devint 
sèchement  moral,   durement  philosophique  et  maté- 


1.  C'est-à-dire,  danse  de  cimetière.  App.  228. 

2.  Peut-être  y  introduisirent-ils  aussi  la  danse  aux  aveugles,  et  le  tournoi 
des  aveugles  :  «  On  meist  quatre  aveugles  tous  armez  en  un  parc,  chacun  ung 
bâton  en  sa  main,  et  en  ce  lieu  avoit  un  fort  pourcel  lequel  ils  dévoient  avoir 
s'ils  le  povoient  tuer.  Ainsi  fut  fait,  et  firent  cette  bataille  si  estrange;  car  ils 
se  donnèrent  tant  de  grans  coups...  »  {Journal  du  Bourgeois.) 

3.  Ainsi  qu'au  cimetière  de  Dresde,  à  Sainte-Marie  de  Lubeck,  au  Temple 
neuf  de  Strasbourg,  sous  les  arcades  du  château  de  Rlois,  etc.  La  plus  ancienne 
peut-être  de  ces  peintures  était  celle  de  Minden  en  Westphalie  ;  elle  était  datée 
de  1383. 

4.  L'art  vivant,  l'art  en  action,  a  partout  précédé  l'art  figuré.  App.  229. 

5.  Ch.  Magnin.  —  6.  App.  230. 


312  HISTOIRE    DE    FRANCE 

rialiste.  Ce  ne  fut  plus  le  Diable,  fils  du  péché,  de  la 
volonté  corrompue,  mais  la  Mort,  la  mort  fatale, 
matérielle  et  sous  forme  de  squelette.  Le  squelette 
humain,  dans  ses  formes  anguleuses  et  gauches  au 
premier  coup  d'œil,  rappelle,  comme  on  sait,  la  vie  de 
mille  façons  ridicules,  mais  l'affreux  rictus  prend  en 
revanche  un  air  ironique...  Moins  étrange  encore  par 
la  forme  que  par  la  bizarrerie  des  poses,  c'est  l'homme 
et  ce  n'est  pas  l'homme.  Ou,  si  c'est  lui,  il  semble, 
cet  horrible  baladin,  étaler  avec  un  cynisme  atroce  la 
nudité  suprême  qui  devait  rester  vêtue  de  la  terre. 

Le  spectacle  de  la  danse  des  morts  se  joua  1  à  Paris 
en  1424  au  cimetière  des  Innocents.  Cette  place  étroite 
où  pendant  tant  de  siècles  l'énorme  ville  a  versé 
presque  tous  ses  habitants,  avait  été  d'abord  tout  à  la 
fois  un  cimetière ,  une  voirie ,  hantée  la  nuit  des 
voleurs,  le  soir  des  folles  filles  qui  faisaient  leur 
métier  sur  les  tombes.  Philippe-Auguste  ferma  la  place 
de  murs,  et  pour  la  purifier,  la  dédia  à  saint  Innocent, 
un  enfant  crucifié  par  les  juifs.  Au  quatorzième  siècle, 
les  églises  étant  déjà  bien  pleines,  la  mode  vint  parmi 
les  bons  bourgeois  de  se  faire  enterrer  au  cimetière. 
On  y  bâtit  une  église  ;  Flamel  y  contribua,  et  mit  au 
portail  des  signes  bizarres,  inexplicables  qui,  au  dire 
du  peuple,  recelaient  de  grands  mystères  alchimiques. 
Flamel  aida  encore  à  la  construction  des  charniers 
qu'on  bâtit  tout  autour.  Sous  les  arcades  de  ces  char- 
niers étaient  les  principales  tombes;  au-dessus  régnait 

1.  Àpp.  231. 


MORT   D'HENRI  V  ET   DE    CHARLES  VI  343 

un  étage  et  des  greniers,  où  l'on  pendait  demi-pourris 
les  os  que  l'on  tirait  des  fosses  *  ;  car  il  y  avait  peu  de 
place  ;  les  morts  ne  reposaient  guère  ;  dans  cette  terre 
vivante,  un  cadavre  devenait  squelette  en  neuf  jours. 
Cependant  tel  était  le  torrent  de  matière  morte  qui 
passait  et  repassait,  tel  le  dépôt  qui  en  restait,  qu'à 
l'époque  où  le  cimetière  fut  détruit,  le  sol  s'était 
exhaussé  de  huit  pieds  au-dessus  des  rues  voisines2. 
De  cette  longue  alluvion  des  siècles  s'était  formée  une 
montagne  de  morts  qui  dominait  les  vivants. 

Tel  fut  le  digne  théâtre  de  la  danse  macabre.  On  la 
commença  en  septembre  1424,  lorsque  les  chaleurs 
avaient  diminué,  et  que  les  premières  pluies  rendaient 
le  lieu  moins  infect.  Les  représentations  durèrent 
plusieurs  mois. 

Quelque  dégoût  que  pussent  inspirer  et  le  lieu  et  le 
spectacle,  c'était  chose  à  faire  réfléchir  de  voir,  dans 
ce  temps  meurtrier,  dans  une  ville  si  fréquemment, 
si  durement  visitée  de  la  mort,  cette  foule  famélique, 
maladive,  à  peine  vivante,  accepter  joyeusement  la 
Mort  même  pour  spectacle,  la  contempler  insatia- 
blement  dans  ses  moralités  bouffonnes,  et  s'en 
amuser  si  bien  qu'ils  marchaient  sans  regarder  sur  les 
os  de  leurs  pères,  sur  les  fosses  béantes  qu'ils  allaient 
remplir  eux-mêmes. 

Après  tout,  pourquoi  n'auraient-ils  pas  ri,  en  atten- 
dant? C'était  la  vraie  fête  de  l'époque,   sa  comédie 


1.  Le  rez-de-chaussée  extérieur,  adossé  à  la  galerie  des  tombeaux,  et  sup- 
portant les  galetas  où  séchaient  les  os,  était  occupé  par  des  boutiques  de  lin- 
gères,  de  marchandes  de  modes,  d'écrivains,  etc.  —  2.  App.  232. 


344  HISTOIRE    DE    FRANCE 

naturelle,  la  danse  des  grands  et  des  petits.  Sans 
parler  de  ces  millions  d'hommes  obscurs  qui  y  avaient 
pris  part  en  quelques  années,  n'était-ce  pas  une 
curieuse  ronde  qu'avaient  menée  les  rois  et  les 
princes,  Louis  d'Orléans  et  Jean-sans-Peur,  Henri  V 
et  Charles  Yl  !  Quel  jeu  de  la  mort,  quel  malicieux 
passe-temps  d'avoir  approché  ce  victorieux  Henri,  à 
un  mois  près,  de  la  couronne  de  France  !  Au  bout  de 
toute  une  vie  de  travail,  pour  survivre  à  Charles  VI, 
il  lui  manquait  un  petit  mois  seulement...  Non!  pas 
un  mois,  pas  un  jour!  Et  il  ne  mourra  pas  même  en 
bataille  ;  il  faut  qu'il  s'alite  avec  la  dyssenterie  et  qu'il 
meure  d'hémorroïdes1. 

Si  l'on  eût  trouvé  un  peu  dures  ces  dérisions  de 
la  Mort,  elle  eût  eu  de  quoi  répondre.  Elle  eût  dit 
qu'à  bien  regarder,  on  verrait  qu'elle  n'avait  guère 
tué  que  ceux  qui  ne  vivaient  plus.  Le  conquérant  était 
mort,  du  moment  que  la  conquête  languit  et  ne  put 
plus  avancer;  Jean-sans-Peur,  lorsqu'au  bout  de  ses 
tergiversations,  connu  enfin  des  siens  même,  il  se 
voyait  à  jamais  avili  et  impuissant.  Partis  et  chefs  de 
partis,  tous  avaient  désespéré.  Les  Armagnacs,  frappés 
à  Azincourt,  frappés  au  massacre  de  Paris,  l'étaient 
bien  plus  encore  par  leur  crime  de  Montereau,  Les 
cabochiens  et  les  Bourguignons  avaient  été  obligés 
de  s'avouer   qu'ils  étaient  dupes,   que   leur  duc   de 


1.  Cette  dérision  de  la  mort  frappa  les  contemporains.  Un  gentilhomme, 
messire  Sarrazin  d'Arles,  voyant  un  de  ses  gens  qui  revenait  du  convoi  d'Henri  V, 
lui  demanda  si  le  roi  «  avoit  point  ses  housseaux  chaussés  ».  Ah!  mon  sei- 
gneur, ncnni,  par  ma  foi  !  —  «  Bel  ami,  dit  l'autre,  jamais  ne  me  crois,  s'il 
les  a  laissés  en  France!  »  (Monstrelet.) 


MORT  D'HENRI  V  ET   DE   CHARLES   VI  345 

Bourgogne  était  l'ami  des  Anglais  ;  ils  s'étaient  vus 
forcés,  eux  qui  s'étaient  crus  la  France,  de  devenir 
Anglais  eux-mêmes.  Chacun  survivait  ainsi  à  son 
principe  et  à  sa  foi  ;  la  mort  morale,  qui  est  la  vraie, 
était  au  fond  de  tous  les  cœurs.  Pour  regarder  la 
danse  des  morts,  il  ne  restait  que  des  morts. 

Les  Anglais  même,  les  vainqueurs,  à  leur  spectacle 
favori,  ne  pouvaient  qu'être  mornes  et  sombres. 
L'Angleterre,  qui  avait  gagné  à  sa  conquête  d'avoir 
pour  roi  un  enfant  français  par  sa  mère,  avait  bien 
l'air  d'être  morte,  surtout  s'il  ressemblait  à  son  grand- 
père  Charles  VI.  Et  pourtant  en  France  cet  enfant 
était  Anglais,  c'était  Henri  VI  de  Lancastre  ;  sa  royauté 
était  la  mort  nationale  de  la  France  même. 

Lorsque,  quelques  années  après,  ce  jeune  roi  anglo- 
français,  ou  plutôt  ni  l'un  ni  l'autre,  fut  amené  dans 
Paris  désert  par  le  cardinal  Winchester,  le  cortège 
passa  devant  l'hôtel  Saint-Paul,  où  la  reine  Isabeau, 
veuve  de  Charles  VI,  était  aux  fenêtres.  On  dit  à  l'en- 
fant royal  que  c'était  sa  grand'mère  ;  les  deux  ombres 
se  regardèrent  ;  la  pâle  jeune  figure  ôta  son  chaperon 
et  salua;  la  vieille  reine,  de  son  côté,  fit  une  humble 
révérence,  mais,  se  détournant,  elle  se  mit  à  pleurer1. 


1.  «  Et  tantostelle  s'inclina  vers  lui  moult  humblement  et  se  tourna  d'autre 
part  plorant.  »  {Journal  du  Bourgeois.) 


APPENDICE 


Ce  volume  et  le  suivant  ont  pour  sujet  commun  la  grande  crise 
du  quinzième  siècle,  les  deux  phases  de  cette  crise  où  la  France 
sembla  s'abîmer.  Celui-ci  racontera  la  mort,  le  suivant  la  résur- 
rection. 

La  première  des  deux  périodes  dure  près  d'un  demi-siècle;  elle 
part  du  schisme  pontifical,  et  traverse  le  schisme  politique  d'Or- 
léans et  de  Bourgogne,  de  Valois  et  de  Lancastre. 

Notre  faible  unité  nationale  du  quatorzième  siècle  était  toute 
dans  la  royauté;  au  quinzième,  la  royauté  même  se  divisant,  il 
faut  bien  que  le  peuple  essaye  d'y  suppléer.  Le  peuple  des  villes  y 
échoue  en  1413,  et  de  cette  tentative  il  ne  reste  qu'un  code,  le  pre- 
mier code  administratif  qu'ait  eu  la  France.  Le  peuple  des  cam- 
pagnes fera  par  inspiration  ce  que  la  sagesse  des  villes  n'a  pu 
faire;  il  relèvera  la  royauté,  rétablira  l'unité,  et  de  cette  épreuve 
où  le  pays  faillit  périr,  sortira,  confuse  encore,  mais  vivace  et  forte, 
l'idée  même  de  la  patrie. 

Avant  d'en  venir  là,  il  faut  que  ce  pays  descende  dans  la  ruine, 
dans  la  mort,  à  une  profondeur  dont  rien  peut-être,  ni  avant  ni 
après,  n'a  donné  l'idée.  Celui  qui  par  l'élude  a  traversé  les  siècles 
pour  se  replacer  dans  les  misères  de  cette  époque  funèbre,  qui, 
pour  mieux  les  comprendre,  a  voulu  y  vivre  et  en  prendre  sa  part, 
ne  pourra  encore  qu'à  grand'peine  en  faire  entrevoir  l'horreur. 

L'histoire  est  grave  ici  par  le  sujet  ;  elle  ne  l'est  pas  moins  par  le 
caractère  tout  nouveau  d'autorité  qu'elle  tire  des  monuments  de 
l'époque.  Pour  la  première  fois  peut-être  elle  marche  sur  un  terrain 
ferme.  La  chronique,  jusque-là  enfantine  et  conteuse,  commence 


348  HISTOIRE    DE    FRANCE 

à  déposer  avec  le  sérieux  d'un  témoin.  Mais  à  côté  de  ce  témoi- 
gnage nous  en  trouvons  un  autre  plus  sûr.  Les  grandes  collections 
d'actes  publics,  imprimés  ou  manuscrits,  deviennent  plus  complètes 
et  plus  instructives.  Elles  forment  dans  leur  suite,  désormais  peu 
interrompue,  d'authentiques  annales,  au  moyen  desquelles  nous 
pouvons  dater,  suppléer,  souvent  démentir,  les  on  dit  des  chroni- 
queurs. Sans  accorder  aux  actes  une  confiance  illimitée,  sans 
oublier  que  les  actes  les  plus  graves,  les  lois  même,  restent  souvent 
sur  le  papier  et  sans  application,  on  ne  peut  nier  que  ces  témoi- 
gnages officiels  et  nationaux  n'aient  généralement  une  autorité 
supérieure  aux  témoignages  individuels. 

Les  Ordonnances  de  nos  rois,  le  Trésor  des  chartes,  les  Registres 
du  Parlement,  les  actes  des  Conciles,  telles  ont  été  nos  sources 
pour  les  faits  les  plus  importants.  Joignez-y,  quant  à  l'Angleterre, 
le  Recueil  de  Rymer  et  celui  des  Statuts  du  royaume.  Ces  collec- 
tions nous  ont  donné,  particulièrement  vers  la  fin  du  volume,  l'his- 
toire tout  entière  d'importantes  périodes  sur  lesquelles  la  chro- 
nique se  taisait. 

L'étude  de  ces  documents  de  plus  en  plus  nombreux,  l'interpré- 
tation, le  contrôle  des  chroniques  par  les  actes,  des  actes  par  les 
chroniques,  tout  cela  exige  des  travaux  préalables,  des  tâtonne- 
ments, des  discussions  critiques  dont  nous  épargnons  à  nos  lecteurs 
le  laborieux  spectacle.  Une  histoire  étant  une  œuvre  d'art  autant 
que  de  science,  elle  doit  paraître  dégagée  des  machines  et  des 
échafaudages  qui  en  ont  préparé  la  construction.  Nous  n'en  parle- 
rions même  pas,  si  nous  ne  croyions  devoir  expliquer  et  la  lenteur 
avec  laquelle  se  succèdent  les  volumes  de  cet  ouvrage  et  le  déve- 
loppement qu'il  a  pris.  Il  ne  pouvait  rester  dans  les  formes  d'un 
abrégé  sans  laisser  dans  l'obscurité  beaucoup  de  choses  essen- 
tielles, et  sans  exclure  les  éléments  nouveaux  auxquels  l'histoire 
des  temps  modernes  doit  ce  qu'elle  a  de  fécondité  et  de  certitude. 

8  février  1840. 


1  —  page  2  —  Le  blason,  les  devises... 

Yoy.  Spener.  —  Origines  du  droit.  Introd.,  p.  xxxix  :  «  Comme 
les  Écossais,  comme  la  plupart  des  populations  celtiques,  nos 
aïeux  aimaient,  au  témoignage  des  anciens,  les  vêtements  bariolés. 


APPENDICE  349 

La  diversité  des  blasons  provinciaux  couvrit  la  France  féodale 
comme  d'un  tartan  multicolore.  —  L'Allemagne  et  la  France  sont 
les  deux  grandes  nations  féodales.  Le  blason  y  est  indigène.  Il  y 
devint  un  système,  une  science.  Il  fut  importé  en  Angleterre,  imité 
en  Espagne  et  en  Italie.  — ■  L'Allemagne  barbare  et  féodale  aimait 
dans  les  armoiries  le  vert,  la  couleur  de  terre,  d'une  terre  ver- 
doyante. La  France  féodale,  mais  non  moins  ecclésiastiqoe,  a  pré- 
féré les  couleurs  du  ciel.  —  Les  couleurs,  les  signes  muets,  pré- 
cèdent longtemps  les  devises.  Celles-ci  sont  la  révélation  du  mystère 
féodal.  Elles  en  sont  aussi  la  décadence.  Toute  religion  s'affaiblit 
en  s'ex  pli  quant.  Dès  que  le  blason  devient  parleur,  il  est  moins 
écouté. —  L'origine  des  devises,  ce  sont  les  cris  d'armes.  Quelques- 
uns,  d'une  aimable  poésie,  semblent  emporter  les  souvenirs  de  la 
paix  au  sein  des  batailles.  Le  sire  de  Prie  criait  :  «  Chants  d'oi- 
seaux! »  Un  autre  :  «  Notre-Dame  au  peigne  d'or!  »  Ces  cris  de 
bataille  font  penser  au  mot  tout  français  de  Joinville  :  «  Nous  en 
parlerons  devant  les  dames.  »  — Le  blason  plaisait  comme  énigme, 
les  devises  comme  équivoque.  Leur  beauté  principale  résulte  des 
sens  multiples  qu'on  peut  y  trouver.  Celle  du  duc  de  Bourgogne 
fait  penser  :  «  J'ai  hâte  »,  hâte  du  ciel  ou  du  trône?  Cette  maison 
de  Bourgogne,  si  grande,  sitôt  tombée,  semble  dire  ici  son  destin. 
—  La  devise  des  ducs  de  Bourbon  est  plus  claire;  un  mot  sur  une 
épée  :  «  Penetrabit.  Elle  entrera.  » 

2  —  page  3  —  Des  hommes-bêtes  brodés  de  toute  espèce 
d'animaux. 

«  Litteris  aut  bestiis  iutextas.  »  (Nicolai  Clemeng.  Epistol.,  t.  II, 
p.  149.) 

Des  hommes-musique  historiés  de  notes... 

Ordonnance  de  Charles,  duc  d'Orléans,  pour  payer  276  livres 
7  sols  6  deniers  tournois,  pour  960  perles  destinées  à  orner  une 
robe  :  «  Sur  les  manches  est  escript  de  broderie  tout  au  long  le  dit 
de  la  chanson  Ma  dame,  je  suis  plusjoyeulx,  et  notté  tout  au  long 
sur  chacunes  desdites  deux  manches,  568  perles  pour  servir  à 
former  les  nottes  de  la  dite  chanson,  ou  il  a  142  nottes,  c'est  assavoir 
pour  chacune  notte  4  perles  en  quarrée,  etc.  »  (Catalogue  imprimé 
des  titres  de  la  collection  de  M.  de  Courcelles,  vendue  le 
21  mai  1834.) 

3  —  page  5  —  Le  prêtre  même  ne  sait  plus  le  sens  des  choses 
saintes... 

«  Proh  dolor!  ipsi  hodie,  ut  plurimum,  de  his  qui  usu  quoti- 


350  HISTOIRE    DE    FRANCE 

dîano  in  ecclesiaslicis  contrectant  rébus  et  prœferunt  officiis,  quid 
signifîcent  et  quare  instituta  sint  modicum  apprehendunt,  adeo  ut 
impletum  esse  ad  litteram  illud  propheticum  videatur  :  Sicut 
populus,  sic  sacerdos.  »  (Durandi,  Rationale  divinorum  offi- 
ciorura.j  folio  1,  1459,  in-folio.  Mogunt.)  —  Toutes  les  éditions 
ultérieures  que  je  connais  portent  par  erreur  proferunt  pour 
prœferunt.  Le  premier  éditeur,  l'un  des  inventeurs  de  l'impri- 
merie, a  seul  compris  que  prseferunt  rappelle  le  prxlati,  comme 
contrectant  le  sacerdotes  de  la  phrase  précédente.  Cf.  les  éditions 
de  1476,  1480,  1481,  etc. 

4  —  page  5  —  Le  conseiller  de  saint  Louis,  Pierre  de  Fon- 
taines, se  croit  obligé  d'écrire  le  droit  de  son  temps... 

«  Li  anchienes  coustumes,  ke  li  preudommes  soloient  tenir  et 
user,  sont  moult  anoienties...  Si  ke  li  païs  est  à  bien  près  sans 
coustume.  »  De  Fontaines,  p.  78,  à  la  suite  du  Joinville  de 
Ducange,  1668,  in-folio.  —  Brussel  dit  et  montre  très  bien  que 
«  Dès  le  milieu  du  treizième  siècle,  on  commençait  à  ignorer 
jusqu'à  la  signification  de  quelques-uns  des  principaux  termes  du 
droit  des  fiefs.  »  Brussel,  I,  41.  —  M.  Klimrath  (Revue  de  légis- 
lation) a  prouvé  que  Bouteiller  ne  savait  plus  ce  que  c'était  que  la 
saisine. 

5  —  page  6  —  Lorsque  Charles  VI  arma  chevaliers  ses  jeunes 
cousins  d'Anjou,  etc. 

«  Quod  peregrinum  vel  extraneum  valde  fuit.  »  (Chronique  du 
Religieux  de  Saint-Denis,  édition  de  MM.  Bellaguet  et  Magin, 
1839,  t.  I,  p.  590.  Édition  correcte,  traduction  élégante  )  —  Ce 
grave  historien  est  la  principale  source  pour  le  règne  de  Charles  VI. 
Le  Laboureur  en  fait  cet  éloge  :  «  Quand  il  parle  des  exactions  du 
duc  d'Orléans,  on  diroit  qu'il  est  Bourguignon;  quand  il  donne  le 
détail  des  pratiques  et  des  funestes  intelligences  du  duc  de  Bour- 
gogne avec  des  assassins  infâmes  et  avec  la  canaille  de  Paris,  on 
croiroit  qu'il  est  Orléanois.  » 

6  —  page  12,  note  3  —  Les  trois  oncles  de  Charles  VI... 

Voir  dans  les  actes  d'août  et  d'octobre  1374  combien  le  sage  roi 
Charles  V,  tant  d'années  avant  sa  mort,  était  préoccupé  de  ses 
défiances  à  l'égard  de  ses  frères.  Il  ne  nomme  pas  le  duc  de  Berri. 
Quant  à  son  frère  aîné,  le  duc  d'Anjou,  il  ne  peut  se  dispenser  de 
lui  laisser  la  régence;  mais  il  place  à  quatorze  ans  la  majorité  des 


APPENDICE  351 

rois,  il  limite  le  pouvoir  du  régent,  non  seulement  en  réservant  la 
tutelle  à  la  reine  mère  et  aux  ducs  de  Bourgogne  et  de  Bourbon, 
mais  encore  en  autorisant  son  ami  personnel,  le  chambellan 
Bureau  de  La  Rivière,  à  accumuler  jusqu'à  la  majorité  du  jeune 
roi  tout  ce  qui  pourra  s'épargner  sur  le  revenu  des  villes  et  terres 
réservé  pour  son  entretien,  villes  de  Paris,  Melun,  Senlis,  duché 
de  Normandie,  etc.  Il  appelle  au  conseil  Duguesclin,  Clisson,  Couci, 
Savoisy,  Philippe  de  Maizières,  etc.  {Ordonnances,  t.  VI,  p.  26,  et 
49-54,  août  et  octobre  1374.) 

7  —  page  16  —  La  reine  Jeanne  de  Naples  avait  adopté 
Louis  d'Anjou... 

Charles  V  avait  d'abord  proposé  au  roi  de  Hongrie  d'unir  leurs 
enfants  par  un  mariage  (le  second  fils  du  roi  de  France  aurait 
épousé  la  fille  du  roi  de  Hongrie),  et  de  forcer  la  main  à  la  reine 
Jeanne,  pour  qu'elle  leur  assurât  sa  succession.  Voir  les  instruc- 
tions données  par  Charles  V  à  ses  ambassadeurs.  (Archives, 
Trésor  des  chartes,  J,  458,  surtout  la  pièce  9.) 

8  —  page  16  —  Le  pape  d'Avignon  avait  livré  à  Louis 
d'Anjou,  etc. 

Dans  l'incroyable  traité  qu'ils  firent  ensemble  et  qui  subsiste,  le 
pape  accorde  au  duc  toute  décime  en  France  et  hors  de  France,  à 
Naples,  en  Autriche,  en  Portugal,  en  Ecosse,  avec  moitié  du 
revenu  de  Castille  et  d'Aragon,  de  plus  toutes  dettes  et  arrérages, 
tous  cens  biennal,  toute  dépouille  des  prélats  qui  mourront,  tout 
émolument  de  la  chambre  apostolique;  le  duc  y  aura  ses  agents. 
Le  pape  fera  de  plus  des  emprunts  aux  gens  d'Église  et  receveurs 
de  l'Église.  Il  engagera  pour  garantie  de  ce  que  le  duc  dépense, 
Avignon,  le  comtat  Venaissin  et  autres  terres  d'Eglise.  11  lui  donne 
en  fief  Bénévent  et  Ancône.  Et  comme  le  duc  ne  se  fie  pas  trop  à 
sa  parole,  le  pape  jure  le  tout  sur  la  croix.  —  Voir  le  projet  d'un 
royaume,  qui  serait  inféodé  par  le  pape  au  duc  d'Anjou,  les  récla- 
mations  des    cardinaux,   etc.    (Archives,    Trésor     des    chartes, 


9  —  page  18  —  Les  compagnons  de  Rouen  avaient  fait  roi 
un  drapier. 

«  Ducenti  et  eo  amplius  insolentissimi  viri,  vino  forsilan  temu- 
lenti,  et  qui  publicis  officinis  mechanicis  inserviebant  artibus, 
quemdam  burgensem  simplicem,  locupletem  tamen,  venditorem 
pannorum,  ob  pinguedinem  nimiam  Crassum  ideo  vocatum,  anga- 


352  HISTOIRE    DE    FRANCE 

rientes,  ut  ejus  autoritale  uterentur  in  agendis...  regem  super  se 
illico  statuerunt.  Hune  in  sede,  more  régis,  praeparata  super  currum 
levaverunt,  quem  per  villa?  compita  perducentes,  et  laudes  regias 
barbarisanles,  cum  ad  principale  forum  rerum  venalium  perve- 
nissent,  ut  plebs  maneret  libéra  ab  omni  subsidiorum  jugo  postu- 
lant et  assequunlur...  Sedens  pro  tribunali,  audire  omnium  oppo- 
sitiones  coactus  est.  »  (Religieux  de  Saint-Denis,  1. 1,  page  130.) 

10  —  page  19  —  Les  gentilshommes  attaqués  partout  en 
-même  temps,  etc. 

«  Encore  se  tenoit  le  roi  de  France  sur  le  mont  de  Ypres,  quand 
nouvelles  vinrent  que  les  Parisiens  s'étoient  rebellés  et  avoient  eu 
conseil,  si  comme  on  disoil,  entre  eux  là  et  lors  pour  aller  abattre 
le  beau  chastel  de  Beauté  qui  sied  au  bois  de  Vincennes,  et  aussi 
le  chasteau  du  Louvre  et  toutes  les  fortes  maisons  d'environ  Paris, 
afin  qu'ils  n'en  pussent  jamais  être  grevés.  —  (Mais  Nicolas  le 
Flamand  leur  dit)  :  Beaux  seigneurs,  abstenez-vous  de  ce  faire 
tant  que  nous  verrons  comment  l'affaire  du  roi  notre  sire  se  por- 
tera en  Flandre  :  si  ceux  de  Gand  viennent  à  leur  entente,  ainsi 
que  on  espère  qu'ils  y  venront,  adonc  sera-t-il  heure  du  faire  et 
temps  assez. 

«  Or,  regardez  la  grand'diablerie  que  ce  eût  été,  si  le  roi  de 
France  eût  été  déconfît  en  Flandre  et  la  noble  chevalerie  qui  étoit 
avecques  lui  en  ce  voyage.  On  peut  bien  croire  et  imaginer  que 
toute  gentillesse  et  noblesse  eût  été  morte  et  perdue  en  France  et 
autant  bien  ens  es  autre  pays  :  ni  la  Jacquerie  ne  fut  oneques  si 
grande  ni  si  horrible  qu'elle  eût  été.  Car  pareillement  à  Reims,  à 
Châlons  en  Champagne,  et  sur  la  rivière  de  Marne,  les  vilains  se 
rebelloient  et  menaçoienl  jà  les  gentilshommes  et  dames  et  enfants 
qui  étoient  demeurés  derrière  ;  aussi  bien  à  Orléans,  à  Blois,  à 
Rouen,  en  Normandie  et  en  Beauvoisis,  leur  étoit  le  diable  entré 
en  la  tête  pour  tout  occire,  si  Dieu  proprement  n'y  eût  pourvu  de 
remède.  »  (Froissart,  VIII,  319-320.) 

«  Tous  prenoient  pied  et  ordonnance  sur  les  Gantois,  et  disoient 
adonc  les  communautés  par  tout  le  monde,  que  les  Gantois  étoient 
bonnes  gens  et  que  vaillamment  ils  se  soutenoient  en  leurs  fran- 
chises ;  dont  ils  dévoient  de  toutes  gens  être  aimés  et  honorés.  » 
(Froissart,  VIII,  103.) 

«  Les  gentilshommes  du  pays...  avoient  dit  et  disoient  encore  et 
soutenoient  toujours  que  si  le  commun  de  Flandre  gagnoit  la 
journée  contre  le  roi  de  France,  et  que  les  nobles  du  royaume  de 
France  y  fussent  morts,  l'orgueil  seroit  si  grand  en  toutes  commu- 


APPENDICE  353 

nautés,  que  tous  gentilshommes  s'en  douteroient,  et  jà  en  avoit-on 
vu  l'apparent  en  Angleterre.  »  (Froissart,  VIII,  367-8  ) 

11  —  page  19 —  La  rivalité  des  villes  de  Gand  et  de  Bruges... 
«  Quand  les  haines  et  tribulations    vinrent    premièrement    en 

Flandre,  le  pays  étoit  si  plein  et  si  rempli  de  biens  que  merveilles 
scroit  à  raconter  et  à  considérer;  et  tenoient  les  gens  des  bonnes 
villes  si  grands  états  que  merveilles  seroit  à  regarder,  et  devez 
savoir  que  toutes  ces  guerres  et  haines  murent  par  orgueil  et  par 
envie  que  les  bonnes  villes  de  Flandre  avoient  l'une  sur  l'autre... 
Et  ces  guerres  commencèrent  par  si  petite  incidence,  que,  au  jus- 
tement considérer,  si  sens  et  avis  s'en  fussent  ensoignés  (mêlés),  il 
ne  dut  point  avoir  eu  de  guerre;  et  peuvent  dire  et  pourront  ceux 
qui  cette  matière  liront  ou  lire  feront,  que  ce  fut  une  œuvre  du 
deable;  car  vous  savez  et  avez  ouï  dire  aux  sages  que  le  diable  sub- 
tile et  attire  nuit  et  jour  à  bouter  guerre  et  haine  là  où  il  voit  paix, 
et  court  au  long  de  petit  en  petit  pour  voir  comment  il  peut  venir 
à  ses  ententes.  »  (Froissart,  VII,  215-46.) 

12  —  page  19  —  Bruges  empêchait  les  ports  d'avoir  des 
entrepôts. 

En  1358,  le  comte  de  Flandre  «  accorda  à  ceux  de  Bruges  et  leur 
promist  que  jamais  il  ne  mettroit  sus  aucun  estaple  de  biens  ou 
marchandises  en  autre  ville  que  audit  Bruges,  mesmes  qu'il  pri- 
veroit  de  leurs  offices  les  baillis  et  eschevins  de  l'eaue  à  l'Escluse, 
toutes  les  fois  qu'ils  seroyent  trouvez  avoir  fait  contre  ledict  droict 
d'estaple,  et  qu'il  en  apparut  par  cinc  eschevins  de  Bruges.  »  (Oude- 
gherst,  folio  273,  éd.  in-4°.)  —  «  Puis  (ceux  de  Bruges,  Gand,  Ypres 
et  Courtrai)  alèrent  à  l'Escluse,  par  acord,  et  y  abatirent  plusieurs 
maisons,  qui  esloient  sus  le  port,  en  une  rue  en  laquelle  on 
vendoit  et  acheptoit  marchandises,  sans  égard;  et  disoient  les 
Flamans  de  Bruges  et  autres  que  c'estoit  au  préjudice  des  mar- 
chands et  d'eux,  et  pour  ce  les  abatirent.  »  (Chronique  de  Sau- 
vage, p.  223.) 

...  les  campagnes  de  fabriquer... 

«  Interdictum  petitione  Brugensium  (1384),  ne  post  hac  Franco- 
nates  per  pagos  suos  lanifîcium  faciant.  »  (Meyer,  p.  201.) —  Aussi  : 
«  Ceux  du  Franc  ont  toujours  esté  de  la  partie  du  comte  plus  que 
tout  le  demeurant  de  Flandre.  »  (Froissart,  VII,  439.) 

13  —  page  19  —  Liège,  Bruxelles,  etc.,  encourageaient  les 
Gantais... 

«  Ceux  de  Brabant,  et  par  spécial  ceux  de  Bruxelles  leur  étoient 
t.  iv.  23 


354  HISTOIRE    DE    FRANCE 

moult  favorables,  et  leur  mandèrent  ceux  de  Liège  pour  eux  recon- 
forter en  leur  opinion  :  «  Bonnes  gens  de  Gand,  nous  savons  bien 
que  pour  le  présent  vous  avez  moult  affaire  et  êtes  fort  travaillés 
de  votre  seigneur  le  comte  et  des  gentilshommes  et  du  demeurant 
du  pays,  dont  nous  sommes  moult  courroucés;  et  sachez  que  si 
nous  étions  à  quatre  ou  à  six  lieues  près  marchissans  (limitrophes) 
à  vous,  nous  vous  ferions  tel  confort  que  on  doit  faire  à  ses  frères, 
amis  et  voisins,  etc.  »  (Froissart,  VII,  450.  Voir  aussi  Meyer.) 

14  —  page  20  —  Pierre  Dubois  décida  les  Gantais  à  faire  un 
tyran... 

Dubois  va  trouver  Philippe  Artevelde  et  lui  dit  :  «  Et  saurez- 
vous  bien  faire  le  cruel  et  le  hautin?  car  un  sire  entre  commun 
(peuple),  et  par  spécial  à  ce  que  nous  avons  à  faire,  ne  vaut  rien 
s'il  n'est  crému  et  redouté  et  renommé  à  la  fois  de  cruauté;  ainsi 
veulent  Flamands  être  menés,  ni  on  ne  doit  tenir  entre  eux  compte 
de  vies  d'hommes,  ni  avoir  pitié  non  plus  que  d'arondeaulx  (hiron- 
delles) ou  de  alouettes  qu'on  prend  en  la  saison  pour  manger.  — 
Par  ma  foi,  dit  Philippe,  je  saurai  tout  ce  faire.  —  Et  c'est  bien, 
dit  Piètre,  et  vous  serez,  comme  je  pense,  souverain  de  tous  les 
autres.  »  (Froissart,  VII,  479.) 

15  —  page  20  —  Les  Gantais  entrent  dans  Bruges... 

Ils  rapportèrent  à  Gand,  pour  humilier  Bruges,  le  grand  dragon 
de  cuivre  doré  que  Baudoin  de  Flandre,  empereur  de  Constanti- 
nople,  avait  pris  à  Sainte-Sophie  et  que  les  Brugeois  avaient  placé 
sur  leur  belle  tour  de  la  halle  aux  draps.  —  Cette  tradition  con- 
testée est  discutée  et  finalement  adoptée  dans  l'intéressant  Précis 
des  Annales  de  Bruges,  de  M.  Delpierre,  p.  10,  1835. 

16  —  page  21  ,  note  —  Les  Gantais  réclamèrent  aux 
Anglais  les  sommes  que  la  Flandre  avait  autrefois  prêtées  à 
Edouard  III... 

«  Quant  les  seigneurs  orent  ouï  cette  parole  et  requête,  ils  com- 
mencèrent à  regarder  l'un  l'autre,  et  les  aucuns  à  sourire...  Et  les 
consaulx  d'Angleterre  sur  leurs  requêtes  étoienl  en  grand  différent, 
et  tenoient  les  Flamands  à  orgueilleux  et  présumpcieux,  quand  ils 
demandoient  à  ravoir  deux  cent  mille  vielz  écus  de  si  ancienne  date 
que  de  quarante  ans.,  »  (Froissart,  VIII,  250-1.) 

17  —  page  22  —  Bataille  de  Roosebeke... 

«  Ces  Flamands  qui  descendoient  orgueilleusement  et  de  grand 


APPENDICE  355 

volonté,  venoient  roys  et  durs,  et  boutoient  en  venant  de  l'épaule  et 
de  la  poitrine,  ainsi  comme  sangliers  tout  forcenés,  et  étoient  si 
fort  entrelacés  ensemble  qu'on  ne  les  pouvoit  ouvrir  ni  dérompre... 
Là  fut  un  mons  et  un  tas  de  Flamands  occis  moult  long  et  moult 
haut;  et  de  si  grand  bataille  et  de  si  grand'foison  de  gens  morts 
comme  il  y  en  ot  là,  on  ne  vit  oncques  si  peu  de  sang  issir,  et 
c'étoit  au  moyen  de  ce  qu'ils  étoient  beaucoup  d'éteints  et  étouffés 
dans  la  presse,  car  iceux  ne  jetoient  point  de  sang.  »  (Froissart, 
VII,  347-354.)  —  «  Et  y  heubt  en  Flandres  après  la  bataille  grant 
orreur  et  pugnaisie  en  le  place  où  le  bataille  avoit  esté,  des  mors 
dont  le  place  duroit  une  grande  lieue...  et  les  mangeoient  les 
chiens  et  maint  grant  oisel  qui  furent  veu  en  icelle  place,  dont  le 
peuple  avoit  grant  merveille.  (Chronique  inédite,  ms.  801,  D.  de  la 
Bibliothèque  de  Bourgogne  (à  Bruxelles),  folio  153.)  Cette  chronique 
curieuse  n'est  pas  celle  que  Sauvage  a  rajeunie;  d'ailleurs  elle  va 
plus  loin. 

18  —  page  23  —  Lorsque  le  roi  arriva  à  Paris,  les  bourgeois 
s'étalèrent  en  longues  files... 

Sur  tout  ceci,  voyez  le  récit  du  Religieux  de  Saint-Denis.  —  Le 
calcul  de  Froissart,  différent  en  apparence,  ne  contredit  point 
celui-ci  :  «  EL  estoient  en  la  cité  de  Paris  de  riches  et  puissants 
hommes  armés  de  pied  en  cap  la  somme  de  trente  mille  hommes, 
aussi  bien  arrés  et  appareillés  de  toutes  pièces  comme  nul  che- 
valier pourroit  être;  et  avoient  leurs  varlets  et  leurs  maisnies 
(suites)  armés  à  l'avenant.  Et  avoient  et  portoient  maillets  de  fer  et 
d'acier,  périlleux  bastons  pour  effondrer  heaulmes  et  bassinets;  et 
disoient  en  Paris  quand  ils  se  nombroient  que  ils  étoient  bien  gens, 
et  se  trouvoient  par  paroisses  tant  que  pour  combattre  de  eux- 
mêmes  sans  autre  aide  le  plus  grand  seigneur  du  monde.  »  (Frois- 
sart, VIII,  183.) 

19  —  page  25  —  Il  n'y  avait  plus  de  prévôt,  plus  de  commune 
de  Paris... 

«  Statuentes  ut  officium  praeposituree  exerceret  qui  régis  aucto- 
ritate  et  non  civium  fungeretur.  —  Confraternitates  etiam  ad  devo- 
tionem  ecclesiarum  sanctorum,  et  earum  ditationem  introductas,  in 
quibus  cives  consueverant  convenire,  ut  simul  gaudentes  epula- 
rentur...  censuerunt  etiam  suspendendas  usque  ad  beneplacitum 
regiœ  majestatis.  »  (Religieux  de  Saint-Denis,  I,  242.  —  Ordonnance 
du  27  janvier  1382,  t.  VI  du  Recueil  des  Ord.,  p.  685.)  Un  mot  de 
cette  ordonnance  fait  entendre  que  les  Parisiens  avaient  aidé  indi- 


356  HISTOIRE    DE    FRANCE 

rectement  les  Flamands  :  «  Ils  ont  empesché  que  nos  charioz  et 
ceux  de  nostre  chier  oncle,  le  duc  de  Bourgogne,  et  plusieurs 
autres  choses  fussent  amenez  par  devers  nous...  où  nous  estions.  » 

20  —  page  25  —  On  traita  à  peu  près  de  même  Rouen,  etc. 
La  ville  de  Rouen  fut  fort  maltraitée,  sa  cloche  lui  fut  enlevée, 

et  donnée  aux  panetiers  du  roi  ;  c'est  ce  qui  résulte  d'une  charte 
dont  je  dois  la  communication  à  l'amitié  de  M.  Chéruel  :  «  Comme 
par  nos  lettres  patentes  vous  est  apparu  nous  avoir  donné  à  nos 
bien  amés  panetiers  Pierre  Debuen  et  Guillaume  Heroval  une 
cloche  qui  soulloit  estre  en  la  mairie  de  Rouen,  nommée  Rebel, 
laquelle  fust  confisquée  à  Rouen  quand  la  commotion  du  peuple 
fust  dernièrement  en  ladicte  ville...  »  (Archives  de  Rouen,  registre 
ms.,  coté  A,  folio  267.) 

21  —  page  27  —  Les  Flamands  prétendirent  que  le  duc  de 
Berri  avait  poignardé  le  comte  de  Flandre... 

Froissart  dit  qu'il  mourut  de  maladie,  t.  IX,  p.  10,  édit.  Buchon. 
—  Le  Religieux  de  Saint-Denis,  ce  grave  et  sévère  historien,  qui 
ne  déguise  aucun  crime  des  princes  de  ce  temps,  n'accuse  point  le 
duc  de  Berri.  —  Meyer  (lib.  XIII,  fol.  200)  ne  rapporte  l'assassinat 
que  d'après  une  chronique  flamande  du  quinzième  siècle,  laquelle 
se  réfute  elle-même  par  la  cause  qu'elle  assigne  au  fait.  Le  duc  de 
Berri  aurait  pris  querelle  avec  le  comte  de  Flandre  pour  l'hommage 
du  comté  de  Boulogne,  héritage  de  sa  femme.  Or  le  duc  de  Berri 
n'épousa  l'héritière  de  Boulogne  que  cinq  ans  après.  (Art  de  véri- 
fier les  dates,  Comtes  de  Flandre,  ann.  1384,  t.  III,  p.  21.) 

22  —  page  29  —  On  rassembla  tout  ce  qu'on  put  acheter, 
louer  de  vaisseaux... 

«  Ils  furent  nombres  à  treize  cents  et  quatre-vingt-sept  vais- 
seaux... Et  encore  n'y  estoit  pas  la  navie  du  connétable.  »  (Frois- 
sart, t.  X,  c.  xxiv,  p.  160.)  —  «  Les  pourvéances  de  toutes  parts 
arrivoient  en  Flandre,  et  si  grosses  de  vins  et  de  chairs  salées,  de 
foin,  d'avoine,  de  tonneaux  de  sel,  d'oignons,  de  verjus,  de  bis- 
cuit, de  farine,  de  graisses,  de  moyeux  (jaunes)  d'œufs  battus  en 
tonneaux  et  de  toute  chose  dont  on  se  pouvoit  aviser  ni  pour- 
penser,  que  qui  ne  le  vit  adoncques,  il  ne  le  voudra  ou  pourra 
croire.  »  (Froissart,  ibid.,  p.  158.) 

23  —  page  30  —  Le  duc  de  Berri  arriva  lorsque  la  saison 
rendait  le  passage  à  peu  près  impossible... 

Le  duc  de  Berri  répondait  froidement  aux  reproches  du  duc  de 


APPENDICE  35T 

Bourgogne  sur  l'inutilité  de  ces  prodigieuses  dépenses  :  «  Beau 
frère,  si  nous  avons  la  finance  et  nos  gens  l'aient  aussi,  la  greigneur 
partie  en  retournera  en  France;  toujours  va  et  vient  finance.  Il 
vaut  mieux  cela  aventurer  que  mettre  les  corps  en  péril  ni  en 
doute.  »  (Froissart,  t.  X,  p.  271.) 

24  —  page  32,  note  1  —  Boulard  pourvut  aux  approvision- 
nements... 

Il  envoya  ses  agents  avec  cent  mille  écus  d'or  sur  le  Rhin;  ils 
furent  partout  bien  reçus,  sur  le  renom  de  leur  maître,  «  ob 
magistri  notitiam.  »  Les  mariniers  du  Rhin  s'employèrent  avec 
beaucoup  de  zèle  à  faire  descendre  ces  provisions  jusqu'aux  Pays- 
Bas.  (Religieux  de  Saint-Denis,  1.  IX,  c.  vu,  p.  532.) 

25  —  page  32 —  Charles  VI  fut  touché  surtout  des  prières 
d'une  grande  dame  du  pays... 

«  Quod  acceptabilius  régi  fuit,  insignis  domina  municipii  Amoris, 
caslo  amore  succensa,  ad  eum  personaliter  accessit.  »  (Religieux  de 
Saint-Denis,  ibid.,  p.  358.)  —  V.  les  traités  originaux  des  princes 
des  Pays-Bas  et  leurs  excuses  au  roi.  (Arcliivcs,  Trésor  des 
chartes,  J,  522.) 

26  —  page  33  —  L'affaire  fut  bien  menée... 

Elle  était  préparée  de  longue  date.  On  ne  perdait  pas  une  occa- 
sion d'indisposer  le  roi  contre  ses  oncles  :  «...  Leur  en  ay  oy  aucune 
foiz  tenir  leur  consaulz,  et  dire  au  roy  :  Sire,  vous  n'avez  mais  à 
languir  que  six  ans,  et  l'autre  foiz  que  cinq  ans,  et  ainsi  chascune 
année,  si  comme  le  temps  s'aprochoit...  »  (Instruction  de  Jean  de 
Berri,  dans  les  Analectes  hist.  de  M.  Le  Glay,  Lille,  1838, 
p.  159.) 

27 — page  36  —  Les  belles  dames  logèrent  dans  Vabbaye 
même  de  Saint-Denis... 

«  Abbatia  pro  regina  dominarumque  insigni  contubernio  re- 
tenta ..  «  (Religieux  de  Saint-Denis,  t.  I,  p.  586.)  —  «  Quarum  si 
pulchritudinem  attendisses...  fictum  dearum...  ritum  dixisses  reno- 
vatum.  »  (Ibid.,  p.  594.) 

28  —  page  37  —  Serait-ce  dans  cette  funeste  nuit  que  le 
jeune  duc  d'Orléans,  etc. 

Cette  tradition  ne  se  trouve  que  dans  Mayer  et  autres  auteurs 


358  HISTOIRE    DE    FRANCE 

assez  modernes.  Mais  le  contemporain  y  fait  allusion  :  «  Alias  dis- 
plicentiae  radiées  utique  non  sic  cognitas  quod  scriptu  dignas 
reputem.  »  (Religieux  de  Saint-Denis,  ms.,  388,  verso.)  — Juvénal, 
écrivant  plus  tard,  est  déjà  plus  clair  :  «  Et  estoit  commune 
renommée  que  desdites  joustes  estoient  provenues  des  choses 
deshonnestes  en  matière  d'amourettes,  et  dont  depuis  beaucoup 
de  maux  sont  venus.  »  (Juvénal  des  Ursins,  p.  75,  éd.  Godefroy.) 

29  —  page  37  —  Le  héros  de  Charles  VI,  Duguesclin,  etc. 
Dans  son  testament,  il  lègue  une  somme  considérable,  trois  cents 

livres,  pour  que  Ton  fasse  des  prières  pour  l'âme  de  Duguesclin, 
mort  douze  ans  auparavant.  (Testament  de  Charles  VI,  janvier 
1393.  Archives,  Trésor  des  chartes,  J,  404.) 

30  —  page  40  —  Charles  VI  ne  permit  pas  à  ses  oncles  de  le 
suivre... 

Je  suis  sur  ce  point  le  Religieux  de  Saint-Denis,  p.  618.  Au 
reste,  les  contradictions  des  historiens  sur  ce  voyage  ne  sont  pas 
inconciliables. 

31  —  page  44,  note  —  Flamel... 

D'abord,  sans  autre  bien  que  sa  plume  et  une  belle  main,  Flamel, 
épousa  une  vieille  femme  qui  avait  quelque  chose.  Sous  même 
enseigne,  il  fit  plus  d'un  métier.  Tout  en  copiant  les  beaux  manus- 
crits qu'on  admire  encore,  il  est  probable  que,  dans  ce  quartier  de 
riches  bouchers  ignorants,  de  lombards  et  de  juifs,  il  fit  et  fit  faire 
bien  d'autres  écritures.  Un  curé,  greffier  du  Parlement,  pouvait 
encore  lui  procurer  de  l'ouvrage.  Le  prix  de  l'instruction  com- 
mençant à  être  senti,  les  seigneurs  à  qui  il  vendait  ces  beaux 
manuscrits  lui  donnèrent  à  élever  leurs  enfants.  Il  acheta  quelques 
maisons;  ces  maisons,  d'abord  à  vil  prix,  par  la  fuite  des  juifs  et 
par  la  misère  générale  du  temps,  acquirent  peu  à  peu  de  la  valeur. 
Flamel  sut  en  tirer  parti.  Tout  le  monde  affluait  à  Paris;  on  ne 
savait  où  loger.  De  ces  maisons,  il  fit  des  hospices,  où  il  recevait 
des  locataires  pour  une  somme  modique.  Ces  petits  gains,  qui  lui 
venaient  ainsi  de  partout,  firent  dire  qu'il  savait  faire  de  l'or.  11 
laissa  dire,  et  peut-être  favorisa  ce  bruit,  pour  mieux  vendre  ses 
livres.  —  Cependant  ces  arts  occultes  n'étaient  pas  sans  danger.  De 
là  le  soin  extrême  que  mit  Flamel  à  afficher  partout  sa  piété  aux 
portes  des  églises.  Partout  on  le  voyait  en  bas-relief  agenouillé 
devant  la  croix,  avec  sa  femme  Pernelle.  Il  trouvait  à  cela  double 
avantage.  Il  sanctifiait  sa  fortune  et  il  l'augmentait  en  donnant  à. 


APPENDICE  359 

son  nom  cette  publicité.  Voir  le  savant  et  ingénieux  abbé  Vilain, 
Histoire  de  Saint-Jacques-la-Boucherie,  1758:  et  son  Histoire 
de  Nicolas  Flamel,  1761. 

32  —  page  44  —  Arnauld  de  Villeneuve... 

Voy.  ses  Œuvres,  Lyon,  1504,  et  sa  Vie  (par  Haitze),  Aix,  1719. 

33  —  page  46 —  Le  bruit  courut  qu'on  avait  empoisonné  les 
rivières... 

Selon  le  chroniqueur  bénédictin,  on  accusa  encore  de  ce  crime 
les  dominicains  :  «  Veneficos  ignorabant,  sciebant  tamen  quod 
desuper  habitum  longum  et  nigrum,  subtus  vero  album,  ut  reli- 
giosi,  deferebant.  »  (Religieux  de  Saint-Denis,  t.  1,1.  XI,  c.  v, 
p.  684.) 

34  —  page  50,  note  —  Les  oncles  du  roi  ne  tardèrent  pas  à 
obtenir  la  grâce  de  Craon... 

Lettres  de  rémission  accordées  à  Pierre  de  Craon  :  «  ...  Il  ait 
esté  par  notre  commandement  et  ordenance  au  saint  Sépulcre,  et 
depuis  par  nostre  permission  et  licence  et  soubs  nostre  sauf- 
conduit  soit  venu  en  nostre  royaume  et  en  l'abbaye  de  Saint-Denis, 
où  il  a  esté  par  l'espace  de  mi  mois  et  demi  ou  environ  en  espé- 
rance de  cuidier  trouver  paix  et  accord  avec  ledit  sire  de  Clicon,.. 
et  avec  ce  ait  esté  nagueires  banni  de  nostre  royaume  et  entre 
autres  choses  condempné  envers  notre  très  chère  et  très  amee  tante 
la  royne  de  Cécille  par  arresl  de  nostre  Parlement,  pour  lesquels 
bannissement  et  autres  condemnations  lui,  sa  femme  et  ses  enfants 
sont  du  tout  déserts  d'estat  et  de  chevance,  mesmement  que  de  ses 
biens  ne  lui  demoura  autre  chose...  et  leur  a  convenu*.,  requérir 
leurs  parents  et  amis  pour  vivre...  —  Voulans  en  ce  cas  pitié  et 
miséricorde  préférer  à  rigueur  de  justice  et  pour  contemplation  de 
nostre  très-chère  et  très-amée  fille  Ysabelle  royne  d'Angleterre, 
qui  sur  ce  nous  a...  supplié  le  jour  de  ses  fîansailles  et  que  ledit 
suppliant  est  de  nostre  lignaige,  Nous  par  saine  et  meure  délibé- 
ration et  de  nos  très  chers  et  amés  oncles  et  frère...  »  [Archives, 
Trésor  des  chartes,  J,  37.) 

35  —  page  52  —  Comme  il  traversait  la  forêt,  un  homme  de 
mauvaise  mine,  etc. 

«  ...  Quemdam  abjectissimum  virum  obviam  habuit,  qui  eum 
terruit  vehementer.  Is  nec  minis  nec  terroribus  potuit  cohiberi, 
quin  régi  pertranseunli  terribiliter  clamando  fere  per  dimidiam 


360  HISTOIRE    DE    FRANCE 

horam  haec  verba  reiteraret  :  Non  progrediaris  ulterius,  insignis 
rex,  quia  cito  perdendus  es.  Cui  cito  assensit  ejus  imaginatio  jam 
turbata...  Hoc  furore  perdurante,  viros  quatuor  occidit,  cum 
quodam  insigni  milite  dicto  de  Polegnac  de  Vasconia,  ex  furtivo 
tamen  concubitu  oriundo.  »  (Le  Religieux  de  Saint-Denis,  folio  189, 
ms.)  —  M.  Bellaguet  ayant  encore  le  manuscrit  original  entre  les 
mains,  et  n'ayant  pas  encore  publié  celte  partie,  je  me  sers  de 
l'excellente  copie  de  Baluze  (1839). 

36  —  page  55  —  7/  soutenait  qiïil  n  était  point  marié,  qu'il 
il  avait  pas  oV enfant... 

«  Non  solum  se  uxoratum  liberosque  genuisse  denegabat,  imo 
suimet  et  tituli  regni  Francise  oblitus,  se  non  nominari  Carolum. 
nec  déferre  lilia  asserebat;  et  quotiens  arma  sua  vel  reginse  exa- 
rata  vasis  aureis  vel  alicubi  videbat,  ca  indignantissime  delebat.  » 
(Le  Religieux  de  Saint-Denis,  ms.,  anno  1393,  folio  207.)  — 
«  Arma  propria  et  reginœ  si  in  vitreis  vel  parietibus  exarata  vel 
depicta  percepisset,  inhoneste  et  displicenter  saltando  hœc  delebat, 
asserens  se  Georgium  vocari,  et  in  armis  leonem  gladio  transfo- 
ratum  se  déferre.  » 

37  —  page  58  —  Gerson  célèbre  la  paix,  clans  un  de  ces 
moments  où  Von  crut  à  la  cession  des  deux  papes... 

Toutefois  Gerson  doute  encore.  Si  la  cession  s'opère,  ce  sera  un 
don  de  Dieu,  et  non  une  œuvre  de  l'homme;  il  y  a  trop  d'exemples 
de  la  fragilité  humaine  :  Ajax,  Caton,  Médée,  les  anges  même, 
«  qui  tresbuchèrent  du  ciel  »,  enfin  les  apôtres,  et  notamment 
saint  Pierre,  «  qui  à  la  voix  d'une  femelette  renya  Nostre-Sei- 
gneur.  »  (Gerson,  édition  de  Du  Pin,  t.  IV,  p.  567.) 

38  —  page  59  —  Les  Anglais  ne  voulaient  point  la  paix,.. 
Sur  les  négociations  antérieures,  depuis  1380,  voir  entre  autres 

pièces  le  Voyage  de  Nicolas  de  Bosc,  èvèque  de  Bayeux,  imprimé 
dans  le  Voyage  littéraire  de  deux  bénédictins,  partie  seconde, 
p.  307-360. 

39  —  page  59  —  Richard  II  épousa  une  plie  du  roi,  avec  une 
dot  de  huit  cent  mille  écus... 

Elle  apporta,  en  outre,  un  grand  nombre  d'objets  précieux. 
Voy.  deux  déclarations  des  joyaux,  vaisselle  d'or  et  d'argent,  robes, 
tapisseries  et  objets  divers  pour  la  personne  de  madame  Isabeau, 
pour  sa  chambre,  sa  chapelle  et  son  écurie,  panneterie,  fruiterie, 


APPENDICE  361 

cuisine,  etc.  Nov.  1393,  23  juillet  1400.  (Archives,  Trésor  des 
chartes,  J,  643.) 

40 —  page  59—  Croisade  contre  les  Turcs... 

Comparer  sur  le  récit  de  cette  croisade  nos  historiens  nationaux 
et  les  écrivains  hongrois  et  allemands  cités  par  Hammer,  Histoire 
de  V Empire  Ottoman.  Ce  grand  ouvrage  a  été  traduit  sous  la 
direction  de  Fauteur,  par  M.  Hellert,  qui  Ta  enrichi  d'un  atlas  très 
utile. 

41  —  page  61  —  Élection  de  Pierre  de  Lima,  Benoît  XIII... 
Consulter  sur  tout  ceci  le  récit  hostile  au  pape  qu'on  trouve  dans 

les  actes  du  concile  de  Pise.  (Concilia,  éd.  Labbe  et  Cossart,  1671, 
t.  XI,  part.  2,  coi.  2172,  et  seq.) 

42  —  page  63  —  Quand  le  sultan  vit  le  champ  de  bataille,  etc. 
Récit  du  Bavarois   Schildberger,   l'un    des  prisonniers,  qui  fut 

épargné,  à  la  prière  du  fils,  du  sultan.  (Hammer,  Histoire  de  V Em- 
pire Ottoman,  trad.  de  M.  Hellert,  t.  I,  p.  334.) 

43  —  page  64  —  Présents  de  Bajazet  au  roi  de  France... 

Le  Religieux  da  Saint-Denis  y  ajoute  :  «  Equus  habens  abscissas 
ambas  nares,  ut  diutius  ad  cursum  habilis  redderetur.  »  (Ms., 
folio  330.) 

44  —  page 67  —  Tous  quittèrent  Richard,  même  son  chien... 
«  Le  roi  Richard  avoit  un  lévrier  lequel  on  nommait  Math,  très 

beau  outre  mesure:  et  ne  vouloit  ce  chien  connoître  nul  homme 
fors  le  roi;  et  quand  le  roi  devoit  chevaucher,  cil  qui  l'avoit  en 
garde  le  laissoit  aller;  et  ce  lévrier  venoit  tantôt  devers  le  roi  fes- 
toyer et  lui  mettoit  ses  deux  pieds  sur  les  épaules.  Et  or  donc 
advint  que  le  roi  et  le  comte  Derby  parlant  ensemble  en  mi  la 
place  de  la  cour  du  dit  châtel  et  leur  chevaux  tous  sellés,  car  tantôt 
ils  dévoient  monter,  ce  lévrier  nommé  Math  qui  coutumier  éloit  de 
faire  au  roi  ce  que  dit  est,  laissa  le  roi  et  s'en  vint  au  duc  de  Lan- 
castre  et  lui  fit  toutes  les  contenances  telles  que  endevant  il  faisoit 
au  roi,  et  lui  assist  les  deux  pieds  sur  le  col,  et  le  commença  gran- 
dement à  conjouir.  Le  duc  de  Lancastre,  qui  point  ne  connoissoit  le 
lévrier,  demanda  au  roi  :  «  Et  que  veut  ce  lévrier  faire  ?»  — 
«  Cousin,  ce  dit  le  roi,  ce  vous  est  une  grand'signifiance  et  à  moi 
petite.  »  —  «  Comment,  dit  le  duc,  Tentendez-vous  ?»  —  «  Je  l'en- 
tends, dit  le  roi,  le    lévrier  vous  festoie  et  recueille  aujourd'hui 


362  HISTOIRE    DE    FRANCE 

comme  roi  d'Angleterre  que  vous  serez,  et  j'en  serai  déposé;  et  le 
lévrier  en  a  connoissance  naturelle;  si  le  tenez  de  lez  (près)  vous, 
car  il  vous  suivra  et  il  m'éloignera.  »  Le  duc  de  Lancastre  entendit 
bien  cette  parole  et  conjouit  le  lévrier,  lequel  oncques  depuis  ne 
voulut  suivre  Richard  de  Bordeaux,  mais  le  duc  de  Lancastre;  et 
ce  virent  el  sçurent  plus  de  trente  mille.  »  (Froissart,  t.  XIV, 
c.  lxxv,  p.  205.) 


45  —  page  67  —  Abdication  de  Richard  II... 

Voy.  au  t.  XIV  du  Froissart  édité  par  M.  Buchon,  le  poème 
français  sur  la  déposition  de  Richard  II  (p.  322-466),  écrit  par  un 
gentilhomme  français  qui  était  attaché  à  sa  personne.  —  Voir  aussi 
la  publication  de  M.  Thomas  Wright  :  Alliterative  Poem  on  the 
déposition  of  king  Richard  II.  —  Richardi  Maydiston  de  Con- 
cordia  inter  Ricardum  II  et  civitatem  London,  1838.  —  La 
lamentation  de  Richard  est  très  touchante  dans  Jean  de  Vaurin  : 
«  Ha,  Monseigneur  Jean-Baptiste  mon  parrain,  je  l'ai  tiré  du 
gibet,  »  etc.  (Bibl.  royale,  mss.,  6756,  t.  IV,  partie  2,  folio  246.) 


46  —  page  67  —  Lancastre  fut  obligé  par  les  siens  de  leur 
laisser  tuer  Richard... 

«  Si  fut  dit  au  roi  :  «  Sire,  tant  que  Richard  de  Bordeaux  vive, 
vous  ni  le  pays  ne  serez  à  sûr  état.  »  Répondit  le  roi  :  «  Je  crois 
que  vous  dites  vérité,  mais  tant  que  à  moi  je  ne  le  ferai  jà  mourir, 
car  je  J'ai  pris  sus.  Si  lui  tiendrai  son  convenant  (promesse)  tant 
que  apparent  me  sera  que  fait  ne  aura  trahison.  »  Si  répondirent 
ses  chevaliers  :  «  Il  vous  vaudroit  mieux  mort  que  vif;  car  tant 
que  les  Français  le  sauront  en  vie,  ils  s'efforceront  toujours  de  vous 
guerroyer,  et  auront  espoir  de  le  retourner  encore  en  son  Etat,  pour 
la  cause  de  ce  que  il  a  la  fille  du  roi  de  France.  »  Le  roi  d'Angle- 
terre ne  répondit  point  à  ce  propos  et  se  départit  de  là,  et  les  laissa 
en  la  chambre  parler  ensemble,  et  il  entendit  à  ses  fauconniers,  et 
mit  un  faucon  sur  son  poing,  et  s'oublia  à  le  paître.  »  (Froissart, 
t.  XIV,  c.  lxxxi,  p.  258.) 


47  —  page  68  —  Sa  science  était  dans  un  livre  merveilleux 
qui  s'appelait  Smagorad... 

Ce  passage  du  Religieux  de  Saint-Denis  ne  peut  trouver  son  expli- 
cation que  dans  les  auteurs  qui  ont  traitéde  la  Kabbale.  Voir  les 
travaux  de  M.  Franck,  si  remarquables  par  la  précision  et  la  netteté. 


APPENDICE  363 

48  —  page  69  —  Le  -pauvre  prince  sentit  rapproche  de  la 
frénésie... 

«  Sequenti  die,  menle  se  alienari  senliens,  jussit  sibi  cultellum 
amoveri  et  avunculo  suo  duci  Burgundia?  praecepit,  ut  sic  omnes 
facerent  curiales.  Tôt  angustiis  pressus  est  illa  die,  quod  sequenti 
luce,  cum  praefalum  ducem  et  aulicos  accersisset,  eis  lachrimabi- 
liter  fassus  est,  quod  mortem  avidius  appetebat  quam  taliter  cru- 
ciari,  omnesque  circumstantes  movens  ad  lachrimas,  pluries  fertur 
dixisse  :  Amore  Jesu  Christi,  si  sint  aliqui  conscii  hujus  mali,  oro 
ut  me  non  torqueant  amplius,  sed  cito  diem  ultimum  faciant  me 
signare.  »  (Religieux  de  Saint-Denis,  ms.  Baluze.) 

49 —  page  69  —  Un  roi  si  débonnaire... 

Le  Religieux  donne  une  preuve  remarquable  de  la  douceur  de 
Charles  VI  :  «  Cum  in  itinere...  adolescens...  dextrarium...  urgeret 
calcaribus,  ut  eum  ad  superbiam  excitaret,  recalcitrando  calce 
tibiam  ejus  graviter  vulneravit  et  inde  cruor  fluxit  largissimus. 
Inde  ..  circumstantes  cum  in  actorem  delicti  animadvertere  cona- 
rentur,  id  rex  manu  et  verbis  levibus,  etc.  »  (Ibid.,  folio  736.) 

50  —  page  69  —  Il  saluait  tout  le  monde,  les  petits  comme 
les  grands... 

«  Tanta  affabilitate  prseminebat,  ut  etiam  contemptibilibus  per- 
sonis  ex  improviso  et  nominatim  salutationis  dependeret  affatum, 
et  ad  se  ingredi  volentibus  vel  occurrentibus  passim  mutuse  collocu- 
tionis  aut  offerret  ultro  commercium  aut  postulantibus  non 
negaret...  Quamvis  benefîciorum  et  injuriarum  valde  recolens,  non 
tamen  naturaliter  neque  magnis  de  causis  sic  ad  iracundiam 
pronus  fuit,  ut  alicui  contumelias  aut  improperia  proferret.  Carnis 
lubrico  contra  matrimonii  honestatem  dicitur  laborasse,  ita  tamen 
ut  nemini  scandalum  fieret,  nulli  vis,  nulli  enormis  infligeretur 
injuria.  Preedecessorum  morem  etiam  non  observans,  raro  et 
cum  displicentia  habitu  regali,  epitogio  scilicet  et  talari  tunica  ute- 
batur,  sed  indifferenter,  ut  decuriones  caeteri,  holosericis  indutus, 
et  nunc  Boemannum  nunc  Alemannum  se  fingens,  etiam...  post 
unctionem  susceptam  hastiludia  et  joca  militaria  juslo  saepius 
exercebat.  »  (Ibid.,  folio  141.) 

51  —  page  70 —  On  lui  mettait  dans  son  lit  une  petite  fille... 
«  Filia  cujusdam  mercatoris    equorum...   quse  quidem   compe- 

tenter  fuit  remunerata,  quia  sibi  fuerunt  data  duo  maneria  pulchra 
cum  suis  omnibus  pertinenliis,  situata  unum  a  Creteil,  et  aliud  a 


364  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Bagnolet,  et  ipsa  vnlgariter  vocabatur  palam  et  publiée  Parva 
Regina,  et  secum  diu  stelit,  suscepitque  ab  eo  unam  filiam,  quam 
ipse  rex  matrimonialiter  copulavit  cuidam  nuncupato  Harpedenne, 
cui  dédit  dominium  de  Belleville  in  Pictavia,  filiaque  vocabatur 
domicella  de  Belleville.  »  —  Je  ne  retrouve  plus  la  source  d'où  j'ai 
tiré  cette  note.  Elle  est  ou  du  Religieux  de  Saint-Denis,  ou  du  ms. 
Dupuy,  Discours  et  Mémoires  meslez,  coté  488. 

52  —  page  72,  note  —  Les  cartes  étaient  connues  avant 
Charles  VI,  mais  peu  en  usage... 

On  en  trouve  la  première  mention  dans  le  Renart  contrefait,  dont 
l'auteur  anonyme  nous  apprend  qu'il  a  commencé  son  poème  en 
1328  et  l'a  fini  en  1341.  M.  Peignot  a  donné  une  curieuse  biblio- 
graphie de  tous  les  auteurs  qui  ont  traité  ce  sujet.  (Peignot,  Recher- 
ches sur  les  danses  des  morts  et  sur  les  cartes  à  jouer.)  — 
Les  uns  font  les  cartes  d'origine  allemande,  les  autres  d'origine 
espagnole  ou  provençale.  M.  Rémusat  remarque  que  nos  plus 
anciennes  cartes  à  jouer  ressemblent  aux  cartes  chinoises.  (Abel 
Rémusat,  Mèm.  Acad.,  2e  série,  t.  VII,  p.  418.) 

53 —  page  72  —  Les  cartes  étaient  peintes  d'abord',  mais 
cela  étant  trop  cher,  on  s'avisa  de  les  imprimer... 

En  1430,  Philippe-Marie  Visconti,  duc  de  Milan,  paya  quinze 
cents  pièces  d'or  pour  un  jeu  de  cartes  peintes.  —  En  1441,  les 
cartiers  de  Venise  présentent  requête  pour  se  plaindre  du  tort  que 
leur  font  les  marchands  étrangers  par  les  cartes  qu'ils  impriment. 
(Ibid.,  p.  218,  247.) 

54  —  page  73  —  Charles  VI  appelle  ceux  qui  jouaient  les 
Mystères  de  la  Passion  «  ses  amés  et  chers  confrères  ». 

Ordonnances,  t.  VIII,  p.  555,  déc.  1402. —  Dans  une  lettre  bien 
antérieure,  Charles  VI  assigne  «  quarante  francs  à  certains  cha- 
pelains et  clercs  de  la  Sainte-Chapelle  de  nostre  Palais  à  Paris, 
lesquels  jouèrent  devant  nous  le  jour  de  Pasques  nagaires  passé  les 
jeux  de  la  Résurrection  Nostre  Seigneur.  »  5  avril  1390.  (Biblio- 
thèque royale,  ms.,  Cabinet  des  titres.) 

55  —  page  78  —  Louis  d'Orléans,  etc. 

Voir  le  Religieux  de  Saint-Denis  à  Tannée  1405,  et  le  portrait 
qu'il  fait  du  duc  d'Orléans,  année  1407,  ms.  Baluze,  folio  553.  — 
Voy.  aussi  les  complaintes  et  autres  pièces  sur  la  mort  de  Louis 
d'Orléans.  (Bibl.  royale,  mss.  Colbert  2403,  Regius  9681-5.) 


APPENDICE  365 

56  —  page  79  —  Les  vieilles  barbes  de  l'Université  se  trou- 
blaient à  ses  vives  saillies... 

Voy.  la  réponse  qu'il  leur  fit  en  1405.  Toutefois  ordinairement 
il  leur  parlait  avec  douceur  :  «  Ipsum  vidi  elegantiorem  res- 
pondendo...  quam  fuerant  proponendo...  mitissime  alloqui,  et  si 
uspiam  errassent,  leniter  admonere.  »  (Religieux  de  Saint-Denis, 
ras.,  553,  verso.) 

57  —  page  80,  note  1  —  L'éducation  d'un  jeune  chevalier  par 
les  femmes... 

Les  histoires  de  Saintré,  de  Fleuranges,  de  Jacques  de  Lalaing, 
ne  sont  guère  autre  chose.  L'homme  y  prend  toujours  le  petit 
rôle;  il  trouve  doux  d'y  faire  l'enfant.  Tout  au  contraire  de  la  Nou- 
velle Hèloïse,  dans  les  romans  du  quinzième  siècle,  la  femme 
enseigne,  et  non  l'homme,  ce  qui  est  bien  plus  gracieux.  C'est 
ordinairement  une  jeune  dame,  mais  plus  âgée  que  lui,  une  dame 
dans  la  seconde  jeunesse,  une  grande  dame  surtout,  d'un  rang 
élevé,  inaccessible,  qui  se  plaît  à  cultiver  le  petit  page,  à  l'élever 
peu  à  peu.  Est-ce  une  mère,  une  sœur,  un  ange  gardien?  Un  peu 
tout  cela.  Toutefois,  c'est  une  femme...  Oui,  mais  une  dame  placée 
si  haut!  Que  de  mérite  il  faudrait,  que  d'efforts,  de  soupirs  pendant 
de  longues  années!...  Les  leçons  qu'elle  lui  donne  ne  sont  pas  des 
leçons  pour  rire  :  rien  n'est  plus  sérieux,  quelquefois  plus  pédan- 
tesque.  La  pédanterie  môme,  l'austérité  des  conseils,  la  grandeur 
des  difficultés,  font  un  contraste  piquant  et  ajoutent  un  prix  à 
l'amour...  Au  but,  tout  s'évanouit;  en  cela,  comme  toujours,  le 
but  n'est  rien,  la  route  est  tout.  Ce  qui  reste,  c'est  un  chevalier 
accompli,  le  mérite  et  la  grâce  même.  —  Voir  Y  Histoire  du  Petit 
Jehan  de  Saintré,  3  vol.  in-12,  1724;  le  Panégyric  du  chevalier 
sans  reproche  (La  Trémouille),  1527,  etc.,  etc.  (Note  de  1840).  — 
Voir  Renaissance,  notes  de  l'Introduction  (1855). 

58  —  page  81  —  Christine  de  Pisan... 

Nous  devons  à  M.  Thomassy  de  pouvoir  apprécier  enfin  ce 
mérite  si  longtemps  méconnu.  (Essai  sur  les  écrits  politiques  de 
Christine  de  Pisan,  1838.)  M.  de  Sismondi  la  traite  encore  assez 
durement.  Gabriel  Naudé,  ce  grand  chercheur,  avait  eu  l'idée  de 
tirer  ses  manuscrits  de  la  poussière.  (NaudœiEpistolœ,  epist.  XLIX, 
p.  369.) 

59  —  page  81  —  Christine  n'eut  de  rapport  avec  le  duc  d'Or- 
léans, etc. 

Elle  dédia  au  duc  d'Orléans  son  Débat  des  deux  amants  et  d'au- 


366  HISTOIRE    DE    FRANCE 

très  ouvrages.  Du  reste,  elle  fait  entendre  qu'elle  ne  le  vit  qu'une 
fois,  et  pour  solliciter  sa  protection  :  «  Et  ay-je  veu  de  mes  yeulx, 
comme  j'eusse  affaire  aucune  requeste  d'ayde  de  sa  parolle,  à 
laquelle,  de  sa  grâce,  ne  faillis  mie.  Plus  d'une  heure  fus  en  sa 
présence,  où  je  prenoye  grant  plaisir  de  veoir  sa  contenance,  et  si 
agmodérément  expédier  besongnes,  chascune  par  ordre;  et  moi 
mesmes,  quant  vint  à  point,  par  luy  fus  appellée,  et  fait  ce  que 
requeroye...  »  —  Elle  dit  encore  du  duc  d'Orléans  :  «  N'a  cure 
d'oyr  dire  deshonneur  de  femmes  d'autruy,  à  l'exemple  du  sage, 
(et  dit  de  telles  notables  parolles  :  «  Quant  on  me  dit  mal  d'aucun, 
je  considère  se  celluy  qui  le  dit  a  aucune  particulière  hayne  à. 
celluy  dont  il  parle)  »,  ne  de  nelluy  mesdire,  et  ne  croit  mie  de 
legier  mal  qu'on  lui  rapporte.  »  (Christine  de  Pisan,  collection 
Petitot,  t.  V,  p.  393.) 

60  —  page  82  —  Monslrelel  est  sujet  et  serviteur  de  la  maison 
de  Bourgogne... 

M.  Dacier  n'a  pas  réussi,  dans  la  préface  de  son  Monstrelet,  à 
établir  l'impartialité  de  ce  chroniqueur.  Monstrelet  omet  ou  abrège 
ce  qui  est  défavorable  à  la  maison  de  Bourgogne,  ou  favorable  à 
l'autre  parti.  Cela  est  d'autant  plus  frappant  qu'il  est  ordinairement 
d'un  bavardage  fatigant.  «  Plus  baveux  qu'un  pot  à  moutarde  », 
dit  Rabelais. 

61  —  page  84  —  Charles  V  rejidit  aux  Flamands  Lille  et 
Douai,  la  Flandre  française... 

Il  est  curieux  de  voir  comment  Philippe-le-Hardi  eut  l'adresse  de 
se  conserver  cette  importante  possession  que  Charles  V  avait  cru, 
ce  semble,  ne  céder  que  temporairement,  pour  gagner  les  Fla- 
mands et  faciliter  le  mariage  de  son  frère.  Celui-ci  obtint,  sous  la 
minorité  de  Charles  VI,  qu'on  lui  laisserait  Lille,  etc.,  pour  sa  vie 
et  celle  de  son  premier  hoir  mâle.  Il  savait  bien  qu'une  si  longue 
possession  finirait  par  devenir  propriété.  V.  les  Preuves  de 
VHist.  de  Bourgogne,  de  D.  Plancher,  16  janvier  1386,  t.  III, 
p.  91-94. 

62  —  page  84  —  La  langue  française  et  wallone  ne  gagna 
pas  un  pouce  de  terrain  sur  le  flamand... 

C'est  ce  qui  résulte  de  l'important  mémoire  de  M.  Raoux;  il 
prouve  par  une  suite  de  témoignages  que  depuis  le  onzième  siècle 
la  limite  des  deux  langues  est  la  même.  Rien  n'a  changé  dans  les 
villes  même  que  les  Français  ont  gardées  un  siècle  et  demi. 
{Mémoires  de  V Académie  de  Bruxelles,  t.  IV,  p.  412-440.) 


APPENDICE  367 

63  —  page  85  —  Pierre  Dubois  se  fit  pirate,  etc. 

Meyeri,  Annales  Flandriœ,  folio  208,  et  Altemeyer,  Histoire 
des  relations  commerciales  et  politiques  des  Pays-Bas  avec  le 
Nord,  d'après  les  documents  inédits  ;  ms. 

64  —  page  89  —  Le  duc  d'Orléans  jeta  le  gant  à  Henri  IV 
pour  venger  Richard  II... 

Lettre  des  ambassadeurs  anglais  contre  le  duc  d'Orléans,  etc.  : 
«  Le  roi  d'Angleterre,  alors  duc,  étant  revenu  en  Angleterre 
demander  justice,  a  été  poursuivi  par  le  roi  Richard,  lequel  est 
mort  en  cette  poursuite,  ayant  auparavant  résigné  son  royaume 
audit  duc;  il  n'est  pas  nouveau  qu'un  roi,  comme  un  pape,  puisse 
résigner  son  État.  »  24  septembre  1404.  (Archives,  Trésor  des 
chartes,  J,  645.) 

65  —  page  91  —  Si  Von  en  croyait  une  tradition  conservée 
par  Meyer,  etc. 

Meyer  ne  nomme  pas  cet  auteur,  qui  nous  apprend  seulement 
dans  le  passage  cité  qu'il  a  vu  souvent  Charles  VII  et  causé  fami- 
lièrement avec  lui.  II  prétend  que  Jean-sans-Peur  voulait,  dès  le 
vivant  de  son  père,  tuer  le  duc  d'Orléans;  que  dès  qu'il  lui  suc- 
céda, il  demanda  à  ses  conseillers  quel  était  le  moyen  d'en  venir 
à  bout  avec  moins  de  danger.  N'ayant  pu  changer  sa  résolution,  ils 
lui  conseillèrent  d'attendre  qu'il  eût  perdu  son  ennemi  dans  l'esprit 
du  peuple  :  «  Id  autem  hoc  modo  efficere  posset,  si  Parisiis  prae- 
cipue  et  similiter  in  aliis  quibusque  regni  nobilioribus  civitatibus, 
per  biennium  vel  triennum  ante  per  impositas  personas  ubique 
disseminari  faceret  :  «  Se  maxime  regnicolis  compati  et  condolere, 
«  quod  tôt  tributis,  et  variis,  et  multiplicibus  vectigalibus  preme- 
«  rentur.  Seque  totis  eniti  conatibus  ut,  regno  ad  antiquas  suas 
«  libertates  atque  immunilates  restituto,  omnibus  hujus  modi 
«  molestissimis  gravissimisque  exactionibus  populus  levaretur;  sed 
«  ne  sui  optimi  ac  piissimi  voti  et  affectus  quem  ad  regnum  et 
«  regnicolas  gerebat,  fructum  assequeretur,  ipsius  Aurelianensis 
«  ducis  vires  et  conatus  semper  obstitisse  et  continuo  obstare,  qui 
«  omnium  hujus  modi  imponendorum  et  in  dies  excrescentium 
«  novorum  tributorum  atque  vectigalium  author  et  defensor 
«  maximus  existeret  ac  semper  extitisset.  »  Hoc  igitur  rumore  per 
omnes  pêne  civitates  et  provincias  regni  aures  mentesque  popu- 
larium  occupante,  tanta  invidia  apud  plebem  (quse  hujusmodi  gra- 
vamina  vectigalium  atque  exactionum  altius  sentit  atque  suspirat) 
conflata  fuit  adversus   praefatum    Aurelianensium   ducem,   tantus 


368  HISTOIRE    DE    FRANCE 

vero  amor,  gratia  atque  favor  omnium  duci  Burgundionum  arces- 
serunt,  ut...  »  (Meyer,  224,  verso.) 

66  —  page  92  —  Le  duc  de  Bourgogne  déclara,  etc. 

«  Compatiendo  regnicolis...  Affirmans,  quod  si...  consensisset, 
inde  ducenta  millia  scuta  auri,  sibi  promissa,  percepisset.  »  (Reli- 
gieux de  Saint-Denis,  ms.,  folio  392.) 

Il  envoya  dans  toutes  les  villes  des  commissaires,  etc. 

«  Qui  de  usurariis  dolosisque  contractibus  et  specialiter  de  illis 
qui  ultra  medietatem  justi  pretii  aliquid  vendidissent  inquirerent, 
et  ab  eis  secundum  démérita,  pecunias  extorquèrent.  (Ibid., 
folio  394.) 

67  —  page  95  —  Les  Anglais  pensionnaient  le  capitaine  de 
Paris... 

Le  Religieux  paraît  croire  pourtant  quïl  était  innocent;  le  Par- 
lement le  jugea  tel.  Il  était  Normand  et  fortement  soutenu  par  les 
nobles  de  Normandie.  (Ibid.,  folio  424.)  «  Et  disoient  les  Anglais... 
qu'il  n'y  avoit  chose  si  secrète  au  conseil  du  roy  que  tantost  après 
ils  ne  sceussent.  »  (Juvénal,  p.  162.) 

68  —  page  95  —  Je  ans  ans-Peur  conclut  une  trêve  mar- 
chande avec  les  Anglais... 

En  1403,  le  duc  de  Bourgogne  n'osant  négocier  avec  les  Anglais, 
laissa  les  villes  de  Flandre  traiter  avec  eux.  (Rymer,  edilio  tertia, 
t.  IV,  p.  38.)  —  11  se  fit  ensuite  autoriser  par  le  roi  à  conclure  une 
trêve  marchande.  Cette  trêve  fut  renouvelée  par  sa  veuve  et  son 
successeur.  29  août  1403,  19  juin  1404.  {Archives,  Trésor  des 
chartes,  J,  573.) 

69  —  page  95  —  L'habile  et  heureux  fondateur  de  la  maison 
de  Bourgogne,  etc. 

Yoy.  l'excellent  jugement  que  Le  Laboureur  porte  sur  le  caractère 
de  Philippe-le-Hardi.  (Introd.  à  VHist.  de  Charles  VI,  p.  96.) 

70  —  page  97  —  La  cession  de  biens  au  moyen  âge... 
Glossaire  de  Laurière,  t.  I,  p.  206.  —  Michelet,  Origines  du 

droit,  p.  395  :  «  Se  desceindre  »,  c'est  le  signe  de  la  cession  de 
biens.  En  certaines  villes  d'Italie,  celui  qui  fait  cession  a  payé  pour 
toujours,  «  s'il  frappe  du  cul  sur  la  pierre  en  présence  du  juge  ». 

71  —  page  97,  note  3  —  La  renonciation  de  la  veuve... 
Michelet,  Origines,  p.  42  :  «  La  clef  était  un  des  principaux 


APPENDICE  369 

symboles  usités  dans  le  mariage...  »  —  En  France  «  lorsqu'on 
ostoit  les  clefs  à  sa  femme,  c'étoit  le  signe  du  divorce.  »  (Godet.) — 
«  C'est  une  coutume  chez  les  François  que  les  veuves  déposent 
leurs  clefs  et  leur  ceinture  sur  le  corps  mort  de  leur  époux,  en 
signe  qu'elles  renoncent  à  la  communauté  des  biens.  »  (Le  Grand 
Coutumier.) 

72  —  page  98  —  La  duchesse  de  Bourgogne  accomplit  bra- 
vement la  cérémonie... 

«  Et  là  (à  Arras),  la  duchesse  Marguerite,  sa  femme  (femme  de 
Philippe-le-Hardi),  renonça  à  ses  biens  meubles  par  la  doute 
qu'elle  ne  trouvât  trop  grands  dettes,  en  mettant  sur  sa  représen- 
tation sa  ceinture  avec  sa  bourse  et  les  clefs,  comme  il  est  de  cou- 
tume, etc.  »  (Monstrelet.) 

73  —  page  99  — •  La  France  était  redevenue  riche  par  la 
paix... 

Cela  ressort  d'une  infinité  de  faits  de  détail.  Un  historien  dont 
l'opinion  est  bien  grave  en  ce  qui  touche  l'économie  politique,  et 
que  d'ailleurs  on  ne  peut  soupçonner  d'oublier  jamais  la  cause  du 
peuple,  M.  de  Sismondi  a  compris  ceci  comme  nous  :  «  L'agricul- 
ture n'était  point  détruite  en  France,  quoiqu'il  semblât  qu'on  eût 
fait  tout  ce  qu'il  fallait  pour  l'anéantir.  Au  contraire,  les  granges 
brûlées  par  les  dernières  expéditions  des  Anglais  avaient  été  rebâ- 
ties, les  vignes  avaient  été  replantées,  les  champs  se  couvraient  de 
moissons.  Les  arts,  les  manufactures,  n'étaient  point  abandonnés; 
au  contraire,  il  paraît  qu'ils  employaient  un  plus  grand  nombre  de 
bras  dans  les  villes,  à  en  juger  par  les  statuts  de  corps  de  métiers 
qui  se  multipliaient  dans  toutes  les  provinces,  et  pour  lesquels  on 
demandait  chaque  année  de  nouvelles  sanctions  royales.  La  richesse, 
si  bravement  enlevée  à  ceux  qui  l'avaient  produite,  était  bientôt 
recréée  par  d'autres  ;  et  il  faut  bien  que  ce  fût  avec  plus  d'abon- 
dance encore,  car  le  produit  des  tailles  et  des  impositions,  loin  de 
diminuer,  s'était  considérablement  accru.  Le  roi  levait  plus  facile- 
ment six  francs  par  feu  dans  l'année  qu'il  n'aurait  levé  un  franc 
cinquante  ans  auparavant.  »  (Sismondi,  Histoire  des  Français, 
t.  XII,  p.  173.) 

74  —  page  100  —  On  disait  au  peuple  que  la  reine  faisait 
passer  en  Allemagne,  etc. 

«  Cum  regina  ex  illis  sex  equos  oneratos  auro  monetato  in  Ale- 
maniam  mitteret,  hoc  in  prsedam  venit  Metensium  (de  ceux  de 
t.  iv.  24 


370  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Metz)  qui  a  conductoribus  didicerunt  quod  alias  finantiam  similem 
in  A.lemaniam  conduxerant,  unde  mirati  sunt  multi,  cum  sic  vellet 
depauperare  Franeiam  ut  Alemanos  ditaret.  »  (Religieux  de  Saint- 
Denis,  ms. 

75  —  page  100  —  Le  grave  historien  du  temps  croit  que  la 
taxe  précédente,  etc. 

«  Mihi  pluries  de  summa  sciscitanti  responsum  est,  quod  orties 
ad  centum  millia  scula  auri  venerat,  quam  tamen  propriis  deputa- 
verantusibus.  »  (Ibid.,  folio  439.) 

76  —  page  104  —  On  obtint  de  Charles  VI  qu'il  appelât  le 
duc  de  Bourgogne,  etc. 

Monstrelet,  t.  I,  page  163.  Le  greffier  du  Parlement,  contre  son 
ordinaire,  raconte  ce  fait  avec  détail  :  «  Ce  dit  jour,  le  roy  estant 
malade  en  son  hostel  de  Saint-Paul,  à  Paris,  de  la  maladie  de 
l'aliénation  de  son  entendement  (laquelle  a  duré  des  l'an  mil 
cccmixx  et  xm,  hors  aucuns  intervalles  de  résipiscence  telle  quelle), 
et  la  royne  et  le  duc  d'Orliens  Loys  frère  du  roy  estant  à  Meleun, 
où  len  menoit  le  dauphin  duc  de  Guienne  aagié  de  IX  ans  environ 
et  sa  femme  aagiée  de  X  ans  ou  environ,  au  mandement  de  la 
royne  mère  dudit  dauphin,  Jehan  duc  de  Bourgoigne  et  contes  de 
Flandres,  cousin  germain  du  roy  et  père  de  la  femme  dudit  dau- 
phin (qui  venoit  au  roy  comme  len  disoit  pour  faire  hommage 
après  le  décès  de  Philippe  son  père,  oncle  du  roi,  jadis  de  ses 
terres,  et  pour  le  visiter  et  aviser  comme  len  disoit  du  petit  gou- 
vernement de  ce  royaume)  soupeconans  comme  len  disoit  que  la 
royne  n'eut  mandé  ledit  dauphin  pour  sa  venue,  chevaucha  hasti- 
vement  et  soudainement,  à  tout  sa  gent  armée  de  Louvres  en 
Parisis  où  il  avoit  gen,  en  passant  par  Paris  environ  VII  heures  au 
matin,  et  a  consuit  ledit  dauphin  san  gendre  qui  avoit  gen  à  Ville- 
Juyve  à  Genisy,  et  ledit  dauphin  interrogué  après  salus  où  il  aloit 
et  si  voudroit  pas  bien  retourner  en  sa  bonne  ville  de  Paris,  a  res- 
pondu  que  oy,  comme  len  disoit,  le  ramena  environ  XII  heures 
contre  le  gré  du  marquis  du  Pont,  cousin  germain  du  roy  et  dudit 
duc  et  contre  le  gré  du  frère  de  la  royne  qui  le  menoient,  auquel 
dauphin  alèrent  au-devant  le  roy  de  Navarre,  cousin  germain,  le 
duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourbon,  oncles  du  roy  et  plusieurs 
autres  seigneurs  qui  estoient  à  Paris,  et  le  menèrent  au  chasteau 
du  Louvre  pour  être  plus  seurement;  dont  se  tindrent  mal  contens 
lesdits  duc  d'Orliens  et  la  royne,  telement  que  hinc  inde  s'assem- 
blèrent à    Paris  du    cousté   dudit  duc  de  Bourgogne   le  duc    de 


APPENDICE  371 

Lambourt  son  frère  à  grand  nombre  de  gens  d'armes,  et  ou  plat- 
paiz  plusieurs  de  plusieurs  paiz  et  à  Meleun  et  ou  paiz  environ  du 
costé  du  ducd'Orliens  plusieurs,  comme  len  disoit.  Quil  en  avendra? 
Dieu  y  pourvoi,  car  en  lui  doit  estre  espérance  et  sience  et  «  non  in 
principibus  nec  in  filiis  bominum,  in  quibus  non  est  salus  ». 
{Archives,  Registres  du  Parlement,  Conseil,  vol.  XII,  folio  222 
19  août  1405.) 

77  —  page  105  —  Le  parti  d'Orléans  reprenait  dix-huit 
petites  places,  etc. 

Le  comte  d'Armagnac  prit  d'abord  dix-huit  petites  places,  selon 
le  Religieux,  ms  ,  469  verso  :«  Burdeganlensem  adiit  civitatem, 
ipsis  mandans  quod  si  exire  audebant...  »  —  Le  connétable  d'Al- 
bret  et  le  comte  d'Armagnac,  employant  tour  à  tour  les  armes  et 
l'argent,  se  firent  rendre  soixante  forts  ou  villages  fortifiés.  (Reli- 
gieux, 471,  verso.) 

78  —  page  108  —  C'était  le  moment  où  le  nouveau  comte  de 
Flandre,  etc. 

Promesse  de  la  duchesse  de  Bourgogne   et  du  duc  Jean,   son 
fils,  qui  s'engagent  à  suivre  l'instruction    du   roi  pour  régler   le 
commerce  des  Flamands  avec  les  Anglais,  19  juin  1404.  [Archives 
Trésor  des  chartes,  J,  503.) 

79  —  page  108  —  Le  duc  de  Bourgogne  rassembla  des  muni- 
lions  infinies,  douze  cents  canons... 

Voyez  le  curieux  travail  de  M.  Lacabane  sur  YHistoire  de  Var- 
tillerie  au  moyen  âge  (manuscrit  en  1840). 

^80  -  page  109—  Les  Gascons  qui  avaient  appelé  le  duc 
d'Orléans  se  ravisèrent  et  ne  l'aidèrent  point... 

«  Ferebatur  capitaneos  ad  custodiam  Aquitaniœ  deputatos 
dommum  ducem  Aurelianensem  antea  sollicitasse,  ut.,  aggre- 
diendo  armis  patriam  Burdegalensem  ..  -  Iter  arripuit,  quamvis 
minime  ignoraret  agilitatem  Vasconum  et  quantis  astuciis  Francos 
reiteratis  vicibus  deceperunt  ab  antiquo.  »  (Religieux  de  Saint- 
Denis,  ms.,  folio  490.) 

81  -  page  109  —  Le  duc  de  Bourgogne  accusait  le  duc  d'Or- 
éans,  etc. 

Monslrelet  dit  que  l'on  avait  abusé  du  nom  du  roi  pour  défendre 
aux  capitaines  de  la  Picardie  et  du  Boulenois  d'aider  le    duc  de 


372  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Bourgogne.  (Monsirelet,  t.  I,  p.  192.)  —  Le  duc  réclama  des  dédom- 
magements. (V.  Compte  des  dépenses  faites  par  le  duc  de 
Bourgogne  pour  le  siège  de  Calais,  extrêmement  important 
pour  l'histoire  de  l'artillerie  et  en  général  du  matériel  de  guerre. 
{Archives,  Trésor  des  chartes,  J,  922.) 

82  —  page  117  —  Le  testament  du  duc  d'Orléans... 

On  y  voyait  le  goût  et  la  connaissance  familière  des  divines 
Écritures  et  des  choses  saintes.  Durant  sa  vie,  il  avait  été  le  plus 
magnifique  des  princes  dans  ses  dons  aux  églises.  Ses  dernières 
volontés  étaient  plus  libérales  encore.  Après  le  payement  de  ses 
dettes  qu'il  recommandait  d'une  façon  expresse,  commençait  un 
merveilleux  détail  de  toutes  les  fondations  qu'il  ordonnait,  des 
prières  et  services  funèbres  qu'il  prescrivait  pour  sa  mémoire  et 
dont  les  cérémonies  étaient  soigneusement  déterminées.  Il  assignait 
des  fonds  pour  construire  une  chapelle  dans  chaque  église  de 
Sainte-Croix  d'Orléans,  Notre-Dame  de  Chartres,  Saint-Eus tache  et 
Saint-Paul  de  Paris.  En  outre,  comme  il  avait  une  dévotion  parti- 
culière pour  l'ordre  des  religieux  Célestins,  il  fondait  une  chapelle 
dans  chacune  des  églises  qu'ils  avaient  en  France,  au  nombre  de 
treize,  sans  parler  des  richesses  qu'il  laissait  à  leur  maison  de 
Paris.  11  avait  voulu  y  être  inhumé  en  habit  de  l'ordre,  porté  hum- 
blement au  tombeau  sur  une  claie  couverte  de  cendre,  et  que  sa 
statue  de  marbre  le  représentât  aussi  vêtu  de  cette  robe.  Les 
pauvres  et  les  hôpitaux  n'étaient  pas  oubliés  dans  ses  bienfaits  ;  et 
son  amour  pour  les  lettres  paraissait  dans  la  fondation  de  six 
bourses  au  collège  de  l'Ave-Maria.  (Histoire  des  Célestins,  par  le 
P.  Beurrier.  —  M.  de  Barante,  t.  III,  p.  95,  3e  édition.)  Voir  l'acte 
original,  inséré  en  entier  par  Godefroy,  à  la  suite  de  Juvénal  des 
Ursins,  p.  631-646. 

83  —  page  118  —  Les  Liégeois  ayant  chassé  leur  évéque,  etc. 
«  Urgebant  ut  aut  sacris  initiaretur,  aut  certe  episcopatum  abdi- 

caret.  »  Zanfliet  est  ici  d'autant  plus  croyable  que  sa  partialité  pour 
l'évêque  est  partout  visible.  (Corn.  Zanfliet,  Leod'iensi  monachi 
Chronicon,  apud  Martene,  Amplissima  Colleclio,  t.  V,  p.  360.) 
Voir  aussi  Catalogus  episcoporum  Leodensium,  auctore  Pla- 
cetio,  ann.  1403-1408,  et  la  Collection  de  Chapeauville. 

84  —  page  123  —  Assassinat  du  duc  d'Orléans... 
Déposition  de  Jacquette  Griffart.  (Mém.  Acad.,  t.  XXI,  p.  526  et 

suiv.):  «  Elle  s'en  alla  de  sa  dite  fenestre  pour  coucher  son  enfant, 


APPENDICE  373 

et  incontinent  après  ouit  crier,  etc..  »  —  L'autre  témoin  oculaire, 
serviteur  d'un  neveu  du  maréchal  de  Rieux,  dépose  aussi  :  «  Que 
le  jour  d'hier  au  soir,  environ  huit  heures  de  nuit...,  estant  à 
Thuis  d'une  des  salles...  qui  ont  égart  sur  la  Vieille  rue  du 
Temple...  ouit  et  entendit  qu'en  la  rue  avoit  grand  cliquetis  comme 
d'épées  et  autres  armures...  et  disoient  tels  mots  :  «  A  mort,  à 
mort!  »  Dont  lors  pour  scavoir  ce  que  c'estoit,  il  remonta  en  ladite 
chambre  dudit  son  maître,  qui  est  au-dessus  de  ladite  salle...  et 
trouva  que  aux  fenêtres  d'icelle  estoit  desjà  ledit  son  maître,  le 
page,  le  barbier  d'icelui  son  maître,  qui  regardoient  en  ladite 
Vieille  rue  du  Temple,  par  l'une  desquelles  fenestres  il  qui  parle 
regarda  emmi  ladite  rue,  et  veid  à  la  clarté  d'une  torche  qui  étoit 
ardente  sur  les  carreaux,  que  droit  devant  l'hôtel  de  l'Image  de 
Notre-Dame,  étoient  plusieurs  compaignons  à  pied,  comme  du 
nombre  de  douze  à  quatorze,  nul  desquels  il  ne  connaissoit,  lesquels 
tenoient  les  uns  des  espées  toutes  nues,  les  autres  haches,  les 
autres  becs  de  faucon,  et  massues  de  bois  ayans  piquans  de  fer  au 
bout,  et  desdits  harnois  féroient  et  frappoient  sur  aucuns  qui 
estoient  en  la  compagnie,  disans  tels  mots  :  «  A  mort,  à  mort  !  » 
Et  qu'il  est  vrai  que  lors,  il  qui  parle,  pour  mieux  voir  qui  estoient 
iceux  compagnons,  alla  ouvrir  le  guichet  de  la  porte  qui  a  issue  en 
ladite  Vieille  rue  du  Temple...  Et  ainsi  qu'il  ouvrit  ledit  guichet  de 
ladite  porte,  on  boula  un  bec  de  faucon  entre  ledit  guichet  et  la 
porte,  dont  lors  il  qui  parle,  pour  double  qu'on  ne  lui  fit  mal  dudit 
bec  de  faucon  referma  ledit  guichet  et  s'en  retourna  en  la  chambre 
dudit  son  maître,  par  Tune  des  fenestres  de  laquelle  il  vit  aucuns 
compaignons  qui  étoient  montés  sur  chevaux  emmi  la  rue,  et  si 
veid  sortir  d'icelui  hôtel  cinq  ou  six  compaignons  tous  montés  sur 
chevaux,  qu'incontinent  qu'ils  furent  sortis,  un  homme  de  pied  près 
d'iceux,  féri  et  frappa  d'une  massue  de  bois  un  homme  qui  étoit 
tout  étendu  sur  les  carreaux,  et  revêtu  d'une  houppelande  de  drap 
de  damas  noir,  fourrée  de  martre;  et  quand  il  eut  frappé  ledit 
coup,  il  monta  sur  un  cheval  et  se  mit  en  la  compagnie  des  autres... 
Et  incontinent  après  ledit  coup  de  massue  ainsi  donné,  il  qui  parle 
veid  tous  lesdits  compagnons  qui  étoient  à  cheval  eux  en  aller  et 
fouir  le  plutôt  qu'ils  pouvoient  sans  aucune  lumière,  droit  à 
l'entrée  de  la  rue  des  Blancs-Manteaux  en  laquelle  ils  se  boutèrent, 
et  ne  sait  quelle  part  ils  allèrent.  Incontinent  qu'ils  s'en  furent 
allés,  lui  estant  encore  à  ladite  fenestre,  vit  sortir  par  les  fenestres 
d'en  haut  dudit  hôtel  de  l'Image  Notre-Dame,  grande  fumée,  et  si 
ouit  plusieurs  des  voisins  qui  crioient  moult  fort  :  «  Au  feu,  au 
feu  !  »  Et  lors  lui  qui  parle,  ledit  son  maître  et  les  autres  dessus 


374  HISTOIRE    DE    FRANCE 

nommés,  allèrent  tous  emmi  la  rue,  eux  étans  en  laquelle,  il  qui 
parle  veid  à  la  clarté  d'une  ou  deux  torches  ledit  feu  monseigneur 
d'Orléans  qui  étoit  tout  étendu  mort  sur  les  carreaux,  le  ventre 
contremont,  et  n'avoit  point  de  poing  au  bras  senestre...  et  si  veid 
qu'environ  le  long  de  deux  toises  près  dudit  feu  monseigneur  le 
duc  d'Orléans,  étoit  aussi  étendu  sur  les  carreaux  un  compagnon 
qui  estoit  à  la  cour  dudit  feu  M.  le  duc  d'Orléans,  appelé  Jacob,  qui 
se  complaignoit  moult  fort,  comme  s'il  vouloit  mourir.  »  (Dépo- 
sition du  varlet  Raoul  Prieur,  Mém.  Acad.y  t.  XXI,  p.  529.) 

85  —  page  124  —  Selon  un  autre  récit,  le  grand  homme  au 
chaperon  rouge,  etc. 

«  Cadaver  ignominiose  traxit  ad  vicinum  fœtidissimum  lutum, 
ubi,  cum  face  straminis  ardente,  scelus  adimplelum  vidit;  inde 
lsetus,  tanquam  de  re  bene  gesta,  ad  hospitium  dncis  Burgundise 
rediit.  »  (Religieux  de  Saint-Denis,  ms.,  folio  553.)  —  V.  dans  les 
Preuves  de  Félibien,  le  récit  des  Registres  du  Parlement, 
Conseil,  XIII. 

86  —  page  124  —  Ces  pauvres  restes  furent  portés,  parmi  la 
terreur  générale... 

Cette  terreur  ne  paraît  que  trop  dans  le  peu  de  mots  qu'on 
écrivit  le  lendemain  sur  les  registres  du  Parlement.  (Preuves  de 
Félibien,  t.  II,  p.  549.)  Les  gens  du  Parlement  paraissent  sentir, 
avec  la  sagacité  de  la  peur,  qu'un  tel  coup  n'a  pu  être  fait  que  par 
un  homme  bien  puissant.  Ils  ne  disent  rien  de  favorable  au 
mort  :  «  Ce  prince  qui  si  grand  seigneur  estoit  et  si  puissant,  et  à 
qui  naturellement,  au  cas  qu'il  eust  fallu,  gouverneur  en  ce  royaume, 
en  si  petit  moment  a  fine  ses  jours  moult  horriblement  et  honteu- 
sement. Et  qui  ce  a  faict,  «  scietur  autem  postea».  —  Plus  tard,  on 
apprend  que  le  meurtrier  est  le  duc  de  Bourgogne,  et  le  Parlement 
fait  écrire  sur  ses  registres  les  lignes  suivantes,  où  le  blâme  est 
partagé  assez  également  entre  les  deux  partis:  «  XXIII  novembris 
M  CCCC  VII  inhumaniter  fuit  trucidatus  et  interfectus  D.  Ludo- 
vicus  Francise,  dux  Aurelianensis  et  frater  régis,  multum  astuius 
et  magni  intellectus,  sed  nimis  in  carnalibus  lubricus,  de  nocte 
hora  IX  per  ducem  Burgundise,  aut  suo  prsecepto,  ut  confessus  est, 
in  vico  prope  portam  de  Barbette.  Unde  infinita  mala  processerunt, 
quse  diu  nimis  durabunt.  »  (Registres  du  Parlement,  Liber  con- 
siliorum,  passage  imprimé  dans  les  Mélanges  curieux  de  Labbe, 
t.  II,  p.  702-3.) 


APPENDICE  375 

87  —  page  124  —  Le  duc  d'Orléans  fut  enseveli  à  Véglise  des 
Cêlestins... 

Les  Céleslins  avaient  été  fondés  par  Pierre  de  Morone  (Cé- 
lestin  V),  ce  simple  d'esprit  qui  fut  déposé  du  pontificat  par  Boni- 
face  VIII.  En  haine  de  Boniface,  Philippe-le-Bel  honora  les 
Cêlestins,  les  fit  venir  en  France,  les  établit  dans  la  forêt  de  Com- 
piègne  (1308).  Cet  ordre  devint  très  populaire  en  France.  Tous  les 
hommes  importants  du  temps  de  Charles  V  et  de  Charles  VI  furent 
en  relation  intime  avec  cet  ordre.  Montaigu  fit  beaucoup  de  bien 
aux  Cêlestins  de  Marcoussis.  (Archives,  L,  1539-1540.) 

88  —  page  124 — Tout  le  monde  pleurait,  les  ennemis  comme 
les  amis... 

Monstrelet,  serviteur  de  la  maison  de  Bourgogne,  qui  écrit  à 
Cambrai  (en  la  noble  cité  de  Cambrai,  t.  I,  p.  48),  et  certainement 
plusieurs  années  après  l'événement,  assure  que  le  peuple  se  réjouit 
de  cette  mort.  Le  Religieux  de  Saint-Denis,  ordinairement  si  bien 
informé,  si  près  des  événements,  et  qui  semble  les  enregistrer  à 
mesure  qu'ils  arrivent,  ne  dit  rien  de  pareil.  Il  assure  que  le  meur- 
trier lui-même  parut  affligé  (folio  553)  ;  il  ne  croit  pas,  il  est  vrai,  à 
la  sincérité  de  cette  douleur.  Moi,  j'y  crois;  cette  contradiction  me 
paraît  être  dans  la  nature.  L'apologiste  du  duc  d'Orléans  dit  que  le 
duc  de  Bourgogne  pleurait  et  sanglotait  :  «  Singultibus  et  lacrymis.  » 
(Ibid.,  folio  593.) 

89  —  page  125  —  Hier  tout  cela,  aujourd'hui  plus  rien... 

«  ...  Et  lui  qui  estoit  le  plus  grand  de  ce  royaume,  après  le  Roy 
et  ses  enfans,  est  en  si  petit  de  temps,  si  chétif.  Et  qui  cecidit,  sta- 
bili  non  erat  ille  gradu.  Agnosco  nullam  homini  fîduciam, 
nisi  in  Deo ;  et  si  parum  videatur,  illuscescat  clarius...  Parcat 
sibi  Deus.  »  (Archives,  Registres  du  Parlement.  Plaidoiries, 
Matinée  VI,  folio  7,  verso.) 

90  —  page  126  —  On  trouve  aux  Céleslins  la  cellule  où  il 
aimait  à  se  retirer... 

Selon  l'apologiste  du  duc  d'Orléans  (Religieux  de  Saint-Denis, 
ms.,  folio  594),  il  disait  tous  les  jours  le  bréviaire  :  «  Horas  cano- 
nicas  dicebat.  »  —  «  Il  avoit,  dit  Sauvai,  sa  cellule  dans  le  dortoir 
des  Cêlestins,  laquelle  y  est  encore  en  son  entier.  Il  jeûnoit, 
veilloit  avec  les  religieux,  venoit  à  matines  comme  eux  durant 
l'Avent  et  le  Carême.  Ce  prince  leur  a  donné  la  grande  Bible  en 
vélin,  enluminée,  qui  avoit  été  à  son  père  Charles  V,  et  qu'on  voit 


376  HISTOIRE    DE    FRANCE 

dans  leur  bibliothèque,  signée  de  Charles  V  et  de  Louis,  duc  d'Or- 
léans. Il  leur  donna  aussi  une  autre  grande  Bible  en  cinq  volumes 
in-folio,  écrite  sur  le  vélin,  qui  a  toujours  servi  et  sert  encore  pour 
lire  au  réfectoire.  »  (Sauvai,  t.  T,  p.  460.) 

91  —  page  127  —  Sa  veuve  n'eut  pas  la  consolation  d'élever 
au  mort  V humble  tombe.,. 

«  Considérant  le  mot  du  prophète:  Ego  sum  vermis  et  non  homo, 
opprobrium  hominum  et  abjectio  plebis;  je  veux  et  ordonne  que 
la  remembrance  de  mon  visage  et  de  mes  mains  soit  faite  sur  ma 
tombe  en  guise  de  mort,  et  soit  madicte  remembrance  vêtue  de  l'habit 
desdicts  religieux  Célestins,  ayant  dessous  la  tête  au  lieu  d'oreiller 
une  rude  pierre  en  guise  et  manière  d'une  roche,  et  aux  pieds,  au 
lieu  de  lyons...une  autre  rude  roche...  Et  veux...  que  madicte  tombe 
ne  soit  que  de  trois  doigts  de  haut  sur  terre,  et  soit  faicîe  de  marbre 
noir  eslevée  et  d'albâtre  blanc...,  et  que  je  tienne  en  mes  deux 
mains  un  livre  où  soit  escrit  le  psaume  :  Quicumque  vult  salvus 
esse...  Autour  de  ma  tombe  soient  escrits  le  Pater,  l'Ave  et  le 
Credo.  »  (Testament  de  Louis  d'Orléans,  imprimé  par  Godefroy,  à 
la  suite  de  Juvénal  des  Ursins,  p.  633.) 

Cy  gist  Loys  duc  Dorléans... 
Lequel  sur  tous  ducz  terriens 
Fut  le  plus  noble  en  son  vivant 
Mais  ung  qui  voult  aller  devant 
Par  envye  le  feist  mourir... 

(Epistaphe  de  feu  Loys,  duc  d'Orléans.  Bibl.  royale,  mss. 
Colbert,  2403;  Regius,  9681,  5.) 

92  —  page  127  —  «  Ilinc  surrectura  »... 

Cette  inscription,  la  plus  belle  peut-être  qu'on  ait  jamais  lue  sur 
une  tombe  chrétienne,  a  été  placée  par  mon  ami,  -M.  Fourcy 
(bibliothécaire  de  l'École  polytechnique),  sur  celle  de  sa  mère. 

93  —  page  128,  note  2  —  Inès  de  Castro... 

Lopes  parle  seulement  de  la  translation  du  corps  :  «  Como  foi 
trellada  Dona  Enez,  etc.  »  (Collecçao  de  livros  ineditos.  1816, 
t.  IV,  p.  113.)  M.  Ferdinand  Denis,  dans  ses  intéressantes  Chro- 
niques de  V Espagne  et  du  Portugal,  t.  I,  p.  157,  cite  le  texte 
principal  (de  Faria  y  Souza),  qui  appuie  la  tradition.  —  Un  savant 
Portugais,  M.  Corvalho,  assurait  avoir  vu,  il  y  a  quelques  années, 
le  corps  d'Inès  bien  conservé  :  «  Seulement  la  peau  avait  pris  le 


APPENDICE  377 

ton  du  vélin  bruni  par  le  temps...  »  (IbicL,  t.  I,  p.  163.)  M.  Taylor, 
en  1835,  n'a  plus  trouvé  que  des  ossements  dispersés  sur  les  dalles 
du  couvent  d'Alcabaça,  et  il  les  a  pieusement  inhumés.  (Voyage 
piit.  en  Espagne  et  en  Portugal,  1.  XIII.)  —  Je  trouve  encore 
dans  les  Chroniques,  traduites  par  M.  Ferdinand  Denis  (t.  I, 
p.  78),  un  fait  curieux  qui  caractérise,  autant  que  l'histoire  d'Inès, 
le  matérialisme  poétique  de  ces  temps,  c'est  l'histoire  du  bon  vassal 
qui  ne  veut  pas  rendre  son  château  au  nouveau  roi  avant  de  s'as- 
surer de  la  mort  de  son  maître  Sanche  II.  Il  va  à  Tolède,  où 
Sanche  était  mort  exilé,  enlève  la  pierre,  reconnaît  le  mort,  et 
accomplit  son  serment  féodal  en  lui  remettant  au  bras  droit  les 
clefs  du  château  qu'il  lui  a  autrefois  confiées. 

94  —  page  129  —  Les  tombeaux  de  La  Scala... 

«  In  terra,  e  meze  sepolte,  sou  prima  tre  arche  di  marmo  nos- 
trale,  quali  non  si  sa  per  quai  di  questa  casa  servissero,  poichè  non 
hanno  iscrizione  alcuna;  benne  hanno  l'arme  sopra  i  coperchi,  e 
nel  mezo  di  uno  si  vede  la  scala  con  aquila  sopra, 

E'n  su  la  scala  porta  il  santo  uccello.  » 

(Dante,  Parad.,  XVII,  72.  —  Maffei,  Verona  illustrata,  parte 
terza,  p.  78,  éd.  in-folio.) 

95  —  page  129  —  La  tombe  de  Vassassinè... 

Si  ma  mémoire  ne  me  trompe,  il  y  a  près  de  là,  dans  Vérone, 
plusieurs  lieux  dont  les  noms  rappellent  cet  événement  :  «  Via 
dell'  ammazatO;  Via  délie  quatro  spade,  Volto  barbaro,  »  etc.  —  Ma 
conjecture  semble  appuyée  par  le  passage  suivant  :  «  Sepultus... 
exigua  cum  pompa  tantum,  cum  cives  vererentur  ne  offenderent 
fratrem.  »  (Torelly  Saraynae  Veronensis,  Hist.  Veron.,  lib. 
secundo;  Thesiur.  Antiquit.  Ital.  Grœvii  et  Burmanni,  t.  noni, 
parte  septima,  colonn.  71.) 

95  —  page  129  —  Can  Signore  de  La  Scala  tua  son  frère  dans 
la  rue,  en  plein  jour... 

«  Caede  hac  a  civibus  et  populo  percepta,  quilibet  quietus  reman- 
sit...  Approbata  fuit  ejus  mens...  Exclamarunt  ornnes  :  Vivat 
Dominus  noster...  »  [Ibid.,  colonn.  70-71.) 

97  —  page   130  —  Toutes  les  questions   politiques,   morales, 

religieuses,  s'agitèrent  a  Voccasion  de  la  mort  du  duc  d'Orléans. 

Ces  grandes  questions    semblent  avoir    déjà   été    débattues   en 

France,  à  l'occasion  de  la  fin  tragique  de  Richard  II.  Voy.  Lettre 


378  HISTOIRE    DE    FRANCE 

de  Charles  VI  aux  Anglais,  2  oct.    1402.  Bibl.  royale,  mss.  Fon- 
tanieu,  105-6;  Brienne,  vol.  XXXIV,  p.  227. 

98  —  page  131  —  Le  duc  de  Bourgogne  leur  dit  tout  pâle... 

«  Se  fecisse  instigante  Diabolo.  »  (Religieux,  ms.,  folio  154.)  — 
Plus  loin,  l'apologiste  du  duc  d'Orléans  rapporte  cette  parole 
comme  avouée  du  duc  de  Bourgogne  lui-même  :  «  Tune  dixit  quod 
Diabolus  ad  id  ipsum  tentaveral,  et  nunc  sine  verecundia  sibimet 
contradicendo  dicit  quod  optime  fecit.  »  (Ibid.,  ms.,  folio  593.) 

99  —  page  132  —  Il  rassembla  les  États  de  Flandre,  d'Ar- 
tois, etc. 

«  Auxquels  il  fit  remontrer  publiquement  comment  à  Paris  il 
avoit  fait  occire  Louis,  duc  d'Orléans;  et  la  cause  pourquoi  il  l'avoit 
fait,  il  la  fit  lors  divulguer  par  beaux  articles  et  commanda  que  la 
copie  en  fût  baillée  par  écrit  à  tous  ceux  qui  la  voudroient  avoir; 
pour  lequel  fait  il  pria  qu'on  lui  voulsist  faire  aide  à  tous  besoins 
qui  lui  pourroient  survenir.  A  quoi  lui  fut  répondu  des  Flamands 
que  très  volontiers  aide  lui  feroient.  »  —  Les  Flamands  lui  étaient 
d'autant  plus  favorables  en  ce  moment  qu'il  venait  de  leur  obtenir 
une  trêve  de  l'Angleterre.  (Monstrelet,  t.  I,  p.  207,  231.) 

100  —  page  133  — Il  fit  répandre  le  bruit  qu'il  n'avait  fait 
queprévenir  le  duc  d'Orléans... 

Le  duc  de  Bourgogne  aurait  pu  soutenir  cette  assertion,  si  l'on 
s'en  rapportait  à  la  mauvaise  traduction  que  Le  Laboureur  a  faite 
du  Religieux.  Il  lui  fait  dire  ridiculement  fp.  624)  :  «  Ces  flamèches 
de  division  causèrent  un  embrasement  de  haine  et  d'inimitié  qu'on 
ne  put  esleindre  et  qui  fit  découvrir  beaucoup  d'apparence  de 
conspirations  sur  la  vie  l'un  de  l'autre.  »  Il  n'y  a  pas  de  conspi- 
rations dans  le  texte;  il  dit  :  «  In  necem  mutuam  diu  visi  fuerunt 
publiée  aspirare.  »  (Folio  552.)  —  Cette  récrimination  atroce  du 
meurtrier  n'est,  je  crois,  exprimée  nettement  que  dans  une  chro- 
nique belge  que  j'ai  déjà  citée.  Elle  suppose,  ce  qui  met  le  comble  à 
l'invraisemblance,  que  le  duc  d'Orléans  s'adressa  à  son  ennemi 
mortel,  Raoul  d'Auquelonville,  pour  le  décider  à  tuer  le  duc 
de  Bourgogne  :  «  Avint  ce  nonobstant,  par  commune  voix  et 
renommée,  si  comme  on  disoit,  que  ledit  Dorliens  avoit  marchandé 
ou  voloit  marchander  à  Raoulet  d'Actonville  de  tuer  le  duc  de 
Bourgogne,  lequel  fait  fu  découvert  par  ledit  Raoulet  au  duc  de 
Bourgogne.  »  (Chronique  ms.,  n°  801  D  (Bibliothèque  de  Bour- 
gogne, à  Bruxelles),  folio  222.) 


APPENDICE  379 

101  —  page  133  —  Le  plus  triste  et  le  plus  rude  hiver... 

Au  commencement  de  janvier  1408,  il  fait  si  froid  que  le  Par- 
lement ne  tient  pas  séance...  «  Il  ne  pouoit  besoigner  :  le  gre- 
phier  mesme,  combien  qu'il  eust  prins  feu  delez  lui,  en  une 
poelette,  pour  garder  lancre  de  son  cornet  de  geler,  lancre  se 
geloit  en  sa  plume,  de  2  ou  3  mos  en  3  mos,  et  tant  que  enre- 
gistrer ne  pouoit...  »  Ce  récit  est  quatre  fois  plus  long  que  celui 
de  la  mort  du  duc  d'Orléans.  Les  glaçons  empêchaient  les  moulins 
de  fonctionner  :  il  y  eut  disette.  Quand  la  gelée  cessa,  les  ponts 
furent  emportés.  Le  greffier  termine  par  ces  mots  :  ...  «  Et  ce  cas, 
avec  Voccision  de  feu  monseigneur  Loiz  duc  Dorleans  frère  du 
roy  (de  quo  supra,  mense  novembri),  a  esté  à  grant  merveille  en 
ce  royaume...  »  Il  paraît  qu'il  y  eut  vacance  pendant  un  mois. 
1er  jour  de  février  :  «  Curia  vacatf  pour  ce  qu'il  n'a  osé  passer 
la  rivière  pour  aler  au  Palaiz  pour  la  grant  impétuosité  et 
force  d'elle.  Car  aussy  croît-elle  toujours.  »  (Archives,  Regis- 
tres du  Parlement,  Conseil,  vol.  XIII,  folio  11;  et  Plaidoiries, 
Matinée  VI,  folio  40.) 

102  —  page  135  —  Le  duc  de  Bourgogne  revint,  etc. 

«  Et  se  logea  en  l'hostel  d'un  bourgeois,  nommé  Jacques  de 
Haugart,  auquel  hôtel  ledit  duc  fît  pendre  par  dessus  l'huis  par 
dehors  deux  lances,  dont  l'une  si  avoit  fer  de  guerre  et  l'autre  si 
avoit  fer  de  rochet;  pourquoi  fut  dit  de  plusieurs  nobles  estant  à 
icelle  assemblée  que  ledit  duc  les  y  avoit  fait  mettre  en  signifiance 
que  qui  voudroit  avoir  à  lui  paix  ou  guerre,  si  le  prensit.  »  (Mons- 
trelet,  1. 1,  p.  234.) 

103  —  page  135  —  Les  princes  avaient  été  jusqu'à  Amiens 
pour  l'empêcher  de  venir... 

A  l'approche  des  troupes  qui  allaient  occuper  Paris,  le  Par- 
lement, avec  sa  prudence  ordinaire,  ne  voulut  point  se  mêler  des 
affaires  de  la  ville  ni  des  précautions  à  prendre  :  «  Et  si  a  esté 
touchié  de  requérir  provision  pour  la  ville  de  Paris  où  plusieurs 
gens  d'armes  doivent  arriver...  Sur  quoy  n'a  pas  été  conclu,  quia 
ad  curiam  non  pertineret  multis  obstantibus ;  au  moins,  ny 
pourroit  remédier.  »  (Archives,  Registres  du  Parlement, 
Conseil,  XIII,  10  février  1407  (1408),  folio  13,  verso.) 

104  —  page  138  —  Jean  Petit  fut  soutenu  par  le  duc  de 
Bourgogne... 

Cette  pension  n'était  pas  gratuite;  Jean  Petit  nous  apprend  lui- 


380  HISTOIRE    DE    FRANCE 

même  qu'il  a  fait  serment  au  duc  de  Bourgogne  :  «  Je  suis  obligé 
à  le  servir  par  serment  à  lui  faict  il  y  a  trois  ans  passés...  Lui, 
regardant  que  j'eslois  très  petitement  bénéficié,  m'a  donné  chascun 
an  bonne  et  grande  pension  pour  moi  aidera  tenir  aux  escoles;  de 
laquelle  pension  j'ai  trouvé  une  grand'partie  de  mes  dépens  et 
trouverai  encore,  s'il  lui  plaît  de  sa  grâce.  »  (Monstrelet,  t.  I, 
p.  245.) 

105  —  page  139  —  II  établissait  qu'il  était  méritoire  de  tuer 
un  tyran. 

Bien  entendu  qu'il  ne  faut  pas  chercher  dans  le  discours  de  Jean 
Petit  un  sérieux  examen  de  ce  prétendu  droit  de  tuer. 

Qui  a  droit  de  tuer?  Que  la  société  Tait  elle-même  (qu'elle  doive 
du  moins  l'exercer  toujours),  cela  est  fort  contestable.  Dieu  a  dit  : 
Non  occides.  Caïn  qui  a  tué  son  frère,  Dieu  ne  le  tue  point;  il  le 
marque  au  front.  —  La  société  ne  doit-elle  pas  au  moins  tuer  pour 
son  salut?  Ceci  mène  loin.  Cléon  affirme,  dans  Thucydide, 
qu'Athènes  doit,  pour  son  salut,  tuer  tout  un  peuple,  celui  de 
Lesbos.  —  En  admettant  que  la  société  ait  droit  de  tuer,  un  indi- 
vidu peut-il  jamais  se  charger  de  tuer  pour  elle,  se  faire  juge  du 
meurtre,  juge  et  bourreau  à  la  fois?  —  Tuer  un  tyran.  Mais 
qu'est-ce  qui  a  vu  un  tyran?  qui  jamais,  dans  le  monde  moderne, 
a  rencontré  cette  bête  horrible  de  la  cité  antique?  C'est  un  être 
disparu,  tout  autant  que  certains  fossiles.  Quel  souverain  des  temps 
modernes  (sauf  peut-être  un  Eccelino,  un  Ali,  un  Djezzar)  a  pu 
rappeler  le  tyran  de  l'antiquité?  ce  monstre  qui  supprimait  la  loi 
dans  une  ville,  sous  lequel  il  n'y  avait  plus  rien  de  sûr,  ni  la 
propriété,  ni  la  famille,  ni  la  pudeur,  ni  la  vie?  (Note  de  1840.) 

106  —  page  140  —  «  le  duc  d'Orléans  était  sorcier  »... 

M.  Buchon  dit  que  le  détail  des  maléfices  du  duc  d'Orléans, 
toujours  omis  dans  les  éditions  antérieures  de  Monstrelet,  ne  se 
trouve  que  dans  le  ms.  8347.  Le  ms.  du  Roi  10319,  ms.  du  com- 
mencement du  quinzième  siècle,  est  précédé  d'une  miniature  enlu- 
minée qui  représente  un  loup  cherchant  à  couper  une  couronne 
surmontée  d'une  fleur  de  lis,  tandis  qu'un  lion  l'effraye  et  le  fait 
fuir.  Au  bas,  on  lit  ces  quatre  vers  : 

Par  force  le  leu  rompt  et  tire 
A  ses  dents  et  gris  la  couronne, 
Et  le  lion  par  très  grand  ire 
De  sa  pâte  grant  coup  lui  donne. 

(Buchon,  édit.  de  Monstrelet,  t.  I,  p.  302.) 


APPENDICE  381 

107  —  page  143  —  L'Université,  le  clergé,  allèrent 
dépendre,  etc. 

«  Ce  dit  jour  ont  esté  despenduz  deux  exécutez  au  gibet,  qui  se 
disoient  clercs  et  escoliers  de  l'Université  de  Paris,  et  au  despendre 
a  eu,  comme  len  dit,  plus  de  XL  mille  personnes  au  gibet,  et  ont 
esté  ramenez  en  deux  sarqueux,  à  grant  compaignie  et  grans  pro- 
cessions des  églises  et  de  l'Université,  sonnans  toutes  les  cloches 
des  églises,  jusques  au  parviz  de  N.  D.,  entre  X  et  XI  heures, 
couverts  de  toile  noire,  et  rendus  à  lévesque  de  Paris  par  certaine 
forme  et  manière,  et  depuiz  portez  ou  menez  à  Saint-Maturin  où 
ont  esté  inhumez,  comme  len  dit,  et  ce  fait  par  ordonnance  royal.  » 
16  mai  1408.  (Archives,  Registres  du  Parlement,  Plaidoiries, 
Matinée  VI,  folio  93,  et  Conseil,  vol.  XIII,  folio  26.) 

108  — page  143  —  Deux  messagers  de  Benoît  XIII  avaient 
apporté  des  bulles  menaçantes... 

«  A  esté  présentée  au  roy,  dès  lundi,  comme  len  disoit,  une 
bulle  par  laquelle  le  pape  Benedict,  qui  est  lun  des  contendens  du 
papat,  excommunie  le  roy  et  messires  ses  parents  et  adhérens.  Et 
qu'il  en  avendra  ?  Diex  y  pourvoie  !  »  (Archives,  Registres  du  Par- 
lement, Conseil,  XIII,  folio  27.) 

109  —  page  144 —  Ces  scolastiques,  étrangers  aux  lois,  aux 
hommes  et  aux  affaires,  etc. 

«  Theologi  atque  artistae,  in  disputationibus  magis  quam  proces- 
sibus  experti...  Unde  inter  eos  atque  in  jure  peritos  pluries  orta 
verbalis  discordia.  »  (Religieux,  ms.,  folio  565.) 

110  —  page  146  —  Les  deux  messagers  du  pape  fureyit 
traînés  par  les  rues,  etc. 

«  Au  jour  dui  entre  10  et  11  heures  les  prélas  et  clergie  de 
France  assemblé  au  Palaiz,  sur  le  fait  de  l'Eglise,  ont  esté  amenez 
maistre  Sanceloup,  nez  du  pair  Darragon,  et  un  chevaucheur  du 
pape  Benedict  qui  fu  devers  nez  de  Castelle,  en  2  tumbereaux, 
chascun  deulx  vestuz  dune  tunique  de  toille  peincte,  où  estoit  en 
brief  effigiée  la  manière  de  la  présentation  des  mauveses  bulles 
dont  est  mention  le  21  de  may  ci-dessus,  et  les  armes  du  dict 
Benedict  renversées  et  autres  choses,  et  mittrez  de  papier  sur  leurs 
têtes,  où  avoit  escriptures  du  fait,  depuis  le  Louvre  où  estoient 
prisonniers,  avec  plusieurs  autres  de  ce  royaume,  prélas  et  autres 
gens  déglise,  qui  avoient  favorisé  aux  dictes  bulles,  comme  len  dit, 
jusques  en  la  court  du  Palaiz  en  molt  grant  compaignie  de  gens  à 


382  HISTOIRE    DE    FRANCE 

trompes,  et  là  ont  esté  eschafaudez  publiquement  et  puiz  remenez 
au  dit  Louvre  par  la  manière  dessus  dicte.  »  (Archives,  Registres 
du  Parlement,  Conseil,  XIII,  folio  39,  août  1408.) 

111  —  page  146  —  Le  parti  de  Benoit  et  d'Orléans  se  for- 
tifiait à  Liège... 

V.  les  curieux  détails  que  donne  Zanfliet  sur  la  faction  des 
Haïroit.  (Cornelii  Zanfliet  Leodiensis  monachi  Chronicon, 
ap.  Martène  Ampliss.  Coll.,  t.  V,  p.  365,  366.)  Le  Religieux  et 
Monstrelet  sont  fort  étendus  et  fort  instructifs.  Placentius  (Cata- 
logus,  etc.)  est  peu  détaillé. 

112 —  page  148  — Le  duc  de  Bourgogne  ordonna  le  mas- 
sacre des  prisonniers... 

«  Y  ont  esté  occis...  de  vingt-quatre  à  vingt-six  mille  Liégeois, 
comme  on  peut  le  savoir  par  l'estimation  de  ceux  qui  ont  vu  les 
noms  ..  Nous  avons  bien  perdu  de  soixante  à  quatre-vingt  che- 
valiers ou  écuyers.  »  (Lettre  du  duc  de  Bourgogne.)  —  V.  M.  de 
Barante,  t.  III,  p.  211-212,  3e  édition. 

113  —  page  149  —  On  savait  qu'il  avait  payé  de  sa  personne... 

«  Comment  en  décourant  de  lieu  à  autre,  sur  un  petit  cheval, 
exhorta  et  bailla  à  ses  gens  grand  courage,  et  comment  il  se 
maintint  jusques  en  la  fin,  n'est  besoin  d'en  faire  grand  décla- 
ration... Oncques  de  son  corps  sang  ne  fut  trait  pour  icelui  jour, 
combien  qu'il  fut  plusieurs  fois  travaillé.  »  (Monstrelet,  t.  II,  p.  17.) 

114 —  page  149  —  La  reine  et  les  princes  étaient  revenus  à 
Paris... 

«  Dimanche  26  août  1408...  Entrèrent  à  Paris  et  vindrent  de 
Meleun  la  royne  et  le  dauphin  accompaignés,  environ  quatre 
heures  après  disner,  des  ducs  de  Berri,  de  Bretoigne,  de  Bourbon, 
et  plusieurs  autres  contes  et  seigneurs  et  grant  multitude  de  gens 
darmes  et  alèrent  parmi  la  ville  loger  au  Louvre. —  Mardi  28  août... 
Ce  dict  jour  entra  à  Paris  la  duchesse  Dorléans,  mère  du  duc  Dor- 
léans  qui  à  présent  est,  et  la  royne  d'Angleterre,  femme  du  dict 
duc,  en  une  litière  couverte  de  noir  à  quatre  chevaux  couverts  de 
draps  noirs,  à  heure  de  vespres,  accompaignée  de  plusieurs  cha- 
riots noirs  pleins  de  dames  et  de  femmes,  et  de  plusieurs  ducs  et 
contes  et  gens  darmes.  »  (Archives,  Registres  du  Parlement, 
Conseil,  vol.  XIII,  fol.  40-41.)  —  Les  princes  s'accordèrent  pour 
déférer,  dans  cet  intervalle,  un  pouvoir  nominal  à  la  reine  et  au 


APPENDICE  383 

dauphin  :  «  Ce  Ve  jour  (5  septembre  1408)  furent  tous  les  seigneurs 
de  céans  au  Louvre  en  la  grant  sale,  où  estoient  en  personne  la 
royne,  le  duc  de  Guienne,  etc.  (Suit  une  longue  série  de  noms)... 
en  la  présence  desquelz...  fu  publiée  par  la  bouche  de  maistre  Jeh. 
Jouvenel,  advocat  du  roy,  la  puissance  octroiée  et  commise  par  le 
roy  à  la  royne  et  audil  mons.  de  Guienne  sur  le  gouvernement  du 
royaume,  le  roy  empeschié  ou  absent.  »  [Archives,  ibid.,  Conseil, 
vol.  XIII,  fol.  42,  verso.) 

115  —  page  154  —  Brisé  qu'il  élait  par  la  torture,  Montaigu 
affirmait... 

«  Affirmasse  quod  tormentorum  violentia  (qua  et  manus  dislo- 
catas  et  se  ruptum  circa  pudenta  monstrabat)  illa  confessus  fuerat, 
nec  in  aliquo  culpabilem  ducem  Aurelianensem  nec  se  etiam  red- 
debat  nisi  in  pecuniarum  regiarum  nimia  consumptione.  »  (Reli- 
gieux, ms.,  folio  633.) 

116  —  page  156  —  Ce  conseil  interdit  la  chambre  des 
Comples... 

«  Et  qui  a  longo  tempore,  D.  Camerse  computorum  segre 
ferentes  quod  Rex  manu  prodiga  pecunias  multis  etiam  indignis 
consueverat  largiri,  dona  in  scriplis  redigebant,  addentes  in  mar- 
gine  Recuperetur,  Nimis  habuit;  statutum  est  ut  registrum 
prœsidentibus  traderetur,  qui  quod  nimium  fuerat  ab  ipsis  aut 
eorum  haeredibus  usque  ad  ultimum  quadrantem,  cessante  omni 
appellatione,  extorquèrent.  Omnes  etiam  Dominos  Caméras  compu- 
torum deposuerunt,  uno  duntaxat  excepto  qui  vices  suppleret 
omnium,  donec...  »  (Religieux,  ms.,  folio  639.)  —  Voir  aussi 
Ordonnances,  t.  IX,  p.  468  et  seq. 

117  —  page  157  —  Cet  argent  s'était  écoulé  sans  qu'on  sût 
comment... 

Au  milieu  de  cette  détresse,  nous  trouvons,  entre  autres  dépenses, 
un  mandement  de  Charles  VI  pour  le  payement  de  ses  veneurs. 
L'acte  est  rédigé  dans  des  termes  très  impératifs  et  très-rigoureux. 
A  la  suite  de  la  signature  du  roi  viennent  ces  mots  :  «  Garde  qu'en 
se  n'ait  faute.  »  (Bibliothèque  royale,  mss.,  Fontanieu  107-108, 
ann.  1410,  9  juillet.)  —  «  Pour  une  paire  d'heures,  données  par  le 
roi  à  la  duchesse  de  Bourgogne,  600  écus.  »  (Ibid.,  109-110, 
ann.  1413.) 

118  —  page  160  —  Le  chancelier  de  Notre-Dame  s'emporta 
jusqu'à  dire... 

«  Nec   reges   digne   vocari,  si  exactionibus   injustis  opprimant 


384  HISTOIRE    DE    FRANCE 

populum  suum,  sed  quod  eos  deposilione  dignos  possint  rationabi- 
liter  repulare,  in  annalibus  antiquis  possunt  de  multis  légère.  » 
(Religieux,  ras.,  fol.  675,  verso.) 

119  —  page  162,  noie  —  Dans  une  de  ces  alarmes,  etc. 

«  Ce  dict  jour,  pour  ce  que  le  Roy  noire  Sire,  accompaigné  de 
molt  de  princes,  barons  et  chevaliers  et  grant  nombre  de  gens 
darmes,  estoit  venu  loger  au  Palaiz,  et  pour  les  gens  darmes 
estoient  pleins  les  hostelz  tans  de  la  Cité  que  du  cloislre  de  Paris,  et 
par  tout  oultre  les  pons  par  devers  la  place  Maubert,  sans  dis- 
tinction, hors  les  seigneurs  de  céans  pour  lesquels  a  esté  ordené 
comme  a  dit  en  la  chambre  le  prévost  de  Paris,  que  en  leurs 
hostelz  len  ne  se  logera  pas,  et  que  en  telz  cas  aventure  seroit  que 
les  chambellans  du  Roy  notre  dit  sire  ne  preissent  les  tournelles  de 
céans,  esquelles  a  procès  sans  nombre  qui  seroient  en  aventure 
destre  embroillez,  fouillez,  et  adirez  et  perdus,  qui  seroit  dommage 
inestimable  à  tous  de  quelque  estât  que  soit  de  ce  royaume;  j'ay 
fait  murer  l'uiz  de  ma  tournelle,  afin  que  len  ne  y  entre,  car  :  In 
armigero  vix  potest  vigere  ratio.  »  —  Le  greffier  a  dessiné  un 
soldat  sur  la  marge.  (Archives,  Registres  du  Parlement,  Conseil, 
XIII,  folio  131,  verso,  16  septembre  1410.) 

120  —  page  163  —  Dans  les  vraies  usances  bretonnes,  le 
foyer  restait  au  plus  jeune... 

Origines  du  droit,  page  63:  U sèment  de  Rohan:«  En  succession 
directe  de  père  et  de  mère,  le  fils  juveigneur  et  dernier  né  desdits 
tenanciers  succède  au  tout  de  ladite  tenue  et  en  exclut  les  autres, 
soient  fils  ou  filles.  »  —  Art.  22  :  «  Le  fils  juveigneur,  auquel  seul 
appartient  la  tenue,  comme  dit  est,  doit  loger  ses  frères  et  sœurs 
jusques  à  ce  qu'ils  soient  mariés;  et  d'autant  qu'ils  seroient 
mineurs  d'ans,  doivent  les  frères  et  sœurs  estre  mariés  et  entre- 
tenus sur  le  bail  et  profit  de  la  tenue  pendant  leur  minorité;  et 
estant  les  frères  et  sœurs  mariés,  le  juveigneur  peut  les  expulser 
tous.  »  (Coutumier  général.)  —  Cette  loi  me  semble  conforme  à 
l'esprit  d'un  peuple  navigateur  et  guerrier  qui  veut  forcer  les  aînés, 
déjà  grands  et  capables  d'agir,  à  chercher  fortune  au  loin.  —  Voir 
ibid.,  sur  le  droit  d'aînesse. 

121  —  page  167—  Les  Armagnacs  poussaient  la  guerre  avec 
une  violence  inconnue  jusque-là,  etc. 

Vaissette,  Hist.  du  Languedoc,  t.  IV,  p.  282.  Néanmoins  ils 
conservaient  toujours  des  liaisons  avec  les  Anglais.  Le  Parlement 


APPENDICE  385 

leur  fait  un  procès  en  1395,  à  ce  sujet.  (Archives,  Registres  du 
Parlement,  Arrêts,  XI,  ann.  1395.) 

122  —  page  169  —  La  légèreté  impie  des  Armagnacs... 

Cette  légèreté  méridionale  est  sensible  dans  les  proverbes,  parti- 
culièrement dans  ceux  des  Béarnais;  plusieurs  sont  fort  irrévé- 
rencieux pour  la  noblesse  et  pour  l'Eglise  : 

Habillât  ù  bastou, 
Qu'aura  l'air  du  barou. 

Habillez  un  bâton,  il  aura  l'air  d'un  baron. 

Las  sourcières  et  lous  loubs-garous 
Aiïs  cures  han  minya  capous. 

Les  sorcières  et  les  loups-garous  font  manger  des  chapons  aux 
curés,  etc.,  etc.  (Collection  de  Proverbes  béarnais,  ms.,  commu- 
niquée par  MM.  Picot  et  Badé,  de  Pau.) 

123  —  page  170  —  Les  Armagnacs  a  Saint-Denis... 

Les  Parisiens  croyaient  néanmoins,  et  non  sans  apparence,  que 
les  moines  étaient  favorables  au  parti  d'Orléans.  Le  bruit  même 
courut  à  Paris  que  le  duc  d'Orléans  s'était  fait  couronner  roi  de 
France  dans  l'abbaye  de  Saint-Denis.  (Religieux,  ms.,  f.  701,  verso.) 

124  —  page  172  —  Le  duc  de  Bourgogne  avait  fait  publier  à 
grand  bruit  dans  Paris,  etc. 

«  Indeque  rabies  popularis  sic  exarsit,  ut  omnes  utriusque  sexus 
absque  erubescentise  vélo  ducibus  publiée  maledicentes,  orarent  ut 
cum  Juda  proditore  selernam  perciperent  portionem.  »  (Religieux, 
ms.,  folio  734.) 

125  —  page  174  —  Les  fréquents  appels  à  V opinion  publique 
que  font  les  partis... 

Le  plus  important  peut-être  de  ces  manifestes  est  celui  que  le 
duc  de  Bourgogne  publia  au  nom  du  roi,  le  13  février  1412.  Il  y 
demandait  une  aide  à  la  langue  d'oil  et  à  la  langue  d'oc,  et  en 
confiait  la  perception  à  un  bourgeois  de  Paris.  Préalablement  il  y 
fait  une  longue  histoire  apologétique  des  démêlés  de  la  maison  de 
Bourgogne  avec  celle  d'Orléans.  Il  y  flatte  Paris;  il  entre  dans  le 
ressentiment  du  peuple  contre  les  excès  des  gens  d'armes  du  parti 
d'Orléans.  Il  fait  dire  au  roi  :  «  Nous  feusmes  deuement  et  souffi- 
samment  informés  qu'ils  tendoient  à  débouter  du  tout  Nous  et 
t.  îv.  25 


336  HISTOIRE    DE    FRANCE 

notre  génération  de  notre  royaume  et  seigneurie.  »  (Bibl. 
royale,  mss.,  Fontanieu,  109-110,  ann.  1412,  13  février,  d'après  un 
Vidimus  de  la  vicomte  de  Rouen.) 

126 —  page  175  —  Au  front  de  la  cathédrale  de  Chartres,  on 
sculpte  la  figure  de  la  Liberté... 

Voir  le  curieux  rapport  de  M.  Didron,  dans  le  Journal  de 
V instruction  publique,  1839. 

127  —  page  178,  note  —  Clèmengis  implore  Vintervention  du 
Parlement... 

«  0  clarissimi  prsesides  regiorum  tribunalium,  cselerique  celeber- 
rimi  judices,  qui  illam  egregiam  Curiam  illustratis,  expergiscimini 
tandem  aliquando,  et  regni  non  dico  statuai,  quia  non  stat,  sed 
miserabilem  lapsum  aspicite...  (Le  juge  doit  comme  le  médecin) 
non  tantum  morbis  cum  exorti  fuerint  subvenire,  sed  praestantiori 
etiam  cum  gloria,  salubri  an  te  praeservatione,  ne  oriantur  prospi- 
cere.  »  (Nie.  Clemeng.  Epistol.,  t.  II,  p.  284.) 

128  —  page  180  —  Ce  long  travail  de  la  transformation  du 
droit... 

Il  est  curieux  d'observer  le  commencement  de  ce  grand  travail 
dans  les  registres  dits  olim.  On  y  trouve  déjà  des  détails  curieux 
sur  la  jfrocédure.  Deux  employés  des  Archives,  MM.  Dessalles  et 
Duclos,  en  préparent  la  publication  sous  la  direction  de  M.  le 
comte  Beugnot.  Voir  subsidiairement  les  notices  de  MM.  Klim- 
rath,  Taillandier  et  Beugnot,  sur  nos  anciens  livres  de  droit  et 
sur  l'immense  collection  des  registres  du  Parlement.  —  Toutefois 
il  ne  faut  pas  oublier  que  ces  registres,  même  les  Olim,  que  ces 
livres,  même  ceux  du  treizième  siècle,  contiennent  moins  le 
droit  du  moyen  âge  que  la  destruction  du  droit  du  moyen  âge. 
Il  faudrait  remonter  au  droit  féodal,  au  droit  ecclèsiasique,  tels 
qu'on  les  trouve  dans  les  chartes,  dans  les  canons,  dans  les  rituels, 
dans  les  formules  et  symboles  juridiques. 

129  —  page  180  —  Le  Parlement  avait  porté  une  sentence  de 
mort  et  de  confiscation  contre  le  comte  de  Périgord... 

Il  serait  plus  exact  de  dire  :  Comte  en  Périgord.  Il  n'avait  guère 
que  la  neuvième  partie  du  département  actuel  de  la  Dordogne 
(mss.  inédits  de  M.  Dessalles  sur  l'histoire  du  Périgord).  D'après 
une  chronique  ms.  qu'a  retrouvée  M.Mérilhou,  la  chute  du  dernier 
comte  aurait  été  décidée  par  un  rapt  qu'il  essaya  de  faire  sur  la 


APPENDICE  387 

fille  d'un  consul  de  Périgueux,  pendant  une  procession.  Le  procès 
énumère  bien  d'autres  crimes.  Rien  n'est  plus  curieux  pour  faire 
connaître  les  détails  de  cette  interminable  guerre  entre  les  sei- 
gneurs et  les  gens  du  roi.  Le  principal  grief  c'est  que,  à  en  croire 
l'accusation,  le  comte  disait  qu'il  voulait  être  roi  et  agissait  comme 
tel  :  «  Jactabat  palam  et  publiée  fore  se  regem...,  certumque 
judicem  pro  appellationibus  decidendis...  constituerai...  a  quo  non 
permittebat  ad  Nos  vel  ad...Curiam  appellare.  »  [Archives,  Regis- 
tres du  Parlement,  Arrêts  criminels,  reg.  XI,  ann.  1389-1396.) 

130 —  page  183  —  La  plupart  des  collèges,  etc. 
Du  Boulay  donne  tout  au  long  les  constitutions  de  ces  collèges, 
t.  IV  et  V. 

131  — page  185  —  Les  Carmes  voulaient  remonter  plus  haut 
que  le  christianisme... 

Cette  prétention  produisit  au  dix-septième  siècle  une  vive  polé- 
mique entre  les  Carmes  et  les  Jésuites.  Ceux-ci,  qui  n'aimaient 
guère  plus  la  poésie  du  moyen  âge  que  la  philosophie  moderne, 
attaquèrent  durement  l'histoire  d'Élie;  ils  prirent  une  massue  de 
science  et  de  critique  pour  écraser  la  frêle  légende.  Les  Carmes,  en 
représailles,  firent  proscrire  en  Espagne  les  Acta  des  Bollandistes. 
(Héliot,  Histoire  des  Ordres  monastiques,  t.  I,  p.  305-310.) 

132  —  page  185   —  La  remontrance  de  l'Université  au  roi... 
Le    passage  le    plus  important  est    celui   où   l'on  compare  les 

dépenses  de  la  maison  royale  à  des  époques  différentes  :  «  Ad  pris- 
corum  regum,  reginarum  ac  liberorum  suorum  continuendum 
statum  magnifîcum  et  quotidianas  expensiones  94,000  francorum 
auri  abunde  sufficiebant,  indeque  creditores  débite  contentabantur  ; 
quod  utique  modo  non  fît,  quamvis  ad  praedictos  usus  450,000 
annuatim  recipiant.  »  (Religieux,  ras.,  folio  761.) 

133  —  page  187  — Les  maîtres  bouchers... 

Cette  antique  corporation  ne  fit  pas  inscrire  ses  règlements  parmi 
ceux  des  autres  métiers,  lorsque  le  prévôt  Éti-enne  Boileau  les 
recueillit  sous  saint  Louis.  Sans  doute  les  bouchers  aimèrent  mieux 
s'en  fier  à  la  tradition,  à  la  notoriété  publique,  et  à  la  crainte  qu'ils 
inspiraient.  V.  M.  Depping.  Introd.  aux  Règlements  d'Et.  Boi- 
leau, p.  LVI;  et  Lamare,  Traité  de  la  police,  t.  II,  liv.  V,  lit.  XX. 

134  —  page  187  —  Ces  ètaux  passaient,  comme  des  fiefs, 
d'hoir  en  hoir,  etc. 

Félibien,  t.  II,  p.  753.  Sauvai,  t.  I,  634,  642.  V.  aussi  les  Ordon- 


388  HISTOIRE    DE    FRANCE 

nances,  2^ass^m-  L'une  des  plus  curieuses  est  celle  qui  fixe  la  rede- 
vance de  chaque  nouveau  boucher  envers  le  cellérier  et  le  con- 
cierge «  de  la  Court-le-Roy  »  (du  Parlement).  [Ordonnances, 
t.  VI,  p.  597,  ann.  1381.) 

135 —  page  188  —  Le  boucher  Alain  y  achète  une  lucarne 
pour  voir  la  messe  de  chez  lui... 

«  Une  vue  de  deux  doigts  de  long  sur  deux  de  large.  »  (Vilain, 
Histoire  de  Saint-J  acques-la-Boucherie,  p.  54,  ann.  1388,  1405.) 

136  —  page  189  —  Leur  crainte  était  que  le  dauphin  ne  res- 
semblât à  sonpère... 

«  Si  ab  aliquo  prsepotente  (ut  publiée  ferebatur)  inducli  ad  hoc 
fuerint  tune  non  habui  pro  comperto  ;  eos  tamen  non  ignoro  ducis 
Guyennse  nocturnas  et  indécentes  vigilias,  ejus  commessationes  et 
modum  inordinatum  vivendi  molestissime  tulisse,  timentes,  sicut 
dicebant,  ne  infirmitatem  paternae  similem  incurreret  in  dedecus 
regni.  »  (Religieux,  ms.,  folio  778.) 

137  —  page  192  —  L'hygiène  appliquée  à  la  politique,  etc. 

V.  le  sermon  de  Gerson  sur  la  santé  corporelle  et  spirituelle  du 
roi,  et  la  lettre  de  Clémengis,  intitulée  :  «  De  politise  Gallicanae 
œgritudine,  per  metaphoram  corporis  humani  lapsi  et  consumpti. 
(Nie.  Clemeng.  Epist.,  t.  II,  p.  300.)  Ces  comparaisons  abondent 
encore  au  dix-septième  siècle,  et  jusque  dans  les  préfaces  de 
Corneille. 

138  —  page  195  —  Les  Gantais  voulurent  garder  le  fils  du 
duc  de  Bourgogne... 

Ce  fait  si  important  ne  se  trouve  que  dans  le  Religieux.  Les  his- 
toriens du  parti  bourguignon,  Monstrelet,  Meyer,  n'en  disent  rien. 
Meyer  passe  sur  tout  cela  comme  sur  des  charbons. —  Ce  fut  Paris 
qui  s'entremit  en  cette  affaire  pour  ceux  de  Gand  :  «  Regali  con- 
silio  (prsepositi  mjercatorum  et  scabinorum  Parisiensium  validis 
precibus)  ut  Dominus  Cornes  de  Charolois,  primogenitus  ducis 
Burgundise,  cum  uxore  sua,  filia  Régis,  in  Flandriam  duceretur  .., 
Gandavensium  burgenses  obtinuerunt.  »  (Religieux,  ms.,  723 
verso.) 

139  —  page  197  —  Les  Universitaires  se  réunirent  au  cou- 
vent des  Carmes... 

Lisez  cette  grande  scène  dans  Juvénal  des  Ursins,  p.  251-252. 


APPENDICE  389 

Cet  historien  médiocre,  qui  semble  ordinairement  se  contenter 
d'abréger  le  Religieux,  présente  cependant  de  plus  quelques  détails 
importants  qu'il  avait  appris  de  son  père. 

140  —  page  198  —  Le  seul  Pavilly  s'obstina,  etc. 

Juvénal  affirme,  avec  une  légèreté  malveillante,  que  le  Carme 
tirait  de  l'argent  de  tout  cela.  Quelqu'un,  dit-il,  parla  pour  sauver 
Desessaits  qui  était  au  Châtelet,  en  grand  danger  :  «  Mais  le  dit  de 
Pavilly  qui  tendoit  fort  au  profit  de  sa  bourse,  el  s'intéressoit  fort 
avec  les  Gois,  Saintyous  et  leurs  alliez,  voulust  montrer  que  la 
prise  des  personnes  estoit  dûment  faite  et  qu'il  falloit  ordonner 
commissaires  pour  faire  leur  procès.  »  (Juvénal  desUrsins,  p.  252.) 

141  —  page  199  —  «  Il  y  a  de  mauvaises  herbes  au  jardin  de 
la  reine  »... 

Jean  de  Troyes  avait  déjà  employé  la  même  métaphore  :  «  Era- 
dicentur  herbae  malse,  ne  impediant  florem  juventutis  vestrae  vir- 
tutum  fructus  odoriferos  producere.  »  (Religieux,  ras.,  785  verso.) 
—  Cette  poésie  de  jardinage  plaisait  fort  au  peuple  des  villes, 
toujours  enfermé,  et  d'autant  plus  amoureux  de  la  campagne  qu'il 
ne  voyait  pas.  On  la  retrouve  partout  dans  lesMeistersaengers,  dans 
Hans  Sachs,   etc.  Il  est  vrai  qu'elle  n'y  est  pas  mise  à  l'usage  du 


142  —  page  201  —  Sauf  quelques  articles  trop  minutieux  et 
d'une  rédaction  enfantine,  etc. 

V.  l'article  sur  «  Nostre  bonne  couronne  desmembrée,  et  les 
flourons  d'icelle  baillez  en  goige...  »  (Ordonnances,  t.  X,  p.  92); 
et  l'article  sur  les  aides  de  guerre,  dont  l'argent  sera  serré  «  en 
un  gros  coffre,  qui  sera  mis  en  la  grosse  tour  de  Nostre  Palais  ou 
ailleurs  en  lieu  sûr  et  secret,  ouquel  coffre  aura  trois  clefs...  » 
[Ibid.,  p.  96.) 

143  —  page  207  —  Jean  Courtecuisse,  célèbre  docteur  de 
V Université,  prêcha  sur  V excellence  de  V ordonnance... 

Du  Boulay  rapporte  à  tort  ce  sermon  à  l'année  1403.  Cependant 
le  titre  qu'il  lui  donne  lui-même  devait  l'avertir  qu'il  est  de  1413. 
Aura-t-il  craint,  pour  l'honneur  de  l'Université,  d'avouer  les  liai- 
sons d'un  de  ses  plus  grands  docteurs  avec  les  Cabochiens? 

144  —  page  208  —  Ils  commencèrent  le  pont  Notre-Dame... 

«  Cedit  jour  fut  nommé  le  pont  de  la  Planche  de  Mibray  le  Pont 


390  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Nostre-Dame,  et  le  nomma  le  roi  de  France  Charles,  et  frappa  de 
la  trie  sur  le  premier  pieu,  et  le  duc  de  Guienne,  son  fils,  après,  et 
le  duc  de  Berry,  et  le  duc  de  Bourgogne,  et  le  sire  de  la  Tré- 
mouille.  »  (Journal  du  Bourgeois  de  Paris,  10  mai  1413, 
éd.  Buchon,  t.  XV,  p.  182.) 

145  —  page  211  —  La  religion  de  la  royauté  était  encore 
entière  et  le  fut  longtemps... 

Voyez  si  longtemps  après  l'extrême  timidité  du  chef  de  la 
Fronde.  Il  eut  peur  des  États  généraux  (Retz,  livre  II),  peur  de 
l'union  des  villes  (livre  III)  :  «  J'en  eus  scrupule  »,  dit-il.  Il  eut 
peur  encore  de  se  lier  avec  Cromwell.  Mazarin,  tout  en  défendant 
l'autorité  royale  qui  était  la  sienne,  avait  apparemment  moins  de 
scrupule,  s'il  est  vrai  qu'après  la  mort  de  Charles  Ie'  il  ait  dit  dans 
sa  prononciation  italienne  :  «  Ce  M.  de  Cromwell  est  né  houroux 
(heureux).  » 

146  —  page  211  —  L'avocat  général  Juvénal... 

Voyez  au  Musée  de  Versailles  la  longue  et  piteuse  figure  de 
Juvénal,  et  la  rouge  trogne  de  son  fils  l'archevêque.  Le  père  n'en 
fut  pas  moins  un  excellent  citoyen.  Son  fils  rapporte  un  trait  admi- 
rable de  sa  fermeté  à  l'égard  du  duc  de  Bourgogne,  p.  222? 
note  2. 

147 —  page  213  —  Le  cliarpenlier  Guillaume  Cirasse... 

V.  les  armoiries  de  Guillaume  Cirasse,  dans  le  Recueil  des 
armoiries  des  prévôts  et  échevins  de  Paris  (exemplaire  colorié  à  la 
Bibl.  du  cabinet  du  roi,  au  Louvre). 

148  —  page  215,  note  2  —  Le  roi  désirait  fort  traiter,  etc. 

Un  grand  seigneur  vient  trouver  le  roi  au  matin  pour  l'animer 
contre  les  Bourguignons.  «  Le  roy  estant  en  son  lict,  ne  dormoit 
pas  et  parloit  en  s'esbatant  avec  un  de  ses  valets  de  chambre,  en 
soy  farsant  et  divertissant.  Et  ledit  seigneur  vint  prendre  par 
dessous  la  couverture  le  roy  tout  doucement  par  le  pied,  en  disant: 
Monseigneur,  vous  ne  dormez  pas?  Non,  beau  cousin,  lui  dit  le 
roy,  vous  soyez  le  bien  venu,  voulez-vous  rien?  y  a  t'il  aucune 
chose  de  nouveau?  Nenny,  Monseigneur,  luy  respondit-il,  sinon 
que  vos  gens  qui  sont  en  ce  siège,  disent  que  tel  jour  qu'il  vous 
plaira,  verrez  assaillir  la  ville,  où  sont  vos  ennemis  et  ont 
espérance  d'y  entrer.  Lors  le  roi  dit  que  son  cousin  le  duc  de 
Bourgogne  vouloit  venir  à  raison,  et  mettre  la  ville  en  sa  main, 
sans  assaut,  et  qu'il  falloit  avoir  paix.  A  quoy  ledit  seigneur  res- 


APPENDICE  391 

pondit  :  Comment,  Monseigneur,  voulez-vous  avoir  paix  avec  ce 
mauvais,  faux,  traistre  et  desloyal,  qui  si  faussement  et  mauvai- 
sement  a  faict  tuer  vostre  frère?  Lors  le  roy,  aucunement  des- 
plaisant, luy  dit  :  Du  consentement  de  beau  fils  d'Orléans,  tout  lui 
a  esté  pardonné.  Hélas!  Sire,  répliqua  ledit  seigneur,  vous  ne  le 
verrez  jamais  vostre  frère...  Mais  le  roy  lui  respondit  assez  chau- 
dement :  Beau  cousin,  allez-vous-en;  je  le  verray  au  jour  du 
Jugement.  »  (Juvénal,  p.  2-3.) 

149  —  page  217  —  Dès  qu'il  s'agit  de  V Église,  Gerson  est 
républicain... 

V.  les  œuvres  de  Gerson  (éd.  Du  Pin),  surtout  au  tome  IV,  et  les 
travaux  estimables  de  MM.  Faugère,  Schmidt  et  Thomassy.  Je 
parlerai  ailleurs  de  ceux  de  MM.  Gence,  Gregori,  Daunou,  Oné- 
syme  Leroy,  et  en  général  des  écrivains  qui  ont  débattu  la  question 
de  Vlmitation. 

150  —  page  221  —  V augmentation  des  dépenses  tenait  à 
Vavillissement  progressif  du  prix  de  Vargent... 

Clémengis  s'étonne  de  ce  qu'un  monastère  qui  nourrissait  primi- 
tivement cent  moines  n'en  nourrit  plus  que  dix  (p.  19).  Qui  ne  sait 
combien  en  deux  ou  trois  siècles  changent  et  le  prix  des  choses  et, 
le  nombre  de  celles  qu'on  juge  nécessaires?  Pour  ne  parler  que 
d'un  siècle,  quelle  grande  maison  pourrait  être  défrayée  aujour- 
d'hui d'après  le  calcul  que  madame  de  Maintenon  fait  pour  celle  de 
son  frère?  Voir,  entre  autres  ouvrages,  une  brochure  de  M.  le 
comte  d'Hauterive  :  Faits  et  observations  sur  la  dépense  d'une 
des  grandes  administrations  etc.;  deux  autres  brochures  de 
M.  Eckard:  Dépenses  effectives  de  Louis  XIV  en  bâtiments  au 
cours  du  temps  des  travaux  de  leur  évaluation,  etc.,  etc. 

151  —  page  222  —  Clémengis...  d'Ailly... 

Je  ne  veux  pas  contester  le  mérite  réel  de  ces  deux  personnages 
qui  furent  tout  à  Ja  fois  d'éminents  docteurs  et  des  hommes  d'ac- 
tion. D'Ailly  fut  l'une  des  gloires  de  la  grande  école  gallicane  du 
collège  de  Navarre;  il  y  forma  Clémengis  et  Gerson.  Clémengis  est 
un  bon  écrivain  polémique,  mordant,  amusant,  salé  (comme  aurait 
dit  Saint-Simon).  V.  le  tableau  qu'il  fait  de  la  servilité  du  pape 
d'Avignon,  dans  le  livre  de  la  Corruption  de  VÉglise  (p.  26).  La 
conclusion  du  livre  est  très  éloquente.  C'est  une  apostrophe  au 
Christ;  les  protestants  peuvent  y  voir  une  prophétie  de  la  Réforme  : 
«  Si  tuam  vineam  labruscis  senticosisque  virgultis  palmites  suffo- 


392  HISTOIRE    DE    FRANCE 

cantibus  obseptam,  infructiferam,  vis  ad  naturam  reducere,  quis 
melior  modus  id  agendi,  quam  inutiles  stirpes  eam  sterilem  effi- 
cientes quœ  falcibus  ampulatae  pullulant,  radicitus  evellere, 
vineamque  ipsam  aliis  agricolis  locatam  novis  rursum  autiferacibus 
et  fructiferis  palmitibus  inserere?...  Haec  non  nisi  exigua  sunt 
dolorum  initia  et  suavia  quœdam  eorum  qua3  supersunt  prœludia. 
Sed  tempus  erat,  ut  porlum,  ingruenle  jam  tempestate,  pete- 
remus,  nostrseque  in  his  periculis  saluti  consuleremus,  ne  tanta 
procellarum  vis,  quae  laceram  Pétri  naviculam  validiori  turbinis 
impulsu,  quam  ullo  alias  tempore  concussura  est,  in  mediis  nos 
fluctibus,  cura  his  qui  merito  naufragio  perituri  sunt,  absorbeat.  » 
(Nie.  Clemeng.  De  corrupto  Ecclesiee  statu,  t.  I,  p.  28.) 

152  —  page  223  —  ...  le  piquant  réquisitoire  du  concile  contre 
les  deux  papes  rèfractaires.., 

Concilium  Pisanum,  ap.  Concil.,  éd.Labbe  et  Cossarl,  1671; 
t.  XI,  pars  II,  p.  2172  et  seq. 

153  —  page  224  —  Ces  ennemis  acharnés  s'entendaient  au 
fond  à  merveille... 

«  Habentes  faciès  di versas...,  sed  caudas  habent  ad  invicem  col- 
ligatas,  ut  de  vanitate  conveniant.  »  (Ibid.,  p.  2183.)  —  «  ...  Vo- 
lebat  unum  pedem  tenere  in  aqua  et  alium  in  terra.  »  (Ibid., 
p.  2184.) 

154  _  page  225  —  Lorsque  Valla  élevait  les  premiers  doutes 
sur  Vauthenticité  des  décrétâtes... 

Non  seulement  Valla,  mais  Gerson,  dans  son  épître  De  modis 
uniendi  ac  reformandi  Ecclesiam,y.l66.  SurValla,lireun  article 
excellent  de  la  Biographie  universelle  (par  M.  Viguier),t.  XLVII, 
p.  345-353.  —  €  Des  papes  ont  permis  à  Ballerini  de  critiquer,  à 
Rome  même,  les  fausses  décrétâtes.  Pourquoi  ne  les  ont-ils  pas 
révoquées?  Pour  la  même  raison  que  les  rois  de  France  n'ont  pas 
révoqué  les  fables  politiques  relatives  aux  douze  pairs  de  Charle- 
magne,  ni  les  Empereurs  celles  qui  se  rattachent  à  l'origine  des 
cours  Weimiques,  etc.  »  Telle  est  la  réponse  de  l'ingénieux 
M.  Walter.  (Walter,  Lerhbuch  des  Kirchenrechts,  Bonn.  1829, 
p.  161.) 

155  —  page  226  —  Raymond  Lulle  pleura  aux  pieds  de  son 
Arbor,  qui  finissait  la  scolastique... 

Voir  la  curieuse  préface.  (Raymond  Lullii  Majoricensis,  illumi- 
nati  patris,  Arbor  scientise.  Lugduni,  1636,  in-4°,  p.  2  et  3.) 


APPENDICE  393 

156  —  page  226  —  ...  renouveler... 

Ce  verbe,  employé  comme  neutre,  avait  bien  plus  de  grâce.  Je 
crois  qu'on  y  reviendra.  V.  Charles  d'Orléans  (p.  48)  :  «  Tous  jours 
sa  beauté  renouvelle.  »  Et  Eustache  Deschamps  (p.  99)  :  «  De  jour 
en  jour  votre  beauté  renouvelle.  » 

157 —  page  227  —  Au  moment  où  V Anglais  allait  fondre  sur 
la  France,  etc. 

«  Licet  quis  contemnendum  esse,  quantum  ad  bella  pertinet, 
ducem  Lotharingiœ,  nec  tantis  pollere  viribus,  ut  domui  audeat 
Franciae  bellum  inferre,  non  parvus  débet  hostis  videri  quem  Deus 
excitât  et  propter  aliorum  adjuvat  facinora.  »  (Nie.  Clemengis,  t.  II, 
p.  257.)  —  On  voit  de  même  dans  les  lettres  de  Machiavel  qu'à  la 
veille  d'être  conquise  par  les  Espagnols,  l'Italie  ne  craignait  que  les 
Vénitiens.  Il  écrit  aux  magistrats  de  Florence  :  «  Vos  Seigneuries 
m'ont  toujours  dit  que  la  liberté  de  l'Italie  n'avait  à  craindre  que 
Venise.  »  (Machiavel,  Lettre  de  février  ou  mars  1508.) 

158  —  page  230  —  Sur  les  cinquante-trois  mille  fiefs  en 
Angleterre,  VÈglise  en  possédait  vingt-huit  mille... 

Turner,  The  History  of  England,  during  the  middle  âges 
(éd.  1830),  vol.  III,  p.  96.  —  On  assurait  récemment  que  le  clergé 
anglican  avait  encore  aujourd'hui  un  revenu  supérieur  à  celui  de 
tout  le  clergé  de  l'Europe.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  que  l'archevêque 
de  Cantorbéry  a  un  revenu  quinze  fois  plus  grand  que  celui  d'un 
archevêque  français,  trente  fois  plus  grand  que  celui  d'un  cardinal 
à  Rome.  (Stalistics  of  the  Church  of  England,  1836,  p.  5.) 
V.  aussi  trois  Lettres  de  Léon  Faucher  (Courrier  français,  juillet, 
août  1836). 

159  —  page  232,  note  —  Le  droit  d'aînesse  en  Angleterre... 
Le   12  avril  1836,  M.  Ewart  voulait  présenter  un  bill  statuant 

que,  au  moins  dans  les  successions  ab  intestat,  les  propriétés  fon- 
cières seraient  partagées  également  entre  les  enfants;  sir  John 
Russel  a  parlé  contre,  et  la  motion  a  été  rejetée  à  une  forte 
majorité. 

160  —  page  237  —  Shakespeare  ennemi  des  sectaires  de  tout 
âge... 

Shakespeare  a  fait  de  rares  allusions  aux  puritains  naissants, 
toutes  malveillantes.  Voir  entre  autres  celle  qui   se  trouve  dans 


394  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Twelfth  Night,  acl.  III,  scène  n.  — Quant  à  Falstaff,  j'aurai  occa- 
sion d'y  revenir. 

161  —  page  239,  note  —  L'examen  cTOldcastle  par  Varche- 
vêque  de  Cantorbéry,  etc. 

«   Dominus   Cantuariensis  gratiose  se  obtulit,  et  paratum   fore 

promisit  ad  absolvendum  eura;  sed  ille petere  noluit...  Cui  com- 

patiens  dominus  Cant.  dixit  :  Caveatis...  Unde  dominus  Cant.  sibi 
compatiens...  Cui  archiepiscopus  affabililer  et  suaviter...  Conse- 
quenter  dominus  Cant.  suavi  et  modesto  modo  rogavit...  Quibus 
dictis  dominus  Cant.  flebili  vultu  eum  alloquebatur...  Ergo,  cum 
magna  cordis  amaritudine,  processit  ad  prolationem  sententia?.  » 
(Walsingham,  p  384.)  —  Elmbam  célèbre  en  prose  et  en  vers  les 
exécutions  et  les  processions.  «  Rege  jubente...  Regia  mens 
gaudet.  »  (Turner,  vol.  III,  p.  142.) 

162  —  page  240 —  Henri  V  écrivit  aux  prélats... 

De  arraiatione  cleri  :  «  Prompti  sint  ad  resistendum  conlramali- 
tiam  inimicorum  regni,  ecclesise,  etc.  »  Rymer,  3e  éd.,  vol.  IV, 
pars  I,  p.  123;  28  mai  1415.) 

163  —  page  240  —  Il  complétait  ses  préparatifs... 

Traité  pour  avoir  des  vaisseaux  de  Hollande,  18  mars  1415. 
Presse  des  navires,  11  avril;  des  armuriers  (operariis  areuum,  etc., 
tam  intra  liber tates  quam  extra),  le  20;  presse  des  matelots, 
le  3  mai;  recherche  de  charrettes,  le  16;  achat  de  clous  et  de  fers 
de  chevaux,  le  25;  achat  de  bœufs  et  vaches,  le  4  juin;  ordre  pour 
cuire  du  pain  et  brasser  de  la  bière,  le  27  mai  ;  presse  des  maçons, 
charpentiers,  serruriers,  etc;  —  5  juin,  négociations  avec  le  Gallois 
Owen  Glendour  ;  24  juillet,  testament  du  roi;  défense  de  la  fron- 
tière d'Ecosse;  négociations  avec  l'Aragon,  avec  le  duc  de  Bre- 
tagne, avec  le  duc  de  Bourgogne,  10  août;  Bedford  nommé 
gardien  de  l'Angleterre,  11  août;  au  maire  de  Londres,  12,  etc. 
(Rymer,  t.  IV,  p.  I,  p.  109-146.) 

164  —  page  242  —  Le  roi  réunit  la  plus  forte  armée,  etc. 
Tels  sont  les  nombres  indiqués  par  Monstrelet,  t.  III,   p.  313. 

Lefebvre  dit  :  huit  cents  bâtiments.  Rien  n'est  plus  incertain  que 
les  calculs  de  ce  temps.  Lefebvre  croit  que  le  roi  de  France  avait 
deux  cent  mille  hommes  devant  Arras,  en  1414;  Monstrelet  en 
donne  cent  cinquante  mille  aux  Français  à  la  bataille  d'Azincourt. 


APPENDICE  395 

Je  crois  cependant  qu'il  a  été  mieux  instruit  sur  le  nombre  réel  de 
l'armée  anglaise  à  son  départ. 

165 —  page  246 —  Un  prêtre  anglais  nous  apprend,  etc. 

Ms.  cité  par  sir  Harris  Nicolas,  dans  son  Histoire  de  la  bataille 
d'Azincourt  (1832),  p.  129.  Ce  remarquable  opuscule  offre  toute 
l'impartialité  qu'on  devait  attendre  d'un  Anglais  judicieux,  qui 
d'ailleurs  n'a  pas  oublié  l'origine  française  de  sa  famille.  Qu'il  me 
soit  permis  de  faire  remarquer  en  passant  que  beaucoup  d'étran- 
gers distingués  descendent  de  nos  réfugiés  français  :  sir  Nicolas, 
miss Martineau,  Savigny,  Ancillon,  Michelet  de  Berlin,  etc. 

166  —  page  246  —  Tous  les  habitants  d'Harfleur  furent 
chassés  de  la  ville... 

Le  chapelain  rapporte  les  lamentations  de  ces  pauvres  gens,  et  il 
ajoute,  avec  une  bien  singulière  préoccupation  anglaise,  qu'après 
tout  ils  regrettaient  une  possession  à  laquelle  ils  n  avaient  pas 
droit  :  «  For  the  loss  of  their  accustomed,  though  unlawful, 
habitations.  »  V.  Sir  Nicolas,  p.  214. 

167  —  page  247  —  Henri  V  déclara  que  oVHarfleur  il  irait 
jusqu'à  Calais... 

Cette  expédition  a  été  racontée  par  trois  témoins  oculaires  qui 
tous  trois  étaient  dans  le  camp  anglais  :  Hardyng,  un  chapelain 
d'Henri  V,  et  Lefebvre  de  Saint-Remy,  gentilhomme  picard,  du 
parti  bourguignon,  qui  suivit  l'armée  d'Henri.  Il  n'y  a  qu'un 
témoin  de  l'autre  parti,  Jean  de  Vaurin,  qui  n'ajoute  guère  au  récit 
des  autres.  Je  suivrai  volontiers  les  témoignages  anglais.  L'histo- 
rien français  qui  raconte  ce  grand  malheur  national  doit  se  tenir 
en  garde  contre  son  émotion,  doit  s'informer  de  préférence  dans  le 
parti  ennemi. 

168  —  page  248  —  Le  duc  de  Lorraine  à  lui  seul  amenait 
cinquante  mille  hommes... 

Lettre  du  gouverneur  de  Calais  Bardolf,  au  due  de  Bedford  : 
«  Plaise  à  vostre  Seigneurie  savoir,  que  par  les  entrevenans  divers 
et  bonnes  amis,  repairans  en  ceste  ville  et  marche,  aussi  bien  hors 
des  parties  de  Fraunce,  comme  de  Flaundres,  me  soit  dit  et  rap- 
porté plainement  que  sans  faulte  le  Roi  nostre  Seigneur...  ara 
bataille...  au  plus  tarde,  deins  quinsze  jours...  que  le  duc  de 
Lorenne  ait  assembleie...  bien  cinquant  mille  hommes,  et  que, 
mes  qu'ils  soient  tous  assemblées,  ilz  ne  seront  moins  de  cent 
mille  ou  pluis.  »  (Rymer,  t.  IV,  p.  I,  p.  147,  7  octobre  1415.) 


396  HISTOIRE    DE    FRANCE 

169  —  page  249 —  Des  Picards  se  joignirent  aux  Anglais,  et 
peut-être  les  guidèrent,.. 

Lorsqu'on  voit  un  de  ces  Picards,  l'historien  Lefebvre  de  Saint- 
Remy,  après  avoir  combattu  pour  les  Anglais  à  Azincourt,  devenir 
le  confident  de  la  maison  de  Bourgogne,  la  servir  dans  les  plus 
importantes  missions  (Lefebvre,  prologue,  t.  VII,  p.  258),  et  enfin 
vieillir  dans  cette  cour  comme  héraut  de  la  Toison  d'or,  on  est  bien 
tenté  de  croire  que  Lefebvre,  quoique  jeune  alors,  fut  l'agent 
bourguignon  près  d'Henri  V.  Il  ne  vint  pas  seulement  pour  voir  la 
bataille;  les  détails  minutieux  qu'il  donne  (p.  499)  portent  à  croire 
qu'il  suivit  l'armée  anglaise,  dès  son  entrée  en  Picardie.  V.  sur 
Lefebvre  la  Notice  de  mademoiselle  Dupont  (Bulletin  de  la  Société 
de  l'histoire  de  France,  tome  II,  lre  partie).  La  savante  demoi- 
selle a  refait  toute  la  vie  de  Lefebvre;  elle  a  prouvé  qu'il  avait 
généralement  copié  Monstrelet;  il  me  paraît  toutefois  qu'en  copiant 
il  a  quelque  peu  modifié  le  récit  des  faits  dont  il  avait  été  témoin 
oculaire. 

170 —  page  250 —  Un  homme  du  pays  vint  dire,  etc. 

Les  deux  Bourguignons  Monstrelet  et  Lefebvre  ne  disent  rien 
de  ceci.  Ce  sont  les  Anglais  qui  nous  l'apprennent  :  «  But  sud- 
denly,  in  the  midst  of  their  despondency,  one  of  the  villagers 
communicated  to  the  king  the  invaiuable  information...  »  (Turner, 
t.  II,  p.  423.) 

171  —  page  251  —  Le  duc  de  Berri  voulait  que  les  partis 
d'Orléans  et  de  Bourgogne  envoyassent  chacun  cinq  cents 
lances... 

Il  avait  d'abord  fait  écrire  en  ce  sens  aux  deux  ducs,  avec 
défense  de  venir  en  personne  ;  c'est  ce  qu'assure  le  duc  de  Bour- 
gogne dans  la  lettre  au  roi.  (Juvénal  des  Ursins,  p.  299.) 

172  —  page  253  —  Bataille  d' Azincourt... 

Lefebvre,  t.  VIII,  p.  511.  —  Religieux,  ras.,  945  verso.  —  Jehan 
de  Vaurin,  Chroniques  d'Angleterre,  vol.  V,  partie  I,  chap.  ix, 
folio  15,  verso;  ms.  de  la  Bibliothèque  royale,  n°  6756.  —  Jean  de 
Vaurin  était  à  la  bataille,  comme  Lefebvre,  mais  de  l'autre  côté  : 
«  Moy,  acteur  de  ceste  euvre,  en  scay  la  vérité,  car  en  celle  assem- 
blée estoie  du  costé  des  François.  » 

173  —  page  260  —  Alors  survinrent  les  Anglais,  etc. 

«  Ictus  reiterabant  mortales,  inusitato  etiam  armorum  génère  usi 


APPENDICE  397 

quisque  eorum  in  parte  maxima  clavam  plumbeam  gestabant,  qua? 
capiti  alicujus  afflicta  mox  illum  praecipitabat  ad  terram  moribun- 
dum.»  (Religieux  de  Saint-Denis,  ras.,  fol.  950.) 

174  —  page  260  —  Puis,  c'est  le  duc  d'Alençon,  etc. 

Cet  embellissement  est  de  la  façon  de  Monstrelet,  t.  III,  p.  355. 
11  le  place  hors  du  récit  de  la  bataille,  après  la  longue  liste  des 
morts.  Lefebvre,  témoin  oculaire,  n'a  pu  se  décider  à.  copier  ici 
Monstrelet. 

175  —  page  262  —  Le  lendemain  le  vainqueur  prit  ou  tua  ce 
qui  pouvait  rester  en  vie... 

Lefebvre,  t.  VIII,  p.  16-17.  —Monstrelet,  t.  III,  p.  347.  Je  ne  sais 
d'après  quel  auteur  M.  de  Barante  a  dit  :  «  Henri  V  fit  cesser  le 
carnage  et  relever  les  blessés.  »  (Hist.  des  ducs  de  Bourgogne, 
3e  édit.,  t.  IV,  p.  250.) 

176  —  page  262,  note  3  —  Le  connétable  d'Albret... 

Le  Religieux  revient  fréquemment  (fol.  940,  946,  948)  sur  ces 
bruits  de  trahison,  qui  probablement  circulaient  surtout  à  Paris, 
sous  l'influence  secrète  du  parti  bourguignon.  —  Nulle  part  ces 
accusations  ne  sont  exprimées  avec  plus  de  force  que  dans  le  récit 
anonyme  qu'a  publié  M.  Tailliar  :  «  Charles  de  Labrech,  conné- 
table de  Franche,  alloit  bien  souvent  boire  et  mangier  avec  le  Roi 
en  l'ostdes  Englès...  Li  connétables  se  tenoit  en  ses  bonnes  villes 
et  faisoit  défendre  de  par  le  roi  de  Franche  que  on  ne  le  combat- 
tesit  nient.  »  Cette  dernière  accusation,  si  manifestement  calom- 
nieuse, ferait  soupçonner  que  cette  pièce  est  un  bulletin  du  duc  de 
Bourgogne.  Au  reste,  l'auteur  confond  beaucoup  de  choses;  il  croit 
que  c'est  Clignet  de  Brabant  qui  pilla  le  camp  anglais,  etc.  Dans  la 
même  page,  il  appelle  Henri  V  tantôt  roi  de  France,  tantôt  roi 
d  Angleterre.  (Archives  du  nord  de  la  France  et  du  midi  de  la 
Belgique  (Valenciennes),  1839.) 

177  —  page  263  —  Le  fils  du  duc  de  Bourgogne  fit  a  tous  les 
morts  la  charité  d'une  fosse... 

Monstrelet,  t.  III,  p.  358.  Selon  le  récit  anonyme  publié  par 
M.  Tailliar,  on  ne  put  jamais  savoir  le  vrai  nombre  des  morts; 
ceux  qui  les  avaient  enfouis,  jurèrent  de  ne  point  le  révéler. 
[Archives  du  nord  de  la  France  (Valenciennes),  1839.) 

178  —  page  266  —  Les  Français  nourrirent  les  Anglais... 

«  De  suis  victualibus  refecerunt.  »  (Walsingham,  p.  342.) — Wal- 


398  HISTOIRE    DE    FRANCE 

singham  ajoute  une  observation  de  la  plus  haute  importance  : 
«  Nempe  mos  est  utrique  genti,  Anglise  scilicet  atque  Gallise,  licet 
sibimet  in  propriis  sint  infesti  regionibus,  in  remotis  partibus  tan- 
quam  fratres  subvenire,  et  fidem  ad  invicem  inviolabilem  obser- 
vave.  »  (Walsingham,  ibid.)  —  C'est  qu'en  effet,  ce  sont  des  frères 
ennemis,  mais  après  tout  des  frères. 

179  —  page  266  —  ...  des  vers  charmants,  pleins  de  bonté  et 
de  douceur  d'âme... 

Malgré  cette  douceur  de  caractère,  Charles  d'Orléans  avait  eu 
quelques  pensées  de  vengeance  après  la  mort  de  son  père.  Les 
devises  qu'on  lisait  sur  ses  joyaux,  d'après  un  inventaire  de  1409, 
semblent  y  faire  allusion  :  «  Item  une  verge  d'or,  ou  il  a  escript, 
Dieu  le  scet.  —  Item  une  autre  xerge  d'or  où  il  est  escript, 
il  est  loup.  —  Item  une  autre  verge  d'or  plate  en  laquelle  est 
escript,  Souviegne  vous  de.  —  Item  deux  autres  verges  d'or  es 
quelles  est  escript,  Inverbesserin.  —  Item  ung  bracelet  d'argent 
esmaillié  de  vert  et  escript,  Inverbesserin.  (Inventoire  des 
joyaulx  d'or  et  d'argent,  que  monseigneur  le  duc  d'Orléans  a  par- 
devers  lui,  fait  à  Blois  en  la  présence  de  mondit  seigneur,  par 
monseigneur  de  Gaule  et  par  monseigneur  de  Chaumont,  le  mc  jour 
de  décembre,  lan  mil  cccc  et  neuf,  et  escript  par  moy  Hugues  Per- 
rier,  etc.  »  Cette  pièce  curieuse  a  été  trouvée  dans  les  papiers  des 
Célestins  de  Paris.  (Archives  du  royaume.  L,  1539.) 

180  —  page  266  —  Charles  d'Orléans  passa  de  longues  années 
à  Pomfret,  traité  honorablement... 

V.  le  détail  curieux  d'un  achat  de  quatorze  lits  pour  les  princi- 
paux prisonniers  :  oreillers,  traversins,  couvertures,  plume,  satin, 
toile  de  Flandre,  etc.  (Rymer,  3e  édit.,  t.  IV,  p.  I,  p.  155,  mars 
1416.) 

181  —  page  267  —  Notre  Béranger  du  quinzième  siècle... 
Pour  compléter  un  Béranger  de  ce  temps-là,  il  faudrait  joindre  à 

Charles  d'Orléans  Eustache  Deschamps.  Il  représente  Béranger  par 
d'autres  faces,  par  ses  côtés  patriotique,  satirique,  sensuel,  etc. 
V.  la  pièce  :  «  Paix  n'aurez  jà,  s'ils  ne  rendent  Calais  »,  p.  71.  —  Il 
s'élève  quelquefois  très  haut.  Dans  la  ballade  suivante,  il  semble 
comprendre  le  caractère  titanique  et  satanique  de  la  patrie  de 
Byron.  V.  mon  Introduction  à  V Histoire  universelle  : 

Selon  le  finit,  de  l'isle  des  Géans, 
Qui  depuis  fut  Albions  appelée, 


APPENDICE  399 

Peuple  maudit,  tar  dis  en  Dieu  créans, 

Sera  l'isle  de  tous  poins  désolée. 

Par  leur  orgueil  vient  la  dure  journée 

Dont  leur  prophète  Merlin 
Pronostica  leur  dolereuse  fin, 
Quant  il  escript  :  Vie  perdrez  et  terre. 
Lors  monstreront  estrangiez  et  voisins  : 
Au  temps  jadis  estoit  cy  Angleterre. 

Visaige  d'ange  portez  (angli  angeli),  mais  la  pensée 
De  diable  est  en  vous  tou  dis  sortissans 

A  Lucifer 

Destruîz  serez;  Grecs  diront  et  Latins  : 
Au  temps  jadis  estoit  cy  Angleterre. 

182  —  page  267  —  Le  sourire  y  est  près  des  larmes.., 

«  Fortune,  vueilliez-moi  laisser  »,  p.  170  (Poésies  de  Charles 
d'Orléans,  éd.  1803).  —  «  Puisque  ainsi  est  que  vous  allez  en 
France,  Duc  de  Bourbon,  mon  compagnon  très-cher  »,  p.  206.  — 
«  En  la  forêt  d'ennuyeuse  tristesse  »,  p.  209.  —  «  En  regardant 
vers  le  pays  de  France  »,  p.  323.  —  «  Ma  très  doulce  Valen- 
tinée,  Pour  moy  fustes-vous  trop  tôt  née  »,  p.  269. 

C'est  l'inspiration  des  vers  de  Voltaire  : 

Si  vous  voulez  que  j'aime  encore, 
Rendez-moi  l'âge  des  amours... 

Et  celle  de  Béranger  : 

Vous  vieillirez,  ô  ma  belle  maîtresse, 
Vous  vieillirez,  et  je  ne  serai  plus... 

183  —  page  268,  note  1  —  Il  y  a  pourtant  un  vif  mouvement 
de  passion,  etc. 

Le  pauvre  prisonnier  eut  encore  un  autre  malheur:  il  fut  tou- 
jours amoureux;  bien  des  vers  furent  adressés  par  lui  à  une  belle 
dame  de  ce  côté-ci  du  détroit.  Les  Anglaises,  probablement  meil- 
leures pour  lui  que  les  Anglais,  n'en  ont  pas  gardé  rancune,  s'il 
est  vrai  qu'en  mémoire  de  Charles  d'Orléans  et  de  sa  mère  Valen- 
tine,  elles  ont  pris  pour  fête  d'amour  la  Saint-Valentin.  V.  Poésies 
de  Charles  d'Orléans,  éd.  1803. 

184  —  page  268  —  C'est  V 'alouette,  rien  de  plus... 

Le  temps  a  quitté  son  manteau 
De  vent,  de  froidure  et  de  pluie... 
(Idem,  p.  257.) 


400  HISTOIRE    DE    FRANCE 

Ces  jolis  chanls  d'alouette  font  penser  à  la  vieille  petite  chanson, 
incomparable  de  légèreté  et  de  prestesse  : 

J'étais  petite  et  simplette 
Quand  à  l'école  on  me  mit 
Et  je  n'y  ai  rien  appris... 
Qu'un  petit  mot  d'amourette... 
Et  toujours  je  le  redis, 
Depuis  qu'ay  un  bel  amy. 

185 —  page  271  —  Moururent  en  quelques  mois...  le  dau- 
phin, etc. 

«  Ce  dit  jour  Mons.  Loiz  de  France,  ainsné  fîlz  du  Roy,  notre 
Sire,  Dauphin  de  Yiennoiz  et  duc  de  Guienne,  moru,  de  laage  de 
vint  ans  ou  environ,  bel  de  visaige,  suffisamment  grant  et  gros  de 
corps,  pesans  et  tardif  et  po  agile,  voluntaire  et  moult  curieux  à 
magnificence  dabiz  et  joiaux  circa  cultum  sui  corporis,  désirans 
grandement  grandeur,  oneur  de  par  dehors,  grant  despensier  à 
ornemens  de  sa  chapelle  privée,  à  avoir  ymages  grosses  et  grandes 
dor  et  dargent,  qui  moult  grant  plaisir  avoit  à  sons  dorgues,  les- 
quels entre  les  autres  obleclacions  mondaines  hantoit  diligemment, 
si  avoit-il  musiciens  de  bouche  ou  de  voix,  et  pour  ce  avoit  cha- 
pelle de  grant  nombre  de  jeune  gent;  et  si  avoit  bon  entendement, 
tant  en  latin  que  en  françois,  mais  il  emploioit  po,  car  sa  condicion 
estoit  demploier  la  nuit  à  veiller  et  po  faire,  et  le  jour  à  dormir; 
disnoit  à  III  ou  IV  heures  après  midi,  et  soupoit  à  minuit,  et  aloit 
coucher  au  point  du  jour  et  à  soleil  levant  souvant,  et  pour  ce 
estoit  aventure  qu'il  vesquit  longuement.»  [Archives  du  royaume, 
Registres  du  Parlement,  Conseil,  XIV,  f.  39,  verso,  19  dé- 
cembre 1415.) 

186  —  page  271,  note  3  —  Les  Anglais  chantaient  des  Te  Deum 
et  des  ballades. 

As  the  King  lay  musing  on  his  bed, 
He  thougbt  himself  upon  a  time, 
Those  tributes  due  from  the  French  King, 
Tbat  had  not  been  paid  for  so  long  a  time 

Fal,  lai,  lai,  lai,  laral,  laral,  la. 
He  called  unto  his  lovely  page, 
His  lovely  page  away  came  he...,  etc. 
(Ballade  citée  par  Sir  Harris  Nicolas,  Azincourt,  p.  78.) 

187  —  page  274 —  Plutôt  que  de  recevoir  les  Gascons,  Rouen 
tua  son  bailli,  etc. 

M.   Chéruel  a  trouvé  des  détails   curieux  dans  les  archives  de 


APPENDICE  401 

Rouen.     (Chéruel,    Histoire    de    Rouen    sous    la    domination 
anglaise,  p.  19.  Rouen,  1840.) 

188  —  page  276  —  Le  roi  d'Angleterre  exceptait  de  la  capitu- 
lation quelques-uns  des  assiégés,  etc. 

«  Ut  rei  lsesse  majestatis.  »  (Religieux,  ms.,  folio  79.)  Ce  point 
de  vue  des  légistes  anglais  qui  suivaient  le  roi  est  mis  dans  son 
vrai  jour  au  siège  de  Meaux.  (Ibid.,  folio  176.) 

189  —  page  277,  note  2  —  Armagnac  persévérait  dans  son 
attachement  à  Benoit  XIII... 

V.  la  déclaration  de  la  reine  contre  lui.  {Ordonnances,  t.  X, 
p.  436.) 

190  —  page  279  —  Un  Lambert  commença  à  pousser  le 
peuple  au  massacre  des  prisonniers... 

Le  Bourgeois  devient  poète  tout  à  coup,  pour  parer  le  massacre 
de  mythologie  et  d'allégories  :  «  Le  dimanche  ensuivant,  12  jour 
de  juing,  environ  onze  heure  de  nuyt,  on  cria  alarme,  comme  on 
faisoit  souvent  alarme  à  la  porte  Saint-Germain,  les  autres  crioient 
à  la  porte  de  Bardelles.  Lors  s'esmeut  le  peuple  vers  la  place 
Maubert  et  environ,  puis  après  ceulx  de  deçà  les  pons,  comme  des 
halles,  et  de  Grève  et  de  tout  Paris,  et  coururent  vers  les  portes 
dessus  dites;  mais  nulle  part  ne  trouvèrent  nulle  cause  de  crier 
alarme.  Lors  se  leva  la  Déesse  de  Discorde,  qui  estoit  en  la  tour  de 
Mauconseil,  et  esveilla  Ire  la  forcenée,  et  Convoitise,  et  Enragerie 
et  Vengeance,  et  prindrent  armes  de  toutes  manières,  et  boutèrent 
hors  d'avec  eulx  Raison,  Justice,  Mémoire  de  Dieu...  Et  n'estoit 
homme  nul  qui,  en  celle  nuyt  ou  jour,  eust  osé  parler  de  Raison 
ou  de  Justice,  ne  demander  où  elle  estoit  enfermée.  Car  Ire  les 
avoit  mise  en  si  profonde  fosse,  qu'on  ne  les  pot  oncques  trouver 
toute  celle  nuyt,  ne  la  journée  ensuivant.  Si  en  parla  le  Prévost 
de  Paris  au  peuple,  et  le  seigneur  de  L'Isle-Adam,  en  leur  admo- 
nestant pitié,  justice  et  raison;  mais  Ire  et  Forcennerie  respon- 
dirent  par  la  bouche  du  peuple  :  Malgrebieu,  Sire,  de  vostre  jus- 
tice, de  vostre  pitié  et  de  vostre  raison  :  mauldit  soit  de  Dieu  qui 
aura  la  pitié  de  ces  faulx  traistres  Arminaz  Angloys,  ne  que  de 
chiens;  car  par  eulz  est  le  royaulme  de  France  destruit  et  gasté,  et 
si  l'avoient  vendu  aux  Angloys.  »  (Journal  du  Bourgeois  de 
Paris,  t.  XV,  p.  234.) 

191  —  page  280  —  Seize  cents  personnes  périrent,  etc. 
Monstrelet,  t.  IV,  p.  97.  —  Le  greffier  dit  moins  :  «  Jusques  au 

t.  iv.  26 


402  HISTOIRE    DE    FRANCE 

nombre  de  huit  cens  personnes   el    au-dessus,   comme  on  dit,   » 
(Archives,  Registres  du  Parlement,  Conseil,  XIV,  f.  139.) 

192  —  page  281  —  Tout  est  tué  au  petit  Chàlelet  .. 

«  Tuèrent  bien  trois  cens  prisonniers.  »  (Monstrelet,  t.  IV,  p.  120.) 
«  Durant  laquelle  assemblée  et  commocion,  furent  tuez  et  mis  à 
mort  environ  de  quatre-vingt  à  cent  personnes,  entre  lesquelles  y 
ot  trois  ou  quatre  femmes  tuées,  si  comme  on  disoit...  »  (Archives, 
Registres  du  Parlement,  Conseil,  XIV,  folio  142,  verso,  21  août.) 

193  —  page  283  —  Un  traité  récent  avec  les  Anglais  ne  per- 
mettait pas  au  duc  de  Bourgogne  d'appeler  les  Flamands... 

Le  traité  probablement  ne  concernait  que  la  Flandre.  Tout  le 
monde  croyait  que  dans  une  entrevue  avec  Henri  V  à  Calais  il 
s'était  allié  à  lui.  Il  existe  un  traité  d'alliance  et  de  ligue,  où  le 
duc  reconnaît  les  droits  d'Henri  à  la  couronne  de  France,  mais  cet 
acte  ne  présente  ni  date  précise  ni  signature.  Il  est  probable  que 
Jean-sans-Peur  fit  entendre  au  roi  d'Angleterre  que,  s'il  l'aidait 
activement,  c'en  était  fait  du  parti  bourguignon  en  France,  qu'il 
servirait  mieux  les  Anglais  par  sa  neutralité  que  par  son  concours. 
(Rymer,  3e  éd.,  t.  IV,  pars  I,  p.  177-178,  octobre  1416.) 

194  —  page  285  —  Chacun  des  princes  prisonniers  n'eut 
qu'un  serviteur  français... 

Selon  le  Religieux.  Mais  Rymer  indique  un  plus  grand  nombre. 

195  —  page  287  —  Alain  Blanchard... 

Sur  Alain  Blanchard,  V.  la  notice  publiée  par  M.  Auguste 
Le  Prévôt,  en  1826,  YHistoire  de  Rouen  sous  les  Anglais,  par 
M.  Chéruel  (1840),  et  YHistoire  du  privilège  de  Saint-Romain, 
par  M.  Floquet,  t.  II,  p.  548. 

196  —  page  287  —  Le  peuple  de  Rouen  sortait  à  la  fois  par 
toutes  les  portes... 

M.  Chéruel,  p.  46,  d'après  la  chronique  versifiée  d'un  Anglais 
qui  était  au  siège.  (Archœologia  Britannica,  t.  XXI,  XXII.)  Ce 
curieux  poème  a  été  traduit  par  M.  Potier,  bibliothécaire  de 
Rouen. 

197  —  page  288  —  Rouen  était  plein  de  nobles  et  croyait  être 
trahi. 

«  Les  Engloys  descendirent  à  la  Hogue  de  Saint- Vaast,  dimence 


APPENDICE  403 

1er  jour  d'aost  1416,  adonc  estoit  le  dalphin  de  Vyane  à  Rouen 
avec  sa  forche  ;  et  de  là  se  partit  à  soy  retraire  à  Paris,  et  laissa 
l'ainsné  filz  du  comte  de  Harcourt,  chapitaine  du  chastel  et  de  la 
ville,  et  M.  de  Gamaches,  bailly  de  la  dicte  ville,  avenc  grant  quan- 
tité d'estrangiers  qui  gardoient  la  ville  et  la  quidèrent  pillier  ;  mes 
l'en  s'en  aperchut,  et  y  out  sur  ce  pourvéanche.  Mais  nonostant 
tout,  fut  levé  en  la  ville  une  taille  de  16,000  liv.  et  un  prest  de 
12,000,  et  tout  poié  dedens  la  my-aost  ensuivant.  Et  fu  commen- 
chement  de  malvèse  estrenche;  et  puis  touz  s'en  alèrent  au  dyable. 
Et  après  eulsy  vint  M.  Guy  le  Bouteiller,  capitaine  de  la  ville,  de 
par  le  duc  de  Bourgongne,  avec  1,400  ou  1,500  Bourguégnons  et 
estrangiers,  pour  guarder  la  ville  contre  les  Engloys;  mais  ils 
estoient  miez  Engloys  que  Franchoiz  ;  les  quiez  estoient  as  gages  de 
la  ville,  et  si  destruioient  la  vitaille  et  la  garnison  de  la  ville.  » 
(Chronique  ms.  du  temps,  communiquée  par  M.  Floquet.) 

198  —  page  290,  note  1  —  Détresse  de  Rouen... 

Archxologia,  t.  XXI,  XXII.  —  M.  Chéruel  a  trouvé  un  rensei- 
gnement plus  sérieux  sur  le  prix  des  denrées;  par  délibération  du 
7  octobre  1418,  le  chapitre  fait  fondre  une  châsse  d'argent,  et  paye, 
entre  autres  dettes,  soixante  livres  tournois  (mille  francs  d'au- 
jourd'hui t)pour  deux  boisseaux  de  blé.  (M.  Chéruel,  Rouen  sous 
les  Anglais,  p.  53,  d'après  les  registres  capitulaires,  conservés  aux 
Archives  départementales  de  la  Seine-Inférieure.)  Cet  excellent 
ouvrage  donne  une  foule  de  renseignements  non  moins  précieux 
pour  l'histoire  de  la  Normandie  et  de  la  France  en  général. 

199  —  page  292  —  Capitulation  de  Rouen,  etc. 

«  Item,  estoit  octroyé  par  ledit  seigneur  Roi,  que  tous  et  chacun 
pourroient  s'en  retourner...,  excepté  Luc,  Italien,  Guillaume  de 
Houdetot,  chevalier  bailly,  Alain  Blanchart,  Jehan  Segneult, 
maire,  maître  Robin  Delivet,  et  excepté  la  personne  qui,  de  mau- 
vaises paroles  et  déshonnêtes,  auroit  parlé  antiennement,  s'il 
peut  être  découvert,  sans  fraude  ou  mal  engyn...  »  (Yidimus  de 
la  capitulation  de  Rouen,  aux  Archives  de  Rouen,  communiqué 
par  M.  Chéruel).  Rymer  donne  le  même  acte  en  latin  (t.  IV,  p.  II, 
p.  82,  13januar.  1419). 

200  —  page  292  —  Rouen  dut  payer  trois  cent  mille  écus 
d'or.,. 

«  Januarii  instantis,  februarii  instantis.  »  Les  articles  suivants 


404  HISTOIRE    DE    FRANCR 

prouvent  qu'il  s'agit  bien  de   1418,  et  non  1419.   (Rymer,  t.    IV, 
p.  II,  p.  82.) 

201  —  page  294  —  Henri  V  voulait  marier  en  Allemagne  son 
frère  Bedford... 

«  Super  sponsalibus  inler  Bedfordium  et  fîliam  unicam  Fr.  bur- 
gravii  Nuremburiensis,  fîliam  unicam  ducis  Lotaringise,  aliquam 
consanguineam  imperatoris.  »  (Rymer,  t.  IV,  p.  II,  p.  100, 
18  mart,  1419.) 

202  —  page  294  —  Il  voulait  faire  adopter  son  jeune  frère, 
Glocester,  à  la  reine  de  Naples,  etc. 

«  Cum  Johanna,  regina  Apulese,  de  adoptione  Jobannis  ducis  Bed- 
fordise.  Dux  mittat  quinquaginta  millia  ducatorum,  quousque  forta- 
litia  civitatis  Brandusii  erint  ei  consignata...  Dux  teneatur,  inlra 
octo  menses,  venire  personaliter  cum  mille  homiuibus  armatis, 
2,000  sagittariis.  Non  intromittet  se  de  regimine  regni,  excepto 
ducatu  Calabria?  quem  gubernabit  ad  beneplacitum  suum.  » 
{Ibid.,  p.  98,  12  mart.  1419.) 

203  —  page  295  —  Il  mettait  d'accord  contre  lui  les  Ara- 
gonais  et  les  Castillans... 

Les  gens  de  Bayonne  écrivent  au  roi  d'Angleterre  que  «  un 
balener  armé  a  pris  un  clerc  du  roy  de  Castille  »,  et  qu'on  a  su  par 
lui  que  quarante  vaisseaux  castillans  allaient  chercher  des  Écossais 
en  Ecosse,  les  troupes  du  dauphin  à  Belle-Isle,  et  amener  toute 
cette  armée  devant  Bayonne.  (Rymer,  t.  IV,  p.  II,  p.  128,  22  jul. 
1419.)  Les  gens  de  Bayonne  écrivent  plus  tard  que  les  Aragonais 
vont  se  joindre  aux  Castillans  pour  assiéger  leur  ville.  [Ibid., 
p.  132,  5  septembre.) 

204  —  page  295,  note  2  —  Le  Normand  Robert  de  Bra- 
quemont... 

Je  reviendrai  sur  cette  famille  illustre  et  sur  les  Béthencourl, 
alliés  et  parents  des  Braquemont,  à  qui  ceux-ci  cédèrent  leurs 
droits  sur  les  Canaries.  V.  Histoire  de  la  conquesle  des  Canaries, 
faite  par  Jean  de  Béthencourt,  escrite  du  temps  même  par 
P.  Bontier  etJ.  Leverrier,  prestres,  1630.  Paris,  in-12. 

205  —  page  296 —  Les  Anglais  n'étaient  pas  sans  inquiétude. 
«  Nous  ne  savons  plus,  écrivait  un  agent  anglais  à  Henri  V,  si 

nous  avons  la  guerre  ou  la  paix;  mais  dans  six  jours...  It  is  not 


APPENDICE  405 

knowen  whethir  we  shall  hâve  werre  or  pees...  But  withynne  six 
dayes...  »(Rymer,  ibid.,  p.  126,  14  jul.  1419.) 

206  —  page  300,  note  —  La  mort  du  duc  de  Bourgogne  fit  un 
mal  immense  au  dauphin... 

«  Pour  occasion  duquel  fait  plusieurs  grans  inconvéniens  et 
domages  irréparables  sont  disposez  davenir  et  plus  grans  que 
paravant,  à  la  honte  des  faiseurs,  au  dommage  de  mond.  Seig. 
Dauphin  principalment,  qui  attendoit  le  royaume  par  hoirrie  et 
succession  après  le  Roy  notre  souverain  S.  A  quoy  il  aura  moins 
daide  et  de  faveur  et  plus  dennemis  et  adversaires  que  par  avant.  » 
(Archives,  Registres  du  Parlement,  Conseil,  XIV,  folio  193, 
septembre  1419.) 

207  —  page  305  —  Derrière  Henri  V  on  portait  sa  bannière 
personnelle,  la  lance  à  queue  de  renard... 

«  Et  porloit  en  sa  devise  une  queue  de  renart  de  broderie.  » 
(Journal  du  Bourgeois  de  Paris,  t.  XV,  p.  275.)  A  l'entrée  de 
Rouen,  c'était  une  véritable  queue  de  renard  :  «  Une  lance  à 
laquelle  d'emprès  le  fer  avoit  attaché  une  queue  de  renart  en 
manière  de  penoncel,  en  quoi  aucuns  sages  notoient  moult  de 
choses.  »  (Monstrelet,  t.  IV,  p.  140.) 

208  —  page  305  —  Le  roi  d'Angleterre  fut  bien  reçu  à  Paris. 
Le  greffier  même  du  Parlement  partage  l'entraînement  général, 

à  en  juger  par  ses  mentions  continuelles  de  processions  et  suppli- 
cations pour  le  salut  des  deux  rois  :  «  Furent  moult  joyeusement  et 
honorablement  receuz  en  la  ville  de  Paris...»  [Archives,  Registres 
du  Parlement,  Conseil,  XIV,  folio  224.) 

209  —  page  306  —  Charles  fut  condamné  au  bannissement .. . 

La  sentence  rendue  par  le  roi  de  France,  «  de  l'avis  du  Par- 
lement »,  est  placée  par  Rymer  au  23  décembre  1420  :  «  Consi- 
dérant que  Charles  soi-disant  dauphin  avoit  conclu  alliance  avec 
le  duc  de  Bourgogne...  déclare  les  coupables  de  cette  mort  inha- 
biles à  toute  dignité.  »  —  V.  aussi  le  violent  manifeste  de 
Charles  VI  contre  son  fils  :  «  O  Dieu  véritable,  etc.  »,  17  janvier 
1419.  (Ord.,  t.  XII,  p.  273.)  —  Un  acte  plus  odieux  encore,  c'est 
celui  qui  ordonne  que  les  Parisiens  seront  payés  de  ce  qui  leur  est 
dû  sur  les  biens  des  proscrits,  de  manière  à  associer  Paris  au 
bénéfice  de  la  confiscation.  (Ord.,  t.  XII,  p.  281.)  Cela  fait  penser 
aux  statuts  anglais  qui  donnaient  part  aux  communes  dans  les 
biens  des  lollards. 


406  HISTOIRE    DE    FRANCE 

210  —  page  308,  noie  2  —  Chronique  de  Georges  Chastellain.., 
En  citant  pour  la  première  fois  Chastellain,  je  ne  puis  m'empê- 

cher  de  remercier  M.  Buchon  d'avoir  recherché  avec  tant  de  saga- 
cité les  membres  épars  de  cet  éloquent  historien.  Espérons  qu'on 
publiera  bientôt  le  fragment  qui  manquait  encore  et  que  M.  Lacroix 
vient  de  retrouver  à  Florence. 

211  —  page  308  —  Les  -princes  du  Rhin  tendaient  la  main  a 
l 'argent  anglais... 

Procuration  du  roi  d'Angleterre  au  Palatin  du  Rhin  pour  rece- 
voir l'hommage  de  l'électeur  de  Cologne.  (Rymer,  t.  IV,  p.  I, 
p.  158-159,  4  mai  1416.)  —  Autre  au  Palatin  du  Rhin  (pension- 
naire de  l'Angleterre),  pour  qu'il  reçoive  l'hommage  des  électeurs 
de  Mayence  et  de  Trêves.  (Ibid.,  p.  II,  p.  102,  1  april.  1419.) 

212  —  page  310  —  Les  politiques  doutaient  fort  de  futilité 
du  Concile  de  Constance... 

Petrus  de  Alliaco,  De  Difficullate  reformationis  in  concilio, 
ap.  Von  der  Hardt,  Concil.  Constant.,  t.  I,  p.  VI,  p.  256.  — 
Schmidt,  Essai  sur  Gerson,  p.  57;  Strasb.,  1839. 

213  —  page  313  —  Jérôme  de  Prague  était  venu  braver 
VUniversité  de  Paris... 

Royko,  I  theil,  112.  Jean  Huss  avait,  dit-on,  défié  l'Université 
de  Paris  :  «  Veniant  omnes  magistri  de  Parisiis!  Ego  volo  cum 
ipsis  disputare  qui  libros  nostros  cremaverunt  in  quibus  honor 
totius  mundi  jacuit!  »  (Concil.  Labbe,  t.  XII,  p.  140.) 

214  —  page  314  —  Gerson  avait  écrit  à  Varchevêque  de 
Prague  pour  qiCil  livrât  Jean  Huss  au  bras  séculier... 

«  ...  Securis  brachii  secularis...  In  ignem  mittens...  misericordi 
crudelitate.  Nimis  altercando...  deperdetur  veritas...  Vos  brachium 
invocare  viis  omnibus  convenit.  »  (Gerson.  Epist.  ad  archiepisc. 
Prag.,  27  mai  1414.  —  Bulaeus,  V,  270.) 

215  —  page  315,  note  1  —  Jean  Huss  et  Jérôme  de  Prague... 
V.  les  détails  du  supplice  de  Jean  Huss  et  de  Jérôme.  (Monu- 

menta  Hussi,  t.  II,  p.  515-521,  532-535.) 

216  —  page  316  —  Les  gallicans  n'eurent  pas  la  réforme... 
Clémengis  leur  avait  écrit  pendant  le   concile  qu'ils   n'arrive- 
raient à  aucun  résultat  :  «  Excidit  spes  unicuique  unquam  videnda? 


APPENDICE  407 

unionis...  Quis  in  re  desperata  suum  libenter  velit  laborem  impen- 
dere?  Ibit  schisma  Latinse  Ecclesiœ,  cum  schismate  Grœcorum,  in 
incuriam  atque  oblivionem.  »  (Nie.  Glemeng.  Epist.,  t.  II,  p.  312.) 

217  —  page  319  —  Jean  Gerson... 

Sur  le  tombeau  de  Gerson,  et  sur  le  culte  dont  il  était  l'objet 
jusqu'à  ce  que  les  Jésuites  eussent  fait  prévaloir  une  autre  influence, 
voyez  l'Histoire  de  V église  de  Lyon,  par  Saint-Aubin,  et  une 
lettre  de  M.  Aimé  Guillon.  dans  la  brochure  de  M.  Gence  :  Sur 
l'Imitation  polyglotte  de  M.  Montfalcon.  Il  n'existe  qu'un 
portrait  de  Gerson,  celui  que  M.  Jarry  de  Nancy  a  donné  dans 
sa  Galerie  des  Hommes  utiles,  d'après  un  manuscrit. 

218  —  page  321  —  A  la  prise  de  Meaux,  trois  religieux  de 
Saint-Denis,  etc. 

«  In  horribili  carcere  cum  vitae  austeritate  detineri  fecit.  »  —  Le 
Religieux  de  Saint-Denis,  sans  être  arrêté  par  les  préjugés  de  sa 
robe,  décide  avec  son  bon  sens  ordinaire  que,  quoique  moines,  ils 
ont  dû  résister  à  l'ennemi  :  «  Minus  bene  considerans  quae  canunt 
jura,  videlicet  vim  vi  repellere  omnibus  cujuscumque  status... 
licitum  esse,  pugnareque  pro  patria.  »  (Religieux,  ms.,  fol.  176- 
177.) 

219  —  page  322  —  Henri  V  charge  V archevêque  de  Cantor- 
béry  et  le  cardinal  de  Winchester  de  percevoir... 

«  Exitus  et  proficus  de  wardis  et  maritagiis,  ac  etiam  forisfac- 
turas...  Volentes  quod  H.  Cantuariensis  archiepiscopo,  H.  Winto- 
niensi  cancellario  nostro,  et  T.  Dunolmensi  episcopis,  ac...  militi 
nostro  J.  Rothenhale  persolvantùr.  »  (Rymer,  t.  IV,  p.  I,  p.  150, 
28  nov.  1415.) 

Il  fallait  mettre  Harfleur  en  état  de  défense... 

Presse  de  maçons,  tuiliers,  etc  ,  pour  aller  fortifier  Harfleur. 
{Ibid.,  p.  152,  16  décembre  1415.) 

220 —  page  323,  note  2  —  Henri  V  reprochait  au  cardinal  de 
Winchester  d'usurper  les  droits  de  la  royauté... 

Voy.  les  lettres  de  pardon  qu'il  accorde.  (Rymer,  t.  IV,  p.  II, 
p.  7,  23  juin  1417.)  —  Mais,  tout  vainqueur,  tout  populaire 
qu'était  alors  Henri  V,  il  craignait  ce  dangereux  prêtre.  Il  lui 
accorde  une  faveur  le  11  septembre  suivant,  l'appelle  son  oncle,  etc. 

221  —  page  326  —  Les  paysans  souffrant  des  courses  et  des 
pillages  du  parti  de  Charles  VII,  etc. 

C'est  ce  que  disent  du  moins  les  historiens  du  parti  bourgui- 


408  HISTOIRE    DE    FRANCE 

gnon,  Monstrelet  et  Pierre  de  Fenin  :  «  Et  en  y  eut  plusieurs  qui 
commencèrent  à  eux  armer  avec  les  Anglois,  non  pas  gens  de 
grand'autorité...  »  (Monstrelet,  t.  IV,  p.  143.)  —  Pierre  de  Fenin 
assure  même  que  «  le  povre  peuple  l'amoit  sur  tous  les  autres; 
car  il  estoit  tout  conclu  de  préserver  le  menu  peuple  contre  les 
gentis-hommes  ».  (Fenin,  p.  187,  dans  l'excellente  édition  de 
mademoiselle  Dupont,  1837.) 

222  —  page  329  —  Les  Anglais  firent  une  charge  meurtrière 
sur  le  petit  peuple  de  Paris... 

Montrelet,  t.  IV,  p.  277,  309.  Les  Parisiens  finirent  par  com- 
prendre ainsi  que  l'Anglais  c'était  l'ennemi.  Ils  en  étaient  déjà 
avertis  par  le  langage.  Les  ambassadeurs  anglais  «  requirent  ledit 
président  de  exposer  icelle  créance,  pour  ce  que  chascun  rieulsceu 
bien  aisément  entendre  leur  françois  langage...  »  (Archives, 
Registres  du  Parlement,  Conseil,  XIV,  fol.  215-216,  mai  1420.) 

223  —  page  330  —  Budget  d'Henri  V... 

«  Pro  Calesio  et  marchiis  ejusdem,  XII  M  marcas;  pro  custodia 
Anglia3,  VIII  M  marcas;  pro  custodia  Hiberniee,  II  M  D  marcas.  » 
(Rymer,  ibid.,  p.  27,  6  mai  1421.) 

224  —  page  333  —  «  C'est  moi  qui  aurais  conquis  la  terre 
sainte.  » 

Henri  V  avait  envoyé  pour  examiner  le  pays  le  chevalier  Guil- 
lebert  de  Launey,  dont  nous  avons  le  rapport  :  «  Sur  plusieurs 
visitations  de  villes,  pors  et  rivières,  lant  as  par  d'Egypte,  comme 
de  Surie,  l'an  de  grâce  1422,  le  commandement,  etc.  »  (Turner, 
vol.  II,  477.) 

225  —  page  337  —  On  dit  qu'il  n'y  avait  pas  moins  de  vingt- 
quatre  mille  maisons  abandonnées... 

Nombre  exagéré  évidemment.  Toutefois  il  ne  faut  pas  oublier 
qu'il  y  avait  alors  plus  de  maisons  à  proportion  qu'aujourd'hui, 
parce  qu'elles  étaient  fort  petites  et  qu'il  n'y  avait  guère  de  famille 
qui  n'eût  la  sienne.  —  Il  résulte  des  détails  qu'on  trouve  dans  la 
vie  de  Flamel  que  la  dépopulation  avait  commencé  dès  1406. 
(Vilain,  Hist.  de  Flamel,  p.  355.) 

226 —  page  338  —  Une  paix  criée  et  chantée... 

C'était  au   reste  un  usage  fort  ancien.  —  «  Et  fut  criée  parmi 


APPENDICE  409 

Paris  à  quatre  trompes  et  à  six  ménestriers  (19  sept.  1418)...  Et 
tous  les  jours  à  Paris,  especialement  de  nuit,  faisoit-on  très-grant 
feste  pour  ladite  paix,  à  ménestriers  et  autrement  (11  juillet  1419).» 
(Journal  du  Bourgeois,  p.  249-260.)  —  Il  paraît  qu'on  se  dis- 
putait les  joueurs  de  violon  :  «  Ayant  commencé  une  feste  ou  noce, 
ils  seront  obligés  d'y  rester  jusques  à  ce  qu'elle  soit  finie.  » 
(Archives,  Ordinatio  super  officio  de  Jongleurs,  etc.,  24  april. 
1407,  Registre  J,  161,  n°270.) 

227  —  page  340  —  Les  grandes  épidémies,  etc. 

Sur  la  peste  noire,  sur  les  Flagellants  et  leurs  cantiques,  voir  le 
tome  III  de  cette  Histoire.  Le  savant  et  éloquent  Littré  a  donné, 
dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  (février  1836,  t.  V  de  la  IVe  série, 
p.  220),  un  article  d'une  haute  importance  :  Sur  les  grandes  èpi~ 
demies.  —  M.  Larrey,  qui  a  fait  une  intéressante  notice  sur  la 
chorée  ou  danse  de  Saint-Gui,  aurait  dû  peut-être  rappeler  que 
cette  maladie  avait  été  commune  au  quatorzième  siècle.  [Mémoires 
de  V Académie  des  sciences,  t.  XVI,  p.  424-437.) 

228  —  page  341,  note  1  —  La  danse  des  morts  ou  danse 
macabre... 

Selon  M.  Van  Praet  (Catalogue  des  livres  imprimés  sur 
vélin),  ce  mot  viendrait  de  l'arabe  magabir,  magabaragh  (cime- 
tière). D'autres  le  tirent  des  mots  anglais  make,  break  (faire, 
briser),  unis  ensemble  pour  imiter  le  bruit  du  froissement  et  du 
craquement  des  os.  On  croyait,  dès  la  fin  du  quinzième  siècle,  que 
Macabre  était  un  nom  d'homme  ;  c'est  l'opinion  la  moins  probable 
de  toutes. 

229  —  page  341,  note  4  —  L'art  vivant,  Vart  en  action,  a  par- 
tout précédé  Vart  figuré... 

C'est  ce  que  Vico,  entre  autres,  a  très  bien  compris.  Sur  la  danse, 
voir  particulièrement  le  curieux  ouvrage  de  Bonne,  Histoire  de  la 
danse,  in-12.  Paris,  1723. 

230  —  page  341  —  Mimes  sacrés,  etc. 

J'ai  parlé  de  ces  drames  à  la  fin  du  tome  II  de  cette  Histoire. 
Ailleurs  j'ai  rappelé  un  charmant  mime  de  Résurrection  qui  se 
représente  dans  les  processions  de  Messine.  Introduction  à  VHis- 
toire  universelle,  d'après  Blunt,  Vestiges  of  ancient  manners 
discoverable  in  modem  Italy  and  Sicily,  p.  158. 


410  HISTOIRE    DE    FRANCE 

231  — page  342 — Le  spectacle  de  la  danse  des  morts  se  joua 
a  Paris... 

«  Item,  Tan  1424  fut  faite  la  Danse  Marâtre  aux  Innocents  et  fut 
commencée  environ  le  moys  d'aoust  et  achevée  au  karesme  sui- 
vant. »  (Journal  du  Bourgeois  de  Paris,  p.  352.)  «  En  Tan  1429, 
le  cordelier  Richart,  preschant  aux  Innocents,  estoit  monté  sur 
ung  hault  eschaffaut  qui  estoit  près  de  toise  et  demie  de  haut, 
le  dos  tourné  vers  les  charniers  en-contre  la  charronnerie,  à  V en- 
droit de  la  danse  macabre.  »  (Ibid.,  p.  384.)  —  Je  crois,  avec 
Félibien  et  MM.  Dulaure,  de  Barante  et  Lacroix,  que  c'était  d'abord 
un  spectacle,  et  non  simplement  une  peinture,  comme  le  veut 
M.  Peignot  :  c'est  le  progrès  naturel,  comme  je  l'ai  déjà  fait  remar- 
quer. Le  spectacle  d'abord,  puis  la  peinture,  puis  les  livres  de  gra- 
vures avec  explication.  —  La  première  édition  connue  de  la  Danse 
macabre  (1485)  est  en  français,  la  première  édition  latine  (1490) 
a  été  donnée  par  un  Français;  mais  elle  porte  :  Versibus  alema- 
nicis  descripta.  Voy.  le  curieux  travail  de  M.  Peignot,  si  intéres- 
sant sous  le  rapport  bibliographique  :  Recherches  sur  les  danses 
des  morts  et  sur  Vorigine  des  caries  a  jouer.  Dijon,  1826. 

232  —  page  343  —  Le  charnier  des  Innocents... 

Mémoire  de  Cadet-de-Vaux,  rapport  de  Thouret,  et  procès- 
verbal  des  exhumations  du  cimetière  des  Innocents,  cités  par 
M.  Héricart  de  Thury,  dans  sa  Description  des  catacombes, 
p.  176-178. 


En  terminant  l'impression  de  ce  volume,  je  dois  remercier  les 
personnes  fort  nombreuses  qui  m'ont  fourni  des  indications  utiles, 
particulièrement  mes  amis  ou  élèves  de  l'Ecole  normale,  de  l'École 
des  Chartes  et  des  Archives,  dont  la  plupart,  jeunes  encore,  occu- 
pent déjà  un  rang  distingué  dans  l'enseignement  et  dans  la  science: 
MM.  Lacabane,  Castelnau,  Chéruel,  Dessalles,  Rosenwald,  de 
Stadler,  Teulet,  Thomassy,  Yanoski,  etc.  (Note  de  1840.) 


FIN   DU   TOME    QUATRIEME. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


LIVRE   VII. 


Pages 

Chapitre  Ier.  Jeunesse  de  Charles  VI  (1380-1383) 1 

Caractère  général  de  l'époque  :  oubli,  confusion  d'idées,  vertige  ; 

costumes  bizarres,  etc ibid. 

État  de  l'Europe 7 

Force  et  faiblesse  de  la  France.  Les  oncles  de  Charles  VI.  .  .  .  9 

1380-1381.  Régence,  sacre;  impôts,  révolte 11 

Procès  du  prévôt  Aubriot 13 

1382.  Nouvelle  révolte,  maillotins 15 

Expédition  du  duc  d'Anjou  en  Italie 16 

Expédition  du  duc  de  Bourgogne  et  du  roi  en  Flandre 17 

Soulèvements  de  Languedoc,  d'Angleterre,  d'Italie 18 

Soulèvement  de  Flandre 19 

(27  nov.).  Bataille  de  Roosebeke 23 

1383.  Punition  de  Paris,  suppression  du  prévôt  des  marchands,  etc  .  .  24 


Chapitre  IL  Suite  (1384-1391) 26 

1384     (18  déc).  Le  duc  de  Bourgogne  devient  comte  de  Flandre.  ...  38 

1386.    Il  décide  les  expéditions  d'Angleterre ibid. 

1388.  —                   —        de  Gueldre 31 

1389.  Les  ducs  de  Berri  et  de  Bourgogne  renvoyés.  Gouvernement  des 

Marmousetsy  Clisson,  La  Rivière,  etc 34 


412  TABLE    DES   MATIÈRES 

1389-1392.  Prodigalités  du  jeune  roi,  fêtes,  voyage  du  midi 

Corruption  du  temps  ;  scepticisme  et  superstition  ;  alchimie.  .  .        40 
Paris  :  Saint-Jacques-la-Boucherie,  Flamel;  Saint-Jean-en-Grève, 
Gerson ^ 


Chapitre  III.  Folie  de  Charles  VI  (1392-1400) 47 

1392y  (13  juin).  Assassinat  de  Clisson 49 

(5  août).  Expédition  de  Bretagne,  folie  du  roi 52 

Tentatives  pour  rétablir  la  paix  de  l'Église 57 

1396.    Trêve  avec  l'Angleterre;  Richard  II,  gendre  de  Charles  VI  .  .  .  58 

Croisade  contre  les  Turcs,  défaite  de  Nicopolis 62 

1398.    Richard  II  renversé  par  Henri  de  Lancastre 65 

1399-1400.  Rechutes  de  Charles  VI  ;  cabale,  sorcellerie 68 

Cartes  à  jouer,  Mystères 72 

LIVRE  VIÏI. 


Chapitre  Ier.  Le  duc  d'Orléans,  le  duc  de  Bourgogne.  —  Meurtre 

du  duc  d'Orléans  (1400-1407) 77 

1400-1401.  Louis  d'Orléans,  frère  de  Charles  VI;  esprit  de  la  Renais- 
sance   78 

Jean-sans-Peur,  fils  du  duc  de  Bourgogne,  Philippe-le-Hardi .  .  95 

Politique  de  la  maison  de  Bourgogne 97 

L'intérêt  flamand  lie  cette  maison  à  l'Angleterre 105 

Lutte  du  duc  de  Bourgogne  et  du  duc  d'Orléans 106 

1402.    Le   duc  de  Bourgogne  réclame  en  faveur  du  peuple  contre  les 

impôts 107 

Gouvernement  impopulaire  du  duc  d'Orléans;  il  se  déclare  pour 

le  pape  d'Avignon  ;  ses  tentatives  contre  l'Angleterre 108 

1404.  Mort  du  duc  de  Bourgogne,  Philippe-le-Hardi  ;  Jean-sans-Peur. 

Jean-sans-Peur  encourage  le  peuple  à  refuser  l'imp't ibid. 

1405.  Louis    d'Orléans    et   Jean-sans-Peur;   deux   armées  autour   de 

Paris ibid. 

1406.  Fausse  paix;  guerre  contre  les  Anglais,  sans  résultat ibid. 

Irritation  de  Paris  et  de  l'Université  contre  le  duc  d'Orléans  .  .  109 

1407     (23  nov.).  Jean-sans-Peur  le  fait  assassiner 119 


TABLE    DES   MATIÈRES  413 

Pages 

Chapitre  II.   Lutte  des  deux  partis.  —  Cabochiens.  —  Essais  de 

réforme  dans  VÉtat  et  dans  l'Église  (1408-1414) 129 

1407.  Fuite  de  Jean-sans-Peur 132 

(10  déc).  La  veuve  de  Louis  d'Orléans  demande  justice 133 

1408.  Retour  de  Jean-sans-Peur  et  son  apologie  par  Jean  Petit,  docteur 

de  l'Université 136 

Triomphe  de  l'Université  sur  la  juridiction  royale 139 

Elle  prononce  l'exclusion  des  deux  papes 145 

(23  sept.).  Victoire  de  Jean-sans-Peur  et  de  Jean-sans-Pitié  sur 

les  Liégeois 147 

1409  (9  mars).  Jean-sans-Peur  exige  que  les  fils  de  Louis  d'Orléans 

lui  promettent  amitié  ;  paix  de  Chartres 150 

Le  négociateur  de  la  paix,  Montaigu,  est  mis  à  mort 152 

Jean-sans-Peur  essaye  de  réformer  l'État 155 

1410  (1er  nov.).   Les  ducs  d'Orléans  et  de  Berri  viennent  en  armes 

jusqu'à  Bicêtre  ;  ils  sont  obligés  de  traiter  :  paix  de  Bicêtre  .  157 

La  France  du  sud-ouest  envahit  la  France  du  Nord ,  158 

Armagnac,  beau-père  du  duc  d'Orléans 169 

1411  (lor  sept.).  Jean-sans-Peur  appelle  les  Anglais  contre  les  Arma- 

gnacs et  assiège  Bourges 171 

1412  (18  mai).  Le  parti  d'Orléans  et  Armagnac  appelle  les  Anglais.  .  172 
(14  juill.).  Jean-sans-Peur  obligé  de  traiter;  paix  de  Bourges  .  .  173 
Impuissance  des  deux  partis 174 


Chapitre  III.  Essais  de  réforme  dans  VEtat  et  dans  l'Église.  — 
Cabochiens  de  Paris;  grande  ordonnance .  —  Concile  de  Pise 

(1409-1415)  .  .  % 177 

1413     (30  janv.).  Le  duc  de  Bourgogne  assemble  les  États  inutilement. 

Le  Parlement  se  récuse 179 

L'Université  entreprend  la  réforme  de  l'État 182 

(28  avril).  La  Bastille  assiégée  par  le  peuple 186 

Puissance  des  bouchers 187 

Ils  veulent  réformer  d'abord  la  famille  royale,  le  dauphin.  .  .  .  189 

Ils  se  font  livrer  les  courtisans  du  dauphin 191 

Tyrannie  des  écorcheurs 195 

(22  mai).  Nouvel  enlèvement  des  seigneurs  et  courtisans 200 

(25  mai).  Promulgation  de  la  grande  ordonnance  de  réforme  .  ibid. 

Quels  en  ont  été  les  auteurs  ? 203 

(Mai-juillet).  Gouvernement  violent  des  cabochiens,  emprunt  forcé, 

etc 209 


414  TABLE    DES   MATIÈRES 

Pages 

(21  juill.).  Réaction 211 

(5  sept.).  L'ordonnance  annulée 214 

1414  (10  févr.).  Le  duc  de  Bourgogne  déclaré  rebelle 215 

(4  sept.)-    Siège,  traité  d'Arras;  la  réaction   convaincue  d'im- 
puissance à  son  tour ibid. 

1415  (5  janv.).  Sermon  de  Gerson  contre  le  gouvernement  populaire.  216 
Affaires  ecclésiastiques;  livre  de  Clémengis  sur  la  Corruption  de 

l'Église 218 

1409.    Inutilité  du  concile  de  Pise 223 

Pauvreté  intellectuelle  de  l'époque 226 


LIVRE  IX. 

Chapitre  Ier.  L'Angleterre,  l'État,  l'Église.  —  Azincourt  (1415)  .  .  229 

Étroite  union  de  la  Royauté  et  de  l'Église  sous  la  maison  deLan- 

castre ibid. 

L'Église  comme  grand  propriétaire 230 

Élévation  des  Lancastre  :  Henri  IV,  Henri  V 231 

Persécutions  des  hérétiques 235 

1414-1415.  Danger  du  roi  et  de  l'Église ibid. 

1415     (16  avril).  Henri  V  se  prépare  à  envahir  la  France 240 

(14  août-22  sept.)-  H  débarque  à  Harfleur;  Harfleur  se  rend  .  .  244 

Henri  V  entreprend  d'aller  d'Harfleur  à  Calais.  .  . 247 

(19  oct.).  Il  parvient  à  passer  la  Somme 252 

(25  oct.).  Bataille  d' Azincourt 255 

Captivité  de  Charles  d'Orléans;  ses  poésies 266 

Chapitre  II.  Mort  du  connétable  d'Armagnac,  mort  du  duc  de 

Bourgogne.  —  Henri  V  (1416-1421) 270 

Armagnac,  connétable  et  maître  de  Paris;  sa  tyrannie 271 

1416.  11  essaye  de  reprendre  Harfleur 272 

1417.  Le  duc  de  Bourgogne  défend  de  payer  l'impôt 275 

Henri  V  s'empare  de  Caen  et  de  la  basse  Normandie ibid. 

1418     (29  mai).  Les  Bourguignons  reprennent  Paris 278 

(12  juin).  Massacre  des  Armagnacs 279 

(21  août).  Nouveau  massacre 281 

Duplicité  et  impuissance  du  duc  de  Bourgogne 282 

Négociations  d'Henri  V  avec  les  deux  partis 284 

(Fin  juin).  Il  assiège  Rouen 286 

Détresse  de  cette  ville 288 


TABLE    DES   MATIÈRES  415 

Pages 

1419  (19  janv.).  Elle  se  rend 292 

Coopération  des  évêques  anglais  à  la  conquête 293 

Projets  gigantesques  d'Henri  Y  sur  l'Italie,  ctc 294 

(11  juill.).  Le  duc  de  Bourgogne  traite  avec  le  dauphin 296 

(10  sept.)*  H  est  assassiné  dans  l'entrevue  de  Montereau 299 

(2  décemb.).  Son  fils  reconnaît  le  droit  d'Henri  V  à  la  couronne 

de  France 300 

1420  (21  mai).  Traité  de  Troyes;  Henri  héritier  et  régent 302 

(Juill. -nov.).  Siège  de  Melun 304 

(Dec).  Entrée  d'Henri  V  à  Paris 305 

1421  (3  janv.).  Le  dauphin  est  déclaré  déchu  de  ses  droits  à  la  cou- 

ronne    306 


Chapitre  III.  Suite  du  précéderit.  —  Concile  de  Constance  (1414- 

1418).  —  Mort  d'Henri  V  et  de  Charles  VI  (1422) 307 

Henri  V  au  Louvre;  sa  suprématie  dans  la  chrétienté. ibid. 

1414-1418.  Affaires  ecclésiastiques:  Concile  de  Constance 309 

Vues  de  Gerson  et  des  gallicans 310 

Jean  Huss  et  Jérôme  de  Prague ,  .  .  311 

1418.    Impuissance  du  Concile;  retraite  et  fin  de  Gerson 317 

Quelle  avait  été  l'influence  de  l'Angleterre  dans  le  Concile  .  .  .  319 
Position  difficile  d'Henri;  ses  embarras  financiers;  domination 

des  évêques 320 

1421  (23  mars).  Les  Anglais  défaits  en  Anjou 325 

1421-1412  (6  oct.-lO  mai).  Siège  de  Meaux 326 

Mésintelligence  des  Anglais  et  des  Bourguignons 327 

1422  (31  août).  Détresse  d'Henri  V,  son  découragement,  sa  mort.  .  .  330 
(21   oct.).  Mort  de  Charles  VI;    avènement  de  Charles  VII   et 

d'Henri  VI 334 

1418-1422.  Dépopulation;  épidémies,  famines;  désespoir 336 

Gaieté  frénétique 339 

La  danse  des  morts 341 

Appendice 347 


FIN  DE  LA  TABLE  DU  TOME  QUATRIEME. 


IMPRIMERIE   E.   FLAMMARION,   26,   RUE   RACINE,   PARIS. 


Bibliothèques 

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Echéance 

Libraries 

University  of  Ottawa 

Date  Due 

15  OCT.  1994 
02  0CTJ99A 

Qp 


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