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Full text of "Œuvres complètes de M. le C[om]te de Buffon .."

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HISTOIRE 

NATURELLE, 

GÉNÉRALE  ET  PARTICULIERE. 


Tome  1. 


o 


I 


ŒUVRES 

COMPLÈTES 

D  E 

M.  LE  C7E  DE  BUFFON, 

Intendant  du  Jardin  du  Roî ,  de  l* Académie 
Franc oife ,  de  celle  des  Sciences,  è^c. 

mmmÊmÊmammÊmmmÊmmmwmÊmmmmmmwmmmÊÊmmmmmmtmmmmmmÊmmmmmmamam 

Tome  Premier. 
Théorie  de  la  Terre. 


A     PARIS, 

DE    L»I  M  PRIME  RIE    ROYALE. 


M.    DCCLXXIV 


AD.siyîsî-5'57"^ 


TABLE 


\i  j^  yâ^..yfi  y^^  -^^i  y^  lo^  3p^    3»^    i«t  *;.>-  ■>!.^  ^  i'-^  5l,^^^  *    ^ 

AU  ROI. 


IRE, 

L'Hïfloïn  iif  les  monumem 
îmmortaliferont  les  qualités  hé- 
roïques ,  if  les  vertus  pacifiques 
que  [Univers  admire  dans  la  per- 
fonne  de  Votre  MAJESTÉ.  : 
Cet  ouvrage  qui  contient  l'hif 
îoire  de  la  Nature  ,  entrepris 
par  vos  ordres ,  coTifacrera  à  la 
poflérïté    votre    goût    pour    les 


Sciences  ,  èf  la  protection  éclch 
tante  dont  vous  les  honore-^. 
Senfible  à  toutes  les  fortes  de 
gloire  y  grand  en  tout,  excellent 
en  vous-même ,  S  IRE .,  vous  fere-^^ 
à  jamais  l'exemple  des  Héros 
if  le  modèle  des  Rois. 

Nous  fommes  avec  un  très- 
profond  refpeél  ^ 

SIRE, 

De  Votre  Majeste\ 


Les  très-Iiumbîes  ,  très-obcifTans  (5c  très* 
fidèles  lujets  &i  ferviteurs , 
B  U  F  F  o  N  ,    Intendant  de  votre  Jardin  ÔlQS 

Plantes  , 
Daubenton,   Garde  &  Démonflrateiir  de 
votre  Cabinet  d'Hidoire  Naturelle. 


TABLE 

De  ce  qui  eft  contenu  dans  ce 
Volume. 

Premier  Discours.  De  la  manière 
d'étudier  &  de  traiter  l'Hifloire 
Naturelle .........      Page    2 

Second  Discours.  Hifloire  ér 
théorie  de  la  Terre o  a 

Preuves  de  la  Théorie  de 
la  Terre. 

Article  I.   De  la  formation  des 

Planètes. ...  i  g  c 
Art.       il   Du    Syflème   de  M. 

Whijlon . .  .  .  ^^r 
Art.      Iir.    Du  fyftème    de    M, 

Burnet ,  ,  .  .  262 
Art.     IV.    Du  fy/lème    de    M. 

Woodward.  .    x6j 


ArticleV.  Expofitiofi  de  (Quelques 

autres  Syjlèmes.  2.y  <y 

Art.     V  I.  Géogrûphîe, ...     2(^7 

Art»  VII.  Sur  la  produâïon  des 
coucher  ou  lits  de 
terre 334. 

Art.  VIII.  Sur  les  coquilles  &  les 
mitres  produâions  de 
la  mer ,  qu'on  trouve 
dans  l  intérieur  de 
la  terre .....    388 


HISTOIRE 


HISTOIRE 

NATURELLE. 

Premier  Dijcoiirs. 


Tom  L 


JRes  ardua  vetuflis  novitateni  dare,  novis 
auSîoritatem ,  obfoletis  nitorem,  obfcuris  Iiicem  , 
faftiditis  gratiam  ,  dubiis  fidan,  omnibus  vero 
naturam,if  naturœ'fuœ vmnia.  Plin.  in  Praef, 
ad  Vefpaf. 


5 

HISTOIRE 

NATURELLE- 
PREMIER  DISCOURS. 

De  la  manière  d'étudier  &  de  traiter 
ïHîJloire  Naturelle, 

L'H  I  s  TO  ï  R  E  Naturelle  prifè  dans 
toute  ion  étendue  ,  eîl  une  Hiiloire 
immenfe,  elle  cmbrafie  tous  les  objets 
que  nous  préfente  l'Univers.  Ccttemul- 
tiîude  prodigieufe  de  Quadrupèdes, 
d'Oifeaux,  de  Poiiïons,  d'ïnfècies,  de 
Plantes,  de  Minéraux,  &.c.  ofîre  à  la 
curiofité  de  l'efprit  humain  un  vafle 
fpec^acle  dont  l'enfemble  eft  fi  o-rand, 
qu'il  paroît  &  qu'il  eil:  en  effet  inépui- 
iabie  dans  ies  détails.  Une  feule  partie 
de  i'Hifloire  Naturelle,  comme  l'Hif- 
toire    des    Infedes,   ou  i'HiUoire    des 

Ai; 


'4  Manière  de  traiter 

Epiantes  j  fuffit  pour  occuper  plufieurs 
{lonimes  ;   &l  ies  plus  habiles  Gbierva^ 
teurs  n'ont  donne,  après  un  travail  de 
pjufieurs  années ,  que  d^s  ébauches  aflez 
imparfaites  des   objets    trop    muitipliés 
que  préfentent  ces  branches  particulières 
de  î'Hilloire   Naturelle,   auxquelles  ils 
s'itoient  uniquement   attachés  :    cepenr 
dant  ils  ont  fiiit  tout  ce  qu'ils  pouvoient 
£iire,  &  bien  loin  de  s'i^n  prendre  aux 
Obiervateurs  du  peu  d'avancement  de 
ïa   Science,   on  ne   fauroit   trop  louer 
ïeur  alîjduité  au  travail  &  leur  patience, 
on  ne  peut  même  leur  réfuter  des  qua- 
lités plus  élevées;  car  il  y  a  une  elpèce 
de  force  de  génie  &  de  courage  d'ef- 
prit  à  pouvoir  envifager,  iims  s'étonner, 
îa    Nature    dans  la   multitude  imiom- 
brable  de  fes  procludions ,  &  à  fe  croire 
capable   de  ïçs  comprendre   &.   de  ies 
comparer;  il  y  a  une  efpèce  de  goût  à 
les  aimer,  plus  grand  que  le  goût  qui 
n'a  pour  but  que  des  objets  particu- 
liers,  &  Ton  peut  dire  que  l'amour  de 
i  étude  de  la  Nature- fuppofe  dans  l'ef- 
prit  deux  qualités  qui  paroiffent  oppo- 
'jg^s,  les  graiid^es  3aies  d'ui;  génie  .ardenf 


ïHijloire  Naturelle.  J 

qui  èmbralTe  tout  d'un  coup  d'œil,  <& 
les  petites  attentions  d'un  inflind  1er- 
borieux  qui  ne  s'attache  qu'à  un  feul 
point. 

Le  premier  obftacle  qui  fe  préfème 
dans  l'étude  de  l'Hiitoire  Naturelle  , 
vient  de  cette  grande  multitude  d'objets; 
mais  la  variété  de  ces  mêmes  objets,  & 
la  difficulté  de  ralTembier  les  produc- 
tions diverfes  des  difFérens  climats,  for- 
ment un  autre  obflacle  à  l'avancement 
de  nos  connoifTances ,  qui  paroît  invin-- 
cible ,  &  qu'en  effet  le  travail  feul  ne 
peut  furmonter;  ce  n'efi:  qu'à  force 
de  temps,  de  foins,  de  dépenfes,  & 
fouvent  par  des  hafards  heureux,  qu'on 
peut  (è  procurer  àts  individus  bien 
confèrvés  de  chaque  efpèce  d'animaux, 
de  plantes  ou  de  minéraux ,  &  former 
une  colleélion  bien  rangée  de  tous  les 
ouvrages   de  fa  Nature. 

Mais  îorfqu'on  eil  parvenu  à  rafiem- 
bler  des  échantillons  de  tout  ce  qui 
peuple  l'Univers,  lorfqu'après  bien  des 
peines  on  a  mis  dans  un  même  lieu  des 
modèles  de  tout  ce  qui  ie  trouve  ré* 
pandu  avec  profulion  fur  la  terre,   ^ 

A  lij 


é  Manicrt  de  muter 

qu'on  jette  pour  la  première  fois  ïcs 
-yeux  fur  ce  magaiin  rempli  de  choies 
diveries,  nouvtiies  &  étrangères,  la 
première  leniation  qui  en  réiliite,  eft 
im  étonnemenî  mêlé  d'admiration,  & 
îa  première  réflexion  qui  fuit ,  eft  un 
retour  humiliant  Ibr  nous-mêmes.  On 
ne  s'im.agine  pas  qu'on  puifle  avec  ie 
temps  parvenir  au  point  de  reconnoître 
tous  ces  différens  objets,  qu'on  puiiïe 
parvenir  non  -  feulem^ent  à  ies  recon- 
noître par  la  forme,  mais  encore  à  fa- 
voir  tout  ce  qui  a  rapport  à  la  naif- 
ilmce,  la  produClicn,  i'organiiaiion , 
îcs  u la cres ,  en  un  mot  à  i'hiftoire  de 
chaque  choie  en  paniculier  :  cepen- 
dant, en  fe  familiarilànt  avec  ces  mêmes 
objets,  en  les  voyam  fouvent ,  &  ,  pour 
ainfi  dire,  fans  oefiein,  ils  forment  peu 
à  peu  des  iiuprefllons  durables,  qui 
Bicii-tôt  fe  lient  dans  notre  efprit  par 
des  rapports  fixes  &  invariables  ;  &  de- 
là nous  nous  élevons  à  des  vues  plus 
générales  ,  par  lefquelles  nous  pouvons 
embrafTer  à  la  fois  piufeurs  objets  dif- 
férens ;  &  c'eft  alors  qu'on  eft  en  état 
d'étudier  avec  ordre,  de  réfléchir  avec 


rHifloire  NûîHvelIe»  '^  j 

fi'iîit,  &.  de  fe  frayer  des  routes  pour 
arriver  à  des  découvertes  utiies. 

On  doit  donc  commencer  par  voir 
beaucoup  &.  revoir  fouvent;  queique 
néceiïaire  que  l'attention  foit  à  tout, 
ici  on  peut  s'en  difpenfer  d\ibord  :  je 
veux  parier  de  cette  attention  fcrupu- 
leufe,  toujours  utile  lorfqu'on  fait  beau- 
coup, &.  fouvent  nuifible  à  ceux  qui 
commencent  à  s'infiruire.  L'elTentiel 
eil:  de  leur  meubler  la  tête  d'idées  &: 
de  faits,  de  les  empêcher,  s'il  eil  po(^ 
fible,  i!!itï\  tirer  trop  tôt  des  raifonne- 
mens  &  des  rapports  ;  car  il  arrive  tou- 
jours que  par  l'ignorance  de  certains 
fiits,  &  par  la  trop  petite  quantité  d'i- 
dées, ils  épuifent  leur  efprit  en  faufTes 
combinaifons  ,  &  fe  chargent  la  mé- 
moire de  conféquences  vagues  &  de 
réiùltats  contraires  à  la  vérité,  lefquels 
forment  dans  la  fuite  des  préjugés  qui 
s'effacent  difficilement. 

C'efl:  pour  cela  que  j*ai  dit  qu'il  £iî- 
loit  commencer  par  voir  beaucoup,  il 
faut  aufli  voir  prefque  fins  dellein ,  parce 
que  fi  vous  avez  réfolu  de  ne  confi- 
dérer  les  choies  que  dans  vuic  certaine 

A  iiij 


8  Manière  de  traiter 

vue,  dans  un  certain  ordre,  dans  un  cer- 
tain fyftème ,  eiifîiez-vous  pris  le  meil- 
leur chemin,  vous  n'arriverez  jamais  à 
la  même  étendue  de  connoiiïîuices  à 
laquelle  vous  pourrez  pre'tendre,  fi 
vous  laiiïez  dans  lès  commencemens 
votre  efprit  marcher  de  lui-même ,  (è 
reconnoître,  s'afTurer  fans  fecours,  & 
former  fèul  la  première  chaîne  qui  re- 
preTente  l'ordre  de  les  idées. 

Ceci  efl:  vrai  ians  exception,  pour 
toutes  les  perfonnes  dont  i'efprit  eft 
fait  &  !e  raifonnement  forme';  les  jeunes 
gens  au  contraire  doivent  être  guide's 
plus  tét  &  confeillés  à  propos,  il  faut 
même  les  encourager  par  ce  qu'il  y  a 
de  plus  piquant  dans  la  fcience ,  en  leur 
faifant  remarquer  les  chofes  les  plus  fui- 
gulières,  mais  fans  leur  en  donner  d'ex- 
plications pre'cifes  ;  le  myfière  à  cet  âge 
excite  la  curiofité ,  au  lieu  que  dans 
i'âge  mûr,  il  n'infpire  que  le  de'goûî; 
ies  enflms  fè  lalTent  aife'ment  des  chofes 
qu'ils  ont  déjà  vues ,  ils  revoient  avec 
indifférence,  à  moins  qu'on  ne  leur  pré- 
fente les  mêmes  objets  fous  d'autres 
points  de  vue  3  (3c  au  li^u  de  leur  répéter 


î'Hijïûîre  Naîureïïe»  ^ 

fiinplement  ce  qu'on  leur  a  déjà  dit, 
il  vaut  mieux  y  ajouter  des  circonf^ 
tances,  même  étrangères  ou  inutiles; 
on  perd  moins  à  les  tromper  qu'à  les 
déoroûter. 

Lori qu'après  avoir  vu  &  revu  pîu- 
fleurs  fois  les  chofes ,  ils  commenceront 
à  (e  les  repréfenter  en  gros ,  que  d'eux* 
mêmes  ils  fe  feront  des  divi fions ,  qu'ils 
commenceront  à  apercevoir  des  diftinc^ 
tions  générales,  le  goût  de  la  fcienc^ 
pourra  naître,  &  il  fmdra  l'aider.  Cs 
goût  il  ncceifaire  à  tom,  mais  en  même 
temps  fi  rare,  ne  (è  donne  point  par  les 
préceptes;  en  vain  l'éducation  voudroiî 
y  fuppléer,  en  vain  les  pères  contrai- 
gnent-ils leurs  enfins,  ils  ne  les  amè- 
neront jamais  qu'à  ce  point  commun  k 
tous  les  hommes,  à  ce  degré  d'intellii- 
gence  &  de  mémoire  qui  fuffit  à  h 
Ibciété  ou  aux  affaires  ordinaires;  mars 
c'eil  à  la  Nature  à  qui  l'on  doit  cette 
première  éuncelle  de  crénie,  ce  germe 
de  goût  dont  nous  parions ,  qui  ie  dé- 
veloppe enfuiie  plus  ou  moins  ,  fuj^ 
vant  les  différentes  circondanccs  &  te 
différens  objets, 

A  T 


:i  d  Âidiilère  de  îraner 

Auffi  doit-on  prefenter  à  i'efprit  Jes 
jeunes  gens  des  cholb  de  toute  elpèce , 
Aç:%  études  de  tout  genre,  des  objets 
de  toutes  ibrtes ,  afin  de  reconnoîtrc  le 
genre  auquel  leur  cfprit  fe  porte  avec 
plus  de  force ,  ou  le  livre  avec  plus  de 
plaifir:  l'Hilloire  Naturelle  doit  leur 
être  préientée  à  Ton  tour,  &  précilé- 
nient  dans  ce  temps  où  la  raifon  com- 
nience  à  fe  développer;  dans  cet  âge 
oii  ils  pourroient  commencer  à  croiie 
qu'ils  favent  déjà  beaucoup  ;  rien  n'efl 
plus  capable  de  rabaifler  leur  amour 
propre,  &  de  leur  faire  fentir  combien 
il  y  a  de  chofes  qu'ils  ignorent  ;  & 
indépendamment  de  ce  premier  effet 
qui  ne  peut  qu'être  utile,  une  étude 
înênie  légère  de  l'Hiftoire  Naturelle 
élèvera  leurs  idées,  &  leur  donnera  des 
connoiiîiinces  d'une  infinité  de  chofes 
que  le  commun  des  hommes  ignore, 
&  qui  fe  retrouvent  fouvent  dans  l'u- 
fage  de  la  vie. 

Mais  revenons  à  l'homme  qui  veut 
s'appliquer  férieufement  à  l'étude  de  la 
Nature,  &  reprenons-le  au  point  où 
nous  l'avons  laifîe ,  à  ce  point  où  il 


l'HïJlolre  Ndîurelle,  1 1; 
commence  à  généraliier  Tes  ide'es,  &  à 
fe  former  une  met  ode  d'arranoement 
ôi  des  fyftcmes  d'explication  ;  c'ell  alors 
qu'il  doit  confuitcr  ies  gens  inllruits, 
iire  les  bons  Auteurs,  examJner  leurs 
différentes  méthodes,  &  emprunter  des 
iumières  de  tous  côtés  ,  m.ais  coirime 
il  arrive  ordinairement  c|ii'on  fe  prend 
alors  d'affedron  &  de  goût  pour  cer- 
tains auteurs,  pour  une  certaine  mé- 
thode, &  que  fouvent,  fans  un  exa- 
men aiïez  miûr,  on  fe  livre  à  un  fyf- 
tème  quelquefois  mal  fondé,  il  eft  bon 
que  nous  donnions  ici  cjuelques  no- 
tions préliminaires  fur  les  méthodes 
qu'on  a  imaginées  pour  faciliter  l'in- 
telligence de  l'Hifîoire  Naturelle  :  ces 
méthodes  font  très -utiles,  lorsqu'on 
ne  ies  emploie  qu'avec  les  reflridions 
convenables;  elles  abrègent  le  travail, 
elles  aident  la  mémoire,  &  elles  offrent 
à  l'efprit  une  fuite  d'idées,  à  la  vérité 
compofées  d'objets  différens  entr'eux^ 
mais  qui  ne  iaiffcnt  pas  d'avoir  des  rap- 
ports communs,  &  ces  rapports  for- 
ment des  im.preiïions  plus  fortes  que 
ne  pourroitnt  faire  des  objets  détachas- 

A  vj 


î  2  Manière  de  traiter 

qui  n'auroient  aucune  relation.    Yoliiî 
la  principale  utilité  des  méthodes,  mais 
i'inconvénient  eft  de  vouloir  trop  aion- 
ger  ou  trop  refTerrer  la  chaîne ,  de  vou- 
loir foumettre  à  des  loix  arbitraires  les 
ioix  de  la  Nature ,  de  vouloir  la  divi- 
ier  dans  des  points  où  elle  eft  indivi- 
jfible ,  &   de  vouloir  mefurer  les  forces 
par   notre  foibîe  imagination.  Un  autre 
inconvénient  quin'eft  pas  moins  grand, 
&  qui  eft  le  contraire  du  premier,  c'eft 
de  s'afTujettir  à  des  méthodes  trop  par- 
ticulières ,  de  vouloir  juger  du  tout  par 
une  feule  partie ,  de  réduire  la  Nature  à 
de  petits  fyftèmies  qui  lui  font  étrangers, 
&  de  les  ouvrages  immenfes  en  former 
arbitrairement  autant  d'afTemblages  dé- 
tachés ;  enfin  de  rendre ,  en  multipliant 
les  noms  &  les  repréfentaticns  ,  la  langue 
de  la  fcience  plus  difficile  que  la  fcience 
elle-m.êmie. 

.Nous  fcynmes  naturellement  portés 
à  imaginer  en  tout  une  efpèce  d'ordre 
&  d'uniformité,  &  quand  on  n'examine 
que  légèrement  les  ouvrages  de  la  Na- 
ture ,  il  paroît  à  cette  première  vue 
qu'elle  a  toujours  travailié  fur  un  mêm^^ 


ïHïfloire  Naîmelk.  l  3 

plan  :  comiTie  nous  ne  connoiiïons  noivs- 
înêmes  qu'une  voie  pour  arriver  à  un 
Lut,  nous  nous  perfuadons  que  la  Na- 
ture fait  &  opère  tout  par  les  mêmes 
moyens  &:  par  des  opérations  lem- 
Llablesi  cette  manière  de  penier  a  fait 
imaginer  une  infinité  de  faux  rapports 
entre  les  produdions  naturelles,  les 
plantes  ont  été  comparées  aux  ani- 
maux ,  on  a  cru  voir  végéter  les  \xî\- 
néraux,  leur  organifation  ii  différente, 
&  leur  mécanique  fi  peu  reffembknte 
ont  été  fouvent  réduites  à  la  même  forme. 
Le  moule  commun  de  toutes  ces  choies 
fi  difîemblabies  entr'elles,  eil:  moins 
dans  la  Nature  que  dans  i'efprit  étroit 
de  ceux  qui  l'ont  mal  connue ,  &  qui 
favent  auffl  peu  juger  de  la  force  d'une 
vérité,  que  des  juftes  limites  d'une  ana- 
logie comparée.  En  effet,  doit -on, 
parce  que  le  fang  circule ,  affurer  que 
la  sève  circule  aufîi  î  doit-on  conclure 
de  la  végétation  connue  des  plantes  a 
une  pareille  végétation  dans  les  minér- 
raux ,  du  mouvement  du  ftmg  à  celui 
de  la  sève,  de  celui  de  la  sève  au  mou- 
rement  du  fuc  pétrifiant  î  a'sfl-ce  pas 


^î4  'Manière  Je  traiter 

porter  dans  la  réalité  des  ouvrages  du 
Créateur,  les  abfl: radions  de  notre  ef- 
prit  borné,  &  ne  lui  accorder,  pour 
ainfi  dire,  c|u'autant  d'idées  que  nous 
en  avons!  Cependant  on  a  dit,  &  on 
dit  tous  ies  jours  des  chofes  aufîi  peu 
fondées,  &  on  bâtit  dts  fyftèmes  lur 
des  faits  incertains,  dont  l'examen  n'a 
janiais  été  fiit,  &  qui  ne  fervent  qu'à 
montrer  ie  penchtint  qu'ont  les  hommes 
à  vouloir  trouver  de  la  refîemblance 
dans  les  objets  les  plus  différens ,  de  la 
régularité  où  il  ne  règne  que  de  ia  va-^ 
riété,  (Se  de  l'ordre  dans  les  chofes  cju'iis 
n'aperçoivent  f[ue  confufément. 

Car  lorfque,  (ans  s'arrêter  à  des  con- 
noiffmces  fuperficielles  dont  les  réful- 
tats  ne  peuvent  nous  donner  que  des 
idées  incomplètes  des  produdions  &: 
des  opérations  de  la  Nature,  nous  vou- 
lons pénétrer  plus  avant  &  examiner 
avec  des  yeux  plus  attentifs  la  forme 
&  la  conduite  de  fes  ouvrages,  on  elt 
auiîi  furpris  de  la  variété  du  deilein  ^ 
que  de  la  multiplicité  des  moyens  d'exé- 
cunon.  Le  nombre  des  produdions  de 
h  Nature,  quoique  prodigieux,  ne  fils 


TlJîjîoire  Naturelle.  I  5 

riîgrs^  que  la jmus  J^ji^J'^'^ï'^ic  <Je  notre 
etonnement,  ia  mécanique,-  Ton  art, 
{^s  reffoûrcés,  les  déiorcîres  même, 
emportent  toute  notre  admiration  ;  trop 
petit  pour  cette  immenfité ,  accabié  par 
îe  nombre  des  merveilles,  Tefprit  hu- 
main fuccombe  :  il  iemble  que  tout  ce 
qui  peut  être,  eft  ;  la  main  du  Créateur 
Ke  paroît  pas  s'être  ouverte  pour  don- 
ner i'être  à  un  certain  nombre  déter- 
miné d'efpèces  ;  mais  il  fembîe  qu'elle 
ait  jeté  tout-à-ia-fois  un  monde  d'êtres 
relatifs  &  non  relatifs;  une  infinité  de 
combinaifons  harmoniques  &  contrai- 
res, &  une  perpétuité  de  deflrudions 
&  de  renouvelleniens.  Quelle  idée  de 
pui/Tance  ce  fpeélacle  ne  nous  offre-t-il 
•pas  !  Quel  fentiment  de  refpeél  cette 
vue  de  l'Univers  ne  nous  infpire-t-elie 
pas  pour  fon  Auteur!  Que  feroit-ce  ii 
îa  foible  lumière  c[ui  nous  guide,  deve- 
noit  aflez  vive  pour  nous  fiire  aper- 
cevoir l'ordre  général  des  caufes  &i  de 
la  dépendance  des  effets  \  mais  l'eiprit 
le  plus  vafie,  &  le  génie  le  plus  puif- 
fant,  ne  s'élèvera  jamais  à  ce  haut  point 
4e  ccnnoiflance  :   les  premières   caiiiès 


i6  Manière  de  îraiîcr 

nous  feront  à  jamais  cachées ,  les  réiiiï- 
tats  généraux  de  ces  caufes  nous  feront 
aufîi  difficiles  à  connoître  que  les  caufes 
mêmes;  tout  ce  qui  nous  eft  pofTible, 
c'efl:  d'apercevoir  quelques  effets  parti- 
culiers, de  les  comparer,  de  les  com- 
biner, &  enfin  d'y  reconnoître  plutôt 
un  ordre  relatif  à  notre  propre  nature , 
que  convenable  à  i'exiilence  des  chofes 
que  nous  confidérons. 

Mais  puifque  c'eil:  la  fexiîe  voie  qui 
nous  foit  ouverte,  puifque  nous  n'a- 
vons pas  d'autres  moyens  pour  arriver  à 
la  connoilîànce  des  chofes  naturelles, 
ii  faut  aller  iufqu'où  cette  route  peut 
nous  conduire,  il  faut  raffembler  tous 
les  objets,  les  comparer,  les  étudier,  & 
tirer  de  leurs  rapports  combinés  toutes 
les  lumières  qui  peuvent  nous  aider  à 
les  apercevoir  nettement  &  à  les  mieux 
connoître. 

La  première  vérité  qui  ibrt  de  cet 
examen  férieux  de  la  Nature,  efl:  une 
vérité  peut-être  humiliante  pour  l'hom- 
me ;  c'eft  qu'il  doit  ie  ranger  lui-même 
dans  la  claiïe  des  animaux,  auxquels  il 
reffemble  par  tout  ce  qu'il  a  de  matérid^ 


THïjloire   'Naturelle.         Jj 

Se  même  leur  inflinél  lui  paroîtra  peut- 
être  plus  fur  que  in  raifon,  &  ieurindui^ 
trie  plus  admirable  que  l'es  arts.  Par- 
courant enfuite  fuccefîlvemeiit  &  par 
ordre' les  difFcrens  objets  qui  compofent 
l'Univers,  &  le  menant  à  la  tête  de  tous 
les  êtres  crée's,  il  verra  avec  étonnement 
qu'on  peut  defcendre  par  des  degrés 
prefqu'infenfibles,  de  la  créature  la  plus 
parfaite  jufqu'à  la  matière  la  plus  infor- 
me, de  l'animal  le  mieux  organifé  juf- 
qu'au  minéral  le  plus  brut;  il  recon- 
noîtra  que  ces  nuances  imperceptibles 
font  le  grand  œuvre  de  la  Nature;  il 
les  trouvera  ces  nuances ,  non-feulement 
dans  les  grandeurs  &  dans  les  formes, 
mais  dans  les  mouvemens,  dans  les  géné- 
rations, dans  les  fucceffions  de  toute 
elpèce. 

En  approfondiffant  cette  idée ,  oit 
voit  clairement  qu'il  eft  impoflible  de 
donner  un  fyftème  général,  une  mé- 
thode parfaite  ,  non  -  feulement  pour 
l'Hiftoire  Naturelle  entière,  mais  même 
pour  une  feule  de  fes  branches ,  car  pour 
faire  un  fyftème,  un  arrano-ement,  en  un 
mot  une  méthode  générale,  il  faut  que 


'î  8  Ma f Itère  de  traiter 

tout  y  foit  comj;ris;  il  fliut  divifer  ce 
tout  en  différentes  ciafies,  partager  ces 
claflcs  en  genres ,  fous-divifer  ces  genres 
en  eipèccsj  &  tout  cela  fuivant  un  ordre 
dans  lequel  il  entre  nécciîaircment  de 
l'arbitraire.  Mais  ia  Nature  marche  par 
des  gradations  inconnues,  &  par  conie- 
quent  elle  ne  peut  pas  fe  prêter  totale- 
ment à  ces  divifions,  puiiqu'eile  pafle 
d'une  efpèce  à  une  autre  efpèce,  &.  iou- 
Yeni  d'un  genre  à  un  autre  genre ,  par  des 
nuances  imperceptibles  ;  de  fone  qu'il 
fe  trouve  un  grand  nombre  d'efpèces 
moyennes  &  d'objets  mi- partis  qu'on 
ne  iàit  où  placer,  &  qui  dérangent  né- 
ccfTairement  le  projet  du  ryflème  géné- 
ral :  cette  vérité  eft  trop  importante  pour 
que  je  ne  l'appuie  pas  de  tout  ce  qui 
peut  la  rendre  claire  &  évidente. 

Prenons  pour  exemple  la  Botanique, 
cette  belle  partie  del'Hiftoire  Naturelle, 
qui  par  Ton  utilité  a  mérité  de  tout  temps 
d'être  la  plus  culdvée,  &  rappelons  à 
î'examen  les  principes  de  toutes  les  mé- 
thodes que  les  Botanides  nous  ont  don- 
nées ;  nous  verrons  avec  quelque  furprilè 
qu'ils  ont  eu  tous  en  vue  de  comprendrç 


VHipoîre  Naturelle»  i  9 

cîans  leurs  mcthodes  génenleinent  toutes 
Jes  efDcces  de  piantes,  &.  qu'aucun  d'eux 
n'a  parfaitement  réulli  ;  il  fe  trouve  tou- 
jours dans  chacune  de  ces  méthodes  un 
certain  nombre  de  plantes  anomales  dont 
ï'eipèce  eli  moyenne  entre  deux  genres, 
&  fur  laquelle  il  ne  leur  a  pas  été  pofîible 
de  prononcer  jufle  ,  parce  qu'il  n'y  a  pas 
plus  de  railon  de  rapporter  cette  efpèce 
à  l'un  plutôt  qu'à  l'autre  de  ces  deux- 
genres:  en  effet,  le  propofer  de  faire 
une  méthode  parfiite  ,  c'efl:  fe  propofer 
un  travail  impolTible  ;  il  faudroit  un 
ouvrage  qui  repréfentât  exad:ement  tous 
ceux  de  la  Nature,  &  au  contraire  tous 
les  jours  il  arrive  qu'avec  toutes  les  mé- 
thodes connues,  &  avec  tous  les  lècours 
qu'on  peut  tirer  de  la  Botanique  la  plus 
éclairée ,  on  trouve  des  efpèces  qui  ne 
peuvent  le  rapporter  à  aucun  des  genres 
compris  dans  ces  méthodes  :  ainli  l'expé- 
rience eft  d'accord  avec  ia  raifon  fur 
ce  point,  &  l'on  doit  être  convaincu 
qu'on  ne  peut  pas  fiire  une  méthode 
générale  &  parfaite  en  Botanique.  Ce- 
pendant il  lemble  que  la  recherche  de 
cette  niéihcde  générale  foit  une  efpèce 


%  o  Manière  àè  traiter 

de  pierre  phiiofophale  pour  les  Botà- 
iiiftes ,  qu'ils  ont  tous  cherchée  avec  des- 
peines  &  des  travaux  infinis  ;  tel  a  pafTé 
quarante  ans,  tel  autre  en  a  pafTë  cin- 
quante à  faire  Ton  Tyllème,  &  il  eft 
arrivé  en  Botanicjue  ce  qui  ell  arrivé 
en  Chimie,  c'efl  qu'en  cherchant  la 
pierre  philofophaie  que  l'on  n'a  pas 
trouvée,  on  a  trouvé  une  infinité  de 
chofes  utiles  ;  &  de  même  en  voulant 
£ire  une  méthode  générale  &  parfaite 
en  Botanique,  on  a  plus  étudié  &  mieux 
connu  les  plantes  &  leurs  ufages  :  tant  i-I 
efl  vrai  qu'il  faut  un  but  imaginaire  aux 
hommes  pour  les  foutenir  dans  leurs 
travaux ,  &  que  s'ils  étoient  perfuadéîs 
qu'ils  ne  feront  que  ce  qu'en  effet  ils 
peuvent  fiire,  ils  ne  feroient  rien  dy 
tout.- 

Cette  prétentbn  qu'ont  les  Botaniftes-, 
d'établir  dès  fyltèmes  généraux,  parfaits 
&  méthodiques,  efl  donc  peu  fondée  ;• 
aufîî  leurs  travaux  n'ont  pu  abouùr  qu'à 
nous  donner  des  méthodes  défecflueufes, 
kfquelîes  ont  été  fuccefîivement  dé- 
truites les  unes  par  les  autres ,  &  ont  fubi 
k  fort    commun,  à  tous  les  fyftèmes 


fHïfloire  Naturelle.  1 1 

fondés  fur  des  principes  arbitraires  ;   & 

ce  qui  a  ie  plus  contribué  à  renverfèr  ^ 

les  unes  de  ces  méthodes  par  ies  autres, 

c'eft  la  liberté  que  les  Botaniltes  fe  font 

donnée  de   choifir  arbitrairement    une 

leule  partie   dans  les  plantes ,  pour  en 

faire    le    caradère    fpécifique;    les    uns 

ont  établi  leur  méthode  fur  la  figure  des 

feuilles,   les  autres    fur   leur    pofition, 

d'autres  (\iï  ia  forme  des  fleurs ,  d'autres 

fur  le  nombre  de  leurs  pétales ,  d'autres  (w£^^*\fC 

enfin  fur  ie  nombre  des  étamîncs  ;  je  ne  ^^unJ. 

finirois  pas  fi  je  voulois    rapporter  -eii 

détail  toutes  ies   méthodes  qui  ont   été 

i^naginées,  mais  je  ne    veux  parler  ici 

que   de  ceiles  qui  ont  été  reçues  avec 

applaiidiiîement ,  <5c  qui  ont  été  fuivies 

chacune  à  ieur  tour,  fans  que  l'on  ait 

fait  affez  d'attention   à  cette  erreur  de 

principe  qui  leureft  commune  à  toutes, 

êc  qui  confiile  à  vouioir  juger  d'un  tout, 

tk:  de  ia  combinailon  de  plufieurs  touts , 

par  une  feule  partie ,  &  par  la  comparai- 

ion  des  différences  de  cette  feuie  partie  : 

car  vouloir  juger  de  ia   différence  des 

piantes,  uniquement  par  celie  de  ieurs 

feujlies  ou  de  leurs  fleurs ,  c'eft  coming 


%  2  Manière  de  traiter 

fi  Oïl  vouloit  connoître  la  différence  des 
animaux  par  la  différence  de  leurs  peaux 
ou  par  ceiie  des  parties  de  la  génération  t 
&  qui  ne  voit  que  cette  façon  de  con- 
noître n'efl  pas  une  fcience,  &  c{ue  ce 
ii'efl  tout  au  plus  qu'uue  convention, 
une  langue  arbitraire ,  un  moyen  de 
s'entendre,  mais  dont  il  ne  peut  réfuker 
aucune  connoifîltnce  réelle  î 

Me  feroit  -  il  permis  de  dire  ce  que 
,  je  penfe  fur  l'origine  de  ces  différentes 
méthodes ,  &  fur  les  caufes  qui  les  ont 
multipliées  au  point  qu'adueilement  Ja 
Botanique  elle-même  cit  plus  aifee  àjip- 
prendre  que  la  nomenclature,  qui  n'en 
eft  que  la  langue  î  Me  feroit-il  permis 
de  dire  qu'mi  homme  auroit  plutôt  fait 
de  graver  dans  la  mémoire  les  figures  de 
toutes  les  plantes,  &  d'en  avoir  des  idées 
nettes,  ccquieft  la  vraie  Botanique,  que 
de  retenir  tous  les  noms  que  les  diffé- 
rentes méthodes  donnent  à  ces  plantes, 
&  que  par  confequent  la  langue  efl  de- 
venue plus  difficile  que  la  fcienceî  voici, 
ce  me  fèmble,  comment  cela  eft  arrivé. 
On  a  d'abord  divifé  les  végétaux  fuivant 
ieurs  différentes  grandeurs,  on  a  dît,  iï 


THïfloire  Naturelle,  2  3' 

y  a  de  grands  arbres,  de  peiits  arbres, 
des  arbriiîeaux,  des  fous-arbiifTeaux,  de 
grandes  plantes,  de  petites  plantes  &  des 
herbes.  Voilà  le  fondement  d'une  mé- 
thode que  l'on  divife  &  fous-divilè  en- 
fuite  par  d'autres  relations  de  grandeurs 
&  de  formes ,  pour  donner  à  chaque 
efpèce  un  caradèfe  particulier.  Après  la 
méthode  faite  fur  ce  plan  ,  il  eft  venu  des 
gens  qui  ont  examiné  cette  didributioii 
&  qui  ont  dit  :  mais  cette  méthode  fon- 
dée iur  la  grandeur  relative  des  végétaux 
ne  peut  pas  fe  foutenir ,  car  il  y  a  dans  une 
feule  efpèce  comme  dans  celle  du  chêne, 
des  grandeurs  fi  différentes,  qu'il  y  a  diQ.s 
efpèces  de  chêne  qui  s'élèvent  à  cent 
pieds  de  hauteur ,  &  d'autres  efpèces  de 
chêne  qui  ne  s'élèvent  jamais  à  plus  de 
deux  pieds  ;  il  en  eft  de  même ,  propor- 
tion gardée,  des  châtaigniers ,  des  pins, 
<les  aloès ,  &  d'une  infinité  d'autres  ef- 
pèces déplantes.  On  ne  doit  donc  pas, 
a-t-on  dit,  déterminer  les  genres  des 
plantes  par  leur  grandeur,  puifque  ce 
ligne  eft  équivoque  &  incertain,  &  l'on 
a  abandonné  avec  raifon  cette  méthode. 
D'autres  font  venus  enfuite,  qui,  croyant 


':2.4'  'Mdînère  de  tmlter 
faire  mieux ,  ont  dit  :  il  faut  pour  con- 
noître  les  plantes ,  s'attacher  aux  parties 
les  plus  apparentes  ,  &:  comme  les  feuiiies 
font  ce  qu'il  y  a  de  plus  apparent ,  il  feut 
arranger  ies  plantes  par  la  forme ,  la  gran- 
deur &  la  pofition  des  feuilles.  Sur  ce 
projet,  on  a  fait  une  autre  méthode,  on 
l'a  luivie  pendant  quelque  temps ,  mais 
enfuite  on  a  reconnu  que  les  feuilles  de 
prelque  toutes  les  plantes  varient  prodi- 
gieufement  félonies  diffe'rens  âges  &  les 
diiFérens  terreins,  que  leur  forme  n'efl 
pas  plus  confiante  que  leur  grandeur, 
que  leur  pofition  eft  encore  plus  incer- 
taine ;  on  a  donc  été  aufîi  peu  content 
de  cette  méthode  que  de  la  précédente. 
Enfin  quelqu'un  a  imagûié>ii&-vj^  crois 
que  c'eft  Gefner,  q^'è^'le  Créateur  avoit 
mis  dans  la  fructification  des  plantes  un. 
certain  nombre  de  caradères  différens  <&: 
invariables ,  &  que  c'étbit  de  ce  point 
dont  il  falloit  partir,  pour  faire  une  mé- 
thode, &  comme  cette  idée  s'efl:  trouvée 
vraie  jufqu'à  un  certain  point ,  en  forte 
que  les  parties  dé  la  génération  des 
plantes  fe  font  trouvées  avoir  quelques 
différences  plus  confiantes  que  tojutes 

les 


l'Hifloire  Naturelle^        '±f 

΀s  autres  parties  de  la  plante  ,  prifes 
féparément  ,  on  a  vu  tout  d'un  coup 
s'élever  plufjeurs  méthodes  de  Botani- 
que ,  toutes  fondées  à  peu  près  fur  ce 
même  principe  ;  parmi  ces  méthodes , 
-eelle  de  M.  de  Tournefort  efl  la  plus 
remarquable  ,  la  plus  ingénieufe  &  la 
plus  complète.  Cet  illuftre  Botanifte  a 
iènti  les  défauts  d'un  fyltème  qui  feroit 
purement  arbitraire  ;  en  homme  d'elprit 
il  a  évité  les  abfurdités  qui  fe  trouvent 
dans  ia  plupart  des  autres  méthodes  de 
fes  contemporains ,  &  il  a  fait  fes  dil- 
tributions  &  fes  exceptions  avec  une 
fciencc  «Se  une  adrefle  infinies  ;  il  avoit , 
en  un  mot ,  mis  la  Botanique  au  point  de 
fe  paJTer  de  toutes  les  autres  méthodes, 
'&  il  l'avoit  rendue  fufceptible  d'un 
certain  degré  de  perfecflion  ;  mais  il  s'eft 
élevé  un  autre  Méthodifte  qui  ,  après 
avoir  loué  fon  fyftème  ,  a  tâché  de  le 
détruire  pour  établir  le  fien  ,  &  qui 
-ayant  adopté  avec  M.  de  Tournefort  les 
caractères  tirés  de  la  frucflification  ,  a 
employé  toutes  les  parties  de  la  généra- 
tion des  plantes  ,  &  fur -tout  les  éta- 
inines,  pour  en  faire  la  diftribution  de 
Tome  IJ  B 


\ 


'x()  Manière  Je  tvditer 

iês  genres  ;  &  niépriiànt  la  ilige  nttew- 
îion  de  M.  de  Tournefort  à  ne  pas  forcer 
ia  Nature  au  point  de  confondre  ,  en 
'jvertu  de  ion  fyilènic  ,  les  objets  les  plus 
.différens  ,  comme  |es  arbres  avec  les 
herbes,  a  mis  enfemble  &  dans  les  mêmes 
claffes  le  mûrier  &  l'ortie,  la  tulipe  & 
l'tpine-vineîie  ,  l'orme  &  la  carotte,  la 
rôle  &  la  iraiie  ,  le  chêne  &  la  pimpre^- 
riclle.  N'eiUcc  pas  le  jouer  de  ia  Nature 
<&  de  ceux  c(ui  l'etudiem  \  &  listout  cela 
n'etoit  pas  donné  avec  une  certaine  aprr 
parence  d'ordre  myflerieux  ,  &:  enver- 
loppe  de  grec  &  d'érudition  Botanique, 
auroit-on  t^nt  tardé  à  faire  apercevoir 
le  ridicule  d'une  pareille  méthode ,  ou 
plutôt  à  montrer  la  .confufion  qui  rciufte 
d'un  aflcmbiiige  fi  bizarre  l  Mais  ce  n'eft 
pas  tout,  &  je  vais  infiiler  ,  parce  qu'il 
eil  juilede  conlerver  à  M.  dç.  Tournefort 
la  gloire  c[u'iL  a  méritée  par  un  travail 
fcp.té  oc  fjivi ,  ov  parce  qu'il  ne  fmt  pas 
que  les  gens  qui  ont  appris  la  Botanique 
par  h  méthodiç  de  Tournefort,  perdent 
leur  temp3  ^i  énidier  .cette  nouvelle  ii^é- 
îhode  ou  tout  ed  changé  jufqu'uiïx  noms 
ë'^-.m:i  furnoms  des  plantes,  Je  dis  donc 


rHijlvire  Naturelle.  27 

que  cette  nouvelle  me'thode  qui  rafî'em- 
ble  dans  iu  même  clafîe  des  genres  de 
plantes  entièrement  diilemblables ,  a  en- 
core indépendamment  de  ces  diiparates, 
des  défauts  efîentieîs ,  &  des  inconvé- 
iiiens  plus  grande  que  toutes  les  mé- 
thodes qui  ont  précédé.  Comme  les 
caractères  des  genres  font  pris  de  parties 
preiqu'infiniment  petites ,  il  faut  aller  le 
microfcope  à  ia  main,  pour  reconnoitre 
un  arbre  ou  une  plante  ;  la  grandeur^ 
ia  figure  ,  ie  port  extérieur ,  les  teuiiles , 
toutes  les  jrarties  apparentes  ne  fervent 
plus  à  rien,  il  n'y  a  que  les  étamines , 
&  fi  Ton  ne  peut  pas  voir  les  étamines , 
on  ne  lait  rien,  on  n'a  rien  vu.  Ce  grand 
«Trbre  que  vous  apercevez ,  n'eft  peut- 
être  qu'une  pimprenelle  ,  îl  fiuu  compter 
ies,  étamines  pour  favoir  ce  que  c'efi:,  oc 
comme  Tes  étamines  font  touvcnt  li  pe- 
tites qu'elles  échappent  à  l'oeil  fnnplc 
ou  à  ia  loupe  ,  il  fmt  un  microfcope  ; 
mais  malheureufement  encore  pour  ie 
fyilème  ,  il  y  a  des  plantes  c|ui  n'ont 
point  d'étamines,  il  y  a  des  plantes  dont 
îe  nombre  des  étamines  varie,  &  voilà 
la  méthode  en  défaut  comme  les  autres  , 

Bij 


;2,g  Aldiiière  Je  traiter 

îîialgré  îa  loupe  &  le  microfcope  ^û), 

Après  cette  exporitioii  fincère  doi 
fondemens  fur  lefquels  on  a  bâti  les  dif^ 
férens  fyftèiiies  de  Botanique ,  il  eft  aile 
de  voir  que  le  grand  défaut  de  tout  ceci 
efl:  Viïy^  erreur  de  Métaphyfique  dans  le 
principe  même  de  ces  méthodes.  Cette 
erreur  confifte  à  méconnoître  la  marche 
de  la  Nature  ,  c\m  fe  fait  toujours  par 
nuances ,  &  à  vouloir  juger  d'un  tout  par 
une  feule  de  fes  parties  :  erreur  bien  évi^ 
/dente  ,  6c  qu'il  eft  étonnant  de  retrouver 
par-tout  ;  car  prefque  tous  les  Nomen- 
dclateurs  n'ont  employé  qu'une  partie  , 
comme  les  dents ,  les  ongles  ou  ergots  , 
pour  ranger  les  animaux  ;  les  feuilles  ou 
les  fîeurs  pour  diflribuer  les  plantes,  an 
iieu  de  fe  lervir  de  toutes  les  parties ,  & 
de  chercher  les  différences  ou  les  reffem- 


(a)  Hoc  ver  à  fy/iiwa ,  Linnai  fcîllcet ,  jam  cogmiîs 
vîantarum  methodis  lovgè  vihus  if  wferius  non  folùm, 
J(d  iX  'mfiipiY  n'unis  coaâum ,  lulmcimi  &  fnllax ,  imà 
iuforium  deprehenderim  ;  &  quidem  in  lanrùrn  ,  ut  von 
foIum  quoad  d'fpolitionem  ne  dcnominationem  plantanm 
gnormes  covfifioftes  pofi  fe  trahct ,  fed  &  m  non  ple- 
naria  doârituz  Botanica  folidoYis  o/'fcuratw  iy  penur- 
Intio  huk  fiKYit  înetuendch  Vanifoq,  Botan.  fpec.in^eii 
^^fuîaîum  à  SiegfifLe.ck.  Feiropoli  ^  '74^> 


l'Hifloire  Naî II  relie.         29? 

fclances  dans  i'individu  tout  entier.  C'efl 
renoncer  volontairement  au  plus  grand 
nombre  des  avantages  que  la  Nature  nous 
offre  pour  la  connoître,  que  de  refufer  de 
fè  fervir  de  toutes  les  parties  des  objets 
que  nous  confidérons  ;  &  quand  même 
on  feroit  afluré  de  trouver  dans  quelques 
parties  priies  féparément ,  des  caractères 
conftans  &  invariables  ,  il  ne  f^iudroit  pas 
pour  cela  réduire  la  connoilîîmce  des 
productions  naturelles  à  celle  de  ces 
parties  confiantes  qui  ne  donnent  que' 
des  idées  particulières  &  très-imparfaites 
du  tout,  &  il  me  paroît  que  le  feuî  moyerï 
de  faire  une  méthode  inflrudive  &  natu- 
relle, c'eft  de  mettre  eniembleles  chofes 
qui  fe  rcflembient,  &  de  féparer  celles 
^ui  diffèrent  les  unes  des  autres.  Si  les 
Hidividus  ent  une  reffemblance  parfiite, 
ou  des  différences  fi  pentes  qu'on  ne 
puiffe  les  apercevoir  qu'avec  peine ,  ces 
individus  feront  de  la  même  efpèce  ;  fi  les, 
différences  commencent  à  être  fenfibles  j 
&  qu'en  même  temps  il  y  ait  toujours 
beaucoup  plus  de  reffemblance  que  de 
différence,  les  individus  feront  une  autre 
efjpèce  ,  mais  du   même  genre  que  les^ 

B  iij 


30         Manière  de  traher 

premiers  ;  &  fi  ces  difFérenccs  font  encore 
plus  marquées ,  lliiis  cependant  excéder 
les  reflemblances ,  aiors  les  individus  lè- 
pont  non-feulement  d'une  autre  efpèce  , 
mais  mênie  d'un  autre  genre  que  ies  pre- 
miers &  les  leconds  ,  &  ce|)cndant  ils 
feront  encore  de  la  même  cia(îe,  parce 
qu'ils  fe  relTemblent  plus  qu'ils  ne  diffè- 
rent ;  mais  fi  au  contraire  le  nombre  des 
différences  excède  celui  des  reflemblan- 
ces ,  alors  les  individus  ne  font  pas  même 
de  la  même  clafle.  Voilà  l'ordre  métho- 
dique que  l'on  doit  fuivre  dans  l'arran- 
gement ô.Q^  produclions  naturelles  \  bien 
entendu  que  les  reflemblances  &  \qs 
différences  feront  prifes  non-ieuleinent 
d'une  partie,  mais  du  tout  enfemble,  & 
que  cette  méthode  d'infpedion  fe  por- 
tera fur  la  forme ,  fur  la  grandeur  ,  fur 
le  port  extérieur  ,  fur  les  différentes 
parties ,  fur  leur  noiubre ,  fur  leur  pofi  • 
tion  ,  fur  la  fubilance  même  de  la  chofe, 
&  qu'on  fe  fervira  de  ces  élcmens  en 
petit  ou  en  grand  nombre  ,  à  mefure 
qu'on  en  aura  befoin  ;  de  forte  que  fi  un 
individu ,  de  quelque  nature  (ju'il  foit  , 
eli  d'uiic  figure  allez  fingulicre  pour 


€tre  toujours  reconnu  :iu  premier  coup 
d'œil ,  on  ne  lui  donnera  qu'un  nom  ; 
mais  n  cet  individu  a  de  comnuui  avec 
Ui\  autre  la  figure  ,  &  qu'il  en  diffère 
conlîpj.nment  par  ia  grandeur,  ia  cou- 
ieiir,  ia  lubllance,  ou  par  quelqu'autre 
qualité  très-fenfibfe  ,  alors  on  lui  don- 
nera le  même  nom  ,  en  y  ajoutant  un 
adjcdif  pour  marquer  cette  différence  ; 
ÔL  ain/i  de  iuite,  en  mettant  autant  d'ad- 
jeclils  qu'il  y  a  de  diifcrcnces ,  on  fera 
lûr  d'exprimer  tous  les  attributs  difTcrens 
de  chaque  efpèce  ,  &  on  ne  craindra 
pas  de  tomber  dans  les  inconyéni^ns  dQS 
méthodes  trop  pardculicres  dont  nous 
venons  de  parler,  &l  fur  kic[uclles  je  me 
iliis  beaucoup  étendu ,  parce  cjue  c'eft 
un  défaut  commun  à  toutes  les  méthodes 
de  Botanique  2i  d'H iiloire  Naïuieile  , 
ÔL  que  les  fyflèmes  qui  ont  été  faits  pour 
les  animaux,  font  encore  plus  défeclueux 
que  les  méthodes  de  Botanicjue  ;  car, 
comme  nous  l'avons  déjà  infinué  ,  on 
a  voulu  jjrononcer  fur  la  refîemblance 
&  la  diiîérence  des  animaux  ,  en 
n'employant  que  le  nombre  des  doigts 
ou  ergots  ;  des  dents  &  dQs  nvamelles; 

Biiij 


32         Mamère  de  traker 

projet  qui  reflembie  beaucoup  à  ceîuî- 

des  étamines,  &  qui  ell  en  effet  du  même 

Auteur. 

II  réfuite  de  tout  ce  que  nous  venons 
d'expofer,  qu'il  y  a  dans  l'étude  de  l'Hif- 
îoire  Naturelle ,  deux  e'cueils  également 
dangereux ,  le  premier ,  de  n'avoir  au- 
cune méthode  ,  &  le  fécond  ,  de  vouloir, 
tout  rapporter  à  vm  fyftème  particulien. 
Dans  le  grand  nombre  de  gens  qui  s'ap- 
pliquent maintenant  à  cette  fcience  ,  on 
pourroit  trouver  des  exemples  frappans. 
de  ces  deux  manières  fi  oppofees ,  & 
cependant  toutes  deux  viciei^fes  :  la  plu- 
part de  ceux  qui  ,  fans  aucune  étude 
précédente  de  i'Hiiloire  Naturelle  ,  veu- 
lent avoir  des  cabinets  de  ce  genre  ,  font 
de  ces  perfbnnes  aifées,  peu  occupées , 
qui  cherchent  à  s'amufer ,  &  regardent 
comme  un  mérite  d'être  mifes  au  rang 
des  curieux  ;  ces  gens-ià  commencent 
par  acheter ,  fans  choix,  tout  ce  qui  leur 
frappe  les  yeux;  ils  ont  l'air  de  defirer 
avec  paffion  les  chofes  qu'on  leur  dit 
être  rares  &  extraordinaires ,  ils  les  efli- 
ment  au  prix  qu'ils  les  ont  acquifes  ,  ifs 
arrangent  le  tout  avec  complaifance ,  ou 


THifohe  Naturelle.         33 

fentaflent  avec  confurion,  &  finifTent 
bientôt  par  fe  dégoûter  :  d'autres  au 
contraire  ,  &  ce  font  les  plus  favans , 
après  s'être  rempli  la  tête  de  noms  ,  de 
phrafes,  de  méthodes  particulières,  \?ien- 
nent  à  en  adopter  qtieiqu'une  ,  ou  s'oc- 
cupent à  en  faire  une  nouvelle ,  &  tra- 
vaillant ainfi  toute  leur  vie  fur  une  même 
ligne  &  dans  une  faufle  direction  ,  & 
voulant  tout  ramener  à  leur  point  de  vue 
particulier  ,  ils  Te  rétrécifîent  l'efprit  , 
cefTent  de  voir  les  objets  tels  qu'ils  font , 
&  finiffem  par  embarrafler  la  fcience,  (Se 
la  charger  du  poids  étranger  de  toutes 
kurs  idées. 

On  ne  doit  donc  pas  regarder  les  mé- 
thodes que  les  Auteurs  nous  ont  données 
ilir  l'Hilloire  Naturelle  en  général,  ou 
fur  quelques-unes  de  Tes  parties  ,  comme 
les  fondemens  de  la  icience,  &  on  ne  doit 
s'en  fervir  que  comme  de  fignes  dont  ou 
efl:  convenu  pour  s'entendie.  En  effet, 
ce  ne  font  que  des  rapports  arbitraires  ëL 
des  points  de  vue  différens  fous  lefqucls 
on  a  confidéré  les  objets  de  la  Nature,. 
&  en  ne  faifant  ura2:e  des  méthodes  que 
dans  C€t  efprit ,  on  peut  en  tirer  quelque 


5  4-  Manière  de  traiter 
îulilté  ;  car  quoique  cela  ne  pnroifîe  pas 
ion  ne'cefî^iîrc  ,  cependant  il  pourroit 
être  bon  qu'on  lut  toutes  les  elpèces  de 
plantes  dont  les  feuilles  fe  rellemblenr, 
toutes  celles  dont  les  fleurs  font  fem- 
bîables ,  toutes  celles  qui  nourrirent  de 
certaines  efpèces  d'iniecles ,  toutes  celles 
e|ui  ont  un  certain  nombre  d'étamines  y 
toutes  celles  qui  ont  de  certaines  glandes 
excrétoires  ;  &  de  même  dans  les  ani- 
maux y  tous  ceux  qui  ont  un  certain^ 
nombre  de  mamelles  ,  tous  ceux  qui 
ont  un  certain  nombre  de  doigts.  Cha- 
cune  de  ces  méthodes  n'eli,  à  parler  vrai,, 
'<ju'un  Didionnaire  oit  l'on  trouve  les 
noms  rano;és  dans  un  ordre  relatifs  cette 
idée  ,  &  par  confè^qucnt  aufii  arbitraire 
que  l'ordre  alphabétique  ;  mais  l'avantage 
qu'on  en  pourroit  tircrj  c'efl  qu'en  com- 
parant tous  ces  réfultats ,  on  ie  retrouve- 
foit  enfin  à  la  vraie  méthode  y  qui  efl:  b 
deicription  complète  &.  l'hiftoire  exadc 
de  chaque  chofe  en  particulier. 

C'eil  ici  le  principal  but  qu'on  doive 
fe  propofer  :  on  peut  fe  fervir  d'une  me- 
îhode  déjà  faite  comme  d'une  commo- 
éxié  pour  étudier  ^  on  doit  ia  regardât 


rMijii 


iîjîoîrc  Naturelké  3  Jl 

Comme  une  faciliié  pour  s'entendre  ; 
mais  le  ieul  &  le  vrai  moyen  d'avancer 
la  fcience ,  efl:  de  travailler  à  la  deicrip^ 
lion  &  à  {'hiltoire  des  diiiérentes  choies 
qui  en  font  l'objet* 

Les  cho^s  par  rapport  à  nous  ne  font 
rien  en  elles-mêmes,  elles  ne  font  encore 
rien  lorlqu 'elles  ont  un  nom ,  mais  éAcs 
commencent  à  cxiiler  pour  nous  ioriCjue 
nous  leur  connoiflons  des  rapports ,  des 
propriétés  ;  ce  n'eit  mcme  ciue  par  ces 
rapports  que  nous  pouvons  leur  donner 
une  définition  :  or  la  dcimition  telle  qu'on 
la  peut  fltire  par  une  pbrafe ,  n'elt  encore 
f[ue  la  reprérentaiion  très  -  imparfaite  de 
la  chofe ,  &  nous  ne  pouvons  jamais  bien 
définir  une  chofe  fins  ta  décrire  exacte- 
ment. C'eli  cette  difficiilté  de  faire  une 
lionne  définition ,  que  l'on  retrouve  à 
tout  moment  dans  toutes  les  méthode^ , 
dans  tous  les  abréo-cs  ciu'on  a  tâché  de 
frûre  pour  ioulager  k  mémoire  ;  autii 
doit-on  dire  cjue  dans  les  choies  natu- 
relles il  n'y  a  rien  de  bien  défini  que  ce 
qui  ell  exademem  décrit  :  or  pour  de- 
crire  exa<5lement ,  il  f iut  avoir  vu ,  revu  r 
ej;aminé,  comparé  la  chofe  c|ifon  veu§. 

B  vj 


36  Manière  de  traiter 

décrire  ,  &  tout  cela  iàns  préjugé  ,  fans 
idée  de  fyflèine  ,  fans  quoi  la  delbription 
n*a  plus  le  caradtère  de  la  vérité  ,  qui  eft 
le  leul  qu'elle  puifle  comporter.  Le  llyïe 
même  de  la  defcription  doit  être  fimple  ^ 
net  &  mefuré  ,  il  n'eft  pas  fufceptible 
d'élévation,  d'agrémens  ,  encore  moins, 
d'écarts  ,  de  ptaifanterie  ou  d'équivo- 
que ,  le  feul  ornement  qu'on  puifTe  lui 
donner ,  c'eft  de  la  noblefle  dans  l'ex- 
prefTion  ,  du  choix  &  de  la  propriété 
dans  les  termes. 

Dans  le  grand  nombre  d'Auteurs  qui 
ont  écrit  furrHilloire  Naturelle  ,  il  y  en 
a  fort  peu  qui  aient  bien  décrit.  Repré- 
senter naïvement  &  nettement  les  chofes^ 
iàns  les  changer  ni  les  diminuer ,  &  fans^ 
y  rien  ajouter  de  Ton  imagination  ,  eft; 
un  talent  d'autant  plus  louable  qu'il  eft: 
moins  brillant ,  &  qu'il  ne  peut  être  fenti 
que  d'un  petit   nombre  de   perfonnes 
capables  d'une  certaine  attention  nécef- 
fuire  pour  fuivre  les  chofes  jufque  dans 
ies  petits  détails  :  rien  n'eft  plus  commun 
que    des    ouvrages    embarrafTés    d'une 
nombreufe  &  sèche  nomenclature  ,  de 
.  -iwthodes  ennwyeufes  &  peu  iiaturelle&> 


rFTifloîre  Naturelle 0  37- 

dont  les  Auteurs  croient  fe  faire  un  mé- 
rite ;  rien,  de  fi  rare  que  de  trouver  de 
i'exacHiitude  dans  les  defcriptions ,  de  la 
nouveauté  dans  les  faits  ,  de  la  finefTe 
dans  les  obfervations. 

Aidrovande,  le  plus  laborieux  &  îe 
plus  (avant  de  tous  les  NaturaliRes ,  a 
iaiiïe,  après  un  travail  de  foixante  ans^. 
des  volumes  immenfes  fur  l'Hiiloire  Na- 
turelle ,  qui  ont  été  imprimés  fuccefîive- 
Jiient,  &  la  plupart  après  fa  mort  :  on  les 
réduiroit  à  la  dixième  partie  fi  on  en 
ôtoit  toutes  les  inutilités  &  toutes  les 
chofes  étrangères  à  Ion  fiajet  ;  à  cette  pro- 
lixité près,  qui,  je  l'avoue,  ^{x  acca- 
blante ,  fes  livres  doivent  être  regardés 
comme  ce  qu'il  y  a  de  mieux  fur  la  tota- 
lité de  l'Hiftoire  Naturelle  ;  le  plan  de. 
ion  ouvrage  eft  bon  ,  fes  diftributioris 
font  fenlees,  (€:s  divifions  bien  marquées, 
fes  defcriptions  affez  exades,  monotones, 
à  la  vérité  ,  mais  fidèles  :  i'hifiorique 
efl:  moins  bon  ,  fouvent  il  efl:  mêlé  de 
fcbuleux  ,  &  l'Auteur  y  laifie  voir  trop 
de  penchant  à  la  crédulité. 

J'ai  été  frappé  en  parcourant  cet  Au=^ 
î§ur^  d'un  défaut  ou  d'un  excès  qu'ont 


'5§  Afdmere  de  trait ef 

retrouva  prelque  dans  tous  les  livres  faits 
il  y  a  cent  ou  deux  ccnis  ans,  &  que  les 
Savans  d' A  lieinagiie  ont  encore  aujour- 
d'hui ;  c'ed:  de  ceue  quantité  d'érudition 
inutile  dont  ils  groiliffent  à  deOein  leurs 
ouvrages ,  en  ibrte  que  le  fujct  qu'ils 
traitent ,  efl:  noyé  dans  une  quantité  de 
matières  étrangères  llir  iefquelles  ils  rai- 
fonncnt  avec  tant  de  complaiiance  &  s'é- 
tendent avec  fi  peu  de  nienageinent  pour 
ies  iedeurs  ,  qu'ils  femblent  avoir  oublié 
ce  qu'ils  avoient  à  vous  dire  ,  pour  ne 
vous  raconter  que  ce  qu'ont  dit  les  au- 
tres. Je  me  repréfente  un  homme  comme 
Aîdrovaffde  ,  ayant  une  fois  conçu  le 
defîèin  de  fiire  un  corps  complet  d'Hif- 
toire  Naturelle  ,  je  le  vois  dans  fa  biblio- 
thèque lire  fucceffivement ies  Anciens, 
les  Modernes,  ies  PhilofopheSjîes  Théo- 
iogiens,  les  Jurifconfultes,  les  HiilorienSy 
les  Voyageurs,  les  Poëtes,  &  lire  fans^ 
imtre  but  que  de  fiifir  tous  les  jnots  y 
touies  les  ]:)hrafes  qui  de  près  ou  de  loin. 
ant  rapport  à  fon  objet  ;  je  le  vois  co~ 
p'cr  &  faire  copier  toîues  ces  remarques" 
^'  les  ranger  par  lettres  i^îphabétiques  ^  & 
iipiès  avoir  rempli plufieurs  porie-fcuiik^ 


rHijJc 


^iJIoJre  Naturelle,  ^p 

de  notes  de  toute  efpèce  ,  prifes  fouvent 
h'As  examen  6l  (îms  choix  ,  co-nimencer  à 
rniv ailler  un  (tijct  particulier,  ôl  ne  vou- 
loir rien  perdre  de  tout  ce  qu'il  a  ramafTé  ; 
en  forte  qu'à  l'occafion  de  l'Hiiloirc 
Naturelle  du  coq  ou  du  bœuf,  il  yot>s- 
raconte  tout  ce  qui  a  jamais  été  dit  des 
coqs  ou  des  bœufs,  tout  ce  c[ucles  An- 
ciens en  ont  pcnié  ,  tout  ce  qu'on  a  ima- 
gine de  leurs  vertus ,  de  leur  Gara<ftère , 
de  lânr  courage ,  toutes  les  chofes  aux- 
quelfes  on  a  voulu  les  ejuployer ,  tous- 
ks  contes  que  les  bonnes  femmes  en  ont 
faits ,  tous  les  miracles  qu'on  leur  a  fait 
£iire  dans  certaines  rergions  ,  tous  les 
fujeis  de  luj^erilidon  qu'ils  ont  fournis  j 
îoutes  les  comparaiibns  c[ue  les  Poètes 
en  ont  tirées ,  tous  les  attributs  qiie  cer- 
tains peuples  leur  ont  accordés,  toutes 
les  repréièntations  qu'on  en  fût  dans  îes^ 
hiéroglyphes,  dans  les  armoiries ,  en  un 
mot'toutes  les  ififloj^-es  «8t  toutes  les  fables- 
dont  on  s'eft  jamais  avilé  au  fujet  des  coqs-- 
ou  des  bœufs.  Qu'on  juge  après  cela  de 
la  portion  d'Hilioire  Naturelle  qu'on 
doit  s'^attendre  à  trouver  dans  ce  fatras, 
d'irx^ritures  ;  &  fi  en  clîet  l'Auteur  ne 


'/^o  Mamere  de  Uéiiter 

l'eût  pas  mife  dans  des  articles  féparés 
des  autres  ,  elle  n'aurou  pas  été  trou- 
vable  ,  ou  du  moins  elle  n'auroit  pas 
valu  la  peine  d'y  être  cherchée. 

On  s'efi:  tout-à-fait  corrigé  de  ce  dé- 
faut dans  ce  fiècle  ;  l'ordre  &  la  précifion 
avec  laquelle  on  écrit  maintenant,  ont 
rendu  les  Sciences  plus  agréables,  plus 
aifées ,  &  je  fuis  periuadé  que  cette  dif- 
férence de  ftyle  contribue  peut-être  au- 
tant à  leur  avancement  que  refprijt  de 
recherche  qui  règne  aujourd'hui  ;  car  nos 
prédéceiïeurs  cherchoient  comme  nous,, 
mais  ils  ramaffoient  tout  ce  qui  fe  préfen- 
toit ,  au  lieu  que  nous  rejetons  ce  qui 
nous  paroît  avoir  peu  de  valeur ,  &  que 
nous  préférons  un  petit  ouvrage  bien 
raifonné  à  un  gros  volume  bien  lavant  ; 
ieulement  il  ell  à  craindre  que  venant  à 
mépriier  l'érudition  ,  nous  ne  venions 
aufîi  à  imaginer  que  l'efprit  peut  Jiip-  *• 
pléer  à  tout ,  &  qu|  ^la^cSeience-  îi'eft 
qu'un  vain  nom. 

Les  gens  fenfés  cependant  fentiront 
toujours  que  la  feule  &  vraie  fcience  eft. 
la  connoifllmce  des  fiits ,  l'efprit  ne  peut 
pas  y  fuppléer ,  &  les  faits  font  dans  ks^ 


ïHtjlohe  Naturelle.         41' 

Sciences  ce  qu'efl  l'expérience  dans  fa- 
vie  cWilc.  On  poiirroit  donc  divifeir- 
toutes  les  Sciences  en  deux  clafles  prin- 
cipales ,  qui  conîiendroient  tout  ce  qu'il 
convient  à  l'homme  de  favoir  ;  la  pre- 
mière eit  l'Hiftoire  Civile,  &  la  feconde,- 
l'Hiftoire  Naturelle,  toutes  deux  fonde'es 
fur  des  faits  qu'il  eft  fouvent  important 
&  toujours  agréable  de  connoître  :  la- 
première  eft  l'étude  des  hommes  d'Etat  y 
k  féconde  cil  celle  des  Phiiofophes  ;  & 
quoique  l'utilité  de  celle-ci  ne  foit  peut- 
être  pas  aufÎJ  prochaine  que  celle  de  l'au- 
tre ,  on  peut  cependant  aflurer  que  l'Hif- 
toire  Naturelle  ejft  la  fource  des  autres 
fciencesphyfiques&  la  mère  de  tous  les 
arts  :  combien  de  remèdes  excellens  la 
Médecine  n'a-t-elle  pas  tiré  de  certaines 
producftions  de  la  Nature  jufqu'alors  in- 
connues !  combien  de  richefles  les  arts 
H'ont-ils  pas  trouvé  dans  plufieurs  ma- 
tières autrefois  méprifées  !  Il  y  a  plus  y 
c'eit  que  toutes  ks  idées  des  arts  ont 
leurs  modèles  dans  les  produdions  de 
La  Nature:  Dieu  a  créé  ,  &  l'homme 
imite  ;  toutes  les  inventions  des  hom- 
y^Qs ,  foit  pour  la  néceffité ,  foit  pour  Is 


'Jfi  Mdmere  de  traiter 

coiiimocliié  ,  ne  lont  que  cîes  imitations 
niiez  grofîièies  de  ce  que  la  Nature 
exécute  avec  la  dernière  perfedion. 

Mais  lans  inlilter  plus  long- temps  fur 
î'utiiité  qu'on  doit  tirer  de  i'Hiftoire 
Naturelle ,  loit  j>ar  rapport  aux  autres 
fciences ,  foit  par  rapport  aux  arts,  re- 
venons à  notre  objet  principal  ,  à  la 
manière  de  l'étudier  (Se  de  la  traiier.  La 
defcription  cxacT:e  &  i'hiiioire  fidèle  de 
chaque  choie  ell,  comme  nous  l'avons 
dit,  le  feui  but  cpi'on  doive  le  propofer 
d'abord.  Dans  la  defcription  \o\\  doit 
fiiire  entrer  la  forme  ,  la  grandeur ,  le 
poids  j  les  cotîleurs ,  les  fituations  de 
repos  &  de  mouvemens  ,  laipofuion  des 
parties,  leurs  rapports,  leur  figure,  leur 
adion  &  toutes  les  fonctions  extérieures  : 
fi  l'on  peut  joindre  à  tout  cela  i'expoii- 
îlon  des  parties  intérieures  ,  la  defcription 
n'en  fera  cpe  plus  complète  ;  leuiement 
on  doit  prendre  garde  de  tomber  dans 
de  trop  petits  détails  ,  ou  de  s'appef  uitir 
fur  la  defcription  de  quelque  partie  peu 
importante ,  ce  de  traiter  trop  légère- 
ment les  chofes  efîentieiles  &  princi]:)a{es. 
L'hiRoire  doit  fuiyrc  la  defcription ,  ^ 


THïfloire  Natiiveîk.         43^ 

èiOW.  uniquement  rouler  fur  les  rapports 
que   les  choies  naturciics  ont  entr'eiles 
&  avec  nous;  rhifloîre  d'un  animal  doit 
être  non   pas    l'hifloire  de  l'individu  , 
mais  celle  de  i'efpèce  entière  de  ces  ani- 
maux ;  elle  doit  comprendre  leur  géné- 
ration ,  le  temps  de  la  pregnation  ,  celui 
de  l'accouchement,  le  nombre  des  pe- 
tits ,  les   foins  des  pères  &  des  mères , 
leur  efpèce  d'éducation  ,  leur  inftincfl , 
les  lieux  de  leur  habitation  ,  leur  nour- 
riture ,  la   manière   dont  ils   fe  la  pro- 
curent ,  leurs  mœiu's  ,  leurs  rufes ,  leur 
chiifle,  eniuite  les  lervices  qu'ils  peu- 
vent nous  rendre ,  &  toiles  les  utilités 
ou  les  conuuodités  que  nous  pouvons 
en  tirer  ;  &  iorfque  dans  l'intérieur  du 
corps  de  l'animal  iî   y  a  des  choies  re- 
marquables, foit  par  !a  conformation, 
foit  pour  les  ufigcs  qu'on  en  peut  faire  , 
on  doit  les  ajouter  ou  à  la  delcription 
ou  à  l'hifloire  ;  mais  ce  leroit  un  objet 
étranger  à  rHiftoire  Naturelle,  que  d'en- 
trer dans  un  examien  anatom'que  trop 
circonftancié,  ou  du  moins  ce  n'cfl:  pas 
Ton  objet  principal ,   &  il  faut  réferver 
ces  détails  pour  fervir  de  mémoires  fur 
l'anatomie  comparée. 


44  Manière  de  traiter 

Ce  plan  général  doit  être  fuivi  &  rem- 
pli avec  toute  l'exaditude  pofTible  ,  & 
pour  ne  pas  tomber  dans  une  répétitioiir 
trop  fréquente  du  même  ordre,  pour 
éviter  la  monotonie  du  ftyle ,  il  faut  va- 
rier la  forme  des  defcriptions  &  changer 
k  fil  de  l'hifloire  ,  félon  qu^^on  le  jugera 
jîéceiTaire;  de  même  pour  rendre  les  def- 
criptions moins  sèches,  y  mêler  quelques 
faitis ,  quelques  comparaifons ,  quelques 
r-éfîexions  fur  les  ufages  des  différentes 
parties ,  en  un  mot ,  faire  en  forte  qu'on 
puifîe  vous  lire  fans  ennui  auiîi-bien  que 
fans  contention. 

A  l'égarcfflfe  l'ordre  général  &  de  la- 
méthode  de  diflribution  des  difîérens  lu- 
jets  de  l'Hiftoire  Naturelle,  onpoiirroit 
dire  qu'il  eft  purement  arbitraire ,  &  dès- 
k)rs  on  eft  affez  le  maître  de  choifir  celui 
qu'on  regarde  comme  le  plus  commode 
ou  le  plus  communément  reçu  ;  mais 
avant  que  de  donner  les  raifons  qui  pour- 
roient  déterminer  à  adopter  un  ordre  plu- 
tôt qu'un  autre  ,  il  efi:  nécefîaire  de  faire 
encore  quelques  réflexions,  par  lefquelles 
novis  tâcherons  de  faire  fentir  ce  qu'il  peut 
y  avoir  de  réel  dans  les  diviiioos  que  l'oa 


ïHijîoire  Naturelle.         45 

a  faites    des    procludions  naturelles. 

Pour  le  reconnoître  il  faut  nous  de'- 
faire  un  inftant  de  tous  nos  préjuge's  , 
&  même  nous  dépouiller  de  nos  idées. 
Imaginons  un  homme  qui  a  en  effet  tout 
publié  ou  qui  s'éveille  tout  neuf  pour 
les  objets  qui  l'environnent  ;  plaçons  cet 
homme  dans  une  campagne  où  les  ani- 
maux, Les  oilèaux,  les  poifîons,  les  plantes , 
ies  pierres  fe  préfèntent  fucceirivement 
à  fes  yeux.  Dans  les  premiers  inftans  cet 
homme  ne  diftinguera  rien  &  confondra 
tout  ;    mais  laiflons  fes  idées'  s'affermir 
peu  à  peu  par  des  fenf nions  réitérées  des 
mêmes  objets  ;  bientôt  il  fe  formera  une 
idée  générale  de  ia  inatière  animée,  il  fa 
diftinguera  aifément  de  la  matière  inani- 
mée ,  &  peu  de  temps  après  il  diftin- 
guera très-bien  la  matière  animée  de  la 
fîiatière  végétative  ,  &  naturellement  il 
jarrivera  à  cette  première  grande  divifion» 
Animal ,  Végétal  &  ATinéral;  &  comme 
il  aura  pris  en  même  temps  une  idée  nette 
;de  ces  grands  objets  fi  différens,  la  Terre, 
i'y4/r&  KEau ,  il  viendra  en  peu  de  temps 
à  fe  former  une  idée  particulière  des  ani- 
maux qui  habitent  la  terre ,  de  ceux  qui 


I' 


'4^  Manière  Retraiter 

demeurent  dans  l'eau ,  &  de  ceux  qui  s'é- 
ièvent  dans  l'air ,  &  par  conféquent  il  le 
iêra  aiféniçnt  à  lui-même  cette  ièconde 
divifîon ,  Animaux  çuadrup}deSj  Oifeaux, 
Poiffons  ;  il  en  eft  de  même  dans  le  règne 
végétal ,  des  arbres  &  des  plantes ,  il  les 
diiiingûera  très- bien ,  foit  parleur  gran- 
deur ,  ibit  par  leur  iubftance ,  i^jit  par 
leur  fio-ure.  Voilà  ce  que  la  fimple  ini^ 
pedion  doit  nécefîairement  lui  donner , 
Sl  ce  qu'avec  un€  très-lcgère  attention 
il  ne  peut  manquer  de  reconnoître  ;  c'efl: 
îà  aulîi  ce  que  nous  devons  regarder 
comme  réel ,  &  ce  que  nous  devons  rel- 
peder  comme  une  divifîon  donnée  par 
Ja  Nature  même.  Enfuite  mettons -nous 
h.  la  place  de  cet  homme,  ou  iuppofons 
qu'il  ait  acquis  autant  de  connoiflanccs  , 
ÔL  qu'il  ait  autant  d'expérience  que  nous 
en  avons ,  il  viendra  à  juger  les  objets* 
de  l'Hilloire  Naturelle  par  les  rapports 
qu'ils  auront  avec  lui;  ceux  qui  lui  feront 
les  plus  nécedaires ,  les  plus  utiles ,  tien- 
dront le  premier  rang  ,  par  exemple  ,  il 
donnera  la  préférence  dans  l'ordre  des 
animaux  au  cheval ,  au  chien  ,  au  bœuf, 
^c,  ôi  il  connoitra  toujours  mieux  ceux 


ïHïÇioht  Naturelle.         47 

q\iî  ÎLii  feront  les  plus  flimilicrs  ;  enfuite 
il  s'occupera  de  ceux  qui ,  lans  être  fa- 
miliers ,  ne  laiiï'ent  pas  que  d'habiter  l'es 
mêmes  lieux,  les  mêmes  climats,  commç 
les  cerfs  ,  les  lièvres ,  &  tous  les  animaux: 
llmvages  ,  &  ce  ne  lera  qu'après  toutes 
ces  connoiiïances  acquiles  que  fi  curio- 
fité  le  portera  à  rccherCiSer  ce  que  peu^ 
vent  être  les  animaux  des  climats  étran- 
gers ,  comme  les  éîéphans  ,  les  droma- 
daires ,  6-;c.  11  en  fera  de  même  pour  les 
poiflons,  pour  les  oiieaux  ,  pour  les  in- 
ièdes  ,  pour  les  coquillages,  pour  les 
plantes  j  pour  les  minéraux  ,  &  pour 
toutes  les  autres  produdions  de  la  Na- 
ture; il  les  étudiçra  à  proportion  de  l'u- 
tilité qti'il  en  pourra  tirer  ,  il  les  confi- 
dérera  à  ii^efure  c[u'ils  fe  -préfenteront 
plus  fmfilièrement ,  &,  il  les  rangera  dans 
là  tête  relativeiiient  à  cet  ordre  de  les 
çonnoilTîmces ,  parce  que  c'eil  en  eiïet 
i'ordre  félon  lequel  ij  les  a  acquifes ,  ôl 
félon  lequel  il  lui  importe  de  les  con- 
fexver. 

Cet  ordre  Iç  plus  naturel  de  tous  ,  eft 
celui  que  nous  avons  cru  devoir  fuivre. 
Notre  méthode  de  diilribuiion  n'cit  pas 


48         Mamère  de  îraiter 

plus  myflérieufe  que  ce  qu'on  vient  de 
voir ,  nous  partons  des  divifions  gév\é- 
l'aies  telles  qu'on  vknt  de  les  indiquer , 
&  que  perfonne  ne  peut  contefter,  cn- 
fuiie  nous  prenons  les  objets  qui  nous 
înte'reiïènt  le  plus  par  fes  rapports  qu'ils 
-ont  avec  nous  ,  de-Ià  nous  pafTons  peu 
à  peu  juiqu'à  ceux  qui  font  les  plus  éloi- 
gnés ,  &  qui  nous  font  étrangers ,  &  nous 
croyons  que  cette  façon  fimple  &  natu- 
relle de  confidérer  les  chofes,  eft  préfé- 
rable aux  méthodes  les  plus  recherchées 
&  les  plus  conipofees ,  parce  qu'il  n'y  en 
a  pas  une ,  &  de  celles  qui  font  faites , 
èi  de  toutes  celles  que  l'on  peut  faire  , 
où  il  n'y  ait  plus  d'arbitraire  que  dans 
celle-ci ,  &  qu'à  tout  prendre  il  nous  eft 
plus  facile ,  plus  agréable  &  plus  utile  de 
confidérer  les  choies  par  rapport  à  nous, 
que  fous  un  autre  point  de  vue. 

Je  prévois  qu'on  pourra  nous  faire 
deux  objections  ,  ia  première ,  c'efl  que 
ces  grandes  divifions  que  nous  regar- 
dons comme  réelles  ,  ne  font  peut  -  être 
pas  exades  ;  que,  par  exemple,  nous  ne 
ïommes  pas  lurs  qu'on  puifîe  tirer  une 
ligne  defeparation  entre  le  règne  animal 

^  le 


PHifiolre  Naturelle^  '4  c) 

&  le  règne  végétal ,  ou  bien  entre  le 
règne  végétal  &  ie  minéral ,  &l  que  dans 
la  Nature  il  peut  fe  trouver  des  choies 
qui  participent  également  des  propriétés 
<ie  l'un  &  de  l'autre,  iefquelles  par  con- 
féquent  ne  peuvent  entrer  ni  dans  l'une 
iii  dans  l'autre  de  ces  divifions. 

A  cela  je  réponds  que  s'il  exifle  des 
chofes  qui  foient  exadement  moitié  ani- 
mal &  moitié  plante ,  ou  moitié  plante 
&  moitié  minéral ,  6^c.  elles  nous  font 
encore  inconnues  ;  en  forte  que  dans  le 
fait  la  divifion  eft  entière  &  exacfle ,  & 
l'on  fent  bien  que  plus  \^s  divifions  fe- 
ront générales ,  moins  il  y  aura  de  rifque 
de  rencontrer  des  objets  mi -partis  qui 
participeroient  de  la  nature  des  deux 
chofes  comprifes  dans  ces  divifions,  en 
forte  que  cette  même  objedion  que  nous 
avons  employée  avec  avantage  contre  kâ 
diftributions  particulières  ,  ne  peut  avoir 
lieu  lorfqu'iî  s'agira  de  divifions  aufîl  gé- 
nérales que  l'eft  celle-ci,  fur-tout  fi  Tou 
ne  rend  pas  ces  divifions  exclufives,  & 
fi  l'on  ne  prétend  pas  y  comprendre  (ans 
exception ,  non-feulement  tous  les  êtres 
connus,  mais  encore  tous  ceux  qu'on 
Tome  L  C 


[j^  'Mamère  de  traiter 

pourroît  découvrir  à  l'avenir.  D  ailîcurJ, 
Ti  l'on  y  fait  attention ,  l'on  verra  bien 
que  nos  ide'es  généraics  n'étant  compo- 
{ees  que  d'idées  particulières ,  elles  font 
relatives  à  une  échelle  continue  d'objets 
de  laquelle  nous  n'apercevons  nettement 
que  les  milieux ,  &  dont  les  deux  extré- 
ïiiités  fuient  &  échappent  toujours  de 
plus  en  plus  à  nos  confidérations ,  de 
forte  qwe  nous  ne  nous  attachons  jarnais 
qu'au  gros  des  choies,  &  queparconfé- 
quent  on  ne  doit  pas  croire  que  no$ 
idées,  quelque  générales  qu'elles  puif- 
iênt  être ,  comprennent  les  idées  parti- 
culières de  toutes  les  choies  exiftantes  6c 
pofTibles. 

La  féconde  objection  qu'on  nous  fera 
iàns  doute ,  c'eft  qu'en  luivant  dans  notre 
ouvrage  l'ordre  que  nous  avons  indiqué , 
nous  tomberons  dans  l'inconvénient  de 
mettre  enfemble  dts  objets  très-difFé^ 
rens  ;  par  exemple  dans  l'hifloire  des  ani- 
maux ,  fi  nous  commençons  par  ceux  qui 
nous  font  les  plus  utiles,  les  plus  familiers, 
nous  ferons  obligés  de  donner  l'hifloire 
du  chien  après  ou  avant  celle  du  chcvai , 
ce  qui  ne  paroît  pas  naturel  ;  parce  que 


fHïjloire  Naturelle»         5  r] 

Ces  animaux  font  fi  differens  à  tous  autres 
égards,  qu'ils  ne  paroifTent  point  du  tout 
faits  pour  être  mis  Ci  près  l'un  de  l'autre 
dans  un  traite  d'Hiiloire  Naturelle  ;  & 
on  ajoutera  peut-être  qu'il  auroit  mieux 
valu  fuivrela  méthode  ancienne  deladi- 
vifion  des  animaux  en  Sel'/pedes,  Pieds^ 
Fourchus  &  Fiffipedes,  ou  la  méthode 
nouvelle  de  la  divifion  des  animaux  par 
les  dents  &  les  mamelles  ,  &c. 

Cette  objecflion,  qui  d'abord  pourroit 
paroître  Ipécieufe ,  s'évanouira  dès  qu'on 
l'aura  examine'e.  Ne  vaut-il  pas  mieux 
ranger,  non-feulement  dans  un  traité 
d'Hiitoire  Naturelle,  m:h  même  dans 
un  tableau  ou  par-tout  ailleurs,  les  objets 
dans  l'ordre  &  dans  la  pofition  où  ils  fe 
trouvent  ordinairement ,  que  de  les  for- 
cer à  (è  trouver  enfemble  en  vertu  d'une 
fuppofition  !  Ne  vaut-il  pas  mieux  fliire 
fuîvre  le  cheval  qui  eit  folipède ,  par  le 
chien  qui  cO:  fifîjpède  ,  &  qui  a  coutume 
de  le  fuivre  en  effet ,  que  par  un  zèbre 
qui  nous  eft  peu  connu  ,  &  qui  n'a  peut- 
être  d'autre  rapport  avec  le  cheval  que 
d'être  folipèdcî  D 'ailleurs,  n'y  a-t-il  pas  le 
même  inconvéniem  pour  les  différences 

C  ij 


5_2  Jïiduiere  Je  traiter 

dans  cet  arrangement  que  dans  ie  notre  ! 
un  lion  ,  parce  qu'il  eil  fiffipède  ,  reflcni- 
bie-t-il  à  un  rat  qui  eft  auffi  fifîjpède , 
plus  qu'un  cheval  ne  rcflemble  à  un 
chien  î  un  éléphant  folipèderenemble-t-il 
plus  à  un  âne  iolipède  auffi ,  qu'à  un  cerf 
qui  eft  pied-fourchu  î  &  fi  on  veut  fe 
fervir  de  la  nouvelle  méthode  dans  la- 
quelle les.. dents  &  les  mamelles  font  les 
caractères  fpéciuques,  &  fur  leiquels 
font  fondées  les  divifions  &  les  diflribu- 
tions,trouvera-t-on  qu'un  lion  reflemblc 
plus  à  une  chauve-fouris,  qu'un  cheva! 
ne  reffemble  à  un  chien  î  ou  bien  ,  pour 
faire  notre  comparaifon  encore  plus  exac- 
tement, un  cheval  reffemble- t-il plus  à  un 
cochon  qu'à  un  chien  ,  ou  un  chien  ref- 
femble-t-il  plus  à  une  taupe  qu'à  un  che- 
val (b)\  Etpuifqu'il  y  a  autant  d'inconvc- 
jiiens  &  des  différences  aufii  grandes  dans 
ces  méthodes  d'arrangement  que  dans  ia 
nôtre ,  &  que  d'ailleurs  ces  m.éthodes 
n'ont  pas  les  mêmes  avantages ,  &  qu'elles 
font  beaucoup  plus  éloignées  de  la  façon 
ordinaire  &  naturelle  de  considérer  les 
choies ,  nous  croyons  avoir  eu  des  raifons 

(h)  Voyez  Linn.^/jyA  nat>p.   0 ^  îX  fuiv. 


tHipîre  Ndîurelk  53 

fuitirantes  pour  lui  donner  la  préférence, 
&  ne  fuivre  dans  nos  dillributions  que 
i'ordre  des  rapports  que  les  chofes  nous 
ont  paru  avoir  avec  nous-mêmes. 

Nous  n'examinerons  pas  en  détail 
toutes  ies  méthodes  artificieiies  que  l'on 
a  données  pour  ia  divifion  des  animaux  5 
elles  font  toutes  plus  ou  moins  fujettes 
aux  inconvéniens  dont  nous  avons  parlé 
au  fujet  des  méthodes  de  Botanique,  & 
il  nous  paroît  que  l'examen  d'une  leuîe 
de  ces  méthodes  lufnt  pour  faire  décou- 
vrir ies  défauts  des  autres;  ainfi  nous 
nous  bornerons  ici  à  examiner  celle  de 
M.  Linnaeus  qui  efl  la  plus  nouvelle,  afin 
qu'on  ioit  en  état  de  juger  fi  nous  avons 
eu  raifon  de  la  rejeter ,  &  de  nous  attacher 
feulement  à  l'ordre  naturel  dans  lequel 
tous  les  hommes  ont  coutume  de  voir  & 
de  confidérer  les  chofes, 

M.  Linnxus  divife  tous  les  animaux 
en  fix  clafTes,  favoir,  les  Quadrupèdes, 
les  Oifeauxp  les  Amphibies,  \qs  Poiffons, 
les  Jnfeâes  &  les  Vers.  Cette  première 
divifion  ed,  comme  l'on  voit,  très-arbi- 
traire &  fort  incomplète,  car  elle  ne 
Xious  donne    aucune  idée    de   certains 

Cii; 


54  Manière  de  îraher 
genres  d'animaux  ,  qui  font  cepcndnnt 
îrès-confidérables  &  très-étendus,  les 
ierpens,  par  exemple,  les  coquillages, 
les  cruftacccs,  &  il  paroît  au  premier 
coup  d'ceil  qu'ils  ont  été  oubliés;  car 
on  n'imagine  pas  d'abord  que  les  ierpens 
foient  des  amphibies,  les  cruftacces  des 
inleifles,  &  les  coquillages  des  vers.  Au 
îieu  de  ne  faire  que  fix  clafles,  fi  cet  au- 
teur en  eût  fait  douze  ou  davantao-e  ,  & 
qu'il  eût  dit  les  quadrupèdes ,  les  oileaux , 
les  repaies,  les  amphibies,  les  poifTons 
cétacées,  les  poiilons  ovipares,  les  poif- 
fons  mous,  les  cruftacées,  les  coqiiil- 
iages,  les  inledes  déterre^  les  infcc^les 
de  mer ,  les  iniedies  d'eau  douce ,  &c.  ii 
eût  parié  plus  clairement,  &  fes  divi- 
fions  eullem  été  plus  vraies  &  moins  ar- 
bitraires; car  en  général,  plus  on  augmen- 
tera le  nombre  des  divifions  des  produc- 
tions naturelles ,  plus  on  approchera  du 
vrai ,  puifqu'il  n'exille  réellement  dans  la 
Nature  que  des  individus  ;  &  que  les 
genres,  les  ordres  &  les  clafles  n'exiflent 
que  dans  notre  imagination. 

Si  l'on  examine  les  caractères  géné- 
raux qu'il  emploie,  &  la  manière  dont 


l'Hifloire  Naturelle.  5  5^ 

2  fait  Tes  divifions  particniières  ,  on  y 
trouvera  encore  des  défîuns  bien  plus 
cfTemieis;  par  exemple,  un  caradère  gé- 
néral comme  celui  pris  des  mamelles 
pour  la  divifion  dès  quadrupèdes,  de- 
vroit  au  moins  appartenir  à  tousi  les  qua- 
drupèdes ,  cependant  depuis  Ariftote  011 
iait  queie  cheval  n'a  point  de  mamelles. 

Il  divife  la  clafFe  des  quadrupèdes  en 
cinq  ordres ,  le  premier  Anthropomorphd , 
ie  fécond  Ferœ^  le  troifième  G  lire  s ,  le 
quatrième  Jumenla ,  &  le  cinquième 
Pecora  ;  &  ces  cinq  ordres  renferment, 
félon  lui,  tous  les  animaux  quadrupèdes. 
On  va  voir  par  rexpofidon  &  rénumé- 
ration  même  de  ces  cinq  ordres ,  que 
cette  divifion  eft  non-feulement  arbi- 
traire ,  mais  encore  très-mal  imaginée  ; 
car  cet  Auteur  met  dans  le  premier  ordre 
l'homme,  le  finge,  le  parefTeux  &  le 
ie'zard  e'caîlleux.  11  faut  bien  avoir  la  ma- 
nie de  fiiire  des  claiïes,  pour  mettre  en- 
fèmbîe  des  êtres  auili  différens  que  Thom- 
me  &  le  parefTeux ,  ou  le  finge  &.  le  lézard 
ccailieux.  PafTons  au  fécond  ordre  qu'il 
appelle  Ferœ,  les  bêtes  féroces  ;  ii  com- 
mence Qïï  e^et  par  ie  lion ,  le  tigre  ,  mais 

C  iii; 


5  6        ^/lanière  de  îraiter 
il  continue  par  le   chat,  la  belette,    îa 
ioiitre,  le  veau-marin,  ieciiien,  l'ours, 
îe  blaireau ,  &  il  finit  par  le  hérifTon  ,  la 
taupe  &   îa  chauve- fouris.    Auroit-oa 
jamais  cru  que  le  nom  de  Fnœ  en  latin  , 
bêles  fauv  âges  ou  féroces  en  francois  ,  eut 
pu  être  donné  à  la  chauve- fouris,   à  la 
îaupe ,  au  hérifîbn  ;  que  les  animaux  do- 
ineiîiques,  comme  le  chien  ôl  le  chat , 
fuflent  des  bêtes  fauvagesî  &  n'y  a-t-i£ 
pas  à  cela  une  auiîi  grande  équivoque 
de  bon  fens  que  de  mois  î  Mais  voyons 
ïe  troifième  ordre   G  lires,  les  loirs,  ces 
]oirs  de  M.  Linnoeus  ,  font  le  porc-épic^ 
le  lièvre,  l'écureuil,  le  caftor  &  les  rats;, 
l'avoue  que   dans  tout  cela  je  ne  vois 
«qu'une  efpèce  de  rats  qui  foit  en  effet 
un  loir.  Le  quatrièm.e  ordre  e(l  celui  des 
Jmnenîa  ou  bêtes  de  famme,  ces  bêtes 
de  fomme  (ont  l'éléphant,  l'hippopo- 
tame ,  la  niufaraigne ,  le  cheval  &  le  co- 
chon ;  autre  aflembiage ,  comme  on  voit» 
qui  eft  aufil  gratuit  &  auiïi  bizarre  que  (i 
l'Auteur  eût  travaillé  dans  le  defTein  de 
le  rendre  tel.  Enfin  le  cinquième  ordre 
Pecora  ou  le  bétail,  comprend  le  cha- 
iîieau ,  le  cerf,  le  bouc  ,  le  bélier  <$c  fc 


tHijïoire  Naturelle.         57 

^œuf;  mais  quelle  différence  n'y  a-t-iï 
pas  entre  un  chameau  &  un  béiier,  ou 
entre  un  cerf  &  un  bouc  î  &  quelle  rai- 
Çon  peut-on  avoir  pour  prétendre  que 
ce  foit  des  animaux  du  même  ordre,   fi 
ce  n'eft  que  voulant  abfoiument  faire  des 
ordres,  &  n'en  faire  qu'un  petit  nombre , 
il  f\ut  bien  y  recevoir  des  bêtes  de  toute 
efpèceî  Enfuite  en  examinant  les  der- 
nières divifions  des  animaux  en  efpèces 
particulières ,   on  trouve  que  le  ioup- 
cervier  n'eft  qu'une  efpèce  de  chat,  ie 
renard  &  le  loup  une  efpèce  de  chien,  la 
civette  une  efpèce  de  biaireau,  le  cochon 
d'inde  une  eipèce  de  lièvre  ,  le  rat  d'eau 
une  efpèce  de  caftor ,  le  rhinocéros  une 
efpèce  d'éléphant,  l'âne  une  efpèce  de 
cheval ,  &c.  &  tout  cela  parce  qu'il  y  a 
quelques  petits  rapports  entre  le  nom- 
bre des  mamelles  ôl  des  dents  de  ces  ani- 
maux ,  ou  quelque  reffemblance  légère 
dans  la  orme  de  leurs  cornes. 

Voilà  pourtant,  &l  fm>  y  rien  omettre^ 
à  quoi  le  réduit  ce  ly  lème  delà  Nature 
pou.  'es  an' maux  quadrupèdes.  Ne  ieroit- 
il  pis  plus  fimpl<",  pfs  n  urel  &  plus 
vrai  de  dire  qu'un  âne  cil  un  âne  ,  &  un 

C  V 


^58       jMamère  Se  irmtef 

chat  un  chat ,  que  de  vouloir ,  fans  /avoir 
pourquoi ,  qu'un  âne  loiî  un  cheval^  & 
un  chat  un  ioup-cervierî 

On  peut  juger  par  cet  échantillon  de 
tout  le  relie  du  tyliènie.  Leslerpens., 
félon  cet  Auteur,  lont  des  amphibies  , 
les  écrevifies  font  des  infecftes  ,  <S^  non- 
feulement  des  inlèdes,  mais  des  infedes 
du  même  ordre  que  les  poux  &  les  puces; 
&  tous  les  coquillages  ,  les  cruftacées  & 
les  poiflons  mous  iont  des  vers  ;  les  huî- 
tres ,  les  moules ,  les  ourfins  ,  les  étoiles 
de  mer,  les  sèches,  &c.  ne  font,  félon 
cet  Auteur  que  des  vers.  En  fmt-il  da- 
vaniage  pour  f  lire  (entir  combien  toutes 
ces  diviiions  font  arbitraires,  &  cette 
méthode  mal  fondée  î 

On  reproche  aux  Anciens  de  n'avoir 
pas  fiit  des  méthodes,  &  les  modernes  fe 
croient  fort  au-de(fus  d'eux  parce  qu'ils 
ont  fait  un  grand  nombre  de  ces  arran- 
gemens  méthodic|ues  &  de  ces  diction- 
naires doni  nous  venons  de  parler,  ils  fe 
fcnt  perfuadés  que  cela  feul  fufïit  pour 
prouver  que  les  Anciens  n'avoient  pas  à 
beaucoup  près  autant  de  connoiflances 
€ft  HiJiloire  Naturelle  que  nous  en  avons  : 


rHiJloke  Naturelle.        55) 

cependant  c  eft  tout  le  contraire,  &  nous 
aurons  dans  la  fuite  de  cet  ouvrage  mille 
occafions  de  prouver  que  les  Anciens 
étoient  beaucoup  plus  avancés  &:  plus 
inilruits  que  nous  ne  le  fonimes,  je  ne 
dis  pas  en  Phyfique,  mais  dans  l'Hiftoire 
Naturelle  des  animaux  &  des  minéraux  , 
&  que  les  faits  de  cette  Hilloire  leur 
étoient  bien  plus  fiimiîiers  qu'à  nous  qui 
aurions  dû  profiter  de  leurs  découvertes 
&  de  leurs  remarques.  En  attendant 
qu'on  en  voie  des  exemples  en  détail , 
nous  nous  contenterons  d'indiquer  ici 
les  raifons  générales  qui  fuffiroient  pour 
le  fiiire  penier,  quand  même  on  n'en 
auroii  pas  des  preuves  particulières. 

La  langue  grecque  efl:  une  des  plus 
nn-ciennes  ,  &  celle  dont  on  a  fiiit  le  plus 
iong-temps  ulage  :  avant  &  depuis  Ho- 
mère on  a  écrit  &  parlé  grec  jufqu'au 
treize  ou  quatorzième  fiècle,  &  aduel- 
îement  encore  le  grec  corrompu  par  les 
idiomes  étrangers  ne  diffère  pas  autant 
du  grec  ancien ,  que  l'italien  diffère  du 
îatin.  Cette  langue,  qu'on  doit  regar^ 
der  comme  la  plus  parfaite  &  ia  plus 
abondante  de  toutes ,   étoit  dès  le  temps 

C  y) 


éo        Manière  de  traiter 

d'Homère  portée  à  un  grand  point  de 
perfection,  ce  cjui  Tuppcfe  nécefiaire- 
ment  une  ancienneté  confidérable  avant 
ie  fiècle  niênie  de  ce  grand  Poëie;  car 
l'on  pourroit  eftimer  l'ancienneté  ou  la 
nouveauté  d'une  langue  par  la  quantité 
plus  ou  moins  grande  des  mots,  &  la 
variété  plus  ou  moins  nuancée  des  conf^ 
trudions  :  or  nous  avons  dans  cette  lan- 
gue Les  noms  d'une  très-grande  quantité 
de  chofes  qui  n'ont  aucun  nom  en  latin 
ou  en  François  ;  les  animaux  les  plus  rares^ 
certaines  el'pèces  d'oiieaux  ou  de  poif- 
fons,  ou  de  minéraux  qu'on'  ne  ren- 
contre que  très-difficilement,  très-rare- 
ment ,  ont  des  no!ns  &  des  noms  conP 
tans  dans  cette  langue:  preuve  évidente 
que  ces  objets  de  l'Hifloire  Naturelle 
étoient  connus ,  &  que  les  Grecs  non- 
feulement  les  connoifioient,  mais  même 
qu'ils  en  avoicnt  une  idée  précife  qu'ils 
ne  pou  voient  avoir  acquife  que  par  une 
étude  de  ces  mêmes  objets  ,  étude  qui 
fuppofe  nécefiîtirement  des  obier  valions 
&  des  remarques  ;  ils  ont  même  des  noms 
pour  les  variétés,  &  ce  que  nous  ne 
pouvons  repréfenter  que  par  une  phrafè^ 


rHijloh-i  Ndtiirelle.        6t 

fè  nomme  dans  cette  langue  par  un  feuî 
fubftamif.  Cette  abondance  de  motSy 
cette  richeiïe  d  expredions  nettes  &  pré- 
cifes ,  ne  Tuppolent-elies  pas  h  même 
abondance  d'idées  &  de  connoifTances  î 
Ne  voit-on  pas  que  des  gens  qui  avoient 
nommé  beaucoup  plus  de  choies  que 
nous  ,  en  connoiffoient  par  conféquent 
beaucoup  plus  l  &  cependant  ils  n'a- 
voient  pas  fliit,  comme  nous,  des  mé- 
thodes &  des  arrangemens  arbitraires; 
ils  penfoient  que  la  vraie  fcience  eft  ia 
connoiiïance  des  faits,  que  pour  l'ac- 
quérir il  falloit  le  familiarifer  avec  les 
productions  de  la  Nature  ,  donner  des 
noms  à  toutes ,  afin  de  les  fitire  recon- 
noître ,  de  pouvoir  s'en  entretenir ,  de 
fe  reprélenter  plus  fouvent  les  idées  des 
choies  rares  &  fingulières ,  &  de  multi- 
plier ainfï  des  connoiiîanccs  qui  fans  cela 
ie  leroient  peut-être  évanouies ,  rien  n'é- 
tant plus  fujet  à  l'oubli  que  ce  qui  n'a 
point  de  nom.  Tout  ce  qui  n'ed  pas  d'un 
ulage  commun  ne  Te  foutient  que  parle 
fecours  des  repréfentatîons. 

D'ailleurs  les  Anciens  qui  ont  écrit  fur 
i'Hifk>ire   Naturelle  étoient  de  grands 


62        Afû/iiere  Je  traiter 

hommes,  &  qui  ne  s'étoient  pas  bornés  à 
cette  leule  étude  :  ils  avoient  l'elprit  élevé, 
des  connoifîànces  variées,  approfondies, 
&  des  vues  générales;  &  s'il  nous  paroît 
au  premier  coup  d'œil  qu'il  leur  manquât 
un  peu  d'exaditude  dans  de  certains  dé- 
tails ,  il  eft  aile  de  reconnoître  en  les 
iiiant  avec  réflexion,  qu'ils  ne  penioient 
pas  que  les  petites  choies  méritafTent  une 
attention  aulîî  grande  que  celle  qu'on 
ieur  a  donnée  dans  ces  derniers  temps  ; 
&  quelque  reproche  que  les  Modernes 
puiîîent  fiiire aux  Anciens,  il  me  paroît 
qu'Aridote,  Théophrafle  &  Pline  qui 
ont  été  les  premiers  Naturalifles ,  font 
auffi  les  plus  grands  à  certains  égards. 
L'hiiloire  des  animaux  d'Ariftote  efl: 
peut-être  encore  aujourd'hui  ce  que 
nous  avons  de  mieux  fait  en  ce  genre  , 
&  il  i'croit  fort  à  defirer  qu'il  nous  eût 
îailîé  quelque  choie  d'aulîi  complet  iUr 
ics  végétaux  &  fur  les  minéraux ,  mais  les 
deux  livres  des  plantes  que  quelques  A  u- 
teurs  lui  attribuent,  ne  relTemblent  pas  à 
fes  autres  ouvrages ,  &  ne  font  pas  en  efîèt 
de  lui  fc),    II  eil  vrai  que  la  Botanique 

(cj  Voyez  le  Commentai  rç  de  Scaliger» 


l'HijIoke  Naturene.        6  y 

n'étoit  ras  fort  en  honneur  Je  fon  temps; 
les  Grecs,  &  nième  les  Romaini»  ne  la 
regardoient  pas  comme  une  Icience  qui 
eût  exifter  par  elle-même ,  &  qui  dût 
faire  une  objet  à  piirt,  ils  ne  la  conlîdé^ 
roient  que  relativement  à  l'Agriculture, 
au  Jardinage,  à  la  Médecine  &  aux  A rts; 
&  quoique  Théophrafle,  diiciple  d'A- 
riOote  ,  connût  plus  de  cinq  cents  genres 
de  plantes ,  &  que  Piine  en  cite  plus  de 
mille ,  ils  n'en  parlent  que  pour  nous  en 
apprendre  la  culture  ,  ou  pour  nous  dire 
que  les  unes  entrent  duns  la  compofitiofl 
des  drogues,  que  les  autres  font  d'ulage 
pour  les  arts,  que  d'autres  fervent  à  orner 
nos  jardins,  &c.  en  un  mot,  ils  ne  les 
confidèrent  que  par  l'utilité  qu'on  en 
peut  tirer  ,  &  ils  ne  fe  font  pas  attachés 
à  les  décrire  exaélement. 

L'hifloire  des  animaux  leur  étoit  mieux 
connue  que  celle  des  plantes.  Alexandre 
donna  des  ordres  &  fit  des  dépenfcs  très- 
confidérablcs  pour  rallembler  des  ani- 
maux &  en  fiiire  venir  de  tous  les  pays, 
&  il  mit  Ariftoteen  état  de  les  bien  ob- 
ferver  ;  il  paroû  par  Ion  ouvrage  qu'il 
les  coniioifloit  peut-être  mieux,  &  fous 


6-\.        Aveline re  de  traiter 

des  vues  plus  générales  qu'on  ne  les 
connoît aujourd'hui.  Enfin,  quoique  les 
Modernes  aient  ajouté  leurs  découvertes 
à  celles  des  Anciens ,  je  ne  vois  pas 
que  nous  ayons  fur  l'Hiftoire  Natu- 
relle beaucoup  d'ouvrages  modernes 
qu'on  puiiTe  mettre  au-dcifus  d'Ariftote 
&  de  Pline;  mais  comme  la  prévention 
naturelle  qu'on  a  pour  ion  fiècle,  pour- 
roit  perfuader  que  ce  que  je  viens  de 
dire,  efl  avancé  témérairement,  je  vais 
fliire  en  peu  de  mots  rexpofnion  du  plan 
de  leurs  ouvrages. 

Ariftote  commence  Ton  hifloire  des 
animaux  par  établir  des  différences  & 
des  refTe m b lances  générales  entre  les 
difFérens  genres  d'animaux  ;  au  lieu  de 
les  divifer  par  de  petits  caracflères  parti- 
culiers, comme  l'ont  fait  les  Modernes, 
il  rapporte  hifloriquement  tous  les  taits 
&  toutes  les  ob  fer  valions  qui  portent 
fur  des  rapports  généraux  &  Ibr  Aqs 
caractères  lènfibles;  il  tire  ces  caracflères 
de  la  forme,  de  la  couleur,  de  la  gran- 
deur &  de  toutes  les  qualités  extérieures 
de  l'animal  entier  ,  (Se  aufîl  du  nombre 
&  de  la  pofition  de   les  parties,  de  la 


THijIolre    Naturelle.         6  5 

«::iandeur,  du  mouvement,  de  la  forme 
f Je  Tes  membres  ,  des  rapports  fejriblables 
ou  difîerens  qui  le  trouvent  dans  ces 
jiiémes  parties  comparées,  &  il  donne 
par-tout  des  exemples  pour  fefèiire  mieux 
entendre:  il  confidère  aufli  les  diffé- 
rences des  animaux  par  leur  façon  de 
wre ,  leurs  allions  &  ieurs  mœurs, 
leurs  habitations,  &c.  II  parle  des  parties 
qui  font  communes  &  effentielies  aux 
animaux ,  &  de  celles  qui  peuvent  man- 
quer &  qui  manquent  en  effet  à  piufieurs 
!  efpèces  d'animaux  :  le  fens  du  toucher, 
dit-il,  efl  la  feule  chofe  qu'on  doive 
regarder  comme  nécefîiiire ,  Sl  qui  ne 
doit  manquer  à  aucun  animai  ;  &  comme 
ce  fens  eli:  commun  à  tous  ies  animaux, 
il  n'eft  pas  poffibie  de  donner  un  nom  h 
la  partie  de  leur  corps ,  dans  laquelle 
réfide  la  faculté  de  fentir.  Les  parties  ies 
plus  effentielies  font  celles  par  lefquelles 
l'animal  prend  fa  nourriture ,  celles  qui 
reçoivent  &  digèrent  cette  nourriture , 
ÔL  celles  par  où  il  en  rend  le  fuperiîu. 
11  examine  enfuite  les  variétés  de  la  gé- 
Ciération  des  animaux,  celles  de  leurs 
weinbres  ôl  de  leurs  différentes  parties 


66       Mamêre  de  tràter 

qui  fervent  à  leurs  mouvemcns  &  à  leurs 
ibndions  naturelles.  Ces  obrervations 
générales  &  préliminaires  font  un  tableau 
dont  toutes  les  parties  font  intéreflantes, 
&  ce  grand  Phiiofoplie  dit  aufli  qu'il  les 
a  prélentées  fous  cet  afped,  pour  donner 
un  avant-goût  de  ce  qui  doit  fuivre  & 
faire  naître  l'attention  qu'exige  l'hiiloirc 
particulière  de  chaque  animai,  ou  plutôt 
de  chaque  cho(e. 

ïl  commence  par  l'homme  &  il  le 
décrit  le  premier  ,  plutôt  parce  qu'il  eft 
Ranimai  le  mieux  connu,  que  parce  qu'il 
efl:  le  plus  parfait;  &  pour  rendre  fa 
defcription  moins  sèche  &  plus  piquante , 
ii  tâche  de  tirer  des  connoiiTanccs  mo-^ 
raies  en  parcourant  les  rappons  phyfî- 
ques  du  corps  humain ,  il  indique  les 
caradères  des  hommes  par  les  traits  de 
leur  vifage:  fe  bien  connoître  en  phy- 
fîonomie,  feroit  en  effet  une  fciencebien 
utile  à  celui  qui  i'auroit  acquiie ,  mais 
peut-OH  la  drer  defHifloire  Naturelle  î 
Il  décrit  donc  l'homme  par  toutes  {t% 
parties  extérieures  &  intérieures ,  &  cette 
defcription  eft  la  feule  qui  ibit  entière  : 
au  lieu  de  décrire  chaque  animai   en 


ïHijloire  Naturelle.        6j 

jiartîculier ,  il  les  fiiit  connoître  tous  par 
les  rapports  que  toutes  les  panies  de  leur 
corps  ont  avec  celle  du  corps  de  Thom- 
îne  :  lorfqu'il  décrit ,  par  exemple ,  la 
tête  humaine,  il  compare  avec  elle  la 
tête  de  différentes  elpèces  d'animaux-, 
il  en  eft  de  même  de  toutes  les  autres 
parties  ;  à  la  defcription  du  poumon  de 
■  Fhomme,  il  rapporte  hiiioriquement 
tout  ce  qu'on  la  voit  des  poumons  des 
animaux ,  &  il  fait  l'hiftoire  de  ceux  qui 
en  manquent;  de  même  à  l'occaiion 
des  parties  de  la  génération ,  il  rapporte 
toutes  les  variétés  des  animaux  dans  la 
manière  de  s'accoupler  ,  d'engep.drer ,  de 
porter  &  d'accoucher,  «Slc.  à  l'occafion 
du  fang  il  fait  l'hiftoire  des  animaux 
qui  en  font  privés,  &  fuivant  ainfi 
ce  plan  de  comparaifon  ,  dans  lequel , 
comme  l'on  voit,  l'homme  fert  de  mo- 
dèle, &  ne  donnant  que  les  différen- 
ces qu'il  y  a  des  animaux  à  l'homme,  & 
de  chaque  partie  des  animaux  à  chaque 
partie  de  l'homme ,  il  retranche  à  deiTein 
toute  defcription  particulière  ,  il  évite 
par-là  toute  répétition  ,  il  accumule  les 
faits,  &  il  n'écrit  pas  un  mot  qui  foit 


oo  Mdinère  de  traiîef 
inutife;  aufli  a-t-ii  compris  dans  un  petit 
voiume  un  nombre  prefqu'infrni  de 
diiîërens  foits,  &  je  ne  crois  pas  qu'ii 
foit  pofTjble  de  réduire  à  de  moindres 
termes  tout  ce  qu'il  avoit  à  dire  fur  cette 
matière ,  qui  paroit  il  peu  fufceptible  de 
cette  précifion ,  qu'il  {û\qiI  un  génie 
comme  le  fien  pour  y  conferver  en 
Jnême  temps  de  Tordre  &  de  la  netteté. 
Cet  ouvrage  d'Ariftote  s'ed  préfenté  à 
ines  yeux  comme  une  table  de  matières, 
qu'on  auroit  extraite  avec  le  plus  grand 
foin  de  plufieurs  milliers  de  volumes 
remplis  de  defcriptions  &  d'obfervations 
de  toute  efpèce ,  c  efl  l'abrégé  le  plus 
fr'vant  qui  ait  jamais  été  fait,  fi  la 
ÏQi^wc^  e(t  en  effet  l'hiftoire  des  faits  : 
6i  quand  même  on  fuppoferoit  qu'A- 
riilote  auroit  tiré  de  tous  les  livres  de  fon 
temps  ce  qu'ii  a  mis  dans  le  fien  ,  le  plan 
de  l'ouvrage ,  fi  diflribution,  le  choix  A^s 
exemples  ,  la  judeiïe  des  comparaifons  , 
une  certaine  tournure  dans  les  idées ,  que 
j'appellerois  volontiers  le  caraètère  philo- 
fophique,  ne  laiiTent  pas  douter  un  inllant 
qu'il  ne  fût  lui-même  bien  plus  riche 
que  ceux  dont  il  auroit  emprunté. 


l'Hiftolre  Naturelle»  6c) 

Pline  a  travaillé  fur  un  pian  bien  plus 
grand ,  &  peut-être  trop  vafle ,  il  a  voulu 
tout  embraffer,  &:il  femble  avoir  mefuré 
la   Nature  &:  l'avoir  trouvée  trop  petite 
encore  pour  l'étendue  de  Ion  efprit  :  fou 
Hifloire  Naturelle  comprend,  indépen- 
damment de  l'hiftoire  des  animaux  ,  des 
plantes  &  des  minéraux  ,  l'hiftoire  du  ciel 
&L  de  la  terre  ,  la  médecine,  le  commerce, 
ia  navigation,  l'hiftoire  des  arts  libéraux 
&   mécaniques ,  l'origine    dcs>    udiges , 
enfin  toutes  les  fciences  naturelles  &:  tous 
!  les  arts  humains  ;  &  ce  qu'il  y  a  d'éton- 
j  nant,  c'eft  que  dans  chaque  partie  Pline 
eft  également  grand,  l'élévation  des  idées, 
ia  nobleiïe  du  ftyle  relèvent  encore  fix 
profonde   érudition  ;    non- feulement   il 
iavoit  tout  ce  qu'on  pouvoit  favoir  de 
■  fon  temps  ,  mais  il  avoit  cette  flicilité  de 
'  pcnfer  en  grand  qui  multiplie  la  fcience, 
.  il  avoit  cette  fineffe  de  réflexion  ,  de  la- 
I  quelle  dépendent  l'élégance  &  le  goût , 
&  il  communique  à  fcs  ledeurs  une  cer- 
taine liberté  d'cfprit,   une   hardiefTe   de 
penfer  qui  eft  le  c^erme  delà  Philofophie. 
Son  ouvrage  ,  tout  aufîi  varié  que  la  Na- 
ture, la  peint  toujours  en  beau,  c'eft,  fi. 


yo  Manière  de  traher 
Ton  veut ,  une  compilation  Je  tout  ce 
qui  avoit  été  écrit  avant  lui ,  une  copie 
de  tout  ce  qui  avoit  été  fait  d'excellent 
&  d'utile  à  favoir  ;  mais  cette  copie  a 
de  fi  grands  traits,  cette  compilation 
contieiu  des  chofes  raOembiées  d'une 
manière  fi  neuve,  qu'elle  eft  préférable  à 
la  plupart  des  ouvrages  originaux  qui 
traitent  des  mêmes  matières. 

Nous  avons  dit  que  l'hiftoire  fidèle  & 
ïa  defcription  exade  de  chaque  chofe 
étoient  les  deux  feuls  objets  que  l'on 
devoit  fc  propofer  d'abord  dans  l'étude 
de  l'Hiftoire  Naturelle.  Les  Anciens 
ont  bien  rempli  le  premier,  &  font  peut- 
être  autant  au-deiïus  des  Modernes  par 
cette  première  partie ,  que  ceux-ci  font 
au-deffus  d'eux  par  la  féconde  ;  car  les 
Anciens  ont  très-bien  traité  l'hiftorique 
de  la  vie  &  des  moeurs  des  animaux ,  de 
la  culture  &  des  ufiges  des  plantes,  des 
propriétés  &:  de  l'emploi  des  minéraux, 
&  en  même  temps  ils  femblent  avoir 
néaligé  à  deflein  la  defcription  de  cha- 
que chofe:  ce  n'eft  pas  qu'ils  ne  fuflent 
très-capables  de  la  bien  faire,  mais  ils 
dédaignoient  apparemment  d'écrire  des 


l'Hifloire  Naturelle,        jt 

chofes  qu'ils  regardoient  comme  inutiles, 

èi  cette  façon  de  penfèr  tenoit  à  quelque 

choie  de  général  &  n'étoit  pas  aufîi  dé- 

.  raifonnabie  qu'on  pourroit  le  croire  ;  <& 

|mênie  ils  ne  pouvoient  guère  penferau- 

■i  trement.  Preiuièrement  ils  cherchoient  à 

être  courts  &  à  ne  mettre  dans  leurs  ou- 

vrages  que  [qs  faits  eiïentiels  &  utiles, 

parce  qu'ils  n'avoicmpas,comme  nous,la 

facilité  de  multiplier  les  livres,  &  de  les 

I  groifir  impunément.  En  fécond  lieu  ils 

tpufi^oient  toutes  les  fciences  du  côté  de 

l'utilité   &   donnoient  beaucoup  moins 

;  que  nous  à  la  vaine  curiofué  ;  tout  ce 

I  qui  n'étoit  pas  intérefTant  pour  la  fociété 

!  pour  la  famé,  pour  hs  arts,  étoit  négligé) 

ils  rapportoient  tout  à  l'homme  morll,' 

&  ils  ne  croyoient  pas  que  ks  chofes  qui 

n'avoient  point  d'ufige,  fuffent  dignes 

de  l'occuper  ;  un  infede  inutile  dont  nos 

Obfervatcurs  admirent  les  manœuvres  , 

une  herbe  fans  vertu  dont  nos  Botaniftes 

obfervent  les  étamines,  n'étoient  pour 

eux  qu'un  infede  ou  une  herbe:  on  peut 

citer  pour  exemple  le  27/  livre  de  Pline, 

Religua  herbarum  gênera,  où  il  met  en- 

kmble  toutes  les  herbes  dont  il  ne  fait 


7  2        Manière  de  traiter 

pas  grand  cas  ,  qu'il  le  contente  de  nom- 
mer par  lettres  alphabétiques ,  en  indi- 
quant leulement  quelqu'un  de  leurs 
caradères  généraux  &  de  leurs  uiages 
pour  la  Médecine.  Tout  cela  venoit  du 
peu  de  goût  que  les  Anciens  avoient 
pour  la  Phyfique,  ou,  pour  parler  plus 
exadeinent ,  comme  ils  n'a  voient  aucune 
idée  de  ce  que  nous  appelons  Phyfique 
particulière  &  expérimentale,  ils  ne 
penfoient  pas  que  l'on  pût  tirer  aucun 
avantacre  de  l'examen  icrupuleux  &  de 
ia  delcripticn  exade  de  toutes  les  parties 
d'une  plante  ou  d'un  petit  animal,  &ils 
ne  voyoient  pas  les  rapports  que  cela 
pouvoit  avoir  avec  lexplication  àç.s 
phénomènes  de  la  Nature. 

Cependant  cet  objet  eft  le  plus  im- 
portant, &  il  ne  faut  pas  s'imaginer, 
même  aujourd'hu' ,  que  dans  l'étude  de 
l'Hifloire  Naturelle  on  doive  le  borner 
uniquement  à  faire  des  defcriptions 
cxaéles  &  à  s'aflurer  feulement  des  faits 
particuliers;  c'cft  à  la  vérité,  &:  comme 
nous  l'avons  dit,  le  but  efîentiel  qu'on 
doit  fe  propofer  d'abord;  mais  il  fiut 
tâcher  de  s'élever  à  quelque  chofe  de 

plus 


VHîJloîre  Naturelle.       73" 

J)îus  grand  &  plus  digne  encore  de  nous, 
occuper,  c'efl:  de  combiner  les  obierva- 
tions,  de  généralifer  les  fîiits,  de  les  lier 
enfembie  par  la  force  des  analogies,  &: 
de  tâcher  d'arriver  à  ce  haut  degré  de 
connoilîiinces  où  nous  pouvons  juger 
que  les  effets  particuliers  dépendent 
d'effets  plus  généraux,  où  nous  pou- 
Tons  comj)arer  la  Nature  avec  elle-même 
dans  Tes  grandes  opérations  ,  &  d'où 
nous  pouvons  enfin  nous  ouvrir  des 
routes  pour  perfèélionner  les  différentes 
parties  delà  Phyfique.  Une  grande  mé- 
jnoire ,  de  l'affiduité  &  de  l'attention  ixxÇ- 
fifent  pour  arriver  au  premier  but,  mais 
il  fîuit  ici  quelqtie  choie  de  plus,  il  faut 
des  vues  générales ,  un  coup  d'œil  ferme 
&  un  railbnnement  formé  plus  encore 
par  la  réfîexion  que  par  l'étude  ;  il  faut 
enfin  cette  qualité  d'efprit  qui  nous  fût 
làifir  les  rapports  éloignés,  les  rafîem- 
bler  &  en  former  un  corps  d'idées  rai- 
ibnnées,  après  en  avoir  apprécié  au  jufle 
les  vraifemblances,  &  en  avoir  pefé  le* 
probabilités. 

C'elt  ici  où  Ton  a  befoin  de  méthode 
pour  conduire  fon  efprit,  non  pas  de 

Tome  L  Ù 


74  Manière  de  traiter  ~ 
ccik  dont  nous  avons  parlé ,  qui  ne  feiî 
qu'à  arranger  arbitrairement  dcS  mots^ 
inais  de  cette  méthode  qui  foutient  l'or- 
dre même  des  chofes,  qui  guide  notre 
raifonnement ,  qui  éclaire  nos  vues,  les 
étend  &  nous  empêche  de  nous  égarer. 

Les  plus  grands  Philofophes  ont  fenti 
ia  nécefîité  de  cette  méthode;  &  même 
ils  ont  voulu  nous  en  donner  des  prin- 
cipes &  des  efîais  ;  mais  les  uns  ne  nous 
ont  laiflTé  que  l'hifloire  de  leur  penfées^ 
^  les  autres  la  fable  de  leur  imagina-^ 
don  ;    &  fi  quelques-uns  lie  font  élevés 
à  ce  haut  point  de  métaphyfique  d'où 
l'on  p.eut  voir  les  principes,  les  rap- 
ports &  l'enfembie  des  Sciences,  aucua 
ne  nous   a    fur   cela   communiqué   fes 
•idées  ,  aucun  ne  nous  a  donné  des  con- 
feils,  &  la  méthode  de  bien  conduire 
fou  jelprit  dans  les  Sciences  eft;  encore 
à  trouver  :  au  défaut  de  préceptes  on  a 
fubftitué  des  exemples ,  au  lieu  de  prin- 
cipes on  a  employé  des  définitions,  au 
.iieu  de  fiits  avérés  ,  des  fuppofitions 
hafirdées. 

Dans  ce  fièclemême  où  les  Sciences 
•paroifrent  être  çuidvées  avec  foin^  \^ 


THiJlolre  Naturelle.        j^ 

fxo\s  qu'il  eft  aifé  de  s'apercevoir  que 
ia  Philofophie  eil  négligée,  &  peut-être 
plus  que  dans  aucun  autre  fi'ècle  ;  les 
arts  qu'on  veut  appeler  fcieiuifiques , 
ont  pris  fa  place  ;  les  méthodes  de  Cal- 
cul ^  de  Géométrie,  celles  de  Bota- 
nique &  d'Hiftoire  Naturelle,  les  for- 
.muks ,  en  un  mot ,  &  les  dictionnaires 
occupent  prefque  toiu  le  monde;  on 
s'imagine  fa  voir  davantage ,  parce  qu'on 
a  augmenté  le  nombre  des  expreiîions 
fymboliques  &  des  phrafes  favantes,  & 
on  ne  fait  point  attention  que  tous  ces 
xirts  ne  font  que  des  échafaudages  pour 
arriver  à  la  fcience ,  &  non  pas  la  fcience 
elle-même,  qu'il  ne  faut  s'en  fervir  que 
ïorfqu'on  ne  peut  s'en  paiïer,  &  qu'on 
doit  toujours  fe  défier  qu'ils  ne  viennent 
à  nous  manquer  lorfque  nous  voudrons 
.  ies  appliquer  à  l'édifice. 

La  vérité,  cet  être  métaphyfique  dont 
,;tout  le  monde  croit  avoir  une  idée  claire, 
me  paroît  confondue  dans  un  fi  grand 
nombre  d'objets  étrangers  auxquels  on 
donne  fon  nom ,  que  je  ne  fuis  pas  fur- 
pris  qu'on  ait  de  la  peine  à  la  recon- 
.  uoître.  Les  préjugés  &  les  fauffes  appli- 

D  i; 


j6       Manière  de  traiter 

cations  fe  font  muhipîiées  à  médire  que  j 
nos  hypothèfes  ont  cté  plus  ^lavantes,  1 
pius  abflraites  &  plus  perfedionnées  ; 
il  efl:  donc  plus  difficile  que  jamais  de 
ïeconnoître  ce  que  nous  pouvons  favoir, 
&  de  le  diftinguer  nettement  de  ce  que 
nous  devons  ignorer.  Les  réflexions  iui- 
vantes  ferviront  au  moins  d'avis  fur  ce 
ilijet  important. 

Le  mot  de  vérité  ne  fait  naître  qu'une 
idée  vague ,  il  n'a  jamais  eu  de  défini- 
tion préciie,  &  la  définition  elle-même 
priie  dans  un  fens  général  &  abfolu , 
h'eft  qu'une  abftradion  qui  n'exifie 
qu'en  venu  de  quelque  riippofnion  ; 
ûu  lieu  de  chercher  à  faire  une  défini- 
tion de  la  vérité,  cherchons  donc  à  faire 
une  énumération ,  voyons  de  près  ce 
qu'on  appelle  communément  vérités,  & 
tâchons  de  nous  en  former  des  idées 
nettes. 

II  y  a  plufieurs  eij:)èces  de  vérités,  & 
on  a  coutume  de  mettre  dans  le  premier 
ordre  les  vérités  mathématiques,  ce  ne 
font  cependant  que  à(t>>  vérités  de  défi- 
nition ;  ces  définitions  portent  iur  <\%% 
fûppofitions  fimpîeSj  mais  abflraites,  ^ 


VHijIolre  NûiiireHe^        Jf 

toutes  les  vérités  en  ce  genre  ne  font 
que  des  conféquences  compolées ,  mais 
toujours  abftraites,  de  ces  définitions» 
Nous  avons  fiiit  les  fuppofitions ,  nous 
les  avons  combinées  de  toutes  les  fli* 
çons,  ce  corps  de  combinaifons  efl:  là 
fcience  mathématique  ;  ii  n'y  a  donc 
rien  dans  cette  fcience  que  ce  que  nous 
y  avons  mis,  &  les  vérités  qu'on  en  tire 
ne  peuvent  être  que  des  expreiîions  dif- 
férentes fous  lefquelies  fe  pré  (entent  les 
fuppofitions  que  nous  avons  employées; 
ainfi  les  vérités  mathématiques  ne  font 
que  les  répétitions  exades  des  défini- 
tions ou  fuppofitions.  La  dernière  con- 
féquence  n'efl  vraie  que  parce  qu'elle  efl 
identique  avec  celle  qui  la  précède ,  & 
que  celle-ci  i'efl  avec  la  précédente,  & 
ainfi  de  fuite  en  remontant  jufqu'à  fa 
première  fuppofnion  ;  &  comme  les  de% 
finitions  font  les  feuls  principes  fur  lef^ 
quels  tout  eft  établi ,  &  qu'elles  font  arbi-^ 
traires  &  relatives,  toutes  les  conféquen- 
ces qu'on  en  peut  tirer  font  également 
arbitraires  &  relatives.  Ce  qu'on  appelle 
vérités  mathématiques  fe  réduit  donc  à 
des  identités  d'idées  &n'a  aucune  réalité: 

D  ii; 


7  8        Manière  de  traiter 

nous  fuppofons,  nous  raifcnnons  fur 
nos  Tuppoiitions ,  nous  en  tirons  des 
conféquences ,  nous  concluons,  la  con- 
clufion  ou  dernière  conféquence  ell  une 
propofition  vraie,  relativement  à  notre 
fuppofition ,  mais  cette  vérité  n'eft  pas 
plus  réelle  que  la  fuppofition  elle-même. 
Ce  n'eft  point  ici  le  iieu  de  nous  étendre 
fur  les  ufàges  des  fciences  mathéma- 
tiques ,  non  plus  que  fur  l'abus  qu'on 
en  peut  faire  ,  il  nous  fuffit  d'avoir  prouvé 
que  les  vérités  mathématiques  ne  font 
que  des  vérités  de  définition  ,  ou  ,  fi  l'on 
Veut  des  expreiïions  différentes  de  fa 
même  chofe  ,  &  qu'elles  ne  font  vérités 
que  relativement  à  ces  mêm.es  définitions 
que  nous  avons  faites  ;  c'eft  par  cette 
raifon  qu'elles  ont  l'avantage  d'être  tou- 
jours exaéîes  &  démonftratives ,  mais 
iibftraites  ,  intellecftuelîes  &  arbitraires. 

Les  vérités  phyfiques,  au  contraire, 
iie  font  nullement  arbitraires  &  ne  dé-^ 
pendent  point  de  nous ,  au  lieu  d'être 
fondées  fur  dQS  (lippofîtions  que  nous 
ayons  faites ,  elles  ne  font  appuyées  que 
jfur  des  faits  ;  une  fuite  de  faits  fembla- 
î)les  f  ou  ^  fi  l'on  veut  ^  une  répétition 


THîjIoire  Natiireik;^        7^ 

flcqueaté  &  une  fuccefîion  non  inter^ 
rompue  des  mêmes  evènemens  ,  fait 
i'eflence  delà  vérité  phyfique  ;  ce  qu'on- 
■appelle  vérité  phyfique  n'elt  donc  qu'une 
probabilité,  mais  une  probabilité  li  grande 
qu'elle  équivaut  à  une  certitude.  En. 
Mathématique  on  fuppofe ,  en  Phy- 
fique on  pofe  <&  on  établit  ;  là  ce  font 
des  définitions  y  ici  ce  font  des  fiits  ; 
on  va  de  définitions  en  définitions  dans 
ks  fciences  abflraites  ,  on  marche  d'ob- 
fervations  en  obfervations  dans  les  fcicn- 
xes  réelles  ;  dans  les  premières  on  arrive 
à  l'évidence,  dans  les  dernières  à  la  cer- 
-tiîude.  Le  mot  de  vérité  comprend  l'une 
&  l'autre  ,  &  répond  par  conféquent  à 
deux  idées  différentes,  la  fi^nification 
^ft  vague  k.  compofée ,  il  n  eioit  donc 
pas  poffible  de  la  définir  généralement; 
il  faljoit ,  comme  nous  venons  de  le  faire, 
en  diftinguer  les  genres  "afin  de  s'en 
former  une  idée  nette. 

Je  ne  parlerai  pas  des  autres  ordres 
de  vérités;  celles  de  la  Morale,  par 
Texempïé,  qui  font  en  parties  réelles  & 
^n  partie  arbitraires  ,  demanderoient  une 
longue  difpuffion  qui  nous  éloigne  roi  t  de 

D  iiij 


8o       Marne re  Je  îrmîer 

notre  but,  &  cela  d'autant  plus  qu'elles 
n'ont  pour  objet  &  pour  fin  que  d^s 
convenances  &  des  probabilités. 

L'évidence  mathématique  &  la  cer- 
titude ph  y  fi  que  font  donc  les  deux  feuls 
points  fous  lelquels  nous  devons  con- 
fidérer  la  vérité  ;  dhs  qu'elle  s'éloignera 
de  l'une  ou  de  l'autre  ,  ce  n'efl:  plus  que 
vraifemblance  &  probabilité.  Examinons 
donc  ce  que  nous  pouvons  favoir  de 
Icience  évidente  ou  certaine,  après  quoi 
nous  verrons  ce  que  nous  ne  pouvons 
connoître  que  par  conjedure ,  &  enfin 
ce  c[ue  nous  devons  ignorer. 

Nous  fltvons  ou  nous  pouvons  fa- 
voir  de  fcience  évidente  toutes  les  pro-t 
priéiés  ou  plutôt  tous  les  rapports  des 
jiombfes,  des  lignes ,  des  furfaces  &  de 
toutes  les  autres  quantités  abllraites;  nous 
pourrons  les  favoir  d'une  manière  plus 
complète  à  mefure  que  nous  nous  exer- 
cerons à  ré  foudre  de  nouvelles  qucliions, 
&  d'une  manière  plus  fûre  à  mefure  que 
nous  rechercherons  les  caufes  des  diffi- 
cultés. Comme  nous  fommes  les  créa-^ 
teurs  de  cette  fcience;  &  qu'elle  ne 
comprend  abfolument  rien  que  ce  quç 


THijlou'e  Naturelle,         §t 

nous  avons  nous-mêmes  imaginé,  il  ne 
peut  y  avoir  ni  obfcurités  ni  paradoxes 
qui  foient  re'els  ou  impofTibles,  &  on 
en  trouvera  toujours  la  folution  en  exa- 
minant avec  loin  les  principes  fuppoiés  > 
&  en  fuivant  toutes  les  démarches  qu'on 
a  faites  pour  y  arriver:  comme  les  corn- 
binaifons  de  ces  principes  &  des  façons 
de  les  employer  font  innombrables ,  il 
y  a  dans  les  M  atliématiques  un  cbamp 
d'une  immenle  étendue  de  connoifilmces 
acquifes  &  à  acquérir ,  que  nous  ferons 
toujours  !es  niai  très  de  cultiver  quand 
nous  voudrons,  &  dans  lequel  nous  re- 
cueilierons  toujours  la  même  abondance 
de  vérités. 

Mais  ces  vérités  auroient  été  perpé- 
tueliementde  pure  fpéculation ,  de  (impie 
curiofué  &  d'entière  inutilité,  fi  on  nV 
voit  pas  trouvé  les  moyens  de  les  afTocier 
aux  vérités  phyfiques  ;  avant  que  de 
confidérer  les  avantages  de  cette  union, 
voyons  ce  que  nous  pouvons  eipérer  de 
favoir  en  ce  genre. 

Les  phénomènes  qui  s^offrent  tous> 
\t$  jours  à  nos  yeux ,  qui  le  iuccèdcnt 
êi.  fe  répètent  fans  interruption  &  dan* 

D   y 


§2        Manière  de  traiter 

tous  les  cas ,  font  le  fondement  de  nos 
connoifTances  phyfiques.  H  fuffit  qu'une 
choie  arrive  toujours  de  la  même  façon 
•pour  qu'elle  faffe  une  certitude  ou  une 
vérité  pour  nous,  tous  les  faits  de  la 
[Nature  que  nous  avons  obfervés,  ou 
que  nous  pourrons  ob  fer  ver ,  font  autant 
■de  vérités  ;  ainfi  nous  pouvons  en  aug- 
menter ie  nombre  autant  qu'il  nous 
plaira,  en  multipliant  nos  obfervations;. 
notre'  fcience  n'ed  ici  bornée  que  par 
ies  limites  de  l'Univers. 
/  Mais  lorfqu'après  avoir  bien  conflatë 
ïes  fiits  par  des  obfervations  réitérées  ^ 
lorfqu'après  avoir  établi  de  nouvelles 
vérités  par  des  expériences  exacfles ,  nous 
voulons  chercher  ies  raifons  de  ces 
mêmes  faits,  les  caufes  de  ces  effets j- 
nous  nous  trouvons  arrêtés  tout-à-coup, 
réduits  à  tâcher  de  déduire  les  effets, 
d'efîèts  plus  généraux  ,  &  obligés  d'a- 
vouer que  les  caufes  nous  font  &  nous 
feront  perpétuellement  inconnues,  parce 
que  nos  fens  étant  eux-mêmes  les  efîèts 
de  caufes  que  nous  ne  connoifîons  point, 
ils  ne  peuvent  nous  donner  des  idées 
^ue  des  effets,  &  jamais  des  caufes;  A 


THiflolre  Natiireïïe.         8  3 

faudra  donc  nous  réduire  à  appeler  caufe 
un  effet  général ,  &  renoncer  à  lavoir 
au-delà. 

Ces  effets  généraux  font  pour  nous 
ks  vraies loix  de  ia  Nature;  tous  les  phé- 
nomènes que  nous  reconnoîtrons  tenir 
à  ces  loix  &  en  dépendre ,  leront  autant 
de  faits    expliqués ,    autant    de    vérités 
comprifes  ;  ceux  que  nous  ne  pourrons 
y  rapporter,  feront  de  fimples  fiits  qu'il 
faut  mettre   en    réferve,   en    attendant 
qu'un  j:4us  grand  nombre  d'obfervations- 
&   vuie  plus   longue    expérience   nous- 
apprennent  d'autres  faits  &  nous  décou- 
•vrent  la  caufe  phyfique,  c'efl:-à-dire>.. 
i'eiîèt  général  dont  ces   effets  particu- 
liers dérivent.   C'eft  ici  où  l'union  des^ 
■deuxfciences  Mathématique  &  Phyfique 
peut  donner  de  grands  avantages ,  l'une 
donne  le   combien,  &  l'autre  le  com- 
ment des  chofes;  &  comme  il  s'agit  icï 
de  combiner  &  d'eftimer  des  probabilités 
pour   juger   fi   un   effet  dépend  plutôt 
d'une  caufe   que   d'une  autre,  lorfque 
vous  avez  imaginé  par  la  phyfique  ie- 
comment,,  c'ell-à-dire,  lorfque   vous 
av€z  vu  qu'un -tel  effet  pou rroiî  hhm 


§4  Manière  Je  traiter 
dépendre  de  lelie  caufe,  vous  appliquez 
en  faire  le  calcul  pour  vous  afîurer  du 
combien  de  cet  effet  combiné  avec  là 
.Cîiuiè,  &  fi  vous  trouvez  que  le  réfultat 
s'accorde  avec  ics  obfervaiions ,  la  pro- 
babilité que  vous  avez  deviné  jufle, 
augmente  fi  fort  qu'elle  devient  une 
certitude,  au  lieu  que  fans  ce  fecours 
die  feroit  demeurée  fimple  probabilité. 

II  eft  vrai  que  ceue  union  des  Ma- 
thématiques &  de  la  Phyfique  ne  peut 
fe  fiire  que  pour  un  très-petit  nombre 
^€  fujets;  il  faut  pour  cela  que  les  phé- 
iïomènes  que  nous  cherchons  à  expli- 
quer, foient  fufceptibles  d'être  confi- 
dérés  d'une  manière  abftraite ,  &  que  de 
îeur  nature  ils  foient  dénués  de  prefquc 
toutes  qualités  phyfiques,  car  pour  peu 
qu'ils  foient  compofés,  le  calcul  ne 
peut  plus  s'y  appliquer,  La  plus  belle 
^L  îa  plus  heureufe  application  qu'on  en 
îiiî  jamais  faite  ,  eft  au  fyftème  du  monde; 
^L  il  faut  avouer  que  fi  Newton  ne  nous 
eût  donné  que  les  idées  phyfiques  de 
fon  fyftème,  fans  les  avoir  appuyées  fur 
desévaluations  préci(ès&  mathématiques, 
^lies  n'auroient  pas  eu  à  beaucoup  près 


THîJloirè  Naturelle.        85 

la  même  force  ;  mais  on  doit  fentir  en 
même  temps  qu'il  y  a  très-peu  de  fujcts 
aufîi  fimples,  c'eft-à-dire,  aufîi  dc'nués 
deTjualiiés  phyfiques  que  l'efl:  celui-ci; 
car  la  diftance  des  planètes  efl  fi  grande 
qu'on  peut  les  eonfidèrer  les  unes  à 
l'égard  des  autres  comme  n'e'tant  que 
des  points  :  on  peut  en  même  temps , 
flins  fe  tromper ,  fiiire  abflradion  de 
toutes  les  qualités  phyfiques  des  pla- 
nètes, &  ne  confidérer  que  leur  force 
d'attracflion;  leurs  mouvemens  font  d'ail- 
leurs les  plus  réguliers  que  nous  con- 
noiflions,  &  n'éprouvent  aucun  retarde- 
ment par  laréfillance  :  tout  cela  concourt 
à  rendre  l'explication  du  fyflème  &a 
monde  un  problème  de  mathématique, 
auquel  il  ne  falloit  qu'une  idée  phyfique 
heureufement  conçue  pour  le  réaliler, 
&  cette  idée  efi:  d'avoir  penfé  que  la 
force  qui  fait  tomber  les  graves  à  îa 
furface  de  la  terre,  pourroit  bien  être 
la  même  que  celle  qui  retient  la  lune 
dans  fon  orbite. 

Mais ,  }e  le  répète  ,  il  y  a  bien  peu  de 
fil  jets  en  phyfique  où  l'on  puifle  appli- 
-quer  aujQi  avantage ufement  les  kiencfô 


Î6       Mcw} ère  de  traiter" 

abllraites,  &  je  ne  vois  guère  qu5 
r Agronomie  &  l'Optique  auxquelles 
elles  puiflent  être  d'une  grande  utilité  ; 
i'Aftronomie  par  les  raiibns  que  nous 
venons  d'expoier,  &. l'Optique  parce  que 
ia  lumière  étant  un  corps  prefqu'infi- 
îiinient  petit  dont  les  effets  s'opèrent  en 
ligne  droite  avec  une  vîteiïe  prefque 
infinie,  iès  propriétés  font  prcTque  ma- 
thématiques, ce  qui  fait  qu'on  peut  y 
appliquer  avec  quelque  fuccès  le  calcul 
ÔL  les  mefures  géométriques.  Je  ne  par- 
ierai pas  des  Mécaniques,  parce  que 
ja  Mécanique  rationnelle  efl:  elle-même 
une  fcience  mathématique  &  abftraite  ^ 
de  laquelle  la  Mécanique-pratique  ou 
l'art  de  faire  &  de  compofer  les  ma- 
chines, n'emprunte  qu'un  feul  principe 
par  lequel  on  peut  juger  tous  les  effets 
en  failant  abdradion  des  frottemens 
&  des  autres  qualités  phyfiques.  Aufîi 
fn'a-t-il  toiijours  paru  qu'il  y  avoit  une 
cfpèce  d'abus  dans  ia  manière  dont  on 
profeffe  la  Phyfique  expérimentale, 
l'objet  de  cette  Science  n'étant  point 
^lu  tout  celui  qu'on  lui  prête.  La 
4«iiw)niilration  des   effets    mécaniques,; 


FHipoire  NaîureSe.        &7 

xroinme  dé  la  puifTance  des  leviers ,  des^ 
poulies  ,  de  l'équilibre  des  lolides  &l  des 
fluides,  de  l'effet  des  plans  inclinés,  de 
celui  des  forces  centrifuges ,  &c.  appar- 
tenant entièrement  aux  Mathématiques,. 
&  pouvant  être  faifie  par  les  yeux  de 
i'efprit  avec  la  dernière  évidence ,  il  me- 
paroît  fuperflu  de  la  repréfenter  à  ceux 
du  corps  ;  le  vrai  but  efl:  au  contraire 
de  faire  des  expériences  fur  toutes  les 
chofes  que  nous  ne  pouvons  pas  me- 
ilirer  par  le  calcul,  fur  tous  les  effets 
dont  nous  ne  connoiffons  pas  encore  les 
caufes ,  &  iur  toutes  les  propriétés  dont 
310US  ignorons  les  circonftances ,  cela 
feul  peut  nous  conduire  à  de  nouvelles 
découvertes ,  au  lieu  que  la  démonftra- 
lion  des  effets  mathéjiiatiques  ne  nous 
apprendra  jamais  que  ce  que  nous  fa- 
vons  déjà. 

Mais  cet  abus  n'efl:  rien  en  compa- 
raifon  des  inconvéniens  où  l'on  tombe 
lorfqu'on  veut  appliquer  la  Géométrie 
èi  le  calcul  à  des  fujets  de  Phyfique  trop 
compliqués,  à  des  objets  dont  nous  ne 
connoiffons  pas  affezies  propriétés  pour 
jpouvoir  les  mefurery  o.a  eft  obligé  dai^ 


8  8        Mcimère  de  îrdiîer 

tous  ces  cas  de  fliire  des  fupporitions 
toujours  contraires  à  la  Nature,  de  dé- 
pouiller le  fujet  de  la  plupart  de  Tes  qua- 
lités, d'en  faire  un  être  abftrait  qui  ne 
refTemble  plus  à  l'être  réel,  &:  lorfqu'on 
a  beaucoup  railonné  &  calculé  lur  les 
rapports  &  les  propriétés  de  cet  être 
abllrait,  &  qu'on  efl:  arrivé  à  une  con- 
clu fion  toute  aufTi  abftraite ,  on  croit 
avoir  trouvé  quelque  choie  de  réel,  <Sc 
on  tranfporte  ce  rélliltat  idéal  dans  le 
fujet  réel,  ce  qui  produit  une  infinité 
de  fiu(îes  conféquences  &  d'erreurs. 

C'efl  ici  le  point  le  plus  délicat  &  le 
plus  important  de  l'étude  des  Iciences: 
lavoir  bien  diftinguer  ce  qu'il  y  a  de 
réel  dans  un  fujet  de  ce  que  nous  y 
mettons  d'arbitraire  en  le  confidérant , 
reconnoître  clairement  les  propriétés  qui 
]ui  appartiennent  &  celles  que  nous  lui' 
prêtons ,  me  paroît  être  le  fondement  de 
ia  vraie  méthode  de  conduire  fon  elprit 
dans  les  fciences  ;  &  fi  on  ne  perdoit 
jamais  de  vue  ce  principe ,  on  ne  feroit 
pas  une  faufie  démarche,  on  éviteroit 
de  tomber  dans  ces  erreurs  lavantes, 
cju'on  reçoit  fouvem  covrane  des  vérités  ^ 


rHifoire  Naturelle.        89 

en  verroit  difparoître  les  paradoxes,  les 
quellions  infolubles  des  fciences  ab(^ 
traites,  on  reconnoîtroit  les  préjugés  & 
les  incertitudes  que  nous  portons  nous- 
mêmes  dans  les  fciences  réelles ,  on  vien- 
droit  alors  à  s'entendre  fur  la  Métaphy- 
fique  des  fciences,  on  cefferoit  de  dii- 
puter,  &  on  fe  réuniroit  pour  marcher 
dans  la  même  route  à  la  fuite  de  l'expé- 
rience, &  arriver  enfin  à  la  connoifTance 
de  toutes  les  vérités  qui  font  du  refîort 
de  l'efprit  humain. 

Lorfque  les  fujcts  font  trop  compli- 
qués pour  qu'on  puifle  y  appliquer  avec 
avantage  le  calcul  &  les  meflires  ,  comme 
le  font  prefqiie  tous  ceux  de  l'Hiftoire 
Naturelle  &  de  la  Phyfique  particulière, 
il  me  paroît  que  la  vraie  méthode  de 
conduire  /on  efprit  dans  ces  recherches 
c'eft  d'avoir  recours  aux  obfervations , 
de  {qs>  raflembler,  d'en  fliire  de  nou- 
velles, &  en  aflez  grand  nombre  pour 
nous  afîurer  de  la  vérité  des  faits  princi- 
paux ,  &  de  n'employer  la  méthode 
mathématique  que  pour  eflimer  les  prct- 
babilités  des  conféquences  qu'on  peut 
tirer  de  ces  faiu;  fur-tout  il  faut  tacher 


C)  o      Manière  de  traiter,  &'c> 

de  ies  généralifer  &  de  pjien  diftingucf 
ceux  c[ui  font  eiïentiels  de  ceux  qui  ne^ 
font  q'.i'acceiToires  au  fujet  que  nous 
confîdérons,  il  faut  enfuite  les  lier  en^ 
iemble  par  les  analogies,  confirmer  ou 
de'truire  certains  points  équivoques,  par 
le  moyen  des  expériences,  former  fon- 
pian  d'explication  fur  la  combinaifon 
de  tous  ces  rapports,  &  les  préienier 
dans  l'ordre  le  plus  naturel.  Cet  ordre' 
peut  fe  prendre  de  deux  façons,  la  pre- 
mière eH:  de  remonter  des  effets  parti-- 
Guliers  à  des  effets  plus  généraux,  & 
i'autre  de  defccndre  du  général  au  par- 
ticulier :  toutes  deux  font  bonnes ,  &  le 
choix  de  l'une  ou  de  l'autre  dépend 
plutôt  du  génie  de  l'Auteur  que  de  fa» 
nature  des  chofes,  qui  toutes  peuvent 
être  également  bien  traitées  par  l'une  ou 
i'autre  de  èes  manières.  Nous  allons- 
donner  des  efiais  de  cette  métliode  dans 
îes  difcours  fuivans,  de  la  THÉORIE 
DE  LA  Terre,  de  la  Formation 
DES  Planètes  ,  &  de  la  Généra^ 
ïiON  DES  Animaux. 


HISTOIRE 

NATURELLE. 


Second   Difcotirs, 


Vidi  ego  y    qucd  fuerat  qucndam  foUdiJJima 
tel/us , 

Ejfe  fretiim  ;    vidï  fraStas  ex  œquore  terras; 

Et  prccul  à  pelago  conchœ  )acin:re  mar'uiœ  ^ 

Et  vêtus    inventa    ejl    in    mcntihus    anchcra 
fummis  ; 

Quodque    fuit     campus ,     vallem     decurfus 

aquarum 
Fecit  f  (tf  eluvie  mons  ej]  deduéîus  in  trquor, 

Ovid.    Méiam.    iîb.    15. 


LJGem4^  iU  /a.  /la/ure ilûnsia  Ciy/ià'/n/fli/f.m  tA- /Th 


^5 


fflioiwoiom.^. 


Ihistoire 

NATURELLE- 


SECOND    DISCOURS. 

Hijloîre  &  Théorie  de  la  Terre. 

IL  n'ed  ici  queflion  ni  de  la  figure  de 
ia  Terre  (a) ,  ni  de  Ion  inou veinent, 
îii  des  rapports  qu'elle  peut  avoir  à 
l'ext'irieur  avec  les  autres  parties  de 
i'Univers  ;  c'eft  là  conftitution  inté- 
rieure ,  la  forme  &  fa  matière  que  nous 
nous  propofons  d'examiner.  L'hilloire 
générale  de  la  Terre  doit  précéder  l'hil- 
toire  particulière  de  les  productions ,  & 
les  détails  des  faits  fincfuliers  de  la  vie  & 
des  moeurs  dts  animaux  ou  de  la  culture 
f3c  de  la  végétation  des  plantes,  appar- 

fa)  Voyez  ci-après  les  Preuves  dç  la  théorie  de 
ia  Terre,  art,  L 


'ç4  Hijlolre  Naturelle, 

îîennent  peut  -  être  moins  à  l'Hidoirç 
Naturelle  que  les  réfultats  généraux  àts 
obfervations  qu'on  a  faites  îur  les  difFé- 
jentes  madères  qui  compo(ent  le  globe' 
terreftre ,  fur  les  éminences ,  les  profon- 
deurs &  les  inégalités  de  fa  forme,  fur 
le  mouvement  d^s  mers  ,  fur  la  di- 
jedion  des  montagnes,  fur  la  pofition 
des  carrières ,  fur  la  rapidité  &:  les  effets 
des  courans  de  la  mer,  &c.  Ceci  eft  la 
Nature  en  grand ,  &  ce  font  -  là  fes 
principales  opérations ,  elles  influent  fur 
toutes  ks  autres,  &  la  théorie  de  ces 
effets  efl:  une  première  fcience  de  la- 
quelle dépend  l'intelligence  des  phé-  j 
nomènes  particuliers ,  aufli  -  bien  que 
ia  connoifîîuice  exa<5lc  des  fubflances 
îerreflres  ;  &  quand  même  on  voudroit 
donner  à  cette  partie  des  fciences  na- 
turelles le  nom  de  Phyfiqiie,  toute  phy- 
fique  où  l'on  n'admet,  point  de  fyfl:èmes.i 
n'efl-elle  pas  l'Hiftoire  de  la  Nature  î 

Dans  des  fujets  d'une  vafte  étendue 
dont  les  rapports  font  difficiles  à  rappro- 
cher, où  les  faits  font  inconnus  en  partie, 
&  pour  le  relie  incertains ,  il  eft  plus  aifé 
d'imaginer  un  fyftème  que  de  donnée 


Théorie  de  la  Terre.  -95 

tine  théorie  ;  auffi  {a  tliéorie  de  la  terre 
n'a-t-eile  jamais"^  été  traitée  que  d'une 
rnanière  v?^ue  &  hypothétique.  Je  ne 
parlerai  donc  que  légèrement  des  idées 
Singulières  de  quelques  Auteurs  qui  ont 
^ccrit  fur  cette   matière.  ^ 

L'un  (b)  plus  ingénieux  que  raîfon-  yfhi^fiy^^ 
nable ,  A  Aronome  convaincu  du  fyftème 
de  Newton  ,  fcnvifageanttous  les  évènc^ 
mens  poiîibies  du  cours  &  de  la  direc- 
tion des  aftres ,  explique  ,  à  l'aide  d'ua 
calcul  mathématique ,  par  la  queue  d'une 
comète  ,  tous  les  changemens  qui  font 
arrivés  au  globe  terreftre. 

Un  autre  ^c^, Théologien  hétérodoxe,  '^/x^'/i.  ^ 
fa  tête  échauffée  de  vifions  poétiques  , 
croit  avoir  vu  créer  l'Univers,  ofant 
prendre  le  ftyle  prophétique,  après  nous  . 
Avoir  dit  ce  qu'étoitla  terre  au  fortir  du 
néant ,  ce  que  le  déluge  y  a  changé,  ce 
qu'elle  a  été  &  ce  qu'elle  ed  ;  il  nous 
-prédit  ce  qu'elle  fera ,  même  après  la 
deftrudion  du  genre  humain. 

(h)  Whi^Qn.  Voyez  les  preuves  de  la  théorie 
/ie  la  Terre ,  art,  1 1, 

(c)  Burnet.  Voyez  les  preuves  de  la  théorie  df^ 
jta  Terre,  ^/,  Il  h  i 


p6  Hiffokc  Naturelle* 

n^^^  I        .V         Un  troifième  fd),  à  la  vérité  meiffeur 
ri  j^dfii caret      ,  ^  \  ^\ 

obiervateur  que  ks  deux  premiers,  maiî 

tout  auffi  peu  réglé  dans  les  idées ,  ex- 
plique  par  un  abyme  immenfe  d'un  li- 
quide contenu  dans  les  entrailles  du 
globe,  les  principaux  phénomènes  de  la 
terre,  laquelle,  félon  lui,  n'eft  qu'une 
croûte  fuperficieile  &  fort  mince  qui  fert 
d'enveloppe  au  fluide  qu'elle  renferme. 

Toutes  ces  hypothèles  faites  au  hafird, 
&  qui  ne  portent  que  iur  des  fbndemens 
ruineux ,  n'ont  point  éclairci  les  idées 
&  ont  confondu  les  fiits ,  on  a  mêlé  la 
fable  à  la  Phyfique,  aulîi  ces  fyflcmcs 
n'ont  été  reçus  que  de  ceux  qui  reçoi- 
vent tout  aveuglément ,  incapables  qu'ils 
font  de  diflinguer  \q.^  nuances  du  vrai- 
iemblable  ,  &  plus  flattés  du  merveilleux 
que  frappés  du  vrai. 

Ce  que  nous  avons  à  dire  au  fujet  de 
la  terre ,  fera  lans  doute  moins  extraor- 
dinaire ,  (Se  pourra  paroître  commun  ea 
comparaiion  des  grands  fyftèmes  dont 
nous  venons  de  parler;  mais  on  doit  fe 
ibuvenir  qu'un  Hiftorien  ed:  fiit  pour 
décrire  &  non  pour  inventer ,   qu'il  ne 

(d)  Woodward.  Voyez  lej  preuves,  art,  J  V, 

doit 


Théorie  de  la  Terre,         ()y 

doit  fe  permettre  aucune  fuppofition , 
&  qu'il  ne  faut  faire  uiage  de  Ion  ima- 
gination que  pour  combiner  les  obfer- 
varions ,  généralifer  les  fîiits  ,  &  en  for- 
mer un  enfembie  qui  prëfente  à  i'efprit 
un  ordre  méthodique  d'idées  claires  & 
de  rapports  fuivis  &:  vraifemblables  ;  je 
dis  vraifemblables  ,  car  il  ne  faut  pas 
efpérer  qu'on  puiffe  donner  des  démonf- 
trations  exactes  fur  cette  matière ,  elles 
n'ont  lieu  que  dans  les  fciences  ma- 
thématiques, &  nos  connoilFances  en 
Phyfique  &  en  Hiftoire  Naturelle  dé- 
pendent de  l'expérience  &  fe  bornent  à 
des  inductions. 

Commençons  donc  par  nous  repré- 
fcnter  ce  que  l'expérience  de  tous  les 
temps  &  ce  que  nos  propres  obfèrvations 
nous  apprennent  au  fujet  de  la  terre.  Ce 
globe  immenle  nous  offre  à  la  furface., 
des  hauteurs  ,  des  profondeurs,  des  plai- 
nes, des  mers,  des  marais,  dQs  fleuves, 
des  cavernes,  des  gouffres  ,  des  volcans, 
&  à  la  première  infpedion  nous  ne  dé- 
couvrons en  tout  cela  aucune  régularité, 
aucun  ordre.  Si  nous  pénétrons  dans  foa 
intérieur,  noas  y  trouverons  des  métaux. 

Tome  I,  JE» 


■()  8  'Hifolre  Nûtîirelk: 

des  minéraux  ,  des  pierres,  des  bîtumeSj^ 
des  fables ,  des  terres ,  des  eaux  &  des 
madères  de  toute  elpèce  ,  placées  comniq 
au  hafard  &  ians  aucune  règle  apparente  ;  \ 
en  examinant  avec  pius d'attention,  noua  | 
voyons  des  montagnes  afTaifTées  (ej ,  des  \ 
rochers  fendus  &.  brifés ,  des  contrées 
englouties ,  des  îles  nouvelles ,  des  ter--* 
reins  fubmergés,  des  cavernes  comblées  ; 
nous  trouvons  des  matières  pefmtes  fou- 
vent  polées  fur  des  matières  légères ,  des 
corps  durs ,  environnés  de  fubdances 
molles,  des  chofcs  sèches,  humides", 
chaudes  ,  froides,  folides ,  friables ,  toutes 
mêlées  &  dans  une  efpèce  de  confufioa 
qui  ne  nous  préfente  d'autre  image  que 
celle  d'un  amas  de  débris  &  d'un  monde 
en  ruinç. 

Cependant  nous  habitons  ces  ruines 
avec  une  emière  fécurité  ;  les  générations 
d'hommes ,  d'animaux  ,  de  plantes  (e 
fuccèdcnt  Ians  interruption  ,  la  terre 
fournit  abondamment  à  leur  lubfillance  ; 

(e)  Vuîe  Senec.  (jim^.  Uh,  VT,  cap.  2  1 .  Strab. 
Geograplu  Iil\  I.  Orol".  lilu  II,  cap,  i  S.  Plin.  Uh.  Il, 
tap,   ip.   Hift,  de  i'Acid,  des  5c.  année  lyçSt 


TJîéone  de  h  Terre.      '  ^^ 

ïa  mer  a  des  iimites  &  des  loix  ,  iès 
mouvemens  y  fom  afîujettis ,  l'air  a  Tes 
courans  réglés  /J^,  les  faifons  ont  leurs 
retours  périodiques  &  certains  ,  h  ver- 
dure n'a  jamais  manqué  de  fuccéder 
îiux  friniats  ;  tout  nous  paroit  être  dans 
J'ordre  ;  la  terre  qui  tout-à-i'heure  n'é- 
toiî  qu'un  cahos  ,  eft  un  féjour  délicieux 

où  rèornent  le  calme  &:  l'harmonie ,  où 
^      .  .  .  - 

tout  eil  animé  &  conduit  avec  une  puii- 

fance  &  une  intelligence. qui  nous  rem- 

piiilent    d'admiration    &  nous   éièvent 

jufqu'au  Créateur. 

Ne  nous  preiïons  donc  pas  de  pro- 
noncer fur  l'irrégularité  que  nous  voyons 
à  ïa  furface  de  la  terre ,  &  fur  le  défcrdre 
apparent  qui  ie  trouve  dans  fon  intérieur, 
xar  nous  en  reconnoîtrons  bientôt  l'u- 
tilité ,  &  même  la  nécellité  ;  &  en  y  failànt 
pîus  d'attention  nous  y  trouverons  peut- 
être  un  ordre  que  nous  ne  foupçonnions 
pas ,  ÔL  des  rapports  généraux  que  nous 
ai'apercevions  pas  au  premier  coup 
d'oeil.  A  la  vérité  nos  connoi (lances  à 
cet  égard  feront  toujours  bornées  :  nous 
lie  connoifTons  point  encore  la  fur  fa  ce 

{fj  Voyez  !es  preuves ,  art,  XÎV, 

£i) 


fïôo        'Eîjîohe  Naturelle: 

entière  fg)  du  globe ,  nous  ignorons  en 
partie  ce  qui  le  trouve  au  fond  des  mers  ; 
il  y  en  a  dont  nous  n'avons  pu  fonder  les 
profondeurs  :  nous  ne  pouvons  pénétrer 
que  dans  l'ëcorce  de  la  terre ,  &  les  plus 
grandes  cavités  (h)^\es  mines  (î)  les  plus 
profondes  ne  defcendent  pas  à  la  huit 
millième  partie  de  fon  diamètre  ;  nous  ne 
pouvons  donc  juger  que  de  la  couche 
extérieure  &  prelque  fuperficielle ,  l'in- 
térieur de  la  mafie  nous  eft  entièrement 
inconnu  ;  on  fait  que  ,  volume  pour 
volume  ,  la  Terre  pèie  quatre  fois  plus 
que  le  Soleil;  on  a  aufîi  le  rapport  de 
fa  pefanteur  avec  les  autres  planètes ,  mais 
ce  n'eft  qu'une  eilimation  relative,  l'unité 
de  mefure  nous  manque ,  le  poids  réel  de 
ïa  matière  nous  étant  inconnu ,  en  forte 
que  l'intérieur  de  la  terre  pourroit  être 
ou  vide  ou  rempli  d'une  matière  mille 
fois  plus  pelante  que  l'or  ,  &  nous 
n'avons  aucun  moyen  de  le  recon- 
noître;   à  peine  pouvons-nous  former 

(g)  Voyez  les  preuves ,  art.  VJ, 

(h)  Voy.  TrmJ.  Phil.  Abrig\  vol.  TI ,  p.  3  2  3; 

(ij  Voyez  Boyk's  Works ,  vol.  Jll,  p,  23a, 


Théorie  de  la  Terre.       i  o  r 

far  cela  quelques  conjedures  (k)  raifon- 
nahies. 

li  fcUit  donc  nous  borner  à  examiner 
&  à  décrire  la  furfiice  de  la  terre  &  la 
petite  e'paiiïeur  intérieure  dans  laquelle 
nous  avons  pénétré.  La  première  choie 
qui  fe  préiente,  c'eft  l'immenie  quantité 
d'eau  qui  couvre  la  plus  grande  partie 
du  globe  ;  ces  eaux  occupent  toujours 
les  parties  les  plusbafîes,  eiles  font  aufli 
toujours  de  niveau  ,  &  elles  tendent  p'er- 
pétuellement  à  l'équilibre  &  au  repos  : 
cependant  nous  les  voyons  agitées  (l)  par 
une  forte  puiflance  ,  qui  s'oppofant  à  ia 
tranquillité  de  cet  élément,  lui  imprime 
un  mouvement  périodique  &  réglé ,  fou- 
lève  &  abaiiïe  alternativement  les  fîots  , 
&  fîiit  un  balancement  de  la  maffe  totale 
des  mers  en  les  remuant  jufqu'à  la  plus 

;  grande  profondeur.  Nous  favons  que 
ce  mouvement  efl:  de  tous  les  temps ,  & 
qu'il  durera   autant   que  la  lune  &  le 

.ioleil  qui  en  font  les  caufes. 

Confidérantenfuite  le  fond  de  la  mer, 

(k)  Voyez  les  preuves,  art.  h 

(l)  Voyez  les  preuycs,  an,  Xll. 

E  iij 


Î02         HiJIoire  Naîurelle: 

îiaus  y  remarquons  autant  d'inégaïités  fm) 
que   fur  la  furface  de  ia  terre  ;  nous  y 
trouvons  des  hauteurs  (n),  des  vallées ,  des 
plaines  ,  des  profondeurs  ,  des  rochers  , 
des    terreins    de  toute    efpèce  ;    nous 
voyons  que  toutes  les  îles  ne  font  que  les 
iommets  de  vades  montagnes  foj,  dont 
ie  pied  <Sc  les  racines  font  couvertes  de 
î'élément   liquide  ;    nous    y    trouvons 
d'autres  fommets  de  montagnes  qui  font 
prefqu'à  fleur  d'eau,  nous  y  remarquons 
des  courans  rapides  (p)  qui  femblent  le 
jTouflraire  au  mouvement  générai  :  on  les 
voit  (q)  fe  porter  quelquefois  conflam- 
lîient  dans  la  même  diredion,  quelque- 
fois  rétrograder    &   ne  jamais  excéder 
leurs  limites,  qui  paroifîent  aufîî  inva- 
riables que  celles  qui  bornent  bs  efforts 
des  fleuves  de  la  terre.  Là  font  ces  con- 
trées orageufcs  ou  les  vents  en  fureui: 

(m)  Voyez  les  preuves,  an.  JiJII, 

(n)  Voyez  la  Carte  diefTée  en  1737  par  Mi 
Buache,  àts  profondeurs  de  l'Océan  entre  l'Afrique 
&  l'Amérique, 

(0)  Voyez  Varen,  Geogr,  gen.  page  2  l 'S. 

(p)  Voyez  les  preuves ,  an,  XIll, 

(q)  Voyez  Varen.  page  j^o.  \oyt%  auffi  ie| 
Voyages  de  Tyrard  ,  i^'-'gs  jjZa 


Théorie  Je  la  Terre,       103 

|)ïc'cipltciit  la  tempête ,  011  la  mer  &  le 
ciel  également  agites  fe  choquent  &  fè 
confondent  :  ici  font  des  niouvemens 
intedins  ,  des  bouillonnemens  (rj ,  Aqs 
trombes  (f)  ôl  des  agiLadons  extraordi- 
naires cauiees  par  des  volcans  dont  fa 
bouche  fubmergée  vomit  le  feu  du  feiii 
des  ondes,  &  pouffe  jufqu'aux  nues  une 
épaiffe  vapeur  mêlée  d'eau,  de  foufre 
ôc  de  bitume.  Plus  loin  je  vois  ces 
gouffres  ftj  dont  on  n'ofc  approcher , 
qui  femblent  attirer  les  vailTeaux  pour  les 
engloutir  :  au-delà  j'aperçois  ces  vaPtes 
plaines  toujours  calmes  &  tranquilles  fuj, 
mais  tout  auffi  dangereules ,  où  les  vents 
n'ont  jamais  exercé  leur  empire ,  011  i'art 
du  Nautonier  devient  inutile^  où  il  faut 
reRer  &.  périr  :  enfin  portant  les  yeux 
jufqu'aux  extrémités  du  globe,  je  vois 
ces  glaces  énormes  (WJ  qui  fe  détachent 

(^rj  Voyez  les  Voyages  de  Shaw,  tame  II ^ 

(f)  Vo)'ez  les  preuves,  an.  JÏVI, 

(t)  Le  Maieiirooni  dans  îa  mer  de  Norvège. 

(n)  Les  calmes  &  les  tornados  de  la  mer  Éilûo:; 
|)ique. 

(x]  Voyez  ks  preuves,  «;/.  Vl  àr  X, 

Eiiij; 


iTo4        HiJIôhê  Naturelle: 

des  continens  des  pôles  ,  &  viennent 
comme  des  montagnes  flottantes  voya- 
ger ^  fe  fondre  jui'qué  dans  les  régions 
tempe' ré  es.  fy). 

Yoiîà  les  principaux  objets  que  nous 
offre  le  vafte  empire  de  la  mer  ;  des 
milliers  d'habiians  de  différentes  efpè- 
ces  en  peuplent  toute  l'étendue  ,  les 
uns  couverts  d'écailies  légères  en  tra- 
verfènt  avec  rapidité  les  diBérens  pays , 
d'autres  chargés  d'une  épaifle  coquille 
fe  traînent  pefamment  &  marquent  avec 
lenteur  leur  route  fur  le  iable  ;  d'autres 
à  qui  la  Nature  a  donné  des  nageoires 
en  forme  d'ailes ,  s'en  fervent  pour  s'é- 
ïcver  &  fe  foutenir  dai^  les  airs  ;  d'autres 
enfin  à  qui  tout  mouvement  a  été  rcfufé, 
croiiïent  &  vivent  attachés  aux  rochers  ; 
tous  trouvent  dans  cet  élément  leur  pâ- 
ture. Le  fond  de  la  mer  produit  abon- 
damment des  plantes  ,  des  moufles  & 
des  végétations  encore  plus  fingulières  , 
-îe  terrein  de  la  mer  eft  de  fible  ,  de  gra- 
vier ,  fouvent  de  vafe  ,  quelquefois  de 
terre  ferme  ,  de  coquillages ,  de  rochers, 

(y)  Voyez  la  Carte  de  l'expédition  de  M.  Bouvet^ 
dreirée  par  M.  Buache  en  j  73  9. 


Théorie  de  h  Terre.       105 

&:  pnr  -  tout  ii  reiTeinbie  à  la  terre  que 
nous  habitons. 

Voyageons  maintenant  fur  la  partie 
sèche  du  globe  ,  quelle  difîérence  pro- 
digieufe  entre  les  climats  !  quelle  varie'té 
de  terreins  !  quelle  inégalité  de  niveau  1 
mais  obiervons  exactement ,  &  nous  re- 
connoîtrons  que  les  grandes  chaînes  (-^ 
de  montagnes  ie  trouvent  plus  voifines 
de  l'équateur  que  des  pôles  ;  que  dans 
l'ancien  continent  û\qs  s'étendent  d'o- 
rient en  occident  beaucoup  plus  que  du 
nord  au  fud  ,  &  que  dans  le  nouveau 
monde  elles  s'étendent  au  contraire  du 
nord  au  fud  beaucoup  plus  que  d'orient 
en  occident  ;  mais  ce  qu'il  y  a  de  très- 
remarquable,  c'ell  que  la  forme  de  qq.s 
montagnes  &  leurs  contours  qui  paroi  f- 
fènt  ablolument  irréguliers  (a) ,  ont  ce- 
pendant des  directions  fui  vies  &  corref^ 
pondantes  entr'eiles  (b) ,  en  forte  que  les 
angles  faillans  d'une  mpntagne  fe  trou- 
vent toujours  oppofés  aux  angles  rentrans 
de  la  montagne  voifme  qui  en  eft  léparée 

(l)  Voyez  les  preu\es,  arr,  IX. 
{a)  'No-^tTL  les  preuves ,  art,^  IX  if  XIL 
fij  Voyez  I^çtlres  phil»  de  Bourguet,  page  j  Siii 

£  Y 


{jo6  Hijlo'tre  Naîwelle: 
par  un  vallon  ou  par  une  profondeur. 
J'obferve  auiïi  que  les  collines  oppofées 
ont  toujours  à  très-peu  près  la  même 
îiauteur ,  &  qu'en  général  les  montagnes 
occupent  le  milieu  des  continens  &:  par- 
tagent dans  la  plus  grande  longueur 
les  îles  5  les  promontoires  &  les  autres 
terres  avancées  (c):  je  fuis  de  même  la 
diredion  des  plus  grands  fleuves ,  &  je 
vois  qu'elle  efl:  toujours  prefque  per- 
pendiculaire à  la  côte  de  la  mer  dans 
laquelle  ils  ont  leur  embouchure  ,  &  que 
dans  la  plus  grande  partie  de  leur  cours 
iis  vont  à  peu  près  (d)  comme  les  chaînes 
de  montagnes  dont  ils  prennent  leur 
fource  &  leur  direction.  Examinant 
enfuite  les  riva  ores  de  la  mer,  je  trouve 
qu'elle  efl  ordinairement  bornée  par  des 
îochers,  des  marbres  &  d'autres  pierres 
dures ,  ou  bien  par  des  terres  &  des 
febles  qu'elle  a  elle-même  accumulés 
ou  que  les  fleuves  ont  amenés ,  &  je 
remarque  que  les  côtes  voifines  &  qui 
lie  font  réparées  que  par  un  bras  ou  par 
un  petit  trajet  de  mer,  font  coinpofées 

(c)  Vide  Varemi  Geogr.  pag.  69, 

(d)  Voyez  les  preuves ,  arti  X^ 


Tlîéone  de  la  Terre^       107 

fies  mêmes  matières,  <Sc  que  les  lits  de 
terre  font  les  mêmes  de  l'un  &  de  l'atitre 
côté  ^^y^;  je  vois  que  les  volcans  (f)  fe 
trouvent  tous  dans  les  hautes  montacrnes, 
qu'il  y  en  a  un  grand  nombre  dont  les 
feux  font  entièrement  éteints ,  que  quel- 
ques-uns de  ces  volcans  ont  des  corrcf^ 
pondances  fouterraines  ("g) ,  &  que  leurs 
explofions  fe  font  quelquefois  en  même 
temps.  J'aperçois  une  correfpondance 
femblable  entre  certains  lacs  &  les  mers 
voilines  ;  ici  font  des  fleuves  &  des 
torrens  (h)  qui  fe  perdent  tout- à-coup  & 
paroifîent  fe  précipiter  dans  les  entrailles 
de  la  terre,  là  eft  une  mer  intérieure  où 
fe  rendent  cent  rivières  qui  y  portent  de 
toutes  parts  une  énorme  quantité  d'eau, 
fans  jamais  augmenter  ce  lac  immenfe , 
qui  femble  rendre  par  des  voies  fouter- 
raines tout  ce  qu'il  reçoit  par  fes  bords, 
&  chemin  faifant  je  reconnois  aifément 
les  pays  anciennement  habités  ,  je  les 
dillingue  de  ces  contrées  nouvelles  où 

'(e)  Voyez  les  preuves ,  art.  Vil, 

(f)  Voyez  les  preuves ,  art,  XVI. 

(g)  Vide  Kh'chtr  Alund,  jiihter,  in  praj^ 
^h)  Voyez.  Yann^  Ceogr.  page  43. 

ii  vj 


[10  D      Hîjloire  Naturelle» 

îe  terrein  paroît  encore  tout  brut,  oBI 
ïes  fleuves  font  remplis  de  catarad:es , 
où  les  terres  font  en  partie  fubniergées  , 
lîiarécageufes  ou  trop  arides ,  où  ia  dif- 
tribution  des  eaux  eft  irréguiière,  où  <\t% 
bois  incultes  couvrent  toute  la  furfiice 
des  terreins  qui  peuvent  produire. 

Entrant  dans  un  plus  grand  détail,  je 
vois  que  la  première  couche  (i)  qui  enve- 
loppe le  globe,  efl:  par-tout  d'une  même 
fub (tance  ;  que  cette  fub (tance  qui  fert 
à  fiùre  croître  &  à  nourrir  les  végétaux 
&  les  animaux  ,  n'efl  eilc  -  même  qu'un 
compolé  de  parties  animales  &  végétales 
détruites,  ou  piutôt  réduites  en  petites 
parties  ,  dans  lefquelles  l'ancienne  orga- 
niduibn  n'cfl:  pas  lenfible.  Pénétrant 
phis  avant ,  je  trouve  la  vraie  terre ,  je 
vois  des  couches  de  fable ,  de  pierres  à 
chaux  ,  ■  d'argile  ,  de  coquillages  ,  de 
marbre,  de  gravier,  de  craie ,  de  plâtre, 
&c.  &  ^  remarque  que  ces  couches  (k) 
font  toujours  pofées  parallèlement  \^ 
unes  (iir  les  autres  (l) ,  ôl  que  chaque 

^1)  Voyez  les  pretlVes ,  ûri,  VU 

(h)  Voyez  idem. 

(IJ  Vj)>;ez  Voodiyajrci ,  pnge  ^r  ^  i?'c^^ 


Thème  de  h  Terre.  \  oc^ 
tceuche  a  ia  même  épaiiïeur  dans  toute 
fon  étendue  :  je  vois  que  dans  les  collines 
voifines  les  mêmes  matières  fe  trouvent 
au  même  niveau ,  quoique  les  collines 
ibient  féparées  par  des  intervalles  pro- 
fonds &  confidérables.  J'obferve  que 
dans  tous  les  lits  de  terre  ^mj^  &  même 
dans  les  couches  plusfolides,  comme  dans 
ies  rochers ,  dans  les  carrières  de  mar- 
bres &  de  pierres^  il  y  a  des  fentes ,  que 
ces  fentes  (ont  perpendiculaires  à  l'ho- 
rizon ,  &  que  dans  les  plus  grandes 
comme  dans  les  plus  petites  profon- 
deurs ,  c'efi:  une  efpèce  de  règle  que  ia 
Nature  fuit  conflamment.  Je  vois  de 
plus  que  dans  l'intérieur  de  la  terre ,  fur 
ia  cime  des  monts  ^nj  &  dans  les  lieux 
les  plus  éloignés  de  la  mer,  on  trouve 
des  coquilles ,  des  fquelettes  de  poif- 
ifons  de  mer  ,  des  plantes  marines  ,  &c. 
qui  font  entièrement  femblabies  aux  co- 
quilles ,  aux  poifTons,  aux  plantes  a(^tuel- 
lement  vivantes  dans  la  mer,  &  qui  en 
:  effet  font  abfolument  les  mêmes.  Je  re- 
marque que  ces  coquilles  pétrifiées  font 

/'.'/y'  Voyez  ies  preuves  ;  aru  VIII 
■'J  Voyçz  idem, 


fl  I  ô"        H'ijlolre  Naturelle: 

en  prodigieufc  quantité,  qu'on  en  trouvé' 
dans  une  infinité  d'endroits  ,  qu'elles 
font  renfermées  dans  l'intérieur  des  ro- 
chers &  des  autres  mafles  de  marbre  <Sc 
de  pierre  dure  ,  aufli-bien  que  dans  les 
craies  &  dans  les  terres  ;  &  que  non-feu- 
lement elles  font  renfermées  dans  toutes . 
ces  matières,  mais  qu'elles  y  font  incor- 
porées ,  pétrifiées  &:  remplies  de  la  fubl- 
cance  même  qui  les  environne  :  enfin  je 
îne  trouve  convaincu  par  des  obferva- 
tions  réitérées ,  que  les  marbres  ,  les 
pierres ,  les  craies ,  les  marnes,  les  argiles, 
les  fables  &  prelque  toutes  les  matières 
îerreflres  font  remplies  de  coquilles  (o) 
&  d'autres  débris  de  la  mer,  &  cela  par 
toute  la  terre  &  dans  tous  les  lieux  où 
i'on  a  pu  faire  des  obfervations  exad;es. 

Tout  cela  pofé ,  raifonnons. 

Les  changemens  qui  font  arrivés  au 
globe  terrefire    depuis   deux   &  même 
trois  mille  ans ,  font  fort  peu  confidé- 
Tables  en  comparaifon  des   révolutions  > 
qui  ont  dû   le   faire  dans  les  premiers 

fo)  Voyez  Stenon,  Woodward,  Ray,  Bourguet, 
Scheuchzsr,  les  Tranf,  phii,  les  Mém,  de  TAcadg 


T'Iieone  Je  la  Terre:      1 1  T 

Icmps  après  la  création  ;  car  il  ell  aifô 
de   démontrer    que  comme   toutes    les 
matières  terreftres  n'ont  acquis  de  la  fo- 
'  îidité  que  par  l'ad;ion   continuée  de  la 
gravité  &.  des  autres  forces  qui  rappro- 
chent &  réunifient  les  particules  de  la 
'  matière,  ia  furface  de  ia  terre  devoit  être 
au  commencement  beaucoup  moins  fo- 
"  iide  qu'elle  ne  Veiï  devenue  dans  la  fuite , 
'  &  que  par  conféquent  les  mêmes  caufes 
qui  ne  produifent  aujourd'hui  que  des 
changemens  prefqu'infenfibles  dans  i'ef- 
!pace  de  plufieurs  fiècles,  dévoient  caufer 
alors  de  très  -  grandes  révolutions  dans 
un  petit  nombre  d'années  :  en  effet ,  \l 
paroît  certain  que  la  terre  aduellem^ent 
.sèche  &  habitée,  a   été   autrefois  fous 
j  les  eaux    de  la  mer ,  &  que  ces  eaux 
Ictoient    fupérieures   aux    fommets  des 
plus  hautes  montagnes,  puifqu'on  trouve 
:  îiir  ces  montagnes  &  jufque  fur  leurs 
I  fommets  des  produdlions  marines  &  des 
'  coquilles  ,  qui ,  comparées  avec  les  co- 
quillages vivans  font  les  mêmes,  &  qu'on 
ne  peut  douter  de  leur  parfaite  reffem- 
blance  ni  de  l'identité  de  leurs  efpèces. 
Il  paroît  aufli  que  ks  çaux  de  la  mer  OAt; 


tîi        Hiflmre  Naturelle; 

féjourné  quelque  temps  fur  cette  terre  l 
puifqu'on  trouve  en  plufieurs  endroits 
des  bancs  de  coquilies  fi  prodigieux  & 
fi  e'tendus  qu'il  n'efl:  pas  pofîibie  qu'une 
au lîi  grande  fp)  multitude  d'animaux  ait 
été'  tout-à-la-fois  vivante  en  même  temps: 
cela  (emble  prouver  aufîi  que  quoique 
îes  matières  qui  compofent  la  furface 
de  la  terre  fuiîent  alors  dans  un  état  de 
niolleffe  qui  les  rendoit  fufceptibles  d'être 
aifément  divifées,  remuées  &  tranfpor- 
tées  par  [es  eaux  ,  ces  mouvemens  ne  fe 
font  pas  faits  tout-à-coup  ,  mais  fuccef- 
fivement  &  par  degrés  ;  &  comme  on 
trouve  quelquefois  des  productions  de 
la  mer  à  mille  &  douze  cents  pieds  de 
profondeur ,  il  paroît  que  cette  épaif- 
feur  de  terre  ou  de  pierre  étant  fi  confi- 
dérable  ,  il  a  fallu  des  années  pour  la 
produire  :  car  quand  on  voudroit  fup- 
polêr  que  dans  le  déluge  univerfel  tous 
îes  coquillages  eufTent  été  enlevés  du 
fond  àcs  mers  &  tranfportés  fur  toutes 
îes  parties  de  ia  terre ,  outre  que  cette 
fuppofïtion  feroit  difficile  à  établir  (qj,  à 

(p)  Voyt-L  les  preuves ,  art,  VUL 
(q)  Voyez  }e*  preuves  ^  art^  K 


Théorie  de  la  Terre.  1 13 
cft  clair  que  comme  on  trouve  ces  co- 
quilles incorporées  &l  pétrifiées  dans  les 
marbres  &  dans  les  rochers  des  plus  hautes 
montao-nes  ,  il  fîiudroit  donc  fuppofer 
que  ces  marbres  &  ces  rochers  eu  lient 
été  tous  formés  en  même  temps  <&  pré- 
cifément  dans  l'inftant  du  déluge  ,  & 
qu'avant  cette  grande  révolution  il  n'y 
avoit  fur  le  globe  terreftre  ni  montagnes, 
ni  marbres,  ni  rochers,  ni  craies,  ni  au- 
cune autre  madère  fembîable  à  celles  que 
nous  connoiflons  ,  qui  prefque  toutes 
contiennent  des  coquilles  &  d'autres 
débris  des  produ(51ions  de  la  mer.  D'ail- 
leurs la  furface  de  la  terre  devoit  avoir 
acquis  au  temps  du  déluge  un  degré 
confîdcrable  de  folidité  ,  puilcjue  la  gra- 
vité avoit  agi  fur  les  matières  qui  la  corn- 
pofent  ,  pendant  plus  de  feize  fiècîes,  & 
par  conléquent  il  ne  paroît  pas  pofîlble 
■que  les  eaux  du  déluge  aient  pu  boule- 
verfer  les  terres  à  la  furface  du  globe 
jufqu'à  d'auffi  grandes  profondeurs  dans 
le  peu  de  temps  que  dura  l'inondation 
univerfelle. 

Mais  fans  infifter  plus  long-temps  fur 
ce  point  qui  fera  difcuté  dans  la  fuite , 


1Î4       Hijlolre  Naturelle. 
je  m'en  tiendrai  maintenant  aux  oî^itr-* 
vations  qui  font  confiantes ,  &  aux  fliiis 
qui  font  certains.   On  ne  peut  douter 
c[ue  ies  eaux  de  ia  mer  n'aient  iejourné 
iur  la  furface  de  ia  terre  que  nous  iia- 
bitons  ,  &   que   par  confequent   cette 
même  furface  de  notre  continent  n'ait 
été  pendant  ([ueique  temps  ie  fond  d'une 
mer,  dans  laquelle  tout  fe  pafTqit  comme 
tout  fè  paffe  adueilement  dans  ia  mer 
d'aujourd'hui  ;  d'ailleurs  les  couches  des 
différentes   matières    qui   compofent  la 
terre,  étant,  comme  nous  l'avons  remar* 
que  (r),  pofées  parallèlement  &  de  ni- 
veau ,  il  effc  clair  que  cette  pofition  efli 
i'ouvrage  des  eaux  qui  ont  amafTé  &  ac-* 
cumulé  peu  à  peu  ces  matières  &  leur  onti 
donné  la  même  fituation  que  l'eau  prend 
toujours  elle-même  ,   c'elt-à-dire  ,  cette 
fituation  horizontale ,  que  nous  obfer- 
Yons  prefque  par  -  tout  ;    car  dans  lesn 
plaines  les  couches  font  exa<ftement  ho-^ 
rizontaies ,  &  il  n'y  a  que  dans  les  mon- 
tagnes où  elles  foient  inclinées  ,  comme 
ayant  été  formées  par  des  fédimens  dé- 
pofés  fur  une  bafe  inclinée  ,  c'eft-à-dire; 
(rj  Voyez  les  preuves  ^  an^  yil^ 


Théorie  de  h  Terre.       115 

fur  un  terrein  penchant  :  or  je  dis  que 
ces  couches  ont  été  fonnées  peu  à  peu, 
&  non  pas  tout  d  un  coup  par  quelque 
révolution  que  ce  foit,  parce  que  nous 
trouvons  ibuvent  des  couches  de  ma- 
tière plus  pefànte ,  polées  fur  àcs  cou- 
ches de  matière  beaucoup  plus  légère  ; 
ce  qui  ne  pourroit  être  ,  fi ,  comme  le 
veulent  quelques  Auteurs ,  toutes  ces 
matières  dilTouies  (f)  &.  mêlées  en  même 
îemps  dans  l'eau  ,  fe  fufîent  enfuite  pré- 
cipitées au  fond  de  cet  élément,  parce 
qu'alors  elles  eufîent  produit  une  toute 
autre  compofition  c]ue  celle  qui  exifte  ; 
îes  matières  les  plus  pefantes  feroient 
descendues  les  premières  ôc  au  plus  bas  ; 
&  chacune  ie  feroit  arrangée  fuivant  (a 
gravité  Ipécifique ,  dans  un  ordre  rela- 
tif à  leur  pefanteur  particulière ,  &.  nous 
ne  trouverions  pas  des  rochers  maffifs  fur 
des  arènes  légères  ,  non  plus  que  des 
charbons  de  terre  fous  des  argiles,  des 
glaifes  fous  des  marbres ,  Ôl  des  métaux 
fur  des  fables. 

Une  chofe  à  laquelle  nous  devons 
f  ncore  faire  attention ,   &  qui  confirme 
(fj  Voyez  les  preuves,  art,  IJ^^ 


î  I  6         Hïjloire  Naturelle, 

ce  que  nous  venons  de  dire  fur  îa  for- 
mation des  couches  par  le  mouvement 
&  par  le  fédimem  des  eaux,  c'eil  que 
toutes  les  autres  caufes  de  révoiuiion  ou 
de  changement  fur  le  globe  ne  peuvent 
produire  les  mêmes  effets.  Les  monta- 
gnes les  plus  éieve'es  font  compofees 
de  couches  parallèles  tout  de  même  que 
les  plaines  les  plus  baffes ,  &  par  con- 
fcquent  on  ne  peut  pas  attribuer  l'ori- 
gine &  la  formation  des  montagnes  à 
des  fecoufles  ,  à  des  trembîemens  de 
terre ,  non  plus  qu'à  des  volcans  ;  <Sc 
nous  avons  des  preuves  que  s'il  fe  forme 
quelquefois  (t)  de  petites  éminences  par 
ces  mouvemens  convulfifs  de  la  terre , 
ces  éminences  ne  font  pas  compofees 
de  couches  parallèles  ;  que  les  matières 
de  Ces  éminences  n'ont  intérieurement 
aucune  liaifon  ,  aucune  pofition  régu- 
lière ,  &  qu'enfin  ces  petites  collines 
formées  par  les  volcans  ne  préientent 
aux  yeux  que  le  défordre  d'un  tas  de 
matière  rejetée  confufémem  ;  mais  cette 
efpèce  d^organifation  de  la  terre  que  nous 
découvrons  par -tout  ,  cette  fituation 
(t)  Voyez  les  preuves,  an^  XV ÎU 


Théorie  de  la  Terre,       \\j 

horizontale  &  parallèle  àts  couches ,  ne 
peuvent  venir  que  d'une  caufe  conl- 
xwMQ  ôc  d'un  mouvement  régie  &  tou- 
jours dirige'  de  la  même  ilicon. 

Nous  Ibmmes  donc  afTurés  par  des 
obfervations  exades,  réitérées  &  fondées 
lur  des  fliits  incontefhibles,  que  la  partie 
sèche  du  globe  que  nous  bahitons  a  été 
long-temps  fous  les  eaux  de  la  mer  ;  par 
conléquent  cette  mêuie  terre  a  éprouvé 
pendant  tout  ce  temps  les  mêmes  mou- 
veinens ,  les  mêmes  changemens  qu'é- 
prouvent adluellement  les  terres  cou- 
vertes par  la  mer.  Il  paroît  que  notre  terre 
a  été  un  fond  de  mer;  pour  trouver  donc 
ce  qui  s'eft  paiïé  autrefois  fur  cette  terre, 
voyons  ce  qui  le  pafîe  aujourd'hui  fur  le 
fond  de  la  mer,  &  de-là  nous  tirerons 
des  indudions  raifonnables  fur  la  forme 
extérieure  &  la  compofition  intérieure 
^es  terres  que  nous  habitons. 

Souvenons-nous  donc  que  la  mer  a 
de  tout  temps  ,  &  depuis  la  création  ,  un 
mouvement  de  fîux  &  de  reflux  caufé 
principalement  par  la  lune  ;  que  ce  mou- 
vement qui  dans  vingt -quatre  heures 
Élit  deux  fois  élever  &  baiffer  les  eaux , 


^I  I  8         'Hifîoh-e  'Naturelk: 

s'exerce  avec  plus  de  force  fous  l'equil* 
teiir  que  dans  les  autres  climats.  Sou- 
Yenons-nous  aufTi  que  la  terre  a  un 
mou  veinent  rapide  fur  Ton  axe,  &  par 
conlec[uent  une  force  centrifuge  plus 
grande  à  l'equateur  que  dans  toutes  les 
autres  parties  du  globe  ;  que  cela  {^v\ , 
indépendamment  des  obfervations  ac- 
tuelles (Se  des  mefures  ,  nous  prouve 
qu'elle  n'eil  pas  ^parfaitement  Iphérique, 
mais  qu'elle  eft  plus  élevée  ious  l'equa- 
teur que  fur  les  pôles;  &  concluons  de 
ces  premières  oblervaiions ,  que  c[uand 
même  on  fuppoferoit  que  la  terre  e(t 
fortie  des  mains  du  Créateur  parfiite- 
ment  ronde  en  tout  lens  (  fuppolition 
gratuite  &  qui  marqueroit  bien  le  cercle 
étroit  de  nos  idées  )  ,  fon  mouvement , 
diurne  &  celui  du  flux  &  du  reflux  au- 1 
roient  élevé  peu  à  peu  les  parties  de 
l'equateur,  en  y  amenant  fucceffivement 
ics  limons  ,  les  terres  ,  les  coquillages , 
<Scc.  Ainfi  les  plus  grandes  inégalités  du 
globe  doivent  iè  trouver  &  le  trouvent 
en  effet  voifines  de  l'equateur;  &  comme 
ce  mouvement  de  flux  &  de  reflux  fii)  fq, 
(il)  Voyez  les  preuves,  art^  Xîl» 


Théone  cle  h  Terre,        \  ïp 

fc,'.i  par  des  alternatives  journalières  ôz 
YcpéiéQS  ians  interruption  ;  il  cil  fort 
iic  rurel  d'imaginer  qu'à  chaque  fois  les 
eaax  emportent  d'un  endroit  à  l'autre 
une  petite  quantité  de  matière ,  laquelle 
tonihéSenfuite  comm.e  un  fédiment  au 
■  'id  de  l'eau  ,    &.  forme   ces   couches 

.illèies  ik  horizontales  qu'on  trouve 
i^.ir-tout  ;  car  la  totalité  du  mouvement 
des  eaux  dans  le  nux  &:  le  reflux  étant 
liorizontaîe  ,  les  matières  entraînées  ont 
îiccellaircnient  fuivi  la  même  direction 
&:  fe  font  toutes  arrangées  parallèlement 
é.  de  niveau. 

Mais ,  dira-t-on ,  comme  îe  mouve- 
ment du  fîux  &  reflux  ePc  un  balancement; 
égal  des  eaux,  une  efpèce  d'ofciilation 
régulière  ,  on  ne  voit  pas  pourquoi 
tout  ne  feroit  pas  compenfé ,  &  pour- 
quoi les  matières  apportées  par  le  flux 
ne  leroient  pas  remportées  par  le  reflux, 
êi.  dès-lors  la  caufc  de  la  formation  des 
couches  difparoît,  &  le  fond  de  la  mer 
doit  toujours  reucr  le  menie  ,  le  fîux 
détruifant  les  efîèts  du  reflux,  &  l'un  & 
i'autre  ne  pouvant  caufèr  aucun  mou^ 
venient,  aucune  altération  fenfible  dan$ 


12Ô        Hïjloire  Naturelle» 

le  fond  de  la  mer,  &  encore  moins  ei\ 
changer  la  forme  primitive  en  y  produi- 
{àntdes  hauteurs  &  des  inécxalités. 

o 

A  cela  je  réponds  que  le  balancement 
des  eaux  n'eft  point  égal ,  puifqu'ij  pro- 
duit un  mouvement  continuel  delà  mer 
de  l'orient  vers  l'occident ,  que  de  plus 
i'agitation  cauféc  par  les  vents  s'oppofè 
à  l'égalité  du  flux  &  du  reflux  ,  &  que 
de  tous  les  mouvemens  dont  la  mer  eft 
fufceptible,  il  réfultera  toujours  des  tranf- 
ports  de  terre  &  des  dépôts  de  matières 
dans  de  certains  endroits  ;  que  ces  amas 
de  matières  feront  compofés  de  couches 
parallèles  &  horizontales  ,  les  combi- 
nailons  quelconques  des  mouvemens  de 
îa  mer  tendant  toujours  à  remuer  les 
terres  &  à  les  mettre  de  niveau  les  unes 
fur  les  autres  dans  les  lieux  où  elles  tom- 
bent en  forme  de  fédiment  ;  mais  de 
plus  il  efl  aifé  de  répondre  à  cette  ob- 
jedion  par  un  fait ,  c'efl  que  dans  toutes 
ies  extrémités  de  la  mer  où  l'on  obfèrve 
îe  flux  &  le  reflux ,  dans  toutes  les  côtes 
qui  la  bornent,  on  voit  que  le  flux  amène 
une  infinité  de  choies  que  le  reflux  ne 
jremporte  pas,  qu'il  y  a  des  terreins  que 

fa  mer 


Théorie  de  h  Terre.      i  2  f 

îa  mer  couvre  infenfiblement  (x),  ôc 
d'autres  qu'elle  laifTe  à  découvert  après 
y  avoir  apporté  des  terres ,  des  {ables , 
des  coquilles,  &c.  qu'elle  dépofe,  &  qui 
prennent  naturellement  une  lituation  ho- 
rizontale ,  &  que  ces  matières  accumulées 
par  la  fuite  des  temps  &  élevées  juf^ 
qu'à  un  certain  point ,  fe  trouvent  peu 
à  peu  hors  d'atteinte  aux  eaux  ,  refient 
enfuite  pour  toujours  dans  J'état  de 
terre  sèche,  &  font  partie  des  continens 
terreftres. 

Mais  pour  ne  îaifler  aucun  doute  (ûr 
ce  point  important,  examinons  de  près 
ia  polîibilité  ou  i'impofïibilité  de  la  for- 
mation d'une  montagne  dans  le  fond  de 
îa  mer  par  le  mouvement  ôi  par  le  fé- 
diment  des  eaux.  Perfonne  ne  peut  nier 
que  fur  une  côte  contre  laquelle  la  mer 
agit  avec  violence  dans  le  temps  qu'elle 
eft  agitée  par  le  flux ,  fès  efforts  réité- 
rés ne  produi(ent  quelque  changement, 
&  que  les  eaux  n'emportent  à  chaque 
fois  une  petite  portion  de  la  terre  de  la 
côte ,  &  quand  même  elle  feroit  bornée 
de  rochers ,  on  fait  que  l'eau  ufè  peu  à 
/xj  Voyez  les  preuves,  art,  XIX» 

Tome  I.  f 


fi  2  2        Hijioire  Naturelle: 

peu  ces  rochers  (y),  &  que  par  confe-* 
quent  elle  en  emporte  de  petites  parties 
à  chaque  fois  que  la  vague  iè  retire  après 
s'être  brilée  :  ces  particules  de  pierre  ou 
de  terre ,  feront  néceilîiirement  tranlpor^ 
tées  par  les  eaux  jufqu'à  une  certaine 
diflance  &  dans  certains  endroits  où 
îe  mouvement  de  l'eau  (è  trouvant  ra- 
knti ,  abandonnera  ces  particules  à  leur 
propre  pefanteur ,  &  alors  elles  Te  pré- 
cipiteront au  fond  de  l'eau  en  forme  de 
fédiment,  &  là  elles  formeront  une  pre-^ 
r.iière  couche  horizontale  ou  hiclinée  , 
fuivant  la  pofition  de  la  furfàce  du  ter^ 
rein  fur  laquelle  tombe  cette  première 
couche,  laquelle  fera  bientôt  couverte 
&  furmontée  d'une  autre  couche  (em- 
Hable  &  produite  par  la  même  caule ,  &: 
înienfiblement  il  1^  formera  dans  cet 
endroit  un  dépôt  confidérable  de  ma-r 
tière ,  dont  les  couches  feront  pofées  pa- 
rallèlement les  unes  fur  les  autres.  Cet 
amas  augmentera  toujours  par  les  noii^ 
veaux  fédimens  que  les  eaux  y  tranf- 
porteront ,  &  peu  à  peu  par  fuccefîion 
de  temps  il  fe  formera  une  élévation , 
(jij  \'ûyez  les  Voyages  de  Shaw,  lome  II, page  ô'pt 


Théorie  de  la  Terre.       i  2  ^ 

ime  montagne  dans  k  fond  de  In  mer , 
qui  lera  entièrement  lemblable  aux  cmi- 
nences  &  aux  montagnes  que  nous  con- 
noiffons  fur  la  terre,  tant  pour  ia  corn- 
pofition  intérieure  que  pour  la  forme 
extérieure.  S'il  fe  trouve  des  coquilles 
dans  cet  endroit  du  fond  de  la  mer,  où 
nous  fuppofons  que  fe  fiit  notre  dépôt , 
les  fédimens  couvriront  c^s  coquilles  &: 
les  rempliront ,  elles  feront  incorporées 
dans  les  couches  de  cette  matière  dépo- 
lie ,  &  elles  feront  partie  des  mafies  for- 
r.îées  par  ces  dépôts ,  on  les  y  trouvera 
dans  la  fituation  qu'elles  auront  acquife 
en  y  tombant,  ou  dans  l'état  où  elles, 
auront  été  failles  ;  car  dans  cett-e  opé- 
ration celles  qui  fe  jleront  trouvées  au 
fond  de  la  mer  lorfque  les  premières, 
couches  fe  feront  dépofées ,  fe  trouve- 
ront dans  la  couche  la  plus  balle  ,  & 
celles  qui  feront  tombées  depuis  dans 
ce  même  endroit,  fe  trouveront  dans  les 
couches  plus  élevées. 

Tout  de  même,  lorfque  le  fond  de  la 
mer  fera  remué  par  l'agitation  des  eaux  , 
il  fe  fera  nécefïïiirement  àç.h  tranfports 
de  terre  ?  dç  vafe ,  de  coquilles  &  d'autres 

Fi; 


fi  24  fJiJloire  Naturelle, 
matières  dans  de  certains  endroits  o\i 
elles  fe  dépoferont  en  forme  de  fédU 
mens  :  or  nous  fomnies  aflurés  par  les 
piongeurs  (tJ ,  qu'aux  plus  grandes  pro- 
fondeurs où  iis  puiflent  defcendre ,  qui 
font  de  vingt  brafles  ,  le  fond  de  la 
mer  efl  remué  au  point  que  i'eau  le 
mêle  avec  la  terre  ,  qu'elle  devient  trou- 
ble ,  &  que  la  vafe  -  &.  les  coquillages 
font  emportés  par  le  mouvement  des 
eaux  à  des  diftances  confidérables  :  par 
conféquent ,  dans  tous  les  endroits  de  la 
mer  où  l'on  a  pu  de  1  cendre ,  il  fe  fait 
des  tranfports  de  terre  &  de  coquilles 
qui  vont  tomber  quelque  part,  &  former, 
en  (e  dépofant ,  des  couches  parallèles 
&  des  éminences  qui  font  compofées 
comme  nos  montagnes  le  font  ;  ainfi  le 
flux  &  le  reflux ,  les  vents ,  les  courans 
&  tous  les  mouvcmens  des  eaux  pro- 
duiront des  inégalités  dans  le  fond  de 
la  mer ,  parce  que  toutes  q^%  caufcs  dé- 
tachent du  fond  &  à^s  côtés  de  la  mer , 
des  matières  qui  fe  précipitent  enfuite 
en  forme  de  fédimeus. 

Au  refte ,  il  ne  faut  pas  croire  que  ces 
(-Q  Voyez Boyk's  Works,  vol,  III,  p,  ajz. 


Théorie  de  la  Terre,       125' 

tmnfports  de  matières  ne  puiiïênt  pas  (e 
fuie  à  des  dilances  confidérables  ,  puif- 
quc  nous  voyons  tous  ies  jours  des  grai- 
nes ik  d'autres  produélions  des  Indes 
orientales  &  occidentales  arriver  fur  nos 
côtes  (a);  à  ia  vérité  elles  iont  fpécifi- 
quementplus  légères  que  l'eau,  au  lieu 
que  les  matières  dont  nous  parlons  font 
plus  pefantes  ,  mais  comme  elles  font 
réduites  en  poudre  impalpable ,  elles  fe 
iouuendrom  afiez  long-temps  dans  l'eau 
pour  être  tranfportées  à  de  grandes  dif- 
tances. 

Ceux  qui  prétendent  que  la  mer  n'efl 
pas  remuée  à  de  grandes  profondeurs , 
ne  font  pas  attention  que  le  flux  &  le 
reflux  ébranlent  &  agitent  à  la  fois  toute 
ia  mafîe  des  mers ,  &  que  dans  un  globe 
qui  feroit  entièrement  liquide  il  y  auroit 
de  l'agitation  &  du  mouvement  jufqu'au 
centre  ;  que  la  force  qui  produit  celui 
du  flux  &  du  reflux  ,  ^^i  une  force  pé- 
nétrante qui  agit  fjr  toutes  les  parties 
proportionnellement  à  leurs  mafles  ; 
qu'on  pourroit  mêm»e  mefurer  «Se  déter- 

(a)  P'rticiiiièremerît  fur  les  côtes  d'ÉcofFe  & 
d'Irlande.  Voyez  E^a/i  Difcourjes. 

F  iij 


120      Hifloire  Naturelle. 

miner  par  le  caîcui  la  quantité  de  cette 
adion  fur  un  liquide  à  différentes  pro- 
fondeurs,  &  qu'enfin  ce  point  ne  peut 
être  conteftë  qu'en  fe  refuiant  à  Tévi- 
dence  du  raifonnement  &l  à  la  certitude 
des  obfervations. 

Je  puis  donc  fuppofer  légitime- 
ment que  le  iïux  &  le  reflux  ,  les  vents 
&  toutes  les  autres  caufes  qui  peuvent 
agiter  la  mer ,  doivent  produire  par  le 
mouvement  des  eaux ,  d^s  éminences  & 
des  inégalités  dans  Je  fond  de  la  mer , 
qui  feront  toujours  compofées  de  cou- 
ches horizontales,  ou  également  incli- 
nées ;  ces  éminences  pourroni  avec  le. 
temps  augmenter  confidérablement ,  & 
devenir  des  collines  qui  dans  une  lon- 
gue étendue  de  terrein ,  fe  trouveront , 
comme  les  ondes  qi-ù  les  auront  pro- 
duites,  dirigées  du  même  fens ,  &  for- 
meront peu  à  peu  une  chaîne  de  mon- 
tagnes. Ces  hauteurs  une  fois  formées, 
feront  obdacle  à  l'uniformité  du  mou- 
vement des  eaux  ,  <Sc  il  en  réfultera  des 
mouvemens  particuliers  dans  le  mou- 
vement général  de  la  mer  :  entre  deux^ 
hauteurs  voifuies  il  fe  formera  aéceffai- 


Tlîécàe  de  la  Terre:       \  27 

rcmént  un  courant  (b)  qui  fuivra  leur 
direclion  commune ,  &  coulera  comme 
coulent  les  fleuves  de  la  terre  ,  en  for- 
mant un  canal  dont  les   angles   feront 
alternativement  oppofés  dans  toute  l'é- 
tendue de  ion  cours.  Ces  hauteurs  for- 
mées au  -  delTus  de  la  iurface  du  fond 
pourront  augmenter  encore  de  plus  en 
plus;  car  les  eau>c  qui  n'auront  cjue  le 
mouvement  du  fîux  dépoieront  fur  la 
cime  le  iédiment  ordinaire ,  &  celles  qui 
obéiront  au  courant  entraîneront  au  loin 
les  parties  qui  le  feroient  dépofées  entre 
deux,  &  en  même  temps  elles  creufè- 
ront  un  vallon  au  pied  de  ces  monta- 
gnes, dont  tous  les  angles  le  trouveront 
correfpondans ,  &  par  l'effet  de  ces  deux 
mouvemens  &  de  ces   dépôts  le  fond 
de  la  mer    aura    bientôt  été   fillonné  , 
traverfé   de   collines   &   de    chaînes   de 
jnontagnes  ,   &  femé  d'inégalités  telles 
que  nous  les  y  trouvons  aujourd'hui. 
Peu  à  peu  les  matières  molles  dont  les 
éminences  étoient  d'abord  compofces , 
fe  feront  durcies  par  leur  propre  poids , 
les  imes  formées  de   parties  purement 
(h)  \'oyez  les  preuves^  an,  XUL 

Fiii; 


1 2  8        Hîjlotre  Naturelle. 

argileufes  auront  produit  ces  collines 
de  giaife  qu'on  trouve  en  tant  d'endroits, 
d'autres  compofées  de  parties  fablon- 
jieufes  &  crillallines  ont  fiùt  ces  énor- 
jnes  amas  de  rochers  &  de  cailloux  d'où 
i'on  tire  le  criftai  &  les  pierres  pré- 
cieufès  ;  d'autres  faites  de  parties  pier- 
reules  mêlées  de  coquilles  ,  ont  formé 
ces  lits  de  pierre  &  de  marbres  où  nous 
retrouvons  ces  coquilles  aujourd'hui  ; 
d'autres  enfin  compofées  d'une  matière 
encore  plus  coquilleufe  &  plus  terredre 
ont  produit  les  marnes ,  les  craies  &  les 
terres  :  toutes  font  pofées  par  lits ,  toutes 
contiennent  des  fu]3llance-s  hétérogènes, 
îes  débris  des  produélions  marines  s'y 
trouvent  en  abondance  &  à  peu  près 
fuivant  le  rapport  de  leur  pefanteur,  les 
coquilles  les  plus  légères  font  dans  les- 
craies ,  les  plus  pcfantes  dans  les  argiles 
&  dans  les  pierres  ,  Ôl  elles  font  remplies 
de  la  matière  même  des  pierres  &  dts 
terres  oti  elles  font  renfermées  ;  preuve 
înconteflabîe  qu'elles  ont  été  tranfpor- 
tées  avec  fa  matière  qui  les  environne 
&  qui  les  remplit ,  &  que  cette  matière 
étoit  réduite  en  particules  impalpables  ; 


Théorie  de  la  Terre.       i  "K^^ 

enfin  toutes  ces  matières  dont  la  fitua- 
tion  s'ed  établie  par  ie  niveau  des  eaux 
de  la  mer ,  conlervent  encore  aujour- 
d'hui leur  première  pofition. 

On  pourra  nous  dire  que  la  plupart 
éts,  collines  &  des  montagnes  dont  le 
fommet  eft  de  rocher ,  de  pierre  ou  de 
marbre,  ont  pour  baie  des  matières  plus 
légères  ;  que  ce  font  ordinairement  ou 
des  monticules  de  gîaiie  ferme  <3c  fo- 
Xiàç: ,  OU  des  couches  de  iabîe  qu'on 
retrouve  dans  les  plaines  voifines  jus- 
qu'à une  diitance  affez  grande ,  &  on 
nous  demandera  comment  il  eit  arrivé 
c|ue  ces  marbres  &  ces  rochei*s  fe  foient 
trouvés  au  -  delTus  de  ces  fables  &  de 
ces  glaiiês.  Il  me  paroît  que  cela  peut 
s'expliquer  afîez  naturellement  ;  i'eau 
aura  d'abord  tranfporté  la  glaife  ou  le 
lable  qui  faiioit  la  première  couche  des 
côtes  ou  du  fond  de  la  mer,  ce  qui  aura 
produit  au  bas  une  éminence  compofée 
de  tout  ce  lable  ou  de  toute  cette  glaiie 
raffemblée  ;  après  cela  les  m.atières  plus 
fermes  &  pins  pefantes  ,  qui  fe  feront 
trouvées  au  -  defibus ,  auront  été  atta- 
quées &  iranfpoiiées  par  les   eaux  en 

F  Y 


[ï  3  o       Hïfîoire  Naturelle, 

pouffière  impalpable  au-delTus  de  cette 
éniinence  de  glaile  ou  de  labié,  &  cette 
pouiîiçre  de  pierre  aura  formé  les  ro- 
chers &  les  carrières  que  nous  trouvons 
siu-defllis  des  collines.  On  peut  croire 
qu'étant  les  plus  pe fiâtes  ,  ces  matières 
étoieni  autrefois  au-déflous  des  autres  , 
&  qu'ejjes  font,  aujourd'hui  au-defîus, 
parce  qu'elles  ont  été  enlevées  &  tranf- 
portées  les  dernières  par  le  mouvement 
des  eaux. 

Pour  confirmer  ce  que  nous  avons 
dit ,  examinons  encore  plus  en  détail  la 
jfituadon  des  matières  qui  compofent 
cette  première  épaifîeur  du  globe  ler- 
reflre,  la  feule  que  nous  connoiflions, 
Les  carrières  font  compofées  de  diffé- 
rens  lits  ou  couches  prefque  toutes  ho- 
TÎzontales  ou  inclinées  fuivant  la  même 
pente ,  celles  qui  pofent  fur  des  glaifes 
ou  fur  des  baies  d'autres  matières  folides  , 
font  fenfîblement  de  niveau  ,  fur  -  tout 
dans  les  plaines.  Les  carrières  où  l'on 
trouve  les  cailloux  &  les  grès  difperfés , 
ont  à  la  vérité  wnç:  pofuion  moins  ré- 
gulière ,  cependant  l'uniformité  de  la 
Nature  iie  laiiTe  pas  de  s'y  recoanoître: 


Tlîéorie  Je  la  Terre:       131: 
tAr  îa  pofitioii  horizontale  ou   toujours 
vAlement    peach:inte    des   couches    ie 
^,Live  dans  les   carrières  de  roc  vit  & 
dans  celles   des  grès   en  grande  mafie , 
elle    n'eil   ah.érée    <3c   imerronipue   que 
dans  les  carrières  de  cailloux  &  de  grès 
en  petite   mafie  dont  nous  ferons  voir 
que  la  formation  eft  poilérieure  à  celle 
de  toutes  les  auires  matières;  car  le  roc 
•vif,  le  lablc  vitrifiable  ,   les  argiles ,  les 
marbres  ,    les    pierres    calcinables  ,    les 
craies,  les  marnes ,  font  touies  difpofées 
par  couches  parallèles  toujours  horizon- 
tales ,  ou  également  inclinées.    On   re- 
connoît  aifément  dans  ces  dernières  ma- 
tières  la   première    formation  ,   car   les 
couches  font  exadlement  horizontales  & 
fort  minces,  &  elles  font  arrangées  les 
ime^  fur  les  autres  comme  les  feulHcts 
d'un  livre  ;  les  couches  de  fable  ,  d'ar- 
gile.molle,  de  glaife  dure,  de  craie  ,  de 
cociuilles ,  font  auffi  toutes  ou  horizon- 
tales ou  inclinées  fuivant  la  même  p&me: 
le:>  épaifieurs  des  couches  font  toujours 
les  mêines  dans  toute  leur  étendue  ,  qui 
fouvent  occupe  un  efpace  de  plufieurs 
lieues,  &  que  i'oa  pourruit  fuivre  bien 

f  VT 


•I  3  2        Hîfloîre  Naturelle. 

plus  îoîn  fi  l'on  obfervoit  exadement. 
Enfin  toutes  les  matières  qui  compofent 
îa  première  épaifTeur  du  globe ,  font 
dirpofées  de  cette  fliçon ,  &  quelque  part 
qu'on  fouille,  on  trouvera  des  couches, 
&  on  fe  convaincra  par  Tes  yeux  de  la 
vérité  de  ce  qui  vient  d'être  dit. 

Il  faut  excepter  à  certains  égards  les 
couches  de  fable  ou  de  gravier  entraîné 
du  fommet  des  montagnes  par  la  pente 
dç.s  eaux  ;  ces  veines  de  fable  fe  trouvent 
quelquefois  dans  les  plaines  où  elles  s'é- 
tendent même  aiïez  confidérablement , 
elles  font  ordinairement  pofées  fous  la 
première  couche  de  îa  terre  labourable  , 
ÔL  dans  les  lieux  plats  elles  font  de  ni- 
veau comme  les  couches  plus  anciennes 
&  plus  intérieures  ;  mais  au  pied  &  fur 
la  croupe  des  montagnes ,  ces  couches  de 
feble  font  fort  inclinées ,  &  elles  fui  vent 
ïe  penchant  de  la  hauteur  fur  laquelle 
elles  ont  coulé  :  les  rivières  &  les  ruif- 
féaux  ont  formé  ces  couches  ,  &:  en 
changeant  fou  vent  de  lit  dans  les  plaines, 
ils  ont  entraîné  &  dépofé  par -tout  ces 
fables  &  ces  graviers.  Un  petit  ruijfTeau 
coulant  des  hauteurs  voifmes  fuffit,  avec 


Théorie  de  la  Terre.        l  3  J 

îe  temps,  pour  étendre  une  couche  de 
iable  ou  de  gravier  fur  toute  la  luper- 
ficie   d'un   vallon  ,     quelque    (pacieux 
qu'il  ioit ,  &  j'ai  fouvent  oblervc  dans 
une   campagne  environnée  de  collines 
dont  la  balè  efl  de  glalfe  aulFi-bien  que 
la  première  couche  de  la  plaine,  qu'au- 
deîius  d'un  ruifîeau  qui  y  coule ,  la  glaife 
fe  trouve  immédiatement  fous  la  terre 
labourable ,  &  qu'au-deflous  du  ruifTeau 
il  y  a  une  épaiiïeur  d'environ  un^pied 
de  Iable  fur  la  glaife,  qui  s'étend  à  une 
diftance  confidérable.  Ces  couches  pro- 
duites par  les  rivières  &  par  les  autres 
eaux   courantes  ,   ne  font  pas  de  l'an- 
cienne formation  ,  elles  le  reconnoiiTent 
aifément  à  la  différence  de  leur  épaifl'eur, 
qui  varie  &:  n'efl  pas  la  même  par-tout 
comme  celles  des  couches  anciennes,  à 
leurs  interruptions  fréquentes  ,  &.  enfin 
à  la  matière  même  qu'il  eil  aifé  de  juger 
&  qu'on  reconnoît  avoir  été  lavée,  rou- 
lée &.  arrondie.  On  peut  dire  la  même 
chofe  des  couches  de  tourbes  &  de  vé- 
gétaux pourris  qui  fe  trouvent  au-defîous 
de  la  première  couche  de  terre  dans  \ts 
l-erreins  marécageux;  ces  couches  ne  font 


fr34        HiiJoire  Naturelle: 
pas  aiicfCiines ,  &  elles  ont  été  produites 
par  l'eataireàieni  iuccefîif  des  arbres  & 
des  plantes  qui  peu  à  peu  ont  combîé 
ces    marais,    il  en  cil:  encore  de  même 
de  ces  couches  limonneufès  que  l'inon- 
dation des  fleuves  a  produites  dans  diiîe-* 
rens  pays  ;  tous  ces  terrains  ont  été  nou- 
vellement formés  par  les  eaux  courantes 
ou  llagnantes ,  &.  ils  ne   lui  vent  pas  h 
pente  égale  ou  le  niveau  aulîi  exacte- 
ment   que   les    couches    anciennement 
produites  par  le  mouvement  régulier  des 
ondes  de  la  mer.  Dans  les  couches  que 
ies  rivières  ont  formées ,  on  trouve  des 
coquilles  fliiviatiles  ,  mais  il  y  en  a  peu 
de  marines  ,  &  le  peu  qu'on  y  en  trouve  , 
eft  briié  ,  déplacé ,    ilolé  ;    au    lieu   que 
dan.-»  ies  couches  anciennes  ies  coquilles 
marines  fe  trouvent  en  quantité ,  il  n'y 
en  a  point  de  fluviatiles,  &  ces  coquilles 
de  mer  y  font  bien  conlervées  &  toutes 
placées    de   la  même  manière  ,  comme 
ayant  été  tranfportées  &  pofecs  en  même 
te.nps  par  la  mêine    caule  ;  &  en  e^tet, 
pourquoi  ne  trouve-t-  on  pas  les  ma- 
tières entaiTécs  irréo-ul'èrement  ,   au  lieu 
I  ^ 

de  ies   trouver  par  couches  î  pourquoi 


Théorie  âe  la  Terre.        135^ 

les  marbres ,  les  pierres  dures ,  ïes  craies, 
ies  argiles ,  les  plâires ,  les  marnes ,  &c, 
ne  lonr  -  ils  pas  dirperfés  ou  joims   par 
couches  irrégulières  ou  verticales  î  pour- 
quoi ies  choies  pelantes  ne  font-elîes 
pas  toujours  au-defTous  des  plus  légères  \ 
11  efl:  ailé  d'apercevoir  que  cette  unifor-- 
mité  de  la  Nature  ,  cette  efpèce  d'orga- 
iiilation  de  ia  terre,   cette   jondion  des 
différentes  matières  par  couches  paral- 
lèles &  par  lits,  lans  égard  à  leur  pelan- 
teur ,  n'ont  pu  être  produi'tes  que  par 
une  caufe  auiïi  ruilTante  &:  auffi  conf- 
iante que  celle   de  l'agitation   des  eaux 
de  kl  mer  ,  ioit  par  le  mouvement  réglé 
des  ven-s,  ibit  par  celui  du  fîux  &.  du 
reflux,  &.C. 

Ces  caidcs  agilTent  avec  plus  de  force 
Ibus  i'équateur  que  dans  les  autres  cli- 
mats ,  car  [es  vents  y  font  plus  conflans 
&:  les  marées  plus  violentes  que  par-tout 
ailleurs  ;  auiïi  les  plus  grandes  chaînes  de 
montagnes  font  voidnes  de  l'Equateur  : 
ies  montagnes  de  l'Afrique  &  du  Pérou 
font  ks  plus  hautes  qu'on  connoifle  ,  & 
après  avoir  traverié  des  cominens  entiersj, 
elles  s'étcudent  encore  à  des  dUlaiice^ 


1^6       Hi flaire  Naturelle. 

très-conficlérabies  fous  les  eaux  de  la  mer 
occane.  Les  montagnes  de  l'Europe  & 
de  i'Afie  qui  s'étendent  depuis  l'Efpagne 
jufqu'à  la  Chine ,  ne  font  pas  aufîi  éle- 
vées que  celles  de  l'Amérique  méridio- 
nale &  de  l'Afrique.  Les  montagnes  du 
nord  ne  font  ,  au  rapport  des  Voya- 
geurs, que  des  collines  en  comparaifon 
de  celles  des  pays  méridionaux  ;  d'ail- 
leurs le  nombre  des  îles  cft  fort  peu 
confidérable  dans  les  mers  feptentrio- 
naîes ,  tandis  qu'il  y  en  a  une  quantité 
prodigieufè  dans  la  zone  torride  ;  & 
comiîic  une  île  n'eft:  qu'un  foni met  de 
montagne,  il  eft  clair  que  la  furface  de 
ia  terre  a  beaucoup  plus  d'inégalités  vers 
l'équateur  que  vers  le  nord. 

Le  mouvement  général  du  flux  &:  du 
reflux  a  donc  produit  les  plus  grandes 
montagnes  qui  fe  trouvent  dirigées  d'oc- 
cident en  orient  dans  l'ancien  continent, 
&  du  nord  au  fud  dans  le  nouveau  , 
dont  les  chaînes  font  d'une  étendue  très- 
confidérable  ,  mais  il  faut  attribuer  aux 
mouvemens  particuliers  des  courans  , 
des  vents  &  des  autres  apfîtations  irrétru- 
iières  de  ia  mer ,  l'origine  de  toutes  les 


Théorie  de  la  Terre.       137 

autres  montagnes  ;  elles  ont  vraifen.- 
blableinent  été  produites  par  la  corn- 
binailon  de  tous  ces  inouveinens ,  dont 
on  voit  bien  que  ies  effets  doivent  être 
variés  à  l'infini ,  puifque  les  vents ,  fa 
pofition  différente  des  fies  &  des  côtes 
ont  altéré  de  tous  les  temps  &  dans  tous 
ies  fens  poilibles  la  diredion  du  flux  & 
du  reflux  des  eaux  ;  ainii  il  n  efl  pc  int 
étonnant  qu'on  trouve  fur  le  globe  (  e; 
éminences  confidérables  dont  ie  cours 
efl  dirigé  vers  différentes  plages  :  il  iufïit 
pour  notre  objet  d'avoir  démontré  que 
ies  montagnes  n'ont  point  été  placées 
au  hafard ,  &  qu'elles  n'ont  point  été 
produites  par  des  tremblemens  de  terre 
ou  par  d'autres  caufès  accidentelles  , 
mais  qu'elles  font  un  effet  rciultant  de 
l'ordre  général  de  ia  Nature ,  auffi-bien 
que  i'efpèce  d'organifation  qui  leur  eft 
propre  &  la  pofition  des  matières  qui 
ia  compofent. 

Mais  comment  efl- H  arrivé  qvie  cette 
terre  que  nous-  habi  ons ,  que  nos  an- 
cêtres ont  habitée  comme  nous,  qui  de 
temps  immémorial  efl  un  continent  fec  , 
fenne  &  éloigné  des  mers  ,   ayant  été 


^138       Hiflokc  Naturelle. 

îiuîrefois  un  fond  de  mer,  foit  acflueîle- 
inent  lupérieur  à  loutes  les  eaux  &  en 
foit  fi  didindemeiit  iépurëe  '  pourquoi 
ies  eaux  de  la  mer  n'ont-elies  pas  relié 
iur  ccLie  terre  ,  [juirqu'elles  y  ont  ié- 
jounié  fi  ioiig-iemps  \  quel  accident , 
queiie  cauie  a  pu  produire  ce  ciiange- 
nientd.insle  globe!  e(l-iî  même  poltible 
d'en  concevoir  une  aflez  puifÏÏmte  pour 
opérer  un  tel  effet  î 

Ces  queftions  font  difnciies  à  réfou- 
drc  ,  mais  les  faits  étant  certains  ,  la 
manière  dont  ifs  font  arrivés  peut  de- 
meurer inconnue  fins  préjudicier  au 
jugement  que  nous  devons  en  porter  ; 
cependant  fi  nous  voulons  y  réfléchir  , 
nous  trouverons  par  indu(flion  des  rai- 
{bnstrès-pfaufibîes  de  ces  changemens/Vy', 
Nous  voyons  tous  ies  jours  la  mer  ga- 
gner du  terrein  dans  de  certaines  côtes 
&  en  perdre  dans  d'au  res  ;  nous  fa- 
voris que  l'Océan  a  un  mouvement 
générai  &  continuel  d'orient  en  occi- 
dent ,  nous  en  endons  de  loin  les  efforts 
terribles  que  la  mer  fiit  contre  les  baf^ 
{ç.s  terres  &  contre  les  rochers  cjui  la 
(c)  Voyez  les  preuves ,  art*  XIX* 


Thème  de  la  Terre.  13P 
bornent,  nous  connoiflons  des  provinces 
ciuieres  où  on  ell:  obligé  de  lui  oppoicr 
des  digues  que  rinduftrie  humaine  a 
};icn  de  la  peine  à  foutenir  contre  la  fu- 
reur des  flots  ,  nous  avons  des  exemples 
de  pays  récemment  iiibmergés ,  &  de 
débordemens  réguliers;  l'Hiitoire  nous 
parle  d'inondations  encore  plus  grandes 
ai  de  déluges  :  tout  cela  ne  doit -il  pas 
nous  porter  à  croire  qu'il  eft  en  eftet 
nrrivé  de  grandes  révolutions  fur  la  fur- 
fàce  de  la  terre  ,  &  que  la  mer  a  pu 
quitter  &  laifler  à  découvert  la  plus 
grande  partie  des  terres  qu'elle  occu- 
poit  autrefois  î  Par  exemple  ,  fi  nous 
nous  prêtons  un  inftant  à  iuppofer  qii^e 
i'ancien  &  le  nouveau  monde  ne  fû- 
foient  autrefois  qu'un  feul  continent  , 
&  que  par  un  violent  tremblement  de 
terre  le  terrein  de  l'ancienne  Atlantique 
de  Platon  le  foit  affiiifîee ,  la  mer  aura 
iiéceflairement  coulé  de  tous  côtés  pour 
former  l'Océan  Atlantique,  &  par  con- 
féquent  aura  laiiïe  à  découvert  de  vaftcs 
continens  qui  font  peut-être  ceux  que 
nous  habitons  ;  ce  changement  a  donc 
pu  fe  luire  tout  ~  à  -  coup  par  l'afFaiiîe- 


140  HiJIoire  Naturelle» 
ment  de  quelque  vafte  caverne  dans 
l'intérieur  du  globe  ,  &  produire  par 
conféquent  un  déluge  univerfel  ;  ou.. 
bien  ce  changement  ne  s'eft  pas  fait  tout- 
à-coup  ,  &  il  a  fàilu  peut-être  beaucoup 
de  temps,  mais  enfin  il  s'eft  fait,  &  je 
crois  même  qu'il  s'eft  fait  natureliemeni  ; 
car  pour  juger  de  ce  qui  cft  arrivé  & 
ïnême  de  ce  qui  arrivera,  nous  n'avons 
qu'à  examiner  ce  qui  arrive.  Il  eft  cer- 
tain par  les  obfervations  réitérées  de 
tous  les  voyageurs  /d),  que  l'Océan  a  un 
mouvement  coniiant  d'orient  en  occi- 
chent  ;  ce  niouvement  fe  fait  ientir  non- 
feulement  entre  les  tropiques  ,  comme 
celui  du  vent  d'eft ,  mais  encore  dans 
toute  i'éîendue  dts  zones  tempérées  & 
froides  où  l'on  a  navigué  :  il  fuit  de  cette 
obfervation  qui  eft  conftante ,  que  la 
mer  Pacifique  fait  un  eftbrt  continuel 
contre  les  côtes  de  la  Tanarie ,  de  la 
Chine  &.  de  l'Inde  ;  que  l'Océan  In- 
dien fiit  effort  contre  la  côte  orientale 
de  l'Afrique  ,  &  que  l'Océan  Atlantique 
agit  de  même  contre  toutes  les  côtes 
orientales  de  l'Amérique;   ainfi  la  mer. 

(dj  Voyez  Varcrt,  Gco^r,  gcn.  pag.  119. 


Tkécr'ie  de  h  Terre,       141' 

â  dû  &  doit  toujours  gagner  du  terreiri 
fur  les  côtes  orientales  ,  &  en  perdre  fur 
ies  côtes  occidentales.  Cela  feui  fuffiroit 
pour  prouver  la  poflibilité  de  ce  chan- 
gement de  terre  en  mer  &  de  mer  e^i 
terre  ;  &  fi  en  effet  il  s'efl:  opéré  par  ce 
mouvement  <S^%  eaux  d'orient  en  occi- 
dent ,  comme  il  y  a  grande  apparence  , 
ne  peut -on  pas  conjedurer  très-vrai- 
femblablement  que  le  pays  le  plus  ancien 
du  monde  efl:  i'Afie  &  tout  le  continent 
orientai  î  que  l'Europe  au  contraire  & 
une  partie  de  l'Afrique ,  &  fur-tout  les 
côtes  occidentales  de  ces  continens  , 
comme  l'Angleterre,  la  France  ,  i'Ef- 
-pagne,  la  Mauritanie,  &c.  font  des  terres 
plus  nouvelles  î  L'hifloire  paroît  s'ac- 
corder ici  avec  la  Phyfique ,  &  confir- 
mer cette  conjedure  qui  n'eft  pas  fans 
fondement. 

Mais  il  y  a  bien  d'autres  caufcs  qui 
concourent  avec  le  mouvement  conti- 
nuel de  la  mer  d'orient  en  occident 
pour  produire  l'effet  dont  nous  parlons. 
Combien  n'y  a-t-il  pas  de  terres  plus 
baffes  que  le  niveau  de  la  mer  &  qui 
ne  font  défendues  que  par  un  ifthmc , 


^1^2       HiJîoJre  TSIaturelk: 

lîii  banc  de  rochers ,  ou  par  éQS>  (ïiax^t^ 
encore  plus  foibles  \  l'etfort  des  eaux 
de'truira  peu  à  peu  ces  barrières  ,  cc 
dès-lors  ces  pays  feront  lubmergcs.  De 
plus ,  ne  lait-on  pas  que  les  montagnes 
s'abaiffent  continuellement  (  e)  par  les 
pluies  qui  en  détachent  les  terres  &  les 
entraînent  dans  les  vallées  !  ne  lait  -  on 
pas  que  les  ruifîeaux  roulent  les  terres 
des  plaines  &  des  montagnes  dans  les 
fîeuves  ,  qui  portent  à  leur  tour  cette 
terre  fuperfîue  dans  la  mer  î  ainfi  peu  à 
peu  le  fond  des  mers  (è  remplit ,  la  fur- 
fiice  des  continens  s'abai(îe  &  fè  met  de 
niveau,  &  il  ne  fiuit  que  du  temps  pour 
^.ÇL  la  mer  prenne  fuccefîivement  la 
place  de  ia  terre. 

Je  ne  parle  point  de  ces  cau(es  éloi- 
gnées qu'on  prévoit  moins  qu'on  ne 
ies  devine,  de  ces  fècouiïes  delà  Nature 
cfont  le  moindre  effet  feroit  fa  catallro- 
phe  du  monde  ;  le  choc  ou  l'approche 
d'une  comète  ,  l'abfence  de  la  lune  ,  Ja 
prélence  d'une  nouvelle  planète ,  &c, 
îbnt  des  fuppofuions  fur  lefquelles  il  efl 

(e)  Voyez  Ray' s  Dijcourfcs ,  page  226,  Plot^ 
Bijl.  Naî.  ifc,     '  ' 


ThéoAe  de  la  Terre.       \^f 

aîfé  de  donner  carrière  à  {ou  imagina- 
tion; de  pareilles  caufes  produiient  tout 
ce  qu'on  veut ,  &  d'une  feule  de  ces  hy- 
pothèies  on  va  tirer  mille  romans  phy- 
fiques    que   leurs    Auteurs   appelleront 
Théorie  de  la  Terre.  Comme  hilloriens, 
nous  nous  refufons  à  ces  vaines  fpe'cu- 
lations ,  elles  roulent  fur  des  pofîjbilite's 
qui ,  pour  le  réduire  à  l'ade  ,  fuppofent 
un  bouieverfement  de  l'Univers ,  dans 
iequel  notre  globe,  comme  un  point 
de  matière  abandonnée ,  échappe  à  nos 
yeux  &  n'eft  plus  un  objet  digne  de  nos 
recrards  ;  pour  les  fixer  il  faut  le  prendre 
tel  qu'il  eil: ,  en  bien  obferver  toutes  les 
parties ,  &  par  des  indudions  conclure 
du  préfent  au  pafîé  ;  d'ailleurs  des  caufes 
dont  l'effet  eft  rare  ,   violent  &  fubit , 
.ne  doivent  pas  nous  toucher ,  elles  ne 
le  trouvent  pas  dans  la  marche  ordinaire 
de  la  Nature  ,   mais  des  efiets  qui  arri- 
vent tous  les  jours,  des  mouvemens  qui 
fe  fuçcèdent  &  le  renouvellent  fans  in- 
terruption ,  des  opérations  confiantes  & 
toujours  réitérées,  ce  lont-là  nos  caufes 
^  nos  raifons. 

Ajoutons  -  y  des  exemples ,  comb i- 


'î44  H'iflohe  Namrelle, 
nous  la  cauie  générale  avec  les  caufès 
particulières,  &  donnons  des  faits  dont 
ie  détail  rendra  fenfibles  les  difFérens 
chancremens  qui  font  arrivés  fur  le 
globe ,  foit  par  l'irruption  de  l'Océan 
dans  les  terres  ,  foit  par  l'abandon  de  ces 
mêmes  terres ,  lorfqu'elles  fe  font  trou- 
vées trop  élevées. 

La  plus  grande  irruption  de  i' Océan 
dans  les  terres  (f)  efl  celle  qui  a  produit- 
la  mer  Méditerranée  (g);  entre  deux 
promontoires  avancés  (hj,  l'Océan  coule 
avec  une  très-grande  rapidité  par  un 
paiïàge  étroit  ,  &  forme  enfuite  une 
valte  mer,  qui  couvre  un  efpace  ,  le- 
quel, fans  y  comprendre  la  mer  Noire, 
efl  environ  fept  fois  grand  comme  ia 
France.  Ce  mouvement  de  l'Océan  par 
le  détroit  de  Gibraltar  eft  contraire  à 
tous  les  autres  mouvemens  de  la  mer 
dans  tous  les  détroits  qui  joignent 
l'Océan  à  l'Océan;  car  le  mouvement 
général  de  la  mer  eft  d'orient  en  occi- 
dent, &  celui-ci  fèul  eft  d'occident  en 

(f)  Voyez  les  preuves ,  art.  XI  iT  XIX, 

(g)  Voyez  Ray  s  Difcmrfes ,  page  209. 

(h)  Voyez  Tranjf,  PhiU  drigd.  vol.  II ,  pge  i  Rçj 

orient  ^ 


théorie  de  la  Terre.        1 4  J 

©rient,  ce  qui  prouve  que  la  mer  Mé- 
diterranée n'eft  point  un  golfe  ancien 
de  l'Océan,  mais  qu'elle  a  été  formée 
par  une  irruption  des  eaux ,  produite  par 
quelques  cauies  accidentelles,  comme 
feroit  un  trcmblemicnt  de  terre,  lequel 
auroit  affaiffé  les  terres  à  fendroit  à\X 
détroit,  ou  un  violent  effort  de  l'Océaii 
caufé  par  ies  vents,  qui  auroit  rompu 
la  digue  entre  les  promontoires  de  Qi- 
I)raltar  &  de  Ceuta.  Cette  opinion  efl 
appuyée  du  témoignage  des  Anciens //^^ 
qui  ont  écrit  que  la  mer  Méditerranée 
n'exifioit  point  autrefois,  &  elle  elî , 
comme  on  voit,  confirmée  par  FHif- 
toire  Naturelle,  &  par  les  observations 
qu'on  a  fiites  fur  la  nature  des  terres  à 
la  côte  d'Afrique  &  à  celle  d'Efpagne 
où  l'on  trouve  les  mêmes  lits  de  pierre  , 
ies  mêmes  couches  de  terres  en  deçà  & 
au-deià  du  détroit,  à  peu  près  comme 
dans  de  certaines  vallées  où  les  deux  col- 
lines qui  les  fur  montent  fe  trouvent  être 
compofées  des  mêmes  matières  &  au 
même  niveau. 

L'Océan  s'étant'donc  ouvert   cettQ 

(î)  Diodore  de  Sicile,  Strabon. 


1^6       Hifloire  Naturelle. 

porte ,  a  d'abord  coulé  par  le  détroit 
avec  une  rapidité  beaucoup  plus  (grande 
qu'il  ne  coule  aujourd'hui ,  &  il  a  inondé 
le  continent  qui  joignoit  l'Europe  à 
l'Afrique;  les  eaux  ont  couvert  toutes 
ies  baiîes  terres  dont  nous  n'apercevons 
aujourd'hui  que  les  éminences  &  les 
fomniets  dans  l'Italie,  &  dans  les  îles  dç 
Sicile,  de  Malte,  de  Gorfe,  de  Sar^, 
daigne,  de  Chipre,  de  Rhodes  &  de 
l'Archipel. 

Je  n'ai  pas  compris  la  mer  Noire  dans 
cette  irruption  de  l'Océan,  parce  qu'il 
paroît  que  la  quantité  d'eau  qu'elle  re- 
çoit du  Danube,  du  Niéper,  du  Don 
&  de  piufieurs  autres  fleuves  qui  y  en- 
trent, efl  plus  que  fuffiduite  pour  la  for- 
mer, &  que  d'ailleurs  elle  coule  (k)  avec 
une  très-grande  rapidité  parle  Bofphore 
dans  la  mer  Méditerranée.  On  pourroit 
même  préiumer  que  la  mer  Noire  &  la 
mer  Cafpienne  ne  fail  oient  autrefois  que 
d«gux  grands  lacs  qui  peut-être  étoient 
joints  par  un  détroit  de  communication, 
ou  bien  par  un  marais  ou  un  petit  laç 
qui  réunifl oient  les  eaux  du  Don  &  du 

(hj  Voyez  Tranf.  Phil.Abrig'd.  Vol.  II;  page 2  89, 


Théorie  de  h  Terre,      1 47' 

Volga  auprès  de  Tria ,  où  ces  deux 
fleuves  font  fort  voifins  l'un  de  l'autre , 
&  l'on  peut  croire  que  ces  deux  iners 
ou  ces  deux  lacs  étoient  autrefois  d'une 
bien  plus  grande  étendue  qu'ifs  ne  ibnt 
aujourd'hui  :  peu  à  peu  ces  grands  fleu- 
ves, qui  ont  leur  embouchure  dans  la 
mer  Noire  &  dans  ia  mer  Calpienne, 
^auront  amené  une  aflez  grande  quantité 
"de  terre  pour  fermer  la  communication, 
remplir  le  détroit  &  féparer  ces  deux 
lacs;  cir  on  (ait  qu'avec  le  temps  les 
grands  fleuves  reHipliflent  les  mers  & 
forment  des  continens  nouveaux ,  comme 
la  province  de  l'embouchure  du  fleuve 
Jauneà  la  Chine,  la  Louifiancà  l'embou- 
chure du  Mifljfllpi,  &  la  partie  fepten- 
trionale  de  l'Egypte  qui  doit  fon  ori- 
gine (l)  &  fon  exiflence  aux  inondations 
du  Nil  (m),  La  rapidité  de  ce  fleuve  ea 
traîne  les  terres  de  fintérieur  de  l'Afri- 
que ,  &  il  les  dépofe  enfuite  dans  les  dé- 
bordemens  en  fi  grande  quantité  ,  qu'on 
peut  fouiller   juiqu'à    cinquante    pieds 

(l)  Voy.  les  Voyages  de  Shaw,  vol.  Il,  p^g^i  /^S 
jufquà  la  y  âge  i  88. 

(m)  Voyez  les  preuves,  an,  XIX. 

Gij 


'14S        hîjlohe  Nûîureïïe. 

dans  l'épaiileur  de  ce  limon  dépofé  pnr 
îcs  inondations  du  Nil  ;  de  même  les 
terreins  de  la  province  de  lu  rivière 
Jaune  &  de  Iîi  Louifiane  ne  fe  font  for- 
me's  que  par  le  limon  des  fleuves. 

Au  relie ,  la  mer  Cafpienne  eft  acflueP 
îement  un  vrai  lac  qui  n'a  aucune  com- 
iiiunication  avec  les  autres  mers ,  pas 
même  avec  le  lac  Aral  qui  paroit  en 
avoir  fliit  partie ,  &  qui  n'en  efl  féparé 
que  par  un  vafle  pays  de  fable,  dans  le- 
quel on  ne  trouve  ni  fleuves ,  ni  rivières  , 
^i  aucuji  canal  par  lequel  la  mer  Cas- 
pienne, puifTe  verfer  (es  eaux.  Cette  mer 
n'a  donc  aucune  communication  exté- 
rieure avec  les  autres  mers ,  &  je  ne  fais 
fi  l'on  efl:  bien  fondé  à  foupçonner 
qu'elle  en  a  d'inte'rieure  avec  la  mer 
Noire  ou  avec  le  golfe  Perfique.  II 
eu  vrai  que  la  mer  Çaipienne  reçoit  le 
Volga  ÔL  pluficurs  autres  fleuves  qui 
fembient  lui  fournir  plus  d'eî^u  que  l'é- 
vapcration  n'en  peut  enlever,  mais  in- 
dépendamment de  la  difficulté  de  cette 
(eflimation  ,  il  paroïtquc  li  elle  avoît  com- 
Biunication  avec  l'une  ou  l'autre  de  ces 
^rs ,  on  y  auroit  reconnu  uii  couraa| 


Théorie  de  la  Terre,      1491 

rapide  &  coudant  qui  entraîncroît  touf 
vers  cette  ouverture  qui  lerviroit  de  dë-= 
charge  à  les  eaux ,  &  je  ne  fâche  pas 
qu'on  ait  jamais  rien  obfervé  de  fem- 
blabie  lur  cette  mer;  des  Voyageurs 
exads,  fur  le  témoignage  defqueis  on 
peut  compter ,  nous  alfurent  le  contraire, 
&  par  conféquent  ii  eil  nécefîliire  que 
1  evaporation  enlève  de  ia  mer  Caipienne 
une  quantité  d'eau  égaie  à  celle  qu'elle 
reçoit^ 

On  pourroit  encore  conjecPcurer  avec 
quelque  vrailembiance,  que  ia  mer  Noire 
fera  un  jour  féparée  de  ia  Méditerra- 
née, &  que  le  Boipiiore  fe  remplira  iorl- 
que  les  grands  fleuves  qui  ont  leurs  em^ 
boucliures  dans  ie  Pont-Euxin ,  auront 
amené  ime  afTez  grande  quantité  de  terre 
pour  fermer  ie  détroit  ;  ce  qui  peut  arri-' 
ver  avec  le  temps ,  &  par  la  diminution 
fucceflive  des  fleuves ,  dont  ia  quantité 
des  eaux  diminue  à  mefure  que  les  mon- 
tagnes &  les  pays  élevés  dont  ils  tirent 
leurs  fources ,  s'abaiflent  par  le  dépouil- 
lement des  terres  que  les  pluies  entrai-^ 
lient  &  que  les  vents  enlèvent. 

La  mer    Cafpienne  (Se  la  mer  Noire 

G  ii] 


'I  5  o        FTîfloke  NatiireUe» 

doivent  donc  être  regardées  pîutot 
comme  des  lacs  que  comme  des  mers 
ou  des  goifès  de  i' Océan;  car  elles 
reiïemblent  à  d'autres  lacs  qui  reçoi- 
vent tm  grand  nombre  de  fleuves  & 
qui  ne  rendent  rien  par  les  voies  exté- 
rieures, comin\e  la  mer  Morte ,  plufieurs 
lacs  en  Afrique,  &:c.  D'ailleurs  les  eaux 
de  ces  deux  jçners  ne  font  pas  à  beaucoup 
prèsauffifaiées  que  celles  de  la  Méditer- 
ranée ou  de  l'Océan;  &  tous  les  voya- 
geurs afiurent  que  la  navigation  efl:  très- 
diiïicile  fur  la  mer  Noire  &  (ur  la  mer 
Cafpienne,  à  caufe  de  leur  peu  de  pro- 
fondeur &  de  la  quantité  d'écueils  &  de 
bas-fonds  qui  s'y  rencontrent,  en  forte 
qu'elles  ne  peuvent  porter  que  de  petits 
A^aiiïeaux  (n);  ce  qui  prouve  encore 
qu'elles  ne  doivent  pas  être  regardées 
comme  des  golfes  de  l'Océan,  mais- 
comme  des  amas  d'eau  fermés  par  les 
grands  fleuves  dans  l'intérieur  des  terres. 
Il  arriveroit  peut-être  une  irruption 
confidérable  de  l'Océan  dans  les  terres, 
fi  oncoupoiti'ifthme  qui  fépare  l'Afrique 

(n)   Voyez  les  voyages  de  Pietro  délia  Vaile^ 
vol  111,  jyage  z^6^ 


Théorie  'de  la  Terre.      i  5  t 
de  î'Afie,  comme  les  Rois  dTgypte  , 
&  depuis  ies  Califes  en  ont  eu  le  projet  ; 
&  ie  ne  lai   fi  le   canal  de  communi- 
cation  quon    a  prétendu    reconnoitre 
entre   ces  deux   mers,  eft    aiïez    bien 
conftaté,  car  la  mer  Rouge  doit  être  plus 
élevée  que  la  mer  Méditerranée;   cette 
mer  étroite  eft  un  bras  de  l'Océan  qui 
dans  toute  Ton  étendue  ne  reçoit  aucun 
fleuve  du  côté  de  l'Egypte,  &  fort  peu 
de  l'autre  coté  :  elle  ne  fera  donc  pas 
fujète  à  diminuer  comme  les  mers  ou   es 
lacs  qui  reçoivent  en  même  temps  les 
terres  &  les  eaux  que  les  fleuves  y  ame^ 
nent,  &  qui  fe  remplifTent  peu  à  peu. 
L'Océan  fournit  à  la  mer  Rouge  toutes 
feseaux,  &le  mouvement  du  flux  &  du 
reflux  y  eft  extrêmement  fenfible;  amii 
e'ie  participe  immédiatement  aux  grands 
mouvemens  de  l'Océan.   Mais  la  mer 
Méditerranée  efl  plus  bafi'e  que  l'Océan, 
puifque  les  eaux  y  coulent  avec  une  très- 
p-rande  rapidité  par  le  détroit  de  Gibral- 
far:  d'ailleurs  elle  reçoit  le  Nil  qui  coule 
parallèlement  à  la  côte  occidentale  de  h 
mer  Rouge  &  quitraverfe  l'Egypte  dans 
toute  fa  longueur,    dont  le  terrem  eit 

G  iiij 


I  5  2  Hïfloire  Naturelle. 
par  lui-même  extrêinement  bas  ;  aînfi  lî 
eil  très-vrailemblabîe  que  fa  mer  Rouge 
^'à  plus  élevée  que  la  Méditerranée,  & 
que  ù  on  otoit  la  barrière  en  coupant 
i^illhme  de  Suez,  il  senfuivroit  une 
grande  inondation  &  vaiq  augmentation 
confidérable  de  ia  mer  Méditerranée,  à 
inojns  qu'on  ne  retint  les  eaux  par  des 
dîgues  &  des  éclufes  de  diflance  en  dif^ 
tance ,  comme  il  eil  à  préflimer  qu'on 
i  a  {m  autrefois  ,  fi  i'^mcien  canat  de 
communication  a  exiilé. 

Mais   fims   nous   arrêter  plus   lono-- 
temps  à  des  ccnjedures  qui ,  quoique 
fondées,  pourroient  paroître  trop    ha- 
iardées, ^fur-tout  à  ceux  qui  ne   juaenî 
t^es  pollibilirés  que  par  les  évènenTens 
aduels,  nous  pouvons  donner  des  exem- 
ples récens  &  des  fiits  certains ,  liir  le 
^^hangemcnt  de   mer  en  terre  fo)  &.  de 
terre  en  mer.  A  Y enife  le  fond  de  la  mçr 
Adriatique  s'élève  tous  les  jours,  &  il  y 
a  déjà  long-temps  que  les  lagunes  &  la 
yûk  feroient  partie  du  conttiient,  fi  on 
n  avoit  pas   un  très-grand  Ibin  de  net- 
toyer &  vider  les  canaux  :  il  en  clt  de 
("oj  Vo)  ez  les  prouves,  «r/.  A'IX. 


Théorie  de  la  Terre.       153 

même  de  la  plupart  des  ports ,  à^s  petites 
baies  &  des  embouchures  de  toiues  les 
rivières.    Y^n  Hollande  ,  le   fond   de  la 
mer  s'élève  aufli  en  plufieurs  endroits , 
car  le  petit   golfe   de  Zuyderzee  &  îc 
détroit  du  Texel  ne  peuvent  plus  rece- 
voir de  vaiiïeaux  aufii  grands  qu'autre- 
fois. On  trouve  à  i  embouchure  de  pret^ 
que  tous  les  fleuves,  des  îles,  des  labiés, 
des  terres  amoncele'es  &  amenées  par  les 
eaux  ,  &  il  n'eft  pas  douteux  que  la  mcv 
ne  le  remplifîe  dans  tous  les  endroits  où 
elle  reçoit  de  grandes  rivières.  Le  Rhin 
fe  perd  dans  les  labiés  qu'il  a  lui-même 
îiccumuîés;  le  Danube,  le  Nil  &  tous 
îes  grands  fleuves  ayant  entraîné  beau- 
coup de  teiTern,  n'arrivent  plus  à  la  mer 
par  un  ieul  canal,  mais  ils  ont  plufieurs 
bouches  dont  les  intervalles  ne  font  rem- 
plis que  des  iables  ou  du  limon  qu'ils 
ont  chariés.  Tous  les  jours  on  defsèche 
des  marais,   on  cukive  des  terres  aban- 
données par  la  mer,  on  navige  iur  des 
pays  fubmergés;  enfin  nous- voyons  fous 
nos  yeux  d'affez  grands  changemens  de 
terres  en  eau  &  d'eau  en  terres,  pour  être 
afî Lires  que  cei  changemens  fe  font  faits j. 

G  V 


î  5  4     Hijloîre  Naturelle, 

fe  font  &  le  feront ,  en  forte  qu'avec  îe 
temps  les  golfes  deviendront  des  conti- 
ncns ,  les  ilthmes  feront  un  jour  d^s 
détroits,  les  marais  deviendront  des  terres 
arides,  &  les  fommetsdenos  montagnes 
les  écueiis  de  la  mer. 

Les  eaux  ont  donc  couvert  &  peuvent 
encore  couvrir  fuccelTivement  toutes 
les  panies  des  continens  terreftres ,  & 
dès-lors  on  doit  ceffer  d'être  étonne  de 
trouver  par-tout  des  produdions  ma- 
rines &  une  compofition  dans  l'intérieur 
qui  ne  peut  être  que  l'ouvrage  des  eaux. 
Nous  avons  vu  comment  fe  font  formées 
les  couches  horizontales  de  la  terre ,  mais 
nous  n'avons  encore  rien  dit  des  fentes 
perpendiculaires  qu'on  remarque  dans 
ies  rochers ,  dans  les  carrières ,  dans  les 
argiles ,  &:c.  &  qui  fe  trouvent  aufîl 
généralement  fp)  que  les  couches  hori- 
zontales dans  tomes  les  matières  qui 
compofent  le  globe  ;  ces  fentes  perpen- 
diculaires font  à  la  vérité  beaucoup  plus 
éloignées  les  unes  des  autres  que  les 
couches  horizontales ,  &  plus  les  matières 
font  molles,  plus  ces  fentes  paroiffeiit  être 

(pj  Voyez  les  preuves ,  art,  JCVIU 


Théorie  de  la  Terre,      i  j  5 
éloignées  les  unes  des  autres.  II  eft  fort 
ordinaire  dans  les  carrières  de  marbre  ou 
de  pierre  dure,  de  trouver   des  fentes 
i^erpendiculaires,  éloignées  feulement  de 
quelques  pieds  ;  fi  la  mafle  des  rochers 
eil  fort  grande  ,  on  les  trouve  éloignées 
de   quelques   toifes  ,    quelquefois    elles 
defcendent  depuis  le  fommet  des  rochers 
jufqu'à  leur  bafe,  fouvent' elles  fe  ter- 
minent à  un  lit  inférieur  du  rocher ,  mais 
elles  font  toujours  perpendiculaires  aux 
couches  horizontales  dans  toutes  les  ma- 
tières calcinabies ,  comme  les  craies  ,  les 
marnes,  les  pierres,   les   marbres,   &c. 
au  lieu  qu  elles  font  plus  obliques  &  plus 
irrégulièrement  pofées  dans  les  matières 
vitriîiables,  dans  les  carrières  de  grès  & 
les  rochers  de  caillou ,  où  elles  font  in- 
térieurement garnies  de  pointes  de  crif- 
tal,  &  de  minéraux  de  toute  efpèce  ;  & 
dans  les  carrières  de  marbre  &  de  p'erre 
calcînable ,  elles  font  remplies  de   fjoar, 
de  gypfe ,  de  gravier  &  d'un  fible  ter- 
reux ,  qui  eil  bon  pour  bâtir,   &  qui 
contient  beaucoup  de  chaux;  dans  les 
argiles,  dans  les  craies,  dans  les  marnes 
&  dans  toutes  ki  autres  efpèces  de  terre , 

G  vj  ' 


'i')6       Hîjîoke  Naturelle. 
a  l'exception  des  tufs ,   on  trouve  cey 
tentes  perpendiculaires,   ou   vides,    ou 
remplies  de  quelques  matières  que  l'eair 
y  a   conduites. 

Il  me  iemble  qu'on  ne  doit  pas  aller 
chercher  loin  la  caulè  &  l'origine  de  ces 
fentes   perpendiculaires  ;   coinmc  toutes 
les  matières  ont  été  aoîenées  &  dépofées 
par  les  eaux,  il  cfl    naturel    de   penfer 
qu'elles  étoient  détrempées   &  qu'elles 
contenoient   d'abord  une  grande  quan- 
tité d'eau  ,  peu  à  peu  elles  fe  font  dur- 
cies &  reiîuyées,  &  en  iedefféchant  elles 
ent  dimmué  de  volume,  ce  qui  les  a 
fm  lendre  de  diliance  en  d^mct ,  elles 
-^ni  dû  le  fendre  perpendiculairement 
tarce   que  l'action  de  la  peiànteur   des 
parties  les  unes   fur  lus  autres ,  eft  nulle 
«îans  cette  dueclîon  ,  &  qif au  contraire 
m\i^  efl  tout-à-fiit  oppoiée  à  cette  difrup- 
rwnd^nsh  fituation  horizontale  ,. ce  qui 
®  fait  que  la  diininution  de  volume  n'a 
|)u  avoir  d'effets  fenfibles  que   dans  la 
direclion  verticale.   Je  dis  que  c'eft   h 
dimmuûon  du  volume  par  le  deiïéchel 
Kient  qui  feule  a  produit  ces  fentes  per- 
pendiculaires ,  &que  ce  iVeiî  pas4  cw 


Théoùe  de  h  Terre.  l^f 
Contenue  dans  l'inténeur  de  ces  matières; 
qui  a  cherché  des  iffues  &  qui  a  formai 


CCS 


...  fentes;  car  j'ai  fouvent  obierve  que 
ies    deux  parois   de   ces  fentes  le  re^ 
pondent  dans  toute  leur  hauteur  aulif 
exactement  que  deux  morceaux  de  bois 
qu'on  viendroit  de    fendre;    îeuï   inté- 
rieur eft   rude ,   &    ne  paroit  pas  avoir 
cffuyé  le  frottement  des  eaux  qui  au- 
roient  à  la  longue  poli  &  uie  les  lur- 
faces;  ahifi  ces  fentes  le  font  fûtes  ou 
tout-à-coup  ou  peu  à  peu  par  le  délie- 
chement ,  comme  nous  voyons  les  ger- 
çures le  faire  dans  les   bois ,   &  la  plus 
orande  partie  de  l'eau  s'cll  évaporée  par 
fes   pores.    Mais  nous  ferons  voir  dans 
notre  difcours   fur  les  minéraux,  qu  li 
refte  encore  de  ceue  eau  primitive  dans 
ks  pierres  &  dans  plufieurs  autres  ma^ 
tières  ,  &  qu'elle  fert  à  la  produdion  des 
eriftaux  'dts  minéraux  &  de  plufieurs 
autres  fubftances  terreflres. 

L'ouverture  de  ces  fentes  perpencR- 
culaires  varie  beaucoup  pour  la  gran- 
deur, quelques-unes  n'ont  qu'un  demi- 
pouce ,  un  pouce ,  d'autres  ont  un  pied  ^ 
dtux  pieds  ,  il  y  en  a  qui  ont  quelque o^ 


i  5  8        Hïfioire  Naturelle, 
plufieurs  toiles,  &  ces  dernières  forment 
entre  les  deux  parties  du  rocher  ces  pré- 
cipices qu'on  rencontre  fi  fouvent  d.ns 
i^s  Alpes  &  dans  toutes  ies  hautes  mon- 
tagnes. On  voit  bien  que  celles  dont  l'ou- 
verture efl  petite,  ont  été  produites  par 
le  leuldefTéchement,  mais  celles  qui  pré- 
lentent  une  ouverture  de  quelques  pieds 
de  largeur  ne  fe  font  pas  augmentées  à 
ce  point,  par  cette  feule  caufe,  c'eflauffi 
parce  que  la  bafequi  porte  le  rocher  ou 
les  terres  fupérieures ,  s'efl  affaiffée   un 
peu  plus   d'un  côté  que  de  l'autre,  & 
un  petit  affiiilTement   dans  la  bafe     mr 
exemple,  une  ligne  ou  deux,  fuffit  pour 
produire  dans  une  hauteur  confidérable 
des  ouvertures    de    pîufieurs  pieds,   &: 
même  de  piufieurs  toifes  :  quelquefois 
aulli  \qs  rochers  coulent  un  peu  fur  leur 
baie  de  glaife  ou  de  fable ,  &  les  fentes 
perpendiculaires  deviennent  plus  grandes 
par  ce  mouvement.  Je  ne  parle  pas  en- 
core de  ces   la t-ges  ouvertures,    de   ces 
énormes  coupures  qu'on  trouve  dans  les 
rochers   &  dans    les    montagnes;    elles 
ont  été  produites  par  de  grands  affai/Te- 
iuens,  comme  feroit  celui  d'une  caverne 


Théorie  de  la  Terre',      155 

mtérieure  qui  ne  pouvant  plus  foutcnir 
ie  pokls  dont  elle  efl:  chargée ,  s'affiiifTe 
&:  laifle  un  intervalle  confidérable  entre 
les  terres  fupéneures.  Ces  intervalles  fpnt 
différens  des  fentes  perpendiculaires ,  ils 
paroiflènt  être  des  portes  ouvertes  par 
les  mains  de  la  Nature  pour  la  commu- 
nication des  nations.  C'eft  de  cette  fiiçon 
que  (è  prélentent  les  portes  qu'on  trouve 
dans  les -chaînes  de  monta  ornes  &  les  ou- 
vertures  des  détroits  de  la  mer ,  comme 
les  Thermopyles,  les  portes  du  Caucafe, 
des  Cordillères ,  &c.  la  porte  du  détroit 
de  Gibraltar  entre  les  monts  Calpe  & 
Abyla,  la  porte  de  l'HelIelpont,  &:c. 
Ces  ouvertures  n'ont  point  été  formées 
par  la  fimple  féparation  des  matières , 
comme  les  fentes  dont  nous  venons  de 
parler  (q)^  mais  par  l'affaifTement  &  la 
deftrudion  d'une  partie  même  d^s  terres, 
qui  a  été  engloutie  ou  renverfée. 

Ces  grands  affailTemens ,  qtioique 
produits  par  des  caufes  accidentelles  & 
fecondaires  (r) ,  ne  laiiïent  pas  de  tenir 
une  des  premières  places,  entre  les  pria- 

(q)  Voyez  les  preuves,  art,  XV IL 

(r)  Voyez  iàm^ 


'l6o        Hifloire^K!aîurene. 
cipaux  fliits  de  i'hiftoire  de  la  Terre,  & 
lis  n'ont  pas  peu   contribué  à  chanoer 
ia£ice  du  globe.  La  plupart  iont  ca^Ii- 
i^s  par  des  feux  intérieurs,  dontl'explc^ 
iion  fait  les  trembieniens  de  terre  &  les 
volcans,  rien  n'eit  comparable  à  ia  force 
de  ces  matières  enflammées  &  reffcrrées 
(f)  A'àmX^  fcin  de  la  terre,  on  a  vu  des- 
villes  entières  englouties,  des  provinces 
i^ouleverlées,  des  montagnes  renverfces 
par  leur  elFort  ;  mais  quelque  grande  que 
ioit  cette  violence ,  cS.  quelc|ue  prodigieux 
que  nous   en  paroilîent  les  effets,  îl  ne 
f|iut   pas  croire  que  ces  feux    viennent 
d  un  feu  central ,  comme  quelques  Au- 
teurs l'ont  écrit,  ni  même  qu'ils  viennent 
dune  grande  profondeur,  comme  c'eft 
i  opinion  commune;  car   l'air  ^?i  abfo- 
ïunient  nécefî^iire  à  leur  embrafement  , 
au  moins  pour  l'entretenir.    On    peur 
s  aiTurer  en  examinant  les  mcHières  oui 
iortent  d^s  volcans  dans  les  plus  vio- 
lentes  irruptions  ,   que   le   foyer   de   \x 
matière  enflammée  nV-il  pas  à  une  grande 

7n^  FU  Abn^,,  Voi.  \\,  p.  3  c,  ;.  R^^^ -,  ^.,,,,.,. 
pag.  272.^  fc^  ^        4'      i 


*Tlicor\e  de  la  Terre,       l6t 

profondeur ,  Si  que  ce  font  des  matières 
feinbla}3les  à  celles  qu'on  trouve  fur  la 
croupe  de  ia  montagne ,  qui  ne  font  dé- 
figurées que  par  ia  calcinaiion  &  la  fonte 
des  parties  métalliques  qui  y  font  mêlées; 
&  pour  fe  convaincre  que  ces  matièr^àr 
jetées  par  les  volcans  ne  viennent  pas 
d'une  grande  profondeur,  il  n'y  a  cjii'à 
fiiire  attention  à  la  hauteur  de  ia  mon- 
tagne ,  &  juger  de  la  force  immenfe  qui 
feroit  néceflaire  pour  pouffer  des  pierres 
Si  des  minéraux  à  une  demi-lieue  de  hau- 
teur; car  l'Etna,  i'Hécla  &.  plufieurs 
autres  volcans  ont  au  moins  cette  éléva- 
tion au- de  (fus  des  plaines.  Or  on  fait 
que  l'action  du  feu  le  fait  en  tout  fens  ; 
die  ne  pourroit  donc  pas  s'exercer  en 
haut  avec  une  force  capable  de  lancer  de 
groffes  pierres  à  une  demi-lieue  en  hau- 
teur, ians  réagir  avec  la  même  force  en 
bas  &:  vers  les  côtés  ,  cette  réaclion  auroiî 
bientôt  détruit  &l  percé  la  montagne  de 
tous  côtés,  parce  que  les  matières  qui  la 
compolent  ne  font  pas  plus  dures  cjue 
celles  qui  font  lancées  ;  &  comment 
imaginer  que  la  cavité  qui  fert  de  tuyau 
OU  de  canon  pour  conduire  ces  matières 


I  62        HïjîoWe  Naturelle, 
j^rqu'à  l'embouchure  du  voican  ,  pui/Te 
réfifter  à  une  fi  grande  violence  î  d'ail- 
leurs fi  cette  cavité  defcendoit  fort  bas , 
comme  l'orifice  extérieur  n'efl  pas  fort 
grand,  il  feroit  comme  impoflible  qu'il 
en  fortît  à  la  fois  une  auffi  grande  quan- 
tité de  matières  enflammées  &  liquides , 
parce  qu'elles  fe  choqueroi-ent  entr'elles 
&  contre  les  parois  du  tuyau,  &  qu'en 
parcourant  un  efpace   auffi  long,  elles 
s'éteindrolent  &  fe  darciroient.  On  voit 
fouvent  couler  du  fommet  du  volcan , 
dans  les  plaines,  des  ruiiïeaux  de  bitume 
&  de  foufi-e  fondu  qui  viennent  de  l'in- 
térieur, &  qui  font  jetés  au  dehors  avec 
ies  pierres  &les  minéraux.  Eft-il  naturel 
d'imaginer  que  des  matières  ù  peu  fo- 
iides ,  &  dont  la  maffe  donne  fi  peu  de 
prife  à  une    violente  adion ,   puiiïent 
être  lancées  d'tme  grande  profondeur! 
Toutes  les  obfervations  qu'on  fera  fur  ce 
fujet,  prouveront  que  le  feu  des  volcans 
n'en  pas  éloigné  du  fommet  de  la  mon- 
tagne, &  qu'il  s'en  faut  bien  qu'il  ne 
defcende  au  niveau  des  plaines  (tj. 
Cela  n'empêche  pas  cependant  que 
(t)  Voyez  Borelli,  de  Incendiïs  y£tm,  iTc. 


Théorie  de  la  Terre.       163 

fon  n(5i:ion   ne  fe  faffe  feniir   dans  ces 
piaines  par  des  (ecouiïes  &  des  tremble- 
mens  de  terre  qui  s'étendent  queiquefois 
à   une  très -grande   dillance,   qu'il  ne 
puifTe  y  avoir  des  voies  fouterraines  par 
où  la  flamme  &  la  fumée  peuvent    fe 
communiquer  d'un  volcan  à  un  autre  (u)^ 
Si  que  dans  ce  cas  ils  ne  puiflent  agir  & 
s'enflammer  prefqu'en    même    temps; 
mais  c'efl  du  foyer  de  i'embrafement 
dont  nous  parions ,  il  ne  peut  être  qu'à 
une  petite  diflance  de  la  bouche  du  vol- 
can ,  ÔL  il  n'eft  pas  nécefîaire  pour  pro- 
duire un  tremblement  de  terre  dans  la 
plaine ,  que  ce  foyer  foit  au-deflous  du 
"niveau  de  la  plaine ,  ni  qu'il  y  ait  des 
cavités  intérieures  remplies    du    même 
feu  ;  car  une  violente  explofion ,  telle 
qu'efl  celle  du  volcan ,  peut ,   comme 
celle   d'uii   magafm  à  poudre,  donner 
une  fecoufle  affez  violente  pour  qu'elle 
produife  par  fa  réadion  un  tremblement 
de  terre. 

Je  ne  prétends  pas  dire  pour  cela  qu'il 
n'y  ait  des  tremblemens  de  terre  produits 
immédiatement  par  des  feux  fouterrains , 

fuj  Voyez  Traîi/,  PhiL  Ahrî^'dy  voi.  H;  p.  3  9s* 


^l  ^4        Hipolre  Naturelle, 
mais  il  y  en  a  qui  viennent  de  la  feuîe  cy- 
ploiion  des  volcans  (x).  Ce  qui  confirme 
tout  ce  que  je  viens  d^lv^ncer  à  ce  iujet 
ceft  qu'il  elt   très-rare  de   trouver   dtl 
volcans  dans  les  plaines ,  ils  font  au  con- 
traire tous  dans  les  pkis  hautes  monta- 
gnes, &  ont  tous  leur  bouche  au  fom- 
niet:  fi  le  feu  intérieur  qui  les  confume 
s  etendoit  jufque  deffous  ks  plaines,  né 
le   verroit-on  pas  dans  le  teinps  de  ces 
violentes  éruptions  s'échapper  &  s  ou- 
vrir un  paffiige  au  travers  du  terreiji  des 
plaines  ;  &  dans  le  temps  de  la  première 
éruption  ;  ces    feux   n'auroient  -^  ils  pis 
puuôt  percé  dans  les  plaines  <Si  au  pied 
des  montagnes  où  ils  n'iiufoient  trouve 
qu  unefoibleréfiiiance,  en  comparairon 
iie  ceLe  qu^'ls  ont  dû  éprouver ^  s'il  eil 
vrai  qu'ils  aient  ouvert  &  tendu  une  mon- 
tagne d'une  demi-lieue  de  hauteur  pour 
trouver  une  iiïue. 

^  Ce  qui  fiit  que  les  volcans  font  tou- 
jours dans  les  montagnes,  c'efl  que  les 
mméraux,  les  pyrites  &  les  foufres  fe 
trouvent  en  j)lus  grande  quantité  &  plus 
a  découvert  dans  les  montagnes  que  daiia 
(xj  Woycz  les  preuves ,  an,  X^I, 


Théorie  de  la  Terre.      ï  6f 

îes  plaines,  &  que  ces  lieux  élevés  re- 
cevant plus  ailement  &  en  plus  grande 
abondance  les  pluies  &  les  autres  impre(^ 
fions  de  l'air ,  ces  matières  minérales  qui 
y  font  expofées ,  fe  mettent  en  fermen- 
tation 6l  s'échauffent  jufqu'au  point  de 
s'enflammer. 

Enfin  on  a  fouvent  oblervé  qu'après 
de  violentes  éruptions  pendant  ieiquelles 
le  volcan  rejette  une  très-grande  quan- 
tité de  matières ,  le  fommet  de  la  mon- 
tagne s'aifiille  &  diminue  à  peu  près  de 
la  même  quantité  qu'il  ieroit  néccffûre 
qu'il  diminuât  pour  fournir  les  matières 
répétées;  autre  preuve  qu'elles  ne  vien- 
nent pas  de  la  profondeur  intérieure  dti 
pied  de  la  montagne ,  mais  de  la  partie 
voifine  du  fommet,  &  du  lommet  même. 

Les  tremblemens  de  terre  ont  donc 
produit  dans  pluficurs  endroits  des  af- 
faifîemens  confidérables ,  &  ont  fait 
quelques-unes  dçs  grandes  léparaticns 
qu'on  trouve  dans  les  chaînes  des  mon- 
tagnes :  toutes  les  autres  ont  été  pro- 
duites en  même  temps  que  les  montagnes 
jnêm.es  par  le  mouvement  des  courans 
de  la  mer  ;  ôl  par-tout  où  il  n'y  a  pas 


i66       HïfJohe   Naturelle. 

eu  de  bouleverfement ,  on  trouve  les 
couches  horizontales  &.  les  angles  cor- 
refpondans  des  montagnes  ^y*.  Les  vol- 
cans ont  aulTi  formé  des  cavernes  &:  des 
excavations  fouterraines  qu'il  eli  ailé  de 
diflinguer  de  celles  qui  ont  été  formées 
par  les  eaux ,  qui  ayant  entraîné  de  l'in- 
térieur des  montagnes  les  fibles  &  les 
autres  matières  diviiees  ,  n'ont  iaiiïe  que 
les  pierres  &  les  rochers  qui  contenoient 
ces  fables,  &  ont  ainfi  formé  les  ca- 
vernes que  l'on  remarque  dans  les  lieux 
élevés  :  car  celles  qu'on  trouve  dans 
les  plaines  ne  font  ordinairement  que  des 
carrières  anciennes  ou  des  mines  de  fel 
&  des  autres  minéraux,  comme  la  carrière 
de  Maftricht  &  les  mines  de  Poîoone  , 
&c.  qui  font  dans  les  plaines  ;  mais  les 
cavernes  naturelles  appartiennent  aux 
montagnes,  &  elles  reçoivent  les  eaux 
du  fommet  &  des  environs,  qui  y  tom- 
bent comme  dans  des  réfervoirs,  d'où 
elles  coulent  enfuite  fur  la  furface  de 
ïa  terre  lorfqu'elïes  trouvent  une  ifTue. 
C'eit  à  ces  cavités  que  l'on  doit  attri- 
buer l'origine  des  fontaines  abondantes 
(y)  Voyez  les  preuveS|  aru  XVII^ 


Théorie  de  la  Terre.       i  6j 

êc  des  grofles  fources  ,  &  lorfqu'une  ca- 
verne s'afFaifle  &  le  comble ,  il  s'enfuit 
ordinairement  une  inondation  ^^y. 

On  voit  par  tout  ce  que  nous  venons 
de  dire,  combien  les   feux    fouterrains 
contribuent  à  changer  la  lurface  &  l'in- 
térieur du  globe  :    cette   caulc  ell:  allez 
puiffante  pour  produire  d'aulîi  grands 
effets,  mais  on  ne  croiroit  pas  que    les 
vents  puiïent  caufer  des  altérations  ("û^ 
fenfibles  fur  la  terre  ;   la  mer  paroit  être 
ieur  empire,  &  après  le  fïux  &  le  reflux , 
rien  n'agit  avec  plus  de  puiflance  fur  cet 
élément  ;  même  le  flux  &  le  reflux  mar- 
chent d'un  pas  uniforme ,  &  leurs  effets 
s'opèrent  d'une  manière  égale  &  qu'on 
prévoit,  m.ais  les  vents  impétueux  agil- 
fent ,  pour  ainfi  dire  ,  par  caprice  ,  ils  le 
précipitent  avec  fureur  &  agitent  la  mer 
avec  une  telle  violence ,  qu'en  un  inllant 
cette  plaine  calme  &  tranquille ,  devient 
hérifTée  de  vagues    hautes  comme    des 
montagnes,  qui  viennent  fe  brifer  con- 
tre les  rochers  ôl  contre  les  côtes.  Les 
vents  chtingent  donc  à  tout  moment  la 

^^^  Voyez  Tratif.  Phil,  Ahr,  Vol.  II,  pag.  522, 
(a)  ^o'j^L  les  preuves,  an,  XV, 


ï68         Hijfolre  Natîfrelk. 

face  mobile  de  la  mer  :  mais  la  face  de  % 
terre  c|ui  nous  paroît  fi  folide ,  ne  de- 
vroit-elle'  pas  être  à  l'abri  d'mi  pareil 
effet  l  On  fait  cependant  que  les  vents 
élèvent  des  montagnes  de  fàbie  dans 
l'Arabie  &  dans  l'Afrique,  qu'ils  en  cou- 
vrent \qs  plaines ,  &  c|ue  fouvent  ils 
tranfportent  ces  f ibles  à  de  grandes  fb) 
diflances  &;  julqu'à  plufieurs  lieues  dans 
la  mer  ,  où  ils  les  amoncèlent  en  fi 
grande  quantité  qu'ils  y  ont  formé  des 
bancs,  des  dunes  &  des  îles.  On  lait 
que  les  ouragans  lont  le  fîéau  des  An- 
tilles, de  Madagalcar  &  de  beaucoup 
d'autres  pays,  où  ils  agiiîent  avec  tant  de 
fureur  c|u'ils  enlèvent  quelquefois  les  ar- 
bres, les  plantes,  les  animaux  avec  toute 
la  terre  cultivée;  ils  font  remonter  &  tarir 
les  rivières ,  ils  en  produifent  de  nou- 
velles, ils  renverfenî  les  montagnes  &:  les 
rochers ,  ils  font  des  trous  &  des  gouffres 
dans  la  terre,  &  changent  entièrement 
la  furfice  des  malheureufes  contrées  où 
ils  fe  forment.  Heureuiement  il  n'y  a 
que  peu  de  climats  expofés  â  la  fureur 

(h)  Woy. Bellarmin.  de  AJcen.  viemisinDemi.  Varen» 
Çeogr,  gen,  p.  z^i ,  Yojagcé  Pjrard,  1. 1,  p.  470. 

impétueufc 


Théorie  de  la  Terre»        1 6^ 

Tmpétueufe  de  ces  terribles  agitations  de 
i^iir. 

Mais  ce  qui  produit  les  changemens 
les  plus  grands  &  les  plus  généraux  fur 
ia  furface  de  la  terre ,  ce  font  les  eaux  du 
ciel ,  les  fleuves ,  les  rivières,  les  torrens. 
Leur  première  origine  vient  des  vapeurs 
que  le  foleil  élève  au-deiïus  de  la  ïurfacc 
des  mers,  &  que  les  vents  tran(portent 
dans  tous  les  climats  de  la  terre  ;  ces  va- 
peurs foutenues  dans  les  airs  &  pouflees 
au  orré  du  vent,  s'attachent  aux  ibmmets 
des  montagnes  qu'elles  rencontrent ,  & 
s'y  accumulent  en  ii  grande  quantité  , 
qu'elles  y  forment  continuellement  ôqs 
nuages  &  retombent  ince(îîimment  en 
forme  de  pluie ,  de  rofée  ,  de  brouillard 
ou  de  neio-e.  Toutes  ces  eaux  font  d'à- 

o 

bord  defcendues  dans  les  plaines  fc)  fuis 
tenir  de  route  fixe ,  mais  peu  à  peu  elles 
ont  creufé  leur  lit,  &  cherchant  par  leur 
pente  naturelle  les  endroits  les  plus  bas 
de  la  montagne  &  les  terreins  les  plus 
£iciles  à  diviièr  ou  à  pénétrer ,  elles  ont 
entraîné  les  terres  &  les  fibles ,  elles  ont 
formé  des  ravines  profondes  en  coulant 
(c)  Voyez  les  preuves,  art,  X  CT  XV Hh 

Tome  L  H 


liyo        Hîjloîre  Naturelle, 

avec  rapidité  clans  ies  plaines,  elles  fè' 
iont  ouvert  des  chemins  jufqu'à  la  mer, 
qui  reçoit  autant  d'eau  par  les  bords 
qu'elle  en  perd  par  l'évaporation;  &:  de 
inême  que  les  canaux  &  les  ravines  que 
les  fleuves  ontcreulés,  ont  des  finuo- 
iités  &  des  contours  dont  ies  ano"Ies  font 
correlpondans  entr'eux  ,  en  iorte  que 
l'un  des  bords  formant  un  anoxie  iaiiiant 
dans  les  terres,  le  bord  oppoië  fiiit  tou- 
jours un  angie  rentrant,  les  montagnes 
&  les  collines  qu'on  doit  regarder  comme 
îes  bords  des  valltes  qui  ies  féparent ,  ont 
auiîi  des  finuolués  correfpondantes  de 
ïa  même  fliçon ,  ce  qui  fembie  démon- 
trer que  ies  vallées  ont  été  les  canaux 
des  courans  de  la  mer  ^  qui  les  ont  creu- 
fés  peu  à  peu  &  de  la  même  manière 
que  les  fleuves  ont  creufé  leur  lit  dans 
îes  terres. 

Les  eaux  qui  roulent  fur  la  furfàce  de 
ia  terre  &:  qui  y  entretiennent  la  ver- 
dure &  la  fertilité  j  ne  font  peut-être 
que  la  plus  petite  partie  de  celles  que  les 
vapeurs  produifent  ;  car  il  y  a  des  veines 
d'eau  qui  coulent  &  de  l'humidité  qui 
fe  filtre  à  de  grandes  profondeurs  dans 


Thcorie  Ae  h  Terre,        171: 

riiitérieui:  de  la  terre.  Dans  cfc  certains 
lieux,  ea  quelque  endroit  qu'on  fouille, 
on  e(l  fur  de  fiiirc  un  puits  &  de  trouver 
de  l'eau;  dans  d'autres  on  n'en  trouve 
])oint  du  tout;  dans  prclque  tous  les 
valions  &  les  plaines  baffes  on  ne  manque 
guère  de  trouver  de  l'eau  à  une  profon- 
deur médiocre;  au  contraire,  dans  tous 
les  lieux  élevés  &  dans  toutes  les  plaines 
en  montagne,  on  ne  peut  en  tirer  du  feia 
de  la  terre ,  &  il  f  lut  ramafTer  les  eaux  du 
ciel.  Il  y  a  des  pays  d'une  vafic  étendue 
où  l'on  n'a  jamais  pu  faire  un  puits  &  où 
toutes  les  eaux  qui  fervent  à  abreuver  les 
habitans  (Scies  animaux  font  contenues 
dans  des  mares  &des  citernes.  En  Orient, 
fur-tout  dans  l'Arabie,  dans  l'Egypte, 
dans  la  Perfè,  &c.  les  puits  font  extrê- 
mement rares  aufli-bien  que  les  fources 
d'eau  douce ,  &  ces  peuples  ont  été 
obligés  de  faire  de  grands  réiervoirs 
pour  recueillir  les  eaux  des  pluies  &  des 
neiges  :  ces  ouvrages  fiits  pour  la  né- 
ceiîité  publique  ,  font  peut-être  les  plus 
beaux  &  les  plus  magnifiques  monumens 
des  Orientaux;  il  y  a  des  réfervoirs  qui 
ont  jufqu'à  deux  lieues  de  furfice  .  &.qui 

Hij 


\ljz  'Hifîohe  Naturelle. 
jfèrvent  à  arrofer  &:  à  abreuver  une  pro^ 
viiice  entière ,  au  moyen  des  laignées  & 
écs  petits  ruifTeaux  qu'on  en  dérive  de 
tous  côtes.  Dans  d'autres  pays  au  con- 
traire ,  comme  dans  les  plaines  où  cou- 
lent les  grands  fleuves  de  la  terre  ,  on  ne 
peut  pas  fouiller  un  peu  profondément 
ians  trouver  de  l'eau  ,  &l  dans  un  camp 
fitué  aux  environs  d'une  rivière ,  fouvent 
chaque  tente  a  fon  puits  au  moyen  de 
quelques  coups  de  pioche. 

Cette  quantité  d'eau  qu'on  trouve 
par-tout  dans  les  lieux  bas ,  vient  des 
terres  liipérieures  &  des  collines  voifines, 
au  moins  pour  la  plus  grande  partie, 
cardans  le  temps  des  pluies  &  de  la  fonte 
des  neiges, une  partie  des  eaux  coule  fur 
3a  furface  de  la  terre ,  &  le  refîe  pénètre 
dani.  l'intérieur  à  travers  les  petites  fentes 
des  terres  &  des  rochers;  &  cette  eau 
fourcille  en  différens  endroits  lorfqu'elle 
trouve  des  iffues ,  ou  bien  elle  ie  filtre 
dans  les  fables  ,  &  lorfqu'elle  vient  à  trou- 
ver un  fond  de  glaife  ou  de  terre  ferme 
&  folide,  elle  forme  des  lacs,  des  ruif- 
feaux ,  &  peut-être  des  fleuves  fouter- 
itains  dont  k  cours  &  l'embouchure  iiou^ 


TluGrie  de  la  Terre,        173 

font  inconnus,  mais  Jont  cependant  par 
ies  loix  de  la  Nature  ie  mouvement  ne 
peut  fe  fiiire  qu'en  allant  d'un  lieu  plus 
élevé  dans  un  lieu  plus  bas,  &  par  con- 
icquent  ces  eaux  Ibuterraines  doivent 
tomber  dans  la  mer  ou  (e  raflembler  dans 
quelque  lieu  bas  de  la  terre ,  foit  à  la 
ilirfàce  ,  foit  dans  l'intérieur  du  globe  ; 
car  nous  connoKTons  fur  la  terre  quel- 
ques lacs ,  dans  iefquels  il  n'entre  &  deP 
quels  il  ne  fort  aucune  rivière ,  &  il  y 
en  a  un  nombre  beaucoup  plus  grand 
qui  ne  recevant  aucune  rivière  coniidé- 
rabîe,  font  les  fources  des  plus  grands 
fleuves  de  la  terre,  comme  les  lacs  du 
fleuve  Saint- Laurent,  le  lac  Chiamé  , 
d'où  fbrtent  deux  grandes  rivières  qui 
arrofent  les  royaumes  d'Afem  &  de  Pégu, 
les  lacs  d'Afîiniboïis  en  Amérique,  ceux 
d'Ozera  en  Mofcovie,  celui  qui  donne 
naiiTance  au  fleuve  Bocr    celui  dont  fort 

o 

la  grande  rivière  Irtis,  &:c.  &  une  infinité 
d'autres  qui  femblent  être  les  réfervoirs 
(d)  d'où  la  Nature  verle  de  tous  côtés  les 
eaux  qu'elle  diftribue  fur  la  furfiice  de 
la  terre.  On  voit  bien  que  ces  lacs  ne 
(d).  Voyez  les  preuves ,  art,  XL 

H  iij 


Î74  Hipoire  Naturelle. 
peuvent  être  produits  que  par  les  eaux 
des  terres  fuperieures  qui  couient  par  de 
petits  canaux  louterrains  en  ie  filtrant  à 
travers  les  graviers  &  les  iabies,  &  vien- 
nent toutes  Te  raffeinbler  dans  les  lieux 
les  plus  bas  où  ie  trouvent  ces  grands 
iimas  d'eau.  Au  refte  il  ne  faut  pas  croire, 
comme  quelques  gens  l'ont  avancé,  qu'il 
fe  trouve  des  lacs  au  ionimet  des  plus 
hautes  montagnes;  car  ceux  qu'on  trouve 
dans  les  Alpes  &  dans  les  autres  lieux 
hauts ,  font  tous  furmontés  par  des  terres 
heaucoup  plus  hautes,  &  font  au  pied 
d'autres  montagnes  peut-être  plus  élevées 
«que  les  premières,  ils  tirent  leur  origine 
des  eaux  qui  coulent  à  l'exteTieur  ou  fe 
filtrent  dans  rintérieur  de  ces  montagnes, 
tout  de  même  que  les  eaux  des  vallons  & 
des  plaines  tirent  leur  fource  des  collines 
voiiines  &l  des  terres  plus  éloignées  qui 
les  lurmontent. 

Il  doit  donc  fe  trouver,  &  il  fe  trouve 
^UQ-^Qi  dans  l'intérieur  de  la  terre,  des 
îacs  &  des  eaux  répandues  ,  lur-tout  au- 
deiïbus  des  plaines  (e)  &  des  grandes 
vallées  ;  car  les  montagnes ,  les  collines  tk. 

(ej  Voyez  les  preiivo- ,  aru  XV  111^ 


Théorie  de  la  Terre,         175 

toutes  les  hauteurs  qui  flinnontent  les 
terres  bafTes ,  font  découvertes  tout  autour 
&  préfentent  dans  ieur  penchant  une 
coupe  ou  perpendiculaire  ou  inclinée , 
dans  l'étendue  de  laquelle  les  eaux  qui 
toinbent  fur  ie  fommet  de  ia  montagne 
ik  ftir  les  plaines  élevées,  après  avoir  pé- 
nétré dans  les  terres,  ne  peuvent  man- 
quer de  irouver  ifîiie  &:  de  fortir  de  plu- 
fieurs  endroits  en  forme  de  fources  &  de 
fontaines  ,  <5c  par  conféquent  il  n'y  aura 
que  peu  ou  point  d'eau  ious  les  monta- 
gnes. Dans  les  plaines  au  contraire,  comme 
i'eau  qui  le  filtre  dans  les  terres  ne  peiit 
trouver  d'iiïue,  il  y  aura  des  amas  d'eau 
fcuterrains  dans  les  cavités  de  la  terre,  & 
Vl^&  grande  quantité  d'eau  qui  fuintera  à 
travers  les  fentes  des  crlaifes  &  des  terres 
fermes,  ou  cjui  fe  trouvera  difperfée  & 
dîviiée  dans  les  ^raviers  &  dans  les  fables. 
C'eil:  cette  eaû  qu'on  trouve  par-tout 
dans  les  lieux  bas  ;  pour  l'ordinaire  le 
foLid  d'un  pivits  n'efi:  autre  chofe  qu'un 
pe  it  baflin  dans  lequel  les  eaux  qui 
fij'ntent  des  terres  voifines,  fe  ralfem- 
bîent  en  tombant  d'abord  goutte  à 
goutte^  ckenluiîe  erf filets  d'eau  continu^ 

■  H  iii; 


jy6        Hiflolre  Naturelle* 

lorfqiie  les  raines  font  ouvertes  aux  eduy 
ks  plus  éloignées  ;  en  forte  qu'il  efl:  vrai 
de  dire  que  quoique  dans  les  plaines 
hafles  ,  on  trouve  de  l'eau  par- tout ,  on 
ne  pourroit  cependant  y  fliire  qu'un  cer- 
tain nombre  de  puits,  proportionnés  à 
ia  quantité  d'eau  difperfée  ,  ou  plutôt  à 
l'étendue,  des  terres  plus  élevées  d'où  ces 
eaux  tirent  leur  (ource. 

Dans  ia  plupart  des  plaines,  il  n'eft 
pas  nécefTaire  de  creufer  jufqu'au  niveau 
de  la  rivière  pour  avoir  de  l'eau,  on 
la  trouve  ordinairement  à  une  moindre 
profondeur,  &  il  n'y  a  pas  d'apparence 
que  l'eau  des  fleuves  &  des  rivières 
s'étendent  loin  en  fe  filtrant  à  travers  les 
terres  ;  on  ne  doit  pas  non  plus  leur 
attribuer  l'oricrine  de  toutes  les  eaux 
qu'on  trouve  au-defTous  de  leur  niveau 
dans  l'intérieur  de  la  terre ,  car  dans  les 
îorrens ,  dans  les  rivières  qui  tariffent , 
dans  celles  dont  on  détourne  le 
cours ,  on  ne  trouve  pas  ,  en  fouillant 
dans  leur  lit ,  plus  d'eau  qu'on  n'eu 
trouve  dans  les  terres  voifines ,  il  ne 
faut  qu'une  langue  de  terre  de  cinq  ou 
fix  pieds  d'épailfeur  pour  contenir  l'eau 


Théorie  de  la  Terre'.        177 
&^ l'empêcher  de  s'échapper,  &  j'ai  fou- 
vent   obfervé   que  les   bords  des    ruil- 
feaux  &  à&s   mares  ne   font  pas  fenfi- 
blement  humides  à  fix  pouces  de  dif^ 
tance.   II  eft  vrai   que  l'étendue   de  la 
fihradon    eft   plus    ou    moins    grande 
félon  que  le  terrein  eft  plus  ou  moins 
pénétrabïe  ;    mais  fi  l'on   examine    les 
ravines  qui  fe    forment   dans  les  terres 
&  même  dans  les  fables ,  on  reconnoîtra 
que    l'eau    paffe    toute  dans    le    petit 
elpace  qu'elle  fe   creuie  elle-même,   & 
qu'à    peine  les   bords  font  mouillés   à 
quelques  pouces   de  diflance  dans   ces 
fables  :  dans  les  terres  végétales  même , 
OÙ  la  fïltration  doit  être  beaucoup  plus 
grande  que  dans  les  fables  &   dans  les 
autres  terres ,   puifqu'elie   efl;  aidée   de 
la    force    du  tuyau   capillaire,   on    ne 
s'aperçoit  pas  qu'elle  s'étende  fort  loin. 
Dans  un  jardin  onarro(è  abondamment 
&   on  inonde  y  pour    ainfi   dire,    une 
planche,  fans  que  les  planches  voifines 
s'en  refTentent  confidéi-ablcment  :  j'ai  re- 
marqué en  examinant  de  gros  monceaux 
de  ter ie  de  jardin  de  huit  ou  dix  pieds 

H  y 


il/S         Hijloïre  Naturelle. 

d'épaifieur  ,  qui  n'avoieiit  pas  été  remués 

depuis  quelques  années  &  dont  le  fommet 

étoit  à  peu  près  de  niveau ,  que  l'eau 

des  piuies  n'a  jamais  pénétré  à  plus  de 

trois  ou   quatre  pieds  de  profondeur; 

en   foîte   qu'en  remuant  cette  terre  au 

printemps  après  un  hiver  fort  humide ,, 

j'ai  trouvé  la  terre  de  l'intérieur  de  ces 

morceaux    aulîî  sèche   que  quand    on 

i'avoit    amoncelée.    J'ai    fliit  la   même 

obfervation   fur   des   terres    accumulées 

depuis  près  de  d-eux  cents  ans  ;  au-defîous 

de  trois  ou  quatre  pieds  de  profondeur 

3a  terre  étoit  aufli  sèche  que  la  pouffièrey 

ainfi  l'eau   ne   fe   communique   ni    ne 

s'étend  pas    aulTi    loin  qu'on  le    croit 

par  la  feule  filtration  :  cette  voie  n'en 

fournit  dans  l'intérieur  de  la  terre  que 

h.  plus  petite  partie  ;    mais    depuis    la 

furfàce  jufqu'à  de  grandes  profondeurs 

l'eau  defcend  par  fon  propre  poids  :  elle 

pénètre  par  des  conduits  naturels  ou  par 

de  petites   routes   qu'elle   s'ell:  ouvertes 

elle-mêi^ne ,  elle    fuit  les  racines  des  ar- 

fcres ,  les >fentes  des  rochers,  les  interftices 

des  terres ,   &  fe  divife  &  s'étend  d^ 


Théorie  Je  la  Terre.        'i/c^ 

i^ous  côtés  en  Une  infinité  de  petits  ra- 
meaux &  de  filets  toujours  en  defcendant , 
jufqu'à  ce  qu'elle  trouve  une  iiïue  après 
avoir  rencontré  la  glaife  ou  un  autre 
terrein  folide  fur  lequel  elle  s'eft  raf- 
lenibléc. 

Il  feroit  fort  difficile  de  ftire  une 
évaluation  un  peu  julte  de  la  quantité 
des  eaU'X  fouterraines  qui  n'ont  point 
d'iffue  apparente  Cf).  Bien  des  gens  ont 
prétendu  qu'elle  furpaîloit  de  beaucoup 
celle  de  toutes  les  eaux  qui  font  à  ia  fur- 
fâce  de  ia  terre,  &  lans  parier  de  ceux  qui 
ont  avancé  que  rintérieur  du  globe  éroit 
nbfolument  rempli  d'eau,  il  y  en  a  qui 
croient  qu'il  y  a  une  infinité  de  fleuves  , 
de  ruifieaux ,  de  lacs  dans  la  profondeur 
de  la  terre  :  m.ais  cette  opinion ,  quoicjue 
commune ,  ne  me  parou  pas  fondée ,  &  je 
crois  que  la  quantité  des  eaux  louterraines 
CTui  n'ont  point  d'ifîue  à  la  furface  du 
globe ,  n'eft  pas  confidérable  ;  car  s'il 
y  avoit  un  fi  grand  nombre  de  rivières 
fouterraines  ,  pourquoi  ne  verrions-nous 

//;  Vc-ez  ks  preuves,  <2rr.  :i,  XI  ^^  ^Vllh  ' 


I  8  o        EîJIolre  Naturelle.  ' 

pas  à  la  furflice  de  la  terre  les  embou- 
chures de  quelques-unes  de  ces  rivières, 
&  par  conféquent  des  fources  grofles 
comme  des  fleuves!  D'ailleurs  les  rivières 
&  toutes  les  eaux  courantes  produifent 
des  changemens  trés-confidérables  à  ia 
furface  de  la  terre  ;  elles  entraînent  les 
terres ,  creufent  les  rochers ,  déplacent 
tout  ce   qui  s'oppofe   à   leur  pafTage  : 
il  en  feroit  de  même  des  fleuves  fouter- 
jrains ,  ils    produiroient   des    aïte'rations 
fenfibles  dans  l'intérieur  du  globe  ;  mais 
on  n'y  a  point  obiervé  de  ces  change- 
mens produits  par    le  mouvement  é^s 
eaux ,  rien   n'eft  déplacé  ;    les  couches 
parallèles  &  horizontales  fubfiflent  par- 
tout ,  les   différentes  matières    gardent 
par-tout  leur  pofition  primitive ,   &  ce 
ja'efl:  qu'en  fort  peu  d'endroits  qu'on  a 
obfervé   quelques  veines  d'eau  fouier- 
ïaines  un  peu  confidérables.  Ainfi  l'eau 
ne  travaille  point  en  grand  dans  l'inté- 
rieur de  la  terre,  mais  elle  y  fait    bien 
de  f  ouvra cre  en  petit  :    comme  elle  effc 
divifée  en  une  infinité  de  filets ,  qu'elle 
cft  retenue  par  autant  dobftacles,    ^ 


Théorie  de  la  Terre,  i  8  il 
enfin  qu'elle  ell  difperfée  prefqiie  par- 
tout, elle  concourt  immédiatement  à  la 
formation  de  plufieurs  fubflances  ter- 
reftres  qu'il  faut  diftinguer  avec  foin 
des  matières  anciennes ,  &  qui  en  effet 
en  diffèrent  totalement  par  leur  forme 
de  par  leur  organiiation. 

Ce   font  donc   les  eaux  rafîemblées 
dans  ia  vafte  étendue  des  mers,  qui,  par 
le  mouvement  continuel  du  flux  &  du 
reflux,  ont  produit  les  montagnes,  les 
vallées  &  les  autres  inégalités  de  la  terre  ; 
ce  font  les   courans  de  la  mer  qui  ont 
creufé  les  vallons  &  élevé  les  collines  en 
leur  donncnit  des  diredions  corre(j3on- 
dantes  ;  ce  font  ces  mêmes  eaux  de  la 
mer,   qui  en  tranfportant  les  terres,  les 
ont  difpofées  les  unes  flir  les  autres  par 
lits  horizontaux  ,  &  ce  font  les  eaux  du 
ciel  qui  peu  à  peu  détruifent  l'ouvrage  de 
h.  mer,   qui  rabaifîent  continuellement 
ia  hauteur  des  montagnes,  qui  comblent 
les  vallées,  les  bouches   des  fleuves   & 
les  golfes ,  &  c[ui  ramenant  tout  au  ni- 
veau ,  rendront  un  jour  cette  terre  à  la 
ïiier,  qui  s'en  emparera  fucceffiyement;» 


\1%1        HïJIolre  Naturelle,  Vrc: 
eil  laiiïant  à    découvert  de   iiouveauTC 
continens  entrecoupés  de  vallons  &   de 
nioniagnes ,  &   tout  ièmblables  à  ceux; 
que  nous  habitons  aujourd'hui. 

A  Montbard  k  ^  Oéîobre  1744» 


PREUVES 

DELA 

THÉORIE 

DE  LA  TERRE, 


Ficitque  cadend» 

Undique  ne  caderet, 

^  Maniî, 


TOTTU  I. 


T.  18  s. 


-±=^0: 


f/^%u  p'bj  /a£^/J  /uj^Jkm.^ 


i85 

PREUVES 

DE   LA 

THÉORIE  DE  LA  TERRE, 
ARTICLE    L 

De  la  formation  des  Planètes, 

NOTRE  objet  étant  l'Hidoire  Na- 
turelle ,  nous  nous  difpenienons 
volontiers  de  parler  d'Aftronoinie  ;  mais 
ia  Phyfique  de  la  tjerre  tient  à  la  Phy- 
fique  célelle ,  &  d'ailleurs  nous  croyons 
que  pour  une  plus  grande  intelligence 
de  ce  qui  a  été  dit,  il  eft  néceflaire  de 
donner  quelques  idées  générales  fur  ia 
formation ,  le  mouvement  &  ia  figure  de 
la  Terre  &  des  Planètes. 

La  Terre  eft  un  globe  d'environ  trois 
mille  lieues  de  diamètre ,  elle  eft  ftiuéc 
à  trente  millions  de  lieues  du  Soleil, 
autour  duquel  elle  fait  la  révoludon  en 
trois  cents  foixante-cinq  jours.  Ce  mou- 
vement de  révolution  eil  le  réiuitat  de 


1 

'î8^        H'phe   Natwe/ie.  \ 

deux  forces ,  l'une  qu'on  peut  fe  repre-  t 
fenter  comme  une  im.puiiion  de  droite  \ 
à  gauche ,  ou  de  gauche  à  droite  ,  & 
i'autre  cojiime  une  attraction  du  haut  en 
bas,  ou  du  bas  en  haut  vers  un  centre. 
La  direction  de  ces  deux  forces  oc  leurs 
quantités  font  combinées  &  propor- 
tionnées de  fiçon  qu'il  en  ré  fuite  un 
mouvement  prefque  uniforme  dans  vd\Q 
eliipfe  fort  approchante  d'un  cercle.  Sem- 
blable aux  autres  planètes,  la  terre  eft 
opaque,  elle  fait  ombre,  elle  reçoit  & 
réfléchit  la  lumière  du  foleil ,  &  elle 
tourne  autour  de  cet  aflre  fuivant  les 
loix  qui  conviennent  à  fa  diliance  &  à 
{'à  denfité  reiaîi\  e  ;  elle  tourne  aufîi  fur 
elle-même  en  vingt-quatre  heures ,  &  ' 
Taxe  autour  duquel  le  fiit  ce  mouvement  | 
de  rotation  ,  eft  incliné  de  foixante-fix 
degrés  &  demi  fur  le  plan  de  forbiie 
de  (a  révolution.  Sa  figure  eft  celle  d'un 
iphéroïde  dont  les  d'^wx  axes  diftèrent 
d'environ  une  cent  foixanie  &  quin- 
zième partie  ,  &  le  plus  petit  axe  eft-  celui 
autour  duquel  le  fait  la  rotation. 

Ce  font-là  les  principaux  phénomènes 
de  la  terre ,  ce  font-ià  les  réfultats  des 


Théorie  de  la  Terre,  î  8/ 
,  omaJes  découvertes  que  l'on  a  fiiîte5 
par  le  moyen  de  la  Géométrie,  de 
l'Allronomie&  delà  Navigation,  Nous 
n'entrerons  point  ici^  dans  ie  détail 
i qu'elles  exigent  pour  être  démontrées, 
&  nous  n'exajnineroDS  pas  comment  on 
ed  venu  au  point  de  s'afîurer  de  la  vérité 
de  tous  ces  faits,  ce  feroit  répéter  ce 
qui  a  été  dit;  nous  ferons  feulement 
quelques  remarques  qui  pourront  lervir 
à  éclaircir  ce  qui  eil  encore  douteux  ou 
contefté  ,&  en  même  temps  nous  donne- 
rons nos  .idées  au  fajet  de  la  formation 
des  planètes ,  &  des  différens  états  par  où 
il  elt  poffible  qu'elles  aient  paffé  avant 
que  d'être  parvenues  à  i'état  où  nous  les 
voyons  aujourd'hui.  On  trouvera  dans 
la  fuite  de  cet  ouvrage  des  extraits  de 
tant  de  fyilèmes  &  de  lant-d'hypothèfes 
fur  la  formation  du  globe  terreilre,  iur 
les  différens  états  par  où  il  a  pafie  & 
fur  les  changemens  qu'il  a  fubis  ,  qu'on 
ne  peut  pas  trouver  mauvais  que  nous 
joio-nons  ici  nos  conjedures  à  celles 
des  Philofophes  qui  ont  écrit  fur  ces 
matières;  &:  fur -tout  lorfqu'on  verra 
que  nous  ne  les  donnons  en  effet  que 


"^i88        Hïjloire  Naturelles 

pour  de  fimples  conjcL^ures ,  auxquelles 
nous  prétendons  feulement  affigner  un 
plus  grand  degré  de  probabilité  qu'à 
toutes  celles  qu'on  a  fiites  lur  le  inêiue 
lujet;  nous  nous  refufons  d'autant  moins 
à  publier  ce  que  nous  avons  penfé  lur 
cette  matière  ,  que  nous  efpérons  par-là 
mettre  le  lecfteur  plus  en  état  de  pronon- 
cer fur  la  grande  difîercnce  qu'il  y  a  entre 
une  hypothèie  où  il  n'entre  que  des 
poffibilités ,  &  une  théorie  fondée  fur 
des  fiits ,  entre  un  fyftème  tel  que  nous 
allons  en  donner  un  dans  cet  article  far 
îa  formation  &  le  premier  état  de  la  terre, 
iSi  une  hiftoire  phyfique  de  fon  état 
îiduel ,  telle  que  nous  venons  delà  donner 
dans  le  difcours  précédent» 

Galilée  ayant  trouvé  la  loi  de  ïa  chute 
des  corps,  &  Kepler  ayant  obfervé  que 
les  aires  que  les  planètes  principales 
décrivent  autour  du  foleil ,  &  celles  que 
les  fttellites  décrivent  autour  de  leur 
planète  principale ,  font  proportionnelles 
aux  temps,  &  que  les  temps  des  révo- 
iutions  des  planètes  &  des  fatellites  font 
propornonnels  aux  racines  quarrées  des 
cubes  de  leurs  diftances  au  foleii  ou  à 


Théorie  de  h  Terre,        i8^ 

îeurs  planètes  principales ,  Newton  trou- 
va que  la  force  qui  fait  tomber  les  gra- 
ves îur  ia  lurfice  de  ki  terre,   s  étend 
jufqu'à  ia  lune  &   la  retient  dans    fou 
orbite  ;    que    cette    force    diminue    en 
même  proportion  que  le  quarré  de  ia 
diRance  augmente  ,  que  par  conféquent 
la  lune  ell   attirée  par  ia  terre ,  c|ue  ia 
i  terre  &  toutes  les  planètes  ibnt  attirées 
I  par  le  foleil ,  &  qu'en   général  tous  les 
i  corps  qui  décrivent  autour  d'un  centre 
i  ou  d'un  foyer  des  aires  proj^ortionnelles 
I  au  temps ,  font   attirés    vers    ce  point, 
I  Cette  force  que  nous  connoifTons  fous 
ie  nom  de  pefanteur,  eft  donc    généra- 
iement  répandue  dans  toute  la  matière  : 
les  planètes,   les  comètes,  le  ioleil,  la 
terre,  tout  eft  fujet  à  fes  loix  ,  &  elle  fert 
de  fondement  à  i'Iiarmonie  de  l'Univers; 
:  îious  n'avons  rien  de  mieux  prouvé  en 
\  Phyfique  que  l'exiflence  actuelle  &  indi- 
viduelle de  cette  force  dans  les  planètes, 
I  dans  le  foleil ,  dans  la  terre  &  dans  toute 
ia   matière  que  nous  touchons  ou  que 
nous   apercevons.   Toutes  les  obferva- 
îions  ont  confirmé  l'effet  aduel  de  cette 
force,  &  ie  calcul  en  a  déterminé  la 


'ïpo        Hiflehe  Naturelle: 

qtianiité  &.  les  rapports;  l'exaditude  cfeS 
Géomètres  &:  ia  vioilance  des  Allro- 
nomes  atteignent  a  perne  a  la  precilion 
de  cette  mécanique  célefle,  &  à  la  re'gu- 
kfité  de  Tes  effets. 

Cette  eau  le  ^^éneraîe  étant  connue ,  on 
en  déduiroit  aiiëment  les  phénomènes , 
il  l'aélion  des  forces  qui  les  produilent, 
n'étoit  pas  trop  combinée  ;  mais  qu'on 
iè  repréfente  un  moment  le  fyflème  du 
monde  lous  ce  point  de  vue ,  &  on 
i^ntira  quel  cahos  on  a  eu  à  débrouiller. 
Les  planètes  principales  font  attirées 
par  le  fokil,  le  foleil  efl  attiré  par  les 
planètes,  les  lateilites  font  aufîi  attirés 
par  leur  planète  principale,  chac[ue 
planète  ed  attirée  par  toutes  les  autres , 
ëi  qWq  les  attire  aufîi  :  toutes  ces  a<fl:ions 
&.  réadions  varient  fuivant  les  mafîès  & 
ks  diftances  ,  elles  produifent  des  iné- 
galités, des  irrégularités  ;  comment  com- 
biner &:  évaluer  une  fi  grande  quantité 
de  rapports  î  Paroit-il  po(îible  au  milieu 
de  tant  d'objets  ,  de.  fuivre  un  objet 
particulier  l  Cependant  on  a  furmontc 
ces  difficultés,  le  calcul  a  coîifirmé  ce 
que  ia  raifon  avoit  foupçonné  ;  chaquçt 


TJiéone  de  la  Terre]  i  p  f 
obfcrvation  e(t  devenue  une  nouvelle 
(Jénioniiraiion,  &  l'ordre  fyllématique 
de  l'Univers  ell  à  découvert  aux  yeux 
de  tous  ceux  qui  flivent  reconnoître  la 
vérité'. 

\j]\^  feule  chofe  arrête ,  &  efl  en  efîèt 
ndépendante  de  cette  The'orie  ,  c'efl  la 
force  d'impulfion  ,ron  voit  évidemment 
que  Qé\Q  d'attraction  nrant  toujours  les 
planètes  vers  le  ibleil,  elles  tomberoient 
en  ligne  perpendiculiiire  fur  cet  aflre, 
fi  elles  n'en  étoient  éloignées  par  une 
autre  force,  qui  ne  peut  être  qu'une 
impuifion  en  ligne  droite,  dont  ït'^^i 
s'excrcerolt  dans  la  tangente  de  l'orbitej 
fi  la  force  d'attraélion  ceiToit  un  infîant. 
Celte  force  d'impulfion  a  certainement 
été  communiquée  aux  afl:re$  en  général 
par  la  main  de  Dieu,  lorfqu'elle'donna 
fe  branle  à  l'Univers  ;  mais  comme  on 
doit ,  autant  qu'on  peut ,  en  Phyfique 
s*abllenir  d'avoir  recours  aux  caufes  qui 
font  hors  de  la  Nature,  il  irje  paroît 
"que  dans  le  fyftème  folaire  on  peut 
rendre  raifon  de  cette  force  d'impuifioa 
d'une  manière  afTez  vrailemblable ,  <$c 
qu'on  peut  eu  trouver  une  caufe  doiU 


'I92         Hifloire  Naturelle, 

i'effet  s'accorde    avec  les  règles   de  l'X 

o 

Me'caniqiie ,  &  qui  d'ailleurs  ne  s'é- 
loigne pas  des  idées  qu'on  doit  avoir 
au  liijet  des  changemens  &  des  révolu- 
tions qui  peuvent  6t  doivent  arriver  dans 
l'Univers. 

La  vafle  étendue  du  fyftème  folaire, 
ou,  ce  qui. revient  au  même,  la  Iphère 
<fe  J'attradion  du  foleil  ne  fe  borne  pas 
à  l'Orbe  des  planètes,  même  les  plus 
éloignées ,  mais  elle  s'étend  à  une  diflance 
indérinie  ,  toujours  en  décroiflant ,  dans 
la  même  raifon  que  le  quarré  de  la 
diftance  augmente  :  il  eft  démontré  que 
ies  comètes  qui  fe  perdent  à  nos  yeux 
dans  la  profondeur  du  ciel,  obéifTent  à 
cette  force  ,  &  que  leur  mouvement, 
comme  celtd  des  planètes ,  dépend  de 
î'attradion  du  loleil.  Tous  ces  aftres 
dont  les  routes  font  fi  différentes ,  décri- 
vent autour  du  foleil ,  des  aires  propor- 
tionnelles au  temps ,  les  planètes  dans 
des  ellipfes  plus  ou  moins  approchantes 
d'un  cercle ,  &  les  comètes  dans  des 
ellipfes  fort  alongées.  Les  comètes  & 
les  planètes  fe  meuvent  donc  en  vertu 
de  deux  forces ,   Tune  d'atira(flion  &  ' 

l'autre 


Tliéarie  de  la  Terre.        1^3 

Fautr€  d'iinpulfion ,  qui  agifîant  à  la 
fois  &  à  tout  indnnt ,  les  obligent  à 
décrire  c^s  courbes;  mais  il  fliut  remar- 
quer que  ics  comètes  parcourent  le  fy(- 
tème  folaire  dans  toutes  fortes  de  direc- 
tions. &  que  les  inclinaifons  des  plans 
de  leurs  orbites  font  fort  différentes 
entrelles ,  en  forte  que ,  quoique  fu jettes, 
comme  les  planètes ,  à  la  même  force 
d'attradion ,  les  comètes  n'ont  rien  de 
commun  dans  leur  mouvement  d'iin- 
pulfion, elles  paroiiïent  à  cet  égard 
abfolument  indépendantes  les  unes  des 
autres.  Les  planètes ,  au  contraire  ,  tour- 
nent toutes  dans  le  même  fêns  autour 
du  foleii,  &  prefque  dans  le  même 
plan ,  n'y  ayant  que  lept  degrés  &  demi 
d'inclinaifon  entre  les  plans  les  plus 
éloignés  de  leurs  orbites  :  cette  confor- 
mité de  pofition  &  de  diredion  dans 
le  mouvement  des  planètes,  fuppofe 
iiéceflairement  quelque  chofe  de  corn- 
niun  dans  leur  mouvement  d'impulfion , 
&  doit  faire  loupçonner  qu'il  leur  a  été 
communiqué  par  une  feule  &.  même 
caufe. 

Ne  peut-on  pas  imagînerav€C  queîqiic 
Tom£  I,  1 


'  î  ^  4  Hîfloh'c  NaîunUe, 
forte  de  vraifembiance ,  qu'une  comète 
tombai^t  fur  la  fur  face  du  loleil ,  aura 
déplacé  cet  aftre ,  &:  qu'elle  en  aura  fé- 
paré  quelques  petites  parties  auxquelles 
elle  aura  communiqué  un  mouvement 
d'impulfion  dans  le  même  fens  &  par 
wn  même  choc,  en  forte  que  les  pla- 
nètes auroient  autrefois  appartenu  au 
corps  du  foleil ,  &  qu'elles  en  auroient 
été  détachées  par  une  force  impuifive 
commune  à  toutes  ,  qu'elles  confervent 
encore  aujourd'hui  ! 

Cela  me  paroît  au  moins  auffi  probable 
que  l'opinion  de  M.  Leibnitz,  qui  pré- 
tend que  les  planètes  &  la  terre  ont  été 
des  foleils  ,  &  je  crois  que  fon  fyflème 
dont  on  trouvera  le  précis  à  l'article  cin- 
quième ,  auroit  acquis  un  grand  degré  de 
généralité  &  un  peu  plus  de  probabilité , 
s'il  fe  fût  élevé  à  cette  idée.  C'eft  ici  le  cas 
de  crdre  avec  lui  que  la  chofe  arriva 
dans  ie  temps  que  Moyfe  dit  que  Dieu 
fépara  la  lumière  des  ténèbres;  car ,  félon 
Leibnitz,  la  lumière  fut  féparée  des  té- 
nèbres lorfc^ue  les  planètes  s'éteignirent. 
Mais  ici  fa  féparation  efl  phyfique  & 
réelle,  puirque   la   matière  op«que  qui 


Théorie  de  h  Terre,      ^   ï  p  5 

compofe  le  corps  des  planètes ,  fut 
réellement  leparée  de  la  matière  lumi- 
neufè  qui  compolè  le   foleil. 

Cette  idée  fur  la  caufe  du  mouvement 
d'impulfion  des  planètes  paroîtra  moins 
hafardée  lorfqu'on  rafièmblera  toutes  ies 
analogies  qui  y  ont  rapport,  &  qu'on 
voudra  ie  donner  la  peine  àiç.ïv  efîimer 
ies  probabilités.  La  première  eft  cette 
diredion  commune  de  leur  mouvement 
d'impulfion  qui  fait  que  les  fix  planètes 
vont  toutes  d'occident  en  orient  :  il  y 
a  déjà  64  à  parier  contre  un,  qu'elles 
ïi'auroient  pas  eu  ce  mouvement  dans 
ie  même  fens,  fi  la  même  caufe  ne  l'avoit 
pas  produit,  ce  qu'il  eft  aifé  de  prouver 
par  la  dodrine  des  hafards. 

Cette  probabilité  augmentera  pro- 
"digieufèment  par  la  féconde  analogie , 
qui  eft  que  rinciinaiibn  des  orbites  n'ex- 
cède pas  7  degrés  &  demi;  car  en  com- 
parant les  efpaces ,  on  trouve  qu'il  y  a 
24  contre  un  pour  que  les  deux  planètes 
(e  trouvent  dans  des  plans  plus  éloignés , 

&  par  conféquent  24  ou  7692624  à 
parier  contre  un  ,  que  ce  ii  eft  pas  par 


1  p  6  Hifloire  Nul ur elle, 
Lafard  qu'elles  le  trouvent  toutes  '(îx 
ainfi  placées  &  renfermées  dans  i'efpace 
de  7  degrcs  &  demi,  ou,  ce  qui  revient 
au  même,  il  y  a  cette  probabilité  qu'elles 
ont  quelque  chofe  de  commun  dans 
le  mouvement  qui  leur  a  donné  cette 
.pcfuion.  Mais  que  peut-ii  y  avoir  de 
commun  dans  l'imprefîion  d'un  mouve- 
ment d'impulfion  ,  fi  ce  n'efl:  la  force 
&  la  diredion  des  corps  qui  le  com- 
muniquent î  on  peut  donc  concLur-e 
avec  une  très  -  grande  vraifembîance 
que  les  planètes  ont  reçu  leur  mouve- 
ment d'impulfion  par  un  feul  coup. 
Ceue  probabilité,  qui  équivaut  prefque 
2i  une  certitude,  étant  acquiie ,  je  cher- 
che quel  corps  en  mouvejnent  a  pu  faire 
ce  choc  &  produire  cet  effet ,  &  je  ne 
vois  que  les  comètes  capables  de  com- 
muniquer un  auffî  grand  mouvement 
â  d'aufîi  vaftes  corps. 

Pour  peu  qu'on  examine  le  cours 
des  comètes,  on  fe  perfuadera  aifément 
qu'il  eft  prefque  néceflairc  qu'il  en 
tombe  quelqtiefois  dans  le  foleil.  Celle 
de  I  68 G  en  approcha  de  fi  près,  qu*à 
ion  périhélie  elle  n'en  étoit  pas  éloignée 


I 


Théorie  de  h  Terre.  1517 
de  h  fixicme  partie  du  diamètre  folaire, 
«Se  fi  elle  revient,  comme  il  y  a  appa- 
rence, en  l'année  2:155,  elle  pourroit 
bien  tomber  cette  fois  dans  le  tbieil; 
cela  dépend  des  rencontres  qu'elle  aura 
faites  Cur  fa  route ,  &  du  retardement 
([u'clle  a  fouffert  en  pafîant  dans  l'atmo- 
i]>hère  du  foleii.  Voy,  Newton,  j  /  édition, 
page  ^2^, 

Nous  pouvons  donc  prélumer  avec 
le  Phiiofophe  que  nous  venons  de  citer, 
qu'il  tombe  quelquefois  des  comètes  fur 
le  foleil  ;  mais  cette  chute  peut  fe  f  lire 
de  différentes  façons  :  fi  elles  y  tombent 
â-plomb ,  ou  même  dans  une  diredion 
qui  ne  foit  pas  fort  oblique,  elles  de- 
meureront dans  le  foleil,  &.  ferviront 
d'aliment  au  feu  qui  conlume  cet  aftre, 
&  le  mouvement  d'impulfion  qu'elles 
nuront  perdu  &  communiqué  au  foleil, 
ne  produira  d'autre  efïet  que  celui  de 
le  déplacer  plus  ou  juoins ,  félon  que 
la  maffe  de  la  comète  fera  plus  ou 
moins  confidérable  ;  mais  fi  la  chute 
>de  la  comète  fe  fait  dans  une  direc^lion 
fort  oblique  ,  ce  fqui  doit  arriver  plus 
fou  vent  de  cette  fiçoa  que  de  l'autre,. 

1   ii; 


fî  p  8         Hijroire  Naîtirelk: 

alors  la  comète  ne  fera  que  rafer  la  furfacc 
du  foieii  au  la  filïonner  à  une  petite 
profondeur ,  &  dans  ce  cas  elle  pourra 
en  fortir  &  en  chafler  quelques  parties  de 
niatière,  auxquelles  elle  communiquera 
lui  mouvement  commun  d'impuifion, 
&  ces  parties  poufTées  hors  du  corps  du 
foleiî,  &:  la  comète  elle-même,  pourront 
devenir  alors  des  planètes  qui  tourneront 
autour  de  cet  allre  dans  le  même  fens 
ÔL  dans  le  même  pian.  On  pourroit  peut- 
être  calculer  quelle  m.aflej  quelle  vïtcffe 
&  quelle  direclion  dcvroit  avoir  une 
comète  pour  faire  fortir  du  foleil  une 
quantité  de  matière  égale  à  celle  que  con- 
tiennent les  fix  planètes  &  leurs  latellites  ; 
mais  cette  recherche  ieroit  ici  hors  de 
ià  place,  il  fuffira  d'obferver  que  toutes 
les  planètes  avec  les  faiellites  ne  font  pas 
îa  6  50.""^  partie  de  la  maffe  du  folelL 
Voyei  Newton,  page  40  J ,  parce  que  îa 
denfité  des  grofies  plnnètes ,  Saturne  di. 
Jupiter,  eft  moindre  que  celle  du  foleil , 
^  que  quoique  la  terre  foit  quatre  fois , 
&  la  lune  près  de  cinq  fois  plus  dénie  que 
îe  foleil,  elles  ne  font  cependant  que 
comme  des  atomes  en  comparaifoa  de 
la  maffe  de  cet  allre.. 


Théorie  de  la  Terre ^       i  q  9 

J'avoue  que  quelque  peu  confidéra- 
ble  que  foit  une  fix  cent  clnquantièjne 
partie  d'un  tout,  il  paroît  au  premier 
coup  d'œil  qu'il  faudroit,  pour  i'eparer 
cette  partie  du  corps  dufoieiijUne  très- 
puiflante  comète  :  mais  fi  on  f:\it  réfle- 
xion à  la  vîtefTe  prodigieufe  des  comètes 
dans  leur  périhélie  ,  vïtefie  d'autant  plus 
grande  que  leur  route  eft  plus  droite , 
&L  qu'elles  approchent  du  ibleil  de  plus 
près  ;  fi  d'ailleurs  on  fait  attention  à  la 
denfîté,  à  \\  fixité ,  <Sc  à  la  folidité  de  la 
matière  dont  elfes  doivent  être  compo- 
fées ,  pour  IbuiîrJr,  fans  être  détruites, 
la  chaleur  inconcevable  qu'elles  éprou- 
vent auprès  du  foleil ,  &  fi  on  fe  fou  vient 
en  même  temps  qu'elles  préfentent  aux 
yeux  des  obfervateurs  un  noyau  vif  & 
folide,  qui  réfléchit  fortement  la  lumière 
du  foleil  à  travers  i'atmofphère  immenfe 
de  la  corn è le  qui  enveloppe  &  doit 
olifcurcir  ce  noyau,  on  ne  pourra  guère 
douter  c[ue  les  comètes  ne  foient  com- 
pofées  d'une  matière  très-folide  &  très- 
é^\\(^ ,  «Si  qu'elles  ne  contiennent  fous 
un  petit  volume  une  grande  quantité  de 
miitière  \  que  par  conféquent  une  comète 

1  iii; 


:2  0  0        Hïjhire  Naturelle, 

lie  puilTe  avoir  afîez  de  mafîe  <5c  de  vî- 
\^&  }30ur  déplacer  le  loleil ,  &  donner 
wn  mouvement  de  projecftile  à  une  quan- 
tité' de  matière  aufîi  confidérabie  que 
i'eft  la  6  ^  o."""  partie  de  la  mafle  de  cet 
aftre.  Ceci  s'accorde  parfaitement  avec 
ce  cjue  l'on  lait  au  tujet  de  la  denfité 
des  planètes  ;  on  croit  qu'elle  e(t  d'au- 
tant moindre  que  les  planètes  font  plus 
éloignées  du  ioleil  &  qu'elles  ont  moins 
de  chaleiu*  àfupportcr,  en  forte  que  Sa- 
turne eft  moins  d^rSo.  que  Jupiter  ,  & 
Jupiter  beaucoup  moins  dénie  que  la 
terre:  &  en  effet,  fila  denfité  des  planètes 
étoit,  cotnme  le  prétend  Newton,  pro- 
])ortionneiie  à  la  quantité  de  chaleur 
qu'elles  ont  à  fupporter ,  Mercure  feroit 
fept  fois  plvis  denfe  que  la  terre,  «Se  vingt- 
huit  fois  plus  denfe  que  le  foleil ,  la  co- 
mète de  1680  feroit  2  8  mille  fois  plus 
àç.\-\ÇQ  que  la  terre ,  ou  i  i  2  mille  fois  plus 
denfe  que  le  ioleil,  &  en  la  fuppofmt 
grofîe  comme  la  terre,  elle  contiendroit 
ious  ce  volume  une  quantité  de  matière 
égale  à  peu  près  à  la  neuvième  partie  de 
ia  mafTe  du  foleil ,  ou ,  en  ne  lui  donnani 
que  la  cendème  parue  de  la  groffeur  de 


Théorie  de  h  Terre,  10  l 
la"terre,  fa  niafle  feroit  encore  ég<lle  à  la 
5>oo.'"''  partie  du  foleil  ;  d'où  il  eft  aifé 
de  conclure  qu'une  telle  mafle  qui  ne 
fait  qu'une  petite  comète  ,  pourroit  lepa- 
rer  &poufîèr  hors  du  foleil  une  ^oo.""^ 
ou  une  650.""^  partie  de  fi  ma(îe ,  fur-tout 
fi  l'on  fait  attention  à  l'immenle  vitejfè 
acquife  avec  iaqueiie  les  comètes  (e  meu- 
vent lorfqu'eiles  paiïent  dans  le  voifinage 
de  cet  aftre. 

Une  autre  analogie,  &  qui  mérite 
quelqu'attention  ,  c'efl:  la  conformité 
entre  la  denfité  de  la  matière  des  pla- 
nètes &  la  denfité  de  la  matière  du  foleil^ 
Nous  connoiffons  fur  la  furfice  de  la 
terre  des  matières  14  ou  15  mille  fois 
plus  denfes  les  unes  que  les  autres,  les 
denfités  de  l'or  &  de  l'air  font  à  peu  près 
dans  ce  rapport;  mais  l'intérieur  de  la 
terre  &  le  corps  des  planètes  font  com- 
pofés  de  parties  plus  fimilaires  &  dont 
la  denfité  comparée  varie  beaucoup 
moins,  &  la  conformité  deladenfité  de 
la  matière  des  planètes  &  de  la  denfité 
de  la  matière  du  foleil  eft  telle,  que  fur 
650  parties  qui  compofent  la  totalité  de 
la  matière  des  planètes ,  il  y  en  a  plus 

1    Y 


2.01        Hiflotre  Naîureïïe', 

de  640  qui  font  prefque  de  la  même 
denfité  que  la  matière  du  foleil ,  &  qu'il 
n'y  a  pas  dix  parties  iur  ces  650  qui' 
foient  d'une  plus  grande  denfné;  car 
Saturne  &  Jupiier  iontà  peu  près  de  la 
même  denfité  que  le  Tolcii ,  &  la  quan- 
tité de  matière  que  ces  deux  planètes, 
contiennent,  efl:  au  moins  64  fois  plus; 
grande  que  la  quantité  de  matière  des 
quatre  planètes  inférieures,  Mars,  la 
Terre,  Vénus  &  Mercure.  On  doit 
donc  dire  que  la  matière  dont  (ont  com- 
pofées  les  planètes  en  général ,  efl:  à  peu. 
près  la  même  que  celle  du  foleil ,  &  que, 
par  conféquent  cette  matière  peut  eii 
avoir  été  féparée. 

Mais,  dira- 1- on,  ii  îa  comète  en) 
tombant  obliquement  fur  le  foleil,  en  a 
filionné  la  furface  &  en  a  fait  lortir  la- 
madère  qui  compofe  les  planètes,  il  pa- 
roît  que  toutes  \^s  planètes ,  au  lieu  de 
décrire  des  cercles  dont  le  foleil  efl  le 
centre,  auroient  au  contraire  à  chaque 
révolution  rafé  la  furface  du  foleil,  &  fe- 
roient  revenues  au  même  point  d'où  ç)Xç.s 
etoient  parties,  comme  feroit  tout  pro^ 
jediie  qu'ûnianceroit  avec  aiïèz  de  force 


Tliéorie  Je  la  Terre.       2  OJ' 

dW  point  de  la  furface  de  la  terre,  pour 
l'obliger  à  tourner  perpétuelknient;  car 
H  eit  aife  de  démontrer  que  ce  corps 
reviendroit  à  chaque  révolution  au  point 
d'où  il  auroit  été  lancé,  &  dès-lors  on  ne 
peut  pas  attribuer  à  rinipuifion  d'une 
comète  la  projection  des  planètes  hors 
du  foleil,  puifque  leur  mouvement  autour 
de  cet  aiireeft  différent  de  ce  qu'il  feroit 
dans  cette  hypothèle. 

À  cela  je  réponds  que  la  matière  qur 
compofe  les  planètes  n'efî:  pas  fortie  de 
cetaftre  en  globes  tout  formés,  auxquels 
la  coiiiète  auroit  communiqué  ion  mou- 
vement d'impuifion ,  mais  que  cette  ma- 
tière efl:  fonie  fous  la  forme  d'un  tor- 
rent dont  le  mouvement  ùqs  parties  an- 
térieures a  dû  être  accéléré  par  celui  des 
parties  poftérieures;  que  d'ailleurs  l'at- 
tradion  àç.s  parties  antérieures  a  dû  aufîi 
ficcélérer  le  mouvement  des  parties  pos- 
térieures, &  que  cette  accélération  de 
mouvement,  produite  par  l'une  ou  l'autre' 
de  ces  caufes,  &  peut-être  par  toutes 
ies  deux ,  a  pu  être  telle  qu'elle  aura 
changé  la  première  dire^ion  du  mou- 
vement d'impulfion ,  &  qu'il  a  pu  en 

1  vj 


20^       Hijîoîre  Naturelle. 

réiulter  un  mouvement  tel  que  nous  l'oL- 
iervons  aujourd'hui  dans  les  planètes , 
fur-tout  en  fuppofant  que  le  choc  de  la 
comète  a  déplacé  le  foleii;  car  pour 
donner  un  exemple  qui  rendra  ceci  plus 
lenfible ,  fuppofons  qu'on  tirât  du  haut 
d'une  montagne  une  balle  de  mou(quet, 
ÔL  que  la  force  de  la  poudre  fût  affez 
grande  pour  la  pouffer  au-delà  du  demi- 
diamètre  de  la  terre ,  il  ell:  certain  que 
cette  balle  tourneroit  autour  du  o^lobe  & 
reviendroit  à  chaque  révolution  pafier 
au  point  d'où  elle  auroit  été  tirée  ;  mais 
f\  au  lieu  d'une  balle  de  moufquet  nous 
fuppofons  qu'on  ait  tiré  une  fufée  vo- 
lante où  fadion  du  feu  leroit  durable 
&  accéléreroit  beaucoup  le  mouvement 
«fijupùlfion,  cette  fufée  ou  plutôt  le 
cartouche  qui  la  contient ,  ne  revien- 
droit pas  au  même  point ,  comme  la 
halle  de  moufquet,  mais  décriroit  un 
orbe  dont  le  pério-ée  feroit  d'autant  plus 
éloigné  de  la  terre,  que  la  force  d'accé- 
iération  auroit  été  plus  grande  &  auroit 
changé  davantage  la  première  dired:ion  ^ 
toutes  chofes  étant  fuppofées  égales  d'ail- 
leurs. Ainfi  ;  pourvu  qu'il  y  ait  eu  de 


toutes  chofes  étant  ruppofées  écrafes  d'aile 
leurs.  Ainfi ,  pourvu  qu'il  y  ait  eu  de 


Thème  de  Jû  Terre.  205 
l'accclératioa  clans  le  mouvement  cl'im- 
pulfion  communiqué  au  torrent  de  ma- 
tière par  la  chute  de  la  comète ,  il  eft 
très-poflible  que  les  planètes  qui  fe  font 
formées,  dans  ce  torrent,  aient  acquis  le 
mouvement  que  nous  leur  connoiflons 
dans  des  cercles  &  des  ellipfes  dont  ie 
foleii  eft  le  centre  &  ie  foyer. 

La  manière  dont  fe  font  les  grandes 
éruptions  des  volcans  ,  peut  nous  donner 
une  idée  de  cette  accélération  de  mou- 
vement dans  le  torrent  dont  nous  par- 
ions. On  a  obfervé  que  quand  le  Véfuve 
commence  à  mugir  &  à  rejeter  les  ma- 
tières dont  il  eft  embrafé  ,  le  premier 
tourbillon  qu'il  v@mit,  n'a  qu'un  certain 
deo-ré  de  vîtefîe ,  mais  cette  vîteffe  eft 
bien-tôt  accélérée  par  l'impulfion  d'un 
{Qcoïià  tourbillon  qui  fuccède  au  pre- 
mier ,  puis  par  l'adion  d'un  troifième , 
&  ainfi  de  fuite ,  les  ondes  pefantes  de 
bitume  ,  de  foufre ,  de  cendre  ,  de  métal 
fondu ,  paroiffcnt  des  nuages  maffifs ,  &: 
quoiqu'ils  fe  fuccèdent  toujours  à  peu 
près  dans  la  même  direction  y  ils  ne  laif- 
fent  pas  de  changer  beaucoup  celle  du 
premier  tourbillon;    &   de  le  poufTer 


10  6       Hïfloke  Naîureïïe, 

ailleurs  &  plus  loin  qu'ii  ne  feroîl parvenir 
tout  leui. 

D'alîieurs,  ne  peut-on  pas  répondre 
à  ceueobjedion  ,  que  le  fo'eil  ayant  e'té 
frappé  par  îa  comète ,  &  ayant  reçu  une 
partie  <Je  fon  mouvement  d'impulfion,  il 
aura  lui-même  éprouvé  un  mouvement 
qui  l'aura  déplacé ,  &  que  quoique  ce 
mouvement  du  foieiï  foit  maintenant 
trop  peu  fenfîbîe  pour  que  dans  de  petits- 
intervailes  de  temps  les  Aftronomes  aient 
pu  l'apercevoir,  ii  (è  peut  cependant 
que  ce  mouvement  exifte  encore,  &  que 
ie  foieiï  le  meuve  lentement  vers  diffé- 
rentes parties  de  l'Univers,  en  décrivant 
une  courbe  autour  du  centre  de  o-ravité 
de  tout  le  fyRème  \  &  fî  cela  efl,  c^omme 
je  le  prélume,  on  voit  bien  que  ies 
planètes,  au  lieu  de  revenir  auprès  du 
foleil  à  chaque  révolution ,  auront  au 
eoiîtrnire  décrit  des  orbites  dont  \z% 
points  des  périhélies ,  font  d'autant  plus 
éloignés  de  cet  aflre,  qu'il  seft  plus 
éloigné  lui-même  du  lieu  qu'il  oCGupoit 
anciennement. 

Je   iens  bien   qu'on  pourra  me  dire 
que  fi  i'accéléruïion  du  raouvement  fè 


'^"•^ùv 


^V'/ir, 


Carte  du 

^01  ^ T.  AU  CONTINEN 

JV/v/  .,v//-///.._ ,//■.///,/■  /v/.A/.w/-  .Lwù-ZntA 
M'imuluRui.  Je  IaPlaUi///.'vy//'</«  •> 
JAi  Ju  Lac  des  Assiiiiljoïls 
/>/rl,;r(»-.c:7/.- iiv  J„yAr</{■3L'^DEB^F^X)î«- 
/'.//  /,•  S'  Robert  .IcVauoonclv. 
FiL<  Je  .  n: Robert  Oay  .„■/ Ju  Rcy  . 
'7*9 


io6       Hïffoire  Ndtureïïe, 

ailleurs  «Se  plus  loin  qu'ii  ne  feroîtparven 
tout  feui. 


Théorie  de  ta  Terre*      loj 

ait  dnns  la  même  dire<^ion,  cela  ne 
:hange  pas  ie  point  du  périhélie  qui 
\tïà  toujours  à  la  lurfàcê  du  Ibleii  :  mais 
loit-on  croire  que  dans  un  torrent  dont 
=s  parties  fe  font  fuccédées ,  il  n'y  a  eU' 
ucun  changement  de  diredionî  il  eft 
u  contraire  très-probable  qu'ii  y  a  eu  urt 
fiez  grand  changement  de  direction  ^ 
our  donner  aux  planètes  ife  mouvement 
u'eilcs   ont. 

On  pourra  mè  dire  aufîi  que  fi  lè 
>ieil  a  été  déplacé  par  le  choc  de  la- 
omète  ,  il  a  dû  îë  mouvoir  un  formé'- 
lent ,  &  que  dès-lors  ce  mouvement 
ant  commun  à  tout  le  fyftème,  il  n'a 
û  rien  changer  ;  mais  ie  Ibieii  ne  pou^ 
oit-il  pas  avoir  avant  le  choc  un  mou* 
ement  autour  du  centre  de  c^ravité  du 
(lème  cométaire,  auquel  jnouvement 
rimiiif  ie  choc  de  la  comète  aura  ajoiut 
le  augmentation  ou  une  diminution! 
cela  iufîiroit  encore  pour  rendre  raifoa 
1  mouvement  actuel  des  planètes. 

Enfin  fi  l'on  ne  veut  admettre  aucune 
?  ces  fupporitions  ,  ne  peui-on  pas  pré- 
mer  ,  lans  choquer  la  vraifembiance, 
ae  dans  ie  choc  de  la  comète  contre  k. 


'^  o  8         Htflohe  NaîiireÏÏe: 

foleil  il  y  a  eu  vine  force  élaftique  quî 
aura  élevé  le  torrent  au-defîus  de  la  fur- 
face  du  foleil ,  au  lieu  de  le  pouffer  di- 
redemeiit  î  ce  qui  feul  peut  fuffire  pour 
écarter  le  point  du  périhélie  &  donner 
aux  planètes  le  mouvement  qu'elles  ont 
coniervé  ;  &  cette  fuppoiition  n'efl  pas 
dénuée  de  vrailembiance ,  car  la  matière 
du  foleil  peut  bien  être  fort  élaftique, 
puifque  la  feule  partie  de  cette  matière 
que  nous  eonnoiffons ,  qui  eft  la  lu- 
mière ,  femble  par  fes  effets  être  parfais 
tement  éliftique.  J'avoue  que  je  ne  puis 
pas  dire  fi  c'eft  par  l'une  ou  par  l'autre 
àts  raifons  que  je  viens  de  rapporter, 
que  la  diredion  du  premier  mouvement 
d'impulfion  des  planètes  a  changé ,  mais 
ces  raifons  fuffifent  au  moins  pour  fiire 
voir  que  ce  changement  eft  pofîible, 
&  même  probable,  &  cela  fufïit  aufû 
à  mon  objet. 

Alais  fans  in fi fier   davantage  fur  \qs 

o 

objedions  qu  on  pourroit  fiire  ,  non 
plus  que  fur  les  preuves  que  pourroient 
fournir  les  analogies  en  faveur  de  mon 
hypothèfe  ,  fuivons-en  l'objet  &  tirons 
ëes  indudions  ;  voyons  donc  ce  ^ui  a 


Théorie  Je  la  Terre.       ^o<) 
pu  arriver  lorfque  les  planètes ,  &  fur- 
tout  la  terre  ,  ont  reçu  ce  mouvement 
ci'imjHilfion ,  &  dans  quel  état  elles  fe 
font  trouvées   après  avoir   été   féparées 
de  la  maiTe  du  foleil.  La  comète  ayant 
par  un  feul  coup  communiqué  un  mou- 
vement de  projedile  à  mie   quantité  de 
,  matière  égaie   à  la  6  5  o.""' partie  de   la 
'mafle  du  foleil,  les  particules  les  moins 
■  denfes  fe  feront  fé]^arées  des  plus  denfes, 
&  auront  formé  par  leur  attradion  mu- 
tuelle des  globes  de  différente  denfité  ; 
Saturne  ,   compofé  des  parties  les  plus 
i  groffes  &  les  plus  légères  ,  fe  fera  le  plus 
éloigné   du  foleil;  enfuite   Jupiter    qui 
eft  plus  ilçi\(e  que  Saturne ,  fe  fera  moins 
éloigné ,  &  ainfi  de  fuite.  Les  planètes  les 
plus  grofies  &  les  moins  denfes  font  les 
plus  éloignées,  parce  qu'elles  ont  reçu 
un  mouvement  d'impulfion  plus   fort 
que  les  plus  petites  <Sc  les  plus  denfes  ;  car 
ia  force  d'impulfion  fe  communiquant 
par  les  furfaces,  le  même  coup  aura  fait 
mouvoir  les  parties  les  plus  groffes  & 
les  plus  légères  de  la  matière  du  foleil , 
a  ec  plus"de  vîteffe  que  les  parties  les 
plus  petites  &  les  plus  mafTives  ;  il  fe  fen 


^  I  o         Hiflotre  Nûîurelle. 
donc  £iit    une    fcparatîon    d^s    parties 
denlçs  de  differcns  degrés,  en  forte  que 
la  denfité  de  la  matière  du  foleil  étant 
égale  à  i  oo,  ceile  de  Saturne  eil  égale  j 
^  6y,  celle  de  Jupiter  —  94!,  celle  de  ' 
Mars  =:  200,  celle  de  la  Terre  rr  400, 
celle  de  Vénus  =r  800,  &  celle  de  Mer-: 
cure  —2800.  Mais  la  force  d'attradioiî:' 
île  (e  communiquant  pas ,  comme  celle- 
ci  liîipufjon ,  par  hi  furf  ice ,  ôl  agifïïmt  au 
contraire  fur  toutes  les  parties  de  la  mafle , 
elfe  aura  retenu  les  portions  de  matière 
les  plus  denfes,  &  c'efl  pour  cette  raifoii 
qiie  les  planètes  les  plus  denfes  font  les 
plus  voiijnes  du  foleil ,  &  qu'elles  tour- 
nent autour  de  cet  adre  avec  plus  de  ra-  ' 
pidité  que  ks  planètes  les  moins  denfes, 
qui  iontaufli  les  plus  éloignées. 

Les  deux  grofîes  pîanèies,  Jupiter  <Sc 
5aturne,  qui  font ,  comme  l'on  fût,  les 
parties  principales  du  fyflème  folaire  , 
ont  conserve  ce  rapport  entre  leur  denfité 
&  leur  luouvement  d'impulfion,  dans 
une  proportion  fi  iufte  qu'on  doit  en 
ene  frappé  ;  la  denfité  de  Saturne  eH  à 
ceLe  de  Jupiter  comme  6y  à  94! ,  & 
kuïs  vheQh  font  à  peu  près  comme  88f 


Théorie  de  la  Terre,      2  î  1 
3  ï20  ~  ,  ou  comme  ôy  à  9of^;  il   efi: 
rare  que  de  pures  conjeclures  on  puifle 
tirer  des  rapports  auiil  exacts.  Il  eft  vrai 
qu'en  luivant  ce  rapport  entre  ia  vîtefîe 
&  la  denfité  des  planètes  ,  la  denfité  de 
ia  terre   ne   devroit   être    que    comme 
206  ^  ,  au  lieu  qu'elle  efl:  comme  400, 
de -la  on  peut  conjedurer  que  notre 
globe    étoit    d'abord    une  fois    moins 
denfê  qu'il  ne  Teft  aujourd'hui.  A  l'égard 
des  autres  planètes,   Mars,   Vénus  & 
Mercure  ,  comme  leur    denfité    n'efl 
connue   que  par  conjeclure,  nous  ne 
pouvons  lavoir  û  cela  détruiroit  ou  con- 
firmeroiî  notre  opinion  fur  le  rapport  de 
la  vîteffe  &  de  la  dcnfité  des  planètes  en 
général.  Lefentiinentde  Newton  efl  que 
la  denfité  ell  d'autant  plus  grande  que  la 
chaleur  à  laquelle  la  planète  efl  expofée  , 
efl  plus  grande ,  &  c'ed  fur  cette  idée 
que  nous  venons  de  dire  que  Mars  eft 
une  fois  moins  denfe  que  laTerre,  Vénus 
une  fois  plus  denfe,  Mercure  fept  fois 
plus  dénie,  &  la  comète  de  i  680  ,  28 
mille  fois  plus  denfe  que  la  Terre;  maisf- 
eette  proportion  entre  la  denfité  des  pla- 
nètes &  la  chaleur  qu'elles  ont  à  fupporter 


:2  1 2         Hïjloire  Naturelle. 

ne  peut  pas  lubrifier  lorfqu'on  fliit  atten- 
tion à  Saturne  &  à  Jupiter  qui  font  les 
principaux  objets  que  nous  ne  devons 
jamais  perdre  de  vue  dans  le  fyftème  fo- 
laire  ;  car  félon  ce  rapport  entre  la  denfitié 
&  la  chaleur,  il  fe  trouve  que  la  denfité 
de  Saturne  feroit  environ  comme  4  -^,  &. 
celle  de  Jupiter  comme  14^,  au  lieu  de 
6y  &  de  p4^,  différence  trop  grande 
pour  que  le  rapport  entre  ia  denfité  & 
la.  chaleur  que  les  planètes  ont  à  fuj)- 
porter ,  puifîe  être  admis  ;  ainfi  malgré 
la  confiance  que  méritent  les  conjedures 
de  Newton ,  je  crois  que  la  denfité  des 
planètes  a  plus  de  rapport  avec  leur  vî~ 
tefle  qu'avec  le  degré  de  chaleur  qu'elles 
ont  à  fijpporter.  Ceci  n'efl  qu'une  caule 
iinnie  ,  &  l'autre  ell:  un  rapport  phy- 
fique  dont  l'exaélitude  eff  fingulière 
dans  les  deux  groffes  planètes;  il  eft 
cependant  vrai  que  la  denfité  de  la  terre 
au  lieu  d'être  206 1  fè  trouve  être  400, 
&  que  par  conféquent  il  faut  que  le  globe 
terreflre  fè  foit  coïKlenfe  dans  cette  raifon 
de  20^1  à  400. 

M  ais  la  condenfuion  ou  la  co^lion  des 
planètes  ii'a-t-elle  pas  quelque  rapport 


théorie  de  la  Terre,       1 1  3 

avec  la  quantité  de  la  chaleur  du  foîeil 
dans  chaque  planète  î  &  dès-lors  Saturne 
qui  eft  fort  éloigné  de  cet  aftre  n'aura 
foufîèrt  que  peu  ou  point  de  conden- 
lation  ,  Jupiter  fera  condenfé  de  90  ~k 
^4  ^  ;  or  la  chaleur  du  foIeil  dans  Ju- 
piter étant  à  celle  du  foleil  fur  la  terre  , 
comme  14-^  font  à  400  ,  les  conden- 
iîitions  ont  dû  fè  faire  dans  la  même  pro- 
portion, de  forte  que  Jupiter  s'étant 
condenfé  depo~à  ^j^-^lz  terre  auroit 
.dû  Çq.  condenfer  en  même  proportion  de 
2  0(5  I  à  2. 1  5  Y^ç-^ ,  fi  elle  eût  été  placée 
dans  l'orbite  de  Jupiter,  ou  elle  n  auroit 
dû  recevoir  du  foleil  qu'une  chaleur 
égale  à  celle  que  reçoit  cette  planète  : 
•mais  La  terre  fe  trouvant  beaucoup  plus 
;près  de  cet  afire,  &  recevant  une  chaleur 
dont  le  rapport  à  celle  que  reçoit  Jupiter 
eft  de  40 Q  à  i^  ~  ,  il  faut  multiplier  la 
quantité  de  la  condenlatîon  qu'elle  auroit 
€ue  dans  l'orbe  de  Jupiter  par  le  rapport 
de  400  à  147I,  ce  qui  donne  à  peu 
près  234  j,  pour  la  quantité  dont  Li 
terre  a  dû  fe  condenfer.  Sa  denfité  étoit 
2o<5|,  en  y  ajoutant  la  quantité  de 
>CQndenfation  l'on  trouve  pour  fa  denfité 


2  14        Hljloîre  Naturelle, 

âduelle  44.0  |,  ce  qui  approche  afîez 
de  ia  cleniité  400,  déterminée  par  la  pa- 
rallaxe de  la  lune.  A  a  refte  ,  je  ne  pré- 
, tends  pas  donner  ici  des  rapports  exaéls, 
mais  ieulcment  des  approximations 
pour  faire  voir  que  les  denfités  des  pla- 
nètes ont  beaucoup  de  rapport  avec  leur 
vîtefle  dans  leurs  orbites. 

La  comète  ayant  donc  par  fa  chute 
oblique  fillonné  la  (urfiice  du  foleil,  aura 
poufîe  hors  du  corps  de  cet  aftre  une 
partie  de  matière  égale  à  la  650."""  partie 
de  fa  maiïe  totale:  cette  matière  qu'on 
doit  confidérer  dans  un  état  de  fluidité. , 
ou  plutôt  de  liquéfadion ,  aura  d'abord 
formé  un  torrent ,  les  parties  les  plus 
^roiïes  &  les  moins  denfes  auront  été 
poufTées  au  plus  loin,  &  les  parties  les 
"plus  petites  &  les  plus  denfes  n'ayant  reçu 
que  la  même  impulfion ,  ne  le  leront  pas 
{\  fort  éloi ornées,  la  force  d'attraâ:ion  du 
foleil  les  aura  retenues  ;  toutes, les  parties 
détachées  par  la  comète  &  poufTées  les 
unes  par  les  autres  auront  été  contraintes 
de  circuler  autour  de  cet  aftre,  &  ea 
même  temps  l'attradlion  mutuelle  des 
parties  de  ia  matière  en  aura  formé  des 


Théorie  de  la  Terre.       215 

gîobes  à  difFérenies  diftaiices,  dont  les 
plus  voifins  du  foieil  auront  nécelTai- 
rement  confervé  plus  de  rap.idite'  pour 
tourner  en  fuite  perpétuellement  autour 
de   cet  aftre. 

Mais ,  dira-t-on  une  féconde  fois  ,  fi: 
îa  matière  qui  compofc  les  planètes  a 
été  réparée  du  corps  du  foleii ,  ies  pla- 
nètes devroient  être  comme.  le  foïeil, 
brûlantes  &  lumineufes,  &  non  pas 
froides  &  opaques  comme  elles  le  font  : 
rien  ne  reiïemble  moins  à  ce  globe  de  ,  4,.- 
feu  qii'un  globe  de  terre  &  d'eau  ,  &:  à  ^  1 

en  juger  par  comparailon,  la  matière  de  ' 

la  terre  &:  des  planètes   efctout-à-fiit 
différente  de  celle  du  foieil. 

À  cela  on  peut  répondre  que  dans  la 
féparation  qui  s'eft  faite  des  particules 
plus  ou  moins  denfes,  la  matière  a  changé 
de  forme ,  &:  que  la  lumière  ou  le  feu  fe 
font  éteints  par  cette  féparation  eau  fée     .  . 

par  le  mouvement  d'impulfion.  D'ail-yi  '^^  c&umML 
leurs,  ne  peut-on  pas  foupçonner  que  ^  a>^t  «^  ^  <*^ 
fi  le  foieil  ou  une  étoile  brûlante  &  lumi-  ^^^ 
neufe  par  elle-même  (e  mouvoit  avec 
autant  de  vîteffe  que  fe  meuvent  les  pla- 
nètes ;  ie  feu  s'cteindroit  peut-être ,   & 


2  I  6       Hîjloire  Naturelle, 

que  c'ell  par  cette  raifon  que  toutes  ks 
étoiles  lumineufes  font  fixes  &  ne  chan- 
gent pas  de  lieu  ,  &  que  ces  étoiles  que 
l'on  appelle  nouvelles,  qui  ont  proba- 
blement changé  de  lieu  ,  le  font  éteintes 
aux  yeux  même  des  oblervateurs  î  Ceci 
fe  confirme  par  ce  qu'on  a  obiervé  furleis 
comètes ,  elles  doivent  brûler  jufcjw'au 
centre  lorfqu'elles  paflent  à  leur  péri- 
hélie ;  cependant  elles  ne  deviennent  pas 
lumîneulés  par  elles  -  mêmes ,  on  voit 
feulement  qu'elles  exhalent  des  vapeurs 
brûlantes  dont  elles  laiffent  en  chemin 
une  partie  confidérable. 

J'avoue  que  fi  le  feu  peut  çxifl^r  dans 
un  milieu  où  il  n'y  a  point  ou  très-peu 
de  réfiflance ,  il  pourroit  aufll  fouffrir  un 
très-grand  mouvement  fans  s'éteindre; 
j'avotie  aufFi  cjue  ce  que  je  viens  de  dire 
ne  doit  s'entendre  que  des  étoiles  qui 
dilparcifîént  pour  toujours,  &:  que  celles 
qui  ont  des  retours  périodiques,  & 
qui  le  montrent  &  difparoiffent  alter- 
nativement lans  changer  de  lieu  ,  font 
fort  différentes  de  celles  dont  je  parle  : 
les  phénomènes  de  ces  aftres  finguliers 
ont  été  expliqués  d'une  manière  très- 

fatis>fiûfante 


Théone  de  la  Terre'»     217^ 

iLitisfaKante  par  M.  de  Maupertuis  dans 
Ton  Difcours  fur  fa  figure  des  Ailres,  <Sc 
je  fuis  convaincu  qu'en  partant  des  faits 
qui  nous  font  connus ,  ii  n'elt  pas  pof. 
fible  de  mieux  deviner  qu'il  l'a  fait;  mais 
les  e'toiles  qui  ont  paru  &  enfuite  difparii  c/  tir^  I 

pour  toujours,  {q.  {qwx.  vrai(emblable-' *         .         A 
ment  éteintes ,  foit  par  ta  vîtefTe  de  leur  **^*'*"**'*^  1 
mouvement,  foit  par  quelqu'autre  caufe,  nf^mJi  J^itmH  j 
&  nous  n'avons  point  d'exemple  dans  la  ^,>jC>gâ>i 
Nature  qu'un  aftre  lumineux  tourne  au^^y_^       y  * 
tour  d'un  autre  alire  :  de  vingt-huit  ou    .    ^jt-    ^ 
.trente  comètes  «Se  de  treize  planètes  qut^^ 
compofènt  notre  fyiième,    &    qui    fe  i«M-^  •'«^  **' ï 
meuvent  autour  du  foieil  avec  plus  oii^»4M,Mi#<ùCi4? 
moins  de  rapidité,   il  n'y  en  a  pas  une 
.de  Itimineuiè  par  elle-même. 

On  pourroit  répondre  encore  que  le 
feu  ne  peut  pas  fubrifteraufîi  long-temp* 
dans  les  petites  que  dans  les  grandes 
maffes ,  &:  qu'au  fortir  du  foleil  les  pla- 
nètes ont  du  brûler  pendant  quelque 
temps,  mais  qu'elles  fe  font  éteintes  faute 
de  matières  combuRibles,  comme  le 
foleil s'éteindraprobablementpar  la  même 
raifon ,  mais  dans  des  âges  futurs  &  aufli 
éloignés  des  temps  auxquels  les  planètes 

Tome  I,  JK. 


2  \  S  hijlairc  Naturelle, 
fe  font  éteintes ,  que  fli  grofleur  Tefl  Je 
celle  des  planètes  :  quoi  qu'il  en  (oit,  la 
réparation  des  parties  plus  ou  moins 
dénies,  quis'eft  hiite  néceiïairementdans 
le  temps  que  la  comète  a  pouflé  hors  du 
)i^  A:  foleil  la  matière  des  planètes  ,  me  paroît 
__  fuffiiante   pour  rendre  raiibn   de    cette 

i*       V       extmcnon  de  leurs  feux. 
^  '^^■«^        \^';x  terre  &.  les  planètes  au  fortir  du 
^î^^VYv  t    foleii  étoient  donc  brûlantes  ik.  dans  uii 
'Wf  A,..  ;t.«,  état  de   liquéiàdion   totale,   cet  état  de 
^/.,  ^.'    iiquéfadion  n'a  duré  qu'autant   que  la 
,  violence  de  la  chaleur  qui  Tavoit  pro- 
*'^"  duit;  peu  à  peu  les  planètes  fe  font  re^ 
y  -^^.^  ^   froidie?,   &:  c'eil  dans  le  temps  de  cet 
état  de  fluidité  caufé  par  ie  feu,  qu'elles 
auront  pris  leur  figure,  &  que  leur  mou^ 
veinent  de  rotation  aura  fait  élever  Its^ 
parties  de   l'équateur    en   abaiflant    les 
pôles.  Cette  figure  qui  s'accorde  fi  bien 
avec  les  loix  de  l'H  ydroftatique ,  fuppo(e 
jiéceflairement  f[ue  la  terre  &  les  pla- 
nètes aient  été  dans  un  état  de  fluidité , 
&  Je  fuis  ici  de  l'avis  de  M.  Leibnitz  *  ; 
cette  fluidité  étoit  une  liquéfidion  caufée 
par  la  violence  delà  chaleur,  l'intérieur 
*  Prop'giXû,  iiu[  G,  C»  L»  4id,  Er,  Lipf  an.  i  6q  z . 


Théone  Je  la  Terre.      2.  i  ^ 

de  îa  terre  doit  être  une  matière  vîîrifïce 
dont  les  fables  ,  les  grès,  le  roc  vif,  les 
granités  ,  &  peut-être  les  argiles ,  lont 
des  fragmens  Se  des  fcories. 

On  peut  donc  croire  avec  quelque 
vraileinbiance,  que  les  planètes  ont 
appartenu  au  loieii  ,  qu'elles  ont  été 
fépartes  par  un  leul  coup  qui  leur  a 
donne  un  mouvement  d'impulfion  dans 
ie  même  fcns  &  dans  le  même  plan  ,  & 
que  leur  pofition  à  différentes  dillances 
du  foleil  ne  vient  que  de  leurs  différentes 
denfités.  Il  refte  maintenant  à  expliquer 
par  la  même  théorie  le  mouvement  de 
rotation  des  planètes  â<.  la  formation  des 
flrteliites  ;  mais  ceci,  loin  d'ajouter  des 
difficultés  ou  des  impolllbilités  à  notre 
hypothèiè,  fèmble  au  contraire  la  con- 
firmer. 

Car  le  mouvement  de  rotation  dépend 
uniquement  de  l'obliquité  du  coup,  & 
il  ert  néceflaire  qu'une  impulficn  ,  dès 
qu'elle  eft  oblique  à  la  furface  d'un  corps 
dorme  à  ce  corps  un  mouvement  de 
rotadon  ;  ce  mouvement  de  rotation  iera 
égal  ÔL  toujours  le  même,  fi  le  corps  qui 
k  reçoit  eil  homogène,  ôl  il  fera  inégal 


[2.2  6       'Htfloîre  l^atureÙe': 

fi  le  corps  eft  compofe  de  parties  hété- 
rogènes ou  de  différente  denfité ,  &  de-Ià 
on  doit  conclure  que  dans  chaque  pla- 
nète la  matière  eft  homogène ,  puifque 
leur  mouvement  de  rotation  eft  égal  ; 
autre  preuve  de  ia  féparation  des  parties 
denfes  &  moins  denfes  lorfqu'elles  fe  font 
formées- 
Mais  l'obliquité  du  coup  a  pu  être 
telle  qu'il  fe  fera  féparé  du  corps  de  la 
planète  principale  de  petites  parties  de 
matière  qui  auront  conCèrvé  la  même 
diredion  de  mouvement  que  la  planète 
même,  ces  parties  fe  feront  réunies, 
fuivant  leurs  denfités,  à  différentes  dis- 
tances de  la  planète  par  la  force  de  leur 
attracflion  mutuelle  ;  &  en  même  temps 
elles  auront  fuivi  néceflàirement  la  pla- 
nète dans  fon  cours  autour  du  foleil  en 
tournant  elle-même  autour  de  la  pla- 
nète, à  peu  près  dans  le  plan  de  fon 
orbite.  On  voit  bien  que  ces  petites  par- 
ties que  la  grande  obliquité  du  coup 
aura  fcparces  ,  font  les  fatellitcs  ;  ainfi  la 
formation  ,  la  pofitioii  &  la  direétion 
des  mouvemens  des  fatellites  s'accordent 
parfaitement  avec  la  théorie  -,  car  ils  oiU 


Théorie  de  h  Terre,     2 1 1 

tous  la  même  diredion  de  mouvement 
dans  des  cercles  concentriques  autour  de 
leur  planète  principale,  leur  mouvement 
efl:  dans  le  même  plan ,  &  ce  plan  eft 
celui  de  l'orbite  de  la  planète  :  tous  ces 
cfes  qui  leur  font  communs  &  qui  dé- 
pendent de  leur  mouvement  d'impul- 
fion  ,  ne  peuvent  venir  que  d'une  caufe 
comiTume ,  c'e(l-à-dire ,  d'une  impulfion 
commune  de  mouvement ,  qui  leur  a  e'té 
comnumtquée  par  un  feul  &  même  coup 
donné  fous  une  certaine  obliquité. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  fur  la 
caufè  du  mouvement  de  rotation  &  de 
ia  formation  des  fatellites,  acquerra  plus 
de  vraifemblance ,  fi  nous  faiions  atten- 
tion à  toutes  les  circonftances  des  phé- 
nomènes. Les  planètes  qui  tournent  le 
plus  vite  fur  leur  axe ,  font  celles  qui  ont 
des  flitellites  ;  la  Terre  tourne  plus  vue 
que  Mars  dans  le  rapport  d'environ  24  a 
I  5 ,  la  Terre  a  un  fatellite  &  Mars  n'en 
a  point  ;  Juj^iter  fur-tout ,  dont  la  rapi- 
dité autour  de  fon  axe  eft  5  ou  600  fois 
plus  grande  que  celle  de  ia  terre,  a  quatre 
fatellites ,  &  il  y  a  grande  apparence  que 
Saturne   qui  en    a  cinq  &  un  anneau 

K  iij 


^2  2         Hifloirc  Naturelle. 

tourne  encore  beaucoup  plus  vite  que 
Jupiter. 

On  peut  même  conjccflurer  avec  quel- 
que fondement,  que  i'anceaii  de  Saturne 
ell  parallèle  à  i'<.  quaieur  de  cette  planète, 
en   forte   que  le   plan  de  l'équateur  de 
i'aniieau.&.  celui  Je  l'équateur  de  Saturne 
font  à  peu  près  les  mêmes;  car  en  fup- 
pofmt ,  (iiivant  la  théorie  précédente  , 
que  l'obliquité  du  coup  par  lequel  Sa- 
turne a  é\e  mis  en  mouvement,  ait  été 
fort   grande ,  la  vîtelTe  autour  de  Taxe 
qui  aura  réluké   de  ce    coup  oblique, 
aura  pu  d'abord  êire  telle  que  la  force 
centrifuge  excédoii  celle  de  la  gravité, 
&  ii  le  iera  détaché  de  l'équateur  &  des 
parties  voifines  de  l'équateur  de  la  pla^ 
lîète,  une  quantité  conddt'rable  de  ma- 
tière ,   qui  aura   néceihiirement  pris  la 
iigure  d'un  anneau,  dont  le  plan  doit 
être  à  peu  près  le  même  que  celui  de 
l'équateur  de  la  planète  ;  «&  cette  partie 
de  matière  qui  forme  l'anneau ,  ayant  été 
détachée  de  la  planète  dans  le  voifinage 
de  l'équateur,  Saturne  en  a  été  abaifle 
d'autant  fous  l'équateur ,  ce  qui  fut  que 
malgré  la  grande  rapidité  que  nous  lui 


Théorie  de  la  Terre*      12  y 

îup{*)orons  autour  de  fon  axe  ,  les  dia- 
mètres de  cette  planète  peuvent  n'être 
pas  aufîi  inégaux  que  ceux  de  Ju]:>iter , 
qui  difîèrent  de  plus  d'une  onzième 
partie. 

Quelque  grande  que  foit  à  mes  yeuK 
îa  vraiieiublance  de  ce  que  j'ai  d  t  juf- 
qu'ici  lur  ia  formation  des  planètes  &  de 
ieurs  latell  tes,  comme  chacun  a  la  me- 
fare  ,  fur-tout  pour  edimerdcs  probabi- 
iitèsde  cette  nature,  &  que  cette  nieiure 
dépend  de  la  puilîance  qu'a  felprit  pour 
combiner  des  rapports  plus  ou  moins 
éloignés  ,  je  ne  prétends  pas  contraindre 
ceux  qui  n'en  voudront  rien  croire.  J'ai 
cru  feulement  devoir  femer  ces  idées  , 
pa.ce  qu'elles  m'ont  paru  railonnables, 
ÔL  propres  à  éclaircir  une  matière  fur 
laquelle  on  n'a  jamais  rien  écrit,  quel- 
qu'imporiant  qu'en  foit  le  fujet ,  puiique 
ie  mouvement  d'impulfion  des  planètes 
entre  au  moins  pour  moitié  dans  la  corn- 
pofuion  du  iyîième  de  l'Univers,  que 
i'attia(5tion  ieule  ne  peut  expliquer.  J'a- 
jouterai feulement  pour  ceux  qui  vou- 
droientnier  la  poflibilité  de  mon  îyftème, 
k5  quellions  fui  vantes. 

K  iii; 


^24     Hîjloire  Naturelle. 

i.*"  N'eft-il  pas  naturel  d'imaginer 
qu'un  corps  qui  eft  en  mouvement,  ait 
reçu  ce  mouvement  par  le  choc  d'un 
autre  corps  î 

2, ."  N  'eil-il  pas  irès-probabie  que  plu- 
fieurs  corps  qui  ont  ia  même  diredion 
dans  leur  mouvement,  ont  reçu  cette 
diredion  par  un  fcul  ou  par  pîufieurs 
coups  dirigés  dans  le  même  fens  î 

3  ."  N'elt-ilpas  tout-à-fait  vraifemîjlabïe 
qiie  plufieurs  corps  ayant  la  même  direc- 
tion dans  leur  mouvement  &:  leur  pofition 
clans  un  même  plan ,  n'ont  pas  reçu  cette 
diredion  dans  le  même  fens  &:  cette  pofi- 
tion dans  le  même  plan  parplufieurscoups^ 
mais  par  un  feul  <&  même  coup  ! 

4."  N'eft-il  pas  très-probable  qu'en 
même  temps  qu'un  corps  reçoit  un  mou- 
yement  d'impulfion ,  il  le  reçoive  obli- 
quement, &  que  par  conféquent  il  foit 
obligé  de  tourner  fur  lui-même ,  d'autant 
plus  vite  que  l'obliquité  du  coup  aura  été 
plus  grande  !  ii  ces  quelîions  neparoifTent 
pas  déraifonnables ,  le  fyftème  dont  nous 
\enons  de  donner  une  ébauche,  cefTera 
de  paroître  une  abfurdité. 

Paflous  maintenant  à  quelque  cjioie. 


Théorie  de  la  Terre,      225' 

qui  nous  touche  de  plus  près  ,  &  exaini- 
iT-ons  la  figure  de  la  terre  lur  laquelle  Oii 
a  tait  tant  de  recherches  &  de  fi  grandes 
obiervaiions.  La  terre  étant,  comme  i[ 
paroît  par  l'e'galitë  de  Ton  mouvement: 
diurne  &  la  conltance  de  i'inciinaiion  (\z 
fon  axe,  compofée  de  parties  homo- 
gènes ,  &  toutes  Tes  parties  s'atiirant  en 
railon  de  leurs  mafTes,  elle  auroit  pris 
néceffairement  la  figure  d'un  globe  par- 
faitement rphérique,  fi  le  mouvement 
d'impulfion  eût  été  donné  dans  une  ^i- 
reélion  perpendiculaire  à  la  iurface  ;  mais 
ce  coup  ayant  été  donné  obliquement, 
îa  terre  a  tourné  fur  fon  axe  dans  le 
mêm.e  temps  qu'elle  a  pris  fîi  forme  ,  & 
de  la  combinaifon  de  ce  mouvement  de 
rotation  &  de  celui  de  i'attracftion  des 
parties  il  a  réfulté  une  figure  fphcroïde 
plus  élevée  fous  le  grand  cercle  de  ro- 
tation ,  &  plus  abaiffée  aux  deux  extré- 
mités de  l'axe,  &  cela  parce  que  l'action 
de  la  force  centrifuge  provenant  du  mxou- 
vemicnt  de  rotation,  diminue  i'aclicn  de 
îa  gravité;  ainfi  ïa  terre  étant  homogène, 
&:  ayant  pris  fa  confi (lance  en  même 
temps  qu'elle  a  reçu  fon  mouvement  de 

K  v 


2i6        H'îjloire  Nûîurelle. 

rotation ,  elie  a  du  prendre  une  figure 
fphéroïde  dont  les  deux  axes  dilîèrent 
d'une  2  3  o."""  partie.  Ceci  peut  le  démon- 
trer à  la  rigueur  oc  ne  dépend  point  des 
hypoihèle-  qu'on  voudroii  fiiire  lur  la 
diretftion  delà  pelanieur,  car  il  n'eM  pas 
permis  de  faire  des  h  y  pot  h  è  les  contraires 
à  des  vérités  établies,  ou  qu'on  peut 
établir  :  or  les  loix  de  la  pelanteur  nous 
font  connues,  nous  ne  pouvor.s  douter 
que  les  corps  ne  pèlent  les  uns  fur  les 
autres  en  railbn  dire<51:e  de  leurs  mafles,  <& 
inverle  du  quarre  de  leurs  diftance  ;  de 
même  nous  ne  pouvons  pas  douter  que 
l'adion  générale  d'une  malî'e  quelconque 
ne  foit  compoiée  de  toutes  les  adlions 
particulières  des  parues  de  cette  mafîe , 
ainfi  il  n'y  a  point  d'hypothèfe  à  faire 
fur  la  diredion  de  la  pelanteur ,  chaque 
partie  de  matière  s'attire  mutuellement 
en  raifon  d-reèle  de  la  maffe  &.  inverie 
du  cjuarre  de  la  diilance ,  &  de  toutes 
ces  attradions  il  réfulte  une  fphère  lors- 
qu'il n'y  a  point  de  rotation  ,  &  il  en 
réfulte  un  Iphéroïde  lorfqu'il  y  a  rotation. 
Ce  fphéroïde  ell  plus  ou  moins  accourci 
aux  deux  extrémités  de  i'axe  de  rotation^ 


Scorie  de  la  Terre.  ^  ^  7j 
fi  proportion  de  fa  vîtcfie  de  ce  mouvc- 
inent ,  &  ia  terre  a  }:)ris  en  vertu  de  la 
VÎtefre  de  rotation  (Se  de  l'attradion  mu- 
tuelle de  toutes  les  parties,  la  ligure  d'un 
fpheroïde  dont  les  deux  axes  font  entr'eux 
comme  229  à  2  3  o. 

Ainfi  par  l'a  coiillitution  originaire,  par 
ïow  homoo^énéiié  ,  &  indéne»;  dam  ment 
de  toute  liypothèie  fur  la  dirediondela 
peianteur ,  la  terre  a  pris  cette  figure  dans 
le  temps  de  la  formation  ,  &:  elie  ell ,  en 
vertu  des  loix  de  la  Mécanique,  élevée 
nécefTairement  d'environ  fix  lieues  & 
deiîiie  à  chaque  extrémité  du  diamètre  de 
i'équaieur  de  plus  que  Tous  les  pôles. 

Je  vais  in fi fier  fur  cet  article,  parce  qu'ii 
y  a  encore  des  Géomètres  qui  croient  que 
ia  figure  delà  terre  dépend  dans  la  théorie, 
du  iyflème  de  phiioiophie  qu'on  em- 
brafie  ,  <Sc  de  ht  direction  qu'on  iuppofe  à 
ia  peianteur.  La  première  choie  que  nous 
ayons  à  démontrer ,  c'ell  i'atiradion  mu- 
tuelle de  toutes  les  parties  de  la  matière, 
&  la  lecondc  rhom.og-.  néité  du  globe 
tcrrelbe;  fi  nous  fltiions  voir  cldreiuent 
que  cci  deux  faits  ne  peuvent  j  as  être  ré- 
voqués en  doute  ,  il  n'y  aura  plus  aucune 


2.1  s        'Hijlolre  NaîiireVe: 

hypothèfe  à  faire  fur  la  diredlion  de  îà 
pelanteur  ;  la  terre  aura  eu  nécefîairement 
îa  figure  déterminée  par  Newton,  &  toutes 
les  autres  figures  qu'on  voudroit  lui  don- 
ner en  vertu  des  tourbillons  ou  des  autres 
hypothèfes ,  ne  pourront  iubfiller. 

On  ne  peut  pas  douter,  à  moins  qu'on 
île  doute  de  tout ,  que  ce  ne  foit  la  force 
d€  la  gravité  qui  retient  les  planètes  dans 
leurs  orbites;    les  fatellites  de    Saturne 
gravitent  vers  Saturne ,  ceux  de  Jupiter 
yers  Jupiter,  îa  Lune  vers  la  Terre,  &  Sa- 
turne, Jupiter,  Alars,  la  Terre,  Vénus  6c 
Mercure  gravitent  vers  le  Soleil:  de  même 
Saturne  &  Jupiter  gravitent  vers  leurs 
fàteflites ,  îa  Terre  gravite  vers  la  Lune , 
&  le  Soleil  gravite  vers  les  planètes  ,  la 
gravité  eft  donc    générale   &  mutuelle 
dans  toutes  \ts  plsnèies,  car  i'adion  d'une 
force  ne  peut  pas  s'exercer  fins  qu'il  y  ait 
réaélion ,  toutes  les  planètes  agifi"ent  donc 
mutuellement  les  unes  fur  les  autres  :  cette 
attratflion  mutuelle  fert  de  fondement  aux 
îoix  de  leur  mouvement,  &:  elle  efl:  dé- 
montrée par  les  phénomènes.   Lorfque 
Saturne  &  Jupiter  font  en  conjonc^lion,  ils 
stgiflent  l'un  fur  i'autrc;  &  cette  attradiou 


Théorie  de  la  Terre ,      '21^ 

produit  une  irrégularité  dans  leur  mou- 
vement autour  du  Soleil  ;  il  eu  eft  de 
même  de  la  Terre  ôl  de  la  Lune,  elles 
agiiïent  mutuellement  l'une  fur  l'autre, 
mais  les  irrégularités  du  mouvement  de  la 
Lune  viennent  de  l'attradion  du  Soleil,  eu 
forte  que  le  Soleil ,  la  Terre  &  la  Lune  , 
agiffent  mutuellement    ies  uns  fur  les 
autres.  Or  cette attradion  mutuelle  que  les 
planètes,  exercent  les  unes  fur  les  autres, 
eft  proportionnelle  à  leur  quantité  de  ma- 
tière lorfque  les  diftances  font  égales  ,  ôc 
la  même  force  de  gravité  qui  fait  tomber 
îes  graves  fur  la  furface  de  la  Terre,  &.  qui 
s'étend  jufqu'àla  Lune ,  eft  aufll  propor- 
tionnelle à  la  quantité  de  matière;  donc  la 
gravité  totale  d'une  planète  eft  compofée 
de  la  gravité  de  chacune  des  parues  qui 
îa  compoiènt  ;  donc  toutes  les  parties  de 
la  madère,  foit  dans  la  terre  ,  foit  dans  ks 
planètes ,  gravitent  les  unes  fur  les  autres; 
donc  toutes  les  parties  de  la  matière  s'at- 
tirent mutuellement  :  &  cela  étant  une 
fois  prouvé ,  la  terre  par  fon  mouvement 
de  rotation  a  dû  néceffairement  prendre 
ïa   figure  d'un  fphéroïde  dont  les  axes 
font  entr'eux  comme  22^  à  2.30,  &  ia 


!â3ô'       Hîjîohe  Naturelle. 

d[ire(51ion  de  la  pefanteur  eft  nécefîîiirc*» 
ment  pcrpendicuiaire  à  ia  furface  de  ce 
fphéroïde  ;  par  conféquent  il  n'y  a  point 
d'hypotlièle  à  faire  fur  la  diredion  de  la 
pelanteur,  à  moins  qu'on  ne  nie  l'attrac- 
tion mutuelie  &  générale  des  partie  de 
îa  matière,  mais  on  vient 'de  voir  que 
Tattraiflion  mutuelie  efl:  démontrée  par 
îes  obfervations ,  &  les  expériences  àts 
pendules  prouvent  qu'elle  efi  générale 
dans  Toutes  les  parties  delà  matière  ,  donc 
on  ne  peut  pas  faire  de  nouvelles  hypo- 
thèfès  lur  la  direcflion  de  la  pefanteur ,  (ans 
aller  contre  l'expérience  &  la  railon. 

Venons  maintenant  à  rhomogéneité 
du  globe  terrefire;  j'avoue  que  fi  l'on 
fupp  jie  que  le  globe  foit  plus  dénie 
dans  cer: aines  parties  que  dans  d'autres  , 
îa  diieélion  de  ia  peïân  eur  doit  être  dif- 
férente de  celle  que  nous  venons  d'af- 
figner,  qu'elle  fera  différente  fuivant  les 
différentes  fuppofitions  qu'on  fera,  & 
que  la  fgiirede  la  terre  deviendra  dif- 
férente aulîi  en  vertu  des  mêmes  fjp- 
poîiàons.  Mai  qiîdle  raifon  a-t-on  pour 
croire  que  cela  foit  ainfi  î  Pourquoi 
Teut-on,  par  exemple,  que  les  parties 


Tliéone  Ae  la  Terre.        1 3  t'' 

voifmes  du  centre ,  foient  plus  dciifes  que 
ce  les  qui  en  iont  pius  éloignées  î  toutes 
les  part  eu  es  quicompolent  le  globe  ne 
le  lont-elfes  pas  raftemblées  par  leur  at- 
tra^ion  mutuelle  \  dès-lors  chaque  parti- 
cule eft  un  centre,  &.  il  n'y  a  pas  de  raiiori 
pour  croire  que  le.-»  parties  qui  font 
au:our  du  centre  de  grandeur  du  globe , 
foient  plus  denfes  que  ce  les  qui  font 
autour  d'un  autre  point  ;  mais  d'ailleurs 
fi  une  partie  confidérable  du  globe  étoit 
plus  denfe  qu'une  autre  p^rJe,  i'axe  de 
rotation  le  trouveroit  plus  près  des  parties 
denfes,  &  il  en  réfuUeroit  une  ineg  lire 
dans  la  révolution  diurne  ,  en  lorte  qu'à 
la  furface  de  la  tene  nous  remarquerions 
de  rinégi'Jité  dans  le  mouvement  ap- 
parent des  fixei ,  elles  nous  paroit  oient 
le  mouvoir  beaucoup  plus  vî  e  ou  be:iu- 
coup  plus  Icnfetnenc  uu  zénith  qu'à  l'ho- 
rizon ,  lelon  que  nous  ferions  polés  fuï 
les  parties  dénies  ou  iégè:ei  du  globe: 
cet  axe  dt  la  terre  ne  pafî^tnt  plus  par 
le  cent  e  de  granieurdu  globe,  ch  nge- 
roic  auili  très-lènfb'enient  de  pofui  n  ;• 
m  is tout ceL;  n'arr  e  })..s,  on  iiic ;ui  con- 
traire que  le  mouvemeiit  diurne   de  iâ^ 


X-^z       'Hijloke  Naturelle, 

terre  eft  égal  &  uniforme ,  on  fait  qu*l 
toutes  les  parties  de  la  furfàce  de  la  terre 
ies  étoiles  paroiiïent  fe  mouvoir  avec  la 
inême  vîteiïe  à  toutes  ies  hauteurs,  &  s'il 
y  a  une  nutation  dans  l'axe,  elle  efl:  afïez 
infènfible  pour  avoir  échappé  aux  obler- 
vateurs  ;  on  doit  donc  conclure  que^  le 
globe  efl  homogène  ou  prefque  homo- 
gène dans  toutes  Tes  parties. 

Si  la  terre  étoit  un  globe  creux  &  vide 
dont  la  croûte  n'auroit,  par  exemple,  que 
deux  ou  trois  lieues  d'épaiiïeur  ,  il  en  ré- 
fulteroit  i  .^  que  les  montagnes  feroient 
dans  ce  cas  des  parties  fi  coiiridérables 
de  l'épaifTeur  totale  de  la  croûte  qu'il  y 
auroit  une  grande  irrégularité  dans  les 
Biouvemens  de  la  terre  par  l'attradion  de 
!a  lune  &  du  foieil  ;  car  quand  les  parties 
les  plus  élevées  du  globe,  comme  les 
Cordillères,  auroient  la  lune  au  méri- 
dien, l'attradion  feroit  beaucoup  plus 
forte  fur  le  globe  entier  que  quand  les 
parties  les  plus  baffes  auroient  de  même 
cet  aftre  au  méridien.  2.''  L 'attraction 
des  moniagnes  feroit  beaucoup  plus  con- 
fidérabie  qu'elle  ne  l'efl  en  comparai- 
ion  de  l'attradion  totale  du  globe,  &  les 


Théorie  âe  la  Terre.      %  3  3 

expériences  faites  à  la  montagne  deChim- 
boraçoau  Pérou  ,donneroientdans  ce  cas 
plus  de  degrés  qu'elles  n'ont  donné  de 
fécondes  pour  ladéviaiion  du  fil  à-plonib. 
3,''  La  pedinteur  des  corps  feroit  plus 
grande  au-de/Tus  d'une  haute  montagne , 
comme  le  Pic  de  Ténérifle,  qu'au  niveau 
de  la  mer,  en  forte  qu'on  fe  ièntiroit 
confidérablement  plus  pefint  &  qu'on 
mar  cheroit  plus  difficilement  dans  les  lieux 
élevés  que  dans  les  lieux  bas.  Cesconfidé- 
raiions  &  quelques  autres  qu'on  pourroit 
y  ajouter  ,  doivent  nous  faire  croire  que 
l'intérieur  du  globe  n'efl  pas  vide  &  c|u'il 
eft  rempli  d'une  matière  aflez  denfe. 

D'autre  côté,  fi  au-defîous  de  deux  ou 
trois  lieues ,  la  terre  étoit  remplie  d'une 
matière  beaucoup  plus  denfe  qu'aucune 
des  matières  que  nous  connoifTons ,  il 
arriveroit  néceflairement  que  toutes  les 
fois  c[u'on  dcicendroit  à  des  profondeurs 
Hiême  médiocres ,  on  pèferoit  fenfible- 
ment  beaucoup  plus,  les  pendules  s'ac- 
célérer oient  beaucoup  plus  qu'ils  ne  s'ac- 
célèrenî  en  effet  lorfqu'on  les  tranfporte 
d'un  lieu  élevé  dans  vui  lieu  bas  ;  ainfi 
nous  pouvons  préfumer  que  i'imérieux 


':2-34  Hipohe  Nûîurelie. 
de  la  terre  eft  rempli  d'une  matière  a  petî 
près  femblable  à  celle  qui  compofe  la 
furface.  Ce  qui  peut  achever  de  nous 
déterminer  en  faveur  de  ce  (entinient , 
c'ell"  que  dans  ie  temps  de  la  première 
formation  du  globe,  lorlqu'ii  a  pris  la 
forme  d'un  fj^hcroïde  aplati  fous  les 
pôles ,  la  matière  qui  le  compofe,  éioit 
en  fufion,  &  par  confequent  homo- 
gène ,  &  à  peu  près  e'gnlement  denfe  d;ins 
toutes  fes  parties ,  aulfi-bien  à  la  furfice 
qu'à  l'intérieur.  Depuis  ce  temps,  la  ma- 
tière de  ia  fuiface,  quoique  la  même, 
a  été  remuée  6i  travaillée  par  les  caufes 
extérieures ,  ce  qui  a  produit  des  ma- 
tières de  différentes  denfnés;  mais  on 
doit  remarquer  que  les  madères  qui, 
comme  l'or  &  {es  métaux  ,  font  les  plus 
dénies  ,  font  aulTi  celles  qu'on  trouve  le 
plus  rarement ,  &  qu'en  confécjuence  de 
î'adiion  des  eau  lès  extérieures,  la  plus 
grande  partie  de  la  matière  qui  compote 
ie  glo]:îe  à  la  furface ,  n'a  pas  fubi  de 
très-grands  changemens  par  rapport  à  la 
denfité ,  &  les  matières  les  plus  coiw- 
munes,  comme  le  fable  &  la  orlaife ,  ne  dif^ 
fèreiit  pas  beaucoup  eu  dea.fité;  eu  iorts 


Tiléone  de  h  Terre,      2^^     , 

qu'il  y  a  tout  lieu  de  conje^fturer  avec 

gnmde   vraifeniblance ,   queji^^kur  ^trt  tij^n-         ^ 

<:}e  la  terre  ell  rempli  d'une  m^^^^itri-  P,i^*_  /;(    *  ^«  j 

ri(^e  donf'là  dêniite,'e{i   à  peu  prés  ia  Vy  0  !"/**] 
iTi'eme   que   celle   du  llible  ,  <&  que  par  ^^  ^^^J^  • 
confequent  le  globe  terreftre  en  général 
peut  être  regardé  comme  homogène. 

li  refle  une  relTource  à  ceux  qui  veu- 
ient  abfolumcnt  faire  des  ruj)poli  ions, 
c'efl:  de  dire  que  le  globe  eit  comporé 
de  couches  concenrriques  de  différentes 
denfités,  car  dans  ce  cas  le  mouvement 
diurne  fera  éaal ,  &  l'inclinaifon  de  l'axe 
confiante,  comme  dans  le  cas  de  l'homo- 
généité. Je  l'avoue  ,  mais  je  dem  nde  en  ,    * 
jnême  temps  s'il  y  a  aucune  railon  de  ^**^  ^««**«/ft^ 
croire   que   ces   couches   de   diiférenîes«/^'»«<**  T*^*^ 
denfités  exiftent,  fi  ce  n'eu  pas  vouloir  «>^ dtmiiiiu 
que  les  ouvrages  de  la  Nature  s'ajuftent       j    MrvwnJ 
à  nos  idées  abltraites  ,  &  fi  l'on  doi.  ad-        ,.        .    * 
mettre  en  Phyfique  une  fuppofuion  qui*'^^*^^'^'^*^*^ 
n'eft    fondée   fur  aucune  obfervation  ,  '^^^  tf'*^,        ^ 
aucune  andogie  ,    &  qui  ne  s'accorde 
avec  aucune   des  indudions  que  nous 
pouvons  tirer  d'ailleurs. 

Il  paroît  donc  que  la  terre  a  pris, 
eii  vertu  de  i'attraâion  mutuelle  de  feg 


2^6       Hîflolre    'Naturelle, 

parties  &  de  Ton  mouvement  de  rotation , 
r'* •>■<.  -^t*  Ici,j^|^||ft|^n  fphéroïde  dont  îes  deux 
>%  ^^,  axes^Hilmit   d'une   220.""*  P'^niejJ 
paroi c  que  c  éit-ia  i;i  n^ure  primitive  - 
"      »        quelie  a   priie  neceliaïrement  dans  le 
temps  de  ion  état  de  fluidité  ou  de  il- 
quéfàélion  ;   il  paroi t    qu'en   vertu   àç.s 
loix  de  ia  gravité  &  de  h  force  centri- 
fuge, elle  ne  peut  avoir  d'autre  figure , 
que  du  moment  même  de  fa  formation 
if  y  a  eu  cette  différence  entre  les  deux 
diamètres ,  d^  fix  iieues  &  demie  d'éiéva- 
tron  de  plus  fous  l'équateur  que  fous  les 
pôles,  &i  que  par  conféquent  toutes  les 
, ..^hypothèfes  par  lefqueiles  on  peuttrou- 
****'"*  ver  plus  ou  moins   de    différence   font 
-•  ••'^    -^es  fi(flions  auxquelles  il  ne  faut  faire 
^*».*  -»,   aucune  attention. 
,^»r    .-V..,-      Mais,  dira-t-on  ,  fi  la  théorie    efl 
vraie,  fi  le  rapport  de  22a  à  230  efl 
le  vrai    rapport  des  axes,  pourquoi  les 
*-^  -  ,.-♦  Mathématiciens  envoyés  en  Lapponie& 
au  Pérou ,   s'accordent-ii's  à  donner  le 
rapport  de  1 74  à  i  7  5  î  d'où  peut  venir 
cette  différence  de  ia  pratique  à  la  théo- 
rie î  &,  fans  fiire   tort  au  raifonnement 
qu'on  vient  de  faire  pour  démontrer  h 


Théorie  de  la  Terre*      2  3  7 

théorie ,  n'eft-il  pas  plus  raifonnable  de 
-donner  la  préférence  à  la  pratique  &  aux 
mefures,  îur-tout  quand  on  Mpeut  pas 
douter  qu'elles  n'aient  été  prîtes  par  les 
plus  habiles  Mathématiciens  de  l'Europe 
(M,  de  Mmperîuis ,  figure  de  la  Terre) 
&  avec  toutes  les  précautions  nécefîaires 
pour  en  conftater  le  réfultat  \ 

À  ceLi  je  réponds  que  je  n'ai  garde 
de  donner  atteinte  aux  ob  fer vations  faites 
fous  î'équateur  &  au  cercle  polaire  ,  que 
je  n'ai  aucun  doute  fur  leur  exaélitude , 
.&  que  la  terre  peut  bien  être  réelienient 
élevée  d'une  17  5."'^  partie  de  plus  fous 
I'équateur  f|ue  fous  les  pôles  ;  mais  en 
même  temps ,  je  maintiens  la  théorie,  & 
je  vois  clairement  que  ces  deux  réfultats 
peuvent  le  concilier.  Cette  différence 
des  deux  réfultats  de  la  théorie  &  des 
mefures ,  efl  d'environ  quatre  lieues  dans 
les  deux  axes,  en  forte  que  les  parties 
fous  I'équateur  font  élevées  de  deux 
lieues  de  plus  c(u 'elles  ne  doivent  l'être 
fuivantla  théorie  :  cette  hauteur  de  deux 
lieues  répond  aflez  jufte  aux  plus  grandes 
inégalités  de  la  furfice  du  globe  ,  elles 
proviennent  du  mouvement  de  la  mer 


1 

l'jS  Hiflotre  Naturelle; 
ÔL  de  i'adioii  des  fluides  à  la  furface  de 
îa  terre.  Je  m'explique,  il  me  piroît 
que  dji"^e  temps  qtie  la  terre  s'eît  for- 
mée,  elle  a  iiëcefTairement  dû  prendre, 
en  vertu  de  i'i.ttnîdion  mutuelle  de  Tes 
parties  &  de  l'adion  de  la  force  centri- 
fuge ,  la  figure  d'un  fphéroïde  dont  les 
axes  diffèient  d'une  230."'''  p:.rtie  ;  \x 
terre  ancienne  &  originaire  a  eu  necei- 
f  lirement  cette  figure  qu'elle  a  prife  lorl- 
qu'elîe  étoit  fluide  ou  plutôt  liquéfiée 
par  le  feu  ,  mais  lorlqu'après  la  forma 
tion  &  ion  refroidiflement ,  les  vapeurs 
qui  étoient  étendues  &  raréfiées,  comme 
FxOus  voyons  ratmofphère  &  la  queue 
d'une  comète  ,  le  furent  condenlées ,  elles 
tCHibèrent  fur  la  iurface  de  la  terre  & 
formèrent  l'air  &  l'eau  ;  &  lorique  ces 
eaux  qui  étoient  à  la  furface,  furent  agi- 
tées par  le  mouvement  du  flux  &  reflux  , 
ks  matières  furent  entraînées  peu  à  peu 
des  pôles  vers  l'équateur,  en  forte  qu'il 
efl:  pcffible  que  les  parties  clés  pôles  iè 
foient  abaiflees  d'environ  une  lieue ,  & 
que  les  parties  de  l'équateur  fe  foient 
élevées  de  la  même  quantité.  Cela  ne 
s'cfl:  pas  fait  tout-à-coup,  mais  peu  à  peu 


Théone  de  la  Terre.  2  j  ff 
&.  dans  la  fuccefîion  des  temps;  la  terre 
étant  à  i'exîérieur  expolte  aux  vents,  à 
l'adion  de  l'air  &  du  ioleiifRoutes  ces 
cailles  ir régulières  ont  concouru  avec 
îe  fîux  Si  le  reflux  pour  fillonner  û\  fur- 
fîice  ,  y  creufer  des  profondeurs,  y  élever 
des  montagnes,  ce  qui  a  produit  des 
inéoraittés ,  des  îrréoruiariiés  dans  cette 
couche  de  terre  remuée ,  dont  cepen- 
dant la  plus  grande  épaifîeur  ne  peut 
être  que  d'une  lieue  fous  l'cquateur; 
cette  inégalité  de  deux  lieues  ell:  peut- 
être  la  plus  grande  qui  puilTe  être  à  h 
iiirface  de  la  terre ,  car  les  plus  hautes 
montagnes  n'ont  guère  qu'une  lieue  de 
hauteur,  &  les  plus  grandes  profondeurs 
de  la  mer  n'ont  peut-être  pas  une  lieue, 
La  théorie  efl:  donc  vraie,  &.  la  pratique 
peut  l'être  aufî]  ;  h  terre  a  du  d'abord 
n'être  élevée  fjus  l'équatcur  que  d'envi- 
ron  fix  lieues  &  demie  de  -plus  qu'au 
pôle ,  Se  enfuite  par  les  changemens  qui 
font  arrive's  à  fi  riirface  ,  e'ie  a  pu  s'é- 
lever davantage.  L'Hilloire  Naturelle 
confirme  merveilieulement  cette  opinion, 
&  nous  avons  prouvé  dans  le  diicours 
précédent,  que  c'eftie  fîux  ôc  le  reflux  êc 


2^6       Hîflohe  Naturelle: 

ies  autres  mouvemens  des  eaux  qui  on? 
produit  les  montagnes  &  toutes  les  ine'- 
galités  deWfurface  du  globe  ;  que  ccno. 
même  furface  a  iubi  des  changemens 
très-confidérables ,  &  qu'à  de  grandes 
profondeurs  comme  fur  les  plus  grandes 
hauteurs,  on  trouve  des  os,  des  coquilles 
&  d'autres  dépouilles  d'animaux  habitans' 
des  mers  &  de  la  furface  de  la  terre. 

On  petit  conjedurer  par  ce  qui  vient 
d'être  dit,  que  pour  trouver  la  terre 
ancienne  &  les  matières  qui  n'ont  jamais 
été  remuées,  il  fmdroit  creuiêr  dans  les 
climats  voifins  des  pôles  ,  oii  ia  couche 
de  terre  remuée  doit  être  plus  mince  que 
dans  les  climats  méridionaux. 

Au  relie  ,  fi  l'on  examine  de  près  les 
mefures  par  lefquelles  on  a  déterminé 
la  figure  de  la  terre  ,  on  verra  bien  qu'il 
entre  de  l'hypothétique  dans  cette  déter- 
mination ,  car  elle  fuppofe  que  la  terre 
a  une  figure  courbe  régulière ,  au  lieu 
qu'on  peut  penier  que  la  furface  du 
globe  ayant  été  altérée  par  une  grande 
quantité  de  caufes  combinées  à  l'infini, 
elle  n'a  peut-être  aucune  figuré  régu- 
lière ;  &  dès-lors  la  terre  j^ourroit  biei:ï 

n'être 


Théorie  de  la  Terre,       241 

n'être  en  effet  aplatie  que  d'une  230.""*^ 
partie  ,  comme  le  dit  Newton ,  &  comme 
la  théorie  le  demande.  D 'ailleurs  ,  011 
fait  bien  que  quoiqu'on  ait  exad:ement 
la  longueur  du  Degré  au  cercie  polaire 
^  à  i'équatcur ,  on  n'a  pas  aufli  exacfle- 
ment  la  longueur  du  Degré  en  France, 
&  que  l'on  n'a  pas  vérifié  ia  mefure  de 
M.  Picard.  Ajoutez  à  cela  que  la  dimi- 
iiution  &:  l'augmicntation  du  pendule  ne 
peuvent  pas  s'accorder  avec  le  réiultat 
des  meiures  ,  &  qu'au  contraire  elles  s'ac- 
cordent à  très-peu  près  2ivec  la  théorie 
de  Newton  ;  en  voilà  plus  qu'il  n'en 
flmt  pour  qu'on  puifTe  croire  que  la 
terre  n'eit  réellement  aplatie  que  d'une 
23 o.""^  partie,  &  que  s'il  y  a  quelque 
différence ,  elle  ne  peut  venir  que  des 
inégalités  que  les  eaux  &  les  autres  caules 
extérieures  ont  produites  à  la  lurface  ;  & 
ces  inégalités  étant,  feîon  toutes  les  appa- 
rences ,  plus  irrégulières  que  régulières , 
on  ne  doit  pas  faire  d'hypothèfe  fur  cela, 
ni  fuppofer,  comme  on  l'a  fait ,  que  les 
méridiens  font  des  ellipfes  ou  d'autres 
courbes  régulières  ;  d'où  l'on  voit  que 
quand  onmefureroit  fuccelîivement  plu- 
Tome  /.  L 


242.  Htflolre  Naturelle.' 
fleurs  Degrés  de  la  terre  dans  tous  les 
fèns,  on  ne  ieroit  pas  encore  aiîuré  j^ar- 
ià  de  la  quantité  d'aplatifi'emcnt  qu'elle 
peut  avoir  de  moins  ou  de  plus  que  de 
a  230.       partie. 

Ne  doit-on  pas  conjeiflurer  aufll  que 
il  l'iticlinaiion  de  l'axe  de*  la  terre  ;i 
changé  ,  ce  ne  peut  être  qu'en  vertu  des 
chaiîgeniens  arrivés  à  la  lurface,  puilquc 
tout  le  reile  du  globe  eil:  hoiucgène; 
que  par  coniéqucnt,  cette  variation  eil 
trop  peu  lenfibie  pour  être  aperçue  par 
les  Ailronoines,  &  qu'à  moins  cjue  lu 
terre  ne  ioit  rencontrée  par  qiîelque 
coiuète ,  ou  dérangée  par  c|uefqii'autre 
cauie  extérieure,  ion  axe  demeurera  per- 
pétuellement incliné  comtne  il  i'ei'i  au- 
jourd'hui, &  comme  il  l'a  toujours  été  ! 
1^  £t  afin  de  n'omettre  aucune  des 
conjeélures  qui  me  paroiflent  raiion- 
nabies ,  ne  peut-on  pas  dire  que  comme 
les  montagnes  &  les  inégalités  qui  loiit  à 
la  Turface  de  la  terre,  ont  été  formées  par 
l'a<fliondu  flux  &  reflux,  les  mon.timnes 
&  les  inégalités  que  nous  remarquons 
à  fa  ilirfiice  de  la  iunc  ,  ont  été  produites 
par  une  caiiic  iemblabie  ;    qu'elles   font 


ThSone  de  la  Terr^,        243 

Tîeavjcoiip  pWs  élevées  que  cclîcs  de  h 
terre  ,  parce  que  le  fîux  ik  reflux  y  eîl 
beaucoup  plus  fort ,  puifqu'ici  c'efl  la 
lune  ,  &  là  c'eft  la  terre  qui  le  caufe , 
dont  la  maffc  étant  beaucoup  plus  ccn- 
fîdérable  que  celle  de  la  lune  ,  devrolt 
produire  deseffets  beaucoup  plus  grands 
fi  la  lune  avoit,  comme  la  terre,  v.n 
mouvement  de  rotation  rapide  par  lequel 
elle  nous  préfèmeroit  fucceflivemient 
toutes  les  parties  de  fa  furface  ;  mais 
comme  la  lune  préfente  toujours  la  mem.e 
face  à  la  terre,  le  flux  &  le  reflux  ne  peu- 
vent s'exercer  dans  cette  planète  qu'en 
vertu  de  ion  mouvement  de  iibration 
par  lequel  elle  nous  découvre  alternati- 
vement un  fegment  de  fa  furftce,  ce  qui 
doit  produire  une  efpèce  de  fîux  &  de 
reflux  fort  diiiérent  de  celui  de  1105 
mers ,  &  dont  les  edèts  doivent  être 
beaucoup  moins  confidérables  qu'ils  ne 
le  feroient,  fi  ce  mouvement  avoit  pour 
caufe  une  révolution  de  cette  planète 
autour  de  Ion  axe ,  aulîi  prompte  que 
l'eiî:  la  rotation  du  globe  terrelb'e. 

J'aurois  pu  faire  un  livre  gros  comme 
celui  de  Burnet  ou  de  Whiflon  ,  fï  j'cu& 

L  ij 


^44  fîtflotre  Naturelle. 
voulu  délayer  les  idées  qui  compofent 
le  fyftème  qu'on  vient  de  voir  ,  ^  en 
leur  donnant  i'air  géométrique,  coinjne 
l'a  fait  ce  dernier  Auteur,  je  leur  eufTe 
en  même  temps  donné  du  poids;  mais 
je  penfe  que  des  hypothèfes,  quelque 
vraifemblables  qu'elles  foient,  ne  doivent 
point  être  traitées  avec  cet  appareil  .quj 
dent  un  peu  de  la  charlatanerie. 

A  Buffon  le  2  q  Septembre  j  y ^^ . 


Tfiéorîe  Je  la  Terre,       "2  4  5^ 

PREUVES 

DE  LA 

THÉORIE  DELA  TERRE. 
A  R  T  I  C  L  E   1 1. 

Du  Syfthne  de  AL  Wlùpn. 

A  ncw  Theory  of  the  Earth  ,  by  Wiii.  Whiftonp 
Lvndon ,    lyoS» 

CET  Auteur  commence  fon  traite  de 
ia  Théorie  de  la  Terre  par  une 
difTertation  fur  ia  création  du  monde  ;  iï 
prétend  qu'on  a  toujours  mal  entendu  le 
texte  de  la  Qç,Tih{Q^  qu'on  s'eft  trop  atta- 
ché à  ia  iettre  &  au  iens  qui  ie  prélente 
à  ia  première  vue,  Hms  fliire  attention 
à  ce  que  la  Nature ,  îa  raiibn,  ia  Philofo- 
phie  ,  &  même  ia  décence  exigeoient  de 
i'Écrivain  pour  traiter  dignement  cette 
matière.  îi  dit  que  ies  noticns^-qû'on  a 
communément  de  i'ouvrap^e  des  fix  jours, 
Ibnt  aÎDibîament  taufies  ,  &  que  ia  del- 
crijuionde  Moyfe  n'eii  pas  une  mrrauoa 

L  iij 


2  4-6        mpotre  Naturelle: 
exade  &   philofophiqiie  de    {a  création 
de   l'Univers   entier   <&   de  i  origine  de 
tomes   choies,   mais   Mie  rcpréientation 
iîiiiorique  de  la  formation  du  fenl  globe 
terrefire.    La    terre  ,    félon   lui,  exidoit 
auparavant  dans  le  cahos,  ^  elle  a  reçu 
dans  le  temps  mcniionnépar  Moyfe  la 
fonrié,  laiïiuation  &  la  confiHance  né- 
ceiiaires  pour  pouvoir  être  habitée  par  le 
genre  humain.    Nous  n'entrerons  point 
émsÏQ  détail  de  fes  preuves  à  cet  égard  , 
^  nous -n'entreprendrons  pas  d'en  f  lire 
îa  réfutation;  lexpcfition  que  nousvc- 
lions  de  faire  ,  fuffit  pour  démontrer  la 
cciîtrariété  de  ion  opinion  avec   la  foî^ 
&  par  conféquent  i 'in  lufâ  lance  ck  fes 
preuves:  au  reftc,  il  traite  cette  matière  eii 
l'héologien  controveifiiie  plutôt  qu'en 
Ph  iiofophe  éclairé. 

Pariant  de  ces  fmx  principes  ,  il  pafTe 
à  des  fuppofitions  ingénieufes,  &  qui, 
Cjuoiqu  extraordinaires  ,  ne  lailTent  pas 
d'avoir  un  degré  de  vraifemblance  lori- 
qu  on  veut  fe  livrer  avec  lui  à  î'enthou- 
fiafme  du  fyilème:  il  dit  que  l'ancien 
cahos,  iorigine  de  notre  terre,  a  été 
i'atinof])hère  d'une  comète  ;  que  le  mou- 


Théorie  de  la  Terrer       247 
veillent  annuel  de  la  terre  a  commencé 
dans  le  temps  qu'elle  a  pris  une  nouvel.e 
forme  ,  mais  que  Ton  mouvement  diurne 
n'a  commencé  qu'au  temps  delà  ointe 
du  premier  homme  :    nue  le  cerc.e  de 
l^écliptique  coupolt  alors  le  tropique  ou 
C'incer  au  point  du  paradis  terreitre  a  Sa 
floniière  d'Aayrie,  du   côté  du  nord^ 
ouell;  qu'avant  le  déluge  Tannée  com- 
mcnroit  à  l'équinoxe  d'automne  ;  que  les 
orbiics  originaires  àti   planèies,  &  iur- 
îout  l'orbite  de  k   terre,  étoienî  avant 
ie  déluge    des   cercles  parlaits  ;    que    e 
d-luc^e  a  commencé   le   18,'     jour  de 
Nov'embre  del'année  2365  delapériode 
Julienne  ,   c'eft-à-dire ,  2  3  49  f 7  ^^ 
i'ere   chrétienne;  que  l'année  iolaire  & 
Tannée  kmaire  éioient  les  mêmes  avant 
le  deluae,  &  qu'elles  contenoient  juite 
.60  jo^jrs;   qu'une  comète  defcendant 
dans  ie  plan  de  l'écliptique  vers  Ton  péri- 
hélie .  a  pafie  tout  auprès  du  globe  de 
la  terre  le  jour  même  que   le  déluge  a 
commencé;  qa'il  y  a  une  grande   cha- 
leur dans  l'intérieur  du  globe  terreitre, 
(nji  ie    répand  conrtammenî  du^  centre 
à  la  circonférence  ;  que  la  conuitutiou 

L  iiij' 


i4§        Hifloire  Naturelle. 
intérieure  &  toialede  la  terre  eft  comme 
cel.ed  unœuf.ancienemblémedu  dobc  • 
que    es  montagnes  font  les  pardes  les 
plus  kgeres  de  Ja  terre,  &c.  Enfuite  il 
attribue  an   déluge  univerfei  toutes  les 
altérations  &  tous  les  changemens  arrivé* 
a  ia  lurflice  &  >,    l'intérieur  du  ^lobe 
Il  adopte  aveuglément  les  hypotiiçfes  de' 
Voodwm-d,   &    fe   fert  Indiiîinflement 
<ie  toutes  les  obfervations  de  cet  Auteur 
au  fujetde  l'état  préfem  du  globe;  mais 
i!   y  ajoute   beaucoup  lorfqu'ii  vient  à 
înmer  de  l'état  futur  dé  la  terre  :  félon  lui 
^tle  périra  par  le  feu,   &  f,  deftruc^ion 
lera    précédée    de  tremblemens    épou- 
v;uitables,  de  tonnerres  &  de  météores 
effroyables    le  foleil  &    la  iune  auront 
iafpea   hideux,    les    deux  paroîtront 
s  écrouler,   l'incendie  fera    général   fur 
la  terre;   mais  lorfque  Je  feu  aura  dé- 
vore tout  ce  qu'elle  contient  d'impur  , 
lorfquclie  fera  vitrifiée  &  tranfparente 
comme  le  criiïal,  les  Saints  &  les  Bien- 
heureux viendront  en  prendre  poiïéirion 
pour  1  hajjiter  jufqu'au  temps  du  iuo-e- 
meiit  dernier.  '^ 

Toutes  ces  hypothèfes-^emblem  au 


Théorie  de  h  Terre.       249 
premier  coup  d  œil ,  être  autant  d'afTer- 
fions  téméraires,  pour  ne  pas  dire  extra- 
vacrantes;  cependant  l' Auteur  ies  a  ma-- 
nic^-s  avec  tant  d'adrelTe  ,  &  les  a  réunies 
avec  tant  de  force  ,  qu'elles  cefTent  de 
paroître  abfolument  chimériques  :  il  met 
dans  ibn   fujet  autam    d'elprit    &    de 
fcience  qu'il  peut  en  comporter ,  &  on 
fera  touiours  étonné  que  d'un  mélange 
d'idées  auin  bizarres  &  aufTi  peu  faites 
pour  aller  enfemble ,  on  ait  pu  urer  un 
fyrtèmeéblouiffam;  cen'eft  pas  même 
aux  efprits  vulgaires  ,  c'eft  aux  yeux  à^^. 
Savans  qu'il  paroîtra  tel ,  parce  que  les 
Savans  font  déconcertés  plus  ailement 
que  le  vulgaire  par  l'étalage  de  l'érudi- 
tion,  &  par  la  force  &  la  nouveamé  des 
.  idées.  Notre  Auteur  étoit  un  Aftronome 
célèbre,    accoutumé   à  voir  le   ciel  en 
raccourci ,  à  mefurer  les  mouvemens  des 
afti-es,à  compafferles  efpaces  descieux, 
il  n'a  jamais  pu  fe  perfuader  que  ce  petit 
arain  de  fable ,  ceue  terre  que  nous  ha- 
bitons, ait  attiré  l'attention  du  Créateur 
au  poim  de  l'occuper  plus  long-temps 
que  le  Ciel  &  l'Univers  entier,  dont  a. 
\afte  étendue  contient  d&s  millions  de 

L  V 


250        Hifloh-e  ISlaUircIle. 
miliions  de  foleils  &  de  terres.  Il  pré- 
tend donc  que  Moyfe   ne  nous  a  pas 

donne  lh,fto.re  de  la  première  création, 
mais  leukment  le  détail  de  la  nouvelle 
lorn.e  que  la  terre  a  prife,  lorlque  la 
ma,n  du  1  ou(-puiff,nt  la  tirée  dt.  non.- 
J^re  des  comètes  pour  la  fiire  planète, 
ou,  ce  qui  revient  au  même,  lorlque 
dun  inonde  en  défordre  &  d'un  cahos 
■  "Uforme  ,1  en  a  ftit  une  hai^itaiion  tran- 
quille &  un  (ejour  agréable;  les  comètes 
ipnt  en    effet  luj êtes  à  des  vicilDiudes 
tçrribles  a  caufe  de  l'excentricité  de  leurs 
orbites;    tantôt,   coMime   dans  celle  de 
<68o,  ,1  y  11,!,  n,i,i^  fois  plus  chaud 
cfuaum,l,eu  d'un  brafier  ardent,  tatitôt 
U  y  fut  mille  fois  plus  froid  que  dans  la 
glace,   &  çhes  ne  peuvent  guère  être 
habitées   que  par  d'étranges  Créatures, 
ou    pour  trancher  court,  elles  foiit  in- 
l)abitees. 

,  ^^'P^-'W.'^es  au  contraire  font  des  lieux 
oe  repo  ou  la  diftaiice  au  foleil  ne  variant 
PAS  beaucoup ,  la  température  relie  à  peu 
p.es  In  i„eme,  &  pe,,^et  aux  efpèces  de 
piaaies  &  d  aniinaux,  de  croîax,  de  durer 
«  de  œu'iiplier. 


Ihecrie  cu  la  Terre,        1 5  * 
'     Au  cominenccment,  Dieu  créa  donc 
î-Univers,  mais,   Icloii  notre    Auteur, 
in  lerrc  confondue  avec  les  autres  aRres 
errans ,  n'étoit  alors  qu'une  comète  inha- 
bitable, loufFrant  aiternaiivement  Texcè 
du  froid  &  du  chaud,  dans  iaquelle   ies 
matières  fe   liquéfiant,  fe   vitrifiant,   fe 
glaçant  tour  à  tour ,  formoient  un  cahos , 
un  abyme  enveloppé  d'épaiffes  ténèbres, 
ér  îenelmv  annt  Ju/jcr  fiiiem  ûhyjji.   Ce 
cahos   étoit  l'aimofj)hère   de   la  comète 
qu'il  faut  le  repréfeuier  comme  un  corps 
coinpofé  de  matières  hétérogènes,  dont 
ie   centre  étoit  occupé  par  un  noyau 
fphérique  ,  folide  &  chaud  ,  d'environ 
deux   mille  lieues   de   diamètre,  autour 
duquel  s'étcndoit  une  très-grande  cir- 
conférence d'un  fluide  épais,  mêlé  d'une 
matière  informe  ,  confufe ,  telle  qu'étoit 
l'ancien  cahos ,  rudis  indigepacjue  moles. 
Cette  vafte  atmofphèrc  ne  contenoit  que 
fort  peu  de  parties  sèches  ,   folides  ou 
terreftres  ,  encore   moins   de  particules 
aqueufes  ou  aériennes  ,  mais  une  grande 
quantité  de  matières  fluides ,  dénies    & 
pefantes, mêlées,  agitées  &l  confondues 
enfembie.  Teik  éioic  la  terre  la  veille  des 

Lvj 


:2  5  2.        HiJIoire  NdtureJk. 

fîx  jours;  mais  dès  le  lendemain ,  c'eft-a- 
dire ,  dès  ie  premier  jour  de  la  création 
îorfque  l'orbite  excentrique  de  la  comète 
eût  été  chanote  en  une  ellijjfe  prefque 
circulaire,  chaque  cho(e  prit  la  place, 
&  ies  corps  s'arrangèrent  fuivant  la  loi 
de  ieur  gravité  rpéciiique,  les  fluides 
pefans  deicendirent  au  plus  bas,  &  aban- 
donnèrcntaux  parties  tcrreftres ,  aqucuîes 
&  aériennes  la  région  fupérieure;  celles- 
ci  deicendirent  auiîi  dans  ieur  ordre  de 
peianteur ,  d'abord  la  terre  ,  enfuitc  l'eau, 
ÔL  enfin  l'air;  &  cette  iphère  d'un  cahos 
immenle  le  réduitit  à  un  globe  d'un  vo- 
lume médiocre ,  au  centre  duquel  eft  le 
noyau  folide  qui  conferve  encore  au- 
jourd'hui la  chaleur  que  le  foleil  lui  a 
autrefois  communiquée  lorlqu'il  étoit 
noyau  de  comète.  Cette  chaleur  peut 
Lien  durer  depuis  fix  mille  ans  ,  jpjif- 
qu'il  en  faudroit  cinquante  mille  à  la 
comète  de  1680  pour  fe  refroidir,  & 
qu'elle  a  éprouvé  en  pafîlmt  à  fou 
périhélie ,  une  chaleur  deux  mille  fois 
plus  grande  que  celle  d*un  fer  rouge. 
A  utour  de  ce  noyau  loiide  &  brûlant  qui 
occupe  le  centre  de  la  terre ,   fe  trouva 


Théorie  de  la  Terre.        2  ^  "^ 

le  fluide  clenle  &;  peflmt  qui  cJefceiidit  ie 
premier ,  <Sc  c'eft  ce  fluide  qui  forme  ie 
grand  abyme  fur  lequel  la  terre  porteroit 
comme  le  liège  fur  ie  vit-argent;  mais 
camme  les  parties  terreftres  étoient  mê- 
lées de  l)eaucoup  d'eau,  eiles  ont  en 
deicendimt  entraîné  une  partie  de  cette 
eau  qui  n'a  pu  remonter  lorfque  ia  terre 
a  été  conloiidée,  &  cette  eau  forme  une 
couche  concentrique  au  fluide  pefmt 
qui  enveloppe  ie  noyau ,  de  forte  que 
ie  grand  abyme  efl  com.poié  de  deux 
orbes  concentriques  ,  dont  ie  plus  inté- 
rieur ell  un  fluide  pelant,  &  le  fupé- 
rieur  ell:  de  l'eau  ;  c'efl  proprement  cette 
couche  d'eau  qui  fert  de  fondement  à  ia 
terre  ,  &  c'efi:  de  cet  arrangement  admi- 
rable de  l'atmofphcre  de  la  comète  que 
dépendent  la  théorie  de  ia  terre  &  l'ex- 
plication des  phénomènes. 

Car  on  fent  bien  c[ue  quand  i'atmo- 
fphère  de  la  comète  fut  une  fois  débar- 
raflee  de  toutes  ces  matières  folides  & 
terreflres,  il  ne  refta  plus  que  la  matière 
légère  de  l'air,  à  travers  laquelle  les 
rayons  du  foleil  paflerent  librement, 
ce  qui  tout    d'un    coup  produifit    la 


a  5  4       Hijfloire  Naturelle . 

lumière, ^at  /ux.  On  voit  bien  que  îes 
colonnes  qui  coinpo(enti*orbe  de  la  terre, 
s'etant  formées  avec  tant  de  précipita- 
tion, elies  fe  font  trouvées  de  différentes 
denfités,  &  que  par  conféquent  les  plus 
pefantes  ont  enfoncé  davantage  dans  ce 
fluide  fouterrain ,  tandis  que  les  plus 
iégcres,  ne  fe  font  enfoncées  qu'à  une 
moindre  profondeur,  &  c'eft  ce  qui  a 
produit  fur  ia  furfice  de  la  terre  des 
vallées  &  des  montagnes  :  ces  inégalités 
étoient,  avant  le  déluge,  difperfees  & 
fituées  autrement  qu'elles  ne  le  iont  au- 
jourd'hui ;  au  lieu  de  la  vafle  vallée  qui 
contient  l'Océan,  il  y  avoit  far  toute  ia 
furfKc  du  globe  plufieurs  petites  cavités 
féparées  qui  contenoient  chacune  une 
partie  de  cette  eau  ,  &  ftifoient  autant  de 
petites  mers  particulières ,  les  montagnes 
étoient  aufîi  peu  divifées  &  ne  formoient 
pas  des  chaînes  comme  elles  en  forment 
aujourd'hui.  Cependant  la  terre  étoit 
mille  fois  plus  peuplée ,  &  par  confé- 
quent milie  fois  plus  fertile  qu'elle  ne 
l'efl ,  ia  vie  des  hommes  &  des  animaux 
étoit  dix  fois  plus  longue ,  &  tout  cela 
parce  que  ia  chaleur  intérieure  de  ia 


TIléone  de  la  Terre.      255 

terre  qui  provient  du  noyau  central, 
étoit  alors  clans  toute  (a  force  ;  &  que 
ce  plus  grand  degré  de  chaleur  failoit 
éclore  <S^  germer  un  plus  grand  nombre 
d'animaux  &  de  plantes,  &  leur  donnoit 
ie  degré  de  vigueur  nécediiire  pour 
durer  {)lus  long-temps  &  fe  multiplier 
plus  abondamment  ;  mais  cette  même 
chaleur,  en  augmentant  les  forces  du 
corps,  porta  malheureufement  à  la  tête 
des  hommes  &  des  animaux ,  elle  aug- 
menta les  pafîlons  ,  elle  ôta  la  fagefTe  aux 
animaux  &  l'innocence  à  l'homme:  tout, 
à  l'exception  des  poifTons  qui  habitent 
un  élément  froid,  le  refTentit  des  effets 
de  cette  chaleur  du  noyau ,  enfin  tout 
devint  criminel  &  mérita  la  mo.t:  elle 
nrriva,  cette  mort  univerfelle,  un  mercredi 
:2  8  novembre,  par  un  déluge  affreux 
de  quarante  jours  &:  de  quarante  nuits, 
&  ce  déluge  fut  caufé  par  la  queue  d'une 
îiutre  comète  qui  rencontra  la  terre  en 
revenant  de  fon  périhélie. 

La  queue  d'une  comète  eft  la  panie 
la  plus  légère  de  fon  atmofphère  ,  c'eft 
un  brouillard  tranfparent,  une  vapeur 
fubtile  que  l'ardeur  du  foleil  fait  fortir 


12  5  6  Hiflolre  Naturelle. 
du  corps  &  de  l'atmofphère  de  la  comète; 
cette  vapeur  coiiipofée  de  particules 
aqueuîes  &  aériennes  extrêmement  raré- 
fiées, fuit  la  comète  lorfqu'elle  delcend 
i  Ton  périhélie,  &  ia  précède  lorlqu'eile 
remonte,  en  forte  qu'elle  e(l  toujours 
fituée  du  côté  oppofé  au  loleil ,  comme 
fi  elle  cherchoit  à  ie  mettre  à  i'ombre  & 
à  éviter  la  trop  grande  ardeur  de  cet 
aftre.  La  colonne  qui  forme  cette  vapeur 
efl  fouvent  d'une  longueur  immenfe, 
&  plus  une  comète  approche  du  foieil , 
plus  la  queue  efl  longue  &  étendue  ;  de 
forte  qu'elle  occupe  fouvent  des  eipaces 
très-grands  ,  &  comme  plùfieurs  comètes 
defcendent  au-defîous  de  i'orbe  annuel 
de  ia  terre ,  il  n'ell  pas  furprenant  que 
ïa  terre  fe  trouve  quelquefois  enveloppée 
de  la  vapeur  de  cette  queue;  c'efl  pré- 
ci  fément  ce  qui  efl:  arrivé  dans  le  temps 
du  déluge ,  il  n'a  fallu  que  deux  heures 
de  féjour  dans  cette  queue  de  comète 
pour  faire  tomber  autant  d'eau  qu'il  y 
en  a  dans  la  mer;  enfin  cette  queue  étoit 
ies  cataratftes  du  ciel ,  ù^  cataradœ  cœlï 
éipertœ  fiint.  En  effet,  le  globe  terrcftre 
ayant  une  fois  rencontré  ia  queue  de  la 


Théorie  de  la  Terre.       257 

comète,  il  doit,  en  y  failant  fa  route ^ 
s'approprier  une   partie    de  la    matière 
qu'elle  contient  ;  tout  ce  qui  fe  trouverai 
dans  la  fphère  de  l'attradion  du  globe 
doit  tomber  fur  la   terre,  &i  tomber  en 
forme  de  pluie  ,  puiique  cette  queue  eft. 
en  partie  com.poiée  de  vapeurs  aqucufes. 
Voilà   donc  une   pluie  du   ciel   qu^oii 
peut  fîiire  aulTi  abondante  qu'on  voudra, 
&   un   déluge  univerfei  dont  les  eaux 
furpafîeront  aifément  les    plus    hautes 
montagnes.    Cependant  notre   Auteur 
!  qui,  dans  cet  endroit,  ne  veut  pas  s'éloi- 
I  gner  de  la  lettre  du  livre  facré ,  ne  donne 
I  pas  pour  caufe/ unique  du  déluge  cette 
pluie  tirée  de  fi  loin ,  il  prend  de  l'eau 
I  par-tout  où  il  y  en  a  ;  le  grand  abyme, 
i  comme  nous  avons  vu,  en  contient  une 
i  bonne  quantité,  la  terre  à  l'approche  de 
j  k  comète ,  aura  fans  doute  éprouvé  la 
I  force  de  fon  attradion ,  les  liquides  con- 
tenus dans  le  grand  abyme  auront  été 
agités  par  un  mouvement  de  flux  &.  de 
reflux  fi  violent,  que  la  croûte  fuper- 
ficielle  n'aura  pu  réAfler,   elle   fe  fera 
fendue   en  divers  endroits ,  &  les  eaux 
de  l'intérieur  fe  feront  répandues  fur  la 


2.58        Hifîoke  Naturelle, 

(urface  ,   &   ruptï  funt  fontes   ahyjf!. 

Mais  que  fiiire  de  ces  eaux  que  fa 
queue  de  la  comète  &  ie  grand  abyine 
ont  fournies  fi  libéralement î  notre  Au- 
teur n'en  cil  point  cmbarraffé.  Dès  que 
la  terre,  en  coniinuant  la  route  ,  Te  fut 
éloignée  de  la  comète ,  l'eltct  de  fon 
flîtradion,  le  mouvement  de  fîux  6:  de 
reflux,  cefili  dans  le  grand  al)  y  me,  & 
dès-lors  les  eaux  fupérieures  s'y  préci- 
pitèrent avec  violence  par  les  mêmes 
voies  qu'elles  en  étoien:  îbrties,  le  grand 
îibyme  abforba  toutes  les  eaux  fupcrliues, 
éL  fe  trouva  d'une  capacité  aOez  grande 
pour  recevoir  non-feulement  les  eaux 
qu'il  a  voit  déjà  contenues .  meus  encore 
toutes  celles  que  la  queue  de  la  comète 
avoit  laiffées,  parce  que  dans  ie  tem[)S 
de  fon  agitation  6c  de  la  rupture  de  la 
croûte,  il  avoit  agrandi  i'efpace  en 
]>oufftnt  de  tous  côtés  la  terre  qui  l'en- 
vironnoit  ;  ce  fut  auiîi  dans  ce  temps 
que  la  figure  de  la  terre  qui  jufque-ià 
avoit  été  i{>hériqrte  ,  devint  elliptique  , 
tant  par  l'cfFct  de  la  force  centrifuge  eau- 
fée  par  Ion  mouvement  diurne,  que  par 
!  adion  de  la  comète,  ôl  cela  parce  que 


Théorie  de  h  Terre,  259 
a  terre  en  parcourant  la  queue  dé  la 
:omète,  fe  trouva  pofee  de  façon  qu'elle 
jrciemoJt  les  parties  de  l'equateur  à  cet 
iHre ,  &  que  la  force  de  l'attraclion  de 
■X  comète  concourant  avec  la  force  cen- 
riUio-e  de  la  terre,  fit  élever  les  parties 
je  i'éc[uateur  avec  d'autant  plus  de  ficiiité 
que  la  croûte  étoit  rompue  &:  divifée 
?a  une  infinité  d'endroits,  &  que  l'action 
du  flux  &  du  reflur  de  l'abyme  poufToit 
plus  violemment  que  par- tout  ailleurs 
le^  parties  fous  l'equateur. 

Voilà  donc  l'hilloire  de  la  création, 
[es  caufes  du  déluge  univerfcl ,  celles  de  la 
lono-ueur  de  la  vie  des  premiers  hommes  , 
&  celles  de  la  figure  de  la  tçrre  ;  tout  cela 
fenible  n'avoir  rien  coûté  à  notre  auteur, 
iTsais  l'arche  de  Noé  paroît  l'inquiéter 
Ijeaucoup  :  comment  imaginer  en  effet 
qu'au  milieu  d'un  défordre  aulFi  aflreux  , 
îiu  milieu  de  la  confufion  de  la  queue 
d  une  comète  avec  le  grand  abyme  ,  au 
îiiHieu  des  ruines  de  l'orbe  terreftre ,  & 
d  uis  ces  terribles  momens  où  non- feu- 
le luent  leà  élémens  de  la  terre  étoient 
confondus,  mais  où  il  arrivoit  encore 
du  ciel  &  du  tartare  de  nouveaux  élémens 


l6ù    "     Hîjîoire  Naturelle. 

pour  augmenter  le  cahos,  eoinment  inia-- 
giner  que  l'arche  voguât  tranquiliement 
avec  fa  nombreufc  cargaifon  fur  h  cime' 
des  fîois  î  Ici  notre  auteur  rame  &  fliit  de 
grands  efforts  pour  arriver  &  pour  don-- 
lier  une  railbn  pliyTique  de  ia  coiifcrva- 
tion  de  l'arche  ;  mais  comme  il  m'a  paru 
qu'elle  étoit  infuffirante ,  mal  imaginée 
&  peu  orthodoxe  ,  je  ne  la  rapporterai 
point  ;  il  me  fiiffira  de  faire  (en tir  com- 
bien il  efl:  dur  pour  un  homme  qui  a' 
expliqué  de  fi  grandes  chofes  fans  avoir] 
recours  à  une  puilTance  furnatureile  ou 
au  miracle ,  d'être  arrêté  par  une  cir-- 
conftance  particulière  :  aufîi  notre  auteur 
aime  mieux  rifquer  de  (e  noyer  avec 
l'arche ,  que  d'attribuer,  comme  il  le 
devoit ,  à  la  bonté  immédiate  du  Tout-- 
puiiTant  la  confervation  de  ce  précieux^ 
vaiiïeau. 

Je  ne  ferai  qu'une  remarque  fur  ce 
fyflème  dont  je  viens  de  faire  une  expo- 
fition  fidèle,  c'efl  que  toutes  les  fois 
qu'on  fera  affez  téméraire  pour  vouloir 
expliquer  par  d^i  raiforts  phyfiques  {qs 
vérités  tbéoiogiques,  qu'on  fe  permet-tra 
d'interpréter   dans   des   vues    puremem 


Théorie  de  la  Terre..        2  6 1 
lumainesle  texte  divin  des  livres  facres  , 
5c  que  l'on  voudra  raifonner  fur  ies  vo- 
ontés  du  Très-haut  &  iur  l'exécution  de 
[es  décrets,   on  tombera  néceiïaireinent 
dans  les  ténèbres  &  dans  le  cahos  où  eft 
:ombé  l'auteur  de   ce  fyftènie  ,  qui  ce- 
pendant a  été  reçu  avec  grand  appiau- 
didement.  II  ne  doutoit  ni  de  la   vérité 
du  déluge  ,  ni  de  l'authenticité  des  livres 
ilicrés  ;  mais  comme  il  s'en  étoit  beau- 
coup moins  occupé  que  de  Phyfique  & 
d'Aftronomie,  il  a  pris  les  pafTages  de 
l'Écriture  (aime  pour  des  faits  de  Phy- 
fique &  pour  des  réfukats  d'obfervations 
aftronomiques ,   &  il  a  fi  étrangement 
mêlé  la  fcience  divine  avec  nos  fciences 
humaines ,  qu'il  en  a  réfulté  la  chofe  du 
monde  la  plus  extraordinaire ,  qui  eft  le 
fyftème  que  nous  venons  d'expofer, 


G^        HiO.oire  Naturelle. 


PREUVES 

DELA 

THÉORIE   DE   LÀ   TERRE. 
ARTICLE  III. 

Du  fyfthne  de  M.  Biirnet. 

Thomas  Burnet.  TeUuris  Theoriafdcra ,  orbis  nrfîri 
origimm  iX  nnilariûms gencrahs,  quns  end  jaiv  jvlut, 
ûui  u'imjuhiiuïus  cji  cowpiedcns.  Londini,  1681. 

CET  auteur  eft  le  premier  qui  ait  traite 
cette  matière  généralement  &  d'une 
manière  lyflématique;  il  avait  beaucoup 
ci'ejprit  &l  étoit  homme  de  Belies-letires  : 
ion  ouvrage  a  une  grande  réputation, 
&  il  a  été  critiqué  par  queic[ues  Savans, 
entr'autres  par  M.  Keill ,  qui  épluchant 
celte  matière  en  Géomètre,  a  démontré 
les  erreurs  de  Burnet  dans  un  traité  qui 
a  pour  titre  :  Examlnatïon  of  tlie  Thcory 
of  ihe  Earth.  L.ondon ,  ly^^,  2'  édit» 
Ce  même  M.  Keill  a  aufîi  réfuté  îe  fyi- 
tème  de  Whilton ,  mais  il  traite  ce  dernier 


Théorie  cle  la  Terre.       26^ 

auteur  b'en  différemment  du  premier,  il 

(èutble  niêiiQc  qu'il  ell  de  Ton  avis  daiis 
plu  fleurs  cas ,  &  il  regarde  comme  une 
choîe  fort  probable  ie  déluge  caulé  par 
la  queue  d'uue  comète.  Mais  pour  revenir 
à  Burnet,  (uii  livre  e(t  élégamment  écrit, 
ij  iàit  peindre  &  prcfenter  avec  force 
de  grandes  images  ,  &  meure  fous  les 
yeux  des  iccnes  uirignifiques.  Scn  pian 
eit  \a(le  ,  mais  l'exécution  manque  fiuue 
de  moyens,  fon  raifonncmcnt  ed  petit, 
ies  preuves  font  foibles  &  ià  confiance 
eit  il  grande  qu'il  la  fait  pcrdrç  à  fou 
icdeur. 

U  commence  par  nous  dire  qu'avant 
îe  déluge  ,  la  terre  a'\'cit  une  fornie  très- 
diirérenie  de  ceiie  cjue  nous  loi  voyons 
aujourd'hui.  C'ctoit  d'abord  une  mafle 
fluide  ,  un  cahos  compote  de  matières  de 
toutes  elpèces  &  de  toutes  fortes  de  fi- 
gures ,  les  plus  pelantes  defcendirent  vers 
le  centre  &  formèrent  au  milieu  du  globe 
un  corps  dur  &  folide,  autour  duquel 
les  eaux  plus  légères  le  raffemblèrent  & 
enveloppèrent  dé  tous  cotés  ie  "globe  in- 
térieur ;  l'air  &  toutes  les  liqueurs  plus 
icgères  que    l'eau  la    iurmontèrent  & 


z64'  Hîfîohe  Naturelk» 
i'enveloppèrent  aufîi  dans  toute  la  cîf-' 
conférence  :  ainfi  entre  l'orbe  de  i'air  <Sfc 
celui  de  l'eau ,  il  le  forma  un  orbe  d'huiie 
.&  de  liqueur  grafle  plus  légère  q.uç 
i'eau  ;  m^is  comme  i'air  étoit  encore  fort 
impur  &  qu'il  contenoit  une  très- 
grande  quantité  de  petites  particules  de 
matière  terreftre ,  peu  à  peu  ces  partie 
«ules  defceiidirent ,  lombèrent  fur  la 
couche  d'huile,  &  formèrent  un  orbe 
terreflre  mêlé  de  limon  &  d'huile ,  &  ce 
fut-ià  la  première  terre  habitable  &  le 
premier  féjour  de  l'hoinme.  C 'étoit  un 
excellent  terrein ,  une  terre  légère,  grafle, 
j&  faite  exprès  pour  fe  prêter  à  la  foi- 
bleflc  des  pjemiers  germes,.  La  furfàcc 
du  globe  terreHre  étoit  donc  dans  ces 
premiers  temps  égale ,  uniforme  ,  conti- 
nue ,  fans  montagnes  ,  fans  mers  &  fans 
inégalités  ;  mais  la  terre  ne  demeura 
qu'environ  feize  fiècles  dans  cet  état, 
car  la  chaleur  du  foleil  defl"échant  peu  à 
peu  cette  croûte  limonneufe,  la  fit  fendre 
d'abord  à  la  furface,  bientôt  ces  fentes 
pénétrèrent  plus  avant  &:  s'augmenter 
rent  fi  confidérablement  avec  le  temps, 
qu'enfin  û\^^  s'ouvrirent  en  entier  ;  dans 


Théorie  de  h  Terre,         2^5 

un  inftant  toute  ia  terre  s'e'crouia  & 
tomba  par  morceaux  dans  i'abyme d'eau 
qu'elle  contenoit,  voilà  comme  fe  fit  le 
déluge  univerfel. 

Mais  toutes  ces  mafles  de  terre,  en 
tombant  dans  l'abyme,  entraînèrent  une 
grande  quantité  d'air,  &  elles  (è  heur- 
tèrent, fe  choquèrent,  fe  divisèrent,  s'ac- 
cumulèrent fi  irrégulièrement ,  qu'elles 
lailsèrent  entr'elles  de  grandes  cavités 
remplies  d'air;  les  eaux  s'ouvrirent  peu 
à  peu  les  chemins  de  ces  cavités,  & 
à  melure  qu'elles  les  rempiifl oient,  la 
lurface  de  la  terre  le  découvroit  dans  les 
parties  les  plus  élevées,  enfin  il  ne  relia 
de  l'eau  que  dans  les  parties  les  plus 
baffes,  c'eil- à-dire,  dansîes  val] es  vallées 
qui  coniiennent  la  mer  ;  ainfi  noire 
océan  cd:  une  partie  de  l'ancien  abyme, 
le  refte  eft  entré  dans  les  cavités  inté- 
rieures avec  lefquelies  communique  l'o- 
céan. Les  îles  &  les  écueils  font  les 
petits  fragmeas,  les  continens  font  lèf 
grandes  malîès  de  l'ancienne  croûte  ;  & 
comme  la  rupture  &  la  chute  de  cet:è 
croûte  le  font  fûtes  avec  confufion,  il 
n'eil  pas  étonnant  de  trouver  fur  la  terre 

Tome  L  M 


^GG        Hifloire  NaîîtreM 

des  ëminences,  des  profondeurs ,  des 
plaines  &  des  iiiégaiités  de  toute  efpèce. 
Cet  échantillon  du  fyftème  de  Burnet 
fuffit  pour  en  donner  une  idée  ;  c'eft  un 
roman  bien  écrit ,  &  un  livre  qu'on  peut 
lire  pour  s'amufer,  mais  qu'on  ne  doit 
pas  confulter  pour  s'inftruire.  L'auteur 
ignoroit  les  principaux  phénomènes  de 
ia  terre,  &  n'étoit  nullement  informé 
des  obfervations  :  il  a  tout  tiré  de  fou 
imagination  qui ,  comme  l'on  fait ,  fert 
volontiers  aux  dépens  de  la  vérité. 


''^IP' 


Théorie  de  la  Terre,       2  67 

PREUVES 

DE   LA 

THÉORIE  DE  LA  TERRE. 
ARTICLE   IV. 

Du  fyjlhne  de  M.  Woodward. 

Jean  Woodward.  An  E/fay  towards  the  Natural 
Hiftory  of  the  Eauh  ,  &c. 

ON  peut  dire  de  cet  Auteur  qu'il  a 
voulu  élever  un  monument  im- 
■inQ.n.(Q  fur  une  bafe  moins  folide  que  le 
fable  mouvant,  &  bâtirl'édifice  du  monde 
avec  de  la  poufTière  ;  car  il  prétend  que 
dans  le  temps  du  déluge  il  s  eft  fait  une 
difToiution  totale  de  la  terre  :  la  première 
idée  qui  (e  préfente  après  avoir  lû  fon 
livre ,  c'efl:  que  cette  difToiution  s'efl:  faite 

tpar  les  eaux  du  grand  abyme ,  qui  fe  font 
répandues  fur  la  furface  de  la  terre ,  <Se 
qui  ont  délayé  &l  réduit  en  pâte  les 
pierres,  les  rochers,  les  marbres,  les 
iiaétauxj  &c.  Il  prét-end  que  l'abyme  011 
Mi; 


z6S         HîJIoire  Naturelle; 

cette  eau  étoit  renfermée ,  s'ouvrit  tout 
d'un  coup  à  ia  voix  de  Dieu,  &:  répan- 
dit fur  la  furface  de  îa  terre  la  quantité 
énorme  d'eau  qui  étoit  néceflaire  pour 
ia  couvrir  &  furmonter  de  beaucoup  les 
plus  hautes  montagnes,  &  que  Dieu  fuf^ 
pendit  la  caufedela  cohéfion  des  corps, 
ce  qui  réduifit  tout  en  pouffière,  &c. 
il  ne  fait  pas  attention  que  par  ces  flip- 
pofiiions  il  ajoute  au  niiracle  du  déluge 
univerfcl  d'autres  miracles ,  ou  tout  au 
moins  des  impofîlbilités  phyfiques  qui 
ne  s'accordent  ni  avec  la  lettre  de  îa 
fàinte  Ecriture ,  ni  avec  les  princijjes 
inathématiques  de  la  philofophie  natu- 
relle. Alais  comme  cet  auteur  a  le  mérite 
d'avoir  rafiemblé  plufieurs  obfervaiions 
importantes  ,  &  qu'il  connoifloit  mieux 
C[ue  ceux  qui  ont  écrit  avant  lui ,  les  ma- 
tières dont  le  globe  efl  compofé  ,  foii 
fyftème ,  quoique  mal  conçu  &  mai 
digéré ,  n'a  pas  jaifié  d'éblouir  les  gens 
leduits  par  la  vérité  de  quelques  fûts 
pariiculiers,  &  peu  difficiles  fur  ia  vrai- 
iêmblance  des  conféquences  générales. 
Nous  avens  donc  cru  devoir  préfenter 
l'Ui  extrait  de  cet  ouvrage  ,  dans  lequel , 


Théorie  de  h  Terre,       l6<) 

eri  rendant  juftice  au  mérite  de  l'auteur 
&  à  l'exaditude  de  lès  obfervations  j  noua 
mettrons  le  ledeur  en  état  de  juger  de 
l'infuffiilince  de  Ton  fyrtèine  &  de  la 
faufîeté  de  quelques-unes  de  iès  remar- 
ques. M.  Voodvvard  dit  avoir  reconnu 
par  (es  yeux  que  toutes  les  matières  quf 
compofcnt  la  terre  en  Angleterre,  de- 
puis fa  furface  jufqu'aux  endroits  les  ]:)lu3 
profonds  où  il  eft  defcendu,  étoient  dif- 
pofées  par  couches ,  &  que  dans  un 
grand  nombre  de  ces  couches  il  y  a  ûqs 
coquilles  &  d'autres  producn:ions  marines; 
en  fuite  il  ajoute  que  par  fes  correlpon- 
dans  &  par  fes  amis  il  s'eit  aiïuré  que 
dans  tous  les  autres  pays  la  terre  elt 
compofée  de  même ,  &  qu'on  y  trouve 
des  coquilles,  non-feulement  dans  les 
plaines  &  en  quelques  endroits,  mais 
encore  fur  les  plus  hautes  montagnes, 
dans  les  carrières  les  plus  profondes  & 
en  une  infinité  d'endroits  :  il  a  vu  que 
ces  couches  étoient  horizontales  &  po- 
fées  les  unes  fur  les  autres,  comme  le 
feroient  des  matières  tranfporiées  pai-  les 
eaux  &:  dépofées  en  forme  de  fédiment. 
'Ces  remarques  générales  qui  font  très- 

M  iij 


%yo        Hipolre  Naturelle^ 

vraies,  font  fuivies  d'obfervations  partie 
cuiières ,  par  Icfquelles  il  fait  voir  évi- 
demment  que  les  foffiks  qu'on  trouve 
incorporés  dans  les  couches ,  font  de 
vraies  coquilles  &  de  vraies  productions 
marines ,  &  non  pas  des  minéraux  ,  des 
corps  finguliers,  des  jeux  de  la  Nature, 
&c.  A  ces  obfervations,  quoiqu'en  partie 
faites  avant  lui ,  qu'il  a  raflembiées  & 
prouvées,  il  en  ajoute  d'autres  qui  font 
moins  exacfles  ;  il  affure  que  toutes  les  ma^ 
tières  des  différentes  couches  font  pofées 
les  unes  iur  les  autres  dans  l'ordre  de 
îeur  pefameur  fpécifique,  en  forte  cjue 
ks  plus  pefmtes  font  au-delîous;.  &  les 
plus  légères  au-deiïus.  Ce  fait  général 
îî'eil  point  vrai,  on  doit  arrêter  ici  l'au- 
teur ,  &  lui  montrer  les  rochers  que 
nous  voyons  tous  les  jours  au  -  deiïus 
des  gîaifes ,  des  fables ,  des  charbons  de 
terre  ,  dts  bitumes ,  &  qui  certainement 
font  plus  peftns  fpécifiquement  que 
toutes  ces  matières  ;  car  en  effet ,  ù  par 
toute  la  terre  on  trouvoit  d'abord  les 
couches  de  bitume,  enfuite  celles  de 
craie,  puis  celles  de  marne,  enfuite  celles 
de  glailè,  celles  de  labié  j  celles  de  pierxQ,^ 


Théorie  de  la  Terre,       ijl 

celîes  de  inarbre  ,  &  enfin  les  métaux  ,- 
en  forte  que  ia  compofitioa  de  la  terre 
'iuivit  exadement  &  par-tout  ia  loi  de 
îa  pelanteur ,  &  que  les  inatières  fuirent 
toutes  placées  dans  l'ordre  de  leur  gra- 
vité fpécifique  ,  il  y  auroit  apparence 
qu'elles  le  feroient  toutes  précipitées  en 
même  temps  ,  &  voilà  ce  que  notre  au- 
teur aflure  avec  confiance  ,  malgré  l'évi- 
dence du  contraire  ;  car  fans  être  obier- 
vateur ,  il  ne  faut  qu'avoir  des  yeux  pour 
^tre  affuré  que  l'on  trouve  des  matières 
pelantes  très-fouvent  pofées  fur  des  ma- 
tières légères,  &  que  par  conféqu<int  ces 
-fédiinens  ne  fe  font  pas  précipités  tous 
en  même  temps ,  mais  qu'au  contraire  ife 
ont  été  amenés  &  dépofés  fucceffivement 
par  les  eaux.  Comme  c'eft-là  k  fonde^ 
ment  de  fon  fyflème  ,  &.  qu'if  porte  ma-^ 
iiifeilement  à  faux  ,  nous  ne  le  fuivrons 
plus  loin  que  pour  faire  voir  combien  un 
principe  erroné  peut  produire  de  fauiïes 
combinailons  &  de  mauvaiies  confé- 
quences.  Toutes  les  matières,  dit  notre 
auteur,  qui  compofent  la  terre,  depuis 
les  lommets  des  plus  hautes  montagnes 
jufqu'aux    plus     grandes    profonde  uc^ 

M  iiij 


njx        Hijlone  "Naturelle'» 

des  mines  &  des  carrières,  font  difpofees 
par  couches,  fuivant  leur  pelanteur  ipé- 
ciiTque  ;  donc,  conclut-il,  toute  la  ma- 
tière qui  compoie  le  globe  a  été  difioutc 
&  s'eiï  précipitée  en  même  temps.  Mais 
clans  qiîelie  matière  &:  en  quel  temps 
a-t-eilecié  didoute  !  dans  l'eau  &  dans  le 
temps  du  déluge.  Mais  il  n'y  a  pas  allez 
d'eau  lur  \q.  giobe  pour  que  cela  le  puiile, 
puilqu'il  y  a  plus  de  terre  que  d'eau , 
&  que  le  fond  de  la  n^er  e(l  de  terre  î  hé 
}3ien  ,  nous  dit-il,  il  y  a  de  beau  plus  qu'il 
n'en  faut  au  centre  de  la  terre ,  il  ne  s'agit 
que  de  la  faire  monter,  de  lui  donner 
tout  enièmble  la  vertu  d'un  dilToIvant 
imiverlêl  &  la  qualité  d'un  remède  préler- 
vatif  pour  les  coquilles  qui  feules  n'ont 
pas  été  di (Toutes ,  tandis  que  les  marbres 
&  les  rochers  l'ont  été  ;  de  trouver  en- 
iuite  le  moyen  de  ftire  rentrer  cette  eau 
diins  l'abyme  ,  &:  de  faire  cadrer  tout  cela 
avec  l'hiftoire  du  déluge  :  voilà  le  fyf- 
tème,  de  la  vérité  duquel  l'auteur  ne 
trouve  pas  le  moyen  de  pouvoir  douter  ; 
car  quand  on  lui  oppofe  que  l'eau  ne 
peut  point  difî'oudre  les  inarbres,  les 
pierres ,  les  métaux  ;  fur-tout  en  quarante 


Théorie  de  la  Terre,       ^ly^ 

Jours  qu'a  duré  le  déluge,  ii  répond  fim- 
pieniem  que  cependant  cela  eft  arrivé  ; 
quand  on  lui  demande  quelle  étoit  donc 
Ja  vertu  de  cette  eau  de  l'abyme ,  pour 
difioudre  toute  la  terre  &.  conferver  ea 
même  temps  les  coquilles,  il  dit  qu'il 
n'a  jamais  prétendu  que  cette  eau  fut  un 
di/îoivant,  mais  qu'il  cil  clair,  par  les 
fîiits,  que  la  terre  a  été  dilToute,  &  que  les 
coquilles  ont  été  préfèrvées  ;  en^a  lorf- 
qu'on  le  preiîe  &  qu'on  lui  fait  voir  évi- 
demment que  s'il  n'a  aucune  raifon  à 
donner  de  ces  phénomènes,  (an  fyftème 
n'explique  rien  ,  il  dit  qu'il  n'y  a  qu'à 
imaginer  que  dans  le  temps  du  déluge  la 
force  de  la  gravité  &  de  la  cohérence  de 
ia  madère  a  ceiïe  tout-à-coup  ;  &  qu'au 
moyen  de  cette  fuppofition  dont  l'eiTet 
eft  fort  aifé  à  concevoir,  on  explique 
d'une  manière  ftiisfaifante  la  difloîution 
de  l'ancien  monde.  Mais,  lui  dit-on  , 
il  la  force  qui  tient  unies  les  panies  de  la 
mdtière  a  ccffé  ^  pourquoi  les  coquiileS' 
n'ont-elles  pas  été  diffoutes  comme  tout 
le  refte  î  Ici  il  fait  un  difcours  fur  l'orga- 
nifation  des  coquilles  &  des  os  des  ani- 
inaiàx  ,  par  lequel  il  prétend  prouver  quer 


a  74  Hipoîre  Naturelle» 
kur  texture  étant  fibreufe  &  différente 
de  celle  des  minéraux,  leur  force  de 
cohéfion  efl:  auffi  d'unautre genre;  après 
tout  il  n'y  a,  dit-il,  qu'à  fuppofer  que 
îa  force  de  la  gravité  &  de  la  cohérence 
n'a  pas  cefTé  entièrement,  mais  feulement 
qu'elle  a  été  diminuée  aiïez  pour  défunir 
toutes  les  parties  des  minéraux ,  mais  pas 
affez  pour  défunir  celles  des  animaux» 
A  tout  ceci  on  ne  peut  pas  s'empêcher 
de  reconnoître  que  notre  auteur  n'étoit 
pas  aufîi  bon  Phyficien  qu'il  étoit  bon 
Obfervateur,  &  je  ne  crois  pas  qu'il  foit 
lîécefîîûre  que  nous  réfutions  férieufe- 
ment  des  opinions  fans  fondement ,  fur- 
tout  lorfqu'elles  ont  été  imaginées  contre 
les  règles  de  la  vraifemblance,  &  qu'on 
n'en  a  tiré  que  des  conféquences  QOïi^ 
traires  aux  loix  de  la  Mécanique»- 


o 


Théorie  de  la  Terre.      275 

PREUVES 

DE   LA 

THÉORIE  DE  LA  TERRE. 
ARTICLE     V. 

Expoftwn  de  quelques  autres 
Syftcmes. 
N  voit  bien  que  les  trois  hypo- 
thèi^^s  dont  nous  venons  de  parler, 
ont" beaucoup   de  chofes    communes; 
dies   s'accordent  toutes   en    ce   point, 
nue  dans  le  temps  du  déluge  la  terre  a 
change  de  forme,  tant  à  l'extérieur  qu  a 
l'hirérieur:     ainfi    tous    ces    fpéculatifs 
B'ont  pas  fait  attention  que  la  terre  avant 
le  déluge  étant  habitée  par  les  mêmes 
cfpèces  d'hommes  &  d'animaux,  devoit 
êire  néceflTairement  teik  ,   à   très  -  peu 
près  ,  qu'elle  eft  aujourd'hui ,   &  qu'en 
effet  les  livres   faints  nous  apprennent 
qu'avant  le  déluge  il  y  avoit  fur  la  terre 
des  fleuves,  des  mers,  des  montagnes, 
xies  forêts  &  des  plantes  ;  que  ces  fleuves 

M  vj 


'ij6        Hïflotre  Ndîwclk, 

&  ces  montagnes  étoient,  pour  la  pîit- 
part ,  les  mêmes  ,  puifque   le  Tigre  & 
l'Eufrate  etoient  les  fleuves  du   Paradis 
terrellre  ;  que  la  montagne  d'A  rnaénie, 
fur  laquelle  l'Arche   s'arrêta,  éroit  une 
-des  plus  hautes  montagnes  du  monde  au 
temps  du  déluge,  connue  elle  l'eft  en- 
core aujourdliui  ;  que  les  mêmes  plantes 
&  les  Uiêmes  animaux  qui  exiitent ,  q\\Ç- 
toient    alors,    pu  il  qu'il  y   cil    parlé  du 
ier]:ieni ,  du  coiLeau  ,  &  que  la  colombe 
rapporta    une    branche    d'olivier  ;     car 
quoique   M.    de   Toumefort    prétende 
qu'il  n'y   a  point   d'oliviers   à    plus  de 
400   lieues  du  mont  Ararath,   <&  qu'if 
fiifle  lurcela  d'aiîezmauvaiiebplaifanieries 
{Voyage du  Levant .  vol.  H,  page  ^  j  6), 
il  eit  cependant  certain  qu'il  y  en  avoit 
en  ce   lieu    dans  le  temps   du   délup-e  , 
puiique   le  livre  facré   nous  en   aflure, 
&   il   n'eîî    pas   étonnant  que  dans   «n 
elpace   de   4000  ans   les   oliviers   aient 
été  détruits  dans  ces  cantons  &  (è  ioient 
multipliés  dans  d'autres;  c'ert  donc  ?  tort 
&:  contre  la  lettre  de  la  fainte  Écriture  que 
ces  A^uteurs  ont  fuppofé  que  la  terre  étoit, 
avant  ie  déluge ,  totalement  diiféreii,te  de 


Théorie  Ae  fa  Terre.       IJJ 

ce  qu'elle  eil  aujourd'hui,  &l  cette  coiv 
tradiclion  de  leurs  hypothèles  avec   le 
texte   fàcre',  auffi-bieii  que  leur  oppo- 
sition avec  les  vérités   phyiiques,  doit 
faire  rejeter  leurs  lyiièmes  ,  quand  même 
ils  iëroient  d'accord  avec  quelcjues  phé- 
nomènes ,  mais  il  s'en  faut  bien  que  cela 
foit  ainii.  Burnet  qui  a  écrit  le  premier, 
n'avoit  pour  fonder  fon  fyftème  ni  ob- 
fervations  ni  faits.  Woodward  n'a  donnié 
qu'un  eflai ,  où  il  promet  beaucoup  plus 
qu'il  ne   peut  tenir,  fon  livre   ell   ua 
projet  dont  on  n'a  pas  vu  L'exécution. 
On  voit  feule îiient  qu'il  emploie  deux 
oblervations    gc'nérales  ;    la    première ,, 
que  la  terre  eit  par- tout  compolee  de 
matières   qui   autrefois    ont  été  dans  un 
état  de  molie/Ie  Ôl  de  fluidité,  qui  ont 
été  tran (portées  par  les  eaux .    &  qui  fe 
font  dépofées  par  couches  kori/ontales;. 
la   féconde  ,  qu'il  y  a    de.>  produdions 
jTiitrines  dans  l'intérieur  de  la  terre  en  une 
infinité   d'endroits.    Pour  rendre  raifon 
de  ces  faits,  il  a  recours  au  déluge  uni- 
yerfel,  ou  plutôt  il  paroît  ne  les  donneu 
que  comme  preuves  du  déluge ,  mais  \l 
tombe,  auiîi-bien  que  Burnet,  dam. des 


'278         HîJIoîre  'Naturelle. 

eontradiclions  évidentes  ;  car  iî  n'eft  pas 
permis  de  fuppoler  avec  eux  qu'avant  le 
déluge  il  n'y  avoit  point  de  montagnes  , 
puilqu'ilefl:  ditprécilément  &  très-claire- 
ment que  les  eaux  furpafsèrent  de  i  5. 
coudées  les  plus  hautes  montagnes  ;  d'au- 
tre côté  il  n'efl:  pas  dit  que  ces  eaux  aient 
tdétruit  &  diiTous  ces  montagnes ,  au  cort- 
traire  ces  montagnes  font  reftées  en  place, 
&  l'arche  s'eft  arrêtée  fur  celle  que  les 
«aux  ont  laiiTée  la  première  à  découvert, 
ï) 'ailleurs,  comment  peut-on  s'imaginer 
•que  pendant  le  peu  de  temps  qu'a  duré 
le  déluge ,  les  eaux  aient  pu  difToudre  les 
anontagnes  &  toute  la  terre  \  n'eft-ce  pas 
une  abiurditéde  dire  qu'en  quarante  jours 
i'eau  a  dilîous  tous  les  marbres  ,  tous  les 
rochers ,  toutes  les  pierres ,  tous  les  mi- 
néraux !  n'eft-ce  pas  une  contradiction 
nianifefte  que  d'admettre  cette  difîolu- 
tion  totale ,  &  en  même  temps  de  dire 
que  les  coquilles  &  les  produdions  ma- 
rines ont  été  préfervées,  &  que  tout  ayant 
été  détruit  &  difTous ,  elles  feules  ont  été 
confervées,  de  forte  qu'on  les  retrouve 
aujourd'hui  entières  &les  mêmes  qu'elles 
ëioicnt  avant  le  déluge  \  je  ne  craindrai 


Théorie  de  h  Terre.      a/r^ 

donc  pas  de  dire  qu'avec  d'excellentes 
oblèrvations ,  Woodward  n'a  fait  qu'un 
fort  mauvais  fyfhème.  Whiilon  qui  eft 
venu  le  dernier  a  be;uicoup  enchéri  fur 
les  deux  autres ,  mais  en  donnant  une 
vafte  carrière  à  fon  imagination,  au  moins 
n'eft-il  pas  tombé  en  contradiction  ;  ii 
dit  des  chofes  fort  peu  croyables  ,  mais 
du  moins  elles  ne  font  ni  abfolument 
ni  évidemment  impoffibles.  Comme  on 
Ignore  ce  qu'il  y  a  au  centre  &  dans  l'in- 
térieur de  la  terre,  il  a  cru  pouvoir  fup- 
pofé  que  cet  intérieur  étoit  occupé  par 
un  noyau  foiide ,  environné  d'un  fîuide 
pefant  &  enfuite  d'^au  fur  laquelle  la 
croûte  extérieure  du  globe  étoit  foute- 
nue  ,  &  dans  laquelle  les  différentes  parties^ 
de  cette  croûte  (e  font  enfoncées  plu^ 
ou  moins  ,  à  proportion  de  leur  pefan— 
teur  ou  de  leur  légèreté  relative  ;  ce  qui 
a  produit  les  montagnes  «Se  les  inégalités 
de  Ja  furface  de  la  terre.  Il  faut  avouer 
que  cet  Aftronome  a  fait  ici  une  faute  de 
mécanique  ;  il  n'a  pas  fongé  que  la  terre 
dans  cette  hypothèfe  doit  fûre  voûte  de 
tous  côtés,  que  par  conféquent  éXç.  ne 
peut  être  portée  fur  i'cau  qu  «lie  comieiït 


uSo         HiJIpire  Naturelle, 

&  encore  moins  y  enfoncer  :  à  cela  près  , 
je  ne  Hiche  pas  qu'il  y  ait  d'autres  erreurs 
de  phy  fique  dans  cefyitème.  II  y  en  a  un 
grand  nombre  ,  quanta  la  métaphyfique 
&  à  la  théologie;  mais  enfin  on  ne  peut 
pas  nier  abfolument  que  la  terre  rencon- 
trant ia  queue  d'une  comète ,  lorfque 
celle-ci  s'approche  de  fon  périhélie ,  ne 
puifTe  être  inondée,  fur-tout  iorfqu'on 
aura  accordé  à  l'auteur  que  la  queue 
d'une  comète  peut  contenir  des  vapeurs 
aqueules.  On  ne  peut  nier  non  plus, 
comme  une  impoiîibîlité  abfolue  ,  que 
ia  queue  d'une  comète  en  revenant  du 
périhélie  ne  puifTe  brûler  la  terre,  fi  on 
îuppofe  avec  l'auteur,  que  la  comète  ait 
pailé  fort  près  du  loleil  ,  &  qu'elle  ait 
été  prodigieufèment  échauffée  pendant 
fon  pailiige  ;  il  en  eft:  de  même  du  reile 
de  ce  fyllème  :  mais  quoiqu'il  n'y  ait  pas 
d'iinpolîibilité  abfolue ,  il  y  a  fi  peu  de 
probabilité  à  chaque  choie  prile  fépa.- 
rément ,  qu'il  en  réfulte  une  impoillbi- 
iité  pour  lè  tout  pris  enfemblc. 

Les  trois  fyftèmes  dont  nous  venons 
de  parler,  ne  font  pas  les  feuls  ouvrages 
qui  aient  été  faits  fur  la  théorie  de  ia 


Théorie  Ae  h  Terre.      2  8  ï' 

terre.  Il  a  paru  en  i  729  un  mémoire  de 
M.  Bourguet,  imprimé  à  Amfierdarrg3^<^^*u/C; 
avec  les  fettres  phiiofophiques  lur  ia  for- 
mation des  Tels,  &c.  dans  lequel  ii  donne 
un  échantillon  du  fylUnie  qu'il  médi- 
toit,  mais  qu'il  n'a  pas  propolé  ,  ayant 
été  prévenu  par  la  mort.  Il  faut  rendre 
juflice  à  cet  auteur,  peribnne  n'a  mieux 
rafTemblé  les  phénomènes  &.  les  faits, 
on  lui  doit  même  cette  belle  &  grande 
obfervation  qui  eft  une  des  clefs  de  la 
théorie  de  la  terre  ,  je  veux  parler  de  la 
correfpondance  des  angles  des  monta- 
gnes. Il  préfente  tout  ce  qui  a  rapport 
à  ces  matières  dans  un  grand  ordre  ;  mais 
avec  tous  ces  avantages ,  ii  paroît  qu'il 
n'auroit  pas  mieux  réulfi  que  les  autres 
à  faire  une  hilloire  phyfique  &  raifon- 
née  des  changemens  arrivés  au  globe, 
&  qu'il  étoit  bien  éloigné  d'avoir  trouvé 
les  vraies  caufes  des  efiets  qu'il  rapporte; 
pour  s'en  convaincre ,  il  ne  faut  que  jeter 
ies  yeux  fur  les  proportions  qu'il  déduit 
des  phénomènes ,  &  qui  doivent  fervir 
de  fondement  à  fa  théorie  ,  Voye^^  page 
211.  Il  dit  que  le  globe  a  pris  fa 
forme  dans  un  même  temps ,  &  non  pas 


jx  8  2         Hijfoîre  Naturelle. 

fucceflivement  ;  que  la  forme  &  ïa  dif- 
ypofition  du  globe  fuppofent  nécefTaire- 
-mem  qu'il  a  été  dans  un  état  de  fluidité  , 
-Cjue  Fétat  préient  de  la  terre  eft  très-dif- 
férent de  celui  dans  lequel  elle  a  été  pen- 
dant plufîeurs  ficelés  après  la  première 
formation;  que l.i  madère  du  globe  étoit 
<iès  le  commencement  moins  denfe 
<}u'elîe  ne  l'a  été  depuis  qu'il  a  changé 
de  fice;  que  la  condeniation  des  parties 
folides  du  globe  diminua  fenfiblement 
avec  fa  vélocité  du  globe  mêm.e ,  de  forte 
qu'après  avoir  fait  un  certain  nombre 
<ie  révolutions  fur  fon  axe  &  autour  dm 
fcleil ,  il  (e  trouva  tout-à-coup  dans  ui^i 
ctat  de  d'iToluiion  qui  détruifit  fi  pre- 
mière ftrudlure  ;  que  cela  arriva  veî^s^ 
Téquinoxe  du  printemps;  que  dans  k 
temps  de  cette  diiTolution  les  coquilles 
s'introduîfirent  dans  les  madères  dif- 
foutcs  ;  qu'après  cette  diflolution  la  terre 
a  pris  la  forme  que  nous  lui  voyons ,  & 
qu'aufînôt  le  feu  s'y  ell  mis ,  la  confume 
peu  à  peu  &  va  toujours  en  augn^entant, 
de  forte  qu'elle  fera  détruite  un  jour  pat 
iine  explofion  terrible ,  accompagnée 
'di'juii  incendie  général ,  qui  augmentera 


Théorie  de  h  Terre.       i  S  J 
ratmofphère  du  gîobe  &  en  diminuera 
îe  diamèire,  &  qu'alors  la  terre,  au  lieu 
de  couches  de  iîible  ou  de  terre ,  n'aura 
que  des  couches  de  métal  &  de  minéral 
I calciné,  &   des   montagnes  compofées 
i  d'amalgames   de  différens  métaux.   En 
voilà  aflez  pour  faire  voir  quel  étoit  le 
fyftème  que  l'auteur  méditoit.  Deviner 
de  cette  façon  le  paiTé,  vouloir  prédire 
Tavenir ,  &:  encore  deviner  &  prédire  à 
peu  près  comme  les  autres  ont  prédit  & 
deviné ,  ne  me  paroit  pas  être  un  effort^ 
aulîl  cet  auteur  avoit  beaucoup  plus  de 
Gonnoifiances  &:  d'érudition  que  de  vues 
{aines  &  générales,  &:  il  m'a  paru  man- 
quer de   cette  partie  fi  néceffaire  aux 
phyficiens,  de  cette  métaphyfique  qui 
raiïemble  les  idées  particulières,  qui  les 
îend  plus  générales ,  &  qui  élève  l'efprit 
au  point  où  il  doit  être  pour  voir  l'en- 
chaînement des  caufes  &  des  effets.  y     ,    ,/ 
Le  fameux  Leibnitz  donna  en  1683^  UiA^f^-^U^ 
dans  les  A  des  de  Leipfic ,  pagt  4  0,  un 
projet  de  fyftème  bien  différent ,  fous  le 
titre  de  Proîogœa.  La  terre ,  félon  Bour- 
guet  &  tous  les  autres ,  doit  finir  par  k 
ièu  j  kloïi  Leibaiu ,  elle  a  coinnieac^ 


i84  Hlfloire  Naînrelje. 
par-là ,  &  a  fouffcrt  beaucoup  plus  de 
changeinens  &  de  révolutions  qu'on  ne 
l'imagine.  La  plus  grande  partie  de  fa 
matière  terreftre  a  été  enibrafee  par  un 
feu  violent  dans  îe  temps  que  Moyfe  diî 
que  la  lumière  fut  léparée  des  ténèbres. 
Les  planètes,  aufli-bien  que  la  terre, 
etolent  autrefois  des  étoiles  fixes  &  lu- 
mineules  par  elles-mêmes.  Après  avoir 
brûlé  long-temps ,  il  prétend  qu'elles  (c 
font  éteintes  faute  de  matière  combuf- 
tiblc,  &  qu'elles  font  devenues  des  corps 
opaques.  Le  feu  a  produit  par  la  fonte 
des  matières  une  croûte  vitrifiée,  &  la 
baie  de  toute  la  matière  qui  compole 
Je  globe  terreflreeft:  du  verre  ,  dont  les 
iiibles  ne  font  que  des  fragmens  ;  les 
autres  efpèces  de  terres  fe  font  formées  du 
mélange  de  ce  lable  avec  des  Tels  fixes  ôc 
de  l'eau  ,  &  quand  la  croûte  fut  refroidie, 
les  parties  humides  qui  s'étoient  élevées 
en  fomie  de  vapeurs ,  retombèrent  <5c 
formèrent  les  mers.  Elles  enveloppèrent 
d'abord  toute  la  fi.irHtce  du  globe,  & 
furmontèrent  même  les  endroits  les  plus 
élevés  qui  forment  aujourd'hui  les  con- 
tiiiens  &  les  îles.  Selon  cet  auteur,  l?s 


Théorie  Je  h  Terre.  285" 
coquilles  &:  les  autres  débris  cfe  la  mer 
qu'on  trouve  par-tout,  prouvent  que  la 
liera  couvert  toute  la  terre  ;  6c  la  grande 
quantité  de  lels  fixes,  de  labiés  &  d'autres 
uaùères  fondues  &;  calcinée.^  qui^  font 
crilermées  dans  les  entrailles  de  la  terre, 
trouvent  que  l'incendie  a  e'té  général , 
5:  qu'il  a  précédé  l'exiAence  des  mers. 
Quoique  ces  penlées  foient  dénuées  de 
preuves ,  elles  font  élevées ,  &.  on  fent 
Ditn  qu'elles  font  le  produit  des  médi- 
ations d'un  grand  génie.  Les  idées  ont 
ic  la  liaifon  ,  les  hypothèfes  ne  font  pas 
ibiolument  impoflibles,  &  les  conlé- 
]uenccs  qu'on  en  peut  tirer  ne  font 
xis  contradidoires  ;  mais  le  grand  déftut 
le  cette  théorie,  ç'efl  qu'elle  ne  s'ap- 
)Iique  point  à  l'état  préfent  de  la  terre  ,\ 
:'cil  le  pafîé  qii'elle  explique ,  &  ce  paffé 
îft  fi  ancien  &  nous  a  laifîé  fi  peu  de 
relliges  qu'on  peut  en  dire  tout  ce 
]u'on  voudra,  &:  qu'à  proportion  qu'un 
lomme  aura  plus  d'efprit ,  il  en  pourra 
lire  des  chofes  qui  auront  l'air  plus 
.raifcmblable.  Aiïurer,  comme  l'affure 
vVillhon ,  que  la  terre  a  été  comète,  ou 
:>rétendre  avec   Leibaitz   qu'elle   a  cic 


:i%6      HiJIoJre  Naturelle. 

foleil,  c'eft  dire  des  chofès  également 
poffibles  ou  impofTibîes ,  &'îiux quelles 
il  feroit  fuperfîu  d'appliquer  les  règles 
des  probabilités  :  dire  que  la  mer  a  autre- 
fois couvert  toute  la  terre  ,  qu'elle  a  eii- 
*  veloppé  le  globe  tout  entier,  &  que  c'e(V 

'  par  cette  raifon   qu'on  trouve  des  co- 

quilles par-tout,  c'eft  ne  pas  £aire  at- 
tention à  une  choie  très-efîëntielle,  qui» 
ed  l'unité  du  temps  de  la  création  ;  car  fi 
cela  étoit ,  il  fàudroit  néceflairement  dire 
que  les  coquillages  &  les  autres  animaux 
habitans  des  mers ,  dont  on  trouve  les 
dépouilles  dans  l'intérieur  de  la  terre, 
ont  exiflé  les  premiers,  &  long-temps 
avant  l'homme  &  les  animaux  terreRres: 
^  or  indépendamment  du  témoignage  des 

'h*  f'to^ùn^f^  livres  fàcrés ,  n'a-t-on  pas  railon  de  croire 
iii»  ^  ouM^^  ^"^  toutes  les  efpèces  d'animaux  &  de 
C      J   Ti^nw^    végétaux  font  à  peu  près  aullj  anciennes 
^<cfrv**<  .   1^^  xwies  que  les  autres! 

fil  M.  Scheuchzer  dans  une  difTertatioii 

jùtu**,        .  ^^v|  ^  j^jj-g^j^g  ^  l'Académie  des  Sciences 

en  I  708,  attribue ,  comme  Woodv^^ard , 
îe  changement  ou  plutôt  la  féconde  for- 
mation de  la  furfacc  du  globe,  au  dé- 
Juge  univerfel  ;  5c  pour  expliquer  celle 


Théorie  de  la  Terre.        1 87 

des  montagnes ,  il  dit  qu'après  îe  déluge^ 
Dieu  voulant  faire  rentrer  les  eaux  dans 
les  réfervoirs  fouterrains,  avoit  brifë  6c 
déplacé  de  fà  main  toute  -  puiflante  ua 
grand  nombre  de  lits  auparavant  hori- 
zontaux ,  &  les  avoit  élevés  fur  la  fur- 
face  du  globe  ;  toute  fa  difîertation  a 
été  faite  pour  appuyer  cette  opinion» 
CoiTime  ii  falloit  que  ces  hauteurs  ou 
éminencesfufîent  d'une  confiftan ce  fort 
folide ,  M.  Scheuchzer  remarque  que 
Dieu  ne  les  tira  que  des  lieux  où  il  y 
avoit  beaucoup  de  pierres ,  de-là  vient , 
dit-il,  que  les  pays,  comme  la  Suiffe  , 
où  il  y  en  a  une  grande  quantité  ,  lont 
montagneux  ;  &  qu'au  contraire  ceux 
qui,  comme  fa  Flandre,  l'Allemagne, 
ia  Hongrie,  la  Pologne,  n'ont  que  du 
fable  ou  de  l'argrile,  même  à  une  affez 
grande  profondeur,  font  prefqu 'entière- 
ment fins  m_ontagnes.  Voye^  l'Hifi.  de 
IfAcad.  I  y  0  8 ,  page  ^  2, 

Cet  auteur  a  eu  plus  qu'aucun  autre  le 
défaut  de  vouloir  mêler  la  phyfique  avec 
ia  théologie ,  &:  quoiqu'il  nous  ait  donné 
quelques  bonnes  obfervations ,  la  partie 
fyftémadque  de  fes  ouvrages  eft;  encote 


^88  Hifloh-e  Ndîiirclk, 
plus  mauvaifc  que  celle  de  tous  ceux 
qui  l'ont  précédé  ,  il  a  même  fait  fur  ce 
ibjet  des  déclamations  &  des  plailante- 
ries  ridicules.  Voyez  la  plainte  des  poil- 
Ibns  ,  Pifc'mm  querelœ ,  &c.  fans  ]:»arler 
de  fon  gros  livre  en  plufieurs  voluines 
in-foiio,  intitulé,  Phyficafacra,  OM\'ràae 
puérile,  &  qui  paroît  fait  moins  pour 
occuper  les  hommes  ,  que  pour  amuier 
les  enfans  par  les  gravures  &  les  images 
qu'on  y  a  entailées  à  delfein  &.  lans 
néceiHté. 

Stenon  5c  quelques  autres  après  lui, 
ont  attribué  la  caufe  des  inégalités  de  la 
furfice  de  la  terre  à  des  inondations  par- 
ticulier res  ,  à  des  tremblemens  de  terre  ,  à 
des  fecouffes ,  deséboulemens  ,  &c.  mais 
les  elfets  de  ces  caules  fécondai res  n'ont 
pu  produire  que  c[uelques  légers  chan- 
gemens.  Nous  admeuons  ces  mêmes 
cau:es  après  la  caufe  première  qui  eif  le 
mouvement  du  flux  &  reflux  ,  &  le  mou- 
vement de  la  mer  d'orient  en  occident; 
au  relie  ,  Stenon  ni  les  autres  n'ont  pas 
donné  de  théorie,  ni  même  de  flfits  gé- 
néraux fur  cette  matière.  Voyez  la  Diu. 

de  Solido  intrafolidum ,  &c* 

Ray 


Théorie  de  la  Terre*  aSjf' 
Ray  prétend  que  toutes  les  montagnes.!^^ 
ont  été  produites  par  des  tremblemens  de 
terre ,  &  il  a  flnt  un  traité  pour  le  prou- 
ver; nous  ferons  voir  à  l'article  des 
volcans ,  combien  peu  cette  opinion  efl: 
fondée. 

Nous  ne  pouvons  nous  difpenfêr  d'ob- 
{èrver  que  la  plupart  des  auteurs  dont 
nous  venons  de  parler,  comme  Burnet, 
Whifton  &  Woodward,  ont  fait  une  faute 
qui  nous  paroît  mériter  d'être  relevée , 
c*efl:  d'avoir  regardé  le  déluge  comme 
poflible  par  Tadion  des  caules  naturelles, 
au  lieu  c[ue  l'Écriture  fainte  nous  le  pré- 
fente comme  produit  par  la  volonté  im- 
médiate de  Dieu;  il  n'y  a  aucune  caufcS^  afti^^C 
naturelle  qui  puifîe  produire  fur  la  furfacc  ^/  y         ,   . 
entière  de  la  terre  la  quantité  d'eau  qu'i!^^?5r      ***'a*^ 
a  fillu  pour  couvrir  les  plus  hautes  mon-/i*-^*>**^***^j 
ta  ornes  ;  &  quand  même  on  pourroit  ima-  -^  ^    ^ 

giner  une  caute  proportionnée  a  cet  ertet ,  ^^^ 

ît  feroit  encore   impofiible  de  trouver**"**^  ^. 
quelqu'autre  caufe  capable  de  faire  ôiC-f^^^^^, 
paroître  les  eaux;   car  en   accordant  à*,^^^^^*"**T 
Whifton  que  ceseaux  font  venues  de  la  z,^,^^,./^*^.  V 
queue  d'une  comète ,  on  doit  lui  nier  qu'if^^^^^     ç,^- 
en  foit  venu  du  grand  abyme  &  qu'elles  y 

Tome  I.  N         ^^  ^Nx^u^ 


^po         Hi flaire  Naturelle. 

.-  (oient  toutes  rentrées ,  puifque  le  grandf 
abyme  étant,  lelon  lui,  environné  Qç. 
prefié  de  tous  côte'spar  la  croûte  ou  i'orbe 
terreilre ,  il  ell  impoflible  que  l'attraciioa 
de  la  comète  ait  pu  caufer  aux  fluides 
contenus  dans  l'intérieur  de  cet  orbe  ,  le 
moindre  mouvement;  par  conféqucnt 
îe  grand  abyme  n'aura  pas  éprouve, 
coMime  il  le  dit,  un  fîux  &  reflux  vio- 
lent ;  dès-lors  il  n'en  fera  pas  forti  &  il 
n'y  lerapas  entré  une  feule  goutte  d'eau, 
&  à  moins  de  luppoier  que  l'eau  tombée 
de  la  comète  a  été  détruite  par  miracle, 
elle  feroit  encore  aujourd'hui  fur  la  fur- 
face  de  la  terre ,  couvrant  les  fommets 
^des  plus  hautes  montagnes.  Rien  ne  ca- 
^^radérife  mieux  un  miracle  que  l'impof- 
fibilité  d'en  expliquer  l'effet  par  les  caufes 
naturelles  ;  nos  auteurs  ont  fait  de  vains 
euorls  pour  rendre  raifon  du  déluge  , 
leurs  erreurs  de  Phyfique  au  fnjet  des 
caufes  fécondes  qu'ils  emploient,  prou- 
vent la  vérité  du  fait  tel  c{u'il  eft  rapporté 
dans  l'Écriture  fiinte ,  &  démontrent 
qu'il  n'a  pu  être  opéré  que  par  la  caui'e 
première,  par  la  volonté  de  Dieu. 

D'ailleurs  il  efl  aile  de  fe  convaincre 


Théorie  de  la  Terre,        l<)t 

tjlie  ce  n'eit  ni  dans  un  feul  &  même 
temps,  ni  par  refFet  du  déluge  que  ki 
iiier  a  laiiïé  à  découvert  ies  continens 
que  nous  habitons  ;  car  il  eft  certain  ,  par 
le  témoignage  des  livres  fàcrés ,  que  ie 
Paradis  terrefire  etoit  en  Aile;  &  que 
i'Afie  éîoit  un  continent  habité  avant  ie 
déluge  ;  par  coniéquentcen'efi:  pas  dans 
ce  temps  que  les  mers  ont  couvert  cette 
partie  conîidérabie  du  globe.  La  terre 
éioit  donc  avant  le  déluge  telle  à  peu 
près  qu'elle  eft  aujourd'hui;  &  cette 
énorme  quantité  d'eau  que  la  Juftice 
divine  fit  tomber  fur  la  terre  pour  punir 
l'homme  coupable ,  donna  en  Ci^èt  la 
mort  à  totites^Ies  créatures;  mais  elle  ne** 
produifit  aucun  changement  à  la  furFacc 
de  la  terre ,  éX^  ne  déiruifit  pas  même  ies 
plantes ,  puifque  la  colombe  rapporta 
une  branche  d'olivier. 

Pourquoi  donc  imaginer ,  comme 
Vont  fait  la  plupart  de  nos  Naturaliftes, 
que  cette  eau  changea  totalement  la 
furface  du  globe  jufqu'à  mille  &  deux 
mille  pieds  de  profondeur  \  pourquoi 
veulent-ils  que  ce  foit  le  déluge  qui  ait 
apporté  fur  la  terre  les  coquilles  qu'o» 

N  \] 


i^2  Hijloire  Naturelle^ 
trouve  à  fept  ou  huit  cents  pieds  dans  ïcs 
rochers  &  dans  ks  marbres  \  pourquoi 
dire  que  c'eft  dans  ce  temps  que  le  font 
formées  les  montagnes  &  les  collines  î 
&  comment  peut-on  fè  figurer  qu'il  foit 
pofîible  que  ces  eaux  aient  amené  des 
mafîes  &  des  bancs  de  coquilles  de  cent 
iieues  de  longueur  î  Je  ne  crois  pas 
qu'on  puiHe  perfifler  dans  cette  opinion  , 
à  moins  qu'on  n'admette  dans  le  déluge 
un  double  miracle ,  le  premier  pour 
l'augmentation  des  eaux ,  &  le  fécond 
pour  le  tranfport  des  coquilles  ;  mais 
comme  il  n'y  a  que  le  premier  qui  foit 
rapporté  dans  l'Ecriture  làinte,  je  ne 
vois  pas  qu'il  foit  néceflaire  de  faire  un 
article  de  foi  du  (econd. 

D'autre  côté,  fi  les  eaux  du  déluge, 
après  avoir  féjourné  au-deffus  des  plus 
hautes  montagnes ,  fe  fuffent  enfuite  re- 
tirées tout-à-coup  ,  elles  auroient  amené 
une  fi  grande  quantité  de  limon  &  d'im- 
mondices que  les  terres  n'auroient  point 
été  labourables  ni  propres  à  recevoir  des 
arbres  &  des  vignes  que  plufieurs  fiècles 
après  cette  inondation  ,  comme  l'on  fiit 
que  dans  le  déluge  qui  arriva  en  Grèce, 


Théorie  de  la  Tene*       2^3 

le  pays  fubmergé  fut  totalement  aban- 
«Jonné  &  ne  put  recevoir  aucune  cul- 
ture que  plus  de  trois  fiècles  après  cette 
inondation.  Voyez  Aâa  erudit.  Lipf» 
anno  j  6 p  j  ,  pag,  100.  Auffi  doit-on 
regarder  ie  déluge  univerfel  comme  un 
moyen  furnaturei  dont  s'efl:  fervi  la 
Toute-puiffance  divine  pour  ie  châti- 
ment des  hommes,  &  non  comme  uit 
effet  naturel  dans  lequel  tout  fe  feroit 
palTé  félon  les  ioix  de  la  Phyfique.  Le 
déluge  univerfel  eft:  donc  un  miracle 
dans  fi  caufe  &  dans  (es  effets  ;  on  voit 
clairement  par  le  texte  de  l'Ecriture  fainte 
qu'il  a  fervi  uniquement  pour  détruire 
l'homme  &  les  animaux,  &  qu'il  n'a 
changé  en  aucune  fiçon  la  terre,  puif- 
qu'après  la  retraite  des  eaux ,  les  mon- 
tagnes ,  &  même  les  arbres,  étoient  à  leur 
place  ,  &  que  lafurface  de  la  terre  étoit 
propre  à  recevoir  la  culture  &  à  pro- 
duire des  vignes  &  des  fruits.  Comment 
toute  la  race  des  poiffons,  qui  n'entra 
pas  dans  l'arche,  auroit-elle  pu  être 
coafervée,  fi  la  terre  eût  été  diffoute  dans 
l'eau ,  ou  feulement  fi  les  eaux  cufîent  j^ 
Clé   aflez  agitées  pour  tranfporter    les  dYloCJ^'t' 

OL  /         aù^    ii^   y^    ^     (^^ryo-^   er^ 


2  9  4       Hïflotre  Naîureïïê,  ' 
coquiiles  des  Indes  en   Europe     ^c^ 
^    Cependant   cette   %polnion ',   que  : 
celt  ledduge  univerfel  qui  atranfporté  i 
ies  coqutlfes  de  la  mer  dans  tous  les  cli- 
niats  de  la  terre,  efî  devenue  l'opinion 
ou  plutôt  la  fuperdition  du  commun  des 
T^aturalifres.  "Woodward,  Scheuchzer  & 
quelques  autres   appellent  ces  coquilles 
pétrifiées  les   reftes   du  déluge,  ils  les 
regardent   comme  les   médailles   &   \^s 
monumens  que  Dieu  nous  a  iaiiiés  de 
ce   terrible   événement,     afin   qu'il    ne 
s  efiaçat  jamais  de  la  mémoire  du  prenre 
humain,  enfin  ils  ont  adopté  cette  hy- 
pothèfe  avec  tant  de  refpee^ ,  pour  ne  pas 
dire  d  aveuglement,  qu'ils  ne  paroiiïenî 
s  être  occupés  qu'à  chercher  les  moyens 
de  concilier  l'Ecriture  ûinte   avec  leur 
opinion,  &  qu'au  lieu  de  fe  fervir  de 
leurs  obfervations  &  à'^n  tirer  des  lu- 
mières, ils  fe  font  enveloppés  dans   kg 
iiuaaes  d'une  théologie  phyfique,  dont 
ioblcurité   &    la    petitefTe  dérogent  à 
la  clarté  &  à   la  dignité  de  la  religion, 
&  ne  hiifTent  apercevoir  aux  incrédules 
qu'un  mélange  ridicule  d'idées  humaines 
^  de  faits  diyiiis,   Prcteiidre  ea  effeî 


\ 


Théorie  delà  Terre-,      295 
expliquer  le  déluge  univerfel  &  Tes  caufes 
phyfiques,  vouloir  nous  apprendre  le 
détail  de  ce  qui  s'eft  paffé  dans  le  temps 
de  cette  grande  révolution ,  deviner  quels 
en  ont  éié  les  effets,  ajouter  des  fiiirs  à 
ceux  du  livre   facré ,  tirer    des  conté- 
quences  de  ces  faits,  n'eft-ce  pas  v ou- 
îoir  mefurerîa  puiiïance  du  Très-haut  î 
'  Les  merveilles  que  fa  main  bienfiifame 
opère   dans  la   Nature    dune    manière 
uniforme  &  régulière ,  font  incompré- 
henfibles,  &  à  plus  forte  raifonïes  coups 
d'éclat;  les  miracles ,  doivent  nous  tenif 
dans  le  fiifiiïement  &  dans  le  filence. 

Mais,  diront-ils ,  le  déluge  univerfel 
étant  un  fait  certain  ,  n'e(l-il  pas  permis 
de  raifonner  fur  les  conféquences  de  ce 
fait!  à  la  bonne  heure,  mais  il  faut  que 
vous  commenciez  par  convenir  que  le 
déluge  univerfel  n'a  pu  s'opérer  par  les 
puiflances  phyfiques,  il  faut  que  vous 
je  reconiioilfiez  comme  un  effet  immé-- 
diat  de  la  volonté  du  Tout-puiffant,  il 
faut  que  vous  vous  borniez  à  en  lavoir 
feulement  ce  que  les  livres  facrés  nous 
en  apprennent ,  avouer  en  même  temps 
qu'il  ne  vous  eft  pas  permis  d'en  favoir 
^  N  iiiij 


^5?<î        Hip'tre  Naturelle. 
davantage  &  fur-tou.  ne  pas  mêFerune 
mn„va,|e  phy/îque  avec   la  pureté  du 
livre  famt.  Ces  précautions  qu'exige  le 
relped  que  nous  devons  aux  décrefs  de 
JJieu,  étant  prifes,  que  refte-t-il  à  exa- 
inmer  au  fuje.  du  déluge  !  Eft-il  dit  dan. 
Ecriture  Ca.nte  que  le  d.luge  ait  formé 
les  montagnes!  il  e!t   dit  le  contraire: 
elt-il  du  que  les  eaux  fulTent  dans  une 
ag.tat.on  allez  gr.nde  pour  enlever  du 
tond  des  mers  les  coquilles  &  les  tranf- 
porter  par  toute  la  terre  î  Non  ,  l'Arche 
voguoit  tranquillement  furies  floîs  ■  ell-if 
dit  que  la  terre  fouffi-it  une  dflbiution 
totale;  point  du  tout;  lerécit  dc'Hifto- 

NaturaLftes  eft  compofé  &  fabuleux. 


Tfiéorie  de  la  Terre.       -2-97 


PREUVES 

DE  LA 

THÉORIE  DELA  TERRE, 

ARTICLE  VI. 

GÉO  GR  APHIE. 

LA  furflice  de  ïaTerren'efl  pas,  comme 
celle  de  Jupiter ,  divifée  par  bandes 
alternatives  &  parallèles  à  l'équateur  ,  au 
comr  ire  el  e  eit  di\  liée  d'un  pôle  à  l'autre 
par  deux  bandes  de  lerre  &  deux  bandes 
de  mer;  la  première  &:  principale  bande 
eft  l'ancien  continent,  dontlapiiis  grande 
longueur  (è  trouve  être  en  diagonale 
avec  l'équateur  ,  &  qu'on  doit  meiurer 
en  commençant  au  nord  de  la  Tartarie 
ia  pliis  orientale,  de-là  à  La  terre  qui 
avoifine  Je  golfe  Linchidolin,  où  les 
Molcovites  vont  pêcher  des  baleines, 
de-là  à  Toboisk  ;  de  Tobolsk  à  ia  mer 
Cafp'enne ,  de  la  mer  Cafpienne  à  ia 
Mecque^  de  la  Mecque  à  ia  partie  occi- 

N  V 


2()S     MiJIorre  Naturelle . 

dentale  du  pays  habité  par  le  peuple  de 
Galles  en  Afrique,  eniliite  au  Monoe- 
mugi ,  au  M  onomotapa,  &  enfin  au  cap 
de  Bonne-efpérance.  Cette  ligne,  qui 
eft  îa  plus  grande  longueur  de  l'ancien 
continent,  efl:  d'environ  3600  lieues^ 
elle  n'eft  interrompue  que  par  la  mer 
Cafpienne  &  par  la  mer  rouge,  dont  les 
largeurs  ne  font  pas  confidérabies ,  & 
on  ne  doit  pas  avoir  égard  à  ces  petites 
interruptions  lorfque  l'on  confidère ,. 
comme  nouslefaifonsjla  furface  du  globe 
diviiée  feulement  en  quatre  parties. 

Cette  plus  grande  longueur  fe  trouve 
en  mefurant  le  continent  en  diagonale  ; 
car~fi  on  le  mefure  au  contraire  fuivant 
les  méridiens ,  on  verra  qu'il  n'y  a  que 
^500  lieues  depuis  le  cap  nord  de  Lap- 
ponie  jufqu'au  cap  de  Bonne-efpcrance, 
&  qu'on  traverfe  la  mer  Baltique  dans 
fa  longueur ,  &  la  mer  Méditerranée  dans 
toute  fa  largeur ,  ce  qui  fait  une  bien 
moindre  longueur  &  de  plus  grandes  in- 
terruptions que  par  la  première  route. 
A'  l'égaid  de  toutes  les  autres  diftances 
qu'on  pourroiî  mefurer  dans  l'ancien  con- 
tinent fou5  les  ipêmes  méridiens,  on  les 


Théorie  Ae  la  Terre,      ^^p 

\  trouvera  encore  beaucoup  plus  petites 
que  celle-ci ,  n'y  ayant ,  par  exemple  , 
que  }  800  lieues  depuis  la  pointe  méri- 
dionnie  de  l'île  de  Ceylan  jufqu'à  la  cote 
feptentrionale  de  la  nouvelle  Zemble^ 
De  même,  fi  on  mefure  le  continent  pa- 
rallèlement à  l'cquateur  ,  on  trouvera  que 
ia  plus  grande  longueur  laas  interrup- 
tion fe  trouve  depuis  la  côte  occidentale 
de  l'Afrique  àTrefluia ,  jufqu'à  Ningpo 
fur  la  côte  orientale  de  la  Chine,  &  qu'elle 
cft  environ  de  2  8  o  o  lieues  ;  qu'une  autre 
longueur  fans  interruption  peut  fe  mefj- 
xer  depuis  la  pointe  de  la  Bretagne  à  Breft 
jufqu'à  la  côte  de  la  Tartarie  Chinoife  y 
&  qu'elle  e(t  environ  de  2300  lieues; 
qu'en  mefurant  depuis  Bergen  en  Nor-' 
vège  jufqu'à  la  côte  de  Kamtfchatka,  if 
n'y  a  plus  que  i  800  lieues.  Toutes  ces 
lignes  ont ,  comme  l'on  voit ,  beaucoup 
moins  de  longueur  que  la  première ,  ainfi 
la  plus  grande  étendue  de  l'ancien  con- 
tinent e(t  en  effet  depuis  le  cap  oriental  ' 
de  la  Tartarie  la  plus  feptentrionale  juf- 
qu'à u  cap  de  Bonne-efpérance,  c'e(i-à-^, 
dire  ,  de  3600  lieues  Voye^  la  première, 
Carîe^  de  Ccogrfphlc. 


300        Hijloîre   Naturelle . 

Cette  ligne  peut  être  regardée  comme 
le  milieu  de  la  bande  de  terre  qui  com- 
pofe  l'ancien  continent ,  car  en  melurant 
l'étendue  de  la  furface  du  terrein  des  deux 
côtés  de  cette  ligne,  je  trouve  qu'il  y  a 
dans  la  partie  qui  efl  à  gauche  247 1  0^2^ 
lieues  quarrées ,  &  qlie  dans  la  partie 
qui  eft  à  droite  de  cette  ligne ,  il  y  a 
^2469687  lieues  quarrées,  ce  qui  efl  une 
égalité  fingulière,  &  qui  doit  fliire  préfu- 

iner  avec  une  très-ofrande  vraiieniblance, 

o  ... 

que  cette  ligne  eft  le  vrai  milieu  de  l'an- 
cien continent ,  en  même  temps  qu'elle 
en  efl:  la  plus  grande  longueur. 

L'ancien  continent  a  donc  en  tout 
environ  4940780  lieues  carrées,  ce  qui 
ne  fîiit  pas  une  cinquième  partie  de  la 
ïurfitce  totale  du  globe  ;  &  on  peut  regar- 
der ce  continenr  comme  une  large  bande 
de  terre  inclinée  à  i'équateur  d'environ 
30  degrés. 

A  l'égard  du  nouveau  continent,  on 
peut  le  regarder  aufîi  comme  une  bande 
de  terre,  dont  la  plus  grande  longueur 
doit  être  prife  depuis  l'embouchure  du 
fleuve  de  la  Plata  jufqu'à  cette  contrée 
jïiarécageufc  qui  s'étend  au-delà  du  lac 


Théorie  de  la  Terre,      3  o  r 

des  Afiiniboïls,  cette  route  va  de  lem- 
bouchure  du  fleuve  de  la  Piata  au  lac 
Caracares ,  de-là  elle  paiïe  chez  les  Ma- 
taguais^  chez  les  Chiriguanes,  eiifuite  à 
Pocona,  à  Zongo,  de  Zongo  chez  les 
Zamas,  les  Marianas ,  les  Moruas,  de-Ià 
à  S/  Fc  &  à  Cartagcne  ,  puis  par  le  golfe 
du  Mexique,  à  la  Jamaïque,  à  Cuba, 
tout  le  long  de  la  péninfule  de  la  Floride, 
chez  les  Apalaches  ,  les  Chicachas  ,  de-là 
au  fort  Saint-Louis  ou  Creve-cœur ,  au 
fort  le  Sueur ,  &  enfin  chez  les  peuples 
qui  habitent  au-delà  dulacdesAlîiniboïls, 
où  l'étendue  des  terres  n'a  pas  encore  e'té 
reconnue.     Voye:^   la  féconde  Carte  de 

.^Géographie. 

jf_  Cette  ligne  quin'eA  interrompue  que 
par  le  golfe  du  Mexique  ,  qu'on  doit  re- 
garder comme  une  mer  méditerranée, 
peut  avoir  environ  deux  mille  cinq  cents 
iieues  de  longueur ,  &  elle  partage  le  nou- 
veau continent  en  deux  parties  égales, 
dont  celle  qui  eft  à  gauaLe  a  ic6(^zo6^ 
lieues  quarrées  de  furf^ ,  &  celle  qui  eft 
à  droite  en  a  1070926-^;  cette  ligne 
qui  fat  le  milieu  delà  bande  du  nouveau 
conuneat,  eft  aulîi  iuciijiée  à  l'équateur 


'30  2        Hîfîotre  Nûîiireîk. 

d'environ  3  o  degrés ,  mais  en  fens  op-' 
pofé  ,  en  forte  que  ceiîe  de  l'ancien  con- 
tinent s'ëtendant  du  nord-efi:  au  fud-oued,. 
celle  du  nouveau  s'étend  du  nord-ouefl: 
au  fud-efl:  ;  &  toutes  ces  terres  eniemble, 
tant  de  l'ancien  que  du  nouveau  con- 
tinent ,  font  environ  7080993  lieues 
quarrécs ,  ce  qui  n'eflipas ,  à  beaucoup 
près  ,  ie  tiers  de  la  furface  totale  du  globe  ' 
qui  en  contient  vingt-cinq  millions. 

On  doit  remarquer  que  ces  deux  lignes 
qui  traver  fent  les  continens  dans  leurs  plus 
grandes  longueurs ,  ôl  qui  les  partagent 
chacun  en  deux  parties  égales ,  aboutif-  ' 
ient  toutes  les  deux  au  même  degré  de 
latitude  feptentrionale    &    auftrale.    On' 
peut  auiïi  ob  fer  ver  que  les  deux  coiiîi- 
néns  font  des  avances  oppofées  &  qui  fè 
regardent ,  fa  voir,  le^  côtes  de  l'Afrique 
depuis  les  îles  Canaries,  jufqu'aux  côtes* 
de   la  Guinée  ,  &  celles  de  l'Amérique* 
depuis  la  Guiane  jufqu'à  rembouchure* 
de  Rio- Janeiro.  % 

Il  paroît  donc  que  les  terres  les  plus 
anciennes  du  globe  (ont  les  pays  qui  font 
aux  deux  côtés  de  ces  lignes  à  un€  diA' 
tance' médiocre ,  par  exemple';  à'aoo  on** 


Théorie  Je  la  Terreé      ^ùj 

3250  lieues  de  chaque  côté,  &  en  fui- 
Vaut  ceue  idée  qui  elt  fondée  fur  les  ob- 
fervations  que  nous  venons  de  rapporter, 
nous  trouverons  dans  l'ancien  continent 
que  les  terres  les  plus  anciennes  de  l'A- 
frique font  celles  qui  s'étendent  depuis  le 
cap  de  Bonne-efpérance  jufqu'à  la  mer 
rouge  &  jufqu'à  l'Egypte  ,  fur  une  lar- 
geur d'environ  500  lieues,  &  que  par 
conféquent  toutes  les  côtes  occidentales 
de  l'Afrique,  depuis  la  Guinée  jufqu'au 
détroit  de  Gibraltar  ,  font  des  terres  plus 
nouvelles.  De  même  nous  reconnoîtrons' 
qu'en  A  fie,  fi  on  fuit  la  ligne  fur  la  mêine 
largeur ,  les  terres  les  plus  anciennes 
font  l'Arabie  heureufe  &  déferte,  la  Perfe 
&  la  Géorgie  ;  la  Turcomanie  &  une  par- 
tie de  la  Tartarie  indépendante ,  la  Cir- 
caffie  &  une  partie  de  la  Molcovie ,  &c, 
que  par  conféquent  l'Europe  efl:  plus 
nouvelle ,  &  peut-être  auffi  la  Chine  &  ' 
ïa  partie  orientale  de  la  Tartarie  :  dans  le  ' 
nouveau  continent ,  nous  trouverons  que  ' 
ia  terre  Magellanique ,  la  partie  orientale 
du  Brefil,  du  pays  des  Amazones,  delà' 
Guime  &  du  Canada  font  des  p.  y  s  nou-- 
veaux  en  comparaifon  du  Tucuman  ;  d&' 


'304  HiJIoke  Naturelle, 
Pérou  ,  de  la  Terre  ferme  &  des  îles  du 
golfe  du  Mexique ,  de  la  Floride  ,  du 
Milîiffipi  &  du  Mexique.  On  peut  en- 
core ajouter  à  ces  obfervationsdeux  faits 
qui  font  alTcz  remarquables ,  le  vieux  & 
ie  nouveau  continent  font  prefque  oppo- 
fés  l'un  à  l'autre  ;  l'ancien  efl  plus  étendu 
au  nord  de  l'équateur,  qu'au  fud,  au  con- 
traire le  nouveau  l'eu:  plus  au  fud  qu'au 
nord  de  l'équateur;  le  centre  de  l'ancien 
continent  elt  à  i  6  ou  1  8  degrés  de  lati- 
tude nord ,  &  le  centre  du  nouveau  eft  à 
I  6  ou  18  derrrés  de  latitude  fud,  en  forte 
qu'ils  femblent  faits  pour  fe  contre-ba- 
lancer.  II  y  a  encore  un  rapport  fingu- 
iier  entre  les  deux  continens ,  quoiqu'il 
nieparoiffe  plus  accidentel  que  ceux  dont 
je  viens  de  parler,  c'ell  que  les  deux 
continens  feroient  chacun  partagés  en 
deux  parties  qui  feroient  toutes  quatre 
environnées  de  la  mer  de  tous  côtés  ians 
deux  petits  ilthmes ,  celui  de  Suez  & 
celui  de  Panama. 

Voilà  ce  que  l'inipec^ion  attend ve  du 
globe  peut  nous  fournir  de  plus  générai 
iwx  la  divifion  de  la  terre.  Nous  nous  abf- 
ïkadrons  défaire  fur  cela  des  hypothèfès 


Théorie  de  la  Teire.      305 

&  de  halarder  des  raifonnemens  qui 
pourroient  nous  conduire  à  de  fîiufîes 
conféquences ,  mais  comme  perfonne 
n'avoir  conridëré  Ibus  ce  point  de  vue  la 
divifion  du  globe  ,  j'ai  cru  devoir  com- 
muniquer ces  remarques.  Il  ed:  afTez  fin- 
gulier  cjue  la  ligne  qui  tait  la  plus  grande 
longueur  des  contiiiens  terreftres ,  les 
partage  en  deux  parties  égales  ;  il  ne  l'eft 
pas  moins  que  ces  deux  lignes  commen- 
cent &  finiflent  aux  mêmes  degrés  de 
latitude ,  &  qu'elles  foient  toutes  deux 
inclinées  de  même  à  i'équateur.  Ces  rap- 
ports peuvent  tenir  à  cjueique  ch  Je  de 
général  que  l'on  découvrira  peut-être, 
&  que  nous  ignorons.  Nous  verrons  dans 
la  fuite  à  examiner  plus  en  détail  les  iné- 
galités de  la  figure  des  continens  ;  il  nous 
fuffit  d'obferver  ici  que  les  pays  les  plus 
anciens  doivent  être  les  plus  voiiins  de 
ces  lignes  >  &.  en  même  temps  les  plus 
élevés ,  &  que  lesterresplus  nouvelles  en 
doivent  être  les  plus  éloignées,  &  en 
même  temps  les  plus  bafîcs.  Ainfi  en 
Amérique  la  terre  des  Amazones  ,  la 
Guiane  &  le  Canada  feront  les  parties  les 
plus  nouvelles;  en  jetant  les  yeux  fur  la 


'30  6       Hijloire  Naturelle. 

carte  de  ce  pays  ,  on  voit  que  les  enux  J 
font  répandues  de  tous  côte's,  qu'il  y  a  ua 
grand  nombre  de  iacs  &l  de  très-grands 
fleuves ,  ce  qui  indique  encore  que  ces 
terres  font  nouvelles:  au  contraire  le  Tu- 
cuman  ,  le  Pérou  &  le  Mexique  font  des 
pays  très-éievés,  fort  montueux  ,  &  voi- 
fins  de  la  ligne  qui  partage  le  continent , 
ce  qui  femble  prouver  qu'ils  font  plus 
anciens  que  ceux  dont  nous  venons  de 
parler.  De  même  toute  l'Afrique  ell:  très- 
montueufe,  &  cette  partie  du  monde  eft 
fort  ancienne:  il  n'y  a  guère  que  l'Egypte, 
la  Barbarie  &  les  côtes  occidentales  de 
l'Afrique  jufcju'au  Sénégal,  qu'on  puiffe 
regarder  comme  de  nouvelles  terres. 
L'Afie  eft  auffi  une  terre  ancienne,  <Sc 
peut-être  la  plus  ancienne  de  toutes, 
fur- tout  l'Arabie,  la  Perfe  &  la  Tartarie; 
mais  les  inégalités  de  cette  vafte  partie  du 
monde  demandent,  aufli-bien  que  celles 
de  l'Europe,'  un  détail  que  nous  ren- 
voyons à  un  autre  aYticle.  On  pourroit 
dire  en  général  que  l'Europe  ell  un  pays 
nouveau ,  la  tradition  fur  la  migration 
des  peuples  &  fur  l'origine  des  arts  &  des 
fciences  paroît  l'indiquer,  il  n'y  a   pas 


Théorie  de  la  Terre.       307 

îong-temps  qu'elle  e'toit  encore  remplie 
de  marais  &  couverte  de  forêts ,  au  lieu 
que  dans  les  pays  très  -  anciennement 
habités  il  y  a  peu  de  bois ,  peia  d'eau , 
point  de  marais ,  beaucoup  de  landes  & 
de  bruyères ,  une  grande  quantité  de 
montagnes  dont  les  lommets  font  fecs 
&  (lériîes  ;  car  les  hommes  détruifent  les 
bois,  contraignent  les  eaux  ,  relîerrent  les 
fleuves,  defsèchent  les  marais,  «Se  avec 
le  temps  ils  donnent  à  la  terre  vme  face 
toute  différente  de  celle  Aç,^  pays  inha- 
bités ou  nouvellement  peuplés. 

Les  Anciens  ne  connoifToient  qu'une 
très-petite  partie  du  globe;  l'Amérique 
entière,  les  terres  arctiques  ,  la  terre  Auf- 
traie  &.  Magellanique,  une  grande  partie 
de  l'intérieur  de  l'Afrique,  leur  étoient 
entièrement  inconnues,  ils  ne  favoient 
pas  que  la  Zone  torride  étoit  habitée  > 
quoiqu'ils  eulTent  navigé  tout  autour  de 
l'Afrique,  car  il  y  a  2200  ans  que  Neco 
loi  d'Egypte  donna  des  vaiiîeauxà  i^Q% 
Phéniciens  qui  partirent  de  la  mer  rouge  , 
côtoyèrent  l'Afrique  ,  doublèrent  le  cap 
de  Bonne-efpérance  ,  &  ayant  employé 
deux  ans  à  faire  ce  voyage ,  ils  entrèrent 


'30  8        Hftoke  Naturelle. 

la  troifième  année  dans  le  détroit  de  Gi- 
braltar. Voye:^  Hérodote,  lib.  IV.  Cepen- 
dant les  Anciens  ne  connoifîoient  pas  la 
propriété  qu'a  l'aimant  de  fe  diriger  vers 
les  pôles  du  monde  ,  quoiqu'ils  connuf- 
ient  celle  qu'il  a  d'attirer  le  fer;  ils  igno- 
roient  la  caufe  générale  du  flux  &  du 
reflux  de  la  mer  ,  ils  n'étoient  pas  lûrs  que 
i'océan  environnât  le  globe  lans  inter- 
ruption :  quelques-un  1  à  la  vérité  l'ont 
foupçonné ,  mais  avec  fi  peu  de  fonde- 
ment qu'aucun  n'a  ofé  dire  ni  même  Goa- 
jcCiurer  qu'il  étoit  poflible  de  faire  le 
tour  du  monde.  Magellan  a  été  le  pre- 
mier qui  l'ait  fîiit  en  l'année  i  5 1 9  dans 
i  efpace  de  i  i  24  jours.  François  Drake 
a  été  le  fécond  en  1 5,77  ,  &  il  l'a  fiit  en 
1  0  5  6  jours.  Eniiiite  Thomas  Cavendish 
a  fait  ce  grand  voyage  en  y-yy  jours 
dans  l'année  1  586  ,  ces  fameux  Voya- 
geurs ont  été  les  premiers  qui  aient  dé- 
montré phyfiquement  la  fphéricité  & 
J'éiendue  delà  circonférence  de  la  terre; 
car  les  Anciens  étoient  aufli  fort  éloignés 
d'avoir  une  jude  mefure  de  cette  circon- 
férence du  globe,  quoiqu'ils  y  euflent 
beaucoup  travaillé.  Les  vents  généraux 


Théorie  Je  la  Terre.  309» 
&  réglés  ,  &  lufage  qu  on  en  peut  faire 
pour  les  voyages  de  long  cours  leur 
étoient  auffi  ablolument  inconnus  ;  ainfi 
on  ne  doit  pas  être  furpris  du  peu  de 
progrès  qu'ilsontfliit  dans  la  Géographie, 
puilqu'aujourd'hui ,  malgré  toutes  k$ 
connoifTances  que  Ion  a  acquifes  par  le 
fêcours  des  fciences  mathématiques  &  par 
les  découvertes  des  Navigateurs,  il  refle 
encore  bien  des  chofes  à  trouver  &  de 
vafles  contrées  à  découvrir.  Prefque  toute  s 
les  terres  qui  font  du  côté  du  pôle  an- 
tarctique nous  font  inconnues ,  on  fiit 
feulement  qu'il  y  en  a ,  &  qu'elles  font 
féparées  de  tous  les  autres  continens  par 
l'océan  ;  il  refle  auiïî  beaucoup  de  pays 
à  découvrir  du  côté  du  pôle  arclûque , 
&  Ton  ert:  obligé  d'avouer  avec  quelque 
efpèce  de  regret,  que  depuis  plus  d'un 
fiècle  l'ardeur  pour  découvrir  de  nou- 
velles terres  s'eft  extrêmement  ralentie  ; 
on  a  préféré ,  &  peut-être  avec  raifon , 
l'utilité  qu'on  a  trouvée  à  faire  valoir 
celles  qu'on  connoiffbit ,  à  la  gloire  d  ea 
conquérir  de  nouvelles. 

Cependant    la    découverte   de    ces 
terres  auftrales  feroit  un  grand  objet  dç 


3  I  o       Hîfloire  Naîurellci 

ciiriofité  ,  &.  pourroit  être  utile  ;  on  n'a 
reconnu  de  ce  côté  -  là  que  quelques 
côtes ,  &  il  efi:  fâcheux  que  les  Naviga- 
teurs qui  ont  voulu  tenter  cette  décou- 
verte en  diiîérens  temps  ,  aient  prei que 
toujours  été  arrêtés  par  des  glaces  qui 
les  ont  empêchés  de  prendre  terre.  La 
brume,, qui  efl  fort  confidérabie  dans 
ces  parages ,  efi:  encore  un  obflacle  : 
cependant  malgré  ces  inconvénicns ,  il 
efl:  à  croire  qu'en  ]:>artant  du  cap  de 
Bonne- efpérance  en  différentes  faiions , 
on  pourroit  enfin  reconnoître  une  partie 
de  ces  terres ,  lefqueiies  jufqu'ici  font  un 
monde  à  part. 

Il  y  auroit  encore  un  autre  moyen  qui 
peut-être  réuffiroit  mieux  ;  comme  les 
glaces  &  les  brumes  paroiffent  avoir  ar- 
rêté tous  les  Navigateurs  qui  ont  entre- 
pris la  découverte  des  terres  auflrales  par 
l'océan  atlantique  ,  &:  que  les  glaces  le  j 
font  prélentées  dans  l'été  de  ces  climats 
aufîi-bien  que  dans  les  autres  faifons  ,  ne 
pourroit-on  pas  ie  promettre  un  meil- 
leur fuccès  en  changeant  de  route  !  II 
me  femble  qu'on  pourroit  tenter  d'arri- 
ver à  ces  terres  parla  mer  pacifique,  en 


Théorie  de  h  Terre.        :?  r  { 
partant  de  Baldivîa  ou  d'un  autre 'port 
de  la  cote  de  Chili,  & -travernuit  cette 
mer^  fous  le  50.""  degré  de  latitude  lud. 
Il  n'y  a  aucune  apparence  que  cette  na- 
vigadon,   qui  n'a  jamais  été  faite,   'fôt 
périlleufe  ,  &  il  eft  probable  qu'on  trou- 
veroit  dans  cette  traverite  de  nouvelles 
terres;  car  ce  qui  nous  refle  à  connoitre 
xdu  côté  du  pôle  auftral  ed  fi  confidé- 
rable,  qu'on  peut  flms  Te  troinj^er' l'éva- 
luer à  plus  d'un  quart  de  la   fuperficie 
du  gloire,  en  forte  qu'il  peut  y  avoir 
dans  ces  climats  un  continent-  terre/Ire 
auffi  grand    que  l'Europe,   l'A  fie,  & 
1  Afrique  prifcs  toutes  trois  enfemble. 

Comme  nous  ne  connoiffons  point 
du  tout  cette  partie  du  globe  ,  nous  ne 
.pouvons  pas  lavoir  au  jufle  la  propor- 
tion qui  eil  entre  la  furface  de  la  [erre 
!&  celle  de  la  mer;  feulement,  autant 
qu'on  en  peut  juger  par  l'infpedion.de 
;Ce  qui  ell  connu,  \\  paroît  qu'il  y  a  plus 
de  mer  que  de  terre. 

Si  l'on  veut  avoir  une  idée  de  la  quan- 
tité énorme  d'eau  que  contiennent  \ts 
mers,  on  peut  fuppofer  une  profondeur 
fPiiiinune  &  générale  à  l'océan ,  &  en  ne 


'3  ï  a        Hifloire  Naturelle» 

îa  faiiaiit  que  de  deux  cents  toifes  ou  cf^ 
la  dixième  partie  d'une  lieue ,  on  verra 
qu'il  y  a  afîez  d'eau  pour  couvrir  le  globe 
entier  d'une  hauteur  de  fix  cents  pieds 
d'eau ,  &  fi  on  veut  réduire  cette  eau 
dans  une  feule  mafle,  on  trouvera  qu'elle 
fait  un  globe  de  plus  de  foixante  lieues 
de  diamètre. 

Les  Navigateurs  prétendent  que  îe 
continent  de^  terres  auftrales  eft  beau- 
coup plus  froid  que  celui  du  pôle  arc- 
tique, mais  il  n'y  a  aucune  apparence  que 
celte  opinion  (bit  fondée,  &  probable- 
ment elle  n'a  été  adoptée  des  Voyageurs, 
que  parce  qu'ils  ont  trouvé  des  glaces  à 
une  latitude  où  l'on  n*en  trouve  prcfque 
jamais  dans  nos  mers  feptentrionales , 
mais  cela  peut  venir  de  quelques  eau  (es 
particulières.  On  ne  trouve  plus  déglaces 
dès  iemois  d'Avril  en  deçà  des  67  &  68 
degrés  de  latitude  (eptentrionaie ,  cSc  les 
Sauvages  de  i'Acadie  &  du  Canada 
difent  que  quand  elles  ne  font  pas  toutes 
fondues  dans  ce  mois-là,  c'eft  une  marque 
que  le  relie  de  l'année  fera  froid  &  plu- 
vieux. En  1725  il  n'y  eut,  pour  ainfi 
dire,  point  d'été,  &  il  plut  prcfque 
continuellement; 


Théorie  de  la  Terre*       313 

ôondnuellement;  aufîi  non-feuîement  les 
glaces  des  mers  lèptentrionales  n'étoieut 
pas  fondues  au  mois  d'avril  au  67."*' 
degré ,  mais  même  on  en  trouva  au  i  'y 
juin  vers  le  41  ou  42.'"''  degî*é.  Voyei^ 
l'Hifi.  dd  r  Acad.  année  i  y2  j , 

On  trouve  une  grande  quantité' de  ces 
glaces  flottantes  dans  la  mer  du  nord  ^ 
lur-tout  à  quelque  diftance  des  terres  ; 
elles  viennent  de  la  mer  de  Tartarie  dans 
celle  de  la  nouvelle  Zemble  &  dans  les 
autres  endroits  de  la  mer  glaciale.  J'ai 
été  afTuré  par  des  gens  dignes  de  foi , 
qu'un  Capitaine  Angloîs ,  nommé  Mon- 
fon ,  au  lieu  de  chercher  un  pafîage  entre 
les  terres  du  nord  pour  aller  à  la  Chine  , 
iivoit  dirigé  fa  route  droit  au  pôle  & 
eu  avoit  approché  julqu'à  deux  degrés  : 
que  dans  cette  route  il  avoit  trouvé  une 
haute  mer  fins  aucune  glace ,  ce  qui 
prouve  que  les  glaces  (e  forment  auprès 
des  terres ,  &  jamais  en  pleine  mer  ;  car 
quand  même  on  voudroit  fuppofer , 
contre  toute  apparence ,  qu'il  pourroit 
fiiire  alTez  froid  au  pôle  pour  que  la  fuper- 
ficie  de  la  mer  fût  glacée ,  on  ne  conce- 
vroit  pas  mieux  comment  ces  énormes 
Tome  I.  O 


i 


3  1 4      hîfloîrc  Naturelle» 

gbxes  qui  flottent,  pourroient  fe  former 
il  elles  ne  trou  voient  pas  un  point  d'appui 
contre  les  terres,  d'où  enfuite  elles  fè  dé- 
tachent par  la  chaleur  du  foleil.  Les  deux 
vaiiïeaux  que  la  Compagnie  des  Indes 
iCnvoya  en  1739  ^  ^'^  découverte  des 
terres  auitrales ,  trouvèrent  des  glaces  à 
une  latitude  de  47  ou  48  degrés,  mais 
ces  glaces  n'étoient  pas  fort  éloignées 
.des  terres ,  puifqu'ils  les  reconnurent  1 
fans  cependant  pouvoir  y  aborder.  Voye-^ 
fur  cela  la  carte  de  M.  Baache,  i  j^  g^ 
Ces  glaces  doivent  venir  des  terres  inteV 
rieures  &  voifines  du  pôle  auilral ,  &  011 
peut  conjedurer  qu'elles  luivent  le  cours 
de  plu  fleurs  grands  fîeuyes  dont  ces  terres 
inconnues  font  arrofées ,  de  même  que 
îe  fleuve  Oby,  le  Jénifca  &:  les  autres 
grandes  rivières  qui  tombent  dans  les 
mers  du  nord ,  entraînent  les  glaces  qui 
bouchent  pendant  la  plus  grande  partie 
de  l'année  le  détroit  de  V^aio-ats ,  & 
rendent  inabordable  la  mer  de  Tartarie 
par  cette  route  ,  tandis  qu'au-delà  de  1$ 
nouvelle  Zemble  &  plus  près  des  pôles 
où  il  y  a  peu  de  fleuves  &  de  terres ,  les 
glaces  font  moins  comniiines  &  }a  mer 


Théorie  de  la  Terre,      3  r  5 

^fl  plus  navigable;  en  forte  que  fi  011 
vouloit  encore  tenter  le  voyage  de  fa 
Chine  &  du  Japon  par  les  mers  du  nord  , 
il  faudroit  peut  -  être  ,  pour  s'éloigner 
le  plus  des  terres  &  des  glaces,  diriger 
fa  route  droit  au  pôle  ,  &  chercher  les 
plus  hautes  mers ,  où  certainement  il  n'y 
a  que  peu  ou  point  de  glaces  ;  car  on 
fait  que  l'eau  (aîee  peut  finis  fe  geler  de- 
venir beaucoup  plus  froide  que  l'eau 
douce  glacée  ;  &  par  conféquentle  froid 
•excefTif  du  pôle  peut  bien  rendre  l'eau 
de  la  mer  plus  froide  que  la  glace  ,  fins 
que  pour  cela  la  furface  de  la  mer  fe  gèfe, 
d'autant  plus  qu'à  80  ou  82  degrés ,  la 
furfice  de  la  mer ,  quoique  mêlée  de 
beaucoup  de  neige  &  d'eau  douce  ,  n'eft 
glacée  qu'auprès  des  côtes.  En  recueil- 
lant les  témoignages  des  Voyageurs  flir 
îe  paffage  de  l'Europe  à  la  Chine  par  la 
mer  du  nord ,  il  paroît  qu'il  exifle ,  & 
que  s'il  a  été  fi  iouvent  tenté  inutilement, 
<:'efl  parce  qu'on  a  toujours  craint  de 
s^éloigner  des  terres  &:  de  s'approcher  du 
pôle,  les  Voyageurs  l'ont  peut-être 
Kgardé  comme  un  écueil. 

Cependant   Guillaume   Barents   qui 

Oij 


3  ï  5        Hijloire  Naturelle» 
avoit  échoue,  comme  bien  d  autres,  dans 
Ton  voyage  du  nord  ,  ne   doutoit  pas 
qu'il  n'y  eût  un  pafînge ,  &  que  s'ij  fe  fût 
plus  éloigné  des  terres,  il  n'eût  trouvé 
une  mer  libre  &:  liins  glaces.  Des  voya- 
geurs Molcovites  envoyés  par  le  Czar 
pour  reconnoître  les  mers  du  Nord ,,  rap- 
portèrent que  ia  nouvelle  Zemble  n'eft 
point  tine  île ,  mais  une  terre  ferme  du 
.continent  de  la  Tartarie ,  &  qu'au  nord 
de  ia  nouvelle  Zemble  c'eft  une  mer 
libre  &  ouverte.  Un  voyageur  Hollan- 
,dois  nous  alTure  que  la  mer  jette  de  temps 
«n  temps  fur  la  côte  de  Corée  &  du 
Japon  ,  des  baleines  qui  ont  fur  le  dos  des 
harpons  Anglois&  Hollandois.Unautre 
Hollandois  a  prétendu  avoir  été  jufque 
fous  le  pôle ,   &  afTuroit  qu'il  y   faifbit 
;iufn  chaud  qu'il  fait  à  A  mfterdairi  en  été. 
XJn  Angioisnommé  Goulden ,  qui  avoit 
fait  plus  de  trente  voyages  en  Groenland, 
rapporta  au  roi  Charles  II ,  que  deux 
..vaifleaux  Hollandois    avec    leiquels  il 
faifoit   voile,  n'ayant  point   trouvé   de 
baleinjÊS  à  la  côte  de  V\\q  d'Edges,  réfo- 
|iîrent  d'aller  plus  ;iu  nord ,  ik  qii'étant 
|de  jp.çtour  m  bp|.u  de  quinze  jours ,  ces 


Théorie  de  la  Terre»       J  î  / 

Hoîlandois  lui  dirent  qu'ils  avoient  été 
jufqu'au  Sp**"*"  degré  de  latitude  j  c'ell- 
à-dire ,  à  un  degré  du  pôle  ,  &:  que  là  ils 
n'avoient  point  trovivé  de  glaces ,  mais 
une  mer  libre  &  ouverte  ,  fort  profonde 
&  fembiable  à  celle  de  \\  baie  de  Bifcaye, 
&  qu'ils  lui  montrèrent  quatre  journaux 
des  deux  vaifTeaux  ,  qui  atteftoicnt  la 
même  chofe  &  s'accordoient  à  fort  peu 
de  chofe  près.  Enfin  il  eft  rapporté  dans 
ks  Tranfadions  philofophiques ,  que 
deux  Navigateurs  qui  avoient  entrepris 
d€  découvrir  ce  padïtge,  firent  une  route 
de  300  iieues  à  l'orient  de  la  nouvelle 
Zemble,  mais  qu'étant  de  retour,  la 
Compagnie  des  Indes  qui  avoit  intérêt 
que  ce  pafîage  y^  fut  pas  découvert^ 
empêcha  ces  Navigateurs  de  retourner, 
Voye-^  le  recueil  des  voyages  du  Nord , 
p,  2  0  0.  Mais  la  Compagnie  des  Indes  de 
Hollande  crut  au  contraire  qu'il  étoitde 
(on  intérêt  de  trouver  ce  pafîàge  ;  l'ayant 
tenté  inutilement  du  côté  de  l'Europe  ,' 
elle  le  fit  chercher  du  côté  du  Japon , 
^  elle  auroit  apparemment  réufîi,  Il 
l'empereur  du  Japon  n'eût  pas  interdit 
aux  étrangers  toute  navigation  du  côté 


'3  1  8        Hijîoire  'Naturelle. 

des  terres  de  JeiTo.  Ce  pafTage  ne  peut 
donc  fe  trouver  qu'en  allant  droit  au 
pôle  au-dçlà  de  Spitzberg ,  ou  bien  en 
iuivant  le  milieu  de  la  haute  mer,  entre 
îa  nouvelle  Zembie  &  Spitzberg ,  fous 
ie  y^/"^  degré  de  latitude  :  fi  cette  mer 
a  une  largeur  confidérable ,  on  ne  doit 
pas  craindre  de  la  trouver  glacée  a  cette 
latitude ,  «Se  pas  même  fous  le  pôle ,  par 
les  raifons  que  nous  avons  alléguées;, 
en  effet,  iln'y  a  pas  d'exemple  qu'on? 
ait  trouvé  la  iurface  de  la  mer,  glacée  au 
larofe  &  à  une  diftance  confidérable  des 
côtes ,  le  feul  exemple  d'une  mer  tota- 
lement gbcée  e(l  celui  de  la  mer  noire  y 
elle  eft  étroite  6c  peu  falée,  &  elle  reçoit, 
une  très-grande  quantité  de  fleuves  qui 
viennent  des  terres  feptentrionales  &  qui 
y  apportent  des  glaces ,  aufîi  elle  gèle 
quelquefois  au  point  que  fa  furface  eft 
entièrement  glacée  ,  même  à  une  pro- 
fondeur confidérable,  &,  fi  on  en  croit 
les  Hiiioriens ,  elle  gela  du  temps  de- 
l'empereur  Copronyme  ,  de  trente  cou-  ' 
dées  d'épaifleur  ,  fans  compter  vingt 
coudées  de  neige  qu'il  y  avoit  par-deffus 
h  glace.  Ce  fut  me  paroît  exagéré,  mais 


Thème  de  la  Terre,  3  ï  9 
ïl  efl  (Tir  qu'elle  gèle  prefque  tous  le* 
hivers  ;  tandis  que  les  hautes  mers  qui 
font  de  mille  lieues  plus  près  du  pôle  ^ 
ne  cèlent  pas ,  ce  qui  ne  peut  venir  que 
de  la  différence  de  la.dilure  &  du  peu  de 
glaces  qu'elles  reçoivent  par  les  fleuveSy 
en  coiuparaiion  de  la  quantité  énorme 
de  glaçons  qu'ils  tranfportent  dans  la 
mer  noire. 

:  Ces  glaces ,  que  l'on  regarde  comme 
des  barrières  qui  s'oppofent  à  la  naviga- 
tion vers  les  pôles  &  à  la  découverte  des 
lerres  aullrales,  prouvent  feulement  qu'if 
y  a  de  très-grands  fleuves  dans  le  voifi- 
nage  des  climats  où  on  les  a  rencontrées  ,= 
par  conféquent  elles  nous  indiquent  auffi 
qu'il  y  a  de  vaftes  coniinens  d'où  ces 
fleuves  tirent  leur  origine,  &  on  ne  doit 
pas  fe  décourager  à  la  vue  de  ces  obfta- 
eles;  car  fi  l'on  y  fai[  attention,  l'on 
reconnoîtra  aifément  que  ces  glaces  ne 
doivent  être  que  dans  de  certains  en- 
droits particuliers  ;  qu'il  cd;  preique 
impofnble  que  dans  le  cercle  entier  que 
nous  pouvons  imaginer  terminer*  les 
terres  auftraies  du  coté  de  i'équateur ,  il 
y  ait  par-tout  de   grands   fleuves   qui- 

O  iiij 


3  2©        Hlfloire    "Nàturehi 

chariem  des  glaces,  &  quepar  confequcnt 
il  y  a  grande  apparence  qu'on  reuiîiroit 
en  dirigeant  fa  rouie  vers  qwelqu'autre. 
point  de  ce  cerck.  D'aiiieurs  la  defcriij*- 
tion  que  nous  ont  donnée  Dampier  & 
quelques  autres  voyageurs,  du  terrein  de 
la  nouvelle  Hollande,  nous  peut  faire 
Soupçonner  que  cette  partie  du  globe  qui 
avoifine  les  terres  auli raies  ,  &  qui  peut- 
ctre  en  fait  partie ,  eft  un  pays  moins 
ancien  cjue  le  refle  de  ce  continent 
inconnu.  La  nouvelle  Hollande  efl  une 
terre  bafîe  ,  fans  eaux  ,  fins  montagnes  > 
peu  habitte,  dont  les  naturels  font  fau- 
vages  &  fans  indudrie;  tout  cela  con- 
court à  nous  faire  penfer  qu'ils  pour- 
ïoient  être  dans  ce  continent  à  peu  près 
ce  que  les  Sauvages  des  Amazones  ou  (\}x 
Pcraguai  font  en  Amérique.  On  a  trouvé 
é&%  hommes  policés  ,  des  empires  &  des 
lois  au  Pérou ,  au  Mexic[ue ,  c'eil-à- 
dire ,  dans  les  contrées  de  l'Amérique  les 
plus  élevées,  &par  conféquent  les  plus 
anciennes  ;  les  Sauvages  au  contraire  le 
font  trouvés  dans  les  contrées  les  plus 
baffes  <St  les  plus  nouvelles;  ainfi  on 
peut  préfimier  que  dans  l'intérieur  dei 


Théorie  de  h  Terre,        321 

fermes  auftrales  on  trouveroit  aiilîi  des* 
hommes  réunis  en  fociété  dans  les  con- 
trées élevées  j  d'où  ces  grands  fleuves 
qui  amènent  à  ia  mer  ces  glaces  prodi- 
gieulès  tirent  ieur  fource. 

L'intérieur  de  l'Afrique  nous  ell  in^ 
connu,  prefqu'autant  qu'ii  i'étoit  aujc 
Anciens,  ils  avoient,  comme  nous,  fait 
ij  tour  de  cette  prefqu'iie  par  mer,  mais- 
à  la  vcrrité  ils  ne  nous  avoient  laifîe  ni 
cartes,  ni  defci-iption  de  ces  côtes.  Piinc 
nous  dit  qu'on  avoit,  dès  le  temps  d'A- 
lexandre, fait  le  tour  de  l'Afrique,  qu'on 
av'oit  reconnu  dans  la  mer  d'Arabie  de» 
débris  de  vailîeaux  E(|:)agnois.  &  que 
Hannon  Général  Carthaginois  av^oit  fait 
ie.  voyage  dépuis.  Gades  jui»qu'à  la  mer 
d'Arabie ,-  qa'il  avoit  même  donné  par 
écrit  la  relation  de  ce  voyage.  Outre 
cela  ,  dit  -  il ,  Cornélius.  Nepos  nous 
appreiKl  que  de  fon  temps  un  ccrt.iiii 
Exidoxe  perfécuté  par  le.  roi  Lathurus, 
fut  obligé  de:  s'enEiir  \  qu'étant  parti  du' 
golfe.  Arabique  ,  il  étott  arrivé. à  Gades^ 
&  qu'avant  ce  temps  on  commerçoit 
d'Efpagne  en  Ethiopie  par  la  mer.  Voyer 
Plm,  HiJ.  Nat,  tom,  I.yl'é.  ^.  Cepen^ 


I 


3  22        Hijloire  Naturelle. 

dant,  malgré  ces  témoignages  des  An-» 
ciens ,  on  s'étoit  perfuadé  qu'ils  n'avoient 
jamaisdoublé  le  cap  de  Bonne-eipérance, 
&  l'on  a  regardé  comme  une  découverte 
nouvelle  cette  route  que  les  Portugais 
ont  prife  les  premiers  pour  aller  aux 
grandes  Indes:  on  ne  fera  peut-être  pas 
fâché  de  voir  ce  qu'on  en  croyoit  dans 
Je  neuvième  fiècle] 

ce  On  a  découvert  de  notre  temps. 
33  une  chofe  toute  nouvelle,  &  qui  étoit 
53  inconnue  autrefois  à  ceux  qui  ont  vécu 
:>3  avant  nous.  Perfonne  ne  croyoit  que 
D5  la  mer  qui  s'étend  depuis  les  Indes  juf-^ 
3»  qu'à  la  Chine,  eût  communication. 
33  avec  la  mer  de  Syrie ,  6c  on  ne  pou- 
33  voit  ie  mettre  cela  dans  l'efprit.  Voici 
33  ce  qui  efl:  arrivé  de  notre  temps ,  félon 
33  ce  c[ue  nous  en  avons  appris  :  on.  a.. 
33  trouvé  dans  la  mer  de  Roum  ou  médi- 
33  terranée  les  débris  d'un  vaiiïeau  Arabe- 
33  que  la  tempête  avoit  brifé,  &  tous  ceux 
33  qui  le  montoient  étant  péris  ,  les  flots 
33- l'ayant  mis  en  pièces,  elles  furent  por- 
33  tées  par  le  vent  &  parla  vague  jufque 
33  dans  la  mer  des  Cozars  ,  &  de-là  au  ca- 
->3  nal  de  la  mer  méditerranéen  d'où  elles 


Théorie  (le  la  Terre.        3  2" 3' 

furent  enfin  jetées  fur  la  côte  de  Syrie,  ce 
Cela  fait  voir  que  ia  mer  environne  ce 
tout  le  pays  de  la  Chine  &  de  Cila ,  ce 
l'extrémité  du  Turqueftan  &  le  pays  ce 
des  Cozars ,  qu'enfuite  elle  coule  par  ce 
îe  détroit  jufqu'à  ce  qu'elle  baio«-ne  la  ce 
côte  de  Syrie.  La  preuve  eft  tirée  de  ce 
la  conftrudion  du  vai(îeau  dont  nous  ce 
venons  de  parler ,  car  il  n'y  a  que  les  ce 
vaifTeaux  de  Siraf ,  dont  la  fabriqué  efl:  ce 
telle  que  les  bordages  ne  font  point  ce 
eîoués,  mais  joints  enfemble  d'une  ce 
manière  particulière,  de  même  que  s'ils  c< 
étoient  cou  fus,  au  lieu  que  ceux  de  ce- 
tous  les  vaifTeaux  de  la  mer  méditerra-  ce- 
née  &:  de  la  côte  de  Syrie  ,  font  cloués,  ce 
&  ne  font  pas  joints  de  cette  manière.  33^ 
Voye-^  les  anciennes  relations  des  voyages- 
faits  par  terre  a  la  Chine ,  p-  J  3  &  y  4- 

Voici  ce  qu'ajoute  le  Tradudleur  de 
cette  ancienne  relation. 

ce  Abuziel  remarque  comme  une  chofe- 
nouvelle  &  fort  extraordinaire  ,  qu'un  «- 
yaifleau  fut  porté  de  la  mer  des  Indes  ce' 
for  les  côtes  de  Syrie.  Pour  trou-  ce 
ver  le  paiïage  dans  la  mer  méditerra-  ce- 
îiée  ;  ii  fuppofe  qu'il  y  a  une  grande  <c^ 

O  vj; 


^24       Hljîone  Nalureïïè, 
3j  étendue  de  mer  au-defliis  delà  Chine,. 
»  qui  a  communication  avec  la  mer  des. 
:>3  Cozars  y  c'efl-à-dire  ,   de  M-ofcovie.. 
:»  La  mer  cjui  eii  au-delà  du  cap  des  C  cii- 
»  rans  étoit  entièrement  inconnue  aux 
53  Arabes  à  caufe  du  péril  extrême  de  la 
Dj  navigation  ,  ôl  le  continent  étoit  habité 
>î  par  des  peuples  fi  barbares,  qu'il  ii  étoit. 
>>  pas  facile  de  les  loumetire ,  ni  même; 
33  de  les  civililer  par  le  commerce.  Les, 
•»  Portugais  ne  trouvèrent  depuis  le  cxip 
-33  de   Bonne  -  elpérance  julqu'à  Soffala. 
03  aucuns  Maures  établis,  comme:  ils  en 
33  trouvèrent  depuis  dans  toutes  les  villes. 
33  mariu"mes  jufqu'à  la  Chine.  Cette  ville 
33  étoit  la  derniers  que  connoiiîoient  \q^ 
33  Géographes,,  mais  ils  ne  pouvoient 
:»  dire  fi  lamer  avoitcommunication.par 
3û  rextrémitéderAfrlc[ue  avec  la  mer.  de 
3>-  Barbarie  ,  &  ils  le  contentoient  de  la 
33  décrire  jufqu'à  la  cote  de  2.inge  qui  e/l 
33  celle  de  la  Cafrerie  ,   c'eft  pourquoi 
33.  nous  ne  pouvons  doutei^  que  la  pre— , 
minière  découverte  du  pafîïige  de  cette 
33  mer  par  le  cap  de   Bonne-eipéi^ance 
53.  lirait  été  faite  par.  les  Eiuropéens  tous  la. 
3» conduite  de  Vafco  de  Gaaia,  Quaii» 


Théorie  cTtrla  Terrev      3^2-5^ 

moins   cjuelques    années  avant    qu'il  ce 
doublât  le  cap  ,  s'il  eft  vrai  qu'il  fe  foit  ce 
trouvé  des  cartes  marines  plus  ancien:-  « 
nés  que  cette  navigation^  où  le  cap  ce 
étjQÏt  marqué  fous  le  nom  de  Front eira  ce 
da   Afriqua,   Antoine  Galvan  téuioi-  cc 
giie   llir  le  rapport  de  Francifco  de  ce 
Soufa  Tavares ,  qu'en  1528  l'Inflmt  ce 
Don.  Fernand  lui  fit  voir,  une  (embla-  co 
He  carte  qui  fe  trouvoit  dans  ie  monaf-  ce 
tère  d'Acoboca,  &.qui.  étoit  tàiteJL  y^-ce 
a  voit  L  20.  ans,  peut-être  fur  cetis  qu'on  ce 
dit  être,  à  Venilè  dans  le  tréfor  de  S/  ce 
Marc^  &  qu^on.croit.avcir  été  copiée,  ce 
fur  celle  de  Marc  Paolo,  qui  marque  ce 
aufîi  la  pointe  de  l'Afrique,  félon  le  ce 
téinoignage  de  Ramufio,  &c  ^^.-L'igno- 
rance  de.  ces.fiècles,au  fujet  dela.naviga^ 
lion  autour  de  l'Afrique  parDÎtra  peut- 
être,  mains  fingulière  que  le  fiiencc  de 
l'éditeur  de  cette  ancienne,  relation  au 
fujet  des  partages  d'Héiodote ,  de  Pline , 
&.C.  que  nous  avons  cités,  &  q,ui  prou- 
vent que  les  Anciens  ayoiem  fiait  le  tour 
dg,  i' Afrique. 

Quoi  qu'il  en  (bit,.  les  cotes  de  l'A- 
frique nous,  fom    aducllçmem    \i)sm 


^z6      Hiflotre  Natîirelk^ 

connues,  mais  quelques  tentatives  qu'on- 
ait  faites  pour  pénétrer  dans  l'intérieur  du 
pays  ,  on  n'a  pu  parvenir  à  le  connoître 
afTez  pour  en  donner  des  relations  exac- 
tes. II  ieroit  cependant  fort  à  fouhaiter 
que  par  le  Sénégal  ou  par  quelqu'autre 
fieuve  on  pût  remonter  bien  avant  dans 
les  terres  &  s'y  établir  ,  on  y  trouveroit , 
félon  toutes  les  apparences ,  un  pays  aufli 
riche  en  mines  précieufes  que  l'eft  le 
Pérou  ou  le  Brefil ,  car  on  fait  que  les 
fleuves  de  l'Afrique  charient  beaucoup 
d'or,  &  comme  ce  continent  efl:  un  pays 
de  montagnes  très-élevées ,  &  que  d'ail- 
iieurs  il  eft  fitué  fous  l'équateur ,  il  n'eft 
pas  douteux  qu'il  ne  contienne,  aufîi-bien 
que  l'Amérique ,  les  mines  de  métaux 
les  plus  pefans,  &  les  pierres  les  plus 
compactes  &  les  plus  dures. 

La  vafle  étendue  de  la  Tartarie  fepten- 
îrionale  &  orientale  n'a  été  reconnue  que 
dans  ces  derniers  temps.  Si  les  cartes  des 
Mofcovites  font  julles ,  on  connoît  à 
préfent  les  côtes  de  toute  cette  partie  de 
l'A  fie,  &:  il  paroît  que  depuis  la  pointe 
de  la  Tartarie  orientale  jufqu'à  TAmé- 
rjque  feptentrionale,  il  n'y  a  guère  qu'un 


Tlîéone  de  la  Terre.       3  27»- 
efpace  de  quatre  ou  cinq  cents  lieues  ;  ont 
a  même  prétendu  tout  nouvellement  que 
ce  trajet  étoit  bien  plus  court  ;  car  dans 
la  gazette  d'Amfterdam  du   24.  janvier 
I  747,  il  ed:  dit  à  l'article  de  Péterfbourg, 
que  M.  S  tôlier  avoir  découvert  au-delà 
de  Kamtfchatka  une  des  îles  de  l'Amé- 
rique feptentrionale,   &  qu'il  avoit  dé- 
montré qu'on  pouvoit  y  aller  dès  terres^ 
de  l'empire  de  Rufîie  par  un  petit  trajet»- 
Des  Jéfuites  &  d'autres  MifTionnaires  ont 
auiïi  prétendu  avoir  reconnu  en  Tar- 
tarie  des   Sauvages  qu'ils  avoient  caté— 
chifés  en  Amérique  ,  ce  qui  fuppoferoit, 
en  effet  que  le  trajet  feroit  encore  bien.; 
plus  court.  Voye-^  F Hijîoire  de  la  nouvelle 
France,  par  k  P.  Charlevoix ,  tome  111 , 
pages  ^  0  &  s  J  '   Cet  Auteur  prétend; 
même  que  les  deux  continens  de  l'ancien 
&  du  nouveau  monde  fe  joignent  parle 
nord^ôc  il  dit  que  les  dernières  naviga- 
tions  des   Japonnois    donnent   lieu    de 
juo-er  que  le  trajet  dont  nous  avons  parlé,, 
neft  qu'une  baie,  au-defTus  de  laquelle 
on  peut  paffer  par  terre  d'Afie  en  Amé- 
rique; mais  cela  demande  confirmation,, 
carjufqu'à  préfem  on  a  cru  avec  quelque 


'Î^S        Hiflolre  Naîurefîe.  ' 
f^^rte  de   vrailèinblaiice,  que  fe  coml> 
nent  du  pôleardique  eli  feparé  en  eiuier 
de^  autres  comineas ,   aulil-bien  que 
celui  du  poJe  aiiiardique. 

L'afîroiiomie  &  l'art  de  la  navigation. 
lo4it  portés  à  un  fi  hnut  point  de  perfec- 
tion ,  qu'an  peut  raifonnablement  efpérer 
G  avoir  un  jour  une  connoifTaiice  exade 
delà  lurfhce  entièredu  globe.  Les  Anciens 
n'en  connoiflLient  qu  une   afTez  petite 
partie ,  parce  que  n'ayant  pas  la  bouITolc , 
tls  n'ofoieju  ie  hafarder  dmis  les  hautes, 
mers.  Je  (îiis  bien  que  quelques  gens  ont. 
prétendu (|ueies  Arabes  avoient  inventé 
laboufFoIe,.  6c  s'en  étoicm  fervis  long^- 
tenips  avant  nous  pour  voyager  fur  fa^ 
rner  d^s  Indes  &  commercer  fufqu'à  la  ^ 
Chine  (Voy^i  V Abrégé  de  rHiJîoire  des^ 
^arraiins,  de  Btrgeron,page  i  ipj,  mais 
cette  opinion. m'a  toujours  paru  dénuée 
de  toute  vraiièmbian^e  ;  car  il  n'y  a  au- 
cun mot  dans  le^  langues  aiabe,   turque 
ou  perfànnequi  puilfe  fignifier  la  bouf- 
lole  ,  ils  fe  fervem  du  mot.  Italien  /^^^/^; 
ils  ne  (avem  pas  même  encore  aujour- 
^fbui  faire  des  bouffoies  ni  aimanter,  les 
^guilies,  6i  ïh  achetteiit  des  E^ropëens^ 


Tlieme  de  la  Terre.        5  25^ 
celles  dont  ils  le  fervent.   Ce  que  dit  le 
Père  Martini  au  fujet  de  cette  invention, 
ne  nie  paroît  guère  mieux  fondé ,  il  pré- 
tend  que   les  Chinois  connoifToient  ia. 
bouffole  depuis  plus  de  trois  nfilie  ans 
(Voyei  Hijt,  Sinica ,  page  1  a6);  mais 
fi  cela  efl: ,  comment  elt-ii  arrivé  qu'ils 
en  aient  fliit  fi  peu  d'uiage  î  pourquoi 
prenoicnt-ils  dans  leurs  voyages  à  la  Co- 
chinchine  une  route  beaucoup  plus  lon- 
gue qu'il  n'étoit  nécelîaire  !  pourquoi  (c 
bornoient-ils  à  faire  toujours  les  mêmes 
voyages  dont  les  plus  grands  étoient  à 
Java  &   à  Sumatra!  &  pourquoi  nau- 
roient-îls  pas  découvert  avam  les  Euro- 
péens une  infinité  d'iks  abondâmes  <Sc 
de  terres  fertiles  dont  ils  font  voifins , 
s'ils  avoicnt  eu  fart  de  naviguer  en  pleine 
mer  î  car  peu  d'années  après  la  décoiw 
verte  de  cette  merveilleuiè  propriété  de 
l'iûmant ,  les  Portugais  firent  de   très- 
grands  voyages  ,  ils  doublèrent  le  cap  de 
Bonne-efj^érance,  ils  traversèrent  les  mers 
de  l'Afrique  <&  des  Indes  ,  <^  tandis  qu'ils 
dirigeoient  toutes  leurs  vues  du  côté  de 
l'orient  &  du  midi,  Chriftophe  Colomb 
K)ui»a  les  fieunes  vers  l'occideat^ 


k 


jljo        Hifloire  Nûtureik, 

Pour  peu  qu'on  .y  fît  attention  ,  A 
ctoit  fort  aifé  de  deviner  qu'il  y  avoit  des 
cfpaces  iiTimeilfes  vers  l'occident;  car  eil 
comparant  la  partie  connue-  du  globe , 
par  exemple,  la  diftance  de  l'Efpagne  à 
la  Chine,  &  fùfant  attention  au  mouve- 
ment de  révolution  ou  de  la  terre  ou  du 
ciel,  il  étoit  aifé  de  voir  qu'il  relloit  à 
de'couvrlr  une  bien  plus  grande  étendue 
vers  l'occident  que  celle  qu'on  connoii- 
foit  vers  l'orient.  Ce  n'eft  donc  pas  par 
k  défaut  des  connoiffances  aflronomi- 
ques  que  les  Anciens  n'ont  pas  trouvé  le 
nouveau  monde,  mais  unicjuement  par 
le  défaut  de  la  boufTole  :  les  pafl^iges  de 
Platon  &  d'Ariilote,  où  ils  parlent  de 
terres  fort  éloignées  au-delà  des  colon- 
nes d'Hercule,  femblent  indiquer  que 
quelques  Navigateurs  avoient  été  pouflcs 
par  la  tempête  jufqu'en  Amérique,  d'oii 
ils  n'étoient  revenus  qu'avec  des  peines 
infinies  ;  ôi  on  peut  conjedurer  que 
quand  même  les  Anciens  auroient  été 
perfuadés  de  l'exiflence  de  ce  continent 
par  la  relation  de  ces  Navigateurs ,  ils 
n'auroient  pas  même  penfé  qu'il  fut  pof- 
£bJe  de  s'y  frayer  des  routes  j  n'ayant 


f 

I 

!  Théorie  de  la  Terre.        yyt 

mcun  guide,  aucune  connoifTance  de 
boufToIe. 

J'avoue  qu'il  n'eft  pas  abfolument  im- 
poflible  de  voyager  dans  les  hautes  mers 
làns  bouffole,  ^  que  des  gens  bien  dé- 
terminés auroient  pu  entreprendre  d'aller 
hercher  le  nouveau  monde  en  fe  con- 
duifant  feulement  par  les  étoiles  voifines 
du  pôle.  L'aflrolabefur-toutétant  connu 
des  Anciens  ,  il  poiivoit  leur  venir  dans 
l'efpritde  partir  de  France  ou  d'Efpagne 
&  de  faire  route  vers  l'occident,  en  laif- 
fant  toujours  l'étoile  polaire  à  droite ,  & 
en  prenant  fouvent  hauteur  pour  fe  con- 
duire à  peu  près  fous  le  même  parallèle  ; 
c'eft  fans  doute  de  cette  façon  que  les 
Carthaginois  dont  parle  Ariftote,  trou- 
vèrent le  moyen  de  revenir  de  ces  terres 
éloignées,  en  laifTant . l'étoile  polaire  à 
gauche,  mais  on  doit  convenir  qu'un 
pareil  voyage  ne  pouvoit  être  regardé 
que  comme  une  entreprife  téméraire ,  &. 
que  par  confequent  nous  ne  devons  pas. 
être  étonnés  que  les  Anciens  n'en  aient 
pas  même  conçu  le  projet. 

On  a  voit  déjà  découvert  du  temps 
de  Chriftopbç  Colomb  les  Açores,les, 


i 

532        Hifhhe  Naturelle* 

Canaries ,  Aladère  :  on  avoit  remarque 
que  loriqiie   les   vents   d'oueft   avoient 
régné  long-temps,  la  mer  atnenoit  fur 
les  côtes  de  ces  îles  des  morceaux    de 
bois  étrangers ,  des  cannes  d'une  elpèce 
inconnue,   &   même   des  corps   morts 
qu'on  reconnolfroit  à  plufietirs    lignes 
n'être    ni     Européens    ni    Afriquains. 
(Voyej^  r H'ijhire  de  Saint  -  Dombigue  r 
parle  P.  CharUvoix  r  tome  1 ,  page  66 
df  fi^v.)  Colomb  iiii-mênTc  remarqtia 
que  du  coté  de  l'ouell:  il  venoit  certains 
vents  qui  neduroicnt  que  quelques  jours-, 
&  qu'il  ie  perfuada  être  des  vents  de  terre 
cependant,,  quoiqu'il  eût  furies  Anciens 
tous  ces  avantages  ,  èi  la  boufToie ,  les^ 
difficultés  qui  reiloient  à  vaincre  étoiem 
encore  u  grandes  ,  qu'il  n*y  avoit  que  le 
fuccès  qui  pût  juiiitier  rentreprife;  car 
luppofons  pour  un  inftant  que  le  con- 
tinent du  nouveau  monde  eût  été  plus 
éloigné ,.  par  exemple ,  à  mille  ou  quinze 
cents  lieues  plus  loin  qu'il  n'eft  en  effet  y 
cbofe  que  Colomb  ne  pouvoit  ni  (avoir 
ni  prévoir,  il  n'y  fer  oit  pas  arrivé,   & 
peut-être  ce  grand  pays  feroit-il  encore 
Âitoiiiiii.  Cette  conjedure  efl  d'autam 


TJieone  ^e  la  Terre.        3  ^^ 

rnîeux  fondée  que  Colomb ,  quoique  le 
)lus  habile  Navigateur  de  fon  fiècle  ,  fut 
àifi  de  frayeur  &  d  etonnement  dans  fon 
iécond  voyage  au  nouveau  monde  ;  car 
comme  la  première  fois  il  n'avoit  trouvé 
que  des  îles ,  il  dirigea  fa  route  plus  au 
midi  pour  tâcher  de  de'couvrir  une  terre 
ferme,  &l  il  fut  arrêté  par  les  courans, 
dont  l'étendue  confidérabie  &.  la  direc- 
tion toujours  oppofée  à  ia  route ,  l'obli- 
gèrent à  retourner  pour  chercher  terre 
l'occident  :  il  s'imaginoit  que  ce  qui 
J'avoit  empêché   d'avancer  du  côté  du 
midi  n'étoit  pas  des  courans ,  mais  que 
la  mer  ajloit  en  s'élevant  vers  le  ciel ,  & 
<}ue  peut-être  l'un  &  l'autre  fetouchoîent 
du  côté  du  midi  :  tant  il  eft  vrai  que  dans 
les  trop  grandes  entreprifes  la  plus  j)etitc 
çirçonflance  malheurcufe  peut  tourner  k 
>ete  ^  abattre  le  courage. 


'5  3  4        Hifloire  Natureïïel 

!!■■ Ilf  ■ "■■  ■■■  IMinBllMI ■Illllll  II  ■IIIIWIIIMIII— ■»«— ■ 

PREUVES 

DE   LA 

THÉORIE   DE   LA   TERRL 

ARTICLE  VII. 

'Sur  la  produdioji  des  couches  oii 
lits  de  terre. 

No  U  s  avons  fait  voir  dans  l'article 
premier,  qu'en  vertu  de  l'attradion 
démontrée  mutuelle  entre  les  parties  de  la 
înatière  &  en  vertu  de  îa  force  centrifug€ 
qui  réfulte  du  mouvement  de  rotation  fuï 
fon  axe ,  la  terre  a  néceffairement  pris  la 
forme  d'un  fphéroïde  dont  ies  diamètres 
«iiffèrent  d'une  2 3 o.""" partie,  &  que  ce 
lie  peut  être  que  par  ks  changemens 
arrivés  à  la  furface  &  caufés  par  les  mou- 
vemensde  l'air  &  des  eaux  ,  que  cette  dif- 
férence a  pu  devenir  plus  grande,  comme 
on  prétend  le  conclure  par  les  mefures 
prifes  à  l'Equateur  &  au  Cercle  polaire. 
Cette  figure  de  la  terre  qui  s'accorde  fï 
bien  avec  les  loix  de  l'hydroftatique  & 
avec  notre  théorie ,  fuppofe  que  le  globe 


Théorie  de  la  Terre,       335 

«  été  dans  un  état  de  liquéfàétion  dans  le 
temps  qu'il  a  pris  fa  forme ,  &  nous  avons 
prouvé  que  le  mouvement  de  proje<^io]i 
.&  c^Iui  de  rotation  ont  été  imprimés  en 
ïTiême  temps  par  une  même  impulfion. 
On  fe  perluadera  facilement  que  la  terre 
A  été  dans  un  état  de  liquéfacSlion  produite 
par  le  feu,  lorfqu'on  fera  attention  à  la 
nature  des  matières  que  renferme  le  globe, 
dont  la  plus  grande  partie ,  comme  les 
fables  &  les  glailes,  font  àats  matières 
vitrifiées  ou  vitrifiables ,  &  lorfque  d'un 
autre  côté  on  réfléchira  iur  l'impodibilité 
.qu'il  y  a  que  la  terre  ait  jamais  pu  fe  trou- 
ver dans  un  état  de  fluidité  produite  par 
les  eaux,  puiiqu'il  y  a  infininient  plus 
de  terre  que  d'eau ,  &  f{ue  d'ailleurs  l'eau 
2i'a  pas  la  puifTance  de  difToudre  les  fables, 
îes  pierres  &  les  autres  matières  dont  la 
terre  eli  compofée. 

Je  vois  donc  que  la  terre  n'a  pu 
prendre  fa  figure  que  dans  le  temps  où 
die  a  été  liquéfiée  par  le  feu  ,  &  en  fui- 
vant  notre  hypothèie  je  conçois  qu'au 
fortir  du  foleil  la  terre  n'avoit  d'autre 
forme  que  celle  d'un  torrent  de  matières 
.fondues  &.  de  vapeurs  enflammées  ;  que 


3  3  ^  Hiflolre  Naturelle. 
ce  torrent  fe  raflembk  par  î-attni^ioîl 
îiiutuelle  des  parties ,  ^  devint  un  globe 
auquel  le  mouvement  de  rotation  donna  la 
ligure  d'un  fpfeéroïde ,  &  lorique  la  terre 
fut  refroidie ,  les  vapeurs  qui  s'e'toient 
•d  abord  étendues ,  comme  nous  voyons 
^s'étendre  les  queues  dei  comètes ,  fè  con- 
densèrent peu  à  ])eu^  tombèrent  en  eau 
fur  la  iurfice  du  globe ,  &  déposèrent  en 
Blême  temps  un  limon  mêlé  de  matières 
fulfureufes  &  iîïlines ,  dont  une  partie 
s'eft  glidée  par  le  mouvement  des  eaux 
dans  les  (entes  perpendiculaires  où  elle  a 
produit  les  métaux  &  les  minéraux ,  &  k 
relie  ell:  demeuré  à  iafurface  de  la  terre  & 
a  produit  cette  terre  rougeâtre  qui  forme 
la  première  couche  de  ia  terre  &  qui,  fui- 
vant les  différens  lieux,  efl:  plus  ou  moins 
mêlée  de  particules  animales  ou  végétales 
réduites  en  petites  molécules  dans  lef- 
quelles  l'organilation  nVft  plus  lenfible. 

A  infi  dans  le  premier  état  de  la  terre,  le 
globe  étoit,  à  l'intérieur ,  compoi^  d'une 
matière  vitrifiée,  comme  je  crois  qu'il 
i'eft  encore  aujourd'hui;  au-deffus  de 
jcette  matière  vitrifiée  fe  font  trouvées  les 
.parties  que  le  feu  aura  le  plus  divifées , 

comme 


Théorie  Be  la  Terre»      537 

comme  les  fables,  qui  ne  font  que  des 
fragmens  de  verre  ;  &  au-defTus  de  ces 
fables  les  parties  les  plus  légères,  les 
pierres  ponces,  les  écumes  &  les  fcories 
de  la  matière  vitrifiée  ont  furnagé  &  ont 
formé  les  glaifes  &  les  argiles:  le  tout 
étoit  recouvert  d'une  couche  d'eau  (a) 
<Je  5  ou  Ôoo  pieds  d'épaifîeur,  qui  fut 
produite  par  la  condenfation  des  vapeurs 
lorfque  le  globe  commença  à  fe  refroi- 
dir ;  cette  eau  dépofa  par-tout  une  cou- 
che limonneufè  mêlée  de  toutes  les  ma- 
tières qui  peuvent  fe  fublimer  &  s'exhaler 
par  la  violence  du  feu^  &  l'air  fut  formé 
des  vapeurs  les  plus  fubtiles  qui  fe  déga- 
gèrent des  eaux  par  leur  légèreté  ,  &  les 
furmontèrent. 

TeJ    étoit    l'état  du  globe  lorfque 

(a)  Cette  opinion ,  queîa  terre  a  été  entièrement 
couverte  d'eau ,  eft  celle  de  quelques  Philofophes 
anciens ,  <Sc  même  de  la  plupart  àçs  Pères  de  i'É- 
glife:  in  mundi  frimordio  aqua  in  ommm  teiram  Jîag^ 
nahat ,  dit  S.*  Jean-Damafcène,  liv.  II,  chap.  9. 
'Terra  erat  invïf.biUs ,  quia  exundabat  aqua  iT  operiebat 
ttrram ,  dit  S.'  Ambroife,  liv.  I ,  Hexam.  chap.  8, 
^ubmevfa  tellus  cùm  effet ,  faciem  ejiis  wundtitne  aqua, 
non  erat  adfyedabilis ,  dit  S.^  Bafile  ,  Homélie  2, 
Voyez  auiïi  S.'  Auguftin,  livre  I  de  la  Genèfe, 
chap.  13. 

Tome  L  P 


'358         FTîflolre  Natureîle. 

raclion  du  flux  &  reflux ,  celle  ^t%  vents 
&  de  la  chaleur  du  loleii  coinmencèrent 
à  iilte'rer  la  Turfàce  de  la  terre.  Le  mou- 
vement diump  &  celui  du  flux  &  reflux 
iéi^vèrent  d'aboxd  les  eaux  fous  les  cli- 
mats jne'ridionaux ,  ces  eaux  entraînè- 
rent &  portèrent  vers  i'équateur  le  Unii^i, 
les  ^ài^ç-s^   les  iabics,  &  en  cïevaat  les 
parties   de  l'équateur  ,   elles  ahaifsèrent 
peut-être  peu  h.  peu  celles  des  pôles  .de 
cette  difFe;:ence  d'environ  deux  lieues, 
dont  nous  avons  parlé,  car  les  eaux  bri- 
sèrent bientôt  &  réduifirent  en  poyflière 
les  pierres  ponces  ^  les  autres  parties 
fpongienfes  de  la   matière  vitrifiée   qui 
étoient  à  la  furfàce,  elles  creusèrent  des 
profondeurs   &   élevèrent  des   hauteurs 
qni  dans  la  fuite  font  d^evenues  des  con- 
tinens,   &   elles  produifirent  toutes  les 
inégalités  que  nous  remarquons  à  la  fup- 
iitce  d€  la  terr^  ,  &  qui  ibnt  plus  confl- 
.dérables  vers  Téquaieur    que    par-tout 
ailleurs  :  car  les  plus  hautes  montagnes 
font  entre  les  tropiques  &  .dans  le  mi- 
ficu  des  zones  tejnpérées,  &   les  plus 
hx^ts  font  au  cercle  polaire  &  au-delà , 
puifque  i*oKi  a  erKre  les  tropiques  les 


Théorie  {Je  la  Terre,  330 
Cordillères  &  prefque  toutes  les  rnontr.- 
gnes  du  Mexique  (&  du  Brefil,  les  mcn- 
tagiies  de  l'Afrique  ,  lavoir  le  grand  &  le 
peut  Atlas  ,  les  monts  de  la  Lune ,  <Scc. 
&  que  d'ailleurs  les  terres  qui  font  entre 
les  tropiques  lont  les  plus  inégales  de  tout 
le  globe  aulfi-bien  que  les  mers ,  puif- 
qu'il  le  trouve  entre  les  tropiques  beau- 
coup plus  d'îles  que  par-tout  ailleurs  ; 
ce  qui  fliit  voir  évidemment  que  les  plus 
grandes  inégalités  de  la  lerre  le  trouvent 
en  effet  dans^  le  voifinage  de  l'équateur. 

Quelque  indépendante  que  Ibit  ma 
théorie  de  cette  hypothèfe  fur  ce  qui  s'ell 
pufTé  dans  le  temps  de  ce  premier  état 
du  globe,  j'ai  été  \Àtx\.  aife  d'y  remonter 
dans  cet  article  ,  afin  de  fliire  voir  la  liai- 
Ton  &  la  pollibilité  du  fyftème  que  j'ai 
propofé ,  &  dont  j'ai  donné  le  précis 
dans  l'article  premier  ;  on  doit  leuiement 
remarquer  que  ma  théorie  ,  qui  fait  le 
texte  de  cet  ouvrage  ne  part  pas  de  fi 
loin ,  que  je  prends  la  terre  dans  un 
état  à  peu  près  (emblabîe  à  celui  où  nous 
la  voyons,  &  que  je  ne  me  lèrs  d'au- 
cune des  fuppoiitions  qu'on  efl  obligé 
d'employer  iorfqu'on  veut  raifonncr  fm 

Pi; 


■j4<3  Hipoire  Naîurellep 
î'ëtat  parfé  du  globe  terreftre;  wm$ 
.comme  je  donne  ici  une  nouvelle  idéie 
au  fujet  du  limon  des  eaux  qui,  fcloii 
iTîoi,  a  forme  la  première  couche  de 
îerre  qui  enveloppe  le  globe ,  il  me  pa- 
i'oît  necefîaire  de  donner  aufll  les  raifons 
fur  lefquelies  je  fonde  ceue  opinion.  Les 
vapeurs  qui  s'élèvent  dans  l'air,  produi- 
sent les  pluies  ,  les  rolces,  les  feux  aëriens  ^ 
îes  tonnerres ,  &  les  autres  météores  :  ces 
vapeurs  font  donc  mêie'es  de  particules 
aqueuies  ,  aériennes ,  luifureuiès ,  ter- 
reflres  ,  &c.  &  ce  font  ces  particules 
folides  &  terreftres  qui  forinent  le  limon 
dont  nous  voulons  parler.  Lorfqu'on 
laiffe  dépoièr  de  l'eau  de  pluie ,  il  fe 
forme  un  fèdiment  au  fond  ;  lorfqu 'après 
avoir  ramafîe  une  aiïez  grande  quantité 
4e  rofe'e ,  on  la  laiiïe  dépofer  &:  fe  cor- 
rompre,  elle  produit  une  efpèce  de  li- 
îuon  qui  tombe  au  fond  du  vafe  ;  ce 
limon  e(t  même  fort  abondant,  &  la  rofée 
£11  produit  beaucoup  plus  que  l'eau  de 
pluie;  ileft  gras,  onilueux  &  rougeâtre. 

La  première  couche  qui  enveloppe 
le  globe  de  la  terre  .eft  coinpofée  de  ce 
Jiinouroêléavec  des  parties  de  végétauaL 


Théorie  de  la  Terre,        345^ 

ou  d'animaux  détruits,  ou  bien  avco 
des  particules  pierreufes  ou  fablonneufes: 
on  peut  remarquer  prefque  par-tout  que 
ia  terre  labourable  eil  rougeâtre  &  mêlée 
plus  ou  moins  de  ces  différentes  ma- 
tières ;  ies  particules  de  lable  ou  de  pierre- 
cfu'on  y  trouve,  lont  de  deux  efpèces, 
ks  unes  grolTières  &  mafîives ,  les  autres^ 
plus  fines  &  quelquefois  impalpables; 
les  plus  groffes  viennent  de  la  couché 
inférieure  dont  on  les  dc^ache  en  labou- 
rant &  en  travaillant  ia  terre  ,  ou  bien  le 
limon  fupérieur  en  fe  gliffant  &  en  péné- 
trant dans  la  couche  inférieure  Cfui  efl  de 
fable  ou  d'autres  matières  divifées  ,  formé 
ce^  terres  qu'on  appelle  des  fables  gras  f 
les  autres  parties  pierreuies  qui  font  plus 
fines,  viennent  de  l'air,  tombent  comme" 
ks  rofées  &  les  pluies ,  &  ie  mêlent  inti- 
mement au  limon  ;  c'elt  proprement  lé 
)?éfidu  de  la  pouffjcre  que  l'air  tranfporte,. 
c|ue  les  vents  enlèvent  continuellement 
de  la  furface  de  la  terre  ,  &:  qui  retombe 
enfuite  après  s'être  imbibée  de  Thumi- 
dité  de  l'air.  Lorfque  le  limon  domine, 
qu'il  fe  trouve  en  grande  quantité,  <St 
«[u'au  contraire  ks  parties  pierreufes  6c 

Piij, 


/342.       HiJIohe  Naturelle. 

iàblonneufes  font  en  petit  nombre ,  !a 
lerre  eft  roiigeâtre,  pétriiîîible  &  très- 
fertile  :  fi  elle  efl  en  même  temps  mêlée 
d'une  quantité'  confidérable  de  végétaux 
ou  d'animaux  détruits ,  la  terre  elt  noi- 
râtre, &  fouvent  elle  eft  encore  plus  fer- 
tile que  la  première;  mais  fi  le  limon 
n'eft  qu'en  petite  quantité,  auffi  -  bien 
que  les  parties  végétales  ou  animales  , 
dors  h  terre  efl  blanche  &  flériie,  & 
iorfqueîes  parties  fablonneufes,  pierreufes 
ou  crétacées  qui  compofent  ces  terres 
itériles  ôl  dénuées  deJimon,  font  mêlées 
d'une  af΀z  grande  quantité  de  parties 
de  véofétaux  ou  d'animaux  détruits,  elles 
loranent  les  terres  noires  &  légères  qui 
n'ont  aucune  iiaifon  &  peu  de  fertilité  ; 
en  forte  que ,  fuivant  les  différentes  corn- 
i)inaifons  de  ces  trois  différentes  ma- 
tières ,  du  limon ,  des  parties  d'animaux 
&i  de  végétaux,  &  des  particules  de  fab!e 
&  de  pierre  ,  les  terres  font  plus  ou 
moins  fécondes  &.  différemment  colo- 
riées. Nous  expliquerons  en  détail  dans 
notre  difcours  fur  les  végétaux,  tout  ce 
qui  a  rapport  à  la  nature  &  à  la  qualité 
de3    différenies  terres  ^    nniis    ici  nous 


Théork  Je  la  Terre.  34^ 
n'avons  d*autre  but  que  celui  de  faire 
entendre  comment  s'eft  formée  cette 
première  couche  qui  enveloppe  le  globe 
&  qui  provient  du  limon  des  eaux. 

Pour  fixer  les  idées ,  prenons  le  pre- 
mier terrein  qui  fe  pré  fente ,  &  dans  le- 
quel on  a  creufé  aflez  profondément,-  p^r 
exemple,  le  terrein  de  Mariy-ia-viile 
Gilles  puits  font  très-profonds;  c'eft  un 
pays  élevé,  mais  plat  &  ferdie,  dont  les 
couches  de  terre  font  arrangées  horizon- 
talement. J'ai  fait  venir  des  échantillons  • 
de  toutes  ces  couches  que  M.,  Dalibard, 
habile  Botanilie  &  verfé  d'ailleurs  dans 
toutes  les  parties  des  Sciences,  a  bien 
voulu  nùre  prendre  fous  fes  yeux,  &  après 
avoir  éprouve  toutes  ces  matières  à  l'eau- 
forte  ,  j'en  ai  drefle  la  table  fuivante. 

JE  TA  T  des  dïfférens  lits  de  terre  qui  fe 
troment  a  Marly -la -ville ,  jufquà  cent 
pieds  de  profondeur  (b)» 

h 
Terre  franche  rougeâtre ,  mêlée  de  beaucoup 

de  limon,  d'une  très-petite  quantité  de  friblc 

(b)  La  fouille  a  été  faite  pour  un  puits  dans  un  ter- 
ïsiji  uui  appartient  aftuellemem  à  M.  de  Pommcry, 

P  iiij 


^344        HiJIolre   Nûîurelle.^ 

vitrifiable  ,    &   d'une   quantité    un   peu   plu^ 

confidérable  de  fable   calcinable, 

que  j'appelle  gravier. .  ,  .  , .  ....    i  ^p'"''-   qp'*"*' 

I  I. 

Terre  franche  ou  limon  mêlé 
de  plus  de  gravier  <Sc  d'un  peu 
plus  de  fable  vitrlfiable.  .  ,  .....      2^      ,6. 

I  I   I. 

Limon  mêlé  de  fable  vîtri- 
fiabîe  en  alTez  grande  quantité , 
<5c  qui  ne  faîfoit  que  très -peu 
<3'effervefcence  avec  reau-fortt. ,      3  », 

IV. 

Marne  dure  qui  faîfoit  une 
grande  effervefcence  avec  Teau» 
forte 2. 

V. 

Pierre  marneufe  aiïez  dure  ,7    4> . 

V  I. 

Marne  en  poudre,  mêlée  de 
fable  vitrifiable.  ,  ,' ,      5. 

VII. 

Sable  très-fin  vitrifiabîe. ,  .  .  ,      i ,       6« 


Profondeur ,  ,.  3  if««i*- 


Théorie  de  la  Terre,  3  4  5 

Ci-contre 3  i'''*^"'  0''°""'- 

VIII. 

Marne  en  terre ,   mêlée  d'un 
»eu  de  fable  vltrifiable 3.       6* 

I   X. 
Marne  dure,  dans  laquelle  on 
rouve  du  vrai  caillou  qui  eU  de 
a  pierre  à  fulil  parfaite..  ,  .  ,  .      3.       6» 

X. 

Gravier  ou  poufîière  de  marne.     !. 
X  I. 

Eglantine,  pierre  de  la  dureté 
du  grain  du  marbre  ,  6c  qui 
eft  fonnante.  ,  . ,  .  .  ,       i.       6. 

XII. 
Gravier  marneux i.       6» 

XIII. 

Marne  en  pierre  dure  ,    dont 
îe  grain  eft  fort  fin.  .......  ,      i.       6. 

XIV. 

Marne  en  pierre,  dont  le  grain 
n'elt  pas  fi  fin. ,,.,.. F.       6» 

XV. 

Marne    encore    plus    grenue 


Profondeur.  0 â^s'^"^'  o'"^"^ 


34^         Hifloïre  Naturelle. 

De  l'autre  pan ^<y''''''  o^*^** 

&  plus  groflîère,  ., , ,      2,      6» 

X   V  L 

Sable  vitrifiable  très-fin,  m^Ié  'j 

€Îc  coquilles  de  mer  foiTiIes,  qui 
n'ont  aucune  adhérence  avec  le 
fable  ,  &  qui  ont  encore  leurs 
couleurs  &  leurs  vernis  natureJs.      i. 

XVII. 

Gravier  très  -  mer>u  ou  p.ouP 
£ère  fine  de  marne 2^ 

X  V  I  I  !.. 

Marne  en  pierre  dure.  .,»...      3:.       ^ 

X  I   X. 
Marne  en  poudre  aOez  gro(^ 
iiQîc r.      ^» 

X  X. 

Pierre    dure     &    calcinabîe 
comme  le  marbre ,      !•• 

XXL 

Sû)\t  gris  vrtrifiable,  mêî'é 
àt  coquilles  foffilcs  ,  &  fur- 
lout  de  beaucoup    d'huîtres    &  ? 

de  /pondiies,   qui  u'ont  aucune 

Proibadeur .,*,•..,    jt****^  qp*""«^ 


1            Théorie  de  h  Terre.       347 
Ci-contre 57^*"'  O'''^-"' 
(îhércnce  avec  le  fable,  <Sc  qui 
ne  font  nullement  pétrifiées.  ..       ^« 

:  X  X  1  L 

Sable  blanc,  vîtrifiable  ,  mêlé 
de^niêmei  coquilles «      t» 

XXIII. 

Sable  rayé  de  rouge  &  d€ 
blanc  ,  virrifi.ible ,  &  mêlé  des 
mêmes   coquilles. ..,.,»....       i» 

XXIV. 

Sabîe  plus  gros  ,  mais  tou* 
jours  vitrifiable  ,  &  mêlé  des 
mêmes  coquilles .  .  ^ .  ► f . 

X  X  V. 

Sable  gris  y  fin  ,  vitrifiable  , 
&  niêlé  des  mêmes  coquilles.,  ,       S.       4y 

XXVI. 

Sable  gras ,  très-fin  ,  où  U 
n'y  a  plus  que  quelques  co- 
quilles  ,  .#»♦  3  0. 

XXVII. 


Profondeur. v^^""'  6^^' 

F  V7 


1 

348  Hifloire  Naturelle: 

De  l'autre  part.  .....    'j^^^^'-   ô'^'**' 

XXVIII, 

Sable    viîrifiahîe  ,     rayé    de 
rouge  (Se  de  blanc.  .........      4.-» 

XXIX. 

Sable  blanc  vîtrifiable,  .  ,  ,  ,      3.       6. 

XXX. 

Sable  vîtrifiable  ,  rougeâtre.  .    15. 

Profondeur  où  l'on  a?  ^^^p;,^,, 
ceffé  de  creufer,  ,  .....  \ 


J'ai  dit  que  j 'a vois  éprouvé  toutes  ces 
matières  à  l'eau-forte  ;  parce  que  quand 
i'infpedion  &  la  coiuparailon  des  ma- 
tières avec  d'autres  qu'on  connoît ,  ne 
fuffiient  pas  pour  qu'on  loit  en  état  de 
les  dénommer  &  de  les  ranger  dans  la 
clafîe  à  laquelle  elles  appartiennent,  & 
qu'on  a  peine  à  le  décider  par  la  fiinple 
obfervation,  il  n'y  a  pas  de  moyen  plus 
prompt,  il  peut-être  plus  (ur ,  que 
d'éprouver  avec  l'eau-forte  les  matières 
terreules  ou  lapidifiques  ;  celles  que  \es 
cfprits  acides  dilToIvent  fur  le  champ  avec 
chaleur  &  ébuiiition ,  Ibat  ordinairement 


Théorie  de  h  Terre •  349/ 
caîcinables,  celles  au  contraire  qui  réfif-- 
tent  à  ces  efprits  &  fur  lelquels  ils  ne  font 
nucune  iinprefîion  ,  font  vitriliahles. 

On  voit  par  cette  énumération ,  quç 
îe  terrein  de  Marly-la-ville  a  été  autre- 
fois un  fond  de  mer  qui  s'eft  élevé  au 
moins  de  75  pieds,  puisqu'on  trouve 
des  coquilles  à  cette  profondeur  de  75 
*  pieds.  Ces  coquilles  ont  été  tranfponees 
par  le  mouvement  des  eaux  en  même 
temps  que  ie  fable  où  on  les  trouve ,  & 
le  tout  eli  tombé  en  forme  de  fédimens 
qui  fè  font  arrangés  de  niveau  &  qui 
ont  produit  les  différentes  couches  de 
làt:Ie  gris,  bkmc,  rayé  de  blanc  &  de 
rouge  ,  &c.  dont  l'épaifleur  totale  eil  de- 
15  ou  18  pieds;  toutes  les  autres  cou- 
ches fupérieures  jufqu'à  la  première  ont 
été  de  même  transportées  par  le  mou- 
vement des  eaux  de  la  mer ,  &  dépofées 
en  forme  de  fédimens ,  comme  on  ne 
peut  en  douter ,  tant  à  caufe  de  la  litua- 
îion  horizontale  des  couches  ,  qu'à  caufè. 
des  difîérens  lits  de  fable  mêlé  de  co- 
quilles, &  de  ceux  de  marne  ,  c|ui  ne 
font  que  dés  débris  ou  plutôt  des  détri- 
xiiens  de  coquilles;  la  dernière  couche^ 


3  5  o      Hîflohr  Nûtîirelle. 
elle-même  a  été  formée  prefqu'cn  entier 
par  le  limon  dont  nous  avons  parlé ,  qui 
s'efl:  mêlé  avec  une  partie  de  la  marne  qui 
étoit  à  la  furface. 

J'ai  choifi  cet  exemple  comme  îe  plus 
défavantagcux  à  notre  explication,  parce 
qu'il  paroît  d'abord  fort  difficile  de  con- 
cevoir que  le  limon  de  l'air  &  celui  des 
pluies  &L  des  rolees  aient  pu  produire 
une  couche  de  terre  franche  épaifîe  de 
I  3  pieds  ;  mais  on  doit  oblerver  d'abord 
qu'il  efl  très-rare  de  trouver,  fur-tout 
dans  les  pays  un  peu  élevés ,  une  épaif- 
fêur  de  terre  labourable  aufîi  coniidé- 
table  ;  ordinairement  les  terres  ont  trois 
ou  c[uatre  pieds,  &  fouvent  elles  n'ont 
piis  un  pied  d'épaifleur.  Dans  les  plaines 
environnées  de  collines,  cette  épaifleur 
de  bonne  terre  ed:  plus  grande ,  parce 
que  les  pluies  détachent  les  terres  de  ces 
collines  &  les  entra'inent  dans  les  vallées , 
mais  en  ne  fuppofmt  ici  rien  de  tout 
cela ,  je  vois  que  les  dernières  couches 
formées  par  les  eaux  de  la  nier  fom  des 
lits  de  marne  fort  épais:  il  eil  naturel 
d  imaginer  que  cette  marne  avoit  au 
commencement   une    épaiffeur   enccjrc 


Tfieone  de  la  Terre.      3  5 1 

'^\x%  grande ,  &  que  des  i  3  pieds  qur 
compoient  l'épaifîeiirdeia  couche  iupt;- 
TÎeure,  il  y  en  avoii  plufieurs  de  marne 
lorfque  la  mer  a  abandonné  ce  pays  <Sc 
a  laifle    le  terrein  à   découvert.    Cette 
marne  expofée   à  l'air   fe    fera    fondue 
par  les  pluies,  i'adion  de  l'air  &  de  la 
chaleur  du   foleil  y  aura    produit  des 
gerçures ,  de  petites  fentes ,  &  elle  aura 
été  altérée  par  toutes   ces    cauiès  exté- 
rieures au  point  de  devenir  une  matière 
divifée  &  réduite  en  pouffière  à  la  fur- 
ftce,  comme  nous  voyons  la  marne  que 
nous   tirons   de  la  carrière   tomber   en 
poudre  iorfqu'on   ia  laifle  expofée  aux 
injures  de  l'air  r  la  mer  n'aura  pas  quitté 
ce  terrein  fi  brufquement  qu'elle  ne  l'ait 
encore  recouvert  quelquefois,  foit  par 
les  alternatives  du  mouvement  des  ma- 
rées ,  foit  par  l'élévation  extraordinaire 
des  eaux  dans   les   gros  temps ,  &  elle 
aura  m^lé  avec  cette  couche  de  marne, 
de  la  va(e ,  de  la  boue  &  d'autres  ma- 
tières limonneufes  ;  lorfque  le  terrein  fe 
fera  enfin    trouvé  to«t  à- fait  élevé  au- 
deflus  des  eaux,  les  plantes  auront  cora- 
nmtcé  à  y  croître  ,  ^  c  efi  alors  que  k 


^^2        Hijloire  Nûîurcîle,  . 

limon  des  pluies  &  des  rofees  aura  peu 'à; 
peu  coloré  &  pénétré  cette  terre ,  &  lui 
aura  donné  un  premier  degré  de  fertilité 
que  les  hommes  auront  bientôt  aug- 
mentée par  la  culture ,  en  travaillant  & 
dividuit  lafurface,  &  donnant  ai nfi  au 
limon  des  roiées  &  des  pluies  la  facilité 
de  pénétrer  plus  avant ,  ce  qui  à  la  fin 
aura  produit  cette  couche  de  terre  franche 
de  I  3  pieds  d'épaifîeur. 

Je  n  examinerai  point  ici  fi  la  couleur 
rougeâire  des  terres  végétales,  qui  eft 
aufli  celle  du  limon,  de  la  rofce  &  des 
pluies,  ne  vient  pas  du  fer  qui  y  eft 
contenu;  ce  point,  qui  ne  laide  pas 
d'être  important ,  fera  difcuté  dans  notre 
difcours  lur  les  minéraux:  il  nous  fuffit 
d'avoir  expofé  notre  façon  de  concevoir 
la  forinatioii  de  la  couche  fuperficielle 
de  la  terre ,  &  nous  allons  prouver  par 
d'autres  exejuples  que  la  formation  des- 
couches  intérieures  ne  peut  être  que 
iiQUvrnge  des  eaux. 

La  iarfice  du  globe  ,  dit  Woodward, 
cette  couche  extérieure  fur  laquelle  les 
hommes  ^  les  animaux  marchent,  qui 
fejrt  de  ma^ufin  pour  la  fonnaiion  deS; 


Théorie  de  la  Terre é       5  5: 3' 

végétaux  &  des  animaux  ,  efl: ,  pour  ia 
p!us  grande  partie  coinpofée  de  matière 
végétale  ou  animale ,  qui  efl  dans  un 
mouvement  &  dans  un  changement  con^ 
tinuel.  Tous  les  animaux  &.  les  végétaux, 
qui  ont  exifté  depuis  la  création  du 
monde  ,  ont  toujours  tiré  fucceffivement 
de  cette  couche  ia  matière  qui  a  com-^ 
pofé  leur  corps ,  &  ils  lui  ont  rendu 
îi  leur  mort  cette  matière  empruntée  5, 
elle  y  refle  ,  toujours  prête  à  être  reprife 
de  nouveau  &  à  fervir  pour  former 
d*autres  corps  de  îa  même  efpèce  fuccel^ 
fivement  fans  jamais  difcontinuer  ;  car. 
la  matière  qui  compoie  un  corps,  efl 
propre  &  naturellement  difpofée  pour' 
en  former  lui  autre  de  cette  efpèce, 
Voye-^  Effaî  fur  l'Hlfloire  Naturelle ,  éTc,^ 
pûge  1^6.  Dans  les  pays  inhabités,  dans 
les  lieux  où  on  ne  coupe  pas  les  bois, 
où  les  animaux  ne  broutent  pas  les  plantes, 
cette  couche  de  terre  végétale  s'augmente 
afîéz  cpnfidérabîement  avec  le  temps  ; 
dans. tous  les  bois,  &  même  dans  ceux 
qu'on  coupe,  il  y  a  une  couche  de 
terreau  de  6  ou  8  pouces  d'épc^fî'eur ,, 
qui  n'a  été  formée  que  par  les  feuilles .,. 


'3  54  I^ijloire  Naturelle. 
îes  j^etites  branches  &  les  écorces  qui 
fe  Ibnt  pourries;  j'ai  foUvent  obiervé 
fur  un  ancien  grand  chemin  fiiit ,  diu 
on,  du  leiups  des  Romains,  qui  tra- 
verfe  ia  Bourgogne  dans  une  longue 
étendue  deterrein,  c|u'il  s'eft  formé  liif 
ies  pierres  dont  ce  grand  chemin  efl 
conllruit,  une  couche  de  terre  noire  de 
plus  d'un  pied  d'cpaideur  qui  nourrit 
a(^ueliement  des  arbres  d'une  hraiieur 
îiiïez  confidérablc ,  &  cette  couche  n'eft 
compofée  que  d'un  terreau  noir  forme 
par  les  feuilles,  les  écorces  &  les  bois 
pourris.  CoJiime  les  végétaux  tirent 
pour  leur  noum'ture  beaucoup  j:*ius  de 
îiibflance  de  l'air  &  de  l'eau,  qu'ils  n'en 
tirent  de  la  terre,  il  arrive  qu'en  pcur- 
riflànt  ils  rendent  à  la  terre  plus  citi'ils 
n'en  ont  tiré  ;  d'ailleurs  une  forêt  déter- 
mine les  eaux  de  la  pluie  en  arrêtant 
tes  vapeurs ,  ainfi  dans  un  bois  qu'on 
conferveroit  bien  long -temps  fans  y 
loucher,  la  couche  de  terre  qui  fert 
à  la  végétation  augmenteroit  confidé- 
rablement  ;  mais  les  animaux  rendant 
moins  à  la  terre  qu'ils  n'en  tirent,  & 
ks  hommes  fiiifaiit  des  confommations 


Théorie  de  h  Terre.        355 

énormes  de  bois  &  de  plantes  pour  le 
feu  &  pour  d'autres  ufages,  il  s'enfuit 
que  la  couche  de  terre  végétale  d'un 
pays  habité  doit  toujours  diminuer  & 
devenir  enfin  comme  le  terrein  de  i'A- 
rabie  pétrée,  &  comme  celui  de  tant 
d'autres  provinces  de  l'orient  »  qui  eft 
en  efîèt  ie  climat  le  plus  anciennement 
habité,  où  l'on  ne  trouve  que  du  fei  & 
des  fables  ;  car  le  Tel  fixe  des  plantes  & 
des  animaux  refle ,  tandis  que  toutes  les 
autres  parties  le  volaiililent. 

Aj)rès  avoir  parié  de  cette  couche  de 
terre  extérieure  que  nous  cultivons ,  il 
faut  examiner  la  pofition  &  la  formation 
des  couches  intérieures.  La  terre ,  dit 
Woodward,  paroît ,  en  quelqu'endrok 
qu'on  la  creufe ,  compofée  de  couches 
placées  l'une  fur  l'autre,  comme  autant 
de  fédimens  qui  feroient  tombés  iuccei^ 
fivement  au  fond  de  l'eau  ;  les  couches 
qui  font  les  plus  enfoncées ,  font  ordi- 
nairement les  \)\\xs  épaiffes,  &  celles  qui 
font  fur  celles-ci  Ibnt  les  plus  minces 
par  degré  julqu'à  la  furface.  On  trouve 
des  coquilles  de  mer,  des  dents  &  des  os 
de  poilîgns  dans  ces  dilîercnies  couche^; 


3  5^  Hijloîre  Naturelle. 
M  s'en  trouve  non-feiilement  dans  Tes- 
couches  molles ,  comme  dans  la  craie , 
i'argile  &  la  manie ,  mais  même  dans' 
les  couches  les  plus  folides  &  les  plus 
dures ,  comme  dans  celles  de  pierre, 
de  marbre  ,  &c.  Ces  productions  ma- 
rines font  incorporées  avec  la  tàqïvq  , 
&  lorfqu'on  la  rompt  &  qu'on  en  fépare 
k  coquille  ,  on  obferve  toujours  que  la 
pierre  a  reçu  l'empreinte  ou  la  forme 
de  la  furface  avec  tant  d'cxaiflitude , 
qu'on  voit  que  toutes  ies  parties  étoient 
exactement  contiguës  &  appliquées  à^ 
la  coquille,  ce  Je  me  fuis  afTuré  ,  dit  cet 
sauteur,  qu'en  France,  en  Flandre,- 
>3  en  Hollande,  en  Efpagne,  en  Italie, 
>3  en  Allemagne,  en  Danemarck,  en 
»  Norvège  &  en  Suède  ,  îa  pierre  &  les- 
55  autres  lubflances  tcrreflres  font  diipo- 
53  fées  par  couches  de  même  qu'en  An- 
35  gîeierre  ;  que  ces  couches  font  divifées- 
»  par  des  fentes  parcilièles  ;  qu'il  y  a  au- 
33  dedans  des  pierres  (Se  d'autres  fubf- 
33  tances  tcrreftres  &  compactes ,_  une 
>5  grande  quantité  de  coquillages ,  de 
>:>  d'autres  productions  de  la  mer  dil'po- 
^  fées  de  la  même  manière  que  dans 


Thème  de  la  Terre.       357' 

;€ette  île  ^y.  J'ai  appris  que  ces  couches  ce 
iè  trouvoient  de  même  en  Barbarie ,  ce 
.en  Egypte,  en  Guinée  &  dans  les  <c 
autres  parties  de  l'Afrique ,  dans  l'A-  ce 
jabie,  la  Syrie  ,  ia  Perfe  ,  le  Malabar,  ce 
la  Chine  &  les  autres  provinces  de  ce 
l'A  fie  ,  à  la  Jamaïque,  aux  Barbades,  « 
r€n  Virginie,  dans  la  nouvelle  Angle-  ce 
terre  ,  au  Brefii ,  au  Pérou  &  dans  les  ce 
,autres  parties  de  l'Amérique  3?.  Effaifur 
r H'ijloïre  Naturelle  de  la  Terre,  pages  ^, 

Cet  auteur  ne  dit  pas  comment  & 
par  qui  il  a  appris  que  les  couches  de 
la  terre  au  Pérou  contenoient  des  co- 
quilles ,  cependant  comme  en  générai 
{çs  obfervations  font  cxades ,  je  ne  doute 
pas  qu'ii  n'ait  été  bien  informé  ,  &  c'eft 
.ce  qui  me  perfuade  qu'on  doit  trouver 
.des  coquilles  au  Pérou  dans  les  couches 
de  terre ,  comme  on  en  trouve  par-tout 
ailleurs;  je  fais  cette  remarque  à  i'occa- 
fion  d'un  doute  qu'on  a  formé  depuis 
peu  fur  cela,  &  dont  je  parlerai  tout-à-^ 
i'heure. 

Dans    une  fouille  que    i'on  ^i  à 

(f).  En-  Angleterre. 


"5  5  8         Hifloke  Naturelle: 
A  mflerdam  pour  faire  un  puits ,  on  creuf^ 
jufqu'à   232  pieds   de  profondeur ,  & 
on  trouva  les  couches  de  terre  fuivantes, 

7  pieds  de  terre  végétale  ou  terre  de 
jardin ,  ^  pieds  de  tourbe ,  p  pieds  de 
glailè  molle ,  8  pieds  d'arène ,  4  de 
terre ,  1  o  d'argile ,  4  de  terre ,  i  o  pieds 
d'arène,  fur  iaquelk  on  a  coutume 
d'appuyer  les  pilotis  qui  foutiennent  les 
jnaiibns  d'Amilerdam  ;  enfuite  2  pieds 
d'argile  ^  4  de  iablon  blanc ,  5  de  terre 
sèche ,  I    de  terre  molle ,   1 4  d'arène, 

8  d'argile  mêlée  d'arène ,  4  d'arène 
mêlée  de  coquilles ,  enluite  une  épaif- 
feur  de  1 00  &.  2  pieds  de  glaife,  & 
enfin  3  i  pieds  de  fable,  où  l'on  cefla 
de  creufer.  Voye^  Varenii  Geogr.  gêner aU 
pnge  ^6, 

Il  eft  rare  qu'on  fouille  auiïi  profon- 
dément fans  trouver  de  l'eau ,  &  ce  fiit 
cil  remarquable  en  plufieurs  chofes  : 
j/'  il  fait  voir  que  l'eau  de  la  mer  ne 
communique  ]>as  dans  l'intérieur  de  la 
ïerre  par  voie  de  filtration  ou  de  lliîla- 
tion ,  comme  on  le  croit  vulgairement: 
2.°  nous  voyons  qu'on  trouve  des  co- 
quilles à   100  pieds  au-deflbus  de  la 


Théorie  r}€  la  Terre»       35^ 

fw-ffâce  de  la  lerre  dans  un  pays  cxtrê- 
menieat  bas  ,  «Se  que  par  conféquent  le 
terreîn  de  la  Hollande  a  été  élevé  de 
100  pieds  par  les  iédimens  de  la  mer; 
3."  on  peut  en  tirer  une  induction  que 
cette  couche  de  glaiiè  épaifTe  de  102 
pieds,  &  la  coucne  de  lable  qui  efl 
au-defTous,  dans  laquelle  on  a  fouillé  à 
3  I  pieds,  &  dont  l'épaifTeur  entière  efl 
inconnue,  ne  Ibnt  peut-être  pas  fort 
éloignées  de  la  première  couché  de  la 
vraie  terre  ancienne  &  originaire,  telle 
qu'elle  étoit  dans  le  temps  de  (Ii  première 
formation  &  avant  que  le  mouvement 
des  eaux  eût  changé  ia  furface.  Nous 
avons  dit  dans  l'article  premier,  que  fi 
['on  vouloit  trouver  la  terre  ancienne, 
il  f  ludroit  creuler  dans  les  pays  du  nord 
plutôt  que  vers  féquateur  ,  dans  les 
plaines  bafîês  plutôt  que  dans  les  mon- 
tagnes ou  dans  les  terres  élevées.  Ces 
conditions  fe  trouvent  à  peu  près  raffein- 
blées  ici  ;  feulement  il  auroit  été  à  fbu- 
haltcr  qu'on  eût  continué  cette  fouille  à 
une  plus  grande  profondeiir,  6c  que 
'auteur  nous  eût  appris  s'il  n'y  avoit 
pas  de  coquilles  ou  d'autres  produdions 


3^0        Hijloire  Naturelle. 

vîTiariiies  dans  cette  couche  de  glaife  de 
I02  pieds  d'épaiiïeur  &  dans  celle  de 
>fable  qui  étoit  au-deflous.  Cet  exemple 
confirme  ce  que  nous  avons  dit ,  lavoir, 
que  plus  on  fouille  dans  l'intérieur  de  la 
terre,  pliis  on  trouve  les  couches  épaiffes, 
ce  qui  s'explique  fort  naturellement  dans 
notre  théorie. 

Non-feulement  la  terre  efl  compofée 
de  couches  parallèles  &  horizontales  dans 
les  plaines  &  dans  les  collines,  mais  les 
montagnes  même  font  en  général  com- 
pofées  de  la  même  façon  :  on  peut  dire 
que  ces  couches  y  font  plus  apparentes 
que  dans  les  plaines ,  parce  que  les 
plaines  font  ordinairement  recouvertes 
d'une  quantité  affez  confidérable  de  fable 
ÔL  de  terre  ,  c[ue  les  eaux  y  ont  amenés, 
&  pour  trouver  les  anciennes  couches 
il  fmt  creuler  plus  profondément  dans 
Its  plahies  que  dans  les  montagnes. 

J'ai  fouvent  obfervé  que  lorfqu'une 
montagne  eft  égale  &  que  Ion  fommet 
efl:  de  niveau,  les  couclies  ou  lits  de 
pierre  qui  la  compofent,  font  aufli  de 
iiiveau  ;  mais  li  le  fommet  de  la  mon- 
lagne  n'eft  pas  poie  horizontalement,  ôc 

i'ii 


Théorie  de  la  Terre.       3^1 

%''\  penche  vers  l'orient  ou  vers  tout 
filtre  côte  ,  les  couches  de  pierre  pen- 
chent aufli  du  même  côié.  J 'a vois  ouï 
dire  à  pkifieurs  perfonnes  que  pour  l'or- 
dinaire les  bancs  ou  lits  des  carrières 
penchent  un  peu  du  côté  du  levant , 
mais  ayant  obfervé  moi-même  toutes  les 
carrières  &  toutes  les  chanies  de  rochers 
qui  le  font  préfentces  à  mes  yeux ,  j'ai 
reconnu  que  cette  opinion  ed:  faufîè, 
&  que  les  couches  ou  bancs  de  pierre 
ne  penchent  du  côté  du  levant  ([ue  lorf- 
que  le  fommet  de  la  colline  penche  de 
ce  même  côté  ;  &  qu'au  contraire  fi  le 
fommet  s'abaiiTe  du  côté  du  nord  ,  du 
midi,  du  couchant  ou  de  tout  autre 
côté,  les  lits  de  pierre  penchent  aufîj  du 
côté  du  nord,  du  midi,  du  couchant, 
&c.  Lorfcju'on  tire  les  pierres  &:  les 
marbres  des  carrières ,  on  a  grand  foin 
de  les  leparer  fuivant  leur  pofnion  na- 
turelle ,  &  on  ne  pourroit  pas  même  les 
avoir  en  grand  volume  fi  on  vouloit  les 
couper  dans  un  autre  (èns  ;  lorfqu'on 
ies  emploie ,  il  faut  pour  que  la  maçon- 
nerie foit  bonne  &  pour  que  les  pierres 
jdurent  long  -  temps ,  ies  pofer  fur  leur 
T\)me  L  Q 


'3^2        Hifloire  Nûturelle, 

lit  de  carrière,  c'eil  aiiifi  que  les  ouvriers 
appellent  la  couche  horizontale  :  fi  dans 
ia  maçonnerie  les* pierres  étoient  polees 
fur  un  autre  fens ,  elles  fe  fendroient  & 
ne  réfifteroient  pas  aufîi  long-temps  au 
poids  dont  elles  font  chargées.  On  voit 
bien  que  ceci  confirme  que  les  pierres 
le  font  forme'es  par  couches  parallèles  & 
horizontales  ,  qui  le  font  fuccefTivemcnt 
accumitlées  les  unes  fur  les  autres,  &i  que 
ces  couches  ont  compofé  des  malîès 
dont  la  réfiJdance  eft  plus  grande  dans 
ce  iens  que  dans  tout  autre. 

Au  refle,  chaque  couche,  foit  qu'elle 
foit  horizontale  ou  inclinée,  a  dans  toute 
fon  étendue  une  épaiffeur  égale,  c'efl-- 
à-dire ,  chaque  lit  d'une  matière  quel- 
conque, pris  à  part,  a  une  épaiffeur 
égale  dans  toute  fon  étendue  ;  j^ar  exem- 
ple ,  lorfque  dans  une  carrière  le  lit  de 
pierre  dure  a  3  pieds  d'épaifî«ur  en  un 
endroit ,  il  a  ces  3  pieds  d'épailTeur  par- 
tout ;  s'il  a  fix  pieds  d 'épaiffeur  en  un 
endroit,  il  en  a  6  par-tout.  Dans  les 
carrières  autour  de  Paris  le  lit  de  boime 
pierre  n'efl  pas  épais ,  &  il  n*a  guère  que 
a8  à2o  pouces  d'épaifieur  par-tout; 


Théorie  de  la  Terre.  3  6-^ 
dans  d'autres  carrières,  comme  en  Bour- 
gogne, la  pierre  a  beaucoup  plus  d'épai{^  ' 
leur;  il  en  elt  de  même  des  marbres,  ceux 
dont  le  liteO:  le  plus  épais,  font  les  marbres  ' 
blancs  &  noirs ,  ceux  de  couleur  font  or- 
dinairement plus  minces,  &  je  connois 
des  lits  d'une  pierre  fort  dure  &  dont  les 
payfans  fe  fervent  en  Bourgogne  pour 
couvrir  leurs  maifons ,  qui  n'ont  qu'un 
pouce  d'épaifleur.  Les  épaifîeurs  des  dif^ 
fercns  lits  font  donc  différentes,  mais 
chaque  lit  conferve  la  même  épaiffeur 
dans  toute  fon  étendue  :  en  général,  on 
peut  dire  que  i'épaifleur  des  couches 
horizontales  eil  tellement  variée ,  qu'elle 
va  depuis  uv\Q  ligne  &  moins  encore , 
jufqu'à  I,  10,  20,  30  &  100  pieds 
d'epaiffeur  \  les  carrières  anciennes  & 
nouvelles  qui  Ibnt  creufees  horizontale- 
ment ;  les  boyaux  des  mines ,  &  les  cou- 
pes à  plomb,  en  long  &  en  travers  ,  de 
^pluficurs  montagnes,  prouvent  qu'il  y 
s  des  couches  qui  ont  beaucoup  d'éten- 
due en  tout  fens.  ce  II  eil  bien  prouvé  , 
dit  rhiftorien  de  l'Académie,  que  ce 
toutes  les  pierres  ont  été  une  pâte  ce 
molle ,  «Se  comme  il  y  a  des  carrières  « 

Qi; 


^6  4'        HiJIoire  Nûtiirel/e. 
33  prefque  par-tont,  la  furtace  dch  terre 
53  a  donc  été  dans   tous  ces  lieux ,  du 
D3  moins    jufqu'à  une  certaine  profon- 
DO  deur,  une  vafe  &  une  bourbe  ;  les  co^ 
35  quillages  qui  fe  trouvent  dans  prel que 
30  toutes  les  carrières,  prouvent  que  cette 
33  vafe  etoit  une  terre  détrempée  par  l'eau 
33  de  la  mer,  &  par  conféquent   la  mer 
33  a  couvert  tous  ces  lieux-là  ,  &  elle  n'a 
33  pu  les  couvrir  lans  couvrir  au(li  tout 
33  ce  qui  étoit  de  niveau  ou  plus   bas, 
3>  &  elle  n'a  pu  couvrir  tous  les  lieux 
33  où  il  y  a  des  carrières  &  tous  ceux  qui 
33  font  de  niveau  ou  plus  bas,  lans  çou- 
33  vrir  toute  la  furface  du  globe  terreflre. 
53  Ici  l'on  ne  confidère  point  encore  les 
35  montagnes  que  la  mer  auroit  dû  cou- 
33  vrir  aulîj ,  puifqu'il  s'y  trouve  toujours 
»  des  carrières   &.  louvent  des  coquil- 
33  îages  ;    û  on  les  (lipporoit  fermées,  le 
33  raifonnement  que  nous  f  liions  en  de- 
33  viendroit  beaucoup  plus  fort. 
53       La  mer  ,  continue  -  t  -  il ,  couvroit 
35  donc  toute  la  terre,  &  de-ià  vient  que 
33  tous  les  bancs  ou  lits  de  pierre  qui 
?:>  font  dans  les  plaijics,  font  horizontaux 
5>  ÔL    parallèles    entr'cux ,    les  poiiîons 


Théorie  de  la  Terre.  365 
auront  été  les  plus  anciens  habitans  ce 
du  globe,  qui  ne  pouvoir  encore  avoir  ce 
ni  animaux  terreftres,  ni  oileaux.  Mais  ce 
comment  la  mer  s'eft-elle  retirée  dans  ce 
les  grands  creux ,  dans  les  vafles  baffins  ce 
qu'elle  occupe  préientementî  Ce  qui  ce 
le  préfente  le  plus  naturellement  ài'ei-  £c 
prit,  c'eft  que  le  globe  de  la  terre,  du  ce 
moins  jufqu'à  une  certaine  profondeur,  ce 
n'étoit  pas  folide  par-tout,  mais  entre-  ce 
mêlé  de  quelques  grajids  creux  dont  ce 
ies  voûtes  le  font  foutenues  pendant  un  ce 
temps,  m/ais  enfin  font  venues  à  fon-  ce 
dre  fubitement  ;  alors  les  eaux  feront  ce 
tombées  dans  ces  creux  ,  les  auront  ce 
remplis,  &:  auroht  laide  à  découvert  ce 
une  partie  de  la  farn\ce  de  la  terre  qui  ce 
iéra  devenue  une  habitation  convena-  ce 
ble  aux  animaux  terre  (Ires  &  aux  oi-  ce 
féaux  :  les  coquillages  des  carrières  s'ac-  ce 
cordent  fort  avec  cette  idée ,  car  outre  «: 
qu'il  n'a  pu  fe  conferyer  jufqu'à  pré-  ce 
ient  dans  les  terres  que  des  parties  ce 
pierreufes  des  poifîons  ,  on  fait  qu'or-  ce 
dinairement  les  coqtiillages  s'amaffent  <e 
en  grand  nombre  dans  certains  en-  ce 
droits  de  la  mer,  où  ils  font  comme  ac 

Qiij 


^66         HiJIoire  Naturelle. 

•y>  immobiles  6c  forment  àt%  efpèces  Je 
r>  rochers  ;  &  ils  ^l'auront  pu  fuivre  ics 
:>3  eaux  qui  les  auront  flibiiement  -aban- 
yy  donntes  ;  c'eft  par  cette  dernière  raifcn 
»  que  l'on  trouve  infiniment  plus  deco- 
3:)  c|uiliages  que  d'arêtes  ou  d'empreintes 
33  d'autres  poiflons ,  ci  cela  même  prouve 
>:•  une  chute  foudiiiiie  de  la  mer  daiis 
35  Tes  badins.  Dans  le  même  temps  que 
y>  les  vouîcs  que  nous  Tupp-ofons,  ont 
»  fondu,  il  eft  fort  poffibie  que  d'autres 
■x>  parties  de  la  furface  du  globe  fe  foient 
yi  é\Q\iç.%^  &  par  la  mcmecaufe,  ce  feront 
33  là  les  montagnes  qui  le  leront  placées 
•»>  fur  cette  (urfice  avec  des  carrières  déjà 
33  toutes  formées  ;  mais  les  lits  de  ces  car- 
j3  rières  n'ont  pas  pu  conlerver  la  di- 
33  redion  horizontale  qu'ils  avoient  au- 
33  para  vaut ,  à  moins  que  les  maffes  des 
33  montagnes  ne  fe  fuffent  élevées  pré- 
3>  cifémcnt  lelon  un  axe  perpendiculaire 
33  à  la  furface  de  la  terre ,  ce  qui  n'a  pu 
33  être  que  très-rare  :  aufîi  comme  nous 
33  l'avons  déjà  obfervé  en  1708,  (pûge 
-i-y  ^  0  &  fijv.)  les  lits  des  carrières  des 
33  montagnes  font  toujours  inclinés  à 
v>  riiorizon;    mais  parallèles    enir'eux  ^ 


Théorie  de  h  Terre.        3^7 

cîir  ils  n'ont  pas  changé  de  pofition  les  ce 
uns  à  i'éo-ard  des  autres,  mais  leulement  ce 
à  l'égard  de  la  furface  de  la  terre,  j?  Voye:^ 
les  Mcm.  de  i'Acad.  année  i  ji  6 ,  page 
j  \^  &fuiv.  de  l'Hifloire. 

Ces  couches  parallèles ,  ces  iits  de 
terre  ou  de  pierre  qui  ont  été  formés 
par  les  fédimçns  des  eaux  delà  mer, 
s'étendent  fouvent  à  des  diflances  très- 
confidérables ,  &  même  on  trouve  dans 
îes  collines  féparées  par  un  vallon  les 
mêmes  lits,  les  mêmes  matières,  au  même 
niveau.  Cette  obfervation  que  j'ai  fîiite  , 
s'accorde  parfaitement  avec  celle  de  l'é- 
galité de  la  hauteur  des  collines  oppo- 
fées  dont  je  parlerai  tout-à-l'heure  ;  on 
pourra  s'afTurer  aifément  de  la  vérité 
de  ces  fîtits ,  car  dans  tous  les  vallons 
étroits  ,  où  l'on  découvre  des  rochers  j 
on  verra  que  les  mêmes  lits  de  pierre  ou 
de  marbre  fe  trouvent  des  deux  côtés  à 
la  même  hauteur.  Dans  une  campagne 
que  j'habite  (buvent  &.  où  j'ai  beaucoup 
examiné  les  rochers  &  les  carrières  ,  j'ai 
trouvé  une  carrière  de  marbre  qui  s'é- 
tend à  plus  de  douze  lieues  enlongueur^ 
&  dont  h  largeur  eft  fort  confidérable, 


368  Hîj%îre  Naturelle; 
quoique  je  n'aie  pas  pu  m'aifurer  pré- 
çirénient  de  cette  étendue  en  largeur. 
J'ai*  fou  vent  obferVé  que  ce  Ik  de  marbre 
a  la  iriênie  épaiiTeur  par-tout ,  &  dans 
des  collines  féparées  de  cette  carrière 
par  un  vallon  de  1  00  pieds  de  profon- 
deur &  d'un  quart  de  iieue  de  largeur, 
î'ai  trouvé  le  même  lit  de  marbre  à  la 
même  hauteur  :  je  fuis  perfuadé  qu'il 
en  efl  de  même  de  toutes  les  carrières 
de  pierre  ou  de  marbre  où  l'on  trouve 
des  coquilles  ;  car  cette  obfervation  n'a 
pas  lieu  dans  les  carrières  de  grès.  Nous 
donnerons  dms  la  fuite  les  raifons  de 
cette  différence,  &  nous  dirons  pour- 
quoi le  grès  n*c(t  pas  difpofé ,  comme 
les  autres  matières,  par  lits  horizontaux, 
^  qu'il  efl:  en  blocs  irréguliers  pour  la 
forme  &  pour  la  pofition. 

On  a  de  même  obfervé  que  les  lits 
de  terre  font  les  mêmes  des  deux  côtés 
des  détroits  de  la  mer  ,  &  cette  obferva- 
tion, qui  efl  importante,  peut  nous  con- 
duire à  reconnoître  les  terres  &  les  îles 
qui  ont  été  féparées  du  continent  ;  elle 
prouve,  par  exemple,  que  l'Angleterre 
a  été  féparéedela  ÎVançe,  l'Elpagne  i% 


Théane  de  la  Ttrre*  jij^ 
rAfrique  ,  la  Sicile  de  l'Italie,  &  il  ferait 
à  loLihaiter  qu'on  eût  fliit  la  même  obler- 
vatioii  dans  tous  les  détroits;  je  fuis  per- 
/uadc  qu'on  la  trouveroit  vraie  prefque 
par- tout,  &pour  commencer  par  le  plus 
long  détroit  que  nous  connoiffions,  qwi 
eft  c€iui  de  Magellan,  nous  ne  (avons 
pas  fi  \qs  mêmes  lits  de  pierre  (c  trouvent 
à  la  même  hauteur  des  deux  côtés  ,  mais 
nous  voyons  à  l'infpedion  des  cartes 
particulières  de  ce  détroit.,  que  les  deux 
côtes  élevées  qui  le  bornent,  forment  à 
peu  près  comme  les  montagnes  de  Li 
terre  ,  des  angles  correfpondans  ,  &  que 
-les angles fiillans  (ont  oppofés  aux  angles 
rentrans  dans  les  détours  de  ce  détroit , 
ce  qui  prouve  que  la  terre  de  Feu  doit 
être  regardée  comme  une  pîirtie  du  con- 
tinent de  l'Amérique  ;  il  en  eft  de  même 
du  éétroit  de  Forbisher ,  l'iie  de  Fril- 
lande  paroît  avoir  été  féparée  du  conti- 
îient  du  Groenland. 

Les  îles  Maldives  ne  font  Réparées  les 

unes  des  autres  que  par  de  |>etits  trajets 

de    mer,  de   chaque    côté  deiquels   le 

trouvent  de>  bancs  &  des  rochers  cona- 

.  poJjes   éè  h  mèm^  iiiatiè*e  ;  toutes  ces 

Q  V 


'37^        Hipoke  Naîureik. 

îles  qui ,  prifes  enfemble ,  ont  près  de 
2.0  0  lieues  de  longueur,  ne  formoieni 
autrefois  qu'une  même  terre,  elles  ibnt 
divifées  en  treize  provinces  que  l'on  ap- 
pelle Aîûllons,  Chaque  A  tollon  contient 
un  grand  nombre  de  petites  îles  dont  la 
plupart  font  tantôt  fubmerge'e?,  &  tantôt 
à  découvert  ;  mais  ce  qu'il  y  a  de  remar- 
quable, c'efl:  que  ces  treize  Atollons  font 
chacun  environnés  d'une  chaîne  de  ro- 
chers de  même  nature  de  pierre,  &  qu'ii 
n*y  a  que  trois  ou  quatre  ouvertures 
dangereufes  par  où  on  peut  entrer  dans 
chaque  A  tollon  ;  ils  font  tous  pofés  de 
fuite  &  bout  à  bout,  &  il  paroît  évi  !em- 
ment  que  ces  îles  étoient  autrefois  une 
iongue  montagne  couronnée  de  rochers. 
Voye^  Voyages  de  Franc,  Pyrard,  vol.  1, 
Paris ,  I  y  1  p ,  page  i  o  S ,  &c, 

Pluficurs  auteurs,  comme  Verftegnn , 
Twine ,  Sommer  ,  &  fur-toiu  Campbell 
dans  fa  defcription  de  l'Angleterre ,  au 
chapitre  delà  province  de  Kent,  don- 
nent des  raifcns  très-fortes  ,  pour  prou- 
ver que  l'Angleterre  étoit autrefois  jointe 
à  ia  France  ,  &  qu'elle  en  a  été  féparée 
par  un  coup  de  mer  qui  s'étant  ouvert 


Théorie  Je  la  Terre»         ^Ji 

cette  porte,  a  laiflé  à  de'couvert  une 
grande  quantité  déterres  bafles  &  inaré- 
cageufes  tout  le  iong  des  côtes  méridio- 
nales de  l'Angleterre.  Le  Dodeur  Waliis 
fait  valoir  comme  une  preuve  de  ce  fait, 
ia  conformité  de  l'ancien  fancraore  des 
Gallois  &  des  Bretons ,  &  il  ajoute  plu- 
fieurs  obfervations  que  nous  rapporte- 
rons dans  les  articles  fui  vans. 

Si  l'on  confidère,  en  voyngeant ,  la 
forme  de>  terreins ,  la  poliîion  des  mon- 
tagnes &  les  finuofités  des  rivières,  on 
s'apercevra  qu'ordinairement  les  collines 
oppofécs  foni  non-feuleinent  compofécs 
des  mêmes  matières ,  au  même  niveau, 
mais  même  qu'elles  font  à  peu  près 
également  élevées  :  j'ai  obier vé  cette 
égalité  de  hauteur  dans  les  endroits  où 
j'ai  voy^'gé  ;  &i  je  fai  toujours  trouvé 
la  même,  à  irès-pcu  près,  des  deux 
côtés,  fur-tout  d.iiis  les  valions  ferrés, 
&  qui  n'oiit  tout  au  plus  qu'un  quart 
ou  un  tiers  de  lieue  de  larocur;  car 
d^nsles  grandes  vdlées  qui  ont  bcau- 
-ccup  plus  de  largeur,  il  cd  allez  dilliciie 
de  fuger  exaèleinent  de  la  hauteur  des 
coiiiiie^  <Sv  de  leur  égaliiéj  parce  qu'il  y  a 

Q  v; 


37^        Hiflolre  Ndînrelk» 

erreur  d'optique  &  erreur  de  jugement; 
en  regardant  une  plaine  ou  tout  autre 
tenein  de  niveau  \  qui  s'étend  fort  au 
îoin,  il  paroît  s'élever,  &  au  contraire 
en  voyant  de  loin  des  coltines,  elles 
paroifleni  s'abaifîcr  :  ce  n'ell:  pas  ici  le 
iieu  de  donner  la  raiCon  mathéinatique 
de  cette  différence.  D'autre  côté,  il  eft 
fort  difficile  de  juger  par  le  fiinple  coup 
<l'œil  où  (e  trouve  le  milieu  d'une  grande 
Tallée,  à  moins  qu'il  n'y  ak  une  rivière; 
ïiu  lieu  que  dans  \&s  vallons  lerrés  le 
rapport  des  yeux  efl:  moins  équivoque 
&  le  jugement  plus  cenain.  Cette  partie 
de  la  Bourgogne  qui  elt  comprile  entre 
Auxerte ,  Dijon,  Autun  &  Bar-fur- 
Seine  ,  oc  dont  une  étendue  confidérable 
s'appelle  k  bailliage  de  la  Montagne, 
cft  un  des  endroits  les  plus  élevés  de  la 
France;  d'un  côté  delà  plupart  de  ces 
montagnes  qui  ne  font  que  du  fécond 
ordre,  &  qu'on  ne  doit  regarder  que 
comme  des  collines  élevées  ,  les  eaux 
coulent  vers  l'océan ,  &  de  l'autre  vers 
!a  méditerranée;  il  y  a  des  points  de 
partage  ,  comme  à  Sombernon,  Pouifli 
%n  Auxois,  &c.  où  on  peut  tourner  kç 


Théorie  de  la  Terre.        373' 

eaux  indifféremment  vers  l'océan  ou 
vers  la  méditerranée  :  ce  pays  élevé  eft 
entre-coupé  de  plufiewrs  petits  vallons 
allez  ferrés,  &.  prefque  tous  arrolés  de 
gros  ruiffeaux  ou  de  petites  rivières.  J'ai 
mille  &  mille  fois  oblervé  la  correl[)on- 
dance  des  angles  de  ces  collines  &  leur 
égalité  de  hauteur,  &  je  puis  aflurer  que 
j'ai  trouvé  par-tout  les  angles  faillans 
oppofés  aux  angles  rentrans,  &  les  hau- 
teurs à  peu  près  égales  des  deux  côtés» 
Plus  on  avance  dans  le  pays  élevé  où 
font  les  points  de  partage  dont  nous 
venons  de  parler,  plus  les  montagnes 
ont  de  hauteur  ;  mais  cette  hauteur  efl 
toujours  la  même  des  deux  côtés  des 
vallons,  &  les  collines  s'élèvent  ou  s'a- 
baiffent  également  :  en  ie  plaçant  à 
l'extrémité  des  vallons  dans  le  milieu 
de  la  largeur,  j'ai  toujours  vu  que  le 
J^afTin  du  vallon  étoit  environné  &  lur- 
monté  de  collines  dont  la  hauteur  étoit 
égale  ,  j'ai  fîtit  la  même  obièrvation  darrs 
plu  fleurs  autres  provinces  de  France, 
C'efl:  ccitc  égalité  de  hauteurs  dans  les 
collines  qui  fait  les  plaines  en  monta- 
gnes ,  ces  pliiines ,  forment ,  pour  aiafi 


^374  Hijlohe  Naturelle. 
dire ,  des  pays  élevés  au-delTus  d'autres 
pays;  mais  les  hautes  montagnes  . ne 
paroiiïent  pas  êti^e  fi  égales  en  hauteur, 
elles  fe  terminent  la  plupart  en  pointes 
&  en  pics  irréguliers  ;  &  j'ai  vu  en 
traverflmt  piufieurs  fois  les  Alpes  & 
i'Apennin,  que  les  angles  font  en  effet 
correfpondans,  mais  qu'il  eft  prefque 
impolfible  de  juger  à  l'œil  de  l'égalité  ou 
de  l'inégalité  de  hauteur  des  montagnes 
oppofées  ,  parce  que  leur  fommet  fe  perd 
dans  les  brouillards  &  ditns  les  nues. 

Les  différentes  couches  dont  la  terre 
eft  compofée,  ne  font  pas  dilpofées, 
fuivant  l'ordre  de  leur  pelanteur  fpéci- 
jfique  ,  fouv  ent  on  trouve  des  couches 
de  matières  pefuites  pofées  fur  des  cou- 
ches de  matières  plus  légères;  pour  s'en 
affurer ,  il  ne  faut  qu'examiner  la  nature 
des  terres  fur  leiquelles  portent  les 
rochers,  &:  on  verra  que  c'cd  ordinai- 
rement fur  des  glaifes  ou  iur  des  iables 
qui  font  fpécifiquement  moins  pelans 
que  la  matière  du  rocher.  Dans  les 
collines  &  dans  les  autres  j)ciiLes  élé- 
vations ,  on  reconnoii  facilement  la  ba'e 
fur  laquelle  portent  les  rochers;  mais 


Théorie  de  la  Terre*       375 

1Ï  n'en  eft  pas  de  même  des  grandes 
montaornes,  non-feulement  le  Ibmmet 
eu  de  rocher,  mais  ces  rochers  portent 
fur  d'autres  rochers,  il  y  a  montagnes 
fur  montagnes  &  rochers  fur  rochers, 
à  des  hauteurs  fi  confidérables  &  dans 
une  Çi  grande  étendue  de  terrein ,  qu'on 
lie  peut  guère  s'affurer  s'il  y  a  de  la  terre 
dcffous,  &  de  quelle  nature  eft  cette 
terre.  On  voit  des  rochers  coupés  à  pic 
qui  ont  plufieurs  centaines  de  pieds  de 
hauteurs ,  ces  rochers  portent  fur  d'autres 
qui  peut-être  n'en  ont  pas  moins ,  cepen- 
dant ne  peut-  on  pas  conclure  du  petit 
au  grand  î  &  puifque  les  rochers  des 
petites  montagnes  dont  on  voit  ta  ba(e, 
portent  fur'  des  terres  moins  pelantes  & 
moins  folides  que  la  pierre ,  ne  peut-on 
pas  croire  que  la  bafe  des  hautes  mon- 
tagnes eft  aufti  de  terre  \  Aw  refte  tout 
ce  que  j'ai  à  prouver  ici ,  c'eft  qu'il  a 
pu  arriver  naturellement,  par  le  mou- 
vement des  eaux  ,  qu'il  le  {(Ài  accu  mu  ié 
des  matières  plus  peiiuites  au-dcflus  des 
plus  légères;  &  que  fi  cela  le  trouve  en 
effet  dans  la  plupart  des  collines  ,  il  eR 
probable  que  cela  eft  arrivé  cçmnie  je 


37^  f^lffoire  Naturelle. 
l'explique  dans  le  texte.  Mafs  quand 
même  on  voudroit  fe  refuler  à  mes 
raiions ,  en  m'oBjedant  que  je  ne  fuis 
pas  bien  fonde  à  fuppoler  qu'avant  la 
formation  des  montagnes ,  les  matières 
les  plus  pelantes  étoient  au-delTous  des 
moins  pe Tantes ,  je  répondrai  que  je 
îi'aflure  rien  de  général  à  cet  écrard  , 
J)arce  qu'il  y  a  piufieurs  manières  dont 
cet  effet  a  pu  lé  produire,  foit  que  les 
matières  pelantes  fuflent  au-deiïous  ou 
au-deiïus,  ou  placées  indifféremment, 
comme  nous  ks  voyons  aujourd'hui  ; 
car  pour  concevoir  comment  la  mer 
ayant  d'abord  foriné  une  montagne  de 
glaife  l'a enfuite  couronnée  de  rochers, 
il  fufïit  de  fiire  attention  que  les  fédi- 
mens  peuvent  venir  fuccefll veinent  de 
différens  endroits ,  &  qu'ils  peuvent  être 
de  matières  différentes,  en  forte  que 
dans  un  endroit  de  la  mer  oij  les  eaux 
auront  dépofé  d'abord  piufieurs  fédi- 
mens  de  giai(è,  il  peut  très- bien  arriver; 
que  tout  d'un  coup  au  lieu  de  giail-eles 
eaux  apportent  des  fédimens  pierreux 
&  cela  parce  qu'elles  auront  enlevé  du 
fond,  .Qw  détaché  «des   côtes  .w>wtc  ia 


Théorie  de  la  Terre,        '^yj 

glaife  :  &  qu'eiifuite  elles  auront  attaque 
les  rochers ,  ou  bien  parce  que  les  pre- 
miers fédimens  venoient  d'un  endroit, 
&  les  féconds  d'un  autre.  Au  relie,  cela 
s'accorde  parfiiitement  avec  les  oblerva- 
tions ,  par  lerqueiles  on  reconnoît  que 
les  lits  de  terre,  de  pierre,  de  gravier, 
de  fiible ,  &c.  ne  fuivent  aucune  règle 
dans  leur  arrangement,  ou  du  moins 
le  trouvent  placés  indifféremment  & 
comme  au  hafard  les  uns  au-defîus  des 
autres. 

Cependant  ce  hafard  même  doit  avoir 
des  règles  qu'on  ne  peut  connoître 
qu'en  eftimant  la  valeur  des  probabilités 
&  la  vraifemblance  des  conjectures. 
Nous  avons  vu  qu'en  fuivant  notre  h y- 
pothèie  fur  la  formation  du  globe,  l'in- 
térieur de  la  terre  doit  être  d'une  matière 
vitrifiée,  fembiable  à  nos  fables  vitri- 
fiables-  qui  ne  font  c|ue  des  fragmens  de 
verre,  &  dont  les  glaifes  font  peut-être 
les  fcories  ou  les  parties  décompofées  ; 
dans  cette  fuppofiiion,  la  terre  doit  être 
compoiée  dans  le  centre ,  &  prefque 
jufqu'à  la  circonférence  extérieure  ,  de 
verre  ou  d'une  matière  vitrifiée  c]\À  eu 


378        Hiflolre  Naturelle. 

occupe  prefque  tout  l'intérieur,  &  nti- 
deffus  de  cette  matière  on  doit  trouver 
les  fables ,  lès  glaîfes  &  les  autres  fcories 
de  cette  matière  vitrifiée.  Ainfi  en  con- 
fidèraht  la  terre  dans  Ton  premier  état, 
c'étoit  d'abord  un  noyau  de  verre  ou 
de  matière  vitrifiée ,  qui  eft  ou  malllve 
comme  le  verre ,  ou  divifée  comme  le 
fable ,  parce  que  cela  dépend  du  degré 
de  l'ftélivité  du  feu  qu'elle  aura  éprouvé  ; 
au-deffus  de  cette  matière  étoient  ies 
fables,  &  enfin  les  glaifès;  le  limon  des 
eaux  &  de  l'air  a  produit  l'enveloppe 
extérieure  qui  efl:  plus  ou  moins  épaiiïe 
iliivant  la  fituation  du  terrein ,  plus  ou 
moins  colorée  fuivant  les  diffère ns  mié- 
ianges  du  limon  ,  des  fables  <Sc  des  parfics 
d'animaux  ou  de  végétaux  détruits ,  & 
plus  ou  moins  féconde  fuivant  l'abon- 
dance ou  la  difette  de  ces  mêmes  parties. 
Pour  faire  voir  que  cette  fuppofition, 
au  fujet  de  la  formation  des  fibles  ô^ 
des  glailes ,  n'efi:  pas  aufîi  gratuite  qu'on 
pourroit  l'imaginer,  nous  avons  cru 
devoir  ajouter  à  ce  que  nous  venons 
de  dire,  quelques  lemarques  particu^ 
lières. 


Théorie  de  la  Tene.         '^,79 
Je  conçois  donc  que  la  terre  dans  le 
premier  état  étoit  un  globe,  ou  piiiîôt 
un  iphéroïde   de   matière   vitrifiée,    de 
verre,    fi    l'on    veut,    très- compare , 
couvert  d'une  croûte  légère  &  friable , 
formée  par  les  fcories  de  la  matière  en 
fufion  ,  d'une  véritable  pierre  ponce:  le 
mouvement   &  l'agitation   des  eaux   & 
de  l'air  brisèrent  bien-tôt  &:  réduifirent 
en  pouffjère  cette  croûte  de  verre  fpon- 
gieufe ,  cette  pierre  ponce  qui  étoit  à  In 
furface;   de  -  là  les  fables   qui,  en  s'u- 
niffant,  produifirent  eniuite  les  grès  & 
Je  roc   vif,    ou,   ce   qui  eft  la  mène 
chofe,  les   cailloux    en  grande  maffe , 
qui  doivent ,  aufîi-bien  que  les  cailloux 
en  petite  maiïe ,  leur  dureté  ,  leur  cou-^ 
leur  ou  leur  tranfparence  &  la  variété 
de  leurs  accidens ,  aux  différens  degrés 
de  pureté  &  à  la  ftneflc  du  grain    des 
fibles  qui  font  entrés   dans  leur  corn- 
pofition. 

Ces  mêmes  fables  dont  les  parties 
conftituantess'uniiïent  par  le  moyen  du 
feu  ,  s'afllir.iient  &  deviennent  un  corps 
dur  très-denfe,  &  d'autant  plus  tranl- 
pareat  que  le  lable  eft  plus  homogène, 


380      Hi flaire  Naturelle* 

expofés  au  contraire  long-temps  à  V^àr^ 
le  décompolent  par  la  déllinion  &  l'ex- 
foliation  des  petites  lames  dont  ils  font 
formés  ,  ils  commencent  à  devenir  terre  ^ 
&  c'efl  ainfi  qu'ils  ont  pu  former  les 
glaifes  &  les  argiles.  Cette  poufîJèrej 
tantôt  d'un  jaune  brillant,  tantôt  iem- 
blable  à  des  paillettes  d'argent  dont  ou 
le  lert  pour  fécher  l'écriture,  n'eft  autre 
chofe  qu'un  fable  très-pur,  en  quelque 
façon  pourri ,  prelque  réduit  en  les 
principes,  ôi  qui  tend  à  une  décompo- 
fition  parf lite  :  avec  le  temps  ces  pail- 
lettes iè  feroient  atténuées  &  divifées  au 
point  qu'elles  n'auroient  plus  eu  affez 
d'épailTeur  &  de  lurface  pour  réfléchir 
fa  lumière  ,  &  elles  auroient  acquis  toutes 
les  propriétés  des  gîailes  :  qu'on  regarde 
au  grand  jour  un  morceau  d'argile  ,  en 
y  apercevra  une  grande  quantité  de 
ces  pailleues  talc[ueuies,  qui  n'ont  pas 
encore enuèrement  perdu  leurforme.  Le 
fible  peut  donc  avec  le  temps  produire 
l'argile,  &  celle-ci  en  fedivifant  acquiert 
de  même  les  propriétés  d'un  véritable 
limon  ,  matière  vitrifiable  comme  l'argile 
à.  qui  efl  du  même  genre. 


Théorie  de  la   Terre,        :>  §  t 

Cette  théorie  eft:  conforme  à  çc  qui 
fê  palîe  tous  les  jour^  lous  nos  yeux  ; 
qu'on  Live  du  iable  iortant  de  fa  minière , 
i'eau  ie  chargera  d'une afTez  grande  quan- 
tité de  terre  noire  ,  dufliie ,  grafle ,  de 
l'eritable  argile.  Dans  les  villes  où  les 
rues  (ont  pavées  de  grès,  les  boues  font 
toujours  noires  &  trcs-grafies ,  &l  é^iÇé- 
chées  elles  forment  une  terre  de  la  même 
nature  que  l'argile.  Qu'on  détrempe  «Se 
qu'on  lave  de  même  de  l'argile  prile 
dans  un  terrein  où  il  n'y  a  ni  grès  ni 
cailloux,  ii  le  précipitera  toujours  au 
fond  de  l'eau  une  afîez  grande  quantité  '        * 

de  labîe  vitriliable. 

Mais  ce  qui  prouve  parfiitement  que  Q^ixkM  ^t^Jh, 
le  Hible,  &  même  le  caillou  &  le  verre,  a 

ex i (lent  dans  l'argile  &  n'y  font  que 
déguilés,  c'eft  que  le  feu  en  réunifiant 
les  parties  de  celle-ci,  que  l'aélion  de 
l'air  &:  des  autres  éiémens  avoit  peut- 
être  divifées,  lui  rend  fa  première  forme. 
Qu'on  mette  de  l'argiie  dans  un  four- 
neau de  réverbère  échauffé  au  degré 
de  la  calcination ,,  elle  le  couvrira  au 
dehors  d'un  émail  très-dur:  fi  à  l'intérieur 
elle  a'efl  pas  encoi^  vitrifiée,  elle  aura 


3^^  ////?^/V^  Naturelle, 
cependant  acquis  une  très-grande  duret<^, 
elle  réridera  à  la  lime  &  au  burin;  elle 
étjnceiera  fous  le  hiarteau  ,  elle  aura  enfin 
toutes  les  propriétés  du  caillou  ;  un  degré 
de  chaleur  de  plus  la  fera  couler  &.  la 
convertira  en  un  véritable  verre. 

L'ai-gile  &  le  ilible  font  donc  des  ma- 
tières parfiitement  analogues  &  du  même 
genre ,  ù  l'argile  en  fe  condenllint  peut 
devenir  du  caillou ,  du  verre ,  pourquoi 
îc  fahie  en  fe  divifint  ne  pourroit-il  pas 
devenir  de  l'argile  î  Le  verre  paroît  être 
ÉÉ  if^  J^  la  véritable  terre  élémentaire  ,  &  tous  les 
i    f*  ^nixtes  .un  verre  déguifé  ;  les  métaux ,  les 

r»*^^*^  ^'ininéraux  ,  les  fels ,  &c.  ne  font  qu  une 
terre  vitreilible  ;  la  })ierre  ordinaire,  les 
autres  matières  qui  lui  font  analogues  ,  &: 
-les  coquilles  des  teftacécs,  des  crufiacées, 
&c.  font  les  feules  fubflances  qu'aucun 
ao-ent  connu  n'a  pu  jufqu'à  pré fent  vitri- 
fier, &L  les  feules  qui  femblent  faire  une 
claffe  à  part.  Le  feu  en  réunifiant  les  par- 
ties divifées  des  premières ,  en  fait  une 
matière  homogène ,  dure  &  traiifparente 
^\\i\  certain  degré,  fans  aucune  diminu- 
tion de  pefanteur,  &  à  laquelle  il  n'eft 
plus  capable  de  cauler  aucune  altération; 


Théorie  de   h  Terre',       383' 

celles-ci  au  contraire,  dms  iefquelies  ii 
entre  une  plus  graïude  quantité  de  prin- 
cipes aélifs  &  volatils,  &  qui  fe  calcinent, 
perdent  au  feu  plus  du  tiers  de  leur  poids, 
&  reprennent  fiinplement  la  forme  de 
terre,  fans  autre  altéradon  que  la  de'funioii 
de  leurs  principes  :  ces  matières  excep- 
tées, qui  ne  font  pas  en  grand  nombre, 
&  dont  les  combinaifons  ne  produifent 
pas  .de  grandes  variétés  dans  la  Nature, 
toutes  .les  autres  fubftances,  &  particu- 
lièrement f  argile  ,  peuvent  être  conver- 
ties en  verre ,  &  ne  font  eflentiellement 
par  conféquent  qu'un  verre  décompofé. 
Si  le  feu  fiit  changer  promptement  de 
forme  à  ces  fubllances  ,  en  les  vitrifiant , 
fe  verre ,  lui-même  ,  l'oit  qu'il  ait  la  na- 
ture de  verre,  ou  bien  celle  de  lable  ou 
de  caillou ,  fe  change  naturellement  en 
argile,  mais  par  un  progrès  lep.t  &  in- 
fenfible. 

Dans  les  terreins  où  le  caillou  ordi- 
naire ed  la  pierre  dominante  ,  les  campa- 
gnes en  font  ordinairem.ent  jonchées;  &.  fi 
le  lieu  efl  inculte  &  que  ces  cailloux  aient 
été  long-temps  expofés  à  l'air  fans  avoir 
été  remués,  leur  fuperficie  fupérieure  efl 


384  Hijhire  Nûîurellc. 
toujours  très-blanche ,  tandis  que  le  coté 
oppofé  qui  touche  inimcdiatement  à  la 
terre  ,  ell:  rrès-brwn  &  conferve  la  cou- 
leur naturelle  :  fi  on  caffe  pluficurs  de  ces 
cailloux ,  on  r^connoîtra  que  la  blan- 
cheur n'eft  pas  feulement  au  dehors, 
mais  qu'elle  pénètre  dans  l'intérieur  plus 
ou  moins  profondément ,  &  y  forme  une 
efpèce  de  bande  qui  n'a  dans  de  certains 
cailloux  que  très-peu  d'épaiiîeur,  mais 
qui  dans  d'autres  occupe  pi-efque  toute 
celle  du  caillou  ;  cette  partie  blanche  efh. 
un  peu  grenue,  entièrement  opaque, 
aufli  tendra  que  la  pierre,  &  elle  s'attache 
à  la  langue  comme  les  bols,  tandis  que 
k  relie  du  caillou  efl:  ii/fe  &  poli ,  qu'il 
n^ani  fil  ni  grain,  &  cju'il  a  conferve  fa 
couleur  naturelle ,  fa  tranfparence  &  fà 
même  dureté;  fi  on  met  dans  un  four- 
neau ce  même  caillou  à  moitié  décom- 
pofé ,,  fli  partie  blanche  deviendra  d'un 
rouge  couleur  de  tuile ,  &  fa  partie  brune 
d'un  très-beau  blanc.  Qu'on  ne  dil'e 
point  avec  un  de  nos  plus  célèbres  Na- 
luraliftes,  que  ces  pierres  font  des  cail- 
loux imparfaits  de  difîerens  âges ,  qui 
n'ont  pas  encore  acquis  leur  perfedion  ; 

cax^ 


Théorie  de  la  Terre.      385 

cair  pourquoi  feroient-ils  tous  imparfaits  ^ 
pourquoi  le  feroient-iis  tous  du  même 
côtéjd:  ducôté  qui  eft  expofé  à  l'air  î  H 
111c  fembie  qu'il  ci\  aile  de  le  convaincre 
que  ce  (ont  au  contraire  des  cailloux 
alierés,  décompofés,  qui  tendent  à  re- 
prendre la  forme  &  les  propriétés  de 
i  argile  &  du  bol  dont  ils  ont  été  formés. 
Si  c'eil  conjedurer  que  de  raifonner 
ainfi ,  qu'on  expole  en  plein  air  le  caillou 
le  plus  caillou  (comme  parle  ce  fameux 
Naturalifte) ,  le  plus  dur  &  le  plus  noir, 
en  moins  d'une  année  il  changera  de 
couleur  à  la  (urfàce  ,  6l  fi  on  a  la  patience 
de  lliivre  cette  expérience,  on  lui  verra 
perdre  infenfiblement  &  par  degrés  fà 
dureté,  fa  tranlparence  &  les  autres  ca- 
radères  fpéciliques ,  &  approcher  de 
plus  en  plus  chaque  jour  de  la  nature 
de  l'argile. 

Ce  qui  arrive  au  caillou,  arrive  au 
ia])ie  ;  chaque  grain  de  iable  peut  être 
conlidéré  comme  un  petit  caillou  ,  & 
chaque  caillou  comme  un  amas  de  grains 
de  faille  extrêmement  fins  &  exadement 
engrenés.  L'exemple  du  premier  degré 
de  décompofuion  du  (able  iè  trouve 

Tome  L  R 


3  8  6        Hijloke  Nnrureik. 

dans  cette  poudre  brîllanie,  mais  opaque^  , 
micû ,  dont  nous  venons    de  parler,  &j 
dont   i'arglie  &  J'ardoife  font  toujours  ; 
parienîées;  ies  cailloux  entièrement  trani- 
parens ,  les  quart-^,  produiicnt,  en  fc  dé- 
compoiant,   des   talcs  gras  &  doux  au 
toucher,  auiîi  pétrifiables  &  ducn:iles  que 
}a  glaiie,  &  vitrifiabics  comme  eife ,  tels 
que  ceux  de  Venile  &  de  Molcovie;  & 
il  me  paroît   que  le  talc  eft   un  terme 
moyen  entre  le  verre  ou  le  caillou  trani- 
parent  &  l'argile ,  au  lieu  que  le  caillou 
grofiler  &  impur,  en  (e  décompodint, 
paUe  à  l'araile  ians  intermède. 

Notre  verre  faclice  éprouve  aufTi  la 
même  altération  ,  il  fe  décompoie  à  l'air - 
ÔL  ie  pourrit  en  quelque  façon  en  féjour- 
liant  dans  les  terres;  d'abord  là  fuper- 
fîcie  s"infe ,  s'écaille,  s'exfolie,  &  en  le 
nianianî  on  s'aperçoit  qu'il  s'en  détache 
des  paillettes  brillantes  ;  mais  lorique 
fa  décompofinon  efl  plus  avancée ,  il 
s'écrale  entre  les  doigts  &  fe  réduit  en 
})Oudre  talqueufe  très-blanche  &  très- 
line,  i'Art  a  même  imité  la  Nature  pour 
la  décompofition  du  verre  ôl  du  caillou, 
EJl  eùam    certa    melhodus  folius  aqiuv 


Tfieone  de  h  Terre,       387 

tommimis  opefd'ices  &  atenam  in  \quorem 
vifcofum ,  etnndtmque  in  fal  v'iride  c cuver- 
îendi ,  &"  hoc  in  okum  rubicundum ,  &c> 
Sûlius  igniî  éf  aquœ  ope  fpeciali  expert- 
mento  duriffimos  qitofque  lapïdts  in  mucorem 
rcfolvo,  qui  diftillatus  fubtilem fpiritum  ex- 
fûbct  â^  oleum  nidlïs  laudlbus  ptœdicabile. 
Voyez  Bêcher,   Phyf.  fubter. 

Nous  traiterons  ces  matières  encore 
plus  à  fond  dans  notre  difcours  fur  \qs 
iiiine'raiîx ,  &  nous  nous  contenterons 
d'ajouter  ici ,  que  les  différentes  couches 
qui  couvrent  le  giobe  terreflre,  étant 
encore  aclueiiement  ou  de  matières  que 
nous  pouvons  confidérer  comme  vitri- 
fiées, ou  de  matières  analogues  au  verre, 
qui  en  ont  les  propriétés  les  plus  eiïen- 
tielies,  &  qui  toutes  font  viirefcibles  ;  & 
que  d'ailleurs,  comme  il  efl:  évident  que 
de  la  décompofuion  du  caillou  &  du 
verre  qui  fe  f:\it  chaque  jour  fous  nos 
yeux  ,  il  réfulte  une  véritable  terre  argi- 
ieufe,  cen'efl  donc  pas  une  fuppofition 
précaire  ou  gratuite,  que  d'avancer, 
comme  je  l'ai  fait ,  que  les  glaifes ,  les 
argiles  &  les  fibîes  ont  été  formés  par 
ies   icories  &   les  écumes   vitrifiées  du 

Rij 


'388      Hipire  Naturelle. 

globe  terreilre  ,  fur  -  tout  lorfqu'on  y 
joim  les  preuves  a  priori ,  que  nous 
avons  données  p^our  faire  voir  qu'il  a 
été  dans  un  état  de  liquéflidion  caufée 
par  le  feu. 


PREUVES 

DE   LA 

THÉORIE  DE  LA  TERRE, 
ARTICLE   VIIL 

Sur  les  Coquilles  &  les  autres  pro- 
diiâwns  de  la  mer,  quon  trouve 
daiis  ï intérieur  de  la  terre. 

J'ai  fouvent  examiné  des  carrières  du 
haut  en  bas ,  dont  les  bancs  étoient 
rempi'is  de  coc[uiIles,  j'ai  vu  des  collines 
entières  qui  en  font  compofées,  à&s 
chaînes  de  rochers  qui  en  contiennent 
une  grande  quantité  dans  toute  leur 
étendue.  Le  volume  de  ces  produdions 


Théorie  Ae  h  Terre.      385? 

de  îa  mer  efl:  étonnant ,  &  ïe  nombre  de 
ces  dép  oui  lies  d'animaux  marins  eft  fi 
prodigieux ,  qu'il  n'eft  guère  poUlble 
d'imaginer  qu'iipuiiï'e  y  en  avoir  davan- 
tage dans  ia  mer  \  c'cft  en  confidcrant 
cette  multitude  innombrable  de  coquilles 
&  d'autres  productions  marines,  qu*on 
ne  peut  pas  douter  que  notre  terre 
n'ait  été  pendant  un  très-Iong-témps 
un  fon-d  de  mer  peuplé  d'autant  de 
coquilia  ges  que  l'eftaiflueiiement  l'océan: 
la  quantité  en  eft  immenfe,  &  naturel- 
iement  on  n'imagineroit  pas  qu'il  y  eût 
dans  la  mer  une  multitude  aufli  grande 
de  ces  animaux;  ce  n'eft  que  par  celle 
des  coquilles  fofîjles  &  pétrifiées ,  qu'on 
trouve  fur  la  terre ,  que  nous  pouvons 
en  avoir  une  idée.  En  effet,  il  ne  flmt- 
pas  croire ,  comme  fe  l'imaginent  tous 
îes  gens  qui  veulent  raifonner  fur  cela 
fans  avoir  rien  vu ,  qu'on  ne  trouve 
ces  coquilles  que  par  hafàrd,  qu'elles^ 
font  diiperfées  çà  &  là,  ou  tout  au 
plus  par  petits  tas ,  comme  des  co- 
cjuilles  d'huîtres  jetées  à  la  porte  ;  c'efl 
par  montagnes  qu'on  les  trouve,  c'eft 
par  bancs  de   1 00  6c   200  lieues  de 

R  iij 


3  p  o        Hiflotre    NdtiircJle, 

longueur;  c'cii:  par  collines  &  pap-pro- 
vinces  qu'ii  faut  les  toiier,  fouvent  dans 
une  L'paiffeur  de  5  $>  ou  60  pieds ,  &  c'efl 
d'après  ces  faits  qu'il  faut  raifonner. 

Nous  ne  pouvons  donner  fur  ce  fujet 
un  exemple  plus  frappant  que  celui  des 
coquilles  de  louraine;  voici  ce  qu'en  dit 
l'Hidorien  de  l'Académie,  année  i  y 2  o, 
page  j  &  fu'iv.  ce  Dans  tous  les  fièciès 
yy  aOez  peu  éclairés  &  a(iez  dépourvus 
D)  du  Q^éiXQ.  d'obfervation  &  de  recher- 
D5  cheb,  pour  croire  que  tout  ce  qu'on 
»  appelle  aujourd'hui  ^/Vr^^j-^^^^r/^i,  & 
53  les  coquillap-es  même  trouvés  dans  la 
:>^  terre ,  é  oient  des  jeux  de  la  Nature^ 
>3  ou  quelques  petits  accidens  particu- 
>D  liers  ;  le  ha'làrd  a  dii  mettre  au  jour  une 
53  intinité  de  ces  fortes  de  curiofités  que 
>:>  les  Philofophes  même,  fi  c'étoient  des 
y>  Philofophes ,  ne  regardoient  qu'avec 
25  une  furprife  ignorante  ou  une  légère 
a>  attention ,  &  tout  cela  périfToit  fans 
iD  auciui  fruit  pour  le  progrès  des  con- 
>>  noillances.  Un  Potier  de  terre  qui  ne 
i>  favoit  ni  latin  ni  grec,  fut  le  premier  (d) 

(d)  Je  ne  puis  m'empecher  d'obferver  que  fe 
femiment  de  Palifiy  a  voit  été  celui  des  Anciens  ; 


Théorie  de  la  Terre.      391 
v^^isk  fin  au  XVI /  ficcie  qui  oCi  dire  « 
dans   Paris,  &    à  la  face  de  tous  ies  « 
Dodeurs,    que  ies   coquilies  foilues  ce 
€toientde  véritables  coquilles  dépotées  ce 
autrefois  par  ia  mer  dans  les  lieux  ou  ce 
elles  fe  trouvoient  alors  ;  que  des  ani-  ce 
maux,  «&  fur-tout  des  poiHons ,  avoient  ce 
<ionné  aux  pierres  figurées  toutes  leurs  ce 
•<llfférentes  figures.    &c.    &  il   défia  ce 
hardiment     toute    i'écoie    d'AriUote  ce 
d'auaquer  fes  preuves;  c'elt  Bernard  ce 
PaliîTy ,    Saintongeois  ,    aulTi   grand  te 
Phyficien  que  laNature  feule  enpuiffe  ce 
former  un;  cependant  fon  fyftème  a  ce 
dormi  près  de   cent  ans,   &  le  nom  ce 
même   Je  l'auteur  eft  prefque   mort,  ce 
Enfin  ies    idées  de    Paiifly   fe   lont  ce 
réveillées   dans  lelprit    de    plufieurs  ce 
Savans  ,  elles  ont  fait  la  fortune  qu  elles  ce 
méritoient,  on  a  profité  de  toutes  les  ce 
coquilles,  de  toutes  les  pierres  figu-  ce 
récs  que  la  terre  a  fournies,  peut-être  ce 

Conchuks,  avenus,  huccinns ,  caknlos  varié  hfâos 
flrmrimfolo,  quibiijdam  eîiam  in  numtilms  repcrirt, 
cenum  f.gmm  maris  alluvione  evs  coopmos  locos  volunt 
HcroÂus,  Flato,  Simho  ,  Semcn  Temlhmm  . 
ry ardus,  Ovidim,  iX  aiii.  Vide  Daufqui ,   lerra 


39 2        Hifoire  Naturelle. 

»  (êufement  font-elles  devenues  aujour- 
>-  cl  hui  trop  commufîes  ,  &  les  confé- 
«  quences  qu'on  en  tire,  font  en  danger 
^'  cl  être  bientôt  trop  inconteftafcles. 
»  Maigre  cela,  ce  doit  être  encore  une 
»  chofe  étonnante  que  le  fujet  des  obfer- 
»  vations  préièntesde  M.  de  Reaumur 

«. . ne  malTe  de  130  millions  680  nulle 
='  toifes  citbiques, enfo.ne  fous  tejre,  qui 
>>  n  eifqu  unamasdecoquillesoudefcL 

-  n-.ens  de  coquilles,  uns  nul  mélan  ce  de 
«  matière  étrangère,  ni  pierre,  ni  t?rre, 

-  n,  labJe  ;  jamais  jufqu'à  préfent  les 
-'  coquilles  fofides  n'ont  paru  en  cette 
->  «îorme  quantité,  &  jamais ,  quoiqu'en 
=»  une  quantité  beaucoup  moinb're,  elle? 
»  n  ont  paru  iTans  mélange.  C'eft  en 
»  rourauie  que  fe  irouve  ce  prodigieux 
-  amas  à  plus  de  3  6  lieixs  de  la  mer-  on 
»  1  y  connoît.parce  queles  payions  de  ce 
«  canton  fe  fervent  de  ces  coquilles  qu'ils 

»  «!'-entde  terre,  comme  de  marne,  pour 
»  fen.I,ferlei,rs  campagnes,  qui  fans  cela 
''  (eroientabfolument  lîériles.  Nous  laif- 
"  ions  expliqueràM .  de  Reaumur,  com- 
»  ment  ce  moyen  alTez  particulier,  &  ea 
«  apparence aiTez  bizarre,  leur  ïcuffit; 


Théone  de  la  Terre:  '3  9  3^ 
nous  nous  renfermons  dans  ia  fmgii-  c< 
iarité  de  ce  grand  tas  de  coquilles.  ^c 

Ce  qu'on  tire  de  terre  ,  &  qui  ordi-  ce 
naireinent  n'y  eft  pas  à  plus  de  8  ou  9  ce 
pieds  de  profondeur,  ce  ne  font  que  ce 
d€  petits  fragmens  de  coquilles,  très-  ce 
reconnoifTabies  pour  en  être  des  frag-  ce 
jîiens;  car  ils  ont  les  cannelures  très-  ce 
bienmarquées,feulewient  ont-ils  perdu  ce 
leur  luifaAt&leur  vernis,  comme  prei-  ce 
que  tous  les  coquillages  qu'on  trouve  ce 
en  terre ,  qui  doivent  y  avoir  été  long-  ce 
te:nps  enfouis.  Les  plus  petits  fragmens  ce 
qui  ne  font  que  de  la  poufTière ,  font  ce 
encore  reconnoiffables  pour  être  des  ce 
fragmens   de   coquilles,  parce   qu'ils  ce 
Aoni  parfaitement  de  la  même  matière  ce 
que  les  autres,  quelquefois  il  le  trouve  ce 
de.  coquilles  entières.    On  reconnoît  ce 
les  efpèces  ,  tant  des  coquilles  enîiè;es  ce 
que  des  fragmens  un  peu  gros,  quel-  ce 
qaes-uncs  de  ces  efpèces  font  connues  ce 
furies  côtes  de  Poitou,  d'autres  appar-  ce 
tiennent  à  des  côtes  éloignées.  Il  y  a  ce 
iufqu'à  des fragmensdeplaniesmarines  ce 
pierreuies ,  telles  que  des  madrépores,  ce 

de>  champignons  de  mer,  ac  toute  « 


5p4        f^'îjîohe  Naturelle. 
»  cette  matière  s'appeile  dans  le  pays  du 
>3  falim. 

■y>  Le  canton  ,  qui ,  en  quelqu'endroit 
33  qu'on  le  fouille,  fournit  û\x falun ,  a 
■>:>  bien  neuf  lieues  carrées  de  furface. 
»  On  ne  perce  jamais  la  minière  de  fa- 
■»  lun  ou  falunière  au-delà  de  20  pieds  , 
33  M.  de  Reaumur  en  rapporte  les  rai- 
y>  (ons,  qui  ne  font  prilesque  de  la  corn- 
as modité  des  laboureurs  &  de  l'épargne 
33  des  frais;  ainfi  les  fiiunières  peuvent 
3D  avoir  une  profondeur  beaucoup  plus 
33  grande  que  celle  qu'on  leur  connoît  : 
33  cependant  nous  n'avons  fait  le  calcul 
33  des  I  30680000  toifes  cubiques,  que 
33  fur  le  pied  de  i  8  pieds  de  profondeur, 
-j3  <&  non  pas  de  20,  &  nous  n'avons 
33  mis  la  lieue  qu'à  2200  toifes  ;  tout  a 
33  donc  été  évalué  fort  bas,  &  peut-être 
33  l'amas  de  coqui  les  eft-il  de  beaucoup 
33  plus  grand  que  nous  ne  l'avons  pofé; 
33  qu'il  Ibit  il ulement  double ,  combien  la 
33  merveille  augmente-t-elle  î 
33  Dans  les  fiits  de  Phy  fique,  de  petites 
33  circonllances  que  la  plupart  des  gens 
33  ne  s'avii'eroient  pas  de  remarquer  , 
»  tirent  quelquefois  à  ccnléquence  & 


Théorie  de  la  Terre.  395 
donnent  des  lumières.  M.deReaumur  ce 
a  oblervé  que  tous  les  fVagmens  de  ce 
coquil  es  font  dans  leur  tas  pôles  tur  ce 
ie  plat  &.  horizontalement  ;  &  de-la  il  a  ce 
conclu  que  cette  infinité  de  fragmens  ne  ce 

font  pas  venus  de  ce  cftie  dans  le  tas  ce 
formé  d'abord  de  coquilles  entières,  les  ce 
fupérieuresauroient  par  leur  poids  bnle  ce 
les  inférieures,  car  de  cette  manière*!  « 
fe  feroit  ftit  des  écroule  mens  qui  au-  <e 
roient  donné  auxfragmens  une  inhniie  ce 

de  pofitions  différentes.  Il  fltut  que  la  ce 
mer  ait  apporté  dans  ce  lieu-là  toutes  ce 
ces  coquilles  ,  foit  entières,  foit  quel-  ce 
ques-unes  déjà  briiees,  &  comme  elle  ce 
les  apportoit  flottantes,   elles   etoient  ee 
pofées  fur  le  plat  &  horizontalement;  ce 
après  qu'elles  ont  été.  toutes  dépotées  ce 
nu  rendez-vous   commun,  l'extrême  ce 
lon^tieur  du  temps  en  aura  brifé   &  ce- 
prefque  calciné  la  plus  grande  partie  ce 
fins  déranger  leur  pofnion.  ^        «< 

Il  paroît  aiïez  par-là  qu'elles  n'ont  ce 
pu  être  apportées  que  fuccelli vement ,  c< 
&i  en  effet  comment  la  mer  voitureroit-  cc- 
el!e  totu-à- la-fois  une  fi  prodigleuie  ce 
cuantité  de  coquilles  ;    &  toutes  dan^  «c- 
^  R.   vi 


'39^        Hipolre  Naturelle. 
^^  une  pofïîion  horizoriîaîe  î  elles  ont  dû 
3>  i'aiïembler  dans  un  même  lieu  ,  &  par 
:»  conféquent  ce  IJeu  a  été  le  fond  d'un 
^^  golfe  ou  une  elpèce  de  baiïin. 
^^        Toutes  ces  réflexions  j)rouvent  que 
^>  quoiqu'il  ait  dû  refier,   &  qu'il  refte 
:>5  effedivement  fur  la  terre  beaucoup  de 
^>  vcdiges  du  déluge  univeriel  raj)porré 
^^  par  1  Ecriture  fiinte,  ce  n'efl  point  ce 
:>^  déhgQ  qui  a  produit  l'amas  des    co- 
»  quilles  de  Touraine ,  peut-être  n'y  en 
3>  a-t-il  d'aufli  grands  ainas  dans  aucun 
:>:>  endroit  du  fond  de  la  mer  ;  mais  enfin 
>^  ledeluge  ne  les  en  auroit  pas  arrachées , 
^'  &  s'il  l'avoit  fait ,  ç'auroit  été  avec  une 
^'  impétuofjîé  &  une  violence  qui  n'au- 
3>  roit  pas  permis  à  toutes  ces  coquilles 
^'  <J^^voir  une  même  pofuion  ;  éhs  ont 
^>  dû  être  apportées  &  dépofées  douce- 
^^  ment,   lentcuiem,  &  par  conféquent 
55  en   un    temps   beaucoup   plus  long 
^  qu'une  année. 

»  Il  fmt  donc,  ou  qu'avant,  ou  qu'a- 
3>  près  le  ûélugt  la  furflice  de  la  terre  ait 
55  été,  du  moins  en  quelques  endroits, 
»  bien  différemment  dilpofée  de  ce 
55  qu'elle  efi  aujourd'hui  j  que  ks  mers 


Théorie  âe  h  Terre.       ^^7 

Sl  îes  GontineiiS  y  aient  eu  un  autre  ce 
allongement ,  &  qu'enfin  il  y  ait  eu  un  «c 
grand  golfe  au  milieu  de  la  Touraine.  ce 
Les  changemens  qui  nous  font  connus  ce 
depuis  le  temps  des  hiiloires  ou  des  ce 
fiibksqui  ont  quelque  choie  d'hiftori-  ce 
€jue  ,  font  à  la  vérité  peu  conildérables ,  ce 
mais  ils  nous  donnent  lieu  d'imaginer  ce 
aifément  ceux  que  des  temps  plus  longs  ce 
pourroiem  amener.  M.  de  Reaumur  ce 
imnaine  comment  le  golfe  de  Tou-  ce 
raine  tenoit  à  l'océan,  &  quel  étoit  le  te 
courant  qui  y  charioit  les  coquilles,  ce 
mais  cen'ertquunefimpîeconjeaui-e  ce 
donnée  pour  tenir  lieu  du  véritable  fliit  <c 
inconnu  ,  qui  fera  toujours  quelque  ce 
chofe  d'approchant.  Pour  parler  liire-  «c 
ment  fur  cette  matière ,  il  taudroit  avoir  ce 
des  efpèces  de  cartes  géographiques  ce 
drefTées  félon  toutes  les  niiniè  esde  co-  ce 
quillages  enfouis  enterre;  quelle  quan-  ce 
tité  d'obfervaiions  ne  ftudrcit-i'  pas  ,  ce 
&  quel  temps  pour  les  avoir!  Qui  fait  ce 
cependant  filesSciencesn'iront  pas  im  ce 
jour  jufque  là,  du  moins  en  partie  !  3, 

Ceue    quantité    fi    confdérab'e     de 
coquilles  nous  étonaeia  m<^iiis    li   nous 


'598        H}j%ire  Naîiirelle. 

fiiifons  attention  à  quelques  circonflances 
qu'il  e(l  bon  de  ne  pas  omettre,  la  pre* 
inièreefi  que  les  coquillages  le  niuitipiient 
prodigleulement ,  <5c  qu'ils  croiilent  en 
fort  peu  de  temps,  l'abondance  d'indi- 
■vidus  dans  chaque  efpèce  prouve  leur 
fécondité  ,  ^n  a  un  exemple  de  cette 
grande  multiplication  dans  les  huîtres  : 
on  enlève  quelquefois  dans  un  feul  jour 
un  volume  de  ces  coquillages  de  plu- 
fieurs  toiles  de  groiïeur ,  on  diminue 
confidérablement  en  aflez  peu  de  temps 
ks  rochers  dont  on  les  fépare  ,  <Sc  il  femble 
qu'on  épuife  les  autres  endroits  où  on  les 
pêche  ;  cependant  l'année  iuivante  on  en 
retrouve  autant  qu'il  y  en  avoit  aupara- 
vant, on  ne  s'aperçoit  pas  que  la  quantité 
d'huîtres  foit  diminuée,  Ôc  je  ne  lâche 
pas  qu'on  ait  jamais  épuiié  les  endroits 
où  elles  viennent  naiurellement.  Une 
féconde  attention  qu'il  faut  faire,  c'efl 
que  les  coquilles  font  d'une  fubftance 
analogue  à  la  pierre ,  qu'elles  fe  con- 
fervent  trcs-lcng-temps  dans  les  matières 
molles  ,  qu'elles  le  pétrifient  aifément 
dans  les  matières  dures ,  &  que  ces  pro- 
ductions marines  ôl  ces  coquilles  que  nous 


Théorie  de  la  Terre.  399 
trouvons  fur  la  terre,  étant  les  dépouilles 
de  plufieurs  fiècles,  elles  ont  du  former 
un  volume  fort  confidérable. 

Il  y  a,  comme  l'on  voit,  une  prodi- 
o-ieufe  quantité  de  coquilles  bien  confer- 
Yées  dans  les  marbres,  dans  les  pierres  à 
chaux  ,  dans  les  craies  ,  dans  les  marnes, 
&LC.  on  les  trouve ,  comme  je  viens  de 
.  ie  dire  ,  par  collines  &  par  montagnes  , 
elles  font  fouvent  plus  de  la  moitié  du 
volume  des  matières  oi^i  elles  font  con- 
tenues ;  elles  paroifTent  la  plupart  bien 
confervées  d'autres  font  en  fragmens, 
mais  aflez  gros  pour  qu'on  puifle  recon- 
noître  à  l'œil  l'efpèce  de  coquille  à  la- 
quelle ces  fragment  appartiennent ,    & 
c'eft  là  où  fe  bornent  les  obfervations  & 
les  connoiiïances  que  l'infpe^ion  P^ut 
nous  donner.   Mais  je  vais  plus  loin,  je  ^A^^*— ^ 
prétends  que  les  coquilles  font  l'inter- >^,4;.j^<U/^ 
mède  que  la  Nature  emploie  pour  former  ^  /.^.^jC^ju 
h  plupart  des  pierres  ;  je  prétends  que      ^  j^ 
les  craies,  les  marnes  &  les  pierres  à  chaux  ^ 
ne  font  compofées  que  de  poufilèrc  &  de  f^  éu'Uy.^ 


détrimens  de  coquilles,  que  par  conte-  ^ 

quent  la  quantité  de  coquilles  dérruiies:^^  ^Ls.9^ 


^^  q^M*^ 


eft  encore  infiniment  plus  confidérable  ^J^  ^.^^-^ , 


'400       HiJIotre  Naturelle. 

que  celle  des  coquilles  confervées:  on 
verra  dans  le  difcours  fur  les  minéraux  les 
preuves  que  j'en  donnerai,  je  méconten- 
terai d'indiquer  ici  le  point  de  vue  fous 
iequel  il  faut  confide'rer  les  couches  dont 
le  globe  eflcompofé.  La  première  couche 
extérieure  eft  formée  du  limon  de  l'air, 
du  fédiment  des  pluies ,  des  rofées ,  <St 
des  parties  végétales  ou  animales ,  réduites 
en  particules  dans  le(quelies  l'ancienne 
organifation  n'eft  pas  fenfible;  les  couches 
intérieures  de  craie  ,  de  marne  ,  de  pierre 
à  chaux ,  de  marbre ,  font  compofées 
de  détriinens  de  coquilles  &  d'autres 
productions  marines ,  melccs  avec  des 
fr.îgînens  de  coquilles  ou  avec  des  co- 
quilles entières ,  mais  les  labiés  vitri- 
fiables  &  l'argile  (mil  les  matières  dont 
Irintérieur  du  globe  efl  compofé;  elles 
ont  été  vitrifiées  dans  le  temps  que  le 
globe  a  pris  la  forme ,  laquelle  luppole 
néceiïaircment  que  la  m.atière  a  é  é  toute 
en  fufion.  Le  granité  ,  le  roc  vif,  les 
cailloux  &  les  grès  e:i  grande  malle,  les 
ardoifes ,  les  charbons  de  terre  doivent 
leuï  origine  au  fible  &  à  l'argile ,  &  ils 
jfoat  aufil  diipofés  par  couches ,  mais  ka 


Théorie  de  la  Te  ire.       40  l 

tufs  ,  les  grès  &  les  cailloux  qui  ne  font 
pas  en  grande  mafîe,  les  criftaux  ,  les 
métaux ,  les  pyiLes ,  la  plupart  des 
minéraux ,  les  loufres ,  &c.  font  des 
matières  dent  la  formation  eit  nouvelle 
en  comparaifon  des  marbres,  des  pierres 
calcinables ,  des  craies ,  des  marnes ,  &. 
de  tomes  les  autres  m.atières  qui  font 
difpofées  par  couches  horizontales,  & 
qui  contiennent  des  cocjuiiles  &  d'autres 
débris  des  productions  de  la  mer. 

Comme  les  dénominations  dont  je 
viens  de  m^e  fervir  ,  pourroient  parcitre 
obfcures  ou  équivoques,  je  crois  qu'il  cfl 
néccfiairede  les  expliquer.  J'entends  par 
ie  moi  d'argile,  non-feulement  les  argiles 
blanches,  jaunes,  mais  aufîi  les  gbifes 
bleues ,  molles ,  dures,  feuilletées,  &c. 
que  je  regarde  comme  des  fcories  de 
verre,  ou  comme  du  verre  décompofé. 
Par  le  mot  de  fable ,  j'entends  toujours 
le  fable  vitrifiable  ,  &  non- feulement  je 
comprends  lous  cette  dénomination  le 
fable  fin  qui  produit  les  grès  &  que  je 
regarde  comme  de  la  pouiîière  de  verre, 
ou  plutôt  de  pierre  ponce,  mais  auffi  le 
fabie  qui  provient  du  grès  ufé  &  détruit 


40  2        HîJIoire  Naturelle, 

par  ic  froncment,  &.  encore  le  fable  gros 
coiDine  du  menu  gravier,  qui  provient 
du  granité  &  du  foc  vif,  qui  eil  aip^re  , 
anguleux,  rougeâtrc,  &  qu'on  trouve 
aflèz  communément  dans  le  lit  des  ruif- 
feaux  &  des  rivières  qui  tirent  imme'dia- 
tement  leurs  eaux  des  hautes  montapfnes, 
ou  de  collines  qui  fontcompoféesde  roc 
vif  ou  de  granité.  La  rivière  d'Armanfoii 
qui  paiïe  à  Sèmur  en  Auxois,  où  toutes 
îes  pierres  iont  de  roc  vif,  charie  une 
grande  quantité  de  ce  fable ,  qui  ell  oxos 
ÔL  fort  aigre  ;  il  efl  de  la  même  nature  que 
îe  roc  vif  ^  &  il  n'en  ed  en  eiiet  que  le 
débris  ,  comme  le  crravier  calcinable  n'efl 
que  le  d^ibris  de  la  pierre  de  taille  ou  dii 
moellon.  Au  refle ,  le  roc  vif  &  le  granité 
font  une  feule  &  même  fubftance ,  mais 
■j'ai  cru  devoir  employer  les  deux  déno- 
minations, parce  qu'il  y  a  bien  des  gens 
c[uî  en  font  deux  matières  différentes  : 
il  en  eft  de  même  des  cailloux  &  des  crrès 

o 

en  grande  malîe,  je  les  regarde  comme 
des  efpèces  de  rocs  vifs  ou  de  granités, 
&  je  les  appelle  cailloux  en  grande  maffe , 
parce  qu'ils  font  difpofés,  comme  la 
pierre  calcinable  ;  par  coucheS;  &  pour 


Théorie  de  la  Terre.        40  3 
îes  diftinguerdcs  cailloux  &  des  grès  que 
j'appelle  en  petites  majfes  ,  qui  ioiit  les 
cailloux  ronds  &  les  grès  que  l'on  trouve 
à  la  chajfe,  comme  difeiit   les  ouvriers , 
c'eft-à-dire  ,  les  c^rès  dont  les  bancs  n'ont 
pas  de  fuite  &  nelbrment  pas  de  ca-rières 
continues  &  qui  aient  une  certaine  éten- 
due ;  ces  o-rès  &  ces  cailloux  font  d'une 
formation  plus  nouvelle ,   &  n'ont  pas 
la  même  ori<,nne  que  les  cailloux  &  les 
grès  en  grande  mafîe ,  qui  font  difpofés 
par  couches.  J'entends  par  la  dénomina-     */>    1^ 
lion   à'ardoîfe ,   non-feulement   l'ardoife^6«^, 
bleue,  que  tout  le  monde  ccnnoît,  mais 
îes  ardoifes  blanches,   griiès,  rougeâtres 
&  tous  les  fchits;  ces  matières  fe  trouvent 
ordinairement    au-deflbus   de     l'argiie 
feuilletée,  &  femblent  n'être  en  eiïet  que 
de    l'araile,  dont  les  différentes  petites 
couches  ont  pris  corps  en  fe  deffçchant , 
cequiaproduitlesdélits  qui  s'y  trouvent. 
Le   charbon    de  terre,   la    houille,    le 
jais  font  des  matières  qui  appartiennent 
auiïi  à  i'arcrile,    &  qu'on   trouve  fous 
l'argile  feuilletée  ou   fous  l'ardoife.    Par 
le  mot  de  tuf,  j'entends  non-feulement 
k  tuf  ordinaire  qui  paroît  troué ,  6c  pou^ 


4^4       Hïfloire  Naturelle. 
ainfi  dire,  organifé,  mais  encore  toutes 
les  couches  de  pierres  qui  fe  font  faites  par 
Je  dépôt  des  eaux  courantes ,  toutes  ies 
Italadites,  toutes  les  incruftations,  toutes 
les  efpèces  de  pierres  fondantes;   il  n'eft 
pas  douteux  que  ces  matières  ne  foient 
nouvelles  &    qu  e  les  ne  prennent  tous 
les  jours  de  l'accroifTement.  Le  tuf  n'eft 
qu'un  amas  de  pierres  iapidifiques,  dans 
iefquellcs  on  n'aperçoit  aucune  couche 
diftinde  ;  cette  matière  eft  difpofée  ordi- 
k      ^^  nairement    en   petits   cylindres    creux , 
.  *>*  ^  irrégulièrement  grouppcs  &  forjyaés  par 
des  eaux  gouttières  au  pied  des  montagnes 
ou  lur  la  pente  des  collines  ,  qui  contien- 
nent des  lits  de  marne  ou  de  pierre  tendre 
&   calcinable;    la    mafTe  totale  de  cts 
cylindres,   qui  font  un    (\ç:s  caradères 
fpécifîques  de  cette  efpèce  de   tuf,  eft 
toujours  ou  oblique  ou  verticale,  félon 
ia  diredion  des  filets  d'eau  qui  les  forment  ; 
CCS   fortes   de   carrières  parafiîes    n'ont 
aucune  fuite,  leur  étendue  efl  très-bornée 
en  coinparaifon  des  carrières  ordinaires, 
&  e  le  eft  proportionnée  à  la  hauteur  des 
montagnes  qui  leur  fourniffent  la  matière 
de  leur  accroiiïèment.    Le  tuf  recevant 


Théorie  delà  Terre,      405' 

chaque  jour  de  nouveaux  iijcs  lapidi- 
fiques,  ces  peiites  colonnes  cylindriques 
qui  laifloient  entr'elles  beaucoup  d'in- 
tervalle ,  fe  confondent  à  la  fin ,  &:  avec 
le  temps ,  le  tout  devient  compade;  mais 
cette  matière  n'acquiert  jamais  la  dureté 
delà  pierre,  c'eft  alors  ce  qu'Agricola 
nommew^r^^  tofaceajijlulofa.  On  trouve 
ordinairement  dans  ce  tuf  quantité  d'im- 
prefîions  de  feuilles  d'arbres  &  de  plantes- 
de  l'efpèce  de  celles  que  le  terrein  des- 
environs  produit,  on  y  trouve  aufli  aflez 
fouvent  des  coquilles  terreftres  très-bien 
confervées ,  mais  jamais  de  coquilles  de 
mer.  Le  tuf  eft  donc  certainement  une 
matière  nouvelle,  qui  doit  être  mile  dans 
la  claffe  des  llaladites ,  des  pierres  fon- 
dantes, des  incrurtations,  &:c.  toutes  ces 
matières  nouvelles  font  des  efpèces  de 
pierres  parafites  qui  fe  forment  aux  de'- 
pens  des  autres ,  mais  qui  n'arrivent 
jamais  à  la  vraie  pétrification. 

Le  criltal ,  toutes  les  pierres  pré- 
cieules  ,  toutes  celles  qui  ont  une  figure 
régulière ,  mêrhe  les  cailloux  en  petites 
maffes  qui  font  formés  par  couches  con- 
centriques ,  foit  que  ces  fortes  de  pierres 


4o6  Hiflolre  I\dî!irelle: 
fe  trouvent  dans  les  fentes  perpendicu- 
laires des  rochers,  ou  par-tout  ailleurs, 
ne  font  que  des^exudations  des  cailloux 
en  crrande  malTe  ,  des  fucs  concrets  de 
ces  mêmes  matières ,  des  pierres  parafites 
nouvelles  ,  de  vraies  ftaiadites  de  caillou 
ou  de  roc  vif. 

On  ne  trouve  jam.ais  de  coquilles  ni 
dans  ie  roc  vif  ou  grani  e ,  ni  dans  le  grès, 
au  moins  je  n  y  en  ai  jamais  vu,  quoiqu'on 
en  trouve  ,  &  même  aflez  fouvent ,  dans 
ic  fable  vitriliabie  duquel  ces  matières 
tirent  leur  origine;  ce  qui  femble  prouver 
que  le  fable  ne  peut  s'unir  pour  former 
du  grès  ou  du  roc  vif,  que  quand  il  efl: 
]Uîr  ;  &  que  s'il  eft  mêlé  de  fubflances 
d'un  autre  genre  ,  comme  font  les  co- 
quilles, ce  mélange  de  parties  qui  lui 
font  hétérogènes,  en  empêche  la  réu- 
nion. J'ai  obfervé ,  dans  le  deffein  de 
m'en  ailurer,  ces  petites  pelotes  qui  fe 
forment  fouvent  dans  les  couches  de  fa- 
ble mêlé  de  coquilles  ,  &  je  n'y  ai  jamais 
trouvé  aucune  coquille,  ces  pelotes  font 
un  véritable  grès ,  ce  font  des  concré- 
tions qui  fe  forment  dans  le  fible  aux 
endroits  où  il  n'eft  pas  mêlé  de  matières 


Théorie  de  h  Terre,       407 

ïictc'roo-ènes  qui  s'oppoient  à  la  forma- 
tion des  bancs  ou  d'autres  mafîes  plus 
grandes  que  ces  pelotes. 

Nous  avons    dit    qu'on  a  trouvé   à 
Amilerdam  ,   qui  eft  un  pays   dont  le 
terrein  eft  fort  bas  ,  des  cocjuilles  de  nier 
à  I  00  pieds  de  profondeur  fous  terre ,  & 
à  Marly-la-vilîe  à  (ix  lieues  de  Paris ,  à 
7  )  pieds  :  on  en  trouve  de  même  au  fond 
des  mines  <&  dans  des  bancs  de  rochers 
au-defTous  d'une  hauteur  de  pierre  de  5  o, 
100  ,    200   <5c  jufqu'à  nfille  pieds  d'é-» 
paifTeur,  comme  il  eit  ailé  de  le  remar- 
quer dans  les  Alpes  &  dans  les  Pyrénées; 
il  n'y  a  qu'à  examiner  de  j)rès  les  rochers 
coupes  à  plomb,  &  on  voit  que  dans  les 
lits  inférieurs  il  y  a  des  coquilles  &  d'autres 
produéiions  mannes  :  mais  pour  aller  par 
ordre,  on  en  trouve  fur  les  montagnes 
d'Efpagne,   far  les   Pyrénées,    fur    les 
montaijrnes  de  France  ,  fur  celles  d'Ai>- 
gîeterre ,   dans  toutes   les    carrières   de 
marbre  en  Flandre,  dans  les  monta  ornes  de 
Gueldres,  dans  toutes  les  collines  autour 
de  Paris  ,    dans  toutes  celles  de  Bour- 
gogne &  de  Champagne , en  un  mot  dans 
tous  les  endroits  où  le  fond  du  terrein 


4o8       Hiflûîre  Naturelle. 

n'eR  pas  de  grès  ou  de  tuf;  <Sc  dans  îa 
plupart  des  lieux  dont  nous  venons  de 
parler,  ii  y  a  prefque  dans  toutes  les 
pierres  plus  de  coquilles  que  d'autres  ma- 
tières. J'entends  ici  par  coquilles,  non- 
leulement  les  dépouilles  dts  coquillages, 
mais  celles  des  cru  (lacées  ,  comme  tayes 
&  pointes  d'ourfin ,  &  aufîi  toutes  \t% 
productions  des  iniedtes  de  mer,  comme 
îes  madrépore  5 ,  les  coraux ,  les  aftroïtes , 
&c.  Je  puis  aflurer,  &:  on  s'en  convain- 
cra par  lès  yeux  quand  on  le  voudra , 
que  dans  la  plupart  des  pierres  calcinables 
&  des  marbres  il  y  a  une  fi  grande  quan- 
tité de  ces  productions  marines ,  qu'elles 
paroiiTent  turpaiïèr  en  volume  la  matière 
qui  les  réunit. 

Mais  fuivons;  on  trouve  ces  produc- 
tions marines  dans  les  Alpes ,  même  au- 
deflus  des  plus  hautes  montagnes ,  par 
exemple ,  au-defTus  du  mont  Cénis;  on 
en  trouve  dans  les  montagnes  de  Gènes^ 
dans  les  Apennins  &  dans  la  plupart  des 
carrières  de  pierre  ou  de  marbre  en  Italie. 
On  en  voit  dans  les  pierres  dont  font  bâtis 
les  plus  anciens  édifices  des  Romains, 
il  y  en  a  dans  les  montagnes  du  Tirol  & 

dani 


Théorie  de  la  Terre.       4^9 

dans  le  centre  de  l'Italie,  au  fommet  du 
mont  Paterne ,  près  de  Boulogne,  dans 
ies  mêmes  endroits  qui  produilent  cette 
pierre  lumineule  qu'on  appelle  h  pierre 
de  Boulogne;  on  en  trouve  dans  des 
collines  de  la  Fouille ,  dans  celles  de  la 
Calabre  ,  en  plufieurs  endroits  de  l'Alle- 
magne &  de  la  Hongrie,  &  généralement 
dans  tous  les  lieux  élevés  de  l'Europe. 
Voy.  fur  cela  Stenon,  Ray,  Woodward,  &€» 
En  A  fie  &  en  Afrique  ,  les  voyageurs 
en  ont  remarqué  en  plufieurs  endroits , 
par  exemple,  fur  la  montagne  de  Caftra- 
van  au-deiïus  de  Barut  il  y  a  un  lit  de 
pierre  blanche,  mince  comme  de  l'ar- 
doife ,  dont  chaque  feuille  contient  un 
grand  nombre  &  une  grande  diverfité  de 
poirfons,  ils  font  la  plupart  fort  plats 
&  fort  comprimés ,  comme  efl:  la  fougère 
ibfîile,  &  ils  font  cependant  fi  bien  con- 
lervés ,  qu'on  y  remarque  parfaitement 
jufqu'aux  moindres  traits  àç.s  nageoires, 
des  écailles  <Sc  de  toutes  les  parties  qui 
diftinguent  chaque  efpèce  de  poifTon. 
On  trouve  de  même  beaucoup  d'ourfns 
de  mer  &  de  coquilles  pétrifiées  entre 
Suez  &  le  Caire  ,  &  fur  toutes  ies  collines 
ToiM  L  S 


4TÔ      Hifloire  Naturelle. 

&  les  hauteurs  de  la  Barbarie,  la  plupart 
font  exadement  conformes  aux  elpèces 
qu'on  prend  aduellement  dans  la  'mer 
rouge.  Voye-7^  les  voyages  de  Shaw,  volume 
/^^  pdges  y  0  &  S j..  Dans  notre  Eu- 
rope ,  on  trouve  des  poiffons  pétrifiés  en 
Suille,  en  Allemagne,  dans  la  carrière 
d'Onincrcn,   &c. 

La  longue  chaîne  de  montagnes,  dit 
'.  /M.  Bourguet,  qui  s'étend  d'occident  en 
'^(4^**-**î orient ,  depuis  le  fond  du  Portugal  ju(- 
qu'aux  parties  les  plus  orientales  de  la 
Chine,  celles  qui  s'étendent  collatérale- 
ment  du  côté  du  nord  &  du  midi,  les 
montagnes  d'Afrique  &  d'Amérique  qui 
nous  ibnt  connues,  les  vallées  &  les 
plaines  de  l'Europe,  renferment  toutes 
des  couches  de  terre  &  de  pierres  qui 
font  remplies  de  coquillages ,  &  de-là 
on  peut  conclure  pour  les  autres  parties 
du  inonde  qui  nous  font  inconnues. 

Les  îles  de  l'Europe  ,  celles  de  f  Afie 
&  de  l'Amérique  où  les  Européens  ont 
eu  occafion  de  creuier,  foit  dans  les 
montagnes ,  foit  dans  les  plaines ,  four- 
niflent  aufFi  des  coquilles,  ce  qui  fait 
voir  qu'elles  ont  cela  de  commun  avec 


Tliéone  de  la  Terre,  '41  fl 
îes  coiitiiiens  qui  les  avoilliieut.  Vvyet 
Lettres  phïlofoph,  fur  la  formation  des  fis  , 
page  2  0  j. 

En  voilà  afîez  pour  prouver  qu'en 
effet  on  trouve  des  coquilles  de  mer ,  des 
poilToiis  pétrifiés  &  d'autres  productions 
marines  prefque  dans  tous  le:»  lieux  où 
on  a  voulu  les  chercher  ,  &  qu'elle:,  y  font 
en  prodigieule  quantité. 

ce  II  eit  vrai,  dit  un  auteur  Anglois, 
/  Tancred  RobmfonJ  qu'il  y  a  eu  quel-  c< 
ques  coquilles  de  mer  diiperfées  çà  ai  ce 
ià  fur  la  lerre  par  les  armées ,  par  les  ce 
habitans  des  villes  &  des  vill  ges,  &  ce 
que  la  Loubère  rapporte  d  ns  Ton  ce 
voyage  de  Siam  ,  que  les  finges  au  cap  ce 
de  Bonne-efp  rance  s'amulènt  conti-  ce 
nueliement  à  tranlporter  des  coquilles  ce 
du  rivage  de  la  merau-defîus  des  mon-  ce 
tagne.s ,  mais  cela  ne  peut  pas  réfoudre  ce 
la  queilion  pourquoi  ces  coquilles  font  ce 
difperfées  dans  tous  les  climats  de  la  ce 
terre,  &  jufque  dans  l'intérieur  des  plus  ce 
hautes  montagnes ,  où  elles  font  pofées  ce 
parfit ,  comme  elles  le  font  dans  le  fond  ce 
de  la  mer  ^^. 

En  lifaat  une  lettre  Italienne  fur  les 

Si; 


4î2        Hîpoire  Naturelle: 

changcmens  arrivés  au  g'obe  terreflre, 
imprimée  à  Paris  cette  année  (1746), 
je  m'attcndois  à  y  trouver  ce  fait  rap- 
porté par  la  Loubère  ,  il  s'accorde  par- 
faitement avec  les  idées  de  l'auteur  :  les 
poilîons  pétrifiés  ne  font ,  à  fon  avis , 
que  des  poilTons  rares  ,  rejetés  de  la  table 
des  Romains ,  parce  qu'ils  n'étoient  pas 
frais  ;  &  à  l'égard  des  coquilles ,  ce  font, 
dit-il ,  les  pèlerins  de  Syrie  qui  ont  rap- 
porté dans  le  temps  des  croifades  celles 
des  mers  du  Levant  qu'on  trouve  aduel- 
lement  pétrifiées  en  France,  en  Italie, 
&  dans  les  autres  États  de  la  chrétienté  ; 
pourquoi  n'a-t-il  pas  ajouté  que  ce  font 
ies  fmgcs  qui  ont  tranlporté  les  coquilles 
au  fommet  des  hautes  montagnes  &.  dans 
tous  les  lieux  où  les  hommes  ne  peuvent 
habiter!  cela  n'eût  rien  gâté  &  eût  rendu 
fon  explication  encore  plus  vraifem- 
blable.  Comment  fe  peut-il  que  des 
perfonnes  éclairées  &  qui  fe  piquent 
înême  de  phiiofophie,  aient  encore  des 
Idées  aulTi  fauffes  fur  ce  fujet  !  Nous  ne 
BOUS  contenterons  donc  pas  d'avoir  dit 
qu'on  trouve  des  coquilles  pétrifiées  dans 
prefque  tous  les  endroits  de  la  terre  où 


Théorie  de  la  Terre.        4  î  3 

Ton  a  fouillé,  &  d'avoir  rapporté  les 
témoignages  des  auteurs  d'Hiftoire  Na- 
turelle ;  comme  on  pourroit  les  loup- 
çonner  d'apercevoir,  en  vue  de  quelques 
fyllèmes ,  des  coquilles  où  il  n'y  en  a 
point ,  nous  croyons  devoir  encore  citer 
les  Voyageurs  qui  en  ont  remarqué  par 
hafar  J ,  &  dont  les  yeux  moins  exercés 
n'ont  pu  reconnoître  que  les  coquilles 
entières  &  bien  confervées;  leur  témoi- 
gnage fera  peut-être  d'une  plus  grande 
autorité  auprès  des  gens  qui  ne  font  pas 
à  portée  de  s'afîurer  par  eux-mêmes  de 
îa  vérité  des  faits ,  &  de  ceux  qui  ne  con- 
noilTent  ni  les  coquilles  ni  les  pétrifica- 
tions, &  qui  n'étant  pas  en  état  d'en  faiie 
la  comparaiibn ,  pourroient  douter  que 
ies  pétrifications  fuflent  en  effet  de  vraies 
coquilles,  &  que  ces  coquilles  fe  trou- 
valTent  entaffées  par  millions  dans  tous  les 
climats  de  la  terre. 

Tout  le  monde  peut  voir  par  (es  yeux 
les  bancs  de  coquilles  qui  font  dans  les 
collines  des  environs  de  Paris ,  fur-tout 
dans  les  carrières  de  pierre,  comme  à  la 
Chauffée  près  de  Sève,  à  Iffy,  à  Paffy  6t 
ailleurs.  On  trouve  à  Yilleïs-cotterêt^ 

S  iij 


414  Hifloire  Naturelle. 
une  grande  quantité  de  pierres  lenticu- 
laires, ies  rochers  en  font  même  entière- 
ment formés ,  &  eîlcs  y  font  mêlées  fans 
aucun  ordre  avec  une  efpèce  de  mortier 
^pierreux  qui  les  tient  toutes  liées  en- 
fèmble.  A  Chaumont  on  trouve  une  fi 
grande  quantité  de  coquilles  pétrifiées, 
que  toutes  ies  collines  qui  ne  laiflent  pas 
d'être  aiïez  élevées  ,  ne  paroiflent  être 
compoiees  d'autre  chofe;  il  en  efl:  de 
même  à  Courlrgncn  près  de  Reims, 
où  le  banc  de  coquilles  a  près  de  quatre 
lieues  de  largeur  fur  plufieurs  de  lon- 
gueur. Je  cite  ces  endroits ,  parce  qu'ils 
font  ftmeux ,  &  que  les  coc|uiiles  y  frap- 
pent les  yeux  de  tout  le  monde. 

A  l'égard  des  pays  étrangers ,  voici  ce 
que  les  Voyageurs  ont  obiervé. 

ce  En  Syrie,  en  Phénicie,  la  pierre  vive 
55  qui  fert  de  bafe  aux  rochers  du  voifi- 
53  naoe  de  Latikea,  efl  furmontée  d'une 
•>:>  eipèce  de  craie  molle,  &  c'eft  peut- 
D>  être  de-Ià  que  la  ville  a  pris  fon  nom  de 
53  Promontoire -blûnc .  La  Nakoura,  nom-. 
33  mée  anciennement  Scala  Tyriormn,  ou 
53  \  Échelle  des  7 y  riens ,  efl  à  peu  près 
>3  de  la  même  nature ,  &  l'on  y  trouve 


Théorie  de  '  h  Terre.       4 1  j 

encore  ,  en  y  creulunt ,  quantité  de  ce 
toutes  fortes  de  coraux  ,  de  coquilles.  3> 
Voye7^  les  Voyages  de  Shmv. 

ce  On  ne  trouve  fur  le  mont  Sinaï  que 
peu  de  coquilles  foffiles  &  d'autres  ce 
leinbîables  marques  du  déluge,  à  moins  c^ 
qu'on  ne  veuille  mettre  de  ce  nombre  c« 
k  Tamarin  fofîile  des  montap^nes  voi-  ce 
iines  de  5inai,  peut-être  que  la  matière  ce 
première  dont  leurs  marbres  Te  font  ce 
formés ,  a  voit  une  vertu  corrofive  &:  ce 
peu  propre  à  les  conferver  ;  mais  à  Co-  ce 
iondei ,  où  le  roc  approche  davantage  ce 
de  la  nature  de  nos  pierres  de  taille  ,  je  ce 
trouvai  piufieurs  coquilles  de  moules  ce 
&  quelques  pétoncles,  comme  aulîi  ce 
un  hérilîon  de  mer  fort  fnigulier ,  de  ce 
i'efpèce  de  ceux  qu'on  appel iej|^^/^7^7^  ce 
mais  plus  rond  &  plus  uni  ;  les  ruines  ce 
du  petit  village  d'Ain  el  Moufa,  &  ce 
piufieurs  canaux  qui  fervoient  à  y  con-  ce 
duire  dei'eau^  fourniflent  des  coquil-  ce 
lagesfofîiles.  Les  vieux  murs  de  Suez  ce 
&  ce  qui  nous  rede  encore  de  fon  an-  ce 
cien  port  ont  été  conftruits  des  mêmes  ce 
matériaux  qui  lemblent  tous  avoir  été  ce 
tirés  d'un  même  endroit.  Entre  Suez  &  c« 

S  iiij 


4  î  6  Hïflotre  Naturelle, 
»  le  Caire,  ainfi  que  fur  toutes  les  moi>- 
D5  tagnes ,  hauteurs  &  collines  de  la  Lybie 
3>  qui  ne  font  pas  couvertes  de  fiible  ,  on 
:»  trouve  grande  quantité  d'hériiïons  de 
33  mer ,  comme  aufîi  des  coquilles  bi- 
3>  valves  &  de  celles  qui  fe  terminent  en 
33  pointe  ,  dont  ia  plupart  font  exade- 
35  ment  conformes  aux  efpèces  qu'on 
33  prend  encore  aujourd'hui  dans  la  mer 
X)  rouge.  Idem ,  tome  II,  page  S ^.  Les 
33  labiés  mouvans  qui  font  dans  le  voi- 
33  finage  de  Ras  Sem  dans  le  royaume 
33  de  Barca,  couvrent  beaucoup  de  pal- 
»  miers  d'hériffons  de  mer  &:  d'autres  pé- 
33  trifications  que  l'on  y  trouve  commu- 
•»  nément  lans  cela.  Ras  Sem  fignifie  la 
33  tête  du  poifTon  &  efl:  ce  qu'on  appelle 
33  le  village  pétrifié ,  où  l'on  prétend  qu'on 
33  trouve  des  hommiCs,  des  femmes  6c 
3>  des  enfms  en  diverfes  poflurei»  &  atti- 
33  tu  des  ,  qui  avec  leur  bétail  ^  leurs  ali- 
33  mens ,  leurs  meubles  ont  été  convertis 
33  en  pierre  ;  mais  à  la  rélerve  de  ces  fortes 
35  de  monumens  du  déluo-e,  dont  il  ell: 
»  ici  quedion  ,  &  qui  ne  font  pas  parti- 
33  culiers  en  cet  endroit ,  tout  ce  qu'on  en 
3?  ditp  font  de  vains  contes  d  fable  toute 


Théorie  Je  ïd  Terre.       417 
pure,  ainfi  que  je  i'ai  appris  non-feu-  ce 
lenient  par  M.  ie  Maire,  qui  dans  Je  ce 
temps  qu'il  étoit  Conful  à  Tripoli  y  ce 
envoya  plufieurs  perlbnnes  pour  en  ce 
prendre  connoiflance ,  mais  auffi  par  ce 
des  gens  graves,  de  beaucoup  d'efprit,  ce 
qui  ont  été  eux-mêmes  fur  les  lieux,     ce 
On  trouve  devant  les  pyramides  cer-  ce 
tains  morceaux  de  pierres  taillées  par  ce 
îe   cifeau  de  l'ouvrier,  &  parmi  ces  ce 
pierres  on  voit  des  rognures  qui  ont  ce 
la  figure   ôc  la  grofleur  de  lentilles ,  ce 
quelques-unes  même  reflemblent  à  des  ce 
grains  d'orge   à  moitié  pelés  ;   or  on  ce 
prétend  que  ce  font  des  reRes  dt  cq  ce 
que  les   ouvriers  mangeoient,   qui  le  c< 
font  pétrifiés  ,  ce  qui  ne  me  paroît  pas  ce 
vraifemblahle ,    &c.    >^  Idem.  Ces  len- 
tilles &  ces  grains  d'orge  font  des  pétri- 
fications de  coquilles  connues  par  tous 
ks   Naturaliftes   tous  le  nom   de  piem 

lentîculûire. 

«  On  trouve  diverfes  fortes  de  ces 
coquillages  dont  nous  avons  parlé,  aux  ce 
€nvirons°de  Maftrcicht,  fur-tout  vers  ce 
îe  vilbge  de  Zichenou  Ticlicn  ,  &  à  et 
la  petite  montagne  appelée  des  Huns*  cf 

S    T 


4  ï  8        Hïfloire  Naturelle. 

Voye^  le  voyage  de  Aliffon  ,  tome  IIJ], 
page  I  op. 

ce  Aux  environs^de  Sienne  je  n'ai  pas 
53  manqué  de  trouver  auprès  de  Ceraldo, 
55  félon  l'avis  que  vous  m'en  avez  donné  , 
>»  plufieurs  montagnes  de  fable  toutes 
33  farcies  de  diver(es  coquilles.  Le  Monter 
D3  mariô ,  à  un  mille  de  Rome,  en  eft 
33  tout  rempli  ;  j'en  ai  remarqué  dans  les 
33  Alpes  ,  j'en  ai  vu  en  France  &  ailleurs». 
33  Glé.irius,  Stenon  ,  Cambden,  Speed 
33  &  (juantité  d'autres  Auteurs  tant  an- 
■x>  ciens  que  modernes ,  nous  rapportent 
îe  même  phénomène.  3^  Idem ,  tome  II, 
page   ^12. 

35  L'île  de  Gerigo  étoit  ancienne- 
33  ment  appelée  Porphyr'is,  à  caufe  de  la 
quantité  de  porphyre  qui  s'en  tiroit.  33 
Voyage  de  Thevemî ,  tome  J ,  page  ^y. 
Or  on  fait  que  le  porphyre  ed  compofé 
de  pointes  d'ourfin  réunies  par  un  ci- 
irrent  pierreux  &  très-dur. 

«  Vis-à-vis  le  village  d'Inchené  &  fur 
>3  îe  bord  oriental  du  Nil,  je  trouvai  des 
>3  plantes  pétrifiées  qui  croilTent  natureî- 
>3  iement  dans  un  elpace  de  terre  qui  a 
^  environ  deux  ikuçs  de  longueur  fur  une 


Théorie  de  la  Terre.       419 

krccuf  très-mediocie,  c'eft  «'«  P™-  « 
dudiondes  plus  finguiières  de  h  Na-  « 
ture;  ces  plantes  relfemblent  alTez  au  « 
corail  blanc  qu'on  trouve  dans  la  mer  « 
rouge.  »  Voyage  de  Paul  Lucas ,  tome  11, 

pages  ^  8  0  Ù"  S^  '•  ,  •■        i„o 

ce  On  trouve  fur  le  mont  Lioan  des 
pétrifications  de  plufieurs  elpèces,  &  « 
entr'autres  des  pierres  plates  ou  ion  « 
trouve  desfqueiettes  de  poilTons  bien  « 
confervés  &  bien  entiers  ,&  auffi  des  « 
châtaignes  de  la  mer  rouge  avec  ^des  « 
petits  biiiflons  de  corail  de  la  même  ce 
mer.»  Idem,  tome  l II,  page  326.    ■ 
«  Sur  le  mont-Carmel,  nous  trou- 
vâmes grande  quantitéde  pierres  qui,  « 
à  ce  qu'on  prétend  ,  ontlafigured  o-  « 
lives/de  melons,  de  pêcbes&  d  autres  « 
fruits,   que  l'on  vend  d'ordinaire  aux  « 
pèlerins  ,  non-feulement  comme  de  « 
fimples  curiofués,  mais  auff.  conmie  « 
des  remèdes  comre  divers  maux.  Les  « 
olives  qui  font  les  lapides  Juddici  qu  on  ce 
trouve  dans  les  bouticpes  des  L-ro-  ce 
pu'ftes,   ont  toujours  été   regardées  ce 
comme  un  fpécificiue  pour  la  pierre  &  ce. 
la  caravelle.  «  Vojage  de  Slum^,  tome  U, 
"^  S    vj 


42a        Hîjlolré  Naîiireïïe. 

page  yo.  Ces  lapides  Juddicï  font  des 
pointes  d'ourfins. 

ce  M  ►la  Roche,iMédecin,  me  donna 
y>  de  ces  olives  pétrifiées  ,  dites  lapis  Ju» 
y*  ddicus,  qui  croifient  en  quantité  dans 
:»  ces  montagnes ,  où  l'on  trouve ,  à  ce 
33  qu'on  m'a  dit,  d'autres  pierres  qui 
33  repréfentent  parfaitement  au  dedans 
des  natures  d'hommes  &  de  femmes.  » 
Voyage  de  Ad^oncoî^ys  ,  première  parties, 
pnge  ^  ^4.  Ceci  ell  riiyftero  lit  lies* 

ce  Y^w  allant  de  Smirne  àTauris,  iorf- 
35  que  nous  fumes  à  Tocat ,  les  chaleurs 
>3  étant  fort  grandes ,  nous  laiiTames 
33  le  chemin  ordinaire  du  côté  du  nord , 
33  pour  prendre  par  les  montagnes  où  ii 
:»  y  a  toujours  de  l'ombrage  &  de  la  fraî- 
33  cheur.  En  bien  des  endroits  nous 
33  trouvâmes  de  la  neige  &  quantité  de 
33  très- belle  ofeilie  ;  &  lur  le  haut  de 
33  quelques-unes  de  ces  montagnes  on 
33  trouve  des  coquilles  comme  fur  le  bord 
33  de  la  mer ,  ce  qui  eft  aflez  extraordi- 
naire. 33   Tavernier, 

Voici  ce  que  dit  Olearius  au  fujetdes 
coquilles  pétrifiées  qu'il  a  remarquées  en 
Vttiï&  &  dans  les  rochers  des  montagacs 


Tkme  de  ta  Terre,       ^^i 
où  font  tail'és  les  fépulcres ,  près  dii 
village  de  Pyrmaraiis. 

ce  Nous  fumes  trois  qui  montâmes 
jufque  fur  le  haut  du  roc  par  des  préci-  ce 
picesefFroyabies,  nous  entr'aidant  les  ce 
uns  les  autres;  nous  y  trouvâmes  quatre  ce 
grandes  chambres ,  &  au  dedans  plu-  c< 
lieurs  niches  taillées  dans  le  roc  pour  « 
fervir  de  lit  ;  mais  ce  qui  nous  iurpnt  ce 
k  plus ,  ce  fut  cjue  nous  trouvâmes  ce 
dans  cette  voûte  fur  le  haut  de  la  mon-  c< 
tagne ,  des  coquilles  de  moules  ,  &  en  ce 
quelques  endroiis  en  fi  grande  quan-  c< 
tité ,  qu'il  lembloit  que  toute  cette  ce 
roche  ne  fCit  compolee  que  de  fab'e  &  c« 
de  coquilles.  En  revenant  de  Perfe,  ce 
nous  vîmes  le  long  de  la  mtr  Cafpie  ce 
plu  fleurs  de  ces    montagnes    de  co-  c« 

quilles.  »  .    .       j^a 

Je  pourrois  joindre  a  ce  qui  vient  d  erre 
rapporté,  beaucoup  d'autres  citations, 
que  je  fupprime ,  pour  ne  pas  ennuyer 
ceux  qui  n'ont  pas  befoin  de  preuves 
furabondantes ,  &  qui  fe  font  aflurés , 
comme  moi ,  par  leurs  yeux  ,  de  l'exif- 
tence  de  ces  coquilles  dans  tous  les  lieux 
©ù  on  a  voulu  les  chercher. 


42  2        Hîjïaire   Natureïïe.-      , 

On  trouve  en  France,  non- feulement 
ies  coquilles  de  nos  côtes,  niais  encore 
à^^  coquilles  c[u'oi>  n'a  jamais  vues  dans 
nos  mers.  Il  y  a  même  des  Naturalilles 
qui  prétendent  que  la  quantité  de  ces 
coquilles  étrangères  pétrifiées  ,  eft  beau- 
coup plus  grande,  que  celles  des  coquilles 
de  notre  climat,  mais  je  crois  cette 
opinion  mial  fondée;  car  indépendam- 
ment des  coquillages  c|ui  habitent  le 
fond  de  la  mer  &  de  ceux  qui  font  diffi^ 
ciles  à  pêcher,  &  que  par  conléquent 
on  peut  regarder  comme  inconnus  ou 
même  étrangers,  quoiqu'ils  paillent  être 
nés  dans  nos  mers ,  je  vois  en  gros  qu'en 
comparant  les  pétrifications  avec  les  ana- 
logues vivans  ,  il  y  en  a  plus  de  nos  côtes 
que  d'autres;  par  exemple,  tous  les 
peignes  ,  la  plupart  à^s  pétoncles  ,  les 
moules ,  les  huîtres  ,  les  glands  de  mer, 
la  plupart  des  buccins,  ies  oreilles  de 
nier,  les  patelles,  les  coeurs  de  bœuf,  les 
nautilles  ,  les  ourfins  à  gros  tubercules  &: 
à  grolles  pointes ,  les  ourfins  châtaignes 
de  mer ,  les  étoiles ,  les  dentales ,  les 
tubuliies  ,  les  adroites  ,  les  cervaux  ,  les 
coraux,    les    madrépores ,  &c.    qu'on 


Théorie  de  la  Terre.    •    42  j 
trouve  pétrifiés  en  tant  d'endroits,  font 
GCitainenient  des    produdions    de   nos 
mers;   &  quoiqu'on  trouve  en  grande 
quantité  les  cornes  d'amnion,  les  pierres 
îenticuiaires ,    les  pierres  judaïques;   ies 
coiumnites,    les    vertèbres    de    grandes- 
étoiles  &  plufîeurs  autres  pétrincauons, 
comme  les  grolTes  vis,  le  buccin  appelé 
abajour,  les  labots,  &c.  dont  l'analogue 
vivant  eO:  étranger  ou  inconnu ,  je  luis 
convaincu  par  mes  obiervations ,  que  le 
nombre  de  ces  efpèceseft  petit  en  com- 
paraifon  de  celui  des  coquilles  pétrifiées 
de  nos  côtes  ;   d'ailleurs ,  ce  qui  fiût  le 
fond  de  nos  marbres  &  de  preique  toutes 
nos  pierres  à  chaux  &  à  bâtir ,  iont  des 
madrépores,  des  adroites  ,  &   toutes  ces 
autres  produdions  formées  par    les  in- 
fectes de  la  mer  &  qu'on  appeloit  autre- 
fois  plantes  warlnes  ;  les  coquilles ,  qud-* 
que  abondantes  qu'elles  foient ,  ne  font 
qu'un  petit  volume  en  comparaiton  de 
ces  produdions ,  qui  toutes  font  origi-- 
naires  de   nos    mers  ,  &  fur-tout  de  ia 
méditerranée. 

La  mer  rouge  eft  de  toutes  les  mers 
edk  qui  produit  le  plus  abondamment 


4^4  Htjloîre  NaîiireUe, 
des  coraux ,  des  madrépores  &  des  plantes 
marines  ;  il  n'y  a  peut-être  point  d'en- 
droit qui  ea  fburr>ifle  une  plus  grande 
variété  que  le  port  de  Tor;  dans  un 
temps  calme  il  le  prélente  aux  yeux  une 
fi  grande  quantité  de  ces  plantes,  que  le 
fond  de  la  mer,  refTemble  à  une  forêt,  il 
y  a  dti  madrépores  branchus  qui  ont 
jufqu'à  8  &  I  G  pieds  de  hauteur  :  on  en 
trouve  beaucoup  dans  la  mer  niéditer- 
ranée ,  à  Marfeille  ,  près  des  côtes  d'Italie 
&  de  Sicile  :  il  y  en  a  aufTi  en  quantité 
dans  la  plupart  de^  golfes  de  l'océan  , 
autour  des  îles,  fur  les  bancs,  dans  tous 
les  climats  tempérés  où  la  mer  n'a  qu'une 
profondeur  médiocre. 

M.  Peyfîonel  avoit  obfervé  &  re- 
connu le  premier  que  les  coraux ,  les  ma- 
drépores ,  &c.  dévoient  Inir  origine  à  des 
animaux ,  &  n'étoient  point  des  plantes  , 
comme  on  le  croyoit  &  comme  leur 
forme  &  leur  accroiffement  paroiiïoient 
l'indiquer  :  on  a  voulu  long-temps  dou- 
ter de  il  vérité  de  l'oblervation  de  M. 
Peyffonel ,  quelques  Naturaliftes  trop 
prévenus  de  leurs  propres  opinions , 
i'om  même  rejetée  d'abord  avec   uii* 


Théorie  de  la  Terre.       425 
efpèce  de  dédain  ;  cependant  ils  ont  été 
obligés   de   reconnoîne   depuis   peu  la 
découverte  de  M.  Peyflonel,  &  tout  le 
inonde  eft  enfin  conveim  que  ces  pré- 
tendues plantes  marines   ne    font  autre 
chofe   que   des  ruches,    ou  plutôt  des 
loges  de  pents  animaux  qui  relîemblent 
aux  poiiïons  des  coquilles  en  ce   qu'ils 
forment  comme  eux  ,  une  grande  quan- 
tité de  fubftance  pierreufe,  dans  laquelle 
ils  habitent,  comme    les    poifions  dans 
leurs  coquilles  ;  ainfi  les  plantes  marines 
que  d'abord    l'on  avoit  miles  au  rang 
des  minéraux  ,   ont  enfuite  paiïe   dans 
la  claiïe   des    végétaux,   &   font    enfin 
demeurées  pour  toujours  dans  celle  des 
animaux. 

II  y  a  des  coquillages  qui  habitent  le 
fond  des  hautes  mers  ,  &  qui  ne  font 
jamais  jetés  fur  les  rivages;  les  Auteurs 
les  appellent  Pela^'m ,  pour  les  diftin- 
guer  des  autres  qu'ils  appellent  Litlotûles, 
lleil  à  croire  que  les  cornes  d'ammon  & 
quek|ues  autres  efpèces  qu'on  trouve 
pétrifiées,  &  dont  on  n'a  pas  encore 
trouvé  les  analogues  vivans ,  demeurent 
toujours  dans  le  fond  des  hautes  mers ,  & 


4-2^       Hifloire  Naturelle. 

qu'ils  ont  été  remplis  du  fédiment  pier- 
reux dans  le  lieu  même  où  ils  étoient  ;  il 
peut  le  faire  aufîi  qu'il  y  ait  eu  de  certains 
animaux  dont  i'elpèce  a  péri,  ces  co^ 
quillages  pourroient  être  du  nombrci  les 
os  folilies  extraordinaires  qu'on  trouve 
en  Sibérie,  au  Canada^  en  Irlande  &.  dans 
plufieurs  autres  endroits ,  femblent  con-^ 
firmer  cette  conjedure  ,  car  jufqu'ici  or 
ne  connoît  pas  d'animai  à  qui  on  puifîe 
attribuer  ces  os,  qui  pour  la  plupart, 
font  d'une  grandeur  &  d'une  grofîeur 
demefurée. 

On  trouve  ces  coquilles  depuis  le  haut 
|ufqu'au  fond  des  carrières,  on  les  voit 
aulli  dans  des  puits  beaucoup  plus  pro- 
fonds :  il  y  en  a  au  fond  des  mines  de 
Hongrie.    Voye^^  Woodward. 

On  en  trouve  à  200  bra/Tes,  e'eft-à- 
dire ,  à  mille  pieds  de  profondeur  dans 
des  rochers  qui  bordent  l'île  de  Caldé 
&:  dans  la  province  de  Pembrock  en 
Angleterre.  Voye^^  Ray' s  IMfcourfis  » 
page  lyS, 

Non- feulement  on  trouve  à  de  grandes 
profondeurs  &  auydedus  des  plus  hautes 
montagnes  des  coquilles  pétrifiées ,  mais 


Théorie  de  la  Terre.        427 
on  en  trouve   aufTi    qui    n'ont    point 
changé  de    nature,  qui  ont  encore  le 
luilam ,   les  couleurs  &  la  légèreté  des 
coquilles  de  la  mer,  on  trouve  des  gloi- 
fopètres  &  d'autres  dents  de  poifTons  dans 
leurs  mâchoires,    &  il  ne   fiiut  pour  fe 
convaincre  entièrement  fur  ce  fujet ,  que 
regarder  la  coquille  de  mer  &  celle   de 
ten-e  ,  &  les  comparer  :  il  n'y  ^a  peribnne 
qui,  après    un  examen,  même   léger j. 
puifîe  douter  un  inftant  que  ces  coquilles 
fofTiles   &   pétrifiées  ne    foient   pas  les 
niêmes  que  celles  de  la  mer,  on  y  re- 
marque les  plus  petites  articulations,  & 
même  les  perles  que  l'animal  vivant  pro- 
duit; on  rem.arqueque  les  dents  de  poil- 
fon  font  polies  &:  uiees  à  l'extrémité ,  & 
qu'elles  ont  fervi  pendant  le  temps  que 
i'animal  étoit  vivant. 

On  trouve  auffi  prefque  par-tout  dans 
la  terre,  des  coquillages  de  la  même 
efpèce,  dont  les'  uns  font  petits,  les 
autres  gros ,  les  uns  jeunes ,  les  ^autres 
vieux  ;  quelques-uns  imparfaits,  d'autres 
entièrement  parfaits  ;  on  en  voit  même  de 
petits  &  de  jeunes  attachés  aux  gros. 

Le  poifTon  à  coquille  appelé  Purpura 


'428        Hïjloire  Naturelle, 

a  une  langue  fort  longue  dont  l'extrémité 
ell  oiïcuie  &  pointue  ,  elle  lui  iert  coiniue 
de  tarrière  pour  p^ercer  les  coquilles  des 
autres  poiflons ,  &  pour  fe  nourrir  de 
ieur  chair,  on  trouve  communément 
dans  les  terres  des  coquilles  qui  font 
percées  de  cette  fiiçon  ;  ce  qui  ell:  une 
preuve  incontellable  qu'elles  rcnfer- 
jnoient  autrefois  des  poiilons  vivam,  & 
que  ces  poifîons  habitoient  dans  des  en- 
droits où  il  y  avoit  aulîi  des  coquillages 
de  pourpre  qui  s'en  étoient  nourris.  Voye-^ 
Woodwnrd,  pages  2^6    &  ^00» 

Les  obélifques  de  Saint  Pierre  de 
Rome  ,  de  Saint-Jean-de-Latran  ,  de  la 
place  Navone,  viennent,  à  ce  qu'on 
prétend  ,  des  pyramides  d'Egypte  ,  elles 
font  dé  granité  rouge  ,  lequel  efî  une 
efpèce  de  roc  vif,  ou  de  grès  fort  dur  : 
cette  matière,  comme  je  l'ai  dit,  ne  con- 
tient point  de  coquilles  ,  mais  les  anciens 
marbres  Africains  &  Égyptiens ,  &  les 
porphyres  que  l'on  a  tirés ,  dit-on ,  du 
Temple  de  Saiomon  &  des  Pal.is  des 
Rois  d'Egypte,  &  que  l'on  a  employés 
à  Rome  en  difïérens  endroits  ,  font  rem- 
plis de  coquilles.  Le  porphyre  rouge  eil 


Théorie  de  la  Terre.        42^ 

compofé  d'un  nombre  infini  de  pointes 
de  i'efpèce  d'ouriin  que  nous  appelons 
châtaigne  de  mer  ;  eiies  lont  pofées  afîez 
près  les  unes  des  autres,  &  forment  tous  les 
petits  points  blancs  qui  font  dans  ce  por- 
phyie  :  chacun  de  ces  points  blancs  laifTe 
voir  encore  dans  Ton  mileu  un  petit 
point  noir  qui  eft  la  iei5lion  du  conduit 
longitudinal  de  la  pointe  de  l'ourfin.  II 
y  a  en  Bourgogne  ,  dans  un  lieu  appelé 
Ficin  ,  à  trois  lieues  de  Dijon,  une  pierre 
rouge  tout-à-fait  femblable  au  porphyre 
par  fa  conipofition ,  &  qui  n'en  difîère 
que  par  la  dureté ,  n'ayant  que  celle  du 
marbre  ,  qui  n'efi:  pas  à  beaucoup  près  fi 
grande  que  celle  du  porphyre  ;  elle  efl:  de 
même  entièrement  compolèe  de  pointes 
d'ourfins ,  &.  e'ie  efl:  très-confidérable  par 
l'étendue  de  fon  lit  de  carrière  &  par  Ion 
épaifTeur  ;  on  en  a  fait  de  très-beaux  ou- 
vrages dans  cette  province,  &  notamment 
les  gridins  du  piédeflal  de  la  figure 
équen:rede  Louis  le  Grand  qu'on  a  élevée 
au  milieu  de  la  place  royale  à  Diion. 
Cette  pierre  n'cfl:  pas  la  feule  de  cette 
efpèce  que  je  connoiiïe  ;  ii  y  a  dans  la 
Hnêaie  province  de  Bourgogne,  près  de 


430        HiJIoke  Naturelle. 
îa  ville  de  Montbart,  une  carrière  confi- 
dérable  de  pierre  compolee    comme  le 
porphyre,  mais  dont  la  dureté  eft  en- 
core moindre  que  celle  du  marbre  ;  ce 
porphyre  tendre  eft  compofé  comme  le 
porphyre  dur,  &  il  contient  même  une 
plus  grande  quantité  de  pointes  d'ourfins 
&  beaucoup  moins   de  matière  rouge* 
Voilà  donc  les  mêmes  pointes  d'ourfins 
que  l'on  trouve  dans  le  porphyre  ancien 
d'Egypte  &  dans  les  nouveaux  porphyres 
de  Bourgogne ,  qui  ne  diffèrent  des  an- 
ciens que  par  le  degré  de  dureté  &  par  le 
nombre  plus  ou  moins  grand  àt^  pointes 
d'ourfins  qu'ils  contiennent. 

A  l'écrard  de  ce  que  les  Curieux  ap- 
pellent du  porphyre  vert,  je  crois  que 
c'efl  plutôt  un  granité  qu'un  porphyre, 
il  n'efl:  pas  compofé  de  pointes  d'ourfins, 
comme  le  porphyre  rouge,  &  fa  fubftance 
me  paroît  iembl.ble  à  celle  du  gn.n  te 
cominim.  En  Tofcane,dans  les  pierres 
dont  étoient  bâtis  les  anciens  murs  de 
ia  ville  de  Volatera ,  il  y  a  une  grande 
quantité  de  coquillages,  &  cette  muraille 
étoit  faite  il  y  a  deux  mille  cinq  cents 
ans.    Voyez  Stcnonin  Prodromo  dijf,  de 


Théorie  de  la  Terre,       43  r' 

Sohdo  intrafolïdum  ,  page  6 ^ .  La  plupart 
des  marbres  antiques,  les  porphyres  & 
ks  autres  pierres  cjes  plus  anciens  monu- 
mens  contiennent  donc  des  coquilles, 
des  peintes  d'ourfins,  &  d'autres  débris 
des  productions  marines ,  comme  ies 
marbres  que  nous  tirons  aujourd'hui  de 
nos  carrières  ;  ainfi  on  ne  peut  pas 
douter ,  indépendamment  même  du  té- 
moignage facré  de  l'Écriture  fiiinte, 
qu'avant  le  déluge  la  terre  n'ait  été  com- 
pofée  des  mêmes  matières  dont  elle  l'eft 
aujourd'hui. 

Par  tout  ce  que  nous  venons  de  dire, 
on  peut  être  afTuré  qu'on  trouve  des 
coquilles  pétrifiées  en  Europe,  en  A  fie, 
&  en  Afrique  dans  tous  les  lieux  oîà  le 
haiard  a  conduit  des  obiervateurs;  on  ea 
trouve  auffi  en  Amérique,  au  Brefd  , 
dans  le  Tucuman ,  dans  les  terres  Ma- 
gellaniques ,  &  en  fi  grande  quantité 
dans  ies  îles  Antilles,  qu'au-defious  de 
ia  terre  labourable ,  le  fond ,  que  les 
habitans  appellent  la  chaux ,  n'eil:  autre 
choie  qu'un  compofé  de  coquilles ,  de 
madrépores  ,  d'aftroïtes  &  d'autres  pro^ 
dudions  de  la  mer.  Ces  obfervatbns  qui 


43^        Hi/Ioke  Naturelle: 

font  certaines ,  m'auroient  fliit  penfei' 
qu'il  y  a  de  même  des  coquilles  &.  d'autres 
produdion  marines  pétrifiées  dans  ia 
plu>  orande  partie  du  co:-tinentde  l'Amé- 
rique ,  &  fur  tout  dans  les  montagnes  , 
comme  i'afîure  Woodward;  cependant 
M.  de  la  Condamine  qui  a  demeuré 
pendant  plufieurs  années  au  Pérou, 
m'a  affuré  qu'il  n'en  avoit  pas  vu  dins 
les  Cordillères,  qu'il  en  avoit  cherché 
inutilement,  &  qu'il  ne  croyoit  pas 
qu'il  y  en  eût.  Cette  exception  fèroit 
fmgulière,&:  les  coniéqucnces qu'on  en 
pourroit  tirer  le  feroient  encore  plus; 
mais  j'av'oue  que  ,  malgré  le  témoignage 
de  ce  célèbre  obfervateur ,  je  doute  en- 
core à  cet  égard,  &  que  je  fuis  très-porté 
à  croire  qu'il  y  a  dans  les  montagnes  du 
Pérou,  comme  par-tout  ailleurs,  des  co- 
quilles &  d'autres  pétrifications  marines, 
mais  qu  elles  ne  fe  font  pas  offertes  à  (es 
yeux.  On  fiit  qu'en  matière  de  témoi- 
gnages, deux  témoins  pofuifs  qui  affu- 
rent  avoir  vu  ,  fufifiient  pour  faire  preuve 
complète ,  tandis  que  mille  &  dix  mille 
témoins  négatifs ,  &  qui  affurent  feule- 
ment n'avoir  pas  vu,  ne  peuvent  que  fiire 

naître 


Tfieone  de  la  Terre.       43  ^' 

tïîi.ître  un  doute  léger;  c'eil;  pour  cetie 

raiion  ,  &  parce  que  la  force  de  l'aaalogie 

m'y  .contraint,  que   je  perfiite  à   croire 

qu'on   trouvera     des    coquilles    fur  les 

montagnes  du    Pérou ,    coniine  on  eu 

trouve  prefque  par-tout  ailleurs ,  fur-tout  >i^«^  y  Ma 

ïi  on   les  cherche   fur  la  croupe  de  la  ^«^^v#i  ÙJt^ 

montagne  &  non  pas  «au  fomniet.  J.*Vi^^  '^^ 

Les  montagnes  les  plus  élevées  (o\Vi*t>^ 
ordinairement  compoféesau  fommet,de 
roc  vif,  de  granité ,  de  grès  &  d'autres 
matières  vitrifiables  qui  ne  contiennent 
que  peu  ou  point  de  coquilles.  Toutes 
ces  matières  le  font  formées    dans    les 
couches  du  ftbie  de  la  mer  qui  recou- 
vroient  le   deffus    de   C€S   montagnes  ; 
iorfque  la  mer  a  laifle   à  découvert  ces 
fommets  de   montagnes  ,  les  labiés  ont 
coulé  dans  les  plaines  ,   où  ils  ont   été 
entraînés  par  la  chute  des  eaux  des  pluies , 
&c.  de  forte  qu'il n'efl  demeuré  au-deflus 
des  montagnes  que  les  rochers  qui  s'é- 
toient  formés  dans  l'intérieur    de    ces 
couches  de  fible.    A  200,  300  ou  400 
toiles  plus  bas  que   le    fom^met  de    ces 
montagnes,    on    trouve     iouvent     àiQ.s 
matières  toutes  différentes  de  celles  du 

Tome  L  T 


434*  Hîflohâ  Naturelle, 
fommet,  c'e(l-à- dire,  des  pierres,  des 
marbres  &  d'autres  matières  calcinables , 
iefquelles  font  difpofées  par  couches 
parallèles ,  &  contiennent  toutes  des  co- 
quilles &  d'autres  productions  marines  ; 
ainfi  il  n'efi:  pas  étonnant  que  M.  de  la 
Condamine  n'ait  pas  trouvé  de  coquilles 
fur  ces  montaaries ,  fur  -  tout  s'il  les  a 
cherchées  dans  les  lieux  les  plus  élevés 
&  dims  les  parties  de  ces  montagnes  qui 
lont  compolées  de  roc  vif,  de  grès  ou 
de  fable  vitrifiable  ;  mais  au-deflous  de 
ces  couches  de  fible  &  de  ces  rochers 
qui  font  le  fommet ,  il  doit  y  avoir  dans 
ies  Cordillères,  comme  dans  toutes  les 
autres  montagnes,  des  couches  horizon- 
tales de  pierres,  de  marbres,  de  terres,  &c. 
où  il  fe  trouvera  des  coquilles  ;  car  dans 
tous  les  pays  du  monde  où  l'on  a  fait  des 
obfervaiions ,  on  en  a  toujours  trouvé 
dans  ces  couches. 

Mais  fuppoions  un  inftant  que  ce  fiiit 
foit  vrai ,  ik  qu'en  effet  il  n'y  ait  aucune 
produdion  marine  dans  les  montagnes 
du  Pérou ,  tout  ce  qu'on  en  conclura  ne 
iêra  nullement  contraire  à  notre  théorie, 
ÔL  ii  pourroit  bien  le  faire ,  abfolumeni 


Théorie  àe  la  Terre,       435' 

parîant ,  qu'il  y  ait  fur  le  globe  des  parties 
qui  n'aient  jamais  été  fous  les  eaux  de  la 
mer  ,  &  fur-tout  des  parties  auffi  élevées 
que  le  font  les  Cordillères,  mais  en  ce 
cas  ,  il  y  auroit  de  belles  obfervations  à 
fiiire  fur  ces  montagnes  ;  car  elles  ne 
feroîent  pas  compofées  de  couches  pa-» 
rallèies  entr'elles  comme  toutes  les 
autres  le  font  ;  les  matières  feroîent  aulîx 
fort  différentes  de  celles  que  nous  con* 
noiflons,  il  n'y  auroit  point  de  fentes 
perpendiculaires  ,  la  compofition  des  ro- 
chers &  des  pierres  ne  refîèmblcroit  point 
du  tout  à  la  compofition  des  rochers 
&  des  pierres  des  autres  pays,  &  enfin 
nous  trouverions  dans  ces  montagnes 
Tancienne  flrudure  de  la  terre  telle 
qu'elle  étoit  originairement  &  avant  que 
d'être  changée  &  altérée  par  le  mouve- 
ment des  eaux  ;  nous  verrions  dans  ces 
climats  le  premier  état  du  globe  ,  les 
matières  anciennes  dont  il  étoit  compole  , 
la  fornîe  ,  la  liaifon  &  l'arrangement 
naturel  de  la  terre ,  &c.  mais  c'eft:  trop 
efpérer ,  &  fur  des  fondemens  trop 
légers  ,  &  je  penfe  qu'il  faut  nous  borner 
à  croire  qu'on  y  trouvera  des  coquilles  ^ 

T  ij 


^3<5        Hîpolre  Naturelle; 

comme  on  en  trouve  par-tout  aiïïeurSv 
A  l'égard  de  la  manière  dont  ces  co- 
quilles font  difpoféfes  &  pbcces  dans  les 
couches  de  terre  ou  de  pierre ,  voici  ce 
qu'en  dit  Woodward.  ce  Tous  les  coquil- 
53  lages  qui  fe  trouvent  dans  une  infinité 
53  de  couches  cie  terres  &  de  bancs  de 
35  rochers ,  fur  les  plus  hautes  montagnes 
33  &  dans  les  carrières  &  les  mines  les  plus 
33  profondes,  dans  les  cailloux  de  cor- 
33  naline ,  de  calcédoine,  ôcc.  Sl  dans  les 
33  mafTes  de  ibufre,  de  marcafîjtes  &  d'au- 
33  très  matières  minérales  &  métalliques , 
33  font  remplis  de  la  matière  même  qui 
33  formg  les  bancs  ou  les  couches ,  ou  les 
33  mafîes  qui  les  renferment ,  &  jamais 
d'aucune  matière  hétérogène ,  3^  page 
^  0  6 ,  ù'  ailleurs,  «  La  pefanteur  fpéci- 
35  fique  des  différentes  efpèces  de  fables 
3J  ne  diffère  que  très-peu  ,  étant  généra- 
33  lement  par  rapport  à  feau  ,  comme  2  |- 
33  ou  2  -^  à  j  >  &:  les  coquilles  de  pé- 
33  tondes  qui  font  à  peu  près  de  la  même 
33  pefanteur  ,  s'y  trouvent  ordinairement 
33  renfermées  mi  grand  nombre ,  tandis 
X»  qu'on  a  de  la  peine  à  y  trouver  des 
53  écailles  d'huîtres,   dont  la    pefintei;r 


Théorie  de  la  Te  ire.  4B7i 
^lecifique  n'efi:  environ  que  comme  a 
^  j  à  I  ;  de  hérilTons  de  mer  ,  dont  la  ce 
pefanteur  n'ell  que  comme  2  ou  2.  -^  ce 
à  I ,  ou  d'autres  efpèces  de  coquilles  ce 
plus  légères;  mais  au  contraire  dans  ce 
ia  craie  qui  efl:  plus  légère  que  la  ce 
pierre ,  n'étant  à  la  pefanteur  de  l'eau  ce 
que  comme  environ  2  -^  à  i  ,  on  ne  ce 
trouve  que  des  coquilles  de  hérifTons  ce 
de  mer  &  d'autres  efpèces  de  coquilles  c< 
plus  légères.  33  Voye-^pages  i  j  &  i  8 , 

Il  fiiut  obfervcr  que  ce  que  dit  ici 
^¥oodward  ne  doit  pas  être  regardé 
comme  règle  générale ,  car  on  trouve  des 
coquilles  plus  légères  &  plus  pefantes 
dans  les  mêmes  matières,  par  exemple, 
éts  pétoncles ,  à^s  huîtres  &  des  ourfms 
dans  les  mêmes  pierres  &  dans  les  mêmes 
terres ,  &:  même  on  peut  voir  aii  cabinet 
du  Roi  un  pétoncle  pétrifié  en  cornaline 
&  des  ourfms  pétrifiés  en  agate,  ainfi 
Ja  différence  de  la  pefanteur  fpécifique 
des  coquilles  n'a  pas  influé ,  autant  que  le 
prétend  Woodward ,  fur  le  lieu  de  leur 
pofition  dans  les  couches  de  terre  ;  &  la 
vraie  raifon  pourquoi  les  coquilles  d'our^ 
fins  &  d'autres  auHi  légères  fe  trou  veut 

Tiij 


438         Hijloite  Naturelle* 

pluà  ahondamment  dans  ies  craies ,  c*eft 
que  h  craie  n'ell  qu^un  détriment  de 
coquilles ,  ^  que  ctlles  des  ourfms  étant 
pius  légères ,  moins  epaiffei  &  plus 
friables  que  les  autres ,  elles  auront  été 
nifement  réduites  en  poufîière  64  en  craie, 
en  forte  qu'il  ne  fe  trouve  des  couches 
de  craie  que  dans  les  endroits  oii  il  y 
avoit  anciennement  fous  les  eaux  de  lu 
mer  une  grande  abondance  de  ces  co- 
quilles légères,  dont  les  débris  ont  forqié 
ia  craie  dans  laquelle  nous  trouvons  celles 
qui  ayant  réliilé  au  choc  <St  aux  frotte- 
inens ,  fe  font  conlervées  toutes  entières , 
oa  du  moins  en  parties  aflez  grandes 
pour  que  nous  puilfions  les  reconnoître. 
Nouà  traiierons  ceci  plus  à  fond  dans 
notre  difcours  fur  les  minéraux ,  conten- 
ions-nous feulement  d'avertir  ici  qu'il 
iàut  encore  donner  une  modification  aux 
cxprciTions  de  Woodward  :  il  paroît  dire 
qu'on  trouve  àt%  coquilles  dans  les  caiU 
ioux ,  dans  les  cornalines ,  dans  les  cal- 
cédoines ,  dans  les  mines ,  dans  les  maffes 
de  ioufre,  auin  fou  vent  <3c  en  au(fi  orand 
nombre  que  dans  les  autres  matières ,  au 
lieu  que  lu  vérité  eit  qu'elles  font  très- 


Théorie  de  la  Terre,     439 

rares  A:^\\%  toutes  les  matières  vitrifîables 
ou  purement  inflammables ,  &  qu'au 
conifiiire  elles  font  en  proclîgieufe  abon- 
dance clans  les  craies,  dans  les  marnes, 
dans  les  mar!)res  &  dans  les  pierres ,  en 
forte  que  nous  ne  prétendons  pas  dire 
ici  qu'abfolument  les  coquilles  les  plus 
légères  font  dans  les  matières  légères,  & 
ks  plus  pefantes,  dans  celles  qui  Ibnt  aufïï 
îes  plus  pefàntes ,  mais  feulement  qu'en 
général  cela  fe  trouve  plus  fouvent  aiiifi 
qu'autrement.  A  la  vérité  elles  font  toutes 
également  remplies  de  la  fubftance  même 
qui  les  environne ,  aufTi-bien  celles  qu'on 
trouve  dans  les  couches  horizontales ,  que 
celles  qu'on  trouve  en  plus  petit  nombre 
dans  les  matières  cpi  occupent  les  fentes 
perpendiculaires,  parce  qu'en  effet  les 
unes  &  \^%  autres  ont  été  également 
formées  par  les  eaux  ,  quoiqu'en  diffé- 
rens  temps  &  de  dilîérentes  façons  ; 
les  couches  horizontales  de  pierre,  de 
marbre,  &c.  ayant  été  formées  parles 
grands  mouvenicnsdes  ondes  de  la  mer, 
ik  les  cailloux,  les  cornalines,  les  cal- 
cédoines &  toutes  les  matières  qui  font 
dans  les  fentes  perpendiculaires,  ayant 

T   iii) 


44®  Hijloîre  JNatureJk. 
€té  produites  par  fe  mouvement partîcu-' 
ikr  d'une  petite  quantité  d'eau  chargée 
de  différens  iljcs  'lapidifiques,  métal- 
liques ,  &c,  &.  dans  les  deux  cas  ces  ma- 
tières étoient  réduites  en  poudre  fine  & 
impalpable  qui  a  rempli  l'intérieur  des 
coquilles  fi  pleinement  &  fi  abfolument  ^ 
qu'elle  n'y  a  pas  laifié  le  moindre  vide  ^ 
&  qu'elle  s'en  eft  fait  autant  de  moules, 
à  peu  près  connne  on  voit  un  cachet  fe 
mouler  fur  le  tripoli. 

Il  y  a  donc  dans  les  pierres,  dans  les 
marbres,  &c.  une  multitude  très-grande 
de  coquilles  qui  font  entières ,  belles  & 
il  peu  altérées  ,  qu'on  peut  ailément  les 
comparer  avec  les  coquilles  qu'on  con- 
ièrve  dans  les  cabinets  ou  qu'on  trouve 
iiir  les  rivages  de  la  mer  ;  elles  ont  pré- 
cifément  la  même  figure &.  la  même  gran- 
deur ,  elles  font  de  la  même  fubftance  & 
leur  tifîu  efl:  le  même  ;  la  matière  parti- 
culière qui  les  compole ,  eft  la  même , 
elle  efl  dilpofée  &  arrangée  de  la  même 
manière,  la  direction  de  leurs  fibres  & 
deb  lignes  fpirales  eft  la  même  ,  la  com- 
pofition  des  petites  lames  formées  par  les 
fibres  cil  la  même  dans  les  unes  &  kj 


Théorie  de  la  Terre.       44  tl 
ïimres ,  on  voit  dans  le  même  endroit 
ies  vertiges  ou   infcrtions  des  tendons 
par   le   moyen   defquels    l'animal    étoit 
attaché  &  joint  à  fa  coquille ,  on  y  voit 
les   mêmes  tubercules ,  les  mêmes /Wfj^ 
ies   mêmes    cannelures  ;  enfin   tout  eft 
fembiable  ,    foit  au  dedans  ,   foit  au  de- 
hors   de  la  coquille ,  dans   fa  cavité  ou 
fur  fa  convexité ,  dans    fa  fubdance  ou 
fur  la  iuperficie  ;  d'ailleurs   ces   coquil- 
îaf^es  fofiiles  font  fujets  aux  mêmes  acci- 
deiis  ordinaires  que  les  coquillages-  de  la 
mer,  par  exemple,  ils  font  attachés  les 
plus   peiits  aux  plus  gros  j  ils  ont  des 
conduits  vermiculaires,  on  y  trouve  des 
perles  &  d'autres  chofcs  femblables   qui 
ont  été  produites   par  l'animai  lorfqu'il 
habitoit  la  coquille  ,  leur  gravité  fpéci- 
fique  ert  exadement  la  même  que  celle 
de  leur  efpèce  qu'on  trouve  adueilement 
dans  la   mer  ;  &  par  la  chimie ,   on  y 
trouve  ies  mêmes  chofes,  en  un  mot  ils 
refTemblentexademem  à  ceux  de  la  mer. 
Voyei  Woodwardr  page  1  ^, 

J'ai  foiîvent  obier vé  moi-m.cme-  avec 
une  eipèce  d'étonnement ,  comme  je  l'ai 
déjà  dii^  des  montagnes  entières,  d^è 

T  V 


44  2       Hîjloïre  Naturelle, 

chaînes  de  rochers ,  des  bancs  énormes 
de  carrières  tout  compofés  de  coquilles 
&  d'autres  débris  de^produdions  marines 
qui  y  font  en  fi  grande  quantité ,  qu'il 
n'y  a  pas  à  beaucoup  près  autant  de 
volume  dans  la  matière  qui  les  lie. 

J'ai  vu  des  champs  labourés  dans  lef- 
quels  toutes  les  pierres  étoient  des  pé- 
toncles pctrifiés ,  en  forte  qu'en  fermant 
ies  yeux  &  ramaffant  au  hafard  on  pou^ 
voit  parier  de  ramafler  un  pétoncle  :  j'en 
ai  vu  d'entièrement  couverts  de  cornes 
d'amnion,  d'autres  dont  toutes  les  pierres 
étoient  des  coeurs  de  bœufs  pétrifiés  ;  & 
pius  on  examinera  la  terre  ,  plus  on  fera 
convaincu  que  ie  nombre  de  ces  pétrifi- 
cations eft  infini,  &  on  en  conclura  qu'il 
eil  impoiîible  que  tous  les  animaux  qui 
habitoient  ces  coquilles ,  aient  exiftc  dans 
ie  même  temps. 

J'ai  même  fiit  une  obfervation  en 
cherchant  ces  coquilles,  qui  peut  être 
de  quelque  milite,  c'eft  que  dans  tous  les 
pays  où  l'on  trouve  dans  les  champs  & 
dans  les  terres  labourables  un  très-grand 
nombre  de  ces  coquilles  pétrifiées, 
€0!iiine  pétoncles,  cœurs  de  bœufs,  &c« 


Théorie  de  la  Terre.  443 
entières,  bien  confervees,  &  totalement 
réparées ,  on  pem  être  afluré  que  ia  pierre 
de  ces  pays  e(l  géli(fe  :  ces  coquilles  ne 
s'en  font  réparées  en  fi  grand  nombre  que 
par  l'adion  de  la  gelée,  qui  détruit  la 
pierre  &  laifle  fablillcr  plus  long-temps 
la  coquille  pétriiiée.  t     r  /ri 

Cette   immenfe   quantité    de   lollUes 
marins  que  l'on  trouve  en  tant  d'endroits , 
prouve  qu'ils  n'y  om  pas  été  tranCportes 
par  un  déluge  ;  car  on  obierve  plufieurs 
milliers  de  gros  rochers  &  des  carrières 
dans  tous  les  pays  où  il  y  a  des  marbres 
&  de  la  pierre  à  chaux  ,  qui  (ont  toutes 
remplies   de  vertèbres  d'étoiles  de  mer, 
de  pointes   d'ourfins  ,  de  coquillages  <Sc 
d'autres  débris  de  produélions  mannes. 
Or  fi  ces  coquilles  c[u'on  trouve  par-tout 
eufTent  été  amenées  iùr  la  terre  sèche  par 
un  déluge  ou  par  une  inondation  ,  la  plus 
p-rande  partie  feroit  demeurée  lur  la  lur- 
^ice  de  la  terre ,  ou  du  moins  elles  ne 
feroient  pas  enterrées  à  une  grande  pro- 
fondeur ,  &    on   ne    les  trouvercit  pas 
dans  les  marbres  les   |  lus  lolides  à  lept 
ou  huit  cents  pieds  de  profondeur. 
Dans  tomes  les  curiièies ,  ces  coc[uil[es 

T  vj 


jj.^^  Hifloire  Nûtureïïe, 
font  partie  de  la  pierre  à  l'intérieur ,  Se 
on  en  voit  quelquefois  à  l'extérieur  qui 
font  recouvertes  de  ftaladites  qui,  comme 
l'on  (iiit,  ne  font  pas  des  matières  aufîr 
anciennes  que  la  pierre  qui  contient  les 
coquilles  ;  une  féconde  preuve  que  cela 
n'eft  point  arrivé  par  un  déluge ,  c'eft 
que  les  os ,  les  cornes ,  les  ergots ,  ïts 
'ongles ,  &c.  ne  Te  trouvent  que  très-rare- 
ment,  &  peut-être  point  du  tout,  ren- 
fermés dans  les  marbres  &  dans  les  autres 
pierres  dures,  tandis  que  fi  c'étoit  l'effet 
d'un  déluge  où  tout  auroit  péri,  on  y 
devroit  trouver  les  rcftes  des  animaux  de 
3a  terre  aiiffi-bien  que  ceux  des  mcrs^ 
Voye:^  Ray  s  D'ifcourfes ,  page  ij8  if 
fui  van  tes. 

C'eft ,  comme  nous  l'avons  dit ,  une 
fuppofnion  bien  gratuite  ,  que  de  pré- 
tendre que  toute  la  terre  a  été  difloute 
dans  l'eau  au  temps  du  déluge  ;  &  on  ne 
peut  donner  quelque  fondement  à  cette 
idée ,  qu'en  luppoiant  un  iecond  mi- 
racle qui  auroit  donné  à  l'eau  la  pro- 
priété d'un  difîolvant  univerfel ,  miracle 
dont  il  n'ell  fait  aucune  mention  dans 
FEcriture    fume  ;   d'iiiileurs  ^    ce    qui 


Théorie  de  h  Terre*       ^445 

anéantit  la  fuppofîiion  &  la  rend  même- 
contradidoire  ,  c  cO:  que  toutes  les  ma- 
tières ayant  été  did'outes  dans  l'eau ,  ies 
coquilles  ne  l'ont  pas  été,  puifque  nous 
ies  trouvons  entières  &:  bien  confervées 
dans  toutes  lesmafTes  qu'on  prétend  avoir 
été  difToutes ,  cela  prouve  évidemmeni 
qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  telle  diilolution , 
&  que  l'arrangement  des  couches  hori- 
zontales «&  parallèles  ne  s'eft  pas  fait  en 
un  inftant ,  mais  par  ies  fédimens  qui  le 
font  amoncelés  peu  à  peu  ,  &  qui  ont 
enfin  produit  des  hauteurs  confidérabies 
par  la  lucceffion  des  temps  ;  car  il  eft 
évident  pour  tous  les  gens  qui  fe  donne- 
ront la  peine  d'obferver,  que  l'arrange- 
ment de  toutes  les  matières  qui  com- 
pofcnt  le  globe ,  efi  l'ouvrage  des  eaux  ;■ 
il  n'eft  donc  queftion  que  de  favoir  fi 
cet  arrangement  a  été  fait  dans  le  même 
temps  :  or  nous  avons  prouvé  qu'il  n'a 
pas  pu  fe  faire  dans  le  même  temps  , 
puifque  les  matières  ne  gardent  pas 
l'ordre  delà  pelanteur  fpécifique  &  qu'il 
n'y  a  pas  eu  de  diffolution  générale  de 
toutes  les  matières  :  donc  cet  arrancremient 
a  été  produit  par  les.  eaux  ou  plutôt  par 


44^  Hijlohe  Naturelle. 
les  fédimens  qu'elles  ont  dcpofe's  dans  îa 
lucceffioii  des  temps:  toute  autre  revo- 
limon ,  tout  autre  mouvement ,  toute 
autre  caulè  auroit  produit  un  arran- 
gement très-différent;  d'aiiieurs  un  ac- 
cident particulier  ,  une  révolution  ou 
un  bouleverfement  n'auroit  pas  produit 
un.  pareil  effet  dans  le  globe  tout  entier, 
&:  il  l'arrangement  des  terres  &  des 
couches  avoit  pour  caufe  des  révolutions 
particulières  &  accidentelles  ,  on  trouve- 
roit  les  pierres  &  les  terres  diipolées  diffé- 
remment en  différens  pays ,  au  lieu  qu'on 
les  trouva  par-tout  dilj:)olées  de  même 
par  couches  parallèles,  horizontales,  ou 
également  inclinées. 

Voici  ce  que  dit  à  ce  fiijet  l'Hiflorien 
<Je  l'Académie  ,  année  i  yi  S ,  page  ^ 
&  fu'iv, 

c<  Des  vefliges  très-anciens  &  en  tres- 
sa grand  nombre  d'inondations  qui  ont 
5J  dû  être  très- étendues  fe),  &  la  manière 
3>  dont  on  eft  obligé  de  concevoir  que 
53  les   montagnes  fe  font  formées  (f)i 

(t)  Voye2  \t%  Mémoires  fage  2  S  y, 
(f)  Voyez  l'Hift.de  1703,  jhtge  22;  de  170^, 
y^gij^;  àciyoB,jhi^e^^;  &  4e  171  6, page  S,  b'c» 


T/iéorîe  de  la  Terre,  447 
prouvant  aiïez  qu'il  eft  arrive  autrefois  ce 
à  la  lurtace  de  la  terre  de  grandes  révo-  ce 
iutions.  A  utant  qu'on  en  a  pucreulèr,  ce 
on  n'a  prelque  vu  que  des  ruines  ,  des  ce 
débris ,  de  vaftes  décombres  entafies  ce 
pêle-mêle ,  &  qui  par  une  longue  luite  ce 
de  fiècles  le  lont  incorporés  eniemble  ce 
&  unis  en  une  lèule  malTe  le  j:)lus  qu'il  ce 
a  été  poffible  ;  s'il  y  a  dans  le  globe  ce 
de  la  terre  quelque  efpèce  d'organila-  ce 
tion  régulière  ,  elle  eit  plus  profonde,  ce 
&  par  conléquent  nous  iera  toujours  ce 
inconnue,  &  toutes  nos  recherches  ie  ce 
termineront  à  fouiller  dans  les  ruines  ce 
de  la  croûte  extérieure  ,  elles  donne-  ce 
ront  encore  afîez  d'occupadcn  aux  ce 
Philolbphes.  ce 

M .  de  Juflleu  a  trouvé  aux  environs  ce 
de  Saint-Chaumont  dans  le  Lyon-  ce 
nois  ,  une  grande  quantité  de  pierres  ce 
écailleufes  ou  feuilletées ,  don  prcfque  ce 
tous  les  feuillets  portoient  iur  leur  ce 
fuperficie  l'empreinte  ou  d'un  bout  de  ce 
tiore  ,  ou  d'une  feuille ,  ou  d'un  frag-  ce 
meut  de  feuille  de  quelque  plante  ;  les  ce 
repréfentations  de  feuilles  étoient  tou-  cç 
jours  exademcnt  éicndues,  comme  fi  ce 


^44-8  Hifloire  Naturelle. 
•^  on  avoit  colle  les  feuilles  fur  les  pîerfési 
■*>  avec  la  main  ,  ce  qui  prouve  qu'elles 
hr>  avoient  été  apportées  par  de  l'eau  qui  les 
•^  avoit  tenues  en  cet  état  ;  elles  étoient 
55  en  différentes  fituations ,  &  quelquefois 
o)  deux  ou  trois  fe  croiioient. 
'55  On  imagine  bien  qu'une  feuille 
*33  dépofée  par  l'eau  fur  une  vale  molle, 
'^  &  couverte  enfuite  d'une  autre  va(e 
T>  pareille  ,  imprime  lur  l'une  l'image  de 
33  l'une  de  fes  deux  fur  faces  &  fur 
35  l'autre  l'image  d'e^  l'autre  furface  ,  de 
35  forte  que  ces  deux  lames  d-e'vafe  étanî 
35  durcies  »8c  pétrifiées,  elles  porteront 
35  chacune  l'empreinte  d'une  face  diffé- 
35  rente  :  mais  ce  qu'on  aurort  cru  devoir 
35  être,  n'ell  pas,  les  deux  lames  ont 
35  l'empreinte  de  la  même  face  de  la 
35  feuille ,  l'une  en  relief,  &  l'autre  'en 
35  creux.  M.  de  Juflieu  a  oblervé  dans 
35  toutes  ces  pierres  figurées  de  Saint- 
35  Chaumontce  phénomène  qui  efl:  affez 
35  bizarre  ;  nous  lui  en  laiffons  l'expîi- 
35  cation  pour  pafîer  à  ce  que  ces  fortes 
35  d'obtervations  ont  de  plus  général  <& 
35  de  plus  intéreilant. 
i*       Toutes  les  plantes  gravées  dans  les 


Théorie  de  h  Terre.  449 
pierres  de  Saint-Chaiiinont  font  des  ce 
plantes  étrangères,  non-leulement  elles  ce 
ne  retrouvent  ni  dans  le  Lyonnois  ,  ni  <« 
dans  le  refte  de  la  France,  mais  elles  ne  ce 
font  que  dans  les  Indes  orientales  &  dans  te 
les  climats  chauds  de  l'Amérique ,  ce  ce 
ibnt  la  plupart  des  plantes  capillaires ,  «c 
&  fouvent  enpardculier  des  fougères,  c< 
leur  tiffu  dur  &  ferré  les  a  rendu  plus  ce 
propres  à  fe  graver  &  à  le  conferver  ce 
dans  les  moules  autant  de  temps  qu'il  a  ce 
fallu.  Quelques  feuilles  de  plantes  des  ce 
Indes  imprimées  dans  des  pierres  d'Aï-  ce 
femagne ,  ont  paru  étonnantes  à  M.  ce 
Léibnitz  (g) ,  voici  la  même  merveille  ce 
infiniment  multipliée  ;  il  fenible  mêine  ce 
qu'il  y  ait  à  cela  une  certaine  afîe^lation  ce 
de  la  Nature ,  dans  toutes  les  pierres  ce 
de  Saint-Chaumont  on  ne  trouve  pas  ce 
une  feule  plante  du  pays.  ce 

Il  eft  certain  par  les  coquillages  des  ce 
carrières  &  des  montagnes  ,  que  ce  ce 
pays,  ainfi  que  beaucoup  d'autres,  a  ce 
dû  autrefois  être  couvert  par  l'eau  de  la  ce 
mer;  mais  comment  la  mer  d'Ame-  c< 

Ù).  Voyez  i'Hifî,  de  170^;  J^^g^  ^  ^ S^^H 


'450      HiJIoire  Nawrelk, 
3>  riquc  ou  celle  des  Indes  orlentaks  y 
3>  eft-elie  venue  ! 

3s  On  peut ,  pour  fluisfliire  à  plufieurs 
»  phénomènes ,  fuppofer  fi\  ec  aflez  de 
3s  vraifemblance  que  la  mer  a  couvert 
3î  tout  le  globe  de  la  terre ,  mnis  alors  il. 
^  n'y  avoit  point  de  plantes  terreftrcs ,  & 
33  cen'eft  qu'après  ce  temps-là,  &  lorf- 
3'  qu'une  j^artie  du  globe  a  éié  decou- 
33  verte ,  qu'il  s'cft  j3U  fliire  les  grandes 
33  inondations  qui  ont  tranfporte  des 
33  plantes  d'un  pays  dans  d'autres  fort 
33  éloignes. 

35  M,  de  Jufîjeu  croit  que  comme  le 
33  lit  de  la  mer  hauiTe  toujours  par  les 
33  terres ,  le  limon  ,  les  fables  que  les 
>î  rivières  y  charienr  incefîîimment ,  des 
33  mers  renfermées  d'abord  entre  certaines 
3>  digues  naturelles,  font  venues  ri  les 
33  furmonter  &  fe  font  répandues  au  loin  ; 
33  que  les  digues  aient  elles-mêmes  été 
«  minées  par  les  eaux  64  s'y  foient  ren- 
33  verfées ,  ce  fera  encore  le  même  effet 
33  pourvu  qu'on  les  fuppofc  d'une  gran- 
-ï5  deur  énorme.  Dans  les  premiers  temps 
55  de  h  formation  de  la  terre ,  rien  n'avoit 
5>  encore  pris  une  forme  réglée  &  ari  ctée, 


Théorie  de  la  Terre •      451 

il  a  pu  ie  faire  alors  des  révolutions  ce 
prodigleufes  6t  fubites  dont  nous  ne  ce 
voyons  plus  d'exemples ,  parce  que  ce 
tout  eft  venu  à  peu  près  à  un  état  de  ».t 
confiflance,  qui  n*e(t  j)ouriant  pastel  «. 
que  les  changeinens lents  ai  j)eu  confia  c« 
dèrables  qui  arrivent ,  ne  nous  donnent  «.c 
lieu  d'en  imaginer  comme  j^oiïjblei  tt 
d'autres  de  même  efpèce ,  mais  plus  ce 
griuids  &  plus  prompts.  .x 

Par  quelqu'une  de  ces  grandes  v, 
révolutions,  la  mer  à^i>  Indes ,  Ibit  <.«; 
orientales ,  foit  occidentales ,  aura  été  ce 
pouflee  jufqu'en  Europe,  &  y  aura  ce 
apporté  des  plantes  étrangères  flot-  «.e 
lautes  fur  les  eaux ,  elle  les  avoit  arra-  ce 
chécs  en  chemin  de  les  alloit  dépo^r  et 
doucement  dans  les  lieux  où  l'eau  t« 
n'étoit  qu'en  peùte  quantité  &  pou  voit  ^% 
s'évaporer  w. 

Fl  N  du  ptmkr  Volume* 


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