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HISTOIRE
NATURELLE,
GÉNÉRALE ET PARTICULIERE.
Tome 1.
o
I
ŒUVRES
COMPLÈTES
D E
M. LE C7E DE BUFFON,
Intendant du Jardin du Roî , de l* Académie
Franc oife , de celle des Sciences, è^c.
mmmÊmÊmammÊmmmÊmmmwmÊmmmmmmwmmmÊÊmmmmmmtmmmmmmÊmmmmmmamam
Tome Premier.
Théorie de la Terre.
A PARIS,
DE L»I M PRIME RIE ROYALE.
M. DCCLXXIV
AD.siyîsî-5'57"^
TABLE
\i j^ yâ^..yfi y^^ -^^i y^ lo^ 3p^ 3»^ i«t *;.>- ■>!.^ ^ i'-^ 5l,^^^ * ^
AU ROI.
IRE,
L'Hïfloïn iif les monumem
îmmortaliferont les qualités hé-
roïques , if les vertus pacifiques
que [Univers admire dans la per-
fonne de Votre MAJESTÉ. :
Cet ouvrage qui contient l'hif
îoire de la Nature , entrepris
par vos ordres , coTifacrera à la
poflérïté votre goût pour les
Sciences , èf la protection éclch
tante dont vous les honore-^.
Senfible à toutes les fortes de
gloire y grand en tout, excellent
en vous-même , S IRE ., vous fere-^^
à jamais l'exemple des Héros
if le modèle des Rois.
Nous fommes avec un très-
profond refpeél ^
SIRE,
De Votre Majeste\
Les très-Iiumbîes , très-obcifTans (5c très*
fidèles lujets &i ferviteurs ,
B U F F o N , Intendant de votre Jardin ÔlQS
Plantes ,
Daubenton, Garde & Démonflrateiir de
votre Cabinet d'Hidoire Naturelle.
TABLE
De ce qui eft contenu dans ce
Volume.
Premier Discours. De la manière
d'étudier & de traiter l'Hifloire
Naturelle ......... Page 2
Second Discours. Hifloire ér
théorie de la Terre o a
Preuves de la Théorie de
la Terre.
Article I. De la formation des
Planètes. ... i g c
Art. il Du Syflème de M.
Whijlon . . . . ^^r
Art. Iir. Du fyftème de M,
Burnet , , . . 262
Art. IV. Du fy/lème de M.
Woodward. . x6j
ArticleV. Expofitiofi de (Quelques
autres Syjlèmes. 2.y <y
Art. V I. Géogrûphîe, ... 2(^7
Art» VII. Sur la produâïon des
coucher ou lits de
terre 334.
Art. VIII. Sur les coquilles & les
mitres produâions de
la mer , qu'on trouve
dans l intérieur de
la terre ..... 388
HISTOIRE
HISTOIRE
NATURELLE.
Premier Dijcoiirs.
Tom L
JRes ardua vetuflis novitateni dare, novis
auSîoritatem , obfoletis nitorem, obfcuris Iiicem ,
faftiditis gratiam , dubiis fidan, omnibus vero
naturam,if naturœ'fuœ vmnia. Plin. in Praef,
ad Vefpaf.
5
HISTOIRE
NATURELLE-
PREMIER DISCOURS.
De la manière d'étudier & de traiter
ïHîJloire Naturelle,
L'H I s TO ï R E Naturelle prifè dans
toute ion étendue , eîl une Hiiloire
immenfe, elle cmbrafie tous les objets
que nous préfente l'Univers. Ccttemul-
tiîude prodigieufe de Quadrupèdes,
d'Oifeaux, de Poiiïons, d'ïnfècies, de
Plantes, de Minéraux, &.c. ofîre à la
curiofité de l'efprit humain un vafle
fpec^acle dont l'enfemble eft fi o-rand,
qu'il paroît & qu'il eil: en effet inépui-
iabie dans ies détails. Une feule partie
de i'Hifloire Naturelle, comme l'Hif-
toire des Infedes, ou i'HiUoire des
Ai;
'4 Manière de traiter
Epiantes j fuffit pour occuper plufieurs
{lonimes ; &l ies plus habiles Gbierva^
teurs n'ont donne, après un travail de
pjufieurs années , que d^s ébauches aflez
imparfaites des objets trop muitipliés
que préfentent ces branches particulières
de î'Hilloire Naturelle, auxquelles ils
s'itoient uniquement attachés : cepenr
dant ils ont fiiit tout ce qu'ils pouvoient
£iire, & bien loin de s'i^n prendre aux
Obiervateurs du peu d'avancement de
ïa Science, on ne fauroit trop louer
ïeur alîjduité au travail & leur patience,
on ne peut même leur réfuter des qua-
lités plus élevées; car il y a une elpèce
de force de génie & de courage d'ef-
prit à pouvoir envifager, iims s'étonner,
îa Nature dans la multitude imiom-
brable de fes procludions , & à fe croire
capable de ïçs comprendre &. de ies
comparer; il y a une efpèce de goût à
les aimer, plus grand que le goût qui
n'a pour but que des objets particu-
liers, & Ton peut dire que l'amour de
i étude de la Nature- fuppofe dans l'ef-
prit deux qualités qui paroiffent oppo-
'jg^s, les graiid^es 3aies d'ui; génie .ardenf
ïHijloire Naturelle. J
qui èmbralTe tout d'un coup d'œil, <&
les petites attentions d'un inflind 1er-
borieux qui ne s'attache qu'à un feul
point.
Le premier obftacle qui fe préfème
dans l'étude de l'Hiitoire Naturelle ,
vient de cette grande multitude d'objets;
mais la variété de ces mêmes objets, &
la difficulté de ralTembier les produc-
tions diverfes des difFérens climats, for-
ment un autre obflacle à l'avancement
de nos connoifTances , qui paroît invin--
cible , & qu'en effet le travail feul ne
peut furmonter; ce n'efi: qu'à force
de temps, de foins, de dépenfes, &
fouvent par des hafards heureux, qu'on
peut (è procurer àts individus bien
confèrvés de chaque efpèce d'animaux,
de plantes ou de minéraux , & former
une colleélion bien rangée de tous les
ouvrages de fa Nature.
Mais îorfqu'on eil parvenu à rafiem-
bler des échantillons de tout ce qui
peuple l'Univers, lorfqu'après bien des
peines on a mis dans un même lieu des
modèles de tout ce qui ie trouve ré*
pandu avec profulion fur la terre, ^
A lij
é Manicrt de muter
qu'on jette pour la première fois ïcs
-yeux fur ce magaiin rempli de choies
diveries, nouvtiies & étrangères, la
première leniation qui en réiliite, eft
im étonnemenî mêlé d'admiration, &
îa première réflexion qui fuit , eft un
retour humiliant Ibr nous-mêmes. On
ne s'im.agine pas qu'on puifle avec ie
temps parvenir au point de reconnoître
tous ces différens objets, qu'on puiiïe
parvenir non - feulem^ent à ies recon-
noître par la forme, mais encore à fa-
voir tout ce qui a rapport à la naif-
ilmce, la produClicn, i'organiiaiion ,
îcs u la cres , en un mot à i'hiftoire de
chaque choie en paniculier : cepen-
dant, en fe familiarilànt avec ces mêmes
objets, en les voyam fouvent , & , pour
ainfi dire, fans oefiein, ils forment peu
à peu des iiuprefllons durables, qui
Bicii-tôt fe lient dans notre efprit par
des rapports fixes & invariables ; & de-
là nous nous élevons à des vues plus
générales , par lefquelles nous pouvons
embrafTer à la fois piufeurs objets dif-
férens ; & c'eft alors qu'on eft en état
d'étudier avec ordre, de réfléchir avec
rHifloire NûîHvelIe» '^ j
fi'iîit, &. de fe frayer des routes pour
arriver à des découvertes utiies.
On doit donc commencer par voir
beaucoup &. revoir fouvent; queique
néceiïaire que l'attention foit à tout,
ici on peut s'en difpenfer d\ibord : je
veux parier de cette attention fcrupu-
leufe, toujours utile lorfqu'on fait beau-
coup, &. fouvent nuifible à ceux qui
commencent à s'infiruire. L'elTentiel
eil: de leur meubler la tête d'idées &:
de faits, de les empêcher, s'il eil po(^
fible, i!!itï\ tirer trop tôt des raifonne-
mens & des rapports ; car il arrive tou-
jours que par l'ignorance de certains
fiits, & par la trop petite quantité d'i-
dées, ils épuifent leur efprit en faufTes
combinaifons , & fe chargent la mé-
moire de conféquences vagues & de
réiùltats contraires à la vérité, lefquels
forment dans la fuite des préjugés qui
s'effacent difficilement.
C'efl: pour cela que j*ai dit qu'il £iî-
loit commencer par voir beaucoup, il
faut aufli voir prefque fins dellein , parce
que fi vous avez réfolu de ne confi-
dérer les choies que dans vuic certaine
A iiij
8 Manière de traiter
vue, dans un certain ordre, dans un cer-
tain fyftème , eiifîiez-vous pris le meil-
leur chemin, vous n'arriverez jamais à
la même étendue de connoiiïîuices à
laquelle vous pourrez pre'tendre, fi
vous laiiïez dans lès commencemens
votre efprit marcher de lui-même , (è
reconnoître, s'afTurer fans fecours, &
former fèul la première chaîne qui re-
preTente l'ordre de les idées.
Ceci efl: vrai ians exception, pour
toutes les perfonnes dont i'efprit eft
fait & !e raifonnement forme'; les jeunes
gens au contraire doivent être guide's
plus tét & confeillés à propos, il faut
même les encourager par ce qu'il y a
de plus piquant dans la fcience , en leur
faifant remarquer les chofes les plus fui-
gulières, mais fans leur en donner d'ex-
plications pre'cifes ; le myfière à cet âge
excite la curiofité , au lieu que dans
i'âge mûr, il n'infpire que le de'goûî;
ies enflms fè lalTent aife'ment des chofes
qu'ils ont déjà vues , ils revoient avec
indifférence, à moins qu'on ne leur pré-
fente les mêmes objets fous d'autres
points de vue 3 (3c au li^u de leur répéter
î'Hijïûîre Naîureïïe» ^
fiinplement ce qu'on leur a déjà dit,
il vaut mieux y ajouter des circonf^
tances, même étrangères ou inutiles;
on perd moins à les tromper qu'à les
déoroûter.
Lori qu'après avoir vu & revu pîu-
fleurs fois les chofes , ils commenceront
à (e les repréfenter en gros , que d'eux*
mêmes ils fe feront des divi fions , qu'ils
commenceront à apercevoir des diftinc^
tions générales, le goût de la fcienc^
pourra naître, & il fmdra l'aider. Cs
goût il ncceifaire à tom, mais en même
temps fi rare, ne (è donne point par les
préceptes; en vain l'éducation voudroiî
y fuppléer, en vain les pères contrai-
gnent-ils leurs enfins, ils ne les amè-
neront jamais qu'à ce point commun k
tous les hommes, à ce degré d'intellii-
gence & de mémoire qui fuffit à h
Ibciété ou aux affaires ordinaires; mars
c'eil à la Nature à qui l'on doit cette
première éuncelle de crénie, ce germe
de goût dont nous parions , qui ie dé-
veloppe enfuiie plus ou moins , fuj^
vant les différentes circondanccs & te
différens objets,
A T
:i d Âidiilère de îraner
Auffi doit-on prefenter à i'efprit Jes
jeunes gens des cholb de toute elpèce ,
Aç:% études de tout genre, des objets
de toutes ibrtes , afin de reconnoîtrc le
genre auquel leur cfprit fe porte avec
plus de force , ou le livre avec plus de
plaifir: l'Hilloire Naturelle doit leur
être préientée à Ton tour, & précilé-
nient dans ce temps où la raifon com-
nience à fe développer; dans cet âge
oii ils pourroient commencer à croiie
qu'ils favent déjà beaucoup ; rien n'efl
plus capable de rabaifler leur amour
propre, & de leur faire fentir combien
il y a de chofes qu'ils ignorent ; &
indépendamment de ce premier effet
qui ne peut qu'être utile, une étude
înênie légère de l'Hiftoire Naturelle
élèvera leurs idées, & leur donnera des
connoiiîiinces d'une infinité de chofes
que le commun des hommes ignore,
& qui fe retrouvent fouvent dans l'u-
fage de la vie.
Mais revenons à l'homme qui veut
s'appliquer férieufement à l'étude de la
Nature, & reprenons-le au point où
nous l'avons laifîe , à ce point où il
l'HïJlolre Ndîurelle, 1 1;
commence à généraliier Tes ide'es, & à
fe former une met ode d'arranoement
ôi des fyftcmes d'explication ; c'ell alors
qu'il doit confuitcr ies gens inllruits,
iire les bons Auteurs, examJner leurs
différentes méthodes, & emprunter des
iumières de tous côtés , m.ais coirime
il arrive ordinairement c|ii'on fe prend
alors d'affedron & de goût pour cer-
tains auteurs, pour une certaine mé-
thode, & que fouvent, fans un exa-
men aiïez miûr, on fe livre à un fyf-
tème quelquefois mal fondé, il eft bon
que nous donnions ici cjuelques no-
tions préliminaires fur les méthodes
qu'on a imaginées pour faciliter l'in-
telligence de l'Hifîoire Naturelle : ces
méthodes font très -utiles, lorsqu'on
ne ies emploie qu'avec les reflridions
convenables; elles abrègent le travail,
elles aident la mémoire, & elles offrent
à l'efprit une fuite d'idées, à la vérité
compofées d'objets différens entr'eux^
mais qui ne iaiffcnt pas d'avoir des rap-
ports communs, & ces rapports for-
ment des im.preiïions plus fortes que
ne pourroitnt faire des objets détachas-
A vj
î 2 Manière de traiter
qui n'auroient aucune relation. Yoliiî
la principale utilité des méthodes, mais
i'inconvénient eft de vouloir trop aion-
ger ou trop refTerrer la chaîne , de vou-
loir foumettre à des loix arbitraires les
ioix de la Nature , de vouloir la divi-
ier dans des points où elle eft indivi-
jfible , & de vouloir mefurer les forces
par notre foibîe imagination. Un autre
inconvénient quin'eft pas moins grand,
& qui eft le contraire du premier, c'eft
de s'afTujettir à des méthodes trop par-
ticulières , de vouloir juger du tout par
une feule partie , de réduire la Nature à
de petits fyftèmies qui lui font étrangers,
& de les ouvrages immenfes en former
arbitrairement autant d'afTemblages dé-
tachés ; enfin de rendre , en multipliant
les noms & les repréfentaticns , la langue
de la fcience plus difficile que la fcience
elle-m.êmie.
.Nous fcynmes naturellement portés
à imaginer en tout une efpèce d'ordre
& d'uniformité, & quand on n'examine
que légèrement les ouvrages de la Na-
ture , il paroît à cette première vue
qu'elle a toujours travailié fur un mêm^^
ïHïfloire Naîmelk. l 3
plan : comiTie nous ne connoiiïons noivs-
înêmes qu'une voie pour arriver à un
Lut, nous nous perfuadons que la Na-
ture fait & opère tout par les mêmes
moyens &: par des opérations lem-
Llablesi cette manière de penier a fait
imaginer une infinité de faux rapports
entre les produdions naturelles, les
plantes ont été comparées aux ani-
maux , on a cru voir végéter les \xî\-
néraux, leur organifation ii différente,
& leur mécanique fi peu reffembknte
ont été fouvent réduites à la même forme.
Le moule commun de toutes ces choies
fi difîemblabies entr'elles, eil: moins
dans la Nature que dans i'efprit étroit
de ceux qui l'ont mal connue , & qui
favent auffl peu juger de la force d'une
vérité, que des juftes limites d'une ana-
logie comparée. En effet, doit -on,
parce que le fang circule , affurer que
la sève circule aufîi î doit-on conclure
de la végétation connue des plantes a
une pareille végétation dans les minér-
raux , du mouvement du ftmg à celui
de la sève, de celui de la sève au mou-
rement du fuc pétrifiant î a'sfl-ce pas
^î4 'Manière Je traiter
porter dans la réalité des ouvrages du
Créateur, les abfl: radions de notre ef-
prit borné, & ne lui accorder, pour
ainfi dire, c|u'autant d'idées que nous
en avons! Cependant on a dit, & on
dit tous ies jours des chofes aufîi peu
fondées, & on bâtit dts fyftèmes lur
des faits incertains, dont l'examen n'a
janiais été fiit, & qui ne fervent qu'à
montrer ie penchtint qu'ont les hommes
à vouloir trouver de la refîemblance
dans les objets les plus différens , de la
régularité où il ne règne que de ia va-^
riété, (Se de l'ordre dans les chofes cju'iis
n'aperçoivent f[ue confufément.
Car lorfque, (ans s'arrêter à des con-
noiffmces fuperficielles dont les réful-
tats ne peuvent nous donner que des
idées incomplètes des produdions &:
des opérations de la Nature, nous vou-
lons pénétrer plus avant & examiner
avec des yeux plus attentifs la forme
& la conduite de fes ouvrages, on elt
auiîi furpris de la variété du deilein ^
que de la multiplicité des moyens d'exé-
cunon. Le nombre des produdions de
h Nature, quoique prodigieux, ne fils
TlJîjîoire Naturelle. I 5
riîgrs^ que la jmus J^ji^J'^'^ï'^ic <Je notre
etonnement, ia mécanique,- Ton art,
{^s reffoûrcés, les déiorcîres même,
emportent toute notre admiration ; trop
petit pour cette immenfité , accabié par
îe nombre des merveilles, Tefprit hu-
main fuccombe : il iemble que tout ce
qui peut être, eft ; la main du Créateur
Ke paroît pas s'être ouverte pour don-
ner i'être à un certain nombre déter-
miné d'efpèces ; mais il fembîe qu'elle
ait jeté tout-à-ia-fois un monde d'êtres
relatifs & non relatifs; une infinité de
combinaifons harmoniques & contrai-
res, & une perpétuité de deflrudions
& de renouvelleniens. Quelle idée de
pui/Tance ce fpeélacle ne nous offre-t-il
•pas ! Quel fentiment de refpeél cette
vue de l'Univers ne nous infpire-t-elie
pas pour fon Auteur! Que feroit-ce ii
îa foible lumière c[ui nous guide, deve-
noit aflez vive pour nous fiire aper-
cevoir l'ordre général des caufes &i de
la dépendance des effets \ mais l'eiprit
le plus vafie, & le génie le plus puif-
fant, ne s'élèvera jamais à ce haut point
4e ccnnoiflance : les premières caiiiès
i6 Manière de îraiîcr
nous feront à jamais cachées , les réiiiï-
tats généraux de ces caufes nous feront
aufîi difficiles à connoître que les caufes
mêmes; tout ce qui nous eft pofTible,
c'efl: d'apercevoir quelques effets parti-
culiers, de les comparer, de les com-
biner, & enfin d'y reconnoître plutôt
un ordre relatif à notre propre nature ,
que convenable à i'exiilence des chofes
que nous confidérons.
Mais puifque c'eil: la fexiîe voie qui
nous foit ouverte, puifque nous n'a-
vons pas d'autres moyens pour arriver à
la connoilîànce des chofes naturelles,
ii faut aller iufqu'où cette route peut
nous conduire, il faut raffembler tous
les objets, les comparer, les étudier, &
tirer de leurs rapports combinés toutes
les lumières qui peuvent nous aider à
les apercevoir nettement & à les mieux
connoître.
La première vérité qui ibrt de cet
examen férieux de la Nature, efl: une
vérité peut-être humiliante pour l'hom-
me ; c'eft qu'il doit ie ranger lui-même
dans la claiïe des animaux, auxquels il
reffemble par tout ce qu'il a de matérid^
THïjloire 'Naturelle. Jj
Se même leur inflinél lui paroîtra peut-
être plus fur que in raifon, & ieurindui^
trie plus admirable que l'es arts. Par-
courant enfuite fuccefîlvemeiit & par
ordre' les difFcrens objets qui compofent
l'Univers, & le menant à la tête de tous
les êtres crée's, il verra avec étonnement
qu'on peut defcendre par des degrés
prefqu'infenfibles, de la créature la plus
parfaite jufqu'à la matière la plus infor-
me, de l'animal le mieux organifé juf-
qu'au minéral le plus brut; il recon-
noîtra que ces nuances imperceptibles
font le grand œuvre de la Nature; il
les trouvera ces nuances , non-feulement
dans les grandeurs & dans les formes,
mais dans les mouvemens, dans les géné-
rations, dans les fucceffions de toute
elpèce.
En approfondiffant cette idée , oit
voit clairement qu'il eft impoflible de
donner un fyftème général, une mé-
thode parfaite , non - feulement pour
l'Hiftoire Naturelle entière, mais même
pour une feule de fes branches , car pour
faire un fyftème, un arrano-ement, en un
mot une méthode générale, il faut que
'î 8 Ma f Itère de traiter
tout y foit comj;ris; il fliut divifer ce
tout en différentes ciafies, partager ces
claflcs en genres , fous-divifer ces genres
en eipèccsj & tout cela fuivant un ordre
dans lequel il entre nécciîaircment de
l'arbitraire. Mais ia Nature marche par
des gradations inconnues, & par conie-
quent elle ne peut pas fe prêter totale-
ment à ces divifions, puiiqu'eile pafle
d'une efpèce à une autre efpèce, &. iou-
Yeni d'un genre à un autre genre , par des
nuances imperceptibles ; de fone qu'il
fe trouve un grand nombre d'efpèces
moyennes & d'objets mi- partis qu'on
ne iàit où placer, & qui dérangent né-
ccfTairement le projet du ryflème géné-
ral : cette vérité eft trop importante pour
que je ne l'appuie pas de tout ce qui
peut la rendre claire & évidente.
Prenons pour exemple la Botanique,
cette belle partie del'Hiftoire Naturelle,
qui par Ton utilité a mérité de tout temps
d'être la plus culdvée, & rappelons à
î'examen les principes de toutes les mé-
thodes que les Botanides nous ont don-
nées ; nous verrons avec quelque furprilè
qu'ils ont eu tous en vue de comprendrç
VHipoîre Naturelle» i 9
cîans leurs mcthodes génenleinent toutes
Jes efDcces de piantes, &. qu'aucun d'eux
n'a parfaitement réulli ; il fe trouve tou-
jours dans chacune de ces méthodes un
certain nombre de plantes anomales dont
ï'eipèce eli moyenne entre deux genres,
& fur laquelle il ne leur a pas été pofîible
de prononcer jufle , parce qu'il n'y a pas
plus de railon de rapporter cette efpèce
à l'un plutôt qu'à l'autre de ces deux-
genres: en effet, le propofer de faire
une méthode parfiite , c'efl: fe propofer
un travail impolTible ; il faudroit un
ouvrage qui repréfentât exad:ement tous
ceux de la Nature, & au contraire tous
les jours il arrive qu'avec toutes les mé-
thodes connues, & avec tous les lècours
qu'on peut tirer de la Botanique la plus
éclairée , on trouve des efpèces qui ne
peuvent le rapporter à aucun des genres
compris dans ces méthodes : ainli l'expé-
rience eft d'accord avec ia raifon fur
ce point, & l'on doit être convaincu
qu'on ne peut pas fiire une méthode
générale & parfaite en Botanique. Ce-
pendant il lemble que la recherche de
cette niéihcde générale foit une efpèce
% o Manière àè traiter
de pierre phiiofophale pour les Botà-
iiiftes , qu'ils ont tous cherchée avec des-
peines & des travaux infinis ; tel a pafTé
quarante ans, tel autre en a pafTë cin-
quante à faire Ton Tyllème, & il eft
arrivé en Botanicjue ce qui ell arrivé
en Chimie, c'efl qu'en cherchant la
pierre philofophaie que l'on n'a pas
trouvée, on a trouvé une infinité de
chofes utiles ; & de même en voulant
£ire une méthode générale & parfaite
en Botanique, on a plus étudié & mieux
connu les plantes & leurs ufages : tant i-I
efl vrai qu'il faut un but imaginaire aux
hommes pour les foutenir dans leurs
travaux , & que s'ils étoient perfuadéîs
qu'ils ne feront que ce qu'en effet ils
peuvent fiire, ils ne feroient rien dy
tout.-
Cette prétentbn qu'ont les Botaniftes-,
d'établir dès fyltèmes généraux, parfaits
& méthodiques, efl donc peu fondée ;•
aufîî leurs travaux n'ont pu abouùr qu'à
nous donner des méthodes défecflueufes,
kfquelîes ont été fuccefîivement dé-
truites les unes par les autres , & ont fubi
k fort commun, à tous les fyftèmes
fHïfloire Naturelle. 1 1
fondés fur des principes arbitraires ; &
ce qui a ie plus contribué à renverfèr ^
les unes de ces méthodes par ies autres,
c'eft la liberté que les Botaniltes fe font
donnée de choifir arbitrairement une
leule partie dans les plantes , pour en
faire le caradère fpécifique; les uns
ont établi leur méthode fur la figure des
feuilles, les autres fur leur pofition,
d'autres (\iï ia forme des fleurs , d'autres
fur le nombre de leurs pétales , d'autres (w£^^*\fC
enfin fur ie nombre des étamîncs ; je ne ^^unJ.
finirois pas fi je voulois rapporter -eii
détail toutes ies méthodes qui ont été
i^naginées, mais je ne veux parler ici
que de ceiles qui ont été reçues avec
applaiidiiîement , <5c qui ont été fuivies
chacune à ieur tour, fans que l'on ait
fait affez d'attention à cette erreur de
principe qui leureft commune à toutes,
êc qui confiile à vouioir juger d'un tout,
tk: de ia combinailon de plufieurs touts ,
par une feule partie , & par la comparai-
ion des différences de cette feuie partie :
car vouloir juger de ia différence des
piantes, uniquement par celie de ieurs
feujlies ou de leurs fleurs , c'eft coming
% 2 Manière de traiter
fi Oïl vouloit connoître la différence des
animaux par la différence de leurs peaux
ou par ceiie des parties de la génération t
& qui ne voit que cette façon de con-
noître n'efl pas une fcience, & c{ue ce
ii'efl tout au plus qu'uue convention,
une langue arbitraire , un moyen de
s'entendre, mais dont il ne peut réfuker
aucune connoifîltnce réelle î
Me feroit - il permis de dire ce que
, je penfe fur l'origine de ces différentes
méthodes , & fur les caufes qui les ont
multipliées au point qu'adueilement Ja
Botanique elle-même cit plus aifee àjip-
prendre que la nomenclature, qui n'en
eft que la langue î Me feroit-il permis
de dire qu'mi homme auroit plutôt fait
de graver dans la mémoire les figures de
toutes les plantes, & d'en avoir des idées
nettes, ccquieft la vraie Botanique, que
de retenir tous les noms que les diffé-
rentes méthodes donnent à ces plantes,
& que par confequent la langue efl de-
venue plus difficile que la fcienceî voici,
ce me fèmble, comment cela eft arrivé.
On a d'abord divifé les végétaux fuivant
ieurs différentes grandeurs, on a dît, iï
THïfloire Naturelle, 2 3'
y a de grands arbres, de peiits arbres,
des arbriiîeaux, des fous-arbiifTeaux, de
grandes plantes, de petites plantes & des
herbes. Voilà le fondement d'une mé-
thode que l'on divife & fous-divilè en-
fuite par d'autres relations de grandeurs
& de formes , pour donner à chaque
efpèce un caradèfe particulier. Après la
méthode faite fur ce plan , il eft venu des
gens qui ont examiné cette didributioii
& qui ont dit : mais cette méthode fon-
dée iur la grandeur relative des végétaux
ne peut pas fe foutenir , car il y a dans une
feule efpèce comme dans celle du chêne,
des grandeurs fi différentes, qu'il y a diQ.s
efpèces de chêne qui s'élèvent à cent
pieds de hauteur , & d'autres efpèces de
chêne qui ne s'élèvent jamais à plus de
deux pieds ; il en eft de même , propor-
tion gardée, des châtaigniers , des pins,
<les aloès , & d'une infinité d'autres ef-
pèces déplantes. On ne doit donc pas,
a-t-on dit, déterminer les genres des
plantes par leur grandeur, puifque ce
ligne eft équivoque & incertain, & l'on
a abandonné avec raifon cette méthode.
D'autres font venus enfuite, qui, croyant
':2.4' 'Mdînère de tmlter
faire mieux , ont dit : il faut pour con-
noître les plantes , s'attacher aux parties
les plus apparentes , &: comme les feuiiies
font ce qu'il y a de plus apparent , il feut
arranger ies plantes par la forme , la gran-
deur & la pofition des feuilles. Sur ce
projet, on a fait une autre méthode, on
l'a luivie pendant quelque temps , mais
enfuite on a reconnu que les feuilles de
prelque toutes les plantes varient prodi-
gieufement félonies diffe'rens âges & les
diiFérens terreins, que leur forme n'efl
pas plus confiante que leur grandeur,
que leur pofition eft encore plus incer-
taine ; on a donc été aufîi peu content
de cette méthode que de la précédente.
Enfin quelqu'un a imagûié>ii&-vj^ crois
que c'eft Gefner, q^'è^'le Créateur avoit
mis dans la fructification des plantes un.
certain nombre de caradères différens <&:
invariables , & que c'étbit de ce point
dont il falloit partir, pour faire une mé-
thode, & comme cette idée s'efl: trouvée
vraie jufqu'à un certain point , en forte
que les parties dé la génération des
plantes fe font trouvées avoir quelques
différences plus confiantes que tojutes
les
l'Hifloire Naturelle^ '±f
΀s autres parties de la plante , prifes
féparément , on a vu tout d'un coup
s'élever plufjeurs méthodes de Botani-
que , toutes fondées à peu près fur ce
même principe ; parmi ces méthodes ,
-eelle de M. de Tournefort efl la plus
remarquable , la plus ingénieufe & la
plus complète. Cet illuftre Botanifte a
iènti les défauts d'un fyltème qui feroit
purement arbitraire ; en homme d'elprit
il a évité les abfurdités qui fe trouvent
dans ia plupart des autres méthodes de
fes contemporains , & il a fait fes dil-
tributions & fes exceptions avec une
fciencc «Se une adrefle infinies ; il avoit ,
en un mot , mis la Botanique au point de
fe paJTer de toutes les autres méthodes,
'& il l'avoit rendue fufceptible d'un
certain degré de perfecflion ; mais il s'eft
élevé un autre Méthodifte qui , après
avoir loué fon fyftème , a tâché de le
détruire pour établir le fien , & qui
-ayant adopté avec M. de Tournefort les
caractères tirés de la frucflification , a
employé toutes les parties de la généra-
tion des plantes , & fur -tout les éta-
inines, pour en faire la diftribution de
Tome IJ B
\
'x() Manière Je tvditer
iês genres ; & niépriiànt la ilige nttew-
îion de M. de Tournefort à ne pas forcer
ia Nature au point de confondre , en
'jvertu de ion fyilènic , les objets les plus
.différens , comme |es arbres avec les
herbes, a mis enfemble & dans les mêmes
claffes le mûrier & l'ortie, la tulipe &
l'tpine-vineîie , l'orme & la carotte, la
rôle & la iraiie , le chêne & la pimpre^-
riclle. N'eiUcc pas le jouer de ia Nature
<& de ceux c(ui l'etudiem \ & listout cela
n'etoit pas donné avec une certaine aprr
parence d'ordre myflerieux , &: enver-
loppe de grec & d'érudition Botanique,
auroit-on t^nt tardé à faire apercevoir
le ridicule d'une pareille méthode , ou
plutôt à montrer la .confufion qui rciufte
d'un aflcmbiiige fi bizarre l Mais ce n'eft
pas tout, & je vais infiiler , parce qu'il
eil juilede conlerver à M. dç. Tournefort
la gloire c[u'iL a méritée par un travail
fcp.té oc fjivi , ov parce qu'il ne fmt pas
que les gens qui ont appris la Botanique
par h méthodiç de Tournefort, perdent
leur temp3 ^i énidier .cette nouvelle ii^é-
îhode ou tout ed changé jufqu'uiïx noms
ë'^-.m:i furnoms des plantes, Je dis donc
rHijlvire Naturelle. 27
que cette nouvelle me'thode qui rafî'em-
ble dans iu même clafîe des genres de
plantes entièrement diilemblables , a en-
core indépendamment de ces diiparates,
des défauts efîentieîs , & des inconvé-
iiiens plus grande que toutes les mé-
thodes qui ont précédé. Comme les
caractères des genres font pris de parties
preiqu'infiniment petites , il faut aller le
microfcope à ia main, pour reconnoitre
un arbre ou une plante ; la grandeur^
ia figure , ie port extérieur , les teuiiles ,
toutes les jrarties apparentes ne fervent
plus à rien, il n'y a que les étamines ,
& fi Ton ne peut pas voir les étamines ,
on ne lait rien, on n'a rien vu. Ce grand
«Trbre que vous apercevez , n'eft peut-
être qu'une pimprenelle , îl fiuu compter
ies, étamines pour favoir ce que c'efi:, oc
comme Tes étamines font touvcnt li pe-
tites qu'elles échappent à l'oeil fnnplc
ou à ia loupe , il fmt un microfcope ;
mais malheureufement encore pour ie
fyilème , il y a des plantes c|ui n'ont
point d'étamines, il y a des plantes dont
îe nombre des étamines varie, & voilà
la méthode en défaut comme les autres ,
Bij
;2,g Aldiiière Je traiter
îîialgré îa loupe & le microfcope ^û),
Après cette exporitioii fincère doi
fondemens fur lefquels on a bâti les dif^
férens fyftèiiies de Botanique , il eft aile
de voir que le grand défaut de tout ceci
efl: Viïy^ erreur de Métaphyfique dans le
principe même de ces méthodes. Cette
erreur confifte à méconnoître la marche
de la Nature , c\m fe fait toujours par
nuances , & à vouloir juger d'un tout par
une feule de fes parties : erreur bien évi^
/dente , 6c qu'il eft étonnant de retrouver
par-tout ; car prefque tous les Nomen-
dclateurs n'ont employé qu'une partie ,
comme les dents , les ongles ou ergots ,
pour ranger les animaux ; les feuilles ou
les fîeurs pour diflribuer les plantes, an
iieu de fe lervir de toutes les parties , &
de chercher les différences ou les reffem-
(a) Hoc ver à fy/iiwa , Linnai fcîllcet , jam cogmiîs
vîantarum methodis lovgè vihus if wferius non folùm,
J(d iX 'mfiipiY n'unis coaâum , lulmcimi & fnllax , imà
iuforium deprehenderim ; & quidem in lanrùrn , ut von
foIum quoad d'fpolitionem ne dcnominationem plantanm
gnormes covfifioftes pofi fe trahct , fed & m non ple-
naria doârituz Botanica folidoYis o/'fcuratw iy penur-
Intio huk fiKYit înetuendch Vanifoq, Botan. fpec.in^eii
^^fuîaîum à SiegfifLe.ck. Feiropoli ^ '74^>
l'Hifloire Naî II relie. 29?
fclances dans i'individu tout entier. C'efl
renoncer volontairement au plus grand
nombre des avantages que la Nature nous
offre pour la connoître, que de refufer de
fè fervir de toutes les parties des objets
que nous confidérons ; & quand même
on feroit afluré de trouver dans quelques
parties priies féparément , des caractères
conftans & invariables , il ne f^iudroit pas
pour cela réduire la connoilîîmce des
productions naturelles à celle de ces
parties confiantes qui ne donnent que'
des idées particulières & très-imparfaites
du tout, & il me paroît que le feuî moyerï
de faire une méthode inflrudive & natu-
relle, c'eft de mettre eniembleles chofes
qui fe rcflembient, & de féparer celles
^ui diffèrent les unes des autres. Si les
Hidividus ent une reffemblance parfiite,
ou des différences fi pentes qu'on ne
puiffe les apercevoir qu'avec peine , ces
individus feront de la même efpèce ; fi les,
différences commencent à être fenfibles j
& qu'en même temps il y ait toujours
beaucoup plus de reffemblance que de
différence, les individus feront une autre
efjpèce , mais du même genre que les^
B iij
30 Manière de traher
premiers ; & fi ces difFérenccs font encore
plus marquées , lliiis cependant excéder
les reflemblances , aiors les individus lè-
pont non-feulement d'une autre efpèce ,
mais mênie d'un autre genre que ies pre-
miers & les leconds , & ce|)cndant ils
feront encore de la même cia(îe, parce
qu'ils fe relTemblent plus qu'ils ne diffè-
rent ; mais fi au contraire le nombre des
différences excède celui des reflemblan-
ces , alors les individus ne font pas même
de la même clafle. Voilà l'ordre métho-
dique que l'on doit fuivre dans l'arran-
gement ô.Q^ produclions naturelles \ bien
entendu que les reflemblances & \qs
différences feront prifes non-ieuleinent
d'une partie, mais du tout enfemble, &
que cette méthode d'infpedion fe por-
tera fur la forme , fur la grandeur , fur
le port extérieur , fur les différentes
parties , fur leur noiubre , fur leur pofi •
tion , fur la fubilance même de la chofe,
& qu'on fe fervira de ces élcmens en
petit ou en grand nombre , à mefure
qu'on en aura befoin ; de forte que fi un
individu , de quelque nature (ju'il foit ,
eli d'uiic figure allez fingulicre pour
€tre toujours reconnu :iu premier coup
d'œil , on ne lui donnera qu'un nom ;
mais n cet individu a de comnuui avec
Ui\ autre la figure , & qu'il en diffère
conlîpj.nment par ia grandeur, ia cou-
ieiir, ia lubllance, ou par quelqu'autre
qualité très-fenfibfe , alors on lui don-
nera le même nom , en y ajoutant un
adjcdif pour marquer cette différence ;
ÔL ain/i de iuite, en mettant autant d'ad-
jeclils qu'il y a de diifcrcnces , on fera
lûr d'exprimer tous les attributs difTcrens
de chaque efpèce , & on ne craindra
pas de tomber dans les inconyéni^ns dQS
méthodes trop pardculicres dont nous
venons de parler, &l fur kic[uclles je me
iliis beaucoup étendu , parce cjue c'eft
un défaut commun à toutes les méthodes
de Botanique 2i d'H iiloire Naïuieile ,
ÔL que les fyflèmes qui ont été faits pour
les animaux, font encore plus défeclueux
que les méthodes de Botanicjue ; car,
comme nous l'avons déjà infinué , on
a voulu jjrononcer fur la refîemblance
& la diiîérence des animaux , en
n'employant que le nombre des doigts
ou ergots ; des dents & dQs nvamelles;
Biiij
32 Mamère de traker
projet qui reflembie beaucoup à ceîuî-
des étamines, & qui ell en effet du même
Auteur.
II réfuite de tout ce que nous venons
d'expofer, qu'il y a dans l'étude de l'Hif-
îoire Naturelle , deux e'cueils également
dangereux , le premier , de n'avoir au-
cune méthode , & le fécond , de vouloir,
tout rapporter à vm fyftème particulien.
Dans le grand nombre de gens qui s'ap-
pliquent maintenant à cette fcience , on
pourroit trouver des exemples frappans.
de ces deux manières fi oppofees , &
cependant toutes deux viciei^fes : la plu-
part de ceux qui , fans aucune étude
précédente de i'Hiiloire Naturelle , veu-
lent avoir des cabinets de ce genre , font
de ces perfbnnes aifées, peu occupées ,
qui cherchent à s'amufer , & regardent
comme un mérite d'être mifes au rang
des curieux ; ces gens-ià commencent
par acheter , fans choix, tout ce qui leur
frappe les yeux; ils ont l'air de defirer
avec paffion les chofes qu'on leur dit
être rares & extraordinaires , ils les efli-
ment au prix qu'ils les ont acquifes , ifs
arrangent le tout avec complaifance , ou
THifohe Naturelle. 33
fentaflent avec confurion, & finifTent
bientôt par fe dégoûter : d'autres au
contraire , & ce font les plus favans ,
après s'être rempli la tête de noms , de
phrafes, de méthodes particulières, \?ien-
nent à en adopter qtieiqu'une , ou s'oc-
cupent à en faire une nouvelle , & tra-
vaillant ainfi toute leur vie fur une même
ligne & dans une faufle direction , &
voulant tout ramener à leur point de vue
particulier , ils Te rétrécifîent l'efprit ,
cefTent de voir les objets tels qu'ils font ,
& finiffem par embarrafler la fcience, (Se
la charger du poids étranger de toutes
kurs idées.
On ne doit donc pas regarder les mé-
thodes que les Auteurs nous ont données
ilir l'Hilloire Naturelle en général, ou
fur quelques-unes de Tes parties , comme
les fondemens de la icience, & on ne doit
s'en fervir que comme de fignes dont ou
efl: convenu pour s'entendie. En effet,
ce ne font que des rapports arbitraires ëL
des points de vue différens fous lefqucls
on a confidéré les objets de la Nature,.
& en ne faifant ura2:e des méthodes que
dans C€t efprit , on peut en tirer quelque
5 4- Manière de traiter
îulilté ; car quoique cela ne pnroifîe pas
ion ne'cefî^iîrc , cependant il pourroit
être bon qu'on lut toutes les elpèces de
plantes dont les feuilles fe rellemblenr,
toutes celles dont les fleurs font fem-
bîables , toutes celles qui nourrirent de
certaines efpèces d'iniecles , toutes celles
e|ui ont un certain nombre d'étamines y
toutes celles qui ont de certaines glandes
excrétoires ; & de même dans les ani-
maux y tous ceux qui ont un certain^
nombre de mamelles , tous ceux qui
ont un certain nombre de doigts. Cha-
cune de ces méthodes n'eli, à parler vrai,,
'<ju'un Didionnaire oit l'on trouve les
noms rano;és dans un ordre relatifs cette
idée , & par confè^qucnt aufii arbitraire
que l'ordre alphabétique ; mais l'avantage
qu'on en pourroit tircrj c'efl qu'en com-
parant tous ces réfultats , on ie retrouve-
foit enfin à la vraie méthode y qui efl: b
deicription complète &. l'hiftoire exadc
de chaque chofe en particulier.
C'eil ici le principal but qu'on doive
fe propofer : on peut fe fervir d'une me-
îhode déjà faite comme d'une commo-
éxié pour étudier ^ on doit ia regardât
rMijii
iîjîoîrc Naturelké 3 Jl
Comme une faciliié pour s'entendre ;
mais le ieul & le vrai moyen d'avancer
la fcience , efl: de travailler à la deicrip^
lion & à {'hiltoire des diiiérentes choies
qui en font l'objet*
Les cho^s par rapport à nous ne font
rien en elles-mêmes, elles ne font encore
rien lorlqu 'elles ont un nom , mais éAcs
commencent à cxiiler pour nous ioriCjue
nous leur connoiflons des rapports , des
propriétés ; ce n'eit mcme ciue par ces
rapports que nous pouvons leur donner
une définition : or la dcimition telle qu'on
la peut fltire par une pbrafe , n'elt encore
f[ue la reprérentaiion très - imparfaite de
la chofe , & nous ne pouvons jamais bien
définir une chofe fins ta décrire exacte-
ment. C'eli cette difficiilté de faire une
lionne définition , que l'on retrouve à
tout moment dans toutes les méthode^ ,
dans tous les abréo-cs ciu'on a tâché de
frûre pour ioulager k mémoire ; autii
doit-on dire cjue dans les choies natu-
relles il n'y a rien de bien défini que ce
qui ell exademem décrit : or pour de-
crire exa<5lement , il f iut avoir vu , revu r
ej;aminé, comparé la chofe c|ifon veu§.
B vj
36 Manière de traiter
décrire , & tout cela iàns préjugé , fans
idée de fyflèine , fans quoi la delbription
n*a plus le caradtère de la vérité , qui eft
le leul qu'elle puifle comporter. Le llyïe
même de la defcription doit être fimple ^
net & mefuré , il n'eft pas fufceptible
d'élévation, d'agrémens , encore moins,
d'écarts , de ptaifanterie ou d'équivo-
que , le feul ornement qu'on puifTe lui
donner , c'eft de la noblefle dans l'ex-
prefTion , du choix & de la propriété
dans les termes.
Dans le grand nombre d'Auteurs qui
ont écrit furrHilloire Naturelle , il y en
a fort peu qui aient bien décrit. Repré-
senter naïvement & nettement les chofes^
iàns les changer ni les diminuer , & fans^
y rien ajouter de Ton imagination , eft;
un talent d'autant plus louable qu'il eft:
moins brillant , & qu'il ne peut être fenti
que d'un petit nombre de perfonnes
capables d'une certaine attention nécef-
fuire pour fuivre les chofes jufque dans
ies petits détails : rien n'eft plus commun
que des ouvrages embarrafTés d'une
nombreufe & sèche nomenclature , de
. -iwthodes ennwyeufes & peu iiaturelle&>
rFTifloîre Naturelle 0 37-
dont les Auteurs croient fe faire un mé-
rite ; rien, de fi rare que de trouver de
i'exacHiitude dans les defcriptions , de la
nouveauté dans les faits , de la finefTe
dans les obfervations.
Aidrovande, le plus laborieux & îe
plus (avant de tous les NaturaliRes , a
iaiiïe, après un travail de foixante ans^.
des volumes immenfes fur l'Hiiloire Na-
turelle , qui ont été imprimés fuccefîive-
Jiient, & la plupart après fa mort : on les
réduiroit à la dixième partie fi on en
ôtoit toutes les inutilités & toutes les
chofes étrangères à Ion fiajet ; à cette pro-
lixité près, qui, je l'avoue, ^{x acca-
blante , fes livres doivent être regardés
comme ce qu'il y a de mieux fur la tota-
lité de l'Hiftoire Naturelle ; le plan de.
ion ouvrage eft bon , fes diftributioris
font fenlees, (€:s divifions bien marquées,
fes defcriptions affez exades, monotones,
à la vérité , mais fidèles : i'hifiorique
efl: moins bon , fouvent il efl: mêlé de
fcbuleux , & l'Auteur y laifie voir trop
de penchant à la crédulité.
J'ai été frappé en parcourant cet Au=^
î§ur^ d'un défaut ou d'un excès qu'ont
'5§ Afdmere de trait ef
retrouva prelque dans tous les livres faits
il y a cent ou deux ccnis ans, & que les
Savans d' A lieinagiie ont encore aujour-
d'hui ; c'ed: de ceue quantité d'érudition
inutile dont ils groiliffent à deOein leurs
ouvrages , en ibrte que le fujct qu'ils
traitent , efl: noyé dans une quantité de
matières étrangères llir iefquelles ils rai-
fonncnt avec tant de complaiiance & s'é-
tendent avec fi peu de nienageinent pour
ies iedeurs , qu'ils femblent avoir oublié
ce qu'ils avoient à vous dire , pour ne
vous raconter que ce qu'ont dit les au-
tres. Je me repréfente un homme comme
Aîdrovaffde , ayant une fois conçu le
defîèin de fiire un corps complet d'Hif-
toire Naturelle , je le vois dans fa biblio-
thèque lire fucceffivement ies Anciens,
les Modernes, ies PhilofopheSjîes Théo-
iogiens, les Jurifconfultes, les HiilorienSy
les Voyageurs, les Poëtes, & lire fans^
imtre but que de fiifir tous les jnots y
touies les ]:)hrafes qui de près ou de loin.
ant rapport à fon objet ; je le vois co~
p'cr & faire copier toîues ces remarques"
^' les ranger par lettres i^îphabétiques ^ &
iipiès avoir rempli plufieurs porie-fcuiik^
rHijJc
^iJIoJre Naturelle, ^p
de notes de toute efpèce , prifes fouvent
h'As examen 6l (îms choix , co-nimencer à
rniv ailler un (tijct particulier, ôl ne vou-
loir rien perdre de tout ce qu'il a ramafTé ;
en forte qu'à l'occafion de l'Hiiloirc
Naturelle du coq ou du bœuf, il yot>s-
raconte tout ce qui a jamais été dit des
coqs ou des bœufs, tout ce c[ucles An-
ciens en ont pcnié , tout ce qu'on a ima-
gine de leurs vertus , de leur Gara<ftère ,
de lânr courage , toutes les chofes aux-
quelfes on a voulu les ejuployer , tous-
ks contes que les bonnes femmes en ont
faits , tous les miracles qu'on leur a fait
£iire dans certaines rergions , tous les
fujeis de luj^erilidon qu'ils ont fournis j
îoutes les comparaiibns c[ue les Poètes
en ont tirées , tous les attributs qiie cer-
tains peuples leur ont accordés, toutes
les repréièntations qu'on en fût dans îes^
hiéroglyphes, dans les armoiries , en un
mot'toutes les ififloj^-es «8t toutes les fables-
dont on s'eft jamais avilé au fujet des coqs--
ou des bœufs. Qu'on juge après cela de
la portion d'Hilioire Naturelle qu'on
doit s'^attendre à trouver dans ce fatras,
d'irx^ritures ; & fi en clîet l'Auteur ne
'/^o Mamere de Uéiiter
l'eût pas mife dans des articles féparés
des autres , elle n'aurou pas été trou-
vable , ou du moins elle n'auroit pas
valu la peine d'y être cherchée.
On s'efi: tout-à-fait corrigé de ce dé-
faut dans ce fiècle ; l'ordre & la précifion
avec laquelle on écrit maintenant, ont
rendu les Sciences plus agréables, plus
aifées , & je fuis periuadé que cette dif-
férence de ftyle contribue peut-être au-
tant à leur avancement que refprijt de
recherche qui règne aujourd'hui ; car nos
prédéceiïeurs cherchoient comme nous,,
mais ils ramaffoient tout ce qui fe préfen-
toit , au lieu que nous rejetons ce qui
nous paroît avoir peu de valeur , & que
nous préférons un petit ouvrage bien
raifonné à un gros volume bien lavant ;
ieulement il ell à craindre que venant à
mépriier l'érudition , nous ne venions
aufîi à imaginer que l'efprit peut Jiip- *•
pléer à tout , & qu| ^la^cSeience- îi'eft
qu'un vain nom.
Les gens fenfés cependant fentiront
toujours que la feule & vraie fcience eft.
la connoifllmce des fiits , l'efprit ne peut
pas y fuppléer , & les faits font dans ks^
ïHtjlohe Naturelle. 41'
Sciences ce qu'efl l'expérience dans fa-
vie cWilc. On poiirroit donc divifeir-
toutes les Sciences en deux clafles prin-
cipales , qui conîiendroient tout ce qu'il
convient à l'homme de favoir ; la pre-
mière eit l'Hiftoire Civile, & la feconde,-
l'Hiftoire Naturelle, toutes deux fonde'es
fur des faits qu'il eft fouvent important
& toujours agréable de connoître : la-
première eft l'étude des hommes d'Etat y
k féconde cil celle des Phiiofophes ; &
quoique l'utilité de celle-ci ne foit peut-
être pas aufÎJ prochaine que celle de l'au-
tre , on peut cependant aflurer que l'Hif-
toire Naturelle ejft la fource des autres
fciencesphyfiques& la mère de tous les
arts : combien de remèdes excellens la
Médecine n'a-t-elle pas tiré de certaines
producftions de la Nature jufqu'alors in-
connues ! combien de richefles les arts
H'ont-ils pas trouvé dans plufieurs ma-
tières autrefois méprifées ! Il y a plus y
c'eit que toutes ks idées des arts ont
leurs modèles dans les produdions de
La Nature: Dieu a créé , & l'homme
imite ; toutes les inventions des hom-
y^Qs , foit pour la néceffité , foit pour Is
'Jfi Mdmere de traiter
coiiimocliié , ne lont que cîes imitations
niiez grofîièies de ce que la Nature
exécute avec la dernière perfedion.
Mais lans inlilter plus long- temps fur
î'utiiité qu'on doit tirer de i'Hiftoire
Naturelle , loit j>ar rapport aux autres
fciences , foit par rapport aux arts, re-
venons à notre objet principal , à la
manière de l'étudier (Se de la traiier. La
defcription cxacT:e & i'hiiioire fidèle de
chaque choie ell, comme nous l'avons
dit, le feui but cpi'on doive le propofer
d'abord. Dans la defcription \o\\ doit
fiiire entrer la forme , la grandeur , le
poids j les cotîleurs , les fituations de
repos & de mouvemens , laipofuion des
parties, leurs rapports, leur figure, leur
adion & toutes les fonctions extérieures :
fi l'on peut joindre à tout cela i'expoii-
îlon des parties intérieures , la defcription
n'en fera cpe plus complète ; leuiement
on doit prendre garde de tomber dans
de trop petits détails , ou de s'appef uitir
fur la defcription de quelque partie peu
importante , ce de traiter trop légère-
ment les chofes efîentieiles & princi]:)a{es.
L'hiRoire doit fuiyrc la defcription , ^
THïfloire Natiiveîk. 43^
èiOW. uniquement rouler fur les rapports
que les choies naturciics ont entr'eiles
& avec nous; rhifloîre d'un animal doit
être non pas l'hifloire de l'individu ,
mais celle de i'efpèce entière de ces ani-
maux ; elle doit comprendre leur géné-
ration , le temps de la pregnation , celui
de l'accouchement, le nombre des pe-
tits , les foins des pères & des mères ,
leur efpèce d'éducation , leur inftincfl ,
les lieux de leur habitation , leur nour-
riture , la manière dont ils fe la pro-
curent , leurs mœiu's , leurs rufes , leur
chiifle, eniuite les lervices qu'ils peu-
vent nous rendre , & toiles les utilités
ou les conuuodités que nous pouvons
en tirer ; & iorfque dans l'intérieur du
corps de l'animal iî y a des choies re-
marquables, foit par !a conformation,
foit pour les ufigcs qu'on en peut faire ,
on doit les ajouter ou à la delcription
ou à l'hifloire ; mais ce leroit un objet
étranger à rHiftoire Naturelle, que d'en-
trer dans un examien anatom'que trop
circonftancié, ou du moins ce n'cfl: pas
Ton objet principal , & il faut réferver
ces détails pour fervir de mémoires fur
l'anatomie comparée.
44 Manière de traiter
Ce plan général doit être fuivi & rem-
pli avec toute l'exaditude pofTible , &
pour ne pas tomber dans une répétitioiir
trop fréquente du même ordre, pour
éviter la monotonie du ftyle , il faut va-
rier la forme des defcriptions & changer
k fil de l'hifloire , félon qu^^on le jugera
jîéceiTaire; de même pour rendre les def-
criptions moins sèches, y mêler quelques
faitis , quelques comparaifons , quelques
r-éfîexions fur les ufages des différentes
parties , en un mot , faire en forte qu'on
puifîe vous lire fans ennui auiîi-bien que
fans contention.
A l'égarcfflfe l'ordre général & de la-
méthode de diflribution des difîérens lu-
jets de l'Hiftoire Naturelle, onpoiirroit
dire qu'il eft purement arbitraire , & dès-
k)rs on eft affez le maître de choifir celui
qu'on regarde comme le plus commode
ou le plus communément reçu ; mais
avant que de donner les raifons qui pour-
roient déterminer à adopter un ordre plu-
tôt qu'un autre , il efi: nécefîaire de faire
encore quelques réflexions, par lefquelles
novis tâcherons de faire fentir ce qu'il peut
y avoir de réel dans les diviiioos que l'oa
ïHijîoire Naturelle. 45
a faites des procludions naturelles.
Pour le reconnoître il faut nous de'-
faire un inftant de tous nos préjuge's ,
& même nous dépouiller de nos idées.
Imaginons un homme qui a en effet tout
publié ou qui s'éveille tout neuf pour
les objets qui l'environnent ; plaçons cet
homme dans une campagne où les ani-
maux, Les oilèaux, les poifîons, les plantes ,
ies pierres fe préfèntent fucceirivement
à fes yeux. Dans les premiers inftans cet
homme ne diftinguera rien & confondra
tout ; mais laiflons fes idées' s'affermir
peu à peu par des fenf nions réitérées des
mêmes objets ; bientôt il fe formera une
idée générale de ia inatière animée, il fa
diftinguera aifément de la matière inani-
mée , & peu de temps après il diftin-
guera très-bien la matière animée de la
fîiatière végétative , & naturellement il
jarrivera à cette première grande divifion»
Animal , Végétal & ATinéral; & comme
il aura pris en même temps une idée nette
;de ces grands objets fi différens, la Terre,
i'y4/r& KEau , il viendra en peu de temps
à fe former une idée particulière des ani-
maux qui habitent la terre , de ceux qui
I'
'4^ Manière Retraiter
demeurent dans l'eau , & de ceux qui s'é-
ièvent dans l'air , & par conféquent il le
iêra aiféniçnt à lui-même cette ièconde
divifîon , Animaux çuadrup}deSj Oifeaux,
Poiffons ; il en eft de même dans le règne
végétal , des arbres & des plantes , il les
diiiingûera très- bien , foit parleur gran-
deur , ibit par leur iubftance , i^jit par
leur fio-ure. Voilà ce que la fimple ini^
pedion doit nécefîairement lui donner ,
Sl ce qu'avec un€ très-lcgère attention
il ne peut manquer de reconnoître ; c'efl:
îà aulîi ce que nous devons regarder
comme réel , & ce que nous devons rel-
peder comme une divifîon donnée par
Ja Nature même. Enfuite mettons -nous
h. la place de cet homme, ou iuppofons
qu'il ait acquis autant de connoiflanccs ,
ÔL qu'il ait autant d'expérience que nous
en avons , il viendra à juger les objets*
de l'Hilloire Naturelle par les rapports
qu'ils auront avec lui; ceux qui lui feront
les plus nécedaires , les plus utiles , tien-
dront le premier rang , par exemple , il
donnera la préférence dans l'ordre des
animaux au cheval , au chien , au bœuf,
^c, ôi il connoitra toujours mieux ceux
ïHïÇioht Naturelle. 47
q\iî ÎLii feront les plus flimilicrs ; enfuite
il s'occupera de ceux qui , lans être fa-
miliers , ne laiiï'ent pas que d'habiter l'es
mêmes lieux, les mêmes climats, commç
les cerfs , les lièvres , & tous les animaux:
llmvages , & ce ne lera qu'après toutes
ces connoiiïances acquiles que fi curio-
fité le portera à rccherCiSer ce que peu^
vent être les animaux des climats étran-
gers , comme les éîéphans , les droma-
daires , 6-;c. 11 en fera de même pour les
poiflons, pour les oiieaux , pour les in-
ièdes , pour les coquillages, pour les
plantes j pour les minéraux , & pour
toutes les autres produdions de la Na-
ture; il les étudiçra à proportion de l'u-
tilité qti'il en pourra tirer , il les confi-
dérera à ii^efure c[u'ils fe -préfenteront
plus fmfilièrement , &, il les rangera dans
là tête relativeiiient à cet ordre de les
çonnoilTîmces , parce que c'eil en eiïet
i'ordre félon lequel ij les a acquifes , ôl
félon lequel il lui importe de les con-
fexver.
Cet ordre Iç plus naturel de tous , eft
celui que nous avons cru devoir fuivre.
Notre méthode de diilribuiion n'cit pas
48 Mamère de îraiter
plus myflérieufe que ce qu'on vient de
voir , nous partons des divifions gév\é-
l'aies telles qu'on vknt de les indiquer ,
& que perfonne ne peut contefter, cn-
fuiie nous prenons les objets qui nous
înte'reiïènt le plus par fes rapports qu'ils
-ont avec nous , de-Ià nous pafTons peu
à peu juiqu'à ceux qui font les plus éloi-
gnés , & qui nous font étrangers , & nous
croyons que cette façon fimple & natu-
relle de confidérer les chofes, eft préfé-
rable aux méthodes les plus recherchées
& les plus conipofees , parce qu'il n'y en
a pas une , & de celles qui font faites ,
èi de toutes celles que l'on peut faire ,
où il n'y ait plus d'arbitraire que dans
celle-ci , & qu'à tout prendre il nous eft
plus facile , plus agréable & plus utile de
confidérer les choies par rapport à nous,
que fous un autre point de vue.
Je prévois qu'on pourra nous faire
deux objections , ia première , c'efl que
ces grandes divifions que nous regar-
dons comme réelles , ne font peut - être
pas exades ; que, par exemple, nous ne
ïommes pas lurs qu'on puifîe tirer une
ligne defeparation entre le règne animal
^ le
PHifiolre Naturelle^ '4 c)
& le règne végétal , ou bien entre le
règne végétal & ie minéral , &l que dans
la Nature il peut fe trouver des choies
qui participent également des propriétés
<ie l'un & de l'autre, iefquelles par con-
féquent ne peuvent entrer ni dans l'une
iii dans l'autre de ces divifions.
A cela je réponds que s'il exifle des
chofes qui foient exadement moitié ani-
mal & moitié plante , ou moitié plante
& moitié minéral , 6^c. elles nous font
encore inconnues ; en forte que dans le
fait la divifion eft entière & exacfle , &
l'on fent bien que plus \^s divifions fe-
ront générales , moins il y aura de rifque
de rencontrer des objets mi -partis qui
participeroient de la nature des deux
chofes comprifes dans ces divifions, en
forte que cette même objedion que nous
avons employée avec avantage contre kâ
diftributions particulières , ne peut avoir
lieu lorfqu'iî s'agira de divifions aufîl gé-
nérales que l'eft celle-ci, fur-tout fi Tou
ne rend pas ces divifions exclufives, &
fi l'on ne prétend pas y comprendre (ans
exception , non-feulement tous les êtres
connus, mais encore tous ceux qu'on
Tome L C
[j^ 'Mamère de traiter
pourroît découvrir à l'avenir. D ailîcurJ,
Ti l'on y fait attention , l'on verra bien
que nos ide'es généraics n'étant compo-
{ees que d'idées particulières , elles font
relatives à une échelle continue d'objets
de laquelle nous n'apercevons nettement
que les milieux , & dont les deux extré-
ïiiités fuient & échappent toujours de
plus en plus à nos confidérations , de
forte qwe nous ne nous attachons jarnais
qu'au gros des choies, & queparconfé-
quent on ne doit pas croire que no$
idées, quelque générales qu'elles puif-
iênt être , comprennent les idées parti-
culières de toutes les choies exiftantes 6c
pofTibles.
La féconde objection qu'on nous fera
iàns doute , c'eft qu'en luivant dans notre
ouvrage l'ordre que nous avons indiqué ,
nous tomberons dans l'inconvénient de
mettre enfemble dts objets très-difFé^
rens ; par exemple dans l'hifloire des ani-
maux , fi nous commençons par ceux qui
nous font les plus utiles, les plus familiers,
nous ferons obligés de donner l'hifloire
du chien après ou avant celle du chcvai ,
ce qui ne paroît pas naturel ; parce que
fHïjloire Naturelle» 5 r]
Ces animaux font fi differens à tous autres
égards, qu'ils ne paroifTent point du tout
faits pour être mis Ci près l'un de l'autre
dans un traite d'Hiiloire Naturelle ; &
on ajoutera peut-être qu'il auroit mieux
valu fuivrela méthode ancienne deladi-
vifion des animaux en Sel'/pedes, Pieds^
Fourchus & Fiffipedes, ou la méthode
nouvelle de la divifion des animaux par
les dents & les mamelles , &c.
Cette objecflion, qui d'abord pourroit
paroître Ipécieufe , s'évanouira dès qu'on
l'aura examine'e. Ne vaut-il pas mieux
ranger, non-feulement dans un traité
d'Hiitoire Naturelle, m:h même dans
un tableau ou par-tout ailleurs, les objets
dans l'ordre & dans la pofition où ils fe
trouvent ordinairement , que de les for-
cer à (è trouver enfemble en vertu d'une
fuppofition ! Ne vaut-il pas mieux fliire
fuîvre le cheval qui eit folipède , par le
chien qui cO: fifîjpède , & qui a coutume
de le fuivre en effet , que par un zèbre
qui nous eft peu connu , & qui n'a peut-
être d'autre rapport avec le cheval que
d'être folipèdcî D 'ailleurs, n'y a-t-il pas le
même inconvéniem pour les différences
C ij
5_2 Jïiduiere Je traiter
dans cet arrangement que dans ie notre !
un lion , parce qu'il eil fiffipède , reflcni-
bie-t-il à un rat qui eft auffi fifîjpède ,
plus qu'un cheval ne rcflemble à un
chien î un éléphant folipèderenemble-t-il
plus à un âne iolipède auffi , qu'à un cerf
qui eft pied-fourchu î & fi on veut fe
fervir de la nouvelle méthode dans la-
quelle les.. dents & les mamelles font les
caractères fpéciuques, & fur leiquels
font fondées les divifions & les diflribu-
tions,trouvera-t-on qu'un lion reflemblc
plus à une chauve-fouris, qu'un cheva!
ne reffemble à un chien î ou bien , pour
faire notre comparaifon encore plus exac-
tement, un cheval reffemble- t-il plus à un
cochon qu'à un chien , ou un chien ref-
femble-t-il plus à une taupe qu'à un che-
val (b)\ Etpuifqu'il y a autant d'inconvc-
jiiens & des différences aufii grandes dans
ces méthodes d'arrangement que dans ia
nôtre , & que d'ailleurs ces m.éthodes
n'ont pas les mêmes avantages , & qu'elles
font beaucoup plus éloignées de la façon
ordinaire & naturelle de considérer les
choies , nous croyons avoir eu des raifons
(h) Voyez Linn.^/jyA nat>p. 0 ^ îX fuiv.
tHipîre Ndîurelk 53
fuitirantes pour lui donner la préférence,
& ne fuivre dans nos dillributions que
i'ordre des rapports que les chofes nous
ont paru avoir avec nous-mêmes.
Nous n'examinerons pas en détail
toutes ies méthodes artificieiies que l'on
a données pour ia divifion des animaux 5
elles font toutes plus ou moins fujettes
aux inconvéniens dont nous avons parlé
au fujet des méthodes de Botanique, &
il nous paroît que l'examen d'une leuîe
de ces méthodes lufnt pour faire décou-
vrir ies défauts des autres; ainfi nous
nous bornerons ici à examiner celle de
M. Linnaeus qui efl la plus nouvelle, afin
qu'on ioit en état de juger fi nous avons
eu raifon de la rejeter , & de nous attacher
feulement à l'ordre naturel dans lequel
tous les hommes ont coutume de voir &
de confidérer les chofes,
M. Linnxus divife tous les animaux
en fix clafTes, favoir, les Quadrupèdes,
les Oifeauxp les Amphibies, \qs Poiffons,
les Jnfeâes & les Vers. Cette première
divifion ed, comme l'on voit, très-arbi-
traire & fort incomplète, car elle ne
Xious donne aucune idée de certains
Cii;
54 Manière de îraher
genres d'animaux , qui font cepcndnnt
îrès-confidérables & très-étendus, les
ierpens, par exemple, les coquillages,
les cruftacccs, & il paroît au premier
coup d'ceil qu'ils ont été oubliés; car
on n'imagine pas d'abord que les ierpens
foient des amphibies, les cruftacces des
inleifles, & les coquillages des vers. Au
îieu de ne faire que fix clafles, fi cet au-
teur en eût fait douze ou davantao-e , &
qu'il eût dit les quadrupèdes , les oileaux ,
les repaies, les amphibies, les poifTons
cétacées, les poiilons ovipares, les poif-
fons mous, les cruftacées, les coqiiil-
iages, les inledes déterre^ les infcc^les
de mer , les iniedies d'eau douce , &c. ii
eût parié plus clairement, & fes divi-
fions eullem été plus vraies & moins ar-
bitraires; car en général, plus on augmen-
tera le nombre des divifions des produc-
tions naturelles , plus on approchera du
vrai , puifqu'il n'exille réellement dans la
Nature que des individus ; & que les
genres, les ordres & les clafles n'exiflent
que dans notre imagination.
Si l'on examine les caractères géné-
raux qu'il emploie, & la manière dont
l'Hifloire Naturelle. 5 5^
2 fait Tes divifions particniières , on y
trouvera encore des défîuns bien plus
cfTemieis; par exemple, un caradère gé-
néral comme celui pris des mamelles
pour la divifion dès quadrupèdes, de-
vroit au moins appartenir à tousi les qua-
drupèdes , cependant depuis Ariftote 011
iait queie cheval n'a point de mamelles.
Il divife la clafFe des quadrupèdes en
cinq ordres , le premier Anthropomorphd ,
ie fécond Ferœ^ le troifième G lire s , le
quatrième Jumenla , & le cinquième
Pecora ; & ces cinq ordres renferment,
félon lui, tous les animaux quadrupèdes.
On va voir par rexpofidon & rénumé-
ration même de ces cinq ordres , que
cette divifion eft non-feulement arbi-
traire , mais encore très-mal imaginée ;
car cet Auteur met dans le premier ordre
l'homme, le finge, le parefTeux & le
ie'zard e'caîlleux. 11 faut bien avoir la ma-
nie de fiiire des claiïes, pour mettre en-
fèmbîe des êtres auili différens que Thom-
me & le parefTeux , ou le finge &. le lézard
ccailieux. PafTons au fécond ordre qu'il
appelle Ferœ, les bêtes féroces ; ii com-
mence Qïï e^et par ie lion , le tigre , mais
C iii;
5 6 ^/lanière de îraiter
il continue par le chat, la belette, îa
ioiitre, le veau-marin, ieciiien, l'ours,
îe blaireau , & il finit par le hérifTon , la
taupe & îa chauve- fouris. Auroit-oa
jamais cru que le nom de Fnœ en latin ,
bêles fauv âges ou féroces en francois , eut
pu être donné à la chauve- fouris, à la
îaupe , au hérifîbn ; que les animaux do-
ineiîiques, comme le chien ôl le chat ,
fuflent des bêtes fauvagesî & n'y a-t-i£
pas à cela une auiîi grande équivoque
de bon fens que de mois î Mais voyons
ïe troifième ordre G lires, les loirs, ces
]oirs de M. Linnoeus , font le porc-épic^
le lièvre, l'écureuil, le caftor & les rats;,
l'avoue que dans tout cela je ne vois
«qu'une efpèce de rats qui foit en effet
un loir. Le quatrièm.e ordre e(l celui des
Jmnenîa ou bêtes de famme, ces bêtes
de fomme (ont l'éléphant, l'hippopo-
tame , la niufaraigne , le cheval & le co-
chon ; autre aflembiage , comme on voit»
qui eft aufil gratuit & auiïi bizarre que (i
l'Auteur eût travaillé dans le defTein de
le rendre tel. Enfin le cinquième ordre
Pecora ou le bétail, comprend le cha-
iîieau , le cerf, le bouc , le bélier <$c fc
tHijïoire Naturelle. 57
^œuf; mais quelle différence n'y a-t-iï
pas entre un chameau & un béiier, ou
entre un cerf & un bouc î & quelle rai-
Çon peut-on avoir pour prétendre que
ce foit des animaux du même ordre, fi
ce n'eft que voulant abfoiument faire des
ordres, & n'en faire qu'un petit nombre ,
il f\ut bien y recevoir des bêtes de toute
efpèceî Enfuite en examinant les der-
nières divifions des animaux en efpèces
particulières , on trouve que le ioup-
cervier n'eft qu'une efpèce de chat, ie
renard & le loup une efpèce de chien, la
civette une efpèce de biaireau, le cochon
d'inde une eipèce de lièvre , le rat d'eau
une efpèce de caftor , le rhinocéros une
efpèce d'éléphant, l'âne une efpèce de
cheval , &c. & tout cela parce qu'il y a
quelques petits rapports entre le nom-
bre des mamelles ôl des dents de ces ani-
maux , ou quelque reffemblance légère
dans la orme de leurs cornes.
Voilà pourtant, &l fm> y rien omettre^
à quoi le réduit ce ly lème delà Nature
pou. 'es an' maux quadrupèdes. Ne ieroit-
il pis plus fimpl<", pfs n urel & plus
vrai de dire qu'un âne cil un âne , & un
C V
^58 jMamère Se irmtef
chat un chat , que de vouloir , fans /avoir
pourquoi , qu'un âne loiî un cheval^ &
un chat un ioup-cervierî
On peut juger par cet échantillon de
tout le relie du tyliènie. Leslerpens.,
félon cet Auteur, lont des amphibies ,
les écrevifies font des infecftes , <S^ non-
feulement des inlèdes, mais des infedes
du même ordre que les poux & les puces;
& tous les coquillages , les cruftacées &
les poiflons mous iont des vers ; les huî-
tres , les moules , les ourfins , les étoiles
de mer, les sèches, &c. ne font, félon
cet Auteur que des vers. En fmt-il da-
vaniage pour f lire (entir combien toutes
ces diviiions font arbitraires, & cette
méthode mal fondée î
On reproche aux Anciens de n'avoir
pas fiit des méthodes, & les modernes fe
croient fort au-de(fus d'eux parce qu'ils
ont fait un grand nombre de ces arran-
gemens méthodic|ues & de ces diction-
naires doni nous venons de parler, ils fe
fcnt perfuadés que cela feul fufïit pour
prouver que les Anciens n'avoient pas à
beaucoup près autant de connoiflances
€ft HiJiloire Naturelle que nous en avons :
rHiJloke Naturelle. 55)
cependant c eft tout le contraire, & nous
aurons dans la fuite de cet ouvrage mille
occafions de prouver que les Anciens
étoient beaucoup plus avancés &: plus
inilruits que nous ne le fonimes, je ne
dis pas en Phyfique, mais dans l'Hiftoire
Naturelle des animaux & des minéraux ,
& que les faits de cette Hilloire leur
étoient bien plus fiimiîiers qu'à nous qui
aurions dû profiter de leurs découvertes
& de leurs remarques. En attendant
qu'on en voie des exemples en détail ,
nous nous contenterons d'indiquer ici
les raifons générales qui fuffiroient pour
le fiiire penier, quand même on n'en
auroii pas des preuves particulières.
La langue grecque efl: une des plus
nn-ciennes , & celle dont on a fiiit le plus
iong-temps ulage : avant & depuis Ho-
mère on a écrit & parlé grec jufqu'au
treize ou quatorzième fiècle, & aduel-
îement encore le grec corrompu par les
idiomes étrangers ne diffère pas autant
du grec ancien , que l'italien diffère du
îatin. Cette langue, qu'on doit regar^
der comme la plus parfaite & ia plus
abondante de toutes , étoit dès le temps
C y)
éo Manière de traiter
d'Homère portée à un grand point de
perfection, ce cjui Tuppcfe nécefiaire-
ment une ancienneté confidérable avant
ie fiècle niênie de ce grand Poëie; car
l'on pourroit eftimer l'ancienneté ou la
nouveauté d'une langue par la quantité
plus ou moins grande des mots, & la
variété plus ou moins nuancée des conf^
trudions : or nous avons dans cette lan-
gue Les noms d'une très-grande quantité
de chofes qui n'ont aucun nom en latin
ou en François ; les animaux les plus rares^
certaines el'pèces d'oiieaux ou de poif-
fons, ou de minéraux qu'on' ne ren-
contre que très-difficilement, très-rare-
ment , ont des no!ns & des noms conP
tans dans cette langue: preuve évidente
que ces objets de l'Hifloire Naturelle
étoient connus , & que les Grecs non-
feulement les connoifioient, mais même
qu'ils en avoicnt une idée précife qu'ils
ne pou voient avoir acquife que par une
étude de ces mêmes objets , étude qui
fuppofe nécefiîtirement des obier valions
& des remarques ; ils ont même des noms
pour les variétés, & ce que nous ne
pouvons repréfenter que par une phrafè^
rHijloh-i Ndtiirelle. 6t
fè nomme dans cette langue par un feuî
fubftamif. Cette abondance de motSy
cette richeiïe d expredions nettes & pré-
cifes , ne Tuppolent-elies pas h même
abondance d'idées & de connoifTances î
Ne voit-on pas que des gens qui avoient
nommé beaucoup plus de choies que
nous , en connoiffoient par conféquent
beaucoup plus l & cependant ils n'a-
voient pas fliit, comme nous, des mé-
thodes & des arrangemens arbitraires;
ils penfoient que la vraie fcience eft ia
connoiiïance des faits, que pour l'ac-
quérir il falloit le familiarifer avec les
productions de la Nature , donner des
noms à toutes , afin de les fitire recon-
noître , de pouvoir s'en entretenir , de
fe reprélenter plus fouvent les idées des
choies rares & fingulières , & de multi-
plier ainfï des connoiiîanccs qui fans cela
ie leroient peut-être évanouies , rien n'é-
tant plus fujet à l'oubli que ce qui n'a
point de nom. Tout ce qui n'ed pas d'un
ulage commun ne Te foutient que parle
fecours des repréfentatîons.
D'ailleurs les Anciens qui ont écrit fur
i'Hifk>ire Naturelle étoient de grands
62 Afû/iiere Je traiter
hommes, & qui ne s'étoient pas bornés à
cette leule étude : ils avoient l'elprit élevé,
des connoifîànces variées, approfondies,
& des vues générales; & s'il nous paroît
au premier coup d'œil qu'il leur manquât
un peu d'exaditude dans de certains dé-
tails , il eft aile de reconnoître en les
iiiant avec réflexion, qu'ils ne penioient
pas que les petites choies méritafTent une
attention aulîî grande que celle qu'on
ieur a donnée dans ces derniers temps ;
& quelque reproche que les Modernes
puiîîent fiiire aux Anciens, il me paroît
qu'Aridote, Théophrafle & Pline qui
ont été les premiers Naturalifles , font
auffi les plus grands à certains égards.
L'hiiloire des animaux d'Ariftote efl:
peut-être encore aujourd'hui ce que
nous avons de mieux fait en ce genre ,
& il i'croit fort à defirer qu'il nous eût
îailîé quelque choie d'aulîi complet iUr
ics végétaux & fur les minéraux , mais les
deux livres des plantes que quelques A u-
teurs lui attribuent, ne relTemblent pas à
fes autres ouvrages , & ne font pas en efîèt
de lui fc), II eil vrai que la Botanique
(cj Voyez le Commentai rç de Scaliger»
l'HijIoke Naturene. 6 y
n'étoit ras fort en honneur Je fon temps;
les Grecs, & nième les Romaini» ne la
regardoient pas comme une Icience qui
eût exifter par elle-même , & qui dût
faire une objet à piirt, ils ne la conlîdé^
roient que relativement à l'Agriculture,
au Jardinage, à la Médecine & aux A rts;
& quoique Théophrafle, diiciple d'A-
riOote , connût plus de cinq cents genres
de plantes , & que Piine en cite plus de
mille , ils n'en parlent que pour nous en
apprendre la culture , ou pour nous dire
que les unes entrent duns la compofitiofl
des drogues, que les autres font d'ulage
pour les arts, que d'autres fervent à orner
nos jardins, &c. en un mot, ils ne les
confidèrent que par l'utilité qu'on en
peut tirer , & ils ne fe font pas attachés
à les décrire exaélement.
L'hifloire des animaux leur étoit mieux
connue que celle des plantes. Alexandre
donna des ordres & fit des dépenfcs très-
confidérablcs pour rallembler des ani-
maux & en fiiire venir de tous les pays,
& il mit Ariftoteen état de les bien ob-
ferver ; il paroû par Ion ouvrage qu'il
les coniioifloit peut-être mieux, & fous
6-\. Aveline re de traiter
des vues plus générales qu'on ne les
connoît aujourd'hui. Enfin, quoique les
Modernes aient ajouté leurs découvertes
à celles des Anciens , je ne vois pas
que nous ayons fur l'Hiftoire Natu-
relle beaucoup d'ouvrages modernes
qu'on puiiTe mettre au-dcifus d'Ariftote
& de Pline; mais comme la prévention
naturelle qu'on a pour ion fiècle, pour-
roit perfuader que ce que je viens de
dire, efl avancé témérairement, je vais
fliire en peu de mots rexpofnion du plan
de leurs ouvrages.
Ariftote commence Ton hifloire des
animaux par établir des différences &
des refTe m b lances générales entre les
difFérens genres d'animaux ; au lieu de
les divifer par de petits caracflères parti-
culiers, comme l'ont fait les Modernes,
il rapporte hifloriquement tous les taits
& toutes les ob fer valions qui portent
fur des rapports généraux & Ibr Aqs
caractères lènfibles; il tire ces caracflères
de la forme, de la couleur, de la gran-
deur & de toutes les qualités extérieures
de l'animal entier , (Se aufîl du nombre
& de la pofition de les parties, de la
THijIolre Naturelle. 6 5
«::iandeur, du mouvement, de la forme
f Je Tes membres , des rapports fejriblables
ou difîerens qui le trouvent dans ces
jiiémes parties comparées, & il donne
par-tout des exemples pour fefèiire mieux
entendre: il confidère aufli les diffé-
rences des animaux par leur façon de
wre , leurs allions & ieurs mœurs,
leurs habitations, &c. II parle des parties
qui font communes & effentielies aux
animaux , & de celles qui peuvent man-
quer & qui manquent en effet à piufieurs
! efpèces d'animaux : le fens du toucher,
dit-il, efl la feule chofe qu'on doive
regarder comme nécefîiiire , Sl qui ne
doit manquer à aucun animai ; & comme
ce fens eli: commun à tous ies animaux,
il n'eft pas poffibie de donner un nom h
la partie de leur corps , dans laquelle
réfide la faculté de fentir. Les parties ies
plus effentielies font celles par lefquelles
l'animal prend fa nourriture , celles qui
reçoivent & digèrent cette nourriture ,
ÔL celles par où il en rend le fuperiîu.
11 examine enfuite les variétés de la gé-
Ciération des animaux, celles de leurs
weinbres ôl de leurs différentes parties
66 Mamêre de tràter
qui fervent à leurs mouvemcns & à leurs
ibndions naturelles. Ces obrervations
générales & préliminaires font un tableau
dont toutes les parties font intéreflantes,
& ce grand Phiiofoplie dit aufli qu'il les
a prélentées fous cet afped, pour donner
un avant-goût de ce qui doit fuivre &
faire naître l'attention qu'exige l'hiiloirc
particulière de chaque animai, ou plutôt
de chaque cho(e.
ïl commence par l'homme & il le
décrit le premier , plutôt parce qu'il eft
Ranimai le mieux connu, que parce qu'il
efl: le plus parfait; & pour rendre fa
defcription moins sèche & plus piquante ,
ii tâche de tirer des connoiiTanccs mo-^
raies en parcourant les rappons phyfî-
ques du corps humain , il indique les
caradères des hommes par les traits de
leur vifage: fe bien connoître en phy-
fîonomie, feroit en effet une fciencebien
utile à celui qui i'auroit acquiie , mais
peut-OH la drer defHifloire Naturelle î
Il décrit donc l'homme par toutes {t%
parties extérieures & intérieures , & cette
defcription eft la feule qui ibit entière :
au lieu de décrire chaque animai en
ïHijloire Naturelle. 6j
jiartîculier , il les fiiit connoître tous par
les rapports que toutes les panies de leur
corps ont avec celle du corps de Thom-
îne : lorfqu'il décrit , par exemple , la
tête humaine, il compare avec elle la
tête de différentes elpèces d'animaux-,
il en eft de même de toutes les autres
parties ; à la defcription du poumon de
■ Fhomme, il rapporte hiiioriquement
tout ce qu'on la voit des poumons des
animaux , & il fait l'hiftoire de ceux qui
en manquent; de même à l'occaiion
des parties de la génération , il rapporte
toutes les variétés des animaux dans la
manière de s'accoupler , d'engep.drer , de
porter & d'accoucher, «Slc. à l'occafion
du fang il fait l'hiftoire des animaux
qui en font privés, & fuivant ainfi
ce plan de comparaifon , dans lequel ,
comme l'on voit, l'homme fert de mo-
dèle, & ne donnant que les différen-
ces qu'il y a des animaux à l'homme, &
de chaque partie des animaux à chaque
partie de l'homme , il retranche à deiTein
toute defcription particulière , il évite
par-là toute répétition , il accumule les
faits, & il n'écrit pas un mot qui foit
oo Mdinère de traiîef
inutife; aufli a-t-ii compris dans un petit
voiume un nombre prefqu'infrni de
diiîërens foits, & je ne crois pas qu'ii
foit pofTjble de réduire à de moindres
termes tout ce qu'il avoit à dire fur cette
matière , qui paroit il peu fufceptible de
cette précifion , qu'il {û\qiI un génie
comme le fien pour y conferver en
Jnême temps de Tordre & de la netteté.
Cet ouvrage d'Ariftote s'ed préfenté à
ines yeux comme une table de matières,
qu'on auroit extraite avec le plus grand
foin de plufieurs milliers de volumes
remplis de defcriptions & d'obfervations
de toute efpèce , c efl l'abrégé le plus
fr'vant qui ait jamais été fait, fi la
ÏQi^wc^ e(t en effet l'hiftoire des faits :
6i quand même on fuppoferoit qu'A-
riilote auroit tiré de tous les livres de fon
temps ce qu'ii a mis dans le fien , le plan
de l'ouvrage , fi diflribution, le choix A^s
exemples , la judeiïe des comparaifons ,
une certaine tournure dans les idées , que
j'appellerois volontiers le caraètère philo-
fophique, ne laiiTent pas douter un inllant
qu'il ne fût lui-même bien plus riche
que ceux dont il auroit emprunté.
l'Hiftolre Naturelle» 6c)
Pline a travaillé fur un pian bien plus
grand , & peut-être trop vafle , il a voulu
tout embraffer, &:il femble avoir mefuré
la Nature &: l'avoir trouvée trop petite
encore pour l'étendue de Ion efprit : fou
Hifloire Naturelle comprend, indépen-
damment de l'hiftoire des animaux , des
plantes & des minéraux , l'hiftoire du ciel
&L de la terre , la médecine, le commerce,
ia navigation, l'hiftoire des arts libéraux
& mécaniques , l'origine dcs> udiges ,
enfin toutes les fciences naturelles &: tous
! les arts humains ; & ce qu'il y a d'éton-
j nant, c'eft que dans chaque partie Pline
eft également grand, l'élévation des idées,
ia nobleiïe du ftyle relèvent encore fix
profonde érudition ; non- feulement il
iavoit tout ce qu'on pouvoit favoir de
■ fon temps , mais il avoit cette flicilité de
' pcnfer en grand qui multiplie la fcience,
. il avoit cette fineffe de réflexion , de la-
I quelle dépendent l'élégance & le goût ,
& il communique à fcs ledeurs une cer-
taine liberté d'cfprit, une hardiefTe de
penfer qui eft le c^erme delà Philofophie.
Son ouvrage , tout aufîi varié que la Na-
ture, la peint toujours en beau, c'eft, fi.
yo Manière de traher
Ton veut , une compilation Je tout ce
qui avoit été écrit avant lui , une copie
de tout ce qui avoit été fait d'excellent
& d'utile à favoir ; mais cette copie a
de fi grands traits, cette compilation
contieiu des chofes raOembiées d'une
manière fi neuve, qu'elle eft préférable à
la plupart des ouvrages originaux qui
traitent des mêmes matières.
Nous avons dit que l'hiftoire fidèle &
ïa defcription exade de chaque chofe
étoient les deux feuls objets que l'on
devoit fc propofer d'abord dans l'étude
de l'Hiftoire Naturelle. Les Anciens
ont bien rempli le premier, & font peut-
être autant au-deiïus des Modernes par
cette première partie , que ceux-ci font
au-deffus d'eux par la féconde ; car les
Anciens ont très-bien traité l'hiftorique
de la vie & des moeurs des animaux , de
la culture & des ufiges des plantes, des
propriétés &: de l'emploi des minéraux,
& en même temps ils femblent avoir
néaligé à deflein la defcription de cha-
que chofe: ce n'eft pas qu'ils ne fuflent
très-capables de la bien faire, mais ils
dédaignoient apparemment d'écrire des
l'Hifloire Naturelle, jt
chofes qu'ils regardoient comme inutiles,
èi cette façon de penfèr tenoit à quelque
choie de général & n'étoit pas aufîi dé-
. raifonnabie qu'on pourroit le croire ; <&
|mênie ils ne pouvoient guère penferau-
■i trement. Preiuièrement ils cherchoient à
être courts & à ne mettre dans leurs ou-
vrages que [qs faits eiïentiels & utiles,
parce qu'ils n'avoicmpas,comme nous,la
facilité de multiplier les livres, & de les
I groifir impunément. En fécond lieu ils
tpufi^oient toutes les fciences du côté de
l'utilité & donnoient beaucoup moins
; que nous à la vaine curiofué ; tout ce
I qui n'étoit pas intérefTant pour la fociété
! pour la famé, pour hs arts, étoit négligé)
ils rapportoient tout à l'homme morll,'
& ils ne croyoient pas que ks chofes qui
n'avoient point d'ufige, fuffent dignes
de l'occuper ; un infede inutile dont nos
Obfervatcurs admirent les manœuvres ,
une herbe fans vertu dont nos Botaniftes
obfervent les étamines, n'étoient pour
eux qu'un infede ou une herbe: on peut
citer pour exemple le 27/ livre de Pline,
Religua herbarum gênera, où il met en-
kmble toutes les herbes dont il ne fait
7 2 Manière de traiter
pas grand cas , qu'il le contente de nom-
mer par lettres alphabétiques , en indi-
quant leulement quelqu'un de leurs
caradères généraux & de leurs uiages
pour la Médecine. Tout cela venoit du
peu de goût que les Anciens avoient
pour la Phyfique, ou, pour parler plus
exadeinent , comme ils n'a voient aucune
idée de ce que nous appelons Phyfique
particulière & expérimentale, ils ne
penfoient pas que l'on pût tirer aucun
avantacre de l'examen icrupuleux & de
ia delcripticn exade de toutes les parties
d'une plante ou d'un petit animal, &ils
ne voyoient pas les rapports que cela
pouvoit avoir avec lexplication àç.s
phénomènes de la Nature.
Cependant cet objet eft le plus im-
portant, & il ne faut pas s'imaginer,
même aujourd'hu' , que dans l'étude de
l'Hifloire Naturelle on doive le borner
uniquement à faire des defcriptions
cxaéles & à s'aflurer feulement des faits
particuliers; c'cft à la vérité, &: comme
nous l'avons dit, le but efîentiel qu'on
doit fe propofer d'abord; mais il fiut
tâcher de s'élever à quelque chofe de
plus
VHîJloîre Naturelle. 73"
J)îus grand & plus digne encore de nous,
occuper, c'efl: de combiner les obierva-
tions, de généralifer les fîiits, de les lier
enfembie par la force des analogies, &:
de tâcher d'arriver à ce haut degré de
connoilîiinces où nous pouvons juger
que les effets particuliers dépendent
d'effets plus généraux, où nous pou-
Tons comj)arer la Nature avec elle-même
dans Tes grandes opérations , & d'où
nous pouvons enfin nous ouvrir des
routes pour perfèélionner les différentes
parties delà Phyfique. Une grande mé-
jnoire , de l'affiduité & de l'attention ixxÇ-
fifent pour arriver au premier but, mais
il fîuit ici quelqtie choie de plus, il faut
des vues générales , un coup d'œil ferme
& un railbnnement formé plus encore
par la réfîexion que par l'étude ; il faut
enfin cette qualité d'efprit qui nous fût
làifir les rapports éloignés, les rafîem-
bler & en former un corps d'idées rai-
ibnnées, après en avoir apprécié au jufle
les vraifemblances, & en avoir pefé le*
probabilités.
C'elt ici où Ton a befoin de méthode
pour conduire fon efprit, non pas de
Tome L Ù
74 Manière de traiter ~
ccik dont nous avons parlé , qui ne feiî
qu'à arranger arbitrairement dcS mots^
inais de cette méthode qui foutient l'or-
dre même des chofes, qui guide notre
raifonnement , qui éclaire nos vues, les
étend & nous empêche de nous égarer.
Les plus grands Philofophes ont fenti
ia nécefîité de cette méthode; & même
ils ont voulu nous en donner des prin-
cipes & des efîais ; mais les uns ne nous
ont laiflTé que l'hifloire de leur penfées^
^ les autres la fable de leur imagina-^
don ; & fi quelques-uns lie font élevés
à ce haut point de métaphyfique d'où
l'on p.eut voir les principes, les rap-
ports & l'enfembie des Sciences, aucua
ne nous a fur cela communiqué fes
•idées , aucun ne nous a donné des con-
feils, & la méthode de bien conduire
fou jelprit dans les Sciences eft; encore
à trouver : au défaut de préceptes on a
fubftitué des exemples , au lieu de prin-
cipes on a employé des définitions, au
.iieu de fiits avérés , des fuppofitions
hafirdées.
Dans ce fièclemême où les Sciences
•paroifrent être çuidvées avec foin^ \^
THiJlolre Naturelle. j^
fxo\s qu'il eft aifé de s'apercevoir que
ia Philofophie eil négligée, & peut-être
plus que dans aucun autre fi'ècle ; les
arts qu'on veut appeler fcieiuifiques ,
ont pris fa place ; les méthodes de Cal-
cul ^ de Géométrie, celles de Bota-
nique & d'Hiftoire Naturelle, les for-
.muks , en un mot , & les dictionnaires
occupent prefque toiu le monde; on
s'imagine fa voir davantage , parce qu'on
a augmenté le nombre des expreiîions
fymboliques & des phrafes favantes, &
on ne fait point attention que tous ces
xirts ne font que des échafaudages pour
arriver à la fcience , & non pas la fcience
elle-même, qu'il ne faut s'en fervir que
ïorfqu'on ne peut s'en paiïer, & qu'on
doit toujours fe défier qu'ils ne viennent
à nous manquer lorfque nous voudrons
. ies appliquer à l'édifice.
La vérité, cet être métaphyfique dont
,;tout le monde croit avoir une idée claire,
me paroît confondue dans un fi grand
nombre d'objets étrangers auxquels on
donne fon nom , que je ne fuis pas fur-
pris qu'on ait de la peine à la recon-
. uoître. Les préjugés & les fauffes appli-
D i;
j6 Manière de traiter
cations fe font muhipîiées à médire que j
nos hypothèfes ont cté plus ^lavantes, 1
pius abflraites & plus perfedionnées ;
il efl: donc plus difficile que jamais de
ïeconnoître ce que nous pouvons favoir,
& de le diftinguer nettement de ce que
nous devons ignorer. Les réflexions iui-
vantes ferviront au moins d'avis fur ce
ilijet important.
Le mot de vérité ne fait naître qu'une
idée vague , il n'a jamais eu de défini-
tion préciie, & la définition elle-même
priie dans un fens général & abfolu ,
h'eft qu'une abftradion qui n'exifie
qu'en venu de quelque riippofnion ;
ûu lieu de chercher à faire une défini-
tion de la vérité, cherchons donc à faire
une énumération , voyons de près ce
qu'on appelle communément vérités, &
tâchons de nous en former des idées
nettes.
II y a plufieurs eij:)èces de vérités, &
on a coutume de mettre dans le premier
ordre les vérités mathématiques, ce ne
font cependant que à(t>> vérités de défi-
nition ; ces définitions portent iur <\%%
fûppofitions fimpîeSj mais abflraites, ^
VHijIolre NûiiireHe^ Jf
toutes les vérités en ce genre ne font
que des conféquences compolées , mais
toujours abftraites, de ces définitions»
Nous avons fiiit les fuppofitions , nous
les avons combinées de toutes les fli*
çons, ce corps de combinaifons efl: là
fcience mathématique ; ii n'y a donc
rien dans cette fcience que ce que nous
y avons mis, & les vérités qu'on en tire
ne peuvent être que des expreiîions dif-
férentes fous lefquelies fe pré (entent les
fuppofitions que nous avons employées;
ainfi les vérités mathématiques ne font
que les répétitions exades des défini-
tions ou fuppofitions. La dernière con-
féquence n'efl vraie que parce qu'elle efl
identique avec celle qui la précède , &
que celle-ci i'efl avec la précédente, &
ainfi de fuite en remontant jufqu'à fa
première fuppofnion ; & comme les de%
finitions font les feuls principes fur lef^
quels tout eft établi , & qu'elles font arbi-^
traires & relatives, toutes les conféquen-
ces qu'on en peut tirer font également
arbitraires & relatives. Ce qu'on appelle
vérités mathématiques fe réduit donc à
des identités d'idées &n'a aucune réalité:
D ii;
7 8 Manière de traiter
nous fuppofons, nous raifcnnons fur
nos Tuppoiitions , nous en tirons des
conféquences , nous concluons, la con-
clufion ou dernière conféquence ell une
propofition vraie, relativement à notre
fuppofition , mais cette vérité n'eft pas
plus réelle que la fuppofition elle-même.
Ce n'eft point ici le iieu de nous étendre
fur les ufàges des fciences mathéma-
tiques , non plus que fur l'abus qu'on
en peut faire , il nous fuffit d'avoir prouvé
que les vérités mathématiques ne font
que des vérités de définition , ou , fi l'on
Veut des expreiïions différentes de fa
même chofe , & qu'elles ne font vérités
que relativement à ces mêm.es définitions
que nous avons faites ; c'eft par cette
raifon qu'elles ont l'avantage d'être tou-
jours exaéîes & démonftratives , mais
iibftraites , intellecftuelîes & arbitraires.
Les vérités phyfiques, au contraire,
iie font nullement arbitraires & ne dé-^
pendent point de nous , au lieu d'être
fondées fur dQS (lippofîtions que nous
ayons faites , elles ne font appuyées que
jfur des faits ; une fuite de faits fembla-
î)les f ou ^ fi l'on veut ^ une répétition
THîjIoire Natiireik;^ 7^
flcqueaté & une fuccefîion non inter^
rompue des mêmes evènemens , fait
i'eflence delà vérité phyfique ; ce qu'on-
■appelle vérité phyfique n'elt donc qu'une
probabilité, mais une probabilité li grande
qu'elle équivaut à une certitude. En.
Mathématique on fuppofe , en Phy-
fique on pofe <& on établit ; là ce font
des définitions y ici ce font des fiits ;
on va de définitions en définitions dans
ks fciences abflraites , on marche d'ob-
fervations en obfervations dans les fcicn-
xes réelles ; dans les premières on arrive
à l'évidence, dans les dernières à la cer-
-tiîude. Le mot de vérité comprend l'une
& l'autre , & répond par conféquent à
deux idées différentes, la fi^nification
^ft vague k. compofée , il n eioit donc
pas poffible de la définir généralement;
il faljoit , comme nous venons de le faire,
en diftinguer les genres "afin de s'en
former une idée nette.
Je ne parlerai pas des autres ordres
de vérités; celles de la Morale, par
Texempïé, qui font en parties réelles &
^n partie arbitraires , demanderoient une
longue difpuffion qui nous éloigne roi t de
D iiij
8o Marne re Je îrmîer
notre but, & cela d'autant plus qu'elles
n'ont pour objet & pour fin que d^s
convenances & des probabilités.
L'évidence mathématique & la cer-
titude ph y fi que font donc les deux feuls
points fous lelquels nous devons con-
fidérer la vérité ; dhs qu'elle s'éloignera
de l'une ou de l'autre , ce n'efl: plus que
vraifemblance & probabilité. Examinons
donc ce que nous pouvons favoir de
Icience évidente ou certaine, après quoi
nous verrons ce que nous ne pouvons
connoître que par conjedure , & enfin
ce c[ue nous devons ignorer.
Nous fltvons ou nous pouvons fa-
voir de fcience évidente toutes les pro-t
priéiés ou plutôt tous les rapports des
jiombfes, des lignes , des furfaces & de
toutes les autres quantités abllraites; nous
pourrons les favoir d'une manière plus
complète à mefure que nous nous exer-
cerons à ré foudre de nouvelles qucliions,
& d'une manière plus fûre à mefure que
nous rechercherons les caufes des diffi-
cultés. Comme nous fommes les créa-^
teurs de cette fcience; & qu'elle ne
comprend abfolument rien que ce quç
THijlou'e Naturelle, §t
nous avons nous-mêmes imaginé, il ne
peut y avoir ni obfcurités ni paradoxes
qui foient re'els ou impofTibles, & on
en trouvera toujours la folution en exa-
minant avec loin les principes fuppoiés >
& en fuivant toutes les démarches qu'on
a faites pour y arriver: comme les corn-
binaifons de ces principes & des façons
de les employer font innombrables , il
y a dans les M atliématiques un cbamp
d'une immenle étendue de connoifilmces
acquifes & à acquérir , que nous ferons
toujours !es niai très de cultiver quand
nous voudrons, & dans lequel nous re-
cueilierons toujours la même abondance
de vérités.
Mais ces vérités auroient été perpé-
tueliementde pure fpéculation , de (impie
curiofué & d'entière inutilité, fi on nV
voit pas trouvé les moyens de les afTocier
aux vérités phyfiques ; avant que de
confidérer les avantages de cette union,
voyons ce que nous pouvons eipérer de
favoir en ce genre.
Les phénomènes qui s^offrent tous>
\t$ jours à nos yeux , qui le iuccèdcnt
êi. fe répètent fans interruption & dan*
D y
§2 Manière de traiter
tous les cas , font le fondement de nos
connoifTances phyfiques. H fuffit qu'une
choie arrive toujours de la même façon
•pour qu'elle faffe une certitude ou une
vérité pour nous, tous les faits de la
[Nature que nous avons obfervés, ou
que nous pourrons ob fer ver , font autant
■de vérités ; ainfi nous pouvons en aug-
menter ie nombre autant qu'il nous
plaira, en multipliant nos obfervations;.
notre' fcience n'ed ici bornée que par
ies limites de l'Univers.
/ Mais lorfqu'après avoir bien conflatë
ïes fiits par des obfervations réitérées ^
lorfqu'après avoir établi de nouvelles
vérités par des expériences exacfles , nous
voulons chercher ies raifons de ces
mêmes faits, les caufes de ces effets j-
nous nous trouvons arrêtés tout-à-coup,
réduits à tâcher de déduire les effets,
d'efîèts plus généraux , & obligés d'a-
vouer que les caufes nous font & nous
feront perpétuellement inconnues, parce
que nos fens étant eux-mêmes les efîèts
de caufes que nous ne connoifîons point,
ils ne peuvent nous donner des idées
^ue des effets, & jamais des caufes; A
THiflolre Natiireïïe. 8 3
faudra donc nous réduire à appeler caufe
un effet général , & renoncer à lavoir
au-delà.
Ces effets généraux font pour nous
ks vraies loix de ia Nature; tous les phé-
nomènes que nous reconnoîtrons tenir
à ces loix & en dépendre , leront autant
de faits expliqués , autant de vérités
comprifes ; ceux que nous ne pourrons
y rapporter, feront de fimples fiits qu'il
faut mettre en réferve, en attendant
qu'un j:4us grand nombre d'obfervations-
& vuie plus longue expérience nous-
apprennent d'autres faits & nous décou-
•vrent la caufe phyfique, c'efl:-à-dire>..
i'eiîèt général dont ces effets particu-
liers dérivent. C'eft ici où l'union des^
■deuxfciences Mathématique & Phyfique
peut donner de grands avantages , l'une
donne le combien, & l'autre le com-
ment des chofes; & comme il s'agit icï
de combiner & d'eftimer des probabilités
pour juger fi un effet dépend plutôt
d'une caufe que d'une autre, lorfque
vous avez imaginé par la phyfique ie-
comment,, c'ell-à-dire, lorfque vous
av€z vu qu'un -tel effet pou rroiî hhm
§4 Manière Je traiter
dépendre de lelie caufe, vous appliquez
en faire le calcul pour vous afîurer du
combien de cet effet combiné avec là
.Cîiuiè, & fi vous trouvez que le réfultat
s'accorde avec ics obfervaiions , la pro-
babilité que vous avez deviné jufle,
augmente fi fort qu'elle devient une
certitude, au lieu que fans ce fecours
die feroit demeurée fimple probabilité.
II eft vrai que ceue union des Ma-
thématiques & de la Phyfique ne peut
fe fiire que pour un très-petit nombre
^€ fujets; il faut pour cela que les phé-
iïomènes que nous cherchons à expli-
quer, foient fufceptibles d'être confi-
dérés d'une manière abftraite , & que de
îeur nature ils foient dénués de prefquc
toutes qualités phyfiques, car pour peu
qu'ils foient compofés, le calcul ne
peut plus s'y appliquer, La plus belle
^L îa plus heureufe application qu'on en
îiiî jamais faite , eft au fyftème du monde;
^L il faut avouer que fi Newton ne nous
eût donné que les idées phyfiques de
fon fyftème, fans les avoir appuyées fur
desévaluations préci(ès& mathématiques,
^lies n'auroient pas eu à beaucoup près
THîJloirè Naturelle. 85
la même force ; mais on doit fentir en
même temps qu'il y a très-peu de fujcts
aufîi fimples, c'eft-à-dire, aufîi dc'nués
deTjualiiés phyfiques que l'efl: celui-ci;
car la diftance des planètes efl fi grande
qu'on peut les eonfidèrer les unes à
l'égard des autres comme n'e'tant que
des points : on peut en même temps ,
flins fe tromper , fiiire abflradion de
toutes les qualités phyfiques des pla-
nètes, & ne confidérer que leur force
d'attracflion; leurs mouvemens font d'ail-
leurs les plus réguliers que nous con-
noiflions, & n'éprouvent aucun retarde-
ment par laréfillance : tout cela concourt
à rendre l'explication du fyflème &a
monde un problème de mathématique,
auquel il ne falloit qu'une idée phyfique
heureufement conçue pour le réaliler,
& cette idée efi: d'avoir penfé que la
force qui fait tomber les graves à îa
furface de la terre, pourroit bien être
la même que celle qui retient la lune
dans fon orbite.
Mais , }e le répète , il y a bien peu de
fil jets en phyfique où l'on puifle appli-
-quer aujQi avantage ufement les kiencfô
Î6 Mcw} ère de traiter"
abllraites, & je ne vois guère qu5
r Agronomie & l'Optique auxquelles
elles puiflent être d'une grande utilité ;
i'Aftronomie par les raiibns que nous
venons d'expoier, &. l'Optique parce que
ia lumière étant un corps prefqu'infi-
îiinient petit dont les effets s'opèrent en
ligne droite avec une vîteiïe prefque
infinie, iès propriétés font prcTque ma-
thématiques, ce qui fait qu'on peut y
appliquer avec quelque fuccès le calcul
ÔL les mefures géométriques. Je ne par-
ierai pas des Mécaniques, parce que
ja Mécanique rationnelle efl: elle-même
une fcience mathématique & abftraite ^
de laquelle la Mécanique-pratique ou
l'art de faire & de compofer les ma-
chines, n'emprunte qu'un feul principe
par lequel on peut juger tous les effets
en failant abdradion des frottemens
& des autres qualités phyfiques. Aufîi
fn'a-t-il toiijours paru qu'il y avoit une
cfpèce d'abus dans ia manière dont on
profeffe la Phyfique expérimentale,
l'objet de cette Science n'étant point
^lu tout celui qu'on lui prête. La
4«iiw)niilration des effets mécaniques,;
FHipoire NaîureSe. &7
xroinme dé la puifTance des leviers , des^
poulies , de l'équilibre des lolides &l des
fluides, de l'effet des plans inclinés, de
celui des forces centrifuges , &c. appar-
tenant entièrement aux Mathématiques,.
& pouvant être faifie par les yeux de
i'efprit avec la dernière évidence , il me-
paroît fuperflu de la repréfenter à ceux
du corps ; le vrai but efl: au contraire
de faire des expériences fur toutes les
chofes que nous ne pouvons pas me-
ilirer par le calcul, fur tous les effets
dont nous ne connoiffons pas encore les
caufes , & iur toutes les propriétés dont
310US ignorons les circonftances , cela
feul peut nous conduire à de nouvelles
découvertes , au lieu que la démonftra-
lion des effets mathéjiiatiques ne nous
apprendra jamais que ce que nous fa-
vons déjà.
Mais cet abus n'efl: rien en compa-
raifon des inconvéniens où l'on tombe
lorfqu'on veut appliquer la Géométrie
èi le calcul à des fujets de Phyfique trop
compliqués, à des objets dont nous ne
connoiffons pas affezies propriétés pour
jpouvoir les mefurery o.a eft obligé dai^
8 8 Mcimère de îrdiîer
tous ces cas de fliire des fupporitions
toujours contraires à la Nature, de dé-
pouiller le fujet de la plupart de Tes qua-
lités, d'en faire un être abftrait qui ne
refTemble plus à l'être réel, &: lorfqu'on
a beaucoup railonné & calculé lur les
rapports & les propriétés de cet être
abllrait, & qu'on efl: arrivé à une con-
clu fion toute aufTi abftraite , on croit
avoir trouvé quelque choie de réel, <Sc
on tranfporte ce rélliltat idéal dans le
fujet réel, ce qui produit une infinité
de fiu(îes conféquences & d'erreurs.
C'efl ici le point le plus délicat & le
plus important de l'étude des Iciences:
lavoir bien diftinguer ce qu'il y a de
réel dans un fujet de ce que nous y
mettons d'arbitraire en le confidérant ,
reconnoître clairement les propriétés qui
]ui appartiennent & celles que nous lui'
prêtons , me paroît être le fondement de
ia vraie méthode de conduire fon elprit
dans les fciences ; & fi on ne perdoit
jamais de vue ce principe , on ne feroit
pas une faufie démarche, on éviteroit
de tomber dans ces erreurs lavantes,
cju'on reçoit fouvem covrane des vérités ^
rHifoire Naturelle. 89
en verroit difparoître les paradoxes, les
quellions infolubles des fciences ab(^
traites, on reconnoîtroit les préjugés &
les incertitudes que nous portons nous-
mêmes dans les fciences réelles , on vien-
droit alors à s'entendre fur la Métaphy-
fique des fciences, on cefferoit de dii-
puter, & on fe réuniroit pour marcher
dans la même route à la fuite de l'expé-
rience, & arriver enfin à la connoifTance
de toutes les vérités qui font du refîort
de l'efprit humain.
Lorfque les fujcts font trop compli-
qués pour qu'on puifle y appliquer avec
avantage le calcul & les meflires , comme
le font prefqiie tous ceux de l'Hiftoire
Naturelle & de la Phyfique particulière,
il me paroît que la vraie méthode de
conduire /on efprit dans ces recherches
c'eft d'avoir recours aux obfervations ,
de {qs> raflembler, d'en fliire de nou-
velles, & en aflez grand nombre pour
nous afîurer de la vérité des faits princi-
paux , & de n'employer la méthode
mathématique que pour eflimer les prct-
babilités des conféquences qu'on peut
tirer de ces faiu; fur-tout il faut tacher
C) o Manière de traiter, &'c>
de ies généralifer & de pjien diftingucf
ceux c[ui font eiïentiels de ceux qui ne^
font q'.i'acceiToires au fujet que nous
confîdérons, il faut enfuite les lier en^
iemble par les analogies, confirmer ou
de'truire certains points équivoques, par
le moyen des expériences, former fon-
pian d'explication fur la combinaifon
de tous ces rapports, & les préienier
dans l'ordre le plus naturel. Cet ordre'
peut fe prendre de deux façons, la pre-
mière eH: de remonter des effets parti--
Guliers à des effets plus généraux, &
i'autre de defccndre du général au par-
ticulier : toutes deux font bonnes , & le
choix de l'une ou de l'autre dépend
plutôt du génie de l'Auteur que de fa»
nature des chofes, qui toutes peuvent
être également bien traitées par l'une ou
i'autre de èes manières. Nous allons-
donner des efiais de cette métliode dans
îes difcours fuivans, de la THÉORIE
DE LA Terre, de la Formation
DES Planètes , & de la Généra^
ïiON DES Animaux.
HISTOIRE
NATURELLE.
Second Difcotirs,
Vidi ego y qucd fuerat qucndam foUdiJJima
tel/us ,
Ejfe fretiim ; vidï fraStas ex œquore terras;
Et prccul à pelago conchœ )acin:re mar'uiœ ^
Et vêtus inventa ejl in mcntihus anchcra
fummis ;
Quodque fuit campus , vallem decurfus
aquarum
Fecit f (tf eluvie mons ej] deduéîus in trquor,
Ovid. Méiam. iîb. 15.
LJGem4^ iU /a. /la/ure ilûnsia Ciy/ià'/n/fli/f.m tA- /Th
^5
fflioiwoiom.^.
Ihistoire
NATURELLE-
SECOND DISCOURS.
Hijloîre & Théorie de la Terre.
IL n'ed ici queflion ni de la figure de
ia Terre (a) , ni de Ion inou veinent,
îii des rapports qu'elle peut avoir à
l'ext'irieur avec les autres parties de
i'Univers ; c'eft là conftitution inté-
rieure , la forme & fa matière que nous
nous propofons d'examiner. L'hilloire
générale de la Terre doit précéder l'hil-
toire particulière de les productions , &
les détails des faits fincfuliers de la vie &
des moeurs dts animaux ou de la culture
f3c de la végétation des plantes, appar-
fa) Voyez ci-après les Preuves dç la théorie de
ia Terre, art, L
'ç4 Hijlolre Naturelle,
îîennent peut - être moins à l'Hidoirç
Naturelle que les réfultats généraux àts
obfervations qu'on a faites îur les difFé-
jentes madères qui compo(ent le globe'
terreftre , fur les éminences , les profon-
deurs & les inégalités de fa forme, fur
le mouvement d^s mers , fur la di-
jedion des montagnes, fur la pofition
des carrières , fur la rapidité &: les effets
des courans de la mer, &c. Ceci eft la
Nature en grand , & ce font - là fes
principales opérations , elles influent fur
toutes ks autres, & la théorie de ces
effets efl: une première fcience de la-
quelle dépend l'intelligence des phé- j
nomènes particuliers , aufli - bien que
ia connoifîîuice exa<5lc des fubflances
îerreflres ; & quand même on voudroit
donner à cette partie des fciences na-
turelles le nom de Phyfiqiie, toute phy-
fique où l'on n'admet, point de fyfl:èmes.i
n'efl-elle pas l'Hiftoire de la Nature î
Dans des fujets d'une vafte étendue
dont les rapports font difficiles à rappro-
cher, où les faits font inconnus en partie,
& pour le relie incertains , il eft plus aifé
d'imaginer un fyftème que de donnée
Théorie de la Terre. -95
tine théorie ; auffi {a tliéorie de la terre
n'a-t-eile jamais"^ été traitée que d'une
rnanière v?^ue & hypothétique. Je ne
parlerai donc que légèrement des idées
Singulières de quelques Auteurs qui ont
^ccrit fur cette matière. ^
L'un (b) plus ingénieux que raîfon- yfhi^fiy^^
nable , A Aronome convaincu du fyftème
de Newton , fcnvifageanttous les évènc^
mens poiîibies du cours & de la direc-
tion des aftres , explique , à l'aide d'ua
calcul mathématique , par la queue d'une
comète , tous les changemens qui font
arrivés au globe terreftre.
Un autre ^c^, Théologien hétérodoxe, '^/x^'/i. ^
fa tête échauffée de vifions poétiques ,
croit avoir vu créer l'Univers, ofant
prendre le ftyle prophétique, après nous .
Avoir dit ce qu'étoitla terre au fortir du
néant , ce que le déluge y a changé, ce
qu'elle a été & ce qu'elle ed ; il nous
-prédit ce qu'elle fera , même après la
deftrudion du genre humain.
(h) Whi^Qn. Voyez les preuves de la théorie
/ie la Terre , art, 1 1,
(c) Burnet. Voyez les preuves de la théorie df^
jta Terre, ^/, Il h i
p6 Hiffokc Naturelle*
n^^^ I .V Un troifième fd), à la vérité meiffeur
ri j^dfii caret , ^ \ ^\
obiervateur que ks deux premiers, maiî
tout auffi peu réglé dans les idées , ex-
plique par un abyme immenfe d'un li-
quide contenu dans les entrailles du
globe, les principaux phénomènes de la
terre, laquelle, félon lui, n'eft qu'une
croûte fuperficieile & fort mince qui fert
d'enveloppe au fluide qu'elle renferme.
Toutes ces hypothèles faites au hafird,
& qui ne portent que iur des fbndemens
ruineux , n'ont point éclairci les idées
& ont confondu les fiits , on a mêlé la
fable à la Phyfique, aulîi ces fyflcmcs
n'ont été reçus que de ceux qui reçoi-
vent tout aveuglément , incapables qu'ils
font de diflinguer \q.^ nuances du vrai-
iemblable , & plus flattés du merveilleux
que frappés du vrai.
Ce que nous avons à dire au fujet de
la terre , fera lans doute moins extraor-
dinaire , (Se pourra paroître commun ea
comparaiion des grands fyftèmes dont
nous venons de parler; mais on doit fe
ibuvenir qu'un Hiftorien ed: fiit pour
décrire & non pour inventer , qu'il ne
(d) Woodward. Voyez lej preuves, art, J V,
doit
Théorie de la Terre, ()y
doit fe permettre aucune fuppofition ,
& qu'il ne faut faire uiage de Ion ima-
gination que pour combiner les obfer-
varions , généralifer les fîiits , & en for-
mer un enfembie qui prëfente à i'efprit
un ordre méthodique d'idées claires &
de rapports fuivis &: vraifemblables ; je
dis vraifemblables , car il ne faut pas
efpérer qu'on puiffe donner des démonf-
trations exactes fur cette matière , elles
n'ont lieu que dans les fciences ma-
thématiques, & nos connoilFances en
Phyfique & en Hiftoire Naturelle dé-
pendent de l'expérience & fe bornent à
des inductions.
Commençons donc par nous repré-
fcnter ce que l'expérience de tous les
temps & ce que nos propres obfèrvations
nous apprennent au fujet de la terre. Ce
globe immenle nous offre à la furface.,
des hauteurs , des profondeurs, des plai-
nes, des mers, des marais, dQs fleuves,
des cavernes, des gouffres , des volcans,
& à la première infpedion nous ne dé-
couvrons en tout cela aucune régularité,
aucun ordre. Si nous pénétrons dans foa
intérieur, noas y trouverons des métaux.
Tome I, JE»
■() 8 'Hifolre Nûtîirelk:
des minéraux , des pierres, des bîtumeSj^
des fables , des terres , des eaux & des
madères de toute elpèce , placées comniq
au hafard & ians aucune règle apparente ; \
en examinant avec pius d'attention, noua |
voyons des montagnes afTaifTées (ej , des \
rochers fendus &. brifés , des contrées
englouties , des îles nouvelles , des ter--*
reins fubmergés, des cavernes comblées ;
nous trouvons des matières pefmtes fou-
vent polées fur des matières légères , des
corps durs , environnés de fubdances
molles, des chofcs sèches, humides",
chaudes , froides, folides , friables , toutes
mêlées & dans une efpèce de confufioa
qui ne nous préfente d'autre image que
celle d'un amas de débris & d'un monde
en ruinç.
Cependant nous habitons ces ruines
avec une emière fécurité ; les générations
d'hommes , d'animaux , de plantes (e
fuccèdcnt Ians interruption , la terre
fournit abondamment à leur lubfillance ;
(e) Vuîe Senec. (jim^. Uh, VT, cap. 2 1 . Strab.
Geograplu Iil\ I. Orol". lilu II, cap, i S. Plin. Uh. Il,
tap, ip. Hift, de i'Acid, des 5c. année lyçSt
TJîéone de h Terre. ' ^^
ïa mer a des iimites & des loix , iès
mouvemens y fom afîujettis , l'air a Tes
courans réglés /J^, les faifons ont leurs
retours périodiques & certains , h ver-
dure n'a jamais manqué de fuccéder
îiux friniats ; tout nous paroit être dans
J'ordre ; la terre qui tout-à-i'heure n'é-
toiî qu'un cahos , eft un féjour délicieux
où rèornent le calme &: l'harmonie , où
^ . . . -
tout eil animé & conduit avec une puii-
fance & une intelligence. qui nous rem-
piiilent d'admiration & nous éièvent
jufqu'au Créateur.
Ne nous preiïons donc pas de pro-
noncer fur l'irrégularité que nous voyons
à ïa furface de la terre , & fur le défcrdre
apparent qui ie trouve dans fon intérieur,
xar nous en reconnoîtrons bientôt l'u-
tilité , & même la nécellité ; & en y failànt
pîus d'attention nous y trouverons peut-
être un ordre que nous ne foupçonnions
pas , ÔL des rapports généraux que nous
ai'apercevions pas au premier coup
d'oeil. A la vérité nos connoi (lances à
cet égard feront toujours bornées : nous
lie connoifTons point encore la fur fa ce
{fj Voyez !es preuves , art, XÎV,
£i)
fïôo 'Eîjîohe Naturelle:
entière fg) du globe , nous ignorons en
partie ce qui le trouve au fond des mers ;
il y en a dont nous n'avons pu fonder les
profondeurs : nous ne pouvons pénétrer
que dans l'ëcorce de la terre , & les plus
grandes cavités (h)^\es mines (î) les plus
profondes ne defcendent pas à la huit
millième partie de fon diamètre ; nous ne
pouvons donc juger que de la couche
extérieure & prelque fuperficielle , l'in-
térieur de la mafie nous eft entièrement
inconnu ; on fait que , volume pour
volume , la Terre pèie quatre fois plus
que le Soleil; on a aufîi le rapport de
fa pefanteur avec les autres planètes , mais
ce n'eft qu'une eilimation relative, l'unité
de mefure nous manque , le poids réel de
ïa matière nous étant inconnu , en forte
que l'intérieur de la terre pourroit être
ou vide ou rempli d'une matière mille
fois plus pelante que l'or , & nous
n'avons aucun moyen de le recon-
noître; à peine pouvons-nous former
(g) Voyez les preuves , art. VJ,
(h) Voy. TrmJ. Phil. Abrig\ vol. TI , p. 3 2 3;
(ij Voyez Boyk's Works , vol. Jll, p, 23a,
Théorie de la Terre. i o r
far cela quelques conjedures (k) raifon-
nahies.
li fcUit donc nous borner à examiner
& à décrire la furfiice de la terre & la
petite e'paiiïeur intérieure dans laquelle
nous avons pénétré. La première choie
qui fe préiente, c'eft l'immenie quantité
d'eau qui couvre la plus grande partie
du globe ; ces eaux occupent toujours
les parties les plusbafîes, eiles font aufli
toujours de niveau , & elles tendent p'er-
pétuellement à l'équilibre & au repos :
cependant nous les voyons agitées (l) par
une forte puiflance , qui s'oppofant à ia
tranquillité de cet élément, lui imprime
un mouvement périodique & réglé , fou-
lève & abaiiïe alternativement les fîots ,
& fîiit un balancement de la maffe totale
des mers en les remuant jufqu'à la plus
; grande profondeur. Nous favons que
ce mouvement efl: de tous les temps , &
qu'il durera autant que la lune & le
.ioleil qui en font les caufes.
Confidérantenfuite le fond de la mer,
(k) Voyez les preuves, art. h
(l) Voyez les preuycs, an, Xll.
E iij
Î02 HiJIoire Naîurelle:
îiaus y remarquons autant d'inégaïités fm)
que fur la furface de ia terre ; nous y
trouvons des hauteurs (n), des vallées , des
plaines , des profondeurs , des rochers ,
des terreins de toute efpèce ; nous
voyons que toutes les îles ne font que les
iommets de vades montagnes foj, dont
ie pied <Sc les racines font couvertes de
î'élément liquide ; nous y trouvons
d'autres fommets de montagnes qui font
prefqu'à fleur d'eau, nous y remarquons
des courans rapides (p) qui femblent le
jTouflraire au mouvement générai : on les
voit (q) fe porter quelquefois conflam-
lîient dans la même diredion, quelque-
fois rétrograder & ne jamais excéder
leurs limites, qui paroifîent aufîî inva-
riables que celles qui bornent bs efforts
des fleuves de la terre. Là font ces con-
trées orageufcs ou les vents en fureui:
(m) Voyez les preuves, an. JiJII,
(n) Voyez la Carte diefTée en 1737 par Mi
Buache, àts profondeurs de l'Océan entre l'Afrique
& l'Amérique,
(0) Voyez Varen, Geogr, gen. page 2 l 'S.
(p) Voyez les preuves , an, XIll,
(q) Voyez Varen. page j^o. \oyt% auffi ie|
Voyages de Tyrard , i^'-'gs jjZa
Théorie Je la Terre, 103
|)ïc'cipltciit la tempête , 011 la mer & le
ciel également agites fe choquent & fè
confondent : ici font des niouvemens
intedins , des bouillonnemens (rj , Aqs
trombes (f) ôl des agiLadons extraordi-
naires cauiees par des volcans dont fa
bouche fubmergée vomit le feu du feiii
des ondes, & pouffe jufqu'aux nues une
épaiffe vapeur mêlée d'eau, de foufre
ôc de bitume. Plus loin je vois ces
gouffres ftj dont on n'ofc approcher ,
qui femblent attirer les vailTeaux pour les
engloutir : au-delà j'aperçois ces vaPtes
plaines toujours calmes & tranquilles fuj,
mais tout auffi dangereules , où les vents
n'ont jamais exercé leur empire , 011 i'art
du Nautonier devient inutile^ où il faut
reRer &. périr : enfin portant les yeux
jufqu'aux extrémités du globe, je vois
ces glaces énormes (WJ qui fe détachent
(^rj Voyez les Voyages de Shaw, tame II ^
(f) Vo)'ez les preuves, an. JÏVI,
(t) Le Maieiirooni dans îa mer de Norvège.
(n) Les calmes & les tornados de la mer Éilûo:;
|)ique.
(x] Voyez ks preuves, «;/. Vl àr X,
Eiiij;
iTo4 HiJIôhê Naturelle:
des continens des pôles , & viennent
comme des montagnes flottantes voya-
ger ^ fe fondre jui'qué dans les régions
tempe' ré es. fy).
Yoiîà les principaux objets que nous
offre le vafte empire de la mer ; des
milliers d'habiians de différentes efpè-
ces en peuplent toute l'étendue , les
uns couverts d'écailies légères en tra-
verfènt avec rapidité les diBérens pays ,
d'autres chargés d'une épaifle coquille
fe traînent pefamment & marquent avec
lenteur leur route fur le iable ; d'autres
à qui la Nature a donné des nageoires
en forme d'ailes , s'en fervent pour s'é-
ïcver & fe foutenir dai^ les airs ; d'autres
enfin à qui tout mouvement a été rcfufé,
croiiïent & vivent attachés aux rochers ;
tous trouvent dans cet élément leur pâ-
ture. Le fond de la mer produit abon-
damment des plantes , des moufles &
des végétations encore plus fingulières ,
-îe terrein de la mer eft de fible , de gra-
vier , fouvent de vafe , quelquefois de
terre ferme , de coquillages , de rochers,
(y) Voyez la Carte de l'expédition de M. Bouvet^
dreirée par M. Buache en j 73 9.
Théorie de h Terre. 105
&: pnr - tout ii reiTeinbie à la terre que
nous habitons.
Voyageons maintenant fur la partie
sèche du globe , quelle difîérence pro-
digieufe entre les climats ! quelle varie'té
de terreins ! quelle inégalité de niveau 1
mais obiervons exactement , & nous re-
connoîtrons que les grandes chaînes (-^
de montagnes ie trouvent plus voifines
de l'équateur que des pôles ; que dans
l'ancien continent û\qs s'étendent d'o-
rient en occident beaucoup plus que du
nord au fud , & que dans le nouveau
monde elles s'étendent au contraire du
nord au fud beaucoup plus que d'orient
en occident ; mais ce qu'il y a de très-
remarquable, c'ell que la forme de qq.s
montagnes & leurs contours qui paroi f-
fènt ablolument irréguliers (a) , ont ce-
pendant des directions fui vies & corref^
pondantes entr'eiles (b) , en forte que les
angles faillans d'une mpntagne fe trou-
vent toujours oppofés aux angles rentrans
de la montagne voifme qui en eft léparée
(l) Voyez les preu\es, arr, IX.
{a) 'No-^tTL les preuves , art,^ IX if XIL
fij Voyez I^çtlres phil» de Bourguet, page j Siii
£ Y
{jo6 Hijlo'tre Naîwelle:
par un vallon ou par une profondeur.
J'obferve auiïi que les collines oppofées
ont toujours à très-peu près la même
îiauteur , & qu'en général les montagnes
occupent le milieu des continens &: par-
tagent dans la plus grande longueur
les îles 5 les promontoires & les autres
terres avancées (c): je fuis de même la
diredion des plus grands fleuves , & je
vois qu'elle efl: toujours prefque per-
pendiculaire à la côte de la mer dans
laquelle ils ont leur embouchure , & que
dans la plus grande partie de leur cours
iis vont à peu près (d) comme les chaînes
de montagnes dont ils prennent leur
fource & leur direction. Examinant
enfuite les riva ores de la mer, je trouve
qu'elle efl ordinairement bornée par des
îochers, des marbres & d'autres pierres
dures , ou bien par des terres & des
febles qu'elle a elle-même accumulés
ou que les fleuves ont amenés , & je
remarque que les côtes voifines & qui
lie font réparées que par un bras ou par
un petit trajet de mer, font coinpofées
(c) Vide Varemi Geogr. pag. 69,
(d) Voyez les preuves , arti X^
Tlîéone de la Terre^ 107
fies mêmes matières, <Sc que les lits de
terre font les mêmes de l'un & de l'atitre
côté ^^y^; je vois que les volcans (f) fe
trouvent tous dans les hautes montacrnes,
qu'il y en a un grand nombre dont les
feux font entièrement éteints , que quel-
ques-uns de ces volcans ont des corrcf^
pondances fouterraines ("g) , & que leurs
explofions fe font quelquefois en même
temps. J'aperçois une correfpondance
femblable entre certains lacs & les mers
voilines ; ici font des fleuves & des
torrens (h) qui fe perdent tout- à-coup &
paroifîent fe précipiter dans les entrailles
de la terre, là eft une mer intérieure où
fe rendent cent rivières qui y portent de
toutes parts une énorme quantité d'eau,
fans jamais augmenter ce lac immenfe ,
qui femble rendre par des voies fouter-
raines tout ce qu'il reçoit par fes bords,
& chemin faifant je reconnois aifément
les pays anciennement habités , je les
dillingue de ces contrées nouvelles où
'(e) Voyez les preuves , art. Vil,
(f) Voyez les preuves , art, XVI.
(g) Vide Kh'chtr Alund, jiihter, in praj^
^h) Voyez. Yann^ Ceogr. page 43.
ii vj
[10 D Hîjloire Naturelle»
îe terrein paroît encore tout brut, oBI
ïes fleuves font remplis de catarad:es ,
où les terres font en partie fubniergées ,
lîiarécageufes ou trop arides , où ia dif-
tribution des eaux eft irréguiière, où <\t%
bois incultes couvrent toute la furfiice
des terreins qui peuvent produire.
Entrant dans un plus grand détail, je
vois que la première couche (i) qui enve-
loppe le globe, efl: par-tout d'une même
fub (tance ; que cette fub (tance qui fert
à fiùre croître & à nourrir les végétaux
& les animaux , n'efl eilc - même qu'un
compolé de parties animales & végétales
détruites, ou piutôt réduites en petites
parties , dans lefquelles l'ancienne orga-
niduibn n'cfl: pas lenfible. Pénétrant
phis avant , je trouve la vraie terre , je
vois des couches de fable , de pierres à
chaux , ■ d'argile , de coquillages , de
marbre, de gravier, de craie , de plâtre,
&c. & ^ remarque que ces couches (k)
font toujours pofées parallèlement \^
unes (iir les autres (l) , ôl que chaque
^1) Voyez les pretlVes , ûri, VU
(h) Voyez idem.
(IJ Vj)>;ez Voodiyajrci , pnge ^r ^ i?'c^^
Thème de h Terre. \ oc^
tceuche a ia même épaiiïeur dans toute
fon étendue : je vois que dans les collines
voifines les mêmes matières fe trouvent
au même niveau , quoique les collines
ibient féparées par des intervalles pro-
fonds & confidérables. J'obferve que
dans tous les lits de terre ^mj^ & même
dans les couches plusfolides, comme dans
ies rochers , dans les carrières de mar-
bres & de pierres^ il y a des fentes , que
ces fentes (ont perpendiculaires à l'ho-
rizon , & que dans les plus grandes
comme dans les plus petites profon-
deurs , c'efi: une efpèce de règle que ia
Nature fuit conflamment. Je vois de
plus que dans l'intérieur de la terre , fur
ia cime des monts ^nj & dans les lieux
les plus éloignés de la mer, on trouve
des coquilles , des fquelettes de poif-
ifons de mer , des plantes marines , &c.
qui font entièrement femblabies aux co-
quilles , aux poifTons, aux plantes a(^tuel-
lement vivantes dans la mer, & qui en
: effet font abfolument les mêmes. Je re-
marque que ces coquilles pétrifiées font
/'.'/y' Voyez ies preuves ; aru VIII
■'J Voyçz idem,
fl I ô" H'ijlolre Naturelle:
en prodigieufc quantité, qu'on en trouvé'
dans une infinité d'endroits , qu'elles
font renfermées dans l'intérieur des ro-
chers & des autres mafles de marbre <Sc
de pierre dure , aufli-bien que dans les
craies & dans les terres ; & que non-feu-
lement elles font renfermées dans toutes .
ces matières, mais qu'elles y font incor-
porées , pétrifiées &: remplies de la fubl-
cance même qui les environne : enfin je
îne trouve convaincu par des obferva-
tions réitérées , que les marbres , les
pierres , les craies , les marnes, les argiles,
les fables & prelque toutes les matières
îerreflres font remplies de coquilles (o)
& d'autres débris de la mer, & cela par
toute la terre & dans tous les lieux où
i'on a pu faire des obfervations exad;es.
Tout cela pofé , raifonnons.
Les changemens qui font arrivés au
globe terrefire depuis deux & même
trois mille ans , font fort peu confidé-
Tables en comparaifon des révolutions >
qui ont dû le faire dans les premiers
fo) Voyez Stenon, Woodward, Ray, Bourguet,
Scheuchzsr, les Tranf, phii, les Mém, de TAcadg
T'Iieone Je la Terre: 1 1 T
Icmps après la création ; car il ell aifô
de démontrer que comme toutes les
matières terreftres n'ont acquis de la fo-
' îidité que par l'ad;ion continuée de la
gravité &. des autres forces qui rappro-
chent & réunifient les particules de la
' matière, ia furface de ia terre devoit être
au commencement beaucoup moins fo-
" iide qu'elle ne Veiï devenue dans la fuite ,
' & que par conféquent les mêmes caufes
qui ne produifent aujourd'hui que des
changemens prefqu'infenfibles dans i'ef-
!pace de plufieurs fiècles, dévoient caufer
alors de très - grandes révolutions dans
un petit nombre d'années : en effet , \l
paroît certain que la terre aduellem^ent
.sèche & habitée, a été autrefois fous
j les eaux de la mer , & que ces eaux
Ictoient fupérieures aux fommets des
plus hautes montagnes, puifqu'on trouve
: îiir ces montagnes & jufque fur leurs
I fommets des produdlions marines & des
' coquilles , qui , comparées avec les co-
quillages vivans font les mêmes, & qu'on
ne peut douter de leur parfaite reffem-
blance ni de l'identité de leurs efpèces.
Il paroît aufli que ks çaux de la mer OAt;
tîi Hiflmre Naturelle;
féjourné quelque temps fur cette terre l
puifqu'on trouve en plufieurs endroits
des bancs de coquilies fi prodigieux &
fi e'tendus qu'il n'efl: pas pofîibie qu'une
au lîi grande fp) multitude d'animaux ait
été' tout-à-la-fois vivante en même temps:
cela (emble prouver aufîi que quoique
îes matières qui compofent la furface
de la terre fuiîent alors dans un état de
niolleffe qui les rendoit fufceptibles d'être
aifément divifées, remuées & tranfpor-
tées par [es eaux , ces mouvemens ne fe
font pas faits tout-à-coup , mais fuccef-
fivement & par degrés ; & comme on
trouve quelquefois des productions de
la mer à mille & douze cents pieds de
profondeur , il paroît que cette épaif-
feur de terre ou de pierre étant fi confi-
dérable , il a fallu des années pour la
produire : car quand on voudroit fup-
polêr que dans le déluge univerfel tous
îes coquillages eufTent été enlevés du
fond àcs mers & tranfportés fur toutes
îes parties de ia terre , outre que cette
fuppofïtion feroit difficile à établir (qj, à
(p) Voyt-L les preuves , art, VUL
(q) Voyez }e* preuves ^ art^ K
Théorie de la Terre. 1 13
cft clair que comme on trouve ces co-
quilles incorporées &l pétrifiées dans les
marbres & dans les rochers des plus hautes
montao-nes , il fîiudroit donc fuppofer
que ces marbres & ces rochers eu lient
été tous formés en même temps <& pré-
cifément dans l'inftant du déluge , &
qu'avant cette grande révolution il n'y
avoit fur le globe terreftre ni montagnes,
ni marbres, ni rochers, ni craies, ni au-
cune autre madère fembîable à celles que
nous connoiflons , qui prefque toutes
contiennent des coquilles & d'autres
débris des produ(51ions de la mer. D'ail-
leurs la furface de la terre devoit avoir
acquis au temps du déluge un degré
confîdcrable de folidité , puilcjue la gra-
vité avoit agi fur les matières qui la corn-
pofent , pendant plus de feize fiècîes, &
par conléquent il ne paroît pas pofîlble
■que les eaux du déluge aient pu boule-
verfer les terres à la furface du globe
jufqu'à d'auffi grandes profondeurs dans
le peu de temps que dura l'inondation
univerfelle.
Mais fans infifter plus long-temps fur
ce point qui fera difcuté dans la fuite ,
1Î4 Hijlolre Naturelle.
je m'en tiendrai maintenant aux oî^itr-*
vations qui font confiantes , & aux fliiis
qui font certains. On ne peut douter
c[ue ies eaux de ia mer n'aient iejourné
iur la furface de ia terre que nous iia-
bitons , & que par confequent cette
même furface de notre continent n'ait
été pendant ([ueique temps ie fond d'une
mer, dans laquelle tout fe pafTqit comme
tout fè paffe adueilement dans ia mer
d'aujourd'hui ; d'ailleurs les couches des
différentes matières qui compofent la
terre, étant, comme nous l'avons remar*
que (r), pofées parallèlement & de ni-
veau , il effc clair que cette pofition efli
i'ouvrage des eaux qui ont amafTé & ac-*
cumulé peu à peu ces matières & leur onti
donné la même fituation que l'eau prend
toujours elle-même , c'elt-à-dire , cette
fituation horizontale , que nous obfer-
Yons prefque par - tout ; car dans lesn
plaines les couches font exa<ftement ho-^
rizontaies , & il n'y a que dans les mon-
tagnes où elles foient inclinées , comme
ayant été formées par des fédimens dé-
pofés fur une bafe inclinée , c'eft-à-dire;
(rj Voyez les preuves ^ an^ yil^
Théorie de h Terre. 115
fur un terrein penchant : or je dis que
ces couches ont été fonnées peu à peu,
& non pas tout d un coup par quelque
révolution que ce foit, parce que nous
trouvons ibuvent des couches de ma-
tière plus pefànte , polées fur àcs cou-
ches de matière beaucoup plus légère ;
ce qui ne pourroit être , fi , comme le
veulent quelques Auteurs , toutes ces
matières dilTouies (f) &. mêlées en même
îemps dans l'eau , fe fufîent enfuite pré-
cipitées au fond de cet élément, parce
qu'alors elles eufîent produit une toute
autre compofition c]ue celle qui exifte ;
îes matières les plus pefantes feroient
descendues les premières ôc au plus bas ;
& chacune ie feroit arrangée fuivant (a
gravité Ipécifique , dans un ordre rela-
tif à leur pefanteur particulière , &. nous
ne trouverions pas des rochers maffifs fur
des arènes légères , non plus que des
charbons de terre fous des argiles, des
glaifes fous des marbres , Ôl des métaux
fur des fables.
Une chofe à laquelle nous devons
f ncore faire attention , & qui confirme
(fj Voyez les preuves, art, IJ^^
î I 6 Hïjloire Naturelle,
ce que nous venons de dire fur îa for-
mation des couches par le mouvement
& par le fédimem des eaux, c'eil que
toutes les autres caufes de révoiuiion ou
de changement fur le globe ne peuvent
produire les mêmes effets. Les monta-
gnes les plus éieve'es font compofees
de couches parallèles tout de même que
les plaines les plus baffes , & par con-
fcquent on ne peut pas attribuer l'ori-
gine & la formation des montagnes à
des fecoufles , à des trembîemens de
terre , non plus qu'à des volcans ; <Sc
nous avons des preuves que s'il fe forme
quelquefois (t) de petites éminences par
ces mouvemens convulfifs de la terre ,
ces éminences ne font pas compofees
de couches parallèles ; que les matières
de Ces éminences n'ont intérieurement
aucune liaifon , aucune pofition régu-
lière , & qu'enfin ces petites collines
formées par les volcans ne préientent
aux yeux que le défordre d'un tas de
matière rejetée confufémem ; mais cette
efpèce d^organifation de la terre que nous
découvrons par -tout , cette fituation
(t) Voyez les preuves, an^ XV ÎU
Théorie de la Terre, \\j
horizontale & parallèle àts couches , ne
peuvent venir que d'une caufe conl-
xwMQ ôc d'un mouvement régie & tou-
jours dirige' de la même ilicon.
Nous Ibmmes donc afTurés par des
obfervations exades, réitérées & fondées
lur des fliits incontefhibles, que la partie
sèche du globe que nous bahitons a été
long-temps fous les eaux de la mer ; par
conléquent cette mêuie terre a éprouvé
pendant tout ce temps les mêmes mou-
veinens , les mêmes changemens qu'é-
prouvent adluellement les terres cou-
vertes par la mer. Il paroît que notre terre
a été un fond de mer; pour trouver donc
ce qui s'eft paiïé autrefois fur cette terre,
voyons ce qui le pafîe aujourd'hui fur le
fond de la mer, & de-là nous tirerons
des indudions raifonnables fur la forme
extérieure & la compofition intérieure
^es terres que nous habitons.
Souvenons-nous donc que la mer a
de tout temps , & depuis la création , un
mouvement de fîux & de reflux caufé
principalement par la lune ; que ce mou-
vement qui dans vingt -quatre heures
Élit deux fois élever & baiffer les eaux ,
^I I 8 'Hifîoh-e 'Naturelk:
s'exerce avec plus de force fous l'equil*
teiir que dans les autres climats. Sou-
Yenons-nous aufTi que la terre a un
mou veinent rapide fur Ton axe, & par
conlec[uent une force centrifuge plus
grande à l'equateur que dans toutes les
autres parties du globe ; que cela {^v\ ,
indépendamment des obfervations ac-
tuelles (Se des mefures , nous prouve
qu'elle n'eil pas ^parfaitement Iphérique,
mais qu'elle eft plus élevée ious l'equa-
teur que fur les pôles; & concluons de
ces premières oblervaiions , que c[uand
même on fuppoferoit que la terre e(t
fortie des mains du Créateur parfiite-
ment ronde en tout lens ( fuppolition
gratuite & qui marqueroit bien le cercle
étroit de nos idées ) , fon mouvement ,
diurne & celui du flux & du reflux au- 1
roient élevé peu à peu les parties de
l'equateur, en y amenant fucceffivement
ics limons , les terres , les coquillages ,
<Scc. Ainfi les plus grandes inégalités du
globe doivent iè trouver & le trouvent
en effet voifines de l'equateur; & comme
ce mouvement de flux & de reflux fii) fq,
(il) Voyez les preuves, art^ Xîl»
Théone cle h Terre, \ ïp
fc,'.i par des alternatives journalières ôz
YcpéiéQS ians interruption ; il cil fort
iic rurel d'imaginer qu'à chaque fois les
eaax emportent d'un endroit à l'autre
une petite quantité de matière , laquelle
tonihéSenfuite comm.e un fédiment au
■ 'id de l'eau , &. forme ces couches
.illèies ik horizontales qu'on trouve
i^.ir-tout ; car la totalité du mouvement
des eaux dans le nux &: le reflux étant
liorizontaîe , les matières entraînées ont
îiccellaircnient fuivi la même direction
&: fe font toutes arrangées parallèlement
é. de niveau.
Mais , dira-t-on , comme îe mouve-
ment du fîux & reflux ePc un balancement;
égal des eaux, une efpèce d'ofciilation
régulière , on ne voit pas pourquoi
tout ne feroit pas compenfé , & pour-
quoi les matières apportées par le flux
ne leroient pas remportées par le reflux,
êi. dès-lors la caufc de la formation des
couches difparoît, & le fond de la mer
doit toujours reucr le menie , le fîux
détruifant les efîèts du reflux, & l'un &
i'autre ne pouvant caufèr aucun mou^
venient, aucune altération fenfible dan$
12Ô Hïjloire Naturelle»
le fond de la mer, & encore moins ei\
changer la forme primitive en y produi-
{àntdes hauteurs & des inécxalités.
o
A cela je réponds que le balancement
des eaux n'eft point égal , puifqu'ij pro-
duit un mouvement continuel delà mer
de l'orient vers l'occident , que de plus
i'agitation cauféc par les vents s'oppofè
à l'égalité du flux & du reflux , & que
de tous les mouvemens dont la mer eft
fufceptible, il réfultera toujours des tranf-
ports de terre & des dépôts de matières
dans de certains endroits ; que ces amas
de matières feront compofés de couches
parallèles & horizontales , les combi-
nailons quelconques des mouvemens de
îa mer tendant toujours à remuer les
terres & à les mettre de niveau les unes
fur les autres dans les lieux où elles tom-
bent en forme de fédiment ; mais de
plus il efl aifé de répondre à cette ob-
jedion par un fait , c'efl que dans toutes
ies extrémités de la mer où l'on obfèrve
îe flux & le reflux , dans toutes les côtes
qui la bornent, on voit que le flux amène
une infinité de choies que le reflux ne
jremporte pas, qu'il y a des terreins que
fa mer
Théorie de h Terre. i 2 f
îa mer couvre infenfiblement (x), ôc
d'autres qu'elle laifTe à découvert après
y avoir apporté des terres , des {ables ,
des coquilles, &c. qu'elle dépofe, & qui
prennent naturellement une lituation ho-
rizontale , & que ces matières accumulées
par la fuite des temps & élevées juf^
qu'à un certain point , fe trouvent peu
à peu hors d'atteinte aux eaux , refient
enfuite pour toujours dans J'état de
terre sèche, & font partie des continens
terreftres.
Mais pour ne îaifler aucun doute (ûr
ce point important, examinons de près
ia polîibilité ou i'impofïibilité de la for-
mation d'une montagne dans le fond de
îa mer par le mouvement ôi par le fé-
diment des eaux. Perfonne ne peut nier
que fur une côte contre laquelle la mer
agit avec violence dans le temps qu'elle
eft agitée par le flux , fès efforts réité-
rés ne produi(ent quelque changement,
& que les eaux n'emportent à chaque
fois une petite portion de la terre de la
côte , & quand même elle feroit bornée
de rochers , on fait que l'eau ufè peu à
/xj Voyez les preuves, art, XIX»
Tome I. f
fi 2 2 Hijioire Naturelle:
peu ces rochers (y), & que par confe-*
quent elle en emporte de petites parties
à chaque fois que la vague iè retire après
s'être brilée : ces particules de pierre ou
de terre , feront néceilîiirement tranlpor^
tées par les eaux jufqu'à une certaine
diflance & dans certains endroits où
îe mouvement de l'eau (è trouvant ra-
knti , abandonnera ces particules à leur
propre pefanteur , & alors elles Te pré-
cipiteront au fond de l'eau en forme de
fédiment, & là elles formeront une pre-^
r.iière couche horizontale ou hiclinée ,
fuivant la pofition de la furfàce du ter^
rein fur laquelle tombe cette première
couche, laquelle fera bientôt couverte
& furmontée d'une autre couche (em-
Hable & produite par la même caule , &:
înienfiblement il 1^ formera dans cet
endroit un dépôt confidérable de ma-r
tière , dont les couches feront pofées pa-
rallèlement les unes fur les autres. Cet
amas augmentera toujours par les noii^
veaux fédimens que les eaux y tranf-
porteront , & peu à peu par fuccefîion
de temps il fe formera une élévation ,
(jij \'ûyez les Voyages de Shaw, lome II, page ô'pt
Théorie de la Terre. i 2 ^
ime montagne dans k fond de In mer ,
qui lera entièrement lemblable aux cmi-
nences & aux montagnes que nous con-
noiffons fur la terre, tant pour ia corn-
pofition intérieure que pour la forme
extérieure. S'il fe trouve des coquilles
dans cet endroit du fond de la mer, où
nous fuppofons que fe fiit notre dépôt ,
les fédimens couvriront c^s coquilles &:
les rempliront , elles feront incorporées
dans les couches de cette matière dépo-
lie , & elles feront partie des mafies for-
r.îées par ces dépôts , on les y trouvera
dans la fituation qu'elles auront acquife
en y tombant, ou dans l'état où elles,
auront été failles ; car dans cett-e opé-
ration celles qui fe jleront trouvées au
fond de la mer lorfque les premières,
couches fe feront dépofées , fe trouve-
ront dans la couche la plus balle , &
celles qui feront tombées depuis dans
ce même endroit, fe trouveront dans les
couches plus élevées.
Tout de même, lorfque le fond de la
mer fera remué par l'agitation des eaux ,
il fe fera nécefïïiirement àç.h tranfports
de terre ? dç vafe , de coquilles & d'autres
Fi;
fi 24 fJiJloire Naturelle,
matières dans de certains endroits o\i
elles fe dépoferont en forme de fédU
mens : or nous fomnies aflurés par les
piongeurs (tJ , qu'aux plus grandes pro-
fondeurs où iis puiflent defcendre , qui
font de vingt brafles , le fond de la
mer efl remué au point que i'eau le
mêle avec la terre , qu'elle devient trou-
ble , & que la vafe - &. les coquillages
font emportés par le mouvement des
eaux à des diftances confidérables : par
conféquent , dans tous les endroits de la
mer où l'on a pu de 1 cendre , il fe fait
des tranfports de terre & de coquilles
qui vont tomber quelque part, & former,
en (e dépofant , des couches parallèles
& des éminences qui font compofées
comme nos montagnes le font ; ainfi le
flux & le reflux , les vents , les courans
& tous les mouvcmens des eaux pro-
duiront des inégalités dans le fond de
la mer , parce que toutes q^% caufcs dé-
tachent du fond & à^s côtés de la mer ,
des matières qui fe précipitent enfuite
en forme de fédimeus.
Au refte , il ne faut pas croire que ces
(-Q Voyez Boyk's Works, vol, III, p, ajz.
Théorie de la Terre, 125'
tmnfports de matières ne puiiïênt pas (e
fuie à des dilances confidérables , puif-
quc nous voyons tous ies jours des grai-
nes ik d'autres produélions des Indes
orientales & occidentales arriver fur nos
côtes (a); à ia vérité elles iont fpécifi-
quementplus légères que l'eau, au lieu
que les matières dont nous parlons font
plus pefantes , mais comme elles font
réduites en poudre impalpable , elles fe
iouuendrom afiez long-temps dans l'eau
pour être tranfportées à de grandes dif-
tances.
Ceux qui prétendent que la mer n'efl
pas remuée à de grandes profondeurs ,
ne font pas attention que le flux & le
reflux ébranlent & agitent à la fois toute
ia mafîe des mers , & que dans un globe
qui feroit entièrement liquide il y auroit
de l'agitation & du mouvement jufqu'au
centre ; que la force qui produit celui
du flux & du reflux , ^^i une force pé-
nétrante qui agit fjr toutes les parties
proportionnellement à leurs mafles ;
qu'on pourroit mêm»e mefurer «Se déter-
(a) P'rticiiiièremerît fur les côtes d'ÉcofFe &
d'Irlande. Voyez E^a/i Difcourjes.
F iij
120 Hifloire Naturelle.
miner par le caîcui la quantité de cette
adion fur un liquide à différentes pro-
fondeurs, & qu'enfin ce point ne peut
être conteftë qu'en fe refuiant à Tévi-
dence du raifonnement &l à la certitude
des obfervations.
Je puis donc fuppofer légitime-
ment que le iïux & le reflux , les vents
& toutes les autres caufes qui peuvent
agiter la mer , doivent produire par le
mouvement des eaux , d^s éminences &
des inégalités dans Je fond de la mer ,
qui feront toujours compofées de cou-
ches horizontales, ou également incli-
nées ; ces éminences pourroni avec le.
temps augmenter confidérablement , &
devenir des collines qui dans une lon-
gue étendue de terrein , fe trouveront ,
comme les ondes qi-ù les auront pro-
duites, dirigées du même fens , & for-
meront peu à peu une chaîne de mon-
tagnes. Ces hauteurs une fois formées,
feront obdacle à l'uniformité du mou-
vement des eaux , <Sc il en réfultera des
mouvemens particuliers dans le mou-
vement général de la mer : entre deux^
hauteurs voifuies il fe formera aéceffai-
Tlîécàe de la Terre: \ 27
rcmént un courant (b) qui fuivra leur
direclion commune , & coulera comme
coulent les fleuves de la terre , en for-
mant un canal dont les angles feront
alternativement oppofés dans toute l'é-
tendue de ion cours. Ces hauteurs for-
mées au - delTus de la iurface du fond
pourront augmenter encore de plus en
plus; car les eau>c qui n'auront cjue le
mouvement du fîux dépoieront fur la
cime le iédiment ordinaire , & celles qui
obéiront au courant entraîneront au loin
les parties qui le feroient dépofées entre
deux, & en même temps elles creufè-
ront un vallon au pied de ces monta-
gnes, dont tous les angles le trouveront
correfpondans , & par l'effet de ces deux
mouvemens & de ces dépôts le fond
de la mer aura bientôt été fillonné ,
traverfé de collines & de chaînes de
jnontagnes , & femé d'inégalités telles
que nous les y trouvons aujourd'hui.
Peu à peu les matières molles dont les
éminences étoient d'abord compofces ,
fe feront durcies par leur propre poids ,
les imes formées de parties purement
(h) \'oyez les preuves^ an, XUL
Fiii;
1 2 8 Hîjlotre Naturelle.
argileufes auront produit ces collines
de giaife qu'on trouve en tant d'endroits,
d'autres compofées de parties fablon-
jieufes & crillallines ont fiùt ces énor-
jnes amas de rochers & de cailloux d'où
i'on tire le criftai & les pierres pré-
cieufès ; d'autres faites de parties pier-
reules mêlées de coquilles , ont formé
ces lits de pierre & de marbres où nous
retrouvons ces coquilles aujourd'hui ;
d'autres enfin compofées d'une matière
encore plus coquilleufe & plus terredre
ont produit les marnes , les craies & les
terres : toutes font pofées par lits , toutes
contiennent des fu]3llance-s hétérogènes,
îes débris des produélions marines s'y
trouvent en abondance & à peu près
fuivant le rapport de leur pefanteur, les
coquilles les plus légères font dans les-
craies , les plus pcfantes dans les argiles
& dans les pierres , Ôl elles font remplies
de la matière même des pierres & dts
terres oti elles font renfermées ; preuve
înconteflabîe qu'elles ont été tranfpor-
tées avec fa matière qui les environne
& qui les remplit , & que cette matière
étoit réduite en particules impalpables ;
Théorie de la Terre. i "K^^
enfin toutes ces matières dont la fitua-
tion s'ed établie par ie niveau des eaux
de la mer , conlervent encore aujour-
d'hui leur première pofition.
On pourra nous dire que la plupart
éts, collines & des montagnes dont le
fommet eft de rocher , de pierre ou de
marbre, ont pour baie des matières plus
légères ; que ce font ordinairement ou
des monticules de gîaiie ferme <3c fo-
Xiàç: , OU des couches de iabîe qu'on
retrouve dans les plaines voifines jus-
qu'à une diitance affez grande , & on
nous demandera comment il eit arrivé
c|ue ces marbres & ces rochei*s fe foient
trouvés au - delTus de ces fables & de
ces glaiiês. Il me paroît que cela peut
s'expliquer afîez naturellement ; i'eau
aura d'abord tranfporté la glaife ou le
lable qui faiioit la première couche des
côtes ou du fond de la mer, ce qui aura
produit au bas une éminence compofée
de tout ce lable ou de toute cette glaiie
raffemblée ; après cela les m.atières plus
fermes & pins pefantes , qui fe feront
trouvées au - defibus , auront été atta-
quées & iranfpoiiées par les eaux en
F Y
[ï 3 o Hïfîoire Naturelle,
pouffière impalpable au-delTus de cette
éniinence de glaile ou de labié, & cette
pouiîiçre de pierre aura formé les ro-
chers & les carrières que nous trouvons
siu-defllis des collines. On peut croire
qu'étant les plus pe fiâtes , ces matières
étoieni autrefois au-déflous des autres ,
& qu'ejjes font, aujourd'hui au-defîus,
parce qu'elles ont été enlevées & tranf-
portées les dernières par le mouvement
des eaux.
Pour confirmer ce que nous avons
dit , examinons encore plus en détail la
jfituadon des matières qui compofent
cette première épaifîeur du globe ler-
reflre, la feule que nous connoiflions,
Les carrières font compofées de diffé-
rens lits ou couches prefque toutes ho-
TÎzontales ou inclinées fuivant la même
pente , celles qui pofent fur des glaifes
ou fur des baies d'autres matières folides ,
font fenfîblement de niveau , fur - tout
dans les plaines. Les carrières où l'on
trouve les cailloux & les grès difperfés ,
ont à la vérité wnç: pofuion moins ré-
gulière , cependant l'uniformité de la
Nature iie laiiTe pas de s'y recoanoître:
Tlîéorie Je la Terre: 131:
tAr îa pofitioii horizontale ou toujours
vAlement peach:inte des couches ie
^,Live dans les carrières de roc vit &
dans celles des grès en grande mafie ,
elle n'eil ah.érée <3c imerronipue que
dans les carrières de cailloux & de grès
en petite mafie dont nous ferons voir
que la formation eft poilérieure à celle
de toutes les auires matières; car le roc
•vif, le lablc vitrifiable , les argiles , les
marbres , les pierres calcinables , les
craies, les marnes , font touies difpofées
par couches parallèles toujours horizon-
tales , ou également inclinées. On re-
connoît aifément dans ces dernières ma-
tières la première formation , car les
couches font exadlement horizontales &
fort minces, & elles font arrangées les
ime^ fur les autres comme les feulHcts
d'un livre ; les couches de fable , d'ar-
gile.molle, de glaife dure, de craie , de
cociuilles , font auffi toutes ou horizon-
tales ou inclinées fuivant la même p&me:
le:> épaifieurs des couches font toujours
les mêines dans toute leur étendue , qui
fouvent occupe un efpace de plufieurs
lieues, & que i'oa pourruit fuivre bien
f VT
•I 3 2 Hîfloîre Naturelle.
plus îoîn fi l'on obfervoit exadement.
Enfin toutes les matières qui compofent
îa première épaifTeur du globe , font
dirpofées de cette fliçon , & quelque part
qu'on fouille, on trouvera des couches,
& on fe convaincra par Tes yeux de la
vérité de ce qui vient d'être dit.
Il faut excepter à certains égards les
couches de fable ou de gravier entraîné
du fommet des montagnes par la pente
dç.s eaux ; ces veines de fable fe trouvent
quelquefois dans les plaines où elles s'é-
tendent même aiïez confidérablement ,
elles font ordinairement pofées fous la
première couche de îa terre labourable ,
ÔL dans les lieux plats elles font de ni-
veau comme les couches plus anciennes
& plus intérieures ; mais au pied & fur
la croupe des montagnes , ces couches de
feble font fort inclinées , & elles fui vent
ïe penchant de la hauteur fur laquelle
elles ont coulé : les rivières & les ruif-
féaux ont formé ces couches , &: en
changeant fou vent de lit dans les plaines,
ils ont entraîné & dépofé par -tout ces
fables & ces graviers. Un petit ruijfTeau
coulant des hauteurs voifmes fuffit, avec
Théorie de la Terre. l 3 J
îe temps, pour étendre une couche de
iable ou de gravier fur toute la luper-
ficie d'un vallon , quelque (pacieux
qu'il ioit , & j'ai fouvent oblervc dans
une campagne environnée de collines
dont la balè efl de glalfe aulFi-bien que
la première couche de la plaine, qu'au-
deîius d'un ruifîeau qui y coule , la glaife
fe trouve immédiatement fous la terre
labourable , & qu'au-deflous du ruifTeau
il y a une épaiiïeur d'environ un^pied
de Iable fur la glaife, qui s'étend à une
diftance confidérable. Ces couches pro-
duites par les rivières & par les autres
eaux courantes , ne font pas de l'an-
cienne formation , elles le reconnoiiTent
aifément à la différence de leur épaifl'eur,
qui varie &: n'efl pas la même par-tout
comme celles des couches anciennes, à
leurs interruptions fréquentes , &. enfin
à la matière même qu'il eil aifé de juger
& qu'on reconnoît avoir été lavée, rou-
lée &. arrondie. On peut dire la même
chofe des couches de tourbes & de vé-
gétaux pourris qui fe trouvent au-defîous
de la première couche de terre dans \ts
l-erreins marécageux; ces couches ne font
fr34 HiiJoire Naturelle:
pas aiicfCiines , & elles ont été produites
par l'eataireàieni iuccefîif des arbres &
des plantes qui peu à peu ont combîé
ces marais, il en cil: encore de même
de ces couches limonneufès que l'inon-
dation des fleuves a produites dans diiîe-*
rens pays ; tous ces terrains ont été nou-
vellement formés par les eaux courantes
ou llagnantes , &. ils ne lui vent pas h
pente égale ou le niveau aulîi exacte-
ment que les couches anciennement
produites par le mouvement régulier des
ondes de la mer. Dans les couches que
ies rivières ont formées , on trouve des
coquilles fliiviatiles , mais il y en a peu
de marines , & le peu qu'on y en trouve ,
eft briié , déplacé , ilolé ; au lieu que
dan.-» ies couches anciennes ies coquilles
marines fe trouvent en quantité , il n'y
en a point de fluviatiles, & ces coquilles
de mer y font bien conlervées & toutes
placées de la même manière , comme
ayant été tranfportées & pofecs en même
te.nps par la mêine caule ; & en e^tet,
pourquoi ne trouve-t- on pas les ma-
tières entaiTécs irréo-ul'èrement , au lieu
I ^
de ies trouver par couches î pourquoi
Théorie âe la Terre. 135^
les marbres , les pierres dures , ïes craies,
ies argiles , les plâires , les marnes , &c,
ne lonr - ils pas dirperfés ou joims par
couches irrégulières ou verticales î pour-
quoi ies choies pelantes ne font-elîes
pas toujours au-defTous des plus légères \
11 efl: ailé d'apercevoir que cette unifor--
mité de la Nature , cette efpèce d'orga-
iiilation de ia terre, cette jondion des
différentes matières par couches paral-
lèles & par lits, lans égard à leur pelan-
teur , n'ont pu être produi'tes que par
une caufe auiïi ruilTante &: auffi conf-
iante que celle de l'agitation des eaux
de kl mer , ioit par le mouvement réglé
des ven-s, ibit par celui du fîux &. du
reflux, &.C.
Ces caidcs agilTent avec plus de force
Ibus i'équateur que dans les autres cli-
mats , car [es vents y font plus conflans
&: les marées plus violentes que par-tout
ailleurs ; auiïi les plus grandes chaînes de
montagnes font voidnes de l'Equateur :
ies montagnes de l'Afrique & du Pérou
font ks plus hautes qu'on connoifle , &
après avoir traverié des cominens entiersj,
elles s'étcudent encore à des dUlaiice^
1^6 Hi flaire Naturelle.
très-conficlérabies fous les eaux de la mer
occane. Les montagnes de l'Europe &
de i'Afie qui s'étendent depuis l'Efpagne
jufqu'à la Chine , ne font pas aufîi éle-
vées que celles de l'Amérique méridio-
nale & de l'Afrique. Les montagnes du
nord ne font , au rapport des Voya-
geurs, que des collines en comparaifon
de celles des pays méridionaux ; d'ail-
leurs le nombre des îles cft fort peu
confidérable dans les mers feptentrio-
naîes , tandis qu'il y en a une quantité
prodigieufè dans la zone torride ; &
comiîic une île n'eft: qu'un foni met de
montagne, il eft clair que la furface de
ia terre a beaucoup plus d'inégalités vers
l'équateur que vers le nord.
Le mouvement général du flux &: du
reflux a donc produit les plus grandes
montagnes qui fe trouvent dirigées d'oc-
cident en orient dans l'ancien continent,
& du nord au fud dans le nouveau ,
dont les chaînes font d'une étendue très-
confidérable , mais il faut attribuer aux
mouvemens particuliers des courans ,
des vents & des autres apfîtations irrétru-
iières de ia mer , l'origine de toutes les
Théorie de la Terre. 137
autres montagnes ; elles ont vraifen.-
blableinent été produites par la corn-
binailon de tous ces inouveinens , dont
on voit bien que ies effets doivent être
variés à l'infini , puifque les vents , fa
pofition différente des fies & des côtes
ont altéré de tous les temps & dans tous
ies fens poilibles la diredion du flux &
du reflux des eaux ; ainii il n efl pc int
étonnant qu'on trouve fur le globe ( e;
éminences confidérables dont ie cours
efl dirigé vers différentes plages : il iufïit
pour notre objet d'avoir démontré que
ies montagnes n'ont point été placées
au hafard , & qu'elles n'ont point été
produites par des tremblemens de terre
ou par d'autres caufès accidentelles ,
mais qu'elles font un effet rciultant de
l'ordre général de ia Nature , auffi-bien
que i'efpèce d'organifation qui leur eft
propre & la pofition des matières qui
ia compofent.
Mais comment efl- H arrivé qvie cette
terre que nous- habi ons , que nos an-
cêtres ont habitée comme nous, qui de
temps immémorial efl un continent fec ,
fenne & éloigné des mers , ayant été
^138 Hiflokc Naturelle.
îiuîrefois un fond de mer, foit acflueîle-
inent lupérieur à loutes les eaux & en
foit fi didindemeiit iépurëe ' pourquoi
ies eaux de la mer n'ont-elies pas relié
iur ccLie terre , [juirqu'elles y ont ié-
jounié fi ioiig-iemps \ quel accident ,
queiie cauie a pu produire ce ciiange-
nientd.insle globe! e(l-iî même poltible
d'en concevoir une aflez puifÏÏmte pour
opérer un tel effet î
Ces queftions font difnciies à réfou-
drc , mais les faits étant certains , la
manière dont ifs font arrivés peut de-
meurer inconnue fins préjudicier au
jugement que nous devons en porter ;
cependant fi nous voulons y réfléchir ,
nous trouverons par indu(flion des rai-
{bnstrès-pfaufibîes de ces changemens/Vy',
Nous voyons tous ies jours la mer ga-
gner du terrein dans de certaines côtes
& en perdre dans d'au res ; nous fa-
voris que l'Océan a un mouvement
générai & continuel d'orient en occi-
dent , nous en endons de loin les efforts
terribles que la mer fiit contre les baf^
{ç.s terres & contre les rochers cjui la
(c) Voyez les preuves , art* XIX*
Thème de la Terre. 13P
bornent, nous connoiflons des provinces
ciuieres où on ell: obligé de lui oppoicr
des digues que rinduftrie humaine a
};icn de la peine à foutenir contre la fu-
reur des flots , nous avons des exemples
de pays récemment iiibmergés , & de
débordemens réguliers; l'Hiitoire nous
parle d'inondations encore plus grandes
ai de déluges : tout cela ne doit -il pas
nous porter à croire qu'il eft en eftet
nrrivé de grandes révolutions fur la fur-
fàce de la terre , & que la mer a pu
quitter & laifler à découvert la plus
grande partie des terres qu'elle occu-
poit autrefois î Par exemple , fi nous
nous prêtons un inftant à iuppofer qii^e
i'ancien & le nouveau monde ne fû-
foient autrefois qu'un feul continent ,
& que par un violent tremblement de
terre le terrein de l'ancienne Atlantique
de Platon le foit affiiifîee , la mer aura
iiéceflairement coulé de tous côtés pour
former l'Océan Atlantique, & par con-
féquent aura laiiïe à découvert de vaftcs
continens qui font peut-être ceux que
nous habitons ; ce changement a donc
pu fe luire tout ~ à - coup par l'afFaiiîe-
140 HiJIoire Naturelle»
ment de quelque vafte caverne dans
l'intérieur du globe , & produire par
conféquent un déluge univerfel ; ou..
bien ce changement ne s'eft pas fait tout-
à-coup , & il a fàilu peut-être beaucoup
de temps, mais enfin il s'eft fait, & je
crois même qu'il s'eft fait natureliemeni ;
car pour juger de ce qui cft arrivé &
ïnême de ce qui arrivera, nous n'avons
qu'à examiner ce qui arrive. Il eft cer-
tain par les obfervations réitérées de
tous les voyageurs /d), que l'Océan a un
mouvement coniiant d'orient en occi-
chent ; ce niouvement fe fait ientir non-
feulement entre les tropiques , comme
celui du vent d'eft , mais encore dans
toute i'éîendue dts zones tempérées &
froides où l'on a navigué : il fuit de cette
obfervation qui eft conftante , que la
mer Pacifique fait un eftbrt continuel
contre les côtes de la Tanarie , de la
Chine &. de l'Inde ; que l'Océan In-
dien fiit effort contre la côte orientale
de l'Afrique , & que l'Océan Atlantique
agit de même contre toutes les côtes
orientales de l'Amérique; ainfi la mer.
(dj Voyez Varcrt, Gco^r, gcn. pag. 119.
Tkécr'ie de h Terre, 141'
â dû & doit toujours gagner du terreiri
fur les côtes orientales , & en perdre fur
ies côtes occidentales. Cela feui fuffiroit
pour prouver la poflibilité de ce chan-
gement de terre en mer & de mer e^i
terre ; & fi en effet il s'efl: opéré par ce
mouvement <S^% eaux d'orient en occi-
dent , comme il y a grande apparence ,
ne peut -on pas conjedurer très-vrai-
femblablement que le pays le plus ancien
du monde efl: i'Afie & tout le continent
orientai î que l'Europe au contraire &
une partie de l'Afrique , & fur-tout les
côtes occidentales de ces continens ,
comme l'Angleterre, la France , i'Ef-
-pagne, la Mauritanie, &c. font des terres
plus nouvelles î L'hifloire paroît s'ac-
corder ici avec la Phyfique , & confir-
mer cette conjedure qui n'eft pas fans
fondement.
Mais il y a bien d'autres caufcs qui
concourent avec le mouvement conti-
nuel de la mer d'orient en occident
pour produire l'effet dont nous parlons.
Combien n'y a-t-il pas de terres plus
baffes que le niveau de la mer & qui
ne font défendues que par un ifthmc ,
^1^2 HiJîoJre TSIaturelk:
lîii banc de rochers , ou par éQS> (ïiax^t^
encore plus foibles \ l'etfort des eaux
de'truira peu à peu ces barrières , cc
dès-lors ces pays feront lubmergcs. De
plus , ne lait-on pas que les montagnes
s'abaiffent continuellement ( e) par les
pluies qui en détachent les terres & les
entraînent dans les vallées ! ne lait - on
pas que les ruifîeaux roulent les terres
des plaines & des montagnes dans les
fîeuves , qui portent à leur tour cette
terre fuperfîue dans la mer î ainfi peu à
peu le fond des mers (è remplit , la fur-
fiice des continens s'abai(îe & fè met de
niveau, & il ne fiuit que du temps pour
^.ÇL la mer prenne fuccefîivement la
place de ia terre.
Je ne parle point de ces cau(es éloi-
gnées qu'on prévoit moins qu'on ne
ies devine, de ces fècouiïes delà Nature
cfont le moindre effet feroit fa catallro-
phe du monde ; le choc ou l'approche
d'une comète , l'abfence de la lune , Ja
prélence d'une nouvelle planète , &c,
îbnt des fuppofuions fur lefquelles il efl
(e) Voyez Ray' s Dijcourfcs , page 226, Plot^
Bijl. Naî. ifc, ' '
ThéoAe de la Terre. \^f
aîfé de donner carrière à {ou imagina-
tion; de pareilles caufes produiient tout
ce qu'on veut , & d'une feule de ces hy-
pothèies on va tirer mille romans phy-
fiques que leurs Auteurs appelleront
Théorie de la Terre. Comme hilloriens,
nous nous refufons à ces vaines fpe'cu-
lations , elles roulent fur des pofîjbilite's
qui , pour le réduire à l'ade , fuppofent
un bouieverfement de l'Univers , dans
iequel notre globe, comme un point
de matière abandonnée , échappe à nos
yeux & n'eft plus un objet digne de nos
recrards ; pour les fixer il faut le prendre
tel qu'il eil: , en bien obferver toutes les
parties , & par des indudions conclure
du préfent au pafîé ; d'ailleurs des caufes
dont l'effet eft rare , violent & fubit ,
.ne doivent pas nous toucher , elles ne
le trouvent pas dans la marche ordinaire
de la Nature , mais des efiets qui arri-
vent tous les jours, des mouvemens qui
fe fuçcèdent & le renouvellent fans in-
terruption , des opérations confiantes &
toujours réitérées, ce lont-là nos caufes
^ nos raifons.
Ajoutons - y des exemples , comb i-
'î44 H'iflohe Namrelle,
nous la cauie générale avec les caufès
particulières, & donnons des faits dont
ie détail rendra fenfibles les difFérens
chancremens qui font arrivés fur le
globe , foit par l'irruption de l'Océan
dans les terres , foit par l'abandon de ces
mêmes terres , lorfqu'elles fe font trou-
vées trop élevées.
La plus grande irruption de i' Océan
dans les terres (f) efl celle qui a produit-
la mer Méditerranée (g); entre deux
promontoires avancés (hj, l'Océan coule
avec une très-grande rapidité par un
paiïàge étroit , & forme enfuite une
valte mer, qui couvre un efpace , le-
quel, fans y comprendre la mer Noire,
efl environ fept fois grand comme ia
France. Ce mouvement de l'Océan par
le détroit de Gibraltar eft contraire à
tous les autres mouvemens de la mer
dans tous les détroits qui joignent
l'Océan à l'Océan; car le mouvement
général de la mer eft d'orient en occi-
dent, & celui-ci fèul eft d'occident en
(f) Voyez les preuves , art. XI iT XIX,
(g) Voyez Ray s Difcmrfes , page 209.
(h) Voyez Tranjf, PhiU drigd. vol. II , pge i Rçj
orient ^
théorie de la Terre. 1 4 J
©rient, ce qui prouve que la mer Mé-
diterranée n'eft point un golfe ancien
de l'Océan, mais qu'elle a été formée
par une irruption des eaux , produite par
quelques cauies accidentelles, comme
feroit un trcmblemicnt de terre, lequel
auroit affaiffé les terres à fendroit à\X
détroit, ou un violent effort de l'Océaii
caufé par ies vents, qui auroit rompu
la digue entre les promontoires de Qi-
I)raltar & de Ceuta. Cette opinion efl
appuyée du témoignage des Anciens //^^
qui ont écrit que la mer Méditerranée
n'exifioit point autrefois, & elle elî ,
comme on voit, confirmée par FHif-
toire Naturelle, & par les observations
qu'on a fiites fur la nature des terres à
la côte d'Afrique & à celle d'Efpagne
où l'on trouve les mêmes lits de pierre ,
ies mêmes couches de terres en deçà &
au-deià du détroit, à peu près comme
dans de certaines vallées où les deux col-
lines qui les fur montent fe trouvent être
compofées des mêmes matières & au
même niveau.
L'Océan s'étant'donc ouvert cettQ
(î) Diodore de Sicile, Strabon.
1^6 Hifloire Naturelle.
porte , a d'abord coulé par le détroit
avec une rapidité beaucoup plus (grande
qu'il ne coule aujourd'hui , & il a inondé
le continent qui joignoit l'Europe à
l'Afrique; les eaux ont couvert toutes
ies baiîes terres dont nous n'apercevons
aujourd'hui que les éminences & les
fomniets dans l'Italie, & dans les îles dç
Sicile, de Malte, de Gorfe, de Sar^,
daigne, de Chipre, de Rhodes & de
l'Archipel.
Je n'ai pas compris la mer Noire dans
cette irruption de l'Océan, parce qu'il
paroît que la quantité d'eau qu'elle re-
çoit du Danube, du Niéper, du Don
& de piufieurs autres fleuves qui y en-
trent, efl plus que fuffiduite pour la for-
mer, & que d'ailleurs elle coule (k) avec
une très-grande rapidité parle Bofphore
dans la mer Méditerranée. On pourroit
même préiumer que la mer Noire & la
mer Cafpienne ne fail oient autrefois que
d«gux grands lacs qui peut-être étoient
joints par un détroit de communication,
ou bien par un marais ou un petit laç
qui réunifl oient les eaux du Don & du
(hj Voyez Tranf. Phil.Abrig'd. Vol. II; page 2 89,
Théorie de h Terre, 1 47'
Volga auprès de Tria , où ces deux
fleuves font fort voifins l'un de l'autre ,
& l'on peut croire que ces deux iners
ou ces deux lacs étoient autrefois d'une
bien plus grande étendue qu'ifs ne ibnt
aujourd'hui : peu à peu ces grands fleu-
ves, qui ont leur embouchure dans la
mer Noire & dans ia mer Calpienne,
^auront amené une aflez grande quantité
"de terre pour fermer la communication,
remplir le détroit & féparer ces deux
lacs; cir on (ait qu'avec le temps les
grands fleuves reHipliflent les mers &
forment des continens nouveaux , comme
la province de l'embouchure du fleuve
Jauneà la Chine, la Louifiancà l'embou-
chure du Mifljfllpi, & la partie fepten-
trionale de l'Egypte qui doit fon ori-
gine (l) & fon exiflence aux inondations
du Nil (m), La rapidité de ce fleuve ea
traîne les terres de fintérieur de l'Afri-
que , & il les dépofe enfuite dans les dé-
bordemens en fi grande quantité , qu'on
peut fouiller juiqu'à cinquante pieds
(l) Voy. les Voyages de Shaw, vol. Il, p^g^i /^S
jufquà la y âge i 88.
(m) Voyez les preuves, an, XIX.
Gij
'14S hîjlohe Nûîureïïe.
dans l'épaiileur de ce limon dépofé pnr
îcs inondations du Nil ; de même les
terreins de la province de lu rivière
Jaune & de Iîi Louifiane ne fe font for-
me's que par le limon des fleuves.
Au relie , la mer Cafpienne eft acflueP
îement un vrai lac qui n'a aucune com-
iiiunication avec les autres mers , pas
même avec le lac Aral qui paroit en
avoir fliit partie , & qui n'en efl féparé
que par un vafle pays de fable, dans le-
quel on ne trouve ni fleuves , ni rivières ,
^i aucuji canal par lequel la mer Cas-
pienne, puifTe verfer (es eaux. Cette mer
n'a donc aucune communication exté-
rieure avec les autres mers , & je ne fais
fi l'on efl: bien fondé à foupçonner
qu'elle en a d'inte'rieure avec la mer
Noire ou avec le golfe Perfique. II
eu vrai que la mer Çaipienne reçoit le
Volga ÔL pluficurs autres fleuves qui
fembient lui fournir plus d'eî^u que l'é-
vapcration n'en peut enlever, mais in-
dépendamment de la difficulté de cette
(eflimation , il paroïtquc li elle avoît com-
Biunication avec l'une ou l'autre de ces
^rs , on y auroit reconnu uii couraa|
Théorie de la Terre, 1491
rapide & coudant qui entraîncroît touf
vers cette ouverture qui lerviroit de dë-=
charge à les eaux , & je ne fâche pas
qu'on ait jamais rien obfervé de fem-
blabie lur cette mer; des Voyageurs
exads, fur le témoignage defqueis on
peut compter , nous alfurent le contraire,
& par conféquent ii eil nécefîliire que
1 evaporation enlève de ia mer Caipienne
une quantité d'eau égaie à celle qu'elle
reçoit^
On pourroit encore conjecPcurer avec
quelque vrailembiance, que ia mer Noire
fera un jour féparée de ia Méditerra-
née, & que le Boipiiore fe remplira iorl-
que les grands fleuves qui ont leurs em^
boucliures dans ie Pont-Euxin , auront
amené ime afTez grande quantité de terre
pour fermer ie détroit ; ce qui peut arri-'
ver avec le temps , & par la diminution
fucceflive des fleuves , dont ia quantité
des eaux diminue à mefure que les mon-
tagnes & les pays élevés dont ils tirent
leurs fources , s'abaiflent par le dépouil-
lement des terres que les pluies entrai-^
lient & que les vents enlèvent.
La mer Cafpienne (Se la mer Noire
G ii]
'I 5 o FTîfloke NatiireUe»
doivent donc être regardées pîutot
comme des lacs que comme des mers
ou des goifès de i' Océan; car elles
reiïemblent à d'autres lacs qui reçoi-
vent tm grand nombre de fleuves &
qui ne rendent rien par les voies exté-
rieures, comin\e la mer Morte , plufieurs
lacs en Afrique, &:c. D'ailleurs les eaux
de ces deux jçners ne font pas à beaucoup
prèsauffifaiées que celles de la Méditer-
ranée ou de l'Océan; & tous les voya-
geurs afiurent que la navigation efl: très-
diiïicile fur la mer Noire & (ur la mer
Cafpienne, à caufe de leur peu de pro-
fondeur & de la quantité d'écueils & de
bas-fonds qui s'y rencontrent, en forte
qu'elles ne peuvent porter que de petits
A^aiiïeaux (n); ce qui prouve encore
qu'elles ne doivent pas être regardées
comme des golfes de l'Océan, mais-
comme des amas d'eau fermés par les
grands fleuves dans l'intérieur des terres.
Il arriveroit peut-être une irruption
confidérable de l'Océan dans les terres,
fi oncoupoiti'ifthme qui fépare l'Afrique
(n) Voyez les voyages de Pietro délia Vaile^
vol 111, jyage z^6^
Théorie 'de la Terre. i 5 t
de î'Afie, comme les Rois dTgypte ,
& depuis ies Califes en ont eu le projet ;
& ie ne lai fi le canal de communi-
cation quon a prétendu reconnoitre
entre ces deux mers, eft aiïez bien
conftaté, car la mer Rouge doit être plus
élevée que la mer Méditerranée; cette
mer étroite eft un bras de l'Océan qui
dans toute Ton étendue ne reçoit aucun
fleuve du côté de l'Egypte, & fort peu
de l'autre coté : elle ne fera donc pas
fujète à diminuer comme les mers ou es
lacs qui reçoivent en même temps les
terres & les eaux que les fleuves y ame^
nent, & qui fe remplifTent peu à peu.
L'Océan fournit à la mer Rouge toutes
feseaux, &le mouvement du flux & du
reflux y eft extrêmement fenfible; amii
e'ie participe immédiatement aux grands
mouvemens de l'Océan. Mais la mer
Méditerranée efl plus bafi'e que l'Océan,
puifque les eaux y coulent avec une très-
p-rande rapidité par le détroit de Gibral-
far: d'ailleurs elle reçoit le Nil qui coule
parallèlement à la côte occidentale de h
mer Rouge & quitraverfe l'Egypte dans
toute fa longueur, dont le terrem eit
G iiij
I 5 2 Hïfloire Naturelle.
par lui-même extrêinement bas ; aînfi lî
eil très-vrailemblabîe que fa mer Rouge
^'à plus élevée que la Méditerranée, &
que ù on otoit la barrière en coupant
i^illhme de Suez, il senfuivroit une
grande inondation & vaiq augmentation
confidérable de ia mer Méditerranée, à
inojns qu'on ne retint les eaux par des
dîgues & des éclufes de diflance en dif^
tance , comme il eil à préflimer qu'on
i a {m autrefois , fi i'^mcien canat de
communication a exiilé.
Mais fims nous arrêter plus lono--
temps à des ccnjedures qui , quoique
fondées, pourroient paroître trop ha-
iardées, ^fur-tout à ceux qui ne juaenî
t^es pollibilirés que par les évènenTens
aduels, nous pouvons donner des exem-
ples récens & des fiits certains , liir le
^^hangemcnt de mer en terre fo) &. de
terre en mer. A Y enife le fond de la mçr
Adriatique s'élève tous les jours, & il y
a déjà long-temps que les lagunes & la
yûk feroient partie du conttiient, fi on
n avoit pas un très-grand Ibin de net-
toyer & vider les canaux : il en clt de
("oj Vo) ez les prouves, «r/. A'IX.
Théorie de la Terre. 153
même de la plupart des ports , à^s petites
baies & des embouchures de toiues les
rivières. Y^n Hollande , le fond de la
mer s'élève aufli en plufieurs endroits ,
car le petit golfe de Zuyderzee & îc
détroit du Texel ne peuvent plus rece-
voir de vaiiïeaux aufii grands qu'autre-
fois. On trouve à i embouchure de pret^
que tous les fleuves, des îles, des labiés,
des terres amoncele'es & amenées par les
eaux , & il n'eft pas douteux que la mcv
ne le remplifîe dans tous les endroits où
elle reçoit de grandes rivières. Le Rhin
fe perd dans les labiés qu'il a lui-même
îiccumuîés; le Danube, le Nil & tous
îes grands fleuves ayant entraîné beau-
coup de teiTern, n'arrivent plus à la mer
par un ieul canal, mais ils ont plufieurs
bouches dont les intervalles ne font rem-
plis que des iables ou du limon qu'ils
ont chariés. Tous les jours on defsèche
des marais, on cukive des terres aban-
données par la mer, on navige iur des
pays fubmergés; enfin nous- voyons fous
nos yeux d'affez grands changemens de
terres en eau & d'eau en terres, pour être
afî Lires que cei changemens fe font faits j.
G V
î 5 4 Hijloîre Naturelle,
fe font & le feront , en forte qu'avec îe
temps les golfes deviendront des conti-
ncns , les ilthmes feront un jour d^s
détroits, les marais deviendront des terres
arides, & les fommetsdenos montagnes
les écueiis de la mer.
Les eaux ont donc couvert & peuvent
encore couvrir fuccelTivement toutes
les panies des continens terreftres , &
dès-lors on doit ceffer d'être étonne de
trouver par-tout des produdions ma-
rines & une compofition dans l'intérieur
qui ne peut être que l'ouvrage des eaux.
Nous avons vu comment fe font formées
les couches horizontales de la terre , mais
nous n'avons encore rien dit des fentes
perpendiculaires qu'on remarque dans
ies rochers , dans les carrières , dans les
argiles , &:c. & qui fe trouvent aufîl
généralement fp) que les couches hori-
zontales dans tomes les matières qui
compofent le globe ; ces fentes perpen-
diculaires font à la vérité beaucoup plus
éloignées les unes des autres que les
couches horizontales , & plus les matières
font molles, plus ces fentes paroiffeiit être
(pj Voyez les preuves , art, JCVIU
Théorie de la Terre, i j 5
éloignées les unes des autres. II eft fort
ordinaire dans les carrières de marbre ou
de pierre dure, de trouver des fentes
i^erpendiculaires, éloignées feulement de
quelques pieds ; fi la mafle des rochers
eil fort grande , on les trouve éloignées
de quelques toifes , quelquefois elles
defcendent depuis le fommet des rochers
jufqu'à leur bafe, fouvent' elles fe ter-
minent à un lit inférieur du rocher , mais
elles font toujours perpendiculaires aux
couches horizontales dans toutes les ma-
tières calcinabies , comme les craies , les
marnes, les pierres, les marbres, &c.
au lieu qu elles font plus obliques & plus
irrégulièrement pofées dans les matières
vitriîiables, dans les carrières de grès &
les rochers de caillou , où elles font in-
térieurement garnies de pointes de crif-
tal, & de minéraux de toute efpèce ; &
dans les carrières de marbre & de p'erre
calcînable , elles font remplies de fjoar,
de gypfe , de gravier & d'un fible ter-
reux , qui eil bon pour bâtir, & qui
contient beaucoup de chaux; dans les
argiles, dans les craies, dans les marnes
& dans toutes ki autres efpèces de terre ,
G vj '
'i')6 Hîjîoke Naturelle.
a l'exception des tufs , on trouve cey
tentes perpendiculaires, ou vides, ou
remplies de quelques matières que l'eair
y a conduites.
Il me iemble qu'on ne doit pas aller
chercher loin la caulè & l'origine de ces
fentes perpendiculaires ; coinmc toutes
les matières ont été aoîenées & dépofées
par les eaux, il cfl naturel de penfer
qu'elles étoient détrempées & qu'elles
contenoient d'abord une grande quan-
tité d'eau , peu à peu elles fe font dur-
cies & reiîuyées, & en iedefféchant elles
ent dimmué de volume, ce qui les a
fm lendre de diliance en d^mct , elles
-^ni dû le fendre perpendiculairement
tarce que l'action de la peiànteur des
parties les unes fur lus autres , eft nulle
«îans cette dueclîon , & qif au contraire
m\i^ efl tout-à-fiit oppoiée à cette difrup-
rwnd^nsh fituation horizontale ,. ce qui
® fait que la diininution de volume n'a
|)u avoir d'effets fenfibles que dans la
direclion verticale. Je dis que c'eft h
dimmuûon du volume par le deiïéchel
Kient qui feule a produit ces fentes per-
pendiculaires , &que ce iVeiî pas4 cw
Théoùe de h Terre. l^f
Contenue dans l'inténeur de ces matières;
qui a cherché des iffues & qui a formai
CCS
... fentes; car j'ai fouvent obierve que
ies deux parois de ces fentes le re^
pondent dans toute leur hauteur aulif
exactement que deux morceaux de bois
qu'on viendroit de fendre; îeuï inté-
rieur eft rude , & ne paroit pas avoir
cffuyé le frottement des eaux qui au-
roient à la longue poli & uie les lur-
faces; ahifi ces fentes le font fûtes ou
tout-à-coup ou peu à peu par le délie-
chement , comme nous voyons les ger-
çures le faire dans les bois , & la plus
orande partie de l'eau s'cll évaporée par
fes pores. Mais nous ferons voir dans
notre difcours fur les minéraux, qu li
refte encore de ceue eau primitive dans
ks pierres & dans plufieurs autres ma^
tières , & qu'elle fert à la produdion des
eriftaux 'dts minéraux & de plufieurs
autres fubftances terreflres.
L'ouverture de ces fentes perpencR-
culaires varie beaucoup pour la gran-
deur, quelques-unes n'ont qu'un demi-
pouce , un pouce , d'autres ont un pied ^
dtux pieds , il y en a qui ont quelque o^
i 5 8 Hïfioire Naturelle,
plufieurs toiles, & ces dernières forment
entre les deux parties du rocher ces pré-
cipices qu'on rencontre fi fouvent d.ns
i^s Alpes & dans toutes ies hautes mon-
tagnes. On voit bien que celles dont l'ou-
verture efl petite, ont été produites par
le leuldefTéchement, mais celles qui pré-
lentent une ouverture de quelques pieds
de largeur ne fe font pas augmentées à
ce point, par cette feule caufe, c'eflauffi
parce que la bafequi porte le rocher ou
les terres fupérieures , s'efl affaiffée un
peu plus d'un côté que de l'autre, &
un petit affiiilTement dans la bafe mr
exemple, une ligne ou deux, fuffit pour
produire dans une hauteur confidérable
des ouvertures de pîufieurs pieds, &:
même de piufieurs toifes : quelquefois
aulli \qs rochers coulent un peu fur leur
baie de glaife ou de fable , & les fentes
perpendiculaires deviennent plus grandes
par ce mouvement. Je ne parle pas en-
core de ces la t-ges ouvertures, de ces
énormes coupures qu'on trouve dans les
rochers & dans les montagnes; elles
ont été produites par de grands affai/Te-
iuens, comme feroit celui d'une caverne
Théorie de la Terre', 155
mtérieure qui ne pouvant plus foutcnir
ie pokls dont elle efl: chargée , s'affiiifTe
&: laifle un intervalle confidérable entre
les terres fupéneures. Ces intervalles fpnt
différens des fentes perpendiculaires , ils
paroiflènt être des portes ouvertes par
les mains de la Nature pour la commu-
nication des nations. C'eft de cette fiiçon
que (è prélentent les portes qu'on trouve
dans les -chaînes de monta ornes & les ou-
vertures des détroits de la mer , comme
les Thermopyles, les portes du Caucafe,
des Cordillères , &c. la porte du détroit
de Gibraltar entre les monts Calpe &
Abyla, la porte de l'HelIelpont, &:c.
Ces ouvertures n'ont point été formées
par la fimple féparation des matières ,
comme les fentes dont nous venons de
parler (q)^ mais par l'affaifTement & la
deftrudion d'une partie même d^s terres,
qui a été engloutie ou renverfée.
Ces grands affailTemens , qtioique
produits par des caufes accidentelles &
fecondaires (r) , ne laiiïent pas de tenir
une des premières places, entre les pria-
(q) Voyez les preuves, art, XV IL
(r) Voyez iàm^
'l6o Hifloire^K!aîurene.
cipaux fliits de i'hiftoire de la Terre, &
lis n'ont pas peu contribué à chanoer
ia£ice du globe. La plupart iont ca^Ii-
i^s par des feux intérieurs, dontl'explc^
iion fait les trembieniens de terre & les
volcans, rien n'eit comparable à ia force
de ces matières enflammées & reffcrrées
(f) A'àmX^ fcin de la terre, on a vu des-
villes entières englouties, des provinces
i^ouleverlées, des montagnes renverfces
par leur elFort ; mais quelque grande que
ioit cette violence , cS. quelc|ue prodigieux
que nous en paroilîent les effets, îl ne
f|iut pas croire que ces feux viennent
d un feu central , comme quelques Au-
teurs l'ont écrit, ni même qu'ils viennent
dune grande profondeur, comme c'eft
i opinion commune; car l'air ^?i abfo-
ïunient nécefî^iire à leur embrafement ,
au moins pour l'entretenir. On peur
s aiTurer en examinant les mcHières oui
iortent d^s volcans dans les plus vio-
lentes irruptions , que le foyer de \x
matière enflammée nV-il pas à une grande
7n^ FU Abn^,, Voi. \\, p. 3 c, ;. R^^^ -, ^.,,,,.,.
pag. 272.^ fc^ ^ 4' i
*Tlicor\e de la Terre, l6t
profondeur , Si que ce font des matières
feinbla}3les à celles qu'on trouve fur la
croupe de ia montagne , qui ne font dé-
figurées que par ia calcinaiion & la fonte
des parties métalliques qui y font mêlées;
& pour fe convaincre que ces matièr^àr
jetées par les volcans ne viennent pas
d'une grande profondeur, il n'y a cjii'à
fiiire attention à la hauteur de ia mon-
tagne , & juger de la force immenfe qui
feroit néceflaire pour pouffer des pierres
Si des minéraux à une demi-lieue de hau-
teur; car l'Etna, i'Hécla &. plufieurs
autres volcans ont au moins cette éléva-
tion au- de (fus des plaines. Or on fait
que l'action du feu le fait en tout fens ;
die ne pourroit donc pas s'exercer en
haut avec une force capable de lancer de
groffes pierres à une demi-lieue en hau-
teur, ians réagir avec la même force en
bas &: vers les côtés , cette réaclion auroiî
bientôt détruit &l percé la montagne de
tous côtés, parce que les matières qui la
compolent ne font pas plus dures cjue
celles qui font lancées ; & comment
imaginer que la cavité qui fert de tuyau
OU de canon pour conduire ces matières
I 62 HïjîoWe Naturelle,
j^rqu'à l'embouchure du voican , pui/Te
réfifter à une fi grande violence î d'ail-
leurs fi cette cavité defcendoit fort bas ,
comme l'orifice extérieur n'efl pas fort
grand, il feroit comme impoflible qu'il
en fortît à la fois une auffi grande quan-
tité de matières enflammées & liquides ,
parce qu'elles fe choqueroi-ent entr'elles
& contre les parois du tuyau, & qu'en
parcourant un efpace auffi long, elles
s'éteindrolent & fe darciroient. On voit
fouvent couler du fommet du volcan ,
dans les plaines, des ruiiïeaux de bitume
& de foufi-e fondu qui viennent de l'in-
térieur, & qui font jetés au dehors avec
ies pierres &les minéraux. Eft-il naturel
d'imaginer que des matières ù peu fo-
iides , & dont la maffe donne fi peu de
prife à une violente adion , puiiïent
être lancées d'tme grande profondeur!
Toutes les obfervations qu'on fera fur ce
fujet, prouveront que le feu des volcans
n'en pas éloigné du fommet de la mon-
tagne, & qu'il s'en faut bien qu'il ne
defcende au niveau des plaines (tj.
Cela n'empêche pas cependant que
(t) Voyez Borelli, de Incendiïs y£tm, iTc.
Théorie de la Terre. 163
fon n(5i:ion ne fe faffe feniir dans ces
piaines par des (ecouiïes & des tremble-
mens de terre qui s'étendent queiquefois
à une très -grande dillance, qu'il ne
puifTe y avoir des voies fouterraines par
où la flamme & la fumée peuvent fe
communiquer d'un volcan à un autre (u)^
Si que dans ce cas ils ne puiflent agir &
s'enflammer prefqu'en même temps;
mais c'efl du foyer de i'embrafement
dont nous parions , il ne peut être qu'à
une petite diflance de la bouche du vol-
can , ÔL il n'eft pas nécefîaire pour pro-
duire un tremblement de terre dans la
plaine , que ce foyer foit au-deflous du
"niveau de la plaine , ni qu'il y ait des
cavités intérieures remplies du même
feu ; car une violente explofion , telle
qu'efl celle du volcan , peut , comme
celle d'uii magafm à poudre, donner
une fecoufle affez violente pour qu'elle
produife par fa réadion un tremblement
de terre.
Je ne prétends pas dire pour cela qu'il
n'y ait des tremblemens de terre produits
immédiatement par des feux fouterrains ,
fuj Voyez Traîi/, PhiL Ahrî^'dy voi. H; p. 3 9s*
^l ^4 Hipolre Naturelle,
mais il y en a qui viennent de la feuîe cy-
ploiion des volcans (x). Ce qui confirme
tout ce que je viens d^lv^ncer à ce iujet
ceft qu'il elt très-rare de trouver dtl
volcans dans les plaines , ils font au con-
traire tous dans les pkis hautes monta-
gnes, & ont tous leur bouche au fom-
niet: fi le feu intérieur qui les confume
s etendoit jufque deffous ks plaines, né
le verroit-on pas dans le teinps de ces
violentes éruptions s'échapper & s ou-
vrir un paffiige au travers du terreiji des
plaines ; & dans le temps de la première
éruption ; ces feux n'auroient -^ ils pis
puuôt percé dans les plaines <Si au pied
des montagnes où ils n'iiufoient trouve
qu unefoibleréfiiiance, en comparairon
iie ceLe qu^'ls ont dû éprouver ^ s'il eil
vrai qu'ils aient ouvert & tendu une mon-
tagne d'une demi-lieue de hauteur pour
trouver une iiïue.
^ Ce qui fiit que les volcans font tou-
jours dans les montagnes, c'efl que les
mméraux, les pyrites & les foufres fe
trouvent en j)lus grande quantité & plus
a découvert dans les montagnes que daiia
(xj Woycz les preuves , an, X^I,
Théorie de la Terre. ï 6f
îes plaines, & que ces lieux élevés re-
cevant plus ailement & en plus grande
abondance les pluies & les autres impre(^
fions de l'air , ces matières minérales qui
y font expofées , fe mettent en fermen-
tation 6l s'échauffent jufqu'au point de
s'enflammer.
Enfin on a fouvent oblervé qu'après
de violentes éruptions pendant ieiquelles
le volcan rejette une très-grande quan-
tité de matières , le fommet de la mon-
tagne s'aifiille & diminue à peu près de
la même quantité qu'il ieroit néccffûre
qu'il diminuât pour fournir les matières
répétées; autre preuve qu'elles ne vien-
nent pas de la profondeur intérieure dti
pied de la montagne , mais de la partie
voifine du fommet, & du lommet même.
Les tremblemens de terre ont donc
produit dans pluficurs endroits des af-
faifîemens confidérables , & ont fait
quelques-unes dçs grandes léparaticns
qu'on trouve dans les chaînes des mon-
tagnes : toutes les autres ont été pro-
duites en même temps que les montagnes
jnêm.es par le mouvement des courans
de la mer ; ôl par-tout où il n'y a pas
i66 HïfJohe Naturelle.
eu de bouleverfement , on trouve les
couches horizontales &. les angles cor-
refpondans des montagnes ^y*. Les vol-
cans ont aulTi formé des cavernes &: des
excavations fouterraines qu'il eli ailé de
diflinguer de celles qui ont été formées
par les eaux , qui ayant entraîné de l'in-
térieur des montagnes les fibles & les
autres matières diviiees , n'ont iaiiïe que
les pierres & les rochers qui contenoient
ces fables, & ont ainfi formé les ca-
vernes que l'on remarque dans les lieux
élevés : car celles qu'on trouve dans
les plaines ne font ordinairement que des
carrières anciennes ou des mines de fel
& des autres minéraux, comme la carrière
de Maftricht & les mines de Poîoone ,
&c. qui font dans les plaines ; mais les
cavernes naturelles appartiennent aux
montagnes, & elles reçoivent les eaux
du fommet & des environs, qui y tom-
bent comme dans des réfervoirs, d'où
elles coulent enfuite fur la furface de
ïa terre lorfqu'elïes trouvent une ifTue.
C'eit à ces cavités que l'on doit attri-
buer l'origine des fontaines abondantes
(y) Voyez les preuveS| aru XVII^
Théorie de la Terre. i 6j
êc des grofles fources , & lorfqu'une ca-
verne s'afFaifle & le comble , il s'enfuit
ordinairement une inondation ^^y.
On voit par tout ce que nous venons
de dire, combien les feux fouterrains
contribuent à changer la lurface & l'in-
térieur du globe : cette caulc ell: allez
puiffante pour produire d'aulîi grands
effets, mais on ne croiroit pas que les
vents puiïent caufer des altérations ("û^
fenfibles fur la terre ; la mer paroit être
ieur empire, & après le fïux & le reflux ,
rien n'agit avec plus de puiflance fur cet
élément ; même le flux & le reflux mar-
chent d'un pas uniforme , & leurs effets
s'opèrent d'une manière égale & qu'on
prévoit, m.ais les vents impétueux agil-
fent , pour ainfi dire , par caprice , ils le
précipitent avec fureur & agitent la mer
avec une telle violence , qu'en un inllant
cette plaine calme & tranquille , devient
hérifTée de vagues hautes comme des
montagnes, qui viennent fe brifer con-
tre les rochers ôl contre les côtes. Les
vents chtingent donc à tout moment la
^^^ Voyez Tratif. Phil, Ahr, Vol. II, pag. 522,
(a) ^o'j^L les preuves, an, XV,
ï68 Hijfolre Natîfrelk.
face mobile de la mer : mais la face de %
terre c|ui nous paroît fi folide , ne de-
vroit-elle' pas être à l'abri d'mi pareil
effet l On fait cependant que les vents
élèvent des montagnes de fàbie dans
l'Arabie & dans l'Afrique, qu'ils en cou-
vrent \qs plaines , & c|ue fouvent ils
tranfportent ces f ibles à de grandes fb)
diflances &; julqu'à plufieurs lieues dans
la mer , où ils les amoncèlent en fi
grande quantité qu'ils y ont formé des
bancs, des dunes & des îles. On lait
que les ouragans lont le fîéau des An-
tilles, de Madagalcar & de beaucoup
d'autres pays, où ils agiiîent avec tant de
fureur c|u'ils enlèvent quelquefois les ar-
bres, les plantes, les animaux avec toute
la terre cultivée; ils font remonter & tarir
les rivières , ils en produifent de nou-
velles, ils renverfenî les montagnes &: les
rochers , ils font des trous & des gouffres
dans la terre, & changent entièrement
la furfice des malheureufes contrées où
ils fe forment. Heureuiement il n'y a
que peu de climats expofés â la fureur
(h) Woy. Bellarmin. de AJcen. viemisinDemi. Varen»
Çeogr, gen, p. z^i , Yojagcé Pjrard, 1. 1, p. 470.
impétueufc
Théorie de la Terre» 1 6^
Tmpétueufe de ces terribles agitations de
i^iir.
Mais ce qui produit les changemens
les plus grands & les plus généraux fur
ia furface de la terre , ce font les eaux du
ciel , les fleuves , les rivières, les torrens.
Leur première origine vient des vapeurs
que le foleil élève au-deiïus de la ïurfacc
des mers, & que les vents tran(portent
dans tous les climats de la terre ; ces va-
peurs foutenues dans les airs & pouflees
au orré du vent, s'attachent aux ibmmets
des montagnes qu'elles rencontrent , &
s'y accumulent en ii grande quantité ,
qu'elles y forment continuellement ôqs
nuages & retombent ince(îîimment en
forme de pluie , de rofée , de brouillard
ou de neio-e. Toutes ces eaux font d'à-
o
bord defcendues dans les plaines fc) fuis
tenir de route fixe , mais peu à peu elles
ont creufé leur lit, & cherchant par leur
pente naturelle les endroits les plus bas
de la montagne & les terreins les plus
£iciles à diviièr ou à pénétrer , elles ont
entraîné les terres & les fibles , elles ont
formé des ravines profondes en coulant
(c) Voyez les preuves, art, X CT XV Hh
Tome L H
liyo Hîjloîre Naturelle,
avec rapidité clans ies plaines, elles fè'
iont ouvert des chemins jufqu'à la mer,
qui reçoit autant d'eau par les bords
qu'elle en perd par l'évaporation; &: de
inême que les canaux & les ravines que
les fleuves ontcreulés, ont des finuo-
iités & des contours dont ies ano"Ies font
correlpondans entr'eux , en iorte que
l'un des bords formant un anoxie iaiiiant
dans les terres, le bord oppoië fiiit tou-
jours un angie rentrant, les montagnes
& les collines qu'on doit regarder comme
îes bords des valltes qui ies féparent , ont
auiîi des finuolués correfpondantes de
ïa même fliçon , ce qui fembie démon-
trer que ies vallées ont été les canaux
des courans de la mer ^ qui les ont creu-
fés peu à peu & de la même manière
que les fleuves ont creufé leur lit dans
îes terres.
Les eaux qui roulent fur la furfàce de
ia terre &: qui y entretiennent la ver-
dure & la fertilité j ne font peut-être
que la plus petite partie de celles que les
vapeurs produifent ; car il y a des veines
d'eau qui coulent & de l'humidité qui
fe filtre à de grandes profondeurs dans
Thcorie Ae h Terre, 171:
riiitérieui: de la terre. Dans cfc certains
lieux, ea quelque endroit qu'on fouille,
on e(l fur de fiiirc un puits & de trouver
de l'eau; dans d'autres on n'en trouve
])oint du tout; dans prclque tous les
valions & les plaines baffes on ne manque
guère de trouver de l'eau à une profon-
deur médiocre; au contraire, dans tous
les lieux élevés & dans toutes les plaines
en montagne, on ne peut en tirer du feia
de la terre , & il f lut ramafTer les eaux du
ciel. Il y a des pays d'une vafic étendue
où l'on n'a jamais pu faire un puits & où
toutes les eaux qui fervent à abreuver les
habitans (Scies animaux font contenues
dans des mares &des citernes. En Orient,
fur-tout dans l'Arabie, dans l'Egypte,
dans la Perfè, &c. les puits font extrê-
mement rares aufli-bien que les fources
d'eau douce , & ces peuples ont été
obligés de faire de grands réiervoirs
pour recueillir les eaux des pluies & des
neiges : ces ouvrages fiits pour la né-
ceiîité publique , font peut-être les plus
beaux & les plus magnifiques monumens
des Orientaux; il y a des réfervoirs qui
ont jufqu'à deux lieues de furfice . &.qui
Hij
\ljz 'Hifîohe Naturelle.
jfèrvent à arrofer &: à abreuver une pro^
viiice entière , au moyen des laignées &
écs petits ruifTeaux qu'on en dérive de
tous côtes. Dans d'autres pays au con-
traire , comme dans les plaines où cou-
lent les grands fleuves de la terre , on ne
peut pas fouiller un peu profondément
ians trouver de l'eau , &l dans un camp
fitué aux environs d'une rivière , fouvent
chaque tente a fon puits au moyen de
quelques coups de pioche.
Cette quantité d'eau qu'on trouve
par-tout dans les lieux bas , vient des
terres liipérieures & des collines voifines,
au moins pour la plus grande partie,
cardans le temps des pluies & de la fonte
des neiges, une partie des eaux coule fur
3a furface de la terre , & le refîe pénètre
dani. l'intérieur à travers les petites fentes
des terres & des rochers; & cette eau
fourcille en différens endroits lorfqu'elle
trouve des iffues , ou bien elle ie filtre
dans les fables , & lorfqu'elle vient à trou-
ver un fond de glaife ou de terre ferme
& folide, elle forme des lacs, des ruif-
feaux , & peut-être des fleuves fouter-
itains dont k cours & l'embouchure iiou^
TluGrie de la Terre, 173
font inconnus, mais Jont cependant par
ies loix de la Nature ie mouvement ne
peut fe fiiire qu'en allant d'un lieu plus
élevé dans un lieu plus bas, & par con-
icquent ces eaux Ibuterraines doivent
tomber dans la mer ou (e raflembler dans
quelque lieu bas de la terre , foit à la
ilirfàce , foit dans l'intérieur du globe ;
car nous connoKTons fur la terre quel-
ques lacs , dans iefquels il n'entre & deP
quels il ne fort aucune rivière , & il y
en a un nombre beaucoup plus grand
qui ne recevant aucune rivière coniidé-
rabîe, font les fources des plus grands
fleuves de la terre, comme les lacs du
fleuve Saint- Laurent, le lac Chiamé ,
d'où fbrtent deux grandes rivières qui
arrofent les royaumes d'Afem & de Pégu,
les lacs d'Afîiniboïis en Amérique, ceux
d'Ozera en Mofcovie, celui qui donne
naiiTance au fleuve Bocr celui dont fort
o
la grande rivière Irtis, &:c. & une infinité
d'autres qui femblent être les réfervoirs
(d) d'où la Nature verle de tous côtés les
eaux qu'elle diftribue fur la furfiice de
la terre. On voit bien que ces lacs ne
(d). Voyez les preuves , art, XL
H iij
Î74 Hipoire Naturelle.
peuvent être produits que par les eaux
des terres fuperieures qui couient par de
petits canaux louterrains en ie filtrant à
travers les graviers & les iabies, & vien-
nent toutes Te raffeinbler dans les lieux
les plus bas où ie trouvent ces grands
iimas d'eau. Au refte il ne faut pas croire,
comme quelques gens l'ont avancé, qu'il
fe trouve des lacs au ionimet des plus
hautes montagnes; car ceux qu'on trouve
dans les Alpes & dans les autres lieux
hauts , font tous furmontés par des terres
heaucoup plus hautes, & font au pied
d'autres montagnes peut-être plus élevées
«que les premières, ils tirent leur origine
des eaux qui coulent à l'exteTieur ou fe
filtrent dans rintérieur de ces montagnes,
tout de même que les eaux des vallons &
des plaines tirent leur fource des collines
voiiines &l des terres plus éloignées qui
les lurmontent.
Il doit donc fe trouver, & il fe trouve
^UQ-^Qi dans l'intérieur de la terre, des
îacs & des eaux répandues , lur-tout au-
deiïbus des plaines (e) & des grandes
vallées ; car les montagnes , les collines tk.
(ej Voyez les preiivo- , aru XV 111^
Théorie de la Terre, 175
toutes les hauteurs qui flinnontent les
terres bafTes , font découvertes tout autour
& préfentent dans ieur penchant une
coupe ou perpendiculaire ou inclinée ,
dans l'étendue de laquelle les eaux qui
toinbent fur ie fommet de ia montagne
ik ftir les plaines élevées, après avoir pé-
nétré dans les terres, ne peuvent man-
quer de irouver ifîiie &: de fortir de plu-
fieurs endroits en forme de fources & de
fontaines , <5c par conféquent il n'y aura
que peu ou point d'eau ious les monta-
gnes. Dans les plaines au contraire, comme
i'eau qui le filtre dans les terres ne peiit
trouver d'iiïue, il y aura des amas d'eau
fcuterrains dans les cavités de la terre, &
Vl^& grande quantité d'eau qui fuintera à
travers les fentes des crlaifes & des terres
fermes, ou cjui fe trouvera difperfée &
dîviiée dans les ^raviers & dans les fables.
C'eil: cette eaû qu'on trouve par-tout
dans les lieux bas ; pour l'ordinaire le
foLid d'un pivits n'efi: autre chofe qu'un
pe it baflin dans lequel les eaux qui
fij'ntent des terres voifines, fe ralfem-
bîent en tombant d'abord goutte à
goutte^ ckenluiîe erf filets d'eau continu^
■ H iii;
jy6 Hiflolre Naturelle*
lorfqiie les raines font ouvertes aux eduy
ks plus éloignées ; en forte qu'il efl: vrai
de dire que quoique dans les plaines
hafles , on trouve de l'eau par- tout , on
ne pourroit cependant y fliire qu'un cer-
tain nombre de puits, proportionnés à
ia quantité d'eau difperfée , ou plutôt à
l'étendue, des terres plus élevées d'où ces
eaux tirent leur (ource.
Dans ia plupart des plaines, il n'eft
pas nécefTaire de creufer jufqu'au niveau
de la rivière pour avoir de l'eau, on
la trouve ordinairement à une moindre
profondeur, & il n'y a pas d'apparence
que l'eau des fleuves & des rivières
s'étendent loin en fe filtrant à travers les
terres ; on ne doit pas non plus leur
attribuer l'oricrine de toutes les eaux
qu'on trouve au-defTous de leur niveau
dans l'intérieur de la terre , car dans les
îorrens , dans les rivières qui tariffent ,
dans celles dont on détourne le
cours , on ne trouve pas , en fouillant
dans leur lit , plus d'eau qu'on n'eu
trouve dans les terres voifines , il ne
faut qu'une langue de terre de cinq ou
fix pieds d'épailfeur pour contenir l'eau
Théorie de la Terre'. 177
&^ l'empêcher de s'échapper, & j'ai fou-
vent obfervé que les bords des ruil-
feaux & à&s mares ne font pas fenfi-
blement humides à fix pouces de dif^
tance. II eft vrai que l'étendue de la
fihradon eft plus ou moins grande
félon que le terrein eft plus ou moins
pénétrabïe ; mais fi l'on examine les
ravines qui fe forment dans les terres
& même dans les fables , on reconnoîtra
que l'eau paffe toute dans le petit
elpace qu'elle fe creuie elle-même, &
qu'à peine les bords font mouillés à
quelques pouces de diflance dans ces
fables : dans les terres végétales même ,
OÙ la fïltration doit être beaucoup plus
grande que dans les fables & dans les
autres terres , puifqu'elie efl; aidée de
la force du tuyau capillaire, on ne
s'aperçoit pas qu'elle s'étende fort loin.
Dans un jardin onarro(è abondamment
& on inonde y pour ainfi dire, une
planche, fans que les planches voifines
s'en refTentent confidéi-ablcment : j'ai re-
marqué en examinant de gros monceaux
de ter ie de jardin de huit ou dix pieds
H y
il/S Hijloïre Naturelle.
d'épaifieur , qui n'avoieiit pas été remués
depuis quelques années & dont le fommet
étoit à peu près de niveau , que l'eau
des piuies n'a jamais pénétré à plus de
trois ou quatre pieds de profondeur;
en foîte qu'en remuant cette terre au
printemps après un hiver fort humide ,,
j'ai trouvé la terre de l'intérieur de ces
morceaux aulîî sèche que quand on
i'avoit amoncelée. J'ai fliit la même
obfervation fur des terres accumulées
depuis près de d-eux cents ans ; au-defîous
de trois ou quatre pieds de profondeur
3a terre étoit aufli sèche que la pouffièrey
ainfi l'eau ne fe communique ni ne
s'étend pas aulTi loin qu'on le croit
par la feule filtration : cette voie n'en
fournit dans l'intérieur de la terre que
h. plus petite partie ; mais depuis la
furfàce jufqu'à de grandes profondeurs
l'eau defcend par fon propre poids : elle
pénètre par des conduits naturels ou par
de petites routes qu'elle s'ell: ouvertes
elle-mêi^ne , elle fuit les racines des ar-
fcres , les >fentes des rochers, les interftices
des terres , & fe divife & s'étend d^
Théorie Je la Terre. 'i/c^
i^ous côtés en Une infinité de petits ra-
meaux & de filets toujours en defcendant ,
jufqu'à ce qu'elle trouve une iiïue après
avoir rencontré la glaife ou un autre
terrein folide fur lequel elle s'eft raf-
lenibléc.
Il feroit fort difficile de ftire une
évaluation un peu julte de la quantité
des eaU'X fouterraines qui n'ont point
d'iffue apparente Cf). Bien des gens ont
prétendu qu'elle furpaîloit de beaucoup
celle de toutes les eaux qui font à ia fur-
fâce de ia terre, & lans parier de ceux qui
ont avancé que rintérieur du globe éroit
nbfolument rempli d'eau, il y en a qui
croient qu'il y a une infinité de fleuves ,
de ruifieaux , de lacs dans la profondeur
de la terre : m.ais cette opinion , quoicjue
commune , ne me parou pas fondée , & je
crois que la quantité des eaux louterraines
CTui n'ont point d'ifîue à la furface du
globe , n'eft pas confidérable ; car s'il
y avoit un fi grand nombre de rivières
fouterraines , pourquoi ne verrions-nous
//; Vc-ez ks preuves, <2rr. :i, XI ^^ ^Vllh '
I 8 o EîJIolre Naturelle. '
pas à la furflice de la terre les embou-
chures de quelques-unes de ces rivières,
& par conféquent des fources grofles
comme des fleuves! D'ailleurs les rivières
& toutes les eaux courantes produifent
des changemens trés-confidérables à ia
furface de la terre ; elles entraînent les
terres , creufent les rochers , déplacent
tout ce qui s'oppofe à leur pafTage :
il en feroit de même des fleuves fouter-
jrains , ils produiroient des aïte'rations
fenfibles dans l'intérieur du globe ; mais
on n'y a point obiervé de ces change-
mens produits par le mouvement é^s
eaux , rien n'eft déplacé ; les couches
parallèles & horizontales fubfiflent par-
tout , les différentes matières gardent
par-tout leur pofition primitive , & ce
ja'efl: qu'en fort peu d'endroits qu'on a
obfervé quelques veines d'eau fouier-
ïaines un peu confidérables. Ainfi l'eau
ne travaille point en grand dans l'inté-
rieur de la terre, mais elle y fait bien
de f ouvra cre en petit : comme elle effc
divifée en une infinité de filets , qu'elle
cft retenue par autant dobftacles, ^
Théorie de la Terre, i 8 il
enfin qu'elle ell difperfée prefqiie par-
tout, elle concourt immédiatement à la
formation de plufieurs fubflances ter-
reftres qu'il faut diftinguer avec foin
des matières anciennes , & qui en effet
en diffèrent totalement par leur forme
de par leur organiiation.
Ce font donc les eaux rafîemblées
dans ia vafte étendue des mers, qui, par
le mouvement continuel du flux & du
reflux, ont produit les montagnes, les
vallées & les autres inégalités de la terre ;
ce font les courans de la mer qui ont
creufé les vallons & élevé les collines en
leur donncnit des diredions corre(j3on-
dantes ; ce font ces mêmes eaux de la
mer, qui en tranfportant les terres, les
ont difpofées les unes flir les autres par
lits horizontaux , & ce font les eaux du
ciel qui peu à peu détruifent l'ouvrage de
h. mer, qui rabaifîent continuellement
ia hauteur des montagnes, qui comblent
les vallées, les bouches des fleuves &
les golfes , & c[ui ramenant tout au ni-
veau , rendront un jour cette terre à la
ïiier, qui s'en emparera fucceffiyement;»
\1%1 HïJIolre Naturelle, Vrc:
eil laiiïant à découvert de iiouveauTC
continens entrecoupés de vallons & de
nioniagnes , & tout ièmblables à ceux;
que nous habitons aujourd'hui.
A Montbard k ^ Oéîobre 1744»
PREUVES
DELA
THÉORIE
DE LA TERRE,
Ficitque cadend»
Undique ne caderet,
^ Maniî,
TOTTU I.
T. 18 s.
-±=^0:
f/^%u p'bj /a£^/J /uj^Jkm.^
i85
PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRE,
ARTICLE L
De la formation des Planètes,
NOTRE objet étant l'Hidoire Na-
turelle , nous nous difpenienons
volontiers de parler d'Aftronoinie ; mais
ia Phyfique de la tjerre tient à la Phy-
fique célelle , & d'ailleurs nous croyons
que pour une plus grande intelligence
de ce qui a été dit, il eft néceflaire de
donner quelques idées générales fur ia
formation , le mouvement & ia figure de
la Terre & des Planètes.
La Terre eft un globe d'environ trois
mille lieues de diamètre , elle eft ftiuéc
à trente millions de lieues du Soleil,
autour duquel elle fait la révoludon en
trois cents foixante-cinq jours. Ce mou-
vement de révolution eil le réiuitat de
1
'î8^ H'phe Natwe/ie. \
deux forces , l'une qu'on peut fe repre- t
fenter comme une im.puiiion de droite \
à gauche , ou de gauche à droite , &
i'autre cojiime une attraction du haut en
bas, ou du bas en haut vers un centre.
La direction de ces deux forces oc leurs
quantités font combinées & propor-
tionnées de fiçon qu'il en ré fuite un
mouvement prefque uniforme dans vd\Q
eliipfe fort approchante d'un cercle. Sem-
blable aux autres planètes, la terre eft
opaque, elle fait ombre, elle reçoit &
réfléchit la lumière du foleil , & elle
tourne autour de cet aflre fuivant les
loix qui conviennent à fa diliance & à
{'à denfité reiaîi\ e ; elle tourne aufîi fur
elle-même en vingt-quatre heures , & '
Taxe autour duquel le fiit ce mouvement |
de rotation , eft incliné de foixante-fix
degrés & demi fur le plan de forbiie
de (a révolution. Sa figure eft celle d'un
iphéroïde dont les d'^wx axes diftèrent
d'environ une cent foixanie & quin-
zième partie , & le plus petit axe eft- celui
autour duquel le fait la rotation.
Ce font-là les principaux phénomènes
de la terre , ce font-ià les réfultats des
Théorie de la Terre, î 8/
, omaJes découvertes que l'on a fiiîte5
par le moyen de la Géométrie, de
l'Allronomie& delà Navigation, Nous
n'entrerons point ici^ dans ie détail
i qu'elles exigent pour être démontrées,
& nous n'exajnineroDS pas comment on
ed venu au point de s'afîurer de la vérité
de tous ces faits, ce feroit répéter ce
qui a été dit; nous ferons feulement
quelques remarques qui pourront lervir
à éclaircir ce qui eil encore douteux ou
contefté ,& en même temps nous donne-
rons nos .idées au fajet de la formation
des planètes , & des différens états par où
il elt poffible qu'elles aient paffé avant
que d'être parvenues à i'état où nous les
voyons aujourd'hui. On trouvera dans
la fuite de cet ouvrage des extraits de
tant de fyilèmes & de lant-d'hypothèfes
fur la formation du globe terreilre, iur
les différens états par où il a pafie &
fur les changemens qu'il a fubis , qu'on
ne peut pas trouver mauvais que nous
joio-nons ici nos conjedures à celles
des Philofophes qui ont écrit fur ces
matières; &: fur -tout lorfqu'on verra
que nous ne les donnons en effet que
"^i88 Hïjloire Naturelles
pour de fimples conjcL^ures , auxquelles
nous prétendons feulement affigner un
plus grand degré de probabilité qu'à
toutes celles qu'on a fiites lur le inêiue
lujet; nous nous refufons d'autant moins
à publier ce que nous avons penfé lur
cette matière , que nous efpérons par-là
mettre le lecfteur plus en état de pronon-
cer fur la grande difîercnce qu'il y a entre
une hypothèie où il n'entre que des
poffibilités , & une théorie fondée fur
des fiits , entre un fyftème tel que nous
allons en donner un dans cet article far
îa formation & le premier état de la terre,
iSi une hiftoire phyfique de fon état
îiduel , telle que nous venons delà donner
dans le difcours précédent»
Galilée ayant trouvé la loi de ïa chute
des corps, & Kepler ayant obfervé que
les aires que les planètes principales
décrivent autour du foleil , & celles que
les fttellites décrivent autour de leur
planète principale , font proportionnelles
aux temps, & que les temps des révo-
iutions des planètes & des fatellites font
propornonnels aux racines quarrées des
cubes de leurs diftances au foleii ou à
Théorie de h Terre, i8^
îeurs planètes principales , Newton trou-
va que la force qui fait tomber les gra-
ves îur ia lurfice de ki terre, s étend
jufqu'à ia lune & la retient dans fou
orbite ; que cette force diminue en
même proportion que le quarré de ia
diRance augmente , que par conféquent
la lune ell attirée par ia terre , c|ue ia
i terre & toutes les planètes ibnt attirées
I par le foleil , & qu'en général tous les
i corps qui décrivent autour d'un centre
i ou d'un foyer des aires proj^ortionnelles
I au temps , font attirés vers ce point,
I Cette force que nous connoifTons fous
ie nom de pefanteur, eft donc généra-
iement répandue dans toute la matière :
les planètes, les comètes, le ioleil, la
terre, tout eft fujet à fes loix , & elle fert
de fondement à i'Iiarmonie de l'Univers;
: îious n'avons rien de mieux prouvé en
\ Phyfique que l'exiflence actuelle & indi-
viduelle de cette force dans les planètes,
I dans le foleil , dans la terre & dans toute
ia matière que nous touchons ou que
nous apercevons. Toutes les obferva-
îions ont confirmé l'effet aduel de cette
force, & ie calcul en a déterminé la
'ïpo Hiflehe Naturelle:
qtianiité &. les rapports; l'exaditude cfeS
Géomètres &: ia vioilance des Allro-
nomes atteignent a perne a la precilion
de cette mécanique célefle, & à la re'gu-
kfité de Tes effets.
Cette eau le ^^éneraîe étant connue , on
en déduiroit aiiëment les phénomènes ,
il l'aélion des forces qui les produilent,
n'étoit pas trop combinée ; mais qu'on
iè repréfente un moment le fyflème du
monde lous ce point de vue , & on
i^ntira quel cahos on a eu à débrouiller.
Les planètes principales font attirées
par le fokil, le foleil efl attiré par les
planètes, les lateilites font aufîi attirés
par leur planète principale, chac[ue
planète ed attirée par toutes les autres ,
ëi qWq les attire aufîi : toutes ces a<fl:ions
&. réadions varient fuivant les mafîès &
ks diftances , elles produifent des iné-
galités, des irrégularités ; comment com-
biner &: évaluer une fi grande quantité
de rapports î Paroit-il po(îible au milieu
de tant d'objets , de. fuivre un objet
particulier l Cependant on a furmontc
ces difficultés, le calcul a coîifirmé ce
que ia raifon avoit foupçonné ; chaquçt
TJiéone de la Terre] i p f
obfcrvation e(t devenue une nouvelle
(Jénioniiraiion, & l'ordre fyllématique
de l'Univers ell à découvert aux yeux
de tous ceux qui flivent reconnoître la
vérité'.
\j]\^ feule chofe arrête , & efl en efîèt
ndépendante de cette The'orie , c'efl la
force d'impulfion ,ron voit évidemment
que Qé\Q d'attraction nrant toujours les
planètes vers le ibleil, elles tomberoient
en ligne perpendiculiiire fur cet aflre,
fi elles n'en étoient éloignées par une
autre force, qui ne peut être qu'une
impuifion en ligne droite, dont ït'^^i
s'excrcerolt dans la tangente de l'orbitej
fi la force d'attraélion ceiToit un infîant.
Celte force d'impulfion a certainement
été communiquée aux afl:re$ en général
par la main de Dieu, lorfqu'elle'donna
fe branle à l'Univers ; mais comme on
doit , autant qu'on peut , en Phyfique
s*abllenir d'avoir recours aux caufes qui
font hors de la Nature, il irje paroît
"que dans le fyftème folaire on peut
rendre raifon de cette force d'impuifioa
d'une manière afTez vrailemblable , <$c
qu'on peut eu trouver une caufe doiU
'I92 Hifloire Naturelle,
i'effet s'accorde avec les règles de l'X
o
Me'caniqiie , & qui d'ailleurs ne s'é-
loigne pas des idées qu'on doit avoir
au liijet des changemens & des révolu-
tions qui peuvent 6t doivent arriver dans
l'Univers.
La vafle étendue du fyftème folaire,
ou, ce qui. revient au même, la Iphère
<fe J'attradion du foleil ne fe borne pas
à l'Orbe des planètes, même les plus
éloignées , mais elle s'étend à une diflance
indérinie , toujours en décroiflant , dans
la même raifon que le quarré de la
diftance augmente : il eft démontré que
ies comètes qui fe perdent à nos yeux
dans la profondeur du ciel, obéifTent à
cette force , & que leur mouvement,
comme celtd des planètes , dépend de
î'attradion du loleil. Tous ces aftres
dont les routes font fi différentes , décri-
vent autour du foleil , des aires propor-
tionnelles au temps , les planètes dans
des ellipfes plus ou moins approchantes
d'un cercle , & les comètes dans des
ellipfes fort alongées. Les comètes &
les planètes fe meuvent donc en vertu
de deux forces , Tune d'atira(flion & '
l'autre
Tliéarie de la Terre. 1^3
Fautr€ d'iinpulfion , qui agifîant à la
fois & à tout indnnt , les obligent à
décrire c^s courbes; mais il fliut remar-
quer que ics comètes parcourent le fy(-
tème folaire dans toutes fortes de direc-
tions. & que les inclinaifons des plans
de leurs orbites font fort différentes
entrelles , en forte que , quoique fu jettes,
comme les planètes , à la même force
d'attradion , les comètes n'ont rien de
commun dans leur mouvement d'iin-
pulfion, elles paroiiïent à cet égard
abfolument indépendantes les unes des
autres. Les planètes , au contraire , tour-
nent toutes dans le même fêns autour
du foleii, & prefque dans le même
plan , n'y ayant que lept degrés & demi
d'inclinaifon entre les plans les plus
éloignés de leurs orbites : cette confor-
mité de pofition & de diredion dans
le mouvement des planètes, fuppofe
iiéceflairement quelque chofe de corn-
niun dans leur mouvement d'impulfion ,
& doit faire loupçonner qu'il leur a été
communiqué par une feule &. même
caufe.
Ne peut-on pas imagînerav€C queîqiic
Tom£ I, 1
' î ^ 4 Hîfloh'c NaîunUe,
forte de vraifembiance , qu'une comète
tombai^t fur la fur face du loleil , aura
déplacé cet aftre , &: qu'elle en aura fé-
paré quelques petites parties auxquelles
elle aura communiqué un mouvement
d'impulfion dans le même fens & par
wn même choc, en forte que les pla-
nètes auroient autrefois appartenu au
corps du foleil , & qu'elles en auroient
été détachées par une force impuifive
commune à toutes , qu'elles confervent
encore aujourd'hui !
Cela me paroît au moins auffi probable
que l'opinion de M. Leibnitz, qui pré-
tend que les planètes & la terre ont été
des foleils , & je crois que fon fyflème
dont on trouvera le précis à l'article cin-
quième , auroit acquis un grand degré de
généralité & un peu plus de probabilité ,
s'il fe fût élevé à cette idée. C'eft ici le cas
de crdre avec lui que la chofe arriva
dans ie temps que Moyfe dit que Dieu
fépara la lumière des ténèbres; car , félon
Leibnitz, la lumière fut féparée des té-
nèbres lorfc^ue les planètes s'éteignirent.
Mais ici fa féparation efl phyfique &
réelle, puirque la matière op«que qui
Théorie de h Terre, ^ ï p 5
compofe le corps des planètes , fut
réellement leparée de la matière lumi-
neufè qui compolè le foleil.
Cette idée fur la caufe du mouvement
d'impulfion des planètes paroîtra moins
hafardée lorfqu'on rafièmblera toutes ies
analogies qui y ont rapport, & qu'on
voudra ie donner la peine àiç.ïv efîimer
ies probabilités. La première eft cette
diredion commune de leur mouvement
d'impulfion qui fait que les fix planètes
vont toutes d'occident en orient : il y
a déjà 64 à parier contre un, qu'elles
ïi'auroient pas eu ce mouvement dans
ie même fens, fi la même caufe ne l'avoit
pas produit, ce qu'il eft aifé de prouver
par la dodrine des hafards.
Cette probabilité augmentera pro-
"digieufèment par la féconde analogie ,
qui eft que rinciinaiibn des orbites n'ex-
cède pas 7 degrés & demi; car en com-
parant les efpaces , on trouve qu'il y a
24 contre un pour que les deux planètes
(e trouvent dans des plans plus éloignés ,
& par conféquent 24 ou 7692624 à
parier contre un , que ce ii eft pas par
1 p 6 Hifloire Nul ur elle,
Lafard qu'elles le trouvent toutes '(îx
ainfi placées & renfermées dans i'efpace
de 7 degrcs & demi, ou, ce qui revient
au même, il y a cette probabilité qu'elles
ont quelque chofe de commun dans
le mouvement qui leur a donné cette
.pcfuion. Mais que peut-ii y avoir de
commun dans l'imprefîion d'un mouve-
ment d'impulfion , fi ce n'efl: la force
& la diredion des corps qui le com-
muniquent î on peut donc concLur-e
avec une très - grande vraifembîance
que les planètes ont reçu leur mouve-
ment d'impulfion par un feul coup.
Ceue probabilité, qui équivaut prefque
2i une certitude, étant acquiie , je cher-
che quel corps en mouvejnent a pu faire
ce choc & produire cet effet , & je ne
vois que les comètes capables de com-
muniquer un auffî grand mouvement
â d'aufîi vaftes corps.
Pour peu qu'on examine le cours
des comètes, on fe perfuadera aifément
qu'il eft prefque néceflairc qu'il en
tombe quelqtiefois dans le foleil. Celle
de I 68 G en approcha de fi près, qu*à
ion périhélie elle n'en étoit pas éloignée
I
Théorie de h Terre. 1517
de h fixicme partie du diamètre folaire,
«Se fi elle revient, comme il y a appa-
rence, en l'année 2:155, elle pourroit
bien tomber cette fois dans le tbieil;
cela dépend des rencontres qu'elle aura
faites Cur fa route , & du retardement
([u'clle a fouffert en pafîant dans l'atmo-
i]>hère du foleii. Voy, Newton, j / édition,
page ^2^,
Nous pouvons donc prélumer avec
le Phiiofophe que nous venons de citer,
qu'il tombe quelquefois des comètes fur
le foleil ; mais cette chute peut fe f lire
de différentes façons : fi elles y tombent
â-plomb , ou même dans une diredion
qui ne foit pas fort oblique, elles de-
meureront dans le foleil, &. ferviront
d'aliment au feu qui conlume cet aftre,
& le mouvement d'impulfion qu'elles
nuront perdu & communiqué au foleil,
ne produira d'autre efïet que celui de
le déplacer plus ou juoins , félon que
la maffe de la comète fera plus ou
moins confidérable ; mais fi la chute
>de la comète fe fait dans une direc^lion
fort oblique , ce fqui doit arriver plus
fou vent de cette fiçoa que de l'autre,.
1 ii;
fî p 8 Hijroire Naîtirelk:
alors la comète ne fera que rafer la furfacc
du foieii au la filïonner à une petite
profondeur , & dans ce cas elle pourra
en fortir & en chafler quelques parties de
niatière, auxquelles elle communiquera
lui mouvement commun d'impuifion,
& ces parties poufTées hors du corps du
foleiî, &: la comète elle-même, pourront
devenir alors des planètes qui tourneront
autour de cet allre dans le même fens
ÔL dans le même pian. On pourroit peut-
être calculer quelle m.aflej quelle vïtcffe
& quelle direclion dcvroit avoir une
comète pour faire fortir du foleil une
quantité de matière égale à celle que con-
tiennent les fix planètes & leurs latellites ;
mais cette recherche ieroit ici hors de
ià place, il fuffira d'obferver que toutes
les planètes avec les faiellites ne font pas
îa 6 50.""^ partie de la maffe du folelL
Voyei Newton, page 40 J , parce que îa
denfité des grofies plnnètes , Saturne di.
Jupiter, eft moindre que celle du foleil ,
^ que quoique la terre foit quatre fois ,
& la lune près de cinq fois plus dénie que
îe foleil, elles ne font cependant que
comme des atomes en comparaifoa de
la maffe de cet allre..
Théorie de la Terre ^ i q 9
J'avoue que quelque peu confidéra-
ble que foit une fix cent clnquantièjne
partie d'un tout, il paroît au premier
coup d'œil qu'il faudroit, pour i'eparer
cette partie du corps dufoieiijUne très-
puiflante comète : mais fi on f:\it réfle-
xion à la vîtefTe prodigieufe des comètes
dans leur périhélie , vïtefie d'autant plus
grande que leur route eft plus droite ,
&L qu'elles approchent du ibleil de plus
près ; fi d'ailleurs on fait attention à la
denfîté, à \\ fixité , <Sc à la folidité de la
matière dont elfes doivent être compo-
fées , pour IbuiîrJr, fans être détruites,
la chaleur inconcevable qu'elles éprou-
vent auprès du foleil , & fi on fe fou vient
en même temps qu'elles préfentent aux
yeux des obfervateurs un noyau vif &
folide, qui réfléchit fortement la lumière
du foleil à travers i'atmofphère immenfe
de la corn è le qui enveloppe & doit
olifcurcir ce noyau, on ne pourra guère
douter c[ue les comètes ne foient com-
pofées d'une matière très-folide & très-
é^\\(^ , «Si qu'elles ne contiennent fous
un petit volume une grande quantité de
miitière \ que par conféquent une comète
1 iii;
:2 0 0 Hïjhire Naturelle,
lie puilTe avoir afîez de mafîe <5c de vî-
\^& }30ur déplacer le loleil , & donner
wn mouvement de projecftile à une quan-
tité' de matière aufîi confidérabie que
i'eft la 6 ^ o.""" partie de la mafle de cet
aftre. Ceci s'accorde parfaitement avec
ce cjue l'on lait au tujet de la denfité
des planètes ; on croit qu'elle e(t d'au-
tant moindre que les planètes font plus
éloignées du ioleil & qu'elles ont moins
de chaleiu* àfupportcr, en forte que Sa-
turne eft moins d^rSo. que Jupiter , &
Jupiter beaucoup moins dénie que la
terre: & en effet, fila denfité des planètes
étoit, cotnme le prétend Newton, pro-
])ortionneiie à la quantité de chaleur
qu'elles ont à fupporter , Mercure feroit
fept fois plvis denfe que la terre, «Se vingt-
huit fois plus denfe que le foleil , la co-
mète de 1680 feroit 2 8 mille fois plus
àç.\-\ÇQ que la terre , ou i i 2 mille fois plus
denfe que le ioleil, & en la fuppofmt
grofîe comme la terre, elle contiendroit
ious ce volume une quantité de matière
égale à peu près à la neuvième partie de
ia mafTe du foleil , ou , en ne lui donnani
que la cendème parue de la groffeur de
Théorie de h Terre, 10 l
la"terre, fa niafle feroit encore ég<lle à la
5>oo.'"'' partie du foleil ; d'où il eft aifé
de conclure qu'une telle mafle qui ne
fait qu'une petite comète , pourroit lepa-
rer &poufîèr hors du foleil une ^oo.""^
ou une 650.""^ partie de fi ma(îe , fur-tout
fi l'on fait attention à l'immenle vitejfè
acquife avec iaqueiie les comètes (e meu-
vent lorfqu'eiles paiïent dans le voifinage
de cet aftre.
Une autre analogie, & qui mérite
quelqu'attention , c'efl: la conformité
entre la denfité de la matière des pla-
nètes & la denfité de la matière du foleil^
Nous connoiffons fur la furfice de la
terre des matières 14 ou 15 mille fois
plus denfes les unes que les autres, les
denfités de l'or & de l'air font à peu près
dans ce rapport; mais l'intérieur de la
terre & le corps des planètes font com-
pofés de parties plus fimilaires & dont
la denfité comparée varie beaucoup
moins, & la conformité deladenfité de
la matière des planètes & de la denfité
de la matière du foleil eft telle, que fur
650 parties qui compofent la totalité de
la matière des planètes , il y en a plus
1 Y
2.01 Hiflotre Naîureïïe',
de 640 qui font prefque de la même
denfité que la matière du foleil , & qu'il
n'y a pas dix parties iur ces 650 qui'
foient d'une plus grande denfné; car
Saturne & Jupiier iontà peu près de la
même denfité que le Tolcii , & la quan-
tité de matière que ces deux planètes,
contiennent, efl: au moins 64 fois plus;
grande que la quantité de matière des
quatre planètes inférieures, Mars, la
Terre, Vénus & Mercure. On doit
donc dire que la matière dont (ont com-
pofées les planètes en général , efl: à peu.
près la même que celle du foleil , & que,
par conféquent cette matière peut eii
avoir été féparée.
Mais, dira- 1- on, ii îa comète en)
tombant obliquement fur le foleil, en a
filionné la furface & en a fait lortir la-
madère qui compofe les planètes, il pa-
roît que toutes \^s planètes , au lieu de
décrire des cercles dont le foleil efl le
centre, auroient au contraire à chaque
révolution rafé la furface du foleil, & fe-
roient revenues au même point d'où ç)Xç.s
etoient parties, comme feroit tout pro^
jediie qu'ûnianceroit avec aiïèz de force
Tliéorie Je la Terre. 2 OJ'
dW point de la furface de la terre, pour
l'obliger à tourner perpétuelknient; car
H eit aife de démontrer que ce corps
reviendroit à chaque révolution au point
d'où il auroit été lancé, & dès-lors on ne
peut pas attribuer à rinipuifion d'une
comète la projection des planètes hors
du foleil, puifque leur mouvement autour
de cet aiireeft différent de ce qu'il feroit
dans cette hypothèle.
À cela je réponds que la matière qur
compofe les planètes n'efî: pas fortie de
cetaftre en globes tout formés, auxquels
la coiiiète auroit communiqué ion mou-
vement d'impuifion , mais que cette ma-
tière efl: fonie fous la forme d'un tor-
rent dont le mouvement ùqs parties an-
térieures a dû être accéléré par celui des
parties poftérieures; que d'ailleurs l'at-
tradion àç.s parties antérieures a dû aufîi
ficcélérer le mouvement des parties pos-
térieures, & que cette accélération de
mouvement, produite par l'une ou l'autre'
de ces caufes, & peut-être par toutes
ies deux , a pu être telle qu'elle aura
changé la première dire^ion du mou-
vement d'impulfion , & qu'il a pu en
1 vj
20^ Hijîoîre Naturelle.
réiulter un mouvement tel que nous l'oL-
iervons aujourd'hui dans les planètes ,
fur-tout en fuppofant que le choc de la
comète a déplacé le foleii; car pour
donner un exemple qui rendra ceci plus
lenfible , fuppofons qu'on tirât du haut
d'une montagne une balle de mou(quet,
ÔL que la force de la poudre fût affez
grande pour la pouffer au-delà du demi-
diamètre de la terre , il ell: certain que
cette balle tourneroit autour du o^lobe &
reviendroit à chaque révolution pafier
au point d'où elle auroit été tirée ; mais
f\ au lieu d'une balle de moufquet nous
fuppofons qu'on ait tiré une fufée vo-
lante où fadion du feu leroit durable
& accéléreroit beaucoup le mouvement
«fijupùlfion, cette fufée ou plutôt le
cartouche qui la contient , ne revien-
droit pas au même point , comme la
halle de moufquet, mais décriroit un
orbe dont le pério-ée feroit d'autant plus
éloigné de la terre, que la force d'accé-
iération auroit été plus grande & auroit
changé davantage la première dired:ion ^
toutes chofes étant fuppofées égales d'ail-
leurs. Ainfi ; pourvu qu'il y ait eu de
toutes chofes étant ruppofées écrafes d'aile
leurs. Ainfi , pourvu qu'il y ait eu de
Thème de Jû Terre. 205
l'accclératioa clans le mouvement cl'im-
pulfion communiqué au torrent de ma-
tière par la chute de la comète , il eft
très-poflible que les planètes qui fe font
formées, dans ce torrent, aient acquis le
mouvement que nous leur connoiflons
dans des cercles & des ellipfes dont ie
foleii eft le centre & ie foyer.
La manière dont fe font les grandes
éruptions des volcans , peut nous donner
une idée de cette accélération de mou-
vement dans le torrent dont nous par-
ions. On a obfervé que quand le Véfuve
commence à mugir & à rejeter les ma-
tières dont il eft embrafé , le premier
tourbillon qu'il v@mit, n'a qu'un certain
deo-ré de vîtefîe , mais cette vîteffe eft
bien-tôt accélérée par l'impulfion d'un
{Qcoïià tourbillon qui fuccède au pre-
mier , puis par l'adion d'un troifième ,
& ainfi de fuite , les ondes pefantes de
bitume , de foufre , de cendre , de métal
fondu , paroiffcnt des nuages maffifs , &:
quoiqu'ils fe fuccèdent toujours à peu
près dans la même direction y ils ne laif-
fent pas de changer beaucoup celle du
premier tourbillon; & de le poufTer
10 6 Hïfloke Naîureïïe,
ailleurs & plus loin qu'ii ne feroîl parvenir
tout leui.
D'alîieurs, ne peut-on pas répondre
à ceueobjedion , que le fo'eil ayant e'té
frappé par îa comète , & ayant reçu une
partie <Je fon mouvement d'impulfion, il
aura lui-même éprouvé un mouvement
qui l'aura déplacé , & que quoique ce
mouvement du foieiï foit maintenant
trop peu fenfîbîe pour que dans de petits-
intervailes de temps les Aftronomes aient
pu l'apercevoir, ii (è peut cependant
que ce mouvement exifte encore, & que
ie foieiï le meuve lentement vers diffé-
rentes parties de l'Univers, en décrivant
une courbe autour du centre de o-ravité
de tout le fyRème \ & fî cela efl, c^omme
je le prélume, on voit bien que ies
planètes, au lieu de revenir auprès du
foleil à chaque révolution , auront au
eoiîtrnire décrit des orbites dont \z%
points des périhélies , font d'autant plus
éloignés de cet aflre, qu'il seft plus
éloigné lui-même du lieu qu'il oCGupoit
anciennement.
Je iens bien qu'on pourra me dire
que fi i'accéléruïion du raouvement fè
'^"•^ùv
^V'/ir,
Carte du
^01 ^ T. AU CONTINEN
JV/v/ .,v//-///.._ ,//■.///,/■ /v/.A/.w/- .Lwù-ZntA
M'imuluRui. Je IaPlaUi///.'vy//'</« •>
JAi Ju Lac des Assiiiiljoïls
/>/rl,;r(»-.c:7/.- iiv J„yAr</{■3L'^DEB^F^X)î«-
/'.// /,• S' Robert .IcVauoonclv.
FiL< Je . n: Robert Oay .„■/ Ju Rcy .
'7*9
io6 Hïffoire Ndtureïïe,
ailleurs «Se plus loin qu'ii ne feroîtparven
tout feui.
Théorie de ta Terre* loj
ait dnns la même dire<^ion, cela ne
:hange pas ie point du périhélie qui
\tïà toujours à la lurfàcê du Ibleii : mais
loit-on croire que dans un torrent dont
=s parties fe font fuccédées , il n'y a eU'
ucun changement de diredionî il eft
u contraire très-probable qu'ii y a eu urt
fiez grand changement de direction ^
our donner aux planètes ife mouvement
u'eilcs ont.
On pourra mè dire aufîi que fi lè
>ieil a été déplacé par le choc de la-
omète , il a dû îë mouvoir un formé'-
lent , & que dès-lors ce mouvement
ant commun à tout le fyftème, il n'a
û rien changer ; mais ie Ibieii ne pou^
oit-il pas avoir avant le choc un mou*
ement autour du centre de c^ravité du
(lème cométaire, auquel jnouvement
rimiiif ie choc de la comète aura ajoiut
le augmentation ou une diminution!
cela iufîiroit encore pour rendre raifoa
1 mouvement actuel des planètes.
Enfin fi l'on ne veut admettre aucune
? ces fupporitions , ne peui-on pas pré-
mer , lans choquer la vraifembiance,
ae dans ie choc de la comète contre k.
'^ o 8 Htflohe NaîiireÏÏe:
foleil il y a eu vine force élaftique quî
aura élevé le torrent au-defîus de la fur-
face du foleil , au lieu de le pouffer di-
redemeiit î ce qui feul peut fuffire pour
écarter le point du périhélie & donner
aux planètes le mouvement qu'elles ont
coniervé ; & cette fuppoiition n'efl pas
dénuée de vrailembiance , car la matière
du foleil peut bien être fort élaftique,
puifque la feule partie de cette matière
que nous eonnoiffons , qui eft la lu-
mière , femble par fes effets être parfais
tement éliftique. J'avoue que je ne puis
pas dire fi c'eft par l'une ou par l'autre
àts raifons que je viens de rapporter,
que la diredion du premier mouvement
d'impulfion des planètes a changé , mais
ces raifons fuffifent au moins pour fiire
voir que ce changement eft pofîible,
& même probable, & cela fufïit aufû
à mon objet.
Alais fans in fi fier davantage fur \qs
o
objedions qu on pourroit fiire , non
plus que fur les preuves que pourroient
fournir les analogies en faveur de mon
hypothèfe , fuivons-en l'objet & tirons
ëes indudions ; voyons donc ce ^ui a
Théorie Je la Terre. ^o<)
pu arriver lorfque les planètes , & fur-
tout la terre , ont reçu ce mouvement
ci'imjHilfion , & dans quel état elles fe
font trouvées après avoir été féparées
de la maiTe du foleil. La comète ayant
par un feul coup communiqué un mou-
vement de projedile à mie quantité de
, matière égaie à la 6 5 o.""' partie de la
'mafle du foleil, les particules les moins
■ denfes fe feront fé]^arées des plus denfes,
& auront formé par leur attradion mu-
tuelle des globes de différente denfité ;
Saturne , compofé des parties les plus
i groffes & les plus légères , fe fera le plus
éloigné du foleil; enfuite Jupiter qui
eft plus ilçi\(e que Saturne , fe fera moins
éloigné , & ainfi de fuite. Les planètes les
plus grofies & les moins denfes font les
plus éloignées, parce qu'elles ont reçu
un mouvement d'impulfion plus fort
que les plus petites <Sc les plus denfes ; car
ia force d'impulfion fe communiquant
par les furfaces, le même coup aura fait
mouvoir les parties les plus groffes &
les plus légères de la matière du foleil ,
a ec plus"de vîteffe que les parties les
plus petites & les plus mafTives ; il fe fen
^ I o Hiflotre Nûîurelle.
donc £iit une fcparatîon d^s parties
denlçs de differcns degrés, en forte que
la denfité de la matière du foleil étant
égale à i oo, ceile de Saturne eil égale j
^ 6y, celle de Jupiter — 94!, celle de '
Mars =: 200, celle de la Terre rr 400,
celle de Vénus =r 800, & celle de Mer-:
cure —2800. Mais la force d'attradioiî:'
île (e communiquant pas , comme celle-
ci liîipufjon , par hi furf ice , ôl agifïïmt au
contraire fur toutes les parties de la mafle ,
elfe aura retenu les portions de matière
les plus denfes, & c'efl pour cette raifoii
qiie les planètes les plus denfes font les
plus voiijnes du foleil , & qu'elles tour-
nent autour de cet adre avec plus de ra- '
pidité que ks planètes les moins denfes,
qui iontaufli les plus éloignées.
Les deux grofîes pîanèies, Jupiter <Sc
5aturne, qui font , comme l'on fût, les
parties principales du fyflème folaire ,
ont conserve ce rapport entre leur denfité
& leur luouvement d'impulfion, dans
une proportion fi iufte qu'on doit en
ene frappé ; la denfité de Saturne eH à
ceLe de Jupiter comme 6y à 94! , &
kuïs vheQh font à peu près comme 88f
Théorie de la Terre, 2 î 1
3 ï20 ~ , ou comme ôy à 9of^; il efi:
rare que de pures conjeclures on puifle
tirer des rapports auiil exacts. Il eft vrai
qu'en luivant ce rapport entre ia vîtefîe
& la denfité des planètes , la denfité de
ia terre ne devroit être que comme
206 ^ , au lieu qu'elle efl: comme 400,
de -la on peut conjedurer que notre
globe étoit d'abord une fois moins
denfê qu'il ne Teft aujourd'hui. A l'égard
des autres planètes, Mars, Vénus &
Mercure , comme leur denfité n'efl
connue que par conjeclure, nous ne
pouvons lavoir û cela détruiroit ou con-
firmeroiî notre opinion fur le rapport de
la vîteffe & de la dcnfité des planètes en
général. Lefentiinentde Newton efl que
la denfité ell d'autant plus grande que la
chaleur à laquelle la planète efl expofée ,
efl plus grande , & c'ed fur cette idée
que nous venons de dire que Mars eft
une fois moins denfe que laTerre, Vénus
une fois plus denfe, Mercure fept fois
plus dénie, & la comète de i 680 , 28
mille fois plus denfe que la Terre; maisf-
eette proportion entre la denfité des pla-
nètes & la chaleur qu'elles ont à fupporter
:2 1 2 Hïjloire Naturelle.
ne peut pas lubrifier lorfqu'on fliit atten-
tion à Saturne & à Jupiter qui font les
principaux objets que nous ne devons
jamais perdre de vue dans le fyftème fo-
laire ; car félon ce rapport entre la denfitié
& la chaleur, il fe trouve que la denfité
de Saturne feroit environ comme 4 -^, &.
celle de Jupiter comme 14^, au lieu de
6y & de p4^, différence trop grande
pour que le rapport entre ia denfité &
la. chaleur que les planètes ont à fuj)-
porter , puifîe être admis ; ainfi malgré
la confiance que méritent les conjedures
de Newton , je crois que la denfité des
planètes a plus de rapport avec leur vî~
tefle qu'avec le degré de chaleur qu'elles
ont à fijpporter. Ceci n'efl qu'une caule
iinnie , & l'autre ell: un rapport phy-
fique dont l'exaélitude eff fingulière
dans les deux groffes planètes; il eft
cependant vrai que la denfité de la terre
au lieu d'être 206 1 fè trouve être 400,
& que par conféquent il faut que le globe
terreflre fè foit coïKlenfe dans cette raifon
de 20^1 à 400.
M ais la condenfuion ou la co^lion des
planètes ii'a-t-elle pas quelque rapport
théorie de la Terre, 1 1 3
avec la quantité de la chaleur du foîeil
dans chaque planète î & dès-lors Saturne
qui eft fort éloigné de cet aftre n'aura
foufîèrt que peu ou point de conden-
lation , Jupiter fera condenfé de 90 ~k
^4 ^ ; or la chaleur du foIeil dans Ju-
piter étant à celle du foleil fur la terre ,
comme 14-^ font à 400 , les conden-
iîitions ont dû fè faire dans la même pro-
portion, de forte que Jupiter s'étant
condenfé depo~à ^j^-^lz terre auroit
.dû Çq. condenfer en même proportion de
2 0(5 I à 2. 1 5 Y^ç-^ , fi elle eût été placée
dans l'orbite de Jupiter, ou elle n auroit
dû recevoir du foleil qu'une chaleur
égale à celle que reçoit cette planète :
•mais La terre fe trouvant beaucoup plus
;près de cet afire, & recevant une chaleur
dont le rapport à celle que reçoit Jupiter
eft de 40 Q à i^ ~ , il faut multiplier la
quantité de la condenlatîon qu'elle auroit
€ue dans l'orbe de Jupiter par le rapport
de 400 à 147I, ce qui donne à peu
près 234 j, pour la quantité dont Li
terre a dû fe condenfer. Sa denfité étoit
2o<5|, en y ajoutant la quantité de
>CQndenfation l'on trouve pour fa denfité
2 14 Hljloîre Naturelle,
âduelle 44.0 |, ce qui approche afîez
de ia cleniité 400, déterminée par la pa-
rallaxe de la lune. A a refte , je ne pré-
, tends pas donner ici des rapports exaéls,
mais ieulcment des approximations
pour faire voir que les denfités des pla-
nètes ont beaucoup de rapport avec leur
vîtefle dans leurs orbites.
La comète ayant donc par fa chute
oblique fillonné la (urfiice du foleil, aura
poufîe hors du corps de cet aftre une
partie de matière égale à la 650.""" partie
de fa maiïe totale: cette matière qu'on
doit confidérer dans un état de fluidité. ,
ou plutôt de liquéfadion , aura d'abord
formé un torrent , les parties les plus
^roiïes & les moins denfes auront été
poufTées au plus loin, & les parties les
"plus petites & les plus denfes n'ayant reçu
que la même impulfion , ne le leront pas
{\ fort éloi ornées, la force d'attraâ:ion du
foleil les aura retenues ; toutes, les parties
détachées par la comète & poufTées les
unes par les autres auront été contraintes
de circuler autour de cet aftre, & ea
même temps l'attradlion mutuelle des
parties de ia matière en aura formé des
Théorie de la Terre. 215
gîobes à difFérenies diftaiices, dont les
plus voifins du foieil auront nécelTai-
rement confervé plus de rap.idite' pour
tourner en fuite perpétuellement autour
de cet aftre.
Mais , dira-t-on une féconde fois , fi:
îa matière qui compofc les planètes a
été réparée du corps du foleii , ies pla-
nètes devroient être comme. le foïeil,
brûlantes & lumineufes, & non pas
froides & opaques comme elles le font :
rien ne reiïemble moins à ce globe de , 4,.-
feu qii'un globe de terre & d'eau , &: à ^ 1
en juger par comparailon, la matière de '
la terre &: des planètes efctout-à-fiit
différente de celle du foieil.
À cela on peut répondre que dans la
féparation qui s'eft faite des particules
plus ou moins denfes, la matière a changé
de forme , &: que la lumière ou le feu fe
font éteints par cette féparation eau fée . .
par le mouvement d'impulfion. D'ail-yi '^^ c&umML
leurs, ne peut-on pas foupçonner que ^ a>^t «^ ^ <*^
fi le foieil ou une étoile brûlante & lumi- ^^^
neufe par elle-même (e mouvoit avec
autant de vîteffe que fe meuvent les pla-
nètes ; ie feu s'cteindroit peut-être , &
2 I 6 Hîjloire Naturelle,
que c'ell par cette raifon que toutes ks
étoiles lumineufes font fixes & ne chan-
gent pas de lieu , & que ces étoiles que
l'on appelle nouvelles, qui ont proba-
blement changé de lieu , le font éteintes
aux yeux même des oblervateurs î Ceci
fe confirme par ce qu'on a obiervé furleis
comètes , elles doivent brûler jufcjw'au
centre lorfqu'elles paflent à leur péri-
hélie ; cependant elles ne deviennent pas
lumîneulés par elles - mêmes , on voit
feulement qu'elles exhalent des vapeurs
brûlantes dont elles laiffent en chemin
une partie confidérable.
J'avoue que fi le feu peut çxifl^r dans
un milieu où il n'y a point ou très-peu
de réfiflance , il pourroit aufll fouffrir un
très-grand mouvement fans s'éteindre;
j'avotie aufFi cjue ce que je viens de dire
ne doit s'entendre que des étoiles qui
dilparcifîént pour toujours, &: que celles
qui ont des retours périodiques, &
qui le montrent & difparoiffent alter-
nativement lans changer de lieu , font
fort différentes de celles dont je parle :
les phénomènes de ces aftres finguliers
ont été expliqués d'une manière très-
fatis>fiûfante
Théone de la Terre'» 217^
iLitisfaKante par M. de Maupertuis dans
Ton Difcours fur fa figure des Ailres, <Sc
je fuis convaincu qu'en partant des faits
qui nous font connus , ii n'elt pas pof.
fible de mieux deviner qu'il l'a fait; mais
les e'toiles qui ont paru & enfuite difparii c/ tir^ I
pour toujours, {q. {qwx. vrai(emblable-' * . A
ment éteintes , foit par ta vîtefTe de leur **^*'*"**'*^ 1
mouvement, foit par quelqu'autre caufe, nf^mJi J^itmH j
& nous n'avons point d'exemple dans la ^,>jC>gâ>i
Nature qu'un aftre lumineux tourne au^^y_^ y *
tour d'un autre alire : de vingt-huit ou . ^jt- ^
.trente comètes «Se de treize planètes qut^^
compofènt notre fyiième, & qui fe i«M-^ •'«^ **' ï
meuvent autour du foieil avec plus oii^»4M,Mi#<ùCi4?
moins de rapidité, il n'y en a pas une
.de Itimineuiè par elle-même.
On pourroit répondre encore que le
feu ne peut pas fubrifteraufîi long-temp*
dans les petites que dans les grandes
maffes , &: qu'au fortir du foleil les pla-
nètes ont du brûler pendant quelque
temps, mais qu'elles fe font éteintes faute
de matières combuRibles, comme le
foleil s'éteindraprobablementpar la même
raifon , mais dans des âges futurs & aufli
éloignés des temps auxquels les planètes
Tome I, JK.
2 \ S hijlairc Naturelle,
fe font éteintes , que fli grofleur Tefl Je
celle des planètes : quoi qu'il en (oit, la
réparation des parties plus ou moins
dénies, quis'eft hiite néceiïairementdans
le temps que la comète a pouflé hors du
)i^ A: foleil la matière des planètes , me paroît
__ fuffiiante pour rendre raiibn de cette
i* V extmcnon de leurs feux.
^ '^^■«^ \^';x terre &. les planètes au fortir du
^î^^VYv t foleii étoient donc brûlantes ik. dans uii
'Wf A,.. ;t.«, état de liquéiàdion totale, cet état de
^/., ^.' iiquéfadion n'a duré qu'autant que la
, violence de la chaleur qui Tavoit pro-
*'^" duit; peu à peu les planètes fe font re^
y -^^.^ ^ froidie?, &: c'eil dans le temps de cet
état de fluidité caufé par ie feu, qu'elles
auront pris leur figure, & que leur mou^
veinent de rotation aura fait élever Its^
parties de l'équateur en abaiflant les
pôles. Cette figure qui s'accorde fi bien
avec les loix de l'H ydroftatique , fuppo(e
jiéceflairement f[ue la terre & les pla-
nètes aient été dans un état de fluidité ,
& Je fuis ici de l'avis de M. Leibnitz * ;
cette fluidité étoit une liquéfidion caufée
par la violence delà chaleur, l'intérieur
* Prop'giXû, iiu[ G, C» L» 4id, Er, Lipf an. i 6q z .
Théone Je la Terre. 2. i ^
de îa terre doit être une matière vîîrifïce
dont les fables , les grès, le roc vif, les
granités , & peut-être les argiles , lont
des fragmens Se des fcories.
On peut donc croire avec quelque
vraileinbiance, que les planètes ont
appartenu au loieii , qu'elles ont été
fépartes par un leul coup qui leur a
donne un mouvement d'impulfion dans
ie même fcns & dans le même plan , &
que leur pofition à différentes dillances
du foleil ne vient que de leurs différentes
denfités. Il refte maintenant à expliquer
par la même théorie le mouvement de
rotation des planètes â<. la formation des
flrteliites ; mais ceci, loin d'ajouter des
difficultés ou des impolllbilités à notre
hypothèiè, fèmble au contraire la con-
firmer.
Car le mouvement de rotation dépend
uniquement de l'obliquité du coup, &
il ert néceflaire qu'une impulficn , dès
qu'elle eft oblique à la furface d'un corps
dorme à ce corps un mouvement de
rotadon ; ce mouvement de rotation iera
égal ÔL toujours le même, fi le corps qui
k reçoit eil homogène, ôl il fera inégal
[2.2 6 'Htfloîre l^atureÙe':
fi le corps eft compofe de parties hété-
rogènes ou de différente denfité , & de-Ià
on doit conclure que dans chaque pla-
nète la matière eft homogène , puifque
leur mouvement de rotation eft égal ;
autre preuve de ia féparation des parties
denfes & moins denfes lorfqu'elles fe font
formées-
Mais l'obliquité du coup a pu être
telle qu'il fe fera féparé du corps de la
planète principale de petites parties de
matière qui auront conCèrvé la même
diredion de mouvement que la planète
même, ces parties fe feront réunies,
fuivant leurs denfités, à différentes dis-
tances de la planète par la force de leur
attracflion mutuelle ; & en même temps
elles auront fuivi néceflàirement la pla-
nète dans fon cours autour du foleil en
tournant elle-même autour de la pla-
nète, à peu près dans le plan de fon
orbite. On voit bien que ces petites par-
ties que la grande obliquité du coup
aura fcparces , font les fatellitcs ; ainfi la
formation , la pofitioii & la direétion
des mouvemens des fatellites s'accordent
parfaitement avec la théorie -, car ils oiU
Théorie de h Terre, 2 1 1
tous la même diredion de mouvement
dans des cercles concentriques autour de
leur planète principale, leur mouvement
efl: dans le même plan , & ce plan eft
celui de l'orbite de la planète : tous ces
cfes qui leur font communs & qui dé-
pendent de leur mouvement d'impul-
fion , ne peuvent venir que d'une caufe
comiTume , c'e(l-à-dire , d'une impulfion
commune de mouvement , qui leur a e'té
comnumtquée par un feul & même coup
donné fous une certaine obliquité.
Ce que nous venons de dire fur la
caufè du mouvement de rotation & de
ia formation des fatellites, acquerra plus
de vraifemblance , fi nous faiions atten-
tion à toutes les circonftances des phé-
nomènes. Les planètes qui tournent le
plus vite fur leur axe , font celles qui ont
des flitellites ; la Terre tourne plus vue
que Mars dans le rapport d'environ 24 a
I 5 , la Terre a un fatellite & Mars n'en
a point ; Juj^iter fur-tout , dont la rapi-
dité autour de fon axe eft 5 ou 600 fois
plus grande que celle de ia terre, a quatre
fatellites , & il y a grande apparence que
Saturne qui en a cinq & un anneau
K iij
^2 2 Hifloirc Naturelle.
tourne encore beaucoup plus vite que
Jupiter.
On peut même conjccflurer avec quel-
que fondement, que i'anceaii de Saturne
ell parallèle à i'<. quaieur de cette planète,
en forte que le plan de l'équateur de
i'aniieau.&. celui Je l'équateur de Saturne
font à peu près les mêmes; car en fup-
pofmt , (iiivant la théorie précédente ,
que l'obliquité du coup par lequel Sa-
turne a é\e mis en mouvement, ait été
fort grande , la vîtelTe autour de Taxe
qui aura réluké de ce coup oblique,
aura pu d'abord êire telle que la force
centrifuge excédoii celle de la gravité,
& ii le iera détaché de l'équateur & des
parties voifines de l'équateur de la pla^
lîète, une quantité conddt'rable de ma-
tière , qui aura néceihiirement pris la
iigure d'un anneau, dont le plan doit
être à peu près le même que celui de
l'équateur de la planète ; «& cette partie
de matière qui forme l'anneau , ayant été
détachée de la planète dans le voifinage
de l'équateur, Saturne en a été abaifle
d'autant fous l'équateur , ce qui fut que
malgré la grande rapidité que nous lui
Théorie de la Terre* 12 y
îup{*)orons autour de fon axe , les dia-
mètres de cette planète peuvent n'être
pas aufîi inégaux que ceux de Ju]:>iter ,
qui difîèrent de plus d'une onzième
partie.
Quelque grande que foit à mes yeuK
îa vraiieiublance de ce que j'ai d t juf-
qu'ici lur ia formation des planètes & de
ieurs latell tes, comme chacun a la me-
fare , fur-tout pour edimerdcs probabi-
iitèsde cette nature, & que cette nieiure
dépend de la puilîance qu'a felprit pour
combiner des rapports plus ou moins
éloignés , je ne prétends pas contraindre
ceux qui n'en voudront rien croire. J'ai
cru feulement devoir femer ces idées ,
pa.ce qu'elles m'ont paru railonnables,
ÔL propres à éclaircir une matière fur
laquelle on n'a jamais rien écrit, quel-
qu'imporiant qu'en foit le fujet , puiique
ie mouvement d'impulfion des planètes
entre au moins pour moitié dans la corn-
pofuion du iyîième de l'Univers, que
i'attia(5tion ieule ne peut expliquer. J'a-
jouterai feulement pour ceux qui vou-
droientnier la poflibilité de mon îyftème,
k5 quellions fui vantes.
K iii;
^24 Hîjloire Naturelle.
i.*" N'eft-il pas naturel d'imaginer
qu'un corps qui eft en mouvement, ait
reçu ce mouvement par le choc d'un
autre corps î
2, ." N 'eil-il pas irès-probabie que plu-
fieurs corps qui ont ia même diredion
dans leur mouvement, ont reçu cette
diredion par un fcul ou par pîufieurs
coups dirigés dans le même fens î
3 ." N'elt-ilpas tout-à-fait vraifemîjlabïe
qiie plufieurs corps ayant la même direc-
tion dans leur mouvement &: leur pofition
clans un même plan , n'ont pas reçu cette
diredion dans le même fens &: cette pofi-
tion dans le même plan parplufieurscoups^
mais par un feul <& même coup !
4." N'eft-il pas très-probable qu'en
même temps qu'un corps reçoit un mou-
yement d'impulfion , il le reçoive obli-
quement, & que par conféquent il foit
obligé de tourner fur lui-même , d'autant
plus vite que l'obliquité du coup aura été
plus grande ! ii ces quelîions neparoifTent
pas déraifonnables , le fyftème dont nous
\enons de donner une ébauche, cefTera
de paroître une abfurdité.
Paflous maintenant à quelque cjioie.
Théorie de la Terre, 225'
qui nous touche de plus près , & exaini-
iT-ons la figure de la terre lur laquelle Oii
a tait tant de recherches & de fi grandes
obiervaiions. La terre étant, comme i[
paroît par l'e'galitë de Ton mouvement:
diurne & la conltance de i'inciinaiion (\z
fon axe, compofée de parties homo-
gènes , & toutes Tes parties s'atiirant en
railon de leurs mafTes, elle auroit pris
néceffairement la figure d'un globe par-
faitement rphérique, fi le mouvement
d'impulfion eût été donné dans une ^i-
reélion perpendiculaire à la iurface ; mais
ce coup ayant été donné obliquement,
îa terre a tourné fur fon axe dans le
mêm.e temps qu'elle a pris fîi forme , &
de la combinaifon de ce mouvement de
rotation & de celui de i'attracftion des
parties il a réfulté une figure fphcroïde
plus élevée fous le grand cercle de ro-
tation , & plus abaiffée aux deux extré-
mités de l'axe, & cela parce que l'action
de la force centrifuge provenant du mxou-
vemicnt de rotation, diminue i'aclicn de
îa gravité; ainfi ïa terre étant homogène,
&: ayant pris fa confi (lance en même
temps qu'elle a reçu fon mouvement de
K v
2i6 H'îjloire Nûîurelle.
rotation , elie a du prendre une figure
fphéroïde dont les deux axes dilîèrent
d'une 2 3 o.""" partie. Ceci peut le démon-
trer à la rigueur oc ne dépend point des
hypoihèle- qu'on voudroii fiiire lur la
diretftion delà pelanieur, car il n'eM pas
permis de faire des h y pot h è les contraires
à des vérités établies, ou qu'on peut
établir : or les loix de la pelanteur nous
font connues, nous ne pouvor.s douter
que les corps ne pèlent les uns fur les
autres en railbn dire<51:e de leurs mafles, <&
inverle du quarre de leurs diftance ; de
même nous ne pouvons pas douter que
l'adion générale d'une malî'e quelconque
ne foit compoiée de toutes les adlions
particulières des parues de cette mafîe ,
ainfi il n'y a point d'hypothèfe à faire
fur la diredion de la pelanteur , chaque
partie de matière s'attire mutuellement
en raifon d-reèle de la maffe &. inverie
du cjuarre de la diilance , & de toutes
ces attradions il réfulte une fphère lors-
qu'il n'y a point de rotation , & il en
réfulte un Iphéroïde lorfqu'il y a rotation.
Ce fphéroïde ell plus ou moins accourci
aux deux extrémités de i'axe de rotation^
Scorie de la Terre. ^ ^ 7j
fi proportion de fa vîtcfie de ce mouvc-
inent , & ia terre a }:)ris en vertu de la
VÎtefre de rotation (Se de l'attradion mu-
tuelle de toutes les parties, la ligure d'un
fpheroïde dont les deux axes font entr'eux
comme 229 à 2 3 o.
Ainfi par l'a coiillitution originaire, par
ïow homoo^énéiié , & indéne»; dam ment
de toute liypothèie fur la dirediondela
peianteur , la terre a pris cette figure dans
le temps de la formation , &: elie ell , en
vertu des loix de la Mécanique, élevée
nécefTairement d'environ fix lieues &
deiîiie à chaque extrémité du diamètre de
i'équaieur de plus que Tous les pôles.
Je vais in fi fier fur cet article, parce qu'ii
y a encore des Géomètres qui croient que
ia figure delà terre dépend dans la théorie,
du iyflème de phiioiophie qu'on em-
brafie , <Sc de ht direction qu'on iuppofe à
ia peianteur. La première choie que nous
ayons à démontrer , c'ell i'atiradion mu-
tuelle de toutes les parties de la matière,
& la lecondc rhom.og-. néité du globe
tcrrelbe; fi nous fltiions voir cldreiuent
que cci deux faits ne peuvent j as être ré-
voqués en doute , il n'y aura plus aucune
2.1 s 'Hijlolre NaîiireVe:
hypothèfe à faire fur la diredlion de îà
pelanteur ; la terre aura eu nécefîairement
îa figure déterminée par Newton, & toutes
les autres figures qu'on voudroit lui don-
ner en vertu des tourbillons ou des autres
hypothèfes , ne pourront iubfiller.
On ne peut pas douter, à moins qu'on
île doute de tout , que ce ne foit la force
d€ la gravité qui retient les planètes dans
leurs orbites; les fatellites de Saturne
gravitent vers Saturne , ceux de Jupiter
yers Jupiter, îa Lune vers la Terre, & Sa-
turne, Jupiter, Alars, la Terre, Vénus 6c
Mercure gravitent vers le Soleil: de même
Saturne & Jupiter gravitent vers leurs
fàteflites , îa Terre gravite vers la Lune ,
& le Soleil gravite vers les planètes , la
gravité eft donc générale & mutuelle
dans toutes \ts plsnèies, car i'adion d'une
force ne peut pas s'exercer fins qu'il y ait
réaélion , toutes les planètes agifi"ent donc
mutuellement les unes fur les autres : cette
attratflion mutuelle fert de fondement aux
îoix de leur mouvement, &: elle efl: dé-
montrée par les phénomènes. Lorfque
Saturne & Jupiter font en conjonc^lion, ils
stgiflent l'un fur i'autrc; & cette attradiou
Théorie de la Terre , '21^
produit une irrégularité dans leur mou-
vement autour du Soleil ; il eu eft de
même de la Terre ôl de la Lune, elles
agiiïent mutuellement l'une fur l'autre,
mais les irrégularités du mouvement de la
Lune viennent de l'attradion du Soleil, eu
forte que le Soleil , la Terre & la Lune ,
agiffent mutuellement ies uns fur les
autres. Or cette attradion mutuelle que les
planètes, exercent les unes fur les autres,
eft proportionnelle à leur quantité de ma-
tière lorfque les diftances font égales , ôc
la même force de gravité qui fait tomber
îes graves fur la furface de la Terre, &. qui
s'étend jufqu'àla Lune , eft aufll propor-
tionnelle à la quantité de matière; donc la
gravité totale d'une planète eft compofée
de la gravité de chacune des parues qui
îa compoiènt ; donc toutes les parties de
la madère, foit dans la terre , foit dans ks
planètes , gravitent les unes fur les autres;
donc toutes les parties de la matière s'at-
tirent mutuellement : & cela étant une
fois prouvé , la terre par fon mouvement
de rotation a dû néceffairement prendre
ïa figure d'un fphéroïde dont les axes
font entr'eux comme 22^ à 2.30, & ia
!â3ô' Hîjîohe Naturelle.
d[ire(51ion de la pefanteur eft nécefîîiirc*»
ment pcrpendicuiaire à ia furface de ce
fphéroïde ; par conféquent il n'y a point
d'hypotlièle à faire fur la diredion de la
pelanteur, à moins qu'on ne nie l'attrac-
tion mutuelie & générale des partie de
îa matière, mais on vient 'de voir que
Tattraiflion mutuelie efl: démontrée par
îes obfervations , & les expériences àts
pendules prouvent qu'elle efi générale
dans Toutes les parties delà matière , donc
on ne peut pas faire de nouvelles hypo-
thèfès lur la direcflion de la pefanteur , (ans
aller contre l'expérience & la railon.
Venons maintenant à rhomogéneité
du globe terrefire; j'avoue que fi l'on
fupp jie que le globe foit plus dénie
dans cer: aines parties que dans d'autres ,
îa diieélion de ia peïân eur doit être dif-
férente de celle que nous venons d'af-
figner, qu'elle fera différente fuivant les
différentes fuppofitions qu'on fera, &
que la fgiirede la terre deviendra dif-
férente aulîi en vertu des mêmes fjp-
poîiàons. Mai qiîdle raifon a-t-on pour
croire que cela foit ainfi î Pourquoi
Teut-on, par exemple, que les parties
Tliéone Ae la Terre. 1 3 t''
voifmes du centre , foient plus dciifes que
ce les qui en iont pius éloignées î toutes
les part eu es quicompolent le globe ne
le lont-elfes pas raftemblées par leur at-
tra^ion mutuelle \ dès-lors chaque parti-
cule eft un centre, &. il n'y a pas de raiiori
pour croire que le.-» parties qui font
au:our du centre de grandeur du globe ,
foient plus denfes que ce les qui font
autour d'un autre point ; mais d'ailleurs
fi une partie confidérable du globe étoit
plus denfe qu'une autre p^rJe, i'axe de
rotation le trouveroit plus près des parties
denfes, & il en réfuUeroit une ineg lire
dans la révolution diurne , en lorte qu'à
la furface de la tene nous remarquerions
de rinégi'Jité dans le mouvement ap-
parent des fixei , elles nous paroit oient
le mouvoir beaucoup plus vî e ou be:iu-
coup plus Icnfetnenc uu zénith qu'à l'ho-
rizon , lelon que nous ferions polés fuï
les parties dénies ou iégè:ei du globe:
cet axe dt la terre ne pafî^tnt plus par
le cent e de granieurdu globe, ch nge-
roic auili très-lènfb'enient de pofui n ;•
m is tout ceL; n'arr e })..s, on iiic ;ui con-
traire que le mouvemeiit diurne de iâ^
X-^z 'Hijloke Naturelle,
terre eft égal & uniforme , on fait qu*l
toutes les parties de la furfàce de la terre
ies étoiles paroiiïent fe mouvoir avec la
inême vîteiïe à toutes ies hauteurs, & s'il
y a une nutation dans l'axe, elle efl: afïez
infènfible pour avoir échappé aux obler-
vateurs ; on doit donc conclure que^ le
globe efl homogène ou prefque homo-
gène dans toutes Tes parties.
Si la terre étoit un globe creux & vide
dont la croûte n'auroit, par exemple, que
deux ou trois lieues d'épaiiïeur , il en ré-
fulteroit i .^ que les montagnes feroient
dans ce cas des parties fi coiiridérables
de l'épaifTeur totale de la croûte qu'il y
auroit une grande irrégularité dans les
Biouvemens de la terre par l'attradion de
!a lune & du foieil ; car quand les parties
les plus élevées du globe, comme les
Cordillères, auroient la lune au méri-
dien, l'attradion feroit beaucoup plus
forte fur le globe entier que quand les
parties les plus baffes auroient de même
cet aftre au méridien. 2.'' L 'attraction
des moniagnes feroit beaucoup plus con-
fidérabie qu'elle ne l'efl en comparai-
ion de l'attradion totale du globe, & les
Théorie âe la Terre. % 3 3
expériences faites à la montagne deChim-
boraçoau Pérou ,donneroientdans ce cas
plus de degrés qu'elles n'ont donné de
fécondes pour ladéviaiion du fil à-plonib.
3,'' La pedinteur des corps feroit plus
grande au-de/Tus d'une haute montagne ,
comme le Pic de Ténérifle, qu'au niveau
de la mer, en forte qu'on fe ièntiroit
confidérablement plus pefint & qu'on
mar cheroit plus difficilement dans les lieux
élevés que dans les lieux bas. Cesconfidé-
raiions & quelques autres qu'on pourroit
y ajouter , doivent nous faire croire que
l'intérieur du globe n'efl pas vide & c|u'il
eft rempli d'une matière aflez denfe.
D'autre côté, fi au-defîous de deux ou
trois lieues , la terre étoit remplie d'une
matière beaucoup plus denfe qu'aucune
des matières que nous connoifTons , il
arriveroit néceflairement que toutes les
fois c[u'on dcicendroit à des profondeurs
Hiême médiocres , on pèferoit fenfible-
ment beaucoup plus, les pendules s'ac-
célérer oient beaucoup plus qu'ils ne s'ac-
célèrenî en effet lorfqu'on les tranfporte
d'un lieu élevé dans vui lieu bas ; ainfi
nous pouvons préfumer que i'imérieux
':2-34 Hipohe Nûîurelie.
de la terre eft rempli d'une matière a petî
près femblable à celle qui compofe la
furface. Ce qui peut achever de nous
déterminer en faveur de ce (entinient ,
c'ell" que dans ie temps de la première
formation du globe, lorlqu'ii a pris la
forme d'un fj^hcroïde aplati fous les
pôles , la matière qui le compofe, éioit
en fufion, & par confequent homo-
gène , & à peu près e'gnlement denfe d;ins
toutes fes parties , aulfi-bien à la furfice
qu'à l'intérieur. Depuis ce temps, la ma-
tière de ia fuiface, quoique la même,
a été remuée 6i travaillée par les caufes
extérieures , ce qui a produit des ma-
tières de différentes denfnés; mais on
doit remarquer que les madères qui,
comme l'or & {es métaux , font les plus
dénies , font aulTi celles qu'on trouve le
plus rarement , & qu'en confécjuence de
î'adiion des eau lès extérieures, la plus
grande partie de la matière qui compote
ie glo]:îe à la furface , n'a pas fubi de
très-grands changemens par rapport à la
denfité , & les matières les plus coiw-
munes, comme le fable & la orlaife , ne dif^
fèreiit pas beaucoup eu dea.fité; eu iorts
Tiléone de h Terre, 2^^ ,
qu'il y a tout lieu de conje^fturer avec
gnmde vraifeniblance , queji^^kur ^trt tij^n- ^
<:}e la terre ell rempli d'une m^^^^itri- P,i^*_ /;( * ^« j
ri(^e donf'là dêniite,'e{i à peu prés ia Vy 0 !"/**]
iTi'eme que celle du llible , <& que par ^^ ^^^J^ •
confequent le globe terreftre en général
peut être regardé comme homogène.
li refle une relTource à ceux qui veu-
ient abfolumcnt faire des ruj)poli ions,
c'efl: de dire que le globe eit comporé
de couches concenrriques de différentes
denfités, car dans ce cas le mouvement
diurne fera éaal , & l'inclinaifon de l'axe
confiante, comme dans le cas de l'homo-
généité. Je l'avoue , mais je dem nde en , *
jnême temps s'il y a aucune railon de ^**^ ^««**«/ft^
croire que ces couches de diiférenîes«/^'»«<** T*^*^
denfités exiftent, fi ce n'eu pas vouloir «>^ dtmiiiiu
que les ouvrages de la Nature s'ajuftent j MrvwnJ
à nos idées abltraites , & fi l'on doi. ad- ,. . *
mettre en Phyfique une fuppofuion qui*'^^*^^'^'^*^*^
n'eft fondée fur aucune obfervation , '^^^ tf'*^, ^
aucune andogie , & qui ne s'accorde
avec aucune des indudions que nous
pouvons tirer d'ailleurs.
Il paroît donc que la terre a pris,
eii vertu de i'attraâion mutuelle de feg
2^6 Hîflolre 'Naturelle,
parties & de Ton mouvement de rotation ,
r'* •>■<. -^t* Ici,j^|^||ft|^n fphéroïde dont îes deux
>% ^^, axes^Hilmit d'une 220.""* P'^niejJ
paroi c que c éit-ia i;i n^ure primitive -
" » quelie a priie neceliaïrement dans le
temps de ion état de fluidité ou de il-
quéfàélion ; il paroi t qu'en vertu àç.s
loix de ia gravité & de h force centri-
fuge, elle ne peut avoir d'autre figure ,
que du moment même de fa formation
if y a eu cette différence entre les deux
diamètres , d^ fix iieues & demie d'éiéva-
tron de plus fous l'équateur que fous les
pôles, &i que par conféquent toutes les
, ..^hypothèfes par lefqueiles on peuttrou-
****'"* ver plus ou moins de différence font
-• ••'^ -^es fi(flions auxquelles il ne faut faire
^*».* -», aucune attention.
,^»r .-V..,- Mais, dira-t-on , fi la théorie efl
vraie, fi le rapport de 22a à 230 efl
le vrai rapport des axes, pourquoi les
*-^ - ,.-♦ Mathématiciens envoyés en Lapponie&
au Pérou , s'accordent-ii's à donner le
rapport de 1 74 à i 7 5 î d'où peut venir
cette différence de ia pratique à la théo-
rie î &, fans fiire tort au raifonnement
qu'on vient de faire pour démontrer h
Théorie de la Terre* 2 3 7
théorie , n'eft-il pas plus raifonnable de
-donner la préférence à la pratique & aux
mefures, îur-tout quand on Mpeut pas
douter qu'elles n'aient été prîtes par les
plus habiles Mathématiciens de l'Europe
(M, de Mmperîuis , figure de la Terre)
& avec toutes les précautions nécefîaires
pour en conftater le réfultat \
À ceLi je réponds que je n'ai garde
de donner atteinte aux ob fer vations faites
fous î'équateur & au cercle polaire , que
je n'ai aucun doute fur leur exaélitude ,
.& que la terre peut bien être réelienient
élevée d'une 17 5."'^ partie de plus fous
I'équateur f|ue fous les pôles ; mais en
même temps , je maintiens la théorie, &
je vois clairement que ces deux réfultats
peuvent le concilier. Cette différence
des deux réfultats de la théorie & des
mefures , efl d'environ quatre lieues dans
les deux axes, en forte que les parties
fous I'équateur font élevées de deux
lieues de plus c(u 'elles ne doivent l'être
fuivantla théorie : cette hauteur de deux
lieues répond aflez jufte aux plus grandes
inégalités de la furfice du globe , elles
proviennent du mouvement de la mer
1
l'jS Hiflotre Naturelle;
ÔL de i'adioii des fluides à la furface de
îa terre. Je m'explique, il me piroît
que dji"^e temps qtie la terre s'eît for-
mée, elle a iiëcefTairement dû prendre,
en vertu de i'i.ttnîdion mutuelle de Tes
parties & de l'adion de la force centri-
fuge , la figure d'un fphéroïde dont les
axes diffèient d'une 230."''' p:.rtie ; \x
terre ancienne & originaire a eu necei-
f lirement cette figure qu'elle a prife lorl-
qu'elîe étoit fluide ou plutôt liquéfiée
par le feu , mais lorlqu'après la forma
tion & ion refroidiflement , les vapeurs
qui étoient étendues & raréfiées, comme
FxOus voyons ratmofphère & la queue
d'une comète , le furent condenlées , elles
tCHibèrent fur la iurface de la terre &
formèrent l'air & l'eau ; & lorique ces
eaux qui étoient à la furface, furent agi-
tées par le mouvement du flux & reflux ,
ks matières furent entraînées peu à peu
des pôles vers l'équateur, en forte qu'il
efl: pcffible que les parties clés pôles iè
foient abaiflees d'environ une lieue , &
que les parties de l'équateur fe foient
élevées de la même quantité. Cela ne
s'cfl: pas fait tout-à-coup, mais peu à peu
Théone de la Terre. 2 j ff
&. dans la fuccefîion des temps; la terre
étant à i'exîérieur expolte aux vents, à
l'adion de l'air & du ioleiifRoutes ces
cailles ir régulières ont concouru avec
îe fîux Si le reflux pour fillonner û\ fur-
fîice , y creufer des profondeurs, y élever
des montagnes, ce qui a produit des
inéoraittés , des îrréoruiariiés dans cette
couche de terre remuée , dont cepen-
dant la plus grande épaifîeur ne peut
être que d'une lieue fous l'cquateur;
cette inégalité de deux lieues ell: peut-
être la plus grande qui puilTe être à h
iiirface de la terre , car les plus hautes
montagnes n'ont guère qu'une lieue de
hauteur, & les plus grandes profondeurs
de la mer n'ont peut-être pas une lieue,
La théorie efl: donc vraie, &. la pratique
peut l'être aufî] ; h terre a du d'abord
n'être élevée fjus l'équatcur que d'envi-
ron fix lieues & demie de -plus qu'au
pôle , Se enfuite par les changemens qui
font arrive's à fi riirface , e'ie a pu s'é-
lever davantage. L'Hilloire Naturelle
confirme merveilieulement cette opinion,
& nous avons prouvé dans le diicours
précédent, que c'eftie fîux ôc le reflux êc
2^6 Hîflohe Naturelle:
ies autres mouvemens des eaux qui on?
produit les montagnes & toutes les ine'-
galités deWfurface du globe ; que ccno.
même furface a iubi des changemens
très-confidérables , & qu'à de grandes
profondeurs comme fur les plus grandes
hauteurs, on trouve des os, des coquilles
& d'autres dépouilles d'animaux habitans'
des mers & de la furface de la terre.
On petit conjedurer par ce qui vient
d'être dit, que pour trouver la terre
ancienne & les matières qui n'ont jamais
été remuées, il fmdroit creuiêr dans les
climats voifins des pôles , oii ia couche
de terre remuée doit être plus mince que
dans les climats méridionaux.
Au relie , fi l'on examine de près les
mefures par lefquelles on a déterminé
la figure de la terre , on verra bien qu'il
entre de l'hypothétique dans cette déter-
mination , car elle fuppofe que la terre
a une figure courbe régulière , au lieu
qu'on peut penier que la furface du
globe ayant été altérée par une grande
quantité de caufes combinées à l'infini,
elle n'a peut-être aucune figuré régu-
lière ; & dès-lors la terre j^ourroit biei:ï
n'être
Théorie de la Terre, 241
n'être en effet aplatie que d'une 230.""*^
partie , comme le dit Newton , & comme
la théorie le demande. D 'ailleurs , 011
fait bien que quoiqu'on ait exad:ement
la longueur du Degré au cercie polaire
^ à i'équatcur , on n'a pas aufli exacfle-
ment la longueur du Degré en France,
& que l'on n'a pas vérifié ia mefure de
M. Picard. Ajoutez à cela que la dimi-
iiution &: l'augmicntation du pendule ne
peuvent pas s'accorder avec le réiultat
des meiures , & qu'au contraire elles s'ac-
cordent à très-peu près 2ivec la théorie
de Newton ; en voilà plus qu'il n'en
flmt pour qu'on puifTe croire que la
terre n'eit réellement aplatie que d'une
23 o.""^ partie, & que s'il y a quelque
différence , elle ne peut venir que des
inégalités que les eaux & les autres caules
extérieures ont produites à la lurface ; &
ces inégalités étant, feîon toutes les appa-
rences , plus irrégulières que régulières ,
on ne doit pas faire d'hypothèfe fur cela,
ni fuppofer, comme on l'a fait , que les
méridiens font des ellipfes ou d'autres
courbes régulières ; d'où l'on voit que
quand onmefureroit fuccelîivement plu-
Tome /. L
242. Htflolre Naturelle.'
fleurs Degrés de la terre dans tous les
fèns, on ne ieroit pas encore aiîuré j^ar-
ià de la quantité d'aplatifi'emcnt qu'elle
peut avoir de moins ou de plus que de
a 230. partie.
Ne doit-on pas conjeiflurer aufll que
il l'iticlinaiion de l'axe de* la terre ;i
changé , ce ne peut être qu'en vertu des
chaiîgeniens arrivés à la lurface, puilquc
tout le reile du globe eil: hoiucgène;
que par coniéqucnt, cette variation eil
trop peu lenfibie pour être aperçue par
les Ailronoines, & qu'à moins cjue lu
terre ne ioit rencontrée par qiîelque
coiuète , ou dérangée par c|uefqii'autre
cauie extérieure, ion axe demeurera per-
pétuellement incliné comtne il i'ei'i au-
jourd'hui, & comme il l'a toujours été !
1^ £t afin de n'omettre aucune des
conjeélures qui me paroiflent raiion-
nabies , ne peut-on pas dire que comme
les montagnes & les inégalités qui loiit à
la Turface de la terre, ont été formées par
l'a<fliondu flux & reflux, les mon.timnes
& les inégalités que nous remarquons
à fa ilirfiice de la iunc , ont été produites
par une caiiic iemblabie ; qu'elles font
ThSone de la Terr^, 243
Tîeavjcoiip pWs élevées que cclîcs de h
terre , parce que le fîux ik reflux y eîl
beaucoup plus fort , puifqu'ici c'efl la
lune , & là c'eft la terre qui le caufe ,
dont la maffc étant beaucoup plus ccn-
fîdérable que celle de la lune , devrolt
produire deseffets beaucoup plus grands
fi la lune avoit, comme la terre, v.n
mouvement de rotation rapide par lequel
elle nous préfèmeroit fucceflivemient
toutes les parties de fa furface ; mais
comme la lune préfente toujours la mem.e
face à la terre, le flux & le reflux ne peu-
vent s'exercer dans cette planète qu'en
vertu de ion mouvement de iibration
par lequel elle nous découvre alternati-
vement un fegment de fa furftce, ce qui
doit produire une efpèce de fîux & de
reflux fort diiiérent de celui de 1105
mers , & dont les edèts doivent être
beaucoup moins confidérables qu'ils ne
le feroient, fi ce mouvement avoit pour
caufe une révolution de cette planète
autour de Ion axe , aulîi prompte que
l'eiî: la rotation du globe terrelb'e.
J'aurois pu faire un livre gros comme
celui de Burnet ou de Whiflon , fï j'cu&
L ij
^44 fîtflotre Naturelle.
voulu délayer les idées qui compofent
le fyftème qu'on vient de voir , ^ en
leur donnant i'air géométrique, coinjne
l'a fait ce dernier Auteur, je leur eufTe
en même temps donné du poids; mais
je penfe que des hypothèfes, quelque
vraifemblables qu'elles foient, ne doivent
point être traitées avec cet appareil .quj
dent un peu de la charlatanerie.
A Buffon le 2 q Septembre j y ^^ .
Tfiéorîe Je la Terre, "2 4 5^
PREUVES
DE LA
THÉORIE DELA TERRE.
A R T I C L E 1 1.
Du Syfthne de AL Wlùpn.
A ncw Theory of the Earth , by Wiii. Whiftonp
Lvndon , lyoS»
CET Auteur commence fon traite de
ia Théorie de la Terre par une
difTertation fur ia création du monde ; iï
prétend qu'on a toujours mal entendu le
texte de la Qç,Tih{Q^ qu'on s'eft trop atta-
ché à ia iettre & au iens qui ie prélente
à ia première vue, Hms fliire attention
à ce que la Nature , îa raiibn, ia Philofo-
phie , & même ia décence exigeoient de
i'Écrivain pour traiter dignement cette
matière. îi dit que ies noticns^-qû'on a
communément de i'ouvrap^e des fix jours,
Ibnt aÎDibîament taufies , & que ia del-
crijuionde Moyfe n'eii pas une mrrauoa
L iij
2 4-6 mpotre Naturelle:
exade & philofophiqiie de {a création
de l'Univers entier <& de i origine de
tomes choies, mais Mie rcpréientation
iîiiiorique de la formation du fenl globe
terrefire. La terre , félon lui, exidoit
auparavant dans le cahos, ^ elle a reçu
dans le temps mcniionnépar Moyfe la
fonrié, laiïiuation & la confiHance né-
ceiiaires pour pouvoir être habitée par le
genre humain. Nous n'entrerons point
émsÏQ détail de fes preuves à cet égard ,
^ nous -n'entreprendrons pas d'en f lire
îa réfutation; lexpcfition que nousvc-
lions de faire , fuffit pour démontrer la
cciîtrariété de ion opinion avec la foî^
& par conféquent i 'in lufâ lance ck fes
preuves: au reftc, il traite cette matière eii
l'héologien controveifiiie plutôt qu'en
Ph iiofophe éclairé.
Pariant de ces fmx principes , il pafTe
à des fuppofitions ingénieufes, & qui,
Cjuoiqu extraordinaires , ne lailTent pas
d'avoir un degré de vraifemblance lori-
qu on veut fe livrer avec lui à î'enthou-
fiafme du fyilème: il dit que l'ancien
cahos, iorigine de notre terre, a été
i'atinof])hère d'une comète ; que le mou-
Théorie de la Terrer 247
veillent annuel de la terre a commencé
dans le temps qu'elle a pris une nouvel.e
forme , mais que Ton mouvement diurne
n'a commencé qu'au temps delà ointe
du premier homme : nue le cerc.e de
l^écliptique coupolt alors le tropique ou
C'incer au point du paradis terreitre a Sa
floniière d'Aayrie, du côté du nord^
ouell; qu'avant le déluge Tannée com-
mcnroit à l'équinoxe d'automne ; que les
orbiics originaires àti planèies, & iur-
îout l'orbite de k terre, étoienî avant
ie déluge des cercles parlaits ; que e
d-luc^e a commencé le 18,' jour de
Nov'embre del'année 2365 delapériode
Julienne , c'eft-à-dire , 2 3 49 f 7 ^^
i'ere chrétienne; que l'année iolaire &
Tannée kmaire éioient les mêmes avant
le deluae, & qu'elles contenoient juite
.60 jo^jrs; qu'une comète defcendant
dans ie plan de l'écliptique vers Ton péri-
hélie . a pafie tout auprès du globe de
la terre le jour même que le déluge a
commencé; qa'il y a une grande cha-
leur dans l'intérieur du globe terreitre,
(nji ie répand conrtammenî du^ centre
à la circonférence ; que la conuitutiou
L iiij'
i4§ Hifloire Naturelle.
intérieure & toialede la terre eft comme
cel.ed unœuf.ancienemblémedu dobc •
que es montagnes font les pardes les
plus kgeres de Ja terre, &c. Enfuite il
attribue an déluge univerfei toutes les
altérations & tous les changemens arrivé*
a ia lurflice & >, l'intérieur du ^lobe
Il adopte aveuglément les hypotiiçfes de'
Voodwm-d, & fe fert Indiiîinflement
<ie toutes les obfervations de cet Auteur
au fujetde l'état préfem du globe; mais
i! y ajoute beaucoup lorfqu'ii vient à
înmer de l'état futur dé la terre : félon lui
^tle périra par le feu, & f, deftruc^ion
lera précédée de tremblemens épou-
v;uitables, de tonnerres & de météores
effroyables le foleil & la iune auront
iafpea hideux, les deux paroîtront
s écrouler, l'incendie fera général fur
la terre; mais lorfque Je feu aura dé-
vore tout ce qu'elle contient d'impur ,
lorfquclie fera vitrifiée & tranfparente
comme le criiïal, les Saints & les Bien-
heureux viendront en prendre poiïéirion
pour 1 hajjiter jufqu'au temps du iuo-e-
meiit dernier. '^
Toutes ces hypothèfes-^emblem au
Théorie de h Terre. 249
premier coup d œil , être autant d'afTer-
fions téméraires, pour ne pas dire extra-
vacrantes; cependant l' Auteur ies a ma--
nic^-s avec tant d'adrelTe , & les a réunies
avec tant de force , qu'elles cefTent de
paroître abfolument chimériques : il met
dans ibn fujet autam d'elprit & de
fcience qu'il peut en comporter , & on
fera touiours étonné que d'un mélange
d'idées auin bizarres & aufTi peu faites
pour aller enfemble , on ait pu urer un
fyrtèmeéblouiffam; cen'eft pas même
aux efprits vulgaires , c'eft aux yeux à^^.
Savans qu'il paroîtra tel , parce que les
Savans font déconcertés plus ailement
que le vulgaire par l'étalage de l'érudi-
tion, & par la force & la nouveamé des
. idées. Notre Auteur étoit un Aftronome
célèbre, accoutumé à voir le ciel en
raccourci , à mefurer les mouvemens des
afti-es,à compafferles efpaces descieux,
il n'a jamais pu fe perfuader que ce petit
arain de fable , ceue terre que nous ha-
bitons, ait attiré l'attention du Créateur
au poim de l'occuper plus long-temps
que le Ciel & l'Univers entier, dont a.
\afte étendue contient d&s millions de
L V
250 Hifloh-e ISlaUircIle.
miliions de foleils & de terres. Il pré-
tend donc que Moyfe ne nous a pas
donne lh,fto.re de la première création,
mais leukment le détail de la nouvelle
lorn.e que la terre a prife, lorlque la
ma,n du 1 ou(-puiff,nt la tirée dt. non.-
J^re des comètes pour la fiire planète,
ou, ce qui revient au même, lorlque
dun inonde en défordre & d'un cahos
■ "Uforme ,1 en a ftit une hai^itaiion tran-
quille & un (ejour agréable; les comètes
ipnt en effet luj êtes à des vicilDiudes
tçrribles a caufe de l'excentricité de leurs
orbites; tantôt, coMime dans celle de
<68o, ,1 y 11,!, n,i,i^ fois plus chaud
cfuaum,l,eu d'un brafier ardent, tatitôt
U y fut mille fois plus froid que dans la
glace, & çhes ne peuvent guère être
habitées que par d'étranges Créatures,
ou pour trancher court, elles foiit in-
l)abitees.
, ^^'P^-'W.'^es au contraire font des lieux
oe repo ou la diftaiice au foleil ne variant
PAS beaucoup , la température relie à peu
p.es In i„eme, & pe,,^et aux efpèces de
piaaies & d aniinaux, de croîax, de durer
« de œu'iiplier.
Ihecrie cu la Terre, 1 5 *
' Au cominenccment, Dieu créa donc
î-Univers, mais, Icloii notre Auteur,
in lerrc confondue avec les autres aRres
errans , n'étoit alors qu'une comète inha-
bitable, loufFrant aiternaiivement Texcè
du froid & du chaud, dans iaquelle ies
matières fe liquéfiant, fe vitrifiant, fe
glaçant tour à tour , formoient un cahos ,
un abyme enveloppé d'épaiffes ténèbres,
ér îenelmv annt Ju/jcr fiiiem ûhyjji. Ce
cahos étoit l'aimofj)hère de la comète
qu'il faut le repréfeuier comme un corps
coinpofé de matières hétérogènes, dont
ie centre étoit occupé par un noyau
fphérique , folide & chaud , d'environ
deux mille lieues de diamètre, autour
duquel s'étcndoit une très-grande cir-
conférence d'un fluide épais, mêlé d'une
matière informe , confufe , telle qu'étoit
l'ancien cahos , rudis indigepacjue moles.
Cette vafte atmofphèrc ne contenoit que
fort peu de parties sèches , folides ou
terreftres , encore moins de particules
aqueufes ou aériennes , mais une grande
quantité de matières fluides , dénies &
pefantes, mêlées, agitées &l confondues
enfembie. Teik éioic la terre la veille des
Lvj
:2 5 2. HiJIoire NdtureJk.
fîx jours; mais dès le lendemain , c'eft-a-
dire , dès ie premier jour de la création
îorfque l'orbite excentrique de la comète
eût été chanote en une ellijjfe prefque
circulaire, chaque cho(e prit la place,
& ies corps s'arrangèrent fuivant la loi
de ieur gravité rpéciiique, les fluides
pefans deicendirent au plus bas, & aban-
donnèrcntaux parties tcrreftres , aqucuîes
& aériennes la région fupérieure; celles-
ci deicendirent auiîi dans ieur ordre de
peianteur , d'abord la terre , enfuitc l'eau,
ÔL enfin l'air; & cette iphère d'un cahos
immenle le réduitit à un globe d'un vo-
lume médiocre , au centre duquel eft le
noyau folide qui conferve encore au-
jourd'hui la chaleur que le foleil lui a
autrefois communiquée lorlqu'il étoit
noyau de comète. Cette chaleur peut
Lien durer depuis fix mille ans , jpjif-
qu'il en faudroit cinquante mille à la
comète de 1680 pour fe refroidir, &
qu'elle a éprouvé en pafîlmt à fou
périhélie , une chaleur deux mille fois
plus grande que celle d*un fer rouge.
A utour de ce noyau loiide & brûlant qui
occupe le centre de la terre , fe trouva
Théorie de la Terre. 2 ^ "^
le fluide clenle &; peflmt qui cJefceiidit ie
premier , <Sc c'eft ce fluide qui forme ie
grand abyme fur lequel la terre porteroit
comme le liège fur ie vit-argent; mais
camme les parties terreftres étoient mê-
lées de l)eaucoup d'eau, eiles ont en
deicendimt entraîné une partie de cette
eau qui n'a pu remonter lorfque ia terre
a été conloiidée, & cette eau forme une
couche concentrique au fluide pefmt
qui enveloppe ie noyau , de forte que
ie grand abyme efl com.poié de deux
orbes concentriques , dont ie plus inté-
rieur ell un fluide pelant, & le fupé-
rieur ell: de l'eau ; c'efl proprement cette
couche d'eau qui fert de fondement à ia
terre , & c'efi: de cet arrangement admi-
rable de l'atmofphcre de la comète que
dépendent la théorie de ia terre & l'ex-
plication des phénomènes.
Car on fent bien c[ue quand i'atmo-
fphère de la comète fut une fois débar-
raflee de toutes ces matières folides &
terreflres, il ne refta plus que la matière
légère de l'air, à travers laquelle les
rayons du foleil paflerent librement,
ce qui tout d'un coup produifit la
a 5 4 Hijfloire Naturelle .
lumière, ^at /ux. On voit bien que îes
colonnes qui coinpo(enti*orbe de la terre,
s'etant formées avec tant de précipita-
tion, elies fe font trouvées de différentes
denfités, & que par conféquent les plus
pefantes ont enfoncé davantage dans ce
fluide fouterrain , tandis que les plus
iégcres, ne fe font enfoncées qu'à une
moindre profondeur, & c'eft ce qui a
produit fur ia furfice de la terre des
vallées & des montagnes : ces inégalités
étoient, avant le déluge, difperfees &
fituées autrement qu'elles ne le iont au-
jourd'hui ; au lieu de la vafle vallée qui
contient l'Océan, il y avoit far toute ia
furfKc du globe plufieurs petites cavités
féparées qui contenoient chacune une
partie de cette eau , & ftifoient autant de
petites mers particulières , les montagnes
étoient aufîi peu divifées & ne formoient
pas des chaînes comme elles en forment
aujourd'hui. Cependant la terre étoit
mille fois plus peuplée , & par confé-
quent milie fois plus fertile qu'elle ne
l'efl , ia vie des hommes & des animaux
étoit dix fois plus longue , & tout cela
parce que ia chaleur intérieure de ia
TIléone de la Terre. 255
terre qui provient du noyau central,
étoit alors clans toute (a force ; & que
ce plus grand degré de chaleur failoit
éclore <S^ germer un plus grand nombre
d'animaux & de plantes, & leur donnoit
ie degré de vigueur nécediiire pour
durer {)lus long-temps & fe multiplier
plus abondamment ; mais cette même
chaleur, en augmentant les forces du
corps, porta malheureufement à la tête
des hommes & des animaux , elle aug-
menta les pafîlons , elle ôta la fagefTe aux
animaux & l'innocence à l'homme: tout,
à l'exception des poifTons qui habitent
un élément froid, le refTentit des effets
de cette chaleur du noyau , enfin tout
devint criminel & mérita la mo.t: elle
nrriva, cette mort univerfelle, un mercredi
:2 8 novembre, par un déluge affreux
de quarante jours &: de quarante nuits,
& ce déluge fut caufé par la queue d'une
îiutre comète qui rencontra la terre en
revenant de fon périhélie.
La queue d'une comète eft la panie
la plus légère de fon atmofphère , c'eft
un brouillard tranfparent, une vapeur
fubtile que l'ardeur du foleil fait fortir
12 5 6 Hiflolre Naturelle.
du corps & de l'atmofphère de la comète;
cette vapeur coiiipofée de particules
aqueuîes & aériennes extrêmement raré-
fiées, fuit la comète lorfqu'elle delcend
i Ton périhélie, & ia précède lorlqu'eile
remonte, en forte qu'elle e(l toujours
fituée du côté oppofé au loleil , comme
fi elle cherchoit à ie mettre à i'ombre &
à éviter la trop grande ardeur de cet
aftre. La colonne qui forme cette vapeur
efl fouvent d'une longueur immenfe,
& plus une comète approche du foieil ,
plus la queue efl longue & étendue ; de
forte qu'elle occupe fouvent des eipaces
très-grands , & comme plùfieurs comètes
defcendent au-defîous de i'orbe annuel
de ia terre , il n'ell pas furprenant que
ïa terre fe trouve quelquefois enveloppée
de la vapeur de cette queue; c'efl pré-
ci fément ce qui efl: arrivé dans le temps
du déluge , il n'a fallu que deux heures
de féjour dans cette queue de comète
pour faire tomber autant d'eau qu'il y
en a dans la mer; enfin cette queue étoit
ies cataratftes du ciel , ù^ cataradœ cœlï
éipertœ fiint. En effet, le globe terrcftre
ayant une fois rencontré ia queue de la
Théorie de la Terre. 257
comète, il doit, en y failant fa route ^
s'approprier une partie de la matière
qu'elle contient ; tout ce qui fe trouverai
dans la fphère de l'attradion du globe
doit tomber fur la terre, &i tomber en
forme de pluie , puiique cette queue eft.
en partie com.poiée de vapeurs aqucufes.
Voilà donc une pluie du ciel qu^oii
peut fîiire aulTi abondante qu'on voudra,
& un déluge univerfei dont les eaux
furpafîeront aifément les plus hautes
montagnes. Cependant notre Auteur
! qui, dans cet endroit, ne veut pas s'éloi-
I gner de la lettre du livre facré , ne donne
I pas pour caufe/ unique du déluge cette
pluie tirée de fi loin , il prend de l'eau
I par-tout où il y en a ; le grand abyme,
i comme nous avons vu, en contient une
i bonne quantité, la terre à l'approche de
j k comète , aura fans doute éprouvé la
I force de fon attradion , les liquides con-
tenus dans le grand abyme auront été
agités par un mouvement de flux &. de
reflux fi violent, que la croûte fuper-
ficielle n'aura pu réAfler, elle fe fera
fendue en divers endroits , & les eaux
de l'intérieur fe feront répandues fur la
2.58 Hifîoke Naturelle,
(urface , & ruptï funt fontes ahyjf!.
Mais que fiiire de ces eaux que fa
queue de la comète & ie grand abyine
ont fournies fi libéralement î notre Au-
teur n'en cil point cmbarraffé. Dès que
la terre, en coniinuant la route , Te fut
éloignée de la comète , l'eltct de fon
flîtradion, le mouvement de fîux 6: de
reflux, cefili dans le grand al) y me, &
dès-lors les eaux fupérieures s'y préci-
pitèrent avec violence par les mêmes
voies qu'elles en étoien: îbrties, le grand
îibyme abforba toutes les eaux fupcrliues,
éL fe trouva d'une capacité aOez grande
pour recevoir non-feulement les eaux
qu'il a voit déjà contenues . meus encore
toutes celles que la queue de la comète
avoit laiffées, parce que dans ie tem[)S
de fon agitation 6c de la rupture de la
croûte, il avoit agrandi i'efpace en
]>oufftnt de tous côtés la terre qui l'en-
vironnoit ; ce fut auiîi dans ce temps
que la figure de la terre qui jufque-ià
avoit été i{>hériqrte , devint elliptique ,
tant par l'cfFct de la force centrifuge eau-
fée par Ion mouvement diurne, que par
! adion de la comète, ôl cela parce que
Théorie de h Terre, 259
a terre en parcourant la queue dé la
:omète, fe trouva pofee de façon qu'elle
jrciemoJt les parties de l'equateur à cet
iHre , & que la force de l'attraclion de
■X comète concourant avec la force cen-
riUio-e de la terre, fit élever les parties
je i'éc[uateur avec d'autant plus de ficiiité
que la croûte étoit rompue &: divifée
?a une infinité d'endroits, & que l'action
du flux & du reflur de l'abyme poufToit
plus violemment que par- tout ailleurs
le^ parties fous l'equateur.
Voilà donc l'hilloire de la création,
[es caufes du déluge univerfcl , celles de la
lono-ueur de la vie des premiers hommes ,
& celles de la figure de la tçrre ; tout cela
fenible n'avoir rien coûté à notre auteur,
iTsais l'arche de Noé paroît l'inquiéter
Ijeaucoup : comment imaginer en effet
qu'au milieu d'un défordre aulFi aflreux ,
îiu milieu de la confufion de la queue
d une comète avec le grand abyme , au
îiiHieu des ruines de l'orbe terreftre , &
d uis ces terribles momens où non- feu-
le luent leà élémens de la terre étoient
confondus, mais où il arrivoit encore
du ciel & du tartare de nouveaux élémens
l6ù " Hîjîoire Naturelle.
pour augmenter le cahos, eoinment inia--
giner que l'arche voguât tranquiliement
avec fa nombreufc cargaifon fur h cime'
des fîois î Ici notre auteur rame & fliit de
grands efforts pour arriver & pour don--
lier une railbn pliyTique de ia coiifcrva-
tion de l'arche ; mais comme il m'a paru
qu'elle étoit infuffirante , mal imaginée
& peu orthodoxe , je ne la rapporterai
point ; il me fiiffira de faire (en tir com-
bien il efl: dur pour un homme qui a'
expliqué de fi grandes chofes fans avoir]
recours à une puilTance furnatureile ou
au miracle , d'être arrêté par une cir--
conftance particulière : aufîi notre auteur
aime mieux rifquer de (e noyer avec
l'arche , que d'attribuer, comme il le
devoit , à la bonté immédiate du Tout--
puiiTant la confervation de ce précieux^
vaiiïeau.
Je ne ferai qu'une remarque fur ce
fyflème dont je viens de faire une expo-
fition fidèle, c'efl que toutes les fois
qu'on fera affez téméraire pour vouloir
expliquer par d^i raiforts phyfiques {qs
vérités tbéoiogiques, qu'on fe permet-tra
d'interpréter dans des vues puremem
Théorie de la Terre.. 2 6 1
lumainesle texte divin des livres facres ,
5c que l'on voudra raifonner fur ies vo-
ontés du Très-haut & iur l'exécution de
[es décrets, on tombera néceiïaireinent
dans les ténèbres & dans le cahos où eft
:ombé l'auteur de ce fyftènie , qui ce-
pendant a été reçu avec grand appiau-
didement. II ne doutoit ni de la vérité
du déluge , ni de l'authenticité des livres
ilicrés ; mais comme il s'en étoit beau-
coup moins occupé que de Phyfique &
d'Aftronomie, il a pris les pafTages de
l'Écriture (aime pour des faits de Phy-
fique & pour des réfukats d'obfervations
aftronomiques , & il a fi étrangement
mêlé la fcience divine avec nos fciences
humaines , qu'il en a réfulté la chofe du
monde la plus extraordinaire , qui eft le
fyftème que nous venons d'expofer,
G^ HiO.oire Naturelle.
PREUVES
DELA
THÉORIE DE LÀ TERRE.
ARTICLE III.
Du fyfthne de M. Biirnet.
Thomas Burnet. TeUuris Theoriafdcra , orbis nrfîri
origimm iX nnilariûms gencrahs, quns end jaiv jvlut,
ûui u'imjuhiiuïus cji cowpiedcns. Londini, 1681.
CET auteur eft le premier qui ait traite
cette matière généralement & d'une
manière lyflématique; il avait beaucoup
ci'ejprit &l étoit homme de Belies-letires :
ion ouvrage a une grande réputation,
& il a été critiqué par queic[ues Savans,
entr'autres par M. Keill , qui épluchant
celte matière en Géomètre, a démontré
les erreurs de Burnet dans un traité qui
a pour titre : Examlnatïon of tlie Thcory
of ihe Earth. L.ondon , ly^^, 2' édit»
Ce même M. Keill a aufîi réfuté îe fyi-
tème de Whilton , mais il traite ce dernier
Théorie cle la Terre. 26^
auteur b'en différemment du premier, il
(èutble niêiiQc qu'il ell de Ton avis daiis
plu fleurs cas , & il regarde comme une
choîe fort probable ie déluge caulé par
la queue d'uue comète. Mais pour revenir
à Burnet, (uii livre e(t élégamment écrit,
ij iàit peindre & prcfenter avec force
de grandes images , & meure fous les
yeux des iccnes uirignifiques. Scn pian
eit \a(le , mais l'exécution manque fiuue
de moyens, fon raifonncmcnt ed petit,
ies preuves font foibles & ià confiance
eit il grande qu'il la fait pcrdrç à fou
icdeur.
U commence par nous dire qu'avant
îe déluge , la terre a'\'cit une fornie très-
diirérenie de ceiie cjue nous loi voyons
aujourd'hui. C'ctoit d'abord une mafle
fluide , un cahos compote de matières de
toutes elpèces & de toutes fortes de fi-
gures , les plus pelantes defcendirent vers
le centre & formèrent au milieu du globe
un corps dur & folide, autour duquel
les eaux plus légères le raffemblèrent &
enveloppèrent dé tous cotés ie "globe in-
térieur ; l'air & toutes les liqueurs plus
icgères que l'eau la iurmontèrent &
z64' Hîfîohe Naturelk»
i'enveloppèrent aufîi dans toute la cîf-'
conférence : ainfi entre l'orbe de i'air <Sfc
celui de l'eau , il le forma un orbe d'huiie
.& de liqueur grafle plus légère q.uç
i'eau ; m^is comme i'air étoit encore fort
impur & qu'il contenoit une très-
grande quantité de petites particules de
matière terreftre , peu à peu ces partie
«ules defceiidirent , lombèrent fur la
couche d'huile, & formèrent un orbe
terreflre mêlé de limon & d'huile , & ce
fut-ià la première terre habitable & le
premier féjour de l'hoinme. C 'étoit un
excellent terrein , une terre légère, grafle,
j& faite exprès pour fe prêter à la foi-
bleflc des pjemiers germes,. La furfàcc
du globe terreHre étoit donc dans ces
premiers temps égale , uniforme , conti-
nue , fans montagnes , fans mers & fans
inégalités ; mais la terre ne demeura
qu'environ feize fiècles dans cet état,
car la chaleur du foleil defl"échant peu à
peu cette croûte limonneufe, la fit fendre
d'abord à la furface, bientôt ces fentes
pénétrèrent plus avant &: s'augmenter
rent fi confidérablement avec le temps,
qu'enfin û\^^ s'ouvrirent en entier ; dans
Théorie de h Terre, 2^5
un inftant toute ia terre s'e'crouia &
tomba par morceaux dans i'abyme d'eau
qu'elle contenoit, voilà comme fe fit le
déluge univerfel.
Mais toutes ces mafles de terre, en
tombant dans l'abyme, entraînèrent une
grande quantité d'air, & elles (è heur-
tèrent, fe choquèrent, fe divisèrent, s'ac-
cumulèrent fi irrégulièrement , qu'elles
lailsèrent entr'elles de grandes cavités
remplies d'air; les eaux s'ouvrirent peu
à peu les chemins de ces cavités, &
à melure qu'elles les rempiifl oient, la
lurface de la terre le découvroit dans les
parties les plus élevées, enfin il ne relia
de l'eau que dans les parties les plus
baffes, c'eil- à-dire, dansîes val] es vallées
qui coniiennent la mer ; ainfi noire
océan cd: une partie de l'ancien abyme,
le refte eft entré dans les cavités inté-
rieures avec lefquelies communique l'o-
céan. Les îles & les écueils font les
petits fragmeas, les continens font lèf
grandes malîès de l'ancienne croûte ; &
comme la rupture & la chute de cet:è
croûte le font fûtes avec confufion, il
n'eil pas étonnant de trouver fur la terre
Tome L M
^GG Hifloire NaîîtreM
des ëminences, des profondeurs , des
plaines & des iiiégaiités de toute efpèce.
Cet échantillon du fyftème de Burnet
fuffit pour en donner une idée ; c'eft un
roman bien écrit , & un livre qu'on peut
lire pour s'amufer, mais qu'on ne doit
pas confulter pour s'inftruire. L'auteur
ignoroit les principaux phénomènes de
ia terre, & n'étoit nullement informé
des obfervations : il a tout tiré de fou
imagination qui , comme l'on fait , fert
volontiers aux dépens de la vérité.
''^IP'
Théorie de la Terre, 2 67
PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRE.
ARTICLE IV.
Du fyjlhne de M. Woodward.
Jean Woodward. An E/fay towards the Natural
Hiftory of the Eauh , &c.
ON peut dire de cet Auteur qu'il a
voulu élever un monument im-
■inQ.n.(Q fur une bafe moins folide que le
fable mouvant, & bâtirl'édifice du monde
avec de la poufTière ; car il prétend que
dans le temps du déluge il s eft fait une
difToiution totale de la terre : la première
idée qui (e préfente après avoir lû fon
livre , c'efl: que cette difToiution s'efl: faite
tpar les eaux du grand abyme , qui fe font
répandues fur la furface de la terre , <Se
qui ont délayé &l réduit en pâte les
pierres, les rochers, les marbres, les
iiaétauxj &c. Il prét-end que l'abyme 011
Mi;
z6S HîJIoire Naturelle;
cette eau étoit renfermée , s'ouvrit tout
d'un coup à ia voix de Dieu, &: répan-
dit fur la furface de îa terre la quantité
énorme d'eau qui étoit néceflaire pour
ia couvrir & furmonter de beaucoup les
plus hautes montagnes, & que Dieu fuf^
pendit la caufedela cohéfion des corps,
ce qui réduifit tout en pouffière, &c.
il ne fait pas attention que par ces flip-
pofiiions il ajoute au niiracle du déluge
univerfcl d'autres miracles , ou tout au
moins des impofîlbilités phyfiques qui
ne s'accordent ni avec la lettre de îa
fàinte Ecriture , ni avec les princijjes
inathématiques de la philofophie natu-
relle. Alais comme cet auteur a le mérite
d'avoir rafiemblé plufieurs obfervaiions
importantes , & qu'il connoifloit mieux
C[ue ceux qui ont écrit avant lui , les ma-
tières dont le globe efl compofé , foii
fyftème , quoique mal conçu & mai
digéré , n'a pas jaifié d'éblouir les gens
leduits par la vérité de quelques fûts
pariiculiers, & peu difficiles fur ia vrai-
iêmblance des conféquences générales.
Nous avens donc cru devoir préfenter
l'Ui extrait de cet ouvrage , dans lequel ,
Théorie de h Terre, l6<)
eri rendant juftice au mérite de l'auteur
& à l'exaditude de lès obfervations j noua
mettrons le ledeur en état de juger de
l'infuffiilince de Ton fyrtèine & de la
faufîeté de quelques-unes de iès remar-
ques. M. Voodvvard dit avoir reconnu
par (es yeux que toutes les matières quf
compofcnt la terre en Angleterre, de-
puis fa furface jufqu'aux endroits les ]:)lu3
profonds où il eft defcendu, étoient dif-
pofées par couches , & que dans un
grand nombre de ces couches il y a ûqs
coquilles & d'autres producn:ions marines;
en fuite il ajoute que par fes correlpon-
dans & par fes amis il s'eit aiïuré que
dans tous les autres pays la terre elt
compofée de même , & qu'on y trouve
des coquilles, non-feulement dans les
plaines & en quelques endroits, mais
encore fur les plus hautes montagnes,
dans les carrières les plus profondes &
en une infinité d'endroits : il a vu que
ces couches étoient horizontales & po-
fées les unes fur les autres, comme le
feroient des matières tranfporiées pai- les
eaux &: dépofées en forme de fédiment.
'Ces remarques générales qui font très-
M iij
%yo Hipolre Naturelle^
vraies, font fuivies d'obfervations partie
cuiières , par Icfquelles il fait voir évi-
demment que les foffiks qu'on trouve
incorporés dans les couches , font de
vraies coquilles & de vraies productions
marines , & non pas des minéraux , des
corps finguliers, des jeux de la Nature,
&c. A ces obfervations, quoiqu'en partie
faites avant lui , qu'il a raflembiées &
prouvées, il en ajoute d'autres qui font
moins exacfles ; il affure que toutes les ma^
tières des différentes couches font pofées
les unes iur les autres dans l'ordre de
îeur pefameur fpécifique, en forte cjue
ks plus pefmtes font au-delîous;. & les
plus légères au-deiïus. Ce fait général
îî'eil point vrai, on doit arrêter ici l'au-
teur , & lui montrer les rochers que
nous voyons tous les jours au - deiïus
des gîaifes , des fables , des charbons de
terre , dts bitumes , & qui certainement
font plus peftns fpécifiquement que
toutes ces matières ; car en effet , ù par
toute la terre on trouvoit d'abord les
couches de bitume, enfuite celles de
craie, puis celles de marne, enfuite celles
de glailè, celles de labié j celles de pierxQ,^
Théorie de la Terre, ijl
celîes de inarbre , & enfin les métaux ,-
en forte que ia compofitioa de la terre
'iuivit exadement & par-tout ia loi de
îa pelanteur , & que les inatières fuirent
toutes placées dans l'ordre de leur gra-
vité fpécifique , il y auroit apparence
qu'elles le feroient toutes précipitées en
même temps , & voilà ce que notre au-
teur aflure avec confiance , malgré l'évi-
dence du contraire ; car fans être obier-
vateur , il ne faut qu'avoir des yeux pour
^tre affuré que l'on trouve des matières
pelantes très-fouvent pofées fur des ma-
tières légères, & que par conféqu<int ces
-fédiinens ne fe font pas précipités tous
en même temps , mais qu'au contraire ife
ont été amenés & dépofés fucceffivement
par les eaux. Comme c'eft-là k fonde^
ment de fon fyflème , &. qu'if porte ma-^
iiifeilement à faux , nous ne le fuivrons
plus loin que pour faire voir combien un
principe erroné peut produire de fauiïes
combinailons & de mauvaiies confé-
quences. Toutes les matières, dit notre
auteur, qui compofent la terre, depuis
les lommets des plus hautes montagnes
jufqu'aux plus grandes profonde uc^
M iiij
njx Hijlone "Naturelle'»
des mines & des carrières, font difpofees
par couches, fuivant leur pelanteur ipé-
ciiTque ; donc, conclut-il, toute la ma-
tière qui compoie le globe a été difioutc
& s'eiï précipitée en même temps. Mais
clans qiîelie matière &: en quel temps
a-t-eilecié didoute ! dans l'eau & dans le
temps du déluge. Mais il n'y a pas allez
d'eau lur \q. giobe pour que cela le puiile,
puilqu'il y a plus de terre que d'eau ,
& que le fond de la n^er e(l de terre î hé
}3ien , nous dit-il, il y a de beau plus qu'il
n'en faut au centre de la terre , il ne s'agit
que de la faire monter, de lui donner
tout enièmble la vertu d'un dilToIvant
imiverlêl & la qualité d'un remède préler-
vatif pour les coquilles qui feules n'ont
pas été di (Toutes , tandis que les marbres
& les rochers l'ont été ; de trouver en-
iuite le moyen de ftire rentrer cette eau
diins l'abyme , &: de faire cadrer tout cela
avec l'hiftoire du déluge : voilà le fyf-
tème, de la vérité duquel l'auteur ne
trouve pas le moyen de pouvoir douter ;
car quand on lui oppofe que l'eau ne
peut point difî'oudre les inarbres, les
pierres , les métaux ; fur-tout en quarante
Théorie de la Terre, ^ly^
Jours qu'a duré le déluge, ii répond fim-
pieniem que cependant cela eft arrivé ;
quand on lui demande quelle étoit donc
Ja vertu de cette eau de l'abyme , pour
difioudre toute la terre &. conferver ea
même temps les coquilles, il dit qu'il
n'a jamais prétendu que cette eau fut un
di/îoivant, mais qu'il cil clair, par les
fîiits, que la terre a été dilToute, & que les
coquilles ont été préfèrvées ; en^a lorf-
qu'on le preiîe & qu'on lui fait voir évi-
demment que s'il n'a aucune raifon à
donner de ces phénomènes, (an fyftème
n'explique rien , il dit qu'il n'y a qu'à
imaginer que dans le temps du déluge la
force de la gravité & de la cohérence de
ia madère a ceiïe tout-à-coup ; & qu'au
moyen de cette fuppofition dont l'eiTet
eft fort aifé à concevoir, on explique
d'une manière ftiisfaifante la difloîution
de l'ancien monde. Mais, lui dit-on ,
il la force qui tient unies les panies de la
mdtière a ccffé ^ pourquoi les coquiileS'
n'ont-elles pas été diffoutes comme tout
le refte î Ici il fait un difcours fur l'orga-
nifation des coquilles & des os des ani-
inaiàx , par lequel il prétend prouver quer
a 74 Hipoîre Naturelle»
kur texture étant fibreufe & différente
de celle des minéraux, leur force de
cohéfion efl: auffi d'unautre genre; après
tout il n'y a, dit-il, qu'à fuppofer que
îa force de la gravité & de la cohérence
n'a pas cefTé entièrement, mais feulement
qu'elle a été diminuée aiïez pour défunir
toutes les parties des minéraux , mais pas
affez pour défunir celles des animaux»
A tout ceci on ne peut pas s'empêcher
de reconnoître que notre auteur n'étoit
pas aufîi bon Phyficien qu'il étoit bon
Obfervateur, & je ne crois pas qu'il foit
lîécefîîûre que nous réfutions férieufe-
ment des opinions fans fondement , fur-
tout lorfqu'elles ont été imaginées contre
les règles de la vraifemblance, & qu'on
n'en a tiré que des conféquences QOïi^
traires aux loix de la Mécanique»-
o
Théorie de la Terre. 275
PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRE.
ARTICLE V.
Expoftwn de quelques autres
Syftcmes.
N voit bien que les trois hypo-
thèi^^s dont nous venons de parler,
ont" beaucoup de chofes communes;
dies s'accordent toutes en ce point,
nue dans le temps du déluge la terre a
change de forme, tant à l'extérieur qu a
l'hirérieur: ainfi tous ces fpéculatifs
B'ont pas fait attention que la terre avant
le déluge étant habitée par les mêmes
cfpèces d'hommes & d'animaux, devoit
êire néceflTairement teik , à très - peu
près , qu'elle eft aujourd'hui , & qu'en
effet les livres faints nous apprennent
qu'avant le déluge il y avoit fur la terre
des fleuves, des mers, des montagnes,
xies forêts & des plantes ; que ces fleuves
M vj
'ij6 Hïflotre Ndîwclk,
& ces montagnes étoient, pour la pîit-
part , les mêmes , puifque le Tigre &
l'Eufrate etoient les fleuves du Paradis
terrellre ; que la montagne d'A rnaénie,
fur laquelle l'Arche s'arrêta, éroit une
-des plus hautes montagnes du monde au
temps du déluge, connue elle l'eft en-
core aujourdliui ; que les mêmes plantes
& les Uiêmes animaux qui exiitent , q\\Ç-
toient alors, pu il qu'il y cil parlé du
ier]:ieni , du coiLeau , & que la colombe
rapporta une branche d'olivier ; car
quoique M. de Toumefort prétende
qu'il n'y a point d'oliviers à plus de
400 lieues du mont Ararath, <& qu'if
fiifle lurcela d'aiîezmauvaiiebplaifanieries
{Voyage du Levant . vol. H, page ^ j 6),
il eit cependant certain qu'il y en avoit
en ce lieu dans le temps du délup-e ,
puiique le livre facré nous en aflure,
& il n'eîî pas étonnant que dans «n
elpace de 4000 ans les oliviers aient
été détruits dans ces cantons & (è ioient
multipliés dans d'autres; c'ert donc ? tort
&: contre la lettre de la fainte Écriture que
ces A^uteurs ont fuppofé que la terre étoit,
avant ie déluge , totalement diiféreii,te de
Théorie Ae fa Terre. IJJ
ce qu'elle eil aujourd'hui, &l cette coiv
tradiclion de leurs hypothèles avec le
texte fàcre', auffi-bieii que leur oppo-
sition avec les vérités phyiiques, doit
faire rejeter leurs lyiièmes , quand même
ils iëroient d'accord avec quelcjues phé-
nomènes , mais il s'en faut bien que cela
foit ainii. Burnet qui a écrit le premier,
n'avoit pour fonder fon fyftème ni ob-
fervations ni faits. Woodward n'a donnié
qu'un eflai , où il promet beaucoup plus
qu'il ne peut tenir, fon livre ell ua
projet dont on n'a pas vu L'exécution.
On voit feule îiient qu'il emploie deux
oblervations gc'nérales ; la première ,,
que la terre eit par- tout compolee de
matières qui autrefois ont été dans un
état de molie/Ie Ôl de fluidité, qui ont
été tran (portées par les eaux . & qui fe
font dépofées par couches kori/ontales;.
la féconde , qu'il y a de.> produdions
jTiitrines dans l'intérieur de la terre en une
infinité d'endroits. Pour rendre raifon
de ces faits, il a recours au déluge uni-
yerfel, ou plutôt il paroît ne les donneu
que comme preuves du déluge , mais \l
tombe, auiîi-bien que Burnet, dam. des
'278 HîJIoîre 'Naturelle.
eontradiclions évidentes ; car iî n'eft pas
permis de fuppoler avec eux qu'avant le
déluge il n'y avoit point de montagnes ,
puilqu'ilefl: ditprécilément & très-claire-
ment que les eaux furpafsèrent de i 5.
coudées les plus hautes montagnes ; d'au-
tre côté il n'efl: pas dit que ces eaux aient
tdétruit & diiTous ces montagnes , au cort-
traire ces montagnes font reftées en place,
& l'arche s'eft arrêtée fur celle que les
«aux ont laiiTée la première à découvert,
ï) 'ailleurs, comment peut-on s'imaginer
•que pendant le peu de temps qu'a duré
le déluge , les eaux aient pu difToudre les
anontagnes & toute la terre \ n'eft-ce pas
une abiurditéde dire qu'en quarante jours
i'eau a dilîous tous les marbres , tous les
rochers , toutes les pierres , tous les mi-
néraux ! n'eft-ce pas une contradiction
nianifefte que d'admettre cette difîolu-
tion totale , & en même temps de dire
que les coquilles & les produdions ma-
rines ont été préfervées, & que tout ayant
été détruit & difTous , elles feules ont été
confervées, de forte qu'on les retrouve
aujourd'hui entières &les mêmes qu'elles
ëioicnt avant le déluge \ je ne craindrai
Théorie de h Terre. a/r^
donc pas de dire qu'avec d'excellentes
oblèrvations , Woodward n'a fait qu'un
fort mauvais fyfhème. Whiilon qui eft
venu le dernier a be;uicoup enchéri fur
les deux autres , mais en donnant une
vafte carrière à fon imagination, au moins
n'eft-il pas tombé en contradiction ; ii
dit des chofes fort peu croyables , mais
du moins elles ne font ni abfolument
ni évidemment impoffibles. Comme on
Ignore ce qu'il y a au centre & dans l'in-
térieur de la terre, il a cru pouvoir fup-
pofé que cet intérieur étoit occupé par
un noyau foiide , environné d'un fîuide
pefant & enfuite d'^au fur laquelle la
croûte extérieure du globe étoit foute-
nue , & dans laquelle les différentes parties^
de cette croûte (e font enfoncées plu^
ou moins , à proportion de leur pefan—
teur ou de leur légèreté relative ; ce qui
a produit les montagnes «Se les inégalités
de Ja furface de la terre. Il faut avouer
que cet Aftronome a fait ici une faute de
mécanique ; il n'a pas fongé que la terre
dans cette hypothèfe doit fûre voûte de
tous côtés, que par conféquent éXç. ne
peut être portée fur i'cau qu «lie comieiït
uSo HiJIpire Naturelle,
& encore moins y enfoncer : à cela près ,
je ne Hiche pas qu'il y ait d'autres erreurs
de phy fique dans cefyitème. II y en a un
grand nombre , quanta la métaphyfique
& à la théologie; mais enfin on ne peut
pas nier abfolument que la terre rencon-
trant ia queue d'une comète , lorfque
celle-ci s'approche de fon périhélie , ne
puifTe être inondée, fur-tout iorfqu'on
aura accordé à l'auteur que la queue
d'une comète peut contenir des vapeurs
aqueules. On ne peut nier non plus,
comme une impoiîibîlité abfolue , que
ia queue d'une comète en revenant du
périhélie ne puifTe brûler la terre, fi on
îuppofe avec l'auteur, que la comète ait
pailé fort près du loleil , & qu'elle ait
été prodigieufèment échauffée pendant
fon pailiige ; il en eft: de même du reile
de ce fyllème : mais quoiqu'il n'y ait pas
d'iinpolîibilité abfolue , il y a fi peu de
probabilité à chaque choie prile fépa.-
rément , qu'il en réfulte une impoillbi-
iité pour lè tout pris enfemblc.
Les trois fyftèmes dont nous venons
de parler, ne font pas les feuls ouvrages
qui aient été faits fur la théorie de ia
Théorie Ae h Terre. 2 8 ï'
terre. Il a paru en i 729 un mémoire de
M. Bourguet, imprimé à Amfierdarrg3^<^^*u/C;
avec les fettres phiiofophiques lur ia for-
mation des Tels, &c. dans lequel ii donne
un échantillon du fylUnie qu'il médi-
toit, mais qu'il n'a pas propolé , ayant
été prévenu par la mort. Il faut rendre
juflice à cet auteur, peribnne n'a mieux
rafTemblé les phénomènes &. les faits,
on lui doit même cette belle & grande
obfervation qui eft une des clefs de la
théorie de la terre , je veux parler de la
correfpondance des angles des monta-
gnes. Il préfente tout ce qui a rapport
à ces matières dans un grand ordre ; mais
avec tous ces avantages , ii paroît qu'il
n'auroit pas mieux réulfi que les autres
à faire une hilloire phyfique & raifon-
née des changemens arrivés au globe,
& qu'il étoit bien éloigné d'avoir trouvé
les vraies caufes des efiets qu'il rapporte;
pour s'en convaincre , il ne faut que jeter
ies yeux fur les proportions qu'il déduit
des phénomènes , & qui doivent fervir
de fondement à fa théorie , Voye^^ page
211. Il dit que le globe a pris fa
forme dans un même temps , & non pas
jx 8 2 Hijfoîre Naturelle.
fucceflivement ; que la forme & ïa dif-
ypofition du globe fuppofent nécefTaire-
-mem qu'il a été dans un état de fluidité ,
-Cjue Fétat préient de la terre eft très-dif-
férent de celui dans lequel elle a été pen-
dant plufîeurs ficelés après la première
formation; que l.i madère du globe étoit
<iès le commencement moins denfe
<}u'elîe ne l'a été depuis qu'il a changé
de fice; que la condeniation des parties
folides du globe diminua fenfiblement
avec fa vélocité du globe mêm.e , de forte
qu'après avoir fait un certain nombre
<ie révolutions fur fon axe & autour dm
fcleil , il (e trouva tout-à-coup dans ui^i
ctat de d'iToluiion qui détruifit fi pre-
mière ftrudlure ; que cela arriva veî^s^
Téquinoxe du printemps; que dans k
temps de cette diiTolution les coquilles
s'introduîfirent dans les madères dif-
foutcs ; qu'après cette diflolution la terre
a pris la forme que nous lui voyons , &
qu'aufînôt le feu s'y ell mis , la confume
peu à peu & va toujours en augn^entant,
de forte qu'elle fera détruite un jour pat
iine explofion terrible , accompagnée
'di'juii incendie général , qui augmentera
Théorie de h Terre. i S J
ratmofphère du gîobe & en diminuera
îe diamèire, & qu'alors la terre, au lieu
de couches de iîible ou de terre , n'aura
que des couches de métal & de minéral
I calciné, & des montagnes compofées
i d'amalgames de différens métaux. En
voilà aflez pour faire voir quel étoit le
fyftème que l'auteur méditoit. Deviner
de cette façon le paiTé, vouloir prédire
Tavenir , &: encore deviner & prédire à
peu près comme les autres ont prédit &
deviné , ne me paroit pas être un effort^
aulîl cet auteur avoit beaucoup plus de
Gonnoifiances &: d'érudition que de vues
{aines & générales, &: il m'a paru man-
quer de cette partie fi néceffaire aux
phyficiens, de cette métaphyfique qui
raiïemble les idées particulières, qui les
îend plus générales , & qui élève l'efprit
au point où il doit être pour voir l'en-
chaînement des caufes & des effets. y , ,/
Le fameux Leibnitz donna en 1683^ UiA^f^-^U^
dans les A des de Leipfic , pagt 4 0, un
projet de fyftème bien différent , fous le
titre de Proîogœa. La terre , félon Bour-
guet & tous les autres , doit finir par k
ièu j kloïi Leibaiu , elle a coinnieac^
i84 Hlfloire Naînrelje.
par-là , & a fouffcrt beaucoup plus de
changeinens & de révolutions qu'on ne
l'imagine. La plus grande partie de fa
matière terreftre a été enibrafee par un
feu violent dans îe temps que Moyfe diî
que la lumière fut léparée des ténèbres.
Les planètes, aufli-bien que la terre,
etolent autrefois des étoiles fixes & lu-
mineules par elles-mêmes. Après avoir
brûlé long-temps , il prétend qu'elles (c
font éteintes faute de matière combuf-
tiblc, & qu'elles font devenues des corps
opaques. Le feu a produit par la fonte
des matières une croûte vitrifiée, & la
baie de toute la matière qui compole
Je globe terreflreeft: du verre , dont les
iiibles ne font que des fragmens ; les
autres efpèces de terres fe font formées du
mélange de ce lable avec des Tels fixes ôc
de l'eau , & quand la croûte fut refroidie,
les parties humides qui s'étoient élevées
en fomie de vapeurs , retombèrent <5c
formèrent les mers. Elles enveloppèrent
d'abord toute la fi.irHtce du globe, &
furmontèrent même les endroits les plus
élevés qui forment aujourd'hui les con-
tiiiens & les îles. Selon cet auteur, l?s
Théorie Je h Terre. 285"
coquilles &: les autres débris cfe la mer
qu'on trouve par-tout, prouvent que la
liera couvert toute la terre ; 6c la grande
quantité de lels fixes, de labiés & d'autres
uaùères fondues &; calcinée.^ qui^ font
crilermées dans les entrailles de la terre,
trouvent que l'incendie a e'té général ,
5: qu'il a précédé l'exiAence des mers.
Quoique ces penlées foient dénuées de
preuves , elles font élevées , &. on fent
Ditn qu'elles font le produit des médi-
ations d'un grand génie. Les idées ont
ic la liaifon , les hypothèfes ne font pas
ibiolument impoflibles, & les conlé-
]uenccs qu'on en peut tirer ne font
xis contradidoires ; mais le grand déftut
le cette théorie, ç'efl qu'elle ne s'ap-
)Iique point à l'état préfent de la terre ,\
:'cil le pafîé qii'elle explique , & ce paffé
îft fi ancien & nous a laifîé fi peu de
relliges qu'on peut en dire tout ce
]u'on voudra, &: qu'à proportion qu'un
lomme aura plus d'efprit , il en pourra
lire des chofes qui auront l'air plus
.raifcmblable. Aiïurer, comme l'affure
vVillhon , que la terre a été comète, ou
:>rétendre avec Leibaitz qu'elle a cic
:i%6 HiJIoJre Naturelle.
foleil, c'eft dire des chofès également
poffibles ou impofTibîes , &'îiux quelles
il feroit fuperfîu d'appliquer les règles
des probabilités : dire que la mer a autre-
fois couvert toute la terre , qu'elle a eii-
* veloppé le globe tout entier, & que c'e(V
' par cette raifon qu'on trouve des co-
quilles par-tout, c'eft ne pas £aire at-
tention à une choie très-efîëntielle, qui»
ed l'unité du temps de la création ; car fi
cela étoit , il fàudroit néceflairement dire
que les coquillages & les autres animaux
habitans des mers , dont on trouve les
dépouilles dans l'intérieur de la terre,
ont exiflé les premiers, & long-temps
avant l'homme & les animaux terreRres:
^ or indépendamment du témoignage des
'h* f'to^ùn^f^ livres fàcrés , n'a-t-on pas railon de croire
iii» ^ ouM^^ ^"^ toutes les efpèces d'animaux & de
C J Ti^nw^ végétaux font à peu près aullj anciennes
^<cfrv**< . 1^^ xwies que les autres!
fil M. Scheuchzer dans une difTertatioii
jùtu**, . ^^v| ^ j^jj-g^j^g ^ l'Académie des Sciences
en I 708, attribue , comme Woodv^^ard ,
îe changement ou plutôt la féconde for-
mation de la furfacc du globe, au dé-
Juge univerfel ; 5c pour expliquer celle
Théorie de la Terre. 1 87
des montagnes , il dit qu'après îe déluge^
Dieu voulant faire rentrer les eaux dans
les réfervoirs fouterrains, avoit brifë 6c
déplacé de fà main toute - puiflante ua
grand nombre de lits auparavant hori-
zontaux , & les avoit élevés fur la fur-
face du globe ; toute fa difîertation a
été faite pour appuyer cette opinion»
CoiTime ii falloit que ces hauteurs ou
éminencesfufîent d'une confiftan ce fort
folide , M. Scheuchzer remarque que
Dieu ne les tira que des lieux où il y
avoit beaucoup de pierres , de-là vient ,
dit-il, que les pays, comme la Suiffe ,
où il y en a une grande quantité , lont
montagneux ; & qu'au contraire ceux
qui, comme fa Flandre, l'Allemagne,
ia Hongrie, la Pologne, n'ont que du
fable ou de l'argrile, même à une affez
grande profondeur, font prefqu 'entière-
ment fins m_ontagnes. Voye^ l'Hifi. de
IfAcad. I y 0 8 , page ^ 2,
Cet auteur a eu plus qu'aucun autre le
défaut de vouloir mêler la phyfique avec
ia théologie , &: quoiqu'il nous ait donné
quelques bonnes obfervations , la partie
fyftémadque de fes ouvrages eft; encote
^88 Hifloh-e Ndîiirclk,
plus mauvaifc que celle de tous ceux
qui l'ont précédé , il a même fait fur ce
ibjet des déclamations & des plailante-
ries ridicules. Voyez la plainte des poil-
Ibns , Pifc'mm querelœ , &c. fans ]:»arler
de fon gros livre en plufieurs voluines
in-foiio, intitulé, Phyficafacra, OM\'ràae
puérile, & qui paroît fait moins pour
occuper les hommes , que pour amuier
les enfans par les gravures & les images
qu'on y a entailées à delfein &. lans
néceiHté.
Stenon 5c quelques autres après lui,
ont attribué la caufe des inégalités de la
furfice de la terre à des inondations par-
ticulier res , à des tremblemens de terre , à
des fecouffes , deséboulemens , &c. mais
les elfets de ces caules fécondai res n'ont
pu produire que c[uelques légers chan-
gemens. Nous admeuons ces mêmes
cau:es après la caufe première qui eif le
mouvement du flux & reflux , & le mou-
vement de la mer d'orient en occident;
au relie , Stenon ni les autres n'ont pas
donné de théorie, ni même de flfits gé-
néraux fur cette matière. Voyez la Diu.
de Solido intrafolidum , &c*
Ray
Théorie de la Terre* aSjf'
Ray prétend que toutes les montagnes.!^^
ont été produites par des tremblemens de
terre , & il a flnt un traité pour le prou-
ver; nous ferons voir à l'article des
volcans , combien peu cette opinion efl:
fondée.
Nous ne pouvons nous difpenfêr d'ob-
{èrver que la plupart des auteurs dont
nous venons de parler, comme Burnet,
Whifton & Woodward, ont fait une faute
qui nous paroît mériter d'être relevée ,
c*efl: d'avoir regardé le déluge comme
poflible par Tadion des caules naturelles,
au lieu c[ue l'Écriture fainte nous le pré-
fente comme produit par la volonté im-
médiate de Dieu; il n'y a aucune caufcS^ afti^^C
naturelle qui puifîe produire fur la furfacc ^/ y , .
entière de la terre la quantité d'eau qu'i!^^?5r ***'a*^
a fillu pour couvrir les plus hautes mon-/i*-^*>**^***^j
ta ornes ; & quand même on pourroit ima- -^ ^ ^
giner une caute proportionnée a cet ertet , ^^^
ît feroit encore impofiible de trouver**"**^ ^.
quelqu'autre caufe capable de faire ôiC-f^^^^^,
paroître les eaux; car en accordant à*,^^^^^*"**T
Whifton que ceseaux font venues de la z,^,^^,./^*^. V
queue d'une comète , on doit lui nier qu'if^^^^^ ç,^-
en foit venu du grand abyme & qu'elles y
Tome I. N ^^ ^Nx^u^
^po Hi flaire Naturelle.
.- (oient toutes rentrées , puifque le grandf
abyme étant, lelon lui, environné Qç.
prefié de tous côte'spar la croûte ou i'orbe
terreilre , il ell impoflible que l'attraciioa
de la comète ait pu caufer aux fluides
contenus dans l'intérieur de cet orbe , le
moindre mouvement; par conféqucnt
îe grand abyme n'aura pas éprouve,
coMime il le dit, un fîux & reflux vio-
lent ; dès-lors il n'en fera pas forti & il
n'y lerapas entré une feule goutte d'eau,
& à moins de luppoier que l'eau tombée
de la comète a été détruite par miracle,
elle feroit encore aujourd'hui fur la fur-
face de la terre , couvrant les fommets
^des plus hautes montagnes. Rien ne ca-
^^radérife mieux un miracle que l'impof-
fibilité d'en expliquer l'effet par les caufes
naturelles ; nos auteurs ont fait de vains
euorls pour rendre raifon du déluge ,
leurs erreurs de Phyfique au fnjet des
caufes fécondes qu'ils emploient, prou-
vent la vérité du fait tel c{u'il eft rapporté
dans l'Écriture fiinte , & démontrent
qu'il n'a pu être opéré que par la caui'e
première, par la volonté de Dieu.
D'ailleurs il efl aile de fe convaincre
Théorie de la Terre, l<)t
tjlie ce n'eit ni dans un feul & même
temps, ni par refFet du déluge que ki
iiier a laiiïé à découvert ies continens
que nous habitons ; car il eft certain , par
le témoignage des livres fàcrés , que ie
Paradis terrefire etoit en Aile; & que
i'Afie éîoit un continent habité avant ie
déluge ; par coniéquentcen'efi: pas dans
ce temps que les mers ont couvert cette
partie conîidérabie du globe. La terre
éioit donc avant le déluge telle à peu
près qu'elle eft aujourd'hui; & cette
énorme quantité d'eau que la Juftice
divine fit tomber fur la terre pour punir
l'homme coupable , donna en Ci^èt la
mort à totites^Ies créatures; mais elle ne**
produifit aucun changement à la furFacc
de la terre , éX^ ne déiruifit pas même ies
plantes , puifque la colombe rapporta
une branche d'olivier.
Pourquoi donc imaginer , comme
Vont fait la plupart de nos Naturaliftes,
que cette eau changea totalement la
furface du globe jufqu'à mille & deux
mille pieds de profondeur \ pourquoi
veulent-ils que ce foit le déluge qui ait
apporté fur la terre les coquilles qu'o»
N \]
i^2 Hijloire Naturelle^
trouve à fept ou huit cents pieds dans ïcs
rochers & dans ks marbres \ pourquoi
dire que c'eft dans ce temps que le font
formées les montagnes & les collines î
& comment peut-on fè figurer qu'il foit
pofîible que ces eaux aient amené des
mafîes & des bancs de coquilles de cent
iieues de longueur î Je ne crois pas
qu'on puiHe perfifler dans cette opinion ,
à moins qu'on n'admette dans le déluge
un double miracle , le premier pour
l'augmentation des eaux , & le fécond
pour le tranfport des coquilles ; mais
comme il n'y a que le premier qui foit
rapporté dans l'Ecriture làinte, je ne
vois pas qu'il foit néceflaire de faire un
article de foi du (econd.
D'autre côté, fi les eaux du déluge,
après avoir féjourné au-deffus des plus
hautes montagnes , fe fuffent enfuite re-
tirées tout-à-coup , elles auroient amené
une fi grande quantité de limon & d'im-
mondices que les terres n'auroient point
été labourables ni propres à recevoir des
arbres & des vignes que plufieurs fiècles
après cette inondation , comme l'on fiit
que dans le déluge qui arriva en Grèce,
Théorie de la Tene* 2^3
le pays fubmergé fut totalement aban-
«Jonné & ne put recevoir aucune cul-
ture que plus de trois fiècles après cette
inondation. Voyez Aâa erudit. Lipf»
anno j 6 p j , pag, 100. Auffi doit-on
regarder ie déluge univerfel comme un
moyen furnaturei dont s'efl: fervi la
Toute-puiffance divine pour ie châti-
ment des hommes, & non comme uit
effet naturel dans lequel tout fe feroit
palTé félon les ioix de la Phyfique. Le
déluge univerfel eft: donc un miracle
dans fi caufe & dans (es effets ; on voit
clairement par le texte de l'Ecriture fainte
qu'il a fervi uniquement pour détruire
l'homme & les animaux, & qu'il n'a
changé en aucune fiçon la terre, puif-
qu'après la retraite des eaux , les mon-
tagnes , & même les arbres, étoient à leur
place , & que lafurface de la terre étoit
propre à recevoir la culture & à pro-
duire des vignes & des fruits. Comment
toute la race des poiffons, qui n'entra
pas dans l'arche, auroit-elle pu être
coafervée, fi la terre eût été diffoute dans
l'eau , ou feulement fi les eaux cufîent j^
Clé aflez agitées pour tranfporter les dYloCJ^'t'
OL / aù^ ii^ y^ ^ (^^ryo-^ er^
2 9 4 Hïflotre Naîureïïê, '
coquiiles des Indes en Europe ^c^
^ Cependant cette %polnion ', que :
celt ledduge univerfel qui atranfporté i
ies coqutlfes de la mer dans tous les cli-
niats de la terre, efî devenue l'opinion
ou plutôt la fuperdition du commun des
T^aturalifres. "Woodward, Scheuchzer &
quelques autres appellent ces coquilles
pétrifiées les reftes du déluge, ils les
regardent comme les médailles & \^s
monumens que Dieu nous a iaiiiés de
ce terrible événement, afin qu'il ne
s efiaçat jamais de la mémoire du prenre
humain, enfin ils ont adopté cette hy-
pothèfe avec tant de refpee^ , pour ne pas
dire d aveuglement, qu'ils ne paroiiïenî
s être occupés qu'à chercher les moyens
de concilier l'Ecriture ûinte avec leur
opinion, & qu'au lieu de fe fervir de
leurs obfervations & à'^n tirer des lu-
mières, ils fe font enveloppés dans kg
iiuaaes d'une théologie phyfique, dont
ioblcurité & la petitefTe dérogent à
la clarté & à la dignité de la religion,
& ne hiifTent apercevoir aux incrédules
qu'un mélange ridicule d'idées humaines
^ de faits diyiiis, Prcteiidre ea effeî
\
Théorie delà Terre-, 295
expliquer le déluge univerfel & Tes caufes
phyfiques, vouloir nous apprendre le
détail de ce qui s'eft paffé dans le temps
de cette grande révolution , deviner quels
en ont éié les effets, ajouter des fiiirs à
ceux du livre facré , tirer des conté-
quences de ces faits, n'eft-ce pas v ou-
îoir mefurerîa puiiïance du Très-haut î
' Les merveilles que fa main bienfiifame
opère dans la Nature dune manière
uniforme & régulière , font incompré-
henfibles, & à plus forte raifonïes coups
d'éclat; les miracles , doivent nous tenif
dans le fiifiiïement & dans le filence.
Mais, diront-ils , le déluge univerfel
étant un fait certain , n'e(l-il pas permis
de raifonner fur les conféquences de ce
fait! à la bonne heure, mais il faut que
vous commenciez par convenir que le
déluge univerfel n'a pu s'opérer par les
puiflances phyfiques, il faut que vous
je reconiioilfiez comme un effet immé--
diat de la volonté du Tout-puiffant, il
faut que vous vous borniez à en lavoir
feulement ce que les livres facrés nous
en apprennent , avouer en même temps
qu'il ne vous eft pas permis d'en favoir
^ N iiiij
^5?<î Hip'tre Naturelle.
davantage & fur-tou. ne pas mêFerune
mn„va,|e phy/îque avec la pureté du
livre famt. Ces précautions qu'exige le
relped que nous devons aux décrefs de
JJieu, étant prifes, que refte-t-il à exa-
inmer au fuje. du déluge ! Eft-il dit dan.
Ecriture Ca.nte que le d.luge ait formé
les montagnes! il e!t dit le contraire:
elt-il du que les eaux fulTent dans une
ag.tat.on allez gr.nde pour enlever du
tond des mers les coquilles & les tranf-
porter par toute la terre î Non , l'Arche
voguoit tranquillement furies floîs ■ ell-if
dit que la terre fouffi-it une dflbiution
totale; point du tout; lerécit dc'Hifto-
NaturaLftes eft compofé & fabuleux.
Tfiéorie de la Terre. -2-97
PREUVES
DE LA
THÉORIE DELA TERRE,
ARTICLE VI.
GÉO GR APHIE.
LA furflice de ïaTerren'efl pas, comme
celle de Jupiter , divifée par bandes
alternatives & parallèles à l'équateur , au
comr ire el e eit di\ liée d'un pôle à l'autre
par deux bandes de lerre & deux bandes
de mer; la première &: principale bande
eft l'ancien continent, dontlapiiis grande
longueur (è trouve être en diagonale
avec l'équateur , & qu'on doit meiurer
en commençant au nord de la Tartarie
ia pliis orientale, de-là à La terre qui
avoifine Je golfe Linchidolin, où les
Molcovites vont pêcher des baleines,
de-là à Toboisk ; de Tobolsk à ia mer
Cafp'enne , de la mer Cafpienne à ia
Mecque^ de la Mecque à ia partie occi-
N V
2()S MiJIorre Naturelle .
dentale du pays habité par le peuple de
Galles en Afrique, eniliite au Monoe-
mugi , au M onomotapa, & enfin au cap
de Bonne-efpérance. Cette ligne, qui
eft îa plus grande longueur de l'ancien
continent, efl: d'environ 3600 lieues^
elle n'eft interrompue que par la mer
Cafpienne & par la mer rouge, dont les
largeurs ne font pas confidérabies , &
on ne doit pas avoir égard à ces petites
interruptions lorfque l'on confidère ,.
comme nouslefaifonsjla furface du globe
diviiée feulement en quatre parties.
Cette plus grande longueur fe trouve
en mefurant le continent en diagonale ;
car~fi on le mefure au contraire fuivant
les méridiens , on verra qu'il n'y a que
^500 lieues depuis le cap nord de Lap-
ponie jufqu'au cap de Bonne-efpcrance,
& qu'on traverfe la mer Baltique dans
fa longueur , & la mer Méditerranée dans
toute fa largeur , ce qui fait une bien
moindre longueur & de plus grandes in-
terruptions que par la première route.
A' l'égaid de toutes les autres diftances
qu'on pourroiî mefurer dans l'ancien con-
tinent fou5 les ipêmes méridiens, on les
Théorie Ae la Terre, ^^p
\ trouvera encore beaucoup plus petites
que celle-ci , n'y ayant , par exemple ,
que } 800 lieues depuis la pointe méri-
dionnie de l'île de Ceylan jufqu'à la cote
feptentrionale de la nouvelle Zemble^
De même, fi on mefure le continent pa-
rallèlement à l'cquateur , on trouvera que
ia plus grande longueur laas interrup-
tion fe trouve depuis la côte occidentale
de l'Afrique àTrefluia , jufqu'à Ningpo
fur la côte orientale de la Chine, & qu'elle
cft environ de 2 8 o o lieues ; qu'une autre
longueur fans interruption peut fe mefj-
xer depuis la pointe de la Bretagne à Breft
jufqu'à la côte de la Tartarie Chinoife y
& qu'elle e(t environ de 2300 lieues;
qu'en mefurant depuis Bergen en Nor-'
vège jufqu'à la côte de Kamtfchatka, if
n'y a plus que i 800 lieues. Toutes ces
lignes ont , comme l'on voit , beaucoup
moins de longueur que la première , ainfi
la plus grande étendue de l'ancien con-
tinent e(t en effet depuis le cap oriental '
de la Tartarie la plus feptentrionale juf-
qu'à u cap de Bonne-efpérance, c'e(i-à-^,
dire , de 3600 lieues Voye^ la première,
Carîe^ de Ccogrfphlc.
300 Hijloîre Naturelle .
Cette ligne peut être regardée comme
le milieu de la bande de terre qui com-
pofe l'ancien continent , car en melurant
l'étendue de la furface du terrein des deux
côtés de cette ligne, je trouve qu'il y a
dans la partie qui efl à gauche 247 1 0^2^
lieues quarrées , & qlie dans la partie
qui eft à droite de cette ligne , il y a
^2469687 lieues quarrées, ce qui efl une
égalité fingulière, & qui doit fliire préfu-
iner avec une très-ofrande vraiieniblance,
o ...
que cette ligne eft le vrai milieu de l'an-
cien continent , en même temps qu'elle
en efl: la plus grande longueur.
L'ancien continent a donc en tout
environ 4940780 lieues carrées, ce qui
ne fîiit pas une cinquième partie de la
ïurfitce totale du globe ; & on peut regar-
der ce continenr comme une large bande
de terre inclinée à i'équateur d'environ
30 degrés.
A l'égard du nouveau continent, on
peut le regarder aufîi comme une bande
de terre, dont la plus grande longueur
doit être prife depuis l'embouchure du
fleuve de la Plata jufqu'à cette contrée
jïiarécageufc qui s'étend au-delà du lac
Théorie de la Terre, 3 o r
des Afiiniboïls, cette route va de lem-
bouchure du fleuve de la Piata au lac
Caracares , de-là elle paiïe chez les Ma-
taguais^ chez les Chiriguanes, eiifuite à
Pocona, à Zongo, de Zongo chez les
Zamas, les Marianas , les Moruas, de-Ià
à S/ Fc & à Cartagcne , puis par le golfe
du Mexique, à la Jamaïque, à Cuba,
tout le long de la péninfule de la Floride,
chez les Apalaches , les Chicachas , de-là
au fort Saint-Louis ou Creve-cœur , au
fort le Sueur , & enfin chez les peuples
qui habitent au-delà dulacdesAlîiniboïls,
où l'étendue des terres n'a pas encore e'té
reconnue. Voye:^ la féconde Carte de
.^Géographie.
jf_ Cette ligne quin'eA interrompue que
par le golfe du Mexique , qu'on doit re-
garder comme une mer méditerranée,
peut avoir environ deux mille cinq cents
iieues de longueur , & elle partage le nou-
veau continent en deux parties égales,
dont celle qui eft à gauaLe a ic6(^zo6^
lieues quarrées de furf^ , & celle qui eft
à droite en a 1070926-^; cette ligne
qui fat le milieu delà bande du nouveau
conuneat, eft aulîi iuciijiée à l'équateur
'30 2 Hîfîotre Nûîiireîk.
d'environ 3 o degrés , mais en fens op-'
pofé , en forte que ceiîe de l'ancien con-
tinent s'ëtendant du nord-efi: au fud-oued,.
celle du nouveau s'étend du nord-ouefl:
au fud-efl: ; & toutes ces terres eniemble,
tant de l'ancien que du nouveau con-
tinent , font environ 7080993 lieues
quarrécs , ce qui n'eflipas , à beaucoup
près , ie tiers de la furface totale du globe '
qui en contient vingt-cinq millions.
On doit remarquer que ces deux lignes
qui traver fent les continens dans leurs plus
grandes longueurs , ôl qui les partagent
chacun en deux parties égales , aboutif- '
ient toutes les deux au même degré de
latitude feptentrionale & auftrale. On'
peut auiïi ob fer ver que les deux coiiîi-
néns font des avances oppofées & qui fè
regardent , fa voir, le^ côtes de l'Afrique
depuis les îles Canaries, jufqu'aux côtes*
de la Guinée , & celles de l'Amérique*
depuis la Guiane jufqu'à rembouchure*
de Rio- Janeiro. %
Il paroît donc que les terres les plus
anciennes du globe (ont les pays qui font
aux deux côtés de ces lignes à un€ diA'
tance' médiocre , par exemple'; à'aoo on**
Théorie Je la Terreé ^ùj
3250 lieues de chaque côté, & en fui-
Vaut ceue idée qui elt fondée fur les ob-
fervations que nous venons de rapporter,
nous trouverons dans l'ancien continent
que les terres les plus anciennes de l'A-
frique font celles qui s'étendent depuis le
cap de Bonne-efpérance jufqu'à la mer
rouge & jufqu'à l'Egypte , fur une lar-
geur d'environ 500 lieues, & que par
conféquent toutes les côtes occidentales
de l'Afrique, depuis la Guinée jufqu'au
détroit de Gibraltar , font des terres plus
nouvelles. De même nous reconnoîtrons'
qu'en A fie, fi on fuit la ligne fur la mêine
largeur , les terres les plus anciennes
font l'Arabie heureufe & déferte, la Perfe
& la Géorgie ; la Turcomanie & une par-
tie de la Tartarie indépendante , la Cir-
caffie & une partie de la Molcovie , &c,
que par conféquent l'Europe efl: plus
nouvelle , & peut-être auffi la Chine & '
ïa partie orientale de la Tartarie : dans le '
nouveau continent , nous trouverons que '
ia terre Magellanique , la partie orientale
du Brefil, du pays des Amazones, delà'
Guime & du Canada font des p. y s nou--
veaux en comparaifon du Tucuman ; d&'
'304 HiJIoke Naturelle,
Pérou , de la Terre ferme & des îles du
golfe du Mexique , de la Floride , du
Milîiffipi & du Mexique. On peut en-
core ajouter à ces obfervationsdeux faits
qui font alTcz remarquables , le vieux &
ie nouveau continent font prefque oppo-
fés l'un à l'autre ; l'ancien efl plus étendu
au nord de l'équateur, qu'au fud, au con-
traire le nouveau l'eu: plus au fud qu'au
nord de l'équateur; le centre de l'ancien
continent elt à i 6 ou 1 8 degrés de lati-
tude nord , & le centre du nouveau eft à
I 6 ou 18 derrrés de latitude fud, en forte
qu'ils femblent faits pour fe contre-ba-
lancer. II y a encore un rapport fingu-
iier entre les deux continens , quoiqu'il
nieparoiffe plus accidentel que ceux dont
je viens de parler, c'ell que les deux
continens feroient chacun partagés en
deux parties qui feroient toutes quatre
environnées de la mer de tous côtés ians
deux petits ilthmes , celui de Suez &
celui de Panama.
Voilà ce que l'inipec^ion attend ve du
globe peut nous fournir de plus générai
iwx la divifion de la terre. Nous nous abf-
ïkadrons défaire fur cela des hypothèfès
Théorie de la Teire. 305
& de halarder des raifonnemens qui
pourroient nous conduire à de fîiufîes
conféquences , mais comme perfonne
n'avoir conridëré Ibus ce point de vue la
divifion du globe , j'ai cru devoir com-
muniquer ces remarques. Il ed: afTez fin-
gulier cjue la ligne qui tait la plus grande
longueur des contiiiens terreftres , les
partage en deux parties égales ; il ne l'eft
pas moins que ces deux lignes commen-
cent & finiflent aux mêmes degrés de
latitude , & qu'elles foient toutes deux
inclinées de même à i'équateur. Ces rap-
ports peuvent tenir à cjueique ch Je de
général que l'on découvrira peut-être,
& que nous ignorons. Nous verrons dans
la fuite à examiner plus en détail les iné-
galités de la figure des continens ; il nous
fuffit d'obferver ici que les pays les plus
anciens doivent être les plus voiiins de
ces lignes > &. en même temps les plus
élevés , & que lesterresplus nouvelles en
doivent être les plus éloignées, & en
même temps les plus bafîcs. Ainfi en
Amérique la terre des Amazones , la
Guiane & le Canada feront les parties les
plus nouvelles; en jetant les yeux fur la
'30 6 Hijloire Naturelle.
carte de ce pays , on voit que les enux J
font répandues de tous côte's, qu'il y a ua
grand nombre de iacs &l de très-grands
fleuves , ce qui indique encore que ces
terres font nouvelles: au contraire le Tu-
cuman , le Pérou & le Mexique font des
pays très-éievés, fort montueux , & voi-
fins de la ligne qui partage le continent ,
ce qui femble prouver qu'ils font plus
anciens que ceux dont nous venons de
parler. De même toute l'Afrique ell: très-
montueufe, & cette partie du monde eft
fort ancienne: il n'y a guère que l'Egypte,
la Barbarie & les côtes occidentales de
l'Afrique jufcju'au Sénégal, qu'on puiffe
regarder comme de nouvelles terres.
L'Afie eft auffi une terre ancienne, <Sc
peut-être la plus ancienne de toutes,
fur- tout l'Arabie, la Perfe & la Tartarie;
mais les inégalités de cette vafte partie du
monde demandent, aufli-bien que celles
de l'Europe,' un détail que nous ren-
voyons à un autre aYticle. On pourroit
dire en général que l'Europe ell un pays
nouveau , la tradition fur la migration
des peuples & fur l'origine des arts & des
fciences paroît l'indiquer, il n'y a pas
Théorie de la Terre. 307
îong-temps qu'elle e'toit encore remplie
de marais & couverte de forêts , au lieu
que dans les pays très - anciennement
habités il y a peu de bois , peia d'eau ,
point de marais , beaucoup de landes &
de bruyères , une grande quantité de
montagnes dont les lommets font fecs
& (lériîes ; car les hommes détruifent les
bois, contraignent les eaux , relîerrent les
fleuves, defsèchent les marais, «Se avec
le temps ils donnent à la terre vme face
toute différente de celle Aç,^ pays inha-
bités ou nouvellement peuplés.
Les Anciens ne connoifToient qu'une
très-petite partie du globe; l'Amérique
entière, les terres arctiques , la terre Auf-
traie &. Magellanique, une grande partie
de l'intérieur de l'Afrique, leur étoient
entièrement inconnues, ils ne favoient
pas que la Zone torride étoit habitée >
quoiqu'ils eulTent navigé tout autour de
l'Afrique, car il y a 2200 ans que Neco
loi d'Egypte donna des vaiiîeauxà i^Q%
Phéniciens qui partirent de la mer rouge ,
côtoyèrent l'Afrique , doublèrent le cap
de Bonne-efpérance , & ayant employé
deux ans à faire ce voyage , ils entrèrent
'30 8 Hftoke Naturelle.
la troifième année dans le détroit de Gi-
braltar. Voye:^ Hérodote, lib. IV. Cepen-
dant les Anciens ne connoifîoient pas la
propriété qu'a l'aimant de fe diriger vers
les pôles du monde , quoiqu'ils connuf-
ient celle qu'il a d'attirer le fer; ils igno-
roient la caufe générale du flux & du
reflux de la mer , ils n'étoient pas lûrs que
i'océan environnât le globe lans inter-
ruption : quelques-un 1 à la vérité l'ont
foupçonné , mais avec fi peu de fonde-
ment qu'aucun n'a ofé dire ni même Goa-
jcCiurer qu'il étoit poflible de faire le
tour du monde. Magellan a été le pre-
mier qui l'ait fîiit en l'année i 5 1 9 dans
i efpace de i i 24 jours. François Drake
a été le fécond en 1 5,77 , & il l'a fiit en
1 0 5 6 jours. Eniiiite Thomas Cavendish
a fait ce grand voyage en y-yy jours
dans l'année 1 586 , ces fameux Voya-
geurs ont été les premiers qui aient dé-
montré phyfiquement la fphéricité &
J'éiendue delà circonférence de la terre;
car les Anciens étoient aufli fort éloignés
d'avoir une jude mefure de cette circon-
férence du globe, quoiqu'ils y euflent
beaucoup travaillé. Les vents généraux
Théorie Je la Terre. 309»
& réglés , & lufage qu on en peut faire
pour les voyages de long cours leur
étoient auffi ablolument inconnus ; ainfi
on ne doit pas être furpris du peu de
progrès qu'ilsontfliit dans la Géographie,
puilqu'aujourd'hui , malgré toutes k$
connoifTances que Ion a acquifes par le
fêcours des fciences mathématiques & par
les découvertes des Navigateurs, il refle
encore bien des chofes à trouver & de
vafles contrées à découvrir. Prefque toute s
les terres qui font du côté du pôle an-
tarctique nous font inconnues , on fiit
feulement qu'il y en a , & qu'elles font
féparées de tous les autres continens par
l'océan ; il refle auiïî beaucoup de pays
à découvrir du côté du pôle arclûque ,
& Ton ert: obligé d'avouer avec quelque
efpèce de regret, que depuis plus d'un
fiècle l'ardeur pour découvrir de nou-
velles terres s'eft extrêmement ralentie ;
on a préféré , & peut-être avec raifon ,
l'utilité qu'on a trouvée à faire valoir
celles qu'on connoiffbit , à la gloire d ea
conquérir de nouvelles.
Cependant la découverte de ces
terres auftrales feroit un grand objet dç
3 I o Hîfloire Naîurellci
ciiriofité , &. pourroit être utile ; on n'a
reconnu de ce côté - là que quelques
côtes , & il efi: fâcheux que les Naviga-
teurs qui ont voulu tenter cette décou-
verte en diiîérens temps , aient prei que
toujours été arrêtés par des glaces qui
les ont empêchés de prendre terre. La
brume,, qui efl fort confidérabie dans
ces parages , efi: encore un obflacle :
cependant malgré ces inconvénicns , il
efl: à croire qu'en ]:>artant du cap de
Bonne- efpérance en différentes faiions ,
on pourroit enfin reconnoître une partie
de ces terres , lefqueiies jufqu'ici font un
monde à part.
Il y auroit encore un autre moyen qui
peut-être réuffiroit mieux ; comme les
glaces & les brumes paroiffent avoir ar-
rêté tous les Navigateurs qui ont entre-
pris la découverte des terres auflrales par
l'océan atlantique , &: que les glaces le j
font prélentées dans l'été de ces climats
aufîi-bien que dans les autres faifons , ne
pourroit-on pas ie promettre un meil-
leur fuccès en changeant de route ! II
me femble qu'on pourroit tenter d'arri-
ver à ces terres parla mer pacifique, en
Théorie de h Terre. :? r {
partant de Baldivîa ou d'un autre 'port
de la cote de Chili, & -travernuit cette
mer^ fous le 50."" degré de latitude lud.
Il n'y a aucune apparence que cette na-
vigadon, qui n'a jamais été faite, 'fôt
périlleufe , & il eft probable qu'on trou-
veroit dans cette traverite de nouvelles
terres; car ce qui nous refle à connoitre
xdu côté du pôle auftral ed fi confidé-
rable, qu'on peut flms Te troinj^er' l'éva-
luer à plus d'un quart de la fuperficie
du gloire, en forte qu'il peut y avoir
dans ces climats un continent- terre/Ire
auffi grand que l'Europe, l'A fie, &
1 Afrique prifcs toutes trois enfemble.
Comme nous ne connoiffons point
du tout cette partie du globe , nous ne
.pouvons pas lavoir au jufle la propor-
tion qui eil entre la furface de la [erre
!& celle de la mer; feulement, autant
qu'on en peut juger par l'infpedion.de
;Ce qui ell connu, \\ paroît qu'il y a plus
de mer que de terre.
Si l'on veut avoir une idée de la quan-
tité énorme d'eau que contiennent \ts
mers, on peut fuppofer une profondeur
fPiiiinune & générale à l'océan , & en ne
'3 ï a Hifloire Naturelle»
îa faiiaiit que de deux cents toifes ou cf^
la dixième partie d'une lieue , on verra
qu'il y a afîez d'eau pour couvrir le globe
entier d'une hauteur de fix cents pieds
d'eau , & fi on veut réduire cette eau
dans une feule mafle, on trouvera qu'elle
fait un globe de plus de foixante lieues
de diamètre.
Les Navigateurs prétendent que îe
continent de^ terres auftrales eft beau-
coup plus froid que celui du pôle arc-
tique, mais il n'y a aucune apparence que
celte opinion (bit fondée, & probable-
ment elle n'a été adoptée des Voyageurs,
que parce qu'ils ont trouvé des glaces à
une latitude où l'on n*en trouve prcfque
jamais dans nos mers feptentrionales ,
mais cela peut venir de quelques eau (es
particulières. On ne trouve plus déglaces
dès iemois d'Avril en deçà des 67 & 68
degrés de latitude (eptentrionaie , cSc les
Sauvages de i'Acadie & du Canada
difent que quand elles ne font pas toutes
fondues dans ce mois-là, c'eft une marque
que le relie de l'année fera froid & plu-
vieux. En 1725 il n'y eut, pour ainfi
dire, point d'été, & il plut prcfque
continuellement;
Théorie de la Terre* 313
ôondnuellement; aufîi non-feuîement les
glaces des mers lèptentrionales n'étoieut
pas fondues au mois d'avril au 67."*'
degré , mais même on en trouva au i 'y
juin vers le 41 ou 42.'"'' degî*é. Voyei^
l'Hifi. dd r Acad. année i y2 j ,
On trouve une grande quantité' de ces
glaces flottantes dans la mer du nord ^
lur-tout à quelque diftance des terres ;
elles viennent de la mer de Tartarie dans
celle de la nouvelle Zemble & dans les
autres endroits de la mer glaciale. J'ai
été afTuré par des gens dignes de foi ,
qu'un Capitaine Angloîs , nommé Mon-
fon , au lieu de chercher un pafîage entre
les terres du nord pour aller à la Chine ,
iivoit dirigé fa route droit au pôle &
eu avoit approché julqu'à deux degrés :
que dans cette route il avoit trouvé une
haute mer fins aucune glace , ce qui
prouve que les glaces (e forment auprès
des terres , & jamais en pleine mer ; car
quand même on voudroit fuppofer ,
contre toute apparence , qu'il pourroit
fiiire alTez froid au pôle pour que la fuper-
ficie de la mer fût glacée , on ne conce-
vroit pas mieux comment ces énormes
Tome I. O
i
3 1 4 hîfloîrc Naturelle»
gbxes qui flottent, pourroient fe former
il elles ne trou voient pas un point d'appui
contre les terres, d'où enfuite elles fè dé-
tachent par la chaleur du foleil. Les deux
vaiiïeaux que la Compagnie des Indes
iCnvoya en 1739 ^ ^'^ découverte des
terres auitrales , trouvèrent des glaces à
une latitude de 47 ou 48 degrés, mais
ces glaces n'étoient pas fort éloignées
.des terres , puifqu'ils les reconnurent 1
fans cependant pouvoir y aborder. Voye-^
fur cela la carte de M. Baache, i j^ g^
Ces glaces doivent venir des terres inteV
rieures & voifines du pôle auilral , & 011
peut conjedurer qu'elles luivent le cours
de plu fleurs grands fîeuyes dont ces terres
inconnues font arrofées , de même que
îe fleuve Oby, le Jénifca &: les autres
grandes rivières qui tombent dans les
mers du nord , entraînent les glaces qui
bouchent pendant la plus grande partie
de l'année le détroit de V^aio-ats , &
rendent inabordable la mer de Tartarie
par cette route , tandis qu'au-delà de 1$
nouvelle Zemble & plus près des pôles
où il y a peu de fleuves & de terres , les
glaces font moins comniiines & }a mer
Théorie de la Terre, 3 r 5
^fl plus navigable; en forte que fi 011
vouloit encore tenter le voyage de fa
Chine & du Japon par les mers du nord ,
il faudroit peut - être , pour s'éloigner
le plus des terres & des glaces, diriger
fa route droit au pôle , & chercher les
plus hautes mers , où certainement il n'y
a que peu ou point de glaces ; car on
fait que l'eau (aîee peut finis fe geler de-
venir beaucoup plus froide que l'eau
douce glacée ; & par conféquentle froid
•excefTif du pôle peut bien rendre l'eau
de la mer plus froide que la glace , fins
que pour cela la furface de la mer fe gèfe,
d'autant plus qu'à 80 ou 82 degrés , la
furfice de la mer , quoique mêlée de
beaucoup de neige & d'eau douce , n'eft
glacée qu'auprès des côtes. En recueil-
lant les témoignages des Voyageurs flir
îe paffage de l'Europe à la Chine par la
mer du nord , il paroît qu'il exifle , &
que s'il a été fi iouvent tenté inutilement,
<:'efl parce qu'on a toujours craint de
s^éloigner des terres &: de s'approcher du
pôle, les Voyageurs l'ont peut-être
Kgardé comme un écueil.
Cependant Guillaume Barents qui
Oij
3 ï 5 Hijloire Naturelle»
avoit échoue, comme bien d autres, dans
Ton voyage du nord , ne doutoit pas
qu'il n'y eût un pafînge , & que s'ij fe fût
plus éloigné des terres, il n'eût trouvé
une mer libre &: liins glaces. Des voya-
geurs Molcovites envoyés par le Czar
pour reconnoître les mers du Nord ,, rap-
portèrent que ia nouvelle Zemble n'eft
point tine île , mais une terre ferme du
.continent de la Tartarie , & qu'au nord
de ia nouvelle Zemble c'eft une mer
libre & ouverte. Un voyageur Hollan-
,dois nous alTure que la mer jette de temps
«n temps fur la côte de Corée & du
Japon , des baleines qui ont fur le dos des
harpons Anglois& Hollandois.Unautre
Hollandois a prétendu avoir été jufque
fous le pôle , & afTuroit qu'il y faifbit
;iufn chaud qu'il fait à A mfterdairi en été.
XJn Angioisnommé Goulden , qui avoit
fait plus de trente voyages en Groenland,
rapporta au roi Charles II , que deux
..vaifleaux Hollandois avec leiquels il
faifoit voile, n'ayant point trouvé de
baleinjÊS à la côte de V\\q d'Edges, réfo-
|iîrent d'aller plus ;iu nord , ik qii'étant
|de jp.çtour m bp|.u de quinze jours , ces
Théorie de la Terre» J î /
Hoîlandois lui dirent qu'ils avoient été
jufqu'au Sp**"*" degré de latitude j c'ell-
à-dire , à un degré du pôle , &: que là ils
n'avoient point trovivé de glaces , mais
une mer libre & ouverte , fort profonde
& fembiable à celle de \\ baie de Bifcaye,
& qu'ils lui montrèrent quatre journaux
des deux vaifTeaux , qui atteftoicnt la
même chofe & s'accordoient à fort peu
de chofe près. Enfin il eft rapporté dans
ks Tranfadions philofophiques , que
deux Navigateurs qui avoient entrepris
d€ découvrir ce padïtge, firent une route
de 300 iieues à l'orient de la nouvelle
Zemble, mais qu'étant de retour, la
Compagnie des Indes qui avoit intérêt
que ce pafîage y^ fut pas découvert^
empêcha ces Navigateurs de retourner,
Voye-^ le recueil des voyages du Nord ,
p, 2 0 0. Mais la Compagnie des Indes de
Hollande crut au contraire qu'il étoitde
(on intérêt de trouver ce pafîàge ; l'ayant
tenté inutilement du côté de l'Europe ,'
elle le fit chercher du côté du Japon ,
^ elle auroit apparemment réufîi, Il
l'empereur du Japon n'eût pas interdit
aux étrangers toute navigation du côté
'3 1 8 Hijîoire 'Naturelle.
des terres de JeiTo. Ce pafTage ne peut
donc fe trouver qu'en allant droit au
pôle au-dçlà de Spitzberg , ou bien en
iuivant le milieu de la haute mer, entre
îa nouvelle Zembie & Spitzberg , fous
ie y^/"^ degré de latitude : fi cette mer
a une largeur confidérable , on ne doit
pas craindre de la trouver glacée a cette
latitude , «Se pas même fous le pôle , par
les raifons que nous avons alléguées;,
en effet, iln'y a pas d'exemple qu'on?
ait trouvé la iurface de la mer, glacée au
larofe & à une diftance confidérable des
côtes , le feul exemple d'une mer tota-
lement gbcée e(l celui de la mer noire y
elle eft étroite 6c peu falée, & elle reçoit,
une très-grande quantité de fleuves qui
viennent des terres feptentrionales & qui
y apportent des glaces , aufîi elle gèle
quelquefois au point que fa furface eft
entièrement glacée , même à une pro-
fondeur confidérable, &, fi on en croit
les Hiiioriens , elle gela du temps de-
l'empereur Copronyme , de trente cou- '
dées d'épaifleur , fans compter vingt
coudées de neige qu'il y avoit par-deffus
h glace. Ce fut me paroît exagéré, mais
Thème de la Terre, 3 ï 9
ïl efl (Tir qu'elle gèle prefque tous le*
hivers ; tandis que les hautes mers qui
font de mille lieues plus près du pôle ^
ne cèlent pas , ce qui ne peut venir que
de la différence de la.dilure & du peu de
glaces qu'elles reçoivent par les fleuveSy
en coiuparaiion de la quantité énorme
de glaçons qu'ils tranfportent dans la
mer noire.
: Ces glaces , que l'on regarde comme
des barrières qui s'oppofent à la naviga-
tion vers les pôles & à la découverte des
lerres aullrales, prouvent feulement qu'if
y a de très-grands fleuves dans le voifi-
nage des climats où on les a rencontrées ,=
par conféquent elles nous indiquent auffi
qu'il y a de vaftes coniinens d'où ces
fleuves tirent leur origine, & on ne doit
pas fe décourager à la vue de ces obfta-
eles; car fi l'on y fai[ attention, l'on
reconnoîtra aifément que ces glaces ne
doivent être que dans de certains en-
droits particuliers ; qu'il cd; preique
impofnble que dans le cercle entier que
nous pouvons imaginer terminer* les
terres auftraies du coté de i'équateur , il
y ait par-tout de grands fleuves qui-
O iiij
3 2© Hlfloire "Nàturehi
chariem des glaces, & quepar confequcnt
il y a grande apparence qu'on reuiîiroit
en dirigeant fa rouie vers qwelqu'autre.
point de ce cerck. D'aiiieurs la defcriij*-
tion que nous ont donnée Dampier &
quelques autres voyageurs, du terrein de
la nouvelle Hollande, nous peut faire
Soupçonner que cette partie du globe qui
avoifine les terres auli raies , & qui peut-
ctre en fait partie , eft un pays moins
ancien cjue le refle de ce continent
inconnu. La nouvelle Hollande efl une
terre bafîe , fans eaux , fins montagnes >
peu habitte, dont les naturels font fau-
vages & fans indudrie; tout cela con-
court à nous faire penfer qu'ils pour-
ïoient être dans ce continent à peu près
ce que les Sauvages des Amazones ou (\}x
Pcraguai font en Amérique. On a trouvé
é&% hommes policés , des empires & des
lois au Pérou , au Mexic[ue , c'eil-à-
dire , dans les contrées de l'Amérique les
plus élevées, &par conféquent les plus
anciennes ; les Sauvages au contraire le
font trouvés dans les contrées les plus
baffes <St les plus nouvelles; ainfi on
peut préfimier que dans l'intérieur dei
Théorie de h Terre, 321
fermes auftrales on trouveroit aiilîi des*
hommes réunis en fociété dans les con-
trées élevées j d'où ces grands fleuves
qui amènent à ia mer ces glaces prodi-
gieulès tirent ieur fource.
L'intérieur de l'Afrique nous ell in^
connu, prefqu'autant qu'ii i'étoit aujc
Anciens, ils avoient, comme nous, fait
ij tour de cette prefqu'iie par mer, mais-
à la vcrrité ils ne nous avoient laifîe ni
cartes, ni defci-iption de ces côtes. Piinc
nous dit qu'on avoit, dès le temps d'A-
lexandre, fait le tour de l'Afrique, qu'on
av'oit reconnu dans la mer d'Arabie de»
débris de vailîeaux E(|:)agnois. & que
Hannon Général Carthaginois av^oit fait
ie. voyage dépuis. Gades jui»qu'à la mer
d'Arabie ,- qa'il avoit même donné par
écrit la relation de ce voyage. Outre
cela , dit - il , Cornélius. Nepos nous
appreiKl que de fon temps un ccrt.iiii
Exidoxe perfécuté par le. roi Lathurus,
fut obligé de: s'enEiir \ qu'étant parti du'
golfe. Arabique , il étott arrivé. à Gades^
& qu'avant ce temps on commerçoit
d'Efpagne en Ethiopie par la mer. Voyer
Plm, HiJ. Nat, tom, I.yl'é. ^. Cepen^
I
3 22 Hijloire Naturelle.
dant, malgré ces témoignages des An-»
ciens , on s'étoit perfuadé qu'ils n'avoient
jamaisdoublé le cap de Bonne-eipérance,
& l'on a regardé comme une découverte
nouvelle cette route que les Portugais
ont prife les premiers pour aller aux
grandes Indes: on ne fera peut-être pas
fâché de voir ce qu'on en croyoit dans
Je neuvième fiècle]
ce On a découvert de notre temps.
33 une chofe toute nouvelle, & qui étoit
53 inconnue autrefois à ceux qui ont vécu
:>3 avant nous. Perfonne ne croyoit que
D5 la mer qui s'étend depuis les Indes juf-^
3» qu'à la Chine, eût communication.
33 avec la mer de Syrie , 6c on ne pou-
33 voit ie mettre cela dans l'efprit. Voici
33 ce qui efl: arrivé de notre temps , félon
33 ce c[ue nous en avons appris : on. a..
33 trouvé dans la mer de Roum ou médi-
33 terranée les débris d'un vaiiïeau Arabe-
33 que la tempête avoit brifé, & tous ceux
33 qui le montoient étant péris , les flots
33- l'ayant mis en pièces, elles furent por-
33 tées par le vent & parla vague jufque
33 dans la mer des Cozars , & de-là au ca-
->3 nal de la mer méditerranéen d'où elles
Théorie (le la Terre. 3 2" 3'
furent enfin jetées fur la côte de Syrie, ce
Cela fait voir que ia mer environne ce
tout le pays de la Chine & de Cila , ce
l'extrémité du Turqueftan & le pays ce
des Cozars , qu'enfuite elle coule par ce
îe détroit jufqu'à ce qu'elle baio«-ne la ce
côte de Syrie. La preuve eft tirée de ce
la conftrudion du vai(îeau dont nous ce
venons de parler , car il n'y a que les ce
vaifTeaux de Siraf , dont la fabriqué efl: ce
telle que les bordages ne font point ce
eîoués, mais joints enfemble d'une ce
manière particulière, de même que s'ils c<
étoient cou fus, au lieu que ceux de ce-
tous les vaifTeaux de la mer méditerra- ce-
née &: de la côte de Syrie , font cloués, ce
& ne font pas joints de cette manière. 33^
Voye-^ les anciennes relations des voyages-
faits par terre a la Chine , p- J 3 & y 4-
Voici ce qu'ajoute le Tradudleur de
cette ancienne relation.
ce Abuziel remarque comme une chofe-
nouvelle & fort extraordinaire , qu'un «-
yaifleau fut porté de la mer des Indes ce'
for les côtes de Syrie. Pour trou- ce
ver le paiïage dans la mer méditerra- ce-
îiée ; ii fuppofe qu'il y a une grande <c^
O vj;
^24 Hljîone Nalureïïè,
3j étendue de mer au-defliis delà Chine,.
» qui a communication avec la mer des.
:>3 Cozars y c'efl-à-dire , de M-ofcovie..
:» La mer cjui eii au-delà du cap des C cii-
» rans étoit entièrement inconnue aux
53 Arabes à caufe du péril extrême de la
Dj navigation , ôl le continent étoit habité
>î par des peuples fi barbares, qu'il ii étoit.
>> pas facile de les loumetire , ni même;
33 de les civililer par le commerce. Les,
•» Portugais ne trouvèrent depuis le cxip
-33 de Bonne - elpérance julqu'à Soffala.
03 aucuns Maures établis, comme: ils en
33 trouvèrent depuis dans toutes les villes.
33 mariu"mes jufqu'à la Chine. Cette ville
33 étoit la derniers que connoiiîoient \q^
33 Géographes,, mais ils ne pouvoient
:» dire fi lamer avoitcommunication.par
3û rextrémitéderAfrlc[ue avec la mer. de
3>- Barbarie , & ils le contentoient de la
33 décrire jufqu'à la cote de 2.inge qui e/l
33 celle de la Cafrerie , c'eft pourquoi
33. nous ne pouvons doutei^ que la pre— ,
minière découverte du pafîïige de cette
33 mer par le cap de Bonne-eipéi^ance
53. lirait été faite par. les Eiuropéens tous la.
3» conduite de Vafco de Gaaia, Quaii»
Théorie cTtrla Terrev 3^2-5^
moins cjuelques années avant qu'il ce
doublât le cap , s'il eft vrai qu'il fe foit ce
trouvé des cartes marines plus ancien:- «
nés que cette navigation^ où le cap ce
étjQÏt marqué fous le nom de Front eira ce
da Afriqua, Antoine Galvan téuioi- cc
giie llir le rapport de Francifco de ce
Soufa Tavares , qu'en 1528 l'Inflmt ce
Don. Fernand lui fit voir, une (embla- co
He carte qui fe trouvoit dans ie monaf- ce
tère d'Acoboca, &.qui. étoit tàiteJL y^-ce
a voit L 20. ans, peut-être fur cetis qu'on ce
dit être, à Venilè dans le tréfor de S/ ce
Marc^ & qu^on.croit.avcir été copiée, ce
fur celle de Marc Paolo, qui marque ce
aufîi la pointe de l'Afrique, félon le ce
téinoignage de Ramufio, &c ^^.-L'igno-
rance de. ces.fiècles,au fujet dela.naviga^
lion autour de l'Afrique parDÎtra peut-
être, mains fingulière que le fiiencc de
l'éditeur de cette ancienne, relation au
fujet des partages d'Héiodote , de Pline ,
&.C. que nous avons cités, & q,ui prou-
vent que les Anciens ayoiem fiait le tour
dg, i' Afrique.
Quoi qu'il en (bit,. les cotes de l'A-
frique nous, fom aducllçmem \i)sm
^z6 Hiflotre Natîirelk^
connues, mais quelques tentatives qu'on-
ait faites pour pénétrer dans l'intérieur du
pays , on n'a pu parvenir à le connoître
afTez pour en donner des relations exac-
tes. II ieroit cependant fort à fouhaiter
que par le Sénégal ou par quelqu'autre
fieuve on pût remonter bien avant dans
les terres & s'y établir , on y trouveroit ,
félon toutes les apparences , un pays aufli
riche en mines précieufes que l'eft le
Pérou ou le Brefil , car on fait que les
fleuves de l'Afrique charient beaucoup
d'or, & comme ce continent efl: un pays
de montagnes très-élevées , & que d'ail-
iieurs il eft fitué fous l'équateur , il n'eft
pas douteux qu'il ne contienne, aufîi-bien
que l'Amérique , les mines de métaux
les plus pefans, & les pierres les plus
compactes & les plus dures.
La vafle étendue de la Tartarie fepten-
îrionale & orientale n'a été reconnue que
dans ces derniers temps. Si les cartes des
Mofcovites font julles , on connoît à
préfent les côtes de toute cette partie de
l'A fie, &: il paroît que depuis la pointe
de la Tartarie orientale jufqu'à TAmé-
rjque feptentrionale, il n'y a guère qu'un
Tlîéone de la Terre. 3 27»-
efpace de quatre ou cinq cents lieues ; ont
a même prétendu tout nouvellement que
ce trajet étoit bien plus court ; car dans
la gazette d'Amfterdam du 24. janvier
I 747, il ed: dit à l'article de Péterfbourg,
que M. S tôlier avoir découvert au-delà
de Kamtfchatka une des îles de l'Amé-
rique feptentrionale, & qu'il avoit dé-
montré qu'on pouvoit y aller dès terres^
de l'empire de Rufîie par un petit trajet»-
Des Jéfuites & d'autres MifTionnaires ont
auiïi prétendu avoir reconnu en Tar-
tarie des Sauvages qu'ils avoient caté—
chifés en Amérique , ce qui fuppoferoit,
en effet que le trajet feroit encore bien.;
plus court. Voye-^ F Hijîoire de la nouvelle
France, par k P. Charlevoix , tome 111 ,
pages ^ 0 & s J ' Cet Auteur prétend;
même que les deux continens de l'ancien
& du nouveau monde fe joignent parle
nord^ôc il dit que les dernières naviga-
tions des Japonnois donnent lieu de
juo-er que le trajet dont nous avons parlé,,
neft qu'une baie, au-defTus de laquelle
on peut paffer par terre d'Afie en Amé-
rique; mais cela demande confirmation,,
carjufqu'à préfem on a cru avec quelque
'Î^S Hiflolre Naîurefîe. '
f^^rte de vrailèinblaiice, que fe coml>
nent du pôleardique eli feparé en eiuier
de^ autres comineas , aulil-bien que
celui du poJe aiiiardique.
L'afîroiiomie & l'art de la navigation.
lo4it portés à un fi hnut point de perfec-
tion , qu'an peut raifonnablement efpérer
G avoir un jour une connoifTaiice exade
delà lurfhce entièredu globe. Les Anciens
n'en connoiflLient qu une afTez petite
partie , parce que n'ayant pas la bouITolc ,
tls n'ofoieju ie hafarder dmis les hautes,
mers. Je (îiis bien que quelques gens ont.
prétendu (|ueies Arabes avoient inventé
laboufFoIe,. 6c s'en étoicm fervis long^-
tenips avant nous pour voyager fur fa^
rner d^s Indes & commercer fufqu'à la ^
Chine (Voy^i V Abrégé de rHiJîoire des^
^arraiins, de Btrgeron,page i ipj, mais
cette opinion. m'a toujours paru dénuée
de toute vraiièmbian^e ; car il n'y a au-
cun mot dans le^ langues aiabe, turque
ou perfànnequi puilfe fignifier la bouf-
lole , ils fe fervem du mot. Italien /^^^/^;
ils ne (avem pas même encore aujour-
^fbui faire des bouffoies ni aimanter, les
^guilies, 6i ïh achetteiit des E^ropëens^
Tlieme de la Terre. 5 25^
celles dont ils le fervent. Ce que dit le
Père Martini au fujet de cette invention,
ne nie paroît guère mieux fondé , il pré-
tend que les Chinois connoifToient ia.
bouffole depuis plus de trois nfilie ans
(Voyei Hijt, Sinica , page 1 a6); mais
fi cela efl: , comment elt-ii arrivé qu'ils
en aient fliit fi peu d'uiage î pourquoi
prenoicnt-ils dans leurs voyages à la Co-
chinchine une route beaucoup plus lon-
gue qu'il n'étoit nécelîaire ! pourquoi (c
bornoient-ils à faire toujours les mêmes
voyages dont les plus grands étoient à
Java & à Sumatra! & pourquoi nau-
roient-îls pas découvert avam les Euro-
péens une infinité d'iks abondâmes <Sc
de terres fertiles dont ils font voifins ,
s'ils avoicnt eu fart de naviguer en pleine
mer î car peu d'années après la décoiw
verte de cette merveilleuiè propriété de
l'iûmant , les Portugais firent de très-
grands voyages , ils doublèrent le cap de
Bonne-efj^érance, ils traversèrent les mers
de l'Afrique <& des Indes , <^ tandis qu'ils
dirigeoient toutes leurs vues du côté de
l'orient & du midi, Chriftophe Colomb
K)ui»a les fieunes vers l'occideat^
k
jljo Hifloire Nûtureik,
Pour peu qu'on .y fît attention , A
ctoit fort aifé de deviner qu'il y avoit des
cfpaces iiTimeilfes vers l'occident; car eil
comparant la partie connue- du globe ,
par exemple, la diftance de l'Efpagne à
la Chine, & fùfant attention au mouve-
ment de révolution ou de la terre ou du
ciel, il étoit aifé de voir qu'il relloit à
de'couvrlr une bien plus grande étendue
vers l'occident que celle qu'on connoii-
foit vers l'orient. Ce n'eft donc pas par
k défaut des connoiffances aflronomi-
ques que les Anciens n'ont pas trouvé le
nouveau monde, mais unicjuement par
le défaut de la boufTole : les pafl^iges de
Platon & d'Ariilote, où ils parlent de
terres fort éloignées au-delà des colon-
nes d'Hercule, femblent indiquer que
quelques Navigateurs avoient été pouflcs
par la tempête jufqu'en Amérique, d'oii
ils n'étoient revenus qu'avec des peines
infinies ; ôi on peut conjedurer que
quand même les Anciens auroient été
perfuadés de l'exiflence de ce continent
par la relation de ces Navigateurs , ils
n'auroient pas même penfé qu'il fut pof-
£bJe de s'y frayer des routes j n'ayant
f
I
! Théorie de la Terre. yyt
mcun guide, aucune connoifTance de
boufToIe.
J'avoue qu'il n'eft pas abfolument im-
poflible de voyager dans les hautes mers
làns bouffole, ^ que des gens bien dé-
terminés auroient pu entreprendre d'aller
hercher le nouveau monde en fe con-
duifant feulement par les étoiles voifines
du pôle. L'aflrolabefur-toutétant connu
des Anciens , il poiivoit leur venir dans
l'efpritde partir de France ou d'Efpagne
& de faire route vers l'occident, en laif-
fant toujours l'étoile polaire à droite , &
en prenant fouvent hauteur pour fe con-
duire à peu près fous le même parallèle ;
c'eft fans doute de cette façon que les
Carthaginois dont parle Ariftote, trou-
vèrent le moyen de revenir de ces terres
éloignées, en laifTant . l'étoile polaire à
gauche, mais on doit convenir qu'un
pareil voyage ne pouvoit être regardé
que comme une entreprife téméraire , &.
que par confequent nous ne devons pas.
être étonnés que les Anciens n'en aient
pas même conçu le projet.
On a voit déjà découvert du temps
de Chriftopbç Colomb les Açores,les,
i
532 Hifhhe Naturelle*
Canaries , Aladère : on avoit remarque
que loriqiie les vents d'oueft avoient
régné long-temps, la mer atnenoit fur
les côtes de ces îles des morceaux de
bois étrangers , des cannes d'une elpèce
inconnue, & même des corps morts
qu'on reconnolfroit à plufietirs lignes
n'être ni Européens ni Afriquains.
(Voyej^ r H'ijhire de Saint - Dombigue r
parle P. CharUvoix r tome 1 , page 66
df fi^v.) Colomb iiii-mênTc remarqtia
que du coté de l'ouell: il venoit certains
vents qui neduroicnt que quelques jours-,
& qu'il ie perfuada être des vents de terre
cependant,, quoiqu'il eût furies Anciens
tous ces avantages , èi la boufToie , les^
difficultés qui reiloient à vaincre étoiem
encore u grandes , qu'il n*y avoit que le
fuccès qui pût juiiitier rentreprife; car
luppofons pour un inftant que le con-
tinent du nouveau monde eût été plus
éloigné ,. par exemple , à mille ou quinze
cents lieues plus loin qu'il n'eft en effet y
cbofe que Colomb ne pouvoit ni (avoir
ni prévoir, il n'y fer oit pas arrivé, &
peut-être ce grand pays feroit-il encore
Âitoiiiiii. Cette conjedure efl d'autam
TJieone ^e la Terre. 3 ^^
rnîeux fondée que Colomb , quoique le
)lus habile Navigateur de fon fiècle , fut
àifi de frayeur & d etonnement dans fon
iécond voyage au nouveau monde ; car
comme la première fois il n'avoit trouvé
que des îles , il dirigea fa route plus au
midi pour tâcher de de'couvrir une terre
ferme, &l il fut arrêté par les courans,
dont l'étendue confidérabie &. la direc-
tion toujours oppofée à ia route , l'obli-
gèrent à retourner pour chercher terre
l'occident : il s'imaginoit que ce qui
J'avoit empêché d'avancer du côté du
midi n'étoit pas des courans , mais que
la mer ajloit en s'élevant vers le ciel , &
<}ue peut-être l'un & l'autre fetouchoîent
du côté du midi : tant il eft vrai que dans
les trop grandes entreprifes la plus j)etitc
çirçonflance malheurcufe peut tourner k
>ete ^ abattre le courage.
'5 3 4 Hifloire Natureïïel
!!■■ Ilf ■ "■■ ■■■ IMinBllMI ■Illllll II ■IIIIWIIIMIII— ■»«— ■
PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRL
ARTICLE VII.
'Sur la produdioji des couches oii
lits de terre.
No U s avons fait voir dans l'article
premier, qu'en vertu de l'attradion
démontrée mutuelle entre les parties de la
înatière & en vertu de îa force centrifug€
qui réfulte du mouvement de rotation fuï
fon axe , la terre a néceffairement pris la
forme d'un fphéroïde dont ies diamètres
«iiffèrent d'une 2 3 o.""" partie, & que ce
lie peut être que par ks changemens
arrivés à la furface & caufés par les mou-
vemensde l'air & des eaux , que cette dif-
férence a pu devenir plus grande, comme
on prétend le conclure par les mefures
prifes à l'Equateur & au Cercle polaire.
Cette figure de la terre qui s'accorde fï
bien avec les loix de l'hydroftatique &
avec notre théorie , fuppofe que le globe
Théorie de la Terre, 335
« été dans un état de liquéfàétion dans le
temps qu'il a pris fa forme , & nous avons
prouvé que le mouvement de proje<^io]i
.& c^Iui de rotation ont été imprimés en
ïTiême temps par une même impulfion.
On fe perluadera facilement que la terre
A été dans un état de liquéfacSlion produite
par le feu, lorfqu'on fera attention à la
nature des matières que renferme le globe,
dont la plus grande partie , comme les
fables & les glailes, font àats matières
vitrifiées ou vitrifiables , & lorfque d'un
autre côté on réfléchira iur l'impodibilité
.qu'il y a que la terre ait jamais pu fe trou-
ver dans un état de fluidité produite par
les eaux, puiiqu'il y a infininient plus
de terre que d'eau , & f{ue d'ailleurs l'eau
2i'a pas la puifTance de difToudre les fables,
îes pierres & les autres matières dont la
terre eli compofée.
Je vois donc que la terre n'a pu
prendre fa figure que dans le temps où
die a été liquéfiée par le feu , & en fui-
vant notre hypothèie je conçois qu'au
fortir du foleil la terre n'avoit d'autre
forme que celle d'un torrent de matières
.fondues &. de vapeurs enflammées ; que
3 3 ^ Hiflolre Naturelle.
ce torrent fe raflembk par î-attni^ioîl
îiiutuelle des parties , ^ devint un globe
auquel le mouvement de rotation donna la
ligure d'un fpfeéroïde , & lorique la terre
fut refroidie , les vapeurs qui s'e'toient
•d abord étendues , comme nous voyons
^s'étendre les queues dei comètes , fè con-
densèrent peu à ])eu^ tombèrent en eau
fur la iurfice du globe , & déposèrent en
Blême temps un limon mêlé de matières
fulfureufes & iîïlines , dont une partie
s'eft glidée par le mouvement des eaux
dans les (entes perpendiculaires où elle a
produit les métaux & les minéraux , & k
relie ell: demeuré à iafurface de la terre &
a produit cette terre rougeâtre qui forme
la première couche de ia terre & qui, fui-
vant les différens lieux, efl: plus ou moins
mêlée de particules animales ou végétales
réduites en petites molécules dans lef-
quelles l'organilation nVft plus lenfible.
A infi dans le premier état de la terre, le
globe étoit, à l'intérieur , compoi^ d'une
matière vitrifiée, comme je crois qu'il
i'eft encore aujourd'hui; au-deffus de
jcette matière vitrifiée fe font trouvées les
.parties que le feu aura le plus divifées ,
comme
Théorie Be la Terre» 537
comme les fables, qui ne font que des
fragmens de verre ; & au-defTus de ces
fables les parties les plus légères, les
pierres ponces, les écumes & les fcories
de la matière vitrifiée ont furnagé & ont
formé les glaifes & les argiles: le tout
étoit recouvert d'une couche d'eau (a)
<Je 5 ou Ôoo pieds d'épaifîeur, qui fut
produite par la condenfation des vapeurs
lorfque le globe commença à fe refroi-
dir ; cette eau dépofa par-tout une cou-
che limonneufè mêlée de toutes les ma-
tières qui peuvent fe fublimer & s'exhaler
par la violence du feu^ & l'air fut formé
des vapeurs les plus fubtiles qui fe déga-
gèrent des eaux par leur légèreté , & les
furmontèrent.
TeJ étoit l'état du globe lorfque
(a) Cette opinion , queîa terre a été entièrement
couverte d'eau , eft celle de quelques Philofophes
anciens , <Sc même de la plupart àçs Pères de i'É-
glife: in mundi frimordio aqua in ommm teiram Jîag^
nahat , dit S.* Jean-Damafcène, liv. II, chap. 9.
'Terra erat invïf.biUs , quia exundabat aqua iT operiebat
ttrram , dit S.' Ambroife, liv. I , Hexam. chap. 8,
^ubmevfa tellus cùm effet , faciem ejiis wundtitne aqua,
non erat adfyedabilis , dit S.^ Bafile , Homélie 2,
Voyez auiïi S.' Auguftin, livre I de la Genèfe,
chap. 13.
Tome L P
'358 FTîflolre Natureîle.
raclion du flux & reflux , celle ^t% vents
& de la chaleur du loleii coinmencèrent
à iilte'rer la Turfàce de la terre. Le mou-
vement diump & celui du flux & reflux
iéi^vèrent d'aboxd les eaux fous les cli-
mats jne'ridionaux , ces eaux entraînè-
rent & portèrent vers i'équateur le Unii^i,
les ^ài^ç-s^ les iabics, & en cïevaat les
parties de l'équateur , elles ahaifsèrent
peut-être peu h. peu celles des pôles .de
cette difFe;:ence d'environ deux lieues,
dont nous avons parlé, car les eaux bri-
sèrent bientôt & réduifirent en poyflière
les pierres ponces ^ les autres parties
fpongienfes de la matière vitrifiée qui
étoient à la furfàce, elles creusèrent des
profondeurs & élevèrent des hauteurs
qni dans la fuite font d^evenues des con-
tinens, & elles produifirent toutes les
inégalités que nous remarquons à la fup-
iitce d€ la terr^ , & qui ibnt plus confl-
.dérables vers Téquaieur que par-tout
ailleurs : car les plus hautes montagnes
font entre les tropiques & .dans le mi-
ficu des zones tejnpérées, & les plus
hx^ts font au cercle polaire & au-delà ,
puifque i*oKi a erKre les tropiques les
Théorie {Je la Terre, 330
Cordillères & prefque toutes les rnontr.-
gnes du Mexique (& du Brefil, les mcn-
tagiies de l'Afrique , lavoir le grand & le
peut Atlas , les monts de la Lune , <Scc.
& que d'ailleurs les terres qui font entre
les tropiques lont les plus inégales de tout
le globe aulfi-bien que les mers , puif-
qu'il le trouve entre les tropiques beau-
coup plus d'îles que par-tout ailleurs ;
ce qui fliit voir évidemment que les plus
grandes inégalités de la lerre le trouvent
en effet dans^ le voifinage de l'équateur.
Quelque indépendante que Ibit ma
théorie de cette hypothèfe fur ce qui s'ell
pufTé dans le temps de ce premier état
du globe, j'ai été \Àtx\. aife d'y remonter
dans cet article , afin de fliire voir la liai-
Ton & la pollibilité du fyftème que j'ai
propofé , & dont j'ai donné le précis
dans l'article premier ; on doit leuiement
remarquer que ma théorie , qui fait le
texte de cet ouvrage ne part pas de fi
loin , que je prends la terre dans un
état à peu près (emblabîe à celui où nous
la voyons, & que je ne me lèrs d'au-
cune des fuppoiitions qu'on efl obligé
d'employer iorfqu'on veut raifonncr fm
Pi;
■j4<3 Hipoire Naîurellep
î'ëtat parfé du globe terreftre; wm$
.comme je donne ici une nouvelle idéie
au fujet du limon des eaux qui, fcloii
iTîoi, a forme la première couche de
îerre qui enveloppe le globe , il me pa-
i'oît necefîaire de donner aufll les raifons
fur lefquelies je fonde ceue opinion. Les
vapeurs qui s'élèvent dans l'air, produi-
sent les pluies , les rolces, les feux aëriens ^
îes tonnerres , & les autres météores : ces
vapeurs font donc mêie'es de particules
aqueuies , aériennes , luifureuiès , ter-
reflres , &c. & ce font ces particules
folides & terreftres qui forinent le limon
dont nous voulons parler. Lorfqu'on
laiffe dépoièr de l'eau de pluie , il fe
forme un fèdiment au fond ; lorfqu 'après
avoir ramafîe une aiïez grande quantité
4e rofe'e , on la laiiïe dépofer &: fe cor-
rompre, elle produit une efpèce de li-
îuon qui tombe au fond du vafe ; ce
limon e(t même fort abondant, & la rofée
£11 produit beaucoup plus que l'eau de
pluie; ileft gras, onilueux & rougeâtre.
La première couche qui enveloppe
le globe de la terre .eft coinpofée de ce
Jiinouroêléavec des parties de végétauaL
Théorie de la Terre, 345^
ou d'animaux détruits, ou bien avco
des particules pierreufes ou fablonneufes:
on peut remarquer prefque par-tout que
ia terre labourable eil rougeâtre & mêlée
plus ou moins de ces différentes ma-
tières ; ies particules de lable ou de pierre-
cfu'on y trouve, lont de deux efpèces,
ks unes grolTières & mafîives , les autres^
plus fines & quelquefois impalpables;
les plus groffes viennent de la couché
inférieure dont on les dc^ache en labou-
rant & en travaillant ia terre , ou bien le
limon fupérieur en fe gliffant & en péné-
trant dans la couche inférieure Cfui efl de
fable ou d'autres matières divifées , formé
ce^ terres qu'on appelle des fables gras f
les autres parties pierreuies qui font plus
fines, viennent de l'air, tombent comme"
ks rofées & les pluies , & ie mêlent inti-
mement au limon ; c'elt proprement lé
)?éfidu de la pouffjcre que l'air tranfporte,.
c|ue les vents enlèvent continuellement
de la furface de la terre , &: qui retombe
enfuite après s'être imbibée de Thumi-
dité de l'air. Lorfque le limon domine,
qu'il fe trouve en grande quantité, <St
«[u'au contraire ks parties pierreufes 6c
Piij,
/342. HiJIohe Naturelle.
iàblonneufes font en petit nombre , !a
lerre eft roiigeâtre, pétriiîîible & très-
fertile : fi elle efl en même temps mêlée
d'une quantité' confidérable de végétaux
ou d'animaux détruits , la terre elt noi-
râtre, & fouvent elle eft encore plus fer-
tile que la première; mais fi le limon
n'eft qu'en petite quantité, auffi - bien
que les parties végétales ou animales ,
dors h terre efl blanche & flériie, &
iorfqueîes parties fablonneufes, pierreufes
ou crétacées qui compofent ces terres
itériles ôl dénuées deJimon, font mêlées
d'une af΀z grande quantité de parties
de véofétaux ou d'animaux détruits, elles
loranent les terres noires & légères qui
n'ont aucune iiaifon & peu de fertilité ;
en forte que , fuivant les différentes corn-
i)inaifons de ces trois différentes ma-
tières , du limon , des parties d'animaux
&i de végétaux, & des particules de fab!e
& de pierre , les terres font plus ou
moins fécondes &. différemment colo-
riées. Nous expliquerons en détail dans
notre difcours fur les végétaux, tout ce
qui a rapport à la nature & à la qualité
de3 différenies terres ^ nniis ici nous
Théork Je la Terre. 34^
n'avons d*autre but que celui de faire
entendre comment s'eft formée cette
première couche qui enveloppe le globe
& qui provient du limon des eaux.
Pour fixer les idées , prenons le pre-
mier terrein qui fe pré fente , & dans le-
quel on a creufé aflez profondément,- p^r
exemple, le terrein de Mariy-ia-viile
Gilles puits font très-profonds; c'eft un
pays élevé, mais plat & ferdie, dont les
couches de terre font arrangées horizon-
talement. J'ai fait venir des échantillons •
de toutes ces couches que M., Dalibard,
habile Botanilie & verfé d'ailleurs dans
toutes les parties des Sciences, a bien
voulu nùre prendre fous fes yeux, & après
avoir éprouve toutes ces matières à l'eau-
forte , j'en ai drefle la table fuivante.
JE TA T des dïfférens lits de terre qui fe
troment a Marly -la -ville , jufquà cent
pieds de profondeur (b)»
h
Terre franche rougeâtre , mêlée de beaucoup
de limon, d'une très-petite quantité de friblc
(b) La fouille a été faite pour un puits dans un ter-
ïsiji uui appartient aftuellemem à M. de Pommcry,
P iiij
^344 HiJIolre Nûîurelle.^
vitrifiable , & d'une quantité un peu plu^
confidérable de fable calcinable,
que j'appelle gravier. . , . , . .... i ^p'"''- qp'*"*'
I I.
Terre franche ou limon mêlé
de plus de gravier <Sc d'un peu
plus de fable vitrlfiable. . , ..... 2^ ,6.
I I I.
Limon mêlé de fable vîtri-
fiabîe en alTez grande quantité ,
<5c qui ne faîfoit que très -peu
<3'effervefcence avec reau-fortt. , 3 »,
IV.
Marne dure qui faîfoit une
grande effervefcence avec Teau»
forte 2.
V.
Pierre marneufe aiïez dure ,7 4> .
V I.
Marne en poudre, mêlée de
fable vitrifiable. , ,' , 5.
VII.
Sable très-fin vitrifiabîe. , . . , i , 6«
Profondeur , ,. 3 if««i*-
Théorie de la Terre, 3 4 5
Ci-contre 3 i'''*^"' 0''°""'-
VIII.
Marne en terre , mêlée d'un
»eu de fable vltrifiable 3. 6*
I X.
Marne dure, dans laquelle on
rouve du vrai caillou qui eU de
a pierre à fulil parfaite.. , . , . 3. 6»
X.
Gravier ou poufîière de marne. !.
X I.
Eglantine, pierre de la dureté
du grain du marbre , 6c qui
eft fonnante. , . , . . , i. 6.
XII.
Gravier marneux i. 6»
XIII.
Marne en pierre dure , dont
îe grain eft fort fin. ....... , i. 6.
XIV.
Marne en pierre, dont le grain
n'elt pas fi fin. ,,.,.. F. 6»
XV.
Marne encore plus grenue
Profondeur. 0 â^s'^"^' o'"^"^
34^ Hifloïre Naturelle.
De l'autre pan ^<y'''''' o^*^**
& plus groflîère, ., , , 2, 6»
X V L
Sable vitrifiable très-fin, m^Ié 'j
€Îc coquilles de mer foiTiIes, qui
n'ont aucune adhérence avec le
fable , & qui ont encore leurs
couleurs & leurs vernis natureJs. i.
XVII.
Gravier très - mer>u ou p.ouP
£ère fine de marne 2^
X V I I !..
Marne en pierre dure. .,»... 3:. ^
X I X.
Marne en poudre aOez gro(^
iiQîc r. ^»
X X.
Pierre dure & calcinabîe
comme le marbre , !••
XXL
Sû)\t gris vrtrifiable, mêî'é
àt coquilles foffilcs , & fur-
lout de beaucoup d'huîtres & ?
de /pondiies, qui u'ont aucune
Proibadeur .,*,•.., jt****^ qp*""«^
1 Théorie de h Terre. 347
Ci-contre 57^*"' O'''^-"'
(îhércnce avec le fable, <Sc qui
ne font nullement pétrifiées. .. ^«
: X X 1 L
Sable blanc, vîtrifiable , mêlé
de^niêmei coquilles « t»
XXIII.
Sable rayé de rouge & d€
blanc , virrifi.ible , & mêlé des
mêmes coquilles. ..,.,».... i»
XXIV.
Sabîe plus gros , mais tou*
jours vitrifiable , & mêlé des
mêmes coquilles . . ^ . ► f .
X X V.
Sable gris y fin , vitrifiable ,
& niêlé des mêmes coquilles., , S. 4y
XXVI.
Sable gras , très-fin , où U
n'y a plus que quelques co-
quilles , .#»♦ 3 0.
XXVII.
Profondeur. v^^""' 6^^'
F V7
1
348 Hifloire Naturelle:
De l'autre part. ..... 'j^^^^'- ô'^'**'
XXVIII,
Sable viîrifiahîe , rayé de
rouge (Se de blanc. ......... 4.-»
XXIX.
Sable blanc vîtrifiable, . , , , 3. 6.
XXX.
Sable vîtrifiable , rougeâtre. . 15.
Profondeur où l'on a? ^^^p;,^,,
ceffé de creufer, , ..... \
J'ai dit que j 'a vois éprouvé toutes ces
matières à l'eau-forte ; parce que quand
i'infpedion & la coiuparailon des ma-
tières avec d'autres qu'on connoît , ne
fuffiient pas pour qu'on loit en état de
les dénommer & de les ranger dans la
clafîe à laquelle elles appartiennent, &
qu'on a peine à le décider par la fiinple
obfervation, il n'y a pas de moyen plus
prompt, il peut-être plus (ur , que
d'éprouver avec l'eau-forte les matières
terreules ou lapidifiques ; celles que \es
cfprits acides dilToIvent fur le champ avec
chaleur & ébuiiition , Ibat ordinairement
Théorie de h Terre • 349/
caîcinables, celles au contraire qui réfif--
tent à ces efprits & fur lelquels ils ne font
nucune iinprefîion , font vitriliahles.
On voit par cette énumération , quç
îe terrein de Marly-la-ville a été autre-
fois un fond de mer qui s'eft élevé au
moins de 75 pieds, puisqu'on trouve
des coquilles à cette profondeur de 75
* pieds. Ces coquilles ont été tranfponees
par le mouvement des eaux en même
temps que ie fable où on les trouve , &
le tout eli tombé en forme de fédimens
qui fè font arrangés de niveau & qui
ont produit les différentes couches de
làt:Ie gris, bkmc, rayé de blanc & de
rouge , &c. dont l'épaifleur totale eil de-
15 ou 18 pieds; toutes les autres cou-
ches fupérieures jufqu'à la première ont
été de même transportées par le mou-
vement des eaux de la mer , & dépofées
en forme de fédimens , comme on ne
peut en douter , tant à caufe de la litua-
îion horizontale des couches , qu'à caufè.
des difîérens lits de fable mêlé de co-
quilles, & de ceux de marne , c|ui ne
font que dés débris ou plutôt des détri-
xiiens de coquilles; la dernière couche^
3 5 o Hîflohr Nûtîirelle.
elle-même a été formée prefqu'cn entier
par le limon dont nous avons parlé , qui
s'efl: mêlé avec une partie de la marne qui
étoit à la furface.
J'ai choifi cet exemple comme îe plus
défavantagcux à notre explication, parce
qu'il paroît d'abord fort difficile de con-
cevoir que le limon de l'air & celui des
pluies &L des rolees aient pu produire
une couche de terre franche épaifîe de
I 3 pieds ; mais on doit oblerver d'abord
qu'il efl très-rare de trouver, fur-tout
dans les pays un peu élevés , une épaif-
fêur de terre labourable aufîi coniidé-
table ; ordinairement les terres ont trois
ou c[uatre pieds, & fouvent elles n'ont
piis un pied d'épaifleur. Dans les plaines
environnées de collines, cette épaifleur
de bonne terre ed: plus grande , parce
que les pluies détachent les terres de ces
collines & les entra'inent dans les vallées ,
mais en ne fuppofmt ici rien de tout
cela , je vois que les dernières couches
formées par les eaux de la nier fom des
lits de marne fort épais: il eil naturel
d imaginer que cette marne avoit au
commencement une épaiffeur enccjrc
Tfieone de la Terre. 3 5 1
'^\x% grande , & que des i 3 pieds qur
compoient l'épaifîeiirdeia couche iupt;-
TÎeure, il y en avoii plufieurs de marne
lorfque la mer a abandonné ce pays <Sc
a laifle le terrein à découvert. Cette
marne expofée à l'air fe fera fondue
par les pluies, i'adion de l'air & de la
chaleur du foleil y aura produit des
gerçures , de petites fentes , & elle aura
été altérée par toutes ces cauiès exté-
rieures au point de devenir une matière
divifée & réduite en pouffière à la fur-
ftce, comme nous voyons la marne que
nous tirons de la carrière tomber en
poudre iorfqu'on ia laifle expofée aux
injures de l'air r la mer n'aura pas quitté
ce terrein fi brufquement qu'elle ne l'ait
encore recouvert quelquefois, foit par
les alternatives du mouvement des ma-
rées , foit par l'élévation extraordinaire
des eaux dans les gros temps , & elle
aura m^lé avec cette couche de marne,
de la va(e , de la boue & d'autres ma-
tières limonneufes ; lorfque le terrein fe
fera enfin trouvé to«t à- fait élevé au-
deflus des eaux, les plantes auront cora-
nmtcé à y croître , ^ c efi alors que k
^^2 Hijloire Nûîurcîle, .
limon des pluies & des rofees aura peu 'à;
peu coloré & pénétré cette terre , & lui
aura donné un premier degré de fertilité
que les hommes auront bientôt aug-
mentée par la culture , en travaillant &
dividuit lafurface, & donnant ai nfi au
limon des roiées & des pluies la facilité
de pénétrer plus avant , ce qui à la fin
aura produit cette couche de terre franche
de I 3 pieds d'épaifîeur.
Je n examinerai point ici fi la couleur
rougeâire des terres végétales, qui eft
aufli celle du limon, de la rofce & des
pluies, ne vient pas du fer qui y eft
contenu; ce point, qui ne laide pas
d'être important , fera difcuté dans notre
difcours lur les minéraux: il nous fuffit
d'avoir expofé notre façon de concevoir
la forinatioii de la couche fuperficielle
de la terre , & nous allons prouver par
d'autres exejuples que la formation des-
couches intérieures ne peut être que
iiQUvrnge des eaux.
La iarfice du globe , dit Woodward,
cette couche extérieure fur laquelle les
hommes ^ les animaux marchent, qui
fejrt de ma^ufin pour la fonnaiion deS;
Théorie de la Terre é 5 5: 3'
végétaux & des animaux , efl: , pour ia
p!us grande partie coinpofée de matière
végétale ou animale , qui efl dans un
mouvement & dans un changement con^
tinuel. Tous les animaux &. les végétaux,
qui ont exifté depuis la création du
monde , ont toujours tiré fucceffivement
de cette couche ia matière qui a com-^
pofé leur corps , & ils lui ont rendu
îi leur mort cette matière empruntée 5,
elle y refle , toujours prête à être reprife
de nouveau & à fervir pour former
d*autres corps de îa même efpèce fuccel^
fivement fans jamais difcontinuer ; car.
la matière qui compoie un corps, efl
propre & naturellement difpofée pour'
en former lui autre de cette efpèce,
Voye-^ Effaî fur l'Hlfloire Naturelle , éTc,^
pûge 1^6. Dans les pays inhabités, dans
les lieux où on ne coupe pas les bois,
où les animaux ne broutent pas les plantes,
cette couche de terre végétale s'augmente
afîéz cpnfidérabîement avec le temps ;
dans. tous les bois, & même dans ceux
qu'on coupe, il y a une couche de
terreau de 6 ou 8 pouces d'épc^fî'eur ,,
qui n'a été formée que par les feuilles .,.
'3 54 I^ijloire Naturelle.
îes j^etites branches & les écorces qui
fe Ibnt pourries; j'ai foUvent obiervé
fur un ancien grand chemin fiiit , diu
on, du leiups des Romains, qui tra-
verfe ia Bourgogne dans une longue
étendue deterrein, c|u'il s'eft formé liif
ies pierres dont ce grand chemin efl
conllruit, une couche de terre noire de
plus d'un pied d'cpaideur qui nourrit
a(^ueliement des arbres d'une hraiieur
îiiïez confidérablc , & cette couche n'eft
compofée que d'un terreau noir forme
par les feuilles, les écorces & les bois
pourris. CoJiime les végétaux tirent
pour leur noum'ture beaucoup j:*ius de
îiibflance de l'air & de l'eau, qu'ils n'en
tirent de la terre, il arrive qu'en pcur-
riflànt ils rendent à la terre plus citi'ils
n'en ont tiré ; d'ailleurs une forêt déter-
mine les eaux de la pluie en arrêtant
tes vapeurs , ainfi dans un bois qu'on
conferveroit bien long -temps fans y
loucher, la couche de terre qui fert
à la végétation augmenteroit confidé-
rablement ; mais les animaux rendant
moins à la terre qu'ils n'en tirent, &
ks hommes fiiifaiit des confommations
Théorie de h Terre. 355
énormes de bois & de plantes pour le
feu & pour d'autres ufages, il s'enfuit
que la couche de terre végétale d'un
pays habité doit toujours diminuer &
devenir enfin comme le terrein de i'A-
rabie pétrée, & comme celui de tant
d'autres provinces de l'orient » qui eft
en efîèt ie climat le plus anciennement
habité, où l'on ne trouve que du fei &
des fables ; car le Tel fixe des plantes &
des animaux refle , tandis que toutes les
autres parties le volaiililent.
Aj)rès avoir parié de cette couche de
terre extérieure que nous cultivons , il
faut examiner la pofition & la formation
des couches intérieures. La terre , dit
Woodward, paroît , en quelqu'endrok
qu'on la creufe , compofée de couches
placées l'une fur l'autre, comme autant
de fédimens qui feroient tombés iuccei^
fivement au fond de l'eau ; les couches
qui font les plus enfoncées , font ordi-
nairement les \)\\xs épaiffes, & celles qui
font fur celles-ci Ibnt les plus minces
par degré julqu'à la furface. On trouve
des coquilles de mer, des dents & des os
de poilîgns dans ces dilîercnies couche^;
3 5^ Hijloîre Naturelle.
M s'en trouve non-feiilement dans Tes-
couches molles , comme dans la craie ,
i'argile & la manie , mais même dans'
les couches les plus folides & les plus
dures , comme dans celles de pierre,
de marbre , &c. Ces productions ma-
rines font incorporées avec la tàqïvq ,
& lorfqu'on la rompt & qu'on en fépare
k coquille , on obferve toujours que la
pierre a reçu l'empreinte ou la forme
de la furface avec tant d'cxaiflitude ,
qu'on voit que toutes ies parties étoient
exactement contiguës & appliquées à^
la coquille, ce Je me fuis afTuré , dit cet
sauteur, qu'en France, en Flandre,-
>3 en Hollande, en Efpagne, en Italie,
>3 en Allemagne, en Danemarck, en
» Norvège & en Suède , îa pierre & les-
55 autres lubflances tcrreflres font diipo-
53 fées par couches de même qu'en An-
35 gîeierre ; que ces couches font divifées-
» par des fentes parcilièles ; qu'il y a au-
33 dedans des pierres (Se d'autres fubf-
33 tances tcrreftres & compactes ,_ une
>5 grande quantité de coquillages , de
>:> d'autres productions de la mer dil'po-
^ fées de la même manière que dans
Thème de la Terre. 357'
;€ette île ^y. J'ai appris que ces couches ce
iè trouvoient de même en Barbarie , ce
.en Egypte, en Guinée & dans les <c
autres parties de l'Afrique , dans l'A- ce
jabie, la Syrie , ia Perfe , le Malabar, ce
la Chine & les autres provinces de ce
l'A fie , à la Jamaïque, aux Barbades, «
r€n Virginie, dans la nouvelle Angle- ce
terre , au Brefii , au Pérou & dans les ce
,autres parties de l'Amérique 3?. Effaifur
r H'ijloïre Naturelle de la Terre, pages ^,
Cet auteur ne dit pas comment &
par qui il a appris que les couches de
la terre au Pérou contenoient des co-
quilles , cependant comme en générai
{çs obfervations font cxades , je ne doute
pas qu'ii n'ait été bien informé , & c'eft
.ce qui me perfuade qu'on doit trouver
.des coquilles au Pérou dans les couches
de terre , comme on en trouve par-tout
ailleurs; je fais cette remarque à i'occa-
fion d'un doute qu'on a formé depuis
peu fur cela, & dont je parlerai tout-à-^
i'heure.
Dans une fouille que i'on ^i à
(f). En- Angleterre.
"5 5 8 Hifloke Naturelle:
A mflerdam pour faire un puits , on creuf^
jufqu'à 232 pieds de profondeur , &
on trouva les couches de terre fuivantes,
7 pieds de terre végétale ou terre de
jardin , ^ pieds de tourbe , p pieds de
glailè molle , 8 pieds d'arène , 4 de
terre , 1 o d'argile , 4 de terre , i o pieds
d'arène, fur iaquelk on a coutume
d'appuyer les pilotis qui foutiennent les
jnaiibns d'Amilerdam ; enfuite 2 pieds
d'argile ^ 4 de iablon blanc , 5 de terre
sèche , I de terre molle , 1 4 d'arène,
8 d'argile mêlée d'arène , 4 d'arène
mêlée de coquilles , enluite une épaif-
feur de 1 00 &. 2 pieds de glaife, &
enfin 3 i pieds de fable, où l'on cefla
de creufer. Voye^ Varenii Geogr. gêner aU
pnge ^6,
Il eft rare qu'on fouille auiïi profon-
dément fans trouver de l'eau , & ce fiit
cil remarquable en plufieurs chofes :
j/' il fait voir que l'eau de la mer ne
communique ]>as dans l'intérieur de la
ïerre par voie de filtration ou de lliîla-
tion , comme on le croit vulgairement:
2.° nous voyons qu'on trouve des co-
quilles à 100 pieds au-deflbus de la
Théorie r}€ la Terre» 35^
fw-ffâce de la lerre dans un pays cxtrê-
menieat bas , «Se que par conféquent le
terreîn de la Hollande a été élevé de
100 pieds par les iédimens de la mer;
3." on peut en tirer une induction que
cette couche de glaiiè épaifTe de 102
pieds, & la coucne de lable qui efl
au-defTous, dans laquelle on a fouillé à
3 I pieds, & dont l'épaifTeur entière efl
inconnue, ne Ibnt peut-être pas fort
éloignées de la première couché de la
vraie terre ancienne & originaire, telle
qu'elle étoit dans le temps de (Ii première
formation & avant que le mouvement
des eaux eût changé ia furface. Nous
avons dit dans l'article premier, que fi
['on vouloit trouver la terre ancienne,
il f ludroit creuler dans les pays du nord
plutôt que vers féquateur , dans les
plaines bafîês plutôt que dans les mon-
tagnes ou dans les terres élevées. Ces
conditions fe trouvent à peu près raffein-
blées ici ; feulement il auroit été à fbu-
haltcr qu'on eût continué cette fouille à
une plus grande profondeiir, 6c que
'auteur nous eût appris s'il n'y avoit
pas de coquilles ou d'autres produdions
3^0 Hijloire Naturelle.
vîTiariiies dans cette couche de glaife de
I02 pieds d'épaiiïeur & dans celle de
>fable qui étoit au-deflous. Cet exemple
confirme ce que nous avons dit , lavoir,
que plus on fouille dans l'intérieur de la
terre, pliis on trouve les couches épaiffes,
ce qui s'explique fort naturellement dans
notre théorie.
Non-feulement la terre efl compofée
de couches parallèles & horizontales dans
les plaines & dans les collines, mais les
montagnes même font en général com-
pofées de la même façon : on peut dire
que ces couches y font plus apparentes
que dans les plaines , parce que les
plaines font ordinairement recouvertes
d'une quantité affez confidérable de fable
ÔL de terre , c[ue les eaux y ont amenés,
& pour trouver les anciennes couches
il fmt creuler plus profondément dans
Its plahies que dans les montagnes.
J'ai fouvent obfervé que lorfqu'une
montagne eft égale & que Ion fommet
efl: de niveau, les couclies ou lits de
pierre qui la compofent, font aufli de
iiiveau ; mais li le fommet de la mon-
lagne n'eft pas poie horizontalement, ôc
i'ii
Théorie de la Terre. 3^1
%''\ penche vers l'orient ou vers tout
filtre côte , les couches de pierre pen-
chent aufli du même côié. J 'a vois ouï
dire à pkifieurs perfonnes que pour l'or-
dinaire les bancs ou lits des carrières
penchent un peu du côté du levant ,
mais ayant obfervé moi-même toutes les
carrières & toutes les chanies de rochers
qui le font préfentces à mes yeux , j'ai
reconnu que cette opinion ed: faufîè,
& que les couches ou bancs de pierre
ne penchent du côté du levant ([ue lorf-
que le fommet de la colline penche de
ce même côté ; & qu'au contraire fi le
fommet s'abaiiTe du côté du nord , du
midi, du couchant ou de tout autre
côté, les lits de pierre penchent aufîj du
côté du nord, du midi, du couchant,
&c. Lorfcju'on tire les pierres &: les
marbres des carrières , on a grand foin
de les leparer fuivant leur pofnion na-
turelle , & on ne pourroit pas même les
avoir en grand volume fi on vouloit les
couper dans un autre (èns ; lorfqu'on
ies emploie , il faut pour que la maçon-
nerie foit bonne & pour que les pierres
jdurent long - temps , ies pofer fur leur
T\)me L Q
'3^2 Hifloire Nûturelle,
lit de carrière, c'eil aiiifi que les ouvriers
appellent la couche horizontale : fi dans
ia maçonnerie les* pierres étoient polees
fur un autre fens , elles fe fendroient &
ne réfifteroient pas aufîi long-temps au
poids dont elles font chargées. On voit
bien que ceci confirme que les pierres
le font forme'es par couches parallèles &
horizontales , qui le font fuccefTivemcnt
accumitlées les unes fur les autres, &i que
ces couches ont compofé des malîès
dont la réfiJdance eft plus grande dans
ce iens que dans tout autre.
Au refle, chaque couche, foit qu'elle
foit horizontale ou inclinée, a dans toute
fon étendue une épaiffeur égale, c'efl--
à-dire , chaque lit d'une matière quel-
conque, pris à part, a une épaiffeur
égale dans toute fon étendue ; j^ar exem-
ple , lorfque dans une carrière le lit de
pierre dure a 3 pieds d'épaifî«ur en un
endroit , il a ces 3 pieds d'épailTeur par-
tout ; s'il a fix pieds d 'épaiffeur en un
endroit, il en a 6 par-tout. Dans les
carrières autour de Paris le lit de boime
pierre n'efl pas épais , & il n*a guère que
a8 à2o pouces d'épaifieur par-tout;
Théorie de la Terre. 3 6-^
dans d'autres carrières, comme en Bour-
gogne, la pierre a beaucoup plus d'épai{^ '
leur; il en elt de même des marbres, ceux
dont le liteO: le plus épais, font les marbres '
blancs & noirs , ceux de couleur font or-
dinairement plus minces, & je connois
des lits d'une pierre fort dure & dont les
payfans fe fervent en Bourgogne pour
couvrir leurs maifons , qui n'ont qu'un
pouce d'épaifleur. Les épaifîeurs des dif^
fercns lits font donc différentes, mais
chaque lit conferve la même épaiffeur
dans toute fon étendue : en général, on
peut dire que i'épaifleur des couches
horizontales eil tellement variée , qu'elle
va depuis uv\Q ligne & moins encore ,
jufqu'à I, 10, 20, 30 & 100 pieds
d'epaiffeur \ les carrières anciennes &
nouvelles qui Ibnt creufees horizontale-
ment ; les boyaux des mines , & les cou-
pes à plomb, en long & en travers , de
^pluficurs montagnes, prouvent qu'il y
s des couches qui ont beaucoup d'éten-
due en tout fens. ce II eil bien prouvé ,
dit rhiftorien de l'Académie, que ce
toutes les pierres ont été une pâte ce
molle , «Se comme il y a des carrières «
Qi;
^6 4' HiJIoire Nûtiirel/e.
33 prefque par-tont, la furtace dch terre
53 a donc été dans tous ces lieux , du
D3 moins jufqu'à une certaine profon-
DO deur, une vafe & une bourbe ; les co^
35 quillages qui fe trouvent dans prel que
30 toutes les carrières, prouvent que cette
33 vafe etoit une terre détrempée par l'eau
33 de la mer, & par conféquent la mer
33 a couvert tous ces lieux-là , & elle n'a
33 pu les couvrir lans couvrir au(li tout
33 ce qui étoit de niveau ou plus bas,
3> & elle n'a pu couvrir tous les lieux
33 où il y a des carrières & tous ceux qui
33 font de niveau ou plus bas, lans çou-
33 vrir toute la furface du globe terreflre.
53 Ici l'on ne confidère point encore les
35 montagnes que la mer auroit dû cou-
33 vrir aulîj , puifqu'il s'y trouve toujours
» des carrières &. louvent des coquil-
33 îages ; û on les (lipporoit fermées, le
33 raifonnement que nous f liions en de-
33 viendroit beaucoup plus fort.
53 La mer , continue - t - il , couvroit
35 donc toute la terre, & de-ià vient que
33 tous les bancs ou lits de pierre qui
?:> font dans les plaijics, font horizontaux
5> ÔL parallèles entr'cux , les poiiîons
Théorie de la Terre. 365
auront été les plus anciens habitans ce
du globe, qui ne pouvoir encore avoir ce
ni animaux terreftres, ni oileaux. Mais ce
comment la mer s'eft-elle retirée dans ce
les grands creux , dans les vafles baffins ce
qu'elle occupe préientementî Ce qui ce
le préfente le plus naturellement ài'ei- £c
prit, c'eft que le globe de la terre, du ce
moins jufqu'à une certaine profondeur, ce
n'étoit pas folide par-tout, mais entre- ce
mêlé de quelques grajids creux dont ce
ies voûtes le font foutenues pendant un ce
temps, m/ais enfin font venues à fon- ce
dre fubitement ; alors les eaux feront ce
tombées dans ces creux , les auront ce
remplis, &: auroht laide à découvert ce
une partie de la farn\ce de la terre qui ce
iéra devenue une habitation convena- ce
ble aux animaux terre (Ires & aux oi- ce
féaux : les coquillages des carrières s'ac- ce
cordent fort avec cette idée , car outre «:
qu'il n'a pu fe conferyer jufqu'à pré- ce
ient dans les terres que des parties ce
pierreufes des poifîons , on fait qu'or- ce
dinairement les coqtiillages s'amaffent <e
en grand nombre dans certains en- ce
droits de la mer, où ils font comme ac
Qiij
^66 HiJIoire Naturelle.
•y> immobiles 6c forment àt% efpèces Je
r> rochers ; & ils ^l'auront pu fuivre ics
:>3 eaux qui les auront flibiiement -aban-
yy donntes ; c'eft par cette dernière raifcn
» que l'on trouve infiniment plus deco-
3:) c|uiliages que d'arêtes ou d'empreintes
33 d'autres poiflons , ci cela même prouve
>:• une chute foudiiiiie de la mer daiis
35 Tes badins. Dans le même temps que
y> les vouîcs que nous Tupp-ofons, ont
» fondu, il eft fort poffibie que d'autres
■x> parties de la furface du globe fe foient
yi é\Q\iç.%^ & par la mcmecaufe, ce feront
33 là les montagnes qui le leront placées
•»> fur cette (urfice avec des carrières déjà
33 toutes formées ; mais les lits de ces car-
j3 rières n'ont pas pu conlerver la di-
33 redion horizontale qu'ils avoient au-
33 para vaut , à moins que les maffes des
33 montagnes ne fe fuffent élevées pré-
3> cifémcnt lelon un axe perpendiculaire
33 à la furface de la terre , ce qui n'a pu
33 être que très-rare : aufîi comme nous
33 l'avons déjà obfervé en 1708, (pûge
-i-y ^ 0 & fijv.) les lits des carrières des
33 montagnes font toujours inclinés à
v> riiorizon; mais parallèles enir'eux ^
Théorie de h Terre. 3^7
cîir ils n'ont pas changé de pofition les ce
uns à i'éo-ard des autres, mais leulement ce
à l'égard de la furface de la terre, j? Voye:^
les Mcm. de i'Acad. année i ji 6 , page
j \^ &fuiv. de l'Hifloire.
Ces couches parallèles , ces iits de
terre ou de pierre qui ont été formés
par les fédimçns des eaux delà mer,
s'étendent fouvent à des diflances très-
confidérables , & même on trouve dans
îes collines féparées par un vallon les
mêmes lits, les mêmes matières, au même
niveau. Cette obfervation que j'ai fîiite ,
s'accorde parfaitement avec celle de l'é-
galité de la hauteur des collines oppo-
fées dont je parlerai tout-à-l'heure ; on
pourra s'afTurer aifément de la vérité
de ces fîtits , car dans tous les vallons
étroits , où l'on découvre des rochers j
on verra que les mêmes lits de pierre ou
de marbre fe trouvent des deux côtés à
la même hauteur. Dans une campagne
que j'habite (buvent &. où j'ai beaucoup
examiné les rochers & les carrières , j'ai
trouvé une carrière de marbre qui s'é-
tend à plus de douze lieues enlongueur^
& dont h largeur eft fort confidérable,
368 Hîj%îre Naturelle;
quoique je n'aie pas pu m'aifurer pré-
çirénient de cette étendue en largeur.
J'ai* fou vent obferVé que ce Ik de marbre
a la iriênie épaiiTeur par-tout , & dans
des collines féparées de cette carrière
par un vallon de 1 00 pieds de profon-
deur & d'un quart de iieue de largeur,
î'ai trouvé le même lit de marbre à la
même hauteur : je fuis perfuadé qu'il
en efl de même de toutes les carrières
de pierre ou de marbre où l'on trouve
des coquilles ; car cette obfervation n'a
pas lieu dans les carrières de grès. Nous
donnerons dms la fuite les raifons de
cette différence, & nous dirons pour-
quoi le grès n*c(t pas difpofé , comme
les autres matières, par lits horizontaux,
^ qu'il efl: en blocs irréguliers pour la
forme & pour la pofition.
On a de même obfervé que les lits
de terre font les mêmes des deux côtés
des détroits de la mer , & cette obferva-
tion, qui efl importante, peut nous con-
duire à reconnoître les terres & les îles
qui ont été féparées du continent ; elle
prouve, par exemple, que l'Angleterre
a été féparéedela ÎVançe, l'Elpagne i%
Théane de la Ttrre* jij^
rAfrique , la Sicile de l'Italie, & il ferait
à loLihaiter qu'on eût fliit la même obler-
vatioii dans tous les détroits; je fuis per-
/uadc qu'on la trouveroit vraie prefque
par- tout, &pour commencer par le plus
long détroit que nous connoiffions, qwi
eft c€iui de Magellan, nous ne (avons
pas fi \qs mêmes lits de pierre (c trouvent
à la même hauteur des deux côtés , mais
nous voyons à l'infpedion des cartes
particulières de ce détroit., que les deux
côtes élevées qui le bornent, forment à
peu près comme les montagnes de Li
terre , des angles correfpondans , & que
-les angles fiillans (ont oppofés aux angles
rentrans dans les détours de ce détroit ,
ce qui prouve que la terre de Feu doit
être regardée comme une pîirtie du con-
tinent de l'Amérique ; il en eft de même
du éétroit de Forbisher , l'iie de Fril-
lande paroît avoir été féparée du conti-
îient du Groenland.
Les îles Maldives ne font Réparées les
unes des autres que par de |>etits trajets
de mer, de chaque côté deiquels le
trouvent de> bancs & des rochers cona-
. poJjes éè h mèm^ iiiatiè*e ; toutes ces
Q V
'37^ Hipoke Naîureik.
îles qui , prifes enfemble , ont près de
2.0 0 lieues de longueur, ne formoieni
autrefois qu'une même terre, elles ibnt
divifées en treize provinces que l'on ap-
pelle Aîûllons, Chaque A tollon contient
un grand nombre de petites îles dont la
plupart font tantôt fubmerge'e?, & tantôt
à découvert ; mais ce qu'il y a de remar-
quable, c'efl: que ces treize Atollons font
chacun environnés d'une chaîne de ro-
chers de même nature de pierre, & qu'ii
n*y a que trois ou quatre ouvertures
dangereufes par où on peut entrer dans
chaque A tollon ; ils font tous pofés de
fuite & bout à bout, & il paroît évi !em-
ment que ces îles étoient autrefois une
iongue montagne couronnée de rochers.
Voye^ Voyages de Franc, Pyrard, vol. 1,
Paris , I y 1 p , page i o S , &c,
Pluficurs auteurs, comme Verftegnn ,
Twine , Sommer , & fur-toiu Campbell
dans fa defcription de l'Angleterre , au
chapitre delà province de Kent, don-
nent des raifcns très-fortes , pour prou-
ver que l'Angleterre étoit autrefois jointe
à ia France , & qu'elle en a été féparée
par un coup de mer qui s'étant ouvert
Théorie Je la Terre» ^Ji
cette porte, a laiflé à de'couvert une
grande quantité déterres bafles & inaré-
cageufes tout le iong des côtes méridio-
nales de l'Angleterre. Le Dodeur Waliis
fait valoir comme une preuve de ce fait,
ia conformité de l'ancien fancraore des
Gallois & des Bretons , & il ajoute plu-
fieurs obfervations que nous rapporte-
rons dans les articles fui vans.
Si l'on confidère, en voyngeant , la
forme de> terreins , la poliîion des mon-
tagnes & les finuofités des rivières, on
s'apercevra qu'ordinairement les collines
oppofécs foni non-feuleinent compofécs
des mêmes matières , au même niveau,
mais même qu'elles font à peu près
également élevées : j'ai obier vé cette
égalité de hauteur dans les endroits où
j'ai voy^'gé ; &i je fai toujours trouvé
la même, à irès-pcu près, des deux
côtés, fur-tout d.iiis les valions ferrés,
& qui n'oiit tout au plus qu'un quart
ou un tiers de lieue de larocur; car
d^nsles grandes vdlées qui ont bcau-
-ccup plus de largeur, il cd allez dilliciie
de fuger exaèleinent de la hauteur des
coiiiiie^ <Sv de leur égaliiéj parce qu'il y a
Q v;
37^ Hiflolre Ndînrelk»
erreur d'optique & erreur de jugement;
en regardant une plaine ou tout autre
tenein de niveau \ qui s'étend fort au
îoin, il paroît s'élever, & au contraire
en voyant de loin des coltines, elles
paroifleni s'abaifîcr : ce n'ell: pas ici le
iieu de donner la raiCon mathéinatique
de cette différence. D'autre côté, il eft
fort difficile de juger par le fiinple coup
<l'œil où (e trouve le milieu d'une grande
Tallée, à moins qu'il n'y ak une rivière;
ïiu lieu que dans \&s vallons lerrés le
rapport des yeux efl: moins équivoque
& le jugement plus cenain. Cette partie
de la Bourgogne qui elt comprile entre
Auxerte , Dijon, Autun & Bar-fur-
Seine , oc dont une étendue confidérable
s'appelle k bailliage de la Montagne,
cft un des endroits les plus élevés de la
France; d'un côté delà plupart de ces
montagnes qui ne font que du fécond
ordre, & qu'on ne doit regarder que
comme des collines élevées , les eaux
coulent vers l'océan , & de l'autre vers
!a méditerranée; il y a des points de
partage , comme à Sombernon, Pouifli
%n Auxois, &c. où on peut tourner kç
Théorie de la Terre. 373'
eaux indifféremment vers l'océan ou
vers la méditerranée : ce pays élevé eft
entre-coupé de plufiewrs petits vallons
allez ferrés, &. prefque tous arrolés de
gros ruiffeaux ou de petites rivières. J'ai
mille & mille fois oblervé la correl[)on-
dance des angles de ces collines & leur
égalité de hauteur, & je puis aflurer que
j'ai trouvé par-tout les angles faillans
oppofés aux angles rentrans, & les hau-
teurs à peu près égales des deux côtés»
Plus on avance dans le pays élevé où
font les points de partage dont nous
venons de parler, plus les montagnes
ont de hauteur ; mais cette hauteur efl
toujours la même des deux côtés des
vallons, & les collines s'élèvent ou s'a-
baiffent également : en ie plaçant à
l'extrémité des vallons dans le milieu
de la largeur, j'ai toujours vu que le
J^afTin du vallon étoit environné & lur-
monté de collines dont la hauteur étoit
égale , j'ai fîtit la même obièrvation darrs
plu fleurs autres provinces de France,
C'efl: ccitc égalité de hauteurs dans les
collines qui fait les plaines en monta-
gnes , ces pliiines , forment , pour aiafi
^374 Hijlohe Naturelle.
dire , des pays élevés au-delTus d'autres
pays; mais les hautes montagnes . ne
paroiiïent pas êti^e fi égales en hauteur,
elles fe terminent la plupart en pointes
& en pics irréguliers ; & j'ai vu en
traverflmt piufieurs fois les Alpes &
i'Apennin, que les angles font en effet
correfpondans, mais qu'il eft prefque
impolfible de juger à l'œil de l'égalité ou
de l'inégalité de hauteur des montagnes
oppofées , parce que leur fommet fe perd
dans les brouillards & ditns les nues.
Les différentes couches dont la terre
eft compofée, ne font pas dilpofées,
fuivant l'ordre de leur pelanteur fpéci-
jfique , fouv ent on trouve des couches
de matières pefuites pofées fur des cou-
ches de matières plus légères; pour s'en
affurer , il ne faut qu'examiner la nature
des terres fur leiquelles portent les
rochers, &: on verra que c'cd ordinai-
rement fur des glaifes ou iur des iables
qui font fpécifiquement moins pelans
que la matière du rocher. Dans les
collines & dans les autres j)ciiLes élé-
vations , on reconnoii facilement la ba'e
fur laquelle portent les rochers; mais
Théorie de la Terre* 375
1Ï n'en eft pas de même des grandes
montaornes, non-feulement le Ibmmet
eu de rocher, mais ces rochers portent
fur d'autres rochers, il y a montagnes
fur montagnes & rochers fur rochers,
à des hauteurs fi confidérables & dans
une Çi grande étendue de terrein , qu'on
lie peut guère s'affurer s'il y a de la terre
dcffous, & de quelle nature eft cette
terre. On voit des rochers coupés à pic
qui ont plufieurs centaines de pieds de
hauteurs , ces rochers portent fur d'autres
qui peut-être n'en ont pas moins , cepen-
dant ne peut- on pas conclure du petit
au grand î & puifque les rochers des
petites montagnes dont on voit ta ba(e,
portent fur' des terres moins pelantes &
moins folides que la pierre , ne peut-on
pas croire que la bafe des hautes mon-
tagnes eft aufti de terre \ Aw refte tout
ce que j'ai à prouver ici , c'eft qu'il a
pu arriver naturellement, par le mou-
vement des eaux , qu'il le {(Ài accu mu ié
des matières plus peiiuites au-dcflus des
plus légères; & que fi cela le trouve en
effet dans la plupart des collines , il eR
probable que cela eft arrivé cçmnie je
37^ f^lffoire Naturelle.
l'explique dans le texte. Mafs quand
même on voudroit fe refuler à mes
raiions , en m'oBjedant que je ne fuis
pas bien fonde à fuppoler qu'avant la
formation des montagnes , les matières
les plus pelantes étoient au-delTous des
moins pe Tantes , je répondrai que je
îi'aflure rien de général à cet écrard ,
J)arce qu'il y a piufieurs manières dont
cet effet a pu lé produire, foit que les
matières pelantes fuflent au-deiïous ou
au-deiïus, ou placées indifféremment,
comme nous ks voyons aujourd'hui ;
car pour concevoir comment la mer
ayant d'abord foriné une montagne de
glaife l'a enfuite couronnée de rochers,
il fufïit de fiire attention que les fédi-
mens peuvent venir fuccefll veinent de
différens endroits , & qu'ils peuvent être
de matières différentes, en forte que
dans un endroit de la mer oij les eaux
auront dépofé d'abord piufieurs fédi-
mens de giai(è, il peut très- bien arriver;
que tout d'un coup au lieu de giail-eles
eaux apportent des fédimens pierreux
& cela parce qu'elles auront enlevé du
fond, .Qw détaché «des côtes .w>wtc ia
Théorie de la Terre, '^yj
glaife : & qu'eiifuite elles auront attaque
les rochers , ou bien parce que les pre-
miers fédimens venoient d'un endroit,
& les féconds d'un autre. Au relie, cela
s'accorde parfiiitement avec les oblerva-
tions , par lerqueiles on reconnoît que
les lits de terre, de pierre, de gravier,
de fiible , &c. ne fuivent aucune règle
dans leur arrangement, ou du moins
le trouvent placés indifféremment &
comme au hafard les uns au-defîus des
autres.
Cependant ce hafard même doit avoir
des règles qu'on ne peut connoître
qu'en eftimant la valeur des probabilités
& la vraifemblance des conjectures.
Nous avons vu qu'en fuivant notre h y-
pothèie fur la formation du globe, l'in-
térieur de la terre doit être d'une matière
vitrifiée, fembiable à nos fables vitri-
fiables- qui ne font c|ue des fragmens de
verre, & dont les glaifes font peut-être
les fcories ou les parties décompofées ;
dans cette fuppofiiion, la terre doit être
compoiée dans le centre , & prefque
jufqu'à la circonférence extérieure , de
verre ou d'une matière vitrifiée c]\À eu
378 Hiflolre Naturelle.
occupe prefque tout l'intérieur, & nti-
deffus de cette matière on doit trouver
les fables , lès glaîfes & les autres fcories
de cette matière vitrifiée. Ainfi en con-
fidèraht la terre dans Ton premier état,
c'étoit d'abord un noyau de verre ou
de matière vitrifiée , qui eft ou malllve
comme le verre , ou divifée comme le
fable , parce que cela dépend du degré
de l'ftélivité du feu qu'elle aura éprouvé ;
au-deffus de cette matière étoient ies
fables, & enfin les glaifès; le limon des
eaux & de l'air a produit l'enveloppe
extérieure qui efl: plus ou moins épaiiïe
iliivant la fituation du terrein , plus ou
moins colorée fuivant les diffère ns mié-
ianges du limon , des fables <Sc des parfics
d'animaux ou de végétaux détruits , &
plus ou moins féconde fuivant l'abon-
dance ou la difette de ces mêmes parties.
Pour faire voir que cette fuppofition,
au fujet de la formation des fibles ô^
des glailes , n'efi: pas aufîi gratuite qu'on
pourroit l'imaginer, nous avons cru
devoir ajouter à ce que nous venons
de dire, quelques lemarques particu^
lières.
Théorie de la Tene. '^,79
Je conçois donc que la terre dans le
premier état étoit un globe, ou piiiîôt
un iphéroïde de matière vitrifiée, de
verre, fi l'on veut, très- compare ,
couvert d'une croûte légère & friable ,
formée par les fcories de la matière en
fufion , d'une véritable pierre ponce: le
mouvement & l'agitation des eaux &
de l'air brisèrent bien-tôt &: réduifirent
en pouffjère cette croûte de verre fpon-
gieufe , cette pierre ponce qui étoit à In
furface; de - là les fables qui, en s'u-
niffant, produifirent eniuite les grès &
Je roc vif, ou, ce qui eft la mène
chofe, les cailloux en grande maffe ,
qui doivent , aufîi-bien que les cailloux
en petite maiïe , leur dureté , leur cou-^
leur ou leur tranfparence & la variété
de leurs accidens , aux différens degrés
de pureté & à la ftneflc du grain des
fibles qui font entrés dans leur corn-
pofition.
Ces mêmes fables dont les parties
conftituantess'uniiïent par le moyen du
feu , s'afllir.iient & deviennent un corps
dur très-denfe, & d'autant plus tranl-
pareat que le lable eft plus homogène,
380 Hi flaire Naturelle*
expofés au contraire long-temps à V^àr^
le décompolent par la déllinion & l'ex-
foliation des petites lames dont ils font
formés , ils commencent à devenir terre ^
& c'efl ainfi qu'ils ont pu former les
glaifes & les argiles. Cette poufîJèrej
tantôt d'un jaune brillant, tantôt iem-
blable à des paillettes d'argent dont ou
le lert pour fécher l'écriture, n'eft autre
chofe qu'un fable très-pur, en quelque
façon pourri , prelque réduit en les
principes, ôi qui tend à une décompo-
fition parf lite : avec le temps ces pail-
lettes iè feroient atténuées & divifées au
point qu'elles n'auroient plus eu affez
d'épailTeur & de lurface pour réfléchir
fa lumière , & elles auroient acquis toutes
les propriétés des gîailes : qu'on regarde
au grand jour un morceau d'argile , en
y apercevra une grande quantité de
ces pailleues talc[ueuies, qui n'ont pas
encore enuèrement perdu leurforme. Le
fible peut donc avec le temps produire
l'argile, & celle-ci en fedivifant acquiert
de même les propriétés d'un véritable
limon , matière vitrifiable comme l'argile
à. qui efl du même genre.
Théorie de la Terre, :> § t
Cette théorie eft: conforme à çc qui
fê palîe tous les jour^ lous nos yeux ;
qu'on Live du iable iortant de fa minière ,
i'eau ie chargera d'une afTez grande quan-
tité de terre noire , dufliie , grafle , de
l'eritable argile. Dans les villes où les
rues (ont pavées de grès, les boues font
toujours noires & trcs-grafies , &l é^iÇé-
chées elles forment une terre de la même
nature que l'argile. Qu'on détrempe «Se
qu'on lave de même de l'argile prile
dans un terrein où il n'y a ni grès ni
cailloux, ii le précipitera toujours au
fond de l'eau une afîez grande quantité ' *
de labîe vitriliable.
Mais ce qui prouve parfiitement que Q^ixkM ^t^Jh,
le Hible, & même le caillou & le verre, a
ex i (lent dans l'argile & n'y font que
déguilés, c'eft que le feu en réunifiant
les parties de celle-ci, que l'aélion de
l'air &: des autres éiémens avoit peut-
être divifées, lui rend fa première forme.
Qu'on mette de l'argiie dans un four-
neau de réverbère échauffé au degré
de la calcination ,, elle le couvrira au
dehors d'un émail très-dur: fi à l'intérieur
elle a'efl pas encoi^ vitrifiée, elle aura
3^^ ////?^/V^ Naturelle,
cependant acquis une très-grande duret<^,
elle réridera à la lime & au burin; elle
étjnceiera fous le hiarteau , elle aura enfin
toutes les propriétés du caillou ; un degré
de chaleur de plus la fera couler &. la
convertira en un véritable verre.
L'ai-gile & le ilible font donc des ma-
tières parfiitement analogues & du même
genre , ù l'argile en fe condenllint peut
devenir du caillou , du verre , pourquoi
îc fahie en fe divifint ne pourroit-il pas
devenir de l'argile î Le verre paroît être
ÉÉ if^ J^ la véritable terre élémentaire , & tous les
i f* ^nixtes .un verre déguifé ; les métaux , les
r»*^^*^ ^'ininéraux , les fels , &c. ne font qu une
terre vitreilible ; la })ierre ordinaire, les
autres matières qui lui font analogues , &:
-les coquilles des teftacécs, des crufiacées,
&c. font les feules fubflances qu'aucun
ao-ent connu n'a pu jufqu'à pré fent vitri-
fier, &L les feules qui femblent faire une
claffe à part. Le feu en réunifiant les par-
ties divifées des premières , en fait une
matière homogène , dure & traiifparente
^\\i\ certain degré, fans aucune diminu-
tion de pefanteur, & à laquelle il n'eft
plus capable de cauler aucune altération;
Théorie de h Terre', 383'
celles-ci au contraire, dms iefquelies ii
entre une plus graïude quantité de prin-
cipes aélifs & volatils, & qui fe calcinent,
perdent au feu plus du tiers de leur poids,
& reprennent fiinplement la forme de
terre, fans autre altéradon que la de'funioii
de leurs principes : ces matières excep-
tées, qui ne font pas en grand nombre,
& dont les combinaifons ne produifent
pas .de grandes variétés dans la Nature,
toutes .les autres fubftances, & particu-
lièrement f argile , peuvent être conver-
ties en verre , & ne font eflentiellement
par conféquent qu'un verre décompofé.
Si le feu fiit changer promptement de
forme à ces fubllances , en les vitrifiant ,
fe verre , lui-même , l'oit qu'il ait la na-
ture de verre, ou bien celle de lable ou
de caillou , fe change naturellement en
argile, mais par un progrès lep.t & in-
fenfible.
Dans les terreins où le caillou ordi-
naire ed la pierre dominante , les campa-
gnes en font ordinairem.ent jonchées; &. fi
le lieu efl inculte & que ces cailloux aient
été long-temps expofés à l'air fans avoir
été remués, leur fuperficie fupérieure efl
384 Hijhire Nûîurellc.
toujours très-blanche , tandis que le coté
oppofé qui touche inimcdiatement à la
terre , ell: rrès-brwn & conferve la cou-
leur naturelle : fi on caffe pluficurs de ces
cailloux , on r^connoîtra que la blan-
cheur n'eft pas feulement au dehors,
mais qu'elle pénètre dans l'intérieur plus
ou moins profondément , & y forme une
efpèce de bande qui n'a dans de certains
cailloux que très-peu d'épaiiîeur, mais
qui dans d'autres occupe pi-efque toute
celle du caillou ; cette partie blanche efh.
un peu grenue, entièrement opaque,
aufli tendra que la pierre, & elle s'attache
à la langue comme les bols, tandis que
k relie du caillou efl: ii/fe & poli , qu'il
n^ani fil ni grain, & cju'il a conferve fa
couleur naturelle , fa tranfparence & fà
même dureté; fi on met dans un four-
neau ce même caillou à moitié décom-
pofé ,, fli partie blanche deviendra d'un
rouge couleur de tuile , & fa partie brune
d'un très-beau blanc. Qu'on ne dil'e
point avec un de nos plus célèbres Na-
luraliftes, que ces pierres font des cail-
loux imparfaits de difîerens âges , qui
n'ont pas encore acquis leur perfedion ;
cax^
Théorie de la Terre. 385
cair pourquoi feroient-ils tous imparfaits ^
pourquoi le feroient-iis tous du même
côtéjd: ducôté qui eft expofé à l'air î H
111c fembie qu'il ci\ aile de le convaincre
que ce (ont au contraire des cailloux
alierés, décompofés, qui tendent à re-
prendre la forme & les propriétés de
i argile & du bol dont ils ont été formés.
Si c'eil conjedurer que de raifonner
ainfi , qu'on expole en plein air le caillou
le plus caillou (comme parle ce fameux
Naturalifte) , le plus dur & le plus noir,
en moins d'une année il changera de
couleur à la (urfàce , 6l fi on a la patience
de lliivre cette expérience, on lui verra
perdre infenfiblement & par degrés fà
dureté, fa tranlparence & les autres ca-
radères fpéciliques , & approcher de
plus en plus chaque jour de la nature
de l'argile.
Ce qui arrive au caillou, arrive au
ia])ie ; chaque grain de iable peut être
conlidéré comme un petit caillou , &
chaque caillou comme un amas de grains
de faille extrêmement fins & exadement
engrenés. L'exemple du premier degré
de décompofuion du (able iè trouve
Tome L R
3 8 6 Hijloke Nnrureik.
dans cette poudre brîllanie, mais opaque^ ,
micû , dont nous venons de parler, &j
dont i'arglie & J'ardoife font toujours ;
parienîées; ies cailloux entièrement trani-
parens , les quart-^, produiicnt, en fc dé-
compoiant, des talcs gras & doux au
toucher, auiîi pétrifiables & ducn:iles que
}a glaiie, & vitrifiabics comme eife , tels
que ceux de Venile & de Molcovie; &
il me paroît que le talc eft un terme
moyen entre le verre ou le caillou trani-
parent & l'argile , au lieu que le caillou
grofiler & impur, en (e décompodint,
paUe à l'araile ians intermède.
Notre verre faclice éprouve aufTi la
même altération , il fe décompoie à l'air -
ÔL ie pourrit en quelque façon en féjour-
liant dans les terres; d'abord là fuper-
fîcie s"infe , s'écaille, s'exfolie, & en le
nianianî on s'aperçoit qu'il s'en détache
des paillettes brillantes ; mais lorique
fa décompofinon efl plus avancée , il
s'écrale entre les doigts & fe réduit en
})Oudre talqueufe très-blanche & très-
line, i'Art a même imité la Nature pour
la décompofition du verre ôl du caillou,
EJl eùam certa melhodus folius aqiuv
Tfieone de h Terre, 387
tommimis opefd'ices & atenam in \quorem
vifcofum , etnndtmque in fal v'iride c cuver-
îendi , &" hoc in okum rubicundum , &c>
Sûlius igniî éf aquœ ope fpeciali expert-
mento duriffimos qitofque lapïdts in mucorem
rcfolvo, qui diftillatus fubtilem fpiritum ex-
fûbct â^ oleum nidlïs laudlbus ptœdicabile.
Voyez Bêcher, Phyf. fubter.
Nous traiterons ces matières encore
plus à fond dans notre difcours fur \qs
iiiine'raiîx , & nous nous contenterons
d'ajouter ici , que les différentes couches
qui couvrent le giobe terreflre, étant
encore aclueiiement ou de matières que
nous pouvons confidérer comme vitri-
fiées, ou de matières analogues au verre,
qui en ont les propriétés les plus eiïen-
tielies, & qui toutes font viirefcibles ; &
que d'ailleurs, comme il efl: évident que
de la décompofuion du caillou & du
verre qui fe f:\it chaque jour fous nos
yeux , il réfulte une véritable terre argi-
ieufe, cen'efl donc pas une fuppofition
précaire ou gratuite, que d'avancer,
comme je l'ai fait , que les glaifes , les
argiles & les fibîes ont été formés par
ies icories & les écumes vitrifiées du
Rij
'388 Hipire Naturelle.
globe terreilre , fur - tout lorfqu'on y
joim les preuves a priori , que nous
avons données p^our faire voir qu'il a
été dans un état de liquéflidion caufée
par le feu.
PREUVES
DE LA
THÉORIE DE LA TERRE,
ARTICLE VIIL
Sur les Coquilles & les autres pro-
diiâwns de la mer, quon trouve
daiis ï intérieur de la terre.
J'ai fouvent examiné des carrières du
haut en bas , dont les bancs étoient
rempi'is de coc[uiIles, j'ai vu des collines
entières qui en font compofées, à&s
chaînes de rochers qui en contiennent
une grande quantité dans toute leur
étendue. Le volume de ces produdions
Théorie Ae h Terre. 385?
de îa mer efl: étonnant , & ïe nombre de
ces dép oui lies d'animaux marins eft fi
prodigieux , qu'il n'eft guère poUlble
d'imaginer qu'iipuiiï'e y en avoir davan-
tage dans ia mer \ c'cft en confidcrant
cette multitude innombrable de coquilles
& d'autres productions marines, qu*on
ne peut pas douter que notre terre
n'ait été pendant un très-Iong-témps
un fon-d de mer peuplé d'autant de
coquilia ges que l'eftaiflueiiement l'océan:
la quantité en eft immenfe, & naturel-
iement on n'imagineroit pas qu'il y eût
dans la mer une multitude aufli grande
de ces animaux; ce n'eft que par celle
des coquilles fofîjles & pétrifiées , qu'on
trouve fur la terre , que nous pouvons
en avoir une idée. En effet, il ne flmt-
pas croire , comme fe l'imaginent tous
îes gens qui veulent raifonner fur cela
fans avoir rien vu , qu'on ne trouve
ces coquilles que par hafàrd, qu'elles^
font diiperfées çà & là, ou tout au
plus par petits tas , comme des co-
cjuilles d'huîtres jetées à la porte ; c'efl
par montagnes qu'on les trouve, c'eft
par bancs de 1 00 6c 200 lieues de
R iij
3 p o Hiflotre NdtiircJle,
longueur; c'cii: par collines & pap-pro-
vinces qu'ii faut les toiier, fouvent dans
une L'paiffeur de 5 $> ou 60 pieds , & c'efl
d'après ces faits qu'il faut raifonner.
Nous ne pouvons donner fur ce fujet
un exemple plus frappant que celui des
coquilles de louraine; voici ce qu'en dit
l'Hidorien de l'Académie, année i y 2 o,
page j & fu'iv. ce Dans tous les fièciès
yy aOez peu éclairés & a(iez dépourvus
D) du Q^éiXQ. d'obfervation & de recher-
D5 cheb, pour croire que tout ce qu'on
» appelle aujourd'hui ^/Vr^^j-^^^^r/^i, &
53 les coquillap-es même trouvés dans la
:>^ terre , é oient des jeux de la Nature^
>3 ou quelques petits accidens particu-
>D liers ; le ha'làrd a dii mettre au jour une
53 intinité de ces fortes de curiofités que
>:> les Philofophes même, fi c'étoient des
y> Philofophes , ne regardoient qu'avec
25 une furprife ignorante ou une légère
a> attention , & tout cela périfToit fans
iD auciui fruit pour le progrès des con-
>> noillances. Un Potier de terre qui ne
i> favoit ni latin ni grec, fut le premier (d)
(d) Je ne puis m'empecher d'obferver que fe
femiment de Palifiy a voit été celui des Anciens ;
Théorie de la Terre. 391
v^^isk fin au XVI / ficcie qui oCi dire «
dans Paris, & à la face de tous ies «
Dodeurs, que ies coquilies foilues ce
€toientde véritables coquilles dépotées ce
autrefois par ia mer dans les lieux ou ce
elles fe trouvoient alors ; que des ani- ce
maux, «& fur-tout des poiHons , avoient ce
<ionné aux pierres figurées toutes leurs ce
•<llfférentes figures. &c. & il défia ce
hardiment toute i'écoie d'AriUote ce
d'auaquer fes preuves; c'elt Bernard ce
PaliîTy , Saintongeois , aulTi grand te
Phyficien que laNature feule enpuiffe ce
former un; cependant fon fyftème a ce
dormi près de cent ans, & le nom ce
même Je l'auteur eft prefque mort, ce
Enfin ies idées de Paiifly fe lont ce
réveillées dans lelprit de plufieurs ce
Savans , elles ont fait la fortune qu elles ce
méritoient, on a profité de toutes les ce
coquilles, de toutes les pierres figu- ce
récs que la terre a fournies, peut-être ce
Conchuks, avenus, huccinns , caknlos varié hfâos
flrmrimfolo, quibiijdam eîiam in numtilms repcrirt,
cenum f.gmm maris alluvione evs coopmos locos volunt
HcroÂus, Flato, Simho , Semcn Temlhmm .
ry ardus, Ovidim, iX aiii. Vide Daufqui , lerra
39 2 Hifoire Naturelle.
» (êufement font-elles devenues aujour-
>- cl hui trop commufîes , & les confé-
« quences qu'on en tire, font en danger
^' cl être bientôt trop inconteftafcles.
» Maigre cela, ce doit être encore une
» chofe étonnante que le fujet des obfer-
» vations préièntesde M. de Reaumur
«. . ne malTe de 130 millions 680 nulle
=' toifes citbiques, enfo.ne fous tejre, qui
>> n eifqu unamasdecoquillesoudefcL
- n-.ens de coquilles, uns nul mélan ce de
« matière étrangère, ni pierre, ni t?rre,
- n, labJe ; jamais jufqu'à préfent les
-' coquilles fofides n'ont paru en cette
-> «îorme quantité, & jamais , quoiqu'en
=» une quantité beaucoup moinb're, elle?
» n ont paru iTans mélange. C'eft en
» rourauie que fe irouve ce prodigieux
- amas à plus de 3 6 lieixs de la mer- on
» 1 y connoît.parce queles payions de ce
« canton fe fervent de ces coquilles qu'ils
» «!'-entde terre, comme de marne, pour
» fen.I,ferlei,rs campagnes, qui fans cela
'' (eroientabfolument lîériles. Nous laif-
" ions expliqueràM . de Reaumur, com-
» ment ce moyen alTez particulier, & ea
« apparence aiTez bizarre, leur ïcuffit;
Théone de la Terre: '3 9 3^
nous nous renfermons dans ia fmgii- c<
iarité de ce grand tas de coquilles. ^c
Ce qu'on tire de terre , & qui ordi- ce
naireinent n'y eft pas à plus de 8 ou 9 ce
pieds de profondeur, ce ne font que ce
d€ petits fragmens de coquilles, très- ce
reconnoifTabies pour en être des frag- ce
jîiens; car ils ont les cannelures très- ce
bienmarquées,feulewient ont-ils perdu ce
leur luifaAt&leur vernis, comme prei- ce
que tous les coquillages qu'on trouve ce
en terre , qui doivent y avoir été long- ce
te:nps enfouis. Les plus petits fragmens ce
qui ne font que de la poufTière , font ce
encore reconnoiffables pour être des ce
fragmens de coquilles, parce qu'ils ce
Aoni parfaitement de la même matière ce
que les autres, quelquefois il le trouve ce
de. coquilles entières. On reconnoît ce
les efpèces , tant des coquilles enîiè;es ce
que des fragmens un peu gros, quel- ce
qaes-uncs de ces efpèces font connues ce
furies côtes de Poitou, d'autres appar- ce
tiennent à des côtes éloignées. Il y a ce
iufqu'à des fragmensdeplaniesmarines ce
pierreuies , telles que des madrépores, ce
de> champignons de mer, ac toute «
5p4 f^'îjîohe Naturelle.
» cette matière s'appeile dans le pays du
>3 falim.
■y> Le canton , qui , en quelqu'endroit
33 qu'on le fouille, fournit û\x falun , a
■>:> bien neuf lieues carrées de furface.
» On ne perce jamais la minière de fa-
■» lun ou falunière au-delà de 20 pieds ,
33 M. de Reaumur en rapporte les rai-
y> (ons, qui ne font prilesque de la corn-
as modité des laboureurs & de l'épargne
33 des frais; ainfi les fiiunières peuvent
3D avoir une profondeur beaucoup plus
33 grande que celle qu'on leur connoît :
33 cependant nous n'avons fait le calcul
33 des I 30680000 toifes cubiques, que
33 fur le pied de i 8 pieds de profondeur,
-j3 <& non pas de 20, & nous n'avons
33 mis la lieue qu'à 2200 toifes ; tout a
33 donc été évalué fort bas, & peut-être
33 l'amas de coqui les eft-il de beaucoup
33 plus grand que nous ne l'avons pofé;
33 qu'il Ibit il ulement double , combien la
33 merveille augmente-t-elle î
33 Dans les fiits de Phy fique, de petites
33 circonllances que la plupart des gens
33 ne s'avii'eroient pas de remarquer ,
» tirent quelquefois à ccnléquence &
Théorie de la Terre. 395
donnent des lumières. M.deReaumur ce
a oblervé que tous les fVagmens de ce
coquil es font dans leur tas pôles tur ce
ie plat &. horizontalement ; & de-la il a ce
conclu que cette infinité de fragmens ne ce
font pas venus de ce cftie dans le tas ce
formé d'abord de coquilles entières, les ce
fupérieuresauroient par leur poids bnle ce
les inférieures, car de cette manière*! «
fe feroit ftit des écroule mens qui au- <e
roient donné auxfragmens une inhniie ce
de pofitions différentes. Il fltut que la ce
mer ait apporté dans ce lieu-là toutes ce
ces coquilles , foit entières, foit quel- ce
ques-unes déjà briiees, & comme elle ce
les apportoit flottantes, elles etoient ee
pofées fur le plat & horizontalement; ce
après qu'elles ont été. toutes dépotées ce
nu rendez-vous commun, l'extrême ce
lon^tieur du temps en aura brifé & ce-
prefque calciné la plus grande partie ce
fins déranger leur pofnion. ^ «<
Il paroît aiïez par-là qu'elles n'ont ce
pu être apportées que fuccelli vement , c<
&i en effet comment la mer voitureroit- cc-
el!e totu-à- la-fois une fi prodigleuie ce
cuantité de coquilles ; & toutes dan^ «c-
^ R. vi
'39^ Hipolre Naturelle.
^^ une pofïîion horizoriîaîe î elles ont dû
3> i'aiïembler dans un même lieu , & par
:» conféquent ce IJeu a été le fond d'un
^^ golfe ou une elpèce de baiïin.
^^ Toutes ces réflexions j)rouvent que
^> quoiqu'il ait dû refier, & qu'il refte
:>5 effedivement fur la terre beaucoup de
^> vcdiges du déluge univeriel raj)porré
^^ par 1 Ecriture fiinte, ce n'efl point ce
:>^ déhgQ qui a produit l'amas des co-
» quilles de Touraine , peut-être n'y en
3> a-t-il d'aufli grands ainas dans aucun
:>:> endroit du fond de la mer ; mais enfin
>^ ledeluge ne les en auroit pas arrachées ,
^' & s'il l'avoit fait , ç'auroit été avec une
^' impétuofjîé & une violence qui n'au-
3> roit pas permis à toutes ces coquilles
^' <J^^voir une même pofuion ; éhs ont
^> dû être apportées & dépofées douce-
^^ ment, lentcuiem, & par conféquent
55 en un temps beaucoup plus long
^ qu'une année.
» Il fmt donc, ou qu'avant, ou qu'a-
3> près le ûélugt la furflice de la terre ait
55 été, du moins en quelques endroits,
» bien différemment dilpofée de ce
55 qu'elle efi aujourd'hui j que ks mers
Théorie âe h Terre. ^^7
Sl îes GontineiiS y aient eu un autre ce
allongement , & qu'enfin il y ait eu un «c
grand golfe au milieu de la Touraine. ce
Les changemens qui nous font connus ce
depuis le temps des hiiloires ou des ce
fiibksqui ont quelque choie d'hiftori- ce
€jue , font à la vérité peu conildérables , ce
mais ils nous donnent lieu d'imaginer ce
aifément ceux que des temps plus longs ce
pourroiem amener. M. de Reaumur ce
imnaine comment le golfe de Tou- ce
raine tenoit à l'océan, & quel étoit le te
courant qui y charioit les coquilles, ce
mais cen'ertquunefimpîeconjeaui-e ce
donnée pour tenir lieu du véritable fliit <c
inconnu , qui fera toujours quelque ce
chofe d'approchant. Pour parler liire- «c
ment fur cette matière , il taudroit avoir ce
des efpèces de cartes géographiques ce
drefTées félon toutes les niiniè esde co- ce
quillages enfouis enterre; quelle quan- ce
tité d'obfervaiions ne ftudrcit-i' pas , ce
& quel temps pour les avoir! Qui fait ce
cependant filesSciencesn'iront pas im ce
jour jufque là, du moins en partie ! 3,
Ceue quantité fi confdérab'e de
coquilles nous étonaeia m<^iiis li nous
'598 H}j%ire Naîiirelle.
fiiifons attention à quelques circonflances
qu'il e(l bon de ne pas omettre, la pre*
inièreefi que les coquillages le niuitipiient
prodigleulement , <5c qu'ils croiilent en
fort peu de temps, l'abondance d'indi-
■vidus dans chaque efpèce prouve leur
fécondité , ^n a un exemple de cette
grande multiplication dans les huîtres :
on enlève quelquefois dans un feul jour
un volume de ces coquillages de plu-
fieurs toiles de groiïeur , on diminue
confidérablement en aflez peu de temps
ks rochers dont on les fépare , <Sc il femble
qu'on épuife les autres endroits où on les
pêche ; cependant l'année iuivante on en
retrouve autant qu'il y en avoit aupara-
vant, on ne s'aperçoit pas que la quantité
d'huîtres foit diminuée, Ôc je ne lâche
pas qu'on ait jamais épuiié les endroits
où elles viennent naiurellement. Une
féconde attention qu'il faut faire, c'efl
que les coquilles font d'une fubftance
analogue à la pierre , qu'elles fe con-
fervent trcs-lcng-temps dans les matières
molles , qu'elles le pétrifient aifément
dans les matières dures , & que ces pro-
ductions marines ôl ces coquilles que nous
Théorie de la Terre. 399
trouvons fur la terre, étant les dépouilles
de plufieurs fiècles, elles ont du former
un volume fort confidérable.
Il y a, comme l'on voit, une prodi-
o-ieufe quantité de coquilles bien confer-
Yées dans les marbres, dans les pierres à
chaux , dans les craies , dans les marnes,
&LC. on les trouve , comme je viens de
. ie dire , par collines & par montagnes ,
elles font fouvent plus de la moitié du
volume des matières oi^i elles font con-
tenues ; elles paroifTent la plupart bien
confervées d'autres font en fragmens,
mais aflez gros pour qu'on puifle recon-
noître à l'œil l'efpèce de coquille à la-
quelle ces fragment appartiennent , &
c'eft là où fe bornent les obfervations &
les connoiiïances que l'infpe^ion P^ut
nous donner. Mais je vais plus loin, je ^A^^*— ^
prétends que les coquilles font l'inter- >^,4;.j^<U/^
mède que la Nature emploie pour former ^ /.^.^jC^ju
h plupart des pierres ; je prétends que ^ j^
les craies, les marnes & les pierres à chaux ^
ne font compofées que de poufilèrc & de f^ éu'Uy.^
détrimens de coquilles, que par conte- ^
quent la quantité de coquilles dérruiies:^^ ^Ls.9^
^^ q^M*^
eft encore infiniment plus confidérable ^J^ ^.^^-^ ,
'400 HiJIotre Naturelle.
que celle des coquilles confervées: on
verra dans le difcours fur les minéraux les
preuves que j'en donnerai, je méconten-
terai d'indiquer ici le point de vue fous
iequel il faut confide'rer les couches dont
le globe eflcompofé. La première couche
extérieure eft formée du limon de l'air,
du fédiment des pluies , des rofées , <St
des parties végétales ou animales , réduites
en particules dans le(quelies l'ancienne
organifation n'eft pas fenfible; les couches
intérieures de craie , de marne , de pierre
à chaux , de marbre , font compofées
de détriinens de coquilles & d'autres
productions marines , melccs avec des
fr.îgînens de coquilles ou avec des co-
quilles entières , mais les labiés vitri-
fiables & l'argile (mil les matières dont
Irintérieur du globe efl compofé; elles
ont été vitrifiées dans le temps que le
globe a pris la forme , laquelle luppole
néceiïaircment que la m.atière a é é toute
en fufion. Le granité , le roc vif, les
cailloux & les grès e:i grande malle, les
ardoifes , les charbons de terre doivent
leuï origine au fible & à l'argile , & ils
jfoat aufil diipofés par couches , mais ka
Théorie de la Te ire. 40 l
tufs , les grès & les cailloux qui ne font
pas en grande mafîe, les criftaux , les
métaux , les pyiLes , la plupart des
minéraux , les loufres , &c. font des
matières dent la formation eit nouvelle
en comparaifon des marbres, des pierres
calcinables , des craies , des marnes , &.
de tomes les autres m.atières qui font
difpofées par couches horizontales, &
qui contiennent des cocjuiiles & d'autres
débris des productions de la mer.
Comme les dénominations dont je
viens de m^e fervir , pourroient parcitre
obfcures ou équivoques, je crois qu'il cfl
néccfiairede les expliquer. J'entends par
ie moi d'argile, non-feulement les argiles
blanches, jaunes, mais aufîi les gbifes
bleues , molles , dures, feuilletées, &c.
que je regarde comme des fcories de
verre, ou comme du verre décompofé.
Par le mot de fable , j'entends toujours
le fable vitrifiable , & non- feulement je
comprends lous cette dénomination le
fable fin qui produit les grès & que je
regarde comme de la pouiîière de verre,
ou plutôt de pierre ponce, mais auffi le
fabie qui provient du grès ufé & détruit
40 2 HîJIoire Naturelle,
par ic froncment, &. encore le fable gros
coiDine du menu gravier, qui provient
du granité & du foc vif, qui eil aip^re ,
anguleux, rougeâtrc, & qu'on trouve
aflèz communément dans le lit des ruif-
feaux & des rivières qui tirent imme'dia-
tement leurs eaux des hautes montapfnes,
ou de collines qui fontcompoféesde roc
vif ou de granité. La rivière d'Armanfoii
qui paiïe à Sèmur en Auxois, où toutes
îes pierres iont de roc vif, charie une
grande quantité de ce fable , qui ell oxos
ÔL fort aigre ; il efl de la même nature que
îe roc vif ^ & il n'en ed en eiiet que le
débris , comme le crravier calcinable n'efl
que le d^ibris de la pierre de taille ou dii
moellon. Au refle , le roc vif & le granité
font une feule & même fubftance , mais
■j'ai cru devoir employer les deux déno-
minations, parce qu'il y a bien des gens
c[uî en font deux matières différentes :
il en eft de même des cailloux & des crrès
o
en grande malîe, je les regarde comme
des efpèces de rocs vifs ou de granités,
& je les appelle cailloux en grande maffe ,
parce qu'ils font difpofés, comme la
pierre calcinable ; par coucheS; & pour
Théorie de la Terre. 40 3
îes diftinguerdcs cailloux & des grès que
j'appelle en petites majfes , qui ioiit les
cailloux ronds & les grès que l'on trouve
à la chajfe, comme difeiit les ouvriers ,
c'eft-à-dire , les c^rès dont les bancs n'ont
pas de fuite & nelbrment pas de ca-rières
continues & qui aient une certaine éten-
due ; ces o-rès & ces cailloux font d'une
formation plus nouvelle , & n'ont pas
la même ori<,nne que les cailloux & les
grès en grande mafîe , qui font difpofés
par couches. J'entends par la dénomina- */> 1^
lion à'ardoîfe , non-feulement l'ardoife^6«^,
bleue, que tout le monde ccnnoît, mais
îes ardoifes blanches, griiès, rougeâtres
& tous les fchits; ces matières fe trouvent
ordinairement au-deflbus de l'argiie
feuilletée, & femblent n'être en eiïet que
de l'araile, dont les différentes petites
couches ont pris corps en fe deffçchant ,
cequiaproduitlesdélits qui s'y trouvent.
Le charbon de terre, la houille, le
jais font des matières qui appartiennent
auiïi à i'arcrile, & qu'on trouve fous
l'argile feuilletée ou fous l'ardoife. Par
le mot de tuf, j'entends non-feulement
k tuf ordinaire qui paroît troué , 6c pou^
4^4 Hïfloire Naturelle.
ainfi dire, organifé, mais encore toutes
les couches de pierres qui fe font faites par
Je dépôt des eaux courantes , toutes ies
Italadites, toutes les incruftations, toutes
les efpèces de pierres fondantes; il n'eft
pas douteux que ces matières ne foient
nouvelles & qu e les ne prennent tous
les jours de l'accroifTement. Le tuf n'eft
qu'un amas de pierres iapidifiques, dans
iefquellcs on n'aperçoit aucune couche
diftinde ; cette matière eft difpofée ordi-
k ^^ nairement en petits cylindres creux ,
. *>* ^ irrégulièrement grouppcs & forjyaés par
des eaux gouttières au pied des montagnes
ou lur la pente des collines , qui contien-
nent des lits de marne ou de pierre tendre
& calcinable; la mafTe totale de cts
cylindres, qui font un (\ç:s caradères
fpécifîques de cette efpèce de tuf, eft
toujours ou oblique ou verticale, félon
ia diredion des filets d'eau qui les forment ;
CCS fortes de carrières parafiîes n'ont
aucune fuite, leur étendue efl très-bornée
en coinparaifon des carrières ordinaires,
& e le eft proportionnée à la hauteur des
montagnes qui leur fourniffent la matière
de leur accroiiïèment. Le tuf recevant
Théorie delà Terre, 405'
chaque jour de nouveaux iijcs lapidi-
fiques, ces peiites colonnes cylindriques
qui laifloient entr'elles beaucoup d'in-
tervalle , fe confondent à la fin , &: avec
le temps , le tout devient compade; mais
cette matière n'acquiert jamais la dureté
delà pierre, c'eft alors ce qu'Agricola
nommew^r^^ tofaceajijlulofa. On trouve
ordinairement dans ce tuf quantité d'im-
prefîions de feuilles d'arbres & de plantes-
de l'efpèce de celles que le terrein des-
environs produit, on y trouve aufli aflez
fouvent des coquilles terreftres très-bien
confervées , mais jamais de coquilles de
mer. Le tuf eft donc certainement une
matière nouvelle, qui doit être mile dans
la claffe des llaladites , des pierres fon-
dantes, des incrurtations, &:c. toutes ces
matières nouvelles font des efpèces de
pierres parafites qui fe forment aux de'-
pens des autres , mais qui n'arrivent
jamais à la vraie pétrification.
Le criltal , toutes les pierres pré-
cieules , toutes celles qui ont une figure
régulière , mêrhe les cailloux en petites
maffes qui font formés par couches con-
centriques , foit que ces fortes de pierres
4o6 Hiflolre I\dî!irelle:
fe trouvent dans les fentes perpendicu-
laires des rochers, ou par-tout ailleurs,
ne font que des^exudations des cailloux
en crrande malTe , des fucs concrets de
ces mêmes matières , des pierres parafites
nouvelles , de vraies ftaiadites de caillou
ou de roc vif.
On ne trouve jam.ais de coquilles ni
dans ie roc vif ou grani e , ni dans le grès,
au moins je n y en ai jamais vu, quoiqu'on
en trouve , & même aflez fouvent , dans
ic fable vitriliabie duquel ces matières
tirent leur origine; ce qui femble prouver
que le fable ne peut s'unir pour former
du grès ou du roc vif, que quand il efl:
]Uîr ; & que s'il eft mêlé de fubflances
d'un autre genre , comme font les co-
quilles, ce mélange de parties qui lui
font hétérogènes, en empêche la réu-
nion. J'ai obfervé , dans le deffein de
m'en ailurer, ces petites pelotes qui fe
forment fouvent dans les couches de fa-
ble mêlé de coquilles , & je n'y ai jamais
trouvé aucune coquille, ces pelotes font
un véritable grès , ce font des concré-
tions qui fe forment dans le fible aux
endroits où il n'eft pas mêlé de matières
Théorie de h Terre, 407
ïictc'roo-ènes qui s'oppoient à la forma-
tion des bancs ou d'autres mafîes plus
grandes que ces pelotes.
Nous avons dit qu'on a trouvé à
Amilerdam , qui eft un pays dont le
terrein eft fort bas , des cocjuilles de nier
à I 00 pieds de profondeur fous terre , &
à Marly-la-vilîe à (ix lieues de Paris , à
7 ) pieds : on en trouve de même au fond
des mines <& dans des bancs de rochers
au-defTous d'une hauteur de pierre de 5 o,
100 , 200 <5c jufqu'à nfille pieds d'é-»
paifTeur, comme il eit ailé de le remar-
quer dans les Alpes & dans les Pyrénées;
il n'y a qu'à examiner de j)rès les rochers
coupes à plomb, & on voit que dans les
lits inférieurs il y a des coquilles & d'autres
produéiions mannes : mais pour aller par
ordre, on en trouve fur les montagnes
d'Efpagne, far les Pyrénées, fur les
montaijrnes de France , fur celles d'Ai>-
gîeterre , dans toutes les carrières de
marbre en Flandre, dans les monta ornes de
Gueldres, dans toutes les collines autour
de Paris , dans toutes celles de Bour-
gogne & de Champagne , en un mot dans
tous les endroits où le fond du terrein
4o8 Hiflûîre Naturelle.
n'eR pas de grès ou de tuf; <Sc dans îa
plupart des lieux dont nous venons de
parler, ii y a prefque dans toutes les
pierres plus de coquilles que d'autres ma-
tières. J'entends ici par coquilles, non-
leulement les dépouilles dts coquillages,
mais celles des cru (lacées , comme tayes
& pointes d'ourfin , & aufîi toutes \t%
productions des iniedtes de mer, comme
îes madrépore 5 , les coraux , les aftroïtes ,
&c. Je puis aflurer, &: on s'en convain-
cra par lès yeux quand on le voudra ,
que dans la plupart des pierres calcinables
& des marbres il y a une fi grande quan-
tité de ces productions marines , qu'elles
paroiiTent turpaiïèr en volume la matière
qui les réunit.
Mais fuivons; on trouve ces produc-
tions marines dans les Alpes , même au-
deflus des plus hautes montagnes , par
exemple , au-defTus du mont Cénis; on
en trouve dans les montagnes de Gènes^
dans les Apennins & dans la plupart des
carrières de pierre ou de marbre en Italie.
On en voit dans les pierres dont font bâtis
les plus anciens édifices des Romains,
il y en a dans les montagnes du Tirol &
dani
Théorie de la Terre. 4^9
dans le centre de l'Italie, au fommet du
mont Paterne , près de Boulogne, dans
ies mêmes endroits qui produilent cette
pierre lumineule qu'on appelle h pierre
de Boulogne; on en trouve dans des
collines de la Fouille , dans celles de la
Calabre , en plufieurs endroits de l'Alle-
magne & de la Hongrie, & généralement
dans tous les lieux élevés de l'Europe.
Voy. fur cela Stenon, Ray, Woodward, &€»
En A fie & en Afrique , les voyageurs
en ont remarqué en plufieurs endroits ,
par exemple, fur la montagne de Caftra-
van au-deiïus de Barut il y a un lit de
pierre blanche, mince comme de l'ar-
doife , dont chaque feuille contient un
grand nombre & une grande diverfité de
poirfons, ils font la plupart fort plats
& fort comprimés , comme efl: la fougère
ibfîile, & ils font cependant fi bien con-
lervés , qu'on y remarque parfaitement
jufqu'aux moindres traits àç.s nageoires,
des écailles <Sc de toutes les parties qui
diftinguent chaque efpèce de poifTon.
On trouve de même beaucoup d'ourfns
de mer & de coquilles pétrifiées entre
Suez & le Caire , & fur toutes ies collines
ToiM L S
4TÔ Hifloire Naturelle.
& les hauteurs de la Barbarie, la plupart
font exadement conformes aux elpèces
qu'on prend aduellement dans la 'mer
rouge. Voye-7^ les voyages de Shaw, volume
/^^ pdges y 0 & S j.. Dans notre Eu-
rope , on trouve des poiffons pétrifiés en
Suille, en Allemagne, dans la carrière
d'Onincrcn, &c.
La longue chaîne de montagnes, dit
'. /M. Bourguet, qui s'étend d'occident en
'^(4^**-**î orient , depuis le fond du Portugal ju(-
qu'aux parties les plus orientales de la
Chine, celles qui s'étendent collatérale-
ment du côté du nord & du midi, les
montagnes d'Afrique & d'Amérique qui
nous ibnt connues, les vallées & les
plaines de l'Europe, renferment toutes
des couches de terre & de pierres qui
font remplies de coquillages , & de-là
on peut conclure pour les autres parties
du inonde qui nous font inconnues.
Les îles de l'Europe , celles de f Afie
& de l'Amérique où les Européens ont
eu occafion de creuier, foit dans les
montagnes , foit dans les plaines , four-
niflent aufFi des coquilles, ce qui fait
voir qu'elles ont cela de commun avec
Tliéone de la Terre, '41 fl
îes coiitiiiens qui les avoilliieut. Vvyet
Lettres phïlofoph, fur la formation des fis ,
page 2 0 j.
En voilà afîez pour prouver qu'en
effet on trouve des coquilles de mer , des
poilToiis pétrifiés & d'autres productions
marines prefque dans tous le:» lieux où
on a voulu les chercher , & qu'elle:, y font
en prodigieule quantité.
ce II eit vrai, dit un auteur Anglois,
/ Tancred RobmfonJ qu'il y a eu quel- c<
ques coquilles de mer diiperfées çà ai ce
ià fur la lerre par les armées , par les ce
habitans des villes & des vill ges, & ce
que la Loubère rapporte d ns Ton ce
voyage de Siam , que les finges au cap ce
de Bonne-efp rance s'amulènt conti- ce
nueliement à tranlporter des coquilles ce
du rivage de la merau-defîus des mon- ce
tagne.s , mais cela ne peut pas réfoudre ce
la queilion pourquoi ces coquilles font ce
difperfées dans tous les climats de la ce
terre, & jufque dans l'intérieur des plus ce
hautes montagnes , où elles font pofées ce
parfit , comme elles le font dans le fond ce
de la mer ^^.
En lifaat une lettre Italienne fur les
Si;
4î2 Hîpoire Naturelle:
changcmens arrivés au g'obe terreflre,
imprimée à Paris cette année (1746),
je m'attcndois à y trouver ce fait rap-
porté par la Loubère , il s'accorde par-
faitement avec les idées de l'auteur : les
poilîons pétrifiés ne font , à fon avis ,
que des poilTons rares , rejetés de la table
des Romains , parce qu'ils n'étoient pas
frais ; & à l'égard des coquilles , ce font,
dit-il , les pèlerins de Syrie qui ont rap-
porté dans le temps des croifades celles
des mers du Levant qu'on trouve aduel-
lement pétrifiées en France, en Italie,
& dans les autres États de la chrétienté ;
pourquoi n'a-t-il pas ajouté que ce font
ies fmgcs qui ont tranlporté les coquilles
au fommet des hautes montagnes &. dans
tous les lieux où les hommes ne peuvent
habiter! cela n'eût rien gâté & eût rendu
fon explication encore plus vraifem-
blable. Comment fe peut-il que des
perfonnes éclairées & qui fe piquent
înême de phiiofophie, aient encore des
Idées aulTi fauffes fur ce fujet ! Nous ne
BOUS contenterons donc pas d'avoir dit
qu'on trouve des coquilles pétrifiées dans
prefque tous les endroits de la terre où
Théorie de la Terre. 4 î 3
Ton a fouillé, & d'avoir rapporté les
témoignages des auteurs d'Hiftoire Na-
turelle ; comme on pourroit les loup-
çonner d'apercevoir, en vue de quelques
fyllèmes , des coquilles où il n'y en a
point , nous croyons devoir encore citer
les Voyageurs qui en ont remarqué par
hafar J , & dont les yeux moins exercés
n'ont pu reconnoître que les coquilles
entières & bien confervées; leur témoi-
gnage fera peut-être d'une plus grande
autorité auprès des gens qui ne font pas
à portée de s'afîurer par eux-mêmes de
îa vérité des faits , & de ceux qui ne con-
noilTent ni les coquilles ni les pétrifica-
tions, & qui n'étant pas en état d'en faiie
la comparaiibn , pourroient douter que
ies pétrifications fuflent en effet de vraies
coquilles, & que ces coquilles fe trou-
valTent entaffées par millions dans tous les
climats de la terre.
Tout le monde peut voir par (es yeux
les bancs de coquilles qui font dans les
collines des environs de Paris , fur-tout
dans les carrières de pierre, comme à la
Chauffée près de Sève, à Iffy, à Paffy 6t
ailleurs. On trouve à Yilleïs-cotterêt^
S iij
414 Hifloire Naturelle.
une grande quantité de pierres lenticu-
laires, ies rochers en font même entière-
ment formés , & eîlcs y font mêlées fans
aucun ordre avec une efpèce de mortier
^pierreux qui les tient toutes liées en-
fèmble. A Chaumont on trouve une fi
grande quantité de coquilles pétrifiées,
que toutes ies collines qui ne laiflent pas
d'être aiïez élevées , ne paroiflent être
compoiees d'autre chofe; il en efl: de
même à Courlrgncn près de Reims,
où le banc de coquilles a près de quatre
lieues de largeur fur plufieurs de lon-
gueur. Je cite ces endroits , parce qu'ils
font ftmeux , & que les coc|uiiles y frap-
pent les yeux de tout le monde.
A l'égard des pays étrangers , voici ce
que les Voyageurs ont obiervé.
ce En Syrie, en Phénicie, la pierre vive
55 qui fert de bafe aux rochers du voifi-
53 naoe de Latikea, efl furmontée d'une
•>:> eipèce de craie molle, & c'eft peut-
D> être de-Ià que la ville a pris fon nom de
53 Promontoire -blûnc . La Nakoura, nom-.
33 mée anciennement Scala Tyriormn, ou
53 \ Échelle des 7 y riens , efl à peu près
>3 de la même nature , & l'on y trouve
Théorie de ' h Terre. 4 1 j
encore , en y creulunt , quantité de ce
toutes fortes de coraux , de coquilles. 3>
Voye7^ les Voyages de Shmv.
ce On ne trouve fur le mont Sinaï que
peu de coquilles foffiles & d'autres ce
leinbîables marques du déluge, à moins c^
qu'on ne veuille mettre de ce nombre c«
k Tamarin fofîile des montap^nes voi- ce
iines de 5inai, peut-être que la matière ce
première dont leurs marbres Te font ce
formés , a voit une vertu corrofive &: ce
peu propre à les conferver ; mais à Co- ce
iondei , où le roc approche davantage ce
de la nature de nos pierres de taille , je ce
trouvai piufieurs coquilles de moules ce
& quelques pétoncles, comme aulîi ce
un hérilîon de mer fort fnigulier , de ce
i'efpèce de ceux qu'on appel iej|^^/^7^7^ ce
mais plus rond & plus uni ; les ruines ce
du petit village d'Ain el Moufa, & ce
piufieurs canaux qui fervoient à y con- ce
duire dei'eau^ fourniflent des coquil- ce
lagesfofîiles. Les vieux murs de Suez ce
& ce qui nous rede encore de fon an- ce
cien port ont été conftruits des mêmes ce
matériaux qui lemblent tous avoir été ce
tirés d'un même endroit. Entre Suez & c«
S iiij
4 î 6 Hïflotre Naturelle,
» le Caire, ainfi que fur toutes les moi>-
D5 tagnes , hauteurs & collines de la Lybie
3> qui ne font pas couvertes de fiible , on
:» trouve grande quantité d'hériiïons de
33 mer , comme aufîi des coquilles bi-
3> valves & de celles qui fe terminent en
33 pointe , dont ia plupart font exade-
35 ment conformes aux efpèces qu'on
33 prend encore aujourd'hui dans la mer
X) rouge. Idem , tome II, page S ^. Les
33 labiés mouvans qui font dans le voi-
33 finage de Ras Sem dans le royaume
33 de Barca, couvrent beaucoup de pal-
» miers d'hériffons de mer &: d'autres pé-
33 trifications que l'on y trouve commu-
•» nément lans cela. Ras Sem fignifie la
33 tête du poifTon & efl: ce qu'on appelle
33 le village pétrifié , où l'on prétend qu'on
33 trouve des hommiCs, des femmes 6c
3> des enfms en diverfes poflurei» & atti-
33 tu des , qui avec leur bétail ^ leurs ali-
33 mens , leurs meubles ont été convertis
33 en pierre ; mais à la rélerve de ces fortes
35 de monumens du déluo-e, dont il ell:
» ici quedion , & qui ne font pas parti-
33 culiers en cet endroit , tout ce qu'on en
3? ditp font de vains contes d fable toute
Théorie Je ïd Terre. 417
pure, ainfi que je i'ai appris non-feu- ce
lenient par M. ie Maire, qui dans Je ce
temps qu'il étoit Conful à Tripoli y ce
envoya plufieurs perlbnnes pour en ce
prendre connoiflance , mais auffi par ce
des gens graves, de beaucoup d'efprit, ce
qui ont été eux-mêmes fur les lieux, ce
On trouve devant les pyramides cer- ce
tains morceaux de pierres taillées par ce
îe cifeau de l'ouvrier, & parmi ces ce
pierres on voit des rognures qui ont ce
la figure ôc la grofleur de lentilles , ce
quelques-unes même reflemblent à des ce
grains d'orge à moitié pelés ; or on ce
prétend que ce font des reRes dt cq ce
que les ouvriers mangeoient, qui le c<
font pétrifiés , ce qui ne me paroît pas ce
vraifemblahle , &c. >^ Idem. Ces len-
tilles & ces grains d'orge font des pétri-
fications de coquilles connues par tous
ks Naturaliftes tous le nom de piem
lentîculûire.
« On trouve diverfes fortes de ces
coquillages dont nous avons parlé, aux ce
€nvirons°de Maftrcicht, fur-tout vers ce
îe vilbge de Zichenou Ticlicn , & à et
la petite montagne appelée des Huns* cf
S T
4 ï 8 Hïfloire Naturelle.
Voye^ le voyage de Aliffon , tome IIJ],
page I op.
ce Aux environs^de Sienne je n'ai pas
53 manqué de trouver auprès de Ceraldo,
55 félon l'avis que vous m'en avez donné ,
>» plufieurs montagnes de fable toutes
33 farcies de diver(es coquilles. Le Monter
D3 mariô , à un mille de Rome, en eft
33 tout rempli ; j'en ai remarqué dans les
33 Alpes , j'en ai vu en France & ailleurs».
33 Glé.irius, Stenon , Cambden, Speed
33 & (juantité d'autres Auteurs tant an-
■x> ciens que modernes , nous rapportent
îe même phénomène. 3^ Idem , tome II,
page ^12.
35 L'île de Gerigo étoit ancienne-
33 ment appelée Porphyr'is, à caufe de la
quantité de porphyre qui s'en tiroit. 33
Voyage de Thevemî , tome J , page ^y.
Or on fait que le porphyre ed compofé
de pointes d'ourfin réunies par un ci-
irrent pierreux & très-dur.
« Vis-à-vis le village d'Inchené & fur
>3 îe bord oriental du Nil, je trouvai des
>3 plantes pétrifiées qui croilTent natureî-
>3 iement dans un elpace de terre qui a
^ environ deux ikuçs de longueur fur une
Théorie de la Terre. 419
krccuf très-mediocie, c'eft «'« P™- «
dudiondes plus finguiières de h Na- «
ture; ces plantes relfemblent alTez au «
corail blanc qu'on trouve dans la mer «
rouge. » Voyage de Paul Lucas , tome 11,
pages ^ 8 0 Ù" S^ '• , •■ i„o
ce On trouve fur le mont Lioan des
pétrifications de plufieurs elpèces, & «
entr'autres des pierres plates ou ion «
trouve desfqueiettes de poilTons bien «
confervés & bien entiers ,& auffi des «
châtaignes de la mer rouge avec ^des «
petits biiiflons de corail de la même ce
mer.» Idem, tome l II, page 326. ■
« Sur le mont-Carmel, nous trou-
vâmes grande quantitéde pierres qui, «
à ce qu'on prétend , ontlafigured o- «
lives/de melons, de pêcbes& d autres «
fruits, que l'on vend d'ordinaire aux «
pèlerins , non-feulement comme de «
fimples curiofués, mais auff. conmie «
des remèdes comre divers maux. Les «
olives qui font les lapides Juddici qu on ce
trouve dans les bouticpes des L-ro- ce
pu'ftes, ont toujours été regardées ce
comme un fpécificiue pour la pierre & ce.
la caravelle. « Vojage de Slum^, tome U,
"^ S vj
42a Hîjlolré Naîiireïïe.
page yo. Ces lapides Juddicï font des
pointes d'ourfins.
ce M ►la Roche,iMédecin, me donna
y> de ces olives pétrifiées , dites lapis Ju»
y* ddicus, qui croifient en quantité dans
:» ces montagnes , où l'on trouve , à ce
33 qu'on m'a dit, d'autres pierres qui
33 repréfentent parfaitement au dedans
des natures d'hommes & de femmes. »
Voyage de Ad^oncoî^ys , première parties,
pnge ^ ^4. Ceci ell riiyftero lit lies*
ce Y^w allant de Smirne àTauris, iorf-
35 que nous fumes à Tocat , les chaleurs
>3 étant fort grandes , nous laiiTames
33 le chemin ordinaire du côté du nord ,
33 pour prendre par les montagnes où ii
:» y a toujours de l'ombrage & de la fraî-
33 cheur. En bien des endroits nous
33 trouvâmes de la neige & quantité de
33 très- belle ofeilie ; & lur le haut de
33 quelques-unes de ces montagnes on
33 trouve des coquilles comme fur le bord
33 de la mer , ce qui eft aflez extraordi-
naire. 33 Tavernier,
Voici ce que dit Olearius au fujetdes
coquilles pétrifiées qu'il a remarquées en
Vttiï& & dans les rochers des montagacs
Tkme de ta Terre, ^^i
où font tail'és les fépulcres , près dii
village de Pyrmaraiis.
ce Nous fumes trois qui montâmes
jufque fur le haut du roc par des préci- ce
picesefFroyabies, nous entr'aidant les ce
uns les autres; nous y trouvâmes quatre ce
grandes chambres , & au dedans plu- c<
lieurs niches taillées dans le roc pour «
fervir de lit ; mais ce qui nous iurpnt ce
k plus , ce fut cjue nous trouvâmes ce
dans cette voûte fur le haut de la mon- c<
tagne , des coquilles de moules , & en ce
quelques endroiis en fi grande quan- c<
tité , qu'il lembloit que toute cette ce
roche ne fCit compolee que de fab'e & c«
de coquilles. En revenant de Perfe, ce
nous vîmes le long de la mtr Cafpie ce
plu fleurs de ces montagnes de co- c«
quilles. » . . j^a
Je pourrois joindre a ce qui vient d erre
rapporté, beaucoup d'autres citations,
que je fupprime , pour ne pas ennuyer
ceux qui n'ont pas befoin de preuves
furabondantes , & qui fe font aflurés ,
comme moi , par leurs yeux , de l'exif-
tence de ces coquilles dans tous les lieux
©ù on a voulu les chercher.
42 2 Hîjïaire Natureïïe.- ,
On trouve en France, non- feulement
ies coquilles de nos côtes, niais encore
à^^ coquilles c[u'oi> n'a jamais vues dans
nos mers. Il y a même des Naturalilles
qui prétendent que la quantité de ces
coquilles étrangères pétrifiées , eft beau-
coup plus grande, que celles des coquilles
de notre climat, mais je crois cette
opinion mial fondée; car indépendam-
ment des coquillages c|ui habitent le
fond de la mer & de ceux qui font diffi^
ciles à pêcher, & que par conléquent
on peut regarder comme inconnus ou
même étrangers, quoiqu'ils paillent être
nés dans nos mers , je vois en gros qu'en
comparant les pétrifications avec les ana-
logues vivans , il y en a plus de nos côtes
que d'autres; par exemple, tous les
peignes , la plupart à^s pétoncles , les
moules , les huîtres , les glands de mer,
la plupart des buccins, ies oreilles de
nier, les patelles, les coeurs de bœuf, les
nautilles , les ourfins à gros tubercules &:
à grolles pointes , les ourfins châtaignes
de mer , les étoiles , les dentales , les
tubuliies , les adroites , les cervaux , les
coraux, les madrépores , &c. qu'on
Théorie de la Terre. • 42 j
trouve pétrifiés en tant d'endroits, font
GCitainenient des produdions de nos
mers; & quoiqu'on trouve en grande
quantité les cornes d'amnion, les pierres
îenticuiaires , les pierres judaïques; ies
coiumnites, les vertèbres de grandes-
étoiles & plufîeurs autres pétrincauons,
comme les grolTes vis, le buccin appelé
abajour, les labots, &c. dont l'analogue
vivant eO: étranger ou inconnu , je luis
convaincu par mes obiervations , que le
nombre de ces efpèceseft petit en com-
paraifon de celui des coquilles pétrifiées
de nos côtes ; d'ailleurs , ce qui fiût le
fond de nos marbres & de preique toutes
nos pierres à chaux & à bâtir , iont des
madrépores, des adroites , & toutes ces
autres produdions formées par les in-
fectes de la mer & qu'on appeloit autre-
fois plantes warlnes ; les coquilles , qud-*
que abondantes qu'elles foient , ne font
qu'un petit volume en comparaiton de
ces produdions , qui toutes font origi--
naires de nos mers , & fur-tout de ia
méditerranée.
La mer rouge eft de toutes les mers
edk qui produit le plus abondamment
4^4 Htjloîre NaîiireUe,
des coraux , des madrépores & des plantes
marines ; il n'y a peut-être point d'en-
droit qui ea fburr>ifle une plus grande
variété que le port de Tor; dans un
temps calme il le prélente aux yeux une
fi grande quantité de ces plantes, que le
fond de la mer, refTemble à une forêt, il
y a dti madrépores branchus qui ont
jufqu'à 8 & I G pieds de hauteur : on en
trouve beaucoup dans la mer niéditer-
ranée , à Marfeille , près des côtes d'Italie
& de Sicile : il y en a aufTi en quantité
dans la plupart de^ golfes de l'océan ,
autour des îles, fur les bancs, dans tous
les climats tempérés où la mer n'a qu'une
profondeur médiocre.
M. Peyfîonel avoit obfervé & re-
connu le premier que les coraux , les ma-
drépores , &c. dévoient Inir origine à des
animaux , & n'étoient point des plantes ,
comme on le croyoit & comme leur
forme & leur accroiffement paroiiïoient
l'indiquer : on a voulu long-temps dou-
ter de il vérité de l'oblervation de M.
Peyffonel , quelques Naturaliftes trop
prévenus de leurs propres opinions ,
i'om même rejetée d'abord avec uii*
Théorie de la Terre. 425
efpèce de dédain ; cependant ils ont été
obligés de reconnoîne depuis peu la
découverte de M. Peyflonel, & tout le
inonde eft enfin conveim que ces pré-
tendues plantes marines ne font autre
chofe que des ruches, ou plutôt des
loges de pents animaux qui relîemblent
aux poiiïons des coquilles en ce qu'ils
forment comme eux , une grande quan-
tité de fubftance pierreufe, dans laquelle
ils habitent, comme les poifions dans
leurs coquilles ; ainfi les plantes marines
que d'abord l'on avoit miles au rang
des minéraux , ont enfuite paiïe dans
la claiïe des végétaux, & font enfin
demeurées pour toujours dans celle des
animaux.
II y a des coquillages qui habitent le
fond des hautes mers , & qui ne font
jamais jetés fur les rivages; les Auteurs
les appellent Pela^'m , pour les diftin-
guer des autres qu'ils appellent Litlotûles,
lleil à croire que les cornes d'ammon &
quek|ues autres efpèces qu'on trouve
pétrifiées, & dont on n'a pas encore
trouvé les analogues vivans , demeurent
toujours dans le fond des hautes mers , &
4-2^ Hifloire Naturelle.
qu'ils ont été remplis du fédiment pier-
reux dans le lieu même où ils étoient ; il
peut le faire aufîi qu'il y ait eu de certains
animaux dont i'elpèce a péri, ces co^
quillages pourroient être du nombrci les
os folilies extraordinaires qu'on trouve
en Sibérie, au Canada^ en Irlande &. dans
plufieurs autres endroits , femblent con-^
firmer cette conjedure , car jufqu'ici or
ne connoît pas d'animai à qui on puifîe
attribuer ces os, qui pour la plupart,
font d'une grandeur & d'une grofîeur
demefurée.
On trouve ces coquilles depuis le haut
|ufqu'au fond des carrières, on les voit
aulli dans des puits beaucoup plus pro-
fonds : il y en a au fond des mines de
Hongrie. Voye^^ Woodward.
On en trouve à 200 bra/Tes, e'eft-à-
dire , à mille pieds de profondeur dans
des rochers qui bordent l'île de Caldé
&: dans la province de Pembrock en
Angleterre. Voye^^ Ray' s IMfcourfis »
page lyS,
Non- feulement on trouve à de grandes
profondeurs & auydedus des plus hautes
montagnes des coquilles pétrifiées , mais
Théorie de la Terre. 427
on en trouve aufTi qui n'ont point
changé de nature, qui ont encore le
luilam , les couleurs & la légèreté des
coquilles de la mer, on trouve des gloi-
fopètres & d'autres dents de poifTons dans
leurs mâchoires, & il ne fiiut pour fe
convaincre entièrement fur ce fujet , que
regarder la coquille de mer & celle de
ten-e , & les comparer : il n'y ^a peribnne
qui, après un examen, même léger j.
puifîe douter un inftant que ces coquilles
fofTiles & pétrifiées ne foient pas les
niêmes que celles de la mer, on y re-
marque les plus petites articulations, &
même les perles que l'animal vivant pro-
duit; on rem.arqueque les dents de poil-
fon font polies &: uiees à l'extrémité , &
qu'elles ont fervi pendant le temps que
i'animal étoit vivant.
On trouve auffi prefque par-tout dans
la terre, des coquillages de la même
efpèce, dont les' uns font petits, les
autres gros , les uns jeunes , les ^autres
vieux ; quelques-uns imparfaits, d'autres
entièrement parfaits ; on en voit même de
petits & de jeunes attachés aux gros.
Le poifTon à coquille appelé Purpura
'428 Hïjloire Naturelle,
a une langue fort longue dont l'extrémité
ell oiïcuie & pointue , elle lui iert coiniue
de tarrière pour p^ercer les coquilles des
autres poiflons , & pour fe nourrir de
ieur chair, on trouve communément
dans les terres des coquilles qui font
percées de cette fiiçon ; ce qui ell: une
preuve incontellable qu'elles rcnfer-
jnoient autrefois des poiilons vivam, &
que ces poifîons habitoient dans des en-
droits où il y avoit aulîi des coquillages
de pourpre qui s'en étoient nourris. Voye-^
Woodwnrd, pages 2^6 & ^00»
Les obélifques de Saint Pierre de
Rome , de Saint-Jean-de-Latran , de la
place Navone, viennent, à ce qu'on
prétend , des pyramides d'Egypte , elles
font dé granité rouge , lequel efî une
efpèce de roc vif, ou de grès fort dur :
cette matière, comme je l'ai dit, ne con-
tient point de coquilles , mais les anciens
marbres Africains & Égyptiens , & les
porphyres que l'on a tirés , dit-on , du
Temple de Saiomon & des Pal.is des
Rois d'Egypte, & que l'on a employés
à Rome en difïérens endroits , font rem-
plis de coquilles. Le porphyre rouge eil
Théorie de la Terre. 42^
compofé d'un nombre infini de pointes
de i'efpèce d'ouriin que nous appelons
châtaigne de mer ; eiies lont pofées afîez
près les unes des autres, & forment tous les
petits points blancs qui font dans ce por-
phyie : chacun de ces points blancs laifTe
voir encore dans Ton mileu un petit
point noir qui eft la iei5lion du conduit
longitudinal de la pointe de l'ourfin. II
y a en Bourgogne , dans un lieu appelé
Ficin , à trois lieues de Dijon, une pierre
rouge tout-à-fait femblable au porphyre
par fa conipofition , & qui n'en difîère
que par la dureté , n'ayant que celle du
marbre , qui n'efi: pas à beaucoup près fi
grande que celle du porphyre ; elle efl: de
même entièrement compolèe de pointes
d'ourfins , &. e'ie efl: très-confidérable par
l'étendue de fon lit de carrière & par Ion
épaifTeur ; on en a fait de très-beaux ou-
vrages dans cette province, & notamment
les gridins du piédeflal de la figure
équen:rede Louis le Grand qu'on a élevée
au milieu de la place royale à Diion.
Cette pierre n'cfl: pas la feule de cette
efpèce que je connoiiïe ; ii y a dans la
Hnêaie province de Bourgogne, près de
430 HiJIoke Naturelle.
îa ville de Montbart, une carrière confi-
dérable de pierre compolee comme le
porphyre, mais dont la dureté eft en-
core moindre que celle du marbre ; ce
porphyre tendre eft compofé comme le
porphyre dur, & il contient même une
plus grande quantité de pointes d'ourfins
& beaucoup moins de matière rouge*
Voilà donc les mêmes pointes d'ourfins
que l'on trouve dans le porphyre ancien
d'Egypte & dans les nouveaux porphyres
de Bourgogne , qui ne diffèrent des an-
ciens que par le degré de dureté & par le
nombre plus ou moins grand àt^ pointes
d'ourfins qu'ils contiennent.
A l'écrard de ce que les Curieux ap-
pellent du porphyre vert, je crois que
c'efl plutôt un granité qu'un porphyre,
il n'efl: pas compofé de pointes d'ourfins,
comme le porphyre rouge, & fa fubftance
me paroît iembl.ble à celle du gn.n te
cominim. En Tofcane,dans les pierres
dont étoient bâtis les anciens murs de
ia ville de Volatera , il y a une grande
quantité de coquillages, & cette muraille
étoit faite il y a deux mille cinq cents
ans. Voyez Stcnonin Prodromo dijf, de
Théorie de la Terre, 43 r'
Sohdo intrafolïdum , page 6 ^ . La plupart
des marbres antiques, les porphyres &
ks autres pierres cjes plus anciens monu-
mens contiennent donc des coquilles,
des peintes d'ourfins, & d'autres débris
des productions marines , comme ies
marbres que nous tirons aujourd'hui de
nos carrières ; ainfi on ne peut pas
douter , indépendamment même du té-
moignage facré de l'Écriture fiiinte,
qu'avant le déluge la terre n'ait été com-
pofée des mêmes matières dont elle l'eft
aujourd'hui.
Par tout ce que nous venons de dire,
on peut être afTuré qu'on trouve des
coquilles pétrifiées en Europe, en A fie,
& en Afrique dans tous les lieux oîà le
haiard a conduit des obiervateurs; on ea
trouve auffi en Amérique, au Brefd ,
dans le Tucuman , dans les terres Ma-
gellaniques , & en fi grande quantité
dans ies îles Antilles, qu'au-defious de
ia terre labourable , le fond , que les
habitans appellent la chaux , n'eil: autre
choie qu'un compofé de coquilles , de
madrépores , d'aftroïtes & d'autres pro^
dudions de la mer. Ces obfervatbns qui
43^ Hi/Ioke Naturelle:
font certaines , m'auroient fliit penfei'
qu'il y a de même des coquilles &. d'autres
produdion marines pétrifiées dans ia
plu> orande partie du co:-tinentde l'Amé-
rique , & fur tout dans les montagnes ,
comme i'afîure Woodward; cependant
M. de la Condamine qui a demeuré
pendant plufieurs années au Pérou,
m'a affuré qu'il n'en avoit pas vu dins
les Cordillères, qu'il en avoit cherché
inutilement, & qu'il ne croyoit pas
qu'il y en eût. Cette exception fèroit
fmgulière,&: les coniéqucnces qu'on en
pourroit tirer le feroient encore plus;
mais j'av'oue que , malgré le témoignage
de ce célèbre obfervateur , je doute en-
core à cet égard, & que je fuis très-porté
à croire qu'il y a dans les montagnes du
Pérou, comme par-tout ailleurs, des co-
quilles & d'autres pétrifications marines,
mais qu elles ne fe font pas offertes à (es
yeux. On fiit qu'en matière de témoi-
gnages, deux témoins pofuifs qui affu-
rent avoir vu , fufifiient pour faire preuve
complète , tandis que mille & dix mille
témoins négatifs , & qui affurent feule-
ment n'avoir pas vu, ne peuvent que fiire
naître
Tfieone de la Terre. 43 ^'
tïîi.ître un doute léger; c'eil; pour cetie
raiion , & parce que la force de l'aaalogie
m'y .contraint, que je perfiite à croire
qu'on trouvera des coquilles fur les
montagnes du Pérou , coniine on eu
trouve prefque par-tout ailleurs , fur-tout >i^«^ y Ma
ïi on les cherche fur la croupe de la ^«^^v#i ÙJt^
montagne & non pas «au fomniet. J.*Vi^^ '^^
Les montagnes les plus élevées (o\Vi*t>^
ordinairement compoféesau fommet,de
roc vif, de granité , de grès & d'autres
matières vitrifiables qui ne contiennent
que peu ou point de coquilles. Toutes
ces matières le font formées dans les
couches du ftbie de la mer qui recou-
vroient le deffus de C€S montagnes ;
iorfque la mer a laifle à découvert ces
fommets de montagnes , les labiés ont
coulé dans les plaines , où ils ont été
entraînés par la chute des eaux des pluies ,
&c. de forte qu'il n'efl demeuré au-deflus
des montagnes que les rochers qui s'é-
toient formés dans l'intérieur de ces
couches de fible. A 200, 300 ou 400
toiles plus bas que le fom^met de ces
montagnes, on trouve iouvent àiQ.s
matières toutes différentes de celles du
Tome L T
434* Hîflohâ Naturelle,
fommet, c'e(l-à- dire, des pierres, des
marbres & d'autres matières calcinables ,
iefquelles font difpofées par couches
parallèles , & contiennent toutes des co-
quilles & d'autres productions marines ;
ainfi il n'efi: pas étonnant que M. de la
Condamine n'ait pas trouvé de coquilles
fur ces montaaries , fur - tout s'il les a
cherchées dans les lieux les plus élevés
& dims les parties de ces montagnes qui
lont compolées de roc vif, de grès ou
de fable vitrifiable ; mais au-deflous de
ces couches de fible & de ces rochers
qui font le fommet , il doit y avoir dans
ies Cordillères, comme dans toutes les
autres montagnes, des couches horizon-
tales de pierres, de marbres, de terres, &c.
où il fe trouvera des coquilles ; car dans
tous les pays du monde où l'on a fait des
obfervaiions , on en a toujours trouvé
dans ces couches.
Mais fuppoions un inftant que ce fiiit
foit vrai , ik qu'en effet il n'y ait aucune
produdion marine dans les montagnes
du Pérou , tout ce qu'on en conclura ne
iêra nullement contraire à notre théorie,
ÔL ii pourroit bien le faire , abfolumeni
Théorie àe la Terre, 435'
parîant , qu'il y ait fur le globe des parties
qui n'aient jamais été fous les eaux de la
mer , & fur-tout des parties auffi élevées
que le font les Cordillères, mais en ce
cas , il y auroit de belles obfervations à
fiiire fur ces montagnes ; car elles ne
feroîent pas compofées de couches pa-»
rallèies entr'elles comme toutes les
autres le font ; les matières feroîent aulîx
fort différentes de celles que nous con*
noiflons, il n'y auroit point de fentes
perpendiculaires , la compofition des ro-
chers & des pierres ne refîèmblcroit point
du tout à la compofition des rochers
& des pierres des autres pays, & enfin
nous trouverions dans ces montagnes
Tancienne flrudure de la terre telle
qu'elle étoit originairement & avant que
d'être changée & altérée par le mouve-
ment des eaux ; nous verrions dans ces
climats le premier état du globe , les
matières anciennes dont il étoit compole ,
la fornîe , la liaifon & l'arrangement
naturel de la terre , &c. mais c'eft: trop
efpérer , & fur des fondemens trop
légers , & je penfe qu'il faut nous borner
à croire qu'on y trouvera des coquilles ^
T ij
^3<5 Hîpolre Naturelle;
comme on en trouve par-tout aiïïeurSv
A l'égard de la manière dont ces co-
quilles font difpoféfes & pbcces dans les
couches de terre ou de pierre , voici ce
qu'en dit Woodward. ce Tous les coquil-
53 lages qui fe trouvent dans une infinité
53 de couches cie terres & de bancs de
35 rochers , fur les plus hautes montagnes
33 & dans les carrières & les mines les plus
33 profondes, dans les cailloux de cor-
33 naline , de calcédoine, ôcc. Sl dans les
33 mafTes de ibufre, de marcafîjtes & d'au-
33 très matières minérales & métalliques ,
33 font remplis de la matière même qui
33 formg les bancs ou les couches , ou les
33 mafîes qui les renferment , & jamais
d'aucune matière hétérogène , 3^ page
^ 0 6 , ù' ailleurs, « La pefanteur fpéci-
35 fique des différentes efpèces de fables
3J ne diffère que très-peu , étant généra-
33 lement par rapport à feau , comme 2 |-
33 ou 2 -^ à j > &: les coquilles de pé-
33 tondes qui font à peu près de la même
33 pefanteur , s'y trouvent ordinairement
33 renfermées mi grand nombre , tandis
X» qu'on a de la peine à y trouver des
53 écailles d'huîtres, dont la pefintei;r
Théorie de la Te ire. 4B7i
^lecifique n'efi: environ que comme a
^ j à I ; de hérilTons de mer , dont la ce
pefanteur n'ell que comme 2 ou 2. -^ ce
à I , ou d'autres efpèces de coquilles ce
plus légères; mais au contraire dans ce
ia craie qui efl: plus légère que la ce
pierre , n'étant à la pefanteur de l'eau ce
que comme environ 2 -^ à i , on ne ce
trouve que des coquilles de hérifTons ce
de mer & d'autres efpèces de coquilles c<
plus légères. 33 Voye-^pages i j & i 8 ,
Il fiiut obfervcr que ce que dit ici
^¥oodward ne doit pas être regardé
comme règle générale , car on trouve des
coquilles plus légères & plus pefantes
dans les mêmes matières, par exemple,
éts pétoncles , à^s huîtres & des ourfms
dans les mêmes pierres & dans les mêmes
terres , &: même on peut voir aii cabinet
du Roi un pétoncle pétrifié en cornaline
& des ourfms pétrifiés en agate, ainfi
Ja différence de la pefanteur fpécifique
des coquilles n'a pas influé , autant que le
prétend Woodward , fur le lieu de leur
pofition dans les couches de terre ; & la
vraie raifon pourquoi les coquilles d'our^
fins & d'autres auHi légères fe trou veut
Tiij
438 Hijloite Naturelle*
pluà ahondamment dans ies craies , c*eft
que h craie n'ell qu^un détriment de
coquilles , ^ que ctlles des ourfms étant
pius légères , moins epaiffei & plus
friables que les autres , elles auront été
nifement réduites en poufîière 64 en craie,
en forte qu'il ne fe trouve des couches
de craie que dans les endroits oii il y
avoit anciennement fous les eaux de lu
mer une grande abondance de ces co-
quilles légères, dont les débris ont forqié
ia craie dans laquelle nous trouvons celles
qui ayant réliilé au choc <St aux frotte-
inens , fe font conlervées toutes entières ,
oa du moins en parties aflez grandes
pour que nous puilfions les reconnoître.
Nouà traiierons ceci plus à fond dans
notre difcours fur les minéraux , conten-
ions-nous feulement d'avertir ici qu'il
iàut encore donner une modification aux
cxprciTions de Woodward : il paroît dire
qu'on trouve àt% coquilles dans les caiU
ioux , dans les cornalines , dans les cal-
cédoines , dans les mines , dans les maffes
de ioufre, auin fou vent <3c en au(fi orand
nombre que dans les autres matières , au
lieu que lu vérité eit qu'elles font très-
Théorie de la Terre, 439
rares A:^\\% toutes les matières vitrifîables
ou purement inflammables , & qu'au
conifiiire elles font en proclîgieufe abon-
dance clans les craies, dans les marnes,
dans les mar!)res & dans les pierres , en
forte que nous ne prétendons pas dire
ici qu'abfolument les coquilles les plus
légères font dans les matières légères, &
ks plus pefantes, dans celles qui Ibnt aufïï
îes plus pefàntes , mais feulement qu'en
général cela fe trouve plus fouvent aiiifi
qu'autrement. A la vérité elles font toutes
également remplies de la fubftance même
qui les environne , aufTi-bien celles qu'on
trouve dans les couches horizontales , que
celles qu'on trouve en plus petit nombre
dans les matières cpi occupent les fentes
perpendiculaires, parce qu'en effet les
unes & \^% autres ont été également
formées par les eaux , quoiqu'en diffé-
rens temps & de dilîérentes façons ;
les couches horizontales de pierre, de
marbre, &c. ayant été formées parles
grands mouvenicnsdes ondes de la mer,
ik les cailloux, les cornalines, les cal-
cédoines & toutes les matières qui font
dans les fentes perpendiculaires, ayant
T iii)
44® Hijloîre JNatureJk.
€té produites par fe mouvement partîcu-'
ikr d'une petite quantité d'eau chargée
de différens iljcs 'lapidifiques, métal-
liques , &c, &. dans les deux cas ces ma-
tières étoient réduites en poudre fine &
impalpable qui a rempli l'intérieur des
coquilles fi pleinement & fi abfolument ^
qu'elle n'y a pas laifié le moindre vide ^
& qu'elle s'en eft fait autant de moules,
à peu près connne on voit un cachet fe
mouler fur le tripoli.
Il y a donc dans les pierres, dans les
marbres, &c. une multitude très-grande
de coquilles qui font entières , belles &
il peu altérées , qu'on peut ailément les
comparer avec les coquilles qu'on con-
ièrve dans les cabinets ou qu'on trouve
iiir les rivages de la mer ; elles ont pré-
cifément la même figure &. la même gran-
deur , elles font de la même fubftance &
leur tifîu efl: le même ; la matière parti-
culière qui les compole , eft la même ,
elle efl dilpofée & arrangée de la même
manière, la direction de leurs fibres &
deb lignes fpirales eft la même , la com-
pofition des petites lames formées par les
fibres cil la même dans les unes & kj
Théorie de la Terre. 44 tl
ïimres , on voit dans le même endroit
ies vertiges ou infcrtions des tendons
par le moyen defquels l'animal étoit
attaché & joint à fa coquille , on y voit
les mêmes tubercules , les mêmes /Wfj^
ies mêmes cannelures ; enfin tout eft
fembiable , foit au dedans , foit au de-
hors de la coquille , dans fa cavité ou
fur fa convexité , dans fa fubdance ou
fur la iuperficie ; d'ailleurs ces coquil-
îaf^es fofiiles font fujets aux mêmes acci-
deiis ordinaires que les coquillages- de la
mer, par exemple, ils font attachés les
plus peiits aux plus gros j ils ont des
conduits vermiculaires, on y trouve des
perles & d'autres chofcs femblables qui
ont été produites par l'animai lorfqu'il
habitoit la coquille , leur gravité fpéci-
fique ert exadement la même que celle
de leur efpèce qu'on trouve adueilement
dans la mer ; & par la chimie , on y
trouve ies mêmes chofes, en un mot ils
refTemblentexademem à ceux de la mer.
Voyei Woodwardr page 1 ^,
J'ai foiîvent obier vé moi-m.cme- avec
une eipèce d'étonnement , comme je l'ai
déjà dii^ des montagnes entières, d^è
T V
44 2 Hîjloïre Naturelle,
chaînes de rochers , des bancs énormes
de carrières tout compofés de coquilles
& d'autres débris de^produdions marines
qui y font en fi grande quantité , qu'il
n'y a pas à beaucoup près autant de
volume dans la matière qui les lie.
J'ai vu des champs labourés dans lef-
quels toutes les pierres étoient des pé-
toncles pctrifiés , en forte qu'en fermant
ies yeux & ramaffant au hafard on pou^
voit parier de ramafler un pétoncle : j'en
ai vu d'entièrement couverts de cornes
d'amnion, d'autres dont toutes les pierres
étoient des coeurs de bœufs pétrifiés ; &
pius on examinera la terre , plus on fera
convaincu que ie nombre de ces pétrifi-
cations eft infini, & on en conclura qu'il
eil impoiîible que tous les animaux qui
habitoient ces coquilles , aient exiftc dans
ie même temps.
J'ai même fiit une obfervation en
cherchant ces coquilles, qui peut être
de quelque milite, c'eft que dans tous les
pays où l'on trouve dans les champs &
dans les terres labourables un très-grand
nombre de ces coquilles pétrifiées,
€0!iiine pétoncles, cœurs de bœufs, &c«
Théorie de la Terre. 443
entières, bien confervees, & totalement
réparées , on pem être afluré que ia pierre
de ces pays e(l géli(fe : ces coquilles ne
s'en font réparées en fi grand nombre que
par l'adion de la gelée, qui détruit la
pierre & laifle fablillcr plus long-temps
la coquille pétriiiée. t r /ri
Cette immenfe quantité de lollUes
marins que l'on trouve en tant d'endroits ,
prouve qu'ils n'y om pas été tranCportes
par un déluge ; car on obierve plufieurs
milliers de gros rochers & des carrières
dans tous les pays où il y a des marbres
& de la pierre à chaux , qui (ont toutes
remplies de vertèbres d'étoiles de mer,
de pointes d'ourfins , de coquillages <Sc
d'autres débris de produélions mannes.
Or fi ces coquilles c[u'on trouve par-tout
eufTent été amenées iùr la terre sèche par
un déluge ou par une inondation , la plus
p-rande partie feroit demeurée lur la lur-
^ice de la terre , ou du moins elles ne
feroient pas enterrées à une grande pro-
fondeur , & on ne les trouvercit pas
dans les marbres les | lus lolides à lept
ou huit cents pieds de profondeur.
Dans tomes les curiièies , ces coc[uil[es
T vj
jj.^^ Hifloire Nûtureïïe,
font partie de la pierre à l'intérieur , Se
on en voit quelquefois à l'extérieur qui
font recouvertes de ftaladites qui, comme
l'on (iiit, ne font pas des matières aufîr
anciennes que la pierre qui contient les
coquilles ; une féconde preuve que cela
n'eft point arrivé par un déluge , c'eft
que les os , les cornes , les ergots , ïts
'ongles , &c. ne Te trouvent que très-rare-
ment, & peut-être point du tout, ren-
fermés dans les marbres & dans les autres
pierres dures, tandis que fi c'étoit l'effet
d'un déluge où tout auroit péri, on y
devroit trouver les rcftes des animaux de
3a terre aiiffi-bien que ceux des mcrs^
Voye:^ Ray s D'ifcourfes , page ij8 if
fui van tes.
C'eft , comme nous l'avons dit , une
fuppofnion bien gratuite , que de pré-
tendre que toute la terre a été difloute
dans l'eau au temps du déluge ; & on ne
peut donner quelque fondement à cette
idée , qu'en luppoiant un iecond mi-
racle qui auroit donné à l'eau la pro-
priété d'un difîolvant univerfel , miracle
dont il n'ell fait aucune mention dans
FEcriture fume ; d'iiiileurs ^ ce qui
Théorie de h Terre* ^445
anéantit la fuppofîiion & la rend même-
contradidoire , c cO: que toutes les ma-
tières ayant été did'outes dans l'eau , ies
coquilles ne l'ont pas été, puifque nous
ies trouvons entières &: bien confervées
dans toutes lesmafTes qu'on prétend avoir
été difToutes , cela prouve évidemmeni
qu'il n'y a jamais eu de telle diilolution ,
& que l'arrangement des couches hori-
zontales «& parallèles ne s'eft pas fait en
un inftant , mais par ies fédimens qui le
font amoncelés peu à peu , & qui ont
enfin produit des hauteurs confidérabies
par la lucceffion des temps ; car il eft
évident pour tous les gens qui fe donne-
ront la peine d'obferver, que l'arrange-
ment de toutes les matières qui com-
pofcnt le globe , efi l'ouvrage des eaux ;■
il n'eft donc queftion que de favoir fi
cet arrangement a été fait dans le même
temps : or nous avons prouvé qu'il n'a
pas pu fe faire dans le même temps ,
puifque les matières ne gardent pas
l'ordre delà pelanteur fpécifique & qu'il
n'y a pas eu de diffolution générale de
toutes les matières : donc cet arrancremient
a été produit par les. eaux ou plutôt par
44^ Hijlohe Naturelle.
les fédimens qu'elles ont dcpofe's dans îa
lucceffioii des temps: toute autre revo-
limon , tout autre mouvement , toute
autre caulè auroit produit un arran-
gement très-différent; d'aiiieurs un ac-
cident particulier , une révolution ou
un bouleverfement n'auroit pas produit
un. pareil effet dans le globe tout entier,
&: il l'arrangement des terres & des
couches avoit pour caufe des révolutions
particulières & accidentelles , on trouve-
roit les pierres & les terres diipolées diffé-
remment en différens pays , au lieu qu'on
les trouva par-tout dilj:)olées de même
par couches parallèles, horizontales, ou
également inclinées.
Voici ce que dit à ce fiijet l'Hiflorien
<Je l'Académie , année i yi S , page ^
& fu'iv,
c< Des vefliges très-anciens & en tres-
sa grand nombre d'inondations qui ont
5J dû être très- étendues fe), & la manière
3> dont on eft obligé de concevoir que
53 les montagnes fe font formées (f)i
(t) Voye2 \t% Mémoires fage 2 S y,
(f) Voyez l'Hift.de 1703, jhtge 22; de 170^,
y^gij^; àciyoB,jhi^e^^; & 4e 171 6, page S, b'c»
T/iéorîe de la Terre, 447
prouvant aiïez qu'il eft arrive autrefois ce
à la lurtace de la terre de grandes révo- ce
iutions. A utant qu'on en a pucreulèr, ce
on n'a prelque vu que des ruines , des ce
débris , de vaftes décombres entafies ce
pêle-mêle , & qui par une longue luite ce
de fiècles le lont incorporés eniemble ce
& unis en une lèule malTe le j:)lus qu'il ce
a été poffible ; s'il y a dans le globe ce
de la terre quelque efpèce d'organila- ce
tion régulière , elle eit plus profonde, ce
& par conléquent nous iera toujours ce
inconnue, & toutes nos recherches ie ce
termineront à fouiller dans les ruines ce
de la croûte extérieure , elles donne- ce
ront encore afîez d'occupadcn aux ce
Philolbphes. ce
M . de Juflleu a trouvé aux environs ce
de Saint-Chaumont dans le Lyon- ce
nois , une grande quantité de pierres ce
écailleufes ou feuilletées , don prcfque ce
tous les feuillets portoient iur leur ce
fuperficie l'empreinte ou d'un bout de ce
tiore , ou d'une feuille , ou d'un frag- ce
meut de feuille de quelque plante ; les ce
repréfentations de feuilles étoient tou- cç
jours exademcnt éicndues, comme fi ce
^44-8 Hifloire Naturelle.
•^ on avoit colle les feuilles fur les pîerfési
■*> avec la main , ce qui prouve qu'elles
hr> avoient été apportées par de l'eau qui les
•^ avoit tenues en cet état ; elles étoient
55 en différentes fituations , & quelquefois
o) deux ou trois fe croiioient.
'55 On imagine bien qu'une feuille
*33 dépofée par l'eau fur une vale molle,
'^ & couverte enfuite d'une autre va(e
T> pareille , imprime lur l'une l'image de
33 l'une de fes deux fur faces & fur
35 l'autre l'image d'e^ l'autre furface , de
35 forte que ces deux lames d-e'vafe étanî
35 durcies »8c pétrifiées, elles porteront
35 chacune l'empreinte d'une face diffé-
35 rente : mais ce qu'on aurort cru devoir
35 être, n'ell pas, les deux lames ont
35 l'empreinte de la même face de la
35 feuille , l'une en relief, & l'autre 'en
35 creux. M. de Juflieu a oblervé dans
35 toutes ces pierres figurées de Saint-
35 Chaumontce phénomène qui efl: affez
35 bizarre ; nous lui en laiffons l'expîi-
35 cation pour pafîer à ce que ces fortes
35 d'obtervations ont de plus général <&
35 de plus intéreilant.
i* Toutes les plantes gravées dans les
Théorie de h Terre. 449
pierres de Saint-Chaiiinont font des ce
plantes étrangères, non-leulement elles ce
ne retrouvent ni dans le Lyonnois , ni <«
dans le refte de la France, mais elles ne ce
font que dans les Indes orientales & dans te
les climats chauds de l'Amérique , ce ce
ibnt la plupart des plantes capillaires , «c
& fouvent enpardculier des fougères, c<
leur tiffu dur & ferré les a rendu plus ce
propres à fe graver & à le conferver ce
dans les moules autant de temps qu'il a ce
fallu. Quelques feuilles de plantes des ce
Indes imprimées dans des pierres d'Aï- ce
femagne , ont paru étonnantes à M. ce
Léibnitz (g) , voici la même merveille ce
infiniment multipliée ; il fenible mêine ce
qu'il y ait à cela une certaine afîe^lation ce
de la Nature , dans toutes les pierres ce
de Saint-Chaumont on ne trouve pas ce
une feule plante du pays. ce
Il eft certain par les coquillages des ce
carrières & des montagnes , que ce ce
pays, ainfi que beaucoup d'autres, a ce
dû autrefois être couvert par l'eau de la ce
mer; mais comment la mer d'Ame- c<
Ù). Voyez i'Hifî, de 170^; J^^g^ ^ ^ S^^H
'450 HiJIoire Nawrelk,
3> riquc ou celle des Indes orlentaks y
3> eft-elie venue !
3s On peut , pour fluisfliire à plufieurs
» phénomènes , fuppofer fi\ ec aflez de
3s vraifemblance que la mer a couvert
3î tout le globe de la terre , mnis alors il.
^ n'y avoit point de plantes terreftrcs , &
33 cen'eft qu'après ce temps-là, & lorf-
3' qu'une j^artie du globe a éié decou-
33 verte , qu'il s'cft j3U fliire les grandes
33 inondations qui ont tranfporte des
33 plantes d'un pays dans d'autres fort
33 éloignes.
35 M, de Jufîjeu croit que comme le
33 lit de la mer hauiTe toujours par les
33 terres , le limon , les fables que les
>î rivières y charienr incefîîimment , des
33 mers renfermées d'abord entre certaines
3> digues naturelles, font venues ri les
33 furmonter & fe font répandues au loin ;
33 que les digues aient elles-mêmes été
« minées par les eaux 64 s'y foient ren-
33 verfées , ce fera encore le même effet
33 pourvu qu'on les fuppofc d'une gran-
-ï5 deur énorme. Dans les premiers temps
55 de h formation de la terre , rien n'avoit
5> encore pris une forme réglée & ari ctée,
Théorie de la Terre • 451
il a pu ie faire alors des révolutions ce
prodigleufes 6t fubites dont nous ne ce
voyons plus d'exemples , parce que ce
tout eft venu à peu près à un état de ».t
confiflance, qui n*e(t j)ouriant pastel «.
que les changeinens lents ai j)eu confia c«
dèrables qui arrivent , ne nous donnent «.c
lieu d'en imaginer comme j^oiïjblei tt
d'autres de même efpèce , mais plus ce
griuids & plus prompts. .x
Par quelqu'une de ces grandes v,
révolutions, la mer à^i> Indes , Ibit <.«;
orientales , foit occidentales , aura été ce
pouflee jufqu'en Europe, & y aura ce
apporté des plantes étrangères flot- «.e
lautes fur les eaux , elle les avoit arra- ce
chécs en chemin de les alloit dépo^r et
doucement dans les lieux où l'eau t«
n'étoit qu'en peùte quantité & pou voit ^%
s'évaporer w.
Fl N du ptmkr Volume*
Ùi%-*U.-»
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