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il
ŒUVRES
DE FÉNÉLON
TOME xriii.
*
OEUVRES
DE FÉNÉLON ,
ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI ,
PUBLIÉES D'APRÈS LES MANUSCRITS ORIGINAUX
ET LES ÉDITIONS LES PLUS CORRECTES ;
AVEC UN GRAND NOMBRE DE PIÈCES INÉDITES.
TOME XVIII.
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DE J.-A. LEBEL,
IMPUIMEOR DU KOI.
i8ai3.
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MANUEL
DE PIÉTÉ
FéNÉLOir. 1VII1.
MANUEL DE PIÉTÉ.
AVIS SUR LA PRIÈRE
ET SUR LES PRINCIPAUX EXERCICES DE PlirÊ.
^^i^*^^o^%^
I. L'ExcBtLEWTE prière n'est aalre chose que IV
moor de Diea. L'excellence de cette prière ne con-
sisle pas dan» la multitude des paroles (0 qae nous
pronoofons ; car Btcq-TOimottr nau» avoir besoin de
nos paroles, le fond de nos sentimens. La véritable
demande est donc ceUe du cœur, et le cœur ne de-
mande que par ses àésin. Prier est donc désirer,
mais d&irer ce que Dieu veut que nous d&irions!
Celui qui ne désire pas du fond du cœur fait une
prière trompeuse. Quand il passeroit des joarnées
entières à réciter des prières, ou à méditer, ou à
s'exciter à des sentimens- pieux, il ne prie point vé-
ritablement s'il ne désire pas ce qu'il demande.
II. O qu'il y a peu de gens qui prient! car où sont
ceux qui désirent les véritables biens? Cesltiens sont
les o-oix extérieures et intérieures, l'humiliation
le renoncement à sa propre volonté, la mort à soi-
même, le règne de Dieu sur les ruines de l'amonr-
propre. Ne point désirer ces choses, c'est ne prier
point : pour prier il faut les désirer sérieusement.
ET LES EKERCICES DE- PIÉTÉ. 9
sais quoi qui opère plas que tous les raisonnemens..
On voit une vérité, on Taime, on s'y repose; elle
fortifie le cœur, elle nous détache de nous-mêmes :
il y faut demeurer en paix tout aussi long - temps
qu'on le peut.
Xiy. Pour la manière de méditer, elle ne doit être
ni subtile, ni pleine de grands raisonnemens; il ne
faut que des réflexions simples, naturelles, titres
immédiatement du sujet qu'on médite.
Il faut méditer peu de vérités et les méditer à loi-
sir, sans effort, sans chercher des pensées extraor-
dinaires.
On ne doit considérer aucune vérité que par rap-
port à la pratique. Se remplir d'une vérité sans
prendre toutes les mesures nécessaires pour la suivre
fidèlement , quoi qu'i.1 en coûte, c'est vouloir retenir^
comme dit saint Paul {})^la vérité dans VinjusUce;
c'est résister à cette vérité imprimée en nous, et par
conséquent au Saint-Esprit même C^). C'est la plus
terrible de toutes les infidélités.
Xy . Pour la méthode de prier , on doit la faire dé-
pendre de l'expérience qu'on a là*dessus. Ceux qui
se trouvent bien d'une méthode exacte ne doivent
point s'en écarter : ceux qui ne peuvent s'y assujettir
doivent respecter ce qui sert utilement à tant d'au*
très, et que tant de personnes pieuses et expérimentées
ont tant recommandé. Mais enfin , comme les métho-
des sont faites pour aider, et non pour embarrasser;
quand elles n'aident point, et qu'elles embarrassent,
il faut les quitter. .
XVL La plus naturelle dans les commencemens
(0 Bom, 1. 18. — C*) AgL vu. 5.
lO SUA LA PKlàaB
eit de prendre un livre, quon quitte quand on se
sent recueilli par Tendroit qu*on vient de lire, et
qu'onreprend quand cetendroit ne fournit plus xien
ppur se nounir intérieurement. En général , il est
certain que les vérités que nous goûtons davantage
et qui nous donnent une certaine lumière pratique
pour les choses que nous avons k sacrifier à Dieu ,
sont celles où Dieu nous marque un attrait de grâce
qu il faut suivre sans hésiter. L'Esprit souffle où it
veut (0; oU il est, là est aussi la liberté (^).
Dans la suite on diminue peu à peu en réflexions
et en raisonnemens; les sentimens affectueux, les
vues touchantes, les désirs augmentent ; c'est qu*on
est assez instruit et convaincu par l'esprit. Le cœur
goûte, se nouiTit, s'écliauiiè, s*enflanune^ il ne faut
qu'un mot pour occuper long- temps.
Xyil. Enfin l'oraison va toujours croissant par des
vues plus simples et plus fixes, en sorte qu'on n'a
plus besoin d'une si grande multitude d'objets et de
considérations. On est avec Dieu comme avec un ami.
D'abord on a mille choses à dire à son ami , et mille
à lui demander; mais, dans la suite, ce détail de con-r
versation s'épuise, sans que le plaisir du commerce
puisse s'épuiser. On a tout dit; mais, sans se parler,
on prend plaisir à être ensemble, à se voir, à sentir
qu^on est l'un auprès de l'autre, à se reposer dans le
goût d'une douce et pure amitié : on se tait; mais,
dans ce silence, on s'entend. On sait qu'on est d'ac«
cord en tout, et que les deux cœnrs n'en font qu'un;
l'un se verse sans cesse dans l'autre.
XVIII. cVest ainsi que dans l'oraison le commerce
(«' Joan, III. 8. — '*) // Cor, Mu 17.
ET LES £XeRClC£S DE PIÉTÉ. I C
avec Dieu, parvient à une union simple et familière
qui estau-delà dé tout discours. Mais il faut que Dieu
fasse uniquement par lui-même celte sorte d*oraison
en nou»; et rien ne seroit ni plils téméraire ni plus
dangereux que d'oser s'y introduire soi-même* Il faut
se laisser conduire pas à pas par quelque personne
qui connoisse les voies de Dieu , et qui pose long-
temps les fondemens inébranlables d'une exacte in-
slruction et d'une entière mort à soi-même dans tout
ce qui regarde les mœurs.
XIX. Pour les reti*aite8 et la fréquentation des sa-
cremens , il faut se régler par les avis de la personne
en qui on pfeiid confiance. Il faut avoir égard à ses
besoins, àTeiTet qt^ela communion produit en noue:,
et à beaucoup d'autres circoostanoes propres à cha-
que personne.
XX. Les.retiaites dépendent du loisir et dm besoin
oh l'on se trouve. Je dis du besoin > parce qu'il faut
être sur la nourriture de l'ame comme sur celle du
corps : quand on ne peut supporter un travail sans
une certaine nourriture , il faut la prendre; autre-
ment on s'e^cpose à tomber en défiliilànce. J'a)oute le
loisir, parce que» excepté ce besoin absolu de nour-
riture dont nous venons de pairler y il faut remplir ses
devoirs plutôt que de suivre son goût deiërveur. Un
homme qui se doit au public , et qui passeroit le
temps destiné à ses fonctions à méditei' dans la re-
traite, manqueroit h Dieu en s'imaginant s'unira lui.
La véiHtable union à Dieu est de faire sa volonté sans
relâche, et malgré tous dégoûts naturels, dans tous
les devoirs les plus ennoyejix et les plus pénibles de
son état.
'^ SUR LA raiEAE
XXL Pour les précautions contie la dissipation,
les voici en gros : c'est de fuir tous les commerces de
suite et de confiance avec des gens dans des maximes
contraires à la piété, surtout quand ces maximes
contagieuses nous ont autrefois séduits. Elles rouvri-
ront encore facilement nos plaies; elles ont même
une intelligence secrète au fond de notre cœur; nous
y avons un conseiller doux et flatteur, toujours prêt
à nous aveugler et à nous trahir.
XXII. Voulez- vous, dit le Saint-Esprit (0, juger
d'un homme? observez quels sont ses amis. Com-
ment celui qui aime Dieu, et qui ne veut plus rien
aimer que pour lui, auroit-il pour amis intimes ceux
qui n*aiment ni né connoissent point Dieu, et qui
regardent son amour comme une foiblesse? Un cœur
plein de Dieu, et qui sent sa propre fragilité, peut-ii
jamais être en repos et à son aise avec des gens qui
ne pensent sur rien comme lui, et qui sont k tout
moment en état de lui ravir tout son trésor? Le goût
de telles gens et le goût que donne l& foi sont incom-
patibles.
XXIIL Je sais bien qu'on tie peut et qu'on ne doit
pas même rompire avec certains amis auxquels on
s'est lié par l'estime de leurs bonnes qualités natu-
relies» par leurs services, par l'engagemeqt d'une sin-
cère amitié, ou enfin par la bienséance d'un com-
merce honnête. On pique jusqu'au vif d'une manière
dangereuse les amis auxquels on ôte sans mesure
une certaine familiarité et une confiance dont ils
sont en possession : mais , sans rompre et sans dé-
clarer son refroidissement, on peut trouver des ma-
i^)Eccli. XIII. 20.
ET LES MERC1CE5 DE PIÉTÉ. li
nières douces et insensibles de modérer ce commerce.
On les voit en particulier; on les ' distingue des
demi -amis; on leur ouvre son cœur sur certaines
choses oh la probité et Tamitié mondaine suffisent
pour les mettre k portée de donner de sages conseils,
et de penser comme nous, quoique nous pensions les
mêmes choses qu'eux par des motifs plus purs et plus
relevés ; enfin on les sert , et on continue tous les
soins d'une amitié cordiale sans livrer son cœur.
XXIV. Sans cette précaution tout est en péril ;
et si on ne prend courageusement, dès les premiers
jours, le dessus, pour se rendre, dans sa piété, libre
et indépendant de ces amis profanes, c'est une piété
qui menace ruine prochaine. Si un homme qui est
obsédé par de tels amis est d'un naturel fragile, et si
ses passions sont faciles à enflammer, il est certain
que ces amis, même les plus sincères, le rentratne-
ront. Ils sont, si vous voulez, bons, honnêtes, pleins
de fidélité et de tout ce qui rend l'amitié parfaite selon
le monde : n'importe; ils sont empestés pour lui :
plus ils sont aimables, plus ils sont à craindre. Pour
ceux qui n ont point ces qualités estimables , il faut
les sacrifier, trop heureux qu'un tel sacrifice, qui
doit coûter si peu, nous vaille une sûreté si précieuse
pour notre sâlut éternel !
XXy . Outre qu'il faut donc choisir avec un grand
soin les personnes que nous voyons, il faut encore
nous réserver les heures nécessaires pour ne voir que
Dieu dans la prière. Les gens qui sont dans des em-
plois considérables ont tant de devoirs indispensables
à remplir, qu'il ne leur reste guère de temps pour
être avec Dieu, à moins qu'ils ne soient bien appii-
l4 ^^^ LA. PBIÈIIE.
qiiés à Diënager leur temps. Si peu qu'on ait Je pente
à s*amusei% on ne retrouve plus les heu iH^s destinées
ni pour Dieu ni pour le prochain.
Il faut donc tenir ferme pour se faire une règle*
La rigidité à Tobserver semble excessive ;• mais sans
elle tout tombe en confusion : on se dissipe ^ on se
relâche 9 on pei*d ses forcesy on s^éloigne insensible-
ment de Dieu , on se livre à tous ses goàts^ et on ne
commence à s^apercevoir de régarément où Ton
tombe^ que quand on y est déjà tombé jusqu^À n^oser
plus espérer' d'en pouvoir revenir.
Prions, prions. La prière est notre unique salut.
Béni soil le Seigneur, qui ri a point retiré de moi ni
' ma prière ni sa miséricorde (0. Pour être fidèle à
prier, il faut être fidèle à régler touteslesoccupations
de sa tournée avec une fermeté que rien n'ébranle }a*
mais.
PRIÈRES DU MATIN.
^^%%^^^W»<^%^»'*^|'^>*)*<«**
n Vehss y ré)ooissoiis-4ioos «m Seigiienr« C'est de*-
» vant Dieu tfotre Sauteur que notre joie' doit écla*
» ter. PréscntoiMHiioas devant sa face j admirons sa
» grandenri et chantons ses looançes; carie Seigneur
» est le grand Dien , le grand roi élevé au^essus de
» toute puissance. Il n*a point rejeté son peuple , lui
» qui tient dans sa main toute IVtendue de l'univers,
» et qui voit les fondemens caches des montagnes.
» La mer est à lui^^ c'est lui qui Ta faite ; ses mains
» ont fondé la terre. Veoez ^ adorqns-le : prosternons-
» nous à ses pieds ; pleurons devant le Seigneur. C'est
» lui qui nous a faits; c'est lui-même qui est notre
» Seigneur et notre Dieu ; nous sommes son peuple,
w et son troupeau qu'il nourrit dans ses pâturages.
» Aujourd'hui si vous entendez sa voix, gardez-vous
M bien d'endurcir vos cœurs, de peur de l'irriter,
>i comme au jour où le peuple le tenta dans le désert.
» C*est là, dit- il, oh vos pères m'ont tenté pour
» m éprouver , et ils dirent mes oeuvres* Pendant
» çuaYante ànx\, je me suis tenu tout auprès de ce
M peuphy et J'ai dit : Leuv^ àioeurs sont toujours éga^
» résiils n'ont point' ôonnu mes voie^j selon leS'-
» quelles foi juré dans ma colère qu'ils n'entreroiertt
» point dans mon repos' {^). »
Hélas! Seigneur^ faut-il s'étonner de ce que nous
n'entrons point dans det aimable repos de vos en-
fens? Nous avons péché contre toute votre justice,
CO Pi. xciv.
l6 PRIÈRES DU ItATIN.
et notre péchë s*élève toujours contre nous. La foi
n'a point été notre lumière, Tespérance n'a point ëtë
notre consolation , l'amour n'a point été notre vie.
Nous avons couru après la vanité et le mensonge ;
nos paroles ont été fausses et malignes; nos actions
ont été sans règle ; nous avons vécu comme s'il n'y
avoit point une autre vie après celle-ci. Chacun n'a
aimé que soi , au lieu de ne s'aimer que pour l'a-
mour de vous. Quelle lâcheté! quelle ingratitude!
quel abus de la patience de Dieu et du sang de Jésus-
Christ !
Examinons notre conscience j et écoutons Dieu au
fond de notre cœur , pour nous connottre sans
nous Jlatter.
Je me confesse à Dieu tout-puissant, à la bienheu-
reuse Vierge Marie , à tous les anges , à tous les
saints, et à vous, etc., parce que j'ai péché par ma
faute, par ma faute, par ma très-grande faute. C'est
pourquoi je prie tous les amis de Dieu, du ciel et de
la terre , d'intercéder pour m' obtenir la rémission de
toutes mes fautes.
O Dieu , j'ai horreur de moi ; je déteste tous mes
péchés pour l'amour de vous, et parce qu'ils vous dé-
plaisent. O beauté si ancienne et toujours nouvelle !
pourquoi faut-il que je commence si tard à vous
aimer ! Plutôt mourir que de vous offenser le resle
de ma vie. Lavez-moi dans le sang de l'Agneau. For-
tifiez moii cœur contre toutes les tentations de cette
journée. Que je marche en votre présence ; que j'a-
gisse dans la dépendance de votre Esprit. *
Notre
PRlfe&£S DU MATIM. I7
NoTAE Père qui êtes aux deux, que votre nom soit
sanctifie ; que votre royaume nous arrive ; que ^otre
volonté soit faiteen la terre comme au ciel f donnez-
nous aujourd'hui notre pain <]u6tidien ; et pardonnez*
nous nos ofifenses, comme nous pardonnons à ceux
qui nous ont offenses : et ne nous induisez poi^t en
tentation ; mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit^il.
Je vous salue y Marie, pleine de grâce; le Seigneur
est avec vous; vous êtes bénite entre les femmes, et
béni est le fruit de votre ventre , Jésus. Sainte Marïe,
mère de Dieu, priez pour nous pécheurs, mainte-
nant et à rheure de notre mort. Ainsi soit-il.
Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du
ciel et de la terre ; et en Jésus-Christ, son Fils
unique, notre Seigneur; qui a été conçu du Saint-
Esprit, né de la Vierge Marie; a souffert sons Ponce
Pilate ; a été crucifié, mort et enseveli ; est descendu
aux enfers ; le troisième jour est ressuscité d'entre
les morts; est monfé au ciel; est assis à la droite de
Dieu le Père tout-puissant; de ïk viendra juger les
vivans et les morts. Je crois au Saint-Esprit ; la sainte
Église catholique; la communion des saints; la ré-
mission des péchés; la résurrection de la chair; la
vie éternelle. Ainsi soit-il.
Ayez pitié de no|is. Seigneur, Père, Fils, Saint*
Esprit; Dieu unique en trois personnes égales.
Fils de Dieu, splendeur de la glpire du Père, et
le caractère de sa substance , ayez pitié de nous.
Fils de pieu , qui portez l'univers par votre pa-
role toul^puissante , ayez pitié de nous.
FtuéLON. Tviii. 2
i8 smiknEs du mativ.
FiU de Dieu , sans usurpatioD ëgal i votre Père ,
ayez pitié de noos.
Sages& étemelle, pour qni la création de Funi-
▼ers n*a été qu un jea , ayez pitié de nous.
Jésus y Tattente du monde, et le Désiré des na-
tion», ayez pitié de nous.
Jésus, montré de loin par les prophètes, et an*
nonce par les apôtres jusqu'aux extrémité de la
terre , ayez pitié de nous.
Jésus, à qui le Père a donné pour héritage toutes
les nations, ayez pitié de nous.
Jésus, commencement et fin de tout; source de
nos vertus, et objet de nos désirs , ayez pitié de nous.
Jésus y sauveur de tous les hommes, et surtout des
fidèles, ayez pitié de nous.
Jésus, Prince de paix, et Père du siècle futur,
ayez pitié de nous.
Jésus, auteur et consommateur de notre foi, ayez
pitié de nous.
Jésus, Pontife compatissant à nos infirmités, mais
sans tache , et plus élevé que les cieux, ayez pitié
de nous.
Jésus , voie qui nous mène à la vérité , vérité qui
nous promet la vie , vie dont nous vivrons à jamais
dans le sein du Père, ayez pitié de nous.
Jésus , fontaine d'eau vive, qui rejaillit jusqu^à la
vie étemelle , ayez pitié de nous.
SésM , eau pure qui désaltère à jamais les coeurs ,
et qui éteint tout désir, ayez pitié de nous.
Jésus, lumière qui illumine tout homme venant
au monde, ayez pitié de nous.
Jésus, lumière qui se lève sur les pelles assis
dan» la région de Tombre de la mort , ayez pitié de
notts.
Jésus, pierre angulaire qui porte et qui unit^tout
IVdifice de la maison de Dieu , ayez pitié de nous.
Jésus , dont la parole est nôtre doctrine y la vie
notre modèle , et la grâce notre unique ressourcé,
ayez pitié de nous.
Jésus, qui enrichissez les hommes do trésor de
votre pauvreté , ayez pitié de nous.
Jésus, Dieu visible et familiarisé avec nous pour
nous diviniser, ayez pitié de nous.
Jésus, notre pain quotidien au-dessus de toute
substance , ayez pitié dé nous.
Jésus , pain descendu du ciel pour donner la vie
au monde, ayez pitié de nous.
Jésus, véritable manne, qui a tous les goûts pour
un cœur pur, ayez pitié de nous.
Jésus , qui n*aviez pas même de quoi reposer votre
tête , pendant que vous nourrissiez au déseit tant de
milliers d'hommes d\in paiti miraculeux, ayez pitié
de nous.
Jésus, qui guérissiez toutes les langueurs du corps
pour préparer la guérison des plaies de. nos âmes,
ayez pitié de nous.
Jésus, qui faisiez voir les aveugles, ^tendre les
sourds, marcher les boiteux, et qui ressuscitiez- les
morts, pour convertir les pécheurs, ayez pitié de nous.
Jésus, homme de douleurs, rassasié d'opprobres
pour nous faire entrer dans votre gloire, ayez pitié
de nous.
Jësus, qui avez attiré tout à vous, après que vous
avez été élçvé sur la croix, ayez pitié de nous.-
V
aO PJllÈliBS DU MATUr.
Jésus y dont la mort nous Sait moarir au péché , et
dont la résarrection nous fait vivre à la grâce , ayes
pitié de nous*
Jésus f monté à'ia droite du Père, pour y élever
nos cœurs ^ et pour transporter notre conversation
au ciel, ayez pitié de nous.
Jésus, qui avez envoyé votre Esprit de vérité pour
conduire tous les jours , jusqu'à la consommation du
siècle, rÉglise votre épouse sans ride et sans lâcher
ayei^ pitié de nous.
Jésus , qui' nous avez faits vos amis , vos enians ,
voe membres, pour nous faire régner avec vous sur
le même trône, ayez pitié de nous.
Jésus, qui nous entr*ouvrez déjà les portes de la
céleste Jérusalem, où Dieu sera lui*méme son temple,
et où nous n aurons plus d'autre soleil que vous , ayez
pitié de nous.
JéBus, qui nous enivrerez du torrent de vos dé-
lices dès que nous verrons la face du Père au séjour
de la paix, ayez pitié de nous*
Jésus*, qui nous avez acquis par votre croix ce
royaume céleste où vous essuierez les larmes de nos
yeux, où il n'y aura plus de mort, où les douleurs
et les gémissemens s'enfuiront loin de nous , ayez
pitié de nous.
Jésus, courage des martyrs, et patience des oon«»
fesseurs, ayez pitié de nous.
Jésus, société des solitaires an désert, et science
des docteurs de l'Eglise , ayez pitié de nous.
Jésus, époux des vierges, couronne des justes
et pénitence des pécheurs convertis , ayez pitié de
nous.
ÏRIEKES DU MAZl».
21
Agneau qui effacez les péchés du jononae, ayez
pitié de nous.
Seigneur, après nous avoir confondus par la vue
de DOS misères y consolez-nous parcelle de vos misé-
ricordes : faites que nous commencions aujourd'hui
à nous corriger, à nous détacher, à fuir les faux biens
qui sont pour nous de véritables maux, à ne croire
que votre vérité, k n'esp^er que vos promesses, à
ne vivre que de votre amour. Donnez, et nous vous
rendrons^ soutenez-nous contre notre foiblesse. O
jour précieux, qui sera peut-être le dernier d'une
vie si courte et si fragile ! O heureux jour^ sMl nous
avancé vers celui qui n*aura point de (in \
Sainis an^ , à qui noqs sommes confiés , condui-
sea-noua, comme par la main, dans la voie de Dieu,
de peur que nos pieds ne bçurtent contre quelque
pierre.
O Dieu, donnez votre amour aux vivans, et votre
paix aux morts.
PRIÈRES DU SOIR
« Venez, vous tôu^ qui servez le Seigneur, hé^
» nissez maintenant son saint nom. Venez, 6 vous
» qui demeurez dans la maison de Dieu, et qui êtes
» assemblés autour du lien saint. Pendant la nuit ,
» levez vos mains vers le samctuaire, et bénissez le
» Seigneur. Que le Seigneur, créateur du ciel et de
9 la terre, répande du haut du Sion sa bénédiction
n sur vous tous C'). »
Seigneur, ouvrez-nous les yeux, de peur que nous
ne nous endormions dans la mort. Hélas! cette
journée n'a-t-elle pas été vide de bonnes œuvres?
Elle auroit pu nous mériter Féternité , et nous Ta-
vous perdue en vains amusemens. Peut-être est-elle
la dernière d*une vie indigne de toute miséricorde.
O homme insensé! peut-être que cette nuit Jésus-
Christ viendra à la hâte pour te redemander cette
ame, qui est Tirnage de Dieu tout- puissant, toute
de'figurée par le péché, O Seigneur, faites que, pen-
dant notre sommeil même, votre amour veille pour
nous, et qu'il fasse la garde autour de notre cœur.
Examinons notre conscience, comme si n<nis étions
assurés d^aller dans ce moment parottre devant
Dieu.
Je suis Tenfant prodigue. Je me suis égaré dans
une terre étrangère; fy ai perdu tout mon héritage;
{^)Ps, ClllJJt.
je in*y sais noorri comme les animaux les plus vils
et les plus grossiers : me voilà afiamé et meudiaDt.
Mais je sais ce que je ferai; je retournerai vers mon
père^ et je lui dirai : O père, )*ai péché contre le
ciel et contre vous. N'êtes -Vous pas le boa pasteur
qui laisse tout son troupeau pour courir au milieu
du désert après une seule brebis égarée? N'est-ce pas
vous qui m*avez appris que tout le ciel est en joie
sur un seul pécheur qui fait pénitence ? Ne méprisez
donc pas un cœur contiit et humilié.
Je me confesse à Dieu tout^puissant , etc.
Notre Père qui êtes aux deux, etc.
Je vous salue, Marie, etc.
le- croîs en Dieu le Père tout- puissant, etc.,
comme ci-dessus , pag* 16 et 1 7.
Ayez pitié de nous, Seigneur, Père, Fils, Saint-
Esprit ; Dieu unique en trois personnes égales.
Marie, mère de Dieu, et toujours vierge quoique
mère , priez pour nous.
Marie, qui êtes, bien plus qu'Eve, la mère des vi-
vans, priez pour nous.
Marie , qui avez réparé tous les maux que la pre-
mière femme avoit fait entf er dans le monde , priez
pour nous.
Marie, qui nous avez donné le vrai fruit de vie,
plus précieux que celui du paradis terrestre, priez
pour nous»
Vierge, qu'un prophète montroit de loin mettant
au monde le Fils du Très-haut , priez pour nous.
a4 PRIERES DU S01R«
Marie y qu'un ange descendu du ciel salua avec
admiration , comme étant pleine de grâce et élevëe
au--de8su& de toutes les femmes , priez pour nous.
Marie, dont la pudeur virginale fut alarmée k la
vue même d*un ange ^ ppiez pour nous.
Marie, qui demeurâtes tranquillement abandonnée
à Dieu y quoique votre maternité inoomprébensible
vous exposât au dés^ionneur et à une punition de
mort, priez pour nous.
Marie y qui allâtes d'abord communiquer les dons
de Dieu à Elisabeth votre sainte parente , priez pour
nous.
Marie, qu'Elisabeth ne put recevoir sans s'écrier :
D'où me vient que la Mère de mon Seigneur fasse des
pas vers moi? pries pour nops.
. Marie, qui disiez dans un saint transport: Voilà
que tous les siècles me déclareront bienheureuse ,
car le Tout-puissant a fait en moi de grandes choses,
priez pour nous.
Marie, qui rendiez gloire à Dieu de ce qu'il avoit
abattu les grands, et relevé les petits; comblé de biens
les pauvres affamés, et aiTamé les riches superbes,
priez pour noiis.
Marie, qui voyant l'enfant Jésus annoncé par les
anges, montré par l'étoile , adoré par les Mages dans
une crèche, conserviez* ces choses, les repassant
dans votre cœur, priez pour nous.
Marie, qui, étant toujours vierge, voulûtes néan-
moins être purifiée comme toutes les femmes com-
munes, priez pour nous.
'Marie, qui apprîtes du saint vieillard Siméon que
votre Fils seroit l'objet de la contradiction des bom-
VEIÈEBS DO son. « %i>
mes, et qn^uD glahre de douleur perceroit votre aine ^
pries pour nous,
Marie , qui en rachetant votre Fils , selon la loi ,
comprîtes qo*il n*en seroit* pas moins sacrifié pour
racheter le monde , priez pour nous.
Marie, si prompte à suivre toutes les impressions .
de la foi , qu'un songe donné à Joseph vous suffit pour
vous faire emporter votre divin Enfant en Egypte ,
priez pour nous.
Marie, qui demeuriez en paix sans consolation ni
ressource humaine dans cette terre étrangère , ne sa^
chant pas même jusqu'à quand vous y demeureriez,
priez pour nous.
Marie, q^i revîntes sans hésiter comme vous étiez
partie sur un simple songe mystérieux de vôtre saint
époux y priez pour nous.
Marie , qui cherchâtes avec douleur Fenfant Jésus
demeuré au temple à Tftge de douze ans avec les doc*
teurs de la loi, priez pour nous.
Marie , qui reçûtes du saint Enfant une réponse
sévère , parce que sa mère ne devoit point se mâer
de ses travaux pour la gloire de son Père céleste,
priez pour nous.
Marie, à qui fut soumis pendant tant d'années ce-
lui qui est la sagesse éternelle et la toute*puissance
même, priez pour nous.
Marie, qui obtîntes de votre Fils son premier mi<*
racle aux noces de Gana , priez pour nous.
Mme, à qui Jésus fit alors une réponse austère,
pour apprendre au monde que vous ne deviez point
entrer dans le sacré ministère y quoique vous fussiez
fleîae de grâce, priez pour nous.
a6 vAiÈaEs du soia.
•
Marie y qal oioaries ainsi à toute consolation se&«
sible du côté de votre Fils même , priez pour nous.
Marie |. fille de David , de Salomon, de tant d'au-
tres rois, qui étiez réponse d*un charpentier , priez
pour nous.
Marie y qui avez mené une vie simpla, obscure et
laborieuse, dans la pauvreté, votre Fils n'ayant pas
même de quoi reposer sa tête, priez pour nous.
Marie , qui ne fîtes ni miracle ni instruction, mais
qui f&tes un miracle de grâce et Tinstruction de tous
les siècles par votre silence , priez pour nous.
Marie, de qui nous disons, comme une femme le
crioit à Jésus-Christ : Bienheureuses sont les entrail-
les qui vous ont portée, et les mamelles qui vous ont
nourrie ! pries pour nous*
Marie, qui suivîtes ti^nquillement Jésus à la
croix, pendant que tous les apôtres épouvantés, et
sans foi aux promesses, étoient en fuite, priez pour
nous.
Marie , que Jésus mourant confia à son disciple
bien-aimé, pour être comme sa mère, priez pour
nous*
Marie, qui reçûtes alors comme un fils ce disciple
bien-aimé , et qui en fîtes le plus sublime docteur de
r«;mour , priez pour nous.
Marie, dont les yeux virent Jésus mourant.sur la
croix , et dont le cœur fut percé par le glaive que
Siméon avoit prédit, priez pour nous.
Marie, avec qui les disciples persévéroient dans
Foraison après Tascension de votre Fils et la descente
du Saint-Esprit sur eux, priez pour nous.
Marie, dont le cœur étoit dé|à au ciel avec votre
PElàASS DU SOI&. 37
Fils peadant que votre corps étoit encore sur la terre,
priez pour noas.
Marie , qui regardez encore la terre avec compas-
sion, quoique vous régniez dans le del, priez pour
nous.
.Marie, qui ne flattez point les pécheurs impéni*
tens et ennemis de la croix de votre Fils , priez pour
nous.
Marie, mère de miséricorde pour tous les pé-
cheurs pénitens, priez pour nous.
SaiGjfEUB, gardez nos esprits pendant que nous
veillons, et nos corps quand nous serons dans le
sommeil , afin que nous veillions avec Jésus-Christ ,
et que nous dormions en paix. Ayez pitié de notre
foiblesse. Envoyez vos saints anges , ces esprits de
lumière , pour écarter loin de vos enfans Tesprit de
ténèbres qui tourne autour de nous, comme un lion
rugissant, pour nous dévorer. Faites que nous lui
résistions, étant courageux dans la foi. Donnez la
pénitence aux pécheurs , la persévérance aux justes
et la paix aux morts.
Que notre prière du soir monte vers vous, Sei-
gneur, et que votre miséricorde descende sur nous.
28 ' aÉFLExioas
RÉFLEXIONS SAINTES
POUH
TOUS LES JOURS DU MOIS.
PREMIER JOUR.
Sur le peu de foi qu'il jr a dans le monde.
I. Cno YEZ-VOVS que le Fils de l'homme venant sur
la terre y trouvera de la foi (0 ? S*il y venoit mainte-
nant, en trouveroit-il en nous? Oii est notre foi? où
en sont les marques? Croyons-nous que cette vie
n*est qu*un court passage à une meilleure ? Pensons-
nous qu*il faut souffrir avec Jésus-Christ, avant que
de régner avec lui? Regardons-nous le monde comme
une figure trompeuse, et la mort comme l'entrée
dans les véritables biens? Vivons-nous de la foi?
nous anime-t-elle? Goûtons-nous les vérités éter-
nelles qu*elle nous présente? en nourrissons-nous
notre ame avec le même soin que nous nourrissons
notre corps des alimens qui lui conviennent ? Nous
accoutumons-nous à ne regarder toutes choses que
selon la foi? Corrigeons-nous sur elle tous nos juge-
mens? Hélas! bien loin de vivre de la foi , nous la fai-
(*) Lue. zTiii. 8.
POUR TOUS LES JOUAS DU MOIS. 39
sons moarir dans notre esprit et dans notre cœur.
Noos jugeons en païens; nous agissons de même.
Qui croiroit ce qu'il fiMit croire , feroit-il ce que
nous faisons 7
II. Craignons que le royaume de Dieu ne nous
soit 6të, et ne soit donné à d'autresqui en produi-
ront mieux les fruits. Ce rojaume de Dieu est la foi^
quand elle est régnante et dominante an milien de
nous. Heureux qai a des yeux pour Toir oie royaume f
La chair et le sang n'en ont point. La sagesse de
rhomme animal est aveugle là-dessus , et veut l'être.
Ce que Dien fait intérieurement lut est un songe.
Pour voir les merveilles de ce royaume intérieur, il
faot renaître ; et pour renaître , il faut mourir : c'est
à qnoi le monde ne peut consentir. Que le m6nde
méprise donc, qu'il condamne , qu'il se moqae tant
qu'il voudra; pour nous, mon Dien, il nous est or-
donné de croire et de goiteer le don. céleste. Nous
voulons être du nombre de vos élus , et nous savons
que personne ne peut en être, sans conformer sa vie
^ ce que vous enseignez.
3o aftTLEXIOJffl
■
U. JOUR.
Sur l'unique chemin du cieL
L Efforcez-fous d'entrer par la porte étroite i^h
Ce n^est qae par violence qu'on entre dans le royaume
de Dieu ; il faut remporter d assaut ^ comme une
place assiégée. La porte en est étroite; il faut mettre
i^ la géoe le corps du péché; il faut s'abaisser» se
plier, se traîner, se faire petit. La grande porte oà
passe la foule» et qui se présente toute ouverte, mène
à la perdition. Tons les chemins larges et unis doi-
vent nous faire peur. Tandis que le monde nous rit,
et que notre voie nous semble douce , malheur à
nous ! Jamais nous ne sommes mieux pour Vautre
vie, que quand nous sommes mal pour celle-ci.
Gardons-nous donc bien de suivre la multitude qui
marche par une voie large et commode. Il faut cher-
cher les traces du petit nombre, les pas des saints,
le sentier escarpé de la pénitence, grimper sur les
rochers, gagner les lieux sArs à la sueur de son#iri-
sage , et s^attendre que le dernier pas de la vie sera
encore un violent effort pour entrer dans la porte
étroite deFétemité.
IL Nous ne sommes prédestinés de Dieu , que pour
être conformes à Fimage de son Fils, att|ichés comme
lui sur une croix, renonçant comme lui aux plaisirs
sensibles, contens comme lui dans les douleurs.
Mais quel est notre aveuglement ! Nous voudrions
(0 Afoft/i. Yii. 8.
M>UIl TOUS LES lOURB DU XOCS. 3t
nouft détacher de cette croix qui nous unit à notre
Maître. Nous ne pouvons quitter la croix, sans quitter
Jésus-Christ crucifié. La croix et lui sont insépara*
hies. Vivons donc et mourons avec celdi qui est venu
nou| montrer le véritable chemin du ciel; et necrai*
gnous rien, sinon de ne pas finir notre sacrifice sur
le même autel ob il a consommé le sien. Hélas! tous
les efforts que nous tâchons de faire en cette vie ne
sont que pour nous mettre plus au large, et pour
nous éloigner de Tunique chemin du ciel. Nous ne
savons ce que nous faisons. Nous ne comprenons pas
que le mystère de la grâce joint la béatitude avec
les larmes. Tout chemin qui mène à un trône est dé-
licieux , fùt*il hérissé d'épines. Tout chemin qui con«
duit h un précipice est effroyable, fût-il couvert de
roses. On souffre dans la voie étroite, mais on espère;
on souffre , mais on voit les cieux*ouverts; on souffire,
mais on veut souffrir; on aime Dieu, et on en est
aimé.
m. JOUR.
Sur la véritaMe dévotion.
m
I. Celui qui séduit lui-même soncœurvLa qu'une
t^aine religion (0. Que d'abus dans la dévotion! Les
uns la font consister uniquement dans la multiplicité
des prières ; les autres dans le grand nombre des œu-
vres extérieures, qui vont à la gloire de Dieu et au
soulagement du prochain. Quelques-^uns la mettent
3a RÉFLEXIONS
dans des désirs oontinuelfi de faire son salut) quel-
ques autres , dans de grandes auslirités. Toutes ces
choses sont bonnes ; elles sont mâme nécessaires jus-
qu'à un certain degré. Mais on se .trompe , si on y
place le fond et Tessentiél de la véritable piété* Cette
piété qui nous sanctifie et qui nous dévoue tout en-
tier à Dieu y consiste à faire tout ce qu'il veut^ et à
accoinplir, précisément dans les temps, dans les lieux
tt danft les circonstances oii il nous met, tout ce qu'il
désire de nous. Tant de mouvemens que vous vou-
drez y tant d'œnvres éclatantes qu'il vous plaira ; vous
ne serez payé que pour avoir £iit la volonté du sou-
verain Mattne. Le domestique qui vous sert feroit
lies merveilles dans Totre maison , que , s'il ne faisoit
pas ce que vous souhaitez, vous ne lui tiendriez aucu n
compte de ses actions, et vous vous plaindriez avec
raison de ce qu'il vous serviroit mal.
II. Le dévouement par&it, d'où le terme de dé-
votion a été formé, n'exige pas seulement que. nous
fassions la volonté de Dieu , mais que nous la fassions
avec amour. Dieu aime qu'on lui donne avec joie ;
et, dans tout ce qu'il nous prescrit, c'est toujours le
cœur qu'il demande. Un tel maître mérite bien qu'on
s'estime heureux d'être à lui. Il faut que ce dévoue-
ment se Soutienne également partout , dans ce qui
sons déplatt, dans ce qui nous choque , dans ce qui
contrarie nos vues, nos inclinations, nos projets ; et
qu'il nous tienne prêts à donner tout notre bien ,
notre fortune, notre temps, notre liberté, notre vie
et notre réputation. Etre dans ces dispositions, et en
vedir aux effets, c'est avoir uile véritable dévotion.
Mais comme la volonté de Dieu nous est souvent ca-
chée.
POUR TOUl LKS JOURS DU MOIS. 33
chëe y il y a encore un pas de renoncement «t de
mort à faire; c'est de TaccompHr par obéissance, et
par une obéissance arengle, mais sage en son aveu-
glement ; condition imposée à tous les hommes : le
plus éclairé d'entre enx^ le plus propre à attirer les
amea à Dieu et le plus capable de les y conduire ,
doit lui-même être conduit.
IV. JOUR.
Sur les conî^ ersions tâches et imparfaites (*).
. I. Les gens qui étoient éloignés de Dieu se croient
bien près de lui dès qu'ils commencent & faire quel-
ques pas pour s'en rapprocher. Les hommes les plus
polis et les plus éclairés ont là-dessus la même igno-
rance et la même grossièreté qu'un paysan qui croi-
roit être bien à la Goût parce qu'il auroit vu le Roi.
On quitte les vices qui font horreur; on se retranche
dans une vie moins criminelle, mais toujours lâche,
mondaine et dissipée : on )uge alors de soi, non par
l'Évangile , qui est l'unique règle qu'on doit prendre,
mais par la comparaison qu'on fait de la v^e oii l'on
est avec celle qu'on a menée autrefois. Il n'en faut
pas davantage pour se canoniser soi-knême, et pour
s'endormir d'un profond sommeil sur tout ce qui res-
C*^) Cet article a'eet qu'tin extrait de celui qu'on verra |)Iu9 bat an
n. IX des Inâtrueiion» et atns sur diver» points àe la perfMion eht^
tienne. Fénélon a sans doute fait lui-même cet extrait, pour être
joint aux Réflexions pour tous les jours du mois, qu^on imprimoit
par ses ordres à Tépoque de sa mort. {EdiU dn Fers,)
FénÉLOif. xviii. 3
34 AÉPLEXIOHS
teroit à faire poQr le salât. Un tel état est peut-être
plus suspect qu'un désordre scandaleux. Ce désordre
troubleroit la conscience, rëveilleroit la foi, et en-
gageroità faire quelque gi'and effort; au lieu que ce
changement ne sert qu'à étouffer les remords salu-
taires, qu'à établir une fausse paix dans le cœur, et
qu'à rendre les maux irrémédiables.
II. Je me suis confessé, dites-vous, assez exacte-
ment des foiblesses de ma vie passée ; je lis de bons
livres; j'entends la messe modestement, et je prie
Dieu, ce me semble, d'assez bon cœur. J'évite au
moins les grands péchés ; mais j'avoue que je ne me
sens pas assez touché pour vivre comme si je n'étois
plus du. monde, et pour ne garder plus de mesures
avec lui. La religion seroit trop rigoureuse , si elle
rejetoit de si honnêtes tempéramens. Tous les raffi-
nemens qu'on nous propose aujourd'hui sur la dévo-
tion vont trop loin, et sont plus propres à décourager ;
qu'à faire aimer le bien. Ce discours est celui d'un
chrétien lâche , qui voudroit avoir le paradis à. vil
prix , et qui ne considère pas ce qui est dû à Dieu , ni
ce que sa possession a coûté à ceux qui l'ont obtenue.
Un homme de ce caractère est bien loin d'une en-
tière conversion. Il ne connoît apparemment ni l'é-
tendue de la loi de Dieu, ni les devoirs de la péni-
tence. On peut croire que si Dieu lui avoit conGé le
soin de composer l'Évangile, il ne l'auroit pas fait
tel qu'il est; et nous aurions assurément quelque
chose de plus doux pour Famour-propre. Mais l'Évan-
gile est immuable , et c'est sur lui que nous devons
être jugés. Prenez au plus tôt un guide sûr, et ne
craignez rien tant que d'être flatté et trompé.
POUR TOUS LES JOUES OU VOIS. 35
V. JOUR.
Sur le bon esprit.
*
I. Votre Père céleste donnera son bon esprit à
ceux gui le lui demanderont (i). Il n*y a de bon es-
prit que celui de Dieu. L'esprit qui nous éloigne du
vrai bien , quelque pénétrant , quelque agréable ,
quelque habile qu'il soit pour nous procurer des
biens corruptibles, n*est qu'un esprit d'illusion et
d'égarement. Youdroit-on être porté sur un char
brillant et magnifique, qui mèneroit dans un abîme 7
L'esprit n'est fait que pour conduire à la vérité et au
souverain bien. Il n'y a de bon esprit que celui de
Dieu , parce qu'il n'y a que son esprit qui nous mène
à lui. Renonçons au nôtre, si nous voulons avoir le
sien. Heureux l'homme qui se dépouille pour être
revêtu , qui foule aux pieds sa. vaine sagesse pour
possÀler celle de Dieu !
IL II y a bien de la différence entre un bel esprit ,
un grand esprit, et un bon esprit. Le bel esprit plaît
par son agrément ; le grand esprit excite Tadmiration
par sa profondeur; mais il n'y a que le bon esprit
qui sauve et qui repde heureux par sa solidité et
par sa droiture. Ne conformez pas vos idées à celles
du monde. Méprisez l'esprit autant que le monde
Testime. Ce qu'on appelle esprit est une certaine fa-
cilité de produire des pensées baillantes. Rien nest
plus vain. On se fait une idole de son esprit , comme
CO Lue. XXI. i3. .
3 G EÉFLEXlOirS
une femme, qui croit avoir de la beauté, s'en fait une
de son visage. On se mire dans ses pensées. Il faut
rejeter non -seulement ce faux éclat de Fesprit, mais
encore la prudence humaine qui paroît la plus sé-
rieuse et la plus utile , pour entrer, comme de petits
enfans, dans la simplicité de la foi, dans la dandeur
et dans l'innocence des mœurs, dans rhon?e>ir du
péché, dans l'humiliation, et dans la sainte /oUe de
la croix.
VL JOUR.
Sur la patience dans tes peines.
I. f^OlTS posséderez vos âmes dans vôtre pa-
tience (0. L'ame s'échappe à elle-même quand elle
s*impatiente ; au lieu que, quand elle se soumet sans
murmurer, elle se possède en paix et possède Dieu.
S'iinpatienter, c'est vouloir ce qu'on n'a pas, ou ne
pas vouloir ce qu'on a. Une ame impatiente est une
ame livrée à sa passion, que la raison ni la foi ne retien-
nent plus. Quelle foiblesse ! quel égarement ! Tant
qu'on veut le mal qu'on souQre, il n'est point mal.
Pourquoi en faire un vrai mal, en cessant de le vou-
loir? La paix intérieure réside «non dans les sens,
mais dans la volonté. On la conserve au milieu de la
douleur la plus amère, tandis que la volonté de-
meure ferme et soumise. La paix d'ici-bas est dans
l'acceptation des cboses contraires, et non pas dans
l'exemption de les souflrir.
(0 Lue. XXI. 19.
VOUA TOUS LES JOUllS DU JlOIS. 3 7
n. K VOUS entendre {(ronder et murmurer, il sem-
ble que vous soyez Tame la plos innocente qu'il y
ait au monde , et que c'est vous faire une injustice
criante que de ne pas vous laisser rentrer dans le pa-
radis terrestre. Souvenez-vous de tout ce que vous
avez iait contre Dieu, et convenez qu'il a raison.
Dites-lui avec la même humilité que l'enfant pro-
digue : ^oa père, j'ai péché contre le ciel et contre
vous. Je sais ce que je dois à votre justice ; mais le
cœur me manque pour y satisfaire. Si vous vous en
remettiez à moi, je me flatterois, je m'épargnerois,
et je me trahirois moi-même en n^e flattant. Mais vo-
tre main miséricordieuse exécute elle-même ce qu'ap-
paromniant je n'aurois jamais eu le courage de faire.
Elle me frappe par bonté. Faites que }e porte pa-
tiemment ses coups salutaires. C'est le moins que
puisse faire le pécheur , s'il est véritablement indigné
contre lui-même , que de recevoir la pénitence qu'il
n'auroit pas la force de cboisii:.
vn. JOUR.
Sur la soumission et la èonformité à la volonté de
Dieu.
h Qus votre^vdonté se fasse sur la terre comme
dans le ciel (Or Rien ne se fait ici-^bas, non plus que
dans le ciel » que pat la volonté ou par la permission
de Dieu; mais les hommes n'aiment pas toujours
cette volonté, parce qu'elle ne s'accorde pas toujours
38 RÉFLEXIOUrS
avec leurs désirs. Aimons-la; n^aimons qu'elle , et
noiis ferons de la terre un ciel. Nous remercierons
Dieu de tout, des maux comme des biens^ puisque
les maux deviennent biens quand il les donne. Nous
ne murmurerons pins de la conduite de sa provi-
dence; nous la trouverons sage, nous Fadorerons.
O Dieu y que vois-je dans le cours des astres, dans
l'ordre des saisons, dans les événemens de la vie,
sinon votre volonté qui s'accomplit? Qu'elle s'accom-
plisse aussi en moi ; que je l'aime ; qu'elle m'adou-
cisse tout; que j'anéantisse la mienne, pour faire ré-
gner la vôtre : car enfin c'est à vous , Seigneur , de
vouloir ; et c'est à moi d'obéir.
II. Vous avez dit, ô Seigneur Jésus, en parlant de
vous-même, par rapport à votre Père céleste, que.
vous faisie^z toujours ce qui lui plaisoit (0. Appre-
nez-nous jusqu'où cet exemple nous doit mener.
Vous êtes notre modèle. Vous n'<avez rien fait sur
la terre que selon le bon plaisir de votre Père, qui
veut bien être nommé le nôtre. Agissez en nous
comme en vous-même , selon son bon plaisir. Qu'u-
nis inséparablement à vous , nous ne consultions plus
que ses désirs. Non-seulement prier, instruire, souf-
frir, édifier, mais manger, dormir, converser; que
tout se fasse parla seule vue de lui plaire : alors tout
sera sanctifié dans notre conduite ; alors tout sera
en nous sacrifice continuel, prière sans relâche,
amour sans interruption. Quand ^era-ce, ô mon
Dieu, que nous serons dans cette situation! Daignez
nous y conduire : daignez dompter et assujettir par
votre grâce notre volonté rebelle; elle ne sait pas
CO /ooit. Tiii. ag.
POUK TOUS LES JOUES DU MOIS. 3g .
ce qu'elle veut; il n'y a rien de bon que d'être
comme tous voulez.
vm. JOUR.
iSiir les avantages de la prière-
I. PaiEZ sans interruption (0. Telle est notre dé-
pendance à l'égard de Dieu^ que nonrseulement nous
devons tout faire pour lui , mais encore que nous de-
vons lui demander les iQoy^ns de lui plaire, Cette
heureuse nécessité de. recourir à lui pour tous nos
besoins, bien loin de devoir npus être incommQde,
doit au contraire faire toute notre consolation. Quel
bonheur de lui parler en confiance , de lui ouvrir
tout notre cœur, et d être par la prièrç dans un com-
merce intimé avec lui ! Il nous invite à le prier. Ju-
gez , dit saint Cyprien , s'il ne nous accordera pas
les biens qu'il nous sollicite de lui demander. Prions
donc avec foi , et ne perdons pas le fruit de nos
prières par une incertitude flottante, qui, comme
dit saint Jacques (^), nous fait hésiter. Heureuse
l'ame qui se console dans l'oraison par la présence
de son bjen-aimé ! Si quelqu'un d'entre vous, dit saint -
Jacques (3) , est dans la tristesse , qu'il prie pour se
consoler. Hélas! malheureux que nous sommes! nous
ne trouvons que de Tennui dans cette céleste occu-
pation. La tiédeur de nos prières est la source de nos
autres infidélités.
II. Demandez , et il vous sera donné ; cherchez ,
(•) / Thess, V. 17. — v«) J«c. I. 6. — C3) Ibid. ▼. i3.
4o BÉPLEXIOSrS
el vous irauuerez; frappe» ^ et l'on vous ouvrira (0.
Si nous n^avions qu*à demander les richesses pour
les obtenir y quel empressement, quelle assiduité ,
quelle persévérance! Si nous n'avions quà chercher
pour trouver un trésor, quelles terres ne remueroit-
on point ! S'il n*y avoit qu'à heurter pouj* entrer dans
le conseil des rois et dans les plus hautes charges ,
quels coups redoublés n*entendroit-on pas! Mais que
ne fait-on point pour trouver un faux bonheur!
Quels rebuts y quelles traverses n*endure*t-on pas
pour un fantôme de gloire mondaine I Quelles peines
pour de misérables plaisirs dont il ne reste que le
remords ! Le trésor des grâces est le seul vrai bien ,
et le seul qu*on ne daigne pas demander, le seul
qu*on se rebute d^attendre. Cependant il faudroit
frapper sans relâche ; car la parole de Jésus-Christ
n^est pas infidèle -, c*est notre conduite qui Test.
IX. JOUR.
Sur l'attention à la voix de Dieu.
I. SeICKEVJH, à ^ui irons^nous? vous auez lespa
nies de la vie éternelle C^). Cçst Jésus-Christ qu'il
faut écouter. Les hommes ne doivent être écoutés et
crus qu^autant qu'ils sont pleins de la vérité et de
Tautorité de Jésus-Christ. Les livres ne sont bons
qu^autanl qu*ils nous apprennent l'Evangile. Allons
donc à celte source sacrée. Jésus-Christ n'a parlé,
n*a agi , qu'afin que nous Técoutassions , et que nous
(>) Maittk. Tii. 7. — (•) Joûn, Ti. 6^
POUR TOUS LES JOUAS DU MOIS. 4^1
étadiassions attentivement le détail de sa vie. MaU
heureux que nous sommes ! nous courons après nos
propres pensées ^ qui ne sont que vanité , et nous né-
gligeons la vérité même, dont toutes les paroles sont
capables de nous faire vivre éternellement. Parlez ,
ô Verbe divin, ô parole incréée, et incarnée pour
moi! faites-vous entendre à mon ame. Dites tout ce
que vous voudrez ; je veux tout ce qu'il vous plaît.
II. Souvent on dit qu'on voudroit savoir ce qu'on
a à faire pour s'avancer dans la vertu \ mais dès que
l'esprit de Dieu nous l'enseigne , le courage nous
manque pour l'exécuter. Nous sentons bien que
nous ne sommes pas ce que nous devrions être. Nous
voyons nos misères; elles se renouvellent tous les
jours. Cependant on croit faire beaucoup en disant
qu'on veut se sauver. Comptons pour rien toute vo-
lonté qui ne va pas jusqu'à sacrifier ce qui nous ar-
rête dans la voie de Dieu ; ne retenons plus la vé-
rité captive dans nos injustes lâchetés. Ecoutons ce
que Dieu nous inspire. Eprouvops l'esprit qui nous
pousse, pour reconnotlrc s'il vient de Dieu; et, après
qqe nous l'aurons reconnu, n'épargnons rien pour le
contenter. Le prophète ne demande pas simplement
à Dieu qu'il lui enseigne sa volonté, mais qu'il lui
enseigne à la faire (0.
(■) Ps. CLKII. 19*
4^ KÉFLEXIOMS
X. JOUR.
Sur le bon usage des croix*
I. Ceux cuisant à Jésus-Christ ont crucifié leur
chair avec leurs vices et leurs convoitises (0. Plus
nous craignons les croix, plus il faut conclure que
pous en avons besoin. Ne nous abattons pas, lorsque
la main de Dieu nous en impose de pesantes. Nous
devons juger de la grandeur dé nos maux par la vio-
lence des remèdes que le mëdecin spirituel y appli-
que. Il faut que nous soyons bien misérables, et que
Dieu soit bien miséricordieux, puisque, malgré la
difficulté de notre conversion , il daigne s'appliquer
à nous guérir. Tirons de nos croix mêmes une source
d'amour, de consolation et dé confiance, disant avec
TApôtre (^) : Nos peines, qui s.ont si courtes et si lé-
gères, n'ont point de proportion avec ce poids infini
de gloire qui eix doit être la récompense. Heureux
ceux qui pleurent, et qui sèment en versant des lar-
mes, puisqu'ils recueilleront avec une joie ineffable
U moisson d'une vie et d'une félicité éternelle !
IL Je suis attaché à la croix avec Jésus-Christ ,
disoit saint Paul (3). C'est avec le Sauveur que nous
sommes attachés à la croix, et c'est lui qui nous y
attache par sa grâce. G*est à cause de Jésus que
nous ne voulons point quitter la croix, parce qu'il
est inséparable d'elle. O corps adorable et souffrant,
avec qui nous ne faisons plus qu'une seule et même
CO Galau T. 17. — C») // Cor. it. 17. — (3) Gai 11. 19.
VOVK TOUS LES JOU&S DU MOIS. 4^
victime! en me donnant votre croix, donnez -moi
votre esprit d'amour et d'abandon; faites que je pense
moins à mes souffrances qu'au bonheur de souffrir
avec vous. Qu'est-ce que je souffre que vous n'ayei
souffert? ou plutôt, qu'est-ce que je souffre si j'ose
me comparer à vous? O homme l&che! tais-toi, re-
garde ton mattre, et rougis. Seigneur, faites que
j'aime, et je ne craindrai plus la croix. Alors, si
je souffre encore des choses dures et douloureuses,
du moins je n'en souffrirai plus que je ne veuille bien
souffrir.
XI. JOUR.
Sur la douceur et l'humilité.
I. Apprenez de moi^queje suis doux et humble
de cœur (0. 0 Jésus, c'est vous qui me donnez cette le-
çon de douceur et d'humilité. Tout autre qui voudroit
me l'apprendre me révolteroit. Je trouverois partout
de l'imperfection, et mon orgueil ne manqueroit pas
de s'en prévaloir. Il faut donc que ce soit vous-même
qui m'instruisiez. Mais que vois-je, ô mon cher maî-
tre! vous daignez m'instruire par votre exemple.
Quelle autorité! je nai qu'à me taire, qu'à adorer,
qu'à me confondre, qu'à imiter. Quoi! le Fils de Dieu
descend du ciel sur là terre, prend un corps de
boue, expire sur une croix pour me faire rougir de
mon orgueil! Celui qui est tout, s'anéantit; et moi,
;0 HiOih, XI. 19.
44 KÉFLExions
qui n» suis rieo, je veux être, ou du moins je veux
qu'op me qroie loi;t ce que je ue suis pas ! Q men-
fOQge ! ô folie ! 6 impudente vamté ! ô diabolique
présomption ! Seigneur, vou$ ne me dites poipt, Soyez
doi|z et bumble ; mais vous dites que vous êtes doux
et humble. Cçst a$se?î dç savpir que voi|s Têtes, pour
conclure, sur un tel exemple, que nous devons Têtre.
Qui osera s en dispenser après vous? Sera-^ce le pé-
cheur qui a mérité tant de fois par son ingratitude
d'être foudroyé par votre justice?
II. Mon Dieu, vous êtes ensemble doux et hum-
ble, parce que Thumililé est la source de la véritalile
douceur. L'orgueil est toujours hautain, impatient,
prêt à s'aigrir. Celui qui se méprise de bonne foi veut
bien être méprisé. Celui qui croit que rien ne lui est
àd ne se croit jamais maltraité. Il n'y a point de dou-
ceur véritablement vertueuse par tempérament : ce
n'est que mollesse, indolence ou artifice. Pour être
doux aux autres, il faut reBoncer à soi-même. Vous
ajoutez, ô nlon Sauveur, doux et humble de cœur.
Ce n'est pas un abaissement qui ne soit que dans l'es-
prit par réflexion; c'est un goût du cœur; c'est un
abaissement auquel la volonté consent, et qu'elle
aime pour glorifier Dieu ; c'est une destruction de
toute confiance en son propre esprit et en son cou-
rage naturel, afin de ne devoir sa guéri son qu'à Dieu
seul. Voir sa misère et en être au désespoir , ce n'est
pas être humble; c'est au contraire un dépit d'or-
gueil, qui est pire que l'orgueil même.
POUR TOUS LES JOURS OU MOIS. 4^
xn. JOUR.
Sur les défauts d'autrui.
L Portez les fardeaux les uns des autres} c'est
ainsi que vous accomplirez la loi de Jésus-Christ (0.
La charité ae va pas jusqu'à demander de nous que
nous ne voyions jamais les défauts d'autrui; il fau-
droit nous crever les yeux : mais elle demande que
nous évitions d'y être attentifs volontairement sans
nécessité, et que nous ne soyons pas aveugles sur le
bon y pendant que nous sommes si éclairés sur le
mauvais. Il faut toujours nous souvenir de ce que
Dieu peut faire, de moment à autre, de la plus vile
et de la plus indigne créature^ rappeler les sujets
que* nous avons de nous mépriser nous-mêmes; et
enfin considérer que la charité embrasse même ce
qu'il y a de plus bas, parce qu'elle voit précisément,
par la vue de Dieu , que le mépris qu'on a pour les
autres a quelque chose de dur et de hautain qui éteint
l'esprit de Jésus-Christ. La grâce ne s'aveugle pas
sur ce qui est méprisable ; mais elle 1er supporte , pour
entrer dans les secrets desseins de Dieu. Elle ne se
laisse aller, ni aux dégo&ts dédaigneux, ni aux im-
patiences naturelles. Nulle cori\iption ne l'étonné ;
nulle impuissance ne la rebute, parce qu'elle ne
compte que sur Dieu, et qu'elle ne voit partout, hors
de lui, que néant et que péché.
II. De ce que les autres sont foibles, est<-ce une
(*) GalaL Yi. 3a.
46 RÉFLEXIONS
bonne raison pour garder moins de mesures avec
eux ? Vous qui vous plaignez qu'on vous fait souffrir,
croyez-vous ne faire souffrir personne? Vous qui êtes
si choqué des défauts du prochain ^ vous imaginez-
vous être parfait? Que vous seriez étonné^ si totis
ceux à qui vous pesez venoient tout-à-coup s'appe-
santir sur vous ! Mais quand vous trouveriez votre
justiBcation sur la terre. Dieu qui sait tout, et qui a
tant de choses à vous reprocher, ne peut-il pas d'un
seul mot vous confondre et vous arrêter? Et ne vous
vient-il jamais dans l'esprit, de craindre qu'il ne vous
demande pourquoi vous n'exercez pas envers votre
frère un peu de miséricorde, que lui, qui est votre
mattre, exerce si abondamment envers vous?
Xm. JOUR.
Sur Tunique nécessaire.
I. VOVS vous empressez, et vous vous troublez de
beaucoup de choses ^ une seule est nécessaire (0.
Nous croyons avoir mille affaires, et nous n'en avons
qu'une. Si celle-là se fait, toutes les autres se trou-
veront faites : si elle manque, toutes les autres,
quelque succès qu'elles semblent avoir, tomberont
en ruine. Pourquoi donc partager tant son cœur et
ses soins? O unique affaire que j'aie sur la terre, vous
aurez désormais mon unique attention ! Au rayon de
là lumière de Dieu, je ferai à. chaque moment sans
inquiétude, selon les forces de mon corps, ce que
f CO Lue. z. 4'> 43-
FOUA TOUS LES JOURS DU MOIS. 4t
la Providence me mettra en chemin de faire. J'aban-
donnerai le reste sans douleur, jiarce que le reste
n'est pas mon œuvre.
II. Père céleste ^ fat achevé Vouurage que vous
ni aviez dorme à faire (0. Chacun de nous doit se
mettre en ëtat d'en dire autant, au jour oh il faudra
rendre compte. Je dois regarder ce qui se présente à
faire chaque jour selon l'ordre de Dieu, comme Ton
vrage dont Dieu me charge, et m'y appliquer d'une
manière digne de Dieu , c'est-à-dire avec exactitude
et avec paix. Je ne négligerai rien; je ne me passionne^
rai sur rien -, car il est dangereux , ou de faire l'œuvre
de Dieu avec négligence , ou de se l'approprier par
amour-propre et par un faux zèle. Alors on fait ses
actions par son esprit particulier; on les fait mal;
on se pique, on s'échauSe, on veut réussir. La gloire
de Dieu est le prétexte qui cache l'illusion. L'amour-
propre déguisé en zèle se centriste et se dépite s'il ne
peut réussir. O Dieu, donnez-moi la grâce d'être fi-
dèle dans l'action, et indifférent dans le succès. Mon
unique affaire est de vouloir votre volonté , et de me
recueillir en vous, au milieu même de ce que je fais :
la vôtre est de donner à mes foibles efforts tel fruit
qu'il vous plaira ; aucun , si vous ne voulez.
(■) Joan. zyii. 4*
48 RÉFLEXIONS
XIV. JOUR.
Sur la préparation à la mort.
I. IirssifSÉ , cette nuit on va te redemander ton
ame. Pour qui sera-ce que tu as amassé (07 On ne
peut trop déplorer Taveuglement des hommes , de
ne vouloir pas penser à la mort, et de se détour-
ner d'une chose inévitable que Ton pourroit rendre
heureufte en y pensant. Rien n'est si terrible que la
mort pour ceux qui sont attachés à la vie. Il est
étrange que tant de siècles passés ne nous fassent pas
juger solidement du présent et de l'avenir^ ni prendre
de plus grandes précautions. Nous sommes infatués
du monde y comme s'il ne devoit jamais finir. La mé-
moire de ceux qui jouent aujourd'hui les plus grands
rôles sur la scène périra avec eux. Dieu permet que
tout se perde dans l'abîme d'un profond oubli^ et les
hommes plus que tout le reste. Les pyramides d'E-
gypte se voient encore > sans qu'on sache le nom de
celui qui les a faites. Que faisons-nous donc sur la
terre, et à quoi servira la plus douce vie, si , par des
mesures sages et chrétiennes, elle ne nous conduit
pas à une plus douce et plus heureuse mort 7
IL Soyez prêts ^ parce qu'à l'heure que vous ny
pensez pas, le Fils de l'Homme viendra (^). Cette pa-
role nous est adressée personnellement, en quelque
âge et en quelque rang que nous soyons. Cependant,
jusqu'aux gens de bien , tous font des projets qui sup-
(0 Luc. 111. ao. — (*) Matih. zziy. 44*
posent
I
POUR TOUS LES VOUES DU MOIS. 49
posent une loïigue vie, lors même qii^elle va finir. Si
dans Textrémitë d'aue maladie incarable on espère
encore la gu^rison y quelles espérances n*a-t-on pas
en pleine santë? Mais d*ob vient qu'on espère si opi-
niâtfément la vie 7 Cest qu*on Taime avec passion. Et
d^oÎL vient qu*on veut tant éloigner la mort? Cest
qa*on n*aime point le royaume de Dieu , ni les gran-
deurs du siècle futur. O hommes pesans de cœur, qui
ne peuvent s^élever au-dessus de la terre , où , de leur
propre aveu, ils sont misérables! La véritable ma-
nière de se tenir prêt pour le dernier moment, c'es^
de bien employer tons les autres , et d'attendre tou
jours cdni-là. *
XV. JOUR.
Sur les espérances éternelles.
I. VoETt na point vu, ni V oreille entendu, ni le
cceur de l'homme conçu ce que Dieu a préparé à
ceux qui VaimentW. Quelle proportion entre ce que
nous faisons sur la terre, et ce que nous espérons
dans le ciel 7 Les premiers Chrétiens se réjouissoient
sans cesse à la vue de leur espérance ; à tous mo-
mens ils croyoient voir le ciel ouvert. Les. croix, les
infamies, les supplices, les cruelles morts, rien n*é-
toit capable de les rebuter. Us connoissoient la libé-
ralité infinie qui doit payer de telles douleurs ; ils ne
croy oient jamais assez soufiiîr; ils étoient transportés
de joie, lorsqu'ils étoient jugés dignes de quelque.
C»^ / Cùr. II. 9.
FÉBÉLOIV. XVIII. 4
s
50 RÉFLEXIOVS
profoDde humiliation. Et nous, âmes liche$y nous ne
savons point spuflrir, parce quç nous ne savons pas
espërer: nous sommes accablés par les moindres
croix , et souvent même par celles qui nous viennent
de notre orgueil , de notre imprudence et de notre
délicatesse I
II. Ceux ^ui shment dans les larmes recueilleront
dans la joie (0. Il faut semer pour recueillir. Cette
vie est destinée pour semer; nous jouirons dans l'autre
du fruit de nos travaux. L'homme terrestre, lâche et
impatient, voudroit recueillir avant que d'avoir semé.
Nous voulons que Dieu nous console, et qu'il apla*
nisse les voies pour nous mener à^ lui. Nous voudrions
le servir, pourvu qu'il nous en coûtât peu. Espérer
beaucoup, et ne souffrir guère , c'est à quoi Ta-
mour propre tend. Aveugles que nous sommes, ne
verrons-nous jamais que le royaume du ciel souffre
violence, et qu'il n'y a que les âmes violentes et cou-
rageuses pour se vaincre qui soient dignes de le con*
quérir Wl Pleurons donc ici-bas, puisque bienheu-
reux ceux qui pleurent, et malheureux ceux qui
rient {^) ! Malheur à ceux qui ont leur consolation
en ce monde ! viendra le temps oh ces vaines joies
seront confondues. Le monde pleurera à son tour, et
Dieu essuiera toutes les larmes de nos yeux (4).
(<' Pê. çftSY. 5. — (•) H4tih, SI. 1 d. -* 0) Ibid. t. 5. Imc, ti. *&
-« (4) Apœ. XXI. 4*
POUA TOUS UKS lOUaS ou MOIS. 5i
XVl. JOUR-
Sur notre pain quotidien*
I. DoNNEZ'jBiovs aujourd'hui notre pain quoti^
dien (0- Qael est-il ce paia, ô mon Diea? Ce o'est pas
seulemeat le soutien qae votre providence nous
donne pour les nécessités de la vie; c'est encore
cette nCMuriture de vérité que vous donnetfr dbaque
jouràrame^ cest un pain qui nourrit pour la vie
éternelle, qai' fait croître > et qui rend Tame robuste
dans les épreuves de la foi. Vous le renouvelés
chaque jour. Vous dpuUez au dedans «tau dehors
précisément ce qu il' faut à Tame pour s*avancer dans
la vie de la foi et daûs le renoncement à eUe-tméme.
Je n'ai donc qu à mangei* ce pain , et qu'à recevoir
en esprit 4^ sacrifice tout ce que vous me donnerez
d'amer dans les affaires extérieures et dans le fond
de mon cœur ; car tout ce qui m'arrivera dans le
cours de la journée est mon pain quotidien , pourvu
que îe ne refuse pas de le prendre de votre ntiiny et
de m'en nourrir.
II. La faim est ce qui donne le goàt aux alimens,
et ce qui nous les rend utiles. Que n'avons-nous £iim
et soif de la justice! Pourquoi nos âmes ne sont-elles
pasaffaméeset altérées comme nos corps? Un homme
qui est dégoûté, et qui ne peut rcjcevoir les alimens,
est malade. C'est ainsi que notre ame languit, ,èn ne
recherchant , ni le rassasiement, ni la nourriture qui
(0 Lue. XI. 3.
5a AÉFLnrons
vient de Dieu. L'alîmeot de Famé est la^Tëritë et la
justice. CoDDoitre le bieD, s*eD remplir, s*y fortifier;
voiUi le pain spirituel , le pain oeleste qa*il faut man-
ger. Mangeons-en donc ; ayons-en faim. Soyons de-
vant Dieu comme des pauvres qui mendient , et qui
attendent un peu de pain. Sentons notre foiblesse et
notre défaillance : malheureux , si nous en perdons
le sentiment ! Lisons , prions avec cette faim de nour-
rir nos âmes y avec cette soif ardente de nous désalté-
rer de Teau qui rejaillit jusque dans le ciel. Il n'y a
qu'un grand et continuel désir de l'instruction , qui
nous rend dignes de découvrir les merveilles de la lot
de Dieu. Chacun reçoit ce pain sacré, selon la me-
sure de son désir ; et par là on se dispose à recevoir
souvent et saintement le pain substantiel de l'Eucha-
ristie, non-seulement corporellementy comme font
plusieurs , mais avec l'esprit qui conserve et qui aug-
mente la vie.
XVU. JOUR.
^* Sur lapmix de l'ame,
I. Jk vous laisse ma paix; je vous donne ma paix,
non comme le monde la donne (0. Tous les hommes
cherchent la paix ; mais ils ne la cherchent pas oii
elle est. La paix que fait espérer le monde est aussi
différente et aussi éloignée de celle qui vient de Dieu,
que Dieu lui-même est différent et éloigné du monde :
ou plutôt, le monde promet la paix, mais il ne la
(0 /otfJt. HT. 97.
POUR TOUS LES JOUR^ dU MOIS. 5^
donne {amais. Il présente quelques plaisirs passagers;
mais ces plaisirs coûtent plus qu^ils ne valent. Jésus-
Christ seul peut mettre rhommoeD paix. Il l'accorde
avec lui-même; il lui soumet ses passions; il borne
ses désirs; il le console par Tespérance des biens éter-
nels; il lui donne la joie du Saint-Esprit; il lui fait
goâter cette \o\e intérieure* dans la peine même : et
comme la source qui la produit est intarissable , et
que le fond de Tame oi^ elle réside- est inaccessible à
toute la malignité des hommes, elle devient pour le
|ttste un trésor que personne ne lui peut ravir.
IL La vraie paix n*est que dans la possession de
DieU| et la possession de Dieu ici-bas ne se trouve que
dans la soumission à la foi , et dans Fobéissance à la
loi. L'une et l'autre entretiennent au fond du cœur
un amour pur et sans mélange. Eloignes de vous tous
les objets défendus ; retrandiez tous les déstrs illi-
cites ; bannissez tout empressement et toute inquié-
tude; ne désirer que Dieu, ne cherchez que Dieu;
et vous go&terez la paix ; vous la goûterez malgré le
monde. Qu*est-ce qtti vous trouble? La pauvreté, les
mépris, les mauvais succès, les croix intérieures et
extérieures? Regardez tout cela, dans la main de
Dieu, comme dé véritables faveurs qu'il distribue à
ses amis, et dont il daigne vous faire part : alors le
monde changera de face pour vous^ et rien ne vous
ôtera votre paix.
54 mÉPLEXIOHS
xvm. JOUR.
Sur les foies trompeuses.
L Tai regardé les ris comme un songe ^ et fui dit
à la foie : Pourquoi me trompez-vous (0. Le monde
se réjouil comme les malades qui sont en délire , ou
comme cens qui révent agréablement en dormant.
On n*a garde de trouver de la solidité , quand on ne
s*attacfae qu'à une peinture vaine, à une image creuse,
à une ombre qui fuit , à une figure qui passe. On ne
se réjouit qu*a cause qu'on se trompe; qu'il cause
qu'on croit posséder beaucoup, lors même qu'on ne
possède rien. Au réveil de la mort, on se trouvera
les mains vijar, et on sera honteux de sa joie. Mal*
heur donc à ceux qui ont en. ce monde une fausse
consolation qui les exclut de la véritable! Disons
sans cesse à la joie vaine et évaporée que le siècle
inspire : Pourquoi me trompez-vous si grossièrement ?
Rien n'est digne de nous donner de la joie , que notice
bienheureuse espérance. Tout le reste, qui n est pas
fondé là-dessus , n'est qu'un songe.
II. Celui qui boira de cette eau^ aura encore sjoifW.
Plus on boit des eaux corrompues du siècle, plus
on est altéré. Â mesure qu'on se plonge dans le mal,
à mesure il natt des désirs inquiets dans le cœur. La
possession des richesses ne fait qu'irriter la soif. L'a-
varice et l'ambition sont plus mécontentes de ce
qu'elles n'ont pas encore, qu'elles ne sont satisfaites
t»} Eccles. II. a. — (») Joan. it. i3.
fovBi Tovs LES jovus dit MOia. 55
de tout ce qii^elles possèdent. La jouissance des plai-
sirs ne fait qu'amollir Tame; elle la corrompt; elle
la rend insatiable. Plus on se relâche, plus on se veut
relâcher. 11 est plus facile de retenir son cœur dans
un état de ferveur et de pénitence, que de le rame-
ner, ou de le contenir, lorsqu'il est une fois dans la
pente du plaisir ^ du relâchement. Veillons donc
sur DouB-fuémes. Gardons-nous de boire d'une eaïf
qui angmenteroit notre soif. Conservons notre cœur
avec précaution, de peur que le monde et ses vainea
consolations i^e le séduisent, et ne lui laissent à la
fin qu^ le désespoir de s'être trompé.
XIX. JOUR.,
Sur les saintes Iqrmes^
I. BtSNBEVnsvx ceux qui pleurent j parce cuits
seront consolés {^)\ Quel nouveau genre de larmes!
dit saint Augustin : elles rendent heureux ceux qui
les versent. Leur bonheur consiste à s'affliger, & gé-
mir de la corruption du monde qui nous environne,
des pièges dont nous somn^es entourés, du fonds iné-
puisable de corruption qui est au milieu de notre
cœur. C'est un grand don de Dieu , que de craindre
de perdre son amour , que de craindre de s'écarter
df la voie étroite. C'est le sujet des larmes des saints.
Quand on est en danger de perdre ce que l'on pos-
sède de plus précieux, et de se perdre soi-même, il
est difficile de se réjouir. Quand on ne voit que vanité ,
(») Matth. T. 5.
5d EÉFLBtOlfS
qu*^arement, qae scandale , qa oubli et que mépris
da Dieu qu^ou aime , il est impossible de ne se pas
affliger. Pleurons donc à la vue de tant de sujets de
larmes : notre tristesse rë)ouira Dieu. Cest lui-même
qui nous Finspire; c*est son amour qui fait couler
nos larmes : il viendra ]ui-*méme les essuyer.
II. On entend Jésus-Cbrisl qui dit : Malheur à
vous^fui riez (01. et on veut rire. On Tentend dire:
Malheur à vous, riches , çui avez votre consolation
en ce monde l et on recbercbe toujours les richesses..
Il dit : Heureux ceux. qui pleurent l et on ne craint
rien tant que de pleurer. Il faut pleurer ici-bas , nonr
seulement les dangers de notre condition , mais tout
ce qni est vain et déréglé. Pleurons sur nous et sur
le prochain. Tout ce que nous voyons au dedans et
au dehors n^est qu*affliction d*esprit , que tentation
et que péché. Tout mérite des larmes. Le vrai mal-
heur est d'aimer ces choses si peu dignes d'être ai>
mées. Que de raisons die pleurer ! C'est le mieux
qu'on puisse faire. Heureuses larmes ^ que la grâce
opère , qui nous dégoûtent des choses passagères , et
qui font nattre ea noua le d&ir des biens, éterneb l
VOfJt. TOUS LES JOUES DU MOIS. S7
XX. JOUR.
Sur la prudence du siècle.
I. Lji prudence de la chair est la mort des âmes (0*
La pradeDce des enfans du siècle est grande , puis-
que Jésus-Christ nous en assure dans TEvangile ; et
elle est même souvent plus grande que celle des en-
fans de Dieu : mais il se trouve en elle, malgré tout
ce qu'elle a d'éclatant et de spécieux , un effroyable
défaut ; c*est qu elle donne la mort à tous ceux qui
m
la prennent pour la règle de leur vie. Celte prudence
tortueuse et féconde en subtilités est ennemie de
•
celle de Dieu, qui marche toujours dans la droiture
et dans la simplicité. Mais que servent aux prudens
du ^ècle tous leurs talens, puisqu'à la fin ils se trou-
vent pris dans leurs propres pièges? L'apôtre saint
Jacqaes donne à cette prudence le nom de terrestre^
à^animale et de diabolique Wi terrestre j parce
qu elle borne ses soins à l'acquisition et à la posses-
sion des biens de la terre; animale, parce qu'elle n'a-
spire qu'à fournir aux hommes tout ce qui flatte leur&
passions^ et à les plonger dans les plaisirs des sens ;
diabolique » parce qu'ayant tout l'esprit et toute la
pénétration du démon , elle en a toute la malice.
Avec elle, on s'imagine tromper tous les autres, et
on ne trompe que soi-même.
II. Aveugles donc tous ceux qui se croient sag^s »
et qui ne le sont pas de la sagesse de Jésus-Christ j^
(•) Amk* Tiii* 6. •* C*) Jtfc. III. i5.
58 B^FLBXIOlfS
seule digne du Bom de segeste ! Ik courent^ dans une
profonde nuit, après des fantômes. Us sont comme
ceux qui, dans un songe, pensent être éveilles, et qui
s'imaginent que tous les objets du songe sont réels.
Ainsi sont abusés tous les grands de la terre , tous
les sages du siècle, tous les hommes enchantés par
les faux plaisirs. Il n'y a que les enfans de Dieu qui
marchent aux rayons de la pure vérité. Qu'est-ce
qu'ont devant eux les hommes pleins de leurs pen*
sées vaines et ambitieuses? Souvent la disgrâce; tou-
jours la mort, le jugement de Dieu et l'éternité.
Voilà les grands objets qui s'avancent el qui viennent
au-devant de ces hommes profanes : cependant ils
ne les voient pas. Leur politique prévoit tout, ex-
cepté la chute et l'anéantissement inévitable de tout
ce qu'ils cherchent. O insensés ! quand ouvrirez-vous
les yeux à la lumière de Jésus-Christ, qui vous dé-
couvriroit le néant de toutes les grandeurs d'ici-bas?
XXI. JOUR.
Sur la confiance en Dieu.
I. Il vaut mieux mettre sa confiance dans le Sei-
gneurj que de la mettre dans Vhomme (0. Vous vous
confiez tous les jours à des amis foibles, à des hommes
inconnus, à des domestiques infidèles; et vous crai-
gnez de vous fier à Dieu ! La signature d'un homme
public vous met en repos sur votre bien ; et l'Evan-
gile éternel ne vous rassure pas ! Le monde vous pro-
(0 Pê. CXTU. 8.
POD& TOUS -M» XOOBS DU MOfS. 5^^
met y et voas le croyez : Oien vous jare, et vont avesr
de la peine à le croire. Qaelle honte pour lui! quel'
malheur pour vous I Rétablissons tout dans Tordre.
Faisons avec modération ce qui dépend de nous. Ait*
tendons sans bornes ce qui dépend de Dieu. Rëpri-*
mons tout empressement de passion, toute inquiétude
déguisée sous le nom de raison ou de zèle. Celui qui
en use ainsi s'établit en Dieu , et devient immobile
comme la montagne de Sion*
II. La confiance pour le salut doit être encore plus
élevée et plus ferme. Je puis tout en celui qui me for'-
tijie{}). Quand je croyois tout pouvoir, je ne pouvois
rien ; et maintenant qu*il me semble que je ne puis
rien, je commence à pouvoir tout. Heureuse impuis-
sance, qui me fait trouver en vous, ô mon Dieu, tout
ce qui me manquoit en moi-même I Je me glorifie
dans mon infirmité et dans les malheurs de ma vie ,
puisqu'ils me désabusent du monde entier et de moi-
même. Je dois m^estimer heureux d'être écrasé par
une main si miséricordieuse , puisque c'est dans cet
anéantissement que je serai revêtu de votre force,
caché sous vos ailes, et environné de cette protection
spéciale que vous étendez sur vos enfans humbles ^
qui n'attendent rien que de vous.
(•) Philip. !▼. i3.
6o BÉFLCXIOIIS
xxn. JOUR.
Sur la profondeur de la miséricorde de Dieu^
I. Qu'elle est grande la miséricorde du Seigneur f
c'est un asile certain pour tous ceux qui se tournent
vers elle (0* Que tardons-nous à nous jeter dans la
profondeur de cet abîme 7 Plus nous nous y perdrons
ayec une confiance pleine d*amour, plus nous serons
en état de nous sauver. Donnons-nous à Dieu sans ré-
serve^ et ne craignons rien.. Il nous aimerai, et nous
Taimerons. Son amour, croissant chaque }pur| nous
tiendra lieu de tout le reste. Il remplira lui seul tout
notre cœur, que le monde avoit enivré , agité, trou-
blé| sans le pouvoir jamais remplir: il ne nous ôtera
que ce qui nous rend malheureux : il ne nous fera
mépriser que le monde , que nous méprisons peut-
être déjà : il ne nous fera faire que la plupait des
choses que nous faisons , mais que nous faisons mal^
au lieu que nous les ferons bien, en les rapportant
à lui. Tout^ jusqu'aux moindi^es actions d\ine vie
simple et commune, se tournera en consolation, en
mérite et en récompense. Nous verrons en paix venir
la mort; elle sera changée pour nous en un com-
mencement de vie immortelle. Bien loin de nous
dépouiller, elle nous revêtira de tout, comme dit
saint Paul W ; et alors nous verrons la profondeur
des miséricordes que Dieu a exercées sur notre ame.
II. Pensez devant Dieu aux eflfels de cette miséri-
(0 E99U. x%\\, a8. — (*) // Cor, t. 4.
POUA TOUS LES JOUftf DU MOIS. 6t
corde, infinie 9 à ceux dont voos avez déjà connois-
sance, aax lainières que Jâus-Ghrist voas a données^
aax bons sentimens qu*il vous a inspirés , aux péchés
qa*il voos a pardonnes, aux pièges du ^siècle dont il
vous a garanti y aux secours extraordinaires qu'il
vous a ménagés. Tâchez de vous attendrir par le sou-
venir de tQutes ces marques précieuses de sa bonté.
Ajoulez-y la pensée des croix dont il vous a chargé
pour vous sanctifier ; car ce sont encore des richesses
qull a tirées de la profondeur de ses trésors , et vous
les devez regarder comme des témoignages signalés
de son amour. Que la reconnoissance du passé vous
inspire de la confiance pour Favenir. Soyez persua-
dée y ame timide , qu'il vous a trop aimée pour ne
vous pas aimer encore. Ne vous défiez pas de lui,
mais seulement de vous-même. Souvenez-vous qu'il
est y comme dit F Apôtre (0 , 2e Phre des miséricordes
et le Dieu de toute consolation. Il sépare quelquefois
ces deux choses; la consolation se retire, mais la mi-
séricorde demeure toujours ; il vous a ôté ce qu'il y
avoit de doux et de sensible dans sa grâce, parce
que vous aviez besoin d'être humiliée, et d*étre pu-
nie d'avoir cherché ailleurs de vaines consolations.
Ce châtiment est encore une nouvelle profondeur
<le sa divine miséricorde.
[*) a Cor. I. 3.
69 BtiTftCKiairs
xxm. JOUR.
Sur la douceur du Joug de Jésus^ChrisU
I. Mon joug est doux et mon fardeau estlégeri^).
Que le nom de joug ne nous effraie point. Nous en
portons le poids; mais Dieu le. porte avec nous, et
plus que nous, parce que c'est un joug qui doit être
porte par deux, et que c'est le sien, et non pas le
nôtre. Jésus-Christ fait aimer ce joug. Il Tadoucit
par le charme intérieur de la justice et de la vérité.
Il répand ses chastes délices sur les vertus, et dé-
goûte des faux plaisirs. Il soutient l'homme contre
lui* même, Tarrache à sa corruption originelle, et
le rend fort malgré sa foiblesse. O homme de peu de
foi, que craignez-vous? Laissez faire Dieu; aban-
donnez-vous à lui. Vous souffrirez, mais vous souffri-
rez avec amour et avec paix. Vous combattrez ; mais
vous remporterez via victoire; et Dieu lui-même
après avoir combattu en votre faveu r, vous couron-
nera de sa propre main. Vous pleurerez; mais vos
larmes seront douces, et Dieu lui-même viendra avec
complaisance les essuyer. Vous n'aurez plus la per-
mission de vous abandonner à vos passions tyranni-
ques; mais en sacrifiant librement votre liberté,
vous en retrouverez une autre inconnue ab monde,
et plus précieuse que toute la puissance des rois.
II. Quel aveuglement de craindre de trop s'enga-
ger avec Dieu ! Plopgeons-nous dans son sein. Plus
(>) Jlfatth. XI. 3o.
POUR TOUS IéBS jours DU MOIS* 63
on Taiiae , plus oo aime aussi toot ce qu'il noui fait
faire. C'est cet amour qui uous console dans nos per»
tes f qui adoucit nos croix ^ qui nous dëiache de tout
ce qu'il est dangereux d'aimer^ qui nous prftenre de
mille poisons, qui nous montre une miséricorde bien-
faisante au travers de tous les maux que nous souf-
frons y qui nous découvre dans la mort même une
gloire et une félicité éternelle. Comment pouvons-
nous craindre de nous remplir trop de lui? Ëst-ee un
malheur d'être déchargé du joug pesant du monde ,
et de porter le fardeau léger de Jésus-Christ? Crai-
gnons-nous d'étrë trop heureux, trop délivra de
nous-mêmes, des caprices de notre orgueil, de la
violence de nos passions, et de la tyrannie du siècle
trompeur 7
XXIV. JOUR.
Sur la fausse liberté.
I. Ov est t esprit du Seigneur^ là est aussi la U*
berié (0* L'amour de la liberté est une des plus dan-
gereuses passions du cœur humain ; et il arrive de
cette passion comme de toutes les autres, elle trompe
ceux qqf la suivent, et au lieu de la liberté véritable
elle leur fait trouver le plus dur et le plus honteux
esclavage. Comment nommez-vous ce qui se passe
dans le monde? Que n'avez-vous point à soufirir pour
ménager l'estime de ces hommes que vous, méprisez?
Que ne vous en coùte-t-il pas pour maîtriser vos
<0/Cw. m. J7.
64 ^i^^LEXioirâ
pasâons quand elles vont trop loin , pour ùôntetiter
celles à qui vous voulez céder, pour cacber vos pei-
nes, pour sauver des apparences embarrassantes et
importunes 7 Est-ce donc là cette liberté que vous
aimez tant, et que vous avez tant de peine à sacrifier
à Dieu ? Oii est-elle ? Montrez-la moi. Je ne vois par*
tout que gêne, que servitude basse et indigne, que
nécessité déplorable de se déguiser. On se refuse è
Dieu, qui ne nous veut que pour nous sauver; et on
se livre au monde, qui ne nous veut que pour nous
tyranniser et pour nous perdre.
II. On s*imagine qu on ne fait dans le monde que
ce qu*on veut, parce qu'on sent le goût de ses pas-^
sions par lesquelles on est entraîné; mais compte*t-on
les dégoûts affreux, les ennuis mortels, les mécomp*
tes inséparables des plaisirs, les humiliations qu*on
a à essuyer dans les places les plus életées? Au dehors
tout est riant ; au dedans tout est plein de chagrin et
d'inquiétude. On croit être libre, quand on ne dé-
pend plus que de soi-même. Folle erreur ! T a-t-il
un état oh Ton ne dépende pas d'autant de maîtres
qu'il y a de personnes à qui Ton a relation ? Y en
a-t~il un oh l'on ne dépende pas encore davantage
des fantaisies d'autrui, que des siennes propres?
Tout le commerce de la vie n'est que gêne, par la
captivité des bienséances et par la nécessité de plaire
aux autres. D'ailleurs nos passions sont pires que les
plus cruels tyrans. Si on ne les suit qu'à demi, il faut
à toute 'heure être aux prises avec elles, et ne respi-
rer jamais un seul moment. Elles se trahissent ; elles
déchirent le cœur ; elles foulent aux pieds les lois de
rhonneur et de la raison, et ne disent jamais, Cest
assez.
POUR TOUS 1«ES JOVAS DU MO». 65
assez. Si oo s*y abaDdoaae tout-à-fait, oii ce torrent
mènera- t-il ? J*ai horreur de le penser. 9 mon Dieu,
présenrez-moi de ce funeste esclavage, que Tinso-
leace humaine n*a pas de honte de nommer une li-
berté. Cest en vous seul qu^on est libre. Gest votre
vérité qui nous délivrera, et qui nous fera éprouver
que vous servir c'est r^ner.
XXV. JOUR.
Sur la déierminazion entière à être à Dieu,
I.SsiGirsun^çuevouleZ'^ùus çuefefa^se ( '}? CTest
ce que dîsoit saint Paul, renversé miraculeusement,
et converti par la grâce du Sauveur qu*il persécutoit.
Hélas ! combien Tavons-nous persécuté par nos infi-
délités, par nos humeurs, par nos passions, qui ont
troublé Touvrage de sa miséricorde dans notre cœuri
Enfin il nous a renversés par la tribulation; il a
écrasé notre orgueil ; i) a confondu notre prudence
chamelle ; il a consterné notre amour propre. Di-
sons-lui donc avec un acquiescement entier : «Sei-
gneurj que voulez-vous que je fasse? Jusqu*ici je ne
mVtois tourné vers vous qu'imparfaitement ; j*avois
usé de mille remises, et favois tâché de sauver et
d'emporter du débris de ma conversion tout ce qu'il
m'avoit été possible : mais pr^ntement je suis prêt
à tout , et vous allez devenir le maître absolu de mon
ccear et de ma conduite.
• CO Aci, IX. 6.
FélfÉLOM. xviii. 5
06 RÉFLEXIONS
II. Il ne suffit pas cependant que Toffre soit uni-
vei^selle : ce ne seroit rien faire, si elle demeuroit va-
gue et incertaine, sans descendre au détail ni à la
pratique, il y a trop long-temps, dit saint Augustin,
qui nous' traînons une volonté vague et languissante
pour le bien. II ne coûte rien de vouloir être par-
fait, si on ne fait rien pour la perfection. Il la faut
vouloir plus que toutes les choses temporelles les
plus chères et' les plus vivement poursuivies ; et il ne
faut pas vouloir faire moins pour Dieu, que Ton n*a
fait pour le monde. Sondons notre cœur. Suis- je dé-
termine à sacrifier à Dieu mes amitiés les plus fortes,
mes habitudes les plus enracinées , mes inclinations
dominantes, mes plus agréablejs amusemens?
XXVI. JOUR.
Sur la capitulation qu'on voudroit faire avec Dieu.
I. JUSQVES à quand clocherez-vous de deux côtés (0.
Nul ne peiU servir deux maitresW» On saitbienqu^il
faut servir Dieu et Taimer, si on veut être sauvé;
mais on voudroit bien ôter de son service et de son
amour tout ce qu il y a d onéreux , et n^y laisser que
ce qu'il y a d'agréable. On voudroit le servir, à con-
dition de ne lui donner que des paroles et des céré-
monies, et encore des cérémonies courtes, dont on est
bientôt lassé et ennuyé. On voudroit Taimer, à con-
dition qu on aimeroit avec lui , et peut-être plus que
lui , tout ce qu il n'aime point et qu'il condamne dans
CO iUHeg. XVI". ai. — CO Mauk. yi. 34.
POUa TOUS LBS JOURS DU MOIS. 67
les vanités mondaines. On voudroit raimer, k condi-
tion de ne diminuer en rien cet aveugle amour de
nous-mêmes, qui va jusqu'à ridolâtrie, et qui fait
qu'an lieu de nous rapporter à Dieu comme 9 celui
pour qui nous sommes faits , on veut au contraire
rapporter Dieu à soi , et ne )e rechercher que comme
une ressource qui nous console quand les créatures
nous manqueront. On voudroit le servir et J^aimer,
à condition qu'il sera permis d^avoir honte de son
amour, de s'en cacher comme d'une foiblesse, de
rougir de lui comme d'un ami indigne d'être aimé ,
de ne lui donner que quelque extérieur de religion
pour éviter le scandale, et de vivre à la merci du
monde pour ne rien donner à Dieu qu'avec la
permission du monde même. Quel service et quel
amour !
II. Dieu n'admet point d'autre pacte avec nous,
que celui qui a rapport à notre première alliance
dans le ))aptême, oh nous avons promis de renon-
cer à tout pour être à lui ; et au premier commande-
ment de sa loi , oii il exige sans réserve tout notre
cœur , tout notre esprit et toutes nos forces. Peut-on
en effet aimer Dieu de bonne foi , et avoir tant d'é-
gards pour le monde son ennemi, auquel il a donné
de si terribles malédictions? Peut-on aimer Dieu, et
craindre de le trop connoître, de peur d'avoir trop
de choses à lui sacrifier? Peut-on aimer Dieu, et se
contenter de ne l'outrager pas, sans se mettre en
peine de lui plaire, de le glorifier, et de lui témoi-
gner courageusement, dans les occasions qui se pré-
sentent tous les jours , l'ardeur et la sincérité de son
amour? Dieu ne met ni bornes ni réserves en se
ISg RÉFiiEXioira
donnant à nons; et nous voudrions en apporter
mille avec lui. Est-il sur la terre des créatures assez
viles poar se contenter d'être âimëes de nous comme
nous «'avons pas honte de vouloir que Dieu se con-
tentât d'être aime ?
xxvn. JOUR.
Sur le bon emploi du temps.
I. Faisons le bien pendant que nous en aidons le
temps (i). Une nuit viendra pendant laquelle per-
sonne ne peut agir W. Le temps est précieux , mais
on n'en connott pas le prix \ on le connottra quand
il n'y aura plus lieu d'en profiter. Nos amis nous le
demandent comme si ce n'étoit rien ; et nous le don-
nons de même. Souvent il nous est à charge ; nous
ne savons qu'en faire , et nous en sommes embar-
rassés. Un jour viendra qu'un quart-d'heure nous
parottra plus estimable et plus désirable que toutes
les fortunes de Tunivers. Dieu , libéral et magnifique
dans tout le reste , nous apprend , par la sage écono>
mie de sa providence , combien nous devrions être
curconspects sur le bon usage du temps, puisqu'il
ne nous en donne jamais deux instans enseipble, et
qu'il ne nous accorde le second qu'en retirant le
premier y et qu'en retenant le troisième dans sa main
avec une entière incertitude si nous Taurons. Le
temps nous est donné pour ménager Téternité : et
(0 GalaL Ti. 10. — (*) /m», iz. 4*
POUR TOUS LES 700 RS DU MOIS. (ig
réteraité M sera pas trop longue pour regretter la
perte du temps , si nous en avons abustf.
II. Toute notre vie est à Dieu aussi bien que tout
notre cœur. L'un et Tautre ne sont pas trop pour
lui. n ne nous les a donnes que pour Tainier et pour
le servir. Ne lui en dérobons rien. Nous ne pouvons
pas à tous momens faire de grandes choses ; mais nous
en pouvons toujours faire de convenables à notre
état. Se tairet souffrir, prier, quand nous ne sotnmes
pas obligés d*agir extérieurement, c*est beaucoup
oflrir à Dieu. Un Contre* temps, une contradiction |^
un murmure , une importunité , une injustice reçue
et soufferte dans la vue de Dieu , valent bien une
demi-heure d'oraison ; et on ne perd pas le temps ,
quand, en le perdant, on pratique la douceur et
la patience. Mais pour cela il faut que cette perte
soit inévitable^ et que nous ne nous la procunons
pas par notre faute. Ainsi réglez vos jours, et rache-
tez le temps , comme dit saint Paul (0, en fuyant le
monde , et en abandonnant au monde des biens qui
ne valent pas le temps qu'ils nous ôtent. Quittez les
amusemens, les correspondances inutiles, les épan-
chemens de cœur qui flattent l'amour propre, les
conversations qui dissipent l'esprit et qui ne condui-
sent à rien. Vous trouvei'ez du temps pour Dieu ; et
il n'y a de bien employé que celui qui est employé
pour lui.
(s) Ephu. r. 10. .
7 O KÉFLBXI09S
xxvra. JOUR.
Sur la présence de Dieu.
I.. M^RCHSZ en fna présence , et soyez parfait (> ).
Voilà, Seigneur, ce que vous disiez au fidèle Abra-
ham : et en effet, qui marche en votre présence est
dans la voie dé la perfection. On ne s*écarte de cette
voie sainte qu'en vous perdant de vue, et qu'en ces-
sant de vous voir en tout. Hélas ! où vais-je lorsque
)e ne vous vois plus , vous qui êtes îna lumière , et le
terme unique où doivent tendre tous mes pas? Vous
regarder dans .toutes les démarches que Ton fait,
c^est le moyen de ne s'égarer jamais. O foi lumineuse
au milieu des ténèbres qui nous environnent ! O re-
gard plein de confiance et d'amour, qui conduisez
rhomme.àla perfection ! O Dieu , je ne vois que vous ;
c'est vous seul que je cherche et que je considère
dans tout ce que mes yeux semblent regarder ! L'or-
dre de votre providence est ce qui attire mon atten-
tion. Mon cœur ne veille que pour vous dans la
multitude des affaires, des devoirs et des pensées qui
m'occupent, parce qu'elles ne m'occupent que pour
obéir à vos ordres. Ainsi je tâche de réunir toute
mon attention en vous , ô souverain et unique objet
de mon cœur , lors même que je suis obligé de par-
tager mes soins selon les lois de votre divine volonté.
Hé ! que pouri^ois-je regarder dans ces viles créatu-
res, si vous cessiez de m'y appliquer, et si je cessois
de vous y voir?
(0 Gen. ZTii. I.
POUU TOUS LES JOURS DU MOIS. *] l
IL J'ai donc résolu de tenir mes yeux leués vers
les montagnes saintes , d'où j'attends toute ma force
et tout mon secours (0. Cest en vain que je m'appli-
querois uniquement à regarder à mes pieds , pour me
délivrer des pièges innombrables qui m'environnent.
Le danger vient d'en bas ; mais la délivrance ne peut
venir que d'en haut : c'est là que mes vœux s'élèvent
pour vous voir. Tout est piège pour moi sur la terre,
le dedans et le dehors. Tout est piège , Seigneur ,
sans vous. C'est vei*s vous seul que se portent mes yeux
et mon cœur. Je ne veux voir que vous ; je n'espère
qu'en vous. Mes ennemis m'assiègent sans cesse : ma
propre foiblesse m'effraie. Mais vous avez vaincu
le monde pour vous et pour moi ; et votre force
toute-puissante soutiendra mon infirmité.
ywyy^0y%n/y%/%m%iww%^%^¥y¥%yy%fy¥^y%n/v%/%yy%f9ty%
XXIX. JOUR.
Sur l'amour que Dieu a pour nous.
I. Je vous ai aimé d'un amour éternel W, Dieu n*a
pas attendu que nous fussions quelque chose pour
nous aimer : avant tous les siècles , et avant même
que nous eussions l'être que nous possédons , il pen-
soit à nous , et il n'y pensoit que pour nous faire du
bien. Ce qu'il avoit médité dans l'éternité, il Ta exécuté
dansle temps.Sa main bienfaisante a répandu sur nous
toutes sortes de biens : nos infidélités mêmes, ni nos in-
gratitndes, presque aussi nombreuses que ses faveurs ,
n*ont pu encore tarir la source de ses dons , ni arrêter
(OP*. ckx. I. — l*)Jerem. xzxi. 3.
7 3 RÉFLEXLlOirS
le cours de ses grâces. O amour sans commencement ,
qui m'avez aimë^dnrant des siècles infinis, et lors même
que je ne pouvois le ressentir ni le r^ponnottre ! O
amour gans mesure, qui m'avez fait ce que je suis ,
qui m'avez donné ce que j'ai , et qui m'en promettez
encore infiniment davantage I O amour sans interrup-
tion et sans inconstance , que toutes les eaux amères
de mes iniquités n'ont pu éteindre ! Ai- je un cœur y.
6 mon Diça, si je ne suis pas pénétré de reconnois-
sance et de tendresse pour vous 7
II. Mais que vois-je ? Un Dieu qui se donne lui -
même, après même avoir tout donné ; un Dieu qui
me vient chercher jusqu'au néant , parce que mon
péché m'a fait descendre juscpie là ; un Dieu qui
prend la foràie d'un esclave, pour me délivrer de l'es-
davage de mes ennemis ; un Dieu qui se fait pau-
vre, pour m'enrichir; un Dieu qui m'appelle, et qui
court après moi quand je le fuis; un Dieu qui expire
dans les tourmens pour m'arracher des bras de la
mort et pour me rendre une vie heureuse : et je ne
veux souvent ni de lui ni de la vie qu'il me présente. !
Pour qui prendroit-on un homme qui aimeroit un au-
tre homme comme Dieu nous aime ? et de quels ana-
thèmes ne se rend pas digne^ après eela, celui qui
n'aimera pas le Seigneur Jésus (i).
(*) / Cor, XVI. aa.
POUR TOUS LB8 TOURS DV VOIS. *}3
XXX. JOUR.
Sur tamour que nous devcm a^oir pour Dieu.
I. (^'Mi-JB à désirer dans le cielà et que pwU^je
aimer sur la terre f si ce ri est voûs^ 6 mon Dieu (0»
Souvent , quand nous disons à Diea qne nous' Fai^
moDS de tout notre gcbut » c*e8t un langage ^ c^est uû
discours sans réalité : on nous a appris à parler ainsi
dans notre enfiince; et nous continuons , quand nous
sommes grands, sans savoir bien souvent ce que
nous disons. Âimer Dieu y c*est n*avoir point diantre
volonté qne la sienne y c*est observer fidèlement sa
sainte loi , c^est avoir horreur du péché. Aimer Dieu,
c*est aimer ce que Jésus^Christa aimé, la pauvreté,
les humiliations, les souffrances; c^est haïr ce que
J&us-Christ a haï , le monde , la vanité, les passions.
Peut-on croire qu*on aime itn objet auquel on ne
voudroit pas ressembler 7 Animer Dieu , c'est s*et)tre-
tenir .volontiers avec lui, c'est désirer d'aller à lui^
c'est soupirer et languir après lui. O le txax amour
que celui qui ne se soucie pas de voir ce qu'il aimet
II. Le Sauveur est venu apporter un feu divin sur
la terre , et son désir est que ce feu brûle (^) et con-
sume tout. Cependant les hommes vivent dans une
froideur mortelle. Us aiment un peu de métal , une
maison, un nom, un titre en l'an*, une chimère
qu'ils appellent réputation. Us aiment une conversa-
tion, un amusement qui leur échappe. Il n'y a que
(0 Pê, uuii. 35. — (>) Luc, zii. 49-
r \
74 HÉFLEXIOHS
Dieu pour qui il ne leur reste point d'amour : tout
s'épuise pour les créatures les plus méprisables. Ne
voudrons-nous jamais goûter le bonheur deUamour
divin ? Jusques à quand préférerons-nous d'aimer les
créatures les plus empoisonnées? O Dieu ! régnez
sur nous malgré nos infidélités ! Que le feu de votre
amour éteigne tout autre feu! Que pouvons -nous
voir d'aimable hors de vous , que nous ne trouvions
parfaitement en vous, qui êtes la source de tout bien?
Accordez-nous la grâce de vous aimer, «t nous n'ai-
merons plus que vouS| et nous vous aimerons éter-
nellement.
XXXI. JOUR.
Sur les sentimens de l'amour diptn.
I. O Dieu de mon cœur, 6 Dieu mon partage pour
jamais (0! Peut-on vous connoître, 6 mon Dieu, et
ne vous pas aimer, vous qui surpassez en beauté, en
vertu , en grandeur, en pouvoir , en bonté , en libé-
ralité , en magnificence , en toutes sortes de perfec-
tions, et, ce qui me touche de plus près, en amour
pour moi tout ce que les esprits cré& peuvent com-
prendre? Le respect et l'inégalité entre vous et moi
devroit,ce semble, m'arréter: mais vous me permet-
tez, c'est trop peu dire, vou^ m'ordonnez de vous
aimer. Après cela. Seigneur, je ne me cannois plus
et je ne me possède plus. O amour sacré, qui atcz
blessé mon amour , et qui de vos propres traits vous
(«} Pi, Lxxii. a6.
POUR TOUS LB8 lOUliS DU MOIS. 'jS
êtes ¥ou»-méine blessé poar moi , venez jne gaéviv ,
ou plutôt venez rendre la blessure que vous m*avez
faite encore plus profonde et {4us vive. Séparez-moi
de toutes les créatures; elles m'incommodent, elles
m'importunent : vous seul me suffisez , et je ne veux
plus que vous.
II. Quoi ! il sera dit que les amans insensés de la
terre porteront jusqu'à un excès de délicatesse et d'ar-
deur leurs folles passions ; et on ne vous aimeroit que
foil^Iement et avec mesure I Non , non, mon Dieu ;
il ne faut pas que l'amour profane l'emporte sur l'a-
mour divin. Faites voir ce que vous pouvez sur un
cœur qui est tout à vous. L'accès vous en est ouvert,
les ressorts vous en sont connu». Vous savez ce que
votre grâce est capable d'y exciter. Ypus n'attendez
que mon consentement etq;ueracquie8cemetit de ma
liberté. Je vous dopne mille et mille fois l'un et l'au-
tre. Prenez tout : agissez en Dieu; embrasez-moi ^
consumez-moi. Foible et impuissante créature que je
suis, je n'ai rien à vous donner que mon amour.
Augmentez-le, Seigneur, et rendez-le plus digne'de
vous. O si l'étois capable de faire pour vous de gran-
des chose&l O si j'avois beaucoup à vous sacrifier !
Mais tout ce que je puis n'est rien. Soupirer, langiiir,
aimer, et mourir pour aimer encore davatitage, c'est
désormais tout ce que je veux.
7^ ' ■iMTAtiovr
MÉDITATIONS.
SUR DIVERS SUJETS
TIRÉS DE LÉCKiTURE SAINTE
De la vraie connoissance de l'Èuangile^
Seigneur, k c{iii irioiie-iioiif , linon igtout qui aires ks paroles de
le Tk tenielle? S. Jean. rr. 691
. Nova ne connougons point assez FEvangile ; et ce
^i BOUS empédie de l'apprendre , c*est que nous
croyons le savoir. Nous en ignorons les maximes ^
nous n*én péntftr<nis point Tesprit , nous recherchons
curieusement les paroles des hommes , et nous në«
gligeons celles de Dieu. Une parole de TEvangile est
plus précieuse que tous les autres livres du monde
ensemble) c'est la souroe de toute vérité. Avec quel
amour, avec quelle foi, avec quelle adoration de-
vrions-nous y écouter Jésus-Ohrist ! DîsonsJui donc
désormais avec saint Pierre : Seigneur, a^ui irions^
nous ? Un moment de recueillement , d'amour et de
présence de Dieu* fait plus voir et entendre la vé-
rité, que tous les raisonnemens des hommes.
TiaÉES DB L'AOElVimB SAUfTB. 77
Vu cAangemen^ de la bumhre en
Prenes donc garde que la lumière qui est en voiif ne eoit (jue té-
nèbres. S, Luc» XI. 35.
lu ii*eftt pas étonnant que nos défilais nous défi<-
garent aux yeax de Dieu. Mais que uoa vertus
mêmes ne soient souvent que des imperfections^ e*esl
ce qui doit nous faire trembler. Souvent notre sa*
gesse n*est qu*une politique chamelle et mondaine ;
notre modestie, qu*un extérieur composé et hypo-
crite pour garder les bienséances et nous attirer des
louanges ; notre zèle , qu'un efièt de Thumear ou de
Torgueil; notre franchisey'qa'une brusquerie; et ainsi
du reste. A.vec quelle lâcheté sont exécatés en détail
les sacrifices que nous faisons à Dieu , et qui pa-
roissent les plus éclatans 1 Craignons que la lumière
se change en ténèbres*
III.
Des pièges et de la tyrannie du monde*
IfaUtenr au monde à cause de ses scandales ! 5. Matài. xviii. 7.
QoB volontiers. Seigneur, je répèle cette terrible
parole de Jésus-Chrîst votre fils et mon sauveur S
EUe est terrible pour le monde à jamaia réprouvé ;
mais elle est dooœ et consolante pour cens qui vohs
78 ' MÉOtTAnOHS
aiment et qui le xnépriseiiL Elle seroit pour anoi oa
coup de foudre , si ^jamais je me rengageois contre
vous dans la servitude du*siècle. Ah! monde aveugle
et injuste tyran ! tu flattes pour trahir ; tu amuses
pour donner le coup de la mort. Tu rrs, tu fais rire;
tu méprises ceux qui pleurent ; tu ne cherches qu*à
enchanter les sens par une vaine joie qui se tourne
en poison : mais tu pleureras éternellement, 'pen-
dant que les enfans de Dieu seront consolés. O que
je méprise tes mépris, et que je crains tes complai-
sances 1
^M^mm/Ê0W¥m0miw9^Ê¥¥m^^y%m%/9m^¥y^9/v^^/^mn0¥^ kkjik»»!
IV.
Combien peu renoncent à l'amour du monde, çui
* ' est si digne de mépins.
ITaimex point le monde, ni les choses qui sont dans le monde.
I£p. de S. Jean, 11. i5.
Qde ces paroles ont d'étendue ! Le monde est
cette multitude aveugle et corrompue que Jésus-
Christ maudit dans TEvangile, et pour lequel il ne
veut pas même prier en mourant. Chacun parle
contre le monde, et chacun a pourtant le monde
dans son cœur. Le monde n'est que l'assemblage
des gens qui s'aiment eux-mêmes, et qui aiment les
créatures sans rapport à Dieu. Nous sommes donc
le monde nous-mêmes, puisqu'il ne faut pour cela
que s'aimer, et que chercher dans les créatures ce
qui n est qu'en Dieu. Avouons que nous apparte-
nons au monde , et que nous n'avons point l'esprit
TIRÉES DE L'ÉCRITtrilE SAIRTU* 79
de Jësus-Christ; Quelle pitié de renoncer en appa-
rence au monde, et d^en conserver les sentimens!
Jalousie pour Tautorité, amour pour la réputation
qu*on ne mérite pas, dissipation dans les compa-
gnies y recherche des commodités qui flattent la chair,
lâcheté dans les exercices chrétiens, inapplication
à étudier les vérités de l'Evangile^ voilà le monde.
Il vit en nous ; et nous voulons vivre en lui , puisque
nous désirons tant qu'on nous aime, et que nous
craignons qu'on nous oublie. Heureux le saint
apôtre, pour çui le monde étoit crucifié , et qui Vé"
toit aussi pouf le monde {^).
V.
Sur la véritable paix.
Je TOUS donne ia paix, non comme Je monde la donne.
S. Jean,iLiy, 37.
Quel bonheur de «avoir combien le monde est
méprisable ! C'est sacrifier à Dieu peu de chose, que
de lui sacrifier ce fantôme. Qu'on est foible quand
on ne le méprise pas autant qu'il le mérite ! Qu'on
est à plaindre quand on croit avoir beaucoup quitté
en le quittant 1 Tout chrétien y a renoncé par son
baptême : les personnes religieuses et retirées ne
font donc que suivre cet engagement avec plus de
précaution que les autres. C'est avoir cherché le
port en fuyant la tempête. Le monde promet la
paix , il est vrai , mais il ne la donne jamais \ il cause
8o XÉDlTATIOnS
quelques plaisirs passagers » mai» ces plaisirs coûtent
plus qu'ils ne valent. Jésus-^rist seul peut mettre
rhomme en paix; il Faccorde avec lui-même; il
soomet ses passions ; il borne ses désirs ; il le con-
sole par son amour; il lui donne la joie dans la
peine même : ainsi oette joie ne peut lui être ôtée.
VI.
Que JésnS'Christ a r^usi de prier pour le momde.
Je ne prie point pour le monde. S. Jean, xrn. 9.
Jésus-Christ mourant prie pour ses )>onrreaoXy et
refuse de prier pour le monde. Que dois-je donc
penser de ces hommes qu*on appelle honnêtes gens,
et que f ai appelés mes amis, puisque les persécuteurs
et les meurtriers de Jésus- Christ lui sont moins
odieux que ces hommes auxquels j'avois livré mon
cœur? Que puis-je attendre de ma foiblesse dans les
compagnies où l'on se pique d'oublier Dieu , de trai-
ter la piété de foiblesse y et de suivre tous ses désirs?
Puis-je croire que j'aime Dieu et que je ne rougisse
point de son évangile , si j'aime tant la société de ses
ennemis, et si je crains de leur déplaire en témoignant
que je crains Dieu ? O Seigneur ! soutenez-moi contre
les torrens du monde; rompez mes liens ; éloignez-
moi des tabernacles des pécheurs; unissez-moi avec
ceux qui vous aiment !
VII.
TIRÉES SE LÉCftITUEB SAINTR. 8l
VIL
Sur la fuite du monde.
llafiwiir an monde à cause de tes soandales. S, Matth, xyiii. 7.
Le monde porte d^à sur son front la condamna-
tioD de Dieu ; et il ose s'ëriger en juge pour décider
de tout. On veut aimer Dieu , et On craint lâchement
de déplaire au monde , son irréconciliable ennemi*
Qame adultère , et infidèle à Tépoux sacré! ne sa-
vez-vous pas que Tamitié du monde rend ennemi
de Dieu? Malheur donc à ceux qui plaisent au
monde ^ ce juge aveugle et corrompu !
Mais qu'est-ce que le monde? est-ce un fantôme 7
Non ; c'est cette foule d'amis profanes qui m'entre-
tiennent* tous les jours, qui [>assent pour honnêtes
gens , qui ont de l'honneuf , que j'aime et dont je
suis aimé , mais qui ne m'aiment point pour Dieu.
Voilà mes plus dangereux ennemis. Un ennemi dé-
clare ne tueroit que mon corps; ceux-ci ont tué mon
ame. Voilà le monde que je dois fuir avec horreur,
si |e veux suivre Jésus-Christ.
FéNÉLOir. zvux.
8a MÉDITATIONS
VIII.
S^r le même sufet.
Le monde est orueifié pooi moi» ooauae je ama crnoifié poor le
monde. CraL^. i4-
Il ne suffit pa», selon TÂpôtre, que le monde soit
crucifia pour nous j^ il faut que nous le soyons aussi
pour lui. On croit être bien loin du monde , parce
qu'on «s t dans une retraite; mais on parle le lan-
gage du monde, on en a les sentimens, les curiosi-
tés; on veut de la réputation , de Famitié, de l'amu-
sement; on a encore des idées de nol)lesse ; on soufire
avec répugnance les moiadres humiliations. On veut
bien y dit-on, oublier le monde; mais on ressent dans
le fond de son cœur qu'on ne veut pas être'bublié
par lui. En vain cherchcrt-on un miliea entre Jésus-
Christ et le monde.
IX.
Que^ dans la voie de la perjecliorij les premiers sont
bien souvent aUeiats et devancés par les derniers.
Ceux quiétoient les premiers seront les derniers, et les derniers se-
ront les premiers. S. LuCy xiii. 3o.
Gombieh d'ames, qui, dans une vie commune, au-
ront atteint à la perfection, pendant que les épouses
du Seigneur, comblées de grâces, appelées à goûter
TIRÉES DS LÉCBITURE SAIUTTE. 83
la manne céleste y anront langui dans use vie lâche
et imparfaite! G>mbien de pécheurs, qui, i^près ayoir
passé tant données dans Fégareinent et dans Vigno-
rance de TEvangile, laisseront tout d'un coup der-
rière eux , par la ferveur de leur pénitence , les âmes
qui av^ent goûté » dès leur plus tendre jeunesse , les
dons du Saint-Esprit » et que Dieu avoit prévenues
de ses plus douces bénédictions ! Qu'il sera beau aux
derniers de remporter ainsi la couronne , et d'être f
par leur exemple, la condamnation des autres! Mais
qu il sera douloureux aux premiers de devenir les
derniers, dé se voir derrière ceux dont ils étoient
autrefois le modèle, de perdre leurs couronnes, et
de les perdre pour quelques amusemens qui les ont
retardés! Je ne saurois voir le recueillement de cer-
taines personnes qui vivent dans le monde, leur dés-
intéressement, leur humilité, $ans rougir de voir
combien nous, qui ne devrions être occupés que de
Dieu , sommes dissipés, vains, et attachés à nos com-
modités temporelles. Hâtons-nous de courir, de peur
d'être laissés derrière.
X.
De l'amour du prochain.
Soyea aitenûd k voiu aimer les uns kt autres d'an amour fraternel.
J Ep. dfi S. PUrrCf i. 29.
Cet apôtre veut, par ces paroles, que notre charité
soit toujours attentive pour ne pas blesser le pro-
chain. Sans celte attention , la charité, qui est si fra-
84 XéDITATfOHS
gile en cette vie, se perd bientôt. Un mot dit avec
hauteur ou avec chagrin , un air sec ou dédaigneux,
peut altérer les esprits foibles. II faut ménager des
créatures si chères à Dieu , des membres si précieux
de Jésus-Christ. Si vous manquez de cette attention,
vous manquez aussi de charité ; car on ne peut ai-
mer sans s'appliquer à ce qu*on aime. Cette attention
de charité doit remplir tout Tesprit et le cœur. Il me
semble que j'entends Jésus-Christ vous dire comme
à saint Pierre : Paissez mes brebis.
^M^Mm/mt¥m/¥¥¥¥mMmt¥t0m/y^/m/^fmtmÊftm0ymàmtm^mf^/^f^^tmm
XI.
Que nous sommes vernis pour servir les autres.
Je DA fuit pM Tenu pour ftre servi, mais pour serrir les antres.
S, Mare, x. 45.
Cbst ce que doivent dire toutes les personnes qui
ont quelque autorité sur d'autres. Cest un pur mi-
nistère. U faut effectivement servir ceux à qui Ton
parott commander, souffrir leurs imperfections, les
redresser doucement et avec patience , les attendre
dans les voies de Dieu, se faire tout à tous, se croire
fait pour eux , s'humilier pour leur adoucir les coi^
rections les plus nécessaires , ne se rebuter jamais ,
demander à Dieu le changement de leur cœur, qu\>n
ne peut point obtenir soi-même. Examinez-vous par
rapport aux personnes qui vous sont commises, et
dont vous êtes chargé devant Dieu.
TIRÉES DS l'ÉCAITBAE SÀIirTE. ' 85
Xl'l.
De la douceur et de thumiUU de cœur.
Apprenm de moi que je *auis dom et humble- de cœur.
S. Matth. XI. ag.
II. n'y avoit qae le Fils de Diea qui pût nous faire
cette divine leçon ; lui qui , étant égal à son Père y
s'est anéanti^ comme dit saint Paul (0, en prenant
la forme et la condition d^un esclave. Que n*a-t-il
pas fiut pour l'amour de nous 7 Que n'a*t-il pas souf-
fert de nous y et que ne souffre- t-il pas encofe? // a
été mené, dit Isaïe W, comme une victime qilon va
égorger^ et on ne Va pas entendu se plaindre. Et
noosy nous nous plaignons des moindres maux; nous
sommes vains , délicats , sensibles.
Il n'y a point de douceur véritable et constante
sans humilité. Tandis que nous serons pleins de nous*
mêmes , tout nous choquera en autrui. Soyons per-
suadés que rien ne nous est dû, et alors rien ne nous
aigrira. Pensons souvent à nos misères , et nous de*
viendrons indulgens pour celles d'autrui. Il n'y a
point de page dans les Ecritures, dit saint Augustin,
où Dieu ne fasse tonner ces grandes et aimables pa»*
rôles : Apprenez de moi que je suis doux et hwnble^
de cœur.
(■) Philip. 11. 6y 7. •* C*) /f. LUI. 7.
66 MÉBlTATlOns
XtlI.
De ta véritahie grâmieur.
Quiconque ft^exftlte-Mra hiiiiâié,«fc «foicônqiite s^unîlie
PuisQcfe nous bîmons tant Tel^vation , chercbt>ns«-
la x>ù 0He efity diercbons celle qui durera toujours.
O Tadmirafole ambition que celle de r^ner ^rnel -
lemetit avec le Fils de Dieu , et d'être assis à jamais
sur un même trône avec lui ! Mais quelle ambition y
quelle jalousie d*enfant^ que de s*empresser pour
avoir des noms parsii les hommes, pour parvenir à
une réputation encore moins solide que k fumée
qui est le fouet du vent! Faut-il se donner tant de
peine pour avoir quelques gens qui se disent nos amis
sans l'être, et pour soutenir de vaines apparences ?
Aspirons à la véritable grandeur ; elle ne se trouve
qu'en «'abaissant sur la terre. Dieu confond le superbe
dès cette vie ; il lui attire l'envie , la critique et la ca-
lomnie ; il lui cause mille traverses ; et enfin il Iliu-
miliei^a éternellement : et l'humble qui se cache, qui
veut être ouMië, qui craint d'être recherché du
monde, sera, dès cette vie, respecté pour n'avoir
pas voulu l'être , et une étemelle gloire sera la ré-
compense de son mépris pour la gloire fausse et mé-
prisable.
TIRÉES DE l'ÉCRITUIIE SAINTE. 87
XIV.
«Sur quoi nous deî^ons fonder notre joie.
RéjoaiaseK-voiiA, je vous le dis encore, réjonÎBsez-Toaa : que votre
modestie soit connue de tous les hommes; car le Seigneur est
proche. Phiiip. vr. 4, S.
CssT le dëgoftt de nos passions et des vanités da
monde qui doit être la source de notre joie. Nous ne
devons fonder notre jofé que sur Tespérance, et nous
ne devons espérer qu autant que le monde nous dé-,
plaît Ce doit être Fattente de Jésus-Christ , qui va
venir nous couronner, qui. doit nou3 rendre modes-
tes et constans : il faut se tenir prêt à le recevoir,
être bien aise qu*il vienne : ce sera le juge du mpnde
et notre consolateur. Qu'il est doux d'attendre Jésus-
Christ en paix, tandis que les enfans du siècle crai-*
gnent qu'il arrive ! Ils trembleront , ils firémiront ;
et nousji nous verrons venir avec joie et confiance
notre aimable délivrance. Heureux état, état digne
d'envie! Que ceux qui n'y sont pas encore y aspi-
rent : c'est notre lâcheté et nos amusemens q^i
nous éloignent de cet état de confiance et de conso-
lation.
86 1IÉ0ITAT10II9
XV.
Des effets de t Eucharistie en nous.
Calai «jui ne mange doit tivre pour moi. S. Jean, ti. 55» 56.
Cest la chair de Jësus-Christ que nous mangeons;
mais c'est son esprit qui nous vivifie. La chair seule
ne profite de rien, comme il le dit lui-même ; oui,
la chair y quoique unie au Verbe, en sorte que saint
Jean ne craint point de dire que le' Verbe est fait
Acdr. U ne Ta unie que pour nous communiquer
son esprit plus sensiblement par cette société char-
nelle qu'il a faite avec &ou«) il ne nous la donne à
manger que pour nous incorporer à lui , et faire vi-
vre nos âmes de sa vie divine. Pourquoi donc , vivant
si souvent de lui , refuserons-nous de vivre pour lui?
Que devient en nous ce pain céleste, cette chair
toute divine? A quoi servent nos communions? Jé-
' sus-Christ vit-il en nous? Ses sentimens , ses actions
se manifestent-elles en notre chair mortelle 7 Crois-
sons-nous en Jésus-Christ à force de le manger?
Toujours s*amuser, toujours murmurer contre les
moindres croif , toujours ramper sur la terre, tou-
jours chercher de misérables consolations , toujours
cacher ses défauts sans les corriger , pendant qu*on
ne Sût qu'une même chair avec lui !
TI&ÉB8 DE L ÉCEITUAE SAINTE. 89
I
XVI.
Sur le même sujet.
Cdui <iui me mange doit yirre pour moi. S. Jean. ti. 55, 56.
Jésus-CH&îiT est toute notre vie ; c*est la véritë éter-
nelle dont nous devons être nourris : quel moyen de
prendre un aliment si divin , et de languir toujours!
Ne point crottre dans la vertu , n*avoir ni force ni
santé, se repaitre de mensonge, fomenter dans son
cœur des passions dangereuses, être dégoûté des
vrais biens, est-ce là la vie d*un Chrétien qui mange
le pain du ciel ? Jésus-Christ ne veut s^unir et s*in-
corporer avec nous, que pour vivre dans le fond de
nos cœurs; il faut qu'il se manifeste dans notre chair
mortelle, que Jésus-Christ paroisse en nous, puisque
nous ne faisons qu'une même chose avec lui. Je vis^
mais ce n est plus moi qui vis (0^ c'est Jésus-Christ
gui vit dans sa créature, déjàmorte à toutes les cho-
ses humaines.
XVII.
«
De la confiance en Dieu»
Je don, et mon ooeur veille. Cont y; a.
O» dort en paix dans le sein de Dieu, par l'aban-
don à sa providence, et par un doux sentiment de sa
(M Gai. II. ao.
^ MÉDITATIONS
miséricorde* Oo ne cherclie plus neo, et Tliomine
tout entier se repose en lui. Plus de raisonnemens
incertains et inquiets^ plus de désirs, plus d'impa-
tience à changer sa place. La place où nous sommes,
c'est le sein de Dieu ; car c'est Dieu qui nous y a mis
de ses propres mains, et qui nous y porte entre ses
bras. Peut-on se trouver mal où il nous met, et où
nous sommes comme un enfant que sa mère tient et
embrasse? Laissons- le faire, reposons-nous sur lui
et en lui. Ce repos de confiance, qui éteint tous les
mouvemens de la prudence charnelle, c'est la véri-
table vigilance du cœur. S'abandonner à Dieu sans
s'appuyer sur la créature ni sur la nature, c'est faire
veiller son cœur tandis qu'on dormira. Ainsi l'amour
aura toujours les yeux ouverts avec jalousie, pour
ne tendi*e qu'à son bien-aimé, et nous ne nous endor-
mirons point dans la mort.
XVIII.
Qu'il n'y a que Dieu qui puisse apprendre à prier.
Enseignez-noiu à prier, i^. Luc, xi. i.
Seigneur, je ne sais ce que je dois vous demander.
Vous seul savez ce qu'il nous faut; vous m'aimez
mieux que je ne sais m'aimer moi-même. O père!
donnez à votre enfant ce qu'il ne sait pas lui-même
demander. Je n'ose demander ni croix ni consolations;
je me présente seulement à vous; je vous ouvre mon
cœur. Voyez mes besoins, que je ne connoîs pas;
TIRÉES DE L^ÉClrlTUllE 8ÀIKTE. Ql
voyez , et faites selon, votre miséricorde. Frappes ou
guérissez, accablez ou relevez-moi : fadore toutes
vos volontés sans les connoître; je me tais, je me sa-
crifie, je m^abandonne. Plus d'autres désirs que ceux
d*accomplir votre volonté. Apprenez- moi à prier;
priez vous-même en moi.
XIX.
De V amour de Dieu,
Seignenr, yous aayez-bien que je toua aime. S. Jean. zxi. 16.
SA.nrr Pierre le disoit à notre Seigneur ; mais ose-
rions-nous le dire? Âimons^nous Dieu pendant que
nous ne pensons point à lui7^Quel estTami à qui
nous n^aimons pas mieux parler qu'à lui? Où nous
ennuyons - nous davantage qu'au pied des autels?
Que faisons -nous pour plaire à notre maître , et
pour nous rendre tels qu'il veut? Que faisons-nous
pour sa gloire? Que lui avons-nous sacrifié pour ac-
complir sa volonté? La préférons-no us à nos. moin-
dres intérêts, aux amusemens les plus indignes? Où
est donc cet amour que nous pensons avoir? MaU
heur pourtant à celui qui naime pas le Seigneur.
Jésus (0 qui nous a tant aimés! Donnera- t-il son
royaume éternel à ceux qui ne l'aiment pas? Si nous
l'aimions y pourrions-nous être insensibles à ses bien-
faits, à ses inspirations, à ses grâces? iV^i la vie, ni
la mortj ni le présent j ni l'auenir, ni la puissance ^
CO/ Cor.xyi. pa.
9^ MÉD1TATIOM8
ne pourront désormais nous séparer de la charité de
JésuS'Christ (0.
Sur le même sujet»
Seigneur, tous iBYez bien qoe je ^roos aime. S. Jean. ixi. 16.
Vous le savez mieux que moi, ô mon Dieu^ 6
mon père y ô mon tout, combien je vous aime. Vous
le savez, et je ne le sais pas : car rien ne m*est plus
caché que le fond de mon cœur. Je veux vous aimer;
je crains de ne pas vous aimer assez ; je vous de-
mande L*a]M>ndiuioe du pur amour* Vous voyez mon
désir; c*est vous qui le faites en moL Voyez dans
votre créature ce que vous y avez mis. O Dieu, qui
m*aimez assez pour m*inspirer de vous aimer sans
bornes, ne regardez plus le torrent d'iniquités qui
m*avoit englouti; regardez votre miséricorde et mon
amour.
(«) Jlom. viu. 38 y 39.
TIKÉES DE L^ÉCRITURE SAIHTE. gS
Que rien ne saurait manquer à celui qui ioÊlaxhe à
Dieu.
Ceit le Seignear qni me oondnit ; rtea ne poorra me mmqaer.
P#.zxit. I.
irÂTOirs^xiotJs j)oiDt de honte de chercher- quelque
chose avec Dieu? Quand nous avons la source de tous
biens y nous nous croyons eiïcore pauvres. On cher-
che dans la piëtë même les commodités et les conso-
^ latious temporelles^ on regarde la piété comme un
adoucissement aux peines qu'on souffre , et non
comme un état de renoncement et de sacrîfioe; de
là viennent tous nos découragemens. Commençons
par nous abandonner à Dieu. En le servant , ne
nous mettons jamais en peine de ce quHl fera pour
nous. Un peu plus ou un peu moins souffrir, dans
une vie si courte, ce n*est pas grand*chose.
Que peut-il me manquer lorsque fai Dieu? Oui,
Dieu lui-même est le bien infini et Tunique bien.
Disparoissez, faux biens de la terre, qui portez indi-
gnement ce nom, et qui ne servez qu*à rendre les
hommes mauvais! Rien n*est bon que le Dieu de
mon cœur, que je porterai toujours au dedans de
moi. Qu'il m'ôte les plaisirs, les richesses, les hou*
neurs, Tautorité , les amis , la santé, la vie : tant qu'il
ne se dérobera point lui-même à mon cceur, je se*
rai toujours riche ^ je n'aurai rien perdu ; j'aurai con-
servé ce qui est tout. Le Seigneur m'a cherché dans
94 MÉOITATIOHS
mes ëgaremens, m*a aimé quand je ne Tàimois pas,
m*a regardé avec tendresse, malgré mes ingratitudes :
je^uis dans sa main; il me mène coiSme il lui plaît.
Je sens ma foiblesse et sa force. Avec un tel i^pui
rien ne me manf{uera iamais.
XXII.
Que Dieu doit être l'unique peirtÎQn du cœur de
Vhomme.
O Diea de mon ootor, et noii élecsdle porUon ! Ps. I^^u. 96. «
. Seigheue, VOUS êtes le Dieu de toute la nature;
tout obéît ^ vp<r« vois ; vdu9 êtes Famé de tout ce
qui vit, et même de tout ce qui ne vit point. Vous
êtes plus mon ame que celle même que vous avez
donnée à mon corps : vous êtes plus près de moi que
moi<>même. Tout est à vous : mon cœur n'y sera-t-il
pas y ce cœm* que vous aves; fait, que vous animez?
Il est à vous, et non à moi.
Mais, ô mon Dieu ! vous êtes aussi à moi , car je
vous aime. Vous êtes tout pour moi* le n'ai nul autre
bien, ô mon éternelle portion! Ce n'est point les
consolations d'ici-bas, ni les goûts intérieurs, ni les
lumières extraordinaires que je souhaite; je ne de-
mande aucun de ces dous qui viennent de vous, mais
qui ne sont point encore vous-même. C'est de vous-*
même, et de vous seul, que j'ai faim et soif. le m'ou-
blie, je me perds ; faites de moi ce qu'il vous plaira,
n'importe ; je vous aime.
TIEÉES i>B L écaiTUmB SAINTE. qS
XXIII.
^ De quelle manière Dieu veui Are glorifié.
Gloire k Dion au pliu haac 6m cieax , ec pAÎx «or h terre anx homme s
de bonne foloalé. S» Lmc. ii. 14.
Ejt ne cherchant que la gloire de Dieu, notre paix
s*y trouvera. Mais la gloire de Diea ne se trouve
point dans toutes les pensées et les actions des hom-
mes. Dieu ne veut être glorifié que par Tanéantisse-
ment entier de la nature et par l'abandon à son es-
prit, il ne faut point vouloir sa gloire plus qu'il ne
la veut lui-même. Prêtons-nous seulement, comme
des instromens morts, ^ Iq ooadnitA da sa provi-
dence. Réprimons tout empressement, tout mou ve-
ment naturel y toute inquiétude déguisée sous le nom
de zèle* Paix daps la bonne volonté. N'avoir plus ni
désir ni crainte, et se laisser dans la main de Dieu,
c'est là avoir une bonne volonté, conforme à la
sienne. Celui qui est ainsi est immobile comme la
montagne de Sion ; il ne saurait être ébranlé, puis-
qu'il ne veut <)ue Dieu, et que Dieu fait tout.
96 HÉDITATIOirS
XXIV.
De la douceur et humUiié de cœuri*)*
Appreoex de moi qoe je fuis doux et hnmUe de oamr ; et TOns tron-
▼erez le repos de vos amei. S. Mauh. xi. 99.
Moir Dieu, je viens m'instruire et m^eiaminer à vos
pieds-Yous êtes ici présent ;£*est vous qui m*y attirez
par votre grfioe* Je n*écoute qne vous, je ne crois
que vous. Parlez, votre serviteur écoute.
Seigneur, je vous adore ; mon cœur n^aime que
vous ; il ne soupire qu*après vous. Je m*anéantis avec
joie devant vous , 6 étemelle Majesté : je viens pour
recevoir tout de vous, «t pour renoncer sans réserve
k moi-même.
Envoyez , ô mon Dieu , votre Esprit saint. Qu'il de-
vienne le mien , et que le mien soit détruit à jamais!
Je me livre à cet Esprit d*amour et de vérité. Qu*il
m*éclaire aujourd'iiui, pour m*apprendre à être doux
et humble de cœur \
O Jâus, c'est vous qui me donnez cette leçon de
douceur et d'humilité. Tout autre qui voudroit me
l'apprendre me révolteroit ; je ti*ouverois partout de
l'imperfection et de l'orgueil. Il faut donc que ce
soit vous qui m'instruisiez.
O mon bon Maître, vous daignez m'instruire par
votre exemple : quelle autorité I Je n*ai qu'à me taire,
(*) On a va d-deanu page 43 une partie de cette Médiuiion , dont
Fénélon a fait osage dans les Réflexions pour tous les jour» du moû.
Noua la donnons ici tout entière. {Ediî. de yen.)
qu'à
naÉES DE l'écriture ^AlMTB. Q']
qu'à adorer y qu'à me confondre, qu'à imiter. Le Fils
de Dieu descend du ciel sur ta terre, prend. un corps
de boue, expire sur la croix pour tne fiiire rougir de
9ion orgueil- Celui qut est tout s'anéantit; et moj qui
ne suis rien, je veux être, ou du moins je veux qu'on
me croie tout ce que je ne suis pas. O mensonge! à
folie ! ô impudente vanké ! ô diabolique présomption !
Seigneur, vous ne me dites pokit : Soyez doux et
humble ; mais vous dites que voua êtes doux et hum-
ble. C'est assez de savoir que vous l'êtes, pour con-
clure que nous devons l'être sdr un tel exemple. Qui
osera s'en dispenser après vous? Sera-ce le' ver de
terre? Sera-ce le pécheur qui a mérité tant de fois
pour son ingratitude d'être, foudroyé par votre jus-
tice? ^ '^ " " — r—
Mon Dieu, vous êtes ensemble ^oui: et humble,
parce que IHiumilité est la source dé la véritable'
doucenr. L'orgueil* est toujours hautain , impatient,
prêt à s'aigrir. Celui qui se méprise dé bonne foi veut
biep être mépri^ Celui qui croit que rien ne lûijest
dû, ne se croit, jamais maltraité. Il n'y a point de vé-
ritable douceur par tempérament, ce n'est que mol*
lesse, indolence, ou artifice. Pour être doux à au-
trui , il faut renoncer à soi.
Vous ajoutez, ô mon Dieu : Doux et hlimble de
cœur.' Ce n'est point un abaissement qui ne soit que
dans Vesprit par réflexion, c*est un gôùt du cœur;
cest nn abaissement auquel la vt)lontë consent; et
qu'elle aime pour glorifier Dieu. C'est un plaisir de
voir sa misère, pouf s'anéantir devant Dieu , afin de
ne devoir sa guérisop qu'à lui. C'est une destruction
de tdute confiance en son esprit* et en son courage
Fénéloh. XVIII. 7
9^ MÉDITATIONS
naturel. Voir sa 'misère cl en être au désespoir , ce
n'est pas être' humble; an contraire , c'est avoir un
dépit d'orgueil qui ne peut consentir à son abaisse**
ment.
Enfin Vous me promettez, ô Sauveur, que c'est dans
cette humilité que je trouverai le repos de mon ame
et la paix. Hélas ! que j'ai été loin la chercher, cette
paix. Je la cherchois dans des passions folles et tur-
bulentes ; je la cherchois dans les vaines imaginations
de mon orgueil. L'orgueil est incompatible avec la
paix. Il veut toujours 'ce qu'il n'a pas ; il veut tou-
jours passer pour ce qu'il n'est point. Il s'élève sans
cesse, et sans cesse Dieu lui résiste pour le rabaisser,
par l'envie, 'par la contradiction de^ autres hommes,
ou par fi«e propro» défauts x{u*H ne peut sVmpécher
de sentir. Malheureux orgueil, qui ne goûtera ja-
mais la paix des enfans de Dieu, qui sont simples et
petits à leurs propres yeux !
Mon Dieu, que vous êtes bon de me feire aimer
cette ^aix! Mais ce n'est pas assez de joat la faire ain^er
et désirer , rendez- m'en digne, eu écrasant mon or-
gueil. Abattez mon esprit autant que mon corps. Que
mon ôrgàeil ait encore plus d'oppression et d'accable-
ment que ma poitrine ; qu'il né puisse plus respirer.
Achevez , Seigneur, de m'arracher a la société pro-
fane de ceux qui ne vous connoissent ni ne vous ai-
ment. Etouffez en moi jusqu'aux derniers reistes de
la mauvaise honte. Rompez tous mes liens, et formez-
en de nouveaux qui m'attachent à vous seul insépa*
rablemént.
Que vous ai-je fai| pour 'mériter tant d^ grâces ?
J ai foulé aux pieds* les anciennes, j'ai payé d'ingra-
TIRÉES DE L*CCRITUltE SAINTE. i)()
titude toutes vos bontës d'autrefois. Voilà Tunique
mérite que f ai devant vous. II n*y a que ma misère
qui puisse exciter votre miséricorde. Après cela, lié-
siterai-ie encore entre le monde et vous? le monde
qui veut^me perdre , vous qui voulez me sauver. Re-
pousserai-je la croix que vous mcLpnt*sentez avec tant
d^amour , pour mé délivrer des maux de mon ame ,
bien plus terribles quexeux.de mon corps?
OSeigneur, je m'abandonne à votre miséricorde. Je
mériterois d'être livré à votre éternelle justice. Frap-
pez, Seigneur, frappez; faites de votre vile créature
selon votre bon plaisir. Plus de volonté que la vôtre.
J'C vous louerai dans toutes mes douleurs, je baiserai *
la main qui mè frappe, je me croirai encore épar-
gné. Je suis prêt à louf ,~a ~vïvre~"SCpard* dn monde ,
confessant hautement votre Evangile, ou à mourir
sur la croix avec vous, ô Jésus, qui êtes mob amour
et ma vie.
ÈNTRETffiNS AFFECTIFS
POUR
LES PRINCIPALES FÊTES DE L'ANNÉE.
wy¥y%f¥¥¥¥ww/y¥v%f%t
I. Pour l Atott.
Ces't maintenant y ô mon Dieu, que je veux me
recaeillir pour adorer en silence les mystères de
votre Fils 9 et pour attendre qu'il naisse au fond de
mon cœur. Venez y Seigneur Jésus : vene^. Esprit de
vérité et d'amour qui le formâtes dans le sein de la
sainte Vierge.
Je yous attends, 6 Jésus , comme les prophètes
et les patriarches vous ont attendu. Que volontiers
je dis avec eux : O cieux^ répandez votre rosée ^ et
que les nues fassent descendre le Juste! que la terre
s'entr*ouurej et quelle germe son Sauveur 0) ! Vous
êtes déjà venu une fois. Les anciens justes ont vu le
Désiré des nations; mais lès vô^es ne vous ont point
connu. La lumière àjui au milieu des ténèbres j et
les ténèbres ne Font pas comprise W. Que tardez-
vous? Revenez, Seigneur; revenez frapper la terre
ingrate, et juger les honlmes aveugles. O roi, dont
les princQS de la terre ne sont qu'une foible image ,
que votre règne arrive ! Quand viendra-t-il d'en haut
(0 lê.'xhr, 8. '^{*lJoitn. i. 5.
POOA LAV£2IT. lOI
sur nous ce règne de justice , de paix et de' vérité 7
Votre Père vous a donoé toutes les nations ; il vous
a donné toute puissance et dans le ciel et sur la terre ;
et cependant vous êtes méconnu, méprisé^ o0ènsé|
trahi. Qaand sera donc le jugement du monde en-
durci, et le jour de votre triomphe? Levez-vous,
levez-vous, ô Dieu ! jugez votre pi'opre cause -, brisez
Timpie du souffle de vos lèvres : délivrez vos enfans ^
justifiez-vous en ce grand jour à la face de toutes les
nations : c*est votre gloire et non la nôtrç que nous
cherchons.
Mon Dieu , je vous aime pour vous,, et non pour
moi. Je souffre ; je sèche de tristesse , voyant préva-
loir riniquité sur la' terre, et votre Évangile foulé
au£ pieds. Je aouffic, im m iitiini mnlgrif moi assur^
jetti à la vanité. Jusques à quand , Seigneur , laisse^
rez-vous votre héritage désolé? Revenez donc. Sei-
gneur Jésus ; réndez-nou&la lumière de votre visage.
Je ne veux tenir à aucune des choses qui m'environnent
ici-bas. Elles menacent toutes ruine prochaine. Ces
voûtes immenses des cieoz s'écrouleront dans les
abîmes ; cette terre copverte de péchés sera consu-
mée et renouvelée par le feu vengeur. Les astres
tomberont; leur lumière s'éteindra ; les élémens emr
brasés se confondront ^ lu nature entière sera boule**
versée. Â ce spectacle, que Timpie frémisse l Pour
moi,j,e m'écrie, ô Seigneur, avec amour et con-
fiance : Frappez; glorifiez-vous aux dépens de tout
ce qui blesse voère sainteté. Frappez sur moi ; ne
m'épargnez point pour me purifier et pour me
rendre digne de vous. Hélas! ce moiide insensé n'est
occupé que du moment présent qui échappe. Tout
102' POUR L AVBBTT.
ceci va périr, et on veat en joatr commç s*il devoit
être e'ternel. Le ciel et la terre passeront comme la
fumée ; votre parole seule demeuré éternellement.
O vérité, on ne vous connott point. Le mensonge
est adoré; il remplit tout le coeur de Thomme. Tout
e^t faux, tout est trompeur. Tout ce qui se voit, tout
ce qui se touche, tout ce qui est sensible, tout ce
qui est mesuré par le temps, n*est rien. Faut- il que
ce vain fantôme soit cru si solide , et que l'immuable
vérité passe pour un songe? Hé! Seigneur, -pour-
quoi souffrez-vous cet enchantement? La terre en-
tière est plongée dans le sommeil de la mort : ré-
veillez-la par votre lumière. Pour moi, \e ne veux
que vous ; je n'attends que vous : je regarde la foudre
prête 1^ parHr Hp voiro tnmii ptMtr écraser les hommes
superbes, et pour venger votre patience méprisée.
Loin de craindre la mort, je La regarde comme la
délivrance de vos enfens/Oui, Seigneur^ nous mour-
rons ; le charme funeste se rompra tout*à-coup. Vous
ne serez plus offensé; je vêts aimerai; je n'aimerai
que vous : je ne m'aimerai plus moi-même. O que
f'aime votre avènement! Déjà , selon votre prépepte,
je lève ma tête pour aller au-devant de vous. Parlé
transport de mon amour je m'élance au*devant du
Seigneur, comme votre apôtre Pierre me Fa enseigné.
Je suis foible, misérable, fragile, il est vrai ;• j'ai tout
à craindre si vous me jugez dans la rigueur de votre
justice ; j'en conviens : mais plus je suis fragile , plus
îe conclus que la vie est un danger et que la mort
est une grâce.
O Seigneur, ôtez le péché; venez régner en moi ;
arrachez-moi à moi-même^ et je serai pleinement à
poun l'avert. io3
vous. T]é! qn'ai-je à faire sur la teiTe?Que puis* je
dësîra: dans cette vallée de larmes y où le mal est au
comblé y et où le bien est si imparfoit? Rien que
votre volonté ne. peut m*y retenir. Je n*aime rien de
tout ce que je vois ; je ne veux point m*aimer moi*
même. Venez, Seigneur, ô mon amour!
IT. Pour le JOua desàiitt Thomas.
O mon Dieu, ouvrec^moi les yeux; élargissez
mon coeuv, pour *me faille comprendre e.t sentir les
dons qtfe vous avez mis dans cet apAtré; Esprit qui
l'avez envoyé, qui 4'avez conduit , ^i Tavez rempli,
remplissezrmoi , ' înspîf êz-mot , tiaueforuioB moi en
une créature nouvelle. O Père des lumières et des
miséricordes, voi]^ feites des hoinmes ce qu'il vous
plaît. Us semblent d'être plus hommes dès que vous
parlez. Quel estdonccet homme foible, timide, vil
selon le monde,. pauvre, grossier, ignorant? Où va-
t-il7 Que prétend-il faire? Ghangerla face des nations
les plus éloignées, vaincre par la seule vérité les
peuplées 'JQsques auxquels les rois conquérans n'ont
jamais péiiétré par leurs armes ; découvrir un nou-
veau monde pour y porter une nouvelle loi. Entre-
prendre de telles choses çur le monde, c'est être bien
mort à- sa propre sagesse ; c'est être bien enivré de la
folie de la croix. Cest ainsi. Esprit destructeur , que
vous anéantissez dans vos parfiiits enfans toute sa-
gesse, tout esprit propre, toute rjègle humaine, tout
moyen raisonnable. Vous appelez ce qui n'est pas,
pour confondre ce qui est. Vous yous plaisez à choi-
I
I
la4 POUB LE JOUR
sir ce qui est le plus vil, pour faire aux yeux du
monde surpris ce qui est le plus gi*and et le plus im-
possible. Vous êtes jaloux de la gloire de votre ou-
vrage; et vous ne le voulez fonder que sur le néant.
Vous creusez )usqu*au néant pour le fonder, comme
les hommes sages dans leui^ bâtimeas creusent jus-
qu'au rocher ferme; Creusez donc en moi , ô mon
Dieu , jusqu'à Tanéantissement de tout moi-même.
Esprit destructeur, renversez, mettez tout en dés-
ordre; n'épargnez aucun arrangement humain; dé-
faites tout pour tout refaire. Que votre créature soit
toute nouvelle, et qu'il ne reste aucune trace de
l'ancien plan. Âlo^, ayant tout effacé, tout défiguré,
tout réduit à un pur néant , je deviendrai en vous
toutes choses parre quo joue •craî'plutf en mol rien
de fixe. Je n'aurai aucune consistance ; mais je pren-
drai dans votre main toutes les formes qui convien-
dront à vos desseins. C'est par^l'anéantissement de
mon être propre et borné, que j*entrerai dans votre
immensité divine. O qui le comprendra ? O qui me
donnera des âmes qui aient le goût et l'attrait de la
destriibtion? Si peu que l'on réserve, on demem*e
borné. Quelque bonne que paroisse la réserve^ quand
c'est à l'égard de Dieu qu'on la fait, c'est un larcin ;
car tout lui e&t dâ , puisque tout vient de lui. Plus
les dons sont purs, plus il est jaloux de ne nous les
point laisser posséder en propre. Il n'y fi dope que
l'entière destruction qui nous rende ses vrais in-
strumens.
Faites de moi , Seigneur, comme de Thomas votre
apôtre. Il étoit de ces hoâames anéantis , dont il est
dit qu'ils étoîeut livrés à votre grâce. Il n'étoit rien
DE S411ÎT THOMAS. lo5
ni par les ricbeBses, ni par la repu talion , ni par les
taleds, ni même par la vertu. G'étoit rinGrmité
méme> où vous avez pris plaisir de faire reluire votre
force. Il a porlé votre nom jusqu'au fond de TOrient
à ces peuples qui ëtoient assis dans la région de
Tombre de la mort , et qui n*avoieot pas même des
yeux pour voir la lumière. Le mondé, tout monde
qu'il est, critique, malin, Scandalise de tout, indo-
cile , endurci, faux, et trompeur jusqu'à se tromper
lui-même, dégo&té de la vérité qui lui est odieuse ,
amateur insensé du mensonge qui le flatte ; ce monde
n'a pas pu résiister à celui qui n'étott rien par lui-
même, et qui, par cet anéantissement, étoit tout en
Dieu. Dieu parle dans sa. chéttve créature; et* cette
parole, qui a tkil le'ffiOngg, le icuuufLllc. O^ mon
Dîea ! je Fentend^ , et je tressaille de joie au Saint-
Esprit en le comprenant : vous l'avez caché aux
grands et aux sages, jamais ils ne l'entendront; mais
vous le révélez, aux simpleset aux petits. Tô^t con-
siste à s'appetisser et à s'anéantir. Tandis qu'on est
encore quelque chose, oïl n'est .encore rien, on n'est
encore propre à rien ; ce qui reste même de plus
caché, même de meilleur en apparence> résiste à
tout ce que Dieu veut faire, et arrête sa main tgute-
puissante.
Mais quelle étendue cette vérité n'a-t-elle point!
Hélas ! où est l'ame courageuse qui veut bien n'être
rien , et qui. laisse tout tomber, tout perdre, ialens ,
esprit, amitiés, réputation, honneur, vertu propre?
Où sont-elles ces âmes de foi? On fait comme Tho-
mas incrédule ; on veut voir, on vent toucher, on
veut s'assurer des dons de Jésus-Christ et de son
I06 POU& LE lOlÏR DE SAINT TH0MÀ8.
avancement ; mais bienheureux ceux gui croient
sans voir (0, et qui adorent Dieu en esprit et eh vé-
rité par le sacrifice d^holocauste , qui est la perle to-
tale de tout ce qui est en nous ! Voilà ce qui fait la
vie apostolique, transformée en Jéâus-Christ.
III. POUE LE JOUR DE NOEL.
Je vous adore y enfant Jésus, nu , pleurant, et
étendu dans la crèche. Je n*aime plus que votre en-
fance et votre pauvreté. O qui me donnera d'éti^e
aussi pauvre et aussi eufant que vous ! O Sagesse éter-
nelle, réduite à l'enfonce ! ôtez-moi ma sagesse vaine
et présomptueuse; fieiites-moienfantavec vous. Taisez-
vous , sages de la terre ; je ne veux rien être *, je ne
veux rien savoir ; je veux tout croire ; je veux tout
souffrir ; Je yeux, tout perdre jusqu'à mon propre ju-
gement.
Bienheureux les pauvres,mais les pauvres d'esprit,
que Jésus ^ faits semblables à lui dans sa crèche, et
qu'il a dépouillés de leur propre raison! O hommes
qui êtes sages dans vos pensées, prévoyans dans vos
desseins , composés dans vos discours , je vous crains;
votre grandeur m'intimide, comme les enfans ont
peur des grandes personnes. Il ne me faut plus que
des enfjams de la sainte enfance. Le Verbe fait chair,
la Parole toute-puissante du Père se tait, bégaie,
pleuré, pousse, des cris enfantins; et moi je me pi-
querai d*être sage , et je me complairai dans les ar^
POUft L£ JOUA DB NOËL. IO7
rangemens que fait mon esprit , et je craindrai qne le
monde n*ait point une assez haute idëe de ma capa*
cité! Non y non; je serai de ces heureux enfans qui
perdent tout pour tout gagner^.c^ui ne se soucient
plus de rien pour eux-mêmes , qui comptent po^r rien
qu*on les méprise , et qu'on ne daigne point se fier à
leur discernement. Le monde sera grand tant qu'il
lui plaira; les gens de bien même, à bonne intention
et par le zèle des- bonnes œuvres, croîtront chaque
jour en prudence, en prévoyance, eh mesures, en
éclat de vertu : pour moi, tout mon plaisir sera de
décroître, de m'appetisser, de m'avilir , de m'obscur-
cir, de me taire, de consentir à être imbécile et à pas-
ser pour tel; de joindre à Fopprobre de Jésus crucifié
rioapuissance el le Dégalemebt'^'JgSus- enfant. On
aimeroit mieux mourir av^c lui dansles douleurs ,
que de se voir avec lui emmaillotté dans le berceau.
La petitesse fait plus d*horreur que la mort, parce
que la mort peut être soufierte par un principe de
courage et*de grandeur; mais n'être plus compté
pour rien, comme les enfans, et ne pouvoir plus se.
compter soi-même ; retomber dans L'enfance, comme
certains vieillards décrépits dont les enfans dénatu-
rés se jouent ; et voir d'une vue claire et pénétrante,
toute la dérision de cet état ; c'est le plus insuppor-
table supplice pour une ame grande et courageuse,
qui se consoleroit de tout le reste par son courage et
par sa sagesse. O sagesse j ô courage, ô raison, ô
vertu propre ! vous êtes la dernière chose dont l'ame
mourante à elle-même a plus de peine à se dépouil-
ler. Tout le reste qu'on quitte ne tient presque pcrint;
ce sont des habits qui se lèvent du bout du doigt , et
lo8 POUR LE JOUR DE NOËL.
qui ne lienoent point à nous : mais nous ôter cette
sagesse propre^ qui fait la vie la plus intime de Famé,
c^est an^acber la peau , c'est nous écorchèr tout vifs,
c*es.t nous déchirer jusque dans la moelle des os. Hé-
las! j'entends ma raison qui me dit : Quoi donc, faut-
il cesser d*être raisonnable ? Faut-il devenir comme
les fous qu'on est contraint de renfermer? Dieu n*est-
il pas la sagesse même? La nôtre ne vient-elle pas de
la sienne, et par conséquent ne faut-il pas que nous
la suivions? Mais il y a une extrême différence entre
être raisonnans et être raisonnables. Nous ne serons
jamais si raisonnables que quand nous cesserons
d*étre si raisonnans. En nous livrant à la pure raison
de Dieu y que la nôtre foible et vaine ne peut com-
prendre, liuus serons. délivrés de notre sagesse, éga-
rée depuis lepécLé, incertaine , courte et présomp
tueuse ; ou plutôt nous serons délivrés de nos erreui^
de nos indiscrétions, de nos entétemens. Plus une
personne est morte à elle-même par l'esprit de Dieu ,
plus elle est discrète sans songer à l'être : car on. ne
tombe dans Tindiscrélion que par vivre encore à son
propre esprit, à ses vues et à ses inclioations naturelles;
c'est .qu'on veut, qu'on pense et qu'on parle encore
à sa mode. La mort totale de notre propre sens fer oit
en nous la vraie et la consommée sagesse du Verbe
de Dieu. Ce n'est point par un effort de raison au de-
dans de nous que nous nous élèverons au-des-
sus de nous-mêmes; c'est au contraire par l'anéan-
tissement de notre propre être, et surtout de notre
propre raison, qui est la partie la plus chère à
l'homme, que nous entrerons dans cet être nouveau,
où, comme dit saint Paul, Jésus-Chri^it fait notre vie,
POUH I.B JOUa DE KOEl. lOQ
notre justice et notre sagesse. Noas ne nous égarons
qu^à force de nous conduire par nous-mêmes. Donc
nous ne serons à Tabri de Tégarement qu*à force.de
nous laisser conduire, d^étre petits ^ simples, livrés à
TEsprit de Dieu, souples et prêts k toute sorte de
mouvemens , n*ayant aucune consistance propre, ne
résistant à rien , n*ayant plus de volonté , plus de ju-
gement, disant naïvement ce qui nous vient, et
n*aimant qu*à céder après Tavoir dit. Cest ainsi
qu^un petit enfant se laisse porter, reporter, lever,
coucher ; il n^a rien de caché , rien de propre. Alors
nous ne serons plus sages, mais Dieu, sera sage en
nous et pour nous. Jésus-Christ parlera en nous, pen-
dant que nou^ croirons bégayer. O Ïésu3 enfant , il
n y a que les enfaos qui puissentxégner avec vous.
IV. POUK LB JOUR DE SMNT JbÀS lÉvAUGÉLISTE:
«
O Jésus, je désire me reposer avec. Jean sur vo-
tre poitrine, et me nourrir d*amôur en mettant mon
cœur sur le vôtre. Je veux être, comme le disciple
bien-aimé, instruit par votre amour. Il disoit, ce-
disciple, pour Tavoif éprouvé, que V onction ensei-
gne toutes choses {^). Cette onction intérieure de vo-
tre^ EIsprit instruit dans le silence. On aime, et ou sait
tout ce qu*il faut savoir ; on goûte', et on n*a besoin
de rien entendre. Toute parole humaine est à charge
et ne fait que distraire , parce qu'on a au dedans la
parole substantielle qui nourrit le fond de l'ame. Ou
t») / Jean. II. 37.
I lO POUR LE lOUE
trouve en elle toute vérîtë. Oq ne voit plus qq'une
seule chose, ({ui est la vérité simple et universelle ;
c est Dieu , devant qui la créature , ce rien trompeur,
disparoît et ne laisse aucune trace de son mensonge.
O amour, vrai docteur des âmes, on ne veut point
vous écouter : on écoute de beaux ' discours , on
écoute, sa propre raison ; maisje vrai mattre, qui en-
seigne sans raisonnemens et sans paroles, n'est point
écouté*. On craint de lui ouvrir son cœur; en ne
le lui offre qu'avec réserve ; on craint qu'il ne parle
et ne demande trop. On voudroit bien le laisser
dire , mais à condition de ne prendre ce qu'il diroi t
que suivant la mesure réglée par notre sagesse :
ainsi ce seroit notre sagesse qui jugeroit celui qui
doit la juger.
O amour, vous voulez des âmes livrées à vos trans-
ports, ^es âmes. qui ne craignent point, non plus que
les apôtres, d'être insensées aux yeux du monde. Il
ne suffit pas, ô divin Esprit, de se remplir de vous ,
il faut en être enivré. Que n'apprendr oit-on point
sans raisonnement, sans science, si on ne consultoit
plus que le pur amour, qui veut tout pour lui, qui
ne laisse rien à la créature , çlqui met seul la vérité d u
règne de Dieu dans le fond de l'ame ? L'amour décide
dans tous les cas , et ne s*y trompe point ; car il ne
donné rien à l'homme, et rappoiie tout k Dieu seul.
G estun feu consumant, qui embrase tout , qui dévbre
tout, qui anéantit tout , qui fait desaVictime le parfait
holocauste. O qu'il fait bien connottre Dieu ! car il ne
laisse plus voir que lui, mais d'une vue bien différente
de celle des hommes, qui ne le considèrent que dans
une froide et sèche spéculation* Alors on aime tout ce
DB S. JEAir L éVÀJIG. 111.
qu'on voit, et c'est Tamour qui doane des yeux per*
çans poar le voir. Un moment de paix et de silence
&it voir plus de merveilles que les profondes réflexions
de tous les savans.
Mais encore, ô Amour, comment est-ce que vous
enseignez tontes choses, vou^ qui. n en pouvez souf-
fiir qu'une seule, et qui fermez les yeux à tout le
reste, pour les attacher immuablement àun seul ob*
jet ? O f entends ce secret ! c'est que la vraie manière de
bien savoir tout le reste, pendant cette vie, est de l'i-
gnorer par mépris. On sait de Dieu ce qu'on en peut
savoiir, en sachant qu'il est tout : on sait de la créature
entière tout ce qu'il en faut savoir, en sachant qu'elle
n'est rien. Voilà donc la toute^cience, inconnue' aux
savans du siècle, et réservée «aux pauvres d^esprit
instruits par l'onction du pur amour : ils pénètrent
au fond tout ce qui est créé en ne daignant pas
même y faire attention , ni ouvrir les yeux pour le
voir. Qu ipQiporte qu'ils ne sachent point raisonner sur
Dieu ! Ils savent l'ciimer , c'est assez. Bienheureuse
science, qui éteint toute curiosité, qui rassasie l'ame
de*la vérité pure, qui non-seulement lui montre
toute la vérité en l'occupant de Dieu, mais-qui porte
cette vérité simple .et unique dans le fond de cette
ame, pour n'être plu$ qu'une même cho$e avec elle.
Hélas! combien.de grands docteurs qui ne voient
goutte croyant tout savoir! Ils ne veulent rien igno-
rer, ni sur Ja nature des divers êtres, ni sur leurs pro-
priétés, ni sur l'ordre de l'univçrs, ni sur l'histoire
du genre humain, ni sur les ouvrages des hommes, ni
sur les arts qu'ils ont inventés , ni sur leurs diverses
langues ) ni sur les règles de conduite qails ont en-
112 POUm LB JOta DE s. JEÂlf L ÉTÀirG.
•
Ire eux. O qa*ilà seroîent dégoûtés de toates ces re-
cherches curieases , s*i1s coDnoissoientbien Hiomme!
S'amuse- t-on à un ver de terre? et le néant même
n'est-il pas encore plus indigne de nous occuper 7 Hé!
que peut-on apprendre de ce qui n'est rien 7 II njy a
qu>'une seule vérité infinie, qui absorbe tout, et qui
ne laisse aucune curiosité hors d'elle : tout le reste
n'est que néant, et par conséquent mensonge. Qa*on
s'instruise pour le besoin des conditions, c'est bien
fait : mais qu'on croie savoir quelque cliose quand
on ne sait que ce rien ; qu'on espère en orner son
esprit, .qu'on cherche à le nourrir et à le satisfaire
en l'occupant de la créature vaine et creuse : ô folie !
ô ignorance de ceux qui veulent tout savoir !
O Jésus ,. je n'ai plus d'autre docteur que vous ,
plus d'autre livre que* votre poitrine. Là j'apprends
tout en ignorant tout , et en m'anéantissant moi-
même. Là je vis de la même vie dont vous vivez dans
le sein de votre Père. Je vis d'amottr; l'amour fait
tout en moi. Ce n'est que pour l'amour, que je suis
créé; et je ne fais ce que Dieu a prétendu que
je fisse en me créant, qu'autant que j'aime.. Je sais
donc tout^ et je ne veui^ plus savoir que vous.
Taisez-vous, monde curieux e,t sage; j'ai trouvé
sur la poitrine de Jésus l'ignorance et la folie de
sa croix , en comparaison de laquelle tops vos talens
ne sont qu'ordure : méprisez-moi autant que je vous
méprise..
POUa LE JOVR DB LÀ CIACOIfCiSlOirv Al3
y. Pour le jovh m la Cmcoircision .
0 Jésus y je voas adore sous le couteau de la cir-
concision. Que je vous aime dan& cette abjection et
dans cette foibiesse! Je vous vois tout couvert de
honte y mis au rang des pécheurs , assujetti à une loi
humiliante, soulTrant de vives douleurs , et répan-
dant déjà , dès les premiers jours de votre enfance ,
les prémices de ce sang qui sera sur la croix le prix
du monde entier.
Vous n'entres donc dans le monde que pour souf-
frir. Vous y prenez d*abord le nom de Jésus , qui si-
gnifie Sauveur ; et c^^st-pour aauvar le& pécheurs que
vous vous mettez au nombre des pécheurs souflTrans.
Avec quelle consolation , ô enfant Jésuâ , vois-je cou-
ler vos larmes et votre sang ! C'est ici le commence-
ment du mystère de douleur et d'ignominie. O pré-
cieuse victime ! vous croîtrez ] mais vous ne crottrez
que pour faire croître avee vous les marques de
votre amour. Vous ne retardez votre sacrifice que
pour le rendre plus grand et plus ligoureux.
Mais hélaSy ô Jésus ! que vois-je dansvosdoujeurs?
Est-ce un objet qui doive exciter en moi une com-
passion tendre ? Non , car c'est sur moi , et non sur
vous , que je dois pleurer. Je ne puis considérer vos
humiliations et vos souffrances, sans apercevoir aussi-
tôt que vous ne vous humiliez et ne soufirez que pour
mes besoins. C'est pour expier mes péchés d'orgueil
et de mollesse , c^est pour m'enseigner à souffrir et à
porter la confusion que je mérite. La nature vaine
F^MÉLOV. xviii. 8
Il4 POUA 1.B JOua
et lâche fi*émit à la vue de son Sauveur qui est
anéanti et souffrant; elle se sent écrasée par Tauto-
rite de cet exemple ; elle demeure sans excuse.
Il faut donc préparer son cœur à la confusion et à
Tamertumeé Oui , je le veux , ô Jésus ! Je prends la
croix pour marcher après vous. Qu'on me méprise,
on aura raison; le mépris que fai pour moi n'*est
sincère qu'autant qu'il me fait consentir à être mé-
prisé par les autres. Quelle injustice de vouloir que
ce qui nous parott bas et indigne éblouisse notre
prochain! Je me livre donc, ô Jésus, à tout oppro-
bre que vous m'enverrez, je n'en refuse aucun , et il
n'y en a aucun que je ne mérite. O ver de terre , est*
ce à toi que l'honneur est dû ? O ame pécheresse ,
qu'as-tu ménté sinon d*ctre la balayure-<lu monde ?
Puis-je jamais être mis trop bas, moi qui ne suis par
ma nature que néant, et par ma propre volonté q^e
péché? Anie vaine, et ingrate à ton Dieu, porte
donc sans murmurer la confusion qui est ton partage.
Plus d'honneur, plus de bienséance, plus de réputa-
tion. Tous ces beaux noms doivent être sacrifiés à un
Sauveur rassasié d'opprobres. Qu'as-tu en toi qui ne
demande l'humiliation? Est-ce ton orgueil? Hé! c'est
ton orgueil même qui te rend encore plus misérable
et plus indigne de tout honneur.
Mais hélas! ô Jésus, qu'il y a loin entre les senti-
mens généraux d'humiliation , et la pratique! On sa^
lue la croix de loin, mais de près on en a horreur. Je
vous promets maintenant de marcher sur les traces
sanglantes que vous me laissez : mais quand l'oppro-
bre et la douleur de la croix parottront, tout mon
courage, m'abandonnera. Alors quels vains prétextes
de bienséance ! quelles délicatesses honteuses! quelles
QE LA ciacoiTcisioir. Il5
jalousies diaboliques ! Mon Dieu, je parle magnifi-*
quement de la croix , et je n'en veux'connottre que
le nom ! je la crains, je la fuis, sa vue seule me dé-
sole. Qu'avez-vous , 6 mon ame? D'où vient que
vous murmurez , que vous tombez dans le découra-
gement, que vous allez mendier chez tous vos amis
un peu de consolation? Ah ! c'est que Dieu m'humi-
lie et me charge de croix. Hé] n'est-ce pas ce que
vous lui avez promis d'aimer 7 Qu'avez-vous donc ?
qu'est-ce qui vous trouble? Le Chrétien doit-il être
hors de lui quand il a ce qu'il a voulu , et qu'il est
fait semblable à Jésus souQrant? O Jésus enfant!
donnez-moi la simplicité de votre enfance dans la
douleur. Si je pleure , si je gémis, qu'au moins je ne
résiste jamais à votre main CTutifiaute* -Gtnipez jus-
qu'au vif; brûlez^ brûlez: plus je crains de souffrir,
plus j'en ai besoin.
VI. Pour le jour de l'Epiphanie.'
Mon Dieu, je viens à vous , et je ne me lasse point
d'y venir; je n'ai rien en moi, et je trouve tout en
vous seul. O que je suis pauvre ! ô que vous êtes ri-
che ! Mais qu'ai-je besoin d'être riche, puisque vous
Têtes pour mol? J'adore vos richesses éternelles ;
j*aime ma pauvreté -, je me complais à n'être rien de-
* van t vous. Donnez-moi aujourd'hui votre Esprit pour
contempler votre saint fils Jésus adoré par les Mages.
Je l'adore avec eux.
Ces Mages suivent l'étoile sans raisonner, eux qui
sont si sages ; ils cessent de Têti^e pour se soumettre
1 l6 TOUR LE JOUR
à une lumière qui surpasse la leur. ÏIs comptent
pour rien leurs commodités^ leurs affaires, les dis-
cours du peuple. Que peut-on penser d'eux? Us
vont sans savoir où. Qu'est devenue la sagesse de ces
hommes qui gouveinioient les autres? -Quelle crédu-
lité! quelle indiscrétion ! quel zèle aveugle et fana-
tique ! C'est ainsi qu'on devoit parler contre eux en
les voyant partir. Mais il ne comptent pour rien, ni
le mépris des hommes, ni leur réptftation foulée aux
pieds , ni même le témoignage de leur propre sagesse
qui l«ur échappe. Ils veulent bien passer pour fous,
et n'avoir pas même à leurs propres yeux de quoi se
justifier. Ils entreprennent un long et pénible voyage
sans savoir ce qu'ils trouveront. Il est vrai qu'ils
voient uno étoile csLiraordînatrc) mais combien y
a-t-il d'autres honmies instruits du cours des astres à
qui cette étoile ne parott avoir rien de surnaturel !
Eux seuls sont éclairés et touchés par le fond du
cœur. Une lumière intérieure de pure foi les mène
plus sûrement que celle de Tétoile. Après cela , il
ne faut plus s*étonner s'ils adorent sans peine un pau-
vre enfant dans une crèche. O qu'ils sont devenus
petits ces grands de la terre ! Que leur sagesse est
confondue et anéantie! Est-ce donc là, ô Mages,
ce que vous êtes venus adorer du fond de l'Orient ?
Quoi, un enfant qui tette et qui pleure! Il me sem-
blé que je les entends répondre : C'est la sagesse de
Dieu qui aveugle la nôtre. Plus l'objet semble mé-'
prisable, plus il est digne de Dieu de nous abaisser
jusqu'à l'adorer. O Mages, il faut que ^ous soyez dé-
venus vous-mêmes bien enfans pour trouver le vrai
Dieu dans Tenfant ^(ésus!
OE l'ÉPIPHAKIE. Il']
Mais qui me donnera cette sainte enfance, cette
di/ine folie des Mages? Loin de moi la sagesse impie
et maudite d'Hérode et de la ville de Jérusalem ! On
raisonne y on se complaît dans sa sagesse , on se rend
juge des conseils de Dieu, on craint même de voir ce
qa'on ne peut pas connottre. O sagesse hautaine ei
profane, je te crains, Je t'abhorre; )e ne veux plu»
tVcouter. Il n'y a plus que l'enfance de Jésus que je
prétends suivre. Que le monde insensé en dise tout
ce qu'il voudra; qu'il s'en scandali&e même : malheur
au monde à cause de ses scandales! C'est l'opprobre
et la folie du Sauveur que j'aime. Je ne tiens plus à
rien. Nul. respect humain, nulle crainte des r^il*
leries et de la censure des fànx sages ; les gens de
bien même, qui soat «booi*« trop humainement en-
foncés par sagesse en eux-mêmes , ne m arrêteront
pas. Quand je verrai l'étoile, je leur dirai, comme
saint Paul aux fidèles encore trop attachés aux bien-
séance's mondaines et à leur raison : F'ous êtes sa'-
ges en Jésus-Christ ; et nous, nous sommes insensés
en lui (0-
Heureux dessein ! Mais comment Taccomplir 7 O
vous. Seigneur qui l'inspirez, faites que je le suive :
TOUS qui m'en donnez le désir, donnez-moi aussi le
courage de l'exécuter. Plus d'autre lumière que celle
d'en haut; plus d'autre raison que celle de sacriGer
tous mes raisonnemens. Tais-toi, raison présomp-
tueuse; je ne te puis souffrir. O Dieu, vérité éter-
nelle, souveraine et pure raison, venez être l'unique
Faîson qui m'éclaire dans les ténèbres de la foi..
(0 / Cor, iT. lo.
ii8 sua ïsk coNYBasioif
%
yil. SvB LÀ CoayEBSiov de sAiiiT Paul.
Je viens à vos pieds ^ ô Seigneur Jésus , plus
abattu que Saul ne le fat aux portes de Damas.
C'est votre main qui me renverse; j'adore cette
main, c'est elle qui fait tout. O toute-puissante
main, ma joie est de me voir à votre discrétion.
Frappez, renversez, écrasez. Je viens, ô mon Dieu,
sous celte main terrible et miséricordieuse. En me
renversant éclairez-moi , touchez-moi , coi^vertissez-
moi comme Saul. Mon preinîer cri dans cette chute
c'est de dire : Seigneur^ que voulez-vous que je
fasse (i)7 O que j'aime rp cri ! Il comprend tout j il
renferme lui seul toutes les plus parfaites prières et
tontes les plus hautes vertus. Avec le mattre point
de conditions ni de bornes : Que voulez-vous que Je
fusse? Je suis prêt à tout faire et à ne rien faire, à
ne vouloir rien et à vouloir tout, à souffrir sans con*
solations et à goûter les consolations les plus douces.
Je ne vous dis point ; O mon Dieu, je ferai de grandes
austérités, des renoncemens difficiles, des chan-
geméns étonnans dans ma conduite. Ce n'est point à
moi à décider ce que je ferai. Ce que je ferai , c'est
de vous écouter et d'attendre la loi de vous. Il n'est
plus question de ma volonté; elle est perdue dans la
vôtre. Dites seulement ce que vous voulez ; car je
veu^ tout ce qu'il vous platt de vouloir. Non^seule-
ment pénitences corporelles, mais humiliations de
l'esprit, sacrifices de santé, de repos, d'amitié, de
(0 Au. IX. 6.
DE SAllfT PAUL. 1 I9
réputation, de consolation intérieure, de paix sen*
sibfe, de vie temporelle, et même de ce soutien in-
térieur qui est un avant-gOût de Téternité, tout cela
est entre vos mains. Donnez, ôtez, qu^importe?
Faites, Seigneur, et ne me consultez jamais. Hfe me
montrez que vos ordres, et ne me laissez qu'à pbéir«
Qu*en quelque épreuve amèi*e et douloureuse oii
TOUS me mettiez , il ne me reste que cette ^enle
parole : Que vouléz-^vous? Renversez-moi, comme
Saul, dans la poussière, à la vue de tout le genre
htimain ; mais renversez-moi en sorte que je ne puisse
me i:elever. Aveuglez-moi , comme lui; i^procbez-
moi meà infidélités ; je veux bien qu'on les sache , et
je dirai volontiers, comme Saul, à la face de toutes
les Églises : J*ai été infidâla^ impie » blasphémateur,
persécuteur de Jésus-Christ. Il m'a conveiti pour
ranimer l'espérance des pécheurs les plus endurcis,
et pour donner un exemple touchant de la patience
avec laquelle il attend les âmes les plus égarées.
Venez donc me.voir, ô vous tous qui oubliez Dieu,
qui violez sa loi, qui insultez à la vertu; venez et
voyez cette main charitable qui m'aveugle pour
m'éclairer, et qui me renverse pour me relever.
Venez admirer avec moi cette miséricorde qui se
plaît à éclater dans l'abtme de mes miisères. Seigneur,
loin de murmurer dans ma chute, je baise et j^adore
la main qui me frappe. Voulez-vous me faire tomber
encore plus bas? je le veux si vous le voulez; Que
vouleZ'-vous que je fasse?
Je sens , ô mon Dieu , la vérité et la force de cette
parole : // est dur de regimber contre VaigidUon. O
qu'il est dur de résister à l'attrait intérieur de votre
122 SUE LA COH VERSION
même ! Non, je ne pourrois plus me souffrir ni es-
pérer en vous, si je ne voyois Saul incrédule , blas-
phémateur, persécutant vos saints , dont vous faites
un vase d'élection. Il tombe impie perséciAeur, et il
se relève Thomme de Dieu. O Père des miséricordes^
que vous êtes bon ! La malice de Tbomme ne peut
égaler votre bonté jpaternelle. Il est donc vrai que
vous avez encore des trésors de grâces et de patience
pour moi y pauvre pécheur, qui ai tant de fois foulé
aux pieds le sang de votre Fils. Vous n'êtes pas en-
core lassé de m'atténdre, ô Dieu patient , ô Dieu qui
craignez de punir trop tôt, ô Dieu qui ne pouvez
vous résoudre h frapper ce vase d'argile formé de vos
mains. Cette patience, qui flattoit mon impatience
et ma lâcheté*, m'attendrit. Hélas ! serai-je donc tou-
jours méchant, parce que vous êtes bon? Est-ce à
cause que vous m'aimez- tant, que je me croirois dis-
pensé de vous aimer ? Non^ non, Seigneur, votre pa-
tience m'excite : je ne puis plus me voir un seul mo^
ment contraire à celui qui me rend le bien pour le
mal ; je déteste jusqu'aux moindres imperfections; je
n'en réserve rien : périsse tout ce qui retarde mon
.sacrifice ! Ce n'est fins ce demain d'une ame lâche
qui fuit toujours sa conversion; aujourd'hui, au-
joûrd'hui ; ce qui me reste de vie n'est pas trop long
pour pleurer tant d'années perdues : je dis comme
Saul : Seigneur, que voulez-vous que je fasse?
Il me semble que je vous entends me répondre : Je
veux 'que tu m'aimes, et que tu sois heureux en m'ai-
mant : Aime, et fais ce que tu voudras ; car, en ai-
mant véritablement , tu ne feras que ce que le pur
amour fait faire aux âmes détachées d'elles-mêmes ;
DE SÀIRT PAUL. ia3
tu in*aimerasy ta me feras aimer , tu n auras plus
d'autre volonté que la mienne. Par là s'accomplira
mon règne ; par là je serai adoré en esprit et en vé-
rité ; par là tu me sacrifieras et les délices de la chair
corrompue y et.Forgueil de Tesprit agité par de vains
fantômes ;. le monde entier ne sera plus rieu pour
toi ; tu ne voudras plus être rien^ afin que je sois moi
seul toutes choses. Voilà ce que je veux que tu fasses.
Mais comment le ferai-je. Seigneur? cette œuvre est
au-dessus de l'homme. Ah! vous me répondez au
fond de mon cœur : Homme de peu de foi j regarde
Saul y et ne doute de rien ; il te dira : Je puis tout
en celui qui me fortifie (0. Lui qui ne respiroit que
sang et carnage contre les Eglises, il ne respire plus
que l'amour de Jésus-Christ ; c'est Jésus-Christ qui
vit triomphant dans son apôtre mort à toutes les
choses humaines. Le voilà tel que Dieu l'a fait; la
même main te fera tel que tu dois être.
IX. POUA LE J0tl& DE LA PURIFICATION.
Q Jésus , vous êtes offert aujourd'hui dans le
temple ; et la règle, qui n'est faite que pour les en^
fans des hommes, est accomplie par le Fils de Dieu*
O divin enfant , souffrez que fe me présente avec
vous. Je veux être, comme vous, dans les mains
pures de Marie et de Joseph ; je ne veux plus être
qu'un même enfant avec vous, qu'une même vie*
time. Mais que vois-je ? on vous rachète comme ori
rachetoit les enfans des pauvres ; deux colombes sont
le prix de Jésus. O &oi immortel de tous 1^ siècles !
(O Philip, IV. i3. •
1^4 POUR LE JOUA
bientôt vous n'aurez pas même de lieu oh vous puis-
siez reposer votre tête. Vous enrichirez le monde de
votre pauvreté , et déjà vous paroissez au temple en-
qualité de pauvre* Heureux quiconque se fait pauvre
avec vous ! Heureux qui n'a plus rien , et qui ne vevt
plus rien avoir I Heureux qui a perdu en vous et au>
pied de votre croix toute possession , qui ne possède
plus même son propre coeur, qui n'a plus de volonté
propre y qui, loin d'avoir quelque chose, n'est plus à
soi-même ! O riche et bienheureuse pauvreté! ôti^sop
inconnu aux faux sages ! ô nudité qui est au-dessus
de tous les biens les plus éblouissans ? Grâce à vous ,
enfant Jésus , je veux tout perdre , jusqu'à mon
propre cœur, jusqu'au moindre dékir propre, jus-
qu'aux derniers rester de ma volonté. Je cours après
vous, nu et enfant, comme vous l'êtes vous-même.
Je comprends assez , par l'horreur que j'ai de moi-
même, combien je suis une victime/impure et indi-
gne de votre Père. Je n'ose donc m'o0rir qu'autant
que je ne suis plus moi-même, et que je ne fais plus
qu'une même chose avec vous. O qui* le comprendra?
Mais il est pourtant vrai qu'on n'est digne de Dieu
qu'autant qu'on est hors de soi, et perdu en lui.
Ârrachez-moi donc à moi-même. Plus de retours
d'amour -propre, plus de désirs inquiets, plus de
crainte ni d'espérance pour, mon propre intérêt. Le
moij à qui' je rapportois tout autrefois, doit être
anéanti pour jamais. Qu'on me mette haut, qu'on
me mette bas; qu'on se souvienne de moi, qu'on
m^oublie ; qu'on me loue , qu'on me blâme ; qu'on
se fie à moi, ou qu'on me soupçonne même injus-
tement; qu'on me laisse en paix ,-ott qu'on me tra-
DE LA PORIFIGÀTIOlf. I&5
▼erse, qu'importe? ce n'est pins mon affaire. Je ne
suis plus à moi pour mr'intëresser à tout ce qu'on
me fait ; je suis à celui qui fait faire toutes ces
choses selon son plaisir : sa volonté se fait , et c'est
assez. S*il y avoit encore un reste du moi pour se
plaindre et pour murmurer, mon sacrifice seroit
imparfait. Cette destruction de la victime, qui doit
anéantir tout être propre, répond à toutes. les ré^
voltes de la nature.
Mais ce traitement qu'on me fait est injuste ; mais
cette accusation est fausse et maligne ; mais cet ami
est infidèle et ingrat ; mais cette perte de biens m'ac-
cable; mais cette privation de toute consolation
sensible est trop amère ; mais cette épreuve* oh Dieu
me met est trop violente; mais les gens de bieni de
qui j'attendois du secours, n'ont pour moi que de la
sécheresse et de l'indifférence ; mais Dieu lui-même
me rejette ,. et se retire de moi. Hé bien ! ame foible,
ame lâche , ame de peu de foi , ne veux-tu pas tout
ce que Dieu veut? Es-tu à lui ou à toi? Si tu es
encore à toi, tu as raison de te plaindre, et de cher*
cher ce qui te convient. Mais si tu ne veux plus être
à toi, pourquoi donc t'écouter encore toi-même?
Que te reste-t-il encore^-dtre en faveur de ce mal-
heureux moi , auquel tu a$ renoncé sans réserve et
pour toujours? Qu'il périsse; que toute ressource
lui soit arrachée , tant mieux ; c'est là le sacrifice de
yérité ; tout le reste n'en est qile Tombre. C'est par
là que la victime est Consommée, et Dieu digne-
ment adoré. O Jésus , avec qui je m'offre , donnez-
moi le courage de ne me plus compter pour rien ,
et de ne laisser en moi rien de moi-même !
i
126 POUR LE JOUR DE LA PURIFICÀTIOK.
Vous fûtes racheta par deux colombes;, mais ce
rachat ne vous délivroit pas du sacrifice de la croix
où vous deviez mourir : au contraire, votre présenta-
tion au temple étoit le commencement et les pré-
mices de votre ofTrande au Calvaire. Ainsi, Seigneur,
toutes les choses extérieures que je vous donne ne
pouvant me racheter , il faut que je me donne moi-
ïnéme tout entier , et que je meure sur la croix. Per-
dre le repos, la réputation, les biens, la vie, cen^est
encore rien; il faut se perdre soi-même, ne se plus
aimer, se livrer sans pitié à votre justice, devenir
étranger à soi-même , et n'avoir plus d'autre intérêt
que celui dei Dieu à qui on appartient.
Xr Poun LE Carême.
Mon Dieu, voici un temps d'abstinence et de pri-
vation. Ce n'est rien de jeûner des viandes grossières
qui nourrissent le corps, si on ne jeûne aussi de tout
ce qui sert d'aliment à l'amour-propre. Donnez-moi
donc, ô époux des âmes, cette virginité intérieure,
cette pureté du cœur , cette séparation de toute créa-
ture, cette sobriété dont parle votre apôtre, par la-
quelle on n'use d'aucune créature que pour le senl
besoin, comme les personnes sobres usent des viandes
pour la nécessité. O bienheureux jeûne^ où l'ame
jeûne toute entière, et tient tous les sens dans la
privation du superflu î O sainte abstinence, où l'am^
rassasiée de la volonté de Dieu , ne se nourrit jamais
de sa volonté propre! Elle a, comme Jésus-Christ,
une autre viande dont elle se nourrit. Donnez-le moi.
Seigneur, ce pain qui est au-dessus de toute sub-
POUR LE CAUÊME. 1%']
stance ; ce paki qai apaisera à jamais la faim de mon
cœur; ce pain qui éteint tous les désirs; ce» pain qai
est la vraie manne , et qui tient lieu de tout.
O mon Dieu y que les créatures se taisent donc
pour mol y et que je me taise pour elles en ce saint
temps ! Que mon ame se nourrisse dans le silence en
jeûnant de tous les vains discours ! Que je me nour-
risse de vous seul , et de la croix de votre fils Jésus !
Mais quoi y mon Dieu! &udra-t-il donc que je
sois dans une crainte continuelle de rompre ce jeûne
intérieur par les consolations que je goûterai. au de-
hors! Non y non, mon Dieu, vous ne voulez point
cette gêne et cette inquiétude. Votre Esprit est l'es-
prit d'amour et de liberté, et non celui de crainte et
de servitude. Je renoncerai donc à tout^ce qui n'est
point de votre ordre pour mon état, à tout ce que
j'éprouve qui me dissipe trop, à tout ce que les per^
sonnes qui me conduisent à vous jugent que Je dois
retrancher; enfin à tout ce que vous retrancherez
vous-même par les événemens de votre providence.
Je porterai paisiblement toutes ces privations. Voici
encore ce que j'ajouterai ; c'est que , dans les conver-
sations innocentes et nécessaires , je retrancherai ce
que vous me ferez sentir intérieurement qui n'est
qu'une recherche de moi-même. Quand je me senti-
rai porté à faire là-dessus quelque sacrifice , je le fe-
rai gaiement. Mais d'ailleurs, ô mon Dieu, je sais
que vous voulez qu'un cœur qui voiis aime soit au
large. Tagirai avec confiance comme un enfant qui
joue entre les bras de sa mère ; je me réjouirai devant
le Seigneur ; je tâcherai de réjouir les autres ; j'é-
pancherai mon cœur sans crainte dans l'assemblée
138 FOOR LE CABÊME.
des enfans de Dieu. Je ne veax que candeur, inno-
cence, joie du Saint-Esprit. Loin, loin , ô mon Dieu,
cette sagesse triste et craintive qui se ronge toujours
elle-même, qui tient toujours la balance en main
pour peser des atomes, de peur de rompre ce jeûne
intérieur ! Cest vous faire injure que de n*agir pas
avec vous avec plus de simplicité : cette rigueur est
indigne de vos entrailles paternelles. Vous voulez
qu'on vous aime uniquement ; voilà sur quoi tombe
votre jalousie : mais quand on vous aime , vous lais-
sez agir librement Tamour , et vous voyez bien ce
qui vient véritablement de lui.
Je je&nerai donc, ô mon Dieu, de toute volonté
qui n'est point la vôtre ; mais je jeûnerai par ambur,
dans la liberté et dans l'abondance de mon cœur.
Malheur à Tame rétrécie et'désséchée en elle-même,
qui craint tout y et qui, à force de craindre ^ n'a pas
le temps d'aimer et de courir généreusement après
l'Époux! •
O que le jeône que vous faites faire à l'ame sans la
gêner est un je&ne exact! Il ne reste rien au cœur
que le bien-aimé, et encore il cache souvent le bien-
aimé, pour laisser l'ame défaillante et prête à ex-
pirer faute de soutien. Voilà le grand jeûne, oîi
l'homme voit sa pauvreté toute nue , où il sent un
vide affreux qui le dévore ^ et où Dieu même semble
lui manquer, pour lui arracher jusqu'aux moindres
restes de vie en lui-même. O grand jeûne de la pure
foi y qui vous comprendra ? Où est l'ame assez coura-
geuse pour vous accomplir ! O privation universelle !
à renoncement à soi comme aux choses les plus
vaines du dehors ! O fidélité d'une ame qui se laisse
poursuivre
POUR LB CÀJliME. 119
poui'suivre $aos relâche par Tamour jaloux , et qui
souffre qae tout lui soit ôtë! Voilà , Seigneur, le sa-.
crifice de ceux qui vous adorent en esprit et en vé-
rité 'p c'est par ces épreuves qu'on devient digne de
vous. Faites, Seigneur -, rendez mon ame vide , affa-
mée , dé&iUante ; faites selon votre bon plaisir. Je
me tais ; fadore ; je dis sans cesse : Que votre volonté
se fasse , et non la mienne (0 !
XL Pour le Jeudi saoit.
Jésvs^ sagesse éternelle, vous êtes caché dans le
sacrement y et c'est là que je vous adore aujourd'hui.
O que j'aime ce jour, oii vous vous donnâtes vous-
même tout entier aux apôtres! Que dis-je, aux
apôtres? Vous ne vous êtes pas moins donné à nous
qu'à eux. Précieux don, qui se renouvelle de jour en
jour depuis tant de âècles, et qui durera sans inter^
ruption autant que le monde! O gage des bontés
du Père de miséricorde! ô sacrement de l'amour! ô
paia au-dessus de tonte substance! Gomme mon
corps se nourrit du pain grossier et corruptible,
ainsi mcm ame doit se nourrir chaque jour de Téter-
nelle vérité, qui s'est faite non-seulement chair pour
être vue , mais encore pain pour être mangée et pour
nourrir les enfans de Dieu.
Hélas ! où êtes-vous donc , ô sagesse profonde qui
avez formé l'univers? Qui pourroit croire que vous
fussiez sous cette vile apparence? On ne voit qu'un
peu de pain, et on reçoit, avec la ctiair vivifiant»
(*) Lue. xiii. 4**
FéKéLON. xviii. 9
iBifc POUR LE JEUDI SÀUTT.
d'avec elle-même, qui fait qu'elle ne se trouve ni
ne se possède plus, qui éteint toute ardeur, qui dé-
truit tout intérêt , qui anéantit tout retour sur soi !
Oamourl' vous tourmentez merveilleusement. Le
même pain descendu du ciel fait mourir et fait vi-
vre; il arrache l'ame à elle-même, et il la met en
paix ; il lui ôte tout , et il lui donne tout ; il lui ôle
tout en elle ; il lui donne tout en Dieu , en qui seul
les choses sont pures. O mon amour, ô ma vie, d
mon tout 1 je n'ai plus que vous. O mon pain ! je vous
mangerai tous les jours, et je ne craindrai que de
perdre ma nourriture.
XII. Poua L.B VbHDRBDI SAllVT.
Le mystère de la passion de Jésus-Christ est in-
compréhensible aux hommes. Il a paru un scandale
aux Juifs, et une folie aux Gentils (0. Les Juifs
étoient zélés pour la gloire de leur religion ; ils ne
pouvoient souffrir l'opprobre de Jésus-Christ Les
Gentils, pleins de leur philosophie, étoient sages ; et
leur sagesse se révoltoit à la vue d'un Dieu crucifié :
c'étoit renverser la raison humaine que de prêcher
ce Dieu sur la croix. Cependant cette croix , pré-
cfaéé dans tout l'univers, surmonte le zèle superhe
des Jui6 et la sagesse hautaine des Gentils. Voilà
dnnc à quoi aboutit le mystère de la passion de Jé-
sus-Christ, & confondre non*seulement la sagesse
profane des gens du monde, qui , comme les Gentils,
regardent la piété comme une folie , si elle n'est ton*
(0 / Cor. 1. a3.
FOUR LB VENDREDI âAIMT. l33
{ours revêtue <l*aD certain éclat; mais encore le zèle
superbe de certaines personnes pieuses y qui ne veu-
lent rien voir dans la religion qui ne soit conforme
à leurs fausses idées.
O mon Dieu, je suis du nombre de ces Juifs scan-
dalisés. Il est vrai y ô Jésus , que je vous adore sur la
croix; mais cette adoration n'est qu'en cérémonie,
elle n*est point en vérité. La véritable adoration de
Jésus-Christ crucifié consiste à se sacrifier avec lui ,
à perdre sa raison dans la folie de la croix , il en ava-
ler tout l'opprobre, à vouloir être , si Dieu le veut,
up spectacle d'horreur à tous les sages de la terre, à
consentir de passer pour insensé comme Jésus-Christ.
Voilà ce qu'on dit volontiers de bouche; mais
voilà ce que le cœur ne dit point. On s'excuse par
de vains prétextes, on frémit, on recule lâchement
dès qu'il f^ut parottre nu et rassasié d'opprobres
avec l'Homme de douleurs. O mon Dieu, mon
amour, on vous aime pour se consoler; mais on ne
vous aime point pour vous suivre jusqu'à la mort de
la croix. Tons vons fuient, tous vous abandonnent,
tous vous méconnoissent, tous vous renient. Tant
que la raison trouve «on compte et son bonheur à
vous suivre, on court avec empressement, et l'on se
vante comme saint Pierre; mais il ne faut qu'une
question d'une servante pour tout renverser. On veut
borner la religion à la courte mesure de son esprit ;
et dès qii^elle surpasse notre foîble raison , elle se
tourne en scandale.
Cependant la religion doit être dans la pratique
ce qu'elle est dans la spéculation ; c est-à-rdire qu'il
faut qu'elle aille réellement jusqu'à faire perdre pied
l34 TOVtL LE teudredi saivx.
à notre raison , et à nous livrer à la folie du Sauveur
crucifia O qu'il est abé d*étre chrétien à condition
d^étre sage, maître de sV>i, courageux, grand, ré-
gulier et merveilleux en touti Mais être chrétien
pour être petit, foible, méprisable et insensé aux
yeux des hommes, c*est ce qu*on ne peut entendre
sans en avoir horreur. Aussi Ton n'est chrétien qu'à
demi. Non-seulement on s'abandonne à son vain
raisonnement comme les Gentils, mais encore on se
fait un honneur de suivre son zèle comme les Jui&.
Cest avilir la religion , dit-on , c'est la tourner en
.petitesse d'esprit: il faut montrer combien elle est
grande. Hélas I elle ne le sera en. nous qu'autant
qu'elle nous rendra humbles , dociles , petits , et dé-
tachés de nous-mêmes. ,
On voudoit un Sauveur qui vînt pour nous ren-
dre parfaits, pour nous remplir de notre propre ex-
cellence, et pour remplir toutes les vues les plus flat-
teuses de notre sagesse : au contraire. Dieu nous a
donifé un Sauveur qui renverse notre sagesse, qui
nous met avec lui nu sur une infâme croix. O J&us,
cTest là que tout le monde vous abandonne. Il ne
faut pas, dit-on , pousser les choses si loin ; c'est
outrer les vérités chrétiendes, et les rendre odieuses
aux yeux du monde. Hé quoi ! ne savons-nous pas
que les profanes seront scandalisés, puisque quelques
gens de bien même le sont?
Comment le mystère de la croix ne paroîtroit-il
pas excessif à ces sages Gentils, puisqu'il scandalise
les Juifs pieux et zélés? O Sauveur , boive qui voudra
votre calice d'amertume; pour moi, je le veux boire
jusqu'à la lie la plus amère. Je suis prêt à soufiiîr
POim t.B TBNDASDI SÀIlffT. l35
la douleur, rignomime , la dërisioDy Tinsnlte des
hommes aa dehors , et au dedans la tentation et le
délaissement du Père céleste; je dirai, comme voua
Tavez dit pour mon instruction : Que ce calice passfi
et s éloigne de moi; mais, malgré rborreur de lana-*
tore, dfue votre volonté se fasse, et non la mienne (0»
Ces vérité sont trop fortes pour les mondains, qui
ne vous connotssent qu'à demi, et qui ne peuvent
vous suivre que dans les consolations du Thabor.
Pour moi, je manquerois à Tattrait de votre anu>ur
si [e roGulois. Allons à Jésus ; allons au Calvaire : mon
ame est triste jusqu'à la mort; mais qu'importe,
pourvu que je meure percé des mêmes clous et sur
la même croix que vous, ô mon Sauveur?
I
XIII. Poua LE Samedi saiht.
Ce qui se présente à moi aujourdiiui , c'est Jésus
entre la mort qu'il a sonllferte et la vie qu'il va re-
prendre. Sa résurrection ne sera pas moins réelle
que sa mort , et sa mort n'est qu'un passage de la
misérable vie à la vie bienheureuse. O Sauveur, je
voas adore ^ je vous aime dans le tombeau, je m*y
renferme avec vous ; je ne veux plus que le monde
me voie , je ne veux plus me voir moi-même , je
descends dans les ténèbres et jusque dans la pous^
sière ; je ne suis plus du nombre des vivans. O monde!
6 hommes, oubliez^moi, foulez-moi aux pieds; je
suis mort, et la vie qui m'est préparée sera cachée
avec Jésus-Christ en Dieu.
\S) Luc. xzu. 43.
i'iÔ Mur le SàMBDI tâllIT.
Ces iFérités étonnent; à peine les gens de bien^
' peuvent-ils les supporter. Que signifie donc le hap-
téme par lequel, comme F Apôtre nous Fassnre CO,
npus aurons été tous ensevelis avec Jésus-Chrisi par
sa mort? Oh est-elle cette mort, que le cavftctère de
chrétien doit opérer en nous? Oii est^elle cette sé-
pulture? Hélas! je veux piaroître, être approuvé,
aimé, distingué, ]e veux occuper mon prochain,
posséder son cœur, me faire une idole de la réputa-
tion et de l'amitié. Dérober à Dieu l'encens grossier
qui brûle sur ses autels , n'est rien eu comparaison
du larcin sacrilège d'une ame qui veut enlever ce
qui est dû à Dieu , et se Faire l'idole des autres créa-
tures.
Mon Dieu , quand cesserai-je de m'aimer , jusqu'à
vouloir qu'on ne m'aime et qu'on ne m'estime plus?
A vous seul. Seigneur, la gloire, à vous seul l'amour.
Je ne dois plus rien aimer qu'en vous , pour vous , et
de votre pur amour : je ne dois plus m'aimer moi-
même que par charité, comme on aime un étranger.
He devrois-je donc, pas avoir honte de vouloir être
estimé et aimé? Ce qui est le plus étrange, et ce qui
fait voir l'injustice de mon 'amour-propre, c'est que
)e ne me contente pas d'un amour de charité. L'ose»
rai-je dire, ô mon Dieu 7 ma vaine délicatesse est bles-
sée de n'avoir rien que ce qu*on lui accorde à cause
de vous. O injustice ! ôrévolte ! ô aveugle et détestable
orgueil! Punfssez-le, mon Dieu. Je suis pour vous
contre moi -, j'entre dans les intérêts de votre gloire
et de vo\re justice contre ma vanité. O folle créatui^,
idolâtre de toi-même! qu'as-tu donc, indépendam-
C») Rom. Ti. 4-
POUn LB SAMEDI SAllTT. 1^7
ment de Dieu, qai mërite cette teodreMe, cet atta-
chement, cet amour indépendant de la diarittf? O
qu^l fant de charité pour se supporter dans celte
injustice, de vouloir que les autres fassent pour nous
ce que Dieu nous défend de faire pour nous-mêmes!
Amour que Dieu imprime dans le fond de ses créa-
tures , est-ce là l'usage qu'il en veut tirer? Ne nous
a>t-il faits capables d'aimer qu'afin que nous nous dé-
tournions les uns les autres de l'unique terme du pur
amour? Non, mon Dieu, je ne veux plus qu'on
m*aime; h peine faut-il qu'on me souffre pour l'amour
de vous : plus fe suis délicat et sensible sur 6et amour
des autres , plus j'en suis indigne, et dans le besoip
d'en être privé.
Il en est, 6 Seigneur , de !a réputation comme de
l'amitié : donnez ou Ôtez selon vos desseins; que
cette réputation, plus chère que la vie, devienne
comme un linge sali, si vous y trouvez votre gloire :
qu'on passe et qu'on repasse sur moi comme sur les
morts qui sont dans le tombeau ; qu'on ne me compte
pour rien ; qu'on ait horreur de. moi ; qu'on ne m'é-
pargne en rien, tout est bon. S'il me reste encore
quelque sensibilité volontaire , quelque vue secrète
sur la réputation, je ne suis point mort fivec Jésus»
Christ , et je ne suis point en état d'entrer dans sa vie
ressuscitée.
Ce n'est qu'après l'extirpation de la vie maligne et
corrompue du vieil homme que nous passons dans la
vie de l'homme nouveau. Il faut que tout ûieure ,
douceurs, consolation, repos, tendresse, amitié,
honneur, réputation : tout nous sera rendu au cea-
tapie; mais il faut que tout meure, que tout soit
l38 POUR LB SAMEDI 8AIHT«
sacrISé. Quand nous aarons tout perdu en Vovs ^ 6
mon Dieu , nous rétrouverons tout en vous. Ce que
nous avions en nous avec l'impureië du vieil homme
nous sera rendu avec la pureté de Tbomme renou-
velé y comme les métaux mis au feu ne perdent point
leur pure substance, mais sont purifiés de ce qn ils
ont de grossier. Alors p mon Dieu , le même esprit ,
qui gémit et qui prie en nous , aimera en nous plus
parfaitement. Combien nos cœurs seront4l8 plus
grands , plus tendres et plus généreux l Nous n'aime-
rons plus en foibles créatures , et d'un cœur resserré
dai^ d'étroites bornes : Famour infini aimera en nous^
notre amour portera le caractère de Dieu même.
Ne songeons donc qu*à nous unir à 7ésus-Christ
dans son agonie, dans sa mort et dans son tombeau ;
ensevelissons-nous dans les ténèbres de la pure Coi ;
livrons-nous è toutes les horreurs de la mort. Non p
je ne veux plus me regarder comme étant de la terre.
O monde, oubliez-moi comme je vous oublie, et
comme je veux m'oublier moi-même ! Seigneur Jé-
sus, vous n'ête$ mort que pour me fiûre mourir : ar«
rachez-moi la vie j ne me laissez plus respirer ; n«
souffrez aucune réserve, poussez mon cœur à bout;
je ne mets point de bornes à mon sacrifice.
XIV. Poux LB JOUR DE L'AsCElTSIOlff.
It me semble que j*accompagne avec les disciples
Jésus-Christ jusqu'à Béthanie. Là il monte au ciel à
mes yeux ; je l'adore , je ne puis me lasser de le re-
garder, de le suivre d'alTection , et de goûter au fond
POU A LE JOUA DB L âSGElVeiOlf. iSg
de mon cœiv les paroles de vie qui sont sorties les
jdernières de sa bouche sacrée quand il a quitté la
terre. O Sauveur, vous ne cessez point d'être avec
moi «t de me parler ! Je sens la vérité de cette pro-
messe : f^oilà que je suis avec vous tous les fours
fusçu'à la consommation du siècle (0. Vous êtes avec
nous non-seulement sur cet autel sensible , où vous
appelés tous vos enfans à manger le pain descendu
du ciel ; mais vous êtes encore au dedan& de nous,
sur cet autel invisible, dans cette église et ce sanc-
tuaire inaccessible de nos âmes, oh se fait ladoratioa
en esprit et en vérité. Là vous sont ofiertes les pures
victimes; là sont égorgés tous les désirs propres,
tous les retours intéressés sur nous-mêmes, et tous
les goûts de Tamour-propre^ Là nous maogeops le
véritable pain de vie dont votre chair adorable même
n'est que la superficie sensible; là^nous sommes
nourris de la pure substance de Téternelle vérité; là
le Verbe fait chair se donne à nous comme notre
verbe intérieur, comme notre parole, notie sagesse,
notre vie, notre être, notre tout. Si nous Tavoqs
connu selon la chair et par les sens, pour y recher-
cher un goût sensible, nous ne le connoissons plus
de même ; c'est la pure foi et le pur amour qui se
nourrissent de la pure vérité de Dieu fait une même
chose avec nous. O règne de mon Dieu ! c est ainsi
que vous venez à nous dès cette vie misérable. O vo-
lonté du Père! vous êtes par là accomplie sur la terre
conxne dans le del. 0 ciel ! pendant qu'il platt à
Dieu de me tenir hors de vous dans ce lien d'exil ,
[e ne vais point vous chercher plus loin , et je vous
{*) HûStK xiTiii. 20.
l4o POUR LB JOUA DX L AdCBKSIOK.
trouve sur la terre. Je ne connois ni ne veux d*aatre
ciel que mon Dieu ; et mon Dieu est avec moi au
milieu de cette vallée de larmes. Je le porte, ]e le
glorifie en mon cœur ; il vit en moi. Ce n'est pas moi
qui vis; cest lui qui vit, triomphant dans sa créa-
ture de boue , et qui la fait vivre en lui seul. O bien-
heureuse et éternelle Sion, oh Jésus règne avec tous
les saints ! que de choses glorieuses sont dites de
vous ! Que j'aime ce règne de gloire qui n'aura point
de uni A vous seul. Seigneur, l'empire, la majesté,
la force, la ton te -puissance aux siècles des siècles.
Seigneur Jésus, bien loin de m'affliger pour nous
de ce que vous n'êtes pas visible sur la terre, je me
réjouis de votre triomphe ; c'est votre seule gloire
qui m'occupe. Je joins ici-bas ma foible voix avec
celle de tons les bienheureux pour chanter le can-
tique de TÂgneau vainqueur : trop heureux, ô Jésus,
de souffrir dans cet exil pour vous gloriGer ! Votre
présence sensible, il est vrai, est le plus doux de
tous les parfums; mais ce n'est pas pour moi que je
vous cherche, c'est pour vous. O si je me regardois
moi-même, qu'est-ce qui pourroit me consoler dans
cette misérable vie, âe ne vous avoir point, de vous
déplaire par tant de fautes, et de me voir sans cesse
en risque de vous perdre éternellement ? Qu'est-ce
qui seroit capable d'adoucir mes peines, et de me
faire supporter la vie ? Mais j'aime mieux votre vo-
lonté que ma sûreté propre.
Je vis donc , puisque vous voulez que )e vive. Cette
vie, qui n'est qu'une mort, durera autant que vous
voudrez. Vous le savez, ô Dieu de mon coeur, que
je n'y veux tenir à rien qu'à votre ordre. Je ne suis
90VK LE JOUR DJB LASCEBSIOfT. l4l
dans cette terre étrangère qu*à caase que vous m*y
tenex. Je vons aime mieux que mon bonheur et que
ma gloire. Il vaut mieux vous obéir que jouir de
vous; il vaut mieux souffrir selon vos desseins , que
goûter vos délices et voir la lumière de votre visage.
En me privant de vous privez-moi de tout ; dépouil-
lez ^ arrachez sans pitié; ne laissez rien à mon anie,
ne la laissez pas elle-mâme à elle-n^éme.
Si la présence du Sauveur a dû nous être ôlée »
que doitril nous rester? Si Dieu a été jaloux d'une
si sainte consolation pour les apôtres, avec quelle
indignation détruirà-t-il en nous tant d*amusemens-
qui nous conservent certains restes secrets d'une vie
propre? Quelle consolation sera aussi pure que celle,
de Toir Jésus? Et par conséquent en reste-t-il quel-
qu'une dont nous osions encore refuser le sacrifice ?
O Dieu y n*écoutez plus ma lâcheté; dépouillez ^
écorchez, s'il le faut; coupez jusqu'au vif. Quand
tout sera ôté, ce sera alors que vous resterez seul
dans l'ame.
Xy. Poua LE JOUR DE Lk PeNTECÔTE.
■
I
Tous avez commencé, Seigoeur, par ôter à vos,
apôtres ce qui paroissait le plus propre & les sourte7.
nir, je veux dire la présence sensible de Jésus votre.
Fils: mais vous avez tout détruit pour tout ét^blir,:^
vous aves oté tout pour rendre tout avec usure.;
Telle est votre méthode. Vous vous plaisez k ren^
verser l'ordre du sens humain. . <
l4a POUR LB tOm DB LA VENTEcArfi.
Après avoir ôté celle possession sensible de Jésns-
Cbristy vous avez donné votre Saint-Esprit. 0 pri-^
vation , que vous êtes précieuse et pleine de vertu,
puisque vous opérez plus que la possession dn Fils
de Dieu même ! O âmes lâches ! pourquoi vous
croyez-vous si pauvres dans la privation, puisqu'elle
enrichit plus que la possession du plus grand trésor?
Bienheureux ceux qui manquent de tout, et qui
manquent de Dieu même, c*est-à-dire de Dieu goûté
et aperçu ! Heureux ceux pour qui Jésus se cache et
se retire ! L*Esprit consolateur viendra sur eux ; il
apaisera leur douleur, et aura soin d*essuyer leurs
larmes. Malheur à ceux qui ont leur consolation sur
la terre, qui trouvent hors de Dieu le repos, Tappuî
et rattachement de leur volonté ! Ce bon Esprit pro-
mis à tous ceux qui le demandent n*est point envoyé
sur eux. Le Consolateur envoyé du ciel n'est que
pour les âmes qui ne tiennent ni au monde ni à
elles-méines.
Hélas ! Seigneur, où est-il donc cet Esprit qui doit
être ma vie? il sera Tame de mon ame. Mais oh
est-il? je ne le sens, je ne le trouve point. Je nV-
prouve dans mes sens que fragilité, dans mon esprit
que dissipation et mensonge^ dans ma volonté qu'in-
constance et que partage entre votre amour et mille
vains amusemens. Où est-il donc votre esprit 7 Que
ne vient-il créer en moi un cœur nouveau selon le
Vôtre ? O mon Dieu , je comprends que c'est dans
cette ame appauvrie que votre Esprit daignera habi-
ter, pourvu qu'elle s'ouvre à lui sans mesure. C'est
cette absence sensible du Sauveur et de tous ses dons
qiii attire l'Esprit saint. Venez donc, ô Esprit; vous
MUA LB lOVt DB LA« PeUTEcArE' l43
Be po&vei rien trouver de plus pauvre , de plus dé-
pouillé^ de plus nu y de plus abandonné, de plus
foible que mon cœur. Venez , apportez-y la paix;
non cette paix d'abondance qui coule comme utf
fleuve y mais cette paix sèche, cette paix de patience
et de sacrifice ; cette paix amère, mais paix véritable
pourtant, et d'autant plus pure, plus intime, plus
profonde, plus intarissable, qu'elle n'est fondée que
sur le renoncement sans réserve.
O Esprit ! ô amour! ô vérité de mon Dieu! d
amour lumière ! ô amour qui enseignez l'ame sans
parler, qui faites tout entendre sans rien dire, qui
ne demandez rien à l'ame , et qui l'entraînez par le
silence à tout sacrifice ! O amour qui dégoûtez de
tout autre amour, qui faites qu'on se hait, qu'on
s'oublie et qu'on s'abandonne ! O amour qui coulez
au travers du cœur comme la fontaine dévie, qui
pourra vous connottre, sinon celui en qui vous serez?
Taisez-vous, hommes aveugles; l'amour n'est point
en vous. Tops ne savez, ce que vous dites ; vous ne
voyez rien, vous n'entendez rien. Le vrai docteur ne
vous a jamais enseignés.
C'est lui qui rassasie l'ame de vérité sans aucune
science distincte. C'est lui qui fait naître au foiid de
l'ame les vérités que la parole sensible de Jésus-
Christ n'avoit exposées qu'aux yeux de l'esprit. On
goûte, on se nourrit, on se fait une même chose
avec la vérité. Ce n'est plus elle qu'on voit comme
un objet hors de soi ; c'est elle qui devient nous-
mêmes, et que nous sentons intimement' comme
l'ame se sent elle-même. O quelle puissante conso-
btion sans chercher à se consoler ! On a tout sans
l44 TOVk IX, JOUR DE LA I»£2ITEc6te»
rien aVoir. Là on trouve en unité le Père , le Fils et
le Saint-Esprit ; le Père créateur, qui crée en nous
tout ce qu*il veut y faire pour nous rendre des en-
fans semblables à lui; le Fils Verbe de Dieu, qui de-
vient le verbe et la parole intime de Tame, qui se
tait à tout pour ne laisser plus parler que Dieu ; enfin
FESsprily qui souffle où il veut, qui aime le Père et le
Fils en nous. O mon amour, qui êtes mon Dieu,
aimez- vous , glorifiez-vous vous-mêfne en moi. Ma
paix , ma joie , ma vie sont en vous , qui êtes mon
tout , et je ne suis plus rien.
XVL Poua LA FÊTE nu saiht Saceexent.
J'adoee Jésus -Christ au saint sacrement où il
cache tous les trésors de son amour. 0 octave trop
courte pour célébrer tant de mystères de Jésus
anéanti! Je ny vois qu'amour, que bonté et que
miséricorde. Hélas! Seigneur, que voulez- vous?
Pourquoi cacher votre majesté éternelle ? Pourquoi
Texposer à Tingratitude des anies insensibles , à Tir-
révéf*ence des hommes ? Âh ! c'est que vons nous ai-
mes, vous nous cherchez y vous vons donnez tout
entier à nous. Mais encore de quelle maaièire faites-
vous ce don? sons la figure de Taliment le plus femi--
lier. Q mon pain, ô ma vie, ô chair de mon Sauveur,
venez exciter ma faim ! je ne veux* plus me nourrir
que de*vdu9«
O Verbe, 6 Sagesse, A Parole, 6 Vérité éter-
nelle
POU& LA PfETB DU SAint SACREIfEirT. l/^S
nelle , vous êtes caché sous cette chair, et cette chair
sacrée se cache sous cette apparence grossière du pain .
O Dieu caché , je veux vivre caché avec vous pour
vivre de votre vie divine. Sous toutes mes misères,
mes foiblesses , mes indignités , je cacherai Jésus ; je
deviendrai le sacrement de son amour : on ne verra
que le voile grossier du sacrement, la créature im-
parfaite et fragile^ mais au dedans vivra le vrai Dieu
de gloire.
Hélas ! 6 Dieu d*amour, quand viendrez-vons
donc? Quand est-ce que je vous aimerai? Quand
est-ce que vous serez le seul aliment de mon cœur,
et mon pain au-dessus de topte subst4nce ? Le pain
extérieur, cette créature fragile, sera brisé et exposé
à toutes sortes d*accidens ; mais Jésus , immortel et
impassible , sera en elle sans division et sans chan-
gement Vivant de lui je ne vivrai plus que pour lui ,
et il vivra tout seul en moi.
Verbe divin , vous parlerez , et mon ame se taira
pour vous entendre ; cette simple parole qui a fait
le monde se fera entendre de sa créature, et elle
fera en elle tout ce qu'elle exprimera ; elle formera
sa nouvelle créature comme elle forma l'univers.
Taisez-vous donc, mon ame; n'écoutez plus rien
ici-bas; ne vous écoutez plus vous-même dans ce
silence qui est l'anéantissement de l'esprit Laissez
parler le Verbe fait chair.; ô qu'il dira de choses ! Il
est lui seul toute vérité. Quelle différence entre la
créature qui dit en passant quelque vérité, et qui
dit ce qui n'est point à elle, mais ce qui est comme
emprunté de Dieu , et le Fils de Dieu qui est la vérité
même ! Il est ce qu'il dit ; il est la vérité en substance :
VtatLOj». xviii. xo
l46 FOUK LA PÊTE liU SAUTT SACREMENT.
aussi ne la dit-il point comme nous la disons : il ne
la fait point passer devant les yeux de notre esprit ,
successivement et par pensées détachées ; il la porte
elle-même tout entière dans le fond de notre être ;
il Tincorpore en nous et nous en elle t nous sommes
faits vérité de Dieu. Alors ce n'est point par force
de raisonnemens et de science, c'est par simplicité
d*amour qu'on est dans la vérité 5 tout le reste n'est
plus qu'ombre et mensonge. On n'a plus besoin de
discourir et de se convaincre en détail : c'est l'amour
qui imprime toute vérité. D*une seule vue on est saisi
du néant de ta créature et du tout de Dieu. Cette vue
décide tout , elle entraîne tout , elle ne laisse plus
rien à i'esprll : an ne voit qu'une seule vérité, et tout
le reste disparott.
O monde insensé et scandal^euie, on ne peut plus
vous voir ni .vous. entendre. O amour propre, vous
faites horreur ; on se supporte patiemment comme
lésus-Glirist supportoit JndaSi. Tout pa^se de devant
mes yeux ; mais rien ,ne m'importe , rien n'est mon
aflTaire, «inon l'afiaire unique de faire la volonté de
Dieu dans le inoment présent , et de vouloir sa vo-
lonté sur la terre comme on la vent dans le ciel.
O Jési^s, voilà le vrai culte que vous attendez.
Qu'il est aisé de vous adqrer pai^ des cérémonies et
des louanges ! mais qu'il y a peu d'ames qui tous
rendent ce culte intérieur ! Hélas! on ne voit par-*
tout qu^'une religion en figuré , iju^ine religion ju>
daKque* On vondroit par l'esprit posséder voffre vé-
rité , mais on ne veut point se laisser posséder par
elle : on veut participer à votre sacrifice; «t jamais
se sacrîffier avec vous, k moins qtr'on ne se perde en
POITR LA PftTB DU 8AIKT SACREMENT. l/^'J
VOUS I famais on ne sera fait une mârac chose avec
vous. O Dieu cache, que ▼ou$ éte9 incopon au^
hommes ! O amour , ou ne sait ce que c'est que
d'aimer* Enseigner- le-*moi , et ce aéra m'eoseîgner
toutes les vérités en- une seule.
KYII. Pour la fête de saiittb Magoeleinb*
Je vondrois , mon SMvexir, icomme mute Magd^*
leine*, vous suivre par amour jusque 4an$ la pous<»
$ière du tombeau. C'ëtoît d'elle, Seigneur» que vous
Ates sortir sept .démon$. Que j'aime k voir quo le^
saints que vous ave^ tirés de l'état le pla$ affreux $ojci|t
œuz quî vous cberolvant avec plus de courage et /dç
tendresse ! Tous vos disciples, Seigneur, s'enfuient ^
Magdeleine seule, qui a été la proie de tant de dé-
mons , arrose votre tombeau de ses larmes ; elle est
inconsolable de ne plus trouver votre corps-;- eUe le
demande à tout ce qu'elle trouve ; dans le transport
de sa douleur elle ne mesure point ce qu'elle dit, elle
ne sait pas même les paroles qu'elle prononce. Quand
Tamour parle, il ne consulte point la raison.
Je cours en pleine liberté, comme vos vrais enfans,
à l'odeur de vos parfums : )e cours , 6 mon Dieu ^^
avec Magdeleine vers votre tombeau ; je cours sani
m'arrêter à la mort entière de toat.moi*imême;'|e
descends jusque dans la poussière; je m'enfonce dans
les ténèbres et dans riiQrreur de ce tombeau. Je ne
trouve plus, d -Sauveur, aucun reste sensible de
votre présence , aucune trace de vos dons. L'éppuic
s'est enfui, tout est perdu ; il ne reste ni époux, ni
>
l48 POtJR tA FÊTE DE SMNTB VAGDELBIKB.
amour y ni lumière : Jésus est enlevé. O douleur! d
tentation ! ô désespoir ! Perdre jusqu'à mon amour
même ! Jésus caché et enseveli au fond de mon cœur
ne s*y trouve plus ! Où est- il ? qu*est-il devenu ? Je
le demande à* toute la nature, €t toute "la nature est
muette ; il ne me reste de mon amour , que le trou-
ble de ravoir perdu. Où est-il? Donnez-le-moi, ôtez-
moi tout le reste, je remporterai. Pauvre ame , qui
ne sais rien de ce que tu dis, mais trop heureuse,
puisque tu aimes, sans savoir que c*est Tamour qui
te fait parler 1
O amour, vous voulez des âmes qui osent tout,
et qui ne se promettent rien; qui ne disent jamais:
Je le pub, ou, 7e ne le puis pas. On peut tout eu
vous ; on ne peut rien sans vous. Quiconque aime
parfaitement ne se mesure plus sur soi ; il est prêt
à tout , et ne tient plus à rien.
XVIII. Pova-LB loua db l'Assomptioit.
o mon Dieu, je me présente aujourd'hui à vous
avec Marie mère de votre Fils. Donnez -moi des
pensées , donnez - moi un cœur qui répondent aux
pensées et au cœur de Marie. O Jésus , voilà votre
mère qui quitte la terre pour se réunir à ja-
mais à vous. Je la quitte avec elle ; avec elle mon
cœur s^élève vers le ciel pour n*aimer que vous.
O Esprit, qui descendîtes sur cette Vierge pour
la rendre féconde, descendez sur moi pour me pu-
rifier.
FOVft LB JOUR DE L ASSOMPTION. l49
Que yois-)e dans Marie pendant les derniers temps
de sa vie 7 Elle persivéroit^ dit saint Luc (0^ dans la
prière avec les autres femmes; c'est-à-dire qu'elle ne
faîsoit au dehors que ce que les antres faisoient. La
perfection , qui étoit sans doute dans la mère du Fils
de Dieu ^ ne consiste donc pas dans des actions ex-
traordinaires et éclatantes. Nous ne voyons ni pro-
phétie y ni miracles , ni instruction des peuples ^ ni
extases \ rien que de simple et de commun. Sa vie
étoit tout intérieure : elle priait avec persévérance;
voilà son occupation où elle se bornoit ; mais, sans
se distinguer , elle prioit avec les autres femmes. O
combien sa prière devoit-elle être plus pure et plus
divine ! Mais ces trésors demeuroient cachés. Au
dehors on Avoyoit que recueillement , simplicité^
vie commune.
Adoration en esprit et en vérité, dont Marie est le
modèle y quand est-ce que les hommes vous connoi-
tront ? Ils vous cherchent o\i vous n'êtes pas ; dans
les grands projets, dans les conduites pleines d'austé-
rité. Toutes ces choses ont leur temps , et Dieu y
appelle quand il lui platt. Mais le vrai culte , le pur
amour, ue dépend point de toutes ces choses. Aimer
en silence , ne vouloir que Dieu seul , ne tenir à
rien y pas. même à ses dons pour se les approprier
avec complaisance \ souffrir tout en esprit d'amour \
soufirir la vie comme les maux dont elle est pleine »
par abandon à Dieu , et dans le dépouillement inté-
rieur, comme Marie vivoit dans cette amère sépa-
ration d'avec son Fils; ne se compter plus pour
rien dans toutes les choses qu'on a à &ire ou à soujf-*
l5o . POUn LE lOUA DE L ASSOllPTIOK.
frir ; ne se croire ûi capable ni incapable d*aiicune
chose, mais se laisser mener comme un petit enfant,
on comme Marie se laisse donner pai" son Fils à
Jean pout être conduite par lui ; n'avoir plus rien 2k
soi, et n^étre plus à soi-même; vivre, mourir avec
un cœur ^gal , ou plutôt n'avoir ni cœur ni volonté,
mais laisser Dieu uniquement vouloir et s'aimer soi-
même sanâ mesure au dedans de nous : 6 vous voilà ,
adoration pure , simple et parfaite ! c'est de tels
adorateurs que le Père cherche.
Mais , hélas ! où les trouverà-t*il ? On craint tou-
jours d'aller trop loin , et de se perdre en se donnant
à Dieu. La pure foi ne suffit point aux âmes timides
et intéressées. Elles veulent voh* et posséder des
dons Sensibles; s'appuyer, èomme dit nkriture, sur
un bras de chair ou sur la force de leur sagesse.
Marcher, comme Abraham, sans savoir où Ton va ,
est une chose qhi révolte les sens et la raison dé-
fiante. Hélas ! on veut servir Dieu, mais à condition
de régler tous ses pas, d'arranger ses afiaires , de se
faire un genre de vie doux et commode. On ne veut
rien, dit-on. Hé ! ne veut-on pds les commodités de
la vie , la consolation de l'amitié; le succès des choses
qu'on croit bonnes, la conservation d'une réputation
avantageuse? O Dieu de vérité, faites luire vos plus
purs rayons de grâce dans ces âmes timides et mer^
cenaires! Montrez-leur qu'elles veulent tout, quoi-
qu'elles ne croient rien vouloir. Poussez- les sans
relâche de sacriGce en sacrifice. Elles reconnoîtront ,
à chaque chose qu'il faudra sacrifier, qu*il n'y en
avoit aucune k laquelle elles ne tinssent fortement.
Quelles agonies quand Dieu nous prend au mot , et
POUA LJ& JOUA DE L*AS50MPTI0N. l5l
ne fait que prendre ce que nous lui avons tani d«
fois abandonné ! O abandon , on parle d« voua sans
vous connoîtrc ! O sacrifice de vérité, vous êtes dans
la boache, et point dans le cœur! O mon ame^ je ne
me fie pins à vous : je ne me fie qu'à Dieu seul^
qui m'arrachera à moi-même. O Marie, mère de
Jésus, je veux vivre et mourir avec vous dans le pur
amour !
tf%Afy%f^v9/%mv%f^fy^^vif^^fif^*/^/^i
XIX. Pou A Ul JOUR DE SAlirr Aû^USTIK.
Qus vois- je I Seigneur, en saint Augustin? le
comble de la misère , el puis une miséricorde qui la
surpasse. O qu une aooe foible et misérable est conr-
soléè à la vue d'un tel exemple ! C'est ainsi, ô mon
pieu , que vous aimez à sauver ce qui ^oit perdu ,
à redresser ce qui étoit égaré, à remettre dans votre
sein -tendre et paternel ce qui étoit loin de vous et
livré. à ses passions^ O aimabU saint , vous m'êtes mis
devant les yeux pour m'appnndre, dans l'abtme de
mes ténèbres, à espérer et à ne me décourager ja«
mais , puisque la source des miséricordes ne taiît
point pK>ur les cœurs pénitens; enfin à me supporter
moi-même en tout ce qse ]e vois en moi de plos
humiliante •
O amour de mon Dieu , que n'avez-vous pas fait
dans le cœur d'Augustin ! En lui on avoit vu l'anoour
aveugle* l'amour égaré, l'amour insensé ; mais, ô
amour, vous êtes retourné à votre centre vers la
vérité et la beauté éternelle : cet amour qui avoit si
long- temps couru après le mensoogç est devenu.
iSl VOUE LB.lOua DE SAIHT AUGOSTIS.
amoar parfait : c*est Famour hamble , c est Famoiir
qui 8*anéaiitil pour mieux aimer. Augustin ne s*aime
plus lui-même , tant il aime pieu ; il ne voit plus
rien par son propre esprit; il est abattu ce grand
génie j si Fécond , si vif, si étendu , si élevé , si hardi
pour contempler les plus hautes vérités. Qu*est'il
donc devenu cet homme qui perçoit les plus grandes
difficultés y qui raisonnoit si subtilement, qui parloit*
qui décidoit avec tant d'assurance? Qu*en reste-t-il7
Hélas! je ne vois plus que la simplicité d'un enfant:
il suit sans voir , il croit sans comprendre } Tamour
simple et anéanti est devenu son unique lumière; il
ne cherche plus à connoitre par ses propres lumières,
mais Fonction de Famour lui apj^rend toiite vérité ;
il la trouve renfermée dans le mépris de tout lui-
même, et dans Famour de Dieu qui est Funique bien.
Qui suis-je2 s'éerie*t-il. Rien qu'une voix qui crie :
Dieu est tout , e^ il n'y a que lui.
O profonde doctrine ! la lumière la plus précieuse
est cette lumière éternelle qui anéantit lés lumières
humaines : c'est cet étit d'obscurité , oik , sans rien
voir en Fhomme , l'amour parfait voit tout d*une
manière divine : c'est ce goût intime de la vérité, qui
ne la met plus devant des yeux de la chair et du
sang, mais qui la fait habiter au fond de nous-mêmes.
O chère science de Jésus, en comparaison de laquelle
tout n'est rien , qui vous donnera à moi 7 qui me
donnera à vous? Enseignez- moi. Seigneur, à aimer,
et je saurai toutes vos Écritures. Toutes leurs pages
m'enseignent que Famé qui aime sait tout ce que
vous voulez qu'on sache. O amour , instruisez-moi
par le cœur, et non par Fesprit. Désabusez-moi de
POTJ& LB lOUE m SAIITT AUGUSTllI^ l53
ma yaine raison , de ma pradence aveugle , de tout
désirs indignes d'une ame qui vous aime. Que je
meure , comme Augustin , à tout ce qui n*est pas-
vous.
XX. Pouk LA FÈTB UB TOUS LES SaiITTS.
L'uTEimoH de TÉglise est dlionorer aujourdliui
tous les saints ensemble. Je les aime , je les invoque ^
je m*unis à eux , je joins ma voix aux leurs pour
louer celui qui les a faits saints : que volontiers je
m'écrie avec cette églito céleste]: Saint, saint, saint!
à Dieu seul la gloire ! que tout s'anéantisse devant
lai!
Je vois des saints de tous les âges , de tous les
tempéramens, de toutes les conditions : il n'y a donc
ni âge, ni tempérament, ni condition qui exclue
de la sainteté. Ils oiit eu au dehors les mêmes obstsk
des, les tnémes combats que noas ; ils ont eu au
ikdans les mêmes répugnances , les mêmes sensibi-
litéis, les mêmes tentations , les mêmes révoltes de
la nature corrompue ; ils ont eu des habitudes ty*
ranniques à détruire, des rechutes à réparer, des
illusions à craindre , des relâchemens flatteurs à re«
jeter,«des prétextes plausibles à surmonter^ des amis
à craindre, des ennemis à aimer, un orgueil à saper
par le fondement, une humeur à réprimer, un
amour propre à poursuivre sans relâche jusque
dans les derniers replis du cœur.
Ah ! que j'aime à voir les saints foibles comme
moi , toujours aux prises avec eux-mêmes , n'ayant
l54 90VR I.A FÊTt DE TOUS LBS SAflTTS.
jamais un seul moment d'assuré ! J*en vois dans 1»
retraite livrés aux pfais cruelles tentations ; j'en vois
dans les prospérités les plus redoutables et dans le
commerce du siècle le plus empesté. O grâce du
Sauveur, vous éclatez partout y pour mieux montrer
votre puissance, et pour ôter toute excuse à ceux
qui vous résistent! Il ny a ni habitude enracinée,
ni tempérament ou violent ou fragile, ni croix ac-
cablante, ni prospérités empoisonnées» qui puissent
nous excuser si nous ne pratiquons pas l'Evangile.
Cette foule d'exemples décide : la grâce prend toutes
les formes les plus diverses, suivaiit les divers be^
soins : elle fait aussi aisément des rois humbles que
des solitaires pénitens et recueillis : toqt lui est facile
quand nous ne résistons pas à son attrait. J'entends
la voix du Sauveur qui dit que Dieu sait changer le&
pierres mêmes en enfans d'Abraham. O Jésus, a
Parole du Père , mais Parole d'éternelle vérité ! ac-
complisses donc cette parole en moi, moi, pierre
dure et insensible ; moi , qui ne puis âtrc taillé que
sous les coups redoublés du marteau, moi rebelle^
indocile, et incapable de tout bien. O Seigneur,
prenez cette piei're ; glorifiez-vous , amollissez mon
cœur ; animez-le de votre Esprit ; rendez-le sensible
à vos vérités éternelles ; formez en moi un epfant
d'Abrahatn , qui marche sur les vestiges de sa ibi.
Dirai-*je avec le monde insensé : Je veux bien me
sauver , mais je ne prétends pas être un saint ? Ah !
qui peut espérer son salut sans la sainteté ! Rien
d'impur n'entrera an royaume des cieux ; aucune
tache n'y peut entrer ; si légàre qu'elle puisse être
il faut qu'elle soit effacée, et que tout soit purifié
POtJR LA FÈTB DE TOUS tBS SAllTirs. l55
jusque dans lé fond par le feu vengeur de la justice
divine y ou en ce monde ou en Tàntre : tout ce qui
n^est pas dans l'entier renoncement à soi ^ et dans le
pur amour (]ui rapporte tout à Dieu sans retour,
est encore souilla. O sainteté de mon Dieu, aux
yeux duquel les astres mêmes ne sont pas assez purs!
O Dieu juste, qui jugere2 toutes nos imparfaites
justices ! mettez la vôtre au dedans de mes entrailles
pour me renouveler; ne laissez rien en moi de moi-
même.
XXI. Pour la CIommémoration des Morts.
MoK Dieu y je regarde avec consolation cette cé-
rëmohie de vôtre Église qui met la mort devant no&
yeux. Hëlas ! faut-il qtié nous ayons besoin qu'on
nous en rappelle le souvenir! Tout n'est que mort
ici-bas ; le genre humain tombe en ruine de tous
côtes à nos yeux ; il s'est élevé un monde nouveau
sur les ruines de celui qui nous a Vus naître ; et ce
nouveau monde, déjà vieilli, est prêt à dispafottre :
chacun de nous meurt insensiblement tous les jours;
rhonimé, comme l'herbe des oliamps, fleurit le ma-
tin ; le soii* il languit , il se dessèche , il est flétri ,
et il est foulé aux pieds. Lé passé n'est qu'un songe;
le présent nous échappe dans lé clin d'œil où nous
voulons le voir; l'avenii* n'est point à nous, peut*
être n'y sera-t-il jamais ; et, quand il y seroit, qu'en
faudroit-il croire t ïl vient, il s'approche, le voilà,
il n'est déjà plus^ il est tombé dans éet abîme du
passé o\x toiit s'engouffre et s*dnéantit.
4
l56 FOUR LA C0MMÊM0RATI02I DES MORTS.
O Dien , il n*y a que voua ; vous seul êtes Fétre
véritable; tout le reste n'est qu^une image trompeuse
de rétre, qu'une ombre qui s'enfuit. O vérité, ô
tout ! je me réjouis de ce que je ne suis rien : à vous
seul appartient d'être toujours : vous êtes le vivant
eu siècle des siècles. O hommes aveugles » qui croyez
vivre , et qui ne faites que mourir 1
Mais cette mort , qui fait frémir toute la nature ,
la craindrai -je lâchement? Non, non; pour les en-
fans de Dieu elle est le passage à la vie; elle ne
nous dépouille que de la vanité et de la corruption;
c*est elle qui ' doit nous revêtir des dons éternels. O
mort f ô bonne mort ! quand voudras-tu me réunir
à ce que j'aime uniquement? Quand viendras->tu me
donner le baiser de répôùz 7 Quand est-ce que les
liens de ma servitude seront rompus? O amour éter-
nel, ô vérité qui ferez luire un jour sans fin l O pais
du royaume de Dieu , où Dieu lui-même sera tout
en tous ! O céleste patrie ! 6 aimable Sion , oh mon
cœur enivré se perdra en Dieu ! qui ne vous désire ^
que désirera-t-il ?
Maisy.ô mon Dieu et mon amour, c'est votre
gloire , et non mon bonheur, après quoi je soupire ;
j'aime mieux votre volonté que ma béatitude : je
consens donc, pour l'amour de vous, k demeurer
encore loin de vous dans ce lieu d'exil , dans cette
vallée de larmes , autant que vous le voudrez* Vous
savez que ce n'est point par attachement à la terre
ni à ce corps de boue , ce misérable corps de péché;
mais par un sacrifice de tout moi-même à votre bon
plaisir, que. je consens à languir encore ici-bas. Mais
faites que je meure à tout avant que de mourir :
POUR LA CQMMÉJrORÀTrOir DES MORTS. 167
éteignes en moi tout désir ^ déracinez toute v<JûBié ;
arrachez tout intérêt propre : alors je serai mort, et
▼DUS vivrez , vous , en moi : alors je ne serai plus
moi-même.
O précieuse mort, qui doit précéder la naturelle !
O mort y qui est une mort divine et transformée en
Jésus-Christ ^ en sorte que notre vie est cachée avec
lui dans le sein du Père céleste ! O mort , après la-
quelle on est également prêt à mourir o^à vivre 1
O mort qui commences sur la terre le royaume du
ciel ! O germe de TêtréSouveau ! Alors, mon Dieu y
je serai dans le monde comme n*y étant pas ; f y pa-
rottrai comme ces morts sortis du tombeau, que
vous ressusciterez au dernier jour.
I$9 JntolTATIOHâ
MÉDITATIONS
■ ■■
POUR UN MALADE.
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Péf xzzvi^i. Jo.
«« •
Est-ce à mei à me plaindre, quand mon Dieu me
frappe, et qu'il me frappe par amour, afin de me
guérir? Frappez donc. Seigneur, j*y consens. Que
vos coups les plus rigoureux sont doux, puisqu*ils
cachent tant de. miséricordes! Hélas! si vous n^aviez
point frappé mon corps, mon ame n*auroit point
cessé de se donner à elle-même le coup de la mort.
Elle étoit couverte d*ulcères horribles. Vous l'avez
vue, vous en avez eu pitié. Vous abattez ce corps
de péché; vous renversez mes aml)itieux projets;
vous me rendez le goût de votre éternelle vérité , que
j'àvois perdu depuis si long-temps. Soyez donc à
jamais béni! Je baise la main qui m'écrase,- et f adore
le bras qui me frappe.
FOUH UA MALADE. 1&9
IL
Ajez pitié de moi , Seigneur, parce qne je fois infinnc Pj.ti. 3.
O mon Dieu, je n*ai point cTautre raison ijue m^
misère pour exciter votre miséricorde. Voyez le*.
besoin que j'ai de votre secours, et donnez-le-moi.
Ten sens le besoin, Seigpeur : heureux de le sentir^
si ce sentiment me tient dans la défiance de m^-
même! Vous avez frappé ma cbair pour la purifier:
vous avez brisé mon corps pour guérir mon ame;.
Cest par la douleur salutaire que vous m'arrachez
aux plaisirs corrompus. Uinfirmité de ma cbait
m'afflige, moi qui n'avois point d^horreur de Tinfir^
mité de mon esprit. H étoit en prdie à la vaine am-
bition, à la fièvre ardente de toutes les paçsÎQO^
furieuses. J'étois malade, et je ne croyois pas Tétre.
Mon mal éloit si grand qi|e je ne le sentois pas. Je
ressemblois à un homme qui a une fièvre chaude,
et qui prend Tardear de 1« fièvre pour la foirce d^une
pleine santé. O heureuse fnaladie, qui m'ouvre les
yeux et qui change mon cœur !
JIL
11 Tou a été donné non-seulement de croire en loi, maif aussi df
souffrir pour lui. Philip, i. '119.
O doB précieux , qu'on ne oonnoit pdiut ! Là dou**
leur n'est pas moioB prëciease qoe là foi i^patidue
l6o XÉDITATIOHS
dans les am^ par le Saint-Esprit Bienheureuse
marque de miséricorde^ quand Dieu nous fait souf-
frir! Mais sera-ce une souffrance forcée et pleine
d'impatience? Non; les démons souffrent ainsi. Celui
qui souffre sans vouloir souffrir ne trouve dans ses
peines quun commencement des éternelles dou-
.leurs. Quiconque se soumet dans sa souffrance, la
' change en un bien infini. Je veux donc, ô mon
Dieu, souffrir en paix et avec amour. Ce n'est pas
assez dé croire vos saintes vérités , il faut les suivre:
elles nous condamnent à la douleur, mais elles nous
en découvrent le prix. O Seigneur, ranimez ma foi
languissante. Qu*on voie reluire en moi la foi et la
patience de vos saints! S'il m'échappe quelque im-
patience, du moins que je m'en humilie aussitôt, çt
que je la répare par ma douleur !
IV.
Seig^eiiryîe aoaffre yioleim; répondes po«ir moi (Unu. ^Eaeeh.
Is, xxzTni. iL
Vous voyez les maux qui m'accablent. La nature
se plaint; que lui répondrai-je? Le monde cherche
à m'amuser et à me flatter; comment faut-il que je
le repousse? Que dirai- je, Seigneur 7 Hélas, il ne me
reste de force que pour souffrir et pour me taire.
Répondez vous-même : par votre parole toute-puis-
sante écartez le monde trompeur qui m'a déjà
séduit une fois. Soutenez mon cœur, malgré les
défaillances de la nature. Je souffre violence par les
maux
POU& V« MALADE. l6l
maux dont vous m'accablez , et par mes passions qui
ne sont point encore éteintes. Je souffre; hâtez*
vous de me secourU*. Délivrez-moi du monde et de
moi*méme. Délivi^z-*moi de mes maux, par la pa-
tience à les souffrir.
V.
Le Seigneur me Ta donné , le Seigneur me Ta ôté. Job, i. la. .
Voila y S^neur, ce que vous faisiez dire à votre
serviteur Jw^dans Texcès de sei maux. O que vous
êtes bon de mettre encore ces paroles dans la bouche
et dans le cœur d'un pécheur tel que moi ! Vous
m'aviez donné la santé, et je vous oubliois; vous me
TôteZy et je reviens à vous. Précieuse miséricorde,
qui m'arrachez les dons de Dieu qui m'éloignoient
de lui, pour me donner Dieu même ! Seigneur, ôtez
tout ce qui n'est point vous, pourvu que je vous
aie. Tout est à vous; vous êtes le Seigneur; disposez
de tout^- biens, honneurs, santé, vie; arrachez tout
ce qui me tiendroit lieu de vous.
VI.
Venez à moi, toôs tous qui êtes chargés, et je tous soulagerai.
S. àfatth, XI. 38.
Douce parole de Jésus-Christ, qui prend, sur lui
tous les travaux, toutes les lassitudes et toutes les
douleurs des hommes ! O mon Sauveur, vous voulez
Féhéloiv. xvni. 1 1
l6a XÉDITATIOliS
donc porter tous mes maux! Voas m'incitez à m'en
décharger sur vous. Tout ce que je souffre doit
trouver en vous du soulagement. Je joins donc ma
croix à la vôtre; portez-la pour moi. Jesuis, comme
vous étiez y tombant en défaillance , quand on fit
porter votre croix par un autre. Je marche après
vpuSy Seigneur, vers le Calvaire , pour y être cru-
cifié. Je veux, quand vous le voudrez, mourir entre
vos bras; mais la pesanteur de ma croix m'accable.
Je manque de patience : soyez ma patience vous-
même; je vous en conjure par votre promesse. Je
viens à vous; je n'en puis plus; c'est a^iez pour mé-
riter votre compassion et votre secours.
y¥WÊn/wy^9mt¥^w¥wnf¥yw9Af¥¥y¥¥^\mm/yy¥¥^f%f¥y^niy¥^9fm0yif%w¥^v¥i
VII.
Parlez, Seigneur, votre serviteur vous écoute. IMois, m. lo.
Je me tais, Seigneur, dans mon affliction , je me
tais ; mais je vous écoute avec le silence d'une ame
contrite et humiliée, à qui il ne reste rien à dire dans
sa douleur. Mon Dieu, vous voyez mes plaies ; c'est
vous qui les avez faites; c'est vous qui me frappez.
Je me tais; je souffre, et j'adore en silence : mais
vous entendez mes soupirs, et les gémissemens de
mon coeur ne vous sont point cachés. Je ne veux
point m'écouter moi-même ; je ne veux écouter que
vous , et vous suivre.
POUR UN MALADE. l63
VIII.
Mon përe, déliTrez-moi de cette heure. S. Jttm, xu. 7a.
QuoiQUB VOUS me menaciez et me frappiez , ô
mon Dieu, vous êtes mon père; vous le serez tou-
jours. Délivrez-moi de cette heure terrible, de ce
temps d'amertume et d'accablement. Laissez-moi
respirer dans votre sein, et mourir entre vos bras.
Délivrez-moi y ou par la diminution de mes maux,
ou par l'accroissement de ma patience. Coupez jus-
qu'au vify brûlez; mais faites miséricorde; ayez
pitié de ma foiblesse. Si vous ae voulez pas me
délivrer de ma douleur, délivrez-moi de moi-même,
de ma foiblesse, de ma sensibilité et de mon impa-
tience.
IX.
Ta péché contre toute votre juBtice. Dan. ix. i5, 16.
J'ai péché contre toutes vos lois. L'orgueil, la
mollesse, le scandale, n'ont rien laissé de saint dans
la religion , que je n'aie violé. J'ai même fait outrage
à votre Saint-Esprit; j'ai foulé aux pieds le sang de
l'alliance ; j'ai rejeté les anciennes miséricordes qui
avoient pénétré mon cœur. J'ai fait tous les maux.
Seigneur; j'ai épuisé toutes les iniquités ; mais je n'ai
pas épuisé votre miséricorde. Au contraire, elle
prend plaisir à surmonter ma misère; elle s'élève
l64 IfÉDlTÂTIONS
comme un torrent au-dessus d'une digue. Pour tant
de maux vous me rendez tous les biens; "vous vous
donnez vous-même. O mon Di^u ! un si grand pé-
cheur, si comble de grâces, refusera- t-il de porter
sa croix avec votre Fils, qui est la justice et la sain-
teté même?
X.
Ma force m'a abandonna. Ps. kxzvii. 1 1.
■
Ma force m'abandonne; je ne sens plus que foi-
blesse, qu'impatience , que désolation de la nature
défaillante y que tentation de murmure et de déses-
poir. Qu'est donc devenu le courage dont je me
piquoiSy et qui m'inspiroit tant de confiance en moi-
même? Hélas! outre tous mes maux, j'ai encore à
supporter la honte de ma foiblesse et de mon impa-
tience. Seigneur, vous attaquez mon orgueil de tous
côtés; vous ne lui laissez aucune ressource. Trop
heureux, pourvu que vous m'appreniez, par ces
terribles leçons , que je ne suis rien , que je ne puis
rien, et que vous seul êtes toutl
XL
Quand on m*aara élevé de la terre, je tirerai toat à molS.Jeûn. xii. 3a.
Vous promîtes. Seigneur, que, quand vous seriez
élevé sur la croix , vous attireriez tout à vous. Les
nations sont venues adorer l'Homme de douleur; les
POUn VV MALADE. l6b
Juifs mêmes en grand nombre ont reconnu le Sau-
veur qu'ils avoient crucifié. Voilà votre* promesse
accomplie aux yeux du monde entier. Mais c'est
encore du haut de cette croix que votre vertu.toute-
puissante attire les âmes. O Dieu souffrant! vous
m*enlevef au monde trompeur ; vous m'arrachez à
moi-même et à mes vains désirs, pour me faire
souOrip avec vous sur la croix. C'est là qu'on vous
appartient, qu'on vous connoit, qu'on vous aime>
qu'on se nourrit de votre vérité. Tout le reste, sans
croix y n'est qu'une piéMt en idée. Attachez-moi à
vous; que je devienne un des membres de Jésus-
Christ crucifié l
XII.
Malhenr au monde, k cause dea scandales! S. Matth, ztiii. 7.
Lb monde dit : Malheur à ceux qui souffrent !
mais la Foi répond au fond de mon cœur : Malheur
au monde qui ne souffre pas! Il sème la terre entière
de pièges funestes pour perdre les âmes : la mienne
jaétë long-temps perdue. Hélas! mon Dieu, que
vous êtes bon de me tenir, par l'infirmité, loin de ce
monde corrompu ! Fortifiez-moi par la douleur, pour
achever de me déprendre de tout, avant que de
m'exposer au scandale de vos ennemis. Que la ma-
ladie m'apprenne à connottre combien toutes les
douceurs mondaines sont empoisonnées. On me
trouve à plaindre dans mes langueurs. O aveugles
amis! ne plaignez point celui que Dieu aime, et
l66 MtelTATIOnS POU A UN MALADE.
qu'il ne frappe que par amour ! C'étoit , il y a six
mois y qu'il étoit à plaindre , lorsqu'une mauvaise
prospërité empoisonnoit son cœur, et qu'il étoit si
loin de Dieu.
■
XIII.
Soit que nous vivioiis , toit faenoiu mourions, nous sommes a»
Seigneur. Rom. ut. 8.
O mon Dieu ! que m'importe de vivre ou de
mourii*? La vie n'est rien ; elle est même dangereuse,
dès qu'on l'aime. La mort ne détruit qu'un corps de
boue ; elle délivre l'ame de la contagion du corps et
de son propre orgueil ; des pièges du démon elle la
fait passer à jamais dans le règne de la vérité. Je ne
vous demande donc, ô mon Dieu, ni santé ni vie^
je vous fais un sacrifice de mes jours. Yous les avez
comptés; je ne demande aucun délai. Ce que je
demande, c'est de mourir, plutôt que de vivre comme
j'ai vécu ; c'est de mourir dans la patience et dans
l'amour, si vous voulez que je meure. O Dieu, qui
tenez dans vos mains les defs du tombeau pour
l'ouvrir ou pour le fermer, ne me donnez point la
vie, si je n'en dois être détaché : vivant ou mourant;
je ne veux plus être qu'à vous.
EXHORTATIONS ET AVIS
POUR
L'ADMINISTRATION DES SACREMENS.
mmy¥^%fw^fW%f^v¥*fy%f%nnf^ww^yy%wyw¥V^y¥W¥y9f9fw^%t¥t^f^f^9fy%/¥¥^%f^^
ARTICLE PREMIER.
DU SACHEMBNT DE BAPTÊME.
I,
Explication des cérémonies du Bapîéme enferme
d'instruction. •
La foi catholique nous enseigne ^ mes très-ohers
frères , que tous les eufiins d'Adam naissent dans le
pëchë de leur premier père ; qu'ils sont enfans de
colère, indignes de Thëritage céleste , et enveloppés
dans la condamnation générale. Cest pour les retirer
de cet état de perte et de mort, que J&us-Ghrist ,
sauveur de tous les hommes, a institué le sacrement
de Baptême. L'homme est régénéré dans cette fon-
taine de vie ; non*seulement le péché originel y est
pleinement efiacé, et il ne reste rien de l'ancienne
condamna^ior^ comme dit l'Apôtre, dans ceu% qui se
dépouillent du vieil homme, pour se revêtir du nou-
veau en Jésus-Christ; mais encore ils reçoivent une
vraie régénération, ils renaissent par la vertu de la
i68 som LE BAPriiiE.
grâce; ils devieDoent enfans adoptifs da Père, frères
et cohéritiers du Fils^ temples da Saint-Esprit.
Comme enfans, ils sont héritiers da royaume éternel,
et de tons les biens promis. Dans ce sacrement, ils sont
marqués d^un caractère spirituel et ineffaçable, qoi
les distingue comme un peuple bien- aimé, et teint
du sang de l'Agneau. Par ce sacrement, ils sont ren-
dus capables de recevoir tous le^ autres; car c*est le
Baptême qui est la porte du christianisme, et le fon-
dement de tout l'édifice spirituel.
Nous usons, mes très-chers frères , dans l'adminis-
tration de ce sacrement, de plusieurs cérémonies, qui
sont anciennes, touchantes, et propres à nous rap-
peler un tendre souvenir des principaux mystères
de la religion.
lO Nous exorcisons celai qui doit être baptisé,
pour faire entendre que le péché originel le tient
sous la puissance du démon qui règne dans le siècle
corrompu, et pour délivrer la créature de Dieu de la
tyrannie de l'esprit de mensonge*
so Nous ajoutons aux exorcismes des soufflemens,
ou exsufflations, pour chasser cet esprit impur, et en-
nemi du salut des hommes, par la vertu du Saint-
Esprit, comme notre seigneur Jésus-Chrisi^commu-
niqua cet Esprit aux apôtres en soufflant sur eux.
3o Nous imprimons le signe de la croix au front,
à la poitrine, et à la main droite de cette personne,
pour exprimer que c'est en vertu de la mort dou-
loureuse de Jésus-Christ sur la crojx, que nous
sommes délivrés de lesdavage du péché, et que nous
entrons dans la liberté da6 enfans de Dieu. C'est par
le Baptême que nous sommes configurés k la mort
SUR LE BÂPTÊMS. 169
du Sauveur, c'est-à-dire rendus conformes à Jësus
crucifié, et attachés sur la croix a?ec lui. C'est cette
cioix qui doit être encore plus dans le fond de notre
cœur, que devant nos yeux. C'est elle que no«s de-
vons vouloir porter humblement et patiemment tons
les jours de notre vie, pour l'amour de Dieu, à
l'exemple de Jésus- Christ, et en pénitence de nos
péchés. C'est cette croix dont nous devons être tou-
jours armés pour le combat des tentations contre le
monde, contre la chair et contre le démon.
4^ Nous mettons du sel dans la bouche de cette
personne, afin qu'elle conserve, par le sel de la sa-
gesse évangélique, la pureté de la foi, et qu'elle soit
prései*vée de la corruption des mœurs. Le sel de la
véritable sagesse lui est donné pour goûter les choses
d*en haut, pour se dégoûter de celles de la terre, et
pour ne prononcer que des paroles assaisonnées de
justice, de bienséance, de grâce et de vérité.
50 Nous mettons le doigt avec de la salive aux
oreilles et aux narines de la personne, pour repré-
senter Faction mystérieuse par laquelle nous voyons,
dans l'Évangile, que Jésus-Christ donna l'ouïe et la
parole à un homme sourd et muet L'entendement
de rhommf est ouvert par la grâce du Baptême, pour
pouvoir écouter les paroles de la foi , pour les croire
de cœur, et pour les confesser de bouche.
60 Nous donnons à cette personne un parrain et
une marraine, pour marquer une naissance nouvelle,
où chacun doit avoir de nouveaux parens, selon l'es*
piit, qui aient soin d'instruire et de faire croître le
nouveau né en Jésus^Christ.
70 Le parrain et la marraine renoncent pour cette
170 &I711 LE BAPTEME.
personne à satan, à ses pompes, et À tontes ses
œuvres. Cette promesse doit être inviolablement ac-
complie, quoiqu'elle soit faite par autrui. Cest cette
promesse qui nous attire le plus grand des biens.
On ne promet pour nous que de renoncer à la va-
nité et au mensonge, pour nous acquérir un vrai
droit au royaume promis. Heureux ceux qui renon-
cent à des biens si faux et si méprisables, pour posséder
le bien étemel et infini! Quiconque est Chrétien n*est
plus libre d'aimer le monde, ni de chercher les pom-
pes de sa tan. On ne sauroit être vraiment chrétien
sans être humble, et par conséquent soumis à Dieu
dans rhumiliation. Quiconque est encore rempli de
l'ambition et de la vanité mondaine, se rengage dans
les liens de satan , violejes promesses de son bap-
tême, et en foule aux pieds la récompense.
80 La manière dont nous touchons cette personne,
montre que tout son corps malade a besoin du re-
mède céleste. En effet , depuis le péché d'Adam, qui
a passé en nous par sa contagion, la chair de
l'homme est révoltée contre Tesprit; elle est sujette
à des passions grossières et honteuses contre la rai-
son ; ce n'est plus qu'un corps de mort , parce que ce
n'est plus qu'un corps de péché; on ne pemt plus sou-
mettre cette chair corrompue à l'esprit , qu'en sou-
mettant l'esprit à Dieu par sa grâce : il faut tâcher
de purifier le corps avec l'esprit.
90 On met un linge ou vêtement blanc sur la tête
du nouveau baptisé , parce que les enfans ont été et
sont encore d'ordinaire vêtus de blanc , et que les
personnes, même les plus âgées, qui reçoivent le
Baptême, deviennent alors des enfans nouveaux nés
SUR LE BAPTÊME. 1 7 l
en Jésus-Christ. En quelque .âge avancé qu'ils puis-
sent recevoir le Baptême , ils sont toujours enfans par
cette naissance spirituelle : ils doivent éti'e revêtus de
la robe blanche et sans tache de l'innocence , avec
laquelle ils puissent se présenter au jour de leur mort
devant Jésus- Christ.
ICO On met dans la main de cette personne un
cierge allumé, pour montrer qu'elle doit être une
lampe ardente et lumineuse dans la maison de Dieu ;
que 8on coeur doit brûler du feu de l'amour que Jé-
sus-Christ est venu allumer sur la terre; et que
l'exemple de ses vertus doit éclairer tons les fidèles.
1 lo Nous donnons un nouveau nom à cette per-
sonne, afin qu'on sache que c'est un homme nou-
veau, qui est plufr attaché à. Dieu qu'au monde en-
tier, et à l'Église qu'à sa famille ; qu'il est prêt à
oublier son propre nom, sa patrie et tous ses perens,
pour suivre Jésus-Christ jusqu'à la mort de la croix.
C'est un nouveau nom qui lui est donné, parce que
Dieu fait en lui toutes choses nouvelles. Ce nom est
celui d*un saint, qui doit être le patron ou protec-
teur auprès de Dieu de celui qui le portera. Ce saint
est principalement celui dont il doit imiter les ver-
tus , afin que le nom qu'il en reçoit aujourd'hui soit
écrit au livre de vie.
173 SUR LE BAPTilfE.
II.
Avis au parrain et à la marraine', après l' adminis-
tration du sacrement de Baptême.
Vous parrain y et vous marraine, vous venez de
répondre à Dieu et à la sainte Eglise que vous pren>
drez soin de Tinstruction de cet enfent, pour le
remplir de toutes les vërités de la foi catboliqtje apo-
stolique et romaine, pour le préparer au salut éternel.
Il n'est nommé votre filleul, qu*à cause qu'il devient
votrefilsspiritnel en Jésus-Christ,en sorte que vousavez
contracté, k la face des saints autels, l'obligation de lui
tenir lieu de père et de mère pour la pureté des mœurs
et de la foi. Il est vrai que le père et la mère, qui ont
mis cet enfant au monde, ne sont pas déchargés du
soin de son éducation chrétienne ; mais vous y êtes
obligés avec eux, et votre devoir est de suppléer k
tout ce qui manqueroit de leur part.Y ous devez donc
veiller sur l'enfant, pour vous assurer qu'il apprenne
exactement toutes les vérités de la foi qui sont con-
tenues dans les trois parties du Catéchisme de ce
diocèse, avec les Commandemens de Dieu et de TE*
glise, la vertu de chaque sacrement, et la manière
de le recevoir ; surtout la préparation nécessaire
pour se bien examiner, pour bien confesser ses pé-
chés avec toutes les circonstances nécessaires , pour
en concevoir une véritable douleur, et pour éviter
les occasions de rechute; comme aussi les dispositions
d'humilité, de recueillement et d'amour avec lesquels
on doit communier pour le faire avec fruit.Yous devez
aussi faire en sorte que l'enfant sache exactement par
SUR 'LE BAPTÊME. 1^3
coeur l'oraison que Jésus-Christ a enseignée à ses apô-
tres, afin qu'elle soit à jamais dans la bouche et dans
le cœur de tous les fidèles : Notre père, etc ; la saluta-
tion de Tange : Jevqussalub, MARis^etc; pour obtenir
la puissante intercession de la mère du Fils de Dieu, et
pour se nourrir dans une pieuse confiance en cette
mère de miséricorde ; enfin le Symbole des apôtres : Je
CROIS EN Dieu, etc, qui comprend en abrégé les vérités
fondamentales du christianisme, et qui étant ton jours
appris par cœur, sans être écrit, servoit autrefois
comme de marque à laquelle les Chrétiens se reconnois-
soient les uns les autres au temps des persécutions.
Vous êtes avertis que vous avez contracté une
parenté spirituelle avec cet enfant, avec son père et
avec sa mère , en sorte que vous ne pouvez avoir en
mariage aucun des trois, et qu*un mariage que vous
contracteriez avec Tun d'entre eux seroit nul. Mais
cette parenté spirituelle n'est point entre vous par-
rain et marraine, ni entre la femme du parrain, et
le mari de la marraine.
*
ARTICLE II.
DU 8ACREKENT DE CONFIRMÀTIOÎf.
At^is d'un curé à ses paroissiens ^ pour la réception
du sacrement de Confirmation.
Je vous avertis, mes très-chers frères, que mon-
seigneur r Archevêque doit arriver (ou, est arrivé)
ici 9 dans le dessein de confirmer tous ceux et celles
174 ^^^ L^ COAFIUftATlOH.
qui n'ont point encore reça le sacrement de Confir-
mation.
lo II ne le donnera anx en&ns que quand ils
auront atteint environ Tâge de sept ans, où ils com-
mencent à avoir assez de connoissance pour se sou-
venir de ravoir reçu, et pour ne s'exposer point à
le recevoir dans la suite une seconde fois; car ce
sacrement ne doit jamais être réitère.
ao Quoique ce sacrement ne soit pas absolument
nécessaire pour le salut, il est néanmoins d'une
extrême importance que chacun ne manque pas de
le recevoir. Cest le don du Saint-Elsprit pour ré-
sister aux tentations continuelles de cette vie. Plus
nous sommes foibles et attaqués, plus nous avons
besoin de recourir à un si puissant secours. Le né-
gliger, c'est se rendre indigne d'une grâce si pré-
cieuse, et mériter de tomber, comme tombent les
âmes téméraires qui ne se défient point d'elles-mêmes^
et qui négligent les grâces offertes.
io Ce sacrement a été institué pour augmenter et
affermir en nous la grâce du Baptême, afin que nous
n'ayons jamais de honte de confesser Jésus-Christ
crucifié, que nous méprisions les railleries des liber-
tins, et même, s'il le falloit, les persécutions des
ennemis de notre salut ; afin que nous soyons dis-
posés à répandre notre sang dans le martyre pour
chacune des vérités de la foi en particulier, et que
nous ayons un courage humble, simple et modeste
contre toutesles tentations que nous n'aurons pu fuir.
4^ Monseigneur ne donnera la confirmation
qu'aux personnes exactement instruites de toutes les
principales vérités du Catéchisme. Il n'est point juste
sua LA conpiRMATioir. 1^5
de donner un si grand sacrement aux personnes qui
n'ont pas même voulu se donner la peine d'ap-
prendre ce que c'est que ce sacrement , quel en est
le fruit y et avec quelle disposition on doit le rece^
voir.
50 Les personnes d'un âge avancé qui n'ont point
encore reçu ce sacrement , par leur négligence pour
le demander, ou par leur paresse à s'instruire , doi-
vent se reprocher devant Dieu, de s'être privés pen^
dant un si long temps de la grâce de la Conflrmation,
et de s'être exposés par là à succomber dans toutes
les tentations oh ils ont péché.
60 Si les grandes personnes ont un peu plus de
peine que les petits enfans à apprendre mot pour
mot tout le Catéchisme y d'un autre côté^Hls ont une
facilité incomparablement pl^s grande pour ap-
prendre et pour retenir par jugement toutes ces vé-
rités salutaires. Ils sont inexcusables , quand ils ont
passé tant d'années en ce monde, sans connoitre
celui qui les y a mis y et sans être instruits des mys-
tères de la foi pour leur salut.
7<> Non-seulement vous devez mener vous-même
vos enfans, proches parens et amis, à l'église pour
les faire examiner, préparer, et présenter à la Con-
firmation; mais encore vous devez prendre ce soin
poar vos serviteurs et vos servantes; car vous ré-
pondrez d'eux à. Dieu, si vous négligez de les faire
instruire, et de les réduire à vivre avec règle. Celui
qui n'a pas soin de son domestique, dit l'Apôtre,
a renié sa foi et est pire quun infidèle •
8<> Aucun ne doit se présenter au sacrement de
Confirmation , stins avoir été confessé et absous de
17^ SUR LA CONFIRXATIOH.
ses péchés; car ce grand sacrement demande qu'on
soit en état de grâce, pour le recevoir dignement.
ARTICLE III.
DU SACREMENT DE l' EUCHARISTIE.
I.
j4uis d'un curé à ses paroissiens, pour les disposer
à la sainte communion*
Je me réjouis, mes très-chers frères, du bonheur
que vous aurez de recevoir aujourd'hui le plus grand
don que les hommes puissent recevoir ici-bas.
lO Quoique vos yeux n'aperçoivent dans TEu-
charistie qu'une apparence de pain, la foi néan-
moins y découvre, sous cette apparence, le vrai
corps de Jésus-Christ qui a été attaché sur la croix
pour nous. Il y est avec son sang répandu pour notre
salut, avec son ame, avec sa divinité. Il y est vivant,
immortel, glorieux, tel qu'il est à la droite de son
père. Comme Moïse changea en Egypte Teaa en
sang, et une baguette en un serpent ; comme Jésus-
Christ changea aux noces de Cana l'eau en vin ; de
même il change le pain et le vin en son corps et en
son sang, dès que le prêtre prononce en son nom à
la messe les paroles sacramentelles. C'est sa toute-
puissance qui fait ce miracle , comme tant d^autres
qui ne lui coûtent rien. Il faut sans raisonner croire
tout ce qu'il dit.. Les paroles des hommes sincères
disent
SUR L EUCBARI8TIB. IIH
disent ce qui est ; mais les paroles toutes-puissantes
du Fils de Dieu font ce qu'elles disent.
20 L'Eucharistie est le sacrement de l'amour.
Combien Jésus-Christ nous a-t-il aimés , puisqu'il
n'a pas dédaigné de se faire notre nourriture de cha-
que jour ! Il veut être nôtre pain quotidien , en sorte
qu'il soit Taliment le plus familier de nos ames^
comme le pain grossier nourrit nos corps. Le pain
des corps ne fait qu'en retarder la mort et la cor-
ruption : mais Jésus-Christ pain de nos âmes les
fera vivre éternellement. Cest le pain descendu du
ciel pour donner la vie au monde. C'est être ennemi
de soi-même, c'est vouloir mourir, que de n'être pas
afiàmé de ce pain. Le Sauveur est là qui vous at-
tend avec ses mains pleines de grâces. C'est l'agneau
égorgé pour les péchés du monde, qui vent être
maogé dans ce festin céleste. Venez, enfans de Dieu,
vous rassasier de cette chair divine, et vous désal-
térer dans ce sang , qui e&ce tous les péchés. Il ne
cache les rayons de sa gloire , que pour, u'éblouir
pas vos fbibles yeux, et pour vous accoutumer à
une plus grande familiarité. Croyez, espérez, aimez:
portez le bien -aimé danâ vos poitrines, et laissez-le
régner à jamais au dedans de vous. Chacun des
autres sacremens nous donne la grâce particulière
qui est propre à son institution; mais celui-ci nous
donne Jésus-Christ - même , source de toutes les
grâces, auteur et consommateur de notre foi.
3o Par ce sacrement, les hommes, s'ils sont bien
(Usposés, sont incorporés à Jésus^Cbrist, pour ne
&ire plus qu'un seul tout avec lui. Cette nourri-
ture, si elle est bien prise, fait que Jésus-Christ vit,
FtMÉLOJi. xviii. la
1^8 Smi L'EUCHAmiSTIB.
parle y ^Lgii, soaffre, et exeroe en nous tontes les
vertus. Elle nous fait croître chaque jour d*une vie
toute divine et cachée avec Jésus-Christ en Dieu.
Elle humilie notre esprit, elle mortifie notre chair,
elle dompte nos passions brutales, elle nous fortifie
contre les tentations , elle nous inspire le recueille-
ment et la prière ; elle nous tient unis à Dieu dans
une vie toute intérieure ; elle nous détache de cette
vie, si fragile et si courte; elle nous enflamme du
désir du règne de Dieu dans le ciel. Elle nous donne
une horreur infinie du péché mortel , et une crainte
filiale (fui nous alarme à la vue des fautes même les
plus vénielles ; elle nous soutient au milieu des croix
et des tentations , pour nous faire continuer notre
pèlerinage jusqu*à la montagne de Dieu.
4^ Mais avant que de manger ce pain des anges,
il faut que Fhomme s*épronve, qu*il interroge et
qu'il sonde son propre cœur, de peur de se rendre
coupable du corps et du sang du Sauveur. Qui-
conque Je recevroit dans une conscience impure,
avec quelque péché mortel , au lieu de se plonger
dans la fontaine d'eau vive, boiroit ettnangeroit son
jugement pour sa perte étemelle : il donneroit à
Jésus-Christ le baiser traître de Judas; il fonleroit
aux pieds le sang de la victime, par laquelle seule
il peut apaiser la colère de Dieu ; il ne feroit qu'a-
jouter à tous ses autres péchés les sacrilèges d'unf
confession sans pénitence et d'une communion in-
digne.
5o II seroit inutile de s'abstenir de la communion,
de peur de communier indignement. En 'commu-
niant indignement on change le pain de vie en
SUR LEUCHAniSTlE« I 79
poison y et on s'empoisonne, soi-même ; mais , en ne
communiant pas, on se prive de la nourriture, et
on se laisse mourir de défaillance dans cette priva-
tion. Il faut donc communier, et communier digne-
ment : il faut tout sacrifier, pour se mettre en état
de manger avec fruit ce pain quotidien; il faut
renoncer non-seulement aux péchés mortels, aux
vices grossiers et qui font horreur, mais encore aux
occasions dangereusi^ d'y tomber. Il faut même re-
noncer à raflTectioji volontaire pour les péchés vé-
niels, qai retranchent peu à peu les véritables
alimens de Tamour de Dieu au fond du coeur. Com^
ment peut-on nourrir en soi l'amour de Dieu au*
dessQs de tout , quand on veut demeurer attaché de
propos délibéré aux choses qui lui déplaisent « qui
contristent aon Saint-Esprit , et qui nous mettent en
tentation continuelle d'akner ce que Dieu veut que
nous n'aimions |>as7 Qusoid vous aurez fait ce sacri-
fice sincère à Dieu , vous mangerez en ange le pain
des anges. Vous ^vrea pour lui ; vous aurez la con-
solation de le recevoir fréquemment. La véritable
znaoière de communier est de le faire avec une telle
paretë de cceur, qu'on puisse le faire tous les jours,
selon f usage des premiers Chrétiens.
60 Après la conwOLunion , demeurez recueillis en
vous-mêmes > et intimement unis à Jésus- Christ que
TOUS portez dans votre poitrine, comme dans un
ciboire. Remerciez-le; écoutez-le; goûtez la joie de
le posséder : admirez son amour; priez -le de ne
VOUS quitter jamais.
l8o SUA LE0CBAmi5TIE.
IL
Bonheur de famé unie à Jésus-Christ dans la sainte
communion (*).
Qa'oD est riche , quand on porte son trésor au
fond de son cœur, et qu^on n*en veut plus d*autre!
Qu'on est heureux dans les croix^ lorsqu*oti a tou-
jours avec soi son consolateur! Qu'on e$t puissanl et
invincible , malgré ses sensibilités et ses foiblesses,
lorsqu'on possède • Jésus-Christ au dedans de soi!
Cest vous y ô mon Dieu y 6 mon amour ! c'est vous
que je reçois dans le sacrement j c'est vous qui nour-
rissez mon ame de votre chair, qui donne la vie au
monde y et de votre substance divine, qui est IVter-
nelle vérité. C'est vous que je tiens, que je goûte,
que je possède, que je garde reposant daas ma poi-
trine, comme votre disciple bien-aimé reposoit sur
la vôtre. Je vous ai ; n'ai-je pas tout 7 Qae me faut-il
encore 7 que me peut- il manquer? O Dieu d'amour,
vous rassasiez en moi tout désir! je suis plein, et
mon cœur ne peut plus s'ouvrir à aucun autre bien,
puisqu'il a le bien infini. Que craindrai-je avec celui
qui m'aime, et qui peut tout? Que ne souffiîrai-je
point pour l'amour de celui qui, après avoir souffert
la mort pour moi , vient encore souffrir dans mon
cœur, et de si près, toute» mes misères? Hélas! qui
(*) Cette exhortation et la raÎTante, qui paroiflMnt îd pour la pre
mière fois, ne sont pas tirées da ItUuel de Catnbrai» Noui piibliov
la première diaprés une copie authentique, jointe aux lettres àt Fe-
nâon à la comtesse de Grammont. L'antre est copiée du mamiBcnt
original. {^Edii, de P^ers.)
SUR L*EUCHARI8TlE. l8x
me donnera unô bouche pour louer, et un cœur
pour sen tir ses miséricordes 7 O sacrement , oh Tamour
se cache pour être cherché plus purement ! ô secret
merveilleux de Famour de mon Dieu ! mon cœur
tombe en défaillance , en approcliant de vous. Qu^ai-
je fait pour vous mériter? Pain des anges! vous vous
doonez aux plus grands pécheurs , et vous ne dé-
daignez* point d'entrer dans les c^isciences les plus
souillées. Que ferai -je pour me donner à vous? Tout
me manque en moi-même pour reconnoître tant de
grâces; nxais faîtes tout. Tavoue mon impuissance
et mon mdignîté; je manque même de sentimens
pour un si aimable mystère. Mais, ô amour I Vous
vous plaisez à reliiire dans npti*e -boue; faites donc
éclater vos merveilles dans ce cœur coiTompu;
aimez-vous vous-même en moi; plongez- votre créa-
ture, pour la renouveler, dans les flammes du Saint-
Esprit
III.
Exhortation adressée au duc de Bourgogne , au
moment d»sa première communion.
Le voilà enfin arrivé^, Monseigneur, ce jour que
vous avez tant désiré et ^attendu, ce jour qui doit
apparemment décider de tous les autres de votre vie
jusqu'à celui de votre mort. Ecce Salvalor tuus
venit, et merces ejus cum eo. Il vient à vous sous les
apparences de laliment le plus familier, afin de
nourrir votre, ame, comme le pain nourrit tous les
jours voire corps. Il ne vous paroitra qu'une par-
celle d'un pain commun ; mais la vertu de Dieu y
lH2 SUR L*E0CHAR18TIZ.
sera cachée ; et votre foi saura bien Yy trourer. Dite»
lui y comme Isaïe le disoit : F'erè tu es Deus abscon-
âitus. GVst un Dieu caché par amour; il nous voile
sa gloire , de peur que nos yeux n*en soient éblouis,
et afin que uous puissions en approcher plus fami-
lièrement. Accedite ad eum, dit un Psaume , et
illuminaminij et fades vestriB non confundentur.
Cesl là que vous prouverez la manne cachée, avec
les divers goûts 'de toutes les vertus célestes. Vous
mangerez le pain qui est au-dessus de toute sub-
stance. Il ne se changera pas eu vous homme vil et
mortel ; mais vous serez changé en iui pour être un
membre vivant du Sauveur. Que la foi et Tamour
vous fassent goûter le don de t>ieu4 Gustate, et videte
quoniam suauis^est Dominns»
ARTICLE IV.
DO SACRBMEMT DE L EXTRÊME- OH CTIOlf.
I.
Manière de suggérer aux malades les actes de foi j
d'espérance et de charité, auant la' réception de
l' Extrême-Onction.
lo Crotez-votts fermement tous les articles de.foi,
et tout ce qne notre mère la sainte Église catho-
lique, apostolique et romaine croit et enseigne?
Dites, si vous le pouvez, le Symbole des apôtres,
qui est l'abrégé de notre foi , et la marque qui dis-
tinguoit autrefois les Chrétiens.
SUA L*EXTKfe|iB-0«CT10]«. l83
Étes-vous prêt à mt^urir dans cette foi catho-
lique, comme un véritable enfant de TEglise? ne
voulez-vous pas rendre le dernier soupir dans son
sein , et recevoir de sa main les sacremens que Jâus-
Christ lui a confiés pour vous?
a<> Toute votre confiance n'est-elle pas en notre
seigneur Jésus-Christ 7 N'espérez- vous pas le royaume
du ciel y qu'il vqus a acquis par son sang 7
3^ N'aimez-vous pas Dieu pour lui-même au-
dessus de tout, et de tout votre cœur 7 ne désirez-vous
pas de Faîmer encore plus parfaitement, et comme
les saints Taiment sans cesse dans le ciel?
Dites : O sagesse, je crois toutes les vérités que
vous m'enseignez. O miséricorde ! j'espère tous les
biens que vous me promettez. O bonté! je vous aime,
et je ne veux plus rien aimer que pour vous et de
votre amour.
4^ Dites en voussnême : O jmon Dieu! comment
ai-je pu vous oublier, et vous ofienser? O patience
de mon Dieu ! comment avez-vous pu souffrir et at-
tendre si long-temps une créature si ingrate 7, J'ai
horreur de mes péchés ; je me jette entre les bras de
votre infinie miséricorde : ayez pitié d'un cœur, af-
fligé de vous avoir été infidèle ; lavez-moi dans le
sang de votre Fils.
5o Ajoutez tout haut, si vous le pouvez : Je de-
mapde pardon à toutes les personnes présentes ou
absentes vers lesquelles j'ai manqué^ ou par hauteur,
ou par promptitude, ou par prévention maLfondée,
ou par attachement à mon propre intérêt, ou par
quelque autre mauvais motif. Je les^ conjure de tout
]84 SV^ LE17AÊm*0IICT10H.
oublier pour Tamoar de celai qui nous a remis toutes
nos offenses.
6^ Êtes-vous bien résolu de faire un meillear
usage de la vie, si Dieu vous rend la santé , et de
recevoir la mort comme une grâce qui finit le danger
continuel de la vie, si Dieu vous appelle à lui?
7Û N*oârez-Yons pas à Dieu toutes les douleurs
de dbrps et d'esprit que vous soufirez, pour obtenir
la rémission de vos péchés? n*accepte^vous pas cette
maladie comme une pénitence? ne reconnoissez-
vous pas que vous mériteriez une souffrance éter-
nelle en la place d*un mal si léger ?
IL
Exhortation au malade, après quil a reçu le sa-
cremejU de V Extrême' Onction.
Après avoir reçu le sacrement qui donne la force
d'en haut dans le dernier combat contre rennemi du
saint, il ne vous reste plus qu'à vous dégager Tes-
prit de toutes les vaines pensées du monde trompeur.
La vanité et le mensonge ne doivent plus distiaire
un dirétien qui se prépare à aller comparottre de-
vant Jésus-Christ. Notre corps est une espèce de pri-
son oik notre ame est retenue, pour y souffrir, pour
y être tentée , et pour mériter en r&istant à la ten-
tation. Ce monde plein de traverses e^ un lieu d*exil:
le ciel est notre patrie ; c'est la terre promise ; c'est
le port oil nous jouirons du repos étemel après
la. tempête. Heureux ceux qui meurent au Seignenr.
la mort n'est qu'un moment de peine qui est le pas-
sage au royaume de Dieu : Jésus^hrist a voulu souf-
frir ponr la vaincre, et la vaincre pour nous* Mourons
avec lui, et la mort sera pour nous la véritable vie.
Comme la vie est un danger continuel , la mort est
une grâce qui assure Feflfêt de toutes les autres. Pour-
quoi craindre d^aller voir celui que nous aimons et
qui nous aime? Poi|rquoi craindre Tavénement de
son règne bienheureux en nous?
Anciennement on avoit coutume d'oiifdre les corps
de ceux qui dévoient combattre dans les spectacles
publics, afin que leurs membres fussent plus souples
et plus agiles dans le combat. Cest ainsi que FEglise
fait sur ses enfans les onctions mystérieuses du Bap-
tême , de la Confirmation et de FOrdre , afin qu'ils
combattent plus fortenK^nt dans les tentations de la
vie. Mais voici rExtréme*Onction, que vous venez de
recevoir pour le dernier combat, qui vous prépare
la couronne incapable de se flétrir.
Le principal effet de ce sacrement est de fortifier
votre ame contre la tentation de langueur, de tris-
tesse et de découragement, oii Tinfirmité du corps
la poorrolt jeter. Par la grâce de ce sacrement, l'es-
prit est soulagé, renouvelé, rendu victorieux de la
douleur, pendant que le corps s'appesantit et tend à
la corruption.
Le second effet est la rémission des péchés qui
peuvent rester encore dans Tame.
Enfin ce sacrement peut produire la santé du
corps, ou son soulagement, si c'est un bien pour
lame, et si les desseins de la Providence y convien-
nent.
l86 SUR LBXT&iLME-OaCTlOir*
Banimez votre foi ; nourrissez votre cœur de Tes-
permice ; laissez-le enflammer de la charité. Deman-
dez la grâce, sans laquelle on ne peut rien mériter ,
et souvenez-vous que Jâus*Cbrist a promis qu il
sera donné à -quiconque demandera* Combien dé-
sire*t-il de nous accorder sa grâce , puisqu'il nous
presse de la lui demander , et qu'il nous prévient par
elle f afin que nous la lui demandions 7 Comment ne
nous donneroit-il pas ses secours, après s'être donné
lui-même? // est ri<^ en miséricordes sur tous
ceux qui l'inffoquent* Attachez-vous donc à sa croix,
pour recevoir avec son sang les grâces qui découlent
de ses plains sacrées. Regawlez Jésus , votre sauveur,
qui du haut de cette croix, où son amour Ta atta*
ché, vous tend les bras pour vous recevoir. Vous
trouverez en lui une miséricorde encore plus grande
que votre misère. Ne vous découragez donc point à
la vue de vos péchés, aimez celui qui vous a aimé
lors même qiie vous ne Taimiez pas,«t que vous ïot
fensiez , et il vous sera remis beaucoup de péchés.
Fermez les yeu^c au monde entier, qui n'est plus
rien pour vous ; ne pensez plus qu'au bien-aimé qui
vous recevra à jamais dans son sein. Tousies travaux
sont passés ; tous les gémissemens sont finis ^ toutes
les douleurs et toutes les misères d'ici-bas s^enfui-
ront loin <le vous à jamais. Vous irez au royaume
des vivans voir la facie du Père céleste, et régner sur
le même trône ^vep Jésus-ChrisL
ARTICLE V.
1>U SACaBHEHT DE MARIi^E.
Exhortation aux nouveaux mariés^
Le Mariage, par lequel vous venez d'être unis en-
semble, est une alliance toute divine : il nous repré-
sente Tunion sacrée ^e Jésus- Christ avec TEglise son
épouse.
Le Mariage a été institué dès Torigine du genre
humain y avant sa corruption, et dans la parfaite
inoocence du paradis terrestre. Jésus-Christ a voulu
le sanctifier par sa présence aux noces de Cana , où
il fit son premier miracle. Il a voulu répandre par
ce sacrement une bénédiction abondante sur la
source de notre naissance, afin que ceux qui s'u-
nissent dans cet état ne songent quli avoir des en-
fans, et moins à en avoir, qu'à en donner à Dieu qui
ressemblent à leur Père céleste. Le lien du Maiiage
rend les deux personnes inséparables, et la mort
seule peut rompre ce lien. L'esprit de Dieu Ta réglé
ainsi pfur le bien des hommes, afin de réprimer l'in^
constance et la confusion qui troubleroient l'ordre
des familles et la stabilité nécessaire pour l'éduca-
tion des enfans. Ce joug perpétuel est difficile à sup-
porter pour la plupart des hommes légers, inquiets,
et remplis de défauts. Chacune des deux personnes
a ses imperfections; les naturels sont opposés; les
humeurs sont souvent presque incompatibles ; à la
longue la complaisance s'use; on se lasse les uns
des autres dans cette nécessité d'être presque tou-
l88 SUE LE UAIllÀGB.
jours ensemble et d'agir en toutes choses de concert.
Il faut une grande grâce, et une grande fidélité à la
grâce reçue, pour porter patiemment ce joug. Qui-
conque l'acceptera "par Tespérance de s*y contenter
grossièrement , y sera bientôt mécompte ; il sera
malheureux, et rendra sa compagne malheureuse.
C'est un état de tribulation et d'assujettissement tiès-
pénible, auquel il faut se préparer en esprit de pé-
nitence , quand on s'y croit appelé de Dieu. La grâce
du sacrement adoucit ce joug, et donne la force de le
porter sans impatience. C'est par cette grâce que les
deux personnes se supportent et «'entr'aident avec
amour.
Vous , époux, aimez votre épouse comme Jésus*
Christ a aimé son Eglise, qu'il a lavée de son sang,
et qui est l'objet de ses complaisances. Chérissez
votre épouse comme un autre vous-même, puisque
pa^* le mariage les deux personnes n'en font plus
qu'une. Epargnez - la , ménagez - la , conduisez - la
avec douceur et tendresse , par persuasion, vous sou-
venant de l'infirmité de son sexe, suivant l'instruction
de l'Apôtre. Communiquez-lui vos afiaires avec con
fiance, puisque les vôtres deviennent les siennes dans
cette intime société. Accoutumez-la à l'application ,
au travail domestique , au détail du ménage, afin
qu'elle soit en état d^élever des enfans avec autorité
et prudence, dans la crainte de Dieu.
Et vous, épouse, aimez et honorez votre époux
comme l'Eglise aime et honore Jésus-Christ son
époux. Regardez Jésus -Christ même en lui. Obéis-
sez-lui selon Dieu comme à votre chef, comme à
celui qui vous représente Dieu sur la terre. Tâchez
8VK LE MARIAGE. 189
de mériter sa confiance par votre douceur, par votre
complaisance y par votre modestie, par votre soin
pour le soulager. Soyez-vous inviolablement fidèles
Tun à Tautre. Ne vous contentez pas de fuir avec
horreur tout ce qui ressentiroit Tinfidélité, mais
évitez avec précaution jusquauz plus légers om-
brages qui pourroient altérer la confiance dans cette
sainte union. Montrez-vous Tun à l'autre une simpli«
cité et un9 modestie qui vous ôte réciproquement
toate défiance. Que votre état vous force à tenir plus
facilement la chair soumise à Tesprit, et non à lui
permettre une dangereuse licence.
Puisque les enfans sont les fruits de la bénédiction
da Mariage, je prie Dieu qu'il vous en donne qui
soient des saints, et qui servent un jour à vous con-
soler dans votre vieillesse.
INSTRUCTIONS ET AVIS
SUR DIVERS POlIfTS
DE LA MORALE,
ET DE
LA PERFECTION CHRÉTIENNE.
INSTRUCTIONS ET AVIS
SUR
DIVERS POINTS DE LA MORALE
ET
DE*LA PERFECTION CHRÉTIENNE.
I.
jâvis à une personne du monde ^ sur le bon emploi du
temps , et sur la sanciî/uuitîan J^s tsctions ordi-
naires.
«
Je comprends qae ce que vous désirez de moi n'est
pas seulement d'établir de grands principes pour
prouver la nécessité de bien employer le temps : il
y a long-temps que la grâce vous en a persuadé. On
est heureux quand on trouve des âmes avec qui il y
a, pour ainsi dire, plus de la moitié du chemin de
fait. Mais que cette parole ne paroisse pas vous flatter;
il en reste encore beaucoup à faire , et il y a bien
loin depuis la persuasion de l'esprit ^ et même la
bonne disposition du cœur^ jusqu'à une pratique
exacte et fidèle.
Rien n'a été plus ordinaire dans tous les temps /et
rien ne Test plus encore aujourd'hui , que de rencon-
trer des âmes parfaites et saintes en spéculation.
F'ous les connoitrez par leurs œuvres et par leur
Fénélom. xviii. i3
igi I>B L*£MPLOI DU TEia>S.
conduite^ dit le Saaveur da monde (0. Et c'est la
seule règle qui ne trompe point, ponirii qu'elle
9oit bieQ développée : c'etf par là qae nous devons
juger de noos-mémes.
n jr a plusieurs temps à distinguer dans votre vie;
mab la maxime qui doit se répandre uDiverseUement
sar tous les temps , c'est qu'il ne doit point y en a?oir
d'inutiles; qu'ils entrent tous dans l'ordre et dans
Tenchaînement de notre salut ; qu'ils sont tous char-
gés de plusieurs devoirs que Dieu y a attachés de sa
propre main , et dont il doit nous demander compte:
car, depuis les premiers instans de notre être jus-
qu'au dernier moment de notre vie, Dieu n'a point
prétendu nous laisser de temps vide , et qu'on paisse
dire qu'il ait abandonné à notre discrétion , ni pour
le perdre. L'importance est de connoitre ce qu'il
désire que nous en fassions. On y parvient , non
par une ardeur empressée et inquiète, qui seroit plu*
tôt capable de tout brouiller que de nous éclairer
sur nos devoirs, mais par une soumission sincère à
ceux qui nous tiennent la place de Dieu ; en second
lieu , par un cœur pur et droit qui cherche Dieu dans
la simplicité y et qui combat sincèrement toutes les
duplicités et les fausses adresses de l'amour-propre à
mesure qu'il les découvre : car on ne perd pas seu-
lepient le temps en ne faisant rien ou en faisant le
mal, mais on le perd aussi en faisant autre chose
quç ce que Ton devroit, quoique ce que Ton fait soit
bon. Nous sommes étrangement ingénieux à nous
chercher nous-mêmes perpétuellement ; et ce que les
âmes mondaines font grossièrement et sans se cacher,
{})Matth. yii, i5.
DE L EMPLOI DU TEMPS. 1^5
les personnes qui ont le dësir d'être à Diea le font
souvent plus finement, à la faveur de quelque pré-
texte, qui, leur servant d« voile, les empêche de voir
la diiTormitë de leur conduite.
Un moyen générai ponr tnen employer le temps,
c^est de s*accoutumer à vivre dans une dépendance
continuelle de l'Esprit de Dieu, recevant de moment
en moment ce qu'il lui platt de nous donner; le con-
sultant dans les doutes où, il faut prendre notre parti
sur-le-champ ; recourant à lui dans les aObiblisse-
mens où la vertu tombe comme en défaillance ; l'in-
voquant et s'élevant vers lui, lorsque le cœur, en-
traîné par les objets sensibles, se voit conduit
imperceptiblement hors de sa route, se surprend
dans Toubli et dans Téloignement de Dieu.
Heureuse l'ame, qui, par un renoncement sincère
à elle-même , se tient sans cesse entre les mains de
son créateur, prête à faire tout ce qu'il voudra,
et qui ne se lasse point de lui dire cent fois le jour :
Seigneur, que voulez-vous que je fasse {^) ? Ensei-
gnez^moi hfaire votre sainte volonté ^ parce que vous
êtes mon Dieu W. Voua montrerez que vous êtes
mon Dieu en me l'enseignant , et moi que je suis vo-
tre créature en vous obéissant. En quelles mains ,
grand Dieu, serois-je mieux que dans les vôtres?
Hors de là mon ame est toujours exposée aux atta-
ques de ses ennemis, et mon salut toujours en danger.
Je ne suis qu'ignorance et que foiblesse ; et je tien-
drois ma perte assurée si vous me laissiez à ma pro-
pre conduite , disposant à mon gré du temps précieux
que vous me donnez pour me sanctifier, et marchant
CO Act. IX. 6. — (») Ps. cuM. lo. ^
196 IMB L*EMPLOI DU TEMPS.
aveuglement dans les voies de mon propre cœar. En
cet état que ponrrois-je faire à tonte heure, qu*uD
mauvais choix? et que serais- je capable d'opërer en
moi , qu*un ouvrage d'amour-propre, de jtëchë et de
damnation? Envoyez donc. Seigneur , votre lumière
pour guider mes pas : distribuez-moi vos grâces en
toutes occasions selon mes besoins, comme on distri-
bue la nourriture aux enfans selon leur âge et selon
leur foiblesse. Âpprenez-moi , par un saint usage da
temps présent que vous me donnez , à réparer le
passé, et à ne jamais compter follement sur Favenir.
Le temps des affaires et des occupations extérieures
n'a besoin , pour être bien employé, que d'une simple
attention aux ordres de la divine Providence. G)mme
c'est elle qui nous les prépare et qui nous les pré-
sente, nous n'avons qu'à la suivre avec docilité,
et soumettre entièrement à Dieu notre hameur,
notre volonté propre, notre délicatesse, notre in-
quiétude, les retours sur «nous-mêmes, ou bienTé-
panchement, la précipitation, la vaine joie et les
autres passions qui viennent à la traverse, selon
que les choses que nous avons à traiter nous sont
agréables ou incommodes. Il faut bien prendre
garde à ne se pas laisser accabler par ce qui vient
du dehors , et à ne se pas noyer dans la multitude
des occupations extérieures, quelles qu'elles puis-
sent être.
Nous devons tâcher de commencer toutes nos en-
treprises dans la vue de la pure gloire de Dieu , les
continuer sans dissipation, et les finir sans empresse-
ment et sans impatience.
Le temps des entretiens et des divertissemens est le
DE L EMPLOI DU TEMPS. IQ']
plus dangereux pour nous, et peut«^tre le plus utile
pour les autres : on y doit être sur ses gardes, c'est-à-
dire plus fidèle en la présence de Dieu. La pratique
de la vigilance chrétienne tant recommandée par no*
tre Seigneur, les aspirations et les élévations d'esprit
et de cœur vers Dieu,- non-seulement habituelles
mais actuelles, autant qu'il est possible, par les vues
simples que la foi donne ; la dépendance douce et
paisible que l'ame garde envers la grâce , qu'elle re-
connott pour le seul principe de sa sûreté et de sa
force ; tout cela doit être mis alors en usage pour
se préserver du poison subtil qui est souvent ca-
ché sous les entretiens et les plaisirs , et pour savoir
placer avec sagesse ce qui peut instruire et édifier
les autres. Gela est nécessaire Surtout pour ceux
qui ont entre les mains un grand pouvoir, et dont
les paroles peuvent faire ou tant de bien ou tant de
mal.
Les temps libres sont ordinairement les plus doux
et les plus utiles pour nous-mêmes. Nous ne pouvons
guère en faire un meilleur emploi que de les consa-
crer à réparer nos forces, (je dis même nos forces
corporelles) dans un commerce plus secret et plus
intime avec Dieu. La prière est si nécessaire, et est la
source de tant de biens, que l'ame qui a trouvé ce
trésor ne peut s'empêcher d'y revenir dès qu'elle est
laissée à elle-même.
Il y auroit d'autres choses à vous .dire sur ces trois
sortes de temps î peut-être pourrpis-je en dire quel-
que chose, si les vues qni me frappent présentement
ne se perdent pas; en tout cas, c'est une fort petite
perte. Dieu donne d*autres vues quand il lui plait :
19^ DE LEXPU>I ]>U TEMPS.
s*il n*en donne pas, c'est une marque qu'elles ne sont
pas nécessaires ; et , dès qu'elles ne sont pas néces-
saires pour notre bien, nous devons être bien aises
qu'elles soient perdues.
IL
jivis à une personne de la Cour, Se permettre sans
scrupule les divertissemens attachés à son état ;
les sanctifier par une intention pure*
Vous ne devez point, ce me semble , tous embar-
rasser sur les divertissemens oik vous ne pouvez éviter
de prendre part. Il y a bien des gens qui veulent
qu'on gémisse de tout, et qu'on se gêne continuelle-
ment en excitant en soi le dégo&t des amusemens aux-
quels on est assujetti. Pour moi , j'avoue que ]e ne
sanrois m'accommoder de cette rigidité. J'aime mieux
quelque chose de plus simple , et je crois que Dieu
même l'aime beaucoup mieux. Quand les divertis-
semens sont innocens en eux- mêmes , et qu'on y
entre par les règles de l'état où la Providence nous
met , alors je crois qu'il suflit d'y prendre part avec
modération et dans la vue de Dieu. D^ manières
plus sèches , plus réservées , moins complaisantes et
moins ouvertes, ne serviroient qu'à donner une fausse
idée de la piété aux gens du monde, qui ne sont déjà
que trop préoccupés contre elle, et qui croiroieot
qu'on ne peut servir Dieu que par une vie sombre
et chagrine.
Je conclus donc que quand Dieu met dans cer-
DES BlYERTISSEMENS ATTACHÉS A L ÉTAT. I99
taines places qui engagent k être de tout , au lieu oii .
vous êtes , il n'y a qu à y demeurer en paix sans se
chicaner continuellement soi-même sur les motjfs
secrets qui peuvent insensiblement se glisser dans le
cœur. On ne finiroit jamais si on vouloit continuel-
lement sonder le fond de son cceur ; et en voulant
sortir de soi pour cbercber Dieu , on s^occuperoit
trop de soi dans ces examens si fréquens. Marchons
dans la simplicité du cyeur avec la paix et la joie ,
qui sont les fruits du iyiint-'Esprit. Qui marche en la
présence de Dieu dans le^ choses les plus indiffé-
rentes , ne cesse point de faire Tceuvre de Dieu ,
quoiqu'il ne paroisse rien faire de solide et de sé-
rieux. Je suppose toujours qu'on est dans Tordre
de Dieu ^ et qu'on se confteme aux règles de la
Providence dans sa condition en faisant ces choses
indiiférentes.
La plupart des gens , quand ils veulent se con-
vertir ou se réformer, songent bien plus à remplir
lear vie de certaines actions difficiles et extraordi-
naires, qu'à purifier leurs intentions, et à mourir à
leurs inclinations naturelles dans les actions les plus
communes de leur état : en quoi ils se trompent fort
souvent. Il vaudroit beaucoup mieux changer moins
les actions , et changer davantage la disposition du
coeur qui les fait faire. Quand on est déjà dans une
vie honnête et réglée, il est bien plus pressé, pour
devenir véritablement chrétien , de changer le dedans
que le dehors. Dieu ne se paie ni du bruit des lèvres,
ni de Ja posture du corps , ni des cérémonies exté-
rieures : ce qu'il demande , c'est une volonté qui ne
soit plus partagée entre' lur et aucune créature; c'est
aOO DES DIYEaTISSEVEHS
nne volonté soapie dans ses mains, qui ne désire et
ne rejette rien , qui veuille sans réserve tout ce qu il
vent y et qui né veuille jamais, sous aucun prétexte^
rien de tout ce qu'il ne veut pas.
Portez cette volonté toute simple , cette volonté
toute pleine de celle de Dieu , partout oh sa pro-
vidence vous conduit. Cherchez Dieu dans ces heures
qui paroissent si vides; et elles seront pleines pour
vous , puisque Dieu vous y^outiendra. Les amuse*
mens même les plus inutiles li tourneront en bonnes
oeuvres, si vous n'y entrez que selon la vraie bien-
séance , et pour vous y conformer à l'ordre de Dieu.
Que le cœur est au large quand Dieu ouvre cette
voie de simplicité 1 On marche comme de petits en-
fans , que la mère mène par la main , et qui se lais-
sent mener sans se mettre en peine du lieu où ils
vont. On est content d'être assujetti , on est content
d'être libre ; on est prêt à parler, on est prêt à se
taire. Quand on ne peut dire des choses édifiantes,
on dit des riens d'aussi bon cœur; on s'amuse à ce
que saint François de Sales appelle des jojreusetés:
par là on se délasse en délassant les autres.
Vous me direz peut-être que vous aimeriez mieux
être occupée de quelque chose de plus sérieux et de
plus solide. Mais Dieu ne l'aime pas mieux pour
vous, puisqu'il choisit ce que vous ne choisiriez pas*
Vous savez que son goût est meilleur que le vôtre.
Vous trouveriez plus de consolation dans les choses
solides dont il vous a donné le goût ; et c'est cette
consolation qu'il veut vous ôter ; c'est ce goût qui!
veut mortifier en vous, quoiqu'il soit bon et salu-
taire. Les vertus mêmes ont besoin d'être purifiées
▲TTAGHÉfi A LÉTAT. ^01
dans leur exercice, par les contre-temps que la Pro-
vidence leur fait souffrir pour les mieux détacher de
toute volonté propre. O que la piété , quand elle est
prise par le principe fondamental de la volonté de
Dieu, sans consulter le goût , ni le tempérament, m
les saillies d'un zèle excessif, est simple, douce,
aimable, discrète et sûre dans toutes ses démarches !
Oq vit à peu près comme Jes autres gens, sans affec-
tation, sans apparence d'austérité, dune manière
sociable et aisée, mais avec une sujétion perpétuelle
à tous ses devoirs, mais avec un renoncement sans
relâche à tout ce qui n'entre point d'un moment à
l'autre dans l'ordre de Dieu sur nous, enfin avec
une vue pure de Dieu à qui on sacrifie tous les mou-
vemens irréguliers de la nature. Voilà l'adoration
en esprit et en vérité que lésus-Christ et son Père
cherchent. Tout le reste n'est qu'une religion en
céréoTonie , et plutôt l'ombre que la vérité du chris-
tianisme.
Vous me demanderez sans doute par quels moyens
ou peut, parvenir à se conserver dans cette pureté
d'intention , dans une vie si commune, et qui paroît
si amusée. On a bien de la peine, direz-vous, à dé-
fendre son cœur contre le torrent des passions et des
mauvais exemples du monde, lorsqu'on est à toute
beure en garde contre soi-même ; comment pourra-
t-on donc espérer de se soutenir si l'on s'expose avec
tant de facilité aux divertjssemens qui empoison-
nent, ou qui du moin^ dissipent avec tant de danger
une ame chrétienne?
J'avoue le danger, et je le crois encore plus grand
qu'on ne saur oit le dire. Je conviens de la nécessité
aOa DBS DITEftTISSEStElfS
de 86 précauUonner cootre tant de piëges ; et ?oià
à quoi je voudrois rédaire ces précaotions.
Premièrement je crois que vous devez poser pour
fondement de tout la lecture et la prière. Je ne parle
point ici d'une lecture de curiosité pour vous rendre
savante sur les questions de religion; rien n'est plus
vain, plus indécent , plus dangereux. Je ne voudrois
que des lectures simples, éloignées des moindres
subtilités , bornées aux cnoses d'une pratique sen-
sible, et qui soient toutes tournées à nourrir le cceur.
Évitez tout ce qui excite l'esprit , et qui fait perdre
cette heureuse simplicité qui rend l'ame docile e(
soumise à tout ce que l'Eglise enseigne. Quand vous
ferez vos lectures, non pour savoir davantage, mais
pour apprendre mieux è vous défier de voDS-méme,
elles se tourneront toutes à profit. Ajoutez à la lec-
ture la prière , oili vous méditerez en profond^silence
quelque grande vérité de la religion. Vous ponvez le
faire en vous attachant à quelque action on à quelque
parole de Jésus-Christ. Après avoir été convaincue
de^la vérité que vous voudrez considérer, faites-eu
l'application sérieuse et précise pour la correction
de vos défaute en détail ; formez vos résolutions de-
vant Dieu , et demandez-lui qu'il vous aninac pour
vous faire accomplir ce qu'il vous donne le courage
de lui promettre. Quand vous apercevrez que voire
esprit s'égarera pendant cet exercice, ramcnex*
doucement sans vous inquiéter , et sans vous décou-
rager jamais de l'importunité de ces distractions qu
sont opiniâtres. Tandis qu'elles seront involontaires,
elles ne pourront vous nuire; au contraire, ^
vous serviront plus qu'une prière accompag**^" "
ATXÀtlUÉS A, LÉTAT. ao3
consolation et d'une ferveur toute sensible ; car elles
vous humilieront , vous mortifieront , et vous accou*
tumeront à chercher Dieu purement pour lui-même
sans mélange d'aucun plaisir. Peurvu que vous
soyez fidèle à vous dérober des temps réglés soir et
matin pour pratiquer ces choses, vous verrez qu'elles
vous serviront de contre-poison contre les dangers
qui vous environnent. Je dis le soir et le matin ,
parce qu'il' &ut renouveler de temps en temps la
nourriture de Tame aussi bien que celle du corps y
pour empêcher qu'elle ne tombe en défaillance en
s'épuisant dans le commerce des créatures. Mais il
faat être ferme contre soi et contre les autres pour
réserver tou]our% ce temps. Il ne faut jamais se lais*
ser entraîner aux ocoupattons extérieures, quelque
bonnes qu'elles soient , jusqu'à perdre le temps de
se nourrir.
La seconde précaution que. je crois nécessaire,
est de prendre, suivant qu*on est libre et qu'on sent
son besoin, certains jours pour se retirer entière-
ment et pour se recueillir. C'est là qu'on guérit se^
crètement aux pieds de Jésus-Christ toutes les plaies
de son cœur , et qu'on efface toutes les impressions
malignes du monde. Gela sert même à la santé ; car,
pourvu qu'on sache user simplement de ces courtes
retraites, elles ne reppsept pas moins le corps que
l'esprit.
Troisièmement , je suppose que vous vous bornez
aux divertissemens convenables à la profession de
piété que vous faites , et au bon exemple que le
monde même attend de vous. Car le monde, tout
monde qu'il est , veut que ceux qui le méprisent ne
204 DES DITBRTISSEIIEHS
se démenteat en rien dans le mëpris qa*ils ont pour
lui , et il ne peot s'empêcher d^estimer cens par qui
il se voit méprisé de bonne foi. Vous comprenez
bien qoe les vrais chrétiens doivent se réjouir de
ce qae le monde est un censeur si rigoureux ; car
ils doivent se réjouir d'être par là dans une nécessité
plus pressante de ne rien faire qui ne soit édifiant.
Enfin je crois que vous ne devez entrer dans les
divertissemens de la Cour, que par complaisance et
qu'autant qu'on le désire. Ainsi , toutes les fois que
vous n'êtes ni appelée ni désirée , il ne faut jamais
paroltre, ni chercher à vous attirer indirectement une
invitation. Par là vous donnerez à vos affaires do-
mestiques et aux exercices de piétéXout ce que vous
serez libre de leur donner. Le public , on du moins
les gens raisonnables et sans fiel* contre la vertu,
seront également édifiés , et de vous voir si dis-
crète pour tendre à la retraite quand vous êtes
libre y et sociable pour entrer avec condescendance
dans les divertissemens permis quand vous y serez
appelée.
Je suis persuadé qu'en vous attachant à ces rè-
gles ^ qui sont simples , vous attirerez sur vous une
abondante bénédiction. Dieu , qui vous mènera
comme par la main dans ces divertissemens ^ vous
y soutiendra. Il s'y fera septir à vous. La joie de sa
présence vous sera plus douce que tous les plaisirs
qui vous seront offerts. Vous y serez modérée , dis-
crète et recueillie sans contrainte, sans affectation,
sans sécheresse incommode aux autres. Vous serez,
suivant la parole de saint Paul , au milieu de ces
choses comme n'y étant pas ; et y montrant néao^
ATTÀ€nÉS A LÊTAT. ao5
moins une hatneur gaie et complaisante ^ vous serez
toute h tons.
Si vous apercevez que l'ennui vous abat on que
la joie vous évapore, vous reviendrez doucement et
sans vous troubler dans le sein du Père céleste , t{ui
vous tend sans cesse les bras. Vous attendrez de lui
la joie et la liberté d'esprit dans la tristesse y la mo-
dération et le recueillement dans la joie; et vous
verrez qu'il ne vous laissera manquer de rien* Un re-
gard de confiance , un simple retour de votre cœur
sur lui vous renouvellera ; et » quoique vous sentiez
souvent votre ame engourdie et découragée, dans
chaque moment oîi Dieu vous appliquera à faire
quelque chose, il vous donnera la facilité et le cou-
rage selon ^tre besoin. Voilà le pain quotidien que
nous demandions à toute heure, et qui ne nous man-
quera jamais; car notre Père, bien loin de nous
abandonner, ne cherche qu'à trouver nos cœurs
ouverts pour j verser des torrens de grâce.
III.
Aï^is à une personne de la Cour. Accepter en esprit
de résignation les assujettissemens de son état*
Les chaînes d'or ne sont pas nioins chaînes que
les chaînes de fer : on est exposé à l'envie, et l'on est
digne de compassion. Votre captivité n'est en rien
préférable à celle d^une personne qu'on tiendroit in-
justement en prison. L'unique chose qui doit vous
donner une^olide consolation ^ c'est que Dieu vous
ao6 RÉSIGNATION
ôte votre liberté ; et c'est cette consolatioD-là même
qui soutiendroit dans la prison la personne ionocenle
dont je viens de parler. A.insi vous n*avez rien au-
dessus d*elle qu*un fantôme de gloire , qui, ne vous
doânatit aucun avantage-effectif, vous met en danger
d'être éblouie et trompée.
• Mais cette consolation de vous troayer, par an
ordre de la Providence , dans la situation oci vous
êtes, est une consolation inépuisable. Avec elle rien
ne peut jamais vous manquer ; par elle les chaînes
de fer se changent, je ne dis pas en chaînes d'or, car
nous avons vu combien les chaînes d'or sont mépri-
sables, mais en bonheur et en liberté. A quoi nous
sert cette liberté naturelle dont nous sommes jaloux?
A suivre nos inclinations mal réglées, voÊne daosles
choses innocentes ; à flatter notre orgueil^jui s'enivre
dMndépendance ; à faire notre propre volonté, ce qui
est le plus mauvais usage que nous puissions faire
de nous-mêmes.
Heureux donc ceux que Dieu arrache à leur pro-
pre volonté pour les attacher à la sienne! Autant
que ceux qui s'enchaînent eux-mêmes par leurs pas-
sions sont misérables, autant ceux que Dieu prend
plaisir à enchaîner de ses propres mains sont-ils libres
et heureux. Dans cette captivité apparente ils ne font
plus ce qu'ils voudroient : tant mieux; ils font, de-
puis le matin jusqu'au soir, contre leur goût, ce que
Dieu veut qu'ils fassent; il les tient comme pieds et
mains liés dans les liens de sa volonté ; il ne les laisse
jamais un seul moment à eux-mêmes; il est jaloux
de ce moi tyrannique qui veut tout pour lui-même»
il mène sans relâche de sujétion en sufétion, dim*
DABS LES ASfiUJETTiSS. DE SON ÉTAT. 207
portunité en importunitë, et vous fait accomplir ses
plus grands desseins par des ëtats d^ennuis, de con-
versations puériles et d'inutilité dont on est honteux.
II presse Famé fidèle^ et ne la laisse plus respirer : à
peine un importun s'en va , que Dieu en envoie un
autre pour avancer son œuvre. On. voudroit être li-
bre pour penser à Dieu ; mais on s'unit bien mieux à
lai en sa volonté crucifiante, qu'en se consolant par
des pensées douces et affectueuses de ses bontés. Qn
voudroit être à soi pour être plus à Dieu; on ne
songe point que rien n'est moins propre pour être à
Dieu que de youloir encore être à soi. Ce moi du
vieil homme, dans lequel on veut rentrer pour s'unir
à Dieu y est mille fois plus loin de lui que la bagatelle
la plus ridicule ; car il y a dans ce moi un venin subtil
qui n'est point dans les amusemens de l'enfance.
Il est vrai que l'on doit proÇter de tous les mo-
mens qui' sont libres pour se dégager; il faut même,
par préférence à tout le reste, se réserver des heu-
res pour se délasser l'esprit et le corps dans un état de
recueillement; mais pour le reste de la journée, que
le torrent emporte malgré nous, il faut se laisser en-
traîner sans aucun regret. Vous trouverez Dieu dans
cet entraînement; vous l'y trouverez d'une manière
d autant plus pure, que vous n'aurez pas choisi cette
manière de le chercher.
La peine que l'on souffre dans cet état de sujétion
^t une lassitude de la nature qui voudroit se conso*
1er, et non un attrait de l'esprit de Dieu. On croit re-
gretter Dieu, et c'est soi-même qu'on regrette; car
ce que l'on trouve de plus pénible dans cet état gé*-
nant et agité, c'est qu on ne peut jamais être libre
ao8 AÉCIOIIATIOH
avec soi-même} éest le goût da moi qui nous reste,
et qui demanderoit un état plus calme pour jouir à
notie mode de uotre esprit, de dos sentimeus et de
toutes nos bonnes qualités, dans la société de certai-
nes personnes délicates qui seroient propres à nous
faire sentir tout ce que le moi a de flatteur ; ou bien
on voudroit jouir en sQence de Dieu et des douceurs
de la piété, au lieu que D^u veut jouir de nous, et
nous rompre pour nous accommoder à toutes ses
volontés»
. Il mène les autres par Tamertume des privations;
pour ^ous il vous conduit par FaccablMiient de la
jouissance des vaines prospérités : il rend votre état
dur et pénible, h force d'y mettre ce que les aveugles
croient qui fait la parfaite douceur de la vie. Ainsi
il fait deux choses salutaires en vous; il vous instruit
par expérience, et vous fait mourir par les choses qui
entretiennent la vie corrompue et maligne du reste
des hommes. Vous êtes comme ce roi qui ne pou-
voit rien toucher qui ne se convertit en or sous sa
main; tant de richesses le rendoient malheureux:
pour vous vous serez heureuse en laissant faire Dieu,
et en ne voulant le trouver que dans les choses oii il
veut être pour vous.
En pensant à la misère de votre faveur, à la servi*
tnde ou vous gémissez, les paroles de Jésus-Christ à
saint Pierre me sont revenues dans l'esprit : Autre-
fois tu marchois comme tu voulois ; mais quand tu
seras dans un dge plus avancé, un autre phis fort
que toi te guidera et te mènera oh tu ne voudras
pas aller U)> Laissez -vous aller et mener, n'hési-
CO/oofi.xxi. i8.
tes
Oins LBS ASSUJETTiSS. DE SON ÉTAT. SOg
tez point dans la voie ; vous irez^ comme saint Pierre,
où la nature jalouse de sa vie et de sa liberté ne veut ^
point aller : vous irez au pur amour, au parfait re-
noncement, à la mort totale de votre propre volonté
en accomplissant celle de Dieu qui vous mène selon
son bon plaisir.
Il ne faut pas attendre la liberté et la retraite pour
se détacher de tout, et pour vaincre le vieil homme :
la vue d'une situation libre n'est qu'une belle idée;
peut-être n'y parviendrons -nous jamais. Il faut se
tenir prêt à mourir dans la servitude de notre état.
Si la Providence prévient Jios projets de retraite,
nous ne sommes point à nous ; et Dieu ne nous de-
mandera que ce qui dépend de nous. Les Israélites
dans Babylone soupiroient après Jérusalem; mais
combien y en eut-il qui ne revirent jamais Jérusalem,
et qui finirent leur vie à Babylone ! Quelle illusion,
s'ils eussent toujours différé, jusqu'à ce temps de leur
retour dans léhr patrie, à servir fidèlement le vrai
Dieu, et à Ae perfectionner! Peut-être serons-nous
comme ces Israélites.
IV.
jiyis à une personne de la Cour. Des croix attachées
à un état de grandeur et de prospérité.
DiBu est ingénieux à nous faire des croix. Il en
fait de fer et dis plomb, qui sont accablantes par elles-
mêmes; il en sait faire de paille, qui Semblent ne
peser rien, et qui ne sont pas moins difficiles à por-
Fénélo». xviii. i4
2 10 CmOIX ATTACHÉES A LA GftAKDBUE.
ter ; il en fait d'or et de pierreries, qui ëblouissenl
^es spectateurs y qui excitent Tenvie du public, mais
qui ne crucifient pas moins que les croix les plus
méprisées. Il en fait de toutes les choses qu'on aime
le plus, et les tourne en amertume. La faveur attire
la gène et Timportunité; elle donne ce qu'on ne voa-
droit point; elle ôte ce qu'on voudroît.
Un pauvre qui manque de pain a une croix de
plomb dans son extrême pauvreté. Dieu sait assai-
sonner les plus grandes prospérités de misères sem-
blables. On est, dans cette prospérité, afiamé de li-
berté et de- consolation yoomme ce pauvre Test de
pain : du moins il peut, dans son malheur, heurter
à toutes les portes, et exciter la compassion de tous
les passans : mais les gens en faveur sont des pauvres
honteux; ils n'osant faire pitié, ni chercher quelque
soulagement. II platt souvent à Dieu de joindre Tin-
firmité corporelle ^. cette servitude de Tesprit dans
l'état de grandeur. Rien n'est plus uti(& que ces deux
croix jointes ensemble ; elles crucifient l'homme de-
puis la tête jusques aux pieds : on sent son impuis-
sance et l'inutilité de tout ce qu'on possède. Le
monde ne voit point votre croix ; car il ne regarde
qu'un peu d'assujettissement adouci par l'autorité, et
qu'une légère indisposition qu'il peut soupçonner de
délicatesse; ea même temps vous ne vojes dans votre
état quç l'amertume, la sécheresse, l'ennui, la cap-
tivité, le découragement, la douleur, l'impatience.
Tout ce qui ébloait de loin les spectateurs disparoît
aux yeux de la personne qui possède, et Dieu la cru-
cifie réellemAit pendant que tout le monde envie son
bonheur.
Y.ftOIX ATTACHÉES A LA GRANDEUR. 211
Ainsi la Providence sait nous mettre à toutes sor-
tes cTéprenves dans tous les états. Il ne nous fatit
point déchoir de cette grandeur, et sans des chu-
tes et des calamités on peut avaler le calice d'amer-
tume; on Favale jusqu*à la lie la plus amère dans les
coapes d*or qui sont servies à la table des rois. Dieu
prend plaisir à confondre ainsi la puissance humaine,
qui n'est qu'une impuissance déguisée. Heureux qui
voit ces choses par les yeux illumina du cœur, dont
parle saint Paul (0! La faveur, vous le voyez et vous
le sentez, ne donne aucune véritable consolation;
elle ne peut rien contre leâ manx ordinaires de la
natnre ; elle en ajoute beaucoup de nouveaux, et de
très*cuisans, à ceux de la nature même déjà assez
misérable. Les importunités de la faveur sont 'plus
douloureuses qu'un rhumatisme ou qu'une migraine :
mais la religion met à profit toutes les charges de la
grandeur; elle ne la prend que comme un esclavage,
et c'est dans l'amour de cet esclavage qu'elle trouve
une liberté d'àutaiit plus véritable qu'elle est plus
inconnue aux hommes.
Il ne faut trouver dans la prospérité rien de bon
que ce que le monde n'y peut connoître, je veux
dire la croix. L'état de faveur n'épargne aucune des
peines de la nature: elle en ajoute de grandes; et
elle fait encore qu'on ne peut prendre les soulage-
mens qu'on prendrott si on étoit dans la disgrâce.
Au moins dans une disgrâce, pendant la maladie,
on verroit qui on voudrait, on n'entendroit aucun
bruit : mais dans la haute faveur il' faut que la croix
{*) Ephu, I. i8.
212 CROIX ATTÀCBÉES ▲ LA GAAUDBUK.
soit complète; il faut vivre poar autrui quand on
auroit besoin d'être tout à soi ; il faut n*avoir aucun
besoin y ne rien sentir, ne rien vouloir, n*étre in-
commode de rien, et être poussé à bout par les ri-
gueurs d'une trop bonne fortune. C'est que Dieu
veut rendre ridicule et affreux ce que le monde ad-
mire le plus. C'est qu'il traite sans pitié ceux qu il
élève sans mesure, pour les faire servir d'exemple.
C'est qu'il veut rendre la croix complète, en la pla-
çant dans la plus éclatante faveur, pour déshonorer
la faveur mondaine. Encore une fois, heureux sont
ceux qui dans cet état considèrent la main de Dieu
qui les crucifie par miséricorde I Qu'il est beau de
faire son purgatoire dans le lieu oii les autres cher-
chent leur paradis, sans pouvoir en espérer d'autre
après cette vie si courte et si misérable 1 -
Dans cet état, il- n'y a presque rien à faire : Dieu
n*a pas besoin que nous lui disions beaucoup de pa-
roles, ni que nous formions beaucoup de pensées;
il voit notre cœur, et cela lui siiiBit; il voit bien
notre souffrance et notre soumission. On n'a que
faire de répéter de moment en moment à une per-
sonne qu'on aime : Je vous aime de tout mon cœur;
il arrive même s.ouvent qu'on est long-temps sans
penser qu'on l'aime, et on ne l'aime pas moins dans
ce temps-là que dans ceux où on lui fait les plus
tendres protestations. Le vrai amour repose dans le
fond du cœur; il est simple, paisible et silencieux;
souvent on s'étourdit soi-même en multipliant les
discours et les réflexions* Cet amour sensible n'est
que dans une imagination échauffée.
CROIX ilTTÂCBÉBS À LA GlAJIDEUR. 2l3
Il n'y a donc, dans la souffrance , qu*à souffrir et
à se taire devant Dieu : Je me suis tu^ dit David (0,
parce que c'est vous qui V avez f eut. Gest Dieu qui
envoie les vapeurs , les fluxions, les tournemens de
tête 9 les défaillances y les épuisemens, les importa-
ni tes, les sujétions; c'est lui qui envoie la grandeur
même avec tous ses supplices et tout son. maudit at-
tirail ; c*est lui qui fait naître au dedans la séche-
resse, l'impatience , le découragement, pour nous
humilier par la tentation , et pour nous montrer à
nous-mêmes tels que nous sommes. C'est lui qui fait
tout ; il n'y a qu'à le voir et qu*à l'adorer en tout. .
Il ne faut point s'inquiéter pour se procurer une
présence artificielle de Dieu et de ces vérités ; il suf-
fit de demeurer simplement dans cette disposition de
cœur, de vouloir être crucifié; tout au plus une vue
simple et sans effort, qu'on renouvellera toutes les
fois qu'on en sera averti intérieurement par un cer-
tain souvenir, qui est une espèce de réveil du cœur.
Ainsi les peines de la faveur,. les douleurs de la
maladie, et les imperfections mêmes du dedans,
pourvu qu'elles soient portées paisibleiûent et avec
petitesse, sont le contre-poison d*un étal qui est par
lui-même si dangereux. Dans la prospérité apparente
il n*y a rien de bon que la croix cachée. O croix! 6
bonne croix! je t'embrasse; f adore en toi Jésus mou-
rant, avec qui il faut que je meure.
(0 P«.xjizviii. 10.
2l4 DB LA MO&TIFICATIOH
V.
jfyis à une personne de la Cour, sur la pratique de
la mortification et du recueUlement (*).
Il ne faut point se faire une règle , ni de suivre
tOQJoars Fesprit de mortification et de recneiUemeDt
qui éloigne du commerce, ni de suivre toujours le
zèle qu'on a de porter les âmes à Dieu. Que faut-il
donc &ire? Se partager entre ces deux devoirs, pour
n^abandonner pas ses propres besoinsen s'appliquant
à ceux d*autnii , et pour ne négliger pas ceux d*antrui
en se renfermant dans les siens.
La règle pour trouver ce juste milieu dépend de
Tétat intérieur et extérieur de chaque personne; et
on ne sauroit donner de règle générale sur ce qui
dépend des circonstances où se trouve chaque per-
sonne en particulier. Il faut se mesurer sur sa foi-
blesse y sur son besoin de se précautionner, sur son
attrait intérieur, sur les marques de providence pour
les choses extérieures, sur la dissipation qn*on y
éprouve , et sur l'état de sa santé. Il est donc à pro-
pos de commencer par les besoins de Tesprit et do
corps, et de réserver des heures suffisantes pour lun
et pour l'autre, par l'avis d'une personne pieuse et
expérimentée. Pour le reste du temps, il faut encore
(*) L'ensemble et la suite de ces Avis nous font soupçonner qn'i's
ëtoient adressés à madame de Blaintenon. On les tronve en parue
dans le chap. x des Divers Sentimens etAî^U chrétien» , éditioD de
1738 et suiy. Noos les donnons en entier d'après le manuscrit ori-
ginal. {Eda. de Fen.)
ET DtJ aECUEILLEMENT. 2l5
bien examiner les devoirs de la place oik Ton est ,
les biens solides qu'on y peut faire , et ce que Dieu
donne pour y réussir, sans s'abandonner à un zèle
aveugle.
Venons aux exemples. Il n*est point h propos de
demeurer avec une personne à qui on ne sauroît
être utile y pendant qu'on en pourroit entretenir
d'aatres avec fruit , à moins qn^on n*eût quelque
devoicy comme de parenté, d'ancienne amitié, ou de
bienséance, qui obligeât de demeurer avec la pre-
mière personne : autrement il faut s'en défaire,
après avoir fait ce qui convient pour la IrSter hon-
nêtement. La raison de se mortifier ne doit point
décider dans ces sortes de cas. On trouvera assez à
se mortifier en entretenant contre son goût les per-
soùnes dont on ne peut se défaire, et en s'assujettis*
sant à tous les véritables devoirs.
Quand on est à Saint-Cyr, il ne faut ni se commu-
niquer, ni se retirer par des motifs d'amoiir-propre ;
mais il suffit de faire simplement ce qu'on croit le
meilleur, et le plus conforme aux desseins de Dieu,
quoique l'amour-propre s'y mêle. Quoi qu'on puisse
Taire , il se glissera partout. Il faut ne le compter
pour rien, et aller toujours sans s'arrêter. Je croi»
rois que, quand vous êtes à Saint-Cyr, vous devez
reposer votre corps, soulager votre esprit, et le re-
cueillir devant Dieu le plus long-temps que vous
pourrez. Vous êtes si assujettie, si affligée, et si fa-
tiguée à Versailles, que vous avez grand besoin
d'une solitude libre et nourrissante pour l'intérieur
à Saint-Cyr. Je ne voudrois pourtant pas que vous y
manquassiez aux besoins pressans de la maison.
ftl6 HB LA. MOATIFICATIOH
Bfais n*j faites par vous-même que ce qu'A irons sera
impossible de £ure par aatmi.
J^aime mieux que vous souflnes moins, et que
vous aimiez davantage. Cherchez à Féglise une
posture qui n'incommode point votre délicate sanUf ,
et qui ne vous empêche point d*étre recoeilliei
pourvu que cette posture n*ait rien d'immodeste,
on que le public ne la voie point Vous aurez toa-
jours assez d'autres mortifications dans votre état
Ni Dieu ni les hommes ne vous en laisseront man-
quer. Soulagez«vous donc ; mettez-vous en liberté ;
et ne songas qu'à nourrir votre cœur pour être mieux
en état de souffrir dans la suite.
Je ne doute nullement que vous ne deviez éviter
toutes les choses que vous avez éprouvé qui nuisent
à votre santé, comme le soleil, le vent, certains
alimens, etc. Cette attention à votre santé vous
épargnera sans doute quelques souffirances : mais
cela ne va qu'à vous soutenir, et non à vous flatter.
D'ailleurs ce régime ne demande point les grandes
délicatesses, et l'usage de ce qui est délicieux ; au
contraire, il demande une conduite sobre , simple,
et par conséquent mortifiée dans tout le détail. Rien
n^est plus faux et plus indiscret que de vouloir
choisir toujours ce qui nous mortifie en toutes choses.
Par cette règle on ruineroit bientôt sa santé, ses
affaires, sa réputation, son commerce avec ses
parens et amis, enfin toutes les bonnes œuvres
dont la Providence charge.
Le zèle de vous mortifier ne doit jamais ni vous
détourner de la solitude , ni vous arracher ani oc-
cupations extérieures. Il faut tour à tour et vous
ET DU RSCUBlLLfeMESrr. 217
montrer et vous cacher, et parler et vous taire. Dieu
ne vous a pas mise sous le boisseau^ mais sur le
chandelier, afin que vous éclairiez tous ceux qui
sont dans la maison. Il faut donc luire aux yeux du
monde, quoique Tamour-propre se complaise malgré
vous dans cet éclat. Mais vous devez vous réserver
des heures pour lire, pour prjer, pour reposer votre
esprit et votre corps auprès de Dieu. *
l^Tallez point au-devant des croix : vous en cher- '
chéries peut-être que Dieu ne voudroit pas vous
donner, et qui seroient incompatibles avec ses des-
seins sur vous. ]V{ais embrassez sans hésiter toutes
celles que sa main vous présentera en chaque mo-
ment. Il y a une providence pour les croix, comme
pour les choses néoesi^aires à la vie. C*est le pain
quotidien qui nourrit i'ame, et que Dieu ne nlanque
jamais de nous distribuer. Si vous étiez dans un état
plus libre, plus tranquille, plus débarrassé, vous
auriez plus à craindre une vie trop douce : mais la
vôtre aura toujours ses amertumes, tandis que vous
serez fidèle.
Je vous supplie instamment de demeurer en paix
dans cette conduite droite et simple. En vous ôtant
cette liberté, par un certain empressement pour des
mortifications recherchées, vous perdriez celles que
Dieu est jaloux de vous préparer lui-même , et vous
vous nuiriez sous prétexte de vous avancer. Soyez
libre, gaie, simple, enfant; mais enfant hardi, qui
ne craint rien, qui dit tout ingénument, qui se laisse
mener, qu'on porte entre les bras, en un mot, qui ne
sait rien, qui ne peut rien , qui ne prévoit et n'ajuste
rien ; mais qui a une liberté et une hardiesse in-
Sl8 DE LA YIGILAHCE
terdite aux grandes personnes. Cette enfance dé-
monte les sages, et Dî^u lui-même parle par la
bouche de tels enfans.
VI,
A^is à une personne du monde* Voir ses misères
sans trouble et sans découragement : comment il
faut veiller sur soi-même. Remèdes contre les
tentations.
Vous comprenez qu'il y m beaucoup de fautes
qui sont volontaires à divers degrés, quoiqu'on ne
les fasse pas avec un prx)pos dâibëré de les faire pour
manquer à Dieu. Souvent un ami reproche à son
ami une faute dans laquelle cet ami n'a pas râoln
expressément de le choquer, mais dans laqueUe il
s'est laissé aller quoiqu'il n'ignorât point qu'il le
choqueroit. C'est ainsi que Dieu nous reproche ces
sortes de fautes. Elles sont volontaires ; car encore
qu'on ne les fasse pas avec réflexion, on les bit
néanmoins avec liberté, et avec une certaine lu-
mière intime de conscience qui suffiroit au moins
pour douter et pour suspendre l'action. Voilà les
fautes que font souvent les bonnes âmes.
Pour les fautes de propos délibéré, il est bien
extraordinaire qu on y tombe quand on s'est en*
tièrement donné à Dieu. Les petites fautes devien*
nent grandes et monstrueuses à nos yeux k mesure
que la pure lumière de Dieu croit en nous; comme
vous voyez que le soleil, à mesure qu'il se lève^
BT DES TB]ITATI01IS«- ^ICjr
nous découvre la grandeur des objets que nous ne
faisions qu*entrevoir confusément pendant la nuit.
Comptez que, dans raccroissement de la lumière
intérieure I vous verrez les imperfections que vous
avez vues. jusqu'ici, comme bien plus grandes et plus
malignes dans leur fond que vous ne les voyiez
jusques à présent; et que de plus vous , verrez sortir
en foule de votre cœur beaucoup d'autres misères,
que vous n'auriez jamais pv soupçonner d'y trouver.
V.oas y trouverez toutes les foiblesses dont vous
aurez besoin pour perdre toute confiance en votre
force : mais cette expérience, loin de vous décou-
rager, servira à vous arracher toute confiance pro-
pre, et à démolir, rez-pied'^ rez-terre, tout l'édifice
de l'oi^eil. Rien ne marque tgnt le solide avan-
cement d'une ame, que cette vue de ses misères sans
trouble et sans découragement.
Pour la manière de veiller stt%soi, sans en être
trop occupé, voici ce qui me parolt de pratique. Le
sage et diligent voyageur vaille sur tous ses pas, et
a toujours les yeux ouverts sur l'endroit du chemin
qui est immédiatement devant lui : mais il ne re-
tourne point sans cesse en arrière pour compter tous
ses pas, et pour examiner toutes ses traces; il per-
droit le temps d'avancer. Une ame que Dieu mène
véritablement par. la main (car je ne parle point de
celles qui apprennent encore à marcher, et qui sont
encore à chercher le .chemin) doit veiller sur sa voie,
mais d'une vigilance simple , tranquille , bornée au
présent, et sans inquiétude pour l'amour de soi.
C'est une attention continuelle à la volonté de Dieu
pour l'accomplir en chaque moment, et non pas un
130 DB LA VlQlUJUtE
i-etoar sur soi-même pour s*assurer de son étaC^
pendant que Dieu vent que nous en soyons incer-
tains. Cest pourquoi le Psahniste dit : Mes jeux
sont leyés vers le Seigneur j et c'est lui qui délivrera
mes pieds des pièges tendus (>)•
Remarquez que pour conduire ses pieds avec
s&retë parmi des chemins semës de pièges, aa lieu
de baisser les yeux pour examiner tous ses pas, il
lève au contraire les yeux' vers le Seigneur. Cest que
nous ne veillons jamais si bien sur nous, que quand
nous marchons avec Dieu présent à nos yeux,
comme Dieu Tavoit ordonné à Abraham. Et en effet
à quoi doit aboutir toute notire vigilance 7 A suivre
pas à pas la volonté de Dieu. Qui s'y conforme en
tout, veille sur soi et se sanctifie 'en tout. Si donc
nous ne perdions jamais la présence de Dieu, jamais
nous ne cesserions de veiller sur nous-mêmes, mais
d*une vigilance siftiple, amoureuse, tranquille et
désintéressée : au lieu que cette autre vigilance qu'on
cherche pour s'assurer, est âpre, inquiète et pleine
d'intérêt. Ce n'est pas à notre propre lumière, mais
à celle de Dieu, qu'il nous faut marcher. On ne peut
voir la sainteté de Dieu sans avoir horreur de ses
moindres infidélités. On ne laisse pas d'ajouter à la
présence de Dieu et au recueillement les examens
de conscience, suivant le besoin qu'on en a, pour ne
se relâcher point, et pour faciliter les confessions
qu'on a à faire : mais ces examens se font de plus en
plus d'une manière simple, facile, et éloignée de
tout retour inquiet sur soi. On s'examine, non pour
son intérêt propre, mais pour se conformer aux avis
(«) Pj. XXIT. i5.
ET DES TEMTATIOIÎS. 321
qa*on prend, et pour accomplir la pare volonté de
Dieu. Au surplus on s'abandonne entre ses mains ;
et on est aussi aise de se savoir dans les mains de
Dieu , qu on seroit fâché d*étre dans les siennes pro-
pres. On ne veut rien voir de tout ce qu'il lui plaît
de cacher. Comme on Taime infiniment plus qu on
ne s*aime soi-même ^ on se sacrifie à son bon plaisir
sans condition; on ne songe quà Taimer et qu'à
s'oublier. Celui qui perd ainsi généreusement son
ame, la retrouvera pour la vie éternelle.
Au reste, pour les tentations je ne sais que deux
choses à faire : l'une, d'être fidèle à la lumière inté-
rieure pour retrapcher, sans quartier et sans retar-
dement, tout ce que nous sommes libres de retrap-
cher, et qui peut nourrir oU réveiller la tentation.
Je dis tout ce que pous sommes libres de retrancher,
parce qu'il ne dépend pas toujours de nous de fuir
les occasions. Celles qui sont attachées à l'état où la
Providence nous met , ne sont pas censées en notre
pouvoir. La seconde règle est de se tourner da côté
de Dieu dans la tentation, sans se troubler, sans
s'inquiéter pour savoir si on n'y a point donné un
demi-consentement, et sans interrompre sa tendance
directe à Dieii. On courroit risque de rentrer dans
la tentation, en voulant examiner de trop près si on
n'y a commis nulle infidélité. Le plus court et le plus
s&r est de faire comme un petit enfant à la mamelle:
on lui montre une béte horrible ; il ne fait que se
rejeter et s'enfoncer dans le sein de sa mère , pour
ne rien voir.
La pratique de la présence de Dieu est le souve-
rain remède : il soutient, il console, il calme. Il ne
222 DE LA TIGILAHCE
faut point s^étonner des tentations, même les plas
honteuses. UEcritnre dit : Que sait celui qui n'a
point été tenté (<) ? et encore : Mon fils ^ entrant dans
la servitude de Dieu, prépare ton ante à la tenta--
tiohW 7 Nous ne sommes ici*bas que pour être éprou-
vés par la tentation. Cest pourquoi Tange disoit à
Tobie : Parce que vous étiez agréable à Dieu, il a
été nécessaire que la tentation vous éprouvât (3).
Tout est tentation sur la terre. Les croix nous ten-
tent en irritant notre orgueil, et les prospMtés en
le flattant. Notre vie est* un combat continuel, mais
un combat où Jésus-Cfarist combat avec nous. Il faut
laisser la tentation gronder autour de nous, et ne
cesser point de marcher, comme un Voyageur, sur-
pris par un grand vent dans une campagne, s*enve-
loppe dans son manteau, et va toujours malgré le
mauvais temps.
Pour le passé, quand on a satisfait un sage con*
fesseur qui défend d*y rentrer, il ne reste plus qu*à
jeter toutes ses iniquités dans TaMme des miséri-
cordes. On a même une certaine joie de sentir qu^on
n^est digne que d*iine peine étemelle, et qu^on est à la
merci des bontés de Dieu, à qui 6n devra tout , sans
pouvoir jamais se devoir rien à soi-même pour son
salut éternel. Quand il vient un souvenir involon-
taire des misères passées, il n'y a qu*à demeurer
confondu et anéanti devant Dieu , portant paisible-
ment devant sa face adorable toute la honte et toute
Tignominie de ses péchés , sans néanmoins chercher
à entretenir ni à rappelei^ ce souvenir.
Concluez que, pour faire tout ce que Dieu veut ,
C»)i?octt. xuLiY. 9. — C*) Ibid. IL I. — (î) Tob. xii. i3.
Et Des tentations. * ^si3
il y a bien peu à faire en un certain sens. Il est vrai
qu'il y a prodigieusement à faire , parce qu'il ne faut
jamais rien réserver, ni résister un seul moment à cet
amour jaloux , qui va poursuivant toujours sans re-
lâche y dans les derniers replis de Famé , jusques aux
moindres afièctions propres , jusques aux moindres
attachemens dont il n^est pas lui-même Fauteur.
Mais aussi y d'un autre côté, ce n'est point la multi*
tude des vues ni des pratiques dures , ce n'est point
la gène, et la contention qui font le véritable avan-
cement. Au contraire , il n'est question que de ne
rien vouloir y et de tout vouloir sans restriction et
sans choix; d'aller gaiement au jour la journée ,
comme la Providence nous mène; de ne chercher
rien , de ne rebuter rien ; de trouver tout dans le
moment présent;- de laisser faire celui qui fait tout,
et de laisser sa volonté sans mouvement dans la
sienne. O qu'on est heureux en cet état! et que le
cœur est rassasié , lors même qu'il paroit vide de
tout !
Je prie notre Seigneur qu'il vous ouvre toute l'é-
tendue infinie de son cœur paternel pour y plonger
le vôtre y pour l'y perdre, et pour ne faire plus qu'un
même cœur du sien et du vôtre. Cest ce que saint
Paul souhaitoit aux fidèles, quaqd il les souhaitoit
dans les entrailles de Jésus-Christ.
aa4 DB LÀ pmésBBcs de dieu.
VIL
praiiçui
Le principal ressort de notre perfection est ren-
fermé dans cette parole que Diea dit autrefois à
Abraham : Marchez en ma présence, et vous serez
parfait (0. La présence de Dieu calme Fesprit,
donne un sommeil tranquille^ et du repos, même
pendant le jour, au milieu de tous les travaux ; mais
il faut être à Dieu sans aucune réserve. Quand on
a trouvé Dieu, il n*y a plus rien à chercher dans les
hommes ; il faut faire le sacrifice de ses meilleurs
amis : le bon ami est au dedans du cœur; c*est Fé-
poux, qui est jaloux et qui ébarte tout le reste.
n ne faut pas beaucoup de temps pour aimer Dieu,
pour se renouveler en sa présence, pour élever son
cœur vers lui, ou Tadorer au fond de son cœur, pour
lui o&ir ce que Ton fait et ce que l'on souffre; voilà
le vrai royaume de Dieu au dedans de nous W , que
rien ne peut troubler.
Quand la dissipation des sens et la vivacité de Ti-
magination empêchent Tame de se recueillir d'une
manière douce et sensible , il faut du moins se cal-
mer par la droiture de la volonté : alors le désir du
recueillement est une espèce de recueillement qui
suffit : il faut se retourner vers Dieu, et faire avec
droite intention tout ce qu'il veut que l'on fasse. Il
fiiut tâcher de réveiller en soi de temps en temps le
CO Gen. xvii. i. — («) Lucxyu. ai.
désir
DE LÀ PRÉSENCE DE DIEU. 225
désir d*étre k Dieu de tonte Tëtendue des puissances
de. notre ame, c'est-à-dire, de notre esprit pour le
connottre et pour penser à lui , et de notre volonté
pour Taimer. Désirons aussi que nos sens extérieurs
lai soient consacrés dans toutes leui*s opérations.
Prenons garde de n'être point trop long-temps
occupés volontairement , soit au dehors , soit au de»-
dans, à des choses qui causent une si grande distrao-
tioB au coeur et à Tesprit, et qui tirent tellement Tuo
et l'autre hors d'eux-mêmeSy qu'ils aient peine à y
l'entrer pour trouver Dieu. Dès que nous isentons
que quelque objet étranger nous donne du plaisir
ou de la joie, séparons-en notre cœur, et, pour
Tempécher de prendre son repos dans cettis créature,
présentons-luî aussitôt son véritable objet et son sou*
verain bien qui est Dieu même. Pour peu que nous
soyons fidèles à rompre intérieurement avec les
créatures, c'est-à-dire à empêcher qu'elles n'entrerït
jusque dans le fond de l'ame, que notre Seigneur
s'est réservé pour y habiter et pour y être respecté,
adoré et aimé , nous goûterons bientôt la joie pure
que Dieu ne manquera pas de donner à une ame li-
bre et dégagée de toute affection humaine.
Quand nous apercevons en nous quelques désirs
empressés pour quelque chose que ce puisse être,
et que nous voyons que notre humeur nous porte
avec trop d'activité à tout ce qu'il y a à faire, ne lût*
ce qu'à dire une parole, voir un objet, faire une dé*
marche; tâchons de nous modérer, et demandons à
notre Seigneur qu*il arrête la précipitation de nos
pensées et l'agitation de nos actions extérieures, puis»
FéNÉLOM. &YJII. }5
226 DE LA PRÉsiENCE DE DICV.
que Dieu a dit lui-même que son esprit n^habite point
dans le trouble.
Ayons soin de ne prendre pas trop de part à tout
ce qui se dit et se fait, et de ne nous en pas trop rem-
plir; car c'est une grande source de distractions. Dès
qne nous avons vu ce que Dieu demande de nous
dans chaque chose qui se présente ^ bornons-nons là,
et séparons-nous de tout le reste. Par là nous conser-
verons toujours le fond de notre ame libre et égal,
et nous retrancherons bien des choses inutiles qui
embarrassent notre cœur, et qui Tempéchent de se
tourner aisément vei^Dieu.
Un excellent moyen de se conserver dans la soli-
tude intérieure et dans la liberté de l'esprit, c'est, à
la fin de chaque action, de terminer là toutes les i;é-
flexions, en laissant tomber les retours de Tamour-
propre, tantôt de vaine joie, tantôt de tristesse, par-
ce qu'ils sont un de nos plus grands maux. Heureux
à qui il ne demeure rien dans l'esprit que le néces-
saire , et qui ne pense h chaque chose que quand il ^
est temps d'y penser! de sorte qne c'est plutôt Dieu
qui en réveille Timpression par la vue de sa volonté
qu'il faut accomplir, que non pas l'esprit lui-même
qui se met en peine de les prévenir et de les cher-
cher. Enfin, accoutumons-nous à nous rappeler à
nous-mêmes, durant la journée et dans le cours de
nos emplois, par une simple vue de Dieu. Tranquil-
lisons par là tous les mouvemens de notre cceur,
dès que nous le voyons agité. Séparons-nous de tout
plaisir qui ne vient point de Dieu. Retranchons les
pensées et les rêveries inutiles. Ne disons point de
paroles vaines. Cherchons Dieu au dedans de nous,
DE LÀ PRÉSEi^CE DE DIEU. 327
et nous le trouverons infailliblement ^ et avec lui la
joie et la paix.
Dans nos occupations extérieures » soyons encore
plus occupés de Dieu que de tout le reste. Pour les
bien faire , il les faut faire en sa présence , et les faire
toutes pour lui. A. Taspect de la majesté de Dieu,
notre intérieur doit se calmer et demeurer tranquille.
Une parole du Sauveur calma autrefois tout d*un
coup une mer furieusement agitée : un regard de lui
vers nous et de nous vers lui devroit faire encore
tous les jours la même cho^e.
Il faut élever souvent son cœur vers Dieu : il le
purifiera , il l'éclairera , il le dirigera. Cétoit la pra-
tique journalière du saint prophète David : J'avois
toujours f dit-il (0, le Seigneur des^ant mes-yeux.
Disons encore souvent ces belles paroles du même
prophète : Qui est-ce que je dois chercher dans le
ciel et sur la terre, sinon vous, 6 mon Dieu? p^ous
êtes le Dieu de mon cœur, et mon unique partage
pour jamais W, Il ne faut point attendre des heures
libres oik l'on puisse fermer sa porte; le moment qui
fait regretter le recueillement peut le faire pratiquer
aussitôt. Il faut tourner son cœur vers Dieu d'une
manière simple, familière et pleine de confiance.
Tous les momens les plus entrecoupés sont bons en
tout temps, même en mangeant, en écoutant parler
les autres. Des histoires inutiles et ennuyeuses, au
lieu de fatiguer, soulagent en donnant des intervalles
et la liberté de se recueillir. Ainsi tout tourne à*bien
pour ceux qui aiment Dieu.
Il faut souvent faire des lectures proportionnées
'0 Ps. XV. 8.— C») Ibid. Lxxii. a5. a6.
228 SUR L* AMOUR DE DIEU
à son gotit et à son besoin , mais souvent interrom-
pue^ pour faire place à Tesprit intérieur qui met en
recueillement. Deux mots simples et pleins de l*Es-
prit de Dieu sont la* manne cachée. On oublie les
paroles, mais elles opèrent secrètement; Tame s'en
nourrit et en est engraissée.
VIII.
Comr^ent il faut aimer Dieu. Sur la ^délité dans
les petites choses (*).
Tous les hommes doivent savoir qu'ils sont indis-
pensablement obligés d'aimer Dieu; il faut qu'ils s'in-
struisent encore quelle est la manière dont ils doi-
vent l^imer. Il faut aimer Dieu parce qu'il est notre
créateur, et que n'avons rien qui ne vienne de sa
main libérale. Tout ce qui est en nous, c'est autant de
dons qu'il a faits à qui n'est rien , puîsque nou« ne
sommes que néant par nous-mêmes. Non-seulement
tout ce qui est en nous, nous le tenons de Dieu,
mais tout ce qui nous environne vient dé lui , et a
été formé par lui. Nous devons l'aimer encore, parce
qu^il nous a aimés, mais d'un amour tendre, comme
(^) La première partie de cet article, jusqu'à ces mots : S. Fran-
çois de Saies, etc. parûlt ici pour la première fois d'après une copie
très-ancienne. Le reste se trouve dans les Divers Sentunens et A%ns
chr^ienSf n. zxiii. On reconnoh aisément au stylede cette pîéœ qn^elle
est du nombre de cellcf dont nons avons parlé an n. 5 de V Avenu-
sèment du tome zvti, cpii n'ont pas été rédigées par Fénélon loi-
même, mais cpii sont de simples extraits de ses lettres ou de ses
instructions, rédigés par quelqu'un de ses amis. {Ediu de Fers.)
^
ET LA FIDÉLITÉ DANS LES PETITES CHOSES. 22g
un père qui a pitié de ses enfans , parce qu'il con-
Dott la boue et Targile dont il les a formés ; il nous
a cherchés dans nos propres voies , qui sont celles du
péché ; il a couru coipme un pasteur qui se fatigue
pour retrouver sa brebis égarée. Il ne s'est pas con-
tenté de nous chercher, mais après nous avoir trou-
vés, il 3'est chargé de nous et de nos langueurs, en
prenant la forme humaine. Il est dit qu'il a été
obéissant jusqu'à la mort de la croix, et que la mesure
de son obéissance a été celle de son amour pour nous.
Aprèis nous être convaincus du devoir d'aimer Dieu,
il faat examiner comment on doit l'aimer. Est-ce
comme les amis lâches qui veulent partager leur
cœur \ en donner une partie à Dieu , et réserver
l'autre pour le monde et pour les amusemens ; qiii
veulent allier la vérité et le mensonge , Dieu et le
monde; qoi veulent être à Dieu au pied des autels,
et le laisser là pour donner le reste de leur tenips
au monde; que Dieu ait la superficie, et le monde
ce qu'il y a de réel dans leurs affections? Mais
Dieu rejette cette sorte d'amour : c'est un Dieu jaloux,
qui ne veut point de réserve; tout n'est pas trop
pour lui. Il ordonne de l'aimer, et voici comme
il s'explique : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de
tout ton cœur,, de toute ton anie, de toutes ^s forces,
et de tout ton esprit. Nous ne pouvons , après cela ,
croire qu'il se contente d'une religion en cérémonie :
si on ne lui donne tout , il ne veut rien.
En effet , n'est-ce pas une ingratitude de n'aiiner
qu'à demi celui qui nous a aimés de toute éternité?
que dis-je 7 celui qui nous a aimés jusque dans Tablme
du péché 7 Le monde même , tout corrompu qu'il
a3o sua l\motjr de dieu
est y se pique d*avoir horreur de l'ingratitude. Il ne
peut souffrir qu'un fils n'ait pas pour son père la
reconnoissance qu'il doit à celui qui lui a donné la
vie. Mais de quelle vie est- on« redevable à un père?
D'une vie remplie de misères, d'amertumes, de toutes
sortes de véritables maux ; d^une vie qui tend à la
mort, et qui est ainsi une mort continuelle. Cepen-
dant c'est un précepte absolu d'avoir pour nos pères
et 'mères tous les respects imaginables. Et par le
même principe, de quelle manière devons-nous étie
pour Dieu ? Il nous a donné une vie qui doit durer
autant que lui-même; il nous a créés pour nous
rendre parfaitement heureux : il est plus père, dit
utl Père de TEglise, que tous les pères ensemble. Il
nous a aimés d un amour éternel ; et qu'a-t-il aimé
en nous? car, quand on aime, c'est pour quelque
chose bonne que l'on suppose ou que l'on trouve
dans l'objet aimé ; et qu'a-t-il donc trouvé en nous
digne de son amour? Le néant, quand nous n'étions
pas ; et le péché, quand nous avons été. O quel excès
de bonté ! Est-il possible que nous n'aimions pas
celui qui nous a fait tant de bien , qi^i nous soutient
et qui nous conserve, en sorte que, s'il détpurnoit un
' moment sa face , nous retomberions dans le néant
dont sa main toute-puissante nous a tirés 7 Pouvons-
nous partager notre cœur, et mettre en comparaison
Dieu qui nous promet des biens éternels , et le monde
qui nous éblouit, et qui au moment de la mort nous
laissera entre les mains d'un Dieu vengeur, d'un Dieu
â qui rien ne peut résister, enfin d'un Dieu juste qui
nous traitera comme on l'aura traité 7 Si nous avons
sei*yi le monde, il nous renverra à ce maître misé-
ET LA FIDÉLITÉ DAMS LES PETITES CHOSES. !i3l
rable^ pour nous récompenseV. La loi. par laquelle
Dieu nous ordonne de raimer, n'a étéécrite, dît
saint A.ugustin, que pour nous faire ressouvenir qu il
est monstrueux de Ta voir oublié.
Considérons la bonté de Dieu, quiysacbaxit nos
iogratitudeSy et coni^oissant notre foiblcsse, a voulu
se servir de t-outes sortes de moyens poui; cous ra-
mener à lui. Il nous promet des récompenses éter-
nelles si nous Taimons^ il nous mepace de cbâtim«os
si nous ne l'aimons pas ; et c est même dank ces me-
naces terribles que nous voyons mieux l'excès de sa
miséricorde et de sa chémence : car pourquoi me-
nace-t-il si souvent ? C'est pour n être pas obligé de
punira toute extrémité. Mais prenons garde d*aboser
de ses grâces , de sa miséricorde et de sa clémeojce 'y
profilons de ce temps; craignons de Tirriter; ne di-
sons point comme ces âmes cbancelautes, qui disapt
tous les jours : Â demain^ à demain. Prenons de fortes
résolutions d'être tout à lui; commençons * dès au-
jourd'kuiy dès ce moment. Qudle témérité de compter
sur ce qui n'est pas en notre pouvoir ! Uavenir est
un abîme que X>iett nous cache ; et quand même il
seroit à nous, comptons-nous de telle sorte sur nous-
mêmes, que nous prétendions faire Tœuvre de Dieu
sans sa grâce? Profilons de * celle qu>il nous offre;
c'est peut-être celle d'où dépend notre conversion :
avec le- temps les passions se fortifient de telle sorte
qu'il est presque impossible de les assujettir. Faisons
notre choix présentement^ et écoutons Dieu, qui.dit
lui*^méme , par Elie : Jusques à quand, mon peuple ,
serez-vous partagé entre Baal et moi ; décidez quel
est le Dieu véritable. Si c'dst moi ^ suivez-moi , et ne
aSa sun l'amour de dieu #
tenez plus vos cœurs en suspens : si c'est Baal) sui-
vez-le ; suivez le monde, abandonnez-vous à lai; et
nous verrons au jour de la mort s'il vous délivrera
de mes mains.
Mais il est difficile, dit-on, de n'aimer que Dieu,
de quitter absolument toute attache. Hé ! quelle dif-
ficulté trouvez-vous à aimer celui qui vous à faits ce
que vous êtes? C'est de la corruption de notre nature
que vient cette répugnance que vous sentez à rendre
à votre Créateur ce que vous lui devez. Trouvez-
vous qn^il soit doux d'être partagé entre Dieu et le
monde; d'être sans cesse entraîné par les passions, ei
en même temps déchiré par les reproches de sa con-
science ; de ne pouvoir goûter de plaisir sans amer-
tume, et d'être dans une continuelle vicissitude?
Cest par cet injuste partage , qui fait souffrir sans
relâche, qu'on veut adoucir la rigueur que la lâcheté
lait trouver dans l'amour divin. Mais , encore une
fois, on se trompe en cela grossièrement; car si quel-
qu'un peut-être heureux, même dès cette vie, cest
celui qui aime Dieu. Si l'amour-propre pouvoitelre
le principe de quelque chose de bon , il devroit nous
porter à renoncer à tout le reste, afin d'être à Dieu
uniquement. Quand son amour est seul dans une
ame , elle goûte la paix d'une bonne conscience ;
elle est constante et heureuse ;. il ne lui faut m gr^^'
deur, ni richesse , ni réputation , ni enfin rien de
tout ce que le temps emporte sans en laisser aucunes
traces. Elle ne veut que la volonté de son bien-aim^'»
c'est assez qu'elle sache que cette volonté s acco»-
plit , elle veille incessamment dans l'atteste de sob
époux. La prospérité ne la peut enfler , ni Tadversu^
WP LA FIDÉLITÉ DANS LES PETITES CHOSES. a33
rabattre ; c est dans ce détachement de sa volonté
propre que consiste la perfection chrétienne : elle
n'est point dans la subtilité* du raisonnement. Com-
bien de docteurs vains et pleins d'eux-mêmes se sont
égarés dans les choses de Dieu , et en qui se vérifie
la parole de saint Paul : La science enfle; il n'y a
que la charité qui édijie,
hk vçrtu n'est point non plus dans les longues
prières, puisque Jésus-Christ dit Icii-méme : Tous
ceux qui disefU : Seigneur^ Seigneur, n entreront
pas au royaume des deux ; et mon Père leur dira :
Je ne vous connois point. Enfin , la dévotion ne con-
siste point aussi *précisément dans les œuvres sans la
charité. On ne peut aimer *Dieu sans les œuvres ,
parce que la charité n'est point oisive. Quand elle
est en nous, elle nous porte immanquablement à
faire quelque chose pour Dieu; et si, par infirmité,
nous sommes incapables d'agir, c est faire quehjue
chose très-^agréable à Dieu que de souSrir. Ce n'est
pas encore tout ; après être parvenu à aimer Dieu
sans partage, il faut s'élever à l'aima purement pour
Vamour de lui, sans vue d^aucun intérêt. Hé! n'en
vaut-il pas bien la peine ? Si quelque chose mérite
d'être aimé ainsi , n'est-ce pas celui qui est infini-
ment aimable ?
Saint François de Sales dit qu'il en est des gran-
des vertus et des petites fidélités gomme du sel et du
sucre : le sucre a un go&t plus exquis, mais il n'est
pas d*ttn si fi*équent usage ; au contraire, le sel entre
dans tous les alimens nécessaires à la vie. Les grandes
vertus sont rares , l'occasion n'en vient guère : quand
elle se présente , on y est prépafé^r tout ce qui pré<
a34 scm l amouk de dieu
cède, on s*y excite par la grandeur da sacrifice, on
j est soutenu, ou par Téclat de Faction que Ton fait
aux yeux des autres , ou par la complaisance qu^on
a en soi-même dans un effort qu'on trouve extraordi*
naire. Les petites occasions sont imprévues, elles re-
viennent à tout moment, elles nous mettent sans
cesse aux prises avec notre orgueil , notre paresse ,
notre hauteur , notre promptitude et notre chagrin ;
elles vont à rompre notre volonté en tout, et à ne
nous laisser aucune réserve. Si on veut y être fidèle,
la nature n*a jamais le temps de'r^pirer, et il faut
qu'elle meure à toutes ses inclinations. On aimeroit
cent fois mieux faire à Dieu certains grands sacritî-
ces, quoique violens et' douloureux, à condition de
se dédommager par la liberté de suivre ses goûts
et ses habitudes dans tous les petits détails. Ce n*est
pourtant que par la fidélité dans les petites choses ,
que la grâce du véritable amour se soutient, et se
distingue des faveurs passagères de la nature.
Il en est de la piété comme de l'économie pour
les biens temporels : si on n'y prend garde de près, on
se mine plus en faux frais qu'en gros articles de dé-
pense. Quiconque sait mettre à profit, pour le spirituel
comme pour le temporel , les petites choses , amasse
de grands biens. Toutes les choses qui sont glandes,
ne le sont que par l'assemblage des petites qu'on re-
cueille soigueusenient. Qui ne laisse rien perdre ,
s'enrichira bientôt.
D'ailleurs, considérez que Dieu ne cherche pas tant
nos actions, que le motif d'amour oui les fait faire,
et la souplesse qu'il exige de notre volonté. Les
hommes ne jugei^p'resque nos actions que par le
ET LA FIDÉLITÉ DANS LES PETITES CHOSES* ^M
dehors : Dieu compte pour riea dans nos actions
tout ce qui éclate le plus aux yeux des hommes. Ce
qu il vent , c^est une intention pure , c*est une volonté
prête à tout, et souple dans ses mains , cest un sin-
cère détachement de soi-même. Tout cela s'exerce
plus fréquemment, avec moins de danger pour l'or-
gueil, et d'une manière qui uoiis éprouve plus
rigoureusement dans les occasions communes que
dans les extraordinaires. Quelquefois même on tient
plus à une bagatelle qu'à un grand intérêt; on aura
plus de répugnance à s'arracher un amusement,
qu a faire une aumône d'une très-grande somme.
On se trompe d'autant plus aisément sur les petites
choses, qu'on lés croit plus innocentes, et qu'on s'i-
magine y être moins attaché. Cependant, quand Dieu
nous les ate, nous pouvons facilement reconnoître,
par la douleur de la privation, combien l'attache-
ment et l'usage étoient excessifs et inexcusables,
bailleurs , si on néglige les petites choses , on scanda-
lise à toute heure sa famille, son domestique et tout
le public. Les hommes ne peuvent s'imaginer que no-
tre piété soit de bonne foi, quatid notre conduite
paroit en détail lâche et irrégulière. Quelle appa-
rence de croire que nous ferions sans hésiter leâ plus
grands sacrifices, pendant que nous succombons
dès qu'il est question des plus petits?
Mais oe qu'il y a de plus dangereux, c'est que
Tame, par la négligence des petites choses, s'accou-
tume à l'infidélité. Elle centriste le Saint-Esprit, elle
se laisse à elle-même, elle compte pour rien de
manquer a Dieu. Au contraire, le vrai amour ne
voit rien de petit ; tout ce qui peut plaire ou déplaire
a36 sun l amour de dieu
à Dieu lui parott toujours grand. Ce n^est pas que
le vrai amour jette Tame dans la gène et dans le scru-
pule, mais c*est qu*il ne met point de bornes à sa fi-
délité. Il agit simplement avec Dieu ; et comme il ne
s^embarrasse point des choses que Dieu ne lui de-
mande pas y il ne veut aussi jamais hésiter un seul
instant sur celles que Dieu lui demande , soit grandes,
soit petites. Ainsi ce n*est point par gêne qu on de-
vient alors fidèle et exact dans les moindres choses ;
c'est par un sentiment d*amour , qui est exempt des
réflexions et des craintes des âmes inquiètes et scru-
puleuses.^On est comme entraîné par Famonr de
Dieu : on ne veut faire que ce qu^on fait, et on
ne veut rien de tout ce qu'on ne fait pas. En même
temps que Dieu jaloux presse Tame , la pousse sans
relâche sur les moindres détails , et semble lui ôter
toute liberté y elle se trouve au larg^, et elle jouit
d'une profonde paix en lui. O qu'elle est heureuse !
Au reste, les personnes qui ont naturellement
moins d'exactitude sont celles qui doivent se faire une
loi plus inviolable sur les petites choses. On est tenté
de les mépriser; on a l'habitude de les compter pour
rien; on n'en considère point assez la conséquence;
on ne se représente point assez le progrès insensible
que font les passions; on oublie même les expérien-
ces les plus funestes qu'on en a faites. On aime mieux
se promettre de soi une fermeté imaginaire , et se fier
à son courage, tant de fois trompeur, que de s'assu-
jettir à une fidélité continuelle. C'est un rien , dit-on.
Oui , c'est un rien , mais un rien qui est tout pour
vous; un rien que vous aimez jusqu'à lePrefuser à
Dieu ; un rien que vous méprisez en parole pour
ET Lk FIDÉLITÉ DÂlfS LES PETITES CHOSES. 287
avoir un prétexte de le refuser : mais dans le fond
c*est un rien que vous réservez contre Dieu , et
qui vous perdra. Ce n^est point élévation d*esprit
que de mépriser les petites choses ; c*est au contraire
par des vues trop bornées qu'on regarde comme
petit ce qui a des conséquences si étendues. Plus on
a de peine à se précautionner sur les petites choses,
plus il faut y craindre la négligence , se défier de soi-
même , et poser des barrières invincibles entre soi
et le relâchement : Qui spernit modica , paulatim
decidet (0.
Enfin jugez-vous par vous-même. Vous accommo-
deriez-voift d*un ami qui vous devroit tout , et qui ,
voulant bien par devoir vous servir dans ces occa-
siens rares qu*on nomme grandes, ne voudroît s*as«
sujettir à avoir pour vous ni complaisance ni égard
dans le commerce de la vie?
Ne craignez point cette attention continuelle aux
petites choses. D*abord il faut du courage : mais c'est
une pénitence que vous méritez, dont vous avez be-
soin y qui fera votre paix et votre sûreté ; hors de là,
rien que trouble et rechute. Dieu vous rendra peu à
peu cet état doux et facile. Le vrai amour est attentif,
sans gêne et sans contention d^esprit.
(0 EceU^xm, i.
a38 SUR LES G09VBRS10KS L4CBBS.
IX-
Sur les conversions lâches (*).
Les gens qui étoient éloignes de Dieu se croient
bien près de lui^ dès qu'ils commencent à faire quel-
ques pas pour s'en rapprocher. Les gens les plus
polis et les plus éclairés ont là-dessus la même gros-
sièreté quun paysan y qui croiroit être bien à la
cour, parce qu'il auroit vu le Roi, On abandoune
les vices qui font horreur, on se retranche dans uue
vie lâche, mondaine et dissipée. On en juge, non par
rÉvangile, qui est Tunique règle, mais par la com-
paraison qu'on fait de cette vie avec celle qu'on a
menée autrefois, ou qu'on voit mener à tant d'autres.
Il n'en faut pas davantage pour se canoniser soi-
même, et pour s'endormir d'un profond sommeil sur
tout ce qui resteroit à faire par rapport au salut.
Cependant cet état est peut-être plus funeste qu'un
désordre scandaleux. Ce désordre troubleroit la con-
science, réveilleroit la foi,.et engageroit à faire quel-
que grand effort : au lieu que ce changement ne sert
qu'à étouffer les remords salutaires, qu'à établir une
fausse paix dans le cœur, et qu'à* rendre les maux
irrémédiables en persuadant qu'on se porte bien. Le
salut n'est pas seulement attaché à la cessation du
mal; il faut encore y ajouter la pratique du bien. 'Le
(*) On a vu plus haut, parmi les Réflexions pour tous iesjoorsàu
mois, un extrait de cette instruction. Nous la publions toute enuere
diaprés le manuscrit original. {Edit. de Vers.)
sun LES coivvEitsioirs lâches. 239
royaume du ciel est d'un trop grand prix pour être
donne à une crainte d'esclave, qui ne s'abstient du
mal qu'à cause qu'il n'ose le faire. Dieu veut des
enfanf qui aiment sa bonté, et non des esclaves qui
ne le servent que par la crainte de sa puissance. Il
faat donc l'aimer, et, par conséquent, faire tout ce
quinspire le véritable amour. Peui-en aimer Dieu
de bonne foi , et aimer avec passion le monde son
eonemi, auquel il a donné dans l'Évangile une si
rigoureuse malédiction? Peut-on aimer Dieu, et
craindre de le trop connottre, de peur d'avoir trop
de choses à faire pour lui? Peut-on aimer Dieu, et se
contenter de ne l'outrager pas, sans se mettre jamais
en peine de lui plaire, de le glorifier, et de lui té-
moigner courageusement son amour? L'arbre qui
ne porte aucun fruit doit être coupé et jeté an
feu, selon Jésus-Christ dans l'Evangile (0, comme
s'il étoit mort. En effet, quiconque ne porte point
les fruits de l'amour divin est mort et desséché jus-
qu'à la racine.
T a-t-il de vile créature sur la terre qui se con-
tentât d'être aimée comme on n'a point de honte de
vouloir aimer Dieu? On veut l'aimer à condition de
ne lui donner que des paroles et des cérémonies, et
encore des cérémonies courtes, dont oikest bientôt
lassé et ennuyé; à condition de ne lui sacrifier au-
cune passion vive, aucun intérêt efiectif, aucune des
commodités d'une vie molle. On veut l'aimer à con-
dition qu'on aimera avec lui, et plus que lui, tout
ce qu'il n'aime point, et qu'il condamne, dans les
vanités mondaines. On veut bien l'aimer à condition
\*)3faUk. TU. 19.
!l4o StTR LES COUTERSIOHS LACHES.
de ne diminner en rien cet aveugle amonr de nous-
mémeSy qui va jusqu'à Fidolâtrie, et qui fait qu'au
lieu de nous rapporter à Dieu comme à celui pour
qui nous sommes faits, on veut au contraii^ rap*
porter Dieu à soi , et ne le chercher que comme un
pis-aller, afin qu'il nous serve et qu'il nous console,
quand les créatures nous manqueront. En vërité,
est-ce aimer Dieu? N'est-ce pas plutôt Firriter ?
Ce n'est pas tôuL On veut encore aimer Dieu , à
condition qu'on aura honte de son amour, qu'on le
cachera comme une foiblesse; qu'on rougira de lui
comme d'un ami indigne d'être aimé; qu'on ne lui
donnera que quelques apparences de religion , pour
éviter le scandale de l'impiété, et qu'on vivra à
la merci du monde , pour n'oser rien donner à Dieu
qu'avec sa permission? Voilà l'amour avec lequel on
pi*étend mériter les récompenses éternelles.
Je me suis confessé, dira-t-on , fort exactement
des péchés de ma vie passée; je fais quelques lec-
tures; j'entends la messe modestement, et j'y prie
Dieu d'assez bon cœur ; j'évite tous les grands péchés.
D'ailleurs je ne me sens point asses touché pour
quitter le monde, et pour ne garder plus de mesure
avec lui. La religion est bien rigoureuse si elle re-
jette de si honnçtes tempéramens. Tous ces raffine*
mens de dévotion vont trop loin , et sont plus pro-
pres à décourager, qu'à faire aimer le bien. Voilà
ce que disent des geitf qui paroissent d'ailleurs bien
intentionnés; mais il est facile de les détromper, s'ils
veulent examiner les choses de bonne foi.
Leur erreur vient de ce qu^ils ne connoissent ni
Dieu ni eux-mêmes. Ils sont jaloux de leur liberté ,
et
SUR LES CONVERSIONS LÀCBES. 24 1
et ils craignant de la perdre, en se livrant trop à la
piété. Mais ils doivent considérer qu'ils ne sont point
à eux-mêmes; ils sont à Dieu, qui, les ayant faits
uniquement pour lui^ et non pour eux-mêmes , les
doit mener comme il lui plaît, avec un empire ab-
solu. Us se doivent tout entiers à lui ians condition
et sans réserve. Nous n'avons pas même, à propre-
ment parler^ le droit de nous donner à Dieu ; car
nous n'avons aucun droit sur nous-mêmes. Mais si
nous ne .nous laissions pas à Dieu , comme Une
chose qui est de sa nature toute à lui , nous ferions
nn larcin sacrilège , qui renverseroit Tordre de la na*
ture, et qui violeroit la loi essentielle de la créa-
ture. Ce D*est donc pas à nous à raisonner sur la loi
qae Dieu nous impose ; c'est à nous à la recevoir, à
l'adorer, à la suivre aveuglément. Dieu sait mieux
que nous ce qui nous convient. Si nous faisions
TEvangile , peutrétre serions-nous tentés de Tadou-
cir, pour Taccommoder à notre lâcheté : niais Dieu
ne nous a pas consultés en le faisant 4 il nous- l'a
donné tout fait, et ne^nous a laissé aucune espé-
rance de salut que par l'accomplissement de cette
souveraine loi, qui est égale pour toutes les condi-
tions. Le ciel et la terre passeront, et cette parole
de vie ou de mort ne passera jamais : on ne peut en
retrancher ni un mot ni la moindre lettre. Mal-
heur aux prêtres qui oseroient en diminuer la force,
pour nous l'adoucir! Ce n'est pas eux qui ont fait
cette loi; ils n'en sont que les simples dépositaire^.
Il ne faut donc pas s'en prendre à eux si l'Évangile
fist une loi sévàre. Cette loi est autant redoutable
pour eux que pour le reste des hommes, et plus
Fénélon. xviii. 16
24^ SUR LES COlfTERSIONS LACHES.
encore pour eax que pour les autres, puisqu'ils ré-
pondent et des autres et d'eux-mêmes, pour Fobser-
vation de cette loi. Malheur à l'aveugle qui en con-
duit un autre ; ils tomberont tous deux ^ dit le Fils de
Dieu (O9 dans * le précipice.! Malheur au prêtre
ignorant, ou 'lâche et flatteur, qui veut élargir la
voie étroite! La voie large est celle qui conduit à la
perdition. Que Torgueil de Thomme se taise donc! 11
croit être libre, et il ne Test pas. C'est à lui à porter
le joug de la loi, et à espërer que Dieu lui donnera
des forces proportionnées, à la pesanteur de ce
joug.
En effet , celui qui a ce souverain empire sur sa
créature pour lui commander, lui donne, par sa grâce
intérieure, de vouloir et de faire ce qu'il commande.
Il fait aimer son joug; il Tadoucit par le charme
intérieur de la justice et de la vérité. Il répand ses
chastes délic^ sur les vertus, et dégoûte des faux
plaisirs. Il soutient l'homme contre lui-même, Tar-
rache à sa corruption, et le rend fort malgré sa foi-
blesse. O homme de peu dç foi , que craign.ez-voas
donc? laissez faire Dieu; abandonnez-vous à lai'
vous souffrirez ; mais vous souffrirez avec amour^
paix et consolation. Vous combattrez; mais tous
remporterez la victoire, et Dieu lui-même, après
avoir combattu avec vous, vous couronnera de sa
propre main.' Vous pleurerez ; mai$ vos larmes
seront douces, et Dieu lui-même viendra avec com-
plaisance les essuyer. Vous ne serez-plus libre pour
vous abandonner à vos passions tyraaniques ; mais
vous sacrifierez librement votre liberté,- et vous
(0 Mauh, zv. 14.
sua LES COKiVEaSIOllS LACHES. ^43
entrerez daos une liberté nouvelle et inconnue au
monde 9 où vous ne ferez rien que par amour.
De plus considérez quel est votre esclavage dans
le monde. Que n'avez-vous point à souffrir pour
ménager l'estime de ces hommes que vous méprisez?
Que ne vous en coûte-t-il pas pour réprimer vos
passions emportées , quand elles vont tr6|> loin ; pour
contenter celles auxquelles vous voulez céder ; pour
cacher vos peines; pour soutenir les bienséances
importunes? Est-ce donc là cette liberté que vous
vantez tant, et que vous avez tant de peine de sa^
crifier à Dieu? Où est-elle , où est-elle? montrez-la-
moi. Je ne vois partout que géûe, -que servitude
basse et indigne , que nécessité déplorable de se dé-
guiser depuis le matin jusqu'au soir. On se refuse à
Dieu , qui ne nous veut que pour nous sauver : on
se livre au monde , qui ne nous veut que pour nous
tyranniser et pour nous perdre. On s'imagine qu'on
ne fait dans le monde que ce qu'on veut, parce
qu'on sent le goût de ses passions par lesquelles on
est entraîné : mais compte-t-on les dégoûts affreux,
lés ennuis mortels, les mécomptes inséparables des
plaisirs , les humiliations qu'on a à essuyer dans les
places les plus élevées ? Au dehors tout est riant ;
au dedans tput est plein de chagrins et d'inquiétudes.
On croit être libre quand on ne dépend plus que de
ses passions' : folle erreur! Y a-t-il au monde un
état où l'on ne dépende pas encore davantage des
fantaisies d'autrui que des. siennes? Tout le com-
merce de la vie est gêné par les .bienséances et par
la nécessité de complaire aux autres.
D'ailleurs, nos passions sont le plus rude de tous
244 ^^^ ^^ COSYEASIOlfS LACHES.
les tyrans : si on ne les suit qa*à demi , il fant à toute
beare.étre aux prises contre elles, et ne respirer
jamais un seul moment en sûreté. Elles trahissent,
elles déchirent le cœur ; elles foulent aux pieds la
raison et Fhonneur; elles ne disent jamais : C^est
assez. ^Quand même on seroit s&r de les vaincre
toujours, quelle affreuse victpirel Si au contraire on
s'abandonne au > torrent , où vous entraînera-t-il ?
j*ai horreur de le penser : vous n*oseriez le penser
vous-même.
O mon Dieu ! préservez-moi de ce funeste escla-
vage, que Finsolence humaine n'a point de honte de
nommer une liber té. - C'est en vous qu'on est libre;
c'est votre vérité qui nous délivrera. Vous servir,
c'est régner.
Mais quel aveuglement de craindre d'aller trop
avant dans l'amour de Dieu! plpngeons-nous-y :
plu^ en f aime, plus on aime aussi tout ce qu'il nous
fait faire. C'est cet amour qui nous console de nos
pertes, qui nous adoucit nos croix, qui nous dé-
tache de tout ce qu'il est dangereux d'aimer, qui
nous préserve de mille poisons, qui nous montre
une miséricorde bienfaisante , au travers de tons les
maux que nous souffrons, qui nous découvre dans
la mort même une gloire et une félicil;f$ éternelle.
Cest cet amour qui change tous nos maux en biens;
comment pouvons.- nous praindre de nous remplir
trop de lui? Craignons-nous d'être trop heureux,
trop délivrés de nous-mêmes , des caprices de notre
orgueil, d# la violence de nos passions, et de la
tyrantiie du monde trompeur? Que tardons-nous à
nous jeter avec une pleine confiance entre les bras
StIR LES QOMVBRSIOlffS LÂCHES. %/\.b
du père des miséricordes et du Dieu de toute conso-
lation? Il nous aimera ; nous l'aimerons. Son amour
croissant nous tiendra lieu de tout le reste. Il rem-
plira lui seul notre cœur, que le monde a enivré,
agité, troublé, sans le pouvoir |amais remplir. Il ne
nous fera mépriser que le monde que nous mépri-
sons déjà. Il ne nous ôtera que ce qui nous rend
malheureux. Il ne nous fera faire que ce que nous
faisons tous les jours : des sections simples et rabon-
nables, que nous faisons mal, faute de les fiii^ pour
lui ; il nous les fera faire bien , en nom inspirant de
les faire pour lui obéir. Tout, jusqu'aux moindres
actions d'une vie siniple et commune , se tournera
en consolation, en mérite et en récompense. Nous
verrons en paix venir la mort : elle sera changée
pour nous en un commencement de vie immortelle.
Bien loin de nous dépouiller, elle nous revêtira de
tout, comme dit saint Paul. O que la religion est
aimable !
X. •
Sur r imitation de Jésus^Christ.
Il faut imiter Jésus : c'est vivre comme il a vécu,
penser comme il a pensé, et se conformer à son
image , qui est le sceau de notre sanctification.
Quelle différence de conduite ! Le n^nt se croit
quelque chose, et le Tout-Puissant s'anéantit. Je m'a-
néantirai avec vous, Seigneur^ je vous ferai un sacri-
fice entier de mon orgueil , et de la vanité qui m*a
a4fi S^^ L*UUTAT10H
possédé )ii8qo*à prëseDt.'. Aides ma bonne volonté;
éloignez de moi les occasions o& \e tomberois ; dé^
tournez mes yeux afin quejç ne regarde point la vo-
mie (i); qne je ne voie que vons, et que je me voie
devant vous : ce ser a alors que je connoUrai ce qne
je suis et ce 4 ne voas iles.
Jésas-Christ naît dans une étable ; il est contraint
de fuir en Egypte; 11 passe traite ans de sa vie dans
la boutique d'un artisan ; il souflre la faim, la soif,
la lassitude; il est pauvre, méprisé et abject; il en-
seigne la doctrine du ciel , et personne ne Técoute :
tons les grands et les sages le poursuivent , le pren-
nent, lui font souffrir des tourmens effroyables, le
traitent comme un esclave, le font mourir entre deux
voleurs après avoir préféré à lui un voleur. Voilà la
vie que Jesus-Christ a choisie; et nous, nous avons
en horreur toutes sortes d^humiliatioos, les moindres
mépris'nous sont insupportables. .
Comparons notre vie à celle de Jésus-Christ ; sou-
venons-nous quHl est le maître, et que nous sommes
les esclaves; qu'il est tout-puissant, et que nous ne
sommes que foiblesse ; il s'abaisse, et nous nous éle-
vons. Accoutumons-nous à penser si souvent à notre
misère, que nous n*ayons de mépris que pour nous.
Pouvons-nous avec justice mépriser les autres, et
considérer leurs défauts, quand nous en sommes nous-
mêmes remplis? Commençons à marcher par le che-
min que Jésus-Christ nous a tracé, puisque c*est le
seul qui nous puisse conduire à lui.
Et comment pouvons-nous trouver Jésus-Christ,
si nous ne le cherchons dans les états de sa vie mor-
{})Ps: cxTiii. 37.
DE JÉSUS-CHRIST. ^ ^47
telle, c'est-à-dire, cUns la solitude, dans le silence,
dans la pauvreté et la souffrance, dans les persécu-
tions et les mépris, dans la croix et les anéantisse*
mens? Les saints le trouvent dans le ciel, dans les
splendeurs de la gloire et dans les plaisirs ineffables;
mais c'est après être demeurés avec lui en terre dans
les opprobres, les doulews et les humiliations. Être
chrétiens, c'est être imitateurs de Jésus-Christ. En
quoi pouvons-nous l'imiter que dans ses huiniliations?
Rien autre chose ne nous peut approcher de lui.
Comme tout-puissant, nous devons l'adorer ; comme
juste, nous devons le craindre; comme bon et misé-
ricordieux, nous devons l'aimer de toutes nos forces;
comme humble, soumis, abject et mortifié, nous de-
vons rimiter.
Ne prétendons pas de pouvoir arriver par nos pro-
près forces à cet état ; tout ce qui est en nous y résiste :
mai s consolons-nous dans la présence de Dieu. Jésus-
Christ a voulu sentir toutes nos foiblesses; il est un
pontife compatissant, qui a voulu être tenté comme
nous : prenons donc toute notre force en lui, de-
venu volontairement foible pour nous fortifier : en-
richissons-nous par sa pauvreté, et disons avec con-
fiance : 3 e puis tout en celui qui me fortifie (0.
Je veux suivre, ô Jésus, le chemin que vous avez
prisfie vous veux imiter ^ je ne le puis que par votre
grâce. O Sauveur abject et humble, donnez-moi la
science des véritables Chrétiens, et le goût du mépris
de moi-même ; et que j'apprenne la leçon incompré-
hensible à l'esprit humain, qui est de mourir à soi-
même par la mortification et la véritable humilité!
^0 PMLip. IV. i3.
248 SUE LIMITATION DE JÉSUS-CHRIST.
Mettons la main à Fœuvre , et changeons ce cœur
si dur et si rebelle au cœur de Jésus-Christ, appro-
chons-nous du cœur sacré de Jésus; qu'il anime le
nôtre, qu'il détruise toutes nos répugnances. O bon
Jésus, qui avez souffert pour Tamour'de moi tant
d'opprobres et d'humiliatiops^imprimex-en puissam-
ment Festime et Tamour dans mon cœur, et faites-
m'en désirer les pratiques.
XI.
De l'humilité (*).
Tous les saints sont convaincus que l'humilité sin-
cère est le fondement de toutes les vertus; c'est parce
que l'humilité est la fille de la pure charité; et l'hu-
milité n'est autre chose que la vérité. Il n'y a que
deux Vérités au monde, celle du tout de Dieu, et du
rien de la créature : afin que l'humilité soit véritable,
il faut qu* elle nous fasse rendre un hommage conti-
nuel à Dieu par notre bassesse, demeurer dans notre
place, qui est ^aimer à n'être rien. Jésus-Christ dit
qu'il faut être doux et humble de cœur ; la douceur
est fille de l'humilité, comme la colère est fille de
Forgueil. Il n'y a que Jésus -Christ qui nous puisse
donner cette véritable humilité du cœur qui vient de
lui : elle natt de l'onction de sa grâce; elle ne con-
siste point, comme on s'imagine, à faire des actes
C*) Cei article paroit ici pour la première fois, cTaprës une copie
très-ancienne des Divers Stntimtns et AvU chrétiens, H faat appli-
quer à cel article robseryation que nous awns faite plus inut à roc-
casion de Particle viii. {Edit, de Fers.)
DS LHUMILITÉ. ^49
extérieurs d^hamilitë, quoique cela soit bon ; mais à
demeurer à sa place. Gelai qui s'estime quelque chose
n*est pas véritablement humble; celui qui v.eut quel-
que chose pour soi-même ne Test pas non plus : mais
celui qui s'oublie si fort soi-même qu'il ne pense ja-
mais à soi, qui n'a pas un retour sur lui-même; qui
au dedans n'est qije bassesse; et n'est blessé de rien ,
sans affecter la patience au dehors , qui parle de soi
comme il parleroit d'un autre , qui n'affecte point de
s'oublier soi-même lorsqu'il en est tout plein, qui se
livre pour la charité sans faire attention si c'est hu-
milité ou orgueil d'en user de la sorte , qui est très-
content de passer pour être sans humilité ; enfin celui
qui est plein de charité, est véritablement humble.
Celui qui ne cherche point son intérêt, mais le seul
intérêt de Dieu pour le temps et l'éternité*;, est hum-
ble. Plus on aime purement, plus Fhumilité est par-
faite. Ne Ddesurons donc point l'humilité sur l'exté-
rieur composé; ne la faisons point dépendre d'une
action ou d'une autre, mais de la pure charité. La
pare charité dépouille l'homme de lui-même; elle
le revêt de Jésus-Christ : c'est en quoi consiste la
vraie humilité, qui fait que nous ne vivons plus en
nous-mêmes, mais que Jésus-Christ vit en nous.
Nous tendons toujours à être quelque chose; nous
faisons souvent du bruit dans la dévotion , après en
avoir fait dans les choses que nous avons quittées; et
pourquoi? C'est que l'on veut être distingué en toutes
sortes d'états. Mais celui qui est humble ne cherche
rien ; il lui est égal d'être loué ou méprisé, parce
qu'il ne prend rien pour soi-même, et qu'il laisse
faire de lui tout ce qu'on veut. En quelque lieu qu'on
a5o DE L*BVKILITÉ.
le mette y il s*y tient ; il ne comprend pas même qu il
lui en faille on autre. II y a bien des personnes qui
pratiquept Thumilité extérieure ^ et qnî cependant
sont bien éloignées de cette humilité de cœur dont je
viens de parler ; car Thumilité eitérieure, et qui n*a
pas sa source dans la pure charité ^ est une fausse hu-
milité. Plus on croit s'abaisser, plps on est persuadé
de son élévation. Celui qui s'apeircoit qu'il s'abaisse,
n*est point encore en sa place , qui est aa*dessousde
tout abaissement. Ces -personnes qui croient sV
baisser ont beaucoup d'élévation : aussi, dans le fond,
cette manière d'humilité est souvent une recherche
subtile d'élévatiod. Ces sortes d'humilité n'entreront
point dans le ciel, quelles ne soient réduites à la
pure charité, source de la véritable humilité, seule
digne de Dieu, et qu'il prend plaisir de remplir de
lui-même. Ceux qui en sont remplis ne peuvent s'hu-
milier ni s'abaisser, à ce qu'il leur paroit, se trouvant,
au-dessous de tout abaissement. S'ils vouloienC s'a-
baisser, il faudroit qu'ils s'élevassent auparavant et
sortissent par là de l'état qui leur est propre : aussi
sont-ils si' persuadés que pour $*humilier il faut se
mettre au-dessous de ce que .l'on est, et sortir de sa
place,- qu'ils ne croient pas jamais le. pouvoir faire.
Ik ne se trouvent point humiliés par tous les mépris
et toutes les condamnations des hommes; ils ne font
que rester en leur' place : de même ils ne prennent
aucune part à l'applaudissement qu'on pourroit lew
donner; ils ne méritent rien^ ils n'attendent rien, ils
ne prennent part à rien. Ils cbmprennent qu'il n y a
que le Verbe de Dieu, qui, en s'incarnant, s'est abaisse
au-dessous de ce qu'il étoit ; c'est pourquoi l'Ecriture
DE LHUHILITÉ. a5l
dit qu*il s*est apéanti; ce quelle ne dit de nulle
créature.
Plusieurs se méprennent en ce point : soutenant
leur humilité par leur propre volonté , et manquant
à la résignation . et au parfait renoncement d'eux-
mêmes, ils ofiensent la charité divine , croyant favo-
riser rhumilité, qui néanmoins n*est pas humilité si
elle nes*accommode pas avec la charité. Si Ton avoit
de la lumière pour la discerner, on verroit claire-
ment que par où Ton croit s'humilier on s*élève;
qu en pensant s'anéantir, on cherche sa propre sub-
sistance; et qu'enfin on goûte et on po8sède;la gloire
de l'humilité, comme une vertu insigne, dans les actes
de l'humilité que l'on pratique. Le vrai humble ne
fait rien, et ne s'oppose à rien; il se laisse conduire
et mener où l'on veut; il croit que Dieu peut tout
faire de lui,. ainsi qu'il pourroit tout faire d'une
paille : et il y a plus d'humilité à faire ces choses et à
s y rendre, qu'à s'opposer sous prétexte d'humilité
aux desseins de Dieu. Celui qui préfère le mépris, par
son choix, à l'élévation, n'est point encore véritable-
ment humble, quoiqu'il ait le goût de Thumilité.
Enfin celui qui se laisse placer et mener oili l'on veut,
haut et bas , qui ne sent pas cette différence, qui n'a-
perçoit pas si on le loue ou si on le blâme^ ni si ce
qu'on dit de lui est à son avantage ou s'il lui est dés-
avantageux, est véritablement humble, quoiqu'il ne
le paroisse pas aux yeux de$ hommes, qui ne jugent
pas de la véritable vertu par ce qu'elle est en elle-
même, înais bien par les idées qu'ils s'en sont faites.
Le véritable humble est parfaitement obéissant,
parce qu'il a renoncé à sa propre volonté; il se laisse
ïSa DE LHUMILITÉ.
conduire comme Ton veut le mettre , d*ane façon on
d*ane autre. Il plie à tout, et ne résiste à rien, parce
qu'il ne seroit pas humble s*il avoit un choix et une
volonté ou raisonnement sur ce qu^on lui ordonne.
Il n a pas de penchant propre pour aucune chose,
mais il se laisse pencher de quelque cètë que Ton
veut. Il ne veut rien, il ne deoiande rien, non par
pratique de ne rien demander, mais parce qu'il est
dans un si profond oubli de soi, et si fort séparé de
lui-même, qu'il ne sait pas ce qui lui convient le
mieux; Le véritable humble est un de ces enfaos dont
Jésus-Christ a dit que le royaume des ciénx lui.âp-
partenoit. Un en&nt ne sait pas ce qu'il lui faut; il
ne peut rien , il ne pense à rien , mais il se laisse con-
É
duire. Abandonnons-nous donc avec courage; si
Dieu ne fait rien de nous , il nous rendra justice,
puisque nous ne sommes bons à rien; et s'il fait de
grandes choses, ce sera sa gloire : nous dirons avec
Marie, qu'il a fait de grandes choses en nous, parce
qu'il a regardé notre bassesse.
XII.
Sur la violence qu'un Chrétien te doit faire conti-
nuellement.
A qui croyez- vous que parle saint Paul, quand»
dit (0 : Nous sommes fous à cause de Jésus^Chnsh
et vous êtes prudens en Jésus-Christ? C'est -à vous,
c'est à moi , et ce n'est point aux gens qui ont toute
\0/ Cor. IV. lo.
SUE LA yiOLEirCE Qi:*01f DOIT SE FAIRE. 2 5 3
honle levée et qui ne connoissent point Dieu ; oui^
c est à nous qui croyons travaillei* à notre saKut y et
qui ne laissons pas de fuir la folie de la croix , et de
chercher les moyens de paroltre sages aux yeux du
monde \ c'est à nous qui ne tremblons point dans la
vue dç notre foiblesse. Où saint Paul se trouve lui-
même foible, nous nous trouvons forts; et nous ne
pouvons disconvenir qu*avec de bonnes intentions
Qouâ ne soyons quasi opposés à ce grand apôtre.
Cet état, ne doit pas nous parottre bon : faisons-y
donc réflexion; çt 'après nous être biçn examinés ,
voyons en quoi nous différons des véritables servi*
tears de Dieu.
Soyons imitateurs de Jésus-Cbrist en devenant les
imitateurs de saini Paul (0» qui se donne pour mo-
dèle après le premier modèle : plus de complaisance
pour le monde , plus de complaisance pour nous,
plus dlndulgence pour nos passions , pour nl>s sens
et pour notreTlangueur spirituelle. Ce n'est point en
paroles que consiste la pratique de la vertu ; elles ne
suffisent pas pour arriver au royaume de Dieu : c'est
dans la force et le courage y et dans la violence que
Ton se fait ; violence en toutes rencontres lorsqu'il
faut résister au torrenX du monde, qui nous empê-
che de faire le bien, après nous avoir tant de temps
fait commettre le mal ; violence quand il faut renon-
cer à une partie du nécessaire pour ne pas se trom-
per en croyant avoir renoncé au superflu ; violence
quand il faut se mortifier dans l'esprit après s'être
mortifié dans le corps, sans croire que. Dieu nous en
doit de rçste ; violence pour augmenter les heures de
CO/Cbr. XI. I.
a 54 sua la violes ce qc^on doit se fati^.
prières y de lectures et de retraite ; violence pour se
tfouve# toujours parfaitement bien dans Tétat où Ton
est, sans souhaiter ni plus de commodité ^ ni plos
d'honneur-, ni plus de santé, ni d*autre compagnie,
pas même de gens de bien ; enfin violence pour ar-
river à ce degré d'indifférence absolument nécessaire
au chrétien, qui n'a de volonté que celle de Dieu son
créateur; qui lui remet le succès de toutes ses af«
faires , quoiqu'il ne laisse pas d'j travailler; qui agit
selon sa condition, m.is qui agit sans se troubler;
qui prend plaisir à regarder Dieu , et qui ne craint
point d'en être regardé ; qui espère que ce regard
sera pour corriger ses défauts , et qui demeure pai-
sible en se voyant à sa merci pour la punition de ses
péchés. Voilà où je vous laisse , et où je vous prie df
vous tenir, afin que nous puissions et vous et moi,
dans le trouble et le tracas de la vie du. monde,
nous conserver en paix. Grand Dieu , pouvons-nous
penser que Ton connoisse en nous quefque cliose de
la vie de Jésus-Christ? Plus nous craignons de souf-
frir, plus nous en avons besoin.
XIII. •
Sur rhistoire du Pharisien et du Publicain : carac-
thres de la justice pharisaïque.
Les Publicains ou receveurs d'impôts étoient fort
odieux au peuple juif, jaloux de sa liberté, et accou-
tumé à n'avoir pour roi que Dieu même ou que des
princes de la- nation. Du temps de Jésus-Christ v&
SUR LA PRikKE DU PB4RISIBN. ^55
étoient assujettis à la domination romaine | qu*ils
sapportoient impatiemment. Quand Jésus^Cbrist re-
présente un Publicain ^ il met devant les yeux de
c«ux q|i*il instruit ce qu'il y avoit de plus profane
et de plus scandaleux. De là vient que Jësns-Christ
met ensemble les femmes de mauvaise vie et les Pu*
blicains. •
Pour les Pharisiens, c*étoit tine secte d*hommes
réformes, qui pratiquoient scrupuleusement jusques
aux moindres, circonstances marquées par la lettre
de la loi. Leur vie étott exemplaire , et éclatane en
vertus extérieures; mais ils étoient superbes, bau*
tains, jaloux des premiers rangs et de rautoritë,.
pleins d'eux-mêmes et de leurs bonnes œuvres, dé-
daigneux et critiques pour autrui, en un mot, aveu-
glés par la confiance en leur propre justice.
Jésus-Christ fait une histoire qui représente ces
deux caractères (0, pour montrer combien le Pha-
risien est plus loin du vrai royaume de Dieu, que le
Publicain qui est chargé d'iniquités. Le .Publicain
déplore ses vices; le Pharisien raconte ses vertus. Le
Publicain n'ose demander des grâces ; le Pharisien
vante avec complaisance celleà qu'il a reçues. Dieii
se déclare pour le Publicain : il ahne mieux le pé-
cheur humble, et confondu à la vue de sa misère,
que le juste qui se complaît dans sa justice, et qui
tire sa propre gloire des dons de Dieu. S'approprier
les dons de Dieu, c'est les tourner contre Dieu même
pour flatter son propre orgueil. O dons, de Dieu,
9
que vous êtes redoutables à uneame qui se cherche
en elle-même ! Elle tourne en poison l'aliment de vie
CO£ttC. XTHl. 10, IlyCtC. *
a 56 8CR LA PAlÈaE
éternelle : tout ce qui devroit la faire mourir à la vie
crAdam ne sert qu*à entretenir cette vie. On nourrit
Tamour-propre de bonnes œuvres et.d*austérit& ; on
se raconte à soi-même secrètement ses mortificationi,
ses victoires sur son goût, ses actions de justice, de
patience, d*humilité, de désintéressement : on croit
chercher dims toutes ces choses une consolation spi-
rituelle ; et on y cherche un app^i pour se confier
en soi-même, et pour se rendre un témoignage avan-
tageux de sa propre justiee- : on veut toujours être
en état de se représenter à soi-même <;e qu'on fait
de bien. Quand ce témoignage intérieur échappe ,
on est désolé, troublé, consterné; on croit avoir tout
perdu. Ce témoignage sensible est Fappui des com-
mençans ; c'est le lait des âmes tendres et naissantes.
Il faut qu elles le sucent long-temps ; il seroit dange-
reux de les. en sevrer. Cest à Dieu seul à retirer peu
à peu ce goût, et à y substituer le pain des forts.
Mais quand une ame, depuis long-temps instruite et
exercée d^ns le don de la fo! , commence, à ne sentir
plus ce témoignage si doux^etti consolant, elle^doit
demeurer tranquille dans Tépreuvê, et ne se point
tourmenter pour rappeler ce que Dieu éloigne
d'elle. Alors il faut qn elle s'endurcisse contre elle-
même, et qu'elle soit contente, comme le Publicain,
de montre^'Sa misère à Dieu, osant à peine lever les
yeux vers lui. C'est dans cet état que Dieu purifie
d'autant plus l'ame qu'il lui dérobe la vue de sa pu-
reté.
L'ame est si infectée de Famour-propre, qu'elle te
•€alit' toujours un peu par la vue de sa vertu ; elle en
prend toujour»»^uelque chose pour elle-même : elle
rend
O0 PHA&I81EM. a57
rend grâces à Dieu ; mais elle se sait bon grë d'être
plutôt qu'une autre la personne sur qui découlent
les dons célestes. Cette manière de s'approprier les
grâces est très-subtile et très-imperceptible dans cer-
taines âmes qui paroissent droites et simples : elles
n'aperçoivent pas elles-mêmes le larcin qu'elles
font. Ce larcin est d'autant plus mauvais, que c'est
dérober le bien le plus pur., et qui excite par consé-
quent davantage la jalousie de Dieu. Ces âmes ne
cessent de s'approprier leurs vertus que quand elles
cessent de les voir, et que tout semble leur échap-
per. Alors elles* s'écrient y comme saint Pierre quand
il s'enfonçoit dans les eaui : Sauyez-nous^ Seigneur,
nous périssons. Elles ne trouvent plus rien en elles ;
tout manque. Il n'y a plus dans leur fonds que sujet
de condamnation, d'horreur, de haine de soi-^même,
de sacrifice et d'abandon. En perdant ainsi cette
propre justice pharisienne, on entre dans la vraie
justice de Jésus-Christ, qu'on n'a garde de considé-
rer comme la sienne propre*
Cette justice pharisienne est bien plus commune
qu'on ne s'imagine. Le premier défaut de cette jus-
tice consbtoit en ce que le Pharisien la mettoit toute
dans les œuvres, s'attachant superstitieusement à la
rigueur de la lettre de la loi, pour l'observer de
point en point sans en chercher l'esprit. Voilà pré-
cise'ment ce que font tant de Chrétiens* On jeCkne,
on donne l'aumône , on fréquente les sacremens, on
va à l'office de l'église, on prie même, sans amour
pour Dieu, sans détachement du monde, sans cha-
rité , sans humilité , sans renoncement à soi-même :
on est content, pourvu qu'on ait devant soi un cer-
FÉttÉLOK, xviii. 17
a58 SD& LA PaiEHB
tain nombre de bonnes œavres régulièrement faites.
C'est être pharisien.
Le second défaut de la justice pbarisienne est celui
que nous avons déjà remarqué; c*est qu'on veut s*ap-
puyer sur cette justice comme sur sa propre force.
Ce qui fait qu*elle console tant, c'est qu'elle donne
un grand soutien à la nature. On prend un grand
plaisir à se voir juste ^ à se sentir fort, à se ipirer
dans sa vertu , comme une femme vaine se plait à
considérer sa beauté dans un miroir. L'attacbemcnt
à cette vue de nos vertus les salit, nourrit notre
amour-propre, et nous empêche de nous détacher
de nous-mêmes. De là vient que tant d'âmes, d'ail-
leurs droites et pleines de bons désirs, ne font que
tournoyer autour d^elles-mémes sans avancer jamais
vers Dieu. Sous prétexte de vouloir conserver ce té-
moignage intérieur, elles s'occupent toujours d'elles-
mêmes avec complaisance; elles craignent autant
de se perdre de vue, que d'autres craindroient de s*é-
carter de Dieu; elles veulent toujours voir un cer-
tain arrangement de vertus composées à leur mode ;
elles veulent toujours gofrter le plaisir d'être agréa-
bles à Dieu. Ainsi elles ne se nourrissent que d*un
plaisir qui les amollit, et d'une superficie de vertos
qui les remplit d'elles-mêmes. Il fkudroit les vider,
et non pas les remplir; les endurcir contre elles-
mêmes, et non pas les accoutumer à cette tendresse
sensible qui n'a souvent rien de solide. Cette ten-
dresse est pour elles ce que seroit le lait d'une nour-
rice pour un homme robuste de trente ans. Cette
nourriture afibiblit et appetisse Tame, au lieu de la
fortifier. De plus, c'est que ces âmes, trop dépen-
DU PHARISlEll. 269
dantes du goût sensible et do calme intérieur ^ sont
en danger de perdre tout au premier orage qui s'é-
lèvera : elles ne tiennent qu'au don sensible; dès que
le don sensible se retire, tout tombe sans ressource.
Elles se découragent aussitôt que Dieu les éprouve ;
elles n'ont mis aucune différence entre le goût sen-
sible et Dieu : de là vient que, quand ce goût échappe,
elles concluent que Dieu les abandonne. Aveugles ,
qui quittent Foraison, comme dit sainte Thérèse,
quand Toraifion commence à se purifier parTépreuve,
et à devenir plu« fructueuse ! Une ame qui vit du
pain sec de la tribulatiop , qui se trouve vide de
tout bien y qui voit sans cesse sa pauvreté, son indi-
gnité et sa corruption, qui ne se lasse jamais de cher-
cher Dieu ^ quoique Dieu la repousse, qui le cher-
che lui seul pour l'amour de lui-même, sans se
chercher soi-même en Dieu y est bien au-dessus d'une
ame qui veut voir sa perfection , qui se trouble dès
qu elle la perd de vue, et qui veut toujours que Dieu
la prévienne par de nouvelles caresses.
Suivons Dieu par la route obscure de la pure foi ;
perdons de vue tout ce qu'il voudra nous cacher;
marchons, comme Abraham, sans savoir où tendent
nos pas; ne comptons que sur notre misère et sur
la miséricorde de Dieu. Seulement allons droit;
soyons simples, fidèles, n'hésitant jamais de sacri-
fier tout à Dieu, Mais gardons-nous bien de nous
appuyer sur nos œuvres, ou sur nos sentimens, ou
sur nos vertus. Allons toujours à Dieu, sans nous
arrêter un moment pour retourner sur nous-mêmes
avec complaisance ou avec inquiétude. Abandon-
nons-lui tout ce qui nous regarde, et songeons à
*|60 8V1I LA DISSIPATION
le glorifier sans relâche dans tous les momens di
notre vie.
XIV.
Remèdes contre la dissipation et contre la tristesse.
Il me semble que vous êtes en peine sur deux
choses; Tuixe dVviter la dissipation, et Tautre de
vous soutenir contre la tristesse. Pour la dissipation ,
vous ne vous en guérires point par des réflexions
forcées. PTespérez pas de faire l'ouvrage de la grâce
par les ressorts et les industries de la nature. Con-
tentez-vous de donner votre volonté à Dieu sans re-
serve > et de n'envisager jamais aucun état doulou-
reux que vous n'acceptiez par l'abandon à la divine
providence. Gardez-vous bien d'aller jamais au-
devant de ces pensées de croix ; mais quand Dieu
permet qu'elles vous viennent, sans que vous les
ayez cherchées , ne les laissez jamais passer sans
fruit.
Acceptez, malgré les répugnances et les horreurs
de la nature, tout ce que Dieu présente à votre es-
prit, comme une épreuve par laquelle il veut exercer
votre ïoi. Ne vous mettez point en peine de savoir
si vous aurez , dans l'occasioA , la force d'exécuter
ce que vous désirez faire de loin : Toccasion pré-
sente aura sa grâce ; mais la grâce du moinent au*
quel vous envisagez ces croix , est de les accepter dt
bori cœur an temps que Dieu vous les donnera, l^
fondement d'abandon posé, marchez tranquilk"'^"'
ET LA TI115TESS£. 26 1
et en confiance. Pouiru que cette disposition de
votre volonté ne soit point changée par des atta^
chemens volontaires à quelque chose contre Tordre
de Difiu y elle subsistera toujours.
Votre imagination sera errante sur mille vains
objets ; elle sera même plus ou moins agitée , sni^
▼ant les lieux où vous serez , et suivant quelle aura
été plus ou moins ébranlée par des objets plus vifs
ou plus langnissans. Mais qu importe? L*imaginà-
tion, comme dit sainte Thérèse , est la folle de la
maison; elle ne cesse de faire du bruit, et d'étour-
dir; Tes prit même est entraîné par elle; il ne peut
s^empécher de voir les images qu'elle lui présente.
Son attention à ces images est inévitable, et cette
attention est une distraction véritable : mais, pourvu
qu'elle soit involontaire, elle ne sépare jamais de
Dieu ; il n'y a que la distraction de la volonté qui
fait tout le mal.
Si vous ne voulez jamais la distraction , vous ne
serez jamais distraite , et il sera vrai de dire que
votre oraison n'aura point défailli. Chaque fois que
vous apercevrez votre distraction, vous 1^ laisserez
tomber sans la combattre, et vous vous retournerez
doucement du côté de Dieu sans aucune contention
d'esprit. Quand vous ne vous apercevrez point de
votre distraction, elle ne sera pas une distraction du
cœur. Dès que vous l'apercevrez , vous lèverez les
yeux vers Dieu. La fidélité que vous aurez à rentrer
en sa présence, toutes les fois que vous vous aper-
cevrez de votre état, vous méritera la grâce d'une
présence plus fréquente ; et c*est, si je ne me trompe,
le moyen de rendi'e bientôt cette présence familièie.
2()2 SUR LA. DlS^lPATXOjr
Cette fidélité à se détQuroer promptemeot des
autres objets, toutes les foU qu'on remarque les
dUtràctîoQs, ue $era pas ioug-temps dans une ame
sans le don d'un recueillement fréquent et facile.
Mai^ il ne faut pas s'imaginer qu'on puisse entrer
dans cet état par ses propres efforts ; c^tle contention
vous rendroit g^née, scrupuleuse» inquiète dans les
affaires et dans les conversation^ où vous ay^z besoin
d'être libre. Vous seriez toujours en craiqte que la
présence de Dieu ne vous échappe, toujours à courir
pour la rattraper 9 vous vous envelopperiez dans
tous les fantômes de votre imagination. Ainsi la
présence de DieU| qui doit, par sa douceur et par
sa lumière y faciliter l'^ppKcation à tous les autres
objets que nous avons besoin de considérer dans
l'ordte de Dieu, vous rendroit au contraire toujourj
agitée et presque incapable des fonctions extérieures
de votre état.
. Ne soyez donc jamais inquiète de ce que cette
présence sensible de Dieu vous aura échappé ; m^i^
surtout gardez-vous bien de vouloir une présence de
Dieu raisonnée^ et soutenue par beaucoup de re'-
flexions. Contentez-vous , dans le cours de la journée
et dans le détail de vos occupations , d'une vue con-
fuse de Dieu; en sorte que, si on vous demandoit
alors quelle est la disposition de votre cœur, il fût
vrai de dire qu'il tend à Dieu , quoique vous fussiez
alors attentive à quelque autre objet. Ne vous
mettez point en peine des égaremens de votre esprit
que vous 'ne pouvez retenir. On se distrait souvent
par la crainte des distractions, et puis par le regret
de les avoir eues.
&T LA TIVISTESSE. u6'i
Que diriez-vous d'un homme qui, dans un voyage,
au lieu de marcher toujours sans s'arrêter, passeroit
son temps à prévoir les chutes qu'il pourroit faire,
eif quand il en auroit fait quelqu'une, à retourner
voir le lieu où il seroit tombe 7 Marchez , m Jlbhez
toujours, lui diries*vous. Je vous dis de nieme:
Mardbez sans regarder derrière vous, et sans vous
arrêter. Marchez, dit l'Apôtre (0, afin fue vous
soyez toujours dans une plus grande abondance.
L'abondance de l'^ipiour de Dieu, il est vrai, vous
corrigera plus que vos inquiétudes et vos retours
empressés sur vous--même.
Cette règle est simple; mw la nature, accou*
tumée à fiaûre tout par sentiment et par réflexion ,
la trouve simple jujsqu à l'excès. On voudi^oit s'aider
soi*méme , ei se donner plus de mouvement : mais
c'est en quoi cette règle est bonne, de ce qu'elle
tient dans un état de pure foi , oix Ton ne s'appuie
que sur Dieu à qui l'oa s'abandonne, et oh. l'on
meurt à soi-même en supprimant tout ce qui est de
soi. Par là on ne multiplie point les pratiques esté*
rieures, ({ui pourroient gêner les personnes fort oc-
cupées , ou nuire à la santé ; on leà tourne toutes a
aimer, maïs k anner simplement ; ensuite on ne fiiit
que ce qae l'amour fait faire : ainsi on n'est jamais
surchargé ; car on ne porte que ce qu'on aime. Cette
règle, bien prise, suf&t aussi pour guérir la trîs-
tesse«
Souvent la tristesse vient de ce que, cherchant
Dieu, on ne le sent pas aissez pour se contenter.
Vouloir le sentir n'est pas vouloir le posséder; mais
I
\ *
(') Lue, z. 4'» 4'-
264 SUll L4 DISSlPATlOif
c*est vouloir s^assurer, pour Famour de soi-mtine ,
qu'on le possède, afin de se consoler. La nature
abattue et découragée a impatience de se ?oir dans
la pure foi ; elle fait tous ses eflbrts pour s*en tirer,
pan9 que là tout appui lui manque; elle 7 est
comme en l'air; elle voudroit sentir son avancement.
A la vue de ses fautes, l'orgueil se dépite, et 1*00
prend ce dépit de l'orgueil pour un sentiment de
pénitence. On voudroit, par amour-propre, avoir
le plaisir de se voir parfait; on sagronde de ne l'être
pas; on est impatient, hautain et de mauvaise hu-*
meur contre soi et contre les antres. Erreur déplo-
rable ! Comme si l'œuvre de Dieu pouvoit s'accom-
plir par notre chagrin ! Comme si on pouvoit s'unir
au Dieu de paix en perdant la paix intérieure!
Marthe j Marthe , pourquoi vous troubler sur tant
de choses pour le service de Jésus-Christ? ITne
seule est nécessaire (0> qui est de îaimer et de se
tenir immobile à ses pieds.
Quand on est bien abandonné à Dieu, tout ce
que l'on fait est bien fait, sans faire beaucoup de
choses : on s^abandonne avec confiance pour l'avenir;
on veut sans réserve tout ce que Dieu voudra, et
l'on ferme les yeux pour ne rien prévoir de l'avenir.
Cependant on s'applique dans le présent à accom-
plir sa volonté ; à chaque jour suffit son bien et son
mal. Ce journalier accomplissement de la volonté
de Dieu est l'avènement de son règne au dedans de
nous, et tout ensemble notre pain quotidien. On
seroit infidèle, et coupable d'une défiance païenne,
si on vouloit pénétrer dans cet avenir du temps que
ST LA TRISTESSE.
l65
Dieu nous dërbbe : on le lui laisse; c'est à lui de le
feffie doux ou amer, court ou long : qu'il fasse ce
qui est bon à ses yeux. La plus parfaite préparation
à cet avenir, quel qu*il soit , est de mourir à toute
volonté propre, pour se livrer totalement à celle de
Dieu. Comme la manne avoit tous les go&ts , cette
disposition générale renferme toutes les grâces et
tous les sentimens convenables à tous les états où
Dieu pourra nous mettre dans la suite.
Quand on est ainsi prêt à tout , c*est dans le fond
de Tabime que Von commence à prendre pied ; on
est aussi tranquille sur le passé que sur Favenir. On
suppose de soi tout le pis qu'on en peut supposer ;
mais on se jette aveuglément dans les bras de Dieu ;
CD s'oublie, on se perd ; et c'est la plus parfaite pé-
nitence que cet oubli de soi-même : car toute la
conversion ne consiste qu'à se renoncer pour s'oc-
cuper de Dieu. Cet oubli est le martyre de l'amour-
propre; on aimeroit cent fois mieux se contredire,
se condamner, se tourmenter le corps et l'esprit , que
de s'oublier. Cet oubli est un anéantissement- de
Tamour-propre > oi^ il ne trouve aucune ressource.
Alors le cceur s'élargit ; on e§t soulagé en se déchar-
geant de tout le poids de soi-même dont on s'acca*
bloit; on est étonné de voir combien la voie est
droite et simple. On croyoit qu'il falloit une con«
tention perpétuelle et toujours quelque nouvelle
action sans relâche; au contraire, on aperçoit
qu'il y a peu à faire; qu'il suffit, sans trop raisonner
ni sur l'avenir ni sur le passé, de regarder Dieu
avec confiance comme un père qui nous mené dans
le moment présent comme par la main. Si quelque
266 SUR hk ousiPATioir
distraction le iait perdre de vue, sans s'arrêter à^
distraction I. on se retourne vers Dieu, et il fait seffr
ce qu il veut. Si on fait des fautes, on en fait une
pénitence qui est une douleur toute d'amoun On se
retourne vers celui de. qui on s'étoit détourné. Le
péché parott ixideux j^ mais rhumiliatîon qui en re-
vient, et pour laquelle Dieu Ta permis, paroit bonne.
Autant que les réflexions de Torgueil sur nos pro^
près fautes sont amères^, inquiètes et chagrines , au-
tant le retour de Tame vers Dieu après ses fautes
QSt*ii recueilli, paisible» et soutenu par la confiance»
Voua seutires par expérience combien ce retour
simple et paisible vous facilitera votre correction,
plus que tous les dépits sur les défauts qui vous do-
minent. Soyes seulement fidèle à vous tourner sim-
plemeni vers Dieu , dès le moment que vous aper-
cevres votre fautes Vous anrex beau cjiiicaner avec
vous-même; ce n'est pomt avt^c vi;>ufi que vous devex
prendre vos mesures* Quand vous v<^i5 grondes sur
vos misères» j^ ne vois dans votre conseil que vous
seul avec voiufi^méimef Pauvre eonseit» où Dieu n*est
pas!
Qui vo«is tendra la i«ain pomf sortie du bourbier?
Sera-ce vous? Hé! c'est vou$^méme qui vous y êtes
enfoncé, et qui ne pouvez en sortir. De plus, ce
bourbier, c'est rous-mâme; tout le fond de votre mal
est de ne pouvoir sortir de vous- Espére&^vous d*en
sortir en vous entretenant toujours avec vous-même,
et en nourrissant votre sensibilité par la vue de vos
foiblesses? Vous ne faites que vous atteiMlrir sur
vous-même par tous ces retours. Mais le moindre
regard de Dieu calmerait bien mieux vol&*e cceur
' £7 LA TAI$TSaSE* ^6^
trouble par cette occupaJfcion de vons-méoie. Sa.pré-
sepce opère toujoars la sortie de soi-piéiiie i et c'est
ce qu*U vous fiiut. Sortes dooe de voos-méiDe» et
vous seres eu paix. Mais c^comeat eo sortir? Il ne
fao t que se to^rae^ doucemeat du côté de Dieu, et eu
former peu à peu Tljiabitude par la fidélité à y reve-
nir toutes les fois qu'on s'aperçoit de sa distraction.
Pour la tristesse naturelle qui vient de la mélan-
colie» elle ne vient que du c^^rps^ ainsi les remèdes
et le régime la dio^nuent II est vrai qu elle revient
toujours , mais elle n'est pas volontaire. Quand Dieu
la donne^ oq }a suppprte en paix, comme la fièvre
et les autres manx corporels. L'imag^tion est dans
uoe noirceur profonde , elle est toute tendue de
deuil ; mais la volonté , qui ne se nourrit que de
pure foi y veut bien éprouver toutes ces impressions;
on est en paix , parce qu'en est d'accord avec soi*
même y et sçumis à Dieu. Il n'est pas question de ce
que l'on sent, mais de ce que l'on veut. On veut tout
ce qu'on a , on ne veut rien de ce qu'on n'a pas« Qn
ne voudroit pas soi-même se délivrer de ce qu'on
soufiie f parce qu'il n'appartient qu'à Dieu de dis»
tribuer les croix et les consolations. On est dans la
joie au milieu des tribulations, comme dit l'ÂpôtreCO ^
ce n'est pas une joie des sens, c'est une joie de pure
volonté.
Les impies, au milieu des plaisirs, ont une joie
contrainte, parce qu'ils ne sont jamais contens de
leur état ; ils voudroient repousser cej: tains dégoûts,
et goûter encore certaines douceurs qui leur man-
quent.
(•) // Cor, VII. 4.
a68 sum LA mssiPATi'oif
Au contraire y Famé fidèle a une volonté qai n*esC
contrainte en rien; elle accepte librement tout ce
que Dieu lui donne de douloureux ; elle le veut, elle
Taime , elle Fembrasse ; elle ne voudroit pas le quitter
quand même il ne lui en coûteroit qu'un seul désir,
parce que ce désir seroit un désir propre , et con-
traire à son abandon à la Providence, quelle oe
veut jamais prévenir en rien.
Si quelque chose est capable de mettre un cœur
au large et en libellé , c'est cet abandon. U répand
dans le cœur une paix plus abondante çuetesfleuvesj
et une justice qui est comme les abîmes de la mer;
c'est l'expression d'Isaîe (0. Si quelque chose peut
rendre un esprit serein, dissiper ses scrupules et ses
craintes noires, adoucir la peine par l'onction de
l'amour, donner une certaine vigueur dans toutes
les actions , et épancher la joie du Saint-Esprit jus-
que sur le visage et dans les paroles, c'est cette
conduite simple, libre et enfantine entre les bras de
Dieu. Mais on raisonne trop, et on se gâte à force de
raisonner. Il y a une tentation de raisonnement,
qu'il faut craindre comme les autres tentations. U y
a une occupation de soi-même , sensible , inquiète
défiante , qui est une tentation d'autant plus subtile,
qu'on ne la regarde point comme une tentation, et
qu'au contraire on s'y enfonce de plus en plus, parce
qu'on la prend pour la vigilance recommandée dans
rÉvangile. La vigilance que Jésus-Christ .ordonne
est une fidèle attention à aimer toujours, et à ac-
complir la volonté de Dieu dans le moment présent,
suivant les signes qu'on en a : mais elle ne consiste
f
BT LA TAISTISSE. 26g
pas à se troubler, à se mettre à la lortore, à s^occu-
per sans cesse de soi-même , plutôt (}ue de lever les
jeux yers Dieu, notre unique secours contre nous-
mêmes.
Pourquoi, sous prétexte de yigilance, s'opiniâtrer
à découvrir en nous-mêmes ce que Dieu ne veut pas
que nous y découvrions pendant cette vie? Pourquoi
perdre par là le fruit de la foi pure et de la vie inté-
rieure? Pourquoi se détourner de la présence de
Dieu 9 qu'il veut nous rendre continuelle? Il n'a pas
dit : Soyez toujours vous-même l'objet devant lequel
vous marchiez; mais il a dit : Marchez devant moi,
et soyez parfait (0-
David, plein de son esprit, a dit : Je voyais ton-
fours Dieu devant moi C^); et encore : Mes yeux
sont toujours élevés vers le Seigneur, afin qu'il ga-
rantisse mes pieds des filets tendus .(3). Le danger est
à ses pieds ; cependant ses yeux sont en haut : il est
moins utile de considérer notre danger que le secours
de Dieu. De plus on voit tout i^ûni en Dieu ; on y
voit la misère humaine et la bonté divine j un seul
coup d'œil d'une ame droite et pure , si simple qu'il
soit, aperçoit tout dans cette lumière infinie. Mais
que pouvons-nous voir dans nos propres ténèbres,
sinon nos ténèbres mêmes?
O mon Dieu ! pourvu que je ne cesse de vous voir,
je ne cesserai point de me voir dans toutes mes mi-
sères, et je me verrai bien mieux en vous qu'en moi-
même. La vraie vi^lance est de voir en vous votre
volonté pour Faccomplir, et non de raisonner à l'in-
fini sur l'état de la mienne. Quand les occupations
CO Gtn. 21VI1. I. — C») Pt. XV. 8. — C') Ps. xxiy. i5.
1
ajO SVtL %k BISSIPATIOir
extéri^ores m'empêcheront de vons voir seul, €d
fermant dans l'oraison les avenues de Ions mes sensi
alors je voos verrai , Seigneur^ faisant tout en tous.
Je verrai partout avec joie votre volonté s'accomplir
et au dedans et au dehors de moi ; je dirai sans cesse
Amên^ comme les bienheureux; je chanterai toujours
dans mon coeur le cantique de la céleste Sion. Je
vous bénirai même dans les méchans^ qui, par leur
volonté mauvaise j ne laissent pas d'accomplir malgré
eut la fôtre toute juste, toute sainte, toute-puis*
saute. Dans la diaste liberté de Tesprit que voos
donnez à vos enfans , j'agirai et je parlerai simple*
ment y gaîment et avec confiance : Quand mente je
passerais au trwers des ombres de la mort, je ne
craindrais tien, parce ^Ufi vous êtes toujours avec
moi (0. Je ne chercherai jamais aucun péril; je
n'entrerai jamais dans aucun engagement qu'afec
des signes de votre providence, qui y soient ma
force et ma consolation. Dans les états mêmes où
votre vocation m*e soutiendra, je donnerai au re«
cneillement , k l'oraison , à la retraite, tous les jours^
tontes les heures, tous les momens que vous me
laisserez libres : ^ene quitterai jamais ce bienheureux
état, qu'autant que vous m'appellerez vous-même à
quelque fonction extérieure. Alors je sortirai en ap-
parence de vous, mais vous sortiret avec moi; et,
dans cette sortie apparente , vous me pointerez dans
votre sein : je ne me chercherai point moi-même
dans le commettre des créatures ; je ne craindrai
point que le recueillement diminue mon agrément
•
auprès d'elles^ et dessèche ma conversation ; car )e
(•) Fs, XXII. 4-
ET LA TR1STBS5E. SS^l
ne veux plaire anx hommes qo^autant qo*il lé faut
pour vous plaire.
Si vous voulez vous servir de moi pour votre œu-
vre sur eux, je me livre; et^ sans réflexion sur moi,
je répandrai simplement sur eux tout ce que vous
avez fait découler de vos dons sor moi : je ne mar-
cherai point à tâtons y en retombant toujours sur
moi-même : quelque périlleuse et disripante que sôit
cette fonction y je me comporterai simplement devant
vous avec ane droite îMenlion , sachant quelle est la
bonté du père devant qui je«iarcbe; il ne veut point
de subtilité dans les siens^
Si y au contraire , vous ne voulez pas vous servir
de moi pour les autres , je ne m'oflrirai point; je
n'irai au-devant de tien ; je Ferai en paix les autt^s
choses auxquelles vods me bornerez : car, selon
l'attrait d'abandon que vous me donnez, je ne désire
ni ne refuse rien, je me prête à tout, et consens d'être
inutile à tout. Cherché, rebuté, connu, ignoré, ap^
plaudi, contredit, que m'importe? C'est vous, et
non pas moi ; c'est vous , et non pas vos dons dis*-
tingués de vous et de votre amour , que je cherche.
Tous les états qui sont bons me sont indifférens.
^7% DB UL TRinriSSE.
XV.
Remèdes contre la tristesse.
Pour ce qai regarde ane certaine tristesse qui res-
serre le cœur et qnî Fabat, Toicî deux r^les qu'il
me parott important d'observer. La première est de
remédier à cette tristesse par les moyens qae la Pro-
vidence nous fournit; par exemple , ne se point sur-
charger d'aflaires pénibles, pour ne succomber point
sous un fardeau disproportionné ; ménager noD-sen-
lement les forces de son corps, mais encore celles de
son esprit, en ne prenant point sur soi des choses
oùi'on compteroit trop sur son courage ; se réserver
des heures pour prier, pour lire , pour s'eucourager
par de bonnes conversations ; même s'égayer, pour
délasser tout ensemble l'esprit avec le corps , suivant
le besoin.
Il faut encore quelque personne sûre et discrète,
à qui on puisse décharger son cœur pour tout ce
qui n'est point du secret d'autrui ; car cette décharge
soulage et élargit le cceur oppressé. Souvent des
peines trop long-temps retenues grossissent jusqu'à
crever le cœur. Si elles pouvoient s'exhaler, on ver-
rait qu'elles ne méritent point toute l'amertume
qu'elles ont causée. Rien ne tire tant l'ame d'une
certaine noirceur profonde , que la simplicité et la
petitesse avec laquelle elle expose son décourage-
ment aux dépens de sa gloire, demandant lumière
et consolation dans la communication qui doit être
entre les enfans de Dieu.
U
DE LA TEISTESSE. là^i
La seconde règle est de porter paisiblement toutes
les impressions involontaires de tristesse que nous
souffrons malgré les secours et les précautions q.ue
nous venons d'expliquer. Les découragemens inté-
rieurs nous font aller plus vite que tout le reste, dans
la voie de la foi, pourvu qu'ils ne nous arrêtent point,
et que la lâcheté involontaire de Tame ne la livre
point à cette tristesse qui s*empare, comme par force,
de tout Tintérieur. tin pas fait en cet état est tou-
jours un pas de géanjt : il vaut mieux que mille, faits
dans une disposition plus douce et plus consolaiite.
II n'y a donc qu'à mépriser notre découragement ,
et qu'à aller toujours , pour rendre cet état de foi-
blesse plus utile et plus grand que celui du courage
•et de la force la plus héroïque.
O que ce courage sensible , qui rend tout aisé ^
qui fait et qui souffre tout, qui se sait bon gré de
n'hésiter jamais, est trompeur! O qu'il nourrit la
conGanoi propre et une certaine élévation de cœur !
Ce courage, qui édifie quelquefois merveilleusement
le public, nourrit au dedans une certaine satisfac-
tion, et un témoignage qu'on se rend à soi-même,
qui est un poison subtil. On a le goût de sa propre
vertu, on s'y complatt, on veut la posséder ; on se
sait bon gré de sa force.
Une ame affoiblie et humiliée, qui ne. trouve plus
de ressource en elle, qui craint, qui est troublée,
qui est^riste jusqu'è la mort, comme Jésus-Christ
lorsqu'il étoit dans le jardin, qui s'écrie enfin comme
lui «ur la croix : O Dieuj â mon Dieu^ pourquoi
rnauez'vous délaissé? est bien plus purifiée, plus
déprise d'elle-même, plus anéantie et plus morte à
FéHÉLON. xviii. 18
^74 l^B LA ni9TCS8B.
tout désir propre , que ces âmes fortes qui )Ooissent
en paix des firaits de leur vertu.
Hearense Famé que Dieu abat , qne Dieu écrase ,
à qui IKea ôle toote force en elle-même pour ne se
plus soutenir qu'en lui ; qui yoit sa pauvreté, qui en
est contente ; qui porte , outre les croix du dehors ,
la grande croix intérieure du découragement, sans
laquelle tontes les autres ne pâeroient rien !
^f0^yu^mft0i/n»0»it/¥wmtfitmÊmmv%f^^mt%mf9/mf9f¥t»t^ wm090Wfmft^
XVI.
Sur la pensée de la mort.
Oh ne peut trop déplorer Vaveuglement des
hommes de ne pas vouloir penser à la mort , et de
se détourner d'une cbose inévitable que Ton peut
rendre heureuse en y pensant souvent. La mort ne
trouble que les personnes chamelles : le parfait
amour chasse la crainte (i). Ce n'est pas par se croire
juste qu'on cesse de craindre , c'est par aimer sim-
plement, et s'abandonner sans retour sur soi à celui
qu'on aime< Voilà ce qui rend la mort douce et
précieuse. Quand on est mort à soi-même , la mort
du corps n'est plus que la consommation de Toeuvre
de la grâce.
On évite la pensée de la mort pour ne se pas at-
trister ; elle ne sera triste que* pour ceux^ui n j
auront pas pensé. Elle arrivera enfin cette mort, et
éclairera celui qui n*aura pas voulu être éclairé
pendant sa vie. On aura à la mort une lumière très-
(O/Joon. iT. i8.
SUR Lk PENSÉE DE LÀ MORT. 2^5
distincte de tout ce que nous aurons fait et de tout
ce que nous aurions dû faire ; nous verrons claire-
ment Tusage que nous aurions dû. faire des grâces
reçues y des talens, des biens, de la santé, du temps,
et de tous les avantages on malheurs de notre vie.
La pensée de la mort est .la meilleure règle que
nous puissions prendre pour toutes nos actions et
DOS projets. Il faut la désirer; mais il la faut aussi
attendre avec la même soumission que nous devoo^
avoir à la volonté de Dieu dans tout le reste. On
doit la désirer puisqu'elle est la consommation de
notre pénitence, Feutrée de notre bonheur, et notre
éternelle récompense.
II ne faut point dire que Ton veut vivre pour faire
péDÎtence , puisque la mort est la meilleure que nous
puissions faire. Nos péchés seront purgés plus pure-
iiient, et expiés plus efficacement par notre mort ^
que par toutes nos pénitences. Elle sera aussi douce
pour les gens de bien , qu'elle sera amère pour les
médians. Nous la demandons tous les jours dans le
Pater; il faut que tous demandent que le royaume
àe Dieu leur arrive. Il faut donc la désirer, puisque
la prière n'est que le désir du cœur, et que ce royaume
ne peut venir pour nous que par notre mort. Saint
Paul recomaiande aux Chrétiens de se consoler en-
semble (^) dans la pensée de la mort
(*)/2îi«j.iT. 17.
3^6 HÉCESSITÉ
É¥i»iriifii^»TfifvrMiVi)irii^trifiiriivviriVirtviftiivi^^
XVII.
Nécessité de connottre Dieu : cette connoissance
est rame et le fondement de la solide piétés
Ce qai manque le plus aux hommes, c*est la con-
noissance de Dieu. Ils savent, quand ils ont beau-
coup lu , une certaine suite de miracles et de marques
de providence par les faits de l'histoire; ils ont fait
des réflexions sérieuses sur la corruption et sur la
fragilité du monde; ils se sont même convaincus de
certaines maximes utiles pour la réformation de leurs
mœurs par rapport au salut : mais tout cet édifice
manque de fondement ; ce corps de piété et de chris-
tianisme est sans ame. Ce qui doit animer le vérita*
ble fidèle, c'est l'idée de Dieu qui est tout, qui fait
tout, et à qui tout est dû. Il est infini en tout, en sa-
gesse, en puissance, en amour. Il ne faut donc pas
s'étonner si tout ce qui vient de lui tient de ce carac-
tère d'infini, et surpasse la raison humaine. Quand il
prépare et arrange quelque ^^hose, ses conseils et ses
voies sont, comme dit l'Ecriture (0 , autant au*dessus
de nos conseils et de nos voies, que le ciel est au-des-
sus de la terre. Quand il veut exécuter ce qu'il a ré-
solu , sa puissance ne se montre par aucuns efforts ;
car il n'y a aucun effet , quelque grand qu'il puisse
être, qui lui soit moins facile que lès plus communs :
il ne lui en a pas plus coûté pour tirer du néant le ciel
et la terre , tels que nous les voyons, que pour faire
(«) /». LT. 6.
DE COMNOÎTRE DIEU. 377
couler une rivière dans sa pente naturelle , ou pour
laisser tomber une pierre de haut en bas. Sa puissance
se trouve toute entière dans sa volonté : il n*a qu*a
vouk>ir, et les choses sont d abord faites. Si l'Écriture
le représente parlant dans la création , ce n'est pas
qu il ait eu besoin d'une parole qui soit sortie de lui
pour faire entendre sa volonté à toute la nature qu'il
vouloit produire. Cette parole, que l'Écriture nous
représente, est toute simple et tout intérieure; c'est
la pensée qu'il a eue de faire les choses, et la réso-
lution qu'il en a formée au fond de lui-même. Cette
pensée a été féconde; et sans sortir de lui, elle a tiré
de lui , comme de la source de tous les êtres , tous ceux
qui composent l'univers. Sa miséricorde tout de
même n'est autre chose que sa pure volonté : il nous
a aimés avant la création du monde ; il nous a vus, il
nous a connus, il nous a préparé ses biens ; il nous
a aimés et choisis dès l'éternité. Quand il nous arrive
quelque bien nouveau, il découle de cette ancienne
source : Dieu n'a jamais de volonté nouvelle sur
nous : il ne change point; c*est nous qui changeons.
Quand nous sommes justes et bons, nous lui sommes
conformes et agréables ; quand nous quittons la jus-
tice, |et que nous cessons d'être bons, nous cessons
de lui être conformes et de lui plaire. C'est une
règle immuable, de laquelle la créature changeante
sapproche et s*écarte successivement. Sa justice
contre les méchans et son amour pour les bons ne
sont que la même chose : c'est la même bonté qui
s'unit avec tout ce qui est bon, et qui est incompati-
ble avec tout ce qui est mauvais. Pour la miséricorde,
c est la bonté de Dieu qui, nous trouvant mauvais ,
1
2'j8 IfÉcÈsSlTÉ
teut nous rendre bons. Cette misëricorde, qui se
fait sentir à nons dans le temps, est dans sa source
nn amour éternel de Diea pour sa créature. Loi
seul donne la vraie bonté. Malheur à Famé pré-
somptueuse qui espère de la trouver en soi-même!
C'est Tamour que Dieu a pour nons qui nous donne
tout.
Mais le plus grand don qu^ nous puisse faire, c est
de nous donner Tamour que nous devons avoir pour
lui. Quand Dieu nous aime jusqu'à faire que noas
IVmions , il règne en nous ; il y fait notre vie ^ notre
paix y notre bonheur , et noas commençons déjà à
vivre de sa vie bienheureuse. Cet amour qu'il a pour
nous porte son caractère infini : il n^aime point,
comme nous , d'un amour borné et rétréci : quand
il aime , toutes les démarches de son amour sont in-
finies. Il descend du ciel sur la terre pour chercher
la créature de boue qu'il aime ; il se fait homme et
boue avec elle ; il lui donne sa chair à manger. Cest
par de tels prodiges d'amour que l'infini surpasse
toutes les affections dont les hommes sont capables.
Il aime en Dieu ; et cet amour n'a rien qui ne soit
incompréhensible. Le comble de la folie est de voo-
loir mesurer l'amour infini à une sagesse bornée.
Bien loin de perdre quelque chose de sa grandeur
dans ces excès d'amour, il y grave le caractère de sa
grandeur, en y marquant les saillies et les transports
d'un amour infini. O qu'il est grand et aimable dans
ses mystères ! Mais nous n'avons point d'yeux pour
les voir, et nous manquons de sentiment pour aper-
cevoir Dieu en tout.
DE COJiMOtTRE DIKU. ^79
XVIII.
Suite du même sujet. Dieu fi est point aiméf par ce
çn'H nest pas connu.
Il ne faut point 8*étonner que les hommes fassent
si peu pour Dieu , et que le peu qu'ils font pour lui
leur coûte tant : ils ne le connoissent point ; à peine
croient-ils qu*il est. La croyance qu'ils en ont est
platôt une déférence aveugle à l'autorité d'un sen-
timent public, qu'une conviction vive et distincte de
la divinité. On la suppose ^ parce qu'on n'oseroit
Texaminer, et parce qu'on est là- dessus dans une
distraction d'indifférence y qui vient de ce qu'on est
entraîné par ses passions vers d'autres objets. Mais on
ne connoit Dieu que comme je ne sais quoi de mer-
veilleuzy d'obscur, et d'éloigné de nous : on le regarde
comme un être puissant et sévère, qui demande
beaucoup de nous , qui gène nos inclinations , qui
nous menace de grands maux, et contre le jugement
terrible duquel il faut se précautionner. Voilà ce
que pensent ceux qui font des réflexions sérieuses
sur la religion , encore sont-ils en bien petit nombre.
On dit : C'est une personne qui craint Dieu : en effet,
elle ne fait que le craindre sans l'aimer, comme des
enfans craignent le maître qui donne le fouet, comme
un mauvais valet craint les coups de celui qu'il sert,
quand il le sert par crainte, et sans se soucier de ses
•
intérêts. Voudroit-on être traité par un fils ou même
par un domestique, comme on traite Dieu? C'est
38o NÉCESSITÉ
qu on ne le connott pas ; car si on le connoissoit ^
on raimeroit. Dieu est amour ^ comme dit saint
Jean(0; celui qui ne Taime point ne le cooDoit
point, car comment connoître l'amour sans l'aiiner?
It faut donc conclure que tous ces gens qui ne font
encore que craindre Dieu , ne le connoissent point.
Mais qui est-ce, 6 mon Dieu, qui vous connottra?
celui qui ne connottra plus que vous, qui ne se con-
nottra plus lui-même, et à qui tout ce qui n'est
point vous sera comme s'il n'étoitpas. Le monde se-
roit surpris d*entendre parler, ainsi, parce que le
monde est plein de lui-même, de la vanité , da
mensonge, et vide de Dieu. Mais fespère qui! y
aura toujours des âmes qui auront faim de Dieu^ et
qui goûteront les vérités que je vais dire.
O mon Dieu ! avant que vous fissiez le ciel et la
terre il n*y avoit que vous. Vous étiez , car vous n a-
vez famais commencé à être : mais vous étiez seul.
Hors vous il n'y avoit rien : vous jpuissiez de voos-
méme dans cette solitude bienheureuse ; vous vous
suffisiez à vous-même , et vous n'aviez besoin de trou-
ver rien hors de vous , puisque c'est vous qui donnez,
bien loin de recevoir, à tout ce qui n'est pas voos-
même. Par votre parole toute-puissante , c'est-à-dire
par votre simple volonté^ à qui rien ne coûte, et qui
fait tout ce qu'elle veut par son pur vouloir, sans
succession de temps, et sans aucun travail extérieur,
vous fîtes que ce monde , qui n*étoiC pas, commençât
^ ICÏ"
bas, qui trouvent les matériaux de leui*s ouvrages,
qui ne font que les rassembler , et dont l'art consiste
(») / Jorni. IV, 8, i6.
DE COJilNOtTRE DIEU. 28 1
à ranger peu à peu, avec beaucoup de peine, ces
matériaux qu'ils n'ont pas faits. Vous ne trouvâtes
rien de fait , et vous fîtes vous-même tous les maté-
riaux de votre ouvrage. C'est sur le néant que vous
travaillâtes. Vous dîtes : Que le monde soit, et il fut.
Vous n'eûtes qu'à dire, et tout fut fait.
Mais pourquoi fltes-vous toutes ces choses 7 Elles
forent toutes faites pour l'homme, et l'homme fut
fait pour vous. Voilà l'ordre que vous établîtes :
malheur à l'a me qui le renverse, qui veut que tout
soit pour elle, et qui se renferme en soi ! C'est violer
la loi fondamentale de la création. Non , mon Dieu ,
vous ne pouvez céder vos droits essentiels de créateur;
ce seroit vous dégrader vous-même. Vous pouvez
pardonner à l'ame coupable qui vous a outragé ,
parce que vous pouvez la remplir de votre pur
amour ; mais vous ne pouvez cesser d'être contraire
à l'ame qui rapporte vos dons à elle-même , et qui
refuse de se rapporter elle-même par un sincère
et désintéressé amour à son créateur. Ne faire que
TOUS craindre, ce n'est pas se rapporter à vous , c'est
au contraire ne penser à vous que par rapport à soi.
Vous aimer dans la seule vue de jouir des avantages
qu'on trouve en vous , c'est vous rapporter à soi ,
au lieu de se rapporter à vous. Que faut-il donc
pour se rapporter entièrement au Créateur? Il faut
se renoncer, s'oublier, se perdre, entrer dans vos
intérêts, ô mon Dieu, contre les siens propres ; n'a-
voir plus ni volonté, ni gloire , ni paix que la vôtre ;
en un mot , c'est vous aimer sans s'aimer soi-même.
O combien d'ames,qui, sortant de cette vie char-
gées de vertus et de bonnes œuvres, n'auront point
aI82 irÂcsasiTÉ
cette pureté entière , sans laquelle on ne peut Toir
Dieu ; et qui y faute d'être- trouTëes dans ce rapport
simple et total de la créature à son créateur, auront
besoin d'être purifiées par ce feu jaloux qui ne laisse,
dans l'autre vie, rien à Tame ^de tout ce qui ratta-
che k elle - même ! Elles n'entreront en Dieu , ces
âmes, qu'après être pleinement sorties d'elles-mêmes
dans cette épreuve d'une inexorable justice. Tout ce
qui -est encore à soi est du domaine du purgatoire.
Hélas! combien d'ames qui se reposent sur leurs
vertus , et qui ne veulent point entendre ce renon-
cement sans réserve ! Cette parole leur est dure, et
les scandalise : mais qu'il leur en coûtera pour l'avoir
négligée ! Elles paieront au centuple les retours sur
elles-mêmes et les vaines consolations dont elles
n'auront pas eu le courage de se déprendre.
Revenons donc. Telle est la grandeur de Dieu ,
qu'il ne peut rien faire que pour lui-même et pour
sa propre gloire. C'est cette gloire incommunicable
dont il est nécessairement jaloux , et qu'il ne peut
donner à pei*sonne, comme il le dit lui-même (0.
Au contraire, telle est la bassesse et la dépendance
de la créature, qu'elle ne peut, sans s'ériger en fausse
divinité, et sans violer la loi immuable de sa créa-
tion , rien faire, rien dire, rien penser, rien vouloir
pour elle-même et pour sa propre gloire.
O néant , tu veux te glorifier ! Tu n'es qu'à con-
dition de n'être jamais rien à tes propres yeux : tu
n'es que pour celui qui te fait être. Il se doit tout à
lui-même ; tu te dois tout à lui : il ne peut t'en rien
relâcher; tout ce qu'il te laisseroit à toi-même sorti-
(0/#. XLii. 8.
DE CONNOtTAE DIEU. 2l83
roit des règles inviolables de sa sagesse et de sa bonté.
Un seullnstanty un senl sonpir de ta vie donné à ton
intérêt propre , blesseroit essentiellement la fin du
Créateur dans la création. Il n'a besoin de rien;
mais il veut tout , parce que tout lui' est dft , et que
tout n est pas trop pour lai. Il n*a besoin de rien ,
tant il est grand : mais cette même grandeur fait
qu'il ne peut rien produire hors de lui qui ne soit
tout pour lui-même : c*est son bon plaisir qu'il veut
dans sa créature. Il a fait pour moi le ciel et la terre ;
mais il ne peut souffrir que je fasse volontairement
et par choix un seul pas pour une autre fin que celle
d'accomplir sa volonté. Avant qu'il eût produit des
créatures, il n'y avoit point d'autre volonté que la
sienne. Croirons -nous quUl ait créé des créatures
raisonnables pour vouloir autrement que lui ? Non ,
non ; c'est sa raison souveraine qui doit les éclairer
et être leur raison ; c'est sa volonté y règle de tout
bien , qui doit vouloir en nous : toutes ces volont4s
n'en doivent faire qu'une seule par la sienne ; c'est
pourquoi nous lui disons : Que votre règne vienne ;
que votre volonté se fasse.
Pour mieux comprendre tout ceci, il faut se repré-
senter que DieU| qui nous a faits de rien, nous refait
encore , pour ainsi dire, à chaque instant. De ce que
nous étions hier, il ne s'ensuit pas que nous devions
être encore aujourd'hui : nous pourrions cesser d'être,
et nous retomberions efiectivement dans le néant
d'oÙL nous sommes sortis , si^ la même main toute-
puissante qui nous en a tirés ne nous en^>echoit d'y
être replong&. Nous ne sommes rien par nous-
mêmes : nous ne sommes que ce que Dieu nous fait
284 HÉCESSITÉ
être y et seulement pour le temps qa*il lai plaît : il
n'a qu'à retirer sa main qui nous porte , pour nous
renfoncer dans l'abtme de notre néant ; comme nne
pierre, qu'on tient en l'air, tombe de son propre
poids dès qu'on ne la tient pins. Noas n'ayons donc
l'être et la vie que par le don de Dieu.
De plus, il y a d'autres biens, qui étant d'un ordre
encore plus pur et plus élevé, viennent encore plus
de lui. La bonne vie vaut encore mieux que la vie;
la vertu est d'un plus grand prix que la santé \ la
droiture du cœur et l'amour de Dieu sont plus au-
dessus des dons temporels que' le ciel ne l'est au-
dessus de la terre. Si donc nous sommes incapables
de posséder un seul moment ces dons vils et grossiers
sans le secours de Dieu, à combien plus forte raison
faut-il qu'il nous donne ces autres dons sublimes de
son amour, du détachement de nous-mêmes, et de
toutes les vertus.
C'est donc , ô mon Dieu , ne vous point connoitre,
que de vous regarder hors de nous, comme un Etre
tout-puissant qui donne des lois à toute la nature,
et qui a fait tout ce que nous voyons. C'est ne con-
noître encore qu'une partie de ce que vous êtes; cest
ignorer ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus
touchant pour vos créatures raisonnables. Ce qai
m'enlève et qui m'attendiit , c'est que vous êtes le
Dieu de mon cœur. Vous y faites tout ce qu'il vous
plaît. Quand je suis bon , c'est vous qui me rendez
tel : non-seulement vou* tournez mon cœur comme
il vous plaît, mais encore vous me donnez un cœur
selon le vôtre. C'est vous qui vous aimez vous-mci"^
en moi \ c'est vous qui animez mon ame, comme mon
DE COIfllotTRE DIEU. ^85
ame anime mon corps ; vous m*étes plus présent et
plus intime que je ne le suis à moi-même ; ce mo},
auquel je suis si sensible et que j'ai tant aimé,
me doit être étranger en comparaison de vous : c'est
vous qui me Favez donné; sans vous il ne seroit rien :
voilà pourquoi vous voulez 'que je vous aime plus
que lui.
O puissance incompréhensible de mon créateur !
0 droit du créateur sur sa créature , que jamais la
créature ne comprendra assez ! O prodige d'amour ,
que Dieu seul peut faire ! Dieu se met , pour ainsi
dire , entre moi et moi ; il me sépare d'avec moi-
même; il veut être plus près de moi par le pur amour
que je ne le suis de moi-même , il veut que je re-
garde ce moi comme je regarderois un être étranger;
que je sorte des bornes étroites de ce moi, que je le
sacrifie sans retour, et que je le rapporte tout entier
et sans condition au créateur de qui je le tiens. Ce
que je suis me doit être bien moins cher que celui
par qui je suis. Il m'a fait pour lui, et non pour
moi-même; c'est-à-dire pour l'aimer, pour vouloir
ce qu'il veut, et non pour m'aimer en cherchant ma
propre volonté. Si quelqu'un sent son cœur révolté
contre ce sacrifice entier du moi à celui qui nous a
créés, je déplore son aveuglement, j'ai compassion
de le voir esclave de lui-même, et je prie Dieu de l'en
délivrer, en lui enseignant à aimer sans intérêt
propre !
O mon Dieu ! je vois dans ces personnes scanda-
lisées de votre pur.amour, les ténèbres et la rébellion
causées par le péché originel. Vous n'aviez point fait
le cœur de l'homme avec cette pente de propriété si
a86 NÉCESSITÉ
monstrueuse. Cette rectitude , où l*Écriture nous ap-
prend que vous Taviez crée, ne consistoit qu'à n'être
point à soi ^ mais à celui qui nous a faits pour lui. 0
Père ! vos enfans sont défigurés ; ils ne vous ressem-
blent plus. Ils s'irritent, ils se découragent, quand
on leur parle d*étre à vous comme vous êtes à
vous-même. En renversant cet ordre si juste, ils
veulent follement s'ériger en divinités : ils veulent
être à eux-mêmes, faire tout pour eux, on du moins
ne se donner à vous qu'avec des i*éserves, à certaines
conditions, et pour leur propre intérêt. O mon-
strueuse propriété! ô droits de Dieu inconnus! d
ingratitude et insolence de la créature ! Misérable
néant! qu'as-tu à garder pour toi? qa*as-tu qui t'ap-
partienne ? qu'as -tu qui ne vienne d*en haut, et qui
ne doive y retourner? Tout, jusqu'à ce moi si in-
juste, qui veut partager avec Dieu ses dons, est un
don <}e Dieu qui n'est fait que pour lui : tout ce
qui est en toi crie contre toi pour le créateur. Tais-
toi donc, créature, qui te dérobes à ton créateur, et
rends-toi à lui.
Mais hélas , ô mon Dieu I quelle consolation de
penser que tout est votre ouvrage, autant au dedans
de moi-même qu'au dehors ! Vous êtes toujours avec
moi , quand je fais mal : vous êtes au dedans de moi ,
me reprochant le mal que je fais, m'inspirant le ré-
gi^et du bien que j'abandonne , et me montrant une
miséricorde qui me tend les bras. Quand je fais bien,
c'est vous qui m'en inspirez le désir, qui le faites en
moi et par moi : c'est vous qui aimez le bien , qui
haïssez le mal dans mon coeur , qui souffrez , qui
priez , qui édifiez le prochain , qui faites l'aumône.
DE COlffiroiTllB DIEU. ^87
Je fais tontes ces choses, mais c'est par vous ; vous
me les faites faire ; vous les mettez en moi. Ces bonnes
oeuvres, qui sont vos dons, deviennent mes œuvres;
mais elles sont toujours vos dons , et elles cessent
d*étre bonnes œuvres dès que je les regarde comme
miennes, et que votre don ,'qui en fait tout le prix,
échappe à ma vue.
Vous êtes donc , et je suis ravi de le pouvoir pen-
ser, sans cesse opérant au fond de moi-même : vous
y travaillez invisiblement , comme un ouvrier qui
travaille aux mines dans les entrailles de la terre:
vous faites tout, et le monde ne vous voit pas; il ne
vous attribue rien : moi -même je m'égarois en
vous cherchant par de vains efforts bien loin de moi.
le rassemblois dans mon esprit toutes les merveilles
de la nature, pour me former quelque image de
votre grandeur ; fallois vous demander à toutes vos
créatures ; et je ne songeois pas à vous trouver au
fond de mon cœur^ où vous ne cessez d'être. Non ,
mon Dieu , il ne faut point creuser au fond de la
terre , il ne faut point passer au-delà des mers , il
ne faut point voler jusque dans les cieux , comme
disent vos saints oracles (0 , pour vous trouver : vous
êtes plus près de nous que nous-mêmes.
O Dieu si grand et si familier tout ensemble; si
élevé aa-dessus des cieux , et si proportionné à la
bassesse de sa créature; si immense, et si intimement
renfermé dans le fond de mon cœur ; si terrible, et si
aimable; si jaloux, et si facile pour ceux qui vous
traitent avec la familiarité du pur amour f quand est-
ce que vos propres enfans cesseront de vous ignorer?
(0 Deut xzz. 13. Rom, x. 6.
a88 NÉCESSITÉ
Qaî me donnera une voix assez forte pour repro-
cher au monde entier son aveuglement , et poor lui
annoncer avec autorité tout ce que vous êtes?
Quand on dit aux hommes de vous chercher dans
leur propre cœur, c*est leur proposer de vous aller
chercher plus loin que les terres les plus inconnues.
Qu*y a-t*il de plus éloigne , et de plus inconnu, poar
la plupart des hommes vains et dissipés, que le fond
de leur propre cœur? Savent-ils ce que c'est que de
rentrer jamais en eux-mêmes? En ont -ils jamais
tenté le chemin? Peuvent-ib même s*imaginer ce
que c'est que ce sanctuaire intérieur , ce fond impé-
nétrable de Tame où vous voulez être adbré en es-
prit et en vérité? Ils sont toujours hors d'eux-mêmes,
dans les objets de leur ambition ou de leur amuse-
ment. Hélas! comment entendroient-ils les vérités
célestes, puisque les vérités même terrestres, comme
dit Jésus-Christ (0 , ne peuvent se faire sentir à eux?
Ils ne peuvent concevoir ce que c*e&t que de rentrer
en soi par de sérieuses réflexions : que diroient-ils
si on leur proposoit d*en sortir pour se perdre en
Dieu?
Pour moi , ô mon Créateur, les yeux fermés à tous
les objets extérieurs , qui ne sont que vanité et qu*af-
fliction d'esprit C^) , je veux trouver dans le plus se-
cret de mon cœnr une intime familiarité avec vous
par Jésus votre fils, qui est votre sagesse et voire
raison éternelle, devenue enfant, pour rabaisser par
son enfance et par la folie de sa croix notre vaine et
folle sagesft. C'est là que je veux, quoi qu'il m*en
coûte, malgré mes prévoyances et mes réflexions,
^0 Joan. III. 13. — C>) Eceles, i. 14.
devenir
D8 COHNOItEB pIEU. 289
devenir petit, insensé; encore plus méprisable à
mes propres yaux qu*à ceux de tons les faux sages.
Cest là que )e* veux m'enivrer du Saint-Esprit,
comme les apôtres , et consentir comme eux à être
le jouet du monde. Mais qui sois-je pour penser ces
choses? Ce n*est plus moi, vile et fragile crëatiu^,
ame de boue et de péché; cest vous, ô Jésus, vérité
de Dieb, qui les pensez en moi, et qui les accom*-
plîrez, pour faire mieux triompher votre grâce par
un plus indigne instrument.
O Dieu ! on ne vous connqtt point ; on ne sait qui
vous êtes. La lumière luit au milieu des ténèbres, et
les ténèbres ne peuvent la comprendre (0. G*est par
vous qu'on vit, qu*on respire, qu'on pense, qu*on
goûte les plaisirs; et on oublie celui par qui on fait
toutes ces choses ! On ne voit rien que par vous , lu*
mière universelle, soleil des âmes, qui luisez encore
plus clairement que celui des corps; et, ne voyant
rien que par vous, on ne vous voit point! Cest
TOQs qui donnez tout; aux astres leur lumière, aux
fontaines leurs eaux et leur cours, à la terre ses
plantes, aux fruits leur saveur, aux fleurs leurs
parfums, à toute la nature sa richesse et sa beauté;
aux hommes la santé , la raison , la vertu ; vous don*
nez tout ; vous faites tout ; vous réglez tout. Je ne
Tois que vous; tout lé reste disparott comme une
ombice aux yeux de celui qui vous a vu une fdis : et
le monde ne vous voit point ! Mais hélas ! celui qui
ne vous voit point n*a jamais rien vu et a passé sa vie
dans Tillusion d*nn songe; il est comme s'il n'étoit
pas, plus malheureux encore , car il eût mieux valu
CO/oa». 1. 5. * . '
PtoiLOX* XVIII* 1^
290 NÉCESSITÉ
poar lai, comme je rapprends de votre parole , qaii
ne fut jamais né.
Pour moi y mon Dieu, je vous trouve partent: aa
dedans de moi -même , c*est vous ^ui faites tout ce
que je fais de bon. J'ai senti mille fois que je ne pou-
voisparmot-méme^ni vaincre mon bnmeur, ni détruire
mes habitudes, ni modérer mon orgueil , ni suivre ma
raison , ni continuer de vouloir le bien que j'avois une
fois voulu. C*est yous qui donnez cette volonté; cest
vous qui la conservez pure : sans vous je ne* suis
qu'un roseau agité par le moindre vent Yous mV
vez donné le courage , la droiture, et tous les boDS
sentimens que j'ai : vous m'avez formé un cœur
nouveau qui désire votre justice, et qui est altéré de
votre vérité éternelle. En me le donnant, vous avez
arraché ce cœur du vieil homme, pétri de boue el
de corruption , jaloux, vain,- ambitieux, inquiet, in-
juste, ardent pom* les plaisirs. Quelque misère qoi
me reste, hélas! aurois-je pu jamais espérer de me
tourner ainsi vers vous, et de secouer le joug de mes
jpassions tyranniques ?
Mais voici la merveille qui ellace tout le reste.
Quel autre que vous pouvoit m'arracher à moi-même,
tourner ioute ma haine et tout mon mépris contre
moi? Ce n'est point mot qui ai fait cet ouvrage ; car
ce n*est point par soi-même qu'on sort de soi: il a
donc fallu un soutien étranger sur lequel je pusse
m^appuyer hors de mon propre cœur pour en con-
damner la misère.' Il falloit que ce secours fût étran-
ger ; car je ne pouvois le trouver en moi, qu il falloit
combattrez mais il falloit aussi qu'il fût intime, pour
arracher .le •moi des derniers replis de mon cœur.
DE CONMOÎTllE DIEU« '2QI
Cest.youSy Seignenr, qai, portant. votre lamière
dans ce fond de mon ame^ impénétrable à tout au-
tre ^ m'y avez montré toute ma laideur. Je sais bien
qa en la voyant je ne Tai pas changée, et que je suis
encore difforme à vos yeux ; je sais bien que les miens
n'ont pu découvrir toute ma difformité; mais du
moins j'en vois -jxne partie , et je voudrois découvrir
le tout. Je me vois horrible , et je suis en paix ; car
je ne veux ni flatter mes vices , ni que mes vices me
découragent. Je les vois donc, et je porte sans me
troubler cet opprobre. Je suis pour vous contre moi^
ô mon Dieu ! Il n'y a que vous qui ayesi^ pu me divi*
ser ainsi d'avec moi-même. Voilà ce que vous avez
fait au dedans, et vous continuez chaque jour de le
faire, pour m*ôter tous les restes^de la vie maligne
d*A.dam , et pour achever la formation de Thomme
nouveau. C'est cette seconde création de Thomme
intérieur qui Se renouvelle de jour en jour.
Je me laisse^ ô mon Dieu, dans vos mains : tour-
nez, retoarnez cette boue*, donnez-loi Une forme;
brisez-la ensuite ; elle est à vous , elle n*a rieu à dire ;
il me sufGt qu'elle serve à tons vos desseins, et que
rien ne i-ésiste à votre bon plaisir , pour lequel je
suis fait. Demandez , ordonnez , défendez : que you-
lez-Vouf que je fasse ? que voulez-vous que je ne fasse
pas? Elevé, abaissé, consolé , souffrant , appliqué à
vos œuvres , inutile à tout^ je vous adorerai toujours
également, en sacrifiant toute volonté propre i la
vôtr.e : il ne me reste qu'à dire en tout comme Ma-
rie (0 : Quil me soit fait selon votre parole/
Mais pendant que vous faites tout ainsi au dedans,
(>)£!«€. I. 38.
Ikg^ MÉCESSITÉ
TOUS n'agissez pas moins au clehors. Je découvre par-
tout y [usque dans les moindres atomes , cette grande
main qui porte le. ciel etla terre, et qui semble se
}oaer en conduisant tout Tunivers. Uunique chose
qui m'a embarrassé, est de comprendre comment
vous laissez tant* de maux mêlés avec les biens. Vous
ne pouvez faire le mal ; tout ce que vous faites est
bon ; d'où vient donc que la &ce de la terre est cou-
verte de crimes et de misère^? Il semble que le mal
prévale partout sur le bien. Vous n'avez fait le
monde que pour votre gloire, et on est tenté de
croire qu'il $e tourne k votre déshonneur. Le nombre
des méchans surpasse infiniment celui des bons, au
dedans même de votre Église : toute chair a cor-
rompu sa voie ; le$ bons mêmes ne sont bobs qu à
demi, et me font presque autant gémir que les au-
tres. Tout souffre , tout est dans un état violent ; la
misère égale la corruption. Que tardez-vous, Sei-
gneur, à séparer les biens et les mauf 7 Hâtez-vous;
donnez gloire à votre ncyn ; apprenez à ceux qui le
blasphèment combien il est grand. Vous vous devez
à vous-même de rappeler toutes choses à Tordre.
Tentends Fimpie qui dit sourdement que )^ous avez
les yeux fermés à tout ce qui se passe ici-bas (0.
Elevez-vous, élevez-vous, Seigneur; foulez aux pieds
tous vos ennemis.
Mais, ô mon Dieu, que vos jugemens sont pro-
fonds 1 vos voies sont plus élevées au-dessus des nô-
tres, que les cieux ne le sont au-dessus de la terre C^)'
Nous sommes impatiens, parce que notre vie entière
n'est* que comme un moment-, au contraire, voire
(■) Eseeh, ▼iix. la. — (•) /*. lv. 9.
DB connoirAE dieu. iig'i
longae patience est fondée sur votre éternitë, devant
qui mille ans sont comme le jouV d'hier déjà écoulé(0«
Vous tenez les moroens en vôtre puissance (^)y et les
hommes ne les connoissent pas : ils s'impatientent;
ifs se scandalisent ; ilsr vous regardent comme si vous
succombiez sous TeiTort de Tiniquité : mais vous riez
de leuc aveuglement et de leur faux zèle.
Vous me faîtes entendre qu*il y a deux genres de
maux :tes uns, que les hommes ont faits, cotitre votre
loi et sans vous, par le mauvais usage de leur li-
berté; Tes autres, que vous avez faits (?) et- qui sont
des biens véritables f si on les considère par rapport
à la punition et à la correction' des méchans , à la-
quelle vous les destinez. Le péché est le mal qui
vient de Vhomme; la mort, les maladies, les dou-
leurs, la honte et toutes les autres misères , sont des
maux que vous tournez en biens , les faisant servir à
la réparation du péché. Pour le péché, Seigneur, vous
le souffrez, pour laisser Thomme libre et en la main
de son conseil^ seloix le terme de vos Ecritures (4).
Mais, saos être auteur du péché , quelles merveilles
nen faites -vous pas pour manifester votre gloire!
Vous vous servez des méchans pour corriger les bons^
et pour les perfectionner en les humiliant ; vous
vous servez encore des méchans contre eux-mêmes ,
en les punissant les uns par les autres. Mais, ce qui
est touchant et aimable, vo^ faites servir Tinjustice
et la persécution des uns à convertir les autres. Com-
bien y a-t-il de personnes qui vivoient dans Toubli
de vos grâces et dans le mépris de ^otre loi , et que
(«) // PeU\ III. 8. — (») j^ct. I. 7. — ^3) j^mos. m. 6, — (4) £ceU.
if. 14. '
2^ UréCESSlTÉ
TOUS avez ramenées à vous en les dëladiant du n|Ovide
par les injustices qu^elles y oui sou6fertes!
Mais l'aperçois , ô mcru Dieu , une autre merveille ;
c'est que vous soufire^ un mélange de bien et de mal
jusque dans le cœur de ceui^ qui sont le plus à voost
ces imperfection^ qui restent dans ces bonnes âmes,
servent à les humilier ^ à les détacher d*elle8«n[iêmes,
à leur &ire sentir leur impuissance, à les faire re-
courir plus aroemment à vous, et à leur faire com-
prendre que Foraison est la source de* toute véritable
vertu. O .'quelle abondance de biens vous tirez des
maux que vous avez permis ! Vous ne souffrez donc
les maux que pour en tirer de pins grands biens y et
pour faire éclater itotre bonté toute-puissante par
Tart avec lequel vous usez de ces maux. Vous arran-
gez ces maux suivant vos desseins. Vous ne faites pas
riniquité de Thomme ; mais , étant incapable de la
produire, vous la tournez seulement d'un côté plutôt
que d'uû autre, selon qu'il vous plaît, pour exécuter
vos profonds conseils ou de justice ou de miséricorde.
Tentends la raison humaine qui veut entrer en
jugemen| avec vous, qui vent pénétrer votre secret
étemel^ et qui dit: Dieu.n'ayoit pas besoin de tirer
le bien du mal ; il n'avoit tout d'un coup qu'à ne
permettre aucun mal, et qu'à rendre tous les hommes
bons : il le pouvoit ; il n^dvoit qu'à faire pour tous
les hommes ce qu'il a ^t pour quelques-uns, qu'il a
enlevés hors d'eux-mécKs par le diarme de sa grâce:
pourquoi ne l'a-t-il pas fait?
O mon Dieu , je le sais par votre parole : f^ous ne
haïssez rien de ce que vous avez fait (') ; vous ne
PE CONMOtTAE DIEU. 296
voulez la perte d'aucun (0^ vous êi€S*le Sauveur de
tous (^) : mais vous letes des uns plus que des autres:.
Quand, vous jugeres la terre , vous serez victorieux
dans vos jugemens ; la créature condainnëe ne verra
cpi'équHé dans sa condamnation ; vous lui montrerez
clairement que vous avez fait pour la culture de vo-
tre vigne tout ce que vous deviez. Ce n'est point vous
qui lui manquez ; c'est elle qui se manque et qui se
perd elle-même. Maintenant l'homme ne voit point
ce détail, oar il ne connott point son propre cœur;
il ne discerae ni les grâces qui s^ofirent à lui , ni ses
propres sentimens, ni sa résistance intérieure. Dans
votre jugement vous le développerez tout entier à ses
propres yeux :iî se verra ; il aura horreur de se voir;
il ne pourra s'èmpéeher de voir dans un éternel dés-
espoir ce que vous aurez &it pour lui , et ce qu'il
aura fait contre lui-même.
Voilà ce que l'homme n'entend point en cette vie :
mais y 6 mon Dieu , dès qu'il vous connott , il* doit
croire cbttct vérité sans la comprendre* Il ne peut
douter que vous ne ^oyez, vous par qui toutes choses
sont ; il ne -peut douter que vous ne soyez la bonté
souveraine : donc , il ne lui reste qu'à conclure*, mal-
gré toutes les ténèbres qui l'environnent | qu'en fai-
sant grâce aux uns vous faites justice à tous. Bien
plus y voos faites grâce même à ceux qui ressentiront
éternellement la. rigueur de voire justice. Il est vrai
que vous ne leur faites pas toujours d'aussi grandes
grâces qu'aux autres; mais enfin vous leur faites des
grâces , et des grâces qui les rendront inexcusables
quand vous les jugerez, pu plutôt quand ils se juge-
C'»i/ Pett\ III. 9. — X») / Tim. iT. 10.
!àg/6 nÉCBssiTi
ront eux-mêmes ; et que hi^énié imprimée au dedans
d'eux-mêmes prononcera leur condamnati^m. Il est
vrai que vous auriez pu faire davantage pour eux;
il est vrai que vous ne Taves pas voulu : mais vous
avez voulu tout ce qu il falloit pour n*étre point
charge de leur perte; vobs l'avez. permise/ et vous
•
ne l*avez point faite. S*ils oht été méchans, ce B*est
pas que vous ne leur eussiez donné de quoi être bons :
ils ne Font pas voulue vous les avez laissa dans leur
liberté. Qui peut se plaindre de ce que vous ne leur
avez pas donné une surabondance de grâce? Le
mattre^ qui ofire à tous ^es serviteurs la )uste récom*
pense de leurs travaux , n'est-il pas en droit de faire
à quelques-uns un excès de libéralitéïGe qu'il donne
à ceux-là par-dessus la mesure donne-t-il aux autres
le moindre -fondement de se plaindre de kit. Par là.
Seigneur, vous montrez que ioutesvas voies, comme
dit votre Écriture (0 , 'Sont vérité et jugement. Vous
êtes bon à tous, mais bon i divers degrés ; et les mi'^
séricordes que vous répandez avec une extraordi-
naire profusion sur les uns, ne sont point une loi
rigoureuse que vous vous imposiez pour devoir (aire
la même largesse à tous les autres.
Tais-toi donc , 6 créature ingrate et révoltée ! Toi
qui penses dans ce moment aux dons de Dieu, sou-
viens-toi que cette pensée est un don de Dieu même :
dans le moment oh tu veux murmurer de la privation
de la grâce, c'est la grâce elle-même qui te rend at-
tentive à la vue des dons de Dieu. Loin de munâurer
contre l'auteur de tous les biens, bâte-toi de profiter
de ceux qu'il te fait dana ce moment : ouvre ton
i*)Pê. 1X1. loj et ex. 7«
De COHNotTtl DIEU. ^97
coeur ) htunilîe ton foible esprit, sacrifie ta vaine et
présomptueuse raison. Vase de boue 1 celui qui fa
fait est en droit de te briser ; et^loin de te briser, le
vôilà qui craint d*étre obligé de te rompre : il te me-
nace par miséricorde*
Je veux donc pour toujours, ô moa Dieu , étouffer
dans mon cœur tous ces raisonnemens qui me ten«
tentde douter de votre bonté. Je. sais que vous ne
pouvez jamais être que bon ; je sais que vous avez
fait votre ouvrage semblable à vous, droit, juste et
bon comme vous Têtes : mais vous n'avez paç voulu
lai 6 ter le choix du bien et du mal. Vous lui offrez
le bien, c'est Jassez; j'en suis sftr, sans savoir pi^ci-
sément par quels moyens : mais l'idée immuable et
iofaillible que j'ai de vous ne me permet pas d'en
douter; je ne saurois avoir de raison aussi forte pour
vous croire en demeure à l'égard d'iiucun homme,
dont je ne connois point l'intérieur, et dont l'inté-
rieur est inconnu à lui-diéme, que j'en ai d'inébran-
lables pour m'assurer que vous ne condamnerez
aucun hommo dans voire jugement-^ sans le rendre
iQexcu3able à ses prdpres yeux. En voilà assez pour
me mettre en paix : après cela^ si je péris, c'est que
je me perdrai moi-même; c'est que je résisterai,
comme les Juifs, au Saint-Esprit, qui est la grâce
intérieure.
O Père des miséricordes! je ne pense plus à phi-
losopher suj: la grâce, mais à m*abandonner à elle
en silence. Elle fait toutdans l'homme : mais elle fait
tout avec lui et par lui : c'est doiA avec elle qu'il
but que j'agisse et que je m'abstienne , que je souf-
fre , que j'attende , que je résiste , que je croie , que
Inespéré , que j*aim«y sahrant tontes ses impressioDs.
Elle fera tout ey moi; je ferai tout par elle : c*€st
elle qai meut le cœur; mais enfin le ccenr est mû,
et vous ne sanvez point l^homme sans faire agir
rfaomme. Cest donc à moi à trauiÛer, sans perdre
un moment y pour ne retarder point la grâce qoî me
pousse sans cesse. Tout le bien vient d^elle ; tout le
mal vient de mok Quand je fais bien , c*est elle qui
m^anime; quand je fais mal , c'est que je lui résiste.
A. Dieu ne plaise que j*en veuille savoir davantage !
tout le reste ne serviroit qa*à nourrir en moi une
curiosité présomptueuse. O mon Dieu^ tenes-^moi
toujours au rang de ces petits à qui vous révélez vos
mystères, pendant que vous les cachez aux sages et
aux prudens du siècle*
Maintenant y 6 grand Dieu, je ne m'arrête plus à
cette difficulté qui a souvent frappé mon esprit : D'où
vient que Dieu si bon a fait tant d*bommes qu*il
laisse perdre? d'oii vient qu^'il a fait nattre et mourir
son propre Fils, en sorte que sa naissance et sa mort
sont utiles à un si petit nombre d'bommes? le corn*-
prends, ô Être tout-puissant, que tout Ce que vous
faites ne vous coûte rien. Les choses que nous admi*
rons et qui nous surpassent le plus vous sont aussi
faciles et aussi familières que celles que nous admi-
rons moins à force d'y être accoutumés. Vous n*avez
pas besoin de proportionner le fruit de votrç fr avail *
au travail que l'ouvrage vous coûte ; parce que nul
ouvrage ne vous^coùte jamais ni effort ni travail , et
que Tunique fruit que vous pouvez tirer de tous vos
ouvrages est l'accomplissement de votre bon plaisir.
Vous n'avez besoin de rien ^ il n'y a rien que vous
DE COHNOtrRE D1£U. ^99
paissiez accpiërir : vous portez tout au dedans de
vous-même ; ce que vous*faites au dehors n*y ajoute
rien ni pour votre bonheur ni pour votre gloire.
Votre gloire ne seroit donc pas moindre quand même
aucun homme ne recevroit le fruit de la mort du
Sauveur. Vous auriez pu le faire natlre pour un
seul prédestiné; un seul eût suffi , *si vous n*en
eussiez voulu qu'un seul ; car tout ce que vous faites,
vous le faites non pour le besoin que vous avez des
choses y on pour leur mérite à votre égard, mais
pour accomplir votre voloçté toute gratuite, qui n'a
nulle autre règle qu'elle-même et votre bon plaisir.
kn reste, si tant d'hommes périssent , quoique lavés
dans le sang de voti^ Fils, c'est , encore une fois,.
que vous les laissez dans l'usage de leur liberté : vous
trouvez voire gloire en eux par votre justice, comme
vous la trouvez dans les bons par votre miséricorde:
vous ne punissez les*méchans qu'à cause qu'ils sont
médians malgré vous, quoiqu'ils aient eu de quoi
être bons; et vous ne couronnez les bons qu'à cause
qu'ils sont devenus tels par votre grâce : ainsi je vois
qu'en vous tout est justice et bonté.
Pour tous les maux extérieurs, j'ai déjà remar-
qué, ô Sagesse éternelle, ce qui fait que vous les
souffrez. Votre providence en tire les plus grands
biens. Les hommes foibles et igndrans de vos voies
en sont scandalisés ; ils gémissent pour vous, comme
si votre cause étoit abandonnée. Peu s'en faut qu'ils
ne croient que vous succombez, et que l'impiété
triomphe de*vous : ils sont tentés de croire que vous
ne voyez pas ce qui se passe , ou que vous y êtes in-
sensible. Mais qu'ils attendent encore un peu , ce»
1
3oO JDI^BSSITÉ
hommes aveugle» et Impatiens. L'impie qui triompLe
ne triomphe guère; il sefiétrit cdhune Vherbe des
champs (0, qqi fleurit lematm, et qui le soir est
foulée aux pieds : la mort ramène tout à Tordre.
Rien ne vous presse pour accabler vos ennemis:
vous êtes patient I comme dit saint Augustin, parce
que vous êtes éternel ; vous êtes sur du coup qui les
écrasera; Vous tenez long-temps votre bras levé,
parce que vous êtes père , que vous ne frappez qu'à
regret, à Fextrémité, et que vous n'ignorez point la
pesanteur de votre bras. Que les hommes impatiens
se scandalisent donc : pour' moi , je régarde léssiècles
comme une minute; car je sais que les siècles sont
.moins qu'une minute devant vous. Cette suite de
siècles, qu'on nomme la durée du monde , n'est
qu'une décoration qui va disparottre, qu'une figure
qui passe et qui s'évanouit. Encore un peu , ô
homme qui ne voyez rien; encore un peu, et vous
verrez ce que Dieu prépare : vous le verrez Ini-inéme
tenant sous ses pieds tous ses ennemis. Quoi, vous
trouvez cette horrible attente trop éloignée! Hélas!
elle n'est que ti^op prochaine pour tant de malheu-
reux. Alors les biens et les maux seront séparés à
jamais; et ce sera, comme dit l'Écriture (^), le temps
de chaque chose.
Cependant tout ce qui nous arrive, c'est Dieu qui
le fait, et qui le fait afin qu'il tourne à bien pour
nous. Nous verrons à sa lumière, dans l'éternité ,
que ce que nous désirions nous e&t été funeste, et
que ce que nous voulions éviter étoit essentiel à no-
tre bonheur.
(■. Pm, &1XVI. a. — '■; EccUs. 111. 17.
DE COSnroÎTIlE DIEU. 3oi
O biens trompeurs, j« ne vous nommerai jamais
biens , puisque vous ne serviez qu*à me rendre mé-
chant et malheureux ! O croix dont Dieu me charge ,
et dont la nature, lâche se croit accablée , vous que
le monde aveugle appelle de^ maux, vous ne serez
jamais des maux pour moi ! Plutôt ne parler jamais ,
que de parler .ce langage maudit des enfans du siècle i
Vous êtes mes vrais biens :* c'est vous qui m'humi-
liez, qui me 4étachez , qui me faites sentir ma mi-
sère, et la vanité dé tout ce que je voulois aimer
ici-bas. Béai soyez-vous à jamais , ô Oieu de vérité ,
qui m'ave;K attaché à la croix avec votre Fils , pour
me rendre semblable à Tobjet éternel de vos com-
plaisances !
Qu'on ne me dise point que Dieu njobserve pas de
si près ce qui se passe parmi les hommes. O aveugles,
qui parlez ainsi , vous ne savez pas même ce que
c'est que Dieu ! Gomme tout ce qui est n'est que pat
la comtiunication de son être infini, tout ce qui a
de rintelligence ne l'a que par un écoulement de sa
raison souveraine, et tout ce qui agit n'agit que par
Timpression de sa suprême activité. C'est lui qui fait
tout en tous ; c'est lui qui , dans chaque moment de
notre vie, est la respiration de notre cœur, le* mou-
vement de nos membres, la lumière de nos yeux,
rintelligence de notre esprit, l'ame de notre ame :
tout ce qui est en nous , vie , actions > pensée, volonté,
se fait par l'actuelle impression de cette puissance
et de cette vie , dé cette pensée et de cette volonté
étemelle.
. Comment donc', ô mon Dieu, pourriez-vous igno*
rer en nous ce que vous y faites vous-même 7 Corn-
3oa NÉCESSITÉ
ment pourriez-vous être indiflTërent sur les maoxqai
ne se commettent qu'en vous résistant intérieurement,
et sur les biens que nous ne faisons qu'autant que
vous prenez plaisir à les faire vous*même en nous?
Cette attention ne vous coûte rien : si vous cessiez
de l'avoir , tout périroit ; il n'y auroit plus de créature
^ui pût ni vouloir, ni penser, ni exister» O combien
s'en faut-il que les hommes ne connoiss^nt leur im-
puissance et leur néant, votre puissance et votre ac-
tion sans bornes, quand ils s'imaginent que vous
seriez fatigué d'être attentif et opérant eh tant d'en-
droits ! Le feu htdle partout où il est ; il faudroit l'é-
teindre et l'anéantir pour le faire cesser de brûler,
tant il est actif et dévorant par sa nature : ainsi en
Dieu tQUt est action , vie et mouvement ; c'est un Jeu
consumant (0, comme il le dit lui-même : ps^out
OUI il est il fait tout ; et , comme il est partout , il fait
toutes choses dans tous les lieux. Il fait , comme nous
l'avons vu , une création perpétuelle et sans ciesse re-
nouvelée pour tou$ les corps : il ne crée pas moins
à chaque instant toutes les créatures libi^es et intelli-
gentes; c'est lui qui feur donne la raison , la volonté,
la bonne volonté , et les divers degrés de volonté
conforfaie à la sieiyie ; car il donne , comme dit saint
Paal (2), le vouloir e$ le/aire.
Voilà donc ce que vous êtes , ô mon Dieu , ou du
moins ce que vous faites dans vos ouvrages ; car nul
ne peut approcher de cette source de gloire qui
éblouit nos yeux, pour comprendre tout ce que vous
êtes en vous-même. Mais enfin je conçois clairement
que vous faites tout , et que vous Vous serves même
(0 Ileln XII. 39. — («) PlUlip, 11. i3.
DE COlfNOÎTAE DIEU. 3o3
des maux et des iinpei*fections des créatures pour faire
les biens que vous* avez résolus. Vous vous cachez
sous riiHportun pour importuner le fidèle impatient
et jaloux de sa liberté dans ses occupations , et qui ,
par conséquent, a besoin d*étre importuné, pour
mourir au plaisir d*éire libre et arrangé^ dans ses
bonnes oeuvre^. C'est vous , mon Dieu, qui vous ser-
vez des langues médisantes pour déchirer la réputa-
tion des innocens, qui ont besoin d'ajouter à leur
innocence le sacrifice de leur réputation qui leur
étoit'trop chère. C'est vous qui , pal- les mauvais offi»
ces et les subtilités malignes des envieux, renversez
la fortune et la prospérité de vos serviteurs qui tien-
nent encore à cette vaine prospérité. C'est vous qui
précipitez dans le tombeau les personnes à qui la vie
est un danger continuel, et la mort 'une grâce qui
les met eu sûreté. C'est vous qui faites de la mort
• • •
de ces personnes un remède, très-amen à la vérité,
mais très-salutaire pour ceux qui tenoient à ces per-
sonnes par une amitié trop vive et trop tendre. Ainsi
le même coup qui enlève l'un pour le sauver, déta-
che l'autre , et le prépare à sa mort par celle des
personnes qui lui étoient les plus chères. Vous ré-
pandez ainsi miséricordieusement, ô mon Dieu, de
l'amertume sur tout ce qui n'est point vous, afin que
notre cœur, formé pour vous aimer et pour vivi^e de
votre amour , soit comme contraint de revenir à vous,
sentant que tout appui lui manque dans le reste:
C'est, mon Dieu, que vous êtes tout amour, et par
conséquent tout jalousie. O Dieu jaloux! (car c'est
ainsi que vous vous nommez vous-même (0 ) un cœur
3o4 HÉCBSSITÉ
partagé vous irrite ; an cœnr égaré vonslait œmpas-
sion. Vous êtes infiui en toat; infini en arnoor,
comme en sagesse et en puissance. Vons aimez en
Dieu ; quand vous aimez, vons remuex le ciel el la
terre pour sauver ce qui tous est chei:. Vous vous
faites homme y enfant, le dernier des hommes , ras-
sasié d'opprobres, mourant dans Tiofamie et dabs les
douleurs de la croix; ce n*est pas trop pour Famoar
qui aime infiniment. Un amour fini et une sagesse
bornée ne peuvent le comprendre. Mais commeot
le fini ponrroit-il comprendre Tinfini? il n a ni des
yeux pour le voir, ni un cœur proportionne pour le
sentir : le cœur bas et resserré dé Thoronie, sa vaine sa-
gesse en sont scandalisés, et méconnoissent Dieu dans
cet excès d'amour. Pour moi, )e le reconnois à ce ca-
ractère d'infinf: c'est cet amour qui fait tout, même
les maux que noua souffi*ons^ c'est par ces maux qu il
nous prépare les vrais biens.
Mais quand rendrons-nous amour pour amour?
Quand chercherons- nous celui qui nous cherche^ et
qui nous porte entre ses bras 7 C'est dans son sem
tendre et paternel que nous l'oublions ; c'est par la
douceur de ses dons que nous cessons de penser à
lui r ce qu'il nous donne à tout moment, au lieu de
nous attendrir, nous amuse. 11 est la source de tous
les plaisirs ; les créatures .n'en, sont que les canaux
grossiers : le canal nous fait compter pour rien la
source. Cet ainour immense nous poursuit en tout,
et nous ne cessons d'échapper à ses poursuites. U est
partout, et nous ne le voyons en aucun endroit. Nous
croyons être seul quand nou^ n'avons que lui : ilta^^
tout, et nous ne comptons sur lui en rien :0>^
crojons
DE CONNOÎTaE DIEU. 3o5
croyons tout désespéré dans les affaires , quand nous
n* avons plus d*autre ressource que celle de sa provU
dence; comme si Tamour infini et tout^puissant ne
pouvoit rien! O égarement monstrueux ! ô renverse-
ment de tout rhomme ! Non , je ne veux plus parler;
la créature égarée irrite ce qui nous reste de raison^
OQ ne peut la soufirir.
O amour, vous la souffrez pourtant ; vous l'atten-
dez avec une patience sans fin; et vous paroisses
même , par votre excès de patience , flatter ses in-
gratitudes ! Ceux même qui désirent vous aimer ne
vous aiment que pour eux, pour leur consolation ou
pour leur sûreté. Où sont-ils ceux qui vous aiment
pour vous seul? Oii sont-ils^ ceux qui vous aiment
parce qu ils ne sont faits que pour vous aimer? où
sont-ils ? Je ne les vois point. Y en a-t-il sur la terre?
S'il n*y en a point, faites-en. Â quoi sert le monde
entier si on.^ne vous aime , mais si on ne vous aime
pour se perdre en vous? C'est ce que vous avez voulu
en produisant hors de vous ce qui n'est pas vous-
même. Vous avez voulu faire des êtres, qui , tenant
tout de vous, se rapportassent uniquement à vous.
0 mon Dieu ! ô amour ! aimez vous-même en
moi ; par là vous serez aimé suivant que vous êtes ai-
mable. Je ne veux subsister que pour me consumer
devant vous, comme une lampe brûle sans cesse de-
vant vos autels. Je ne suis point pour moi ; il n'y a
que vous qui êtes pour vous-même : rien pour moi ,
tout pour vous ; ce n'est pas trop. Je suis jaloux de
B^oi pour vous contre moi-même. Plutôt périr que
de sonfrir que l'amour qui doit tendre à vous re-
tourne jamais sur moi ! Aimez, ô amour ! aimez dans
Férélow. XVIII. 20
3o8 SUA LE PUA AHOUK.
création, il faut prëféro: Dieu à nous, et ne yoaloir
plus notre béatitade qae pour sa gloire ; aotrement
nous renverserions son ordre. Ce n*est pas rintérét
proprç de notre béatitade qni doit noos faive d&irer
sa gloire, c'est au contraire le désir de sa gloire qui
doit nous faire désirer notre béatitude, comme une
chose qu'il lui a plu de rapporter à sa gloire. II est
vrai que toutes les âmes justes ne sont pas capables
de cette préférence si explicite de Dieu à elles : mais
la préférence implicite est au moins nécessaire; et
l'explicite, qui est la plus parfaite, ne convient
qu'aux âmes à qui Dieu donne la lumière et la force
de le préférer tellement à elles , qu'elles ne veulent
plus leur béatitude que pour sa gloire.
Ce qui fait que les boomies ont tant de répugnance
à entendre cette vérité, et que cette parole leur est si
dure, c'est qu'ils s'aiment et veulent s'aimer par in-
térêt propre. Ils comprennent en général et superfi-
ciellement qu'il faut aimer Dieu plus que toutes les
créatures; mais ils n'entendent point ce que veut
dire aimer Dieu plus que soi-même, et ne s'aimer
plus soi-même que pour lui. Ils prononcent ces
grandes paroles sans peine , parce qu'ils le font sans
en pénétrer toute la force; mais ils frémissent dès
qu'on leur explique qu'il faut préférer Dieu et sa
gloire à nous et à notre béatitude, en sorte que noos
aimions* sa gloire plus que notre béatitude, et que
nous rapportions sincèrement l'une à l'autre, comme
la fin subalterne à la principale.
Il seroit étonnant que les hommes eussent tant de
peine à entendre une règle si claire, si juste, si es-
sentielle à la créature : mais, depuis que l'homme
SUR LE PUR AMOUR. ^ SOQ
s'est arrêté en lui-même j comme parle saint Augus-
tin j il ne voit plus rien que dans ces bornes étroites
de Famour-propre où il s*est renfermé : il perd de
vue à. tout moment qu'il est créature, qu'il ne se doit
rien, puisqu'il n'est pas lui-même à lui-même, et
qu'il se doit sans réserve au bon plaisir de celui par
qui seul il est. Dites- lui cette vérité accablante, il
nose la nier; mais elle lui échappe, et il veut tou-
jours insensiblement rev(enir à compter avec Dieu
pour y trouver son intérêt.
On allègae que Dieu nous a donné une inclination
naturelle pour la béatitude, qui est lui-même. En cela
il peut avoir voulu faciliter notre union avec lui,
et avoir mis en nous une pente pour notre bonheur,
comme il en a mis une pour les alimens dont nous
avons besoin pour vivre ; mais il faut soigneusement
distinguer la délectation que Dieu a mise en nous à
la vue de lui-même, qui est notre béatitude, d'avec
la pente violente que la révolte du premier homme
a mise dans nos cœurs pour nous faire centre de nous-
mêmes, et pour faire dépendre notre amour pour
Dieu de la béatitude que nous cherchons dans cet
amour. D'ailleurs, ce n'est d'aucune inclination na-
turelle, nécessaire et indélibérée, qu'il s'agit ici.
Peut-on craindre, que les hommes tombent dans l'il-
lusion en se jdispensant de ce qui est nécessaire et in-
délibéré 7 Ces désirs indélibérés, qui sont moins des
désirs que des inclinations nécessaires, ne peuvent
non plus manquer dans les hommes que la pesanteur
dans les pierres. Il n*est question que de nos actes
volontaires et délibérés, que nous pouvons faire ou
ne faire pas. À l'égard de ces actes libres ,^ le motif de
3lO SUft L£ l*Ull AMOUK.
notre propre bëatitade n*est pas dëfendu : Dieu veiit
bien nous faire trouver notre propre intérêt dans
notre union avec lui; mais il faut que ce motif ne
soit que le moindre , et le moins voulu par la créa-
ture : il faut vouloir la gloiirie de Dieu plus que noire
béatitude : il ne faut vouloir cette béatitude que
pour la rapporter à sa gloire, comme la chose qu*on
veut le moins à. celle quon veut le plus. Il faut que
notre intérêt nous touche incomparablement moins
que sa gloire. Voilà ce que la créature, attachée à
elle-même depuis le péché, a tant de peine à com-
prendre. Voilà une vérité qui est dans l'essence même
•de la créature, qui devroit soumettre tous les cœurs,
et qui les scandalise néanmoins quand on Tappro-
fondit. Mais qu'on se fasse justice, et qu'on la fasse à
Dieu. ^Ous sommes-nous faits nous-mêmes? Som-
mes-nous à Dieu ou à nous? Nous a-t-il faits pour
nous ou pour lui? A qui nous devonsruous? Est-ce
pour notre béatitude propre ou pour sa gloire que
Dieu nous a créés? Si c'est pour sa gloire, il faut
donc nous conformer à l'ordre essentiel de notre créa-
tion; il faut vouloir sa gloire plus que notre béati-
tude, en sorte que nous rapportions toute notre béa-
titude à sa propre gloire.
Il n'est donc pas question d*une inclination natu-
relle et indéiibérée de l'homme pour la béatitude.
Combien y a-t-il de pentes ou inclinations naturelles
dans les hommes, qu'ils ne peuvent jamais ni dé-
truire ni diminuer, et qu'ils ne suivent pourtant pas
toujours! Par exemple, l'inclination de conserver
notre vie est une des plus fortes et des plus naturel-
les; celle qu'on a pour être heureux ne peut être
SUH LS PD& AXOUA. 3ll
plus invipcible qae celle qu*on a pour être. La béa-
titude n*est que tè mieux être, comme parle saint
Augustin. L'inclination pour être heureux n'est donc
qu'une suite de l'inclination qu'on a pour conserver
son être et sa vie. Cependant on peut ne pas suivre
cette pente dans les actes délibères. Combien de Grecs
et de Romains se sont -ils dévoués librement à une
mort certaine 7 Combien en voyons-nous qui se la
sont donnée eux*mémesy malgré cette inclination
violente du fond de la nature?
Encore une fois, il ne s*agit que de nos actes libres
d'amour de Dieu, et des motifs qui peuvent y entrer
pour la béatitude. Nous venons de voir que le motif
de notre intérêt propre pour la béatitude n'est per*
mis qu'autant qu'il est le moins voulu par nous, et
qu*il n'est voulu que par rapport au motif principal,
qu'il faut vouloir d'une volonté dominante, je veux
dire la gloire de Dieu. Il n'est plus question que de
comparer deux diverses manières de préférer ainsi
Dieu à nous : la première est de l'aimer tout ensem-
ble et comme parfait en lui-même et comme béati-
fiant pour nous; en sorte que le motif de notre béa-*
titude, quoique moins fort, soutienne néanmoins
Tamoui: que nous avons pour la perfection divine,
et que nous aimerions un peu moins Dieu s'il n*étoit
pas béatiiSant pour nous. La seconde manière est d'ai-
mer Dieu, qu'on connott béatifiant pour nous, et du-
quel on veut recevoir la béatitude parce qu'il l'a pro-
mise , mais de ne l'aimer point par Iç motif du
propre intérêt de cette béatitude qu'on en attend, et
de l'aimer uniquement pour lui-même à cause de sa
perfection î en sorte qu'on l'aimeroit autant, quand
3ia 8UB I*B Pmi AMOUft.
même (par supposition impossible) il ne voadroit
[amais être béatifiant pour nous. Il est mamfeste
que le dernier de ces deux amours , qui est le dés-
intéressé, accomplit plus parfaitement le rapport
total et unique de la créature à sa fin, qu*il ne laisse
rien à la créature, qu'il donne tout à Dieu seul, et
par conséquent qu'il est plus parfait que cet autre
amour mélangé de notre intérêt avec celui de Dieu.
Ce n'est pas que l'homme qui aime sans intérêt
n*aime la récompense ; il l'aime en tant qu'elle est
Dieu même, et non en tant qu'elle est son intérêt
propre ; il la veut parce que Dieu veut .qu'il la
veuille : c'est l'ordre, et non pas son intérêt qu'il y
cherche : il s'aime, mais il ne s'aime que pour l'a-
mour de Dieu, comme un étranger, et pour aimer
ce que Dieu a fait.
Ce qui est évident, c'est que Dieu, infiniment par-
fait en lui-même, ne suffit pas pour soutenir l'amour
de celui qui a besoin d'être animé par le motif de sa
propre béatitude , qu'il trouve en Dieu. L'autre n'a
pas besoin de ce motif : il ne lui faut, pour aimer ce
qui est parfait en soi , qu'en connoitre la perfection.
Celui qui a besoin du motif de sa béatitude n'est si
attaché à ce motif, qu'à cause qu'il sent que son
amour seroit moins fort si on lui ôtoit cet appui. Le
malade qui ne peut marcher sans bâton ne peut con-
sentir qu'on le lui ôte; il sent sa foiblesse, il craint
de tomber, et il a raison; mais il ne doit pas se
scandaliser de voir un homme sain et vigoureux qui
n'a pas besoin du même soutien. L'homme sain mar-
che plus librement sans bâton ; mais il ne doit jamais
mépriser celui qui ne peut s'en passer. Que l'homme
SUE LE PUE AMOUE. 3t3
qui a encore besoin d'ajouter le motif de sa propre
béatitude à celui de la suprême perfection de Dieu
pour l'aimer y reconnoisse humblement qu'il y a dans
les trésors de la grâce de Dieu une perfection au-des-
SOS de la sienne, et qu'il rende gloire à Dieu sur les
dons qui sont en autrui y sans en être jaloux : qu'en
même temps celui qui est attiré à aimer sans intérêt
suive cet attrait; mais qu'il ne juge ni lui ni les au-
tres; qu'il ne s'attribue rien; qu'^ soit prêt à croire
qu'il n'est pas dans l'état où il parott être ; qu'il soit
docile^ soumis, défiant de lui-même, et édifié de
tout ce qu'il voit de veitueux dans son prochain qui
a encore besoin d'un amour mélangé d'intérêt pro-
pre. Mais enfin l'amour saqs aucun motif d'intérêt
propre pour la béatitude est«pianifestement plus par-
fait que celui qui est mélangé de ce piotif d'intérêt
propre.
Si quelqu'un s'imagine que cet amour parfait est
impossible et chimérique, et que c'est une vaine sub-
tilité qui peut devenir une source d'illusion, je n'ai
que deux mots à lui répondre : Rien n'est impossible
à Dieu; il se nomme lui-même le Dieu jaloux; il ne
nous tient dans le pèlerinage de cette vie que pour
nous conduire à la perfection. Traiter cet amour de
subtilité chimérique et dangereuse, c'est accuser té-
mérairement d'illusion les plus grands saints de tous
les siècles, qui ont admis cet amour, et qui en ont
&it le plus haut degré oe la vie spirituelle.
Mais si mon lecteur refuse encore de reconnoître
la perfection de cet amour, je le conjure de me ré-
pondr^e exactement sur les questions que je vais lui
taire. La vie étemelle n'est-elle pas une pure grâce,
3l4 Ai'A LB WVM, AMOOK.
et le oomble de tooies les grâces? ITest-il pas de foi
que le royaume do ciel ne doos est dft que sur la
promesse purement gratuite et snr rapplication éga-
lement gratuite des mérites de Jésns-Cbrist? Le bien-
bit ne sanroit être moins gratuit que la promesse sur
laquelle il est fondé : c'est ce que nous ne cessons de
dire tous les jours à nos frères errans; nous nous
justifions vers eux sur le terme de mérite, dont
TEglîse se sert, en protestant que tous nos mérites
ne sont point fondés sur un droit rigoureux , mais
seulement sur une promesse faite par pure miséri-
corde. Ainsi la vie étemelle, qui est la fin du décret
de Dieu , est ce qu'il y a de plus gratuit : toutes les
autres grâces sont données par rapport à celle-là.
Celte grâce, qui renferme toutes les autres > n*est
fondée sur aucpn titre que sur la promesse purement
gratuite, et suivie de l'application aussi gratuite des
mérites de Jésus<]ihrist« La promesse elle-même ^ qui
est le fondement de tout, n'est appuyée que sur la
pure miséricorde de Dieu, sur son bon plaisir, et
sur le bon propos de sa volonté. Dans cet ordre des
grâces, tout se réduit évidemment à une volonté
souverainement libre et gratuite.
Ces principe» indubitables étant posés, je fais une
supposition. Je suppose que Dieu voulût anéantir
mon ame au moment oii elle se détachera de mon
corps. Cette supposition n'est impossible qu'à cause
de la promesse purement gnituite* Dieu auroit donc
pu excepter mon ame en particulier de sa. promesse
générale pour les autres. Qui osera nier que Dieu
n'eût pu anéantir mon ame, snivant ma supposition ?
La créature, qui n'est point par soi , n'est qu'autant
sua LE PUK AMOUB* 3l5
0
que la volontë arbitraire du Créateur la &it exister:
afin qu'elle ne tombe pas dans soo néant , il faut que
le créateur renouvelle sans cesse le bienfait de sa
création , en la conservant par la même puissance
qui Ta créée. Je suppose donc une chose très-possi«
sible, puisque je ne suppose qu'une simple exception
à une règle purement gratuite et arbitraire. Je sup^
pose que Dieu, qui rend toutes les autres âmes im«
mortelles , finira la durée de la mienne au moment
de ma mort : je suppose encore que Dieu m*a révélé
son dessein. Personne n*oseroit dire que Dieu ne le
peut.
Ces suppositions très-possibles étant admises , il
n*7 a plus de promesse , ni de récompense , ni de
béatitude, fii d'espérance de la vie future pour moi.
Je ne puis plus espérer ni de posséder Dieu y ni de
voir sa face, ni de Faimer éternellement, ni d*étre
aimé de lui au-delà de cette vie. Je suppose que )e
vais mourir ; il ne me reste plus qu^un seul moment
à vivre, qui doit être suivi d*une extinction eptière et
étemelle. Ce moment, à quoi Temploierai-je? )e con-
jure mon lecteur de me répondre dans la plus exacte
précision. Dans ce dernier instant, me dispenserai-
je d'aimer Dieu , faute de pouvoir le regarder comme
une récompense? Renoncerai-je à loi dès qu'il ne
sera plus béatifiant pour moi? Âbandonnerai*je la
fin essentielle de ma création? Dieu, en m'excluant
de la bienheureuse éternité, qu'il ne me devoit pas,
a-t*il pu se dépouiller de ce qu'il se d^it essen*
tielkement à lui-même? A-t-il cessé de faire son ou-
vrage pour sa pure gloire? A-t*il perdu le droit de
créateur en me créant? M'a-t-il dispensé des devoirs
3l6 SUR LB PUE AMOOE. |
de la crëature, qui doit esseDiiellement tout ce
qu^rile est à celui par qui seul elle est? rTest-il pas
évident que dans* cette supposition très-possible je
dois aimer Dieu uniquement pour lui-même, sans
attendre aucune récompense de mon amour, et avec
une exclusion certaine de toute béatitude, en sorte
que ce dernier instant de ma vie, qui sera suivi d^un
anéantissement éternel, doit être nécessaireaient
rempli par un acte d^amour pur et pleinement dés^
intéressé?
Mais si celui à qui Dieu ne donne rien pour Téter-
nité doit tant à Dieu, qu*e8t-ce que lui doit celui à
qui il se donne tout entier lui-même sans fin ? Je vais
être anéanti tout à Fbeure ; jamais je ne verrai Dieu ;
il me refuse son royaume qull donne aux autres; il
ne veut ni m'aimer ni être aimé de moi éternelle-
ment : je suis obligé néanmoins, en expirant, de
Faimer encore de tout mon cœur et de* toutes mes
forces; si j'y manque, je suis un monstre et une
créature dénaturée. Et vous, mon lecteur, à qui Dieu
prépare , sans vous le devoir, la possession étemelle
de lui-même, craindrez-vous comme un raffinement
chimérique cet amour dont je dois vous donner
l'exemple? Aimerez*vous Dieu moins que moi, parce
qail vous aime davantage ? La récompense ne ser-
vira-t-elle qu'à vous rendre intéressé dans votre
amour? Si Dieu vous aimoit moins qu'il ne vous
aime, il faudroit que vous Taimassiez sans aucun
motif d'ii^érêt. Est ce donc là le fruit des promesses
etdusang de Jésus-Christ, que d'éloigner leshonèmes
d'un amour généreux et sans intérêt pour Dieu? A.
cause qu'il vous offre la pleine béatitude en lui-
i
SUR LB PUR AMOUR. il']
mémei ne Faimerec-vous qu'autant que vous serez
soutenu par cet intérêt infini? Le royaume du ciel
<|ai vous est offert, pendant que j*en suis exclus,
vous est-il un bon titre pour ne vouloir point aimer
Dieu sans y chercher le motif de votre propre gloire
et de votre propre félicité?
Ne dites pas que cette félicité est Dieu même.
Dieu pourroit, s'il le vouloit, n'être pas plus béati-
fiant pour vous que pour moi. Il faut que je Taime,
quoiqu'il ne le soit point pour moi ; pourquoi faut-
il que vous ne puissiez'-vous résoudi*e à l'aimer, sans
être soutenu par ce motif^qu'il est béatifiant pour
vous? Pourquoi frémissez-vous au seul nom d'un
amour qui ne donne plus ce soutien d'intérêt.
Si la béatitude éternelle nous étoit due de plein
droit, et que Dieu , en créant les hommes, fttt à leur
égard un débiteur forcé pour la vie éternelle , on
pourroit nier ma supposition. Mais on ne pourroit
la nierr sans une impiété manifeste : la plus grande
des grâces , qui ^t la vie éternelle , ne seroit plus
grâce : la récompense nous seroit due indépen-
damment de la promesse : Dieu devroit l'existence
étemelle et la féUcité à sa créature ; il ne pourroit
plus se passer d'elle ; elle deviendroit un être néces-
saire. Cette doctrine est monstrueuse. D'un autre
c6té, ma supposition met en évidence les. droits de
Dieu, et fait voir des cas possibles, oii l'amour sans
intérêt seroit nécessaire. S'il ne l'est pas dans les cas
de l'ordre établi par la promesse gratuite, c'est que
Dieu ne nous juge pas dignes de ces grandes épreuves,
c'est qu'il se contente d'une préférence implicite de
lui et de sa gloire à nous et à notre béatitude , qui est
'3l8 SVH LE PUR AMOUR.
comme le germe du pur amour dans les cœurs de
tous les justes. Mais enfin ma supposition , en com-
parant rbomrae prêt à être anéanti avec celui qui a
reçu la promesse de la vie ëternelle, fait sentir com-
bien Tamour mélangé d'intérêt est au-dessous du
désintéressai.
Témoignages desPaïem^
Mais en attendant que les* Chrétiens soient ca-
pables de bien comprendre le^ droits infinis de Dieo
sur sa créature , je veu]g%ftclier du moins de les faire
rentrer dans leur propre cœur, pour y consulter
ridée de ce qu'ils appellent entre eux amilitf*
Chacun veut , dans la société de ses amis, être
aimé sans motif d'intérêt, et uniquement pour lui-
même. Hélas ! si rhomme indigne de tout amour ne
peutsoufirir d'être ainiié parintérêt, comi|Kent osons-
nous croire que Dieu n'aura pas la même délicatesse?
On est pénétrant jusqu'à Tinfini pour démêler jus-
^uaux plus subtils motifs d'intérêt , de bienséance,
de plaisir ou d'honneur, qui attachent nos amis à
nous ; on est au désespoir de n'être aimé d'eux que
par reconnoissance , à plus forte raison par d'autres
motifs plus cboqnaBS : on veut l'être par pure incli-
nation, par esAime, par admiration. L'amitié est si
jalouse et si délicate , qu'un atome qui s'y mêle la
blesse ; elle ne peut soufiHr dans l'ami que le don
simple et sans réserve du fond de son amour. Celui
qui aime ne veut, dans le transport de sa passion ,
qu'être aimé pour lui seul, que l'être au-dessus de
tout et uniquement, que l'être en sorte que le monde
sua LE PUA AMOUR. 3l9
entier lui toit sacrifié , que 1 être en sorte qu*on s^pu*
blie et qu on se compte pour rien , afin d*étre tout à
lai : telle est la jalousie Aircenée et l'injustice extra^
vagante des amours passionnés ; cette jalousie n*est
qu une tyrannie de ramour-propre.
Il n y a qu*à se sonder soi-même pour j trouver
ce fond d'idolâtrie ; et quiconque ne ïj démêle pas,
ne se oonuolt point encore assez soi-même. Ce qui
est en nous rinjostioe la pins ridicule et la plus
odieuse, est la souveraine înstîce eu Dieu. Rien n'est
si ordinaire et si honteux aux hommes que d*étre ja-
loux : mais Dieu, qui ne peut céder sa gloire à un
autre 9 se iM>mme lui-même le Dieu jaloux j et sa
jalousie eut essentielle h. sa perfection* Consultez
donc y 6 vous qui lisez ceci, la corruption de votre
coear, et que votre jalousie sur Tamitié serve à vous
faire entendre les délicatesses infinies de Tamour
divin. Quand vous trouvez ces délicatesses dans v^ttre
coBor pour Taiziitié qise vous eidkgez de vos amis,
vous ne les regardée jamais coflsme dtes raffinemen»
diiimérîqaes ; an contraire, vouis seriez choqué de la
grossièreté des amis :qui n auroie»t point jce$ délica*
tessetsur 1 aniÂtié, Il n*y a q«e Di^u » ^i vous voulez
les défendre : vous ne voulez fias <^'il cherche à être
aimé eoouue vous prétendez que .vos aoiis vous
aiment : vous^ue pouvez croire •^uersa grâce puisse
loi former en cette vie des adorateurs qui Taîment
comme vous n*avez point de honte de vouloir être
aimé : jugez-vous vous-même, et rendez eufiuNgkiire
à Dieu.
J avoue que les hommes profiiueSy qui ont cette
idée de Vamitié pure , ne la suivent pas ^ et que toutes
320 8UK LE PUE ▲MOUR.
leurs amiliés sans grâce ne sont qu'un amour*propre
subtilement déguisé : mais enfin ils ont cette idée de
Famitié pure. Faut*il qulls4*aient quand il ne s'agit
que d'aimer la créature vile et corrompue , et que
nous soyons les seuls à la méconnottre dès qu'il
s'agit d'aimer Dieu 7
Les Païens mêmes ont eu cette pure idée de l'amitié;
et nous n avons qu'à les lire pour être étonnés que
les Chrétiens ne veuillent pas qu'on puisse aimer
Dieu par sa grâce, comme les Païens ont cm qu'il
falloit s'aimer les uns les autres pour mériter le nom
d'amis.
Ecoutons Gicéron (0 : u Être impatient , dit-^il,
n pour les choses qu'on souffre dans l'amitié, c'est
» s'aimer soi-même , et non pas son ami. » Il ajoute
dans la suite que « l'amitié ne peut être qu'entre les
3» bons », c'est-à-dire, entre ceux qui, suivant ses
principes, préfèrent toujours l'honnête à ce que le
vulgaire nomme utile-, « autrement, dit-il, l'intérêt
» étant la règle et le motif de l'amitié, les moins
» vertueux , qui- ont plus de besoins et de désirs que
» les autres, seroient les plus propres à se lier d'à-
» mitié avec autrui , puisqu'ils sont les plus avides
» pour aimer ce qui le^ur est utile. »
« Nous croyons donc (c'est eikcore Gicéron qui
» parle) qu'il fauir rechercher l'amitié, non par l'es-
» pérance des avantages qu'on en' tire , mais parce
» que tout le &uit de l'amitié est dans l'amitié même.. .
» Les hommes intéressés sont privés de cette excel-
» lente et très-naturelle amitié qui doit être cher-
» chée par c^lle^méme et pour elle-même : ils ne
(«) De Amie, cap. v. et scq.
tVtL LE FUR AMOtJR. SlI
» profitent jîDkit cb aears propres exen^^s pour
» apprendre jusqu'où va la force de Taimnë; car
» chacun s'aioiey nen pour ttrer de soi quelque rë-
» compense de son amour/ mais parce qtre chacun
» est par soi cher % soi-même... Que si Ton ne trans-
» porte cette même règle dans Famitié , on ne trou-
» vera jamais d*ami véritable : celui-là est notre v^-
9 ritablc ëmi qui est ccuniiie un autre hous-même....
» Mais la- plupart des liomitiâs prétendent injuste*
» Dienty paume pas dire avec icupadcnce, un ami
» tel qu'ils ne voudroient pas être eux-mêmes, et
» en exigent ce qu'ils ne vOndroient pas lui donner.»
Cicéron ne peut poussée plus Ici.i le désintéres-
sement de l'araitiéy qu'en voulant que notre afni
nous soit clier paf lui seul /sans aucun motif, comme
noQs nous sommes cher» à.nous-mêmei sans aucune
esperamce qui nous excite à cet amour. L'àmoùr-
propre est sans doute en C3 beas*le parfait modèle de
1 amitié désintéressée.
Horace, quoique Epicurien., Va pas laissé de
raisonner sur ceiiprincipe po:ir l'union des amis
entre eux, lorsque|i|>arlant dès conversations philo-
sophiques qui l'occupoient à la campai^nc, il dit (0
qaon examinoit si les hommes sont heureux parles
richesses ou par la vertu; si c'est l'utilité piopre
ou la perfectiqp en elle-même qui est le motif de
l'amitié:
% . . . . Utrinnne
Div Uiis homiaes , am sint TÎrUite beati?
Qoidite ad amicitiafl, usus rectimiTe, tràhat nos?
m
Voilà ce qu ont p^nsé les Païens» et l^s Païens
[}) Sermon, lib. ii^ SaL ti.
FÉ1IÉI.01II. XVllI. 21
033 Sun LE PUR AMODH.
ëpicuri^fe, sur Tsmitlé pour ^es erëatnres. indigna
d'être nbées. C'al sur cette idée d'anilié pure q«
les tbéologiens distinguent, à l'égard de Dieu,
Tamour qu'ils nomment d'amitié, des autres amours,
et les amiâ de Dieu de se& serviteurs.
Cette idée si pure de l'amitié n'est pas sentemeai
(comme nous l'avons vu) dans Cicéron; il l'imil
puisée dans la doctrine da Socrate, expliquée dio:
les livres de Platon. Ces deux grands philosopha,
dont l'an rapporte les discours de l'autre dinise;
Dialogues, veulent qu'on s'attache à ce qu'ils ap-
pellent to ulÀv, qui signil)e tout ensemble /e^Buri
le bon, c'est-à-dire le pmtjait, par le seul amour
du beau, du bon, du vrai,, du parfait en lui-ménK'
C'est pourquoi ils disent souvent qu'il ne fimt coop-
ter pour rien ce tfm sejait, *'» yaifiivoï, c'eît4-dir(
V Sire passager, pour s'unir à ce yui est, c'esl4-diit
l'Are parfait et immuable, qu'ils appellent ti°>,
c'est-à-dire ce qui est. De là vient que Cicéron, <|iii
n'a fait que répéter leurs maximes, dit que ■ si w"^
» pouvions voir de nos propres yeux la beauté rie li
» vçrtu, nous serions ravis d'ai|^r par son etcA-
» lence ('). »
Platon fait dire à Socrate dans son Festin, « qu'il
n y a quelque cbose de plus divin dans celai qui
» aime
la-d<f|i<
aimé, <
aime s:
ferme i
de soi,
SUR LIS IPUn AMOUK. i^i
» sopbe, ne consiste an «uc 119e des choses particur
» lières , telles que les animaux , la terre ou le ciel ;
» mais le beau est lui-mâmé par lui-même, ëtant
» toujours uniforme avec soi. Toutes les autres
» choses belles participent de ce tieau y eo sorte que
» si elles naissent ou périssent, elles- ne lui ôtent et
».ne lui ajoutent rien, et qu'il ^^^^ souffre aucune
» perte : si donc quelqu*un s*élèye dans la bonne
» amitié, il commence à voir le beau , il touche près»
» que mx terme. » , ,
Il est aisé de voir que Platon parle d*un amour do
beau en lui-même^ sans aucun retour d'intérêt. C'est
ce beau universel qui- enlève Xe coeur, et qui fait ou«>
blier toute beauté particulière. Ce philosophe as*
sare, dans le même Dialogue^ que l'amour divinise
rhomme , qu'il l'inspire , qu il le transporte. « Il n'y
» a personne, dit-il, qui soit tellement mauvais, que
» l'ainour n'en fasse un dieu par la vert», en sorte
«qu'il devient semblable au beau par nature; et
» comme Homère dit qu'^jin dieu a inspiré quelques
» héros, c^est'Ce que l'amour donne aux amans for*
» mes par lui : ceux qui aiment, veulent seuls mou*
n» rir pour un autre. » Ensuite Platon cite l'exemple
d'Alceste, morte pour faire vivre sqp époux. 'Voilà ,
soirant Platon, ce qui fait dei|^'homme un dieu,
c'est de préférer par amour autrui à soi-même, jus-
qu'à s'oublier, se sacrifier, se compter pour rien»
Cet ainour est, seloç lui, une inspiration divine;
c'est le beau immuable qui ravit l'homme à l'homme
même , et qui le rend semblable à lui par la veitu.
TeUe étoit l'idée de l'amitié chez les Païens. Py*
thias et Damon, chez Denys le tyran, vouloient
3a4 SVH LB PUR AHOUR.
mourir Fun pour Taiitre 5 et le tyran étonné 5ou}>ira
lorsqu'il vit ces deu:r aniis si désintéressés. Cette idée
du parfait désintéressemet>t régnait dans la politique
de tous les anciens législateurs. Il fialloit préférei* à
sol les loi», la patrie, parce que la justice )e vouloil,
et qu'on, devoit préférer à soi-même ce qui est ap*
pelé le beau, le bon, le juste, le parfait. C'est cet
ordre auquel on croyoit devoir rapporter tout, et
soi-même autant que tout le reste. Il ne s'agissok pas
de se rendre heureux en se conformant à cet ordre«
Il falloit au contraire, pour l'amour de cet ordre , se
dévouer, périr, et ne se laisset* aucune ressource.
C'est ainsi queSock'ate, dans le Critonde Platon^ aime
mieux mourir que s*enfair, de peur de désobéir aux
lois qui le retiennent en prison.: c'est ainsi que le
même Socrate, dans le Dialogue intitulé Gorgias,
dépeint un homme qui s'accuse lui-même, et qui se
dévoue il l^mort plutôt que d'éluder par son. silence
les lois rigoureuses etTautorité des magistrats. Tous
les législateurs et tous les «philosophes qui ont rai-
sonné sur les lois, ont supposé comme un principe
fondamental de la société dans la patrie, qu'il faut
préférer le public à soi, non par espérance de quel-
que intérêt, mafc par le seul amour désintéressé de
Tordre, qui est la l9auté,la justice et la vertu même.
C'étoit pour cette idée d'ordre et de justice qu'il fal-
loit mourir, c*est-&-dire, suivant les Païens, perdre
tout ce qu'on avoit de réel, étœ réduit à une ombre
▼aine, et ne savoir pas même si cette ombre n'^toit
pas une fable ridicule des poètes. Les Chrétiens re-
fuseront-ils de donner autant au Dieu infiniment
parfait qu'ils connoissent, que ces Païens croyoient
•u& LE PUR Aaioua. 3»$
devoir donner à une id^ abstrî^ et confuse de
Tordre y de la justice et de la vertu ?
Platon dit souvent que l'amour di| beau, est tout
le bien de Thomme; qu^e rhomme ne peut être heu-
reux en soi , et que ce qu'il y a de ptus divin pouc
lui y c^est de sortir de soi par Tamour; et en effçt le
plaisir qu'on éprouve dans le transport des passions
n*est qu'un effet de la pente de l'ame pour sortir de
ses bornes étroites, et pour aimer hors d'elle le beau
infini. Quand ce transport se termine au beau passa-
ger et trompeur qui reluit dans les ci^ëaturesi c'est
l'amour divin qui s'égare et qui est déplacé : c'est un
trait divin en lui-n^éme, mais qui porte à faux : ce
qui est divin en soi , devient illusion et folie quand
il tombe sur une vaine image du bien parfait, telle
que l'être cféé, qui n'est qu'une ombte dé TEtre su-
prême ; mais enfin cet amour qui préfère le parfait
infini à soi,estun mouvement diyinetiqspiré, comme
parle Platon. Cette impression est donnée à l'homme
dès son origine. Sa perfection est tellemeut de sortir
de soi par l'amour^ qu'il veut sans cesse persuader et
aux autres et à tfoi-rméme qu'il aime sans retour sur
soi les amis auxquels il s|attache. Cette idée est si
forte,* malgré l'amour-propre, qu'on auroit honte
d'avouer qu'on n'aime personne sans y mêler quel-
que motif intéressé. On ne déguise si subtilement
tous les motifs d'amour- propre dans les amitiés, que
pour s'épargner la .honte de paroître se rechercher
soi-même dans les autres. Bien n'est si odieux que
cette idée d'un cœur toujours occupé de soi : rien
ne nous flatte tant que certaines actions généreuses,
qui persuadent au monde et â nous que n,ous avous^
3^6 SUR LE PUR AMOUR.
fait le bien pour|)^amour du bien en lui-même sans
nous y chercher. L'amour-propre même rend hom-
mage à cette vertu désintéressée , par les subtilités
avec Ifssquelles il veut en prendre les apparences :
tant il est vrai que rhomme, qui n'est point par lui-
même, n*est pas fait pour se chercher, mais pour
être uniquement à' celui qui l^a lait! Sa gloire et sa
perfection sont de sortir de soi, de s'oublier, de se
perdre, de s^ablmer dans l'amour simple du beau
infini.
Cette pensée efffaie l'homme amoureux de lui-
même et accoutumé h se faire le centre de fout.
Cette pensée suffit seule pour faire frémir Famoar-
propre, et pour révolter un orgueil secret et intime,
qui rapporte toujours insensiblement à soi la fin à
laquelle nous devons nous rapporter. Mais cette idée
qui nous étonné est*le fondement de toute aoiitié et
de toute justice. Tfous ne pouvons ni accorder Ta-
mour- propre avec cette idée, ni Fabandonner; elle est
ce qu'il y a de plus di\nn en nous. On ne peut point
dire que cette pensée n'est qu'une imagination creuse.
Quand les hommes inventent des chimères, ils les
inventent à plaisir et pour se flatter. Rien r^esl moins
naturel à Thomme injuste, vain, enivré d'orgueil,
que de penser ainsi contre son amour -propre.
Non-seulement la pratique de cette pensée est un
prodige de vertu au-dessus de l'homme , mais encore
cette seule pensée est une merveille que noms devons
être étonnés de trouver en nous. Ce ne peut être
qu'un principe infiniment supérieur à nous qui ait
pu nous enseigner à nous élever ainsi entièrement
au-dessus de nous-mêmes. Qui est-ce qui peut avoir
S0R LE pua AMOUA. 327
donoé à rbomme malade d'an excès d'amour-propre
et dldolâtrie de soi-même, cette haute pensée de se
compter pour rien, de devenir étranger à soi-même,
et de ne s*aimer plus que par charité, comme le pro*
chain? Qui est-ce qui peut lui avoir appris à être
jaloux de lui-même contre lui-même, pour uu autre
objet invisible qui doit à jamais effacer le moi , et
n'en laisser aucune trace? Cette seule idée rend
l'homme divin, elle Vinspiroj ellç niet l'infini en lui.
f avoue que les Païens , qui ont tant loué la vertu
désintéressée, la pratiquoient mal. PersQn4fc ne croit
plus que tnoi que tout amour sans grâce , R hors de
Dieu, ne peut jamais être quun amour-propre dé-
guisé. Il n'y a que rÊtre infiniment parfait qui
puisse , comme objet par son infinie perfection , et
comme cause par son infinie puissance, nous enlever
l^ors de nous-mêmes , et nous faire préférer ce qui
n est pas nous à notlre propre être. Je conviens que
l'amour -propre se glorifioit vainement des appa-
rences d'un pur amour chez les Païens ; mais enfin
il s'en glorifioit : ceux même que leur orgueil domi-
noit le plus, étoient charmés de cette belle idée de
la vertu et de l'amitié sans intérêt; ils la portoient
au dedans d'eux-mêmes, et ils ne pouy oient ni l'ef-
facer ni l'obscurcir ; ils ne pouvoient ni la suivre
ni la contredire. Des Chrétiens la contredirunt-ils?
Ne se contenteront-ils pas, comme les Païens, de
l'admirer sans la suivre fidèlement ? La vaniié même
des Païens sur cette vertu montre combien elle est
excellente. Par exemple, la louange que toute l'an-
tiquité a donnée à Âlceste eût porté à faux, etserotft
ridicule, s'il n'eût pas été réellement beau et ver-
3a9 SUA LE PUE AMOUR.
tueux à Âlceste de mourir pour son époux y sans
ce principe fondamental son action eût été une fu-
reur extravagante , un désespoir affreux. Uantiquitë
païenne toute entière décide autrement : elle dit
avec Platon , que ce quil j a de plus divin est de
s^oulfligr pour ce quon aime.
Alceste est Tadmiration des hommes , pour avoir
voulu mourir et urètre plus qu'une v-aine ombre,
afin de faire vivre celui qu'elle aime. Cet oubli de
soi, ce sacrifice total de son être, cette perte de tont
soi-mém%pour jamais, est aux yeux de toas les
Païens cA|u'il y a de plus divin dans l'homme; c'est
ce qui en fait un dieu ; c'«st ce qui le fait presque
arriver au terme.
Voilà l'idée de la vertu et de l'amitié pure, un-
primée dans le cœur des hommes qui n'ont jamais
connu la création, que l'amour-propre aveugloit,
et qui étoient aliénés de la vie de Dieu.
L'oubli de soi-même n empêche pasia reconnoissance
des bienfaits de Dieu*
UouBLi de soi-même, dont on parle couvent, pour
les âmes qui veulent chercher Dieu généreusement,
n'empêche pas la reconnois&ance de ses bienfaits. En
voici la raison : c'est que cet oubli ne consiste pas à
ne voir jamais rien en soi , mais seulement à ne de-
meurer jamais renfermé en soi - même , occupé de
%t% biens ou de ses maux par une vue de propriet
DE LÀ RECOlfN. DBS BIENFAITS DE DIEU. Sag
oa d*iDtérét. C'est cette occupation de nous-néiDes
qai nous éloigne de Tamour pur et simple y qui ré-
trécît notre cœur, et qui nous éloigne de notre vraie
perfection , à force de nous la faire chercher avec
empressement, avec trouble et avec inquiétude, pour
lamour de nous-mêmes.
Mais quoiqu'on s'oublie, c'est*à-dire qu'on ne re-
cherche plus volontairement son propre intâ^ét, on
De laisse pas de se voir en bien des occasions* On ne
se regarde- pas pour l'amour de soi-même ; 'mais la
vue de Dieu qu'on cherclte nous donne souvent ,
comme par contre -coup, certaine vue de nous-
mêmes. C'est comme un homme qui en regarde un
autre derrière lequel est un grand miroir ; en con-
sidérant l'autre il se voit , et se trouve sans se cher-
cher. Ainsi est-ce dans la pure lumière de Dieu que
nous nous voyons parfaitement nous-même». La pré-
sence de Dieu , quand elle est pure, «impie, et sou-
tenue par une vraie fidélité de Tame et la plus exacte
vigilance sA* nous-mêmes, est ce grand miroir où
nous découvrons jusqu'à la moindre tache de notre
ame«.
■
Un paysan renfermé dans son village n'en connott
qa'imparfaitement la misère : mais faites-lui voir de
riches palais , une Cour superbe , il conçoit toute la
pauvreté de son village et ne peut souQrir ses hail-
lons à la vue de tant de magnificence. C'est ainsi
qu'on voit sa laidrur et son néant dans la beauté et *
dans l'infinie grandeur de Dieu.
Montrez tant qu'il vous plaira la vanité et le néant
de la créature par les défauts des créatures ; faites
remarquer la brièveté et l'incertitude de la vie , l'in-
'iio UE LA AECOJfflfOlSSÂlfCV
coDSlance de là fortune , Tinfidëlit^ des amb, HIId-
sion des grandes places , les amertumes qui y sont
inévitables, le mécompte des plus belles espérances,
le vide de tous les biens qu'on possède , la idéalité de
tous les- maux qu'on souffre : toutes ces morales ,
quelque vraies et sensibles qu'elles soient , ne font
qu'effleurer le cœur; elles ne paient point la super-
ficie ; le fond de Thomme n'en est point diangé. Il
soupire de se voir esclave de la vanité, et ne sort
point de cet esclavage. Mais si le rayon de la lumière
divine l'éclairé intérieurement , il voit dans l'abîme
du bien, qui est Dieu , l'abîme du néant et du mal,
qui est la créature corrompue ; il se [méprise , il se
baity il se quitte , il se fuit, il se craint , il se renonce
soi-même ; il s'abandonne à Dieu , il se perd en lui.
Heureuse perte ! car alors il se trouve sans sécher-
cher. Il n'a plus d'intérêt propre, et tout lui pro»
fite : car tout se tourne à bien pour ceux qui aiment
Dieu.n voit les miséricordes qui viennent dans cet
abîme de foiblesse, de néant et de péch^; il voit, et
il se complaît dans cette vue.
Remarquez que ceux qui ne sont pas encore fort
avancés dans le renoncement à eux-mêmeâ regardent
encore ce cours des miséricordes divines par rap-
port à leur propre avtatage spirituel, à proportion
qu^ils tiennent encore plus ou moins à eux-mêmes.
Or , comme l'entière désappropriation de la volonté
est très-rare en cette vie, il n'y a aussi guère d'ames
qui ne regardent encore les miséricordes reçues
par rapport aux fruits qu'elles en reçoivent pour
leur salut; de façon que ces âmes, quoiqu'elles ten-
dent à n'avoir plus aucun intérêt propre , ne lais-
DES BIENFAITS DE DIEU. 33 1
sent pas d'être encore très -Sensibles k ce grand
Intérêt. Elles sont ravies de voir une main toute-
puissante qui les a arrachées à elles-mêmes y qui les
a délivrées de leurs propres désirs, qui a ropipa
leurs liens lorsqu'elles ne songeoient qu'à s'en-
foncer dans leur esclavage, qui. les a sauvées, pour
ainsi dire, malgré elles-mêmes , et qui a pris plaisir
h leur faire autant de bien qu'elles se faisoient de
mal.
Des âmes entièrement pures et désappropriées,
telles que celles des saints dans le ciel,Yegardéraient
avec autant d'amour et de complaisance les miséri-
cordes répandues sur les autres que les miséricordes
qu^elles ont reçues elles-mêmes; car, ne se comp-
tant plus pour rien, elles aiment autant le bon plaisir
de Dieu , les richesses de sa grâce , et la gloire qu*il
tire de la sanctification d'autrui, que celle qu'il tire
de leur propre sanctification. Tout est alors égal ,
parce que le moi est perdu et anéanti , le moi n'est
pas plus moi ({vî' autrui: c'est Dieu seul qui est tout
en tous; c'est lui seul qu'on aime, qu'on admire, et
qui fait toute la joie du cœur dans cet amour céleste
et désintéressé. On est ravi de ses miséricordes , non
pour Tamour de soi , mais pour Famour de lui. On
le remercie d'avoir fait sa volonté-, et de s'être glo-
rifié lui-même, comme nous lui demandons dai^ le
Pater qu'il daigne faire sa volonté et donner gloire
à son nom. En cet état, ce n'est plus pour nous que
nous demandons , ce n'est plus pour nous que nous
remercions. Mais, en attendant cet état bienheu-
reux , l'ame , tenant encore à soi ^ est attendrie par
ce reste de retour sur elle-même. Tout ce qu'il y a
33a DE LA ESCOSHOMftAVCX
encore de ces retoars «scite tue vire reconnoinance :
celle recoDDoissance est an amour encore un pen
mêle et recourbé sur soi ; an lieu que la reconnou-
sance des âmes perdues en Dieu , telles qne celles
des saints , est un amour immense, un amour sans
retour sur Tintérêt propre , un amour aussi trans^
porté des miséricordes faites aui^ antres que des mi*
séricordes Elites à soi-même ; nn amour qai qadmîre
et ne reçoit les dons de Dieu qéd pour le pur intérêt
de la gloire de Dieu même.
Mais comqiie rien n*est plus dangereux que de
vouloir aller au-delà des mesures de sofl état , rien
ne seroit plus nnisible à une ame qui a besoin d'être
soutenue par des sentimens de reconnoissancei que
de se priver de cette nourriture qtn lui est propre,
et de courir après des idées d'une plus haute perfec-
tion qui ne lui conviennent pas.
Quand Tame est touchée du souvenir de toat ce
qne Dieu a fait pour elle, c'est une marque certaine
qu'elle a besoin, de ce souvenir, supposé même
qu elle ait dans ce souvenir une certaine joie inté-
ressée sur son bonheur. 14 faut laisser cette joie en
liberté et dans toute son étendue; car Tainour,
quoique intéressé , sanctifie Tame ; et il Tant attendre
patiemment que Dieu lui-même vienne Tépurer. Ce
seroit le prévenir, et entreprendre ce qui est réservé
à lui seul , que de vouloir ôter à Thomme tous les
motifs oii rintérét propre se mêle avec celui de Dieu*
L'homme lui-même ne doit pohit gêner son cœor
là-dessus, ni renoncer avant le temps aux appuis
dont son infirmité a besoin. L'enfant qui marche
seul avant qu'on le laisse aller tombera bientôt. Ce
D«^ BIENFAITS HE OIEO» 333l
ii*est point à lui à ôter les lisières avec lesquelles sa
gouvernante le soutient.
Vivons donc de reconnoissance, tandis que la re-
connoissance y même intéressée , servira à uourrir
notre cœur. Aimon3 les misésicordes de Dieu y non-
seulement pour Famour de lai et de sa gloire, mais
encore pour Famour de noi# et de notre bonheur
étemel y tandis que cette vue aura pour nous un cer-
tain soutien proportionné à notre état. Si dans la
suite Dieu ouvre notre -cœur à un amour plus épuré
et plus généreux , à un- amour qui se perdroit en lui
sans retour, et qui ne verroit plus que *sa gloire,
laissoiis-nous^ entraîner sans retardement ni hésita*
tion à cet amour si parfait.
Si donc nous aimons les miséricordes de Diea ; si
elles nous ravissent de joie .et d^admiration par le
seul plaisir de voir Dieu si bon et si gi*and ; si nous
ne sommes plus touchés que de Taccom plissement
de sa volonté , de sa gloire qu'il trouve comme il lui
platt , de la grandeur avec laquelle il fait un vase
d'honneur de ce qui étoit un vase d'ignominie ; ren-
dons*lui grâces encore plus volontiers , puisque le
bienfait est plus grand , et que le plus pur de tous les
dons de Dieu est de n'aimer ses dons que pour lui ,
sans se chercher soi-même. *
334 HÉALITÉ DE hAUOV^ POft.
XXL
Réalitéderamourpur, L'amour iniéressé et l'amour
désintéressé ont leur saison.
PouiLQuoi aime-t-on mienx voir les dons de Diea
en soi qa'en ai^oi , si ce n est par attachement à soi ?
Quiconque aime mieux les voir çn soi que dans les
antres y s'affligera aussi de les voir dans les autres
plus parfaits qu'en soi ; et voilà la jalousie. Que faut-
il donc faire ? Il faut se réjouir de ce que Dieu fait sa
volonté en nous, et y règne, non pour notre bonheur,
ni p9ur notre perfection en tant qu'elle est la uAtre,
mais pour le bon plaisir de Dieu et pour sa pure
gloire.
Remarquez là-dessus deux choses : Tune, que tout
ceci n'est point une subtilité creuse ; car Dieu , qui
veut dépouiller l'âme pour la perfecticHiner et la
poursuivre sans relâche jusqu'au plus pur amour, la
fait passer réellement par ces épreuves d'elle-même^
et ne la laisse point en repos jusqu'à ce qu'il ait ôté
à son amour tout retour et tout appui en soi. Rien
n'est si jaloux , si sévère et si délicat que ce principe
du pur amour. Il ne sauroit souffrir mille choses
qui nous sont imperceptibles dans un état conunuo ;
et ce que le commun des personnes pieuses appelle
subtilité, paroît une chose essentielle à lame que
Dieu veut tléprendre d'elle-même. C'est comme Tor
qui se purifie au creusçt ; le feu consume tout ce
qui n'est pas le pur or. Il faut aussi qu'il, se fasse
RÉAUVÉ OS L AMOUa PUA. 335
«coimne une fonte universelle du cœur, poni? p.^fifier
l'amour divin. , ^
La seconde chose à r^piarquer est que .Dieu ne
poursuit pas ainsi en cette vie toutes les âmes. Il y
en a un nombre infini de très pieuses qu'il laisse
dans quelque retour sur elles-mêmes : ces retours
mêmes les soutiennent dans la pratique des vertus,
et servent à les purifier jusqu^à un certain point. Bien
ne seroit plus indiscret et plus dangereux que de leur
ôter cette occupatioa consolante des grâces de Dieu
par rapport à leur propre perfection. Les premières
perspnnea ont une reconnoi^sance désintéressée ; elles
rendent gloire à Dieu de ce qu'il fait en elles pour
sa pure gloire : les dernières s'y regardent aussi elles*
mémesy et unissent leur intérêt à celui de Dieu. Si
les premières vouloient ôteraux autres ce mélange
et cet appui en eUeS:mémes par rapport aux grâces,
elles ieroientle même, mal que si on sevroit un en-
fant qui ne peut encore manger : lui ôter la mamelle,
c'est le faire mourir. Il ne faut jamais vouloir ôter à
une ame ce qui la nourrit encore, et que Dieu lui
laisse pour soutenir son. infirmité. C'est détruire la
grâce que de voulou* la prévenir. Il ne faut pas aussi
que le'second genre de personnes condamne les au-
tres, quoiqu'elles ne soient point occupées de leur
propre perfection dans les grâces qu'elles reçoivent.
Dieu fait en chacun ce qu'il lui plaît : V Esprit souffle
ou il veut (0, et comme i) veut. L'oubli de soi dans
la pure vue de Dieu est un état qii Dieu peut faire
dans une ame tout ce- qui lui est le plus agréable.
L'importance est que le second genre de personnes
CO Joan. m. 8.
336 RÉALITÉ DB L AMOVm PUK.
ne $oit point curieux sur Tëtat des autres, et que les
aiftres ne veuillent point leur Taire connottre les
épreuves auxquelles Dieu- ne les appelle pa^.
m
XXII.
Ecouter la parole intérieure de F Esprit saint : suivre
Tinspiration qui nous appelle à un entier dépouil-
lement.
Il est certain y par rEcriture (O, que TEspcilde
Dieu habite au dedans d« nous, qu'il y agit , qu*il j
prie sans cesse , qu*n y ^étiàx y quM y désire , qa il y
• demande ce que nous ne savons pas nous-mêffles de-
mander ; qu'il uQus pot^é y nous anime , nous parle
dans le silence , nous suggère toute vérité , et nous
unit tellement à hii que nous ne sommes plos qu'un
même esprit avec Dieu {?)• Voilà ce que la foi nous
apprend ; voilà ce que les docteucs les plus éloignés
de la vie intérieure ne peuvent s empêcher de recon-
nottre^ Cependant , malgré ces principes, ils tendent
toujours à supposer, dans la pratique^que la loi eité-
rieure, ou tout au plus une certaine lumière de doc*
trine et de raisonnement nous éclaire au dedans de
nous-mêmes, et qu'ensuite c'est notre raison qui
agit par elle-même sur^dette instruction. On ne
compte point assez sur le 'docteur intérieur, qui est
le Saint-Esprit, et qui fait tout en nous. Il est Famé
de notre ame : nous ne saurions former ni pensée ni
désir que par lui. Hélas ! quel est dcmc notre aveu-
(0 Hom. viiL 9 : et Joan, ztr. i6. — (•) / Cor, ti. 17.
glement
DB LA PAEOLB INTÉRiECBE* ^i*]
glement! Noug comptons comme si noug ëltons seuls
dans ce gancluaire iotérieur ; .et. tout au contraire
Dieu y est plus intimement que nous n^y sommes
nous-mêmes.
Vous me direz peut-être : Est-ce que nous sommes
inspirés? Oui, sans doute; mais non pas comme les
prophètes et les apôtres. Sans Finspiration actuelle
de Tesprit de grâce , nous ne pouvons ni faire , ni
vouloir y ni croire aucun bien. Nous sommes donc
tou)ours inspirés; mais nous étouffons sans cesse
cette inspiration. Dieu ne cesse point de parler; mais
le bruit des créatures au dehors, et de nos passions
au dedans y nous étourdit et nous empêche de Fen-
tendre. Il faut faire taire toute créature , il faut se
ùûre taire soi-même , pour écouter dans ce profond
silence de toute Tame cette voii ineffable de l'époux.
Il I aut prêter Foreilie ; car c*est une voix douce et
délicate , qui n^est entendue que de ceux qui n'en-
tendent plus tout le reste. O qu'il est rare que Famé
se taise assez pour laisser parler Dieu ! ^e moindre
murmure de nos vains désirs^ ou d'un amour-propi^e
attentif à soi, confond toutes les parole» de FEsprit
de Dieu. On entend bien qu'il parle ', et qu'il de-
mande quelque chose ; mais on ne sait point ce qu'il
dit, et souvent on est bien aise de ne le deviner pas.
La moindre réserve , le moindre retour siir soi, la
moindre a*ainte d'entendve trop clairement que Dieu
demande plus. qu'on ne lui veut donner, trouble
cette parole intérieure. Faut*il donc s'étonner si tant
de gQQSy même pieux, mais encore pleins d'amuse-
mens , de vains désirs, de fausse sagesse , de con-
fiance en leurs vertus , ne peuvent Fentendre , et re-
FÉlfÉLOn. XVIII. 2!>
33S DB hk FAEOLX UlTÉlllBUUk
gardent celte parole iottfrienre oonme une chimèrt
lie fiinatiques? Htflasl que TeulenMb donc dire arec
leora raisonnemeos ditfdaigoeux? A. quoi serviroitla
parole extérieure des pasteurs, et même de l'Ecri»
ture f s'il n*y avoit une parole intérieure du Saint-
Esprit .même, qui donne à Tautre toute son efficace ?
La parole extérieure, même de TEvangile, sans cette
parole vivante et féconde de l'intérieur , ne aeroil
qu'un vain son. C'est la lettre qui seule tme^ et 2'ei-
prit seul peut nous vivifier (<)« O Verbe, ô Parole
étemelle et toutes-puissante du Père, c'est tovs qui
parles dans le fond des amesl Cette parole, sortie
de la bouche du Sauveur pendant les jours de sa vie
mortelle, n'a eu tant de vertu , et n'a produit tant de
fruits sur la teire , qu'à cause qu'elle étoit animée
par cette parole de via qui:est le Verbe même. Delà
vient que saint Pierre dit : A qui irions • bous? vous
Q»ez Us paroles de là vie ilemelle (s). Ce n'est donc
pas seulement la loi extérieure de l'Evangile que
Dieu nous montre intérieurement par la lumière de
la raison et de la foi, c est son esprit qui parle, qoi
nous toudm, qui opère en nous , et qui nous anime \
en sorte que c'est cet esprit qui fait en nous et avec
nous tout ce que noua faisons de bien, comme c'est
notre ame qui anime notre corps et qui en règle les
mouvemens*
Il est donc vrai que nous sommes sans eesse în»
spires, et que nous ne vivons de la vie de la grâce
qu'autant que nous avons cette inspiration inté*
rieure. Mais , mon Dieu , peu de Chrétiens la seitfent ;
car il y .en a bien peu qui ne l'anéantissent par leur
C*: / Cor. m. 6. — i») /oon. vi. 69.
DE LA PAHOLB INTÉRlBVttll* 33^
éissipalion Tolotitah'e ou )Htr leur résistance. Cette
itiBpirattOfi M doit point noos persuader que nous
soyons semblables aux prophètes. L^inspiration des
prophètes étoit pleine de certitude pour les choses
que Dieu leu^ découvroit, ou leur commandoit de
faire; cVtoit UA mouvement eJctraôrdinaire, ou pour
révéler les choses futures , ou pour faire des miracles^
ou pour agir avec tobte l'autorité divine. Ici , tout
au contraire y Tinspiràtion est isans lumière, sans
certitude; elle se borne h^nous insinuer Tobéissanée ,
In patience, la douceur, rhumilîté, et toutes les au-
tres vertus nécessaires k toiit Chrétien. Ce n*ést pofnt
«m tnouvetoent ' ditin pour prédire, pour changer
kâ lois de ta nature, et pour commander auk
bommes de la pâH de Dien ; c'est une !;ln)p]e invita-
tion dans le fond de Tame pour obéir, pour nous laisser
détruire et al&éantir selon les desseins' dé Tàmour de
Dieiu. Cette inspiration , prise ainsi dans ses bornes et
dans sa simplicité, ne renferme donc que la doctrine
«lOttiiiulie'de toute l'Église : elle n'a par elld-métue,
ai rimagination des hommes n'y ajoute rien , aucUta
piège de présomption ni d'illusion; au contraire,
elle nous tient datts la main de Dieu sous la conduite
de TEglise, donnant tout à la grâce sans l)lesser
notre liberté, et ne laissant rien ni à ForgOeif ni à
rimagination.
Ces prihcipeÉf posés, il faut reconUoîtfe que Dieu
parte san^ cesst en nous (<}. Il parie dans les péèliéurs
impénitens; mais des pécheurs, étourdis par le bruit
du monde et de leurs passions, ne peuvent Tentendi^;
sa parole letur est une fable, tl parle dans les pécîhéurs
0) De Imii. ChrUti, lib. m, oàp. •, tt. i; cap. m, n. 3. '
34o DE LA PAftOLE I2ITÉIU£Iia£«
.qui se converlîssent : ceux-ci seuleut les reiiioi*ds de
leur conscience; et ces remords sont la voix de Dieu
qui leur reproche intérieurement leurs vices. Qaand
ces pécheurs sont bien touchés , ils n*onl pas de peine
à comprendre cette voix secrète; car c^est die* qui
.les pénètre si vivement. Elle est en eux ce glaive à
deux tranchons , dont parle saint Paul (0 ; il va /u^-
qwh la dwisionde V^ame d*a9ee elle-même* Dieu ae
(ait sentir, goûter, suivre^ on entend cette douce
voix qui porte jusqu'au food du cœur un reproche
tendre , et le cœur en est déchiré : voilà la vraie et
pure contrition. Dieu parle dans les personnes éclai-
rées, savantes, et dont la vie, extérieurement ren-
tière en tout, paroft ornée de beaucoup de vertus ;
mais souvent ces personnes, pleines d^ellÀHuémes
et de leurs lumières, s'écoutent trop pour écouter
. Dieu. On tourne tout en raison : on se fait des prin-
cipes de sagesse naturelle, et des méthodes de pru-
dence, de tout ce qui nous viendroit infiniment
mieux par le canal de la simplicité et de. la docilité
.à FEsprit de Dieu. Ces personnes paroissent bonnes,
quelquefois plus que les autres.; elles le sont même
jusqu'à, un certain point : mais c'est une bonté mé-
langée. On se possède, on veut toujours se posséder
selon la inesure de sa raison : on veut être toujours
dans la main de son propre conseil; oa est fort et
grand à ses propres yeux. O xnpu Dieu! je vous
rends grâces avec Jésus-Christ W de pe que vou& ca-
chez vos secrets inefiables à ces grands et à ces
sages , tandis que vous prenez plaisir à les révéler
aux âmes foibles et petites! Il n'y a que le$ enfaos
DE LA PAROLE IMTÉAlEUIlE. ^4 '
avec qui vous vous familiarisez sans réserve. Vous
traitez les autres à leur mode. Us veulent du savoir
«t des vertus hautes ^ vous leur donuez des lumières
éclatantes, et vous en faites des espèces de héros.
Mais ce Q*-est pas là le meilleur partage. Il y a quel-
que chose de plus caché pour vos plus chers enfans.
Ceux-là reposent avec Jean sur ¥Oti*e poitrine. Pour
ces grands y qui craignent toujours de se ployer et
de s'appetisser, vous les laissez dans leur grandeur;
vous les traitez selon leur gravité. Ils n*auront jamais
vos caresses et vos familiarités : il faut être enfant et
jouer sur vos genoux pour les mériter. Tai souvent
remarqué qu'un pécheur ignorant et grossier, qui
commence à être touché vivement de Famour de
Dieu dans sa conversion ^ est plus disposé à entendre
ce langage intérieur de Fesprit de grâce, que cer-
taines personnes éclairées et savantes, qui ont vieilli
dans leur propre sagesse. Dieu, qui ne cherche qu'à
se communiquer, ne sait, pour ainsi dire, où poser
le pied dans ces âmes pleines d'elles-mêmes, et trop
nourries de leur sagesse et^de leurs vertus : mais son
entretien familier^ comme dit l'Ecriture {^), est avec
lesi simples, s
«^ Où sont-ils ces simples? Je n'en vois guère. Dieu'
les voit, et c'est en eux qu'il se platt à habiter : Mon
Père et moi, dit Jésus-Christ (^), nous y viendrons ,
et nous y ferons notre demeure. O qu'une arae li-
vrée à la grâce sans retour sur soi , ne se comptant
pour rien, et marchant sans mesure au gré dû pur
amour qui est le parfait guide , éprouve de choses
que les sages ne peuvent ni éprouver ni comprendre !•
(») Pro¥, m. 32. — (») Joan, xiy. a3.
343 DB Ui PAAOLE IMTÉILll&CBB.
J'ai ^ sage ( je Tose dire } comnie un «atrâ i mais
alors, croyant tout Yoir, je ne Toyois rien, ralioîs
tâtonoaot par une suite de raisonnemens ; mais la
lumière ne luisoit poiat dans mes ténèbres. Télois
coûtent de raisonner. Mais, hélas! quand uoe fois
00 a fait taire tout ce qui est tu nous pour écouter
Dieu , ou sait tout sans rien savoir ; et on ne peut
douter que jusque là on n*ait ignoré tout ce qa*on s'i-
magiooit comprendre. Tout ce qu*on teiioit échappe,
et on ne s*en soucie plus : 00 n*a plus ri/sn à soi ; oo
a tout perdu; on s*est perdu soi-même. Il y a un je
ne sais quoi qui dit au dedans, oomme réponse du
Cantique : Faites^moi entendre voire voix ; gmeUe
résonne à mes çreiUes (0. O qu'elle est douce celte
voix ! elle fait tressaillir toutes mes entraiUee* Par-
lez, ô mon époux, et que nul autre que vous n ose
parler! Taisez- vous, mon ame : parlez, ô amour!
Je dis qu*c^lors on sait tout sans rien savoir. Ce
u'est pas qu'on ait la présomption de croire qu on
possède en soi toute vérité. Non , non , tout au con-
traire : on sent qu'on ne voit rien , qu'on ne peut
rien et qu'on n'est rien. On le sent, et on en est ravi.
Mais, dans cette désappropriation sans réserve, on
trouve de moment à autre dans l'infini de Dieu tout ^
ce qu*il faut selon le cours de sa providence. Cest là
qu'on trouve le pain quotidien de vérité comme de
tout^autre chose, sans en faire provisioQ. C'est alors
que Fonction nous enseigne toute vérité en nous ôtant
toute sagesse, toute gloire, tout intérêt, tonte vo*
lonté propre ; en nous tenant contena dans notre im^
puisi^uce , et au-dessous de toute créature , prêts à
COCort. ir. 14.
OK LA. PAmOLB UfTÉAlEOAB. 34^
ctfder aux deniers vcn de la t^re, préis à confesser
DOS plus secrètes misères è la face de tous les hommes;
M craignanl dans les fautes que riiifidëKté, sans
craindre ni le châtiment ni la confusion. En cet état^
dis-je, TE^rit nous enseigne toute vérité; car toute
Tel lié est comprise éminemment dans ce saciîfiee d^a-
monr y où Famé s*âte tout pour donner tout k Dieu.
Voilé la manne, qui, sans être chaque viande parti-
culière, a le goût de toutes les viandes.
Dans les commencemens, Dieu nous attaquoit par
le dehors; il nous arrachoit peu à peu toutes les
créatures que nous aimions trop , et contre sa loi.
Mais ce travail du dehors, quoique essentiel pour
poser le fondement de tout Tédifice, n*en fait qu'une
bien petite partie. O que Touvrage du dedans, quoi-
que invisible , est sans comparaison plus grand, plus
difficile et plus merveilleux ! Il vient un temps oit
Dieu, après nous avoir bien dépouillés, bien morti-
fiés par le dehors sur les créatures auxquelles nous
tenions , nous attaque par le dedans pour nous ar-
racher à nous-mémes.*Ce n'est plus les objets, étran-
gers qu*il nous ôte : alors il nous ari*ache le moi qui
étoit le centre de notre amour. Nous n*aimions tout
le reste que pour ce moi; et c*est ce moi que Dieu
poursuit impitoyablemejDt et sans relâche. Oter k un
homme ses habits , c'est le traiter mal ; mais ce n'est
rien en comparaison dé la rigueur qui l'écorcheroit
et qui ne laisseroit aucune chair sur tous ses os. Cou-
pes les branches d*un arbre, bien loin de le faire
mourir, vous fortifiez sa sève, il repousse de tous
cètés ; mais attaquez le trono, desséchez la racine, il
344 ^' >^ PJJIOLB mTÉMUBOl
se déponilley il laogoity il meait. Cest aion que
Hieu fM'ead plaisir à noos fiûre moarir.
Poar la mortification extérieure des sens , il noos
la fait faire par certains efforts de oonrage contre
nous-mêmes. Plus les sens sont amortb par ce cou-
rage de Famé , pins Tame voit sa vertn , et se sootîeot
par son travail. Mais dans la suite Oien se réserve à
lui-même d'attaquer le fond de cette ame, et de loi
arracher jusqu an dernier soupir de toute vie propre.
Alors ce n*est plus par la force de Tame qu'il combat
les objets extérieurs y c'est par la foiblesse de Tame
qu il la tourne contre elle-même. Elle se voit; elle a
borreqr de ce qu'elle voit. Elle demeure fidèle ; mais
elle ne voit plus sa fidélité. Tous les défauis qu elle
a eus jusqu'alors s'élèvent contre elle; et souveot il
en parott de nouveaux dont elle ne s'étoit jamais dé-
fiée. Elle ne trouve plus cette ressource de ferveur
et de courage qui la soutenoit autrefois. Eàe tpmbe
en dé£aiillance; elle est, comme Jésus-Cbrist , triste
jusqu'à la mort. Tout ce qui lui reste , c'est la vo-
lonté de ne tenir à rien , et de laisser faire Dieu sans
réserve. Encore même n'a-t-elle pas la consolation
d'apercevoir en elle cette volonté. Ce n est plas uoe
volonté sensible et réfléchie , mais une volonté sim-
ple^ sans retour sur elle-même, et d'autant plus ca-
chée qu'elle est plus intiipe et plus profonde dans
lame. En cet état. Dieu prend soin de tout ce qui
est nécessaire pour détacher cette personne délie
même. Il la dépouille peu à peu , en lui ôtant 1 un
après l'autre tous les habits dont elle étoit revêtue.
JiCS derniers dépouillemens , quoiqu'ils ne soient pas
DB LA PAEOLB IHTÉBIEUBE. 345
«
toujoars les plos grands ^ spot nëanmoins les plus ri-
goureux. Quoique la robe soit en elle-même plus pré-
cieuse que la cbeniîsey on sent bien plus la perte de
la chemise que celle de la robe. Dans les premiei^
dépouillemensy ce qui reste console de ce qu*on
perd ; dans les derniers , il ne reste qu*aftiertume j
nudité et confusion.
On demandera peut-être en quoi consistent ces dé-
pouillemens ; mais je ne puis le dire. Us sont aussi
diiTérens que les hommes sont dii&rens entre eux.
Chacun souffre les siens suivant ses besoins et les
desseins de Dieu. Comment peut-on savoir de quoi
on sera dépouillé , si on ne sait pas de quoi on est re-
vêtu? Chacun tient à une in&nilé de choses quil ne
devineroit jamais. Il ne sent qu il y est attaché que
quand on les lui ôte. Je ne sens. mes cheveux que
quand on les arrache de ma tête. Dieu nous déve-
loppe peu à peu notre fond qui nous étoit inconnu ;
et nous sommes tout étonnés de. découvrir , dans
nos vertus mêmes , des vices dont nous nous élions
toujours crus incapables. C*est comme une grotte
qui parott sèche de tous côtés , et d*oii Teau rejaillit
tout-à-coup par les endroits dont on se déficit le
moins. •
Ces dépouillemens que Dieu nous demande ne
sont point d'ordinaire ce qu'on pourroit s'imaginer.
Ce qui est attendu nous trouve préparés, et n'est
guère propre à nous faire mourir. Dieu nous surprend
par les choses les plus imprévues. Ce sont des riens,
mais des riens qui désolent, et qui font le supplice de
l'amour-propre. Les grandes vertus éclatantes ne sont
plus de saison : elles soutiendroient TorgueUj elles
1
346 OB LA rA&OI.9 IM^&ISURS.
donneroicat une Genaiiie.l6coe et une «Bsuraoce in-
térieure contraire aux desieios de Dieu, qui est de
nous faire perdre terre. Alors c*est aoe conduite sim*
pie et unie ; tout est commun. Les antres ne voient
rien de grand , et ja personne même ne trouve rien
en soi qu9 de naturel , de foible et de relâché : mais
on aimeroit cent fois mieux jeiiner toute sa vie au
pain et à Teau, et pratiquer les plus grandes austéri-
tés , que de souffrir tout ce qui se passe au dedans. Ce
u*est pas qu on ait un goût de ferveur pour les aus-
térités ; non, cette ferveur s*est évanouie : mais on
trouve f dans la souplesse que Dieu demande poor
une infinité de petites choses, plus de renonceiùens
et plus de mort à soi, qu'il n*y en auroit dans de
grands sacrifices. Cependant Dieu ne laisse point
Tame en repos, jusqu'à ce qu'il Tait rendue souple et
maniable en la pliant de tous les câtés. Il faut parler
trop ingénument, puis il faut se taire; il but être
loué, puis blâmé, puis oublié, puis examiné de nou-
veau ; il faut être bas , il faut être haut ; il faut se
laisser condamner sans dire un mot qui justifieroit d'à'
bord : une autre foi^ U faut dire da bien de soi. Il
fiiut consentir à se trouver foible, inquiet, irrésolu
sur une bagatelle ; à montrer des dépits de petit en-
fant} à choquer ses amis par sa sécheresse } à deve-
nir jaloux et défiant sans nulle raison ; même à'dire
ses jalousies les plus sottes à ceux contre qui on les
éprouve;^ parler avec patience et ingénuibéà certaises
gens, contre leur goiit et contre le sien propre, saBS
fruit j h parottre artificieux et de mauvaise foi; tnut^
à se trouver soi-même sec , languissant, dégoâté de
Dieu , dissipé et si éloigné de tout sentimentde grice»
qu'on e9t Cenlif de tomber dans le détespoir. Voilà
des exemples de ces dépoùiUemeiit in (tfnenn, qui
me viennent màîolenant.dans l'esprit , mais il 7 eo «
une infinité d'antres que Dieu assaisonne à chacun
selon ses desseins..
Qu'on ne me dise' point que ce sont des imagina**
tfons oreoses. Peut^on douter qne Dieu n'agisse im*
médiatement dans les âmes? Peut^on douter qu*il n'j
agisse pour les faire mourir à elles-mêmes? Penl-on
douter que Dieu, après avoir arraché les passions
grossières y n afttaque au dedans tons les retours sub-
tik de Famour-propre > surtout dfns les âmes qui se
sont livrées généreusement et sans réserve à l'esprit
de grâce? Plus il veut les purifier , plus il les éprouve
intérieurement. Le monde n*a point d'yrua pour,
voir ces épreuves^ ni d*oreilles pour les entendre ;•
mais le monde est aveugle; sa sagesse n'est que mort;
elle ne peut compatir avec l'Esprit do vérité, /'n'y
a fue l'Esprit de I}ieH^ comme dit l'Apôlre (O9 qHi
puisse pénétrer les pro/bmleurs de Dieu même.
Dans les commencemens, on n^est point encore ac-
coutumé à cette conduite du dedans, qui va à nous
dépouiller par le fond. On v^ut bien se taire, être re-
cueilli, souffrir tout, se laisser mener au cours de la
Providence, comme un homme qui se laisseroit por^
ter par le courant d'un fleuve ; mais on n'ose encore
se hasarder à écoutei* la voix intérieore pour les sa*'
crificesque Dieu prépare. On* est comme l'enfaDt Sa-
muel, qui n'étoit point encore accoutumé aux com-
munications du Seigneur. Le Seignenr l'appeloit ,
il croyoit que e'étoit Héli W. UHi dtsoit r Mon en-
{•) ICor. II. 10, II. ^ » / Meg, m. 4f 0^-
348 I>B 1^ PAROLE IHITÉftlBOAK.
fiiQt, VOUS avez rêvé, personne ne vous parle. Tout
de mêoie on ne sait si c*est quelque imaginalîon qut
QOQS pousseroii trop loio. Souvent le grand-prétre
Uëli, c*e8l-à*dire les conducteurs nous disent que
nous avons rêvé, et que nous demeurions en repos.
Mais Dieu ne nous y laisse point , et nous réveille
jusqu'à ce que nous pi^éttons Torcâlle à ce qu'il veat
dire. S*il s agissait de visions , d'apparitions, de rêvé»
lations, de lumières extraoïtiinatres, de miracles, de
conduite contraire aux senlknens de l'Église, on au-
roit raison de ne s'y arrêter pas. Mais quand Dieu
nous a menés jusqu'à un ceiiain point de détache-
ment, et qu'ensuite nous avons une conviction inté-
rieure qu'il veut encore certaines choses innocentes ,
qui ne vont qu'à devenir plus simples , et qu'à mou-
rir plus profondément à nous-mêmes , y a-t-ôl de l'il-
lusion à suivre ces mouvemens? Je suppose qu'on ne
les suit pas sans un bon conseiL La répugnanœ que
notre sagesse et notre amom'-propre ont à suivre ces
mouvemens marque assez qu'ils sont de grâce ; car
alors on voit bien qu'on n'est retenu contre ces mou-
vemens, que par quelque sensibilité et quelque re-
tour sur soi-même. Plus on craint de faire ces choses,
plus on en a besoin y car c'est une crainte qui ne vient
que de délicatesse , de défaut de souplesse , et d'at-
tachement ou à ses goûts pu à ses vues. Or il faut
mourir à tous â^.sentimens de vie naturelle. Ainsi
tout prétexte de reculer «est ôté pai*la conviction qui
est au fond du cœur , qu'elles aideront à nous faire
mourir.
La souplesse ^t la promptitude pour céder à ces
mouvemens est ce qui avance le plus les âmes. Celles
DE LA FAAOLE IHTÉRIEUAE. 349
<]ui ont assez de gëbérosité pour n'hésiter jamais font
bientôt on progrès incroyable. Les autres raisonnent»
et ne manquent jamais de raisons pour se dispenser
<le faire ce qu'elles ont au cœur : elles veulent et ne
veulent pas ; elles attendent des certitudes; elles cher^
client des conseils à leur point, qui les déchargent
de ce qu'elles craignent de faire; à chaque pas elles
s'arrêtent et regardent en arrière ; elles languissent
dans l'irrésolution ^ et éloîgnetit insenstbleanent l'Es*
prit de Dieu. D'abord elles le conirialent par lents
bésitations ; pats elles Tirritent pi|r des résistances
formelles ; enfin elles l'éteignant par ces réai«(taiicf8
réitérées. - : i .
Quand on résiste, on trouve des prétextes ponr
<:oavrir sa ràistance et pour l'autoriser; mais ioseo-
siblement on se dessèche spi*méme ; on perd la sija-
plicité ;, et, quelque effi>rt qu'on fassie pqur âe trom-
per, on n'est point en paix; il y a toujoi9*s dans le
fond de la conscience un je ne sais quoi qui repror
che qu'on a. manqué à Dieu. Mais comme Dieu
s'éloigne, parce qu'on s'est éloigné de lui, l'ame s'en-
durcit peu à peu. EUe n'est plus en paix ; mais elle
ne cherche point la vraie paix; au contraire ^i elle
s'en éloigne de plus en plus en la cherchant où elle
n'est pas. C'est comme un os qui est di^iboSté, et qui
fait toujours uœ douleur secrètei; piais qupiqa'il
soit daps un état violent hors d^ sa placç, il ne tend
.point à y rentrer; tout au contraire, il s'aflfarniit
dans.ss^ mauvaise situatifHi. Q qu'une, ame est digoie
de pitié lorsqu'elle commence à rejeter les invita-
tion^ ^crêtes de*Di^u qui, demande qu'elle meure à
tout ! D'abord ce n'est qu*un atome ; mais cet atome
33o m LA l»AEOLB IBTÉAIEUaK.
devieal oae montagne ^ et forme bientôt one espèoi
de chaos impénétrable entra Dieu et elle* On fait k
ioard quand Dieu demande uue^ petite aimplictté:
on craint de Tentendre } on votidrott bien pouvoir s«
dire à soi-même qu'on ne Ta fuis entendu ; on se ie
dit même , mais on ne ae le persuade pas. On s'em-
brouille, on doute de tout oe qu*on a éprouve; el
les grâces qui avoient le plus servi & nous rendre
sihiples et petits dans la main de Dieu , eommencent
k paroltre comme des iltusiotis» On cherche au
dehors des autorités de directeurs p6ur apaiser les
troubles du dedans ; on ne manque pas d'en trouver,
car il y en a tant qui ont peu d'expérience, mén^e
«vecbeuucoop de savoir et de piébtf ! En ûH état , plus
on v«ut se guérir, pies on se fait malade. On est
eomme un cerf qui est blessé, et qui pofte dans ses
flattes le trait dont il est i)ercé', plus 11 ^agite au tra-
vers 4e$ forêts pbur s'en délivrer; plu^ il renfonce
dans soù . corps. Hélas ! 9111 est ôëlui tpii a rihisté à
Dieu m ^i a eu la paix (0 ? Dieu , qui est lui seu 1 la
paix véritable y peut^il laisser tranquille nu cosur qui
s'oppose à ses desseins? Alors on est comme les per-
Bénnes qui ont une maladie iticonnue. Tous les mé-
decins emploient leur art à les soulager, et rien ne
las soulage. Vous les voyéc tristes, abattus, languîs-
saus : il n'y a ni aliment ni remède qui puisse leur
fiâireâUCttù bien ; ils dépérissent chaque fbtir.'Fauc-
11 s'étonner qu'yen s'égarant de son irék éhemfn ôti
aille hors de tôMt foute, s^égàrant sàtos' cesse de
plu^enpTus?
Mais, dlri^vous, leé dottiiiiencêmens de tous ces
» « '
os LA WJLKOLK IBTÉlilBUAB. 35 1
nuilhenra ne sont rien : il est vrai , mais les snitet en
sont funestes. On ne vouloit rien réserver dans le sa-
crifice ^'on faisoit à Oleo ; c'est ainsi qu'on éixÀt
disposé en regardant les choses de loin confosëméni :
mais ensuite, quand Dieu nous prend au mot, et ac^
cepte en détail nos ofifras , qn sent mille répugnances
tiis-fortes dont oti ne se défioit pas. Le courage
manque^ les vains prétextes viennent flatter un coeur
finble et ébranlé : d'abord on retarde, et on doute sî
on doit suivre ; puis on ne fiiit que la moitié de o^
que Dieu demandé; on y mêle avec l'opération di^
vine un. certain mouvement propre et des inanière»
naturelles , pour conserver quelque ressource à ce
fond corrompu qui ne veut point mourir. Dieu , )a«#
loox, se refroidit. L'ame commence à vouloir fermer
les yeux , pour ne pas voir plus qu'elle n'a le conrag^
de fiiire. Dieu la laisse à sa foiblesse et à sa lâcheté ,
puisqu'elle veut y être laissée. Mais ebmprenes com^
bien sa faute est grande. Plus elle a reçu de Dieu ,
plus elle doit lui rendre. Elle a reçu un amour pré-
venant et des grâces singulières \ elle a goûté le don
de l'amdtir pur et désintéressé^ que tant d'ames^
d'ailleurs très* pieuses, n'ont jaibais senti. Dieu n'a
rien ménagé pour la posséder toute entière» Il esS
devenu Tépoux intérieur; il a pris soin défaire tout
danff son épouse ; mais il est infiniment jaloux : mais
ne vous étonnez pas des rigtfeurs: de sa jalousie. De
quoi est^l donc si jaloux? Estnce des talensi, des
Innûères, de la régularité des vertus «stérieurea?
Non; il est condescendant et facile sur toutes oei
choses. L'amour n'est [aloux que-sur l'alnour; toute
sa délicatesse ne tombe qne sur la droiture de la vô^
35a DB LA rànoLE istérieube.
lonté. Il ne peut souffrir aucun partage du cœnr de
Tëpouse , et il souffre encpre moins tous les prétextes
dont réponse cherche à se tromper pour excuser le
partage de son coeur. Voilà ce qui allume le feu dé-
vorant de sa jalousie. Tant que Tamour pur et in-
génu vous conduira y ô épouse, Tépoux supportera
avec une patieno^ sans bornes tout ce que vous
ferez d'irrégulier, par mëgarde ou par fragilité,
sans préjudice de la droiture de votre cœur : mais
dès le moment que votre amour refusera quelque
chose à Dieu , et que vous voudres vous tromper
vous-même dans ce refus, Fépoox vous regardera
comme une épouse infidèle qui veut couvrir son in-
fidélité.
Combien drames, après de grands sacrifices, tom-
bent dans ces résistances! La fausse sagesse cause
presque tous ces malheurs. Ce n*est pas tant pour
n'avoir pas assez de courage» que pour avoir trop de
caison humaine qu'on s'arrête dans cette course. II
est vrai que Dieu, quand il a. appelé les âmes à cet
état de sacrifice sans réserve^ les traite h proportion
des dons ineffables dont il les a comblées, f 1 est in-
satiable de mort, de perte ^ de renoncement; il est
même jaloux de ses dons, parce que Texcellence de
ses dons nourrit en nous secrètement une certaine
confiance propre. Il faut que tout soit détruit, que
tout périsse. Nous avons tout donné :.^Dieu veut nous
ftter.tout;; et en effet il tie nous laisse rien. S'il y a
encore: la moindre chose à laquelle nous tenions, si
bonne qu'elfe paroisse > cest celle-là qu il vient, le
glaive :en main^ couper jusqu'au dernier repK de
notre cœur. S nous craignons encore par quelque
endroit.
DB LA PAROLE INTÉRIEURE. 353
endroit, cest cet endroit par oik il vient nous pren-
dre ; car il nous prend toujours par l^endroit le plus
foible. Il nous pousse sans nous laisser jamais res-
pirer. Faut*il s*en étonner? Peut-on mourir tandis
qu'on respire encore? Nous voulons que Dieu nous
donne' le coup de la mort; mais nous voudrions
mourir sans douleur; nous voudrions mourir à
toutes nos volontés par le choix de notre volonté
même ; nous voudrions tout perdre , et retenir tout.
Hélas! quelle agonie, quelles angoisses , quand Dieu
nous mène jusqu'au bout de nos forces! On est entre
ses mains comme un malade dans celles d*un chi-
rurgien qui fait une opération douloureuse; on
tombe en défaillance. Mais cette comparaison n'est
rien; car, après tout, l'opération du chirurgien est
pour nous faire vivre , et celle de Dieu pour nous
faire réellement mourir.
Pauvres âmes! âmes foibles! que ces derniers coups
vous accablent! L'attente seule vous fait frémir, et
retourner en arrière. Combien y en a-t-il qui n'a-
chèvent point de traverser l'affreux désert! A peine
deux ou trois verront la terre promise. Malheur à
celles de qui Dieu attendoit tout , et qui ne remplis-
sent point leur grâce! Malheur à quiconque résiste
intérieurement! Etrange péché , que celui de pécher
contre le Saint-Esprit! Ce. péché, irrémissible en
ce monde et en l'autre, n'est-ii pas celui de résister
à l'invitation intérieure? Celui qui y résiste pour sa
conversion sera puni en ce monde par le trouble ,
et en l'autre par les douleurs de l'enfer. Celui qui y
résiste pour mourir sans réserve à lui-même, et pour
se livrer à la grâce du pur amour, sera puni en ce
Fénélok. xviii. a3
354 ^* ^^ PABOLE iMTÉAMUftB.
monde par les remords, el en Taulre par le feu ven-
geur du purgatoire. Il &at faire son purgatoire en
ce monde ou en l'autre , ou par le martyre intérieur
du pur amour, ou par les tôormens de la jostice
divine après la mort. Heureux celai qui n^liësite
jamais, qui ne craint que de ne suivre pas asses
promptement , qui aime toujours mieux faire trop
que trop peu contre lui-même! Heureux celui qui
présente hardiment toute Fétoffe dès qu'on lui de-
mande un échantillon, et qui laiase tailler Dieu en
plein drap! Heureux celui qui, ne se comptant pour
rien, ne met jamais Dieu dans la nécessité de le
ménager! Heureux celui que tout ceci n'effi^ie
point!
On croit que cet état est horrible; on se trompe ,
on se trompe : c'est là qu on trouve la paix , la
liberté , et que le cœur, détaché de tout , s'élargit
sans bornes, en sorte qu'il devient immense; rien
ne le rétrécit; et selon la promesse il devient une
même chose avec Dieu même.
O mon Dieu, vous seul pouves donner la paix
qu'on éprouve en cet état-là. Plus Tame se sacrifie
sans ménagement et sans retour sur elle-même , plus
elle est libre. Tandis qu elle n'hésite point à tout
perdre et à s'oublier, elle possède tout. H est vrai
que ce n'est point une possession réfléchie, en sorte
qu'on se dise à soi-même : Oui , je suis en paix, et je
vis heureux; car ce seroit trop retomber sur soi, et
se chercher après s'être quitté : mais c'est une image
de l'état des bienheureux , qui seront à jamais ravis
en Dieu, sans avoir pendant toute Tétemité un
instant pour penser à eux-mêmes et à leur bonheur.
DE LÀ PAROLE INtÉHlEURE. 355
Ik ^ont si heui^ux dans ce transport, qu'Us seront
heureux éternellement, sans se dire à eux-mêmes
qu*ils ibuissent dé ce bonheur.
Vous faites, ô époux des àrùes, éprouver dès cette
vie aut âmes qui ne vous i^sist#nt jamais, un avant-
goût de cette félicité. On ne veut rien , et on veué
tout. Gomme il D*y a que la créature qui borne le
cœur, le cœur n^étant jamais resséiVé tii par ratta-
chement aux créatures, ni par le retour sur lui-
même, il entre pour ainsi dire dans votre immen-
sité. Rien ne Tarrête; il se perd toujours en vous de
plus en plus : mais quoique sa capacité croisse à
rinfini, vous le remplisses tout entier; il est tou-
jours rassasié. Il ne dit point : Je suis heureux; car
il ne se soucie point de l*6tre ; s*il s*en soucioit, il ne
le seroit plus; il s*aiifnet*oi( encore. Il ne possède
point son bonheur, mais son bonheur le poàsède.
En quelque moment qu^on le prerine, et qu'on lui
demande : Voulez-vous soiifirir ce que vous soufTfez?
voadrîez-vous avoir ce que vous n'avez pas? il ré-
pondra sans hésiter, et sans se cûtistilter soi-même i
Je veux souflHr ce que je souffre, et n*avoir point ce
que je n'ai pas; je veux tout, je ne veux rien.
Voilà, mon Dieu, la vraie et pure adoration en
esprit et en vérité. Vous cherchez de tels adora-
teurs ; mais vous n'en trouvez guère. Presque tous
se cherchent eux-mêmes dans vos dons, au Heu de
vous chercher tout seul dans la croix et dans le dé-
poailleihent. On veut vous tfonduire, au lieu de se
laisser conduire par vous. On se donne h vous pour
devenir grdnd; mais on se refuse dès qu'il faut se
laisser appetisser. On dit qcf on ne tient à rien ; et od
356 UTILITÉ DBS PEIUBS
est effrayé par les moindres pertes. On vent vous
posséder; mais on ne veut point se perdre poor être
possédé par vous. Ce n'est pas vous aimer; c'est
vouloir être aimé par vous. O Dieu, la créatare ne
sait point pourquoi ^vons l'aves faite : apprenes-le-
lui y et imprimez au fond de son cœur que la boue
doit se laisser donner sans résistance toutes les for-
mes qu'il platt à l'ouvrier.
• «
XXIII.
Utilité des peines et des délaissemens intérieurs.
N*aimer ses amis quen Dieu et pour Dieu.
Dieu y qui parott si rigoureux aux âmes, ne leur
fait jamais rien souffrir par le plaisir de les faire souf-
finr. Une lesiaet en souffrance que pour les pnri*
fier. La rigueur de l'opération vient du mal qu'il
faut arracher : il ne feroit aucune incision si tout
étoit sain ; il ne coupe que ce qui est mort et nioâre.
Cest donc notre amour-propre corrompu qui fait
nos douleurs : la main de Dieu nous en fait le moins
qu'elle peut. Jugeons combien nos plaies sont pro-
fondes et envenimées y puisque -Dieu nous épargne
tant, et qu'il nous fait néanmoins si violemment
souffrir.
De même qu'il ne nous Eût jamais souflSrir que
pour notre guérison , il ne nous ôte aussi aucun de
ses dons que pour nous le rendre au centuple. Il
nous ôte par amour tous les dons les plus pw*s que
nous possédons impui:emeut. Plus les dons sontf^un.
ET DBS DÉLÂISSEK£IfS IIITÉ&IEXIES. 35 7
plus il est jaloax , a6n qne nous les conservions sanls
noas les approprier et sans nous les rapporter jamais
à nous-mêmes. Les grâces les plus ëminentes sont
les phis dangereux poisons si nous j prenons quel-
que appui et quelque complaisance. Cest le pëchë
des mauvais anges. Ils ne firent que regarder leur .
état, et s'y complaire ; les voilà dans Finstant même
précipites du ciel et éternels ennemis de Dieu.
Cet exemple fait voir combien les hommes s'en-
tendent peu en péchés. Celui-là est le plus gi*and de
tous ; cependant il est bien rare de trouver des âmes
assez pures pour posséder purement et sans propriété
le don de Dieu. Quand on pense aux jgrâces de Dieu,
c*est toujours pour soi , et c*est Tamour du moi qui
fait presque toujours une certaine sensibilité qu'on
a pour les grâces. On est contristé de se trouver foi-
ble ; on est tout animé quand on se trouve fort ; on
ne regarde point sa perfection uniquement pour la
gloire de Dieu^comme on regarderoit celle d'un autre.
On est contristé et découragé quand le goût sensible
et quand les grâces aperçues échappent : en un mot,
c*est presque toujours de soi et non de Dieu qu*i] est
question.
De là vient que toutes les vertus aperçues ont be-
soin d*étre purifiée^, parce qu'elles nourrissent la
vie naturelle en nous. La nature corrompue se fait
un aliment très-subtil des grâces les plus contraires
à la nature : Tamour-propre se* nourrit , non-seule-
ment d'austérités et d'humiliations, non-seulement
d'oraison fervente et de renoncement à soi, mais
encore de l'abandon le plus pur et des sacrifices les
plus extrêmes. C'est un soutien infini que de penser
3S8 UTILlTt DES rWXMMS
qu*on n'est plus soutena de rien , et ({n'on ne cesse
point , dans cette épreuve horrible , de s'abandonner
fidèlement et sans réserve. Pour consommer le sacri-
fice de purification en nous des dons de Dieu» il
fj|ut donc achever de détruire Tholocauste ; il faut
tout perdre, même Tabandon aperçu par lequel
on se voit livré à sa perte.
On ne trouve Dieu seul purement que dans cette
perte apparente de tous ses dons , et dans ce réel sa-
crifice de tout soi-même I après avoir perdu toute
ressource intérieure. La jalousie infinie de Dieu ifous
pousse jusque là, et notre amour- propre le met , pour
ainsi dire , dans cette nécessité , parce que nous ne
nous perdons totalement en Dieu, que quand tout le
reste nou^ roanque-C'est comme un homme qui tombe
dans un abîme ; il n'achève de s'y laisser aller qu'après
que tous les appuis du bord lui échappent des mains.
L'amour-propre, que Diei^précig^te, se prend dans
son désespoir à toutes Ips ombres de grâce , comme
un homi^e qui se i^oie se prend à toutes les ronces
qu'il trouve en tombant dans l'eau.
Il faut donc bien comprendre la nécessité de cette
soustraction qui se fait peu à peu en nous de tous
les doQS divins. Il n'y a pas un seul don, si émanent
qu'il soit , qui , après avoir été un moyen d'avance-
ment, ne devienne d'ordinaire pour la suite un pi^e
et un obstacle par les retours de propriété qui salis-
sent l'ame. De là vieqt que Dieu ôte ce qu'il avoit
donné. Mais il ne l'ôte pas pour en priver toujours;
il l'ôte pour le mieux donner, et pour le rendre sans
l'impureté de cette appropriation tnalîgne que nous
en faisons sans nouç en apercevoir. La perte du don
BT DBS DéLAUSBMEirS INTÉAIEUES. iSg
sert à eu ôter la propriété ; el , la propriété étant
ôtée, le don est rendu au centuple. Alors le don
D*est plus don de Dieu ; il est Dieu même à Tame.
Ce n'est plos don de Dieu ; car on ne le regarde plus
comme quelque chose de distingué de lui et que
Famé peut posséder : c*est Dieu lui seul immédiate*-
ment qu'on regarde ^ et qui , sans être possédé par
Tame, la possède selon tous ses bons plaisirs.
La conduite la plus ordinaire de Dieu sur les âmes
est donc de les attirer d'abord à lui pour les détacher
du monde et des passions grossières, en leur faisant'
go&ter toutes les vertus les plus ferventes et la dou-
ceur du recueillement. Dans ce premier attrait sen*
sible , tonte Famé se tourne à la mortification et à
Foraison. Elle se contrarie sans cesse elle-même en
tout; elle se déprend de toutes les consolations ex-
térieures; et celles de l'amitié sont aussi retranchée»,
parce qu'elle y ressent l'impureté de l'amour-propre
qui rapporte les. amis k soi. Il ne reste plus que les
amia auzquelsonestlié par conformité de sentimens,
OU' ceux qu'on cultive par charité ou par devoir :
tout le reste devient à charge; et si on n*en a pas
perdu le goftt naturel , on se défie encore davantage
de leur amitié lorsqu'ils ne sont pas dans le même
goût de piété oh l'on est.
Il y a beaucoup d'ames qui ne passent jamais cet
état de ferveur et d'abondance spirituelle : mais il y
en a d'autres que Dieu mène plus loin , et qu'il dé-
pouille par jalousie après les avoirrevêtues et ornées.
Celles*là tombent dans un état de dégoût, de séche-
resse et de langueur où tout leur est à charge. Biea
loin d'être sensibles à l'amitié, l'amitié des personnes*
36o OTIUTÉ DBS PEINES
qu elles goùtoîent le plas autrefois lear devient im-
portoDe. Une ame en cet ëtat sent que Dieu et tons
ses dons se retirent d'elle. Cest pour elle un ëtat
d'agonie et une espèce de désespoir : on ne peut se
supporter soi-même ; tout se tourne à dégoût. Diea
arrache tout , et le goût des amitiés comme tout le
reste. Faut-il s'en étonner ? il ôte même le goût de
son amour et de sa loi. On ne sait plus où l'on en est;
le cœur est flétri et presque éteint : il ne sauroit rien
aimer. L'amertume d'avoir perdu Dieu , qu'on avoit
senti si doux dans sa ferveur, est une absinthe ré-
pandue sur tout ce qu'on avoit aimé parmi les créa-
tures. On est comme un malade qui sent sa défiiillance
faute de nourriture, et qui a horreur de tous les ali-
mens les plus exquis. Alors ne parlez point d'amitié;
le nom même en est a£Ëigeant,et ferait venir les lar-
mes aux yeux : tout vous surmonte ; vous ne savez ce
que vous Voulez. Vous avez des amitiés et des peines,
comme un enfant , dont vous ne sauriez dire de rat-
son , et qui s*évanouissent commet un songe dans le
moment que vous en parlez. Ce que vous dites de
votre disposition vous paroit toujours un mensonge,
parce qu'il cesse d'être vrai dès que vous commencez
à le dire. Rien ne subsiste en vous ; vous ne pouvez
répondre de rien , ni vous promettre rien , ni même
vous dépeindre. Vous êtes sur les sentimens inté-
rieurs, comme les filles de la Visitation sur leurs
cellules et sur leurs meubles ; tout clmnge ; rien n'est
à vous, et votre cœur moins que tout le reste. On
ne sauroit croire combien cette inconstance puérile
appetisse et détruit une ame sage , ferme et hautaine
dans sa vertu. Parler alors de bon naturel , de ten-
ET DES DÉLiklSSEXElfS IHTÊEISXJAS. 36 1
clresse, de générosité, de constance^ de reconnois-
sance poar ses amis » à une ame malade et agonisante,
c'est parler de danse et de musique à un moribond.
Le cœur est comme un arbre desséché jusqu'à la
racine.
Mais attendez que l'hiver soit passé , et que Dieu
ait fait mourir tout ce qui doit mourir, alors le prin-
temps ranime tout. Dieu rend l'amitié avec tous les
autres dons jusques au centuples On sent renaître au
dedans de soi ses anciennes inclinations pour les vrais
amis : on ne les aime plus en soi et pour soi ; on les
aime en Dieu et pour Dieu , mais d'un amour vif,
tendre , accompagné de goût et de sensibilité ; car
Dieu sait bien rendre la sensibilité pure. Ce n'est pas
la sensibilité^ mais l'amour- propre, qui corrompt
nos amitiéf. Alors on se livre sans scrupule à cette
chaste amitié, parce que c'est Dieu qui l'imprime;
on aime au travers de lui sans en être détourné ; c'est
lui qu'on aime dans ce qu'il fait aimer.
Dans cet ordre de providence , qui nous lie à cer-
taines gens. Dieu nous donne du goût pour eux ; et'
nous ne craignons point de vouloir être aimés par
ces personnes, parce quecelui qui imprime ce désir
rimprime très-purement et sans aucun retour de pro-
priété sur nous. On veut être aimé comme on vou-
droit qu'un autre le fût, si c'étoit l'ordre de Dieu. On
s'y cherche pour Dieu, sans complaisance et sans
intérêt propre. Dans cette résurrection de l'amitié,
comme tout est sans intérêt et sans réflexion sur soi ,
on voit tous les défauts de son ami et de son amitié,
sans se rebuter.^ ^
Avant que Dieu ait ainsi purifié les amitiés , les
36a OTtLlTÊ DES PBUfES
persoDDes les plus pieuses sont délicates , jalouses,
épineuses pour leurs meilleurs amis ; parce que Ta-
monr-propre craint toujours de perdre^ et veut tou-
jours gagner dans le commerce même qui paroU le
plus ge'néreux et le plus désintéresse : s'il ne cherche
ni bien ni honneur dans Tami , du moins il y cher-
che l'agrément du commerce , la consolation de la
confiance , le repos du cœur, qui est la plus grande
dou(jpur de la vie, enfin le plaisir exquis d'aimer gé-
néreusement et sans intérêt. Otez cette consolation,
troublez cette amitié qui semble si pure , l'amour-
propre est désolé; il $e plaint; il veut qu'on le plai-
gne ; il se dépite ; il est hors de lui : c'est pour soi
qu'on est fâché; ce qui marque que c'est soi-même
qu'on aimoit dans son ami. Mais quapd c'est Dieu
qu'on y aime , on y tient fortement et sstb& réserve ;
et cependant si l'amitié se rompt par ordre de Dieu,
tout est paisible au fond de l'ame : elle n'a rien perdu ;
car elle n'a rien à perdre pour elle à force de s'être
perdue elle-mêu^- Si elle s'attriste ^ c'est pour la
personne qu'elle, aimoit , en cas que cette rupture
lui soit nuisible. La douleur peut être vive et amère,
puisque l'amîtié étoit très^sensible ; mais c'est une
douleur paisible et exempte des chagrins cuisans d'uo
amour intéressé.
tl y a encore une seconde diffi^rence à remarquer
dans ce changeaient des amitiés par la grâce. Tandis
qu'on est encore en soi , on n'aime rien que pour
soi ; et l'homme renfermé en lui-même ne peut avoir
qu'une amitié bornée suivant sa mesure : c'est tou-
jours un cœur rétréci dans toutes ses afièctions ; et
la plus grande générosité mondaine a toujours par
ET PJBS OiLAïaSEMEHS IJITÉME0AS. 363
quelque endroit des bornes étroites. Si la gloire de
bien aimer mène loin , on s*arrétera tout court dès
qa*il arrivera ou qu*cn pourra s*imaginer que cette
gloire sera blessée. Pour les âmes qui sortent d'elles-
mêmes, et qui s'oublient véritablement en Dieu, leur
amitié est immense comme celui en qui elles aiment.
Il n'y a que le retour sur nous qui borne notre cœur;
car Dieu lui a donné je ne sais q|foi d'infini par rap-
port à lui. C'est poui*quoi Tame qui ne s'occupe point
d'elle-même , et qui se compte en tout pour rien ,
trouve dans ce rien l'immensité de Dieu même : elle
aime sans mesure, sans fin, sans motif humain, elle
aime parce que Dieu, amour immense, aime en
elle.
Voilà l'état des apôtres, qui est si bien exprimé par
saint Paul. Il sent tout avec une pureté et une viva-
cité infinie; il porte dans son cœur toutes les églises;
l'univers entier est trop borné pour ce cœur : il se
ré|ooit ; il s'afflige; il se met en colère; il s'attendrit;
son cœnr est comme le siège de tontes les plus fortes
passions. Il se fait petit ; il se fait grand'; il a l'auto-
rité d^un père et la tendresse d'une mère ; il aime d'un
amour de jalousie ; il veut être anathème pour ses
enfkns : tofis ces sentimens lui sont imprimés; et
c'est ainsi que Dieu fait aimer les autres quand on
ne s'aime plus.
364 coarms lbobaeok batubkixe
XXIV.
Contre l'horreur naturelle des privaMions et des
dépouUlemens.
Presque tous ceu^ qui songent à servir Dieu n y
songent qoe pour eux-mêmes. Ils songent à gagner,
et point à perdre ; à se consoler, et point à souflnr ;
à posséder, et non à être privés ; à croître, et jamais
à diminuer : et an contraire tout Tonvrage intérieur
consiste à perdre, à sacrifier, à diminuer, s*appè-
tisser, et à se dépouiller même des dons de Dieu,
pour ne tenir plus qu*à lui seuL On est sans cesse
comme les malades passionna pour la santé , qui se
tâtent le pouls trente fois par jour, et qui ont besoin
qu un médecin les rassure en leur ordonnant de fré-
queos remèdes, et en leur disant qulls se portent
mieux. Voilà presque tout Tusage que Ton fidt d*nn
directeur. On ne fait que tournoyer dans un petit
cercle de vertus» communes, au-delà desquelles on ne
passe jamais généreusement Le directeur, comme
le médecin, flatte, console, encourage,' entretient
• la délicatesse et la sensibilité sur soi-même, il n*or-
^ donne que de petits remèdes bénins et qui se tour-
nent en habitude. Dès qu'on se trouve privé des grâces
sensibles 9 qui ne sont que le lait des enfans, on
croit que tout est perdu. C'est une preuve manifeste
qu*on tient trop aux moyens, qui ne sont pas la fin,
et qu'où veut toujours tout pour soi. Les privations
sont le pain des forts; c'est ce qui rend l'ame robuste,
DES PAIVATIOVS ET DES DÉPOUILLBMBHS. 365
quirarrache à^éHe-mémey qui la sacrifie purement
à Dieu ; mais on se désole dès qu'elles commencent.
On croit que tout se renverse quand tout commence
à s^ëtablir solidement et à se purifier. On veut bien
que Dieu fasse de nous ce qu'il voudra, pourvu qu'il
en fasse toujours quelque chose de grand et de par-
fait. Mais si on ne veut point être détruit et anéanti,
jamais on ne sera la victime d'holocauste dont il ne
reste rien , et que le feu divin consume. On voudroit
entrer dans la pure foi , et garder toujours sa propre
sagesse; être enfant , et grand à ses propres yeux.
Quelle chimère de spiritualité !
Contre VaUachement aux lumières et aux goûts
sensibles.
Ceux qui ne sont attachés à Dieu qu'autant qu'ils
y godtent de plaisir et de consolation , ressemblent
aux peuples qui suivoient Jésas-Christ , non pour sa
doctrine, mais pour les pains qu'il multiplioit mi-
raculeusement «(0. Ils disent comme saipt Pierre :
Seigneur y nous sommes bien ici; dressons ^y trots
tabernacles: mais Us ne saluent ee qu'ils disent W.
Après s'être enivrés des dpuceurs du Thabor, ils
méconnoissent le Fils de Dieu, «t refusent de le
suivre sur le Calvaire* Non-seulement ils cherchent
des goûts, mais ils veulent encore des lumières;
c'est-à-dire que l'esprit est curieux^e voir^ pendant
iO Joan. Ti. 96. — («) Mare, ix. 4» 5.
360 coirraE l* attacbbmevt
que le oœar reut être remué par le^tl^Dlimens doni
et flatteurs. Est-ce moniir à soi 7 Est-ce là le jusu
de saint Paul (0, dont la fui est ta vie et la noiirri-
tnre?
On Tondroit «voir des lumières extraonfinaires
^i marquassent des dons surnaturel» et une commih
nication intime de Dieu. Rien ne flatte tant ramoar-
propre. Toutes les grandeurs du monde mises en-
semble n*élèyent pas autant un cœur. Cest nne
vie secrète qu'on donne à la nature dans les dons
surnaturels* C'est une ambition d'autant plas raffinée
qu'elle est toute spirituelle ; on veut sentir, goàter,
posséder Dieu et ses dons, voir sa lumière, pénéti^r
les cœurs, connoître l'avenir, être une ame toot
extraordinaire ; car le goût des lumières et des sen-
timens mène peu à peu une ame ju^u'à an désir
secret et subtil de toutes ces choses.
L'Apôtre nous monlre une voie plus excellente {'^)
pour laquelle il nous inspire une sainte émulation;
il s*agit de la charité, ^mi ne cherche point ce qui est
à elle (3) : elle ne veut point être survétae, pour
parler comme l'Âpôtre, mais elle se laisse dépouiller.
Ce n'est point le plaisir qu'elle aime; c'est Dieo,
dont elle veut faire la volonté. Si eUeptrouve du goût
dans l'oraison, elle se sert de ce goût passager, sans
c'y arrêter, pour ménager sa propre faiblesse, comme
un malade qui relève de maladie se sert d'un bâton
pour marcher ; mais la convalescence est-elle par*
faite , l'homme guéri marche tout seul. Toat de
même , l'ame encore tendre et enfantine, que Dieu
nourrissoit de \a^ dans les commencemens^ se laisse
») Hehr. s. 38. — («) / Cor xii. 3i. — (5) / Cor. ziii. 5.
AUX LUMIÈBES ET AUX GOUTS SENSIBLES. ^67
sevrer qaand Dieu veut la nourrir du pain des fort<;.
Que seroit-ce si nous étions toujours enFans , tou*
fours pendant à la mamelle des célestes consolations?
Il faut éuacuer, comme parle saint Paul (0, ce qui
est du petit]enfanî. Les premières douceurs étoient
bannes pour nous attirer, pour nous détacher des
plaisirs grossiers et mondains par d'autres plus purs,
enfin pour nous accoutumer à une vie d*oraisoii et
de recueillement : itiais goûter un plaisir délicieux
qai Ole le sentiment des croix , et jouir d*noe fer-
venr qui %tit qu'on vit comme si 6n voyoit le paradis
ouvert, oe n*jst poiht mourir sat la croix et s'a-
néantir.
Cette vie de lumières et de goûts sensibles, quand
on s*y attache jusqu'à s'y borner, est un piège très-
dangereux.
fo Quiconque n'a d'autre appui quittera l'oraison,
et avec l'oraison Dieu même, dès que cette source
de plaisir tarira. Vous'save^ que sainte Thérèse di-
soit qu'un grand nombre d'ames quittoient l'oraison
quand l'oraison commençoit à être véritable. Com-
bien d'ames, qui, pour avoir eu en Jésus-Christ une
enfance trop tendre, trop délicate, trop dépendante
d^an lait si doux, reculent en arrière, et abandon-
nent la vie intérieure dès que Dieu commence à les
sevrer ! Faut-il s'en étonner ? Elles font le sanctuaire
de ce qui n'est que le parvis du temple. Elles ne
veulent qu'une mort extérieure des sens grossiers ,
pour vivre à elles-mêmes délicieusement dans leur
intérieur. De là viennent tant d'infidélités et de mé-
comptes parmi les âmes mêmes qui ont paru les plus
COi Cor. siii. II.
368 CONTRE L^ATTACHEMEITT
fei*ventes et les plus détachées. Celles même qui ont
le plus parlé de détachement , de mort à soi, de té-
nèbres de la foi y et de dépouillement, sont souvent
lés plus surprises et les plus découragées , dès que
l'épreuve vient , et que la consolation se retire. 0
qu'il est bon de suivre la voie marquée par le bien-
heureux Jean dé la Croix , qui veut qu'on croie dans
le non voir, et qu'on aime sans chercher à sentir!
no De l'attachement aux goûts sensibles naissent
toutes les illusions. Les âmes sont grossières en ce
point, qu'elles cherchent le sensible pour Couver la
sûreté. C'est tout le contraire ; c'est 1% sensible qui
donne le change ; c'est un appât flatteur pour l'amour-
propre. On ne craint point de manquer à Dieu tandis
que le plaisir dure. On dit alors dans son abondance:
Je ne serai jamais ébranlé (0 ; mais on croit tout
perdu dès que l'ivres^ est passée : ainsi on met son
plaisir et son imagination en la place de Dieu. Il n y
a que la pure foi qui préserve de l'illusion. Quand
on ne s'appuie sur rien d'imaginé, de senti, de
goûté y de lumineux et d'extraordinaire; quand on
ne tient qu'à Dieu seul , en pure et nue foi , dans la
simplicité de l'Evangile, recevant les consolations qni
viennent et ne s'arrétant à aucune, ne jugeant point
et obéissant toujours, croyant facilement qu'on peut
se tromper et que les autres peuvent nous redresser,
enfin agissant à chaque moment avec simplicité et
bonne intention, suivant la lumière de foi actuelle-
ment présente, on est dans la voie la plus opposée
à l'illusion.
La pratique fera voir mieux que toute autre chose
(0 Pi. XXIX. 7.
combiei
AUX LUMIÈRES ET AUX GOUTS SEKSIBLES. 3^
combien cette voie est plus sûre que celle des goûts
et des lumières extraordinaires. Quiconque ^udra
ressayer, reconnoitra bientôt que cette voie de pure
foi y suivie en tout , est la plus profonde et la plus
univ^selle mort à soi-même. Les goûts et les certi-
tudes intérieures dédommagent Tamour-propre àt
tout ce qu il peut sacrifier au <lehors : c*est une pos*
session subtile de soi-même qui donne une vie se-
crète et raffinée. Mais se laisser dépouiller au dehors
et au dedans tout ensemble , au dehors par la Pro*
vidence, et au dedans par la nudité de foi obscure,
c*est le total inartyre et par conséquent l'état le plus
éloigné de TiUusion. On ne se trompe, et on ne s'é-
gare qu'en se flattant , qu'en sVpargnant , qu'en ré-
servant quelque vie secrète à l'amour^propre, qu*en
mettant quelque chose de déguisé en la place de
Dieu. Quand vous laissez tomber toute lumière par-
ticulière et tout goût flatteur ; quand vous ne voulez
qu'aimer Dieu sans vous attacher à le sentir, et que
croire la vérité de la foi sans vous attacher à voir,
cette nudité si obscure ne laisse aucune prise à la
volonté et au sens propre, qui sont les sources de
toate illusion.
Ainsi ceux qui veulent se précautionner contre
rillusion, en cherchant à sentir des goûts et à se faire
des certitudes , s'exposent par là même à l'illusion :
au contraire , ceux qui suivent l'attrait de l'amour
dénnant et de la foi pure, sans rechercher des lu-
mières et des goûts pour s'appuyer, évitent ce qui
peut causer l'illusion et l'égarement. Vous trouverez
dmSf Vlinitatiott, de Jésus-Christ {^), où l'ai^eur dit
Wlib. m.
FéirÉLO». xviii. • 24
370 B« 6ÉCI1B11B88ES ET UiaTAACTlOirS
qire'Si Dj^ tous ôte les douceurs întérieares, votre
plaisi#doît 6tre de demeurer privé de tout plaisir:
O qu'une ame ainsi crucifiée est agréable à Dieu ,
quand elle ne chenche point h se détacher de la
croix y et qu'elle veut bien y expirer avec l&ns-
Christ ! On cherche des prétextes , en disant qu^on
craint "d'avoir perdu Dieu lorsqu'on ne le sent plus.
Mais dans la vérité c'est impatience dans l'éprenve ;
c'est inquiétude de la nature délicate et attendrie
sur «He-méme$ c'est recherche de quelque appui
pour l'amour* propre ; <:'est une lassitude dans Ta-
banKiony et une mprise secrè/te de soi-méRie après
s'être livrtf 4 la gvâoe. Mon Dieu , oh sont les aoMS
qui tte s'arvélefit point daw . la voie de la mort ?
Celles xpn«ur ont per^véré jusqu'à la fin seront oou-
TunBéeB,
ÎXVI.
Sur la sécheresse et les distractions qui arrivent
dams T oraison.
Oir e^ tjenté -de croire qu'on ne prie plus Dieu dès
qu'on cesse de goûfter un eertatn plaisir dans (a prière.
Pour'setlétromper, il faudroit considérer ^qro la par
faite pritfrè et Famour die Dieu sont 1» même cAiose.
lia prière «Test ^ne pas une douce sensation, m le
charme d'une imagination enflammée, ni la Itmtièrc
de Tesprit qui découvre facilement en Dieu des vé-
rités snUimeSy ni même une certaine consolation
dans la voe de Dieu : toutes ces choses sont des .dons
^e^térÂ/surs , ^ans Ie$qi|eU J'aroonr peut subsister d'au-
tant plas purepient, qu'étant piivé de toutes ces
choseS| qui ne sont que dôs dons de Dieu, on s'atta-
chera uniquement et immédiatement à lui-même.
Yoîlà V amour de pure foi j qui désole la natm^e,
parce qii*il ne lui laisse aucun soutien : elle croit
que tout est perdu, et q'.estpar là même que tout est
gagntf.
Le pur amour n'est que dans la seule volonté :
ainsi ce n*est point u^ ampur de sentiment , car Ti-
magination n'y a aucupe part; c^e^t un amour qui
aime ^n$ sentir, iComme la pure foi a*oit sans voir.
Il n^ faut pas craindre que cet amour soît imagi-
naire ; car rien ne Test moins que la volonté détachée
de toute imagipatioa. Plus les opérations sont pure-
^eot intellectuelles et spirituelles^ plus elles ont,
non-seulement la réalité, mais encore la perfection
que Dieu demande : l'opération en est donc plus par-
faite; eu même temps la foi s'y exerce, et TthumilUé
c'y conserve. Alors l'amour est chaste; car c'est Dieu
«n lui-même et {lour lui-même :.ce n'est plus ce qu'il
fait sentir à quoi on s'attache; on le suit, mais ce
n'est pas à cause des pains multipliés.
Quoi, dira-t-on, toute la piété ne consistera-t-elle
que dans une volonté de s'unir à Dieu, qui sera peut-
-être ptuetôt une pensée et une imagination, qu'pnè
ivolonté.eOective? iSi cette volonté n*est soutenue par
la i^délité dans les principales occasions , je croirai
qa el)^ n'e^t pa^ véritable ; car le bon arbre porte
de bons fruits , et cette yalonjté doit rqndre attentif
pour accomplir la volonté de Dieu : maii elle est
<:^mipalJUi>le en cette vie avec de petites fragilités,
37^ DES SÉCHERESSES ET DISTRACTIOBS
que Dieu laisse à Tame pour rhumilier.Si donc on
nVprouve que de ces fragilités journalières^ il font
en tirer le fruit de Pbumiliation, sans perdre courage.
Mais enfin la vraie vertu et le pur amour ne sont
que dans la volonté seule. N'est-ce pas beaucoap
que de vouloir toujours le souverain bien dès qu on
l'aperçoit ; de retourner son intention vers lui dès
qu'on remarque qu'elle en est détournée ; de ne vou-
loir jamais rien par délibération que selon son ordre ;
et enfin de demeurer soumis en esprit de sacrifice et
d'abandon à lui, lorsqu'on n'a plus de consolation
sensible? Comptez'^vous pour rien de retrancher
toutes les réflexions inquiètes de l'amour-propre;
de marcher toujours sans voir oh l'on va, et sans
s'arrêter ; de ne penser jamais volontairement à soi-
méme, ou du moins de n'y penser jamais que comme
oh penseroit à une autre personne , pour remplir un
devoir de providence dans le moment présent; sans
regarder plus loin ? N'est-ce pas là ce qui fait mou-
rir le vieil homme , plutôt que les belles réflexions
O&l'on s'occupe encore de soi par aimour-pi^opi'e; et
plutôt que plusieurs œuvres extérieures sur les-
quelles on se rendroit témoignage à soi-même de son
avancement ?
C'est par une espèce d'infidélité contre l'attrait de
1^ pure foi y qu'on veut toujours s'assurer qu'on fait
bien : c'est vouloir savoir ce qu'on fait ; ce qu'on ne
saura jamais , :et .que Dieu veut qu'on ignore :cest
s'amuser dans la voie pour raisonnersur la voie même.
\a voie la plus sûre et la plus courte est de se re-
noncer, de s'oublier, de s'abandonner, et de ne plus
penser à soi que par fidélité pour Dieu. Toute la re-
QUI ARAIVEIIT DANS L OKAISON* ^3
ligion ne consiste qu'à sortir de soi et de son amour-
propre pour tendre à Dieu.
Pour les distractions involontaires, elles ne dis-
iraient point ramour, puisqu'il est dans la volonté,
et que la volonté n'a jamais de distractions quand
elle n'en veut point avoir. Dès qu'on les remarque,
on les labse tomber et on se retourne vers Dieu.
Ainsi, pendant que les sens extérieurs de Tépouse
sont endormis, son cœur veille, son amour ne se re-
lâche point. Un père tendre ne pense pas toujours
<]Ustinctement à son fils ; mille objets entraînent son
imagination';et son esprit : mais ces' distractioAs n'in-
terrompent jamais l'amour paternel ; à quelque heure
que son fils revienne dans son esprit, il l'aime, et il
sent au fond de son cœur qu'il n'a pas cessé un seul
moment de l'aimer, quoiqu'il ait cessé de penser à lui.
Tel doit être notre amour pour notre père céleste; un
amour simple, sans défiance et sans inquiétude.
. Si l'imagination s'égare, si l'esprit est entraîné ^ ne
nous troublons point : toutes ces puissances ne sont
pas le vrai homme du cœur, Vhomme cac&e,«lont
parle saint Pierre (0, qui est dans l'incorruptibilité
d'un esprit modeste et tranquille. Il n'y a qu'à faire
un bon usage des pensées libres, en les tournant
toujours vers la présence du bien-aimé, sans s'in-
quiéter sur les autres : c'est à Dieu à augmenter
quand il loi plaira cette facilité sensible de conser-
ver sa présence. Souvent il nous l'ôte pour nous
avancer ; car cette facilité nous amuse par trop de
réflexions : ces réflexions sont des distractions vérita-
bles , qui interrompent le regard simple et direct de
(*)/PeCr.iii. 4.
374 P^ SÉCUeBESSES ET DISTKACTIOIIB
Diea, et qni par là nous retirent des ténèbres de la
pure foi. <
On cherche soavent dans ces réflexions le repos
de Faoïoar-proprei et la consolation dans le témoi-
gnage qn*on veut se rendre à soi-même. Ainsi on se
distrait par cette ferveur sensible ; et au coniraire on
ne prie jamais si purement que quand on est tente
de a'oii*e qu*on ne prie plus : alors on craint de prier
mal ; mais on ne devroit craindre que de se laisser
aller à la désolation de la nature lâche, à llnfidélité
philosophique^ qui veut toujours se démontrer à elle-
même Bes propres opérations dans la foi } enfin aux
désirs impatiens de voir et de sentir pour se consoler.
Il n*jr a point de pénitence plus amère que cet
état de pure foi sans soutieft sensible : d*o& je con-
clus que c'est la pénitence la plus efièclive, la plus
crucifiante, et la plus exempte de tonte illusion.
Étrange tentation ! On cherche impatiemment la
consolation sensible par la crainte de n*étre pas as-
sez pénitent! Hé! que ne prend-on pour pénitence le
renoncement à la consolation qu'on est si tenté de
diercherîEnfin il faut Se ressouvenir de Jésu^-Christ,
queson Père abandonne sor la croix : Dieu retire tout
sentiment et tonte réflexion pour se cacher à Jésas-
Christ : ce fut le dernier coup de la main de Dieu
qui frappoit Thomme de douleurs; voilà ce qui con-
somma le sacrifice. Il ne faut jamais tant s^abandon-
nerà Dieu que quand il semble nous abandonner.
Prenons donc la lumière et la consolation quand il
la répand, mats sans nous y attacher : quand il nous
enfonce dans la nuit de la pure foi, alors laissons^
nous aller dans cette nuit, et souffrons amoureuse-
QUI ▲EEIVEMT Dilirs L*OllAI&Oir. 3^5
ment cette agonie. Ua moment en vaut mille dans
cette tribulation : on est troublé, et on est en paix :
non-seulement Dieu se cache , mais il nous cacbe à
nous-mêmes, afin que tout soit en foi. On se sent dé-
courage; et cependant on a une volonté immobile
qui veut tout ce que Dieu veut de rude : on veut
tout, on accepte tout» jusqu'au trouble qaéme par
lequel on est éprouvé. Ainsi on est secrètement eu
paix par cette volonté qui se conserve au fond de
Tame pour souflrir la guerre. Béni soit Dieu qui lait
en nous de si grandes choses malgré nos indignités !
XXVII.
Ayis à unm dame de la Cour. Ne point s'étoaner ni
se décourager à la vue de ses défauts ni des dé*
fauts d*autrui.
On n*a point encore assez approfondi la misère
des hommes en général, ni la sienne en particulier,
quand on est encore surpris de la foiblesse et de la
corruption des hommes. Si on n attendoit aucun
bien des hommes, aucun mal ne nous étonneroit.
Notre étonnement vient donc du mécompte d'avoir
compté l'humanité entière pour quelque chose, au
lien qu'elle n'^st rien, et pis que rien. L'arbre ne
doit point surprendre qnand il porte ses fruits.
Mais on doit admirer Jésus -Christ, en qui nous
sommes entés, comme dit saint Paul, lorsque nous
autres sauvageons nous portons en lui , à la plaqe de
nos fruits amers, les plus doux fruits de la vertu.
3^6 NE POUffT SE DÉCOUftAGCA
Dësabusez-Tous de toute vertu hnmaÎDe qui est
empoisonnëe de complaisance et de confiance en
soi-même. Ce qui est haut aux yeux des hommes ,
dit le Saint-Esprit (>) y est une £ibomination devant
Dieu. C'est une idolâtrie intérieure dans tous les mo-
mens de la vie. Celte idolâtrie , quoique couveile de
Féclat des vertus, est plus horrible que beaucoup
d'autres péchës que Ton croit plus énormes. Il n'y a
qu'une seule vérité, et qu'une seule manière de bien
juger, qui est de juger comme Dieu même. Devant
Dieu les crimes monstrueux commis par foiblesse,
par emportement ou par ignorance, sont moins
crimes que les vertus qu'une ame pleine d'elle-même
exerce pour rapporter tout à sa propre excellence
comme à sa seule divinité ^ car c'est le renversement
total de tout le dessein de Dieu dans la création.
Cessons donc de juger des vertus et des vices par notre
goût, que l'amour- propre a rendu dépravé, et par
nos fausses vues de grandeur. Il n'y a rien de grand
que ce qui se fait bien petit devant Tunique et son-
veraine grandeur. Vous tendez au grand par la
pente de votre coeur, et par l'habitude d'y tendre !
mais Dieu veut vous rabaisser et vous rappetisser dans
sa main ; laissez-le faire.
Pour les gens qui cherchent Dieu , ils sont pleins de
misères : non que Dieu autorise leurs iniperfections;
mais parce que leurs imperfections les arrêtent, et
les empêchent d'aller à Dieu par le plus court che-
min. Ils ne peuvent aller vite; car ils sont trop
charg& et d'eux-mêmes et de tout ce grand attirail
de choses superflues, qu'ils rapportent à eux avec
(>) Luc, zYi. i5.
A LA, TUE DE iES DÉFAUTS. 3^7
Uot d*empresseiBenl et de jalousie. Les uns croient
aller droit, usant toujours de certains petits détours
pour parvenir à leurs fins qui leur semblent permises*
Les antres ignorent leur propre cœur, jnsqn à s'ima-
giner qu'ils ne tiennent plus à rien, quoiqu'ils tien-
nent encore à tout, et que le moindre intérêt ou la
moindre prévention les surmonte. On se flatte sur ses
raisons dans le temps qu*on croit peser celles d'au-
trui au poids du sanctuaire ; et par là on devient in-
juste, ne parlant que de justice et de bonne foi. On
se prévient contre les gens dont on est jaloux ; la ja-
lousie, cacbée dans les derniers replis du cœur,
exagère les moindres défauts : on en est plein, on ne
peut s'en taire, on s'échappe malgré soi à laisser en*
trevoir son dégoût et son mépris. De là viennent les
critiques déguisées et les mauvais offices qu'on rend
sans penser à les rendre. Lç cœur, rétréci par l'in-
térêt propre, se trompe lui-même pour se permettre
ce qui lui convient : il est foible , incertain, timide ,
prêt à ramper, à flatter, à encenser, pour obtenir. Il
est si occupé de lui , qu'il ne lui reste ni temps, ni
pensée, ni sentiment pour le prochain. De temps en
temps la crainte de Dieu le trouble dans sa fausse
paix, et le force de se donner à autrui ; mais il ne s'y
donne que par crainte et malgré luu C'est une im-
pukion étrangère, passagère et violente : on retombe
bientôt au fond de soi-même, où l'on redevient son
tout et son dieu même ; tout pour soi ou pour ce qui
s'y rapporte , et le reste dumonde entier n'est rien.
On ne veut être ni ambitieux, ni avare, ni injuste,
ni trattre : mais ce n'est point l'amour qui rend
permanentes et fixes toutes les vertus contraires à ces
3^8 .nu pourr se otcoos^Gsa
TÎctis; c*est aa contraire vae craiole ëtrangèrc qui
TÎeot par accès ioégaox, el qui anspend tous ceSTÎœs
propres à 1 ame attachée à elle^mênie.
Voilà de qnoi je me plains tant; voilà ce qui me
(ait tant désirer one pieté de pore foi et de mort
sans résenre, qni arrache Famé à elle-même sans
espérance d*aacun retoar. On trouve cette perfec-
tion trop haute et impraticable. Hé bien 1 qu* on re-
tombe donc dans cet amour^propre qaî craint Dieu, et
qui va toujours tombant et se relevant avec lâcheté
jusqu'à la fin de la vie* Tandis qu'on s*aime tant, on
ne peut être que |dein de misères ; on fût meilleure
mine que les autres quand on est plus glorieux et
^lus délicat dans sa gloire ; mais ces dehors n*ont au*
cun véritable soutien. Cest cette dévotion mélangée
d*amour*propre qui infecte; c'est elle qui scandalise
le monde , et que Dieu^ même vomit* Quand est-ce
que nous la vomirons aussi, et que nous irons jusqu'à
la source du mal ?
Quand on pousse la piété jusque là , les gens sont
effrayés, et trouvent qu'elle va trop loin. Quand elle
ne va point jusque là, elle est molle, jalouse, déli*
cate, intéressée. Peu de personnes ont assez de cou-
rage et de fidélité pour se perdre, s'oublier et s anéan-
tir elles-mêmes ; par conséquent peu de personnes
font à la piété tout Thonneur qu'on devroit lui fiiire.
Il 7 a des défauts de promptitude et de fragilité
que vous comprenez bien, qui ne sont pas incompa^
tibles avec une piété sincère : mais vous ne com-
prenez pas aussi clairement que d'autres défauts , qui
viennent de foiblesse, d'illusion , d'araour-propre et
d'habitude, con^tissent avec une véritable ioten-
A LA TUB DS 8B5 ràFAUTS. 379
tioD de plaire à Dira. A la vërité, cette iùttotion
n^est ni assez pure ni aftez f^^rte; mais, qii6iqae
foible et imparfaite, elle est sincère dans ses bornés.
On est avare; mais on ne voit point son avarice;
elle est couverte de prétextes spécieux ; elle s'ap-
pelle bon ordre, soin de ne rien perdre, prévoyance
des besoins. On est envieux ; mais on ne sent pas en
soi œtte passion basse et maligné qui se cache; elle
n*oseroit parottre, car elle donneroit trop de confu-
sion ; elle se déguise, et quelquefois elle trompe bien
plus la personne qui en est tourmentée, que les
autres qui Texaminent de près aVec des yeux (Criti-
ques. On est âpre, délicat, difficultueux , ombrageux
sur les affaires : c'est Tiotérét qui fait tout cela;
mais riotérét se pare de cent belles raisons-Ecotitez-
le; vous ne finiree point; il faudra lui avouer qu'il
n'a point de tort. Je conclus que les gens de bien,
et vous comme les autres, sont pleins d'imperfec-
tions mélangées avec leur bonne volonté, parce que
leur volonté , quoiquebonne , est encore foible, par-
tagée ^ et retenue par les secrets ressorts de l'amour-
propre.
Votre ardeur même contre les défauts d'autrui est
un grand défaut. Ce dédain des misères d'autrui est
une misère qui ne se connott pas assez elle-mâme*
C'est une hauteur qui s'élève au-dessus de la bassesse
du genre humain ; au lieu que, pour la voir bien , il
faudroit la voir de plain-pied* Mon Dieu! quand
n'aurez-vous plus rien à voir ni chez vous ni chez
les autres? Dieu tout bien; la créature tout mal.
D'ailleurs les impressions passagères que vous prenez
sont trop fortes. Vous les prenez vivement suivant
38o ITE POINT 8B DÉCOtTBAaER
les différentes occasions ; au lien que vous pourriez
prendre de sang-froid certaines vues justes qui se-
roient fixes, qui conviendroient à tous les événemens
particuliers, qui vous donneroient une clefgéné^
raie de tous les détails, et qui ne seroient guère
sujettes à changer.
Vous craignez de tomber dans le mépris de tout
le genre humain. En un sens, je voudrois que vous
le méprisassiez tout entier autant qu*il est mépri-
sable. La seule lumière de Dieu peut, en croissant,
vous donner cette pénétration de Tabtme du mal qui
est dans tous les hommes. Mais, en connoissant à
fond tout ce mal, il faut connottre aussi le bien que
Dieu y mêle. C'est ce mélange de bien et de mal
qu^on a delà peine à se persuader» C est le bon et le
mauvais grain que rentjemi a mis ensemble ('). Les
serviteurs veulent les séparer ; mais le père de famille
s*écrie : Laissez-les croître ensemble fusi/ues au jour
de la moisson*
Le principal est de ne se point décourager à la vue
d*un si triste spectacle , et de ne pousser pas la dé-
fiance trop loin. Les gens naturellement ouverts et
confians se resserrent et se défient plus que d'auti^es
quand ils se rebutent par expérience d^avoir de la
confiance et de l'ouveriure : ils sont comme les pol-
trons désespérés , qui sont plus que vaillans. Vous
avez beaucoup à vous précautionner de ce côté-là ;
car, outre que la place où vous êtes fait passer en
revue devant vous les misères de tout le genre hu-
main, d'ailleurs Tenvie, la jalousie, la témérité des
jugemens, et la malignité des mauvais offices, empoi-
(0 3faUh. XIII. a5, elc.
À LA VUE DE SES DÉFAUTS. 38 1
sonnent une infinité de choses innocentes, et exa-
gèrent sans pitié b'eauconp cle légères imperfections.
Tout cela vient en foule âittaquer votre patience ,
votre confiance et votre charité qui en sont fatiguées.
Mais tenez bon : Dieu s*est réservé de vrais servi-
teurs ; s'ils ne font pas tout , ils font beaucoup par
comparaison au reste du monde corrompu, et par
rapport à leur natureL Ils reconnoissent leurs im*
perfections, ils s'en humilient, ils les combattent;
ils s'en. corrigent lentement à la vérité, mais enfin ils
s'en corrigent. Ils louent Dieu de ce qu'ils font; ils
se condamnent de ce qu'ils ne font pas. Dieu s'en
contente ; contentez-vous-en.
Si vous trouvez, comme je le trouve, que Dieu
devroit être mieux servi , aspirez donc sans bornes et
sans mesures à ce culte de vérité , où il ne reste plus
rien à la créature pour elle , et où tout retour est
banni comme une infidélité et un intérêt propre. O
si vous étiez dan» ce bienheureux état, bien loin de
supporter impatiemment ceux qui n'y seroient pas,
l'étendue immense de votre cœur vous rendroit in-
dulgente et compatissante pour toutes les foiblesses
qui rétrécissent les cœurs intéressés» Plus on est para-
fait, plus on s'apprivoise avec l'imperfection^ Les
Pharisiens ne pouvoient supporter les Publicains et
les femmes pécheresses, avec qui Jésus-Christ étoit
avec tant de douceur et de bonté. Quand on ne tient
plus à soi , on entre dans cette grandeur de Dieu que
rien ne lasse ni ne rebute. Quand serez^i^vous dans
cette liberté et cet élargissement de cœur? La déli-
catesse, la sensibilité, qu'on croit qui viennent d'un
goût exquis de la vertu , viennent bien davantage de
384 ^K ^^ TRAIE LIBERTÉ.
retours inquiets d'un amour-propve jaloux et dé-
licat.
Il faut nous perdre si nous voulons nous retrouver
en Dieu ; c est aux petits que Jésus-Christ déclare
qu'appartient son royaume. Ne raisonner point trop,
aller au bien par une intention droite dans les choses
communes y baisser tomber mille réflexions par les-
quelles on 8*enveloppe et on s*enfonce en soi-même
sous prétexte de se corriger-, voilà en gros les prin-
cipaux moyens d'être libre de la vraie liberté sans
négliger ses devoirs.
XXIX.
Obligation de s'abandonner à Dieu sans réserue.
Le salut n*est pas seulement attaché à la cessation
du mal : il faut encore y ajouter la pratique du bien.
Le royaume du ciel est d'un trop grand prix pour
être donné à une crainte d'esclave, qui ne s'abstient
du mal qu'à cause qu'il n'ose le feire. Dieu veut des
enfans qui aiment sa bonté, et non des esclaves qui
ne le servent que par la crainte de sa puissance. Il
faut donc Faimer, et par conséquent fairç tout ce
qu'inspire le véritable amour.
Bien des gens, qui paroissent d'ailleurs bien in-
tentionnés, se trompent à ce sujet : mais il est facile
de les détromper s'ils veulent examiner les choses de
bonne foi. Leur erreur vient de ce qu'ils ne coo*
noissent ni Dieii ni eux-mêmes. Us sont jaloux de
leur liberté, et ils craignent de la perdre en se livrant
trop
OBUGATION DE S^ABAUDOMMBII A DIEU. 385
trop à la piëië; mais iU dcHvent cansidérer quMk ne
sont point à eux-nëémes (0 ; ils sont à Dien, qui, les
ayant faits nDÎqaenent pour lui el non pour eux-
mêmes , les doit mener eomme il lui platt, avec na
empire absolu. Ils se doivent tout entiers à lui , sans
condition et sans réserve* Nous n'avons pas même, à
proprement parler, le droit de nous donner à Dieu ;
car nous n*avons aucun droit sur nous-mêmes : mais
si nous ne itous^ laissions pas à Dieu comme une
chose qui est de sa nature toute à lut, nous ferions
on larcin sacrilège , qui renverseroit Fordre de lai
nature y et qui videroît la loi essentielle de la créa-
tore.
Ce n'est donc pas à néua k rabonner sur la loi que
Dieu «MIS impose : c'est à^nous à lare^oir, à l'a-
dorer, à la suivre aveuglément. Dieu sait mieux que
nous ce qui nous convient Si nous faisions l'Évan*
gile, peut-être serions-nous tentés de l'adoucir pour
raccommoder à notre lâcheté : mais Dieu ne nous a
pas consultés en le faisant -, il nous l'a donné tout
fait, et né nous a laissé aucune espérance de salut
que par l'accomplissement de cette souveraine loi ,
qui est égale pour toutes les conditions : Le ciel et
la terre passeront ; cette parole de vie ou de mort
ne passera jamais (^). On ne peut en retrancher ni
an mot ni la moindre lettre. Malheur aux prêtres
qui oseroient en diminuer la force pour nous l'a-
doucir ! Ce n'est pas eux qui ont fait cette loi ; ils
n en sont que les simplesi dépositaires. Il ne faut donc
pas s'en prendre à eux si l'Évangile est une loi sévère.
Cette loi est autasit redoutable po«u* eux que pour
(0 / €)or, TT. 19. — (>) if/ofilk XJUT. SS.
Fémélov. XVIII. 25
386 BOHHEUR DE L AVE
le reste des hommes, et plus encore pour eux qae
pour les autres, puisqu'ils répondront et des autres
et d'eux-mêmes pour l'observation de cette loi. Mal-
heur à V aveugle gui en conduit un amtref ils tom-
beront tous deux, dit le Fils de Dieu (0, dans le
précipice. Malbeur au prêtre ignorant , ou lâche et
flatteur, qui veut élargir la voie étroite ! La voie
large est celle gui conduit à la perdition W.
Que l'orgueil de l'homme se taise donc. Il croit
être libre, et il ne Test pas. C'est à lui à porter le
joug de la loi , et à espérer que Dieu lui donnera des
forces proportionnées à la pesanteur de ce joug. En
effet, celui qui a ce souverain empire sur sa créa-
ture pour lui commander, lui donne par sa grâce
intérieure de vouloir et défaire ce qu'il commande.
XXX.
Bonheur de l'ame qui se donne entièrement à Dieu,
Combien l'amour de Dieu adoucit tous les sacri-
fices. Aveuglement des hommes qui préfèrent les
biens du temps à ceux de l'éternité.
La perfection chrétienne n'a point les rigueurs,
les ennuis et les contraintes que l'on s'imagine. Elle
demande que l'on soit à Dieu du fond du cœur ; et
dès qu'on est ainsi à Dieu, tout ce qu'on fait pour
lui devient facile. Ceux qui sont à Dieu sont tou-
jours contens lorsqu'ils ne sont point partage \ car
ils ne veulent que ce que Dieu veut, et veulent faire
^0 £cio. VI. 3o. — C*} Mtath, TH. tl.
QUI SE DONNE ENTIÈREMENT A DIEU. 38^
pour lui tout ce qu^il veut. Ils se dépouillent de
tout y et trouvent le centuple dans ce dépouillement.
La paix de la conscience, la liberté du cœur, la
douceur de s'abandonner entre les mains de Dieu ,
la joie de voir toujours croître ta lumière dans son
cœur, enfin le dégagement des craintes et des désirs
tyranAiques du siècle, font ce centuple de bonheur
que les véritables enfans de Dieu possèdent au mi-
lieu des croix , pourvu qu'ils soient fidèles.
Ils se sacrifient, mais à ce qu'ils aiment le plus;
ils souffrent, mais ils veulent souffrir, et ils pré-
fèrent la souffrance à toutes les fausses joies. Leurs
corps ont des maux cuisans, leur imagination est
troublée, leur esprit tombe en langueur et en dé-
faillance ; mais leur volonté est ferme et tranquille
dans le fond et le plus intime d'elle-même, et elle
dit sans cesse Amen à tous les coups dont Dieu la
frappe pour la sacrifier.
Ce que Dieu demande de nous, c'est une volonté
qui ne soit plus partagée entre lui et aucune créa-
ture; c'est une volonté souple dans ses mains, qui
ne désire et ne rejette rien , qui veuille sans réserve
tout ce qu'il veut, et qui ne veuille jamais, sous au-
cun prétexte, rien de ce qu*il ne veut pas. Quand
on est dans cette disposition, tout est salutaire; et
les amusemensles plus inutiles se tournent en bonnes
œuvres.
Heare^ celui qui se donne à Dieu ! il est délivré
de ses passions, des jugemens des hommes, de leur
malignité, de la tyrannie de leurs maximes, de leurs
froides et misérables railleries, des malheurs que le
monde attribue à la fortune, de l'infidélité et de Fin-
388 BOKBBUm DB LAME
constance des amis, des artifices et des pièges des
ennemis, de sa propre foiblessê , de la misère et de
la brièveté de la vie, des borreurs d'une 'mort pro-
fane, des cruels remords attadiës aox plaisirs crimi-
nek, et enfin de rétemdlle condamnation de Dien.
n est délivré de cette multitude innombrable de
maux, puisque y mettant sa volonté entre les mains
de IKeUy il ne veut plus que ce que Dien veut; ef il
trouve ainsi sa consolation dans la foi , et par con-
séquent l'espérance au milieu de tontes ses peines.
Quelle foiblessê seroit-ce donc de craindre de se
donner à Dieu, et de s'engager trop avant dans un
état si désirable!
Heureux ceux qui se jettent tête baissée et les yeux
fermés entre les bras du Père des miséricordes et
du Dieu de toute consolation, comme parle saint
Paul (0! Alors on ne désire rien tant que de con-
nottre ce que Ton doit à Dieu ; et on ne a*aint rien
davantage que de ne voir pas assez ce qu^il demande.
Sitôt qu'on découvre une lumière nouvelle dans la
foi, on est transporté de {oie, comme nn avare qui
a trouvé un trésor. Le vrai Chrétien , de quelque
malheur que la Providence Faccable, vent tout ce
qui lui arrive, et ne veut rien de tout ce qui lui man-
que : plus il aime Dieu , et plus il est content ; et la
plus haute perfection , loin de le surchai-ger, rend
son joug plus léger.
Quelle folie de craindre d'étf e trop à ^u ? C'est
craindre d'être trop heureux; c'est craindre d'aimer
la volonté *de Dieu en tontes choses; c*est craindre
d'avoir trop de courage dans les croix inévitables ,
(0 // Cor. I. 3.
QUI SE DOMSri: ENTlkEEMBMT ▲ DIEU. SSq
trop de consolation dans rameur de Dieu, et trop
de détachement poar les passions qui rendent mi*
sérables.
Méprisons donc les choses de la terre pour être —
toat a Dieu. Je ne dis pas que nous les quittions ab*
solunient ; car, qnand on est déjà dans une vie hon-
nête et réglée , il n'y a quk changer le fond de son
cœur en aimant» et nous ferons à peu près les mêmes
choses que nous faisions : car Dieu ne renverse point
les conditions des hommes , ni les fonctions qu'il y
a lui-même attachées; mais nous ferons pour servir
Dieu ce que nous faisions pour servir et pour plaire
au iuo0d« q^^our nous contenter nous-mêmes. 11 y
aura seulement cette différence, qu'au lieu d'être dé*
vorés par notre orgueil, par nos passions tyranniques
et par la censure maligne du motMle» nous agirons
au contrains avec liberté, avec eounage , avec espé-
raoce eu Dieu^^£ la confiance nous aaîmeraj l'attenta
des bieus éternels qui s'approchent, pendant que
ceux d*ici-bas nous échappent, nous soutiendra au
milieu des peines; l'amour de Dieu, qui nous fera
sentir celui qu'il a pour nous, nous donnera des
ailes pour voler dau6 $a voie et pour UQUS élever au*
dessus de toutes nos misères. Si uous avons de la
peioe k le croire i l'expérience bou$ en convaincra ;
f^enez ^ vqyez iH gQÛie,^^ dit David (0, çom^i^nh.
Seigneur est doux.
Jésus-Qhrist dît k tous les Chrétiens sans excep^
^n : QfU9 cehU qui veut être mon disciple porte sa
croix, el qu'il me suis>e W. La voie large conduit
a la perdition ; il faut suivre la voie étroite où le
C») Ps. xxxiii. 9. — v') Matth. XTi. a4-
390 BONHEUR DE L*AME
petit nombre entre. Il n'y a que ceux qui se font vio-
lence qui emportent le royaume du ciel. 11 faut re-
naître , se renoncer, se haïr, devenir enfant, être
pauvre d'esprit, pleurer pour être consolé, et n'être
point du monde, qui est maudit à cause de ses scan-
dales. Ces vérités effraient bien des gens, et cela
parce qu'ils connoissent simplement ce que la reli-
gion fait faire , sans connottre ce qu'elle présente , et
qu'ils ignorent l'esprit d'amour qui rend tout léger.
Us ne savent pas qu'elle mène à la plus haute
perfection, par un sentier de paix et d'amour, qui
en adoucit tous les travaux.
Ceux qui sont à Dieu sans partage i^nt toujours
heureux. Us éprouvent que le joug du Seigneur est
doux et léger; qu'on trouve en lui le repos de Van^e»
et qu'il soulifgc ceux qui sont chargés et fatigués,
comme il l'a dit lui-même <0. Mais malheur à ces
âmes lâches et timides qui sont partagées entre Dieu
et le monde! Elles veulent et ne veulent pas; elles
sont déchirées tout à la fois par leurs passions et par
leurs remords; elles craignent les jugemens de Dieu
et ceux des hommes; elles ont horreur du mal et
honte du bien ; elles ont les peines de la vertu sans
en goûter les consolations. O qu'elles sont malheu-
reuses ! Ah ! si elles avoient un peu de courage pour
mépriser les vains discours , les froides railleries et
les téméraires censures des hommes, quelle paix ne
goûteroient-elles pas dans le sein de Dieu!
Qu'il est dangereux pour le salut, qu'il est in-
digne de Dieu et de nous , qu'il est pernicieux même
pour la paix de notre cœur, de vouloir toujours de^
(0 Matth. XI. «9, Sa.
^UI SE DOlfnE EATliSKBMEliiT À DIEU. ^91
meiirar où Toq est! La vie entière ne nous est donnée
que pour. nous avancer à grands pas vers notre patrie
eëleste. Le monde s'enfuit comme une ombre trom«
pause; rét^^nitë s'avance déjà pour nous recevoir.
Que tardons-nous à nous avancer pendant que la
lumière du Père des miséricordes nous éclaire?
Hâtons-nous d'arriver au royaume de Dieu.
Le seul commandement suffit pour faire évanouir
en un moment tous les prétextes qu'on pounoit
prendre de faire des réserves avec Dieu : F'ous
aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur,
de toute votre 4vne, de toutes vos forces et de toutes
vos pensées^ Voyeï combien de termes joints en-
semble par le Saint-Esprit , pour prévenir toutes les
réserves que l'homme pourroit vouloir faire au pr^
. judîce de cet amour jaiouz el dominant.. Tout n'est
pas trop pour lui^ il ne souffre point de partage; et
il. ne permet plus d'aimer hors de Dieu, que ce que
Die^u commande lui-même d'aimer pour l'amour de
lui. Il faut l'aimer non*seulement de toute l'étendue
et de toute la force de son cœur, mais encore de
toute l'application de sa pensée. Con^ment donc
poarra-t*on croire qu'on l'aime, si on ne peut se
résoudre à penser à sa loi, et à s'appliquer de suite
à accomplir sa volonté 7
Ceux qui craignent de voir trop clairement ce
que. cet amour demande^ se moquent de croire qu'ils
ont cet amour vigilant et appliqué. Il n'y a qu'une
seule manière d'aimer Dieu , c'est de ne faire aucun
marché ayec lui^ et de suivre avec un cœur géné-
reux tout ce qu'il inspire. Tous ceux qui vivent dans
des retranchemenSy mais qui v ou dr oient bien être
392 BOVHEVK m L AME
un pea du monde, cowrent grand ri«fue d*étiit de
ces tièdes dont «1 dit q«i*il les vomira (O. Dîen sup-
porte impatiemment ces âmes lâches ^i disent eo
elles-mêmes : Tirai }U6^e là, et jamais plus loin»
Appartient^il à la créature de fisôre la loi k sod
créateur? Que diroit nn roi d*«Hi sujet, on un maître
de son domestique , -qui me voodroit le «ervtr qn^
sa mode ^ qui craîndroit de trop fi*aflbctionner pour
ses intérêts , et iqui aoroit bon^e , aux yens du public,
de s'attacher % hiî? Mais plutôt que dira le Roi des
rois, si nous faisons commes ces Iftches senrilears?
Il faut i)*instruire non-seulement de la volonté de
Dieu en général , mais encore quelle est sa.volonlé en
chaque chose, avec ce qui Itii ptak davantage et qui
est le plus parfait. Tîous ne sommes vérilaMement
raisonnables qu'autant quenous consukonsla volonté
de Dieu , pour j conformer la nôtres, c'est la vérita-
ble lumière que nous devons suivre, toute outre la-
mière est fausse: c'est une lueur trompeuse, et non
une lumière véritable. Aveuglée donc tous eeux qUi
se croient sages, et qui ne le sont pas de la sagesse
de lésuS'Glirist , seul digne du nom de sagesse! Us
coureiit dans une profonde nuit après des fantômes ;
ils sont comme ceux qui dans un songe pensent être
éveillés, et qui s*imaginent que tous les objets du
songe sont réels. Ainsi sont abusés tous les. grands de
la terre, les sages du siècle, t&vt$ les hommes enchan-
tés par les faux plaisirs. Il n'y a que les enfiins de
Dieu qui marchent aux rayons de la pure vérité.
Qn est-ce que les hommes pleins de leurs pensées
vaines et ambitieuses, ont devant eux? Souvent la
(0 jipoe. Jii. ]6.
QUI SE DONIIE EATlfeREMENT A DIEU. igi
disgrâce,' toujours la mort, le )ogement de Dieu et
rëternité. Voilà les grands objets qui s^avancent et
qui viennent au-derant de ces hommes profanes : ce-
pendant ils ne les voient pas ; leur politique prévoit
tout, excepté la chute et Tauéantissement inévitable
de tout ce qu'ils cherchent. O aveugles! quand ou*
vrirez-vous les yeux h la lumière de Jésos-Gbridt ,
qui vous déoonvriroit le néant de toutes les grandeurB
d'ici-bas ?
Ils sentent qu'ils ne sont pas iieufreus, et ils espè*
rent trouver de quoi le devenir par les choses mêmes
qui les rendent misérables : ce qu'ils n'ont pas 1^ ^-
flige; ce qu'ils ont ne les peut remf4îr. Lears douleurs
sont véritables; leurs joies soQt courtes, vaiues et
empoisonnées; eUes leur coûteot plus qu'elles ne
leur valent, ^oute ieur vie est «ne ^xpérienioe sen»
sible et «ooiKtttuelle de leur égarement ; le jugemenit
étemel pend déjà sur leur tète; leurs fausses joies
vont se changer en des pleura et des huiiemens qui ne
finiront jamais. JLeur vie est .comme une ombre qui
va disparoltre, ^u tout au plus comme une fleur qui
s'^anouit le matin, mais qui est le soir flétrie, des*
séchée et foulée aux pieds. Que sontrils devenus ces
insensés mondains? On les a vus, au moment de la
mort , abattus, tremblans et découragés : ils avouent
rillusioQ dans laquelle ils ont vécu , et déplorent leur
erreur. Ils passent mdoie couvent d'une extrëmilé à
l'autre, et, après avoir été sans respect pour la re-
ligion , ils deviennent lâches et superstitieux. STest^il
pas faonrible que les hommes veuillent hasarder l'é*
ternité, plutôt que de se gêner dans leurs mauvaises
inclinations 7 cependant rien de plus ordinaire. Mon-
394 BONHBUm DE LAME
trez-leur toat ce quil vous plaira ^ la vanité et le
néant de la créature ; faites-leur remarquer la briè-
veté et rîncerlitude de la vie, rinconslance de la for-
tune, rinfidélité des amis, l'illusion des grandes
places y les amertumes qui y sont inévitables , le mé-
contentement des grands , le mécompte de toutes les
plus grandes espérances, le vide de tous les biens
qu'on possède, la réalité de. tous lesmayx qu*on souf-
fre ; toutes ces morales, quelque vraies qu*elles
soient, ne font qu'effleurer leur cœur, elles passent
par la superficie ; le fond de Thomme n'en est point
changé : il soupire de se voir esclave de la vanité, et
ne sort point de son esclavage.
Que faut-il donc qu'il fasse pour sortir de cet état
pitoyable? Il faut qu'il prie, afin que Dieu réclaire
entièrement, et d'aliord il oonnottra l'abtme du bien ,
qui est Dieu, et l'abîme du mal et du néant, qui est
la créature corrompue ; alors il se méprisera et se
haïra, il se quittera, il se craindra, il se renoncera
soi-même , il s'abandonnera à Dieu , il se perdra en
lui. Heureuse perte! puisqu'il se trouvera par là sans
se chercher; il n'aura plus d'intérêt propre , et tout
lui profitera; car tout tourne à bien pour ceux qui
aiment Dieu , et qui sont animés de son esprit : ceux
qui n'ont pas ce bon esprit sont fort malheureux
de ne le point avoir; celui qui en est privé, oa ne le
le démande plus, ou le demande mal. Ce n'est point
par les lèvres ni par les actions extérieures, c'est par
le désir du cœur, et par un profond abaissement de
soi-même devant Dieu , qu'on attire au dedans de soi
cet esprit de vie, sans lequel les meilleures actions
sont mortes. Dieu^st si bon, qu'il u attend que notre
QUI SE BOHTME EMTlÈaEMENT A DIEU. Sq^
désir pour nous combler de ce don qui est lui-même.
Le criy dit-il dans rÉcriture, ne sera pas encore formé
dans votre bouche, que moi , qui le verrai avant que
de naître dans votre cœur, je Texaucerai avant qu*il
soit fait. Cest donc la prière du cœur que Dieu exauce
ordinairement. On choisit quelque mystère ou quel*
que grande vérité de la religion, ^ue Ton doit mé-
diter en profond silence ; et, après s'en être convaincu,
H iaut s'en faire l'application à soi-même, former ses
résolutions devant Dieu par rapport à ses devoirs et à
ses défauts, lui demander qu'il nous anime pour nous
faire accomplir ce qu'il nous donne le courage de
lui promettre. Quand nous nous apercevons dans la
prière que notre esprit s'égare , il n'y a qu'à le ra-
mener doucement, sans nous décourager jamais de
rimportunité de ces distractions qui sont si opinià-
très. Tandis qu'elles sont involontaires, elles ne peu-
vent nous nuire; au contraire, elles nous serviront
plus qu'une prière accompagnée d'une ferveur sen-
sible; car elles nous humilieront, nous mortifieront,
et nous accoutumeront à chercher Dieu pui'ement
pour lui-même , sans mélange d'aucun plaisir.
Mais outre ces prières, pour lesquelles on doit se
réserver des temps particuliers ; car les occupations,
quelque nécessaires qu'elles soient, ne vont jamais
iusqu'à ne nous pas laisser le temps de manger le
pain quotidien; il faut, dis-je, outre ces prières ré-
glées, s'accoutumer à faire de courtes, simples et
fréquentes élévations de cœur à Dieu. Un mot d'un
Psaume, ou de l'Evangile, ou de l'Ecriture , qui est
prc^re à nous toucher, suffit ppur cela. On peut
faire cc^ élévations-là au milieu des gens qui sont
396 BOVHBfJE DB l'aMB
avec noos, sans qne personne s'en aperçoive. Elles
font ordînaireoienl pins de bien que les applications
suivies à nn sujet particulier. Il est bon , par exem-
ple 9 de prendre la résolution de faire , tant le matin
que Tapres^-dlnery ces élévations ; de penser à Dieu
toutes les fois qn'oa verra certaines choses ou œr*
tûnes gens; de p^oir les actions que Ton fera, les
repasser; c*est le vrai moyen d'agir en la présence de
Dieu y et de se la rendre familière ; et cette présence
est on vrai moyen de parvenir au mépris du monde.
Car c*est en voyant Dieu qu'on voit le néant du
monde, qui s'évanouira dans peu comme la fumée.
Toutes les grandeurs et leur attirail s'enfuiront
comme un songe; toute hauteur sera aplanie , toute
puissance sera écrasée, toute tête superbe sera cour-
bée sous le poids de Tétemelie majesté de Dieu* Dons
ce jour où il jugera les hommes , cTun seul regard il
effiicera tout ce qui brille dans la nuit présente,
comme le soleil en- se levant effiice toutes les étoiles.
On ne verra que Dieu partout , tant il sera grand ;
on cherchera en vain, on ne trouvera plus que lui,
tant il remplira tout. Que sont- ils devenus, dira-t-on,
ces objets qui avoient enchanté notre ccrar? qu'en
reste- t-il? où étoient leurs places? Hélas! il ne reste
pas même les marques du lieu oh ils ont été ! Ils ont
passé comme une ombre que le soleil dissipe ; à peine
est-il vrai de dire qu'ils ont été; tant il est vrai de
dire qu'ils n'ont Êiit que parottre, et qu'ils ne sont
plus.
Mais quand le monde ne devroit point finir, 9
vous laissera , quoi que vous fassiez : un peu plus tôt
ou un peu plus tard; qu'importe? Encore un petit
QUI SE DOMME KNTIEREMEJIT A DIEU. il)']
nombre d^antiées qui s'écoaleront rapidement comme
Teau f qaî dîsparottroni comme un songe p la jeunesse
sera passée, le monde se tournera d*un autre côté; il
méprisera avec dégoût ceux qui n'auront pas su dans
le temps le mépriser lui-même. Ce temps s'approche,
il vient, le voilà , hâUms-nôus de le prévenir. AimoAS
réiemelle beauté^ qui ne vieillit point et qui empé»
cfae de vieiUir ceux qui n*aiment qu'elle; méprisons
ce monde qui tombe déjà en ruine de toutes! pàrU*
Né voyons-nous pas que deptiis tant d'années lesper-
sonnes qui éloienldans les mêmes places > surprises
par la mort, sont tombées dansUabtme dévorant de
Té terni té 7 II s'est élevé conime. un monde nouveau smr
celui qui nous a vus natire. Si peu qu'on vive, il
faut chercher d'autrea amîs^ après avoir perdu leS
anciens; ce n'est plus la même famille où l'oh a été
élevé, d'autres parena inconnus viennent prendre 1a
place; on voit niéme disparoitre uàe cour entière,
d'autres sont à b place de ceujL qu'on adoûroît; ila
viennent éblouir à leur tour. Que sont devenus tous
ces grands acteurs qui reu^liasoient la scène il y a
trente ans? Maïs sans remonter ai haut, combien y
en a^-t-il de morts depuis sept ou Imit ans 7 Bientôt
nous les suivrons. Est^^ce donc ce monde auquel on est
ai attaché 7 on n'y fait que passer, ou en va sortir : il esè
lui-même la misère , la vanité , la folie ; il n'est qu'un
fantôme , une figure qui pasde , comme dit saint Paul.
O monde si fragile et insensé ! est-ce à loi à t'en faire
acdroirelàvec quelle audace espères -tu nous impo«>
ser, toi vaine et creuse figure, qui passe et qui va di»-
parottre7 Tu n'es qu'un songe, et tu veux qu'on te
croie ! On sent même en te possédant que ta n'ea
398 • DOHHEUR DB LAME
rien de vrai qui remplisse le cœur. N*as-tu point de
honte de donner des noms magnifiques aux misères
éclatantes par lesquelles tu éblouis ceux qui s*atta-
chent à toi? Dans le moment où tu f offres à nous
avec un visage riant ^ tu nous causes mille douleurs.
Dans le moment tu vas disparottre, et tu oses nous
promettre de nous rendre heureux ! Heureux seule-
ment celui qui voit son néant à la lumière de Jésus-
Christ !
Mais ce qui est terrible, c*est que mille gens s*à-
véuglent eux-mêmes, fuyant la lumière qui leur dé-
couvre ce néant, et qui condamne leurs' œuvres de
ténèbres. Gomme ils veulent vivre en bétes, ils ne
veulent point connottre d'autre vie que celle des
bétes , et ils se dégradent eux-mêmes pour étoufler
toute pudeur et tout remords. Ils se moquent de
ceux qui pensent sérieusement à l'éternité; ils trai*
tentde foiblesseles sentimensde religion par lesquels
on veut éviter d'être ingrat envers Dieu de qui nous
tenons tout. Le commerce de telles gens doit être
évité y et on doit le fuir avec soin. Il est important
de rompre sans retardement avec les personnes que
l'on sait être dangereuses ; plus on est exposé , et
plus on doit veiller sur soi-même, redoubler ses
efforts, être fidèle à la lecture des livres de piété, k la
prière et à la fréquentation des sacremens sans les-
quels on languit exposé à toutes les tentations.
Il est certain que quand nous demandons à Dieu
dans le Pater le pain quotidien , c'est-à-dire de cha-
que jour , nous lui demandons l'Eucharistie. Pour-
quoi donc ne mangeons-nous pas chaque jour, ou du
moins ti^ès-souvent , ce pain quotidien 7 Pour nous
QUI SE DONNE BNTIÈABMENT À DIEU. igg
en rendre dignes, accoutumons-nous peu à peu à
nous vaincre y à pratiquer la vertu ,- à recourir à
Dieu par des prières simples et courtes, mais faites
de bon cœur. Le goût de ce que nous avons aimé s*ë-
vanouira insensiblement ; un nouveau goût de grâce
s*emparera enfin de notre cœur; nous serons affamés
de Jésus-Christ qui nous doit nourrir pour la vie
éternelle. Plus nous mangerons ce pain sacré, plus
notre foi s'augmentera; nous ne craindrons rien tant
que de nous exclure de la sainte table par quelque
infidélité; nos dévotions, bien loin d*étre pour nous
une occupation qui gène et qui surcharge, seront
au contraire une source de consolation et d'adou-
cissement à nos croix. Mettons-nous donc en état
d'approcher souvent de ce sacrement : sans cela nous
mènerons toujours une vie tiède et languissante pour
le salut. Nous irons contre le vent à force de rames,
et sans avancer ; au lieu que si ùous nous nourrissons
de la chair de Jésus-Christ et de sa parole, nous se-
rons comme un vaisseau que le vent pousse à pleines
voiles.Henreuz ceux qui sont en cet état , ou du moins
qui le désirent !
4oO DÉSIK
Prière dune orne qui désire se donner à Dieu s
reserve»
Mon Dîea , je venz me donner à Yons ; «ionnez-
in*eii le coorage ; forti6et ma foible volonté qat sou-
pire après Yoac : je voiu tends les Joras^ prene^moi :
sî je nai pas là force de me donner à vous, attires-
moi par la douceur de vos parfÎMns; eatralnes-moi
après vous par les liens de veti^ anwnr^ Seigneur, à
qni serois-fe ii je ne suis h vous? Quel rode esclavage
que d'être à soi et à ses passions! O vraie liberté des
enCuis de Diea ! on ne von» eonndll pas« Henrenx
4jai a déconverft où eHe est^ et qat ne la obercke plus
oà elle n'est pas! Henreiiz; mille fins qui dépend de
Dieu es tout pour ne dépendre plais que de Im seul !
Ma» d'ott: vient y ô mon divinf épeux, que l'on
craint de rompre sas ehatees? Les vanités passagères
valent-eUes mieux que votre étemelle vérifé et que
vous-même? peut-on craindre de se donner à vous?
O folie monstrueuse ! ce seroit craindre son bonheur,
ce seroit craindre de sortir de l'Egypte pour entrer
dans la Terre-Promise ; ce seroit murmurer dans le
désert, et se dégoûter de la manne par le souvenir
des ognons d'Egypte.
Ce n'est pas moi qui me donne à vous; c'est vous,
ô mon amour, qui vous donnez tout à moi. Je n'hé-
site point de vous donner mon cœur. Quel bonheur
d'être dans la solitude , et d*y être avec vous, de n'a'-
coûter
D8 SE DOlfNEa A DIEU. 4^1
coûter et de ne dire plus ce qui est vain et inutile,
pour vous écouter! O sagesse infinie! ne me parle-
rez-vous pas mieux que ces hommes vains? Vous me
parlerez, ô amour de mon Dieu ! vous m'instruirez;
vous me fer^z fuir la vanité et le mensonge ; vous me
nourrirez de vous; vous retiendrez en moi toute
vaine curiosité. Seigneur, quand je considère votre
joug, il me semble trop doux : et est-il donc la croix
que je dois porter en vous suivant tous les jours de
ma vie? N*avez-vous point d'autre caKce plus amer
de votre passion à me faire boire jusqu'à la lie? Bor^
nez-vous à cette retraite paisible, sous une. sainte
règle et parmi tant de bons exemples , l'austère péni-
tence qae j'ai méritée par mes péchés? O amour!
vous ne faites qu'aimer; vous ne frappez point, vous
épargnez ma foibles'se. Graindrois-je après cela de
m'approcher de vous? Les croix de la solitude pour«
ront-^lles m'eifrayer? Celles dont le monde accable
doivent faire peur. Quel aveuglement de ne les
craindre pas !
O misère infinie, que votre seule miséricorde peut
surpasser! Moins j'ai eu de lumières et de courage,
plus j*ai été digne de votre compassion. O Dieu ! je
me suis rendu indigne de vous, mais je peux devenir
un miracle de votre grâce. Donnez-moi tout ce qui
me manque, et il n'y aura rien en mpi'qui n'exalte
vos dons.
Féhélov. xviii. 26
^O» HÉCBSSIT* mT PRATIQUE
ÏX.XI1.
Nécessité de renoncer à soi-même : pratique de ce
renoncement.
Si vous voulez bien comiMPendre ce que c'est que
se renoncer soi-môme, vous n'avez qu'à vous souve-
nir de la difficulté que vouasenlîtesau dedans de voua,
et que vous témoignâtes fort naturdlement quwad je
disois de ne jamais compter pour riea ce moi qui nous
est si cher. 5e renoncer c'est se compta- pour rien;
et quiconque en seht la difficulté a dé^ compris en
quoi consiste ce renoncement qui révolte toute la
nature. Puisque vous avea senti* le coup, il fa»t qu'il
ait trouvé la plaie de votre cœur; c'est h vojis h lais-
ser feiie la main toute-pmssante de Dieu, qui saura
bien vous arracher à vous-même.
Le fond de notre mal est de nous aimer d'un ftqaour
aveugle, qui va jusqu'à l'idolâtrie. Tout ce que nous
armons au dehors nous ne l'aimons que pour nous.
Il faut se désabuser de toutes ces amitiés généreuses,
où l'on parolt s'oublier poui- ne penser pluç qu'aux
intérêts des peraeaaca auxquelte on «'attache. Qi»a od
on ne cherche point un intérêt bas et grossier date
le commerce de l'amitié, on y recherche un autre
intérêt, qui, pour être plus caché, plus délicat, et
même plus honnête selon le monde, n'en est que
plus dangereux, et plus capable de nous empoison-
ner en nom-rissant mieux l'amour-propre.
On cherche donc dans ces amitiés, qui paroissenl
DE REHrOJICBMfiHT A S01*ltfÈME. 4^3
et aux autres et à noas-mêmes si généreuses et si
désintéressées, le plaisir d*aimer sans intérêt, et de
s'élever par ce sentiment noble au-dessus de tous les
cœurs foibles et attachés à des intérêts sordides.
Outre ce témoignage qu*on veut se rendre à soi»
même pour flatter son orgueil, on cherche encore
dans le monde la gloire du désintéressement et de la
générosité; on cherche à être aimé de ses amis, quoi-
qu'on ne; cherche pas à être servi par eux : on es-
père qip'ils seront charmés de tout ce que Fon fart
pour eux sans retour sur soi; et par là on retrouve
Je retour sur soi qu'on semble abandonner : car
^qu'y a-t-il de plus doux et de plus flatteur pour un
amour-propre sensé et d'un goût délicat, que de se
voir applaudir jusqu'à ne passer plus pour un amour»
propreî
On voit une personne qui parott toute aux autres
et point à elle-même, qui fait les délices des honnê-
tes gens, qui se modère, qui semble s'oublier. L'ou-
bli de soi-même est si grand que l'amouNpropre
même veut l'imiter, et ne trouve point de gloire
pareille à celle de ne parottre en rechercher aucune.
Cette modération et ce détachement de soi, qui se-
roitla mort de ta nature, si c'étoit un sentiment réel
et eflèctif, devient au contraire l'aKment le plus sub*
til et le plus imperceptible d'un otgueil qui méprise
tous les moyens ordinaires de s'élever, et qui veut
fouler aux pieds tous les sujets de vanité les plus gros-
siers qui élèvent le reste des hommes.' Mais il est fa-
cile de démasquer cet orgueil modeste, quoiqu'il ne.
paroisse orgueil d'aucun côté, tant il semble avoir
renoncé à tout ce qui flatte les autres. Si on le con-
404 NÉCESSITÉ ET PRATIQUE
damne, il supporte impatiemmeot d*être condainné;
si les gens qu'il aime et qu'il sert ne le paient point
d'amitié, d'estime et de confiance, il est piqué au
vif. Vous le voyez, il n'est pas désintéressa, quoi-
qu'il s^eflforce de le paroitre. A la vérité, il ne se paie
point d'une monnoie aus^i grossière que les autres;
il ne lui faut ni louanges lades, ni argent, ni fortune
qui consiste en charges et en dignités extérieures : il
veut pourtant être payé; il est avide de l'estime des
honnêtes» gens; il veut aimer afin qu'on l'^fme, et
qu'on soit touché de son désintéressement; il ne pa-
roit s'oublier que pour mieux occuper de soi tout 1«
monde. '
" Ce n'est pas qu'il fasse toutes ces réflexions d'une
itaanière développée :' il ne dit pas : Je veux tromper
tout le monde par mon désintéressement, afin que
tout le monde m'aime et m'admii*e ; non , il n'oseroit
se dire à soi-même des cbpses si grossières et si in-
dignes : mais il se trompe en trompant les autres; il
se mire avec complaisance dans son désintéresse-
ment, comme une belle femme dans son miroir; il
s*attendrit sur soi-même en se voyant plus sincère
et plus désintéressé que le reste des hommes; l'illu-
sion qu'il répand sur les autres rejaillit sur lui ; il ne
se donne aux antres que pour ce qu'il croit être,
c'est-à-dire, pour désintéressé; et voilà ce qui le flatte
le plus.
Si peu qu'on rentre sérieusement au dedans de soi,
pour observer ce qui nous attriste et ce qui nous
flatte, on reconnoilra aisément que l'orgueil, sui-
vant qu'il est plus grossier ou plus délicat, a des
goûts différens. Mais l'orgueil, quelque bon goût
DU RENONCEMENT A SOI-MÊME. * 4^^
que VOUS lui donniez , est toujours orgueil , et celui
qni paroît le plus modéré et le plus raisonnable est
le plus diabolique ; car, en s^estimant, il méprise les
autres; il a pitié des gens qui se repaissent de sottes
vanités ; il connoît le vide des grandeurs et des plus
hauts rangs ; il ne peut supporter les gens qui s'en-
ivrent de leur fortune; il veut par sa modération être
au-dessus de la fortune même, et par là se faire un
nouveau degré d'élévation pour laisser à ses pieds
toute la fausse gloire du genre humain : c'est vouloir,
comme Lucifer, devenir semblable au Très-Haut.
On veut être une espèce de divinité au-dessus des
passions et des intérêts des hommes; et on ne s'aper-
çoit pas qu'on se met au-dessus des autres hommes
par cet orgueil tromjpeur qui nous aveugle.
Concluons donc qu'il n*y a que l'amour de Dieu
qui puisse nous faire sortir de nous. Si la puissante
main de Dieu ne nous soutient pas, nous ne saurions
oii poser le pied pour faire un pas hors de nous-mê-
mes. Il n'y a point de milieu : il faut rapporter tout à
Dieu ou à nous-mêmes. Si nous rapportons tout à
nous-mêmes, nous n'avons point d'autre dieu que ce
moi dont j'ai tant parlé ; si au contraire nous rappor-
tons tout à Dieu, nous sommes dans l'ordre; et alors,
ne nous regardant plus que comme les autres créa-
tures, sans intérêt propre et par la seule vue d'ac-
complir la volonté de Dieu, nous entrons dans ce
renoncement à nous-mêmes que vous souhaitez de
bien comprendre.
Mais, encore une fois, rien ne boucheroit tant
votre cœur à la grâce du renoncement, que cet or-
gueil philosophique et cet amour-propre déguisé en
4o(> NÉCESSITÉ ET PRATIQUE
générosité mondainei dont vous devez vous dé6er , h
cause de la pente naturelle et de Thabitude que vous
y avez.' Plus on a par son naturel un fonds de fran-
chise, de désintéressement, de plaisir à faire du bien,
de délicatesse de sentiinens, de goût pour la probité
et pour Famitié désintéressée, plus on doit se dé-
prendre de soi et craindre de se complaire en ces
dons naturels.
Ce qui fait qu'aucune créature ne peut nous tirer
de nous-mêmes, c*est qu'il n'y en a aucune qui mé-
rite que nous la préférions à nous. Il n'y en a au-
cune qui ait ni le droit de nous enlever à nous-mêmes,
ni la perfection qui seroit nécessaire pour qous atta-
cher à elle sans retour sur nous , ni enfin le pouvoir
de rassasier notre cœur dans cet attachement. De là
vient que nous n^aimons rien hors de nous qne pour
le rapport à nous : nous choisissons, ou selon nos
passions grossières et brutales, si nous sommes bru-
taux et grossiers, ou selon le goût que notre orgueil
a de la gloire, si nous avons assez de délicatesse pour
ne nous con^tenter pas de ce qui est grossier et brutal.
Mais Di:eu fait deux choses, que lui seul peut faire;
Tune de se montrer à nous avec tous ses droits sur
sa créature et avec tous les charmes de sa bonté. On
sent bien qu'on ne s'est pas fait soi-même, et qu'ainsi
on n'est pas fait pour soi ; qu'on est fait pour la gloire
de celui à qui il a plu de nous faire; qu'il est trop
grand pour rien faire que pour lui-même; qu'ainsi
toute notre perfection et tout notre bonheur est de
nous perdre en lui. Voilà ce qu aucune créature,
quelque éblouissante qu'elle soit, ne peut jamais
nous faire sentir pour elle. Bien loin d'y trouver cet
UV ABironCEMEHT A SOI-MÉME. ^OJ
icrfini qui nous remplit et qui nous transporte çn
Dieu y nous trbnvons toujours au contraire, dans les
créatures» un vide, une impuissance de remplir notre
cœur y une imperfection qui nous laisse toujours re-
tomber ^du nous-mêmes.
. La seoonde merveille que Dieu fait, est de remuer
notre cœur comme il lui p\ait , après avoir ëclairë
notre esprit. Il ne se contente pas de se montrer in^
finiment aimable ; mais il se fait aimer en produi-
sant par sa grâce son amour dans nos cœurs : ainsi
il exécute lui-même en nous ce qu*il nous fait voir
que nous lui devons.
Vous dire& peut-être que vous voudriez savoir
€l*une manière plus sensible et plus en détail ce que
c'est que se renoncer : je vaiâ tâoher de vous salisfaî|*e.
On comprend aisément qu on doit renoncer aux
plaisirs criminels^ aux fortunes injustes et aux gros-
sières vanités , parce que le renoncement à toutes
^ choses consiste dans un mépris qui les rejette ab-
solument et qui en condamne toute jouissance : mais
il n est pas aussi facile de comprendre li renonce-
ment aux biens légitimement acquis, aux douceurs
d'une vie honnête et modeste , enfin aux honneurs
qm viennent de la bonne réputation et d'une Vertu
qui s'élève au-dessus de l'envie.
Ce qui fait qu'on a peine à comprendre qu'il faille
renoncer à ces choses, c'est qu'oie ne doit pas les re-
jeter avec horreur, et qu'au contraire il fi^ut les
conserver pour en user selon l'état oh la divine pro-
vidence nous met. On a besoin des consolations d'une
vîie douce et paisible pour se soulager, dans les en^
barras de sa condition ; il faut pour les honneurs
4^8 • nÉCESSlTÉ ET PRATIQUE
avoir égard aux bienséances; il faut conserver pour
ses besoins le bien qu*on possède. Gomment donc
Fenoncer à toutes ces choses , pendant qu'on est oc-
cupé du soin de les conserver? Cest qu'il faut, sans
passion , faire modérément ce que Ton pébt pour
conserver ces choses, afin d*en faire un usage sobre,.
et non pas en vouloir jquir et y mettre son oœur. Je
dis un usage sobre ; parce que , quand on ne s'atta-
che point à une chose avec passion pour en jouir et
pour j chercher son bonheur, on n'en prend que
ce qu'on ne peut s'empêcher de prendre ; comme
vous voyez qu'un sage et fidèle économe s'étudie i
ne prendre sur le bien de son maître que ce qui lui
est précisément nécessaire pour ses véritables be-
soins. Ainsi la manière de renopcer aux mauvaises
choses est d'en rejeter l'usage avec horreur ; et la
manière de renoncer aux bonnes est de n'en user
jamais qu'avec modération pour la nécessité, en
s'étudiaqt à retrancher tous les besoins imaginai^
dont la nature avide se veut flatter.
Eemarqtiez qu'il faut renoncer non-seulement aux
choses mauvaises, mais encore aux bonnes; car Jésus-
Christ a dit sans restriction : Quiconque ne renonce
pas à tout ce quU possède, ne peut être mon dis-
ciple (0. Il faut donc que tout chrétien renonce à
tout ce qu'il possède, même aux choses les plus in
nocentes , puisqu'elles cesseroient de l'être s'il b'j
renonçoit pas. Il faut qu'il renonce même aux choses
qu'il est obligé de conserver avec un grand soin,
comme le bien de sa famille ^ ou comme sa propre
réputation , puisqu'il ne doit tenir par le cœur à au-
{^) Luo. xiY. 3.
DU RENOnCBMBlIT.A SOI-MÊME. 4^9
cane de toutes ces choses : il ne doit les conserver
que pour un usage sobre et modéré ; enfin il doit être
prêt à les perdre toutes les fois que la Providence
voudra Ten priver.
Il doit même renoncer aux personnes qu'il aime
le plus , et qu'il est obligé d'aimer : et voici en quoi
consiste ce renoncement y c'est, de ne les aimer que
pour Dieu ; d'user sobrement , et pour le besoin , de
la consc^tion de leur amitié; d'être prêt à les pei'dre
quand Dieu les ôtera , et de ne vouloir jamais cher-
cher en eux le vrai repos de son cœur. Voilà cette
chasteté de la vraie amitié chrétienne qui ne cherche
que l'époul sacré dans l'ami mortel et terrestre. En
cet état, on use de la créature et du monde comme
n'en usant points suivant le terme de saint Paul (0 :
•on ne veut point jouir, on use seulement de ce que
Dieu donne et qu'il veut qu'on aime ; mais ou en use
avec la retenue d'un cœur qui n'en use que pour la
nécessité , et qui se réserve pour un plus digne objet.
C'est en ce sens que Jésus-Christ veut qu'on laisse père
et mère, frères, sœurs et amis , et qu'il est venu ap-
porter le glaive au milieu des familles W.
Dieu est jaloux : si vous tenez par le fond du cœur
à quelque créature, votre cœur n'est point digne de
lui ; il le rejette comme une épouse qui se partage
entre Tépoux et l'étranger.
Après avoir renoncé à tout ce qui est autour de
noua et qui n'est pas nous-mêmes , il faut enfin venir
au dernier sacrifice, qui est celui de tout ce qui est
en nous et nous-mêmes. Le renoncement à notre
corps est afireux pour la plupart des personnes dé- .
CO / Cor. XI. I. — (») dfatth, x, 54, S;; et xn. 19.
4lO JBléCBMlTÉ KT PRATIQVB
licatea et mondaines. Ces personnes foibles ne cob*
noissent rien qui soit plos elles-mêmes, pour ainsi
dire , que leur corps , qu elles flattent et qu elles or-
nent avec tant de soin : souvent même ces personnes,
désabusées des grâces du corps » conservent iiu amour
pour la vie corporelle qui va jusqu^à une honteuse
lâcheté, et qui les faitfrémir ao seul nom de la mort
Je crois que votre courage naturel vous élève assez
au-dessus de ces craintes : il me semble que )e vous
entends dire : Je ne ftux ni flatter mon corps , ni
hésiter à consentir à sa destruction, quand Dieu
voudra le frapper et le mettre en poudre.
Mais, quoiqu*on renonce ainsi à son corps, il i*este
de grands obstacles pour renoncer à ton esprit. Plus
on méprise ce corps de boue par un courage natu-
rel , plus on est tenté d*estimer ce qu'on porte au
dedans de soi , qui va jusqu'à mépriser le corps. On
est pour son esprit, pour sa sagesse et pour sa vertu,
comme une jeune femme mondaine est pour sa
beauté ; on »*y complaît j on se sait bon gré d'être
sage , modéré , préservé de Tivreste des autres v et
par là on s'enivre du plaisir mèoae de ne pas parotlre
enivré de la prospérité : on renonce par une modé-
ration pleine de courage à la jouissance de tout ce
que te monde a de pins flatteur; mais ou veut jouir
de sa modération même. O que cet état est dange-
reux ! 6 que ee poison est subtil ! O qwe vous man-
queriez à Dieu si> vous livriez votre cœur à ce raffi-
nement de l'amour-propre I II faut donc renoncer à
toute jouissance et à toute complaisance naturelle
de votre sagesse et de votre vertUv.
Remarquez que, plus les. doQS de Dieu sont puis
DU RBirONCEMENT A 80I-M^E. 4^^
et excellenâ, plus Dieu en est jaloux. Il a fait misé-
ricorde ail premier homme pécheur , et il a con-
damné sans miséricorde Tange rebelle. L'ange et
rhomme avoient péché par Tamour d*eux- mêmes;
et comme l'ange étoit parfait , en sorte qu'il étoit
tenté de se regarder comme une espèce de divinité ^
Dieu a puni son infidélité avec une jalousie plus sé-
vère qu'il a puni celle de l'homme.
Concluons donc que Dieu est plus jaloux de ses dons
les plus excellens que des choses les plus communes :
il yeut qu'on ne tienne à rien qu^àlui-^méme» et qu'on
ne s^attache à ses dons, quelque purs qu'ils soient,
qae suivant son dessein \ pour nous unir plus facile-
Dient et plus intimement à lui seul. Quiconque en-
visage avec complaisance et avec un certain plaisir
de propriété une grâce , la tourne d'abord en poison.
Ne vous appropriez donc jamais non-seulement les
choses extérieures y comme la faveur, ou vos talens^
mais pas même les dons intérieurs. Votre bonne vo-
lonté n'est pas moins un don de miséricorde, que
Fétre et la vie qui vient de Dieu.Vivez comme à l'em-
prunt : tout ce qui est à vous et tout ce qui est vous-
même n'est qu'un bien prêté : serves-vous en selon
l'intention de celui qui le prête; mais n'en disposez
|ansiais comme d'un bien qui est à vous. C'est cet
esprit de désappropriation et de simple usage de soi-
même et de notre esprit, pour suivre les mouvemens
de Dieu , qui est le seul véritable propriétaire de sa
créature, en quoi consiste le solide renoncement à
nous-mêmes.
Vous me demanderez apparemment quelle doit
être en détail la pratique de cette dés^pi^opriation
4lA HÉCVSSITé ET PEÀTIQUB
et de ce renoncement. Mais je vous répondrai qne ce
sentiment n%st pas plus tôt dans le fond de la volonté,
-que Dieu mène lui-même Famé comme par la main
pour l'exercer dajDS ce renoncement en toutes les
occasions de la journée.
Ce B*est point par des réflexions pénibles, et par
une contention continuelle, qu^on se renonce ; c'est
seulement en s'abstenant de se rechercher et de
vouloir se posséder à sa mode , qu'on se perd en
Dieu.
Toutes les fois qu'on aperçoit un mouvement de
hauteur, de vaine complaisance, de confiance en
soi-même, de désir de suivre son inclination contre
la règle, de recherche de son propre goût , d'impa-
tience contre les foiblesses d'autrui ou contre les en-
nuis de son propre état , il faut laisser tomber tou-
tes ces choses comme une pierre au fond de l'eau,
se recueillir devant Dieu , et attendre à agir jusqu'à
ce qu'on soit dans la disposition oik le recueillement
doit mettre. Que si la dissipation dés affaires ou la
vivacité de l'imagination empêche l'ame de se re-
cueillir d'une manière facile, douce et sensible, il
but au moins tâcher de se calmer par la droiture
de la volonté et par le désir du recueillement. Alors
la volonté de ce recueillement est une espèce de re-
cueillement qui suffit pour dé^uiller l'ame de sa
volonté propre, et pour la rendre souple dans la
main de Dieu.
Que s'il vous échappe, dans votre promptitude,
quelque mouvement trop naturel, et qui soit de
cette propriété maligne dont nous parlons , ne vous
découragez pas; suivez toujours votre chemin ;por^
DU ftEBrOHCEMENT A SOI-MÊME. * 4^^
\e% en paix devant Dteu rhnmiliation de votre faute,
sans vous laisser retarder dans votre course par le
dëpit très-cuisant que Tamour-propre vous fai^ res-*
sentir de votre foiblesse. Allez toujours avec con-
fiance, sans vous laisser troubler par les chagrins
d'un oi^ueil dëlicat qui ne peut souffrir de se voir
imparfait. Votre faute servira , par cette confusion
intérieure y à vous faire mourir à vous-même, à vous
désapproprier des dons dé Dieu , et à vous anéantir
devant lui. La meilleure manière de la reparer est
de mourir au sentiment de l'amour-propre , et de
s'abandonner sitns retardement au cours de la grâce,
qu'on avoit un peu interrompu par cette inBdëlité
passagère.
Le principal est de renoncer à votre propre sa-
gesse par une conduite simple, et d'être prêt à sa-
crifier la faveur, l'estime et l'approbation publique,
toutes les fois que la conduite de Dieu sur vous vous
y engagera. Ce n'est pas qu'il faille se mêler des
choses dont Dieu ne vous charge pas , ni vous com-
mettre inutilement en disant des vérités qye les per-
sonnes bien intentionnées ne sont pas encore capa-
bles de porter. Il faut suivre Dieu, et ne le prévenir
jamais. Mais aussi, quand il donne le signal, il fiiut
tout quitter et totit hasarder pour le suivre. Hésiter,
retarder, s'amollir, aSbiblir ce gu'il veut qu'on fasse,
craindre de s'exposer trop, vouloir se metti*e à l'abri
des dégoûts et des contradictions , chercher des rai-
» sons plausibles pour se dispenser de faire de certains
biens difficiles et épineux , quand on est convaincu
en* sa conscience que Dieu les attend de nous, et
qu'il nous a mis en état de les accomplir ; voilà ce
4l4 NÉCESSITÉ ET PEATIQCK
qui seroît se reprendre soi-même, après s^élre donné
sans résenre à Diea. Je le prie de toqs pràerrer de
cette infidélité. Rien n*est si terrible que de résister
intérieorement à Dieu ; c'est le péché contre le Saint-
Esprit ^ dont Jésus-Christ nous assure (0 quV/ ne sera
pardonné ni en ce monde ni en Vautre.
Les autres fautes que tous ferez dans la simplicité
de votre bonne intention se tourneront à profit pour
vous, en vous humiliant et en tous rendant pins petit
à vos propres yeux. Mais pour ces fautes de rési-
stance à TEsprit de Dieu par une hauteur et par une
tôgesse mondaine > qui ne marcfaeroit pas avec un
courage assez simple , et qui voudroit trop se mé-
nager dans Vaccomplissement de Tœuvre de Dieu ,
c'est ce qui éteindroit insensiblement Fesprit de
grâce dans votre cœur. Dieu jaloux , et rebuté après
tant de grâces , se retireroit et vous livreroit à vous*
même : vous ne feriez plus que tournoyer dans une
espèce de cercle , au lieu d'avancer à grands pas
dans le droit chemin : vous languiriez dans la vie
intâ*ieurey«t ne feriez que diminuer^ sans que tous
puissiez presque vous dire à voos-méoie la cause se-
crète et profonde de votre maL
Dieu vous a donné une ingénuité et une candeur
qui lui plaît sans doute beaucoup : c'est sur ce fon-
dement qu'il veut b^ir tout l'édifice. Il veut de vous
une simplicitéqui sera d'autant pins sa sagesse, que ce
ne sera point la vôtre. Il vous veut petit à vos yeux,
et souple dans ses mains comme un petit enfant.
C'est cette enfance, si contraire à l'esprit de l'homme,
et si recommandée dans l'Évangile, que Dieu veut
{})Maak, XII. 3).
DU RBirOBrCEMENT^A S01«>xtME. 4 ^ '^
mettre dans votre cœur, malgré la contagion qui
règne dans le monde dû elle est si inconnae et si
méprisée. C*est même par cette simplicité et cette
petitesse qu'il veut guérir en vous tout reste de sa-
gesse hautaine et défiante. Vous devez dire comme
David (0 : Je serai encore plus simple, plus vil et
plus petit que je ne Vai été depuis le moment que je
me suis donné à Djeu.
Pourvu que v6us soyez fidèle à lire assez pour
nourrir votre cœur et pour vous instruire, que vous
V ous recueilliez de temps en temps en certains mo-
mens dérobés de la journée, qu'enfin vous ayez des
temps réglés pour être avec Dieu , vous verrez assez
tout ce que vous aurez à faire pour la pratique de
toutes les vertus ; les choses se présenteront à vous
comme d'elles-mêmes. Si vous êtes simple en la pré-
sence de Dieu , il ne vous laissera guère douter.
Mais ce qui pfpt vous embrouiller, e.t arrêter les.
grâces que Dieu verse sur vous comme «n torrent,
c'est que vous craignez d'aller trop loin dans le bien,
et que vous ne laissez pas assez faire Dieu aux «Lé-
pens de votre sagesse. Surtout ne lui donnez aucunes
bornes. Il ne s'agit pas d'entreprendre de grandes
choses , que Dieu ne demande peut-être pas de vAus
en la manière que vous le concevriez, et qui se-
roieat hors de saison; mais de suivre sans empres**
sèment, sans précipitation et sans aucun mouvement
propre, les ouvertures, que Dieu, vous donnera de
monuent à autre pour déboucher le cœur de voa
amies, et pour leur montrer ce qu'elles doivent à
Dieu dans leur état C'est un ouvrage de patience,.
4t6 HÉcBuiTÉ^er Pratique
de foi et d'attention continuelle : il y faut une mer-
veilleuse discrétion ; et il faut bien se garder de suivre
là-dessus un certain zèle qui s'écbauffe inconsidéré-
ment. Mais cette discrétion si nécessaire n'est pas
celle qu*on s'imagine : c'est une discrétion qui ne
va point, comme celle du monde, à prendre ses me*
sures avec soi-même, mais seulement à attendre
toujours le moment de Dieu , et à Mpir sans cesse les
yeux sur lui pour ne nous mouvoir qu'à mesure qu'il
nous pousse par les ouvertures que sa providence
fournit au dehors , et par tes lumières qu'il nous
communique au dedans. Je ne demande donc pas
que vous vous excitiez jamais; au contraire, que
vous soyez par vous-même immobile , mais sans ré-
sistance ; en sorte que rien ne vous arrête ni ne vous
retarde quand Dieu voudra agir par vous.
Je le prie de répandre çur vous la grâce de Ten -
fant Jésus , avec la paix , la confia^e et la joie du
Saint-Esprit.
XXXIII.
• Suite du même sujet.
QuijrD j*ai dit que quiconque n'est point attaché
à soi-même par la volonté en est détaché véritable-
ment, j'ai songé à prévenir ou à guérir les scrupules
qu'on peut avoir par les retours qu'on fait sur soi-
même. Les âmes fidèles à se renoncer sont souvent
tourmentées par certaines vues d'intérêt propre
qu'elles ont en parlant ou en agissant. Elles crai-
gnent de n avoir pas résisté à une vaine complaisance,
à
DU henomcement a soi-même.' 417
à un motif de gloire, au goût d'ane commodité , à
une recherche de soi-même dans les consolations de
la vertu. Tout cela fait peur à une ame tendre; elle
s'en accuse. Pour la rassurer, il est bon de lui dire
que tout le bien et tout le mal sont Jans la volonté.
Quand ces retours sur son propre intérêt sont invo-
lontaires, ils n empêchent point qu*on ne soit véri-
tablement détaché de soi.
Mais quand on est réellement détaché de soi , dites-
vous, peut-on avoir involontairement ces vues d'in*
térêt propre qui sont volontaires? A cela je réponds
qu^il est rare qu'une ame véritablement détachée
d'elle, et attachée à Dieu, se cherche encore pour
son propre intérêt de propos délibéré. Mais il est né-
cessaire, pour la mettre au large, et pour Tempé-
cher detre continuellement sur des épines, de savoir
une bonne fois que les retours involontaires sur
notre propre intérêt ne nous rendent point dés-
agréables à Dieu, non plus que les autres tentations
auxquelles on n'a donné aucun consentement. D'ail-
leurs il faut comprendre que les personnes qui ont
ane sincère piété, mais qui ne sont point entière-
ment mortes à la commodité de la vie, ou à la répu-
tation, ou à l'amitié, se laissent un peu aller à se
rechercher elles-mêmes sur toutes ces choses. On n'y
va pas directement et ouvertement tête baissée, mais
on s'y laisse entraîner comme par occasion. On tient
encore à soi par toutes ces choses ; et une marque
évidente qu'on y tient, c'est que si quelqu'un ébranle
ces soutiens de la nature, elle est désolée. Si quel-
que accident trouble le repos de notre vie, menace
notre réputation , ou détache de nous les gens dont
Féhélon. xvui. 37
4lB HÉCBSSITÉ ET PKÂTIQUE
nous estimons Tamitié, nous sentons alors en nous
une vive douleur, qui marque combien Tamoui-
propre est encore vivant et sensible.
Nous tenons donc encore à nous presque sans nous
en apercevoir ; et il n*y a que les occasions de perte
qui. nous découvrent le vrai fond de notre cœur. Ce
n*est .qa'à mesure que Dieo nous les arrache , oa
qu*il fait semblant de nous les arracher, que nous
en perdons une propriété injuste et maligne, par le
sacrifice que nous lui en faisons. Tout ce qu'on ap-
pelle qsage modéré ne nous assure point de notre dé-
tachement comme nous en sommes assurés par une
privation tranquille. Il n*y a que la perte , et la perte
que Dieu opère lui-même, qui nous désapproprie
véritablement.
En cet état de piété sincère , mais encore impar -
faite, on a une infinité de ces recherches secrètes de
soi-même. Il y a un temps oik on ne les voit pas en-
core distinctement , et où Dieu permet que la lumière
intérieure n'aille pas plus loin que la force de sa-
crifier. Jésus-Christ dit intérieurement ce qu*il disoit
à ses apôtres (Or Toi hien éC autres choses à vous dé-
coui^riri meis vous néies pas encore capables de les
porter. On voit en soi de bonnes intentions qui sont
véritables; mais on seroit efirayé si Fou pouvoit
voir à coD9l>ien de choses on tient encore. Ce n'est
pas d'une volonté pleine, et avec réflexion, qu'on a ces
attachemens ; on ne dit pas en soi-même : Je les ai
et je veux les ayoir ; nais enfin on les a, et quelque-
fois même on craint de trop creuser et de les trouver.
On sent sa foiblesse ,. on n'ose pénétrer plus loin.
{*)J<Mm, XTI. 13.
DU RENONCEMENT A 80i-M&ME. 4 '9
Quelquefois aussi on voudroit trouver tout pour tout
sacrifier ; mais c'est un zèle indiscret et téméraire ,
comme celui de saint Pierre y. qui disoit: Je suis prêt
à mourir {^)\ et une servante lui fit peur. On cherche
à découvrir toutes ses foiblésses ; et Dieu nous mé-
nage dans cette recherche. H nous refuse une lumière
trop avancée pour notre état ; il ne permet pas que
nous voyions < dans notre ccenr ce qu'il n'est pas en-
core temps d en arracher. C'est un ménagement ad-
mirable de la bonté de Dieu y de ne nous solliciter ja-
mais intérieurement à lui sacrifier quelque chose que
nous avons aimé et possédé jusqu'ici sans nouf^ en
donner une lumière , et de ne nous donner jamais la
lumière du sacrifice sans nous en. donner la force.
Jusque là nous sommes à l'égard de ce sacrifice
comme les apôtres étoîent sur ce que Jésus-Christ
leur prédisoit de sa mort \ ils ne comprenoient rien,
et leurs yeux étoient fermés à la lumière. Les aroes
les plus droites et les plus vigilantes contre leurc^ dé-
fauts sont encore dans cet état d'obscurité sur cer-
tains détachemenSy que Dieu réserve à un état de foi
et de mort plus avancé. Il ne faut point vouloir en
prévenir le temps , et il suffit de demeurer en paix ,
pourvu qu'on soit fidèle dans tout ce qu'on connott.
S'il reste quelque chose à connottre. Dieu nous le
découvrira.
Cependant c'est un voile de miséricorde dont Dieu
nous cache ce que nous ne serions pas encore capa-
bles de porter. On a un certain zèle impatient pour
sa propre perfection ; on voudroit d'abord voir tout
et sacrifier tout; n^ais une humble attente sous la
(0 Lue. XXII. 33.
4^0 HÉCESSITÉ ET VEàTIQUE
main de Dieu et un doux support de soi-même , sans
se flatter dans cet état de ténèbres et de dépendance,
nous sont infiniment plus utiles pour mourir ii nous-
mêmes, que tous les eflbrts inquiets pour avancer
notre perfection. Contentons-nous donc de suivre ,
sans regarder plus loin, toute la lumière qui nous
est donnée de moment à autre. Cest le pain quoti-
dien ; Dieu ne le donne que pour chaque jour. Cest
encore la manne : celui qui veut en prendre double
portion, et faire provision pour le lendemain, s'abuse
grossièrement; elle pourrira dans ses mains, il n*en
mangera pas plus que celui qui en a pris seulement
pour sa journée.
C'est cette dépendanoe d'enfant vers son père à
laquelle Dieu veut nous plier, même pour le spiri-
tuel. Il nous dispense la lumière intérieure, comme
une sage mère donneroit à sa jeune fille de l'ouvrage
à faire; elle ne lui en donneroit de nouveau qu'au
moment où le premier seroit fini. Avez- vous achevé
tout ce que Dieu a mis .devant vous? dans Tinslant
même il vous présentera un nouveau travail; car il
ne laisse jamais l'ame oisive et sans progrès dans le
détachement. Si au contraire vous n'avez point encore
fini le premier travail, il vous cache celui qui doit
suivre. Un voyageur qui marche dans une vaste
campagne fort unie ne voit rien au-delà d'une petite
hauteur qui termine l'horizon bien loin de lui. Est-il
arrivé à cette hauteur, il découvre d'abord une nou-
velle étenduede pays aussi vaste que la première. Ainsi
dans la voie du dépouillement et du renoncement
à soi-même on s'imagine découvrir tout d*un premier
coup d'œil ; on ^croit qu'on ne réserve rien , et qu'on
DU afiffONCEMEIlT A SOI-MÊME* 4^1
ne tient ni à soi ni à autre chose ; on aimeroit mieux
mourir que d'hësiter à faire un sacrifice universel.
Mais y dans le détail journalier , Dieu nous montre
sans cesse de nouveaux pays. On trouve dans son
coeur mille choses qu'on auroit juré n y être pas. Dieu -*
ne nous les montre qu'à mesure qu'il les fait sortir.
Cest comme un abcès qui crève ; le moment au*
quel il crève est l'unique qui fait horreur. Aupara-
vant on le portoit sans le sentir, et on ne croyoit pas
l'avoir; on l'avoit pourtant , et il ne crève qu'à cause
qu'on l'avoit. Quand il étoit caché on se croyoit sain
et propre ; quand il crève, on s.ent l'infection du pus.
Le moment où il crève est salutaire, quoiqu'il soit
douloureux et dégoûtant. Chacun porte au fond de >
son cœur un amas d'ordure, qui. feroit mourir de
honte si Dieu nous en montroit tout le poison et
toute l'horreur; l'amour-propre seroit dans un sup-
plice insupportable. Je ne parle pas ici de ceux qui
ont le cœur gangrené par des vices énormes; je parle
des âmes qui paroissent droites et pures. On verroit
une folle vanité qui n'ose se découvrir , et qui de-
meure toute honteuse dans les derniers replis du
cœur. On verroit des complaisances en soi , des hau-
teurs de l'orgueil y des recherches délicates de l'amour-
propre, et mille autres replis intérieurs qui sont
aussi i^els qu'inexplicables. Nous ne les verrons qu'à
mesure que Dieu commencera à les faire sortir.
Tenez, vous dira-t-il, voilà la corruption qui étoit
dans le profond abîme de votre cœur. Après cela ,
glorifiez-vous ; promettez-vous quelque chose de vous-
même !
Laissons donc faire Dieu« et contentons - nous
4l''i *lfÉCE881TÉ DU nEKOMCEMfilItT.
d'être fidèles à la lumière du moment présent. Elle
apporte avec elle tout ce qu^il nous faut pour nous
préparer à la lumière du moment qui suit ; et cet en-
chaînement de grâces, qui entrent, comme lés an-
neaux d*une chaîne, les unes dans les antres, nous
prépare insensiblement aux sacrifices éloignés dont
lous n^arons pas même la vue. Cette mort à nous-
mêmes et à tout ce que nous aimons, qui est encore
générale et superficielle dans notre volonté, après
en avoir percé la surface , jettera de profondes ra-
cines dans le plus intime de cette volonté. Elle pé-
nétrera jusqu'au centre; elle ne laissera rien à la créa-
ture ; elle poussera au dehors , sans relâche , tout ce
qui n^est point Dieu.
Au reste , soyez persuadé sur la parole d*autrni ,
en attendant que Fexpérience vous le fasse goûter et
sentir, que ce détachement de soi et de tout ce qu'on
aime , bien loin de dessécher les bonnes amitiés et
d'endurcir le cœur, produit au contraire en Dieu une
amitié non-seulement pure et solide , mais toute cor-
diale, fidèle, afiectueuse, pleine d'une douce cor-
respondance; et on y trouve tous les assaisonne-
mens de l'amitié que la nature même cherche pour
se consoler.
XXXIV.
Sur la conformité à la volonté de Dieu.
PouE la conformité à la volonté de Dieu vous trou*
verez divers chapitres de ï Imitation de Jésus-Christ
qui sont merveilleux; la lecture de saint François de
Sales vous nourrira aussi de cette manne. Toute la
vertu consiste essentiellement dans la bonne volonté.
Cest ce que Jésus -Christ nous fait entendre en
disant (0 : Le royaume de Dieu est au dedans de
vous. Il n^est point question de savoir beaucoup, d'a-
voir de grands talens , ni même de faire de grandes
actions \ il ne faut qu'avoir un cœur et vouloir le bien.
Les œuvres extérieures sont les fruits et les suites in-
séparables auxquelles on reconnott la vraie piété \
mais la vraie piété, la source de ces œuvres, est toute
au fond du cœur. Il y a certaines vertus qui sont pour
<;ertaines conditions, et non pour d'autres. Les unes
sont convenables en un temps, et les autres dans un
autre \ mais la bonne volonté est de tous temps et de
tous lieux. Vouloir tout ce que Dieu veut, le vouloir
toujours, pour tout et sans réserve, voilà ce royaume
de Dieu qui est tout intérieur. C'est par là que son
règne arrive , puisque sa volonté s'accomplit sur la
terre comme dans le ciel, et que nous ne voulons plus
que ce que sa volonté souveraine imprime dans la
liôtre. Heureux les pauvres d^esprit! heureux ceux
qui se dépouillent de tout , et même de leur propre
volonté, pour n'être plus à eux-mêmes! O qu'on est
(Niuvre en esprit et dans le fond de son intérieur,
{*) Lue. xTii. ai.
4^ SOA LA COBFOftJflTÉ
quand on n*est pins à soi - même , et qo*on s*est dé-
pouillé jusqu'à perdre tout droit sur soi !
Mais comment est-ce que notre volonté devient
•bonne? En se conformant sans r&erve à celle de
Dieu. On veut tout ce qn*il veut, on ne veut rien de
tout ce qu*il ne veut pas; on attache sa volonté foible
à la volonté toute-puissante qui fait tout. Par là il ne
peut plus rien arriver qne ce que Dieu vent ; on est
parfaitement satisfait quand sa volonté s'accomplit;
et Ton trouve dans le bon plaisir de Dieu une sonrce
inépuisable de paix et de consolation. La vie entière
est un commencement de la paix des bienheureux,
qui disent éternellement: Amen^ amen.
On adore, on loue, on bénit Dieu de tout; on le
voit sans cesse en toutes choses, et en toutes choses
sa main paternelle est Tunique objet dont on est oc-
cupé. Il n'y a plus de maux ; car tout, jusques aux
maux même les plus terribles , se tourne en bien l
comme dit saint Paul (^),pour ceux qui aiment Dieu.
Peut-on appeler maux les peines que Dieu nous en-
voie pour nous purifier et nous rendre dignes de
lui? Ce qui nous fait un si grand bien ne peut éti^e
un mal.
Jetons donc tous nos soins dans le sein d'un si
bon père ; laissons-le faire comme il lut plaira. Con-
tentons-nous de suivre sa volonté en tout, et de
mettre la nôtre dans la sienne pour nous en désap-
proprier. Il n'est pas juste que nous ayons quelque
chose à nous, nous qui ne sommes pas à nous-mêmes.
L'esclave n'a rien à soi ; à combien plus forte raison
la créature, qui n'a de son fonds que le néant et le
(>) Jlom» vin. 38.
A LK VOLONTÉ UE DIEU. 4^^
pëchë, et en qui tout esl don et pure grâce y ne doit*
elle rien avoir en propriété. Dieu ne lui a donné une
volonté libre et capable de se posséder elle-même,
que pour l'engager par ce don à se dépouiller plus
généreusement. Nous n'avons rien à nous que notre
volonté ; tout le reste n'est point à nous. La maladie
enlève la santé et la vie ; les richesses nous sont arra-
chées par la violence; les talens de l'esprit dépendent
de la disposition du corps. L'unique chose qui est vé-
ritablement à nous c'est notre volonté, aussi est-ce
elle dont Dieu est jaloux ; car il nous l'a donnée, non
afin que nous. la gardions, et que nous en demeu-
rions propriétaires, mais afin que nous la lui rendions
tout entièrç telle que nous l'avons reçue,, et sans en
rien retenir. Quiconque réserve le moindre désir ou
la moindre répugnance en propriété, fait un larcin à
Dieu contre Tordre de la création. Tout vient de lui ,
et tout lui est dû.
Hélas! combien d'ames propriétaires d'elles-mêmes
qui voudroient faire le bien et aimer Dieu, mais se-
lon leur goût et par leur mouvement propre; qui
voudroient donner à Dieu des règles dans la manière
de les satisfaire et de les attirer à lui! Elles veulent
le servir et le posséder ; mais elles ne veulent pas se
donner k lui et se laisser posséder. Quelle résistance
Dieu ne trouve-t-il pas dans ces âmes, lors même
qu'elles paroissent si pleines de zèle et de ferveur!
Il est certain même qu'en un sens leur abondance
spirituelle leur devient un obstacle; car elles ont
tout, même jusqu'aux vertus, en propriété et avec
une continuelle recherche d'elles-mêmes dans le
bien. O qu'une ame bien pauvre , bien renonçante à
4^6 sua LA CO^TFOaMlTÉ
sa propre vie et à tons ses mouvemens naturels, bien
désappropri^e de toute volonté pour ne plus vouloir
que ce que Dieu lui fait vouloir à chaque moment ,
selon les règles de son Evangile et selon le cours de
sa providence, est au*dessus de toutes ces âmes fer-
ventes et lumineuses qui veulent toujoura mstrchei
dans les vertus par leur propre chemin !
Voilà le sens profond des paroles de Jésns^Christ
prises dans toute leur étendue : Que celui çui veut
Are mon disciple y se renonce, et ^uUl me suiue (0.
Il faut suivre pas à pas Jésus-Christ, et non pas s*ou-
vrir une route vers lui. On ne le suit qu'en se renon-
çant. Qu'est-ce qne se renoncer , sinon abandonner
tout droit sur soi sans réserve? Aussi saint Panl nous
dit-il (>) : Fous frètes plus à vous : non , il ne nous
reste plus rien en nous qui nous appartienne. Mal-
heur à qui se reprend après s*étre donné!
Je prie le Père des miséricordes et le Dieu de toute
consolation de vous arracher votre propre cœur, et
de ne pas vous en laisser la moindre parcelle. Il en
coûte beaucoup dans une si douloureuse opération :
on a bien de la peine k laisser faire Dieu, et à de-
meurer sous sa main quand il coupe jusqu'au vif.
Mais c'est la patience des saints et le sacrifice de la
pure foi.
Laissons Dieu faire de nous tout ce qu'il voudra.
Jamais aucune résistance volontaire d'un seul mo-
ment. Dès que nous apercevons la révolte des sens et
de la nature, tournons-nous vers Dieu avec con-
fiance, et soyons pour lui contre la nature lâche et
rebelle; livrons-la à l'Esprit de Dieu qui la fera
{*) MéÊt^ xyu a4- 2Ucc. xiy. 37, 33. — («) / Cor, yi. tg.
A LA VOLOHl'É DU DIEU. 4^7
peu à peu mourir. Veillons en sû présence contre lés
moindres fautes pour ne jamais contrister le Saint-
Esprit , qui est jaloux de tout ce qui se passe dans
rintërieun Profitons des fautes que nous aurons
faites^ par un sentiment humble de notre misère,
sans découragement et sans lassitude.
Peut-on mieux glorifier Dieu, qu'en se désapprp-
priant de soi-même et de toute volonté, pour le lais-
ser faire selon son bon plaisir? C'est alors qu'il est
vëritablement notre Dieu, et que son règne arrive en
nous, lorsque, indépendamment de tous les secours
extérieurs et de toutes les consolations intérieures ,
nous ne regardons plus et au dedans et au dehors
que la seule main de Dieu qui fait tout, et que nous
ne cessons point d*adorer.
Vouloir le servir en un lieu plutôt qu'en un autre,
par une telle voie et non par celle qui y est opposée,
c'est vouloir le servir à notre mode , et non à ia
sienne. Mais être également prêt atout, vouloir tout
et ne vouloir rien , se laisser comme un jouet dans
les mains de la Providence, ne mettre point de
bornes à cette soumission comme l'empire de Dieu
n'en peut souffrir; c*est le servir en se renonçant soi-
même ; c'est le traiter véritablement en Dieu, et nous
traiter en créature qui n'est faite que pour lui.
O qde> nous serions heureux s'il nous mettoit aux
plus rudes épreuves pour lui donner la moindre
gloire ! k quoi sommes-nous bons, si celui qui nous
a faits trouve encore quelque résistance ou quelque
réserve dans notre cœur qui est son ouvrage?
Ouvrez donc votre cœur , mais ouvrez-le sans me-
sure, afin que Dieu et son amour y entrent sans me->
4^8 I>K LA COJTFIAACË iM D]£U.
sure comme un torreoU Ne craignez rien dans le
chemin oh vous marchez. Dieu vous mènera comme
par la main, pourvu que vous ne doutiez pas, et
que vous soyez plus rempli de son amour qae de
crainte par rapport à vous.
XXXV.
Recevoir ayec soumission ce ijue Dieu fait au
dehors et au dedims de nous*
Ce qu'il y a de meilleur à faire , c'est de recevoir
également et avec la même soumission toutes les dif-
férentes choses que Dieu nous donne dans la loarnée,
et au dehors et au dedans de nous.
Au dehors, il y a des choses désagréables qu*îl faut
supporter courageusement, et des choses agréables
auxquelles il ne faut point arrêter son cœur. On ré-
siste aux tentations des choses contraires en les ac-
ceptant , et Von résiste aux choses flatteuses en re-
fusant de leur ouvrir son cœur. Pour les choses du
dedans il n*y a qu*à faire de même. Celles qui sont
amères servent à«crucifier, et elles opèrent dans Famé
selon toute leur vertu , si nous les recevons simple-
ment avec une acceptation sans bornes, et sans cher-
cher à les adoucir. Celles qui sont douces, et qui
nous sont données pour soutenir notre foiblesse par
une consolation sensible dans les exercices exté-
rieurs, doivent aussi être acceptées, mais d'une autre
façon. Il faut les recevoir, puisque c'est Dieu qui les
donne pour notre besoin, mais il faut les recevoii,
DE LA CONFIANCE EH DIEU. 4^9
non pour l'amoar d'elles , mais par conformité aux
desseins de Dieu. Il faut en user dans le moment ,
corame on use d'un remède, sans complaisance, sans
attachement, sans propriété. Ces dons doivent être
reçus en nous, mais ils ne doivent point tenir en
nous, afin que, quand Dieu lès retirera, leur priva-
tion ne nous trouble ni ne nous décourage jamais.
La source de la présomption est dans l'attachement
à ces dons passagers et sensibles. On s'imagine ne
compter que sur le don de Dieu; mais on compte
sur soi , parce qu'on s'approprie le don de Dieu , et
qu'on le confond avec soi-même. Le malheur de
cette conduite , c'est que toutes les fois qu'on trouve
quelque mécompte en soi-même, on tombe dans le
découragement. Mais une ame qui ne s'appuie que
sur Dieu, n'est point surprise de sa propre misère.
Elle se platt à voir qu'elle ne peut rien, et que Dieu
seul peut tout. Je ne me soucie guère de me voir
pauvre, sachant que mon père possède des biens
infinis qu'il me veut donner. Ce n'est qu'en nourris-
sant son cœur de la pure confiance en Dieu , qu'on
s'accoutume à se passer de la confiance en soi-même.
C'est pourquoi il faut moins compter sur une fer-
veur sensible, et sur certaines mesures de sagesse
que l'on prend avec soi-même pour sa perfection,
que sur une simplicité, une petitesse, un renonce-
ment è tout mouvement propre, et une souplesse
parfaite pour se laisser aller h toutes les impressions
de la grâce. Tont le reste, en établissant des vertus
éclatantes, ne feroit que nous inspirer secrètement
plus de confiance en nos propres efforts.
Prions Dieu qu'il aiTache de notre cœur tout ce
4^0 SUR LUTILITÉ
que nous voudrions y planter nous-mêmes, et qu'il y
plante de ses propres mains larbre dé vie chargé de
fruits.
tVVkwm
XXXVI.
Sur Vutilité et le bon usage des croix.
Os a bien de la peine à se convaincre de la bonté
avec laquelle Dieu accable de croix ceux qu'il aime.
Pourquoi, dit-on, prendre plaisir à nous faire souf-
frir? Ne saur oit-il nous rendre bons sans nous rendre
misérables? Oui, sans doute, Dieu le pou voit; car
rien ne lui est imposible. Il tient dans ses mains
toutes-puissantes les cœurs des hommes, et les tourne
comme il lui plaît, ainsi que la main d*un fontainier
donne aux eaux, sur le sommet d'une montagne, la
pfsnte qu'il veut. Mais Dieu, qui a pu nous sauver
sans croix, n'a pas voulu le faire; de même qu'il a
mieux aimé laisser les hommes croître peu h peo,
avec tous les embarras et toutes les foiblesses de leu-
fance, que de les faire naître avec toute la force d'un
âge mûr. Sur cela il est le maître; nous n*avons quà
nous- taire, et qu'à adorer sa profonde sagesse sans
la comprendre. Ce quQ nous voyons clairement, cest
que nous ne pouvons devenir entièrement bons qu'an-
tant que nous deviendrons humbles, désintéressés,
détachés de nous-mêmes, pour rapporter tout à Dieu
sans aucun retour sur nous.
L'opération de la grâce qui nous détache de nous-
mêmes , et qui nous arrache à notre amour^propt^
ET LE BON USAGE DES CROIX. . 4^1
ne peut, sans un miracle de grâce, éviter d'être dou-
loureuse. Dieu, dans Tordre de la grâce, non plus
que daos celui de la nature, ne fait pas tous les jours
des miracles. Ce seroit pour la grâce un aussi grand
miracle de voir une personne pleine d'elle*- même,
eu un moment morte à tout intérêt propre et à
toute sensibilité, que ce seroit un grand miracle de
voir un enfant qui se couche enfant, et qui se lève-
roit le lendemain grand comme un homme de trente
ans. Dieu cache son opération, dans Tordre de la
grâce comme dans celui de la nature, sous une suite
insensible d'événemens. Cest par là qu il nous tient
dans les obscurités de la foi. Non-seulement il fait son
ouvrage peu à peu , mais il le fait par des voies qui
paroissent les plus simples et' les plus convenables'
pour y réussir; afin que les moyens paroissant pro-
pres au succès, la sagesse humaine attribue le succès
aux moyens qui sont comme naturels, et qu'ainsi le
doigt de Dieu y soit moins marqué : autrement tout
ce que Dieu fait seroit un perpétuel miracle, qui ren--
verser oit Tétat de foi où Dieu veut que nous vivions.
Cet état de foi est nécessaire, non-seulement pour
exercer les bons, en leur faisant sacrifier leur raison
dans une vie pleine de ténèbres, mais encore pour
aveugler ceux qui méritent, par leur présomption,.
de s'aveugler eux-mém^. Ceux-ci, voyant les ou-
vrages de Dieu, ne les comprennent point; ils n'y
trouvent rien que de naturel. Us sont privés de 1»
vraie intelligence, parce qu^on ne la mérite qu'au-
tant qu'on se défie de son propre esprit, et qo^e la .
sagesse superbe est indigne de découvrir les conseils
de Dieu.
43a 61)11 l'utilité
C'e5;t donc pour tenir dans robscurité de la foi To-
përalion de la grâce, que Dieu rend cette opération
lente et douloureuse. Il se sert de Tinconstaoce, de
Tingratitude des créatures, des mécomptes et des
dégoûts qu'on trouve dans les prospérités, pour nous
détacher des créatures et des prospérités trompeu-
ses. Il nous désabuse de nous-mêmes par rexpërience
de notre foiblesse et de no^e corruption dans une in-
finité de rechutes. Tout cela paroit naturel, et c'est
cette suite de moyens comme naturels qui nous fait
brûler à petit feu. On voudroit bien être consumé
tout d'un coup par les flammes du pur amour ;. mais
cette destruction si prompte ne nous coûteroit pres-
que rien. C'est par un excès d'amour-propre qu'on
voudroit ainsi devenir parfait en un moment et à si
bon marché.
Qu'est-ce qui nous révolte contre la longueur des
croix f c'est l'attachement à nous-mêmes : et c^est cet
attachement que Dieu veut détruire; car, tandis que
nous tenons encore à nous-mêmes, l'œuvre de Dieu
ne s'achève point. De quoi pouvons-nous donc nous
plaindre? Notre mal est d'être attachés aux créatu-
res, et encore plus à nous-mêmes. Dieu prépare une
suite d*événemens qui nous détache peu à peu des
créatures, et qui nous arrache enfin à nous-mêmes.
Cette opération est douloureuse; mais c'est notre
corruption qui la rend nécessaire, et qui est cause
de la douleur que nous souffrons. Si notre chair étoit
saine, le chirurgien n'y feroit aucune incision. Il ne
coupe qu'à proportion que la plaie est profonde, et
que la chair est plus corrompue. Si l'opération nous
cause tant de douleur, c'estque le mal est grand. Est*
^ ce
BT LE BOH tJSÀGB DES CROIX. 4^^
ce cruauté au chirurgien de couper jusqu'au vif?
Non, tout ao contraire , c*est affection , c^est habi-
leté; il traiteroit ainsi son fils unique.
Dieu nous traite de même. Il ne nous fait jamais
aucun mal que malgré lui, pour ainsi dire. Son cœur
de père ne cherche pbint à nous désoler; mais il
coupe jusqu*an vif pour guérir Fulcère de notre cœur.
Il faut qu'il nous arrache ce que nous aimons trop,
ce que nous aimons mal et sans règle, ce que nous
aimons au pr^udice de son amour. En cela que fait-
il ? il nous fait pleurer comme des enfans à qui on
Ole le couteau dont ils se jouent, et dont ils pour-
roient se tuer. Nous pleurons, nous nous découra-
geons, nous crions les hauts cris ; nous sommes prêts
à murmurer contre Dieu , comme les enfans se dé*
pitent contre leurs mères* Mais Dieu nous laisse
pleurer, et nous sauve. Il ne nous aCBige que pour
nous corriger. Lors même qu^il paroît nous accabler,
c^est pour notre bien , c'est pour nous épargner les
oiaux que nous nous ferions à nous-mêmes. Ce que
nous pleurons nous auroit fait pleurer éternelle-
ment; ce que nous croyons perdu étoit perdu quand
nous pensions le posséder : Dieu Ta mis en sûreté
pour nous le rendre bientôt dans l'éternité qui s'ap-
proche. Il ne nous prive des choses que nous aimons,
que pour nous les faire aimer d'un amour pur, so-
lide et modéré, pour nous en assurer l'éternelle jouis-
sance dans son sein , et pour nous faire cent fois plus
de bien que nous ne saurions nous en désirer à nous-
mêmes.
Il n'arrive rien sur la terre que Dieu n'ait voulu.
C'est lui qui fait tout, qui règle tout, qui donne à
Fénélon. xviii. a8
4i4 ^^^ L DTIUTÉ
Chaque chose lotit ce qu'elle a. Il a compté les che*
veux de notre tête, les feuilles de chaque arbre, les
grains de sable du rivage , et les gouttes d*eau qui
coBiposent les abîmes de TOcéan. En faisant Tuni-
vei*s, sa sagesse a mesuré et pesé jusqu'au dernier
atôme« Cest lui qui en chaque moment produit et
renouveUe le souffle de vie qui nous anime ; c^est lui
qui a compté nos jours , qui tient dans ses puissantes
maius les clefs du tombeau pour le fermer ou pour
rouvrir. Ce qui nous frappe le plus n'est rien aux
yeux de Dieu.: un peu plus ou un peu moins de vie
soni des différences qui disparoissent en présence de
son éternité. Qu'importe que oe vase fragile , ce
corps de boue, soit brisé et réduit en cendres un peu
plus tôt ou. un peu plus tard?
O que nos vues sont courtes et tcompenses! On
est consterné de voir une personne mourir en la
fleur de. son âge. Quelle horrible perte! dit^on. Mais
pour qui est la perte? Que perd celui qui meurt?
Quelques années de vanité, d'illusion et de danger
pour la mort éternelle. Dieu l'enlève du milieu des
iniquités, et se hâte de l'arracher au monde cor-
rompu et à sa propre fragilité. Que perdent les per-
sonnes dont il étoit aimé? Elles perdent le poison
d'une félicité mondaine; elles perdent un enivrement
perpétuel ; elles perdent l'oubli de Dieu et d'elles-
mêmes où elles étoient plongées ; ou plutôt elles ga-
gnent, par la vertu de la croix, le bonheur du déta-
chement. Le même coup, qui sauve la personne qui
meuit, prépare les autres à se détacher par la souf-
france pour travailler courageusement à leur salut.
O qu'il est donc vrai que Dieu est bon, qu'il est
ET LE BON USAGE DES CROIX. ^'i5
tendre, qu*il est compatissant à bos vrais maux lors
même qu'il parott nous foudroyer , et que nous
sommes tentés de nous plaindre de sa rigueur!
Quelle différence trouvons-nous maintenant entre
deux personnes qui ont vécu il y a cent ans? L'une
est morte vingt ans avant l'autre ; mais enfin elles
sont mortes tontes deux. Leur séparation, qui a paru
dans le temps si longue et si rude, ne nous parott
pins maintenant et n'étoit dans la vérité qu'une
courte séparation. Bientôt ce qui est séparé sera
réuni, et il ne paroltra aucune trace de cette sépa-
ration si courte. On se regarde comme immortel, ou
du moins comme devant vivre des siècles. Folie de
Tesprit humain! Ceux qui meurent tous les jours
suivent de bien près ceux qui sont déj^ morts. Celui
qui va partir pour un voyage ne doit pas se croire
éloigné de celui qui prit les devans il n'y a que deux
jours. La vie s'écoule comme un torrent. Le passé
n'est plus qu'un songe; le présent, dans le moment
que nous croyons le tenir , nous échappe et se pré-
cipite dans cet abîme du passé. L'avenir ne sera
point d'une autre nature, il passera aussi rapide-
ment. Les jours, les mois, les années se pressent
comme les flots d'un torrent se poussent l'un l'autre.
Encore quelques momens, encore un peu, dis- je, et
tout sera fini. Hélas ! que ce qui nous parott long par
l'ennui et par la tristesse, nous paroîtra court quand
il finira!
C'est par foiblesse d'amour - propre que nous
sommes si sensibles à notre état. Lé malade qui dort
mal la nuit trouve la nuit d'une longueur sans fin ;
mais cette nuit est aussi courte que les autres. On
436 SU& LUTtLITÉ
exagère par lâchetë toutes ses soufiranoes : elles sont
grandes, mais la délicatesse les augmente encore.
Le vrai moyen de les raccoarcir c*est de s'aban-
donner à Dieu conragensement II est vrai qn^on
sonfire, mais Dien veut cette sonflrance pour nous
purifier y et pour nous rendre dignes de lai. Le
monde nous rioit, et cette prospérité empoisonooit
notre cœur. Voudroit-on passer toute sa vie jasqn*aii
moment terrible de la m6rt dans cette mollesse, dans
ces délices, dans cet éclat, dans cette vaine joie,
dans ce triomphe de Torgueil, dans ce goût du monde
ennemi de Jésus -Christ, dans cet éloignement de
la croix qui seule nous doit sanctifier? Le monde
nous tournera le dos, nous oubliera avec ingrati-
tude, nous méconnoîtra, nous mettra au rang des
choses qui ne sont plus. Hé bien ! faut-il s'étonner
que le monde soit toujours monde, injuste, trompeur,
perfide? Cest pourtant là ce monde que nous n'avions
pas honte d'aimer, et que peut-être nous voudrions
pouvoir aitner encore. Cest à ce monde abominable
que Dieu nous arrache, pour nous délivrer de sa
servitude maudite, et pour nous faire entrer dans la
liberté des âmes détachées ; et c'est là ce qui nous
désole. Si nous sommes si sensibles à Findifll^rence
de ce monde, qui est si méprisable et si digne d'hor-
reur, il faut que nous soyons bien ennemis de nous-
mêmes. Quoi, nous ne pouvons souffrir ce qui nous
est si bon, et nous regrettons tant ce qui nous est
si funeste ! Voilà donc la source de nos larmes et de
nos douleurs!
O mon Dieu, vous qui voyez le fond de notre
misère, vous seul pouvez nous en guérir. Hâtei*
BT LE BOM USAGB DES CROIX. 4^7
VOUS de nous donner la foi. Tempérance , ramour, le
courage chrétien qui nous manquent. Faites que
nous jetions sans cesse les yeux sur vous, â Père
tout-puissant, qui ne donnez rien à vos chérs enfans
que pour leur salut, et sur Jésus votre Fils, qui est
notre modèle dans les souffrances. Vous l'avez atta-
ché sur la croix pour nous ; vous l'avez fait Vhomme
de douleurs, pour nous apprendre combien les dou-
leurs sont utiles. Que la nature molle et lâche se
taise donc à la vue de Jésus rassasié d'opprobres et
écrasé par les souffrances. Relevez mon cœur, ô
mon Dieu ; donneï-moi un cœur selon le vôtre , qui
s^endurcisse contre soi-même, qui ne craigne que
de vous déplaire, qui du moins craigne les douleurs
éternelles, et non pas celles qui nous préparent vo-
tre royaume. Seigneur, vous voyez la foiblesse et
la désolation de votre créature : elle n'a plus de res-
source en elle-mé.me, tout lui manque. Tant mieux,
pourvu que vous ne lui manquiez jamais, et qu'elle
cherche en vous avec confiance tout ce qu'elle dés-
espère de trouver dans son propre cœur.
XXXVII.
// ny a que le pur amour qui sache souffrir comme
il faut.
On sait qu'il faut souffrir, et qu'on le mérite; ce-
pendant on est toujours surpris de la souffranqs,
comme si on ne croyoit ni la mériter ni en avoir
besoin. 11 n'y a que le vrai et pur amour qui aime à
436 LE FUH AMOUR AIME A SOUPFAIR.
souffrir, parce qu'il n y a que le vrai et par amour
qui s'abandonne. La résignation fait souffrir ; mais il
y a en elle quelque chose qui soufire de souffrir, et
qui résiste. La résignation qui ne donne rien à Dieu
qu*avec mesure et avec réflexion sur sot , veut bien
souffrir; mais elle se tâte souvent, craignant de
souffrir mal. A parler proprement, on est comme
deux personnes dans la résignation : Tune dompte
Tautre, et veille sur elle pour Tempécher de se ré-
volter. Dans le pur amour, qui est désapplroprié et
abandonné, Tame se nourrit en silence de la croix
et de Tunion à Jésus-Christ crucifié, sans aucun re-
tour sur sa souffrance. Il n*y a qu'une volonté uni-
que, simple, qui se laisse voir à Dieu telle qu'elle
est, sans songer à se voir elle-même. Elle ne dit rien^
elle ne remarque rien. Que fait^-elle? Bile soufire.
Est-ce tout? Oui c'est tout; elle n'a qu'à souffrir.
L'amour se fait assez entendre sans parler et sans
penser. Il fait l'unique chose qu'il a à Ikire, qui est
de ne vouloir rien quand il manque de toute conso-
lation. Une volonté rassasiée de celle de Dieu, pen-
dant que tout le reste lui est ôté, est le plus pur de
tous les amours.
Quel soulagement de penser qu'on n'a donc point
tant d'inquiétudes à se donner pour s'exciter sans
cesse à la patience, et pour être toujours en garde et
tendu afin de soutenir le caractère d'une vertu ac-
complie au dehors ! Il suffit d'être petit et abandonné
dans la douleur. Ce n'est point courage ; c'est quel-
que chose de moins et de plus : de moins aux yeux
du commun des hommes vertueux ;^de plus aux yeux
de la pure foi. C'est une petitesse en soi, qui met
LE PUB AMOUa AIME A SOUFFRIR. 4^9
Famé dans toute la grandeur de Dieu. Cest une foi-
blesse qui désapproprie de toute force et qui donne
la toute -puissance de Dieu. Quand je suis f cible,
dit saint Paul (>) , cest alors que je suis puissant : je
puis tout en celui qui me fortifie ip).
Alors il suffit de se nourrir par quelque courte
lecture proportionnée à son état et à son goût, mais
souvent interrompue, pour soulager les sens, et
poar faire place à Tesprit intérieur qui met en re-
cueillement. Deux mots simples, sans raisonnement,
et pleins de Fonction divine, sont la manne cachée.
On oublie ces paroles; mais elles opèrent secrète-
ment, et on s*en nourrit; Famé en est engririssée.
Quelquefois on souffre sans savoir presque si Fon
souffre : d*autres fcHs on souffre et on trouve qu'on
souffre mal, et on supporte son impatience comme
une seconde croix plus pesante que la première; mais
rieu n'arrête , parce que le vrai amour va toujours,
n allant point pour lui-même et ne se comptant plus
pour rien. Alors on est vraiment heureux. La croix
n*e$t plus croix quand il n'y a plus un moi pour la
souffrir, et qui s'approprie les biens et les maux.
(«) // Cor, XII. 10. — C«) PhiUp, IV. i3.
44<> ^^ ^^ V^IX UITÉ&IBURB.
XXXVIII.
La paix intérieure ne se trouve que dans un entier
abandon à la volonté de Dieu» *
le D*y aura jamais de paix pour ceux qui râîstent
à Dieu : s'il y a quelque joie au monde, elle est ré-
servée à la conscience pure : toute la terre est un
lieu de tribnlation et d'angoisse pour une mauvaise
conscience.
O que la paix qui vient de Dieu est différente de
celle qui vient du siècle! Elle calme lés passions;
elle entrelient la pureté de la conscience; elle est
inséparable de la justice j elle unit à Dieu ; elle nous
fortifie contre les tentations. Cette pureté de con-
science s'entretient par la fréquentation des sacre-
mens. La tentation , si elle ne nous surmonte point ,
porte toujours son fruit avec elle. La paix de l'ame
consiste dans une entière résignation à la volonté
de Dieu.
Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous
vous troublez pour bien des choses; il njr en a qu'une
de nécessaire (0. Une vraie simplicité, un certain
calme d'esprit qui est le fruit d'un entier abandon à
tout ce que Dieu veut, une patience et un support
pour les défauts du prochain, que la présence de
Dieu inspire, une certaine candeur et une certaine
docilité d'enfant pour avouer ses fautes, pour vou-
loir en être repris , et pour se soumettre au conseil
(0 Lue, z. 4i» 4^*
DB LA »AIX mYÉRIfitlAB* 44 >
des personnes expérimentées, seront des vertus so-
lides f utiles et propres pour vous sanctifier.
La peine que vous avez sur un grand nombre de
choses vient de ce que vous n*acceptez pas avec as*
sez d*abandon à Dieu tout ce qui peut vous arriver.
Mettez donc toutes choses entre ses mains , et faites-
en par avance le sacrifice entier dans votre cœur.
Dès le moment que vous ne voudrez plus rien selon
votre propre jugement , et que vous voudrez sans ré-
serve tout ce que Dieu voudra , vous n*aurez plus
tant de retours inquiets et de réflexions à faire sur
ce qui vous regarde ; vous n*aurez rien à cacher ni à
ménager. Jusque là vous serez troublé, changeant
dans vos vues et dans vos goûts, facilement mécon-'
tent d'autrui, peu d*accord avec vous-même, plein
de réserve et de défiance : votre bon esprit, jusqu*à
ce qu*il soit bien humilié et simple , ne servira qu*à
vous tourmenter; votre piété, quoique sincère, vous
donnera moins de soutien et de consolation que de
reproches intérieurs. Si au contraire vous aban*
donnez tout votre cœur à Dieu, vous serez tran-
quille et plein de la joie du Saint-Esprit.
Malheur h vous si vous regardez encore l'homme
dans Fœuvre de Dieu ! Quand il s*agit de choisir un
guide il faut compter tous les hommes pour rien. Le
moindre respect humain fait tarir la grâce, augmente
les irrésolutions. On souiTre beaucoup, et on déplatt
encore davantage h Dieu.
Ce qui nous oblige à aimer Dieu, c'est qu'il nous
a aim& le premier, et aimés d'un amour tendre,
comme un père qui a pitié de ses enfans , dont il con-
nott l'extrême fragilité et la boue dont il les a pétris?
44^ I>B ^^ P^l^ lATÉRTEURE.
Il nous a cherchés dans nos propres voies qai sont
celles du pëché; il a couru comme un pasteur qui
se fatigue pour retrouver sa brebis égarée* Il ne s^est
pas contenté de nous chercher; mais, après nous
avoir trouvés , il s'est chargé de nous et de nos lan-
gueurs ; il a été obéissant jusqu*à la mort de la croix.
On peut dire de même qu'il nous a aimés jusqu'à la
mort de la croix , et que la mesure de son obéissance
a été celle de son amour. Quand cet amour remplit
bien une ame , elle goûte la paix de la conscience ;
elle est contente et heureuse; il ne lui faut ni gran-
deur, ni réputation, ni plaisir, rien de tout ce que
le temps emporte sans en laisser aucunes traces;
elle ne veut que la volonté de Dieu , et elle veille
incessamment dans l'heureuse attente de son époux.
XXXIX.
Suite du même sujet.
Je vous souhaite tous les biens que vous devez
chercher dans la retraite : le principal est la paix
dans une conduite simple oii on ne regarde jamais
Tavenir avec trop d'inquiétude. L'avenir est à Dieu,
et point à vous : Dieu l'assaisonnera comme il £iut,
selon vos besoins ; mais si vous voulez pénétrer cet
avenir par votre propre sagesse, vous n'en tirerez
aucun fruit que l'inquiétude et la prévoyance de
certains maux inévitables. Songez seulement à pro-
fiter de chaque jour; chaque jour a son bien et son
mal , en sorte même que le mal devient souvent un
OE LA PAIX IMTÉniEORE. 44^
bien y pouiTu qu'on laisse faire Dieu et qu'on ne le
prévienne jamais par impatience.
Dieu vous donnera alors tout le temps qu'il faudra
pour aller à lui. Il ne vout donnera peut*étre pas
tout celui que vous voudriez pour vous occuper
selon votre goût, et pour vivre à vous-même sous
prétexte de perfection ; mais vous ne manquerez ni
de temps ni d'occasions de renoncer à vous-même et
à vos inclinations. Tout autre temps au-delà de celui-
là est perdu y quelque bien employé qu'il paroisse.
Soyez même persuadé que vous trouverez sur toutes
ces choses des facilités convenables à vos vrais be-
soins ; car autant que Dieu déconcertera vos inclina-
tions f autant soutiendra-t-il votre foiblesse. Ne crai-
gnez rien y et laissez-le faire : évitez seulement par
une occupation douce , tranquille et réglée , la tris-
tesse et l'ennui , qui sont la plus dangereuse tentation
pour votre naturel..yous serez toujours libre en Dieu,
pourvu que vous ne vous imaginiez point d'avoir
perdu votre liberté.
XL.
En quoi consiste la simplicité : sa pratique et ses
divers degrés.
Il y a une simplicité qui est un défaut , et il y a
une simplicité qui est une merveilleuse vertu. La sim-
plicité est souvent un défaut de discernement , et une
ignorance des égards qu'on doit à chaque personne.
Quand on parle dans le monde d'une personne sim-
ple, on veut dire un esprit court , crédule et grossier.
444 ^^ ^^ SIMPLICITÉ.
La simplicité qui est une vertu , loin d*être grossière,
est quelque chose de sublime. Tous les gens de bien
la goûtent , Tadmirent y sentent quand ils la blessent,
la remarquent en autrui , et sentent quand il est né-
ceesaire de la pratiquer; mais ils auraient de la
peine à dire précisément ce que c*est que cette vertu.
On peut dire là-dessus ce que le petit livre de l'Imi-^
talion de Jésus - Christ dit de la componction du
cœur : Il vaut mieux la pratiquer que de savoir la
définir (0.
La simplicité est une droiture de Tame qui re-
tranche tout retour inutile sur elle-même et sur ses
actions. Elle est différente de la sincérité. La sincé-
rité est une vertu an-dessous de la simplicité. On
voit beaucoup de gens qui sont sincères sans être
simples : ils ne disent rien qu'ils ne croient vrai ; ils
ne veulent passer que pour ce qu'ils sont ; mais ils
craignent sans cesse de passer pour ce qu'ils ne sont
pas; ils sont toujours à s'étudier eux-mêmes, à com-
passer toutes leurs paroles et toutes leurs pensées,
et à repasser tout ce qu'ils ont fait dans la crainte
d^avoir trop fait ou trop dit. Ces gens-là sont sincè-
res ; mais ils ne sont pas simples : ils ne sont point à
leur aise avec les autres, et les autres ne .sont point
à leur aise avec eux : on n'y trouve rien d'aisé, rien
de libre , rien d'ingénu , rien de naturel ; on aime-
roit mieux des gens moins réguliers et plus impar-
faits, qui fussent moins composés. Voilà le goût des
hommes, et celui de Dieu est de même : il veut des
âmes qui ne soient point occupées d'elles, et comme
tou)ours au miroir pour se composer.
{}) Lib. X » cap. i , n. 3.
DB LÀ SIMPLICITÉ. 44^
Etre toat occupe des créatures , sans jamais faire
aucune réflexion sur ^oi , c'est Tétat cTaveogl^nent
des personnes que le présent et le sensible entraînent
toujours : c'est Textrémité opposée à la simplicité.
Etre toujours occupé de soi dans tout ce qu'on a à
faire y soit pour les créatures, soit pour Dieu, c'est
l'autre extrémité qui rend l'ame sage à ses propres
yeux, toujours réservée, pleine d'elle-même, in-
quiète sur les moindres choses^qui peuvent troubler
la complaisance qu'elle a en elle-méme.Voilàla fausse
sagesse, qui n'est, avec toute sa grandeur, guère
moins vaine et guère moins folle que la folie des gens
qui se jettent tête baissée dans tous les plaisirs. L'une
est enivrée de tout ce qu'elle voit au dehors; Tautre
est enivrée de tout ce qu'elle s'imagine faire au de-
dans ; mais enfin ce sont deux ivresses. L'ivresse de
soi-même est encore pire que celle des choses exté-
rieures, parce qu'elle parott une sagesse, et qu'elle
ne Test pas : on songe moins à en guérir ; on s'en fait
honneur ; elle est approuvée ; on y met une force
qui élève au-dessus des honneurs et an> dessus du
reste des hommes : c'est une maladie semblable à la
frénésie-, on ne la sent pas; on est à la mort, et on
dit : Je me porte bien. Quand on ne fait point de
retours sur soi , à force d'être entraîné par les objets
extérieurs, on est étourdi; au contraire, quand on
fait trop de retours, c'est une conduite forcée et
contraire à la simplicité.
La simplicité consiste en un ^uste milieu où l'on
n'est ni étourdi , ni trop composé : l'ame n'est point
entraînée par l'extérieur, en sorte q^u'elle ne puisse
plus faire les réflexions nécessaires : mais aussi elle
446 DE LA SIMPLICITÉ.
retranche les retours sut* soi qu*un amour^-propre
inquiet et jaloux de sa propre excellence multiplie
à rinfini. Cette liberté d'une ame qui voit immëdia-
tement devant elle pendant qu'elle marche » mais
qui ne perd point son temps à trop raisonner sur ses
pas, à les étudier, à regarder sans cesse ceux qn^elle
a déjà faits , est la véritable simplicité.
Voici donc le progrès de Vame. Le premier de-
gré est celui où elle se déprend des objets extérieurs
pour rentrer au dedans d*elle<-même, et pour s'occo-
per de son état pour son propre intérêt : jusque \h
il n'y a encore rien que de naturel ; c'est un amour-
propre sage , qui vent sortir de Tenivrement des
choses extérieures.
Dans le second degré. Famé joint à la vue d'elle-
même celle de Dieu qu'elle craint. Voilà un foible
commencement de la véritable sagesse ; mais elle est
encore enfoncée en elle-même : elle ne se contente
pas de craindi*e Dieu , elle veut être assurée qu'elle
le craint ; elle craint de ne le pas craindre; sans cesse
elle revient sur ses propres actes. Ces retours si in*-
quiets et si multipliés sur soi-même sont encore bien
éloignés de la paix et de la liberté qu'on goûte dans
Famour simple : mais ce n'est pas encore le temps
de goûter cette liberté ; il faut que Tame passe par ce
trouble ; et qui voudroit d'abord la mettre dans la
liberté de Tamour simple, courroit risque de l'égarer.
Le premier homme voulut d'abord jouir de lui*
même ; c'est ce qui le fit tomber dans l'attachement
aux créatures. Uhomme revient d'ordinaire par le
même chemin qu'il a fait en s'égarant ; c'est-à-dire
qu*ay«nt passé de Dieu aux objets extérieurs, en ren-
DB LA SIMPLICITÉ. 44?
Irant d'abord en soi-même, il repasse aussi des objets
extérieurs en Dieu en rentrant au fond de son cœur.
Il faut donc, dans la conduite ordinaire, laisser quel*
que temps une ame pénitente aux prises avec eUe-
même dans une rigoureuse recherche de ses propres
misères, avant que de l'introduire dans la liberté des
enfans bien*aimés. Tant que Tattrait et le besoin de
la crainte dure, il faut nourrir Famé de ce pain de
tribulation et d'angoisse. Quand Dieu commence à
ouvrir le cœur à quelque chose de plus pur, il iaut
suivre, sans perdre le temps et comme pas à pas,
l'opération de sa grâce* Alors l'ame commence à en-
trer dans la simplicité.
Dans le troisième degré, elle n'a plus ces retours
inquiets sur elle-même; elle commence à regarder
Dieu plus souvent qu*elle ne se regarde, et insensi-
blement elle tend à s'oublier pour s'occuper en Dieu
par un amour sans intérêt propre. Ainsi Famé, qui
ne pensoit point autrefois à elle-même, parce qu'elle
étoit toujours entraînée par les objets extérieurs qui
excitoient ses passions, et qui dans la suite a passé
par une sagesse qui la rappeloit sans cesse à elle*
même , vient enfin peu à peu à un autre état, oh Dieu
fait sur elle ce que les objets extérieurs faisoient au-
trefois ; c'est-è-dire qu*il l'entratne , et la désoccupe
d'elle-même , en l'occupant de lui.
Plus l'ame est docile et souple pour se laisser en-
traîner sans résistance ni retardement , plus elle
avance datis la simplicité. Ce n'est pas qu'elle de-
vienne aveugle sur ses défauts, et qu'elle nc^sente
ses infidélités; elle les sent plus que jamais; elle a
horreur des moindres fautes ; sa lumière augmente
44B DB LA SIMPLICITÉ.
toujours pour découvrir sa corruption : mais cette
conooissance ne lui vient plus par des retours in-
quiets sur elle-même ; c'est par la lumière de Dieu
présent qu'elle se voit contraire à sa pureté infinie.
Ainsi elle est libre dans sa course , parce qu'elle ne
s'arrête point pour se composer avec art Encore une
fois , cette simplicité merveilleuse ne convient point
aux âmes qui ne sont point encore purifiées par une
solide.pénitence ; car elle ne peut être que le firuit
du détachement total de soi-même, et d'un amour
pour Dieu sans intérêt : mais on y parvient peu à
peu : et quoique les âmes qui ont besoin de pénitence
pour s'arracher aux vanités du monde doivent faire
beaucoup de réflexions sur elles-mêmes, je crois
néanmoins qu'il faut, suivant les ouvertures que la
grâce donne, les empêcher de tomber dans une cer-
taine occupation excessive et inquiète d'elles-mêmes ,
qui les gêne, qui les trouble, qui les embarrasse et
qui les retarde dans leur course. Elles sont enve-
loppées en elles-mêmes comme un voyageur qui se-
roit enveloppé de tant de manteaux l'un sur l'autre,
qu'il ne pourroit marcher. Les trop grands retours
sur soi produisent dans les âmes foibles la supersti-
tion et le scrupule qui sont pernicieux, et dans les
anies qui sont naturellement fortes une sagesse pré-
somptueuse qui est incompatible avec l'esprit de
Dieu. Tout cela est contraire à la simplicité, qui est
libre, droite, et généreuse jusqu'à s'oublier elle-même
pour se livrer à Dieu sans réserve. O qu'une ame
délivrée de ces retours bas , intéressés et inquiets ,
est heureuse ! que ses démarches sont nobles ! qu'elles
sont grandes ! qu'elles sont hardies !
Si
DK LA SIMPLICITÉ^ 449
Si un homme veut que son ami soit simple et libre
avec lui y en sorte qu'il s^oublie lui-même dans ce
commerce d'amitié , à combien plus forte raison
Dieu y qui est le vrai ami^ veut-il que Tame soit sans
retour, sans inquiétude , sans gêne, sans jalousie sur
elle-même , sans réserve , dans cette douce et intime
familiarité qu'il lui prépare ! C'est cette simplicité
qui fait la perfection des vrais enfans de Dieu ; c'est
le but auquel on doit tendre et auquel on doit se laisser
conduire. Le grand obstacle à cette bienheureuse
simplicité est lar folle sagesse du siècle , qui ne veut
rien confier à Dieu, qui veut tout faire par son
industrie , tout arranger par elle-dnême , et se mirer
sans cesse dans ses ouvrages. Cette sagesse est une
folie, selon saint Paul (0; et la vraie sagesse, qui
consiste à se livrer à l'Esprit de Dieu sans retour in-
qaiet sur soi , est une folie aux yeux insensés des
mondains.
Quand un Chrétien n'est pas encore pleinemept
converti il faut sans cesse lui demander d'être sage :
quand il est pleinement converti il faut commencer
à craindre qu'il ne soit trop sage ; il faut lui inspirer
cette sagesse sobre et tempérée dont parle saint
Paul W : enfin , s'il veut s'avancer vers Dieu , il faut
qu'il se perde pour se retrouver ; il faut démonter
cette sagesse propre wqui sert d'appui à la nature dé-
fiante ; il faut avaler le calice amer de la folie de la
croix, qui tient lieu de martyre aux âmes généreuses
qui ne sont point destinées à répandre leur sang
comme les premiers Chrétiens.
Le retranchement des retours inquiets et inté-
(*) / Cor. I. ao. — (•) Bom. xn. 3.
FitzfÉLOir. xvixi. ^9
4^0 D£ LA SIMPLICITÉ.
ressës sur soi mei Tame dans une paix et dans une
liberté inexplicable : c'est la simplicité. Il est aisé
de voir de loin qu'elle doit être merveilleuse; mais
la seule expérience peut montrer qaelle largianr de
coeur elle donne. On est comme un petit enfant dans
le sein de sa mère ; on ne veut plus et on ne craint
plus rien pour soi ; on se laisse tourner en tous sens :
avec cette pureté de cœur, on ne se met plus en
peine de ce que les autres croiront de noua^ si ce
n*est qu'on évite par charité de les scandaliser : on
fait dans le moiâeot toutes ses actiofl#le mieux qu'on
peut avec une attention douce » libre , gaie ; et on
s'abandonne pour le succès. On ne se juge pkis soi-
même, et on ne craint point d'être jugé, comme
saint Paul le dit de lui-même (0.
Tendons donc à cette aimable siraplieité. Qu'il
nous reste de chemin pour y parvenir ! Plus nous en
sommes éloignés, plus il nous faut hâter pour avan*
cer il grands pas vers elle. Bien loin d'être simples ,
la plupart des Chrétiens ne sont pas sincères : ils sont
non - seulement composés, mais faux et dissimnlés
avec le prochain , avec Dieu et avec enx'^mêmes;
mille petits détours , mille inventions pour donner
indirectement des oontorsions à la vérité. Hélas !
tout homtne est menteur W : ceux mêmes qui sont
naturellement droits , sincères ^ ingénus , et qui ont
ce qu'on appelle un naturel simple et aisé en tout ,
ne laissent pas d'avoir une application délicate et
jalouse stti^ eux-mêmes, qui nourrit secrètement l'or-
gueil , et qui empêche la vraie simplicité, qui est le re-
noncement sincère et Toubli constant de soi'^méme.
CO / Cor, lY. 3. — {*', Pi. cxv. a.
DE LA SIMPLICITÉ. 4^1
Mais y dira-t-on , comment pourrai*)e m'empécfaet
d*étre occupé de moi ? c est une foole de retours sut*
moi-même qui m'inquiètent, qui me tyrannisent, et
qui me causent une très»vive sensibilité.
Je ne demande que ce qui est volontaire dans ces
retours. Ne soyez jamais volontairement dans les
retours inquiets et jaloux, cela suflSra; votre fidélité
à y renoncer toutes les fois que vous les apercevrez
vous en délivrera peu à peu : mais n'allez pas atta-
quer de front ces pensées > ne cherchez point que^
relie en vous opinifitrant pour les combattre; voua
les irriteriez. Un efibrt continuel pour repousser les
pensées qui nous occupent de nous et de nos inté-
rêts, seroit une occupation continuelle de neu»*
mêmes , qui nous distrairoit de la présence de Dieu
et des devoirs qu*il veut nous faire accomplir.
Le prideipal est d*avoif sincèrement abandonné
entre les mains de Dieu tous nos intérêts de plaisir,
de commodité, de réputation. Quiconque met tout
au pis aller, et qui accepte sans réserve tout ce que
Dieu veut lui donner d'humiliations , de peines et
d'épreuves, soit au dehors, soit au dedans, coin-
mence à s'endurcir contre sot - même : il ne craint
point de n'être pas approuvé, et de ne pouvoir éviter
la critique des hommes ; il n'a pluâ de délicatesse ;
ou s*il eu a une involontaire, il la méprise et la
gourmande; il la traite si rudement, pour n'y avoir
aucun égaid , qu'elle diminue bientôt. Cet état de
pleine acceptation et d'acquiescement perpétuel fait
la vraie liberté ; et celte liberté produit la simplicité
parfaite.
Une ame qui a'a plus d^intérêt , et qui ne $t soucie
45s DK L4 smUCTTÉ.
point d'elle, n*a plus qae de la candear ; elle va toot
droit sans s'iembarrasser ; sa voie ya toujours s*âargis-
santàrinfiniy à mesure que son renoncement et son
oubli d*elle-méme s'augmentent; sa paix est pro-
fondç comme la mer an milieu de ses peines. Mais
tandis qu'on tient encore à soi, on est toujours génë,
incertain, enveloppé dans les retours de Tamour-
propre. Heureux qui n*est plus à soi !
Pai déjà remarqué que le monde est du même
goût que Dieu pour s'accommoder d'une noble sim-
plicité qui s'oublie elle-même. Le monde goâte dans
ses enfans, corrompus comme lui, les manières li*
bres et aisées d'un homme qui ne panrft point occupé
de soi ; c'est qu'en effet rien n'est plus grand que de
se perdre de vue soi-même. .Mais cette simplicité est
déplacée dans les enfans du siècle ; car ils ne sont
distraits d'eux-mêmes qu'à force d'être entratnâ par
des objets encore plus vains. Cependant celle sim-
plicité, qui n'est qu'une fausse image de la véritable,
ne laisse pas d'en représenter la grandeur. Ceux qui
ne peuvent trouver le corps courent après l'ombre, et
cette ombre, toute ombre qu'elle est, les charme,
parce qu'elle ressemble un peu à la vérité qu'ils ont
perdue. Voilà ce qui fait le charme de la simplicité,
lors même qu'elle est hors de sa place.
Un homme plein de défauts, qui n'en veut cacher
aucun , qui ne cherche jamais à éblouir, qui n'af-
fecte jamais ni talens, ni vertu , ni bonne grâce, qui
parûtt ne songer pas plus à soi-même qu à autrui ,
qui semble avoir perdu le moi dont on est si jaloux,
et qui est comme étranger à l'égard de soi-même ,
est un homme qui platt infiniment malgré ses dé-
DE LA SIMPLICITÉ. 4^3
faats. Cest que l'homme est charmé par Fimage d'un
si grand bien. Cette fausse simplicité est prise pour
la véritable. Au contraire , un homme plein de ta-
lens y de vertus acquises et de. grâces extérieures y
s*il est trop composé , s'il parolt toujours attentif à
lui , s'il affecte les meilleures choses , c'est un per-
sonnage dégoûtant, ennuyeux et contre lequel cha-
cun se révolte. Rien n'est donc ni meilleur ni plus
grand que d'être simple , c*est-à-dire jamais occupé
de soi. Les créatures , à quelque point qu'elles nous
mettent , ne. nous rendent jamais véritablement sim-
ples. On peut , par naturel , être moins jaloux sur
certains honneurs , et ne se gêner point dans ses ac-
tions par certaines réflexions subtiles et inquiètes ;
mais enfin on ne cherche les créatures que pour soi ;
et on ne s'y oublie jamais véritablement soirméme ;
car on ne s'y attache que pour en jouir, c'est-à-dire
les rapporter à soi.
Mais y dira-t-on , fiatudra^t-il ne jamais songer k
soi, ni à aucune des choses qui nous intéressent, et
ne parler jamais de nous ? Non , il ne faut point se
mettre dans cette gêne : en voulant être simple , on
s'éloigneroit de la simplicité, en s'attachant scrupu-
leusement à la pratiqué de ne parler jamais de soi ,
par la crainte de s'en occuper et d'en dire quelques
paroles.
Que faut-il donc faire 7 Ne faire rien de réglé là-
dessus , mais se contenter de n'affecter rien. Quand
on a envie de parler de soi par recherche de soi-
même, il n'y a qu'à mépriser cette vaine démangeai-
son , en s'occupant simplement ou de Djusu , ou. des
choses qu'il veut qu'on fasse. Ainsi la simplicité con-
9t$t^ à n*A«[oir{>piDt de mauvaise honte , ni de fausse
modestie 9 non plus^que d'-ostentation , de complai-
saooe.vaiae^ et dViUentioo sur soi-^éme. Quand la
peofitfe vient d'en panier pai/ vanité , il n'y a qu'-à
laisser tomber tout court ce vain retour sur soi*
même : quand, au contraire, on a la pensée d'en
parler pour qudque besoin , c'est alors qu'il ne fiiot
point trop raisonner; il n'y a qifà aller droit au but.
Mais que pensera t*on de moi 7 on croira que je me
vante sottement : mais je me rendrai suspect en par-
lant librement sur mon propre intérêt. Toutes ces
réflexions inquiètes ne méritent p^s de nous occuper
uo seul moment : parlons généreusement et simple-
ment de nous comme d'autrui quand il en est ques-
tion. C'e^t aipsi que saint Paul parle souvent de lui
dans ses Ëpltres. Pour sa oaissj(nce il déclare qn*il
est citoyen romain ; ri en fait valoir les droits jusqu'à
faire peur à son juge. Il dit qu'il n'a rien fait de
moins que les plus grands d'entre les apôtres ; qu*il
A'a rien appris d'eux pour la doctrine, ni rien reçu
pour le ministère ; qu'il est tout aussi bien qu'eux à
iésus-Christ ; qu*il a plus travaillé et plus soufièrt
qu'eux ; quHl a résisté l Pierre en fiice , parce quU
éuit répréhénsiUe (0; qu'il a été ravi jusqu^au troî-
sièpie ciel ; qu'il n'a rien à se reprocher dans sa con-
science ; qu'il est un vase d'élection pour éclairer les
Gentils ; enfin il dit aux fidèles : Soyez mes imita-
teurs comme je le suis de Jésus'Ghrist (^). Qu'il y a
de grandeur à parler ainsi simplement de soi ! Saint
Paql en dit les choses les plus hantes sans en parottre
ni émvk , ni occupé de lui ; il les raconte comme on
WGtff II. II.— (0/Cbr. XI. 1.
raoonteroit une faisloire passée depuis deux mille
ans. Tous ne doivent pas entreprendre de dire et de
faire de même ; mais ce qu*on est obligé de dire de
soi, il faut le dire simplement : tout le monde ne
peut pas atteindre à cette sublime simplicité , et il
faut bien se garder d*y vouloir atteindre avant le
temps* Mais quand on a. un vrai besoin de parler de
soi idans Jes occasions communes, il faut le faire tout
uniipent,.et ne s« laisser aUer ni à une modestie af-
fectée, ni à unehanjte qui vient de mauvaise gloire-
La mauvaise gloire se cache souvent sous un air
modeste et réservé : on ne veut pas montcer ce qu^on
a de bon ; m^iis on est bien aise que les. autres le dé-
couvrent, pour avoir Tlionneur tout ensemble et de
aes yerjl;us,et du soin.de les cacher.
Pour juger du besoin qu'on a de penser ST soi ou
de parler de soi ^ il faut prendre conseil de la per^
sonne qui connoU votre. degré de grâce. Par là vous
éviterez ,de voua cpndnire et de vous juger vous-
même ; ce qui est. ope source de bénédictions. Cest
donc à rhomme pieux et.éplairé dont nous prenons
conseil , à. décider si le besoin de parler de soi est
véritable ou imaginaire ^ son examen et sa décision
nous ép^ilgneront beaucoup de retours sur nous-
mêmes : il ej(a^iinera aussi si le prochain , à qui nous
devons parler , est capable ,de porter sans scandale
cette liberté et cette simplicité à parler de nous avait,
tageusement et sans façon dans le vrai. besoin.
Pour les cas. imprévus y oik Ton n'a pas le loisir de
consfilteiTi il faut se donner à Dieu, et Faire suivant
sa lumière présente ce quon. croit le meilleur, mais
4S6 DE LA sotpuar^»
sans hésiter ; car l*hésitatioii embrooilleroît. Il but
d'abord prendre son parti : quand même on le pren-
droit mal , le mal se tonmeroit à bien par la droite
intention ; et Diea ne nous imputera jamais œ qae
nous aurons fait faute de conseil en nous abandon*
nant à la simplicité de son esprit.
Pour toutes les manières de parler contre soi-
même , je n'ai garde ni de les blâmer ni de les con-
seiller. Quand dles tiennent par voie de simplicité,
de la haine et du mépris que Dieu nous inspire pour
nous-mêmes, elles sont merveilleuses; et c'est ainsi
que je les regarde dans un si grand nombre de saints.
Mais communément le plus simple et le plus sûr est
de ne jamais parler de soi ni en bien ni en mal sans
besoin : Tamour-propre aime mieux les injures que
Foubli et le silence. Quand on ne peut s*empêcfaer
de parler mal de soi , on est bien prêt à se raccom-
moder avec soi-même ; comme les amans insensé
qui sont prêts à recommencer leurs folies lorsqu'ils
pai oissent dans le plus horrible désespoir contre la
pel'sonne dont ils sont passionnés.
Pour les défauts , nous devons être attentif à les
corriger suivant l'état intérieur oik nous sommes. Il
y a autant de manières différentes de veiller pour sa
correction , qu'il y a de diflSfrens états dans la vie
intérieure. Chaque travail doit être proportionné à
l'état où l'on se trouve ; mais en général il est cer*
tain que nous déracinons plus nos défauts par le
recueillement , par l'extinction de tout désir et de
toute répugnance volontaire , enfin par le pur amour
et par l'abandon à Dieu sans intérêt propre, que par
DB LA SIlCPLIClTé. 4^7
les réflexions inquiètes sur noas-mémes. Quand Diea
s*enméley et que nous ne retardons point son ac-
tion , Touvrage va bien vite.
Cette simplicité se répand peu à peu jusque sur
Textérieur. Gomme on est intérieurement dépris de
soi-même par le retranchement de tous les retours
volontaires, on agit plus naturellement. L*art tombe
avec les réflexions. On agit sans penser à soi ni à
son action , par une certaine droiture de volonté qui
est inexplicable k ceux qui n*en ont pas Texpérienée.
Alors les défauts se tournent à bien , car ils humi-
lient sans décourager. Quand Dieu veut faire par
nous quelque œuvre au dehors, on il ôte ces dé&uts,
ou ils les met en œuvre pour ses desseins , ou il em-
pêche que les gens sur qui on doit agir n'en soient
rebatés.
Mais enfin , quand on est véritablement dans cette
simplicité intérieure, tout Textérieur en est plus in-
génu, plus naturel : quelquefois même il parott
moins simple que certains extérieurs plus graves et
plus composés ; mais cela ne parolt qu'aux personnes
d'un mauvais goût , qui prennent rafièctation de
modestie pour la modestie même , et qui n'ont pas
l'idée de la vraie simplicité. Cette vraie simplicité
paroit quelquefois un peu négligée et moins régu-
lière ; mais elle a un goût de candeur et de vérité
qui fait sentir je ne sais quoi d'ingénu, de doux,
d'innocent, de gai, de paisible, qui charme quand
on le voit de près et de suite avec des yeux purs.
O qu'elle est aimable cette simplicité ! Qui me la
donnera ? Je quitte tout pour elle , c'est la perle de
rÉvangile. O qui la donnera à tous ceux qui ne veu-
458 * DB 1.4 4I1IPUCITÉ.
Isot quelle ! Sogesse la^BdaÎBey vous la mëpiisez, et
elle ¥0tt9 «léprise. Folle sagesse, vous succoioberez,
et les enfans de Dieu détesteront cetie- prudence gui
nWtque mort^ coniiDe dit «on A.p6ire (0.
XLI.
Sur leS'MmàiéS'patiiOuIièries : comiÛM elles sont à
cnundredans las- pommunauîés.
Ov croît cenraïuxiéiiieDt qui} nY ^ i*'^ ^ ^^^
iattottent qvie de se lier'd?uae««oiiti< étroite wec les
personnes en «qui on trowe^du^mérite avec des qoa-
liités convenables à. notre 'goût. CTest uneoëcessitë
dans la vie, dit-on, qtie d*avoir quelque personne
de confiance^ qui on ^ëpuacbe son coaur pour se con-
8oIer« Il ïJLj n que des- coourë durs qui peuvent se
pasaer du plaisir d'une amitié veFtneuse et spUde.
Mass^ceBchoees, ^i sont pleines d-ëcueils dans
to ne 4et autres états, sont singulièrement à crain-
due ikuasilessommunautés ;' et on doit,- «quand on se
eroit appelé à cetLeeie ,* se regarder par rapport aux
É
amâiés, tout autrement qo on tie feroitdans une vie
privéeet libn8aojnilieaidu:sièQle. En voici les rai-
sons :
/Piremièremetityionia'est eaerifié à Fobéissance ^
à. UtSuboiNlînation!; ainsi on n'est plus à soi. Si on ne
peubdîaposer ni de eou temps y hî ^ de son travail , on
doitenaoreimoinsdâspoeerdeisesiattacbemeosy P^*^'
que lies» «ttariiemens', iifits étoient ^suiviS) emporte-
{*1Môm. vni.6.
SUR UB5 AMITIÉS PARTICULIÈABS. 4^9
roient elle temps et Vapplicatîon de Vesprit. Quand
voas formes des liaisons qae vos supérieurs o*approu-
vent pas , vous désobéissez , vous entrez insensible-
ment dans un esprit particulier contraire à Tesprit
général de la maison. Vous courez même risque de
tomber dans des délicatesses , dans des jalousies , dans
des empressement,, dans des ombrages, et dans des
excès de cbalênr popr les petits intérêts de la perr
sonne que vous aimez, que vous auriez honte d^avoir
pour Tous-même^ Les supérieurs ont raison de se dé-
fier de votre modération , de votre discrétion, de votre
détachement et de vos antres vertus. Ces attaohe-
mens particuliers vous rendent souvent indocile sur
les vues qu'on aurott, on de vons écarter absolument,
ou de vous donner quelque fonction qui soit cause que
vous votts trouviez rarement avec la personne que
vous aimez. En voilà assez pour vons aigrir contre vos
supérieurs, pour vous rendre Tobéissance amère, et
pour vous faire chercher des prétextes de Téluder.On
rompt le silence ; on a souvent de petits secrets à dîi^;
on est ravi de dérober des momens pour s'entretenir
Contre les règles. Un quart d'heure, où le'cœnr s'é-'
panche ainsi avec intempérance , fait plus de mal et
éloigne. davantage de la soumission, que tontes les
conversations qu'on pourroit avoir d'ailleurs.
Les supérieurs, voyant ce mal, tâchent d'y remé-
dier, et tous les remèdes les pins charitables qu'ils y
emploient passent dans votre esprit pour une défiance
et ponr une crUauté. Que fais-je? dit-on; qu'a-t-on à
nie reprocher? j'estime une telle personne pour son
mérite; mais je ne la vois guère plus qu'une autre;
je ne la flatte point; nous ne nous aimons que pour
46o êVh LK$ AMITIÉS rAKTlCULlèEBS»
Diea. Od me veut arracher runiqve consolation qui
me i*este. Avec quelle sévéritë me tratteroii*on , si
je faisois quelque démarche contre les règles , puis-
qu'on est impitoyable sur une chose si innocente ?
Ces supérieurs voient le mal y et ne peuvent pres-
que Texpliquer. Ils aperçoivent qu'une amitié indis-
crète empoisonne insensiblement le cœur^ et ils ne
savent dans le détail comment prévenir cette conta-
gion. La personne d'abord s'échaufiTe, puis s'aigrit ,
et enfin se révolte jusqu'à s'égarer. Les plus beaux
commeocemens causent ces malheureuses 8«ite&
%^ On fait un grand mal aux autres : on leur
donne un pernicieux exemple. Chacun se croit per-
mis de former des attachemens particuliers, qui vont
insensiblement plus loin qu'on n'avoit cm d'abord.
Il s'excite une espèce d'émulation et d'opposition de
sentimens entre ceux qui ont des amitiés diUKrentes.
De là naissent les petites cabales et les intrigues qui
bouleversent les maisons lies plus régulières. De plus,
il arrive des jalousies entre deux personnes, lors-
qu'elles s'attachent à la même : chacun craint que
l'antre ne lui soit préférée. Quelle perte de temps !
quelle dissipa^on d'esprit! quelles folles inquiétudes !
quel dégoût de tous les exercices intérieurs! quel
abandon funeste à la vanité ! quelle extinction de
l'esprit d'humilité et de ferveur ! quel trouble même
et quel scandale au dehors dans tous ces attachemens
indiscrets !
Il faut avouer néanmoins que les communautés
sont bien exposées à ce danger; car ces attachemens
sont contagieux. Dès qu'une personne prend cette
liberté, c'est le fruit défendu qu'elle &it manger aux
SUR LES AMITIÉS PÀtTICULIÈaBS. 4^^
autres après en avoir mange la première. Les autres
ne veulent pas avoir moins de consolation et d*ap«
pui que cette personne qui cherche à aimer et à se
faire aimer.
3o On fait un tort irréparable à la personne qu'on
aime trop. On la fait sortir de sa conduite simple ,
détachée et soumise. On la fait rentrer en elle-même
avec complaisance , et dans tous les amusemens les
plus flatteurs de Tamour-propre. On lui attire beau-
coup de mortifications de la part des supérieurs ; elle
les afflige y et elle est affligée par eux. Ils se voient
contraints à se défier d'elle , à la soupçonner même
quelquefois sur des choses qu'elle n'a point faites, à
observer ses moindres démarches, à ne croire point
ce qu'elle dit, et k la gêner en beaucoup* de petites
choses qui la touchent jusqu'au fond du cœur.
Vous qui vous êtes attaché à elle, vous partagez
a yec elle vos croix et les siennes. Il s'en fait un com-
merce très-dangereux ; car ayant de part et d'autre
le cœur plein d'amertume , vous répandez l'un sur
Fautre tout votre fiel. Vous murmurez ensemble
contre les supérieurs ; vous vous fortifiez par de
vains prétextes contre la simplicité de l'obéissance; et
voilà le malheureux fruit de toutes cesbelles'amitiés.
D'ailleurs, une seule amitié particulière est capa-
ble de troubler l'union générale. Une personne ai-
mée par une autre excite souvent la jalousie et la
critique de toute une communauté. On hait cette per*
sonne , on la traverse en tout, on ne peut la souffrir,
parce qu'elle parott d'ordinaire fière et dédaigneuse,
ou du moins firoide et indifi^rente pour les autres
qu'elle n^aime pas. Quand on agit suivant une cha-
46s SUE LE* AMITIÉS VAETICUUkRBS.
rite générale , on^st gënéralemeot aimëy «t on édiBe
tout le monde* Qoand^ au contraire, on se conduit
par des amitiés partiouliàres, suivant son goût, on
blesse la charité générale par des différences qoi
choqurat toute une maison.
4^ Enfin on- 60 nuit beaucoup à soi-même. Est-
ce donc là se renoncer, suivant le précepte de Jésus-
Christ? est-oe là mourir à tout? est-ce là s^onblier
soi-même , et marcher nu après Jésus-Chiist ? An
lien de se crucifier avec lui,. on ne cherche qu*à s'a-
mollir, qu*à s'enivrer d'une amitié foile : on perd le
reoueillement; on ne goûte plus Toraîson. On est
toujours empressé, inquiet , craintif, mystérieux, dé*
fiant. Le cœur est plein de oe qu'on aime, c'est-à-dire
d'une créature , et non pas de Dieu. On se fait une
idole de cette créatui^e, et on veut âtre aussi la sienne.
C'est un amusement perpétuel.
Ne dites point : Je me retiendrai dans cette amitié.
Si vous ave:& cette présomption, vous êtes incapable
de vous retenir. Commenl vous retiendriesb-vous ,
lorsque vous serez dans une peilte si roide, puisque
vous ne pouvez pas- même vous retenir avant que
vous y soyez 1 Ne vous, flattez donc plus. Le naturel
tendre et affectoeux , qui fait que vous ne pouvez
vous passer de quelque aitachemeaft^ ne vous per-
mettra aucune modération dans. ceux qne vous for-
merez. Dabord iU vons paroltront nécessaires et mo-
dérée; nsaiabîealôl vous scaftirez combien il s'oi faut
que vous ne sachiez gouverner votre cgbut, et l'ar-
rêter préckéovent oiit il vous plaft.
Je conclns que ai vous n'avez auoun attachement
particulier, vous ne sauriez trop veiUer sur votre
SOR LES AMITIÉS PÂBTICXJLlk&BS. 4^3
cœur y ni le garder avec précaution ^ pour ne lui per-
mettre jainais de sVcbapper dans ces vaines affec-
tions, qu^ sont toujours cuisantes dans leurs suites.
N^aimez point tant une seule personne , et aimez
davantage tous ceux que Dieu vous commande d'ai-
mer. O que vpus goûterez la paix et le bonheur , si
Tamour de Dieu, qui est si bon et si parfait, vous
ôte le loisir et le goût de vous amuser à des amitiés
badines pour des créatures toujours imparfaites et
incapables de remplir nos cœurs !
Mais si vous êtes déjà malade de cette fantaisie , si
Fentétement d'une beUe amitié vous occupe, du>
moins essayez de vous guérir doucement et peu à peu.
Ouvrez les yeux : la créature que vous aimez n'est
pas sans défaut. N'en avez-vous jamais rien souffert?
Tournez vos ai&ctions vers la souveraine bonté , de
qtii ^octs ne souffrirez jamais rien. Ouvrez votre cœur
à l'amour de l'ordre et de l'obéissance; goûtez le
plaisir piu* de la charité qui embrasse tout le monde^
et qui ne fait poioi de )aloaz. Aimez l'œuvre de Dieu^
runion et la paix dans la maison oii H vous appelle.
Si vous avez quelque obligation à cette personne ,
témoignez^lui de la reconnoissance^ mais non pas aux
dépens des heures de silence ^ et* de vos exercices ré*
guliers. Aimez-la en Dieu, et selon Dieu. Ketranchez
/ les confidences indiscrètes et pleines de murmures ,
les Caresses folles, les attendrissemeiis indécens, les
vaines joies, les empressemens affectés, les fréquentes
conversations. Que votre amitié soit grave ^ simple et
édifiante en tout. Aimez, encore plus Dieu, son
œuvre, votre communauté, et votre salut, que la
personoe dont il s^agit.
Ohdbb ancien des chapitres de l'ouvrage intitulé :
Divers Seniimens et Avis chrétiens; avec Tindi-
cation des endroits qui leur correspondent dans
cette édition (>}.
m^\*t^»^f^t9tv^mmt0^y*t9f*w*f^
DIVERS senthiens et avis chrétiens.
OfeOftB AVCm. ObdU ffOVYKÂU.
L Qne Dîea est pea oonna ptétentement. XVII.
n. De la nécessité de oonnoitre et dTeimer
Dîea. XYm.
m. Sur le pur amour. XIX.
IV. Avis sor la prière et sur les prindpaiB
exercices de piété. Miou àepiAi.
V. De la oonfonnité à la vie de Jésua-ChriiL X.
VI. De rhumilité. Lettr. spir . à la
oomtesK de
OranuDont .
Vn. Sur la prière. XXVI.
Vin. Prière pour ae donner entièrement à
Diea dans la solitude. XXXL
IX. * De la méditation. Lettr. spir Ji on
militaire.
X De la mortificatbn. T.
XI. Snr le renoncement à soi-même. XXXIL
Xn. Du détachement de soi-même. XXXIIL
Xm. Sur la violence qu'on Chrétien se doit
faire continuellement. XIL
XTV. Le royaume de Dieu ne se donne qu'à cens
qui font sa volonté. XSX.
XV. Contre les tentations. Tt.
XVI. De la tristesse» XV.
XVII. Sur la dissipation et sur la tristesse. XIV.
(*) On a vu dans XAvtrtiêttmaa, du tome xyfi» n. v, les raisont
qui nous ont engagés à donner cette table de conptnisoii'
OlDU
TABLE DB COMPAUAISOZV. 4^5
OUMIK AHCim. Ordme «ourTAC.
xvin.
XIX.
XXL
XXIII.
XXIV.
XXVÏ.
xx\n.
XXYIIL
De la confiance en Dieu.
Gomment il-&at Tetller sur soi.
Que Pesprit de Dieu enseigne an dedans.
Sar la prière du Phansîen.
Sur les fautes journalières et le support de
soi'^meme.
Sur la fidélitA dans les petites choses.
Des monvemens passagers , de la fidélité et
simplicité.
Qu'il ne faut juger des vertus ni des vices
de soi on d'autrui selon le go&t humaini
Sur Futilité du silence et du recneillemenk.
Horreur des privations et de Tanéàntisse-
ment entre les dévots mêmes.
Du bon usage des croix.
Sur les croix.
De la trop grande sensibilité 4^ns les
peines.
Nécessité de la purification de Famé par
rapport aux dons de Dieu, et spéciale-
ment aux amitiés.
Des opérations ii^térienres de Dieu pour
ramener lliomme à sa véritable fin»
pour laquelle il nous a créés.
De la perfection chrétienne.
Que la voie de la foi nue et de la pure cha-
rité est meilleure et plus sftre que celle
des lumières et des goûts.
De la simpUcité.
De la véritable Imniére.
XXXVII. * De la présence de Dieu.
XXXVIII. Sur la conformité à la volonté de Dieu^
XXXIX. Instruction générale pour avoir la paix in-
térieure.
ICT^ Sur Fabandon à Dieu.
XLI. De la reconnoissance.
FéNÉLON. XVUI.
XXXV.
VI.
XXTI.
XIII.
»
VT.
Vin.
xxxu.
xxvn.
Lett. sptr. à la
comtesse de
Grammont .
XXIV.
XXXVI.
A la comt. de
Grammont.
A la même.
XXIII.
xxxn.
xxxni.
XXXIV.
XXXVL
xxn.
XXX.
XXV.
XL.
Fin du XXX.
VII.
XXXIV.
XXXVIII.
XXXIX.
XX.
3o
466 TABLE DB COMtAmAlflOir.
OaLtmtLAMamn, Oi»b« aourmAr.
XUI.
XLm.
XLIV.
XLV.
XLVI.
xwn.
XLvni.
xux,
L.
Ll.
Que le seul
il £nu, et aimer les soufiSmocs.
L'auxmr dômiéreii^ et Ti
ont leur BaiiOQ.
De k maie liberté. XXVITI
Des dirertisscinens attachés k Fétat des
pecsoDiMsSv Ua
Avis à aae personne attachée à la Gcmr. Œ.
Des croix qa^il y a dans Fétat de prospé-
rité y de fereur et de grandcar. lY.
De remploi da temps. L
Da ménagement do'temps. A la
G
Da mariage. Mon,
De la iBort. XVI.
6e
t.
ŒUVRES
DE FRANÇOIS DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON.
TROISIÈME CLASSE,
MANDEMENS.
AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
*^mm^m<*Mn^ w^^0*t*^**^*0^^'vm
Tous les MaDdemens de Fénélon que nous avons pare-
caeillîr se rapportent à deux chefs principaux.
lo Recueil des Mandeniens de messine B'rançois de
SaUgnac de la Molhe Fénélon, archevéifue duc de Cam-
brai, prince du Saint^Empire, cimue du Cambrésis, etc.
a tocùasiùH du Jubilé y du Carême et des Prières publi-
quesy depuis le \5 novembre ï'jotjjusqu'au^iféOrieri'ji^,
Les Mandemens conteons dans ce Recueil sont , à la
vërîtë , des écrits de circonstances qai ne peuvent avoir
aajonrd'hnî le même intérêt qu*à répoijue de leur- pre-
mière publication. On peut dire cependant qu'ils offrent
de précieux monumens du zèle de Tillustre prélat pour le
bien de son troupeau ei pour le maintien de la discipline
de TEglise, principalement sur Fabstioence et le jeûne
468 ÀVEILT1S5EMEMT
du Giréme. Les sages tempéramens dont il savoii user
sur ce dernier poiut, pour concilier le respect dû aux
règles de TEglbe avec les adoucissemens passagers que
nécessite quelquefois le malheur des temps, peuvent
être considérés comme le modèle d'une bonne adminis-
tration, et lui méritèrent souvent les éloges du souve-
rain Pontife iui-méme^ comme on le voit par plusieurs
pièces de la Correspondance (■)•
Les Mandemens publiés depuis 1701 jusqu'en 1713,3
l'occasion de la guerre de la succession, renferment les
plus vives exhortations à profiter du fléau de la guerre
pour s'humilier sous la main de Dieu, se détacher de plus
en plus d'un monde sujet à de si.tristes révolutions, et
aspirer au bienheureux repos de la patrie céleste. A ces
exhortations si touchantes et si convenables dans la bouche
d'un ministre de la religion , Fénélon joint toujours les
vœux les plus ardens pour le bonheur de la France et
pour la prospérité des armes du Roi. Aussi voit-oo avec
étounement et avec peiné, dans une lettre du prélat au
pèreLami, du 3o novembre 1708, les malignes inter-
prétations que ses eimemis se permirent quelquefois de
donner aux expressions les plus indififéreotes de ses Man-
demens» Les mêmes hommes qui avoient prétendu trou-
ver dans le Télénuique une critique amère du gouver-
nement de Louis XIV, représentoient les Mandemens de
l'archevêque de Cambrai comme une censure au moins
indirecte de la guerre que le Roi avoit alors à soutenir
contre l'Europe presque entière. Ces bruits calomnieux
se répandirent en particulier à l'occasion du BCand emeot
du i!i mai 1708, dans lequel Fénélon déplorant les mal-
heurs que la guerre entraiue toujours après elle, gémis-
soit de voir « les hommes, accablés de leurs misères et de
(■) Voyez, dans la cinquième section de la Corresponàanct ^ U
leure de Fabbé Bussi, iniemonce de Bruxelles, à Fénélon, du ti
avril 170a; et celle de Fénélon au confesseur de l'âecteor de Co- 1
ogne, du a6 noyembre 1706.
• DE L 6DITEVK. 4^9
« leur morulilé y augmenter encore avec industrie les
» plaies de la nature, et inventer de nouvelles morts. Ils
« n'ont que quelques momens k vivre, aîontoit^il, et ils ne
» peuvent se résoudre à laisser couler en paix ces tristes
» momens ; ik ont devant eux des régions immenses qui
1» n'ont point encore trouvé de possesseur, et ils s'enlve-
» déchirent pour un coin de terre : ravager , répandre le
« sang, détruire l'humanité, c'est ce qu'on appelle l'art
» des grands hommes. » Il lalloit assurément des yeux
bien perçans pour trouver dans un langage si raisonnable
et dans des expressions aussi générales, une censure de
la conduite de Louis XIV, surtout dans un Mandement
dont la conclusion attribnoit expressément au monarque
les plus sages et les plus religieux dessems. f Prions , di-
» soit le prélat, pour la prospérité des armes du Roi,
• afin qu'elles nous procurent, selon ses desseins, un
» repos qui console l'Eglise aussi bien que les peuples ,
» et qui soit sur la terre une image dii repos céleste. »
Il ne paroitpas,au reste, que les calomnteft répandues
à cette occasion contre l'archevêque de Cambrai aient
fait aucune impression sur ^'esprit de Louis XIV. EUes
ne servirent qu'à mettre dans un nouveau jour les re-
ligieux et nobles sentimens de Fénélon. « Il faut , disoit-il
» au père Lami, dans sa lettre déjà citée du 3o no-
» vembre 1708, prier de bon cœur pour ceux qui agis-
» sent ainsi, et leur vouloir autant de bien qu'ils me
V veulent de mal. »
La même lettre nous apprend qu'il parut, pendant le
cours de cette année 1708, un Recueil des Mandemens
de Fénélon. Ce recueil fut augmenté dans une nouvelle
édition donnée en 1718 ( i vol. in- 13 ) par ses ordres,
ou du moins avec son agrément, et composée de vingt-
deux Mandemens. Quoique cette dernière édition soit
plus complète que la précédente, elle ne coniieut cepen-
dant pas tous les Mandemens donnés par Fénélon pen-
dant le cours de son épiscopat. Le catalogue publié en
4.^0 AyXlTISSEMBJIT
1^32, à la suite do Becveii de ses Opuscules ^ uouj ap-
pnood qu'outre les viogt-deux Mandemens publiés en
1713 tl en existe encore qo pour le Carême de 1714,
en date do 4 février de œlie année, et un autre du 1 5 juin
1701, pour le premier Jubilé de cette même année» ac-
cordé par Clément XI au. commencement tle son ponti-
ficat. Nos recherches pour nous procurer e^s deux der-
niers IMlàDdemens ayant été inutiles., nout avons été obli-
gés de suivre exactement l'édition de 1718.
2<» Standatum iUustriss. et revereniiss. D.D. Francisci
de Smlignaa de. la MoAe Fémélon, archiepiscopîy ducù
Camenufemsisj eic. adftarockos, vicarios et 4dios sacenloies
suœdiœceseosy oooasUme Bùualis Cameraoensis, ah eodem
prceUêio recçgnm et ejusdem aucloritaie publicad (>)•
Ce Mandement, daté du ao août 1707, parut cette
même année à la tête du Rituel de Cambrai, dont Fé-
néloo donnoit ^lors une nouvelle édition. D avertit lui-
même ('] qu'à l'bxception de quelques légers change-
mens nécetsîcés par les ciroonstances, il ne fait que re-
produire le Rituel publié par sâs prédécesseurs ; il profite
seulemeni de cette occasion pour rappeler aux pasteurs
les règles de prudence qu'ils doivent obaerver dans le
gouvernement de leur paroisse, relativement surtout aux
pratiques superstitieuses iniroduiles en quelques endroits
par l'ignorance ou la grossièreté des peuples. Rien de
plus sagp que les avis donnés par le prélat, soit pour
prévenir ces sortes d'abus , soit pour lés réformer après
qu'ils se .sont introduits*
Outre le Mandement placé k la télé du Rituel de Cam-
brai, Fénélon y inséra des ExhorteUijons et A%^is pour
l'administraden des Sacremens, que nous avons joints au
Manuel de piété (3). Le reste du Rituel n'étant point
(• } HisL. de FàkIoa , Irr. it, n. 16.
(*) PreniéTe page du Mandement*
C^) Voyez ci-dessus page 16741 suiv.
\
DB LÉDITEUB. 4? '
proprement ton oavrage, nous n'avons pas balancé à
Feiclure de notre collection.
Noos aurions po faire entrer dans cette troisième classe
quelques Mémoires concernant la juridiction ëpiscopale
et mëtropoli laine de Farchevéque de Cambrai; mais ces
Mémoires étant fort courts et en assez petit nombre,
nous avons cru qu'ils seroienl mieux placés parmi les
lettres qu'on trouvera sur 1^ même sujet dans la cin-
quième section de la Correspondance,
MANDEMENS
•
MANDEMENS
mmmâMmnMimMÊmwm/^yymi
I.
MANDEMENT POUR LE JUBILE
DE l'aUNÉE S^AINTE I7OI.
Après une tradttcuoo de la bulle de noire saUil père le
pape Clément XI y et la désignation ^m églises à visiter
pour gagner le Jubilé dans le diocèse de Cambrai,
monseigneur Tarchevéque parle ainsi à son peuple.
FRAitçois y par la miséricorde de Dieu et la grâce
du saint Siège apostolique , archevêque duc de Cam-
brai, prince du Saint-Empire, comte du Cambré-
sis, etc. à tous les fidèles de notre diocèse , salut ef
bénédiction.
Noua avons trouvé k propos, mes très-ehers
Frères, de faire publier, le prenaier d«anc|ie de
TAvent, le Jubilé de Tausée sainte, que notre saint
père le Pape a bien voulu accorder en faveur de nos
diocésains. En vous donnant la traduction de la
bulle de Sa Sainteté, nous commençons par dé-
signer les égUses qu'il faudra visiter en chaque
lieu, etc.
Il j»e.iloiis reets, mes très-chers Frères, qu'à vous
représeoter combien les dons de Dieu sout terribles
476
contre ceax qui les méprisenL Hëlas ! les joars de
bënëdictîoDS s^écoalent, et le pëchë r^oe toofoiirs.
Le ciel yene one rosée abondante, et la terre de*
menre stérile en fruits dignes de pénitence. Ne re-
verrons-nous pas encore après le Jubilé les mêmes
dér^emens, les mêmes habitqdes, les mêmes scan-
dales! Les fidèles courent avec empressement pour
obtenir cette grâce; mais ils Teulent apaiser Dieu
sans se convertir ni se corriger. La religion se tourne
en vaine cérémonie. Un pécheur veut payer Dieu
des apparences dont il n*oseroit payer un ami of-
fensé, n donne à Dieu tout le moins qu'il peut dans
sa réconciliation. Il semble regretter tout ce qu*il
lui donne, et le compter comme perdu. Il se pro-
sterne aux pieds d'un^prêtre, et prétend lui faire la
loi; il frappe sa poitrine, et flatte ses passions; il
avoue sa fragilité, et refuse de se défier de lui-
même; sa fragilité sert d'excuse à ses rechutes, et
ne lui fait sentir le [besoin d'aucune précaution : il
veut apaiser Dieu ,- mais à condition de ne se gêner
en rien, a Cest aux pénitens que je parle, disoit
» saint Augustin. Que faites- vous? Sachez que tous
M ne faites rien. A quoi vous sert cette humiliation
» apparente, sans changement de vie? Quidest guod
» agùis? Sciiote, nAil agilis. Quid prodest quia
n hunuUamini, si non mutamini? (0 »
Faut-il que les Chrétiens retombent dans le ju-
daïsme, et que les cœurs soient loin de Dieu pen-
dant qu'on l'honore des lèvres? Cest parler de pé-
nitence , sans se repentir ; c'est réciter des prières ,
sans prier véritablement ; c'est tourner le remède en
(3) Serm. cccxcti , al. Homil xlix in ter l, n. 6 : tom. ▼, pag. i5o^
MÀNDEMBirS. 477
poison , et rendre le mal incurable. L*ezercice de la
foi se réduit à n*oser contredire les mystères incom-
préhensibles » à l'égard desquels une certaine sou-
mission vague ne co&te rien. Mais les maximes de
la pauvreté et de l'humilité évan'gélique , qui sont
révélées comme les mystères, et qui attaquent
l'amour-propre^ ne souffrent-elles pas en toute oc-
casion une contradiction, et une dérision scanda-
leuse ? On craint le moindre mépris du monde plus
que les jugemens de Dieu, et la mpiadre perte des
biens temporels , plus que celle du salut. On a honte
de faire le bien, la parole de Dieu ennuie, on est
dégoûté du pain descendu du ciel, la table sacrée est
déserte; presque personne ne porte sérieusement et
avec docilité le joug de la loi divine. O Seigneur,
approchons-nous, de ces temps oti vous avez dit que
le Fils de Thomme trouveroit à peine quelque foi sur
la terre! Jetez un regard de compassion sur vos
enfans. Envoyez votre Esprit, et ils seront créés, et
vous renouvellerez la face de la terre. Rs^Uumez le
feu de voti'e amour dont vous avez voulu embraser
le monde. Après avoir été justement irrité, res-
souvenez-vous de votre miséricorde. Rappelez pour
votre gloire ces anciens jours, oh votre peuple bien-
aimé, n'étant qu'un cœur et qu'une ame sous votre
main , usoit de ce monde comme n*en usant pas , et
ne se consoloit que dans l'amour de votre beauté
éternelle. Donné à Cambrai le 1 5 de novembre
1701.
II.
MANDEMENT POUR LE CARÊME
DE* l'année 1704»
François, etc. à tous les fidèles de notre diocèse,
salut et bénédiction.
Pendant la dernière paiit nous avons cru devoir
nous appliquer à rappeler nos diocésains à la par-
faite obseiVation de la pénitence du Carême, qui est
aussi ancienne que TEglise, et qu'elle a pratiquée
pendant tant de siècles avec une exactitude incom-
parablement plus rigoureuse qu'en nos jours. Dans
cet intervalle de tranquillité publique, nous avions
déjà accoutumé les peuples à se priver de l'usage des
orafs, que les malheurs de k guerre avoient rendu
autrefois nécessaire. Mais une guerre nouvelle a sus*
pandn malgré nous le parfait rétablissement de cette
discipline. Nous nous bornâmes l'année dernière k
résister aux désirs de ceux qni demandoient qu'on
permit la viande. Nous ne crftmés pas devoir autori-
ser un relâchement d'une si dangereuse conséquence,
et qni avdit été inouï dans les Payfr-Bas catholiques ,
même pendant les plus longues guerres et les plus
affreuses désolations^ Nous savions que les peuples
de ce- pdys, malgré les ravages et les misères^ in*
cro]rables des temps passés , avoient toujours en le
zèle de s'abstenir de manger de la viande pendant
tous les Carêmes y étant jaloux de conserver cette
glorieuse marque de la discipline de FEglise catho-
lique, qui les distinguoit des Protestans leurs voisins.
enfin ^ cetle Bunéef Fentière cessation de
cmmberce aVec Ih Hollande pme les Pajr^Bas de
tentes les provisions de poisson qii*ils avoient ac*
contumé d*en recevoir ; et notre saint père le Pape
Rons inspire par sa sagesse paternelle une indnl-
gence extraordinaire pour âe cas sitagnlier|. autant
que notre conscienee et la coonoisaanoe exacte que
nous avons sur les lieux des vrais, besoins de notre
troupeau nous le permettront.
Des raisonis si puissantes noué déterminent à per-
mettre pendant le Garéme pradmin^ à la partie de
notre diocèse qui est sous la dominatioa du rot Car
tkolique^ Tusage de la viande pendant trois jours,
de chaque semaine , savoir ^ le dimandw^ le mardi
et le jeudi. Nous en exceptons néanmoins le jeudi
qili arrive le lendemain do mercredi des Cendres ^ le
dimanche des Rameaux^ le mardi et le jeudi de la
sefcnaine sainte. Quoique noua leur permeittcKni ainsi
Tnsage da la viande pour certains JQurSy naus.^enn
servons te cooMnakidetaient de l%glise dans tonte ea.
force V à Ttfglird du ^eAne». non*seolement pour lions
les autres jours, mais encore pour les joiUrs méaie
où. ils mangeront de la vîaïkde. Pkis la neuriritnre
qa*on prend est forte , plus t>n est. en état de gaitler
la rî^e du jeâne en ne faisant chaque jour ^n^un»
sônl repas avec ilne petke coUaitiota.
De plue, nous exhortons les tuthes h suppléer pai;
des aumônesy au'^delà aiéibé de iceUes. qu*îia font
d^ordinairey la pénitence qu'ils ne feront point du
coté de leur nourriture Enfin nous «onjnrons.toos
les peuples en général de pvatiquiér quelque rentre
nftot*ètfioatkm, qui ttentie lieu de ceUe dotfl noua les
48o màhdbxshs.
dispensons. Jamais temps n*a montré plos que celui-
ci une pressante néœssitë d'apaiser la colère de Dieu
par des humiliations et par des pénitences extraor-
dinaires. Il faut que sa înstice soit bien irritée par
les péchés des hommes f puisque nous voyons toutes
les nations de la chrétienté dans des guerre sem-
blables à celles qui ont été prédites pour la fin des
siècles.
A regard de la partie de notre diocèse qui est
sous la domination de France, nous lui permettons
seulement, et en commun avec la partie qui est sous
la domination d'Espagne, l'usage des œufe, ezcep
tant néanmoins les quatre premiers et les quatre
derniers jours.
De plus , comme les militaires reviennent à peine
d'une longue campagne , et sont à toute heure sur le
point de se remettre en marche pour recommencer
leurs &tigtt«o^ nous leur permettons de manger de
la viande cinq jours de chaque semaine^ savoir, le
dimanche, le lundi, le mardi, le mercredi et le
jeudi , exceptant néanmoins le mercredi des Cendres,
le jour suivant, et toute la semaine sainte.
Mais nous ne prétendons point comprendre dans
cette dispense, par rapport à la viande, aucun des
officiers des états-majors des places; parce que, de-
meurant tranquillement chez enx dans les villes, ils
peuvent encore plus facilement que le peuple se
contenter des œu&, qui leur sont permis.
Nous espérons du zèle des peuples soumis à la
France dans notrediocèse , qu'ils ne seront'nuUement
jaloux de la condescendance particulière dont nous
usons à l'égsurd de cenx qui obéissent à l'Espagne ; et
qu*ils
MAIIDEMEICS. ^8 1
qu'ils se croiront heurâox au contraire de pouvoir,
par leur situation plus éloignée de la guerre, faire
un peu plus qu'eux pour garder la règle. Selon saint
Augustin, ceux-là sont. les plus riches en Jésus^Christ,
qui ont plus de courage pour supporter la priva*-
tion ; car il est bien plus avantageux d'être au-dessus
des besoins, que d'avoir de quoi y satisfaire. lUœ se
exstimeat diiiores, çuœfuerint in sustinenda parci-
tate fortiores. Melius est enim minus egere, çuàm
plus habere (>}• Mais enfin les uns et les autres doi-
vent en cette occasion suivre ce que saint Paul disoit
aux premiet*s fidèles, dont les uns usoient d'une li-
berté que les autres se refusoient : Que celui qui
mange ne méprise point celui qui ne mange pas ; et
que celui qui ne mange pas ne juge point celui qui
mange (^}. Au milieu de ces petites diversités passa-
gères que certaines circonstances causent dans la
discipline, tous doivent demeurer dans une parfaite
unité de cœur,- en attendant que les uns puissent
revenir au plus tôt au même point oii les autres
auront la gloire en Jésus-Cbrist d'être demeurés
fermes.
Au reste , mes très-çhers Frères, nous avons appris
avec douleur qu'un grand nombre d'entre vous,
ayant entendu publier dans le pays de. la domina-
tion d'Espagne un ordre de la puissance séculière,
qui étoit borné à la simple police, pour avertir de
bonne heure les bouchers, marchands de poisson
et autres qui font les provisions publiques , ont cru
pouvoir manger aussitôt de la viande tous les sa-
medis, sans attendre que la voix de l'Eglise leur mère
(*) Ep, CGxi, n. 9: tom. 11» pag. 784* —■ C*) Bom, ziii. 3.
Féuélom. xviii. 3i
48^ ' MARUEMB98.
les instruisit de sa volonté. Vous devez savoir que
c*est TE^lise seule à laquelle il appartient non-seu-
lement de dispenser, mais encore de publier elle-
même ses propres dispenses sur les commandemens
qu'elle a faits toute seule. Le commandement du
jeûne du Carême est sans doute un des plus anciens
et des principaux commandemens que cette sainte
mère ait faits à ses enfans pour leur faire pratiquer
la pénitence, sans laquelle nul homme ne peut
expier ses péchés, vaincre les tentations, et se rendre
digne du royaume du ciel.
Gomme les ministres de l'autel sont infiniment
éloignés de s'ingérei* dans aucune affaire qui regarde
l'autorité temporelle, et qu'à cet égard ik dcmne-
ront toujours à tout le reste des sujets des rois
l'exemple de la soumission la plus parfaite , et du
zèle le plus ardent ; aussi les rob vraiment chrétiens
et catholiques n'ont garde de décider jamaÎB sur les
choses purement spirituelles, telles que les comman-
demens de l'Eglise pour l'expiation des péchés par la
pénitence. Quand ils ont besoin de quelque dis-
pense à cet égard pour leurs personnes sacrées
mêmes , ils sont les premtei*s à se soumettre hum-
blement à l'autorité des pasteurs , pour en donner
l'exemple à tous les peuples de leurs Etats. Souvenez-
vous donc pour toujours, mes très'^chers Fkires, que
c'est de l'Eglise seule que vous devez apprendre les
dispenses qu'elle accorde sur ses propres comman-
demens. Donné à Cambrai le dernier jour de Tannée
1703,
IIL
MANDEMENT POUR LE CARÊME
DE l'année 1705.
FaAMÇoiSy etc. à tous les fidèles de notre diocèse,
salut et bénédiction.
Il y a d^à environ quinte cents ans qM Ter-
tallien rapportoit comme ntfe traditioa la coutume
oii étoient les éi^éçues d'ordonner les feûnes pour
tout le peuple; et dès lors V abstinence de certains
€dimens faisoit une pùrfic de cette pénitence ; por-
lionale jefunium (<). Ceét Suivant cette tradition ,
qui remonte jusqu'aux apôtres, que les pasteurs
doivent répondre à Dieu <tes mortifications du trou«-
peau pour Texpiation des péchés. Mais nous remar*
<])lons avec douleur que la sainte discipline du Ca-
rême a été très-dangereusement altérée dans cette
frontière par la longueur des guerres. NosI peuples,
autrefois si jaloux de conserver cette marque qui
les distinguoit des Prolestans leurs vpîiins, semblent
avoir oublié cette andeuné^ ferveur. 'Ceux qui an-
roient refusé des dispenses dans leurs plus pressans
besoins y en demandent chaque année avec empres-
sement. La pénitence diminue {Pendant que son
besoin augmente. LHmquité couvre la face de la
terres La main de Dieu est étendue et s'appesantit
sur toute la chrétienté, tl semble dire à tant de na-
•
tions désolées par des guerres sanglantes : iSu^^er
quo percuti4un vos ultra? Que me reste-t-il à frap-
(«) Ut Jejun. cap. ix : pag. 548.
484 ' *" MÀHDEMEVS.
per? quelle plaie pais- je (socore ajouter? Mais les
hommes, loio (Taffliger leurs âmes pour apaiser sa
colère, ne* cherchent qu*à élargir la voie étroite.
C^ux, dit saint Augustin, qui manquent de véri-
tables raisons pour obtenir des dispenses, sont in-
génieux pour s'éblouir eux-mêmes par de fausses
nécessités. Falsas faciunt, quia veras non int^e-
niunt (0. On devroit, dit-il, passer ces jours d'hu--
mUiotion dans Je génus^^ement de l'oraison^ et dans
la mortification du corps. D'un côté, il faudroit que
ToraisoQ fût r^ourrie par le jeûne, selon le langage
de TertuUien* En effet Toraison étant toute spiri-
tuelle , elle n'est parfait^ -qnà proportion qu'elle
sépare l'ame de la chaii*» pour l'unir à Dieu dans la
vie de la foi. D'un autre côté, les hommes sont oc-
cupés de leuirs.cQrps, cooune s'ils n'avoient point
d'ame. Us craignent de laisser jeûner leurs corps,
et ils laissent tomber leurs âmes en défaillance dans
un funeste jeûne de la parole de vie, et de l'Eucha-
ristie , qui est le pain au-dessus de toute substance.
Ils s'alarment «avec: lâcheté sur les moindres infir-
mités de. ce- corps, dont ils ae peuvent que retarder
un peu la corruption; mats ; ils ne sentent ni les ten-
tations, ni les maladies: mortelles de l'ame, qui est
faite pour vivre. éternellement*
On allègue contre le Carême la misère publique :
raison que la vénérable antiquité n'auroit eu garde
d'approuver. Dans «ces premiers temps , les riches
jeûnoient pour donner aux pauvres ce qu'ils, épar-
gnoient dans le jeûne. Saint Augustin disoit à son
peuple : « Que Jésus-Christ, soulTrant la faim en la
(05e/'fii. ccxy de Quadrag. vi ^ n. la : loin, v» pag. 93a.
MÀlfDBMEICS. 4^5
» personne du pauvre , reçoive de vo8r mains Tali-
» ment que le jeûne vous retranche...*. Que la pau-
» vretë volontaire du riche devienne J'ahondance
» dont le pauvre a besoin. Voluntaria copiosi inopia
» fiât necessaria inopis copia. » De là vient que ce
Père veut que le jeûne aille jusqu^à souffrir la faim
et la soif. Il faut,. dit-il ^ que les.rich<9S se dégradent,
s^appauvrissent, et se nourrissent comme les pauvres j^
pour les secourir.
Mais en nos jours le Carême s'approche-t-il , les.
pauvres sont ceux qui s* en plaignent le moins, et
leur misère sert de préteste à la délicatesse des ri-
ches. Les dispenses ne sont presque pas pour les
pauvres : toute leur vie est un Carême perpétuel. Qui
est-ce donc qui élevé sa voix contre la pénitence?.
Les riches qui en ont le plus pressant besoin pour
corriger la mollesse de leur vie. Ils ne savent que
trop éluder la loi, lors même qu'ils ne peuvent en
secouer le joug. La pénitence se tourne chez eux en
raffinemens de plaisirs. On dépense en Carême plus
que dans les temps de joie et de licence. La volupté
même, dit saint Augustin, ne voudroit pas perdre la
variété des mets que le Carême a fait inventer. Ut
ipsa faucium concupiscentia nolit Quadragesimam
prceterire.
Hélas! o&easommes-nous? Arrivons-nous à ces der-
niers temps où saint Paul assure qu i7.( ne souffriront
plus la saine doctrine^et dont Jésus-Christ même dit :.
Croyez'-vous que le Fils de l'homme trouvera de la
foi sur la terre? On se dit chrétien, et on veut se
persuader à soi-même qu^on Test. On va à Téglise^i
et on auroit horreur d*y manquer. Mais on réduit
4^6 MÀHBmEHS.
la religion à nne pure cérëmonie, comme les Juifs.
On ne donne rien à Dieu, que ce qui ne coûte pres-
que rien à Tamour-propre. On lui refuse tout ce qui
humilie Fesprit, ou qui aflUge la chair. On vit comme
si on ne croyoit point (Tautre vie que celle du corps.
Ne craignons pas d'employer une expression de
TApôtre : Le ventre de ces hommes sensuels est leur
Dieu. Cependant ce corps qu*on flatte, qu*on orne,
et dont chacun fait son idole, se flétrit comme une
fleur qui est épanouie le matin, et qu'on foule aux
pieds dès le soir. Il se défigure, il meurt tous les
jours : il est le corps de mort et de péché, comme dit
TApôtre. Hélas! le jour de la perdition est déjà
prochç, et les temps se hâtent d'arriver. Voilà la
conclusion de saint Augustin : a Plus le jour de la
J9 mort^st incertain, et le jour passager de cette vie
» plein d'amertume, plus nous devons jeûner et
» prier; car nous mourrons demain. » Mais pour-
quoi, dit TertuUien, le jeûne, qui est très-salutaire
aux pécheurs, est-il si triste et si pénible pour eux?
Cur enim triste , quod salutare (0?
Voilà, mes très-chers Frères, ce qui nous a tant
fait désirer de maintenir la pénitence du Carême.
Nous avons, malgré nous, fait quelque peine à ceux
que nous aimons le plus, et dont nous voulons le
plus être aimés pour Dieu. Mais nous leur disons,
comme l'Apôtre : Si je vous contriste^ eh çui est-ce
gui me cof^olera, si ce ri est celui qui a été contristé
par moi? N'êtes-vous pas notre joie et notre cou-
ronne en Jésus^Christ? Malgré cette fermeté que
nous avons crue nécessaire, nous n'avons pas laissé
(0 De Jijun»
MAVDBMEVS. 48?
de relâcher beaucoup par rapport à la sainteté d'une
discipline apostolique, et par rapport aux pëchés
innombrables des hommes. La condescendance que
nous eûmes Tannée dernière parott encore néces-
saire en celle-ci. La cessation du commerce continue.
La voix du saint Père, qui nous invite à Findulgence
dans ce cas singulier , nous rassure contre la crainte
cil nous étions de laisser les pécheurs prescrire contre
la loi. Ainsi nous permettons encore pendant le Ca-
rême prochain , etc.
La docilité édifiante de tous nos diocésains de la
domination de France , qui a éclaté Tannée der-
nière dans l'inégalité que nous avpns cru devoir
mettre entr*eux et nos diocésains soumis à l'Espagne,
ne nous permet pas de douter qu'ils ne veuillent
montrer encore le même zèle cette année. Heureux
ceux qui ont le courage de donner un grand exemple
d'amour pour la loi ! Qu'ils soient à jamais bénis,
pour avoir soutenu dans un temps fâcheux une si
pure discipline, et pour n'avoir point regardé d'un
oeil jaloux le soulagement de leurs frères! Nous espé-
rons que les antres, également zélés pour la règle, se
hâteront, dans la suite, de faire autant qu'eux, pour
êite la bonne odeur de Jésus-Christ. Donné à Cam-
brai le 25 janvier 1705.
4SB. MÂHDEMBHS.
IV.
MANDEMENT POUR DES PRIERES,
i7o5/
0
François, etc. à tons les fidèles de notre diocèse,
salut et bénédiction.
Dieu y dit saint Augustin (>)| partage les temps
entre sa justice et sa miséricorde. Tantôt il brise le
genre humain par les guerres, et tantôt il le console
par la paix. Mais la nécessité des guerres, ajoute ce
Père (3), loin d*adoucir ces grandes calamités, est
au contraire ce qu*elles ont de plus rigoureux, puis-
qu'il n*y a rien de plus déplorable dans les maux ,
que de ne pouvoir les éviter par sa sagesse. A la vue
de tant de malheurs, dont une guerre presque nni*
verselle afflige la chrétienté, ne devons -nous pas
conclure, mes très-chers Frères, que les peuples oni
profondément péché; profunde peccauerunt (3). Puis-
que Dieu, ce père si tendre et si miséricordieux,
nous frappe si terriblement, il faut que nous soyons
des enfans ingrats et dénatui-és qui aient attiré sa
colère. Non-seulement, dit le même Père (4), ceux
qui ont oublié Dieu, et foulé aux pieds toutes ses
lois, doivent trembler sous les coups de sa puissante
main , mais encore ceux qui n'ont point à se repro-
C>) De CitfiL Deif lib. v, cap. zxii : tom. tu, pag. iS^. — (*) llnd.
lib. xn, cap. vu : pag. 55i. — C^) Osée. «. 9. —(4) De Ont.
lib. I, cap. iz : tom. vu, pag. 8, 9.
MÀNDEXENS. 4^9
cher un orgueil insolent , une voluptë impudente^
une insatiable avarice^ une injustice cruelle, une
scandaleuse impiété , doivent s*hnmilier avec les mé-
chans pour apaiser la justice divine : Flagellantur
enim simul, non quia simul agunt malam vitam, sed
quia simul amant temporalem vitam. II est juste
quHls sentent avec les impies Tamertume de cette
vie périssable I puisqu'ils en ont aimé avec eux la
fausse douceur. Que nous reste-t-il donc^ sinon de
nous ranimer par ces paroles du Saint-Esprit :
Et maintenant j dit le Seigneur (0> convertissez-
vous à moi de tout votre cœur dans le jeûne ^ dans les
larmes et dans les gémissemens. Déchirez vos cœurs j
et non vos habits. Convertissez^vous au Seigneur
votre Dieu; car il est bon y compatissant, patient j
riche en miséricorde, aimant mieux à faire le bien
que le malk Qui sait s^il ne sera pas lui - même
changé j pour nous pardonner, et s'il ne laissera
point aprhs lui sa bénédiction, pour recei^oir nos sa-
crijices ? Sonnez de la trompette au milieu de Sion.
Appelez tout le peuple; purifiez-le : assemblez les
vieillards ; amenez même les enfans qui sucent la
mamelle. Que V époux se leue, et que V épouse
quitte son lit nuptial. Entre le vestibule et l'autel,
les prêtres et les ministres diront en pleurant : Par-
donnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple, et
n abandonnez point votre héritage à T opprobre et à
la domination des Gentils. Souffrirez-vous que ces
peuples disent de nous : Où est leur Dieu ?
Comme nos infidélités ont attiré la guerre, hâ-
tons-nous de ramener la paix par nos prières, et par
(0 Is. IX.
490 MAAOKXElfS.
nos vertus demandons à Dieu qu*il comble de ses
grftces la personne du Roi, qa*il bénisse ses armes ,
qu'il protège sa juste cause, et qu'il dissipe tous les
projets de ses ennemis. Faisons même une demande
qui ne sera pas moins pour nos ennemis que pour
BOUS. Demandons une paix commune, ob personne
ne combatte plus que contre les vices, oui Ton ne voie
plus les hommes verser des larmes que pour leurs
pëchës, o& le ciel ramène sur la terre la beauté des
anciens jours, et où tous les enfans de Dieu, sans
distinction d'aucun pays, ne soient plus qu'un cœur
et une ame.
Pour obtenir ces grâces du ciel , nous <H*donnons
qu'on chantera tons les dimanches et toutes les fêtes,
à la fin de la messe, pendant tout le reste de celte
guerre, dans toutes les églises, tant exemptes que
non exemptes, etc. Donné à Cambrai le 18 d'août
1705.
V.
MANDEMENT POUR LE CÂRÉME
DE L ANNÉE I706. .
FaAHçois, etc. à tous les fidèles de notre diocèse,
salut et bénédiction.
Pendant les premiers siècles de FEglise, les Chré-
tiens vivoienrde foi, dans le jeûne, dans la prière^
dans le silence , dans )e travail des mains* Us usoient
de ce monde comme n'en usant pas, parce que c'est
une figure qui passe dans le moment où Ton s'ima-
gine en jouir. Leur conversation étoit dans le ciel.
Que si quelqu'un venoit à décheoir de cet heureux
état, chacun le regardoit comme un astre tombé du
ciel. Aussitôt toute l'Eglise étoit en pleurs et en gé*
missement pour lui. Ce pécheur, trop heureux de
faire pénitence , se tenoit à la porte de la maison de
Dieu, frappant sa poitrine, criant miséricorde aux
pieds du pasteur, et se jugeoit indigne de la vue du
saint autel. Un grand nombre d'années s'écouloit dans
celte humiliation , avant qu'il f&t rappelé au festin
sacré de TAgneau. Les empereurs même du monde,
(le grand Théodose en est un merveilleux exemple)
loin de faire la loi à l'Eglise en ce point, ne lui
étoient pas moins soumis que le reste de ses enfans
pour cette discipline salutaire. L*Eglise étoit )alouse
de ne soufirir pas que les saints martyrs allant répan-
dre leur sang, accordassent aux pécheurs quelque
adoucissement de cette règle rigoureuse. Combien
eût -elle été indignée, si elle eût vu les pécheurs
49^ MÂHDntcirs.
eux-mêmes vouloir se rendre les juges de leurs pro-
pres poches y et prétendre lui extorquer des dispenses,
pour en éluder Texpiation !
Loin de voir les pécheurs vouloir s'épargnercomme
des hommes innocens , on voyoit les justes les plus
édiGaqp qui se punissoient sans cesse comme coupa-
bles. Non -seulement les solitaires dans les déserts
pratiquoient une abstinence qui paroissoit miracu-
leuse, jusque dans la plus extrême vieillesse, et
vivoient comme des anges dans des corps mortels,
mais encore les fidèles de tous les états sembloient
regretter tout ce qu^ils ne pouvoient refuser à leur
corps sans le détruire. La sainte pâleur du jeûne
et oit peinte sur les visages, pour parler comme saint
Basile. «< J'ai connu à Rome, dit saint Augustin (0,
M beaucoup d'hommes qui menoient une vie tout
» ensemble libre et sainte.... J'ai appris qu'ils prati-
» quoient des jeûnes entièrement incroyables. Non-
» seulement ils se bornoient à manger une seule fois
» chaque jour à l'entrée de la nuit, ce qui est très-
» ordinaire en tous lieux, mais encore ils passoient
» trois jours de suite, ou un plus long-temps, sans
M boire ni manger. Cette coutume se trouvoit parmi
» les femmes, aussi bien que parmi les hommes. »
C'est ainsi que les amis de Dieu affligeoient leur
chair, pour nourrir plus facilement leur esprit dans
une prière continuelle. Mais dans ces derniers temps,
qui sont devenus les jours dépêché, plus les hommes
pèchent, plus ils s'irritent contre la pénitence. Le
malade repousse avec indignation la main charitable
C*) De Moribus Eccles. Cathol. lib. i, cap. xxxiii, n. 70 : tom. i,
pag. 711.
MAHOEMEirS. 49^
du mëdecin qui se présente pour le gaërîr. Nous
n'oserions le dire, si TApôtre ne Favoit pas dit; ils
semblent n'avoir plus d*autre Z){Vii que leur ventre.
Ils sont {nous le disons en pleurant) les ennemis de
la croix de Jésus-Christ ; ils veulent V évacuer. Us
ne cherchent qu*à se flatter; ils n*écoutent que leur
délicatesse; ils se font accroire à eux-mêmes qu'ils
ont besoin de vivre dans une mollesse dont les an-
ciens fidèles auroient eu horreur. Ils ne craignent
que pour leurs corps, sans se mettre jamais en pèiâe
de leurs âmes. Avant le Carême ils n*ont que trop
de forces pour pêcher, et ils ne deviennent. infirmes
que pendant le Carême, pour secouer le joûg de la
pénitence. Ils se livrent à Fintempérance qui détruit
leur santé, et rejettent la sobriété, qui ne guériroit
pas moins leurs corps que leurs âmes. On ne trouvé
plus en eux ni honte ni regret de leurs péchés les
plus scandaleux, ni défiance d'eux-mêknes après tant
de rechiites, ni précautions sincères contre 'l'eut
propre fragilité, ni docilité pour l'Eglise, qui vou-
droit les guérir par la pénitence. On ne remarie
plus en eux que la sensualité de la chair avec For*
gueil et la présomption de l'esprit. Ils ne tendent
qu'à abolir insensiblement le Carême, sans révérer ni
l'exemple de Jésus-^Christ , ni une tradition aussi an-
cienne que les apôtres.
Us allèguent la pauvreté des peuples. Mais ce' dis-
cours peut«il être sérieux? Les uns attirent chez eux,
cette pauvreté par la délicatesse ' de leurs repafs et
par leurs excès les plus odieux. Les autres refusent
de la diminuer daas leurs familles par une sobriété
laborieuse. Il faudroit, dit sauit Augustin, que JésuS"
4d4 MANDBXBIVS.
Christ^ qui souffre la faim en la personne da pau-
?re 9 reçût le pain dont le riche se priverait par son
jeûne (0* La pénitence volontaire de l'un ferait la
nourriture de Vautre. Voilà le vrai remède à la pao-
▼rettf. Mais hëlas I les riches sont ceux qui crient le
plus haut contre le Carême. Ils murmurent, comme
le peuple juif dans le désert, contre une noarritnre
trop légère. Ils se servent du prétexte de la misère
des pauvres , pour nous obliger à flatter leur seosaa-
lité et leur impénitence* Si la misère des pauvres les
touchoit véritablement , ils ne songeroient qu à jeu*
ner, et qa*è garder une plus austère abstinence pour
les pouvoir nourrir. Le jeûne et Taumône iroient
d^un pas égaL
Ecoutez saint Augustin , mes très*chers Frères;
vous verrez dans ses paroles un portrait naïf de ces
mauvais riches, qui croient le Carême impossible, à
oioins qu'ils vlj puissent trouver commodément de
quoi 4tre sensuels jusque dans la pénitence. « U 7
j» a ) dit ce Père(3)y certains observateur do Carême
)i qui le font avec plus de volupté que de religion.
» Deligiosi potius QOAai msLiGiosi. Ils cherchent bieo
» plus de nouveaux plaisirs, qu'ils ne punissent leurs
» anciennes sensualités. Par Tabondance et par la
9 diversité des fruits, dont Fapprét kur coûte beau-
» coup , ils tâchent de surpasser la variété et le goût
» exquis de leurs viandes ordinaires. Ils craindroieot
» de toucher les vases où Ton a fait cuire de la
» viande, comme s*ils étoient impurs; mais ils ne
» craignent point de souiller leurs propres corps par
(0«Scrm. ccx, m Quaàrag. vi, n. ii : tom. t, pag.QJi.— W^'*'
«.lOy II :piig. 931,939.
MÀNBElfBHS. 49^
m le plaisir impar de leurs repas excessift. Ils jeûnent,
» non ponr diminaer pat la sobriété leur volupté
» ordinaire, maïs pour exciter davantage Tavidîté
n de leur appétit, en retardant leur nourriture;
» car aussitôt que leur heure arrive , ils se jettent
» snr leurs repas exquis , comme les bétes sur leurs
» pâtures. L'abondance des mets accable leur esprit^
9 et appesantit même leur corps. Mais de peur que
» Tabondance ne les dégoàte, ils réveillent leur ap-
» petit par de nouvelles modes de ragoûts étrangers.
» Enfin ils prennent plus d*alimens quMls n'en pouv*-
» roient digérer même en se privant long-temps de
9 tonte nourriture... Qu*y a-t*tl de moins raisonnable,
» que de prendre le temps oè il fandroit châtier la
» chair avec plus de sévérité, pour lui procurer de
» plus grands plakirs, en sorte que la délicatesse des
» hommes aille jusqu'à craindre de perdre les ra**
9 goûts du Carême? Qu'y a*tril de plus contraire à
9 Tordre, que de choisir les jours d'humiliation, pen-
9 dant lesquds tous les riches devroioit se réduire
» h la nourriture des pauvres, pour vivre avec tant
9 de délicalé9Se,«que si on vivoît toujours de la sorte,
9 à peine les biens des riches y pourroient-ils suflke? »
.NoQs voyons tous ces maux, mes trè&-chers Frères.
NcNis tremblons pour ceux qui ne tremblent pas en
les commettant. Nous craignons d'en être complices
devant Dieu, par une pernicieuse complaisance,
dans le temps même où l'on se plaint de notre sévé-
rité. Nous demandons humblement la lumière du
^Saint-Esprit pour trouver un juste milieu entre la
rigueur et le relâchement. Notre consolation est de
rapporter ici le souvenir de cette excellente maxime
49^ MiJIOEMkHS.
de saint Angostio (0. Les pastears ne sont pas mmns
chargés des bonunes malades qui ont besoin à^être
guéris^ que de ceux qui étant gnéris sont sains et
parfaits. « Il &nt, ajoute ce Père, sonfinr les déré-
» glemens de la multitude , pour se mettre à portée
» de les guérir, et tolérer la contagion mémey avant
« que de pouvoir y remédier. Perpelienda suM vida
n muliitudinis ut cureniur, et prias toleranda quàm
» sedanda est p^tilemia. »
Cest dans cet esprit que nous voulons bien encore
4ine fois user d'une extrême condescendance | et faire
souflrir, pour ainsi dire, la loi, dans respérance de
mieux inspirer aux peuples Famonr de la bimeme.
Nous espérons que les fidèles, touchés de cette ten-
dresse de rÉglise et de sa patience au-delà de tontes
les bornes, ouvriront enfin les yenx. Il est temps
qu'ils se ressouviennent que leurs pères auroîent gé-
néreusement refusé les dispenses que .ceux-ci veoleot
maintenant nous arracher; tant leurs pères aai-
gnoient de perdre leur couronne en J&us-Christ ;
tant ils étoient jaloux de se distinguer des Protestans
par cette sainte discipline, qui étoit comme la mar-
que de la catholicité dans les Pays-Bas. Cest uni-
quement dans lattente de voir au plus tôt an re-
nouvellement de cette ancienne ferveor, que nous
permettons encore , etc.
« Il ne &ut point, dit saint Augustin, que les vis
9 regardent les autres comme plus heureux, parce
» qu'ils prennent une nourriture qu'eux-mêmes ne
^ prennent pas; mais, au contraire, ils doivent se con-
(0 Dû Horib, Eceles. Cathol. lib. i, cap. zzzii, n. 69 : u>d. i.
» gratuler
MÀNDEMBHS. 497
i> gratttler eux-mêmes de ce qu^ils ont ane force qui
» manque aux autres. Nec illis feliciores putentj
» quia sumunl quod non sumunt ipsiy sed sibi potihs
» gratulentur, quia valent quod non valent illi. »
Nous ne doutons point que ceux que nous mëna-
geons encore sans mesure ne soient enfin touchés
d'une pieuse émulation ^ et quMls ne veuillent faire ,
pour Texpiation de leurs péchés , ce qu'ils voient
faire pendant trois Carêmes à leurs frères dans leur
voisinage. Aussi tiendrons-nous ferme à Tavenir pour
ramener tout selon la justice à Fégalité, et pour ré-
tablir la discipline apostolique du Carême. Que si
quelqu'un a des besoins extraordinaires / il doit se
souvenir que c*est à TEglise seule qu il doit avoir re-
cours , pour être dispensé de ses commandemens.
Donné à Cambrai, le lo février 1706.
Fénélon. xviii. 3a
49»
VI.
MANDEMENT POUR DES PRIÈRES.
1706.
FmAHÇois, etc. à tous les fidèles de notre diocèse
qui sont sons la domination da roi Catholique, salot
et bâiédiction.
Jamais l'Eglise ne (bt dans nn pins pressant be-
soin, qn*en la conjoncture présente » de demander le
seconrs dn ciel. Toutes les naUons du^tiennes sont
sous les armes les unes contre les antres : oeUes qui
avoient joui de la plus longue paix sont maintenant
exposées aux' malheurs d'une sanglante guerre. Nos
Pays-Bas, accoutumés depuis si long-temps à être le
théâtre de ces grands mouYemens, voient encore
anjourdlini des armées innombrables qui sont prêtes
à combattre. Un jeune roi, vraiment catholique par
ses moeurs pures , par sa piété sincère , par son zèle
pour l^Use , expose actuellement sa personne sa-
crée aux dangers de la guerre pour défendre les
royaumes que le titre le plus Intime lui a acquis,
et oà le désir de tous les peuples Fa appdé. Deman*
dons au Dieu des armées qu*il bénisse oeDes qui
combattent avec tant de justice et de nécessité ; sou-
pirons après une prompte et heureuse fin de tant de
maux qui désolent TEurope* Disons d*un cœur hum-
ble et soumis à la puissante main de Dieu : Malheur
à nous, parce que nous avçns péché. Tâchons d*apai-
MAlfDEMENS. 499
ser la juste colère de Dieu. Attirons enfin par nos
vœux et par nos bonnes œuvres cette paix opulente,
que Dieu promettoit autrefois h son peuple par la
bouche d*un prophète. Souhaitons cette paix , moins
pour jouir des prospérités dangereuses de la terre ,
que pour être plus libres de nous préparer au bien-
heureux repos de notre patrie céleste.
C'est dans cet esprit que nous ordonnons, confor-
mément à la lettre écrite par Son Altesse électorale
de Bavière, au nom de Sa Majesté Catholique, que Ton
fera le trente-et-unième de ce mois et les deux jours
suivans des prières publiques dans toutes les églises,
tant collégiales que paroissiales, tant des commu-
nautés séculières que des régulières de ce diocèse,
qui sont sous la domination d*Espagne, pour de-
mander la prospérité des armes de Sadite Majesté,
et pour obtenir une paix constante entre les Chré-
tiens. Nous voulons que le très-vénérable Sacrement
soit exposé dans toutes les églises ledit jour et les
deux suivans, depuis six heures du matin jusques à
six heures du soir, et que le tout soit terminé par un
salut solennel. Dans les villes on fera une procession
générale, oh tous les corps seront invités, et oii tout
le clergé tant séculier que régulier se joindra à celui
de Tëglise principale. Donné à Avesnes dans le cours
de nos visites, le vingt-cinquième mai 1706.
5aO MkhDWMZBê.
VIL
MAKDEMENT POUR DES PRIERES.
1706.
PmAVÇois, etc. A tons les Bdèles de noire diocèse ,
salot et bénédiction.
La gaerre , quoique aussi ancienne que le genre
humain, derroit nous étonner, comme si elle étoit
nouvelle parmi les hommes. Us sont accablés du
poids de leur mortalité , et ils se hâtent de se dé-
truire, comme s*ils ne se trouvoient pas assez mor*
tek. Ils ne veulent qu*étre heureux, et ils agissent
comme s^ils étoient ennemis de leur bonheur. Ik
cherchent toujours la paix, et ils la troublent eux-
mêmes. Ils ont inventé un art, auquel ik ont attache
toute leur gloire, pour augmenter les maux presque
infinis de Thumanité. Ce spectacle est terrible. La
justice d'en-haut les livre à leurs passions, afin qu'ils
se punissent eux-mêmes, et qu'ils vengent Dieu de
leurs péchés.
Ce qu'il y a de plus déplorable , est de voir qu'en
nos jours le sang chrétien est presque le seul qui pa-
rott couler sur la terre, pendant que les nations in-
fidèles jouissent d'un profond repos. Ceux qui de*
vroient n*être qu'un cœur et une ame , ceux quil
composent la famille du Père céleste, ceux qu*on
devroit reconnottre à la marque de Tamour œutael,
sont tous arm^ les uns contre les autres.
MAMDBMBirS. 5oi
Mais le comble dn malhear pour les guerres,
c'est quMles sont souvent inévitables. Un jeune
prince doux, modéré, courageux, exemplaire dans
ses mœurs, vraiment digne de porter le nom de roi
Catholique par son zèle pour l'Eglise , est appelé au
trône d'Espagne par le testament du feu roi son
oncle, par la demande solennelle de toute la nation
espagnole, par les acclamations de tous les peuples
d'une si vaste monarchie. Aussitôt des puissances ja»
louses , et conjurées pour le détrôner, mettent en
armes toute l'Europe. Le Roi peut-il abandonner la
bonne cause de son petit-fils? Ne faut-il pas espérer
que Dieu le protégera dans une défense si juste et si
nécessure? Prions donc pour demander au Dieu des
armées qu'il dissipe cette confédération, et qu'il
donne enfin à la chrétienté une paix dont elle fasse
un saint usage.
L'Apôtre nous recommande défaire des prières.*,
pour les rois et pour tous ceux qui sont dans Vauto*
riié j afin que nous menions une vie paisible et tran*
quille en toute piétés etc. (0.
En effet , la paix et le bon ordre de FÉglise dé-
pendent beaucoup du repos des royaumes chrétiens.
Ainsi c'est prier pour nous-mêmes, c'est prier pour
toute l'Église, que de prier pour les rois fidèles.
Cest dans cette vue que saint Augustin disoit C^) :
« Pendant que les deux cités sont mêlées ensemble
» ici-bas, nous nous servons de la paix de Babylone
n même. » La tranquillité du monde sert à l'Église
pour épargner à ses enfans foibles et fragiles un sur-
CO l Tim. II. — («^ De Civ. Deiy lib. six, cap. ivii : tom. vit,
pag. 56a.
Soa XAlTDEMBirS.
croît de tentation dans le pâerinage de cette vie. A
Diea ne plaise que nous cherchions une paix qui
amollisse^ qui enivre , qui empoisonne les cœurs. A
Dieu ne plaise que nous soyons jamais du nombre
de ces hommes dont saint Augustin dit qu'ils font à
Dieu des prières et des offrandes pour en obtenir ,
non la grftce.<2e guérir leurs passions, mais une pro-
spérité mondaine pour les assouvir (i). Craignons
d'être du nombre de ces lâches et mercenaires Chré-
tiens qui usent de Dieu pour jouir du monde. Joi-
gnons-nous à ceux qui usent de ce monde pour
jouir de Dieu {?). Ne demandons à Dieu la paix,
qu'afin qu'elle ramène la beauté des anciens jours,
qu'elle fasse fleurir la pure discipline , et que Jésus-
Cluist régne encore plus au-dessus des rois que les
rois régneront au-dessus des peuples. Demandons,
pour la consolation de l'Église , la fin de ces jours
de colère j de tribuhUion et d'angoisse, de ces jours
de calamité et de misère, de ces jours de ténèbres et
d'obscurité , de ces jours de nuages et de tourbil-
lons, de ces jours oii la trompette sonne sur les places
fortes (3); enfin oii l'Église ne peut qu'à demi in-
struire, exhorter, consoler, corriger. Regardons
toutes les nations ennemies avec des yeux de foi et de
charité. Désirons-leur le même bien qu'à nous. Prions
le souverain Père de familUe de réunir dans sa mai-
son tous ses en&ns , afin qu'ils soient moins touchés
de ce qu'ils sont des peuples séparés en divers États,
que de ce qu'ils sont hommes, chrétiens et enfans de
Dieu.
(0 De du. Dti, lib. xy, cap. vii, n. i ^, 385. -^ (») Und —
MiJîDEMENS. 5o3
Prions afin que le fer du -glawe ^it changé en soc
de charrue ; que les armes tombent des mains des
peuples; qu'ils oublient à/aire la guerre^ que chacun
soit assis à l'ombre de sa vigne ou de son figuier ;
que nul ennemi n'ose les troubler, parce que la bouche
du Seigneur des années aura parlé, pour annoncer
la paix; que tous les peuples marchent ensemble sans
jalousie ni défiance , chacun au nom de son Dieu;
que cette paix dure jusqu'à la fin des temps et au-
delà, et que le Seigneur règne à jamais sur eux
dans la montagne de Sion (')•
C'est dans ce dessein d'attirer la bénédiction de
Dieu sur les armes du Roi , et d'obtenir une paix
prompte et universelle^ que nous ordonnons, etc.
Donné à Cambrai, le 21 août 1706.
N.
VIII.
MANDEMENT POUR LE CARÊME
DE l'aI^NEE 1707.
FEAnçoiSy etc. A tous les fidèles de notre diocèse,
salut et béDédictioD.
Noas avions espéré, mes très-chers Frères, que
nous pourrions enfin cette année rétablir la péni-
tence du Carême. Cette discipline qui a été si austère,
et pratiquée avec tant de ferveur dans toute l'anti-
quité, n'est plus qu'une ombre de ce qu*elle a été'
autrefois. Mais plus elle est afibiblie , plus noas de-
vons être jalotix d'en conserver les précieux restes.
Saint Augustin montroit aux Manichéens la pureté
des mœurs de l'Eglise catholique , en disant qu'on
grand nombre de fidèles observoient un jeûne quoti-
dien, et le continuoieni même d^une manière in-
croyable (0. Il assure que beaucoup de Catholiques,
même des femmes ^ ne se contentoient pas de jeûner,
« en ne prenant apcune nourriture qu'à l'entrée de
» la nuit; ce qui est y dit-il, partout Irès-communj
» mais encore qu'ils ne buvoient ni ne mangéoient
» rien pendant trois jours de suite, et très-souvent
0 encore au-delà. » Il ajoute qu'il y avoit des Chré-
tiens accoutumés à jeûner ( de ce grand jeûne jusqu à
la nuit) le mercredi j le vendredi et le samedi, comme
le peuple de Rome, dit-il (î»), le/ait souvent. Il assure
(>) De Hforih, EecL CathoL lib. i , cup. zzjuii, n. 70 : Vm- ' i !^'
711. Contr. FoMut, lib. v, cap. ix : tom. tiii, pag. aoo. — {*)^àCêr
êul, Ep. sxxvi, cap. it, n. 8 : tom. 11 , pag. 71.
MAADEMBNS. 5o5
qu*iiii grand nombre de ces Chrétiens ^ et surtout de
solitaires, jeûnoient cinq jours de la semaine , et le
continuoient toute leur vie. ce Nous savons , dit en-
» core ce Père (0, que quelques fidèles Font fait,
» c'est-à-dire que, passant au-delà d'une semaine
» entière sans prendre aucune nourriture; ils appro-
V choient le plus qu'ils pouvoient du nombre de qua-
» rante jours \ car des frères très-dignes de foi nous
jt ont assuré qu'un fidèle est pai'venu jusqu'à ce
» nombre. » Dans ces bienheureux siècles, on voyoit
de tous côtés des Chrétiens innocens qui se punis-
soient comme s'ils eussent été de grands pécheurs»
Uq solitaire n'avoit besoin dans le désert que d'un
palmier et d'une fontaine pour satisfaire à tous ses
besoins. Ils ne vivoient que d'alimens secs, et sans les
faire cuire.
Voilà/ mes très-chers Frères, ce que nos Chrétiens
relâchés ne peuvent pas même croire quand ils le
lisent f loin d'oser essayer de le mettre en pratique.
Avez-.vous moins de tentations à vaincre ^ moins de
péchés à expier, moins de récompenses à obtenir ? La
vie est-elle moins fragile et moins courte , ou l'éter-
nité moins longue? Dieu est-il devenu moins aima-
ble? Devez-vous moins à Jésus-Christ? La nature des
corps humains n'est-elle plus la même 7 Quelle diffé-
rence reste-t-ll donc , sinon que les premiers Chré-
tiens étoient du nombre de ces violens qui ravissent
le royaume du ciel, et que nos Chrétiens qui ont
dégénéré, n'ayant , comme parle l'Apôtre , d'autre
Dieu que leur ventre, se jugent eux-mêmes indignes
de la vie étemelle ?
{^)Ad Casid, Ep, xxXTi» cap. xii, n. a? : tom. ii, pag. 78.
5o6 XAKDEMRHS.
Il n'y a donc rien de pins important que de r^*
blir celte discipline aussi ancienne que les apôtres.
Elle ne fut jamais si nécessaire qu*en ces ftmrs de
péché. Quand est-ce que nous feûnerons, comme les
NiniviteSy sinon en un temps oiï les crimes énormes
de la terre ont attiré la colère du ciel, et où tontes
les nations semblent animées à s'entre-déchirer pour
venger la loi de Dieu méprisée? Quand est-ce que
nous frapperons nos pmtrines pour apaiser Dieu, si
ce n*est lorsque son bras est levé sur nous.
Mais les malheurs que la ^erre entraîne sont eux-
mêmes Tobstade qui retarde encore l'entier rétablis-
sement d*nne discipline si révérée de tous les siècles.
Malgré tant de raisons pressantes de la rétablir, nous
usons encore d'une dernière indulgence dans ces
temps de confusion et de désordre. C'est pourquoi
nous permettons y etc.
Enfin nous ne saurions trop fortement avertir les
riches sur deux points que saint Augustin explique
touchant le jeûne. Le premier est que cette mortifi-
cation se tourne en volupté, par les délicatesses qu'on
y introduit : Negotium venlris agitur, non reUgio-
TUf (0. Ce n'est plus une peine imposée au corps par
religion ; c'est un raffinement de table, qui tourne en
feu la pénitence même. Le second point est « qu'il
3» ne suffit pas de jeûner. Votre jeûne, dft ce Père (?),
» abat votre corps , mais il ne relève pas celui de
3» votre prochain... A qui donnerez-vous ce que vous
» vous refusez à vous-même ? Combien ce repas re-
» tranché aujourd'hui peut-il nourrir de pauvres! «
(0 in Psid. uxxyi, n. 9 : tom. ir, pag. 915. — (*) /« PsoL xmm^
n. 8 : pag. 970.
MÀIIDCMENS. 507
C*est dans cet esprit que nous recommandons à cha-
cun de ceux qui mangeront des œufs pendant ce Ca-
rême f en vertu de la présente permission , de donner
an moins trois sous en aumônes. Il n'y aura que les
pauvres qui soient exempts de donner une si petite
somme. D'ailleurs nous exhortons tous ceux qui sont
en plus 'grande commodité^ de donner davantage à
proportion de leurs moyens. Ces aumônes seront
mises entre les mains de la trtfsorière de l'assemblée
de la charité dans les villes oh Ton a établi de telles
assemblées pour les pauvres malades. Dans tous les
antres lieux chacun remettra sa petite somme au
pasteur, pour être employée au même usage. Donné
ii Cambrai , le i5 février 1707.
IX.
MANDEMENT POUR LE JUBILÉ
DE l'année 1707.
FaAivçoiSy etc. A tous les fidèles de notre diocèse ^
salut et bénédiction.
Saint Augustin dit que lar terre est agitée par les
guerres, comme la mer l'est par les tempêtes (0. En
effet, le genre humain a ses orages : tels sont les
tristes jours oh nous voyons que le ciel semble cou-
vert de tous côtés ; tout parott entratné malgré soi
dans ce tourbillon de guerre universelle. On allègue,
dit encore ce Père (^) , « que le sage Tait des guerres
M justes. Mais comme ce sage se souvient qu il est
» homme, sa peine n*en est que plus grande, de se
» voir réduit à soutenir des guerres nécessaires....
u Souffrir ou voir ces maux, sans en être affligé, ce
M seroitêtre d'autant plus malheureux, en se croyant
n heureux , ^qu'on auroit perdu jusqu'au sentiment
» de l'humanité.
» Ceux, dit le saint Docteur (^), qui font la guerre
» avec tant de fatigues et de dangers pour vaincre
Il un ennemi, et pour donner un repos à la repu-
» blique, méritent sans doute une louange; mais on
» acquiert une gloire bien plus solide, en extermi-
» nant la guerre par les paroles de p«îx , qu'en exter-
» minant les ennemis par les armes.... La condition
0) De Ciu» Dei. lib. ▼, cap. xxu j tom. vu, pag. 139. — (*) Ibid.
lib. zii:, cap. vu : pag. 55 1. — (^) Ep. ccxzix, aà Darium, n. a :
tom. 11 , pag. 836. ^
MA9DEMBlf5. 5oQ
» de ceux qui combattent est nécessaire; mais la
» condition de ceux qui épargnent les combats est
» plus heurense. »
Le saint pontife que 1^ main du Très*Haat a mis
malgré lui sur la chaire apostolique voit d*un lieu
si élevé l'aflSreux spectacle de tant de nations animées
i se détruire. Il voit des ruisseaux de sang qui cou-
lent depuis sept années , et ce sang est celui des en-
fans de Dieu. Le père commun sent ses entrailles
déchirées ; il gémit sur la montagne sainte ; il lève
des mains pures au ciel ; il tâche d*apaiser Dieu, afin
que Dieu apaise les hommes; il nous envoie un
nouveau Jubilé, afin que l'esprit de paix descende
snr les cœurs désunis. Joignons, mes très-cliers
Frères, nos vœux aux siens. Hâtons-nous de demander
ce que nous avons un si pressant besoin d'obtenir.
Soupirons après cette paix d'ici-bas, puisqu'elle
peut servir pour nous préparer à celle de la Jéru-
salem d'en-haut. Demandons des jours sereins qui
soient l'image de ce beau jour, de ce jour sans nuage
et sans fin, où nous verront la lumière dans la
source de la lumière même; de ce jour oil nous
n'aurons plus d'autre soleil que Dieu et d'autre lu-
mière que l'Agneau; de ce jour où les douleurs, les
gémissemens et les maux s'enfuiront à jamais.
Mais le vrai, moyen de finir la guerre causée par
nos péchés est de finir les péchés qui la causent.
Dieu ne la permet , dit saint Augustin , que pour
humilier les ornes et pour exercer leur patience.
C'est le grand bien que nous pouvons tirer de tant
de maux. Que chacun repasse ses années dans Va-
mertume de son ame; que tout enfant prodigue re-
5lO MAirOEMEMS.
venu de ses égaremens sVcrie : O Père, foi péché
contre le ciel et contre vous. Gardez-vous bien, mes
très-chers Frères, de regarder le Jubile comme un
asile du relâchement contre la pénitence. Le Jubilé,
tout au contraire, est un adoucissement de la péni-
tence extérieure, qui invite les hommes à redoubler
la pénitence du cosur. Déchirez vos cœurs et non pas
vos vêtemenâ, dit TÉglise après TÉcriture. L'Église
relâche de grandes peines, il est vrai ; mais elle ne
dispense point de la douleur d'avoir péché« Au con-
traire, c'est celui à qui il est le plus remis, qui doit le
plus aimer, le plus sentir Tezcès de la bonté qui
l'épargne, le plus fjétester son ingratitude, le plus
haïr tout ce qu'il a aimé et que Dieu n'aime pas.
L'indulgence n'élargit point la voie étroite. Elle ne
nous dispense point de suivre Jésus-Christ en por-
tant la croix avec lui, ni de nous renoncer nous-
mêmes. Elle soulage seulement notre foiblesse ; elle
nous supporte dans notre découragement, en atten-
dant que nous croissions en Jésus-Christ, et que nous
soyons devenus robuste» dans la foi. O vous tous
qui êtes fatigués et chargés, venez à Jésus-Christ, il
vous soulagera; venez, goûtez^ et voyez combien le
Seigneur est doux! Du moins ayez le courage d'en
faire l'expérience , et bientôt vous direz comme le
Prophète : J'ai couru dans la voie de vos comman"
deménâ, Jèj que l'amour a élargi mon cœur. Qu'on
se défie de soi, qu'on se fie à Dieu, qu'on se livre à
un bon confesseur, qui, plein de l'esprit de grâce,
mène tout à sa fin avec force et douceur. Qu'on ne
se confesse que pour se convertir et pour se cor-
riger. Qu'on cherche le confesseur qu*on avoit tou-
MAlffOEMENS. 5 f I
jours craint^ parce qu^irne flatte pas, et qu*0Q
craigne celai qu on cherchoit, s*il est vrai qu'il flatte.
Que la grâce du Jubilé se fasse sentir par les fruits ,
et qu'elle change les mœurs corrompues. Que les
pauvres deviennent humbles , exempts de faste et
charitables. Que la sanctification du jour du Sei*
gneur répande ses grâces sur tous les autres de la
semaine. Que l'ivrognerie , qui exclut du royaume
de Dieu, selon rA.pôtre, fasse horreur aux Ghré*
tiens; que l'impureté ne soit pas même nommée
parmi eux. Qu'on se détache d'une vie qui échappe
à tout moment; qu'on se prépare au royaiupe de
Dieu, qui ne finira jamais, et qui sera bientôt le
nôtre, si nous le désirons; qu'enfin l'amour, loin
d être un commandement onéreux , soit l'adoucisse-
ment de tous les autres, et qu'il nous rende nos
croix légères par ses consolations.
Profitez donc, mes très-chers Frères, de la grâce
qui vous est offerte ; n'endurcissez pas vos cœurs en
ce jour de miséricorde. C'est par la pénitence que
vous désarmerez la colère de Dieu pour rappeler la
paix sur la terre. Venez, vous tous qui avez la bien-
heureuse soif, vous puiserez avec joie dans les fon-
taines du Sauveur,
Nous avons jugé à propos de ne faire gagner le
Jubilé aux peuples de notre diocèse que pendant la
quinzaine qui commence précisément le lundi d'après
le dimanche de la Passion, et qui finit le dimanche
de Pâque, afin que chacun soit plus touché et plus
recueilli dans le concours de la grande solennité de
Pâque avec la grâce du Jubilé. Ainsi tout le temps
5 II XAlfDEKBNS.
du Carême servira h se préparer k ces deax grandes
actions rëanies dans une seule.
Mais comme les malades peuvent ne vivre pas jus*
qu*à ce temps-lii , et que les militaires peuvent être
obliges de partir avant ce terme, nous donnons aux
uns et aux autres la consolation de pouvoir gagner
le Jubilé dès le commencement du Carême , quand
leurs confesseurs les trouveront suffisamment pré-
parés.
Au reste, comme il faut, selon la BaUe, faire
quelque aumône, nous réglons que chaque parti-
culier qui ne sera pas dans une impuissance véri-
table donnera au moins trois sous pour les pauvres
malades, exhortant tous ceux qui sont en état de
donner davantage de le faire à proportion de leurs
facultés. Ils mettront leurs aumônes entre les mains
de leurs pasteurs qui les remettront entre les mains
des trésorières de la Charité, s*il y a dans leur lieu
des assemblées de charité pour les pauvres ; sinon ils
les distribueront eux-mêmes aux pauvres de leurs
paroisses selon leur prudence.
La Bulle détermine suffisamment les autres choses
qu'on doit faire pour gagner le Jubilé. Il ne nous
reste qu*à désigner les églises qu'il faudra visiter, et
où chacun devra faire ses prières, etc. Donné à
Cambrai, le douzième de mars 1707.
haudemevs. 5i3
X.
MANDEMENT POUR DES PRIÈRES.
1707.
PaAHÇoiSy etc. A tous les fidèles de notre diocèse
qui sont sous la domination du Roi, salut et béxié-
diction.
Nous n'avons jamais eu , mes très- chers Frères , un
si pressant besoin de prier pour la tranquillité pu-
blique, qu'en ce temps oii la paix semble s'éloigner,
et où les maux de la guerre augmentent.
Il est vrai y comme le remarque saint Augustin,
que si les hommes gardoient les règles du christia-
nisme, ils conserveroienty même au milieu des com-
bats, une sincère bienveillance pour les peuples en-
nemis. Les bons , dit ce Père (0, combattroient sans
perdre jamais le sentiment de compassion, que Thu-
inanitë inspire. « La volonté, ajoute ce Père (>), doit
» garder la paix, quoique la nécessité réduise à faire
^ la guerre; car on ne cherche point la paix pour
» recommencer la guerre. Au contraire , on fait la
» guerre pour s'assurer de la paix. » Mais oii est-ce,
dit encore ce saint docteur (3), « qu'on nous don-
» nera une armée composée de soldats tels que la
» doctrine de Jésus-Christ les demande ? » De plus,
une armée qui observeroit inviolablement cette dis-
^*) Ep. GxxxTiii, n. 14 : tom. u, pag. 4<6. — (•) Ep. clxxus
&• 6 : pag. 699. — C3) Ep. cxxriii , n. i5 : pag. 4i6.
Fémélon. xvui. 33
5 14 MAHDEMERS.
cipline évangélique aoroit le malheor de rëpa^iclre
malgré elle le sang hnmain. Elle De seroit assemblée
que pour faire, dans Fespérance des biens à venir,
des maux présens dont elle anroit horreur. Quelle
déplorable nécessité!
Il faut donc demander à Dieu qu'il abrège ces
jours de péché, de licence, de scandale et de tenta-
tion, où les cœurs même les plus justes, les plus
modérés et les plas humains sont entraînés par le
torrent, et ne peuvent donner une borne certaine
aux maux qu'ils sont contraints de tolérer.
Prions Dieu, mes très-chers Frères, quHI bénisse
les armes du Roi. Ce n'est point pour sa propre
cause que ce prince combat. Il se borne à défendre
son petit-fils, quelsi nation espagnole est venue lui
demander pour le mettre sur le trône de son oncle,
en vertu de son testament. Il ne fait que prêter son
secours à la monarchie d'Espagne , sans aucune vue
d'ambition pour la sienne. Des intentions si droites
nous font espérer pour lui le secours d'en-baul. Que
nos ennemis se glorifient de leurs forces ; pour nous
c'est an nom du Seigneur que nous mettons notre
confiance. Quoique la France, après tantdeperte$,8e
montre encore de tous côtés supérieure à ses enne-
mis; quoique rien ne semble pouvoir épuiser les res-
sources qu'elle trouve dans son courage, dans sa
patience, et dans son zèle pour son Roi, nous levons
néanmoins les yeux vers les montagnes, pour voir
d'où nous viendra le vrai secours, et nous disons:
C'est du Seigneur qu'il nous viendra. C'est en nous
humiliant; c'est en nous défiant de nous-mêmes;
c est en apaisant la colère de Dieu , que nous apai-
(mahdbmbss. 5i5
serons la jalousie des nations voisines. Disons à Dieu :
C'est par vous que nous dissiperons les armées de
nos ennemis, et c'est en votre nom que nous mépri--
serons ceux qui s' élèvent contre nous. Je n'espérerai
point en mon arc, et ce n'est point mon glaii^e qui
me sauifera (0. Demandons à Dieu, mes très-cbers
Frères, non des triomphes inutiles, non ]a perte de
nos ennemis , puisqu'ils sont nos frères , mais des
succès qui amènent une paix solide et constante pour
réunir toutes les nations chrétiennes. Demandons
ce qu'un prophète a promis au nom du Seigneur.
Je briserai l'arc, le glaii^e, et la guerre , et je les
ferai dormir avec confiance».» ; et voici ce qui arri^
vera en ce jour. J'exaucerai , dit 1« Seigneur, /'exau-
cerai les deux , et les deux exauceront la terre, et
la terre répandra le blé , le vin et Vhuile.,., Je
dirai : F'ous êtes mon peuple, et il répondra : Vous
êtes mon Dieu W. Soupirons donc après cette paix
de la terre; mais gardons-nous bien d'oublier jamais
celle du ciel, pour laquelle seule iiious devons de-
mander celle d'ici-bas. « Si la paix humaine, dit
» saint Augustin (3), est si douce pour la conservation
» temporelle des hommes mortels, combien plus
» sera douce cette paix divine, qui fait le salut
» éternel des esprits célestes? Ainsi quand nous en-
» tendons ces paroles : Que les coeuxs soieitt eh
» HAUT ; prenons garde que notre réponse ne soit
» pas un mensonge , et que nous ne répondions feus-
» sèment : Nous les tenons élevés au Seigneur. »
A. ces causes, etc. Donné à Cambrai , le 18 d'août
1707.
(0 Pt, xLiii. 7. — («) Osée, II, 10. — (3) Ep. cixzzix , n. 6 : p. 6j)9é
XI.
MANDEMENT POUR LE CARÊME
DE L ANNÉE I708.
FjiAirçois, etc. A tous les fidèles de notre diocèse ,
salut et bénédiction.
Saint Augustin y mes très-cbers Frères, représente
à son peuple que la discipline du Carême est auto-
risée dans V ancienne /oi > dans les prophètes el dans
VÉvangUe^^). Il ajoute que les conciles des Pères,...
ont persuadé au monde chrétien qu'il doit se prépor
rer ainsi à la célébration de la Pdçue (^}. Saint Am-
broise fait remonter le jeune jusqu^à l'origine du
monde. C'est en mangeant le fruit défendu, dit- il,
que rhomme fut chassé du paradis terrestre, et c'est
par l'abstinence qu'il y rentre : c< En jeûnant Moïse
» reçut la loi ; Pierre eut la révélation du mystère
» de la vocation des Gentils au baptême; Daniel
» ferma les gueules des lions, et découvrit les temps
» à venir (3). » ,
Remarquez que dans les siècles où ces Pères par-l
loient, le ^eûne étoit très-rigoureux, et très-relH
gieusement observé. Maintenant il est très-radouciJ
et violé sans scrupule. Autrefois on jeftnoit jusqu*ai
soleil couché, et on ne prenoit que de vils alimensiM
Aujourd'hui on élude la règle pour la quantité, en
mangeant dans un seul repas presque autant qu'on
(*) In pMftl. CI , n. 1 : tom. i\, pag. ia44* "^ ^*^ ^P- ^^9 ^ JanuaÀ
n.a7 I tom. II, pag. iSg. ^ {}) S. Aubb. Ep. lxiii, n. 16 : tom. ri[
pag. ioa6. — (4) S. Auc. Senti, ccz, n. 1 1 : tom. t, pag. 93a.
MAMDEMEirS. 617
mange d^ordinaire en deux, et pour la qualité on
tourne eh délicatesse de rago&ts Tabstinence même*
Mais quoi! les raisons de jeûner furent-elles jamais
plus pressantes qu*en notre temps ?
On doit jeûner pour réprimer les tentations. Et
quand est-ce que les hommes furent plus tentés?
Tout est piège ^ tout est scandale; la pudeur est
tournée en dérision ; le mal s'appelle bien. La loi
du mpnde semble avoir prescrit contre celle de
Dieu.
Le jeûne doit donner à la nourriture du pauvre
ce qa*il retranche à celle du riche. Mais le monde
€ut-il jamais tant de pauvres. Le ravage des guerres
appauvrit moins les hommes^ que le luxe, le faste
et la mollesse. Les pauvres sont.abandonnés, parce
que les riches sont appauvris eux-mêmes s'ous le
joug des vaines bienséances qui les tyraojaisent.
Le jeûne doit servir à expier les, péchés .du peu-
ple : ainsi plus on a péché, plus on doit jeûner. Mais
nos jours ne sont-ils pas les jours de péché ? L'ambi-
tion et l'avarice ne font plus qu'une seule passion ,
qui enlève tout pour tout dissiper. Le faste répanciu
dans les mœurs rend la probité presque impossible.
La justice n est plus qu'un beau nom. L'impiété passe
pour force d'esprit. Vous trouvez presque partout ,
ou le scandale, ou la superstition, ou l'hypocrisie.
L'Eglise n'est plus écoutée; les pécheurs lui font la
loi jusque dans le tribunal de la pénitence.
Enfin le jeûne doit apaiser Dieu. Hélas ! quand
est-ce qu'il fut plus irrité contre nous? Combien y
a-t-il d'années que les Chrétiens se déchirent, pen-
dant que les Infidèles vivent en paix. Il semble que
5l8 WÂMnEMtJBIBé
Diea nous punit les ans por les aotres. On 8*aocK>a-
tufne à cet affreux spectacle; on le voit sans hor-
renr; od ne gémit plus poor en obtenir la fin.
Tant de fortes raisons nons faisoient désirer ar-
demment de rétablir enfin la sainte discipline du
Caréîtle, que Tétat violent de cette fi*ontière a altérée
depuis quelques années. Mais il faut avouer, mes
très^chers Frères, que les malheurs de la guerre , qui
devroiebt redoubler la pénitence des peuples, sont
précisément ce qui nous contraint d*user encore
cette année de quelque relâchement à leur ^ard
pour le Caréme« iVous protestons devant Dieu que
c'est pour soulager les véritables pauvres , dans ce
triste temps , et non pour flatter les riches volup*
tueûk dans leur mollesse, que nous usons encore de
condescendance.
Cçst dans cet esprit que nous permettons, etc.
Dominé à Cambrai, le i4 février 1708.
. MAjroeMEiis/ 5 19
ZII.
MANDEMENT POUR DES PRIÈRES.
1708 (*).
FiuirçoiSy etc. A tous les fidèles de notre diocèse
qai sont sous la domination du Roi, salut et béné-
diction.
Si le monde n'avoit jamais vu la guerre allumée
entre les nations voisines, il auroit peine à croire que
lés hommes pussent s'armer les uns contre les autres.
Eux qui sont accablés de leur misère et de leur
mortalité, ils augmentent avec industrie les plaies de
la nature, et ils inventent de nouvelles morts. Us
n'ont que quelques momens à vivre, et ils ne peu-
vent se résoudre à laisser couler en paix ces tristes
momens. Us ont devant eux des régions immenses
qui n'ont point encore trouvé de possesseur, et ils
s'entre-déchirent pour un coin de terré. Ravager,
répandre du sang , détruire l'humanité, c'est ce qu'on
appelle l'art des grands hommes. Mais les guerres ne
sont, dit saint Augustin, que des spectacles, oîi le
démon se joue cruellement du genre humain : ludi
dotmonum.
Les princes lés plus jiistes et les plus modérés sont
réduits à prendre les armes. Malheur d'autant plus
déplorable, d!t saint Augustin, qu'il est devenu n^
(*) Voyez, au sujet de ce Mandemeut, la lettre de Fënélon au
F. tAmiy Bénédictin, du 3o noT. 1708. {Eéik,)
5aO MAHDEMSHS.
cessaire! Dien même fait entrer la guerre dans ses
desseins de miséricorde , comme on fait entrer les
poisons les plus mortels dans la composition des re-
mèdes les plus salutaires. Hëlas! quelle doit être
Textrëmitë de nos maux , puisque nous avons besoin
d*un si violent remède! « Une longue paix, dit saint
» Cyprien (0, corrompt la discipline que Dieu avoit
» donnée aux hommes. Il faut qu'un châtiment ce-
» leste vienne réveiller notre foi abattue, et comme
» endormie. » Dieu punit les peuples les uns par les
autres, parce que tous ont péché. Il frappe ces
grands coups qui ébranlent la terre, dit saint Au-
gustin, pour dompter Vorgueil des méchans, et pour
exercer la patience des bons. Il y a déjà huit ans,
mes très-chers Frères , que la main est levée , et on
ne la reconnott pas. Lès pécheurs sont abattus sans
être convertis. Jamais on ne vit tant de faste et tant
de^ mollesse ; jamais tant de bassesse pour Tintérêt ,
et tant de hauteur contre la vertu. Le luxe ne vit
que d^injustice. L*état violent où chacun se jette
sape les fondemens de toute probité, et corrompt
le fond des mœurs des nations entières. L'humilité
est foulée aux pieds, et la simplicité est tournée en
dérision. La curiosité et la présomption sont au
comble. L'autorité de l'Église n'est plus qu'un grand
nom. Seroit-ce que nous approcherions des derniers
temps, o& la (Aarité sera refroidie j V iniquité abon-
dante, et oii le Fils de t homme trouvera à peine de
ta foi sur ta terre ? Ne cherchons point ailleurs
qu'en nous-mêmes la source de no» maux. Nos
pédiés sont nos plus grands ennemis. Ils nous attirent
(») t>6 Lapsis, pag. i8s.
MAHDEMEIfS. 5a I
toas les autres. Nous combattons contre les autres ;
et loin de vaincre ceux-ci , nous nous livrons lâche-
ment à eux. Nous ne pouvons calmer la tempête qui
agite toutes les nations chrétiennes^ qu'en apaisant
la juste colère de Dieu. Il aime à être désarmé par
des cœurs contrits et humiliés. Âpres s'être irrité, il
se ressouvient de ses anciennes miséricordes. De-
mandons-lui, non la destruction de nos ennemis,
qui ne cessent jamais d'être nos frères, mais notre
réunion avecteux par une bonne paix. Demandons-
lui cette paix, non pour flatter nos passions, pour
nous attacher aux douceurs trompeuses du pèleri-
nage, et pour nous faire oublier notre véritable
patrie, mais au contraire afin que nous soyons plus
libres, plus tranquilles, plus recueillis et plus pré-
parés au royaume de Dieu. Prions pour la prospé-
rité des armes du Roi , afin qu'elles nous procurent,
selon ses desseins, un repos qui console l'Église
aussi bien que les peuples, et qui soit sur la terre
une image du repos céleste.
Aces causes, etc. Donné à Cambrai, le la mai
1708.
XIII.
MANDEMENT POUR LE CARÊME
DE l'année 1709.
Frahçois, etc. A tous les fidèles de notre diocèse ,
salut et bénédiction.
•
Vous savez y mes très-cbei^ Frères ^ que nous
n*avons point cessé de maintenir dans ce diocèse la
loi du Carême, malgré les vives instances qui nous
ont été faites depuis quelques années, pour nous
obliger à en interrompre l'observation. Il nous* a
paru qtie les malheurs de la guerre, loin de devoir
ébranler une si sainte discipline, la rendent plus né-
cessaire que jamais. Les pécheurs doivent-ils cesser
de faire pénitence, parce que la colère de Dieu
éclate sur eux? Nous éprouvons ce que Jérémie
disoit du peuple juif (0 : Ils ont semé du blé, et ils
' ont moissonné des épines ; ils ont acquis des héri-
tages, et ils leur seront infructueux; c'est la colère
du Seigneur qui confondra vos espérances pour les
fruits de vos champs. Faut-il s'étonner que Dieu
frappe la terre qu'il voit couverte d'un déluge d'ini-
quités? c( Vous murmurez, disoit saint Cyprien aux
» infidèles (^), de ce que Dieu est irrité, comme si
» vous méritiez par vos mauvaises mœurs de rece-
» voir quelque bien de lui ; comme si toutes ces ca-
» lamitésqui viennent fondre sur vous n'étoient pas
» douces et légères en comparaison de vos crimes.
{*)Jer. xiii. 3. — C») j4d Dtmetr. pag. ai6 et seq.
XAHOBMBKS* 5a3
» VoHs qui vous mêlez de juger les autres hommes,
» soyez enfin juge de vous-même; pénétrez jusque
» dans les replis cachés de votre conscience, ou
» plutôt regardez-vous vous-même, tel que tout le
» monde vous voit h découvert; puisqu^l ne reste
» plus en vous ni crainte ni pudeur, qui vous dé-
» tourne de pécher, et que vous faites le mal comme
» si vous en deviez tirer des louanges. Vous êtes ou
» enflé d'orgueil, ou ravisseur du bien d'autrui, ou
» emporté de colère, ou ruiné par le jeu, ou abruti
» par Texcès du vin, ou rongé d'envie, ou iâfâme
^ par vos impuretés, ou cruel par votre vengeance;
)» et vous vous étonnez de ce que U colère de Dieu
» crott pour punir le genre humain , pendant que les
» péchés qu'il 'doit punir croissent de jour en jour.
» Vous vous plaignez de Ce que l'ennemi vous fait
» sentir les maux de la guerre, et vous ne voyez pas
» que si vous n'aviez au dehors aucun ennemi ^ vous
» deviendriez bientôt vons-^même votre propre en-
« nemi au milieu de la paix. « En efièt, le luxe et le
faste, qui dérèglent toutes les monirs et qui con-
fondent toutes les conditions; l'avarice, l'ambition
et l'envie, qui rendent tous les hommes incompa-
tibles, ne ruinent pas moins un peuple que la guerre
même. Vous n'avez, dit le même Père (0, qu'une
impatience toujours crianie et plaimiuej au lieu de
^a patience foirte) religieuse et tf^fi^uillé que DieU
demande k ses eiifans : ûessez de critiquer témérai-
rement ce qui est au-dessus de vous, et remédiez aux
maux publics par une humble correction de vos
mœurs qui en sont la véritable cause. Quoi ^ dit
5^4 VAHDSMEMS.
encore ce Père (0, « tant de coups terribles de la
n main de Dieu ne vous rappellent point à la règle
n et à rinnocence— . ! Dieu est tout prêt à finir nos
V peines ; mais Tindignité des pêcheurs l'empêche de
» nous secourir*... Ce qui Tirrite le plus est de voir
» que tant de châtimens ne peuvent nous convertir. »
Il est donc vrai^ mes très-chers Frères, que, loin de
chercher des adoucissemens au jeûne du Carême,
nous devrions l'augmenter à proportion de nos
péchés y et des maux qu'ils attirent sur nous.
Mais Dieu daigne se contenter de ce que notre
boqne volonté lui offre , dans l'impuissance de faire
mieux. Les sources du commerce pour le poisson
de mer noursont fermées ; la rigueur de l'hiver nous
prive dés légumes; la campagne désolée manque
d'œufs; ce qui a. échappé aux ravages de la guerre
devient nécessaire et presque insuffisant aux troupes
innombrables qui remplissent tout le pays; à la
cherté se joint la misère. Nous cédons enfin à une si
triste nécessité. L'Église y cette mère pleine de ten-
dresse et de compassion ) descend jusqu'aux derniers
besoins de ses enfans. Elle ne souffre ni relâchemeut,
ni mollesse, ni vains prétextes pour éluder la loi :
mais elle a appris de son Epoux que le grand-prêtre
dans une pressante nécessité donna à David et aux
siens les pains consacrés^ que les prêtres seuls a%f oient
permission de manger» Elle sait que le Seigneur, qui
est maUre du sabbat W, ne l'est pas moins du Carê-
me, et qu'on peut dire de l'institution de ce grand
jeûne ce que le Fils de Dieu a dit de l'institution du
saint repos : Le sabbat est fait pour Vhomnie, et non
(« ) Ad Demetr. — C») Luc. vi. 4 , 5.
MANDBMEirs. 5^5
Vhomme pour le sabbat (^j. Telle est la condescen-
dance de rÉglise. Comment ne relâcheroit-elle pas
un peu de sa discipline présente, elle qui , comme
dit saint Augustin, juge que la paix qu'elle conserve
avec les foibles la dédommage de ce qu'elle souffre
certains relâchemens contre la loi 7 Pacù ipsius cont»
pensatione sanaretur W.
C'est dans cet esprit, mes très-chers Frères, que
nous permettons les choses suivantes , etc. .
Nous voyons avec une sensible douleur que la
plus grande partie des peuples qui n'observeront pas
le Carême avec la régularité ordinaire ne pratique-
ront que trop parleur misère une abstinence forcée.
Leur consolation doit être de la tourner en mérite
par une humble patience. « Le jeûne, dit saint
» Augustin (3) y nous représente la mortification uni-
» verselle de nos corps. » Ceux même qui ne pour-
ront pas se retrancher l'usage de la viande, doivent
se modérer dans la dispense qui leur est accordée ,
et ne se permettre rien de superflu dans les commo-
dités sensibles. Enfin les peuples qui nous sont confiés
peuvent voir, par les égards que nous avons pour
leurs besoins , combien nous sommes éloignés d'une
sévérité dure et rigoureuse. C'est ce qui doit nous
préparer dans leurs cœurs une pleine confiance pour
las temps plus heureux, où nous ne manquerons pas
de rétablir dans son intégrité cette salutaire péni-
tence, que les apôtres, instruits par l'exemple de
Jésus-Christ même, ont transmise de siècle en siècle
jusqu'à nous.
(■) Mare. ii. 37. — (*) Ep. glxxxt, ad Bonif. n. 44 * ^ "> P- ^^-
— ^) Depaf. Justit. hom. cap. tiii ,11. 18 : tom. x , pag. 174.
5a6 MAMDBMBlia*
Ilfàulque les riches entrent dans les seotimens
de rÉglîse. en faveur des pauvres » afin que la cha-
rité gagne en cette occasion ce que la pëniteDce
semble perdre. Ainsi tous ceui qui useront de la
présente dispense, et qui peuvent donner trois sous
en aumône y les donneront
Nous exhortons tous ceux qui peuvent donner
ylus abondamment , k faire pour leur salut éternel
une partie de ce qu'ils font tous les jours pour le faste
du siècle. Nous désirons que ces aumônes soient mi-
ses entre les mains de la trésorière de l'assemblée de
la Charité dans les villes où on a établi de telles as-
semblées pour les pauvres malades, afin qu'elles
soient distribuées de concert . avec les pasteurs , et
que dans tous les autres lieux chacun donne son
aumône au pasteur pour le même usage. Donné h
Cambrai, le 3 février 1709.
MANDBMBirS. 5^7
XIV.
MAISDEMENT POUR DES PRIÈRES PUPLIQUES,
SUR LA 8TÉRIUT£.
1709.
Frauçois, etc. A tous les fidèles de notre diocèse ,
salut et bënédiction.
Nous apprenons, mes très-chers Frères, avec line
sensible douleur , qu*on doit craindre une grande
stérilité. La terre paroît comme morte : elle ne pro-
met ni fruits ni moisson, et le printemps même ne
la ranime point. D*où viennent ces malheurs 7 Les
hommes n'ouvriront- ils jamais les yeux? ne senti-
ront-ils jamais la main qui les frappe 7 Ils ont ou-
blié Dieu y ils se sont oubliés eux-mêmes. Us ont
contraint, pour ainsi dire, leur Père céleste à les ou-
blier. Hélas ! voici la neuvième année où l'on voit
couler des ruisseaux de sang dans toute la chrétienté !
Mab les hommes sont punis , sans être corrigés. Si
nous n'apaisons au plus tôt la juste colère de Dieu ,
au glaive vengeur se joindra la faim , plus cruelle
que le glaive même.
Dieu y dit le Psalmiste (0, a appelé la faim sur la
terre; aussitôt elle accourt, et tout appui du pain
est brisé. Voilà, dit Isaïe C^), le Seigneur dominateur
des armées qui Stera de Jérusalem et de Juda
(0P#. civ. ift. — (•)/*. m. I.
r
I
c
5a8 MÀHIDEMElfS.
toute force du pain. Les enfans^ dit Jérëmie (0» ont
demandé oh est le pain ^ en rendant le dernier
soupir dans le sein de leurs mères La langue de
V enfant à la mamelle se dessèche de soif dans sa
bouche. Les petits ont demandé du pain, et personne
ne leur en rompt. Ceux qui viuoient dans la volupté,
tombent en défaillance au milieu des chemins. Ceux
qui se nourrissoient avec dAicatesse, se jettent avec
avidité sur l'ordure,. ,.. Ceux que le glaive abat sont
moins à plaindre que ceux qui périssent de faim;
car ceux-ci sont desséchés et consumés parla stéri-
lité de la terre.
<c La faim et la soif, dit saint Augustin W, sont de
» véritables douleurs , qui nous brûlent , et qui nous
» consument comme la fièvre, à moins que le remède
» des alimens ne vienne nous secourir. Mais comme
» ce remède est tout prêt , ô mon Dieu , à nous sou*
» lager par la libéralité de vos dons, et comme le
» ciel , la terre et Teau nous servent dans notre in-
» firmitéy les hommes donnent à cette calamité le
)> nom de délices. » Non , il n'y a que la main de
Dieu qui retarde chaque jour par ses dons la défail-
lance prochaine du genre humain. Les montagnes ,
dit le Psalmiste (3), se sont élevées, et les campagnes
sont descendues en la place que Dieu leur a mar-
quée C'est lui qui fait couler les to/'rens dans les
vallons au pied des montagnes pour désaltérer tous
les animaux O Dieu, la terre est rassasiée du
fruit de vos mains. Elle produit ses herbages pour
les animaux qui sont au seri^ice de l'homme. La terre
{})Thren. ii. la; et iv. 4» 5,9- — (*) Conf, lib. x, cap. xixi,
n. 43 : tom. I, pag. i85. — (3)i'#. cm.
est
ifijiDnUBira. Sag
est pleine de vos biens» Toui est âan» tatteme de la
nourriture 4iu» vous distribuez à chacun en son temps.
Dès que vous donnez^ ils recueillent. Ouffrez^vous
votre main, tout est comblé de biens. Mais déi&ur^
nez-vous votre face , ils sont dans le trouble. R&*
fusez^vous T esprit de vie, ils tombent en défaiUance,
et reMrentdanslàpoussikre^YeikdxnicpaeleshùfÊxne^
ft'eoivrenl de vaines eapëranoesyilne £Emt qaHme gelëe
après une fonte de neige, ou qu*un brouillard, suivi
d'un rayon de soleil, pour confondre tons leurs pro-
jets. Aussitôt le ciel déifient d*airain a»-dessu$ de leurs
têtes, et la terre qui les porte est de fer pour eux (')•
Que reste - 1 - il donc , sinon d'apaiser Dieu 7 Sa
main est dé)à levée sur nous : mais noufr savons que
dix justes suffisent pour sauver ud peuple innom*
brable ^ non delebopropterdecem ip). O peuples con-
stsméa^écootefl ces douces et fortes paroles: Vc^fez,
dit Dieu à ses en&ns (3), oh estime que vous ri avez
pas commis des abominations.... ? C'est ce qui a er»»
péché la pluie d'engraisser vos champs.... Oenfans,
retenez en vous tournant vers moi, et je vous gué^
riraiaprhsvos égaremens O Israël...... tes voies
0t tes pensées ont attiré sur toi tous ces maux» (Test
ta malice qui se tourne en amertume , et qui blesse
ton cœur.... Mon peuple insensé ne m'a point connu»
Mes enfans sont sans sagesse et sans cœur* Ils ne
sont sages que pour faire le mal, et ne sapent pas
faire le bien. J'ai rassasié vos enfans, et ilsxmt
commis des crimes infâmes...* Quoi donc? est-ce que
je ne visiterai point leurs péchés, et que je ne me
vendrai point de ces peuples ? Jmsques à quand
C») Pmit jtxvui. a3. — C*) Ctn. utiu. 3a. — P) Jertm, ni-ui.
FÉVÉLOlf. XVIII. 34
53o JCANDEMEirS.
la terre sera^-elle en deuil, et l'herbe de ses champs
serait-elle desséchée par la malice des peuples çui
rhabitent ? Ils ont semé du blé, et ils ont mois-
sonné des épines. Ils ont acquis des héritages, et
ils n'en jouiront pas. Soyez confondus par les fruits
mêmes de vos terres Mais aprhs que je les aurai
arrachés, je changerai mon cœur pour eux, j'en aurai
pitié, et je rétablirai chacun d'eux dans la jouissance
de son héritage.
Telles sont nos espérances pour vous, mes très-
chers Frères ; celui qui menace craint de frapper. Il
ne nous montre les maux qu*il pr^pare^ qa*afin que
nous les détournions de dessus nos têtes. La terre ,
qui refuse ses biens aux peuples ingrats et impéni-
tens 9 germera en faveur des peuples humiliés et
convertis. Qu'est-ce qu*un cœur contrit ne peut pas
sur celui de Dieu ? Que si sa justice vouloit nous
éprouver par de plus longues peines ^ au moins nous
aurions la consolation de soufirir, avec amour et
confiance, ce que les impies soufinroient avec révolte
et désespoir. Quelle différence entre ceux que le Père
châtie comme ses enfans bien-aimés et qui portent
la croix avec Jésus-Christ pour régner bientôt avec
Ipi y et les ennemis qui sont punis sans consolation
et sans espérance. Après tout , si vous êtes détachés
du monde et si vous vivez de la foi, que ponves-vous
perdre^ si ce n'est une vie qui n est qu'une mort con-
tinuelle pour passer \ la vie véritable ? De quoi pou-
vez-vous manquer pendant que Dieu ne vous man-
quera point ? Vos. maux seront-ils sans consolation,
pendant que vous porterez au dedans de vous le véri-
table consolateur? Les hommes, dit saint Augustin (0,
(0 De Ci\: Dei Lib. i, cap. x, n. a: tom. vr , pag. 1 1.
MANDEMSlfS. S3 1
ne peuvent être dépouillés sur la terre que des faux
biens, dont ils n'auront pas fait le sacrifice à Dieu.
Hoc enirn potuit in terra perire, quod piguit inde
transferre. Pour tout le reste , ils se dédommagent
d'une légère perte, par un profit immense et éternel.
Magnis sunt lucris leuia damna solatii^). En quelque
extrémité de misère oh ils puissent être réduits, se-
ront-ils jamais dans un état où ils ne trouvent plus
leur Dieu ? Hoc sanè miserrimum est, si aliquh duci
potueruntj ubiDeum suwn non inv^eneruntWl Croit*
on que Dieu cessera d*être père ? Croit-on que celui
qui prépare à ses enfans le royaume du ciel, leur
refusera le pain quotidien sur la terre, quand ils
seront pénitens, soumis, sobres, et laborieux? O
cieUx, louez le Seigneur; o terre, réjouissez^vous;
6 montagnes, chantez de joie! Le Seigneur console
son peuple, et il aura pitié de ses pauvres. Sion a
dit : Le Seigneur m'a abandonnécy et il ne se sou*
vient plus de moi. Quoi ! est-ce çuune mère peut
oublier son enfant, et n avoir aucune pitié de celui
quelle a porté dans ses entrailles? et quand même elle
ToubUeroit, pour moi, je ne vous oublierai jamais (3).
C'est ainsi, mes très-chers Frères, que parle le Père
de miséricorde et le Dieu de toute consolation. Ne
doutons jamais de sa providence. C'est de nous, et
non de lui, qu'il faut se défier. Nous rendrons la
terre fertile, quand nous cultiverons dans nos cœurs
les vertus, et que nous en arracherons tous les vices.
C'est dans un besoin si pressant que nous ordon-
nons, etc. Donné à Cambrai, le 20 avril 1709.
(M De Ciu. Dei. lib. 1 , cap. x, n. a : tom. vu , pag. 1 1. — e») ïbid.
cap. XIV : pag. i4- — ^'^ '*• t^^^'^- '^j '4» «5.
S'i% MAVDEMBNS.
uuiitiOTftriftiJ»iiiriiiiiiviirniirnrYVii"n***''**i** ***'******'**'****'**'
XV.
MANDEMENT POUR DES PRIÈRES.
1709.
■
François etc. Â tous les fidèles de notre diocèse
qui sont sous la domination du Roi, salut et béné-
diction.
Nous avions espéré, mes très-chers Frères, que
Dieu s'apaiseroit enfin, et qo*iI laisserott respirer
son peuple. Mais sa main est encore levée pour nous
frapper. Il est juste que nous souffrions encore , {Suis-
qu*on ne cesse point de pécher. Le mensonge et la
fi^ude sont encore sur les lèvres et dans le cœur de
presque tous les hommes. La misère, loin de les dé-
tacher des faux biens , irrite de plus en plus leur ava-
rice; le faste et le luxe croissent avec la pauvreté.
La délicatesse et la volupté la plus raffinée n*onl
point de honte de paraître avec la femine; on ne
voit que la bassesse la plus honteuse , et que Forgueil
le plus insolent. L'Église n*est plus écoutée. Chacun
s^ croit soi-même, au lieu de la croire avec nue
humble docilité. Les hommes sont écrasa, et ils ne
furent jamais moins convertis. Faut-il donc s'étonner
si Dieu ne s'apaise point? Il se seii des hommes
ds^ns les combats pour les punir les uns par les au-
tres de leurs propres mains. Le ravage des provin-
ces, les batailles sanglantes, le renversement des
empires, sont le jugement de Dieu sur les peuples
MAUDEMERS. 533
coupables y qu*il fait exécuter par les coupables
mêmes. Ceux qui pensent le moins à Dieu ^nt
dans sa main, sans l'apercevoir , les instrumens de
•
ses vengeances. Ils s'imaginent exécuter leurs vains
projets, et ils ne font que suivre ayeuglément une
volonté supérieure. « Dieu , dit saint Augustin (') ,
» opère dans les cœurs même des méchans tout ce qu'il
» lui plait Le Tout^Puissant produit au dedans
M des hommes le mouvement même dé leurs volon-
u tés f pour faire par eux ce qu'il veut qu'ils fassent. »
Il envoie à son choix dans les plus puissantes armées
ou le courage et la victoire, ou la peur et la fuite.
Les hommes combattent, mais c'est lui qui décide.
C'est lui qui donne ou l'esprit de sagesse et de force,
ou celui d'ivresse et de vertige. Les nations , dit le
Roi prophète (^), ont été troublées, et les royaumes
ont penché vers leur ruine. Dieu a fait entendre sa
voix, La terre a été ébranlée : mais le Seigneur des
armées est avec nous. Le Dieu de Jacob nous sou-
tient. Prenez, et voyez les œuvres du Seigneur^ et les^
prodiges qu'il fait sur la terre : il fait cesser la
guerre jusqu'aux extrémités du pctfs\ il brise Varc,
il rompt les armes, il fond les boucliers. Ecoutez ep-
core le Saint-Esprit (3) : Dieu dessèche les racines
des nations superbes, et il en plante d autres çuf
sont humbles. Cessons donc de chercher dans lés
hommes lei véritables causes de ce qui leur arrive ;
remontons plus haut. Leur sagesse et leur puissance
ne sont qu'empruntées. Dieu commande aux pas-
sions, comme aux vents et aux tempêtes. Tïi vien-
CO De Gral. et Ub. Arh. cap. xzr, n. 4^ : tom. x, pag. 740. —
*) PsaL ZL¥. 9.— (3) EccU.'K. 18.
534 M A» DEM EUS.
drasp dit-il à la mer {}\ jusqu'ici; tu n'iras pas plus
loin, et ta briseras ici l'orgueil de tes flots. Ou, si
nous voulons rentrer en nons-mémes, ne cherchons
que dans nos pëchés les sources de nos malheurs.
EfiaçoDS riniquité par la pénitence, et tous nos maux
disparoitront. Prévenons Dieu, humilions-nous, et
il ne nous humiliera point. Mettons notre confiance,
non dans nos armes, mais dans nos prières. Aimons
Dien en sorte qu il nous aime, et nous n'aurons plus
d'ennemis. La douleur, dit-il C^), et le gémissement
s'enfuiront. C'est moi, c*est moi qui vous consolerai.
Eh ! qui étes'vous pour craindre quelque chose d'un
homme mortel, du fils d'un homme, qui sèche comme
l'herbe des champs? Vous (wez oublié le Seigneur
votre créateur, qui a tendu les deux, et qui a fondé
la terre, Vous avez craint sans cesse à la vue delaco^
Ihre de celui qui vous accabloit , et qui se préparoit à
vous perdre. Et maintenant quest^elle deyemie cette
colère....? Dieu ne vous exterminera point, et son
pain ne vous manquera pas. Craignons Dieu, et nous
serons délivrésde toute autre crainte.. .. Le Seigneur,
disoit un saint roi (^)j est mon salut ; qui craindrai-
je? Le Seigneur protège ma vie; qui m'intimidera?
Pendant que mes ennemis m'environnent pour me
nuire et pour me dévorer, ceux mêmes qui viennent
pour m'accabler s'affoibUssent et tombent. Si les
ennemis ont leur camp autour de moi, min cœur ne
craindra rien; et si le combat commence , alors j'es-
pérerai.
G est avec cette humble confiance, mes très-chers
Frères, que nous devons demander à Dieu qu'il bé-
(0 Job. xxxTiii. II. — (») /*. Li. 1 1. — ^3; Pê* XXVJ. I.
MANDCMBIfS. 535
nisse les armes du Roi. Il est moins jaloux de sa
gloire et de ses conquêtes , que du soulagement de
ses peuples. Prier pour le succès de ses dësirs dans
celte guerre ^ c*est prier pour une heureuse et con-
stante paix. Demandons pour lui , comme il fut de-
mandé pour David, que la paix vienne de Dieu sur
lui, sur sa postérité , sur sa maison, et sur son trône
à/amais. Demandons que, comme Salomon(0, il soit
environné de paix. Quil dise comme Ezëchias : Que
la paix et la vérité régnent en mes jours (^). Que
Dieu dise pour lui avec complaisance : Je donnerai
en Israël la paix et la tranquillité pendant tous ses
fours (^). Demaiiïdons que Jérusalem loue le Seigneur,
parce qu'il affermira ses portes , qu'il bénira les en-
fans nourris dans son sein , que la paix sera comme la
garde de ses' frontières, et qu'elle sera rassasiée des
fruits de la terre (4). Mais en demandant le soulage-
ment des peuples, demandons aussi leur conversion.
Demandons encore plus ardemment la fin de nos pé-
chés que celle de nos peines. La paix qui ne servi-
roit qu'à nous amollir, qu'à nous enivrer d'orgueil,
qu'à nous feire oublier Dieu, seroit un don funeste.
 ces causes , nous ordonnons , etc. Donné à Cam«
brai, le i8 juin 170g.
C»)////îe^. II. 33. — (') IV Heg. m. 19. — (')/ Paralip. xxii. 9
— (4) Ps. CXLTII.
536 UAMVMMMas»
XVI.
MAITDEMENT POUR LE CARÊME
OE l'anhÉe 1710.
FaijrçoiSy etc. A tous les fidèles de notre diocèse,
salut et bénédiction.
Il faudroii sans doutej mes trè^chers Frèras, re*
ooaveler en nos jours la plus rigoureuse discipline
de l'ancienne Égli$e sur le Carême, pour la propor-
tioimer au« péchés des peuples. Toute chair a cor-
rompu sa voie^ ceux qu'on nomme Chrétiens aeai-
Uenl n'eu porter le nom que pour Tavilir : Tesprit
qui devroit réprimer les passions ne sert qu'à les
flaUer; on joint un orgueil de démon à la sensualité
dea i>éteS( ; le faste crott avec la misère. L'un » mal-
gré sa basse condition , dépense à proportion de ses
biens mal acquis. L'antre, enivré de sa condition ,
Repense , non son propre bien , mais celui d'autriii
qu'il ^«iprunte* Tous vivent d'injustice ; tous veulent
paroltre ce qu'ils ne »aai pa3*. I^ commerce est plein
de fraude y les procès de chicanes » la conversaiion
de médisances et de moqueries. Les hommes ne di-
sent vrai que quand il n*y a ni commodité ni vanité
à mentir. La socitété cache sous une politesse flat-
teuse une jalousie, une envie et une critique enve-
nimée. Les hommes ne peuvent ni se passer les uns
des antres, ni se supporter. Les riches ne comptent
pour rien les pauvres, quoiqu'ils soient hommes au-
tant qu'eux. Les pauvres semblent avoir oublié qu'ils
sont hommes autant qae les riches. Ils se dégradent
et ne cherchent qae la ^ie animale ; encore n*ont-ils
pas la courage de la chercher , tant ils sont lâches et
paresseux. Ils aiment mieux devoir leur nourriture
à la mendicité ou au larcin ^ qa*à un travail honnête.
Us ne travaillent qa*à demi pendant six jours de la
semaine ; et le septième , que Dieu réserve au saint
repos pour son culte , ils font un travail que Dieu
ne peut bénir, et qui n'est digne de leur rapporter
que des ronces et des épines. Le jour du Seigneur
est devenu celui du démon ; c'est celui qu'on ré*
serve au péché et au scandale. On n'a point de honte
d'y préférer le cabaret à la maison de Dieu^ les chan-
sons impudiques aux cantiques sacrés , et les excès
les plus brutaux k la pure joie de se nourrir du paih
des anges. L'ignorance résiste à toute instruction.
Un pasteur dénooce^t^il mut peuples la vengeance
divine prête à éclater sur leurs têtes ? Sa parole ne
leur semble qu'un jeu : et visus esteis quasi bidens
hquHO. Pendant l'illusion de la vie la religion n'est
pour eux qu'une belle cérémonie , qu'un grand ^ec-
lacle : à la mort elle devient tont-à-coup, et trop
tard y un objet affreux. Il semble que voici le temps
réservé au feu vengeur pour la fin des siècles. Dieu
cherche duc justes, en fiiveur desquels il puisse
épargner toute la multitude innombrable. Oui ,
dix justes loi suffiroient pour pardonner à tous,
et ces. dix justes lui manquent pour arrêter son
bras. Faut41 donc s*étonner s'il frappe ces grands
coups, qui brisent les nations superbes? C'est lui qui
envoie le glaive pour l'enivrer de sang ; an glaive se
(0 Gtnêi. zix. s4*
538 MANDEliENS.
joint la famine, à la famine se joint la maladie ,
qui devient contagieuse. Que mes yeux, dit Jëré-
mie (0, pleurent nuit et jourj et que ma douleur ne
se taise point, car la Jille de mon peuple est écrasée
et coui^erte d'une horrible plaie. Si je vais dans la
campagne, voilà les cadavres des hommes tués; si
je rentre dans la ville, voilà les vivons exténués par
la faim. Le prophète et le prêtre s'en sont enfuis
en terre inconnue. O Dieu, est-ce que vous avez re-
jeté sans retour votre peuple? Kotre ame a-t-elle
abandonné Sion avec horreur ? Pourquoi donc nous
frappez-vous encore, après dix ans de tribulaiion
qui ont abattu la chrëtientë? Ny arUil plus de santé
pour nous ? Nous avons attendu la paix, et aucun
bien n' arrive ^ nous avons espéré le temps de la gué-
rison, et voici le trouble. Ce n'est ni dans le conseil
des sages y ni dans la force des courageux guerriers
que les nations doivent mettre leur confiance ; c'est
le Seigneur seul qu'il faut désarmer. C'est dans le
cilice et sur la cendre qu'il faut lui demander la
paix. Que chacun frappe sa poitrine plutôt que l'en-
nemi. C'est en nous réconciliant avec Dieu, que nous
réconcilierons toutes les nations entre elles. L'Europe
entière devroit être , comme Ninive, dans la prière ,
dans les jeûnes , et dans les larmes pour apaiser
Dieu.
Mais la juste main qui nous frappe nous a ôté
jusqu'aux moyens d'observer religieusement les lois
de la pénitence. La terre , pour venger Dieu , refuse
aux hommes pécheurs ses fruits dont ils sont indi-
gnes dé se nourrir. A peine les peuples trouveront-
MANDEMEUrS. 689
ils pendant ce Carême de quoi soutenir leur vie lan-
guissante, en ramassant sans distinction tous les ali-
mens gras et maigres qu ils pourront trouver. Le prix
le plus modique des alimens est devenu une cheilë
pour les familles épuisées. Dans cette déplorable ex-
trémité la misère de notre pays ne nous répond que
trop de Fabstinence et du jeûne forcé des peuples.
Heureux^ s'ils tournent par amour en pénitence vo-
lontaire cette dure et accablante nécessité! Heureux,
si la même main qui les afflige, les console, et essuie
leurs larmes ! a Tout ce que l'homme soulTre ici-bas,
» dit saint Augustin (0, s'il sert à le convertir, n'est
» qu*une correction salutaire Cest une épreuve
» plutôt qu'une condamnation C'est moins le
» signe de la colère, que de la miséricorde de Dieu...
» Eh ! quel seroit l'exercice de notre patience, si nous
» n'avions pas des maux à souffrir ! Pourquoi donc
» refuser à souffrir en ce monde ? Est-ce que nous
» craignons d'y être perfectionnés par la croix 7 »
II est juste néanmoins d'avoir égard à ce pressant
besoin des peuples. C'est ce qui nous fait encore re-
tarder le rétablissement de la discipline du Carême,
et qui nous réduit à permettre les choses suivan-
tes, etc. Donné à Cambrai, le 24 février 1710.
{^)De Urb. excid, cap. y net vm : tom. yi^ pag. 627, 6a8.
54o XANBEMEUrS.
XVII.
MANDEMENT POUR DES PRIÈRES.
1710.
François, etc. A tous les fidèles de notre diocèse
qui sont sous la domination du Roi, salut et béné-
diction.
Dieu y terrible dans ses conseils sur les enfans des
hommes j n*est point apaisé, mes très-chers Frères.
La maladie se )oint à la famine et au glaive pour
nous punir. Ceux qui ra\f agent le pays ^ dit Jéré-
mie (Oy couvrent nos campagnes désertes . Le glaive
du Seigneur dévore tout d'un bout à l'autre, et
nulle chair ri est en repos. Ecoutes encore le Sei-
gneur; voici ses paroles, ô mon peuple. Si vous
dites : Pourquoi tant de maux viennent-ils sur moi ?
C'est pour la multitude de vos péchés f^oilà ton
sort, voilà ton partage, selon ta mesure, parce que
tu m^as oublié, et que tu as mis ta confiance dans le
mensonge.... Malheur à toi, Jérusalem! Eft-ce que
tu ne seras point purifiée après tant dépreuves} Jus-
ques à quand faudra^t^ïl encore que je te frappe (^)?
Comme toutes les nations ont péché, toutes boi-
vent dans le calice de la colère du Seigneur ; aussi-
tôt elles se tournent les unes contre les autres , et
s'entre-déchtrent pour venger Dieu de leurs iniquités
communes. Nous avons espéré la paix, et elle semble
(>) /er. XII. la. — (*) Ibid. xxii. a 3 eiieq. «
MAHDEMEHS. 54 1
s*6Dfuir devant nous. Le inonde ne peut nous la don-
ner, et nous ne paroissons point encore dignes de la
faii^ descendre du ciel sur nous. Nous disons en
vain à Dieu : Dissipez les conseils des nations qui
veulent la guerre: Dissipa gentesfuœbeUavobint (0.
En vain nous lui rappelons ces aimables paroles :
Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté W.
Il a mis entre lui et nous un n^age, afin que noire
prière ne passe point (3). Les momens qu*il tient en
sa puissance ne sont pas venus. Nous ne le voyons
point encore chassant la guerre jusqu'aux extré^
mités du mande, brisant Varc, rompant les armes,
et fondant les boucliers U). Quand sera-ce que le
maître des cœurs guérira les jalousies et les défiances
des. princes et des peuples , pour préparer au monde
cette beauté de la paix, ces tabernacles oh habite
la confiance, cette paix opulente (5) , qui est une
image de la félicité céleste ? Quand est-ce que Dieu
fera entendre ces paroles de consolation à sort héri-
tage? TéuAlirai la paix pour vous visiter, et la
justice pour présider au milieu de vous. La voix de
V iniquité ne se fera plus entendre dans votre terre.
Le ravage et la ruine disparùttront de vos frontières.
Le salut gardera vos murs, et ma louang& défendra
vos portes,,,,. Le Seigneur sera lui-même tH>trejour
étemel, t votre Dieu sera votre gloire.,.. Les temps
de votre deuil seront écoulés Le moindre homme
sera comme mille, et le petit enfant comme la plus
forte nation. C'est moi, c'est le Seigneur, qui ferai
CO PtoL LXYii. 34. — i?)Luc. II. 14. — {}) Thren. m. 44* —
(4) Pstfl. XLT. 9, lOw — C^) /#. XXZJll. 18.
54 2 MAl«DEMEir$r.
ceci iout'ù'coup en son temps (0. Cependant la
1ère du Seigneur demeure sur nous. Nos peuples
perdent ce qu'ils possèdent W : mais que dis - }e ?
ft ont-ils perdu la foi? ont- ils perdu les biens de
» rbomtne intérieur , qui est riche devant Dieu?
» Voilà les véritables rictiesses des Chrétiens , qui
» rendoient T Apôtre opulent , quand il disoit : Lu
» piété est un grand profit, etc. » Et qu importe que
les faux biens nous quittent, puisque nous les devons
quitter par une prompte mort. Hélas! où en sommes-
nous ? Les nations ne peuvent ni se passer de la paix ,
i)i se la donner. Dieu se joae de la plus profonde
sagesse des hommes^ il prend plaisir à nous Êiire
sentir qu il n'y a que lui de sage. U a formé un nœud
que nulle main d*liomme ne peut défaire; le dé-
nouement ne peut plus venir que d'en-haut.
O Dieu y vous voyez un royaume , qui , malgré ses
péchés y vous donne encore des adorateurs en esprit
et en vérité. Souvenez-vous de saint Louis que vous
avez formé sur le trône selon votre cœur. Soutenez
un autre Louis , qui nest pas moins héritier de sa
foi que de. sa couronne. A.près lui avoir donné tant
de fois les victoires de David , donnez-lui la paix de
Qalomon , pour faire fleurir votre Eglise. Daignez
bénir ses armes , puisqu'il ne vent combattre que
pour faire cesser les combats , et pour réunir vos
enfans. « Prions *> mes très-chers Frères , gémissons ^
» répandons des larmes devant le Seigneur ; afin que
» cette parole de F Apôtre s'accomplisse: Dieu estji-
» dele; il ne perjnettra point que vous sojez tenté
{})ls. LZ. 17 et seq. — (^) S. Atrc. de Ciw. âei. lib. x, cap. x, n. i :
tom. yii, pag. 10.
MANDEMEirs. 543
» au-dessus de vos forces; niais il donnera une borne
n a la tentation, afin que vous puissiez la soute^
» nir (0. »
A ces causes nous ordonnons , etc. Donné à Cam-
brai, le 28 avril 1710.
CO s. ÂOG. de Urb. exciiL cap. Tiii, n. 9 : tom, yi , pag. 6a8.
' XVHI.
MANDEMENT POUR LE CARÊME
DE L ANNÉE 1711,
Fravçois, etc. A tons les fidèles de notre diocèse ,
salut et bénédiction.
UEglise gémit, mestrès-chers Frères, de ce qn*elle
ne peut parvenir ni à nourrir suffisamment les pau-
vres , ni à modérer les riches dans leur nourriture*
Les uns périssent faute du nécessaire, et les autres
se détruisent eux-mêmes par un usage avide do su-
perflu. La nature j comme dit saint Augustin, se
suffit à elle-même. La terre, cultivée par des hommes
sobres et laborieux , produiroit assez d*alimens pour
nourrir sans peine tout le genre humain. La Provi-
dence ne manque à personne , mais Fhomme se man-
que à soi-même. Rendez tous les hommes tempérans,
modérés, ennemis du faste et de la mollesse, humains
et charitables , vous les ferez tous riches sans leur
rien donner ; vous changerez en un moment cette
vallée de larmes en une espèce de paradis terrestre.
Cest pour donner au monde un essai de cet heu-
reux état , que l'Eglise vent que les riches imitent
les pauyres pour leur nourriture, au moins pendant
lès jours d'humilité. In diebus humilitatis > dit saint
Augustin (0, çuando pauperum victus omnibus imi--
tandus est. Telle étoit l'idée du jeûne et de l'absti-
nence dans ces beaux jours , où la religion étoit en-
core écoutée et crue par la multitude docile ; l'Eglise
(«) Serm» ccx , en Quadrag, yi , n. 1 1 : tom. ▼, pag. 93a.
vouloit
HAJfDEMBirS. 545
vouloît enrichir les pauvres , en appauvrissant les
riches pendant le Carême. Elle vouloît changer en
pain f pour ceux que la faim consume , les mets qui
corrompent les mœurs, qui altèrent la santé y et qui
abrègent la vie des autres. « Que Jésus-Christ qui
» souffre la faim en la personne de votre frère ^ disoit
n saint Augustin (0» se nourrisse de ce que le Chré-
3» tien 9 qui {eûne, retranche sur sa nourriture , et
» que la pénitence volontaire du riche fasse le soula*
» gement du pauvre. »
Cette discipline est aussi ancienne que sainte , mes
très-chers Frères. Moïse et le prophète Elie, par
leur jeûne de quarante jours, annoncèrent de loin
celui de Jésus-Christ, dont il n*étoit qu^une figure.
C'est par le jeûne dans le désert que le Sauveur,
notre modèle , se prépara à vaincre toute tentation»
Le corps entier de Jésus^Christ répandu dans tout
tuniversy dit saint Augustin C^}, c'est-à-dire toute VÉ^
^lisc, épouse qui suit pas à pas TÉpouz, a observé
ce jeûne depuis les apôtres jusqu'à notre temps.
Voilà le précieux héritage de pénitence que nous
avons reçu des saints de tous les siècles. Tous les pé-
chés sont entrés dans le monde par l'intempérance.
C'est l'abstinence qui y ramène toutes les vertus. Elle
facilite le recueillement et la prière ; elle accoutume
l'homme à la pauvreté et au détachement*, elle
dompte la chair rebelle ; elle nous détrompe des né.
cessités imaginaires, et nous en délivre. Elle met
rlaos les mains de la charité tout ce qu'elle épargne.
Comme l'amour-propre prend tout, et craint de
(0 tSer/ii. CCS, in Quadrag. vi, n. i9 : iom. v^ pag^ 939. -^ (>) Ibid,
n, 8: pajg.-gBo..
•FÉNÉtOK. XVIII. 35
546 MAMDBUEZfS.
donner, Tamonr de Dieu ne craint que de prendre
et 8*ëcrie : On est plus heureux de donner que de re-
cei^oir (0- L*opulence des impies est toujours pauvre,
avide , insatiable, et même mendiante: Non tunt ergo
iliœ dm^iliœ^ sedmendicitas, çma^fuantb magis oBun-
dant^ iantb crescitet inopia i?\ Au contraire , la pau-
vreté des enfans de Dieu est noble et simple , sobre et
frugale ; elle jeûne de tout pour soi, afin d*étre ricbe,
libérale et inépuisable pour nourrir le prodiain*
Mais hélas! qn*est devenue cette sobriété? Nous
ne voyons plus qu'une intempérance toujours néces-
siteuse. Les pauvres se plaignent de ce qu'ils n*ont
pas de quoi observer Tabstinence commandée , et ils
trouvent néanmoins, jusque dans leur misère, de
quoi violer les règles de la sobriété par les excès les
plus bont«ux« Les riches tournent sans pudeur la
pénitence en volupté, et le Carême en ra£Bnement
pour la table. Les pécheurs nous allèguent pendant
le Carême les infirmités qui les mettent dans Timpuis-
sauce d'observer cette loi pour leur salut, eux c|ui
pendant les jours de scandale ont montré tant de res-
sources de santé pour pécber et pour se perdre. Le
Carême, presque anéanti par les relâcfaemens qu'on
y a introduits, est néanmoins encore ub joug insup-
portable à la délicatesse et à la sensualité inouïe de
notre siècle. Ceux qui affectent le plus de hauteur et
de force d'esprit sont les plus foibles et les moins
Courageux contre les passions grossièi^es de la chair.
Ils ne veulent point se soumettre à Dieu ; mais ils
sont esclaves de leur goût, et ils n'ont point de honte
(«) Aet. xt. 35. -^ (*) S. AvG. in Ptal czzu, n. ii : tom. it,
pag. i4oa. * •
MàNDEMBirS. 547
de se faire un dieu de leur ventre : tfuorum deus
venter est , dit TApôlre (0. Jamais les hommes n^ont
eu un si pressant besoin de pénitence qu^en nos jours.
L'iniquité abonde, la charité est refroidie. A peine
peut-on croire que le Fils de Thomme, revenant
pour fipger le monde, trouvera quelque reste de foi
sur la terre. Les hommes manqoent autant à eurx-
mêmes qa*à Dieu. Leur vie n'eat pas moins indigne
de leur raison que de leur foi. Le faste et Vambition
rendent les riches inhumains et sans pitié. La «miaère
et le désespoir réduisent les pauvre an larcin et à
l'infamie. Nul bien ne peut plus suflfa*e aux riches ,
sans emprunter des pauvres artisans. Le kize ne se
soutient qu'aux dépens de la veuve et de TorpheUn.
Les fausses commodités qu'on a inventées contre la
simplicité de nos pères, incol^modent .ceoz mêmes
qui ne peuvent plus s'en passer, et ruinent toutes les
familles. Le commerce ne roule plus que sur la
fraude. La société est pleine de soupçons, de critique
envenimée, de moquerie cruelle, de jalousie, de
médisance déguisée et de trahison. Plus les besoins
croissent , plus on voit crc^tre avec eux Tavidité ,
l'envie et l'art de nuire pour exelore ses concarrens.
Mais voici une antre espèce de maux réservée à
ces derniers temps. La multitude ne sait rien , et dé^
cide de tout. Elle refuse de croire l'Eglise, et n'a point
de honte de se croire ellerméme. Au dehors» nos
frères séparés de nous tombent dans une tolérance in*
connue à toute la sainte antiquité, qui est une indit
férencé de religion , et qui aboutit à une irreligion vé^
ritable^ A.u dedans, les novatears, qui veulent p arot*
(«} Phdip. tii. 19.
r
548 XAHDEVSVft.
Ire catholiques , ne demeurenl unis à I^lise qae
pour éluder ses décrets , et pour rentralner dans leors
préjugés.
Faut-il donc s^étenner si Dieu irrité frapped'un seul
coup toutes les nations chrétiennes, et s*il permet
dans sa colère qu'elles s*entre-déchiren t depuis plus de
dix ans? L'Europe entière , pour venger Dieu , se dé-
truit de ses propre mains; elle se consume par toutes
sortes de misères , elle verse de tous côtés le sang hu-
main ; et ce sont les Chrétiens qui donnent cet horri-
ble spectacle aux nations infidèles.
te Cest dans cette nuit si périlleuse et si remplie de
» tentations, comme parle saint Augustin, qu^il faut
ji jeûner, u Voici un temps oh il nous faudroit des
prophètes envoyés miraculeusement pour nous dé-
noncer les chfttimens pendans sur nos têtes. Nous de-
vrions renouveler le grand jeûne de Ninive , pendant
lequel tous les hommes dans le cUice et sur la cen-
dre (0 se privoient même du pain et de Teau, pour
détourner la vengeance du ciel prête à éclater.
Mais qu'est-ce que nous voyons encore 7 La main
de Dieu appesantie sur les peuples leur ôte jusqu'aux
moyens de faire une pénitence régulière. Ceux que
la misère réduit à un jeûne forcé n'ont pas de quoi
garder l'abstinence. La rareté, la cherté des alimens
maigres, la misère qui met les peuples dans l'impuis-
sance de les acheter, les ravages soufièrts qui ont af-
famé les villes, en désolant toutes les campages,
et qui vont recommencer sur cette frontière, tout
nous réduit à souffrir le relâchement dans cet ex-
trême besoin de rigueur. Une si triste situation nous
{«) Jon, III.
MAlfDBlfEBS. 549
fait perdre pour celle année Tespérance de rétablir
la discipline du Carême. Trop heureux si nous pou-
vons au moins avant mourir voir des joiu*s de con-
solation pour les enfans de Dieu, où cette sainte loi
refleurisse.
C*est sur ces raisons qu'après avoir consulté les
personnes les plus sages, les plus pieuses, et les plus
expérimentées sur Tétat des lieux, nous avons réglé
les choses suivantes, etc. Donné à Cambrai, le
9 février 1711.
5So XA»DBXtll«.
XIX.
MANDEMENT POUR DES PRIÈRES.
1711.
pEAirçois, etc. A. tons les fidèles de notre diocèse
qui sont sous la domination du Roi^ salut et béné-
diction*
Il y a déjà plus de dix ans» mes très-cbers Frères,
qne nous soupirons en vain après une heureuse paix.
Elle s*enfuit toujours, pour ainsi dire, devant nous,
et elle échappe à nos désirs les pins empressés. Il
semble que nous soyons au temps marqué par ces
terribles paroles : // lui fut donné d'enlever la paix
de la terre j afin quUs s'entre-tuent (0. Hélas! où la
trouvera-t«-on cette paix que le monde ne peut don-
ner? Elle n^habite plus en aucune terre connue. La
guerre est comme une flamme que le vent pousse
rapidement de peuple en peuple jusqu'aux extré-
mités de TEurope, et FAsie même va s*en ressentir.
Approchez^ nations, dît le Dieu des armées C^),
écoutez. O peuples, soyez attentifs; çue la terre avec
tout ce quelle contient , que l'univers avec tout ce
qu'il produit, ni écoute; car F indignation du Sei-
gneur est sur tous les peuples, et sa fureur sur tant
d'hommes armés.,,. Mon glaive, qui pend du ciel sar
la terre, est enivré de sang; voilà qu'il va descendre
sur Vldumée.
(0 Apoc, Ti. 4 • — (*) t^mi. szziT. i et aeq.
XAJiDKMElf5. 55 1
Les hommes sont éionnés des maux quUls souf-
frent, et ils ne voient pas que ces maux sont Ton-
vrage de leurs propres mains. Us n^ont point à
craindre d*atttres ennemis qu'eux-mêmes, ou pour
mieux dire que leurs pédi&. Quoi! ils se flattent
îusqu à espérer de se rendre heureux par les dons de
Dtea, loin de lui, et malgré lui-même! Quoi! ils
veulent obtenir de lui la paix pour violer sa loi plus
impunément, et pour triompher avec plus de scan-
dale dans ringratitude! Quel esprit de vertige! Dieu
se doit à lui-même de les frapper et de Ifs confondre.
Void, dit Jérëmie (0, comment le Seigneur parle :
Est-Hie tjue celui qui est tombé ne se relèvera point ,
et çue celui qui est égaré ne reviendra jamais? Pour-
quoi donc ce peuple est-U loin de moij au 'milieu
même de Jérusalem, par un égarement contentieux?
Ils ont couru après le mensonge , et ne veulent point
revenir. J'ai été attentif; j'ai prêté l'oreille : aucun
d'eux ne dit ce quiest bon; aucun ne se repent 4e
son péché en disant : Qu* ai- je fait? Tous courent
selon leurs passions j comme des chevaux poussés
avec violence élans le combat.*.. Mon peuple n'a point
connu le jugement du Seigneur. Il n*a point senti la
juste et puissante main qui le frappe par miséricorde.
Pourquoi dites-vous^: Nous sommes sages y et la loi
de Dieu est au milieu de nous? La main trompeuse
de vos écrivains a véritablement écrit le mensonge...
Depuis le plus petit jusques au plus grand tous sui-
vent l'avarice, fiepuis le prophète jusques au prêtre
tous sont coupables de mensonge. *
Ils se vantoient de guérir les plaies de la fille de
CO Jtrcm, Tiii ci Mq.
55ù MkBDZMZMSi
mon peuple, et cette guérison s'est tournée en igtto^
minie. Ils ont dit : Paix j paix ; et la paix ne venait
point. Ces peuples idolâtres d'eux-mêmes sont con-
fondus^ ou plutôt ils sont sans confusion, et ils ne
sapent pas même rougir de ce qui devroit les humi-
lier. . . • Taisons^nous; car c'est le Seigneur notre Dieu
qui nous fait taire ^ et qui nous présente à boire une
eau pleine de/iei, parce que nous a^ons péché. Nous
avons attendu la paix, et il nest venu aucun bien.
Nous auons cru que eétoit le temps de la guérison,
et voilà répouvante.
En vain les prinœs sages , pieux et modérés veu-
lent acheter chèrement la paix et épargner le sang
humain. En vain les peuples de TEurope entière,
épuisés, accablés y déchirés les uns par les autres,
cherchent à respirer. En vain les sages étudient tous
les tempéramens convenables pour guérir les dé-
fiances et pour concilier les divers intérêts. La paix
est refasée d'en-haut aux bommes, qui en sont encore
indignes. C'est au ciel qu'elle se doit faire; c'est le
ciel irrité qui en exclut la terre coupable.
Depuis qae les hommes murmurent contre les
maux innombrables que la guerre traîne après ellci
en sont*ils moins fastueux dans leur dépense? Y voit-
on moins de mollesse et de vanité? Sont-ils moins
jaloux, moins envieux, moins cruels dans leurs- mo-
queries? Sont-ils plus sincères dans leurs discours,
plus justes dans leur conduite, plus sages et plus so-
bres dans leurs mœurs? L'expérience de leurs pro-
pres maux les rend-elle moins dui^ pour ceux d'au*^
trui? Sont- ils moins attachés à cette vie courte ^
fragile et misérable? Se tournent-ils avec plus de
MANDEMBNS. 553
confiance vers Dieu pour désirer son royaume éter-*
nel? On demande la paix, est-ce pour essuyer les
larmes de la veuve et de Forphelin 7 Est-ce pour faire
refleurir les lois et la piété? Est-ce pour faire tarir
tant de ruisseaux de sang? Est-ce pour donner un
peu de pain à tant d*hommes qu*on voit périr par
une misère plus meurtrière que le glaive même? Non,
c'est pour s'enivrer et pour 8*empoisonner plus li-
brement soi-même de mollesse et d'orgueil; c'est
pour oublier Dieu, et pour faire de soi-même sa
propre divinité dans une plus libre jouissance de
tous les faux biens.
En ce temps, oîi la main de Dieu est appesantie
sur tant de nations, il faudroit travailler tous ensem-
ble à une réforme générale des mœurs. Nous de-
vrions, pour apaiser Dieu, renouveler le jeûne de
Ninive dans le cilice et sur la cendre. Il faudroit
demander la paix de Sion , et non celle de Babylone,
la paix qui calme tout par Tamour de Dieu, et non
celle qui flatte le délire de notre orgueil. « Si la
» piétéetlaqbarité manquent, dit saint Augustin (<}>
M qu'est-ce que la tranquillité et que le repos d'une
» vie où l'on est à l'abri de tant de misères, sinon
» une source de dissolutions et d'égarement qui nous
» invite à notre perte, et qui la facilite? »
O Dieu, daignez regarder du haut de votre sanc-
tuaire céleste le royaume de France, oii votre nom
est invoqué avec tant de foi depuis tant de siècles.
Regardez même toutes les nations qui nous environ-
nent, et qui composent l'héritage de votre Fils. Sou-
venez-vous de saint Louis et de ses vertus, qui ont
0 EpiMt, ccxxzi, n. 6 : tom. u, pag. 843*
•»
554 MAHOSMKIIS*
fait de lui ud modèle des rois. Consei*irez ik jamais sa
race. Béoisses les armes de cet aatre Louis qui Teot
marcher sur les traces de la foi de son père^ et qui
ne continue malgré lui la guerre que pour assurer
au monde une solide paix. Déconcertez les nations
qui veulent la guerre. Dissipa génies çuœ beUa va-
bmL, Décoocerteft-les y non pour leur ruine , que
nous n*avons gtrde de vous demander, mais pour
leur réunion avec nous, qui feroil la prospérité
commune. Surtout voyez les larmes de votre Eglise.
Cette guerre divise ses enfans , et rassemble ses en-
nemis; cette guerre la menace de tous c6tés, et nous
craindrions tout pour elle, si les portes de Tenfer
pouvoient prévaloir.
A ces causes, etCt Donné à Cambrai, le a5 avril
1711.
MAIlDBlIBlIfl. 555
MANDEMENT POUR LE CARÊME
D£ l'année 1712.
FaAiiçoiSy etc. A too5 les fidèles de notre diocèse,
salut et bëoédiction.
Noos voyons avec donleur, mes très-chers Frères ,
nos espérances s*ëloigner chaque année ponr le réta-
blissement de Tabstinenee da Carême. La guerre a
altéré dans cette firontière une si sainte discipline,
qui nons vient des apôtres mêmes, et dont vos pères
furent si jaloux. La continuation de la guerre en re-
tarde le rétablissement. Il est vrai que la guerre elle-
même demanderait le jeûne le plus rigoureux et
Fabstinence la plus pénible. Quel Carême ne seroit
pas dft à ces temps de nuage et de tempête , oh Dieu
est si justement irrité! Quelle pénitence austère
chacun ne devroit-il pas s*imposer volontairement
ponr mériter une heureuse paix ! Qui seroit Fhomme
ennemi du genre humain et de lui-même jusqu'à
refuser cette légère peine, ponr procurer k lui-même
et à sa patrie la fin de tant de maux, et le commen-
, cément de tant de biens? Nous devrions être dans le
cilice et sur la cendre , ponr affliger nos âmes par le
jeûne, comme les habitans de Ninive. Ne cherchons
point hors de nous-mêmes la cause des maux qui
noos accablent. Vit-on jamais tant de fraude dans
le commerce, tant d'orgueil dans les mœurs, tant
d'irréligion au fond des consciences? Celui-ci pré-
556 UkhBEMLSùhS.
fère de sang froid le plus vil profit au salul éternel :
celui-là aime mieux le cabaret que le royaume de
Dieu ; il &it plus de cas d^une boisson superflue qui
Tabrutit, qui ruinç sa fitmille, qui détruit sa santé ,
que du torrent des délices éternelles , dont les bien-
heureux sont à jamais enivrés dans la Jérusalem
d*en-haut. Un autre craint moins les tourmens de
Fenfer que la fin de ses infâmes débauches. Les ou-
vriers sont oisife et libertins pendant six jours de la
semaine. Le septième , qui doit être le jour du Sei-
gneur, est devenu celui du démon ; c*est le jour qu on
réserve aux plus honteux scandales. Les gens d*une
condition supérieure sont encore plus sensuels, plus
injustes, plus révoltés contre Dieu; ils ne disent la
vérité que quand ils ne trouvent aucune vanité à
mentir, ni aucun plaisir malin à calomnier. Us se
plaignent de la misère , et ils la redoublent par leurs
excès. Il sont impitoyables pour les pauvres , jaloux,
envieux, incompatibles, hàissans et haïssables (0 à
l'égard des riches. U ne leur faut que le bonheur
d*autrui pour les rendre malheureux. La religion
n*est pour eux qu*une vaine cérémonie. Leur ava-
rice est une véritable idolâtrie ; ils n*ont point d'autre
dieu que leur ai|;ent. Chacun raisonne, décide,
sape les fondemens de la plus sainte autorité. Ils se
vantent de connoitre Dieu, et ils le nient par leurs
actions les plus sérieuses; faciis autem negant W.
Oserons-nous le dire avec TÂpôtre? ils deviennent
abominables, incrédules, réprou\fés pour toute
bonne œuvre. Us sont chrétiens de nom, et impies
de mœurs. Ils ne pensent pas même selon la foi; car
(OJYt.iii.3. — Wlbid.i.i6.
MANDEMENS. 557
ils méprisent tout ce qa*elle estime , et ils admirent
tout ce qu*elle méprise. Ils vivent dans le sein de
rÉglise, non pour lui être dociles , mais pour sauver
la bienséance et pour étouffer leurs remords. O
têtes dures contre le joug du Seigneur, o hommes
incirconcis de cœur et d'oreille, vous résistez tou-
jours au Saint-Esprit (i). Jusques à quand vivrez-
vous sans Christ, loin de la société d^ Israël, étrangers
aux saintes alliances, sans espérance des promesses,
et sans Dieu en ce monde (^) 7
Quoi donc ! seroit - ce que nous approchons de
ces derniers temps , dont il est dit : CrqyeZ'Vous
que le FUs de Vhomme trouvera de la foi sur la
terre (^)7 En trouvera-t-il dans les places publiques,
bik le scandale est impuni? En trouvera-t-il dans le
secret des familles, oii Favarice et Tenvie rongent
les cœurs, et où chacun vit comme s*il n*espéroit
point une meilleure vie? En trouvera-t-il aux pieds
des autels, où les pécheurs se confessent sans se
convertir, et où ils mangent avec une conscience
impure le pain descendu du ciel pour donner la vie
an monde? Ceux mêmes en qui il parott rester quel-
que crainte de Dieu se bornent à vouloir mourir
suivant le christanisme , après avoir vécu sans gêne
selon le siècle corrompu. Us veulent, dit saint Au-
gustin (4) , a croire en Jésus-Cbrist par un raffine-
» ment d*amour-propre, pour trouver quelque adou-
» cissement jusque dans les horreurs de la mort.
» Propter remouendam mortis molestiam, delicatiùs
» crederetur in Christum. » Nous voyons ce déluge
lO Ad. VII. 5i. — *) £pk. II. la. — C3) Imc. xviii. 8. — (4) De
ptcc mer. et rem, lib. ii , cap. xxxi , n. 5o. : tom. z, pag. 65.
558 MAHDCllEjrS.
d'iniquitësy et nous seolODS notre impuÎManoe pour
changer les cœurs. Il y a déjà près de dix-sept ans
que nous parlons en vain à la pierre : il n'en coule
aucune fontaine d*eau vive. Que n'avous-nous pas
dit au peuple de Dieu en son nom? Hélas 1 nous me
remarquons aucun changement qui puisse nous con«
soler. Nous disons souvent au Seigneur en secret et
avec amertume : Malheur^ malheur à nous! Cest
nous, qui aflR[>iUisson8 votre parole toute-puissante
par notre indignité. Suscitez quelque autre pasteur
plus digne de vous, qui vous fasse sentir à ce peuple.
Faut-il s'étonner si la paix , ce ^nd don du ciel,
promis sur la .terre aux hommes de bonne t^o-
lonié (0> ne descend point sur les peuples ingrats,
aveugles et endurcis. Ils ne la veulent que pour
tourner les dons de Dieu contre Dieu même , et que
pour s'enivrer des douceurs empoisonnées de leur
exil y jusques à oublier la céleste patrie. Il faudroit
que tout homme fidèle humiliât son esprit et affli-
geât son corps ; que chacun sortit de sa maison et
de son propre cœur pour aller sur la sainte mon-
tagne; que tout homme frappât sa poitrine; que
tous ensemble ne fissent qu'un seul cri qui montât
jusqu'au ciel pour attendrir de compassion le cœur
de Dieu dans œs jours de juste colère ; qu'enfin le
Carême fÙt le temps de conversion, de prière, de
faim de la parole sacrée, d'abstinence de tous les
alimens qui flattent la chair rebelle, pour nourrir
l'esprit de toutes les vertus.
Mais les malheurs présens, qui demandent un tel
remède, nous ôtent l'usage du remède même dont
CO Lue. iT. 14.
XAHDCMCirS. 559
U ont beaoin. Geax qm la misère prive de presque
tous les alimens sont rëdaits à user indiffi^remment
de tons ceux qne le hasard ou la compassion pour-
ront leur fournir. La rareté , la cherté des alimens
maigres, la misère qui met les peuples dans Timpuis-
sance de les acheter, les ravages soufièrts qui ont
affamé les villes , en désolant toute la campagne , et
qui vont recommencer sur cette frontière , tout nous
réduit à souffrir le relâchement dans cet extrême
besoin de rigueur. Une si triste situation nous fait
perdre encore pour cette année Tespérance de réta-
blir la discipline du Carême. Trop heureux si nous
pouvons au moins avant mourir voir des jours de
consolation pour les enfans de Dieu , où cette sainte
loi refleurisse.
Cest sur ces raisons qu'après avoir consulté les-
personnes les plus sages, les plus pieuses, et les plus
expérimentées sur Tétat des lieux , nous avons réglé
les choses suivantes, etc. Donné è Cambrai, le 3o
janvier 171a.
56o
MANDEMENT POUK DES PRIÈRES.
1711.
Frahçou f etc. A tous les fidèles de notre diocèse
qui sont sous la domination da Roi y saint et béné-
diction.
Noos voyons, mes très-chers Frères, dans les
anciens monnmens que les Chrétiens furent pré-
serva des malhenrs des Jnifs dans la mine de Jâu-
salem, et que la Providence les épargna encore dans
la prise de Rome idolâtre. Toot au contraire nous
voyons aaîonrd*bai la chrétienté tout entière qui
est déchirée par de cmelles guerres , tandis que tant
de nations infidèles Jouissent d^une profonde paix.
Cest que les enfans ingrats et indociles ont irrité
leur père, et que le jugement commence par la mai^
son de Dieu ('). Qu*entendons-nous de tons cotés
dans toute TEurope? Combats et bruits des armes,
nation contre nation^ rcjaxune contre royaume.
Faut-il s*en étonner? L' iniquité abonde, la charité
se refroidit W. Le Seigneur a fait jentendre ces pa-
rôles par la bouche d*nu de ses prophètes : Voici le
ravage, le renversement, la famine, le glaive. Qui
te consolera? Ecoute, ô toi, çui es si rabaissée, si
appauvrie, et enivrée, mais non pas de vin (3).
Un autre prophète s'écrie : Ecoutez, â vieillards,
C*^ / Petr, IV. 17. — V») Matsk. xxit. 6 et »cq. — t') /#. ii. ig^ ai .
et
MÀVDEMEK8. 56 1
et voMàs tous habitons de la terre j prêtez V oreille»
Voyez s*il est arriué rien de semblable en vos jours
ou en ceux de vos pères. Racontez ces prodiges à
"vosenfans. Que vosenfans les apprennent aux leurs ^
et çùe les leurs les transmettent à une postérité en*-
core plus reculée. Ce qui échappe à un insecte, est
rongé par un autre. Les restes du second sont dé*
forés par le troisième. La nielle achète de détruire
ce que les insectes ont laissé. RéueUlez^vous , 6 peu--
pies enivrés ; pleurez , et poussez des cris doulou-
reux (0.
Bientôt il ne restera plas à nos campagnes dé-
sertes de quoi craindre ni la flamme ni le fer de len-
nemi. Ces terres, qui payoient le laboureur de ses
peines par de si riches moissons , demeurent hé-
rissées de ronces et d*épines. Les villages tombent;
les troupeaux périssent. Les familles errantes, loin
de leur ancien héritage, vont sans savoir où elles
pourront trouver un asile. Le Seigneur voit ces
choses, et il les souffre. Mais que dis-je? Cest lui
qui les fait. Le glaive qui dévore tout , est un glaive,
non de main d'homme; in gladio, non viri (^). C'est
le glaive du Seigneur, qui pend du ciel sur la terre
pour frapper toutes les nations. Il est juste ; nous
avons péché.
La paix est Tunique remède à tant de larmes et
de douleurs;* mais la paix où habite-t-elle? d*où
peut-elle venir? qui nous la donnera ? Princes sages,
modérés, victorieux de vous-mêmes, supérieurs par
votre sagesse à vôtre puissance et à votre gloire,
compatissans pour les misères de vos peuples, en
C*) JœL I. a cl «cq. — (») /*. xxxi. 8.
FéNÉLON. XVHl. 36
vain yogs courez après cette paix qui voua fuit ; en
vain vous faites des assemblées pour éteindre le feu
qui embrase V Europe. La paix sera le fruit, non dm
vos oëgociatiops , mais de pos prières. C'est en frap-
pant nos poitrines que nous la ferons. Elle viendra ,
non de )a sagesse des profonds politiques , mais de la
foi des simples et des petits. Elle est dans no^ mains.
Aimons le Seigneur, comme il nous aime, et \^ voilà
faite. Toi;s dos maux s'enfuiront dès que nous serons
convertis. C'est Dieu, et non les princes de la terre ,
qu'il faut désarmer. C'est la colère du Seigneur, et
non la jalousie des nations, que nous avons besoin
d'apaiser.
« Si le^i honomes, dit saint Augustin (0, pensoient
» sagement, ils attribueroient tout ce qu'ils ont
u souflèrt de dm et d'affreux de la part de leurs en-
» nemi^, k une providence qui a coutume de cor-
» riger et d'écraser les mœurs dépravées des peu-
V pies. » Ce Père ajoute W : « Vous n avez point
n réprimé vos passions honteuses, lors mêpie que
» V091S é\\ez accablés par vos ennemis ; vous avei
^ perdu Iç fruit de votre calamité; vous êtes devenus
» plus malheureuse , et vous n'en êtes pas demeurés
» moins coupables- F'bs nec cantriti ah hpsu /uxia-
» nom repressistis. Perdidistis utilitatem ealami^
o tatis; ep mis^rinUfaçli estis^ etpessimi perman"
» sistis. n Vous avez e&dui^é les maux s^ns mérite et
sai^s cQqsols^tioq ; vous ave« souflRrrt à pure perte,
comme les démons, avec un cœur révolté et endurci.
« C'est néau9ioins, conclut ce Père (3), un reste de
(0 De Civ.Dei, lib. i, cap. i : lom. vu, pag. 3. — (») Ibid. cap.
xxxiii : pag. 3o. — (3) Ibid. cap. nsxiv.
xàkdemehs. 563
» miséricorde de ce que vous vives encore; Dieu vous
0 épargne pour vous avertir de vous corriger par la
» pénitence. Et tamen quodvMu'sjDei est^quivobis
» parcendo admonetj ut corrigamini pœnitendo» »
Ce qui nous met en crainte pour la paix, est IHn-*
dignité avec laquelle les peuples la désirent. Pen»
dant qu^on )ève les mains vers le ciel pour Tobtenir,
les hommes se res8ouviennent-*ils de la sobriété et de
la pudeur ? Les cabarets ue sont-ils pas remplis de
peuples, pendant que la maison du Seigneur est
abandonnée? Les chansons impudiques sont*ellea
moins en la place des cantiques sacrés? L'avarice et
l'usure sont-elles moins cruelles contre la veuve et
contre Torphelin? L'envie et la médisance sont^elles
moins envenimées? Le luxe est-il moins insolent? Les
conditions sont-elles moins confondues? La fraude
rëgne-t-elle moins dans le commerce? Pendant que
chacun se plaint de la misère , en est-on plus épar-
gnant et plus laborieux? La jeunesse est-elle moins
oisive, moins ignorante, moins indocile? Les per^
sonnes âgées sont-elles plus détachées de la vie pour
se préparer à la mort? Où trouverons-nous des
hommes qui veillent, qui prient, qui croient, qui
espèrent, qui aiment, qui vivent comme ne comp-
tant point sur une vie si courte et si fragile, qui
usent de ce monde comme nen usant point, parce
que ce n'est qn*unejigure qui passe au moment oi^
Ton se flatte d'en jouir ?
Mais pourquoi soupirez-vous après la paix? Qu'en
voulez- vous faire? «Vous ne cherchez point dans
» cette sécurité, dit saint Augustin (0, une repu»
(*) J)e Ciy. Deif lib. i , cap. zzziu : p4g. 3o,
564 MÂNDEMElirS.
» blique vertueuse et tranquille, mais une dissolu*»
» tîon impunie; vous qui ayant été corrompus par
» la prospérité y n'aves pu être corrigés par tant de
» malheurs. Neque enim in vestra securitaie paca*
» tam rempublicam, sed luxuriam quœriUs impu-
» nitam ; qui depra^ali rébus prosperis > nec corrigi
» potuUstis adversis. » Cest donc vous qui retardeE
la paix par vos mœurs. Cest vous qui êtes les au*
teurs des calamités publiques. Cest vous-mêmes qui
forcez Dieu , malgré ses bontés paternelles , à vous
faire souffrir tous les maux dont vous murmures.
Mais que vois-je 7 C'est un nouveau Josaphat roi
du peuple de Dieu, qui, à la .vue de tant de maux, se
tourne tout entier vers la prière; totum se contulit
ad rogandum Dominum (0* Voici les paroles qu il
prononcera en s'humiliant sous la puissante main de
Dieu. «Si tous les maux viennent ensemble fondre sur
nous^ LE GLAIVE DU juGEMEJiT, la peste et la famine ,
nous demeurerons debout en votre présence det^ant
cette maison^ oii votre nom est invoqué. Là nous
crierons vers vous dans nos tribulations; vous nous
exaucerez , et nous serons sautées.
Vous le voyez, mes très-chers Frères, le glaive
que le Saint-Esprit nous représente comme n étant
pas de main d'homme ; in gladio non viri; est le
même qui est nommé ici le glaive du jugement, gla-
dius judicii. Ce n*est point un glaive poussé au hasard
par Taveugle fureur du soldat ; c*est la justice elle-
même qui le conduit; c'est le jugement d^en haut
qui en règle tous les coups ici -bas; c'est une main
invisible, éternelle et toute- puissante qui écrase
\.')IlParaLxx 3,9.
MABDEMKH8. &6S
notre foible orgaeil. *Qae devons-nous en conclure?
Faisons tout au plus tôt notre paix avec Dieu ^ et
notre paix avec les hommes se trouvera d'abord
toute faite. Cest pour seconder les sincères et pieux
désirs d*un grand roi dans une si pressante néces-
sité^ que nous voulons demander à Dieu qu'il dicte
lui-même de son trône céleste une paix qui dissipe
tout ombrage y qui calme toute jalousie , qui réunisse
tous les cœurs I et qui fasse ressouvenir toutes les
nations qu'elles ne sont que les branches d'une. même
famille. L'Église , dans ce temps de péché et de con *
fusion, souffre des maux presque irréparables, et
nous espérons que les larmes de l'épouse touche-
ront le cœur de l'Epoux.
A ces causes nous ordonnons , etc. Donné à Cam--
brai, le 6 février 171a.
XXII.
MANDteMfiNT POUta LE CARÊME
DB LAimÉc: 1713.
FaAHfoift» etc. A toas ks fidèles de notre diocèse ,
talui et bénédictioii.
L^attéilte dl^une prompte paix, mes très-cfaers
Prèreâ, AOdS faisoit espérer dès cette année le reta-
blistemétlt de la d{sci|)line do Carême. Mais les
pédiës des péliplés retardent encore ce^ heureux
jours» Le Seigneur justement Irrita tiettt tonjouts sur
nûk tètês te glùivc i^eAgéUf dé ioh aUianùe violée (0.
Faut-il s'en étonner? Nos pedplés sont écrasa sans
^tre convertis. On ne trouve dans les pauvres que
lâcheté» découragement y murmure , corruption et
fraude. On ne voit dans les riches quo mollesse,
faste, profusion pour le mal, avarice contre le bien ;
la société est un jeu ruineux; la conversation n'est
que médisance $ Tamibé n'est qu'un commerce flatteur
et intéressé. La vertu n'est plus qu'un beau langage,
que la vanité parle. La religion n'a plus aucune sé-
rieuse autorité dans le détail des mœurs. Nous ne
pouvons que trop dire ce que saint Augustin disoit
en son temps : « C'est par nos vices, et non par
» hasard, que nous avons fait tant de pertes (^). »
Nous avons vu à nos portes deux armées iiinombra-
bles, qui, prêtes à répandre des ruisseaux de sang,
(0 Let^it, xzTi, 95. — (*) De €iv. Det^ lib. 11 , ca|». xxi, a. It
MAUDEMEllS. . 56']
ne paroissoient qae comme un camp^ taht elles
étoient voisines. Nos campagnes ravagées soilt encore
incaltes comme les plus sauvages déserts. Fotre terr&^
6 mon peuplcf, dit le Seigtieur(0, sera déserte, et dos
villes tomberont en ruine. F'os champs pendant iôus
' les fours de leur solitude se plairont à se reposé r, et
à ne produire aucune ittôlsson, parce que vous ne les
avez froim laissé reposer aux jours du àaint repos.
Hélas ! nous avons vu les familles chassées de Thabi-
tation de leurs ancêtres , errer sans ressource, et
pdrter leurs enfans moribonds dans une terre étran-
gère. Qù^esi-cé qui nous à fait tant de maux? c'e^t
nous^méiriès. Uoh nous sont-ils venus? De nos seuls
péchés. Que n'atons-noos paë encore à crahidi'é de nos
mœurs ! Dieu juste se doit deë exemples. Quand Tapai^
serdns-nons? Ceux ifui resteront ^ dit le Seigfieur W^
sécheront de peine dâhs teuri irii^uités.,.. Je marche^
rai contre eux justfu'à ce que leur cctur ifueir-
cbrtcis rougisse de leur ingratitude. tiâiohs-noUs ^
donc^ mes très-chèrs Frères , de faire la paît de ^
monde en faisant la nôtre avec Dieu et âVéc âdtts-
méines. « O étonnante vanité^ dit saint Augustin (3),
9 les hotntnes veulétit se fendre hettreiiiC ici^bad, et
ti fëire ce botihéur de leUrs propres tiiains ; mais la
n véritéldnrbeertdérisionvleùffGflleespérailQe. « La
» paiit même d'ici-bas, dit encore te Père (4) , teËl
n oelle des nations que celle de chaque homme, est
» plutôt une côdsolation qui adoucit nos misères >
» qu'une )ôie où nous geôtiotis un vrai bdoheur. »
(0 Let^U. XXVI. 33 et seq. — (<) Ibid. Sg, 4i. — (3) De Ciu, Dei ,
lib. xil, càp. rv, n. i : tom. vii , pag. 545. -^C^) Ibid. cap. ixwii'-
568 MAHDBMEIfS.
Les biens et les maux de cette vie ne sont rien , par
la brièveté et par Fincertitude de cette vie même. Que
peut-on penser des faux biens, qui ne servent qu*à
rendre les hommes méchans, et que Dieu méprise
jusqu'à les prodiguer à ses ennemis qu*il réprouve ?
Que peut^on croire des maux qui servent à nous ren-
dre bons, et conformes à Jésus*Christ attaché sur la
croix? Heureux celui qui souffre dans ce court pèle-
rinage, et que la mort ne surprend point dans l'i-
vresse d'une trompeuse prospâîté I
U est vrai néanmoins, mes très*chers Frères , que
nous devons tâcher de mériter, par une humble, cor-
rection de nos mœurs, que la paix règne en nos jours,
et que nous menions une vie tranquille. Quand
nous serons convertis. Dieu réunira les nations divi-
sées; tous les enfans du Père céleste ne seront plus
xlans son sein qu'un cœur et qu'une ame. Plus d'om-
brages, plus de jalousie; le glaiye sera changé en
faux, et la lance en soc de charrue (0* Ecoutez le
Seigneur : Si vous suivez ma loi, dit-il ,Wj je ne-
pandrai sur vous en leur saison des pluies fécondes.
Vos champs se revêtiront de verdure^ et vos arires
seront chargés de fruits. Les moissons dureront, jus-
ques aux vendanges, et à peine les vendanges, seront
finies qu il faudra semer.,.., Tenverrai la paix au-
tour de 'VOS frontières. Fous, dormirez, et personne
ne vous alarmera Le glait^e ne passera plus au-
près de vos familles. Je jeter ai un regard sur vous j
et je vous ferai croître, Vous vous multiplierez , et
je confirmerai mon alliance en votre faveur. Mais ,
encore une fois, npus ne devons ni « ci^aindi-e les
CO ImL u. 4< — {*) LevU. zxvi. 3 et «eq.
» maux que Dieu fait souffrir aux bons, ni estimer leb
» biens qu*il donne aux méchans (0 ; » si le culte de
Dieu n'étoit dans nos cœui-s, que pour en obtenir les
douceui^ de la paix terrestre, une telle religion, dit
saint Augustin (^), ne nous rendroit pas pieux j mais
au contraire plus a$fides et plus avares. Tous nos
vrais biens sont au-delà de cette vie*, c'est pour Va-
yenir^ dit saint Augustin (3), que nous sommes chré-
tiens,
' Le retardement de la paix éloignant la fin de nos
misères, il nous réduit avec douleur, mes trèè-cbei*s
Frères, à retarder aussi le rétablissement de cette
salutaire discipline du Carême que nous avons reçue
des apôtres , dont nos pères furent si jaloux. Mais ,
en attendant qu'elle puisse reprendre toute sa force,
nous voulons au moins faire deux choses. La pre-
mière est de nous rapprocher un peu de la règle en
ne donnant à nos diocésains que trois jours dans la
semaine Tusage de la viande, au lieu de quatre jours
que le malheur des temps nous avoit fait accorder les
autres années. La seconde est qu'en permettant Tusage
de la viande aux familles nécessiteuses qui auront un
pressant besoin de se sustenter par tous les alimens
qu'elles pourront trouver, nous exhortons très-sérieu-
sement tous les riches qui ne sont point dans le cas
de cette triste nécessité , de n'abuser point par mol-
lesse d'une dispense qui ne leur convient pas. Nous
ne voulons point troubler les consciences pai* une
ordonnance absolue de l'Eglise; mais nous représen-
(0 De Ciu. Dei, lib. xx,cap. 11 : tom. vii^pag. 574*-^ C*)Ibid.
lib. 1, cap. y m, n. a : i>ag. 8. — {}) In PsaL xci, n. i : tom. iv»
rag.981.
5']0 XAlfD£M£Zf8.
ions aux riches, au nom du souverain pasteur des
ameS| qu'ils doivent faire ce qu'ils peuvent, pendant
que les pauvres n'en sont dispensés qu'autant qu'ils
n0 le peuvent pas; que le besoin d'apaiser Dieu par
la pénitence orott chaque jour; et que rien n'est
|)lus scandaleux que de voir la sensualité flattée par
une dispense que l'Église ne donne qu'à la misère et
à l'impuissance. Enfin nous déclarons que tious ne
nous abstenons d'exclure de cette dispense le^^ches
de tout le diocèse, et même certains endroits du pays
qui ont beaucoup moins soiifiert que les autres, qu'à
cause que nous ne pourrions établir cette différence
sans abandonner une certaine uniformité qui parott
nécessaire pour faciliter l'ordre dans les points de
discipline, et pour ne faire pas nattré dans les esprits
scrupuleux une infinité de questions.
C'est sur ces raisons qu'après avoir consulté les
personnes les plus sages, les plus pieuses et les plus
expérimentées sur l'état des lieui, nous avons réglé
lei choses suivantes , etc. Donné à Cambrai , le 218
fiévrier 1713.
M AHDimBHS. ^7 I
xxiii.
MANDATUM
DE RITUALI EDENDO.
FRANCISCUS DE SAtÎGNAt DE LA MÔTHE
FÉNELON, Ârchiepiscopus Dux Cameracensis ,
sancti Romani Imperii Princeps, Cornes Caméra-
cesii, ParocfaiSy Vicarii's et àliis Sacerdotibus nos*
traè diœcesiSy salutem et bènedictionem.
Felicis mémorise clecessores nostri illustridsimi ac
reverendissîmi domini Goillelmus deBergbes^ Fran*
cisGUs Yanderbork, et Gaapar Nemius, Manuaii per*-
ficiettdo omnèm operam multa cum laude dederent*
Verùim quotidiaoo pastoram usu jampridem dè^
trîta faccnt penè omnia qu» excusa erant exem*
plaria^ Undé novam editionem approperari necesM
est« Neqùe tàmen est «nimus MàHuale à veteri diver-^
sum înstituere : imè majorum vestigiis insistere^eo-
rumquâ pkcita «mpleéti juimt. Paucissima tantùm
oGCtttront ^am temporum diversitaii accommodaoda
«aie vidéâtur» Absit verà ut ia hoc privatte opinioni
quidquam indtdserimus. Insignes siquidem viri ea
nostra metropolitana Ecclesîa delecti^ quorum pe**
ritii^ sagacitate et pietaté vioariatus uoste^ hacteilua
Aomity ea singula patriîs nloribiis aptari studuotrat.
Cseterùm, ut brevitati optandae consulatur, ali
57 a MARDBXENS.'
omni eruditione investîganda origine 1 enim , et ab
omni dogmatica dissertalione temperandum esse
duximos; hoc unum scilicet assequi studentes, ut
singula quœ in praxi passim gerenda sont, semotâ
omni specalatione, in promptu sint^ et prima fronte
perspecta habeantur. Reliqua apnd theologos, vel
bistoricos y vel rituum indagatores praestè esse pas*
tores norant.
Porrô in bis omnibus quœ sacrum ritum attinent,
duœ sunt Augustini regnlœ quas religiosè sectari ve-
limus. Altéra baec est : « Omnia.... quœ neque sanc-
» tarum Scripturarum auctoritate continentur^ nec in
» concilioepiscoporumstatuta inveniuntur, neccon-
» suetudine universœ Ecclesiœ roborata sunt, sed
» pro diversorum locorum diversis moribus innu-
» merabiliter variantur, ita ut vix aut omnino nun-
» quam inveniri possint causœ, quas in eis insti-
» tuendis homines secuti sunt^ubi facultas tribnîtur,
» sine ulla dubitatione resecanda existimo (0. » En
vides, piissime lector, resecanda esse ea omnia quae
tum omni auctoritate, tum omni causa sperandae
œdificationis omnino carent. Neque ver5 prœtexere
licet leviusculas rudis et indocilis vulgi opiniones ,
aut usus temerarios. Pronum quippe est, plebem
imperitam multa, quœ miniks décent, in divinuoi
cultum sensim invehere. Nostrum autem est hune
cultum ad purum excoquere, ne superstitio sub-
repàt, et hœretici malè insultent. Altéra hœc est
Augustini sententia, quà priorem temperari oportuit:
«c Totum hoc genus rerum libéras habet observatio-
3» nés, nec disciplina ulla est in liis melior gravi
(0 £p. I.T, adJanuor. n. 35 : tom. ii , pag. i4a.
UJlHDEMElfS. 673
)» prudenlique christiano, quàm ut eo modo agat,
» quo agere viderit Ecclesiam , ad quam forte deve-
» nerit. Quod enim neque contra fidem neque con-
» tra bonos mores esse convincitur, iDdiflerenter est
3» habendum, et propter eorum, inter quos vivitur,
)> societatem servandum est Ad quam forte Ec-
» clesiam veneris, ejas morernserva^ si cuiquam non
» vis esse scandalo, nec quemquam tibi Ipsa
» enim matatio consuetudinis, etiam quse adjuvat ùti-
)> litate^ novitate perturbât (0. >> Exquibus profectô
liquet banc esse saluberrimam Augustioi regulamy
ut ea, quae absque uUa aedificationis causa invalue-
runt , et in apertam superstitionem redundant, resecta
sinty ea verè « quae non sunt contra fidem neque
» contra bonos mores , et habent aliquid ad exbor-
3» tationem melioris vitae, ubicumque institui vide*
» mus y vel instituta cognoscimus, non solum non
31 improbemnSySed etiam laùdando et imitando sec-
» temur (s). » Quemadmodum enim coercenda est
plebis snperstitiOy ita etiam frangenda videtur recen-
tiorum criticorum audacia , qui ritum asperiori refor-
matione ita atténuant, ut velnti exsanguis et exsuc-
cus jaceat.
Hinc homines creduli, superstitionis amantes , et
aversantes interiorem cultum , quo quisque abnegat
semetipsum, ettollit crucemsuam, et Cfaristum se-
quitur, avido ore captant cœrimonias, quae suis cu-
piditatibus nihil incommodent, a Ipsam religionem ,
» ut ait Augustinus (3), quam paucissimis et mani*-
» festissimis celebrationumsacramentis misericordia
(') Ep. LIT, ad Januar, n. i, 3, 6 : pag. ia4i i^^* — (*) ^P* ^^y
adJanuar, n. 34 : pag. i4i. — O IbiU. D. 35 : pag. 143.
5^4 MAJIDEMBV8.
M Dei e«M liberam volait , servilibos oneribus pre-
n munty ut tolerabilior sit conditio Judœoruin , qui,
n etiamsi tempus libertatis non agnoverunt, legali-
» bus tamen sardnis , non humanis praesumptioni-
» bus, subjiciuntar. » De bis sanctus Doctor ita
conqueritar (0 : « Sed hoc nimis doleo , qnod multa ,
n que in di?ini$ libris saluberrimè prscepta sont,
» piinùs curantur ; et tam mukis praesumptionibns
n sic plena sunt oninia, ut gravibs corripiattir, qui
» per oclavas luas terram nudo pede tetigerit. qnàm
» qui mentem vinolentià sepeKerit.» Cum Auguslino
libens dixerim (^) : <« Hoc approbare non possum ,
» etiamsi multa hujusinodi propter nonnnllarum vel
» sanctarum vel turbulentarum personarum scan-
A dala devilanda , liberiùs improbare non andeo. »
Itaque hujusmodi ritus adventidos, qui extra riluni
ab Ecolesta in Mannalibus comprobatum temerè
▼agantiir^ dolentes quidem tolerare Gogimur, mi-
nime ver6 suademus.
Illinc critioi fastidiosi homines, dun supersti*
tionem acriùs amputant, vives piissimi cultûs rames
evellunt. Nimirum dictltant, ea singula, quse m
privatis quibusdam ecclesiis fieri soient , araputanda
esse, ut aliéna ab universali aut a puriore antiquis-
simae Rcclesi» ritu. Quasi verà universalis Ecclesia
banc rituum varietatem ratam non fecerit : quasi
verô Romana Ecclesia, cœterarum omnium mater
ac magistra, id nunquam xgrè tnlerit : quasi verô
non accepta sit apud omnes optima haec Augustini
sententia (5) : « In bis rébus in quibus nibil certi
C«) Ep. tv, atiJanuar. n. 35: pag. i4»» — (*) ftid- — O Bpûi*
xxsY I , ad Cmsuian, n. 3 : pag. 69.
MàNDEMBirS. 5^5
» slatuit Scriplura divina, mos populi Dei, vcl insti-
» tuta majorunt pro lege teDeoda sunt. De quibas si
» dtsputare voluerimnSy et ex alloram consuetudine
» alios improbare, orietar interminata luctatio. »
Prœterea nefas est minoris fâcere recentiores quàm
antiquiores Ecclesiae ritus. Neque enimEcclesia senes-
cendo minus sapit , aut Spiritu promisso sensim de-
stituîtar. Profec tenon satis catholicè sentit ^quisquis
non fatetur, pari omninoauctoritate poUere ritus in
decimo octayo ^c ritus in quarto saeculo ab Ecclesia
institutos. Immota enim stat hœc Augustinisententia
unicuique saeculo sequè aptanda : m Si quid horum
» tota per orbem frçquentat Ecclesia.... ; quin ita
» faciendum sit, disputare, insolentissim» insaniœ
» est (0. »
Itaque pastores singulos gravissimè monemus^ et
amantissimè adhortamur, ut gemino fauic officio se
totos impendant, sicuti decet ministros Christi, et
dispensatores mysteriorum DeL Scilicet ut diligentis-
simè observent ea omnia, quœ Ecclesia in Manuali
observari jubet; cœteros autem ritus, quos popu-
laris aura inconsultè usurpât, déclinent ; neque ipsi ,
obtento quovis pietatis incentive, quidquam novi et
insoliti tentare audeant. Absit verô ut in tanto munere
obeundo ab illa aurea Augustini sententia unquam
recédant (^) : « Non ergo asperè, quantum existimo,
» non duriter, non modo imperioso ista toUuntur ;
» magis docendo quàm jubendo, magis monendo
» quàm minando. Sic enim agendum est cum mul-
» titudine : severitas autem exercenda est in pcc-
(') Epist. Lîv, ad^Januar. n. 6 : pag. ia6. — (») Ep. xxu,ad AureL
n. 5 : pag. a8.
576 VÀHDBXEHS.
» cata paacomm. Et si qnid minamar , com dolore
» fiât y de Scriptaris commiiiando vindictam fbto-
» ram , ne nos ipsi in nostra potestate, sed Deos in
9 nostro lermone timeatar. Ita priùs monebnntnr
» spiritaales» vel spiritnalibos proximi, quorum anc-
» toritate , et lenissimis quidem , sed instantissimis
3» admonitionibnsy caetera multitudo frangatnr. »
Datum Cameraci , die ao Angusti , anno Domini
l^o^.
Fa. Aa. D. CAMEaAosjrsis,
PIN DU TOME DIX-HUITikVB.
TABLE
:c=a=3S|. ,w ...t
TABLE
DU TOME DIX-HUITIÈME,
• »
MANUEL DE PIETE.
Avis sur la prière et sxtr les 9Rii«cTPAUt bxcrcices Dfe
PIÉTÉ. Page 3
Prières du matiit^ l '^
Prières du soir* n'i
BÉFLEXIONS SA.INTES POUR TOUS LES JOURS
DU MOIS.
Premier jour. Sur le peu de foi qu'il y a dans le monde. 28
II. Sur Tunique chemin du ciel. 3o
HT. Sur la véritable dévotion. 3i
IV. Sur les conversions lâches et imparfaites. 33
V. Sur le bon esprit» ^i
VI. Sur la pa'tience dans les peines. 3
VIT. Sur la soumission et la conformité à la volonté de
Dieu. 37
Vin. Snr les avantages de la prière. Sq
IX. Sur l'attention à la voix de Dieu* 4^
X. Sur le bon usago des croix. ^'x
XL Sur la douceur el l'humilité. 4^
XII. Sur les défauts d'autrui. 4^^
XIII. Sur l'unique nécessaire. 4^
XIV. Sur la préparation à la mort* 4^
XV. Sur les espérances éternelles. 49
XVI. Sur notre pain quotidien. 5i
XVII. Sur la paix de Tame. 5s
XVIII. Sur les joies trompeuses. 54
Fénéloh. xviii. 3^
"v
578
XIX. Sur les mioics larmet. Page 55
XX, Sur la prndeo^ da tiède. 57
XXL Sor la confiance en Dien« 58
XXIL Sor la profondeur de la miséricorde de Dico. 60
XXIII. Sor la dooceur do joog de Jénis- Christ. 6a
XXIY. Sor la Crasse libertié. 63
XXV. Sor la détermination entière d'être à Dien. 65
XXY I. Sor la capitulation qo'on Tondroit faire arec Dieu.
66
XXV 11. Sor le bon emploi dn temps. 68
XXVnL Sor la présence de Dieo. 70
XXIX. Sor Tarnoor qoe Dieu a poor nons. 71
XXX* Sor Tamoar qoe noos devons avoir poor Dieu. 73
XXXI. Sur les senlimens de l'amonr divin. 74
MÉDITATIONS SUR DIVERS SUJETS TIRÉS DE
L'ÉCRTTLTIE SACTTE.
I. De la vraie coonoissance de l'Évangile. 76
n. Du changement de la lumière en ténèbres. 77
III. Des pièges et de la tjrannie du monde. 78
IV. Combien peu renoncent i l'amoor du monde , qui est
si digne de mépris. Ihtd.
V. Sur la véritable paix. * 79
VI. Qoe Jésus-Christ a refusé de prier pour le monde. 80
VIL Sur la fuite du monde. 81
VIII. Sur le même sujet. 8a
IX. Que, dans la voie de la perfection, les premiers sont
bien souvent atteints et devancés par les derniers. Ihid.
X. De l'amour du prochain. 83
XI. Que nous sommes venus pour servir les autres. 84
XII. De la douceur et de l'humilité de cœur. 85
XIII. De la véritable grandeur. 86
XIV. Sur quoi nous devons fonder notre joie. 87
XV. Des etfets de l'Eucharistie en nous. 88
XVI. Sur le même sujet. 89
XV II. De la confiance en Dieu. Ibéd.
TABLE. 579
XYIIl. Qu'il n'j a que Dieu qui puisse apprendre à prier.
Page' go
XI X. De Tamour de Dieu. 9 1
XX. Sur le même sujet. ga
XXI. Que rien ne sauroit manquer à celui qui s'attache à
Dieu. 93
XXII. Que Dieu doit être l'unique portion du cœur de
l'homme. 94
XXIII. De quelle manière Dieu veut être glorifié. 95
XXiy. De la douceur et humilité de coeur. 96
SNT RETIENS AFFECTIFS POUR LES PRINCIPALES FÊTES
DE L'ANNfe.
I. Pour l'Aven t. 100
II. Pour le jour de saint Thomas. toS
III. Pour le jour de Noël. 106
IV. Pour le jour de saint Jean l'EivaDgéliste. 109
V. Pour le jour de la Circoncision. 1 13
VI. Pour Séjour de l'Epiphanie. 1 15
VII. Sur la conversion de saint Paul. * 1 18
VIII. Sur la même fête de la Conversion de saint Paul. 1 ai
IX. Pour le jour de la Purification. i23
X. Pour le Carême. 136
XI. Pour le Jeudi saint. iixg
XII. Pour le Vendredi saint* i3a
XIII. Pour le Samedi saint. i35
XrV. Pour le jour de l'Ascension. i38
XV. Pour le jour de la Pentecôte. i4i
XVI. Pour la fête du saint Sacrement. i44
XVILPour la fête de sainte Madeleine. 147
XVIII. Pour le jour de l'Assomption. 148
XIX. Pour le jour de saint Augustin. 1 5 1
XX. Pour la fête de tous les Saints. 1 53
XXI. Pour la Commémoration des Morts. iSS
MÉDlTATlOirS POUR U£t MALADE. y5^
/
58o TAULE*
EXHORTATIONS ET AVIS POUR L'ADMIIVISTRA-
TION DES SACREMEHS.
ACT1CL£ PAEMlfB. Du SACEEMSAT DE BaSTÈME»
h Explication des cérémonies du Baptême en forme d'in-
struction. 167
II. Avis au parrain et à la marraine,. après l'administration
du sacrement de Baptême» 17a
Article IL Du bacrehent de Confirmatioit,
Avis d'un cnré à ses paroissiens, pour la réception dn sa-*
cremen t de Confirmation • 173
Article IIL Du sacremeat de L'EucnARiSTiE.
I. Avis d'un curé à ses paroissiens , pour les disposer à la
sainte Communion. 176
H. Bonheur de l'ame unie à Jésuf-Christ dans la sainte
Communion* 180
III. Exhortation adressée au duc de Bourgogne, au mo-
ment de sa première Commimion. 181
Article IV. Du sacrement de L'ExTRÊME-ONcnoif.
I. Manière de suggérer aux malades les actes de foi , d'es-
pérance et de charité, avant la réception de l'Extrcme*
Onction. i8i
li. Exhortations au malade, après <]u'il a reçu lé sacre-
ment de TExtréme-Onction. 184
Article Y. Du sacrement de Mariage.
Exhortation aux nouveaux mariés, 187
INSTRUCTIONS ET AVIS SUR DIVERS POINTS DE LA
MORALE ET DE LA PERFECTION CHRÉTIENNE.
I. Avis à une personne du monde, sur le bon emploi du
temps, et sur la sanctification des actions ordinaires.
'9Î
TABLE. 56 1
li. Avis à une personne de la Cour. Se permettre sans
scrupule les divertissemens attachés à son état ; les sanc-
tifier par. une intention pure. Page 198
III. Avis à une personne de la Cour. Accepter en esprit
de résignation les assnjetiissemens de son état. ao5
IV. Avis à une personne de la Cour. Des croix attachées
à un état de grandeur et de prospérité. 209
Y. Avis à une personne de la Cour, sur la pratique de la
mortification et du recueillement. ai4
VI. Avis à une personne du monde. Voir ses misères sans
trouble et sans découragement : comment il faut veiller
sur soi-même. Remèdes contre les tentations. 1 18
VII. De la présence de Dieu : son utilité, sa pratique. 2^4
VIII. Comment il faut aimer Dieu. Sur la fidélité ^^ns
les petites choses. 228
IX. Sur les conversions I&ches. ^38
X. Su;* Timitation de Jésus- Christ* ^45
XI. De l'humilité. a48
XII. Sur la violence qu'un Chrétien se doit faire conti-
nuellement. 252
XIII. Sur l'histoire du Pharisien et du Publicain : carac-
tères de la justice pharisaïque. ^54
XIV. Remèdes contre la dissipation et contre la tristesse.
260
XV. Remèdes contre la tristesse. 272
XYI. Sur la pensée de la mort. 274
XVII. ]!9écessité de connoître Dieu : cette connoissauce
est l'ame et le fondement de la solide piété. 376
XVUI. Suite du même sujet. Dieu n'est point aimé, par-
ce qu'il n'est point connu. 279
XIX. Sur le pur amour t sa possibilité , ses moii&. 307
XX. L^oubli de soi-même n'empêche pas la reconuois^auce
des bienfaits de Dieu. 3'48
XXI. Réalité de l'amour pur. L'amour inicressé et Ta-
mour désintéressé ont leur saison, 334
583 TABLE.
XXII. Ecouter la parole îat^ieore de FEsprît saint : soÎTre
rinspiration qui nous appelle k un entier dépouille-
ment. Poge 336
XXIII. Utilité des peines et des délaissemeos intérîenrs.
ITaimer ses amis qu'en Dieu et pour Dieu. 356
XXIY. Contre Thorrenr naturelle des privations et des
. dépouillemens. 364
XXy. Contre rattacbement aux lumières et aux goàis
sensibles. 365
XXVI. Sur la sécheresse et les distractions qui arrivent
dans Toraison. 370
XXYII. Avis à une dame de la Cour. Ne point bétonner
ni se déconrsger à la vue de ses dé&uls ni des défanu
dTautmi* 375
XXV III. En quoi consiste- la vraie liberté des en&ns de
Dieu : moyens de l'acquérir» 38a
XXIX.Obligation de s'abandonner k Dieu sans réserve. 584
XXX. Bonheur de Tarn e qui se donne entièrement à Dieu.
Combien l'amour de Dieu adoucit tous les sacrifices.
Aveuglement des hommes qui préfèrent les biens du
temps à ceux de l'éternité. 386
XXXI. Prière d'une aine qui désire se donner à IKen sans
réserve. I^oo
XXXII. Nécessité de renoncer à soi-même : pratique de
ce renoncement. ^02
XXXIII. Suite du même sujet, ^i6
XXXIV. Sur la conformité à la volonté de Dieu. 4^^
XXXV. Recevoir avec soumission ce que Dieu fait apa de-
hors et au dedans de nous. 4^8
XXXVI. Sur l'utilité et le bon usage des croix. 4^0
XXXVII. Il n'j a que le pur amour qui sache soufirir
' comme il faut. 4^7
XXXV III. La paix| intérieure ne se trouve que dans ou
entier^abandon à la volonté de Dieu. 44^
XXXIX. Suite du même sujet. 44-^
^ TÀVLE. 583
XL. Eo qaoi consiste la simplicité : sa pratique et ses di-
vers degrés. /'^ge 443
XLI. Sur les amitiés particulières : combien elles sont à
craindre dans les commanautés. 4^8
Ordre ancien des chapitres de Tonvrage intitulé : Divers
Sentimens et Avis chrétiens; avec l'indication des en-
droits qui leur correspondent dans cette édition. 4^
OEUVRES DE FÉNÉLON.
TROISIÈME CLASSE. — MANDEMENS.
ÂVZRTISSEBfERT DE L'ËDITEtTE. 467
r
I. Mandement pour le Jubilé de Tannée sainte 1701. 4?^
II. Mandement pour le Carême de Tannée 1704. 4?^
III. Mandement pour le Carême de Tannée 1705. 4^3
rV. Mandement pour des prières. 1 705. 4^8
y. Mandement pour le Carême de Tannée 1706. 49 ^
VI. Mandement pour des prières. 1 706. 49^
VII. Mandement pour des prières. 1706. 5oo
VIII. Mandement pour le Carême de Tannée 1 707. 5o4
IX. Mandement pour le Jubilé de Tannée 1707. 5o8
X. Mandement pour des prières. 1707. 5i3
XI. Mandement pour le Carême de Tannée 1 708. 5 16
XII. Mandement pour des prières. 1708. Sig
XIII. Mandement pour le Carême de Tannée 170g. Sii
XIV. Mandement pour des prières publiques sur la sté-
rilité. 1709." 527
XV. Mandement pour des prières. 1709. 532
XVI. Mandement pour le Carême de Tannée 1710. 536
XVII. Mandement pour des prières. 1710. 54o
XVni. Mandement pour le Carême de Tannée 171 1. 544
XIX. Mandement pour des prières. 171 1. SSo
584 TABLE.
XX.Mandenieiit poar le.Caréme de Vannée 1 7 f i.P^g,'^ 1 5
XXI. Mandement pour des prières. 1 7 1 !;t . 5 Go
XXn. Mandement pour le Carcme deTannre 1713. %lU'»
XXnf. Afandatum de Riittali edendo. ^- i
FIN DE LA TABLE OU TOME DIX BU1TIEMP..