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Full text of "Oeuvres de Fénélon"

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il 


ŒUVRES 


DE  FÉNÉLON 


TOME  xriii. 


* 


OEUVRES 


DE  FÉNÉLON , 


ARCHEVÊQUE  DE  CAMBRAI , 


PUBLIÉES  D'APRÈS  LES  MANUSCRITS  ORIGINAUX 


ET   LES  ÉDITIONS  LES  PLUS  CORRECTES  ; 


AVEC  UN  GRAND  NOMBRE  DE  PIÈCES  INÉDITES. 


TOME  XVIII. 


A  PARIS , 


DE  L'IMPRIMERIE  DE  J.-A.   LEBEL, 

IMPUIMEOR    DU    KOI. 

i8ai3. 


•        é      • 


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MANUEL 

DE  PIÉTÉ 


FéNÉLOir.  1VII1. 


MANUEL  DE  PIÉTÉ. 


AVIS  SUR  LA  PRIÈRE 

ET  SUR  LES  PRINCIPAUX  EXERCICES  DE  PlirÊ. 


^^i^*^^o^%^ 


I.  L'ExcBtLEWTE  prière  n'est  aalre  chose  que  IV 
moor  de  Diea.  L'excellence  de  cette  prière  ne  con- 
sisle  pas  dan»  la  multitude  des  paroles  (0  qae  nous 
pronoofons  ;  car  Btcq-TOimottr  nau»  avoir  besoin  de 
nos  paroles,  le  fond  de  nos  sentimens.  La  véritable 
demande  est  donc  ceUe  du  cœur,  et  le  cœur  ne  de- 
mande que  par  ses  àésin.  Prier  est  donc  désirer, 
mais  d&irer  ce  que  Dieu  veut  que  nous  d&irions! 
Celui  qui  ne  désire  pas  du  fond  du  cœur  fait  une 
prière  trompeuse.  Quand  il  passeroit  des  joarnées 
entières  à  réciter  des  prières,  ou  à  méditer,  ou  à 
s'exciter  à  des  sentimens- pieux,  il  ne  prie  point  vé- 
ritablement s'il  ne  désire  pas  ce  qu'il  demande. 

II.  O  qu'il  y  a  peu  de  gens  qui  prient!  car  où  sont 
ceux  qui  désirent  les  véritables  biens?  Cesltiens  sont 
les  o-oix  extérieures  et  intérieures,  l'humiliation 
le  renoncement  à  sa  propre  volonté,  la  mort  à  soi- 
même,  le  règne  de  Dieu  sur  les  ruines  de  l'amonr- 
propre.  Ne  point  désirer  ces  choses,  c'est  ne  prier 
point  :  pour  prier  il  faut  les  désirer  sérieusement. 


ET    LES    EKERCICES    DE-  PIÉTÉ.  9 

sais  quoi  qui  opère  plas  que  tous  les  raisonnemens.. 
On  voit  une  vérité,  on  Taime,  on  s'y  repose;  elle 
fortifie  le  cœur,  elle  nous  détache  de  nous-mêmes  : 
il  y  faut  demeurer  en  paix  tout  aussi  long  -  temps 
qu'on  le  peut. 

Xiy.  Pour  la  manière  de  méditer,  elle  ne  doit  être 
ni  subtile,  ni  pleine  de  grands  raisonnemens;  il  ne 
faut  que  des  réflexions  simples,  naturelles,  titres 
immédiatement  du  sujet  qu'on  médite. 

Il  faut  méditer  peu  de  vérités  et  les  méditer  à  loi- 
sir, sans  effort,  sans  chercher  des  pensées  extraor- 
dinaires. 

On  ne  doit  considérer  aucune  vérité  que  par  rap- 
port  à  la  pratique.  Se  remplir  d'une  vérité  sans 
prendre  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  la  suivre 
fidèlement ,  quoi  qu'i.1  en  coûte,  c'est  vouloir  retenir^ 
comme  dit  saint  Paul  {})^la  vérité  dans  VinjusUce; 
c'est  résister  à  cette  vérité  imprimée  en  nous,  et  par 
conséquent  au  Saint-Esprit  même  C^).  C'est  la  plus 
terrible  de  toutes  les  infidélités. 

Xy .  Pour  la  méthode  de  prier ,  on  doit  la  faire  dé- 
pendre de  l'expérience  qu'on  a  là*dessus.  Ceux  qui 
se  trouvent  bien  d'une  méthode  exacte  ne  doivent 
point  s'en  écarter  :  ceux  qui  ne  peuvent  s'y  assujettir 
doivent  respecter  ce  qui  sert  utilement  à  tant  d'au* 
très,  et  que  tant  de  personnes  pieuses  et  expérimentées 
ont  tant  recommandé.  Mais  enfin ,  comme  les  métho- 
des sont  faites  pour  aider,  et  non  pour  embarrasser; 
quand  elles  n'aident  point,  et  qu'elles  embarrassent, 
il  faut  les  quitter. . 

XVL  La  plus  naturelle  dans  les  commencemens 

(0  Bom,  1. 18.  —  C*)  AgL  vu.  5. 


lO  SUA   LA    PKlàaB 

eit  de  prendre  un  livre,  quon  quitte  quand  on  se 
sent  recueilli  par  Tendroit  qu*on  vient  de  lire,  et 
qu'onreprend  quand  cetendroit  ne  fournit  plus  xien 
ppur  se  nounir  intérieurement.  En  général ,  il  est 
certain  que  les  vérités  que  nous  goûtons  davantage 
et  qui  nous  donnent  une  certaine  lumière  pratique 
pour  les  choses  que  nous  avons  k  sacrifier  à  Dieu  , 
sont  celles  où  Dieu  nous  marque  un  attrait  de  grâce 
qu  il  faut  suivre  sans  hésiter.  L'Esprit  souffle  où  it 
veut  (0;  oU  il  est,  là  est  aussi  la  liberté  (^). 

Dans  la  suite  on  diminue  peu  à  peu  en  réflexions 
et  en  raisonnemens;  les  sentimens  affectueux,  les 
vues  touchantes,  les  désirs  augmentent  ;  c'est  qu*on 
est  assez  instruit  et  convaincu  par  l'esprit.  Le  cœur 
goûte,  se  nouiTit,  s'écliauiiè,  s*enflanune^  il  ne  faut 
qu'un  mot  pour  occuper  long- temps. 

Xyil.  Enfin  l'oraison  va  toujours  croissant  par  des 
vues  plus  simples  et  plus  fixes,  en  sorte  qu'on  n'a 
plus  besoin  d'une  si  grande  multitude  d'objets  et  de 
considérations.  On  est  avec  Dieu  comme  avec  un  ami. 
D'abord  on  a  mille  choses  à  dire  à  son  ami ,  et  mille 
à  lui  demander;  mais,  dans  la  suite,  ce  détail  de  con-r 
versation  s'épuise,  sans  que  le  plaisir  du  commerce 
puisse  s'épuiser.  On  a  tout  dit;  mais,  sans  se  parler, 
on  prend  plaisir  à  être  ensemble,  à  se  voir,  à  sentir 
qu^on  est  l'un  auprès  de  l'autre,  à  se  reposer  dans  le 
goût  d'une  douce  et  pure  amitié  :  on  se  tait;  mais, 
dans  ce  silence,  on  s'entend.  On  sait  qu'on  est  d'ac« 
cord  en  tout,  et  que  les  deux  cœnrs  n'en  font  qu'un; 
l'un  se  verse  sans  cesse  dans  l'autre. 

XVIII.  cVest  ainsi  que  dans  l'oraison  le  commerce 

(«'  Joan,  III.  8.  —  '*)  //  Cor,  Mu  17. 


ET    LES    £XeRClC£S   DE  PIÉTÉ.  I  C 

avec  Dieu,  parvient  à  une  union  simple  et  familière 
qui  estau-delà  dé  tout  discours.  Mais  il  faut  que  Dieu 
fasse  uniquement  par  lui-même  celte  sorte  d*oraison 
en  nou»;  et  rien  ne  seroit  ni  plils  téméraire  ni  plus 
dangereux  que  d'oser  s'y  introduire  soi-même*  Il  faut 
se  laisser  conduire  pas  à  pas  par  quelque  personne 
qui  connoisse  les  voies  de  Dieu ,  et  qui  pose  long- 
temps les  fondemens  inébranlables  d'une  exacte  in- 
slruction  et  d'une  entière  mort  à  soi-même  dans  tout 
ce  qui  regarde  les  mœurs. 

XIX.  Pour  les  reti*aite8  et  la  fréquentation  des  sa- 
cremens ,  il  faut  se  régler  par  les  avis  de  la  personne 
en  qui  on  pfeiid  confiance.  Il  faut  avoir  égard  à  ses 
besoins,  àTeiTet  qt^ela  communion  produit  en  noue:, 
et  à  beaucoup  d'autres  circoostanoes  propres  à  cha- 
que personne. 

XX.  Les.retiaites  dépendent  du  loisir  et  dm  besoin 
oh  l'on  se  trouve.  Je  dis  du  besoin  >  parce  qu'il  faut 
être  sur  la  nourriture  de  l'ame  comme  sur  celle  du 
corps  :  quand  on  ne  peut  supporter  un  travail  sans 
une  certaine  nourriture ,  il  faut  la  prendre;  autre- 
ment on  s'e^cpose  à  tomber  en  défiliilànce.  J'a)oute  le 
loisir,  parce  que»  excepté  ce  besoin  absolu  de  nour- 
riture dont  nous  venons  de  pairler  y  il  faut  remplir  ses 
devoirs  plutôt  que  de  suivre  son  goût  deiërveur.  Un 
homme  qui  se  doit  au  public ,  et  qui  passeroit  le 
temps  destiné  à  ses  fonctions  à  méditei'  dans  la  re- 
traite, manqueroit  h  Dieu  en  s'imaginant  s'unira  lui. 
La  véiHtable  union  à  Dieu  est  de  faire  sa  volonté  sans 
relâche,  et  malgré  tous  dégoûts  naturels,  dans  tous 
les  devoirs  les  plus  ennoyejix  et  les  plus  pénibles  de 
son  état. 


'^  SUR    LA    raiEAE 

XXL  Pour  les  précautions  contie  la  dissipation, 
les  voici  en  gros  :  c'est  de  fuir  tous  les  commerces  de 
suite  et  de  confiance  avec  des  gens  dans  des  maximes 
contraires  à  la  piété,  surtout  quand  ces  maximes 
contagieuses  nous  ont  autrefois  séduits.  Elles  rouvri- 
ront encore  facilement  nos  plaies;  elles  ont  même 
une  intelligence  secrète  au  fond  de  notre  cœur;  nous 
y  avons  un  conseiller  doux  et  flatteur,  toujours  prêt 
à  nous  aveugler  et  à  nous  trahir. 

XXII.  Voulez- vous,  dit  le  Saint-Esprit  (0,  juger 
d'un  homme?  observez  quels  sont  ses  amis.  Com- 
ment celui  qui  aime  Dieu,  et  qui  ne  veut  plus  rien 
aimer  que  pour  lui,  auroit-il  pour  amis  intimes  ceux 
qui  n*aiment  ni  né  connoissent  point  Dieu,  et  qui 
regardent  son  amour  comme  une  foiblesse?  Un  cœur 
plein  de  Dieu,  et  qui  sent  sa  propre  fragilité,  peut-ii 
jamais  être  en  repos  et  à  son  aise  avec  des  gens  qui 
ne  pensent  sur  rien  comme  lui,  et  qui  sont  k  tout 
moment  en  état  de  lui  ravir  tout  son  trésor?  Le  goût 
de  telles  gens  et  le  goût  que  donne  l&  foi  sont  incom- 
patibles. 

XXIIL  Je  sais  bien  qu'on  tie  peut  et  qu'on  ne  doit 
pas  même  rompire  avec  certains  amis  auxquels  on 
s'est  lié  par  l'estime  de  leurs  bonnes  qualités  natu- 
relies»  par  leurs  services,  par  l'engagemeqt  d'une  sin- 
cère amitié,  ou  enfin  par  la  bienséance  d'un  com- 
merce honnête.  On  pique  jusqu'au  vif  d'une  manière 
dangereuse  les  amis  auxquels  on  ôte  sans  mesure 
une  certaine  familiarité  et  une  confiance  dont  ils 
sont  en  possession  :  mais ,  sans  rompre  et  sans  dé- 
clarer son  refroidissement,  on  peut  trouver  des  ma- 

i^)Eccli.  XIII.  20. 


ET    LES    MERC1CE5    DE    PIÉTÉ.  li 

nières  douces  et  insensibles  de  modérer  ce  commerce. 
On  les  voit  en  particulier;  on  les '  distingue  des 
demi -amis;  on  leur  ouvre  son  cœur  sur  certaines 
choses  oh  la  probité  et  Tamitié  mondaine  suffisent 
pour  les  mettre  k  portée  de  donner  de  sages  conseils, 
et  de  penser  comme  nous,  quoique  nous  pensions  les 
mêmes  choses  qu'eux  par  des  motifs  plus  purs  et  plus 
relevés  ;  enfin  on  les  sert ,  et  on  continue  tous  les 
soins  d'une  amitié  cordiale  sans  livrer  son  cœur. 

XXIV.  Sans  cette  précaution  tout  est  en  péril  ; 

et  si  on  ne  prend  courageusement,  dès  les  premiers 

jours,  le  dessus,  pour  se  rendre,  dans  sa  piété,  libre 

et  indépendant  de  ces  amis  profanes,  c'est  une  piété 

qui  menace  ruine  prochaine.  Si  un  homme  qui  est 

obsédé  par  de  tels  amis  est  d'un  naturel  fragile,  et  si 

ses  passions  sont  faciles  à  enflammer,  il  est  certain 

que  ces  amis,  même  les  plus  sincères,  le  rentratne- 

ront.  Ils  sont,  si  vous  voulez,  bons,  honnêtes,  pleins 

de  fidélité  et  de  tout  ce  qui  rend  l'amitié  parfaite  selon 

le  monde  :  n'importe;  ils  sont  empestés  pour  lui  : 

plus  ils  sont  aimables,  plus  ils  sont  à  craindre.  Pour 

ceux  qui  n  ont  point  ces  qualités  estimables  ,  il  faut 

les  sacrifier,  trop  heureux  qu'un  tel  sacrifice,  qui 

doit  coûter  si  peu,  nous  vaille  une  sûreté  si  précieuse 

pour  notre  sâlut  éternel  ! 

XXy .  Outre  qu'il  faut  donc  choisir  avec  un  grand 
soin  les  personnes  que  nous  voyons,  il  faut  encore 
nous  réserver  les  heures  nécessaires  pour  ne  voir  que 
Dieu  dans  la  prière.  Les  gens  qui  sont  dans  des  em- 
plois considérables  ont  tant  de  devoirs  indispensables 
à  remplir,  qu'il  ne  leur  reste  guère  de  temps  pour 
être  avec  Dieu,  à  moins  qu'ils  ne  soient  bien  appii- 


l4  ^^^    LA.    PBIÈIIE. 

qiiés  à  Diënager  leur  temps.  Si  peu  qu'on  ait  Je  pente 
à  s*amusei%  on  ne  retrouve  plus  les  heu iH^s  destinées 
ni  pour  Dieu  ni  pour  le  prochain. 

Il  faut  donc  tenir  ferme  pour  se  faire  une  règle* 
La  rigidité  à  Tobserver  semble  excessive  ;•  mais  sans 
elle  tout  tombe  en  confusion  :  on  se  dissipe  ^  on  se 
relâche  9  on  pei*d  ses  forcesy  on  s^éloigne  insensible- 
ment de  Dieu ,  on  se  livre  à  tous  ses  goàts^  et  on  ne 
commence  à  s^apercevoir  de  régarément  où  Ton 
tombe^  que  quand  on  y  est  déjà  tombé  jusqu^À  n^oser 
plus  espérer'  d'en  pouvoir  revenir. 

Prions,  prions.  La  prière  est  notre  unique  salut. 
Béni  soil  le  Seigneur,  qui  ri  a  point  retiré  de  moi  ni 
'  ma  prière  ni  sa  miséricorde  (0.  Pour  être  fidèle  à 
prier,  il  faut  être  fidèle  à  régler  touteslesoccupations 
de  sa  tournée  avec  une  fermeté  que  rien  n'ébranle  }a* 
mais. 


PRIÈRES  DU  MATIN. 


^^%%^^^W»<^%^»'*^|'^>*)*<«** 


n  Vehss  y  ré)ooissoiis-4ioos  «m  Seigiienr«  C'est  de*- 
»  vant  Dieu  tfotre  Sauteur  que  notre  joie' doit  écla* 
»  ter.  PréscntoiMHiioas  devant  sa  face  j  admirons  sa 
»  grandenri  et  chantons  ses  looançes;  carie  Seigneur 
»  est  le  grand  Dien ,  le  grand  roi  élevé  au^essus  de 
»  toute  puissance.  Il  n*a  point  rejeté  son  peuple ,  lui 
»  qui  tient  dans  sa  main  toute  IVtendue  de  l'univers, 
»  et  qui  voit  les  fondemens  caches  des  montagnes. 
»  La  mer  est  à  lui^^  c'est  lui  qui  Ta  faite  ;  ses  mains 
»  ont  fondé  la  terre.  Veoez  ^  adorqns-le  :  prosternons- 
»  nous  à  ses  pieds  ;  pleurons  devant  le  Seigneur.  C'est 
»  lui  qui  nous  a  faits;  c'est  lui-même  qui  est  notre 
»  Seigneur  et  notre  Dieu  ;  nous  sommes  son  peuple, 
w  et  son  troupeau  qu'il  nourrit  dans  ses  pâturages. 
»  Aujourd'hui  si  vous  entendez  sa  voix,  gardez-vous 
M  bien  d'endurcir  vos  cœurs,  de  peur  de  l'irriter, 
>i  comme  au  jour  où  le  peuple  le  tenta  dans  le  désert. 
»  C*est  là,  dit- il,  oh  vos  pères  m'ont  tenté  pour 
»  m  éprouver ,  et  ils  dirent  mes  oeuvres*  Pendant 
»  çuaYante  ànx\,  je  me  suis  tenu  tout  auprès  de  ce 
M  peuphy  et  J'ai  dit  :  Leuv^  àioeurs  sont  toujours  éga^ 
»  résiils  n'ont  point'  ôonnu  mes  voie^j  selon  leS'- 
»  quelles  foi  juré  dans  ma  colère  qu'ils  n'entreroiertt 
»  point  dans  mon  repos' {^).  » 

Hélas!  Seigneur^  faut-il  s'étonner  de  ce  que  nous 
n'entrons  point  dans  det  aimable  repos  de  vos  en- 
fens?  Nous  avons  péché  contre  toute  votre  justice, 

CO  Pi.  xciv. 


l6  PRIÈRES    DU    ItATIN. 

et  notre  péchë  s*élève  toujours  contre  nous.  La  foi 
n'a  point  été  notre  lumière,  Tespérance n'a  point  ëtë 
notre  consolation ,  l'amour  n'a  point  été  notre  vie. 
Nous  avons  couru  après  la  vanité  et  le  mensonge  ; 
nos  paroles  ont  été  fausses  et  malignes;  nos  actions 
ont  été  sans  règle  ;  nous  avons  vécu  comme  s'il  n'y 
avoit  point  une  autre  vie  après  celle-ci.  Chacun  n'a 
aimé  que  soi ,  au  lieu  de  ne  s'aimer  que  pour  l'a- 
mour de  vous.  Quelle  lâcheté!  quelle  ingratitude! 
quel  abus  de  la  patience  de  Dieu  et  du  sang  de  Jésus- 
Christ  ! 

Examinons  notre  conscience  j  et  écoutons  Dieu  au 
fond  de  notre  cœur ,  pour  nous  connottre  sans 
nous  Jlatter. 

Je  me  confesse  à  Dieu  tout-puissant,  à  la  bienheu- 
reuse Vierge  Marie ,  à  tous  les  anges ,  à  tous  les 
saints,  et  à  vous,  etc.,  parce  que  j'ai  péché  par  ma 
faute,  par  ma  faute,  par  ma  très-grande  faute.  C'est 
pourquoi  je  prie  tous  les  amis  de  Dieu,  du  ciel  et  de 
la  terre ,  d'intercéder  pour  m' obtenir  la  rémission  de 
toutes  mes  fautes. 

O  Dieu ,  j'ai  horreur  de  moi  ;  je  déteste  tous  mes 
péchés  pour  l'amour  de  vous,  et  parce  qu'ils  vous  dé- 
plaisent. O  beauté  si  ancienne  et  toujours  nouvelle  ! 
pourquoi  faut-il  que  je  commence  si  tard  à  vous 
aimer  !  Plutôt  mourir  que  de  vous  offenser  le  resle 
de  ma  vie.  Lavez-moi  dans  le  sang  de  l'Agneau.  For- 
tifiez moii  cœur  contre  toutes  les  tentations  de  cette 
journée.  Que  je  marche  en  votre  présence  ;  que  j'a- 
gisse dans  la  dépendance  de  votre  Esprit.   * 

Notre 


PRlfe&£S    DU    MATIM.  I7 

NoTAE  Père  qui  êtes  aux  deux,  que  votre  nom  soit 
sanctifie  ;  que  votre  royaume  nous  arrive  ;  que  ^otre 
volonté  soit  faiteen  la  terre  comme  au  ciel f  donnez- 
nous  aujourd'hui  notre  pain  <]u6tidien  ;  et  pardonnez* 
nous  nos  ofifenses,  comme  nous  pardonnons  à  ceux 
qui  nous  ont  offenses  :  et  ne  nous  induisez  poi^t  en 
tentation  ;  mais  délivrez-nous  du  mal.  Ainsi  soit^il. 

Je  vous  salue  y  Marie,  pleine  de  grâce;  le  Seigneur 
est  avec  vous;  vous  êtes  bénite  entre  les  femmes,  et 
béni  est  le  fruit  de  votre  ventre ,  Jésus.  Sainte  Marïe, 
mère  de  Dieu,  priez  pour  nous  pécheurs,  mainte- 
nant et  à  rheure  de  notre  mort.  Ainsi  soit-il. 

Je  crois  en  Dieu  le  Père  tout-puissant,  créateur  du 
ciel  et  de  la  terre  ;  et  en  Jésus-Christ,  son  Fils 
unique,  notre  Seigneur;  qui  a  été  conçu  du  Saint- 
Esprit,  né  de  la  Vierge  Marie;  a  souffert  sons  Ponce 
Pilate  ;  a  été  crucifié,  mort  et  enseveli  ;  est  descendu 
aux  enfers  ;  le  troisième  jour  est  ressuscité  d'entre 
les  morts;  est  monfé  au  ciel;  est  assis  à  la  droite  de 
Dieu  le  Père  tout-puissant;  de  ïk  viendra  juger  les 
vivans  et  les  morts.  Je  crois  au  Saint-Esprit  ;  la  sainte 
Église  catholique;  la  communion  des  saints;  la  ré- 
mission des  péchés;  la  résurrection  de  la  chair;  la 
vie  éternelle.  Ainsi  soit-il. 

Ayez  pitié  de  no|is.  Seigneur,  Père,  Fils,  Saint* 
Esprit;  Dieu  unique  en  trois  personnes  égales. 

Fils  de  Dieu,  splendeur  de  la  glpire  du  Père,  et 
le  caractère  de  sa  substance ,  ayez  pitié  de  nous. 

Fils  de  pieu ,  qui  portez  l'univers  par  votre  pa- 
role toul^puissante ,  ayez  pitié  de  nous. 

FtuéLON.  Tviii.  2 


i8  smiknEs  du  mativ. 

FiU  de  Dieu ,  sans  usurpatioD  ëgal  i  votre  Père  , 
ayez  pitié  de  noos. 

Sages&  étemelle,  pour  qni  la  création  de  Funi- 
▼ers  n*a  été  qu  un  jea ,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus  y  Tattente  du  monde,  et  le  Désiré  des  na- 
tion», ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  montré  de  loin  par  les  prophètes,  et  an* 
nonce  par  les  apôtres  jusqu'aux  extrémité  de  la 
terre ,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  à  qui  le  Père  a  donné  pour  héritage  toutes 
les  nations,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  commencement  et  fin  de  tout;  source  de 
nos  vertus,  et  objet  de  nos  désirs ,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus  y  sauveur  de  tous  les  hommes,  et  surtout  des 
fidèles,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  Prince  de  paix,  et  Père  du  siècle  futur, 
ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  auteur  et  consommateur  de  notre  foi,  ayez 
pitié  de  nous. 

Jésus,  Pontife  compatissant  à  nos  infirmités,  mais 
sans  tache ,  et  plus  élevé  que  les  cieux,  ayez  pitié 
de  nous. 

Jésus ,  voie  qui  nous  mène  à  la  vérité ,  vérité  qui 
nous  promet  la  vie ,  vie  dont  nous  vivrons  à  jamais 
dans  le  sein  du  Père,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus ,  fontaine  d'eau  vive,  qui  rejaillit  jusqu^à  la 
vie  étemelle ,  ayez  pitié  de  nous. 

SésM ,  eau  pure  qui  désaltère  à  jamais  les  coeurs , 
et  qui  éteint  tout  désir,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  lumière  qui  illumine  tout  homme  venant 
au  monde,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  lumière  qui  se  lève  sur  les  pelles  assis 


dan»  la  région  de  Tombre  de  la  mort ,  ayez  pitié  de 
notts. 

Jésus,  pierre  angulaire  qui  porte  et  qui  unit^tout 
IVdifice  de  la  maison  de  Dieu ,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus ,  dont  la  parole  est  nôtre  doctrine  y  la  vie 
notre  modèle ,  et  la  grâce  notre  unique  ressourcé, 
ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  qui  enrichissez  les  hommes  do  trésor  de 
votre  pauvreté ,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  Dieu  visible  et  familiarisé  avec  nous  pour 
nous  diviniser,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  notre  pain  quotidien  au-dessus  de  toute 
substance ,  ayez  pitié  dé  nous. 

Jésus ,  pain  descendu  du  ciel  pour  donner  la  vie 
au  monde,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  véritable  manne,  qui  a  tous  les  goûts  pour 
un  cœur  pur,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus ,  qui  n*aviez  pas  même  de  quoi  reposer  votre 
tête ,  pendant  que  vous  nourrissiez  au  déseit  tant  de 
milliers  d'hommes  d\in  paiti  miraculeux,  ayez  pitié 
de  nous. 

Jésus,  qui  guérissiez  toutes  les  langueurs  du  corps 
pour  préparer  la  guérison  des  plaies  de.  nos  âmes, 
ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  qui  faisiez  voir  les  aveugles,  ^tendre  les 
sourds,  marcher  les  boiteux,  et  qui  ressuscitiez- les 
morts,  pour  convertir  les  pécheurs,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  homme  de  douleurs,  rassasié  d'opprobres 
pour  nous  faire  entrer  dans  votre  gloire,  ayez  pitié 
de  nous. 

Jësus,  qui  avez  attiré  tout  à  vous,  après  que  vous 
avez  été  élçvé  sur  la  croix,  ayez  pitié  de  nous.- 


V 


aO  PJllÈliBS    DU    MATUr. 

Jésus  y  dont  la  mort  nous  Sait  moarir  au  péché ,  et 
dont  la  résarrection  nous  fait  vivre  à  la  grâce ,  ayes 
pitié  de  nous* 

Jésus  f  monté  à'ia  droite  du  Père,  pour  y  élever 
nos  cœurs  ^  et  pour  transporter  notre  conversation 
au  ciel,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  qui  avez  envoyé  votre  Esprit  de  vérité  pour 
conduire  tous  les  jours ,  jusqu'à  la  consommation  du 
siècle,  rÉglise  votre  épouse  sans  ride  et  sans  lâcher 
ayei^  pitié  de  nous. 

Jésus ,  qui'  nous  avez  faits  vos  amis ,  vos  enians , 
voe  membres,  pour  nous  faire  régner  avec  vous  sur 
le  même  trône,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  qui  nous  entr*ouvrez  déjà  les  portes  de  la 
céleste  Jérusalem,  où  Dieu  sera  lui*méme  son  temple, 
et  où  nous  n  aurons  plus  d'autre  soleil  que  vous ,  ayez 
pitié  de  nous. 

JéBus,  qui  nous  enivrerez  du  torrent  de  vos  dé- 
lices  dès  que  nous  verrons  la  face  du  Père  au  séjour 
de  la  paix,  ayez  pitié  de  nous* 

Jésus*,  qui  nous  avez  acquis  par  votre  croix  ce 
royaume  céleste  où  vous  essuierez  les  larmes  de  nos 
yeux,  où  il  n'y  aura  plus  de  mort,  où  les  douleurs 
et  les  gémissemens  s'enfuiront  loin  de  nous ,  ayez 
pitié  de  nous. 

Jésus,  courage  des  martyrs,  et  patience  des  oon«» 
fesseurs,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  société  des  solitaires  an  désert,  et  science 
des  docteurs  de  l'Eglise ,  ayez  pitié  de  nous. 

Jésus,  époux  des  vierges,  couronne  des  justes 
et  pénitence  des  pécheurs  convertis ,  ayez  pitié  de 
nous. 


ÏRIEKES    DU    MAZl». 


21 


Agneau  qui  effacez  les  péchés  du  jononae,  ayez 
pitié  de  nous. 

Seigneur,  après  nous  avoir  confondus  par  la  vue 
de  DOS  misères  y  consolez-nous  parcelle  de  vos  misé- 
ricordes :  faites  que  nous  commencions  aujourd'hui 
à  nous  corriger,  à  nous  détacher,  à  fuir  les  faux  biens 
qui  sont  pour  nous  de  véritables  maux,  à  ne  croire 
que  votre  vérité,  k  n'esp^er  que  vos  promesses,  à 
ne  vivre  que  de  votre  amour.  Donnez,  et  nous  vous 
rendrons^  soutenez-nous  contre  notre  foiblesse.  O 
jour  précieux,  qui  sera  peut-être  le  dernier  d'une 
vie  si  courte  et  si  fragile  !  O  heureux  jour^  sMl  nous 
avancé  vers  celui  qui  n*aura  point  de  (in  \ 

Sainis  an^ ,  à  qui  noqs  sommes  confiés ,  condui- 
sea-noua,  comme  par  la  main,  dans  la  voie  de  Dieu, 
de  peur  que  nos  pieds  ne  bçurtent  contre  quelque 
pierre. 

O  Dieu,  donnez  votre  amour  aux  vivans,  et  votre 
paix  aux  morts. 


PRIÈRES  DU  SOIR 


«  Venez,  vous  tôu^  qui  servez  le  Seigneur,  hé^ 
»  nissez  maintenant  son  saint  nom.  Venez,  6  vous 
»  qui  demeurez  dans  la  maison  de  Dieu,  et  qui  êtes 
»  assemblés  autour  du  lien  saint.  Pendant  la  nuit , 
»  levez  vos  mains  vers  le  samctuaire,  et  bénissez  le 
»  Seigneur.  Que  le  Seigneur,  créateur  du  ciel  et  de 
9  la  terre,  répande  du  haut  du  Sion  sa  bénédiction 
n  sur  vous  tous  C').  » 

Seigneur,  ouvrez-nous  les  yeux,  de  peur  que  nous 
ne  nous  endormions  dans  la  mort.  Hélas!  cette 
journée  n'a-t-elle  pas  été  vide  de  bonnes  œuvres? 
Elle  auroit  pu  nous  mériter  Féternité ,  et  nous  Ta- 
vous  perdue  en  vains  amusemens.  Peut-être  est-elle 
la  dernière  d*une  vie  indigne  de  toute  miséricorde. 
O  homme  insensé!  peut-être  que  cette  nuit  Jésus- 
Christ  viendra  à  la  hâte  pour  te  redemander  cette 
ame,  qui  est  Tirnage  de  Dieu  tout- puissant,  toute 
de'figurée  par  le  péché,  O  Seigneur,  faites  que,  pen- 
dant notre  sommeil  même,  votre  amour  veille  pour 
nous,  et  qu'il  fasse  la  garde  autour  de  notre  cœur. 

Examinons  notre  conscience,  comme  si  n<nis  étions 
assurés  d^aller  dans  ce  moment  parottre  devant 
Dieu. 

Je  suis  Tenfant  prodigue.  Je  me  suis  égaré  dans 
une  terre  étrangère;  fy  ai  perdu  tout  mon  héritage; 

{^)Ps,  ClllJJt. 


je  in*y  sais  noorri  comme  les  animaux  les  plus  vils 
et  les  plus  grossiers  :  me  voilà  afiamé  et  meudiaDt. 
Mais  je  sais  ce  que  je  ferai;  je  retournerai  vers  mon 
père^  et  je  lui  dirai  :  O  père,  )*ai  péché  contre  le 
ciel  et  contre  vous.  N'êtes  -Vous  pas  le  boa  pasteur 
qui  laisse  tout  son  troupeau  pour  courir  au  milieu 
du  désert  après  une  seule  brebis  égarée?  N'est-ce  pas 
vous  qui  m*avez  appris  que  tout  le  ciel  est  en  joie 
sur  un  seul  pécheur  qui  fait  pénitence  ?  Ne  méprisez 
donc  pas  un  cœur  contiit  et  humilié. 

Je  me  confesse  à  Dieu  tout^puissant ,  etc. 
Notre  Père  qui  êtes  aux  deux,  etc. 
Je  vous  salue,  Marie,  etc. 

le-  croîs  en  Dieu  le  Père  tout- puissant,  etc., 
comme  ci-dessus  ,  pag*  16  et  1 7. 

Ayez  pitié  de  nous,  Seigneur,  Père,  Fils,  Saint- 
Esprit  ;  Dieu  unique  en  trois  personnes  égales. 

Marie,  mère  de  Dieu,  et  toujours  vierge  quoique 
mère ,  priez  pour  nous. 

Marie,  qui  êtes,  bien  plus  qu'Eve,  la  mère  des  vi- 
vans,  priez  pour  nous. 

Marie ,  qui  avez  réparé  tous  les  maux  que  la  pre- 
mière femme  avoit  fait  entf er  dans  le  monde ,  priez 
pour  nous. 

Marie,  qui  nous  avez  donné  le  vrai  fruit  de  vie, 
plus  précieux  que  celui  du  paradis  terrestre,  priez 
pour  nous» 

Vierge,  qu'un  prophète montroit  de  loin  mettant 
au  monde  le  Fils  du  Très-haut ,  priez  pour  nous. 


a4  PRIERES    DU    S01R« 

Marie  y  qu'un  ange  descendu  du  ciel  salua  avec 
admiration ,  comme  étant  pleine  de  grâce  et  élevëe 
au--de8su&  de  toutes  les  femmes ,  priez  pour  nous. 

Marie,  dont  la  pudeur  virginale  fut  alarmée  k  la 
vue  même  d*un  ange  ^  ppiez  pour  nous. 

Marie,  qui  demeurâtes  tranquillement  abandonnée 
à  Dieu  y  quoique  votre  maternité  inoomprébensible 
vous  exposât  au  dés^ionneur  et  à  une  punition  de 
mort,  priez  pour  nous. 

Marie  y  qui  allâtes  d'abord  communiquer  les  dons 
de  Dieu  à  Elisabeth  votre  sainte  parente ,  priez  pour 
nous. 

Marie,  qu'Elisabeth  ne  put  recevoir  sans  s'écrier  : 
D'où  me  vient  que  la  Mère  de  mon  Seigneur  fasse  des 

pas  vers  moi?  pries  pour  nops. 
.  Marie,  qui  disiez  dans  un  saint  transport:  Voilà 
que  tous  les  siècles  me  déclareront  bienheureuse , 
car  le  Tout-puissant  a  fait  en  moi  de  grandes  choses, 
priez  pour  nous. 

Marie,  qui  rendiez  gloire  à  Dieu  de  ce  qu'il  avoit 
abattu  les  grands,  et  relevé  les  petits;  comblé  de  biens 
les  pauvres  affamés,  et  aiTamé  les  riches  superbes, 
priez  pour  noiis. 

Marie,  qui  voyant  l'enfant  Jésus  annoncé  par  les 
anges,  montré  par  l'étoile ,  adoré  par  les  Mages  dans 
une  crèche,  conserviez*  ces  choses,  les  repassant 
dans  votre  cœur,  priez  pour  nous. 

Marie,  qui,  étant  toujours  vierge,  voulûtes  néan- 
moins être  purifiée  comme  toutes  les  femmes  com- 
munes, priez  pour  nous. 

'Marie,  qui  apprîtes  du  saint  vieillard  Siméon  que 
votre  Fils  seroit  l'objet  de  la  contradiction  des  bom- 


VEIÈEBS    DO   son.  «  %i> 

mes,  et  qn^uD  glahre  de  douleur  perceroit  votre  aine  ^ 
pries  pour  nous, 

Marie ,  qui  en  rachetant  votre  Fils ,  selon  la  loi , 
comprîtes  qo*il  n*en  seroit*  pas  moins  sacrifié  pour 
racheter  le  monde ,  priez  pour  nous. 

Marie,  si  prompte  à  suivre  toutes  les  impressions . 
de  la  foi ,  qu'un  songe  donné  à  Joseph  vous  suffit  pour 
vous  faire  emporter  votre  divin  Enfant  en  Egypte , 
priez  pour  nous. 

Marie,  qui  demeuriez  en  paix  sans  consolation  ni 
ressource  humaine  dans  cette  terre  étrangère ,  ne  sa^ 
chant  pas  même  jusqu'à  quand  vous  y  demeureriez, 
priez  pour  nous. 

Marie,  q^i  revîntes  sans  hésiter  comme  vous  étiez 
partie  sur  un  simple  songe  mystérieux  de  vôtre  saint 
époux  y  priez  pour  nous. 

Marie ,  qui  cherchâtes  avec  douleur  Fenfant  Jésus 
demeuré  au  temple  à  Tftge  de  douze  ans  avec  les  doc* 
teurs  de  la  loi,  priez  pour  nous. 

Marie ,  qui  reçûtes  du  saint  Enfant  une  réponse 
sévère ,  parce  que  sa  mère  ne  devoit  point  se  mâer 
de  ses  travaux  pour  la  gloire  de  son  Père  céleste, 
priez  pour  nous. 

Marie,  à  qui  fut  soumis  pendant  tant  d'années  ce- 
lui qui  est  la  sagesse  éternelle  et  la  toute*puissance 
même,  priez  pour  nous. 

Marie,  qui  obtîntes  de  votre  Fils  son  premier  mi<* 
racle  aux  noces  de  Gana ,  priez  pour  nous. 

Mme,  à  qui  Jésus  fit  alors  une  réponse  austère, 
pour  apprendre  au  monde  que  vous  ne  deviez  point 
entrer  dans  le  sacré  ministère  y  quoique  vous  fussiez 
fleîae  de  grâce,  priez  pour  nous. 


a6  vAiÈaEs  du  soia. 

• 

Marie  y  qal  oioaries  ainsi  à  toute  consolation  se&« 
sible  du  côté  de  votre  Fils  même ,  priez  pour  nous. 

Marie |.  fille  de  David ,  de  Salomon,  de  tant  d'au- 
tres rois,  qui  étiez  réponse  d*un  charpentier ,  priez 
pour  nous. 

Marie  y  qui  avez  mené  une  vie  simpla,  obscure  et 
laborieuse,  dans  la  pauvreté,  votre  Fils  n'ayant  pas 
même  de  quoi  reposer  sa  tête,  priez  pour  nous. 

Marie ,  qui  ne  fîtes  ni  miracle  ni  instruction,  mais 
qui  f&tes  un  miracle  de  grâce  et  Tinstruction  de  tous 
les  siècles  par  votre  silence ,  priez  pour  nous. 

Marie,  de  qui  nous  disons,  comme  une  femme  le 
crioit  à  Jésus-Christ  :  Bienheureuses  sont  les  entrail- 
les qui  vous  ont  portée,  et  les  mamelles  qui  vous  ont 
nourrie  !  pries  pour  nous* 

Marie,  qui  suivîtes  ti^nquillement  Jésus  à  la 
croix,  pendant  que  tous  les  apôtres  épouvantés,  et 
sans  foi  aux  promesses,  étoient  en  fuite,  priez  pour 
nous. 

Marie ,  que  Jésus  mourant  confia  à  son  disciple 
bien-aimé,  pour  être  comme  sa  mère,  priez  pour 
nous* 

Marie,  qui  reçûtes  alors  comme  un  fils  ce  disciple 
bien-aimé ,  et  qui  en  fîtes  le  plus  sublime  docteur  de 
r«;mour ,  priez  pour  nous. 

Marie,  dont  les  yeux  virent  Jésus  mourant.sur  la 
croix ,  et  dont  le  cœur  fut  percé  par  le  glaive  que 
Siméon  avoit  prédit,  priez  pour  nous. 

Marie,  avec  qui  les  disciples  persévéroient  dans 
Foraison  après  Tascension  de  votre  Fils  et  la  descente 
du  Saint-Esprit  sur  eux,  priez  pour  nous. 

Marie,  dont  le  cœur  étoit  dé|à  au  ciel  avec  votre 


PElàASS   DU    SOI&.  37 

Fils  peadant  que  votre  corps  étoit  encore  sur  la  terre, 
priez  pour  noas. 

Marie ,  qui  regardez  encore  la  terre  avec  compas- 
sion,  quoique  vous  régniez  dans  le  del,  priez  pour 
nous. 

.Marie,  qui  ne  flattez  point  les  pécheurs  impéni* 
tens  et  ennemis  de  la  croix  de  votre  Fils ,  priez  pour 
nous. 

Marie,  mère  de  miséricorde  pour  tous  les  pé- 
cheurs pénitens,  priez  pour  nous. 

SaiGjfEUB,  gardez  nos  esprits  pendant  que  nous 
veillons,  et  nos  corps  quand  nous  serons  dans  le 
sommeil ,  afin  que  nous  veillions  avec  Jésus-Christ , 
et  que  nous  dormions  en  paix.  Ayez  pitié  de  notre 
foiblesse.  Envoyez  vos  saints  anges ,  ces  esprits  de 
lumière ,  pour  écarter  loin  de  vos  enfans  Tesprit  de 
ténèbres  qui  tourne  autour  de  nous,  comme  un  lion 
rugissant,  pour  nous  dévorer.  Faites  que  nous  lui 
résistions,  étant  courageux  dans  la  foi.  Donnez  la 
pénitence  aux  pécheurs ,  la  persévérance  aux  justes 
et  la  paix  aux  morts. 

Que  notre  prière  du  soir  monte  vers  vous,  Sei- 
gneur, et  que  votre  miséricorde  descende  sur  nous. 


28  '  aÉFLExioas 


RÉFLEXIONS  SAINTES 


POUH 


TOUS  LES  JOURS  DU  MOIS. 

PREMIER  JOUR. 

Sur  le  peu  de  foi  qu'il  jr  a  dans  le  monde. 

I.  Cno  YEZ-VOVS  que  le  Fils  de  l'homme  venant  sur 
la  terre  y  trouvera  de  la  foi  (0  ?  S*il  y  venoit  mainte- 
nant,  en  trouveroit-il  en  nous?  Oii  est  notre  foi?  où 
en  sont  les  marques?  Croyons-nous  que  cette  vie 
n*est  qu*un  court  passage  à  une  meilleure  ?  Pensons- 
nous  qu*il  faut  souffrir  avec  Jésus-Christ,  avant  que 
de  régner  avec  lui?  Regardons-nous  le  monde  comme 
une  figure  trompeuse,  et  la  mort  comme  l'entrée 
dans  les  véritables  biens?  Vivons-nous  de  la  foi? 
nous  anime-t-elle?  Goûtons-nous  les  vérités  éter- 
nelles qu*elle  nous  présente?  en  nourrissons-nous 
notre  ame  avec  le  même  soin  que  nous  nourrissons 
notre  corps  des  alimens  qui  lui  conviennent  ?  Nous 
accoutumons-nous  à  ne  regarder  toutes  choses  que 
selon  la  foi?  Corrigeons-nous  sur  elle  tous  nos  juge- 
mens? Hélas!  bien  loin  de  vivre  de  la  foi ,  nous  la  fai- 

(*)  Lue.  zTiii.  8. 


POUR    TOUS   LES   JOUAS    DU    MOIS.  39 

sons  moarir  dans  notre  esprit  et  dans  notre  cœur. 
Noos  jugeons  en  païens;  nous  agissons  de  même. 
Qui  croiroit  ce  qu'il  fiMit  croire ,  feroit-il  ce  que 
nous  faisons  7 

II.  Craignons  que  le  royaume  de  Dieu  ne  nous 
soit  6të,  et  ne  soit  donné  à  d'autresqui  en  produi- 
ront mieux  les  fruits.  Ce  rojaume  de  Dieu  est  la  foi^ 
quand  elle  est  régnante  et  dominante  an  milien  de 
nous.  Heureux  qai  a  des  yeux  pour  Toir  oie  royaume  f 
La  chair  et  le  sang  n'en  ont  point.  La  sagesse  de 
rhomme  animal  est  aveugle  là-dessus ,  et  veut  l'être. 
Ce  que  Dien  fait  intérieurement  lut  est  un  songe. 
Pour  voir  les  merveilles  de  ce  royaume  intérieur,  il 
faot  renaître  ;  et  pour  renaître ,  il  faut  mourir  :  c'est 
à  qnoi  le  monde  ne  peut  consentir.  Que  le  m6nde 
méprise  donc,  qu'il  condamne ,  qu'il  se  moqae  tant 
qu'il  voudra;  pour  nous,  mon  Dien,  il  nous  est  or- 
donné de  croire  et  de  goiteer  le  don.  céleste.  Nous 
voulons  être  du  nombre  de  vos  élus ,  et  nous  savons 
que  personne  ne  peut  en  être,  sans  conformer  sa  vie 
^  ce  que  vous  enseignez. 


3o  aftTLEXIOJffl 

■ 

U.  JOUR. 

Sur  l'unique  chemin  du  cieL 

L  Efforcez-fous  d'entrer  par  la  porte  étroite  i^h 
Ce  n^est  qae  par  violence  qu'on  entre  dans  le  royaume 
de  Dieu  ;  il  faut  remporter  d  assaut  ^  comme  une 
place  assiégée.  La  porte  en  est  étroite;  il  faut  mettre 
i^  la  géoe  le  corps  du  péché;  il  faut  s'abaisser»  se 
plier,  se  traîner,  se  faire  petit.  La  grande  porte  oà 
passe  la  foule»  et  qui  se  présente  toute  ouverte,  mène 
à  la  perdition.  Tons  les  chemins  larges  et  unis  doi- 
vent nous  faire  peur.  Tandis  que  le  monde  nous  rit, 
et  que  notre  voie  nous  semble  douce ,  malheur  à 
nous  !  Jamais  nous  ne  sommes  mieux  pour  Vautre 
vie,  que  quand  nous  sommes  mal  pour  celle-ci. 
Gardons-nous  donc  bien  de  suivre  la  multitude  qui 
marche  par  une  voie  large  et  commode.  Il  faut  cher- 
cher les  traces  du  petit  nombre,  les  pas  des  saints, 
le  sentier  escarpé  de  la  pénitence,  grimper  sur  les 
rochers,  gagner  les  lieux  sArs  à  la  sueur  de  son#iri- 
sage ,  et  s^attendre  que  le  dernier  pas  de  la  vie  sera 
encore  un  violent  effort  pour  entrer  dans  la  porte 
étroite  deFétemité. 

IL  Nous  ne  sommes  prédestinés  de  Dieu ,  que  pour 
être  conformes  à  Fimage  de  son  Fils,  att|ichés  comme 
lui  sur  une  croix,  renonçant  comme  lui  aux  plaisirs 
sensibles,  contens  comme  lui  dans  les  douleurs. 
Mais  quel  est  notre  aveuglement  !  Nous  voudrions 

(0  Afoft/i.  Yii.  8. 


M>UIl    TOUS    LES    lOURB    DU    XOCS.  3t 

nouft  détacher  de  cette  croix  qui  nous  unit  à  notre 
Maître.  Nous  ne  pouvons  quitter  la  croix,  sans  quitter 
Jésus-Christ  crucifié.  La  croix  et  lui  sont  insépara* 
hies.  Vivons  donc  et  mourons  avec  celdi  qui  est  venu 
nou|  montrer  le  véritable  chemin  du  ciel;  et  necrai* 
gnous  rien,  sinon  de  ne  pas  finir  notre  sacrifice  sur 
le  même  autel  ob  il  a  consommé  le  sien.  Hélas!  tous 
les  efforts  que  nous  tâchons  de  faire  en  cette  vie  ne 
sont  que  pour  nous  mettre  plus  au  large,  et  pour 
nous  éloigner  de  Tunique  chemin  du  ciel.  Nous  ne 
savons  ce  que  nous  faisons.  Nous  ne  comprenons  pas 
que  le  mystère  de  la  grâce  joint  la  béatitude  avec 
les  larmes.  Tout  chemin  qui  mène  à  un  trône  est  dé- 
licieux ,  fùt*il  hérissé  d'épines.  Tout  chemin  qui  con« 
duit  h  un  précipice  est  effroyable,  fût-il  couvert  de 
roses.  On  souffre  dans  la  voie  étroite,  mais  on  espère; 
on  souffre ,  mais  on  voit  les  cieux*ouverts;  on  souffire, 
mais  on  veut  souffrir;  on  aime  Dieu,  et  on  en  est 
aimé. 

m.  JOUR. 

Sur  la  véritaMe  dévotion. 

m 

I.  Celui  qui  séduit  lui-même  soncœurvLa  qu'une 
t^aine  religion  (0.  Que  d'abus  dans  la  dévotion!  Les 
uns  la  font  consister  uniquement  dans  la  multiplicité 
des  prières  ;  les  autres  dans  le  grand  nombre  des  œu- 
vres extérieures,  qui  vont  à  la  gloire  de  Dieu  et  au 
soulagement  du  prochain.  Quelques-^uns  la  mettent 


3a  RÉFLEXIONS 

dans  des  désirs  oontinuelfi  de  faire  son  salut)  quel- 
ques autres ,  dans  de  grandes  auslirités.  Toutes  ces 
choses  sont  bonnes  ;  elles  sont  mâme  nécessaires  jus- 
qu'à un  certain  degré.  Mais  on  se  .trompe ,  si  on  y 
place  le  fond  et  Tessentiél  de  la  véritable  piété*  Cette 
piété  qui  nous  sanctifie  et  qui  nous  dévoue  tout  en- 
tier à  Dieu  y  consiste  à  faire  tout  ce  qu'il  veut^  et  à 
accoinplir,  précisément  dans  les  temps,  dans  les  lieux 
tt  danft  les  circonstances  oii  il  nous  met,  tout  ce  qu'il 
désire  de  nous.  Tant  de  mouvemens  que  vous  vou- 
drez y  tant  d'œnvres  éclatantes  qu'il  vous  plaira  ;  vous 
ne  serez  payé  que  pour  avoir  £iit  la  volonté  du  sou- 
verain Mattne.  Le  domestique  qui  vous  sert  feroit 
lies  merveilles  dans  Totre  maison ,  que ,  s'il  ne  faisoit 
pas  ce  que  vous  souhaitez,  vous  ne  lui  tiendriez  aucu  n 
compte  de  ses  actions,  et  vous  vous  plaindriez  avec 
raison  de  ce  qu'il  vous  serviroit  mal. 

II.  Le  dévouement  par&it,  d'où  le  terme  de  dé- 
votion a  été  formé,  n'exige  pas  seulement  que.  nous 
fassions  la  volonté  de  Dieu ,  mais  que  nous  la  fassions 
avec  amour.  Dieu  aime  qu'on  lui  donne  avec  joie  ; 
et,  dans  tout  ce  qu'il  nous  prescrit,  c'est  toujours  le 
cœur  qu'il  demande.  Un  tel  maître  mérite  bien  qu'on 
s'estime  heureux  d'être  à  lui.  Il  faut  que  ce  dévoue- 
ment se  Soutienne  également  partout ,  dans  ce  qui 
sons  déplatt,  dans  ce  qui  nous  choque ,  dans  ce  qui 
contrarie  nos  vues,  nos  inclinations,  nos  projets  ;  et 
qu'il  nous  tienne  prêts  à  donner  tout  notre  bien , 
notre  fortune,  notre  temps,  notre  liberté,  notre  vie 
et  notre  réputation.  Etre  dans  ces  dispositions,  et  en 
vedir  aux  effets,  c'est  avoir  uile  véritable  dévotion. 
Mais  comme  la  volonté  de  Dieu  nous  est  souvent  ca- 
chée. 


POUR    TOUl    LKS   JOURS    DU    MOIS.  33 

chëe  y  il  y  a  encore  un  pas  de  renoncement  «t  de 
mort  à  faire;  c'est  de TaccompHr  par  obéissance,  et 
par  une  obéissance  arengle,  mais  sage  en  son  aveu- 
glement ;  condition  imposée  à  tous  les  hommes  :  le 
plus  éclairé  d'entre  enx^  le  plus  propre  à  attirer  les 
amea  à  Dieu  et  le  plus  capable  de  les  y  conduire , 
doit  lui-même  être  conduit. 

IV.  JOUR. 

Sur  les  conî^  ersions  tâches  et  imparfaites  (*). 

.  I.  Les  gens  qui  étoient  éloignés  de  Dieu  se  croient 
bien  près  de  lui  dès  qu'ils  commencent  &  faire  quel- 
ques pas  pour  s'en  rapprocher.  Les  hommes  les  plus 
polis  et  les  plus  éclairés  ont  là-dessus  la  même  igno- 
rance et  la  même  grossièreté  qu'un  paysan  qui  croi- 
roit  être  bien  à  la  Goût  parce  qu'il  auroit  vu  le  Roi. 
On  quitte  les  vices  qui  font  horreur;  on  se  retranche 
dans  une  vie  moins  criminelle,  mais  toujours  lâche, 
mondaine  et  dissipée  :  on  )uge  alors  de  soi,  non  par 
l'Évangile ,  qui  est  l'unique  règle  qu'on  doit  prendre, 
mais  par  la  comparaison  qu'on  fait  de  la  v^e  oii  l'on 
est  avec  celle  qu'on  a  menée  autrefois.  Il  n'en  faut 
pas  davantage  pour  se  canoniser  soi-knême,  et  pour 
s'endormir  d'un  profond  sommeil  sur  tout  ce  qui  res- 

C*^)  Cet  article  a'eet  qu'tin  extrait  de  celui  qu'on  verra  |)Iu9  bat  an 
n.  IX  des  Inâtrueiion»  et  atns  sur  diver»  points  àe  la  perfMion  eht^ 
tienne.  Fénélon  a  sans  doute  fait  lui-même  cet  extrait,  pour  être 
joint  aux  Réflexions  pour  tous  les  jours  du  mois,  qu^on  imprimoit 
par  ses  ordres  à  Tépoque  de  sa  mort.  {EdiU  dn  Fers,) 

FénÉLOif.  xviii.  3 


34  AÉPLEXIOHS 

teroit  à  faire  poQr  le  salât.  Un  tel  état  est  peut-être 
plus  suspect  qu'un  désordre  scandaleux.  Ce  désordre 
troubleroit  la  conscience,  rëveilleroit  la  foi,  et  en- 
gageroità  faire  quelque  gi'and  effort;  au  lieu  que  ce 
changement  ne  sert  qu'à  étouffer  les  remords  salu- 
taires, qu'à  établir  une  fausse  paix  dans  le  cœur,  et 
qu'à  rendre  les  maux  irrémédiables. 

II.  Je  me  suis  confessé,  dites-vous,  assez  exacte- 
ment des  foiblesses  de  ma  vie  passée  ;  je  lis  de  bons 
livres;  j'entends  la  messe  modestement,  et  je  prie 
Dieu,  ce  me  semble,  d'assez  bon  cœur.  J'évite  au 
moins  les  grands  péchés  ;  mais  j'avoue  que  je  ne  me 
sens  pas  assez  touché  pour  vivre  comme  si  je  n'étois 
plus  du.  monde,  et  pour  ne  garder  plus  de  mesures 
avec  lui.  La  religion  seroit  trop  rigoureuse ,  si  elle 
rejetoit  de  si  honnêtes  tempéramens.  Tous  les  raffi- 
nemens  qu'on  nous  propose  aujourd'hui  sur  la  dévo- 
tion vont  trop  loin,  et  sont  plus  propres  à  décourager  ; 
qu'à  faire  aimer  le  bien.  Ce  discours  est  celui  d'un 
chrétien  lâche ,  qui  voudroit  avoir  le  paradis  à.  vil 
prix ,  et  qui  ne  considère  pas  ce  qui  est  dû  à  Dieu ,  ni 
ce  que  sa  possession  a  coûté  à  ceux  qui  l'ont  obtenue. 
Un  homme  de  ce  caractère  est  bien  loin  d'une  en- 
tière conversion.  Il  ne  connoît  apparemment  ni  l'é- 
tendue de  la  loi  de  Dieu,  ni  les  devoirs  de  la  péni- 
tence. On  peut  croire  que  si  Dieu  lui  avoit  conGé  le 
soin  de  composer  l'Évangile,  il  ne  l'auroit  pas  fait 
tel  qu'il  est;  et  nous  aurions  assurément  quelque 
chose  de  plus  doux  pour  Famour-propre.  Mais  l'Évan- 
gile est  immuable ,  et  c'est  sur  lui  que  nous  devons 
être  jugés.  Prenez  au  plus  tôt  un  guide  sûr,  et  ne 
craignez  rien  tant  que  d'être  flatté  et  trompé. 


POUR    TOUS    LES    JOUES    OU    VOIS.  35 

V.  JOUR. 

Sur  le  bon  esprit. 

* 

I.  Votre  Père  céleste  donnera  son  bon  esprit  à 
ceux  gui  le  lui  demanderont  (i).  Il  n*y  a  de  bon  es- 
prit que  celui  de  Dieu.  L'esprit  qui  nous  éloigne  du 
vrai  bien ,  quelque  pénétrant ,  quelque  agréable , 
quelque  habile  qu'il  soit  pour  nous  procurer  des 
biens  corruptibles,  n*est  qu'un  esprit  d'illusion  et 
d'égarement.  Youdroit-on  être  porté  sur  un  char 
brillant  et  magnifique,  qui  mèneroit  dans  un  abîme  7 
L'esprit  n'est  fait  que  pour  conduire  à  la  vérité  et  au 
souverain  bien.  Il  n'y  a  de  bon  esprit  que  celui  de 
Dieu ,  parce  qu'il  n'y  a  que  son  esprit  qui  nous  mène 
à  lui.  Renonçons  au  nôtre,  si  nous  voulons  avoir  le 
sien.  Heureux  l'homme  qui  se  dépouille  pour  être 
revêtu ,  qui  foule  aux  pieds  sa.  vaine  sagesse  pour 
possÀler  celle  de  Dieu  ! 

IL  II  y  a  bien  de  la  différence  entre  un  bel  esprit , 
un  grand  esprit,  et  un  bon  esprit.  Le  bel  esprit  plaît 
par  son  agrément  ;  le  grand  esprit  excite  Tadmiration 
par  sa  profondeur;  mais  il  n'y  a  que  le  bon  esprit 
qui  sauve  et  qui  repde  heureux  par  sa  solidité  et 
par  sa  droiture.  Ne  conformez  pas  vos  idées  à  celles 
du  monde.  Méprisez  l'esprit  autant  que  le  monde 
Testime.  Ce  qu'on  appelle  esprit  est  une  certaine  fa- 
cilité de  produire  des  pensées  baillantes.  Rien  nest 
plus  vain.  On  se  fait  une  idole  de  son  esprit ,  comme 

CO  Lue.  XXI.  i3.  . 


3  G  EÉFLEXlOirS 

une  femme,  qui  croit  avoir  de  la  beauté,  s'en  fait  une 
de  son  visage.  On  se  mire  dans  ses  pensées.  Il  faut 
rejeter  non -seulement  ce  faux  éclat  de  Fesprit,  mais 
encore  la  prudence  humaine  qui  paroît  la  plus  sé- 
rieuse et  la  plus  utile ,  pour  entrer,  comme  de  petits 
enfans,  dans  la  simplicité  de  la  foi,  dans  la  dandeur 
et  dans  l'innocence  des  mœurs,  dans  rhon?e>ir  du 
péché,  dans  l'humiliation,  et  dans  la  sainte /oUe  de 
la  croix. 


VL  JOUR. 

Sur  la  patience  dans  tes  peines. 

I.  f^OlTS  posséderez  vos  âmes  dans  vôtre  pa- 
tience (0.  L'ame  s'échappe  à  elle-même  quand  elle 
s*impatiente  ;  au  lieu  que,  quand  elle  se  soumet  sans 
murmurer,  elle  se  possède  en  paix  et  possède  Dieu. 
S'iinpatienter,  c'est  vouloir  ce  qu'on  n'a  pas,  ou  ne 
pas  vouloir  ce  qu'on  a.  Une  ame  impatiente  est  une 
ame  livrée  à  sa  passion,  que  la  raison  ni  la  foi  ne  retien- 
nent plus.  Quelle  foiblesse  !  quel  égarement  !  Tant 
qu'on  veut  le  mal  qu'on  souQre,  il  n'est  point  mal. 
Pourquoi  en  faire  un  vrai  mal,  en  cessant  de  le  vou- 
loir? La  paix  intérieure  réside  «non  dans  les  sens, 
mais  dans  la  volonté.  On  la  conserve  au  milieu  de  la 
douleur  la  plus  amère,  tandis  que  la  volonté  de- 
meure ferme  et  soumise.  La  paix  d'ici-bas  est  dans 
l'acceptation  des  cboses  contraires,  et  non  pas  dans 
l'exemption  de  les  souflrir. 

(0  Lue.  XXI.  19. 


VOUA    TOUS    LES   JOUllS    DU    JlOIS.  3 7 

n.  K  VOUS  entendre  {(ronder  et  murmurer,  il  sem- 
ble que  vous  soyez  Tame  la  plos  innocente  qu'il  y 
ait  au  monde ,  et  que  c'est  vous  faire  une  injustice 
criante  que  de  ne  pas  vous  laisser  rentrer  dans  le  pa- 
radis terrestre.  Souvenez-vous  de  tout  ce  que  vous 
avez  iait  contre  Dieu,  et  convenez  qu'il  a  raison. 
Dites-lui  avec  la  même  humilité  que  l'enfant  pro- 
digue :  ^oa  père,  j'ai  péché  contre  le  ciel  et  contre 
vous.  Je  sais  ce  que  je  dois  à  votre  justice  ;  mais  le 
cœur  me  manque  pour  y  satisfaire.  Si  vous  vous  en 
remettiez  à  moi,  je  me  flatterois,  je  m'épargnerois, 
et  je  me  trahirois  moi-même  en  n^e  flattant.  Mais  vo- 
tre main  miséricordieuse  exécute  elle-même  ce  qu'ap- 
paromniant  je  n'aurois  jamais  eu  le  courage  de  faire. 
Elle  me  frappe  par  bonté.  Faites  que  }e  porte  pa- 
tiemment ses  coups  salutaires.  C'est  le  moins  que 
puisse  faire  le  pécheur ,  s'il  est  véritablement  indigné 
contre  lui-même ,  que  de  recevoir  la  pénitence  qu'il 
n'auroit  pas  la  force  de  cboisii:. 

vn.  JOUR. 

Sur  la  soumission  et  la  èonformité  à  la  volonté  de 

Dieu. 

h  Qus  votre^vdonté  se  fasse  sur  la  terre  comme 
dans  le  ciel  (Or  Rien  ne  se  fait  ici-^bas,  non  plus  que 
dans  le  ciel  »  que  pat  la  volonté  ou  par  la  permission 
de  Dieu;  mais  les  hommes  n'aiment  pas  toujours 
cette  volonté,  parce  qu'elle  ne  s'accorde  pas  toujours 


38  RÉFLEXIOUrS 

avec  leurs  désirs.  Aimons-la;  n^aimons  qu'elle ,  et 
noiis  ferons  de  la  terre  un  ciel.  Nous  remercierons 
Dieu  de  tout,  des  maux  comme  des  biens^  puisque 
les  maux  deviennent  biens  quand  il  les  donne.  Nous 
ne  murmurerons  pins  de  la  conduite  de  sa  provi- 
dence; nous  la  trouverons  sage,  nous  Fadorerons. 
O  Dieu  y  que  vois-je  dans  le  cours  des  astres,  dans 
l'ordre  des  saisons,  dans  les  événemens  de  la  vie, 
sinon  votre  volonté  qui  s'accomplit?  Qu'elle  s'accom- 
plisse aussi  en  moi  ;  que  je  l'aime  ;  qu'elle  m'adou- 
cisse tout;  que  j'anéantisse  la  mienne,  pour  faire  ré- 
gner la  vôtre  :  car  enfin  c'est  à  vous ,  Seigneur ,  de 
vouloir  ;  et  c'est  à  moi  d'obéir. 

II.  Vous  avez  dit,  ô  Seigneur  Jésus,  en  parlant  de 
vous-même,  par  rapport  à  votre  Père  céleste,  que. 
vous  faisie^z  toujours  ce  qui  lui  plaisoit  (0.  Appre- 
nez-nous jusqu'où  cet  exemple  nous  doit  mener. 
Vous  êtes  notre  modèle.  Vous  n'<avez  rien  fait  sur 
la  terre  que  selon  le  bon  plaisir  de  votre  Père,  qui 
veut  bien  être  nommé  le  nôtre.  Agissez  en  nous 
comme  en  vous-même ,  selon  son  bon  plaisir.  Qu'u- 
nis inséparablement  à  vous ,  nous  ne  consultions  plus 
que  ses  désirs.  Non-seulement  prier,  instruire,  souf- 
frir, édifier,  mais  manger,  dormir,  converser;  que 
tout  se  fasse  parla  seule  vue  de  lui  plaire  :  alors  tout 
sera  sanctifié  dans  notre  conduite  ;  alors  tout  sera 
en   nous  sacrifice  continuel,   prière  sans  relâche, 
amour  sans  interruption.  Quand  ^era-ce,  ô  mon 
Dieu,  que  nous  serons  dans  cette  situation!  Daignez 
nous  y  conduire  :  daignez  dompter  et  assujettir  par 
votre  grâce  notre  volonté  rebelle;  elle  ne  sait  pas 
CO  /ooit.  Tiii.  ag. 


POUK    TOUS    LES   JOUES    DU    MOIS.  3g     . 

ce  qu'elle  veut;  il  n'y  a  rien  de  bon  que  d'être 
comme  tous  voulez. 

vm.  JOUR. 

iSiir  les  avantages  de  la  prière- 

I.  PaiEZ  sans  interruption  (0.  Telle  est  notre  dé- 
pendance à  l'égard  de  Dieu^  que  nonrseulement  nous 
devons  tout  faire  pour  lui ,  mais  encore  que  nous  de- 
vons lui  demander  les  iQoy^ns  de  lui  plaire,  Cette 
heureuse  nécessité  de.  recourir  à  lui  pour  tous  nos 
besoins,  bien  loin  de  devoir  npus  être  incommQde, 
doit  au  contraire  faire  toute  notre  consolation.  Quel 
bonheur  de  lui  parler  en  confiance ,  de  lui  ouvrir 
tout  notre  cœur,  et  d  être  par  la  prièrç  dans  un  com- 
merce intimé  avec  lui  !  Il  nous  invite  à  le  prier.  Ju- 
gez ,  dit  saint  Cyprien ,  s'il  ne  nous  accordera  pas 
les  biens  qu'il  nous  sollicite  de  lui  demander.  Prions 
donc  avec  foi ,  et  ne  perdons  pas  le  fruit  de  nos 
prières  par  une  incertitude  flottante,  qui,  comme 
dit  saint  Jacques  (^),  nous  fait  hésiter.  Heureuse 
l'ame  qui  se  console  dans  l'oraison  par  la  présence 
de  son  bjen-aimé  !  Si  quelqu'un  d'entre  vous,  dit  saint  - 
Jacques  (3) ,  est  dans  la  tristesse  ,  qu'il  prie  pour  se 
consoler.  Hélas!  malheureux  que  nous  sommes!  nous 
ne  trouvons  que  de  Tennui  dans  cette  céleste  occu- 
pation. La  tiédeur  de  nos  prières  est  la  source  de  nos 
autres  infidélités. 

II.  Demandez ,  et  il  vous  sera  donné  ;  cherchez  , 

(•)  /  Thess,  V.  17.  —  v«)  J«c.  I.  6.  —  C3)  Ibid.  ▼.  i3. 


4o  BÉPLEXIOSrS 

el  vous  irauuerez;  frappe» ^  et  l'on  vous  ouvrira  (0. 
Si  nous  n^avions  qu*à  demander  les  richesses  pour 
les  obtenir  y  quel  empressement,  quelle  assiduité , 
quelle  persévérance!  Si  nous  n'avions  quà  chercher 
pour  trouver  un  trésor,  quelles  terres  ne  remueroit- 
on  point  !  S'il  n*y  avoit  qu'à  heurter  pouj*  entrer  dans 
le  conseil  des  rois  et  dans  les  plus  hautes  charges , 
quels  coups  redoublés  n*entendroit-on  pas!  Mais  que 
ne  fait-on  point  pour  trouver  un  faux  bonheur! 
Quels  rebuts  y  quelles  traverses  n*endure*t-on  pas 
pour  un  fantôme  de  gloire  mondaine  I  Quelles  peines 
pour  de  misérables  plaisirs  dont  il  ne  reste  que  le 
remords  !  Le  trésor  des  grâces  est  le  seul  vrai  bien , 
et  le  seul  qu*on  ne  daigne  pas  demander,  le  seul 
qu*on  se  rebute  d^attendre.  Cependant  il  faudroit 
frapper  sans  relâche  ;  car  la  parole  de  Jésus-Christ 
n^est  pas  infidèle  -,  c*est  notre  conduite  qui  Test. 

IX.  JOUR. 
Sur  l'attention  à  la  voix  de  Dieu. 

I.  SeICKEVJH,  à  ^ui  irons^nous?  vous  auez  lespa 
nies  de  la  vie  éternelle  C^).  Cçst  Jésus-Christ  qu'il 
faut  écouter.  Les  hommes  ne  doivent  être  écoutés  et 
crus  qu^autant  qu'ils  sont  pleins  de  la  vérité  et  de 
Tautorité  de  Jésus-Christ.  Les  livres  ne  sont  bons 
qu^autanl  qu*ils  nous  apprennent  l'Evangile.  Allons 
donc  à  celte  source  sacrée.  Jésus-Christ  n'a  parlé, 
n*a  agi ,  qu'afin  que  nous  Técoutassions ,  et  que  nous 

(>)  Maittk.  Tii.  7.  —  (•)  Joûn,  Ti.  6^ 


POUR   TOUS   LES  JOUAS   DU    MOIS.  4^1 

étadiassions  attentivement  le  détail  de  sa  vie.  MaU 
heureux  que  nous  sommes  !  nous  courons  après  nos 
propres  pensées  ^  qui  ne  sont  que  vanité ,  et  nous  né- 
gligeons la  vérité  même,  dont  toutes  les  paroles  sont 
capables  de  nous  faire  vivre  éternellement.  Parlez , 
ô  Verbe  divin,  ô  parole  incréée,  et  incarnée  pour 
moi!  faites-vous  entendre  à  mon  ame.  Dites  tout  ce 
que  vous  voudrez  ;  je  veux  tout  ce  qu'il  vous  plaît. 
II.  Souvent  on  dit  qu'on  voudroit  savoir  ce  qu'on 
a  à  faire  pour  s'avancer  dans  la  vertu  \  mais  dès  que 
l'esprit  de  Dieu  nous  l'enseigne ,  le  courage  nous 
manque   pour  l'exécuter.  Nous  sentons  bien  que 
nous  ne  sommes  pas  ce  que  nous  devrions  être.  Nous 
voyons  nos  misères;  elles  se  renouvellent  tous  les 
jours.  Cependant  on  croit  faire  beaucoup  en  disant 
qu'on  veut  se  sauver.  Comptons  pour  rien  toute  vo- 
lonté qui  ne  va  pas  jusqu'à  sacrifier  ce  qui  nous  ar- 
rête dans  la  voie  de  Dieu  ;  ne  retenons  plus  la  vé- 
rité captive  dans  nos  injustes  lâchetés.  Ecoutons  ce 
que  Dieu  nous  inspire.  Eprouvops  l'esprit  qui  nous 
pousse,  pour  reconnotlrc  s'il  vient  de  Dieu;  et,  après 
qqe  nous  l'aurons  reconnu,  n'épargnons  rien  pour  le 
contenter.  Le  prophète  ne  demande  pas  simplement 
à  Dieu  qu'il  lui  enseigne  sa  volonté,  mais  qu'il  lui 
enseigne  à  la  faire  (0. 

(■)  Ps.  CLKII.  19* 


4^  KÉFLEXIOMS 

X.  JOUR. 

Sur  le  bon  usage  des  croix* 

I.  Ceux  cuisant  à  Jésus-Christ  ont  crucifié  leur 
chair  avec  leurs  vices  et  leurs  convoitises  (0.  Plus 
nous  craignons  les  croix,  plus  il  faut  conclure  que 
pous  en  avons  besoin.  Ne  nous  abattons  pas,  lorsque 
la  main  de  Dieu  nous  en  impose  de  pesantes.  Nous 
devons  juger  de  la  grandeur  dé  nos  maux  par  la  vio- 
lence des  remèdes  que  le  mëdecin  spirituel  y  appli- 
que. Il  faut  que  nous  soyons  bien  misérables,  et  que 
Dieu  soit  bien  miséricordieux,  puisque,  malgré  la 
difficulté  de  notre  conversion ,  il  daigne  s'appliquer 
à  nous  guérir.  Tirons  de  nos  croix  mêmes  une  source 
d'amour,  de  consolation  et  dé  confiance,  disant  avec 
TApôtre  (^)  :  Nos  peines,  qui  s.ont  si  courtes  et  si  lé- 
gères, n'ont  point  de  proportion  avec  ce  poids  infini 
de  gloire  qui  eix  doit  être  la  récompense.  Heureux 
ceux  qui  pleurent,  et  qui  sèment  en  versant  des  lar- 
mes, puisqu'ils  recueilleront  avec  une  joie  ineffable 
U  moisson  d'une  vie  et  d'une  félicité  éternelle  ! 

IL  Je  suis  attaché  à  la  croix  avec  Jésus-Christ , 
disoit  saint  Paul  (3).  C'est  avec  le  Sauveur  que  nous 
sommes  attachés  à  la  croix,  et  c'est  lui  qui  nous  y 
attache  par  sa  grâce.  G*est  à  cause  de  Jésus  que 
nous  ne  voulons  point  quitter  la  croix,  parce  qu'il 
est  inséparable  d'elle.  O  corps  adorable  et  souffrant, 
avec  qui  nous  ne  faisons  plus  qu'une  seule  et  même 

CO  Galau  T.  17.  —  C»)  //  Cor.  it.  17.  —  (3)  Gai  11.  19. 


VOVK    TOUS    LES    JOU&S    DU    MOIS.  4^ 

victime!  en  me  donnant  votre  croix,  donnez -moi 
votre  esprit  d'amour  et  d'abandon;  faites  que  je  pense 
moins  à  mes  souffrances  qu'au  bonheur  de  souffrir 
avec  vous.  Qu'est-ce  que  je  souffre  que  vous  n'ayei 
souffert?  ou  plutôt,  qu'est-ce  que  je  souffre  si  j'ose 
me  comparer  à  vous?  O  homme  l&che!  tais-toi,  re- 
garde ton  mattre,  et  rougis.  Seigneur,  faites  que 
j'aime,  et  je  ne  craindrai  plus  la  croix.  Alors,  si 
je  souffre  encore  des  choses  dures  et  douloureuses, 
du  moins  je  n'en  souffrirai  plus  que  je  ne  veuille  bien 
souffrir. 

XI.  JOUR. 
Sur  la  douceur  et  l'humilité. 

I.  Apprenez  de  moi^queje  suis  doux  et  humble 
de  cœur  (0. 0  Jésus,  c'est  vous  qui  me  donnez  cette  le- 
çon de  douceur  et  d'humilité.  Tout  autre  qui  voudroit 
me  l'apprendre  me  révolteroit.  Je  trouverois  partout 
de  l'imperfection,  et  mon  orgueil  ne  manqueroit  pas 
de  s'en  prévaloir.  Il  faut  donc  que  ce  soit  vous-même 
qui  m'instruisiez.  Mais  que  vois-je,  ô  mon  cher  maî- 
tre! vous  daignez  m'instruire  par  votre  exemple. 
Quelle  autorité!  je  nai  qu'à  me  taire,  qu'à  adorer, 
qu'à  me  confondre,  qu'à  imiter.  Quoi!  le  Fils  de  Dieu 
descend  du  ciel  sur  là  terre,  prend  un  corps  de 
boue,  expire  sur  une  croix  pour  me  faire  rougir  de 
mon  orgueil!  Celui  qui  est  tout,  s'anéantit;  et  moi, 

;0  HiOih,  XI.  19. 


44  KÉFLExions 

qui  n»  suis  rieo,  je  veux  être,  ou  du  moins  je  veux 
qu'op  me  qroie  loi;t  ce  que  je  ue  suis  pas  !  Q  men- 
fOQge  !  ô  folie  !  6  impudente  vamté  !  ô  diabolique 
présomption  !  Seigneur,  vou$  ne  me  dites  poipt,  Soyez 
doi|z  et  bumble  ;  mais  vous  dites  que  vous  êtes  doux 
et  humble.  Cçst  a$se?î  dç  savpir  que  voi|s  Têtes,  pour 
conclure,  sur  un  tel  exemple,  que  nous  devons Têtre. 
Qui  osera  s  en  dispenser  après  vous?  Sera-^ce  le  pé- 
cheur qui  a  mérité  tant  de  fois  par  son  ingratitude 
d'être  foudroyé  par  votre  justice? 

II.  Mon  Dieu,  vous  êtes  ensemble  doux  et  hum- 
ble, parce  que  Thumililé  est  la  source  de  la  véritalile 
douceur.  L'orgueil  est  toujours  hautain,  impatient, 
prêt  à  s'aigrir.  Celui  qui  se  méprise  de  bonne  foi  veut 
bien  être  méprisé.  Celui  qui  croit  que  rien  ne  lui  est 
àd  ne  se  croit  jamais  maltraité.  Il  n'y  a  point  de  dou- 
ceur véritablement  vertueuse  par  tempérament  :  ce 
n'est  que  mollesse,  indolence  ou  artifice.  Pour  être 
doux  aux  autres,  il  faut  reBoncer  à  soi-même.  Vous 
ajoutez,  ô  nlon  Sauveur,  doux  et  humble  de  cœur. 
Ce  n'est  pas  un  abaissement  qui  ne  soit  que  dans  l'es- 
prit par  réflexion;  c'est  un  goût  du  cœur;  c'est  un 
abaissement  auquel  la  volonté  consent,  et  qu'elle 
aime  pour  glorifier  Dieu  ;  c'est  une  destruction  de 
toute  confiance  en  son  propre  esprit  et  en  son  cou- 
rage naturel,  afin  de  ne  devoir  sa  guéri  son  qu'à  Dieu 
seul.  Voir  sa  misère  et  en  être  au  désespoir ,  ce  n'est 
pas  être  humble;  c'est  au  contraire  un  dépit  d'or- 
gueil, qui  est  pire  que  l'orgueil  même. 


POUR    TOUS    LES    JOURS    OU    MOIS.  4^ 

xn.  JOUR. 

Sur  les  défauts  d'autrui. 

L  Portez  les  fardeaux  les  uns  des  autres}  c'est 
ainsi  que  vous  accomplirez  la  loi  de  Jésus-Christ  (0. 
La  charité  ae  va  pas  jusqu'à  demander  de  nous  que 
nous  ne  voyions  jamais  les  défauts  d'autrui;  il  fau- 
droit  nous  crever  les  yeux  :  mais  elle  demande  que 
nous  évitions  d'y  être  attentifs  volontairement  sans 
nécessité,  et  que  nous  ne  soyons  pas  aveugles  sur  le 
bon  y  pendant  que  nous  sommes  si  éclairés  sur  le 
mauvais.  Il  faut  toujours  nous  souvenir  de  ce  que 
Dieu  peut  faire,  de  moment  à  autre,  de  la  plus  vile 
et  de  la  plus  indigne  créature^  rappeler  les  sujets 
que*  nous  avons  de  nous  mépriser  nous-mêmes;  et 
enfin  considérer  que  la  charité  embrasse  même  ce 
qu'il  y  a  de  plus  bas,  parce  qu'elle  voit  précisément, 
par  la  vue  de  Dieu ,  que  le  mépris  qu'on  a  pour  les 
autres  a  quelque  chose  de  dur  et  de  hautain  qui  éteint 
l'esprit  de  Jésus-Christ.  La  grâce  ne  s'aveugle  pas 
sur  ce  qui  est  méprisable  ;  mais  elle  1er  supporte ,  pour 
entrer  dans  les  secrets  desseins  de  Dieu.  Elle  ne  se 
laisse  aller,  ni  aux  dégo&ts  dédaigneux,  ni  aux  im- 
patiences naturelles.  Nulle  cori\iption  ne  l'étonné  ; 
nulle  impuissance  ne  la  rebute,  parce  qu'elle  ne 
compte  que  sur  Dieu,  et  qu'elle  ne  voit  partout,  hors 

de  lui,  que  néant  et  que  péché. 

II.  De  ce  que  les  autres  sont  foibles,  est<-ce  une 

(*)  GalaL  Yi.  3a. 


46  RÉFLEXIONS 

bonne  raison  pour  garder  moins  de  mesures  avec 
eux  ?  Vous  qui  vous  plaignez  qu'on  vous  fait  souffrir, 
croyez-vous  ne  faire  souffrir  personne?  Vous  qui  êtes 
si  choqué  des  défauts  du  prochain  ^  vous  imaginez- 
vous  être  parfait?  Que  vous  seriez  étonné^  si  totis 
ceux  à  qui  vous  pesez  venoient  tout-à-coup  s'appe- 
santir sur  vous  !  Mais  quand  vous  trouveriez  votre 
justiBcation  sur  la  terre.  Dieu  qui  sait  tout,  et  qui  a 
tant  de  choses  à  vous  reprocher,  ne  peut-il  pas  d'un 
seul  mot  vous  confondre  et  vous  arrêter?  Et  ne  vous 
vient-il  jamais  dans  l'esprit,  de  craindre  qu'il  ne  vous 
demande  pourquoi  vous  n'exercez  pas  envers  votre 
frère  un  peu  de  miséricorde,  que  lui,  qui  est  votre 
mattre,  exerce  si  abondamment  envers  vous? 

Xm.  JOUR. 

Sur  Tunique  nécessaire. 

I.  VOVS  vous  empressez,  et  vous  vous  troublez  de 
beaucoup  de  choses  ^  une  seule  est  nécessaire  (0. 
Nous  croyons  avoir  mille  affaires,  et  nous  n'en  avons 
qu'une.  Si  celle-là  se  fait,  toutes  les  autres  se  trou- 
veront faites  :  si  elle  manque,  toutes  les  autres, 
quelque  succès  qu'elles  semblent  avoir,  tomberont 
en  ruine.  Pourquoi  donc  partager  tant  son  cœur  et 
ses  soins?  O  unique  affaire  que  j'aie  sur  la  terre,  vous 
aurez  désormais  mon  unique  attention  !  Au  rayon  de 
là  lumière  de  Dieu,  je  ferai  à.  chaque  moment  sans 
inquiétude,  selon  les  forces  de  mon  corps,  ce  que 

f  CO  Lue.  z.  4'>  43- 


FOUA    TOUS  LES    JOURS    DU    MOIS.  4t 

la  Providence  me  mettra  en  chemin  de  faire.  J'aban- 
donnerai le  reste  sans  douleur,  jiarce  que  le  reste 
n'est  pas  mon  œuvre. 

II.  Père  céleste  ^  fat  achevé  Vouurage  que  vous 
ni  aviez  dorme  à  faire  (0.  Chacun  de  nous  doit  se 
mettre  en  ëtat  d'en  dire  autant,  au  jour  oh  il  faudra 
rendre  compte.  Je  dois  regarder  ce  qui  se  présente  à 
faire  chaque  jour  selon  l'ordre  de  Dieu,  comme  Ton 
vrage  dont  Dieu  me  charge,  et  m'y  appliquer  d'une 
manière  digne  de  Dieu ,  c'est-à-dire  avec  exactitude 
et  avec  paix.  Je  ne  négligerai  rien;  je  ne  me  passionne^ 
rai  sur  rien  -,  car  il  est  dangereux ,  ou  de  faire  l'œuvre 
de  Dieu  avec  négligence ,  ou  de  se  l'approprier  par 
amour-propre  et  par  un  faux  zèle.  Alors  on  fait  ses 
actions  par  son  esprit  particulier;  on  les  fait  mal; 
on  se  pique,  on  s'échauSe,  on  veut  réussir.  La  gloire 
de  Dieu  est  le  prétexte  qui  cache  l'illusion.  L'amour- 
propre  déguisé  en  zèle  se  centriste  et  se  dépite  s'il  ne 
peut  réussir.  O  Dieu,  donnez-moi  la  grâce  d'être  fi- 
dèle dans  l'action,  et  indifférent  dans  le  succès.  Mon 
unique  affaire  est  de  vouloir  votre  volonté ,  et  de  me 
recueillir  en  vous,  au  milieu  même  de  ce  que  je  fais  : 
la  vôtre  est  de  donner  à  mes  foibles  efforts  tel  fruit 
qu'il  vous  plaira  ;  aucun ,  si  vous  ne  voulez. 

(■)  Joan.  zyii.  4* 


48  RÉFLEXIONS 

XIV.  JOUR. 

Sur  la  préparation  à  la  mort. 

I.  IirssifSÉ  ,  cette  nuit  on  va  te  redemander  ton 
ame.  Pour  qui  sera-ce  que  tu  as  amassé  (07  On  ne 
peut  trop  déplorer  Taveuglement  des  hommes ,  de 
ne  vouloir  pas  penser  à  la  mort,  et  de  se  détour- 
ner d'une  chose  inévitable  que  Ton  pourroit  rendre 
heureufte  en  y  pensant.  Rien  n'est  si  terrible  que  la 
mort  pour  ceux  qui  sont  attachés  à  la  vie.  Il  est 
étrange  que  tant  de  siècles  passés  ne  nous  fassent  pas 
juger  solidement  du  présent  et  de  l'avenir^  ni  prendre 
de  plus  grandes  précautions.  Nous  sommes  infatués 
du  monde  y  comme  s'il  ne  devoit  jamais  finir.  La  mé- 
moire de  ceux  qui  jouent  aujourd'hui  les  plus  grands 
rôles  sur  la  scène  périra  avec  eux.  Dieu  permet  que 
tout  se  perde  dans  l'abîme  d'un  profond  oubli^  et  les 
hommes  plus  que  tout  le  reste.  Les  pyramides  d'E- 
gypte se  voient  encore >  sans  qu'on  sache  le  nom  de 
celui  qui  les  a  faites.  Que  faisons-nous  donc  sur  la 
terre,  et  à  quoi  servira  la  plus  douce  vie,  si ,  par  des 
mesures  sages  et  chrétiennes,  elle  ne  nous  conduit 
pas  à  une  plus  douce  et  plus  heureuse  mort  7 

IL  Soyez  prêts  ^  parce  qu'à  l'heure  que  vous  ny 
pensez  pas,  le  Fils  de  l'Homme  viendra  (^).  Cette  pa- 
role nous  est  adressée  personnellement,  en  quelque 
âge  et  en  quelque  rang  que  nous  soyons.  Cependant, 
jusqu'aux  gens  de  bien ,  tous  font  des  projets  qui  sup- 

(0  Luc.  111.  ao.  —  (*)  Matih.  zziy.  44* 

posent 


I 

POUR    TOUS    LES   VOUES    DU    MOIS.  49 

posent  une  loïigue  vie,  lors  même  qii^elle  va  finir.  Si 
dans  Textrémitë  d'aue  maladie  incarable  on  espère 
encore  la  gu^rison  y  quelles  espérances  n*a-t-on  pas 
en  pleine  santë?  Mais  d*ob  vient  qu'on  espère  si  opi- 
niâtfément  la  vie 7  Cest  qu*on  Taime  avec  passion.  Et 
d^oÎL  vient  qu*on  veut  tant  éloigner  la  mort?  Cest 
qa*on  n*aime  point  le  royaume  de  Dieu ,  ni  les  gran- 
deurs du  siècle  futur.  O  hommes  pesans  de  cœur,  qui 
ne  peuvent  s^élever  au-dessus  de  la  terre ,  où ,  de  leur 
propre  aveu,  ils  sont  misérables!  La  véritable  ma- 
nière de  se  tenir  prêt  pour  le  dernier  moment,  c'es^ 
de  bien  employer  tons  les  autres ,  et  d'attendre  tou 
jours  cdni-là.    * 

XV.  JOUR. 

Sur  les  espérances  éternelles. 

I.  VoETt  na  point  vu,  ni  V oreille  entendu,  ni  le 
cceur  de  l'homme  conçu  ce  que  Dieu  a  préparé  à 
ceux  qui  VaimentW.  Quelle  proportion  entre  ce  que 
nous  faisons  sur  la  terre,  et  ce  que  nous  espérons 
dans  le  ciel  7  Les  premiers  Chrétiens  se  réjouissoient 
sans  cesse  à  la  vue  de  leur  espérance  ;  à  tous  mo- 
mens  ils  croyoient  voir  le  ciel  ouvert.  Les.  croix,  les 
infamies,  les  supplices,  les  cruelles  morts,  rien  n*é- 
toit  capable  de  les  rebuter.  Us  connoissoient  la  libé- 
ralité infinie  qui  doit  payer  de  telles  douleurs  ;  ils  ne 
croy  oient  jamais  assez  soufiiîr;  ils  étoient  transportés 
de  joie,  lorsqu'ils  étoient  jugés  dignes  de  quelque. 

C»^  /  Cùr.  II.  9. 

FÉBÉLOIV.    XVIII.  4 


s 


50  RÉFLEXIOVS 

profoDde  humiliation.  Et  nous,  âmes  liche$y  nous  ne 
savons  point  spuflrir,  parce  quç  nous  ne  savons  pas 
espërer:  nous  sommes  accablés  par  les  moindres 
croix ,  et  souvent  même  par  celles  qui  nous  viennent 
de  notre  orgueil ,  de  notre  imprudence  et  de  notre 
délicatesse  I 

II.  Ceux  ^ui  shment  dans  les  larmes  recueilleront 
dans  la  joie  (0.  Il  faut  semer  pour  recueillir.  Cette 
vie  est  destinée  pour  semer;  nous  jouirons  dans  l'autre 
du  fruit  de  nos  travaux.  L'homme  terrestre,  lâche  et 
impatient,  voudroit  recueillir  avant  que  d'avoir  semé. 
Nous  voulons  que  Dieu  nous  console,  et  qu'il  apla* 
nisse  les  voies  pour  nous  mener  à^  lui.  Nous  voudrions 
le  servir,  pourvu  qu'il  nous  en  coûtât  peu.  Espérer 
beaucoup,  et  ne  souffrir  guère ,  c'est  à  quoi  Ta- 
mour  propre  tend.  Aveugles  que  nous  sommes,  ne 
verrons-nous  jamais  que  le  royaume  du  ciel  souffre 
violence,  et  qu'il  n'y  a  que  les  âmes  violentes  et  cou- 
rageuses pour  se  vaincre  qui  soient  dignes  de  le  con* 
quérir  Wl  Pleurons  donc  ici-bas,  puisque  bienheu- 
reux ceux  qui  pleurent,  et  malheureux  ceux  qui 
rient  {^)  !  Malheur  à  ceux  qui  ont  leur  consolation 
en  ce  monde  !  viendra  le  temps  oh  ces  vaines  joies 
seront  confondues.  Le  monde  pleurera  à  son  tour,  et 
Dieu  essuiera  toutes  les  larmes  de  nos  yeux  (4). 

(<'  Pê.  çftSY.  5.  —  (•)  H4tih,  SI.  1  d.  -*  0)  Ibid.  t.  5.  Imc,  ti.  *& 
-«  (4)  Apœ.  XXI.  4* 


POUA    TOUS   UKS   lOUaS    ou    MOIS.  5i 

XVl.  JOUR- 


Sur  notre  pain  quotidien* 

I.  DoNNEZ'jBiovs  aujourd'hui  notre  pain  quoti^ 
dien  (0-  Qael  est-il  ce  paia,  ô  mon  Diea?  Ce  o'est  pas 
seulemeat  le  soutien  qae  votre  providence  nous 
donne  pour  les  nécessités  de  la  vie;  c'est  encore 
cette  nCMuriture  de  vérité  que  vous  donnetfr  dbaque 
jouràrame^  cest  un  pain  qui  nourrit  pour  la  vie 
éternelle,  qai' fait  croître >  et  qui  rend  Tame  robuste 
dans  les  épreuves  de  la  foi.  Vous  le  renouvelés 
chaque  jour.  Vous  dpuUez  au  dedans  «tau  dehors 
précisément  ce  qu  il' faut  à  Tame  pour  s*avancer  dans 
la  vie  de  la  foi  et  daûs  le  renoncement  à  eUe-tméme. 
Je  n'ai  donc  qu  à  mangei*  ce  pain ,  et  qu'à  recevoir 
en  esprit  4^  sacrifice  tout  ce  que  vous  me  donnerez 
d'amer  dans  les  affaires  extérieures  et  dans  le  fond 
de  mon  cœur  ;  car  tout  ce  qui  m'arrivera  dans  le 
cours  de  la  journée  est  mon  pain  quotidien ,  pourvu 
que  îe  ne  refuse  pas  de  le  prendre  de  votre  ntiiny  et 
de  m'en  nourrir. 

II.  La  faim  est  ce  qui  donne  le  goàt  aux  alimens, 
et  ce  qui  nous  les  rend  utiles.  Que  n'avons-nous  £iim 
et  soif  de  la  justice!  Pourquoi  nos  âmes  ne  sont-elles 
pasaffaméeset  altérées  comme  nos  corps?  Un  homme 
qui  est  dégoûté,  et  qui  ne  peut  rcjcevoir  les  alimens, 
est  malade.  C'est  ainsi  que  notre  ame  languit,  ,èn  ne 
recherchant ,  ni  le  rassasiement,  ni  la  nourriture  qui 

(0  Lue.  XI.  3. 


5a  AÉFLnrons 

vient  de  Dieu.  L'alîmeot  de  Famé  est  la^Tëritë  et  la 
justice.  CoDDoitre  le  bieD,  s*eD  remplir,  s*y  fortifier; 
voiUi  le  pain  spirituel ,  le  pain  oeleste  qa*il  faut  man- 
ger. Mangeons-en  donc  ;  ayons-en  faim.  Soyons  de- 
vant Dieu  comme  des  pauvres  qui  mendient ,  et  qui 
attendent  un  peu  de  pain.  Sentons  notre  foiblesse  et 
notre  défaillance  :  malheureux ,  si  nous  en  perdons 
le  sentiment  !  Lisons ,  prions  avec  cette  faim  de  nour- 
rir nos  âmes  y  avec  cette  soif  ardente  de  nous  désalté- 
rer de  Teau  qui  rejaillit  jusque  dans  le  ciel.  Il  n'y  a 
qu'un  grand  et  continuel  désir  de  l'instruction ,  qui 
nous  rend  dignes  de  découvrir  les  merveilles  de  la  lot 
de  Dieu.  Chacun  reçoit  ce  pain  sacré,  selon  la  me- 
sure de  son  désir  ;  et  par  là  on  se  dispose  à  recevoir 
souvent  et  saintement  le  pain  substantiel  de  l'Eucha- 
ristie,  non-seulement  corporellementy  comme  font 
plusieurs ,  mais  avec  l'esprit  qui  conserve  et  qui  aug- 
mente la  vie. 


XVU.  JOUR. 

^*  Sur  lapmix  de  l'ame, 

I.  Jk  vous  laisse  ma  paix;  je  vous  donne  ma  paix, 
non  comme  le  monde  la  donne  (0.  Tous  les  hommes 
cherchent  la  paix  ;  mais  ils  ne  la  cherchent  pas  oii 
elle  est.  La  paix  que  fait  espérer  le  monde  est  aussi 
différente  et  aussi  éloignée  de  celle  qui  vient  de  Dieu, 
que  Dieu  lui-même  est  différent  et  éloigné  du  monde  : 
ou  plutôt,  le  monde  promet  la  paix,  mais  il  ne  la 

(0  /otfJt.  HT.  97. 


POUR    TOUS    LES   JOUR^   dU    MOIS.  5^ 

donne  {amais.  Il  présente  quelques  plaisirs  passagers; 
mais  ces  plaisirs  coûtent  plus  qu^ils  ne  valent.  Jésus- 
Christ  seul  peut  mettre  rhommoeD  paix.  Il  l'accorde 
avec  lui-même;  il  lui  soumet  ses  passions;  il  borne 
ses  désirs; il  le  console  par  Tespérance  des  biens  éter- 
nels; il  lui  donne  la  joie  du  Saint-Esprit;  il  lui  fait 
goâter  cette  \o\e  intérieure*  dans  la  peine  même  :  et 
comme  la  source  qui  la  produit  est  intarissable ,  et 
que  le  fond  de  Tame  oi^  elle  réside-  est  inaccessible  à 
toute  la  malignité  des  hommes,  elle  devient  pour  le 
|ttste  un  trésor  que  personne  ne  lui  peut  ravir. 

IL  La  vraie  paix  n*est  que  dans  la  possession  de 
DieU|  et  la  possession  de  Dieu  ici-bas  ne  se  trouve  que 
dans  la  soumission  à  la  foi ,  et  dans  Fobéissance  à  la 
loi.  L'une  et  l'autre  entretiennent  au  fond  du  cœur 
un  amour  pur  et  sans  mélange.  Eloignes  de  vous  tous 
les  objets  défendus  ;  retrandiez  tous  les  déstrs  illi- 
cites ;  bannissez  tout  empressement  et  toute  inquié- 
tude; ne  désirer  que  Dieu,  ne  cherchez  que  Dieu; 
et  vous  go&terez  la  paix  ;  vous  la  goûterez  malgré  le 
monde.  Qu*est-ce  qtti  vous  trouble?  La  pauvreté,  les 
mépris,  les  mauvais  succès,  les  croix  intérieures  et 
extérieures?  Regardez  tout  cela,  dans  la  main  de 
Dieu,  comme  dé  véritables  faveurs  qu'il  distribue  à 
ses  amis,  et  dont  il  daigne  vous  faire  part  :  alors  le 
monde  changera  de  face  pour  vous^  et  rien  ne  vous 
ôtera  votre  paix. 


54  mÉPLEXIOHS 


xvm.  JOUR. 

Sur  les  foies  trompeuses. 

L  Tai  regardé  les  ris  comme  un  songe  ^  et  fui  dit 
à  la  foie  :  Pourquoi  me  trompez-vous  (0.  Le  monde 
se  réjouil  comme  les  malades  qui  sont  en  délire  ,  ou 
comme  cens  qui  révent  agréablement  en  dormant. 
On  n*a  garde  de  trouver  de  la  solidité ,  quand  on  ne 
s*attacfae  qu'à  une  peinture  vaine,  à  une  image  creuse, 
à  une  ombre  qui  fuit ,  à  une  figure  qui  passe.  On  ne 
se  réjouit  qu*a  cause  qu'on  se  trompe;  qu'il  cause 
qu'on  croit  posséder  beaucoup,  lors  même  qu'on  ne 
possède  rien.  Au  réveil  de  la  mort,  on  se  trouvera 
les  mains  vijar,  et  on  sera  honteux  de  sa  joie.  Mal* 
heur  donc  à  ceux  qui  ont  en. ce  monde  une  fausse 
consolation  qui  les  exclut  de  la  véritable!  Disons 
sans  cesse  à  la  joie  vaine  et  évaporée  que  le  siècle 
inspire  :  Pourquoi  me  trompez-vous  si  grossièrement  ? 
Rien  n'est  digne  de  nous  donner  de  la  joie ,  que  notice 
bienheureuse  espérance.  Tout  le  reste,  qui  n  est  pas 
fondé  là-dessus ,  n'est  qu'un  songe. 

II.  Celui  qui  boira  de  cette  eau^  aura  encore  sjoifW. 
Plus  on  boit  des  eaux  corrompues  du  siècle,  plus 
on  est  altéré.  Â  mesure  qu'on  se  plonge  dans  le  mal, 
à  mesure  il  natt  des  désirs  inquiets  dans  le  cœur.  La 
possession  des  richesses  ne  fait  qu'irriter  la  soif.  L'a- 
varice et  l'ambition  sont  plus  mécontentes  de  ce 
qu'elles  n'ont  pas  encore,  qu'elles  ne  sont  satisfaites 

t»}  Eccles.  II.  a.  —  (»)  Joan.  it.  i3. 


fovBi  Tovs  LES  jovus  dit  MOia.  55 

de  tout  ce  qii^elles  possèdent.  La  jouissance  des  plai- 
sirs ne  fait  qu'amollir  Tame;  elle  la  corrompt;  elle 
la  rend  insatiable.  Plus  on  se  relâche,  plus  on  se  veut 
relâcher.  11  est  plus  facile  de  retenir  son  cœur  dans 
un  état  de  ferveur  et  de  pénitence,  que  de  le  rame- 
ner, ou  de  le  contenir,  lorsqu'il  est  une  fois  dans  la 
pente  du  plaisir  ^  du  relâchement.  Veillons  donc 
sur  DouB-fuémes.  Gardons-nous  de  boire  d'une  eaïf 
qui  angmenteroit  notre  soif.  Conservons  notre  cœur 
avec  précaution,  de  peur  que  le  monde  et  ses  vainea 
consolations  i^e  le  séduisent,  et  ne  lui  laissent  à  la 
fin  qu^  le  désespoir  de  s'être  trompé. 

XIX.  JOUR., 

Sur  les  saintes  Iqrmes^ 

I.  BtSNBEVnsvx  ceux  qui  pleurent  j  parce  cuits 
seront  consolés  {^)\  Quel  nouveau  genre  de  larmes! 
dit  saint  Augustin  :  elles  rendent  heureux  ceux  qui 
les  versent.  Leur  bonheur  consiste  à  s'affliger,  &  gé- 
mir de  la  corruption  du  monde  qui  nous  environne, 
des  pièges  dont  nous  somn^es  entourés,  du  fonds  iné- 
puisable de  corruption  qui  est  au  milieu  de  notre 
cœur.  C'est  un  grand  don  de  Dieu ,  que  de  craindre 
de  perdre  son  amour ,  que  de  craindre  de  s'écarter 
df  la  voie  étroite.  C'est  le  sujet  des  larmes  des  saints. 
Quand  on  est  en  danger  de  perdre  ce  que  l'on  pos- 
sède de  plus  précieux,  et  de  se  perdre  soi-même,  il 
est  difficile  de  se  réjouir.  Quand  on  ne  voit  que  vanité , 

(»)  Matth.  T.  5. 


5d  EÉFLBtOlfS 

qu*^arement,  qae  scandale ,  qa oubli  et  que  mépris 
da  Dieu  qu^ou  aime ,  il  est  impossible  de  ne  se  pas 
affliger.  Pleurons  donc  à  la  vue  de  tant  de  sujets  de 
larmes  :  notre  tristesse  rë)ouira  Dieu.  Cest  lui-même 
qui  nous  Finspire;  c*est  son  amour  qui  fait  couler 
nos  larmes  :  il  viendra  ]ui-*méme  les  essuyer. 

II.  On  entend  Jésus-Cbrisl  qui  dit  :  Malheur  à 
vous^fui  riez  (01.  et  on  veut  rire.  On  Tentend  dire: 
Malheur  à  vous,  riches  ,  çui  avez  votre  consolation 
en  ce  monde  l  et  on  recbercbe  toujours  les  richesses.. 
Il  dit  :  Heureux  ceux. qui  pleurent  l  et  on  ne  craint 
rien  tant  que  de  pleurer.  Il  faut  pleurer  ici-bas ,  nonr 
seulement  les  dangers  de  notre  condition ,  mais  tout 
ce  qni  est  vain  et  déréglé.  Pleurons  sur  nous  et  sur 
le  prochain.  Tout  ce  que  nous  voyons  au  dedans  et 
au  dehors  n^est  qu*affliction  d*esprit ,  que  tentation 
et  que  péché.  Tout  mérite  des  larmes.  Le  vrai  mal- 
heur est  d'aimer  ces  choses  si  peu  dignes  d'être  ai> 
mées.  Que  de  raisons  die  pleurer  !  C'est  le  mieux 
qu'on  puisse  faire.  Heureuses  larmes  ^  que  la  grâce 
opère ,  qui  nous  dégoûtent  des  choses  passagères ,  et 
qui  font  nattre  ea  noua  le  d&ir  des  biens,  éterneb  l 


VOfJt.   TOUS  LES   JOUES    DU    MOIS.  S7 

XX.  JOUR. 

Sur  la  prudence  du  siècle. 

I.  Lji  prudence  de  la  chair  est  la  mort  des  âmes  (0* 
La  pradeDce  des  enfans  du  siècle  est  grande ,  puis- 
que Jésus-Christ  nous  en  assure  dans  TEvangile  ;  et 
elle  est  même  souvent  plus  grande  que  celle  des  en- 
fans  de  Dieu  :  mais  il  se  trouve  en  elle,  malgré  tout 
ce  qu'elle  a  d'éclatant  et  de  spécieux ,  un  effroyable 
défaut  ;  c*est  qu  elle  donne  la  mort  à  tous  ceux  qui 

m 

la  prennent  pour  la  règle  de  leur  vie.  Celte  prudence 
tortueuse  et  féconde  en  subtilités  est  ennemie  de 

• 

celle  de  Dieu,  qui  marche  toujours  dans  la  droiture 
et  dans  la  simplicité.  Mais  que  servent  aux  prudens 
du  ^ècle  tous  leurs  talens,  puisqu'à  la  fin  ils  se  trou- 
vent pris  dans  leurs  propres  pièges?  L'apôtre  saint 
Jacqaes  donne  à  cette  prudence  le  nom  de  terrestre^ 
à^animale  et  de  diabolique  Wi  terrestre  j  parce 
qu  elle  borne  ses  soins  à  l'acquisition  et  à  la  posses- 
sion des  biens  de  la  terre;  animale,  parce  qu'elle  n'a- 
spire qu'à  fournir  aux  hommes  tout  ce  qui  flatte  leur& 
passions^  et  à  les  plonger  dans  les  plaisirs  des  sens  ; 
diabolique  »  parce  qu'ayant  tout  l'esprit  et  toute  la 
pénétration  du  démon ,  elle  en  a  toute  la  malice. 
Avec  elle,  on  s'imagine  tromper  tous  les  autres,  et 
on  ne  trompe  que  soi-même. 

II.  Aveugles  donc  tous  ceux  qui  se  croient  sag^s  » 
et  qui  ne  le  sont  pas  de  la  sagesse  de  Jésus-Christ  j^ 

(•)  Amk*  Tiii*  6.  •*  C*)  Jtfc.  III.  i5. 


58  B^FLBXIOlfS 

seule  digne  du  Bom  de  segeste  !  Ik  courent^  dans  une 

profonde  nuit,  après  des  fantômes.  Us  sont  comme 
ceux  qui,  dans  un  songe,  pensent  être  éveilles,  et  qui 
s'imaginent  que  tous  les  objets  du  songe  sont  réels. 
Ainsi  sont  abusés  tous  les  grands  de  la  terre ,  tous 
les  sages  du  siècle,  tous  les  hommes  enchantés  par 
les  faux  plaisirs.  Il  n'y  a  que  les  enfans  de  Dieu  qui 
marchent  aux  rayons  de  la  pure  vérité.  Qu'est-ce 
qu'ont  devant  eux  les  hommes  pleins  de  leurs  pen* 
sées  vaines  et  ambitieuses? Souvent  la  disgrâce;  tou- 
jours la  mort,  le  jugement  de  Dieu  et  l'éternité. 
Voilà  les  grands  objets  qui  s'avancent  el  qui  viennent 
au-devant  de  ces  hommes  profanes  :  cependant  ils 
ne  les  voient  pas.  Leur  politique  prévoit  tout,  ex- 
cepté la  chute  et  l'anéantissement  inévitable  de  tout 
ce  qu'ils  cherchent.  O  insensés  !  quand  ouvrirez-vous 
les  yeux  à  la  lumière  de  Jésus-Christ,  qui  vous  dé- 
couvriroit  le  néant  de  toutes  les  grandeurs  d'ici-bas? 


XXI.  JOUR. 

Sur  la  confiance  en  Dieu. 

I.  Il  vaut  mieux  mettre  sa  confiance  dans  le  Sei- 
gneurj  que  de  la  mettre  dans  Vhomme  (0.  Vous  vous 
confiez  tous  les  jours  à  des  amis  foibles,  à  des  hommes 
inconnus,  à  des  domestiques  infidèles;  et  vous  crai- 
gnez de  vous  fier  à  Dieu  !  La  signature  d'un  homme 
public  vous  met  en  repos  sur  votre  bien  ;  et  l'Evan- 
gile éternel  ne  vous  rassure  pas  !  Le  monde  vous  pro- 

(0  Pê.  CXTU.  8. 


POD&    TOUS  -M»  XOOBS   DU    MOfS.  5^^ 

met  y  et  voas  le  croyez  :  Oien  vous  jare,  et  vont  avesr 
de  la  peine  à  le  croire.  Qaelle  honte  pour  lui!  quel' 
malheur  pour  vous  I  Rétablissons  tout  dans  Tordre. 
Faisons  avec  modération  ce  qui  dépend  de  nous.  Ait* 
tendons  sans  bornes  ce  qui  dépend  de  Dieu.  Rëpri-* 
mons  tout  empressement  de  passion,  toute  inquiétude 
déguisée  sous  le  nom  de  raison  ou  de  zèle.  Celui  qui 
en  use  ainsi  s'établit  en  Dieu ,  et  devient  immobile 
comme  la  montagne  de  Sion* 

II.  La  confiance  pour  le  salut  doit  être  encore  plus 
élevée  et  plus  ferme.  Je  puis  tout  en  celui  qui  me  for'- 
tijie{}).  Quand  je  croyois  tout  pouvoir,  je  ne  pouvois 
rien  ;  et  maintenant  qu*il  me  semble  que  je  ne  puis 
rien,  je  commence  à  pouvoir  tout.  Heureuse  impuis- 
sance, qui  me  fait  trouver  en  vous,  ô  mon  Dieu,  tout 
ce  qui  me  manquoit  en  moi-même  I  Je  me  glorifie 
dans  mon  infirmité  et  dans  les  malheurs  de  ma  vie , 
puisqu'ils  me  désabusent  du  monde  entier  et  de  moi- 
même.  Je  dois  m^estimer  heureux  d'être  écrasé  par 
une  main  si  miséricordieuse ,  puisque  c'est  dans  cet 
anéantissement  que  je  serai  revêtu  de  votre  force, 
caché  sous  vos  ailes,  et  environné  de  cette  protection 
spéciale  que  vous  étendez  sur  vos  enfans  humbles  ^ 
qui  n'attendent  rien  que  de  vous. 

(•)  Philip.  !▼.  i3. 


6o  BÉFLCXIOIIS 

xxn.  JOUR. 

Sur  la  profondeur  de  la  miséricorde  de  Dieu^ 

I.  Qu'elle  est  grande  la  miséricorde  du  Seigneur  f 
c'est  un  asile  certain  pour  tous  ceux  qui  se  tournent 
vers  elle  (0*  Que  tardons-nous  à  nous  jeter  dans  la 
profondeur  de  cet  abîme  7  Plus  nous  nous  y  perdrons 
ayec  une  confiance  pleine  d*amour,  plus  nous  serons 
en  état  de  nous  sauver.  Donnons-nous  à  Dieu  sans  ré- 
serve^ et  ne  craignons  rien.. Il  nous  aimerai,  et  nous 
Taimerons.  Son  amour,  croissant  chaque  }pur|  nous 
tiendra  lieu  de  tout  le  reste.  Il  remplira  lui  seul  tout 
notre  cœur,  que  le  monde  avoit  enivré ,  agité,  trou- 
blé|  sans  le  pouvoir  jamais  remplir:  il  ne  nous  ôtera 
que  ce  qui  nous  rend  malheureux  :  il  ne  nous  fera 
mépriser  que  le  monde ,  que  nous  méprisons  peut- 
être  déjà  :  il  ne  nous  fera  faire  que  la  plupait  des 
choses  que  nous  faisons ,  mais  que  nous  faisons  mal^ 
au  lieu  que  nous  les  ferons  bien,  en  les  rapportant 
à  lui.  Tout^  jusqu'aux  moindi^es  actions  d\ine  vie 
simple  et  commune,  se  tournera  en  consolation,  en 
mérite  et  en  récompense.  Nous  verrons  en  paix  venir 
la  mort;  elle  sera  changée  pour  nous  en  un  com- 
mencement de  vie  immortelle.  Bien  loin  de  nous 
dépouiller,  elle  nous  revêtira  de  tout,  comme  dit 
saint  Paul  W  ;  et  alors  nous  verrons  la  profondeur 
des  miséricordes  que  Dieu  a  exercées  sur  notre  ame. 

II.  Pensez  devant  Dieu  aux  eflfels  de  cette  miséri- 

(0  E99U.  x%\\,  a8.  —  (*)  //  Cor,  t.  4. 


POUA   TOUS    LES  JOUftf   DU    MOIS.  6t 

corde,  infinie  9  à  ceux  dont  voos  avez  déjà  connois- 
sance,  aax  lainières  que  Jâus-Ghrist  voas  a  données^ 
aax  bons  sentimens  qu*il  vous  a  inspirés ,  aux  péchés 
qa*il  voos  a  pardonnes,  aux  pièges  du  ^siècle  dont  il 
vous  a  garanti  y  aux  secours  extraordinaires  qu'il 
vous  a  ménagés.  Tâchez  de  vous  attendrir  par  le  sou- 
venir de  tQutes  ces  marques  précieuses  de  sa  bonté. 
Ajoulez-y  la  pensée  des  croix  dont  il  vous  a  chargé 
pour  vous  sanctifier  ;  car  ce  sont  encore  des  richesses 
qull  a  tirées  de  la  profondeur  de  ses  trésors ,  et  vous 
les  devez  regarder  comme  des  témoignages  signalés 
de  son  amour.  Que  la  reconnoissance  du  passé  vous 
inspire  de  la  confiance  pour  Favenir.  Soyez  persua- 
dée y  ame  timide ,  qu'il  vous  a  trop  aimée  pour  ne 
vous  pas  aimer  encore.  Ne  vous  défiez  pas  de  lui, 
mais  seulement  de  vous-même.  Souvenez-vous  qu'il 
est  y  comme  dit  F  Apôtre  (0 ,  2e  Phre  des  miséricordes 
et  le  Dieu  de  toute  consolation.  Il  sépare  quelquefois 
ces  deux  choses;  la  consolation  se  retire,  mais  la  mi- 
séricorde demeure  toujours  ;  il  vous  a  ôté  ce  qu'il  y 
avoit  de  doux  et  de  sensible  dans  sa  grâce,  parce 
que  vous  aviez  besoin  d'être  humiliée,  et  d*étre  pu- 
nie d'avoir  cherché  ailleurs  de  vaines  consolations. 
Ce  châtiment  est  encore  une  nouvelle  profondeur 
<le  sa  divine  miséricorde. 

[*)  a  Cor.  I.  3. 


69  BtiTftCKiairs 

xxm.  JOUR. 

Sur  la  douceur  du  Joug  de  Jésus^ChrisU 

I.  Mon  joug  est  doux  et  mon  fardeau  estlégeri^). 
Que  le  nom  de  joug  ne  nous  effraie  point.  Nous  en 
portons  le  poids;  mais  Dieu  le. porte  avec  nous,  et 
plus  que  nous,  parce  que  c'est  un  joug  qui  doit  être 
porte  par  deux,  et  que  c'est  le  sien,  et  non  pas  le 
nôtre.  Jésus-Christ  fait  aimer  ce  joug.  Il  Tadoucit 
par  le  charme  intérieur  de  la  justice  et  de  la  vérité. 
Il  répand  ses  chastes  délices  sur  les  vertus,  et  dé- 
goûte des  faux  plaisirs.  Il  soutient  l'homme  contre 
lui* même,  Tarrache  à  sa  corruption  originelle,  et 
le  rend  fort  malgré  sa  foiblesse.  O  homme  de  peu  de 
foi,  que  craignez-vous?  Laissez  faire  Dieu;  aban- 
donnez-vous à  lui.  Vous  souffrirez,  mais  vous  souffri- 
rez avec  amour  et  avec  paix.  Vous  combattrez  ;  mais 
vous  remporterez  via  victoire;  et  Dieu  lui-même 
après  avoir  combattu  en  votre  faveu  r,  vous  couron- 
nera de  sa  propre  main.  Vous  pleurerez;  mais  vos 
larmes  seront  douces,  et  Dieu  lui-même  viendra  avec 
complaisance  les  essuyer.  Vous  n'aurez  plus  la  per- 
mission de  vous  abandonner  à  vos  passions  tyranni- 
ques;  mais  en  sacrifiant  librement  votre  liberté, 
vous  en  retrouverez  une  autre  inconnue  ab  monde, 
et  plus  précieuse  que  toute  la  puissance  des  rois. 

II.  Quel  aveuglement  de  craindre  de  trop  s'enga- 
ger avec  Dieu  !  Plopgeons-nous  dans  son  sein.  Plus 

(>)  Jlfatth.  XI.  3o. 


POUR   TOUS    IéBS   jours    DU    MOIS*  63 

on  Taiiae ,  plus  oo  aime  aussi  toot  ce  qu'il  noui  fait 
faire.  C'est  cet  amour  qui  uous  console  dans  nos  per» 
tes  f  qui  adoucit  nos  croix  ^  qui  nous  dëiache  de  tout 
ce  qu'il  est  dangereux  d'aimer^  qui  nous  prftenre  de 
mille  poisons,  qui  nous  montre  une  miséricorde  bien- 
faisante au  travers  de  tous  les  maux  que  nous  souf- 
frons y  qui  nous  découvre  dans  la  mort  même  une 
gloire  et  une  félicité  éternelle.  Comment  pouvons- 
nous  craindre  de  nous  remplir  trop  de  lui?  Ëst-ee  un 
malheur  d'être  déchargé  du  joug  pesant  du  monde , 
et  de  porter  le  fardeau  léger  de  Jésus-Christ?  Crai- 
gnons-nous d'étrë  trop  heureux,  trop  délivra  de 
nous-mêmes,  des  caprices  de  notre  orgueil,  de  la 
violence  de  nos  passions,  et  de  la  tyrannie  du  siècle 
trompeur  7 

XXIV.  JOUR. 

Sur  la  fausse  liberté. 

I.  Ov  est  t esprit  du  Seigneur^  là  est  aussi  la  U* 
berié  (0*  L'amour  de  la  liberté  est  une  des  plus  dan- 
gereuses passions  du  cœur  humain  ;  et  il  arrive  de 
cette  passion  comme  de  toutes  les  autres,  elle  trompe 
ceux  qqf  la  suivent,  et  au  lieu  de  la  liberté  véritable 
elle  leur  fait  trouver  le  plus  dur  et  le  plus  honteux 
esclavage.  Comment  nommez-vous  ce  qui  se  passe 
dans  le  monde?  Que  n'avez-vous  point  à  soufirir  pour 
ménager  l'estime  de  ces  hommes  que  vous,  méprisez? 
Que  ne  vous  en  coùte-t-il  pas  pour  maîtriser  vos 

<0/Cw.  m.  J7. 


64  ^i^^LEXioirâ 

pasâons  quand  elles  vont  trop  loin ,  pour  ùôntetiter 
celles  à  qui  vous  voulez  céder,  pour  cacber  vos  pei- 
nes, pour  sauver  des  apparences  embarrassantes  et 
importunes  7  Est-ce  donc  là  cette  liberté  que  vous 
aimez  tant,  et  que  vous  avez  tant  de  peine  à  sacrifier 
à  Dieu  ?  Oii  est-elle  ?  Montrez-la  moi.  Je  ne  vois  par* 
tout  que  gêne,  que  servitude  basse  et  indigne,  que 
nécessité  déplorable  de  se  déguiser.  On  se  refuse  è 
Dieu,  qui  ne  nous  veut  que  pour  nous  sauver;  et  on 
se  livre  au  monde,  qui  ne  nous  veut  que  pour  nous 
tyranniser  et  pour  nous  perdre. 

II.  On  s*imagine  qu  on  ne  fait  dans  le  monde  que 
ce  qu*on  veut,  parce  qu'on  sent  le  goût  de  ses  pas-^ 
sions  par  lesquelles  on  est  entraîné;  mais  compte*t-on 
les  dégoûts  affreux,  les  ennuis  mortels,  les  mécomp* 
tes  inséparables  des  plaisirs,  les  humiliations  qu*on 
a  à  essuyer  dans  les  places  les  plus  életées?  Au  dehors 
tout  est  riant  ;  au  dedans  tout  est  plein  de  chagrin  et 
d'inquiétude.  On  croit  être  libre,  quand  on  ne  dé- 
pend plus  que  de  soi-même.  Folle  erreur  !  T  a-t-il 
un  état  oh  Ton  ne  dépende  pas  d'autant  de  maîtres 
qu'il  y  a  de  personnes  à  qui  Ton  a  relation  ?  Y  en 
a-t~il  un  oh  l'on  ne  dépende  pas  encore  davantage 
des  fantaisies  d'autrui,  que  des  siennes  propres? 
Tout  le  commerce  de  la  vie  n'est  que  gêne,  par  la 
captivité  des  bienséances  et  par  la  nécessité  de  plaire 
aux  autres.  D'ailleurs  nos  passions  sont  pires  que  les 
plus  cruels  tyrans.  Si  on  ne  les  suit  qu'à  demi,  il  faut 
à  toute 'heure  être  aux  prises  avec  elles,  et  ne  respi- 
rer jamais  un  seul  moment.  Elles  se  trahissent  ;  elles 
déchirent  le  cœur  ;  elles  foulent  aux  pieds  les  lois  de 
rhonneur  et  de  la  raison,  et  ne  disent  jamais,  Cest 

assez. 


POUR    TOUS  1«ES  JOVAS    DU    MO».  65 

assez.  Si  oo  s*y  abaDdoaae  tout-à-fait,  oii  ce  torrent 
mènera- t-il  ?  J*ai  horreur  de  le  penser.  9  mon  Dieu, 
présenrez-moi  de  ce  funeste  esclavage,  que  Tinso- 
leace  humaine  n*a  pas  de  honte  de  nommer  une  li- 
berté. Cest  en  vous  seul  qu^on  est  libre.  Gest  votre 
vérité  qui  nous  délivrera,  et  qui  nous  fera  éprouver 
que  vous  servir  c'est  r^ner. 

XXV.  JOUR. 

Sur  la  déierminazion  entière  à  être  à  Dieu, 

I.SsiGirsun^çuevouleZ'^ùus  çuefefa^se  (  '}?  CTest 
ce  que  dîsoit  saint  Paul,  renversé  miraculeusement, 
et  converti  par  la  grâce  du  Sauveur  qu*il  persécutoit. 
Hélas  !  combien  Tavons-nous  persécuté  par  nos  infi- 
délités, par  nos  humeurs,  par  nos  passions,  qui  ont 
troublé  Touvrage  de  sa  miséricorde  dans  notre  cœuri 
Enfin  il  nous  a  renversés  par  la  tribulation;  il  a 
écrasé  notre  orgueil  ;  i)  a  confondu  notre  prudence 
chamelle  ;  il  a  consterné  notre  amour  propre.  Di- 
sons-lui donc  avec  un  acquiescement  entier  :  «Sei- 
gneurj  que  voulez-vous  que  je  fasse?  Jusqu*ici  je  ne 
mVtois  tourné  vers  vous  qu'imparfaitement  ;  j*avois 
usé  de  mille  remises,  et  favois  tâché  de  sauver  et 
d'emporter  du  débris  de  ma  conversion  tout  ce  qu'il 
m'avoit  été  possible  :  mais  pr^ntement  je  suis  prêt 
à  tout ,  et  vous  allez  devenir  le  maître  absolu  de  mon 
ccear  et  de  ma  conduite. 

•  CO  Aci,  IX.  6. 

FélfÉLOM.   xviii.  5 


06  RÉFLEXIONS 

II.  Il  ne  suffit  pas  cependant  que  Toffre  soit  uni- 
vei^selle  :  ce  ne  seroit  rien  faire,  si  elle  demeuroit  va- 
gue et  incertaine,  sans  descendre  au  détail  ni  à  la 
pratique,  il  y  a  trop  long-temps,  dit  saint  Augustin, 
qui  nous' traînons  une  volonté  vague  et  languissante 
pour  le  bien.  II  ne  coûte  rien  de  vouloir  être  par- 
fait, si  on  ne  fait  rien  pour  la  perfection.  Il  la  faut 
vouloir  plus  que  toutes  les  choses  temporelles  les 
plus  chères  et' les  plus  vivement  poursuivies  ;  et  il  ne 
faut  pas  vouloir  faire  moins  pour  Dieu,  que  Ton  n*a 
fait  pour  le  monde.  Sondons  notre  cœur.  Suis- je  dé- 
termine à  sacrifier  à  Dieu  mes  amitiés  les  plus  fortes, 
mes  habitudes  les  plus  enracinées ,  mes  inclinations 
dominantes,  mes  plus  agréablejs  amusemens? 

XXVI.  JOUR. 

Sur  la  capitulation  qu'on  voudroit  faire  avec  Dieu. 

I.  JUSQVES  à  quand  clocherez-vous  de  deux  côtés  (0. 
Nul  ne  peiU  servir  deux  maitresW»  On  saitbienqu^il 
faut  servir  Dieu  et  Taimer,  si  on  veut  être  sauvé; 
mais  on  voudroit  bien  ôter  de  son  service  et  de  son 
amour  tout  ce  qu  il  y  a  d  onéreux ,  et  n^y  laisser  que 
ce  qu'il  y  a  d'agréable.  On  voudroit  le  servir,  à  con- 
dition de  ne  lui  donner  que  des  paroles  et  des  céré- 
monies, et  encore  des  cérémonies  courtes,  dont  on  est 
bientôt  lassé  et  ennuyé.  On  voudroit  Taimer,  à  con- 
dition qu  on  aimeroit  avec  lui ,  et  peut-être  plus  que 
lui ,  tout  ce  qu  il  n'aime  point  et  qu'il  condamne  dans 

CO  iUHeg.  XVI".  ai.  —  CO  Mauk.  yi.  34. 


POUa    TOUS    LBS   JOURS    DU    MOIS.  67 

les  vanités  mondaines.  On  voudroit  raimer,  k  condi- 
tion de  ne  diminuer  en  rien  cet  aveugle  amour  de 
nous-mêmes,  qui  va  jusqu'à  ridolâtrie,  et  qui  fait 
qu'an  lieu  de  nous  rapporter  à  Dieu  comme  9  celui 
pour  qui  nous  sommes  faits ,  on  veut  au  contraire 
rapporter  Dieu  à  soi ,  et  ne  )e  rechercher  que  comme 
une  ressource  qui  nous  console  quand  les  créatures 
nous  manqueront.  On  voudroit  le  servir  et  J^aimer, 
à  condition  qu'il  sera  permis  d^avoir  honte  de  son 
amour,  de  s'en  cacher  comme  d'une  foiblesse,  de 
rougir  de  lui  comme  d'un  ami  indigne  d'être  aimé , 
de  ne  lui  donner  que  quelque  extérieur  de  religion 
pour  éviter  le  scandale,  et  de  vivre  à  la  merci  du 
monde  pour  ne  rien  donner  à  Dieu  qu'avec  la 
permission  du  monde  même.  Quel  service  et  quel 
amour  ! 

II.  Dieu  n'admet  point  d'autre  pacte  avec  nous, 
que  celui  qui  a  rapport  à  notre  première  alliance 
dans  le  ))aptême,  oh  nous  avons  promis  de  renon- 
cer à  tout  pour  être  à  lui  ;  et  au  premier  commande- 
ment de  sa  loi ,  oii  il  exige  sans  réserve  tout  notre 
cœur ,  tout  notre  esprit  et  toutes  nos  forces.  Peut-on 
en  effet  aimer  Dieu  de  bonne  foi ,  et  avoir  tant  d'é- 
gards pour  le  monde  son  ennemi,  auquel  il  a  donné 
de  si  terribles  malédictions?  Peut-on  aimer  Dieu,  et 
craindre  de  le  trop  connoître,  de  peur  d'avoir  trop 
de  choses  à  lui  sacrifier?  Peut-on  aimer  Dieu,  et  se 
contenter  de  ne  l'outrager  pas,  sans  se  mettre  en 
peine  de  lui  plaire,  de  le  glorifier,  et  de  lui  témoi- 
gner courageusement,  dans  les  occasions  qui  se  pré- 
sentent tous  les  jours ,  l'ardeur  et  la  sincérité  de  son 
amour?  Dieu  ne  met  ni  bornes  ni  réserves  en  se 


ISg  RÉFiiEXioira 

donnant  à  nons;  et  nous  voudrions  en  apporter 
mille  avec  lui.  Est-il  sur  la  terre  des  créatures  assez 
viles  poar  se  contenter  d'être  âimëes  de  nous  comme 
nous  «'avons  pas  honte  de  vouloir  que  Dieu  se  con- 
tentât d'être  aime  ? 

xxvn.  JOUR. 

Sur  le  bon  emploi  du  temps. 

I.  Faisons  le  bien  pendant  que  nous  en  aidons  le 
temps  (i).  Une  nuit  viendra  pendant  laquelle  per- 
sonne ne  peut  agir  W.  Le  temps  est  précieux ,  mais 
on  n'en  connott  pas  le  prix  \  on  le  connottra  quand 
il  n'y  aura  plus  lieu  d'en  profiter.  Nos  amis  nous  le 
demandent  comme  si  ce  n'étoit  rien  ;  et  nous  le  don- 
nons de  même.  Souvent  il  nous  est  à  charge  ;  nous 
ne  savons  qu'en  faire ,  et  nous  en  sommes  embar- 
rassés. Un  jour  viendra  qu'un  quart-d'heure  nous 
parottra  plus  estimable  et  plus  désirable  que  toutes 
les  fortunes  de  Tunivers.  Dieu ,  libéral  et  magnifique 
dans  tout  le  reste ,  nous  apprend ,  par  la  sage  écono> 
mie  de  sa  providence ,  combien  nous  devrions  être 
curconspects  sur  le  bon  usage  du  temps,  puisqu'il 
ne  nous  en  donne  jamais  deux  instans  enseipble,  et 
qu'il  ne  nous  accorde  le  second  qu'en  retirant  le 
premier  y  et  qu'en  retenant  le  troisième  dans  sa  main 
avec  une  entière  incertitude  si  nous  Taurons.  Le 
temps  nous  est  donné  pour  ménager  Téternité  :  et 

(0  GalaL  Ti.  10.  —  (*)  /m»,  iz.  4* 


POUR    TOUS    LES  700 RS    DU    MOIS.  (ig 

réteraité  M  sera  pas  trop  longue  pour  regretter  la 
perte  du  temps ,  si  nous  en  avons  abustf. 

II.  Toute  notre  vie  est  à  Dieu  aussi  bien  que  tout 
notre  cœur.  L'un  et  Tautre  ne  sont  pas  trop  pour 
lui.  n  ne  nous  les  a  donnes  que  pour  Tainier  et  pour 
le  servir.  Ne  lui  en  dérobons  rien.  Nous  ne  pouvons 
pas  à  tous  momens  faire  de  grandes  choses  ;  mais  nous 
en  pouvons  toujours  faire  de  convenables  à  notre 
état.  Se  tairet  souffrir,  prier,  quand  nous  ne  sotnmes 
pas  obligés  d*agir  extérieurement,  c*est  beaucoup 
oflrir  à  Dieu.  Un  Contre* temps,  une  contradiction |^ 
un  murmure ,  une  importunité ,  une  injustice  reçue 
et  soufferte  dans  la  vue  de  Dieu ,  valent  bien  une 
demi-heure  d'oraison  ;  et  on  ne  perd  pas  le  temps , 
quand,  en  le  perdant,  on  pratique  la  douceur  et 
la  patience.  Mais  pour  cela  il  faut  que  cette  perte 
soit  inévitable^  et  que  nous  ne  nous  la  procunons 
pas  par  notre  faute.  Ainsi  réglez  vos  jours,  et  rache- 
tez le  temps ,  comme  dit  saint  Paul  (0,  en  fuyant  le 
monde ,  et  en  abandonnant  au  monde  des  biens  qui 
ne  valent  pas  le  temps  qu'ils  nous  ôtent.  Quittez  les 
amusemens,  les  correspondances  inutiles,  les  épan- 
chemens  de  cœur  qui  flattent  l'amour  propre,  les 
conversations  qui  dissipent  l'esprit  et  qui  ne  condui- 
sent à  rien.  Vous  trouvei'ez  du  temps  pour  Dieu  ;  et 
il  n'y  a  de  bien  employé  que  celui  qui  est  employé 
pour  lui. 

(s)  Ephu.  r.  10.  . 


7  O  KÉFLBXI09S 


xxvra.  JOUR. 

Sur  la  présence  de  Dieu. 

I..  M^RCHSZ  en  fna  présence ,  et  soyez  parfait  (>  ). 
Voilà,  Seigneur,  ce  que  vous  disiez  au  fidèle  Abra- 
ham :  et  en  effet,  qui  marche  en  votre  présence  est 
dans  la  voie  dé  la  perfection.  On  ne  s*écarte  de  cette 
voie  sainte  qu'en  vous  perdant  de  vue,  et  qu'en  ces- 
sant de  vous  voir  en  tout.  Hélas  !  où  vais-je  lorsque 
)e  ne  vous  vois  plus ,  vous  qui  êtes  îna  lumière ,  et  le 
terme  unique  où  doivent  tendre  tous  mes  pas?  Vous 
regarder  dans  .toutes  les  démarches  que  Ton  fait, 
c^est  le  moyen  de  ne  s'égarer  jamais.  O  foi  lumineuse 
au  milieu  des  ténèbres  qui  nous  environnent  !  O  re- 
gard plein  de  confiance  et  d'amour,  qui  conduisez 
rhomme.àla  perfection  !  O  Dieu ,  je  ne  vois  que  vous  ; 
c'est  vous  seul  que  je  cherche  et  que  je  considère 
dans  tout  ce  que  mes  yeux  semblent  regarder  !  L'or- 
dre de  votre  providence  est  ce  qui  attire  mon  atten- 
tion. Mon  cœur  ne  veille  que  pour   vous  dans  la 
multitude  des  affaires,  des  devoirs  et  des  pensées  qui 
m'occupent,  parce  qu'elles  ne  m'occupent  que  pour 
obéir  à  vos  ordres.  Ainsi  je  tâche  de  réunir  toute 
mon  attention  en  vous ,  ô  souverain  et  unique  objet 
de  mon  cœur ,  lors  même  que  je  suis  obligé  de  par- 
tager mes  soins  selon  les  lois  de  votre  divine  volonté. 
Hé  !  que  pouri^ois-je  regarder  dans  ces  viles  créatu- 
res, si  vous  cessiez  de  m'y  appliquer,  et  si  je  cessois 
de  vous  y  voir? 

(0  Gen.  ZTii.  I. 


POUU    TOUS    LES    JOURS    DU    MOIS.  *]  l 

IL  J'ai  donc  résolu  de  tenir  mes  yeux  leués  vers 
les  montagnes  saintes ,  d'où  j'attends  toute  ma  force 
et  tout  mon  secours  (0.  Cest  en  vain  que  je  m'appli- 
querois  uniquement  à  regarder  à  mes  pieds ,  pour  me 
délivrer  des  pièges  innombrables  qui  m'environnent. 
Le  danger  vient  d'en  bas  ;  mais  la  délivrance  ne  peut 
venir  que  d'en  haut  :  c'est  là  que  mes  vœux  s'élèvent 
pour  vous  voir.  Tout  est  piège  pour  moi  sur  la  terre, 
le  dedans  et  le  dehors.  Tout  est  piège ,  Seigneur , 
sans  vous.  C'est vei*s  vous  seul  que  se  portent  mes  yeux 
et  mon  cœur.  Je  ne  veux  voir  que  vous  ;  je  n'espère 
qu'en  vous.  Mes  ennemis  m'assiègent  sans  cesse  :  ma 
propre  foiblesse  m'effraie.  Mais  vous  avez  vaincu 
le  monde  pour  vous  et  pour  moi  ;  et  votre  force 
toute-puissante  soutiendra  mon  infirmité. 


ywyy^0y%n/y%/%m%iww%^%^¥y¥%yy%fy¥^y%n/v%/%yy%f9ty% 


XXIX.  JOUR. 

Sur  l'amour  que  Dieu  a  pour  nous. 

I.  Je  vous  ai  aimé  d'un  amour  éternel  W,  Dieu  n*a 
pas  attendu  que  nous  fussions  quelque  chose  pour 
nous  aimer  :  avant  tous  les  siècles ,  et  avant  même 
que  nous  eussions  l'être  que  nous  possédons ,  il  pen- 
soit  à  nous ,  et  il  n'y  pensoit  que  pour  nous  faire  du 
bien.  Ce  qu'il  avoit  médité  dans  l'éternité,  il  Ta  exécuté 
dansle  temps.Sa  main  bienfaisante  a  répandu  sur  nous 
toutes  sortes  de  biens  :  nos  infidélités  mêmes,  ni  nos  in- 
gratitndes,  presque  aussi  nombreuses  que  ses  faveurs , 
n*ont  pu  encore  tarir  la  source  de  ses  dons ,  ni  arrêter 

(OP*.  ckx.  I.  —  l*)Jerem.  xzxi.  3. 


7  3  RÉFLEXLlOirS 

le  cours  de  ses  grâces.  O  amour  sans  commencement , 
qui  m'avez  aimë^dnrant  des  siècles  infinis,  et  lors  même 
que  je  ne  pouvois  le  ressentir  ni  le  r^ponnottre  !  O 
amour  gans  mesure,  qui  m'avez  fait  ce  que  je  suis  , 
qui  m'avez  donné  ce  que  j'ai ,  et  qui  m'en  promettez 
encore  infiniment  davantage  I O  amour  sans  interrup- 
tion et  sans  inconstance ,  que  toutes  les  eaux  amères 
de  mes  iniquités  n'ont  pu  éteindre  !  Ai- je  un  cœur  y. 
6  mon  Diça,  si  je  ne  suis  pas  pénétré  de  reconnois- 
sance  et  de  tendresse  pour  vous  7 

II.  Mais  que  vois-je  ?  Un  Dieu  qui  se  donne  lui  - 
même,  après  même  avoir  tout  donné  ;  un  Dieu  qui 
me  vient  chercher  jusqu'au  néant ,  parce  que  mon 
péché  m'a  fait  descendre  juscpie  là  ;  un  Dieu  qui 
prend  la  foràie  d'un  esclave,  pour  me  délivrer  de  l'es- 
davage  de  mes  ennemis  ;  un  Dieu  qui  se  fait  pau- 
vre, pour  m'enrichir;  un  Dieu  qui  m'appelle,  et  qui 
court  après  moi  quand  je  le  fuis;  un  Dieu  qui  expire 
dans  les  tourmens  pour  m'arracher  des  bras  de  la 
mort  et  pour  me  rendre  une  vie  heureuse  :  et  je  ne 
veux  souvent  ni  de  lui  ni  de  la  vie  qu'il  me  présente.  ! 
Pour  qui  prendroit-on  un  homme  qui  aimeroit  un  au- 
tre homme  comme  Dieu  nous  aime  ?  et  de  quels  ana- 
thèmes  ne  se  rend  pas  digne^  après  eela,  celui  qui 
n'aimera  pas  le  Seigneur  Jésus  (i). 

(*)  /  Cor,  XVI.  aa. 


POUR   TOUS   LB8   TOURS    DV    VOIS.  *}3 

XXX.  JOUR. 

Sur  tamour  que  nous  devcm  a^oir  pour  Dieu. 

I.  (^'Mi-JB  à  désirer  dans  le  cielà  et  que  pwU^je 
aimer  sur  la  terre  f  si  ce  ri  est  voûs^  6  mon  Dieu  (0» 
Souvent ,  quand  nous  disons  à  Diea  qne  nous'  Fai^ 
moDS  de  tout  notre  gcbut  »  c*e8t  un  langage  ^  c^est  uû 
discours  sans  réalité  :  on  nous  a  appris  à  parler  ainsi 
dans  notre  enfiince;  et  nous  continuons ,  quand  nous 
sommes  grands,  sans  savoir  bien  souvent  ce  que 
nous  disons.  Âimer  Dieu  y  c*est  n*avoir  point  diantre 
volonté  qne  la  sienne  y  c*est  observer  fidèlement  sa 
sainte  loi ,  c^est  avoir  horreur  du  péché.  Aimer  Dieu, 
c*est  aimer  ce  que  Jésus^Christa  aimé,  la  pauvreté, 
les  humiliations,  les  souffrances;  c^est  haïr  ce  que 
J&us-Christ  a  haï ,  le  monde ,  la  vanité,  les  passions. 
Peut-on  croire  qu*on  aime  itn  objet  auquel  on  ne 
voudroit  pas  ressembler  7  Animer  Dieu ,  c'est  s*et)tre- 
tenir  .volontiers  avec  lui,  c'est  désirer  d'aller  à  lui^ 
c'est  soupirer  et  languir  après  lui.  O  le  txax  amour 
que  celui  qui  ne  se  soucie  pas  de  voir  ce  qu'il  aimet 

II.  Le  Sauveur  est  venu  apporter  un  feu  divin  sur 
la  terre ,  et  son  désir  est  que  ce  feu  brûle  (^)  et  con- 
sume tout.  Cependant  les  hommes  vivent  dans  une 
froideur  mortelle.  Us  aiment  un  peu  de  métal ,  une 
maison,  un  nom,  un  titre  en  l'an*,  une  chimère 
qu'ils  appellent  réputation.  Us  aiment  une  conversa- 
tion, un  amusement  qui  leur  échappe.  Il  n'y  a  que 

(0  Pê,  uuii.  35.  —  (>)  Luc,  zii.  49- 


r  \ 


74  HÉFLEXIOHS 

Dieu  pour  qui  il  ne  leur  reste  point  d'amour  :  tout 
s'épuise  pour  les  créatures  les  plus  méprisables.  Ne 
voudrons-nous  jamais  goûter  le  bonheur  deUamour 
divin  ?  Jusques  à  quand  préférerons-nous  d'aimer  les 
créatures  les  plus  empoisonnées?  O  Dieu  !  régnez 
sur  nous  malgré  nos  infidélités  !  Que  le  feu  de  votre 
amour  éteigne  tout  autre  feu!  Que  pouvons -nous 
voir  d'aimable  hors  de  vous ,  que  nous  ne  trouvions 
parfaitement  en  vous,  qui  êtes  la  source  de  tout  bien? 
Accordez-nous  la  grâce  de  vous  aimer,  «t  nous  n'ai- 
merons plus  que  vouS|  et  nous  vous  aimerons  éter- 
nellement. 

XXXI.  JOUR. 
Sur  les  sentimens  de  l'amour  diptn. 

I.  O  Dieu  de  mon  cœur,  6  Dieu  mon  partage  pour 
jamais (0!  Peut-on  vous  connoître,  6  mon  Dieu,  et 
ne  vous  pas  aimer,  vous  qui  surpassez  en  beauté,  en 
vertu ,  en  grandeur,  en  pouvoir ,  en  bonté ,  en  libé- 
ralité ,  en  magnificence ,  en  toutes  sortes  de  perfec- 
tions, et,  ce  qui  me  touche  de  plus  près,  en  amour 
pour  moi  tout  ce  que  les  esprits  cré&  peuvent  com- 
prendre? Le  respect  et  l'inégalité  entre  vous  et  moi 
devroit,ce  semble,  m'arréter:  mais  vous  me  permet- 
tez, c'est  trop  peu  dire,  vou^  m'ordonnez  de  vous 
aimer.  Après  cela.  Seigneur,  je  ne  me  cannois  plus 
et  je  ne  me  possède  plus.  O  amour  sacré,  qui  atcz 
blessé  mon  amour ,  et  qui  de  vos  propres  traits  vous 

(«}  Pi,  Lxxii.  a6. 


POUR    TOUS   LB8   lOUliS    DU    MOIS.  'jS 

êtes  ¥ou»-méine  blessé  poar  moi ,  venez  jne  gaéviv , 
ou  plutôt  venez  rendre  la  blessure  que  vous  m*avez 
faite  encore  plus  profonde  et  {4us  vive.  Séparez-moi 
de  toutes  les  créatures;  elles  m'incommodent,  elles 
m'importunent  :  vous  seul  me  suffisez ,  et  je  ne  veux 
plus  que  vous. 

II.  Quoi  !  il  sera  dit  que  les  amans  insensés  de  la 
terre  porteront  jusqu'à  un  excès  de  délicatesse  et  d'ar- 
deur leurs  folles  passions  ;  et  on  ne  vous  aimeroit  que 
foil^Iement  et  avec  mesure  I  Non ,  non,  mon  Dieu  ; 
il  ne  faut  pas  que  l'amour  profane  l'emporte  sur  l'a- 
mour divin.  Faites  voir  ce  que  vous  pouvez  sur  un 
cœur  qui  est  tout  à  vous.  L'accès  vous  en  est  ouvert, 
les  ressorts  vous  en  sont  connu».  Vous  savez  ce  que 
votre  grâce  est  capable  d'y  exciter.  Ypus  n'attendez 
que  mon  consentement  etq;ueracquie8cemetit  de  ma 
liberté.  Je  vous  dopne  mille  et  mille  fois  l'un  et  l'au- 
tre. Prenez  tout  :  agissez  en  Dieu;  embrasez-moi  ^ 
consumez-moi.  Foible  et  impuissante  créature  que  je 
suis,  je  n'ai  rien  à  vous  donner  que  mon  amour. 
Augmentez-le,  Seigneur,  et  rendez-le  plus  digne'de 
vous.  O  si  l'étois  capable  de  faire  pour  vous  de  gran- 
des chose&l  O  si  j'avois  beaucoup  à  vous  sacrifier  ! 
Mais  tout  ce  que  je  puis  n'est  rien.  Soupirer,  langiiir, 
aimer,  et  mourir  pour  aimer  encore  davatitage,  c'est 
désormais  tout  ce  que  je  veux. 


7^  '     ■iMTAtiovr 

MÉDITATIONS. 

SUR  DIVERS  SUJETS 

TIRÉS  DE  LÉCKiTURE  SAINTE 


De  la  vraie  connoissance  de  l'Èuangile^ 

Seigneur,  k  c{iii  irioiie-iioiif ,  linon  igtout  qui  aires  ks  paroles  de 

le  Tk  tenielle?  S.  Jean.  rr.  691 

.  Nova  ne  connougons  point  assez  FEvangile  ;  et  ce 
^i  BOUS  empédie  de  l'apprendre ,  c*est  que  nous 
croyons  le  savoir.  Nous  en  ignorons  les  maximes  ^ 
nous  n*én  péntftr<nis  point  Tesprit ,  nous  recherchons 
curieusement  les  paroles  des  hommes ,  et  nous  në« 
gligeons  celles  de  Dieu.  Une  parole  de  TEvangile  est 
plus  précieuse  que  tous  les  autres  livres  du  monde 
ensemble)  c'est  la  souroe  de  toute  vérité.  Avec  quel 
amour,  avec  quelle  foi,  avec  quelle  adoration  de- 
vrions-nous y  écouter  Jésus-Ohrist  !  DîsonsJui  donc 
désormais  avec  saint  Pierre  :  Seigneur,  a^ui  irions^ 
nous  ?  Un  moment  de  recueillement ,  d'amour  et  de 
présence  de  Dieu*  fait  plus  voir  et  entendre  la  vé- 
rité, que  tous  les  raisonnemens  des  hommes. 


TiaÉES   DB  L'AOElVimB   SAUfTB.  77 


Vu  cAangemen^  de  la  bumhre  en 

Prenes  donc  garde  que  la  lumière  qui  est  en  voiif  ne  eoit  (jue  té- 
nèbres. S,  Luc»  XI.  35. 

lu  ii*eftt  pas  étonnant  que  nos  défilais  nous  défi<- 
garent  aux  yeax  de  Dieu.  Mais  que  uoa  vertus 
mêmes  ne  soient  souvent  que  des  imperfections^  e*esl 
ce  qui  doit  nous  faire  trembler.  Souvent  notre  sa* 
gesse  n*est  qu*une  politique  chamelle  et  mondaine  ; 
notre  modestie,  qu*un  extérieur  composé  et  hypo- 
crite pour  garder  les  bienséances  et  nous  attirer  des 
louanges  ;  notre  zèle ,  qu'un  efièt  de  Thumear  ou  de 
Torgueil;  notre franchisey'qa'une  brusquerie;  et  ainsi 
du  reste.  A.vec  quelle  lâcheté  sont  exécatés  en  détail 
les  sacrifices  que  nous  faisons  à  Dieu ,  et  qui  pa- 
roissent  les  plus  éclatans  1  Craignons  que  la  lumière 
se  change  en  ténèbres* 

III. 

Des  pièges  et  de  la  tyrannie  du  monde* 
IfaUtenr  au  monde  à  cause  de  ses  scandales  !  5.  Matài.  xviii.  7. 

QoB  volontiers.  Seigneur,  je  répèle  cette  terrible 
parole  de  Jésus-Chrîst  votre  fils  et  mon  sauveur  S 
EUe  est  terrible  pour  le  monde  à  jamaia  réprouvé  ; 
mais  elle  est  dooœ  et  consolante  pour  cens  qui  vohs 


78  '     MÉOtTAnOHS 

aiment  et  qui  le  xnépriseiiL  Elle  seroit  pour  anoi  oa 
coup  de  foudre ,  si  ^jamais  je  me  rengageois  contre 
vous  dans  la  servitude  du*siècle.  Ah!  monde  aveugle 
et  injuste  tyran  !  tu  flattes  pour  trahir  ;  tu  amuses 
pour  donner  le  coup  de  la  mort.  Tu  rrs,  tu  fais  rire; 
tu  méprises  ceux  qui  pleurent  ;  tu  ne  cherches  qu*à 
enchanter  les  sens  par  une  vaine  joie  qui  se  tourne 
en  poison  :  mais  tu  pleureras  éternellement,  'pen- 
dant que  les  enfans  de  Dieu  seront  consolés.  O  que 
je  méprise  tes  mépris,  et  que  je  crains  tes  complai- 
sances 1 


^M^mm/Ê0W¥m0miw9^Ê¥¥m^^y%m%/9m^¥y^9/v^^/^mn0¥^  kkjik»»! 


IV. 


Combien  peu  renoncent  à  l'amour  du  monde,  çui 
*  '     est  si  digne  de  mépins. 

ITaimex  point  le  monde,  ni  les  choses  qui  sont  dans  le  monde. 

I£p.  de  S.  Jean,  11.  i5. 

Qde  ces  paroles  ont  d'étendue  !  Le  monde  est 
cette  multitude  aveugle  et  corrompue  que  Jésus- 
Christ  maudit  dans  TEvangile,  et  pour  lequel  il  ne 
veut  pas  même  prier  en  mourant.  Chacun  parle 
contre  le  monde,  et  chacun  a  pourtant  le  monde 
dans  son  cœur.  Le  monde  n'est  que  l'assemblage 
des  gens  qui  s'aiment  eux-mêmes,  et  qui  aiment  les 
créatures  sans  rapport  à  Dieu.  Nous  sommes  donc 
le  monde  nous-mêmes,  puisqu'il  ne  faut  pour  cela 
que  s'aimer,  et  que  chercher  dans  les  créatures  ce 
qui  n  est  qu'en  Dieu.  Avouons  que  nous  apparte- 
nons au  monde ,  et  que  nous  n'avons  point  l'esprit 


TIRÉES    DE   L'ÉCRITtrilE    SAIRTU*  79 

de  Jësus-Christ;  Quelle  pitié  de  renoncer  en  appa- 
rence au  monde,  et  d^en  conserver  les  sentimens! 
Jalousie  pour  Tautorité,  amour  pour  la  réputation 
qu*on  ne  mérite  pas,  dissipation  dans  les  compa- 
gnies y  recherche  des  commodités  qui  flattent  la  chair, 
lâcheté  dans  les  exercices  chrétiens,  inapplication 
à  étudier  les  vérités  de  l'Evangile^  voilà  le  monde. 
Il  vit  en  nous  ;  et  nous  voulons  vivre  en  lui ,  puisque 
nous  désirons  tant  qu'on  nous  aime,  et  que  nous 
craignons  qu'on  nous  oublie.  Heureux  le  saint 
apôtre,  pour  çui  le  monde  étoit  crucifié  ,  et  qui  Vé" 
toit  aussi  pouf  le  monde  {^). 

V. 
Sur  la  véritable  paix. 

Je  TOUS  donne  ia  paix,  non  comme  Je  monde  la  donne. 

S.  Jean,iLiy,  37. 

Quel  bonheur  de  «avoir  combien  le  monde  est 
méprisable  !  C'est  sacrifier  à  Dieu  peu  de  chose,  que 
de  lui  sacrifier  ce  fantôme.  Qu'on  est  foible  quand 
on  ne  le  méprise  pas  autant  qu'il  le  mérite  !  Qu'on 
est  à  plaindre  quand  on  croit  avoir  beaucoup  quitté 
en  le  quittant  1  Tout  chrétien  y  a  renoncé  par  son 
baptême  :  les  personnes  religieuses  et  retirées  ne 
font  donc  que  suivre  cet  engagement  avec  plus  de 
précaution  que  les  autres.  C'est  avoir  cherché  le 
port  en  fuyant  la  tempête.  Le  monde  promet  la 
paix ,  il  est  vrai ,  mais  il  ne  la  donne  jamais  \  il  cause 


8o  XÉDlTATIOnS 

quelques  plaisirs  passagers  »  mai»  ces  plaisirs  coûtent 
plus  qu'ils  ne  valent.  Jésus-^rist  seul  peut  mettre 
rhomme  en  paix;  il  Faccorde  avec  lui-même;  il 
soomet  ses  passions  ;  il  borne  ses  désirs  ;  il  le  con- 
sole par  son  amour;  il  lui  donne  la  joie  dans  la 
peine  même  :  ainsi  oette  joie  ne  peut  lui  être  ôtée. 

VI. 


Que  JésnS'Christ  a  r^usi  de  prier  pour  le  momde. 

Je  ne  prie  point  pour  le  monde.  S.  Jean,  xrn.  9. 

Jésus-Christ  mourant  prie  pour  ses  )>onrreaoXy  et 
refuse  de  prier  pour  le  monde.  Que  dois-je  donc 
penser  de  ces  hommes  qu*on  appelle  honnêtes  gens, 
et  que  f  ai  appelés  mes  amis,  puisque  les  persécuteurs 
et  les  meurtriers  de  Jésus- Christ  lui  sont  moins 
odieux  que  ces  hommes  auxquels  j'avois  livré  mon 
cœur?  Que  puis-je  attendre  de  ma  foiblesse  dans  les 
compagnies  où  l'on  se  pique  d'oublier  Dieu ,  de  trai- 
ter la  piété  de  foiblesse  y  et  de  suivre  tous  ses  désirs? 
Puis-je  croire  que  j'aime  Dieu  et  que  je  ne  rougisse 
point  de  son  évangile ,  si  j'aime  tant  la  société  de  ses 
ennemis,  et  si  je  crains  de  leur  déplaire  en  témoignant 
que  je  crains  Dieu  ?  O  Seigneur  !  soutenez-moi  contre 
les  torrens  du  monde;  rompez  mes  liens  ;  éloignez- 
moi  des  tabernacles  des  pécheurs;  unissez-moi  avec 
ceux  qui  vous  aiment  ! 


VII. 


TIRÉES   SE    LÉCftITUEB   SAINTR.  8l 

VIL 
Sur  la  fuite  du  monde. 

llafiwiir  an  monde  à  cause  de  tes  soandales.  S,  Matth,  xyiii.  7. 

Le  monde  porte  d^à  sur  son  front  la  condamna- 
tioD  de  Dieu  ;  et  il  ose  s'ëriger  en  juge  pour  décider 
de  tout.  On  veut  aimer  Dieu ,  et  On  craint  lâchement 
de  déplaire  au  monde ,  son  irréconciliable  ennemi* 
Qame  adultère ,  et  infidèle  à  Tépoux  sacré!  ne  sa- 
vez-vous  pas  que  Tamitié  du  monde  rend  ennemi 
de  Dieu?  Malheur  donc  à  ceux  qui  plaisent  au 
monde  ^  ce  juge  aveugle  et  corrompu  ! 

Mais  qu'est-ce  que  le  monde?  est-ce  un  fantôme  7 
Non  ;  c'est  cette  foule  d'amis  profanes  qui  m'entre- 
tiennent* tous  les  jours,  qui  [>assent  pour  honnêtes 
gens ,  qui  ont  de  l'honneuf ,  que  j'aime  et  dont  je 
suis  aimé ,  mais  qui  ne  m'aiment  point  pour  Dieu. 
Voilà  mes  plus  dangereux  ennemis.  Un  ennemi  dé- 
clare ne  tueroit  que  mon  corps;  ceux-ci  ont  tué  mon 
ame.  Voilà  le  monde  que  je  dois  fuir  avec  horreur, 
si  |e  veux  suivre  Jésus-Christ. 


FéNÉLOir.  zvux. 


8a  MÉDITATIONS 

VIII. 
S^r  le  même  sufet. 

Le  monde  est  orueifié  pooi  moi»  ooauae  je  ama  crnoifié  poor  le 

monde.  CraL^.  i4- 

Il  ne  suffit  pa»,  selon  TÂpôtre,  que  le  monde  soit 
crucifia  pour  nous  j^  il  faut  que  nous  le  soyons  aussi 
pour  lui.  On  croit  être  bien  loin  du  monde ,  parce 
qu'on  «s  t  dans  une  retraite;  mais  on  parle  le  lan- 
gage du  monde,  on  en  a  les  sentimens,  les  curiosi- 
tés; on  veut  de  la  réputation ,  de  Famitié,  de  l'amu- 
sement; on  a  encore  des  idées  de  nol)lesse  ;  on  soufire 
avec  répugnance  les  moiadres  humiliations.  On  veut 
bien  y  dit-on,  oublier  le  monde;  mais  on  ressent  dans 
le  fond  de  son  cœur  qu'on  ne  veut  pas  être'bublié 
par  lui.  En  vain  cherchcrt-on  un  miliea  entre  Jésus- 
Christ  et  le  monde. 

IX. 

Que^  dans  la  voie  de  la  perjecliorij  les  premiers  sont 
bien  souvent  aUeiats  et  devancés  par  les  derniers. 

Ceux  quiétoient  les  premiers  seront  les  derniers,  et  les  derniers  se- 
ront les  premiers.  S.  LuCy  xiii.  3o. 

Gombieh  d'ames,  qui,  dans  une  vie  commune,  au- 
ront atteint  à  la  perfection,  pendant  que  les  épouses 
du  Seigneur,  comblées  de  grâces,  appelées  à  goûter 


TIRÉES    DS    LÉCBITURE    SAIUTTE.  83 

la  manne  céleste  y  anront  langui  dans  use  vie  lâche 
et  imparfaite!  G>mbien  de  pécheurs,  qui,  i^près  ayoir 
passé  tant  données  dans  Fégareinent  et  dans  Vigno- 
rance  de  TEvangile,  laisseront  tout  d'un  coup  der- 
rière eux ,  par  la  ferveur  de  leur  pénitence ,  les  âmes 
qui  av^ent  goûté  »  dès  leur  plus  tendre  jeunesse ,  les 
dons  du  Saint-Esprit  »  et  que  Dieu  avoit  prévenues 
de  ses  plus  douces  bénédictions  !  Qu'il  sera  beau  aux 
derniers  de  remporter  ainsi  la  couronne ,  et  d'être  f 
par  leur  exemple,  la  condamnation  des  autres!  Mais 
qu  il  sera  douloureux  aux  premiers  de  devenir  les 
derniers,  dé  se  voir  derrière  ceux  dont  ils  étoient 
autrefois  le  modèle,  de  perdre  leurs  couronnes,  et 
de  les  perdre  pour  quelques  amusemens  qui  les  ont 
retardés!  Je  ne  saurois  voir  le  recueillement  de  cer- 
taines personnes  qui  vivent  dans  le  monde,  leur  dés- 
intéressement, leur  humilité,  $ans  rougir  de  voir 
combien  nous,  qui  ne  devrions  être  occupés  que  de 
Dieu ,  sommes  dissipés,  vains,  et  attachés  à  nos  com- 
modités temporelles.  Hâtons-nous  de  courir,  de  peur 
d'être  laissés  derrière. 

X. 

De  l'amour  du  prochain. 

Soyea  aitenûd  k  voiu  aimer  les  uns  kt  autres  d'an  amour  fraternel. 

J  Ep.  dfi  S.  PUrrCf  i.  29. 

Cet  apôtre  veut,  par  ces  paroles,  que  notre  charité 
soit  toujours  attentive  pour  ne  pas  blesser  le  pro- 
chain. Sans  celte  attention  ,  la  charité,  qui  est  si  fra- 


84  XéDITATfOHS 

gile  en  cette  vie,  se  perd  bientôt.  Un  mot  dit  avec 
hauteur  ou  avec  chagrin ,  un  air  sec  ou  dédaigneux, 
peut  altérer  les  esprits  foibles.  II  faut  ménager  des 
créatures  si  chères  à  Dieu ,  des  membres  si  précieux 
de  Jésus-Christ.  Si  vous  manquez  de  cette  attention, 
vous  manquez  aussi  de  charité  ;  car  on  ne  peut  ai- 
mer sans  s'appliquer  à  ce  qu*on  aime.  Cette  attention 
de  charité  doit  remplir  tout  Tesprit  et  le  cœur.  Il  me 
semble  que  j'entends  Jésus-Christ  vous  dire  comme 
à  saint  Pierre  :  Paissez  mes  brebis. 


^M^Mm/mt¥m/¥¥¥¥mMmt¥t0m/y^/m/^fmtmÊftm0ymàmtm^mf^/^f^^tmm 


XI. 


Que  nous  sommes  vernis  pour  servir  les  autres. 

Je  DA  fuit  pM  Tenu  pour  ftre  servi,  mais  pour  serrir  les  antres. 

S,  Mare,  x.  45. 

Cbst  ce  que  doivent  dire  toutes  les  personnes  qui 
ont  quelque  autorité  sur  d'autres.  Cest  un  pur  mi- 
nistère. U  faut  effectivement  servir  ceux  à  qui  Ton 
parott  commander,  souffrir  leurs  imperfections,  les 
redresser  doucement  et  avec  patience ,  les  attendre 
dans  les  voies  de  Dieu,  se  faire  tout  à  tous,  se  croire 
fait  pour  eux ,  s'humilier  pour  leur  adoucir  les  coi^ 
rections  les  plus  nécessaires ,  ne  se  rebuter  jamais , 
demander  à  Dieu  le  changement  de  leur  cœur,  qu\>n 
ne  peut  point  obtenir  soi-même.  Examinez-vous  par 
rapport  aux  personnes  qui  vous  sont  commises,  et 
dont  vous  êtes  chargé  devant  Dieu. 


TIRÉES   DS  l'ÉCAITBAE  SÀIirTE.    '  85 

Xl'l. 
De  la  douceur  et  de  thumiUU  de  cœur. 

Apprenm  de  moi  que  je  *auis  dom  et  humble-  de  cœur. 

S.  Matth.  XI.  ag. 

II.  n'y  avoit  qae  le  Fils  de  Diea  qui  pût  nous  faire 
cette  divine  leçon  ;  lui  qui ,  étant  égal  à  son  Père  y 
s'est  anéanti^  comme  dit  saint  Paul  (0,  en  prenant 
la  forme  et  la  condition  d^un  esclave.  Que  n*a-t-il 
pas  fiut  pour  l'amour  de  nous  7  Que  n'a*t-il  pas  souf- 
fert de  nous  y  et  que  ne  souffre- t-il  pas  encofe?  //  a 
été  mené,  dit  Isaïe  W,  comme  une  victime  qilon  va 
égorger^  et  on  ne  Va  pas  entendu  se  plaindre.  Et 
noosy  nous  nous  plaignons  des  moindres  maux;  nous 
sommes  vains ,  délicats ,  sensibles. 

Il  n'y  a  point  de  douceur  véritable  et  constante 
sans  humilité.  Tandis  que  nous  serons  pleins  de  nous* 
mêmes ,  tout  nous  choquera  en  autrui.  Soyons  per- 
suadés que  rien  ne  nous  est  dû,  et  alors  rien  ne  nous 
aigrira.  Pensons  souvent  à  nos  misères ,  et  nous  de* 
viendrons  indulgens  pour  celles  d'autrui.  Il  n'y  a 
point  de  page  dans  les  Ecritures,  dit  saint  Augustin, 
où  Dieu  ne  fasse  tonner  ces  grandes  et  aimables  pa»* 
rôles  :  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  hwnble^ 
de  cœur. 

(■)  Philip.  11.  6y  7.  •* C*)  /f.  LUI.  7. 


66  MÉBlTATlOns 

XtlI. 
De  ta  véritahie  grâmieur. 

Quiconque  ft^exftlte-Mra  hiiiiâié,«fc  «foicônqiite  s^unîlie 


PuisQcfe  nous  bîmons  tant  Tel^vation ,  chercbt>ns«- 
la  x>ù  0He  efity  diercbons  celle  qui  durera  toujours. 
O  Tadmirafole  ambition  que  celle  de  r^ner  ^rnel  - 
lemetit  avec  le  Fils  de  Dieu ,  et  d'être  assis  à  jamais 
sur  un  même  trône  avec  lui  !  Mais  quelle  ambition  y 
quelle  jalousie  d*enfant^  que  de  s*empresser  pour 
avoir  des  noms  parsii  les  hommes,  pour  parvenir  à 
une  réputation  encore  moins  solide  que  k  fumée 
qui  est  le  fouet  du  vent!  Faut-il  se  donner  tant  de 
peine  pour  avoir  quelques  gens  qui  se  disent  nos  amis 
sans  l'être,  et  pour  soutenir  de  vaines  apparences  ? 
Aspirons  à  la  véritable  grandeur  ;  elle  ne  se  trouve 
qu'en  «'abaissant  sur  la  terre.  Dieu  confond  le  superbe 
dès  cette  vie  ;  il  lui  attire  l'envie ,  la  critique  et  la  ca- 
lomnie ;  il  lui  cause  mille  traverses  ;  et  enfin  il  Iliu- 
miliei^a  éternellement  :  et  l'humble  qui  se  cache,  qui 
veut  être  ouMië,  qui  craint  d'être  recherché  du 
monde,  sera,  dès  cette  vie,  respecté  pour  n'avoir 
pas  voulu  l'être ,  et  une  étemelle  gloire  sera  la  ré- 
compense de  son  mépris  pour  la  gloire  fausse  et  mé- 
prisable. 


TIRÉES    DE    l'ÉCRITUIIE    SAINTE.  87 

XIV. 

«Sur  quoi  nous  deî^ons  fonder  notre  joie. 

RéjoaiaseK-voiiA,  je  vous  le  dis  encore,  réjonÎBsez-Toaa  :  que  votre 
modestie  soit  connue  de  tous  les  hommes;  car  le  Seigneur  est 
proche.  Phiiip.  vr.  4,  S. 

CssT  le  dëgoftt  de  nos  passions  et  des  vanités  da 
monde  qui  doit  être  la  source  de  notre  joie.  Nous  ne 
devons  fonder  notre  jofé  que  sur  Tespérance,  et  nous 
ne  devons  espérer  qu  autant  que  le  monde  nous  dé-, 
plaît  Ce  doit  être  Fattente  de  Jésus-Christ ,  qui  va 
venir  nous  couronner,  qui. doit nou3  rendre  modes- 
tes et  constans  :  il  faut  se  tenir  prêt  à  le  recevoir, 
être  bien  aise  qu*il  vienne  :  ce  sera  le  juge  du  mpnde 
et  notre  consolateur.  Qu'il  est  doux  d'attendre  Jésus- 
Christ  en  paix,  tandis  que  les  enfans  du  siècle  crai-* 
gnent  qu'il  arrive  !  Ils  trembleront ,  ils  firémiront  ; 
et  nousji  nous  verrons  venir  avec  joie  et  confiance 
notre  aimable  délivrance.  Heureux  état,  état  digne 
d'envie!  Que  ceux  qui  n'y  sont  pas  encore  y  aspi- 
rent :  c'est  notre  lâcheté  et  nos  amusemens  q^i 
nous  éloignent  de  cet  état  de  confiance  et  de  conso- 
lation. 


86  1IÉ0ITAT10II9 

XV. 
Des  effets  de  t Eucharistie  en  nous. 

Calai  «jui  ne  mange  doit  tivre  pour  moi.  S.  Jean,  ti.  55»  56. 

Cest  la  chair  de  Jësus-Christ  que  nous  mangeons; 
mais  c'est  son  esprit  qui  nous  vivifie.  La  chair  seule 
ne  profite  de  rien,  comme  il  le  dit  lui-même  ;  oui, 
la  chair  y  quoique  unie  au  Verbe,  en  sorte  que  saint 
Jean  ne  craint  point  de  dire  que  le'  Verbe  est  fait 
Acdr.  U  ne  Ta  unie  que  pour  nous  communiquer 
son  esprit  plus  sensiblement  par  cette  société  char- 
nelle qu'il  a  faite  avec  &ou«)  il  ne  nous  la  donne  à 
manger  que  pour  nous  incorporer  à  lui ,  et  faire  vi- 
vre nos  âmes  de  sa  vie  divine.  Pourquoi  donc ,  vivant 
si  souvent  de  lui ,  refuserons-nous  de  vivre  pour  lui? 
Que  devient  en  nous  ce  pain  céleste,  cette  chair 
toute  divine?  A  quoi  servent  nos  communions?  Jé- 
'  sus-Christ  vit-il  en  nous?  Ses  sentimens ,  ses  actions 
se  manifestent-elles  en  notre  chair  mortelle  7  Crois- 
sons-nous  en  Jésus-Christ  à  force  de  le  manger? 
Toujours  s*amuser,  toujours  murmurer  contre  les 
moindres  croif ,  toujours  ramper  sur  la  terre,  tou- 
jours chercher  de  misérables  consolations ,  toujours 
cacher  ses  défauts  sans  les  corriger ,  pendant  qu*on 
ne  Sût  qu'une  même  chair  avec  lui  ! 


TI&ÉB8    DE    L  ÉCEITUAE    SAINTE.  89 

I 

XVI. 
Sur  le  même  sujet. 

Cdui  <iui  me  mange  doit  yirre  pour  moi.  S.  Jean.  ti.  55, 56. 

Jésus-CH&îiT  est  toute  notre  vie  ;  c*est  la  véritë  éter- 
nelle dont  nous  devons  être  nourris  :  quel  moyen  de 
prendre  un  aliment  si  divin ,  et  de  languir  toujours! 
Ne  point  crottre  dans  la  vertu ,  n*avoir  ni  force  ni 
santé,  se  repaitre  de  mensonge,  fomenter  dans  son 
cœur  des  passions  dangereuses,  être  dégoûté  des 
vrais  biens,  est-ce  là  la  vie  d*un  Chrétien  qui  mange 
le  pain  du  ciel  ?  Jésus-Christ  ne  veut  s^unir  et  s*in- 
corporer  avec  nous,  que  pour  vivre  dans  le  fond  de 
nos  cœurs;  il  faut  qu'il  se  manifeste  dans  notre  chair 
mortelle,  que  Jésus-Christ  paroisse  en  nous,  puisque 
nous  ne  faisons  qu'une  même  chose  avec  lui.  Je  vis^ 
mais  ce  n  est  plus  moi  qui  vis  (0^  c'est  Jésus-Christ 
gui  vit  dans  sa  créature,  déjàmorte  à  toutes  les  cho- 
ses humaines. 

XVII. 

« 

De  la  confiance  en  Dieu» 

Je  don,  et  mon  ooeur  veille.  Cont  y;  a. 

O»  dort  en  paix  dans  le  sein  de  Dieu,  par  l'aban- 
don à  sa  providence,  et  par  un  doux  sentiment  de  sa 

(M  Gai.  II.  ao. 


^  MÉDITATIONS 

miséricorde*  Oo  ne  cherclie  plus  neo,  et  Tliomine 
tout  entier  se  repose  en  lui.  Plus  de  raisonnemens 
incertains  et  inquiets^  plus  de  désirs,  plus  d'impa- 
tience à  changer  sa  place.  La  place  où  nous  sommes, 
c'est  le  sein  de  Dieu  ;  car  c'est  Dieu  qui  nous  y  a  mis 
de  ses  propres  mains,  et  qui  nous  y  porte  entre  ses 
bras.  Peut-on  se  trouver  mal  où  il  nous  met,  et  où 
nous  sommes  comme  un  enfant  que  sa  mère  tient  et 
embrasse?  Laissons- le  faire,  reposons-nous  sur  lui 
et  en  lui.  Ce  repos  de  confiance,  qui  éteint  tous  les 
mouvemens  de  la  prudence  charnelle,  c'est  la  véri- 
table vigilance  du  cœur.  S'abandonner  à  Dieu  sans 
s'appuyer  sur  la  créature  ni  sur  la  nature,  c'est  faire 
veiller  son  cœur  tandis  qu'on  dormira.  Ainsi  l'amour 
aura  toujours  les  yeux  ouverts  avec  jalousie,  pour 
ne  tendi*e  qu'à  son  bien-aimé,  et  nous  ne  nous  endor- 
mirons point  dans  la  mort. 

XVIII. 
Qu'il  n'y  a  que  Dieu  qui  puisse  apprendre  à  prier. 

Enseignez-noiu  à  prier,  i^.  Luc,  xi.  i. 

Seigneur,  je  ne  sais  ce  que  je  dois  vous  demander. 
Vous  seul  savez  ce  qu'il  nous  faut;  vous  m'aimez 
mieux  que  je  ne  sais  m'aimer  moi-même.  O  père! 
donnez  à  votre  enfant  ce  qu'il  ne  sait  pas  lui-même 
demander.  Je  n'ose  demander  ni  croix  ni  consolations; 
je  me  présente  seulement  à  vous;  je  vous  ouvre  mon 
cœur.  Voyez  mes  besoins,  que  je  ne  connoîs  pas; 


TIRÉES    DE    L^ÉClrlTUllE   8ÀIKTE.  Ql 

voyez ,  et  faites  selon, votre  miséricorde.  Frappes  ou 
guérissez,  accablez  ou  relevez-moi  :  fadore  toutes 
vos  volontés  sans  les  connoître;  je  me  tais,  je  me  sa- 
crifie,  je  m^abandonne.  Plus  d'autres  désirs  que  ceux 
d*accomplir  votre  volonté.  Apprenez- moi  à  prier; 
priez  vous-même  en  moi. 

XIX. 
De  V amour  de  Dieu, 

Seignenr,  yous  aayez-bien  que  je  toua  aime.  S.  Jean.  zxi.  16. 

SA.nrr  Pierre  le  disoit  à  notre  Seigneur  ;  mais  ose- 
rions-nous le  dire?  Âimons^nous  Dieu  pendant  que 
nous  ne  pensons  point  à  lui7^Quel  estTami  à  qui 
nous  n^aimons  pas  mieux  parler  qu'à  lui?  Où  nous 
ennuyons  -  nous  davantage  qu'au  pied  des  autels? 
Que  faisons -nous  pour  plaire  à  notre  maître ,  et 
pour  nous  rendre  tels  qu'il  veut?  Que  faisons-nous 
pour  sa  gloire?  Que  lui  avons-nous  sacrifié  pour  ac- 
complir sa  volonté?  La  préférons-no  us  à  nos.  moin- 
dres intérêts,  aux  amusemens  les  plus  indignes?  Où 
est  donc  cet  amour  que  nous  pensons  avoir?  MaU 
heur  pourtant  à  celui  qui  naime  pas  le  Seigneur. 
Jésus  (0  qui  nous  a  tant  aimés!  Donnera-  t-il  son 
royaume  éternel  à  ceux  qui  ne  l'aiment  pas?  Si  nous 
l'aimions  y  pourrions-nous  être  insensibles  à  ses  bien- 
faits, à  ses  inspirations,  à  ses  grâces?  iV^i  la  vie,  ni 
la  mortj  ni  le  présent  j  ni  l'auenir,  ni  la  puissance ^ 

CO/  Cor.xyi.  pa. 


9^  MÉD1TATIOM8 

ne  pourront  désormais  nous  séparer  de  la  charité  de 
JésuS'Christ  (0. 


Sur  le  même  sujet» 

Seigneur,  tous  iBYez  bien  qoe  je  ^roos  aime.  S.  Jean.  ixi.  16. 


Vous  le  savez  mieux  que  moi,  ô  mon  Dieu^  6 
mon  père  y  ô  mon  tout,  combien  je  vous  aime.  Vous 
le  savez,  et  je  ne  le  sais  pas  :  car  rien  ne  m*est  plus 
caché  que  le  fond  de  mon  cœur.  Je  veux  vous  aimer; 
je  crains  de  ne  pas  vous  aimer  assez  ;  je  vous  de- 
mande L*a]M>ndiuioe  du  pur  amour*  Vous  voyez  mon 
désir;  c*est  vous  qui  le  faites  en  moL  Voyez  dans 
votre  créature  ce  que  vous  y  avez  mis.  O  Dieu,  qui 
m*aimez  assez  pour  m*inspirer  de  vous  aimer  sans 
bornes,  ne  regardez  plus  le  torrent  d'iniquités  qui 
m*avoit  englouti;  regardez  votre  miséricorde  et  mon 
amour. 

(«)  Jlom.  viu.  38  y  39. 


TIKÉES   DE  L^ÉCRITURE   SAIHTE.  gS 


Que  rien  ne  saurait  manquer  à  celui  qui  ioÊlaxhe  à 

Dieu. 

Ceit  le  Seignear  qni  me  oondnit  ;  rtea  ne  poorra  me  mmqaer. 

P#.zxit.  I. 

irÂTOirs^xiotJs  j)oiDt  de  honte  de  chercher- quelque 
chose  avec  Dieu?  Quand  nous  avons  la  source  de  tous 
biens  y  nous  nous  croyons  eiïcore  pauvres.  On  cher- 
che dans  la  piëtë  même  les  commodités  et  les  conso- 
^  latious  temporelles^  on  regarde  la  piété  comme  un 
adoucissement  aux  peines  qu'on  souffre ,  et  non 
comme  un  état  de  renoncement  et  de  sacrîfioe;  de 
là  viennent  tous  nos  découragemens.  Commençons 
par  nous  abandonner  à  Dieu.  En  le  servant ,  ne 
nous  mettons  jamais  en  peine  de  ce  quHl  fera  pour 
nous.  Un  peu  plus  ou  un  peu  moins  souffrir,  dans 
une  vie  si  courte,  ce  n*est  pas  grand*chose. 

Que  peut-il  me  manquer  lorsque  fai  Dieu?  Oui, 
Dieu  lui-même  est  le  bien  infini  et  Tunique  bien. 
Disparoissez,  faux  biens  de  la  terre,  qui  portez  indi- 
gnement ce  nom,  et  qui  ne  servez  qu*à  rendre  les 
hommes  mauvais!  Rien  n*est  bon  que  le  Dieu  de 
mon  cœur,  que  je  porterai  toujours  au  dedans  de 
moi.  Qu'il  m'ôte  les  plaisirs,  les  richesses,  les  hou* 
neurs,  Tautorité ,  les  amis ,  la  santé,  la  vie  :  tant  qu'il 
ne  se  dérobera  point  lui-même  à  mon  cceur,  je  se* 
rai  toujours  riche  ^  je  n'aurai  rien  perdu  ;  j'aurai  con- 
servé ce  qui  est  tout.  Le  Seigneur  m'a  cherché  dans 


94  MÉOITATIOHS 

mes  ëgaremens,  m*a  aimé  quand  je  ne  Tàimois  pas, 
m*a  regardé  avec  tendresse,  malgré  mes  ingratitudes  : 
je^uis  dans  sa  main;  il  me  mène  coiSme  il  lui  plaît. 
Je  sens  ma  foiblesse  et  sa  force.  Avec  un  tel  i^pui 
rien  ne  me  manf{uera  iamais. 

XXII. 

Que  Dieu  doit  être  l'unique  peirtÎQn  du  cœur  de 

Vhomme. 

O  Diea  de  mon  ootor,  et  noii  élecsdle  porUon  !  Ps.  I^^u.  96.  « 

.  Seigheue,  VOUS  êtes  le  Dieu  de  toute  la  nature; 
tout  obéît  ^  vp<r«  vois  ;  vdu9  êtes  Famé  de  tout  ce 
qui  vit,  et  même  de  tout  ce  qui  ne  vit  point.  Vous 
êtes  plus  mon  ame  que  celle  même  que  vous  avez 
donnée  à  mon  corps  :  vous  êtes  plus  près  de  moi  que 
moi<>même.  Tout  est  à  vous  :  mon  cœur  n'y  sera-t-il 
pas  y  ce  cœm*  que  vous  aves;  fait,  que  vous  animez? 
Il  est  à  vous,  et  non  à  moi. 

Mais,  ô  mon  Dieu  !  vous  êtes  aussi  à  moi ,  car  je 
vous  aime.  Vous  êtes  tout  pour  moi*  le  n'ai  nul  autre 
bien,  ô  mon  éternelle  portion!  Ce  n'est  point  les 
consolations  d'ici-bas,  ni  les  goûts  intérieurs,  ni  les 
lumières  extraordinaires  que  je  souhaite;  je  ne  de- 
mande aucun  de  ces  dous  qui  viennent  de  vous,  mais 
qui  ne  sont  point  encore  vous-même.  C'est  de  vous-* 
même,  et  de  vous  seul,  que  j'ai  faim  et  soif.  le  m'ou- 
blie, je  me  perds  ;  faites  de  moi  ce  qu'il  vous  plaira, 
n'importe  ;  je  vous  aime. 


TIEÉES   i>B    L  écaiTUmB    SAINTE.  qS 

XXIII. 
^    De  quelle  manière  Dieu  veui  Are  glorifié. 

Gloire  k  Dion  au  pliu  haac  6m  cieax ,  ec  pAÎx  «or  h  terre  anx  homme  s 

de  bonne  foloalé.  S»  Lmc.  ii.  14. 

Ejt  ne  cherchant  que  la  gloire  de  Dieu,  notre  paix 
s*y  trouvera.  Mais  la  gloire  de  Diea  ne  se  trouve 
point  dans  toutes  les  pensées  et  les  actions  des  hom- 
mes. Dieu  ne  veut  être  glorifié  que  par  Tanéantisse- 
ment  entier  de  la  nature  et  par  l'abandon  à  son  es- 
prit, il  ne  faut  point  vouloir  sa  gloire  plus  qu'il  ne 
la  veut  lui-même.  Prêtons-nous  seulement,  comme 
des  instromens  morts,  ^  Iq  ooadnitA  da  sa  provi- 
dence. Réprimons  tout  empressement,  tout  mou  ve- 
ment  naturel  y  toute  inquiétude  déguisée  sous  le  nom 
de  zèle*  Paix  daps  la  bonne  volonté.  N'avoir  plus  ni 
désir  ni  crainte,  et  se  laisser  dans  la  main  de  Dieu, 
c'est  là  avoir  une  bonne  volonté,  conforme  à  la 
sienne.  Celui  qui  est  ainsi  est  immobile  comme  la 
montagne  de  Sion  ;  il  ne  saurait  être  ébranlé,  puis- 
qu'il ne  veut  <)ue  Dieu,  et  que  Dieu  fait  tout. 


96  HÉDITATIOirS 

XXIV. 

De  la  douceur  et  humUiié  de  cœuri*)* 

Appreoex  de  moi  qoe  je  fuis  doux  et  hnmUe  de  oamr  ;  et  TOns  tron- 
▼erez  le  repos  de  vos  amei.  S.  Mauh.  xi.  99. 

Moir  Dieu,  je  viens  m'instruire  et  m^eiaminer  à  vos 
pieds-Yous  êtes  ici  présent  ;£*est  vous  qui  m*y  attirez 
par  votre  grfioe*  Je  n*écoute  qne  vous,  je  ne  crois 
que  vous.  Parlez,  votre  serviteur  écoute. 

Seigneur,  je  vous  adore  ;  mon  cœur  n^aime  que 
vous  ;  il  ne  soupire  qu*après  vous.  Je  m*anéantis  avec 
joie  devant  vous ,  6  étemelle  Majesté  :  je  viens  pour 
recevoir  tout  de  vous,  «t  pour  renoncer  sans  réserve 
k  moi-même. 

Envoyez ,  ô  mon  Dieu ,  votre  Esprit  saint.  Qu'il  de- 
vienne le  mien ,  et  que  le  mien  soit  détruit  à  jamais! 
Je  me  livre  à  cet  Esprit  d*amour  et  de  vérité.  Qu*il 
m*éclaire  aujourd'iiui,  pour  m*apprendre  à  être  doux 
et  humble  de  cœur  \ 

O  Jâus,  c'est  vous  qui  me  donnez  cette  leçon  de 
douceur  et  d'humilité.  Tout  autre  qui  voudroit  me 
l'apprendre  me  révolteroit  ;  je  ti*ouverois  partout  de 
l'imperfection  et  de  l'orgueil.  Il  faut  donc  que  ce 
soit  vous  qui  m'instruisiez. 

O  mon  bon  Maître,  vous  daignez  m'instruire  par 
votre  exemple  :  quelle  autorité  I  Je  n*ai  qu'à  me  taire, 

(*)  On  a  va  d-deanu  page  43  une  partie  de  cette  Médiuiion ,  dont 
Fénélon  a  fait  osage  dans  les  Réflexions  pour  tous  les  jour»  du  moû. 
Noua  la  donnons  ici  tout  entière.  {Ediî.  de  yen.) 

qu'à 


naÉES    DE    l'écriture    ^AlMTB.  Q'] 

qu'à  adorer  y  qu'à  me  confondre,  qu'à  imiter.  Le  Fils 
de  Dieu  descend  du  ciel  sur  ta  terre,  prend. un  corps 
de  boue,  expire  sur  la  croix  pour  tne  fiiire  rougir  de 
9ion  orgueil-  Celui  qut  est  tout  s'anéantit;  et  moj  qui 
ne  suis  rien,  je  veux  être,  ou  du  moins  je  veux  qu'on 
me  croie  tout  ce  que  je  ne  suis  pas.  O  mensonge!  à 
folie  !  ô  impudente  vanké  !  ô  diabolique  présomption  ! 
Seigneur,  vous  ne  me  dites  pokit  :  Soyez  doux  et 
humble  ;  mais  vous  dites  que  voua  êtes  doux  et  hum- 
ble. C'est  assez  de  savoir  que  vous  l'êtes,  pour  con- 
clure que  nous  devons  l'être  sdr  un  tel  exemple.  Qui 
osera  s'en  dispenser  après  vous?  Sera-ce  le' ver  de 
terre?  Sera-ce  le  pécheur  qui  a  mérité  tant  de  fois 

pour  son  ingratitude  d'être,  foudroyé  par  votre  jus- 
tice? ^      '^    "      " — r— 

Mon  Dieu,  vous  êtes  ensemble  ^oui:  et  humble, 
parce  que  IHiumilité  est  la  source  dé  la  véritable' 
doucenr.  L'orgueil*  est  toujours  hautain ,  impatient, 
prêt  à  s'aigrir.  Celui  qui  se  méprise  dé  bonne  foi  veut 
biep  être  mépri^  Celui  qui  croit  que  rien  ne  lûijest 
dû,  ne  se  croit,  jamais  maltraité.  Il  n'y  a  point  de  vé- 
ritable  douceur  par  tempérament,  ce  n'est  que  mol* 
lesse,  indolence,  ou  artifice.  Pour  être  doux  à  au- 
trui ,  il  faut  renoncer  à  soi. 

Vous  ajoutez,  ô  mon  Dieu  :  Doux  et  hlimble  de 
cœur.' Ce  n'est  point  un  abaissement  qui  ne  soit  que 
dans  Vesprit  par  réflexion,  c*est  un  gôùt  du  cœur; 
cest  nn  abaissement  auquel  la  vt)lontë  consent;  et 
qu'elle  aime  pour  glorifier  Dieu.  C'est  un  plaisir  de 
voir  sa  misère,  pouf  s'anéantir  devant  Dieu ,  afin  de 
ne  devoir  sa  guérisop  qu'à  lui.  C'est  une  destruction 
de  tdute  confiance  en  son  esprit*  et  en  son  courage 
Fénéloh.  XVIII.  7 


9^  MÉDITATIONS 

naturel.  Voir  sa  'misère  cl  en  être  au  désespoir ,  ce 
n'est  pas  être' humble;  an  contraire ,  c'est  avoir  un 
dépit  d'orgueil  qui  ne  peut  consentir  à  son  abaisse** 
ment. 

Enfin  Vous  me  promettez,  ô  Sauveur,  que  c'est  dans 
cette  humilité  que  je  trouverai  le  repos  de  mon  ame 
et  la  paix.  Hélas  !  que  j'ai  été  loin  la  chercher,  cette 
paix.  Je  la  cherchois  dans  des  passions  folles  et  tur- 
bulentes ;  je  la  cherchois  dans  les  vaines  imaginations 
de  mon  orgueil.  L'orgueil  est  incompatible  avec  la 
paix.  Il  veut  toujours  'ce  qu'il  n'a  pas  ;  il  veut  tou- 
jours passer  pour  ce  qu'il  n'est  point.  Il  s'élève  sans 
cesse,  et  sans  cesse  Dieu  lui  résiste  pour  le  rabaisser, 
par  l'envie, 'par  la  contradiction  de^ autres  hommes, 

ou  par  fi«e  propro»  défauts  x{u*H  ne  peut  sVmpécher 

de  sentir.  Malheureux  orgueil,  qui  ne  goûtera  ja- 
mais la  paix  des  enfans  de  Dieu,  qui  sont  simples  et 
petits  à  leurs  propres  yeux  ! 

Mon  Dieu,  que  vous  êtes  bon  de  me  feire  aimer 
cette  ^aix!  Mais  ce  n'est  pas  assez  de  joat  la  faire  ain^er 
et  désirer ,  rendez- m'en  digne,  eu  écrasant  mon  or- 
gueil. Abattez  mon  esprit  autant  que  mon  corps.  Que 
mon  ôrgàeil  ait  encore  plus  d'oppression  et  d'accable- 
ment que  ma  poitrine  ;  qu'il  né  puisse  plus  respirer. 
Achevez ,  Seigneur,  de  m'arracher  a  la  société  pro- 
fane de  ceux  qui  ne  vous  connoissent  ni  ne  vous  ai- 
ment. Etouffez  en  moi  jusqu'aux  derniers  reistes  de 
la  mauvaise  honte.  Rompez  tous  mes  liens,  et  formez- 
en  de  nouveaux  qui  m'attachent  à  vous  seul  insépa* 
rablemént. 

Que  vous  ai-je  fai|  pour  'mériter  tant  d^  grâces  ? 
J  ai  foulé  aux  pieds* les  anciennes,  j'ai  payé  d'ingra- 


TIRÉES    DE    L*CCRITUltE    SAINTE.  i)() 

titude  toutes  vos  bontës  d'autrefois.  Voilà  Tunique 
mérite  que  f  ai  devant  vous.  II  n*y  a  que  ma  misère 
qui  puisse  exciter  votre  miséricorde.  Après  cela,  lié- 
siterai-ie  encore  entre  le  monde  et  vous?  le  monde 
qui  veut^me  perdre ,  vous  qui  voulez  me  sauver.  Re- 
pousserai-je  la  croix  que  vous  mcLpnt*sentez  avec  tant 
d^amour ,  pour  mé  délivrer  des  maux  de  mon  ame  , 
bien  plus  terribles  quexeux.de  mon  corps? 

OSeigneur,  je  m'abandonne  à  votre  miséricorde.  Je 
mériterois  d'être  livré  à  votre  éternelle  justice.  Frap- 
pez, Seigneur,  frappez;  faites  de  votre  vile  créature 
selon  votre  bon  plaisir.  Plus  de  volonté  que  la  vôtre. 
J'C  vous  louerai  dans  toutes  mes  douleurs,  je  baiserai  * 
la  main  qui  mè  frappe,  je  me  croirai  encore  épar- 
gné. Je  suis  prêt  à  louf  ,~a  ~vïvre~"SCpard*  dn  monde  , 
confessant  hautement  votre  Evangile,  ou  à  mourir 
sur  la  croix  avec  vous,  ô  Jésus,  qui  êtes  mob  amour 
et  ma  vie. 


ÈNTRETffiNS  AFFECTIFS 


POUR 


LES  PRINCIPALES  FÊTES  DE  L'ANNÉE. 


wy¥y%f¥¥¥¥ww/y¥v%f%t 


I.  Pour  l  Atott. 


Ces't  maintenant  y  ô  mon  Dieu,  que  je  veux  me 
recaeillir  pour  adorer  en  silence  les  mystères  de 
votre  Fils  9  et  pour  attendre  qu'il  naisse  au  fond  de 
mon  cœur.  Venez  y  Seigneur  Jésus  :  vene^.  Esprit  de 
vérité  et  d'amour  qui  le  formâtes  dans  le  sein  de  la 
sainte  Vierge. 

Je  yous  attends,  6  Jésus ,  comme  les  prophètes 
et  les  patriarches  vous  ont  attendu.  Que  volontiers 
je  dis  avec  eux  :  O  cieux^  répandez  votre  rosée  ^  et 
que  les  nues  fassent  descendre  le  Juste!  que  la  terre 
s'entr*ouurej  et  quelle  germe  son  Sauveur  0)  !  Vous 
êtes  déjà  venu  une  fois.  Les  anciens  justes  ont  vu  le 
Désiré  des  nations;  mais  lès  vô^es  ne  vous  ont  point 
connu.  La  lumière  àjui  au  milieu  des  ténèbres  j  et 
les  ténèbres  ne  Font  pas  comprise  W.  Que  tardez- 
vous?  Revenez,  Seigneur;  revenez  frapper  la  terre 
ingrate,  et  juger  les  honlmes  aveugles.  O  roi,  dont 
les  princQS  de  la  terre  ne  sont  qu'une  foible  image , 
que  votre  règne  arrive  !  Quand  viendra-t-il  d'en  haut 

(0  lê.'xhr,  8.  '^{*lJoitn.  i.  5. 


POOA    LAV£2IT.  lOI 

sur  nous  ce  règne  de  justice ,  de  paix  et  de'  vérité  7 
Votre  Père  vous  a  donoé  toutes  les  nations  ;  il  vous 
a  donné  toute  puissance  et  dans  le  ciel  et  sur  la  terre  ; 
et  cependant  vous  êtes  méconnu,  méprisé^  o0ènsé| 
trahi.  Qaand  sera  donc  le  jugement  du  monde  en- 
durci,  et  le  jour  de  votre  triomphe?  Levez-vous, 
levez-vous,  ô  Dieu  !  jugez  votre  pi'opre  cause  -,  brisez 
Timpie  du  souffle  de  vos  lèvres  :  délivrez  vos  enfans  ^ 
justifiez-vous  en  ce  grand  jour  à  la  face  de  toutes  les 
nations  :  c*est  votre  gloire  et  non  la  nôtrç  que  nous 
cherchons. 

Mon  Dieu ,  je  vous  aime  pour  vous,,  et  non  pour 
moi.  Je  souffre  ;  je  sèche  de  tristesse ,  voyant  préva- 
loir riniquité  sur  la'  terre,  et  votre  Évangile  foulé 
au£  pieds.  Je  aouffic,  im  m  iitiini  mnlgrif  moi  assur^ 
jetti  à  la  vanité.  Jusques  à  quand ,  Seigneur ,  laisse^ 
rez-vous  votre  héritage  désolé?  Revenez  donc.  Sei- 
gneur Jésus  ;  réndez-nou&la  lumière  de  votre  visage. 
Je  ne  veux  tenir  à  aucune  des  choses  qui  m'environnent 
ici-bas.  Elles  menacent  toutes  ruine  prochaine.  Ces 
voûtes  immenses  des  cieoz  s'écrouleront  dans  les 
abîmes  ;  cette  terre  copverte  de  péchés  sera  consu- 
mée et  renouvelée  par  le  feu  vengeur.  Les  astres 
tomberont;  leur  lumière  s'éteindra  ;  les  élémens  emr 
brasés  se  confondront  ^  lu  nature  entière  sera  boule** 
versée.  Â  ce  spectacle,  que  Timpie  frémisse l  Pour 
moi,j,e  m'écrie,  ô  Seigneur,  avec  amour  et  con- 
fiance :  Frappez;  glorifiez-vous  aux  dépens  de  tout 
ce  qui  blesse  voère  sainteté.  Frappez  sur  moi  ;  ne 
m'épargnez  point  pour  me  purifier  et  pour  me 
rendre  digne  de  vous.  Hélas!  ce  moiide  insensé  n'est 
occupé  que  du  moment  présent  qui  échappe.  Tout 


102'  POUR    L  AVBBTT. 

ceci  va  périr,  et  on  veat  en  joatr  commç  s*il  devoit 
être  e'ternel.  Le  ciel  et  la  terre  passeront  comme  la 
fumée  ;  votre  parole  seule  demeuré  éternellement. 
O  vérité,  on  ne  vous  connott  point.  Le  mensonge 
est  adoré;  il  remplit  tout  le  coeur  de  Thomme.  Tout 
e^t  faux,  tout  est  trompeur.  Tout  ce  qui  se  voit,  tout 
ce  qui  se  touche,  tout  ce  qui  est  sensible,  tout  ce 
qui  est  mesuré  par  le  temps,  n*est  rien.  Faut- il  que 
ce  vain  fantôme  soit  cru  si  solide ,  et  que  l'immuable 
vérité  passe  pour  un  songe?  Hé!  Seigneur, -pour- 
quoi souffrez-vous  cet  enchantement?  La  terre  en- 
tière est  plongée  dans  le  sommeil  de  la  mort  :  ré- 
veillez-la par  votre  lumière.  Pour  moi,  \e  ne  veux 
que  vous  ;  je  n'attends  que  vous  :  je  regarde  la  foudre 

prête  1^  parHr  Hp  voiro  tnmii  ptMtr  écraser  les  hommes 

superbes,  et  pour  venger  votre  patience  méprisée. 
Loin  de  craindre  la  mort,  je  La  regarde  comme  la 
délivrance  de  vos  enfens/Oui,  Seigneur^  nous  mour- 
rons ;  le  charme  funeste  se  rompra  tout*à-coup.  Vous 
ne  serez  plus  offensé;  je  vêts  aimerai;  je  n'aimerai 
que  vous  :  je  ne  m'aimerai  plus  moi-même.  O  que 
f'aime  votre  avènement!  Déjà ,  selon  votre  prépepte, 
je  lève  ma  tête  pour  aller  au-devant  de  vous.  Parlé 
transport  de  mon  amour  je  m'élance  au*devant  du 
Seigneur,  comme  votre  apôtre  Pierre  me  Fa  enseigné. 
Je  suis  foible,  misérable,  fragile,  il  est  vrai  ;•  j'ai  tout 
à  craindre  si  vous  me  jugez  dans  la  rigueur  de  votre 
justice  ;  j'en  conviens  :  mais  plus  je  suis  fragile ,  plus 
îe  conclus  que  la  vie  est  un  danger  et  que  la  mort 
est  une  grâce. 

O  Seigneur,  ôtez  le  péché;  venez  régner  en  moi  ; 
arrachez-moi  à  moi-même^  et  je  serai  pleinement  à 


poun  l'avert.  io3 

vous.  T]é!  qn'ai-je  à  faire  sur  la  teiTe?Que  puis* je 
dësîra:  dans  cette  vallée  de  larmes  y  où  le  mal  est  au 
comblé  y  et  où  le  bien  est  si  imparfoit?  Rien  que 
votre  volonté  ne. peut  m*y  retenir.  Je  n*aime  rien  de 
tout  ce  que  je  vois  ;  je  ne  veux  point  m*aimer  moi* 
même.  Venez,  Seigneur,  ô  mon  amour! 

IT.  Pour  le  JOua  desàiitt  Thomas. 

O  mon  Dieu,  ouvrec^moi  les  yeux;  élargissez 
mon  coeuv,  pour  *me  faille  comprendre  e.t  sentir  les 
dons  qtfe  vous  avez  mis  dans  cet  apAtré;  Esprit  qui 
l'avez  envoyé,  qui  4'avez  conduit ,  ^i  Tavez  rempli, 
remplissezrmoi ,  '  înspîf êz-mot ,  tiaueforuioB  moi  en 
une  créature  nouvelle.  O  Père  des  lumières  et  des 
miséricordes,  voi]^  feites  des  hoinmes  ce  qu'il  vous 
plaît.  Us  semblent  d'être  plus  hommes  dès  que  vous 
parlez.  Quel  estdonccet  homme  foible,  timide,  vil 
selon  le  monde,. pauvre,  grossier,  ignorant?  Où  va- 
t-il7  Que  prétend-il  faire?  Ghangerla  face  des  nations 
les  plus  éloignées,  vaincre  par  la  seule  vérité  les 
peuplées  'JQsques  auxquels  les  rois  conquérans  n'ont 
jamais  péiiétré  par  leurs  armes  ;  découvrir  un  nou- 
veau monde  pour  y  porter  une  nouvelle  loi.  Entre- 
prendre de  telles  choses  çur  le  monde,  c'est  être  bien 
mort  à-  sa  propre  sagesse  ;  c'est  être  bien  enivré  de  la 
folie  de  la  croix.  Cest  ainsi.  Esprit  destructeur ,  que 
vous  anéantissez  dans  vos  parfiiits  enfans  toute  sa- 
gesse,  tout  esprit  propre,  toute  rjègle  humaine,  tout 
moyen  raisonnable.  Vous  appelez  ce  qui  n'est  pas, 
pour  confondre  ce  qui  est.  Vous  yous  plaisez  à  choi- 


I 


I 


la4  POUB    LE    JOUR 

sir  ce  qui  est  le  plus  vil,  pour  faire  aux  yeux  du 
monde  surpris  ce  qui  est  le  plus  gi*and  et  le  plus  im- 
possible. Vous  êtes  jaloux  de  la  gloire  de  votre  ou- 
vrage; et  vous  ne  le  voulez  fonder  que  sur  le  néant. 
Vous  creusez  )usqu*au  néant  pour  le  fonder,  comme 
les  hommes  sages  dans  leui^  bâtimeas  creusent  jus- 
qu'au rocher  ferme;  Creusez  donc  en  moi ,  ô  mon 
Dieu ,  jusqu'à  Tanéantissement  de  tout  moi-même. 
Esprit  destructeur,  renversez,  mettez  tout  en  dés- 
ordre; n'épargnez  aucun  arrangement  humain;  dé- 
faites tout  pour  tout  refaire.  Que  votre  créature  soit 
toute  nouvelle,  et  qu'il  ne  reste  aucune  trace  de 
l'ancien  plan.  Âlo^,  ayant  tout  effacé,  tout  défiguré, 
tout  réduit  à  un  pur  néant ,  je  deviendrai  en  vous 

toutes  choses  parre  quo  joue  •craî'plutf  en  mol  rien 

de  fixe.  Je  n'aurai  aucune  consistance  ;  mais  je  pren- 
drai dans  votre  main  toutes  les  formes  qui  convien- 
dront à  vos  desseins.  C'est  par^l'anéantissement  de 
mon  être  propre  et  borné,  que  j*entrerai  dans  votre 
immensité  divine.  O  qui  le  comprendra  ?  O  qui  me 
donnera  des  âmes  qui  aient  le  goût  et  l'attrait  de  la 
destriibtion?  Si  peu  que  l'on  réserve,  on  demem*e 
borné.  Quelque  bonne  que  paroisse  la  réserve^  quand 
c'est  à  l'égard  de  Dieu  qu'on  la  fait,  c'est  un  larcin  ; 
car  tout  lui  e&t  dâ ,  puisque  tout  vient  de  lui.  Plus 
les  dons  sont  purs,  plus  il  est  jaloux  de  ne  nous  les 
point  laisser  posséder  en  propre.  Il  n'y  fi  dope  que 
l'entière  destruction  qui  nous  rende  ses  vrais  in- 
strumens. 

Faites  de  moi ,  Seigneur,  comme  de  Thomas  votre 
apôtre.  Il  étoit  de  ces  hoâames  anéantis ,  dont  il  est 
dit  qu'ils  étoîeut  livrés  à  votre  grâce.  Il  n'étoit  rien 


DE    S411ÎT    THOMAS.  lo5 

ni  par  les  ricbeBses,  ni  par  la  repu  talion ,  ni  par  les 
taleds,  ni  même  par  la  vertu.  G'étoit  rinGrmité 
méme>  où  vous  avez  pris  plaisir  de  faire  reluire  votre 
force.  Il  a  porlé  votre  nom  jusqu'au  fond  de  TOrient 
à  ces  peuples  qui  ëtoient  assis  dans  la  région  de 
Tombre  de  la  mort ,  et  qui  n*avoieot  pas  même  des 
yeux  pour  voir  la  lumière.  Le  mondé,  tout  monde 
qu'il  est,  critique,  malin,  Scandalise  de  tout,  indo- 
cile ,  endurci,  faux,  et  trompeur  jusqu'à  se  tromper 
lui-même,  dégo&té  de  la  vérité  qui  lui  est  odieuse , 
amateur  insensé  du  mensonge  qui  le  flatte  ;  ce  monde 
n'a  pas  pu  résiister  à  celui  qui  n'étott  rien  par  lui- 
même,  et  qui,  par  cet  anéantissement,  étoit  tout  en 
Dieu.  Dieu  parle  dans  sa.  chéttve  créature;  et* cette 
parole,  qui  a  tkil  le'ffiOngg,  le  icuuufLllc.  O^  mon 
Dîea  !  je  Fentend^ ,  et  je  tressaille  de  joie  au  Saint- 
Esprit  en  le  comprenant  :  vous  l'avez  caché  aux 
grands  et  aux  sages,  jamais  ils  ne  l'entendront;  mais 
vous  le  révélez,  aux  simpleset  aux  petits.  Tô^t  con- 
siste à  s'appetisser  et  à  s'anéantir.  Tandis  qu'on  est 
encore  quelque  chose,  oïl  n'est  .encore  rien,  on  n'est 
encore  propre  à  rien  ;  ce  qui  reste  même  de  plus 
caché,  même  de  meilleur  en  apparence>  résiste  à 
tout  ce  que  Dieu  veut  faire,  et  arrête  sa  main  tgute- 
puissante. 

Mais  quelle  étendue  cette  vérité  n'a-t-elle  point! 
Hélas  !  où  est  l'ame  courageuse  qui  veut  bien  n'être 
rien  ,  et  qui.  laisse  tout  tomber,  tout  perdre,  ialens , 
esprit,  amitiés,  réputation,  honneur,  vertu  propre? 
Où  sont-elles  ces  âmes  de  foi?  On  fait  comme  Tho- 
mas incrédule  ;  on  veut  voir,  on  vent  toucher,  on 
veut  s'assurer  des  dons  de  Jésus-Christ  et  de  son 


I06  POU&   LE   lOlÏR    DE    SAINT   TH0MÀ8. 

avancement  ;  mais  bienheureux  ceux  gui  croient 
sans  voir  (0,  et  qui  adorent  Dieu  en  esprit  et  eh  vé- 
rité par  le  sacrifice  d^holocauste ,  qui  est  la  perle  to- 
tale de  tout  ce  qui  est  en  nous  !  Voilà  ce  qui  fait  la 
vie  apostolique,  transformée  en  Jéâus-Christ. 

III.  POUE  LE  JOUR  DE  NOEL. 

Je  vous  adore  y  enfant  Jésus,  nu ,  pleurant,  et 
étendu  dans  la  crèche.  Je  n*aime  plus  que  votre  en- 
fance et  votre  pauvreté.  O  qui  me  donnera  d'éti^e 
aussi  pauvre  et  aussi  eufant  que  vous  !  O  Sagesse  éter- 
nelle, réduite  à  l'enfonce  !  ôtez-moi  ma  sagesse  vaine 
et  présomptueuse;  fieiites-moienfantavec  vous. Taisez- 
vous  ,  sages  de  la  terre  ;  je  ne  veux  rien  être  *,  je  ne 
veux  rien  savoir  ;  je  veux  tout  croire  ;  je  veux  tout 
souffrir  ;  Je  yeux,  tout  perdre  jusqu'à  mon  propre  ju- 
gement. 

Bienheureux  les  pauvres,mais  les  pauvres  d'esprit, 
que  Jésus  ^ faits  semblables  à  lui  dans  sa  crèche,  et 
qu'il  a  dépouillés  de  leur  propre  raison!  O  hommes 
qui  êtes  sages  dans  vos  pensées,  prévoyans  dans  vos 
desseins ,  composés  dans  vos  discours ,  je  vous  crains; 
votre  grandeur  m'intimide,  comme  les  enfans  ont 
peur  des  grandes  personnes.  Il  ne  me  faut  plus  que 
des  enfjams  de  la  sainte  enfance.  Le  Verbe  fait  chair, 
la  Parole  toute-puissante  du  Père  se  tait,  bégaie, 
pleuré,  pousse,  des  cris  enfantins;  et  moi  je  me  pi- 
querai d*être  sage ,  et  je  me  complairai  dans  les  ar^ 


POUft    L£  JOUA   DB    NOËL.  IO7 

rangemens  que  fait  mon  esprit ,  et  je  craindrai  qne  le 
monde  n*ait  point  une  assez  haute  idëe  de  ma  capa* 
cité!  Non  y  non;  je  serai  de  ces  heureux  enfans  qui 
perdent  tout  pour  tout  gagner^.c^ui  ne  se  soucient 
plus  de  rien  pour  eux-mêmes ,  qui  comptent  po^r  rien 
qu*on  les  méprise ,  et  qu'on  ne  daigne  point  se  fier  à 
leur  discernement.  Le  monde  sera  grand  tant  qu'il 
lui  plaira;  les  gens  de  bien  même,  à  bonne  intention 
et  par  le  zèle  des- bonnes  œuvres,  croîtront  chaque 
jour  en  prudence,  en  prévoyance,  eh  mesures,  en 
éclat  de  vertu  :  pour  moi,  tout  mon  plaisir  sera  de 
décroître,  de  m'appetisser,  de  m'avilir ,  de  m'obscur- 
cir,  de  me  taire,  de  consentir  à  être  imbécile  et  à  pas- 
ser pour  tel;  de  joindre  à  Fopprobre  de  Jésus  crucifié 
rioapuissance  el  le  Dégalemebt'^'JgSus- enfant.  On 
aimeroit  mieux  mourir  av^c  lui  dansles  douleurs  , 
que  de  se  voir  avec  lui  emmaillotté  dans  le  berceau. 
La  petitesse  fait  plus  d*horreur  que  la  mort,  parce 
que  la  mort  peut  être  soufierte  par  un  principe  de 
courage  et*de  grandeur;  mais  n'être  plus  compté 
pour  rien,  comme  les  enfans,  et  ne  pouvoir  plus  se. 
compter  soi-même  ;  retomber  dans  L'enfance,  comme 
certains  vieillards  décrépits  dont  les  enfans  dénatu- 
rés se  jouent  ;  et  voir  d'une  vue  claire  et  pénétrante, 
toute  la  dérision  de  cet  état  ;  c'est  le  plus  insuppor- 
table supplice  pour  une  ame  grande  et  courageuse, 
qui  se  consoleroit  de  tout  le  reste  par  son  courage  et 
par  sa  sagesse.  O  sagesse j  ô  courage,  ô  raison,  ô 
vertu  propre  !  vous  êtes  la  dernière  chose  dont  l'ame 
mourante  à  elle-même  a  plus  de  peine  à  se  dépouil- 
ler. Tout  le  reste  qu'on  quitte  ne  tient  presque  pcrint; 
ce  sont  des  habits  qui  se  lèvent  du  bout  du  doigt ,  et 


lo8  POUR  LE  JOUR  DE  NOËL. 

qui  ne  lienoent  point  à  nous  :  mais  nous  ôter  cette 
sagesse  propre^  qui  fait  la  vie  la  plus  intime  de  Famé, 
c^est  an^acber  la  peau ,  c'est  nous  écorchèr  tout  vifs, 
c*es.t  nous  déchirer  jusque  dans  la  moelle  des  os.  Hé- 
las! j'entends  ma  raison  qui  me  dit  :  Quoi  donc,  faut- 
il  cesser  d*être  raisonnable  ?  Faut-il  devenir  comme 
les  fous  qu'on  est  contraint  de  renfermer?  Dieu  n*est- 
il  pas  la  sagesse  même?  La  nôtre  ne  vient-elle  pas  de 
la  sienne,  et  par  conséquent  ne  faut-il  pas  que  nous 
la  suivions?  Mais  il  y  a  une  extrême  différence  entre 
être  raisonnans  et  être  raisonnables.  Nous  ne  serons 
jamais  si  raisonnables  que  quand  nous  cesserons 
d*étre  si  raisonnans.  En  nous  livrant  à  la  pure  raison 
de  Dieu  y  que  la  nôtre  foible  et  vaine  ne  peut  com- 
prendre, liuus  serons. délivrés  de  notre  sagesse,  éga- 
rée depuis  lepécLé,  incertaine ,  courte  et  présomp 
tueuse  ;  ou  plutôt  nous  serons  délivrés  de  nos  erreui^ 
de  nos  indiscrétions,  de  nos  entétemens.  Plus  une 
personne  est  morte  à  elle-même  par  l'esprit  de  Dieu , 
plus  elle  est  discrète  sans  songer  à  l'être  :  car  on.  ne 
tombe  dans  Tindiscrélion  que  par  vivre  encore  à  son 
propre  esprit,  à  ses  vues  et  à  ses  inclioations  naturelles; 
c'est  .qu'on  veut,  qu'on  pense  et  qu'on  parle  encore 
à  sa  mode.  La  mort  totale  de  notre  propre  sens  fer  oit 
en  nous  la  vraie  et  la  consommée  sagesse  du  Verbe 
de  Dieu.  Ce  n'est  point  par  un  effort  de  raison  au  de- 
dans de  nous  que  nous  nous  élèverons  au-des- 
sus de  nous-mêmes;  c'est  au  contraire  par  l'anéan- 
tissement de  notre  propre  être,  et  surtout  de  notre 
propre  raison,  qui  est  la  partie  la  plus  chère  à 
l'homme,  que  nous  entrerons  dans  cet  être  nouveau, 
où,  comme  dit  saint  Paul,  Jésus-Chri^it  fait  notre  vie, 


POUH    I.B   JOUa    DE    KOEl.  lOQ 

notre  justice  et  notre  sagesse.  Noas  ne  nous  égarons 
qu^à  force  de  nous  conduire  par  nous-mêmes.  Donc 
nous  ne  serons  à  Tabri  de  Tégarement  qu*à  force.de 
nous  laisser  conduire,  d^étre  petits ^  simples,  livrés  à 
TEsprit  de  Dieu,  souples  et  prêts  k  toute  sorte  de 
mouvemens ,  n*ayant  aucune  consistance  propre,  ne 
résistant  à  rien  ,  n*ayant  plus  de  volonté ,  plus  de  ju- 
gement, disant  naïvement  ce  qui  nous  vient,  et 
n*aimant  qu*à  céder  après  Tavoir  dit.  Cest  ainsi 
qu^un  petit  enfant  se  laisse  porter,  reporter,  lever, 
coucher  ;  il  n^a  rien  de  caché ,  rien  de  propre.  Alors 
nous  ne  serons  plus  sages,  mais  Dieu,  sera  sage  en 
nous  et  pour  nous.  Jésus-Christ  parlera  en  nous,  pen- 
dant que  nou^  croirons  bégayer.  O  Ïésu3  enfant ,  il 
n  y  a  que  les  enfaos  qui  puissentxégner  avec  vous. 

IV.  POUK  LB  JOUR  DE  SMNT  JbÀS  lÉvAUGÉLISTE: 

«  

O  Jésus,  je  désire  me  reposer  avec.  Jean  sur  vo- 
tre poitrine,  et  me  nourrir  d*amôur  en  mettant  mon 
cœur  sur  le  vôtre.  Je  veux  être,  comme  le  disciple 
bien-aimé,  instruit  par  votre  amour.  Il  disoit,  ce- 
disciple,  pour  Tavoif  éprouvé,  que  V onction  ensei- 
gne toutes  choses {^).  Cette  onction  intérieure  de  vo- 
tre^ EIsprit  instruit  dans  le  silence.  On  aime,  et  ou  sait 
tout  ce  qu*il  faut  savoir  ;  on  goûte',  et  on  n*a  besoin 
de  rien  entendre.  Toute  parole  humaine  est  à  charge 
et  ne  fait  que  distraire ,  parce  qu'on  a  au  dedans  la 
parole  substantielle  qui  nourrit  le  fond  de  l'ame.  Ou 

t»)  /  Jean.  II.  37. 


I  lO  POUR    LE    lOUE 

trouve  en  elle  toute  vérîtë.  Oq  ne  voit  plus  qq'une 
seule  chose,  ({ui  est  la  vérité  simple  et  universelle  ; 
c  est  Dieu ,  devant  qui  la  créature ,  ce  rien  trompeur, 
disparoît  et  ne  laisse  aucune  trace  de  son  mensonge. 

O  amour,  vrai  docteur  des  âmes,  on  ne  veut  point 
vous  écouter  :  on  écoute  de  beaux  '  discours ,  on 
écoute,  sa  propre  raison  ;  maisje  vrai  mattre,  qui  en- 
seigne sans  raisonnemens  et  sans  paroles,  n'est  point 
écouté*. On  craint  de  lui  ouvrir  son  cœur;  en  ne 
le  lui  offre  qu'avec  réserve  ;  on  craint  qu'il  ne  parle 
et  ne  demande  trop.  On  voudroit  bien  le  laisser 
dire ,  mais  à  condition  de  ne  prendre  ce  qu'il  diroi  t 
que  suivant  la  mesure  réglée  par  notre  sagesse  : 
ainsi  ce  seroit  notre  sagesse  qui  jugeroit  celui  qui 
doit  la  juger. 

O  amour,  vous  voulez  des  âmes  livrées  à  vos  trans- 
ports, ^es  âmes. qui  ne  craignent  point,  non  plus  que 
les  apôtres,  d'être  insensées  aux  yeux  du  monde.  Il 
ne  suffit  pas,  ô  divin  Esprit,  de  se  remplir  de  vous  , 
il  faut  en  être  enivré.  Que  n'apprendr oit-on  point 
sans  raisonnement,  sans  science,  si  on  ne  consultoit 
plus  que  le  pur  amour,  qui  veut  tout  pour  lui,  qui 
ne  laisse  rien  à  la  créature ,  çlqui  met  seul  la  vérité  d  u 
règne  de  Dieu  dans  le  fond  de  l'ame  ?  L'amour  décide 
dans  tous  les  cas ,  et  ne  s*y  trompe  point  ;  car  il  ne 
donné  rien  à  l'homme,  et  rappoiie  tout  k  Dieu  seul. 
G  estun  feu  consumant,  qui  embrase  tout ,  qui  dévbre 
tout,  qui  anéantit  tout ,  qui  fait  desaVictime  le  parfait 
holocauste.  O  qu'il  fait  bien  connottre  Dieu  !  car  il  ne 
laisse  plus  voir  que  lui,  mais  d'une  vue  bien  différente 
de  celle  des  hommes,  qui  ne  le  considèrent  que  dans 
une  froide  et  sèche  spéculation*  Alors  on  aime  tout  ce 


DB   S.    JEAir    L  éVÀJIG.  111. 

qu'on  voit,  et  c'est  Tamour  qui  doane  des  yeux  per* 
çans  poar  le  voir.  Un  moment  de  paix  et  de  silence 
&it  voir  plus  de  merveilles  que  les  profondes  réflexions 
de  tous  les  savans. 

Mais  encore,  ô  Amour,  comment  est-ce  que  vous 
enseignez  tontes  choses,  vou^  qui. n  en  pouvez  souf- 
fiir  qu'une  seule,  et  qui  fermez  les  yeux  à  tout  le 
reste,  pour  les  attacher  immuablement  àun  seul  ob* 
jet  ?  O  f  entends  ce  secret  !  c'est  que  la  vraie  manière  de 
bien  savoir  tout  le  reste,  pendant  cette  vie,  est  de  l'i- 
gnorer par  mépris.  On  sait  de  Dieu  ce  qu'on  en  peut 
savoiir,  en  sachant  qu'il  est  tout  :  on  sait  de  la  créature 
entière  tout  ce  qu'il  en  faut  savoir,  en  sachant  qu'elle 
n'est  rien.  Voilà  donc  la  toute^cience,  inconnue' aux 
savans  du  siècle,  et  réservée  «aux  pauvres  d^esprit 
instruits  par  l'onction  du  pur  amour  :  ils  pénètrent 
au  fond  tout  ce  qui  est  créé  en  ne  daignant  pas 
même  y  faire  attention ,  ni  ouvrir  les  yeux  pour  le 
voir.  Qu  ipQiporte  qu'ils  ne  sachent  point  raisonner  sur 
Dieu  !  Ils  savent  l'ciimer ,  c'est  assez.  Bienheureuse 
science,  qui  éteint  toute  curiosité,  qui  rassasie  l'ame 
de*la  vérité  pure,  qui  non-seulement  lui  montre 
toute  la  vérité  en  l'occupant  de  Dieu,  mais-qui  porte 
cette  vérité  simple  .et  unique  dans  le  fond  de  cette 
ame,  pour  n'être  plu$  qu'une  même  cho$e  avec  elle. 

Hélas!  combien.de  grands  docteurs  qui  ne  voient 
goutte  croyant  tout  savoir!  Ils  ne  veulent  rien  igno- 
rer,  ni  sur  Ja  nature  des  divers  êtres,  ni  sur  leurs  pro- 
priétés, ni  sur  l'ordre  de  l'univçrs,  ni  sur  l'histoire 
du  genre  humain,  ni  sur  les  ouvrages  des  hommes,  ni 
sur  les  arts  qu'ils  ont  inventés ,  ni  sur  leurs  diverses 
langues )  ni  sur  les  règles  de  conduite  qails  ont  en- 


112  POUm    LB   JOta    DE   s.    JEÂlf    L  ÉTÀirG. 

• 

Ire  eux.  O  qa*ilà  seroîent  dégoûtés  de  toates  ces  re- 
cherches curieases ,  s*i1s  coDnoissoientbien  Hiomme! 
S'amuse- t-on  à  un  ver  de  terre?  et  le  néant  même 
n'est-il  pas  encore  plus  indigne  de  nous  occuper  7  Hé! 
que  peut-on  apprendre  de  ce  qui  n'est  rien  7  II  njy  a 
qu>'une  seule  vérité  infinie,  qui  absorbe  tout,  et  qui 
ne  laisse  aucune  curiosité  hors  d'elle  :  tout  le  reste 
n'est  que  néant,  et  par  conséquent  mensonge.  Qa*on 
s'instruise  pour  le  besoin  des  conditions,  c'est  bien 
fait  :  mais  qu'on  croie  savoir  quelque  cliose  quand 
on  ne  sait  que  ce  rien  ;  qu'on  espère  en  orner  son 
esprit, .qu'on  cherche  à  le  nourrir  et  à  le  satisfaire 
en  l'occupant  de  la  créature  vaine  et  creuse  :  ô  folie  ! 
ô  ignorance  de  ceux  qui  veulent  tout  savoir  ! 

O  Jésus ,.  je  n'ai  plus  d'autre  docteur  que  vous , 
plus  d'autre  livre  que*  votre  poitrine.  Là  j'apprends 
tout  en  ignorant  tout ,  et  en  m'anéantissant  moi- 
même.  Là  je  vis  de  la  même  vie  dont  vous  vivez  dans 
le  sein  de  votre  Père.  Je  vis  d'amottr;  l'amour  fait 
tout  en  moi.  Ce  n'est  que  pour  l'amour,  que  je  suis 
créé;  et  je  ne  fais  ce  que  Dieu  a  prétendu  que 
je  fisse  en  me  créant,  qu'autant  que  j'aime..  Je  sais 
donc  tout^  et  je  ne  veui^  plus  savoir  que  vous. 
Taisez-vous,  monde  curieux  e,t  sage;  j'ai  trouvé 
sur  la  poitrine  de  Jésus  l'ignorance  et  la  folie  de 
sa  croix ,  en  comparaison  de  laquelle  tops  vos  talens 
ne  sont  qu'ordure  :  méprisez-moi  autant  que  je  vous 
méprise.. 


POUa   LE   JOVR    DB    LÀ    CIACOIfCiSlOirv  Al3 

y.  Pour  le  jovh  m  la  Cmcoircision . 

0  Jésus  y  je  voas  adore  sous  le  couteau  de  la  cir- 
concision. Que  je  vous  aime  dan&  cette  abjection  et 
dans  cette  foibiesse!  Je  vous  vois  tout  couvert  de 
honte  y  mis  au  rang  des  pécheurs ,  assujetti  à  une  loi 
humiliante,  soulTrant  de  vives  douleurs ,  et  répan- 
dant déjà ,  dès  les  premiers  jours  de  votre  enfance , 
les  prémices  de  ce  sang  qui  sera  sur  la  croix  le  prix 
du  monde  entier. 

Vous  n'entres  donc  dans  le  monde  que  pour  souf- 
frir. Vous  y  prenez  d*abord  le  nom  de  Jésus  ,  qui  si- 
gnifie Sauveur  ;  et  c^^st-pour  aauvar  le&  pécheurs  que 
vous  vous  mettez  au  nombre  des  pécheurs  souflTrans. 
Avec  quelle  consolation ,  ô  enfant  Jésuâ ,  vois-je  cou- 
ler vos  larmes  et  votre  sang  !  C'est  ici  le  commence- 
ment  du  mystère  de  douleur  et  d'ignominie.  O  pré- 
cieuse victime  !  vous  croîtrez  ]  mais  vous  ne  crottrez 
que  pour  faire  croître  avee  vous  les  marques  de 
votre  amour.  Vous  ne  retardez  votre  sacrifice  que 
pour  le  rendre  plus  grand  et  plus  ligoureux. 

Mais  hélaSy  ô  Jésus  !  que  vois-je  dansvosdoujeurs? 
Est-ce  un  objet  qui  doive  exciter  en  moi  une  com- 
passion tendre  ?  Non ,  car  c'est  sur  moi ,  et  non  sur 
vous ,  que  je  dois  pleurer.  Je  ne  puis  considérer  vos 
humiliations  et  vos  souffrances,  sans  apercevoir  aussi- 
tôt que  vous  ne  vous  humiliez  et  ne  soufirez  que  pour 
mes  besoins.  C'est  pour  expier  mes  péchés  d'orgueil 
et  de  mollesse ,  c^est  pour  m'enseigner  à  souffrir  et  à 
porter  la  confusion  que  je  mérite.  La  nature  vaine 

F^MÉLOV.  xviii.  8 


Il4  POUA  1.B  JOua 

et  lâche  fi*émit  à  la  vue  de  son  Sauveur  qui  est 
anéanti  et  souffrant;  elle  se  sent  écrasée  par  Tauto- 
rite  de  cet  exemple  ;  elle  demeure  sans  excuse. 

Il  faut  donc  préparer  son  cœur  à  la  confusion  et  à 
Tamertumeé  Oui ,  je  le  veux ,  ô  Jésus  !  Je  prends  la 
croix  pour  marcher  après  vous.  Qu'on  me  méprise, 
on  aura  raison;  le  mépris  que  fai  pour  moi  n'*est 
sincère  qu'autant  qu'il  me  fait  consentir  à  être  mé- 
prisé par  les  autres.  Quelle  injustice  de  vouloir  que 
ce  qui  nous  parott  bas  et  indigne  éblouisse  notre 
prochain!  Je  me  livre  donc,  ô  Jésus,  à  tout  oppro- 
bre que  vous  m'enverrez,  je  n'en  refuse  aucun ,  et  il 
n'y  en  a  aucun  que  je  ne  mérite.  O  ver  de  terre ,  est* 
ce  à  toi  que  l'honneur  est  dû  ?  O  ame  pécheresse , 
qu'as-tu  ménté  sinon  d*ctre  la  balayure-<lu  monde  ? 
Puis-je  jamais  être  mis  trop  bas,  moi  qui  ne  suis  par 
ma  nature  que  néant,  et  par  ma  propre  volonté  q^e 
péché?  Anie  vaine,  et  ingrate  à  ton  Dieu,  porte 
donc  sans  murmurer  la  confusion  qui  est  ton  partage. 
Plus  d'honneur,  plus  de  bienséance,  plus  de  réputa- 
tion. Tous  ces  beaux  noms  doivent  être  sacrifiés  à  un 
Sauveur  rassasié  d'opprobres.  Qu'as-tu  en  toi  qui  ne 
demande  l'humiliation?  Est-ce  ton  orgueil?  Hé!  c'est 
ton  orgueil  même  qui  te  rend  encore  plus  misérable 
et  plus  indigne  de  tout  honneur. 

Mais  hélas!  ô  Jésus,  qu'il  y  a  loin  entre  les  senti- 
mens  généraux  d'humiliation ,  et  la  pratique!  On  sa^ 
lue  la  croix  de  loin,  mais  de  près  on  en  a  horreur.  Je 
vous  promets  maintenant  de  marcher  sur  les  traces 
sanglantes  que  vous  me  laissez  :  mais  quand  l'oppro- 
bre et  la  douleur  de  la  croix  parottront,  tout  mon 
courage,  m'abandonnera.  Alors  quels  vains  prétextes 
de  bienséance  !  quelles  délicatesses  honteuses!  quelles 


QE  LA  ciacoiTcisioir.  Il5 

jalousies  diaboliques  !  Mon  Dieu,  je  parle  magnifi-* 
quement  de  la  croix ,  et  je  n'en  veux'connottre  que 
le  nom  !  je  la  crains,  je  la  fuis,  sa  vue  seule  me  dé- 
sole. Qu'avez-vous ,  6  mon  ame?  D'où  vient  que 
vous  murmurez ,  que  vous  tombez  dans  le  découra- 
gement, que  vous  allez  mendier  chez  tous  vos  amis 
un  peu  de  consolation?  Ah  !  c'est  que  Dieu  m'humi- 
lie et  me  charge  de  croix.  Hé]  n'est-ce  pas  ce  que 
vous  lui  avez  promis  d'aimer  7  Qu'avez-vous  donc  ? 
qu'est-ce  qui  vous  trouble?  Le  Chrétien  doit-il  être 
hors  de  lui  quand  il  a  ce  qu'il  a  voulu ,  et  qu'il  est 
fait  semblable  à  Jésus  souQrant?  O  Jésus  enfant! 
donnez-moi  la  simplicité  de  votre  enfance  dans  la 
douleur.  Si  je  pleure ,  si  je  gémis,  qu'au  moins  je  ne 
résiste  jamais  à  votre  main  CTutifiaute* -Gtnipez  jus- 
qu'au vif;  brûlez^  brûlez:  plus  je  crains  de  souffrir, 
plus  j'en  ai  besoin. 


VI.  Pour  le  jour  de  l'Epiphanie.' 

Mon  Dieu,  je  viens  à  vous ,  et  je  ne  me  lasse  point 
d'y  venir;  je  n'ai  rien  en  moi,  et  je  trouve  tout  en 
vous  seul.  O  que  je  suis  pauvre  !  ô  que  vous  êtes  ri- 
che !  Mais  qu'ai-je  besoin  d'être  riche,  puisque  vous 
Têtes  pour  mol?  J'adore  vos  richesses  éternelles  ; 
j*aime  ma  pauvreté  -,  je  me  complais  à  n'être  rien  de- 
*  van  t  vous.  Donnez-moi  aujourd'hui  votre  Esprit  pour 
contempler  votre  saint  fils  Jésus  adoré  par  les  Mages. 
Je  l'adore  avec  eux. 

Ces  Mages  suivent  l'étoile  sans  raisonner,  eux  qui 
sont  si  sages  ;  ils  cessent  de  Têti^e  pour  se  soumettre 


1  l6  TOUR    LE    JOUR 

à  une  lumière  qui  surpasse  la  leur.  ÏIs  comptent 
pour  rien  leurs  commodités^  leurs  affaires,  les  dis- 
cours du  peuple.  Que  peut-on  penser  d'eux?  Us 
vont  sans  savoir  où.  Qu'est  devenue  la  sagesse  de  ces 
hommes  qui  gouveinioient  les  autres? -Quelle  crédu- 
lité! quelle  indiscrétion  !  quel  zèle  aveugle  et  fana- 
tique !  C'est  ainsi  qu'on  devoit  parler  contre  eux  en 
les  voyant  partir.  Mais  il  ne  comptent  pour  rien,  ni 
le  mépris  des  hommes,  ni  leur  réptftation  foulée  aux 
pieds ,  ni  même  le  témoignage  de  leur  propre  sagesse 
qui  l«ur  échappe.  Ils  veulent  bien  passer  pour  fous, 
et  n'avoir  pas  même  à  leurs  propres  yeux  de  quoi  se 
justifier.  Ils  entreprennent  un  long  et  pénible  voyage 
sans  savoir  ce  qu'ils  trouveront.  Il  est  vrai  qu'ils 

voient  uno  étoile  csLiraordînatrc)  mais  combien  y 

a-t-il  d'autres  honmies  instruits  du  cours  des  astres  à 
qui  cette  étoile  ne  parott  avoir  rien  de  surnaturel  ! 
Eux  seuls  sont  éclairés  et  touchés  par  le  fond  du 
cœur.  Une  lumière  intérieure  de  pure  foi  les  mène 
plus  sûrement  que  celle  de  Tétoile.  Après  cela ,  il 
ne  faut  plus  s*étonner  s'ils  adorent  sans  peine  un  pau- 
vre enfant  dans  une  crèche.  O  qu'ils  sont  devenus 
petits  ces  grands  de  la  terre  !  Que  leur  sagesse  est 
confondue  et  anéantie!  Est-ce  donc  là,  ô  Mages, 
ce  que  vous  êtes  venus  adorer  du  fond  de  l'Orient  ? 
Quoi,  un  enfant  qui  tette  et  qui  pleure!  Il  me  sem- 
blé que  je  les  entends  répondre  :  C'est  la  sagesse  de 
Dieu  qui  aveugle  la  nôtre.  Plus  l'objet  semble  mé-' 
prisable,  plus  il  est  digne  de  Dieu  de  nous  abaisser 
jusqu'à  l'adorer.  O  Mages,  il  faut  que  ^ous  soyez  dé- 
venus vous-mêmes  bien  enfans  pour  trouver  le  vrai 
Dieu  dans  Tenfant  ^(ésus! 


OE   l'ÉPIPHAKIE.  Il'] 

Mais  qui  me  donnera  cette  sainte  enfance,  cette 
di/ine  folie  des  Mages?  Loin  de  moi  la  sagesse  impie 
et  maudite  d'Hérode  et  de  la  ville  de  Jérusalem  !  On 
raisonne  y  on  se  complaît  dans  sa  sagesse ,  on  se  rend 
juge  des  conseils  de  Dieu,  on  craint  même  de  voir  ce 
qa'on  ne  peut  pas  connottre.  O  sagesse  hautaine  ei 
profane,  je  te  crains,  Je  t'abhorre;  )e  ne  veux  plu» 
tVcouter.  Il  n'y  a  plus  que  l'enfance  de  Jésus  que  je 
prétends  suivre.  Que  le  monde  insensé  en  dise  tout 
ce  qu'il  voudra;  qu'il  s'en  scandali&e  même  :  malheur 
au  monde  à  cause  de  ses  scandales!  C'est  l'opprobre 
et  la  folie  du  Sauveur  que  j'aime.  Je  ne  tiens  plus  à 
rien.  Nul.  respect  humain,  nulle  crainte  des  r^il* 
leries  et  de  la  censure  des  fànx  sages  ;  les  gens  de 
bien  même,  qui  soat  «booi*«  trop  humainement  en- 
foncés  par  sagesse  en  eux-mêmes ,  ne  m  arrêteront 
pas.  Quand  je  verrai  l'étoile,  je  leur  dirai,  comme 
saint  Paul  aux  fidèles  encore  trop  attachés  aux  bien- 
séance's  mondaines  et  à  leur  raison  :  F'ous  êtes  sa'- 
ges  en  Jésus-Christ  ;  et  nous,  nous  sommes  insensés 
en  lui  (0- 

Heureux  dessein  !  Mais  comment  Taccomplir  7  O 
vous.  Seigneur  qui  l'inspirez,  faites  que  je  le  suive  : 
TOUS  qui  m'en  donnez  le  désir,  donnez-moi  aussi  le 
courage  de  l'exécuter.  Plus  d'autre  lumière  que  celle 
d'en  haut;  plus  d'autre  raison  que  celle  de  sacriGer 
tous  mes  raisonnemens.  Tais-toi,  raison  présomp- 
tueuse; je  ne  te  puis  souffrir.  O  Dieu,  vérité  éter- 
nelle, souveraine  et  pure  raison,  venez  être  l'unique 
Faîson  qui  m'éclaire  dans  les  ténèbres  de  la  foi.. 

(0  /  Cor,  iT.  lo. 


ii8  sua  ïsk  coNYBasioif 


% 
yil.  SvB  LÀ  CoayEBSiov  de  sAiiiT  Paul. 

Je  viens  à  vos  pieds  ^  ô  Seigneur  Jésus ,  plus 
abattu  que  Saul  ne  le  fat  aux  portes  de  Damas. 
C'est  votre  main  qui  me  renverse;  j'adore  cette 
main,  c'est  elle  qui  fait  tout.  O  toute-puissante 
main,  ma  joie  est  de  me  voir  à  votre  discrétion. 
Frappez,  renversez,  écrasez.  Je  viens,  ô  mon  Dieu, 
sous  celte  main  terrible  et  miséricordieuse.  En  me 
renversant  éclairez-moi ,  touchez-moi ,  coi^vertissez- 
moi  comme  Saul.  Mon  preinîer  cri  dans  cette  chute 
c'est  de  dire  :  Seigneur^  que  voulez-vous  que  je 
fasse  (i)7  O  que  j'aime  rp  cri  !  Il  comprend  tout  j  il 
renferme  lui  seul  toutes  les  plus  parfaites  prières  et 
tontes  les  plus  hautes  vertus.  Avec  le  mattre  point 
de  conditions  ni  de  bornes  :  Que  voulez-vous  que  Je 
fusse?  Je  suis  prêt  à  tout  faire  et  à  ne  rien  faire,  à 
ne  vouloir  rien  et  à  vouloir  tout,  à  souffrir  sans  con* 
solations  et  à  goûter  les  consolations  les  plus  douces. 
Je  ne  vous  dis  point  ;  O  mon  Dieu,  je  ferai  de  grandes 
austérités,  des  renoncemens  difficiles,  des  chan- 
geméns  étonnans  dans  ma  conduite.  Ce  n'est  point  à 
moi  à  décider  ce  que  je  ferai.  Ce  que  je  ferai ,  c'est 
de  vous  écouter  et  d'attendre  la  loi  de  vous.  Il  n'est 
plus  question  de  ma  volonté;  elle  est  perdue  dans  la 
vôtre.  Dites  seulement  ce  que  vous  voulez  ;  car  je 
veu^  tout  ce  qu'il  vous  platt  de  vouloir.  Non^seule- 
ment  pénitences  corporelles,  mais  humiliations  de 
l'esprit,  sacrifices  de  santé,  de  repos,  d'amitié,  de 

(0  Au.  IX.  6. 


DE    SAllfT    PAUL.  1  I9 

réputation,  de  consolation  intérieure,  de  paix  sen* 
sibfe,  de  vie  temporelle,  et  même  de  ce  soutien  in- 
térieur qui  est  un  avant-gOût  de  Téternité,  tout  cela 
est  entre  vos  mains.  Donnez,  ôtez,  qu^importe? 
Faites,  Seigneur,  et  ne  me  consultez  jamais.  Hfe  me 
montrez  que  vos  ordres,  et  ne  me  laissez  qu'à  pbéir« 

Qu*en  quelque  épreuve  amèi*e  et  douloureuse  oii 
TOUS  me  mettiez ,  il  ne  me  reste  que  cette  ^enle 
parole  :  Que  vouléz-^vous?  Renversez-moi,  comme 
Saul,  dans  la  poussière,  à  la  vue  de  tout  le  genre 
htimain  ;  mais  renversez-moi  en  sorte  que  je  ne  puisse 
me  i:elever.  Aveuglez-moi ,  comme  lui;  i^procbez- 
moi  meà  infidélités  ;  je  veux  bien  qu'on  les  sache ,  et 
je  dirai  volontiers,  comme  Saul,  à  la  face  de  toutes 
les  Églises  :  J*ai  été  infidâla^  impie  »  blasphémateur, 
persécuteur  de  Jésus-Christ.  Il  m'a  conveiti  pour 
ranimer  l'espérance  des  pécheurs  les  plus  endurcis, 
et  pour  donner  un  exemple  touchant  de  la  patience 
avec  laquelle  il  attend  les  âmes  les  plus  égarées. 
Venez  donc  me.voir,  ô  vous  tous  qui  oubliez  Dieu, 
qui  violez  sa  loi,  qui  insultez  à  la  vertu;  venez  et 
voyez  cette  main  charitable  qui  m'aveugle  pour 
m'éclairer,  et  qui  me  renverse  pour  me  relever. 
Venez  admirer  avec  moi  cette  miséricorde  qui  se 
plaît  à  éclater  dans  l'abtme  de  mes  miisères.  Seigneur, 
loin  de  murmurer  dans  ma  chute,  je  baise  et  j^adore 
la  main  qui  me  frappe.  Voulez-vous  me  faire  tomber 
encore  plus  bas?  je  le  veux  si  vous  le  voulez;  Que 
vouleZ'-vous  que  je  fasse? 

Je  sens ,  ô  mon  Dieu ,  la  vérité  et  la  force  de  cette 
parole  :  //  est  dur  de  regimber  contre  VaigidUon.  O 
qu'il  est  dur  de  résister  à  l'attrait  intérieur  de  votre 


122  SUE    LA   COH VERSION 

même  !  Non,  je  ne  pourrois  plus  me  souffrir  ni  es- 
pérer en  vous,  si  je  ne  voyois  Saul  incrédule ,  blas- 
phémateur,  persécutant  vos  saints ,  dont  vous  faites 
un  vase  d'élection.  Il  tombe  impie  perséciAeur,  et  il 
se  relève  Thomme  de  Dieu.  O  Père  des  miséricordes^ 
que  vous  êtes  bon  !  La  malice  de  Tbomme  ne  peut 
égaler  votre  bonté  jpaternelle.  Il  est  donc  vrai  que 
vous  avez  encore  des  trésors  de  grâces  et  de  patience 
pour  moi  y  pauvre  pécheur,  qui  ai  tant  de  fois  foulé 
aux  pieds  le  sang  de  votre  Fils.  Vous  n'êtes  pas  en- 
core lassé  de  m'atténdre,  ô  Dieu  patient ,  ô  Dieu  qui 
craignez  de  punir  trop  tôt,  ô  Dieu  qui  ne  pouvez 
vous  résoudre  h  frapper  ce  vase  d'argile  formé  de  vos 
mains.  Cette  patience,  qui  flattoit  mon  impatience 
et  ma  lâcheté*,  m'attendrit.  Hélas  !  serai-je  donc  tou- 
jours méchant,  parce  que  vous  êtes  bon?  Est-ce  à 
cause  que  vous  m'aimez- tant,  que  je  me  croirois  dis- 
pensé de  vous  aimer  ?  Non^  non,  Seigneur,  votre  pa- 
tience m'excite  :  je  ne  puis  plus  me  voir  un  seul  mo^ 
ment  contraire  à  celui  qui  me  rend  le  bien  pour  le 
mal  ;  je  déteste  jusqu'aux  moindres  imperfections;  je 
n'en  réserve  rien  :  périsse  tout  ce  qui  retarde  mon 
.sacrifice  !  Ce  n'est  fins  ce  demain  d'une  ame  lâche 
qui  fuit  toujours  sa  conversion;  aujourd'hui,  au- 
joûrd'hui  ;  ce  qui  me  reste  de  vie  n'est  pas  trop  long 
pour  pleurer  tant  d'années  perdues  :  je  dis  comme 
Saul  :  Seigneur,  que  voulez-vous  que  je  fasse? 

Il  me  semble  que  je  vous  entends  me  répondre  :  Je 
veux 'que  tu  m'aimes,  et  que  tu  sois  heureux  en  m'ai- 
mant  :  Aime,  et  fais  ce  que  tu  voudras  ;  car,  en  ai- 
mant véritablement ,  tu  ne  feras  que  ce  que  le  pur 
amour  fait  faire  aux  âmes  détachées  d'elles-mêmes  ; 


DE    SÀIRT    PAUL.  ia3 

tu  in*aimerasy  ta  me  feras  aimer ,  tu  n  auras  plus 
d'autre  volonté  que  la  mienne.  Par  là  s'accomplira 
mon  règne  ;  par  là  je  serai  adoré  en  esprit  et  en  vé- 
rité ;  par  là  tu  me  sacrifieras  et  les  délices  de  la  chair 
corrompue  y  et.Forgueil  de  Tesprit  agité  par  de  vains 
fantômes  ;.  le  monde  entier  ne  sera  plus  rieu  pour 
toi  ;  tu  ne  voudras  plus  être  rien^  afin  que  je  sois  moi 
seul  toutes  choses.  Voilà  ce  que  je  veux  que  tu  fasses. 
Mais  comment  le  ferai-je.  Seigneur?  cette  œuvre  est 
au-dessus  de  l'homme.  Ah!  vous  me  répondez  au 
fond  de  mon  cœur  :  Homme  de  peu  de  foi  j  regarde 
Saul  y  et  ne  doute  de  rien  ;  il  te  dira  :  Je  puis  tout 
en  celui  qui  me  fortifie  (0.  Lui  qui  ne  respiroit  que 
sang  et  carnage  contre  les  Eglises,  il  ne  respire  plus 
que  l'amour  de  Jésus-Christ  ;  c'est  Jésus-Christ  qui 
vit  triomphant  dans  son  apôtre  mort  à  toutes  les 
choses  humaines.  Le  voilà  tel  que  Dieu  l'a  fait;  la 
même  main  te  fera  tel  que  tu  dois  être. 

IX.    POUA    LE    J0tl&    DE    LA    PURIFICATION. 

Q  Jésus  ,  vous  êtes  offert  aujourd'hui  dans  le 
temple  ;  et  la  règle,  qui  n'est  faite  que  pour  les  en^ 
fans  des  hommes,  est  accomplie  par  le  Fils  de  Dieu* 

O  divin  enfant ,  souffrez  que  fe  me  présente  avec 
vous.  Je  veux  être,  comme  vous,  dans  les  mains 
pures  de  Marie  et  de  Joseph  ;  je  ne  veux  plus  être 
qu'un  même  enfant  avec  vous,  qu'une  même  vie* 
time.  Mais  que  vois-je  ?  on  vous  rachète  comme  ori 
rachetoit  les  enfans  des  pauvres  ;  deux  colombes  sont 
le  prix  de  Jésus.  O  &oi  immortel  de  tous  1^  siècles  ! 

(O  Philip,  IV.  i3.  • 


1^4  POUR    LE   JOUA 

bientôt  vous  n'aurez  pas  même  de  lieu  oh  vous  puis- 
siez  reposer  votre  tête.  Vous  enrichirez  le  monde  de 
votre  pauvreté ,  et  déjà  vous  paroissez  au  temple  en- 
qualité  de  pauvre*  Heureux  quiconque  se  fait  pauvre 
avec  vous  !  Heureux  qui  n'a  plus  rien ,  et  qui  ne  vevt 
plus  rien  avoir  I  Heureux  qui  a  perdu  en  vous  et  au> 
pied  de  votre  croix  toute  possession ,  qui  ne  possède 
plus  même  son  propre  coeur,  qui  n'a  plus  de  volonté 
propre  y  qui,  loin  d'avoir  quelque  chose,  n'est  plus  à 
soi-même  !  O  riche  et  bienheureuse  pauvreté!  ôti^sop 
inconnu  aux  faux  sages  !  ô  nudité  qui  est  au-dessus 
de  tous  les  biens  les  plus  éblouissans  ?  Grâce  à  vous , 
enfant  Jésus ,  je  veux  tout  perdre ,  jusqu'à  mon 
propre  cœur,  jusqu'au  moindre  dékir  propre,  jus- 
qu'aux derniers  rester  de  ma  volonté.  Je  cours  après 
vous,  nu  et  enfant,  comme  vous  l'êtes  vous-même. 

Je  comprends  assez ,  par  l'horreur  que  j'ai  de  moi- 
même,  combien  je  suis  une  victime/impure  et  indi- 
gne de  votre  Père.  Je  n'ose  donc  m'o0rir  qu'autant 
que  je  ne  suis  plus  moi-même,  et  que  je  ne  fais  plus 
qu'une  même  chose  avec  vous.  O  qui* le  comprendra? 
Mais  il  est  pourtant  vrai  qu'on  n'est  digne  de  Dieu 
qu'autant  qu'on  est  hors  de  soi,  et  perdu  en  lui. 
Ârrachez-moi  donc  à  moi-même.  Plus  de  retours 
d'amour -propre,  plus  de  désirs  inquiets,  plus  de 
crainte  ni  d'espérance  pour,  mon  propre  intérêt.  Le 
moij  à  qui' je  rapportois  tout  autrefois,  doit  être 
anéanti  pour  jamais.  Qu'on  me  mette  haut,  qu'on 
me  mette  bas;  qu'on  se  souvienne  de  moi,  qu'on 
m^oublie  ;  qu'on  me  loue ,  qu'on  me  blâme  ;  qu'on 
se  fie  à  moi,  ou  qu'on  me  soupçonne  même  injus- 
tement; qu'on  me  laisse  en  paix  ,-ott  qu'on  me  tra- 


DE    LA    PORIFIGÀTIOlf.  I&5 

▼erse,  qu'importe?  ce  n'est  pins  mon  affaire.  Je  ne 
suis  plus  à  moi  pour  mr'intëresser  à  tout  ce  qu'on 
me  fait  ;  je  suis  à  celui  qui  fait  faire  toutes  ces 
choses  selon  son  plaisir  :  sa  volonté  se  fait ,  et  c'est 
assez.  S*il  y  avoit  encore  un  reste  du  moi  pour  se 
plaindre  et  pour  murmurer,  mon  sacrifice  seroit 
imparfait.  Cette  destruction  de  la  victime,  qui  doit 
anéantir  tout  être  propre,  répond  à  toutes. les  ré^ 
voltes  de  la  nature. 

Mais  ce  traitement  qu'on  me  fait  est  injuste  ;  mais 
cette  accusation  est  fausse  et  maligne  ;  mais  cet  ami 
est  infidèle  et  ingrat  ;  mais  cette  perte  de  biens  m'ac- 
cable; mais  cette  privation  de  toute  consolation 
sensible  est  trop  amère  ;  mais  cette  épreuve*  oh  Dieu 
me  met  est  trop  violente;  mais  les  gens  de  bieni  de 
qui  j'attendois  du  secours,  n'ont  pour  moi  que  de  la 
sécheresse  et  de  l'indifférence  ;  mais  Dieu  lui-même 
me  rejette ,.  et  se  retire  de  moi.  Hé  bien  !  ame  foible, 
ame  lâche ,  ame  de  peu  de  foi ,  ne  veux-tu  pas  tout 
ce  que  Dieu  veut?  Es-tu  à  lui  ou  à  toi?  Si  tu  es 
encore  à  toi,  tu  as  raison  de  te  plaindre,  et  de  cher* 
cher  ce  qui  te  convient.  Mais  si  tu  ne  veux  plus  être 
à  toi,  pourquoi  donc  t'écouter  encore  toi-même? 
Que  te  reste-t-il  encore^-dtre  en  faveur  de  ce  mal- 
heureux moi ,  auquel  tu  a$  renoncé  sans  réserve  et 
pour  toujours?  Qu'il  périsse;  que  toute  ressource 
lui  soit  arrachée ,  tant  mieux  ;  c'est  là  le  sacrifice  de 
yérité  ;  tout  le  reste  n'en  est  qile  Tombre.  C'est  par 
là  que  la  victime  est  Consommée,  et  Dieu  digne- 
ment adoré.  O  Jésus ,  avec  qui  je  m'offre ,  donnez- 
moi  le  courage  de  ne  me  plus  compter  pour  rien , 
et  de  ne  laisser  en  moi  rien  de  moi-même  ! 


i 


126  POUR    LE   JOUR    DE    LA    PURIFICÀTIOK. 

Vous  fûtes  racheta  par  deux  colombes;,  mais  ce 
rachat  ne  vous  délivroit  pas  du  sacrifice  de  la  croix 
où  vous  deviez  mourir  :  au  contraire,  votre  présenta- 
tion au  temple  étoit  le  commencement  et  les  pré- 
mices de  votre  ofTrande  au  Calvaire.  Ainsi,  Seigneur, 
toutes  les  choses  extérieures  que  je  vous  donne  ne 
pouvant  me  racheter ,  il  faut  que  je  me  donne  moi- 
ïnéme  tout  entier ,  et  que  je  meure  sur  la  croix.  Per- 
dre le  repos,  la  réputation,  les  biens,  la  vie,  cen^est 
encore  rien;  il  faut  se  perdre  soi-même,  ne  se  plus 
aimer,  se  livrer  sans  pitié  à  votre  justice,  devenir 
étranger  à  soi-même ,  et  n'avoir  plus  d'autre  intérêt 
que  celui  dei  Dieu  à  qui  on  appartient. 

Xr  Poun  LE  Carême. 

Mon  Dieu,  voici  un  temps  d'abstinence  et  de  pri- 
vation. Ce  n'est  rien  de  jeûner  des  viandes  grossières 
qui  nourrissent  le  corps,  si  on  ne  jeûne  aussi  de  tout 
ce  qui  sert  d'aliment  à  l'amour-propre.  Donnez-moi 
donc,  ô  époux  des  âmes,  cette  virginité  intérieure, 
cette  pureté  du  cœur ,  cette  séparation  de  toute  créa- 
ture, cette  sobriété  dont  parle  votre  apôtre,  par  la- 
quelle on  n'use  d'aucune  créature  que  pour  le  senl 
besoin,  comme  les  personnes  sobres  usent  des  viandes 
pour  la  nécessité.  O  bienheureux  jeûne^  où  l'ame 
jeûne  toute  entière,  et  tient  tous  les  sens  dans  la 
privation  du  superflu  î  O  sainte  abstinence,  où  l'am^ 
rassasiée  de  la  volonté  de  Dieu ,  ne  se  nourrit  jamais 
de  sa  volonté  propre!  Elle  a,  comme  Jésus-Christ, 
une  autre  viande  dont  elle  se  nourrit.  Donnez-le  moi. 
Seigneur,  ce  pain  qui  est  au-dessus  de  toute  sub- 


POUR    LE    CAUÊME.  1%'] 

stance  ;  ce  paki  qai  apaisera  à  jamais  la  faim  de  mon 
cœur;  ce  pain  qui  éteint  tous  les  désirs;  ce» pain  qai 
est  la  vraie  manne ,  et  qui  tient  lieu  de  tout. 

O  mon  Dieu  y  que  les  créatures  se  taisent  donc 
pour  mol  y  et  que  je  me  taise  pour  elles  en  ce  saint 
temps  !  Que  mon  ame  se  nourrisse  dans  le  silence  en 
jeûnant  de  tous  les  vains  discours  !  Que  je  me  nour- 
risse de  vous  seul ,  et  de  la  croix  de  votre  fils  Jésus  ! 

Mais  quoi  y  mon  Dieu!  &udra-t-il  donc  que  je 
sois  dans  une  crainte  continuelle  de  rompre  ce  jeûne 
intérieur  par  les  consolations  que  je  goûterai. au  de- 
hors! Non  y  non,  mon  Dieu,  vous  ne  voulez  point 
cette  gêne  et  cette  inquiétude.  Votre  Esprit  est  l'es- 
prit d'amour  et  de  liberté,  et  non  celui  de  crainte  et 
de  servitude.  Je  renoncerai  donc  à  tout^ce  qui  n'est 
point  de  votre  ordre  pour  mon  état,  à  tout  ce  que 
j'éprouve  qui  me  dissipe  trop,  à  tout  ce  que  les  per^ 
sonnes  qui  me  conduisent  à  vous  jugent  que  Je  dois 
retrancher;  enfin  à  tout  ce  que  vous  retrancherez 
vous-même  par  les  événemens  de  votre  providence. 
Je  porterai  paisiblement  toutes  ces  privations.  Voici 
encore  ce  que  j'ajouterai  ;  c'est  que ,  dans  les  conver- 
sations innocentes  et  nécessaires ,  je  retrancherai  ce 
que  vous  me  ferez  sentir  intérieurement  qui  n'est 
qu'une  recherche  de  moi-même.  Quand  je  me  senti- 
rai porté  à  faire  là-dessus  quelque  sacrifice ,  je  le  fe- 
rai gaiement.  Mais  d'ailleurs,  ô  mon  Dieu,  je  sais 
que  vous  voulez  qu'un  cœur  qui  voiis  aime  soit  au 
large.  Tagirai  avec  confiance  comme  un  enfant  qui 
joue  entre  les  bras  de  sa  mère  ;  je  me  réjouirai  devant 
le  Seigneur  ;  je  tâcherai  de  réjouir  les  autres  ;  j'é- 
pancherai mon  cœur  sans  crainte  dans  l'assemblée 


138  FOOR    LE   CABÊME. 

des  enfans  de  Dieu.  Je  ne  veax  que  candeur,  inno- 
cence,  joie  du  Saint-Esprit.  Loin,  loin ,  ô  mon  Dieu, 
cette  sagesse  triste  et  craintive  qui  se  ronge  toujours 
elle-même,  qui  tient  toujours  la  balance  en  main 
pour  peser  des  atomes,  de  peur  de  rompre  ce  jeûne 
intérieur  !  Cest  vous  faire  injure  que  de  n*agir  pas 
avec  vous  avec  plus  de  simplicité  :  cette  rigueur  est 
indigne  de  vos  entrailles  paternelles.  Vous  voulez 
qu'on  vous  aime  uniquement  ;  voilà  sur  quoi  tombe 
votre  jalousie  :  mais  quand  on  vous  aime ,  vous  lais- 
sez agir  librement  Tamour ,  et  vous  voyez  bien  ce 
qui  vient  véritablement  de  lui. 

Je  je&nerai  donc,  ô  mon  Dieu,  de  toute  volonté 
qui  n'est  point  la  vôtre  ;  mais  je  jeûnerai  par  ambur, 
dans  la  liberté  et  dans  l'abondance  de  mon  cœur. 
Malheur  à  Tame  rétrécie  et'désséchée  en  elle-même, 
qui  craint  tout  y  et  qui,  à  force  de  craindre ^  n'a  pas 
le  temps  d'aimer  et  de  courir  généreusement  après 
l'Époux!    • 

O  que  le  jeône  que  vous  faites  faire  à  l'ame  sans  la 
gêner  est  un  je&ne  exact!  Il  ne  reste  rien  au  cœur 
que  le  bien-aimé,  et  encore  il  cache  souvent  le  bien- 
aimé,  pour  laisser  l'ame  défaillante  et  prête  à  ex- 
pirer faute  de  soutien.  Voilà  le  grand  jeûne,  oîi 
l'homme  voit  sa  pauvreté  toute  nue ,  où  il  sent  un 
vide  affreux  qui  le  dévore  ^  et  où  Dieu  même  semble 
lui  manquer,  pour  lui  arracher  jusqu'aux  moindres 
restes  de  vie  en  lui-même.  O  grand  jeûne  de  la  pure 
foi  y  qui  vous  comprendra  ?  Où  est  l'ame  assez  coura- 
geuse pour  vous  accomplir  !  O  privation  universelle  ! 
à  renoncement  à  soi  comme  aux  choses  les  plus 
vaines  du  dehors  !  O  fidélité  d'une  ame  qui  se  laisse 

poursuivre 


POUR    LB    CÀJliME.  119 

poui'suivre  $aos  relâche  par  Tamour  jaloux ,  et  qui 
souffre  qae  tout  lui  soit  ôtë!  Voilà ,  Seigneur,  le  sa-. 
crifice  de  ceux  qui  vous  adorent  en  esprit  et  en  vé- 
rité 'p  c'est  par  ces  épreuves  qu'on  devient  digne  de 
vous.  Faites,  Seigneur  -,  rendez  mon  ame  vide ,  affa- 
mée ,  dé&iUante  ;  faites  selon  votre  bon  plaisir.  Je 
me  tais  ;  fadore  ;  je  dis  sans  cesse  :  Que  votre  volonté 
se  fasse  ,  et  non  la  mienne  (0  ! 

XL  Pour  le  Jeudi  saoit. 

Jésvs^  sagesse  éternelle,  vous  êtes  caché  dans  le 
sacrement  y  et  c'est  là  que  je  vous  adore  aujourd'hui. 
O  que  j'aime  ce  jour,  oii  vous  vous  donnâtes  vous- 
même  tout  entier  aux  apôtres!  Que  dis-je,  aux 
apôtres?  Vous  ne  vous  êtes  pas  moins  donné  à  nous 
qu'à  eux.  Précieux  don,  qui  se  renouvelle  de  jour  en 
jour  depuis  tant  de  âècles,  et  qui  durera  sans  inter^ 
ruption  autant  que  le  monde!  O  gage  des  bontés 
du  Père  de  miséricorde!  ô  sacrement  de  l'amour!  ô 
paia  au-dessus  de  tonte  substance!  Gomme  mon 
corps  se  nourrit  du  pain  grossier  et  corruptible, 
ainsi  mcm  ame  doit  se  nourrir  chaque  jour  de  Téter- 
nelle  vérité,  qui  s'est  faite  non-seulement  chair  pour 
être  vue ,  mais  encore  pain  pour  être  mangée  et  pour 
nourrir  les  enfans  de  Dieu. 

Hélas  !  où  êtes-vous  donc ,  ô  sagesse  profonde  qui 
avez  formé  l'univers?  Qui  pourroit  croire  que  vous 
fussiez  sous  cette  vile  apparence?  On  ne  voit  qu'un 
peu  de  pain,  et  on  reçoit,  avec  la  ctiair  vivifiant» 

(*)  Lue.  xiii.  4** 

FéKéLON.  xviii.  9 


iBifc  POUR    LE    JEUDI    SÀUTT. 

d'avec  elle-même,  qui  fait  qu'elle  ne  se  trouve  ni 
ne  se  possède  plus,  qui  éteint  toute  ardeur,  qui  dé- 
truit tout  intérêt ,  qui  anéantit  tout  retour  sur  soi  ! 
Oamourl'  vous  tourmentez  merveilleusement.  Le 
même  pain  descendu  du  ciel  fait  mourir  et  fait  vi- 
vre; il  arrache  l'ame  à  elle-même,  et  il  la  met  en 
paix  ;  il  lui  ôte  tout ,  et  il  lui  donne  tout  ;  il  lui  ôle 
tout  en  elle  ;  il  lui  donne  tout  en  Dieu ,  en  qui  seul 
les  choses  sont  pures.  O  mon  amour,  ô  ma  vie,  d 
mon  tout  1  je  n'ai  plus  que  vous.  O  mon  pain  !  je  vous 
mangerai  tous  les  jours,  et  je  ne  craindrai  que  de 
perdre  ma  nourriture. 


XII.   Poua  L.B  VbHDRBDI  SAllVT. 

Le  mystère  de  la  passion  de  Jésus-Christ  est  in- 
compréhensible aux  hommes.  Il  a  paru  un  scandale 
aux  Juifs,  et  une  folie  aux  Gentils  (0.  Les  Juifs 
étoient  zélés  pour  la  gloire  de  leur  religion  ;  ils  ne 
pouvoient  souffrir  l'opprobre  de  Jésus-Christ  Les 
Gentils,  pleins  de  leur  philosophie,  étoient  sages  ;  et 
leur  sagesse  se  révoltoit  à  la  vue  d'un  Dieu  crucifié  : 
c'étoit  renverser  la  raison  humaine  que  de  prêcher 
ce  Dieu  sur  la  croix.  Cependant  cette  croix ,  pré- 
cfaéé  dans  tout  l'univers,  surmonte  le  zèle  superhe 
des  Jui6  et  la  sagesse  hautaine  des  Gentils.  Voilà 
dnnc  à  quoi  aboutit  le  mystère  de  la  passion  de  Jé- 
sus-Christ,  &  confondre  non*seulement  la  sagesse 
profane  des  gens  du  monde,  qui ,  comme  les  Gentils, 
regardent  la  piété  comme  une  folie ,  si  elle  n'est  ton* 

(0  /  Cor.  1.  a3. 


FOUR    LB    VENDREDI    âAIMT.  l33 

{ours  revêtue  <l*aD  certain  éclat;  mais  encore  le  zèle 
superbe  de  certaines  personnes  pieuses  y  qui  ne  veu- 
lent rien  voir  dans  la  religion  qui  ne  soit  conforme 
à  leurs  fausses  idées. 

O  mon  Dieu,  je  suis  du  nombre  de  ces  Juifs  scan- 
dalisés. Il  est  vrai  y  ô  Jésus ,  que  je  vous  adore  sur  la 
croix;  mais  cette  adoration  n'est  qu'en  cérémonie, 
elle  n*est  point  en  vérité.  La  véritable  adoration  de 
Jésus-Christ  crucifié  consiste  à  se  sacrifier  avec  lui , 
à  perdre  sa  raison  dans  la  folie  de  la  croix ,  il  en  ava- 
ler tout  l'opprobre,  à  vouloir  être ,  si  Dieu  le  veut, 
up  spectacle  d'horreur  à  tous  les  sages  de  la  terre,  à 
consentir  de  passer  pour  insensé  comme  Jésus-Christ. 

Voilà  ce  qu'on  dit  volontiers  de  bouche;  mais 
voilà  ce  que  le  cœur  ne  dit  point.  On  s'excuse  par 
de  vains  prétextes,  on  frémit,  on  recule  lâchement 
dès  qu'il  f^ut  parottre  nu  et  rassasié  d'opprobres 
avec  l'Homme  de  douleurs.  O  mon  Dieu,  mon 
amour,  on  vous  aime  pour  se  consoler;  mais  on  ne 
vous  aime  point  pour  vous  suivre  jusqu'à  la  mort  de 
la  croix.  Tons  vons  fuient,  tous  vous  abandonnent, 
tous  vous  méconnoissent,  tous  vous  renient.  Tant 
que  la  raison  trouve  «on  compte  et  son  bonheur  à 
vous  suivre,  on  court  avec  empressement,  et  l'on  se 
vante  comme  saint  Pierre;  mais  il  ne  faut  qu'une 
question  d'une  servante  pour  tout  renverser.  On  veut 
borner  la  religion  à  la  courte  mesure  de  son  esprit  ; 
et  dès  qii^elle  surpasse  notre  foîble  raison ,  elle  se 
tourne  en  scandale. 

Cependant  la  religion  doit  être  dans  la  pratique 
ce  qu'elle  est  dans  la  spéculation  ;  c  est-à-rdire  qu'il 
faut  qu'elle  aille  réellement  jusqu'à  faire  perdre  pied 


l34  TOVtL  LE  teudredi  saivx. 

à  notre  raison ,  et  à  nous  livrer  à  la  folie  du  Sauveur 
crucifia  O  qu'il  est  abé  d*étre  chrétien  à  condition 
d^étre  sage,  maître  de  sV>i,  courageux,  grand,  ré- 
gulier et  merveilleux  en  touti  Mais  être  chrétien 
pour  être  petit,  foible,  méprisable  et  insensé  aux 
yeux  des  hommes,  c*est  ce  qu*on  ne  peut  entendre 
sans  en  avoir  horreur.  Aussi  Ton  n'est  chrétien  qu'à 
demi.  Non-seulement  on  s'abandonne  à  son  vain 
raisonnement  comme  les  Gentils,  mais  encore  on  se 
fait  un  honneur  de  suivre  son  zèle  comme  les  Jui&. 
Cest  avilir  la  religion ,  dit-on ,  c'est  la  tourner  en 
.petitesse  d'esprit:  il  faut  montrer  combien  elle  est 
grande.  Hélas I  elle  ne  le  sera  en. nous  qu'autant 
qu'elle  nous  rendra  humbles ,  dociles ,  petits ,  et  dé- 
tachés de  nous-mêmes.  , 

On  voudoit  un  Sauveur  qui  vînt  pour  nous  ren- 
dre parfaits,  pour  nous  remplir  de  notre  propre  ex- 
cellence, et  pour  remplir  toutes  les  vues  les  plus  flat- 
teuses de  notre  sagesse  :  au  contraire.  Dieu  nous  a 
donifé  un  Sauveur  qui  renverse  notre  sagesse,  qui 
nous  met  avec  lui  nu  sur  une  infâme  croix.  O  J&us, 
cTest  là  que  tout  le  monde  vous  abandonne.  Il  ne 
faut  pas,  dit-on ,  pousser  les  choses  si  loin  ;  c'est 
outrer  les  vérités  chrétiendes,  et  les  rendre  odieuses 
aux  yeux  du  monde.  Hé  quoi  !  ne  savons-nous  pas 
que  les  profanes  seront  scandalisés,  puisque  quelques 
gens  de  bien  même  le  sont? 

Comment  le  mystère  de  la  croix  ne  paroîtroit-il 
pas  excessif  à  ces  sages  Gentils,  puisqu'il  scandalise 
les  Juifs  pieux  et  zélés?  O  Sauveur ,  boive  qui  voudra 
votre  calice  d'amertume;  pour  moi,  je  le  veux  boire 
jusqu'à  la  lie  la  plus  amère.  Je  suis  prêt  à  soufiiîr 


POim   t.B   TBNDASDI   SÀIlffT.  l35 

la  douleur,  rignomime ,  la  dërisioDy  Tinsnlte  des 
hommes  aa  dehors ,  et  au  dedans  la  tentation  et  le 
délaissement  du  Père  céleste;  je  dirai,  comme  voua 
Tavez  dit  pour  mon  instruction  :  Que  ce  calice  passfi 
et  s  éloigne  de  moi;  mais,  malgré  rborreur  de  lana-* 
tore,  dfue  votre  volonté  se  fasse,  et  non  la  mienne  (0» 
Ces  vérité  sont  trop  fortes  pour  les  mondains,  qui 
ne  vous  connotssent  qu'à  demi,  et  qui  ne  peuvent 
vous  suivre  que  dans  les  consolations  du  Thabor. 
Pour  moi,  je  manquerois  à  Tattrait  de  votre  anu>ur 
si  [e  roGulois.  Allons  à  Jésus  ;  allons  au  Calvaire  :  mon 
ame  est  triste  jusqu'à  la  mort;  mais  qu'importe, 
pourvu  que  je  meure  percé  des  mêmes  clous  et  sur 

la  même  croix  que  vous,  ô  mon  Sauveur? 

I 

XIII.  Poua  LE  Samedi  saiht. 

Ce  qui  se  présente  à  moi  aujourdiiui ,  c'est  Jésus 
entre  la  mort  qu'il  a  sonllferte  et  la  vie  qu'il  va  re- 
prendre. Sa  résurrection  ne  sera  pas  moins  réelle 
que  sa  mort ,  et  sa  mort  n'est  qu'un  passage  de  la 
misérable  vie  à  la  vie  bienheureuse.  O  Sauveur,  je 
voas  adore ^  je  vous  aime  dans  le  tombeau,  je  m*y 
renferme  avec  vous  ;  je  ne  veux  plus  que  le  monde 
me  voie ,  je  ne  veux  plus  me  voir  moi-même ,  je 
descends  dans  les  ténèbres  et  jusque  dans  la  pous^ 
sière  ;  je  ne  suis  plus  du  nombre  des  vivans.  O  monde! 
6  hommes,  oubliez^moi,  foulez-moi  aux  pieds;  je 
suis  mort,  et  la  vie  qui  m'est  préparée  sera  cachée 
avec  Jésus-Christ  en  Dieu. 

\S)  Luc.  xzu.  43. 


i'iÔ  Mur    le  SàMBDI    tâllIT. 

Ces  iFérités  étonnent;  à  peine  les  gens  de  bien^ 
'  peuvent-ils  les  supporter.  Que  signifie  donc  le  hap- 
téme  par  lequel,  comme  F  Apôtre  nous  Fassnre  CO, 
npus  aurons  été  tous  ensevelis  avec  Jésus-Chrisi  par 
sa  mort?  Oh  est-elle  cette  mort,  que  le  cavftctère  de 
chrétien  doit  opérer  en  nous?  Oii  est^elle  cette  sé- 
pulture? Hélas!  je  veux  piaroître,  être  approuvé, 
aimé,  distingué,  ]e  veux  occuper  mon  prochain, 
posséder  son  cœur,  me  faire  une  idole  de  la  réputa- 
tion et  de  l'amitié.  Dérober  à  Dieu  l'encens  grossier 
qui  brûle  sur  ses  autels ,  n'est  rien  eu  comparaison 
du  larcin  sacrilège  d'une  ame  qui  veut  enlever  ce 
qui  est  dû  à  Dieu ,  et  se  Faire  l'idole  des  autres  créa- 
tures. 

Mon  Dieu ,  quand  cesserai-je  de  m'aimer ,  jusqu'à 
vouloir  qu'on  ne  m'aime  et  qu'on  ne  m'estime  plus? 
A  vous  seul.  Seigneur,  la  gloire,  à  vous  seul  l'amour. 
Je  ne  dois  plus  rien  aimer  qu'en  vous ,  pour  vous ,  et 
de  votre  pur  amour  :  je  ne  dois  plus  m'aimer  moi- 
même  que  par  charité,  comme  on  aime  un  étranger. 
He  devrois-je  donc,  pas  avoir  honte  de  vouloir  être 
estimé  et  aimé?  Ce  qui  est  le  plus  étrange,  et  ce  qui 
fait  voir  l'injustice  de  mon 'amour-propre,  c'est  que 
)e  ne  me  contente  pas  d'un  amour  de  charité.  L'ose» 
rai-je  dire,  ô  mon  Dieu  7  ma  vaine  délicatesse  est  bles- 
sée de  n'avoir  rien  que  ce  qu*on  lui  accorde  à  cause 
de  vous.  O  injustice  !  ôrévolte  !  ô  aveugle  et  détestable 
orgueil!  Punfssez-le,  mon  Dieu.  Je  suis  pour  vous 
contre  moi  -,  j'entre  dans  les  intérêts  de  votre  gloire 
et  de  vo\re  justice  contre  ma  vanité.  O  folle  créatui^, 
idolâtre  de  toi-même!  qu'as-tu  donc,  indépendam- 

C»)  Rom.  Ti.  4- 


POUn    LB   SAMEDI    SAllTT.  1^7 

ment  de  Dieu,  qai  mërite  cette  teodreMe,  cet  atta- 
chement, cet  amour  indépendant  de  la  diarittf?  O 
qu^l  fant  de  charité  pour  se  supporter  dans  celte 
injustice,  de  vouloir  que  les  autres  fassent  pour  nous 
ce  que  Dieu  nous  défend  de  faire  pour  nous-mêmes! 
Amour  que  Dieu  imprime  dans  le  fond  de  ses  créa- 
tures ,  est-ce  là  l'usage  qu'il  en  veut  tirer?  Ne  nous 
a>t-il  faits  capables  d'aimer  qu'afin  que  nous  nous  dé- 
tournions les  uns  les  autres  de  l'unique  terme  du  pur 
amour?  Non,  mon  Dieu,  je  ne  veux  plus  qu'on 
m*aime;  h  peine  faut-il  qu'on  me  souffre  pour  l'amour 
de  vous  :  plus  fe  suis  délicat  et  sensible  sur  6et  amour 
des  autres ,  plus  j'en  suis  indigne,  et  dans  le  besoip 
d'en  être  privé. 

Il  en  est,  6  Seigneur ,  de  !a  réputation  comme  de 
l'amitié  :  donnez  ou  Ôtez  selon  vos  desseins;  que 
cette  réputation,  plus  chère  que  la  vie,  devienne 
comme  un  linge  sali,  si  vous  y  trouvez  votre  gloire  : 
qu'on  passe  et  qu'on  repasse  sur  moi  comme  sur  les 
morts  qui  sont  dans  le  tombeau  ;  qu'on  ne  me  compte 
pour  rien  ;  qu'on  ait  horreur  de. moi  ;  qu'on  ne  m'é- 
pargne en  rien,  tout  est  bon.  S'il  me  reste  encore 
quelque  sensibilité  volontaire ,  quelque  vue  secrète 
sur  la  réputation,  je  ne  suis  point  mort  fivec  Jésus» 
Christ ,  et  je  ne  suis  point  en  état  d'entrer  dans  sa  vie 
ressuscitée. 

Ce  n'est  qu'après  l'extirpation  de  la  vie  maligne  et 
corrompue  du  vieil  homme  que  nous  passons  dans  la 
vie  de  l'homme  nouveau.  Il  faut  que  tout  ûieure , 
douceurs,  consolation,  repos,  tendresse,  amitié, 
honneur,  réputation  :  tout  nous  sera  rendu  au  cea- 
tapie;  mais  il  faut  que  tout  meure,  que  tout  soit 


l38  POUR    LB  SAMEDI   8AIHT« 

sacrISé.  Quand  nous  aarons  tout  perdu  en  Vovs  ^  6 
mon  Dieu ,  nous  rétrouverons  tout  en  vous.  Ce  que 
nous  avions  en  nous  avec  l'impureië  du  vieil  homme 
nous  sera  rendu  avec  la  pureté  de  Tbomme  renou- 
velé y  comme  les  métaux  mis  au  feu  ne  perdent  point 
leur  pure  substance,  mais  sont  purifiés  de  ce  qn  ils 
ont  de  grossier.  Alors  p  mon  Dieu ,  le  même  esprit , 
qui  gémit  et  qui  prie  en  nous ,  aimera  en  nous  plus 
parfaitement.  Combien  nos  cœurs  seront4l8  plus 
grands ,  plus  tendres  et  plus  généreux  l  Nous  n'aime- 
rons plus  en  foibles  créatures ,  et  d'un  cœur  resserré 
dai^  d'étroites  bornes  :  Famour  infini  aimera  en  nous^ 
notre  amour  portera  le  caractère  de  Dieu  même. 

Ne  songeons  donc  qu*à  nous  unir  à  7ésus-Christ 
dans  son  agonie,  dans  sa  mort  et  dans  son  tombeau  ; 
ensevelissons-nous  dans  les  ténèbres  de  la  pure  Coi  ; 
livrons-nous  è  toutes  les  horreurs  de  la  mort.  Non  p 
je  ne  veux  plus  me  regarder  comme  étant  de  la  terre. 
O  monde,  oubliez-moi  comme  je  vous  oublie,  et 
comme  je  veux  m'oublier  moi-même  !  Seigneur  Jé- 
sus,  vous  n'ête$  mort  que  pour  me  fiûre  mourir  :  ar« 
rachez-moi  la  vie  j  ne  me  laissez  plus  respirer  ;  n« 
souffrez  aucune  réserve,  poussez  mon  cœur  à  bout; 
je  ne  mets  point  de  bornes  à  mon  sacrifice. 

XIV.    Poux   LB    JOUR   DE   L'AsCElTSIOlff. 

It  me  semble  que  j*accompagne  avec  les  disciples 
Jésus-Christ  jusqu'à  Béthanie.  Là  il  monte  au  ciel  à 
mes  yeux  ;  je  l'adore ,  je  ne  puis  me  lasser  de  le  re- 
garder,  de  le  suivre  d'alTection ,  et  de  goûter  au  fond 


POU  A   LE  JOUA   DB   L  âSGElVeiOlf.  iSg 

de  mon  cœiv  les  paroles  de  vie  qui  sont  sorties  les 
jdernières  de  sa  bouche  sacrée  quand  il  a  quitté  la 
terre.  O  Sauveur,  vous  ne  cessez  point  d'être  avec 
moi  «t  de  me  parler  !  Je  sens  la  vérité  de  cette  pro- 
messe :  f^oilà  que  je  suis  avec  vous  tous  les  fours 
fusçu'à  la  consommation  du  siècle  (0.  Vous  êtes  avec 
nous  non-seulement  sur  cet  autel  sensible ,  où  vous 
appelés  tous  vos  enfans  à  manger  le  pain  descendu 
du  ciel  ;  mais  vous  êtes  encore  au  dedan&  de  nous, 
sur  cet  autel  invisible,  dans  cette  église  et  ce  sanc- 
tuaire inaccessible  de  nos  âmes,  oh  se  fait  ladoratioa 
en  esprit  et  en  vérité.  Là  vous  sont  ofiertes  les  pures 
victimes;  là  sont  égorgés  tous  les  désirs  propres, 
tous  les  retours  intéressés  sur  nous-mêmes,  et  tous 
les  goûts  de  Tamour-propre^  Là  nous  maogeops  le 
véritable  pain  de  vie  dont  votre  chair  adorable  même 
n'est  que  la  superficie  sensible;  là^nous  sommes 
nourris  de  la  pure  substance  de  Téternelle  vérité;  là 
le  Verbe  fait  chair  se  donne  à  nous  comme  notre 
verbe  intérieur,  comme  notre  parole,  notie  sagesse, 
notre  vie,  notre  être,  notre  tout.  Si  nous  Tavoqs 
connu  selon  la  chair  et  par  les  sens,  pour  y  recher- 
cher un  goût  sensible,  nous  ne  le  connoissons  plus 
de  même  ;  c'est  la  pure  foi  et  le  pur  amour  qui  se 
nourrissent  de  la  pure  vérité  de  Dieu  fait  une  même 
chose  avec  nous.  O  règne  de  mon  Dieu  !  c  est  ainsi 
que  vous  venez  à  nous  dès  cette  vie  misérable.  O  vo- 
lonté du  Père!  vous  êtes  par  là  accomplie  sur  la  terre 
conxne  dans  le  del.  0  ciel  !  pendant  qu'il  platt  à 
Dieu  de  me  tenir  hors  de  vous  dans  ce  lien  d'exil , 
[e  ne  vais  point  vous  chercher  plus  loin ,  et  je  vous 

{*)  HûStK  xiTiii.  20. 


l4o  POUR    LB   JOUA    DX    L  AdCBKSIOK. 

trouve  sur  la  terre.  Je  ne  connois  ni  ne  veux  d*aatre 
ciel  que  mon  Dieu  ;  et  mon  Dieu  est  avec  moi  au 
milieu  de  cette  vallée  de  larmes.  Je  le  porte,  ]e  le 
glorifie  en  mon  cœur  ;  il  vit  en  moi.  Ce  n'est  pas  moi 
qui  vis;  cest  lui  qui  vit,  triomphant  dans  sa  créa- 
ture de  boue ,  et  qui  la  fait  vivre  en  lui  seul.  O  bien- 
heureuse et  éternelle  Sion,  oh  Jésus  règne  avec  tous 
les  saints  !  que  de  choses  glorieuses  sont  dites  de 
vous  !  Que  j'aime  ce  règne  de  gloire  qui  n'aura  point 
de  uni  A  vous  seul.  Seigneur,  l'empire,  la  majesté, 
la  force,  la  ton  te -puissance  aux  siècles  des  siècles. 

Seigneur  Jésus,  bien  loin  de  m'affliger  pour  nous 
de  ce  que  vous  n'êtes  pas  visible  sur  la  terre,  je  me 
réjouis  de  votre  triomphe  ;  c'est  votre  seule  gloire 
qui  m'occupe.  Je  joins  ici-bas  ma  foible  voix  avec 
celle  de  tons  les  bienheureux  pour  chanter  le  can- 
tique de  TÂgneau  vainqueur  :  trop  heureux,  ô  Jésus, 
de  souffrir  dans  cet  exil  pour  vous  gloriGer  !  Votre 
présence  sensible,  il  est  vrai,  est  le  plus  doux  de 
tous  les  parfums;  mais  ce  n'est  pas  pour  moi  que  je 
vous  cherche,  c'est  pour  vous.  O  si  je  me  regardois 
moi-même,  qu'est-ce  qui  pourroit  me  consoler  dans 
cette  misérable  vie,  âe  ne  vous  avoir  point,  de  vous 
déplaire  par  tant  de  fautes,  et  de  me  voir  sans  cesse 
en  risque  de  vous  perdre  éternellement  ?  Qu'est-ce 
qui  seroit  capable  d'adoucir  mes  peines,  et  de  me 
faire  supporter  la  vie  ?  Mais  j'aime  mieux  votre  vo- 
lonté que  ma  sûreté  propre. 

Je  vis  donc ,  puisque  vous  voulez  que  )e  vive.  Cette 
vie,  qui  n'est  qu'une  mort,  durera  autant  que  vous 
voudrez.  Vous  le  savez,  ô  Dieu  de  mon  coeur,  que 
je  n'y  veux  tenir  à  rien  qu'à  votre  ordre.  Je  ne  suis 


90VK    LE   JOUR    DJB   LASCEBSIOfT.  l4l 

dans  cette  terre  étrangère  qu*à  caase  que  vous  m*y 
tenex.  Je  vons  aime  mieux  que  mon  bonheur  et  que 
ma  gloire.  Il  vaut  mieux  vous  obéir  que  jouir  de 
vous;  il  vaut  mieux  souffrir  selon  vos  desseins ,  que 
goûter  vos  délices  et  voir  la  lumière  de  votre  visage. 
En  me  privant  de  vous  privez-moi  de  tout  ;  dépouil- 
lez ^  arrachez  sans  pitié;  ne  laissez  rien  à  mon  anie, 
ne  la  laissez  pas  elle-mâme  à  elle-n^éme. 

Si  la  présence  du  Sauveur  a  dû  nous  être  ôlée  » 
que  doitril  nous  rester?  Si  Dieu  a  été  jaloux  d'une 
si  sainte  consolation  pour  les  apôtres,  avec  quelle 
indignation  détruirà-t-il  en  nous  tant  d*amusemens- 
qui  nous  conservent  certains  restes  secrets  d'une  vie 
propre?  Quelle  consolation  sera  aussi  pure  que  celle, 
de  Toir  Jésus?  Et  par  conséquent  en  reste-t-il  quel- 
qu'une dont  nous  osions  encore  refuser  le  sacrifice  ? 
O  Dieu  y  n*écoutez  plus  ma  lâcheté;  dépouillez ^ 
écorchez,  s'il  le  faut;  coupez  jusqu'au  vif.  Quand 
tout  sera  ôté,  ce  sera  alors  que  vous  resterez  seul 
dans  l'ame. 


Xy.    Poua    LE   JOUR    DE    Lk    PeNTECÔTE. 

■ 

I 

Tous  avez  commencé,  Seigoeur,  par  ôter  à  vos, 
apôtres  ce  qui  paroissait  le  plus  propre  &  les  sourte7. 
nir,  je  veux  dire  la  présence  sensible  de  Jésus  votre. 
Fils:  mais  vous  avez  tout  détruit  pour  tout  ét^blir,:^ 
vous  aves  oté  tout  pour  rendre  tout  avec  usure.; 
Telle  est  votre  méthode.  Vous  vous  plaisez  k  ren^ 
verser  l'ordre  du  sens  humain.  .  < 


l4a      POUR  LB  tOm   DB  LA  VENTEcArfi. 

Après  avoir  ôté  celle  possession  sensible  de  Jésns- 
Cbristy  vous  avez  donné  votre  Saint-Esprit.  0  pri-^ 
vation ,  que  vous  êtes  précieuse  et  pleine  de  vertu, 
puisque  vous  opérez  plus  que  la  possession  dn  Fils 
de  Dieu  même  !  O  âmes  lâches  !  pourquoi  vous 
croyez-vous  si  pauvres  dans  la  privation,  puisqu'elle 
enrichit  plus  que  la  possession  du  plus  grand  trésor? 
Bienheureux  ceux  qui  manquent  de  tout,  et  qui 
manquent  de  Dieu  même,  c*est-à-dire  de  Dieu  goûté 
et  aperçu  !  Heureux  ceux  pour  qui  Jésus  se  cache  et 
se  retire  !  L*Esprit  consolateur  viendra  sur  eux  ;  il 
apaisera  leur  douleur,  et  aura  soin  d*essuyer  leurs 
larmes.  Malheur  à  ceux  qui  ont  leur  consolation  sur 
la  terre,  qui  trouvent  hors  de  Dieu  le  repos,  Tappuî 
et  rattachement  de  leur  volonté  !  Ce  bon  Esprit  pro- 
mis à  tous  ceux  qui  le  demandent  n*est  point  envoyé 
sur  eux.  Le  Consolateur  envoyé  du  ciel  n'est  que 
pour  les  âmes  qui  ne  tiennent  ni  au  monde  ni  à 
elles-méines. 

Hélas  !  Seigneur,  où  est-il  donc  cet  Esprit  qui  doit 
être  ma  vie?  il  sera  Tame  de  mon  ame.  Mais  oh 
est-il?  je  ne  le  sens,  je  ne  le  trouve  point.  Je  nV- 
prouve  dans  mes  sens  que  fragilité,  dans  mon  esprit 
que  dissipation  et  mensonge^  dans  ma  volonté  qu'in- 
constance et  que  partage  entre  votre  amour  et  mille 
vains  amusemens.  Où  est-il  donc  votre  esprit  7  Que 
ne  vient-il  créer  en  moi  un  cœur  nouveau  selon  le 
Vôtre  ?  O  mon  Dieu ,  je  comprends  que  c'est  dans 
cette  ame  appauvrie  que  votre  Esprit  daignera  habi- 
ter,  pourvu  qu'elle  s'ouvre  à  lui  sans  mesure.  C'est 
cette  absence  sensible  du  Sauveur  et  de  tous  ses  dons 
qiii  attire  l'Esprit  saint.  Venez  donc,  ô  Esprit;  vous 


MUA    LB   lOVt    DB   LA«  PeUTEcArE'  l43 

Be  po&vei  rien  trouver  de  plus  pauvre ,  de  plus  dé- 
pouillé^ de  plus  nu  y  de  plus  abandonné,  de  plus 
foible  que  mon  cœur.  Venez ,  apportez-y  la  paix; 
non  cette  paix  d'abondance  qui  coule  comme  utf 
fleuve  y  mais  cette  paix  sèche,  cette  paix  de  patience 
et  de  sacrifice  ;  cette  paix  amère,  mais  paix  véritable 
pourtant,  et  d'autant  plus  pure,  plus  intime,  plus 
profonde,  plus  intarissable,  qu'elle  n'est  fondée  que 
sur  le  renoncement  sans  réserve. 

O  Esprit  !  ô  amour!  ô  vérité  de  mon  Dieu!  d 
amour  lumière  !  ô  amour  qui  enseignez  l'ame  sans 
parler,  qui  faites  tout  entendre  sans  rien  dire,  qui 
ne  demandez  rien  à  l'ame ,  et  qui  l'entraînez  par  le 
silence  à  tout  sacrifice  !  O  amour  qui  dégoûtez  de 
tout  autre  amour,  qui  faites  qu'on  se  hait,  qu'on 
s'oublie  et  qu'on  s'abandonne  !  O  amour  qui  coulez 
au  travers  du  cœur  comme  la  fontaine  dévie,  qui 
pourra  vous  connottre,  sinon  celui  en  qui  vous  serez? 
Taisez-vous,  hommes  aveugles;  l'amour  n'est  point 
en  vous.  Tops  ne  savez,  ce  que  vous  dites  ;  vous  ne 
voyez  rien,  vous  n'entendez  rien.  Le  vrai  docteur  ne 
vous  a  jamais  enseignés. 

C'est  lui  qui  rassasie  l'ame  de  vérité  sans  aucune 
science  distincte.  C'est  lui  qui  fait  naître  au  foiid  de 
l'ame  les  vérités  que  la  parole  sensible  de  Jésus- 
Christ  n'avoit  exposées  qu'aux  yeux  de  l'esprit.  On 
goûte,  on  se  nourrit,  on  se  fait  une  même  chose 
avec  la  vérité.  Ce  n'est  plus  elle  qu'on  voit  comme 
un  objet  hors  de  soi  ;  c'est  elle  qui  devient  nous- 
mêmes,  et  que  nous  sentons  intimement' comme 
l'ame  se  sent  elle-même.  O  quelle  puissante  conso- 
btion  sans  chercher  à  se  consoler  !  On  a  tout  sans 


l44  TOVk    IX,   JOUR    DE    LA    I»£2ITEc6te» 

rien  aVoir.  Là  on  trouve  en  unité  le  Père ,  le  Fils  et 
le  Saint-Esprit  ;  le  Père  créateur,  qui  crée  en  nous 
tout  ce  qu*il  veut  y  faire  pour  nous  rendre  des  en- 
fans  semblables  à  lui;  le  Fils  Verbe  de  Dieu,  qui  de- 
vient le  verbe  et  la  parole  intime  de  Tame,  qui  se 
tait  à  tout  pour  ne  laisser  plus  parler  que  Dieu  ;  enfin 
FESsprily  qui  souffle  où  il  veut,  qui  aime  le  Père  et  le 
Fils  en  nous.  O  mon  amour,  qui  êtes  mon  Dieu, 
aimez- vous ,  glorifiez-vous  vous-mêfne  en  moi.  Ma 
paix ,  ma  joie ,  ma  vie  sont  en  vous ,  qui  êtes  mon 
tout ,  et  je  ne  suis  plus  rien. 

XVL  Poua  LA  FÊTE  nu  saiht  Saceexent. 

J'adoee  Jésus -Christ  au  saint  sacrement  où  il 
cache  tous  les  trésors  de  son  amour.  0  octave  trop 
courte  pour  célébrer  tant  de  mystères  de  Jésus 
anéanti!  Je  ny  vois  qu'amour,  que  bonté  et  que 
miséricorde.  Hélas!  Seigneur,  que  voulez- vous? 
Pourquoi  cacher  votre  majesté  éternelle  ?  Pourquoi 
Texposer  à  Tingratitude  des  anies  insensibles ,  à  Tir- 
révéf*ence  des  hommes  ?  Âh  !  c'est  que  vons  nous  ai- 
mes, vous  nous  cherchez  y  vous  vons  donnez  tout 
entier  à  nous.  Mais  encore  de  quelle  maaièire  faites- 
vous  ce  don?  sons  la  figure  de  Taliment  le  plus  femi-- 
lier.  Q  mon  pain,  ô  ma  vie,  ô  chair  de  mon  Sauveur, 
venez  exciter  ma  faim  !  je  ne  veux*  plus  me  nourrir 
que  de*vdu9« 

O  Verbe,  6  Sagesse,  A  Parole,  6  Vérité  éter- 
nelle 


POU&  LA   PfETB   DU    SAint   SACREIfEirT.  l/^S 

nelle ,  vous  êtes  caché  sous  cette  chair,  et  cette  chair 
sacrée  se  cache  sous  cette  apparence  grossière  du  pain . 
O  Dieu  caché ,  je  veux  vivre  caché  avec  vous  pour 
vivre  de  votre  vie  divine.  Sous  toutes  mes  misères, 
mes  foiblesses ,  mes  indignités ,  je  cacherai  Jésus  ;  je 
deviendrai  le  sacrement  de  son  amour  :  on  ne  verra 
que  le  voile  grossier  du  sacrement,  la  créature  im- 
parfaite et  fragile^  mais  au  dedans  vivra  le  vrai  Dieu 
de  gloire. 

Hélas  !  6  Dieu  d*amour,  quand  viendrez-vons 
donc?  Quand  est-ce  que  je  vous  aimerai?  Quand 
est-ce  que  vous  serez  le  seul  aliment  de  mon  cœur, 
et  mon  pain  au-dessus  de  topte  subst4nce  ?  Le  pain 
extérieur,  cette  créature  fragile,  sera  brisé  et  exposé 
à  toutes  sortes  d*accidens  ;  mais  Jésus ,  immortel  et 
impassible ,  sera  en  elle  sans  division  et  sans  chan- 
gement Vivant  de  lui  je  ne  vivrai  plus  que  pour  lui , 
et  il  vivra  tout  seul  en  moi. 

Verbe  divin ,  vous  parlerez ,  et  mon  ame  se  taira 

pour  vous  entendre  ;  cette  simple  parole  qui  a  fait 

le  monde  se  fera  entendre  de  sa  créature,  et  elle 

fera  en  elle  tout  ce  qu'elle  exprimera  ;  elle  formera 

sa  nouvelle  créature  comme  elle  forma  l'univers. 

Taisez-vous  donc,  mon  ame;  n'écoutez  plus  rien 

ici-bas;  ne  vous  écoutez  plus  vous-même  dans  ce 

silence  qui  est  l'anéantissement  de  l'esprit  Laissez 

parler  le  Verbe  fait  chair.;  ô  qu'il  dira  de  choses  !  Il 

est  lui  seul  toute  vérité.  Quelle  différence  entre  la 

créature  qui  dit  en  passant  quelque  vérité,  et  qui 

dit  ce  qui  n'est  point  à  elle,  mais  ce  qui  est  comme 

emprunté  de  Dieu ,  et  le  Fils  de  Dieu  qui  est  la  vérité 

même  !  Il  est  ce  qu'il  dit  ;  il  est  la  vérité  en  substance  : 

VtatLOj».  xviii.  xo 


l46  FOUK    LA    PÊTE    liU    SAUTT   SACREMENT. 

aussi  ne  la  dit-il  point  comme  nous  la  disons  :  il  ne 
la  fait  point  passer  devant  les  yeux  de  notre  esprit , 
successivement  et  par  pensées  détachées  ;  il  la  porte 
elle-même  tout  entière  dans  le  fond  de  notre  être  ; 
il  Tincorpore  en  nous  et  nous  en  elle  t  nous  sommes 
faits  vérité  de  Dieu.  Alors  ce  n'est  point  par  force 
de  raisonnemens  et  de  science,  c'est  par  simplicité 
d*amour  qu'on  est  dans  la  vérité  5  tout  le  reste  n'est 
plus  qu'ombre  et  mensonge.  On  n'a  plus  besoin  de 
discourir  et  de  se  convaincre  en  détail  :  c'est  l'amour 
qui  imprime  toute  vérité.  D*une  seule  vue  on  est  saisi 
du  néant  de  ta  créature  et  du  tout  de  Dieu.  Cette  vue 
décide  tout ,  elle  entraîne  tout ,  elle  ne  laisse  plus 
rien  à  i'esprll  :  an  ne  voit  qu'une  seule  vérité,  et  tout 
le  reste  disparott. 

O  monde  insensé  et  scandal^euie,  on  ne  peut  plus 
vous  voir  ni  .vous. entendre.  O  amour  propre,  vous 
faites  horreur  ;  on  se  supporte  patiemment  comme 
lésus-Glirist  supportoit  JndaSi.  Tout  pa^se  de  devant 
mes  yeux  ;  mais  rien  ,ne  m'importe ,  rien  n'est  mon 
aflTaire,  «inon  l'afiaire  unique  de  faire  la  volonté  de 
Dieu  dans  le  inoment  présent ,  et  de  vouloir  sa  vo- 
lonté sur  la  terre  comme  on  la  vent  dans  le  ciel. 

O  Jési^s,  voilà  le  vrai  culte  que  vous  attendez. 
Qu'il  est  aisé  de  vous  adqrer  pai^  des  cérémonies  et 
des  louanges  !  mais  qu'il  y  a  peu  d'ames  qui  tous 
rendent  ce  culte  intérieur  !  Hélas!  on  ne  voit  par-* 
tout  qu^'une  religion  en  figuré ,  iju^ine  religion  ju> 
daKque*  On  vondroit  par  l'esprit  posséder  voffre  vé- 
rité ,  mais  on  ne  veut  point  se  laisser  posséder  par 
elle  :  on  veut  participer  à  votre  sacrifice;  «t  jamais 
se  sacrîffier  avec  vous,  k  moins  qtr'on  ne  se  perde  en 


POITR    LA    PftTB    DU    8AIKT    SACREMENT.  l/^'J 

VOUS  I  famais  on  ne  sera  fait  une  mârac  chose  avec 
vous.  O  Dieu  cache,  que  ▼ou$  éte9  incopon  au^ 
hommes  !  O  amour ,  ou  ne  sait  ce  que  c'est  que 
d'aimer*  Enseigner- le-*moi ,  et  ce  aéra  m'eoseîgner 
toutes  les  vérités  en-  une  seule. 

KYII.  Pour  la  fête  de  saiittb  Magoeleinb* 

Je  vondrois ,  mon  SMvexir,  icomme  mute  Magd^* 
leine*,  vous  suivre  par  amour  jusque  4an$  la  pous<» 
$ière  du  tombeau.  C'ëtoît  d'elle,  Seigneur»  que  vous 
Ates  sortir  sept  .démon$.  Que  j'aime  k  voir  quo  le^ 
saints  que  vous  ave^  tirés  de  l'état  le  pla$  affreux  $ojci|t 
œuz  quî  vous  cberolvant  avec  plus  de  courage  et  /dç 
tendresse  !  Tous  vos  disciples,  Seigneur,  s'enfuient  ^ 
Magdeleine  seule,  qui  a  été  la  proie  de  tant  de  dé- 
mons ,  arrose  votre  tombeau  de  ses  larmes  ;  elle  est 
inconsolable  de  ne  plus  trouver  votre  corps-;- eUe  le 
demande  à  tout  ce  qu'elle  trouve  ;  dans  le  transport 
de  sa  douleur  elle  ne  mesure  point  ce  qu'elle  dit,  elle 
ne  sait  pas  même  les  paroles  qu'elle  prononce.  Quand 
Tamour  parle,  il  ne  consulte  point  la  raison. 

Je  cours  en  pleine  liberté, comme  vos  vrais  enfans, 
à  l'odeur  de  vos  parfums  :  )e  cours ,  6  mon  Dieu  ^^ 
avec  Magdeleine  vers  votre  tombeau  ;  je  cours  sani 
m'arrêter  à  la  mort  entière  de  toat.moi*imême;'|e 
descends  jusque  dans  la  poussière;  je  m'enfonce  dans 
les  ténèbres  et  dans  riiQrreur  de  ce  tombeau.  Je  ne 
trouve  plus,  d  -Sauveur,  aucun  reste  sensible  de 
votre  présence ,  aucune  trace  de  vos  dons.  L'éppuic 
s'est  enfui,  tout  est  perdu  ;  il  ne  reste  ni  époux,  ni 


> 


l48         POtJR  tA    FÊTE    DE    SMNTB    VAGDELBIKB. 

amour  y  ni  lumière  :  Jésus  est  enlevé.  O  douleur!  d 
tentation  !  ô  désespoir  !  Perdre  jusqu'à  mon  amour 
même  !  Jésus  caché  et  enseveli  au  fond  de  mon  cœur 
ne  s*y  trouve  plus  !  Où  est-  il  ?  qu*est-il  devenu  ?  Je 
le  demande  à*  toute  la  nature,  €t  toute  "la  nature  est 
muette  ;  il  ne  me  reste  de  mon  amour ,  que  le  trou- 
ble de  ravoir  perdu.  Où  est-il?  Donnez-le-moi,  ôtez- 
moi  tout  le  reste,  je  remporterai.  Pauvre  ame ,  qui 
ne  sais  rien  de  ce  que  tu  dis,  mais  trop  heureuse, 
puisque  tu  aimes,  sans  savoir  que  c*est  Tamour  qui 
te  fait  parler  1 

O  amour,  vous  voulez  des  âmes  qui  osent  tout, 
et  qui  ne  se  promettent  rien;  qui  ne  disent  jamais: 
Je  le  pub,  ou, 7e  ne  le  puis  pas.  On  peut  tout  eu 
vous  ;  on  ne  peut  rien  sans  vous.  Quiconque  aime 
parfaitement  ne  se  mesure  plus  sur  soi  ;  il  est  prêt 
à  tout ,  et  ne  tient  plus  à  rien. 

XVIII.  Pova-LB  loua  db  l'Assomptioit. 

o  mon  Dieu,  je  me  présente  aujourd'hui  à  vous 
avec  Marie  mère  de  votre  Fils.  Donnez -moi  des 
pensées ,  donnez  -  moi  un  cœur  qui  répondent  aux 
pensées  et  au  cœur  de  Marie.  O  Jésus ,  voilà  votre 
mère  qui  quitte  la  terre  pour  se  réunir  à  ja- 
mais à  vous.  Je  la  quitte  avec  elle  ;  avec  elle  mon 
cœur  s^élève  vers  le  ciel  pour  n*aimer  que  vous. 
O  Esprit,  qui  descendîtes  sur  cette  Vierge  pour 
la  rendre  féconde,  descendez  sur  moi  pour  me  pu- 
rifier. 


FOVft    LB   JOUR    DE    L  ASSOMPTION.  l49 

Que  yois-)e  dans  Marie  pendant  les  derniers  temps 
de  sa  vie  7  Elle  persivéroit^  dit  saint  Luc  (0^  dans  la 
prière  avec  les  autres  femmes;  c'est-à-dire  qu'elle  ne 
faîsoit  au  dehors  que  ce  que  les  antres  faisoient.  La 
perfection ,  qui  étoit  sans  doute  dans  la  mère  du  Fils 
de  Dieu  ^  ne  consiste  donc  pas  dans  des  actions  ex- 
traordinaires et  éclatantes.  Nous  ne  voyons  ni  pro- 
phétie y  ni  miracles ,  ni  instruction  des  peuples  ^  ni 
extases  \  rien  que  de  simple  et  de  commun.  Sa  vie 
étoit  tout  intérieure  :  elle  priait  avec  persévérance; 
voilà  son  occupation  où  elle  se  bornoit  ;  mais,  sans 
se  distinguer ,  elle  prioit  avec  les  autres  femmes.  O 
combien  sa  prière  devoit-elle  être  plus  pure  et  plus 
divine  !  Mais  ces  trésors  demeuroient  cachés.  Au 
dehors  on  Avoyoit  que  recueillement ,  simplicité^ 
vie  commune. 

Adoration  en  esprit  et  en  vérité,  dont  Marie  est  le 
modèle  y  quand  est-ce  que  les  hommes  vous  connoi- 
tront  ?  Ils  vous  cherchent  o\i  vous  n'êtes  pas  ;  dans 
les  grands  projets,  dans  les  conduites  pleines  d'austé- 
rité. Toutes  ces  choses  ont  leur  temps ,  et  Dieu  y 
appelle  quand  il  lui  platt.  Mais  le  vrai  culte ,  le  pur 
amour,  ue  dépend  point  de  toutes  ces  choses.  Aimer 
en  silence ,  ne  vouloir  que  Dieu  seul ,  ne  tenir  à 
rien  y  pas.  même  à  ses  dons  pour  se  les  approprier 
avec  complaisance  \  souffrir  tout  en  esprit  d'amour  \ 
soufirir  la  vie  comme  les  maux  dont  elle  est  pleine  » 
par  abandon  à  Dieu ,  et  dans  le  dépouillement  inté- 
rieur, comme  Marie  vivoit  dans  cette  amère  sépa- 
ration d'avec  son  Fils;  ne  se  compter  plus  pour 
rien  dans  toutes  les  choses  qu'on  a  à  &ire  ou  à  soujf-* 


l5o  .  POUn    LE    lOUA    DE    L  ASSOllPTIOK. 

frir  ;  ne  se  croire  ûi  capable  ni  incapable  d*aiicune 
chose,  mais  se  laisser  mener  comme  un  petit  enfant, 
on  comme  Marie  se  laisse  donner  pai"  son  Fils  à 
Jean  pout  être  conduite  par  lui  ;  n'avoir  plus  rien  2k 
soi,  et  n^étre  plus  à  soi-même;  vivre, mourir  avec 
un  cœur  ^gal ,  ou  plutôt  n'avoir  ni  cœur  ni  volonté, 
mais  laisser  Dieu  uniquement  vouloir  et  s'aimer  soi- 
même  sanâ  mesure  au  dedans  de  nous  :  6  vous  voilà , 
adoration  pure ,  simple  et  parfaite  !  c'est  de  tels 
adorateurs  que  le  Père  cherche. 

Mais ,  hélas  !  où  les  trouverà-t*il  ?  On  craint  tou- 
jours d'aller  trop  loin ,  et  de  se  perdre  en  se  donnant 
à  Dieu.  La  pure  foi  ne  suffit  point  aux  âmes  timides 
et  intéressées.   Elles  veulent  voh*  et  posséder  des 
dons  Sensibles;  s'appuyer,  èomme  dit  nkriture,  sur 
un  bras  de  chair  ou  sur  la  force  de  leur  sagesse. 
Marcher,  comme  Abraham,  sans  savoir  où  Ton  va , 
est  une  chose  qhi  révolte  les  sens  et  la  raison  dé- 
fiante. Hélas  !  on  veut  servir  Dieu,  mais  à  condition 
de  régler  tous  ses  pas,  d'arranger  ses  afiaires ,  de  se 
faire  un  genre  de  vie  doux  et  commode.  On  ne  veut 
rien,  dit-on.  Hé  !  ne  veut-on  pds  les  commodités  de 
la  vie ,  la  consolation  de  l'amitié;  le  succès  des  choses 
qu'on  croit  bonnes,  la  conservation  d'une  réputation 
avantageuse?  O  Dieu  de  vérité,  faites  luire  vos  plus 
purs  rayons  de  grâce  dans  ces  âmes  timides  et  mer^ 
cenaires!  Montrez-leur  qu'elles  veulent  tout,  quoi- 
qu'elles ne  croient  rien  vouloir.  Poussez- les  sans 
relâche  de  sacriGce  en  sacrifice.  Elles  reconnoîtront , 
à  chaque  chose  qu'il  faudra  sacrifier,  qu*il  n'y  en 
avoit  aucune  k  laquelle  elles  ne  tinssent  fortement. 
Quelles  agonies  quand  Dieu  nous  prend  au  mot ,  et 


POUA   LJ&  JOUA    DE    L*AS50MPTI0N.  l5l 

ne  fait  que  prendre  ce  que  nous  lui  avons  tani  d« 
fois  abandonné  !  O  abandon ,  on  parle  d«  voua  sans 
vous  connoîtrc  !  O  sacrifice  de  vérité,  vous  êtes  dans 
la  boache,  et  point  dans  le  cœur!  O  mon  ame^  je  ne 
me  fie  pins  à  vous  :  je  ne  me  fie  qu'à  Dieu  seul^ 
qui  m'arrachera  à  moi-même.  O  Marie,  mère  de 
Jésus,  je  veux  vivre  et  mourir  avec  vous  dans  le  pur 
amour  ! 


tf%Afy%f^v9/%mv%f^fy^^vif^^fif^*/^/^i 


XIX.    Pou  A   Ul   JOUR  DE   SAlirr    Aû^USTIK. 

Qus  vois- je I  Seigneur,  en  saint  Augustin?  le 
comble  de  la  misère ,  el  puis  une  miséricorde  qui  la 
surpasse.  O  qu  une  aooe  foible  et  misérable  est  conr- 
soléè  à  la  vue  d'un  tel  exemple  !  C'est  ainsi,  ô  mon 
pieu ,  que  vous  aimez  à  sauver  ce  qui  ^oit  perdu , 
à  redresser  ce  qui  étoit  égaré,  à  remettre  dans  votre 
sein -tendre  et  paternel  ce  qui  étoit  loin  de  vous  et 
livré. à  ses  passions^  O  aimabU  saint ,  vous  m'êtes  mis 
devant  les  yeux  pour  m'appnndre,  dans  l'abtme  de 
mes  ténèbres,  à  espérer  et  à  ne  me  décourager  ja« 
mais ,  puisque  la  source  des  miséricordes  ne  taiît 
point  pK>ur  les  cœurs  pénitens;  enfin  à  me  supporter 
moi-même  en  tout  ce  qse  ]e  vois  en  moi  de  plos 
humiliante  • 

O  amour  de  mon  Dieu ,  que  n'avez-vous  pas  fait 
dans  le  cœur  d'Augustin  !  En  lui  on  avoit  vu  l'anoour 
aveugle*  l'amour  égaré,  l'amour  insensé  ;  mais,  ô 
amour,  vous  êtes  retourné  à  votre  centre  vers  la 
vérité  et  la  beauté  éternelle  :  cet  amour  qui  avoit  si 
long- temps  couru  après  le  mensoogç  est  devenu. 


iSl  VOUE   LB.lOua    DE   SAIHT   AUGOSTIS. 

amoar  parfait  :  c*est  Famour  hamble ,  c  est  Famoiir 
qui  8*anéaiitil  pour  mieux  aimer.  Augustin  ne  s*aime 
plus  lui-même ,  tant  il  aime  pieu  ;  il  ne  voit  plus 
rien  par  son  propre  esprit;  il  est  abattu  ce  grand 
génie  j  si  Fécond ,  si  vif,  si  étendu ,  si  élevé ,  si  hardi 
pour  contempler  les  plus  hautes  vérités.  Qu*est'il 
donc  devenu  cet  homme  qui  perçoit  les  plus  grandes 
difficultés  y  qui  raisonnoit  si  subtilement,  qui  parloit* 
qui  décidoit  avec  tant  d'assurance?  Qu*en  reste-t-il7 
Hélas!  je  ne  vois  plus  que  la  simplicité  d'un  enfant: 
il  suit  sans  voir ,  il  croit  sans  comprendre }  Tamour 
simple  et  anéanti  est  devenu  son  unique  lumière;  il 
ne  cherche  plus  à  connoitre  par  ses  propres  lumières, 
mais  Fonction  de  Famour  lui  apj^rend  toiite  vérité  ; 
il  la  trouve  renfermée  dans  le  mépris  de  tout  lui- 
même,  et  dans  Famour  de  Dieu  qui  est  Funique  bien. 
Qui  suis-je2  s'éerie*t-il.  Rien  qu'une  voix  qui  crie  : 
Dieu  est  tout ,  e^  il  n'y  a  que  lui. 

O  profonde  doctrine  !  la  lumière  la  plus  précieuse 
est  cette  lumière  éternelle  qui  anéantit  lés  lumières 
humaines  :  c'est  cet  étit  d'obscurité ,  oik ,  sans  rien 
voir  en  Fhomme ,  l'amour  parfait  voit  tout  d*une 
manière  divine  :  c'est  ce  goût  intime  de  la  vérité,  qui 
ne  la  met  plus  devant  des  yeux  de  la  chair  et  du 
sang,  mais  qui  la  fait  habiter  au  fond  de  nous-mêmes. 
O  chère  science  de  Jésus,  en  comparaison  de  laquelle 
tout  n'est  rien ,  qui  vous  donnera  à  moi  7  qui  me 
donnera  à  vous?  Enseignez- moi.  Seigneur,  à  aimer, 
et  je  saurai  toutes  vos  Écritures.  Toutes  leurs  pages 
m'enseignent  que  Famé  qui  aime  sait  tout  ce  que 
vous  voulez  qu'on  sache.  O  amour ,  instruisez-moi 
par  le  cœur,  et  non  par  Fesprit.  Désabusez-moi  de 


POTJ&    LB   lOUE    m   SAIITT    AUGUSTllI^  l53 

ma  yaine  raison ,  de  ma  pradence  aveugle ,  de  tout 
désirs  indignes  d'une  ame  qui  vous  aime.  Que  je 
meure ,  comme  Augustin ,  à  tout  ce  qui  n*est  pas- 
vous. 

XX.    Pouk  LA  FÈTB  UB  TOUS  LES  SaiITTS. 

L'uTEimoH  de  TÉglise  est  dlionorer  aujourdliui 
tous  les  saints  ensemble.  Je  les  aime ,  je  les  invoque  ^ 
je  m*unis  à  eux ,  je  joins  ma  voix  aux  leurs  pour 
louer  celui  qui  les  a  faits  saints  :  que  volontiers  je 
m'écrie  avec  cette  églito  céleste]:  Saint,  saint,  saint! 
à  Dieu  seul  la  gloire  !  que  tout  s'anéantisse  devant 
lai! 

Je  vois  des  saints  de  tous  les  âges ,  de  tous  les 
tempéramens,  de  toutes  les  conditions  :  il  n'y  a  donc 
ni  âge,  ni  tempérament,  ni  condition  qui  exclue 
de  la  sainteté.  Ils  oiit  eu  au  dehors  les  mêmes  obstsk 
des,  les  tnémes  combats  que  noas  ;  ils  ont  eu  au 
ikdans  les  mêmes  répugnances ,  les  mêmes  sensibi- 
litéis,  les  mêmes  tentations ,  les  mêmes  révoltes  de 
la  nature  corrompue  ;  ils  ont  eu  des  habitudes  ty* 
ranniques  à  détruire,  des  rechutes  à  réparer,  des 
illusions  à  craindre ,  des  relâchemens  flatteurs  à  re« 
jeter,«des  prétextes  plausibles  à  surmonter^  des  amis 
à  craindre,  des  ennemis  à  aimer,  un  orgueil  à  saper 
par  le  fondement,  une  humeur  à  réprimer,  un 
amour  propre  à  poursuivre  sans  relâche  jusque 
dans  les  derniers  replis  du  cœur. 

Ah  !  que  j'aime  à  voir  les  saints  foibles  comme 
moi ,  toujours  aux  prises  avec  eux-mêmes ,  n'ayant 


l54  90VR   I.A    FÊTt    DE   TOUS  LBS    SAflTTS. 

jamais  un  seul  moment  d'assuré  !  J*en  vois  dans  1» 
retraite  livrés  aux  pfais  cruelles  tentations  ;  j'en  vois 
dans  les  prospérités  les  plus  redoutables  et  dans  le 
commerce  du  siècle  le  plus  empesté.  O  grâce  du 
Sauveur,  vous  éclatez  partout  y  pour  mieux  montrer 
votre  puissance,  et  pour  ôter  toute  excuse  à  ceux 
qui  vous  résistent!  Il  ny  a  ni  habitude  enracinée, 
ni  tempérament  ou  violent  ou  fragile,  ni  croix  ac- 
cablante, ni  prospérités  empoisonnées»  qui  puissent 
nous  excuser  si  nous  ne  pratiquons  pas  l'Evangile. 
Cette  foule  d'exemples  décide  :  la  grâce  prend  toutes 
les  formes  les  plus  diverses,  suivaiit  les  divers  be^ 
soins  :  elle  fait  aussi  aisément  des  rois  humbles  que 
des  solitaires  pénitens  et  recueillis  :  toqt  lui  est  facile 
quand  nous  ne  résistons  pas  à  son  attrait.  J'entends 
la  voix  du  Sauveur  qui  dit  que  Dieu  sait  changer  le& 
pierres  mêmes  en  enfans  d'Abraham.  O  Jésus,  a 
Parole  du  Père ,  mais  Parole  d'éternelle  vérité  !  ac- 
complisses donc  cette  parole  en  moi,  moi,  pierre 
dure  et  insensible  ;  moi ,  qui  ne  puis  âtrc  taillé  que 
sous  les  coups  redoublés  du  marteau,  moi  rebelle^ 
indocile,  et  incapable  de  tout  bien.  O  Seigneur, 
prenez  cette  piei're  ;  glorifiez-vous ,  amollissez  mon 
cœur  ;  animez-le  de  votre  Esprit  ;  rendez-le  sensible 
à  vos  vérités  éternelles  ;  formez  en  moi  un  epfant 
d'Abrahatn ,  qui  marche  sur  les  vestiges  de  sa  ibi. 

Dirai-*je  avec  le  monde  insensé  :  Je  veux  bien  me 
sauver ,  mais  je  ne  prétends  pas  être  un  saint  ?  Ah  ! 
qui  peut  espérer  son  salut  sans  la  sainteté  !  Rien 
d'impur  n'entrera  an  royaume  des  cieux  ;  aucune 
tache  n'y  peut  entrer  ;  si  légàre  qu'elle  puisse  être 
il  faut  qu'elle  soit  effacée,  et  que  tout  soit  purifié 


POtJR    LA    FÈTB    DE    TOUS    tBS    SAllTirs.  l55 

jusque  dans  lé  fond  par  le  feu  vengeur  de  la  justice 
divine  y  ou  en  ce  monde  ou  en  Tàntre  :  tout  ce  qui 
n^est  pas  dans  l'entier  renoncement  à  soi  ^  et  dans  le 
pur  amour  (]ui  rapporte  tout  à  Dieu  sans  retour, 
est  encore  souilla.  O  sainteté  de  mon  Dieu,  aux 
yeux  duquel  les  astres  mêmes  ne  sont  pas  assez  purs! 
O  Dieu  juste,  qui  jugere2  toutes  nos  imparfaites 
justices  !  mettez  la  vôtre  au  dedans  de  mes  entrailles 
pour  me  renouveler;  ne  laissez  rien  en  moi  de  moi- 
même. 


XXI.  Pour  la  CIommémoration  des  Morts. 

MoK  Dieu  y  je  regarde  avec  consolation  cette  cé- 
rëmohie  de  vôtre  Église  qui  met  la  mort  devant  no& 
yeux.  Hëlas  !  faut-il  qtié  nous  ayons  besoin  qu'on 
nous  en  rappelle  le  souvenir!  Tout  n'est  que  mort 
ici-bas  ;  le  genre  humain  tombe  en  ruine  de  tous 
côtes  à  nos  yeux  ;  il  s'est  élevé  un  monde  nouveau 
sur  les  ruines  de  celui  qui  nous  a  Vus  naître  ;  et  ce 
nouveau  monde,  déjà  vieilli,  est  prêt  à  dispafottre : 
chacun  de  nous  meurt  insensiblement  tous  les  jours; 
rhonimé,  comme  l'herbe  des  oliamps,  fleurit  le  ma- 
tin ;  le  soii*  il  languit ,  il  se  dessèche ,  il  est  flétri , 
et  il  est  foulé  aux  pieds.  Lé  passé  n'est  qu'un  songe; 
le  présent  nous  échappe  dans  lé  clin  d'œil  où  nous 
voulons  le  voir;  l'avenii*  n'est  point  à  nous,  peut* 
être  n'y  sera-t-il  jamais  ;  et,  quand  il  y  seroit,  qu'en 
faudroit-il  croire t  ïl  vient,  il  s'approche,  le  voilà, 
il  n'est  déjà  plus^  il  est  tombé  dans  éet  abîme  du 
passé  o\x  toiit  s'engouffre  et  s*dnéantit. 


4 

l56         FOUR    LA    C0MMÊM0RATI02I    DES    MORTS. 

O  Dien ,  il  n*y  a  que  voua  ;  vous  seul  êtes  Fétre 
véritable;  tout  le  reste  n'est  qu^une  image  trompeuse 
de  rétre,  qu'une  ombre  qui  s'enfuit.  O  vérité,  ô 
tout  !  je  me  réjouis  de  ce  que  je  ne  suis  rien  :  à  vous 
seul  appartient  d'être  toujours  :  vous  êtes  le  vivant 
eu  siècle  des  siècles.  O  hommes  aveugles  »  qui  croyez 
vivre ,  et  qui  ne  faites  que  mourir  1 

Mais  cette  mort ,  qui  fait  frémir  toute  la  nature , 
la  craindrai -je  lâchement?  Non,  non;  pour  les  en- 
fans  de  Dieu  elle  est  le  passage  à  la  vie;  elle  ne 
nous  dépouille  que  de  la  vanité  et  de  la  corruption; 
c*est  elle  qui  '  doit  nous  revêtir  des  dons  éternels.  O 
mort  f  ô  bonne  mort  !  quand  voudras-tu  me  réunir 
à  ce  que  j'aime  uniquement?  Quand  viendras->tu  me 
donner  le  baiser  de  répôùz  7  Quand  est-ce  que  les 
liens  de  ma  servitude  seront  rompus?  O  amour  éter- 
nel, ô  vérité  qui  ferez  luire  un  jour  sans  fin  l  O  pais 
du  royaume  de  Dieu ,  où  Dieu  lui-même  sera  tout 
en  tous  !  O  céleste  patrie  !  6  aimable  Sion ,  oh  mon 
cœur  enivré  se  perdra  en  Dieu  !  qui  ne  vous  désire  ^ 
que  désirera-t-il  ? 

Maisy.ô  mon  Dieu  et  mon  amour,  c'est  votre 
gloire ,  et  non  mon  bonheur,  après  quoi  je  soupire  ; 
j'aime  mieux  votre  volonté  que  ma  béatitude  :  je 
consens  donc,  pour  l'amour  de  vous,  k  demeurer 
encore  loin  de  vous  dans  ce  lieu  d'exil ,  dans  cette 
vallée  de  larmes ,  autant  que  vous  le  voudrez*  Vous 
savez  que  ce  n'est  point  par  attachement  à  la  terre 
ni  à  ce  corps  de  boue ,  ce  misérable  corps  de  péché; 
mais  par  un  sacrifice  de  tout  moi-même  à  votre  bon 
plaisir,  que.  je  consens  à  languir  encore  ici-bas.  Mais 
faites  que  je  meure  à  tout  avant  que  de  mourir  : 


POUR    LA    CQMMÉJrORÀTrOir    DES    MORTS.  167 

éteignes  en  moi  tout  désir  ^  déracinez  toute  v<JûBié  ; 
arrachez  tout  intérêt  propre  :  alors  je  serai  mort,  et 
▼DUS  vivrez ,  vous ,  en  moi  :  alors  je  ne  serai  plus 
moi-même. 

O  précieuse  mort,  qui  doit  précéder  la  naturelle  ! 
O  mort  y  qui  est  une  mort  divine  et  transformée  en 
Jésus-Christ  ^  en  sorte  que  notre  vie  est  cachée  avec 
lui  dans  le  sein  du  Père  céleste  !  O  mort ,  après  la- 
quelle on  est  également  prêt  à  mourir  o^à  vivre  1 
O  mort  qui  commences  sur  la  terre  le  royaume  du 
ciel  !  O  germe  de  TêtréSouveau  !  Alors,  mon  Dieu  y 
je  serai  dans  le  monde  comme  n*y  étant  pas  ;  f  y  pa- 
rottrai  comme  ces  morts  sortis  du  tombeau,  que 
vous  ressusciterez  au  dernier  jour. 


I$9  JntolTATIOHâ 

MÉDITATIONS 

■       ■■ 

POUR  UN  MALADE. 


■y  «  «        • 


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1 

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Péf  xzzvi^i.  Jo. 


««  • 


Est-ce  à  mei  à  me  plaindre,  quand  mon  Dieu  me 
frappe,  et  qu'il  me  frappe  par  amour,  afin  de  me 
guérir?  Frappez  donc.  Seigneur,  j*y  consens.  Que 
vos  coups  les  plus  rigoureux  sont  doux,  puisqu*ils 
cachent  tant  de. miséricordes!  Hélas!  si  vous  n^aviez 
point  frappé  mon  corps,  mon  ame  n*auroit  point 
cessé  de  se  donner  à  elle-même  le  coup  de  la  mort. 
Elle  étoit  couverte  d*ulcères  horribles.  Vous  l'avez 
vue,  vous  en  avez  eu  pitié.  Vous  abattez  ce  corps 
de  péché;  vous  renversez  mes  aml)itieux  projets; 
vous  me  rendez  le  goût  de  votre  éternelle  vérité ,  que 
j'àvois  perdu   depuis  si  long-temps.  Soyez  donc  à 
jamais  béni!  Je  baise  la  main  qui  m'écrase,- et  f  adore 
le  bras  qui  me  frappe. 


FOUH    UA    MALADE.  1&9 

IL 

Ajez  pitié  de  moi ,  Seigneur,  parce  qne  je  fois  infinnc  Pj.ti.  3. 

O  mon  Dieu,  je  n*ai  point  cTautre  raison  ijue  m^ 
misère  pour  exciter  votre  miséricorde.  Voyez  le*. 
besoin  que  j'ai  de  votre  secours,  et  donnez-le-moi. 
Ten  sens  le  besoin,  Seigpeur  :  heureux  de  le  sentir^ 
si  ce  sentiment  me  tient  dans  la  défiance  de  m^- 
même!  Vous  avez  frappé  ma  cbair  pour  la  purifier: 
vous  avez  brisé  mon  corps  pour  guérir  mon  ame;. 
Cest  par  la  douleur  salutaire  que  vous  m'arrachez 
aux  plaisirs  corrompus.  Uinfirmité  de  ma  cbait 
m'afflige,  moi  qui  n'avois  point  d^horreur  de  Tinfir^ 
mité  de  mon  esprit.  H  étoit  en  prdie  à  la  vaine  am- 
bition, à  la  fièvre  ardente  de  toutes  les  paçsÎQO^ 
furieuses.  J'étois  malade,  et  je  ne  croyois  pas  Tétre. 
Mon  mal  éloit  si  grand  qi|e  je  ne  le  sentois  pas.  Je 
ressemblois  à  un  homme  qui  a  une  fièvre  chaude, 
et  qui  prend  Tardear  de  1«  fièvre  pour  la  foirce  d^une 
pleine  santé.  O  heureuse  fnaladie,  qui  m'ouvre  les 
yeux  et  qui  change  mon  cœur  ! 

JIL 

11  Tou  a  été  donné  non-seulement  de  croire  en  loi,  maif  aussi  df 

souffrir  pour  lui.  Philip,  i.  '119. 

O  doB  précieux ,  qu'on  ne  oonnoit  pdiut  !  Là  dou** 
leur  n'est  pas  moioB  prëciease  qoe  là  foi  i^patidue 


l6o  XÉDITATIOHS 

dans  les  am^  par  le  Saint-Esprit  Bienheureuse 
marque  de  miséricorde^  quand  Dieu  nous  fait  souf- 
frir! Mais  sera-ce  une  souffrance  forcée  et  pleine 
d'impatience?  Non;  les  démons  souffrent  ainsi.  Celui 
qui  souffre  sans  vouloir  souffrir  ne  trouve  dans  ses 
peines  quun  commencement  des  éternelles  dou- 
.leurs.  Quiconque  se  soumet  dans  sa  souffrance,  la 
'  change  en  un  bien  infini.  Je  veux  donc,  ô  mon 
Dieu,  souffrir  en  paix  et  avec  amour.  Ce  n'est  pas 
assez  dé  croire  vos  saintes  vérités ,  il  faut  les  suivre: 
elles  nous  condamnent  à  la  douleur,  mais  elles  nous 
en  découvrent  le  prix.  O  Seigneur,  ranimez  ma  foi 
languissante.  Qu*on  voie  reluire  en  moi  la  foi  et  la 
patience  de  vos  saints!  S'il  m'échappe  quelque  im- 
patience,  du  moins  que  je  m'en  humilie  aussitôt,  çt 
que  je  la  répare  par  ma  douleur  ! 


IV. 


Seig^eiiryîe  aoaffre  yioleim;  répondes  po«ir  moi  (Unu.  ^Eaeeh. 

Is,  xxzTni.  iL 

Vous  voyez  les  maux  qui  m'accablent.  La  nature 
se  plaint;  que  lui  répondrai-je?  Le  monde  cherche 
à  m'amuser  et  à  me  flatter;  comment  faut-il  que  je 
le  repousse?  Que  dirai- je,  Seigneur 7  Hélas,  il  ne  me 
reste  de  force  que  pour  souffrir  et  pour  me  taire. 
Répondez  vous-même  :  par  votre  parole  toute-puis- 
sante écartez  le  monde  trompeur  qui  m'a  déjà 
séduit  une  fois.  Soutenez  mon  cœur,  malgré  les 
défaillances  de  la  nature.  Je  souffre  violence  par  les 

maux 


POU&    V«    MALADE.  l6l 

maux  dont  vous  m'accablez ,  et  par  mes  passions  qui 
ne  sont  point  encore  éteintes.  Je  souffre;  hâtez* 
vous  de  me  secourU*.  Délivrez-moi  du  monde  et  de 
moi*méme.  Délivi^z-*moi  de  mes  maux,  par  la  pa- 
tience à  les  souffrir. 

V. 

Le  Seigneur  me  Ta  donné ,  le  Seigneur  me  Ta  ôté.  Job,  i.  la.    . 

Voila  y  S^neur,  ce  que  vous  faisiez  dire  à  votre 
serviteur  Jw^dans  Texcès  de  sei  maux.  O  que  vous 
êtes  bon  de  mettre  encore  ces  paroles  dans  la  bouche 
et  dans  le  cœur  d'un  pécheur  tel  que  moi  !  Vous 
m'aviez  donné  la  santé,  et  je  vous  oubliois;  vous  me 
TôteZy  et  je  reviens  à  vous.  Précieuse  miséricorde, 
qui  m'arrachez  les  dons  de  Dieu  qui  m'éloignoient 
de  lui,  pour  me  donner  Dieu  même  !  Seigneur,  ôtez 
tout  ce  qui  n'est  point  vous,  pourvu  que  je  vous 
aie.  Tout  est  à  vous;  vous  êtes  le  Seigneur;  disposez 
de  tout^-  biens,  honneurs,  santé,  vie;  arrachez  tout 
ce  qui  me  tiendroit  lieu  de  vous. 

VI. 

Venez  à  moi,  toôs  tous  qui  êtes  chargés,  et  je  tous  soulagerai. 

S.  àfatth,  XI.  38. 

Douce  parole  de  Jésus-Christ,  qui  prend,  sur  lui 
tous  les  travaux,  toutes  les  lassitudes  et  toutes  les 
douleurs  des  hommes  !  O  mon  Sauveur,  vous  voulez 
Féhéloiv.  xvni.  1 1 


l6a  XÉDITATIOliS 

donc  porter  tous  mes  maux!  Voas  m'incitez  à  m'en 
décharger  sur  vous.  Tout  ce  que  je  souffre  doit 
trouver  en  vous  du  soulagement.  Je  joins  donc  ma 
croix  à  la  vôtre;  portez-la  pour  moi.  Jesuis,  comme 
vous  étiez  y  tombant  en  défaillance ,  quand  on  fit 
porter  votre  croix  par  un  autre.  Je  marche  après 
vpuSy  Seigneur,  vers  le  Calvaire ,  pour  y  être  cru- 
cifié. Je  veux,  quand  vous  le  voudrez,  mourir  entre 
vos  bras;  mais  la  pesanteur  de  ma  croix  m'accable. 
Je  manque  de  patience  :  soyez  ma  patience  vous- 
même;  je  vous  en  conjure  par  votre  promesse.  Je 
viens  à  vous;  je  n'en  puis  plus;  c'est  a^iez  pour  mé- 
riter votre  compassion  et  votre  secours. 


y¥WÊn/wy^9mt¥^w¥wnf¥yw9Af¥¥y¥¥^\mm/yy¥¥^f%f¥y^niy¥^9fm0yif%w¥^v¥i 


VII. 


Parlez,  Seigneur,  votre  serviteur  vous  écoute.  IMois,  m.  lo. 

Je  me  tais,  Seigneur,  dans  mon  affliction ,  je  me 
tais  ;  mais  je  vous  écoute  avec  le  silence  d'une  ame 
contrite  et  humiliée,  à  qui  il  ne  reste  rien  à  dire  dans 
sa  douleur.  Mon  Dieu,  vous  voyez  mes  plaies  ;  c'est 
vous  qui  les  avez  faites;  c'est  vous  qui  me  frappez. 
Je  me  tais;  je  souffre,  et  j'adore  en  silence  :  mais 
vous  entendez  mes  soupirs,  et  les  gémissemens  de 
mon  coeur  ne  vous  sont  point  cachés.  Je  ne  veux 
point  m'écouter  moi-même  ;  je  ne  veux  écouter  que 
vous ,  et  vous  suivre. 


POUR    UN    MALADE.  l63 

VIII. 

Mon  përe,  déliTrez-moi  de  cette  heure.  S.  Jttm,  xu.  7a. 

QuoiQUB  VOUS  me  menaciez  et  me  frappiez ,  ô 
mon  Dieu,  vous  êtes  mon  père;  vous  le  serez  tou- 
jours. Délivrez-moi  de  cette  heure  terrible,  de  ce 
temps  d'amertume  et  d'accablement.  Laissez-moi 
respirer  dans  votre  sein,  et  mourir  entre  vos  bras. 
Délivrez-moi  y  ou  par  la  diminution  de  mes  maux, 
ou  par  l'accroissement  de  ma  patience.  Coupez  jus- 
qu'au vify  brûlez;  mais  faites  miséricorde;  ayez 
pitié  de  ma  foiblesse.  Si  vous  ae  voulez  pas  me 
délivrer  de  ma  douleur,  délivrez-moi  de  moi-même, 
de  ma  foiblesse,  de  ma  sensibilité  et  de  mon  impa- 
tience. 

IX. 

Ta  péché  contre  toute  votre  juBtice.  Dan.  ix.  i5,  16. 

J'ai  péché  contre  toutes  vos  lois.  L'orgueil,  la 
mollesse,  le  scandale,  n'ont  rien  laissé  de  saint  dans 
la  religion ,  que  je  n'aie  violé.  J'ai  même  fait  outrage 
à  votre  Saint-Esprit;  j'ai  foulé  aux  pieds  le  sang  de 
l'alliance  ;  j'ai  rejeté  les  anciennes  miséricordes  qui 
avoient  pénétré  mon  cœur.  J'ai  fait  tous  les  maux. 
Seigneur;  j'ai  épuisé  toutes  les  iniquités  ;  mais  je  n'ai 
pas  épuisé  votre  miséricorde.  Au  contraire,  elle 
prend  plaisir  à  surmonter  ma  misère;  elle  s'élève 


l64  IfÉDlTÂTIONS 

comme  un  torrent  au-dessus  d'une  digue.  Pour  tant 
de  maux  vous  me  rendez  tous  les  biens;  "vous  vous 
donnez  vous-même.  O  mon  Di^u  !  un  si  grand  pé- 
cheur,  si  comble  de  grâces,  refusera- t-il  de  porter 
sa  croix  avec  votre  Fils,  qui  est  la  justice  et  la  sain- 
teté même? 

X. 

Ma  force  m'a  abandonna.  Ps.  kxzvii.  1 1. 

■ 

Ma  force  m'abandonne;  je  ne  sens  plus  que  foi- 
blesse,  qu'impatience ,  que  désolation  de  la  nature 
défaillante  y  que  tentation  de  murmure  et  de  déses- 
poir. Qu'est  donc  devenu  le  courage  dont  je  me 
piquoiSy  et  qui  m'inspiroit  tant  de  confiance  en  moi- 
même?  Hélas!  outre  tous  mes  maux,  j'ai  encore  à 
supporter  la  honte  de  ma  foiblesse  et  de  mon  impa- 
tience. Seigneur,  vous  attaquez  mon  orgueil  de  tous 
côtés;  vous  ne  lui  laissez  aucune  ressource.  Trop 
heureux,  pourvu  que  vous  m'appreniez,  par  ces 
terribles  leçons ,  que  je  ne  suis  rien ,  que  je  ne  puis 
rien,  et  que  vous  seul  êtes  toutl 

XL 

Quand  on  m*aara  élevé  de  la  terre,  je  tirerai  toat  à  molS.Jeûn.  xii.  3a. 

Vous  promîtes.  Seigneur,  que,  quand  vous  seriez 
élevé  sur  la  croix ,  vous  attireriez  tout  à  vous.  Les 
nations  sont  venues  adorer  l'Homme  de  douleur;  les 


POUn    VV    MALADE.  l6b 

Juifs  mêmes  en  grand  nombre  ont  reconnu  le  Sau- 
veur qu'ils  avoient  crucifié.  Voilà  votre*  promesse 
accomplie  aux  yeux  du  monde  entier.  Mais  c'est 
encore  du  haut  de  cette  croix  que  votre  vertu.toute- 
puissante  attire  les  âmes.  O  Dieu  souffrant!  vous 
m*enlevef  au  monde  trompeur  ;  vous  m'arrachez  à 
moi-même  et  à  mes  vains  désirs,  pour  me  faire 
souOrip  avec  vous  sur  la  croix.  C'est  là  qu'on  vous 
appartient,  qu'on  vous  connoit,  qu'on  vous  aime> 
qu'on  se  nourrit  de  votre  vérité.  Tout  le  reste,  sans 
croix  y  n'est  qu'une  piéMt  en  idée.  Attachez-moi  à 
vous;  que  je  devienne  un  des  membres  de  Jésus- 
Christ  crucifié  l 

XII. 

Malhenr  au  monde,  k  cause  dea  scandales!  S.  Matth,  ztiii.  7. 

Lb  monde  dit  :  Malheur  à  ceux  qui  souffrent  ! 
mais  la  Foi  répond  au  fond  de  mon  cœur  :  Malheur 
au  monde  qui  ne  souffre  pas!  Il  sème  la  terre  entière 
de  pièges  funestes  pour  perdre  les  âmes  :  la  mienne 
jaétë  long-temps  perdue.  Hélas!  mon  Dieu,  que 
vous  êtes  bon  de  me  tenir,  par  l'infirmité,  loin  de  ce 
monde  corrompu  !  Fortifiez-moi  par  la  douleur,  pour 
achever  de  me  déprendre  de  tout,  avant  que  de 
m'exposer  au  scandale  de  vos  ennemis.  Que  la  ma- 
ladie m'apprenne  à  connottre  combien  toutes  les 
douceurs  mondaines  sont  empoisonnées.  On  me 
trouve  à  plaindre  dans  mes  langueurs.  O  aveugles 
amis!  ne  plaignez  point  celui  que  Dieu  aime,  et 


l66  MtelTATIOnS    POU  A    UN    MALADE. 

qu'il  ne  frappe  que  par  amour  !  C'étoit ,  il  y  a  six 
mois  y  qu'il  étoit  à  plaindre ,  lorsqu'une  mauvaise 
prospërité  empoisonnoit  son  cœur,  et  qu'il  étoit  si 
loin  de  Dieu. 

■ 

XIII. 

Soit  que  nous  vivioiis ,  toit  faenoiu  mourions,  nous  sommes  a» 

Seigneur.  Rom.  ut.  8. 

O  mon  Dieu  !  que  m'importe  de  vivre  ou  de 
mourii*?  La  vie  n'est  rien  ;  elle  est  même  dangereuse, 
dès  qu'on  l'aime.  La  mort  ne  détruit  qu'un  corps  de 
boue  ;  elle  délivre  l'ame  de  la  contagion  du  corps  et 
de  son  propre  orgueil  ;  des  pièges  du  démon  elle  la 
fait  passer  à  jamais  dans  le  règne  de  la  vérité.  Je  ne 
vous  demande  donc,  ô  mon  Dieu,  ni  santé  ni  vie^ 
je  vous  fais  un  sacrifice  de  mes  jours.  Yous  les  avez 
comptés;  je  ne  demande  aucun  délai.  Ce  que  je 
demande,  c'est  de  mourir,  plutôt  que  de  vivre  comme 
j'ai  vécu  ;  c'est  de  mourir  dans  la  patience  et  dans 
l'amour,  si  vous  voulez  que  je  meure.  O  Dieu,  qui 
tenez  dans  vos  mains  les  defs  du  tombeau  pour 
l'ouvrir  ou  pour  le  fermer,  ne  me  donnez  point  la 
vie,  si  je  n'en  dois  être  détaché  :  vivant  ou  mourant; 
je  ne  veux  plus  être  qu'à  vous. 


EXHORTATIONS  ET  AVIS 


POUR 


L'ADMINISTRATION   DES   SACREMENS. 


mmy¥^%fw^fW%f^v¥*fy%f%nnf^ww^yy%wyw¥V^y¥W¥y9f9fw^%t¥t^f^f^9fy%/¥¥^%f^^ 


ARTICLE  PREMIER. 


DU    SACHEMBNT    DE    BAPTÊME. 


I, 


Explication  des  cérémonies  du  Bapîéme  enferme 

d'instruction.    • 

La  foi  catholique  nous  enseigne  ^  mes  très-ohers 
frères ,  que  tous  les  eufiins  d'Adam  naissent  dans  le 
pëchë  de  leur  premier  père  ;  qu'ils  sont  enfans  de 
colère,  indignes  de  Thëritage  céleste ,  et  enveloppés 
dans  la  condamnation  générale.  Cest  pour  les  retirer 
de  cet  état  de  perte  et  de  mort,  que  J&us-Ghrist , 
sauveur  de  tous  les  hommes,  a  institué  le  sacrement 
de  Baptême.  L'homme  est  régénéré  dans  cette  fon- 
taine de  vie  ;  non*seulement  le  péché  originel  y  est 
pleinement  efiacé,  et  il  ne  reste  rien  de  l'ancienne 
condamna^ior^  comme  dit  l'Apôtre,  dans  ceu%  qui  se 
dépouillent  du  vieil  homme,  pour  se  revêtir  du  nou- 
veau en  Jésus-Christ;  mais  encore  ils  reçoivent  une 
vraie  régénération,  ils  renaissent  par  la  vertu  de  la 


i68  som  LE  BAPriiiE. 

grâce;  ils  devieDoent  enfans  adoptifs  da  Père,  frères 
et  cohéritiers  du  Fils^  temples  da  Saint-Esprit. 
Comme  enfans,  ils  sont  héritiers  da  royaume  éternel, 
et  de  tons  les  biens  promis.  Dans  ce  sacrement,  ils  sont 
marqués  d^un  caractère  spirituel  et  ineffaçable,  qoi 
les  distingue  comme  un  peuple  bien- aimé,  et  teint 
du  sang  de  l'Agneau.  Par  ce  sacrement,  ils  sont  ren- 
dus capables  de  recevoir  tous  le^ autres;  car  c*est  le 
Baptême  qui  est  la  porte  du  christianisme,  et  le  fon- 
dement de  tout  l'édifice  spirituel. 

Nous  usons,  mes  très-chers  frères ,  dans  l'adminis- 
tration de  ce  sacrement,  de  plusieurs  cérémonies,  qui 
sont  anciennes,  touchantes,  et  propres  à  nous  rap- 
peler un  tendre  souvenir  des  principaux  mystères 
de  la  religion. 

lO  Nous  exorcisons  celai  qui  doit  être  baptisé, 
pour  faire  entendre  que  le  péché  originel  le  tient 
sous  la  puissance  du  démon  qui  règne  dans  le  siècle 
corrompu,  et  pour  délivrer  la  créature  de  Dieu  de  la 
tyrannie  de  l'esprit  de  mensonge* 

so  Nous  ajoutons  aux  exorcismes  des  soufflemens, 
ou  exsufflations,  pour  chasser  cet  esprit  impur,  et  en- 
nemi du  salut  des  hommes,  par  la  vertu  du  Saint- 
Esprit,  comme  notre  seigneur  Jésus-Chrisi^commu- 
niqua  cet  Esprit  aux  apôtres  en  soufflant  sur  eux. 

3o  Nous  imprimons  le  signe  de  la  croix  au  front, 
à  la  poitrine,  et  à  la  main  droite  de  cette  personne, 
pour  exprimer  que  c'est  en  vertu  de  la  mort  dou- 
loureuse de  Jésus-Christ  sur  la  crojx,  que  nous 
sommes  délivrés  de  lesdavage  du  péché,  et  que  nous 
entrons  dans  la  liberté  da6  enfans  de  Dieu.  C'est  par 
le  Baptême  que  nous  sommes  configurés  k  la  mort 


SUR    LE    BÂPTÊMS.  169 

du  Sauveur,  c'est-à-dire  rendus  conformes  à  Jësus 
crucifié,  et  attachés  sur  la  croix  a?ec  lui.  C'est  cette 
cioix  qui  doit  être  encore  plus  dans  le  fond  de  notre 
cœur,  que  devant  nos  yeux.  C'est  elle  que  no«s  de- 
vons vouloir  porter  humblement  et  patiemment  tons 
les  jours  de  notre  vie,  pour  l'amour  de  Dieu,  à 
l'exemple  de  Jésus- Christ,  et  en  pénitence  de  nos 
péchés.  C'est  cette  croix  dont  nous  devons  être  tou- 
jours armés  pour  le  combat  des  tentations  contre  le 
monde,  contre  la  chair  et  contre  le  démon. 

4^  Nous  mettons  du  sel  dans  la  bouche  de  cette 
personne,  afin  qu'elle  conserve,  par  le  sel  de  la  sa- 
gesse évangélique,  la  pureté  de  la  foi,  et  qu'elle  soit 
prései*vée  de  la  corruption  des  mœurs.  Le  sel  de  la 
véritable  sagesse  lui  est  donné  pour  goûter  les  choses 
d*en  haut,  pour  se  dégoûter  de  celles  de  la  terre,  et 
pour  ne  prononcer  que  des  paroles  assaisonnées  de 
justice,  de  bienséance,  de  grâce  et  de  vérité. 

50  Nous  mettons  le  doigt  avec  de  la  salive  aux 
oreilles  et  aux  narines  de  la  personne,  pour  repré- 
senter Faction  mystérieuse  par  laquelle  nous  voyons, 
dans  l'Évangile,  que  Jésus-Christ  donna  l'ouïe  et  la 
parole  à  un  homme  sourd  et  muet  L'entendement 
de  rhommf  est  ouvert  par  la  grâce  du  Baptême,  pour 
pouvoir  écouter  les  paroles  de  la  foi ,  pour  les  croire 
de  cœur,  et  pour  les  confesser  de  bouche. 

60  Nous  donnons  à  cette  personne  un  parrain  et 
une  marraine,  pour  marquer  une  naissance  nouvelle, 
où  chacun  doit  avoir  de  nouveaux  parens,  selon  l'es* 
piit,  qui  aient  soin  d'instruire  et  de  faire  croître  le 
nouveau  né  en  Jésus^Christ. 

70  Le  parrain  et  la  marraine  renoncent  pour  cette 


170  &I711    LE    BAPTEME. 

personne  à  satan,  à  ses  pompes,  et  À  tontes  ses 
œuvres.  Cette  promesse  doit  être  inviolablement  ac- 
complie,  quoiqu'elle  soit  faite  par  autrui.  Cest  cette 
promesse  qui  nous  attire  le  plus  grand  des  biens. 
On  ne  promet  pour  nous  que  de  renoncer  à  la  va- 
nité et  au  mensonge,  pour  nous  acquérir  un  vrai 
droit  au  royaume  promis.  Heureux  ceux  qui  renon- 
cent à  des  biens  si  faux  et  si  méprisables,  pour  posséder 
le  bien  étemel  et  infini!  Quiconque  est  Chrétien  n*est 
plus  libre  d'aimer  le  monde,  ni  de  chercher  les  pom- 
pes de  sa  tan.  On  ne  sauroit  être  vraiment  chrétien 
sans  être  humble,  et  par  conséquent  soumis  à  Dieu 
dans  rhumiliation.  Quiconque  est  encore  rempli  de 
l'ambition  et  de  la  vanité  mondaine,  se  rengage  dans 
les  liens  de  satan ,  violejes  promesses  de  son  bap- 
tême, et  en  foule  aux  pieds  la  récompense. 

80  La  manière  dont  nous  touchons  cette  personne, 
montre  que  tout  son  corps  malade  a  besoin  du  re- 
mède céleste.  En  effet ,  depuis  le  péché  d'Adam,  qui 
a  passé  en  nous  par  sa  contagion,  la  chair  de 
l'homme  est  révoltée  contre  Tesprit;  elle  est  sujette 
à  des  passions  grossières  et  honteuses  contre  la  rai- 
son ;  ce  n'est  plus  qu'un  corps  de  mort ,  parce  que  ce 
n'est  plus  qu'un  corps  de  péché;  on  ne  pemt  plus  sou- 
mettre cette  chair  corrompue  à  l'esprit ,  qu'en  sou- 
mettant l'esprit  à  Dieu  par  sa  grâce  :  il  faut  tâcher 
de  purifier  le  corps  avec  l'esprit. 

90  On  met  un  linge  ou  vêtement  blanc  sur  la  tête 
du  nouveau  baptisé ,  parce  que  les  enfans  ont  été  et 
sont  encore  d'ordinaire  vêtus  de  blanc ,  et  que  les 
personnes,  même  les  plus  âgées,  qui  reçoivent  le 
Baptême,  deviennent  alors  des  enfans  nouveaux  nés 


SUR    LE    BAPTÊME.  1 7  l 

en  Jésus-Christ.  En  quelque  .âge  avancé  qu'ils  puis- 
sent recevoir  le  Baptême ,  ils  sont  toujours  enfans  par 
cette  naissance  spirituelle  :  ils  doivent  éti'e  revêtus  de 
la  robe  blanche  et  sans  tache  de  l'innocence ,  avec 
laquelle  ils  puissent  se  présenter  au  jour  de  leur  mort 
devant  Jésus- Christ. 

ICO  On  met  dans  la  main  de  cette  personne  un 
cierge  allumé,  pour  montrer  qu'elle  doit  être  une 
lampe  ardente  et  lumineuse  dans  la  maison  de  Dieu  ; 
que  8on  coeur  doit  brûler  du  feu  de  l'amour  que  Jé- 
sus-Christ est  venu  allumer  sur  la  terre;  et  que 
l'exemple  de  ses  vertus  doit  éclairer  tons  les  fidèles. 

1  lo  Nous  donnons  un  nouveau  nom  à  cette  per- 
sonne, afin  qu'on  sache  que  c'est  un  homme  nou- 
veau, qui  est  plufr  attaché  à.  Dieu  qu'au  monde  en- 
tier, et  à  l'Église  qu'à  sa  famille  ;  qu'il  est  prêt  à 
oublier  son  propre  nom,  sa  patrie  et  tous  ses  perens, 
pour  suivre  Jésus-Christ  jusqu'à  la  mort  de  la  croix. 
C'est  un  nouveau  nom  qui  lui  est  donné,  parce  que 
Dieu  fait  en  lui  toutes  choses  nouvelles.  Ce  nom  est 
celui  d*un  saint,  qui  doit  être  le  patron  ou  protec- 
teur auprès  de  Dieu  de  celui  qui  le  portera.  Ce  saint 
est  principalement  celui  dont  il  doit  imiter  les  ver- 
tus ,  afin  que  le  nom  qu'il  en  reçoit  aujourd'hui  soit 
écrit  au  livre  de  vie. 


173  SUR    LE    BAPTilfE. 

II. 

Avis  au  parrain  et  à  la  marraine',  après  l' adminis- 
tration du  sacrement  de  Baptême. 

Vous  parrain  y  et  vous  marraine,  vous  venez  de 
répondre  à  Dieu  et  à  la  sainte  Eglise  que  vous  pren> 
drez  soin  de  Tinstruction  de  cet  enfent,  pour  le 
remplir  de  toutes  les  vërités  de  la  foi  catboliqtje  apo- 
stolique et  romaine,  pour  le  préparer  au  salut  éternel. 
Il  n'est  nommé  votre  filleul,  qu*à  cause  qu'il  devient 
votrefilsspiritnel  en  Jésus-Christ,en sorte  que  vousavez 
contracté,  k  la  face  des  saints  autels,  l'obligation  de  lui 
tenir  lieu  de  père  et  de  mère  pour  la  pureté  des  mœurs 
et  de  la  foi.  Il  est  vrai  que  le  père  et  la  mère,  qui  ont 
mis  cet  enfant  au  monde,  ne  sont  pas  déchargés  du 
soin  de  son  éducation  chrétienne  ;  mais  vous  y  êtes 
obligés  avec  eux,  et  votre  devoir  est  de  suppléer  k 
tout  ce  qui  manqueroit  de  leur  part.Y ous  devez  donc 
veiller  sur  l'enfant,  pour  vous  assurer  qu'il  apprenne 
exactement  toutes  les  vérités  de  la  foi  qui  sont  con- 
tenues dans  les  trois  parties  du  Catéchisme  de  ce 
diocèse,  avec  les  Commandemens  de  Dieu  et  de  TE* 
glise,  la  vertu  de  chaque  sacrement,  et  la  manière 
de  le  recevoir  ;  surtout  la  préparation  nécessaire 
pour  se  bien  examiner,  pour  bien  confesser  ses  pé- 
chés avec  toutes  les  circonstances  nécessaires ,  pour 
en  concevoir  une  véritable  douleur,  et  pour  éviter 
les  occasions  de  rechute;  comme  aussi  les  dispositions 
d'humilité,  de  recueillement  et  d'amour  avec  lesquels 
on  doit  communier  pour  le  faire  avec  fruit.Yous  devez 
aussi  faire  en  sorte  que  l'enfant  sache  exactement  par 


SUR  'LE    BAPTÊME.  1^3 

coeur  l'oraison  que  Jésus-Christ  a  enseignée  à  ses  apô- 
tres, afin  qu'elle  soit  à  jamais  dans  la  bouche  et  dans 
le  cœur  de  tous  les  fidèles  :  Notre  père,  etc  ;  la  saluta- 
tion de  Tange  :  Jevqussalub,  MARis^etc;  pour  obtenir 
la  puissante  intercession  de  la  mère  du  Fils  de  Dieu,  et 
pour  se  nourrir  dans  une  pieuse  confiance  en  cette 
mère  de  miséricorde  ;  enfin  le  Symbole  des  apôtres  :  Je 
CROIS  EN  Dieu,  etc,  qui  comprend  en  abrégé  les  vérités 
fondamentales  du  christianisme,  et  qui  étant  ton  jours 
appris  par  cœur,  sans  être  écrit,  servoit  autrefois 
comme  de  marque  à  laquelle  les  Chrétiens  se  reconnois- 
soient  les  uns  les  autres  au  temps  des  persécutions. 
Vous  êtes  avertis  que  vous  avez  contracté  une 
parenté  spirituelle  avec  cet  enfant,  avec  son  père  et 
avec  sa  mère ,  en  sorte  que  vous  ne  pouvez  avoir  en 
mariage  aucun  des  trois,  et  qu*un  mariage  que  vous 
contracteriez  avec  Tun  d'entre  eux  seroit  nul.  Mais 
cette  parenté  spirituelle  n'est  point  entre  vous  par- 
rain et  marraine,  ni  entre  la  femme  du  parrain,  et 

le  mari  de  la  marraine. 

* 

ARTICLE  II. 

DU    8ACREKENT    DE    CONFIRMÀTIOÎf. 

At^is  d'un  curé  à  ses  paroissiens  ^  pour  la  réception 
du  sacrement  de  Confirmation. 

Je  vous  avertis,  mes  très-chers  frères,  que  mon- 
seigneur r Archevêque  doit  arriver  (ou,  est  arrivé) 
ici  9  dans  le  dessein  de  confirmer  tous  ceux  et  celles 


174  ^^^    L^    COAFIUftATlOH. 

qui  n'ont  point  encore  reça  le  sacrement  de  Confir- 
mation. 

lo  II  ne  le  donnera  anx  en&ns  que  quand  ils 
auront  atteint  environ  Tâge  de  sept  ans,  où  ils  com- 
mencent à  avoir  assez  de  connoissance  pour  se  sou- 
venir de  ravoir  reçu,  et  pour  ne  s'exposer  point  à 
le  recevoir  dans  la  suite  une  seconde  fois;  car  ce 
sacrement  ne  doit  jamais  être  réitère. 

ao  Quoique  ce  sacrement  ne  soit  pas  absolument 
nécessaire  pour  le  salut,  il  est  néanmoins  d'une 
extrême  importance  que  chacun  ne  manque  pas  de 
le  recevoir.  Cest  le  don  du  Saint-Elsprit  pour  ré- 
sister aux  tentations  continuelles  de  cette  vie.  Plus 
nous  sommes  foibles  et  attaqués,  plus  nous  avons 
besoin  de  recourir  à  un  si  puissant  secours.  Le  né- 
gliger, c'est  se  rendre  indigne  d'une  grâce  si  pré- 
cieuse, et  mériter  de  tomber,  comme  tombent  les 
âmes  téméraires  qui  ne  se  défient  point  d'elles-mêmes^ 
et  qui  négligent  les  grâces  offertes. 

io  Ce  sacrement  a  été  institué  pour  augmenter  et 
affermir  en  nous  la  grâce  du  Baptême,  afin  que  nous 
n'ayons  jamais  de  honte  de  confesser  Jésus-Christ 
crucifié,  que  nous  méprisions  les  railleries  des  liber- 
tins, et  même,  s'il  le  falloit,  les  persécutions  des 
ennemis  de  notre  salut  ;  afin  que  nous  soyons  dis- 
posés à  répandre  notre  sang  dans  le  martyre  pour 
chacune  des  vérités  de  la  foi  en  particulier,  et  que 
nous  ayons  un  courage  humble,  simple  et  modeste 
contre  toutesles  tentations  que  nous  n'aurons  pu  fuir. 

4^  Monseigneur  ne  donnera  la  confirmation 
qu'aux  personnes  exactement  instruites  de  toutes  les 
principales  vérités  du  Catéchisme.  Il  n'est  point  juste 


sua  LA  conpiRMATioir.  1^5 

de  donner  un  si  grand  sacrement  aux  personnes  qui 
n'ont  pas  même  voulu  se  donner  la  peine  d'ap- 
prendre ce  que  c'est  que  ce  sacrement ,  quel  en  est 
le  fruit  y  et  avec  quelle  disposition  on  doit  le  rece^ 
voir. 

50  Les  personnes  d'un  âge  avancé  qui  n'ont  point 
encore  reçu  ce  sacrement ,  par  leur  négligence  pour 
le  demander,  ou  par  leur  paresse  à  s'instruire ,  doi- 
vent se  reprocher  devant  Dieu,  de  s'être  privés  pen^ 
dant  un  si  long  temps  de  la  grâce  de  la  Conflrmation, 
et  de  s'être  exposés  par  là  à  succomber  dans  toutes 
les  tentations  oh  ils  ont  péché. 

60  Si  les  grandes  personnes  ont  un  peu  plus  de 
peine  que  les  petits  enfans  à  apprendre  mot  pour 
mot  tout  le  Catéchisme  y  d'un  autre  côté^Hls  ont  une 
facilité  incomparablement  pl^s  grande  pour  ap- 
prendre et  pour  retenir  par  jugement  toutes  ces  vé- 
rités salutaires.  Ils  sont  inexcusables ,  quand  ils  ont 
passé  tant  d'années  en  ce  monde,  sans  connoitre 
celui  qui  les  y  a  mis  y  et  sans  être  instruits  des  mys- 
tères de  la  foi  pour  leur  salut. 

7<>  Non-seulement  vous  devez  mener  vous-même 
vos  enfans,  proches  parens  et  amis,  à  l'église  pour 
les  faire  examiner,  préparer,  et  présenter  à  la  Con- 
firmation; mais  encore  vous  devez  prendre  ce  soin 
poar  vos  serviteurs  et  vos  servantes;  car  vous  ré- 
pondrez d'eux  à.  Dieu,  si  vous  négligez  de  les  faire 
instruire,  et  de  les  réduire  à  vivre  avec  règle.  Celui 
qui  n'a  pas  soin  de  son  domestique,  dit  l'Apôtre, 
a  renié  sa  foi  et  est  pire  quun  infidèle  • 

8<>  Aucun  ne  doit  se  présenter  au  sacrement  de 
Confirmation ,  stins  avoir  été  confessé  et  absous  de 


17^  SUR    LA    CONFIRXATIOH. 

ses  péchés;  car  ce  grand  sacrement  demande  qu'on 
soit  en  état  de  grâce,  pour  le  recevoir  dignement. 

ARTICLE  III. 


DU    SACREMENT    DE    l' EUCHARISTIE. 


I. 


j4uis  d'un  curé  à  ses  paroissiens,  pour  les  disposer 

à  la  sainte  communion* 

Je  me  réjouis,  mes  très-chers  frères,  du  bonheur 
que  vous  aurez  de  recevoir  aujourd'hui  le  plus  grand 
don  que  les  hommes  puissent  recevoir  ici-bas. 

lO  Quoique  vos  yeux  n'aperçoivent  dans  TEu- 
charistie  qu'une  apparence  de  pain,  la  foi  néan- 
moins y  découvre,  sous  cette  apparence,  le  vrai 
corps  de  Jésus-Christ  qui  a  été  attaché  sur  la  croix 
pour  nous.  Il  y  est  avec  son  sang  répandu  pour  notre 
salut,  avec  son  ame,  avec  sa  divinité.  Il  y  est  vivant, 
immortel,  glorieux,  tel  qu'il  est  à  la  droite  de  son 
père.  Comme  Moïse  changea  en  Egypte  Teaa  en 
sang,  et  une  baguette  en  un  serpent  ;  comme  Jésus- 
Christ  changea  aux  noces  de  Cana  l'eau  en  vin  ;  de 
même  il  change  le  pain  et  le  vin  en  son  corps  et  en 
son  sang,  dès  que  le  prêtre  prononce  en  son  nom  à 
la  messe  les  paroles  sacramentelles.  C'est  sa  toute- 
puissance  qui  fait  ce  miracle ,  comme  tant  d^autres 
qui  ne  lui  coûtent  rien.  Il  faut  sans  raisonner  croire 
tout  ce  qu'il  dit.. Les  paroles  des  hommes  sincères 

disent 


SUR    L  EUCBARI8TIB.  IIH 

disent  ce  qui  est  ;  mais  les  paroles  toutes-puissantes 
du  Fils  de  Dieu  font  ce  qu'elles  disent. 

20  L'Eucharistie  est  le  sacrement  de  l'amour. 
Combien  Jésus-Christ  nous  a-t-il  aimés ,  puisqu'il 
n'a  pas  dédaigné  de  se  faire  notre  nourriture  de  cha- 
que jour  !  Il  veut  être  nôtre  pain  quotidien ,  en  sorte 
qu'il  soit  Taliment  le  plus  familier  de  nos  ames^ 
comme  le  pain  grossier  nourrit  nos  corps.  Le  pain 
des  corps  ne  fait  qu'en  retarder  la  mort  et  la  cor- 
ruption :  mais  Jésus-Christ  pain  de  nos  âmes  les 
fera  vivre  éternellement.  Cest  le  pain  descendu  du 
ciel  pour  donner  la  vie  au  monde.  C'est  être  ennemi 
de  soi-même,  c'est  vouloir  mourir,  que  de  n'être  pas 
afiàmé  de  ce  pain.  Le  Sauveur  est  là  qui  vous  at- 
tend avec  ses  mains  pleines  de  grâces.  C'est  l'agneau 
égorgé  pour  les  péchés  du  monde,  qui  vent  être 
maogé  dans  ce  festin  céleste.  Venez,  enfans  de  Dieu, 
vous  rassasier  de  cette  chair  divine,  et  vous  désal- 
térer dans  ce  sang ,  qui  e&ce  tous  les  péchés.  Il  ne 
cache  les  rayons  de  sa  gloire ,  que  pour,  u'éblouir 
pas  vos  fbibles  yeux,  et  pour  vous  accoutumer  à 
une  plus  grande  familiarité.  Croyez,  espérez,  aimez: 
portez  le  bien -aimé  danâ  vos  poitrines,  et  laissez-le 
régner  à  jamais  au  dedans  de  vous.  Chacun  des 
autres  sacremens  nous  donne  la  grâce  particulière 
qui  est  propre  à  son  institution;  mais  celui-ci  nous 
donne  Jésus-Christ  -  même ,  source  de  toutes  les 
grâces,  auteur  et  consommateur  de  notre  foi. 

3o  Par  ce  sacrement,  les  hommes,  s'ils  sont  bien 
(Usposés,  sont  incorporés  à  Jésus^Cbrist,  pour  ne 
&ire  plus  qu'un  seul  tout  avec  lui.  Cette  nourri- 
ture, si  elle  est  bien  prise,  fait  que  Jésus-Christ  vit, 
FtMÉLOJi.  xviii.  la 


1^8  Smi    L'EUCHAmiSTIB. 

parle  y  ^Lgii,  soaffre,  et  exeroe  en  nous  tontes  les 
vertus.  Elle  nous  fait  croître  chaque  jour  d*une  vie 
toute  divine  et  cachée  avec  Jésus-Christ  en  Dieu. 
Elle  humilie  notre  esprit,  elle  mortifie  notre  chair, 
elle  dompte  nos  passions  brutales,  elle  nous  fortifie 
contre  les  tentations ,  elle  nous  inspire  le  recueille- 
ment et  la  prière  ;  elle  nous  tient  unis  à  Dieu  dans 
une  vie  toute  intérieure  ;  elle  nous  détache  de  cette 
vie,  si  fragile  et  si  courte;  elle  nous  enflamme  du 
désir  du  règne  de  Dieu  dans  le  ciel.  Elle  nous  donne 
une  horreur  infinie  du  péché  mortel ,  et  une  crainte 
filiale  (fui  nous  alarme  à  la  vue  des  fautes  même  les 
plus  vénielles  ;  elle  nous  soutient  au  milieu  des  croix 
et  des  tentations ,  pour  nous  faire  continuer  notre 
pèlerinage  jusqu*à  la  montagne  de  Dieu. 

4^  Mais  avant  que  de  manger  ce  pain  des  anges, 
il  faut  que  Fhomme  s*épronve,  qu*il  interroge  et 
qu'il  sonde  son  propre  cœur,  de  peur  de  se  rendre 
coupable  du  corps  et  du  sang  du  Sauveur.  Qui- 
conque Je  recevroit  dans  une  conscience  impure, 
avec  quelque  péché  mortel ,  au  lieu  de  se  plonger 
dans  la  fontaine  d'eau  vive,  boiroit  ettnangeroit  son 
jugement  pour  sa  perte  étemelle  :  il  donneroit  à 
Jésus-Christ  le  baiser  traître  de  Judas;  il  fonleroit 
aux  pieds  le  sang  de  la  victime,  par  laquelle  seule 
il  peut  apaiser  la  colère  de  Dieu  ;  il  ne  feroit  qu'a- 
jouter à  tous  ses  autres  péchés  les  sacrilèges  d'unf 
confession  sans  pénitence  et  d'une  communion  in- 
digne. 

5o  II  seroit  inutile  de  s'abstenir  de  la  communion, 
de  peur  de  communier  indignement.  En 'commu- 
niant indignement  on   change  le  pain  de  vie  en 


SUR    LEUCHAniSTlE«  I  79 

poison  y  et  on  s'empoisonne,  soi-même  ;  mais ,  en  ne 
communiant  pas,  on  se  prive  de  la  nourriture,  et 
on  se  laisse  mourir  de  défaillance  dans  cette  priva- 
tion. Il  faut  donc  communier,  et  communier  digne- 
ment :  il  faut  tout  sacrifier,  pour  se  mettre  en  état 
de  manger  avec  fruit  ce  pain  quotidien;  il  faut 
renoncer  non-seulement  aux  péchés  mortels,  aux 
vices  grossiers  et  qui  font  horreur,  mais  encore  aux 
occasions  dangereusi^  d'y  tomber.  Il  faut  même  re- 
noncer à  raflTectioji  volontaire  pour  les  péchés  vé- 
niels, qai  retranchent  peu  à  peu  les  véritables 
alimens  de  Tamour  de  Dieu  au  fond  du  coeur.  Com^ 
ment  peut-on  nourrir  en  soi  l'amour  de  Dieu  au* 
dessQs  de  tout ,  quand  on  veut  demeurer  attaché  de 
propos  délibéré  aux  choses  qui  lui  déplaisent  «  qui 
contristent  aon  Saint-Esprit ,  et  qui  nous  mettent  en 
tentation  continuelle  d'akner  ce  que  Dieu  veut  que 
nous  n'aimions |>as7  Qusoid  vous  aurez  fait  ce  sacri- 
fice sincère  à  Dieu ,  vous  mangerez  en  ange  le  pain 
des  anges.  Vous  ^vrea  pour  lui  ;  vous  aurez  la  con- 
solation de  le  recevoir  fréquemment.  La  véritable 
znaoière  de  communier  est  de  le  faire  avec  une  telle 
paretë  de  cceur,  qu'on  puisse  le  faire  tous  les  jours, 
selon  f  usage  des  premiers  Chrétiens. 

60  Après  la  conwOLunion ,  demeurez  recueillis  en 
vous-mêmes  >  et  intimement  unis  à  Jésus- Christ  que 
TOUS  portez  dans  votre  poitrine,  comme  dans  un 
ciboire.  Remerciez-le;  écoutez-le;  goûtez  la  joie  de 
le  posséder  :  admirez  son  amour;  priez -le  de  ne 
VOUS  quitter  jamais. 


l8o  SUA    LE0CBAmi5TIE. 


IL 


Bonheur  de  famé  unie  à  Jésus-Christ  dans  la  sainte 


communion  (*). 


Qa'oD  est  riche ,  quand  on  porte  son  trésor  au 
fond  de  son  cœur,  et  qu^on  n*en  veut  plus  d*autre! 
Qu'on  est  heureux  dans  les  croix^  lorsqu*oti  a  tou- 
jours avec  soi  son  consolateur!  Qu'on  e$t  puissanl  et 
invincible ,  malgré  ses  sensibilités  et  ses  foiblesses, 
lorsqu'on  possède  •  Jésus-Christ  au  dedans  de  soi! 
Cest  vous  y  ô  mon  Dieu  y  6  mon  amour  !  c'est  vous 
que  je  reçois  dans  le  sacrement  j  c'est  vous  qui  nour- 
rissez mon  ame  de  votre  chair,  qui  donne  la  vie  au 
monde  y  et  de  votre  substance  divine,  qui  est  IVter- 
nelle  vérité.  C'est  vous  que  je  tiens,  que  je  goûte, 
que  je  possède,  que  je  garde  reposant  daas  ma  poi- 
trine, comme  votre  disciple  bien-aimé  reposoit  sur 
la  vôtre.  Je  vous  ai  ;  n'ai-je  pas  tout  7  Qae  me  faut-il 
encore 7  que  me  peut-  il  manquer?  O  Dieu  d'amour, 
vous  rassasiez  en  moi  tout  désir!  je  suis  plein,  et 
mon  cœur  ne  peut  plus  s'ouvrir  à  aucun  autre  bien, 
puisqu'il  a  le  bien  infini.  Que  craindrai-je  avec  celui 
qui  m'aime,  et  qui  peut  tout?  Que  ne  souffiîrai-je 
point  pour  l'amour  de  celui  qui,  après  avoir  souffert 
la  mort  pour  moi ,  vient  encore  souffrir  dans  mon 
cœur,  et  de  si  près,  toute»  mes  misères?  Hélas!  qui 

(*)  Cette  exhortation  et  la  raÎTante,  qui  paroiflMnt  îd  pour  la  pre 
mière  fois,  ne  sont  pas  tirées  da  ItUuel  de  Catnbrai»  Noui  piibliov 
la  première  diaprés  une  copie  authentique,  jointe  aux  lettres  àt  Fe- 
nâon  à  la  comtesse  de  Grammont.  L'antre  est  copiée  du  mamiBcnt 
original.  {^Edii,  de  P^ers.) 


SUR    L*EUCHARI8TlE.  l8x 

me  donnera  unô  bouche  pour  louer,  et  un  cœur 
pour  sen  tir  ses  miséricordes  7  O  sacrement ,  oh  Tamour 
se  cache  pour  être  cherché  plus  purement  !  ô  secret 
merveilleux  de  Famour  de  mon  Dieu  !  mon  cœur 
tombe  en  défaillance ,  en  approcliant  de  vous.  Qu^ai- 
je  fait  pour  vous  mériter?  Pain  des  anges!  vous  vous 
doonez  aux  plus  grands  pécheurs ,  et  vous  ne  dé- 
daignez* point  d'entrer  dans  les  c^isciences  les  plus 
souillées.  Que  ferai -je  pour  me  donner  à  vous?  Tout 
me  manque  en  moi-même  pour  reconnoître  tant  de 
grâces;  nxais  faîtes  tout.  Tavoue  mon  impuissance 
et  mon  mdignîté;  je  manque  même  de  sentimens 
pour  un  si  aimable  mystère.  Mais,  ô  amour  I  Vous 
vous  plaisez  à  reliiire  dans  npti*e  -boue;  faites  donc 
éclater  vos  merveilles  dans  ce  cœur  coiTompu; 
aimez-vous  vous-même  en  moi;  plongez- votre  créa- 
ture, pour  la  renouveler,  dans  les  flammes  du  Saint- 
Esprit 

III. 

Exhortation  adressée  au  duc  de  Bourgogne ,   au 
moment  d»sa  première  communion. 

Le  voilà  enfin  arrivé^,  Monseigneur,  ce  jour  que 
vous  avez  tant  désiré  et  ^attendu,  ce  jour  qui  doit 
apparemment  décider  de  tous  les  autres  de  votre  vie 
jusqu'à  celui  de  votre  mort.  Ecce  Salvalor  tuus 
venit,  et  merces  ejus  cum  eo.  Il  vient  à  vous  sous  les 
apparences  de  laliment  le  plus  familier,  afin  de 
nourrir  votre,  ame,  comme  le  pain  nourrit  tous  les 
jours  voire  corps.  Il  ne  vous  paroitra  qu'une  par- 
celle d'un  pain  commun  ;  mais  la  vertu  de  Dieu  y 


lH2  SUR    L*E0CHAR18TIZ. 

sera  cachée  ;  et  votre  foi  saura  bien  Yy  trourer.  Dite» 
lui  y  comme  Isaïe  le  disoit  :  F'erè  tu  es  Deus  abscon- 
âitus.  GVst  un  Dieu  caché  par  amour;  il  nous  voile 
sa  gloire ,  de  peur  que  nos  yeux  n*en  soient  éblouis, 
et  afin  que  uous  puissions  en  approcher  plus  fami- 
lièrement. Accedite  ad  eum,  dit  un  Psaume ,  et 
illuminaminij  et  fades  vestriB  non  confundentur. 
Cesl  là  que  vous  prouverez  la  manne  cachée,  avec 
les  divers  goûts  'de  toutes  les  vertus  célestes.  Vous 
mangerez  le  pain  qui  est  au-dessus  de  toute  sub- 
stance. Il  ne  se  changera  pas  eu  vous  homme  vil  et 
mortel  ;  mais  vous  serez  changé  en  iui  pour  être  un 
membre  vivant  du  Sauveur.  Que  la  foi  et  Tamour 
vous  fassent  goûter  le  don  de  t>ieu4  Gustate,  et  videte 
quoniam  suauis^est  Dominns» 

ARTICLE  IV. 

DO    SACRBMEMT    DE    L  EXTRÊME- OH CTIOlf. 

I. 

Manière  de  suggérer  aux  malades  les  actes  de  foi  j 
d'espérance  et  de  charité,  auant  la' réception  de 
l' Extrême-Onction. 

lo  Crotez-votts  fermement  tous  les  articles  de.foi, 
et  tout  ce  qne  notre  mère  la  sainte  Église  catho- 
lique,  apostolique  et  romaine  croit  et  enseigne? 

Dites,  si  vous  le  pouvez,  le  Symbole  des  apôtres, 
qui  est  l'abrégé  de  notre  foi ,  et  la  marque  qui  dis- 
tinguoit  autrefois  les  Chrétiens. 


SUA    L*EXTKfe|iB-0«CT10]«.  l83 

Étes-vous  prêt  à  mt^urir  dans  cette  foi  catho- 
lique,  comme  un  véritable  enfant  de  TEglise?  ne 
voulez-vous  pas  rendre  le  dernier  soupir  dans  son 
sein ,  et  recevoir  de  sa  main  les  sacremens  que  Jâus- 
Christ  lui  a  confiés  pour  vous? 

a<>  Toute  votre  confiance  n'est-elle  pas  en  notre 
seigneur  Jésus-Christ  7  N'espérez- vous  pas  le  royaume 
du  ciel  y  qu'il  vqus  a  acquis  par  son  sang  7 

3^  N'aimez-vous  pas  Dieu  pour  lui-même  au- 
dessus  de  tout,  et  de  tout  votre  cœur  7  ne  désirez-vous 
pas  de  Faîmer  encore  plus  parfaitement,  et  comme 
les  saints  Taiment  sans  cesse  dans  le  ciel? 

Dites  :  O  sagesse,  je  crois  toutes  les  vérités  que 
vous  m'enseignez.  O  miséricorde  !  j'espère  tous  les 
biens  que  vous  me  promettez.  O  bonté!  je  vous  aime, 
et  je  ne  veux  plus  rien  aimer  que  pour  vous  et  de 
votre  amour. 

4^  Dites  en  voussnême  :  O  jmon  Dieu!  comment 
ai-je  pu  vous  oublier,  et  vous  ofienser?  O  patience 
de  mon  Dieu  !  comment  avez-vous  pu  souffrir  et  at- 
tendre si  long-temps  une  créature  si  ingrate  7,  J'ai 
horreur  de  mes  péchés  ;  je  me  jette  entre  les  bras  de 
votre  infinie  miséricorde  :  ayez  pitié  d'un  cœur,  af- 
fligé de  vous  avoir  été  infidèle  ;  lavez-moi  dans  le 
sang  de  votre  Fils. 

5o  Ajoutez  tout  haut,  si  vous  le  pouvez  :  Je  de- 
mapde  pardon  à  toutes  les  personnes  présentes  ou 
absentes  vers  lesquelles  j'ai  manqué^  ou  par  hauteur, 
ou  par  promptitude,  ou  par  prévention maLfondée, 
ou  par  attachement  à  mon  propre  intérêt,  ou  par 
quelque  autre  mauvais  motif.  Je  les^  conjure  de  tout 


]84  SV^   LE17AÊm*0IICT10H. 

oublier  pour  Tamoar  de  celai  qui  nous  a  remis  toutes 
nos  offenses. 

6^  Êtes-vous  bien  résolu  de  faire  un  meillear 
usage  de  la  vie,  si  Dieu  vous  rend  la  santé ,  et  de 
recevoir  la  mort  comme  une  grâce  qui  finit  le  danger 
continuel  de  la  vie,  si  Dieu  vous  appelle  à  lui? 

7Û  N*oârez-Yons  pas  à  Dieu  toutes  les  douleurs 
de  dbrps  et  d'esprit  que  vous  soufirez,  pour  obtenir 
la  rémission  de  vos  péchés?  n*accepte^vous  pas  cette 
maladie  comme  une  pénitence?  ne  reconnoissez- 
vous  pas  que  vous  mériteriez  une  souffrance  éter- 
nelle en  la  place  d*un  mal  si  léger  ? 

IL 

Exhortation  au  malade,  après  quil  a  reçu  le  sa- 
cremejU  de  V Extrême'  Onction. 

Après  avoir  reçu  le  sacrement  qui  donne  la  force 
d'en  haut  dans  le  dernier  combat  contre  rennemi  du 
saint,  il  ne  vous  reste  plus  qu'à  vous  dégager  Tes- 
prit  de  toutes  les  vaines  pensées  du  monde  trompeur. 
La  vanité  et  le  mensonge  ne  doivent  plus  distiaire 
un  dirétien  qui  se  prépare  à  aller  comparottre  de- 
vant Jésus-Christ.  Notre  corps  est  une  espèce  de  pri- 
son oik  notre  ame  est  retenue,  pour  y  souffrir,  pour 
y  être  tentée ,  et  pour  mériter  en  r&istant  à  la  ten- 
tation. Ce  monde  plein  de  traverses  e^  un  lieu  d*exil: 
le  ciel  est  notre  patrie  ;  c'est  la  terre  promise  ;  c'est 
le  port  oil  nous  jouirons  du  repos  étemel  après 
la.  tempête.  Heureux  ceux  qui  meurent  au  Seignenr. 
la  mort  n'est  qu'un  moment  de  peine  qui  est  le  pas- 


sage  au  royaume  de  Dieu  :  Jésus^hrist  a  voulu  souf- 
frir ponr  la  vaincre,  et  la  vaincre  pour  nous*  Mourons 
avec  lui,  et  la  mort  sera  pour  nous  la  véritable  vie. 
Comme  la  vie  est  un  danger  continuel ,  la  mort  est 
une  grâce  qui  assure  Feflfêt  de  toutes  les  autres.  Pour- 
quoi craindre  d^aller  voir  celui  que  nous  aimons  et 
qui  nous  aime?  Poi|rquoi  craindre  Tavénement  de 
son  règne  bienheureux  en  nous? 

Anciennement  on  avoit  coutume  d'oiifdre  les  corps 
de  ceux  qui  dévoient  combattre  dans  les  spectacles 
publics,  afin  que  leurs  membres  fussent  plus  souples 
et  plus  agiles  dans  le  combat.  Cest  ainsi  que  FEglise 
fait  sur  ses  enfans  les  onctions  mystérieuses  du  Bap- 
tême ,  de  la  Confirmation  et  de  FOrdre ,  afin  qu'ils 
combattent  plus  fortenK^nt  dans  les  tentations  de  la 
vie.  Mais  voici  rExtréme*Onction,  que  vous  venez  de 
recevoir  pour  le  dernier  combat,  qui  vous  prépare 
la  couronne  incapable  de  se  flétrir. 

Le  principal  effet  de  ce  sacrement  est  de  fortifier 
votre  ame  contre  la  tentation  de  langueur,  de  tris- 
tesse et  de  découragement,  oii  Tinfirmité  du  corps 
la  poorrolt  jeter.  Par  la  grâce  de  ce  sacrement,  l'es- 
prit est  soulagé,  renouvelé,  rendu  victorieux  de  la 
douleur,  pendant  que  le  corps  s'appesantit  et  tend  à 
la  corruption. 

Le  second  effet  est  la  rémission  des  péchés  qui 
peuvent  rester  encore  dans  Tame. 

Enfin  ce  sacrement  peut  produire  la  santé  du 
corps,  ou  son  soulagement,  si  c'est  un  bien  pour 
lame,  et  si  les  desseins  de  la  Providence  y  convien- 
nent. 


l86  SUR    LBXT&iLME-OaCTlOir* 

Banimez  votre  foi  ;  nourrissez  votre  cœur  de  Tes- 
permice  ;  laissez-le  enflammer  de  la  charité.  Deman- 
dez la  grâce,  sans  laquelle  on  ne  peut  rien  mériter , 
et  souvenez-vous  que  Jâus*Cbrist  a  promis  qu  il 
sera  donné  à  -quiconque  demandera*  Combien  dé- 
sire*t-il  de  nous  accorder  sa  grâce ,  puisqu'il  nous 
presse  de  la  lui  demander ,  et  qu'il  nous  prévient  par 
elle  f  afin  que  nous  la  lui  demandions  7  Comment  ne 
nous  donneroit-il  pas  ses  secours,  après  s'être  donné 
lui-même?  //  est  ri<^  en  miséricordes  sur  tous 
ceux  qui  l'inffoquent*  Attachez-vous  donc  à  sa  croix, 
pour  recevoir  avec  son  sang  les  grâces  qui  découlent 
de  ses  plains  sacrées.  Regawlez  Jésus ,  votre  sauveur, 
qui  du  haut  de  cette  croix,  où  son  amour  Ta  atta* 
ché,  vous  tend  les  bras  pour  vous  recevoir.  Vous 
trouverez  en  lui  une  miséricorde  encore  plus  grande 
que  votre  misère.  Ne  vous  découragez  donc  point  à 
la  vue  de  vos  péchés,  aimez  celui  qui  vous  a  aimé 
lors  même  qiie  vous  ne  Taimiez  pas,«t  que  vous  ïot 
fensiez ,  et  il  vous  sera  remis  beaucoup  de  péchés. 
Fermez  les  yeu^c  au  monde  entier,  qui  n'est  plus 
rien  pour  vous  ;  ne  pensez  plus  qu'au  bien-aimé  qui 
vous  recevra  à  jamais  dans  son  sein.  Tousies  travaux 
sont  passés  ;  tous  les  gémissemens  sont  finis  ^  toutes 
les  douleurs  et  toutes  les  misères  d'ici-bas  s^enfui- 
ront  loin  <le  vous  à  jamais.  Vous  irez  au  royaume 
des  vivans  voir  la  facie  du  Père  céleste,  et  régner  sur 
le  même  trône  ^vep  Jésus-ChrisL 


ARTICLE  V. 

1>U  SACaBHEHT    DE   MARIi^E. 

Exhortation  aux  nouveaux  mariés^ 

Le  Mariage,  par  lequel  vous  venez  d'être  unis  en- 
semble, est  une  alliance  toute  divine  :  il  nous  repré- 
sente Tunion  sacrée  ^e  Jésus- Christ  avec  TEglise  son 
épouse. 

Le  Mariage  a  été  institué  dès  Torigine  du  genre 
humain  y  avant  sa  corruption,  et  dans  la  parfaite 
inoocence  du  paradis  terrestre.  Jésus-Christ  a  voulu 
le  sanctifier  par  sa  présence  aux  noces  de  Cana ,  où 
il  fit  son  premier  miracle.  Il  a  voulu  répandre  par 
ce  sacrement  une  bénédiction  abondante  sur  la 
source  de  notre  naissance,  afin  que  ceux  qui  s'u- 
nissent dans  cet  état  ne  songent  quli  avoir  des  en- 
fans,  et  moins  à  en  avoir,  qu'à  en  donner  à  Dieu  qui 
ressemblent  à  leur  Père  céleste.  Le  lien  du  Maiiage 
rend  les  deux  personnes  inséparables,  et  la  mort 
seule  peut  rompre  ce  lien.  L'esprit  de  Dieu  Ta  réglé 
ainsi  pfur  le  bien  des  hommes,  afin  de  réprimer  l'in^ 
constance  et  la  confusion  qui  troubleroient  l'ordre 
des  familles  et  la  stabilité  nécessaire  pour  l'éduca- 
tion des  enfans.  Ce  joug  perpétuel  est  difficile  à  sup- 
porter pour  la  plupart  des  hommes  légers,  inquiets, 
et  remplis  de  défauts.  Chacune  des  deux  personnes 
a  ses  imperfections;  les  naturels  sont  opposés;  les 
humeurs  sont  souvent  presque  incompatibles  ;  à  la 
longue  la  complaisance  s'use;  on  se  lasse  les  uns 
des  autres  dans  cette  nécessité  d'être  presque  tou- 


l88  SUE    LE    UAIllÀGB. 

jours  ensemble  et  d'agir  en  toutes  choses  de  concert. 
Il  faut  une  grande  grâce,  et  une  grande  fidélité  à  la 
grâce  reçue,  pour  porter  patiemment  ce  joug.  Qui- 
conque l'acceptera  "par  Tespérance  de  s*y  contenter 
grossièrement ,  y  sera  bientôt  mécompte  ;  il  sera 
malheureux,  et  rendra  sa  compagne  malheureuse. 
C'est  un  état  de  tribulation  et  d'assujettissement  tiès- 
pénible,  auquel  il  faut  se  préparer  en  esprit  de  pé- 
nitence ,  quand  on  s'y  croit  appelé  de  Dieu.  La  grâce 
du  sacrement  adoucit  ce  joug,  et  donne  la  force  de  le 
porter  sans  impatience.  C'est  par  cette  grâce  que  les 
deux  personnes  se  supportent  et  «'entr'aident  avec 
amour. 

Vous ,  époux,  aimez  votre  épouse  comme  Jésus* 
Christ  a  aimé  son  Eglise,  qu'il  a  lavée  de  son  sang, 
et  qui  est  l'objet  de  ses  complaisances.  Chérissez 
votre  épouse  comme  un  autre  vous-même,  puisque 
pa^*  le  mariage  les  deux  personnes  n'en  font  plus 
qu'une.  Epargnez  -  la ,  ménagez  -  la ,  conduisez  -  la 
avec  douceur  et  tendresse ,  par  persuasion,  vous  sou- 
venant de  l'infirmité  de  son  sexe,  suivant  l'instruction 
de  l'Apôtre.  Communiquez-lui  vos  afiaires  avec  con 
fiance,  puisque  les  vôtres  deviennent  les  siennes  dans 
cette  intime  société.  Accoutumez-la  à  l'application , 
au  travail  domestique ,  au  détail  du  ménage,  afin 
qu'elle  soit  en  état  d^élever  des  enfans  avec  autorité 
et  prudence,  dans  la  crainte  de  Dieu. 

Et  vous,  épouse,  aimez  et  honorez  votre  époux 
comme  l'Eglise  aime  et  honore  Jésus-Christ  son 
époux.  Regardez  Jésus -Christ  même  en  lui.  Obéis- 
sez-lui selon  Dieu  comme  à  votre  chef,  comme  à 
celui  qui  vous  représente  Dieu  sur  la  terre.  Tâchez 


8VK    LE   MARIAGE.  189 

de  mériter  sa  confiance  par  votre  douceur,  par  votre 
complaisance  y  par  votre  modestie,  par  votre  soin 
pour  le  soulager.  Soyez-vous  inviolablement  fidèles 
Tun  à  Tautre.  Ne  vous  contentez  pas  de  fuir  avec 
horreur  tout  ce  qui  ressentiroit  Tinfidélité,  mais 
évitez  avec  précaution  jusquauz  plus  légers  om- 
brages qui  pourroient  altérer  la  confiance  dans  cette 
sainte  union.  Montrez-vous  Tun  à  l'autre  une  simpli« 
cité  et  un9  modestie  qui  vous  ôte  réciproquement 
toate  défiance.  Que  votre  état  vous  force  à  tenir  plus 
facilement  la  chair  soumise  à  Tesprit,  et  non  à  lui 
permettre  une  dangereuse  licence. 

Puisque  les  enfans  sont  les  fruits  de  la  bénédiction 
da  Mariage,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  en  donne  qui 
soient  des  saints,  et  qui  servent  un  jour  à  vous  con- 
soler dans  votre  vieillesse. 


INSTRUCTIONS  ET  AVIS 


SUR    DIVERS    POlIfTS 


DE  LA  MORALE, 


ET    DE 


LA  PERFECTION  CHRÉTIENNE. 


INSTRUCTIONS  ET  AVIS 

SUR 

DIVERS  POINTS  DE  LA  MORALE 


ET 

DE*LA  PERFECTION  CHRÉTIENNE. 


I. 


jâvis  à  une  personne  du  monde  ^  sur  le  bon  emploi  du 
temps ,  et  sur  la  sanciî/uuitîan  J^s  tsctions  ordi- 
naires. 

« 

Je  comprends  qae  ce  que  vous  désirez  de  moi  n'est 
pas  seulement  d'établir  de  grands  principes  pour 
prouver  la  nécessité  de  bien  employer  le  temps  :  il 
y  a  long-temps  que  la  grâce  vous  en  a  persuadé.  On 
est  heureux  quand  on  trouve  des  âmes  avec  qui  il  y 
a,  pour  ainsi  dire,  plus  de  la  moitié  du  chemin  de 
fait.  Mais  que  cette  parole  ne  paroisse  pas  vous  flatter; 
il  en  reste  encore  beaucoup  à  faire ,  et  il  y  a  bien 
loin  depuis  la  persuasion  de  l'esprit  ^  et  même  la 
bonne  disposition  du  cœur^  jusqu'à  une  pratique 
exacte  et  fidèle. 

Rien  n'a  été  plus  ordinaire  dans  tous  les  temps /et 
rien  ne  Test  plus  encore  aujourd'hui ,  que  de  rencon- 
trer des  âmes  parfaites  et  saintes  en  spéculation. 
F'ous  les  connoitrez  par  leurs  œuvres  et  par  leur 
Fénélom.  xviii.  i3 


igi  I>B    L*£MPLOI    DU    TEia>S. 

conduite^  dit  le  Saaveur  da  monde  (0.  Et  c'est  la 
seule  règle  qui  ne  trompe  point,  ponirii  qu'elle 
9oit  bieQ  développée  :  c'etf  par  là  qae  nous  devons 
juger  de  noos-mémes. 

n  jr  a  plusieurs  temps  à  distinguer  dans  votre  vie; 
mab  la  maxime  qui  doit  se  répandre  uDiverseUement 
sar  tous  les  temps ,  c'est  qu'il  ne  doit  point  y  en  a?oir 
d'inutiles;  qu'ils  entrent  tous  dans  l'ordre  et  dans 
Tenchaînement  de  notre  salut  ;  qu'ils  sont  tous  char- 
gés de  plusieurs  devoirs  que  Dieu  y  a  attachés  de  sa 
propre  main ,  et  dont  il  doit  nous  demander  compte: 
car,  depuis  les  premiers  instans  de  notre  être  jus- 
qu'au dernier  moment  de  notre  vie,  Dieu  n'a  point 
prétendu  nous  laisser  de  temps  vide ,  et  qu'on  paisse 
dire  qu'il  ait  abandonné  à  notre  discrétion ,  ni  pour 
le  perdre.  L'importance  est  de  connoitre  ce  qu'il 
désire  que  nous  en  fassions.  On  y  parvient ,  non 
par  une  ardeur  empressée  et  inquiète,  qui  seroit  plu* 
tôt  capable  de  tout  brouiller  que  de  nous  éclairer 
sur  nos  devoirs,  mais  par  une  soumission  sincère  à 
ceux  qui  nous  tiennent  la  place  de  Dieu  ;  en  second 
lieu ,  par  un  cœur  pur  et  droit  qui  cherche  Dieu  dans 
la  simplicité  y  et  qui  combat  sincèrement  toutes  les 
duplicités  et  les  fausses  adresses  de  l'amour-propre  à 
mesure  qu'il  les  découvre  :  car  on  ne  perd  pas  seu- 
lepient  le  temps  en  ne  faisant  rien  ou  en  faisant  le 
mal,  mais  on  le  perd  aussi  en  faisant  autre  chose 
quç  ce  que  Ton  devroit,  quoique  ce  que  Ton  fait  soit 
bon.  Nous  sommes  étrangement  ingénieux  à  nous 
chercher  nous-mêmes  perpétuellement  ;  et  ce  que  les 
âmes  mondaines  font  grossièrement  et  sans  se  cacher, 

{})Matth.  yii,  i5. 


DE   L  EMPLOI    DU    TEMPS.  1^5 

les  personnes  qui  ont  le  dësir  d'être  à  Diea  le  font 
souvent  plus  finement,  à  la  faveur  de  quelque  pré- 
texte, qui,  leur  servant  d«  voile,  les  empêche  de  voir 
la  diiTormitë  de  leur  conduite. 

Un  moyen  générai  ponr  tnen  employer  le  temps, 
c^est  de  s*accoutumer  à  vivre  dans  une  dépendance 
continuelle  de  l'Esprit  de  Dieu,  recevant  de  moment 
en  moment  ce  qu'il  lui  platt  de  nous  donner;  le  con- 
sultant dans  les  doutes  où,  il  faut  prendre  notre  parti 
sur-le-champ  ;  recourant  à  lui  dans  les  aObiblisse- 
mens  où  la  vertu  tombe  comme  en  défaillance  ;  l'in- 
voquant et  s'élevant  vers  lui,  lorsque  le  cœur,  en- 
traîné par  les  objets  sensibles,  se  voit  conduit 
imperceptiblement  hors  de  sa  route,  se  surprend 
dans  Toubli  et  dans  Téloignement  de  Dieu. 

Heureuse  l'ame,  qui,  par  un  renoncement  sincère 
à  elle-même ,  se  tient  sans  cesse  entre  les  mains  de 
son  créateur,  prête  à  faire  tout  ce  qu'il  voudra, 
et  qui  ne  se  lasse  point  de  lui  dire  cent  fois  le  jour  : 
Seigneur,  que  voulez-vous  que  je  fasse  {^)  ?  Ensei- 
gnez^moi  hfaire  votre  sainte  volonté  ^  parce  que  vous 
êtes  mon  Dieu  W.  Voua  montrerez  que  vous  êtes 
mon  Dieu  en  me  l'enseignant ,  et  moi  que  je  suis  vo- 
tre créature  en  vous  obéissant.  En  quelles  mains , 
grand  Dieu,  serois-je  mieux  que  dans  les  vôtres? 
Hors  de  là  mon  ame  est  toujours  exposée  aux  atta- 
ques de  ses  ennemis,  et  mon  salut  toujours  en  danger. 
Je  ne  suis  qu'ignorance  et  que  foiblesse  ;  et  je  tien- 
drois  ma  perte  assurée  si  vous  me  laissiez  à  ma  pro- 
pre conduite ,  disposant  à  mon  gré  du  temps  précieux 
que  vous  me  donnez  pour  me  sanctifier,  et  marchant 

CO  Act.  IX.  6.  —  (»)  Ps.  cuM.  lo.  ^ 


196  IMB   L*EMPLOI    DU    TEMPS. 

aveuglement  dans  les  voies  de  mon  propre  cœar.  En 
cet  état  que  ponrrois-je  faire  à  tonte  heure,  qu*uD 
mauvais  choix?  et  que  serais- je  capable  d'opërer  en 
moi ,  qu*un  ouvrage  d'amour-propre,  de  jtëchë  et  de 
damnation?  Envoyez  donc.  Seigneur ,  votre  lumière 
pour  guider  mes  pas  :  distribuez-moi  vos  grâces  en 
toutes  occasions  selon  mes  besoins,  comme  on  distri- 
bue la  nourriture  aux  enfans  selon  leur  âge  et  selon 
leur  foiblesse.  Âpprenez-moi ,  par  un  saint  usage  da 
temps  présent  que  vous  me  donnez ,  à  réparer  le 
passé,  et  à  ne  jamais  compter  follement  sur  Favenir. 

Le  temps  des  affaires  et  des  occupations  extérieures 
n'a  besoin ,  pour  être  bien  employé,  que  d'une  simple 
attention  aux  ordres  de  la  divine  Providence.  G)mme 
c'est  elle  qui  nous  les  prépare  et  qui  nous  les  pré- 
sente, nous  n'avons  qu'à  la  suivre  avec  docilité, 
et  soumettre  entièrement  à  Dieu  notre  hameur, 
notre  volonté  propre,  notre  délicatesse,  notre  in- 
quiétude, les  retours  sur  «nous-mêmes,  ou  bienTé- 
panchement,  la  précipitation,  la  vaine  joie  et  les 
autres  passions  qui  viennent  à  la  traverse,  selon 
que  les  choses  que  nous  avons  à  traiter  nous  sont 
agréables  ou  incommodes.  Il  faut  bien  prendre 
garde  à  ne  se  pas  laisser  accabler  par  ce  qui  vient 
du  dehors ,  et  à  ne  se  pas  noyer  dans  la  multitude 
des  occupations  extérieures,  quelles  qu'elles  puis- 
sent être. 

Nous  devons  tâcher  de  commencer  toutes  nos  en- 
treprises dans  la  vue  de  la  pure  gloire  de  Dieu ,  les 
continuer  sans  dissipation,  et  les  finir  sans  empresse- 
ment et  sans  impatience. 

Le  temps  des  entretiens  et  des  divertissemens  est  le 


DE    L  EMPLOI    DU    TEMPS.  IQ'] 

plus  dangereux  pour  nous,  et  peut«^tre  le  plus  utile 
pour  les  autres  :  on  y  doit  être  sur  ses  gardes,  c'est-à- 
dire  plus  fidèle  en  la  présence  de  Dieu.  La  pratique 
de  la  vigilance  chrétienne  tant  recommandée  par  no* 
tre  Seigneur,  les  aspirations  et  les  élévations  d'esprit 
et  de  cœur  vers  Dieu,-  non-seulement  habituelles 
mais  actuelles,  autant  qu'il  est  possible,  par  les  vues 
simples  que  la  foi  donne  ;  la  dépendance  douce  et 
paisible  que  l'ame  garde  envers  la  grâce ,  qu'elle  re- 
connott  pour  le  seul  principe  de  sa  sûreté  et  de  sa 
force  ;  tout  cela  doit  être  mis  alors  en  usage  pour 
se  préserver  du  poison  subtil  qui  est  souvent  ca- 
ché sous  les  entretiens  et  les  plaisirs ,  et  pour  savoir 
placer  avec  sagesse  ce  qui  peut  instruire  et  édifier 
les  autres.  Gela  est  nécessaire  Surtout  pour  ceux 
qui  ont  entre  les  mains  un  grand  pouvoir,  et  dont 
les  paroles  peuvent  faire  ou  tant  de  bien  ou  tant  de 
mal. 

Les  temps  libres  sont  ordinairement  les  plus  doux 
et  les  plus  utiles  pour  nous-mêmes.  Nous  ne  pouvons 
guère  en  faire  un  meilleur  emploi  que  de  les  consa- 
crer à  réparer  nos  forces,  (je  dis  même  nos  forces 
corporelles)  dans  un  commerce  plus  secret  et  plus 
intime  avec  Dieu.  La  prière  est  si  nécessaire,  et  est  la 
source  de  tant  de  biens,  que  l'ame  qui  a  trouvé  ce 
trésor  ne  peut  s'empêcher  d'y  revenir  dès  qu'elle  est 
laissée  à  elle-même. 

Il  y  auroit  d'autres  choses  à  vous  .dire  sur  ces  trois 
sortes  de  temps  î  peut-être  pourrpis-je  en  dire  quel- 
que chose,  si  les  vues  qni  me  frappent  présentement 
ne  se  perdent  pas;  en  tout  cas,  c'est  une  fort  petite 
perte.  Dieu  donne  d*autres  vues  quand  il  lui  plait  : 


19^  DE  LEXPU>I   ]>U   TEMPS. 

s*il  n*en  donne  pas,  c'est  une  marque  qu'elles  ne  sont 
pas  nécessaires  ;  et ,  dès  qu'elles  ne  sont  pas  néces- 
saires pour  notre  bien,  nous  devons  être  bien  aises 
qu'elles  soient  perdues. 

IL 

jivis  à  une  personne  de  la  Cour,  Se  permettre  sans 
scrupule  les  divertissemens  attachés  à  son  état  ; 
les  sanctifier  par  une  intention  pure* 

Vous  ne  devez  point,  ce  me  semble ,  tous  embar- 
rasser sur  les  divertissemens  oik  vous  ne  pouvez  éviter 
de  prendre  part.  Il  y  a  bien  des  gens  qui  veulent 
qu'on  gémisse  de  tout,  et  qu'on  se  gêne  continuelle- 
ment en  excitant  en  soi  le  dégo&t  des  amusemens  aux- 
quels on  est  assujetti.  Pour  moi ,  j'avoue  que  ]e  ne 
sanrois  m'accommoder  de  cette  rigidité.  J'aime  mieux 
quelque  chose  de  plus  simple ,  et  je  crois  que  Dieu 
même  l'aime  beaucoup  mieux.  Quand  les  divertis- 
semens sont  innocens  en  eux-  mêmes ,  et  qu'on  y 
entre  par  les  règles  de  l'état  où  la  Providence  nous 
met ,  alors  je  crois  qu'il  suflit  d'y  prendre  part  avec 
modération  et  dans  la  vue  de  Dieu.  D^  manières 
plus  sèches ,  plus  réservées ,  moins  complaisantes  et 
moins  ouvertes,  ne  serviroient  qu'à  donner  une  fausse 
idée  de  la  piété  aux  gens  du  monde,  qui  ne  sont  déjà 
que  trop  préoccupés  contre  elle,  et  qui  croiroieot 
qu'on  ne  peut  servir  Dieu  que  par  une  vie  sombre 
et  chagrine. 

Je  conclus  donc  que  quand  Dieu  met  dans  cer- 


DES  BlYERTISSEMENS  ATTACHÉS  A   L  ÉTAT.  I99 

taines  places  qui  engagent  k  être  de  tout ,  au  lieu  oii . 
vous  êtes ,  il  n'y  a  qu  à  y  demeurer  en  paix  sans  se 
chicaner  continuellement  soi-même  sur  les  motjfs 
secrets  qui  peuvent  insensiblement  se  glisser  dans  le 
cœur.  On  ne  finiroit  jamais  si  on  vouloit  continuel- 
lement sonder  le  fond  de  son  cceur  ;  et  en  voulant 
sortir  de  soi  pour  cbercber  Dieu ,  on  s^occuperoit 
trop  de  soi  dans  ces  examens  si  fréquens.  Marchons 
dans  la  simplicité  du  cyeur  avec  la  paix  et  la  joie , 
qui  sont  les  fruits  du  iyiint-'Esprit.  Qui  marche  en  la 
présence  de  Dieu  dans  le^  choses  les  plus  indiffé- 
rentes ,  ne  cesse  point  de  faire  Tceuvre  de  Dieu , 
quoiqu'il  ne  paroisse  rien  faire  de  solide  et  de  sé- 
rieux. Je  suppose  toujours  qu'on  est  dans  Tordre 
de  Dieu  ^  et  qu'on  se  confteme  aux  règles  de  la 
Providence  dans  sa  condition  en  faisant  ces  choses 
indiiférentes. 

La  plupart  des  gens ,  quand  ils  veulent  se  con- 
vertir ou  se  réformer,  songent  bien  plus  à  remplir 
lear  vie  de  certaines  actions  difficiles  et  extraordi- 
naires,  qu'à  purifier  leurs  intentions,  et  à  mourir  à 
leurs  inclinations  naturelles  dans  les  actions  les  plus 
communes  de  leur  état  :  en  quoi  ils  se  trompent  fort 
souvent.  Il  vaudroit  beaucoup  mieux  changer  moins 
les  actions ,  et  changer  davantage  la  disposition  du 
coeur  qui  les  fait  faire.  Quand  on  est  déjà  dans  une 
vie  honnête  et  réglée,  il  est  bien  plus  pressé,  pour 
devenir  véritablement  chrétien ,  de  changer  le  dedans 
que  le  dehors.  Dieu  ne  se  paie  ni  du  bruit  des  lèvres, 
ni  de  Ja  posture  du  corps ,  ni  des  cérémonies  exté- 
rieures :  ce  qu'il  demande ,  c'est  une  volonté  qui  ne 
soit  plus  partagée  entre' lur  et  aucune  créature;  c'est 


aOO  DES    DIYEaTISSEVEHS 

nne  volonté  soapie  dans  ses  mains,  qui  ne  désire  et 
ne  rejette  rien ,  qui  veuille  sans  réserve  tout  ce  qu  il 
vent  y  et  qui  né  veuille  jamais,  sous  aucun  prétexte^ 
rien  de  tout  ce  qu'il  ne  veut  pas. 

Portez  cette  volonté  toute  simple ,  cette  volonté 
toute  pleine  de  celle  de  Dieu ,  partout  oh  sa  pro- 
vidence vous  conduit.  Cherchez  Dieu  dans  ces  heures 
qui  paroissent  si  vides;  et  elles  seront  pleines  pour 
vous ,  puisque  Dieu  vous  y^outiendra.  Les  amuse* 
mens  même  les  plus  inutiles  li  tourneront  en  bonnes 
oeuvres,  si  vous  n'y  entrez  que  selon  la  vraie  bien- 
séance ,  et  pour  vous  y  conformer  à  l'ordre  de  Dieu. 
Que  le  cœur  est  au  large  quand  Dieu  ouvre  cette 
voie  de  simplicité  1  On  marche  comme  de  petits  en- 
fans  ,  que  la  mère  mène  par  la  main ,  et  qui  se  lais- 
sent mener  sans  se  mettre  en  peine  du  lieu  où  ils 
vont.  On  est  content  d'être  assujetti ,  on  est  content 
d'être  libre  ;  on  est  prêt  à  parler,  on  est  prêt  à  se 
taire.  Quand  on  ne  peut  dire  des  choses  édifiantes, 
on  dit  des  riens  d'aussi  bon  cœur;  on  s'amuse  à  ce 
que  saint  François  de  Sales  appelle  des  jojreusetés: 
par  là  on  se  délasse  en  délassant  les  autres. 

Vous  me  direz  peut-être  que  vous  aimeriez  mieux 
être  occupée  de  quelque  chose  de  plus  sérieux  et  de 
plus  solide.  Mais  Dieu  ne  l'aime  pas  mieux  pour 
vous,  puisqu'il  choisit  ce  que  vous  ne  choisiriez  pas* 
Vous  savez  que  son  goût  est  meilleur  que  le  vôtre. 
Vous  trouveriez  plus  de  consolation  dans  les  choses 
solides  dont  il  vous  a  donné  le  goût  ;  et  c'est  cette 
consolation  qu'il  veut  vous  ôter  ;  c'est  ce  goût  qui! 
veut  mortifier  en  vous,  quoiqu'il  soit  bon  et  salu- 
taire. Les  vertus  mêmes  ont  besoin  d'être  purifiées 


▲TTAGHÉfi    A    LÉTAT.  ^01 

dans  leur  exercice,  par  les  contre-temps  que  la  Pro- 
vidence leur  fait  souffrir  pour  les  mieux  détacher  de 
toute  volonté  propre.  O  que  la  piété ,  quand  elle  est 
prise  par  le  principe  fondamental  de  la  volonté  de 
Dieu,  sans  consulter  le  goût ,  ni  le  tempérament,  m 
les  saillies  d'un  zèle  excessif,  est  simple,  douce, 
aimable,  discrète  et  sûre  dans  toutes  ses  démarches  ! 
Oq  vit  à  peu  près  comme  Jes  autres  gens,  sans  affec- 
tation, sans  apparence  d'austérité,  dune  manière 
sociable  et  aisée,  mais  avec  une  sujétion  perpétuelle 
à  tous  ses  devoirs,  mais  avec  un  renoncement  sans 
relâche  à  tout  ce  qui  n'entre  point  d'un  moment  à 
l'autre  dans  l'ordre  de  Dieu  sur  nous,  enfin  avec 
une  vue  pure  de  Dieu  à  qui  on  sacrifie  tous  les  mou- 
vemens  irréguliers  de  la  nature.  Voilà  l'adoration 
en  esprit  et  en  vérité  que  lésus-Christ  et  son  Père 
cherchent.  Tout  le  reste  n'est  qu'une  religion  en 
céréoTonie ,  et  plutôt  l'ombre  que  la  vérité  du  chris- 
tianisme. 

Vous  me  demanderez  sans  doute  par  quels  moyens 
ou  peut,  parvenir  à  se  conserver  dans  cette  pureté 
d'intention ,  dans  une  vie  si  commune,  et  qui  paroît 
si  amusée.  On  a  bien  de  la  peine,  direz-vous,  à  dé- 
fendre son  cœur  contre  le  torrent  des  passions  et  des 
mauvais  exemples  du  monde,  lorsqu'on  est  à  toute 
beure  en  garde  contre  soi-même  ;  comment  pourra- 
t-on  donc  espérer  de  se  soutenir  si  l'on  s'expose  avec 
tant  de  facilité  aux  divertjssemens  qui  empoison- 
nent, ou  qui  du  moin^  dissipent  avec  tant  de  danger 
une  ame  chrétienne? 

J'avoue  le  danger,  et  je  le  crois  encore  plus  grand 
qu'on  ne  saur  oit  le  dire.  Je  conviens  de  la  nécessité 


aOa  DBS    DITEftTISSEStElfS 

de  86  précauUonner  cootre  tant  de  piëges  ;  et  ?oià 
à  quoi  je  voudrois  rédaire  ces  précaotions. 

Premièrement  je  crois  que  vous  devez  poser  pour 
fondement  de  tout  la  lecture  et  la  prière.  Je  ne  parle 
point  ici  d'une  lecture  de  curiosité  pour  vous  rendre 
savante  sur  les  questions  de  religion;  rien  n'est  plus 
vain,  plus  indécent ,  plus  dangereux.  Je  ne  voudrois 
que  des  lectures  simples,  éloignées  des  moindres 
subtilités ,  bornées  aux  cnoses  d'une  pratique  sen- 
sible, et  qui  soient  toutes  tournées  à  nourrir  le  cceur. 
Évitez  tout  ce  qui  excite  l'esprit ,  et  qui  fait  perdre 
cette  heureuse  simplicité  qui  rend  l'ame  docile  e( 
soumise  à  tout  ce  que  l'Eglise  enseigne.  Quand  vous 
ferez  vos  lectures,  non  pour  savoir  davantage,  mais 
pour  apprendre  mieux  è  vous  défier  de  voDS-méme, 
elles  se  tourneront  toutes  à  profit.  Ajoutez  à  la  lec- 
ture la  prière ,  oili  vous  méditerez  en  profond^silence 
quelque  grande  vérité  de  la  religion.  Vous  ponvez  le 
faire  en  vous  attachant  à  quelque  action  on  à  quelque 
parole  de  Jésus-Christ.  Après  avoir  été  convaincue 
de^la  vérité  que  vous  voudrez  considérer,  faites-eu 
l'application  sérieuse  et  précise  pour  la  correction 
de  vos  défaute  en  détail  ;  formez  vos  résolutions  de- 
vant Dieu ,  et  demandez-lui  qu'il  vous  aninac  pour 
vous  faire  accomplir  ce  qu'il  vous  donne  le  courage 
de  lui  promettre.  Quand  vous  apercevrez  que  voire 
esprit  s'égarera  pendant  cet  exercice,  ramcnex* 
doucement  sans  vous  inquiéter ,  et  sans  vous  décou- 
rager jamais  de  l'importunité  de  ces  distractions  qu 
sont  opiniâtres.  Tandis  qu'elles  seront  involontaires, 
elles  ne  pourront  vous  nuire;  au  contraire,  ^ 
vous  serviront  plus  qu'une  prière  accompag**^"  " 


ATXÀtlUÉS    A,  LÉTAT.  ao3 

consolation  et  d'une  ferveur  toute  sensible  ;  car  elles 
vous  humilieront ,  vous  mortifieront ,  et  vous  accou* 
tumeront  à  chercher  Dieu  purement  pour  lui-même 
sans  mélange  d'aucun  plaisir.  Peurvu  que  vous 
soyez  fidèle  à  vous  dérober  des  temps  réglés  soir  et 
matin  pour  pratiquer  ces  choses,  vous  verrez  qu'elles 
vous  serviront  de  contre-poison  contre  les  dangers 
qui  vous  environnent.  Je  dis  le  soir  et  le  matin , 
parce  qu'il'  &ut  renouveler  de  temps  en  temps  la 
nourriture  de  Tame  aussi  bien  que  celle  du  corps  y 
pour  empêcher  qu'elle  ne  tombe  en  défaillance  en 
s'épuisant  dans  le  commerce  des  créatures.  Mais  il 
faat  être  ferme  contre  soi  et  contre  les  autres  pour 
réserver  tou]our%  ce  temps.  Il  ne  faut  jamais  se  lais* 
ser  entraîner  aux  ocoupattons  extérieures,  quelque 
bonnes  qu'elles  soient ,  jusqu'à  perdre  le  temps  de 
se  nourrir. 

La  seconde  précaution  que.  je  crois  nécessaire, 
est  de  prendre,  suivant  qu*on  est  libre  et  qu'on  sent 
son  besoin,  certains  jours  pour  se  retirer  entière- 
ment et  pour  se  recueillir.  C'est  là  qu'on  guérit  se^ 
crètement  aux  pieds  de  Jésus-Christ  toutes  les  plaies 
de  son  cœur ,  et  qu'on  efface  toutes  les  impressions 
malignes  du  monde.  Gela  sert  même  à  la  santé  ;  car, 
pourvu  qu'on  sache  user  simplement  de  ces  courtes 
retraites,  elles  ne  reppsept  pas  moins  le  corps  que 
l'esprit. 

Troisièmement ,  je  suppose  que  vous  vous  bornez 
aux  divertissemens  convenables  à  la  profession  de 
piété  que  vous  faites ,  et  au  bon  exemple  que  le 
monde  même  attend  de  vous.  Car  le  monde,  tout 
monde  qu'il  est ,  veut  que  ceux  qui  le  méprisent  ne 


204  DES    DITBRTISSEIIEHS 

se  démenteat  en  rien  dans  le  mëpris  qa*ils  ont  pour 
lui ,  et  il  ne  peot  s'empêcher  d^estimer  cens  par  qui 
il  se  voit  méprisé  de  bonne  foi.  Vous  comprenez 
bien  qoe  les  vrais  chrétiens  doivent  se  réjouir  de 
ce  qae  le  monde  est  un  censeur  si  rigoureux  ;  car 
ils  doivent  se  réjouir  d'être  par  là  dans  une  nécessité 
plus  pressante  de  ne  rien  faire  qui  ne  soit  édifiant. 

Enfin  je  crois  que  vous  ne  devez  entrer  dans  les 
divertissemens  de  la  Cour,  que  par  complaisance  et 
qu'autant  qu'on  le  désire.  Ainsi ,  toutes  les  fois  que 
vous  n'êtes  ni  appelée  ni  désirée ,  il  ne  faut  jamais 
paroltre,  ni  chercher  à  vous  attirer  indirectement  une 
invitation.  Par  là  vous  donnerez  à  vos  affaires  do- 
mestiques et  aux  exercices  de  piétéXout  ce  que  vous 
serez  libre  de  leur  donner.  Le  public ,  on  du  moins 
les  gens  raisonnables  et  sans  fiel* contre  la  vertu, 
seront  également  édifiés ,  et  de  vous  voir  si  dis- 
crète pour  tendre  à  la  retraite  quand  vous  êtes 
libre  y  et  sociable  pour  entrer  avec  condescendance 
dans  les  divertissemens  permis  quand  vous  y  serez 
appelée. 

Je  suis  persuadé  qu'en  vous  attachant  à  ces  rè- 
gles ^  qui  sont  simples ,  vous  attirerez  sur  vous  une 
abondante  bénédiction.  Dieu ,  qui  vous  mènera 
comme  par  la  main  dans  ces  divertissemens  ^  vous 
y  soutiendra.  Il  s'y  fera  septir  à  vous.  La  joie  de  sa 
présence  vous  sera  plus  douce  que  tous  les  plaisirs 
qui  vous  seront  offerts.  Vous  y  serez  modérée ,  dis- 
crète et  recueillie  sans  contrainte,  sans  affectation, 
sans  sécheresse  incommode  aux  autres.  Vous  serez, 
suivant  la  parole  de  saint  Paul ,  au  milieu  de  ces 
choses  comme  n'y  étant  pas  ;  et  y  montrant  néao^ 


ATTÀ€nÉS    A    LÊTAT.  ao5 

moins  une  hatneur  gaie  et  complaisante  ^  vous  serez 
toute  h  tons. 

Si  vous  apercevez  que  l'ennui  vous  abat  on  que 
la  joie  vous  évapore,  vous  reviendrez  doucement  et 
sans  vous  troubler  dans  le  sein  du  Père  céleste ,  t{ui 
vous  tend  sans  cesse  les  bras.  Vous  attendrez  de  lui 
la  joie  et  la  liberté  d'esprit  dans  la  tristesse  y  la  mo- 
dération et  le  recueillement  dans  la  joie;  et  vous 
verrez  qu'il  ne  vous  laissera  manquer  de  rien*  Un  re- 
gard de  confiance ,  un  simple  retour  de  votre  cœur 
sur  lui  vous  renouvellera  ;  et  »  quoique  vous  sentiez 
souvent  votre  ame  engourdie  et  découragée,  dans 
chaque  moment  oîi  Dieu  vous  appliquera  à  faire 
quelque  chose,  il  vous  donnera  la  facilité  et  le  cou- 
rage selon  ^tre  besoin.  Voilà  le  pain  quotidien  que 
nous  demandions  à  toute  heure,  et  qui  ne  nous  man- 
quera jamais;  car  notre  Père,  bien  loin  de  nous 
abandonner,  ne  cherche  qu'à  trouver  nos  cœurs 
ouverts  pour  j  verser  des  torrens  de  grâce. 


III. 


Aï^is  à  une  personne  de  la  Cour.  Accepter  en  esprit 
de  résignation  les  assujettissemens  de  son  état* 

Les  chaînes  d'or  ne  sont  pas  nioins  chaînes  que 
les  chaînes  de  fer  :  on  est  exposé  à  l'envie,  et  l'on  est 
digne  de  compassion.  Votre  captivité  n'est  en  rien 
préférable  à  celle  d^une  personne  qu'on  tiendroit  in- 
justement en  prison.  L'unique  chose  qui  doit  vous 
donner  une^olide  consolation  ^  c'est  que  Dieu  vous 


ao6  RÉSIGNATION 

ôte  votre  liberté  ;  et  c'est  cette  consolatioD-là  même 
qui  soutiendroit  dans  la  prison  la  personne  ionocenle 
dont  je  viens  de  parler.  A.insi  vous  n*avez  rien  au- 
dessus  d*elle  qu*un  fantôme  de  gloire  ,  qui,  ne  vous 
doânatit  aucun  avantage-effectif,  vous  met  en  danger 
d'être  éblouie  et  trompée. 

•  Mais  cette  consolation  de  vous  troayer,  par  an 
ordre  de  la  Providence ,  dans  la  situation  oci  vous 
êtes,  est  une  consolation  inépuisable.  Avec  elle  rien 
ne  peut  jamais  vous  manquer  ;  par  elle  les  chaînes 
de  fer  se  changent,  je  ne  dis  pas  en  chaînes  d'or,  car 
nous  avons  vu  combien  les  chaînes  d'or  sont  mépri- 
sables, mais  en  bonheur  et  en  liberté.  A  quoi  nous 
sert  cette  liberté  naturelle  dont  nous  sommes  jaloux? 
A  suivre  nos  inclinations  mal  réglées,  voÊne  daosles 
choses  innocentes  ;  à  flatter  notre  orgueil^jui  s'enivre 
dMndépendance  ;  à  faire  notre  propre  volonté,  ce  qui 
est  le  plus  mauvais  usage  que  nous  puissions  faire 
de  nous-mêmes. 

Heureux  donc  ceux  que  Dieu  arrache  à  leur  pro- 
pre volonté  pour  les  attacher  à  la  sienne!  Autant 
que  ceux  qui  s'enchaînent  eux-mêmes  par  leurs  pas- 
sions sont  misérables,  autant  ceux  que  Dieu  prend 
plaisir  à  enchaîner  de  ses  propres  mains  sont-ils  libres 
et  heureux.  Dans  cette  captivité  apparente  ils  ne  font 
plus  ce  qu'ils  voudroient  :  tant  mieux;  ils  font,  de- 
puis le  matin  jusqu'au  soir,  contre  leur  goût,  ce  que 
Dieu  veut  qu'ils  fassent;  il  les  tient  comme  pieds  et 
mains  liés  dans  les  liens  de  sa  volonté  ;  il  ne  les  laisse 
jamais  un  seul  moment  à  eux-mêmes;  il  est  jaloux 
de  ce  moi  tyrannique  qui  veut  tout  pour  lui-même» 
il  mène  sans  relâche  de  sujétion  en  sufétion,  dim* 


DABS    LES    ASfiUJETTiSS.    DE    SON    ÉTAT.  207 

portunité  en  importunitë,  et  vous  fait  accomplir  ses 
plus  grands  desseins  par  des  ëtats  d^ennuis,  de  con- 
versations puériles  et  d'inutilité  dont  on  est  honteux. 
II  presse  Famé  fidèle^  et  ne  la  laisse  plus  respirer  :  à 
peine  un  importun  s'en  va ,  que  Dieu  en  envoie  un 
autre  pour  avancer  son  œuvre.  On.  voudroit  être  li- 
bre pour  penser  à  Dieu  ;  mais  on  s'unit  bien  mieux  à 
lai  en  sa  volonté  crucifiante,  qu'en  se  consolant  par 
des  pensées  douces  et  affectueuses  de  ses  bontés.  Qn 
voudroit  être  à  soi  pour  être  plus  à  Dieu;  on  ne 
songe  point  que  rien  n'est  moins  propre  pour  être  à 
Dieu  que  de  youloir  encore  être  à  soi.  Ce  moi  du 
vieil  homme,  dans  lequel  on  veut  rentrer  pour  s'unir 
à  Dieu  y  est  mille  fois  plus  loin  de  lui  que  la  bagatelle 
la  plus  ridicule  ;  car  il  y  a  dans  ce  moi  un  venin  subtil 
qui  n'est  point  dans  les  amusemens  de  l'enfance. 

Il  est  vrai  que  l'on  doit  proÇter  de  tous  les  mo- 
mens  qui'  sont  libres  pour  se  dégager;  il  faut  même, 
par  préférence  à  tout  le  reste,  se  réserver  des  heu- 
res pour  se  délasser  l'esprit  et  le  corps  dans  un  état  de 
recueillement;  mais  pour  le  reste  de  la  journée,  que 
le  torrent  emporte  malgré  nous,  il  faut  se  laisser  en- 
traîner sans  aucun  regret.  Vous  trouverez  Dieu  dans 
cet  entraînement;  vous  l'y  trouverez  d'une  manière 
d autant  plus  pure,  que  vous  n'aurez  pas  choisi  cette 
manière  de  le  chercher. 

La  peine  que  l'on  souffre  dans  cet  état  de  sujétion 
^t  une  lassitude  de  la  nature  qui  voudroit  se  conso* 
1er,  et  non  un  attrait  de  l'esprit  de  Dieu.  On  croit  re- 
gretter Dieu,  et  c'est  soi-même  qu'on  regrette;  car 
ce  que  l'on  trouve  de  plus  pénible  dans  cet  état  gé*- 
nant  et  agité,  c'est  qu  on  ne  peut  jamais  être  libre 


ao8  AÉCIOIIATIOH 

avec  soi-même}  éest  le  goût  da  moi  qui  nous  reste, 
et  qui  demanderoit  un  état  plus  calme  pour  jouir  à 
notie  mode  de  uotre  esprit,  de  dos  sentimeus  et  de 
toutes  nos  bonnes  qualités,  dans  la  société  de  certai- 
nes personnes  délicates  qui  seroient  propres  à  nous 
faire  sentir  tout  ce  que  le  moi  a  de  flatteur  ;  ou  bien 
on  voudroit  jouir  en  sQence  de  Dieu  et  des  douceurs 
de  la  piété,  au  lieu  que  D^u  veut  jouir  de  nous,  et 
nous  rompre  pour  nous  accommoder  à  toutes  ses 
volontés» 

.  Il  mène  les  autres  par  Tamertume  des  privations; 
pour  ^ous  il  vous  conduit  par  FaccablMiient  de  la 
jouissance  des  vaines  prospérités  :  il  rend  votre  état 
dur  et  pénible,  h  force  d'y  mettre  ce  que  les  aveugles 
croient  qui  fait  la  parfaite  douceur  de  la  vie.  Ainsi 
il  fait  deux  choses  salutaires  en  vous;  il  vous  instruit 
par  expérience,  et  vous  fait  mourir  par  les  choses  qui 
entretiennent  la  vie  corrompue  et  maligne  du  reste 
des  hommes.  Vous  êtes  comme  ce  roi  qui  ne  pou- 
voit  rien  toucher  qui  ne  se  convertit  en  or  sous  sa 
main;  tant  de  richesses  le  rendoient  malheureux: 
pour  vous  vous  serez  heureuse  en  laissant  faire  Dieu, 
et  en  ne  voulant  le  trouver  que  dans  les  choses  oii  il 
veut  être  pour  vous. 

En  pensant  à  la  misère  de  votre  faveur,  à  la  servi* 
tnde  ou  vous  gémissez,  les  paroles  de  Jésus-Christ  à 
saint  Pierre  me  sont  revenues  dans  l'esprit  :  Autre- 
fois tu  marchois  comme  tu  voulois  ;  mais  quand  tu 
seras  dans  un  dge  plus  avancé,  un  autre  phis  fort 
que  toi  te  guidera  et  te  mènera  oh  tu  ne  voudras 
pas  aller  U)>  Laissez -vous  aller  et  mener,  n'hési- 

CO/oofi.xxi.  i8. 

tes 


Oins  LBS   ASSUJETTiSS.    DE   SON   ÉTAT.  SOg 

tez  point  dans  la  voie  ;  vous  irez^  comme  saint  Pierre, 
où  la  nature  jalouse  de  sa  vie  et  de  sa  liberté  ne  veut  ^ 
point  aller  :  vous  irez  au  pur  amour,  au  parfait  re- 
noncement, à  la  mort  totale  de  votre  propre  volonté 
en  accomplissant  celle  de  Dieu  qui  vous  mène  selon 
son  bon  plaisir. 

Il  ne  faut  pas  attendre  la  liberté  et  la  retraite  pour 
se  détacher  de  tout,  et  pour  vaincre  le  vieil  homme  : 
la  vue  d'une  situation  libre  n'est  qu'une  belle  idée; 
peut-être  n'y  parviendrons -nous  jamais.  Il  faut  se 
tenir  prêt  à  mourir  dans  la  servitude  de  notre  état. 
Si  la  Providence  prévient  Jios  projets  de  retraite, 
nous  ne  sommes  point  à  nous  ;  et  Dieu  ne  nous  de- 
mandera que  ce  qui  dépend  de  nous.  Les  Israélites 
dans  Babylone  soupiroient  après  Jérusalem;  mais 
combien  y  en  eut-il  qui  ne  revirent  jamais  Jérusalem, 
et  qui  finirent  leur  vie  à  Babylone  !  Quelle  illusion, 
s'ils  eussent  toujours  différé,  jusqu'à  ce  temps  de  leur 
retour  dans  léhr  patrie,  à  servir  fidèlement  le  vrai 
Dieu,  et  à  Ae  perfectionner!  Peut-être  serons-nous 
comme  ces  Israélites. 


IV. 


jiyis  à  une  personne  de  la  Cour.  Des  croix  attachées 
à  un  état  de  grandeur  et  de  prospérité. 

DiBu  est  ingénieux  à  nous  faire  des  croix.  Il  en 
fait  de  fer  et  dis  plomb,  qui  sont  accablantes  par  elles- 
mêmes;  il  en  sait  faire  de  paille,  qui  Semblent  ne 
peser  rien,  et  qui  ne  sont  pas  moins  difficiles  à  por- 
Fénélo».  xviii.  i4 


2  10  CmOIX    ATTACHÉES    A   LA    GftAKDBUE. 

ter  ;  il  en  fait  d'or  et  de  pierreries,  qui  ëblouissenl 
^es  spectateurs  y  qui  excitent  Tenvie  du  public,  mais 
qui  ne  crucifient  pas  moins  que  les  croix  les  plus 
méprisées.  Il  en  fait  de  toutes  les  choses  qu'on  aime 
le  plus,  et  les  tourne  en  amertume.  La  faveur  attire 
la  gène  et  Timportunité;  elle  donne  ce  qu'on  ne  voa- 
droit  point;  elle  ôte  ce  qu'on  voudroît. 

Un  pauvre  qui  manque  de  pain  a  une  croix  de 
plomb  dans  son  extrême  pauvreté.  Dieu  sait  assai- 
sonner les  plus  grandes  prospérités  de  misères  sem- 
blables. On  est,  dans  cette  prospérité,  afiamé  de  li- 
berté  et  de- consolation  yoomme  ce  pauvre  Test  de 
pain  :  du  moins  il  peut,  dans  son  malheur,  heurter 
à  toutes  les  portes,  et  exciter  la  compassion  de  tous 
les  passans  :  mais  les  gens  en  faveur  sont  des  pauvres 
honteux;  ils  n'osant  faire  pitié,  ni  chercher  quelque 
soulagement.  II  platt  souvent  à  Dieu  de  joindre  Tin- 
firmité  corporelle  ^. cette  servitude  de  Tesprit  dans 
l'état  de  grandeur.  Rien  n'est  plus  uti(&  que  ces  deux 
croix  jointes  ensemble  ;  elles  crucifient  l'homme  de- 
puis la  tête  jusques  aux  pieds  :  on  sent  son  impuis- 
sance et  l'inutilité  de  tout  ce  qu'on  possède.  Le 
monde  ne  voit  point  votre  croix  ;  car  il  ne  regarde 
qu'un  peu  d'assujettissement  adouci  par  l'autorité,  et 
qu'une  légère  indisposition  qu'il  peut  soupçonner  de 
délicatesse;  ea  même  temps  vous  ne  vojes  dans  votre 
état  quç  l'amertume,  la  sécheresse,  l'ennui,  la  cap- 
tivité, le  découragement,  la  douleur,  l'impatience. 
Tout  ce  qui  ébloait  de  loin  les  spectateurs  disparoît 
aux  yeux  de  la  personne  qui  possède,  et  Dieu  la  cru- 
cifie réellemAit  pendant  que  tout  le  monde  envie  son 
bonheur. 


Y.ftOIX    ATTACHÉES    A    LA    GRANDEUR.  211 

Ainsi  la  Providence  sait  nous  mettre  à  toutes  sor- 
tes cTéprenves  dans  tous  les  états.  Il  ne  nous  fatit 
point  déchoir  de  cette  grandeur,  et  sans  des  chu- 
tes et  des  calamités  on  peut  avaler  le  calice  d'amer- 
tume; on  Favale  jusqu*à  la  lie  la  plus  amère  dans  les 
coapes  d*or  qui  sont  servies  à  la  table  des  rois.  Dieu 
prend  plaisir  à  confondre  ainsi  la  puissance  humaine, 
qui  n'est  qu'une  impuissance  déguisée.  Heureux  qui 
voit  ces  choses  par  les  yeux  illumina  du  cœur,  dont 
parle  saint  Paul  (0!  La  faveur,  vous  le  voyez  et  vous 
le  sentez,  ne  donne  aucune  véritable  consolation; 
elle  ne  peut  rien  contre  leâ  manx  ordinaires  de  la 
natnre  ;  elle  en  ajoute  beaucoup  de  nouveaux,  et  de 
très*cuisans,  à  ceux  de  la  nature  même  déjà  assez 
misérable.  Les  importunités  de  la  faveur  sont 'plus 
douloureuses  qu'un  rhumatisme  ou  qu'une  migraine  : 
mais  la  religion  met  à  profit  toutes  les  charges  de  la 
grandeur;  elle  ne  la  prend  que  comme  un  esclavage, 
et  c'est  dans  l'amour  de  cet  esclavage  qu'elle  trouve 
une  liberté  d'àutaiit  plus  véritable  qu'elle  est  plus 
inconnue  aux  hommes. 

Il  ne  faut  trouver  dans  la  prospérité  rien  de  bon 
que  ce  que  le  monde  n'y  peut  connoître,  je  veux 
dire  la  croix.  L'état  de  faveur  n'épargne  aucune  des 
peines  de  la  nature:  elle  en  ajoute  de  grandes;  et 
elle  fait  encore  qu'on  ne  peut  prendre  les  soulage- 
mens  qu'on  prendrott  si  on  étoit  dans  la  disgrâce. 
Au  moins  dans  une  disgrâce,  pendant  la  maladie, 
on  verroit  qui  on  voudrait,  on  n'entendroit  aucun 
bruit  :  mais  dans  la  haute  faveur  il' faut  que  la  croix 

{*)  Ephu,  I.  i8. 


212      CROIX  ATTÀCBÉES  ▲  LA  GAAUDBUK. 

soit  complète;  il  faut  vivre  poar  autrui  quand  on 
auroit  besoin  d'être  tout  à  soi  ;  il  faut  n*avoir  aucun 
besoin  y  ne  rien  sentir,  ne  rien  vouloir,  n*étre  in- 
commode de  rien,  et  être  poussé  à  bout  par  les  ri- 
gueurs d'une  trop  bonne  fortune.  C'est  que  Dieu 
veut  rendre  ridicule  et  affreux  ce  que  le  monde  ad- 
mire le  plus.  C'est  qu'il  traite  sans  pitié  ceux  qu  il 
élève  sans  mesure,  pour  les  faire  servir  d'exemple. 
C'est  qu'il  veut  rendre  la  croix  complète,  en  la  pla- 
çant dans  la  plus  éclatante  faveur,  pour  déshonorer 
la  faveur  mondaine.  Encore  une  fois,  heureux  sont 
ceux  qui  dans  cet  état  considèrent  la  main  de  Dieu 
qui  les  crucifie  par  miséricorde  I  Qu'il  est  beau  de 
faire  son  purgatoire  dans  le  lieu  oii  les  autres  cher- 
chent leur  paradis,  sans  pouvoir  en  espérer  d'autre 
après  cette  vie  si  courte  et  si  misérable  1  - 

Dans  cet  état,  il-  n'y  a  presque  rien  à  faire  :  Dieu 
n*a  pas  besoin  que  nous  lui  disions  beaucoup  de  pa- 
roles, ni  que  nous  formions  beaucoup  de  pensées; 
il  voit  notre  cœur,  et  cela  lui  siiiBit;  il  voit  bien 
notre  souffrance  et  notre  soumission.  On  n'a  que 
faire  de  répéter  de  moment  en  moment  à  une  per- 
sonne qu'on  aime  :  Je  vous  aime  de  tout  mon  cœur; 
il  arrive  même  s.ouvent  qu'on  est  long-temps  sans 
penser  qu'on  l'aime,  et  on  ne  l'aime  pas  moins  dans 
ce  temps-là  que  dans  ceux  où  on  lui  fait  les  plus 
tendres  protestations.  Le  vrai  amour  repose  dans  le 
fond  du  cœur;  il  est  simple,  paisible  et  silencieux; 
souvent  on  s'étourdit  soi-même  en  multipliant  les 
discours  et  les  réflexions*  Cet  amour  sensible  n'est 
que  dans  une  imagination  échauffée. 


CROIX    ilTTÂCBÉBS    À   LA    GlAJIDEUR.  2l3 

Il  n'y  a  donc,  dans  la  souffrance ,  qu*à  souffrir  et 
à  se  taire  devant  Dieu  :  Je  me  suis  tu^  dit  David  (0, 
parce  que  c'est  vous  qui  V avez  f eut.  Gest  Dieu  qui 
envoie  les  vapeurs ,  les  fluxions,  les  tournemens  de 
tête  9  les  défaillances  y  les  épuisemens,  les  importa- 
ni  tes,  les  sujétions;  c'est  lui  qui  envoie  la  grandeur 
même  avec  tous  ses  supplices  et  tout  son.  maudit  at- 
tirail ;  c*est  lui  qui  fait  naître  au  dedans  la  séche- 
resse, l'impatience ,  le  découragement,  pour  nous 
humilier  par  la  tentation ,  et  pour  nous  montrer  à 
nous-mêmes  tels  que  nous  sommes.  C'est  lui  qui  fait 
tout  ;  il  n'y  a  qu'à  le  voir  et  qu*à  l'adorer  en  tout.  . 

Il  ne  faut  point  s'inquiéter  pour  se  procurer  une 
présence  artificielle  de  Dieu  et  de  ces  vérités  ;  il  suf- 
fit de  demeurer  simplement  dans  cette  disposition  de 
cœur,  de  vouloir  être  crucifié;  tout  au  plus  une  vue 
simple  et  sans  effort,  qu'on  renouvellera  toutes  les 
fois  qu'on  en  sera  averti  intérieurement  par  un  cer- 
tain souvenir,  qui  est  une  espèce  de  réveil  du  cœur. 

Ainsi  les  peines  de  la  faveur,. les  douleurs  de  la 
maladie,  et  les  imperfections  mêmes  du  dedans, 
pourvu  qu'elles  soient  portées  paisibleiûent  et  avec 
petitesse,  sont  le  contre-poison  d*un  étal  qui  est  par 
lui-même  si  dangereux.  Dans  la  prospérité  apparente 
il  n*y  a  rien  de  bon  que  la  croix  cachée.  O  croix!  6 
bonne  croix!  je  t'embrasse;  f  adore  en  toi  Jésus  mou- 
rant, avec  qui  il  faut  que  je  meure. 

(0  P«.xjizviii.  10. 


2l4  DB    LA    MO&TIFICATIOH 

V. 

jfyis  à  une  personne  de  la  Cour,  sur  la  pratique  de 
la  mortification  et  du  recueUlement  (*). 

Il  ne  faut  point  se  faire  une  règle ,  ni  de  suivre 
tOQJoars  Fesprit  de  mortification  et  de  recneiUemeDt 
qui  éloigne  du  commerce,  ni  de  suivre  toujours  le 
zèle  qu'on  a  de  porter  les  âmes  à  Dieu.  Que  faut-il 
donc  &ire?  Se  partager  entre  ces  deux  devoirs,  pour 
n^abandonner  pas  ses  propres  besoinsen s'appliquant 
à  ceux  d*autnii ,  et  pour  ne  négliger  pas  ceux  d*antrui 
en  se  renfermant  dans  les  siens. 

La  règle  pour  trouver  ce  juste  milieu  dépend  de 
Tétat  intérieur  et  extérieur  de  chaque  personne;  et 
on  ne  sauroit  donner  de  règle  générale  sur  ce  qui 
dépend  des  circonstances  où  se  trouve  chaque  per- 
sonne en  particulier.  Il  faut  se  mesurer  sur  sa  foi- 
blesse  y  sur  son  besoin  de  se  précautionner,  sur  son 
attrait  intérieur,  sur  les  marques  de  providence  pour 
les  choses  extérieures,  sur  la  dissipation  qn*on  y 
éprouve ,  et  sur  l'état  de  sa  santé.  Il  est  donc  à  pro- 
pos de  commencer  par  les  besoins  de  Tesprit  et  do 
corps,  et  de  réserver  des  heures  suffisantes  pour  lun 
et  pour  l'autre,  par  l'avis  d'une  personne  pieuse  et 
expérimentée.  Pour  le  reste  du  temps,  il  faut  encore 

(*)  L'ensemble  et  la  suite  de  ces  Avis  nous  font  soupçonner  qn'i's 
ëtoient  adressés  à  madame  de  Blaintenon.  On  les  tronve  en  parue 
dans  le  chap.  x  des  Divers  Sentimens  etAî^U  chrétien» ,  éditioD  de 
1738  et  suiy.  Noos  les  donnons  en  entier  d'après  le  manuscrit  ori- 
ginal. {Eda.  de  Fen.) 


ET    DtJ    aECUEILLEMENT.  2l5 

bien  examiner  les  devoirs  de  la  place  oik  Ton  est , 
les  biens  solides  qu'on  y  peut  faire ,  et  ce  que  Dieu 
donne  pour  y  réussir,  sans  s'abandonner  à  un  zèle 
aveugle. 

Venons  aux  exemples.  Il  n*est  point  h  propos  de 
demeurer  avec  une  personne  à  qui  on  ne  sauroît 
être  utile  y  pendant  qu'on  en  pourroit  entretenir 
d'aatres  avec  fruit ,  à  moins  qn^on  n*eût  quelque 
devoicy  comme  de  parenté,  d'ancienne  amitié,  ou  de 
bienséance,  qui  obligeât  de  demeurer  avec  la  pre- 
mière personne  :  autrement  il  faut  s'en  défaire, 
après  avoir  fait  ce  qui  convient  pour  la  IrSter  hon- 
nêtement. La  raison  de  se  mortifier  ne  doit  point 
décider  dans  ces  sortes  de  cas.  On  trouvera  assez  à 
se  mortifier  en  entretenant  contre  son  goût  les  per- 
soùnes  dont  on  ne  peut  se  défaire,  et  en  s'assujettis* 
sant  à  tous  les  véritables  devoirs. 

Quand  on  est  à  Saint-Cyr,  il  ne  faut  ni  se  commu- 
niquer, ni  se  retirer  par  des  motifs  d'amoiir-propre  ; 
mais  il  suffit  de  faire  simplement  ce  qu'on  croit  le 
meilleur,  et  le  plus  conforme  aux  desseins  de  Dieu, 
quoique  l'amour-propre  s'y  mêle.  Quoi  qu'on  puisse 
Taire ,  il  se  glissera  partout.  Il  faut  ne  le  compter 
pour  rien,  et  aller  toujours  sans  s'arrêter.  Je  croi» 
rois  que,  quand  vous  êtes  à  Saint-Cyr,  vous  devez 
reposer  votre  corps,  soulager  votre  esprit,  et  le  re- 
cueillir devant  Dieu  le  plus  long-temps  que  vous 
pourrez.  Vous  êtes  si  assujettie,  si  affligée,  et  si  fa- 
tiguée à  Versailles,  que  vous  avez  grand  besoin 
d'une  solitude  libre  et  nourrissante  pour  l'intérieur 
à  Saint-Cyr.  Je  ne  voudrois  pourtant  pas  que  vous  y 
manquassiez  aux  besoins  pressans  de  la  maison. 


ftl6  HB   LA.  MOATIFICATIOH 

Bfais  n*j  faites  par  vous-même  que  ce  qu'A  irons  sera 
impossible  de  £ure  par  aatmi. 

J^aime  mieux  que  vous  souflnes  moins,  et  que 
vous  aimiez  davantage.  Cherchez  à  Féglise  une 
posture  qui  n'incommode  point  votre  délicate  sanUf , 
et  qui  ne  vous  empêche  point  d*étre  recoeilliei 
pourvu  que  cette  posture  n*ait  rien  d'immodeste, 
on  que  le  public  ne  la  voie  point  Vous  aurez  toa- 
jours  assez  d'autres  mortifications  dans  votre  état 
Ni  Dieu  ni  les  hommes  ne  vous  en  laisseront  man- 
quer. Soulagez«vous  donc  ;  mettez-vous  en  liberté  ; 
et  ne  songas  qu'à  nourrir  votre  cœur  pour  être  mieux 
en  état  de  souffrir  dans  la  suite. 

Je  ne  doute  nullement  que  vous  ne  deviez  éviter 
toutes  les  choses  que  vous  avez  éprouvé  qui  nuisent 
à  votre  santé,  comme  le  soleil,  le  vent,  certains 
alimens,  etc.  Cette  attention  à  votre  santé  vous 
épargnera  sans  doute  quelques  souffirances  :  mais 
cela  ne  va  qu'à  vous  soutenir,  et  non  à  vous  flatter. 
D'ailleurs  ce  régime  ne  demande  point  les  grandes 
délicatesses,  et  l'usage  de  ce  qui  est  délicieux  ;  au 
contraire,  il  demande  une  conduite  sobre ,  simple, 
et  par  conséquent  mortifiée  dans  tout  le  détail.  Rien 
n^est  plus  faux  et  plus  indiscret  que  de  vouloir 
choisir  toujours  ce  qui  nous  mortifie  en  toutes  choses. 
Par  cette  règle  on  ruineroit  bientôt  sa  santé,  ses 
affaires,  sa  réputation,  son  commerce  avec  ses 
parens  et  amis,  enfin  toutes  les  bonnes  œuvres 
dont  la  Providence  charge. 

Le  zèle  de  vous  mortifier  ne  doit  jamais  ni  vous 
détourner  de  la  solitude ,  ni  vous  arracher  ani  oc- 
cupations extérieures.  Il  faut  tour  à  tour  et  vous 


ET   DU    RSCUBlLLfeMESrr.  217 

montrer  et  vous  cacher,  et  parler  et  vous  taire.  Dieu 
ne  vous  a  pas  mise  sous  le  boisseau^  mais  sur  le 
chandelier,  afin  que  vous  éclairiez  tous  ceux  qui 
sont  dans  la  maison.  Il  faut  donc  luire  aux  yeux  du 
monde,  quoique  Tamour-propre  se  complaise  malgré 
vous  dans  cet  éclat.  Mais  vous  devez  vous  réserver 
des  heures  pour  lire,  pour  prjer,  pour  reposer  votre 
esprit  et  votre  corps  auprès  de  Dieu.  * 

l^Tallez  point  au-devant  des  croix  :  vous  en  cher-  ' 
chéries  peut-être  que  Dieu  ne  voudroit  pas  vous 
donner,  et  qui  seroient  incompatibles  avec  ses  des- 
seins sur  vous.  ]V{ais  embrassez  sans  hésiter  toutes 
celles  que  sa  main  vous  présentera  en  chaque  mo- 
ment. Il  y  a  une  providence  pour  les  croix,  comme 
pour  les  choses  néoesi^aires  à  la  vie.  C*est  le  pain 
quotidien  qui  nourrit  i'ame,  et  que  Dieu  ne  nlanque 
jamais  de  nous  distribuer.  Si  vous  étiez  dans  un  état 
plus  libre,  plus  tranquille,  plus  débarrassé,  vous 
auriez  plus  à  craindre  une  vie  trop  douce  :  mais  la 
vôtre  aura  toujours  ses  amertumes,  tandis  que  vous 
serez  fidèle. 

Je  vous  supplie  instamment  de  demeurer  en  paix 
dans  cette  conduite  droite  et  simple.  En  vous  ôtant 
cette  liberté,  par  un  certain  empressement  pour  des 
mortifications  recherchées,  vous  perdriez  celles  que 
Dieu  est  jaloux  de  vous  préparer  lui-même ,  et  vous 
vous  nuiriez  sous  prétexte  de  vous  avancer.  Soyez 
libre,  gaie,  simple,  enfant;  mais  enfant  hardi,  qui 
ne  craint  rien,  qui  dit  tout  ingénument,  qui  se  laisse 
mener,  qu'on  porte  entre  les  bras,  en  un  mot,  qui  ne 
sait  rien,  qui  ne  peut  rien ,  qui  ne  prévoit  et  n'ajuste 
rien  ;  mais  qui  a  une  liberté  et  une  hardiesse  in- 


Sl8  DE   LA    YIGILAHCE 

terdite  aux  grandes  personnes.  Cette  enfance  dé- 
monte les  sages,  et  Dî^u  lui-même  parle  par  la 
bouche  de  tels  enfans. 

VI, 

A^is  à  une  personne  du  monde*  Voir  ses  misères 
sans  trouble  et  sans  découragement  :  comment  il 
faut  veiller  sur  soi-même.  Remèdes  contre  les 
tentations. 

Vous  comprenez  qu'il  y  m  beaucoup  de  fautes 
qui  sont  volontaires  à  divers  degrés,  quoiqu'on  ne 
les  fasse  pas  avec  un  prx)pos  dâibëré  de  les  faire  pour 
manquer  à  Dieu.  Souvent  un  ami  reproche  à  son 
ami  une  faute  dans  laquelle  cet  ami  n'a  pas  râoln 
expressément  de  le  choquer,  mais  dans  laqueUe  il 
s'est  laissé  aller  quoiqu'il  n'ignorât  point  qu'il  le 
choqueroit.  C'est  ainsi  que  Dieu  nous  reproche  ces 
sortes  de  fautes.  Elles  sont  volontaires  ;  car  encore 
qu'on  ne  les  fasse  pas  avec  réflexion,  on  les  bit 
néanmoins  avec  liberté,  et  avec  une  certaine  lu- 
mière intime  de  conscience  qui  suffiroit  au  moins 
pour  douter  et  pour  suspendre  l'action.  Voilà  les 
fautes  que  font  souvent  les  bonnes  âmes. 

Pour  les  fautes  de  propos  délibéré,  il  est  bien 
extraordinaire  qu  on  y  tombe  quand  on  s'est  en* 
tièrement  donné  à  Dieu.  Les  petites  fautes  devien* 
nent  grandes  et  monstrueuses  à  nos  yeux  k  mesure 
que  la  pure  lumière  de  Dieu  croit  en  nous;  comme 
vous  voyez  que  le  soleil,  à  mesure  qu'il  se  lève^ 


BT    DES   TB]ITATI01IS«-  ^ICjr 

nous  découvre  la  grandeur  des  objets  que  nous  ne 
faisions  qu*entrevoir  confusément  pendant  la  nuit. 
Comptez  que,  dans  raccroissement  de  la  lumière 
intérieure  I  vous  verrez  les  imperfections  que  vous 
avez  vues. jusqu'ici,  comme  bien  plus  grandes  et  plus 
malignes  dans  leur  fond  que  vous  ne  les  voyiez 
jusques  à  présent;  et  que  de  plus  vous ,  verrez  sortir 
en  foule  de  votre  cœur  beaucoup  d'autres  misères, 
que  vous  n'auriez  jamais  pv soupçonner  d'y  trouver. 
V.oas  y  trouverez  toutes  les  foiblesses  dont  vous 
aurez  besoin  pour  perdre  toute  confiance  en  votre 
force  :  mais  cette  expérience,  loin  de  vous  décou- 
rager, servira  à  vous  arracher  toute  confiance  pro- 
pre,  et  à  démolir,  rez-pied'^  rez-terre,  tout  l'édifice 
de  l'oi^eil.  Rien  ne  marque  tgnt  le  solide  avan- 
cement d'une  ame,  que  cette  vue  de  ses  misères  sans 
trouble  et  sans  découragement. 

Pour  la  manière  de  veiller  stt%soi,  sans  en  être 
trop  occupé,  voici  ce  qui  me  parolt  de  pratique.  Le 
sage  et  diligent  voyageur  vaille  sur  tous  ses  pas,  et 
a  toujours  les  yeux  ouverts  sur  l'endroit  du  chemin 
qui  est  immédiatement  devant  lui  :  mais  il  ne  re- 
tourne point  sans  cesse  en  arrière  pour  compter  tous 
ses  pas,  et  pour  examiner  toutes  ses  traces;  il  per- 
droit  le  temps  d'avancer.  Une  ame  que  Dieu  mène 
véritablement  par. la  main  (car  je  ne  parle  point  de 
celles  qui  apprennent  encore  à  marcher,  et  qui  sont 
encore  à  chercher  le  .chemin)  doit  veiller  sur  sa  voie, 
mais  d'une  vigilance  simple ,  tranquille ,  bornée  au 
présent,  et  sans  inquiétude  pour  l'amour  de  soi. 
C'est  une  attention  continuelle  à  la  volonté  de  Dieu 
pour  l'accomplir  en  chaque  moment,  et  non  pas  un 


130  DB  LA   VlQlUJUtE 

i-etoar  sur  soi-même  pour  s*assurer  de  son  étaC^ 
pendant  que  Dieu  vent  que  nous  en  soyons  incer- 
tains. Cest  pourquoi  le  Psahniste  dit  :  Mes  jeux 
sont  leyés  vers  le  Seigneur j  et  c'est  lui  qui  délivrera 
mes  pieds  des  pièges  tendus  (>)• 

Remarquez  que  pour  conduire  ses  pieds  avec 
s&retë  parmi  des  chemins  semës  de  pièges,  aa  lieu 
de  baisser  les  yeux  pour  examiner  tous  ses  pas,  il 
lève  au  contraire  les  yeux' vers  le  Seigneur.  Cest  que 
nous  ne  veillons  jamais  si  bien  sur  nous,  que  quand 
nous  marchons  avec  Dieu  présent  à  nos  yeux, 
comme  Dieu  Tavoit  ordonné  à  Abraham.  Et  en  effet 
à  quoi  doit  aboutir  toute  notire  vigilance  7  A  suivre 
pas  à  pas  la  volonté  de  Dieu.  Qui  s'y  conforme  en 
tout,  veille  sur  soi  et  se  sanctifie 'en  tout.  Si  donc 
nous  ne  perdions  jamais  la  présence  de  Dieu,  jamais 
nous  ne  cesserions  de  veiller  sur  nous-mêmes,  mais 
d*une  vigilance  siftiple,  amoureuse,  tranquille  et 
désintéressée  :  au  lieu  que  cette  autre  vigilance  qu'on 
cherche  pour  s'assurer,  est  âpre,  inquiète  et  pleine 
d'intérêt.  Ce  n'est  pas  à  notre  propre  lumière,  mais 
à  celle  de  Dieu,  qu'il  nous  faut  marcher.  On  ne  peut 
voir  la  sainteté  de  Dieu  sans  avoir  horreur  de  ses 
moindres  infidélités.  On  ne  laisse  pas  d'ajouter  à  la 
présence  de  Dieu  et  au  recueillement  les  examens 
de  conscience,  suivant  le  besoin  qu'on  en  a,  pour  ne 
se  relâcher  point,  et  pour  faciliter  les  confessions 
qu'on  a  à  faire  :  mais  ces  examens  se  font  de  plus  en 
plus  d'une  manière  simple,  facile,  et  éloignée  de 
tout  retour  inquiet  sur  soi.  On  s'examine,  non  pour 
son  intérêt  propre,  mais  pour  se  conformer  aux  avis 

(«)  Pj.  XXIT.  i5. 


ET    DES    TEMTATIOIÎS.  321 

qa*on  prend,  et  pour  accomplir  la  pare  volonté  de 
Dieu.  Au  surplus  on  s'abandonne  entre  ses  mains  ; 
et  on  est  aussi  aise  de  se  savoir  dans  les  mains  de 
Dieu ,  qu  on  seroit  fâché  d*étre  dans  les  siennes  pro- 
pres. On  ne  veut  rien  voir  de  tout  ce  qu'il  lui  plaît 
de  cacher.  Comme  on  Taime  infiniment  plus  qu  on 
ne  s*aime  soi-même  ^  on  se  sacrifie  à  son  bon  plaisir 
sans  condition;  on  ne  songe  quà  Taimer  et  qu'à 
s'oublier.  Celui  qui  perd  ainsi  généreusement  son 
ame,  la  retrouvera  pour  la  vie  éternelle. 

Au  reste,  pour  les  tentations  je  ne  sais  que  deux 
choses  à  faire  :  l'une,  d'être  fidèle  à  la  lumière  inté- 
rieure pour  retrapcher,  sans  quartier  et  sans  retar- 
dement, tout  ce  que  nous  sommes  libres  de  retrap- 
cher,  et  qui  peut  nourrir  oU  réveiller  la  tentation. 
Je  dis  tout  ce  que  pous  sommes  libres  de  retrancher, 
parce  qu'il  ne  dépend  pas  toujours  de  nous  de  fuir 
les  occasions.  Celles  qui  sont  attachées  à  l'état  où  la 
Providence  nous  met ,  ne  sont  pas  censées  en  notre 
pouvoir.  La  seconde  règle  est  de  se  tourner  da  côté 
de  Dieu  dans  la  tentation,  sans  se  troubler,  sans 
s'inquiéter  pour  savoir  si  on  n'y  a  point  donné  un 
demi-consentement,  et  sans  interrompre  sa  tendance 
directe  à  Dieii.  On  courroit  risque  de  rentrer  dans 
la  tentation,  en  voulant  examiner  de  trop  près  si  on 
n'y  a  commis  nulle  infidélité.  Le  plus  court  et  le  plus 
s&r  est  de  faire  comme  un  petit  enfant  à  la  mamelle: 
on  lui  montre  une  béte  horrible  ;  il  ne  fait  que  se 
rejeter  et  s'enfoncer  dans  le  sein  de  sa  mère ,  pour 
ne  rien  voir. 

La  pratique  de  la  présence  de  Dieu  est  le  souve- 
rain remède  :  il  soutient,  il  console,  il  calme.  Il  ne 


222  DE   LA    TIGILAHCE 

faut  point  s^étonner  des  tentations,  même  les  plas 
honteuses.  UEcritnre  dit  :  Que  sait  celui  qui  n'a 
point  été  tenté  (<)  ?  et  encore  :  Mon  fils  ^  entrant  dans 
la  servitude  de  Dieu,  prépare  ton  ante  à  la  tenta-- 
tiohW  7  Nous  ne  sommes  ici*bas  que  pour  être  éprou- 
vés par  la  tentation.  Cest  pourquoi  Tange  disoit  à 
Tobie  :  Parce  que  vous  étiez  agréable  à  Dieu,  il  a 
été  nécessaire  que  la  tentation  vous  éprouvât  (3). 

Tout  est  tentation  sur  la  terre.  Les  croix  nous  ten- 
tent en  irritant  notre  orgueil,  et  les  prospMtés  en 
le  flattant.  Notre  vie  est* un  combat  continuel,  mais 
un  combat  où  Jésus-Cfarist  combat  avec  nous.  Il  faut 
laisser  la  tentation  gronder  autour  de  nous,  et  ne 
cesser  point  de  marcher,  comme  un  Voyageur,  sur- 
pris  par  un  grand  vent  dans  une  campagne,  s*enve- 
loppe  dans  son  manteau,  et  va  toujours  malgré  le 
mauvais  temps. 

Pour  le  passé,  quand  on  a  satisfait  un  sage  con* 
fesseur  qui  défend  d*y  rentrer,  il  ne  reste  plus  qu*à 
jeter  toutes  ses  iniquités  dans  TaMme  des  miséri- 
cordes. On  a  même  une  certaine  joie  de  sentir  qu^on 
n^est  digne  que  d*iine  peine  étemelle,  et  qu^on  est  à  la 
merci  des  bontés  de  Dieu,  à  qui  6n  devra  tout ,  sans 
pouvoir  jamais  se  devoir  rien  à  soi-même  pour  son 
salut  éternel.  Quand  il  vient  un  souvenir  involon- 
taire des  misères  passées,  il  n'y  a  qu*à  demeurer 
confondu  et  anéanti  devant  Dieu ,  portant  paisible- 
ment devant  sa  face  adorable  toute  la  honte  et  toute 
Tignominie  de  ses  péchés ,  sans  néanmoins  chercher 
à  entretenir  ni  à  rappelei^  ce  souvenir. 

Concluez  que,  pour  faire  tout  ce  que  Dieu  veut , 

C»)i?octt.  xuLiY.  9.  — C*)  Ibid.  IL  I.  —  (î)  Tob.  xii.  i3. 


Et  Des  tentations.  *  ^si3 

il  y  a  bien  peu  à  faire  en  un  certain  sens.  Il  est  vrai 
qu'il  y  a  prodigieusement  à  faire ,  parce  qu'il  ne  faut 
jamais  rien  réserver,  ni  résister  un  seul  moment  à  cet 
amour  jaloux ,  qui  va  poursuivant  toujours  sans  re- 
lâche y  dans  les  derniers  replis  de  Famé ,  jusques  aux 
moindres  afièctions  propres ,  jusques  aux  moindres 
attachemens  dont  il  n^est  pas  lui-même  Fauteur. 
Mais  aussi  y  d'un  autre  côté,  ce  n'est  point  la  multi* 
tude  des  vues  ni  des  pratiques  dures ,  ce  n'est  point 
la  gène,  et  la  contention  qui  font  le  véritable  avan- 
cement. Au  contraire  ,  il  n'est  question  que  de  ne 
rien  vouloir  y  et  de  tout  vouloir  sans  restriction  et 
sans  choix;  d'aller  gaiement  au  jour  la  journée , 
comme  la  Providence  nous  mène;  de  ne  chercher 
rien ,  de  ne  rebuter  rien  ;  de  trouver  tout  dans  le 
moment  présent;-  de  laisser  faire  celui  qui  fait  tout, 
et  de  laisser  sa  volonté  sans  mouvement  dans  la 
sienne.  O  qu'on  est  heureux  en  cet  état!  et  que  le 
cœur  est  rassasié ,  lors  même  qu'il  paroit  vide  de 
tout  ! 

Je  prie  notre  Seigneur  qu'il  vous  ouvre  toute  l'é- 
tendue infinie  de  son  cœur  paternel  pour  y  plonger 
le  vôtre  y  pour  l'y  perdre,  et  pour  ne  faire  plus  qu'un 
même  cœur  du  sien  et  du  vôtre.  Cest  ce  que  saint 
Paul  souhaitoit  aux  fidèles,  quaqd  il  les  souhaitoit 
dans  les  entrailles  de  Jésus-Christ. 


aa4  DB  LÀ  pmésBBcs  de  dieu. 


VIL 


praiiçui 


Le  principal  ressort  de  notre  perfection  est  ren- 
fermé dans  cette  parole  que  Diea  dit  autrefois  à 
Abraham  :  Marchez  en  ma  présence,  et  vous  serez 
parfait  (0.  La  présence  de  Dieu  calme  Fesprit, 
donne  un  sommeil  tranquille^  et  du  repos,  même 
pendant  le  jour,  au  milieu  de  tous  les  travaux  ;  mais 
il  faut  être  à  Dieu  sans  aucune  réserve.  Quand  on 
a  trouvé  Dieu,  il  n*y  a  plus  rien  à  chercher  dans  les 
hommes  ;  il  faut  faire  le  sacrifice  de  ses  meilleurs 
amis  :  le  bon  ami  est  au  dedans  du  cœur;  c*est  Fé- 
poux,  qui  est  jaloux  et  qui  ébarte  tout  le  reste. 

n  ne  faut  pas  beaucoup  de  temps  pour  aimer  Dieu, 
pour  se  renouveler  en  sa  présence,  pour  élever  son 
cœur  vers  lui,  ou  Tadorer  au  fond  de  son  cœur,  pour 
lui  o&ir  ce  que  Ton  fait  et  ce  que  l'on  souffre;  voilà 
le  vrai  royaume  de  Dieu  au  dedans  de  nous  W  ,  que 
rien  ne  peut  troubler. 

Quand  la  dissipation  des  sens  et  la  vivacité  de  Ti- 
magination  empêchent  Tame  de  se  recueillir  d'une 
manière  douce  et  sensible ,  il  faut  du  moins  se  cal- 
mer par  la  droiture  de  la  volonté  :  alors  le  désir  du 
recueillement  est  une  espèce  de  recueillement  qui 
suffit  :  il  faut  se  retourner  vers  Dieu,  et  faire  avec 
droite  intention  tout  ce  qu'il  veut  que  l'on  fasse.  Il 
fiiut  tâcher  de  réveiller  en  soi  de  temps  en  temps  le 

CO  Gen.  xvii.  i.  — («)  Lucxyu.  ai. 

désir 


DE    LÀ    PRÉSENCE   DE    DIEU.  225 

désir  d*étre  k  Dieu  de  tonte  Tëtendue  des  puissances 
de. notre  ame,  c'est-à-dire,  de  notre  esprit  pour  le 
connottre  et  pour  penser  à  lui ,  et  de  notre  volonté 
pour  Taimer.  Désirons  aussi  que  nos  sens  extérieurs 
lai  soient  consacrés  dans  toutes  leui*s  opérations. 

Prenons  garde  de  n'être  point  trop  long-temps 
occupés  volontairement ,  soit  au  dehors ,  soit  au  de»- 
dans,  à  des  choses  qui  causent  une  si  grande  distrao- 
tioB  au  coeur  et  à  Tesprit,  et  qui  tirent  tellement  Tuo 
et  l'autre  hors  d'eux-mêmeSy  qu'ils  aient  peine  à  y 
l'entrer  pour  trouver  Dieu.  Dès  que  nous  isentons 
que  quelque  objet  étranger  nous  donne  du  plaisir 
ou  de  la  joie,  séparons-en  notre  cœur,  et,  pour 
Tempécher  de  prendre  son  repos  dans  cettis  créature, 
présentons-luî  aussitôt  son  véritable  objet  et  son  sou* 
verain  bien  qui  est  Dieu  même.  Pour  peu  que  nous 
soyons  fidèles  à  rompre  intérieurement  avec  les 
créatures,  c'est-à-dire  à  empêcher  qu'elles  n'entrerït 
jusque  dans  le  fond  de  l'ame,  que  notre  Seigneur 
s'est  réservé  pour  y  habiter  et  pour  y  être  respecté, 
adoré  et  aimé ,  nous  goûterons  bientôt  la  joie  pure 
que  Dieu  ne  manquera  pas  de  donner  à  une  ame  li- 
bre et  dégagée  de  toute  affection  humaine. 

Quand  nous  apercevons  en  nous  quelques  désirs 
empressés  pour  quelque  chose  que  ce  puisse  être, 
et  que  nous  voyons  que  notre  humeur  nous  porte 
avec  trop  d'activité  à  tout  ce  qu'il  y  a  à  faire,  ne  lût* 
ce  qu'à  dire  une  parole,  voir  un  objet,  faire  une  dé* 
marche;  tâchons  de  nous  modérer,  et  demandons  à 
notre  Seigneur  qu*il  arrête  la  précipitation  de  nos 
pensées  et  l'agitation  de  nos  actions  extérieures,  puis» 

FéNÉLOM.    &YJII.  }5 


226  DE    LA    PRÉsiENCE    DE    DICV. 

que  Dieu  a  dit  lui-même  que  son  esprit  n^habite  point 
dans  le  trouble. 

Ayons  soin  de  ne  prendre  pas  trop  de  part  à  tout 
ce  qui  se  dit  et  se  fait,  et  de  ne  nous  en  pas  trop  rem- 
plir; car  c'est  une  grande  source  de  distractions.  Dès 
qne  nous  avons  vu  ce  que  Dieu  demande  de  nous 
dans  chaque  chose  qui  se  présente ^  bornons-nons  là, 
et  séparons-nous  de  tout  le  reste.  Par  là  nous  conser- 
verons toujours  le  fond  de  notre  ame  libre  et  égal, 
et  nous  retrancherons  bien  des  choses  inutiles  qui 
embarrassent  notre  cœur,  et  qui  Tempéchent  de  se 
tourner  aisément  vei^Dieu. 

Un  excellent  moyen  de  se  conserver  dans  la  soli- 
tude intérieure  et  dans  la  liberté  de  l'esprit,  c'est,  à 
la  fin  de  chaque  action,  de  terminer  là  toutes  les  i;é- 
flexions,  en  laissant  tomber  les  retours  de  Tamour- 
propre,  tantôt  de  vaine  joie,  tantôt  de  tristesse,  par- 
ce qu'ils  sont  un  de  nos  plus  grands  maux.  Heureux 
à  qui  il  ne  demeure  rien  dans  l'esprit  que  le  néces- 
saire ,  et  qui  ne  pense  h  chaque  chose  que  quand  il  ^ 
est  temps  d'y  penser!  de  sorte  qne  c'est  plutôt  Dieu 
qui  en  réveille  Timpression  par  la  vue  de  sa  volonté 
qu'il  faut  accomplir,  que  non  pas  l'esprit  lui-même 
qui  se  met  en  peine  de  les  prévenir  et  de  les  cher- 
cher. Enfin,  accoutumons-nous  à  nous  rappeler  à 
nous-mêmes,  durant  la  journée  et  dans  le  cours  de 
nos  emplois,  par  une  simple  vue  de  Dieu.  Tranquil- 
lisons par  là  tous  les  mouvemens  de  notre  cceur, 
dès  que  nous  le  voyons  agité.  Séparons-nous  de  tout 
plaisir  qui  ne  vient  point  de  Dieu.  Retranchons  les 
pensées  et  les  rêveries  inutiles.  Ne  disons  point  de 
paroles  vaines.  Cherchons  Dieu  au  dedans  de  nous, 


DE    LÀ    PRÉSEi^CE    DE    DIEU.  327 

et  nous  le  trouverons  infailliblement  ^  et  avec  lui  la 
joie  et  la  paix. 

Dans  nos  occupations  extérieures  »  soyons  encore 
plus  occupés  de  Dieu  que  de  tout  le  reste.  Pour  les 
bien  faire ,  il  les  faut  faire  en  sa  présence ,  et  les  faire 
toutes  pour  lui.  A.  Taspect  de  la  majesté  de  Dieu, 
notre  intérieur  doit  se  calmer  et  demeurer  tranquille. 
Une  parole  du  Sauveur  calma  autrefois  tout  d*un 
coup  une  mer  furieusement  agitée  :  un  regard  de  lui 
vers  nous  et  de  nous  vers  lui  devroit  faire  encore 
tous  les  jours  la  même  cho^e. 

Il  faut  élever  souvent  son  cœur  vers  Dieu  :  il  le 
purifiera  ,  il  l'éclairera ,  il  le  dirigera.  Cétoit  la  pra- 
tique journalière  du  saint  prophète  David  :  J'avois 
toujours f  dit-il  (0,  le  Seigneur  des^ant  mes-yeux. 
Disons  encore  souvent  ces  belles  paroles  du  même 
prophète  :  Qui  est-ce  que  je  dois  chercher  dans  le 
ciel  et  sur  la  terre,  sinon  vous,  6  mon  Dieu?  p^ous 
êtes  le  Dieu  de  mon  cœur,  et  mon  unique  partage 
pour  jamais  W,  Il  ne  faut  point  attendre  des  heures 
libres  oik  l'on  puisse  fermer  sa  porte;  le  moment  qui 
fait  regretter  le  recueillement  peut  le  faire  pratiquer 
aussitôt.  Il  faut  tourner  son  cœur  vers  Dieu  d'une 
manière  simple,  familière  et  pleine  de  confiance. 
Tous  les  momens  les  plus  entrecoupés  sont  bons  en 
tout  temps,  même  en  mangeant,  en  écoutant  parler 
les  autres.  Des  histoires  inutiles  et  ennuyeuses,  au 
lieu  de  fatiguer,  soulagent  en  donnant  des  intervalles 
et  la  liberté  de  se  recueillir.  Ainsi  tout  tourne  à*bien 
pour  ceux  qui  aiment  Dieu. 

Il  faut  souvent  faire  des  lectures  proportionnées 

'0  Ps.  XV.  8.—  C»)  Ibid.  Lxxii.  a5.  a6. 


228  SUR    L* AMOUR    DE    DIEU 

à  son  gotit  et  à  son  besoin ,  mais  souvent  interrom- 
pue^ pour  faire  place  à  Tesprit  intérieur  qui  met  en 
recueillement.  Deux  mots  simples  et  pleins  de  l*Es- 
prit  de  Dieu  sont  la*  manne  cachée.  On  oublie  les 
paroles,  mais  elles  opèrent  secrètement;  Tame  s'en 
nourrit  et  en  est  engraissée. 

VIII. 

Comr^ent  il  faut  aimer  Dieu.  Sur  la  ^délité  dans 

les  petites  choses  (*). 

Tous  les  hommes  doivent  savoir  qu'ils  sont  indis- 
pensablement  obligés  d'aimer  Dieu;  il  faut  qu'ils  s'in- 
struisent encore  quelle  est  la  manière  dont  ils  doi- 
vent l^imer.  Il  faut  aimer  Dieu  parce  qu'il  est  notre 
créateur,  et  que  n'avons  rien  qui  ne  vienne  de  sa 
main  libérale.  Tout  ce  qui  est  en  nous,  c'est  autant  de 
dons  qu'il  a  faits  à  qui  n'est  rien ,  puîsque  nou«  ne 
sommes  que  néant  par  nous-mêmes.  Non-seulement 
tout  ce  qui  est  en  nous,  nous  le  tenons  de  Dieu, 
mais  tout  ce  qui  nous  environne  vient  dé  lui ,  et  a 
été  formé  par  lui.  Nous  devons  l'aimer  encore,  parce 
qu^il  nous  a  aimés,  mais  d'un  amour  tendre,  comme 

(^)  La  première  partie  de  cet  article,  jusqu'à  ces  mots  :  S.  Fran- 
çois de  Saies,  etc.  parûlt  ici  pour  la  première  fois  d'après  une  copie 
très-ancienne.  Le  reste  se  trouve  dans  les  Divers  Sentunens  et  A%ns 
chr^ienSf  n.  zxiii.  On  reconnoh  aisément  au  stylede  cette  pîéœ  qn^elle 
est  du  nombre  de  cellcf  dont  nons  avons  parlé  an  n.  5  de  V Avenu- 
sèment  du  tome  zvti,  cpii  n'ont  pas  été  rédigées  par  Fénélon  loi- 
même,  mais  cpii  sont  de  simples  extraits  de  ses  lettres  ou  de  ses 
instructions,  rédigés  par  quelqu'un  de  ses  amis.  {Ediu  de  Fers.) 


^ 


ET    LA    FIDÉLITÉ      DANS    LES    PETITES    CHOSES.       22g 

un  père  qui  a  pitié  de  ses  enfans ,  parce  qu'il  con- 
Dott  la  boue  et  Targile  dont  il  les  a  formés  ;  il  nous 
a  cherchés  dans  nos  propres  voies ,  qui  sont  celles  du 
péché  ;  il  a  couru  coipme  un  pasteur  qui  se  fatigue 
pour  retrouver  sa  brebis  égarée.  Il  ne  s'est  pas  con- 
tenté de  nous  chercher,  mais  après  nous  avoir  trou- 
vés,  il  3'est  chargé  de  nous  et  de  nos  langueurs,  en 
prenant  la  forme  humaine.  Il  est  dit  qu'il  a  été 
obéissant  jusqu'à  la  mort  de  la  croix,  et  que  la  mesure 
de  son  obéissance  a  été  celle  de  son  amour  pour  nous. 
Aprèis  nous  être  convaincus  du  devoir  d'aimer  Dieu, 
il  faat  examiner  comment  on  doit  l'aimer.  Est-ce 
comme  les  amis  lâches  qui  veulent  partager  leur 
cœur  \  en  donner  une  partie  à  Dieu ,  et  réserver 
l'autre  pour  le  monde  et  pour  les  amusemens  ;  qiii 
veulent  allier  la  vérité  et  le  mensonge ,  Dieu  et  le 
monde;  qoi  veulent  être  à  Dieu  au  pied  des  autels, 
et  le  laisser  là  pour  donner  le  reste  de  leur  tenips 
au  monde;  que  Dieu  ait  la  superficie,  et  le  monde 
ce  qu'il  y  a  de  réel  dans  leurs  affections?  Mais 
Dieu  rejette  cette  sorte  d'amour  :  c'est  un  Dieu  jaloux, 
qui  ne  veut  point  de  réserve;  tout  n'est  pas  trop 
pour  lui.  Il  ordonne  de  l'aimer,  et  voici  comme 
il  s'explique  :  Tu  aimeras  le  Seigneur  ton  Dieu,  de 
tout  ton  cœur,, de  toute  ton  anie,  de  toutes  ^s  forces, 
et  de  tout  ton  esprit.  Nous  ne  pouvons ,  après  cela , 
croire  qu'il  se  contente  d'une  religion  en  cérémonie  : 
si  on  ne  lui  donne  tout ,  il  ne  veut  rien. 

En  effet ,  n'est-ce  pas  une  ingratitude  de  n'aiiner 
qu'à  demi  celui  qui  nous  a  aimés  de  toute  éternité? 
que  dis-je  7  celui  qui  nous  a  aimés  jusque  dans  Tablme 
du  péché  7  Le  monde  même ,  tout  corrompu  qu'il 


a3o  sua  l\motjr  de  dieu 

est  y  se  pique  d*avoir  horreur  de  l'ingratitude.  Il  ne 
peut  souffrir  qu'un  fils  n'ait  pas  pour  son  père  la 
reconnoissance  qu'il  doit  à  celui  qui  lui  a  donné  la 
vie.  Mais  de  quelle  vie  est- on« redevable  à  un  père? 
D'une  vie  remplie  de  misères,  d'amertumes,  de  toutes 
sortes  de  véritables  maux  ;  d^une  vie  qui  tend  à  la 
mort,  et  qui  est  ainsi  une  mort  continuelle.  Cepen- 
dant c'est  un  précepte  absolu  d'avoir  pour  nos  pères 
et  'mères  tous  les  respects  imaginables.  Et  par  le 
même  principe,  de  quelle  manière  devons-nous  étie 
pour  Dieu  ?  Il  nous  a  donné  une  vie  qui  doit  durer 
autant  que  lui-même;  il  nous  a  créés  pour  nous 
rendre  parfaitement  heureux  :  il  est  plus  père,  dit 
utl  Père  de  TEglise,  que  tous  les  pères  ensemble.  Il 
nous  a  aimés  d  un  amour  éternel  ;  et  qu'a-t-il  aimé 
en  nous?  car,  quand  on  aime,  c'est  pour  quelque 
chose  bonne  que  l'on  suppose  ou  que  l'on  trouve 
dans  l'objet  aimé  ;  et  qu'a-t-il  donc  trouvé  en  nous 
digne  de  son  amour?  Le  néant,  quand  nous  n'étions 
pas  ;  et  le  péché,  quand  nous  avons  été.  O  quel  excès 
de  bonté  !  Est-il  possible  que  nous  n'aimions  pas 
celui  qui  nous  a  fait  tant  de  bien ,  qi^i  nous  soutient 
et  qui  nous  conserve,  en  sorte  que,  s'il  détpurnoit  un 
'   moment  sa  face ,  nous  retomberions  dans  le  néant 
dont  sa  main  toute-puissante  nous  a  tirés  7  Pouvons- 
nous  partager  notre  cœur,  et  mettre  en  comparaison 
Dieu  qui  nous  promet  des  biens  éternels ,  et  le  monde 
qui  nous  éblouit,  et  qui  au  moment  de  la  mort  nous 
laissera  entre  les  mains  d'un  Dieu  vengeur,  d'un  Dieu 
â  qui  rien  ne  peut  résister,  enfin  d'un  Dieu  juste  qui 
nous  traitera  comme  on  l'aura  traité  7  Si  nous  avons 
sei*yi  le  monde,  il  nous  renverra  à  ce  maître  misé- 


ET    LA    FIDÉLITÉ    DAMS    LES    PETITES    CHOSES.       !i3l 

rable^  pour  nous  récompenseV.  La  loi.  par  laquelle 
Dieu  nous  ordonne  de  raimer,  n'a  étéécrite,  dît 
saint  A.ugustin,  que  pour  nous  faire  ressouvenir  qu  il 
est  monstrueux  de  Ta  voir  oublié. 

Considérons  la  bonté  de  Dieu,  quiysacbaxit  nos 
iogratitudeSy  et  coni^oissant  notre  foiblcsse,  a  voulu 
se  servir  de  t-outes  sortes  de  moyens  poui;  cous  ra- 
mener à  lui.  Il  nous  promet  des  récompenses  éter- 
nelles si  nous  Taimons^  il  nous  mepace  de  cbâtim«os 
si  nous  ne  l'aimons  pas  ;  et  c  est  même  dank  ces  me- 
naces terribles  que  nous  voyons  mieux  l'excès  de  sa 
miséricorde  et  de  sa  chémence  :  car  pourquoi  me- 
nace-t-il  si  souvent  ?  C'est  pour  n  être  pas  obligé  de 
punira  toute  extrémité.  Mais  prenons  garde  d*aboser 
de  ses  grâces ,  de  sa  miséricorde  et  de  sa  clémeojce  'y 
profilons  de  ce  temps;  craignons  de  Tirriter;  ne  di- 
sons point  comme  ces  âmes  cbancelautes,  qui  disapt 
tous  les  jours  :  Â  demain^  à  demain.  Prenons  de  fortes 
résolutions  d'être  tout  à  lui;  commençons  *  dès  au- 
jourd'kuiy  dès  ce  moment.  Qudle  témérité  de  compter 
sur  ce  qui  n'est  pas  en  notre  pouvoir  !  Uavenir  est 
un  abîme  que  X>iett  nous  cache  ;  et  quand  même  il 
seroit  à  nous,  comptons-nous  de  telle  sorte  sur  nous- 
mêmes,  que  nous  prétendions  faire  Tœuvre  de  Dieu 
sans  sa  grâce?  Profilons  de  *  celle  qu>il  nous  offre; 
c'est  peut-être  celle  d'où  dépend  notre  conversion  : 
avec  le- temps  les  passions  se  fortifient  de  telle  sorte 
qu'il  est  presque  impossible  de  les  assujettir.  Faisons 
notre  choix  présentement^  et  écoutons  Dieu,  qui.dit 
lui*^méme ,  par  Elie  :  Jusques  à  quand,  mon  peuple , 
serez-vous  partagé  entre  Baal  et  moi  ;  décidez  quel 
est  le  Dieu  véritable.  Si  c'dst  moi  ^  suivez-moi ,  et  ne 


aSa  sun  l'amour  de  dieu    # 

tenez  plus  vos  cœurs  en  suspens  :  si  c'est  Baal)  sui- 
vez-le ;  suivez  le  monde,  abandonnez-vous  à  lai;  et 
nous  verrons  au  jour  de  la  mort  s'il  vous  délivrera 
de  mes  mains. 

Mais  il  est  difficile,  dit-on,  de  n'aimer  que  Dieu, 
de  quitter  absolument  toute  attache.  Hé  !  quelle  dif- 
ficulté trouvez-vous  à  aimer  celui  qui  vous  à  faits  ce 
que  vous  êtes?  C'est  de  la  corruption  de  notre  nature 
que  vient  cette  répugnance  que  vous  sentez  à  rendre 
à  votre  Créateur  ce  que  vous  lui  devez.  Trouvez- 
vous  qn^il  soit  doux  d'être  partagé  entre  Dieu  et  le 
monde;  d'être  sans  cesse  entraîné  par  les  passions,  ei 
en  même  temps  déchiré  par  les  reproches  de  sa  con- 
science ;  de  ne  pouvoir  goûter  de  plaisir  sans  amer- 
tume, et  d'être  dans  une  continuelle  vicissitude? 
Cest  par  cet  injuste  partage ,  qui  fait  souffrir  sans 
relâche,  qu'on  veut  adoucir  la  rigueur  que  la  lâcheté 
lait  trouver  dans  l'amour  divin.  Mais ,  encore  une 
fois,  on  se  trompe  en  cela  grossièrement;  car  si  quel- 
qu'un peut-être  heureux,  même  dès  cette  vie,  cest 
celui  qui  aime  Dieu.  Si  l'amour-propre  pouvoitelre 
le  principe  de  quelque  chose  de  bon ,  il  devroit  nous 
porter  à  renoncer  à  tout  le  reste,  afin  d'être  à  Dieu 
uniquement.  Quand  son  amour  est  seul  dans  une 
ame ,  elle  goûte  la  paix  d'une  bonne  conscience  ; 
elle  est  constante  et  heureuse  ;.  il  ne  lui  faut  m  gr^^' 
deur,  ni  richesse ,  ni  réputation ,  ni  enfin  rien  de 
tout  ce  que  le  temps  emporte  sans  en  laisser  aucunes 
traces.  Elle  ne  veut  que  la  volonté  de  son  bien-aim^'» 
c'est  assez  qu'elle  sache  que  cette  volonté  s  acco»- 
plit ,  elle  veille  incessamment  dans  l'atteste  de  sob 
époux.  La  prospérité  ne  la  peut  enfler ,  ni  Tadversu^ 


WP    LA    FIDÉLITÉ    DANS    LES    PETITES    CHOSES.        a33 

rabattre  ;  c  est  dans  ce  détachement  de  sa  volonté 
propre  que  consiste  la  perfection  chrétienne  :  elle 
n'est  point  dans  la  subtilité*  du  raisonnement.  Com- 
bien de  docteurs  vains  et  pleins  d'eux-mêmes  se  sont 
égarés  dans  les  choses  de  Dieu ,  et  en  qui  se  vérifie 
la  parole  de  saint  Paul  :  La  science  enfle;  il  n'y  a 
que  la  charité  qui  édijie, 

hk  vçrtu  n'est  point  non  plus  dans  les  longues 
prières,  puisque  Jésus-Christ  dit  Icii-méme  :  Tous 
ceux  qui  disefU  :  Seigneur^  Seigneur,  n  entreront 
pas  au  royaume  des  deux  ;  et  mon  Père  leur  dira  : 
Je  ne  vous  connois  point.  Enfin ,  la  dévotion  ne  con- 
siste point  aussi *précisément  dans  les  œuvres  sans  la 
charité.  On  ne  peut  aimer  *Dieu  sans  les  œuvres , 
parce  que  la  charité  n'est  point  oisive.  Quand  elle 
est  en  nous,  elle  nous  porte  immanquablement  à 
faire  quelque  chose  pour  Dieu; et  si,  par  infirmité, 
nous  sommes  incapables  d'agir,  c  est  faire  quehjue 
chose  très-^agréable  à  Dieu  que  de  souSrir.  Ce  n'est 
pas  encore  tout  ;  après  être  parvenu  à  aimer  Dieu 
sans  partage,  il  faut  s'élever  à  l'aima  purement  pour 
Vamour  de  lui,  sans  vue  d^aucun  intérêt.  Hé!  n'en 
vaut-il  pas  bien  la  peine  ?  Si  quelque  chose  mérite 
d'être  aimé  ainsi ,  n'est-ce  pas  celui  qui  est  infini- 
ment aimable  ? 

Saint  François  de  Sales  dit  qu'il  en  est  des  gran- 
des vertus  et  des  petites  fidélités  gomme  du  sel  et  du 
sucre  :  le  sucre  a  un  go&t  plus  exquis,  mais  il  n'est 
pas  d*ttn  si  fi*équent  usage  ;  au  contraire,  le  sel  entre 
dans  tous  les  alimens  nécessaires  à  la  vie.  Les  grandes 
vertus  sont  rares ,  l'occasion  n'en  vient  guère  :  quand 
elle  se  présente ,  on  y  est  prépafé^r  tout  ce  qui  pré< 


a34  scm  l  amouk  de  dieu 

cède,  on  s*y  excite  par  la  grandeur  da  sacrifice,  on 
j  est  soutenu,  ou  par  Téclat  de  Faction  que  Ton  fait 
aux  yeux  des  autres ,  ou  par  la  complaisance  qu^on 
a  en  soi-même  dans  un  effort  qu'on  trouve  extraordi* 
naire.  Les  petites  occasions  sont  imprévues,  elles  re- 
viennent à  tout  moment,  elles  nous  mettent  sans 
cesse  aux  prises  avec  notre  orgueil ,  notre  paresse  , 
notre  hauteur ,  notre  promptitude  et  notre  chagrin  ; 
elles  vont  à  rompre  notre  volonté  en  tout,  et  à  ne 
nous  laisser  aucune  réserve.  Si  on  veut  y  être  fidèle, 
la  nature  n*a  jamais  le  temps  de'r^pirer,  et  il  faut 
qu'elle  meure  à  toutes  ses  inclinations.  On  aimeroit 
cent  fois  mieux  faire  à  Dieu  certains  grands  sacritî- 
ces,  quoique  violens  et' douloureux,  à  condition  de 
se  dédommager  par  la  liberté  de  suivre  ses  goûts 
et  ses  habitudes  dans  tous  les  petits  détails.  Ce  n*est 
pourtant  que  par  la  fidélité  dans  les  petites  choses , 
que  la  grâce  du  véritable  amour  se  soutient,  et  se 
distingue  des  faveurs  passagères  de  la  nature. 

Il  en  est  de  la  piété  comme  de  l'économie  pour 
les  biens  temporels  :  si  on  n'y  prend  garde  de  près,  on 
se  mine  plus  en  faux  frais  qu'en  gros  articles  de  dé- 
pense. Quiconque  sait  mettre  à  profit,  pour  le  spirituel 
comme  pour  le  temporel ,  les  petites  choses ,  amasse 
de  grands  biens.  Toutes  les  choses  qui  sont  glandes, 
ne  le  sont  que  par  l'assemblage  des  petites  qu'on  re- 
cueille soigueusenient.  Qui  ne  laisse  rien  perdre , 
s'enrichira  bientôt. 

D'ailleurs,  considérez  que  Dieu  ne  cherche  pas  tant 
nos  actions,  que  le  motif  d'amour  oui  les  fait  faire, 
et  la  souplesse  qu'il  exige  de  notre  volonté.  Les 
hommes  ne  jugei^p'resque  nos  actions  que  par  le 


ET    LA    FIDÉLITÉ   DANS    LES    PETITES    CHOSES*        ^M 

dehors  :  Dieu  compte  pour  riea  dans  nos  actions 
tout  ce  qui  éclate  le  plus  aux  yeux  des  hommes.  Ce 
qu  il  vent ,  c^est  une  intention  pure ,  c*est  une  volonté 
prête  à  tout,  et  souple  dans  ses  mains ,  cest  un  sin- 
cère  détachement  de  soi-même.  Tout  cela  s'exerce 
plus  fréquemment,  avec  moins  de  danger  pour  l'or- 
gueil, et  d'une  manière  qui  uoiis  éprouve  plus 
rigoureusement  dans  les  occasions  communes  que 
dans  les  extraordinaires.  Quelquefois  même  on  tient 
plus  à  une  bagatelle  qu'à  un  grand  intérêt;  on  aura 
plus  de  répugnance  à  s'arracher  un  amusement, 
qu  a  faire  une  aumône  d'une  très-grande  somme. 

On  se  trompe  d'autant  plus  aisément  sur  les  petites 
choses,  qu'on  lés  croit  plus  innocentes,  et  qu'on  s'i- 
magine y  être  moins  attaché.  Cependant,  quand  Dieu 
nous  les  ate,  nous  pouvons  facilement  reconnoître, 
par  la  douleur  de  la  privation,  combien  l'attache- 
ment et  l'usage  étoient  excessifs  et  inexcusables, 
bailleurs ,  si  on  néglige  les  petites  choses ,  on  scanda- 
lise à  toute  heure  sa  famille,  son  domestique  et  tout 
le  public.  Les  hommes  ne  peuvent  s'imaginer  que  no- 
tre piété  soit  de  bonne  foi,  quatid  notre  conduite 
paroit  en  détail  lâche  et  irrégulière.  Quelle  appa- 
rence de  croire  que  nous  ferions  sans  hésiter  leâ  plus 
grands  sacrifices,  pendant  que  nous  succombons 
dès  qu'il  est  question  des  plus  petits? 

Mais  oe  qu'il  y  a  de  plus  dangereux,  c'est  que 
Tame,  par  la  négligence  des  petites  choses,  s'accou- 
tume à  l'infidélité.  Elle  centriste  le  Saint-Esprit,  elle 
se  laisse  à  elle-même,  elle  compte  pour  rien  de 
manquer  a  Dieu.  Au  contraire,  le  vrai  amour  ne 
voit  rien  de  petit  ;  tout  ce  qui  peut  plaire  ou  déplaire 


a36  sun  l  amour  de  dieu 

à  Dieu  lui  parott  toujours  grand.  Ce  n^est  pas  que 
le  vrai  amour  jette  Tame  dans  la  gène  et  dans  le  scru- 
pule, mais  c*est  qu*il  ne  met  point  de  bornes  à  sa  fi- 
délité. Il  agit  simplement  avec  Dieu  ;  et  comme  il  ne 
s^embarrasse  point  des  choses  que  Dieu  ne  lui  de- 
mande pas  y  il  ne  veut  aussi  jamais  hésiter  un  seul 
instant  sur  celles  que  Dieu  lui  demande ,  soit  grandes, 
soit  petites.  Ainsi  ce  n*est  point  par  gêne  qu  on  de- 
vient alors  fidèle  et  exact  dans  les  moindres  choses  ; 
c'est  par  un  sentiment  d*amour ,  qui  est  exempt  des 
réflexions  et  des  craintes  des  âmes  inquiètes  et  scru- 
puleuses.^On  est  comme  entraîné  par  Famonr  de 
Dieu  :  on  ne  veut  faire  que  ce  qu^on  fait,  et  on 
ne  veut  rien  de  tout  ce  qu'on  ne  fait  pas.  En  même 
temps  que  Dieu  jaloux  presse  Tame ,  la  pousse  sans 
relâche  sur  les  moindres  détails ,  et  semble  lui  ôter 
toute  liberté  y  elle  se  trouve  au  larg^,  et  elle  jouit 
d'une  profonde  paix  en  lui.  O  qu'elle  est  heureuse  ! 
Au  reste,  les  personnes  qui  ont  naturellement 
moins  d'exactitude  sont  celles  qui  doivent  se  faire  une 
loi  plus  inviolable  sur  les  petites  choses.  On  est  tenté 
de  les  mépriser;  on  a  l'habitude  de  les  compter  pour 
rien;  on  n'en  considère  point  assez  la  conséquence; 
on  ne  se  représente  point  assez  le  progrès  insensible 
que  font  les  passions;  on  oublie  même  les  expérien- 
ces les  plus  funestes  qu'on  en  a  faites.  On  aime  mieux 
se  promettre  de  soi  une  fermeté  imaginaire ,  et  se  fier 
à  son  courage, tant  de  fois  trompeur,  que  de  s'assu- 
jettir à  une  fidélité  continuelle.  C'est  un  rien ,  dit-on. 
Oui ,  c'est  un  rien ,  mais  un  rien  qui  est  tout  pour 
vous;  un  rien  que  vous  aimez  jusqu'à  lePrefuser  à 
Dieu  ;  un  rien  que  vous  méprisez  en  parole  pour 


ET    Lk   FIDÉLITÉ    DÂlfS    LES    PETITES    CHOSES.        287 

avoir  un  prétexte  de  le  refuser  :  mais  dans  le  fond 
c*est  un  rien  que  vous  réservez  contre  Dieu ,  et 
qui  vous  perdra.  Ce  n^est  point  élévation  d*esprit 
que  de  mépriser  les  petites  choses  ;  c*est  au  contraire 
par  des  vues  trop  bornées  qu'on  regarde  comme 
petit  ce  qui  a  des  conséquences  si  étendues.  Plus  on 
a  de  peine  à  se  précautionner  sur  les  petites  choses, 
plus  il  faut  y  craindre  la  négligence ,  se  défier  de  soi- 
même ,  et  poser  des  barrières  invincibles  entre  soi 
et  le  relâchement  :  Qui  spernit  modica  ,  paulatim 
decidet  (0. 

Enfin  jugez-vous  par  vous-même.  Vous  accommo- 
deriez-voift  d*un  ami  qui  vous  devroit  tout ,  et  qui , 
voulant  bien  par  devoir  vous  servir  dans  ces  occa- 
siens  rares  qu*on  nomme  grandes,  ne  voudroît  s*as« 
sujettir  à  avoir  pour  vous  ni  complaisance  ni  égard 
dans  le  commerce  de  la  vie? 

Ne  craignez  point  cette  attention  continuelle  aux 
petites  choses.  D*abord  il  faut  du  courage  :  mais  c'est 
une  pénitence  que  vous  méritez,  dont  vous  avez  be- 
soin y  qui  fera  votre  paix  et  votre  sûreté  ;  hors  de  là, 
rien  que  trouble  et  rechute.  Dieu  vous  rendra  peu  à 
peu  cet  état  doux  et  facile.  Le  vrai  amour  est  attentif, 
sans  gêne  et  sans  contention  d^esprit. 

(0  EceU^xm,  i. 


a38  SUR    LES    G09VBRS10KS    L4CBBS. 

IX- 

Sur  les  conversions  lâches  (*). 

Les  gens  qui  étoient  éloignes  de  Dieu  se  croient 
bien  près  de  lui^  dès  qu'ils  commencent  à  faire  quel- 
ques pas  pour  s'en  rapprocher.  Les  gens  les  plus 
polis  et  les  plus  éclairés  ont  là-dessus  la  même  gros- 
sièreté quun  paysan  y  qui  croiroit  être  bien  à  la 
cour,  parce  qu'il  auroit  vu  le  Roi,  On  abandoune 
les  vices  qui  font  horreur,  on  se  retranche  dans  uue 
vie  lâche,  mondaine  et  dissipée.  On  en  juge,  non  par 
rÉvangile,  qui  est  Tunique  règle,  mais  par  la  com- 
paraison qu'on  fait  de  cette  vie  avec  celle  qu'on  a 
menée  autrefois,  ou  qu'on  voit  mener  à  tant  d'autres. 
Il  n'en  faut  pas  davantage  pour  se  canoniser  soi- 
même,  et  pour  s'endormir  d'un  profond  sommeil  sur 
tout  ce  qui  resteroit  à  faire  par  rapport  au  salut. 

Cependant  cet  état  est  peut-être  plus  funeste  qu'un 
désordre  scandaleux.  Ce  désordre  troubleroit  la  con- 
science, réveilleroit  la  foi,.et  engageroit  à  faire  quel- 
que grand  effort  :  au  lieu  que  ce  changement  ne  sert 
qu'à  étouffer  les  remords  salutaires,  qu'à  établir  une 
fausse  paix  dans  le  cœur,  et  qu'à*  rendre  les  maux 
irrémédiables  en  persuadant  qu'on  se  porte  bien.  Le 
salut  n'est  pas  seulement  attaché  à  la  cessation  du 
mal;  il  faut  encore  y  ajouter  la  pratique  du  bien. 'Le 

(*)  On  a  vu  plus  haut, parmi  les  Réflexions  pour  tous  iesjoorsàu 
mois,  un  extrait  de  cette  instruction.  Nous  la  publions  toute  enuere 
diaprés  le  manuscrit  original.  {Edit.  de  Vers.) 


sun   LES  coivvEitsioirs  lâches.  239 

royaume  du  ciel  est  d'un  trop  grand  prix  pour  être 
donne  à  une  crainte  d'esclave,  qui  ne  s'abstient  du 
mal  qu'à  cause  qu'il  n'ose  le  faire.  Dieu  veut  des 
enfanf  qui  aiment  sa  bonté,  et  non  des  esclaves  qui 
ne  le  servent  que  par  la  crainte  de  sa  puissance.  Il 
faat  donc  l'aimer,  et,  par  conséquent,  faire  tout  ce 
quinspire  le  véritable  amour.  Peui-en  aimer  Dieu 
de  bonne  foi ,  et  aimer  avec  passion  le  monde  son 
eonemi,  auquel  il  a  donné  dans  l'Évangile  une  si 
rigoureuse  malédiction?  Peut-on  aimer  Dieu,  et 
craindre  de  le  trop  connottre,  de  peur  d'avoir  trop 
de  choses  à  faire  pour  lui?  Peut-on  aimer  Dieu,  et  se 
contenter  de  ne  l'outrager  pas,  sans  se  mettre  jamais 
en  peine  de  lui  plaire,  de  le  glorifier,  et  de  lui  té- 
moigner courageusement  son  amour?  L'arbre  qui 
ne  porte  aucun  fruit  doit  être  coupé  et  jeté  an 
feu,  selon  Jésus-Christ  dans  l'Evangile  (0,  comme 
s'il  étoit  mort.  En  effet,  quiconque  ne  porte  point 
les  fruits  de  l'amour  divin  est  mort  et  desséché  jus- 
qu'à la  racine. 

T  a-t-il  de  vile  créature  sur  la  terre  qui  se  con- 
tentât d'être  aimée  comme  on  n'a  point  de  honte  de 
vouloir  aimer  Dieu?  On  veut  l'aimer  à  condition  de 
ne  lui  donner  que  des  paroles  et  des  cérémonies,  et 
encore  des  cérémonies  courtes,  dont  oikest  bientôt 
lassé  et  ennuyé;  à  condition  de  ne  lui  sacrifier  au- 
cune passion  vive,  aucun  intérêt  efiectif,  aucune  des 
commodités  d'une  vie  molle.  On  veut  l'aimer  à  con- 
dition qu'on  aimera  avec  lui,  et  plus  que  lui,  tout 
ce  qu'il  n'aime  point,  et  qu'il  condamne,  dans  les 
vanités  mondaines.  On  veut  bien  l'aimer  à  condition 

\*)3faUk.  TU.  19. 


!l4o  StTR    LES    COUTERSIOHS    LACHES. 

de  ne  diminner  en  rien  cet  aveugle  amonr  de  nous- 
mémeSy  qui  va  jusqu'à  Fidolâtrie,  et  qui  fait  qu'au 
lieu  de  nous  rapporter  à  Dieu  comme  à  celui  pour 
qui  nous  sommes  faits,  on  veut  au  contraii^  rap* 
porter  Dieu  à  soi ,  et  ne  le  chercher  que  comme  un 
pis-aller,  afin  qu'il  nous  serve  et  qu'il  nous  console, 
quand  les  créatures  nous  manqueront.  En  vërité, 
est-ce  aimer  Dieu?  N'est-ce  pas  plutôt  Firriter  ? 

Ce  n'est  pas  tôuL  On  veut  encore  aimer  Dieu ,  à 
condition  qu'on  aura  honte  de  son  amour,  qu'on  le 
cachera  comme  une  foiblesse;  qu'on  rougira  de  lui 
comme  d'un  ami  indigne  d'être  aimé;  qu'on  ne  lui 
donnera  que  quelques  apparences  de  religion ,  pour 
éviter  le  scandale  de  l'impiété,  et  qu'on  vivra  à 
la  merci  du  monde ,  pour  n'oser  rien  donner  à  Dieu 
qu'avec  sa  permission?  Voilà  l'amour  avec  lequel  on 
pi*étend  mériter  les  récompenses  éternelles. 

Je  me  suis  confessé,  dira-t-on ,  fort  exactement 
des  péchés  de  ma  vie  passée;  je  fais  quelques  lec- 
tures; j'entends  la  messe  modestement,  et  j'y  prie 
Dieu  d'assez  bon  cœur  ;  j'évite  tous  les  grands  péchés. 
D'ailleurs  je  ne  me  sens  point  asses  touché  pour 
quitter  le  monde,  et  pour  ne  garder  plus  de  mesure 
avec  lui.  La  religion  est  bien  rigoureuse  si  elle  re- 
jette de  si  honnçtes  tempéramens.  Tous  ces  raffine* 
mens  de  dévotion  vont  trop  loin ,  et  sont  plus  pro- 
pres à  décourager,  qu'à  faire  aimer  le  bien.  Voilà 
ce  que  disent  des  geitf  qui  paroissent  d'ailleurs  bien 
intentionnés;  mais  il  est  facile  de  les  détromper,  s'ils 
veulent  examiner  les  choses  de  bonne  foi. 

Leur  erreur  vient  de  ce  qu^ils  ne  connoissent  ni 
Dieu  ni  eux-mêmes.  Ils  sont  jaloux  de  leur  liberté , 

et 


SUR    LES   CONVERSIONS  LÀCBES.  24 1 

et  ils  craignant  de  la  perdre,  en  se  livrant  trop  à  la 
piété.  Mais  ils  doivent  considérer  qu'ils  ne  sont  point 
à  eux-mêmes;  ils  sont  à  Dieu,  qui,  les  ayant  faits 
uniquement  pour  lui^  et  non  pour  eux-mêmes ,  les 
doit  mener  comme  il  lui  plaît,  avec  un  empire  ab- 
solu. Us  se  doivent  tout  entiers  à  lui  ians  condition 
et  sans  réserve.  Nous  n'avons  pas  même,  à  propre- 
ment parler^  le  droit  de  nous  donner  à  Dieu  ;  car 
nous  n'avons  aucun  droit  sur  nous-mêmes.  Mais  si 
nous  ne  .nous  laissions  pas  à  Dieu ,   comme  Une 
chose  qui  est  de  sa  nature  toute  à  lui ,  nous  ferions 
nn  larcin  sacrilège ,  qui  renverseroit  Tordre  de  la  na* 
ture,  et  qui  violeroit  la  loi  essentielle  de  la  créa- 
ture. Ce  D*est  donc  pas  à  nous  à  raisonner  sur  la  loi 
qae  Dieu  nous  impose  ;  c'est  à  nous  à  la  recevoir,  à 
l'adorer,  à  la  suivre  aveuglément.  Dieu  sait  mieux 
que  nous  ce  qui  nous  convient.  Si  nous  faisions 
TEvangile  ,  peutrétre  serions-nous  tentés  de  Tadou- 
cir,  pour  Taccommoder  à  notre  lâcheté  :  niais  Dieu 
ne  nous  a  pas  consultés  en  le  faisant  4  il  nous-  l'a 
donné  tout  fait,  et  ne^nous  a  laissé  aucune  espé- 
rance de  salut  que  par  l'accomplissement  de  cette 
souveraine  loi,  qui  est  égale  pour  toutes  les  condi- 
tions. Le  ciel  et  la  terre  passeront,  et  cette  parole 
de  vie  ou  de  mort  ne  passera  jamais  :  on  ne  peut  en 
retrancher  ni  un  mot  ni  la  moindre  lettre.  Mal- 
heur aux  prêtres  qui  oseroient  en  diminuer  la  force, 
pour  nous  l'adoucir!  Ce  n'est  pas  eux  qui  ont  fait 
cette  loi;  ils  n'en  sont  que  les  simples  dépositaire^. 
Il  ne  faut  donc  pas  s'en  prendre  à  eux  si  l'Évangile 
fist  une  loi  sévàre.  Cette  loi  est  autant  redoutable 
pour  eux  que  pour  le  reste  des  hommes,  et  plus 
Fénélon.  xviii.  16 


24^  SUR    LES   COlfTERSIONS    LACHES. 

encore  pour  eax  que  pour  les  autres,  puisqu'ils  ré- 
pondent et  des  autres  et  d'eux-mêmes,  pour  Fobser- 
vation  de  cette  loi.  Malheur  à  l'aveugle  qui  en  con- 
duit un  autre  ;  ils  tomberont  tous  deux  ^  dit  le  Fils  de 
Dieu  (O9  dans  *  le  précipice.!  Malheur  au  prêtre 
ignorant,  ou 'lâche  et  flatteur,  qui  veut  élargir  la 
voie  étroite!  La  voie  large  est  celle  qui  conduit  à  la 
perdition.  Que  Torgueil  de  Thomme  se  taise  donc!  11 
croit  être  libre,  et  il  ne  Test  pas.  C'est  à  lui  à  porter 
le  joug  de  la  loi,  et  à  espërer  que  Dieu  lui  donnera 
des  forces  proportionnées,  à  la  pesanteur  de  ce 
joug. 

En  effet ,  celui  qui  a  ce  souverain  empire  sur  sa 
créature  pour  lui  commander,  lui  donne,  par  sa  grâce 
intérieure,  de  vouloir  et  de  faire  ce  qu'il  commande. 
Il  fait  aimer  son  joug;  il  Tadoucit  par  le  charme 
intérieur  de  la  justice  et  de  la  vérité.  Il  répand  ses 
chastes  délic^  sur  les  vertus,  et  dégoûte  des  faux 
plaisirs.  Il  soutient  l'homme  contre  lui-même,  Tar- 
rache  à  sa  corruption,  et  le  rend  fort  malgré  sa  foi- 
blesse.  O  homme  de  peu  dç  foi ,  que  craign.ez-voas 
donc?  laissez  faire  Dieu;  abandonnez-vous  à  lai' 
vous  souffrirez  ;  mais  vous  souffrirez  avec  amour^ 
paix  et  consolation.  Vous  combattrez;  mais  tous 
remporterez  la  victoire,  et  Dieu  lui-même,  après 
avoir  combattu  avec  vous,  vous  couronnera  de  sa 
propre  main.'  Vous  pleurerez  ;  mai$  vos   larmes 
seront  douces,  et  Dieu  lui-même  viendra  avec  com- 
plaisance les  essuyer.  Vous  ne  serez-plus  libre  pour 
vous  abandonner  à  vos  passions  tyraaniques  ;  mais 
vous  sacrifierez  librement  votre  liberté,-  et  vous 

(0  Mauh,  zv.  14. 


sua   LES    COKiVEaSIOllS   LACHES.  ^43 

entrerez  daos  une  liberté  nouvelle  et  inconnue  au 
monde  9  où  vous  ne  ferez  rien  que  par  amour. 

De  plus  considérez  quel  est  votre  esclavage  dans 
le  monde.  Que  n'avez-vous  point  à  souffrir  pour 
ménager  l'estime  de  ces  hommes  que  vous  méprisez? 
Que  ne  vous  en  coûte-t-il  pas  pour  réprimer  vos 
passions  emportées ,  quand  elles  vont  tr6|>  loin  ;  pour 
contenter  celles  auxquelles  vous  voulez  céder  ;  pour 
cacher  vos  peines;  pour  soutenir  les  bienséances 
importunes?  Est-ce  donc  là  cette  liberté  que  vous 
vantez  tant,  et  que  vous  avez  tant  de  peine  de  sa^ 
crifier  à  Dieu?  Où  est-elle ,  où  est-elle?  montrez-la- 
moi.  Je  ne  vois  partout  que  géûe,  -que  servitude 
basse  et  indigne ,  que  nécessité  déplorable  de  se  dé- 
guiser depuis  le  matin  jusqu'au  soir.  On  se  refuse  à 
Dieu ,  qui  ne  nous  veut  que  pour  nous  sauver  :  on 
se  livre  au  monde ,  qui  ne  nous  veut  que  pour  nous 
tyranniser  et  pour  nous  perdre.  On  s'imagine  qu'on 
ne  fait  dans  le  monde  que  ce  qu'on  veut,  parce 
qu'on  sent  le  goût  de  ses  passions  par  lesquelles  on 
est  entraîné  :  mais  compte-t-on  les  dégoûts  affreux, 
lés  ennuis  mortels,  les  mécomptes  inséparables  des 
plaisirs ,  les  humiliations  qu'on  a  à  essuyer  dans  les 
places  les  plus  élevées  ?  Au  dehors  tout  est  riant  ; 
au  dedans  tput  est  plein  de  chagrins  et  d'inquiétudes. 
On  croit  être  libre  quand  on  ne  dépend  plus  que  de 
ses  passions'  :  folle  erreur!  Y  a-t-il  au  monde  un 
état  où  l'on  ne  dépende  pas  encore  davantage  des 
fantaisies  d'autrui  que  des.  siennes?  Tout  le  com- 
merce de  la  vie  est  gêné  par  les  .bienséances  et  par 
la  nécessité  de  complaire  aux  autres. 

D'ailleurs,  nos  passions  sont  le  plus  rude  de  tous 


244  ^^^   ^^   COSYEASIOlfS   LACHES. 

les  tyrans  :  si  on  ne  les  suit  qa*à  demi ,  il  fant  à  toute 
beare.étre  aux  prises  contre  elles,  et  ne  respirer 
jamais  un  seul  moment  en  sûreté.  Elles  trahissent, 
elles  déchirent  le  cœur  ;  elles  foulent  aux  pieds  la 
raison  et  Fhonneur;  elles  ne  disent  jamais  :  C^est 
assez.  ^Quand  même  on  seroit  s&r  de  les  vaincre 
toujours,  quelle  affreuse  victpirel  Si  au  contraire  on 
s'abandonne  au  >  torrent ,  où  vous  entraînera-t-il  ? 
j*ai  horreur  de  le  penser  :  vous  n*oseriez  le  penser 
vous-même. 

O  mon  Dieu  !  préservez-moi  de  ce  funeste  escla- 
vage, que  Finsolence  humaine  n'a  point  de  honte  de 
nommer  une  liber  té.  -  C'est  en  vous  qu'on  est  libre; 
c'est  votre  vérité  qui  nous  délivrera.  Vous  servir, 
c'est  régner. 

Mais  quel  aveuglement  de  craindre  d'aller  trop 
avant  dans  l'amour  de  Dieu!  plpngeons-nous-y  : 
plu^  en  f  aime,  plus  on  aime  aussi  tout  ce  qu'il  nous 
fait  faire.  C'est  cet  amour  qui  nous  console  de  nos 
pertes,  qui  nous  adoucit  nos  croix,  qui  nous  dé- 
tache de  tout  ce  qu'il  est  dangereux  d'aimer,  qui 
nous  préserve  de  mille  poisons,  qui  nous  montre 
une  miséricorde  bienfaisante ,  au  travers  de  tons  les 
maux  que  nous  souffrons,  qui  nous  découvre  dans 
la  mort  même  une  gloire  et  une  félicil;f$  éternelle. 
Cest  cet  amour  qui  change  tous  nos  maux  en  biens; 
comment  pouvons.- nous  praindre  de  nous  remplir 
trop  de  lui?  Craignons-nous  d'être  trop  heureux, 
trop  délivrés  de  nous-mêmes ,  des  caprices  de  notre 
orgueil,  d#  la  violence  de  nos  passions,  et  de  la 
tyrantiie  du  monde  trompeur?  Que  tardons-nous  à 
nous  jeter  avec  une  pleine  confiance  entre  les  bras 


StIR    LES    QOMVBRSIOlffS    LÂCHES.  %/\.b 

du  père  des  miséricordes  et  du  Dieu  de  toute  conso- 
lation? Il  nous  aimera  ;  nous  l'aimerons.  Son  amour 
croissant  nous  tiendra  lieu  de  tout  le  reste.  Il  rem- 
plira  lui  seul  notre  cœur,  que  le  monde  a  enivré, 
agité,  troublé,  sans  le  pouvoir  |amais  remplir.  Il  ne 
nous  fera  mépriser  que  le  monde  que  nous  mépri- 
sons déjà.  Il  ne  nous  ôtera  que  ce  qui  nous  rend 
malheureux.  Il  ne  nous  fera  faire  que  ce  que  nous 
faisons  tous  les  jours  :  des  sections  simples  et  rabon- 
nables,  que  nous  faisons  mal,  faute  de  les  fiii^  pour 
lui  ;  il  nous  les  fera  faire  bien ,  en  nom  inspirant  de 
les  faire  pour  lui  obéir.  Tout,  jusqu'aux  moindres 
actions  d'une  vie  siniple  et  commune ,  se  tournera 
en  consolation,  en  mérite  et  en  récompense.  Nous 
verrons  en  paix  venir  la  mort  :  elle  sera  changée 
pour  nous  en  un  commencement  de  vie  immortelle. 
Bien  loin  de  nous  dépouiller,  elle  nous  revêtira  de 
tout,  comme  dit  saint  Paul.  O  que  la  religion  est 
aimable  ! 

X.  • 
Sur  r imitation  de  Jésus^Christ. 

Il  faut  imiter  Jésus  :  c'est  vivre  comme  il  a  vécu, 
penser  comme  il  a  pensé,  et  se  conformer  à  son 
image ,  qui  est  le  sceau  de  notre  sanctification. 

Quelle  différence  de  conduite  !  Le  n^nt  se  croit 
quelque  chose,  et  le  Tout-Puissant  s'anéantit.  Je  m'a- 
néantirai avec  vous,  Seigneur^  je  vous  ferai  un  sacri- 
fice entier  de  mon  orgueil ,  et  de  la  vanité  qui  m*a 


a4fi  S^^   L*UUTAT10H 

possédé  )ii8qo*à  prëseDt.'. Aides  ma  bonne  volonté; 
éloignez  de  moi  les  occasions  o&  \e  tomberois  ;  dé^ 
tournez  mes  yeux  afin  quejç  ne  regarde  point  la  vo- 
mie (i);  qne  je  ne  voie  que  vons,  et  que  je  me  voie 
devant  vous  :  ce  ser  a  alors  que  je  connoUrai  ce  qne 
je  suis  et  ce  4  ne  voas  iles. 

Jésas-Christ  naît  dans  une  étable  ;  il  est  contraint 
de  fuir  en  Egypte;  11  passe  traite  ans  de  sa  vie  dans 
la  boutique  d'un  artisan  ;  il  souflre  la  faim,  la  soif, 
la  lassitude;  il  est  pauvre,  méprisé  et  abject;  il  en- 
seigne la  doctrine  du  ciel ,  et  personne  ne  Técoute  : 
tons  les  grands  et  les  sages  le  poursuivent ,  le  pren- 
nent, lui  font  souffrir  des  tourmens  effroyables,  le 
traitent  comme  un  esclave,  le  font  mourir  entre  deux 
voleurs  après  avoir  préféré  à  lui  un  voleur.  Voilà  la 
vie  que  Jesus-Christ  a  choisie;  et  nous,  nous  avons 
en  horreur  toutes  sortes  d^humiliatioos,  les  moindres 
mépris'nous  sont  insupportables. . 

Comparons  notre  vie  à  celle  de  Jésus-Christ  ;  sou- 
venons-nous quHl  est  le  maître,  et  que  nous  sommes 
les  esclaves;  qu'il  est  tout-puissant,  et  que  nous  ne 
sommes  que  foiblesse  ;  il  s'abaisse,  et  nous  nous  éle- 
vons. Accoutumons-nous  à  penser  si  souvent  à  notre 
misère,  que  nous  n*ayons  de  mépris  que  pour  nous. 
Pouvons-nous  avec  justice  mépriser  les  autres,  et 
considérer  leurs  défauts,  quand  nous  en  sommes  nous- 
mêmes  remplis?  Commençons  à  marcher  par  le  che- 
min que  Jésus-Christ  nous  a  tracé,  puisque  c*est  le 
seul  qui  nous  puisse  conduire  à  lui. 

Et  comment  pouvons-nous  trouver  Jésus-Christ, 
si  nous  ne  le  cherchons  dans  les  états  de  sa  vie  mor- 

{})Ps:  cxTiii.  37. 


DE   JÉSUS-CHRIST.    ^  ^47 

telle,  c'est-à-dire,  cUns  la  solitude,  dans  le  silence, 
dans  la  pauvreté  et  la  souffrance,  dans  les  persécu- 
tions et  les  mépris,  dans  la  croix  et  les  anéantisse* 
mens?  Les  saints  le  trouvent  dans  le  ciel,  dans  les 
splendeurs  de  la  gloire  et  dans  les  plaisirs  ineffables; 
mais  c'est  après  être  demeurés  avec  lui  en  terre  dans 
les  opprobres,  les  doulews  et  les  humiliations.  Être 
chrétiens,  c'est  être  imitateurs  de  Jésus-Christ.  En 
quoi  pouvons-nous  l'imiter  que  dans  ses  huiniliations? 
Rien  autre  chose  ne  nous  peut  approcher  de  lui. 
Comme  tout-puissant,  nous  devons  l'adorer  ;  comme 
juste,  nous  devons  le  craindre;  comme  bon  et  misé- 
ricordieux, nous  devons  l'aimer  de  toutes  nos  forces; 
comme  humble,  soumis,  abject  et  mortifié,  nous  de- 
vons rimiter. 

Ne  prétendons  pas  de  pouvoir  arriver  par  nos  pro- 
près  forces  à  cet  état  ;  tout  ce  qui  est  en  nous  y  résiste  : 
mai  s  consolons-nous  dans  la  présence  de  Dieu.  Jésus- 
Christ  a  voulu  sentir  toutes  nos  foiblesses;  il  est  un 
pontife  compatissant,  qui  a  voulu  être  tenté  comme 
nous  :  prenons  donc  toute  notre  force  en  lui,  de- 
venu volontairement  foible  pour  nous  fortifier  :  en- 
richissons-nous par  sa  pauvreté,  et  disons  avec  con- 
fiance :  3  e  puis  tout  en  celui  qui  me  fortifie  (0. 

Je  veux  suivre,  ô  Jésus,  le  chemin  que  vous  avez 
prisfie  vous  veux  imiter  ^  je  ne  le  puis  que  par  votre 
grâce.  O  Sauveur  abject  et  humble,  donnez-moi  la 
science  des  véritables  Chrétiens,  et  le  goût  du  mépris 
de  moi-même  ;  et  que  j'apprenne  la  leçon  incompré- 
hensible à  l'esprit  humain,  qui  est  de  mourir  à  soi- 
même  par  la  mortification  et  la  véritable  humilité! 

^0  PMLip.  IV.  i3. 


248  SUE    LIMITATION    DE   JÉSUS-CHRIST. 

Mettons  la  main  à  Fœuvre ,  et  changeons  ce  cœur 
si  dur  et  si  rebelle  au  cœur  de  Jésus-Christ,  appro- 
chons-nous du  cœur  sacré  de  Jésus;  qu'il  anime  le 
nôtre,  qu'il  détruise  toutes  nos  répugnances.  O  bon 
Jésus,  qui  avez  souffert  pour  Tamour'de  moi  tant 
d'opprobres  et  d'humiliatiops^imprimex-en  puissam- 
ment Festime  et  Tamour  dans  mon  cœur,  et  faites- 
m'en  désirer  les  pratiques. 

XI. 

De  l'humilité  (*). 

Tous  les  saints  sont  convaincus  que  l'humilité  sin- 
cère est  le  fondement  de  toutes  les  vertus;  c'est  parce 
que  l'humilité  est  la  fille  de  la  pure  charité;  et  l'hu- 
milité  n'est  autre  chose  que  la  vérité.  Il  n'y  a  que 
deux  Vérités  au  monde,  celle  du  tout  de  Dieu,  et  du 
rien  de  la  créature  :  afin  que  l'humilité  soit  véritable, 
il  faut  qu* elle  nous  fasse  rendre  un  hommage  conti- 
nuel  à  Dieu  par  notre  bassesse,  demeurer  dans  notre 
place,  qui  est  ^aimer  à  n'être  rien.  Jésus-Christ  dit 
qu'il  faut  être  doux  et  humble  de  cœur  ;  la  douceur 
est  fille  de  l'humilité,  comme  la  colère  est  fille  de 
Forgueil.  Il  n'y  a  que  Jésus -Christ  qui  nous  puisse 
donner  cette  véritable  humilité  du  cœur  qui  vient  de 
lui  :  elle  natt  de  l'onction  de  sa  grâce;  elle  ne  con- 
siste point,  comme  on  s'imagine,  à  faire  des  actes 

C*)  Cei  article  paroit  ici  pour  la  première  fois,  cTaprës  une  copie 
très-ancienne  des  Divers  Stntimtns  et  AvU  chrétiens,  H  faat  appli- 
quer à  cel  article  robseryation  que  nous  awns  faite  plus  inut  à  roc- 
casion  de  Particle  viii.  {Edit,  de  Fers.) 


DS    LHUMILITÉ.  ^49 

extérieurs  d^hamilitë,  quoique  cela  soit  bon  ;  mais  à 
demeurer  à  sa  place.  Gelai  qui  s'estime  quelque  chose 
n*est  pas  véritablement  humble;  celui  qui  v.eut  quel- 
que chose  pour  soi-même  ne  Test  pas  non  plus  :  mais 
celui  qui  s'oublie  si  fort  soi-même  qu'il  ne  pense  ja- 
mais à  soi,  qui  n'a  pas  un  retour  sur  lui-même;  qui 
au  dedans  n'est  qije  bassesse;  et  n'est  blessé  de  rien , 
sans  affecter  la  patience  au  dehors ,  qui  parle  de  soi 
comme  il  parleroit  d'un  autre ,  qui  n'affecte  point  de 
s'oublier  soi-même  lorsqu'il  en  est  tout  plein,  qui  se 
livre  pour  la  charité  sans  faire  attention  si  c'est  hu- 
milité ou  orgueil  d'en  user  de  la  sorte ,  qui  est  très- 
content  de  passer  pour  être  sans  humilité  ;  enfin  celui 
qui  est  plein  de  charité,  est  véritablement  humble. 
Celui  qui  ne  cherche  point  son  intérêt,  mais  le  seul 
intérêt  de  Dieu  pour  le  temps  et  l'éternité*;,  est  hum- 
ble. Plus  on  aime  purement,  plus  Fhumilité  est  par- 
faite. Ne  Ddesurons  donc  point  l'humilité  sur  l'exté- 
rieur composé;  ne  la  faisons  point  dépendre  d'une 
action  ou  d'une  autre,  mais  de  la  pure  charité.  La 
pare  charité  dépouille  l'homme  de  lui-même;  elle 
le  revêt  de  Jésus-Christ  :  c'est  en  quoi  consiste  la 
vraie  humilité,  qui  fait  que  nous  ne  vivons  plus  en 
nous-mêmes,  mais  que  Jésus-Christ  vit  en  nous. 

Nous  tendons  toujours  à  être  quelque  chose;  nous 
faisons  souvent  du  bruit  dans  la  dévotion ,  après  en 
avoir  fait  dans  les  choses  que  nous  avons  quittées;  et 
pourquoi?  C'est  que  l'on  veut  être  distingué  en  toutes 
sortes  d'états.  Mais  celui  qui  est  humble  ne  cherche 
rien  ;  il  lui  est  égal  d'être  loué  ou  méprisé,  parce 
qu'il  ne  prend  rien  pour  soi-même,  et  qu'il  laisse 
faire  de  lui  tout  ce  qu'on  veut.  En  quelque  lieu  qu'on 


a5o  DE   L*BVKILITÉ. 

le  mette  y  il  s*y  tient  ;  il  ne  comprend  pas  même  qu  il 
lui  en  faille  on  autre.  II  y  a  bien  des  personnes  qui 
pratiquept  Thumilité  extérieure  ^  et  qnî  cependant 
sont  bien  éloignées  de  cette  humilité  de  cœur  dont  je 
viens  de  parler  ;  car  Thumilité  eitérieure,  et  qui  n*a 
pas  sa  source  dans  la  pure  charité  ^  est  une  fausse  hu- 
milité. Plus  on  croit  s'abaisser,  plps  on  est  persuadé 
de  son  élévation.  Celui  qui  s'apeircoit  qu'il  s'abaisse, 
n*est  point  encore  en  sa  place ,  qui  est  aa*dessousde 
tout  abaissement.  Ces  -personnes  qui  croient  sV 
baisser  ont  beaucoup  d'élévation  :  aussi,  dans  le  fond, 
cette  manière  d'humilité  est  souvent  une  recherche 
subtile  d'élévatiod.  Ces  sortes  d'humilité  n'entreront 
point  dans  le  ciel,  quelles  ne  soient  réduites  à  la 
pure  charité,  source  de  la  véritable  humilité,  seule 
digne  de  Dieu,  et  qu'il  prend  plaisir  de  remplir  de 
lui-même.  Ceux  qui  en  sont  remplis  ne  peuvent  s'hu- 
milier  ni  s'abaisser,  à  ce  qu'il  leur  paroit,  se  trouvant, 
au-dessous  de  tout  abaissement.  S'ils  vouloienC  s'a- 
baisser, il  faudroit  qu'ils  s'élevassent  auparavant  et 
sortissent  par  là  de  l'état  qui  leur  est  propre  :  aussi 
sont-ils  si'  persuadés  que  pour  $*humilier  il  faut  se 
mettre  au-dessous  de  ce  que  .l'on  est,  et  sortir  de  sa 
place,-  qu'ils  ne  croient  pas  jamais  le. pouvoir  faire. 
Ik  ne  se  trouvent  point  humiliés  par  tous  les  mépris 
et  toutes  les  condamnations  des  hommes;  ils  ne  font 
que  rester  en  leur'  place  :  de  même  ils  ne  prennent 
aucune  part  à  l'applaudissement  qu'on  pourroit  lew 
donner;  ils  ne  méritent  rien^  ils  n'attendent  rien,  ils 
ne  prennent  part  à  rien.  Ils  cbmprennent  qu'il  n  y  a 
que  le  Verbe  de  Dieu,  qui,  en  s'incarnant,  s'est  abaisse 
au-dessous  de  ce  qu'il  étoit  ;  c'est  pourquoi  l'Ecriture 


DE    LHUHILITÉ.  a5l 

dit  qu*il  s*est  apéanti;  ce  quelle  ne  dit  de  nulle 
créature. 

Plusieurs  se  méprennent  en  ce  point  :  soutenant 
leur  humilité  par  leur  propre  volonté ,  et  manquant 
à  la  résignation .  et  au  parfait  renoncement  d'eux- 
mêmes,  ils  ofiensent  la  charité  divine ,  croyant  favo- 
riser rhumilité,  qui  néanmoins  n*est  pas  humilité  si 
elle  nes*accommode  pas  avec  la  charité.  Si  Ton  avoit 
de  la  lumière  pour  la  discerner,  on  verroit  claire- 
ment que  par  où  Ton  croit  s'humilier  on  s*élève; 
qu  en  pensant  s'anéantir,  on  cherche  sa  propre  sub- 
sistance; et  qu'enfin  on  goûte  et  on  po8sède;la  gloire 
de  l'humilité,  comme  une  vertu  insigne,  dans  les  actes 
de  l'humilité  que  l'on  pratique.  Le  vrai  humble  ne 
fait  rien,  et  ne  s'oppose  à  rien;  il  se  laisse  conduire 
et  mener  où  l'on  veut;  il  croit  que  Dieu  peut  tout 
faire  de  lui,. ainsi  qu'il  pourroit  tout  faire  d'une 
paille  :  et  il  y  a  plus  d'humilité  à  faire  ces  choses  et  à 
s  y  rendre,  qu'à  s'opposer  sous  prétexte  d'humilité 
aux  desseins  de  Dieu.  Celui  qui  préfère  le  mépris,  par 
son  choix,  à  l'élévation,  n'est  point  encore  véritable- 
ment humble,  quoiqu'il  ait  le  goût  de  Thumilité. 
Enfin  celui  qui  se  laisse  placer  et  mener  oili  l'on  veut, 
haut  et  bas ,  qui  ne  sent  pas  cette  différence,  qui  n'a- 
perçoit pas  si  on  le  loue  ou  si  on  le  blâme^  ni  si  ce 
qu'on  dit  de  lui  est  à  son  avantage  ou  s'il  lui  est  dés- 
avantageux, est  véritablement  humble,  quoiqu'il  ne 
le  paroisse  pas  aux  yeux  de$  hommes,  qui  ne  jugent 
pas  de  la  véritable  vertu  par  ce  qu'elle  est  en  elle- 
même,  înais  bien  par  les  idées  qu'ils  s'en  sont  faites. 

Le  véritable  humble  est  parfaitement  obéissant, 
parce  qu'il  a  renoncé  à  sa  propre  volonté;  il  se  laisse 


ïSa  DE    LHUMILITÉ. 

conduire  comme  Ton  veut  le  mettre ,  d*ane  façon  on 
d*ane  autre.  Il  plie  à  tout,  et  ne  résiste  à  rien,  parce 
qu'il  ne  seroit  pas  humble  s*il  avoit  un  choix  et  une 
volonté  ou  raisonnement  sur  ce  qu^on  lui  ordonne. 
Il  n  a  pas  de  penchant  propre  pour  aucune  chose, 
mais  il  se  laisse  pencher  de  quelque  cètë  que  Ton 
veut.  Il  ne  veut  rien,  il  ne  deoiande  rien,  non  par 
pratique  de  ne  rien  demander,  mais  parce  qu'il  est 
dans  un  si  profond  oubli  de  soi,  et  si  fort  séparé  de 
lui-même,  qu'il  ne  sait  pas  ce  qui  lui  convient  le 
mieux;  Le  véritable  humble  est  un  de  ces  enfaos  dont 
Jésus-Christ  a  dit  que  le  royaume  des  ciénx  lui.âp- 
partenoit.  Un  en&nt  ne  sait  pas  ce  qu'il  lui  faut;  il 
ne  peut  rien ,  il  ne  pense  à  rien ,  mais  il  se  laisse  con- 

É 

duire.  Abandonnons-nous  donc  avec  courage;  si 
Dieu  ne  fait  rien  de  nous ,  il  nous  rendra  justice, 
puisque  nous  ne  sommes  bons  à  rien;  et  s'il  fait  de 
grandes  choses,  ce  sera  sa  gloire  :  nous  dirons  avec 
Marie,  qu'il  a  fait  de  grandes  choses  en  nous,  parce 
qu'il  a  regardé  notre  bassesse. 


XII. 


Sur  la  violence  qu'un  Chrétien  te  doit  faire  conti- 
nuellement. 

A  qui  croyez- vous  que  parle  saint  Paul,  quand» 
dit  (0  :  Nous  sommes  fous  à  cause  de  Jésus^Chnsh 
et  vous  êtes  prudens  en  Jésus-Christ?  C'est -à  vous, 
c'est  à  moi ,  et  ce  n'est  point  aux  gens  qui  ont  toute 

\0/  Cor.  IV.  lo. 


SUE    LA    yiOLEirCE    Qi:*01f    DOIT    SE    FAIRE.       2 5 3 

honle  levée  et  qui  ne  connoissent  point  Dieu  ;  oui^ 
c  est  à  nous  qui  croyons  travaillei*  à  notre  saKut  y  et 
qui  ne  laissons  pas  de  fuir  la  folie  de  la  croix ,  et  de 
chercher  les  moyens  de  paroltre  sages  aux  yeux  du 
monde  \  c'est  à  nous  qui  ne  tremblons  point  dans  la 
vue  dç  notre  foiblesse.  Où  saint  Paul  se  trouve  lui- 
même  foible,  nous  nous  trouvons  forts;  et  nous  ne 
pouvons  disconvenir  qu*avec  de  bonnes  intentions 
Qouâ  ne  soyons  quasi  opposés  à  ce  grand  apôtre. 
Cet  état,  ne  doit  pas  nous  parottre  bon  :  faisons-y 
donc  réflexion;  çt 'après  nous  être  biçn  examinés , 
voyons  en  quoi  nous  différons  des  véritables  servi* 
tears  de  Dieu. 

Soyons  imitateurs  de  Jésus-Cbrist  en  devenant  les 
imitateurs  de  saini  Paul  (0»  qui  se  donne  pour  mo- 
dèle après  le  premier  modèle  :  plus  de  complaisance 
pour  le  monde ,  plus  de  complaisance  pour  nous, 
plus  dlndulgence  pour  nos  passions ,  pour  nl>s  sens 
et  pour  notreTlangueur  spirituelle.  Ce  n'est  point  en 
paroles  que  consiste  la  pratique  de  la  vertu  ;  elles  ne 
suffisent  pas  pour  arriver  au  royaume  de  Dieu  :  c'est 
dans  la  force  et  le  courage  y  et  dans  la  violence  que 
Ton  se  fait  ;  violence  en  toutes  rencontres  lorsqu'il 
faut  résister  au  torrenX  du  monde,  qui  nous  empê- 
che de  faire  le  bien,  après  nous  avoir  tant  de  temps 
fait  commettre  le  mal  ;  violence  quand  il  faut  renon- 
cer à  une  partie  du  nécessaire  pour  ne  pas  se  trom- 
per en  croyant  avoir  renoncé  au  superflu  ;  violence 
quand  il  faut  se  mortifier  dans  l'esprit  après  s'être 
mortifié  dans  le  corps,  sans  croire  que.  Dieu  nous  en 
doit  de  rçste  ;  violence  pour  augmenter  les  heures  de 

CO/Cbr.  XI.  I. 


a  54  sua  la  violes  ce  qc^on  doit  se  fati^. 
prières  y  de  lectures  et  de  retraite  ;  violence  pour  se 
tfouve# toujours  parfaitement  bien  dans  Tétat  où  Ton 
est,  sans  souhaiter  ni  plus  de  commodité ^  ni  plos 
d'honneur-,  ni  plus  de  santé,  ni  d*autre  compagnie, 
pas  même  de  gens  de  bien  ;  enfin  violence  pour  ar- 
river à  ce  degré  d'indifférence  absolument  nécessaire 
au  chrétien,  qui  n'a  de  volonté  que  celle  de  Dieu  son 
créateur;  qui  lui  remet  le  succès  de  toutes  ses  af« 
faires ,  quoiqu'il  ne  laisse  pas  d'j  travailler;  qui  agit 
selon  sa  condition,  m.is  qui  agit  sans  se  troubler; 
qui  prend  plaisir  à  regarder  Dieu ,  et  qui  ne  craint 
point  d'en  être  regardé  ;  qui  espère  que  ce  regard 
sera  pour  corriger  ses  défauts ,  et  qui  demeure  pai- 
sible en  se  voyant  à  sa  merci  pour  la  punition  de  ses 
péchés.  Voilà  où  je  vous  laisse ,  et  où  je  vous  prie  df 
vous  tenir,  afin  que  nous  puissions  et  vous  et  moi, 
dans  le  trouble  et  le  tracas  de  la  vie  du.  monde, 
nous  conserver  en  paix.  Grand  Dieu ,  pouvons-nous 
penser  que  Ton  connoisse  en  nous  quefque  cliose  de 
la  vie  de  Jésus-Christ?  Plus  nous  craignons  de  souf- 
frir, plus  nous  en  avons  besoin. 

XIII.  • 

Sur  rhistoire  du  Pharisien  et  du  Publicain  :  carac- 
thres  de  la  justice  pharisaïque. 

Les  Publicains  ou  receveurs  d'impôts  étoient  fort 
odieux  au  peuple  juif,  jaloux  de  sa  liberté,  et  accou- 
tumé à  n'avoir  pour  roi  que  Dieu  même  ou  que  des 
princes  de  la-  nation.  Du  temps  de  Jésus-Christ  v& 


SUR    LA    PRikKE    DU    PB4RISIBN.  ^55 

étoient  assujettis  à  la  domination  romaine  |  qu*ils 
sapportoient  impatiemment.  Quand  Jésus^Cbrist  re- 
présente un  Publicain  ^  il  met  devant  les  yeux  de 
c«ux  q|i*il  instruit  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  profane 
et  de  plus  scandaleux.  De  là  vient  que  Jësns-Christ 
met  ensemble  les  femmes  de  mauvaise  vie  et  les  Pu* 
blicains.  • 

Pour  les  Pharisiens,  c*étoit  tine  secte  d*hommes 
réformes,  qui  pratiquoient  scrupuleusement  jusques 
aux  moindres,  circonstances  marquées  par  la  lettre 
de  la  loi.  Leur  vie  étott  exemplaire ,  et  éclatane  en 
vertus  extérieures;  mais  ils  étoient  superbes,  bau* 
tains,  jaloux  des  premiers  rangs  et  de  rautoritë,. 
pleins  d'eux-mêmes  et  de  leurs  bonnes  œuvres,  dé- 
daigneux et  critiques  pour  autrui,  en  un  mot,  aveu- 
glés par  la  confiance  en  leur  propre  justice. 

Jésus-Christ  fait  une  histoire  qui  représente  ces 
deux  caractères  (0,  pour  montrer  combien  le  Pha- 
risien est  plus  loin  du  vrai  royaume  de  Dieu,  que  le 
Publicain  qui  est  chargé  d'iniquités.  Le  .Publicain 
déplore  ses  vices;  le  Pharisien  raconte  ses  vertus.  Le 
Publicain  n'ose  demander  des  grâces  ;  le  Pharisien 
vante  avec  complaisance  celleà  qu'il  a  reçues.  Dieii 
se  déclare  pour  le  Publicain  :  il  ahne  mieux  le  pé- 
cheur humble,  et  confondu  à  la  vue  de  sa  misère, 
que  le  juste  qui  se  complaît  dans  sa  justice,  et  qui 
tire  sa  propre  gloire  des  dons  de  Dieu.  S'approprier 
les  dons  de  Dieu,  c'est  les  tourner  contre  Dieu  même 
pour  flatter  son  propre  orgueil.  O  dons,  de  Dieu, 

9 

que  vous  êtes  redoutables  à  uneame  qui  se  cherche 
en  elle-même  !  Elle  tourne  en  poison  l'aliment  de  vie 

CO£ttC.  XTHl.  10,  IlyCtC.  * 


a  56  8CR    LA    PAlÈaE 

éternelle  :  tout  ce  qui  devroit  la  faire  mourir  à  la  vie 
crAdam  ne  sert  qu*à  entretenir  cette  vie.  On  nourrit 
Tamour-propre  de  bonnes  œuvres  et.d*austérit&  ;  on 
se  raconte  à  soi-même  secrètement  ses  mortificationi, 
ses  victoires  sur  son  goût,  ses  actions  de  justice,  de 
patience,  d*humilité,  de  désintéressement  :  on  croit 
chercher  dims  toutes  ces  choses  une  consolation  spi- 
rituelle ;  et  on  y  cherche  un  app^i  pour  se  confier 
en  soi-même,  et  pour  se  rendre  un  témoignage  avan- 
tageux de  sa  propre  justiee-  :  on  veut  toujours  être 
en  état  de  se  représenter  à  soi-même  <;e  qu'on  fait 
de  bien.  Quand  ce  témoignage  intérieur  échappe , 
on  est  désolé,  troublé,  consterné;  on  croit  avoir  tout 
perdu.  Ce  témoignage  sensible  est  Fappui  des  com- 
mençans  ;  c'est  le  lait  des  âmes  tendres  et  naissantes. 
Il  faut  qu  elles  le  sucent  long-temps  ;  il  seroit  dange- 
reux de  les.  en  sevrer.  Cest  à  Dieu  seul  à  retirer  peu 
à  peu  ce  goût,  et  à  y  substituer  le  pain  des  forts. 
Mais  quand  une  ame,  depuis  long-temps  instruite  et 
exercée  d^ns  le  don  de  la  fo! ,  commence,  à  ne  sentir 
plus  ce  témoignage  si  doux^etti  consolant,  elle^doit 
demeurer  tranquille  dans  Tépreuvê,  et  ne  se  point 
tourmenter  pour  rappeler  ce  que  Dieu  éloigne 
d'elle.  Alors  il  faut  qn  elle  s'endurcisse  contre  elle- 
même,  et  qu'elle  soit  contente,  comme  le  Publicain, 
de  montre^'Sa  misère  à  Dieu,  osant  à  peine  lever  les 
yeux  vers  lui.  C'est  dans  cet  état  que  Dieu  purifie 
d'autant  plus  l'ame  qu'il  lui  dérobe  la  vue  de  sa  pu- 
reté. 

L'ame  est  si  infectée  de  Famour-propre,  qu'elle  te 
•€alit'  toujours  un  peu  par  la  vue  de  sa  vertu  ;  elle  en 
prend  toujour»»^uelque  chose  pour  elle-même  :  elle 

rend 


O0   PHA&I81EM.  a57 

rend  grâces  à  Dieu  ;  mais  elle  se  sait  bon  grë  d'être 
plutôt  qu'une  autre  la  personne  sur  qui  découlent 
les  dons  célestes.  Cette  manière  de  s'approprier  les 
grâces  est  très-subtile  et  très-imperceptible  dans  cer- 
taines âmes  qui  paroissent  droites  et  simples  :  elles 
n'aperçoivent  pas  elles-mêmes  le  larcin  qu'elles 
font.  Ce  larcin  est  d'autant  plus  mauvais,  que  c'est 
dérober  le  bien  le  plus  pur.,  et  qui  excite  par  consé- 
quent davantage  la  jalousie  de  Dieu.  Ces  âmes  ne 
cessent  de  s'approprier  leurs  vertus  que  quand  elles 
cessent  de  les  voir,  et  que  tout  semble  leur  échap- 
per. Alors  elles*  s'écrient  y  comme  saint  Pierre  quand 
il  s'enfonçoit  dans  les  eaui  :  Sauyez-nous^  Seigneur, 
nous  périssons.  Elles  ne  trouvent  plus  rien  en  elles  ; 
tout  manque.  Il  n'y  a  plus  dans  leur  fonds  que  sujet 
de  condamnation,  d'horreur,  de  haine  de  soi-^même, 
de  sacrifice  et  d'abandon.  En  perdant  ainsi  cette 
propre  justice  pharisienne,  on  entre  dans  la  vraie 
justice  de  Jésus-Christ,  qu'on  n'a  garde  de  considé- 
rer comme  la  sienne  propre* 

Cette  justice  pharisienne  est  bien  plus  commune 
qu'on  ne  s'imagine.  Le  premier  défaut  de  cette  jus- 
tice consbtoit  en  ce  que  le  Pharisien  la  mettoit  toute 
dans  les  œuvres,  s'attachant  superstitieusement  à  la 
rigueur  de  la  lettre  de  la  loi,  pour  l'observer  de 
point  en  point  sans  en  chercher  l'esprit.  Voilà  pré- 
cise'ment  ce  que  font  tant  de  Chrétiens*  On  jeCkne, 
on  donne  l'aumône ,  on  fréquente  les  sacremens,  on 
va  à  l'office  de  l'église,  on  prie  même,  sans  amour 
pour  Dieu,  sans  détachement  du  monde,  sans  cha- 
rité ,  sans  humilité ,  sans  renoncement  à  soi-même  : 
on  est  content,  pourvu  qu'on  ait  devant  soi  un  cer- 
FÉttÉLOK,  xviii.  17 


a58  SD&    LA    PaiEHB 

tain  nombre  de  bonnes  œavres  régulièrement  faites. 
C'est  être  pharisien. 

Le  second  défaut  de  la  justice  pbarisienne  est  celui 
que  nous  avons  déjà  remarqué;  c*est  qu'on  veut  s*ap- 
puyer  sur  cette  justice  comme  sur  sa  propre  force. 
Ce  qui  fait  qu*elle  console  tant,  c'est  qu'elle  donne 
un  grand  soutien  à  la  nature.  On  prend  un  grand 
plaisir  à  se  voir  juste ^  à  se  sentir  fort,  à  se  ipirer 
dans  sa  vertu ,  comme  une  femme  vaine  se  plait  à 
considérer  sa  beauté  dans  un  miroir.  L'attacbemcnt 
à  cette  vue  de  nos  vertus  les  salit,  nourrit  notre 
amour-propre,  et  nous  empêche  de  nous  détacher 
de  nous-mêmes.  De  là  vient  que  tant  d'âmes,  d'ail- 
leurs droites  et  pleines  de  bons  désirs,  ne  font  que 
tournoyer  autour  d^elles-mémes  sans  avancer  jamais 
vers  Dieu.  Sous  prétexte  de  vouloir  conserver  ce  té- 
moignage intérieur,  elles  s'occupent  toujours  d'elles- 
mêmes  avec  complaisance;  elles  craignent  autant 
de  se  perdre  de  vue,  que  d'autres  craindroient  de  s*é- 
carter  de  Dieu;  elles  veulent  toujours  voir  un  cer- 
tain arrangement  de  vertus  composées  à  leur  mode  ; 
elles  veulent  toujours  gofrter  le  plaisir  d'être  agréa- 
bles à  Dieu.  Ainsi  elles  ne  se  nourrissent  que  d*un 
plaisir  qui  les  amollit,  et  d'une  superficie  de  vertos 
qui  les  remplit  d'elles-mêmes.  Il  fkudroit  les  vider, 
et  non  pas  les  remplir;  les  endurcir  contre  elles- 
mêmes,  et  non  pas  les  accoutumer  à  cette  tendresse 
sensible  qui  n'a  souvent  rien  de  solide.  Cette  ten- 
dresse est  pour  elles  ce  que  seroit  le  lait  d'une  nour- 
rice pour  un  homme  robuste  de  trente  ans.  Cette 
nourriture  afibiblit  et  appetisse  Tame,  au  lieu  de  la 
fortifier.  De  plus,  c'est  que  ces  âmes,  trop  dépen- 


DU    PHARISlEll.  269 

dantes  du  goût  sensible  et  do  calme  intérieur ^  sont 
en  danger  de  perdre  tout  au  premier  orage  qui  s'é- 
lèvera :  elles  ne  tiennent  qu'au  don  sensible;  dès  que 
le  don  sensible  se  retire,  tout  tombe  sans  ressource. 
Elles  se  découragent  aussitôt  que  Dieu  les  éprouve  ; 
elles  n'ont  mis  aucune  différence  entre  le  goût  sen- 
sible et  Dieu  :  de  là  vient  que,  quand  ce  goût  échappe, 
elles  concluent  que  Dieu  les  abandonne.  Aveugles , 
qui  quittent  Foraison,  comme  dit  sainte  Thérèse, 
quand  Toraifion  commence  à  se  purifier  parTépreuve, 
et  à  devenir  plu«  fructueuse  !  Une  ame  qui  vit  du 
pain  sec  de  la  tribulatiop ,  qui  se  trouve  vide  de 
tout  bien  y  qui  voit  sans  cesse  sa  pauvreté,  son  indi- 
gnité et  sa  corruption,  qui  ne  se  lasse  jamais  de  cher- 
cher Dieu  ^  quoique  Dieu  la  repousse,  qui  le  cher- 
che lui  seul  pour  l'amour  de  lui-même,  sans  se 
chercher  soi-même  en  Dieu  y  est  bien  au-dessus  d'une 
ame  qui  veut  voir  sa  perfection ,  qui  se  trouble  dès 
qu  elle  la  perd  de  vue,  et  qui  veut  toujours  que  Dieu 
la  prévienne  par  de  nouvelles  caresses. 

Suivons  Dieu  par  la  route  obscure  de  la  pure  foi  ; 
perdons  de  vue  tout  ce  qu'il  voudra  nous  cacher; 
marchons,  comme  Abraham,  sans  savoir  où  tendent 
nos  pas;  ne  comptons  que  sur  notre  misère  et  sur 
la  miséricorde  de  Dieu.  Seulement  allons  droit; 
soyons  simples,  fidèles,  n'hésitant  jamais  de  sacri- 
fier tout  à  Dieu,  Mais  gardons-nous  bien  de  nous 
appuyer  sur  nos  œuvres,  ou  sur  nos  sentimens,  ou 
sur  nos  vertus.  Allons  toujours  à  Dieu,  sans  nous 
arrêter  un  moment  pour  retourner  sur  nous-mêmes 
avec  complaisance  ou  avec  inquiétude.  Abandon- 
nons-lui tout  ce  qui  nous  regarde,  et  songeons  à 


*|60  8V1I    LA    DISSIPATION 

le  glorifier  sans  relâche  dans  tous  les  momens  di 
notre  vie. 

XIV. 
Remèdes  contre  la  dissipation  et  contre  la  tristesse. 

Il  me  semble  que  vous  êtes  en  peine  sur  deux 
choses;  Tuixe  dVviter  la  dissipation,  et  Tautre  de 
vous  soutenir  contre  la  tristesse.  Pour  la  dissipation , 
vous  ne  vous  en  guérires  point  par  des  réflexions 
forcées.  PTespérez  pas  de  faire  l'ouvrage  de  la  grâce 
par  les  ressorts  et  les  industries  de  la  nature.  Con- 
tentez-vous de  donner  votre  volonté  à  Dieu  sans  re- 
serve >  et  de  n'envisager  jamais  aucun  état  doulou- 
reux que  vous  n'acceptiez  par  l'abandon  à  la  divine 
providence.  Gardez-vous  bien   d'aller  jamais  au- 
devant  de  ces  pensées  de  croix  ;  mais  quand  Dieu 
permet  qu'elles  vous  viennent,  sans  que  vous  les 
ayez  cherchées ,  ne  les  laissez  jamais  passer  sans 
fruit. 

Acceptez,  malgré  les  répugnances  et  les  horreurs 
de  la  nature,  tout  ce  que  Dieu  présente  à  votre  es- 
prit, comme  une  épreuve  par  laquelle  il  veut  exercer 
votre  ïoi.  Ne  vous  mettez  point  en  peine  de  savoir 
si  vous  aurez ,  dans  l'occasioA ,  la  force  d'exécuter 
ce  que  vous  désirez  faire  de  loin  :  Toccasion  pré- 
sente aura  sa  grâce  ;  mais  la  grâce  du  moinent  au* 
quel  vous  envisagez  ces  croix ,  est  de  les  accepter  dt 
bori  cœur  an  temps  que  Dieu  vous  les  donnera,  l^ 
fondement  d'abandon  posé,  marchez  tranquilk"'^"' 


ET   LA    TI115TESS£.  26 1 

et  en  confiance.  Pouiru  que  cette  disposition  de 
votre  volonté  ne  soit  point  changée  par  des  atta^ 
chemens  volontaires  à  quelque  chose  contre  Tordre 
de  Difiu  y  elle  subsistera  toujours. 

Votre  imagination  sera  errante  sur  mille  vains 
objets  ;  elle  sera  même  plus  ou  moins  agitée ,  sni^ 
▼ant  les  lieux  où  vous  serez ,  et  suivant  quelle  aura 
été  plus  ou  moins  ébranlée  par  des  objets  plus  vifs 
ou  plus  langnissans.  Mais  qu  importe?  L*imaginà- 
tion,  comme  dit  sainte  Thérèse ,  est  la  folle  de  la 
maison;  elle  ne  cesse  de  faire  du  bruit,  et  d'étour- 
dir; Tes  prit  même  est  entraîné  par  elle;  il  ne  peut 
s^empécher  de  voir  les  images  qu'elle  lui  présente. 
Son  attention  à  ces  images  est  inévitable,  et  cette 
attention  est  une  distraction  véritable  :  mais,  pourvu 
qu'elle  soit  involontaire,  elle  ne  sépare  jamais  de 
Dieu  ;  il  n'y  a  que  la  distraction  de  la  volonté  qui 
fait  tout  le  mal. 

Si  vous  ne  voulez  jamais  la  distraction ,  vous  ne 
serez  jamais  distraite ,  et  il  sera  vrai  de  dire  que 
votre  oraison  n'aura  point  défailli.  Chaque  fois  que 
vous  apercevrez  votre  distraction,  vous  1^  laisserez 
tomber  sans  la  combattre,  et  vous  vous  retournerez 
doucement  du  côté  de  Dieu  sans  aucune  contention 
d'esprit.  Quand  vous  ne  vous  apercevrez  point  de 
votre  distraction,  elle  ne  sera  pas  une  distraction  du 
cœur.  Dès  que  vous  l'apercevrez ,  vous  lèverez  les 
yeux  vers  Dieu.  La  fidélité  que  vous  aurez  à  rentrer 
en  sa  présence,  toutes  les  fois  que  vous  vous  aper- 
cevrez de  votre  état,  vous  méritera  la  grâce  d'une 
présence  plus  fréquente  ;  et  c*est,  si  je  ne  me  trompe, 
le  moyen  de  rendi'e  bientôt  cette  présence  familièie. 


2()2  SUR    LA.    DlS^lPATXOjr 

Cette  fidélité  à  se  détQuroer  promptemeot  des 
autres  objets,  toutes  les  foU  qu'on  remarque  les 
dUtràctîoQs,  ue  $era  pas  ioug-temps  dans  une  ame 
sans  le  don  d'un  recueillement  fréquent  et  facile. 
Mai^  il  ne  faut  pas  s'imaginer  qu'on  puisse  entrer 
dans  cet  état  par  ses  propres  efforts  ;  c^tle  contention 
vous  rendroit  g^née,  scrupuleuse»  inquiète  dans  les 
affaires  et  dans  les  conversation^  où  vous  ay^z  besoin 
d'être  libre.  Vous  seriez  toujours  en  craiqte  que  la 
présence  de  Dieu  ne  vous  échappe,  toujours  à  courir 
pour  la  rattraper  9  vous  vous  envelopperiez  dans 
tous  les  fantômes  de  votre  imagination.  Ainsi  la 
présence  de  DieU|  qui  doit,  par  sa  douceur  et  par 
sa  lumière  y  faciliter  l'^ppKcation  à  tous  les  autres 
objets  que  nous  avons  besoin  de  considérer  dans 
l'ordte  de  Dieu,  vous  rendroit  au  contraire  toujourj 
agitée  et  presque  incapable  des  fonctions  extérieures 
de  votre  état. 

.  Ne  soyez  donc  jamais  inquiète  de  ce  que  cette 
présence  sensible  de  Dieu  vous  aura  échappé  ;  m^i^ 
surtout  gardez-vous  bien  de  vouloir  une  présence  de 
Dieu  raisonnée^  et  soutenue  par  beaucoup  de  re'- 
flexions.  Contentez-vous ,  dans  le  cours  de  la  journée 
et  dans  le  détail  de  vos  occupations  ,  d'une  vue  con- 
fuse de  Dieu;  en  sorte  que,  si  on  vous  demandoit 
alors  quelle  est  la  disposition  de  votre  cœur,  il  fût 
vrai  de  dire  qu'il  tend  à  Dieu ,  quoique  vous  fussiez 
alors  attentive  à  quelque  autre  objet.  Ne  vous 
mettez  point  en  peine  des  égaremens  de  votre  esprit 
que  vous 'ne  pouvez  retenir.  On  se  distrait  souvent 
par  la  crainte  des  distractions,  et  puis  par  le  regret 
de  les  avoir  eues. 


&T    LA    TIVISTESSE.  u6'i 

Que  diriez-vous  d'un  homme  qui,  dans  un  voyage, 
au  lieu  de  marcher  toujours  sans  s'arrêter,  passeroit 
son  temps  à  prévoir  les  chutes  qu'il  pourroit  faire, 
eif  quand  il  en  auroit  fait  quelqu'une,  à  retourner 
voir  le  lieu  où  il  seroit  tombe  7  Marchez ,  m  Jlbhez 
toujours,  lui  diries*vous.  Je  vous  dis  de  nieme: 
Mardbez  sans  regarder  derrière  vous,  et  sans  vous 
arrêter.  Marchez,  dit  l'Apôtre  (0,  afin  fue  vous 
soyez  toujours  dans  une  plus  grande  abondance. 
L'abondance  de  l'^ipiour  de  Dieu,  il  est  vrai,  vous 
corrigera  plus  que  vos  inquiétudes  et  vos  retours 
empressés  sur  vous--même. 

Cette  règle  est  simple;  mw  la  nature,  accou* 
tumée  à  fiaûre  tout  par  sentiment  et  par  réflexion , 
la  trouve  simple  jujsqu  à  l'excès.  On  voudi^oit  s'aider 
soi*méme ,  ei  se  donner  plus  de  mouvement  :  mais 
c'est  en  quoi  cette  règle  est  bonne,  de  ce  qu'elle 
tient  dans  un  état  de  pure  foi ,  oix  Ton  ne  s'appuie 
que  sur  Dieu  à  qui  l'oa  s'abandonne,  et  oh.  l'on 
meurt  à  soi-même  en  supprimant  tout  ce  qui  est  de 
soi.  Par  là  on  ne  multiplie  point  les  pratiques  esté* 
rieures,  ({ui  pourroient  gêner  les  personnes  fort  oc- 
cupées ,  ou  nuire  à  la  santé  ;  on  leà  tourne  toutes  a 
aimer,  maïs  k  anner  simplement  ;  ensuite  on  ne  fiiit 
que  ce  qae  l'amour  fait  faire  :  ainsi  on  n'est  jamais 
surchargé  ;  car  on  ne  porte  que  ce  qu'on  aime.  Cette 
règle,  bien  prise,  suf&t  aussi  pour  guérir  la  trîs- 
tesse« 

Souvent  la  tristesse  vient  de  ce  que,  cherchant 
Dieu,  on  ne  le  sent  pas  aissez  pour  se  contenter. 
Vouloir  le  sentir  n'est  pas  vouloir  le  posséder;  mais 


I 

\         * 

(')  Lue,  z.  4'»  4'- 


264  SUll    L4    DISSlPATlOif 

c*est  vouloir  s^assurer,  pour  Famour  de  soi-mtine , 
qu'on  le  possède,  afin  de  se  consoler.  La  nature 
abattue  et  découragée  a  impatience  de  se  ?oir  dans 
la  pure  foi  ;  elle  fait  tous  ses  eflbrts  pour  s*en  tirer, 
pan9  que  là  tout  appui  lui  manque;  elle  7  est 
comme  en  l'air;  elle  voudroit  sentir  son  avancement. 
A  la  vue  de  ses  fautes,  l'orgueil  se  dépite,  et  1*00 
prend  ce  dépit  de  l'orgueil  pour  un  sentiment  de 
pénitence.  On  voudroit,  par  amour-propre,  avoir 
le  plaisir  de  se  voir  parfait;  on  sagronde  de  ne  l'être 
pas;  on  est  impatient,  hautain  et  de  mauvaise  hu-* 
meur  contre  soi  et  contre  les  antres.  Erreur  déplo- 
rable !  Comme  si  l'œuvre  de  Dieu  pouvoit  s'accom- 
plir par  notre  chagrin  !  Comme  si  on  pouvoit  s'unir 
au  Dieu  de  paix  en  perdant  la  paix  intérieure! 
Marthe  j  Marthe ,  pourquoi  vous  troubler  sur  tant 
de  choses  pour  le  service  de  Jésus-Christ?  ITne 
seule  est  nécessaire  (0>  qui  est  de  îaimer  et  de  se 
tenir  immobile  à  ses  pieds. 

Quand  on  est  bien  abandonné  à  Dieu,  tout  ce 
que  l'on  fait  est  bien  fait,  sans  faire  beaucoup  de 
choses  :  on  s^abandonne  avec  confiance  pour  l'avenir; 
on  veut  sans  réserve  tout  ce  que  Dieu  voudra,  et 
l'on  ferme  les  yeux  pour  ne  rien  prévoir  de  l'avenir. 
Cependant  on  s'applique  dans  le  présent  à  accom- 
plir sa  volonté  ;  à  chaque  jour  suffit  son  bien  et  son 
mal.  Ce  journalier  accomplissement  de  la  volonté 
de  Dieu  est  l'avènement  de  son  règne  au  dedans  de 
nous,  et  tout  ensemble  notre  pain  quotidien.  On 
seroit  infidèle,  et  coupable  d'une  défiance  païenne, 
si  on  vouloit  pénétrer  dans  cet  avenir  du  temps  que 


ST   LA   TRISTESSE. 


l65 


Dieu  nous  dërbbe  :  on  le  lui  laisse;  c'est  à  lui  de  le 
feffie  doux  ou  amer,  court  ou  long  :  qu'il  fasse  ce 
qui  est  bon  à  ses  yeux.  La  plus  parfaite  préparation 
à  cet  avenir,  quel  qu*il  soit ,  est  de  mourir  à  toute 
volonté  propre,  pour  se  livrer  totalement  à  celle  de 
Dieu.  Comme  la  manne  avoit  tous  les  go&ts ,  cette 
disposition  générale  renferme  toutes  les  grâces  et 
tous  les  sentimens  convenables  à  tous  les  états  où 
Dieu  pourra  nous  mettre  dans  la  suite. 

Quand  on  est  ainsi  prêt  à  tout ,  c*est  dans  le  fond 
de  Tabime  que  Von  commence  à  prendre  pied  ;  on 
est  aussi  tranquille  sur  le  passé  que  sur  Favenir.  On 
suppose  de  soi  tout  le  pis  qu'on  en  peut  supposer  ; 
mais  on  se  jette  aveuglément  dans  les  bras  de  Dieu  ; 
CD  s'oublie,  on  se  perd  ;  et  c'est  la  plus  parfaite  pé- 
nitence que  cet  oubli  de  soi-même  :  car  toute  la 
conversion  ne  consiste  qu'à  se  renoncer  pour  s'oc- 
cuper de  Dieu.  Cet  oubli  est  le  martyre  de  l'amour- 
propre;  on  aimeroit  cent  fois  mieux  se  contredire, 
se  condamner,  se  tourmenter  le  corps  et  l'esprit ,  que 
de  s'oublier.  Cet  oubli  est  un  anéantissement- de 
Tamour-propre  >  oi^  il  ne  trouve  aucune  ressource. 
Alors  le  cceur  s'élargit  ;  on  e§t  soulagé  en  se  déchar- 
geant de  tout  le  poids  de  soi-même  dont  on  s'acca* 
bloit;  on  est  étonné  de  voir  combien  la  voie  est 
droite  et  simple.  On  croyoit  qu'il  falloit  une  con« 
tention  perpétuelle  et  toujours  quelque  nouvelle 
action    sans  relâche;  au   contraire,    on   aperçoit 
qu'il  y  a  peu  à  faire;  qu'il  suffit,  sans  trop  raisonner 
ni  sur  l'avenir  ni   sur  le  passé,  de  regarder  Dieu 
avec  confiance  comme  un  père  qui  nous  mené  dans 
le  moment  présent  comme  par  la  main.  Si  quelque 


266  SUR  hk  ousiPATioir 

distraction  le  iait  perdre  de  vue,  sans  s'arrêter  à^ 
distraction  I.  on  se  retourne  vers  Dieu,  et  il  fait  seffr 
ce  qu  il  veut.  Si  on  fait  des  fautes,  on  en  fait  une 
pénitence  qui  est  une  douleur  toute  d'amoun  On  se 
retourne  vers  celui  de.  qui  on  s'étoit  détourné.  Le 
péché  parott  ixideux  j^  mais  rhumiliatîon  qui  en  re- 
vient,  et  pour  laquelle  Dieu  Ta  permis,  paroit  bonne. 
Autant  que  les  réflexions  de  Torgueil  sur  nos  pro^ 
près  fautes  sont  amères^,  inquiètes  et  chagrines ,  au- 
tant le  retour  de  Tame  vers  Dieu  après  ses  fautes 
QSt*ii  recueilli,  paisible»  et  soutenu  par  la  confiance» 

Voua  seutires  par  expérience  combien  ce  retour 
simple  et  paisible  vous  facilitera  votre  correction, 
plus  que  tous  les  dépits  sur  les  défauts  qui  vous  do- 
minent. Soyes  seulement  fidèle  à  vous  tourner  sim- 
plemeni  vers  Dieu ,  dès  le  moment  que  vous  aper- 
cevres  votre  fautes  Vous  anrex  beau  cjiiicaner  avec 
vous-même;  ce  n'est  pomt  avt^c  vi;>ufi  que  vous  devex 
prendre  vos  mesures*  Quand  vous  v<^i5  grondes  sur 
vos  misères»  j^  ne  vois  dans  votre  conseil  que  vous 
seul  avec  voiufi^méimef  Pauvre  eonseit»  où  Dieu  n*est 
pas! 

Qui  vo«is  tendra  la  i«ain  pomf  sortie  du  bourbier? 
Sera-ce  vous?  Hé!  c'est  vou$^méme  qui  vous  y  êtes 
enfoncé,  et  qui  ne  pouvez  en  sortir.  De  plus,  ce 
bourbier,  c'est  rous-mâme;  tout  le  fond  de  votre  mal 
est  de  ne  pouvoir  sortir  de  vous-  Espére&^vous  d*en 
sortir  en  vous  entretenant  toujours  avec  vous-même, 
et  en  nourrissant  votre  sensibilité  par  la  vue  de  vos 
foiblesses?  Vous  ne  faites  que  vous  atteiMlrir  sur 
vous-même  par  tous  ces  retours.  Mais  le  moindre 
regard  de  Dieu  calmerait  bien  mieux  vol&*e  cceur 


'    £7   LA   TAI$TSaSE*  ^6^ 

trouble  par  cette  occupaJfcion  de  vons-méoie.  Sa.pré- 
sepce  opère  toujoars  la  sortie  de  soi-piéiiie i  et  c'est 
ce  qu*U  vous  fiiut.  Sortes  dooe  de  voos-méiDe»  et 
vous  seres  eu  paix.  Mais  c^comeat  eo  sortir?  Il  ne 
fao  t  que  se  to^rae^  doucemeat  du  côté  de  Dieu,  et  eu 
former  peu  à  peu  Tljiabitude  par  la  fidélité  à  y  reve- 
nir toutes  les  fois  qu'on  s'aperçoit  de  sa  distraction. 

Pour  la  tristesse  naturelle  qui  vient  de  la  mélan- 
colie»  elle  ne  vient  que  du  c^^rps^  ainsi  les  remèdes 
et  le  régime  la  dio^nuent  II  est  vrai  qu  elle  revient 
toujours ,  mais  elle  n'est  pas  volontaire.  Quand  Dieu 
la  donne^  oq  }a  suppprte  en  paix,  comme  la  fièvre 
et  les  autres  manx  corporels.  L'imag^tion  est  dans 
uoe  noirceur  profonde ,  elle  est  toute  tendue  de 
deuil  ;  mais  la  volonté ,  qui  ne  se  nourrit  que  de 
pure  foi  y  veut  bien  éprouver  toutes  ces  impressions; 
on  est  en  paix ,  parce  qu'en  est  d'accord  avec  soi* 
même  y  et  sçumis  à  Dieu.  Il  n'est  pas  question  de  ce 
que  l'on  sent,  mais  de  ce  que  l'on  veut.  On  veut  tout 
ce  qu'on  a ,  on  ne  veut  rien  de  ce  qu'on  n'a  pas«  Qn 
ne  voudroit  pas  soi-même  se  délivrer  de  ce  qu'on 
soufiie  f  parce  qu'il  n'appartient  qu'à  Dieu  de  dis» 
tribuer  les  croix  et  les  consolations.  On  est  dans  la 
joie  au  milieu  des  tribulations,  comme  dit  l'ÂpôtreCO  ^ 
ce  n'est  pas  une  joie  des  sens,  c'est  une  joie  de  pure 
volonté. 

Les  impies,  au  milieu  des  plaisirs,  ont  une  joie 
contrainte,  parce  qu'ils  ne  sont  jamais  contens  de 
leur  état  ;  ils  voudroient  repousser  cej: tains  dégoûts, 
et  goûter  encore  certaines  douceurs  qui  leur  man- 
quent. 

(•)  //  Cor,  VII.  4. 


a68  sum  LA  mssiPATi'oif 

Au  contraire  y  Famé  fidèle  a  une  volonté  qai  n*esC 
contrainte  en  rien;  elle  accepte  librement  tout  ce 
que  Dieu  lui  donne  de  douloureux  ;  elle  le  veut,  elle 
Taime ,  elle  Fembrasse  ;  elle  ne  voudroit  pas  le  quitter 
quand  même  il  ne  lui  en  coûteroit  qu'un  seul  désir, 
parce  que  ce  désir  seroit  un  désir  propre ,  et  con- 
traire à  son  abandon  à  la  Providence,  quelle  oe 
veut  jamais  prévenir  en  rien. 

Si  quelque  chose  est  capable  de  mettre  un  cœur 
au  large  et  en  libellé ,  c'est  cet  abandon.  U  répand 
dans  le  cœur  une  paix  plus  abondante  çuetesfleuvesj 
et  une  justice  qui  est  comme  les  abîmes  de  la  mer; 
c'est  l'expression  d'Isaîe  (0.  Si  quelque  chose  peut 
rendre  un  esprit  serein,  dissiper  ses  scrupules  et  ses 
craintes  noires,  adoucir  la  peine  par  l'onction  de 
l'amour,  donner  une  certaine  vigueur  dans  toutes 
les  actions ,  et  épancher  la  joie  du  Saint-Esprit  jus- 
que sur  le  visage  et  dans  les  paroles,  c'est  cette 
conduite  simple,  libre  et  enfantine  entre  les  bras  de 
Dieu.  Mais  on  raisonne  trop,  et  on  se  gâte  à  force  de 
raisonner.  Il  y  a  une  tentation  de  raisonnement, 
qu'il  faut  craindre  comme  les  autres  tentations.  U  y 
a  une  occupation  de  soi-même ,  sensible ,  inquiète 
défiante ,  qui  est  une  tentation  d'autant  plus  subtile, 
qu'on  ne  la  regarde  point  comme  une  tentation,  et 
qu'au  contraire  on  s'y  enfonce  de  plus  en  plus,  parce 
qu'on  la  prend  pour  la  vigilance  recommandée  dans 
rÉvangile.  La  vigilance  que  Jésus-Christ  .ordonne 
est  une  fidèle  attention  à  aimer  toujours,  et  à  ac- 
complir la  volonté  de  Dieu  dans  le  moment  présent, 
suivant  les  signes  qu'on  en  a  :  mais  elle  ne  consiste 


f 


BT    LA    TAISTISSE.  26g 

pas  à  se  troubler,  à  se  mettre  à  la  lortore,  à  s^occu- 
per  sans  cesse  de  soi-même ,  plutôt  (}ue  de  lever  les 
jeux  yers  Dieu,  notre  unique  secours  contre  nous- 
mêmes. 

Pourquoi,  sous  prétexte  de  yigilance,  s'opiniâtrer 
à  découvrir  en  nous-mêmes  ce  que  Dieu  ne  veut  pas 
que  nous  y  découvrions  pendant  cette  vie?  Pourquoi 
perdre  par  là  le  fruit  de  la  foi  pure  et  de  la  vie  inté- 
rieure? Pourquoi  se  détourner  de  la  présence  de 
Dieu  9  qu'il  veut  nous  rendre  continuelle?  Il  n'a  pas 
dit  :  Soyez  toujours  vous-même  l'objet  devant  lequel 
vous  marchiez;  mais  il  a  dit  :  Marchez  devant  moi, 
et  soyez  parfait  (0- 

David,  plein  de  son  esprit,  a  dit  :  Je  voyais  ton- 
fours  Dieu  devant  moi  C^);  et  encore  :  Mes  yeux 
sont  toujours  élevés  vers  le  Seigneur,  afin  qu'il  ga- 
rantisse mes  pieds  des  filets  tendus  .(3).  Le  danger  est 
à  ses  pieds  ;  cependant  ses  yeux  sont  en  haut  :  il  est 
moins  utile  de  considérer  notre  danger  que  le  secours 
de  Dieu.  De  plus  on  voit  tout  i^ûni  en  Dieu  ;  on  y 
voit  la  misère  humaine  et  la  bonté  divine  j  un  seul 
coup  d'œil  d'une  ame  droite  et  pure ,  si  simple  qu'il 
soit,  aperçoit  tout  dans  cette  lumière  infinie.  Mais 
que  pouvons-nous  voir  dans  nos  propres  ténèbres, 
sinon  nos  ténèbres  mêmes? 

O  mon  Dieu  !  pourvu  que  je  ne  cesse  de  vous  voir, 
je  ne  cesserai  point  de  me  voir  dans  toutes  mes  mi- 
sères, et  je  me  verrai  bien  mieux  en  vous  qu'en  moi- 
même.  La  vraie  vi^lance  est  de  voir  en  vous  votre 
volonté  pour  Faccomplir,  et  non  de  raisonner  à  l'in- 
fini sur  l'état  de  la  mienne.  Quand  les  occupations 

CO  Gtn.  21VI1.  I.  —  C»)  Pt.  XV.  8.  —  C')  Ps.  xxiy.  i5. 


1 


ajO  SVtL    %k    BISSIPATIOir 

extéri^ores  m'empêcheront  de  vons  voir  seul,  €d 
fermant  dans  l'oraison  les  avenues  de  Ions  mes  sensi 
alors  je  voos  verrai ,  Seigneur^  faisant  tout  en  tous. 
Je  verrai  partout  avec  joie  votre  volonté  s'accomplir 
et  au  dedans  et  au  dehors  de  moi  ;  je  dirai  sans  cesse 
Amên^  comme  les  bienheureux;  je  chanterai  toujours 
dans  mon  coeur  le  cantique  de  la  céleste  Sion.  Je 
vous  bénirai  même  dans  les  méchans^  qui,  par  leur 
volonté  mauvaise  j  ne  laissent  pas  d'accomplir  malgré 
eut  la  fôtre  toute  juste,  toute  sainte,  toute-puis* 
saute.  Dans  la  diaste  liberté  de  Tesprit  que  voos 
donnez  à  vos  enfans ,  j'agirai  et  je  parlerai  simple* 
ment  y  gaîment  et  avec  confiance  :  Quand  mente  je 
passerais  au  trwers  des  ombres  de  la  mort,  je  ne 
craindrais  tien,  parce  ^Ufi  vous  êtes  toujours  avec 
moi  (0.  Je  ne  chercherai  jamais  aucun  péril;  je 
n'entrerai  jamais  dans  aucun  engagement  qu'afec 
des  signes  de  votre  providence,  qui  y  soient  ma 
force  et  ma  consolation.  Dans  les  états  mêmes  où 
votre  vocation  m*e  soutiendra,  je  donnerai  au  re« 
cneillement ,  k  l'oraison ,  à  la  retraite,  tous  les  jours^ 
tontes  les  heures,  tous  les  momens  que  vous  me 
laisserez  libres  :  ^ene  quitterai  jamais  ce  bienheureux 
état,  qu'autant  que  vous  m'appellerez  vous-même  à 
quelque  fonction  extérieure.  Alors  je  sortirai  en  ap- 
parence de  vous,  mais  vous  sortiret  avec  moi;  et, 
dans  cette  sortie  apparente ,  vous  me  pointerez  dans 
votre  sein  :  je  ne  me  chercherai  point  moi-même 
dans  le  commettre  des  créatures  ;  je  ne  craindrai 
point  que  le  recueillement  diminue  mon  agrément 

• 

auprès  d'elles^  et  dessèche  ma  conversation  ;  car  )e 

(•)  Fs,  XXII.  4- 


ET    LA    TR1STBS5E.  SS^l 

ne  veux  plaire  anx  hommes  qo^autant  qo*il  lé  faut 
pour  vous  plaire. 

Si  vous  voulez  vous  servir  de  moi  pour  votre  œu- 
vre sur  eux,  je  me  livre;  et^  sans  réflexion  sur  moi, 
je  répandrai  simplement  sur  eux  tout  ce  que  vous 
avez  fait  découler  de  vos  dons  sor  moi  :  je  ne  mar- 
cherai point  à  tâtons  y  en  retombant  toujours  sur 
moi-même  :  quelque  périlleuse  et  disripante  que  sôit 
cette  fonction  y  je  me  comporterai  simplement  devant 
vous  avec  ane  droite  îMenlion ,  sachant  quelle  est  la 
bonté  du  père  devant  qui  je«iarcbe;  il  ne  veut  point 
de  subtilité  dans  les  siens^ 

Si  y  au  contraire ,  vous  ne  voulez  pas  vous  servir 
de  moi  pour  les  autres ,  je  ne  m'oflrirai  point;  je 
n'irai  au-devant  de  tien  ;  je  Ferai  en  paix  les  autt^s 
choses  auxquelles  vods  me  bornerez  :  car,  selon 
l'attrait  d'abandon  que  vous  me  donnez,  je  ne  désire 
ni  ne  refuse  rien,  je  me  prête  à  tout,  et  consens  d'être 
inutile  à  tout.  Cherché,  rebuté,  connu,  ignoré,  ap^ 
plaudi,  contredit,  que  m'importe?  C'est  vous,  et 
non  pas  moi  ;  c'est  vous  ,  et  non  pas  vos  dons  dis*- 
tingués  de  vous  et  de  votre  amour ,  que  je  cherche. 
Tous  les  états  qui  sont  bons  me  sont  indifférens. 


^7%  DB   UL   TRinriSSE. 

XV. 

Remèdes  contre  la  tristesse. 

Pour  ce  qai  regarde  ane  certaine  tristesse  qui  res- 
serre le  cœur  et  qnî  Fabat,  Toicî  deux  r^les  qu'il 
me  parott  important  d'observer.  La  première  est  de 
remédier  à  cette  tristesse  par  les  moyens  qae  la  Pro- 
vidence nous  fournit;  par  exemple ,  ne  se  point  sur- 
charger d'aflaires  pénibles,  pour  ne  succomber  point 
sous  un  fardeau  disproportionné  ;  ménager  noD-sen- 
lement  les  forces  de  son  corps,  mais  encore  celles  de 
son  esprit,  en  ne  prenant  point  sur  soi  des  choses 
oùi'on  compteroit  trop  sur  son  courage  ;  se  réserver 
des  heures  pour  prier,  pour  lire ,  pour  s'eucourager 
par  de  bonnes  conversations  ;  même  s'égayer,  pour 
délasser  tout  ensemble  l'esprit  avec  le  corps ,  suivant 
le  besoin. 

Il  faut  encore  quelque  personne  sûre  et  discrète, 
à  qui  on  puisse  décharger  son  cœur  pour  tout  ce 
qui  n'est  point  du  secret  d'autrui  ;  car  cette  décharge 
soulage  et  élargit  le  cceur  oppressé.  Souvent  des 
peines  trop  long-temps  retenues  grossissent  jusqu'à 
crever  le  cœur.  Si  elles  pouvoient  s'exhaler,  on  ver- 
rait qu'elles  ne  méritent  point    toute  l'amertume 
qu'elles  ont  causée.  Rien  ne  tire  tant  l'ame  d'une 
certaine  noirceur  profonde ,  que  la  simplicité  et  la 
petitesse  avec  laquelle  elle  expose  son  décourage- 
ment aux  dépens  de  sa  gloire,  demandant  lumière 
et  consolation  dans  la  communication  qui  doit  être 

entre  les  enfans  de  Dieu. 

U 


DE    LA    TEISTESSE.  là^i 

La  seconde  règle  est  de  porter  paisiblement  toutes 
les  impressions  involontaires  de  tristesse  que  nous 
souffrons  malgré  les  secours  et  les  précautions  q.ue 
nous  venons  d'expliquer.  Les  découragemens  inté- 
rieurs nous  font  aller  plus  vite  que  tout  le  reste,  dans 
la  voie  de  la  foi,  pourvu  qu'ils  ne  nous  arrêtent  point, 
et  que  la  lâcheté  involontaire  de  Tame  ne  la  livre 
point  à  cette  tristesse  qui  s*empare,  comme  par  force, 
de  tout  Tintérieur.  tin  pas  fait  en  cet  état  est  tou- 
jours un  pas  de  géanjt  :  il  vaut  mieux  que  mille,  faits 
dans  une  disposition  plus  douce  et  plus  consolaiite. 
II  n'y  a  donc  qu'à  mépriser  notre  découragement , 
et  qu'à  aller  toujours ,  pour  rendre  cet  état  de  foi- 
blesse  plus  utile  et  plus  grand  que  celui  du  courage 
•et  de  la  force  la  plus  héroïque. 

O  que  ce  courage  sensible ,  qui  rend  tout  aisé  ^ 
qui  fait  et  qui  souffre  tout,  qui  se  sait  bon  gré  de 
n'hésiter  jamais,  est  trompeur!  O  qu'il  nourrit  la 
conGanoi  propre  et  une  certaine  élévation  de  cœur  ! 
Ce  courage,  qui  édifie  quelquefois  merveilleusement 
le  public,  nourrit  au  dedans  une  certaine  satisfac- 
tion, et  un  témoignage  qu'on  se  rend  à  soi-même, 
qui  est  un  poison  subtil.  On  a  le  goût  de  sa  propre 
vertu,  on  s'y  complatt,  on  veut  la  posséder  ;  on  se 
sait  bon  gré  de  sa  force. 

Une  ame  affoiblie  et  humiliée,  qui  ne. trouve  plus 
de  ressource  en  elle,  qui  craint,  qui  est  troublée, 
qui  est^riste  jusqu'è  la  mort,  comme  Jésus-Christ 
lorsqu'il  étoit  dans  le  jardin,  qui  s'écrie  enfin  comme 
lui  «ur  la  croix  :  O  Dieuj  â  mon  Dieu^  pourquoi 
rnauez'vous  délaissé?  est  bien  plus  purifiée,  plus 
déprise  d'elle-même,  plus  anéantie  et  plus  morte  à 

FéHÉLON.   xviii.  18 


^74  l^B  LA  ni9TCS8B. 

tout  désir  propre ,  que  ces  âmes  fortes  qui  )Ooissent 
en  paix  des  firaits  de  leur  vertu. 

Hearense  Famé  que  Dieu  abat ,  qne  Dieu  écrase , 
à  qui  IKea  ôle  toote  force  en  elle-même  pour  ne  se 
plus  soutenir  qu'en  lui  ;  qui  yoit  sa  pauvreté,  qui  en 
est  contente  ;  qui  porte ,  outre  les  croix  du  dehors , 
la  grande  croix  intérieure  du  découragement,  sans 
laquelle  tontes  les  autres  ne  pâeroient  rien  ! 


^f0^yu^mft0i/n»0»it/¥wmtfitmÊmmv%f^^mt%mf9/mf9f¥t»t^  wm090Wfmft^ 


XVI. 
Sur  la  pensée  de  la  mort. 

Oh  ne  peut  trop  déplorer  Vaveuglement  des 
hommes  de  ne  pas  vouloir  penser  à  la  mort ,  et  de 
se  détourner  d'une  cbose  inévitable  que  Ton  peut 
rendre  heureuse  en  y  pensant  souvent.  La  mort  ne 
trouble  que  les  personnes  chamelles  :  le  parfait 
amour  chasse  la  crainte  (i).  Ce  n'est  pas  par  se  croire 
juste  qu'on  cesse  de  craindre ,  c'est  par  aimer  sim- 
plement,  et  s'abandonner  sans  retour  sur  soi  à  celui 
qu'on  aime<  Voilà  ce  qui  rend  la  mort  douce  et 
précieuse.  Quand  on  est  mort  à  soi-même ,  la  mort 
du  corps  n'est  plus  que  la  consommation  de  Toeuvre 
de  la  grâce. 

On  évite  la  pensée  de  la  mort  pour  ne  se  pas  at- 
trister ;  elle  ne  sera  triste  que* pour  ceux^ui  n  j 
auront  pas  pensé.  Elle  arrivera  enfin  cette  mort,  et 
éclairera  celui  qui  n*aura  pas  voulu  être  éclairé 
pendant  sa  vie.  On  aura  à  la  mort  une  lumière  très- 

(O/Joon.  iT.  i8. 


SUR    Lk    PENSÉE    DE    LÀ    MORT.  2^5 

distincte  de  tout  ce  que  nous  aurons  fait  et  de  tout 
ce  que  nous  aurions  dû  faire  ;  nous  verrons  claire- 
ment Tusage  que  nous  aurions  dû.  faire  des  grâces 
reçues  y  des  talens,  des  biens,  de  la  santé,  du  temps, 
et  de  tous  les  avantages  on  malheurs  de  notre  vie. 

La  pensée  de  la  mort  est  .la  meilleure  règle  que 
nous  puissions  prendre  pour  toutes  nos  actions  et 
DOS  projets.  Il  faut  la  désirer;  mais  il  la  faut  aussi 
attendre  avec  la  même  soumission  que  nous  devoo^ 
avoir  à  la  volonté  de  Dieu  dans  tout  le  reste.  On 
doit  la  désirer  puisqu'elle  est  la  consommation  de 
notre  pénitence,  Feutrée  de  notre  bonheur,  et  notre 
éternelle  récompense. 

II  ne  faut  point  dire  que  Ton  veut  vivre  pour  faire 
péDÎtence ,  puisque  la  mort  est  la  meilleure  que  nous 
puissions  faire.  Nos  péchés  seront  purgés  plus  pure- 
iiient,  et  expiés  plus  efficacement  par  notre  mort ^ 
que  par  toutes  nos  pénitences.  Elle  sera  aussi  douce 
pour  les  gens  de  bien ,  qu'elle  sera  amère  pour  les 
médians.  Nous  la  demandons  tous  les  jours  dans  le 
Pater;  il  faut  que  tous  demandent  que  le  royaume 
àe  Dieu  leur  arrive.  Il  faut  donc  la  désirer,  puisque 
la  prière  n'est  que  le  désir  du  cœur,  et  que  ce  royaume 
ne  peut  venir  pour  nous  que  par  notre  mort.  Saint 
Paul  recomaiande  aux  Chrétiens  de  se  consoler  en- 
semble (^)  dans  la  pensée  de  la  mort 

(*)/2îi«j.iT.  17. 


3^6  HÉCESSITÉ 

É¥i»iriifii^»TfifvrMiVi)irii^trifiiriivviriVirtviftiivi^^ 

XVII. 

Nécessité  de  connottre  Dieu  :  cette  connoissance 
est  rame  et  le  fondement  de  la  solide  piétés 

Ce  qai  manque  le  plus  aux  hommes,  c*est  la  con- 
noissance de  Dieu.  Ils  savent,  quand  ils  ont  beau- 
coup lu ,  une  certaine  suite  de  miracles  et  de  marques 
de  providence  par  les  faits  de  l'histoire;  ils  ont  fait 
des  réflexions  sérieuses  sur  la  corruption  et  sur  la 
fragilité  du  monde;  ils  se  sont  même  convaincus  de 
certaines  maximes  utiles  pour  la  réformation  de  leurs 
mœurs  par  rapport  au  salut  :  mais  tout  cet  édifice 
manque  de  fondement  ;  ce  corps  de  piété  et  de  chris- 
tianisme est  sans  ame.  Ce  qui  doit  animer  le  vérita* 
ble  fidèle,  c'est  l'idée  de  Dieu  qui  est  tout,  qui  fait 
tout,  et  à  qui  tout  est  dû.  Il  est  infini  en  tout,  en  sa- 
gesse, en  puissance,  en  amour.  Il  ne  faut  donc  pas 
s'étonner  si  tout  ce  qui  vient  de  lui  tient  de  ce  carac- 
tère d'infini,  et  surpasse  la  raison  humaine.  Quand  il 
prépare  et  arrange  quelque  ^^hose,  ses  conseils  et  ses 
voies  sont,  comme  dit  l'Ecriture  (0 ,  autant  au*dessus 
de  nos  conseils  et  de  nos  voies,  que  le  ciel  est  au-des- 
sus de  la  terre.  Quand  il  veut  exécuter  ce  qu'il  a  ré- 
solu ,  sa  puissance  ne  se  montre  par  aucuns  efforts  ; 
car  il  n'y  a  aucun  effet ,  quelque  grand  qu'il  puisse 
être,  qui  lui  soit  moins  facile  que  lès  plus  communs  : 
il  ne  lui  en  a  pas  plus  coûté  pour  tirer  du  néant  le  ciel 
et  la  terre ,  tels  que  nous  les  voyons,  que  pour  faire 

(«)  /».  LT.  6. 


DE    COMNOÎTRE    DIEU.  377 

couler  une  rivière  dans  sa  pente  naturelle ,  ou  pour 
laisser  tomber  une  pierre  de  haut  en  bas.  Sa  puissance 
se  trouve  toute  entière  dans  sa  volonté  :  il  n*a  qu*a 
vouk>ir,  et  les  choses  sont  d  abord  faites.  Si  l'Écriture 
le  représente  parlant  dans  la  création ,  ce  n'est  pas 
qu  il  ait  eu  besoin  d'une  parole  qui  soit  sortie  de  lui 
pour  faire  entendre  sa  volonté  à  toute  la  nature  qu'il 
vouloit  produire.  Cette  parole,  que  l'Écriture  nous 
représente,  est  toute  simple  et  tout  intérieure;  c'est 
la  pensée  qu'il  a  eue  de  faire  les  choses,  et  la  réso- 
lution qu'il  en  a  formée  au  fond  de  lui-même.  Cette 
pensée  a  été  féconde;  et  sans  sortir  de  lui,  elle  a  tiré 
de  lui ,  comme  de  la  source  de  tous  les  êtres ,  tous  ceux 
qui  composent  l'univers.  Sa  miséricorde  tout  de 
même  n'est  autre  chose  que  sa  pure  volonté  :  il  nous 
a  aimés  avant  la  création  du  monde  ;  il  nous  a  vus,  il 
nous  a  connus,  il  nous  a  préparé  ses  biens  ;  il  nous 
a  aimés  et  choisis  dès  l'éternité.  Quand  il  nous  arrive 
quelque  bien  nouveau,  il  découle  de  cette  ancienne 
source  :  Dieu  n'a  jamais  de  volonté  nouvelle  sur 
nous  :  il  ne  change  point;  c*est  nous  qui  changeons. 
Quand  nous  sommes  justes  et  bons,  nous  lui  sommes 
conformes  et  agréables  ;  quand  nous  quittons  la  jus- 
tice, |et  que  nous  cessons  d'être  bons,  nous  cessons 
de  lui  être  conformes  et  de  lui  plaire.  C'est  une 
règle  immuable,  de  laquelle  la  créature  changeante 
sapproche  et  s*écarte  successivement.  Sa  justice 
contre  les  méchans  et  son  amour  pour  les  bons  ne 
sont  que  la  même  chose  :  c'est  la  même  bonté  qui 
s'unit  avec  tout  ce  qui  est  bon,  et  qui  est  incompati- 
ble avec  tout  ce  qui  est  mauvais.  Pour  la  miséricorde, 
c est  la  bonté  de  Dieu  qui,  nous  trouvant  mauvais  , 


1 


2'j8  IfÉcÈsSlTÉ 

teut  nous  rendre  bons.  Cette  misëricorde,  qui  se 
fait  sentir  à  nons  dans  le  temps,  est  dans  sa  source 
nn  amour  éternel  de  Diea  pour  sa  créature.  Loi 
seul  donne  la  vraie  bonté.  Malheur  à  Famé  pré- 
somptueuse qui  espère  de  la  trouver  en  soi-même! 
C'est  Tamour  que  Dieu  a  pour  nons  qui  nous  donne 
tout. 

Mais  le  plus  grand  don  qu^  nous  puisse  faire,  c  est 
de  nous  donner  Tamour  que  nous  devons  avoir  pour 
lui.  Quand  Dieu  nous  aime  jusqu'à  faire  que  noas 
IVmions ,  il  règne  en  nous  ;  il  y  fait  notre  vie  ^  notre 
paix  y  notre  bonheur ,  et  noas  commençons  déjà  à 
vivre  de  sa  vie  bienheureuse.  Cet  amour  qu'il  a  pour 
nous  porte  son  caractère  infini  :  il  n^aime  point, 
comme  nous ,  d'un  amour  borné  et  rétréci  :  quand 
il  aime ,  toutes  les  démarches  de  son  amour  sont  in- 
finies. Il  descend  du  ciel  sur  la  terre  pour  chercher 
la  créature  de  boue  qu'il  aime  ;  il  se  fait  homme  et 
boue  avec  elle  ;  il  lui  donne  sa  chair  à  manger.  Cest 
par  de  tels  prodiges  d'amour  que  l'infini  surpasse 
toutes  les  affections  dont  les  hommes  sont  capables. 
Il  aime  en  Dieu  ;  et  cet  amour  n'a  rien  qui  ne  soit 
incompréhensible.  Le  comble  de  la  folie  est  de  voo- 
loir  mesurer  l'amour  infini  à  une  sagesse  bornée. 
Bien  loin  de  perdre  quelque  chose  de  sa  grandeur 
dans  ces  excès  d'amour,  il  y  grave  le  caractère  de  sa 
grandeur,  en  y  marquant  les  saillies  et  les  transports 
d'un  amour  infini.  O  qu'il  est  grand  et  aimable  dans 
ses  mystères  !  Mais  nous  n'avons  point  d'yeux  pour 
les  voir,  et  nous  manquons  de  sentiment  pour  aper- 
cevoir Dieu  en  tout. 


DE    COJiMOtTRE    DIKU.  ^79 

XVIII. 

Suite  du  même  sujet.  Dieu  fi  est  point  aiméf  par  ce 

çn'H  nest  pas  connu. 

Il  ne  faut  point  8*étonner  que  les  hommes  fassent 
si  peu  pour  Dieu ,  et  que  le  peu  qu'ils  font  pour  lui 
leur  coûte  tant  :  ils  ne  le  connoissent  point  ;  à  peine 
croient-ils  qu*il  est.  La  croyance  qu'ils  en  ont  est 
platôt  une  déférence  aveugle  à  l'autorité  d'un  sen- 
timent public,  qu'une  conviction  vive  et  distincte  de 
la  divinité.  On  la  suppose  ^  parce  qu'on  n'oseroit 
Texaminer,  et  parce  qu'on  est  là- dessus  dans  une 
distraction  d'indifférence  y  qui  vient  de  ce  qu'on  est 
entraîné  par  ses  passions  vers  d'autres  objets.  Mais  on 
ne  connoit  Dieu  que  comme  je  ne  sais  quoi  de  mer- 
veilleuzy  d'obscur,  et  d'éloigné  de  nous  :  on  le  regarde 
comme  un  être  puissant  et  sévère,  qui  demande 
beaucoup  de  nous ,  qui  gène  nos  inclinations ,  qui 
nous  menace  de  grands  maux,  et  contre  le  jugement 
terrible  duquel  il  faut  se  précautionner.  Voilà  ce 
que  pensent  ceux  qui  font  des  réflexions  sérieuses 
sur  la  religion ,  encore  sont-ils  en  bien  petit  nombre. 
On  dit  :  C'est  une  personne  qui  craint  Dieu  :  en  effet, 
elle  ne  fait  que  le  craindre  sans  l'aimer,  comme  des 
enfans  craignent  le  maître  qui  donne  le  fouet,  comme 
un  mauvais  valet  craint  les  coups  de  celui  qu'il  sert, 
quand  il  le  sert  par  crainte,  et  sans  se  soucier  de  ses 

• 

intérêts.  Voudroit-on  être  traité  par  un  fils  ou  même 
par  un  domestique,  comme  on  traite  Dieu?  C'est 


38o  NÉCESSITÉ 

qu  on  ne  le  connott  pas  ;  car  si  on  le  connoissoit  ^ 
on  raimeroit.  Dieu  est  amour ^  comme  dit  saint 
Jean(0;  celui  qui  ne  Taime  point  ne  le  cooDoit 
point,  car  comment  connoître  l'amour  sans  l'aiiner? 
It  faut  donc  conclure  que  tous  ces  gens  qui  ne  font 
encore  que  craindre  Dieu  ,  ne  le  connoissent  point. 

Mais  qui  est-ce,  6  mon  Dieu,  qui  vous  connottra? 
celui  qui  ne  connottra  plus  que  vous,  qui  ne  se  con- 
nottra plus  lui-même,  et  à  qui  tout  ce  qui  n'est 
point  vous  sera  comme  s'il  n'étoitpas.  Le  monde  se- 
roit  surpris  d*entendre  parler,  ainsi,  parce  que  le 
monde  est  plein  de  lui-même,  de  la  vanité ,  da 
mensonge,  et  vide  de  Dieu.  Mais  fespère  qui!  y 
aura  toujours  des  âmes  qui  auront  faim  de  Dieu^  et 
qui  goûteront  les  vérités  que  je  vais  dire. 

O  mon  Dieu  !  avant  que  vous  fissiez  le  ciel  et  la 
terre  il  n*y  avoit  que  vous.  Vous  étiez ,  car  vous  n  a- 
vez  famais  commencé  à  être  :  mais  vous  étiez  seul. 
Hors  vous  il  n'y  avoit  rien  :  vous  jpuissiez  de  voos- 
méme  dans  cette  solitude  bienheureuse  ;  vous  vous 
suffisiez  à  vous-même ,  et  vous  n'aviez  besoin  de  trou- 
ver rien  hors  de  vous ,  puisque  c'est  vous  qui  donnez, 
bien  loin  de  recevoir,  à  tout  ce  qui  n'est  pas  voos- 
même.  Par  votre  parole  toute-puissante ,  c'est-à-dire 
par  votre  simple  volonté^  à  qui  rien  ne  coûte,  et  qui 
fait  tout  ce  qu'elle  veut  par  son  pur  vouloir,  sans 
succession  de  temps,  et  sans  aucun  travail  extérieur, 
vous  fîtes  que  ce  monde ,  qui  n*étoiC  pas,  commençât 

^ ICÏ" 

bas,  qui  trouvent  les  matériaux  de  leui*s  ouvrages, 
qui  ne  font  que  les  rassembler ,  et  dont  l'art  consiste 

(»)  /  Jorni.  IV,  8,  i6. 


DE    COJilNOtTRE    DIEU.  28 1 

à  ranger  peu  à  peu,  avec  beaucoup  de  peine,  ces 
matériaux  qu'ils  n'ont  pas  faits.  Vous  ne  trouvâtes 
rien  de  fait ,  et  vous  fîtes  vous-même  tous  les  maté- 
riaux de  votre  ouvrage.  C'est  sur  le  néant  que  vous 
travaillâtes.  Vous  dîtes  :  Que  le  monde  soit,  et  il  fut. 
Vous  n'eûtes  qu'à  dire,  et  tout  fut  fait. 

Mais  pourquoi  fltes-vous  toutes  ces  choses  7  Elles 
forent  toutes  faites  pour  l'homme,  et  l'homme  fut 
fait  pour  vous.  Voilà  l'ordre  que  vous  établîtes  : 
malheur  à  l'a  me  qui  le  renverse,  qui  veut  que  tout 
soit  pour  elle,  et  qui  se  renferme  en  soi  !  C'est  violer 
la  loi  fondamentale  de  la  création.  Non ,  mon  Dieu , 
vous  ne  pouvez  céder  vos  droits  essentiels  de  créateur; 
ce  seroit  vous  dégrader  vous-même.  Vous  pouvez 
pardonner  à  l'ame  coupable  qui  vous  a  outragé , 
parce  que  vous  pouvez  la  remplir  de  votre  pur 
amour  ;  mais  vous  ne  pouvez  cesser  d'être  contraire 
à  l'ame  qui  rapporte  vos  dons  à  elle-même ,  et  qui 
refuse  de  se  rapporter  elle-même  par  un  sincère 
et  désintéressé  amour  à  son  créateur.  Ne  faire  que 
TOUS  craindre,  ce  n'est  pas  se  rapporter  à  vous ,  c'est 
au  contraire  ne  penser  à  vous  que  par  rapport  à  soi. 
Vous  aimer  dans  la  seule  vue  de  jouir  des  avantages 
qu'on  trouve  en  vous ,  c'est  vous  rapporter  à  soi , 
au  lieu  de  se  rapporter  à  vous.  Que  faut-il  donc 
pour  se  rapporter  entièrement  au  Créateur? Il  faut 
se  renoncer,  s'oublier,  se  perdre,  entrer  dans  vos 
intérêts,  ô  mon  Dieu,  contre  les  siens  propres  ;  n'a- 
voir plus  ni  volonté,  ni  gloire ,  ni  paix  que  la  vôtre  ; 
en  un  mot ,  c'est  vous  aimer  sans  s'aimer  soi-même. 

O  combien  d'ames,qui,  sortant  de  cette  vie  char- 
gées de  vertus  et  de  bonnes  œuvres,  n'auront  point 


aI82  irÂcsasiTÉ 

cette  pureté  entière ,  sans  laquelle  on  ne  peut  Toir 
Dieu  ;  et  qui  y  faute  d'être- trouTëes  dans  ce  rapport 
simple  et  total  de  la  créature  à  son  créateur,  auront 
besoin  d'être  purifiées  par  ce  feu  jaloux  qui  ne  laisse, 
dans  l'autre  vie,  rien  à  Tame  ^de  tout  ce  qui  ratta- 
che k  elle  -  même  !  Elles  n'entreront  en  Dieu ,  ces 
âmes,  qu'après  être  pleinement  sorties  d'elles-mêmes 
dans  cette  épreuve  d'une  inexorable  justice.  Tout  ce 
qui -est  encore  à  soi  est  du  domaine  du  purgatoire. 
Hélas!  combien  d'ames  qui  se  reposent  sur  leurs 
vertus ,  et  qui  ne  veulent  point  entendre  ce  renon- 
cement sans  réserve  !  Cette  parole  leur  est  dure,  et 
les  scandalise  :  mais  qu'il  leur  en  coûtera  pour  l'avoir 
négligée  !  Elles  paieront  au  centuple  les  retours  sur 
elles-mêmes  et  les  vaines  consolations  dont  elles 
n'auront  pas  eu  le  courage  de  se  déprendre. 

Revenons  donc.  Telle  est  la  grandeur  de  Dieu , 
qu'il  ne  peut  rien  faire  que  pour  lui-même  et  pour 
sa  propre  gloire.  C'est  cette  gloire  incommunicable 
dont  il  est  nécessairement  jaloux ,  et  qu'il  ne  peut 
donner  à  pei*sonne,  comme  il  le  dit  lui-même  (0. 
Au  contraire,  telle  est  la  bassesse  et  la  dépendance 
de  la  créature,  qu'elle  ne  peut,  sans  s'ériger  en  fausse 
divinité,  et  sans  violer  la  loi  immuable  de  sa  créa- 
tion ,  rien  faire,  rien  dire,  rien  penser,  rien  vouloir 
pour  elle-même  et  pour  sa  propre  gloire. 

O  néant ,  tu  veux  te  glorifier  !  Tu  n'es  qu'à  con- 
dition de  n'être  jamais  rien  à  tes  propres  yeux  :  tu 
n'es  que  pour  celui  qui  te  fait  être.  Il  se  doit  tout  à 
lui-même  ;  tu  te  dois  tout  à  lui  :  il  ne  peut  t'en  rien 
relâcher;  tout  ce  qu'il  te  laisseroit  à  toi-même  sorti- 

(0/#.  XLii.  8. 


DE   CONNOtTAE    DIEU.  2l83 

roit  des  règles  inviolables  de  sa  sagesse  et  de  sa  bonté. 
Un  seullnstanty  un  senl  sonpir  de  ta  vie  donné  à  ton 
intérêt  propre ,  blesseroit  essentiellement  la  fin  du 
Créateur  dans  la  création.  Il  n'a  besoin  de  rien; 
mais  il  veut  tout ,  parce  que  tout  lui'  est  dft ,  et  que 
tout  n  est  pas  trop  pour  lai.  Il  n*a  besoin  de  rien , 
tant  il  est  grand  :  mais  cette  même  grandeur  fait 
qu'il  ne  peut  rien  produire  hors  de  lui  qui  ne  soit 
tout  pour  lui-même  :  c*est  son  bon  plaisir  qu'il  veut 
dans  sa  créature.  Il  a  fait  pour  moi  le  ciel  et  la  terre  ; 
mais  il  ne  peut  souffrir  que  je  fasse  volontairement 
et  par  choix  un  seul  pas  pour  une  autre  fin  que  celle 
d'accomplir  sa  volonté.  Avant  qu'il  eût  produit  des 
créatures,  il  n'y  avoit  point  d'autre  volonté  que  la 
sienne.  Croirons -nous  quUl  ait  créé  des  créatures 
raisonnables  pour  vouloir  autrement  que  lui  ?  Non , 
non  ;  c'est  sa  raison  souveraine  qui  doit  les  éclairer 
et  être  leur  raison  ;  c'est  sa  volonté  y  règle  de  tout 
bien ,  qui  doit  vouloir  en  nous  :  toutes  ces  volont4s 
n'en  doivent  faire  qu'une  seule  par  la  sienne  ;  c'est 
pourquoi  nous  lui  disons  :  Que  votre  règne  vienne  ; 
que  votre  volonté  se  fasse. 

Pour  mieux  comprendre  tout  ceci,  il  faut  se  repré- 
senter que  DieU|  qui  nous  a  faits  de  rien,  nous  refait 
encore ,  pour  ainsi  dire,  à  chaque  instant.  De  ce  que 
nous  étions  hier,  il  ne  s'ensuit  pas  que  nous  devions 
être  encore  aujourd'hui  :  nous  pourrions  cesser  d'être, 
et  nous  retomberions  efiectivement  dans  le  néant 
d'oÙL  nous  sommes  sortis ,  si^  la  même  main  toute- 
puissante  qui  nous  en  a  tirés  ne  nous  en^>echoit  d'y 
être  replong&.  Nous  ne  sommes  rien  par  nous- 
mêmes  :  nous  ne  sommes  que  ce  que  Dieu  nous  fait 


284  HÉCESSITÉ 

être  y  et  seulement  pour  le  temps  qa*il  lai  plaît  :  il 
n'a  qu'à  retirer  sa  main  qui  nous  porte ,  pour  nous 
renfoncer  dans  l'abtme  de  notre  néant  ;  comme  nne 
pierre,  qu'on  tient  en  l'air,  tombe  de  son  propre 
poids  dès  qu'on  ne  la  tient  pins.  Noas  n'ayons  donc 
l'être  et  la  vie  que  par  le  don  de  Dieu. 

De  plus,  il  y  a  d'autres  biens,  qui  étant  d'un  ordre 
encore  plus  pur  et  plus  élevé,  viennent  encore  plus 
de  lui.  La  bonne  vie  vaut  encore  mieux  que  la  vie; 
la  vertu  est  d'un  plus  grand  prix  que  la  santé  \  la 
droiture  du  cœur  et  l'amour  de  Dieu  sont  plus  au- 
dessus  des  dons  temporels  que'  le  ciel  ne  l'est  au- 
dessus  de  la  terre.  Si  donc  nous  sommes  incapables 
de  posséder  un  seul  moment  ces  dons  vils  et  grossiers 
sans  le  secours  de  Dieu,  à  combien  plus  forte  raison 
faut-il  qu'il  nous  donne  ces  autres  dons  sublimes  de 
son  amour,  du  détachement  de  nous-mêmes,  et  de 
toutes  les  vertus. 

C'est  donc ,  ô  mon  Dieu ,  ne  vous  point  connoitre, 
que  de  vous  regarder  hors  de  nous,  comme  un  Etre 
tout-puissant  qui  donne  des  lois  à  toute  la  nature, 
et  qui  a  fait  tout  ce  que  nous  voyons.  C'est  ne  con- 
noître  encore  qu'une  partie  de  ce  que  vous  êtes;  cest 
ignorer  ce  qu'il  y  a  de  plus  merveilleux  et  de  plus 
touchant  pour  vos  créatures  raisonnables.  Ce  qai 
m'enlève  et  qui  m'attendiit ,  c'est  que  vous  êtes  le 
Dieu  de  mon  cœur.  Vous  y  faites  tout  ce  qu'il  vous 
plaît.  Quand  je  suis  bon ,  c'est  vous  qui  me  rendez 
tel  :  non-seulement  vou*  tournez  mon  cœur  comme 
il  vous  plaît,  mais  encore  vous  me  donnez  un  cœur 
selon  le  vôtre.  C'est  vous  qui  vous  aimez  vous-mci"^ 
en  moi  \  c'est  vous  qui  animez  mon  ame,  comme  mon 


DE    COIfllotTRE    DIEU.  ^85 

ame  anime  mon  corps  ;  vous  m*étes  plus  présent  et 
plus  intime  que  je  ne  le  suis  à  moi-même  ;  ce  mo}, 
auquel  je  suis  si  sensible  et  que  j'ai  tant  aimé, 
me  doit  être  étranger  en  comparaison  de  vous  :  c'est 
vous  qui  me  Favez  donné;  sans  vous  il  ne  seroit  rien  : 
voilà  pourquoi  vous  voulez  'que  je  vous  aime  plus 
que  lui. 

O  puissance  incompréhensible  de  mon  créateur  ! 
0  droit  du  créateur  sur  sa  créature ,  que  jamais  la 
créature  ne  comprendra  assez  !  O  prodige  d'amour , 
que  Dieu  seul  peut  faire  !  Dieu  se  met ,  pour  ainsi 
dire ,  entre  moi  et  moi  ;  il  me  sépare  d'avec  moi- 
même;  il  veut  être  plus  près  de  moi  par  le  pur  amour 
que  je  ne  le  suis  de  moi-même ,  il  veut  que  je  re- 
garde ce  moi  comme  je  regarderois  un  être  étranger; 
que  je  sorte  des  bornes  étroites  de  ce  moi,  que  je  le 
sacrifie  sans  retour,  et  que  je  le  rapporte  tout  entier 
et  sans  condition  au  créateur  de  qui  je  le  tiens.  Ce 
que  je  suis  me  doit  être  bien  moins  cher  que  celui 
par  qui  je  suis.  Il  m'a  fait  pour  lui,  et  non  pour 
moi-même;  c'est-à-dire  pour  l'aimer,  pour  vouloir 
ce  qu'il  veut,  et  non  pour  m'aimer  en  cherchant  ma 
propre  volonté.  Si  quelqu'un  sent  son  cœur  révolté 
contre  ce  sacrifice  entier  du  moi  à  celui  qui  nous  a 
créés,  je  déplore  son  aveuglement,  j'ai  compassion 
de  le  voir  esclave  de  lui-même,  et  je  prie  Dieu  de  l'en 
délivrer,  en  lui  enseignant   à  aimer  sans  intérêt 
propre  ! 

O  mon  Dieu  !  je  vois  dans  ces  personnes  scanda- 
lisées de  votre  pur.amour,  les  ténèbres  et  la  rébellion 
causées  par  le  péché  originel.  Vous  n'aviez  point  fait 
le  cœur  de  l'homme  avec  cette  pente  de  propriété  si 


a86  NÉCESSITÉ 

monstrueuse.  Cette  rectitude ,  où  l*Écriture  nous  ap- 
prend que  vous  Taviez  crée,  ne  consistoit  qu'à  n'être 
point  à  soi  ^  mais  à  celui  qui  nous  a  faits  pour  lui.  0 
Père  !  vos  enfans  sont  défigurés  ;  ils  ne  vous  ressem- 
blent plus.  Ils  s'irritent,  ils  se  découragent,  quand 
on  leur  parle  d*étre  à  vous  comme  vous  êtes  à 
vous-même.  En  renversant  cet  ordre  si  juste,  ils 
veulent  follement  s'ériger  en  divinités  :  ils  veulent 
être  à  eux-mêmes,  faire  tout  pour  eux,  on  du  moins 
ne  se  donner  à  vous  qu'avec  des  i*éserves,  à  certaines 
conditions,  et  pour  leur  propre  intérêt.  O  mon- 
strueuse propriété!  ô  droits  de  Dieu  inconnus!  d 
ingratitude  et  insolence  de  la  créature  !  Misérable 
néant!  qu'as-tu  à  garder  pour  toi?  qa*as-tu  qui  t'ap- 
partienne ?  qu'as -tu  qui  ne  vienne  d*en  haut,  et  qui 
ne  doive  y  retourner?  Tout,  jusqu'à  ce  moi  si  in- 
juste, qui  veut  partager  avec  Dieu  ses  dons,  est  un 
don  <}e  Dieu  qui  n'est  fait  que  pour  lui  :  tout  ce 
qui  est  en  toi  crie  contre  toi  pour  le  créateur.  Tais- 
toi  donc,  créature, qui  te  dérobes  à  ton  créateur,  et 
rends-toi  à  lui. 

Mais  hélas ,  ô  mon  Dieu  I  quelle  consolation  de 
penser  que  tout  est  votre  ouvrage,  autant  au  dedans 
de  moi-même  qu'au  dehors  !  Vous  êtes  toujours  avec 
moi ,  quand  je  fais  mal  :  vous  êtes  au  dedans  de  moi , 
me  reprochant  le  mal  que  je  fais,  m'inspirant  le  ré- 
gi^et  du  bien  que  j'abandonne ,  et  me  montrant  une 
miséricorde  qui  me  tend  les  bras.  Quand  je  fais  bien, 
c'est  vous  qui  m'en  inspirez  le  désir,  qui  le  faites  en 
moi  et  par  moi  :  c'est  vous  qui  aimez  le  bien ,  qui 
haïssez  le  mal  dans  mon  coeur ,  qui  souffrez ,  qui 
priez ,  qui  édifiez  le  prochain ,  qui  faites  l'aumône. 


DE    COlffiroiTllB   DIEU.  ^87 

Je  fais  tontes  ces  choses,  mais  c'est  par  vous  ;  vous 
me  les  faites  faire  ;  vous  les  mettez  en  moi.  Ces  bonnes 
oeuvres,  qui  sont  vos  dons,  deviennent  mes  œuvres; 
mais  elles  sont  toujours  vos  dons ,  et  elles  cessent 
d*étre  bonnes  œuvres  dès  que  je  les  regarde  comme 
miennes,  et  que  votre  don  ,'qui  en  fait  tout  le  prix, 
échappe  à  ma  vue. 

Vous  êtes  donc ,  et  je  suis  ravi  de  le  pouvoir  pen- 
ser, sans  cesse  opérant  au  fond  de  moi-même  :  vous 
y  travaillez  invisiblement ,  comme  un  ouvrier  qui 
travaille  aux  mines  dans  les  entrailles  de  la  terre: 
vous  faites  tout,  et  le  monde  ne  vous  voit  pas;  il  ne 
vous  attribue  rien  :  moi -même  je  m'égarois  en 
vous  cherchant  par  de  vains  efforts  bien  loin  de  moi. 
le  rassemblois  dans  mon  esprit  toutes  les  merveilles 
de  la  nature,  pour  me  former  quelque  image  de 
votre  grandeur  ;  fallois  vous  demander  à  toutes  vos 
créatures  ;  et  je  ne  songeois  pas  à  vous  trouver  au 
fond  de  mon  cœur^  où  vous  ne  cessez  d'être.  Non  , 
mon  Dieu ,  il  ne  faut  point  creuser  au  fond  de  la 
terre ,  il  ne  faut  point  passer  au-delà  des  mers ,  il 
ne  faut  point  voler  jusque  dans  les  cieux ,  comme 
disent  vos  saints  oracles  (0 ,  pour  vous  trouver  :  vous 
êtes  plus  près  de  nous  que  nous-mêmes. 

O  Dieu  si  grand  et  si  familier  tout  ensemble;  si 
élevé  aa-dessus  des  cieux ,  et  si  proportionné  à  la 
bassesse  de  sa  créature;  si  immense,  et  si  intimement 
renfermé  dans  le  fond  de  mon  cœur  ;  si  terrible,  et  si 
aimable;  si  jaloux,  et  si  facile  pour  ceux  qui  vous 
traitent  avec  la  familiarité  du  pur  amour  f  quand  est- 
ce  que  vos  propres  enfans  cesseront  de  vous  ignorer? 

(0  Deut  xzz.  13.  Rom,  x.  6. 


a88  NÉCESSITÉ 

Qaî  me  donnera  une  voix  assez  forte  pour  repro- 
cher au  monde  entier  son  aveuglement ,  et  poor  lui 
annoncer  avec  autorité  tout  ce  que  vous  êtes? 

Quand  on  dit  aux  hommes  de  vous  chercher  dans 
leur  propre  cœur,  c*est  leur  proposer  de  vous  aller 
chercher  plus  loin  que  les  terres  les  plus  inconnues. 
Qu*y  a-t*il  de  plus  éloigne ,  et  de  plus  inconnu,  poar 
la  plupart  des  hommes  vains  et  dissipés,  que  le  fond 
de  leur  propre  cœur?  Savent-ils  ce  que  c'est  que  de 
rentrer  jamais  en  eux-mêmes?  En  ont -ils  jamais 
tenté  le  chemin?  Peuvent-ib  même  s*imaginer  ce 
que  c'est  que  ce  sanctuaire  intérieur ,  ce  fond  impé- 
nétrable de  Tame  où  vous  voulez  être  adbré  en  es- 
prit  et  en  vérité?  Ils  sont  toujours  hors  d'eux-mêmes, 
dans  les  objets  de  leur  ambition  ou  de  leur  amuse- 
ment. Hélas!  comment  entendroient-ils  les  vérités 
célestes,  puisque  les  vérités  même  terrestres,  comme 
dit  Jésus-Christ  (0 ,  ne  peuvent  se  faire  sentir  à  eux? 
Ils  ne  peuvent  concevoir  ce  que  c*e&t  que  de  rentrer 
en  soi  par  de  sérieuses  réflexions  :  que  diroient-ils 
si  on  leur  proposoit  d*en  sortir  pour  se  perdre  en 
Dieu? 

Pour  moi ,  ô  mon  Créateur,  les  yeux  fermés  à  tous 
les  objets  extérieurs ,  qui  ne  sont  que  vanité  et  qu*af- 
fliction  d'esprit  C^) ,  je  veux  trouver  dans  le  plus  se- 
cret de  mon  cœnr  une  intime  familiarité  avec  vous 
par  Jésus  votre  fils,  qui  est  votre  sagesse  et  voire 
raison  éternelle,  devenue  enfant,  pour  rabaisser  par 
son  enfance  et  par  la  folie  de  sa  croix  notre  vaine  et 
folle  sagesft.  C'est  là  que  je  veux,  quoi  qu'il  m*en 
coûte,  malgré  mes  prévoyances  et  mes  réflexions, 

^0  Joan.  III.  13.  —  C>)  Eceles,  i.  14. 

devenir 


D8    COHNOItEB   pIEU.  289 

devenir  petit,  insensé;  encore  plus  méprisable  à 
mes  propres  yaux  qu*à  ceux  de  tons  les  faux  sages. 
Cest  là  que  )e*  veux  m'enivrer  du  Saint-Esprit, 
comme  les  apôtres ,  et  consentir  comme  eux  à  être 
le  jouet  du  monde.  Mais  qui  sois-je  pour  penser  ces 
choses?  Ce  n*est  plus  moi,  vile  et  fragile  crëatiu^, 
ame  de  boue  et  de  péché;  cest  vous,  ô  Jésus,  vérité 
de  Dieb,  qui  les  pensez  en  moi,  et  qui  les  accom*- 
plîrez,  pour  faire  mieux  triompher  votre  grâce  par 
un  plus  indigne  instrument. 

O  Dieu  !  on  ne  vous  connqtt  point  ;  on  ne  sait  qui 
vous  êtes.  La  lumière  luit  au  milieu  des  ténèbres,  et 
les  ténèbres  ne  peuvent  la  comprendre  (0.  G*est  par 
vous  qu'on  vit,  qu*on  respire,  qu'on  pense,  qu*on 
goûte  les  plaisirs;  et  on  oublie  celui  par  qui  on  fait 
toutes  ces  choses  !  On  ne  voit  rien  que  par  vous ,  lu* 
mière  universelle,  soleil  des  âmes,  qui  luisez  encore 
plus  clairement  que  celui  des  corps;  et,  ne  voyant 
rien  que  par  vous,  on  ne  vous  voit  point!  Cest 
TOQs  qui  donnez  tout;  aux  astres  leur  lumière,  aux 
fontaines  leurs  eaux  et  leur  cours,  à  la  terre  ses 
plantes,  aux  fruits  leur  saveur,  aux  fleurs  leurs 
parfums,  à  toute  la  nature  sa  richesse  et  sa  beauté; 
aux  hommes  la  santé ,  la  raison ,  la  vertu  ;  vous  don* 
nez  tout  ;  vous  faites  tout  ;  vous  réglez  tout.  Je  ne 
Tois  que  vous;  tout  lé  reste  disparott  comme  une 
ombice  aux  yeux  de  celui  qui  vous  a  vu  une  fdis  :  et 
le  monde  ne  vous  voit  point  !  Mais  hélas  !  celui  qui 
ne  vous  voit  point  n*a  jamais  rien  vu  et  a  passé  sa  vie 
dans  Tillusion  d*nn  songe;  il  est  comme  s'il  n'étoit 
pas,  plus  malheureux  encore ,  car  il  eût  mieux  valu 

CO/oa».  1.  5.  *  .  ' 

PtoiLOX*    XVIII*  1^ 


290  NÉCESSITÉ 

poar  lai,  comme  je  rapprends  de  votre  parole ,  qaii 
ne  fut  jamais  né. 

Pour  moi  y  mon  Dieu,  je  vous  trouve  partent:  aa 
dedans  de  moi -même ,  c*est  vous  ^ui  faites  tout  ce 
que  je  fais  de  bon.  J'ai  senti  mille  fois  que  je  ne  pou- 
voisparmot-méme^ni  vaincre  mon  bnmeur, ni  détruire 
mes  habitudes,  ni  modérer  mon  orgueil ,  ni  suivre  ma 
raison ,  ni  continuer  de  vouloir  le  bien  que  j'avois  une 
fois  voulu.  C*est  yous  qui  donnez  cette  volonté;  cest 
vous  qui  la  conservez  pure  :  sans  vous  je  ne*  suis 
qu'un  roseau  agité  par  le  moindre  vent  Yous  mV 
vez  donné  le  courage ,  la  droiture,  et  tous  les  boDS 
sentimens  que  j'ai  :  vous  m'avez  formé  un  cœur 
nouveau  qui  désire  votre  justice,  et  qui  est  altéré  de 
votre  vérité  éternelle.  En  me  le  donnant,  vous  avez 
arraché  ce  cœur  du  vieil  homme,  pétri  de  boue  el 
de  corruption ,  jaloux,  vain,- ambitieux,  inquiet,  in- 
juste, ardent  pom*  les  plaisirs.  Quelque  misère  qoi 
me  reste,  hélas!  aurois-je  pu  jamais  espérer  de  me 
tourner  ainsi  vers  vous,  et  de  secouer  le  joug  de  mes 
jpassions  tyranniques  ? 

Mais  voici  la  merveille  qui  ellace  tout  le  reste. 
Quel  autre  que  vous  pouvoit  m'arracher  à  moi-même, 
tourner  ioute  ma  haine  et  tout  mon  mépris  contre 
moi?  Ce  n'est  point  mot  qui  ai  fait  cet  ouvrage  ;  car 
ce  n*est  point  par  soi-même  qu'on  sort  de  soi: il  a 
donc  fallu  un  soutien  étranger  sur  lequel  je  pusse 
m^appuyer  hors  de  mon  propre  cœur  pour  en  con- 
damner la  misère.'  Il  falloit  que  ce  secours  fût  étran- 
ger ;  car  je  ne  pouvois  le  trouver  en  moi,  qu  il  falloit 
combattrez  mais  il  falloit  aussi  qu'il  fût  intime,  pour 
arracher  .le •moi  des  derniers  replis  de  mon  cœur. 


DE    CONMOÎTllE    DIEU«  '2QI 

Cest.youSy  Seignenr,  qai,  portant. votre  lamière 
dans  ce  fond  de  mon  ame^  impénétrable  à  tout  au- 
tre ^  m'y  avez  montré  toute  ma  laideur.  Je  sais  bien 
qa  en  la  voyant  je  ne  Tai  pas  changée,  et  que  je  suis 
encore  difforme  à  vos  yeux  ;  je  sais  bien  que  les  miens 
n'ont  pu  découvrir  toute  ma  difformité;  mais  du 
moins  j'en  vois  -jxne  partie ,  et  je  voudrois  découvrir 
le  tout.  Je  me  vois  horrible ,  et  je  suis  en  paix  ;  car 
je  ne  veux  ni  flatter  mes  vices ,  ni  que  mes  vices  me 
découragent.  Je  les  vois  donc,  et  je  porte  sans  me 
troubler  cet  opprobre.  Je  suis  pour  vous  contre  moi^ 
ô  mon  Dieu  !  Il  n'y  a  que  vous  qui  ayesi^  pu  me  divi* 
ser  ainsi  d'avec  moi-même.  Voilà  ce  que  vous  avez 
fait  au  dedans,  et  vous  continuez  chaque  jour  de  le 
faire,  pour  m*ôter  tous  les  restes^de  la  vie  maligne 
d*A.dam ,  et  pour  achever  la  formation  de  Thomme 
nouveau.  C'est  cette  seconde  création  de  Thomme 
intérieur  qui  Se  renouvelle  de  jour  en  jour. 

Je  me  laisse^  ô  mon  Dieu,  dans  vos  mains  :  tour- 
nez, retoarnez  cette  boue*,  donnez-loi  Une  forme; 
brisez-la  ensuite  ;  elle  est  à  vous ,  elle  n*a  rieu  à  dire  ; 
il  me  sufGt  qu'elle  serve  à  tons  vos  desseins,  et  que 
rien  ne  i-ésiste  à  votre  bon  plaisir ,  pour  lequel  je 
suis  fait.  Demandez ,  ordonnez  ,  défendez  :  que  you- 
lez-Vouf  que  je  fasse  ?  que  voulez-vous  que  je  ne  fasse 
pas?  Elevé,  abaissé,  consolé ,  souffrant ,  appliqué  à 
vos  œuvres ,  inutile  à  tout^  je  vous  adorerai  toujours 
également,  en  sacrifiant  toute  volonté  propre  i  la 
vôtr.e  :  il  ne  me  reste  qu'à  dire  en  tout  comme  Ma- 
rie  (0  :  Quil  me  soit  fait  selon  votre  parole/ 

Mais  pendant  que  vous  faites  tout  ainsi  au  dedans, 

(>)£!«€.  I.  38. 


Ikg^  MÉCESSITÉ 

TOUS  n'agissez  pas  moins  au  clehors.  Je  découvre  par- 
tout y  [usque  dans  les  moindres  atomes ,  cette  grande 
main  qui  porte  le.  ciel  etla  terre,  et  qui  semble  se 
}oaer  en  conduisant  tout  Tunivers.  Uunique  chose 
qui  m'a  embarrassé,  est  de  comprendre  comment 
vous  laissez  tant*  de  maux  mêlés  avec  les  biens.  Vous 
ne  pouvez  faire  le  mal  ;  tout  ce  que  vous  faites  est 
bon  ;  d'où  vient  donc  que  la  &ce  de  la  terre  est  cou- 
verte de  crimes  et  de  misère^? Il  semble  que  le  mal 
prévale  partout  sur  le  bien.  Vous  n'avez  fait  le 
monde  que  pour  votre  gloire,  et  on  est  tenté  de 
croire  qu'il  $e  tourne  k  votre  déshonneur.  Le  nombre 
des  méchans  surpasse  infiniment  celui  des  bons,  au 
dedans  même  de  votre  Église  :  toute  chair  a  cor- 
rompu sa  voie  ;  le$  bons  mêmes  ne  sont  bobs  qu  à 
demi,  et  me  font  presque  autant  gémir  que  les  au- 
tres. Tout  souffre ,  tout  est  dans  un  état  violent  ;  la 
misère  égale  la  corruption.  Que  tardez-vous,  Sei- 
gneur, à  séparer  les  biens  et  les  mauf  7  Hâtez-vous; 
donnez  gloire  à  votre  ncyn  ;  apprenez  à  ceux  qui  le 
blasphèment  combien  il  est  grand.  Vous  vous  devez 
à  vous-même  de  rappeler  toutes  choses  à  Tordre. 
Tentends  Fimpie  qui  dit  sourdement  que  )^ous  avez 
les  yeux  fermés  à  tout  ce  qui  se  passe  ici-bas  (0. 
Elevez-vous,  élevez-vous,  Seigneur;  foulez  aux  pieds 
tous  vos  ennemis. 

Mais,  ô  mon  Dieu,  que  vos  jugemens  sont  pro- 
fonds 1  vos  voies  sont  plus  élevées  au-dessus  des  nô- 
tres, que  les  cieux  ne  le  sont  au-dessus  de  la  terre  C^)' 
Nous  sommes  impatiens,  parce  que  notre  vie  entière 
n'est* que  comme  un  moment-,  au  contraire,  voire 

(■)  Eseeh,  ▼iix.  la.  —  (•)  /*.  lv.  9. 


DB  connoirAE  dieu.  iig'i 

longae  patience  est  fondée  sur  votre  éternitë,  devant 
qui  mille  ans  sont  comme  le  jouV  d'hier  déjà  écoulé(0« 
Vous  tenez  les  moroens  en  vôtre  puissance  (^)y  et  les 
hommes  ne  les  connoissent  pas  :  ils  s'impatientent; 
ifs  se  scandalisent  ;  ilsr  vous  regardent  comme  si  vous 
succombiez  sous  TeiTort  de  Tiniquité  :  mais  vous  riez 
de  leuc  aveuglement  et  de  leur  faux  zèle. 

Vous  me  faîtes  entendre  qu*il  y  a  deux  genres  de 
maux  :tes  uns,  que  les  hommes  ont  faits,  cotitre  votre 
loi  et  sans  vous,  par  le  mauvais  usage  de  leur  li- 
berté; Tes  autres,  que  vous  avez  faits  (?)  et- qui  sont 
des  biens  véritables  f  si  on  les  considère  par  rapport 
à  la  punition  et  à  la  correction'  des  méchans ,  à  la- 
quelle vous  les  destinez.  Le  péché  est  le  mal  qui 
vient  de  Vhomme;  la  mort,  les  maladies,  les  dou- 
leurs,  la  honte  et  toutes  les  autres  misères ,  sont  des 
maux  que  vous  tournez  en  biens ,  les  faisant  servir  à 
la  réparation  du  péché.  Pour  le  péché,  Seigneur,  vous 
le  souffrez,  pour  laisser  Thomme  libre  et  en  la  main 
de  son  conseil^  seloix  le  terme  de  vos  Ecritures  (4). 
Mais,  saos  être  auteur  du  péché ,  quelles  merveilles 
nen  faites -vous  pas  pour  manifester  votre  gloire! 
Vous  vous  servez  des  méchans  pour  corriger  les  bons^ 
et  pour  les  perfectionner  en  les  humiliant  ;  vous 
vous  servez  encore  des  méchans  contre  eux-mêmes , 
en  les  punissant  les  uns  par  les  autres.  Mais,  ce  qui 
est  touchant  et  aimable,  vo^  faites  servir  Tinjustice 
et  la  persécution  des  uns  à  convertir  les  autres.  Com- 
bien y  a-t-il  de  personnes  qui  vivoient  dans  Toubli 
de  vos  grâces  et  dans  le  mépris  de  ^otre  loi ,  et  que 

(«)  //  PeU\  III.  8.  —  (»)  j^ct.  I.  7.  —  ^3)  j^mos.  m.  6,  —  (4)  £ceU. 
if.  14.    ' 


2^  UréCESSlTÉ 

TOUS  avez  ramenées  à  vous  en  les  dëladiant  du  n|Ovide 
par  les  injustices  qu^elles  y  oui  sou6fertes! 

Mais  l'aperçois ,  ô  mcru  Dieu ,  une  autre  merveille  ; 
c'est  que  vous  soufire^  un  mélange  de  bien  et  de  mal 
jusque  dans  le  cœur  de  ceui^  qui  sont  le  plus  à  voost 
ces  imperfection^  qui  restent  dans  ces  bonnes  âmes, 
servent  à  les  humilier ^  à  les  détacher  d*elle8«n[iêmes, 
à  leur  &ire  sentir  leur  impuissance,  à  les  faire  re- 
courir plus  aroemment  à  vous,  et  à  leur  faire  com- 
prendre que  Foraison  est  la  source  de* toute  véritable 
vertu.  O  .'quelle  abondance  de  biens  vous  tirez  des 
maux  que  vous  avez  permis  !  Vous  ne  souffrez  donc 
les  maux  que  pour  en  tirer  de  pins  grands  biens  y  et 
pour  faire  éclater  itotre  bonté  toute-puissante  par 
Tart  avec  lequel  vous  usez  de  ces  maux.  Vous  arran- 
gez ces  maux  suivant  vos  desseins.  Vous  ne  faites  pas 
riniquité  de  Thomme  ;  mais ,  étant  incapable  de  la 
produire,  vous  la  tournez  seulement  d'un  côté  plutôt 
que  d'uû  autre,  selon  qu'il  vous  plaît,  pour  exécuter 
vos  profonds  conseils  ou  de  justice  ou  de  miséricorde. 

Tentends  la  raison  humaine  qui  veut  entrer  en 
jugemen|  avec  vous,  qui  vent  pénétrer  votre  secret 
étemel^  et  qui  dit:  Dieu.n'ayoit  pas  besoin  de  tirer 
le  bien  du  mal  ;  il  n'avoit  tout  d'un  coup  qu'à  ne 
permettre  aucun  mal,  et  qu'à  rendre  tous  les  hommes 
bons  :  il  le  pouvoit  ;  il  n^dvoit  qu'à  faire  pour  tous 
les  hommes  ce  qu'il  a  ^t  pour  quelques-uns,  qu'il  a 
enlevés  hors  d'eux-mécKs  par  le  diarme  de  sa  grâce: 
pourquoi  ne  l'a-t-il  pas  fait? 

O  mon  Dieu ,  je  le  sais  par  votre  parole  :  f^ous  ne 
haïssez  rien  de  ce  que  vous  avez  fait  (')  ;  vous  ne 


PE    CONMOtTAE    DIEU.  296 

voulez  la  perte  d'aucun  (0^  vous  êi€S*le  Sauveur  de 
tous  (^)  :  mais  vous  letes  des  uns  plus  que  des  autres:. 
Quand,  vous  jugeres  la  terre ,  vous  serez  victorieux 
dans  vos  jugemens  ;  la  créature  condainnëe  ne  verra 
cpi'équHé  dans  sa  condamnation  ;  vous  lui  montrerez 
clairement  que  vous  avez  fait  pour  la  culture  de  vo- 
tre vigne  tout  ce  que  vous  deviez.  Ce  n'est  point  vous 
qui  lui  manquez  ;  c'est  elle  qui  se  manque  et  qui  se 
perd  elle-même.  Maintenant  l'homme  ne  voit  point 
ce  détail,  oar  il  ne  connott  point  son  propre  cœur; 
il  ne  discerae  ni  les  grâces  qui  s^ofirent  à  lui ,  ni  ses 
propres  sentimens,  ni  sa  résistance  intérieure.  Dans 
votre  jugement  vous  le  développerez  tout  entier  à  ses 
propres  yeux  :iî  se  verra  ;  il  aura  horreur  de  se  voir; 
il  ne  pourra  s'èmpéeher  de  voir  dans  un  éternel  dés- 
espoir ce  que  vous  aurez  &it  pour  lui ,  et  ce  qu'il 
aura  fait  contre  lui-même. 

Voilà  ce  que  l'homme  n'entend  point  en  cette  vie  : 
mais  y  6  mon  Dieu ,  dès  qu'il  vous  connott ,  il*  doit 
croire  cbttct  vérité  sans  la  comprendre*  Il  ne  peut 
douter  que  vous  ne  ^oyez,  vous  par  qui  toutes  choses 
sont  ;  il  ne  -peut  douter  que  vous  ne  soyez  la  bonté 
souveraine  :  donc ,  il  ne  lui  reste  qu'à  conclure*,  mal- 
gré toutes  les  ténèbres  qui  l'environnent  |  qu'en  fai- 
sant grâce  aux  uns  vous  faites  justice  à  tous.  Bien 
plus  y  voos  faites  grâce  même  à  ceux  qui  ressentiront 
éternellement  la.  rigueur  de  voire  justice.  Il  est  vrai 
que  vous  ne  leur  faites  pas  toujours  d'aussi  grandes 
grâces  qu'aux  autres;  mais  enfin  vous  leur  faites  des 
grâces ,  et  des  grâces  qui  les  rendront  inexcusables 
quand  vous  les  jugerez,  pu  plutôt  quand  ils  se  juge- 

C'»i/  Pett\  III.  9.  —  X»)  /  Tim.  iT.  10. 


!àg/6  nÉCBssiTi 

ront  eux-mêmes  ;  et  que  hi^énié  imprimée  au  dedans 
d'eux-mêmes  prononcera  leur  condamnati^m.  Il  est 
vrai  que  vous  auriez  pu  faire  davantage  pour  eux; 
il  est  vrai  que  vous  ne  Taves  pas  voulu  :  mais  vous 
avez  voulu  tout  ce  qu  il  falloit  pour  n*étre  point 
charge  de  leur  perte;  vobs  l'avez. permise/  et  vous 

• 

ne  l*avez  point  faite.  S*ils  oht  été  méchans,  ce  B*est 
pas  que  vous  ne  leur  eussiez  donné  de  quoi  être  bons  : 
ils  ne  Font  pas  voulue  vous  les  avez  laissa  dans  leur 
liberté.  Qui  peut  se  plaindre  de  ce  que  vous  ne  leur 
avez  pas  donné  une  surabondance  de  grâce?  Le 
mattre^  qui  ofire  à  tous  ^es  serviteurs  la  )uste  récom* 
pense  de  leurs  travaux ,  n'est-il  pas  en  droit  de  faire 
à  quelques-uns  un  excès  de  libéralitéïGe  qu'il  donne 
à  ceux-là  par-dessus  la  mesure  donne-t-il  aux  autres 
le  moindre  -fondement  de  se  plaindre  de  kit.  Par  là. 
Seigneur,  vous  montrez  que  ioutesvas  voies,  comme 
dit  votre  Écriture  (0 ,  'Sont  vérité  et  jugement.  Vous 
êtes  bon  à  tous,  mais  bon  i  divers  degrés  ;  et  les  mi'^ 
séricordes  que  vous  répandez  avec  une  extraordi- 
naire profusion  sur  les  uns,  ne  sont  point  une  loi 
rigoureuse  que  vous  vous  imposiez  pour  devoir  (aire 
la  même  largesse  à  tous  les  autres. 

Tais-toi  donc ,  6  créature  ingrate  et  révoltée  !  Toi 
qui  penses  dans  ce  moment  aux  dons  de  Dieu,  sou- 
viens-toi que  cette  pensée  est  un  don  de  Dieu  même  : 
dans  le  moment  oh  tu  veux  murmurer  de  la  privation 
de  la  grâce,  c'est  la  grâce  elle-même  qui  te  rend  at- 
tentive à  la  vue  des  dons  de  Dieu.  Loin  de  munâurer 
contre  l'auteur  de  tous  les  biens,  bâte-toi  de  profiter 
de  ceux  qu'il  te  fait  dana  ce  moment  :  ouvre  ton 

i*)Pê.  1X1.  loj  et  ex.  7« 


De    COHNotTtl   DIEU.  ^97 

coeur )  htunilîe  ton  foible  esprit,  sacrifie  ta  vaine  et 
présomptueuse  raison.  Vase  de  boue  1  celui  qui  fa 
fait  est  en  droit  de  te  briser  ;  et^loin  de  te  briser,  le 
vôilà  qui  craint  d*étre  obligé  de  te  rompre  :  il  te  me- 
nace par  miséricorde* 

Je  veux  donc  pour  toujours,  ô  moa  Dieu ,  étouffer 
dans  mon  cœur  tous  ces  raisonnemens  qui  me  ten« 
tentde  douter  de  votre  bonté.  Je. sais  que  vous  ne 
pouvez  jamais  être  que  bon  ;  je  sais  que  vous  avez 
fait  votre  ouvrage  semblable  à  vous,  droit,  juste  et 
bon  comme  vous  Têtes  :  mais  vous  n'avez  paç  voulu 
lai  6 ter  le  choix  du  bien  et  du  mal.  Vous  lui  offrez 
le  bien,  c'est  Jassez;  j'en  suis  sftr,  sans  savoir  pi^ci- 
sément  par  quels  moyens  :  mais  l'idée  immuable  et 
iofaillible  que  j'ai  de  vous  ne  me  permet  pas  d'en 
douter;  je  ne  saurois  avoir  de  raison  aussi  forte  pour 
vous  croire  en  demeure  à  l'égard  d'iiucun  homme, 
dont  je  ne  connois  point  l'intérieur,  et  dont  l'inté- 
rieur est  inconnu  à  lui-diéme,  que  j'en  ai  d'inébran- 
lables pour  m'assurer  que  vous  ne  condamnerez 
aucun  hommo  dans  voire  jugement-^  sans  le  rendre 
iQexcu3able  à  ses  prdpres  yeux.  En  voilà  assez  pour 
me  mettre  en  paix  :  après  cela^  si  je  péris,  c'est  que 
je  me  perdrai  moi-même;  c'est  que  je  résisterai, 
comme  les  Juifs,  au  Saint-Esprit,  qui  est  la  grâce 
intérieure. 

O  Père  des  miséricordes!  je  ne  pense  plus  à  phi- 
losopher suj:  la  grâce,  mais  à  m*abandonner  à  elle 
en  silence.  Elle  fait  toutdans  l'homme  :  mais  elle  fait 
tout  avec  lui  et  par  lui  :  c'est  doiA  avec  elle  qu'il 
but  que  j'agisse  et  que  je  m'abstienne ,  que  je  souf- 
fre ,  que  j'attende ,  que  je  résiste ,  que  je  croie ,  que 


Inespéré ,  que  j*aim«y  sahrant  tontes  ses  impressioDs. 
Elle  fera  tout  ey  moi;  je  ferai  tout  par  elle  :  c*€st 
elle  qai  meut  le  cœur;  mais  enfin  le  ccenr  est  mû, 
et  vous  ne  sanvez  point  l^homme  sans  faire  agir 
rfaomme.  Cest  donc  à  moi  à  trauiÛer,  sans  perdre 
un  moment  y  pour  ne  retarder  point  la  grâce  qoî  me 
pousse  sans  cesse.  Tout  le  bien  vient  d^elle  ;  tout  le 
mal  vient  de  mok  Quand  je  fais  bien ,  c*est  elle  qui 
m^anime;  quand  je  fais  mal ,  c'est  que  je  lui  résiste. 
A.  Dieu  ne  plaise  que  j*en  veuille  savoir  davantage  ! 
tout  le  reste  ne  serviroit  qa*à  nourrir  en  moi  une 
curiosité  présomptueuse.  O  mon  Dieu^  tenes-^moi 
toujours  au  rang  de  ces  petits  à  qui  vous  révélez  vos 
mystères,  pendant  que  vous  les  cachez  aux  sages  et 
aux  prudens  du  siècle* 

Maintenant  y  6  grand  Dieu,  je  ne  m'arrête  plus  à 
cette  difficulté  qui  a  souvent  frappé  mon  esprit  :  D'où 
vient  que  Dieu  si  bon  a  fait  tant  d*bommes  qu*il 
laisse  perdre?  d'oii  vient  qu^'il  a  fait  nattre  et  mourir 
son  propre  Fils,  en  sorte  que  sa  naissance  et  sa  mort 
sont  utiles  à  un  si  petit  nombre  d'bommes?  le  corn*- 
prends,  ô  Être  tout-puissant,  que  tout  Ce  que  vous 
faites  ne  vous  coûte  rien.  Les  choses  que  nous  admi* 
rons  et  qui  nous  surpassent  le  plus  vous  sont  aussi 
faciles  et  aussi  familières  que  celles  que  nous  admi- 
rons  moins  à  force  d'y  être  accoutumés.  Vous  n*avez 
pas  besoin  de  proportionner  le  fruit  de  votrç  fr avail  * 
au  travail  que  l'ouvrage  vous  coûte  ;  parce  que  nul 
ouvrage  ne  vous^coùte  jamais  ni  effort  ni  travail ,  et 
que  Tunique  fruit  que  vous  pouvez  tirer  de  tous  vos 
ouvrages  est  l'accomplissement  de  votre  bon  plaisir. 
Vous  n'avez  besoin  de  rien  ^  il  n'y  a  rien  que  vous 


DE   COHNOtrRE    D1£U.  ^99 

paissiez  accpiërir  :  vous  portez  tout  au  dedans  de 

vous-même  ;  ce  que  vous*faites  au  dehors  n*y  ajoute 

rien  ni  pour  votre  bonheur  ni  pour  votre  gloire. 

Votre  gloire  ne  seroit  donc  pas  moindre  quand  même 

aucun  homme  ne  recevroit  le  fruit  de  la  mort  du 

Sauveur.  Vous  auriez  pu  le  faire  natlre  pour  un 

seul  prédestiné;   un  seul   eût  suffi ,  *si   vous  n*en 

eussiez  voulu  qu'un  seul  ;  car  tout  ce  que  vous  faites, 

vous  le  faites  non  pour  le  besoin  que  vous  avez  des 

choses  y  on  pour  leur  mérite  à  votre  égard,  mais 

pour  accomplir  votre  voloçté  toute  gratuite,  qui  n'a 

nulle  autre  règle  qu'elle-même  et  votre  bon  plaisir. 

kn  reste,  si  tant  d'hommes  périssent ,  quoique  lavés 

dans  le  sang  de  voti^  Fils,  c'est ,  encore  une  fois,. 

que  vous  les  laissez  dans  l'usage  de  leur  liberté  :  vous 

trouvez  voire  gloire  en  eux  par  votre  justice,  comme 

vous  la  trouvez  dans  les  bons  par  votre  miséricorde: 

vous  ne  punissez  les*méchans  qu'à  cause  qu'ils  sont 

médians  malgré  vous,  quoiqu'ils  aient  eu  de  quoi 

être  bons;  et  vous  ne  couronnez  les  bons  qu'à  cause 

qu'ils  sont  devenus  tels  par  votre  grâce  :  ainsi  je  vois 

qu'en  vous  tout  est  justice  et  bonté. 

Pour  tous  les  maux  extérieurs,  j'ai  déjà  remar- 
qué, ô  Sagesse  éternelle,  ce  qui  fait  que  vous  les 
souffrez.  Votre  providence  en  tire  les  plus  grands 
biens.  Les  hommes  foibles  et  igndrans  de  vos  voies 
en  sont  scandalisés  ;  ils  gémissent  pour  vous,  comme 
si  votre  cause  étoit  abandonnée.  Peu  s'en  faut  qu'ils 
ne  croient  que  vous  succombez,  et  que  l'impiété 
triomphe  de*vous  :  ils  sont  tentés  de  croire  que  vous 
ne  voyez  pas  ce  qui  se  passe ,  ou  que  vous  y  êtes  in- 
sensible.  Mais  qu'ils  attendent  encore  un  peu ,  ce» 


1 


3oO  JDI^BSSITÉ 

hommes  aveugle»  et  Impatiens.  L'impie  qui  triompLe 
ne  triomphe  guère;  il  sefiétrit  cdhune  Vherbe  des 
champs  (0,  qqi  fleurit  lematm,  et  qui  le  soir  est 
foulée  aux  pieds  :  la  mort  ramène  tout  à  Tordre. 
Rien  ne  vous  presse  pour  accabler  vos  ennemis: 
vous  êtes  patient I  comme  dit  saint  Augustin,  parce 
que  vous  êtes  éternel  ;  vous  êtes  sur  du  coup  qui  les 
écrasera;  Vous  tenez  long-temps  votre  bras  levé, 
parce  que  vous  êtes  père ,  que  vous  ne  frappez  qu'à 
regret,  à  Fextrémité,  et  que  vous  n'ignorez  point  la 
pesanteur  de  votre  bras.  Que  les  hommes  impatiens 
se  scandalisent  donc  :  pour' moi ,  je  régarde  léssiècles 
comme  une  minute;  car  je  sais  que  les  siècles  sont 
.moins  qu'une  minute  devant  vous.  Cette  suite  de 
siècles,  qu'on  nomme  la  durée  du  monde ,  n'est 
qu'une  décoration  qui  va  disparottre,  qu'une  figure 
qui  passe  et  qui  s'évanouit.  Encore  un  peu ,  ô 
homme  qui  ne  voyez  rien;  encore  un  peu,  et  vous 
verrez  ce  que  Dieu  prépare  :  vous  le  verrez  Ini-inéme 
tenant  sous  ses  pieds  tous  ses  ennemis.  Quoi,  vous 
trouvez  cette  horrible  attente  trop  éloignée!  Hélas! 
elle  n'est  que  ti^op  prochaine  pour  tant  de  malheu- 
reux. Alors  les  biens  et  les  maux  seront  séparés  à 
jamais;  et  ce  sera,  comme  dit  l'Écriture  (^),  le  temps 
de  chaque  chose. 

Cependant  tout  ce  qui  nous  arrive,  c'est  Dieu  qui 
le  fait,  et  qui  le  fait  afin  qu'il  tourne  à  bien  pour 
nous.  Nous  verrons  à  sa  lumière,  dans  l'éternité , 
que  ce  que  nous  désirions  nous  e&t  été  funeste,  et 
que  ce  que  nous  voulions  éviter  étoit  essentiel  à  no- 
tre bonheur. 

(■.  Pm,  &1XVI.  a.  —  '■;  EccUs.  111.  17. 


DE   COSnroÎTIlE   DIEU.  3oi 

O  biens  trompeurs,  j«  ne  vous  nommerai  jamais 
biens ,  puisque  vous  ne  serviez  qu*à  me  rendre  mé- 
chant et  malheureux  !  O  croix  dont  Dieu  me  charge , 
et  dont  la  nature,  lâche  se  croit  accablée ,  vous  que 
le  monde  aveugle  appelle  de^  maux,  vous  ne  serez 
jamais  des  maux  pour  moi  !  Plutôt  ne  parler  jamais , 
que  de  parler  .ce  langage  maudit  des  enfans  du  siècle  i 
Vous  êtes  mes  vrais  biens  :*  c'est  vous  qui  m'humi- 
liez, qui  me  4étachez ,  qui  me  faites  sentir  ma  mi- 
sère, et  la  vanité  dé  tout  ce  que  je  voulois  aimer 
ici-bas.  Béai  soyez-vous  à  jamais ,  ô  Oieu  de  vérité , 
qui  m'ave;K  attaché  à  la  croix  avec  votre  Fils ,  pour 
me  rendre  semblable  à  Tobjet  éternel  de  vos  com- 
plaisances ! 

Qu'on  ne  me  dise  point  que  Dieu  njobserve  pas  de 
si  près  ce  qui  se  passe  parmi  les  hommes.  O  aveugles, 
qui  parlez  ainsi ,  vous  ne  savez  pas  même  ce  que 
c'est  que  Dieu  !  Gomme  tout  ce  qui  est  n'est  que  pat 
la  comtiunication  de  son  être  infini,  tout  ce  qui  a 
de  rintelligence  ne  l'a  que  par  un  écoulement  de  sa 
raison  souveraine,  et  tout  ce  qui  agit  n'agit  que  par 
Timpression  de  sa  suprême  activité.  C'est  lui  qui  fait 
tout  en  tous  ;  c'est  lui  qui ,  dans  chaque  moment  de 
notre  vie,  est  la  respiration  de  notre  cœur,  le*  mou- 
vement de  nos  membres,  la  lumière  de  nos  yeux, 
rintelligence  de  notre  esprit,  l'ame  de  notre  ame  : 
tout  ce  qui  est  en  nous ,  vie ,  actions >  pensée,  volonté, 
se  fait  par  l'actuelle  impression  de  cette  puissance 
et  de  cette  vie ,  dé  cette  pensée  et  de  cette  volonté 
étemelle. 

.  Comment  donc',  ô  mon  Dieu,  pourriez-vous  igno* 
rer  en  nous  ce  que  vous  y  faites  vous-même  7  Corn- 


3oa  NÉCESSITÉ 

ment  pourriez-vous  être  indiflTërent  sur  les  maoxqai 
ne  se  commettent  qu'en  vous  résistant  intérieurement, 
et  sur  les  biens  que  nous  ne  faisons  qu'autant  que 
vous  prenez  plaisir  à  les  faire  vous*même  en  nous? 
Cette  attention  ne  vous  coûte  rien  :  si  vous  cessiez 
de  l'avoir ,  tout  périroit  ;  il  n'y  auroit  plus  de  créature 
^ui  pût  ni  vouloir,  ni  penser,  ni  exister»  O  combien 
s'en  faut-il  que  les  hommes  ne  connoiss^nt  leur  im- 
puissance et  leur  néant,  votre  puissance  et  votre  ac- 
tion sans  bornes,  quand  ils  s'imaginent  que  vous 
seriez  fatigué  d'être  attentif  et  opérant  eh  tant  d'en- 
droits !  Le  feu  htdle  partout  où  il  est  ;  il  faudroit  l'é- 
teindre et  l'anéantir  pour  le  faire  cesser  de  brûler, 
tant  il  est  actif  et  dévorant  par  sa  nature  :  ainsi  en 
Dieu  tQUt  est  action ,  vie  et  mouvement  ;  c'est  un  Jeu 
consumant  (0,  comme  il  le  dit  lui-même  :  ps^out 
OUI  il  est  il  fait  tout  ;  et ,  comme  il  est  partout ,  il  fait 
toutes  choses  dans  tous  les  lieux.  Il  fait ,  comme  nous 
l'avons  vu ,  une  création  perpétuelle  et  sans  ciesse  re- 
nouvelée pour  tou$  les  corps  :  il  ne  crée  pas  moins 
à  chaque  instant  toutes  les  créatures  libi^es  et  intelli- 
gentes; c'est  lui  qui  feur  donne  la  raison ,  la  volonté, 
la  bonne  volonté ,  et  les  divers  degrés  de  volonté 
conforfaie  à  la  sieiyie  ;  car  il  donne ,  comme  dit  saint 
Paal  (2),  le  vouloir  e$  le/aire. 

Voilà  donc  ce  que  vous  êtes ,  ô  mon  Dieu ,  ou  du 
moins  ce  que  vous  faites  dans  vos  ouvrages  ;  car  nul 
ne  peut  approcher  de  cette  source  de  gloire  qui 
éblouit  nos  yeux,  pour  comprendre  tout  ce  que  vous 
êtes  en  vous-même.  Mais  enfin  je  conçois  clairement 
que  vous  faites  tout ,  et  que  vous  Vous  serves  même 

(0  Ileln  XII.  39.  —  («)  PlUlip,  11.  i3. 


DE    COlfNOÎTAE    DIEU.  3o3 

des  maux  et  des  iinpei*fections  des  créatures  pour  faire 
les  biens  que  vous*  avez  résolus.  Vous  vous  cachez 
sous  riiHportun  pour  importuner  le  fidèle  impatient 
et  jaloux  de  sa  liberté  dans  ses  occupations ,  et  qui , 
par  conséquent,  a  besoin  d*étre  importuné,  pour 
mourir  au  plaisir  d*éire  libre  et  arrangé^  dans  ses 
bonnes  oeuvre^.  C'est  vous ,  mon  Dieu,  qui  vous  ser- 
vez des  langues  médisantes  pour  déchirer  la  réputa- 
tion des  innocens,  qui  ont  besoin  d'ajouter  à  leur 
innocence  le  sacrifice  de  leur  réputation  qui  leur 
étoit'trop  chère.  C'est  vous  qui ,  pal-  les  mauvais  offi» 
ces  et  les  subtilités  malignes  des  envieux,  renversez 
la  fortune  et  la  prospérité  de  vos  serviteurs  qui  tien- 
nent encore  à  cette  vaine  prospérité.  C'est  vous  qui 
précipitez  dans  le  tombeau  les  personnes  à  qui  la  vie 
est  un  danger  continuel,  et  la  mort 'une  grâce  qui 

les  met  eu  sûreté.  C'est  vous  qui  faites  de  la  mort 

•    •    • 

de  ces  personnes  un  remède,  très-amen  à  la  vérité, 
mais  très-salutaire  pour  ceux  qui  tenoient  à  ces  per- 
sonnes par  une  amitié  trop  vive  et  trop  tendre.  Ainsi 
le  même  coup  qui  enlève  l'un  pour  le  sauver,  déta- 
che l'autre ,  et  le  prépare  à  sa  mort  par  celle  des 
personnes  qui  lui  étoient  les  plus  chères.  Vous  ré- 
pandez ainsi  miséricordieusement,  ô  mon  Dieu,  de 
l'amertume  sur  tout  ce  qui  n'est  point  vous,  afin  que 
notre  cœur,  formé  pour  vous  aimer  et  pour  vivi^e  de 
votre  amour , soit  comme  contraint  de  revenir  à  vous, 
sentant  que  tout  appui  lui  manque  dans  le  reste: 

C'est,  mon  Dieu,  que  vous  êtes  tout  amour,  et  par 
conséquent  tout  jalousie.  O  Dieu  jaloux!  (car  c'est 
ainsi  que  vous  vous  nommez  vous-même  (0  )  un  cœur 


3o4  HÉCBSSITÉ 

partagé  vous  irrite  ;  an  cœnr  égaré  vonslait  œmpas- 
sion.  Vous  êtes  infiui  en  toat;  infini  en  arnoor, 
comme  en  sagesse  et  en  puissance.  Vons  aimez  en 
Dieu  ;  quand  vous  aimez,  vons  remuex  le  ciel  el  la 
terre  pour  sauver  ce  qui  tous  est  chei:.  Vous  vous 
faites  homme  y  enfant,  le  dernier  des  hommes ,  ras- 
sasié d'opprobres,  mourant  dans  Tiofamie  et dabs  les 
douleurs  de  la  croix;  ce  n*est  pas  trop  pour  Famoar 
qui  aime  infiniment.  Un  amour  fini  et  une  sagesse 
bornée  ne  peuvent  le  comprendre.  Mais  commeot 
le  fini  ponrroit-il  comprendre  Tinfini?  il  n  a  ni  des 
yeux  pour  le  voir,  ni  un  cœur  proportionne  pour  le 
sentir  :  le  cœur  bas  et  resserré  dé  Thoronie,  sa  vaine  sa- 
gesse en  sont  scandalisés,  et  méconnoissent  Dieu  dans 
cet  excès  d'amour.  Pour  moi,  )e  le  reconnois  à  ce  ca- 
ractère d'infinf:  c'est  cet  amour  qui  fait  tout,  même 
les  maux  que  noua  souffi*ons^  c'est  par  ces  maux  qu  il 
nous  prépare  les  vrais  biens. 

Mais  quand  rendrons-nous  amour  pour  amour? 
Quand  chercherons- nous  celui  qui  nous  cherche^  et 
qui  nous  porte  entre  ses  bras  7  C'est  dans  son  sem 
tendre  et  paternel  que  nous  l'oublions  ;  c'est  par  la 
douceur  de  ses  dons  que  nous  cessons  de  penser  à 
lui  r  ce  qu'il  nous  donne  à  tout  moment,  au  lieu  de 
nous  attendrir,  nous  amuse.  11  est  la  source  de  tous 
les  plaisirs  ;  les  créatures  .n'en,  sont  que  les  canaux 
grossiers  :  le  canal  nous  fait  compter  pour  rien  la 
source.  Cet  ainour  immense  nous  poursuit  en  tout, 
et  nous  ne  cessons  d'échapper  à  ses  poursuites.  U  est 
partout,  et  nous  ne  le  voyons  en  aucun  endroit.  Nous 
croyons  être  seul  quand  nou^  n'avons  que  lui  :  ilta^^ 

tout,  et  nous  ne  comptons  sur  lui  en  rien  :0>^ 

crojons 


DE    CONNOÎTaE    DIEU.  3o5 

croyons  tout  désespéré  dans  les  affaires ,  quand  nous 
n* avons  plus  d*autre  ressource  que  celle  de  sa  provU 
dence;  comme  si  Tamour  infini  et  tout^puissant  ne 
pouvoit  rien!  O égarement  monstrueux  !  ô  renverse- 
ment de  tout  rhomme  !  Non ,  je  ne  veux  plus  parler; 
la  créature  égarée  irrite  ce  qui  nous  reste  de  raison^ 
OQ  ne  peut  la  soufirir. 

O  amour,  vous  la  souffrez  pourtant  ;  vous  l'atten- 
dez avec  une  patience  sans  fin;  et  vous  paroisses 
même ,  par  votre  excès  de  patience ,  flatter  ses  in- 
gratitudes !  Ceux  même  qui  désirent  vous  aimer  ne 
vous  aiment  que  pour  eux,  pour  leur  consolation  ou 
pour  leur  sûreté.  Où  sont-ils  ceux  qui  vous  aiment 
pour  vous  seul?  Oii  sont-ils^  ceux  qui  vous  aiment 
parce  qu  ils  ne  sont  faits  que  pour  vous  aimer?  où 
sont-ils  ?  Je  ne  les  vois  point.  Y  en  a-t-il  sur  la  terre? 
S'il  n*y  en  a  point,  faites-en.  Â  quoi  sert  le  monde 
entier  si  on.^ne  vous  aime ,  mais  si  on  ne  vous  aime 
pour  se  perdre  en  vous?  C'est  ce  que  vous  avez  voulu 
en  produisant  hors  de  vous  ce  qui  n'est  pas  vous- 
même.  Vous  avez  voulu  faire  des  êtres,  qui ,  tenant 
tout  de  vous,  se  rapportassent  uniquement  à  vous. 

0  mon  Dieu  !  ô  amour  !  aimez  vous-même  en 
moi  ;  par  là  vous  serez  aimé  suivant  que  vous  êtes  ai- 
mable. Je  ne  veux  subsister  que  pour  me  consumer 
devant  vous,  comme  une  lampe  brûle  sans  cesse  de- 
vant vos  autels.  Je  ne  suis  point  pour  moi  ;  il  n'y  a 
que  vous  qui  êtes  pour  vous-même  :  rien  pour  moi , 
tout  pour  vous  ;  ce  n'est  pas  trop.  Je  suis  jaloux  de 
B^oi  pour  vous  contre  moi-même.  Plutôt  périr  que 
de  sonfrir  que  l'amour  qui  doit  tendre  à  vous  re- 
tourne jamais  sur  moi  !  Aimez,  ô  amour  !  aimez  dans 
Férélow.  XVIII.  20 


3o8  SUA    LE    PUA    AHOUK. 

création,  il  faut  prëféro:  Dieu  à  nous,  et  ne  yoaloir 
plus  notre  béatitade  qae  pour  sa  gloire  ;  aotrement 
nous  renverserions  son  ordre.  Ce  n*est  pas  rintérét 
proprç  de  notre  béatitade  qni  doit  noos  faive  d&irer 
sa  gloire,  c'est  au  contraire  le  désir  de  sa  gloire  qui 
doit  nous  faire  désirer  notre  béatitude,  comme  une 
chose  qu'il  lui  a  plu  de  rapporter  à  sa  gloire.  II  est 
vrai  que  toutes  les  âmes  justes  ne  sont  pas  capables 
de  cette  préférence  si  explicite  de  Dieu  à  elles  :  mais 
la  préférence  implicite  est  au  moins  nécessaire;  et 
l'explicite,  qui  est  la  plus  parfaite,  ne  convient 
qu'aux  âmes  à  qui  Dieu  donne  la  lumière  et  la  force 
de  le  préférer  tellement  à  elles ,  qu'elles  ne  veulent 
plus  leur  béatitude  que  pour  sa  gloire. 

Ce  qui  fait  que  les  boomies  ont  tant  de  répugnance 
à  entendre  cette  vérité,  et  que  cette  parole  leur  est  si 
dure,  c'est  qu'ils  s'aiment  et  veulent  s'aimer  par  in- 
térêt propre.  Ils  comprennent  en  général  et  superfi- 
ciellement qu'il  faut  aimer  Dieu  plus  que  toutes  les 
créatures;  mais  ils  n'entendent  point  ce  que  veut 
dire  aimer  Dieu  plus  que  soi-même,  et  ne  s'aimer 
plus  soi-même  que  pour  lui.  Ils  prononcent  ces 
grandes  paroles  sans  peine ,  parce  qu'ils  le  font  sans 
en  pénétrer  toute  la  force;  mais  ils  frémissent  dès 
qu'on  leur  explique  qu'il  faut  préférer  Dieu  et  sa 
gloire  à  nous  et  à  notre  béatitude,  en  sorte  que  noos 
aimions* sa  gloire  plus  que  notre  béatitude,  et  que 
nous  rapportions  sincèrement  l'une  à  l'autre,  comme 
la  fin  subalterne  à  la  principale. 

Il  seroit  étonnant  que  les  hommes  eussent  tant  de 
peine  à  entendre  une  règle  si  claire,  si  juste,  si  es- 
sentielle à  la  créature  :  mais,  depuis  que  l'homme 


SUR    LE   PUR    AMOUR.         ^  SOQ 

s'est  arrêté  en  lui-même j  comme  parle  saint  Augus- 
tin j  il  ne  voit  plus  rien  que  dans  ces  bornes  étroites 
de  Famour-propre  où  il  s*est  renfermé  :  il  perd  de 
vue  à.  tout  moment  qu'il  est  créature,  qu'il  ne  se  doit 
rien,  puisqu'il  n'est  pas  lui-même  à  lui-même,  et 
qu'il  se  doit  sans  réserve  au  bon  plaisir  de  celui  par 
qui  seul  il  est.  Dites- lui  cette  vérité  accablante,  il 
nose  la  nier;  mais  elle  lui  échappe,  et  il  veut  tou- 
jours insensiblement  rev(enir  à  compter  avec  Dieu 
pour  y  trouver  son  intérêt. 

On  allègae  que  Dieu  nous  a  donné  une  inclination 
naturelle  pour  la  béatitude,  qui  est  lui-même.  En  cela 
il  peut  avoir  voulu  faciliter  notre  union  avec  lui, 
et  avoir  mis  en  nous  une  pente  pour  notre  bonheur, 
comme  il  en  a  mis  une  pour  les  alimens  dont  nous 
avons  besoin  pour  vivre  ;  mais  il  faut  soigneusement 
distinguer  la  délectation  que  Dieu  a  mise  en  nous  à 
la  vue  de  lui-même,  qui  est  notre  béatitude,  d'avec 
la  pente  violente  que  la  révolte  du  premier  homme 
a  mise  dans  nos  cœurs  pour  nous  faire  centre  de  nous- 
mêmes,  et  pour  faire  dépendre  notre  amour  pour 
Dieu  de  la  béatitude  que  nous  cherchons  dans  cet 
amour.  D'ailleurs,  ce  n'est  d'aucune  inclination  na- 
turelle, nécessaire  et  indélibérée,  qu'il  s'agit  ici. 
Peut-on  craindre,  que  les  hommes  tombent  dans  l'il- 
lusion en  se  jdispensant  de  ce  qui  est  nécessaire  et  in- 
délibéré 7  Ces  désirs  indélibérés,  qui  sont  moins  des 
désirs  que  des  inclinations  nécessaires,  ne  peuvent 
non  plus  manquer  dans  les  hommes  que  la  pesanteur 
dans  les  pierres.  Il  n*est  question  que  de  nos  actes 
volontaires  et  délibérés,  que  nous  pouvons  faire  ou 

ne  faire  pas.  À  l'égard  de  ces  actes  libres  ,^  le  motif  de 


3lO  SUft    L£    l*Ull    AMOUK. 

notre  propre  bëatitade  n*est  pas  dëfendu  :  Dieu  veiit 
bien  nous  faire  trouver  notre  propre  intérêt  dans 
notre  union  avec  lui;  mais  il  faut  que  ce  motif  ne 
soit  que  le  moindre ,  et  le  moins  voulu  par  la  créa- 
ture :  il  faut  vouloir  la  gloiirie  de  Dieu  plus  que  noire 
béatitude  :  il  ne  faut  vouloir  cette  béatitude  que 
pour  la  rapporter  à  sa  gloire,  comme  la  chose  qu*on 
veut  le  moins  à. celle  quon  veut  le  plus.  Il  faut  que 
notre  intérêt  nous  touche  incomparablement  moins 
que  sa  gloire.  Voilà  ce  que  la  créature,  attachée  à 
elle-même  depuis  le  péché,  a  tant  de  peine  à  com- 
prendre. Voilà  une  vérité  qui  est  dans  l'essence  même 
•de  la  créature,  qui  devroit  soumettre  tous  les  cœurs, 
et  qui  les  scandalise  néanmoins  quand  on  Tappro- 
fondit.  Mais  qu'on  se  fasse  justice,  et  qu'on  la  fasse  à 
Dieu.  ^Ous  sommes-nous  faits  nous-mêmes?  Som- 
mes-nous à  Dieu  ou  à  nous?  Nous  a-t-il  faits  pour 
nous  ou  pour  lui?  A  qui  nous  devonsruous?  Est-ce 
pour  notre  béatitude  propre  ou  pour  sa  gloire  que 
Dieu  nous  a  créés?  Si  c'est  pour  sa  gloire,  il  faut 
donc  nous  conformer  à  l'ordre  essentiel  de  notre  créa- 
tion; il  faut  vouloir  sa  gloire  plus  que  notre  béati- 
tude, en  sorte  que  nous  rapportions  toute  notre  béa- 
titude à  sa  propre  gloire. 

Il  n'est  donc  pas  question  d*une  inclination  natu- 
relle et  indéiibérée  de  l'homme  pour  la  béatitude. 
Combien  y  a-t-il  de  pentes  ou  inclinations  naturelles 
dans  les  hommes,  qu'ils  ne  peuvent  jamais  ni  dé- 
truire ni  diminuer,  et  qu'ils  ne  suivent  pourtant  pas 
toujours!  Par  exemple,  l'inclination  de  conserver 
notre  vie  est  une  des  plus  fortes  et  des  plus  naturel- 
les; celle  qu'on  a  pour  être  heureux  ne  peut  être 


SUH    LS    PD&    AXOUA.  3ll 

plus  invipcible  qae  celle  qu*on  a  pour  être.  La  béa- 
titude n*est  que  tè  mieux  être,  comme  parle  saint 
Augustin.  L'inclination  pour  être  heureux  n'est  donc 
qu'une  suite  de  l'inclination  qu'on  a  pour  conserver 
son  être  et  sa  vie.  Cependant  on  peut  ne  pas  suivre 
cette  pente  dans  les  actes  délibères.  Combien  de  Grecs 
et  de  Romains  se  sont -ils  dévoués  librement  à  une 
mort  certaine  7  Combien  en  voyons-nous  qui  se  la 
sont  donnée  eux*mémesy  malgré  cette  inclination 
violente  du  fond  de  la  nature? 

Encore  une  fois,  il  ne  s*agit  que  de  nos  actes  libres 
d'amour  de  Dieu,  et  des  motifs  qui  peuvent  y  entrer 
pour  la  béatitude.  Nous  venons  de  voir  que  le  motif 
de  notre  intérêt  propre  pour  la  béatitude  n'est  per* 
mis  qu'autant  qu'il  est  le  moins  voulu  par  nous,  et 
qu*il  n'est  voulu  que  par  rapport  au  motif  principal, 
qu'il  faut  vouloir  d'une  volonté  dominante,  je  veux 
dire  la  gloire  de  Dieu.  Il  n'est  plus  question  que  de 
comparer  deux  diverses  manières  de  préférer  ainsi 
Dieu  à  nous  :  la  première  est  de  l'aimer  tout  ensem- 
ble et  comme  parfait  en  lui-même  et  comme  béati- 
fiant pour  nous;  en  sorte  que  le  motif  de  notre  béa-* 
titude,  quoique  moins  fort,  soutienne  néanmoins 
Tamoui:  que  nous  avons  pour  la  perfection  divine, 
et  que  nous  aimerions  un  peu  moins  Dieu  s'il  n*étoit 
pas  béatiiSant  pour  nous.  La  seconde  manière  est  d'ai- 
mer Dieu,  qu'on  connott  béatifiant  pour  nous,  et  du- 
quel on  veut  recevoir  la  béatitude  parce  qu'il  l'a  pro- 
mise ,  mais  de  ne  l'aimer  point  par  Iç  motif  du 
propre  intérêt  de  cette  béatitude  qu'on  en  attend,  et 
de  l'aimer  uniquement  pour  lui-même  à  cause  de  sa 
perfection  î  en  sorte  qu'on  l'aimeroit  autant,  quand 


3ia  8UB    I*B    Pmi    AMOUft. 

même  (par  supposition  impossible)  il  ne  voadroit 
[amais  être  béatifiant  pour  nous.  Il  est  mamfeste 
que  le  dernier  de  ces  deux  amours ,  qui  est  le  dés- 
intéressé, accomplit  plus  parfaitement  le  rapport 
total  et  unique  de  la  créature  à  sa  fin,  qu*il  ne  laisse 
rien  à  la  créature,  qu'il  donne  tout  à  Dieu  seul,  et 
par  conséquent  qu'il  est  plus  parfait  que  cet  autre 
amour  mélangé  de  notre  intérêt  avec  celui  de  Dieu. 

Ce  n'est  pas  que  l'homme  qui  aime  sans  intérêt 
n*aime  la  récompense  ;  il  l'aime  en  tant  qu'elle  est 
Dieu  même,  et  non  en  tant  qu'elle  est  son  intérêt 
propre  ;  il  la  veut  parce  que  Dieu  veut  .qu'il  la 
veuille  :  c'est  l'ordre,  et  non  pas  son  intérêt  qu'il  y 
cherche  :  il  s'aime,  mais  il  ne  s'aime  que  pour  l'a- 
mour de  Dieu,  comme  un  étranger,  et  pour  aimer 
ce  que  Dieu  a  fait. 

Ce  qui  est  évident,  c'est  que  Dieu,  infiniment  par- 
fait en  lui-même,  ne  suffit  pas  pour  soutenir  l'amour 
de  celui  qui  a  besoin  d'être  animé  par  le  motif  de  sa 
propre  béatitude ,  qu'il  trouve  en  Dieu.  L'autre  n'a 
pas  besoin  de  ce  motif  :  il  ne  lui  faut,  pour  aimer  ce 
qui  est  parfait  en  soi ,  qu'en  connoitre  la  perfection. 
Celui  qui  a  besoin  du  motif  de  sa  béatitude  n'est  si 
attaché  à  ce  motif,  qu'à  cause  qu'il  sent  que  son 
amour  seroit  moins  fort  si  on  lui  ôtoit  cet  appui.  Le 
malade  qui  ne  peut  marcher  sans  bâton  ne  peut  con- 
sentir qu'on  le  lui  ôte;  il  sent  sa  foiblesse,  il  craint 
de  tomber,  et  il  a  raison;  mais  il  ne  doit  pas  se 
scandaliser  de  voir  un  homme  sain  et  vigoureux  qui 
n'a  pas  besoin  du  même  soutien.  L'homme  sain  mar- 
che plus  librement  sans  bâton  ;  mais  il  ne  doit  jamais 
mépriser  celui  qui  ne  peut  s'en  passer.  Que  l'homme 


SUE    LE   PUE    AMOUE.  3t3 

qui  a  encore  besoin  d'ajouter  le  motif  de  sa  propre 
béatitude  à  celui  de  la  suprême  perfection  de  Dieu 
pour  l'aimer  y  reconnoisse  humblement  qu'il  y  a  dans 
les  trésors  de  la  grâce  de  Dieu  une  perfection  au-des- 
SOS  de  la  sienne,  et  qu'il  rende  gloire  à  Dieu  sur  les 
dons  qui  sont  en  autrui  y  sans  en  être  jaloux  :  qu'en 
même  temps  celui  qui  est  attiré  à  aimer  sans  intérêt 
suive  cet  attrait;  mais  qu'il  ne  juge  ni  lui  ni  les  au- 
tres; qu'il  ne  s'attribue  rien;  qu'^  soit  prêt  à  croire 
qu'il  n'est  pas  dans  l'état  où  il  parott  être  ;  qu'il  soit 
docile^  soumis,  défiant  de  lui-même,  et  édifié  de 
tout  ce  qu'il  voit  de  veitueux  dans  son  prochain  qui 
a  encore  besoin  d'un  amour  mélangé  d'intérêt  pro- 
pre. Mais  enfin  l'amour  saqs  aucun  motif  d'intérêt 
propre  pour  la  béatitude  est«pianifestement  plus  par- 
fait que  celui  qui  est  mélangé  de  ce  piotif  d'intérêt 
propre. 

Si  quelqu'un  s'imagine  que  cet  amour  parfait  est 
impossible  et  chimérique,  et  que  c'est  une  vaine  sub- 
tilité qui  peut  devenir  une  source  d'illusion,  je  n'ai 
que  deux  mots  à  lui  répondre  :  Rien  n'est  impossible 
à  Dieu;  il  se  nomme  lui-même  le  Dieu  jaloux;  il  ne 
nous  tient  dans  le  pèlerinage  de  cette  vie  que  pour 
nous  conduire  à  la  perfection.  Traiter  cet  amour  de 
subtilité  chimérique  et  dangereuse,  c'est  accuser  té- 
mérairement d'illusion  les  plus  grands  saints  de  tous 
les  siècles,  qui  ont  admis  cet  amour,  et  qui  en  ont 
&it  le  plus  haut  degré  oe  la  vie  spirituelle. 

Mais  si  mon  lecteur  refuse  encore  de  reconnoître 
la  perfection  de  cet  amour,  je  le  conjure  de  me  ré- 
pondr^e  exactement  sur  les  questions  que  je  vais  lui 
taire.  La  vie  étemelle  n'est-elle  pas  une  pure  grâce, 


3l4  Ai'A    LB   WVM,    AMOOK. 

et  le  oomble  de  tooies  les  grâces?  ITest-il  pas  de  foi 
que  le  royaume  do  ciel  ne  doos  est  dft  que  sur  la 
promesse  purement  gratuite  et  snr  rapplication  éga- 
lement gratuite  des  mérites  de  Jésns-Cbrist?  Le  bien- 
bit  ne  sanroit  être  moins  gratuit  que  la  promesse  sur 
laquelle  il  est  fondé  :  c'est  ce  que  nous  ne  cessons  de 
dire  tous  les  jours  à  nos  frères  errans;  nous  nous 
justifions  vers  eux  sur  le  terme  de  mérite,  dont 
TEglîse  se  sert,  en  protestant  que  tous  nos  mérites 
ne  sont  point  fondés  sur  un  droit  rigoureux ,  mais 
seulement  sur  une  promesse  faite  par  pure  miséri- 
corde. Ainsi  la  vie  étemelle,  qui  est  la  fin  du  décret 
de  Dieu ,  est  ce  qu'il  y  a  de  plus  gratuit  :  toutes  les 
autres  grâces  sont  données  par  rapport  à  celle-là. 
Celte  grâce,  qui  renferme  toutes  les  autres  >  n*est 
fondée  sur  aucpn  titre  que  sur  la  promesse  purement 
gratuite,  et  suivie  de  l'application  aussi  gratuite  des 
mérites  de  Jésus<]ihrist«  La  promesse  elle-même  ^  qui 
est  le  fondement  de  tout,  n'est  appuyée  que  sur  la 
pure  miséricorde  de  Dieu,  sur  son  bon  plaisir,  et 
sur  le  bon  propos  de  sa  volonté.  Dans  cet  ordre  des 
grâces,  tout  se  réduit  évidemment  à  une  volonté 
souverainement  libre  et  gratuite. 

Ces  principe» indubitables  étant  posés,  je  fais  une 
supposition.  Je  suppose  que  Dieu  voulût  anéantir 
mon  ame  au  moment  oii  elle  se  détachera  de  mon 
corps.  Cette  supposition  n'est  impossible  qu'à  cause 
de  la  promesse  purement  gnituite*  Dieu  auroit  donc 
pu  excepter  mon  ame  en  particulier  de  sa. promesse 
générale  pour  les  autres.  Qui  osera  nier  que  Dieu 
n'eût  pu  anéantir  mon  ame,  snivant  ma  supposition  ? 
La  créature,  qui  n'est  point  par  soi ,  n'est  qu'autant 


sua    LE    PUK    AMOUB*  3l5 

0 

que  la  volontë  arbitraire  du  Créateur  la  &it  exister: 
afin  qu'elle  ne  tombe  pas  dans  soo  néant ,  il  faut  que 
le  créateur  renouvelle  sans  cesse  le  bienfait  de  sa 
création ,  en  la  conservant  par  la  même  puissance 
qui  Ta  créée.  Je  suppose  donc  une  chose  très-possi« 
sible,  puisque  je  ne  suppose  qu'une  simple  exception 
à  une  règle  purement  gratuite  et  arbitraire.  Je  sup^ 
pose  que  Dieu,  qui  rend  toutes  les  autres  âmes  im« 
mortelles ,  finira  la  durée  de  la  mienne  au  moment 
de  ma  mort  :  je  suppose  encore  que  Dieu  m*a  révélé 
son  dessein.  Personne  n*oseroit  dire  que  Dieu  ne  le 
peut. 

Ces  suppositions  très-possibles  étant  admises ,  il 
n*7  a  plus  de  promesse ,  ni  de  récompense ,  ni  de 
béatitude,  fii  d'espérance  de  la  vie  future  pour  moi. 
Je  ne  puis  plus  espérer  ni  de  posséder  Dieu  y  ni  de 
voir  sa  face,  ni  de  Faimer  éternellement,  ni  d*étre 
aimé  de  lui  au-delà  de  cette  vie.  Je  suppose  que  )e 
vais  mourir  ;  il  ne  me  reste  plus  qu^un  seul  moment 
à  vivre,  qui  doit  être  suivi  d*une  extinction  eptière  et 
étemelle.  Ce  moment,  à  quoi  Temploierai-je?  )e con- 
jure mon  lecteur  de  me  répondre  dans  la  plus  exacte 
précision.  Dans  ce  dernier  instant,  me  dispenserai- 
je  d'aimer  Dieu ,  faute  de  pouvoir  le  regarder  comme 
une  récompense?  Renoncerai-je  à  loi  dès  qu'il  ne 
sera  plus  béatifiant  pour  moi?  Âbandonnerai*je  la 
fin  essentielle  de  ma  création?  Dieu,  en  m'excluant 
de  la  bienheureuse  éternité,  qu'il  ne  me  devoit  pas, 
a-t*il  pu  se  dépouiller  de  ce  qu'il  se  d^it  essen* 
tielkement  à  lui-même?  A-t-il  cessé  de  faire  son  ou- 
vrage pour  sa  pure  gloire?  A-t*il  perdu  le  droit  de 
créateur  en  me  créant?  M'a-t-il  dispensé  des  devoirs 


3l6  SUR    LB    PUE   AMOOE.  | 

de  la  crëature,  qui  doit  esseDiiellement  tout  ce 
qu^rile  est  à  celui  par  qui  seul  elle  est?  rTest-il  pas 
évident  que  dans*  cette  supposition  très-possible  je 
dois  aimer  Dieu  uniquement  pour  lui-même,  sans 
attendre  aucune  récompense  de  mon  amour,  et  avec 
une  exclusion  certaine  de  toute  béatitude,  en  sorte 
que  ce  dernier  instant  de  ma  vie,  qui  sera  suivi  d^un 
anéantissement  éternel,  doit  être  nécessaireaient 
rempli  par  un  acte  d^amour  pur  et  pleinement  dés^ 
intéressé? 

Mais  si  celui  à  qui  Dieu  ne  donne  rien  pour  Téter- 
nité  doit  tant  à  Dieu,  qu*e8t-ce  que  lui  doit  celui  à 
qui  il  se  donne  tout  entier  lui-même  sans  fin  ?  Je  vais 
être  anéanti  tout  à  Fbeure  ;  jamais  je  ne  verrai  Dieu  ; 
il  me  refuse  son  royaume  qull  donne  aux  autres;  il 
ne  veut  ni  m'aimer  ni  être  aimé  de  moi  éternelle- 
ment :  je  suis  obligé  néanmoins,  en  expirant,  de 
Faimer  encore  de  tout  mon  cœur  et  de* toutes  mes 
forces;  si  j'y  manque,  je  suis  un  monstre  et  une 
créature  dénaturée.  Et  vous,  mon  lecteur,  à  qui  Dieu 
prépare ,  sans  vous  le  devoir,  la  possession  étemelle 
de  lui-même,  craindrez-vous  comme  un  raffinement 
chimérique  cet  amour  dont  je  dois  vous  donner 
l'exemple?  Aimerez*vous  Dieu  moins  que  moi,  parce 
qail  vous  aime  davantage  ?  La  récompense  ne  ser- 
vira-t-elle  qu'à  vous  rendre  intéressé  dans  votre 
amour?  Si  Dieu  vous  aimoit  moins  qu'il  ne  vous 
aime,  il  faudroit  que  vous  Taimassiez  sans  aucun 
motif  d'ii^érêt.  Est  ce  donc  là  le  fruit  des  promesses 
etdusang  de  Jésus-Christ,  que  d'éloigner  leshonèmes 
d'un  amour  généreux  et  sans  intérêt  pour  Dieu?  A. 
cause  qu'il  vous  offre  la  pleine  béatitude  en  lui- 


i 


SUR    LB    PUR    AMOUR.  il'] 

mémei  ne  Faimerec-vous  qu'autant  que  vous  serez 
soutenu  par  cet  intérêt  infini?  Le  royaume  du  ciel 
<|ai  vous  est  offert,  pendant  que  j*en  suis  exclus, 
vous  est-il  un  bon  titre  pour  ne  vouloir  point  aimer 
Dieu  sans  y  chercher  le  motif  de  votre  propre  gloire 
et  de  votre  propre  félicité? 

Ne  dites  pas  que  cette  félicité  est  Dieu  même. 
Dieu  pourroit,  s'il  le  vouloit,  n'être  pas  plus  béati- 
fiant pour  vous  que  pour  moi.  Il  faut  que  je  Taime, 
quoiqu'il  ne  le  soit  point  pour  moi  ;  pourquoi  faut- 
il  que  vous  ne  puissiez'-vous  résoudi*e  à  l'aimer,  sans 
être  soutenu  par  ce  motif^qu'il  est  béatifiant  pour 
vous?  Pourquoi  frémissez-vous  au  seul  nom  d'un 
amour  qui  ne  donne  plus  ce  soutien  d'intérêt. 

Si  la  béatitude  éternelle  nous  étoit  due  de  plein 
droit,  et  que  Dieu ,  en  créant  les  hommes,  fttt  à  leur 
égard  un  débiteur  forcé  pour  la  vie  éternelle ,  on 
pourroit  nier  ma  supposition.  Mais  on  ne  pourroit 
la  nierr  sans  une  impiété  manifeste  :  la  plus  grande 
des  grâces ,  qui  ^t  la  vie  éternelle ,  ne  seroit  plus 
grâce  :  la  récompense  nous   seroit  due  indépen- 
damment de  la  promesse  :  Dieu  devroit  l'existence 
étemelle  et  la  féUcité  à  sa  créature  ;  il  ne  pourroit 
plus  se  passer  d'elle  ;  elle  deviendroit  un  être  néces- 
saire. Cette  doctrine  est  monstrueuse.  D'un  autre 
c6té,  ma  supposition  met  en  évidence  les.  droits  de 
Dieu,  et  fait  voir  des  cas  possibles,  oii  l'amour  sans 
intérêt  seroit  nécessaire.  S'il  ne  l'est  pas  dans  les  cas 
de  l'ordre  établi  par  la  promesse  gratuite,  c'est  que 
Dieu  ne  nous  juge  pas  dignes  de  ces  grandes  épreuves, 
c'est  qu'il  se  contente  d'une  préférence  implicite  de 
lui  et  de  sa  gloire  à  nous  et  à  notre  béatitude ,  qui  est 


'3l8  SVH    LE    PUR    AMOUR. 

comme  le  germe  du  pur  amour  dans  les  cœurs  de 
tous  les  justes.  Mais  enfin  ma  supposition ,  en  com- 
parant rbomrae  prêt  à  être  anéanti  avec  celui  qui  a 
reçu  la  promesse  de  la  vie  ëternelle,  fait  sentir  com- 
bien Tamour  mélangé  d'intérêt  est  au-dessous  du 
désintéressai. 

Témoignages  desPaïem^ 

Mais  en  attendant  que  les*  Chrétiens  soient  ca- 
pables de  bien  comprendre  le^  droits  infinis  de  Dieo 
sur  sa  créature ,  je  veu]g%ftclier  du  moins  de  les  faire 
rentrer  dans  leur  propre  cœur,  pour  y  consulter 
ridée  de  ce  qu'ils  appellent  entre  eux  amilitf* 

Chacun  veut ,  dans  la  société  de  ses  amis,  être 
aimé  sans  motif  d'intérêt,  et  uniquement  pour  lui- 
même.  Hélas  !  si  rhomme  indigne  de  tout  amour  ne 
peutsoufirir  d'être ainiié  parintérêt,  comi|Kent  osons- 
nous  croire  que  Dieu  n'aura  pas  la  même  délicatesse? 
On  est  pénétrant  jusqu'à  Tinfini  pour  démêler  jus- 
^uaux  plus  subtils  motifs  d'intérêt ,  de  bienséance, 
de  plaisir  ou  d'honneur,  qui  attachent  nos  amis  à 
nous  ;  on  est  au  désespoir  de  n'être  aimé  d'eux  que 
par  reconnoissance ,  à  plus  forte  raison  par  d'autres 
motifs  plus  cboqnaBS  :  on  veut  l'être  par  pure  incli- 
nation, par  esAime,  par  admiration.  L'amitié  est  si 
jalouse  et  si  délicate ,  qu'un  atome  qui  s'y  mêle  la 
blesse  ;  elle  ne  peut  soufiHr  dans  l'ami  que  le  don 
simple  et  sans  réserve  du  fond  de  son  amour.  Celui 
qui  aime  ne  veut,  dans  le  transport  de  sa  passion  , 
qu'être  aimé  pour  lui  seul,  que  l'être  au-dessus  de 
tout  et  uniquement,  que  l'être  en  sorte  que  le  monde 


sua    LE   PUA    AMOUR.  3l9 

entier  lui  toit  sacrifié ,  que  1  être  en  sorte  qu*on  s^pu* 
blie  et  qu  on  se  compte  pour  rien ,  afin  d*étre  tout  à 
lai  :  telle  est  la  jalousie  Aircenée  et  l'injustice  extra^ 
vagante  des  amours  passionnés  ;  cette  jalousie  n*est 
qu  une  tyrannie  de  ramour-propre. 

Il  n  y  a  qu*à  se  sonder  soi-même  pour  j  trouver 
ce  fond  d'idolâtrie  ;  et  quiconque  ne  ïj  démêle  pas, 
ne  se  oonuolt  point  encore  assez  soi-même.  Ce  qui 
est  en  nous  rinjostioe  la  pins  ridicule  et  la  plus 
odieuse,  est  la  souveraine  înstîce  eu  Dieu.  Rien  n'est 
si  ordinaire  et  si  honteux  aux  hommes  que  d*étre  ja- 
loux :  mais  Dieu,  qui  ne  peut  céder  sa  gloire  à  un 
autre 9  se  iM>mme  lui-même  le  Dieu  jaloux  j  et  sa 
jalousie  eut  essentielle  h.  sa  perfection*  Consultez 
donc  y  6  vous  qui  lisez  ceci,  la  corruption  de  votre 
coear,  et  que  votre  jalousie  sur  Tamitié  serve  à  vous 
faire  entendre  les  délicatesses  infinies  de  Tamour 
divin.  Quand  vous  trouvez  ces  délicatesses  dans  v^ttre 
coBor  pour  Taiziitié  qise  vous  eidkgez  de  vos  amis, 
vous  ne  les  regardée  jamais  coflsme  dtes  raffinemen» 
diiimérîqaes  ;  an  contraire,  vouis  seriez  choqué  de  la 
grossièreté  des  amis  :qui  n  auroie»t  point  jce$  délica* 
tessetsur  1  aniÂtié,  Il  n*y  a  q«e  Di^u  »  ^i  vous  voulez 
les  défendre  :  vous  ne  voulez  fias  <^'il  cherche  à  être 
aimé  eoouue  vous  prétendez  que  .vos  aoiis  vous 
aiment  :  vous^ue  pouvez  croire  •^uersa  grâce  puisse 
loi  former  en  cette  vie  des  adorateurs  qui  Taîment 
comme  vous  n*avez  point  de  honte  de  vouloir  être 
aimé  :  jugez-vous  vous-même,  et  rendez  eufiuNgkiire 
à  Dieu. 

J  avoue  que  les  hommes  profiiueSy  qui  ont  cette 
idée  de  Vamitié  pure ,  ne  la  suivent  pas  ^  et  que  toutes 


320  8UK    LE   PUE    ▲MOUR. 

leurs  amiliés  sans  grâce  ne  sont  qu'un  amour*propre 
subtilement  déguisé  :  mais  enfin  ils  ont  cette  idée  de 
Famitié  pure.  Faut*il  qulls4*aient  quand  il  ne  s'agit 
que  d'aimer  la  créature  vile  et  corrompue ,  et  que 
nous  soyons  les  seuls  à  la  méconnottre  dès  qu'il 
s'agit  d'aimer  Dieu  7 

Les  Païens  mêmes  ont  eu  cette  pure  idée  de  l'amitié; 
et  nous  n  avons  qu'à  les  lire  pour  être  étonnés  que 
les  Chrétiens  ne  veuillent  pas  qu'on  puisse  aimer 
Dieu  par  sa  grâce,  comme  les  Païens  ont  cm  qu'il 
falloit  s'aimer  les  uns  les  autres  pour  mériter  le  nom 
d'amis. 

Ecoutons  Gicéron  (0  :  u  Être  impatient ,  dit-^il, 
n  pour  les  choses  qu'on  souffre  dans  l'amitié,  c'est 
»  s'aimer  soi-même ,  et  non  pas  son  ami.  »  Il  ajoute 
dans  la  suite  que  «  l'amitié  ne  peut  être  qu'entre  les 
3»  bons  »,  c'est-à-dire,  entre  ceux  qui,  suivant  ses 
principes,  préfèrent  toujours  l'honnête  à  ce  que  le 
vulgaire  nomme  utile-,  «  autrement,  dit-il,  l'intérêt 
»  étant  la  règle  et  le  motif  de  l'amitié,  les  moins 
»  vertueux ,  qui-  ont  plus  de  besoins  et  de  désirs  que 
»  les  autres,  seroient  les  plus  propres  à  se  lier  d'à- 
»  mitié  avec  autrui ,  puisqu'ils  sont  les  plus  avides 
»  pour  aimer  ce  qui  le^ur  est  utile.  » 

«  Nous  croyons  donc  (c'est  eikcore  Gicéron  qui 
»  parle)  qu'il  fauir rechercher  l'amitié,  non  par  l'es- 
»  pérance  des  avantages  qu'on  en'  tire ,  mais  parce 
»  que  tout  le  &uit  de  l'amitié  est  dans  l'amitié  même.. . 
»  Les  hommes  intéressés  sont  privés  de  cette  excel- 
»  lente  et  très-naturelle  amitié  qui  doit  être  cher- 
»  chée  par  c^lle^méme  et  pour  elle-même  :  ils  ne 

(«)  De  Amie,  cap.  v.  et  scq. 


tVtL   LE   FUR    AMOtJR.  SlI 

»  profitent  jîDkit  cb  aears  propres  exen^^s  pour 
»  apprendre  jusqu'où  va  la  force  de  Taimnë;  car 
»  chacun  s'aioiey  nen  pour  ttrer  de  soi  quelque  rë- 
»  compense  de  son  amour/ mais  parce  qtre  chacun 
»  est  par  soi  cher  %  soi-même...  Que  si  Ton  ne  trans- 
»  porte  cette  même  règle  dans  Famitié ,  on  ne  trou- 
»  vera  jamais  d*ami  véritable  :  celui-là  est  notre  v^- 
9  ritablc  ëmi  qui  est  ccuniiie  un  autre  hous-même.... 
»  Mais  la-  plupart  des  liomitiâs  prétendent  injuste* 
»  Dienty  paume  pas  dire  avec  icupadcnce,  un  ami 
»  tel  qu'ils  ne  voudroient  pas  être  eux-mêmes,  et 
»  en  exigent  ce  qu'ils  ne  vOndroient  pas  lui  donner.» 

Cicéron  ne  peut  poussée  plus  Ici.i  le  désintéres- 
sement de  l'araitiéy  qu'en  voulant  que  notre  afni 
nous  soit  clier  paf  lui  seul  /sans  aucun  motif,  comme 
noQs  nous  sommes  cher»  à.nous-mêmei  sans  aucune 
esperamce  qui  nous  excite  à  cet  amour.  L'àmoùr- 
propre  est  sans  doute  en  C3  beas*le  parfait  modèle  de 
1  amitié  désintéressée. 

Horace,  quoique  Epicurien.,  Va  pas  laissé  de 
raisonner  sur  ceiiprincipe  po:ir  l'union  des  amis 
entre  eux,  lorsque|i|>arlant  dès  conversations  philo- 
sophiques qui  l'occupoient  à  la  campai^nc,  il  dit  (0 
qaon  examinoit  si  les  hommes  sont  heureux  parles 
richesses  ou  par  la  vertu;  si  c'est  l'utilité  piopre 
ou  la  perfectiqp  en  elle-même  qui  est  le  motif  de 
l'amitié: 

%    .     .     .    .    Utrinnne 

Div  Uiis  homiaes ,  am  sint  TÎrUite  beati? 

Qoidite  ad  amicitiafl,  usus  rectimiTe,  tràhat  nos? 

m 

Voilà  ce  qu  ont  p^nsé  les  Païens»  et  l^s  Païens 

[})  Sermon,  lib.  ii^  SaL  ti. 

FÉ1IÉI.01II.    XVllI.  21 


033  Sun    LE    PUR    AMODH. 

ëpicuri^fe,  sur  Tsmitlé  pour  ^es  erëatnres. indigna 
d'être  nbées.  C'al  sur  cette  idée  d'anilié  pure  q« 
les  tbéologiens  distinguent,  à  l'égard  de  Dieu, 
Tamour  qu'ils  nomment  d'amitié,  des  autres  amours, 
et  les  amiâ  de  Dieu  de  se&  serviteurs. 

Cette  idée  si  pure  de  l'amitié  n'est  pas  sentemeai 
(comme  nous  l'avons  vu)  dans  Cicéron;  il  l'imil 
puisée  dans  la  doctrine  da  Socrate,  expliquée  dio: 
les  livres  de  Platon.  Ces  deux  grands  philosopha, 
dont  l'an  rapporte  les  discours  de  l'autre  dinise; 
Dialogues,  veulent  qu'on  s'attache  à  ce  qu'ils  ap- 
pellent to  ulÀv,  qui  signil)e  tout  ensemble /e^Buri 
le  bon,  c'est-à-dire  le  pmtjait,  par  le  seul  amour 
du  beau,  du  bon,  du  vrai,,  du  parfait  en  lui-ménK' 
C'est  pourquoi  ils  disent  souvent  qu'il  ne  fimt  coop- 
ter pour  rien  ce  tfm  sejait,  *'»  yaifiivoï,  c'eît4-dir( 
V Sire  passager,  pour  s'unir  à  ce  yui  est,  c'esl4-diit 
l'Are  parfait  et  immuable,  qu'ils  appellent  ti°>, 
c'est-à-dire  ce  qui  est.  De  là  vient  que  Cicéron,  <|iii 
n'a  fait  que  répéter  leurs  maximes,  dit  que  ■  si  w"^ 
»  pouvions  voir  de  nos  propres  yeux  la  beauté  rie  li 
»  vçrtu,  nous  serions  ravis  d'ai|^r  par  son  etcA- 
»  lence  (').  » 

Platon  fait  dire  à  Socrate  dans  son  Festin,  «  qu'il 
n  y  a  quelque  cbose  de  plus  divin  dans  celai  qui 
»  aime 
la-d<f|i< 
aimé,  < 
aime  s: 
ferme  i 
de  soi, 


SUR    LIS    IPUn    AMOUK.  i^i 

»  sopbe,  ne  consiste  an  «uc  119e  des  choses  particur 
»  lières ,  telles  que  les  animaux ,  la  terre  ou  le  ciel  ; 
»  mais  le  beau  est  lui-mâmé  par  lui-même,  ëtant 
»  toujours  uniforme  avec  soi.  Toutes  les  autres 
»  choses  belles  participent  de  ce  tieau  y  eo  sorte  que 
»  si  elles  naissent  ou  périssent,  elles- ne  lui  ôtent  et 
».ne  lui  ajoutent  rien,  et  qu'il  ^^^^  souffre  aucune 
»  perte  :  si  donc  quelqu*un  s*élèye  dans  la  bonne 
»  amitié,  il  commence  à  voir  le  beau ,  il  touche  près» 
»  que  mx  terme.  »  ,  , 

Il  est  aisé  de  voir  que  Platon  parle  d*un  amour  do 
beau  en  lui-même^  sans  aucun  retour  d'intérêt.  C'est 
ce  beau  universel  qui-  enlève  Xe  coeur,  et  qui  fait  ou«> 
blier  toute  beauté  particulière.  Ce  philosophe  as* 
sare,  dans  le  même  Dialogue^  que  l'amour  divinise 
rhomme ,  qu'il  l'inspire ,  qu  il  le  transporte.  «  Il  n'y 
»  a  personne,  dit-il,  qui  soit  tellement  mauvais,  que 
»  l'ainour  n'en  fasse  un  dieu  par  la  vert»,  en  sorte 
«qu'il  devient  semblable  au  beau  par  nature;  et 
»  comme  Homère  dit  qu'^jin  dieu  a  inspiré  quelques 
»  héros,  c^est'Ce  que  l'amour  donne  aux  amans  for* 
»  mes  par  lui  :  ceux  qui  aiment,  veulent  seuls  mou* 
n»  rir  pour  un  autre.  »  Ensuite  Platon  cite  l'exemple 
d'Alceste,  morte  pour  faire  vivre  sqp  époux. 'Voilà , 
soirant  Platon,  ce  qui  fait  dei|^'homme  un  dieu, 
c'est  de  préférer  par  amour  autrui  à  soi-même,  jus- 
qu'à s'oublier,  se  sacrifier,  se  compter  pour  rien» 
Cet  ainour  est,  seloç  lui,  une  inspiration  divine; 
c'est  le  beau  immuable  qui  ravit  l'homme  à  l'homme 
même ,  et  qui  le  rend  semblable  à  lui  par  la  veitu. 

TeUe  étoit  l'idée  de  l'amitié  chez  les  Païens.  Py* 
thias  et  Damon,  chez  Denys  le  tyran,  vouloient 


3a4  SVH    LB   PUR    AHOUR. 

mourir  Fun  pour  Taiitre  5  et  le  tyran  étonné  5ou}>ira 
lorsqu'il  vit  ces  deu:r  aniis  si  désintéressés.  Cette  idée 
du  parfait désintéressemet>t  régnait  dans  la  politique 
de  tous  les  anciens  législateurs.  Il  fialloit  préférei*  à 
sol  les  loi»,  la  patrie,  parce  que  la  justice  )e  vouloil, 
et  qu'on,  devoit  préférer  à  soi-même  ce  qui  est  ap* 
pelé  le  beau,  le  bon,  le  juste,  le  parfait.  C'est  cet 
ordre  auquel  on  croyoit  devoir  rapporter  tout,  et 
soi-même  autant  que  tout  le  reste.  Il  ne  s'agissok  pas 
de  se  rendre  heureux  en  se  conformant  à  cet  ordre« 
Il  falloit  au  contraire,  pour  l'amour  de  cet  ordre ,  se 
dévouer,  périr,  et  ne  se  laisset*  aucune  ressource. 
C'est  ainsi  queSock'ate,  dans  le  Critonde Platon^  aime 
mieux  mourir  que  s*enfair,  de  peur  de  désobéir  aux 
lois  qui  le  retiennent  en  prison.:  c'est  ainsi  que  le 
même  Socrate,  dans  le  Dialogue  intitulé  Gorgias, 
dépeint  un  homme  qui  s'accuse  lui-même,  et  qui  se 
dévoue  il  l^mort  plutôt  que  d'éluder  par  son.  silence 
les  lois  rigoureuses  etTautorité  des  magistrats.  Tous 
les  législateurs  et  tous  les  «philosophes  qui  ont  rai- 
sonné sur  les  lois,  ont  supposé  comme  un  principe 
fondamental  de  la  société  dans  la  patrie,  qu'il  faut 
préférer  le  public  à  soi,  non  par  espérance  de  quel- 
que intérêt,  mafc  par  le  seul  amour  désintéressé  de 
Tordre,  qui  est  la  l9auté,la  justice  et  la  vertu  même. 
C'étoit  pour  cette  idée  d'ordre  et  de  justice  qu'il  fal- 
loit mourir,  c*est-&-dire,  suivant  les  Païens,  perdre 
tout  ce  qu'on  avoit  de  réel,  étœ  réduit  à  une  ombre 
▼aine,  et  ne  savoir  pas  même  si  cette  ombre  n'^toit 
pas  une  fable  ridicule  des  poètes.  Les  Chrétiens  re- 
fuseront-ils de  donner  autant  au  Dieu  infiniment 
parfait  qu'ils  connoissent,  que  ces  Païens  croyoient 


•u&  LE  PUR  Aaioua.  3»$ 

devoir  donner  à  une  id^  abstrî^  et  confuse  de 
Tordre  y  de  la  justice  et  de  la  vertu  ? 

Platon  dit  souvent  que  l'amour  di|  beau,  est  tout 
le  bien  de  Thomme;  qu^e  rhomme  ne  peut  être  heu- 
reux en  soi ,  et  que  ce  qu'il  y  a  de  ptus  divin  pouc 
lui  y  c^est  de  sortir  de  soi  par  Tamour;  et  en  effçt  le 
plaisir  qu'on  éprouve  dans  le  transport  des  passions 
n*est  qu'un  effet  de  la  pente  de  l'ame  pour  sortir  de 
ses  bornes  étroites,  et  pour  aimer  hors  d'elle  le  beau 
infini.  Quand  ce  transport  se  termine  au  beau  passa- 
ger et  trompeur  qui  reluit  dans  les  ci^ëaturesi  c'est 
l'amour  divin  qui  s'égare  et  qui  est  déplacé  :  c'est  un 
trait  divin  en  lui-n^éme,  mais  qui  porte  à  faux  :  ce 
qui  est  divin  en  soi ,  devient  illusion  et  folie  quand 
il  tombe  sur  une  vaine  image  du  bien  parfait,  telle 
que  l'être  cféé,  qui  n'est  qu'une  ombte  dé  TEtre  su- 
prême ;  mais  enfin  cet  amour  qui  préfère  le  parfait 
infini  à  soi,estun  mouvement diyinetiqspiré, comme 
parle  Platon.  Cette  impression  est  donnée  à  l'homme 
dès  son  origine.  Sa  perfection  est  tellemeut  de  sortir 
de  soi  par  l'amour^  qu'il  veut  sans  cesse  persuader  et 
aux  autres  et  à  tfoi-rméme  qu'il  aime  sans  retour  sur 
soi  les  amis  auxquels  il  s|attache.  Cette  idée  est  si 
forte,*  malgré  l'amour-propre,  qu'on  auroit  honte 
d'avouer  qu'on  n'aime  personne  sans  y  mêler  quel- 
que motif  intéressé.  On  ne  déguise  si  subtilement 
tous  les  motifs  d'amour- propre  dans  les  amitiés,  que 
pour  s'épargner  la  .honte  de  paroître  se  rechercher 
soi-même  dans  les  autres.  Bien  n'est  si  odieux  que 
cette  idée  d'un  cœur  toujours  occupé  de  soi  :  rien 
ne  nous  flatte  tant  que  certaines  actions  généreuses, 
qui  persuadent  au  monde  et  â  nous  que  n,ous  avous^ 


3^6  SUR    LE    PUR    AMOUR. 

fait  le  bien  pour|)^amour  du  bien  en  lui-même  sans 
nous  y  chercher.  L'amour-propre  même  rend  hom- 
mage à  cette  vertu  désintéressée ,  par  les  subtilités 
avec  Ifssquelles  il  veut  en  prendre  les  apparences  : 
tant  il  est  vrai  que  rhomme,  qui  n'est  point  par  lui- 
même,  n*est  pas  fait  pour  se  chercher,  mais  pour 
être  uniquement  à' celui  qui  l^a  lait!  Sa  gloire  et  sa 
perfection  sont  de  sortir  de  soi,  de  s'oublier,  de  se 
perdre,  de  s^ablmer  dans  l'amour  simple  du  beau 
infini. 

Cette  pensée  efffaie  l'homme  amoureux  de  lui- 
même  et  accoutumé  h  se  faire  le  centre  de  fout. 
Cette  pensée  suffit  seule  pour  faire  frémir  Famoar- 
propre,  et  pour  révolter  un  orgueil  secret  et  intime, 
qui  rapporte  toujours  insensiblement  à  soi  la  fin  à 
laquelle  nous  devons  nous  rapporter.  Mais  cette  idée 
qui  nous  étonné  est*le  fondement  de  toute  aoiitié  et 
de  toute  justice.  Tfous  ne  pouvons  ni  accorder  Ta- 
mour- propre  avec  cette  idée,  ni  Fabandonner;  elle  est 
ce  qu'il  y  a  de  plus  di\nn  en  nous.  On  ne  peut  point 
dire  que  cette  pensée  n'est  qu'une  imagination  creuse. 
Quand  les  hommes  inventent  des  chimères,  ils  les 
inventent  à  plaisir  et  pour  se  flatter.  Rien  r^esl  moins 
naturel  à  Thomme  injuste,  vain,  enivré  d'orgueil, 
que  de  penser  ainsi  contre  son  amour -propre. 
Non-seulement  la  pratique  de  cette  pensée  est  un 
prodige  de  vertu  au-dessus  de  l'homme ,  mais  encore 
cette  seule  pensée  est  une  merveille  que  noms  devons 
être  étonnés  de  trouver  en  nous.  Ce  ne  peut  être 
qu'un  principe  infiniment  supérieur  à  nous  qui  ait 
pu  nous  enseigner  à  nous  élever  ainsi  entièrement 
au-dessus  de  nous-mêmes.  Qui  est-ce  qui  peut  avoir 


S0R    LE   pua    AMOUA.  327 

donoé  à  rbomme  malade  d'an  excès  d'amour-propre 
et  dldolâtrie  de  soi-même,  cette  haute  pensée  de  se 
compter  pour  rien,  de  devenir  étranger  à  soi-même, 
et  de  ne  s*aimer  plus  que  par  charité,  comme  le  pro* 
chain?  Qui  est-ce  qui  peut  lui  avoir  appris  à  être 
jaloux  de  lui-même  contre  lui-même,  pour  uu  autre 
objet  invisible  qui  doit  à  jamais  effacer  le  moi ,  et 
n'en  laisser  aucune  trace?  Cette  seule  idée  rend 
l'homme  divin,  elle  Vinspiroj  ellç  niet  l'infini  en  lui. 
f  avoue  que  les  Païens ,  qui  ont  tant  loué  la  vertu 
désintéressée,  la  pratiquoient  mal.  PersQn4fc  ne  croit 
plus  que  tnoi  que  tout  amour  sans  grâce ,  R  hors  de 
Dieu,  ne  peut  jamais  être  quun  amour-propre  dé- 
guisé. Il  n'y  a  que  rÊtre  infiniment  parfait  qui 
puisse ,  comme  objet  par  son  infinie  perfection ,  et 
comme  cause  par  son  infinie  puissance,  nous  enlever 
l^ors  de  nous-mêmes ,  et  nous  faire  préférer  ce  qui 
n  est  pas  nous  à  notlre  propre  être.  Je  conviens  que 
l'amour -propre  se  glorifioit  vainement  des  appa- 
rences d'un  pur  amour  chez  les  Païens  ;  mais  enfin 
il  s'en  glorifioit  :  ceux  même  que  leur  orgueil  domi- 
noit  le  plus,  étoient  charmés  de  cette  belle  idée  de 
la  vertu  et  de  l'amitié  sans  intérêt;  ils  la  portoient 
au  dedans  d'eux-mêmes,  et  ils  ne  pouy oient  ni  l'ef- 
facer ni  l'obscurcir  ;  ils  ne  pouvoient  ni  la  suivre 
ni  la  contredire.  Des  Chrétiens  la  contredirunt-ils? 
Ne  se  contenteront-ils  pas,  comme  les  Païens,  de 
l'admirer  sans  la  suivre  fidèlement  ?  La  vaniié  même 
des  Païens  sur  cette  vertu  montre  combien  elle  est 
excellente.  Par  exemple,  la  louange  que  toute  l'an- 
tiquité a  donnée  à  Âlceste  eût  porté  à  faux,  etserotft 
ridicule,  s'il  n'eût  pas  été  réellement  beau  et  ver- 


3a9  SUA    LE   PUE    AMOUR. 

tueux  à  Âlceste  de  mourir  pour  son  époux  y  sans 
ce  principe  fondamental  son  action  eût  été  une  fu- 
reur extravagante ,  un  désespoir  affreux.  Uantiquitë 
païenne  toute  entière  décide  autrement  :  elle  dit 
avec  Platon ,  que  ce  quil  j  a  de  plus  divin  est  de 
s^oulfligr  pour  ce  quon  aime. 

Alceste  est  Tadmiration  des  hommes ,  pour  avoir 
voulu  mourir  et  urètre  plus  qu'une  v-aine  ombre, 
afin  de  faire  vivre  celui  qu'elle  aime.  Cet  oubli  de 
soi,  ce  sacrifice  total  de  son  être,  cette  perte  de  tont 
soi-mém%pour  jamais,  est  aux  yeux  de  toas  les 
Païens  cA|u'il  y  a  de  plus  divin  dans  l'homme;  c'est 
ce  qui  en  fait  un  dieu  ;  c'«st  ce  qui  le  fait  presque 
arriver  au  terme. 

Voilà  l'idée  de  la  vertu  et  de  l'amitié  pure,  un- 
primée  dans  le  cœur  des  hommes  qui  n'ont  jamais 
connu  la  création,  que  l'amour-propre  aveugloit, 
et  qui  étoient  aliénés  de  la  vie  de  Dieu. 


L'oubli  de  soi-même  n  empêche  pasia  reconnoissance 

des  bienfaits  de  Dieu* 

UouBLi  de  soi-même,  dont  on  parle  couvent,  pour 
les  âmes  qui  veulent  chercher  Dieu  généreusement, 
n'empêche  pas  la  reconnois&ance  de  ses  bienfaits.  En 
voici  la  raison  :  c'est  que  cet  oubli  ne  consiste  pas  à 
ne  voir  jamais  rien  en  soi ,  mais  seulement  à  ne  de- 
meurer jamais  renfermé  en  soi  -  même ,  occupé  de 
%t%  biens  ou  de  ses  maux  par  une  vue  de  propriet 


DE   LÀ   RECOlfN.    DBS    BIENFAITS   DE    DIEU.        Sag 

oa  d*iDtérét.  C'est  cette  occupation  de  nous-néiDes 
qai  nous  éloigne  de  Tamour  pur  et  simple  y  qui  ré- 
trécît notre  cœur,  et  qui  nous  éloigne  de  notre  vraie 
perfection ,  à  force  de  nous  la  faire  chercher  avec 
empressement,  avec  trouble  et  avec  inquiétude,  pour 
lamour  de  nous-mêmes. 

Mais  quoiqu'on  s'oublie,  c'est*à-dire  qu'on  ne  re- 
cherche plus  volontairement  son  propre  intâ^ét,  on 
De  laisse  pas  de  se  voir  en  bien  des  occasions*  On  ne 
se  regarde- pas  pour  l'amour  de  soi-même  ; 'mais  la 
vue  de  Dieu  qu'on  cherclte  nous  donne  souvent , 
comme  par  contre -coup,  certaine  vue  de  nous- 
mêmes.  C'est  comme  un  homme  qui  en  regarde  un 
autre  derrière  lequel  est  un  grand  miroir  ;  en  con- 
sidérant l'autre  il  se  voit ,  et  se  trouve  sans  se  cher- 
cher. Ainsi  est-ce  dans  la  pure  lumière  de  Dieu  que 
nous  nous  voyons  parfaitement  nous-même».  La  pré- 
sence de  Dieu ,  quand  elle  est  pure,  «impie,  et  sou- 
tenue par  une  vraie  fidélité  de  Tame  et  la  plus  exacte 
vigilance  sA*  nous-mêmes,  est  ce  grand  miroir  où 
nous  découvrons  jusqu'à  la  moindre  tache  de  notre 

ame«. 

■ 

Un  paysan  renfermé  dans  son  village  n'en  connott 
qa'imparfaitement  la  misère  :  mais  faites-lui  voir  de 
riches  palais ,  une  Cour  superbe ,  il  conçoit  toute  la 
pauvreté  de  son  village  et  ne  peut  souQrir  ses  hail- 
lons à  la  vue  de  tant  de  magnificence.  C'est  ainsi 
qu'on  voit  sa  laidrur  et  son  néant  dans  la  beauté  et  * 
dans  l'infinie  grandeur  de  Dieu. 

Montrez  tant  qu'il  vous  plaira  la  vanité  et  le  néant 
de  la  créature  par  les  défauts  des  créatures  ;  faites 
remarquer  la  brièveté  et  l'incertitude  de  la  vie ,  l'in- 


'iio  UE    LA    AECOJfflfOlSSÂlfCV 

coDSlance  de  là  fortune ,  Tinfidëlit^  des  amb,  HIId- 
sion  des  grandes  places ,  les  amertumes  qui  y  sont 
inévitables,  le  mécompte  des  plus  belles  espérances, 
le  vide  de  tous  les  biens  qu'on  possède ,  la  idéalité  de 
tous  les-  maux  qu'on  souffre  :  toutes  ces  morales , 
quelque  vraies  et  sensibles  qu'elles  soient ,  ne  font 
qu'effleurer  le  cœur;  elles  ne  paient  point  la  super- 
ficie ;  le  fond  de  Thomme  n'en  est  point  diangé.  Il 
soupire  de  se  voir  esclave  de  la  vanité,  et  ne  sort 
point  de  cet  esclavage.  Mais  si  le  rayon  de  la  lumière 
divine  l'éclairé  intérieurement ,  il  voit  dans  l'abîme 
du  bien,  qui  est  Dieu ,  l'abîme  du  néant  et  du  mal, 
qui  est  la  créature  corrompue  ;  il  se  [méprise ,  il  se 
baity  il  se  quitte ,  il  se  fuit,  il  se  craint ,  il  se  renonce 
soi-même  ;  il  s'abandonne  à  Dieu  ,  il  se  perd  en  lui. 
Heureuse  perte  !  car  alors  il  se  trouve  sans  sécher- 
cher.  Il  n'a  plus  d'intérêt  propre,  et  tout  lui  pro» 
fite  :  car  tout  se  tourne  à  bien  pour  ceux  qui  aiment 
Dieu.n  voit  les  miséricordes  qui  viennent  dans  cet 
abîme  de  foiblesse,  de  néant  et  de  péch^;  il  voit,  et 
il  se  complaît  dans  cette  vue. 

Remarquez  que  ceux  qui  ne  sont  pas  encore  fort 
avancés  dans  le  renoncement  à  eux-mêmeâ  regardent 
encore  ce  cours  des  miséricordes  divines  par  rap- 
port à  leur  propre  avtatage  spirituel,  à  proportion 
qu^ils  tiennent  encore  plus  ou  moins  à  eux-mêmes. 
Or ,  comme  l'entière  désappropriation  de  la  volonté 
est  très-rare  en  cette  vie,  il  n'y  a  aussi  guère  d'ames 
qui  ne  regardent  encore  les  miséricordes  reçues 
par  rapport  aux  fruits  qu'elles  en  reçoivent  pour 
leur  salut;  de  façon  que  ces  âmes,  quoiqu'elles  ten- 
dent à  n'avoir  plus  aucun  intérêt  propre ,  ne  lais- 


DES    BIENFAITS   DE   DIEU.  33 1 

sent  pas  d'être  encore  très -Sensibles  k  ce  grand 
Intérêt.  Elles  sont  ravies  de  voir  une  main  toute- 
puissante  qui  les  a  arrachées  à  elles-mêmes  y  qui  les 
a  délivrées  de  leurs  propres  désirs,  qui  a  ropipa 
leurs  liens  lorsqu'elles  ne  songeoient  qu'à  s'en- 
foncer dans  leur  esclavage,  qui. les  a  sauvées,  pour 
ainsi  dire,  malgré  elles-mêmes ,  et  qui  a  pris  plaisir 
h  leur  faire  autant  de  bien  qu'elles  se  faisoient  de 
mal. 

Des  âmes  entièrement  pures  et  désappropriées, 
telles  que  celles  des  saints  dans  le  ciel,Yegardéraient 
avec  autant  d'amour  et  de  complaisance  les  miséri- 
cordes répandues  sur  les  autres  que  les  miséricordes 
qu^elles  ont  reçues  elles-mêmes;  car,  ne  se  comp- 
tant plus  pour  rien,  elles  aiment  autant  le  bon  plaisir 
de  Dieu ,  les  richesses  de  sa  grâce ,  et  la  gloire  qu*il 
tire  de  la  sanctification  d'autrui,  que  celle  qu'il  tire 
de  leur  propre  sanctification.  Tout  est  alors  égal , 
parce  que  le  moi  est  perdu  et  anéanti ,  le  moi  n'est 
pas  plus  moi  ({vî' autrui:  c'est  Dieu  seul  qui  est  tout 
en  tous;  c'est  lui  seul  qu'on  aime,  qu'on  admire, et 
qui  fait  toute  la  joie  du  cœur  dans  cet  amour  céleste 
et  désintéressé.  On  est  ravi  de  ses  miséricordes ,  non 
pour  Tamour  de  soi ,  mais  pour  Famour  de  lui.  On 
le  remercie  d'avoir  fait  sa  volonté-,  et  de  s'être  glo- 
rifié lui-même,  comme  nous  lui  demandons  dai^  le 
Pater  qu'il  daigne  faire  sa  volonté  et  donner  gloire 
à  son  nom.  En  cet  état,  ce  n'est  plus  pour  nous  que 
nous  demandons ,  ce  n'est  plus  pour  nous  que  nous 
remercions.  Mais,  en  attendant  cet  état  bienheu- 
reux ,  l'ame ,  tenant  encore  à  soi  ^  est  attendrie  par 
ce  reste  de  retour  sur  elle-même.  Tout  ce  qu'il  y  a 


33a  DE   LA   ESCOSHOMftAVCX 

encore  de  ces  retoars  «scite  tue  vire  reconnoinance  : 
celle  recoDDoissance  est  an  amour  encore  un  pen 
mêle  et  recourbé  sur  soi  ;  an  lieu  que  la  reconnou- 
sance  des  âmes  perdues  en  Dieu ,  telles  qne  celles 
des  saints ,  est  un  amour  immense,  un  amour  sans 
retour  sur  Tintérêt  propre ,  un  amour  aussi  trans^ 
porté  des  miséricordes  faites  aui^  antres  que  des  mi* 
séricordes  Elites  à  soi-même  ;  nn  amour  qai  qadmîre 
et  ne  reçoit  les  dons  de  Dieu  qéd  pour  le  pur  intérêt 
de  la  gloire  de  Dieu  même. 

Mais  comqiie  rien  n*est  plus  dangereux  que  de 
vouloir  aller  au-delà  des  mesures  de  sofl  état ,  rien 
ne  seroit  plus  nnisible  à  une  ame  qui  a  besoin  d'être 
soutenue  par  des  sentimens  de  reconnoissancei  que 
de  se  priver  de  cette  nourriture  qtn  lui  est  propre, 
et  de  courir  après  des  idées  d'une  plus  haute  perfec- 
tion qui  ne  lui  conviennent  pas. 

Quand  Tame  est  touchée  du  souvenir  de  toat  ce 
qne  Dieu  a  fait  pour  elle,  c'est  une  marque  certaine 
qu'elle  a  besoin,  de  ce  souvenir,  supposé  même 
qu  elle  ait  dans  ce  souvenir  une  certaine  joie  inté- 
ressée sur  son  bonheur.  14  faut  laisser  cette  joie  en 
liberté  et  dans  toute  son  étendue;  car  Tainour, 
quoique  intéressé ,  sanctifie  Tame  ;  et  il  Tant  attendre 
patiemment  que  Dieu  lui-même  vienne  Tépurer.  Ce 
seroit  le  prévenir,  et  entreprendre  ce  qui  est  réservé 
à  lui  seul ,  que  de  vouloir  ôter  à  Thomme  tous  les 
motifs  oii  rintérét  propre  se  mêle  avec  celui  de  Dieu* 
L'homme  lui-même  ne  doit  pohit  gêner  son  cœor 
là-dessus,  ni  renoncer  avant  le  temps  aux  appuis 
dont  son  infirmité  a  besoin.  L'enfant  qui  marche 
seul  avant  qu'on  le  laisse  aller  tombera  bientôt.  Ce 


D«^    BIENFAITS    HE   OIEO»  333l 

ii*est  point  à  lui  à  ôter  les  lisières  avec  lesquelles  sa 
gouvernante  le  soutient. 

Vivons  donc  de  reconnoissance,  tandis  que  la  re- 
connoissance  y  même  intéressée ,  servira  à  uourrir 
notre  cœur.  Aimon3  les  misésicordes  de  Dieu  y  non- 
seulement  pour  Famour  de  lai  et  de  sa  gloire,  mais 
encore  pour  Famour  de  noi#  et  de  notre  bonheur 
étemel  y  tandis  que  cette  vue  aura  pour  nous  un  cer- 
tain soutien  proportionné  à  notre  état.  Si  dans  la 
suite  Dieu  ouvre  notre  -cœur  à  un  amour  plus  épuré 
et  plus  généreux ,  à  un- amour  qui  se  perdroit  en  lui 
sans  retour,  et  qui  ne  verroit  plus  que  *sa  gloire, 
laissoiis-nous^  entraîner  sans  retardement  ni  hésita* 
tion  à  cet  amour  si  parfait. 

Si  donc  nous  aimons  les  miséricordes  de  Diea  ;  si 
elles  nous  ravissent  de  joie  .et  d^admiration  par  le 
seul  plaisir  de  voir  Dieu  si  bon  et  si  gi*and  ;  si  nous 
ne  sommes  plus  touchés  que  de  Taccom plissement 
de  sa  volonté ,  de  sa  gloire  qu'il  trouve  comme  il  lui 
platt ,  de  la  grandeur  avec  laquelle  il  fait  un  vase 
d'honneur  de  ce  qui  étoit  un  vase  d'ignominie  ;  ren- 
dons*lui  grâces  encore  plus  volontiers ,  puisque  le 
bienfait  est  plus  grand ,  et  que  le  plus  pur  de  tous  les 
dons  de  Dieu  est  de  n'aimer  ses  dons  que  pour  lui , 
sans  se  chercher  soi-même.  * 


334  HÉALITÉ   DE   hAUOV^    POft. 

XXL 

Réalitéderamourpur,  L'amour  iniéressé et  l'amour 
désintéressé  ont  leur  saison. 

PouiLQuoi  aime-t-on  mienx  voir  les  dons  de  Diea 
en  soi  qa'en  ai^oi ,  si  ce  n  est  par  attachement  à  soi  ? 
Quiconque  aime  mieux  les  voir  çn  soi  que  dans  les 
antres  y  s'affligera  aussi  de  les  voir  dans  les  autres 
plus  parfaits  qu'en  soi  ;  et  voilà  la  jalousie.  Que  faut- 
il  donc  faire  ?  Il  faut  se  réjouir  de  ce  que  Dieu  fait  sa 
volonté  en  nous,  et  y  règne, non  pour  notre  bonheur, 
ni  p9ur  notre  perfection  en  tant  qu'elle  est  la  uAtre, 
mais  pour  le  bon  plaisir  de  Dieu  et  pour  sa  pure 
gloire. 

Remarquez  là-dessus  deux  choses  :  Tune,  que  tout 
ceci  n'est  point  une  subtilité  creuse  ;  car  Dieu ,  qui 
veut  dépouiller  l'âme  pour  la  perfecticHiner  et  la 
poursuivre  sans  relâche  jusqu'au  plus  pur  amour,  la 
fait  passer  réellement  par  ces  épreuves  d'elle-même^ 
et  ne  la  laisse  point  en  repos  jusqu'à  ce  qu'il  ait  ôté 
à  son  amour  tout  retour  et  tout  appui  en  soi.  Rien 
n'est  si  jaloux ,  si  sévère  et  si  délicat  que  ce  principe 
du  pur  amour.  Il  ne  sauroit  souffrir  mille  choses 
qui  nous  sont  imperceptibles  dans  un  état  conunuo  ; 
et  ce  que  le  commun  des  personnes  pieuses  appelle 
subtilité,  paroît  une  chose  essentielle  à  lame  que 
Dieu  veut  tléprendre  d'elle-même.  C'est  comme  Tor 
qui  se  purifie  au  creusçt  ;  le  feu  consume  tout  ce 
qui  n'est  pas  le  pur  or.  Il  faut  aussi  qu'il,  se  fasse 


RÉAUVÉ   OS  L  AMOUa   PUA.  335 

«coimne  une  fonte  universelle  du  cœur,  poni?  p.^fifier 
l'amour  divin.  ,      ^ 

La  seconde  chose  à  r^piarquer  est  que  .Dieu  ne 
poursuit  pas  ainsi  en  cette  vie  toutes  les  âmes.  Il  y 
en  a  un  nombre  infini  de  très  pieuses  qu'il  laisse 
dans  quelque  retour  sur  elles-mêmes  :  ces  retours 
mêmes  les  soutiennent  dans  la  pratique  des  vertus, 
et  servent  à  les  purifier  jusqu^à  un  certain  point.  Bien 
ne  seroit  plus  indiscret  et  plus  dangereux  que  de  leur 
ôter  cette  occupatioa  consolante  des  grâces  de  Dieu 
par  rapport  à  leur  propre  perfection.  Les  premières 
perspnnea  ont  une  reconnoi^sance  désintéressée  ;  elles 
rendent  gloire  à  Dieu  de  ce  qu'il  fait  en  elles  pour 
sa  pure  gloire  :  les  dernières  s'y  regardent  aussi  elles* 
mémesy  et  unissent  leur  intérêt  à  celui  de  Dieu.  Si 
les  premières  vouloient  ôteraux  autres  ce  mélange 
et  cet  appui  en  eUeS:mémes  par  rapport  aux  grâces, 
elles  ieroientle  même,  mal  que  si  on  sevroit  un  en- 
fant qui  ne  peut  encore  manger  :  lui  ôter  la  mamelle, 
c'est  le  faire  mourir.  Il  ne  faut  jamais  vouloir  ôter  à 
une  ame  ce  qui  la  nourrit  encore,  et  que  Dieu  lui 
laisse  pour  soutenir  son. infirmité.  C'est  détruire  la 
grâce  que  de  voulou*  la  prévenir.  Il  ne  faut  pas  aussi 
que  le'second  genre  de  personnes  condamne  les  au- 
tres, quoiqu'elles  ne  soient  point  occupées  de  leur 
propre  perfection  dans  les  grâces  qu'elles  reçoivent. 
Dieu  fait  en  chacun  ce  qu'il  lui  plaît  :  V Esprit  souffle 
ou  il  veut  (0,  et  comme  i)  veut.  L'oubli  de  soi  dans 
la  pure  vue  de  Dieu  est  un  état  qii  Dieu  peut  faire 
dans  une  ame  tout  ce-  qui  lui  est  le  plus  agréable. 
L'importance  est  que  le  second  genre  de  personnes 

CO  Joan.  m.  8. 


336  RÉALITÉ    DB    L  AMOVm   PUK. 

ne  $oit  point  curieux  sur  Tëtat  des  autres,  et  que  les 
aiftres  ne  veuillent  point  leur  Taire  connottre  les 
épreuves  auxquelles  Dieu- ne  les  appelle  pa^. 

m 

XXII. 

Ecouter  la  parole  intérieure  de  F  Esprit  saint  :  suivre 
Tinspiration  qui  nous  appelle  à  un  entier  dépouil- 
lement. 

Il  est  certain  y  par  rEcriture  (O,  que  TEspcilde 
Dieu  habite  au  dedans  d«  nous,  qu'il  y  agit ,  qu*il  j 
prie  sans  cesse ,  qu*n  y  ^étiàx  y  quM  y  désire ,  qa  il  y 
•  demande  ce  que  nous  ne  savons  pas  nous-mêffles  de- 
mander ;  qu'il  uQus  pot^é  y  nous  anime ,  nous  parle 
dans  le  silence ,  nous  suggère  toute  vérité ,  et  nous 
unit  tellement  à  hii  que  nous  ne  sommes  plos  qu'un 
même  esprit  avec  Dieu  {?)•  Voilà  ce  que  la  foi  nous 
apprend  ;  voilà  ce  que  les  docteucs  les  plus  éloignés 
de  la  vie  intérieure  ne  peuvent  s  empêcher  de  recon- 
nottre^  Cependant ,  malgré  ces  principes,  ils  tendent 
toujours  à  supposer,  dans  la  pratique^que  la  loi  eité- 
rieure,  ou  tout  au  plus  une  certaine  lumière  de  doc* 
trine  et  de  raisonnement  nous  éclaire  au  dedans  de 
nous-mêmes,  et  qu'ensuite  c'est  notre  raison  qui 
agit  par  elle-même  sur^dette  instruction.  On  ne 
compte  point  assez  sur  le  'docteur  intérieur,  qui  est 
le  Saint-Esprit,  et  qui  fait  tout  en  nous.  Il  est  Famé 
de  notre  ame  :  nous  ne  saurions  former  ni  pensée  ni 
désir  que  par  lui.  Hélas  !  quel  est  dcmc  notre  aveu- 

(0  Hom.  viiL  9  :  et  Joan,  ztr.  i6.  —  (•)  /  Cor,  ti.  17. 

glement 


DB   LA    PAEOLB   INTÉRiECBE*  ^i*] 

glement!  Noug  comptons  comme  si  noug  ëltons  seuls 
dans  ce  gancluaire  iotérieur  ;  .et.  tout  au  contraire 
Dieu  y  est  plus  intimement  que  nous  n^y  sommes 
nous-mêmes. 

Vous  me  direz  peut-être  :  Est-ce  que  nous  sommes 
inspirés?  Oui,  sans  doute;  mais  non  pas  comme  les 
prophètes  et  les  apôtres.  Sans  Finspiration  actuelle 
de  Tesprit  de  grâce ,  nous  ne  pouvons  ni  faire ,  ni 
vouloir  y  ni  croire  aucun  bien.  Nous  sommes  donc 
tou)ours  inspirés;  mais  nous  étouffons  sans  cesse 
cette  inspiration.  Dieu  ne  cesse  point  de  parler;  mais 
le  bruit  des  créatures  au  dehors,  et  de  nos  passions 
au  dedans  y  nous  étourdit  et  nous  empêche  de  Fen- 
tendre.  Il  faut  faire  taire  toute  créature ,  il  faut  se 
ùûre  taire  soi-même ,  pour  écouter  dans  ce  profond 
silence  de  toute  Tame  cette  voii  ineffable  de  l'époux. 
Il  I  aut  prêter  Foreilie  ;  car  c*est  une  voix  douce  et 
délicate ,  qui  n^est  entendue  que  de  ceux  qui  n'en- 
tendent plus  tout  le  reste.  O  qu'il  est  rare  que  Famé 
se  taise  assez  pour  laisser  parler  Dieu  !  ^e  moindre 
murmure  de  nos  vains  désirs^  ou  d'un  amour-propi^e 
attentif  à  soi,  confond  toutes  les  parole»  de  FEsprit 
de  Dieu.  On  entend  bien  qu'il  parle ',  et  qu'il  de- 
mande quelque  chose  ;  mais  on  ne  sait  point  ce  qu'il 
dit,  et  souvent  on  est  bien  aise  de  ne  le  deviner  pas. 
La  moindre  réserve ,  le  moindre  retour  siir  soi,  la 
moindre  a*ainte  d'entendve  trop  clairement  que  Dieu 
demande  plus. qu'on  ne  lui  veut  donner,  trouble 
cette  parole  intérieure.  Faut*il  donc  s'étonner  si  tant 
de  gQQSy  même  pieux,  mais  encore  pleins  d'amuse- 
mens ,  de  vains  désirs,  de  fausse  sagesse ,  de  con- 
fiance en  leurs  vertus ,  ne  peuvent  Fentendre ,  et  re- 

FÉlfÉLOn.    XVIII.  2!> 


33S  DB  hk    FAEOLX    UlTÉlllBUUk 

gardent  celte  parole  iottfrienre  oonme  une  chimèrt 
lie  fiinatiques?  Htflasl  que  TeulenMb  donc  dire  arec 
leora  raisonnemeos  ditfdaigoeux?  A.  quoi  serviroitla 
parole  extérieure  des  pasteurs,  et  même  de  l'Ecri» 
ture  f  s'il  n*y  avoit  une  parole  intérieure  du  Saint- 
Esprit  .même,  qui  donne  à  Tautre  toute  son  efficace  ? 
La  parole  extérieure,  même  de  TEvangile,  sans  cette 
parole  vivante  et  féconde  de  l'intérieur ,  ne  aeroil 
qu'un  vain  son.  C'est  la  lettre  qui  seule  tme^  et  2'ei- 
prit  seul  peut  nous  vivifier  (<)«  O  Verbe,  ô  Parole 
étemelle  et  toutes-puissante  du  Père,  c'est  tovs  qui 
parles  dans  le  fond  des  amesl  Cette  parole,  sortie 
de  la  bouche  du  Sauveur  pendant  les  jours  de  sa  vie 
mortelle,  n'a  eu  tant  de  vertu ,  et  n'a  produit  tant  de 
fruits  sur  la  teire ,  qu'à  cause  qu'elle  étoit  animée 
par  cette  parole  de  via  qui:est  le  Verbe  même.  Delà 
vient  que  saint  Pierre  dit  :  A  qui  irions  •  bous?  vous 
Q»ez  Us  paroles  de  là  vie  ilemelle  (s).  Ce  n'est  donc 
pas  seulement  la  loi  extérieure  de  l'Evangile  que 
Dieu  nous  montre  intérieurement  par  la  lumière  de 
la  raison  et  de  la  foi,  c  est  son  esprit  qui  parle,  qoi 
nous  toudm,  qui  opère  en  nous ,  et  qui  nous  anime  \ 
en  sorte  que  c'est  cet  esprit  qui  fait  en  nous  et  avec 
nous  tout  ce  que  noua  faisons  de  bien,  comme  c'est 
notre  ame  qui  anime  notre  corps  et  qui  en  règle  les 
mouvemens* 

Il  est  donc  vrai  que  nous  sommes  sans  eesse  în» 
spires,  et  que  nous  ne  vivons  de  la  vie  de  la  grâce 
qu'autant  que  nous  avons  cette  inspiration  inté* 
rieure.  Mais ,  mon  Dieu ,  peu  de  Chrétiens  la  seitfent  ; 
car  il  y  .en  a  bien  peu  qui  ne  l'anéantissent  par  leur 

C*:  /  Cor.  m.  6.  —  i»)  /oon.  vi.  69. 


DE    LA    PAHOLB    INTÉRlBVttll*  33^ 

éissipalion  Tolotitah'e  ou  )Htr  leur  résistance.  Cette 
itiBpirattOfi  M  doit  point  noos  persuader  que  nous 
soyons  semblables  aux  prophètes.  L^inspiration  des 
prophètes  étoit  pleine  de  certitude  pour  les  choses 
que  Dieu  leu^  découvroit,  ou  leur  commandoit  de 
faire;  cVtoit  UA  mouvement  eJctraôrdinaire,  ou  pour 
révéler  les  choses  futures ,  ou  pour  faire  des  miracles^ 
ou  pour  agir  avec  tobte  l'autorité  divine.  Ici ,  tout 
au  contraire  y  Tinspiràtion  est  isans  lumière,  sans 
certitude;  elle  se  borne  h^nous  insinuer  Tobéissanée , 
In  patience,  la  douceur,  rhumilîté,  et  toutes  les  au- 
tres vertus  nécessaires  k  toiit  Chrétien.  Ce  n*ést  pofnt 
«m  tnouvetoent ' ditin  pour  prédire,  pour  changer 
kâ  lois  de  ta  nature,  et  pour  commander  auk 
bommes  de  la  pâH  de  Dien  ;  c'est  une  !;ln)p]e  invita- 
tion dans  le  fond  de  Tame  pour  obéir,  pour  nous  laisser 
détruire  et  al&éantir  selon  les  desseins' dé  Tàmour  de 
Dieiu.  Cette  inspiration ,  prise  ainsi  dans  ses  bornes  et 
dans  sa  simplicité,  ne  renferme  donc  que  la  doctrine 
«lOttiiiulie'de  toute  l'Église  :  elle  n'a  par  elld-métue, 
ai  rimagination  des  hommes  n'y  ajoute  rien ,  aucUta 
piège  de  présomption  ni  d'illusion;  au  contraire, 
elle  nous  tient  datts  la  main  de  Dieu  sous  la  conduite 
de  TEglise,  donnant  tout  à  la  grâce  sans  l)lesser 
notre  liberté,  et  ne  laissant  rien  ni  à  ForgOeif  ni  à 
rimagination. 

Ces prihcipeÉf posés,  il  faut  reconUoîtfe  que  Dieu 
parte  san^  cesst  en  nous  (<}.  Il  parie  dans  les  péèliéurs 
impénitens;  mais  des  pécheurs,  étourdis  par  le  bruit 
du  monde  et  de  leurs  passions,  ne  peuvent  Tentendi^; 
sa  parole  letur  est  une  fable,  tl  parle  dans  les  pécîhéurs 

0)  De  Imii.  ChrUti,  lib.  m,  oàp.  •,  tt.  i;  cap.  m,  n.  3.      ' 


34o  DE    LA    PAftOLE    I2ITÉIU£Iia£« 

.qui  se  converlîssent  :  ceux-ci  seuleut  les  reiiioi*ds  de 
leur  conscience;  et  ces  remords  sont  la  voix  de  Dieu 
qui  leur  reproche  intérieurement  leurs  vices.  Qaand 
ces  pécheurs  sont  bien  touchés ,  ils  n*onl  pas  de  peine 
à  comprendre  cette  voix  secrète;  car  c^est  die*  qui 
.les  pénètre  si  vivement.  Elle  est  en  eux  ce  glaive  à 
deux  tranchons ,  dont  parle  saint  Paul  (0  ;  il  va  /u^- 
qwh  la  dwisionde  V^ame  d*a9ee  elle-même*  Dieu  ae 
(ait  sentir,  goûter,  suivre^  on  entend  cette  douce 
voix  qui  porte  jusqu'au  food  du  cœur  un  reproche 
tendre ,  et  le  cœur  en  est  déchiré  :  voilà  la  vraie  et 
pure  contrition.  Dieu  parle  dans  les  personnes  éclai- 
rées, savantes,  et  dont  la  vie,  extérieurement  ren- 
tière en  tout,  paroft  ornée  de  beaucoup  de  vertus  ; 
mais  souvent  ces  personnes,  pleines  d^ellÀHuémes 
et  de  leurs  lumières,  s'écoutent  trop  pour  écouter 
.  Dieu.  On  tourne  tout  en  raison  :  on  se  fait  des  prin- 
cipes de  sagesse  naturelle,  et  des  méthodes  de  pru- 
dence,  de  tout  ce  qui  nous  viendroit  infiniment 
mieux  par  le  canal  de  la  simplicité  et  de.  la  docilité 
.à  FEsprit  de  Dieu.  Ces  personnes  paroissent  bonnes, 
quelquefois  plus  que  les  autres.;  elles  le  sont  même 
jusqu'à,  un  certain  point  :  mais  c'est  une  bonté  mé- 
langée. On  se  possède,  on  veut  toujours  se  posséder 
selon  la  inesure  de  sa  raison  :  on  veut  être  toujours 
dans  la  main  de  son  propre  conseil;  oa  est  fort  et 
grand  à  ses  propres  yeux.  O  xnpu  Dieu!  je  vous 
rends  grâces  avec  Jésus-Christ  W  de  pe  que  vou&  ca- 
chez vos  secrets  inefiables  à  ces  grands  et  à  ces 
sages ,  tandis  que  vous  prenez  plaisir  à  les  révéler 
aux  âmes  foibles  et  petites!  Il  n'y  a  que  le$  enfaos 


DE    LA    PAROLE    IMTÉAlEUIlE.  ^4  ' 

avec  qui  vous  vous  familiarisez  sans  réserve.  Vous 
traitez  les  autres  à  leur  mode.  Us  veulent  du  savoir 
«t  des  vertus  hautes  ^  vous  leur  donuez  des  lumières 
éclatantes,  et  vous  en  faites  des  espèces  de  héros. 
Mais  ce  Q*-est  pas  là  le  meilleur  partage.  Il  y  a  quel- 
que chose  de  plus  caché  pour  vos  plus  chers  enfans. 
Ceux-là  reposent  avec  Jean  sur  ¥Oti*e  poitrine.  Pour 
ces  grands  y  qui  craignent  toujours  de  se  ployer  et 
de  s'appetisser,  vous  les  laissez  dans  leur  grandeur; 
vous  les  traitez  selon  leur  gravité.  Ils  n*auront  jamais 
vos  caresses  et  vos  familiarités  :  il  faut  être  enfant  et 
jouer  sur  vos  genoux  pour  les  mériter.  Tai  souvent 
remarqué  qu'un  pécheur  ignorant  et  grossier,  qui 
commence  à  être  touché  vivement  de  Famour  de 
Dieu  dans  sa  conversion  ^  est  plus  disposé  à  entendre 
ce  langage  intérieur  de  Fesprit  de  grâce,  que  cer- 
taines personnes  éclairées  et  savantes,  qui  ont  vieilli 
dans  leur  propre  sagesse.  Dieu,  qui  ne  cherche  qu'à 
se  communiquer,  ne  sait,  pour  ainsi  dire,  où  poser 
le  pied  dans  ces  âmes  pleines  d'elles-mêmes,  et  trop 
nourries  de  leur  sagesse  et^de  leurs  vertus  :  mais  son 
entretien  familier^  comme  dit  l'Ecriture  {^),  est  avec 
lesi  simples,  s 

«^  Où  sont-ils  ces  simples?  Je  n'en  vois  guère.  Dieu' 
les  voit,  et  c'est  en  eux  qu'il  se  platt  à  habiter  :  Mon 
Père  et  moi,  dit  Jésus-Christ  (^),  nous  y  viendrons , 
et  nous  y  ferons  notre  demeure.  O  qu'une  arae  li- 
vrée à  la  grâce  sans  retour  sur  soi ,  ne  se  comptant 
pour  rien,  et  marchant  sans  mesure  au  gré  dû  pur 
amour  qui  est  le  parfait  guide ,  éprouve  de  choses 
que  les  sages  ne  peuvent  ni  éprouver  ni  comprendre  !• 

(»)  Pro¥,  m.  32.  —  (»)  Joan,  xiy.  a3. 


343  DB   Ui   PAAOLE   IMTÉILll&CBB. 

J'ai  ^  sage  (  je  Tose  dire  }  comnie  un  «atrâ  i  mais 
alors,  croyant  tout  Yoir,  je  ne  Toyois  rien,  ralioîs 
tâtonoaot  par  une  suite  de  raisonnemens  ;  mais  la 
lumière  ne  luisoit  poiat  dans  mes  ténèbres.  Télois 
coûtent  de  raisonner.  Mais,  hélas!  quand  uoe  fois 
00  a  fait  taire  tout  ce  qui  est  tu  nous  pour  écouter 
Dieu ,  ou  sait  tout  sans  rien  savoir  ;  et  on  ne  peut 
douter  que  jusque  là  on  n*ait  ignoré  tout  ce  qa*on  s'i- 
magiooit  comprendre.  Tout  ce  qu*on  teiioit  échappe, 
et  on  ne  s*en  soucie  plus  :  00  n*a  plus  ri/sn  à  soi  ;  oo 
a  tout  perdu;  on  s*est  perdu  soi-même.  Il  y  a  un  je 
ne  sais  quoi  qui  dit  au  dedans,  oomme  réponse  du 
Cantique  :  Faites^moi  entendre  voire  voix  ;  gmeUe 
résonne  à  mes  çreiUes  (0.  O  qu'elle  est  douce  celte 
voix  !  elle  fait  tressaillir  toutes  mes  entraiUee*  Par- 
lez,  ô  mon  époux,  et  que  nul  autre  que  vous  n ose 
parler!  Taisez- vous,  mon  ame  :  parlez,  ô  amour! 

Je  dis  qu*c^lors  on  sait  tout  sans  rien  savoir.  Ce 
u'est  pas  qu'on  ait  la  présomption  de  croire  qu  on 
possède  en  soi  toute  vérité.  Non ,  non ,  tout  au  con- 
traire :  on  sent  qu'on  ne  voit  rien ,  qu'on  ne  peut 
rien  et  qu'on  n'est  rien.  On  le  sent,  et  on  en  est  ravi. 
Mais,  dans  cette  désappropriation  sans  réserve,  on 
trouve  de  moment  à  autre  dans  l'infini  de  Dieu  tout  ^ 
ce  qu*il  faut  selon  le  cours  de  sa  providence.  Cest  là 
qu'on  trouve  le  pain  quotidien  de  vérité  comme  de 
tout^autre  chose,  sans  en  faire  provisioQ.  C'est  alors 
que  Fonction  nous  enseigne  toute  vérité  en  nous  ôtant 
toute  sagesse,  toute  gloire,  tout  intérêt,  tonte  vo* 
lonté  propre  ;  en  nous  tenant  contena  dans  notre  im^ 
puisi^uce ,  et  au-dessous  de  toute  créature ,  prêts  à 

COCort.  ir.  14. 


OK    LA.    PAmOLB    UfTÉAlEOAB.  34^ 

ctfder  aux  deniers  vcn  de  la  t^re,  préis  à  confesser 
DOS  plus  secrètes  misères  è  la  face  de  tous  les  hommes; 
M  craignanl  dans  les  fautes  que  riiifidëKté,  sans 
craindre  ni  le  châtiment  ni  la  confusion.  En  cet  état^ 
dis-je,  TE^rit  nous  enseigne  toute  vérité;  car  toute 
Tel  lié  est  comprise  éminemment  dans  ce  saciîfiee  d^a- 
monr  y  où  Famé  s*âte  tout  pour  donner  tout  k  Dieu. 
Voilé  la  manne,  qui,  sans  être  chaque  viande  parti- 
culière, a  le  goût  de  toutes  les  viandes. 

Dans  les  commencemens,  Dieu  nous  attaquoit  par 
le  dehors;  il  nous  arrachoit  peu  à  peu  toutes  les 
créatures  que  nous  aimions  trop ,  et  contre  sa  loi. 
Mais  ce  travail  du  dehors,  quoique  essentiel  pour 
poser  le  fondement  de  tout  Tédifice,  n*en  fait  qu'une 
bien  petite  partie.  O  que  Touvrage  du  dedans,  quoi- 
que invisible ,  est  sans  comparaison  plus  grand,  plus 
difficile  et  plus  merveilleux  !  Il  vient  un  temps  oit 
Dieu,  après  nous  avoir  bien  dépouillés,  bien  morti- 
fiés par  le  dehors  sur  les  créatures  auxquelles  nous 
tenions ,  nous  attaque  par  le  dedans  pour  nous  ar- 
racher à  nous-mémes.*Ce  n'est  plus  les  objets,  étran- 
gers qu*il  nous  ôte  :  alors  il  nous  ari*ache  le  moi  qui 
étoit  le  centre  de  notre  amour.  Nous  n*aimions  tout 
le  reste  que  pour  ce  moi;  et  c*est  ce  moi  que  Dieu 
poursuit  impitoyablemejDt  et  sans  relâche.  Oter  k  un 
homme  ses  habits ,  c'est  le  traiter  mal  ;  mais  ce  n'est 
rien  en  comparaison  dé  la  rigueur  qui  l'écorcheroit 
et  qui  ne  laisseroit  aucune  chair  sur  tous  ses  os.  Cou- 
pes les  branches  d*un  arbre,  bien  loin  de  le  faire 
mourir,  vous  fortifiez  sa  sève,  il  repousse  de  tous 
cètés  ;  mais  attaquez  le  trono,  desséchez  la  racine,  il 


344  ^'   >^   PJJIOLB   mTÉMUBOl 

se  déponilley  il  laogoity  il  meait.  Cest  aion  que 
Hieu  fM'ead  plaisir  à  noos  fiûre  moarir. 

Poar  la  mortification  extérieure  des  sens ,  il  noos 
la  fait  faire  par  certains  efforts  de  oonrage  contre 
nous-mêmes.  Plus  les  sens  sont  amortb  par  ce  cou- 
rage de  Famé ,  pins  Tame  voit  sa  vertn ,  et  se  sootîeot 
par  son  travail.  Mais  dans  la  suite  Oien  se  réserve  à 
lui-même  d'attaquer  le  fond  de  cette  ame,  et  de  loi 
arracher  jusqu  an  dernier  soupir  de  toute  vie  propre. 
Alors  ce  n*est  plus  par  la  force  de  Tame  qu'il  combat 
les  objets  extérieurs  y  c'est  par  la  foiblesse  de  Tame 
qu  il  la  tourne  contre  elle-même.  Elle  se  voit;  elle  a 
borreqr  de  ce  qu'elle  voit.  Elle  demeure  fidèle  ;  mais 
elle  ne  voit  plus  sa  fidélité.  Tous  les  défauis  qu  elle 
a  eus  jusqu'alors  s'élèvent  contre  elle;  et  souveot  il 
en  parott  de  nouveaux  dont  elle  ne  s'étoit  jamais  dé- 
fiée. Elle  ne  trouve  plus  cette  ressource  de  ferveur 
et  de  courage  qui  la  soutenoit  autrefois.  Eàe  tpmbe 
en  dé£aiillance;  elle  est,  comme  Jésus-Cbrist ,  triste 
jusqu'à  la  mort.  Tout  ce  qui  lui  reste ,  c'est  la  vo- 
lonté de  ne  tenir  à  rien ,  et  de  laisser  faire  Dieu  sans 
réserve.  Encore  même  n'a-t-elle  pas  la  consolation 
d'apercevoir  en  elle  cette  volonté.  Ce  n  est  plas  uoe 
volonté  sensible  et  réfléchie ,  mais  une  volonté  sim- 
ple^ sans  retour  sur  elle-même,  et  d'autant  plus  ca- 
chée qu'elle  est  plus  intiipe  et  plus  profonde  dans 
lame.  En  cet  état.  Dieu  prend  soin  de  tout  ce  qui 
est  nécessaire  pour  détacher  cette  personne  délie 
même.  Il  la  dépouille  peu  à  peu ,  en  lui  ôtant  1  un 
après  l'autre  tous  les  habits  dont  elle  étoit  revêtue. 
JiCS  derniers  dépouillemens ,  quoiqu'ils  ne  soient  pas 


DB  LA    PAEOLB   IHTÉBIEUBE.  345 

« 

toujoars  les  plos  grands ^  spot  nëanmoins  les  plus  ri- 
goureux. Quoique  la  robe  soit  en  elle-même  plus  pré- 
cieuse que  la  cbeniîsey  on  sent  bien  plus  la  perte  de 
la  chemise  que  celle  de  la  robe.  Dans  les  premiei^ 
dépouillemensy  ce  qui  reste  console  de  ce  qu*on 
perd  ;  dans  les  derniers ,  il  ne  reste  qu*aftiertume  j 
nudité  et  confusion. 

On  demandera  peut-être  en  quoi  consistent  ces  dé- 
pouillemens  ;  mais  je  ne  puis  le  dire.  Us  sont  aussi 
diiTérens  que  les  hommes  sont  dii&rens  entre  eux. 
Chacun  souffre  les  siens  suivant  ses  besoins  et  les 
desseins  de  Dieu.  Comment  peut-on  savoir  de  quoi 
on  sera  dépouillé ,  si  on  ne  sait  pas  de  quoi  on  est  re- 
vêtu? Chacun  tient  à  une  in&nilé  de  choses  quil  ne 
devineroit  jamais.  Il  ne  sent  qu  il  y  est  attaché  que 
quand  on  les  lui  ôte.  Je  ne  sens. mes  cheveux  que 
quand  on  les  arrache  de  ma  tête.  Dieu  nous  déve- 
loppe peu  à  peu  notre  fond  qui  nous  étoit  inconnu  ; 
et  nous  sommes  tout  étonnés  de.  découvrir ,  dans 
nos  vertus  mêmes ,  des  vices  dont  nous  nous  élions 
toujours  crus  incapables.  C*est  comme  une  grotte 
qui  parott  sèche  de  tous  côtés ,  et  d*oii  Teau  rejaillit 
tout-à-coup  par  les  endroits  dont  on  se  déficit  le 
moins.  • 

Ces  dépouillemens  que  Dieu  nous  demande  ne 
sont  point  d'ordinaire  ce  qu'on  pourroit  s'imaginer. 
Ce  qui  est  attendu  nous  trouve  préparés,  et  n'est 
guère  propre  à  nous  faire  mourir.  Dieu  nous  surprend 
par  les  choses  les  plus  imprévues.  Ce  sont  des  riens, 
mais  des  riens  qui  désolent,  et  qui  font  le  supplice  de 
l'amour-propre.  Les  grandes  vertus  éclatantes  ne  sont 
plus  de  saison  :  elles  soutiendroient  TorgueUj  elles 


1 


346  OB   LA    rA&OI.9   IM^&ISURS. 

donneroicat  une  Genaiiie.l6coe  et  une  «Bsuraoce  in- 
térieure contraire  aux  desieios  de  Dieu,  qui  est  de 
nous  faire  perdre  terre.  Alors  c*est  aoe  conduite  sim* 
pie  et  unie  ;  tout  est  commun.  Les  antres  ne  voient 
rien  de  grand ,  et  ja  personne  même  ne  trouve  rien 
en  soi  qu9  de  naturel ,  de  foible  et  de  relâché  :  mais 
on  aimeroit  cent  fois  mieux  jeiiner  toute  sa  vie  au 
pain  et  à  Teau,  et  pratiquer  les  plus  grandes  austéri- 
tés ,  que  de  souffrir  tout  ce  qui  se  passe  au  dedans.  Ce 
u*est  pas  qu  on  ait  un  goût  de  ferveur  pour  les  aus- 
térités ;  non,  cette  ferveur  s*est  évanouie  :  mais  on 
trouve  f  dans  la  souplesse  que  Dieu  demande  poor 
une  infinité  de  petites  choses,  plus  de  renonceiùens 
et  plus  de  mort  à  soi,  qu'il  n*y  en  auroit  dans  de 
grands  sacrifices.  Cependant  Dieu  ne  laisse  point 
Tame  en  repos,  jusqu'à  ce  qu'il  Tait  rendue  souple  et 
maniable  en  la  pliant  de  tous  les  câtés.  Il  faut  parler 
trop  ingénument,  puis  il  faut  se  taire;  il  but  être 
loué,  puis  blâmé,  puis  oublié,  puis  examiné  de  nou- 
veau ;  il  faut  être  bas ,  il  faut  être  haut  ;  il  faut  se 
laisser  condamner  sans  dire  un  mot  qui  justifieroit  d'à' 
bord  :  une  autre  foi^  U  faut  dire  da  bien  de  soi.  Il 
fiiut  consentir  à  se  trouver  foible,  inquiet,  irrésolu 
sur  une  bagatelle  ;  à  montrer  des  dépits  de  petit  en- 
fant} à  choquer  ses  amis  par  sa  sécheresse }  à  deve- 
nir jaloux  et  défiant  sans  nulle  raison  ;  même  à'dire 
ses  jalousies  les  plus  sottes  à  ceux  contre  qui  on  les 
éprouve;^  parler  avec  patience  et  ingénuibéà  certaises 
gens,  contre  leur  goiit  et  contre  le  sien  propre,  saBS 
fruit  j  h  parottre  artificieux  et  de  mauvaise  foi;  tnut^ 
à  se  trouver  soi-même  sec ,  languissant,  dégoâté  de 
Dieu ,  dissipé  et  si  éloigné  de  tout  sentimentde  grice» 


qu'on  e9t  Cenlif  de  tomber  dans  le  détespoir.  Voilà 
des  exemples  de  ces  dépoùiUemeiit  in  (tfnenn,  qui 
me  viennent  màîolenant.dans  l'esprit ,  mais  il  7  eo  « 
une  infinité  d'antres  que  Dieu  assaisonne  à  chacun 
selon  ses  desseins.. 

Qu'on  ne  me  dise' point  que  ce  sont  des  imagina** 
tfons  oreoses.  Peut^on  douter  qne  Dieu  n'agisse  im* 
médiatement  dans  les  âmes?  Peut^on  douter  qu*il  n'j 
agisse  pour  les  faire  mourir  à  elles-mêmes?  Penl-on 
douter  que  Dieu,  après  avoir  arraché  les  passions 
grossières  y  n  afttaque  au  dedans  tons  les  retours  sub- 
tik  de  Famour-propre >  surtout  dfns  les  âmes  qui  se 
sont  livrées  généreusement  et  sans  réserve  à  l'esprit 
de  grâce?  Plus  il  veut  les  purifier ,  plus  il  les  éprouve 
intérieurement.  Le  monde  n*a  point  d'yrua  pour, 
voir  ces  épreuves^  ni  d*oreilles  pour  les  entendre  ;• 
mais  le  monde  est  aveugle;  sa  sagesse  n'est  que  mort; 
elle  ne  peut  compatir  avec  l'Esprit  do  vérité,  /'n'y 
a  fue  l'Esprit  de  I}ieH^  comme  dit  l'Apôlre  (O9  qHi 
puisse  pénétrer  les  pro/bmleurs  de  Dieu  même. 

Dans  les  commencemens,  on  n^est  point  encore  ac- 
coutumé à  cette  conduite  du  dedans,  qui  va  à  nous 
dépouiller  par  le  fond.  On  v^ut  bien  se  taire,  être  re- 
cueilli, souffrir  tout,  se  laisser  mener  au  cours  de  la 
Providence,  comme  un  homme  qui  se  laisseroit  por^ 
ter  par  le  courant  d'un  fleuve  ;  mais  on  n'ose  encore 
se  hasarder  à  écoutei*  la  voix  intérieore  pour  les  sa*' 
crificesque  Dieu  prépare.  On*  est  comme  l'enfaDt  Sa- 
muel, qui  n'étoit  point  encore  accoutumé  aux  com- 
munications du  Seigneur.  Le  Seignenr  l'appeloit , 
il  croyoit  que  e'étoit  Héli  W.  UHi  dtsoit  r  Mon  en- 

{•)  ICor.  II.  10,  II.  ^  »  /  Meg,  m.  4f  0^- 


348  I>B   1^   PAROLE   IHITÉftlBOAK. 

fiiQt,  VOUS  avez  rêvé,  personne  ne  vous  parle.  Tout 
de  mêoie  on  ne  sait  si  c*est  quelque  imaginalîon  qut 
QOQS  pousseroii  trop  loio.  Souvent  le  grand-prétre 
Uëli,  c*e8l-à*dire  les  conducteurs  nous  disent  que 
nous  avons  rêvé,  et  que  nous  demeurions  en  repos. 
Mais  Dieu  ne  nous  y  laisse  point ,  et  nous  réveille 
jusqu'à  ce  que  nous  pi^éttons  Torcâlle  à  ce  qu'il  veat 
dire.  S*il  s  agissait  de  visions ,  d'apparitions,  de  rêvé» 
lations,  de  lumières  extraoïtiinatres,  de  miracles,  de 
conduite  contraire  aux  senlknens  de  l'Église,  on  au- 
roit  raison  de  ne  s'y  arrêter  pas.  Mais  quand  Dieu 
nous  a  menés  jusqu'à  un  ceiiain  point  de  détache- 
ment, et  qu'ensuite  nous  avons  une  conviction  inté- 
rieure qu'il  veut  encore  certaines  choses  innocentes  , 
qui  ne  vont  qu'à  devenir  plus  simples ,  et  qu'à  mou- 
rir plus  profondément  à  nous-mêmes ,  y  a-t-ôl  de  l'il- 
lusion à  suivre  ces  mouvemens?  Je  suppose  qu'on  ne 
les  suit  pas  sans  un  bon  conseiL  La  répugnanœ  que 
notre  sagesse  et  notre  amom'-propre  ont  à  suivre  ces 
mouvemens  marque  assez  qu'ils  sont  de  grâce  ;  car 
alors  on  voit  bien  qu'on  n'est  retenu  contre  ces  mou- 
vemens, que  par  quelque  sensibilité  et  quelque  re- 
tour sur  soi-même.  Plus  on  craint  de  faire  ces  choses, 
plus  on  en  a  besoin  y  car  c'est  une  crainte  qui  ne  vient 
que  de  délicatesse ,  de  défaut  de  souplesse ,  et  d'at- 
tachement ou  à  ses  goûts  pu  à  ses  vues.  Or  il  faut 
mourir  à  tous  â^.sentimens  de  vie  naturelle.  Ainsi 
tout  prétexte  de  reculer  «est  ôté  pai*la  conviction  qui 
est  au  fond  du  cœur ,  qu'elles  aideront  à  nous  faire 
mourir. 

La  souplesse  ^t  la  promptitude  pour  céder  à  ces 
mouvemens  est  ce  qui  avance  le  plus  les  âmes.  Celles 


DE    LA    FAAOLE    IHTÉRIEUAE.  349 

<]ui  ont  assez  de  gëbérosité  pour  n'hésiter  jamais  font 
bientôt  on  progrès  incroyable.  Les  autres  raisonnent» 
et  ne  manquent  jamais  de  raisons  pour  se  dispenser 
<le  faire  ce  qu'elles  ont  au  cœur  :  elles  veulent  et  ne 
veulent  pas  ;  elles  attendent  des  certitudes;  elles  cher^ 
client  des  conseils  à  leur  point,  qui  les  déchargent 
de  ce  qu'elles  craignent  de  faire;  à  chaque  pas  elles 
s'arrêtent  et  regardent  en  arrière  ;  elles  languissent 
dans  l'irrésolution  ^  et  éloîgnetit  insenstbleanent  l'Es* 
prit  de  Dieu.  D'abord  elles  le  conirialent  par  lents 
bésitations  ;  pats  elles  Tirritent  pi|r  des  résistances 
formelles  ;  enfin  elles  l'éteignant  par  ces  réai«(taiicf8 
réitérées.  -         :  i    . 

Quand  on  résiste,  on  trouve  des  prétextes  ponr 
<:oavrir  sa  ràistance  et  pour  l'autoriser;  mais  ioseo- 
siblement  on  se  dessèche  spi*méme  ;  on  perd  la  sija- 
plicité ;,  et,  quelque  effi>rt  qu'on  fassie  pqur  âe  trom- 
per, on  n'est  point  en  paix;  il  y  a  toujoi9*s  dans  le 
fond  de  la  conscience  un  je  ne  sais  quoi  qui  repror 
che  qu'on  a.  manqué  à  Dieu.  Mais  comme  Dieu 
s'éloigne,  parce  qu'on  s'est  éloigné  de  lui,  l'ame  s'en- 
durcit peu  à  peu.  EUe  n'est  plus  en  paix  ;  mais  elle 
ne  cherche  point  la  vraie  paix;  au  contraire ^i elle 
s'en  éloigne  de  plus  en  plus  en  la  cherchant  où  elle 
n'est  pas.  C'est  comme  un  os  qui  est  di^iboSté,  et  qui 
fait  toujours  uœ  douleur  secrètei;  piais  qupiqa'il 
soit  daps  un  état  violent  hors  d^  sa  placç,  il  ne  tend 
.point  à  y  rentrer;  tout  au  contraire,  il  s'aflfarniit 
dans.ss^  mauvaise  situatifHi.  Q  qu'une,  ame  est  digoie 
de  pitié  lorsqu'elle  commence  à  rejeter  les  invita- 
tion^ ^crêtes  de*Di^u  qui,  demande  qu'elle  meure  à 
tout  !  D'abord  ce  n'est  qu*un  atome  ;  mais  cet  atome 


33o  m  LA    l»AEOLB    IBTÉAIEUaK. 

devieal  oae  montagne  ^  et  forme  bientôt  one  espèoi 
de  chaos  impénétrable  entra  Dieu  et  elle*  On  fait  k 
ioard  quand  Dieu  demande  uue^  petite  aimplictté: 
on  craint  de  Tentendre }  on  votidrott  bien  pouvoir  s« 
dire  à  soi-même  qu'on  ne  Ta  fuis  entendu  ;  on  se  ie 
dit  même ,  mais  on  ne  ae  le  persuade  pas.  On  s'em- 
brouille,  on  doute  de  tout  oe  qu*on  a  éprouve;  el 
les  grâces  qui  avoient  le  plus  servi  &  nous  rendre 
sihiples  et  petits  dans  la  main  de  Dieu ,  eommencent 
k  paroltre  comme  des  iltusiotis»  On  cherche    au 
dehors  des  autorités  de  directeurs  p6ur  apaiser  les 
troubles  du  dedans  ;  on  ne  manque  pas  d'en  trouver, 
car  il  y  en  a  tant  qui  ont  peu  d'expérience,  mén^e 
«vecbeuucoop  de  savoir  et  de  piébtf  !  En  ûH  état ,  plus 
on  v«ut  se  guérir,  pies  on  se  fait  malade.  On  est 
eomme  un  cerf  qui  est  blessé,  et  qui  pofte  dans  ses 
flattes  le  trait  dont  il  est  i)ercé',  plus  11  ^agite  au  tra- 
vers 4e$  forêts  pbur  s'en  délivrer;  plu^  il  renfonce 
dans  soù .  corps.  Hélas  !  9111  est  ôëlui  tpii  a  rihisté  à 
Dieu  m  ^i  a  eu  la  paix  (0  ?  Dieu ,  qui  est  lui  seu  1  la 
paix  véritable  y  peut^il  laisser  tranquille  nu  cosur  qui 
s'oppose  à  ses  desseins?  Alors  on  est  comme  les  per- 
Bénnes  qui  ont  une  maladie  iticonnue.  Tous  les  mé- 
decins emploient  leur  art  à  les  soulager,  et  rien  ne 
las  soulage.  Vous  les  voyéc  tristes,  abattus,  languîs- 
saus  :  il  n'y  a  ni  aliment  ni  remède  qui  puisse  leur 
fiâireâUCttù  bien  ;  ils  dépérissent  chaque  fbtir.'Fauc- 
11  s'étonner  qu'yen  s'égarant  de  son  irék  éhemfn  ôti 
aille  hors  de  tôMt  foute,  s^égàrant  sàtos'  cesse  de 
plu^enpTus? 
Mais,  dlri^vous,  leé  dottiiiiencêmens  de  tous  ces 


»  «  ' 


os   LA    WJLKOLK    IBTÉlilBUAB.  35 1 

nuilhenra  ne  sont  rien  :  il  est  vrai ,  mais  les  snitet  en 
sont  funestes.  On  ne  vouloit  rien  réserver  dans  le  sa- 
crifice ^'on  faisoit  à  Oleo  ;  c'est  ainsi  qu'on  éixÀt 
disposé  en  regardant  les  choses  de  loin  confosëméni  : 
mais  ensuite,  quand  Dieu  nous  prend  au  mot,  et  ac^ 
cepte  en  détail  nos  ofifras ,  qn  sent  mille  répugnances 
tiis-fortes  dont  oti  ne  se  défioit  pas.  Le  courage 
manque^  les  vains  prétextes  viennent  flatter  un  coeur 
finble  et  ébranlé  :  d'abord  on  retarde,  et  on  doute  sî 
on  doit  suivre  ;  puis  on  ne  fiiit  que  la  moitié  de  o^ 
que  Dieu  demandé;  on  y  mêle  avec  l'opération  di^ 
vine  un. certain  mouvement  propre  et  des  inanière» 
naturelles ,  pour  conserver  quelque  ressource  à  ce 
fond  corrompu  qui  ne  veut  point  mourir.  Dieu ,  )a«# 
loox,  se  refroidit.  L'ame  commence  à  vouloir  fermer 
les  yeux ,  pour  ne  pas  voir  plus  qu'elle  n'a  le  conrag^ 
de  fiiire.  Dieu  la  laisse  à  sa  foiblesse  et  à  sa  lâcheté , 
puisqu'elle  veut  y  être  laissée.  Mais  ebmprenes  com^ 
bien  sa  faute  est  grande.  Plus  elle  a  reçu  de  Dieu , 
plus  elle  doit  lui  rendre.  Elle  a  reçu  un  amour  pré- 
venant et  des  grâces  singulières  \  elle  a  goûté  le  don 
de  l'amdtir  pur  et  désintéressé^  que  tant  d'ames^ 
d'ailleurs  très* pieuses,  n'ont  jaibais  senti.  Dieu  n'a 
rien  ménagé  pour  la  posséder  toute  entière»  Il  esS 
devenu  Tépoux  intérieur;  il  a  pris  soin  défaire  tout 
danff  son  épouse  ;  mais  il  est  infiniment  jaloux  :  mais 
ne  vous  étonnez  pas  des  rigtfeurs:  de  sa  jalousie.  De 
quoi  est^l  donc  si  jaloux?  Estnce  des  talensi,  des 
Innûères,  de  la  régularité  des  vertus  «stérieurea? 
Non;  il  est  condescendant  et  facile  sur  toutes  oei 
choses.  L'amour  n'est  [aloux  que-sur  l'alnour;  toute 
sa  délicatesse  ne  tombe  qne  sur  la  droiture  de  la  vô^ 


35a  DB  LA  rànoLE  istérieube. 

lonté.  Il  ne  peut  souffrir  aucun  partage  du  cœnr  de 
Tëpouse ,  et  il  souffre  encpre  moins  tous  les  prétextes 
dont  réponse  cherche  à  se  tromper  pour  excuser  le 
partage  de  son  coeur.  Voilà  ce  qui  allume  le  feu  dé- 
vorant de  sa  jalousie.  Tant  que  Tamour  pur  et  in- 
génu vous  conduira  y  ô  épouse,  Tépoux  supportera 
avec  une  patieno^  sans  bornes  tout  ce  que  vous 
ferez  d'irrégulier,  par  mëgarde  ou  par  fragilité, 
sans  préjudice  de  la  droiture  de  votre  cœur  :  mais 
dès  le  moment  que  votre  amour  refusera  quelque 
chose  à  Dieu ,  et  que  vous  voudres  vous  tromper 
vous-même  dans  ce  refus,  Fépoox  vous  regardera 
comme  une  épouse  infidèle  qui  veut  couvrir  son  in- 
fidélité. 

Combien  drames,  après  de  grands  sacrifices,  tom- 
bent dans  ces  résistances!  La  fausse  sagesse  cause 
presque  tous  ces  malheurs.  Ce  n*est  pas  tant  pour 
n'avoir  pas  assez  de  courage»  que  pour  avoir  trop  de 
caison  humaine  qu'on  s'arrête  dans  cette  course.  II 
est  vrai  que  Dieu,  quand  il  a. appelé  les  âmes  à  cet 
état  de  sacrifice  sans  réserve^  les  traite  h  proportion 
des  dons  ineffables  dont  il  les  a  comblées,  f  1  est  in- 
satiable de  mort,  de  perte ^  de  renoncement;  il  est 
même  jaloux  de  ses  dons,  parce  que  Texcellence  de 
ses  dons  nourrit  en  nous  secrètement  une  certaine 
confiance  propre.  Il  faut  que  tout  soit  détruit,  que 
tout  périsse.  Nous  avons  tout  donné  :.^Dieu  veut  nous 
ftter.tout;;  et  en  effet  il  tie  nous  laisse  rien.  S'il  y  a 
encore:  la  moindre  chose  à  laquelle  nous  tenions,  si 
bonne  qu'elfe  paroisse >  cest  celle-là qu il  vient,  le 
glaive  :en  main^  couper  jusqu'au  dernier  repK  de 
notre  cœur.  S  nous  craignons  encore  par  quelque 

endroit. 


DB   LA    PAROLE    INTÉRIEURE.  353 

endroit,  cest  cet  endroit  par  oik  il  vient  nous  pren- 
dre ;  car  il  nous  prend  toujours  par  l^endroit  le  plus 
foible.  Il  nous  pousse  sans  nous  laisser  jamais  res- 
pirer. Faut*il  s*en  étonner?  Peut-on  mourir  tandis 
qu'on  respire  encore?  Nous  voulons  que  Dieu  nous 
donne' le  coup  de  la  mort;  mais  nous  voudrions 
mourir  sans  douleur;   nous  voudrions   mourir  à 
toutes  nos  volontés  par  le  choix  de  notre  volonté 
même  ;  nous  voudrions  tout  perdre ,  et  retenir  tout. 
Hélas!  quelle  agonie,  quelles  angoisses ,  quand  Dieu 
nous  mène  jusqu'au  bout  de  nos  forces!  On  est  entre 
ses  mains  comme  un  malade  dans  celles  d*un  chi- 
rurgien qui  fait  une  opération  douloureuse;   on 
tombe  en  défaillance.  Mais  cette  comparaison  n'est 
rien;  car,  après  tout,  l'opération  du  chirurgien  est 
pour  nous  faire  vivre ,  et  celle  de  Dieu  pour  nous 
faire  réellement  mourir. 

Pauvres  âmes!  âmes  foibles!  que  ces  derniers  coups 
vous  accablent!  L'attente  seule  vous  fait  frémir,  et 
retourner  en  arrière.  Combien  y  en  a-t-il  qui  n'a- 
chèvent point  de  traverser  l'affreux  désert!  A  peine 
deux  ou  trois  verront  la  terre  promise.  Malheur  à 
celles  de  qui  Dieu  attendoit  tout ,  et  qui  ne  remplis- 
sent point  leur  grâce!  Malheur  à  quiconque  résiste 
intérieurement!  Etrange  péché ,  que  celui  de  pécher 
contre  le  Saint-Esprit!  Ce.  péché,  irrémissible  en 
ce  monde  et  en  l'autre,  n'est-ii  pas  celui  de  résister 
à  l'invitation  intérieure?  Celui  qui  y  résiste  pour  sa 
conversion  sera  puni  en  ce  monde  par  le  trouble , 
et  en  l'autre  par  les  douleurs  de  l'enfer.  Celui  qui  y 
résiste  pour  mourir  sans  réserve  à  lui-même,  et  pour 
se  livrer  à  la  grâce  du  pur  amour,  sera  puni  en  ce 
Fénélok.  xviii.  a3 


354  ^*   ^^    PABOLE   iMTÉAMUftB. 

monde  par  les  remords,  el  en  Taulre  par  le  feu  ven- 
geur du  purgatoire.  Il  &at  faire  son  purgatoire  en 
ce  monde  ou  en  l'autre ,  ou  par  le  martyre  intérieur 
du  pur  amour,  ou  par  les  tôormens  de  la  jostice 
divine  après  la  mort.  Heureux  celai  qui  n^liësite 
jamais,  qui  ne  craint  que  de  ne  suivre  pas  asses 
promptement ,  qui  aime  toujours  mieux  faire  trop 
que  trop  peu  contre  lui-même!  Heureux  celui  qui 
présente  hardiment  toute  Fétoffe  dès  qu'on  lui  de- 
mande un  échantillon,  et  qui  laiase  tailler  Dieu  en 
plein  drap!  Heureux  celui  qui,  ne  se  comptant  pour 
rien,  ne  met  jamais  Dieu  dans  la  nécessité  de  le 
ménager!  Heureux  celui  que  tout  ceci  n'effi^ie 
point! 

On  croit  que  cet  état  est  horrible;  on  se  trompe , 
on  se  trompe  :  c'est  là  qu  on  trouve  la  paix ,  la 
liberté ,  et  que  le  cœur,  détaché  de  tout ,  s'élargit 
sans  bornes,  en  sorte  qu'il  devient  immense;  rien 
ne  le  rétrécit;  et  selon  la  promesse  il  devient  une 
même  chose  avec  Dieu  même. 

O  mon  Dieu,  vous  seul  pouves  donner  la  paix 
qu'on  éprouve  en  cet  état-là.  Plus  Tame  se  sacrifie 
sans  ménagement  et  sans  retour  sur  elle-même ,  plus 
elle  est  libre.  Tandis  qu  elle  n'hésite  point  à  tout 
perdre  et  à  s'oublier,  elle  possède  tout.  H  est  vrai 
que  ce  n'est  point  une  possession  réfléchie,  en  sorte 
qu'on  se  dise  à  soi-même  :  Oui ,  je  suis  en  paix,  et  je 
vis  heureux;  car  ce  seroit  trop  retomber  sur  soi,  et 
se  chercher  après  s'être  quitté  :  mais  c'est  une  image 
de  l'état  des  bienheureux ,  qui  seront  à  jamais  ravis 
en  Dieu,  sans  avoir  pendant  toute  Tétemité  un 
instant  pour  penser  à  eux-mêmes  et  à  leur  bonheur. 


DE    LÀ    PAROLE    INtÉHlEURE.  355 

Ik  ^ont  si  heui^ux  dans  ce  transport,  qu'Us  seront 
heureux  éternellement,  sans  se  dire  à  eux-mêmes 
qu*ils  ibuissent  dé  ce  bonheur. 

Vous  faites,  ô  époux  des  àrùes,  éprouver  dès  cette 
vie  aut  âmes  qui  ne  vous  i^sist#nt  jamais,  un  avant- 
goût  de  cette  félicité.  On  ne  veut  rien ,  et  on  veué 
tout.  Gomme  il  D*y  a  que  la  créature  qui  borne  le 
cœur,  le  cœur  n^étant  jamais  resséiVé  tii  par  ratta- 
chement aux  créatures,  ni  par  le  retour  sur  lui- 
même,  il  entre  pour  ainsi  dire  dans  votre  immen- 
sité. Rien  ne  Tarrête;  il  se  perd  toujours  en  vous  de 
plus  en  plus  :  mais  quoique  sa  capacité  croisse  à 
rinfini,  vous  le  remplisses  tout  entier;  il  est  tou- 
jours rassasié.  Il  ne  dit  point  :  Je  suis  heureux;  car 
il  ne  se  soucie  point  de  l*6tre  ;  s*il  s*en  soucioit,  il  ne 
le  seroit  plus;  il  s*aiifnet*oi(  encore.  Il  ne  possède 
point  son  bonheur,  mais  son  bonheur  le  poàsède. 
En  quelque  moment  qu^on  le  prerine,  et  qu'on  lui 
demande  :  Voulez-vous  soiifirir  ce  que  vous  soufTfez? 
voadrîez-vous  avoir  ce  que  vous  n'avez  pas?  il  ré- 
pondra sans  hésiter,  et  sans  se  cûtistilter  soi-même  i 
Je  veux  souflHr  ce  que  je  souffre,  et  n*avoir  point  ce 
que  je  n'ai  pas;  je  veux  tout,  je  ne  veux  rien. 

Voilà,  mon  Dieu,  la  vraie  et  pure  adoration  en 
esprit  et  en  vérité.  Vous  cherchez  de  tels  adora- 
teurs ;  mais  vous  n'en  trouvez  guère.  Presque  tous 
se  cherchent  eux-mêmes  dans  vos  dons,  au  Heu  de 
vous  chercher  tout  seul  dans  la  croix  et  dans  le  dé- 
poailleihent.  On  veut  vous  tfonduire,  au  lieu  de  se 
laisser  conduire  par  vous.  On  se  donne  h  vous  pour 
devenir  grdnd;  mais  on  se  refuse  dès  qu'il  faut  se 
laisser  appetisser.  On  dit  qcf  on  ne  tient  à  rien  ;  et  od 


356  UTILITÉ    DBS   PEIUBS 

est  effrayé  par  les  moindres  pertes.  On  vent  vous 
posséder;  mais  on  ne  veut  point  se  perdre  poor  être 
possédé  par  vous.  Ce  n'est  pas  vous  aimer;  c'est 
vouloir  être  aimé  par  vous.  O  Dieu,  la  créatare  ne 
sait  point  pourquoi  ^vons  l'aves  faite  :  apprenes-le- 
lui  y  et  imprimez  au  fond  de  son  cœur  que  la  boue 
doit  se  laisser  donner  sans  résistance  toutes  les  for- 
mes qu'il  platt  à  l'ouvrier. 

•  « 

XXIII. 

Utilité  des  peines  et  des  délaissemens  intérieurs. 
N*aimer  ses  amis  quen  Dieu  et  pour  Dieu. 

Dieu  y  qui  parott  si  rigoureux  aux  âmes,  ne  leur 
fait  jamais  rien  souffrir  par  le  plaisir  de  les  faire  souf- 
finr.  Une  lesiaet  en  souffrance  que  pour  les  pnri* 
fier.  La  rigueur  de  l'opération  vient  du  mal  qu'il 
faut  arracher  :  il  ne  feroit  aucune  incision  si  tout 
étoit  sain  ;  il  ne  coupe  que  ce  qui  est  mort  et  nioâre. 
Cest  donc  notre  amour-propre  corrompu  qui  fait 
nos  douleurs  :  la  main  de  Dieu  nous  en  fait  le  moins 
qu'elle  peut.  Jugeons  combien  nos  plaies  sont  pro- 
fondes et  envenimées  y  puisque -Dieu  nous  épargne 
tant,  et  qu'il  nous  fait  néanmoins  si  violemment 
souffrir. 

De  même  qu'il  ne  nous  Eût  jamais  souflSrir  que 
pour  notre  guérison ,  il  ne  nous  ôte  aussi  aucun  de 
ses  dons  que  pour  nous  le  rendre  au  centuple.  Il 
nous  ôte  par  amour  tous  les  dons  les  plus  pw*s  que 
nous  possédons  impui:emeut.  Plus  les  dons  sontf^un. 


ET    DBS   DÉLÂISSEK£IfS    IIITÉ&IEXIES.  35 7 

plus  il  est  jaloax ,  a6n  qne  nous  les  conservions  sanls 
noas  les  approprier  et  sans  nous  les  rapporter  jamais 
à  nous-mêmes.  Les  grâces  les  plus  ëminentes  sont 
les  phis  dangereux  poisons  si  nous  j  prenons  quel- 
que appui  et  quelque  complaisance.  Cest  le  pëchë 
des  mauvais  anges.  Ils  ne  firent  que  regarder  leur  . 
état,  et  s'y  complaire  ;  les  voilà  dans  Finstant  même 
précipites  du  ciel  et  éternels  ennemis  de  Dieu. 

Cet  exemple  fait  voir  combien  les  hommes  s'en- 
tendent peu  en  péchés.  Celui-là  est  le  plus  gi*and  de 
tous  ;  cependant  il  est  bien  rare  de  trouver  des  âmes 
assez  pures  pour  posséder  purement  et  sans  propriété 
le  don  de  Dieu.  Quand  on  pense  aux  jgrâces  de  Dieu, 
c*est  toujours  pour  soi ,  et  c*est  Tamour  du  moi  qui 
fait  presque  toujours  une  certaine  sensibilité  qu'on 
a  pour  les  grâces.  On  est  contristé  de  se  trouver  foi- 
ble  ;  on  est  tout  animé  quand  on  se  trouve  fort  ;  on 
ne  regarde  point  sa  perfection  uniquement  pour  la 
gloire  de  Dieu^comme  on  regarderoit  celle  d'un  autre. 
On  est  contristé  et  découragé  quand  le  goût  sensible 
et  quand  les  grâces  aperçues  échappent  :  en  un  mot, 
c*est  presque  toujours  de  soi  et  non  de  Dieu  qu*i]  est 
question. 

De  là  vient  que  toutes  les  vertus  aperçues  ont  be- 
soin d*étre  purifiée^,  parce  qu'elles  nourrissent  la 
vie  naturelle  en  nous.  La  nature  corrompue  se  fait 
un  aliment  très-subtil  des  grâces  les  plus  contraires 
à  la  nature  :  Tamour-propre  se*  nourrit ,  non-seule- 
ment d'austérités  et  d'humiliations,  non-seulement 
d'oraison  fervente  et  de  renoncement  à  soi,  mais 
encore  de  l'abandon  le  plus  pur  et  des  sacrifices  les 
plus  extrêmes.  C'est  un  soutien  infini  que  de  penser 


3S8  UTILlTt   DES    rWXMMS 

qu*on  n'est  plus  soutena  de  rien ,  et  ({n'on  ne  cesse 
point ,  dans  cette  épreuve  horrible ,  de  s'abandonner 
fidèlement  et  sans  réserve.  Pour  consommer  le  sacri- 
fice de  purification  en  nous  des  dons  de  Dieu»  il 
fj|ut  donc  achever  de  détruire  Tholocauste  ;  il  faut 
tout  perdre,  même  Tabandon  aperçu  par  lequel 
on  se  voit  livré  à  sa  perte. 

On  ne  trouve  Dieu  seul  purement  que  dans  cette 
perte  apparente  de  tous  ses  dons ,  et  dans  ce  réel  sa- 
crifice de  tout  soi-même  I  après  avoir  perdu  toute 
ressource  intérieure.  La  jalousie  infinie  de  Dieu  ifous 
pousse  jusque  là,  et  notre  amour- propre  le  met ,  pour 
ainsi  dire ,  dans  cette  nécessité ,  parce  que  nous  ne 
nous  perdons  totalement  en  Dieu,  que  quand  tout  le 
reste  nou^  roanque-C'est  comme  un  homme  qui  tombe 
dans  un  abîme  ;  il  n'achève  de  s'y  laisser  aller  qu'après 
que  tous  les  appuis  du  bord  lui  échappent  des  mains. 
L'amour-propre,  que  Diei^précig^te,  se  prend  dans 
son  désespoir  à  toutes  Ips  ombres  de  grâce ,  comme 
un  homi^e  qui  se  i^oie  se  prend  à  toutes  les  ronces 
qu'il  trouve  en  tombant  dans  l'eau. 

Il  faut  donc  bien  comprendre  la  nécessité  de  cette 
soustraction  qui  se  fait  peu  à  peu  en  nous  de  tous 
les  doQS  divins.  Il  n'y  a  pas  un  seul  don,  si  émanent 
qu'il  soit ,  qui ,  après  avoir  été  un  moyen  d'avance- 
ment, ne  devienne  d'ordinaire  pour  la  suite  un  pi^e 
et  un  obstacle  par  les  retours  de  propriété  qui  salis- 
sent l'ame.  De  là  vieqt  que  Dieu  ôte  ce  qu'il  avoit 
donné.  Mais  il  ne  l'ôte  pas  pour  en  priver  toujours; 
il  l'ôte  pour  le  mieux  donner,  et  pour  le  rendre  sans 
l'impureté  de  cette  appropriation  tnalîgne  que  nous 
en  faisons  sans  nouç  en  apercevoir.  La  perte  du  don 


BT    DBS    DéLAUSBMEirS  INTÉAIEUES.  iSg 

sert  à  eu  ôter  la  propriété  ;  el ,  la  propriété  étant 
ôtée,  le  don  est  rendu  au  centuple.  Alors  le  don 
D*est  plus  don  de  Dieu  ;  il  est  Dieu  même  à  Tame. 
Ce  n'est  plos  don  de  Dieu  ;  car  on  ne  le  regarde  plus 
comme  quelque  chose  de  distingué  de  lui  et  que 
Famé  peut  posséder  :  c*est  Dieu  lui  seul  immédiate*- 
ment  qu'on  regarde  ^  et  qui ,  sans  être  possédé  par 
Tame,  la  possède  selon  tous  ses  bons  plaisirs. 

La  conduite  la  plus  ordinaire  de  Dieu  sur  les  âmes 
est  donc  de  les  attirer  d'abord  à  lui  pour  les  détacher 
du  monde  et  des  passions  grossières,  en  leur  faisant' 
go&ter  toutes  les  vertus  les  plus  ferventes  et  la  dou- 
ceur du  recueillement.  Dans  ce  premier  attrait  sen* 
sible ,  tonte  Famé  se  tourne  à  la  mortification  et  à 
Foraison.  Elle  se  contrarie  sans  cesse  elle-même  en 
tout;  elle  se  déprend  de  toutes  les  consolations  ex- 
térieures; et  celles  de  l'amitié  sont  aussi  retranchée», 
parce  qu'elle  y  ressent  l'impureté  de  l'amour-propre 
qui  rapporte  les.  amis  k  soi.  Il  ne  reste  plus  que  les 
amia  auzquelsonestlié  par  conformité  de  sentimens, 
OU' ceux  qu'on  cultive  par  charité  ou  par  devoir  : 
tout  le  reste  devient  à  charge;  et  si  on  n*en  a  pas 
perdu  le  goftt  naturel ,  on  se  défie  encore  davantage 
de  leur  amitié  lorsqu'ils  ne  sont  pas  dans  le  même 
goût  de  piété  oh  l'on  est. 

Il  y  a  beaucoup  d'ames  qui  ne  passent  jamais  cet 
état  de  ferveur  et  d'abondance  spirituelle  :  mais  il  y 
en  a  d'autres  que  Dieu  mène  plus  loin ,  et  qu'il  dé- 
pouille par  jalousie  après  les  avoirrevêtues  et  ornées. 
Celles*là  tombent  dans  un  état  de  dégoût,  de  séche- 
resse et  de  langueur  où  tout  leur  est  à  charge.  Biea 
loin  d'être  sensibles  à  l'amitié,  l'amitié  des  personnes* 


36o  OTIUTÉ  DBS    PEINES 

qu  elles  goùtoîent  le  plas  autrefois  lear  devient  im- 
portoDe.  Une  ame  en  cet  ëtat  sent  que  Dieu  et  tons 
ses  dons  se  retirent  d'elle.  Cest  pour  elle  un  ëtat 
d'agonie  et  une  espèce  de  désespoir  :  on  ne  peut  se 
supporter  soi-même  ;  tout  se  tourne  à  dégoût.  Diea 
arrache  tout ,  et  le  goût  des  amitiés  comme  tout  le 
reste.  Faut-il  s'en  étonner  ?  il  ôte  même  le  goût  de 
son  amour  et  de  sa  loi.  On  ne  sait  plus  où  l'on  en  est; 
le  cœur  est  flétri  et  presque  éteint  :  il  ne  sauroit  rien 
aimer.  L'amertume  d'avoir  perdu  Dieu ,  qu'on  avoit 
senti  si  doux  dans  sa  ferveur,  est  une  absinthe  ré- 
pandue sur  tout  ce  qu'on  avoit  aimé  parmi  les  créa- 
tures. On  est  comme  un  malade  qui  sent  sa  défiiillance 
faute  de  nourriture,  et  qui  a  horreur  de  tous  les  ali- 
mens  les  plus  exquis.  Alors  ne  parlez  point  d'amitié; 
le  nom  même  en  est  a£Ëigeant,et  ferait  venir  les  lar- 
mes aux  yeux  :  tout  vous  surmonte  ;  vous  ne  savez  ce 
que  vous  Voulez.  Vous  avez  des  amitiés  et  des  peines, 
comme  un  enfant ,  dont  vous  ne  sauriez  dire  de  rat- 
son  ,  et  qui  s*évanouissent  commet  un  songe  dans  le 
moment  que  vous  en  parlez.  Ce  que  vous  dites  de 
votre  disposition  vous  paroit  toujours  un  mensonge, 
parce  qu'il  cesse  d'être  vrai  dès  que  vous  commencez 
à  le  dire.  Rien  ne  subsiste  en  vous  ;  vous  ne  pouvez 
répondre  de  rien ,  ni  vous  promettre  rien ,  ni  même 
vous  dépeindre.  Vous  êtes  sur  les  sentimens  inté- 
rieurs, comme  les  filles  de  la  Visitation  sur  leurs 
cellules  et  sur  leurs  meubles  ;  tout  clmnge  ;  rien  n'est 
à  vous,  et  votre  cœur  moins  que  tout  le  reste.  On 
ne  sauroit  croire  combien  cette  inconstance  puérile 
appetisse  et  détruit  une  ame  sage ,  ferme  et  hautaine 
dans  sa  vertu.  Parler  alors  de  bon  naturel ,  de  ten- 


ET   DES   DÉLiklSSEXElfS   IHTÊEISXJAS.  36 1 

clresse,  de  générosité,  de  constance^  de  reconnois- 
sance  poar  ses  amis  »  à  une  ame  malade  et  agonisante, 
c'est  parler  de  danse  et  de  musique  à  un  moribond. 
Le  cœur  est  comme  un  arbre  desséché  jusqu'à  la 
racine. 

Mais  attendez  que  l'hiver  soit  passé ,  et  que  Dieu 
ait  fait  mourir  tout  ce  qui  doit  mourir,  alors  le  prin- 
temps ranime  tout.  Dieu  rend  l'amitié  avec  tous  les 
autres  dons  jusques  au  centuples  On  sent  renaître  au 
dedans  de  soi  ses  anciennes  inclinations  pour  les  vrais 
amis  :  on  ne  les  aime  plus  en  soi  et  pour  soi  ;  on  les 
aime  en  Dieu  et  pour  Dieu ,  mais  d'un  amour  vif, 
tendre ,  accompagné  de  goût  et  de  sensibilité  ;  car 
Dieu  sait  bien  rendre  la  sensibilité  pure.  Ce  n'est  pas 
la  sensibilité^  mais  l'amour- propre,  qui  corrompt 
nos  amitiéf.  Alors  on  se  livre  sans  scrupule  à  cette 
chaste  amitié,  parce  que  c'est  Dieu  qui  l'imprime; 
on  aime  au  travers  de  lui  sans  en  être  détourné  ;  c'est 
lui  qu'on  aime  dans  ce  qu'il  fait  aimer. 

Dans  cet  ordre  de  providence ,  qui  nous  lie  à  cer- 
taines gens.  Dieu  nous  donne  du  goût  pour  eux  ;  et' 
nous  ne  craignons  point  de  vouloir  être  aimés  par 
ces  personnes,  parce  quecelui  qui  imprime  ce  désir 
rimprime  très-purement  et  sans  aucun  retour  de  pro- 
priété sur  nous.  On  veut  être  aimé  comme  on  vou- 
droit  qu'un  autre  le  fût,  si  c'étoit l'ordre  de  Dieu.  On 
s'y  cherche  pour  Dieu,  sans  complaisance  et  sans 
intérêt  propre.  Dans  cette  résurrection  de  l'amitié, 
comme  tout  est  sans  intérêt  et  sans  réflexion  sur  soi , 
on  voit  tous  les  défauts  de  son  ami  et  de  son  amitié, 
sans  se  rebuter.^         ^ 

Avant  que  Dieu  ait  ainsi  purifié  les  amitiés ,  les 


36a  OTtLlTÊ   DES    PBUfES 

persoDDes  les  plus  pieuses  sont  délicates ,  jalouses, 
épineuses  pour  leurs  meilleurs  amis  ;  parce  que  Ta- 
monr-propre  craint  toujours  de  perdre^  et  veut  tou- 
jours gagner  dans  le  commerce  même  qui  paroU  le 
plus  ge'néreux  et  le  plus  désintéresse  :  s'il  ne  cherche 
ni  bien  ni  honneur  dans  Tami ,  du  moins  il  y  cher- 
che l'agrément  du  commerce ,  la  consolation  de  la 
confiance ,  le  repos  du  cœur,  qui  est  la  plus  grande 
dou(jpur  de  la  vie,  enfin  le  plaisir  exquis  d'aimer  gé- 
néreusement et  sans  intérêt.  Otez  cette  consolation, 
troublez  cette  amitié  qui  semble  si  pure ,  l'amour- 
propre  est  désolé;  il  $e  plaint;  il  veut  qu'on  le  plai- 
gne ;  il  se  dépite  ;  il  est  hors  de  lui  :  c'est  pour  soi 
qu'on  est  fâché;  ce  qui  marque  que  c'est  soi-même 
qu'on  aimoit  dans  son  ami.  Mais  quapd  c'est  Dieu 
qu'on  y  aime ,  on  y  tient  fortement  et  sstb&  réserve  ; 
et  cependant  si  l'amitié  se  rompt  par  ordre  de  Dieu, 
tout  est  paisible  au  fond  de  l'ame  :  elle  n'a  rien  perdu  ; 
car  elle  n'a  rien  à  perdre  pour  elle  à  force  de  s'être 
perdue  elle-mêu^-  Si  elle  s'attriste  ^  c'est  pour  la 
personne  qu'elle,  aimoit ,  en  cas  que  cette  rupture 
lui  soit  nuisible.  La  douleur  peut  être  vive  et  amère, 
puisque  l'amîtié  étoit  très^sensible  ;  mais  c'est  une 
douleur  paisible  et  exempte  des  chagrins  cuisans  d'uo 
amour  intéressé. 

tl  y  a  encore  une  seconde  diffi^rence  à  remarquer 
dans  ce  changeaient  des  amitiés  par  la  grâce.  Tandis 
qu'on  est  encore  en  soi ,  on  n'aime  rien  que  pour 
soi  ;  et  l'homme  renfermé  en  lui-même  ne  peut  avoir 
qu'une  amitié  bornée  suivant  sa  mesure  :  c'est  tou- 
jours un  cœur  rétréci  dans  toutes  ses  afièctions  ;  et 
la  plus  grande  générosité  mondaine  a  toujours  par 


ET   PJBS   OiLAïaSEMEHS    IJITÉME0AS.  363 

quelque  endroit  des  bornes  étroites.  Si  la  gloire  de 
bien  aimer  mène  loin ,  on  s*arrétera  tout  court  dès 
qa*il  arrivera  ou  qu*cn  pourra  s*imaginer  que  cette 
gloire  sera  blessée.  Pour  les  âmes  qui  sortent  d'elles- 
mêmes,  et  qui  s'oublient  véritablement  en  Dieu,  leur 
amitié  est  immense  comme  celui  en  qui  elles  aiment. 
Il  n'y  a  que  le  retour  sur  nous  qui  borne  notre  cœur; 
car  Dieu  lui  a  donné  je  ne  sais  q|foi  d'infini  par  rap- 
port à  lui.  C'est  poui*quoi  Tame  qui  ne  s'occupe  point 
d'elle-même ,  et  qui  se  compte  en  tout  pour  rien , 
trouve  dans  ce  rien  l'immensité  de  Dieu  même  :  elle 
aime  sans  mesure,  sans  fin,  sans  motif  humain,  elle 
aime  parce  que  Dieu,  amour  immense,  aime  en 
elle. 

Voilà  l'état  des  apôtres,  qui  est  si  bien  exprimé  par 
saint  Paul.  Il  sent  tout  avec  une  pureté  et  une  viva- 
cité infinie;  il  porte  dans  son  cœur  toutes  les  églises; 
l'univers  entier  est  trop  borné  pour  ce  cœur  :  il  se 
ré|ooit  ;  il  s'afflige;  il  se  met  en  colère;  il  s'attendrit; 
son  cœnr  est  comme  le  siège  de  tontes  les  plus  fortes 
passions.  Il  se  fait  petit  ;  il  se  fait  grand';  il  a  l'auto- 
rité d^un  père  et  la  tendresse  d'une  mère  ;  il  aime  d'un 
amour  de  jalousie  ;  il  veut  être  anathème  pour  ses 
enfkns  :  tofis  ces  sentimens  lui  sont  imprimés;  et 
c'est  ainsi  que  Dieu  fait  aimer  les  autres  quand  on 
ne  s'aime  plus. 


364  coarms  lbobaeok  batubkixe 

XXIV. 

Contre  l'horreur  naturelle  des  privaMions    et  des 

dépouUlemens. 

Presque  tous  ceu^  qui  songent  à  servir  Dieu  n  y 
songent  qoe  pour  eux-mêmes.  Ils  songent  à  gagner, 
et  point  à  perdre  ;  à  se  consoler,  et  point  à  souflnr  ; 
à  posséder,  et  non  à  être  privés  ;  à  croître,  et  jamais 
à  diminuer  :  et  an  contraire  tout  Tonvrage  intérieur 
consiste  à  perdre,  à  sacrifier,  à  diminuer,  s*appè- 
tisser,  et  à  se  dépouiller  même  des  dons  de  Dieu, 
pour  ne  tenir  plus  qu*à  lui  seuL  On  est  sans  cesse 
comme  les  malades  passionna  pour  la  santé ,  qui  se 
tâtent  le  pouls  trente  fois  par  jour, et  qui  ont  besoin 
qu  un  médecin  les  rassure  en  leur  ordonnant  de  fré- 
queos  remèdes,  et  en  leur  disant  qulls  se  portent 
mieux.  Voilà  presque  tout  Tusage  que  Ton  fidt  d*nn 
directeur.  On  ne  fait  que  tournoyer  dans  un  petit 
cercle  de  vertus»  communes,  au-delà  desquelles  on  ne 
passe  jamais  généreusement  Le  directeur,  comme 
le  médecin,  flatte,  console,  encourage,' entretient 
•  la  délicatesse  et  la  sensibilité  sur  soi-même,  il  n*or- 
^  donne  que  de  petits  remèdes  bénins  et  qui  se  tour- 
nent en  habitude.  Dès  qu'on  se  trouve  privé  des  grâces 
sensibles  9  qui  ne  sont  que  le  lait  des  enfans,  on 
croit  que  tout  est  perdu.  C'est  une  preuve  manifeste 
qu*on  tient  trop  aux  moyens,  qui  ne  sont  pas  la  fin, 
et  qu'où  veut  toujours  tout  pour  soi.  Les  privations 
sont  le  pain  des  forts;  c'est  ce  qui  rend  l'ame  robuste, 


DES   PAIVATIOVS   ET   DES    DÉPOUILLBMBHS.       365 

quirarrache  à^éHe-mémey  qui  la  sacrifie  purement 
à  Dieu  ;  mais  on  se  désole  dès  qu'elles  commencent. 
On  croit  que  tout  se  renverse  quand  tout  commence 
à  s^ëtablir  solidement  et  à  se  purifier.  On  veut  bien 
que  Dieu  fasse  de  nous  ce  qu'il  voudra,  pourvu  qu'il 
en  fasse  toujours  quelque  chose  de  grand  et  de  par- 
fait. Mais  si  on  ne  veut  point  être  détruit  et  anéanti, 
jamais  on  ne  sera  la  victime  d'holocauste  dont  il  ne 
reste  rien ,  et  que  le  feu  divin  consume.  On  voudroit 
entrer  dans  la  pure  foi ,  et  garder  toujours  sa  propre 
sagesse;  être  enfant ,  et  grand  à  ses  propres  yeux. 
Quelle  chimère  de  spiritualité  ! 


Contre  VaUachement  aux  lumières  et  aux  goûts 

sensibles. 

Ceux  qui  ne  sont  attachés  à  Dieu  qu'autant  qu'ils 
y  godtent  de  plaisir  et  de  consolation  ,  ressemblent 
aux  peuples  qui  suivoient  Jésas-Christ ,  non  pour  sa 
doctrine,  mais  pour  les  pains  qu'il  multiplioit  mi- 
raculeusement «(0.  Ils  disent  comme  saipt  Pierre  : 
Seigneur  y  nous  sommes  bien  ici;  dressons  ^y  trots 
tabernacles:  mais  Us  ne  saluent  ee  qu'ils  disent  W. 
Après  s'être  enivrés  des  dpuceurs  du  Thabor,  ils 
méconnoissent  le  Fils  de  Dieu,  «t  refusent  de  le 
suivre  sur  le  Calvaire*  Non-seulement  ils  cherchent 
des  goûts,  mais  ils  veulent  encore  des  lumières; 
c'est-à-dire  que  l'esprit  est  curieux^e  voir^  pendant 

iO  Joan.  Ti.  96.  —  («)  Mare,  ix.  4»  5. 


360  coirraE  l* attacbbmevt 

que  le  oœar  reut  être  remué  par  le^tl^Dlimens  doni 
et  flatteurs.  Est-ce  moniir  à  soi  7  Est-ce  là  le  jusu 
de  saint  Paul  (0,  dont  la  fui  est  ta  vie  et  la  noiirri- 
tnre? 

On  Tondroit  «voir  des  lumières  extraonfinaires 
^i  marquassent  des  dons  surnaturel»  et  une  commih 
nication  intime  de  Dieu.  Rien  ne  flatte  tant  ramoar- 
propre.  Toutes  les  grandeurs  du  monde  mises  en- 
semble n*élèyent  pas  autant  un  cœur.  Cest  nne 
vie  secrète  qu'on  donne  à  la  nature  dans  les  dons 
surnaturels*  C'est  une  ambition  d'autant  plas  raffinée 
qu'elle  est  toute  spirituelle  ;  on  veut  sentir,  goàter, 
posséder  Dieu  et  ses  dons,  voir  sa  lumière,  pénéti^r 
les  cœurs,  connoître  l'avenir,  être  une  ame  toot 
extraordinaire  ;  car  le  goût  des  lumières  et  des  sen- 
timens  mène  peu  à  peu  une  ame  ju^u'à  an  désir 
secret  et  subtil  de  toutes  ces  choses. 

L'Apôtre  nous  monlre  une  voie  plus  excellente  {'^) 
pour  laquelle  il  nous  inspire  une  sainte  émulation; 
il  s*agit  de  la  charité,  ^mi  ne  cherche  point  ce  qui  est 
à  elle  (3)  :  elle  ne  veut  point  être  survétae,  pour 
parler  comme  l'Âpôtre,  mais  elle  se  laisse  dépouiller. 
Ce  n'est  point  le  plaisir  qu'elle  aime;  c'est  Dieo, 
dont  elle  veut  faire  la  volonté.  Si  eUeptrouve  du  goût 
dans  l'oraison,  elle  se  sert  de  ce  goût  passager,  sans 
c'y  arrêter,  pour  ménager  sa  propre  faiblesse,  comme 
un  malade  qui  relève  de  maladie  se  sert  d'un  bâton 
pour  marcher  ;  mais  la  convalescence  est-elle  par* 
faite ,  l'homme  guéri  marche  tout  seul.  Toat  de 
même ,  l'ame  encore  tendre  et  enfantine,  que  Dieu 
nourrissoit  de  \a^  dans  les  commencemens^  se  laisse 

»)  Hehr.  s.  38.  —  («)  /  Cor  xii.  3i.  —  (5)  /  Cor.  ziii.  5. 


AUX    LUMIÈBES    ET    AUX    GOUTS    SENSIBLES.       ^67 

sevrer  qaand  Dieu  veut  la  nourrir  du  pain  des  fort<;. 
Que  seroit-ce  si  nous  étions  toujours  enFans ,  tou* 
fours  pendant  à  la  mamelle  des  célestes  consolations? 
Il  faut  éuacuer,  comme  parle  saint  Paul  (0,  ce  qui 
est  du  petit]enfanî.  Les  premières  douceurs  étoient 
bannes  pour  nous  attirer,  pour  nous  détacher  des 
plaisirs  grossiers  et  mondains  par  d'autres  plus  purs, 
enfin  pour  nous  accoutumer  à  une  vie  d*oraisoii  et 
de  recueillement  :  itiais  goûter  un  plaisir  délicieux 
qai  Ole  le  sentiment  des  croix ,  et  jouir  d*noe  fer- 
venr  qui  %tit  qu'on  vit  comme  si  6n  voyoit  le  paradis 
ouvert,  oe  n*jst  poiht  mourir  sat  la  croix  et  s'a- 
néantir. 

Cette  vie  de  lumières  et  de  goûts  sensibles,  quand 
on  s*y  attache  jusqu'à  s'y  borner,  est  un  piège  très- 
dangereux. 

fo  Quiconque  n'a  d'autre  appui  quittera  l'oraison, 
et  avec  l'oraison  Dieu  même,  dès  que  cette  source 
de  plaisir  tarira.  Vous'save^  que  sainte  Thérèse  di- 
soit  qu'un  grand  nombre  d'ames  quittoient  l'oraison 
quand  l'oraison  commençoit  à  être  véritable.  Com- 
bien d'ames,  qui,  pour  avoir  eu  en  Jésus-Christ  une 
enfance  trop  tendre,  trop  délicate,  trop  dépendante 
d^an  lait  si  doux,  reculent  en  arrière,  et  abandon- 
nent la  vie  intérieure  dès  que  Dieu  commence  à  les 
sevrer  !  Faut-il  s'en  étonner  ?  Elles  font  le  sanctuaire 
de  ce  qui  n'est  que  le  parvis  du  temple.  Elles  ne 
veulent  qu'une  mort  extérieure  des  sens  grossiers , 
pour  vivre  à  elles-mêmes  délicieusement  dans  leur 
intérieur.  De  là  viennent  tant  d'infidélités  et  de  mé- 
comptes parmi  les  âmes  mêmes  qui  ont  paru  les  plus 

COi  Cor.  siii.  II. 


368  CONTRE    L^ATTACHEMEITT 

fei*ventes  et  les  plus  détachées.  Celles  même  qui  ont 
le  plus  parlé  de  détachement ,  de  mort  à  soi,  de  té- 
nèbres de  la  foi  y  et  de  dépouillement,  sont  souvent 
lés  plus  surprises  et  les  plus  découragées ,  dès  que 
l'épreuve  vient ,  et  que  la  consolation  se  retire.  0 
qu'il  est  bon  de  suivre  la  voie  marquée  par  le  bien- 
heureux Jean  dé  la  Croix ,  qui  veut  qu'on  croie  dans 
le  non  voir,  et  qu'on  aime  sans  chercher  à  sentir! 

no  De  l'attachement  aux  goûts  sensibles  naissent 
toutes  les  illusions.  Les  âmes  sont  grossières  en  ce 
point,  qu'elles  cherchent  le  sensible  pour  Couver  la 
sûreté.  C'est  tout  le  contraire  ;  c'est  1%  sensible  qui 
donne  le  change  ;  c'est  un  appât  flatteur  pour  l'amour- 
propre.  On  ne  craint  point  de  manquer  à  Dieu  tandis 
que  le  plaisir  dure.  On  dit  alors  dans  son  abondance: 
Je  ne  serai  jamais  ébranlé  (0  ;  mais  on  croit  tout 
perdu  dès  que  l'ivres^  est  passée  :  ainsi  on  met  son 
plaisir  et  son  imagination  en  la  place  de  Dieu.  Il  n  y 
a  que  la  pure  foi  qui  préserve  de  l'illusion.  Quand 
on  ne  s'appuie  sur  rien  d'imaginé,  de  senti,  de 
goûté  y  de  lumineux  et  d'extraordinaire;  quand  on 
ne  tient  qu'à  Dieu  seul ,  en  pure  et  nue  foi ,  dans  la 
simplicité  de  l'Evangile,  recevant  les  consolations  qni 
viennent  et  ne  s'arrétant  à  aucune,  ne  jugeant  point 
et  obéissant  toujours,  croyant  facilement  qu'on  peut 
se  tromper  et  que  les  autres  peuvent  nous  redresser, 
enfin  agissant  à  chaque  moment  avec  simplicité  et 
bonne  intention,  suivant  la  lumière  de  foi  actuelle- 
ment présente,  on  est  dans  la  voie  la  plus  opposée 
à  l'illusion. 

La  pratique  fera  voir  mieux  que  toute  autre  chose 

(0  Pi.  XXIX.  7. 

combiei 


AUX    LUMIÈRES    ET    AUX    GOUTS    SEKSIBLES.       3^ 

combien  cette  voie  est  plus  sûre  que  celle  des  goûts 
et  des  lumières  extraordinaires.  Quiconque  ^udra 
ressayer,  reconnoitra  bientôt  que  cette  voie  de  pure 
foi  y  suivie  en  tout ,  est  la  plus  profonde  et  la  plus 
univ^selle  mort  à  soi-même.  Les  goûts  et  les  certi- 
tudes intérieures  dédommagent  Tamour-propre  àt 
tout  ce  qu  il  peut  sacrifier  au  <lehors  :  c*est  une  pos* 
session  subtile  de  soi-même  qui  donne  une  vie  se- 
crète et  raffinée.  Mais  se  laisser  dépouiller  au  dehors 
et  au  dedans  tout  ensemble ,  au  dehors  par  la  Pro* 
vidence,  et  au  dedans  par  la  nudité  de  foi  obscure, 
c*est  le  total  inartyre  et  par  conséquent  l'état  le  plus 
éloigné  de  TiUusion.  On  ne  se  trompe,  et  on  ne  s'é- 
gare qu'en  se  flattant ,  qu'en  sVpargnant ,  qu'en  ré- 
servant quelque  vie  secrète  à  l'amour^propre,  qu*en 
mettant  quelque  chose  de  déguisé  en  la  place  de 
Dieu.  Quand  vous  laissez  tomber  toute  lumière  par- 
ticulière et  tout  goût  flatteur  ;  quand  vous  ne  voulez 
qu'aimer  Dieu  sans  vous  attacher  à  le  sentir,  et  que 
croire  la  vérité  de  la  foi  sans  vous  attacher  à  voir, 
cette  nudité  si  obscure  ne  laisse  aucune  prise  à  la 
volonté  et  au  sens  propre,  qui  sont  les  sources  de 
toate  illusion. 

Ainsi  ceux  qui  veulent  se  précautionner  contre 
rillusion,  en  cherchant  à  sentir  des  goûts  et  à  se  faire 
des  certitudes ,  s'exposent  par  là  même  à  l'illusion  : 
au  contraire ,  ceux  qui  suivent  l'attrait  de  l'amour 
dénnant  et  de  la  foi  pure,  sans  rechercher  des  lu- 
mières et  des  goûts  pour  s'appuyer,  évitent  ce  qui 
peut  causer  l'illusion  et  l'égarement.  Vous  trouverez 
dmSf  Vlinitatiott, de  Jésus-Christ  {^),  où  l'ai^eur  dit 

Wlib.  m. 

FéirÉLO».  xviii.  •    24 


370  B«   6ÉCI1B11B88ES   ET    UiaTAACTlOirS 

qire'Si  Dj^  tous  ôte  les  douceurs  întérieares,  votre 
plaisi#doît  6tre  de  demeurer  privé  de  tout  plaisir: 
O  qu'une  ame  ainsi  crucifiée  est  agréable  à  Dieu , 
quand  elle  ne  chenche  point  h  se  détacher  de  la 
croix  y  et  qu'elle  veut  bien  y  expirer  avec  l&ns- 
Christ  !  On  cherche  des  prétextes ,  en  disant  qu^on 
craint  "d'avoir  perdu  Dieu  lorsqu'on  ne  le  sent  plus. 
Mais  dans  la  vérité  c'est  impatience  dans  l'éprenve  ; 
c'est  inquiétude  de  la  nature  délicate  et  attendrie 
sur  «He-méme$  c'est  recherche  de  quelque  appui 
pour  l'amour*  propre  ;  <:'est  une  lassitude  dans  Ta- 
banKiony  et  une  mprise  secrè/te  de  soi-méRie  après 
s'être  livrtf  4  la  gvâoe.  Mon  Dieu ,  oh  sont  les  aoMS 
qui  tte  s'arvélefit  point  daw .  la  voie  de  la  mort  ? 
Celles  xpn«ur ont  per^véré  jusqu'à  la  fin  seront  oou- 
TunBéeB, 

ÎXVI. 

Sur  la  sécheresse  et  les  distractions  qui  arrivent 

dams  T oraison. 

Oir  e^  tjenté  -de  croire  qu'on  ne  prie  plus  Dieu  dès 
qu'on  cesse  de  goûfter  un  eertatn  plaisir  dans  (a  prière. 
Pour'setlétromper,  il  faudroit  considérer  ^qro  la  par 
faite  pritfrè  et  Famour  die  Dieu  sont  1»  même  cAiose. 
lia  prière  «Test ^ne pas  une  douce  sensation, m  le 
charme  d'une  imagination  enflammée,  ni  la  Itmtièrc 
de  Tesprit  qui  découvre  facilement  en  Dieu  des  vé- 
rités snUimeSy  ni  même  une  certaine  consolation 
dans  la  voe  de  Dieu  :  toutes  ces  choses  sont  des  .dons 


^e^térÂ/surs ,  ^ans  Ie$qi|eU  J'aroonr  peut  subsister  d'au- 
tant plas  purepient,  qu'étant  piivé  de  toutes  ces 
choseS|  qui  ne  sont  que  dôs  dons  de  Dieu,  on  s'atta- 
chera uniquement  et  immédiatement  à  lui-même. 
Yoîlà  V amour  de  pure  foi  j  qui  désole  la  natm^e, 
parce  qii*il  ne  lui  laisse  aucun  soutien  :  elle  croit 
que  tout  est  perdu,  et  q'.estpar  là  même  que  tout  est 

gagntf. 

Le  pur  amour  n'est  que  dans  la  seule  volonté  : 
ainsi  ce  n*est  point  u^  ampur  de  sentiment ,  car  Ti- 
magination n'y  a  aucupe  part;  c^e^t  un  amour  qui 
aime  ^n$  sentir,  iComme  la  pure  foi  a*oit  sans  voir. 
Il  n^  faut  pas  craindre  que  cet  amour  soît  imagi- 
naire ;  car  rien  ne  Test  moins  que  la  volonté  détachée 
de  toute  imagipatioa.  Plus  les  opérations  sont  pure- 
^eot  intellectuelles  et  spirituelles^  plus  elles  ont, 
non-seulement  la  réalité,  mais  encore  la  perfection 
que  Dieu  demande  :  l'opération  en  est  donc  plus  par- 
faite; eu  même  temps  la  foi  s'y  exerce,  et  TthumilUé 
c'y  conserve.  Alors  l'amour  est  chaste;  car  c'est  Dieu 
«n  lui-même  et  {lour  lui-même  :.ce  n'est  plus  ce  qu'il 
fait  sentir  à  quoi  on  s'attache;  on  le  suit,  mais  ce 
n'est  pas  à  cause  des  pains  multipliés. 

Quoi,  dira-t-on,  toute  la  piété  ne  consistera-t-elle 
que  dans  une  volonté  de  s'unir  à  Dieu,  qui  sera  peut- 
-être ptuetôt  une  pensée  et  une  imagination,  qu'pnè 
ivolonté.eOective?  iSi  cette  volonté  n*est  soutenue  par 
la  i^délité  dans  les  principales  occasions ,  je  croirai 
qa  el)^  n'e^t  pa^  véritable  ;  car  le  bon  arbre  porte 
de  bons  fruits ,  et  cette  yalonjté  doit  rqndre  attentif 
pour  accomplir  la  volonté  de  Dieu  :  maii  elle  est 
<:^mipalJUi>le  en  cette  vie  avec  de  petites  fragilités, 


37^  DES    SÉCHERESSES    ET    DISTRACTIOBS 

que  Dieu  laisse  à  Tame  pour  rhumilier.Si  donc  on 
nVprouve  que  de  ces  fragilités  journalières^  il  font 
en  tirer  le  fruit  de  Pbumiliation,  sans  perdre  courage. 
Mais  enfin  la  vraie  vertu  et  le  pur  amour  ne  sont 
que  dans  la  volonté  seule.  N'est-ce  pas  beaucoap 
que  de  vouloir  toujours  le  souverain  bien  dès  qu  on 
l'aperçoit  ;  de  retourner  son  intention  vers  lui  dès 
qu'on  remarque  qu'elle  en  est  détournée  ;  de  ne  vou- 
loir jamais  rien  par  délibération  que  selon  son  ordre  ; 
et  enfin  de  demeurer  soumis  en  esprit  de  sacrifice  et 
d'abandon  à  lui,  lorsqu'on  n'a  plus  de  consolation 
sensible?  Comptez'^vous  pour  rien  de  retrancher 
toutes  les  réflexions  inquiètes  de  l'amour-propre; 
de  marcher  toujours  sans  voir  oh  l'on  va,  et  sans 
s'arrêter  ;  de  ne  penser  jamais  volontairement  à  soi- 
méme,  ou  du  moins  de  n'y  penser  jamais  que  comme 
oh  penseroit  à  une  autre  personne ,  pour  remplir  un 
devoir  de  providence  dans  le  moment  présent;  sans 
regarder  plus  loin  ?  N'est-ce  pas  là  ce  qui  fait  mou- 
rir le  vieil  homme ,  plutôt  que  les  belles  réflexions 
O&l'on  s'occupe  encore  de  soi  par  aimour-pi^opi'e;  et 
plutôt  que  plusieurs  œuvres  extérieures  sur  les- 
quelles on  se  rendroit  témoignage  à  soi-même  de  son 
avancement  ? 

C'est  par  une  espèce  d'infidélité  contre  l'attrait  de 
1^  pure  foi  y  qu'on  veut  toujours  s'assurer  qu'on  fait 
bien  :  c'est  vouloir  savoir  ce  qu'on  fait  ;  ce  qu'on  ne 
saura  jamais ,  :et  .que  Dieu  veut  qu'on  ignore  :cest 
s'amuser  dans  la  voie  pour  raisonnersur  la  voie  même. 
\a  voie  la  plus  sûre  et  la  plus  courte  est  de  se  re- 
noncer,  de  s'oublier,  de  s'abandonner,  et  de  ne  plus 
penser  à  soi  que  par  fidélité  pour  Dieu.  Toute  la  re- 


QUI    ARAIVEIIT    DANS    L  OKAISON*  ^3 

ligion  ne  consiste  qu'à  sortir  de  soi  et  de  son  amour- 
propre  pour  tendre  à  Dieu. 

Pour  les  distractions  involontaires,  elles  ne  dis- 
iraient point  ramour,  puisqu'il  est  dans  la  volonté, 
et  que  la  volonté  n'a  jamais  de  distractions  quand 
elle  n'en  veut  point  avoir.  Dès  qu'on  les  remarque, 
on  les  labse  tomber  et  on  se  retourne  vers  Dieu. 
Ainsi,  pendant  que  les  sens  extérieurs  de  Tépouse 
sont  endormis,  son  cœur  veille,  son  amour  ne  se  re- 
lâche point.  Un  père  tendre  ne  pense  pas  toujours 
<]Ustinctement  à  son  fils  ;  mille  objets  entraînent  son 
imagination';et  son  esprit  :  mais  ces'  distractioAs  n'in- 
terrompent jamais  l'amour  paternel  ;  à  quelque  heure 
que  son  fils  revienne  dans  son  esprit,  il  l'aime,  et  il 
sent  au  fond  de  son  cœur  qu'il  n'a  pas  cessé  un  seul 
moment  de  l'aimer,  quoiqu'il  ait  cessé  de  penser  à  lui. 
Tel  doit  être  notre  amour  pour  notre  père  céleste;  un 
amour  simple,  sans  défiance  et  sans  inquiétude. 
.    Si  l'imagination  s'égare,  si  l'esprit  est  entraîné  ^  ne 
nous  troublons  point  :  toutes  ces  puissances  ne  sont 
pas  le  vrai  homme  du  cœur,  Vhomme  cac&e,«lont 
parle  saint  Pierre  (0,  qui  est  dans  l'incorruptibilité 
d'un  esprit  modeste  et  tranquille.  Il  n'y  a  qu'à  faire 
un  bon  usage  des  pensées  libres,  en  les  tournant 
toujours  vers  la  présence  du  bien-aimé,  sans  s'in- 
quiéter sur  les  autres  :  c'est  à  Dieu  à  augmenter 
quand  il  loi  plaira  cette  facilité  sensible  de  conser- 
ver sa  présence.  Souvent  il  nous  l'ôte  pour  nous 
avancer  ;  car  cette  facilité  nous  amuse  par  trop  de 
réflexions  :  ces  réflexions  sont  des  distractions  vérita- 
bles ,  qui  interrompent  le  regard  simple  et  direct  de 

(*)/PeCr.iii.  4. 


374  P^   SÉCUeBESSES    ET    DISTKACTIOIIB 

Diea,  et  qni  par  là  nous  retirent  des  ténèbres  de  la 
pure  foi.  < 

On  cherche  soavent  dans  ces  réflexions  le  repos 
de  Faoïoar-proprei  et  la  consolation  dans  le  témoi- 
gnage qn*on  veut  se  rendre  à  soi-même.  Ainsi  on  se 
distrait  par  cette  ferveur  sensible  ;  et  au  coniraire  on 
ne  prie  jamais  si  purement  que  quand  on  est  tente 
de  a'oii*e  qu*on  ne  prie  plus  :  alors  on  craint  de  prier 
mal  ;  mais  on  ne  devroit  craindre  que  de  se  laisser 
aller  à  la  désolation  de  la  nature  lâche,  à  llnfidélité 
philosophique^  qui  veut  toujours  se  démontrer  à  elle- 
même  Bes  propres  opérations  dans  la  foi }  enfin  aux 
désirs  impatiens  de  voir  et  de  sentir  pour  se  consoler. 

Il  n*jr  a  point  de  pénitence  plus  amère  que  cet 
état  de  pure  foi  sans  soutieft  sensible  :  d*o&  je  con- 
clus que  c'est  la  pénitence  la  plus  efièclive,  la  plus 
crucifiante,  et  la  plus  exempte  de  tonte  illusion. 
Étrange  tentation  !  On  cherche  impatiemment  la 
consolation  sensible  par  la  crainte  de  n*étre  pas  as- 
sez pénitent!  Hé!  que  ne  prend-on  pour  pénitence  le 
renoncement  à  la  consolation  qu'on  est  si  tenté  de 
diercherîEnfin  il  faut  Se  ressouvenir  de  Jésu^-Christ, 
queson  Père  abandonne  sor  la  croix  :  Dieu  retire  tout 
sentiment  et  tonte  réflexion  pour  se  cacher  à  Jésas- 
Christ  :  ce  fut  le  dernier  coup  de  la  main  de  Dieu 
qui  frappoit  Thomme  de  douleurs;  voilà  ce  qui  con- 
somma le  sacrifice.  Il  ne  faut  jamais  tant  s^abandon- 
nerà  Dieu  que  quand  il  semble  nous  abandonner. 
Prenons  donc  la  lumière  et  la  consolation  quand  il 
la  répand,  mats  sans  nous  y  attacher  :  quand  il  nous 
enfonce  dans  la  nuit  de  la  pure  foi,  alors  laissons^ 
nous  aller  dans  cette  nuit,  et  souffrons  amoureuse- 


QUI    ▲EEIVEMT    Dilirs   L*OllAI&Oir.  3^5 

ment  cette  agonie.  Ua  moment  en  vaut  mille  dans 
cette  tribulation  :  on  est  troublé,  et  on  est  en  paix  : 
non-seulement  Dieu  se  cache ,  mais  il  nous  cacbe  à 
nous-mêmes,  afin  que  tout  soit  en  foi.  On  se  sent  dé- 
courage; et  cependant  on  a  une  volonté  immobile 
qui  veut  tout  ce  que  Dieu  veut  de  rude  :  on  veut 
tout,  on  accepte  tout»  jusqu'au  trouble  qaéme  par 
lequel  on  est  éprouvé.  Ainsi  on  est  secrètement  eu 
paix  par  cette  volonté  qui  se  conserve  au  fond  de 
Tame  pour  souflrir  la  guerre.  Béni  soit  Dieu  qui  lait 
en  nous  de  si  grandes  choses  malgré  nos  indignités  ! 


XXVII. 

Ayis  à  unm  dame  de  la  Cour.  Ne  point  s'étoaner  ni 
se  décourager  à  la  vue  de  ses  défauts  ni  des  dé* 
fauts  d*autrui. 

On  n*a  point  encore  assez  approfondi  la  misère 
des  hommes  en  général,  ni  la  sienne  en  particulier, 
quand  on  est  encore  surpris  de  la  foiblesse  et  de  la 
corruption  des  hommes.  Si  on  n  attendoit  aucun 
bien  des  hommes,  aucun  mal  ne  nous  étonneroit. 
Notre  étonnement  vient  donc  du  mécompte  d'avoir 
compté  l'humanité  entière  pour  quelque  chose,  au 
lien  qu'elle  n'^st  rien,  et  pis  que  rien.  L'arbre  ne 
doit  point  surprendre  qnand  il  porte  ses  fruits. 
Mais  on  doit  admirer  Jésus -Christ,  en  qui  nous 
sommes  entés,  comme  dit  saint  Paul,  lorsque  nous 
autres  sauvageons  nous  portons  en  lui ,  à  la  plaqe  de 
nos  fruits  amers,  les  plus  doux  fruits  de  la  vertu. 


3^6  NE   POUffT    SE   DÉCOUftAGCA 

Dësabusez-Tous  de  toute  vertu  hnmaÎDe  qui  est 
empoisonnëe  de  complaisance  et  de  confiance  en 
soi-même.  Ce  qui  est  haut  aux  yeux  des  hommes , 
dit  le  Saint-Esprit  (>)  y  est  une  £ibomination  devant 
Dieu.  C'est  une  idolâtrie  intérieure  dans  tous  les  mo- 
mens  de  la  vie.  Celte  idolâtrie ,  quoique  couveile  de 
Féclat  des  vertus,  est  plus  horrible  que  beaucoup 
d'autres  péchës  que  Ton  croit  plus  énormes.  Il  n'y  a 
qu'une  seule  vérité,  et  qu'une  seule  manière  de  bien 
juger,  qui  est  de  juger  comme  Dieu  même.  Devant 
Dieu  les  crimes  monstrueux  commis  par  foiblesse, 
par  emportement  ou  par  ignorance,  sont  moins 
crimes  que  les  vertus  qu'une  ame  pleine  d'elle-même 
exerce  pour  rapporter  tout  à  sa  propre  excellence 
comme  à  sa  seule  divinité  ^  car  c'est  le  renversement 
total  de  tout  le  dessein  de  Dieu  dans  la  création. 
Cessons  donc  de  juger  des  vertus  et  des  vices  par  notre 
goût,  que  l'amour- propre  a  rendu  dépravé,  et  par 
nos  fausses  vues  de  grandeur.  Il  n'y  a  rien  de  grand 
que  ce  qui  se  fait  bien  petit  devant  Tunique  et  son- 
veraine  grandeur.  Vous  tendez  au  grand  par  la 
pente  de  votre  coeur,  et  par  l'habitude  d'y  tendre  ! 
mais  Dieu  veut  vous  rabaisser  et  vous  rappetisser  dans 
sa  main  ;  laissez-le  faire. 

Pour  les  gens  qui  cherchent  Dieu ,  ils  sont  pleins  de 
misères  :  non  que  Dieu  autorise  leurs  iniperfections; 
mais  parce  que  leurs  imperfections  les  arrêtent,  et 
les  empêchent  d'aller  à  Dieu  par  le  plus  court  che- 
min. Ils  ne  peuvent  aller  vite;  car  ils  sont  trop 
charg&  et  d'eux-mêmes  et  de  tout  ce  grand  attirail 
de  choses  superflues,  qu'ils  rapportent  à  eux  avec 

(>)  Luc,  zYi.  i5. 


A    LA,  TUE    DE   iES   DÉFAUTS.  3^7 

Uot  d*empresseiBenl  et  de  jalousie.  Les  uns  croient 
aller  droit,  usant  toujours  de  certains  petits  détours 
pour  parvenir  à  leurs  fins  qui  leur  semblent  permises* 
Les  antres  ignorent  leur  propre  cœur,  jnsqn  à  s'ima- 
giner qu'ils  ne  tiennent  plus  à  rien,  quoiqu'ils  tien- 
nent encore  à  tout,  et  que  le  moindre  intérêt  ou  la 
moindre  prévention  les  surmonte.  On  se  flatte  sur  ses 
raisons  dans  le  temps  qu*on  croit  peser  celles  d'au- 
trui  au  poids  du  sanctuaire  ;  et  par  là  on  devient  in- 
juste, ne  parlant  que  de  justice  et  de  bonne  foi.  On 
se  prévient  contre  les  gens  dont  on  est  jaloux  ;  la  ja- 
lousie, cacbée  dans  les  derniers  replis  du  cœur, 
exagère  les  moindres  défauts  :  on  en  est  plein,  on  ne 
peut  s'en  taire,  on  s'échappe  malgré  soi  à  laisser  en* 
trevoir  son  dégoût  et  son  mépris.  De  là  viennent  les 
critiques  déguisées  et  les  mauvais  offices  qu'on  rend 
sans  penser  à  les  rendre.  Lç  cœur,  rétréci  par  l'in- 
térêt propre,  se  trompe  lui-même  pour  se  permettre 
ce  qui  lui  convient  :  il  est  foible ,  incertain,  timide , 
prêt  à  ramper,  à  flatter,  à  encenser,  pour  obtenir.  Il 
est  si  occupé  de  lui ,  qu'il  ne  lui  reste  ni  temps,  ni 
pensée,  ni  sentiment  pour  le  prochain.  De  temps  en 
temps  la  crainte  de  Dieu  le  trouble  dans  sa  fausse 
paix,  et  le  force  de  se  donner  à  autrui  ;  mais  il  ne  s'y 
donne  que  par  crainte  et  malgré  luu  C'est  une  im- 
pukion étrangère,  passagère  et  violente  :  on  retombe 
bientôt  au  fond  de  soi-même,  où  l'on  redevient  son 
tout  et  son  dieu  même  ;  tout  pour  soi  ou  pour  ce  qui 
s'y  rapporte ,  et  le  reste  dumonde  entier  n'est  rien. 
On  ne  veut  être  ni  ambitieux,  ni  avare,  ni  injuste, 
ni  trattre  :  mais  ce  n'est  point  l'amour  qui  rend 
permanentes  et  fixes  toutes  les  vertus  contraires  à  ces 


3^8  .nu  pourr  se  otcoos^Gsa 

TÎctis;  c*est  aa  contraire  vae  craiole  ëtrangèrc  qui 
TÎeot  par  accès  ioégaox,  el  qui  anspend  tous  ceSTÎœs 
propres  à  1  ame  attachée  à  elle^mênie. 

Voilà  de  qnoi  je  me  plains  tant;  voilà  ce  qui  me 
(ait  tant  désirer  one  pieté  de  pore  foi  et  de  mort 
sans  résenre,  qni  arrache  Famé  à  elle-même  sans 
espérance  d*aacun  retoar.  On  trouve  cette  perfec- 
tion trop  haute  et  impraticable.  Hé  bien  1  qu* on  re- 
tombe donc  dans  cet  amour^propre  qaî  craint  Dieu,  et 
qui  va  toujours  tombant  et  se  relevant  avec  lâcheté 
jusqu'à  la  fin  de  la  vie*  Tandis  qu'on  s*aime  tant,  on 
ne  peut  être  que  |dein  de  misères  ;  on  fût  meilleure 
mine  que  les  autres  quand  on  est  plus  glorieux  et 
^lus  délicat  dans  sa  gloire  ;  mais  ces  dehors  n*ont  au* 
cun  véritable  soutien.  Cest  cette  dévotion  mélangée 
d*amour*propre  qui  infecte;  c'est  elle  qui  scandalise 
le  monde ,  et  que  Dieu^  même  vomit*  Quand  est-ce 
que  nous  la  vomirons  aussi,  et  que  nous  irons  jusqu'à 
la  source  du  mal  ? 

Quand  on  pousse  la  piété  jusque  là ,  les  gens  sont 
effrayés,  et  trouvent  qu'elle  va  trop  loin.  Quand  elle 
ne  va  point  jusque  là,  elle  est  molle,  jalouse,  déli* 
cate,  intéressée.  Peu  de  personnes  ont  assez  de  cou- 
rage et  de  fidélité  pour  se  perdre,  s'oublier  et  s  anéan- 
tir elles-mêmes  ;  par  conséquent  peu  de  personnes 
font  à  la  piété  tout  Thonneur  qu'on  devroit  lui  fiiire. 

Il  7  a  des  défauts  de  promptitude  et  de  fragilité 
que  vous  comprenez  bien,  qui  ne  sont  pas  incompa^ 
tibles  avec  une  piété  sincère  :  mais  vous  ne  com- 
prenez pas  aussi  clairement  que  d'autres  défauts  ,  qui 
viennent  de  foiblesse,  d'illusion ,  d'araour-propre  et 
d'habitude,  con^tissent  avec  une  véritable  ioten- 


A    LA    TUB    DS    8B5    ràFAUTS.  379 

tioD  de  plaire  à  Dira.  A  la  vërité,  cette  iùttotion 
n^est  ni  assez  pure  ni  aftez  f^^rte;  mais,  qii6iqae 
foible  et  imparfaite,  elle  est  sincère  dans  ses  bornés. 
On  est  avare;  mais  on  ne  voit  point  son  avarice; 
elle  est  couverte  de  prétextes  spécieux  ;  elle  s'ap- 
pelle bon  ordre,  soin  de  ne  rien  perdre,  prévoyance 
des  besoins.  On  est  envieux  ;  mais  on  ne  sent  pas  en 
soi  œtte  passion  basse  et  maligné  qui  se  cache;  elle 
n*oseroit  parottre,  car  elle  donneroit  trop  de  confu- 
sion ;  elle  se  déguise,  et  quelquefois  elle  trompe  bien 
plus  la  personne  qui  en  est  tourmentée,  que  les 
autres  qui  Texaminent  de  près  aVec  des  yeux  (Criti- 
ques. On  est  âpre,  délicat,  difficultueux ,  ombrageux 
sur  les  affaires  :  c'est  Tiotérét  qui  fait  tout  cela; 
mais  riotérét  se  pare  de  cent  belles  raisons-Ecotitez- 
le;  vous  ne  finiree  point;  il  faudra  lui  avouer  qu'il 
n'a  point  de  tort.  Je  conclus  que  les  gens  de  bien, 
et  vous  comme  les  autres,  sont  pleins  d'imperfec- 
tions mélangées  avec  leur  bonne  volonté,  parce  que 
leur  volonté ,  quoiquebonne ,  est  encore  foible,  par- 
tagée ^  et  retenue  par  les  secrets  ressorts  de  l'amour- 
propre. 

Votre  ardeur  même  contre  les  défauts  d'autrui  est 
un  grand  défaut.  Ce  dédain  des  misères  d'autrui  est 
une  misère  qui  ne  se  connott  pas  assez  elle-mâme* 
C'est  une  hauteur  qui  s'élève  au-dessus  de  la  bassesse 
du  genre  humain  ;  au  lieu  que,  pour  la  voir  bien ,  il 
faudroit  la  voir  de  plain-pied*  Mon  Dieu!  quand 
n'aurez-vous  plus  rien  à  voir  ni  chez  vous  ni  chez 
les  autres?  Dieu  tout  bien;  la  créature  tout  mal. 
D'ailleurs  les  impressions  passagères  que  vous  prenez 
sont  trop  fortes.  Vous  les  prenez  vivement  suivant 


38o  ITE   POINT  8B   DÉCOtTBAaER 

les  différentes  occasions  ;  au  lien  que  vous  pourriez 
prendre  de  sang-froid  certaines  vues  justes  qui  se- 
roient  fixes,  qui  conviendroient  à  tous  les  événemens 
particuliers,  qui  vous  donneroient  une  clefgéné^ 
raie  de  tous  les  détails,  et  qui  ne  seroient  guère 
sujettes  à  changer. 

Vous  craignez  de  tomber  dans  le  mépris  de  tout 
le  genre  humain.  En  un  sens,  je  voudrois  que  vous 
le  méprisassiez  tout  entier  autant  qu*il  est  mépri- 
sable. La  seule  lumière  de  Dieu  peut,  en  croissant, 
vous  donner  cette  pénétration  de  Tabtme  du  mal  qui 
est  dans  tous  les  hommes.  Mais,  en  connoissant  à 
fond  tout  ce  mal,  il  faut  connottre  aussi  le  bien  que 
Dieu  y  mêle.  C'est  ce  mélange  de  bien  et  de  mal 
qu^on  a  delà  peine  à  se  persuader»  C  est  le  bon  et  le 
mauvais  grain  que  rentjemi  a  mis  ensemble  (').  Les 
serviteurs  veulent  les  séparer  ;  mais  le  père  de  famille 
s*écrie  :  Laissez-les  croître  ensemble  fusi/ues  au  jour 
de  la  moisson* 

Le  principal  est  de  ne  se  point  décourager  à  la  vue 
d*un  si  triste  spectacle ,  et  de  ne  pousser  pas  la  dé- 
fiance trop  loin.  Les  gens  naturellement  ouverts  et 
confians  se  resserrent  et  se  défient  plus  que  d'auti^es 
quand  ils  se  rebutent  par  expérience  d^avoir  de  la 
confiance  et  de  l'ouveriure  :  ils  sont  comme  les  pol- 
trons désespérés ,  qui  sont  plus  que  vaillans.  Vous 
avez  beaucoup  à  vous  précautionner  de  ce  côté-là  ; 
car,  outre  que  la  place  où  vous  êtes  fait  passer  en 
revue  devant  vous  les  misères  de  tout  le  genre  hu- 
main, d'ailleurs  Tenvie,  la  jalousie,  la  témérité  des 
jugemens,  et  la  malignité  des  mauvais  offices,  empoi- 

(0  3faUh.  XIII.  a5,  elc. 


À    LA    VUE    DE    SES   DÉFAUTS.  38 1 

sonnent  une  infinité  de  choses  innocentes,  et  exa- 
gèrent sans  pitié  b'eauconp  cle  légères  imperfections. 
Tout  cela  vient  en  foule  âittaquer  votre  patience , 
votre  confiance  et  votre  charité  qui  en  sont  fatiguées. 
Mais  tenez  bon  :  Dieu  s*est  réservé  de  vrais  servi- 
teurs ;  s'ils  ne  font  pas  tout ,  ils  font  beaucoup  par 
comparaison  au  reste  du  monde  corrompu,  et  par 
rapport  à  leur  natureL  Ils  reconnoissent  leurs  im* 
perfections,  ils  s'en  humilient,  ils  les  combattent; 
ils  s'en. corrigent  lentement  à  la  vérité,  mais  enfin  ils 
s'en  corrigent.  Ils  louent  Dieu  de  ce  qu'ils  font;  ils 
se  condamnent  de  ce  qu'ils  ne  font  pas.  Dieu  s'en 
contente  ;  contentez-vous-en. 

Si  vous  trouvez,  comme  je  le  trouve,  que  Dieu 
devroit  être  mieux  servi ,  aspirez  donc  sans  bornes  et 
sans  mesures  à  ce  culte  de  vérité ,  où  il  ne  reste  plus 
rien  à  la  créature  pour  elle ,  et  où  tout  retour  est 
banni  comme  une  infidélité  et  un  intérêt  propre.  O 
si  vous  étiez  dan»  ce  bienheureux  état,  bien  loin  de 
supporter  impatiemment  ceux  qui  n'y  seroient  pas, 
l'étendue  immense  de  votre  cœur  vous  rendroit  in- 
dulgente et  compatissante  pour  toutes  les  foiblesses 
qui  rétrécissent  les  cœurs  intéressés»  Plus  on  est  para- 
fait, plus  on  s'apprivoise  avec  l'imperfection^  Les 
Pharisiens  ne  pouvoient  supporter  les  Publicains  et 
les  femmes  pécheresses,  avec  qui  Jésus-Christ  étoit 
avec  tant  de  douceur  et  de  bonté.  Quand  on  ne  tient 
plus  à  soi ,  on  entre  dans  cette  grandeur  de  Dieu  que 
rien  ne  lasse  ni  ne  rebute.  Quand  serez^i^vous  dans 
cette  liberté  et  cet  élargissement  de  cœur?  La  déli- 
catesse, la  sensibilité,  qu'on  croit  qui  viennent  d'un 
goût  exquis  de  la  vertu ,  viennent  bien  davantage  de 


384  ^K    ^^    TRAIE    LIBERTÉ. 

retours  inquiets  d'un  amour-propve  jaloux  et  dé- 
licat. 

Il  faut  nous  perdre  si  nous  voulons  nous  retrouver 
en  Dieu  ;  c  est  aux  petits  que  Jésus-Christ  déclare 
qu'appartient  son  royaume.  Ne  raisonner  point  trop, 
aller  au  bien  par  une  intention  droite  dans  les  choses 
communes  y  baisser  tomber  mille  réflexions  par  les- 
quelles on  8*enveloppe  et  on  s*enfonce  en  soi-même 
sous  prétexte  de  se  corriger-,  voilà  en  gros  les  prin- 
cipaux moyens  d'être  libre  de  la  vraie  liberté  sans 
négliger  ses  devoirs. 

XXIX. 

Obligation  de  s'abandonner  à  Dieu  sans  réserue. 

Le  salut  n*est  pas  seulement  attaché  à  la  cessation 
du  mal  :  il  faut  encore  y  ajouter  la  pratique  du  bien. 
Le  royaume  du  ciel  est  d'un  trop  grand  prix  pour 
être  donné  à  une  crainte  d'esclave,  qui  ne  s'abstient 
du  mal  qu'à  cause  qu'il  n'ose  le  feire.  Dieu  veut  des 
enfans  qui  aiment  sa  bonté,  et  non  des  esclaves  qui 
ne  le  servent  que  par  la  crainte  de  sa  puissance.  Il 
faut  donc  Faimer,  et  par  conséquent  fairç  tout  ce 
qu'inspire  le  véritable  amour. 

Bien  des  gens,  qui  paroissent  d'ailleurs  bien  in- 
tentionnés, se  trompent  à  ce  sujet  :  mais  il  est  facile 
de  les  détromper  s'ils  veulent  examiner  les  choses  de 
bonne  foi.  Leur  erreur  vient  de  ce  qu'ils  ne  coo* 
noissent  ni  Dieii  ni  eux-mêmes.  Us  sont  jaloux  de 
leur  liberté,  et  ils  craignent  de  la  perdre  en  se  livrant 

trop 


OBUGATION    DE   S^ABAUDOMMBII    A    DIEU.  385 

trop  à  la  piëië;  mais  iU  dcHvent  cansidérer  quMk  ne 
sont  point  à  eux-nëémes  (0  ;  ils  sont  à  Dien,  qui,  les 
ayant  faits  nDÎqaenent  pour  lui  el  non  pour  eux- 
mêmes ,  les  doit  mener  eomme  il  lui  platt,  avec  na 
empire  absolu.  Ils  se  doivent  tout  entiers  à  lui ,  sans 
condition  et  sans  réserve*  Nous  n'avons  pas  même,  à 
proprement  parler,  le  droit  de  nous  donner  à  Dieu  ; 
car  nous  n*avons  aucun  droit  sur  nous-mêmes  :  mais 
si  nous  ne  itous^  laissions  pas  à  Dieu  comme  une 
chose  qui  est  de  sa  nature  toute  à  lut,  nous  ferions 
on  larcin  sacrilège ,  qui  renverseroit  Fordre  de  lai 
nature  y  et  qui  videroît  la  loi  essentielle  de  la  créa- 
tore. 

Ce  n'est  donc  pas  à  néua  k  rabonner  sur  la  loi  que 
Dieu  «MIS  impose  :  c'est  à^nous  à  lare^oir,  à  l'a- 
dorer, à  la  suivre  aveuglément.  Dieu  sait  mieux  que 
nous  ce  qui  nous  convient  Si  nous  faisions  l'Évan* 
gile,  peut-être  serions-nous  tentés  de  l'adoucir  pour 
raccommoder  à  notre  lâcheté  :  mais  Dieu  ne  nous  a 
pas  consultés  en  le  faisant  -,  il  nous  l'a  donné  tout 
fait,  et  né  nous  a  laissé  aucune  espérance  de  salut 
que  par  l'accomplissement  de  cette  souveraine  loi , 
qui  est  égale  pour  toutes  les  conditions  :  Le  ciel  et 
la  terre  passeront  ;  cette  parole  de  vie  ou  de  mort 
ne  passera  jamais  (^).  On  ne  peut  en  retrancher  ni 
an  mot  ni  la  moindre  lettre.  Malheur  aux  prêtres 
qui  oseroient  en  diminuer  la  force  pour  nous  l'a- 
doucir !  Ce  n'est  pas  eux  qui  ont  fait  cette  loi  ;  ils 
n  en  sont  que  les  simplesi  dépositaires.  Il  ne  faut  donc 
pas  s'en  prendre  à  eux  si  l'Évangile  est  une  loi  sévère. 
Cette  loi  est  autasit  redoutable  po«u*  eux  que  pour 

(0  /  €)or,  TT.  19.  —  (>)  if/ofilk  XJUT.  SS. 

Fémélov.  XVIII.  25 


386  BOHHEUR    DE    L  AVE 

le  reste  des  hommes,  et  plus  encore  pour  eux  qae 
pour  les  autres,  puisqu'ils  répondront  et  des  autres 
et  d'eux-mêmes  pour  l'observation  de  cette  loi.  Mal- 
heur à  V aveugle  gui  en  conduit  un  amtref  ils  tom- 
beront tous  deux,  dit  le  Fils  de  Dieu  (0,  dans  le 
précipice.  Malbeur  au  prêtre  ignorant ,  ou  lâche  et 
flatteur,  qui  veut  élargir  la  voie  étroite  !  La  voie 
large  est  celle  gui  conduit  à  la  perdition  W. 

Que  l'orgueil  de  l'homme  se  taise  donc.  Il  croit 
être  libre,  et  il  ne  Test  pas.  C'est  à  lui  à  porter  le 
joug  de  la  loi ,  et  à  espérer  que  Dieu  lui  donnera  des 
forces  proportionnées  à  la  pesanteur  de  ce  joug.  En 
effet,  celui  qui  a  ce  souverain  empire  sur  sa  créa- 
ture pour  lui  commander,  lui  donne  par  sa  grâce 
intérieure  de  vouloir  et  défaire  ce  qu'il  commande. 

XXX. 

Bonheur  de  l'ame  qui  se  donne  entièrement  à  Dieu, 
Combien  l'amour  de  Dieu  adoucit  tous  les  sacri- 
fices. Aveuglement  des  hommes  qui  préfèrent  les 
biens  du  temps  à  ceux  de  l'éternité. 

La  perfection  chrétienne  n'a  point  les  rigueurs, 
les  ennuis  et  les  contraintes  que  l'on  s'imagine.  Elle 
demande  que  l'on  soit  à  Dieu  du  fond  du  cœur  ;  et 
dès  qu'on  est  ainsi  à  Dieu,  tout  ce  qu'on  fait  pour 
lui  devient  facile.  Ceux  qui  sont  à  Dieu  sont  tou- 
jours contens  lorsqu'ils  ne  sont  point  partage  \  car 
ils  ne  veulent  que  ce  que  Dieu  veut,  et  veulent  faire 

^0  £cio.  VI.  3o.  —  C*}  Mtath,  TH.  tl. 


QUI    SE    DONNE    ENTIÈREMENT    A    DIEU.  38^ 

pour  lui  tout  ce  qu^il  veut.  Ils  se  dépouillent  de 
tout  y  et  trouvent  le  centuple  dans  ce  dépouillement. 
La  paix  de  la  conscience,  la  liberté  du  cœur,  la 
douceur  de  s'abandonner  entre  les  mains  de  Dieu , 
la  joie  de  voir  toujours  croître  ta  lumière  dans  son 
cœur,  enfin  le  dégagement  des  craintes  et  des  désirs 
tyranAiques  du  siècle,  font  ce  centuple  de  bonheur 
que  les  véritables  enfans  de  Dieu  possèdent  au  mi- 
lieu des  croix ,  pourvu  qu'ils  soient  fidèles. 

Ils  se  sacrifient,  mais  à  ce  qu'ils  aiment  le  plus; 
ils  souffrent,  mais  ils  veulent  souffrir,  et  ils  pré- 
fèrent la  souffrance  à  toutes  les  fausses  joies.  Leurs 
corps  ont  des  maux  cuisans,  leur  imagination  est 
troublée,  leur  esprit  tombe  en  langueur  et  en  dé- 
faillance ;  mais  leur  volonté  est  ferme  et  tranquille 
dans  le  fond  et  le  plus  intime  d'elle-même,  et  elle 
dit  sans  cesse  Amen  à  tous  les  coups  dont  Dieu  la 
frappe  pour  la  sacrifier. 

Ce  que  Dieu  demande  de  nous,  c'est  une  volonté 
qui  ne  soit  plus  partagée  entre  lui  et  aucune  créa- 
ture; c'est  une  volonté  souple  dans  ses  mains,  qui 
ne  désire  et  ne  rejette  rien ,  qui  veuille  sans  réserve 
tout  ce  qu'il  veut,  et  qui  ne  veuille  jamais,  sous  au- 
cun prétexte,  rien  de  ce  qu*il  ne  veut  pas.  Quand 
on  est  dans  cette  disposition,  tout  est  salutaire;  et 
les  amusemensles  plus  inutiles  se  tournent  en  bonnes 
œuvres. 

Heare^  celui  qui  se  donne  à  Dieu  !  il  est  délivré 
de  ses  passions,  des  jugemens  des  hommes,  de  leur 
malignité,  de  la  tyrannie  de  leurs  maximes,  de  leurs 
froides  et  misérables  railleries,  des  malheurs  que  le 
monde  attribue  à  la  fortune,  de  l'infidélité  et  de  Fin- 


388  BOKBBUm    DB   LAME 

constance  des  amis,  des  artifices  et  des  pièges  des 
ennemis,  de  sa  propre  foiblessê ,  de  la  misère  et  de 
la  brièveté  de  la  vie,  des  borreurs  d'une 'mort  pro- 
fane,  des  cruels  remords  attadiës  aox  plaisirs  crimi- 
nek,  et  enfin  de  rétemdlle  condamnation  de  Dien. 
n  est  délivré  de  cette  multitude  innombrable  de 
maux,  puisque  y  mettant  sa  volonté  entre  les  mains 
de  IKeUy  il  ne  veut  plus  que  ce  que  Dien  veut;  ef  il 
trouve  ainsi  sa  consolation  dans  la  foi ,  et  par  con- 
séquent l'espérance  au  milieu  de  tontes  ses  peines. 
Quelle  foiblessê  seroit-ce  donc  de  craindre  de  se 
donner  à  Dieu,  et  de  s'engager  trop  avant  dans  un 
état  si  désirable! 

Heureux  ceux  qui  se  jettent  tête  baissée  et  les  yeux 
fermés  entre  les  bras  du  Père  des  miséricordes  et 
du  Dieu  de  toute  consolation,  comme  parle  saint 
Paul  (0!  Alors  on  ne  désire  rien  tant  que  de  con- 
nottre  ce  que  Ton  doit  à  Dieu  ;  et  on  ne  a*aint  rien 
davantage  que  de  ne  voir  pas  assez  ce  qu^il  demande. 
Sitôt  qu'on  découvre  une  lumière  nouvelle  dans  la 
foi,  on  est  transporté  de  {oie,  comme  nn  avare  qui 
a  trouvé  un  trésor.  Le  vrai  Chrétien ,  de  quelque 
malheur  que  la  Providence  Faccable,  vent  tout  ce 
qui  lui  arrive,  et  ne  veut  rien  de  tout  ce  qui  lui  man- 
que :  plus  il  aime  Dieu ,  et  plus  il  est  content  ;  et  la 
plus  haute  perfection ,  loin  de  le  surchai-ger,  rend 
son  joug  plus  léger. 

Quelle  folie  de  craindre  d'étf e  trop  à  ^u  ?  C'est 
craindre  d'être  trop  heureux;  c'est  craindre  d'aimer 
la  volonté  *de  Dieu  en  tontes  choses;  c*est  craindre 
d'avoir  trop  de  courage  dans  les  croix  inévitables , 

(0  //  Cor.  I.  3. 


QUI    SE  DOMSri:    ENTlkEEMBMT    ▲    DIEU.  SSq 

trop  de  consolation  dans  rameur  de  Dieu,  et  trop 
de  détachement  poar  les  passions  qui  rendent  mi* 
sérables. 

Méprisons  donc  les  choses  de  la  terre  pour  être  — 
toat  a  Dieu.  Je  ne  dis  pas  que  nous  les  quittions  ab* 
solunient  ;  car,  qnand  on  est  déjà  dans  une  vie  hon- 
nête et  réglée ,  il  n'y  a  quk  changer  le  fond  de  son 
cœur  en  aimant»  et  nous  ferons  à  peu  près  les  mêmes 
choses  que  nous  faisions  :  car  Dieu  ne  renverse  point 
les  conditions  des  hommes ,  ni  les  fonctions  qu'il  y 
a  lui-même  attachées;  mais  nous  ferons  pour  servir 
Dieu  ce  que  nous  faisions  pour  servir  et  pour  plaire 
au  iuo0d«  q^^our  nous  contenter  nous-mêmes.  11  y 
aura  seulement  cette  différence,  qu'au  lieu  d'être  dé* 
vorés  par  notre  orgueil,  par  nos  passions  tyranniques 
et  par  la  censure  maligne  du  motMle»  nous  agirons 
au  contrains  avec  liberté,  avec  eounage ,  avec  espé- 

raoce  eu  Dieu^^£  la  confiance  nous  aaîmeraj  l'attenta 

des  bieus  éternels  qui  s'approchent,  pendant  que 
ceux  d*ici-bas  nous  échappent,  nous  soutiendra  au 
milieu  des  peines;  l'amour  de  Dieu,  qui  nous  fera 
sentir  celui  qu'il  a  pour  nous,  nous  donnera  des 
ailes  pour  voler  dau6  $a  voie  et  pour  UQUS  élever  au* 
dessus  de  toutes  nos  misères.  Si  uous  avons  de  la 
peioe  k  le  croire  i  l'expérience  bou$  en  convaincra  ; 
f^enez  ^  vqyez  iH  gQÛie,^^  dit  David  (0,  çom^i^nh. 
Seigneur  est  doux. 

Jésus-Qhrist  dît  k  tous  les  Chrétiens  sans  excep^ 
^n  :  QfU9  cehU  qui  veut  être  mon  disciple  porte  sa 
croix,  el  qu'il  me  suis>e  W.  La  voie  large  conduit 
a  la  perdition  ;  il  faut  suivre  la  voie  étroite  où  le 

C»)  Ps.  xxxiii.  9.  —  v')  Matth.  XTi.  a4- 


390  BONHEUR    DE    L*AME 

petit  nombre  entre.  Il  n'y  a  que  ceux  qui  se  font  vio- 
lence qui  emportent  le  royaume  du  ciel.  11  faut  re- 
naître ,  se  renoncer,  se  haïr,  devenir  enfant,  être 
pauvre  d'esprit,  pleurer  pour  être  consolé,  et  n'être 
point  du  monde,  qui  est  maudit  à  cause  de  ses  scan- 
dales. Ces  vérités  effraient  bien  des  gens,  et  cela 
parce  qu'ils  connoissent  simplement  ce  que  la  reli- 
gion fait  faire ,  sans  connottre  ce  qu'elle  présente ,  et 
qu'ils  ignorent  l'esprit  d'amour  qui  rend  tout  léger. 
Us  ne  savent  pas  qu'elle  mène  à  la  plus  haute 
perfection,  par  un  sentier  de  paix  et  d'amour,  qui 
en  adoucit  tous  les  travaux. 

Ceux  qui  sont  à  Dieu  sans  partage  i^nt  toujours 
heureux.  Us  éprouvent  que  le  joug  du  Seigneur  est 
doux  et  léger;  qu'on  trouve  en  lui  le  repos  de  Van^e» 
et  qu'il  soulifgc  ceux  qui  sont  chargés  et  fatigués, 
comme  il  l'a  dit  lui-même  <0.  Mais  malheur  à  ces 
âmes  lâches  et  timides  qui  sont  partagées  entre  Dieu 
et  le  monde!  Elles  veulent  et  ne  veulent  pas;  elles 
sont  déchirées  tout  à  la  fois  par  leurs  passions  et  par 
leurs  remords;  elles  craignent  les  jugemens  de  Dieu 
et  ceux  des  hommes;  elles  ont  horreur  du  mal  et 
honte  du  bien  ;  elles  ont  les  peines  de  la  vertu  sans 
en  goûter  les  consolations.  O  qu'elles  sont  malheu- 
reuses !  Ah  !  si  elles  avoient  un  peu  de  courage  pour 
mépriser  les  vains  discours ,  les  froides  railleries  et 
les  téméraires  censures  des  hommes,  quelle  paix  ne 
goûteroient-elles  pas  dans  le  sein  de  Dieu! 

Qu'il  est  dangereux  pour  le  salut,  qu'il  est  in- 
digne de  Dieu  et  de  nous ,  qu'il  est  pernicieux  même 
pour  la  paix  de  notre  cœur,  de  vouloir  toujours  de^ 

(0  Matth.  XI.  «9,  Sa. 


^UI    SE    DOlfnE    EATliSKBMEliiT    À    DIEU.  ^91 

meiirar  où  Toq  est!  La  vie  entière  ne  nous  est  donnée 
que  pour. nous  avancer  à  grands  pas  vers  notre  patrie 
eëleste.  Le  monde  s'enfuit  comme  une  ombre  trom« 
pause;  rét^^nitë  s'avance  déjà  pour  nous  recevoir. 
Que  tardons-nous  à  nous  avancer  pendant  que  la 
lumière  du  Père  des  miséricordes  nous  éclaire? 
Hâtons-nous  d'arriver  au  royaume  de  Dieu. 

Le  seul  commandement  suffit  pour  faire  évanouir 
en  un  moment  tous  les  prétextes  qu'on  pounoit 
prendre  de  faire  des  réserves  avec  Dieu  :  F'ous 
aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu  de  tout  votre  cœur, 
de  toute  votre  4vne,  de  toutes  vos  forces  et  de  toutes 
vos  pensées^  Voyeï  combien  de  termes  joints  en- 
semble par  le  Saint-Esprit ,  pour  prévenir  toutes  les 
réserves  que  l'homme  pourroit  vouloir  faire  au  pr^ 
.  judîce  de  cet  amour  jaiouz  el  dominant..  Tout  n'est 
pas  trop  pour  lui^  il  ne  souffre  point  de  partage;  et 
il. ne  permet  plus  d'aimer  hors  de  Dieu,  que  ce  que 
Die^u  commande  lui-même  d'aimer  pour  l'amour  de 
lui.  Il  faut  l'aimer  non*seulement  de  toute  l'étendue 
et  de  toute  la  force  de  son  cœur,  mais  encore  de 
toute  l'application  de  sa  pensée.  Con^ment  donc 
poarra-t*on  croire  qu'on  l'aime,  si  on  ne  peut  se 
résoudre  à  penser  à  sa  loi,  et  à  s'appliquer  de  suite 
à  accomplir  sa  volonté  7 

Ceux  qui  craignent  de  voir  trop  clairement  ce 
que.  cet  amour  demande^  se  moquent  de  croire  qu'ils 
ont  cet  amour  vigilant  et  appliqué.  Il  n'y  a  qu'une 
seule  manière  d'aimer  Dieu ,  c'est  de  ne  faire  aucun 
marché  ayec  lui^  et  de  suivre  avec  un  cœur  géné- 
reux tout  ce  qu'il  inspire.  Tous  ceux  qui  vivent  dans 
des  retranchemenSy  mais  qui  v ou dr oient  bien  être 


392  BOVHEVK    m   L  AME 

un  pea  du  monde,  cowrent  grand  ri«fue  d*étiit  de 
ces  tièdes  dont  «1  dit  q«i*il  les  vomira  (O.  Dîen  sup- 
porte impatiemment  ces  âmes  lâches  ^i  disent  eo 
elles-mêmes  :  Tirai  }U6^e  là,  et  jamais  plus  loin» 
Appartient^il  à  la  créature  de  fisôre  la  loi  k  sod 
créateur?  Que  diroit  nn  roi  d*«Hi  sujet,  on  un  maître 
de  son  domestique ,  -qui  me  voodroit  le  «ervtr  qn^ 
sa  mode  ^  qui  craîndroit  de  trop  fi*aflbctionner  pour 
ses  intérêts ,  et iqui  aoroit  bon^e ,  aux  yens  du  public, 
de  s'attacher  %  hiî?  Mais  plutôt  que  dira  le  Roi  des 
rois,  si  nous  faisons  commes  ces  Iftches  senrilears? 

Il  faut  i)*instruire  non-seulement  de  la  volonté  de 
Dieu  en  général ,  mais  encore  quelle  est  sa.volonlé  en 
chaque  chose,  avec  ce  qui  Itii  ptak  davantage  et  qui 
est  le  plus  parfait.  Tîous  ne  sommes  vérilaMement 
raisonnables  qu'autant  quenous  consukonsla  volonté 
de  Dieu ,  pour  j  conformer  la  nôtres,  c'est  la  vérita- 
ble lumière  que  nous  devons  suivre,  toute  outre  la- 
mière  est  fausse:  c'est  une  lueur  trompeuse,  et  non 
une  lumière  véritable.  Aveuglée  donc  tous  eeux  qUi 
se  croient  sages,  et  qui  ne  le  sont  pas  de  la  sagesse 
de  lésuS'Glirist ,  seul  digne  du  nom  de  sagesse!  Us 
coureiit  dans  une  profonde  nuit  après  des  fantômes  ; 
ils  sont  comme  ceux  qui  dans  un  songe  pensent  être 
éveillés,  et  qui  s*imaginent  que  tous  les  objets  du 
songe  sont  réels.  Ainsi  sont  abusés  tous  les.  grands  de 
la  terre,  les  sages  du  siècle,  t&vt$  les  hommes  enchan- 
tés par  les  faux  plaisirs.  Il  n'y  a  que  les  enfiins  de 
Dieu  qui  marchent  aux  rayons  de  la  pure  vérité. 
Qn  est-ce  que  les  hommes  pleins  de  leurs  pensées 
vaines  et  ambitieuses,  ont  devant  eux?  Souvent  la 

(0  jipoe.  Jii.  ]6. 


QUI    SE   DONIIE   EATlfeREMENT    A    DIEU.  igi 

disgrâce,'  toujours  la  mort,  le  )ogement  de  Dieu  et 
rëternité.  Voilà  les  grands  objets  qui  s^avancent  et 
qui  viennent  au-derant  de  ces  hommes  profanes  :  ce- 
pendant ils  ne  les  voient  pas  ;  leur  politique  prévoit 
tout,  excepté  la  chute  et  Tauéantissement  inévitable 
de  tout  ce  qu'ils  cherchent.  O  aveugles!  quand  ou* 
vrirez-vous  les  yeux  h  la  lumière  de  Jésos-Gbridt , 
qui  vous  déoonvriroit  le  néant  de  toutes  les  grandeurB 
d'ici-bas  ? 

Ils  sentent  qu'ils  ne  sont  pas  iieufreus,  et  ils  espè* 
rent  trouver  de  quoi  le  devenir  par  les  choses  mêmes 
qui  les  rendent  misérables  :  ce  qu'ils  n'ont  pas  1^  ^- 
flige;  ce  qu'ils  ont  ne  les  peut  remf4îr.  Lears  douleurs 
sont  véritables;  leurs  joies  soQt  courtes,  vaiues  et 
empoisonnées;  eUes  leur  coûteot  plus  qu'elles  ne 
leur  valent,  ^oute  ieur  vie  est  «ne  ^xpérienioe  sen» 
sible  et  «ooiKtttuelle  de  leur  égarement  ;  le  jugemenit 
étemel  pend  déjà  sur  leur  tète;  leurs  fausses  joies 
vont  se  changer  en  des  pleura  et  des  huiiemens  qui  ne 
finiront  jamais.  JLeur  vie  est  .comme  une  ombre  qui 
va  disparoltre,  ^u  tout  au  plus  comme  une  fleur  qui 
s'^anouit  le  matin,  mais  qui  est  le  soir  flétrie,  des* 
séchée  et  foulée  aux  pieds.  Que  sontrils  devenus  ces 
insensés  mondains?  On  les  a  vus,  au  moment  de  la 
mort ,  abattus,  tremblans  et  découragés  :  ils  avouent 
rillusioQ  dans  laquelle  ils  ont  vécu ,  et  déplorent  leur 
erreur.  Ils  passent  mdoie  couvent  d'une  extrëmilé  à 
l'autre,  et,  après  avoir  été  sans  respect  pour  la  re- 
ligion ,  ils  deviennent  lâches  et  superstitieux.  STest^il 
pas  faonrible  que  les  hommes  veuillent  hasarder  l'é* 
ternité,  plutôt  que  de  se  gêner  dans  leurs  mauvaises 
inclinations  7  cependant  rien  de  plus  ordinaire.  Mon- 


394  BONHBUm    DE    LAME 

trez-leur  toat  ce  quil  vous  plaira  ^  la  vanité  et  le 
néant  de  la  créature  ;  faites-leur  remarquer  la  briè- 
veté et  rîncerlitude  de  la  vie,  rinconslance  de  la  for- 
tune,  rinfidélité  des  amis,  l'illusion  des  grandes 
places  y  les  amertumes  qui  y  sont  inévitables ,  le  mé- 
contentement des  grands ,  le  mécompte  de  toutes  les 
plus  grandes  espérances,  le  vide  de  tous  les  biens 
qu'on  possède,  la  réalité  de. tous  lesmayx  qu*on  souf- 
fre ;  toutes  ces  morales,  quelque  vraies  qu*elles 
soient,  ne  font  qu'effleurer  leur  cœur,  elles  passent 
par  la  superficie  ;  le  fond  de  Thomme  n'en  est  point 
changé  :  il  soupire  de  se  voir  esclave  de  la  vanité,  et 
ne  sort  point  de  son  esclavage. 

Que  faut-il  donc  qu'il  fasse  pour  sortir  de  cet  état 
pitoyable?  Il  faut  qu'il  prie,  afin  que  Dieu  réclaire 
entièrement,  et  d'aliord  il  oonnottra  l'abtme  du  bien , 
qui  est  Dieu,  et  l'abîme  du  mal  et  du  néant,  qui  est 
la  créature  corrompue  ;  alors  il  se  méprisera  et  se 
haïra,  il  se  quittera,  il  se  craindra,  il  se  renoncera 
soi-même ,  il  s'abandonnera  à  Dieu ,  il  se  perdra  en 
lui.  Heureuse  perte!  puisqu'il  se  trouvera  par  là  sans 
se  chercher;  il  n'aura  plus  d'intérêt  propre ,  et  tout 
lui  profitera;  car  tout  tourne  à  bien  pour  ceux  qui 
aiment  Dieu ,  et  qui  sont  animés  de  son  esprit  :  ceux 
qui  n'ont  pas  ce  bon  esprit  sont  fort  malheureux 
de  ne  le  point  avoir;  celui  qui  en  est  privé,  oa  ne  le 
le  démande  plus,  ou  le  demande  mal.  Ce  n'est  point 
par  les  lèvres  ni  par  les  actions  extérieures,  c'est  par 
le  désir  du  cœur,  et  par  un  profond  abaissement  de 
soi-même  devant  Dieu ,  qu'on  attire  au  dedans  de  soi 
cet  esprit  de  vie,  sans  lequel  les  meilleures  actions 
sont  mortes.  Dieu^st  si  bon,  qu'il  u  attend  que  notre 


QUI    SE    BOHTME    EMTlÈaEMENT    A    DIEU.  Sq^ 

désir  pour  nous  combler  de  ce  don  qui  est  lui-même. 
Le  criy  dit-il  dans  rÉcriture,  ne  sera  pas  encore  formé 
dans  votre  bouche,  que  moi ,  qui  le  verrai  avant  que 
de  naître  dans  votre  cœur,  je  Texaucerai  avant  qu*il 
soit  fait.  Cest  donc  la  prière  du  cœur  que  Dieu  exauce 
ordinairement.  On  choisit  quelque  mystère  ou  quel* 
que  grande  vérité  de  la  religion, ^ue  Ton  doit  mé- 
diter en  profond  silence  ;  et,  après  s'en  être  convaincu, 
H  iaut  s'en  faire  l'application  à  soi-même,  former  ses 
résolutions  devant  Dieu  par  rapport  à  ses  devoirs  et  à 
ses  défauts,  lui  demander  qu'il  nous  anime  pour  nous 
faire  accomplir  ce  qu'il  nous  donne  le  courage  de 
lui  promettre.  Quand  nous  nous  apercevons  dans  la 
prière  que  notre  esprit  s'égare ,  il  n'y  a  qu'à  le  ra- 
mener doucement,  sans  nous  décourager  jamais  de 
rimportunité  de  ces  distractions  qui  sont  si  opinià- 
très.  Tandis  qu'elles  sont  involontaires,  elles  ne  peu- 
vent nous  nuire;  au  contraire,  elles  nous  serviront 
plus  qu'une  prière  accompagnée  d'une  ferveur  sen- 
sible; car  elles  nous  humilieront,  nous  mortifieront, 
et  nous  accoutumeront  à  chercher  Dieu  pui'ement 
pour  lui-même ,  sans  mélange  d'aucun  plaisir. 

Mais  outre  ces  prières,  pour  lesquelles  on  doit  se 
réserver  des  temps  particuliers  ;  car  les  occupations, 
quelque  nécessaires  qu'elles  soient,  ne  vont  jamais 
iusqu'à  ne  nous  pas  laisser  le  temps  de  manger  le 
pain  quotidien;  il  faut,  dis-je,  outre  ces  prières  ré- 
glées, s'accoutumer  à  faire  de  courtes,  simples  et 
fréquentes  élévations  de  cœur  à  Dieu.  Un  mot  d'un 
Psaume,  ou  de  l'Evangile,  ou  de  l'Ecriture ,  qui  est 
prc^re  à  nous  toucher,  suffit  ppur  cela.  On  peut 
faire  cc^  élévations-là  au  milieu  des  gens  qui  sont 


396  BOVHBfJE    DB    l'aMB 

avec  noos,  sans  qne  personne  s'en  aperçoive.  Elles 
font  ordînaireoienl  pins  de  bien  que  les  applications 
suivies  à  nn  sujet  particulier.  Il  est  bon ,  par  exem- 
ple 9  de  prendre  la  résolution  de  faire ,  tant  le  matin 
que  Tapres^-dlnery  ces  élévations  ;  de  penser  à  Dieu 
toutes  les  fois  qn'oa  verra  certaines  choses  ou  œr* 
tûnes  gens;  de  p^oir  les  actions  que  Ton  fera,  les 
repasser;  c*est  le  vrai  moyen  d'agir  en  la  présence  de 
Dieu  y  et  de  se  la  rendre  familière  ;  et  cette  présence 
est  on  vrai  moyen  de  parvenir  au  mépris  du  monde. 

Car  c*est  en  voyant  Dieu  qu'on  voit  le  néant  du 
monde,  qui  s'évanouira  dans  peu  comme  la  fumée. 
Toutes  les  grandeurs  et  leur  attirail  s'enfuiront 
comme  un  songe;  toute  hauteur  sera  aplanie ,  toute 
puissance  sera  écrasée,  toute  tête  superbe  sera  cour- 
bée sous  le  poids  de  Tétemelie  majesté  de  Dieu*  Dons 
ce  jour  où  il  jugera  les  hommes ,  cTun  seul  regard  il 
effiicera  tout  ce  qui  brille  dans  la  nuit  présente, 
comme  le  soleil  en-  se  levant  effiice  toutes  les  étoiles. 
On  ne  verra  que  Dieu  partout ,  tant  il  sera  grand  ; 
on  cherchera  en  vain,  on  ne  trouvera  plus  que  lui, 
tant  il  remplira  tout.  Que  sont- ils  devenus,  dira-t-on, 
ces  objets  qui  avoient  enchanté  notre  ccrar?  qu'en 
reste- t-il?  où  étoient  leurs  places?  Hélas!  il  ne  reste 
pas  même  les  marques  du  lieu  oh  ils  ont  été  !  Ils  ont 
passé  comme  une  ombre  que  le  soleil  dissipe  ;  à  peine 
est-il  vrai  de  dire  qu'ils  ont  été;  tant  il  est  vrai  de 
dire  qu'ils  n'ont  Êiit  que  parottre,  et  qu'ils  ne  sont 
plus. 

Mais  quand  le  monde  ne  devroit  point  finir,  9 
vous  laissera ,  quoi  que  vous  fassiez  :  un  peu  plus  tôt 
ou  un  peu  plus  tard;  qu'importe?  Encore  un  petit 


QUI   SE   DOMME   KNTIEREMEJIT    A    DIEU.  il)'] 

nombre  d^antiées  qui  s'écoaleront  rapidement  comme 
Teau  f  qaî  dîsparottroni  comme  un  songe  p  la  jeunesse 
sera  passée,  le  monde  se  tournera  d*un  autre  côté;  il 
méprisera  avec  dégoût  ceux  qui  n'auront  pas  su  dans 
le  temps  le  mépriser  lui-même.  Ce  temps  s'approche, 
il  vient,  le  voilà ,  hâUms-nôus  de  le  prévenir.  AimoAS 
réiemelle  beauté^  qui  ne  vieillit  point  et  qui  empé» 
cfae  de  vieiUir  ceux  qui  n*aiment  qu'elle;  méprisons 
ce  monde  qui  tombe  déjà  en  ruine  de  toutes!  pàrU* 
Né  voyons-nous  pas  que  deptiis  tant  d'années  lesper- 
sonnes  qui  éloienldans  les  mêmes  places  >  surprises 
par  la  mort,  sont  tombées  dansUabtme  dévorant  de 
Té  terni  té  7  II  s'est  élevé  conime.  un  monde  nouveau  smr 
celui  qui  nous  a  vus  natire.  Si  peu  qu'on  vive,  il 
faut  chercher  d'autrea  amîs^  après  avoir  perdu  leS 
anciens;  ce  n'est  plus  la  même  famille  où  l'oh  a  été 
élevé,  d'autres  parena  inconnus  viennent  prendre  1a 
place;  on  voit  niéme  disparoitre  uàe  cour  entière, 
d'autres  sont  à  b  place  de  ceujL  qu'on  adoûroît;  ila 
viennent  éblouir  à  leur  tour.  Que  sont  devenus  tous 
ces  grands  acteurs  qui  reu^liasoient  la  scène  il  y  a 
trente  ans?  Maïs  sans  remonter  ai  haut,  combien  y 
en  a^-t-il  de  morts  depuis  sept  ou  Imit  ans  7  Bientôt 
nous  les  suivrons.  Est^^ce  donc  ce  monde  auquel  on  est 
ai  attaché  7  on  n'y  fait  que  passer,  ou  en  va  sortir  :  il  esè 
lui-même  la  misère ,  la  vanité ,  la  folie  ;  il  n'est  qu'un 
fantôme ,  une  figure  qui  pasde ,  comme  dit  saint  Paul. 
O  monde  si  fragile  et  insensé  !  est-ce  à  loi  à  t'en  faire 
acdroirelàvec  quelle  audace  espères -tu  nous  impo«> 
ser,  toi  vaine  et  creuse  figure,  qui  passe  et  qui  va  di»- 
parottre7  Tu  n'es  qu'un  songe,  et  tu  veux  qu'on  te 
croie  !  On  sent  même  en  te  possédant  que  ta  n'ea 


398  •     DOHHEUR    DB    LAME 

rien  de  vrai  qui  remplisse  le  cœur.  N*as-tu  point  de 
honte  de  donner  des  noms  magnifiques  aux  misères 
éclatantes  par  lesquelles  tu  éblouis  ceux  qui  s*atta- 
chent  à  toi?  Dans  le  moment  où  tu  f offres  à  nous 
avec  un  visage  riant  ^  tu  nous  causes  mille  douleurs. 
Dans  le  moment  tu  vas  disparottre,  et  tu  oses  nous 
promettre  de  nous  rendre  heureux  !  Heureux  seule- 
ment celui  qui  voit  son  néant  à  la  lumière  de  Jésus- 
Christ  ! 

Mais  ce  qui  est  terrible,  c*est  que  mille  gens  s*à- 
véuglent  eux-mêmes,  fuyant  la  lumière  qui  leur  dé- 
couvre ce  néant,  et  qui  condamne  leurs' œuvres  de 
ténèbres.  Gomme  ils  veulent  vivre  en  bétes,  ils  ne 
veulent  point  connottre  d'autre  vie  que  celle  des 
bétes ,  et  ils  se  dégradent  eux-mêmes  pour  étoufler 
toute  pudeur  et  tout  remords.  Ils  se  moquent  de 
ceux  qui  pensent  sérieusement  à  l'éternité;  ils  trai* 
tentde  foiblesseles  sentimensde  religion  par  lesquels 
on  veut  éviter  d'être  ingrat  envers  Dieu  de  qui  nous 
tenons  tout.  Le  commerce  de  telles  gens  doit  être 
évité  y  et  on  doit  le  fuir  avec  soin.  Il  est  important 
de  rompre  sans  retardement  avec  les  personnes  que 
l'on  sait  être  dangereuses  ;  plus  on  est  exposé ,  et 
plus  on  doit  veiller  sur  soi-même,  redoubler  ses 
efforts,  être  fidèle  à  la  lecture  des  livres  de  piété,  k  la 
prière  et  à  la  fréquentation  des  sacremens  sans  les- 
quels on  languit  exposé  à  toutes  les  tentations. 

Il  est  certain  que  quand  nous  demandons  à  Dieu 
dans  le  Pater  le  pain  quotidien ,  c'est-à-dire  de  cha- 
que jour ,  nous  lui  demandons  l'Eucharistie.  Pour- 
quoi donc  ne  mangeons-nous  pas  chaque  jour,  ou  du 
moins  ti^ès-souvent ,  ce  pain  quotidien  7  Pour  nous 


QUI    SE    DONNE    BNTIÈABMENT    À    DIEU.  igg 

en  rendre  dignes,  accoutumons-nous  peu  à  peu  à 
nous  vaincre  y  à  pratiquer  la  vertu ,-  à  recourir  à 
Dieu  par  des  prières  simples  et  courtes,  mais  faites 
de  bon  cœur.  Le  goût  de  ce  que  nous  avons  aimé  s*ë- 
vanouira  insensiblement  ;  un  nouveau  goût  de  grâce 
s*emparera  enfin  de  notre  cœur;  nous  serons  affamés 
de  Jésus-Christ  qui  nous  doit  nourrir  pour  la  vie 
éternelle.  Plus  nous  mangerons  ce  pain  sacré,  plus 
notre  foi  s'augmentera;  nous  ne  craindrons  rien  tant 
que  de  nous  exclure  de  la  sainte  table  par  quelque 
infidélité;  nos  dévotions,  bien  loin  d*étre  pour  nous 
une  occupation  qui  gène  et  qui  surcharge,  seront 
au  contraire  une  source  de  consolation  et  d'adou- 
cissement à  nos  croix.  Mettons-nous  donc  en  état 
d'approcher  souvent  de  ce  sacrement  :  sans  cela  nous 
mènerons  toujours  une  vie  tiède  et  languissante  pour 
le  salut.  Nous  irons  contre  le  vent  à  force  de  rames, 
et  sans  avancer  ;  au  lieu  que  si  ùous  nous  nourrissons 
de  la  chair  de  Jésus-Christ  et  de  sa  parole,  nous  se- 
rons comme  un  vaisseau  que  le  vent  pousse  à  pleines 
voiles.Henreuz  ceux  qui  sont  en  cet  état ,  ou  du  moins 
qui  le  désirent  ! 


4oO  DÉSIK 


Prière  dune  orne  qui  désire  se  donner  à  Dieu  s 

reserve» 


Mon  Dîea ,  je  venz  me  donner  à  Yons  ;  «ionnez- 
in*eii  le  coorage  ;  forti6et  ma  foible  volonté  qat  sou- 
pire après  Yoac  :  je  voiu  tends  les  Joras^  prene^moi  : 
sî  je  nai  pas  là  force  de  me  donner  à  vous,  attires- 
moi  par  la  douceur  de  vos  parfÎMns;  eatralnes-moi 
après  vous  par  les  liens  de  veti^  anwnr^  Seigneur,  à 
qni  serois-fe  ii  je  ne  suis  h  vous?  Quel  rode  esclavage 
que  d'être  à  soi  et  à  ses  passions!  O  vraie  liberté  des 
enCuis  de  Diea  !  on  ne  von»  eonndll  pas«  Henrenx 
4jai  a  déconverft  où  eHe  est^  et  qat  ne  la  obercke  plus 
oà  elle  n'est  pas!  Henreiiz;  mille  fins  qui  dépend  de 
Dieu  es  tout  pour  ne  dépendre  plais  que  de  Im  seul  ! 

Ma»  d'ott:  vient  y  ô  mon  divinf  épeux,  que  l'on 
craint  de  rompre  sas  ehatees?  Les  vanités  passagères 
valent-eUes  mieux  que  votre  étemelle  vérifé  et  que 
vous-même?  peut-on  craindre  de  se  donner  à  vous? 
O  folie  monstrueuse  !  ce  seroit  craindre  son  bonheur, 
ce  seroit  craindre  de  sortir  de  l'Egypte  pour  entrer 
dans  la  Terre-Promise  ;  ce  seroit  murmurer  dans  le 
désert,  et  se  dégoûter  de  la  manne  par  le  souvenir 
des  ognons  d'Egypte. 

Ce  n'est  pas  moi  qui  me  donne  à  vous;  c'est  vous, 
ô  mon  amour,  qui  vous  donnez  tout  à  moi.  Je  n'hé- 
site point  de  vous  donner  mon  cœur.  Quel  bonheur 
d'être  dans  la  solitude ,  et  d*y  être  avec  vous,  de  n'a'- 

coûter 


D8    SE    DOlfNEa    A    DIEU.  4^1 

coûter  et  de  ne  dire  plus  ce  qui  est  vain  et  inutile, 
pour  vous  écouter!  O  sagesse  infinie!  ne  me  parle- 
rez-vous  pas  mieux  que  ces  hommes  vains?  Vous  me 
parlerez,  ô  amour  de  mon  Dieu  !  vous  m'instruirez; 
vous  me  fer^z  fuir  la  vanité  et  le  mensonge  ;  vous  me 
nourrirez  de  vous;  vous  retiendrez  en  moi  toute 
vaine  curiosité.  Seigneur,  quand  je  considère  votre 
joug,  il  me  semble  trop  doux  :  et  est-il  donc  la  croix 
que  je  dois  porter  en  vous  suivant  tous  les  jours  de 
ma  vie?  N*avez-vous  point  d'autre  caKce  plus  amer 
de  votre  passion  à  me  faire  boire  jusqu'à  la  lie?  Bor^ 
nez-vous  à  cette  retraite  paisible,  sous  une. sainte 
règle  et  parmi  tant  de  bons  exemples ,  l'austère  péni- 
tence qae  j'ai  méritée  par  mes  péchés?  O  amour! 
vous  ne  faites  qu'aimer;  vous  ne  frappez  point,  vous 
épargnez  ma  foibles'se.  Graindrois-je  après  cela  de 
m'approcher  de  vous?  Les  croix  de  la  solitude  pour« 
ront-^lles  m'eifrayer?  Celles  dont  le  monde  accable 
doivent  faire  peur.  Quel  aveuglement  de  ne  les 
craindre  pas  ! 

O  misère  infinie,  que  votre  seule  miséricorde  peut 
surpasser!  Moins  j'ai  eu  de  lumières  et  de  courage, 
plus  j*ai  été  digne  de  votre  compassion.  O  Dieu  !  je 
me  suis  rendu  indigne  de  vous,  mais  je  peux  devenir 
un  miracle  de  votre  grâce.  Donnez-moi  tout  ce  qui 
me  manque,  et  il  n'y  aura  rien  en  mpi'qui  n'exalte 
vos  dons. 


Féhélov.  xviii.  26 


^O»  HÉCBSSIT*    mT    PRATIQUE 

ÏX.XI1. 

Nécessité  de  renoncer  à  soi-même  :  pratique  de  ce 

renoncement. 

Si  vous  voulez  bien  comiMPendre  ce  que  c'est  que 
se  renoncer  soi-môme,  vous  n'avez  qu'à  vous  souve- 
nir de  la  difficulté  que  vouasenlîtesau  dedans  de  voua, 
et  que  vous  témoignâtes  fort  naturdlement  quwad  je 
disois  de  ne  jamais  compter  pour  riea  ce  moi  qui  nous 
est  si  cher.  5e  renoncer  c'est  se  compta-  pour  rien; 
et  quiconque  en  seht  la  difficulté  a  dé^  compris  en 
quoi  consiste  ce  renoncement  qui  révolte  toute  la 
nature.  Puisque  vous  avea  senti* le  coup,  il  fa»t  qu'il 
ait  trouvé  la  plaie  de  votre  cœur;  c'est  h  vojis  h  lais- 
ser feiie  la  main  toute-pmssante  de  Dieu,  qui  saura 
bien  vous  arracher  à  vous-même. 

Le  fond  de  notre  mal  est  de  nous  aimer  d'un  ftqaour 
aveugle,  qui  va  jusqu'à  l'idolâtrie.  Tout  ce  que  nous 
armons  au  dehors  nous  ne  l'aimons  que  pour  nous. 
Il  faut  se  désabuser  de  toutes  ces  amitiés  généreuses, 
où  l'on  parolt  s'oublier  poui-  ne  penser  pluç  qu'aux 
intérêts  des  peraeaaca  auxquelte  on  «'attache.  Qi»a  od 
on  ne  cherche  point  un  intérêt  bas  et  grossier  date 
le  commerce  de  l'amitié,  on  y  recherche  un  autre 
intérêt,  qui,  pour  être  plus  caché,  plus  délicat,  et 
même  plus  honnête  selon  le  monde,  n'en  est  que 
plus  dangereux,  et  plus  capable  de  nous  empoison- 
ner en  nom-rissant  mieux  l'amour-propre. 

On  cherche  donc  dans  ces  amitiés,  qui  paroissenl 


DE    REHrOJICBMfiHT    A    S01*ltfÈME.  4^3 

et  aux  autres  et  à  noas-mêmes  si  généreuses  et  si 
désintéressées,  le  plaisir  d*aimer  sans  intérêt,  et  de 
s'élever  par  ce  sentiment  noble  au-dessus  de  tous  les 
cœurs  foibles  et  attachés  à  des  intérêts  sordides. 
Outre  ce  témoignage  qu*on  veut  se  rendre  à  soi» 
même  pour  flatter  son  orgueil,  on  cherche  encore 
dans  le  monde  la  gloire  du  désintéressement  et  de  la 
générosité;  on  cherche  à  être  aimé  de  ses  amis,  quoi- 
qu'on ne;  cherche  pas  à  être  servi  par  eux  :  on  es- 
père qip'ils  seront  charmés  de  tout  ce  que  Fon  fart 
pour  eux  sans  retour  sur  soi;  et  par  là  on  retrouve 
Je  retour  sur  soi  qu'on  semble  abandonner  :  car 
^qu'y  a-t-il  de  plus  doux  et  de  plus  flatteur  pour  un 
amour-propre  sensé  et  d'un  goût  délicat,  que  de  se 
voir  applaudir  jusqu'à  ne  passer  plus  pour  un  amour» 
propreî 

On  voit  une  personne  qui  parott  toute  aux  autres 
et  point  à  elle-même,  qui  fait  les  délices  des  honnê- 
tes gens,  qui  se  modère,  qui  semble  s'oublier.  L'ou- 
bli de  soi-même  est  si  grand  que  l'amouNpropre 
même  veut  l'imiter,  et  ne  trouve  point  de  gloire 
pareille  à  celle  de  ne  parottre  en  rechercher  aucune. 
Cette  modération  et  ce  détachement  de  soi,  qui  se- 
roitla  mort  de  ta  nature,  si  c'étoit  un  sentiment  réel 
et  eflèctif,  devient  au  contraire  l'aKment  le  plus  sub* 
til  et  le  plus  imperceptible  d'un  otgueil  qui  méprise 
tous  les  moyens  ordinaires  de  s'élever,  et  qui  veut 
fouler  aux  pieds  tous  les  sujets  de  vanité  les  plus  gros- 
siers qui  élèvent  le  reste  des  hommes.'  Mais  il  est  fa- 
cile de  démasquer  cet  orgueil  modeste,  quoiqu'il  ne. 
paroisse  orgueil  d'aucun  côté,  tant  il  semble  avoir 
renoncé  à  tout  ce  qui  flatte  les  autres.  Si  on  le  con- 


404  NÉCESSITÉ    ET    PRATIQUE 

damne,  il  supporte  impatiemmeot  d*être  condainné; 
si  les  gens  qu'il  aime  et  qu'il  sert  ne  le  paient  point 
d'amitié,  d'estime  et  de  confiance,  il  est  piqué  au 
vif.  Vous  le  voyez,  il  n'est  pas  désintéressa,  quoi- 
qu'il s^eflforce  de  le  paroitre.  A  la  vérité,  il  ne  se  paie 
point  d'une  monnoie  aus^i  grossière  que  les  autres; 
il  ne  lui  faut  ni  louanges  lades,  ni  argent,  ni  fortune 
qui  consiste  en  charges  et  en  dignités  extérieures  :  il 
veut  pourtant  être  payé;  il  est  avide  de  l'estime  des 
honnêtes» gens;  il  veut  aimer  afin  qu'on  l'^fme,  et 
qu'on  soit  touché  de  son  désintéressement;  il  ne  pa- 
roit  s'oublier  que  pour  mieux  occuper  de  soi  tout  1« 
monde.  ' 

"  Ce  n'est  pas  qu'il  fasse  toutes  ces  réflexions  d'une 
itaanière  développée  :'  il  ne  dit  pas  :  Je  veux  tromper 
tout  le  monde  par  mon  désintéressement,  afin  que 
tout  le  monde  m'aime  et  m'admii*e  ;  non ,  il  n'oseroit 
se  dire  à  soi-même  des  cbpses  si  grossières  et  si  in- 
dignes :  mais  il  se  trompe  en  trompant  les  autres;  il 
se  mire  avec  complaisance  dans  son  désintéresse- 
ment, comme  une  belle  femme  dans  son  miroir;  il 
s*attendrit  sur  soi-même  en  se  voyant  plus  sincère 
et  plus  désintéressé  que  le  reste  des  hommes;  l'illu- 
sion qu'il  répand  sur  les  autres  rejaillit  sur  lui  ;  il  ne 
se  donne  aux  antres  que  pour  ce  qu'il  croit  être, 
c'est-à-dire,  pour  désintéressé;  et  voilà  ce  qui  le  flatte 
le  plus. 

Si  peu  qu'on  rentre  sérieusement  au  dedans  de  soi, 
pour  observer  ce  qui  nous  attriste  et  ce  qui  nous 
flatte,  on  reconnoilra  aisément  que  l'orgueil,  sui- 
vant qu'il  est  plus  grossier  ou  plus  délicat,  a  des 
goûts  différens.  Mais  l'orgueil,  quelque  bon  goût 


DU    RENONCEMENT    A    SOI-MÊME.   *  4^^ 

que  VOUS  lui  donniez ,  est  toujours  orgueil ,  et  celui 
qni  paroît  le  plus  modéré  et  le  plus  raisonnable  est 
le  plus  diabolique  ;  car,  en  s^estimant,  il  méprise  les 
autres;  il  a  pitié  des  gens  qui  se  repaissent  de  sottes 
vanités  ;  il  connoît  le  vide  des  grandeurs  et  des  plus 
hauts  rangs  ;  il  ne  peut  supporter  les  gens  qui  s'en- 
ivrent de  leur  fortune;  il  veut  par  sa  modération  être 
au-dessus  de  la  fortune  même,  et  par  là  se  faire  un 
nouveau  degré  d'élévation  pour  laisser  à  ses  pieds 
toute  la  fausse  gloire  du  genre  humain  :  c'est  vouloir, 
comme  Lucifer,  devenir  semblable  au  Très-Haut. 
On  veut  être  une  espèce  de  divinité  au-dessus  des 
passions  et  des  intérêts  des  hommes;  et  on  ne  s'aper- 
çoit pas  qu'on  se  met  au-dessus  des  autres  hommes 
par  cet  orgueil  tromjpeur  qui  nous  aveugle. 

Concluons  donc  qu'il  n*y  a  que  l'amour  de  Dieu 
qui  puisse  nous  faire  sortir  de  nous.  Si  la  puissante 
main  de  Dieu  ne  nous  soutient  pas,  nous  ne  saurions 
oii  poser  le  pied  pour  faire  un  pas  hors  de  nous-mê- 
mes. Il  n'y  a  point  de  milieu  :  il  faut  rapporter  tout  à 
Dieu  ou  à  nous-mêmes.  Si  nous  rapportons  tout  à 
nous-mêmes,  nous  n'avons  point  d'autre  dieu  que  ce 
moi  dont  j'ai  tant  parlé  ;  si  au  contraire  nous  rappor- 
tons tout  à  Dieu,  nous  sommes  dans  l'ordre;  et  alors, 
ne  nous  regardant  plus  que  comme  les  autres  créa- 
tures, sans  intérêt  propre  et  par  la  seule  vue  d'ac- 
complir la  volonté  de  Dieu,  nous  entrons  dans  ce 
renoncement  à  nous-mêmes  que  vous  souhaitez  de 
bien  comprendre. 

Mais,  encore  une  fois,  rien  ne  boucheroit  tant 
votre  cœur  à  la  grâce  du  renoncement,  que  cet  or- 
gueil philosophique  et  cet  amour-propre  déguisé  en 


4o(>  NÉCESSITÉ    ET    PRATIQUE 

générosité  mondainei  dont  vous  devez  vous  dé6er ,  h 
cause  de  la  pente  naturelle  et  de  Thabitude  que  vous 
y  avez.'  Plus  on  a  par  son  naturel  un  fonds  de  fran- 
chise, de  désintéressement,  de  plaisir  à  faire  du  bien, 
de  délicatesse  de  sentiinens,  de  goût  pour  la  probité 
et  pour  Famitié  désintéressée,  plus  on  doit  se  dé- 
prendre de  soi  et  craindre  de  se  complaire  en  ces 
dons  naturels. 

Ce  qui  fait  qu'aucune  créature  ne  peut  nous  tirer 
de  nous-mêmes,  c*est  qu'il  n'y  en  a  aucune  qui  mé- 
rite que  nous  la  préférions  à  nous.  Il  n'y  en  a  au- 
cune qui  ait  ni  le  droit  de  nous  enlever  à  nous-mêmes, 
ni  la  perfection  qui  seroit  nécessaire  pour  qous  atta- 
cher à  elle  sans  retour  sur  nous ,  ni  enfin  le  pouvoir 
de  rassasier  notre  cœur  dans  cet  attachement.  De  là 
vient  que  nous  n^aimons  rien  hors  de  nous  qne  pour 
le  rapport  à  nous  :  nous  choisissons,  ou  selon  nos 
passions  grossières  et  brutales,  si  nous  sommes  bru- 
taux et  grossiers,  ou  selon  le  goût  que  notre  orgueil 
a  de  la  gloire,  si  nous  avons  assez  de  délicatesse  pour 
ne  nous  con^tenter  pas  de  ce  qui  est  grossier  et  brutal. 

Mais  Di:eu  fait  deux  choses,  que  lui  seul  peut  faire; 
Tune  de  se  montrer  à  nous  avec  tous  ses  droits  sur 
sa  créature  et  avec  tous  les  charmes  de  sa  bonté.  On 
sent  bien  qu'on  ne  s'est  pas  fait  soi-même,  et  qu'ainsi 
on  n'est  pas  fait  pour  soi  ;  qu'on  est  fait  pour  la  gloire 
de  celui  à  qui  il  a  plu  de  nous  faire;  qu'il  est  trop 
grand  pour  rien  faire  que  pour  lui-même;  qu'ainsi 
toute  notre  perfection  et  tout  notre  bonheur  est  de 
nous  perdre  en  lui.  Voilà  ce  qu  aucune  créature, 
quelque  éblouissante  qu'elle  soit,  ne  peut  jamais 
nous  faire  sentir  pour  elle.  Bien  loin  d'y  trouver  cet 


UV    ABironCEMEHT    A    SOI-MÉME.  ^OJ 

icrfini  qui  nous  remplit  et  qui  nous  transporte  çn 
Dieu  y  nous  trbnvons  toujours  au  contraire,  dans  les 
créatures»  un  vide,  une  impuissance  de  remplir  notre 
cœur  y  une  imperfection  qui  nous  laisse  toujours  re- 
tomber ^du  nous-mêmes. 

.  La  seoonde  merveille  que  Dieu  fait,  est  de  remuer 
notre  cœur  comme  il  lui  p\ait ,  après  avoir  ëclairë 
notre  esprit.  Il  ne  se  contente  pas  de  se  montrer  in^ 
finiment  aimable  ;  mais  il  se  fait  aimer  en  produi- 
sant par  sa  grâce  son  amour  dans  nos  cœurs  :  ainsi 
il  exécute  lui-même  en  nous  ce  qu*il  nous  fait  voir 
que  nous  lui  devons. 

Vous  dire&  peut-être  que  vous  voudriez  savoir 
€l*une  manière  plus  sensible  et  plus  en  détail  ce  que 
c'est  que  se  renoncer  :  je  vaiâ  tâoher  de  vous  salisfaî|*e. 

On  comprend  aisément  qu  on  doit  renoncer  aux 
plaisirs  criminels^  aux  fortunes  injustes  et  aux  gros- 
sières vanités ,  parce  que  le  renoncement  à  toutes 
^  choses  consiste  dans  un  mépris  qui  les  rejette  ab- 
solument et  qui  en  condamne  toute  jouissance  :  mais 
il  n  est  pas  aussi  facile  de  comprendre  li  renonce- 
ment aux  biens  légitimement  acquis,  aux  douceurs 
d'une  vie  honnête  et  modeste ,  enfin  aux  honneurs 
qm  viennent  de  la  bonne  réputation  et  d'une  Vertu 
qui  s'élève  au-dessus  de  l'envie. 

Ce  qui  fait  qu'on  a  peine  à  comprendre  qu'il  faille 
renoncer  à  ces  choses,  c'est  qu'oie  ne  doit  pas  les  re- 
jeter avec  horreur,  et  qu'au  contraire  il  fi^ut  les 
conserver  pour  en  user  selon  l'état  oh  la  divine  pro- 
vidence nous  met.  On  a  besoin  des  consolations  d'une 
vîie  douce  et  paisible  pour  se  soulager,  dans  les  en^ 
barras  de  sa  condition  ;  il  faut  pour  les  honneurs 


4^8  •   nÉCESSlTÉ    ET    PRATIQUE 

avoir  égard  aux  bienséances;  il  faut  conserver  pour 
ses  besoins  le  bien  qu*on  possède.  Gomment  donc 
Fenoncer  à  toutes  ces  choses ,  pendant  qu'on  est  oc- 
cupé du  soin  de  les  conserver?  Cest qu'il  faut,  sans 
passion ,  faire  modérément  ce  que  Ton  pébt  pour 
conserver  ces  choses,  afin  d*en  faire  un  usage  sobre,. 
et  non  pas  en  vouloir  jquir  et  y  mettre  son  oœur.  Je 
dis  un  usage  sobre  ;  parce  que ,  quand  on  ne  s'atta- 
che point  à  une  chose  avec  passion  pour  en  jouir  et 
pour  j  chercher  son  bonheur,  on  n'en  prend  que 
ce  qu'on  ne  peut  s'empêcher  de  prendre  ;  comme 
vous  voyez  qu'un  sage  et  fidèle  économe  s'étudie  i 
ne  prendre  sur  le  bien  de  son  maître  que  ce  qui  lui 
est  précisément  nécessaire  pour  ses  véritables  be- 
soins. Ainsi  la  manière  de  renopcer  aux  mauvaises 
choses  est  d'en  rejeter  l'usage  avec  horreur  ;  et  la 
manière  de  renoncer  aux  bonnes  est  de  n'en  user 
jamais  qu'avec  modération  pour  la  nécessité,  en 
s'étudiaqt  à  retrancher  tous  les  besoins  imaginai^ 
dont  la  nature  avide  se  veut  flatter. 

Eemarqtiez  qu'il  faut  renoncer  non-seulement  aux 
choses  mauvaises,  mais  encore  aux  bonnes;  car  Jésus- 
Christ  a  dit  sans  restriction  :  Quiconque  ne  renonce 
pas  à  tout  ce  quU  possède,  ne  peut  être  mon  dis- 
ciple (0.  Il  faut  donc  que  tout  chrétien  renonce  à 
tout  ce  qu'il  possède,  même  aux  choses  les  plus  in 
nocentes ,  puisqu'elles  cesseroient  de  l'être  s'il  b'j 
renonçoit  pas.  Il  faut  qu'il  renonce  même  aux  choses 
qu'il  est  obligé  de  conserver  avec  un  grand  soin, 
comme  le  bien  de  sa  famille  ^  ou  comme  sa  propre 
réputation ,  puisqu'il  ne  doit  tenir  par  le  cœur  à  au- 

{^)  Luo.  xiY.  3. 


DU    RENOnCBMBlIT.A    SOI-MÊME.  4^9 

cane  de  toutes  ces  choses  :  il  ne  doit  les  conserver 
que  pour  un  usage  sobre  et  modéré  ;  enfin  il  doit  être 
prêt  à  les  perdre  toutes  les  fois  que  la  Providence 
voudra  Ten  priver. 

Il  doit  même  renoncer  aux  personnes  qu'il  aime 
le  plus ,  et  qu'il  est  obligé  d'aimer  :  et  voici  en  quoi 
consiste  ce  renoncement  y  c'est,  de  ne  les  aimer  que 
pour  Dieu  ;  d'user  sobrement ,  et  pour  le  besoin ,  de 
la  consc^tion  de  leur  amitié;  d'être  prêt  à  les  pei'dre 
quand  Dieu  les  ôtera ,  et  de  ne  vouloir  jamais  cher- 
cher en  eux  le  vrai  repos  de  son  cœur.  Voilà  cette 
chasteté  de  la  vraie  amitié  chrétienne  qui  ne  cherche 
que  l'époul  sacré  dans  l'ami  mortel  et  terrestre.  En 
cet  état,  on  use  de  la  créature  et  du  monde  comme 
n'en  usant  points  suivant  le  terme  de  saint  Paul  (0  : 
•on  ne  veut  point  jouir,  on  use  seulement  de  ce  que 
Dieu  donne  et  qu'il  veut  qu'on  aime  ;  mais  ou  en  use 
avec  la  retenue  d'un  cœur  qui  n'en  use  que  pour  la 
nécessité ,  et  qui  se  réserve  pour  un  plus  digne  objet. 
C'est  en  ce  sens  que  Jésus-Christ  veut  qu'on  laisse  père 
et  mère,  frères,  sœurs  et  amis ,  et  qu'il  est  venu  ap- 
porter le  glaive  au  milieu  des  familles  W. 

Dieu  est  jaloux  :  si  vous  tenez  par  le  fond  du  cœur 
à  quelque  créature,  votre  cœur  n'est  point  digne  de 
lui  ;  il  le  rejette  comme  une  épouse  qui  se  partage 
entre  Tépoux  et  l'étranger. 

Après  avoir  renoncé  à  tout  ce  qui  est  autour  de 
noua  et  qui  n'est  pas  nous-mêmes ,  il  faut  enfin  venir 
au  dernier  sacrifice,  qui  est  celui  de  tout  ce  qui  est 
en  nous  et  nous-mêmes.  Le  renoncement  à  notre 
corps  est  afireux  pour  la  plupart  des  personnes  dé- . 

CO  /  Cor.  XI.  I.  —  (»)  dfatth,  x,  54,  S;;  et  xn.  19. 


4lO  JBléCBMlTÉ    KT    PRATIQVB 

licatea  et  mondaines.  Ces  personnes  foibles  ne  cob* 
noissent  rien  qui  soit  plos  elles-mêmes,  pour  ainsi 
dire ,  que  leur  corps ,  qu  elles  flattent  et  qu  elles  or- 
nent avec  tant  de  soin  :  souvent  même  ces  personnes, 
désabusées  des  grâces  du  corps  »  conservent  iiu  amour 
pour  la  vie  corporelle  qui  va  jusqu^à  une  honteuse 
lâcheté,  et  qui  les  faitfrémir  ao  seul  nom  de  la  mort 
Je  crois  que  votre  courage  naturel  vous  élève  assez 
au-dessus  de  ces  craintes  :  il  me  semble  que  )e  vous 
entends  dire  :  Je  ne  ftux  ni  flatter  mon  corps ,  ni 
hésiter  à  consentir  à  sa  destruction,  quand  Dieu 
voudra  le  frapper  et  le  mettre  en  poudre. 

Mais,  quoiqu*on  renonce  ainsi  à  son  corps,  il  i*este 
de  grands  obstacles  pour  renoncer  à  ton  esprit.  Plus 
on  méprise  ce  corps  de  boue  par  un  courage  natu- 
rel ,  plus  on  est  tenté  d*estimer  ce  qu'on  porte  au 
dedans  de  soi ,  qui  va  jusqu'à  mépriser  le  corps.  On 
est  pour  son  esprit,  pour  sa  sagesse  et  pour  sa  vertu, 
comme  une  jeune  femme  mondaine  est  pour  sa 
beauté  ;  on  »*y  complaît  j  on  se  sait  bon  gré  d'être 
sage ,  modéré ,  préservé  de  Tivreste  des  autres  v  et 
par  là  on  s'enivre  du  plaisir  mèoae  de  ne  pas  parotlre 
enivré  de  la  prospérité  :  on  renonce  par  une  modé- 
ration pleine  de  courage  à  la  jouissance  de  tout  ce 
que  te  monde  a  de  pins  flatteur;  mais  ou  veut  jouir 
de  sa  modération  même.  O  que  cet  état  est  dange- 
reux !  6  que  ee  poison  est  subtil  !  O  qwe  vous  man- 
queriez à  Dieu  si>  vous  livriez  votre  cœur  à  ce  raffi- 
nement de  l'amour-propre  I  II  faut  donc  renoncer  à 
toute  jouissance  et  à  toute  complaisance  naturelle 
de  votre  sagesse  et  de  votre  vertUv. 

Remarquez  que,  plus  les.  doQS  de  Dieu  sont  puis 


DU    RBirONCEMENT    A    80I-M^E.  4^^ 

et  excellenâ,  plus  Dieu  en  est  jaloux.  Il  a  fait  misé- 
ricorde ail  premier  homme  pécheur ,  et  il  a  con- 
damné sans  miséricorde  Tange  rebelle.  L'ange  et 
rhomme  avoient  péché  par  Tamour  d*eux- mêmes; 
et  comme  l'ange  étoit  parfait ,  en  sorte  qu'il  étoit 
tenté  de  se  regarder  comme  une  espèce  de  divinité  ^ 
Dieu  a  puni  son  infidélité  avec  une  jalousie  plus  sé- 
vère qu'il  a  puni  celle  de  l'homme. 

Concluons  donc  que  Dieu  est  plus  jaloux  de  ses  dons 
les  plus  excellens  que  des  choses  les  plus  communes  : 
il  yeut  qu'on  ne  tienne  à  rien  qu^àlui-^méme»  et  qu'on 
ne  s^attache  à  ses  dons,  quelque  purs  qu'ils  soient, 
qae  suivant  son  dessein  \  pour  nous  unir  plus  facile- 
Dient  et  plus  intimement  à  lui  seul.  Quiconque  en- 
visage avec  complaisance  et  avec  un  certain  plaisir 
de  propriété  une  grâce ,  la  tourne  d'abord  en  poison. 
Ne  vous  appropriez  donc  jamais  non-seulement  les 
choses  extérieures  y  comme  la  faveur,  ou  vos  talens^ 
mais  pas  même  les  dons  intérieurs.  Votre  bonne  vo- 
lonté n'est  pas  moins  un  don  de  miséricorde,  que 
Fétre  et  la  vie  qui  vient  de  Dieu.Vivez  comme  à  l'em- 
prunt :  tout  ce  qui  est  à  vous  et  tout  ce  qui  est  vous- 
même  n'est  qu'un  bien  prêté  :  serves-vous  en  selon 
l'intention  de  celui  qui  le  prête;  mais  n'en  disposez 
|ansiais  comme  d'un  bien  qui  est  à  vous.  C'est  cet 
esprit  de  désappropriation  et  de  simple  usage  de  soi- 
même  et  de  notre  esprit,  pour  suivre  les  mouvemens 
de  Dieu ,  qui  est  le  seul  véritable  propriétaire  de  sa 
créature,  en  quoi  consiste  le  solide  renoncement  à 
nous-mêmes. 

Vous  me  demanderez  apparemment  quelle  doit 
être  en  détail  la  pratique  de  cette  dés^pi^opriation 


4lA  HÉCVSSITé    ET    PEÀTIQUB 

et  de  ce  renoncement.  Mais  je  vous  répondrai  qne  ce 
sentiment  n%st  pas  plus  tôt  dans  le  fond  de  la  volonté, 
-que  Dieu  mène  lui-même  Famé  comme  par  la  main 
pour  l'exercer  dajDS  ce  renoncement  en  toutes  les 
occasions  de  la  journée. 

Ce  B*est  point  par  des  réflexions  pénibles,  et  par 
une  contention  continuelle,  qu^on  se  renonce  ;  c'est 
seulement  en  s'abstenant  de  se  rechercher  et  de 
vouloir  se  posséder  à  sa  mode ,  qu'on  se  perd  en 
Dieu. 

Toutes  les  fois  qu'on  aperçoit  un  mouvement  de 
hauteur,  de  vaine  complaisance,  de  confiance  en 
soi-même,  de  désir  de  suivre  son  inclination  contre 
la  règle,  de  recherche  de  son  propre  goût ,  d'impa- 
tience contre  les  foiblesses  d'autrui  ou  contre  les  en- 
nuis de  son  propre  état ,  il  faut  laisser  tomber  tou- 
tes ces  choses  comme  une  pierre  au  fond  de  l'eau, 
se  recueillir  devant  Dieu ,  et  attendre  à  agir  jusqu'à 
ce  qu'on  soit  dans  la  disposition  oik  le  recueillement 
doit  mettre.  Que  si  la  dissipation  dés  affaires  ou  la 
vivacité  de  l'imagination  empêche  l'ame  de  se  re- 
cueillir d'une  manière  facile,  douce  et  sensible,  il 
but  au  moins  tâcher  de  se  calmer  par  la  droiture 
de  la  volonté  et  par  le  désir  du  recueillement.  Alors 
la  volonté  de  ce  recueillement  est  une  espèce  de  re- 
cueillement qui  suffit  pour  dé^uiller  l'ame  de  sa 
volonté  propre,  et  pour  la  rendre  souple  dans  la 
main  de  Dieu. 

Que  s'il  vous  échappe,  dans  votre  promptitude, 
quelque  mouvement  trop  naturel,  et  qui  soit  de 
cette  propriété  maligne  dont  nous  parlons ,  ne  vous 
découragez  pas;  suivez  toujours  votre  chemin ;por^ 


DU    ftEBrOHCEMENT    A    SOI-MÊME.  *    4^^ 

\e%  en  paix  devant  Dteu  rhnmiliation  de  votre  faute, 
sans  vous  laisser  retarder  dans  votre  course  par  le 
dëpit  très-cuisant  que  Tamour-propre  vous  fai^  res-* 
sentir  de  votre  foiblesse.  Allez  toujours  avec  con- 
fiance,  sans  vous  laisser  troubler  par  les  chagrins 
d'un  oi^ueil  dëlicat  qui  ne  peut  souffrir  de  se  voir 
imparfait.  Votre  faute  servira ,  par  cette  confusion 
intérieure  y  à  vous  faire  mourir  à  vous-même,  à  vous 
désapproprier  des  dons  dé  Dieu ,  et  à  vous  anéantir 
devant  lui.  La  meilleure  manière  de  la  reparer  est 
de  mourir  au  sentiment  de  l'amour-propre ,  et  de 
s'abandonner  sitns  retardement  au  cours  de  la  grâce, 
qu'on  avoit  un  peu  interrompu  par  cette  inBdëlité 
passagère. 

Le  principal  est  de  renoncer  à  votre  propre  sa- 
gesse par  une  conduite  simple,  et  d'être  prêt  à  sa- 
crifier la  faveur,  l'estime  et  l'approbation  publique, 
toutes  les  fois  que  la  conduite  de  Dieu  sur  vous  vous 
y  engagera.  Ce  n'est  pas  qu'il  faille  se  mêler  des 
choses  dont  Dieu  ne  vous  charge  pas ,  ni  vous  com- 
mettre inutilement  en  disant  des  vérités  qye  les  per- 
sonnes bien  intentionnées  ne  sont  pas  encore  capa- 
bles de  porter.  Il  faut  suivre  Dieu,  et  ne  le  prévenir 
jamais.  Mais  aussi,  quand  il  donne  le  signal,  il  fiiut 
tout  quitter  et  totit  hasarder  pour  le  suivre.  Hésiter, 
retarder,  s'amollir,  aSbiblir  ce  gu'il  veut  qu'on  fasse, 
craindre  de  s'exposer  trop,  vouloir  se  metti*e  à  l'abri 
des  dégoûts  et  des  contradictions ,  chercher  des  rai- 
»  sons  plausibles  pour  se  dispenser  de  faire  de  certains 
biens  difficiles  et  épineux ,  quand  on  est  convaincu 
en*  sa  conscience  que  Dieu  les  attend  de  nous,  et 
qu'il  nous  a  mis  en  état  de  les  accomplir  ;  voilà  ce 


4l4  NÉCESSITÉ    ET    PEATIQCK 

qui  seroît  se  reprendre  soi-même,  après  s^élre  donné 
sans  résenre  à  Diea.  Je  le  prie  de  toqs  pràerrer  de 
cette  infidélité.  Rien  n*est  si  terrible  que  de  résister 
intérieorement  à  Dieu  ;  c'est  le  péché  contre  le  Saint- 
Esprit  ^  dont  Jésus-Christ  nous  assure  (0  quV/  ne  sera 
pardonné  ni  en  ce  monde  ni  en  Vautre. 

Les  autres  fautes  que  tous  ferez  dans  la  simplicité 
de  votre  bonne  intention  se  tourneront  à  profit  pour 
vous, en  vous  humiliant  et  en  tous  rendant  pins  petit 
à  vos  propres  yeux.  Mais  pour  ces  fautes  de  rési- 
stance à  TEsprit  de  Dieu  par  une  hauteur  et  par  une 
tôgesse  mondaine  >  qui  ne  marcfaeroit  pas  avec  un 
courage  assez  simple ,  et  qui  voudroit  trop  se  mé- 
nager dans  Vaccomplissement  de  Tœuvre  de  Dieu , 
c'est  ce  qui  éteindroit  insensiblement  Fesprit  de 
grâce  dans  votre  cœur.  Dieu  jaloux ,  et  rebuté  après 
tant  de  grâces ,  se  retireroit  et  vous  livreroit  à  vous* 
même  :  vous  ne  feriez  plus  que  tournoyer  dans  une 
espèce  de  cercle ,  au  lieu  d'avancer  à  grands  pas 
dans  le  droit  chemin  :  vous  languiriez  dans  la  vie 
intâ*ieurey«t  ne  feriez  que  diminuer^  sans  que  tous 
puissiez  presque  vous  dire  à  voos-méoie  la  cause  se- 
crète et  profonde  de  votre  maL 

Dieu  vous  a  donné  une  ingénuité  et  une  candeur 
qui  lui  plaît  sans  doute  beaucoup  :  c'est  sur  ce  fon- 
dement qu'il  veut  b^ir  tout  l'édifice.  Il  veut  de  vous 
une  simplicitéqui  sera  d'autant  pins  sa  sagesse,  que  ce 
ne  sera  point  la  vôtre.  Il  vous  veut  petit  à  vos  yeux, 
et  souple  dans  ses  mains  comme  un  petit  enfant. 
C'est  cette  enfance,  si  contraire  à  l'esprit  de  l'homme, 
et  si  recommandée  dans  l'Évangile,  que  Dieu  veut 

{})Maak,  XII.  3). 


DU    RBirOBrCEMENT^A    S01«>xtME.  4  ^ '^ 

mettre  dans  votre  cœur,  malgré  la  contagion  qui 
règne  dans  le  monde  dû  elle  est  si  inconnae  et  si 
méprisée.  C*est  même  par  cette  simplicité  et  cette 
petitesse  qu'il  veut  guérir  en  vous  tout  reste  de  sa- 
gesse hautaine  et  défiante.  Vous  devez  dire  comme 
David  (0  :  Je  serai  encore  plus  simple,  plus  vil  et 
plus  petit  que  je  ne  Vai  été  depuis  le  moment  que  je 
me  suis  donné  à  Djeu. 

Pourvu  que  v6us  soyez  fidèle  à  lire  assez  pour 
nourrir  votre  cœur  et  pour  vous  instruire,  que  vous 
V  ous  recueilliez  de  temps  en  temps  en  certains  mo- 
mens  dérobés  de  la  journée,  qu'enfin  vous  ayez  des 
temps  réglés  pour  être  avec  Dieu ,  vous  verrez  assez 
tout  ce  que  vous  aurez  à  faire  pour  la  pratique  de 
toutes  les  vertus  ;  les  choses  se  présenteront  à  vous 
comme  d'elles-mêmes.  Si  vous  êtes  simple  en  la  pré- 
sence de  Dieu  ,  il  ne  vous  laissera  guère  douter. 

Mais  ce  qui  pfpt  vous  embrouiller,  e.t  arrêter  les. 
grâces  que  Dieu  verse  sur  vous  comme  «n  torrent, 
c'est  que  vous  craignez  d'aller  trop  loin  dans  le  bien, 
et  que  vous  ne  laissez  pas  assez  faire  Dieu  aux  «Lé- 
pens  de  votre  sagesse.  Surtout  ne  lui  donnez  aucunes 
bornes.  Il  ne  s'agit  pas  d'entreprendre  de  grandes 
choses ,  que  Dieu  ne  demande  peut-être  pas  de  vAus 
en  la  manière  que  vous  le  concevriez,  et  qui  se- 
roieat  hors  de  saison;  mais  de  suivre  sans  empres** 
sèment,  sans  précipitation  et  sans  aucun  mouvement 
propre,  les  ouvertures,  que  Dieu,  vous  donnera  de 
monuent  à  autre  pour  déboucher  le  cœur  de  voa 
amies,  et  pour  leur  montrer  ce  qu'elles  doivent  à 
Dieu  dans  leur  état  C'est  un  ouvrage  de  patience,. 


4t6  HÉcBuiTÉ^er  Pratique 

de  foi  et  d'attention  continuelle  :  il  y  faut  une  mer- 
veilleuse discrétion  ;  et  il  faut  bien  se  garder  de  suivre 
là-dessus  un  certain  zèle  qui  s'écbauffe  inconsidéré- 
ment.  Mais  cette  discrétion  si  nécessaire  n'est  pas 
celle  qu*on  s'imagine  :  c'est  une  discrétion  qui  ne 
va  point,  comme  celle  du  monde,  à  prendre  ses  me* 
sures  avec  soi-même,  mais  seulement  à  attendre 
toujours  le  moment  de  Dieu ,  et  à  Mpir  sans  cesse  les 
yeux  sur  lui  pour  ne  nous  mouvoir  qu'à  mesure  qu'il 
nous  pousse  par  les  ouvertures  que  sa  providence 
fournit  au  dehors ,  et  par  tes  lumières  qu'il  nous 
communique  au  dedans.  Je  ne  demande  donc  pas 
que  vous  vous  excitiez  jamais;  au  contraire,  que 
vous  soyez  par  vous-même  immobile ,  mais  sans  ré- 
sistance ;  en  sorte  que  rien  ne  vous  arrête  ni  ne  vous 
retarde  quand  Dieu  voudra  agir  par  vous. 

Je  le  prie  de  répandre  çur  vous  la  grâce  de  Ten  - 
fant  Jésus ,  avec  la  paix ,  la  confia^e  et  la  joie  du 
Saint-Esprit. 

XXXIII. 

•  Suite  du  même  sujet. 

QuijrD  j*ai  dit  que  quiconque  n'est  point  attaché 
à  soi-même  par  la  volonté  en  est  détaché  véritable- 
ment, j'ai  songé  à  prévenir  ou  à  guérir  les  scrupules 
qu'on  peut  avoir  par  les  retours  qu'on  fait  sur  soi- 
même.  Les  âmes  fidèles  à  se  renoncer  sont  souvent 
tourmentées  par  certaines  vues  d'intérêt  propre 
qu'elles  ont  en  parlant  ou  en  agissant.  Elles  crai- 
gnent de  n  avoir  pas  résisté  à  une  vaine  complaisance, 

à 


DU  henomcement  a  soi-même.'  417 

à  un  motif  de  gloire,  au  goût  d'ane  commodité ,  à 
une  recherche  de  soi-même  dans  les  consolations  de 
la  vertu.  Tout  cela  fait  peur  à  une  ame  tendre;  elle 
s'en  accuse.  Pour  la  rassurer,  il  est  bon  de  lui  dire 
que  tout  le  bien  et  tout  le  mal  sont  Jans  la  volonté. 
Quand  ces  retours  sur  son  propre  intérêt  sont  invo- 
lontaires, ils  n  empêchent  point  qu*on  ne  soit  véri- 
tablement détaché  de  soi. 

Mais  quand  on  est  réellement  détaché  de  soi ,  dites- 
vous,  peut-on  avoir  involontairement  ces  vues  d'in* 
térêt  propre  qui  sont  volontaires?  A  cela  je  réponds 
qu^il  est  rare  qu'une  ame  véritablement  détachée 
d'elle,  et  attachée  à  Dieu,  se  cherche  encore  pour 
son  propre  intérêt  de  propos  délibéré.  Mais  il  est  né- 
cessaire, pour  la  mettre  au  large,  et  pour  Tempé- 
cher  detre  continuellement  sur  des  épines,  de  savoir 
une  bonne  fois  que  les  retours  involontaires  sur 
notre  propre  intérêt  ne  nous  rendent  point  dés- 
agréables à  Dieu,  non  plus  que  les  autres  tentations 
auxquelles  on  n'a  donné  aucun  consentement.  D'ail- 
leurs il  faut  comprendre  que  les  personnes  qui  ont 
ane  sincère  piété,  mais  qui  ne  sont  point  entière- 
ment mortes  à  la  commodité  de  la  vie,  ou  à  la  répu- 
tation, ou  à  l'amitié,  se  laissent  un  peu  aller  à  se 
rechercher  elles-mêmes  sur  toutes  ces  choses.  On  n'y 
va  pas  directement  et  ouvertement  tête  baissée,  mais 
on  s'y  laisse  entraîner  comme  par  occasion.  On  tient 
encore  à  soi  par  toutes  ces  choses  ;  et  une  marque 
évidente  qu'on  y  tient,  c'est  que  si  quelqu'un  ébranle 
ces  soutiens  de  la  nature,  elle  est  désolée.  Si  quel- 
que accident  trouble  le  repos  de  notre  vie,  menace 
notre  réputation ,  ou  détache  de  nous  les  gens  dont 
Féhélon.  xvui.  37 


4lB  HÉCBSSITÉ    ET   PKÂTIQUE 

nous  estimons  Tamitié,  nous  sentons  alors  en  nous 
une  vive  douleur,  qui  marque  combien  Tamoui- 
propre  est  encore  vivant  et  sensible. 

Nous  tenons  donc  encore  à  nous  presque  sans  nous 
en  apercevoir  ;  et  il  n*y  a  que  les  occasions  de  perte 
qui.  nous  découvrent  le  vrai  fond  de  notre  cœur.  Ce 
n*est  .qa'à  mesure  que  Dieo  nous  les  arrache ,  oa 
qu*il  fait  semblant  de  nous  les  arracher,  que  nous 
en  perdons  une  propriété  injuste  et  maligne,  par  le 
sacrifice  que  nous  lui  en  faisons.  Tout  ce  qu'on  ap- 
pelle qsage  modéré  ne  nous  assure  point  de  notre  dé- 
tachement comme  nous  en  sommes  assurés  par  une 
privation  tranquille.  Il  n*y  a  que  la  perte ,  et  la  perte 
que  Dieu  opère  lui-même,  qui  nous  désapproprie 
véritablement. 

En  cet  état  de  piété  sincère ,  mais  encore  impar  - 
faite,  on  a  une  infinité  de  ces  recherches  secrètes  de 
soi-même.  Il  y  a  un  temps  oik  on  ne  les  voit  pas  en- 
core distinctement ,  et  où  Dieu  permet  que  la  lumière 
intérieure  n'aille  pas  plus  loin  que  la  force  de  sa- 
crifier. Jésus-Christ  dit  intérieurement  ce  qu*il  disoit 
à  ses  apôtres  (Or  Toi  hien  éC  autres  choses  à  vous  dé- 
coui^riri  meis  vous  néies  pas  encore  capables  de  les 
porter.  On  voit  en  soi  de  bonnes  intentions  qui  sont 
véritables;  mais  on  seroit  efirayé  si  Fou  pouvoit 
voir  à  coD9l>ien  de  choses  on  tient  encore.  Ce  n'est 
pas  d'une  volonté  pleine,  et  avec  réflexion,  qu'on  a  ces 
attachemens  ;  on  ne  dit  pas  en  soi-même  :  Je  les  ai 
et  je  veux  les  ayoir  ;  nais  enfin  on  les  a,  et  quelque- 
fois même  on  craint  de  trop  creuser  et  de  les  trouver. 
On  sent  sa  foiblesse ,.  on  n'ose  pénétrer  plus  loin. 

{*)J<Mm,  XTI.  13. 


DU    RENONCEMENT    A    80i-M&ME.  4 '9 

Quelquefois  aussi  on  voudroit  trouver  tout  pour  tout 
sacrifier  ;  mais  c'est  un  zèle  indiscret  et  téméraire , 
comme  celui  de  saint  Pierre  y.  qui  disoit:  Je  suis  prêt 
à  mourir  {^)\  et  une  servante  lui  fit  peur.  On  cherche 
à  découvrir  toutes  ses  foiblésses  ;  et  Dieu  nous  mé- 
nage dans  cette  recherche.  H  nous  refuse  une  lumière 
trop  avancée  pour  notre  état  ;  il  ne  permet  pas  que 
nous  voyions  <  dans  notre  ccenr  ce  qu'il  n'est  pas  en- 
core temps  d  en  arracher.  C'est  un  ménagement  ad- 
mirable de  la  bonté  de  Dieu  y  de  ne  nous  solliciter  ja- 
mais intérieurement  à  lui  sacrifier  quelque  chose  que 
nous  avons  aimé  et  possédé  jusqu'ici  sans  nouf^  en 
donner  une  lumière ,  et  de  ne  nous  donner  jamais  la 
lumière  du  sacrifice  sans  nous  en.  donner  la  force. 
Jusque  là  nous  sommes  à  l'égard  de  ce  sacrifice 
comme  les  apôtres  étoîent  sur  ce  que  Jésus-Christ 
leur  prédisoit  de  sa  mort  \  ils  ne  comprenoient  rien, 
et  leurs  yeux  étoient  fermés  à  la  lumière.  Les  aroes 
les  plus  droites  et  les  plus  vigilantes  contre  leurc^  dé- 
fauts sont  encore  dans  cet  état  d'obscurité  sur  cer- 
tains détachemenSy  que  Dieu  réserve  à  un  état  de  foi 
et  de  mort  plus  avancé.  Il  ne  faut  point  vouloir  en 
prévenir  le  temps ,  et  il  suffit  de  demeurer  en  paix , 
pourvu  qu'on  soit  fidèle  dans  tout  ce  qu'on  connott. 
S'il  reste  quelque  chose  à  connottre.  Dieu  nous  le 
découvrira. 

Cependant  c'est  un  voile  de  miséricorde  dont  Dieu 
nous  cache  ce  que  nous  ne  serions  pas  encore  capa- 
bles de  porter.  On  a  un  certain  zèle  impatient  pour 
sa  propre  perfection  ;  on  voudroit  d'abord  voir  tout 
et  sacrifier  tout;  n^ais  une  humble  attente  sous  la 

(0  Lue.  XXII.  33. 


4^0  HÉCESSITÉ   ET   VEàTIQUE 

main  de  Dieu  et  un  doux  support  de  soi-même ,  sans 
se  flatter  dans  cet  état  de  ténèbres  et  de  dépendance, 
nous  sont  infiniment  plus  utiles  pour  mourir  ii  nous- 
mêmes,  que  tous  les  eflbrts  inquiets  pour  avancer 
notre  perfection.  Contentons-nous  donc  de  suivre , 
sans  regarder  plus  loin,  toute  la  lumière  qui  nous 
est  donnée  de  moment  à  autre.  Cest  le  pain  quoti- 
dien ;  Dieu  ne  le  donne  que  pour  chaque  jour.  Cest 
encore  la  manne  :  celui  qui  veut  en  prendre  double 
portion,  et  faire  provision  pour  le  lendemain,  s'abuse 
grossièrement;  elle  pourrira  dans  ses  mains,  il  n*en 
mangera  pas  plus  que  celui  qui  en  a  pris  seulement 
pour  sa  journée. 

C'est  cette  dépendanoe  d'enfant  vers  son  père  à 
laquelle  Dieu  veut  nous  plier,  même  pour  le  spiri- 
tuel. Il  nous  dispense  la  lumière  intérieure,  comme 
une  sage  mère  donneroit  à  sa  jeune  fille  de  l'ouvrage 
à  faire;  elle  ne  lui  en  donneroit  de  nouveau  qu'au 
moment  où  le  premier  seroit  fini.  Avez- vous  achevé 
tout  ce  que  Dieu  a  mis  .devant  vous?  dans  Tinslant 
même  il  vous  présentera  un  nouveau  travail;  car  il 
ne  laisse  jamais  l'ame  oisive  et  sans  progrès  dans  le 
détachement.  Si  au  contraire  vous  n'avez  point  encore 
fini  le  premier  travail,  il  vous  cache  celui  qui  doit 
suivre.  Un  voyageur  qui  marche  dans  une  vaste 
campagne  fort  unie  ne  voit  rien  au-delà  d'une  petite 
hauteur  qui  termine  l'horizon  bien  loin  de  lui.  Est-il 
arrivé  à  cette  hauteur,  il  découvre  d'abord  une  nou- 
velle étenduede  pays  aussi  vaste  que  la  première.  Ainsi 
dans  la  voie  du  dépouillement  et  du  renoncement 
à  soi-même  on  s'imagine  découvrir  tout  d*un  premier 
coup  d'œil  ;  on  ^croit  qu'on  ne  réserve  rien ,  et  qu'on 


DU    afiffONCEMEIlT    A   SOI-MÊME*  4^1 

ne  tient  ni  à  soi  ni  à  autre  chose  ;  on  aimeroit  mieux 
mourir  que  d'hësiter  à  faire  un  sacrifice  universel. 
Mais  y  dans  le  détail  journalier ,  Dieu  nous  montre 
sans  cesse  de  nouveaux  pays.  On  trouve  dans  son 
coeur  mille  choses  qu'on  auroit  juré  n  y  être  pas.  Dieu  -* 
ne  nous  les  montre  qu'à  mesure  qu'il  les  fait  sortir. 
Cest  comme  un  abcès  qui  crève  ;  le  moment  au* 
quel  il  crève  est  l'unique  qui  fait  horreur.  Aupara- 
vant on  le  portoit  sans  le  sentir,  et  on  ne  croyoit  pas 
l'avoir;  on  l'avoit  pourtant ,  et  il  ne  crève  qu'à  cause 
qu'on  l'avoit.  Quand  il  étoit  caché  on  se  croyoit  sain 
et  propre  ;  quand  il  crève,  on  s.ent  l'infection  du  pus. 
Le  moment  où  il  crève  est  salutaire,  quoiqu'il  soit 
douloureux  et  dégoûtant.  Chacun  porte  au  fond  de  > 
son  cœur  un  amas  d'ordure,  qui.  feroit  mourir  de 
honte  si  Dieu  nous  en  montroit  tout  le  poison  et 
toute  l'horreur;  l'amour-propre  seroit  dans  un  sup- 
plice insupportable.  Je  ne  parle  pas  ici  de  ceux  qui 
ont  le  cœur  gangrené  par  des  vices  énormes;  je  parle 
des  âmes  qui  paroissent  droites  et  pures.  On  verroit 
une  folle  vanité  qui  n'ose  se  découvrir ,  et  qui  de- 
meure toute  honteuse  dans  les  derniers  replis  du 
cœur.  On  verroit  des  complaisances  en  soi ,  des  hau- 
teurs de  l'orgueil  y  des  recherches  délicates  de  l'amour- 
propre,  et  mille  autres  replis  intérieurs  qui  sont 
aussi  i^els  qu'inexplicables.  Nous  ne  les  verrons  qu'à 
mesure  que  Dieu  commencera  à  les  faire  sortir. 
Tenez,  vous  dira-t-il,  voilà  la  corruption  qui  étoit 
dans  le  profond  abîme  de  votre  cœur.  Après  cela , 
glorifiez-vous  ;  promettez-vous  quelque  chose  de  vous- 


même  ! 


Laissons  donc  faire  Dieu«  et   contentons  -  nous 


4l''i  *lfÉCE881TÉ    DU    nEKOMCEMfilItT. 

d'être  fidèles  à  la  lumière  du  moment  présent.  Elle 
apporte  avec  elle  tout  ce  qu^il  nous  faut  pour  nous 
préparer  à  la  lumière  du  moment  qui  suit  ;  et  cet  en- 
chaînement de  grâces,  qui  entrent,  comme  lés  an- 
neaux d*une  chaîne,  les  unes  dans  les  antres,  nous 
prépare  insensiblement  aux  sacrifices  éloignés  dont 
lous  n^arons  pas  même  la  vue.  Cette  mort  à  nous- 
mêmes  et  à  tout  ce  que  nous  aimons,  qui  est  encore 
générale  et  superficielle  dans  notre  volonté,  après 
en  avoir  percé  la  surface ,  jettera  de  profondes  ra- 
cines dans  le  plus  intime  de  cette  volonté.  Elle  pé- 
nétrera jusqu'au  centre;  elle  ne  laissera  rien  à  la  créa- 
ture ;  elle  poussera  au  dehors ,  sans  relâche ,  tout  ce 
qui  n^est  point  Dieu. 

Au  reste ,  soyez  persuadé  sur  la  parole  d*autrni , 
en  attendant  que  Fexpérience  vous  le  fasse  goûter  et 
sentir,  que  ce  détachement  de  soi  et  de  tout  ce  qu'on 
aime ,  bien  loin  de  dessécher  les  bonnes  amitiés  et 
d'endurcir  le  cœur,  produit  au  contraire  en  Dieu  une 
amitié  non-seulement  pure  et  solide ,  mais  toute  cor- 
diale, fidèle,  afiectueuse,  pleine  d'une  douce  cor- 
respondance; et  on  y  trouve  tous  les  assaisonne- 
mens  de  l'amitié  que  la  nature  même  cherche  pour 
se  consoler. 


XXXIV. 

Sur  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu. 

PouE  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu  vous  trou* 
verez  divers  chapitres  de  ï Imitation  de  Jésus-Christ 
qui  sont  merveilleux;  la  lecture  de  saint  François  de 
Sales  vous  nourrira  aussi  de  cette  manne.  Toute  la 
vertu  consiste  essentiellement  dans  la  bonne  volonté. 
Cest  ce  que  Jésus -Christ  nous  fait  entendre  en 
disant  (0  :  Le  royaume  de  Dieu  est  au  dedans  de 
vous.  Il  n^est  point  question  de  savoir  beaucoup,  d'a- 
voir de  grands  talens ,  ni  même  de  faire  de  grandes 
actions  \  il  ne  faut  qu'avoir  un  cœur  et  vouloir  le  bien. 
Les  œuvres  extérieures  sont  les  fruits  et  les  suites  in- 
séparables auxquelles  on  reconnott  la  vraie  piété  \ 
mais  la  vraie  piété,  la  source  de  ces  œuvres,  est  toute 
au  fond  du  cœur.  Il  y  a  certaines  vertus  qui  sont  pour 
<;ertaines  conditions,  et  non  pour  d'autres.  Les  unes 
sont  convenables  en  un  temps,  et  les  autres  dans  un 
autre  \  mais  la  bonne  volonté  est  de  tous  temps  et  de 
tous  lieux.  Vouloir  tout  ce  que  Dieu  veut,  le  vouloir 
toujours,  pour  tout  et  sans  réserve,  voilà  ce  royaume 
de  Dieu  qui  est  tout  intérieur.  C'est  par  là  que  son 
règne  arrive  ,  puisque  sa  volonté  s'accomplit  sur  la 
terre  comme  dans  le  ciel,  et  que  nous  ne  voulons  plus 
que  ce  que  sa  volonté  souveraine  imprime  dans  la 
liôtre.  Heureux  les  pauvres  d^esprit!  heureux  ceux 
qui  se  dépouillent  de  tout ,  et  même  de  leur  propre 
volonté,  pour  n'être  plus  à  eux-mêmes!  O  qu'on  est 
(Niuvre  en  esprit  et  dans  le  fond  de  son  intérieur, 

{*)  Lue.  xTii.  ai. 


4^  SOA    LA    COBFOftJflTÉ 

quand  on  n*est  pins  à  soi  -  même ,  et  qo*on  s*est  dé- 
pouillé jusqu'à  perdre  tout  droit  sur  soi  ! 

Mais  comment  est-ce  que  notre  volonté  devient 
•bonne?  En  se  conformant  sans  r&erve  à  celle  de 
Dieu.  On  veut  tout  ce  qn*il  veut,  on  ne  veut  rien  de 
tout  ce  qu*il  ne  veut  pas;  on  attache  sa  volonté  foible 
à  la  volonté  toute-puissante  qui  fait  tout.  Par  là  il  ne 
peut  plus  rien  arriver  qne  ce  que  Dieu  vent  ;  on  est 
parfaitement  satisfait  quand  sa  volonté  s'accomplit; 
et  Ton  trouve  dans  le  bon  plaisir  de  Dieu  une  sonrce 
inépuisable  de  paix  et  de  consolation.  La  vie  entière 
est  un  commencement  de  la  paix  des  bienheureux, 
qui  disent  éternellement:  Amen^  amen. 

On  adore,  on  loue,  on  bénit  Dieu  de  tout;  on  le 
voit  sans  cesse  en  toutes  choses,  et  en  toutes  choses 
sa  main  paternelle  est  Tunique  objet  dont  on  est  oc- 
cupé. Il  n'y  a  plus  de  maux  ;  car  tout,  jusques  aux 
maux  même  les  plus  terribles ,  se  tourne  en  bien  l 
comme  dit  saint  Paul  (^),pour  ceux  qui  aiment  Dieu. 
Peut-on  appeler  maux  les  peines  que  Dieu  nous  en- 
voie pour  nous  purifier  et  nous  rendre  dignes  de 
lui?  Ce  qui  nous  fait  un  si  grand  bien  ne  peut  éti^e 
un  mal. 

Jetons  donc  tous  nos  soins  dans  le  sein  d'un  si 
bon  père  ;  laissons-le  faire  comme  il  lut  plaira.  Con- 
tentons-nous de  suivre  sa  volonté  en  tout,  et  de 
mettre  la  nôtre  dans  la  sienne  pour  nous  en  désap- 
proprier.  Il  n'est  pas  juste  que  nous  ayons  quelque 
chose  à  nous,  nous  qui  ne  sommes  pas  à  nous-mêmes. 
L'esclave  n'a  rien  à  soi  ;  à  combien  plus  forte  raison 
la  créature,  qui  n'a  de  son  fonds  que  le  néant  et  le 

(>)  Jlom»  vin.  38. 


A    LK    VOLONTÉ    UE    DIEU.  4^^ 

pëchë,  et  en  qui  tout  esl  don  et  pure  grâce  y  ne  doit* 
elle  rien  avoir  en  propriété.  Dieu  ne  lui  a  donné  une 
volonté  libre  et  capable  de  se  posséder  elle-même, 
que  pour  l'engager  par  ce  don  à  se  dépouiller  plus 
généreusement.  Nous  n'avons  rien  à  nous  que  notre 
volonté  ;  tout  le  reste  n'est  point  à  nous.  La  maladie 
enlève  la  santé  et  la  vie  ;  les  richesses  nous  sont  arra- 
chées par  la  violence;  les  talens  de  l'esprit  dépendent 
de  la  disposition  du  corps.  L'unique  chose  qui  est  vé- 
ritablement à  nous  c'est  notre  volonté,  aussi  est-ce 
elle  dont  Dieu  est  jaloux  ;  car  il  nous  l'a  donnée,  non 
afin  que  nous. la  gardions,  et  que  nous  en  demeu- 
rions propriétaires,  mais  afin  que  nous  la  lui  rendions 
tout  entièrç  telle  que  nous  l'avons  reçue,,  et  sans  en 
rien  retenir.  Quiconque  réserve  le  moindre  désir  ou 
la  moindre  répugnance  en  propriété,  fait  un  larcin  à 
Dieu  contre  Tordre  de  la  création.  Tout  vient  de  lui , 
et  tout  lui  est  dû. 

Hélas!  combien  d'ames  propriétaires  d'elles-mêmes 
qui  voudroient  faire  le  bien  et  aimer  Dieu,  mais  se- 
lon leur  goût  et  par  leur  mouvement  propre;  qui 
voudroient  donner  à  Dieu  des  règles  dans  la  manière 
de  les  satisfaire  et  de  les  attirer  à  lui!  Elles  veulent 
le  servir  et  le  posséder  ;  mais  elles  ne  veulent  pas  se 
donner  k  lui  et  se  laisser  posséder.  Quelle  résistance 
Dieu  ne  trouve-t-il  pas  dans  ces  âmes,  lors  même 
qu'elles  paroissent  si  pleines  de  zèle  et  de  ferveur! 
Il  est  certain  même  qu'en  un  sens  leur  abondance 
spirituelle  leur  devient  un  obstacle;  car  elles  ont 
tout,  même  jusqu'aux  vertus,  en  propriété  et  avec 
une  continuelle  recherche  d'elles-mêmes  dans  le 
bien.  O  qu'une  ame  bien  pauvre ,  bien  renonçante  à 


4^6  sua    LA    CO^TFOaMlTÉ 

sa  propre  vie  et  à  tons  ses  mouvemens  naturels,  bien 
désappropri^e  de  toute  volonté  pour  ne  plus  vouloir 
que  ce  que  Dieu  lui  fait  vouloir  à  chaque  moment , 
selon  les  règles  de  son  Evangile  et  selon  le  cours  de 
sa  providence,  est  au*dessus  de  toutes  ces  âmes  fer- 
ventes et  lumineuses  qui  veulent  toujoura  mstrchei 
dans  les  vertus  par  leur  propre  chemin  ! 

Voilà  le  sens  profond  des  paroles  de  Jésns^Christ 
prises  dans  toute  leur  étendue  :  Que  celui  çui  veut 
Are  mon  disciple  y  se  renonce,  et  ^uUl  me  suiue  (0. 
Il  faut  suivre  pas  à  pas  Jésus-Christ,  et  non  pas  s*ou- 
vrir  une  route  vers  lui.  On  ne  le  suit  qu'en  se  renon- 
çant. Qu'est-ce  qne  se  renoncer ,  sinon  abandonner 
tout  droit  sur  soi  sans  réserve?  Aussi  saint  Panl  nous 
dit-il  (>)  :  Fous  frètes  plus  à  vous  :  non ,  il  ne  nous 
reste  plus  rien  en  nous  qui  nous  appartienne.  Mal- 
heur à  qui  se  reprend  après  s*étre  donné! 

Je  prie  le  Père  des  miséricordes  et  le  Dieu  de  toute 
consolation  de  vous  arracher  votre  propre  cœur,  et 
de  ne  pas  vous  en  laisser  la  moindre  parcelle.  Il  en 
coûte  beaucoup  dans  une  si  douloureuse  opération  : 
on  a  bien  de  la  peine  k  laisser  faire  Dieu,  et  à  de- 
meurer sous  sa  main  quand  il  coupe  jusqu'au  vif. 
Mais  c'est  la  patience  des  saints  et  le  sacrifice  de  la 
pure  foi. 

Laissons  Dieu  faire  de  nous  tout  ce  qu'il  voudra. 
Jamais  aucune  résistance  volontaire  d'un  seul  mo- 
ment. Dès  que  nous  apercevons  la  révolte  des  sens  et 
de  la  nature,  tournons-nous  vers  Dieu  avec  con- 
fiance, et  soyons  pour  lui  contre  la  nature  lâche  et 
rebelle;  livrons-la  à  l'Esprit  de  Dieu  qui  la  fera 

{*)  MéÊt^  xyu  a4-  2Ucc.  xiy.  37, 33.  —  («)  /  Cor,  yi.  tg. 


A    LA    VOLOHl'É    DU    DIEU.  4^7 

peu  à  peu  mourir.  Veillons  en  sû  présence  contre  lés 
moindres  fautes  pour  ne  jamais  contrister  le  Saint- 
Esprit  ,  qui  est  jaloux  de  tout  ce  qui  se  passe  dans 
rintërieun  Profitons  des  fautes  que  nous  aurons 
faites^  par  un  sentiment  humble  de  notre  misère, 
sans  découragement  et  sans  lassitude. 

Peut-on  mieux  glorifier  Dieu,  qu'en  se  désapprp- 
priant  de  soi-même  et  de  toute  volonté,  pour  le  lais- 
ser faire  selon  son  bon  plaisir?  C'est  alors  qu'il  est 
vëritablement  notre  Dieu,  et  que  son  règne  arrive  en 
nous,  lorsque,  indépendamment  de  tous  les  secours 
extérieurs  et  de  toutes  les  consolations  intérieures , 
nous  ne  regardons  plus  et  au  dedans  et  au  dehors 
que  la  seule  main  de  Dieu  qui  fait  tout,  et  que  nous 
ne  cessons  point  d*adorer. 

Vouloir  le  servir  en  un  lieu  plutôt  qu'en  un  autre, 
par  une  telle  voie  et  non  par  celle  qui  y  est  opposée, 
c'est  vouloir  le  servir  à  notre  mode ,  et  non  à  ia 
sienne.  Mais  être  également  prêt  atout,  vouloir  tout 
et  ne  vouloir  rien ,  se  laisser  comme  un  jouet  dans 
les  mains  de  la  Providence,  ne  mettre  point  de 
bornes  à  cette  soumission  comme  l'empire  de  Dieu 
n'en  peut  souffrir;  c*est  le  servir  en  se  renonçant  soi- 
même  ;  c'est  le  traiter  véritablement  en  Dieu,  et  nous 
traiter  en  créature  qui  n'est  faite  que  pour  lui. 

O  qde>  nous  serions  heureux  s'il  nous  mettoit  aux 
plus  rudes  épreuves  pour  lui  donner  la  moindre 
gloire  !  k  quoi  sommes-nous  bons,  si  celui  qui  nous 
a  faits  trouve  encore  quelque  résistance  ou  quelque 
réserve  dans  notre  cœur  qui  est  son  ouvrage? 

Ouvrez  donc  votre  cœur ,  mais  ouvrez-le  sans  me- 
sure, afin  que  Dieu  et  son  amour  y  entrent  sans  me-> 


4^8  I>K    LA    COJTFIAACË    iM    D]£U. 

sure  comme  un  torreoU  Ne  craignez  rien  dans  le 
chemin  oh  vous  marchez.  Dieu  vous  mènera  comme 
par  la  main,  pourvu  que  vous  ne  doutiez  pas,  et 
que  vous  soyez  plus  rempli  de  son  amour  qae  de 
crainte  par  rapport  à  vous. 

XXXV. 

Recevoir  ayec  soumission  ce  ijue  Dieu  fait  au 
dehors  et  au  dedims  de  nous* 

Ce  qu'il  y  a  de  meilleur  à  faire ,  c'est  de  recevoir 
également  et  avec  la  même  soumission  toutes  les  dif- 
férentes choses  que  Dieu  nous  donne  dans  la  loarnée, 
et  au  dehors  et  au  dedans  de  nous. 

Au  dehors,  il  y  a  des  choses  désagréables  qu*îl  faut 
supporter  courageusement,  et  des  choses  agréables 
auxquelles  il  ne  faut  point  arrêter  son  cœur.  On  ré- 
siste aux  tentations  des  choses  contraires  en  les  ac- 
ceptant ,  et  Von  résiste  aux  choses  flatteuses  en  re- 
fusant de  leur  ouvrir  son  cœur.  Pour  les  choses  du 
dedans  il  n*y  a  qu*à  faire  de  même.  Celles  qui  sont 
amères  servent  à«crucifier, et  elles  opèrent  dans  Famé 
selon  toute  leur  vertu ,  si  nous  les  recevons  simple- 
ment avec  une  acceptation  sans  bornes,  et  sans  cher- 
cher à  les  adoucir.  Celles  qui  sont  douces,  et  qui 
nous  sont  données  pour  soutenir  notre  foiblesse  par 
une  consolation  sensible  dans  les  exercices  exté- 
rieurs, doivent  aussi  être  acceptées,  mais  d'une  autre 
façon.  Il  faut  les  recevoir,  puisque  c'est  Dieu  qui  les 
donne  pour  notre  besoin,  mais  il  faut  les  recevoii, 


DE    LA    CONFIANCE    EH    DIEU.  4^9 

non  pour  l'amoar  d'elles ,  mais  par  conformité  aux 
desseins  de  Dieu.  Il  faut  en  user  dans  le  moment , 
corame  on  use  d'un  remède,  sans  complaisance,  sans 
attachement,  sans  propriété.  Ces  dons  doivent  être 
reçus  en  nous,  mais  ils  ne  doivent  point  tenir  en 
nous,  afin  que,  quand  Dieu  lès  retirera,  leur  priva- 
tion ne  nous  trouble  ni  ne  nous  décourage  jamais. 
La  source  de  la  présomption  est  dans  l'attachement 
à  ces  dons  passagers  et  sensibles.  On  s'imagine  ne 
compter  que  sur  le  don  de  Dieu;  mais  on  compte 
sur  soi ,  parce  qu'on  s'approprie  le  don  de  Dieu ,  et 
qu'on  le  confond  avec  soi-même.  Le  malheur  de 
cette  conduite ,  c'est  que  toutes  les  fois  qu'on  trouve 
quelque  mécompte  en  soi-même,  on  tombe  dans  le 
découragement.  Mais  une  ame  qui  ne  s'appuie  que 
sur  Dieu,  n'est  point  surprise  de  sa  propre  misère. 
Elle  se  platt  à  voir  qu'elle  ne  peut  rien,  et  que  Dieu 
seul  peut  tout.  Je  ne  me  soucie  guère  de  me  voir 
pauvre,  sachant  que  mon  père  possède  des  biens 
infinis  qu'il  me  veut  donner.  Ce  n'est  qu'en  nourris- 
sant son  cœur  de  la  pure  confiance  en  Dieu ,  qu'on 
s'accoutume  à  se  passer  de  la  confiance  en  soi-même. 
C'est  pourquoi  il  faut  moins  compter  sur  une  fer- 
veur sensible,  et  sur  certaines  mesures  de  sagesse 
que  l'on  prend  avec  soi-même  pour  sa  perfection, 
que  sur  une  simplicité,  une  petitesse,  un  renonce- 
ment è  tout  mouvement  propre,  et  une  souplesse 
parfaite  pour  se  laisser  aller  h  toutes  les  impressions 
de  la  grâce.  Tont  le  reste,  en  établissant  des  vertus 
éclatantes,  ne  feroit  que  nous  inspirer  secrètement 
plus  de  confiance  en  nos  propres  efforts. 

Prions  Dieu  qu'il  aiTache  de  notre  cœur  tout  ce 


4^0  SUR    LUTILITÉ 

que  nous  voudrions  y  planter  nous-mêmes,  et  qu'il  y 
plante  de  ses  propres  mains  larbre  dé  vie  chargé  de 
fruits. 


tVVkwm 


XXXVI. 

Sur  Vutilité  et  le  bon  usage  des  croix. 

Os  a  bien  de  la  peine  à  se  convaincre  de  la  bonté 
avec  laquelle  Dieu  accable  de  croix  ceux  qu'il  aime. 
Pourquoi,  dit-on,  prendre  plaisir  à  nous  faire  souf- 
frir? Ne  saur  oit-il  nous  rendre  bons  sans  nous  rendre 
misérables?  Oui,  sans  doute,  Dieu  le  pou  voit;  car 
rien  ne  lui  est  imposible.  Il  tient  dans  ses  mains 
toutes-puissantes  les  cœurs  des  hommes,  et  les  tourne 
comme  il  lui  plaît,  ainsi  que  la  main  d*un  fontainier 
donne  aux  eaux,  sur  le  sommet  d'une  montagne,  la 
pfsnte  qu'il  veut.  Mais  Dieu,  qui  a  pu  nous  sauver 
sans  croix,  n'a  pas  voulu  le  faire;  de  même  qu'il  a 
mieux  aimé  laisser  les  hommes  croître  peu  h  peo, 
avec  tous  les  embarras  et  toutes  les  foiblesses  de  leu- 
fance,  que  de  les  faire  naître  avec  toute  la  force  d'un 
âge  mûr.  Sur  cela  il  est  le  maître;  nous  n*avons  quà 
nous- taire,  et  qu'à  adorer  sa  profonde  sagesse  sans 
la  comprendre.  Ce  quQ  nous  voyons  clairement,  cest 
que  nous  ne  pouvons  devenir  entièrement  bons  qu'an- 
tant  que  nous  deviendrons  humbles,  désintéressés, 
détachés  de  nous-mêmes,  pour  rapporter  tout  à  Dieu 
sans  aucun  retour  sur  nous. 

L'opération  de  la  grâce  qui  nous  détache  de  nous- 
mêmes  ,  et  qui  nous  arrache  à  notre  amour^propt^ 


ET    LE    BON    USAGE    DES    CROIX.  .    4^1 

ne  peut,  sans  un  miracle  de  grâce,  éviter  d'être  dou- 
loureuse. Dieu,  dans  Tordre  de  la  grâce,  non  plus 
que  daos  celui  de  la  nature,  ne  fait  pas  tous  les  jours 
des  miracles.  Ce  seroit  pour  la  grâce  un  aussi  grand 
miracle  de  voir  une  personne  pleine  d'elle*- même, 
eu  un  moment  morte  à  tout  intérêt  propre  et  à 
toute  sensibilité,  que  ce  seroit  un  grand  miracle  de 
voir  un  enfant  qui  se  couche  enfant,  et  qui  se  lève- 
roit  le  lendemain  grand  comme  un  homme  de  trente 
ans.  Dieu  cache  son  opération,  dans  Tordre  de  la 
grâce  comme  dans  celui  de  la  nature,  sous  une  suite 
insensible  d'événemens.  Cest  par  là  qu  il  nous  tient 
dans  les  obscurités  de  la  foi.  Non-seulement  il  fait  son 
ouvrage  peu  à  peu ,  mais  il  le  fait  par  des  voies  qui 
paroissent  les  plus  simples  et'  les  plus  convenables' 
pour  y  réussir;  afin  que  les  moyens  paroissant  pro- 
pres au  succès,  la  sagesse  humaine  attribue  le  succès 
aux  moyens  qui  sont  comme  naturels,  et  qu'ainsi  le 
doigt  de  Dieu  y  soit  moins  marqué  :  autrement  tout 
ce  que  Dieu  fait  seroit  un  perpétuel  miracle,  qui  ren-- 
verser  oit  Tétat  de  foi  où  Dieu  veut  que  nous  vivions. 
Cet  état  de  foi  est  nécessaire,  non-seulement  pour 
exercer  les  bons,  en  leur  faisant  sacrifier  leur  raison 
dans  une  vie  pleine  de  ténèbres,  mais  encore  pour 
aveugler  ceux  qui  méritent,  par  leur  présomption,. 
de  s'aveugler  eux-mém^.  Ceux-ci,  voyant  les  ou- 
vrages de  Dieu,  ne  les  comprennent  point;  ils  n'y 
trouvent  rien  que  de  naturel.  Us  sont  privés  de  1» 
vraie  intelligence,  parce  qu^on  ne  la  mérite  qu'au- 
tant qu'on  se  défie  de  son  propre  esprit,  et  qo^e  la   . 
sagesse  superbe  est  indigne  de  découvrir  les  conseils 
de  Dieu. 


43a  61)11  l'utilité 

C'e5;t  donc  pour  tenir  dans  robscurité  de  la  foi  To- 
përalion  de  la  grâce,  que  Dieu  rend  cette  opération 
lente  et  douloureuse.  Il  se  sert  de  Tinconstaoce,  de 
Tingratitude  des  créatures,  des  mécomptes  et  des 
dégoûts  qu'on  trouve  dans  les  prospérités,  pour  nous 
détacher  des  créatures  et  des  prospérités  trompeu- 
ses. Il  nous  désabuse  de  nous-mêmes  par  rexpërience 
de  notre  foiblesse  et  de  no^e  corruption  dans  une  in- 
finité de  rechutes.  Tout  cela  paroit  naturel,  et  c'est 
cette  suite  de  moyens  comme  naturels  qui  nous  fait 
brûler  à  petit  feu.  On  voudroit  bien  être  consumé 
tout  d'un  coup  par  les  flammes  du  pur  amour  ;.  mais 
cette  destruction  si  prompte  ne  nous  coûteroit  pres- 
que rien.  C'est  par  un  excès  d'amour-propre  qu'on 
voudroit  ainsi  devenir  parfait  en  un  moment  et  à  si 
bon  marché. 

Qu'est-ce  qui  nous  révolte  contre  la  longueur  des 
croix  f  c'est  l'attachement  à  nous-mêmes  :  et  c^est  cet 
attachement  que  Dieu  veut  détruire;  car,  tandis  que 
nous  tenons  encore  à  nous-mêmes,  l'œuvre  de  Dieu 
ne  s'achève  point.  De  quoi  pouvons-nous  donc  nous 
plaindre?  Notre  mal  est  d'être  attachés  aux  créatu- 
res, et  encore  plus  à  nous-mêmes.  Dieu  prépare  une 
suite  d*événemens  qui  nous  détache  peu  à  peu  des 
créatures,  et  qui  nous  arrache  enfin  à  nous-mêmes. 
Cette  opération  est  douloureuse;  mais  c'est  notre 
corruption  qui  la  rend  nécessaire,  et  qui  est  cause 
de  la  douleur  que  nous  souffrons.  Si  notre  chair  étoit 
saine,  le  chirurgien  n'y  feroit  aucune  incision.  Il  ne 
coupe  qu'à  proportion  que  la  plaie  est  profonde,  et 
que  la  chair  est  plus  corrompue.  Si  l'opération  nous 
cause  tant  de  douleur,  c'estque  le  mal  est  grand.  Est* 

^  ce 


BT    LE    BOH   tJSÀGB   DES   CROIX.  4^^ 

ce  cruauté  au  chirurgien  de  couper  jusqu'au  vif? 
Non,  tout  ao  contraire ,  c*est  affection ,  c^est  habi- 
leté; il  traiteroit  ainsi  son  fils  unique. 

Dieu  nous  traite  de  même.  Il  ne  nous  fait  jamais 
aucun  mal  que  malgré  lui,  pour  ainsi  dire.  Son  cœur 
de  père  ne  cherche  pbint  à  nous  désoler;  mais  il 
coupe  jusqu*an  vif  pour  guérir  Fulcère  de  notre  cœur. 
Il  faut  qu'il  nous  arrache  ce  que  nous  aimons  trop, 
ce  que  nous  aimons  mal  et  sans  règle,  ce  que  nous 
aimons  au  pr^udice  de  son  amour.  En  cela  que  fait- 
il  ?  il  nous  fait  pleurer  comme  des  enfans  à  qui  on 
Ole  le  couteau  dont  ils  se  jouent,  et  dont  ils  pour- 
roient  se  tuer.  Nous  pleurons,  nous  nous  découra- 
geons, nous  crions  les  hauts  cris  ;  nous  sommes  prêts 
à  murmurer  contre  Dieu ,  comme  les  enfans  se  dé* 
pitent  contre  leurs  mères*  Mais  Dieu  nous  laisse 
pleurer,  et  nous  sauve.  Il  ne  nous  aCBige  que  pour 
nous  corriger.  Lors  même  qu^il  paroît  nous  accabler, 
c^est  pour  notre  bien ,  c'est  pour  nous  épargner  les 
oiaux  que  nous  nous  ferions  à  nous-mêmes.  Ce  que 
nous  pleurons  nous  auroit  fait  pleurer  éternelle- 
ment; ce  que  nous  croyons  perdu  étoit  perdu  quand 
nous  pensions  le  posséder  :  Dieu  Ta  mis  en  sûreté 
pour  nous  le  rendre  bientôt  dans  l'éternité  qui  s'ap- 
proche. Il  ne  nous  prive  des  choses  que  nous  aimons, 
que  pour  nous  les  faire  aimer  d'un  amour  pur,  so- 
lide et  modéré,  pour  nous  en  assurer  l'éternelle  jouis- 
sance dans  son  sein ,  et  pour  nous  faire  cent  fois  plus 
de  bien  que  nous  ne  saurions  nous  en  désirer  à  nous- 
mêmes. 

Il  n'arrive  rien  sur  la  terre  que  Dieu  n'ait  voulu. 
C'est  lui  qui  fait  tout,  qui  règle  tout,  qui  donne  à 
Fénélon.  xviii.  a8 


4i4  ^^^    L  DTIUTÉ 

Chaque  chose  lotit  ce  qu'elle  a.  Il  a  compté  les  che* 
veux  de  notre  tête,  les  feuilles  de  chaque  arbre,  les 
grains  de  sable  du  rivage ,  et  les  gouttes  d*eau  qui 
coBiposent  les  abîmes  de  TOcéan.  En  faisant  Tuni- 
vei*s,  sa  sagesse  a  mesuré  et  pesé  jusqu'au  dernier 
atôme«  Cest  lui  qui  en  chaque  moment  produit  et 
renouveUe  le  souffle  de  vie  qui  nous  anime  ;  c^est  lui 
qui  a  compté  nos  jours ,  qui  tient  dans  ses  puissantes 
maius  les  clefs  du  tombeau  pour  le  fermer  ou  pour 
rouvrir.  Ce  qui  nous  frappe  le  plus  n'est  rien  aux 
yeux  de  Dieu.:  un  peu  plus  ou  un  peu  moins  de  vie 
soni  des  différences  qui  disparoissent  en  présence  de 
son  éternité.  Qu'importe  que  oe  vase  fragile ,  ce 
corps  de  boue,  soit  brisé  et  réduit  en  cendres  un  peu 
plus  tôt  ou.  un  peu  plus  tard? 

O  que  nos  vues  sont  courtes  et  tcompenses!  On 
est  consterné  de  voir  une  personne  mourir  en  la 
fleur  de. son  âge.  Quelle  horrible  perte!  dit^on.  Mais 
pour  qui  est  la  perte?  Que  perd  celui  qui  meurt? 
Quelques  années  de  vanité,  d'illusion  et  de  danger 
pour  la  mort  éternelle.  Dieu  l'enlève  du  milieu  des 
iniquités,  et  se  hâte  de  l'arracher  au  monde  cor- 
rompu et  à  sa  propre  fragilité.  Que  perdent  les  per- 
sonnes dont  il  étoit  aimé?  Elles  perdent  le  poison 
d'une  félicité  mondaine;  elles  perdent  un  enivrement 
perpétuel  ;  elles  perdent  l'oubli  de  Dieu  et  d'elles- 
mêmes  où  elles  étoient  plongées  ;  ou  plutôt  elles  ga- 
gnent,  par  la  vertu  de  la  croix,  le  bonheur  du  déta- 
chement. Le  même  coup,  qui  sauve  la  personne  qui 
meuit,  prépare  les  autres  à  se  détacher  par  la  souf- 
france pour  travailler  courageusement  à  leur  salut. 
O  qu'il  est  donc  vrai  que  Dieu  est  bon,  qu'il  est 


ET  LE  BON  USAGE  DES  CROIX.         ^'i5 

tendre,  qu*il  est  compatissant  à  bos  vrais  maux  lors 
même  qu'il  parott  nous  foudroyer ,  et  que  nous 
sommes  tentés  de  nous  plaindre  de  sa  rigueur! 

Quelle  différence  trouvons-nous  maintenant  entre 
deux  personnes  qui  ont  vécu  il  y  a  cent  ans?  L'une 
est  morte  vingt  ans  avant  l'autre  ;  mais  enfin  elles 
sont  mortes  tontes  deux.  Leur  séparation,  qui  a  paru 
dans  le  temps  si  longue  et  si  rude,  ne  nous  parott 
pins  maintenant  et  n'étoit  dans  la  vérité  qu'une 
courte  séparation.  Bientôt  ce  qui  est  séparé  sera 
réuni,  et  il  ne  paroltra  aucune  trace  de  cette  sépa- 
ration si  courte.  On  se  regarde  comme  immortel,  ou 
du  moins  comme  devant  vivre  des  siècles.  Folie  de 
Tesprit  humain!  Ceux  qui  meurent  tous  les  jours 
suivent  de  bien  près  ceux  qui  sont  déj^  morts.  Celui 
qui  va  partir  pour  un  voyage  ne  doit  pas  se  croire 
éloigné  de  celui  qui  prit  les  devans  il  n'y  a  que  deux 
jours.  La  vie  s'écoule  comme  un  torrent.  Le  passé 
n'est  plus  qu'un  songe;  le  présent,  dans  le  moment 
que  nous  croyons  le  tenir ,  nous  échappe  et  se  pré- 
cipite dans  cet  abîme  du  passé.  L'avenir  ne  sera 
point  d'une  autre  nature,  il  passera  aussi  rapide- 
ment. Les  jours,  les  mois,  les  années  se  pressent 
comme  les  flots  d'un  torrent  se  poussent  l'un  l'autre. 
Encore  quelques  momens,  encore  un  peu,  dis- je,  et 
tout  sera  fini.  Hélas  !  que  ce  qui  nous  parott  long  par 
l'ennui  et  par  la  tristesse,  nous  paroîtra  court  quand 
il  finira! 

C'est  par  foiblesse  d'amour  -  propre  que  nous 
sommes  si  sensibles  à  notre  état.  Lé  malade  qui  dort 
mal  la  nuit  trouve  la  nuit  d'une  longueur  sans  fin  ; 
mais  cette  nuit  est  aussi  courte  que  les  autres.  On 


436  SU&    LUTtLITÉ 

exagère  par  lâchetë  toutes  ses  soufiranoes  :  elles  sont 
grandes,  mais  la  délicatesse  les  augmente  encore. 
Le  vrai  moyen  de  les  raccoarcir  c*est  de  s'aban- 
donner à  Dieu  conragensement  II  est  vrai  qn^on 
sonfire,  mais  Dien  veut  cette  sonflrance  pour  nous 
purifier  y  et  pour  nous  rendre  dignes  de  lai.  Le 
monde  nous  rioit,  et  cette  prospérité  empoisonooit 
notre  cœur.  Voudroit-on  passer  toute  sa  vie  jasqn*aii 
moment  terrible  de  la  m6rt  dans  cette  mollesse,  dans 
ces  délices,  dans  cet  éclat,  dans  cette  vaine  joie, 
dans  ce  triomphe  de  Torgueil,  dans  ce  goût  du  monde 
ennemi  de  Jésus -Christ,  dans  cet  éloignement  de 
la  croix  qui  seule  nous  doit  sanctifier?  Le  monde 
nous  tournera  le  dos,  nous  oubliera  avec  ingrati- 
tude, nous  méconnoîtra,  nous  mettra  au  rang  des 
choses  qui  ne  sont  plus.  Hé  bien  !  faut-il  s'étonner 
que  le  monde  soit  toujours  monde,  injuste,  trompeur, 
perfide?  Cest  pourtant  là  ce  monde  que  nous  n'avions 
pas  honte  d'aimer,  et  que  peut-être  nous  voudrions 
pouvoir  aitner  encore.  Cest  à  ce  monde  abominable 
que  Dieu  nous  arrache,  pour  nous  délivrer  de  sa 
servitude  maudite,  et  pour  nous  faire  entrer  dans  la 
liberté  des  âmes  détachées  ;  et  c'est  là  ce  qui  nous 
désole.  Si  nous  sommes  si  sensibles  à  Findifll^rence 
de  ce  monde,  qui  est  si  méprisable  et  si  digne  d'hor- 
reur, il  faut  que  nous  soyons  bien  ennemis  de  nous- 
mêmes.  Quoi,  nous  ne  pouvons  souffrir  ce  qui  nous 
est  si  bon,  et  nous  regrettons  tant  ce  qui  nous  est 
si  funeste  !  Voilà  donc  la  source  de  nos  larmes  et  de 
nos  douleurs! 

O  mon  Dieu,  vous  qui  voyez  le  fond  de  notre 
misère,  vous  seul  pouvez  nous  en  guérir.  Hâtei* 


BT    LE    BOM    USAGB    DES   CROIX.  4^7 

VOUS  de  nous  donner  la  foi.  Tempérance ,  ramour,  le 
courage  chrétien  qui  nous  manquent.  Faites  que 
nous  jetions  sans  cesse  les  yeux  sur  vous,  â  Père 
tout-puissant,  qui  ne  donnez  rien  à  vos  chérs  enfans 
que  pour  leur  salut,  et  sur  Jésus  votre  Fils,  qui  est 
notre  modèle  dans  les  souffrances.  Vous  l'avez  atta- 
ché sur  la  croix  pour  nous  ;  vous  l'avez  fait  Vhomme 
de  douleurs,  pour  nous  apprendre  combien  les  dou- 
leurs sont  utiles.  Que  la  nature  molle  et  lâche  se 
taise  donc  à  la  vue  de  Jésus  rassasié  d'opprobres  et 
écrasé  par  les  souffrances.  Relevez  mon  cœur,  ô 
mon  Dieu  ;  donneï-moi  un  cœur  selon  le  vôtre ,  qui 
s^endurcisse  contre  soi-même,  qui  ne  craigne  que 
de  vous  déplaire,  qui  du  moins  craigne  les  douleurs 
éternelles,  et  non  pas  celles  qui  nous  préparent  vo- 
tre royaume.  Seigneur,  vous  voyez  la  foiblesse  et 
la  désolation  de  votre  créature  :  elle  n'a  plus  de  res- 
source en  elle-mé.me,  tout  lui  manque.  Tant  mieux, 
pourvu  que  vous  ne  lui  manquiez  jamais,  et  qu'elle 
cherche  en  vous  avec  confiance  tout  ce  qu'elle  dés- 
espère de  trouver  dans  son  propre  cœur. 


XXXVII. 

//  ny  a  que  le  pur  amour  qui  sache  souffrir  comme 

il  faut. 

On  sait  qu'il  faut  souffrir,  et  qu'on  le  mérite;  ce- 
pendant on  est  toujours  surpris  de  la  souffranqs, 
comme  si  on  ne  croyoit  ni  la  mériter  ni  en  avoir 
besoin.  11  n'y  a  que  le  vrai  et  pur  amour  qui  aime  à 


436  LE    FUH    AMOUR    AIME    A    SOUPFAIR. 

souffrir,  parce  qu'il  n  y  a  que  le  vrai  et  par  amour 
qui  s'abandonne.  La  résignation  fait  souffrir  ;  mais  il 
y  a  en  elle  quelque  chose  qui  soufire  de  souffrir,  et 
qui  résiste.  La  résignation  qui  ne  donne  rien  à  Dieu 
qu*avec  mesure  et  avec  réflexion  sur  sot ,  veut  bien 
souffrir;  mais  elle  se  tâte  souvent,  craignant  de 
souffrir  mal.  A  parler  proprement,  on  est  comme 
deux  personnes  dans  la  résignation  :  Tune  dompte 
Tautre,  et  veille  sur  elle  pour  Tempécher  de  se  ré- 
volter.  Dans  le  pur  amour,  qui  est  désapplroprié  et 
abandonné,  Tame  se  nourrit  en  silence  de  la  croix 
et  de  Tunion  à  Jésus-Christ  crucifié,  sans  aucun  re- 
tour sur  sa  souffrance.  Il  n*y  a  qu'une  volonté  uni- 
que, simple,  qui  se  laisse  voir  à  Dieu  telle  qu'elle 
est,  sans  songer  à  se  voir  elle-même.  Elle  ne  dit  rien^ 
elle  ne  remarque  rien.  Que  fait^-elle?  Bile  soufire. 
Est-ce  tout?  Oui  c'est  tout;  elle  n'a  qu'à  souffrir. 
L'amour  se  fait  assez  entendre  sans  parler  et  sans 
penser.  Il  fait  l'unique  chose  qu'il  a  à  Ikire,  qui  est 
de  ne  vouloir  rien  quand  il  manque  de  toute  conso- 
lation. Une  volonté  rassasiée  de  celle  de  Dieu,  pen- 
dant que  tout  le  reste  lui  est  ôté,  est  le  plus  pur  de 
tous  les  amours. 

Quel  soulagement  de  penser  qu'on  n'a  donc  point 
tant  d'inquiétudes  à  se  donner  pour  s'exciter  sans 
cesse  à  la  patience,  et  pour  être  toujours  en  garde  et 
tendu  afin  de  soutenir  le  caractère  d'une  vertu  ac- 
complie au  dehors  !  Il  suffit  d'être  petit  et  abandonné 
dans  la  douleur.  Ce  n'est  point  courage  ;  c'est  quel- 
que chose  de  moins  et  de  plus  :  de  moins  aux  yeux 
du  commun  des  hommes  vertueux  ;^de  plus  aux  yeux 
de  la  pure  foi.  C'est  une  petitesse  en  soi,  qui  met 


LE    PUB    AMOUa    AIME    A    SOUFFRIR.  4^9 

Famé  dans  toute  la  grandeur  de  Dieu.  Cest  une  foi- 
blesse  qui  désapproprie  de  toute  force  et  qui  donne 
la  toute -puissance  de  Dieu.  Quand  je  suis  f cible, 
dit  saint  Paul  (>) ,  cest  alors  que  je  suis  puissant  :  je 
puis  tout  en  celui  qui  me  fortifie  ip). 

Alors  il  suffit  de  se  nourrir  par  quelque  courte 
lecture  proportionnée  à  son  état  et  à  son  goût,  mais 
souvent  interrompue,  pour  soulager  les  sens,  et 
poar  faire  place  à  Tesprit  intérieur  qui  met  en  re- 
cueillement. Deux  mots  simples,  sans  raisonnement, 
et  pleins  de  Fonction  divine,  sont  la  manne  cachée. 
On  oublie  ces  paroles;  mais  elles  opèrent  secrète- 
ment, et  on  s*en  nourrit;  Famé  en  est  engririssée. 
Quelquefois  on  souffre  sans  savoir  presque  si  Fon 
souffre  :  d*autres  fcHs  on  souffre  et  on  trouve  qu'on 
souffre  mal,  et  on  supporte  son  impatience  comme 
une  seconde  croix  plus  pesante  que  la  première;  mais 
rieu  n'arrête ,  parce  que  le  vrai  amour  va  toujours, 
n  allant  point  pour  lui-même  et  ne  se  comptant  plus 
pour  rien.  Alors  on  est  vraiment  heureux.  La  croix 
n*e$t  plus  croix  quand  il  n'y  a  plus  un  moi  pour  la 
souffrir,  et  qui  s'approprie  les  biens  et  les  maux. 

(«)  //  Cor,  XII.  10.  —  C«)  PhiUp,  IV.  i3. 


44<>  ^^   ^^   V^IX    UITÉ&IBURB. 

XXXVIII. 


La  paix  intérieure  ne  se  trouve  que  dans  un  entier 
abandon  à  la  volonté  de  Dieu»  * 

le  D*y  aura  jamais  de  paix  pour  ceux  qui  râîstent 
à  Dieu  :  s'il  y  a  quelque  joie  au  monde,  elle  est  ré- 
servée à  la  conscience  pure  :  toute  la  terre  est  un 
lieu  de  tribnlation  et  d'angoisse  pour  une  mauvaise 
conscience. 

O  que  la  paix  qui  vient  de  Dieu  est  différente  de 
celle  qui  vient  du  siècle!  Elle  calme  lés  passions; 
elle  entrelient  la  pureté  de  la  conscience;  elle  est 
inséparable  de  la  justice  j  elle  unit  à  Dieu  ;  elle  nous 
fortifie  contre  les  tentations.  Cette  pureté  de  con- 
science s'entretient  par  la  fréquentation  des  sacre- 
mens.  La  tentation ,  si  elle  ne  nous  surmonte  point , 
porte  toujours  son  fruit  avec  elle.  La  paix  de  l'ame 
consiste  dans  une  entière  résignation  à  la  volonté 
de  Dieu. 

Marthe,  Marthe,  vous  vous  inquiétez  et  vous 
vous  troublez  pour  bien  des  choses;  il  njr  en  a  qu'une 
de  nécessaire  (0.  Une  vraie  simplicité,  un  certain 
calme  d'esprit  qui  est  le  fruit  d'un  entier  abandon  à 
tout  ce  que  Dieu  veut,  une  patience  et  un  support 
pour  les  défauts  du  prochain,  que  la  présence  de 
Dieu  inspire,  une  certaine  candeur  et  une  certaine 
docilité  d'enfant  pour  avouer  ses  fautes,  pour  vou- 
loir en  être  repris ,  et  pour  se  soumettre  au  conseil 

(0  Lue,  z.  4i»  4^* 


DB   LA    »AIX   mYÉRIfitlAB*  44  > 

des  personnes  expérimentées,  seront  des  vertus  so- 
lides f  utiles  et  propres  pour  vous  sanctifier. 

La  peine  que  vous  avez  sur  un  grand  nombre  de 
choses  vient  de  ce  que  vous  n*acceptez  pas  avec  as* 
sez  d*abandon  à  Dieu  tout  ce  qui  peut  vous  arriver. 
Mettez  donc  toutes  choses  entre  ses  mains ,  et  faites- 
en  par  avance  le  sacrifice  entier  dans  votre  cœur. 
Dès  le  moment  que  vous  ne  voudrez  plus  rien  selon 
votre  propre  jugement ,  et  que  vous  voudrez  sans  ré- 
serve tout  ce  que  Dieu  voudra ,  vous  n*aurez  plus 
tant  de  retours  inquiets  et  de  réflexions  à  faire  sur 
ce  qui  vous  regarde  ;  vous  n*aurez  rien  à  cacher  ni  à 
ménager.  Jusque  là  vous  serez  troublé,  changeant 
dans  vos  vues  et  dans  vos  goûts,  facilement  mécon-' 
tent  d'autrui,  peu  d*accord  avec  vous-même,  plein 
de  réserve  et  de  défiance  :  votre  bon  esprit,  jusqu*à 
ce  qu*il  soit  bien  humilié  et  simple ,  ne  servira  qu*à 
vous  tourmenter;  votre  piété,  quoique  sincère,  vous 
donnera  moins  de  soutien  et  de  consolation  que  de 
reproches  intérieurs.  Si  au  contraire  vous  aban* 
donnez  tout  votre  cœur  à  Dieu,  vous  serez  tran- 
quille et  plein  de  la  joie  du  Saint-Esprit. 

Malheur  h  vous  si  vous  regardez  encore  l'homme 
dans  Fœuvre  de  Dieu  !  Quand  il  s*agit  de  choisir  un 
guide  il  faut  compter  tous  les  hommes  pour  rien.  Le 
moindre  respect  humain  fait  tarir  la  grâce,  augmente 
les  irrésolutions.  On  souiTre  beaucoup,  et  on  déplatt 
encore  davantage  h  Dieu. 

Ce  qui  nous  oblige  à  aimer  Dieu,  c'est  qu'il  nous 
a  aim&  le  premier,  et  aimés  d'un  amour  tendre, 
comme  un  père  qui  a  pitié  de  ses  enfans ,  dont  il  con- 
nott  l'extrême  fragilité  et  la  boue  dont  il  les  a  pétris? 


44^  I>B    ^^    P^l^    lATÉRTEURE. 

Il  nous  a  cherchés  dans  nos  propres  voies  qai  sont 
celles  du  pëché;  il  a  couru  comme  un  pasteur  qui 
se  fatigue  pour  retrouver  sa  brebis  égarée*  Il  ne  s^est 
pas  contenté  de  nous  chercher;  mais,  après  nous 
avoir  trouvés ,  il  s'est  chargé  de  nous  et  de  nos  lan- 
gueurs ;  il  a  été  obéissant  jusqu*à  la  mort  de  la  croix. 
On  peut  dire  de  même  qu'il  nous  a  aimés  jusqu'à  la 
mort  de  la  croix ,  et  que  la  mesure  de  son  obéissance 
a  été  celle  de  son  amour.  Quand  cet  amour  remplit 
bien  une  ame ,  elle  goûte  la  paix  de  la  conscience  ; 
elle  est  contente  et  heureuse;  il  ne  lui  faut  ni  gran- 
deur,  ni  réputation,  ni  plaisir,  rien  de  tout  ce  que 
le  temps  emporte  sans  en  laisser  aucunes  traces; 
elle  ne  veut  que  la  volonté  de  Dieu ,  et  elle  veille 
incessamment  dans  l'heureuse  attente  de  son  époux. 

XXXIX. 

Suite  du  même  sujet. 

Je  vous  souhaite  tous  les  biens  que  vous  devez 
chercher  dans  la  retraite  :  le  principal  est  la  paix 
dans  une  conduite  simple  oii  on  ne  regarde  jamais 
Tavenir  avec  trop  d'inquiétude.  L'avenir  est  à  Dieu, 
et  point  à  vous  :  Dieu  l'assaisonnera  comme  il  £iut, 
selon  vos  besoins  ;  mais  si  vous  voulez  pénétrer  cet 
avenir  par  votre  propre  sagesse,  vous  n'en  tirerez 
aucun  fruit  que  l'inquiétude  et  la  prévoyance  de 
certains  maux  inévitables.  Songez  seulement  à  pro- 
fiter de  chaque  jour;  chaque  jour  a  son  bien  et  son 
mal ,  en  sorte  même  que  le  mal  devient  souvent  un 


OE    LA    PAIX    IMTÉniEORE.  44^ 

bien  y  pouiTu  qu'on  laisse  faire  Dieu  et  qu'on  ne  le 
prévienne  jamais  par  impatience. 

Dieu  vous  donnera  alors  tout  le  temps  qu'il  faudra 
pour  aller  à  lui.  Il  ne  vout  donnera  peut*étre  pas 
tout  celui  que  vous  voudriez  pour  vous  occuper 
selon  votre  goût,  et  pour  vivre  à  vous-même  sous 
prétexte  de  perfection  ;  mais  vous  ne  manquerez  ni 
de  temps  ni  d'occasions  de  renoncer  à  vous-même  et 
à  vos  inclinations.  Tout  autre  temps  au-delà  de  celui- 
là  est  perdu  y  quelque  bien  employé  qu'il  paroisse. 
Soyez  même  persuadé  que  vous  trouverez  sur  toutes 
ces  choses  des  facilités  convenables  à  vos  vrais  be- 
soins ;  car  autant  que  Dieu  déconcertera  vos  inclina- 
tions f  autant  soutiendra-t-il  votre  foiblesse.  Ne  crai- 
gnez rien  y  et  laissez-le  faire  :  évitez  seulement  par 
une  occupation  douce ,  tranquille  et  réglée ,  la  tris- 
tesse et  l'ennui ,  qui  sont  la  plus  dangereuse  tentation 
pour  votre  naturel..yous  serez  toujours  libre  en  Dieu, 
pourvu  que  vous  ne  vous  imaginiez  point  d'avoir 
perdu  votre  liberté. 

XL. 

En  quoi  consiste  la  simplicité  :  sa  pratique  et  ses 

divers  degrés. 

Il  y  a  une  simplicité  qui  est  un  défaut ,  et  il  y  a 
une  simplicité  qui  est  une  merveilleuse  vertu.  La  sim- 
plicité est  souvent  un  défaut  de  discernement ,  et  une 
ignorance  des  égards  qu'on  doit  à  chaque  personne. 
Quand  on  parle  dans  le  monde  d'une  personne  sim- 
ple,  on  veut  dire  un  esprit  court ,  crédule  et  grossier. 


444  ^^   ^^   SIMPLICITÉ. 

La  simplicité  qui  est  une  vertu ,  loin  d*être  grossière, 
est  quelque  chose  de  sublime.  Tous  les  gens  de  bien 
la  goûtent ,  Tadmirent y  sentent  quand  ils  la  blessent, 
la  remarquent  en  autrui ,  et  sentent  quand  il  est  né- 
ceesaire  de  la  pratiquer;  mais  ils  auraient  de  la 
peine  à  dire  précisément  ce  que  c*est  que  cette  vertu. 
On  peut  dire  là-dessus  ce  que  le  petit  livre  de  l'Imi-^ 
talion  de  Jésus  -  Christ  dit  de  la  componction  du 
cœur  :  Il  vaut  mieux  la  pratiquer  que  de  savoir  la 
définir  (0. 

La  simplicité  est  une  droiture  de  Tame  qui  re- 
tranche tout  retour  inutile  sur  elle-même  et  sur  ses 
actions.  Elle  est  différente  de  la  sincérité.  La  sincé- 
rité est  une  vertu  an-dessous  de  la  simplicité.  On 
voit  beaucoup  de  gens  qui  sont  sincères  sans  être 
simples  :  ils  ne  disent  rien  qu'ils  ne  croient  vrai  ;  ils 
ne  veulent  passer  que  pour  ce  qu'ils  sont  ;  mais  ils 
craignent  sans  cesse  de  passer  pour  ce  qu'ils  ne  sont 
pas;  ils  sont  toujours  à  s'étudier  eux-mêmes,  à  com- 
passer  toutes  leurs  paroles  et  toutes  leurs  pensées, 
et  à  repasser  tout  ce  qu'ils  ont  fait  dans  la  crainte 
d^avoir  trop  fait  ou  trop  dit.  Ces  gens-là  sont  sincè- 
res  ;  mais  ils  ne  sont  pas  simples  :  ils  ne  sont  point  à 
leur  aise  avec  les  autres,  et  les  autres  ne  .sont  point 
à  leur  aise  avec  eux  :  on  n'y  trouve  rien  d'aisé,  rien 
de  libre ,  rien  d'ingénu ,  rien  de  naturel  ;  on  aime- 
roit  mieux  des  gens  moins  réguliers  et  plus  impar- 
faits, qui  fussent  moins  composés.  Voilà  le  goût  des 
hommes,  et  celui  de  Dieu  est  de  même  :  il  veut  des 
âmes  qui  ne  soient  point  occupées  d'elles,  et  comme 
tou)ours  au  miroir  pour  se  composer. 

{})  Lib.  X  »  cap.  i ,  n.  3. 


DB   LÀ   SIMPLICITÉ.  44^ 

Etre  toat  occupe  des  créatures ,  sans  jamais  faire 
aucune  réflexion  sur  ^oi ,  c'est  Tétat  cTaveogl^nent 
des  personnes  que  le  présent  et  le  sensible  entraînent 
toujours  :  c'est  Textrémité  opposée  à  la  simplicité. 
Etre  toujours  occupé  de  soi  dans  tout  ce  qu'on  a  à 
faire  y  soit  pour  les  créatures,  soit  pour  Dieu,  c'est 
l'autre  extrémité  qui  rend  l'ame  sage  à  ses  propres 
yeux,  toujours  réservée,  pleine  d'elle-même,  in- 
quiète sur  les  moindres  choses^qui  peuvent  troubler 
la  complaisance  qu'elle  a  en  elle-méme.Voilàla  fausse 
sagesse,  qui  n'est,  avec  toute  sa  grandeur,  guère 
moins  vaine  et  guère  moins  folle  que  la  folie  des  gens 
qui  se  jettent  tête  baissée  dans  tous  les  plaisirs.  L'une 
est  enivrée  de  tout  ce  qu'elle  voit  au  dehors;  Tautre 
est  enivrée  de  tout  ce  qu'elle  s'imagine  faire  au  de- 
dans ;  mais  enfin  ce  sont  deux  ivresses.  L'ivresse  de 
soi-même  est  encore  pire  que  celle  des  choses  exté- 
rieures, parce  qu'elle  parott  une  sagesse,  et  qu'elle 
ne  Test  pas  :  on  songe  moins  à  en  guérir  ;  on  s'en  fait 
honneur  ;  elle  est  approuvée  ;  on  y  met  une  force 
qui  élève  au-dessus  des  honneurs  et  an>  dessus  du 
reste  des  hommes  :  c'est  une  maladie  semblable  à  la 
frénésie-,  on  ne  la  sent  pas;  on  est  à  la  mort,  et  on 
dit  :  Je  me  porte  bien.  Quand  on  ne  fait  point  de 
retours  sur  soi ,  à  force  d'être  entraîné  par  les  objets 
extérieurs,  on  est  étourdi;  au  contraire,  quand  on 
fait  trop  de  retours,  c'est  une  conduite  forcée  et 
contraire  à  la  simplicité. 

La  simplicité  consiste  en  un  ^uste  milieu  où  l'on 
n'est  ni  étourdi ,  ni  trop  composé  :  l'ame  n'est  point 
entraînée  par  l'extérieur,  en  sorte  q^u'elle  ne  puisse 
plus  faire  les  réflexions  nécessaires  :  mais  aussi  elle 


446  DE   LA   SIMPLICITÉ. 

retranche  les  retours  sut*  soi  qu*un  amour^-propre 
inquiet  et  jaloux  de  sa  propre  excellence  multiplie 
à  rinfini.  Cette  liberté  d'une  ame  qui  voit  immëdia- 
tement  devant  elle  pendant  qu'elle  marche  »  mais 
qui  ne  perd  point  son  temps  à  trop  raisonner  sur  ses 
pas,  à  les  étudier,  à  regarder  sans  cesse  ceux  qn^elle 
a  déjà  faits ,  est  la  véritable  simplicité. 

Voici  donc  le  progrès  de  Vame.  Le  premier  de- 
gré est  celui  où  elle  se  déprend  des  objets  extérieurs 
pour  rentrer  au  dedans  d*elle<-même,  et  pour  s'occo- 
per  de  son  état  pour  son  propre  intérêt  :  jusque  \h 
il  n'y  a  encore  rien  que  de  naturel  ;  c'est  un  amour- 
propre  sage ,  qui  vent  sortir  de  Tenivrement  des 
choses  extérieures. 

Dans  le  second  degré.  Famé  joint  à  la  vue  d'elle- 
même  celle  de  Dieu  qu'elle  craint.  Voilà  un  foible 
commencement  de  la  véritable  sagesse  ;  mais  elle  est 
encore  enfoncée  en  elle-même  :  elle  ne  se  contente 
pas  de  craindi*e  Dieu ,  elle  veut  être  assurée  qu'elle 
le  craint  ;  elle  craint  de  ne  le  pas  craindre;  sans  cesse 
elle  revient  sur  ses  propres  actes.  Ces  retours  si  in*- 
quiets  et  si  multipliés  sur  soi-même  sont  encore  bien 
éloignés  de  la  paix  et  de  la  liberté  qu'on  goûte  dans 
Famour  simple  :  mais  ce  n'est  pas  encore  le  temps 
de  goûter  cette  liberté  ;  il  faut  que  Tame  passe  par  ce 
trouble  ;  et  qui  voudroit  d'abord  la  mettre  dans  la 
liberté  de  Tamour  simple,  courroit  risque  de  l'égarer. 

Le  premier  homme  voulut  d'abord  jouir  de  lui* 
même  ;  c'est  ce  qui  le  fit  tomber  dans  l'attachement 
aux  créatures.  Uhomme  revient  d'ordinaire  par  le 
même  chemin  qu'il  a  fait  en  s'égarant  ;  c'est-à-dire 
qu*ay«nt  passé  de  Dieu  aux  objets  extérieurs,  en  ren- 


DB    LA    SIMPLICITÉ.  44? 

Irant  d'abord  en  soi-même,  il  repasse  aussi  des  objets 
extérieurs  en  Dieu  en  rentrant  au  fond  de  son  cœur. 
Il  faut  donc,  dans  la  conduite  ordinaire,  laisser  quel* 
que  temps  une  ame  pénitente  aux  prises  avec  eUe- 
même  dans  une  rigoureuse  recherche  de  ses  propres 
misères,  avant  que  de  l'introduire  dans  la  liberté  des 
enfans  bien*aimés.  Tant  que  Tattrait  et  le  besoin  de 
la  crainte  dure,  il  faut  nourrir  Famé  de  ce  pain  de 
tribulation  et  d'angoisse.  Quand  Dieu  commence  à 
ouvrir  le  cœur  à  quelque  chose  de  plus  pur,  il  iaut 
suivre,  sans  perdre  le  temps  et  comme  pas  à  pas, 
l'opération  de  sa  grâce*  Alors  l'ame  commence  à  en- 
trer dans  la  simplicité. 

Dans  le  troisième  degré,  elle  n'a  plus  ces  retours 
inquiets  sur  elle-même;  elle  commence  à  regarder 
Dieu  plus  souvent  qu*elle  ne  se  regarde,  et  insensi- 
blement elle  tend  à  s'oublier  pour  s'occuper  en  Dieu 
par  un  amour  sans  intérêt  propre.  Ainsi  Famé,  qui 
ne  pensoit  point  autrefois  à  elle-même,  parce  qu'elle 
étoit  toujours  entraînée  par  les  objets  extérieurs  qui 
excitoient  ses  passions,  et  qui  dans  la  suite  a  passé 
par  une  sagesse  qui  la  rappeloit  sans  cesse  à  elle* 
même ,  vient  enfin  peu  à  peu  à  un  autre  état,  oh  Dieu 
fait  sur  elle  ce  que  les  objets  extérieurs  faisoient  au- 
trefois ;  c'est-è-dire  qu*il  l'entratne ,  et  la  désoccupe 
d'elle-même ,  en  l'occupant  de  lui. 

Plus  l'ame  est  docile  et  souple  pour  se  laisser  en- 
traîner sans  résistance  ni  retardement ,  plus  elle 
avance  datis  la  simplicité.  Ce  n'est  pas  qu'elle  de- 
vienne aveugle  sur  ses  défauts,  et  qu'elle  nc^sente 
ses  infidélités;  elle  les  sent  plus  que  jamais;  elle  a 
horreur  des  moindres  fautes  ;  sa  lumière  augmente 


44B  DB   LA    SIMPLICITÉ. 

toujours  pour  découvrir  sa  corruption  :  mais  cette 
conooissance  ne  lui  vient  plus  par  des  retours  in- 
quiets sur  elle-même  ;  c'est  par  la  lumière  de  Dieu 
présent  qu'elle  se  voit  contraire  à  sa  pureté  infinie. 

Ainsi  elle  est  libre  dans  sa  course ,  parce  qu'elle  ne 
s'arrête  point  pour  se  composer  avec  art  Encore  une 
fois ,  cette  simplicité  merveilleuse  ne  convient  point 
aux  âmes  qui  ne  sont  point  encore  purifiées  par  une 
solide.pénitence  ;  car  elle  ne  peut  être  que  le  firuit 
du  détachement  total  de  soi-même,  et  d'un  amour 
pour  Dieu  sans  intérêt  :  mais  on  y  parvient  peu  à 
peu  :  et  quoique  les  âmes  qui  ont  besoin  de  pénitence 
pour  s'arracher  aux  vanités  du  monde  doivent  faire 
beaucoup  de  réflexions  sur  elles-mêmes,  je  crois 
néanmoins  qu'il  faut,  suivant  les  ouvertures  que  la 
grâce  donne,  les  empêcher  de  tomber  dans  une  cer- 
taine occupation  excessive  et  inquiète  d'elles-mêmes , 
qui  les  gêne,  qui  les  trouble,  qui  les  embarrasse  et 
qui  les  retarde  dans  leur  course.  Elles  sont  enve- 
loppées en  elles-mêmes  comme  un  voyageur  qui  se- 
roit  enveloppé  de  tant  de  manteaux  l'un  sur  l'autre, 
qu'il  ne  pourroit  marcher.  Les  trop  grands  retours 
sur  soi  produisent  dans  les  âmes  foibles  la  supersti- 
tion et  le  scrupule  qui  sont  pernicieux,  et  dans  les 
anies  qui  sont  naturellement  fortes  une  sagesse  pré- 
somptueuse qui  est  incompatible  avec  l'esprit  de 
Dieu.  Tout  cela  est  contraire  à  la  simplicité,  qui  est 
libre,  droite,  et  généreuse  jusqu'à  s'oublier  elle-même 
pour  se  livrer  à  Dieu  sans  réserve.  O  qu'une  ame 
délivrée  de  ces  retours  bas ,  intéressés  et  inquiets , 
est  heureuse  !  que  ses  démarches  sont  nobles  !  qu'elles 
sont  grandes  !  qu'elles  sont  hardies  ! 

Si 


DK    LA    SIMPLICITÉ^  449 

Si  un  homme  veut  que  son  ami  soit  simple  et  libre 
avec  lui  y  en  sorte  qu'il  s^oublie  lui-même  dans  ce 
commerce  d'amitié ,  à  combien  plus  forte  raison 
Dieu  y  qui  est  le  vrai  ami^  veut-il  que  Tame  soit  sans 
retour,  sans  inquiétude ,  sans  gêne,  sans  jalousie  sur 
elle-même ,  sans  réserve ,  dans  cette  douce  et  intime 
familiarité  qu'il  lui  prépare  !  C'est  cette  simplicité 
qui  fait  la  perfection  des  vrais  enfans  de  Dieu  ;  c'est 
le  but  auquel  on  doit  tendre  et  auquel  on  doit  se  laisser 
conduire.  Le  grand  obstacle  à  cette  bienheureuse 
simplicité  est  lar  folle  sagesse  du  siècle ,  qui  ne  veut 
rien  confier  à  Dieu,  qui  veut  tout  faire  par  son 
industrie ,  tout  arranger  par  elle-dnême ,  et  se  mirer 
sans  cesse  dans  ses  ouvrages.  Cette  sagesse  est  une 
folie,  selon  saint  Paul  (0;  et  la  vraie  sagesse,  qui 
consiste  à  se  livrer  à  l'Esprit  de  Dieu  sans  retour  in- 
qaiet  sur  soi ,  est  une  folie  aux  yeux  insensés  des 
mondains. 

Quand  un  Chrétien  n'est  pas  encore  pleinemept 
converti  il  faut  sans  cesse  lui  demander  d'être  sage  : 
quand  il  est  pleinement  converti  il  faut  commencer 
à  craindre  qu'il  ne  soit  trop  sage  ;  il  faut  lui  inspirer 
cette  sagesse  sobre  et  tempérée  dont  parle  saint 
Paul  W  :  enfin ,  s'il  veut  s'avancer  vers  Dieu ,  il  faut 
qu'il  se  perde  pour  se  retrouver  ;  il  faut  démonter 
cette  sagesse  propre  wqui  sert  d'appui  à  la  nature  dé- 
fiante ;  il  faut  avaler  le  calice  amer  de  la  folie  de  la 
croix,  qui  tient  lieu  de  martyre  aux  âmes  généreuses 
qui  ne  sont  point  destinées  à  répandre  leur  sang 
comme  les  premiers  Chrétiens. 

Le  retranchement  des  retours  inquiets  et  inté- 

(*)  /  Cor.  I.  ao.  —  (•)  Bom.  xn.  3. 

FitzfÉLOir.  xvixi.  ^9 


4^0  D£    LA    SIMPLICITÉ. 

ressës  sur  soi  mei  Tame  dans  une  paix  et  dans  une 
liberté  inexplicable  :  c'est  la  simplicité.  Il  est  aisé 
de  voir  de  loin  qu'elle  doit  être  merveilleuse;  mais 
la  seule  expérience  peut  montrer  qaelle  largianr  de 
coeur  elle  donne.  On  est  comme  un  petit  enfant  dans 
le  sein  de  sa  mère  ;  on  ne  veut  plus  et  on  ne  craint 
plus  rien  pour  soi  ;  on  se  laisse  tourner  en  tous  sens  : 
avec  cette  pureté  de  cœur,  on  ne  se  met  plus  en 
peine  de  ce  que  les  autres  croiront  de  noua^  si  ce 
n*est  qu'on  évite  par  charité  de  les  scandaliser  :  on 
fait  dans  le  moiâeot  toutes  ses  actiofl#le  mieux  qu'on 
peut  avec  une  attention  douce  »  libre ,  gaie  ;  et  on 
s'abandonne  pour  le  succès.  On  ne  se  juge  pkis  soi- 
même,  et  on  ne  craint  point  d'être  jugé,  comme 
saint  Paul  le  dit  de  lui-même  (0. 

Tendons  donc  à  cette  aimable  siraplieité.  Qu'il 
nous  reste  de  chemin  pour  y  parvenir  !  Plus  nous  en 
sommes  éloignés,  plus  il  nous  faut  hâter  pour  avan* 
cer  il  grands  pas  vers  elle.  Bien  loin  d'être  simples , 
la  plupart  des  Chrétiens  ne  sont  pas  sincères  :  ils  sont 
non  -  seulement  composés,  mais  faux  et  dissimnlés 
avec  le  prochain ,  avec  Dieu  et  avec  enx'^mêmes; 
mille  petits  détours ,  mille  inventions  pour  donner 
indirectement  des  oontorsions  à  la  vérité.  Hélas  ! 
tout  homtne  est  menteur  W  :  ceux  mêmes  qui  sont 
naturellement  droits ,  sincères  ^  ingénus ,  et  qui  ont 
ce  qu'on  appelle  un  naturel  simple  et  aisé  en  tout , 
ne  laissent  pas  d'avoir  une  application  délicate  et 
jalouse  stti^  eux-mêmes,  qui  nourrit  secrètement  l'or- 
gueil ,  et  qui  empêche  la  vraie  simplicité,  qui  est  le  re- 
noncement sincère  et  Toubli  constant  de  soi'^méme. 

CO  /  Cor,  lY.  3.  —  {*',  Pi.  cxv.  a. 


DE  LA    SIMPLICITÉ.  4^1 

Mais  y  dira-t-on ,  comment  pourrai*)e  m'empécfaet 
d*étre  occupé  de  moi  ?  c  est  une  foole  de  retours  sut* 
moi-même  qui  m'inquiètent,  qui  me  tyrannisent,  et 
qui  me  causent  une  très»vive  sensibilité. 

Je  ne  demande  que  ce  qui  est  volontaire  dans  ces 
retours.  Ne  soyez  jamais  volontairement  dans  les 
retours  inquiets  et  jaloux,  cela  suflSra;  votre  fidélité 
à  y  renoncer  toutes  les  fois  que  vous  les  apercevrez 
vous  en  délivrera  peu  à  peu  :  mais  n'allez  pas  atta- 
quer de  front  ces  pensées  >  ne  cherchez  point  que^ 
relie  en  vous  opinifitrant  pour  les  combattre;  voua 
les  irriteriez.  Un  efibrt  continuel  pour  repousser  les 
pensées  qui  nous  occupent  de  nous  et  de  nos  inté- 
rêts, seroit  une  occupation  continuelle  de  neu»* 
mêmes ,  qui  nous  distrairoit  de  la  présence  de  Dieu 
et  des  devoirs  qu*il  veut  nous  faire  accomplir. 

Le  prideipal  est  d*avoif  sincèrement  abandonné 
entre  les  mains  de  Dieu  tous  nos  intérêts  de  plaisir, 
de  commodité,  de  réputation.  Quiconque  met  tout 
au  pis  aller,  et  qui  accepte  sans  réserve  tout  ce  que 
Dieu  veut  lui  donner  d'humiliations ,  de  peines  et 
d'épreuves,  soit  au  dehors,  soit  au  dedans,  coin- 
mence  à  s'endurcir  contre  sot  -  même  :  il  ne  craint 
point  de  n'être  pas  approuvé,  et  de  ne  pouvoir  éviter 
la  critique  des  hommes  ;  il  n'a  pluâ  de  délicatesse  ; 
ou  s*il  eu  a  une  involontaire,  il  la  méprise  et  la 
gourmande;  il  la  traite  si  rudement,  pour  n'y  avoir 
aucun  égaid ,  qu'elle  diminue  bientôt.  Cet  état  de 
pleine  acceptation  et  d'acquiescement  perpétuel  fait 
la  vraie  liberté  ;  et  celte  liberté  produit  la  simplicité 
parfaite. 

Une  ame  qui  a'a  plus  d^intérêt ,  et  qui  ne  $t  soucie 


45s  DK    L4    smUCTTÉ. 

point  d'elle,  n*a  plus  qae  de  la  candear  ;  elle  va  toot 
droit  sans  s'iembarrasser  ;  sa  voie  ya  toujours  s*âargis- 
santàrinfiniy  à  mesure  que  son  renoncement  et  son 
oubli  d*elle-méme  s'augmentent;  sa  paix  est  pro- 
fondç  comme  la  mer  an  milieu  de  ses  peines.  Mais 
tandis  qu'on  tient  encore  à  soi,  on  est  toujours  génë, 
incertain,  enveloppé  dans  les  retours  de  Tamour- 
propre.  Heureux  qui  n*est  plus  à  soi  ! 

Pai  déjà  remarqué  que  le  monde  est  du  même 
goût  que  Dieu  pour  s'accommoder  d'une  noble  sim- 
plicité qui  s'oublie  elle-même.  Le  monde  goâte  dans 
ses  enfans,  corrompus  comme  lui,  les  manières  li* 
bres  et  aisées  d'un  homme  qui  ne  panrft  point  occupé 
de  soi  ;  c'est  qu'en  effet  rien  n'est  plus  grand  que  de 
se  perdre  de  vue  soi-même.  .Mais  cette  simplicité  est 
déplacée  dans  les  enfans  du  siècle  ;  car  ils  ne  sont 
distraits  d'eux-mêmes  qu'à  force  d'être  entratnâ  par 
des  objets  encore  plus  vains.  Cependant  celle  sim- 
plicité, qui  n'est  qu'une  fausse  image  de  la  véritable, 
ne  laisse  pas  d'en  représenter  la  grandeur.  Ceux  qui 
ne  peuvent  trouver  le  corps  courent  après  l'ombre,  et 
cette  ombre,  toute  ombre  qu'elle  est,  les  charme, 
parce  qu'elle  ressemble  un  peu  à  la  vérité  qu'ils  ont 
perdue.  Voilà  ce  qui  fait  le  charme  de  la  simplicité, 
lors  même  qu'elle  est  hors  de  sa  place. 

Un  homme  plein  de  défauts,  qui  n'en  veut  cacher 
aucun ,  qui  ne  cherche  jamais  à  éblouir,  qui  n'af- 
fecte jamais  ni  talens,  ni  vertu ,  ni  bonne  grâce,  qui 
parûtt  ne  songer  pas  plus  à  soi-même  qu  à  autrui , 
qui  semble  avoir  perdu  le  moi  dont  on  est  si  jaloux, 
et  qui  est  comme  étranger  à  l'égard  de  soi-même , 
est  un  homme  qui  platt  infiniment  malgré  ses  dé- 


DE   LA  SIMPLICITÉ.  4^3 

faats.  Cest  que  l'homme  est  charmé  par  Fimage  d'un 
si  grand  bien.  Cette  fausse  simplicité  est  prise  pour 
la  véritable.  Au  contraire ,  un  homme  plein  de  ta- 
lens  y  de  vertus  acquises  et  de.  grâces  extérieures  y 
s*il  est  trop  composé ,  s'il  parolt  toujours  attentif  à 
lui ,  s'il  affecte  les  meilleures  choses ,  c'est  un  per- 
sonnage dégoûtant,  ennuyeux  et  contre  lequel  cha- 
cun se  révolte.  Rien  n'est  donc  ni  meilleur  ni  plus 
grand  que  d'être  simple ,  c*est-à-dire  jamais  occupé 
de  soi.  Les  créatures ,  à  quelque  point  qu'elles  nous 
mettent ,  ne. nous  rendent  jamais  véritablement  sim- 
ples. On  peut ,  par  naturel ,  être  moins  jaloux  sur 
certains  honneurs ,  et  ne  se  gêner  point  dans  ses  ac- 
tions par  certaines  réflexions  subtiles  et  inquiètes  ; 
mais  enfin  on  ne  cherche  les  créatures  que  pour  soi  ; 
et  on  ne  s'y  oublie  jamais  véritablement  soirméme  ; 
car  on  ne  s'y  attache  que  pour  en  jouir,  c'est-à-dire 
les  rapporter  à  soi. 

Mais  y  dira-t-on ,  fiatudra^t-il  ne  jamais  songer  k 
soi,  ni  à  aucune  des  choses  qui  nous  intéressent,  et 
ne  parler  jamais  de  nous  ?  Non ,  il  ne  faut  point  se 
mettre  dans  cette  gêne  :  en  voulant  être  simple ,  on 
s'éloigneroit  de  la  simplicité,  en  s'attachant  scrupu- 
leusement à  la  pratiqué  de  ne  parler  jamais  de  soi , 
par  la  crainte  de  s'en  occuper  et  d'en  dire  quelques 
paroles. 

Que  faut-il  donc  faire  7  Ne  faire  rien  de  réglé  là- 
dessus  ,  mais  se  contenter  de  n'affecter  rien.  Quand 
on  a  envie  de  parler  de  soi  par  recherche  de  soi- 
même,  il  n'y  a  qu'à  mépriser  cette  vaine  démangeai- 
son ,  en  s'occupant  simplement  ou  de  Djusu ,  ou.  des 
choses  qu'il  veut  qu'on  fasse.  Ainsi  la  simplicité  con- 


9t$t^  à  n*A«[oir{>piDt  de  mauvaise  honte ,  ni  de  fausse 
modestie  9  non  plus^que  d'-ostentation ,  de  complai- 
saooe.vaiae^  et  dViUentioo  sur  soi-^éme.  Quand  la 
peofitfe  vient  d'en  panier  pai/  vanité ,  il  n'y  a  qu'-à 
laisser  tomber  tout  court  ce  vain  retour  sur  soi* 
même  :  quand,  au  contraire,  on  a  la  pensée  d'en 
parler  pour  qudque  besoin ,  c'est  alors  qu'il  ne  fiiot 
point  trop  raisonner;  il  n'y  a  qifà  aller  droit  au  but. 
Mais  que  pensera  t*on  de  moi  7  on  croira  que  je  me 
vante  sottement  :  mais  je  me  rendrai  suspect  en  par- 
lant librement  sur  mon  propre  intérêt.  Toutes  ces 
réflexions  inquiètes  ne  méritent  p^s  de  nous  occuper 
uo  seul  moment  :  parlons  généreusement  et  simple- 
ment de  nous  comme  d'autrui  quand  il  en  est  ques- 
tion. C'e^t  aipsi  que  saint  Paul  parle  souvent  de  lui 
dans  ses  Ëpltres.  Pour  sa  oaissj(nce  il  déclare  qn*il 
est  citoyen  romain  ;  ri  en  fait  valoir  les  droits  jusqu'à 
faire  peur  à  son  juge.  Il  dit  qu'il  n'a  rien  fait  de 
moins  que  les  plus  grands  d'entre  les  apôtres  ;  qu*il 
A'a  rien  appris  d'eux  pour  la  doctrine,  ni  rien  reçu 
pour  le  ministère  ;  qu'il  est  tout  aussi  bien  qu'eux  à 
iésus-Christ  ;  qu*il  a  plus  travaillé  et  plus  soufièrt 
qu'eux  ;  quHl  a  résisté  l  Pierre  en  fiice ,  parce  quU 
éuit  répréhénsiUe  (0;  qu'il  a  été  ravi  jusqu^au  troî- 
sièpie  ciel  ;  qu'il  n'a  rien  à  se  reprocher  dans  sa  con- 
science ;  qu'il  est  un  vase  d'élection  pour  éclairer  les 
Gentils  ;  enfin  il  dit  aux  fidèles  :  Soyez  mes  imita- 
teurs  comme  je  le  suis  de  Jésus'Ghrist  (^).  Qu'il  y  a 
de  grandeur  à  parler  ainsi  simplement  de  soi  !  Saint 
Paql  en  dit  les  choses  les  plus  hantes  sans  en  parottre 
ni  émvk ,  ni  occupé  de  lui  ;  il  les  raconte  comme  on 

WGtff  II.  II.— (0/Cbr. XI.  1. 


raoonteroit  une  faisloire  passée  depuis  deux  mille 
ans.  Tous  ne  doivent  pas  entreprendre  de  dire  et  de 
faire  de  même  ;  mais  ce  qu*on  est  obligé  de  dire  de 
soi,  il  faut  le  dire  simplement  :  tout  le  monde  ne 
peut  pas  atteindre  à  cette  sublime  simplicité ,  et  il 
faut  bien  se  garder  d*y  vouloir  atteindre  avant  le 
temps*  Mais  quand  on  a.  un  vrai  besoin  de  parler  de 
soi  idans  Jes  occasions  communes,  il  faut  le  faire  tout 
uniipent,.et  ne  s«  laisser  aUer  ni  à  une  modestie  af- 
fectée, ni  à  unehanjte  qui  vient  de  mauvaise  gloire- 
La  mauvaise  gloire  se  cache  souvent  sous  un  air 
modeste  et  réservé  :  on  ne  veut  pas  montcer  ce  qu^on 
a  de  bon  ;  m^iis  on  est  bien  aise  que  les. autres  le  dé- 
couvrent,  pour  avoir  Tlionneur  tout  ensemble  et  de 
aes  yerjl;us,et  du  soin.de  les  cacher. 

Pour  juger  du  besoin  qu'on  a  de  penser  ST  soi  ou 
de  parler  de  soi  ^  il  faut  prendre  conseil  de  la  per^ 
sonne  qui  connoU  votre. degré  de  grâce.  Par  là  vous 
éviterez  ,de  voua  cpndnire  et  de  vous  juger  vous- 
même  ;  ce  qui  est. ope  source  de  bénédictions.  Cest 
donc  à  rhomme  pieux  et.éplairé  dont  nous  prenons 
conseil ,  à.  décider  si  le  besoin  de  parler  de  soi  est 
véritable  ou  imaginaire  ^  son  examen  et  sa  décision 
nous  ép^ilgneront  beaucoup  de  retours  sur  nous- 
mêmes  :  il  ej(a^iinera  aussi  si  le  prochain ,  à  qui  nous 
devons  parler ,  est  capable  ,de  porter  sans  scandale 
cette  liberté  et  cette  simplicité  à  parler  de  nous  avait, 
tageusement  et  sans  façon  dans  le  vrai. besoin. 

Pour  les  cas.  imprévus  y  oik  Ton  n'a  pas  le  loisir  de 
consfilteiTi  il  faut  se  donner  à  Dieu,  et  Faire  suivant 
sa  lumière  présente  ce  quon. croit  le  meilleur,  mais 


4S6  DE  LA  sotpuar^» 

sans  hésiter  ;  car  l*hésitatioii  embrooilleroît.  Il  but 
d'abord  prendre  son  parti  :  quand  même  on  le  pren- 
droit  mal ,  le  mal  se  tonmeroit  à  bien  par  la  droite 
intention  ;  et  Diea  ne  nous  imputera  jamais  œ  qae 
nous  aurons  fait  faute  de  conseil  en  nous  abandon* 
nant  à  la  simplicité  de  son  esprit. 

Pour  toutes  les  manières  de  parler  contre  soi- 
même  ,  je  n'ai  garde  ni  de  les  blâmer  ni  de  les  con- 
seiller. Quand  dles  tiennent  par  voie  de  simplicité, 
de  la  haine  et  du  mépris  que  Dieu  nous  inspire  pour 
nous-mêmes,  elles  sont  merveilleuses;  et  c'est  ainsi 
que  je  les  regarde  dans  un  si  grand  nombre  de  saints. 
Mais  communément  le  plus  simple  et  le  plus  sûr  est 
de  ne  jamais  parler  de  soi  ni  en  bien  ni  en  mal  sans 
besoin  :  Tamour-propre  aime  mieux  les  injures  que 
Foubli  et  le  silence.  Quand  on  ne  peut  s*empêcfaer 
de  parler  mal  de  soi ,  on  est  bien  prêt  à  se  raccom- 
moder avec  soi-même  ;  comme  les  amans  insensé 
qui  sont  prêts  à  recommencer  leurs  folies  lorsqu'ils 
pai  oissent  dans  le  plus  horrible  désespoir  contre  la 
pel'sonne  dont  ils  sont  passionnés. 

Pour  les  défauts ,  nous  devons  être  attentif  à  les 
corriger  suivant  l'état  intérieur  oik  nous  sommes.  Il 
y  a  autant  de  manières  différentes  de  veiller  pour  sa 
correction ,  qu'il  y  a  de  diflSfrens  états  dans  la  vie 
intérieure.  Chaque  travail  doit  être  proportionné  à 
l'état  où  l'on  se  trouve  ;  mais  en  général  il  est  cer* 
tain  que  nous  déracinons  plus  nos  défauts  par  le 
recueillement ,  par  l'extinction  de  tout  désir  et  de 
toute  répugnance  volontaire ,  enfin  par  le  pur  amour 
et  par  l'abandon  à  Dieu  sans  intérêt  propre,  que  par 


DB   LA    SIlCPLIClTé.  4^7 

les  réflexions  inquiètes  sur  noas-mémes.  Quand  Diea 
s*enméley  et  que  nous  ne  retardons  point  son  ac- 
tion ,  Touvrage  va  bien  vite. 

Cette  simplicité  se  répand  peu  à  peu  jusque  sur 
Textérieur.  Gomme  on  est  intérieurement  dépris  de 
soi-même  par  le  retranchement  de  tous  les  retours 
volontaires,  on  agit  plus  naturellement.  L*art  tombe 
avec  les  réflexions.  On  agit  sans  penser  à  soi  ni  à 
son  action ,  par  une  certaine  droiture  de  volonté  qui 
est  inexplicable  k  ceux  qui  n*en  ont  pas  Texpérienée. 
Alors  les  défauts  se  tournent  à  bien ,  car  ils  humi- 
lient sans  décourager.  Quand  Dieu  veut  faire  par 
nous  quelque  œuvre  au  dehors,  on  il  ôte  ces  dé&uts, 
ou  ils  les  met  en  œuvre  pour  ses  desseins ,  ou  il  em- 
pêche que  les  gens  sur  qui  on  doit  agir  n'en  soient 
rebatés. 

Mais  enfin ,  quand  on  est  véritablement  dans  cette 
simplicité  intérieure,  tout  Textérieur  en  est  plus  in- 
génu, plus  naturel  :  quelquefois  même  il  parott 
moins  simple  que  certains  extérieurs  plus  graves  et 
plus  composés  ;  mais  cela  ne  parolt  qu'aux  personnes 
d'un  mauvais  goût ,  qui  prennent  rafièctation  de 
modestie  pour  la  modestie  même ,  et  qui  n'ont  pas 
l'idée  de  la  vraie  simplicité.  Cette  vraie  simplicité 
paroit  quelquefois  un  peu  négligée  et  moins  régu- 
lière ;  mais  elle  a  un  goût  de  candeur  et  de  vérité 
qui  fait  sentir  je  ne  sais  quoi  d'ingénu,  de  doux, 
d'innocent,  de  gai,  de  paisible,  qui  charme  quand 
on  le  voit  de  près  et  de  suite  avec  des  yeux  purs. 

O  qu'elle  est  aimable  cette  simplicité  !  Qui  me  la 
donnera  ?  Je  quitte  tout  pour  elle ,  c'est  la  perle  de 
rÉvangile.  O  qui  la  donnera  à  tous  ceux  qui  ne  veu- 


458  *  DB  1.4  4I1IPUCITÉ. 

Isot quelle  !  Sogesse  la^BdaÎBey  vous  la  mëpiisez,  et 
elle  ¥0tt9  «léprise.  Folle  sagesse,  vous  succoioberez, 
et  les  enfans  de  Dieu  détesteront  cetie-  prudence  gui 
nWtque  mort^  coniiDe  dit  «on  A.p6ire  (0. 

XLI. 

Sur  leS'MmàiéS'patiiOuIièries  :  comiÛM  elles  sont  à 
cnundredans  las-  pommunauîés. 

Ov croît  cenraïuxiéiiieDt  qui}  nY  ^  i*'^  ^  ^^^ 
iattottent  qvie  de  se  lier'd?uae««oiiti<  étroite  wec  les 
personnes  en  «qui  on  trowe^du^mérite  avec  des  qoa- 
liités  convenables  à.  notre 'goût.  CTest  uneoëcessitë 
dans  la  vie,  dit-on,  qtie  d*avoir  quelque  personne 
de  confiance^ qui  on  ^ëpuacbe  son  coaur  pour  se  con- 
8oIer«  Il  ïJLj  n  que  des- coourë  durs  qui  peuvent  se 
pasaer  du  plaisir  d'une  amitié  veFtneuse  et  spUde. 

Mass^ceBchoees,  ^i  sont  pleines  d-ëcueils  dans 
to ne  4et  autres  états,  sont  singulièrement  à  crain- 
due  ikuasilessommunautés  ;'  et  on  doit,-  «quand  on  se 
eroit  appelé  à  cetLeeie  ,*  se  regarder  par  rapport  aux 

É 

amâiés,  tout  autrement  qo  on  tie  feroitdans  une  vie 
privéeet  libn8aojnilieaidu:sièQle.  En  voici  les  rai- 
sons : 

/Piremièremetityionia'est  eaerifié  à  Fobéissance  ^ 
à.  UtSuboiNlînation!;  ainsi  on  n'est  plus  à  soi.  Si  on  ne 
peubdîaposer  ni  de  eou  temps  y  hî  ^  de  son  travail ,  on 
doitenaoreimoinsdâspoeerdeisesiattacbemeosy  P^*^' 
que  lies»  «ttariiemens',  iifits  étoient  ^suiviS)  emporte- 

{*1Môm.  vni.6. 


SUR  UB5    AMITIÉS    PARTICULIÈABS.  4^9 

roient  elle  temps  et  Vapplicatîon  de  Vesprit.  Quand 
voas  formes  des  liaisons  qae  vos  supérieurs  o*approu- 
vent  pas ,  vous  désobéissez ,  vous  entrez  insensible- 
ment dans  un  esprit  particulier  contraire  à  Tesprit 
général  de  la  maison.  Vous  courez  même  risque  de 
tomber  dans  des  délicatesses ,  dans  des  jalousies ,  dans 
des  empressement,,  dans  des  ombrages,  et  dans  des 
excès  de  cbalênr  popr  les  petits  intérêts  de  la  perr 
sonne  que  vous  aimez,  que  vous  auriez  honte  d^avoir 
pour  Tous-même^  Les  supérieurs  ont  raison  de  se  dé- 
fier de  votre  modération ,  de  votre  discrétion,  de  votre 
détachement  et  de  vos  antres  vertus.  Ces  attaohe- 
mens  particuliers  vous  rendent  souvent  indocile  sur 
les  vues  qu'on  aurott,  on  de  vons  écarter  absolument, 
ou  de  vous  donner  quelque  fonction  qui  soit  cause  que 
vous  votts  trouviez  rarement  avec  la  personne  que 
vous  aimez.  En  voilà  assez  pour  vons  aigrir  contre  vos 
supérieurs,  pour  vous  rendre  Tobéissance  amère,  et 
pour  vous  faire  chercher  des  prétextes  de  Téluder.On 
rompt  le  silence  ;  on  a  souvent  de  petits  secrets  à  dîi^; 
on  est  ravi  de  dérober  des  momens  pour  s'entretenir 
Contre  les  règles.  Un  quart  d'heure,  où  le'cœnr  s'é-' 
panche  ainsi  avec  intempérance ,  fait  plus  de  mal  et 
éloigne. davantage  de  la  soumission,  que  tontes  les 
conversations  qu'on  pourroit  avoir  d'ailleurs. 

Les  supérieurs,  voyant  ce  mal,  tâchent  d'y  remé- 
dier, et  tous  les  remèdes  les  pins  charitables  qu'ils  y 
emploient  passent  dans  votre  esprit  pour  une  défiance 
et  ponr  une  crUauté.  Que  fais-je?  dit-on;  qu'a-t-on  à 
nie  reprocher?  j'estime  une  telle  personne  pour  son 
mérite;  mais  je  ne  la  vois  guère  plus  qu'une  autre; 
je  ne  la  flatte  point;  nous  ne  nous  aimons  que  pour 


46o  êVh    LK$   AMITIÉS    rAKTlCULlèEBS» 

Diea.  Od  me  veut  arracher  runiqve  consolation  qui 
me  i*este.  Avec  quelle  sévéritë  me  tratteroii*on ,  si 
je  faisois  quelque  démarche  contre  les  règles ,  puis- 
qu'on est  impitoyable  sur  une  chose  si  innocente  ? 

Ces  supérieurs  voient  le  mal  y  et  ne  peuvent  pres- 
que Texpliquer.  Ils  aperçoivent  qu'une  amitié  indis- 
crète empoisonne  insensiblement  le  cœur^  et  ils  ne 
savent  dans  le  détail  comment  prévenir  cette  conta- 
gion. La  personne  d'abord  s'échaufiTe,  puis  s'aigrit , 
et  enfin  se  révolte  jusqu'à  s'égarer.  Les  plus  beaux 
commeocemens  causent  ces  malheureuses  8«ite& 

%^  On  fait  un  grand  mal  aux  autres  :  on  leur 
donne  un  pernicieux  exemple.  Chacun  se  croit  per- 
mis de  former  des  attachemens  particuliers,  qui  vont 
insensiblement  plus  loin  qu'on  n'avoit  cm  d'abord. 
Il  s'excite  une  espèce  d'émulation  et  d'opposition  de 
sentimens  entre  ceux  qui  ont  des  amitiés  diUKrentes. 
De  là  naissent  les  petites  cabales  et  les  intrigues  qui 
bouleversent  les  maisons  lies  plus  régulières.  De  plus, 
il  arrive  des  jalousies  entre  deux  personnes,  lors- 
qu'elles s'attachent  à  la  même  :  chacun  craint  que 
l'antre  ne  lui  soit  préférée.  Quelle  perte  de  temps  ! 
quelle  dissipa^on  d'esprit!  quelles  folles  inquiétudes  ! 
quel  dégoût  de  tous  les  exercices  intérieurs!  quel 
abandon  funeste  à  la  vanité  !  quelle  extinction  de 
l'esprit  d'humilité  et  de  ferveur  !  quel  trouble  même 
et  quel  scandale  au  dehors  dans  tous  ces  attachemens 
indiscrets  ! 

Il  faut  avouer  néanmoins  que  les  communautés 
sont  bien  exposées  à  ce  danger;  car  ces  attachemens 
sont  contagieux.  Dès  qu'une  personne  prend  cette 
liberté,  c'est  le  fruit  défendu  qu'elle  &it  manger  aux 


SUR  LES    AMITIÉS   PÀtTICULIÈaBS.  4^^ 

autres  après  en  avoir  mange  la  première.  Les  autres 
ne  veulent  pas  avoir  moins  de  consolation  et  d*ap« 
pui  que  cette  personne  qui  cherche  à  aimer  et  à  se 
faire  aimer. 

3o  On  fait  un  tort  irréparable  à  la  personne  qu'on 
aime  trop.  On  la  fait  sortir  de  sa  conduite  simple , 
détachée  et  soumise.  On  la  fait  rentrer  en  elle-même 
avec  complaisance ,  et  dans  tous  les  amusemens  les 
plus  flatteurs  de  Tamour-propre.  On  lui  attire  beau- 
coup de  mortifications  de  la  part  des  supérieurs  ;  elle 
les  afflige  y  et  elle  est  affligée  par  eux.  Ils  se  voient 
contraints  à  se  défier  d'elle ,  à  la  soupçonner  même 
quelquefois  sur  des  choses  qu'elle  n'a  point  faites,  à 
observer  ses  moindres  démarches,  à  ne  croire  point 
ce  qu'elle  dit,  et  k  la  gêner  en  beaucoup* de  petites 
choses  qui  la  touchent  jusqu'au  fond  du  cœur. 

Vous  qui  vous  êtes  attaché  à  elle,  vous  partagez 
a  yec  elle  vos  croix  et  les  siennes.  Il  s'en  fait  un  com- 
merce très-dangereux  ;  car  ayant  de  part  et  d'autre 
le  cœur  plein  d'amertume ,  vous  répandez  l'un  sur 
Fautre  tout  votre  fiel.  Vous  murmurez  ensemble 
contre  les  supérieurs  ;  vous  vous  fortifiez  par  de 
vains  prétextes  contre  la  simplicité  de  l'obéissance;  et 
voilà  le  malheureux  fruit  de  toutes  cesbelles'amitiés. 
D'ailleurs,  une  seule  amitié  particulière  est  capa- 
ble de  troubler  l'union  générale.  Une  personne  ai- 
mée par  une  autre  excite  souvent  la  jalousie  et  la 
critique  de  toute  une  communauté.  On  hait  cette  per* 
sonne ,  on  la  traverse  en  tout,  on  ne  peut  la  souffrir, 
parce  qu'elle  parott  d'ordinaire  fière  et  dédaigneuse, 
ou  du  moins  firoide  et  indifi^rente  pour  les  autres 
qu'elle  n^aime  pas.  Quand  on  agit  suivant  une  cha- 


46s  SUE    LE*  AMITIÉS   VAETICUUkRBS. 

rite  générale ,  on^st  gënéralemeot  aimëy  «t  on  édiBe 
tout  le  monde*  Qoand^  au  contraire,  on  se  conduit 
par  des  amitiés  partiouliàres,  suivant  son  goût,  on 
blesse  la  charité  générale  par  des  différences  qoi 
choqurat  toute  une  maison. 

4^  Enfin  on- 60  nuit  beaucoup  à  soi-même.  Est- 
ce  donc  là  se  renoncer,  suivant  le  précepte  de  Jésus- 
Christ?  est-oe  là  mourir  à  tout?  est-ce  là  s^onblier 
soi-même ,  et  marcher  nu  après  Jésus-Chiist  ?  An 
lien  de  se  crucifier  avec  lui,. on  ne  cherche  qu*à  s'a- 
mollir, qu*à  s'enivrer  d'une  amitié  foile  :  on  perd  le 
reoueillement;  on  ne  goûte  plus  Toraîson.  On  est 
toujours  empressé,  inquiet ,  craintif,  mystérieux,  dé* 
fiant.  Le  cœur  est  plein  de  oe  qu'on  aime,  c'est-à-dire 
d'une  créature ,  et  non  pas  de  Dieu.  On  se  fait  une 
idole  de  cette  créatui^e,  et  on  veut  âtre  aussi  la  sienne. 
C'est  un  amusement  perpétuel. 

Ne  dites  point  :  Je  me  retiendrai  dans  cette  amitié. 
Si  vous  ave:&  cette  présomption,  vous  êtes  incapable 
de  vous  retenir.  Commenl  vous  retiendriesb-vous , 
lorsque  vous  serez  dans  une  peilte  si  roide,  puisque 
vous  ne  pouvez  pas-  même  vous  retenir  avant  que 
vous  y  soyez  1  Ne  vous,  flattez  donc  plus.  Le  naturel 
tendre  et  affectoeux ,  qui  fait  que  vous  ne  pouvez 
vous  passer  de  quelque  aitachemeaft^  ne  vous  per- 
mettra aucune  modération  dans. ceux  qne  vous  for- 
merez. Dabord  iU  vons  paroltront  nécessaires  et  mo- 
dérée; nsaiabîealôl  vous  scaftirez  combien  il  s'oi  faut 
que  vous  ne  sachiez  gouverner  votre  cgbut,  et  l'ar- 
rêter préckéovent  oiit  il  vous  plaft. 

Je  conclns  que  ai  vous  n'avez  auoun  attachement 
particulier,  vous  ne  sauriez  trop  veiUer  sur  votre 


SOR    LES    AMITIÉS    PÂBTICXJLlk&BS.  4^3 

cœur  y  ni  le  garder  avec  précaution  ^  pour  ne  lui  per- 
mettre jainais  de  sVcbapper  dans  ces  vaines  affec- 
tions,  qu^  sont  toujours  cuisantes  dans  leurs  suites. 
N^aimez  point  tant  une  seule  personne ,  et  aimez 
davantage  tous  ceux  que  Dieu  vous  commande  d'ai- 
mer. O  que  vpus  goûterez  la  paix  et  le  bonheur ,  si 
Tamour  de  Dieu,  qui  est  si  bon  et  si  parfait,  vous 
ôte  le  loisir  et  le  goût  de  vous  amuser  à  des  amitiés 
badines  pour  des  créatures  toujours  imparfaites  et 
incapables  de  remplir  nos  cœurs  ! 

Mais  si  vous  êtes  déjà  malade  de  cette  fantaisie ,  si 

Fentétement  d'une  beUe  amitié  vous  occupe,  du> 

moins  essayez  de  vous  guérir  doucement  et  peu  à  peu. 

Ouvrez  les  yeux  :  la  créature  que  vous  aimez  n'est 

pas  sans  défaut.  N'en  avez-vous  jamais  rien  souffert? 

Tournez  vos  ai&ctions  vers  la  souveraine  bonté ,  de 

qtii  ^octs  ne  souffrirez  jamais  rien.  Ouvrez  votre  cœur 

à  l'amour  de  l'ordre  et  de  l'obéissance;  goûtez  le 

plaisir  piu*  de  la  charité  qui  embrasse  tout  le  monde^ 

et  qui  ne  fait  poioi  de  )aloaz.  Aimez  l'œuvre  de  Dieu^ 

runion  et  la  paix  dans  la  maison  oii  H  vous  appelle. 

Si  vous  avez  quelque  obligation  à  cette  personne , 

témoignez^lui  de  la  reconnoissance^  mais  non  pas  aux 

dépens  des  heures  de  silence  ^  et*  de  vos  exercices  ré* 

guliers.  Aimez-la  en  Dieu,  et  selon  Dieu.  Ketranchez 

/  les  confidences  indiscrètes  et  pleines  de  murmures , 

les  Caresses  folles,  les  attendrissemeiis  indécens,  les 

vaines  joies,  les  empressemens  affectés,  les  fréquentes 

conversations.  Que  votre  amitié  soit  grave  ^  simple  et 

édifiante  en  tout.  Aimez,  encore  plus  Dieu,  son 

œuvre,  votre  communauté,  et  votre  salut,  que  la 

personoe  dont  il  s^agit. 


Ohdbb  ancien  des  chapitres  de  l'ouvrage  intitulé  : 
Divers  Seniimens  et  Avis  chrétiens;  avec  Tindi- 
cation  des  endroits  qui  leur  correspondent  dans 
cette  édition  (>}. 


m^\*t^»^f^t9tv^mmt0^y*t9f*w*f^ 


DIVERS  senthiens  et  avis  chrétiens. 

OfeOftB  AVCm.  ObdU  ffOVYKÂU. 

L  Qne  Dîea  est  pea  oonna  ptétentement.      XVII. 

n.  De  la  nécessité  de  oonnoitre  et  dTeimer 

Dîea.  XYm. 

m.  Sur  le  pur  amour.  XIX. 

IV.  Avis  sor  la  prière  et  sur  les  prindpaiB 

exercices  de  piété.  Miou  àepiAi. 

V.  De  la  oonfonnité  à  la  vie  de  Jésua-ChriiL  X. 

VI.  De  rhumilité.  Lettr.  spir .  à  la 

oomtesK  de 
OranuDont . 
Vn.  Sur  la  prière.  XXVI. 

Vin.  Prière  pour  ae  donner   entièrement  à 

Diea  dans  la  solitude.  XXXL 

IX.  *  De  la  méditation.  Lettr.  spir  Ji  on 

militaire. 
X  De  la  mortificatbn.  T. 

XI.  Snr  le  renoncement  à  soi-même.  XXXIL 

Xn.  Du  détachement  de  soi-même.  XXXIIL 

Xm.  Sur  la  violence  qu'on  Chrétien  se  doit 

faire  continuellement.  XIL 

XTV.  Le  royaume  de  Dieu  ne  se  donne  qu'à  cens 

qui  font  sa  volonté.  XSX. 

XV.  Contre  les  tentations.  Tt. 

XVI.  De  la  tristesse»  XV. 

XVII.  Sur  la  dissipation  et  sur  la  tristesse.  XIV. 

(*)  On  a  vu  dans  XAvtrtiêttmaa,  du  tome  xyfi»  n.  v,  les  raisont 
qui  nous  ont  engagés  à  donner  cette  table  de  conptnisoii' 

OlDU 


TABLE    DB    COMPAUAISOZV.  4^5 

OUMIK  AHCim.  Ordme  «ourTAC. 


xvin. 

XIX. 


XXL 


XXIII. 
XXIV. 


XXVÏ. 

xx\n. 

XXYIIL 


De  la  confiance  en  Dieu. 

Gomment  il-&at  Tetller  sur  soi. 

Que  Pesprit  de  Dieu  enseigne  an  dedans. 

Sar  la  prière  du  Phansîen. 

Sur  les  fautes  journalières  et  le  support  de 

soi'^meme. 
Sur  la  fidélitA  dans  les  petites  choses. 
Des  monvemens  passagers ,  de  la  fidélité  et 

simplicité. 
Qu'il  ne  faut  juger  des  vertus  ni  des  vices 

de  soi  on  d'autrui  selon  le  go&t  humaini 
Sur  Futilité  du  silence  et  du  recneillemenk. 


Horreur  des  privations  et  de  Tanéàntisse- 

ment  entre  les  dévots  mêmes. 
Du  bon  usage  des  croix. 
Sur  les  croix. 


De  la  trop  grande  sensibilité  4^ns  les 
peines. 

Nécessité  de  la  purification  de  Famé  par 
rapport  aux  dons  de  Dieu,  et  spéciale- 
ment aux  amitiés. 

Des  opérations  ii^térienres  de  Dieu  pour 
ramener  lliomme  à  sa  véritable  fin» 
pour  laquelle  il  nous  a  créés. 

De  la  perfection  chrétienne. 

Que  la  voie  de  la  foi  nue  et  de  la  pure  cha- 
rité est  meilleure  et  plus  sftre  que  celle 
des  lumières  et  des  goûts. 

De  la  simpUcité. 

De  la  véritable  Imniére. 

XXXVII.  *  De  la  présence  de  Dieu. 

XXXVIII.  Sur  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu^ 

XXXIX.  Instruction  générale  pour  avoir  la  paix  in- 

térieure. 
ICT^  Sur  Fabandon  à  Dieu. 

XLI.  De  la  reconnoissance. 

FéNÉLON.    XVUI. 


XXXV. 

VI. 
XXTI. 

XIII. 

» 

VT. 

Vin. 

xxxu. 

xxvn. 

Lett.  sptr.  à  la 
comtesse  de 
Grammont . 

XXIV. 
XXXVI. 

A  la  comt.  de 
Grammont. 

A  la  même. 


XXIII. 


xxxn. 


xxxni. 

XXXIV. 


XXXVL 


xxn. 

XXX. 


XXV. 

XL. 

Fin  du  XXX. 

VII. 

XXXIV. 

XXXVIII. 

XXXIX. 

XX. 

3o 


466  TABLE    DB   COMtAmAlflOir. 

OaLtmtLAMamn,  Oi»b«  aourmAr. 

XUI. 
XLm. 


XLIV. 
XLV. 

XLVI. 

xwn. 

XLvni. 
xux, 

L. 
Ll. 


Que  le  seul 
il  £nu,  et  aimer  les  soufiSmocs. 

L'auxmr  dômiéreii^  et  Ti 
ont  leur  BaiiOQ. 

De  k  maie  liberté.  XXVITI 

Des  dirertisscinens  attachés  k  Fétat  des 
pecsoDiMsSv  Ua 

Avis  à  aae  personne  attachée  à  la  Gcmr.      Œ. 

Des  croix  qa^il  y  a  dans  Fétat  de  prospé- 
rité y  de  fereur  et  de  grandcar.  lY. 

De  remploi  da  temps.  L 

Da  ménagement  do'temps.  A  la 

G 

Da  mariage.  Mon, 

De  la  iBort.  XVI. 


6e 
t. 


ŒUVRES 

DE  FRANÇOIS  DE  SALIGNAC 

DE  LA  MOTHE  FÉNÉLON. 


TROISIÈME  CLASSE, 


MANDEMENS. 


AVERTISSEMENT  DE  L'ÉDITEUR. 


*^mm^m<*Mn^  w^^0*t*^**^*0^^'vm 


Tous  les  MaDdemens  de  Fénélon  que  nous  avons  pare- 
caeillîr  se  rapportent  à  deux  chefs  principaux. 

lo  Recueil  des  Mandeniens  de  messine  B'rançois  de 
SaUgnac  de  la  Molhe  Fénélon,  archevéifue  duc  de  Cam- 
brai, prince  du  Saint^Empire,  cimue  du  Cambrésis,  etc. 
a  tocùasiùH  du  Jubilé  y  du  Carême  et  des  Prières  publi- 
quesy  depuis  le  \5  novembre  ï'jotjjusqu'au^iféOrieri'ji^, 

Les  Mandemens  conteons  dans  ce  Recueil  sont ,  à  la 
vërîtë ,  des  écrits  de  circonstances  qai  ne  peuvent  avoir 
aajonrd'hnî  le  même  intérêt  qu*à  répoijue  de  leur-  pre- 
mière publication.  On  peut  dire  cependant  qu'ils  offrent 
de  précieux  monumens  du  zèle  de  Tillustre  prélat  pour  le 
bien  de  son  troupeau  ei  pour  le  maintien  de  la  discipline 
de  TEglise,  principalement  sur  Fabstioence  et  le  jeûne 


468  ÀVEILT1S5EMEMT 

du  Giréme.  Les  sages  tempéramens  dont  il  savoii  user 
sur  ce  dernier  poiut,  pour  concilier  le  respect  dû  aux 
règles  de  TEglbe  avec  les  adoucissemens  passagers  que 
nécessite  quelquefois  le  malheur  des  temps,  peuvent 
être  considérés  comme  le  modèle  d'une  bonne  adminis- 
tration, et  lui  méritèrent  souvent  les  éloges  du  souve- 
rain Pontife  iui-méme^  comme  on  le  voit  par  plusieurs 
pièces  de  la  Correspondance  (■)• 

Les  Mandemens  publiés  depuis  1701  jusqu'en  1713,3 
l'occasion  de  la  guerre  de  la  succession,  renferment  les 
plus  vives  exhortations  à  profiter  du  fléau  de  la  guerre 
pour  s'humilier  sous  la  main  de  Dieu,  se  détacher  de  plus 
en  plus  d'un  monde  sujet  à  de  si.tristes  révolutions,  et 
aspirer  au  bienheureux  repos  de  la  patrie  céleste.  A  ces 
exhortations  si  touchantes  et  si  convenables  dans  la  bouche 
d'un  ministre  de  la  religion ,  Fénélon  joint  toujours  les 
vœux  les  plus  ardens  pour  le  bonheur  de  la  France  et 
pour  la  prospérité  des  armes  du  Roi.  Aussi  voit-oo  avec 
étounement  et  avec  peiné,  dans  une  lettre  du  prélat  au 
pèreLami,  du  3o  novembre  1708,  les  malignes  inter- 
prétations que  ses  eimemis  se  permirent  quelquefois  de 
donner  aux  expressions  les  plus  indififéreotes  de  ses  Man- 
demens» Les  mêmes  hommes  qui  avoient  prétendu  trou- 
ver dans  le  Télénuique  une  critique  amère  du  gouver- 
nement de  Louis  XIV,  représentoient  les  Mandemens  de 
l'archevêque  de  Cambrai  comme  une  censure  au  moins 
indirecte  de  la  guerre  que  le  Roi  avoit  alors  à  soutenir 
contre  l'Europe  presque  entière.  Ces  bruits  calomnieux 
se  répandirent  en  particulier  à  l'occasion  du  BCand  emeot 
du  i!i  mai  1708,  dans  lequel  Fénélon  déplorant  les  mal- 
heurs que  la  guerre  entraiue  toujours  après  elle,  gémis- 
soit  de  voir  «  les  hommes,  accablés  de  leurs  misères  et  de 

(■)  Voyez,  dans  la  cinquième  section  de  la  Corresponàanct ^  U 
leure  de  Fabbé  Bussi,  iniemonce  de  Bruxelles,  à  Fénélon,  du  ti 
avril  170a;  et  celle  de  Fénélon  au  confesseur  de  l'âecteor  de  Co-  1 
ogne,  du  a6  noyembre  1706. 


•   DE   L  6DITEVK.  4^9 

«  leur  morulilé  y  augmenter  encore  avec  industrie  les 
»  plaies  de  la  nature,  et  inventer  de  nouvelles  morts.  Ils 
«  n'ont  que  quelques  momens  k  vivre,  aîontoit^il,  et  ils  ne 
»  peuvent  se  résoudre  à  laisser  couler  en  paix  ces  tristes 
»  momens  ;  ik  ont  devant  eux  des  régions  immenses  qui 
1»  n'ont  point  encore  trouvé  de  possesseur,  et  ils  s'enlve- 
»  déchirent  pour  un  coin  de  terre  :  ravager ,  répandre  le 
«  sang,  détruire  l'humanité,  c'est  ce  qu'on  appelle  l'art 
»  des  grands  hommes.  »  Il  lalloit  assurément  des  yeux 
bien  perçans  pour  trouver  dans  un  langage  si  raisonnable 
et  dans  des  expressions  aussi  générales,  une  censure  de 
la  conduite  de  Louis  XIV,  surtout  dans  un  Mandement 
dont  la  conclusion  attribnoit  expressément  au  monarque 
les  plus  sages  et  les  plus  religieux  dessems.  f  Prions ,  di- 
»  soit  le  prélat,  pour  la  prospérité  des  armes  du  Roi, 
•  afin  qu'elles  nous  procurent,  selon  ses  desseins,  un 
»  repos  qui  console  l'Eglise  aussi  bien  que  les  peuples , 
»  et  qui  soit  sur  la  terre  une  image  dii  repos  céleste.  » 
Il  ne  paroitpas,au  reste,  que  les  calomnteft  répandues 
à  cette  occasion  contre  l'archevêque  de  Cambrai  aient 
fait  aucune  impression  sur  ^'esprit  de  Louis  XIV.  EUes 
ne  servirent  qu'à  mettre  dans  un  nouveau  jour  les  re- 
ligieux et  nobles  sentimens  de  Fénélon.  «  Il  faut ,  disoit-il 
»  au  père  Lami,  dans  sa  lettre  déjà  citée  du  3o  no- 
»  vembre  1708,  prier  de  bon  cœur  pour  ceux  qui  agis- 
»  sent  ainsi,  et  leur  vouloir  autant  de  bien  qu'ils  me 
V  veulent  de  mal.  » 

La  même  lettre  nous  apprend  qu'il  parut,  pendant  le 
cours  de  cette  année  1708,  un  Recueil  des  Mandemens 
de  Fénélon.  Ce  recueil  fut  augmenté  dans  une  nouvelle 
édition  donnée  en  1718  (  i  vol.  in- 13  )  par  ses  ordres, 
ou  du  moins  avec  son  agrément,  et  composée  de  vingt- 
deux  Mandemens.  Quoique  cette  dernière  édition  soit 
plus  complète  que  la  précédente,  elle  ne  coniieut  cepen- 
dant pas  tous  les  Mandemens  donnés  par  Fénélon  pen- 
dant le  cours  de  son  épiscopat.  Le  catalogue  publié  en 


4.^0  AyXlTISSEMBJIT 

1^32,  à  la  suite  do  Becveii  de  ses  Opuscules ^  uouj  ap- 
pnood  qu'outre  les  viogt-deux  Mandemens  publiés  en 
1713  tl  en  existe  encore  qo  pour  le  Carême  de  1714, 
en  date  do  4  février  de  œlie  année,  et  un  autre  du  1 5  juin 
1701,  pour  le  premier  Jubilé  de  cette  même  année»  ac- 
cordé par  Clément  XI  au.  commencement  tle  son  ponti- 
ficat. Nos  recherches  pour  nous  procurer  e^s  deux  der- 
niers IMlàDdemens  ayant  été  inutiles.,  nout  avons  été  obli- 
gés de  suivre  exactement  l'édition  de  1718. 

2<»  Standatum  iUustriss.  et  revereniiss.  D.D.  Francisci 
de  Smlignaa  de. la  MoAe  Fémélon,  archiepiscopîy  ducù 
Camenufemsisj  eic.  adftarockos,  vicarios  et  4dios  sacenloies 
suœdiœceseosy  oooasUme  Bùualis  Cameraoensis,  ah  eodem 
prceUêio  recçgnm  et  ejusdem  aucloritaie  publicad  (>)• 

Ce  Mandement,  daté  du  ao  août  1707,  parut  cette 
même  année  à  la  tête  du  Rituel  de  Cambrai,  dont  Fé- 
néloo  donnoit  ^lors  une  nouvelle  édition.  D  avertit  lui- 
même  (']  qu'à  l'bxception  de  quelques  légers  change- 
mens  nécetsîcés  par  les  ciroonstances,  il  ne  fait  que  re- 
produire le  Rituel  publié  par  sâs  prédécesseurs  ;  il  profite 
seulemeni  de  cette  occasion  pour  rappeler  aux  pasteurs 
les  règles  de  prudence  qu'ils  doivent  obaerver  dans  le 
gouvernement  de  leur  paroisse,  relativement  surtout  aux 
pratiques  superstitieuses  iniroduiles  en  quelques  endroits 
par  l'ignorance  ou  la  grossièreté  des  peuples.  Rien  de 
plus  sagp  que  les  avis  donnés  par  le  prélat,  soit  pour 
prévenir  ces  sortes  d'abus ,  soit  pour  lés  réformer  après 
qu'ils  se  .sont  introduits* 

Outre  le  Mandement  placé  k  la  télé  du  Rituel  de  Cam- 
brai, Fénélon  y  inséra  des  ExhorteUijons  et  A%^is  pour 
l'administraden  des  Sacremens,  que  nous  avons  joints  au 
Manuel  de  piété  (3).  Le  reste  du  Rituel  n'étant  point 


(• }  HisL.  de  FàkIoa  ,  Irr.  it,  n.  16. 
(*)  PreniéTe  page  du  Mandement* 
C^)  Voyez  ci-dessus  page  16741  suiv. 


\ 


DB    LÉDITEUB.  4?  ' 

proprement  ton  oavrage,  nous   n'avons  pas  balancé  à 
Feiclure  de  notre  collection. 

Noos  aurions  po  faire  entrer  dans  cette  troisième  classe 
quelques  Mémoires  concernant  la  juridiction  ëpiscopale 
et  mëtropoli laine  de  Farchevéque  de  Cambrai;  mais  ces 
Mémoires  étant  fort  courts  et  en  assez  petit  nombre, 
nous  avons  cru  qu'ils  seroienl  mieux  placés  parmi  les 
lettres  qu'on  trouvera  sur  1^  même  sujet  dans  la  cin- 
quième section  de  la  Correspondance, 


MANDEMENS 


• 


MANDEMENS 


mmmâMmnMimMÊmwm/^yymi 


I. 


MANDEMENT  POUR  LE  JUBILE 

DE   l'aUNÉE   S^AINTE    I7OI. 

Après  une  tradttcuoo  de  la  bulle  de  noire  saUil  père  le 
pape  Clément  XI  y  et  la  désignation  ^m  églises  à  visiter 
pour  gagner  le  Jubilé  dans  le  diocèse  de  Cambrai, 
monseigneur  Tarchevéque  parle  ainsi  à  son  peuple. 

FRAitçois  y  par  la  miséricorde  de  Dieu  et  la  grâce 
du  saint  Siège  apostolique ,  archevêque  duc  de  Cam- 
brai,  prince  du  Saint-Empire,  comte  du  Cambré- 
sis,  etc.  à  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse ,  salut  ef 
bénédiction. 

Noua  avons  trouvé  k  propos,  mes  très-ehers 
Frères,  de  faire  publier,  le  prenaier  d«anc|ie  de 
TAvent,  le  Jubilé  de  Tausée  sainte,  que  notre  saint 
père  le  Pape  a  bien  voulu  accorder  en  faveur  de  nos 
diocésains.  En  vous  donnant  la  traduction  de  la 
bulle  de  Sa  Sainteté,  nous  commençons  par  dé- 
signer les  égUses  qu'il  faudra  visiter  en  chaque 
lieu,  etc. 

Il  j»e.iloiis  reets,  mes  très-chers  Frères,  qu'à  vous 
représeoter  combien  les  dons  de  Dieu  sout  terribles 


476 

contre  ceax  qui  les  méprisenL  Hëlas  !  les  joars  de 
bënëdictîoDS  s^écoalent,  et  le  pëchë  r^oe  toofoiirs. 
Le  ciel  yene  one  rosée  abondante,  et  la  terre  de* 
menre  stérile  en  fruits  dignes  de  pénitence.  Ne  re- 
verrons-nous  pas  encore  après  le  Jubilé  les  mêmes 
dér^emens,  les  mêmes  habitqdes,  les  mêmes  scan- 
dales! Les  fidèles  courent  avec  empressement  pour 
obtenir  cette  grâce;  mais  ils  Teulent  apaiser  Dieu 
sans  se  convertir  ni  se  corriger.  La  religion  se  tourne 
en  vaine  cérémonie.  Un  pécheur  veut  payer  Dieu 
des  apparences  dont  il  n*oseroit  payer  un  ami  of- 
fensé, n  donne  à  Dieu  tout  le  moins  qu'il  peut  dans 
sa  réconciliation.  Il  semble  regretter  tout  ce  qu*il 
lui  donne,  et  le  compter  comme  perdu.  Il  se  pro- 
sterne aux  pieds  d'un^prêtre,  et  prétend  lui  faire  la 
loi;  il  frappe  sa  poitrine, et  flatte  ses  passions;  il 
avoue  sa  fragilité,  et  refuse  de  se  défier  de  lui- 
même;  sa  fragilité  sert  d'excuse  à  ses  rechutes,  et 
ne  lui  fait  sentir  le  [besoin  d'aucune  précaution  :  il 
veut  apaiser  Dieu ,-  mais  à  condition  de  ne  se  gêner 
en  rien,  a  Cest  aux  pénitens  que  je  parle,  disoit 
»  saint  Augustin.  Que  faites- vous?  Sachez  que  tous 
M  ne  faites  rien.  A  quoi  vous  sert  cette  humiliation 
»  apparente,  sans  changement  de  vie?  Quidest  guod 
»  agùis?  Sciiote,  nAil  agilis.  Quid  prodest  quia 
n  hunuUamini,  si  non  mutamini?  (0  » 

Faut-il  que  les  Chrétiens  retombent  dans  le  ju- 
daïsme, et  que  les  cœurs  soient  loin  de  Dieu  pen- 
dant qu'on  l'honore  des  lèvres?  Cest  parler  de  pé- 
nitence ,  sans  se  repentir  ;  c'est  réciter  des  prières , 
sans  prier  véritablement  ;  c'est  tourner  le  remède  en 

(3)  Serm.  cccxcti  ,  al.  Homil  xlix  in  ter  l,  n.  6  :  tom.  ▼,  pag.  i5o^ 


MÀNDEMBirS.  477 

poison ,  et  rendre  le  mal  incurable.  L*ezercice  de  la 
foi  se  réduit  à  n*oser  contredire  les  mystères  incom- 
préhensibles »  à  l'égard  desquels  une  certaine  sou- 
mission vague  ne  co&te  rien.  Mais  les  maximes  de 
la  pauvreté  et  de  l'humilité  évan'gélique ,  qui  sont 
révélées  comme  les  mystères,  et  qui  attaquent 
l'amour-propre^  ne  souffrent-elles  pas  en  toute  oc- 
casion une  contradiction,  et  une  dérision  scanda- 
leuse ?  On  craint  le  moindre  mépris  du  monde  plus 
que  les  jugemens  de  Dieu,  et  la  mpiadre  perte  des 
biens  temporels ,  plus  que  celle  du  salut.  On  a  honte 
de  faire  le  bien,  la  parole  de  Dieu  ennuie,  on  est 
dégoûté  du  pain  descendu  du  ciel,  la  table  sacrée  est 
déserte;  presque  personne  ne  porte  sérieusement  et 
avec  docilité  le  joug  de  la  loi  divine.  O  Seigneur, 
approchons-nous,  de  ces  temps  oti  vous  avez  dit  que 
le  Fils  de  Thomme  trouveroit  à  peine  quelque  foi  sur 
la  terre!  Jetez  un  regard  de  compassion  sur  vos 
enfans.  Envoyez  votre  Esprit,  et  ils  seront  créés,  et 
vous  renouvellerez  la  face  de  la  terre.  Rs^Uumez  le 
feu  de  voti'e  amour  dont  vous  avez  voulu  embraser 
le  monde.  Après  avoir  été  justement  irrité,  res- 
souvenez-vous de  votre  miséricorde.  Rappelez  pour 
votre  gloire  ces  anciens  jours,  oh  votre  peuple  bien- 
aimé,  n'étant  qu'un  cœur  et  qu'une  ame  sous  votre 
main ,  usoit  de  ce  monde  comme  n*en  usant  pas ,  et 
ne  se  consoloit  que  dans  l'amour  de  votre  beauté 
éternelle.  Donné  à  Cambrai  le  1 5  de  novembre 
1701. 


II. 

MANDEMENT  POUR  LE  CARÊME 

DE*  l'année    1704» 

François,  etc.  à  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse, 
salut  et  bénédiction. 

Pendant  la  dernière  paiit  nous  avons  cru  devoir 
nous  appliquer  à  rappeler  nos  diocésains  à  la  par- 
faite obseiVation  de  la  pénitence  du  Carême,  qui  est 
aussi  ancienne  que  TEglise,  et  qu'elle  a  pratiquée 
pendant  tant  de  siècles  avec  une  exactitude  incom- 
parablement plus  rigoureuse  qu'en  nos  jours.  Dans 
cet  intervalle  de  tranquillité  publique,  nous  avions 
déjà  accoutumé  les  peuples  à  se  priver  de  l'usage  des 
orafs,  que  les  malheurs  de  k  guerre  avoient  rendu 
autrefois  nécessaire.  Mais  une  guerre  nouvelle  a  sus* 
pandn  malgré  nous  le  parfait  rétablissement  de  cette 
discipline.  Nous  nous  bornâmes  l'année  dernière  k 
résister  aux  désirs  de  ceux  qni  demandoient  qu'on 
permit  la  viande.  Nous  ne  crftmés  pas  devoir  autori- 
ser un  relâchement  d'une  si  dangereuse  conséquence, 
et  qni  avdit  été  inouï  dans  les  Payfr-Bas  catholiques , 
même  pendant  les  plus  longues  guerres  et  les  plus 
affreuses  désolations^  Nous  savions  que  les  peuples 
de  ce-  pdys,  malgré  les  ravages  et  les  misères^  in* 
cro]rables  des  temps  passés ,  avoient  toujours  en  le 
zèle  de  s'abstenir  de  manger  de  la  viande  pendant 
tous  les  Carêmes  y  étant  jaloux  de  conserver  cette 
glorieuse  marque  de  la  discipline  de  FEglise  catho- 
lique, qui  les  distinguoit  des  Protestans  leurs  voisins. 


enfin  ^  cetle  Bunéef  Fentière  cessation  de 
cmmberce  aVec  Ih  Hollande  pme  les  Pajr^Bas  de 
tentes  les  provisions  de  poisson  qii*ils  avoient  ac* 
contumé  d*en  recevoir  ;  et  notre  saint  père  le  Pape 
Rons  inspire  par  sa  sagesse  paternelle  une  indnl- 
gence  extraordinaire  pour  âe  cas  sitagnlier|. autant 
que  notre  conscienee  et  la  coonoisaanoe  exacte  que 
nous  avons  sur  les  lieux  des  vrais,  besoins  de  notre 
troupeau  nous  le  permettront. 

Des  raisonis  si  puissantes  noué  déterminent  à  per- 
mettre pendant  le  Garéme  pradmin^  à  la  partie  de 
notre  diocèse  qui  est  sous  la  dominatioa  du  rot  Car 
tkolique^  Tusage  de  la  viande  pendant  trois  jours, 
de  chaque  semaine ,  savoir  ^  le  dimandw^  le  mardi 
et  le  jeudi.  Nous  en  exceptons  néanmoins  le  jeudi 
qili  arrive  le  lendemain  do  mercredi  des  Cendres  ^  le 
dimanche  des  Rameaux^  le  mardi  et  le  jeudi  de  la 
sefcnaine  sainte.  Quoique  noua  leur  permeittcKni  ainsi 
Tnsage  da  la  viande  pour  certains  JQurSy  naus.^enn 
servons  te  cooMnakidetaient  de  l%glise  dans  tonte  ea. 
force  V  à  Ttfglird  du  ^eAne».  non*seolement  pour  lions 
les  autres  jours,  mais  encore  pour  les  joiUrs  méaie 
où.  ils  mangeront  de  la  vîaïkde.  Pkis  la  neuriritnre 
qa*on  prend  est  forte ,  plus  t>n  est.  en  état  de  gaitler 
la  rî^e  du  jeâne  en  ne  faisant  chaque  jour  ^n^un» 
sônl  repas  avec  ilne  petke  coUaitiota. 

De  plue,  nous  exhortons  les  tuthes  h  suppléer  pai; 
des  aumônesy  au'^delà  aiéibé  de  iceUes.  qu*îia  font 
d^ordinairey  la  pénitence  qu'ils  ne  feront  point  du 
coté  de  leur  nourriture  Enfin  nous  «onjnrons.toos 
les  peuples  en  général  de  pvatiquiér  quelque  rentre 
nftot*ètfioatkm,  qui  ttentie  lieu  de  ceUe  dotfl  noua  les 


48o  màhdbxshs. 

dispensons.  Jamais  temps  n*a  montré  plos  que  celui- 
ci  une  pressante  néœssitë  d'apaiser  la  colère  de  Dieu 
par  des  humiliations  et  par  des  pénitences  extraor- 
dinaires. Il  faut  que  sa  înstice  soit  bien  irritée  par 
les  péchés  des  hommes  f  puisque  nous  voyons  toutes 
les  nations  de  la  chrétienté  dans  des  guerre  sem- 
blables à  celles  qui  ont  été  prédites  pour  la  fin  des 

siècles. 

A  regard  de  la  partie  de  notre  diocèse  qui  est 
sous  la  domination  de  France,  nous  lui  permettons 
seulement,  et  en  commun  avec  la  partie  qui  est  sous 
la  domination  d'Espagne,  l'usage  des  œufe,  ezcep 
tant  néanmoins  les  quatre  premiers  et  les  quatre 
derniers  jours. 

De  plus ,  comme  les  militaires  reviennent  à  peine 
d'une  longue  campagne ,  et  sont  à  toute  heure  sur  le 
point  de  se  remettre  en  marche  pour  recommencer 
leurs  &tigtt«o^  nous  leur  permettons  de  manger  de 
la  viande  cinq  jours  de  chaque  semaine^  savoir,  le 
dimanche,  le  lundi,  le  mardi,  le  mercredi  et  le 
jeudi ,  exceptant  néanmoins  le  mercredi  des  Cendres, 
le  jour  suivant,  et  toute  la  semaine  sainte. 

Mais  nous  ne  prétendons  point  comprendre  dans 
cette  dispense,  par  rapport  à  la  viande,  aucun  des 
officiers  des  états-majors  des  places;  parce  que,  de- 
meurant tranquillement  chez  enx  dans  les  villes,  ils 
peuvent  encore  plus  facilement  que  le  peuple  se 
contenter  des  œu&,  qui  leur  sont  permis. 

Nous  espérons  du  zèle  des  peuples  soumis  à  la 

France  dans  notrediocèse ,  qu'ils  ne  seront'nuUement 

jaloux  de  la  condescendance  particulière  dont  nous 

usons  à  l'égsurd  de  cenx  qui  obéissent  à  l'Espagne  ;  et 

qu*ils 


MAIIDEMEICS.  ^8 1 

qu'ils  se  croiront  heurâox  au  contraire  de  pouvoir, 
par  leur  situation  plus  éloignée  de  la  guerre,  faire 
un  peu  plus  qu'eux  pour  garder  la  règle.  Selon  saint 
Augustin,  ceux-là  sont. les  plus  riches  en  Jésus^Christ, 
qui  ont  plus  de  courage  pour  supporter  la  priva*- 
tion  ;  car  il  est  bien  plus  avantageux  d'être  au-dessus 
des  besoins,  que  d'avoir  de  quoi  y  satisfaire.  lUœ  se 
exstimeat  diiiores,  çuœfuerint  in  sustinenda  parci- 
tate  fortiores.  Melius  est  enim  minus  egere,  çuàm 
plus  habere  (>}•  Mais  enfin  les  uns  et  les  autres  doi- 
vent en  cette  occasion  suivre  ce  que  saint  Paul  disoit 
aux  premiet*s  fidèles,  dont  les  uns  usoient  d'une  li- 
berté que  les  autres  se  refusoient  :  Que  celui  qui 
mange  ne  méprise  point  celui  qui  ne  mange  pas  ;  et 
que  celui  qui  ne  mange  pas  ne  juge  point  celui  qui 
mange  (^}.  Au  milieu  de  ces  petites  diversités  passa- 
gères que  certaines  circonstances  causent  dans  la 
discipline,  tous  doivent  demeurer  dans  une  parfaite 
unité  de  cœur,-  en  attendant  que  les  uns  puissent 
revenir  au  plus  tôt  au  même  point  oii  les  autres 
auront  la  gloire  en  Jésus-Cbrist  d'être  demeurés 
fermes. 

Au  reste ,  mes  très-çhers  Frères,  nous  avons  appris 
avec  douleur  qu'un  grand  nombre  d'entre  vous, 
ayant  entendu  publier  dans  le  pays  de. la  domina- 
tion d'Espagne  un  ordre  de  la  puissance  séculière, 
qui  étoit  borné  à  la  simple  police,  pour  avertir  de 
bonne  heure  les  bouchers,  marchands  de  poisson 
et  autres  qui  font  les  provisions  publiques ,  ont  cru 
pouvoir  manger  aussitôt  de  la  viande  tous  les  sa- 
medis, sans  attendre  que  la  voix  de  l'Eglise  leur  mère 

(*)  Ep,  CGxi,  n.  9:  tom.  11»  pag.  784*  —■  C*)  Bom,  ziii.  3. 

Féuélom.  xviii.  3i 


48^  '  MARUEMB98. 

les  instruisit  de  sa  volonté.  Vous  devez  savoir  que 
c*est  TE^lise  seule  à  laquelle  il  appartient  non-seu- 
lement de  dispenser,  mais  encore  de  publier  elle- 
même  ses  propres  dispenses  sur  les  commandemens 
qu'elle  a  faits  toute  seule.  Le  commandement  du 
jeûne  du  Carême  est  sans  doute  un  des  plus  anciens 
et  des  principaux  commandemens  que  cette  sainte 
mère  ait  faits  à  ses  enfans  pour  leur  faire  pratiquer 
la  pénitence,  sans  laquelle  nul  homme  ne  peut 
expier  ses  péchés,  vaincre  les  tentations,  et  se  rendre 
digne  du  royaume  du  ciel. 

Gomme  les  ministres  de  l'autel  sont  infiniment 
éloignés  de  s'ingérei*  dans  aucune  affaire  qui  regarde 
l'autorité  temporelle,  et  qu'à  cet  égard  ik  dcmne- 
ront  toujours  à  tout  le  reste  des  sujets  des  rois 
l'exemple  de  la  soumission  la  plus  parfaite ,  et  du 
zèle  le  plus  ardent  ;  aussi  les  rob  vraiment  chrétiens 
et  catholiques  n'ont  garde  de  décider  jamaÎB  sur  les 
choses  purement  spirituelles,  telles  que  les  comman- 
demens de  l'Eglise  pour  l'expiation  des  péchés  par  la 
pénitence.  Quand  ils  ont  besoin  de  quelque  dis- 
pense à  cet  égard  pour  leurs  personnes  sacrées 
mêmes ,  ils  sont  les  premtei*s  à  se  soumettre  hum- 
blement à  l'autorité  des  pasteurs ,  pour  en  donner 
l'exemple  à  tous  les  peuples  de  leurs  Etats.  Souvenez- 
vous  donc  pour  toujours,  mes  très'^chers  Fkires,  que 
c'est  de  l'Eglise  seule  que  vous  devez  apprendre  les 
dispenses  qu'elle  accorde  sur  ses  propres  comman- 
demens. Donné  à  Cambrai  le  dernier  jour  de  Tannée 
1703, 


IIL 

MANDEMENT  POUR  LE  CARÊME 

DE  l'année  1705. 

FaAMÇoiSy  etc.  à  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse, 
salut  et  bénédiction. 

Il  y  a  d^à  environ  quinte  cents  ans  qM  Ter- 
tallien  rapportoit  comme  ntfe  traditioa  la  coutume 
oii  étoient  les  éi^éçues  d'ordonner  les  feûnes  pour 
tout  le  peuple;  et  dès  lors  V abstinence  de  certains 
€dimens  faisoit  une  pùrfic  de  cette  pénitence  ;  por- 
lionale  jefunium  (<).  Ceét  Suivant  cette  tradition , 
qui  remonte  jusqu'aux  apôtres,  que  les  pasteurs 
doivent  répondre  à  Dieu  <tes  mortifications  du  trou«- 
peau  pour  Texpiation  des  péchés.  Mais  nous  remar* 
<])lons  avec  douleur  que  la  sainte  discipline  du  Ca- 
rême a  été  très-dangereusement  altérée  dans  cette 
frontière  par  la  longueur  des  guerres.  NosI  peuples, 
autrefois  si  jaloux  de  conserver  cette  marque  qui 
les  distinguoit  des  Prolestans  leurs  vpîiins,  semblent 
avoir  oublié  cette  andeuné^  ferveur. 'Ceux  qui  an- 
roient  refusé  des  dispenses  dans  leurs  plus  pressans 
besoins  y  en  demandent  chaque  année  avec  empres- 
sement. La  pénitence  diminue  {Pendant  que  son 
besoin  augmente.  LHmquité  couvre  la  face  de  la 
terres  La  main  de  Dieu  est  étendue  et  s'appesantit 
sur  toute  la  chrétienté,  tl  semble  dire  à  tant  de  na- 

• 

tions  désolées  par  des  guerres  sanglantes  :  iSu^^er 
quo  percuti4un  vos  ultra?  Que  me  reste-t-il  à  frap- 

(«)  Ut  Jejun.  cap.  ix  :  pag.  548. 


484    '  *"  MÀHDEMEVS. 

per?  quelle  plaie  pais- je  (socore  ajouter?  Mais  les 
hommes,  loio  (Taffliger  leurs  âmes  pour  apaiser  sa 
colère,  ne* cherchent  qu*à  élargir  la  voie  étroite. 

C^ux,  dit  saint  Augustin,  qui  manquent  de  véri- 
tables raisons  pour  obtenir  des  dispenses,  sont  in- 
génieux pour  s'éblouir  eux-mêmes  par  de  fausses 
nécessités.   Falsas  faciunt,  quia  veras  non  int^e- 
niunt  (0.  On  devroit,  dit-il,  passer  ces  jours  d'hu-- 
mUiotion  dans  Je  génus^^ement  de  l'oraison^  et  dans 
la  mortification  du  corps.  D'un  côté,  il  faudroit  que 
ToraisoQ  fût  r^ourrie  par  le  jeûne,  selon  le  langage 
de  TertuUien*  En  effet  Toraison  étant  toute  spiri- 
tuelle ,  elle  n'est  parfait^  -qnà  proportion  qu'elle 
sépare  l'ame  de  la  chaii*»  pour  l'unir  à  Dieu  dans  la 
vie  de  la  foi.  D'un  autre  côté,  les  hommes  sont  oc- 
cupés de  leuirs.cQrps,  cooune  s'ils  n'avoient  point 
d'ame.  Us  craignent  de  laisser  jeûner  leurs  corps, 
et  ils  laissent  tomber  leurs  âmes  en  défaillance  dans 
un  funeste  jeûne  de  la  parole  de  vie,  et  de  l'Eucha- 
ristie ,  qui  est  le  pain  au-dessus  de  toute  substance. 
Ils  s'alarment  «avec:  lâcheté  sur  les  moindres  infir- 
mités de.  ce-  corps,  dont  ils  ae  peuvent  que  retarder 
un  peu  la  corruption;  mats  ;  ils  ne  sentent  ni  les  ten- 
tations, ni  les  maladies:  mortelles  de  l'ame,  qui  est 
faite  pour  vivre. éternellement* 

On  allègue  contre  le  Carême  la  misère  publique  : 
raison  que  la  vénérable  antiquité  n'auroit  eu  garde 
d'approuver.  Dans  «ces  premiers  temps ,  les  riches 
jeûnoient  pour  donner  aux  pauvres  ce  qu'ils,  épar- 
gnoient  dans  le  jeûne.  Saint  Augustin  disoit  à  son 
peuple  :  «  Que  Jésus-Christ,  soulTrant  la  faim  en  la 

(05e/'fii.  ccxy  de  Quadrag.  vi  ^  n.  la  :  loin,  v»  pag.  93a. 


MÀlfDBMEICS.  4^5 

»  personne  du  pauvre ,  reçoive  de  vo8r  mains  Tali- 
»  ment  que  le  jeûne  vous  retranche...*.  Que  la  pau- 
»  vretë  volontaire  du  riche  devienne  J'ahondance 
»  dont  le  pauvre  a  besoin.  Voluntaria  copiosi  inopia 
»  fiât  necessaria  inopis  copia.  »  De  là  vient  que  ce 
Père  veut  que  le  jeûne  aille  jusqu^à  souffrir  la  faim 
et  la  soif.  Il  faut,. dit-il ^  que  les.rich<9S  se  dégradent, 
s^appauvrissent,  et  se  nourrissent  comme  les  pauvres j^ 
pour  les  secourir. 

Mais  en  nos  jours  le  Carême  s'approche-t-il ,  les. 
pauvres  sont  ceux  qui  s* en  plaignent  le  moins,  et 
leur  misère  sert  de  préteste  à  la  délicatesse  des  ri- 
ches. Les  dispenses  ne  sont  presque  pas  pour  les 
pauvres  :  toute  leur  vie  est  un  Carême  perpétuel.  Qui 
est-ce  donc  qui  élevé  sa  voix  contre  la  pénitence?. 
Les  riches  qui  en  ont  le  plus  pressant  besoin  pour 
corriger  la  mollesse  de  leur  vie.  Ils  ne  savent  que 
trop  éluder  la  loi,  lors  même  qu'ils  ne  peuvent  en 
secouer  le  joug.  La  pénitence  se  tourne  chez  eux  en 
raffinemens  de  plaisirs.  On  dépense  en  Carême  plus 
que  dans  les  temps  de  joie  et  de  licence.  La  volupté 
même,  dit  saint  Augustin,  ne  voudroit  pas  perdre  la 
variété  des  mets  que  le  Carême  a  fait  inventer.  Ut 
ipsa  faucium  concupiscentia  nolit  Quadragesimam 
prceterire. 

Hélas!  o&easommes-nous?  Arrivons-nous  à  ces  der- 
niers  temps  où  saint  Paul  assure  qu  i7.(  ne  souffriront 
plus  la  saine  doctrine^et  dont  Jésus-Christ  même  dit  :. 
Croyez'-vous  que  le  Fils  de  l'homme  trouvera  de  la 
foi  sur  la  terre?  On  se  dit  chrétien,  et  on  veut  se 
persuader  à  soi-même  qu^on  Test.  On  va  à  Téglise^i 
et  on  auroit  horreur  d*y  manquer.  Mais  on  réduit 


4^6  MÀHBmEHS. 

la  religion  à  nne  pure  cérëmonie,  comme  les  Juifs. 
On  ne  donne  rien  à  Dieu,  que  ce  qui  ne  coûte  pres- 
que rien  à  Tamour-propre.  On  lui  refuse  tout  ce  qui 
humilie  Fesprit,  ou  qui  aflUge  la  chair.  On  vit  comme 
si  on  ne  croyoit  point  (Tautre  vie  que  celle  du  corps. 
Ne  craignons  pas  d'employer  une  expression  de 
TApôtre  :  Le  ventre  de  ces  hommes  sensuels  est  leur 
Dieu.  Cependant  ce  corps  qu*on  flatte,  qu*on  orne, 
et  dont  chacun  fait  son  idole,  se  flétrit  comme  une 
fleur  qui  est  épanouie  le  matin,  et  qu'on  foule  aux 
pieds  dès  le  soir.  Il  se  défigure,  il  meurt  tous  les 
jours  :  il  est  le  corps  de  mort  et  de  péché,  comme  dit 
TApôtre.  Hélas!  le  jour  de  la  perdition  est  déjà 
prochç,  et  les  temps  se  hâtent  d'arriver.  Voilà  la 
conclusion  de  saint  Augustin  :  a  Plus  le  jour  de  la 
J9  mort^st  incertain,  et  le  jour  passager  de  cette  vie 
»  plein  d'amertume,  plus  nous  devons  jeûner  et 
»  prier;  car  nous  mourrons  demain.  »  Mais  pour- 
quoi, dit  TertuUien,  le  jeûne,  qui  est  très-salutaire 
aux  pécheurs,  est-il  si  triste  et  si  pénible  pour  eux? 
Cur  enim  triste  ,  quod  salutare  (0? 

Voilà,  mes  très-chers  Frères,  ce  qui  nous  a  tant 
fait  désirer  de  maintenir  la  pénitence  du  Carême. 
Nous  avons,  malgré  nous,  fait  quelque  peine  à  ceux 
que  nous  aimons  le  plus,  et  dont  nous  voulons  le 
plus  être  aimés  pour  Dieu.  Mais  nous  leur  disons, 
comme  l'Apôtre  :  Si  je  vous  contriste^  eh  çui  est-ce 
gui  me  cof^olera,  si  ce  ri  est  celui  qui  a  été  contristé 
par  moi?  N'êtes-vous  pas  notre  joie  et  notre  cou- 
ronne  en  Jésus^Christ?  Malgré  cette  fermeté  que 
nous  avons  crue  nécessaire,  nous  n'avons  pas  laissé 

(0  De  Jijun» 


MAVDBMEVS.  48? 

de  relâcher  beaucoup  par  rapport  à  la  sainteté  d'une 
discipline  apostolique,  et  par  rapport  aux  pëchés 
innombrables  des  hommes.  La  condescendance  que 
nous  eûmes  Tannée  dernière  parott  encore  néces- 
saire en  celle-ci.  La  cessation  du  commerce  continue. 
La  voix  du  saint  Père,  qui  nous  invite  à  Findulgence 
dans  ce  cas  singulier ,  nous  rassure  contre  la  crainte 
cil  nous  étions  de  laisser  les  pécheurs  prescrire  contre 
la  loi.  Ainsi  nous  permettons  encore  pendant  le  Ca- 
rême prochain ,  etc. 

La  docilité  édifiante  de  tous  nos  diocésains  de  la 
domination  de  France ,  qui  a  éclaté  Tannée  der- 
nière dans  l'inégalité  que  nous  avpns  cru  devoir 
mettre  entr*eux  et  nos  diocésains  soumis  à  l'Espagne, 
ne  nous  permet  pas  de  douter  qu'ils  ne  veuillent 
montrer  encore  le  même  zèle  cette  année.  Heureux 
ceux  qui  ont  le  courage  de  donner  un  grand  exemple 
d'amour  pour  la  loi  !  Qu'ils  soient  à  jamais  bénis, 
pour  avoir  soutenu  dans  un  temps  fâcheux  une  si 
pure  discipline,  et  pour  n'avoir  point  regardé  d'un 
oeil  jaloux  le  soulagement  de  leurs  frères!  Nous  espé- 
rons que  les  antres,  également  zélés  pour  la  règle,  se 
hâteront,  dans  la  suite,  de  faire  autant  qu'eux,  pour 
êite  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ.  Donné  à  Cam- 
brai le  25  janvier  1705. 


4SB.  MÂHDEMBHS. 

IV. 
MANDEMENT  POUR  DES  PRIERES, 

i7o5/ 

0 

François,  etc.  à  tons  les  fidèles  de  notre  diocèse, 
salut  et  bénédiction. 

Dieu  y  dit  saint  Augustin  (>)|  partage  les  temps 
entre  sa  justice  et  sa  miséricorde.  Tantôt  il  brise  le 
genre  humain  par  les  guerres,  et  tantôt  il  le  console 
par  la  paix.  Mais  la  nécessité  des  guerres,  ajoute  ce 
Père  (3),  loin  d*adoucir  ces  grandes  calamités,  est 
au  contraire  ce  qu*elles  ont  de  plus  rigoureux,  puis- 
qu'il n*y  a  rien  de  plus  déplorable  dans  les  maux , 
que  de  ne  pouvoir  les  éviter  par  sa  sagesse.  A  la  vue 
de  tant  de  malheurs,  dont  une  guerre  presque  nni* 
verselle  afflige  la  chrétienté,  ne  devons -nous  pas 
conclure,  mes  très-chers  Frères,  que  les  peuples  oni 
profondément  péché;  profunde  peccauerunt  (3).  Puis- 
que Dieu,  ce  père  si  tendre  et  si  miséricordieux, 
nous  frappe  si  terriblement,  il  faut  que  nous  soyons 
des  enfans  ingrats  et  dénatui-és  qui  aient  attiré  sa 
colère.  Non-seulement,  dit  le  même  Père  (4),  ceux 
qui  ont  oublié  Dieu,  et  foulé  aux  pieds  toutes  ses 
lois,  doivent  trembler  sous  les  coups  de  sa  puissante 
main  ,  mais  encore  ceux  qui  n'ont  point  à  se  repro- 

C>)  De  CitfiL  Deif  lib.  v,  cap.  zxii  :  tom.  tu,  pag.  iS^.  —  (*)  llnd. 
lib.  xn,  cap.  vu  :  pag.  55i.  —  C^)  Osée.  «.  9.  —(4)  De  Ont. 
lib.  I,  cap.  iz  :  tom.  vu,  pag.  8, 9. 


MÀNDEXENS.  4^9 

cher  un  orgueil  insolent ,  une  voluptë  impudente^ 
une  insatiable  avarice^  une  injustice  cruelle,  une 
scandaleuse  impiété ,  doivent  s*hnmilier  avec  les  mé- 
chans  pour  apaiser  la  justice  divine  :  Flagellantur 
enim  simul,  non  quia  simul  agunt  malam  vitam,  sed 
quia  simul  amant  temporalem  vitam.  II  est  juste 
quHls  sentent  avec  les  impies  Tamertume  de  cette 
vie  périssable  I  puisqu'ils  en  ont  aimé  avec  eux  la 
fausse  douceur.  Que  nous  reste-t-il  donc^  sinon  de 
nous  ranimer  par  ces  paroles  du  Saint-Esprit  : 

Et  maintenant  j  dit  le  Seigneur  (0>  convertissez- 
vous  à  moi  de  tout  votre  cœur  dans  le  jeûne ^  dans  les 
larmes  et  dans  les  gémissemens.  Déchirez  vos  cœurs j 
et  non  vos  habits.  Convertissez^vous  au  Seigneur 
votre  Dieu;  car  il  est  bon  y  compatissant,  patient  j 
riche  en  miséricorde,  aimant  mieux  à  faire  le  bien 
que  le  malk  Qui  sait  s^il  ne  sera  pas  lui  -  même 
changé j  pour  nous  pardonner,  et  s'il  ne  laissera 
point  aprhs  lui  sa  bénédiction,  pour  recei^oir  nos  sa- 
crijices  ?  Sonnez  de  la  trompette  au  milieu  de  Sion. 
Appelez  tout  le  peuple;  purifiez-le  :  assemblez  les 
vieillards  ;  amenez  même  les  enfans  qui  sucent  la 
mamelle.  Que  V époux  se  leue,  et  que  V épouse 
quitte  son  lit  nuptial.  Entre  le  vestibule  et  l'autel, 
les  prêtres  et  les  ministres  diront  en  pleurant  :  Par- 
donnez, Seigneur,  pardonnez  à  votre  peuple,  et 
n  abandonnez  point  votre  héritage  à  T opprobre  et  à 
la  domination  des  Gentils.  Souffrirez-vous  que  ces 
peuples  disent  de  nous  :  Où  est  leur  Dieu  ? 

Comme  nos  infidélités  ont  attiré  la  guerre,  hâ- 
tons-nous de  ramener  la  paix  par  nos  prières,  et  par 

(0  Is.  IX. 


490  MAAOKXElfS. 

nos  vertus  demandons  à  Dieu  qu*il  comble  de  ses 
grftces  la  personne  du  Roi,  qa*il  bénisse  ses  armes , 
qu'il  protège  sa  juste  cause,  et  qu'il  dissipe  tous  les 
projets  de  ses  ennemis.  Faisons  même  une  demande 
qui  ne  sera  pas  moins  pour  nos  ennemis  que  pour 
BOUS.  Demandons  une  paix  commune,  ob  personne 
ne  combatte  plus  que  contre  les  vices,  oui  Ton  ne  voie 
plus  les  hommes  verser  des  larmes  que  pour  leurs 
pëchës,  o&  le  ciel  ramène  sur  la  terre  la  beauté  des 
anciens  jours,  et  où  tous  les  enfans  de  Dieu,  sans 
distinction  d'aucun  pays,  ne  soient  plus  qu'un  cœur 
et  une  ame. 

Pour  obtenir  ces  grâces  du  ciel ,  nous  <H*donnons 
qu'on  chantera  tons  les  dimanches  et  toutes  les  fêtes, 
à  la  fin  de  la  messe,  pendant  tout  le  reste  de  celte 
guerre,  dans  toutes  les  églises,  tant  exemptes  que 
non  exemptes,  etc.  Donné  à  Cambrai  le  18  d'août 
1705. 


V. 
MANDEMENT  POUR  LE  CÂRÉME 

DE  L  ANNÉE    I706.  . 

FaAHçois,  etc.  à  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse, 
salut  et  bénédiction. 

Pendant  les  premiers  siècles  de  FEglise,  les  Chré- 
tiens vivoienrde  foi,  dans  le  jeûne,  dans  la  prière^ 
dans  le  silence ,  dans  )e  travail  des  mains*  Us  usoient 
de  ce  monde  comme  n'en  usant  pas,  parce  que  c'est 
une  figure  qui  passe  dans  le  moment  où  Ton  s'ima- 
gine en  jouir.  Leur  conversation  étoit  dans  le  ciel. 

Que  si  quelqu'un  venoit  à  décheoir  de  cet  heureux 
état,  chacun  le  regardoit  comme  un  astre  tombé  du 
ciel.  Aussitôt  toute  l'Eglise  étoit  en  pleurs  et  en  gé* 
missement  pour  lui.  Ce  pécheur,  trop  heureux  de 
faire  pénitence ,  se  tenoit  à  la  porte  de  la  maison  de 
Dieu,  frappant  sa  poitrine,  criant  miséricorde  aux 
pieds  du  pasteur,  et  se  jugeoit  indigne  de  la  vue  du 
saint  autel.  Un  grand  nombre  d'années  s'écouloit  dans 
celte  humiliation ,  avant  qu'il  f&t  rappelé  au  festin 
sacré  de  TAgneau.  Les  empereurs  même  du  monde, 
(le  grand  Théodose  en  est  un  merveilleux  exemple) 
loin  de  faire  la  loi  à  l'Eglise  en  ce  point,  ne  lui 
étoient  pas  moins  soumis  que  le  reste  de  ses  enfans 
pour  cette  discipline  salutaire.  L*Eglise  étoit  )alouse 
de  ne  soufirir  pas  que  les  saints  martyrs  allant  répan- 
dre leur  sang,  accordassent  aux  pécheurs  quelque 
adoucissement  de  cette  règle  rigoureuse.  Combien 
eût -elle  été  indignée,  si  elle  eût  vu  les  pécheurs 


49^  MÂHDntcirs. 

eux-mêmes  vouloir  se  rendre  les  juges  de  leurs  pro- 
pres poches  y  et  prétendre  lui  extorquer  des  dispenses, 
pour  en  éluder  Texpiation  ! 

Loin  de  voir  les  pécheurs  vouloir  s'épargnercomme 
des  hommes  innocens ,  on  voyoit  les  justes  les  plus 
édiGaqp  qui  se  punissoient  sans  cesse  comme  coupa- 
bles. Non -seulement  les  solitaires  dans  les  déserts 
pratiquoient  une  abstinence  qui  paroissoit  miracu- 
leuse, jusque  dans  la  plus  extrême  vieillesse,  et 
vivoient  comme  des  anges  dans  des  corps  mortels, 
mais  encore  les  fidèles  de  tous  les  états  sembloient 
regretter  tout  ce  qu^ils  ne  pouvoient  refuser  à  leur 
corps  sans  le  détruire.  La  sainte  pâleur  du  jeûne 
et  oit  peinte  sur  les  visages,  pour  parler  comme  saint 
Basile.  «<  J'ai  connu  à  Rome,  dit  saint  Augustin  (0, 
M  beaucoup  d'hommes  qui  menoient  une  vie  tout 
»  ensemble  libre  et  sainte....  J'ai  appris  qu'ils  prati- 
»  quoient  des  jeûnes  entièrement  incroyables.  Non- 
»  seulement  ils  se  bornoient  à  manger  une  seule  fois 
»  chaque  jour  à  l'entrée  de  la  nuit,  ce  qui  est  très- 
»  ordinaire  en  tous  lieux,  mais  encore  ils  passoient 
»  trois  jours  de  suite,  ou  un  plus  long-temps,  sans 
M  boire  ni  manger.  Cette  coutume  se  trouvoit  parmi 
»  les  femmes,  aussi  bien  que  parmi  les  hommes.  » 

C'est  ainsi  que  les  amis  de  Dieu  affligeoient  leur 
chair,  pour  nourrir  plus  facilement  leur  esprit  dans 
une  prière  continuelle.  Mais  dans  ces  derniers  temps, 
qui  sont  devenus  les  jours  dépêché,  plus  les  hommes 
pèchent,  plus  ils  s'irritent  contre  la  pénitence.  Le 
malade  repousse  avec  indignation  la  main  charitable 

C*)  De  Moribus  Eccles.  Cathol.  lib.  i,  cap.  xxxiii,  n.  70  :  tom.  i, 
pag.  711. 


MAHOEMEirS.  49^ 

du  mëdecin  qui  se  présente  pour  le  gaërîr.  Nous 
n'oserions  le  dire,  si  TApôtre  ne  Favoit  pas  dit;  ils 
semblent  n'avoir  plus  d*autre  Z){Vii  que  leur  ventre. 
Ils  sont  {nous  le  disons  en  pleurant)  les  ennemis  de 
la  croix  de  Jésus-Christ  ;  ils  veulent  V évacuer.  Us 
ne  cherchent  qu*à  se  flatter;  ils  n*écoutent  que  leur 
délicatesse;  ils  se  font  accroire  à  eux-mêmes  qu'ils 
ont  besoin  de  vivre  dans  une  mollesse  dont  les  an- 
ciens fidèles  auroient  eu  horreur.  Ils  ne  craignent 
que  pour  leurs  corps,  sans  se  mettre  jamais  en  pèiâe 
de  leurs  âmes.  Avant  le  Carême  ils  n*ont  que  trop 
de  forces  pour  pêcher,  et  ils  ne  deviennent. infirmes 
que  pendant  le  Carême,  pour  secouer  le  joûg  de  la 
pénitence.  Ils  se  livrent  à  Fintempérance  qui  détruit 
leur  santé,  et  rejettent  la  sobriété,  qui  ne  guériroit 
pas  moins  leurs  corps  que  leurs  âmes.  On  ne  trouvé 
plus  en  eux  ni  honte  ni  regret  de  leurs  péchés  les 
plus  scandaleux,  ni  défiance  d'eux-mêknes  après  tant 
de  rechiites,  ni  précautions  sincères  contre 'l'eut 
propre  fragilité,  ni  docilité  pour  l'Eglise,  qui  vou- 
droit  les  guérir  par  la  pénitence.  On  ne  remarie 
plus  en  eux  que  la  sensualité  de  la  chair  avec  For* 
gueil  et  la  présomption  de  l'esprit.  Ils  ne  tendent 
qu'à  abolir  insensiblement  le  Carême,  sans  révérer  ni 
l'exemple  de  Jésus-^Christ ,  ni  une  tradition  aussi  an- 
cienne que  les  apôtres. 

Us  allèguent  la  pauvreté  des  peuples.  Mais  ce' dis- 
cours peut«il  être  sérieux?  Les  uns  attirent  chez  eux, 
cette  pauvreté  par  la  délicatesse  '  de  leurs  repafs  et 
par  leurs  excès  les  plus  odieux.  Les  autres  refusent 
de  la  diminuer  daas  leurs  familles  par  une  sobriété 
laborieuse.  Il  faudroit,  dit  sauit  Augustin,  que  JésuS" 


4d4  MANDBXBIVS. 

Christ^  qui  souffre  la  faim  en  la  personne  da  pau- 
?re  9  reçût  le  pain  dont  le  riche  se  priverait  par  son 
jeûne  (0*  La  pénitence  volontaire  de  l'un  ferait  la 
nourriture  de  Vautre.  Voilà  le  vrai  remède  à  la  pao- 
▼rettf.  Mais  hëlas  I  les  riches  sont  ceux  qui  crient  le 
plus  haut  contre  le  Carême.  Ils  murmurent,  comme 
le  peuple  juif  dans  le  désert,  contre  une  noarritnre 
trop  légère.  Ils  se  servent  du  prétexte  de  la  misère 
des  pauvres ,  pour  nous  obliger  à  flatter  leur  seosaa- 
lité  et  leur  impénitence*  Si  la  misère  des  pauvres  les 
touchoit  véritablement ,  ils  ne  songeroient  qu  à  jeu* 
ner,  et  qa*è  garder  une  plus  austère  abstinence  pour 
les  pouvoir  nourrir.  Le  jeûne  et  Taumône  iroient 
d^un  pas  égaL 

Ecoutez  saint  Augustin ,  mes  très*chers  Frères; 
vous  verrez  dans  ses  paroles  un  portrait  naïf  de  ces 
mauvais  riches,  qui  croient  le  Carême  impossible,  à 
oioins  qu'ils  vlj  puissent  trouver  commodément  de 
quoi  4tre  sensuels  jusque  dans  la  pénitence.  «  U  7 
j»  a )  dit  ce  Père(3)y  certains  observateur  do  Carême 
)i  qui  le  font  avec  plus  de  volupté  que  de  religion. 
»  Deligiosi  potius  QOAai  msLiGiosi.  Ils  cherchent  bieo 
»  plus  de  nouveaux  plaisirs,  qu'ils  ne  punissent  leurs 
»  anciennes  sensualités.  Par  Tabondance  et  par  la 
9  diversité  des  fruits,  dont  Fapprét  kur  coûte  beau- 
»  coup ,  ils  tâchent  de  surpasser  la  variété  et  le  goût 
»  exquis  de  leurs  viandes  ordinaires.  Ils  craindroieot 
»  de  toucher  les  vases  où  Ton  a  fait  cuire  de  la 
»  viande,  comme  s*ils  étoient  impurs;  mais  ils  ne 
»  craignent  point  de  souiller  leurs  propres  corps  par 

(0«Scrm.  ccx,  m  Quaàrag.  vi,  n.  ii  :  tom.  t,  pag.QJi.— W^'*' 
«.lOy  II  :piig.  931,939. 


MÀNBElfBHS.  49^ 

m  le  plaisir  impar  de  leurs  repas  excessift.  Ils  jeûnent, 
»  non  ponr  diminaer  pat  la  sobriété  leur  volupté 
»  ordinaire,  maïs  pour  exciter  davantage  Tavidîté 
n  de  leur  appétit,  en  retardant  leur  nourriture; 
»  car  aussitôt  que  leur  heure  arrive ,  ils  se  jettent 
»  snr  leurs  repas  exquis ,  comme  les  bétes  sur  leurs 
»  pâtures.  L'abondance  des  mets  accable  leur  esprit^ 
9  et  appesantit  même  leur  corps.  Mais  de  peur  que 
»  Tabondance  ne  les  dégoàte,  ils  réveillent  leur  ap- 
»  petit  par  de  nouvelles  modes  de  ragoûts  étrangers. 
»  Enfin  ils  prennent  plus  d*alimens  quMls  n'en  pouv*- 
»  roient  digérer  même  en  se  privant  long-temps  de 
9  tonte  nourriture...  Qu*y  a-t*tl  de  moins  raisonnable, 
»  que  de  prendre  le  temps  oè  il  fandroit  châtier  la 
»  chair  avec  plus  de  sévérité,  pour  lui  procurer  de 
»  plus  grands  plakirs,  en  sorte  que  la  délicatesse  des 
»  hommes  aille  jusqu'à  craindre  de  perdre  les  ra** 
9  goûts  du  Carême?  Qu'y  a*tril  de  plus  contraire  à 
9  Tordre,  que  de  choisir  les  jours  d'humiliation,  pen- 
9  dant  lesquds  tous  les  riches  devroioit  se  réduire 
»  h  la  nourriture  des  pauvres,  pour  vivre  avec  tant 
9  de  délicalé9Se,«que  si  on  vivoît  toujours  de  la  sorte, 
9  à  peine  les  biens  des  riches  y  pourroient-ils  suflke?  » 
.NoQs  voyons  tous  ces  maux,  mes  trè&-chers  Frères. 
NcNis  tremblons  pour  ceux  qui  ne  tremblent  pas  en 
les  commettant.  Nous  craignons  d'en  être  complices 
devant  Dieu,  par  une  pernicieuse  complaisance, 
dans  le  temps  même  où  l'on  se  plaint  de  notre  sévé- 
rité. Nous  demandons  humblement  la  lumière  du 
^Saint-Esprit  pour  trouver  un  juste  milieu  entre  la 
rigueur  et  le  relâchement.  Notre  consolation  est  de 
rapporter  ici  le  souvenir  de  cette  excellente  maxime 


49^  MiJIOEMkHS. 

de  saint  Angostio  (0.  Les  pastears  ne  sont  pas  mmns 
chargés  des  bonunes  malades  qui  ont  besoin  à^être 
guéris^  que  de  ceux  qui  étant  gnéris  sont  sains  et 
parfaits.  «  Il  &nt,  ajoute  ce  Père,  sonfinr  les  déré- 
»  glemens  de  la  multitude ,  pour  se  mettre  à  portée 
»  de  les  guérir,  et  tolérer  la  contagion  mémey  avant 
«  que  de  pouvoir  y  remédier.  Perpelienda  suM  vida 
n  muliitudinis  ut  cureniur,  et  prias  toleranda  quàm 
»  sedanda  est  p^tilemia.  » 

Cest  dans  cet  esprit  que  nous  voulons  bien  encore 
4ine  fois  user  d'une  extrême  condescendance  |  et  faire 
souflrir,  pour  ainsi  dire,  la  loi,  dans  respérance  de 
mieux  inspirer  aux  peuples  Famonr  de  la  bimeme. 
Nous  espérons  que  les  fidèles,  touchés  de  cette  ten- 
dresse de  rÉglise  et  de  sa  patience  au-delà  de  tontes 
les  bornes,  ouvriront  enfin  les  yenx.  Il  est  temps 
qu'ils  se  ressouviennent  que  leurs  pères  auroîent  gé- 
néreusement refusé  les  dispenses  que  .ceux-ci  veoleot 
maintenant  nous  arracher;  tant  leurs  pères  aai- 
gnoient  de  perdre  leur  couronne  en  J&us-Christ  ; 
tant  ils  étoient  jaloux  de  se  distinguer  des  Protestans 
par  cette  sainte  discipline,  qui  étoit  comme  la  mar- 
que de  la  catholicité  dans  les  Pays-Bas.  Cest  uni- 
quement dans  lattente  de  voir  au  plus  tôt  an  re- 
nouvellement de  cette  ancienne  ferveor,  que  nous 
permettons  encore ,  etc. 

«  Il  ne  &ut  point,  dit  saint  Augustin,  que  les  vis 
9  regardent  les  autres  comme  plus  heureux,  parce 
»  qu'ils  prennent  une  nourriture  qu'eux-mêmes  ne 
^  prennent  pas;  mais,  au  contraire,  ils  doivent  se  con- 

(0  Dû  Horib,  Eceles.  Cathol.  lib.  i,  cap.  zzzii,  n.  69  :  u>d.  i. 

»  gratuler 


MÀNDEMBHS.  497 

i>  gratttler  eux-mêmes  de  ce  qu^ils  ont  ane  force  qui 
»  manque  aux  autres.  Nec  illis  feliciores  putentj 
»  quia  sumunl  quod  non  sumunt  ipsiy  sed  sibi  potihs 
»  gratulentur,  quia  valent  quod  non  valent  illi.  » 
Nous  ne  doutons  point  que  ceux  que  nous  mëna- 
geons  encore  sans  mesure  ne  soient  enfin  touchés 
d'une  pieuse  émulation  ^  et  quMls  ne  veuillent  faire , 
pour  Texpiation  de  leurs  péchés ,  ce  qu'ils  voient 
faire  pendant  trois  Carêmes  à  leurs  frères  dans  leur 
voisinage.  Aussi  tiendrons-nous  ferme  à  Tavenir  pour 
ramener  tout  selon  la  justice  à  Fégalité,  et  pour  ré- 
tablir la  discipline  apostolique  du  Carême.  Que  si 
quelqu'un  a  des  besoins  extraordinaires  /  il  doit  se 
souvenir  que  c*est  à  TEglise  seule  qu  il  doit  avoir  re- 
cours ,  pour  être  dispensé  de  ses  commandemens. 
Donné  à  Cambrai,  le  lo  février  1706. 


Fénélon.  xviii.  3a 


49» 

VI. 

MANDEMENT  POUR  DES  PRIÈRES. 

1706. 

FmAHÇois,  etc.  à  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse 
qui  sont  sons  la  domination  da  roi  Catholique,  salot 
et  bâiédiction. 

Jamais  l'Eglise  ne  (bt  dans  nn  pins  pressant  be- 
soin,  qn*en  la  conjoncture  présente  »  de  demander  le 
seconrs  dn  ciel.  Toutes  les  naUons  du^tiennes  sont 
sous  les  armes  les  unes  contre  les  antres  :  oeUes  qui 
avoient  joui  de  la  plus  longue  paix  sont  maintenant 
exposées  aux'  malheurs  d'une  sanglante  guerre.  Nos 
Pays-Bas,  accoutumés  depuis  si  long-temps  à  être  le 
théâtre  de  ces  grands  mouYemens,  voient  encore 
anjourdlini  des  armées  innombrables  qui  sont  prêtes 
à  combattre.  Un  jeune  roi,  vraiment  catholique  par 
ses  moeurs  pures ,  par  sa  piété  sincère ,  par  son  zèle 
pour  l^Use ,  expose  actuellement  sa  personne  sa- 
crée aux  dangers  de  la  guerre  pour  défendre  les 
royaumes  que  le  titre  le  plus  Intime  lui  a  acquis, 
et  oà  le  désir  de  tous  les  peuples  Fa  appdé.  Deman* 
dons  au  Dieu  des  armées  qu*il  bénisse  oeDes  qui 
combattent  avec  tant  de  justice  et  de  nécessité  ;  sou- 
pirons après  une  prompte  et  heureuse  fin  de  tant  de 
maux  qui  désolent  TEurope*  Disons  d*un  cœur  hum- 
ble et  soumis  à  la  puissante  main  de  Dieu  :  Malheur 
à  nous,  parce  que  nous  avçns  péché.  Tâchons  d*apai- 


MAlfDEMENS.  499 

ser  la  juste  colère  de  Dieu.  Attirons  enfin  par  nos 
vœux  et  par  nos  bonnes  œuvres  cette  paix  opulente, 
que  Dieu  promettoit  autrefois  h  son  peuple  par  la 
bouche  d*un  prophète.  Souhaitons  cette  paix ,  moins 
pour  jouir  des  prospérités  dangereuses  de  la  terre , 
que  pour  être  plus  libres  de  nous  préparer  au  bien- 
heureux repos  de  notre  patrie  céleste. 

C'est  dans  cet  esprit  que  nous  ordonnons,  confor- 
mément à  la  lettre  écrite  par  Son  Altesse  électorale 
de  Bavière,  au  nom  de  Sa  Majesté  Catholique,  que  Ton 
fera  le  trente-et-unième  de  ce  mois  et  les  deux  jours 
suivans  des  prières  publiques  dans  toutes  les  églises, 
tant  collégiales  que  paroissiales,  tant  des  commu- 
nautés séculières  que  des  régulières  de  ce  diocèse, 
qui  sont  sous  la  domination  d*Espagne,  pour  de- 
mander la  prospérité  des  armes  de  Sadite  Majesté, 
et  pour  obtenir  une  paix  constante  entre  les  Chré- 
tiens. Nous  voulons  que  le  très-vénérable  Sacrement 
soit  exposé  dans  toutes  les  églises  ledit  jour  et  les 
deux  suivans,  depuis  six  heures  du  matin  jusques  à 
six  heures  du  soir,  et  que  le  tout  soit  terminé  par  un 
salut  solennel.  Dans  les  villes  on  fera  une  procession 
générale,  oh  tous  les  corps  seront  invités,  et  oii  tout 
le  clergé  tant  séculier  que  régulier  se  joindra  à  celui 
de  Tëglise  principale.  Donné  à  Avesnes  dans  le  cours 
de  nos  visites,  le  vingt-cinquième  mai  1706. 


5aO  MkhDWMZBê. 

VIL 
MAKDEMENT  POUR  DES  PRIERES. 

1706. 

PmAVÇois,  etc.  A  tons  les  Bdèles  de  noire  diocèse  , 
salot  et  bénédiction. 

La  gaerre ,  quoique  aussi  ancienne  que  le  genre 
humain,  derroit  nous  étonner,  comme  si  elle  étoit 
nouvelle  parmi  les  hommes.  Us  sont  accablés  du 
poids  de  leur  mortalité ,  et  ils  se  hâtent  de  se  dé- 
truire, comme  s*ils  ne  se  trouvoient  pas  assez  mor* 
tek.  Ils  ne  veulent  qu*étre  heureux,  et  ils  agissent 
comme  s^ils  étoient  ennemis  de  leur  bonheur.  Ik 
cherchent  toujours  la  paix,  et  ils  la  troublent  eux- 
mêmes.  Ils  ont  inventé  un  art,  auquel  ik  ont  attache 
toute  leur  gloire,  pour  augmenter  les  maux  presque 
infinis  de  Thumanité.  Ce  spectacle  est  terrible.  La 
justice  d'en-haut  les  livre  à  leurs  passions,  afin  qu'ils 
se  punissent  eux-mêmes,  et  qu'ils  vengent  Dieu  de 
leurs  péchés. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  déplorable ,  est  de  voir  qu'en 
nos  jours  le  sang  chrétien  est  presque  le  seul  qui  pa- 
rott  couler  sur  la  terre,  pendant  que  les  nations  in- 
fidèles jouissent  d'un  profond  repos.  Ceux  qui  de* 
vroient  n*être  qu'un  cœur  et  une  ame ,  ceux  quil 
composent  la  famille  du  Père  céleste,  ceux  qu*on 
devroit  reconnottre  à  la  marque  de  Tamour  œutael, 
sont  tous  arm^  les  uns  contre  les  autres. 


MAMDBMBirS.  5oi 

Mais  le  comble  dn  malhear  pour  les  guerres, 
c'est  quMles  sont  souvent  inévitables.  Un  jeune 
prince  doux,  modéré,  courageux,  exemplaire  dans 
ses  mœurs,  vraiment  digne  de  porter  le  nom  de  roi 
Catholique  par  son  zèle  pour  l'Eglise ,  est  appelé  au 
trône  d'Espagne  par  le  testament  du  feu  roi  son 
oncle,  par  la  demande  solennelle  de  toute  la  nation 
espagnole,  par  les  acclamations  de  tous  les  peuples 
d'une  si  vaste  monarchie.  Aussitôt  des  puissances  ja» 
louses ,  et  conjurées  pour  le  détrôner,  mettent  en 
armes  toute  l'Europe.  Le  Roi  peut-il  abandonner  la 
bonne  cause  de  son  petit-fils?  Ne  faut-il  pas  espérer 
que  Dieu  le  protégera  dans  une  défense  si  juste  et  si 
nécessure?  Prions  donc  pour  demander  au  Dieu  des 
armées  qu'il  dissipe  cette  confédération,  et  qu'il 
donne  enfin  à  la  chrétienté  une  paix  dont  elle  fasse 
un  saint  usage. 

L'Apôtre  nous  recommande  défaire  des  prières.*, 
pour  les  rois  et  pour  tous  ceux  qui  sont  dans  Vauto* 
riié  j  afin  que  nous  menions  une  vie  paisible  et  tran* 
quille  en  toute  piétés  etc.  (0. 

En  effet ,  la  paix  et  le  bon  ordre  de  FÉglise  dé- 
pendent beaucoup  du  repos  des  royaumes  chrétiens. 
Ainsi  c'est  prier  pour  nous-mêmes,  c'est  prier  pour 
toute  l'Église,  que  de  prier  pour  les  rois  fidèles. 
Cest  dans  cette  vue  que  saint  Augustin  disoit  C^)  : 
«  Pendant  que  les  deux  cités  sont  mêlées  ensemble 
»  ici-bas,  nous  nous  servons  de  la  paix  de  Babylone 
n  même.  »  La  tranquillité  du  monde  sert  à  l'Église 
pour  épargner  à  ses  enfans  foibles  et  fragiles  un  sur- 

CO  l  Tim.  II.  —  («^  De  Civ.  Deiy  lib.  six,  cap.  ivii  :  tom.  vit, 
pag.  56a. 


Soa  XAlTDEMBirS. 

croît  de  tentation  dans  le  pâerinage  de  cette  vie.  A 
Diea  ne  plaise  que  nous  cherchions  une  paix  qui 
amollisse^  qui  enivre ,  qui  empoisonne  les  cœurs.  A 
Dieu  ne  plaise  que  nous  soyons  jamais  du  nombre 
de  ces  hommes  dont  saint  Augustin  dit  qu'ils  font  à 
Dieu  des  prières  et  des  offrandes  pour  en  obtenir , 
non  la  grftce.<2e  guérir  leurs  passions,  mais  une  pro- 
spérité mondaine  pour  les  assouvir  (i).  Craignons 
d'être  du  nombre  de  ces  lâches  et  mercenaires  Chré- 
tiens qui  usent  de  Dieu  pour  jouir  du  monde.  Joi- 
gnons-nous à  ceux  qui  usent  de  ce  monde  pour 
jouir  de  Dieu  {?).  Ne  demandons  à  Dieu  la  paix, 
qu'afin  qu'elle  ramène  la  beauté  des  anciens  jours, 
qu'elle  fasse  fleurir  la  pure  discipline ,  et  que  Jésus- 
Cluist  régne  encore  plus  au-dessus  des  rois  que  les 
rois  régneront  au-dessus  des  peuples.  Demandons, 
pour  la  consolation  de  l'Église ,  la  fin  de  ces  jours 
de  colère  j  de  tribuhUion  et  d'angoisse,  de  ces  jours 
de  calamité  et  de  misère,  de  ces  jours  de  ténèbres  et 
d'obscurité ,  de  ces  jours  de  nuages  et  de  tourbil- 
lons, de  ces  jours  oii  la  trompette  sonne  sur  les  places 
fortes  (3);  enfin  oii  l'Église  ne  peut  qu'à  demi  in- 
struire, exhorter,  consoler,  corriger.  Regardons 
toutes  les  nations  ennemies  avec  des  yeux  de  foi  et  de 
charité.  Désirons-leur  le  même  bien  qu'à  nous.  Prions 
le  souverain  Père  de  familUe  de  réunir  dans  sa  mai- 
son tous  ses  en&ns ,  afin  qu'ils  soient  moins  touchés 
de  ce  qu'ils  sont  des  peuples  séparés  en  divers  États, 
que  de  ce  qu'ils  sont  hommes,  chrétiens  et  enfans  de 
Dieu. 

(0  De  du.  Dti,  lib.  xy,  cap.  vii,  n.  i    ^,  385.  -^  (»)  Und  — 


MiJîDEMENS.  5o3 

Prions  afin  que  le  fer  du  -glawe  ^it  changé  en  soc 
de  charrue  ;  que  les  armes  tombent  des  mains  des 
peuples;  qu'ils  oublient  à/aire  la  guerre^  que  chacun 
soit  assis  à  l'ombre  de  sa  vigne  ou  de  son  figuier  ; 
que  nul  ennemi  n'ose  les  troubler, parce  que  la  bouche 
du  Seigneur  des  années  aura  parlé,  pour  annoncer 
la  paix;  que  tous  les  peuples  marchent  ensemble  sans 
jalousie  ni  défiance ,  chacun  au  nom  de  son  Dieu; 
que  cette  paix  dure  jusqu'à  la  fin  des  temps  et  au- 
delà,  et  que  le  Seigneur  règne  à  jamais  sur  eux 
dans  la  montagne  de  Sion  (')• 

C'est  dans  ce  dessein  d'attirer  la  bénédiction  de 
Dieu  sur  les  armes  du  Roi ,  et  d'obtenir  une  paix 
prompte  et  universelle^  que  nous  ordonnons,  etc. 
Donné  à  Cambrai,  le  21  août  1706. 


N. 


VIII. 
MANDEMENT  POUR  LE  CARÊME 

DE    l'aI^NEE    1707. 

FEAnçoiSy  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse, 
salut  et  béDédictioD. 

Noas  avions  espéré,  mes  très-chers  Frères,  que 
nous  pourrions  enfin  cette  année  rétablir  la  péni- 
tence du  Carême.  Cette  discipline  qui  a  été  si  austère, 
et  pratiquée  avec  tant  de  ferveur  dans  toute  l'anti- 
quité,  n'est  plus  qu'une  ombre  de  ce  qu*elle  a  été' 
autrefois.  Mais  plus  elle  est  afibiblie ,  plus  noas  de- 
vons être  jalotix  d'en  conserver  les  précieux  restes. 
Saint  Augustin  montroit  aux  Manichéens  la  pureté 
des  mœurs  de  l'Eglise  catholique ,  en  disant  qu'on 
grand  nombre  de  fidèles  observoient  un  jeûne  quoti- 
dien, et  le  continuoieni  même  d^une  manière  in- 
croyable  (0.  Il  assure  que  beaucoup  de  Catholiques, 
même  des  femmes ^  ne  se  contentoient  pas  de  jeûner, 
«  en  ne  prenant  apcune  nourriture  qu'à  l'entrée  de 
»  la  nuit;  ce  qui  est  y  dit-il,  partout  Irès-communj 
»  mais  encore  qu'ils  ne  buvoient  ni  ne  mangéoient 
»  rien  pendant  trois  jours  de  suite,  et  très-souvent 
0  encore  au-delà.  »  Il  ajoute  qu'il  y  avoit  des  Chré- 
tiens accoutumés  à  jeûner  (  de  ce  grand  jeûne  jusqu  à 
la  nuit)  le  mercredi j  le  vendredi  et  le  samedi,  comme 
le  peuple  de  Rome,  dit-il  (î»),  le/ait  souvent.  Il  assure 

(>)  De  Hforih,  EecL  CathoL  lib.  i ,  cup.  zzjuii,  n.  70  :  Vm-  '  i  !^' 
711.  Contr.  FoMut,  lib.  v,  cap.  ix  :  tom.  tiii,  pag.  aoo.  —  {*)^àCêr 
êul,  Ep.  sxxvi,  cap.  it,  n.  8  :  tom.  11 ,  pag.  71. 


MAADEMBNS.  5o5 

qu*iiii  grand  nombre  de  ces  Chrétiens  ^  et  surtout  de 
solitaires,  jeûnoient  cinq  jours  de  la  semaine ,  et  le 
continuoient  toute  leur  vie.  ce  Nous  savons ,  dit  en- 
»  core  ce  Père  (0,  que  quelques  fidèles  Font  fait, 
»  c'est-à-dire  que,  passant  au-delà  d'une  semaine 
»  entière  sans  prendre  aucune  nourriture;  ils  appro- 
V  choient  le  plus  qu'ils  pouvoient  du  nombre  de  qua- 
»  rante  jours  \  car  des  frères  très-dignes  de  foi  nous 
jt  ont  assuré  qu'un  fidèle  est  pai'venu  jusqu'à  ce 
»  nombre.  »  Dans  ces  bienheureux  siècles,  on  voyoit 
de  tous  côtés  des  Chrétiens  innocens  qui  se  punis- 
soient  comme  s'ils  eussent  été  de  grands  pécheurs» 
Uq  solitaire  n'avoit  besoin  dans  le  désert  que  d'un 
palmier  et  d'une  fontaine  pour  satisfaire  à  tous  ses 
besoins.  Ils  ne  vivoient  que  d'alimens  secs,  et  sans  les 
faire  cuire. 

Voilà/ mes  très-chers  Frères,  ce  que  nos  Chrétiens 
relâchés  ne  peuvent  pas  même  croire  quand  ils  le 
lisent  f  loin  d'oser  essayer  de  le  mettre  en  pratique. 
Avez-.vous  moins  de  tentations  à  vaincre  ^  moins  de 
péchés  à  expier,  moins  de  récompenses  à  obtenir  ?  La 
vie  est-elle  moins  fragile  et  moins  courte ,  ou  l'éter- 
nité moins  longue?  Dieu  est-il  devenu  moins  aima- 
ble? Devez-vous  moins  à  Jésus-Christ?  La  nature  des 
corps  humains  n'est-elle  plus  la  même  7  Quelle  diffé- 
rence reste-t-ll  donc ,  sinon  que  les  premiers  Chré- 
tiens étoient  du  nombre  de  ces  violens  qui  ravissent 
le  royaume  du  ciel,  et  que  nos  Chrétiens  qui  ont 
dégénéré,  n'ayant ,  comme  parle  l'Apôtre ,  d'autre 
Dieu  que  leur  ventre,  se  jugent  eux-mêmes  indignes 
de  la  vie  étemelle  ? 

{^)Ad  Casid,  Ep,  xxXTi»  cap.  xii,  n.  a?  :  tom.  ii,  pag.  78. 


5o6  XAKDEMRHS. 

Il  n'y  a  donc  rien  de  pins  important  que  de  r^* 
blir  celte  discipline  aussi  ancienne  que  les  apôtres. 
Elle  ne  fut  jamais  si  nécessaire  qu*en  ces  ftmrs  de 
péché.  Quand  est-ce  que  nous  feûnerons,  comme  les 
NiniviteSy  sinon  en  un  temps  oiï  les  crimes  énormes 
de  la  terre  ont  attiré  la  colère  du  ciel,  et  où  tontes 
les  nations  semblent  animées  à  s'entre-déchirer  pour 
venger  la  loi  de  Dieu  méprisée?  Quand  est-ce  que 
nous  frapperons  nos  pmtrines  pour  apaiser  Dieu,  si 
ce  n*est  lorsque  son  bras  est  levé  sur  nous. 

Mais  les  malheurs  que  la  ^erre  entraîne  sont  eux- 
mêmes  Tobstade  qui  retarde  encore  l'entier  rétablis- 
sement d*nne  discipline  si  révérée  de  tous  les  siècles. 
Malgré  tant  de  raisons  pressantes  de  la  rétablir,  nous 
usons  encore  d'une  dernière  indulgence  dans  ces 
temps  de  confusion  et  de  désordre.  C'est  pourquoi 
nous  permettons  y  etc. 

Enfin  nous  ne  saurions  trop  fortement  avertir  les 
riches  sur  deux  points  que  saint  Augustin  explique 
touchant  le  jeûne.  Le  premier  est  que  cette  mortifi- 
cation se  tourne  en  volupté,  par  les  délicatesses  qu'on 
y  introduit  :  Negotium  venlris  agitur,  non  reUgio- 
TUf  (0.  Ce  n'est  plus  une  peine  imposée  au  corps  par 
religion  ;  c'est  un  raffinement  de  table,  qui  tourne  en 
feu  la  pénitence  même.  Le  second  point  est  «  qu'il 
3»  ne  suffit  pas  de  jeûner.  Votre  jeûne,  dft  ce  Père  (?), 
»  abat  votre  corps ,  mais  il  ne  relève  pas  celui  de 
3»  votre  prochain...  A  qui  donnerez-vous  ce  que  vous 
»  vous  refusez  à  vous-même  ?  Combien  ce  repas  re- 
»  tranché  aujourd'hui  peut-il  nourrir  de  pauvres!  « 

(0  in  Psid.  uxxyi,  n.  9  :  tom.  ir,  pag.  915.  —  (*)  /«  PsoL  xmm^ 
n.  8  :  pag.  970. 


MÀIIDCMENS.  507 

C*est  dans  cet  esprit  que  nous  recommandons  à  cha- 
cun de  ceux  qui  mangeront  des  œufs  pendant  ce  Ca- 
rême f  en  vertu  de  la  présente  permission ,  de  donner 
an  moins  trois  sous  en  aumônes.  Il  n'y  aura  que  les 
pauvres  qui  soient  exempts  de  donner  une  si  petite 
somme.  D'ailleurs  nous  exhortons  tous  ceux  qui  sont 
en  plus 'grande  commodité^  de  donner  davantage  à 
proportion  de  leurs  moyens.  Ces  aumônes  seront 
mises  entre  les  mains  de  la  trtfsorière  de  l'assemblée 
de  la  charité  dans  les  villes  oh  Ton  a  établi  de  telles 
assemblées  pour  les  pauvres  malades.  Dans  tous  les 
antres  lieux  chacun  remettra  sa  petite  somme  au 
pasteur,  pour  être  employée  au  même  usage.  Donné 
ii  Cambrai ,  le  i5  février  1707. 


IX. 

MANDEMENT  POUR  LE  JUBILÉ 

DE   l'année    1707. 

FaAivçoiSy  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse  ^ 
salut  et  bénédiction. 

Saint  Augustin  dit  que  lar  terre  est  agitée  par  les 
guerres,  comme  la  mer  l'est  par  les  tempêtes  (0.  En 
effet,  le  genre  humain  a  ses  orages  :  tels  sont  les 
tristes  jours  oh  nous  voyons  que  le  ciel  semble  cou- 
vert de  tous  côtés  ;  tout  parott  entratné  malgré  soi 
dans  ce  tourbillon  de  guerre  universelle.  On  allègue, 
dit  encore  ce  Père  (^) ,  «  que  le  sage  Tait  des  guerres 
M  justes.  Mais  comme  ce  sage  se  souvient  qu  il  est 
»  homme,  sa  peine  n*en  est  que  plus  grande,  de  se 
»  voir  réduit  à  soutenir  des  guerres  nécessaires.... 
u  Souffrir  ou  voir  ces  maux,  sans  en  être  affligé,  ce 
M  seroitêtre  d'autant  plus  malheureux,  en  se  croyant 
n  heureux ,  ^qu'on  auroit  perdu  jusqu'au  sentiment 
»  de  l'humanité. 

»  Ceux,  dit  le  saint  Docteur  (^),  qui  font  la  guerre 
»  avec  tant  de  fatigues  et  de  dangers  pour  vaincre 
Il  un  ennemi,  et  pour  donner  un  repos  à  la  repu- 
»  blique,  méritent  sans  doute  une  louange;  mais  on 
»  acquiert  une  gloire  bien  plus  solide,  en  extermi- 
»  nant  la  guerre  par  les  paroles  de  p«îx ,  qu'en  exter- 
»  minant  les  ennemis  par  les  armes....  La  condition 

0)  De  Ciu»  Dei.  lib.  ▼,  cap.  xxu  j  tom.  vu,  pag.  139.  —  (*)  Ibid. 
lib.  zii:,  cap.  vu  :  pag.  55 1.  —  (^)  Ep.  ccxzix,  aà  Darium,  n.  a  : 
tom.  11 ,  pag.  836.  ^ 


MA9DEMBlf5.  5oQ 

»  de  ceux  qui  combattent  est  nécessaire;  mais  la 
»  condition  de  ceux  qui  épargnent  les  combats  est 
»  plus  heurense.  » 

Le  saint  pontife  que  1^  main  du  Très*Haat  a  mis 
malgré  lui  sur  la  chaire  apostolique  voit  d*un  lieu 
si  élevé  l'aflSreux  spectacle  de  tant  de  nations  animées 
i  se  détruire.  Il  voit  des  ruisseaux  de  sang  qui  cou- 
lent depuis  sept  années ,  et  ce  sang  est  celui  des  en- 
fans  de  Dieu.  Le  père  commun  sent  ses  entrailles 
déchirées  ;  il  gémit  sur  la  montagne  sainte  ;  il  lève 
des  mains  pures  au  ciel  ;  il  tâche  d*apaiser  Dieu,  afin 
que  Dieu  apaise  les  hommes;  il  nous  envoie  un 
nouveau  Jubilé,  afin  que  l'esprit  de  paix  descende 
snr  les  cœurs  désunis.  Joignons,  mes  très-cliers 
Frères,  nos  vœux  aux  siens.  Hâtons-nous  de  demander 
ce  que  nous  avons  un  si  pressant  besoin  d'obtenir. 
Soupirons  après  cette  paix  d'ici-bas,  puisqu'elle 
peut  servir  pour  nous  préparer  à  celle  de  la  Jéru- 
salem d'en-haut.  Demandons  des  jours  sereins  qui 
soient  l'image  de  ce  beau  jour,  de  ce  jour  sans  nuage 
et  sans  fin,  où  nous  verront  la  lumière  dans  la 
source  de  la  lumière  même;  de  ce  jour  oil  nous 
n'aurons  plus  d'autre  soleil  que  Dieu  et  d'autre  lu- 
mière que  l'Agneau;  de  ce  jour  où  les  douleurs,  les 
gémissemens  et  les  maux  s'enfuiront  à  jamais. 

Mais  le  vrai,  moyen  de  finir  la  guerre  causée  par 
nos  péchés  est  de  finir  les  péchés  qui  la  causent. 
Dieu  ne  la  permet ,  dit  saint  Augustin ,  que  pour 
humilier  les  ornes  et  pour  exercer  leur  patience. 
C'est  le  grand  bien  que  nous  pouvons  tirer  de  tant 
de  maux.  Que  chacun  repasse  ses  années  dans  Va- 
mertume  de  son  ame;  que  tout  enfant  prodigue  re- 


5lO  MAirOEMEMS. 

venu  de  ses  égaremens  sVcrie  :  O  Père,  foi  péché 
contre  le  ciel  et  contre  vous.  Gardez-vous  bien,  mes 
très-chers  Frères,  de  regarder  le  Jubile  comme  un 
asile  du  relâchement  contre  la  pénitence.  Le  Jubilé, 
tout  au  contraire,  est  un  adoucissement  de  la  péni- 
tence extérieure,  qui  invite  les  hommes  à  redoubler 
la  pénitence  du  cosur.  Déchirez  vos  cœurs  et  non  pas 
vos  vêtemenâ,  dit  TÉglise  après  TÉcriture.  L'Église 
relâche  de  grandes  peines,  il  est  vrai  ;  mais  elle  ne 
dispense  point  de  la  douleur  d'avoir  péché«  Au  con- 
traire, c'est  celui  à  qui  il  est  le  plus  remis,  qui  doit  le 
plus  aimer,  le  plus  sentir  Tezcès  de  la  bonté  qui 
l'épargne,  le  plus  fjétester  son  ingratitude,  le  plus 
haïr  tout  ce  qu'il  a  aimé  et  que  Dieu  n'aime  pas. 
L'indulgence  n'élargit  point  la  voie  étroite.  Elle  ne 
nous  dispense  point  de  suivre  Jésus-Christ  en  por- 
tant la  croix  avec  lui,  ni  de  nous  renoncer  nous- 
mêmes.  Elle  soulage  seulement  notre  foiblesse  ;  elle 
nous  supporte  dans  notre  découragement,  en  atten- 
dant que  nous  croissions  en  Jésus-Christ,  et  que  nous 
soyons  devenus  robuste»  dans  la  foi.  O  vous  tous 
qui  êtes  fatigués  et  chargés,  venez  à  Jésus-Christ,  il 
vous  soulagera;  venez,  goûtez^  et  voyez  combien  le 
Seigneur  est  doux!  Du  moins  ayez  le  courage  d'en 
faire  l'expérience ,  et  bientôt  vous  direz  comme  le 
Prophète  :  J'ai  couru  dans  la  voie  de  vos  comman" 
deménâ,  Jèj  que  l'amour  a  élargi  mon  cœur.  Qu'on 
se  défie  de  soi,  qu'on  se  fie  à  Dieu,  qu'on  se  livre  à 
un  bon  confesseur,  qui,  plein  de  l'esprit  de  grâce, 
mène  tout  à  sa  fin  avec  force  et  douceur.  Qu'on  ne 
se  confesse  que  pour  se  convertir  et  pour  se  cor- 
riger. Qu'on  cherche  le  confesseur  qu*on  avoit  tou- 


MAlffOEMENS.  5  f  I 

jours  craint^  parce  qu^irne  flatte  pas,  et  qu*0Q 
craigne  celai  qu  on  cherchoit,  s*il  est  vrai  qu'il  flatte. 
Que  la  grâce  du  Jubilé  se  fasse  sentir  par  les  fruits , 
et  qu'elle  change  les  mœurs  corrompues.  Que  les 
pauvres  deviennent  humbles ,  exempts  de  faste  et 
charitables.  Que  la  sanctification  du  jour  du  Sei* 
gneur  répande  ses  grâces  sur  tous  les  autres  de  la 
semaine.  Que  l'ivrognerie ,  qui  exclut  du  royaume 
de  Dieu,  selon  rA.pôtre,  fasse  horreur  aux  Ghré* 
tiens;  que  l'impureté  ne  soit  pas  même  nommée 
parmi  eux.  Qu'on  se  détache  d'une  vie  qui  échappe 
à  tout  moment;  qu'on  se  prépare  au  royaiupe  de 
Dieu,  qui  ne  finira  jamais,  et  qui  sera  bientôt  le 
nôtre,  si  nous  le  désirons;  qu'enfin  l'amour,  loin 
d  être  un  commandement  onéreux ,  soit  l'adoucisse- 
ment de  tous  les  autres,  et  qu'il  nous  rende  nos 
croix  légères  par  ses  consolations. 

Profitez  donc,  mes  très-chers  Frères,  de  la  grâce 
qui  vous  est  offerte  ;  n'endurcissez  pas  vos  cœurs  en 
ce  jour  de  miséricorde.  C'est  par  la  pénitence  que 
vous  désarmerez  la  colère  de  Dieu  pour  rappeler  la 
paix  sur  la  terre.  Venez,  vous  tous  qui  avez  la  bien- 
heureuse soif,  vous  puiserez  avec  joie  dans  les  fon- 
taines du  Sauveur, 

Nous  avons  jugé  à  propos  de  ne  faire  gagner  le 
Jubilé  aux  peuples  de  notre  diocèse  que  pendant  la 
quinzaine  qui  commence  précisément  le  lundi  d'après 
le  dimanche  de  la  Passion,  et  qui  finit  le  dimanche 
de  Pâque,  afin  que  chacun  soit  plus  touché  et  plus 
recueilli  dans  le  concours  de  la  grande  solennité  de 
Pâque  avec  la  grâce  du  Jubilé.  Ainsi  tout  le  temps 


5  II  XAlfDEKBNS. 

du  Carême  servira  h  se  préparer  k  ces  deax  grandes 
actions  rëanies  dans  une  seule. 

Mais  comme  les  malades  peuvent  ne  vivre  pas  jus* 
qu*à  ce  temps-lii ,  et  que  les  militaires  peuvent  être 
obliges  de  partir  avant  ce  terme,  nous  donnons  aux 
uns  et  aux  autres  la  consolation  de  pouvoir  gagner 
le  Jubilé  dès  le  commencement  du  Carême ,  quand 
leurs  confesseurs  les  trouveront  suffisamment  pré- 
parés. 

Au  reste,  comme  il  faut,  selon  la  BaUe,  faire 
quelque  aumône,  nous  réglons  que  chaque  parti- 
culier qui  ne  sera  pas  dans  une  impuissance  véri- 
table donnera  au  moins  trois  sous  pour  les  pauvres 
malades,  exhortant  tous  ceux  qui  sont  en  état  de 
donner  davantage  de  le  faire  à  proportion  de  leurs 
facultés.  Ils  mettront  leurs  aumônes  entre  les  mains 
de  leurs  pasteurs  qui  les  remettront  entre  les  mains 
des  trésorières  de  la  Charité,  s*il  y  a  dans  leur  lieu 
des  assemblées  de  charité  pour  les  pauvres  ;  sinon  ils 
les  distribueront  eux-mêmes  aux  pauvres  de  leurs 
paroisses  selon  leur  prudence. 

La  Bulle  détermine  suffisamment  les  autres  choses 
qu'on  doit  faire  pour  gagner  le  Jubilé.  Il  ne  nous 
reste  qu*à  désigner  les  églises  qu'il  faudra  visiter,  et 
où  chacun  devra  faire  ses  prières,  etc.  Donné  à 
Cambrai,  le  douzième  de  mars  1707. 


haudemevs.  5i3 

X. 

MANDEMENT  POUR  DES  PRIÈRES. 

1707. 

PaAHÇoiSy  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse 
qui  sont  sous  la  domination  du  Roi,  salut  et  béxié- 
diction. 

Nous  n'avons  jamais  eu ,  mes  très-  chers  Frères ,  un 
si  pressant  besoin  de  prier  pour  la  tranquillité  pu- 
blique, qu'en  ce  temps  oii  la  paix  semble  s'éloigner, 
et  où  les  maux  de  la  guerre  augmentent. 

Il  est  vrai  y  comme  le  remarque  saint  Augustin, 
que  si  les  hommes  gardoient  les  règles  du  christia- 
nisme,  ils  conserveroienty  même  au  milieu  des  com- 
bats, une  sincère  bienveillance  pour  les  peuples  en- 
nemis. Les  bons  ,  dit  ce  Père  (0,  combattroient  sans 
perdre  jamais  le  sentiment  de  compassion,  que  Thu- 
inanitë  inspire.  «  La  volonté,  ajoute  ce  Père  (>),  doit 
»  garder  la  paix,  quoique  la  nécessité  réduise  à  faire 
^  la  guerre;  car  on  ne  cherche  point  la  paix  pour 
»  recommencer  la  guerre.  Au  contraire ,  on  fait  la 
»  guerre  pour  s'assurer  de  la  paix.  »  Mais  oii  est-ce, 
dit  encore  ce  saint  docteur  (3),  «  qu'on  nous  don- 
»  nera  une  armée  composée  de  soldats  tels  que  la 
»  doctrine  de  Jésus-Christ  les  demande  ?  »  De  plus, 
une  armée  qui  observeroit  inviolablement  cette  dis- 

^*)  Ep.  GxxxTiii,  n.  14  :  tom.  u,  pag.  4<6.  —  (•)  Ep.  clxxus 
&•  6  :  pag.  699.  —  C3)  Ep.  cxxriii ,  n.  i5  :  pag.  4i6. 

Fémélon.  xvui.  33 


5 14  MAHDEMERS. 

cipline  évangélique  aoroit  le  malheor  de  rëpa^iclre 
malgré  elle  le  sang  hnmain.  Elle  De  seroit  assemblée 
que  pour  faire,  dans  Fespérance  des  biens  à  venir, 
des  maux  présens  dont  elle  anroit  horreur.  Quelle 
déplorable  nécessité! 

Il  faut  donc  demander  à  Dieu  qu'il  abrège  ces 
jours  de  péché,  de  licence,  de  scandale  et  de  tenta- 
tion, où  les  cœurs  même  les  plus  justes,  les  plus 
modérés  et  les  plas  humains  sont  entraînés  par  le 
torrent,  et  ne  peuvent  donner  une  borne  certaine 
aux  maux  qu'ils  sont  contraints  de  tolérer. 

Prions  Dieu,  mes  très-chers  Frères,  quHI  bénisse 
les  armes  du  Roi.  Ce  n'est  point  pour  sa  propre 
cause  que  ce  prince  combat.  Il  se  borne  à  défendre 
son  petit-fils,  quelsi  nation  espagnole  est  venue  lui 
demander  pour  le  mettre  sur  le  trône  de  son  oncle, 
en  vertu  de  son  testament.  Il  ne  fait  que  prêter  son 
secours  à  la  monarchie  d'Espagne ,  sans  aucune  vue 
d'ambition  pour  la  sienne.  Des  intentions  si  droites 
nous  font  espérer  pour  lui  le  secours  d'en-baul.  Que 
nos  ennemis  se  glorifient  de  leurs  forces  ;  pour  nous 
c'est  an  nom  du  Seigneur  que  nous  mettons  notre 
confiance.  Quoique  la  France,  après  tantdeperte$,8e 
montre  encore  de  tous  côtés  supérieure  à  ses  enne- 
mis; quoique  rien  ne  semble  pouvoir  épuiser  les  res- 
sources qu'elle  trouve  dans  son  courage,  dans  sa 
patience,  et  dans  son  zèle  pour  son  Roi,  nous  levons 
néanmoins  les  yeux  vers  les  montagnes,  pour  voir 
d'où  nous  viendra  le  vrai  secours,  et  nous  disons: 
C'est  du  Seigneur  qu'il  nous  viendra.  C'est  en  nous 
humiliant;  c'est  en  nous  défiant  de  nous-mêmes; 
c  est  en  apaisant  la  colère  de  Dieu ,  que  nous  apai- 


(mahdbmbss.  5i5 

serons  la  jalousie  des  nations  voisines.  Disons  à  Dieu  : 
C'est  par  vous  que  nous  dissiperons  les  armées  de 
nos  ennemis,  et  c'est  en  votre  nom  que  nous  mépri-- 
serons  ceux  qui  s' élèvent  contre  nous.  Je  n'espérerai 
point  en  mon  arc,  et  ce  n'est  point  mon  glaii^e  qui 
me  sauifera  (0.  Demandons  à  Dieu,  mes  très-cbers 
Frères,  non  des  triomphes  inutiles,  non  ]a  perte  de 
nos  ennemis ,  puisqu'ils  sont  nos  frères ,  mais  des 
succès  qui  amènent  une  paix  solide  et  constante  pour 
réunir  toutes  les  nations  chrétiennes.  Demandons 
ce  qu'un  prophète  a  promis  au  nom  du  Seigneur. 
Je  briserai  l'arc,  le  glaii^e,  et  la  guerre  ,  et  je  les 
ferai  dormir  avec  confiance».»  ;  et  voici  ce  qui  arri^ 
vera  en  ce  jour.  J'exaucerai  ,  dit  1«  Seigneur, /'exau- 
cerai  les  deux ,  et  les  deux  exauceront  la  terre,  et 
la  terre  répandra  le  blé ,  le  vin  et  Vhuile.,.,  Je 
dirai  :  F'ous  êtes  mon  peuple,  et  il  répondra  :  Vous 
êtes  mon  Dieu  W.  Soupirons  donc  après  cette  paix 
de  la  terre;  mais  gardons-nous  bien  d'oublier  jamais 
celle  du  ciel,  pour  laquelle  seule  iiious  devons  de- 
mander celle  d'ici-bas.  «  Si  la  paix  humaine,  dit 
»  saint  Augustin  (3),  est  si  douce  pour  la  conservation 
»  temporelle  des  hommes  mortels,  combien  plus 
»  sera  douce  cette   paix  divine,  qui  fait  le  salut 
»  éternel  des  esprits  célestes?  Ainsi  quand  nous  en- 
»  tendons  ces  paroles  :  Que  les  coeuxs  soieitt  eh 
»  HAUT  ;  prenons  garde  que  notre  réponse  ne  soit 
»  pas  un  mensonge ,  et  que  nous  ne  répondions  feus- 
»  sèment  :  Nous  les  tenons  élevés  au  Seigneur.  » 

A.  ces  causes,  etc.  Donné  à  Cambrai ,  le  18  d'août 
1707. 

(0  Pt,  xLiii.  7. — («)  Osée,  II,  10. — (3)  Ep.  cixzzix ,  n.  6  :  p.  6j)9é 


XI. 
MANDEMENT  POUR  LE  CARÊME 

DE    L  ANNÉE    I708. 

FjiAirçois,  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse , 
salut  et  bénédiction. 

Saint  Augustin  y  mes  très-cbers  Frères,  représente 
à  son  peuple  que  la  discipline  du  Carême  est  auto- 
risée dans  V ancienne  /oi  >  dans  les  prophètes  el  dans 
VÉvangUe^^).  Il  ajoute  que  les  conciles  des  Pères,... 
ont  persuadé  au  monde  chrétien  qu'il  doit  se  prépor 
rer  ainsi  à  la  célébration  de  la  Pdçue  (^}.  Saint  Am- 
broise  fait  remonter  le  jeune  jusqu^à  l'origine  du 
monde.  C'est  en  mangeant  le  fruit  défendu,  dit- il, 
que  rhomme  fut  chassé  du  paradis  terrestre,  et  c'est 
par  l'abstinence  qu'il  y  rentre  :  c<  En  jeûnant  Moïse 
»  reçut  la  loi  ;  Pierre  eut  la  révélation  du  mystère 
»  de  la  vocation  des  Gentils  au  baptême;  Daniel 
»  ferma  les  gueules  des  lions,  et  découvrit  les  temps 
»  à  venir  (3).  »  , 

Remarquez  que  dans  les  siècles  où  ces  Pères  par-l 
loient,  le  ^eûne  étoit  très-rigoureux,  et  très-relH 
gieusement  observé.  Maintenant  il  est  très-radouciJ 
et  violé  sans  scrupule.  Autrefois  on  jeftnoit  jusqu*ai 
soleil  couché,  et  on  ne  prenoit  que  de  vils  alimensiM 
Aujourd'hui  on  élude  la  règle  pour  la  quantité,  en 
mangeant  dans  un  seul  repas  presque  autant  qu'on 

(*)  In  pMftl.  CI ,  n.  1  :  tom.  i\,  pag.  ia44*  "^  ^*^  ^P-  ^^9  ^  JanuaÀ 
n.a7  I  tom.  II,  pag.  iSg.  ^  {})  S.  Aubb.  Ep.  lxiii,  n.  16  :  tom.  ri[ 
pag.  ioa6.  —  (4)  S.  Auc.  Senti,  ccz,  n.  1 1  :  tom.  t,  pag.  93a. 


MAMDEMEirS.  617 

mange  d^ordinaire  en  deux,  et  pour  la  qualité  on 
tourne  eh  délicatesse  de  rago&ts  Tabstinence  même* 

Mais  quoi!  les  raisons  de  jeûner  furent-elles  jamais 
plus  pressantes  qu*en  notre  temps  ? 

On  doit  jeûner  pour  réprimer  les  tentations.  Et 
quand  est-ce  que  les  hommes  furent  plus  tentés? 
Tout  est  piège ^  tout  est  scandale;  la  pudeur  est 
tournée  en  dérision  ;  le  mal  s'appelle  bien.  La  loi 
du  mpnde  semble  avoir  prescrit  contre  celle  de 
Dieu. 

Le  jeûne  doit  donner  à  la  nourriture  du  pauvre 
ce  qa*il  retranche  à  celle  du  riche.  Mais  le  monde 
€ut-il  jamais  tant  de  pauvres.  Le  ravage  des  guerres 
appauvrit  moins  les  hommes^  que  le  luxe,  le  faste 
et  la  mollesse.  Les  pauvres  sont.abandonnés,  parce 
que  les  riches  sont  appauvris  eux-mêmes  s'ous  le 
joug  des  vaines  bienséances  qui  les  tyraojaisent. 

Le  jeûne  doit  servir  à  expier  les, péchés  .du  peu- 
ple :  ainsi  plus  on  a  péché,  plus  on  doit  jeûner.  Mais 
nos  jours  ne  sont-ils  pas  les  jours  de  péché  ?  L'ambi- 
tion et  l'avarice  ne  font  plus  qu'une  seule  passion , 
qui  enlève  tout  pour  tout  dissiper.  Le  faste  répanciu 
dans  les  mœurs  rend  la  probité  presque  impossible. 
La  justice  n  est  plus  qu'un  beau  nom.  L'impiété  passe 
pour  force  d'esprit.  Vous  trouvez  presque  partout , 
ou  le  scandale,  ou  la  superstition,  ou  l'hypocrisie. 
L'Eglise  n'est  plus  écoutée;  les  pécheurs  lui  font  la 
loi  jusque  dans  le  tribunal  de  la  pénitence. 

Enfin  le  jeûne  doit  apaiser  Dieu.  Hélas  !  quand 
est-ce  qu'il  fut  plus  irrité  contre  nous?  Combien  y 
a-t-il  d'années  que  les  Chrétiens  se  déchirent,  pen- 
dant que  les  Infidèles  vivent  en  paix.  Il  semble  que 


5l8  WÂMnEMtJBIBé 

Diea  nous  punit  les  ans  por  les  aotres.  On  8*aocK>a- 
tufne  à  cet  affreux  spectacle;  on  le  voit  sans  hor- 
renr;  od  ne  gémit  plus  poor  en  obtenir  la  fin. 

Tant  de  fortes  raisons  nons  faisoient  désirer  ar- 
demment de  rétablir  enfin  la  sainte  discipline  du 
Caréîtle,  que  Tétat  violent  de  cette  fi*ontière  a  altérée 
depuis  quelques  années.  Mais  il  faut  avouer,  mes 
très^chers  Frères,  que  les  malheurs  de  la  guerre ,  qui 
devroiebt  redoubler  la  pénitence  des  peuples,  sont 
précisément  ce  qui  nous  contraint  d*user  encore 
cette  année  de  quelque  relâchement  à  leur  ^ard 
pour  le  Caréme«  iVous  protestons  devant  Dieu  que 
c'est  pour  soulager  les  véritables  pauvres ,  dans  ce 
triste  temps ,  et  non  pour  flatter  les  riches  volup* 
tueûk  dans  leur  mollesse,  que  nous  usons  encore  de 
condescendance. 

Cçst  dans  cet  esprit  que  nous  permettons,  etc. 
Dominé  à  Cambrai,  le  i4  février  1708. 


.  MAjroeMEiis/  5 19 


ZII. 


MANDEMENT  POUR  DES  PRIÈRES. 

1708    (*). 

FiuirçoiSy  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse 
qai  sont  sous  la  domination  du  Roi,  salut  et  béné- 
diction. 

Si  le  monde  n'avoit  jamais  vu  la  guerre  allumée 
entre  les  nations  voisines,  il  auroit  peine  à  croire  que 
lés  hommes  pussent  s'armer  les  uns  contre  les  autres. 
Eux  qui  sont  accablés  de  leur  misère  et  de  leur 
mortalité,  ils  augmentent  avec  industrie  les  plaies  de 
la  nature,  et  ils  inventent  de  nouvelles  morts.  Us 
n'ont  que  quelques  momens  à  vivre,  et  ils  ne  peu- 
vent se  résoudre  à  laisser  couler  en  paix  ces  tristes 
momens.  Us  ont  devant  eux  des  régions  immenses 
qui  n'ont  point  encore  trouvé  de  possesseur,  et  ils 
s'entre-déchirent  pour  un  coin  de  terré.  Ravager, 
répandre  du  sang ,  détruire  l'humanité,  c'est  ce  qu'on 
appelle  l'art  des  grands  hommes.  Mais  les  guerres  ne 
sont,  dit  saint  Augustin,  que  des  spectacles,  oîi  le 
démon  se  joue  cruellement  du  genre  humain  :  ludi 
dotmonum. 

Les  princes  lés  plus  jiistes  et  les  plus  modérés  sont 
réduits  à  prendre  les  armes.  Malheur  d'autant  plus 
déplorable,  d!t  saint  Augustin,  qu'il  est  devenu  n^ 

(*)  Voyez,  au  sujet  de  ce  Mandemeut,  la  lettre  de  Fënélon  au 
F.  tAmiy  Bénédictin,  du  3o  noT.  1708.  {Eéik,) 


5aO  MAHDEMSHS. 

cessaire!  Dien  même  fait  entrer  la  guerre  dans  ses 
desseins  de  miséricorde ,  comme  on  fait  entrer  les 
poisons  les  plus  mortels  dans  la  composition  des  re- 
mèdes les  plus  salutaires.  Hëlas!  quelle  doit  être 
Textrëmitë  de  nos  maux ,  puisque  nous  avons  besoin 
d*un  si  violent  remède!  «  Une  longue  paix,  dit  saint 
»  Cyprien  (0,  corrompt  la  discipline  que  Dieu  avoit 
»  donnée  aux  hommes.  Il  faut  qu'un  châtiment  ce- 
»  leste  vienne  réveiller  notre  foi  abattue,  et  comme 
»  endormie.  »  Dieu  punit  les  peuples  les  uns  par  les 
autres,  parce  que  tous  ont  péché.  Il  frappe  ces 
grands  coups  qui  ébranlent  la  terre,  dit  saint  Au- 
gustin, pour  dompter  Vorgueil  des  méchans,  et  pour 
exercer  la  patience  des  bons.  Il  y  a  déjà  huit  ans, 
mes  très-chers  Frères ,  que  la  main  est  levée ,  et  on 
ne  la  reconnott  pas.  Lès  pécheurs  sont  abattus  sans 
être  convertis.  Jamais  on  ne  vit  tant  de  faste  et  tant 
de^  mollesse  ;  jamais  tant  de  bassesse  pour  Tintérêt , 
et  tant  de  hauteur  contre  la  vertu.  Le  luxe  ne  vit 
que  d^injustice.  L*état  violent  où  chacun  se  jette 
sape  les  fondemens  de  toute  probité,  et  corrompt 
le  fond  des  mœurs  des  nations  entières.  L'humilité 
est  foulée  aux  pieds,  et  la  simplicité  est  tournée  en 
dérision.  La  curiosité  et  la  présomption  sont  au 
comble.  L'autorité  de  l'Église  n'est  plus  qu'un  grand 
nom.  Seroit-ce  que  nous  approcherions  des  derniers 
temps,  o&  la  (Aarité sera  refroidie j  V iniquité  abon- 
dante, et  oii  le  Fils  de  t homme  trouvera  à  peine  de 
ta  foi  sur  ta  terre  ?  Ne  cherchons  point  ailleurs 
qu'en  nous-mêmes  la  source  de  no»  maux.  Nos 
pédiés  sont  nos  plus  grands  ennemis.  Ils  nous  attirent 

(»)  t>6  Lapsis,  pag.  i8s. 


MAHDEMEIfS.  5a  I 

toas  les  autres.  Nous  combattons  contre  les  autres  ; 
et  loin  de  vaincre  ceux-ci ,  nous  nous  livrons  lâche- 
ment à  eux.  Nous  ne  pouvons  calmer  la  tempête  qui 
agite  toutes  les  nations  chrétiennes^  qu'en  apaisant 
la  juste  colère  de  Dieu.  Il  aime  à  être  désarmé  par 
des  cœurs  contrits  et  humiliés.  Âpres  s'être  irrité,  il 
se  ressouvient  de  ses  anciennes  miséricordes.  De- 
mandons-lui, non  la  destruction  de  nos  ennemis, 
qui  ne  cessent  jamais  d'être  nos  frères,  mais  notre 
réunion  avecteux  par  une  bonne  paix.  Demandons- 
lui  cette  paix,  non  pour  flatter  nos  passions,  pour 
nous  attacher  aux  douceurs  trompeuses  du  pèleri- 
nage, et  pour  nous  faire  oublier  notre  véritable 
patrie,  mais  au  contraire  afin  que  nous  soyons  plus 
libres,  plus  tranquilles,  plus  recueillis  et  plus  pré- 
parés au  royaume  de  Dieu.  Prions  pour  la  prospé- 
rité des  armes  du  Roi ,  afin  qu'elles  nous  procurent, 
selon  ses  desseins,  un  repos  qui  console  l'Église 
aussi  bien  que  les  peuples,  et  qui  soit  sur  la  terre 
une  image  du  repos  céleste. 

Aces  causes,  etc.  Donné  à  Cambrai,  le  la  mai 
1708. 


XIII. 
MANDEMENT  POUR  LE  CARÊME 

DE    l'année    1709. 

Frahçois,  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse , 
salut  et  bénédiction. 

• 

Vous  savez  y   mes  très-cbei^  Frères  ^  que  nous 
n*avons  point  cessé  de  maintenir  dans  ce  diocèse  la 
loi  du  Carême,  malgré  les  vives  instances  qui  nous 
ont  été  faites  depuis  quelques  années,  pour  nous 
obliger  à  en  interrompre  l'observation.  Il  nous*  a 
paru  qtie  les  malheurs  de  la  guerre,  loin  de  devoir 
ébranler  une  si  sainte  discipline,  la  rendent  plus  né- 
cessaire  que  jamais.  Les  pécheurs  doivent-ils  cesser 
de  faire  pénitence,  parce  que  la  colère  de  Dieu 
éclate  sur  eux?  Nous  éprouvons  ce  que   Jérémie 
disoit  du  peuple  juif  (0  :  Ils  ont  semé  du  blé,  et  ils 
'  ont  moissonné  des  épines  ;  ils  ont  acquis  des  héri- 
tages, et  ils  leur  seront  infructueux;  c'est  la  colère 
du  Seigneur  qui  confondra  vos  espérances  pour  les 
fruits  de  vos  champs.   Faut-il  s'étonner  que  Dieu 
frappe  la  terre  qu'il  voit  couverte  d'un  déluge  d'ini- 
quités? c(  Vous  murmurez,  disoit  saint  Cyprien  aux 
»  infidèles  (^),  de  ce  que  Dieu  est  irrité,  comme  si 
»  vous  méritiez  par  vos  mauvaises  mœurs  de  rece- 
»  voir  quelque  bien  de  lui  ;  comme  si  toutes  ces  ca- 
»  lamitésqui  viennent  fondre  sur  vous  n'étoient  pas 
»  douces  et  légères  en  comparaison  de  vos  crimes. 

{*)Jer.  xiii.  3.  — C»)  j4d  Dtmetr.  pag.  ai6  et  seq. 


XAHOBMBKS*  5a3 

»  VoHs  qui  vous  mêlez  de  juger  les  autres  hommes, 
»  soyez  enfin  juge  de  vous-même;  pénétrez  jusque 
»  dans  les  replis  cachés  de  votre  conscience,  ou 
»  plutôt  regardez-vous  vous-même,  tel  que  tout  le 
»  monde  vous  voit  h  découvert;  puisqu^l  ne  reste 
»  plus  en  vous  ni  crainte  ni  pudeur,  qui  vous  dé- 
»  tourne  de  pécher,  et  que  vous  faites  le  mal  comme 
»  si  vous  en  deviez  tirer  des  louanges.  Vous  êtes  ou 
»  enflé  d'orgueil,  ou  ravisseur  du  bien  d'autrui,  ou 
»  emporté  de  colère,  ou  ruiné  par  le  jeu,  ou  abruti 
»  par  Texcès  du  vin,  ou  rongé  d'envie,  ou  iâfâme 
^  par  vos  impuretés,  ou  cruel  par  votre  vengeance; 
)»  et  vous  vous  étonnez  de  ce  que  U  colère  de  Dieu 
»  crott  pour  punir  le  genre  humain ,  pendant  que  les 
»  péchés  qu'il 'doit  punir  croissent  de  jour  en  jour. 
»  Vous  vous  plaignez  de  Ce  que  l'ennemi  vous  fait 
»  sentir  les  maux  de  la  guerre,  et  vous  ne  voyez  pas 
»  que  si  vous  n'aviez  au  dehors  aucun  ennemi  ^  vous 
»  deviendriez  bientôt  vons-^même  votre  propre  en- 
«  nemi  au  milieu  de  la  paix.  «  En  efièt,  le  luxe  et  le 
faste,  qui  dérèglent  toutes  les  monirs  et  qui  con- 
fondent toutes  les  conditions;  l'avarice,  l'ambition 
et  l'envie,  qui  rendent  tous  les  hommes  incompa- 
tibles, ne  ruinent  pas  moins  un  peuple  que  la  guerre 
même.  Vous  n'avez,  dit  le  même  Père  (0,  qu'une 
impatience  toujours  crianie  et  plaimiuej  au  lieu  de 
^a  patience  foirte)  religieuse  et  tf^fi^uillé  que  DieU 
demande  k  ses  eiifans  :  ûessez  de  critiquer  témérai- 
rement ce  qui  est  au-dessus  de  vous,  et  remédiez  aux 
maux  publics  par  une  humble  correction  de  vos 
mœurs  qui  en  sont  la  véritable  cause.  Quoi  ^  dit 


5^4  VAHDSMEMS. 

encore  ce  Père  (0,  «  tant  de  coups  terribles  de  la 
n  main  de  Dieu  ne  vous  rappellent  point  à  la  règle 
n  et  à  rinnocence— .  !  Dieu  est  tout  prêt  à  finir  nos 
V  peines  ;  mais  Tindignité  des  pêcheurs  l'empêche  de 
»  nous  secourir*...  Ce  qui  Tirrite  le  plus  est  de  voir 
»  que  tant  de  châtimens  ne  peuvent  nous  convertir.  » 
Il  est  donc  vrai^  mes  très-chers  Frères,  que,  loin  de 
chercher  des  adoucissemens  au  jeûne  du  Carême, 
nous  devrions  l'augmenter  à  proportion  de  nos 
péchés  y  et  des  maux  qu'ils  attirent  sur  nous. 

Mais  Dieu  daigne  se  contenter  de  ce  que  notre 
boqne  volonté  lui  offre ,  dans  l'impuissance  de  faire 
mieux.  Les  sources  du  commerce  pour  le  poisson 
de  mer  noursont  fermées  ;  la  rigueur  de  l'hiver  nous 
prive  dés  légumes;  la  campagne  désolée  manque 
d'œufs;  ce  qui  a.  échappé  aux  ravages  de  la  guerre 
devient  nécessaire  et  presque  insuffisant  aux  troupes 
innombrables  qui  remplissent  tout  le  pays;  à  la 
cherté  se  joint  la  misère.  Nous  cédons  enfin  à  une  si 
triste  nécessité.  L'Église  y  cette  mère  pleine  de  ten- 
dresse et  de  compassion  )  descend  jusqu'aux  derniers 
besoins  de  ses  enfans.  Elle  ne  souffre  ni  relâchemeut, 
ni  mollesse,  ni  vains  prétextes  pour  éluder  la  loi  : 
mais  elle  a  appris  de  son  Epoux  que  le  grand-prêtre 
dans  une  pressante  nécessité  donna  à  David  et  aux 
siens  les  pains  consacrés^  que  les  prêtres  seuls  a%f  oient 
permission  de  manger»  Elle  sait  que  le  Seigneur,  qui 
est  maUre  du  sabbat  W,  ne  l'est  pas  moins  du  Carê- 
me, et  qu'on  peut  dire  de  l'institution  de  ce  grand 
jeûne  ce  que  le  Fils  de  Dieu  a  dit  de  l'institution  du 
saint  repos  :  Le  sabbat  est  fait  pour  Vhomnie,  et  non 

(« )  Ad  Demetr.  —  C»)  Luc.  vi.  4 ,  5. 


MANDBMEirs.  5^5 

Vhomme  pour  le  sabbat  (^j.  Telle  est  la  condescen- 
dance de  rÉglise.  Comment  ne  relâcheroit-elle  pas 
un  peu  de  sa  discipline  présente,  elle  qui ,  comme 
dit  saint  Augustin,  juge  que  la  paix  qu'elle  conserve 
avec  les  foibles  la  dédommage  de  ce  qu'elle  souffre 
certains  relâchemens  contre  la  loi  7  Pacù  ipsius  cont» 
pensatione  sanaretur  W. 

C'est  dans  cet  esprit,  mes  très-chers  Frères,  que 
nous  permettons  les  choses  suivantes ,  etc. . 

Nous  voyons  avec  une  sensible  douleur  que  la 
plus  grande  partie  des  peuples  qui  n'observeront  pas 
le  Carême  avec  la  régularité  ordinaire  ne  pratique- 
ront que  trop  parleur  misère  une  abstinence  forcée. 
Leur  consolation  doit  être  de  la  tourner  en  mérite 
par  une  humble  patience.  «  Le  jeûne,  dit  saint 
»  Augustin  (3)  y  nous  représente  la  mortification  uni- 
»  verselle  de  nos  corps.  »  Ceux  même  qui  ne  pour- 
ront pas  se  retrancher  l'usage  de  la  viande,  doivent 
se  modérer  dans  la  dispense  qui  leur  est  accordée , 
et  ne  se  permettre  rien  de  superflu  dans  les  commo- 
dités sensibles.  Enfin  les  peuples  qui  nous  sont  confiés 
peuvent  voir,  par  les  égards  que  nous  avons  pour 
leurs  besoins ,  combien  nous  sommes  éloignés  d'une 
sévérité  dure  et  rigoureuse.  C'est  ce  qui  doit  nous 
préparer  dans  leurs  cœurs  une  pleine  confiance  pour 
las  temps  plus  heureux,  où  nous  ne  manquerons  pas 
de  rétablir  dans  son  intégrité  cette  salutaire  péni- 
tence, que  les  apôtres,  instruits  par  l'exemple  de 
Jésus-Christ  même,  ont  transmise  de  siècle  en  siècle 
jusqu'à  nous. 

(■)  Mare.  ii.  37.  —  (*) Ep.  glxxxt,  ad Bonif.  n.  44  *  ^  ">  P-  ^^- 
—  ^)  Depaf.  Justit.  hom.  cap.  tiii  ,11.  18  :  tom.  x ,  pag.  174. 


5a6  MAMDBMBlia* 

Ilfàulque  les  riches  entrent  dans  les  seotimens 
de  rÉglîse.  en  faveur  des  pauvres  »  afin  que  la  cha- 
rité gagne  en  cette  occasion  ce  que  la  pëniteDce 
semble  perdre.  Ainsi  tous  ceui  qui  useront  de  la 
présente  dispense,  et  qui  peuvent  donner  trois  sous 
en  aumône  y  les  donneront 

Nous  exhortons  tous  ceux  qui  peuvent  donner 
ylus  abondamment ,  k  faire  pour  leur  salut  éternel 
une  partie  de  ce  qu'ils  font  tous  les  jours  pour  le  faste 
du  siècle.  Nous  désirons  que  ces  aumônes  soient  mi- 
ses entre  les  mains  de  la  trésorière  de  l'assemblée  de 
la  Charité  dans  les  villes  où  on  a  établi  de  telles  as- 
semblées pour  les  pauvres  malades,  afin  qu'elles 
soient  distribuées  de  concert .  avec  les  pasteurs ,  et 
que  dans  tous  les  autres  lieux  chacun  donne  son 
aumône  au  pasteur  pour  le  même  usage.  Donné  h 
Cambrai,  le  3  février  1709. 


MANDBMBirS.  5^7 

XIV. 
MAISDEMENT  POUR  DES  PRIÈRES  PUPLIQUES, 

SUR    LA    8TÉRIUT£. 
1709. 

Frauçois,  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse , 
salut  et  bënédiction. 

Nous  apprenons,  mes  très-chers  Frères,  avec  line 
sensible  douleur ,  qu*on  doit  craindre  une  grande 
stérilité.  La  terre  paroît  comme  morte  :  elle  ne  pro- 
met ni  fruits  ni  moisson,  et  le  printemps  même  ne 
la  ranime  point.  D*où  viennent  ces  malheurs  7  Les 
hommes  n'ouvriront- ils  jamais  les  yeux?  ne  senti- 
ront-ils jamais  la  main  qui  les  frappe  7  Ils  ont  ou- 
blié Dieu  y  ils  se  sont  oubliés  eux-mêmes.  Us  ont 
contraint,  pour  ainsi  dire,  leur  Père  céleste  à  les  ou- 
blier. Hélas  !  voici  la  neuvième  année  où  l'on  voit 
couler  des  ruisseaux  de  sang  dans  toute  la  chrétienté  ! 
Mab  les  hommes  sont  punis ,  sans  être  corrigés.  Si 
nous  n'apaisons  au  plus  tôt  la  juste  colère  de  Dieu , 
au  glaive  vengeur  se  joindra  la  faim ,  plus  cruelle 
que  le  glaive  même. 

Dieu  y  dit  le  Psalmiste  (0,  a  appelé  la  faim  sur  la 
terre;  aussitôt  elle  accourt,  et  tout  appui  du  pain 
est  brisé.  Voilà,  dit  Isaïe  C^),  le  Seigneur  dominateur 
des  armées  qui  Stera  de  Jérusalem  et  de  Juda 

(0P#.  civ.  ift. — (•)/*.  m.  I. 


r 
I 

c 


5a8  MÀHIDEMElfS. 

toute  force  du  pain.  Les  enfans^  dit  Jérëmie  (0»  ont 

demandé  oh  est  le  pain ^  en  rendant  le  dernier 

soupir  dans  le  sein  de  leurs  mères La  langue  de 

V enfant  à  la  mamelle  se  dessèche  de  soif  dans  sa 
bouche.  Les  petits  ont  demandé  du  pain,  et  personne 
ne  leur  en  rompt.  Ceux  qui  viuoient  dans  la  volupté, 
tombent  en  défaillance  au  milieu  des  chemins.  Ceux 
qui  se  nourrissoient  avec  dAicatesse,  se  jettent  avec 
avidité  sur  l'ordure,. ,..  Ceux  que  le  glaive  abat  sont 
moins  à  plaindre  que  ceux  qui  périssent  de  faim; 
car  ceux-ci  sont  desséchés  et  consumés  parla  stéri- 
lité de  la  terre. 

<c  La  faim  et  la  soif,  dit  saint  Augustin  W,  sont  de 
»  véritables  douleurs ,  qui  nous  brûlent ,  et  qui  nous 
»  consument  comme  la  fièvre,  à  moins  que  le  remède 
»  des  alimens  ne  vienne  nous  secourir.  Mais  comme 
»  ce  remède  est  tout  prêt ,  ô  mon  Dieu ,  à  nous  sou* 
»  lager  par  la  libéralité  de  vos  dons,  et  comme  le 
»  ciel ,  la  terre  et  Teau  nous  servent  dans  notre  in- 
»  firmitéy  les  hommes  donnent  à  cette  calamité  le 
)>  nom  de  délices.  »  Non ,  il  n'y  a  que  la  main  de 
Dieu  qui  retarde  chaque  jour  par  ses  dons  la  défail- 
lance prochaine  du  genre  humain.  Les  montagnes , 
dit  le  Psalmiste  (3),  se  sont  élevées,  et  les  campagnes 
sont  descendues  en  la  place  que  Dieu  leur  a  mar- 
quée  C'est  lui  qui  fait  couler  les  to/'rens  dans  les 

vallons  au  pied  des  montagnes  pour  désaltérer  tous 

les  animaux O  Dieu,  la  terre  est  rassasiée  du 

fruit  de  vos  mains.  Elle  produit  ses  herbages  pour 
les  animaux  qui  sont  au  seri^ice  de  l'homme.  La  terre 

{})Thren.  ii.  la;  et  iv.  4»  5,9-  —  (*)  Conf,  lib.  x,  cap.  xixi, 
n.  43  :  tom.  I,  pag.  i85.  —  (3)i'#.  cm. 

est 


ifijiDnUBira.  Sag 

est  pleine  de  vos  biens»  Toui  est  âan»  tatteme  de  la 
nourriture  4iu»  vous  distribuez  à  chacun  en  son  temps. 
Dès  que  vous  donnez^  ils  recueillent.  Ouffrez^vous 
votre  main,  tout  est  comblé  de  biens.  Mais  déi&ur^ 
nez-vous  votre  face ,  ils  sont  dans  le  trouble.  R&* 
fusez^vous  T esprit  de  vie,  ils  tombent  en  défaiUance, 
et  reMrentdanslàpoussikre^YeikdxnicpaeleshùfÊxne^ 
ft'eoivrenl  de  vaines  eapëranoesyilne  £Emt  qaHme  gelëe 
après  une  fonte  de  neige,  ou  qu*un  brouillard,  suivi 
d'un  rayon  de  soleil,  pour  confondre  tons  leurs  pro- 
jets. Aussitôt  le  ciel  déifient  d*airain  a»-dessu$  de  leurs 
têtes,  et  la  terre  qui  les  porte  est  de  fer  pour  eux  (')• 
Que  reste  - 1  -  il  donc ,  sinon  d'apaiser  Dieu  7  Sa 
main  est  dé)à  levée  sur  nous  :  mais  noufr  savons  que 
dix  justes  suffisent  pour  sauver  ud  peuple  innom* 
brable  ^  non  delebopropterdecem  ip).  O  peuples  con- 
stsméa^écootefl  ces  douces  et  fortes  paroles:  Vc^fez, 
dit  Dieu  à  ses  en&ns  (3),  oh  estime  que  vous  ri  avez 
pas  commis  des  abominations....  ?  C'est  ce  qui  a  er»» 
péché  la  pluie  d'engraisser  vos  champs....  Oenfans, 
retenez  en  vous  tournant  vers  moi,  et  je  vous  gué^ 

riraiaprhsvos  égaremens O  Israël......  tes  voies 

0t  tes  pensées  ont  attiré  sur  toi  tous  ces  maux»  (Test 
ta  malice  qui  se  tourne  en  amertume ,  et  qui  blesse 
ton  cœur....  Mon  peuple  insensé  ne  m'a  point  connu» 
Mes  enfans  sont  sans  sagesse  et  sans  cœur*  Ils  ne 
sont  sages  que  pour  faire  le  mal,  et  ne  sapent  pas 

faire  le  bien. J'ai  rassasié  vos  enfans,  et  ilsxmt 

commis  des  crimes  infâmes...*  Quoi  donc?  est-ce  que 
je  ne  visiterai  point  leurs  péchés,  et  que  je  ne  me 
vendrai  point  de  ces  peuples ?  Jmsques  à  quand 

C»)  Pmit  jtxvui.  a3.  —  C*)  Ctn.  utiu.  3a.  —  P)  Jertm,  ni-ui. 

FÉVÉLOlf.    XVIII.  34 


53o  JCANDEMEirS. 

la  terre  sera^-elle  en  deuil,  et  l'herbe  de  ses  champs 
serait-elle  desséchée  par  la  malice  des  peuples  çui 
rhabitent ?  Ils  ont  semé  du  blé,  et  ils  ont  mois- 
sonné des  épines.  Ils  ont  acquis  des  héritages,  et 
ils  n'en  jouiront  pas.  Soyez  confondus  par  les  fruits 

mêmes  de  vos  terres Mais  aprhs  que  je  les  aurai 

arrachés,  je  changerai  mon  cœur  pour  eux,  j'en  aurai 
pitié,  et  je  rétablirai  chacun  d'eux  dans  la  jouissance 
de  son  héritage. 

Telles  sont  nos  espérances  pour  vous,  mes  très- 
chers  Frères  ;  celui  qui  menace  craint  de  frapper.  Il 
ne  nous  montre  les  maux  qu*il  pr^pare^  qa*afin  que 
nous  les  détournions  de  dessus  nos  têtes.  La  terre , 
qui  refuse  ses  biens  aux  peuples  ingrats  et  impéni- 
tens  9  germera  en  faveur  des  peuples  humiliés  et 
convertis.  Qu'est-ce  qu*un  cœur  contrit  ne  peut  pas 
sur  celui  de  Dieu  ?  Que  si  sa  justice  vouloit  nous 
éprouver  par  de  plus  longues  peines  ^  au  moins  nous 
aurions  la  consolation  de  soufirir,  avec  amour  et 
confiance,  ce  que  les  impies  soufinroient  avec  révolte 
et  désespoir.  Quelle  différence  entre  ceux  que  le  Père 
châtie  comme  ses  enfans  bien-aimés  et  qui  portent 
la  croix  avec  Jésus-Christ  pour  régner  bientôt  avec 
Ipi  y  et  les  ennemis  qui  sont  punis  sans  consolation 
et  sans  espérance.  Après  tout ,  si  vous  êtes  détachés 
du  monde  et  si  vous  vivez  de  la  foi,  que  ponves-vous 
perdre^  si  ce  n'est  une  vie  qui  n  est  qu'une  mort  con- 
tinuelle pour  passer  \  la  vie  véritable  ?  De  quoi  pou- 
vez-vous  manquer  pendant  que  Dieu  ne  vous  man- 
quera point  ?  Vos.  maux  seront-ils  sans  consolation, 
pendant  que  vous  porterez  au  dedans  de  vous  le  véri- 
table consolateur?  Les  hommes,  dit  saint  Augustin  (0, 

(0  De  Ci\:  Dei  Lib.  i,  cap.  x,  n.  a:  tom.  vr ,  pag.  1 1. 


MANDEMSlfS.  S3 1 

ne  peuvent  être  dépouillés  sur  la  terre  que  des  faux 
biens,  dont  ils  n'auront  pas  fait  le  sacrifice  à  Dieu. 
Hoc  enirn  potuit  in  terra  perire,  quod  piguit  inde 
transferre.  Pour  tout  le  reste ,  ils  se  dédommagent 
d'une  légère  perte,  par  un  profit  immense  et  éternel. 
Magnis  sunt  lucris leuia  damna  solatii^).  En  quelque 
extrémité  de  misère  oh  ils  puissent  être  réduits,  se- 
ront-ils jamais  dans  un  état  où  ils  ne  trouvent  plus 
leur  Dieu  ?  Hoc  sanè  miserrimum  est,  si  aliquh  duci 
potueruntj  ubiDeum  suwn  non  inv^eneruntWl  Croit* 
on  que  Dieu  cessera  d*être  père  ?  Croit-on  que  celui 
qui  prépare  à  ses  enfans  le  royaume  du  ciel,  leur 
refusera  le  pain  quotidien  sur  la  terre,  quand  ils 
seront  pénitens,  soumis,  sobres,  et  laborieux?  O 
cieUx,  louez  le  Seigneur;  o  terre,  réjouissez^vous; 
6  montagnes,  chantez  de  joie!  Le  Seigneur  console 
son  peuple,  et  il  aura  pitié  de  ses  pauvres.  Sion  a 
dit  :  Le  Seigneur  m'a  abandonnécy  et  il  ne  se  sou* 
vient  plus  de  moi.  Quoi  !  est-ce  çuune  mère  peut 
oublier  son  enfant,  et  n  avoir  aucune  pitié  de  celui 
quelle  a  porté  dans  ses  entrailles?  et  quand  même  elle 
ToubUeroit,  pour  moi,  je  ne  vous  oublierai  jamais  (3). 
C'est  ainsi,  mes  très-chers  Frères,  que  parle  le  Père 
de  miséricorde  et  le  Dieu  de  toute  consolation.  Ne 
doutons  jamais  de  sa  providence.  C'est  de  nous,  et 
non  de  lui,  qu'il  faut  se  défier.  Nous  rendrons  la 
terre  fertile,  quand  nous  cultiverons  dans  nos  cœurs 
les  vertus,  et  que  nous  en  arracherons  tous  les  vices. 
C'est  dans  un  besoin  si  pressant  que  nous  ordon- 
nons, etc.  Donné  à  Cambrai,  le  20  avril  1709. 

(M  De  Ciu.  Dei. lib.  1 ,  cap.  x,  n.  a  :  tom.  vu ,  pag.  1 1.  —  e») ïbid. 
cap.  XIV  :  pag.  i4-  —  ^'^  '*•  t^^^'^-  '^j  '4»  «5. 


S'i%  MAVDEMBNS. 

uuiitiOTftriftiJ»iiiriiiiiiviirniirnrYVii"n***''**i**  ***'******'**'****'**' 

XV. 
MANDEMENT  POUR  DES  PRIÈRES. 

1709. 

■ 

François  etc.  Â  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse 
qui  sont  sous  la  domination  du  Roi,  salut  et  béné- 
diction. 

Nous  avions  espéré,  mes  très-chers  Frères,  que 
Dieu  s'apaiseroit  enfin,  et  qo*iI  laisserott  respirer 
son  peuple.  Mais  sa  main  est  encore  levée  pour  nous 
frapper.  Il  est  juste  que  nous  souffrions  encore ,  {Suis- 
qu*on  ne  cesse  point  de  pécher.  Le  mensonge  et  la 
fi^ude  sont  encore  sur  les  lèvres  et  dans  le  cœur  de 
presque  tous  les  hommes.  La  misère,  loin  de  les  dé- 
tacher des  faux  biens ,  irrite  de  plus  en  plus  leur  ava- 
rice; le  faste  et  le  luxe  croissent  avec  la  pauvreté. 
La  délicatesse  et  la  volupté  la  plus  raffinée  n*onl 
point  de  honte  de  paraître  avec  la  femine;  on  ne 
voit  que  la  bassesse  la  plus  honteuse ,  et  que  Forgueil 
le  plus  insolent.  L'Église  n*est  plus  écoutée.  Chacun 
s^  croit  soi-même,  au  lieu  de  la  croire  avec  nue 
humble  docilité.  Les  hommes  sont  écrasa,  et  ils  ne 
furent  jamais  moins  convertis.  Faut-il  donc  s'étonner 
si  Dieu  ne  s'apaise  point?  Il  se  seii  des  hommes 
ds^ns  les  combats  pour  les  punir  les  uns  par  les  au- 
tres de  leurs  propres  mains.  Le  ravage  des  provin- 
ces, les  batailles  sanglantes,  le  renversement  des 
empires,  sont  le  jugement  de  Dieu  sur  les  peuples 


MAUDEMERS.  533 

coupables  y  qu*il  fait  exécuter  par  les  coupables 
mêmes.  Ceux  qui  pensent  le  moins  à  Dieu  ^nt 
dans  sa  main,  sans  l'apercevoir ,  les  instrumens  de 

• 

ses  vengeances.  Ils  s'imaginent  exécuter  leurs  vains 
projets,  et  ils  ne  font  que  suivre  ayeuglément  une 
volonté  supérieure.  «  Dieu ,  dit  saint  Augustin  (') , 
»  opère  dans  les  cœurs  même  des  méchans  tout  ce  qu'il 

»  lui  plait Le  Tout^Puissant  produit  au  dedans 

M  des  hommes  le  mouvement  même  dé  leurs  volon- 
u  tés  f  pour  faire  par  eux  ce  qu'il  veut  qu'ils  fassent.  » 
Il  envoie  à  son  choix  dans  les  plus  puissantes  armées 
ou  le  courage  et  la  victoire,  ou  la  peur  et  la  fuite. 
Les  hommes  combattent,  mais  c'est  lui  qui  décide. 
C'est  lui  qui  donne  ou  l'esprit  de  sagesse  et  de  force, 
ou  celui  d'ivresse  et  de  vertige.  Les  nations ,  dit  le 
Roi  prophète  (^),  ont  été  troublées,  et  les  royaumes 
ont  penché  vers  leur  ruine.  Dieu  a  fait  entendre  sa 
voix,  La  terre  a  été  ébranlée  :  mais  le  Seigneur  des 
armées  est  avec  nous.  Le  Dieu  de  Jacob  nous  sou- 
tient.  Prenez,  et  voyez  les  œuvres  du  Seigneur^  et  les^ 
prodiges  qu'il  fait  sur  la  terre  :  il  fait  cesser  la 
guerre  jusqu'aux  extrémités  du  pctfs\  il  brise  Varc, 
il  rompt  les  armes,  il  fond  les  boucliers.  Ecoutez  ep- 
core  le  Saint-Esprit  (3)  :  Dieu  dessèche  les  racines 
des  nations  superbes,  et  il  en  plante  d autres  çuf 
sont  humbles.  Cessons  donc  de  chercher  dans  lés 
hommes  lei  véritables  causes  de  ce  qui  leur  arrive  ; 
remontons  plus  haut.  Leur  sagesse  et  leur  puissance 
ne  sont  qu'empruntées.   Dieu  commande  aux  pas- 
sions, comme  aux  vents  et  aux  tempêtes.  Tïi  vien- 

CO  De  Gral.  et  Ub.  Arh.  cap.  xzr,  n.  4^  :  tom.  x,  pag.  740.  — 
*)  PsaL  ZL¥.  9.— (3)  EccU.'K.  18. 


534  M  A»  DEM  EUS. 

drasp  dit-il  à  la  mer  {}\  jusqu'ici;  tu  n'iras  pas  plus 
loin,  et  ta  briseras  ici  l'orgueil  de  tes  flots.  Ou,  si 
nous  voulons  rentrer  en  nons-mémes,  ne  cherchons 
que  dans  nos  pëchés  les  sources  de  nos  malheurs. 
EfiaçoDS  riniquité  par  la  pénitence,  et  tous  nos  maux 
disparoitront.  Prévenons  Dieu,  humilions-nous,  et 
il  ne  nous  humiliera  point.  Mettons  notre  confiance, 
non  dans  nos  armes,  mais  dans  nos  prières.  Aimons 
Dien  en  sorte  qu  il  nous  aime,  et  nous  n'aurons  plus 
d'ennemis.  La  douleur,  dit-il  C^),  et  le  gémissement 
s'enfuiront.  C'est  moi,  c*est  moi  qui  vous  consolerai. 
Eh  !  qui  étes'vous  pour  craindre  quelque  chose  d'un 
homme  mortel,  du  fils  d'un  homme,  qui  sèche  comme 
l'herbe  des  champs?  Vous  (wez  oublié  le  Seigneur 
votre  créateur,  qui  a  tendu  les  deux,  et  qui  a  fondé 
la  terre,  Vous  avez  craint  sans  cesse  à  la  vue  delaco^ 
Ihre  de  celui  qui  vous  accabloit ,  et  qui  se  préparoit  à 
vous  perdre.  Et  maintenant  quest^elle  deyemie  cette 
colère....?  Dieu  ne  vous  exterminera  point,  et  son 
pain  ne  vous  manquera  pas.  Craignons  Dieu,  et  nous 
serons  délivrésde  toute  autre  crainte.. ..  Le  Seigneur, 
disoit  un  saint  roi  (^)j  est  mon  salut  ;  qui  craindrai- 
je?  Le  Seigneur  protège  ma  vie;  qui  m'intimidera? 
Pendant  que  mes  ennemis  m'environnent  pour  me 
nuire  et  pour  me  dévorer,  ceux  mêmes  qui  viennent 
pour  m'accabler  s'affoibUssent  et  tombent.  Si  les 
ennemis  ont  leur  camp  autour  de  moi,  min  cœur  ne 
craindra  rien;  et  si  le  combat  commence  ,  alors  j'es- 
pérerai. 

G  est  avec  cette  humble  confiance,  mes  très-chers 
Frères,  que  nous  devons  demander  à  Dieu  qu'il  bé- 

(0  Job.  xxxTiii.  II.  —  (»)  /*.  Li.  1 1.  —  ^3;  Pê* XXVJ.  I. 


MANDCMBIfS.  535 

nisse  les  armes  du  Roi.  Il  est  moins  jaloux  de  sa 
gloire  et  de  ses  conquêtes ,  que  du  soulagement  de 
ses  peuples.  Prier  pour  le  succès  de  ses  dësirs  dans 
celte  guerre  ^  c*est  prier  pour  une  heureuse  et  con- 
stante paix.  Demandons  pour  lui ,  comme  il  fut  de- 
mandé pour  David,  que  la  paix  vienne  de  Dieu  sur 
lui,  sur  sa  postérité ,  sur  sa  maison,  et  sur  son  trône 
à/amais.  Demandons  que,  comme  Salomon(0,  il  soit 
environné  de  paix.  Quil  dise  comme  Ezëchias  :  Que 
la  paix  et  la  vérité  régnent  en  mes  jours  (^).  Que 
Dieu  dise  pour  lui  avec  complaisance  :  Je  donnerai 
en  Israël  la  paix  et  la  tranquillité  pendant  tous  ses 

fours  (^).  Demaiiïdons  que  Jérusalem  loue  le  Seigneur, 
parce  qu'il  affermira  ses  portes ,  qu'il  bénira  les  en- 

fans  nourris  dans  son  sein ,  que  la  paix  sera  comme  la 
garde  de  ses' frontières,  et  qu'elle  sera  rassasiée  des 

fruits  de  la  terre  (4).  Mais  en  demandant  le  soulage- 
ment des  peuples,  demandons  aussi  leur  conversion. 
Demandons  encore  plus  ardemment  la  fin  de  nos  pé- 
chés que  celle  de  nos  peines.  La  paix  qui  ne  servi- 
roit  qu'à  nous  amollir,  qu'à  nous  enivrer  d'orgueil, 
qu'à  nous  feire  oublier  Dieu,  seroit  un  don  funeste. 
  ces  causes ,  nous  ordonnons ,  etc.  Donné  à  Cam« 
brai,  le  i8  juin  170g. 

C»)////îe^.  II.  33.  — (')  IV  Heg.  m.  19.  — (')/  Paralip.  xxii.  9 

—  (4)  Ps.  CXLTII. 


536  UAMVMMMas» 

XVI. 

MAITDEMENT  POUR  LE  CARÊME 

OE  l'anhÉe  1710. 

FaijrçoiSy  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse, 
salut  et  bénédiction. 

Il  faudroii  sans  doutej  mes  trè^chers  Frèras,  re* 
ooaveler  en  nos  jours  la  plus  rigoureuse  discipline 
de  l'ancienne  Égli$e  sur  le  Carême,  pour  la  propor- 
tioimer  au«  péchés  des  peuples.  Toute  chair  a  cor- 
rompu sa  voie^  ceux  qu'on  nomme  Chrétiens  aeai- 
Uenl  n'eu  porter  le  nom  que  pour  Tavilir  :  Tesprit 
qui  devroit  réprimer  les  passions  ne  sert  qu'à  les 
flaUer;  on  joint  un  orgueil  de  démon  à  la  sensualité 
dea  i>éteS(  ;  le  faste  crott  avec  la  misère.  L'un  »  mal- 
gré sa  basse  condition ,  dépense  à  proportion  de  ses 
biens  mal  acquis.  L'antre,  enivré  de  sa  condition , 
Repense ,  non  son  propre  bien ,  mais  celui  d'autriii 
qu'il  ^«iprunte*  Tous  vivent  d'injustice  ;  tous  veulent 
paroltre  ce  qu'ils  ne  »aai  pa3*.  I^  commerce  est  plein 
de  fraude  y  les  procès  de  chicanes  »  la  conversaiion 
de  médisances  et  de  moqueries.  Les  hommes  ne  di- 
sent vrai  que  quand  il  n*y  a  ni  commodité  ni  vanité 
à  mentir.  La  socitété  cache  sous  une  politesse  flat- 
teuse une  jalousie,  une  envie  et  une  critique  enve- 
nimée. Les  hommes  ne  peuvent  ni  se  passer  les  uns 
des  antres,  ni  se  supporter.  Les  riches  ne  comptent 
pour  rien  les  pauvres,  quoiqu'ils  soient  hommes  au- 
tant qu'eux.  Les  pauvres  semblent  avoir  oublié  qu'ils 


sont  hommes  autant  qae  les  riches.  Ils  se  dégradent 
et  ne  cherchent  qae  la  ^ie  animale  ;  encore  n*ont-ils 
pas  la  courage  de  la  chercher ,  tant  ils  sont  lâches  et 
paresseux.  Ils  aiment  mieux  devoir  leur  nourriture 
à  la  mendicité  ou  au  larcin  ^  qa*à  un  travail  honnête. 
Us  ne  travaillent  qa*à  demi  pendant  six  jours  de  la 
semaine  ;  et  le  septième ,  que  Dieu  réserve  au  saint 
repos  pour  son  culte ,  ils  font  un  travail  que  Dieu 
ne  peut  bénir,  et  qui  n'est  digne  de  leur  rapporter 
que  des  ronces  et  des  épines.  Le  jour  du  Seigneur 
est  devenu  celui  du  démon  ;  c'est  celui  qu'on  ré* 
serve  au  péché  et  au  scandale.  On  n'a  point  de  honte 
d'y  préférer  le  cabaret  à  la  maison  de  Dieu^  les  chan- 
sons impudiques  aux  cantiques  sacrés ,  et  les  excès 
les  plus  brutaux  k  la  pure  joie  de  se  nourrir  du  paih 
des  anges.  L'ignorance  résiste  à  toute  instruction. 
Un  pasteur  dénooce^t^il  mut  peuples  la  vengeance 
divine  prête  à  éclater  sur  leurs  têtes  ?  Sa  parole  ne 
leur  semble  qu'un  jeu  :  et  visus  esteis  quasi  bidens 
hquHO.  Pendant  l'illusion  de  la  vie  la  religion  n'est 
pour  eux  qu'une  belle  cérémonie ,  qu'un  grand  ^ec- 
lacle  :  à  la  mort  elle  devient  tont-à-coup,  et  trop 
tard  y  un  objet  affreux.  Il  semble  que  voici  le  temps 
réservé  au  feu  vengeur  pour  la  fin  des  siècles.  Dieu 
cherche  duc  justes,  en  fiiveur  desquels  il  puisse 
épargner  toute  la  multitude  innombrable.  Oui , 
dix  justes  loi  suffiroient  pour  pardonner  à  tous, 
et  ces.  dix  justes  lui  manquent  pour  arrêter  son 
bras.  Faut41  donc  s*étonner  s'il  frappe  ces  grands 
coups, qui  brisent  les  nations  superbes?  C'est  lui  qui 
envoie  le  glaive  pour  l'enivrer  de  sang  ;  an  glaive  se 

(0  Gtnêi.  zix.  s4* 


538  MANDEliENS. 

joint  la  famine,  à  la  famine  se  joint  la  maladie , 
qui  devient  contagieuse.  Que  mes  yeux,  dit  Jëré- 
mie  (0,  pleurent  nuit  et  jourj  et  que  ma  douleur  ne 
se  taise  point,  car  la  Jille  de  mon  peuple  est  écrasée 
et  coui^erte  d'une  horrible  plaie.  Si  je  vais  dans  la 
campagne,  voilà  les  cadavres  des  hommes  tués;  si 
je  rentre  dans  la  ville,  voilà  les  vivons  exténués  par 
la  faim.  Le  prophète  et  le  prêtre  s'en  sont  enfuis 
en  terre  inconnue.  O  Dieu,  est-ce  que  vous  avez  re- 
jeté sans  retour  votre  peuple?  Kotre  ame  a-t-elle 
abandonné  Sion  avec  horreur  ?  Pourquoi  donc  nous 
frappez-vous  encore,  après  dix  ans  de  tribulaiion 
qui  ont  abattu  la  chrëtientë?  Ny  arUil  plus  de  santé 
pour  nous  ?  Nous  avons  attendu  la  paix,  et  aucun 
bien  n' arrive ^  nous  avons  espéré  le  temps  de  la  gué- 
rison,  et  voici  le  trouble.  Ce  n'est  ni  dans  le  conseil 
des  sages  y  ni  dans  la  force  des  courageux  guerriers 
que  les  nations  doivent  mettre  leur  confiance  ;  c'est 
le  Seigneur  seul  qu'il  faut  désarmer.  C'est  dans  le 
cilice  et  sur  la  cendre  qu'il  faut  lui  demander  la 
paix.  Que  chacun  frappe  sa  poitrine  plutôt  que  l'en- 
nemi. C'est  en  nous  réconciliant  avec  Dieu,  que  nous 
réconcilierons  toutes  les  nations  entre  elles.  L'Europe 
entière  devroit  être ,  comme  Ninive,  dans  la  prière , 
dans  les  jeûnes ,  et  dans  les  larmes  pour  apaiser 
Dieu. 

Mais  la  juste  main  qui  nous  frappe  nous  a  ôté 
jusqu'aux  moyens  d'observer  religieusement  les  lois 
de  la  pénitence.  La  terre ,  pour  venger  Dieu ,  refuse 
aux  hommes  pécheurs  ses  fruits  dont  ils  sont  indi- 
gnes dé  se  nourrir.  A  peine  les  peuples  trouveront- 


MANDEMEUrS.  689 

ils  pendant  ce  Carême  de  quoi  soutenir  leur  vie  lan- 
guissante, en  ramassant  sans  distinction  tous  les  ali- 
mens  gras  et  maigres  qu  ils  pourront  trouver.  Le  prix 
le  plus  modique  des  alimens  est  devenu  une  cheilë 
pour  les  familles  épuisées.  Dans  cette  déplorable  ex- 
trémité la  misère  de  notre  pays  ne  nous  répond  que 
trop  de  Fabstinence  et  du  jeûne  forcé  des  peuples. 
Heureux^  s'ils  tournent  par  amour  en  pénitence  vo- 
lontaire cette  dure  et  accablante  nécessité!  Heureux, 
si  la  même  main  qui  les  afflige,  les  console,  et  essuie 
leurs  larmes  !  a  Tout  ce  que  l'homme  soulTre  ici-bas, 
»  dit  saint  Augustin  (0,  s'il  sert  à  le  convertir,  n'est 

»  qu*une  correction  salutaire Cest  une  épreuve 

»  plutôt  qu'une  condamnation C'est  moins  le 

»  signe  de  la  colère,  que  de  la  miséricorde  de  Dieu... 
»  Eh  !  quel  seroit  l'exercice  de  notre  patience,  si  nous 
»  n'avions  pas  des  maux  à  souffrir  !  Pourquoi  donc 
»  refuser  à  souffrir  en  ce  monde  ?  Est-ce  que  nous 
»  craignons  d'y  être  perfectionnés  par  la  croix  7  » 

II  est  juste  néanmoins  d'avoir  égard  à  ce  pressant 
besoin  des  peuples.  C'est  ce  qui  nous  fait  encore  re- 
tarder le  rétablissement  de  la  discipline  du  Carême, 
et  qui  nous  réduit  à  permettre  les  choses  suivan- 
tes, etc.  Donné  à  Cambrai,  le  24  février  1710. 

{^)De  Urb.  excid,  cap.  y  net  vm  :  tom.  yi^  pag.  627, 6a8. 


54o  XANBEMEUrS. 

XVII. 
MANDEMENT  POUR  DES  PRIÈRES. 

1710. 

François,  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse 
qui  sont  sous  la  domination  du  Roi,  salut  et  béné- 
diction. 

Dieu  y  terrible  dans  ses  conseils  sur  les  enfans  des 
hommes j  n*est  point  apaisé,  mes  très-chers  Frères. 
La  maladie  se  )oint  à  la  famine  et  au  glaive  pour 
nous  punir.  Ceux  qui  ra\f agent  le  pays  ^  dit  Jéré- 
mie  (Oy  couvrent  nos  campagnes  désertes .  Le  glaive 
du  Seigneur  dévore  tout  d'un  bout  à  l'autre,  et 
nulle  chair  ri  est  en  repos.  Ecoutes  encore  le  Sei- 
gneur; voici  ses  paroles,  ô  mon  peuple.  Si  vous 
dites  :  Pourquoi  tant  de  maux  viennent-ils  sur  moi  ? 

C'est  pour  la  multitude  de  vos  péchés f^oilà  ton 

sort,  voilà  ton  partage,  selon  ta  mesure,  parce  que 
tu  m^as  oublié,  et  que  tu  as  mis  ta  confiance  dans  le 
mensonge....  Malheur  à  toi,  Jérusalem!  Eft-ce  que 
tu  ne  seras  point  purifiée  après  tant  dépreuves}  Jus- 
ques  à  quand  faudra^t^ïl  encore  que  je  te  frappe  (^)? 

Comme  toutes  les  nations  ont  péché,  toutes  boi- 
vent dans  le  calice  de  la  colère  du  Seigneur  ;  aussi- 
tôt elles  se  tournent  les  unes  contre  les  autres ,  et 
s'entre-déchtrent  pour  venger  Dieu  de  leurs  iniquités 
communes.  Nous  avons  espéré  la  paix,  et  elle  semble 

(>)  /er.  XII.  la.  —  (*)  Ibid.  xxii.  a 3  eiieq.  « 


MAHDEMEHS.  54 1 

s*6Dfuir  devant  nous.  Le  inonde  ne  peut  nous  la  don- 
ner, et  nous  ne  paroissons  point  encore  dignes  de  la 
faii^  descendre  du  ciel  sur  nous.  Nous  disons  en 
vain  à  Dieu  :  Dissipez  les  conseils  des  nations  qui 
veulent  la  guerre:  Dissipa  gentesfuœbeUavobint  (0. 
En  vain  nous  lui  rappelons  ces  aimables  paroles  : 
Paix  sur  la  terre  aux  hommes  de  bonne  volonté  W. 
Il  a  mis  entre  lui  et  nous  un  n^age,  afin  que  noire 
prière  ne  passe  point  (3).  Les  momens  qu*il  tient  en 
sa  puissance  ne  sont  pas  venus.  Nous  ne  le  voyons 
point  encore  chassant  la  guerre  jusqu'aux  extré^ 
mités  du  mande,  brisant  Varc,  rompant  les  armes, 
et  fondant  les  boucliers  U).  Quand  sera-ce  que  le 
maître  des  cœurs  guérira  les  jalousies  et  les  défiances 
des. princes  et  des  peuples ,  pour  préparer  au  monde 
cette  beauté  de  la  paix,  ces  tabernacles  oh  habite 
la  confiance,  cette  paix  opulente  (5) ,  qui  est  une 
image  de  la  félicité  céleste  ?  Quand  est-ce  que  Dieu 
fera  entendre  ces  paroles  de  consolation  à  sort  héri- 
tage? TéuAlirai  la  paix  pour  vous  visiter,  et  la 
justice  pour  présider  au  milieu  de  vous.  La  voix  de 
V iniquité  ne  se  fera  plus  entendre  dans  votre  terre. 
Le  ravage  et  la  ruine  disparùttront  de  vos  frontières. 
Le  salut  gardera  vos  murs,  et  ma  louang&  défendra 
vos  portes,,,,.  Le  Seigneur  sera  lui-même  tH>trejour 
étemel,  t  votre  Dieu  sera  votre  gloire.,..  Les  temps 

de  votre  deuil  seront  écoulés Le  moindre  homme 

sera  comme  mille,  et  le  petit  enfant  comme  la  plus 
forte  nation.  C'est  moi,  c'est  le  Seigneur,  qui  ferai 

CO  PtoL  LXYii.  34.  —  i?)Luc.  II.   14.  —  {})  Thren.  m.  44*  — 

(4)  Pstfl.  XLT.  9,  lOw  —  C^)  /#.  XXZJll.  18. 


54  2  MAl«DEMEir$r. 

ceci  iout'ù'coup  en  son  temps  (0.  Cependant  la 
1ère  du  Seigneur  demeure  sur  nous.  Nos  peuples 
perdent  ce  qu'ils  possèdent  W  :  mais  que    dis  -  }e  ? 
ft  ont-ils  perdu  la  foi?  ont- ils  perdu  les  biens  de 
»  rbomtne  intérieur ,  qui  est  riche  devant  Dieu? 
»  Voilà  les  véritables  rictiesses  des  Chrétiens ,  qui 
»  rendoient  T Apôtre  opulent ,  quand  il  disoit  :  Lu 
»  piété  est  un  grand  profit,  etc.  »  Et  qu  importe  que 
les  faux  biens  nous  quittent,  puisque  nous  les  devons 
quitter  par  une  prompte  mort.  Hélas!  où  en  sommes- 
nous  ?  Les  nations  ne  peuvent  ni  se  passer  de  la  paix , 
i)i  se  la  donner.  Dieu  se  joae  de  la  plus  profonde 
sagesse  des  hommes^  il  prend  plaisir  à  nous  Êiire 
sentir  qu  il  n'y  a  que  lui  de  sage.  U  a  formé  un  nœud 
que  nulle  main  d*liomme  ne  peut  défaire;  le  dé- 
nouement ne  peut  plus  venir  que  d'en-haut. 

O  Dieu  y  vous  voyez  un  royaume ,  qui ,  malgré  ses 
péchés  y  vous  donne  encore  des  adorateurs  en  esprit 
et  en  vérité.  Souvenez-vous  de  saint  Louis  que  vous 
avez  formé  sur  le  trône  selon  votre  cœur.  Soutenez 
un  autre  Louis ,  qui  nest  pas  moins  héritier  de  sa 
foi  que  de.  sa  couronne.  A.près  lui  avoir  donné  tant 
de  fois  les  victoires  de  David ,  donnez-lui  la  paix  de 
Qalomon ,  pour  faire  fleurir  votre  Eglise.  Daignez 
bénir  ses  armes ,  puisqu'il  ne  vent  combattre  que 
pour  faire  cesser  les  combats ,  et  pour  réunir  vos 
enfans.  «  Prions *>  mes  très-chers  Frères ,  gémissons  ^ 
»  répandons  des  larmes  devant  le  Seigneur  ;  afin  que 
»  cette  parole  de  F  Apôtre  s'accomplisse:  Dieu  estji- 
»  dele;  il  ne  perjnettra  point  que  vous  sojez  tenté 

{})ls.  LZ.  17  et  seq.  —  (^)  S.  Atrc.  de  Ciw.  âei.  lib.  x,  cap.  x,  n.  i  : 
tom.  yii,  pag.  10. 


MANDEMEirs.  543 

»  au-dessus  de  vos  forces;  niais  il  donnera  une  borne 
n  a  la  tentation,  afin  que  vous  puissiez  la  soute^ 

»  nir  (0.  » 

A  ces  causes  nous  ordonnons ,  etc.  Donné  à  Cam- 
brai, le  28  avril  1710. 

CO  s.  ÂOG.  de  Urb.  exciiL  cap.  Tiii,  n.  9 :  tom,  yi ,  pag.  6a8. 


'  XVHI. 

MANDEMENT  POUR  LE  CARÊME 

DE   L  ANNÉE    1711, 

Fravçois,  etc.  A  tons  les  fidèles  de  notre  diocèse , 
salut  et  bénédiction. 

UEglise  gémit,  mestrès-chers  Frères,  de  ce  qn*elle 
ne  peut  parvenir  ni  à  nourrir  suffisamment  les  pau- 
vres ,  ni  à  modérer  les  riches  dans  leur  nourriture* 
Les  uns  périssent  faute  du  nécessaire,  et  les  autres 
se  détruisent  eux-mêmes  par  un  usage  avide  do  su- 
perflu. La  nature j  comme  dit  saint  Augustin,  se 
suffit  à  elle-même.  La  terre,  cultivée  par  des  hommes 
sobres  et  laborieux ,  produiroit  assez  d*alimens  pour 
nourrir  sans  peine  tout  le  genre  humain.  La  Provi- 
dence ne  manque  à  personne ,  mais  Fhomme  se  man- 
que à  soi-même.  Rendez  tous  les  hommes  tempérans, 
modérés,  ennemis  du  faste  et  de  la  mollesse,  humains 
et  charitables ,  vous  les  ferez  tous  riches  sans  leur 
rien  donner  ;  vous  changerez  en  un  moment  cette 
vallée  de  larmes  en  une  espèce  de  paradis  terrestre. 

Cest  pour  donner  au  monde  un  essai  de  cet  heu- 
reux état ,  que  l'Eglise  vent  que  les  riches  imitent 
les  pauyres  pour  leur  nourriture,  au  moins  pendant 
lès  jours  d'humilité.  In  diebus  humilitatis  >  dit  saint 
Augustin  (0,  çuando  pauperum  victus  omnibus  imi-- 
tandus  est.  Telle  étoit  l'idée  du  jeûne  et  de  l'absti- 
nence dans  ces  beaux  jours ,  où  la  religion  étoit  en- 
core écoutée  et  crue  par  la  multitude  docile  ;  l'Eglise 

(«)  Serm»  ccx ,  en  Quadrag,  yi ,  n.  1 1  :  tom.  ▼,  pag.  93a. 

vouloit 


HAJfDEMBirS.  545 

vouloît  enrichir  les  pauvres ,  en  appauvrissant  les 
riches  pendant  le  Carême.  Elle  vouloît  changer  en 
pain  f  pour  ceux  que  la  faim  consume ,  les  mets  qui 
corrompent  les  mœurs,  qui  altèrent  la  santé  y  et  qui 
abrègent  la  vie  des  autres.  «  Que  Jésus-Christ  qui 
»  souffre  la  faim  en  la  personne  de  votre  frère  ^  disoit 
n  saint  Augustin  (0»  se  nourrisse  de  ce  que  le  Chré- 
3»  tien  9  qui  {eûne,  retranche  sur  sa  nourriture ,  et 
»  que  la  pénitence  volontaire  du  riche  fasse  le  soula* 
»  gement  du  pauvre.  » 

Cette  discipline  est  aussi  ancienne  que  sainte ,  mes 
très-chers  Frères.  Moïse  et  le  prophète  Elie,  par 
leur  jeûne  de  quarante  jours,  annoncèrent  de  loin 
celui  de  Jésus-Christ,  dont  il  n*étoit  qu^une  figure. 
C'est  par  le  jeûne  dans  le  désert  que  le  Sauveur, 
notre  modèle ,  se  prépara  à  vaincre  toute  tentation» 
Le  corps  entier  de  Jésus^Christ  répandu  dans  tout 
tuniversy  dit  saint  Augustin  C^},  c'est-à-dire  toute  VÉ^ 
^lisc,  épouse  qui  suit  pas  à  pas  TÉpouz,  a  observé 
ce  jeûne  depuis  les  apôtres  jusqu'à  notre  temps. 
Voilà  le  précieux  héritage  de  pénitence  que  nous 
avons  reçu  des  saints  de  tous  les  siècles.  Tous  les  pé- 
chés sont  entrés  dans  le  monde  par  l'intempérance. 
C'est  l'abstinence  qui  y  ramène  toutes  les  vertus.  Elle 
facilite  le  recueillement  et  la  prière  ;  elle  accoutume 
l'homme  à  la  pauvreté  et  au  détachement*,  elle 
dompte  la  chair  rebelle  ;  elle  nous  détrompe  des  né. 
cessités  imaginaires,  et  nous  en  délivre.  Elle  met 
rlaos  les  mains  de  la  charité  tout  ce  qu'elle  épargne. 
Comme  l'amour-propre  prend  tout,  et  craint  de 

(0  tSer/ii.  CCS,  in  Quadrag.  vi,  n.  i9  :  iom.  v^  pag^  939.  -^ (>) Ibid, 
n,  8:  pajg.-gBo.. 

•FÉNÉtOK.    XVIII.  35 


546  MAMDBUEZfS. 

donner,  Tamonr  de  Dieu  ne  craint  que  de  prendre 
et  8*ëcrie  :  On  est  plus  heureux  de  donner  que  de  re- 
cei^oir  (0-  L*opulence  des  impies  est  toujours  pauvre, 
avide ,  insatiable,  et  même  mendiante:  Non  tunt  ergo 
iliœ  dm^iliœ^  sedmendicitas,  çma^fuantb  magis  oBun- 
dant^  iantb  crescitet  inopia  i?\  Au  contraire ,  la  pau- 
vreté des  enfans  de  Dieu  est  noble  et  simple ,  sobre  et 
frugale  ;  elle  jeûne  de  tout  pour  soi,  afin  d*étre  ricbe, 
libérale  et  inépuisable  pour  nourrir  le  prodiain* 

Mais  hélas!  qn*est  devenue  cette  sobriété?  Nous 
ne  voyons  plus  qu'une  intempérance  toujours  néces- 
siteuse. Les  pauvres  se  plaignent  de  ce  qu'ils  n*ont 
pas  de  quoi  observer  Tabstinence  commandée ,  et  ils 
trouvent  néanmoins,  jusque  dans  leur  misère,  de 
quoi  violer  les  règles  de  la  sobriété  par  les  excès  les 
plus  bont«ux«  Les  riches  tournent  sans  pudeur  la 
pénitence  en  volupté,  et  le  Carême  en  ra£Bnement 
pour  la  table.  Les  pécheurs  nous  allèguent  pendant 
le  Carême  les  infirmités  qui  les  mettent  dans  Timpuis- 
sauce  d'observer  cette  loi  pour  leur  salut,  eux  c|ui 
pendant  les  jours  de  scandale  ont  montré  tant  de  res- 
sources de  santé  pour  pécber  et  pour  se  perdre.  Le 
Carême,  presque  anéanti  par  les  relâcfaemens  qu'on 
y  a  introduits,  est  néanmoins  encore  ub  joug  insup- 
portable à  la  délicatesse  et  à  la  sensualité  inouïe  de 
notre  siècle.  Ceux  qui  affectent  le  plus  de  hauteur  et 
de  force  d'esprit  sont  les  plus  foibles  et  les  moins 
Courageux  contre  les  passions  grossièi^es  de  la  chair. 
Ils  ne  veulent  point  se  soumettre  à  Dieu  ;  mais  ils 
sont  esclaves  de  leur  goût,  et  ils  n'ont  point  de  honte 

(«)  Aet.  xt.  35.  -^  (*)  S.  AvG.  in  Ptal  czzu,  n.  ii  :  tom.  it, 
pag.  i4oa.  *  • 


MàNDEMBirS.  547 

de  se  faire  un  dieu  de  leur  ventre  :  tfuorum  deus 
venter  est ,  dit  TApôlre  (0.  Jamais  les  hommes  n^ont 
eu  un  si  pressant  besoin  de  pénitence  qu^en  nos  jours. 
L'iniquité  abonde,  la  charité  est  refroidie.  A  peine 
peut-on  croire  que  le  Fils  de  Thomme,  revenant 
pour  fipger  le  monde,  trouvera  quelque  reste  de  foi 
sur  la  terre.  Les  hommes  manqoent  autant  à  eurx- 
mêmes  qa*à  Dieu.  Leur  vie  n'eat  pas  moins  indigne 
de  leur  raison  que  de  leur  foi.  Le  faste  et  Vambition 
rendent  les  riches  inhumains  et  sans  pitié.  La  «miaère 
et  le  désespoir  réduisent  les  pauvre  an  larcin  et  à 
l'infamie.  Nul  bien  ne  peut  plus  suflfa*e  aux  riches  , 
sans  emprunter  des  pauvres  artisans.  Le  kize  ne  se 
soutient  qu'aux  dépens  de  la  veuve  et  de  TorpheUn. 
Les  fausses  commodités  qu'on  a  inventées  contre  la 
simplicité  de  nos  pères,  incol^modent  .ceoz  mêmes 
qui  ne  peuvent  plus  s'en  passer,  et  ruinent  toutes  les 
familles.  Le  commerce  ne  roule  plus  que  sur  la 
fraude.  La  société  est  pleine  de  soupçons,  de  critique 
envenimée,  de  moquerie  cruelle,  de  jalousie,  de 
médisance  déguisée  et  de  trahison.  Plus  les  besoins 
croissent ,  plus  on  voit  crc^tre  avec  eux  Tavidité , 
l'envie  et  l'art  de  nuire  pour  exelore  ses  concarrens. 
Mais  voici  une  antre  espèce  de  maux  réservée  à 
ces  derniers  temps.  La  multitude  ne  sait  rien ,  et  dé^ 
cide  de  tout.  Elle  refuse  de  croire  l'Eglise,  et  n'a  point 
de  honte  de  se  croire  ellerméme.  Au  dehors»  nos 
frères  séparés  de  nous  tombent  dans  une  tolérance  in* 
connue  à  toute  la  sainte  antiquité,  qui  est  une  indit 
férencé  de  religion ,  et  qui  aboutit  à  une  irreligion  vé^ 
ritable^  A.u  dedans,  les  novatears,  qui  veulent  p  arot* 

(«}  Phdip.  tii.  19. 


r 


548  XAHDEVSVft. 

Ire  catholiques ,  ne  demeurenl  unis  à  I^lise  qae 
pour  éluder  ses  décrets ,  et  pour  rentralner  dans  leors 
préjugés. 

Faut-il  donc  s^étenner  si  Dieu  irrité  frapped'un  seul 
coup  toutes  les  nations  chrétiennes,  et  s*il  permet 
dans  sa  colère  qu'elles  s*entre-déchiren  t  depuis  plus  de 
dix  ans?  L'Europe  entière ,  pour  venger  Dieu ,  se  dé- 
truit de  ses  propre  mains;  elle  se  consume  par  toutes 
sortes  de  misères ,  elle  verse  de  tous  côtés  le  sang  hu- 
main ;  et  ce  sont  les  Chrétiens  qui  donnent  cet  horri- 
ble spectacle  aux  nations  infidèles. 

te  Cest  dans  cette  nuit  si  périlleuse  et  si  remplie  de 
»  tentations,  comme  parle  saint  Augustin,  qu^il  faut 
ji  jeûner,  u  Voici  un  temps  oh  il  nous  faudroit  des 
prophètes  envoyés  miraculeusement  pour  nous  dé- 
noncer les  chfttimens  pendans  sur  nos  têtes.  Nous  de- 
vrions renouveler  le  grand  jeûne  de  Ninive ,  pendant 
lequel  tous  les  hommes  dans  le  cUice  et  sur  la  cen- 
dre (0  se  privoient  même  du  pain  et  de  Teau,  pour 
détourner  la  vengeance  du  ciel  prête  à  éclater. 

Mais  qu'est-ce  que  nous  voyons  encore  7  La  main 
de  Dieu  appesantie  sur  les  peuples  leur  ôte  jusqu'aux 
moyens  de  faire  une  pénitence  régulière.  Ceux  que 
la  misère  réduit  à  un  jeûne  forcé  n'ont  pas  de  quoi 
garder  l'abstinence.  La  rareté,  la  cherté  des  alimens 
maigres,  la  misère  qui  met  les  peuples  dans  l'impuis- 
sance de  les  acheter,  les  ravages  soufièrts  qui  ont  af- 
famé les  villes,  en  désolant  toutes  les  campages, 
et  qui  vont  recommencer  sur  cette  frontière,  tout 
nous  réduit  à  souffrir  le  relâchement  dans  cet  ex- 
trême besoin  de  rigueur.  Une  si  triste  situation  nous 

{«)  Jon,  III. 


MAlfDBlfEBS.  549 

fait  perdre  pour  celle  année  Tespérance  de  rétablir 
la  discipline  du  Carême.  Trop  heureux  si  nous  pou- 
vons au  moins  avant  mourir  voir  des  joiu*s  de  con- 
solation pour  les enfans  de  Dieu,  où  cette  sainte  loi 
refleurisse. 

C*est  sur  ces  raisons  qu'après  avoir  consulté  les 
personnes  les  plus  sages,  les  plus  pieuses,  et  les  plus 
expérimentées  sur  Tétat  des  lieux,  nous  avons  réglé 
les  choses  suivantes,  etc.  Donné  à  Cambrai,  le 
9  février  1711. 


5So  XA»DBXtll«. 

XIX. 
MANDEMENT  POUR  DES  PRIÈRES. 

1711. 

pEAirçois,  etc.  A.  tons  les  fidèles  de  notre  diocèse 
qui  sont  sous  la  domination  du  Roi^  salut  et  béné- 
diction* 

Il  y  a  déjà  plus  de  dix  ans»  mes  très-cbers  Frères, 
qne  nous  soupirons  en  vain  après  une  heureuse  paix. 
Elle  s*enfuit  toujours,  pour  ainsi  dire,  devant  nous, 
et  elle  échappe  à  nos  désirs  les  pins  empressés.  Il 
semble  que  nous  soyons  au  temps  marqué  par  ces 
terribles  paroles  :  //  lui  fut  donné  d'enlever  la  paix 
de  la  terre j  afin  quUs  s'entre-tuent  (0.  Hélas!  où  la 
trouvera-t«-on  cette  paix  que  le  monde  ne  peut  don- 
ner? Elle  n^habite  plus  en  aucune  terre  connue.  La 
guerre  est  comme  une  flamme  que  le  vent  pousse 
rapidement  de  peuple  en  peuple  jusqu'aux  extré- 
mités de  TEurope,  et  FAsie  même  va  s*en  ressentir. 

Approchez^  nations,  dît  le  Dieu  des  armées  C^), 
écoutez.  O  peuples,  soyez  attentifs;  çue  la  terre  avec 
tout  ce  quelle  contient ,  que  l'univers  avec  tout  ce 
qu'il  produit,  ni  écoute;  car  F  indignation  du  Sei- 
gneur  est  sur  tous  les  peuples,  et  sa  fureur  sur  tant 
d'hommes  armés.,,.  Mon  glaive,  qui  pend  du  ciel  sar 
la  terre,  est  enivré  de  sang;  voilà  qu'il  va  descendre 
sur  Vldumée. 

(0  Apoc,  Ti.  4  •  —  (*)  t^mi.  szziT.  i  et  aeq. 


XAJiDKMElf5.  55 1 

Les  hommes  sont  éionnés  des  maux  quUls  souf- 
frent, et  ils  ne  voient  pas  que  ces  maux  sont  Ton- 
vrage  de  leurs  propres  mains.  Us  n^ont  point  à 
craindre  d*atttres  ennemis  qu'eux-mêmes,  ou  pour 
mieux  dire  que  leurs  pédi&.  Quoi!  ils  se  flattent 
îusqu  à  espérer  de  se  rendre  heureux  par  les  dons  de 
Dtea,  loin  de  lui,  et  malgré  lui-même!  Quoi!  ils 
veulent  obtenir  de  lui  la  paix  pour  violer  sa  loi  plus 
impunément,  et  pour  triompher  avec  plus  de  scan- 
dale dans  ringratitude!  Quel  esprit  de  vertige!  Dieu 
se  doit  à  lui-même  de  les  frapper  et  de  Ifs  confondre. 

Void,  dit  Jérëmie  (0,  comment  le  Seigneur  parle  : 
Est-Hie  tjue  celui  qui  est  tombé  ne  se  relèvera  point , 
et  çue  celui  qui  est  égaré  ne  reviendra  jamais?  Pour- 
quoi donc  ce  peuple  est-U  loin  de  moij  au  'milieu 
même  de  Jérusalem,  par  un  égarement  contentieux? 
Ils  ont  couru  après  le  mensonge  ,  et  ne  veulent  point 
revenir.  J'ai  été  attentif;  j'ai  prêté  l'oreille  :  aucun 
d'eux  ne  dit  ce  quiest  bon;  aucun  ne  se  repent  4e 
son  péché  en  disant  :  Qu* ai- je  fait?  Tous  courent 
selon  leurs  passions  j  comme  des  chevaux  poussés 
avec  violence  élans  le  combat.*..  Mon  peuple  n'a  point 
connu  le  jugement  du  Seigneur.  Il  n*a  point  senti  la 
juste  et  puissante  main  qui  le  frappe  par  miséricorde. 
Pourquoi  dites-vous^:  Nous  sommes  sages  y  et  la  loi 
de  Dieu  est  au  milieu  de  nous?  La  main  trompeuse 
de  vos  écrivains  a  véritablement  écrit  le  mensonge... 
Depuis  le  plus  petit  jusques  au  plus  grand  tous  sui- 
vent  l'avarice,  fiepuis  le  prophète  jusques  au  prêtre 
tous  sont  coupables  de  mensonge.  * 

Ils  se  vantoient  de  guérir  les  plaies  de  la  fille  de 

CO  Jtrcm,  Tiii  ci  Mq. 


55ù  MkBDZMZMSi 

mon  peuple,  et  cette  guérison  s'est  tournée  en  igtto^ 
minie.  Ils  ont  dit  :  Paix  j  paix  ;  et  la  paix  ne  venait 
point.  Ces  peuples  idolâtres  d'eux-mêmes  sont  con- 
fondus^  ou  plutôt  ils  sont  sans  confusion,  et  ils  ne 
sapent  pas  même  rougir  de  ce  qui  devroit  les  humi- 
lier. . .  •  Taisons^nous;  car  c'est  le  Seigneur  notre  Dieu 
qui  nous  fait  taire  ^  et  qui  nous  présente  à  boire  une 
eau  pleine  de/iei,  parce  que  nous  a^ons  péché.  Nous 
avons  attendu  la  paix,  et  il  nest  venu  aucun  bien. 
Nous  auons  cru  que  eétoit  le  temps  de  la  guérison, 
et  voilà  répouvante. 

En  vain  les  prinœs  sages ,  pieux  et  modérés  veu- 
lent acheter  chèrement  la  paix  et  épargner  le  sang 
humain.  En  vain  les  peuples  de  TEurope  entière, 
épuisés,  accablés  y  déchirés  les  uns  par  les  autres, 
cherchent  à  respirer.  En  vain  les  sages  étudient  tous 
les  tempéramens  convenables  pour  guérir  les  dé- 
fiances et  pour  concilier  les  divers  intérêts.  La  paix 
est  refasée  d'en-haut  aux  bommes,  qui  en  sont  encore 
indignes.  C'est  au  ciel  qu'elle  se  doit  faire;  c'est  le 
ciel  irrité  qui  en  exclut  la  terre  coupable. 

Depuis  qae  les  hommes  murmurent  contre  les 
maux  innombrables  que  la  guerre  traîne  après  ellci 
en  sont*ils  moins  fastueux  dans  leur  dépense?  Y  voit- 
on  moins  de  mollesse  et  de  vanité?  Sont-ils  moins 
jaloux,  moins  envieux,  moins  cruels  dans  leurs- mo- 
queries? Sont-ils  plus  sincères  dans  leurs  discours, 
plus  justes  dans  leur  conduite,  plus  sages  et  plus  so- 
bres dans  leurs  mœurs?  L'expérience  de  leurs  pro- 
pres maux  les  rend-elle  moins  dui^  pour  ceux  d'au*^ 
trui?  Sont- ils  moins  attachés  à  cette  vie  courte ^ 
fragile  et  misérable?  Se  tournent-ils  avec  plus  de 


MANDEMBNS.  553 

confiance  vers  Dieu  pour  désirer  son  royaume  éter-* 
nel?  On  demande  la  paix,  est-ce  pour  essuyer  les 
larmes  de  la  veuve  et  de  Forphelin  7  Est-ce  pour  faire 
refleurir  les  lois  et  la  piété?  Est-ce  pour  faire  tarir 
tant  de  ruisseaux  de  sang?  Est-ce  pour  donner  un 
peu  de  pain  à  tant  d*hommes  qu*on  voit  périr  par 
une  misère  plus  meurtrière  que  le  glaive  même?  Non, 
c'est  pour  s'enivrer  et  pour  8*empoisonner  plus  li- 
brement soi-même  de  mollesse  et  d'orgueil;  c'est 
pour  oublier  Dieu,  et  pour  faire  de  soi-même  sa 
propre  divinité  dans  une  plus  libre  jouissance  de 
tous  les  faux  biens. 

En  ce  temps,  oîi  la  main  de  Dieu  est  appesantie 
sur  tant  de  nations,  il  faudroit  travailler  tous  ensem- 
ble à  une  réforme  générale  des  mœurs.  Nous  de- 
vrions, pour  apaiser  Dieu,  renouveler  le  jeûne  de 
Ninive  dans  le  cilice  et  sur  la  cendre.  Il  faudroit 
demander  la  paix  de  Sion ,  et  non  celle  de  Babylone, 
la  paix  qui  calme  tout  par  Tamour  de  Dieu,  et  non 
celle  qui  flatte  le  délire  de  notre  orgueil.  «  Si  la 
»  piétéetlaqbarité  manquent,  dit  saint  Augustin  (<}> 
M  qu'est-ce  que  la  tranquillité  et  que  le  repos  d'une 
»  vie  où  l'on  est  à  l'abri  de  tant  de  misères,  sinon 
»  une  source  de  dissolutions  et  d'égarement  qui  nous 
»  invite  à  notre  perte,  et  qui  la  facilite?  » 

O  Dieu,  daignez  regarder  du  haut  de  votre  sanc- 
tuaire céleste  le  royaume  de  France,  oii  votre  nom 
est  invoqué  avec  tant  de  foi  depuis  tant  de  siècles. 
Regardez  même  toutes  les  nations  qui  nous  environ- 
nent, et  qui  composent  l'héritage  de  votre  Fils.  Sou- 
venez-vous de  saint  Louis  et  de  ses  vertus,  qui  ont 

0  EpiMt,  ccxxzi,  n.  6  :  tom.  u,  pag.  843* 


•» 


554  MAHOSMKIIS* 

fait  de  lui  ud  modèle  des  rois.  Consei*irez  ik  jamais  sa 
race.  Béoisses  les  armes  de  cet  aatre  Louis  qui  Teot 
marcher  sur  les  traces  de  la  foi  de  son  père^  et  qui 
ne  continue  malgré  lui  la  guerre  que  pour  assurer 
au  monde  une  solide  paix.  Déconcertez  les  nations 
qui  veulent  la  guerre.  Dissipa  génies  çuœ  beUa  va- 
bmL,  Décoocerteft-les  y  non  pour  leur  ruine ,  que 
nous  n*avons  gtrde  de  vous  demander,  mais  pour 
leur  réunion  avec  nous,  qui  feroil  la  prospérité 
commune.  Surtout  voyez  les  larmes  de  votre  Eglise. 
Cette  guerre  divise  ses  enfans ,  et  rassemble  ses  en- 
nemis; cette  guerre  la  menace  de  tous  c6tés,  et  nous 
craindrions  tout  pour  elle,  si  les  portes  de  Tenfer 
pouvoient  prévaloir. 

A  ces  causes,  etCt  Donné  à  Cambrai,  le  a5  avril 
1711. 


MAIlDBlIBlIfl.  555 


MANDEMENT  POUR  LE  CARÊME 

D£  l'année    1712. 

FaAiiçoiSy  etc.  A  too5  les  fidèles  de  notre  diocèse, 
salut  et  bëoédiction. 

Noos  voyons  avec  donleur,  mes  très-chers  Frères , 
nos  espérances  s*ëloigner  chaque  année  ponr  le  réta- 
blissement de  Tabstinenee  da  Carême.  La  guerre  a 
altéré  dans  cette  firontière  une  si  sainte  discipline, 
qui  nons  vient  des  apôtres  mêmes,  et  dont  vos  pères 
furent  si  jaloux.  La  continuation  de  la  guerre  en  re- 
tarde le  rétablissement.  Il  est  vrai  que  la  guerre  elle- 
même  demanderait  le  jeûne  le  plus  rigoureux  et 
Fabstinence  la  plus  pénible.  Quel  Carême  ne  seroit 
pas  dft  à  ces  temps  de  nuage  et  de  tempête ,  oh  Dieu 
est  si  justement  irrité!  Quelle  pénitence  austère 
chacun  ne  devroit-il  pas  s*imposer  volontairement 
ponr  mériter  une  heureuse  paix  !  Qui  seroit  Fhomme 
ennemi  du  genre  humain  et  de  lui-même  jusqu'à 
refuser  cette  légère  peine,  ponr  procurer  k  lui-même 
et  à  sa  patrie  la  fin  de  tant  de  maux,  et  le  commen- 
,  cément  de  tant  de  biens?  Nous  devrions  être  dans  le 
cilice  et  sur  la  cendre ,  ponr  affliger  nos  âmes  par  le 
jeûne,  comme  les  habitans  de  Ninive.  Ne  cherchons 
point  hors  de  nous-mêmes  la  cause  des  maux  qui 
noos  accablent.  Vit-on  jamais  tant  de  fraude  dans 
le  commerce,  tant  d'orgueil  dans  les  mœurs,  tant 
d'irréligion  au  fond  des  consciences?  Celui-ci  pré- 


556  UkhBEMLSùhS. 

fère  de  sang  froid  le  plus  vil  profit  au  salul  éternel  : 
celui-là  aime  mieux  le  cabaret  que  le  royaume  de 
Dieu  ;  il  &it  plus  de  cas  d^une  boisson  superflue  qui 
Tabrutit,  qui  ruinç  sa  fitmille,  qui  détruit  sa  santé , 
que  du  torrent  des  délices  éternelles ,  dont  les  bien- 
heureux sont  à  jamais  enivrés  dans  la  Jérusalem 
d*en-haut.  Un  autre  craint  moins  les  tourmens  de 
Fenfer  que  la  fin  de  ses  infâmes  débauches.  Les  ou- 
vriers sont  oisife  et  libertins  pendant  six  jours  de  la 
semaine.  Le  septième ,  qui  doit  être  le  jour  du  Sei- 
gneur, est  devenu  celui  du  démon  ;  c*est  le  jour  qu  on 
réserve  aux  plus  honteux  scandales.  Les  gens  d*une 
condition  supérieure  sont  encore  plus  sensuels,  plus 
injustes,  plus  révoltés  contre  Dieu;  ils  ne  disent  la 
vérité  que  quand  ils  ne  trouvent  aucune  vanité  à 
mentir,  ni  aucun  plaisir  malin  à  calomnier.  Us  se 
plaignent  de  la  misère ,  et  ils  la  redoublent  par  leurs 
excès.  Il  sont  impitoyables  pour  les  pauvres ,  jaloux, 
envieux,  incompatibles,  hàissans  et  haïssables  (0  à 
l'égard  des  riches.  U  ne  leur  faut  que  le  bonheur 
d*autrui  pour  les  rendre  malheureux.  La  religion 
n*est  pour  eux  qu*une  vaine  cérémonie.  Leur  ava- 
rice est  une  véritable  idolâtrie  ;  ils  n*ont  point  d'autre 
dieu  que  leur   ai|;ent.  Chacun  raisonne,  décide, 
sape  les  fondemens  de  la  plus  sainte  autorité.  Ils  se 
vantent  de  connoitre  Dieu,  et  ils  le  nient  par  leurs 
actions  les  plus  sérieuses;  faciis  autem  negant  W. 
Oserons-nous  le  dire  avec  TÂpôtre?  ils  deviennent 
abominables,    incrédules,    réprou\fés    pour   toute 
bonne  œuvre.  Us  sont  chrétiens  de  nom,  et  impies 
de  mœurs.  Ils  ne  pensent  pas  même  selon  la  foi;  car 

(OJYt.iii.3.  — Wlbid.i.i6. 


MANDEMENS.  557 

ils  méprisent  tout  ce  qa*elle  estime ,  et  ils  admirent 
tout  ce  qu*elle  méprise.  Ils  vivent  dans  le  sein  de 
rÉglise,  non  pour  lui  être  dociles ,  mais  pour  sauver 
la  bienséance  et  pour  étouffer  leurs  remords.  O 
têtes  dures  contre  le  joug  du  Seigneur,  o  hommes 
incirconcis  de  cœur  et  d'oreille,  vous  résistez  tou- 
jours au  Saint-Esprit  (i).  Jusques  à  quand  vivrez- 
vous  sans  Christ,  loin  de  la  société  d^ Israël,  étrangers 
aux  saintes  alliances,  sans  espérance  des  promesses, 
et  sans  Dieu  en  ce  monde  (^)  7 

Quoi  donc  !  seroit  -  ce  que  nous  approchons  de 
ces  derniers  temps ,  dont  il  est  dit  :  CrqyeZ'Vous 
que  le  FUs  de  Vhomme  trouvera  de  la  foi  sur  la 
terre  (^)7  En  trouvera-t-il  dans  les  places  publiques, 
bik  le  scandale  est  impuni?  En  trouvera-t-il  dans  le 
secret  des  familles,  oii  Favarice  et  Tenvie  rongent 
les  cœurs,  et  où  chacun  vit  comme  s*il  n*espéroit 
point  une  meilleure  vie?  En  trouvera-t-il  aux  pieds 
des  autels,  où  les  pécheurs  se  confessent  sans  se 
convertir,  et  où  ils  mangent  avec  une  conscience 
impure  le  pain  descendu  du  ciel  pour  donner  la  vie 
an  monde?  Ceux  mêmes  en  qui  il  parott  rester  quel- 
que crainte  de  Dieu  se  bornent  à  vouloir  mourir 
suivant  le  christanisme ,  après  avoir  vécu  sans  gêne 
selon  le  siècle  corrompu.  Us  veulent,  dit  saint  Au- 
gustin (4) ,  a  croire  en  Jésus-Cbrist  par  un  raffine- 
»  ment  d*amour-propre,  pour  trouver  quelque  adou- 
»  cissement  jusque  dans  les  horreurs  de  la  mort. 
»  Propter  remouendam  mortis  molestiam,  delicatiùs 
»  crederetur  in  Christum.  »  Nous  voyons  ce  déluge 

lO  Ad.  VII.  5i.  —  *)  £pk.  II.  la.  —  C3)  Imc.  xviii.  8.  —  (4)  De 
ptcc  mer.  et  rem,  lib.  ii ,  cap.  xxxi ,  n.  5o.  :  tom.  z,  pag.  65. 


558  MAHDCllEjrS. 

d'iniquitësy  et  nous  seolODS  notre  impuÎManoe  pour 
changer  les  cœurs.  Il  y  a  déjà  près  de  dix-sept  ans 
que  nous  parlons  en  vain  à  la  pierre  :  il  n'en  coule 
aucune  fontaine  d*eau  vive.  Que  n'avous-nous  pas 
dit  au  peuple  de  Dieu  en  son  nom?  Hélas  1  nous  me 
remarquons  aucun  changement  qui  puisse  nous  con« 
soler.  Nous  disons  souvent  au  Seigneur  en  secret  et 
avec  amertume  :  Malheur^  malheur  à  nous!  Cest 
nous,  qui  aflR[>iUisson8  votre  parole  toute-puissante 
par  notre  indignité.  Suscitez  quelque  autre  pasteur 
plus  digne  de  vous,  qui  vous  fasse  sentir  à  ce  peuple. 

Faut-il  s'étonner  si  la  paix ,  ce  ^nd  don  du  ciel, 
promis  sur  la  .terre  aux  hommes  de  bonne  t^o- 
lonié  (0>  ne  descend  point  sur  les  peuples  ingrats, 
aveugles  et  endurcis.  Ils  ne  la  veulent  que  pour 
tourner  les  dons  de  Dieu  contre  Dieu  même ,  et  que 
pour  s'enivrer  des  douceurs  empoisonnées  de  leur 
exil  y  jusques  à  oublier  la  céleste  patrie.  Il  faudroit 
que  tout  homme  fidèle  humiliât  son  esprit  et  affli- 
geât son  corps  ;  que  chacun  sortit  de  sa  maison  et 
de  son  propre  cœur  pour  aller  sur  la  sainte  mon- 
tagne; que  tout  homme  frappât  sa  poitrine;  que 
tous  ensemble  ne  fissent  qu'un  seul  cri  qui  montât 
jusqu'au  ciel  pour  attendrir  de  compassion  le  cœur 
de  Dieu  dans  œs  jours  de  juste  colère  ;  qu'enfin  le 
Carême  fÙt  le  temps  de  conversion,  de  prière,  de 
faim  de  la  parole  sacrée,  d'abstinence  de  tous  les 
alimens  qui  flattent  la  chair  rebelle,  pour  nourrir 
l'esprit  de  toutes  les  vertus. 

Mais  les  malheurs  présens,  qui  demandent  un  tel 
remède,  nous  ôtent  l'usage  du  remède  même  dont 

CO  Lue.  iT.  14. 


XAHDCMCirS.  559 

U  ont  beaoin.  Geax  qm  la  misère  prive  de  presque 
tous  les  alimens  sont  rëdaits  à  user  indiffi^remment 
de  tons  ceux  qne  le  hasard  ou  la  compassion  pour- 
ront leur  fournir.  La  rareté ,  la  cherté  des  alimens 
maigres,  la  misère  qui  met  les  peuples  dans  Timpuis- 
sance  de  les  acheter,  les  ravages  soufièrts  qui  ont 
affamé  les  villes ,  en  désolant  toute  la  campagne ,  et 
qui  vont  recommencer  sur  cette  frontière ,  tout  nous 
réduit  à  souffrir  le  relâchement  dans  cet  extrême 
besoin  de  rigueur.  Une  si  triste  situation  nous  fait 
perdre  encore  pour  cette  année  Tespérance  de  réta- 
blir la  discipline  du  Carême.  Trop  heureux  si  nous 
pouvons  au  moins  avant  mourir  voir  des  jours  de 
consolation  pour  les  enfans  de  Dieu ,  où  cette  sainte 
loi  refleurisse. 

Cest  sur  ces  raisons  qu'après  avoir  consulté  les- 
personnes  les  plus  sages,  les  plus  pieuses,  et  les  plus 
expérimentées  sur  Tétat  des  lieux ,  nous  avons  réglé 
les  choses  suivantes,  etc.  Donné  è  Cambrai,  le  3o 
janvier  171a. 


56o 


MANDEMENT  POUK  DES  PRIÈRES. 

1711. 

Frahçou  f  etc.  A  tous  les  fidèles  de  notre  diocèse 
qui  sont  sous  la  domination  da  Roi  y  saint  et  béné- 
diction. 

Noos  voyons,  mes  très-chers  Frères,  dans  les 
anciens  monnmens  que  les  Chrétiens  furent  pré- 
serva des  malhenrs  des  Jnifs  dans  la  mine  de  Jâu- 
salem,  et  que  la  Providence  les  épargna  encore  dans 
la  prise  de  Rome  idolâtre.  Toot  au  contraire  nous 
voyons  aaîonrd*bai  la  chrétienté  tout  entière  qui 
est  déchirée  par  de  cmelles  guerres  ,  tandis  que  tant 
de  nations  infidèles  Jouissent  d^une  profonde  paix. 
Cest  que  les  enfans  ingrats  et  indociles  ont  irrité 
leur  père,  et  que  le  jugement  commence  par  la  mai^ 
son  de  Dieu  (').  Qu*entendons-nous  de  tons  cotés 
dans  toute  TEurope?  Combats  et  bruits  des  armes, 
nation  contre  nation^  rcjaxune  contre  royaume. 
Faut-il  s*en  étonner?  L' iniquité  abonde,  la  charité 
se  refroidit  W.  Le  Seigneur  a  fait  jentendre  ces  pa- 
rôles  par  la  bouche  d*nu  de  ses  prophètes  :  Voici  le 
ravage,  le  renversement,  la  famine,  le  glaive.  Qui 
te  consolera?  Ecoute,  ô  toi,  çui  es  si  rabaissée,  si 
appauvrie,  et  enivrée,  mais  non  pas  de  vin  (3). 

Un  autre  prophète  s'écrie  :  Ecoutez,  â  vieillards, 

C*^ /  Petr,  IV.  17.  —  V»)  Matsk.  xxit.  6  et  »cq.  —  t')  /#.  ii.  ig^  ai . 

et 


MÀVDEMEK8.  56 1 

et  voMàs  tous  habitons  de  la  terre  j  prêtez  V oreille» 
Voyez  s*il  est  arriué  rien  de  semblable  en  vos  jours 
ou  en  ceux  de  vos  pères.  Racontez  ces  prodiges  à 
"vosenfans.  Que  vosenfans  les  apprennent  aux  leurs  ^ 
et  çùe  les  leurs  les  transmettent  à  une  postérité  en*- 
core  plus  reculée.  Ce  qui  échappe  à  un  insecte,  est 
rongé  par  un  autre.  Les  restes  du  second  sont  dé* 
forés  par  le  troisième.  La  nielle  achète  de  détruire 
ce  que  les  insectes  ont  laissé.  RéueUlez^vous ,  6  peu-- 
pies  enivrés  ;  pleurez  ,  et  poussez  des  cris  doulou- 
reux (0. 

Bientôt  il  ne  restera  plas  à  nos  campagnes  dé- 
sertes de  quoi  craindre  ni  la  flamme  ni  le  fer  de  len- 
nemi.  Ces  terres,  qui  payoient  le  laboureur  de  ses 
peines  par  de  si  riches  moissons ,  demeurent  hé- 
rissées de  ronces  et  d*épines.  Les  villages  tombent; 
les  troupeaux  périssent.  Les  familles  errantes,  loin 
de  leur  ancien  héritage,  vont  sans  savoir  où  elles 
pourront  trouver  un  asile.  Le  Seigneur  voit  ces 
choses,  et  il  les  souffre.  Mais  que  dis-je?  Cest  lui 
qui  les  fait.  Le  glaive  qui  dévore  tout ,  est  un  glaive, 
non  de  main  d'homme;  in  gladio,  non  viri  (^).  C'est 
le  glaive  du  Seigneur,  qui  pend  du  ciel  sur  la  terre 
pour  frapper  toutes  les  nations.  Il  est  juste  ;  nous 
avons  péché. 

La  paix  est  Tunique  remède  à  tant  de  larmes  et 
de  douleurs;*  mais  la  paix  où  habite-t-elle?  d*où 
peut-elle  venir?  qui  nous  la  donnera  ?  Princes  sages, 
modérés,  victorieux  de  vous-mêmes,  supérieurs  par 
votre  sagesse  à  vôtre  puissance  et  à  votre  gloire, 
compatissans  pour  les  misères  de  vos  peuples,  en 

C*)  JœL  I.  a  cl  «cq.  —  (»)  /*.  xxxi.  8. 

FéNÉLON.    XVHl.  36 


vain  yogs  courez  après  cette  paix  qui  voua  fuit  ;  en 
vain  vous  faites  des  assemblées  pour  éteindre  le  feu 
qui  embrase  V Europe.  La  paix  sera  le  fruit,  non  dm 
vos  oëgociatiops ,  mais  de  pos  prières.  C'est  en  frap- 
pant nos  poitrines  que  nous  la  ferons.  Elle  viendra , 
non  de  )a  sagesse  des  profonds  politiques ,  mais  de  la 
foi  des  simples  et  des  petits.  Elle  est  dans  no^  mains. 
Aimons  le  Seigneur,  comme  il  nous  aime,  et  \^  voilà 
faite.  Toi;s  dos  maux  s'enfuiront  dès  que  nous  serons 
convertis.  C'est  Dieu,  et  non  les  princes  de  la  terre , 
qu'il  faut  désarmer.  C'est  la  colère  du  Seigneur,  et 
non  la  jalousie  des  nations,  que  nous  avons  besoin 
d'apaiser. 

«  Si  le^i  honomes,  dit  saint  Augustin  (0,  pensoient 
»  sagement,  ils  attribueroient  tout  ce  qu'ils  ont 
u  souflèrt  de  dm  et  d'affreux  de  la  part  de  leurs  en- 
»  nemi^,  k  une  providence  qui  a  coutume  de  cor- 
»  riger  et  d'écraser  les  mœurs  dépravées  des  peu- 
V  pies.  »  Ce  Père  ajoute  W  :  «  Vous  n  avez  point 
n  réprimé  vos  passions  honteuses,  lors  mêpie  que 
»  V091S  é\\ez  accablés  par  vos  ennemis  ;  vous  avei 
^  perdu  Iç  fruit  de  votre  calamité;  vous  êtes  devenus 
»  plus  malheureuse ,  et  vous  n'en  êtes  pas  demeurés 
»  moins  coupables-  F'bs  nec  cantriti  ah  hpsu  /uxia- 
»  nom  repressistis.  Perdidistis  utilitatem  ealami^ 
o  tatis;  ep  mis^rinUfaçli  estis^  etpessimi  perman" 
»  sistis.  n  Vous  avez  e&dui^é  les  maux  s^ns  mérite  et 
sai^s  cQqsols^tioq  ;  vous  ave«  souflRrrt  à  pure  perte, 
comme  les  démons,  avec  un  cœur  révolté  et  endurci. 
«  C'est  néau9ioins,  conclut  ce  Père  (3),  un  reste  de 

(0  De  Civ.Dei,  lib.  i,  cap.  i  :  lom.  vu,  pag.  3.  —  (»)  Ibid.  cap. 
xxxiii  :  pag.  3o.  —  (3)  Ibid.  cap.  nsxiv. 


xàkdemehs.  563 

»  miséricorde  de  ce  que  vous  vives  encore;  Dieu  vous 
0  épargne  pour  vous  avertir  de  vous  corriger  par  la 
»  pénitence.  Et  tamen  quodvMu'sjDei  est^quivobis 
»  parcendo  admonetj  ut  corrigamini  pœnitendo»  » 

Ce  qui  nous  met  en  crainte  pour  la  paix,  est  IHn-* 
dignité  avec  laquelle  les  peuples  la  désirent.  Pen» 
dant  qu^on  )ève  les  mains  vers  le  ciel  pour  Tobtenir, 
les  hommes  se  res8ouviennent-*ils  de  la  sobriété  et  de 
la  pudeur  ?  Les  cabarets  ue  sont-ils  pas  remplis  de 
peuples,   pendant  que  la  maison  du  Seigneur  est 
abandonnée?  Les  chansons  impudiques   sont*ellea 
moins  en  la  place  des  cantiques  sacrés?  L'avarice  et 
l'usure  sont-elles  moins  cruelles  contre  la  veuve  et 
contre  Torphelin?  L'envie  et  la  médisance  sont^elles 
moins  envenimées?  Le  luxe  est-il  moins  insolent?  Les 
conditions  sont-elles  moins  confondues?  La  fraude 
rëgne-t-elle  moins  dans  le  commerce?  Pendant  que 
chacun  se  plaint  de  la  misère ,  en  est-on  plus  épar- 
gnant et  plus  laborieux?  La  jeunesse  est-elle  moins 
oisive,   moins  ignorante,  moins  indocile?  Les  per^ 
sonnes  âgées  sont-elles  plus  détachées  de  la  vie  pour 
se   préparer  à  la  mort?  Où   trouverons-nous   des 
hommes  qui  veillent,  qui  prient,  qui  croient,  qui 
espèrent,  qui  aiment,  qui  vivent  comme  ne  comp- 
tant point  sur  une  vie  si  courte  et  si  fragile,  qui 
usent  de  ce  monde  comme  nen  usant  point,  parce 
que  ce  n'est  qn*unejigure  qui  passe  au  moment  oi^ 
Ton  se  flatte  d'en  jouir  ? 

Mais  pourquoi  soupirez-vous  après  la  paix?  Qu'en 
voulez- vous  faire?  «Vous  ne  cherchez  point  dans 
»  cette  sécurité,  dit  saint  Augustin  (0,  une  repu» 

(*)  J)e  Ciy.  Deif  lib.  i ,  cap.  zzziu  :  p4g.  3o, 


564  MÂNDEMElirS. 

»  blique  vertueuse  et  tranquille,  mais  une  dissolu*» 
»  tîon  impunie;  vous  qui  ayant  été  corrompus  par 
»  la  prospérité  y  n'aves  pu  être  corrigés  par  tant  de 
»  malheurs.  Neque  enim  in  vestra  securitaie  paca* 
»  tam  rempublicam,  sed  luxuriam  quœriUs  impu- 
»  nitam  ;  qui  depra^ali  rébus  prosperis  >  nec  corrigi 
»  potuUstis  adversis.  »  Cest  donc  vous  qui  retardeE 
la  paix  par  vos  mœurs.  Cest  vous  qui  êtes  les  au* 
teurs  des  calamités  publiques.  Cest  vous-mêmes  qui 
forcez  Dieu ,  malgré  ses  bontés  paternelles ,  à  vous 
faire  souffrir  tous  les  maux  dont  vous  murmures. 

Mais  que  vois-je  7  C'est  un  nouveau  Josaphat  roi 
du  peuple  de  Dieu,  qui,  à  la  .vue  de  tant  de  maux,  se 
tourne  tout  entier  vers  la  prière;  totum  se  contulit 
ad  rogandum  Dominum  (0*  Voici  les  paroles  qu  il 
prononcera  en  s'humiliant  sous  la  puissante  main  de 
Dieu.  «Si  tous  les  maux  viennent  ensemble  fondre  sur 
nous^  LE  GLAIVE  DU  juGEMEJiT,  la  peste  et  la  famine  , 
nous  demeurerons  debout  en  votre  présence  det^ant 
cette  maison^  oii  votre  nom  est  invoqué.  Là  nous 
crierons  vers  vous  dans  nos  tribulations;  vous  nous 
exaucerez  ,  et  nous  serons  sautées. 

Vous  le  voyez,  mes  très-chers  Frères,  le  glaive 
que  le  Saint-Esprit  nous  représente  comme  n  étant 
pas  de  main  d'homme  ;  in  gladio  non  viri;  est  le 
même  qui  est  nommé  ici  le  glaive  du  jugement,  gla- 
dius  judicii.  Ce  n*est  point  un  glaive  poussé  au  hasard 
par  Taveugle  fureur  du  soldat  ;  c*est  la  justice  elle- 
même  qui  le  conduit;  c'est  le  jugement  d^en  haut 
qui  en  règle  tous  les  coups  ici -bas;  c'est  une  main 
invisible,  éternelle  et  toute- puissante   qui  écrase 

\.')IlParaLxx  3,9. 


MABDEMKH8.  &6S 

notre  foible  orgaeil.  *Qae  devons-nous  en  conclure? 
Faisons  tout  au  plus  tôt  notre  paix  avec  Dieu  ^  et 
notre  paix  avec  les  hommes  se  trouvera  d'abord 
toute  faite.  Cest  pour  seconder  les  sincères  et  pieux 
désirs  d*un  grand  roi  dans  une  si  pressante  néces- 
sité^ que  nous  voulons  demander  à  Dieu  qu'il  dicte 
lui-même  de  son  trône  céleste  une  paix  qui  dissipe 
tout  ombrage  y  qui  calme  toute  jalousie ,  qui  réunisse 
tous  les  cœurs  I  et  qui  fasse  ressouvenir  toutes  les 
nations  qu'elles  ne  sont  que  les  branches  d'une. même 
famille.  L'Église ,  dans  ce  temps  de  péché  et  de  con  * 
fusion,  souffre  des  maux  presque  irréparables,  et 
nous  espérons  que  les  larmes  de  l'épouse  touche- 
ront  le  cœur  de  l'Epoux. 

A  ces  causes  nous  ordonnons ,  etc.  Donné  à  Cam-- 
brai,  le  6  février  171a. 


XXII. 

MANDteMfiNT  POUta  LE  CARÊME 
DB  LAimÉc:  1713. 

FaAHfoift»  etc.  A  toas  ks  fidèles  de  notre  diocèse , 
talui  et  bénédictioii. 

L^attéilte  dl^une  prompte  paix,  mes  très-cfaers 
Prèreâ,  AOdS  faisoit  espérer  dès  cette  année  le  reta- 
blistemétlt  de  la  d{sci|)line  do  Carême.  Mais  les 
pédiës  des  péliplés  retardent  encore  ce^  heureux 
jours»  Le  Seigneur  justement  Irrita  tiettt  tonjouts  sur 
nûk  tètês  te  glùivc  i^eAgéUf  dé  ioh  aUianùe  violée  (0. 
Faut-il  s'en  étonner?  Nos  pedplés  sont  écrasa  sans 
^tre  convertis.  On  ne  trouve  dans  les  pauvres  que 
lâcheté»  découragement  y  murmure ,  corruption  et 
fraude.  On  ne  voit  dans  les  riches  quo  mollesse, 
faste,  profusion  pour  le  mal,  avarice  contre  le  bien  ; 
la  société  est  un  jeu  ruineux;  la  conversation  n'est 
que  médisance  $  Tamibé  n'est  qu'un  commerce  flatteur 
et  intéressé.  La  vertu  n'est  plus  qu'un  beau  langage, 
que  la  vanité  parle.  La  religion  n'a  plus  aucune  sé- 
rieuse autorité  dans  le  détail  des  mœurs.  Nous  ne 
pouvons  que  trop  dire  ce  que  saint  Augustin  disoit 
en  son  temps  :  «  C'est  par  nos  vices,  et  non  par 
»  hasard,  que  nous  avons  fait  tant  de  pertes  (^).  » 

Nous  avons  vu  à  nos  portes  deux  armées  iiinombra- 
bles,  qui,  prêtes  à  répandre  des  ruisseaux  de  sang, 

(0  Let^it,  xzTi,  95.  —  (*)  De  €iv.  Det^  lib.  11 ,  ca|».  xxi,  a.  It 


MAUDEMEllS.  .  56'] 

ne  paroissoient  qae  comme  un  camp^  taht  elles 
étoient  voisines.  Nos  campagnes  ravagées  soilt  encore 
incaltes  comme  les  plus  sauvages  déserts.  Fotre  terr&^ 
6  mon  peuplcf,  dit  le  Seigtieur(0,  sera  déserte,  et  dos 
villes  tomberont  en  ruine.  F'os  champs  pendant  iôus 
'  les  fours  de  leur  solitude  se  plairont  à  se  reposé r,  et 
à  ne  produire  aucune  ittôlsson,  parce  que  vous  ne  les 
avez  froim  laissé  reposer  aux  jours  du  àaint  repos. 
Hélas  !  nous  avons  vu  les  familles  chassées  de  Thabi- 
tation  de  leurs  ancêtres ,  errer  sans  ressource,  et 
pdrter  leurs  enfans  moribonds  dans  une  terre  étran- 
gère. Qù^esi-cé  qui  nous  à  fait  tant  de  maux?  c'e^t 
nous^méiriès.  Uoh  nous  sont-ils  venus?  De  nos  seuls 
péchés.  Que  n'atons-noos  paë  encore  à  crahidi'é  de  nos 
mœurs  !  Dieu  juste  se  doit  deë  exemples.  Quand  Tapai^ 
serdns-nons?  Ceux  ifui  resteront  ^  dit  le  Seigfieur  W^ 
sécheront  de  peine  dâhs  teuri  irii^uités.,..  Je  marche^ 

rai  contre  eux justfu'à  ce  que  leur  cctur  ifueir- 

cbrtcis  rougisse  de  leur  ingratitude.  tiâiohs-noUs  ^ 
donc^  mes  très-chèrs  Frères ,  de  faire  la  paît  de  ^ 
monde  en  faisant  la  nôtre  avec  Dieu  et  âVéc  âdtts- 
méines.  «  O  étonnante  vanité^  dit  saint  Augustin  (3), 
9  les  hotntnes  veulétit  se  fendre  hettreiiiC  ici^bad,  et 
ti  fëire  ce  botihéur  de  leUrs  propres  tiiains  ;  mais  la 
n  véritéldnrbeertdérisionvleùffGflleespérailQe.  «  La 
»  paiit  même  d'ici-bas,  dit  encore  te  Père  (4) ,  teËl 
n  oelle  des  nations  que  celle  de  chaque  homme,  est 
»  plutôt  une  côdsolation  qui  adoucit  nos  misères  > 
»  qu'une  )ôie  où  nous  geôtiotis  un  vrai  bdoheur.  » 

(0  Let^U.  XXVI.  33  et  seq.  —  (<)  Ibid.  Sg,  4i.  —  (3)  De  Ciu,  Dei , 
lib.  xil,  càp.  rv,  n.  i  :  tom.  vii ,  pag.  545.  -^C^)  Ibid.  cap.  ixwii'- 


568  MAHDBMEIfS. 

Les  biens  et  les  maux  de  cette  vie  ne  sont  rien ,  par 
la  brièveté  et  par  Fincertitude  de  cette  vie  même.  Que 
peut-on  penser  des  faux  biens,  qui  ne  servent  qu*à 
rendre  les  hommes  méchans,  et  que  Dieu  méprise 
jusqu'à  les  prodiguer  à  ses  ennemis  qu*il  réprouve  ? 
Que  peut^on  croire  des  maux  qui  servent  à  nous  ren- 
dre bons,  et  conformes  à  Jésus*Christ  attaché  sur  la 
croix?  Heureux  celui  qui  souffre  dans  ce  court  pèle- 
rinage, et  que  la  mort  ne  surprend  point  dans  l'i- 
vresse d'une  trompeuse  prospâîté  I 

U  est  vrai  néanmoins,  mes  très*chers  Frères ,  que 
nous  devons  tâcher  de  mériter,  par  une  humble,  cor- 
rection de  nos  mœurs,  que  la  paix  règne  en  nos  jours, 
et  que  nous  menions  une  vie  tranquille.  Quand 
nous  serons  convertis.  Dieu  réunira  les  nations  divi- 
sées; tous  les  enfans  du  Père  céleste  ne  seront  plus 
xlans  son  sein  qu'un  cœur  et  qu'une  ame.  Plus  d'om- 
brages, plus  de  jalousie;  le  glaiye  sera  changé  en 
faux,  et  la  lance  en  soc  de  charrue  (0*  Ecoutez  le 
Seigneur  :  Si  vous  suivez  ma  loi,  dit-il  ,Wj  je  ne- 
pandrai  sur  vous  en  leur  saison  des  pluies  fécondes. 
Vos  champs  se  revêtiront  de  verdure^  et  vos  arires 
seront  chargés  de  fruits.  Les  moissons  dureront,  jus- 
ques  aux  vendanges,  et  à  peine  les  vendanges, seront 
finies  qu  il  faudra  semer.,..,  Tenverrai  la  paix  au- 
tour de  'VOS  frontières.  Fous,  dormirez,  et  personne 
ne  vous  alarmera Le  glait^e  ne  passera  plus  au- 
près de  vos  familles.  Je  jeter  ai  un  regard  sur  vous  j 
et  je  vous  ferai  croître,  Vous  vous  multiplierez  ,  et 
je  confirmerai  mon  alliance  en  votre  faveur.  Mais  , 
encore  une  fois,  npus  ne  devons  ni  «  ci^aindi-e  les 

CO  ImL  u.  4<  —  {*)  LevU.  zxvi.  3  et  «eq. 


»  maux  que  Dieu  fait  souffrir  aux  bons,  ni  estimer  leb 
»  biens  qu*il  donne  aux  méchans  (0  ;  »  si  le  culte  de 
Dieu  n'étoit  dans  nos  cœui-s,  que  pour  en  obtenir  les 
douceui^  de  la  paix  terrestre,  une  telle  religion,  dit 
saint  Augustin  (^),  ne  nous  rendroit  pas  pieux  j  mais 
au  contraire  plus  a$fides  et  plus  avares.  Tous  nos 
vrais  biens  sont  au-delà  de  cette  vie*,  c'est  pour  Va- 
yenir^  dit  saint  Augustin  (3),  que  nous  sommes  chré- 
tiens, 

'  Le  retardement  de  la  paix  éloignant  la  fin  de  nos 
misères,  il  nous  réduit  avec  douleur,  mes  trèè-cbei*s 
Frères,  à  retarder  aussi  le  rétablissement  de  cette 
salutaire  discipline  du  Carême  que  nous  avons  reçue 
des  apôtres ,  dont  nos  pères  furent  si  jaloux.  Mais , 
en  attendant  qu'elle  puisse  reprendre  toute  sa  force, 
nous  voulons  au  moins  faire  deux  choses.  La  pre- 
mière est  de  nous  rapprocher  un  peu  de  la  règle  en 
ne  donnant  à  nos  diocésains  que  trois  jours  dans  la 
semaine  Tusage  de  la  viande,  au  lieu  de  quatre  jours 
que  le  malheur  des  temps  nous  avoit  fait  accorder  les 
autres  années.  La  seconde  est  qu'en  permettant  Tusage 
de  la  viande  aux  familles  nécessiteuses  qui  auront  un 
pressant  besoin  de  se  sustenter  par  tous  les  alimens 
qu'elles  pourront  trouver,  nous  exhortons  très-sérieu- 
sement tous  les  riches  qui  ne  sont  point  dans  le  cas 
de  cette  triste  nécessité ,  de  n'abuser  point  par  mol- 
lesse d'une  dispense  qui  ne  leur  convient  pas.  Nous 
ne  voulons  point  troubler  les  consciences  pai*  une 
ordonnance  absolue  de  l'Eglise;  mais  nous  représen- 

(0  De  Ciu.  Dei,  lib.  xx,cap.  11  :  tom.  vii^pag.  574*-^  C*)Ibid. 
lib.  1,  cap.  y  m,  n.  a  :  i>ag.  8.  —  {})  In  PsaL  xci,  n.  i  :  tom.  iv» 
rag.981. 


5']0  XAlfD£M£Zf8. 

ions  aux  riches,  au  nom  du  souverain  pasteur  des 
ameS|  qu'ils  doivent  faire  ce  qu'ils  peuvent,  pendant 
que  les  pauvres  n'en  sont  dispensés  qu'autant  qu'ils 
n0  le  peuvent  pas;  que  le  besoin  d'apaiser  Dieu  par 
la  pénitence  orott  chaque  jour;  et  que  rien  n'est 
|)lus  scandaleux  que  de  voir  la  sensualité  flattée  par 
une  dispense  que  l'Église  ne  donne  qu'à  la  misère  et 
à  l'impuissance.  Enfin  nous  déclarons  que  tious  ne 
nous  abstenons  d'exclure  de  cette  dispense  le^^ches 
de  tout  le  diocèse,  et  même  certains  endroits  du  pays 
qui  ont  beaucoup  moins  soiifiert  que  les  autres,  qu'à 
cause  que  nous  ne  pourrions  établir  cette  différence 
sans  abandonner  une  certaine  uniformité  qui  parott 
nécessaire  pour  faciliter  l'ordre  dans  les  points  de 
discipline,  et  pour  ne  faire  pas  nattré  dans  les  esprits 
scrupuleux  une  infinité  de  questions. 

C'est  sur  ces  raisons  qu'après  avoir  consulté  les 
personnes  les  plus  sages,  les  plus  pieuses  et  les  plus 
expérimentées  sur  l'état  des  lieui,  nous  avons  réglé 
lei  choses  suivantes ,  etc.  Donné  à  Cambrai ,  le  218 
fiévrier  1713. 


M  AHDimBHS.  ^7  I 


xxiii. 


MANDATUM 

DE  RITUALI  EDENDO. 


FRANCISCUS  DE  SAtÎGNAt  DE  LA  MÔTHE 
FÉNELON,  Ârchiepiscopus  Dux  Cameracensis , 
sancti  Romani  Imperii  Princeps,  Cornes  Caméra- 
cesii,  ParocfaiSy  Vicarii's  et  àliis  Sacerdotibus  nos* 
traè  diœcesiSy  salutem  et  bènedictionem. 

Felicis  mémorise  clecessores  nostri  illustridsimi  ac 
reverendissîmi  domini  Goillelmus  deBergbes^  Fran* 
cisGUs  Yanderbork,  et  Gaapar  Nemius,  Manuaii  per*- 
ficiettdo  omnèm  operam  multa  cum  laude  dederent* 
Verùim  quotidiaoo  pastoram  usu  jampridem  dè^ 
trîta  faccnt  penè  omnia  qu»  excusa  erant  exem* 
plaria^  Undé  novam  editionem  approperari  necesM 
est«  Neqùe  tàmen  est  «nimus  MàHuale  à  veteri  diver-^ 
sum  înstituere  :  imè  majorum  vestigiis  insistere^eo- 
rumquâ  pkcita  «mpleéti  juimt.  Paucissima  tantùm 
oGCtttront  ^am  temporum  diversitaii  accommodaoda 
«aie  vidéâtur»  Absit  verà  ut  ia  hoc  privatte  opinioni 
quidquam  indtdserimus.  Insignes  siquidem  viri  ea 
nostra  metropolitana  Ecclesîa  delecti^  quorum  pe** 
ritii^  sagacitate  et  pietaté  vioariatus  uoste^  hacteilua 
Aomity  ea  singula  patriîs  nloribiis  aptari  studuotrat. 

Cseterùm,  ut  brevitati  optandae  consulatur,  ali 


57  a  MARDBXENS.' 

omni  eruditione  investîganda  origine  1  enim ,  et  ab 
omni  dogmatica  dissertalione  temperandum  esse 
duximos;  hoc  unum  scilicet  assequi  studentes,  ut 
singula  quœ  in  praxi  passim  gerenda  sont,  semotâ 
omni  specalatione,  in  promptu  sint^  et  prima  fronte 
perspecta  habeantur.  Reliqua  apnd  theologos,  vel 
bistoricos  y  vel  rituum  indagatores  praestè  esse  pas* 
tores  norant. 

Porrô  in  bis  omnibus  quœ  sacrum  ritum  attinent, 
duœ  sunt  Augustini  regnlœ  quas  religiosè  sectari  ve- 
limus.  Altéra  baec  est  :  «  Omnia....  quœ  neque  sanc- 
»  tarum  Scripturarum  auctoritate  continentur^  nec  in 
»  concilioepiscoporumstatuta  inveniuntur,  neccon- 
»  suetudine  universœ  Ecclesiœ  roborata  sunt,  sed 
»  pro  diversorum  locorum  diversis  moribus  innu- 
»  merabiliter  variantur,  ita  ut  vix  aut  omnino  nun- 
»  quam  inveniri  possint  causœ,  quas  in  eis  insti- 
»  tuendis  homines  secuti  sunt^ubi  facultas  tribnîtur, 
»  sine  ulla  dubitatione  resecanda  existimo  (0.  »  En 
vides,  piissime  lector,  resecanda  esse  ea  omnia  quae 
tum  omni  auctoritate,  tum  omni  causa  sperandae 
œdificationis  omnino  carent.  Neque  ver5  prœtexere 
licet  leviusculas  rudis  et  indocilis  vulgi  opiniones  , 
aut  usus  temerarios.  Pronum  quippe  est,  plebem 
imperitam  multa,  quœ  miniks  décent,  in  divinuoi 
cultum  sensim  invehere.  Nostrum  autem  est  hune 
cultum  ad  purum  excoquere,  ne  superstitio  sub- 
repàt,  et  hœretici  malè  insultent.  Altéra  hœc  est 
Augustini  sententia,  quà  priorem  temperari  oportuit: 
«c  Totum  hoc  genus  rerum  libéras  habet  observatio- 
3»  nés,  nec  disciplina  ulla  est  in  liis  melior  gravi 

(0  £p.  I.T,  adJanuor.  n.  35  :  tom.  ii ,  pag.  i4a. 


UJlHDEMElfS.  673 

)»  prudenlique  christiano,  quàm  ut  eo  modo  agat, 

»  quo  agere  viderit  Ecclesiam ,  ad  quam  forte  deve- 

»  nerit.  Quod  enim  neque  contra  fidem  neque  con- 

»  tra  bonos  mores  esse  convincitur,  iDdiflerenter  est 

3»  habendum,  et  propter  eorum,  inter  quos  vivitur, 

)>  societatem  servandum  est Ad  quam  forte  Ec- 

»  clesiam  veneris,  ejas  morernserva^  si  cuiquam  non 

»  vis  esse  scandalo,  nec  quemquam  tibi Ipsa 

»  enim  matatio  consuetudinis,  etiam  quse  adjuvat  ùti- 

)>  litate^  novitate  perturbât  (0.  >>  Exquibus  profectô 

liquet  banc  esse  saluberrimam  Augustioi  regulamy 

ut  ea,  quae  absque  uUa  aedificationis  causa  invalue- 

runt ,  et  in  apertam  superstitionem  redundant,  resecta 

sinty  ea  verè  «  quae  non  sunt  contra  fidem  neque 

»  contra  bonos  mores ,  et  habent  aliquid  ad  exbor- 

3»  tationem  melioris  vitae,  ubicumque  institui  vide* 

»  mus  y  vel  instituta  cognoscimus,  non  solum  non 

31  improbemnSySed  etiam  laùdando  et  imitando  sec- 

»  temur  (s).  »  Quemadmodum  enim  coercenda  est 

plebis  snperstitiOy  ita  etiam  frangenda  videtur  recen- 

tiorum  criticorum  audacia ,  qui  ritum  asperiori  refor- 

matione  ita  atténuant,  ut  velnti  exsanguis  et  exsuc- 

cus  jaceat. 

Hinc  homines  creduli,  superstitionis  amantes ,  et 

aversantes  interiorem  cultum ,  quo  quisque  abnegat 

semetipsum,  ettollit  crucemsuam,  et  Cfaristum  se- 

quitur,  avido  ore  captant  cœrimonias,  quae  suis  cu- 

piditatibus  nihil  incommodent,  a  Ipsam  religionem , 

»  ut  ait  Augustinus  (3),  quam  paucissimis  et  mani*- 

»  festissimis  celebrationumsacramentis  misericordia 

(')  Ep.  LIT,  ad  Januar,  n.  i,  3,  6  :  pag.  ia4i  i^^*  —  (*)  ^P*  ^^y 
adJanuar,  n.  34  :  pag.  i4i.  —  O  IbiU.  D.  35  :  pag.  143. 


5^4  MAJIDEMBV8. 

M  Dei  e«M  liberam  volait ,  servilibos  oneribus  pre- 
n  munty  ut  tolerabilior  sit  conditio  Judœoruin ,  qui, 
n  etiamsi  tempus  libertatis  non  agnoverunt,  legali- 
»  bus  tamen  sardnis ,  non  humanis  praesumptioni- 
»  bus,  subjiciuntar.  »  De  bis  sanctus  Doctor  ita 
conqueritar  (0  :  «  Sed  hoc  nimis  doleo ,  qnod  multa , 
n  que  in  di?ini$  libris  saluberrimè  prscepta  sont, 
»  piinùs  curantur  ;  et  tam  mukis  praesumptionibns 
n  sic  plena  sunt  oninia,  ut  gravibs  corripiattir,  qui 
»  per  oclavas  luas  terram  nudo  pede  tetigerit.  qnàm 
»  qui  mentem  vinolentià  sepeKerit.»  Cum  Auguslino 
libens  dixerim  (^)  :  <«  Hoc  approbare  non  possum  , 
»  etiamsi  multa  hujusinodi  propter  nonnnllarum  vel 
»  sanctarum  vel  turbulentarum  personarum  scan- 
A  dala  devilanda ,  liberiùs  improbare  non  andeo.  » 
Itaque  hujusmodi  ritus  adventidos,  qui  extra  riluni 
ab  Ecolesta  in  Mannalibus  comprobatum  temerè 
▼agantiir^  dolentes  quidem  tolerare  Gogimur,  mi- 
nime ver6  suademus. 

Illinc  critioi  fastidiosi  homines,  dun  supersti* 
tionem  acriùs  amputant,  vives  piissimi  cultûs  rames 
evellunt.  Nimirum  dictltant,  ea  singula,  quse  m 
privatis  quibusdam  ecclesiis  fieri  soient ,  araputanda 
esse,  ut  aliéna  ab  universali  aut  a  puriore  antiquis- 
simae  Rcclesi»  ritu.  Quasi  verà  universalis  Ecclesia 
banc  rituum  varietatem  ratam  non  fecerit  :  quasi 
verô  Romana  Ecclesia,  cœterarum  omnium  mater 
ac  magistra,  id  nunquam  xgrè  tnlerit  :  quasi  verô 
non  accepta  sit  apud  omnes  optima  haec  Augustini 
sententia  (5)  :  «  In  bis  rébus  in  quibus  nibil  certi 

C«)  Ep.  tv,  atiJanuar.  n.  35:  pag.  i4»»  —  (*)  ftid-  —  O  Bpûi* 
xxsY I ,  ad  Cmsuian,  n.  3  :  pag.  69. 


MàNDEMBirS.  5^5 

»  slatuit  Scriplura  divina,  mos  populi  Dei,  vcl  insti- 
»  tuta  majorunt  pro  lege  teDeoda  sunt.  De  quibas  si 
»  dtsputare  voluerimnSy  et  ex  alloram  consuetudine 
»  alios  improbare,  orietar  interminata  luctatio.  » 
Prœterea  nefas  est  minoris  fâcere  recentiores  quàm 
antiquiores  Ecclesiae  ritus.  Neque  enimEcclesia  senes- 
cendo  minus  sapit ,  aut  Spiritu  promisso  sensim  de- 
stituîtar.  Profec tenon  satis  catholicè  sentit ^quisquis 
non  fatetur,  pari  omninoauctoritate  poUere  ritus  in 
decimo  octayo  ^c  ritus  in  quarto  saeculo  ab  Ecclesia 
institutos.  Immota  enim  stat  hœc  Augustinisententia 
unicuique  saeculo  sequè  aptanda  :  m  Si  quid  horum 
»  tota  per  orbem  frçquentat  Ecclesia....  ;  quin  ita 
»  faciendum  sit,  disputare,  insolentissim»  insaniœ 
»  est  (0.  » 

Itaque  pastores  singulos  gravissimè  monemus^  et 

amantissimè  adhortamur,  ut  gemino  fauic  officio  se 

totos  impendant,  sicuti  decet  ministros  Christi,  et 

dispensatores  mysteriorum  DeL  Scilicet  ut  diligentis- 

simè  observent  ea  omnia,  quœ  Ecclesia  in  Manuali 

observari  jubet;  cœteros  autem  ritus,  quos  popu- 

laris  aura  inconsultè  usurpât,  déclinent  ;  neque  ipsi , 

obtento  quovis  pietatis  incentive,  quidquam  novi  et 

insoliti  tentare  audeant.  Absit  verô  ut  in  tanto  munere 

obeundo  ab  illa  aurea  Augustini  sententia  unquam 

recédant  (^)  :  «  Non  ergo  asperè,  quantum  existimo, 

»  non  duriter,  non  modo  imperioso  ista  toUuntur  ; 

»  magis  docendo  quàm  jubendo,  magis  monendo 

»  quàm  minando.  Sic  enim  agendum  est  cum  mul- 

»  titudine  :  severitas  autem  exercenda  est  in  pcc- 

(')  Epist.  Lîv,  ad^Januar.  n.  6  :  pag.  ia6. — (»)  Ep.  xxu,ad  AureL 
n.  5  :  pag.  a8. 


576  VÀHDBXEHS. 

»  cata  paacomm.  Et  si  qnid  minamar ,  com  dolore 
»  fiât  y  de  Scriptaris  commiiiando  vindictam  fbto- 
»  ram ,  ne  nos  ipsi  in  nostra  potestate,  sed  Deos  in 
9  nostro  lermone  timeatar.  Ita  priùs  monebnntnr 
»  spiritaales»  vel  spiritnalibos  proximi,  quorum  anc- 
»  toritate ,  et  lenissimis  quidem ,  sed  instantissimis 
3»  admonitionibnsy  caetera  multitudo  frangatnr.  » 

Datum  Cameraci ,  die  ao  Angusti ,  anno  Domini 
l^o^. 

Fa.  Aa.  D.  CAMEaAosjrsis, 


PIN    DU    TOME    DIX-HUITikVB. 


TABLE 


:c=a=3S|.  ,w  ...t 


TABLE 


DU  TOME  DIX-HUITIÈME, 


•       » 


MANUEL  DE  PIETE. 

Avis  sur  la  prière  et  sxtr  les  9Rii«cTPAUt  bxcrcices  Dfe 

PIÉTÉ.  Page    3 

Prières  du  matiit^  l '^ 

Prières  du  soir*  n'i 

BÉFLEXIONS  SA.INTES  POUR  TOUS  LES  JOURS 

DU  MOIS. 

Premier  jour.  Sur  le  peu  de  foi  qu'il  y  a  dans  le  monde.  28 

II.  Sur  Tunique  chemin  du  ciel.  3o 

HT.  Sur  la  véritable  dévotion.  3i 

IV.  Sur  les  conversions  lâches  et  imparfaites.  33 

V.  Sur  le  bon  esprit»  ^i 

VI.  Sur  la  pa'tience  dans  les  peines.  3 
VIT.  Sur  la  soumission  et  la  conformité  à  la  volonté  de 

Dieu.  37 

Vin.  Snr  les  avantages  de  la  prière.  Sq 

IX.  Sur  l'attention  à  la  voix  de  Dieu*  4^ 

X.  Sur  le  bon  usago  des  croix.  ^'x 
XL  Sur  la  douceur  el  l'humilité.  4^ 

XII.  Sur  les  défauts  d'autrui.  4^^ 

XIII.  Sur  l'unique  nécessaire.  4^ 

XIV.  Sur  la  préparation  à  la  mort*  4^ 

XV.  Sur  les  espérances  éternelles.  49 

XVI.  Sur  notre  pain  quotidien.  5i 

XVII.  Sur  la  paix  de  Tame.  5s 

XVIII.  Sur  les  joies  trompeuses.  54 
Fénéloh.  xviii.  3^ 


"v 


578 

XIX.  Sur  les  mioics  larmet.  Page    55 

XX,  Sur  la  prndeo^  da  tiède.  57 
XXL  Sor  la  confiance  en  Dien«  58 
XXIL  Sor  la  profondeur  de  la  miséricorde  de  Dico.  60 
XXIII.  Sor  la  dooceur  do  joog  de  Jénis- Christ.  6a 
XXIY.  Sor  la  Crasse  libertié.  63 
XXV.  Sor  la  détermination  entière  d'être  à  Dien.  65 
XXY I.  Sor  la  capitulation  qo'on  Tondroit  faire  arec  Dieu. 

66 
XXV  11.  Sor  le  bon  emploi  dn  temps.  68 

XXVnL  Sor  la  présence  de  Dieo.  70 

XXIX.  Sor  Tarnoor  qoe  Dieu  a  poor  nons.  71 

XXX*  Sor  Tamoar  qoe  noos  devons  avoir  poor  Dieu.  73 
XXXI.  Sur  les  senlimens  de  l'amonr  divin.  74 

MÉDITATIONS  SUR  DIVERS  SUJETS  TIRÉS  DE 

L'ÉCRTTLTIE  SACTTE. 

I.  De  la  vraie  coonoissance  de  l'Évangile.  76 

n.  Du  changement  de  la  lumière  en  ténèbres.  77 

III.  Des  pièges  et  de  la  tjrannie  du  monde.  78 

IV.  Combien  peu  renoncent  i  l'amoor  du  monde  ,  qui  est 
si  digne  de  mépris.  Ihtd. 

V.  Sur  la  véritable  paix.  *  79 

VI.  Qoe  Jésus-Christ  a  refusé  de  prier  pour  le  monde.  80 
VIL  Sur  la  fuite  du  monde.  81 

VIII.  Sur  le  même  sujet.  8a 

IX.  Que,  dans  la  voie  de  la  perfection,  les  premiers  sont 
bien  souvent  atteints  et  devancés  par  les  derniers.  Ihid. 

X.  De  l'amour  du  prochain.  83 

XI.  Que  nous  sommes  venus  pour  servir  les  autres.       84 

XII.  De  la  douceur  et  de  l'humilité  de  cœur.  85 

XIII.  De  la  véritable  grandeur.  86 

XIV.  Sur  quoi  nous  devons  fonder  notre  joie.  87 

XV.  Des  etfets  de  l'Eucharistie  en  nous.  88 

XVI.  Sur  le  même  sujet.  89 

XV II.  De  la  confiance  en  Dieu.  Ibéd. 


TABLE.  579 

XYIIl.  Qu'il  n'j  a  que  Dieu  qui  puisse  apprendre  à  prier. 

Page'   go 

XI X.  De  Tamour  de  Dieu.  9 1 

XX.  Sur  le  même  sujet.  ga 

XXI.  Que  rien  ne  sauroit  manquer  à  celui  qui  s'attache  à 
Dieu.  93 

XXII.  Que  Dieu  doit  être  l'unique  portion  du  cœur  de 
l'homme.  94 

XXIII.  De  quelle  manière  Dieu  veut  être  glorifié.         95 
XXiy.  De  la  douceur  et  humilité  de  coeur.  96 

SNT  RETIENS  AFFECTIFS  POUR  LES  PRINCIPALES  FÊTES 

DE  L'ANNfe. 

I.  Pour  l'Aven  t.  100 

II.  Pour  le  jour  de  saint  Thomas.  toS 

III.  Pour  le  jour  de  Noël.  106 

IV.  Pour  le  jour  de  saint  Jean  l'EivaDgéliste.  109 

V.  Pour  le  jour  de  la  Circoncision.  1 13 

VI.  Pour  Séjour  de  l'Epiphanie.  1 15 

VII.  Sur  la  conversion  de  saint  Paul.    *  1 18 

VIII.  Sur  la  même  fête  de  la  Conversion  de  saint  Paul.  1  ai 

IX.  Pour  le  jour  de  la  Purification.  i23 

X.  Pour  le  Carême.  136 

XI.  Pour  le  Jeudi  saint.  iixg 

XII.  Pour  le  Vendredi  saint*  i3a 

XIII.  Pour  le  Samedi  saint.  i35 
XrV.  Pour  le  jour  de  l'Ascension.  i38 

XV.  Pour  le  jour  de  la  Pentecôte.  i4i 

XVI.  Pour  la  fête  du  saint  Sacrement.  i44 
XVILPour  la  fête  de  sainte  Madeleine.                         147 

XVIII.  Pour  le  jour  de  l'Assomption.  148 

XIX.  Pour  le  jour  de  saint  Augustin.  1 5 1 

XX.  Pour  la  fête  de  tous  les  Saints.  1 53 

XXI.  Pour  la  Commémoration  des  Morts.  iSS 

MÉDlTATlOirS  POUR  U£t  MALADE.  y5^ 


/ 


58o  TAULE* 

EXHORTATIONS  ET  AVIS  POUR  L'ADMIIVISTRA- 

TION  DES  SACREMEHS. 

ACT1CL£   PAEMlfB.  Du   SACEEMSAT   DE   BaSTÈME» 

h  Explication  des  cérémonies  du  Baptême  en  forme  d'in- 
struction. 167 

II.  Avis  au  parrain  et  à  la  marraine,. après  l'administration 
du  sacrement  de  Baptême»  17a 

Article  IL  Du  bacrehent  de  Confirmatioit, 

Avis  d'un  cnré  à  ses  paroissiens,  pour  la  réception  dn  sa-* 
cremen  t  de  Confirmation  •  173 

Article  IIL  Du  sacremeat  de  L'EucnARiSTiE. 

I.  Avis  d'un  curé  à  ses  paroissiens ,  pour  les  disposer  à  la 
sainte  Communion.  176 

H.  Bonheur  de  l'ame  unie  à  Jésuf-Christ  dans  la  sainte 
Communion*  180 

III.  Exhortation  adressée  au  duc  de  Bourgogne,  au  mo- 
ment de  sa  première  Commimion.  181 

Article  IV.  Du  sacrement  de  L'ExTRÊME-ONcnoif. 

I.  Manière  de  suggérer  aux  malades  les  actes  de  foi ,  d'es- 
pérance et  de  charité,  avant  la  réception  de  l'Extrcme* 
Onction.  i8i 

li.  Exhortations  au  malade,  après  <]u'il  a  reçu  lé  sacre- 
ment de  TExtréme-Onction.  184 

Article  Y.  Du  sacrement  de  Mariage. 

Exhortation  aux  nouveaux  mariés,  187 

INSTRUCTIONS  ET  AVIS  SUR  DIVERS  POINTS  DE  LA 
MORALE  ET  DE  LA  PERFECTION  CHRÉTIENNE. 

I.  Avis  à  une  personne  du  monde,  sur  le  bon  emploi  du 
temps,  et  sur  la  sanctification  des  actions  ordinaires. 

'9Î 


TABLE.  56 1 

li.  Avis  à  une  personne  de  la  Cour.  Se  permettre  sans 
scrupule  les  divertissemens  attachés  à  son  état  ;  les  sanc- 
tifier par.  une  intention  pure.  Page     198 

III.  Avis  à  une  personne  de  la  Cour.  Accepter  en  esprit 
de  résignation  les  assnjetiissemens  de  son  état.         ao5 

IV.  Avis  à  une  personne  de  la  Cour.  Des  croix  attachées 
à  un  état  de  grandeur  et  de  prospérité.  209 

Y.  Avis  à  une  personne  de  la  Cour,  sur  la  pratique  de  la 
mortification  et  du  recueillement.  ai4 

VI.  Avis  à  une  personne  du  monde.  Voir  ses  misères  sans 
trouble  et  sans  découragement  :  comment  il  faut  veiller 
sur  soi-même.  Remèdes  contre  les  tentations.  1 18 

VII.  De  la  présence  de  Dieu  :  son  utilité,  sa  pratique.  2^4 

VIII.  Comment  il  faut  aimer  Dieu.  Sur  la  fidélité  ^^ns 
les  petites  choses.  228 

IX.  Sur  les  conversions  I&ches.  ^38 

X.  Su;*  Timitation  de  Jésus- Christ*  ^45 

XI.  De  l'humilité.  a48 

XII.  Sur  la  violence  qu'un  Chrétien  se  doit  faire  conti- 
nuellement. 252 

XIII.  Sur  l'histoire  du  Pharisien  et  du  Publicain  :  carac- 
tères de  la  justice  pharisaïque.  ^54 

XIV.  Remèdes  contre  la  dissipation  et  contre  la  tristesse. 

260 

XV.  Remèdes  contre  la  tristesse.  272 
XYI.  Sur  la  pensée  de  la  mort.  274 
XVII.  ]!9écessité  de  connoître  Dieu  :  cette  connoissauce 

est  l'ame  et  le  fondement  de  la  solide  piété.  376 

XVUI.  Suite  du  même  sujet.  Dieu  n'est  point  aimé,  par- 
ce qu'il  n'est  point  connu.  279 

XIX.  Sur  le  pur  amour  t  sa  possibilité ,  ses  moii&.       307 

XX.  L^oubli  de  soi-même  n'empêche  pas  la  reconuois^auce 
des  bienfaits  de  Dieu.  3'48 

XXI.  Réalité  de  l'amour  pur.  L'amour  inicressé  et  Ta- 
mour  désintéressé  ont  leur  saison,  334 


583  TABLE. 

XXII.  Ecouter  la  parole  îat^ieore  de  FEsprît  saint  :  soÎTre 
rinspiration  qui  nous  appelle  k  un  entier  dépouille- 
ment. Poge    336 

XXIII.  Utilité  des  peines  et  des  délaissemeos  intérîenrs. 
ITaimer  ses  amis  qu'en  Dieu  et  pour  Dieu.  356 

XXIY.  Contre  Thorrenr  naturelle  des  privations  et  des 
.    dépouillemens.  364 

XXy.  Contre  rattacbement  aux  lumières  et  aux  goàis 

sensibles.  365 

XXVI.  Sur  la  sécheresse  et  les  distractions  qui  arrivent 

dans  Toraison.  370 

XXYII.  Avis  à  une  dame  de  la  Cour.  Ne  point  bétonner 

ni  se  déconrsger  à  la  vue  de  ses  dé&uls  ni  des  défanu 

dTautmi*  375 

XXV III.  En  quoi  consiste-  la  vraie  liberté  des  en&ns  de 

Dieu  :  moyens  de  l'acquérir»  38a 

XXIX.Obligation  de  s'abandonner  k  Dieu  sans  réserve.  584 

XXX.  Bonheur  de  Tarn e  qui  se  donne  entièrement  à  Dieu. 
Combien  l'amour  de  Dieu  adoucit  tous  les  sacrifices. 
Aveuglement  des  hommes  qui  préfèrent  les  biens  du 
temps  à  ceux  de  l'éternité.  386 

XXXI.  Prière  d'une  aine  qui  désire  se  donner  à  IKen  sans 
réserve.  I^oo 

XXXII.  Nécessité  de  renoncer  à  soi-même  :  pratique  de 
ce  renoncement.  ^02 

XXXIII.  Suite  du  même  sujet,  ^i6 

XXXIV.  Sur  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu.        4^^ 

XXXV.  Recevoir  avec  soumission  ce  que  Dieu  fait  apa  de- 
hors et  au  dedans  de  nous.  4^8 

XXXVI.  Sur  l'utilité  et  le  bon  usage  des  croix.  4^0 

XXXVII.  Il  n'j  a  que  le  pur  amour  qui  sache  soufirir 
'  comme  il  faut.  4^7 

XXXV III.  La  paix|  intérieure  ne  se  trouve  que  dans  ou 
entier^abandon  à  la  volonté  de  Dieu.  44^ 

XXXIX.  Suite  du  même  sujet.  44-^ 


^  TÀVLE.  583 

XL.  Eo  qaoi  consiste  la  simplicité  :  sa  pratique  et  ses  di- 
vers  degrés.  /'^ge     443 

XLI.  Sur  les  amitiés  particulières  :  combien  elles  sont  à 
craindre  dans  les  commanautés.  4^8 

Ordre  ancien  des  chapitres  de  Tonvrage  intitulé  :  Divers 
Sentimens  et  Avis  chrétiens;  avec  l'indication  des  en- 
droits qui  leur  correspondent  dans  cette  édition.      4^ 

OEUVRES  DE  FÉNÉLON. 

TROISIÈME  CLASSE.  —  MANDEMENS. 

ÂVZRTISSEBfERT  DE  L'ËDITEtTE.  467 

r 

I.  Mandement  pour  le  Jubilé  de  Tannée  sainte  1701.    4?^ 

II.  Mandement  pour  le  Carême  de  Tannée  1704.        4?^ 

III.  Mandement  pour  le  Carême  de  Tannée  1705.  4^3 
rV.  Mandement  pour  des  prières.  1 705.  4^8 
y.  Mandement  pour  le  Carême  de  Tannée  1706.         49 ^ 

VI.  Mandement  pour  des  prières.  1 706.  49^ 

VII.  Mandement  pour  des  prières.  1706.  5oo 

VIII.  Mandement  pour  le  Carême  de  Tannée  1 707.      5o4 

IX.  Mandement  pour  le  Jubilé  de  Tannée  1707.  5o8 

X.  Mandement  pour  des  prières.  1707.  5i3 

XI.  Mandement  pour  le  Carême  de  Tannée  1 708.         5 16 

XII.  Mandement  pour  des  prières.  1708.  Sig 

XIII.  Mandement  pour  le  Carême  de  Tannée  170g.     Sii 

XIV.  Mandement  pour  des  prières  publiques  sur  la  sté- 
rilité. 1709."  527 

XV.  Mandement  pour  des  prières.  1709.  532 

XVI.  Mandement  pour  le  Carême  de  Tannée  1710.     536 

XVII.  Mandement  pour  des  prières.  1710.  54o 
XVni.  Mandement  pour  le  Carême  de  Tannée  171 1.  544 
XIX.  Mandement  pour  des  prières.  171 1.                   SSo 


584  TABLE. 

XX.Mandenieiit  poar  le.Caréme  de  Vannée  1 7  f  i.P^g,'^  1 5 
XXI.  Mandement  pour  des  prières.  1 7 1 !;t .  5 Go 

XXn. Mandement  pour  le  Carcme  deTannre  1713.   %lU'» 
XXnf.  Afandatum  de  Riittali  edendo.  ^-  i 


FIN    DE   LA   TABLE   OU   TOME   DIX  BU1TIEMP..