Skip to main content

Full text of "Oeuvres de Froissart; publiées avec les variantes des divers manuscrits"

See other formats


This  is  a  digital  copy  of  a  book  that  was  preserved  for  générations  on  library  shelves  before  it  was  carefully  scanned  by  Google  as  part  of  a  project 
to  make  the  world's  books  discoverable  online. 

It  bas  survived  long  enough  for  the  copyright  to  expire  and  the  book  to  enter  the  public  domain.  A  public  domain  book  is  one  that  was  never  subject 
to  copyright  or  whose  légal  copyright  term  has  expired.  Whether  a  book  is  in  the  public  domain  may  vary  country  to  country.  Public  domain  books 
are  our  gateways  to  the  past,  representing  a  wealth  of  history,  culture  and  knowledge  that 's  often  difficult  to  discover. 

Marks,  notations  and  other  marginalia  présent  in  the  original  volume  will  appear  in  this  file  -  a  reminder  of  this  book' s  long  journey  from  the 
publisher  to  a  library  and  finally  to  y  ou. 

Usage  guidelines 

Google  is  proud  to  partner  with  libraries  to  digitize  public  domain  materials  and  make  them  widely  accessible.  Public  domain  books  belong  to  the 
public  and  we  are  merely  their  custodians.  Nevertheless,  this  work  is  expensive,  so  in  order  to  keep  providing  this  resource,  we  hâve  taken  steps  to 
prevent  abuse  by  commercial  parties,  including  placing  technical  restrictions  on  automated  querying. 

We  also  ask  that  y  ou: 

+  Make  non-commercial  use  of  the  files  We  designed  Google  Book  Search  for  use  by  individuals,  and  we  request  that  you  use  thèse  files  for 
Personal,  non-commercial  purposes. 

+  Refrain  from  automated  querying  Do  not  send  automated  queries  of  any  sort  to  Google's  System:  If  you  are  conducting  research  on  machine 
translation,  optical  character  récognition  or  other  areas  where  access  to  a  large  amount  of  text  is  helpful,  please  contact  us.  We  encourage  the 
use  of  public  domain  materials  for  thèse  purposes  and  may  be  able  to  help. 

+  Maintain  attribution  The  Google  "watermark"  you  see  on  each  file  is  essential  for  informing  people  about  this  project  and  helping  them  find 
additional  materials  through  Google  Book  Search.  Please  do  not  remove  it. 

+  Keep  it  légal  Whatever  your  use,  remember  that  you  are  responsible  for  ensuring  that  what  you  are  doing  is  légal.  Do  not  assume  that  just 
because  we  believe  a  book  is  in  the  public  domain  for  users  in  the  United  States,  that  the  work  is  also  in  the  public  domain  for  users  in  other 
countries.  Whether  a  book  is  still  in  copyright  varies  from  country  to  country,  and  we  can't  offer  guidance  on  whether  any  spécifie  use  of 
any  spécifie  book  is  allowed.  Please  do  not  assume  that  a  book's  appearance  in  Google  Book  Search  means  it  can  be  used  in  any  manner 
any  where  in  the  world.  Copyright  infringement  liability  can  be  quite  severe. 

About  Google  Book  Search 

Google's  mission  is  to  organize  the  world's  information  and  to  make  it  universally  accessible  and  useful.  Google  Book  Search  helps  readers 
discover  the  world's  books  while  helping  authors  and  publishers  reach  new  audiences.  You  can  search  through  the  full  text  of  this  book  on  the  web 

at  http  :  //books  .  google  .  com/| 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


OEUVRES 


DB 


FROISSARI 

AVEC   l.e:s  variantes  des  divers  manuscrits 

PAR 

mft.     %^s>      ft>sfe.pon   KBRVYnr   db    cbtxbivhovb 


Membre  de  rAcadâniie  royal»  de  Belgique, 

nt  <!«•  rin»atut  de  France,  de  TAcadémie  de  Miroicli,  «te. 


CHRONIQUES 

TOME  QUINZIÈME 

ij^pgis     1»    meurtre  de  sire  de  CIImod  jntqu'k  la  bataille  de  Nicopoli.) 


BRUXELLES 

nOMI^Y^K"^     UHIYBRSEL   D^IMPRIMERIK  ET   DB   LIBRAIRIE 

RDE   8AINT-JEAX,    26 

1872 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


OEUVRES 


F  ROI  S  S  ART. 


il  :  «        ♦;  *  Digitized  by  CjOOglC 


Digitized  by 


Google 


OEUVRES 


DB 


FROISSÂRT 

publién 

AYBC  LES  TA  RIANTES  DES  DIVERS  MANUSCRITS 
PAR 


C9mKpmiàM  et  riaciliM  de  KniiM,  àè  rAeaMmie  d«  M anlch,  ete. 


CHRONIQUES 

TOME  QUINZIËMS 

i8O0-i3ee 

(Scpab  U  MUttN  de  lirt  d«  Cliiaw  jaiqu*!  It  bftUUIc  d«  Kieopoli  ) 


BRUXELLES 
cov»TOim  rnnmssL  d^ihprihbrib  et  db  libraibib 

ROB  tAINT-JKASI,  36 

1871 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


CHRONIQUES  DE  FRANCE, 

D'ENGLETERRE,  D'ESCOCE,  DE  BRETAIGNE, 
.  D'ESPAIGNE,  DTTALIE,  DE  FLANDRES 
ET  D'ALEMAIGNE. 


Vous  avés  bien  cy-dessus  oy  parler  et  proposer  comment 
messire  Pierre  de  Craon ,  lequel  estoit  ung  chevallier  de 
France  de  grant  lignage  et  de  grant  affaire,  fut  eslongié  de 
la  grâce  du  roy  et  de  son  amour  et  du  duc  de  Thouraine 
son  firère,  et  par  quelle  *  occoison  *.  Se  cause  y  avoit  d'avoir 
coTUTouchié  si  avant  le  roy  et  son  frère,  ce  fut  mal  fait,  et  si 
bien  oy  recorder  comment  il  estoit  venu  en  Bretaigne  delés 
le  duc,  et  luy  avoit  dit  et  compté  toutes  ses  '  meschéances  ^. 
Le  duc  y  avoit  entendu  par  cause  de  lignage  et  de  pitié ,  et 
luy  avoit  ainsi  dit  que  Olivier  de  Glichon  luy  avoit  tout 
promeu  et  brassé  ce  contraire. 

•^  AchoÎBon.  —  ••*  Infortanes. 

XV.  -—  FROISSàRT.  1 


Digitized  by 


Google 


Z  HEORTU 

0r  pôvent  aucuns  supposer  que  ^  de  ce  il  Favoit  infourmé 
et  *  enflambé  '  pour  tant  que  sur  le  dit  connestable  il  avoit 
grant  hajne  et  ne  le  sçavoit  comment  honnir  et  destruire , 
et  messire  Pierre  de  Graon  estant  dalés  le  duc  de  Bretaigne  « 
souvent  ils  parloient  ensemble  et  devisoient  de  messire 
Olivier  de  Clichon  ^  comment  et  par  quelle  manière  ils  le 
mettroient  à  mort,  car  bien  disoient  que  s'il  estoit  occis  par 
quelque  voye  que  ce  fuist^  nul  n'en  feroit  guerre,  ne  contre- 
vengance ,  et  trop  se  repentoit  le  duc  que  il  ne  Tavoit  ^  fait 
morir  ^  quant  il  le  tint  à  son  aise  ens  ou  chastel  de  FEr- 
mine  dalés  •  Nantes  ^  ;  et  voulsist  bien  que  du  sien  il  luy 
euist  cousté  cent  mil  frans  et  il  le  tenist  à  sa  voulenté. 

Messire  Pierre  de  Graon  qui  se  tenoit  delés  le  duc  et  con- 
sidéroit  ses  paroles  et  comment  fort  le  duc  hayoit  Clichon, 
proposa  une  trop  merveilleuse  ymagination  en  soy-meismes  ; 
car  par  les  apparans  se  jugent  les  choses.  Il  s'advisa,  com- 
ment que  ce  fuist,  que  il  metteroit  à  mort  le  connestable  ' 
et  n*entenderoit  jamais  à  autre  chose,  si  Fauroit  occis  de  sa 
propre  main  ou  fait  occir ,  et  puis  on  traitteroit  de  la  paix. 
Il  ne  doubtoit  ainsi  que  néant  Jehan  de  Blois  qui  avoit  sa 
fille  ,  ne  le  fils  au  visconte  de  Rohen  qui  avoit  Fautre.  Avec 
Fayde  du  duc  et  de  son  lignage  il  se  cheviroit  bien  contre 
ces  deux  ,  car  ceulx  de  Blois  estoient  encoires  trop  afibiblis 
et  amendris,  et  si  avoit  le  conte  Guy  de  Blois  vendu  Féritage 
de  Blois  qui  devoit  retourner  par  succession  d'oirrie  à  ce 
conte  de  Pentôvre  Jehan  de  Blois  et  vendroit  au  duc  de 
Thouraine.  Là  luy  avoit-il  monstre  petite  amour  et  confidence 
et  alianpe  de  lignage.  Et,  se  ce  fait  estoit  advenu  et  Clichon 
mort ,  petit  à  petit  on  destruiroit  teus  les  marmousets  du 
roy  et  du  duc  de  Thouraine,  c'est-à-entendre  le  seigneur  de 

•-•  D'ire  le  duc  aroit  esté.  —  •  D'ire.  —  *■■  Occia..  Fait  occire.  — 
•-'  Yennea.  —  •De  France. 


Digitized  by 


Google 


la  Rivière  ,  messire  Jétan  le  Merchier ,  Montagu,  le  Bègue 
de  Vellayimes ,  messire  Jehan  de  Buel  et  aucuns  autres  de 
la  chambre  duroy,  lesquels  aydoient  à  soustenir  Toppinion 
du  connestable  ;  car  le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bour- 
goingne  ne  les  aymoient  que  '  moult  *  petit  pour  plusieurs 
causes»  quelque  semblant  que  ils  leur  monstrassent. 

U  advint  que  il  persévéra  en  sa  mauvaiseté,  et  tant  con- 
sidéra le  dit  messire  Pierre  de  Craon  ces  besongnes  et 
soubtilla  sus  par  mauvais  argu  et  par  l'ennort  de  Tennemy 
qui  oncques  ne  dort ,  mais  veille  et  resveille  les  cuers  des 
mauvais  qui  à  luy  8*enclinent»  et  jetta  tout  son  fait  devant 
ses  yeulx  avant  que  il  en  osast  riens  entreprendre  en  la 
fourme  et  maoière  que  je  vous  diray,  et,  se  il  euist  justement 
'  pesé  ^  et  ymaginé  les  doubtes  et  les  périls  et  les  grans 
meschiefe  qui  par  son  fait  en  povoient  venir  et  descendre 
et  qui  depuis  en   descendirent ,  raison  et   attemprance 
y  euissent  eu  en  son  cuer  autrement  leur  lieu  que  elles 
n*orent.  Mais  on  dist ,  et  il  est  vérité  ,  que  le  grant  désir 
que  on  a  aux  choses  que  elles  adviengnent,  estaindent^e 
sens  ,  et  pour  ce  sont  les  vices  maistres  et  les  vertus  vio- 
lées et  corrompues  ;  car  pour  ce  par  espécial  que  le  dit 
messire  Pierre  de  Craon  avoit  si  très-grande  affection  à  la 
destraction  du  connestable  ,  il  s*enclina  et  accorda  de  tous 
poins  aux  consauls  d*oultrage  et  de  folie ,  et  luy  estoit 
advis  en  proposant  son  fût ,  mais  que  saulvement  il  peuist 
retourner  en  Bretaigne  par  devers  le  duc ,  le  connestable 
mort  j  il  n*aroit  jamais  garde  que  nuls  le  venist  là  querre  , 
car  le  duc  l'aideroit  à  délivrer  et  à  excuser  ;  et  au  fort , 
se  la  puissance  du  roy  estoit  si  grande  que  il  en  voulsist 
faire  fait  et  le  venist  querre  en  Bretaigne  ,  sur  une  nuit  ils 
se  mettroit  en  ung  vaissel  et  s'en  yroit  &  Bourdeaulx  ou  & 

*-•  Ung,  —  "  Pente. 


Digitized  by 


Google 


Baïonne  ou  en  Angleterre.  Là  ne  seroit  pas  ponrsièuvy , 
car  bien  savoit  que  les  Anglois  le  hayoient  mortelment 
pour  les  grans  cruaultés  qu*il  leur  avoit  fais  et  consenti  à 
faire  depuis  les  jours  que  il  s'estoit  retourné  francois ,  car 
en  devant  il  leur  avoit  fait  plusieurs  grans  etbeaulx 
services,  sicomme  ils  sont  contenus  et  devises  notoirement 
icy-dessus  en  nostre  histoire. 

Messire  Pierre  de  Craon,  sicomme  vous  oés,  pour  accom- 
plir son  désirier,  avoit  de  long  temps  en  soy-meismes  pro- 
posé et  jette  son  &it ,  et  &  nulluy  ne  s*en  estoit  descouvert. 
Je  ne  puis  pas  savoir  se  oncques  il  en  avoit  parlé  au  duc 
de  Bretaigne  :  les  aucuns  supposent  que  ouy ,  et  les  autres 
non.  Mais  la  cause  de  la  suspection  de  plusieurs  est  pour 
tant  que  le  ^  dit  &it  *  par  luy  et  par  ses  complices  commis, 
le  plus  tost  comme  il  pot  et  par  le  plus  brief  chemin  qu'il 
sceut  tenir,  il  s*en  retourna  en  Bretaigne  et  s*en  vint 
comme  à  saulf-garant  et  &  reffiige  devers  le  duc  de  Bre- 
taigne ,  et  oultre  en  avant  le  fSut  il  avoit  rendu  et  vendu 
ses  chastiaulx  et  ses  hiretages  que  il  tenoit  en  Anjou  au  duc 
de  Bretaigne  et  renvoyé  au  roy  de  France  son  hommage  « 
et  se  faindoit  et  mettoit  en  avant  qu'en  brief  temps  il  se 
mettroit  au  chemin  pour  voyagier  oultre  mer.  De  toutes  ces 
choses  je  me  passeray  brieânent,  mais  je  vous  esclarchiray 
le  fSEÛt,  car  je  Jehan  Froissart,  acteur  et  proposeur  de  ceste 
histoire ,  pour  '  les  jours  ^  que  le  meschief  advint  sur  le 
connestable  de  France  messire  Olivier  de  Glichon ,  j'estoye 
à  Paris.  Si  en  deuls  par  raison  estre  bien  infourmé  selon 
Tenqueste  que  j'en  fis. 

Vous  savés  ou  devés  savoir  que  pour  ce  temps  le  dit 
messire  Pierre  de  Graon  avoit  en  la  ville  de  Paris  en  la 
^  cymentiôre  *  que  on  dist  Saint- Jehan  ung  moult  bel  hostel 

*  •  Délit.  —  »-*  Le  temps.  —  *••  Cymetière. 


Digitized  by 


Google 


DU  COmiÉTABLE.  5 

ainsi  que  plusieurs  grans  seigneurs  de  France  y  ont ,  pour 
&  leur  aise  là  avoir  leur  retour.  Gel  hostel ,  ainsi  que  cous- 
tome  est ,  il  le  feiisoit  garder  par  ung  concierge.  Messire 
Pierre  de  Craon  avoit  envoyé  dès  le  quaresme  prenant  à 
Paris  ou  dit  hostel  de  ses  varlets  qui  le  servoient  pour  son 
corps  ,  et  par  yceulx  &it  Fostel  pourveoir  bien  et  largement 
de  vins  et  de  pourvéances,  de*  farines  ,  de  chars  ,  de  sel  et 
de  toutes  choses  qui  appartiennent  à  ung  hostel.  Âveuc  tout 
ce  il  avoit  rescript  au  concierge  que  il  luy  achetast  des 
armures ,  cottes  de  fer ,  gantelets,  coiffâtes  d*achier  et  tels 
choses  pour  armer  quarante  compaignons  ,  et  quant  il  en 
seroit  pourveu  il  luy  signiâast  et  il  les  envoieroit  quérir , 
et  que  tout  ce  il  feist  secrètement.  Le  concierge  qui  à  nul 
mal  ne  pensoit  et  qui  vouloit  obéir  au  commandement  de 
son  maistre ,  avoit  quis ,  pourveu  et  acheté  toute  ceste 
marchandise. 

Tout  ce  terme  pendant  de  ces  besoingnes  faisant  ,  se 
tenoit  encoires  en  Anjou  en  ung  chastel  de  son  héritage  et 
envoioit  compaignons  fors ,  hardis  et  oultrageux ,  une 
sepmaine  deux  ,  Fautre  trois,  Tautre  quatre  «  tout  secrète- 
ment et  couvertement  à  Paris  en  son  hostel.  A  leur  dépar- 
tement il  ne  leur  disoit  pas  pourquoy  c*estoit  à  faire,  mais 
bien  leur  endittoit  :  a  Vous  venus  à  Paris,  tenés-vous  des 
«  biens  de  mon  hostel  tous  aises ,  et  ce  que  il  vous 
«  ^  besongne  * ,  demandés-le  au  concierge.  Vous  Taures 
«  tout  prest,  et  point  ne  vous  admonstrés  pour  chose 
«  qu*il  soit.  Je  .vous  '  ensonniray  *  ung  jour  tout  acertes  et 
c  vous  donray  bons  gaiges.  » 

Cils  sur  la  fourme  et  estât  qu*il  leur  disoit ,  ouvroient  et 
venoient  à  Paris  et  y  entroient  de  nuit  ou  de  matin ,  car 
pour  lors  les  portes  de  Paris  nuit  et  jour  estoient  ouvertes. 

*-•  Sera  mestier.  —  ■-*  Gontenteray. 


Digitized  by 


Google 


6  HEURTKB 

Tant  se  y  amassèrent  que  ils  forent  environ  quarante  com- 
paignons  hardis  et  onltrageux  :  d*aatres  gens  navoitle  dit 
messire  Pierre  que  faire  ,  et  de  ceulx  il  en  y  avoit  plu* 
sieurs  que,  se  ils  euissent  sceu  pourquoy  c*estoit  à  faire  ^ 
jà  ils  n  y  euissent  entré  ,  mais  de  descouvrir  '^on  secret  il 
se  gardoit  ^ 

Messire  Pierre  de  Craon  environ  la  Penthecoste  ou  les 
festes  ,  il  vint  *  quoiement  '  à  Paris  et  se  bouta  en  son 
hostel ,  non  mie  en  son  estât ,  mais  tout  ainsi  habillié  que 
les  autres  y  estoient  venus.  Il  demanda  le  varlet  qui  gar- 
doit la  porte  :  «  Je  te  commande  sur  les  yeulx  de  ta  teste 
«  à  crever ,  dist  messire  Pierre  de  Craon,  quant  il  fut 
«  venu  en  son  hostel ,  que  tu  ne  mettes  chéens  ne  homme, 
«  ne  femme,  ne  laisses  yssir  aussi,  se  je  ne  le  commande.  » 
Le  varlet  obéy ,  ce  fat  raison.  Aussi  flst  le  concierge  qui 
avoit  la  garde  de  Tostel.  La  femme  du  qpncierge ,  ses 
enfians  et  la  *  baisselle  *  on  faisoit  tenir  en  une  chambre 
sans  point  yssir.  Il  avoit  droit ,  car ,  se  femme  ou  enffans 
fuissent  aies  sur  les  rues,  la  venue  de  messire  Pierre  de 
Craon  euist  esté  tantost  sceue,  car  joeunes  enfians  et  femmes 
par  nature*  choillent^  envis  ce  que  ils  voient' et  ce  que 
on  vœlt  celler. 

En  cel  estât  et  arroy  que  je  vous  compte,  farent-ils  là 
dedens  cel  hostel  enclos  jusques  au  jour  du  Saint-Sacrement, 
et  avoit  tous  les  jours  ses  espies  allans  où  il  les  envoioit  et 
retoumans  vers  luy,  qui  espioient  sur  son  •  fait  et  luy  rap- 
portoient  la  vérité  de  ce  que  il  vouloît  savoir,  et  n'avoit 
point  encoires  le  dit  messire  Pierre  de  Craon  jusques  à  ce 
jour  du  Sacrement  veu  son  •  cop  i®,  dont  il  s'en  anoyoit  bien 
en  soy-meismes. 

'  Bien.  —  "  Secràtement.  —  ^  Chambrière..  Meschine.  — 
**  Cèlent.  —  •  Estât  et  sur  tout  son.  —  •-*•  Heure. 


Digitized  by 


Google 


DU  CONNÉTABLE.  7^ 

Or  advint  que  ce  jour  du  Saint-Sacrement  le  roy  deu 
France  en  son  hostel  de  Saint-Pol  à  Paris  avoit  tenu  de 
tous  les  barons  et  seigneurs  qui  pour  ce  jour  estoient  à 
Paris,  court  ouverte.  Et  fut  ce  jour  le  roy  en^grant 
soulas,  et  aussi  fut  la  royne  et  la  duchesse  de  Thouraine. 
Et  pour  les  dames  solacier  et  le  jour  persévérer  en  joye 
après  disner  dedens  Fenclos  de  l'ostel  de  Saint-Pol  de  Paris 
les  jeunes  chevalliers  et  escuiers  montés  sur  coursiers  et. 
tous  armés  pour  la  jouste  la  lance  ou  poing  estoient  là  venus 
et  avoient  jousté  fort  et  roidement  ,  et  forent  ce  jour  moult 
belles  les  joustes  et  voulentiers  veues  du  roy ,  de  la  royne ,  : 
des  dames  et  damoiselles  ,  et  ne  *  disnèrent  '  point  jusques 
au  soir ,  et  eut  le  pris  pour  le  mieulx  joustant  par  le  record 
des  dames ,  premièrement  de  la  royne  de  France ,  de  la 
duchesse  de  Thouraine  et  des  héraulx  à  ce  ordonnés  du 
donner  et  du  jugier ,  messire  Guillemme  de  Flandres ,  : 
conte  de  Namur ,  et  donna  le  roy  le  soupper  à  ^  Saint-Pol 
à  tous  les  chevalliers  qui  y  vorrent  estre,  et  après  ce  soup- 
per on  dansa  et  carola  jusqaes  à  une  heure  après  mye-nuit. 
Après  ces  danses  on  se  départy  et  se  traist  chascun  ^  à  son 
hostel  sans  doubte  et  sans  gait ,  l'un  «  après  l'autre  '. 

Messire  Olivier  de  Clichon ,  connestable  de  France  pour 
lors  ,  se  départy,  tout  dernièrement ,  et  avoit  priiis  congié 
au  roy,  et  s'en  estoit  revenu  par  la  chambre  du  duc  de 
Thouraine  et  luy  avoit  demandé  :  «  Monseigneur,  demou- 
«  rés-vous  icy  ou*  vous  retournerés  chiés  •  Poulain  *^?  »  Ce 
Poulin  estoit  trésorier  du  duc  de  Thouraine  et  demouroit. 
à  la  Croix  du  Tiroir  assés  près  de  l'ostel  au  Lyon  d'Argent. 
Le  duc  de  Thouraine  luy  avoit  respondu  et  dit  :  «  Connes- 
«  table ,  je  ne  sçay  encoires  du  demeurer  ou  du  retourner. 

•  Très.  —  ■-•  Cessèrent.  —  *  L'ostel  de.  —  •  A  son  logeis  ou.  — 
•-'  Cà,  raotre  là.  -  •  Si  —  •«  Paulain, 


Digitized  by 


Google 


8  VEDRTftB 

a  Alésrvous  ent  »  il  est  meshuy  bien  heure  du  partir  pour 
«  vous.  »  Dont  prist  à  ceste  parole  le  connestable  congié 
au  duc  de  Thouraine  en  disant  :  a  Monseigneur ,  Dieu  vous 
a  doinst  bonne  nuit  !»  et  se  départy  sur  cel  estât  et  vint  en 
la  place  devant  Fostel  de  Saint-Pol  et  trouva  ses  gens  et 
ses  chevaulx  qui  l'attendoient ,  et  tout  compté  il  n'y  avoit 
en  sa  compaignie  que  huit  hommes  et  deux  torses  lesquelles 
les  varlets  alumèrent  si  tost  que  le  connestable  fut  monté , 
et  les  portèrent  devant  luy ,  et  se  misrent  au  chemin  tout 
parmy  la  rue  pour  rentrer  en  la  grant  rue  ^  de  relise 
Saint-Berthelémy  *. 

Messire  Pierre  de  Graon  avoit  ce  soir  si  bim  espié  que 
il  scavoit  tout  le  convenant  du  connestable  et  comment  il 
eetoit  demeuré  derrière  et  de  ses  chevaulz  qui  Fattendoient. 
Si  estoit  party  et  yssu  hors  de  son  hostel  et  ses  gens  tous 
armés  à  la  couverte  et  tous  montés  sur  leurs  chevaulx ,  et 
n*y  avoit  de  ceulx  de  sa  route  pas  six  qui  soenissent 
encoires  quel  chose  il  avoit  en  pourpos  de  fSùre.  Et  estoit 
venu  le  dit  messire  Pierre  sur  la  chaussie  au  quarrefour 
Sainte-Katherine  et  là  se  tenoit-il  tout  quoy  et  ses  gens , 
et  attendoient  le  connestable.  Si  tost  que  le  connestable  ftit 
yssu  de  la  rue  Saint-Pol  et  tourné  au  quarrefour  de  la 
grant  rue  et  que  il  s*en  venoit  tout  le  pas  sur  son  cheval  les 
torses  sur  son  costé  pour  luy  esclairier  et  jengloit  à  ung 
sien  escuier  et  disoit  :  «  Je  doy  demain  avoir  au  disner 
«  chiés  moy  monseigneur  de  Thouraine  y  le  seigneur  de 
«  Goucy  ,  messire  Jehan  de  Vienne ,  messire  Charles  d'Ân- 
«  giers ,  le  baron  dlvery  et  plusieurs  autres.  Or  pensés 
«  que  ils  soient  tous  aises  et  que  riens  n*y  ait  espargnié,  » 
en  ces  paroles  disant ,  vescy.  Pierre  de  Graon  et  sa 
route  9  et  s'avancèrent  et  premièrement  ils  entrèrent  entre 

*^  Saliite-Gatherine. 


Digitized  by 


Google 


DU  combàMLE.  9 

las  gens  du  oamidstaUe  ;  ils  estotent  sans  lundàre ,  et  sans 
parler  et  sans  escrier ,  tout  premiers  on  priât  les  torses ,  et 
forent  estaintes  et  jettées  contre  terre.  En  prendant  les 
torses  le  oonnestable  aroit  parlé  tout  bas  et  dist  ainsi  pour 
tant  que  quant  il  senty  Teffiroy  des  chevaulx  qui  venoient 
derriôre ,  il  coidoit  que  ce  fuist  le  duc  de  Thouraine  qui 
8*68batist  à  luy  et  à  ses  gens  :  «  Mondingneur ,  par  ma  foy, 
c  c'est  mal  fisdt ,  mais  je  le  vous  pardonne ,  car  vous  estes 
«  jeune  :  si  sont  tous  jeux  et  tous  rereaulx  en  vous.  » 

A  ces  mots  dist  messire  Pierre  de  Graon  en  tirant  tum 
espée  hors  du  fnerre  :  «  Â  mort  !  à  mort  Glichou  !  Si  vous 
«  fitult  morir.  »  —  «  Qui  es-tu,  dist  le  sire  de  Clichon,  qui 
«  dis  telles  paroles  ?  •  —  a  Je  suis  Pierre  de  Graon  vostre 
«  ennemy.  Vous  m'avés  par  tant  de  fois  oourrouchié  que 
«  oy  levons  fault  ^  parer*  et  amender.  »  —  «  Avant  !  dist- 
«  il  &  ses  gens ,  j*ay  ceUuy  que  je  demande  et  que  je  vueii 
«  avoir.  »  En  disant  ces  paroles  il  flert  et  lance  après  luy,  ses 
gens  tirent  espëes  et  lancent  après  luy,  et  coups  commenciè- 
rent  à  voler  et  &  croisier  sur  le  connestable,  et  luy  qui  estoit 
tout  nuds  et  despourveu,  et  ne  portoit  fors  ungcoutel, 
espoir  de  deux  pies  de  longueur,  traist  le  coutel  et  com- 
mença à'  escremir^.  Ses  gens  aussi  estoient  tous  nuds  et 
despourveus.  Si  se  effroièrent  et  furent  tantost  ouvers  et 
espars. 

Les  aucuns  des  hommes  messire  Pierre  de  Graon  deman- 
dèrent :  «  Occirons-nous  tout  ?»  —  a  Ouil ,  dist-il ,  ceulx 
1  qui  se  metteront  à  deffense.  »  La  deffense  estoit  petite, 
car  il  n'estoient  que  euls  huit  et  sans  armures,  et  tous  ^  les 
autres  *  entendoient  pour  le  connestable  occire  et  pour  le 
atarrer  ;  ne  messire  Pierre  de  Graon  ne  demandoit  autre 
chose  que  le  bon  connestable  mort  ;  et  vous  dy  (sicomme  le 

*  '  Paler.  »  V  Eflcarmnchidr..  Soy  d^ffendre.  —  ^  Ceolx  de  Craon. 


Digitized  by 


Google 


iO  MEURTRE 

congneurent  depuis  les  aucuns  qui  à  ceassaolt  etàoelle: 
emprinse  furent)  les  plusieurs,  quant  ils  eurent  congnoissance 
que  c'estoit  le  connestable  que  ik  assailloient,  furent  tant 
eshidés  que  en  férant  sur  luy  ^  leurs  coups  n'avoient  point 
de  puissance,  et  aussi  ce  que  ils  faisoient,  ils  le  iaisoient. 
paoureusement,  car  en  trahison  faisant  nuls  n'est  hardy. 

Le  connestable  contre  les  coups  se  couvroit  dé  son  bras, 
et  croisoit  de  son  *  coutel  '  et  se  deffendoit  yaillamment.  Sa. 
defiense  ne  luy  eust  gaires  valu,  se  la  grâce  de  Dieu  ne 
leuist  garde  et  defiendu  ;  et  tousjours  se  tenoit  sur  son 
cheyal  et  ;tant  qu'a  fat  féru  sur  le  chief  d'une  espée  à  plain 
coup  moult  yilainement ,  duquel  coup  il  versa  jus  de  soU' 
cheval  droit  à  rencontre  del  huys  d'un  foumier  qui  jà  s'es- 
toit  relevé  pour  ordonner  ses  besoingnes  et  faire  son  pain, 
et  cuire  ,   et  en  devant  ce  il  avoit  oy  sur  la  chaussie  les 
chevauls  freteler  et  plusieurs  des  paroles  qui  là  furent  dittes» 
et  avoit  celluy  foumier  ung  petit  entre-ouvert  son  huys, 
dont  trop  bien  en  prist  et  chéy  au  seigneur  de  Clichon  de 
ce  que  l'uis  estoit  entre-ouvert  ;  car  au  cheoir  ^  que  il  flst 
contre  l'uys  il  s'ouvry  ,  et  le  connestable  chéy  du  chief  par 
dedens  la  maison.  Ceulx  qui  estoient  à  cheval  ne  peurent 
ens,  car  luys  n'estoit  pas  moult  hault,  ne  moult  large,  et 
si  faisoient  leur  fait  paoureusement. 

Vous  devés  savoir,  et  vérité  est,  que  Dieu  flst  adont  grant 
grâce  au  connestable  ;  car,  se  il  fuist  aussi  bien  cheu  dehors 
l'uys  que  il  chéy  dedens  ou  que  l'uys  euist  esté  fermé ,  il 
estoit  mort ,  et  le  euissent  tout  defroissié  et  petelé  aux  pies 
de  leurs  chevaulx,  mais  ils  n'osèrent  descendre. 

De  ce  coup  du  chief ,  dont  il  estoit  cheu,  cuidièrent  bien 
les  plusieurs  (messire  de  Craon  et  ceulx  qui  sur  luy  féru 
avoient)  que  du  moins  il  luy  euist  donné  le  coup  de  la  mort.. 

.  .*.  Ou  contre  luy.  —  ■••  Badelairo.  —  *  Du  cheval. 


Digitized  by 


Google 


DO  GOIUliTABUS.  il 

8i  dist  messire  Pierre  de  Craon  :  a  Alons ,  alons,  nous  en 
•  avons  £Edt  assés.  .S*il  n*est  mort ,  se  morra-il  du  coup  de 
c  la  teste  ,  car  il  a  esté  féru  de  bon  bras.  »  A  ceste  parole 
ils  se  recueillôrent  tous  ensemble  et  se  départirent  de  la 
place  et  chevauchèrent  le  bon  pas.  Si  furent  tantost  à  la 
porte  Saint- Anthoine  et  par  là  widièrent  et  prindrent  les 
champs,  car  pour  lors  celle  ^orte  estoit  nuit  et  jour  ouverte 
et  avoit  bien  esté  dix  ans  en  devant  depuis  que  le  roy 
retourna  de  la  bataille  de  Rosebeque  et  que  le  connestable 
dont  je  parie  osta  les  mallets  de  Paris  et  que  il  en  chastoia 
du  corps  et  de  leur  chevance  les  plusieurs,  sicomme  je  en 
ay  traittié  en  nostre  histoire  cy-devant. 

Ainsi  fut  messire  Olivier  de  Glichon  en  ce  party  laissié 
comme  homme  mort ,  '  chiés  le  *  foumier  qui  fut  moult 
esbahy  quant  il  vey  et  congneu  que  c'estoit  le  connestable 
de  France.  Les  gens  du  connestable  ausquels  on  flst  moult 
petit  de  mal  (car  tous  '  avoient  entendu  les  malfaitteurs  au 
connestable  occire),  se  remirent  ensemble  au  mieulx  et  du 
plus  tost  qu'ils  pèurent ,  et  descendirent  devant  Tuys  du 
foumier  et  entrèrent  en  la  maison,  et  trouvèrent  leur  sei- 
gneur et  leur  maistre  blechié  et  navré  et  le  chief  durement 
entamé ,  et  le  sang  qui  luy  couvroit  le  vyaire.  Se  ils  furent 
tous  esbahis  ,  ce  fut  raison.  Là  y  ot  grans  pleurs  et  très- 
grans  cris  ,  car  du  premier  ils  cuidièrent  bien  que  il  fuist 
mort,  pour  quoy  ils  entendirent  à  luy. 

Tantost  les  nouvelles  en  vindrent  à  Tostel  de  Saint-Pol 
et  jusques  à  la  chambre  du  roy,  et  fat  dit  au  roy  tout  effraé- 
ment  et  sur  le  point  et  Teure  que  il  devoit  entrer  en  son  lit, 
en  telle  manière  :  a  Ha!  a  ?  sire  ,  nous  ne  vous  osons  celler 
1  le  grant  meschief  qui  est  présentement  advenu  en  Paris.  » 
—  n  Quel  meschief?  »  dist  le  roy.  — «De  votre  connestable 

•-•  En  Fostel  du.  —  •  Les  gens  de  messire  Pierre  de  Craon. 


Digitized  by 


Google 


IS  MEURTRE 

«  dirent  oeulx ,  messire  OUvier  de  Clichon  qui  est  occis.  »  — - 
«  Occis  ?  dist  le  roy.  Ciommeiit  ?  Qui  a  ce  &it  ?»  —  «  Sire, 
«  nous  ne  scavons,  mais  ce  meschief  est  advenu  sur  iuy  et 
«  bien  près  de  cy  en  la  grant  rue  Sainte-Katherine.  »  — 
•  Or  tost,  dist  le  roy,  aux  torses  !  aux  torses  !  je  le  vueil 
«  aler  veoir.  »  On  alluma  torses  ;  varlets  saillirent  avant,  le 
roy  tant  seulement  vesty  une  hûppelande ,  on  Iuy  bouta  ses 
soulliers  es  pies.  Sergens  d*armes  et  huissiers  qui  ordonnés 
estoient  pour  fiaire  le  guet  etgarder  celle  nuit  Tostel  de  Saint- 
Pol,  saillirenttantost  avant.  Geulx  quicouchiés  estoient,  aus* 
quels  les  nouvelles  en  vindrent ,  se  levèrent  et  ordonnèrent 
pour  sieuvir  le  roy ,  lequel  party  moult  hastivement  &  celle 
heure  delostel  de  Saint-Pol  sans  quelque  arroyetsans 
attendre  personne  fors  seulement  ceulx  de  sa  chambre  ,  et 
s*en  vint  voire  le  bon  pas  plenté  de  torses  devant  Iuy  et 
derrière,  et  n'y  avoit  en  sa  compaignie  de  ses  chambrelens, 
fors  messire  ^  Guillemme  '  Martel  et  messu*e  '  Hélyon  *  de 
lignaeh. 

En  cel  estât  et  arroy  le  roy  chemina  tout  &  pié  jusques 
&  la  maison  du  boullengier ,  et  entra  ens.  Plusieurs  torses 
et  chambrelens  demeurèrent  dehors.  Quant  le  roy  fut  illec 
venu ,  il  trouva  messire  Olivier  de  Clichon  son  connestable 
aucques  ou  parly  que  on  Iuy  avoit  recordé ,  réservé  que  il 
n*estoit  point  mort ,  et  jà  Tavoient  ses  gens  despouillié  pour 
taster ,  savoir  et  veoir  plus  aisieuement  les  lieux  où  il 
estoit  le  plus  navré  et  les  plaies  conmient  elles  se  portoient. 
La  première  parole  que  le  roy  dist ,  ce  fut  :  a  Connestable, 
«  comment  tous  sentés-vous  !»  Il  respondi  :  «  Chier  sire , 
«  petitement  et  foiblement.  »  —  «  Et  qui  vous  a  mis  en  ce 
«  point  î  »  dist  le  roy.  —  «  Sire,  respondi-il,  ce  a  fait  Pierre 
«  de  Craôn  et  ses  complices  trahiteusement  et  sans  nulle 

•-•  Gauthier.  —  *•*  Jehan. 


Digitized  by 


Google 


DU  GOraiTABLE.  13 

«  *  deffianoe  ••  »  —  •  Gonnestable ,  dist  le  poy  ,  otioques 
•  chose  ne  fat  si  comparée  comme  ceste  sera ,  ne  si  fort 
«  amendée.  » — a  Ortost,  dist  le  roy,  aux  médechins  et  sur^ 
«  giens.  »  Et  jà  les  estoit-on  aies  quérir,  et  yenoient  de 
toutes  pars,  et  personnellement  les  médechins  du  roy.  Quant 
ils  forent  yenus ,  le  roy  en  ot  grant  joye  et  leur  dist  : 
c  Regardés-moy  mon  connestable  ,  et  me  sachiés  &  dire  en 
«  quel  point  il  est  ;  car  de  son  inconyénient  je  suis  moult 
1  dolant.  0  Les  médechins  respondirent  :  •  Sire ,  youlen- 
«  tiers.  •  Si  fut  par  euls  tasté  ,  yisité  et  regardé  et  appa- 
reillié  de  tous  poins  à  son  deyoir ,  comme  le  cas  requé- 
roit ,  et  tousjours  là  le  roy  présent. 

Le  roy  qui  trop  fort  estoit  courrouchié  de  ceste  adyenue, 
demanda  aux  surgiens  et  aux  médechins  :  «  Dittes-moy  : 
c  y  a-il  nul  péril  de  mort  ?  »  Ds  respondirent  tous  d*une 
sieulte  :  «  Certes ,  '  sire ,  péril  de  mort  n*y  a-il  point  ^ 
c  et.  Dieu  douant,  nous  le  yous  rendrons  dedens  quinze  jours 
c  '  alant  à  cheyal  *.  h  Geste  response  très-grandement  res- 
jouy  le  roy,  et  dist  :  «  Dieux  en  soit  loé  1  Ce  sont  riches 
«  nouyelles.  •  Et  puis  dist  &  messire  Oliyier  :  «  Connestable, 
«  pensés  de  yous  et  ne  yous  ^  sangmellés  *  point  en  riens, 
«  ne  desyoiés  ;  car  oncques  délit  ne  fut  si  chier  comparé  , 
«  ne  amendé  sur  les  trahitours  comme  cils  sera  ;  car  la 
«  chose  est  mienne.  »  Le  connestable  respondi  moult  foi- 
blement  :  «  Sire,  Dieu  le  yous  puist  ®  mérir  ^^  de  la  boime 
«  yisitation  que  faitte  m*ayés.  » 

  ces  mots  prist  le  roy  congié  au  connestable  et  s*en 
retourna  à  Saint-Pol  et  manda  tantost  le  preyost  du  Chas- 
teletde  Paris,  lequel  yint  à  Saint-Pol,  et  jà  estoit-il  jour 
tout  der.  Quant  il  fut  yenu ,  le  roy  luy  commanda  en 

*■•  DeflEense.  —  "•*  Nennil.  —  *"*  Chevauchant.  —  *•  Sondés.  — 
•-••  Rendre. 


Digitized  by 


Google 


i4    .  MBURTRB 

disant  :  «  Prévost,  prendés  gens  à  tous  lés  bien  montés  et 
«  appareilliés,  et  poursievés  par  voies  et  chemins  ce  trahi* 
«  tour  Pierre  de  Craon  qui  trahiteusement  a  navré  et  mis 
a  en  péril  de  mort  nostre  connestable.  Vous  ne  nous  poés 
a  faire  service  plus  agréable  que  de  le  trouver  et  prendre 
«  et  nous  amener.  »  Le  prévost  respondy  :  a  Sire ,  j*en 
a  feray  mon  povoir  ,  mais  quel  chemin  puet-il  tenir  ?»  — 
«  Infourmés-vous-en  ,  dist  le  roy ,  ^  à  toute  *  dilligence.  » 
Pour  le  temps  de  lors  les  quatre  souveraines  portes  de 
Paris  estoient  tondis  ouvertes,  et  ceste  ordonnance  du  tenir 
ouvertes  avoit  esté  faitte  au  retour  de  la  bataille  qui  fut  en 
Flandres  où  le  roy  desconfy  les  Flamens  à  Rosebecque  et 
que  les  Parisiens  se  vouldrent  rebeller  et  que  les  maillets 
furent  estorés  et  pour  mieulx  aisiéement  à  toute  heure 
chastoier  et  seignourir  iceulx  Parisyens.  M^sire  Olivier  de 
Glichon  avoit  donné  ce  conseil  de  ester  toutes  les  chaynes 
des  rues  et  quarrefours  de  Paris,  pour  aler  et  de  nuit  che* 
vauchier  partout ,  et  furent  hostés  hors  des  gons  des  souve- 
raines portes  de  Paris  les  foeillets  et  là  couchiés ,  et  furent 
en  tel  estât  environ  dix  ans ,  et  entroit-on  à  toute  heure 
en  ^  Paris.  Or  considérés  comment  les  choses  viennent  et 
comment  les  saisons  paient.  Le  connestable  avoit  cueillie  la 
verge  dont  il  fut  batu  ;  car,  se  les  portes  euissent  esté  fer- 
mées et  les  chaynnes  levées ,  jamais  messire  Pierre  de 
Craon  n*euist  avoir  osé  fait  ce  délit  et  cel  outrage  que  il  âst, 
car  il  ne  peuist  avoir  yssu  de  Paris.  Et  pour  ce  que  il 
sçavoit  bien  que  il  ysteroit  de  Paris  de  nuit  àtoute  heure,  se 
advisa-il  de  ce  maléfice  faire  ;  et  quant  il  se  départy  du 
connestable  ,  il  le  cuidoit  avoir  laissié  mort ,  mais  non  fist, 
sicomme  vous  oués  dire ,  dont  depuis  il  fut  moult  cour- 
rouchié. 

•••  Et  si  en  faites  bonne.  —  'La  ville  de. 


Digitized  by 


Google 


DU  GOimiTABLE.  15 

Qoant  il  yssy  de  Paris,  ilestoit  une  heure  après  my-nuit, 
et  yssy  par  la  porte  de  Saint-Ânthoine  ,  et  dient  les  aucuns 
que  il  passa  la  ^  Seine  au  pont  de  Charrenton  ,  et  depuis  il 
print  le  chemin  de  Chartres ,  et  les  aucuxis  dient  que  à 
rissir  de  Paris  il  retourna  devers  la  porte  Saiht-Honnouré 
dessoubs  Montmartre  et  vint  passer  la  rivière  de  Saine  au 
ponton.  Par  où  que  il  passast  la  rivière,  il  vint  sur  le  point 
de  huit  heures  à  Chartres  ,  et  aucuns  des  siens  les  mieulx 
montés  ,  car  tous  ne  le  sieuvirent  pas,  mais  se  *  defibuquè- 
rent  '  pour  faire  le  moins  de  monstre  et  pour  la  doubte  des 
poursieutes,  et  tindrent  plusieurs  trains.  Au  passer  messire 
Pierre  de  Craon  et  sa  route  avoient  ordonné  jusques  à  vingt 
chevaulx  et  laissiés  les  avoit  chiés  ung  chanoine  de  Chartres 
lequel  de  long  temps  avoit  esté  et  encoires  estoit  Tun  de 
ses  *  clers  *  et  Favoit  bien  servy  ,  dont  mieulx  vaulsist  que 
oncques  ne  Teuist  congneu,  quoyque  de  ce  délit  et  fourfait 
le  dit  chanoine  n*en  sceuist  riens.  Messire  Pierre  de  Craon, 
quant  il  fut  venu  à  Chartres  ,  but  ung  coup  et  se  renou* 
vella  de  chevaulx  et  se  party  de  Chartres  tantost  et  prinst 
le  chemin  du  Mayne  ,  et  exploitta  tellement  et  *  si  bien  que 
il  vint  en  ung  fort  chastel  qui  encoires  se  tenoit  pour  luy  , 
que  on  dist  Sablé  ,  et  là  se  arresta  et  raffreschy  ,  et  dist 
que  il  n'yroit  plus  ^vant ,  si  aroit  aprins  des  nouvelles, 
'  comme  il  flst  '. 

Vous  devés  savoir  que  ce  vendredi  dont  le  jeudi  par  nuit 
ce  délit  fut  fait  par  messire  Pierre  de  Craon  et  ses  com- 
plices ,  il  fut  grans  nouvelles  parmy  Paris  de  cel  oultrage, 
et  moult  grandement  en  fut  blasmé  messire  Pierre  de  Craon. 
Et  le  sire  de  Coucy  qui  se  tenoit  en  son  hostel,  si  tost 
oonmie  il  sceut  au  matin  les  nouvelles,  monta  à  cheval  et  se 

•  Rivière  de.  —  •"•  Dësassemblôrent.  —  *-•  Gêna.  —  •  Chevaucha. 
«—  •  De  Paris..  De  messire  Olivier.  —  •  Et  là  se  tinst. 


Digitized  by 


Google 


16  MEURTHB 

départj  luy  ^  cinquième  '  tant  seulement  et  vint  à  l'ostel  du 
connestable  derriëre  le  Temple  où  on  Favoit  rapporté ,  car 
monlt  s*entre-amoient  et  se  appelloient  frères  et  compai- 
gnons  d'armes.  Le  Visitation  du  seigneur  de  Couqr  fist  au 
connestable  grant  bien.  Aussi  tous  les  autres  seigneurs  à 
leur  tour  le  venoient  veoir ,  et  par  espécial,  avec  le  roy , 
son  frère  le  duc  de  Thouraine,  lequel  en  fut  grandement 
courrouchié ,  et  bien  disoient  les  deux  frères  que  Pierre  de 
Craon  avoit  fisdt  ce  délit  et  cel  oultrage  en  leur  despit  et 
que  c*estoit  une  chose  faitte  et  proposée  par  trahitours  et 
pour  mettre  tourble  ens  ou  royaulme.  Le  duc  de  Berry  qui 
pour  ces  jours  estoit  à  Paris,  s'en  dissimula  grandement,  et, 
ad  ce  qu'il  monstra ,  il  n'en  flst  mie  gnmt  compte.  Et  je 
Jehan  Froissart,  acteur  de  ceste  histoire,  fuy  adont  infourmë . 
que  de  ceste  adventure  il  n'euist  riens  esté ,  se  il  voulsist , 
et  que  trop  '  légièrement  ^  l'euist  brisie  et  aie  au  devant , 
et  je  vous  esdarchiray  et  diray  la  raison  pourquoy  et 
comment. 

Ce  propre  jour  estoit  venu  au  duc  de  Berry  ung  clerc 
lequel  estoit  moult  famillier  au  dit  messire  Pierre  de  Craon, 
et  luy  avoit  dit  ainsi  et  révélé  en  secret  :  a  Monseigneur , 
«  je  vous  ouvriroie  voulentiers  aucune  chose  qui  n'est  pas 
«  bien  convenable ,  mais  est  taillie  de  venir  à  très-povre 
«  conclusion ,  et  vous  estes  mieulx  ^  pour  y  pourveoir  que 
«  nul  autre.  »  —  «  Quel  chose  est-ce  ?  »  respondi  lors  le 
duc.  — et  Monseigneur,  avoit  respondu  le  clerc,  je  mets  bien 
«  chose  en  termes  où  je  ne  vueil  point  estre  nommé  ,  et 
«  pour  obvier  aux  grans  périls  et  meschiefs  et  eschever  le 
«  dangier  qui  en  puet  advenir  de  la  matière,  je  m'en  des- 
«  oeuvre  à  vous.  »  —  «  Dy  hardiement,  avoit  respondu  le 
«  duc  de  Berry,  je  t'en  porteray  tout  oultre.  »  Dont  avoit 

«■•  Huitiôme.—  •■*  Clairement.  —  ■  Taîllîë. 


Digitized  by 


Google 


DU  CONHÉTABLE.  17 

parlé  le  clerc  et  dit  ainsi  :  a  Monseigneur ,  je  me  doubte 
«  trop  grandement  de  messire  Pierre  de  Graon,  que  il  ne 
c  face  murdrir  ou  occir  monseigneur  le  connestable  ;  car 
«  il  a  amassé  en  son  hostel  en  la  chymentière  Saint-Jehan 
c  ung  grant  nombre  de  compaignons,  et,  les  y  a  tenus  cou- 
«  vertement  depuis  la  Penthecoste  ;  et,  se  il  *  commettoit  * 
«  ce  délit ,  le  roy  en  seroit  trop  grandement  courrouchié , 
«  et  trop  grant  tourble  en  pourroit  venir  ou  royaulme  de 
«  France  ;  et  pour  tant,  monseigneur,  je  le  vous  remonstre, 
«  car  je-meismes  en  suis  tant  eshidé  que,  quoyque  je  soye 
«  clerc  secrétaire  à  monseigneur  Pierre  de  Craon  et  que  je 
«  aye  mon  serement  à  luy  ,  je  n*ose  passer  cel  oultrage. 
«  Car,  se  vous  n'y  pourvoies  ,  nuls  n'y  pourverra  pour  le 
«  présent ,  et  de  ce  que  je  vous  dy  et  remonstre  ,  je  vous 
«  supply  humblement  que  il  vous  en  souviègne ,  se  il  me 
«  besoingne  ;  car,  sur  Testât  où  je  voy  que  messire  Pierre 
«  de  Craon  veult  persévérer  ,  pour  Teslongier  et  fuir  ,  je 
«  ne  vueil  pas  plus  par  devers  luy  retourner.  » 

Le  duc  de  Berry  très-bien  en  soy-meismes  avoit  glosé 
et  entendu  ces  nouvelles  et  paroles  et  respondu  au  clerc  et 
dit  :  «  Demeurés  dalés  moy  maishuy ,  et  de  matin  j'en 
a  infourmeray  monseigneur.  Il  est  maishuy  trop  tard  et 
«  trop  hault  jour  ;  je  ne  vueil  point  tourbler  le  roy.  Mais 
«  '  de  matin  ^sans  nulle  faulte  nous  y  pourverrons,  puisque 
«  messire  Pierre  de  Graon  est  en  la  ville.  Je  ne  l'y  savoie 
«  pas.  9  Ainsi  se  déporta  le  duc  de  Berry  de  ceste  chose  et 
négliga',  et  endementiers  le  meschief  advint  en  la  fourme 
et  manière  que  vous  m'avés  oy  recorder. 

Le  prévost  de  Paris,  à  plus  de  soixante  hommes  ^  armés, 
yssi  hors  de  Paris  par  la  porte  Saint-Honnouré  et  sieuvy 
aucques  les  esclos  de  messire  Pierre  de  Graon,  et  vint  â 

•-•  Faisoit.  —  •.*  Demain.  —  'A  cheval  toua, 

XV.  —  FROISSAhT.  2 


Digitized  by 


Google 


18  VBURTRB 

Gheneviôres  passer  oultre  au  ponthon  la  rivière  de  Seine , 
et  demanda  au  ponthenier  se  nuls  de  matin  estoit  passé  par 
là.  Il  respondi  :  «  Ouyl,  environ  douze  chevaulx  ,  mais  je 
«  n'y  vey  nul  chevallier,  ne  homme  que  je  congneusse.  »  — 
a  Et  quel  chemin  tiennent-ils  ?  »  demanda  le  prévost. 
«  Sire  y  respondi  le  pontenier ,  ils  tiennent  le  chemin 
«  d'Évrues.  »  —  «  Ha  !  a  !  respondy  le  prévost,  il  puet  bien 
«  estre.  Ils  s'en  vont  droit  à  Chièrebourg.  »  Âdont 
entrèrent-ils  en  ce  chemin,  et  laissièrentle  chemin  de  Char- 
tres et  par  celle  manière  perdirent-ils  la  juste  poursieute  de 
messire  Pierre  de  Craon ,  et  quant  ils  eurent  chevauchié 
jusques  au  disner  le  chemin  d*Éwrues ,  il  leur  fut  dit  par 
ung  chevallier  du  pays  qui  chassoit  aux  lièvres  à  qui  ils  en 
demandèrent,  que  il  avoit  veu  environ  quinze  hommes  à 
cheval  du  matin  traverser  les  champs  ,  et  selon  son  ad  vis 
ils  avoient  prins  le  chemin  de  Chartres. 

Lors  entrèrent  le  prévost  et  sa  route  ou  chemin  de  Char- 
tres et  le  tindrent  jusques  au  soir  et  vindrent  là  au  giste , 
et  là  sceurent  la  vérité  que  messire  Pierre  de  Craon  sur  le 
point  de  huit  heures  avoit  là  esté  chiés  le  chanonne  et  s'estoit 
*  desjeuné  *  et  renouvelle  de  chevaulx»  Il  perceu  bien  que 
il  perdoit  sa  peine  du  plus  poursieuvir  et  que  messire  Pierre 
estoit  trop  eslongié.  Si  retourna  luy  et  sa  route  le  samedi  à 
Paris. 

Pour  ce  que  on  ne  sçavoit  au  vray  ,  ne  sçavoir  on  ne 
povoit ,  quant  le  dit  messire  Pierre  de  Craon  yssy  hors  de 
Paris,  quel  chemin  il  tenoit,  le  roy .  de  France  et  Je  duc  de 
Thouraine  qui  trop  grande  afiTection  avoient  ad  ce  que 
messire  Pierre  fuist  attrapé,  firent  partir  et  yssir  hors  de 
Paris  messire  Jehan  le  Barrois,  seigneur  des  Barres,  à  plus 
de  soixante  chevaulx,  et  yssirent  par  la  porte  Saint-An-  ^ 

*■•  Désarme. 


Digitized  by 


Google 


DU  COKRiTABLE.  19 

ihoine  et  passèrent  la  rivière  de  Marne  et  de  Sayne  an  pont 
de  Charenton  et  tournèrent  tout  le  pays  et  vindrent  devers 
Estampes,  et  flnablement  le  samedi  au  disner  il  furent  & 
Chartres  et  là  en  orent  certaines  nouvelles.  Quant  messire 
Jehan  des  Barres  sceut  que  messire  Pierre  de  Graon  estoit 
passé  oultre ,  il  perceu  bien  que  en  vain  il  traveilloit  du 
plus  poursieuvir  et  qu'il  estoit  jà  trop  eslongié  :  si  retourna 
le  dimence  vers  la  cité  de  Paris  et  recorda  au  roy  tout  le 
chemin  que  il  avoit  tenu.  Et  tout  ainsi  avoit  fait  le  prévost 
du  Chastelet  de  Paris. 

Ce  samedi  au  matin  furent  trouvés  des  sergens  *  du  roy  • 
qui  poursieuvoient  les  esclos,  en  ung  village  à  sept  lieues  de 
Paris,  deux  escuiers  et  ung  homme  d'armes  et  ung  page  des 
gens  messire  Pierre  de  Craon  ,  et  estoient  là  arrestés  et 
n'avoient  peu  sieuvir  la  route  ou  ne  vouloient.  Toutefibis  ils 
furent  prins  par  les  dis  sergens  et  amenés  à  Paris  et  boutés 
ou  Chastelet,  et  le  lundi  ils  furent  décolés,  et  premièrement 
où  le  délit  avoit  esté  fait ,  ils  furent  amenés ,  et  là  leur 
trencha-on  le  poing  à  chascun ,  et  puis  furent  décolés  aux 
halles  et  puis  menés  au  gibet  et  là  pendus. 

Le  mercredi  enssieuvant  le  concierge  de  lostel  messire 
Pierre  de  Craon  fut  aussi  décelé  et  exécuté ,  et  disoient 
plusieurs  gens  que  on  luy  faisoit  tort  ;  mais,  pour  ce.  que 
point  il  n  avoit  révélé  la  venue  de  messire  Pierre  de  Craon, 
il  eut  celle  pénitance.  Aussi  le  chanonne  de  Chartres  oCi 
messire  Pierre  estoit  descendu  et  luy  raflBreschy  et  renou- 
velle de  chevaulx,  fut  accusé  et  prins  et  mis  en  la  prison  de 
Tévesque.  On  luy  osta  tout  le  sien  et  ses  bénéfices  ,  et  fut 
condempné  en  chartre  perpétuelle  au  pain  et  à  Teaue  ;  car 
excusances  que  il  monstrast ,  ne  desist,  ne  luy  '  vaillirent  ^ 
riens.  Si  avoit-il  en  la  cité  de  Chartres  et  en  l'église 
renommée  d'estre  moult  vaillant  preudhomme. 

«-•  De  Paria.  —  ^  Valnrent. 


Digitized  by 


Google 


20  MEURTRE 

Trop  fiit  courrouchié  messire  Pierre  de  Craon  qui  arresté 
s*estoit  on  chastel  de  Sablé,  comme  dit  est ,  quant  les  nou- 
velles véritables  luy  vindrent  que  messire  Olivier  de  Clichon 
n'estoit  point  mort  et  n'avoit  playe ,  ne  blecheure  dont 
dedens  six  septmaines  il  laissast  à  chevauchier.  Lors 
s*advisa-il,  tout  considéré ,  que  en  ce  chastel  de  Sablé  il 
n*estoit  point  trop  seurement ,  et,  quant  on  saroit  la  vérité 
sur  le  pays  et  en  France  que  il  seroit  là  enclos,  il  seroit  de 
tous  lés  avironné,  siqu  il  n*en  partiroit  pas  ,  quant  il  voul- 
droit.  Si  le  recharga  à  aucuns  de  ses  hommes ,  puis  s*en 
*  party  en  chevauchant  vers  *  Bretaigne  et  trouva  le  duc 
au  Suseniot.  Le  duc  le  recueilly ,  qui  desjà  sçavoit  toutes 
les  nouvelles  du  fait  et  comment  le  connestable  n^estoit 
point  mort.  Si  dist  ainsi  à  messire  Pierre  de  Craon  :  «  Vous 
a  estes  ung  chétif,  quant  vous  n*avés  sceu  occire  ung  homme 
«  duquel  vous  estiés  au  dessus.  »  —  a  Monseigneur  ,  res- 
«  pondi  messire  Pierre  de  Craon  ,  c*est  bien  diabolicqua 
«  chose.  Je  croy  que  tous  les  diables  d*enfer  à  qui  il  est , 
«  le  ont  délivré  de  mes  mains  ;  car  il  ot  sur  luy  '  lanchant 
«  et  jettant  ^  plus  de  soixante  coups  ,  que  d  espées,  que  de 
ce  grans  couteaulx  ;  et  quant  il  chéy  jus  du  cheval ,  en 
tt  bonne  vérité  je  cuidoie  que  il  feust  mort,  et  la  très-bonne 
«  adventure  que  il  ot  pour  luy  de  bien  cheoir  ,  ce  fut  *  del 
«  huys  •  d'un  boulengier  qui  estoit  entre-ouvert ,  et  parce 
«  que  il  chéy  à  rencontre,  il  entra  dedens  ;  car,  se  il  feust 
a  cheu  sur  les  rues,  nous  Teuissions  partué  et  tout  dépestelé 
«  et  ^  défroissié  '  de  nos  chevaulx.  »  —  «  Or  avant ,  res- 
«  pondi  le  duc ,  pour  le  présent  il  n*en  sera  autrement. 
«  Je  suis  tout  certain  que  je  en  auray  de  par  le  roy  de 

'*  Yssj  coiement  et  couvertement,  et  chevaucha  tant  par  ses  jour- 
•  né^  qu'il  vint  en.  —  •-*  Lanchié  et  jette.  —  ^  Dedans  Thuys.  — 


1  • 


Défoule. 


Digitized  by 


Google 


DU  CONNÉTABLE.  21 

«  France  prochainement  nouvelles,  et  si  auray  pareillement 

«  la  guerre  et  la  hayne  que  vous  aurés.  Si  vous  tenés  tout 

«  quoiement  et  secrètement  delés  moy ,  car  la  chose  ne 

«  demourra  ^  pas  ainsi  '  ;  et  puisque  je  vous  ay  prommis 

«  saulf-garand  à  tenir ,  je  le  vous  tendray. 


Nouvelles  vindrent  au  roy  de  France  en  ces  jours  que  il 
se  tenoit  à  Paris  ,  que  le  duc  de  Bretaigne  avoit  recueillie 
messire  Pierre  de  Graon.  Le  roy  fut  infourmé  de  son  plus 
destroit  conseil»  c*est-à-entendre  de  celluy  dont  il  usoit  le 
plus ,  que  tantost  et  sans  délay  il  envoyast  en  Bretaigne 
devers  le  duc  et  luy  demandast  sur  sa  foy  et  sur  son  hom- 
mage que ,  se  ce  trahitour  envers  la  couronne  de  France 
Pierre  de  Graon  estoit  en  Bretaigne  et  en  lieu  où  il  euist 
puissance ,  il  en  fuist  saisy  et  tantost  luy  envoiast.  Les 
lettres  furent  escriptes  et  bien  séellées  et  à  ung  cbevaul- 
cheur  délivrées  ,  lequel  exploitta  tant  par  ses  journées  que 
il  vint  en  Bretaigne  et  trouva  le  duc  à  TErmine  en  la  marche 
de  Venues.  Il  luy  bailla  les  lettres  ;  le  duc  les  prist,  ouvry 
et  lisi  tout  de  mot  à  mot ,  et  puis  dist  à  celluy  qui  portées 
les  avoit  :  «  Je  rescripray  '.  »  Il  rescripvy  sur  la  fourme 
que  je  vous  diray  en  luy  excusant  et  disant  que  de  messire 
Pierre  de  Graon  il  ne  sçavoit  riens  ,  ne  sçavoir  vouloit , 
ne  à  luy  riens  du  sçavoir  n'appartenoit ,  et  que  la  guerre 
et  hayne  laquelle  il  avoit  à  Olivier  de  Glichon  en  riens  ne 
luy  touchoit ,  ne  regardoit,  et  de  ces  choses  il  prioit  au  roy 
que  il  le  voulsist  avoir  pour  ^  excusé.  Quant  ces  lettres 
furent  escriptes  bien  et  proprement  à  Tentente  du  duc  »  le 
message  du  roy  ,  quant  elles  furent  séellées ,  les  prist  ;  car 

**'  Oaires  longtemps  en  cest  état  i  mais  noua  mènera  le  roy  et  le 
connestable  en  grosse  guerre.  —  'Au  roy.  —  *  Recommandé  et. 


Digitized  by 


Google 


S2  CHARLES  Tl  YEUT  COMBATTES 

on  les  Iny  délivra ,  et  pois  s'en  retourna  tout  son  chemin 
et  flst  tant  par  ses  journées  que  il  revint  à  Paris.  Si  trouva 
le  roy  et  son  conseil  qui  moult  désîroient  à  avoir  response 
et  nouvelles  de  Bretaigne. 

Quant  le  message  fut  venu,  il  bailla  les  lettres  au  roy. 
Le  roy  les  prist ,  ouvry  et  lisi,  et  tout  ce  que  dedens  estoit, 
il  le  dist  à  son  frère  de  Tbouraine  et  à  son  conseil.  Geste 
response  et  excusation  ne  souffist  point,  et  disoient  là  les 
aucuns  que  le  duc  de  Bretaigne  avoit  fait  et  brassé  tout  ce 
*  candel  *.  Le  roy  et  le  duc  de  Tbouraine  disoient  que  le  des- 
pit  et  Foultrage  estoit  trop  grant,  et  que  il  ne  iSûsoit  '  mie  * 
à  passer  ainsi ,  ne  si  légiôrement ,  et  que  il  toucboit  trop 
grandement  à  la  majesté  ^  royale  ^. 

Pour  ces  jours  se  tenoit  et  séjoumoit  le  duc  de  Berry  à 
Paris  et  veoit  souvent  le  roy.  Le  roy  luy  parloit  aussi 
moult  souvent  de  ce  délit  qui  estoit  fait  par  messire  Pierre 
de  Graon.  Dont  respondoit  le  duc  :  «  Monseigneur ,  il  a 
«  fait  ung  grant  oultrage.  Qui  le  sçauroit  où  trouver ,  je 
<f  conseilleroie  bien  que  on  entendesist  à  ^  luy  aler  quérir  ' 
«  et  faire  amender.  »  —  «  Beaulx  oncles  ,  disoit  le  roy  , 
tt  il  est  en  Bretaigne  delés  le  duc  et  non  ailleurs.  Nous 
a  voulons  aler  celle  part ,  et  vous  aveuc  nous.  »  Le  duc 
de  Berry  luy  accordoit  et  3'en  dissimuloit  tout  du  contraire 
et  disoit  ainsi  au  roy  :  «  Monseigneur ,  il  vous  fault  avoir 
a  beau  frôre  de  Bourgoingne  en  vostre  compaignie.  »  — 
a  Nous  l'aurons ,  disoit  le  roy  ;  sans  luy  ne  ferons-nous 
a  point  ce  voyage.  Nous  yrons  en  Bretaigne  en  grant  arroy 
«  pour  résister  contre  tous  nos  ennemis.  Nous  veons  ores 
«  tout  appertement  que  le  duc  de  Bretaigne  ne  nous  ayme, 
«  ne  prise  que  •  moult  *^  petit.  Beaulx  oncles,  il  est  orgueil- 

• 
•••  Cordel.  —  "  Aucunement.  —  •-•  Du  royaume  de  France.  — 

'■•  Le  prendre.  —  •-«•  Ung. 


Digitized  by 


Google 


LE  DUC  DB  BRETA6KE.  33 

c  leax  et  présomptueux ,  et  jamais  nous  n'entenderons  à 
I  autre  chose,  si  Taurons  mis  à  raison.  »  Ainsi  se  devisoit 
le  roy  de  France  au  duc  de  Berry  et  menachoit  grandement 
le  duc  de  Bretaigne  et  ses  complices.  Le  duc  de  Berry  luy 
accordoit  toutes  ses  paroles  en  soy  dissimulant ,  mais  il 
pensoit  tout  le  contraire. 

Trop  avoit  le  roy  de  France  grande  affection  de  contre- 
Yengier  cel  oultrage  et  despit ,  lequel  on  ayoit  &it  à  son 
connestable ,  et  se  ordonnoit  de  tous  poins  pour  aler  en 
Bretaigne ,  et  premièrement  en  Angou  pour  faire  abatre  , 
destmire  et  renverser  les  chastiaulx  qui  se  tenoient  de 
messire  Pierre  de  Graon ,  quoyque  le  duc  de  Bretaigne 
deist  et  proposoit  que  il  les  avoit  achetés.  Non  obstant  ce, 
le  roy  et  ses  consauls  disoient  que  point  il  n*en  estoit  en 
réritage  et  que  trop  vouloit  porter  et  excuser  et  avoit 
porté  et  soustenu  ce  Pierre  de  Craon ,  pour  quoy  person* 
Bellement  en  estoit  en  Imdignation  de  la  couronne  de  France 
réservé  que  en  celle  saison  meismes  conjonction  de  mariage, 
se  fhist  empris  et  fait  dentre  le  fils  du  duc  de  Bretaigne  et 
la  flUe  du  roy  de  France. 

Entreux  que  ces  besoingnes  se  ordonnoient  petit  à  petit 
et  que  grans  nouvelles  ^  estoient  *  parmy  le  royaulme  de 
France  du  voyage  que  le  roy  vouloit  faire  en  Bretaigne  , 
retournèrent  à  Paris  du  voyage  de  Berne  et  de  Foix 
1  evesque  de  Noyon  et  le  seigneur  de  la  Rivière,  et  recor- 
dèrent au  roy  et  à  son  conseil  comment  ils  avoient  exploittié. 
Us  furent  voulentiers  oys  ;  mais  la  matière  de  Bretaigne 
et  du  connestable  et  de  Pierre  de  Graon  chargoit  si  Tostel 
et  le  conseil  du  roy  que  on  n*entendoit  &  autre  chose ,  et 
euist  voulentiers  veu  le  roy  que  le  connestable  fiiist  sane  et 
en  bon  point  pour  chevauchier  avant  que  ib  se  départissent 
de  Paris. 

•"•  Cooroient. 


Digitized  by 


Google 


34  CHARLES  VI  VEUT  COMBATTRE 

Ung  moult  bel  hostel  lequel  estoit  à  messire  Pierre  de 
Craon,  séant  en  la  chymentiôre  Saint- Jehan  à  Paris,  fut  par 
le  commandement  du  roy  abatu  et  deschirré  et  mis  à  la 
pure  terre,  et  la  place  donnée  à  faire  ung  chymentière  pour 
enfouyr  ^  les  *  morts.  Le  roy  de  France  fedsoit  faire  sur 
les  chemins  du  Mayne,  d*Ânjou  et  de  Bretaigne  et  en  Thou- 
raine  sur  la  rivière  de  Loirre  ses  pourvéances  grandes  et 
grosses  à  l'intention  et  instance  que  pour  voiagier  en  Bre- 
taigne ;  ne  nuls  n*osoit  aler ,  ne  parler  au  contraire. 

Renommée  fut  en  la  cité  de  Paris  et  au  dehors  en  plu* 
sieurs  lieux  que  il  fut  nottoirement  sceu  que  messire  Oli* 
vier  de  Clichon,  connestable  pour  ce  temps  du  royaume  de 
France,  avoit  fait  son  testament  et  ordonnance  à  la  fin  que, 
se  de  l'adventure  et  blecheure  que  il  avoit ,  il  alloit  de  vie 
à  trespassement ,  ses  hoirs  sceuissent  tout  de  vérité  où 
le  sien  estoit,  et  tout  partout  n'avoit  pour  enffans  que  deux 
filles.  L*une  avoit  à  femme  et  à  espouse  Jehan  de  Bretaigne, 
conte  dePentèvre,  et  ce  fut  ceste  qui  le  mist  hors  et  délivra 
de  la  prison  d'Angleterre  par  le  moien  de  six-vings  mil 
frans  que  messire  Olivier  de  Clichon  en  avoit  donné  et  payé 
auduc  d'Irlande,  sicomme  vous  savés  et  icy-dessus  en  nostre 
histoire  est  contenu  tout  plainement ,  et  l'autre  fille  estoit 
ou  devoit  estre  viscontesse  de  Rohen  de  par  son  mary.  La 
somme  du  testament  messire  Olivier  de  Clichon  montoit  en 
pur  meuble  sans  son  héritage  jusques  à  dix-sept  cens  mille 
frans.  De  ce  fut  grant  nouvelle ,  et  s'en  esmerveillièrent 
les  plusieurs  qui  en  oyrent  parler  ,  en  quoy  ,  ne  comment 
il  en  povoit  avoir  tant  assamblé  ,  et  par  espécial  le  duc  de 
Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  en  orent  trop  grant  mer- 
veille ,  et  aussi  orent  leurs  consauls  qui  ne  avoient  pas  le 
dit  messu^e  Olivier  en  grâce  .  et  en  parlèrent  moult  large- 


Oens. 


Digitized  by 


Google 


LE  BUG  BE  B&BTAGNB.  25 

ment,  quant  se  retrouvèrent  ensemble ,  et  disoient  en  t^lle 
nianiôre  :  «  En  quoy,  diables,  puet  cestuy  connestable  avoir 
«  assaznblé  si  très-grant  nombre  de.flourins  et  si  très-grans 
a  meubles  î  Le  roy  de  France  ne  Ta  pas  si  grant.  On  doit 
i  *  bien  croire  et  savoir  que  tout  ne  luy  vient  pas  de  bon 
«  acquest.  »  Au  fort  ces  paroles  se  passèrent ,  mais  pour 
ce  ne  pensoient  pas  moins  ceulx  qui  point  ne  Taymoient  ou 
qui  hayne  et  envie  couvertement  ou  autrement  sur  luy 
avoient. 

Encoires  se  tenoit  le  roy  de  France  à  Paris  ,  mais  ses 
mandemens  estoient  jà  fais,  et  tous  seigneurs  qui  escripts  et 
mandés  estoient,  se  pourveoient  et  ordonnoient  pour  aler 
aveuc  le  roy  en  Bretaigne.  Ce  voiage  chargoit  trop  fort  le 
duc  de  Bourgoingne  et  disoit  que  c  estoit  une  «chose  et  une 
guerre  sans  raison  et  que  jà  conclusion  n*en  seroit  bonne  , 
et  que  le  royaulme  de  France  ,  ne  le  pays  de  Bretaigne , 
ne  chevallier ,  ne  escuier  ausquels  riens  ne  toucholt ,  ne 
appartenoit  la  hayne ,  ne  Fahaatie  de  messire  Olivier  de 
Clichon ,  ne  de  messire  Pierre  de  Craon ,  n'avoient  que 
faire  de  comparer  celle  paine  ,  ne  de  entrer  en  guerre  pour 
eulx,  et  que  à  par  euls  et  de  leurs  gens  on  les  en  laissast 
convenir  et  guerroier  l'un  Tautre  sans  fouler  et  grever  les 

•  bonnes  *  gens.   Le  duc  de  Berry  estoit  assés  de  celle 

*  sieute  * ,  mais  ils  n'en  povoient  estre  oys  ,  ne  creus  ;  car 
le  roy  avoit  delés  luy  du  conseil  tout  au  contraire  à  leur 
oppinion,  lequel  il  créoit  mieulx  que  le  leur,  et  ne  scavoient 
les  dis  deux  ducs  comment  brisier  *  l'armée  ^ ,  et  quant  ils 
veirent  que  faire  leur  convenoit ,  si  firent  et  monstrferent 
obéissance ,  mais  ce  fut  lentement.  Toutesvoies  il  m'est 
advia  ,  et  vérité  fut ,  que  le  conte  d^Ostrevan,  par  la  pro- 
motion du  duc  de  Bourgoingne,  fut  mandé  et  euist  lettres 

*  Et  puet.  —  "  Povres.  —  *•  Opinion.  —  •*'  Son  entreprise. 


Digitized  by 


Google 


S6  CHARLES  TI  QUITTE  PARIS 

pour  aler  en  ce  voyage  avec  le  roy  à  trois  cens  lances.  Le 
conte  qui  aymoit  les  armes  et  le  traveil ,  se  pourvey  et 
ordonna  pour  y  aler  ;  et  quant  il  ot  tout  ordonné  et  mandé 
les  compaignons ,  chevalliers  et  escuiers  ,  et  départy  ses 
livrées  et  fait  une  grant  despense ,  il  fut  arriére  contre- 
mandé  de  non  soy  bougier. 

En  ce  temps  que  ces  choses  approchoient  grandement  et 
que  le  roy  estoit  sur  le  point  de  son  département  de  la  cité 
de  Paris  et  de  prendre  le  chemin  tout  premier  pour  mieulx 
monstrer  que  la  querelle  estoit  sienne,  fu  fait  ung  eschange 
de  terres  et  de  pays  grandement  au  prouffit  du  duc  de 
Thouraine  ,  car  il  résigna  en  la  main  du  roy  son  frère  la 
duchié  de  Thouraine  et  toutes  les  appendences ,  et  tantost 
le  roy  luy  reindy  et  donna  en  don  et  en  héritage  la  duchié 
d*Orléans,  laquelle  vailloit  mieulx  que  les  quatre ,  en  la 
fourme  et  manière  que  le  duc  Phelippe  d'Orléans  Tavoit 
anchiennement  tenu  ;  si  nommerons  d'ores-en-avant  le  duc 
qui  fut  duc  de  Thouraine ,  duc  d'Orléans. 


Quant  messire  Olivier  de  Clichon  fut  ainsi  que  tout  sané 
et  que  il  povoit  bien  chevauchier ,  le  roy  de  France  en  fut 
grandement  resjouy ,  et  dist  que  il  se  vouloit  départir  de 
Paris  et  que  il  vouloit  chevauchier  vers  Bretaigne  pour 
mieulx  monstrer  que  la  besoingne  estoit  sienne.  Si  prist 
ung  soir  oongié  à  la  royne  Ysabel  sa  femme  et  à  la  duchesse 
d'Orléans  et  aux  dames  et  damoiselles  qui  delés  elles  estoient 
à  l'ostel  de  Saint-Pol ,  et  le  duc  d'Orléans  aussi ,  et  puis 
s'en  vindrent  soupper  et  couchier  chiés  Montagu  ,  le  duc  de 
Bourbon,  le  conte  de  Namur  et  le  sire  de  Coucy  delés  euls  : 
je  ne  dy  pas  que  tous  y  couchassent ,  mais  le  roy  y  coucha 
et  disna  à  Tendemain ,  et  après  disner  sur  le  point  de  rele- 
vée il  s'en  départy  en  très-grant  arroy ,  et  vint  ce  jour  au 


Digitized  by 


Google 


POUR  SE  RBMDRE  EN  BRETAGNE,  27 

soir  soupper  et  gésir  à  Saint-Germain-en-Laye,  et  là  se  tint 
environ  sept  jours  ^  Encoires  n'estoit-il  pas  bien  ferme  de 
santé,  comme  ses  médechins  qui  en  cure  et  en  garde  Tavoient, 
maintenoient  ;  mais  il  s*en  aloit  de  si  grant  voulenté  que  il 
disoit  qu'il  estoit  en  assés  meilleur  point  que  il  ne  fuist. 
Tout  ce  faisoit-il  pour  esmouvoir  et  mettre  ses  gens  au 
chemin,  car  encoires  estoient  ses  deux  oncles  derrière 
(Berry  et  Bourgoingne),  et  monstroient  bien  que  ce  voyage 
leur  pesoit  et  que  point  voulentiers  ils  n*y  aloiènt.  Si  avoient- 
ils  fait  leur  mandement,  car  pour  leur  honneur  il  leur  con- 
venoit  obéir. 

Quant  le  roy  de  France  eut  esté  et  séjourné  &  Saint- 
Germain-en  Laye  environ  quinze  jours  et  que  gens  et  sei- 
gneurs venoient  et  s'en  alloient  de  toutes  pars ,  il  ot  con- 
seil de  départir  '  et  s'en  départy  '  et  passa  la  Saynne  et 
prist  le  chemin  de  Chartres  et  s'en  vint  soy  tout  esbattant 
à  Auniaux,  une  bonne  ville  et  ung  très-fort  chastel ,  lequel 
pour  lors  estoit  et  se  rendoit  au  seigneur  de  la  Rivière,  voire 
héritage  de  par  sa  femme.  En  la  compaignie  du  roy  estoient 
le  duc  d'Orléans  son  fi^re  et  le  duc  de  Bourbon.  Vous  devés 
savoir  que  le  sire  de  la  Rivière  rechupt  le  roy  et  les  seigneurs 
grandement  et  hon^ourablement ,  car  moult  bien  le  scavoit 
&ire.  Etfurentlà  par  trois  jours  et  s'y  raSreschirent.  Au  qua- 
trième jour,  le  roy  et  ces  seigneurs  s'en  départirent  et  che- 
vauchièrent  ce  jour  tant  que  ils  vindrent  à  Chartres,  dont 
le  frère  de  Montagu  estoit  évesque.  Le  roy  fut  logié  au  palais 
de  l'évesque,  et  le  duc  d'Orléans  et  le  duc  de  Bourbon. 

Le  second  jour  après  ce  que  ils  furent  là  venus  ,  vint  le 
duc  de  Berry  et  le  conte  de  la  Marche  en  sa  compaignie. 
Encoires  estoit  à  venir  le  duc  de  Bourgoingne  ,  mais  il  se 
ordonnoit  pour  mettre  au  chemin,  et  vint  au  quatrième  jour 

•  Entiers.  —  •"•  Si  le  fist. 


Digitized  by 


Google 


S8  CHARLES  VI  QUITTE  PARIS 

dont  le  roj  ot  grant  joye.  Gens. d'armes  venoient  de  toutes 
pars  et  disoit  le  roy  ainsi  que  jamais  ne  retonrneroit  à 
Paris  ,  si  auroit  mis  à  raison  ce  duc  de  Bretaigne  qui  jà 
par  tant  de  fois  luy  avoit  donné  peine  et  traveil.  Trop  bien 
estoient  delés  le  roy  ,  qui  luy  boutoient  en  la  teste  ;  ne  le 
duc  de  Berry ,  ne  le  duc  de  Bourgoingne  qui  voulentiers 
euissent  amodéré  ces  besoingnes  ,  n'y  avoient  point  d'au- 
dience ,  dont  ^  il  leur  toumoit  quoiement  à  trôs-grant  des- 
plaisance '  et  à  leurs  consauls  aussi ,  et  disoient  bien  entre 
euls  que  la  chose  ne  povoit  longuement  demeurer  en  tel 
estât,  et  que  trop  bien  se  tailloit  que  le  roy  euist  à  faire  et 
le  royaulme ,  quant  il  reffusoit  le  conseil  de  ses  oncles  et 
prendoit  maindre  à  sa  plaisance. 

Quant  le  roy  de  France  eut  séjourné  environ  sept  jours 
en  la  cité  de  Chartres  ,  il  s'en  départy  et  prist  le  chemin 
du  Mans  ,  et  gens  d'armes  le  sieuvoient  de  toutes  pars  et 
luy  venoient  de  loingtaines  parties  d*Ârtois,  de  Beauvoisis , 
de  Vermendois  et  de  Piccardie.  Et  disoient  les  plusieurs  l'un 
&  l'autre  :  «  Comme  ce  duc  de  Bretaigne  nous  donne  à 
«  faire  de  peine  et  de  traveil  !  Il  a  tousjours  esté  dur  et 
«  ^  auster  *  contre  la  couronne  de  France ,  ne  oncques 
a  parfaittement  ne  l'ayma  ,  ne  prisa  »  ne  honnoura.  Et,  se 
«  le  conte  de  Flandres  n'euist  esté ,  qui  estoit  son  cousin , 
a  et  madame  de  Bourgoingne  qui  tousjours  Ta  porté  et 
a  porte  encoires,  on  l'euist  de  grant  temps  du  tout  dégradé 
a  et  destruit  ;  ne  oncques ,  depuis  que  le  sire  de  Clichon 
«  se  tourna  françois ,  il  ne  le  peult  amer.  Encoires ,  au 
«  voire  dire  ,  il  est  fort  coulpable  de  ce  fait  ;  car  il  a  tous- 
«  jours  soustenu  messire  Pierre  de  Craon  à  rencontre  du 
n  roy  et  du  connestable  et  porté  à  tous  propos.  »  —  a  Or 
a  laissiés  le  roy  convenir,  disoient  les  autres  ;  car  pour  le 

*-*  Secrètement  il  leur  desplaisoit.  —  *-*  Chaud..  Hault. 


Digitized  by 


Google 


POUR  SB  RENDRE  ER  BRETAGNE.  29 

€  présent  il  a  tellement  la  chose  '  enchargie  '  que  il  mettera 
«  ce  duc  à  raison  avant  son  retour.  »  —  a  Voire,  disoient 
c  les  autres ,  se  il  n^y  a  trahison.  Pensés-vouâ  que  tous 
c  ceulx  qui  sont  et  chevauchent  aveuc  le  roy  ,  soient  vrais 
€  ennemis  au  duc  de  Bretaigne  ?  Certes  nennil.  Qui  Tose- 
«  roit  dire  !  Et  on  en  puet  bien  veir  aucuns  signes  ,  car 
«  on  ne  fait  nuit ,  ne  jour  que  conseillier,  et  tout  pour 
«  rompre  et  brisier  ce  voyage,  et  le  roy  en  a  telle 
c  '  mérancolie  ^  que  à  paines  peult-il  avoir  ne  bien ,  ne 
c  santé.  » 

Ainsi  se  devisoient  chevalliers  et  escuiers  les  ungs  aux 
autres  en  chevauchant  sur  le  pays  et  meismement  estans 
*  arrestés  •  aux  logeis  ,  et  tousjours  le  roy  aloit  avant  en 
approuchant  le  Mayne  et  la  cité  du  Mans.  Tant  flst  que  il 
y  parvint,  et  tous  les  seigneurs  en  sa  compaignie.  La  roy  se 
loga  ens  ou  chastel ,  et  les  seigneurs  en  la  cité  tout  au 
mieulx  que  ils  porrent ,  et  les  gens  d^armes  se  espardirent 
sur  le  pays  qui  est  bon  et  gras  et  bien  logant  pour  gens 
d*armes. 

En  la  cité  du  Mans  séjournèrent  les  seigneurs  plus  de 
trois  septmaines  ,  car  le  roy  n*estoit  mie  en  point  de  che- 
vauchier  et  estoit  tout  flôvreus ,  et  disoient  ses  médechins 
à  son  frère  et  à  ses  oncles  :  a  On  fait  le  roy  traveiUier  ; 
c  mais  certainement  il  n*en  euist  que  faire ,  car  il  n*est 
c  point  en  estât  pour  chevauchier.  Le  repos  luy  vauldroit 
c  assés  mieulx  ;  car,  depuis  que  il  se  party  ^  d*Àmiens  où 
c  les  parlemens  furent ,  il  ne  fut  en  si  bon  estât  comme  il 
i  estoit  en-devant.  » 

Les  oncles  du  roy  remonstrèrent  tout  ce  au  roy  et  à  son 
conseil ,  car  pour  les  medéchins  le  roy  n*en  vouloit  riens 
faire ,  mais  disoit ,  pour  la  grant  affection  que  il  avoit 

*-•  En  charge..  En  cœur.  —  •*  MerveiUe.  —  •-•  Cois.  —  '  De  la  cité. 


Digitized  by 


Google 


80  COARLBS  TI  QUITTE  PARIS 

d*aler  en  Bretaigae  :  a  Je  me  treuve ,  tespondi-il  à  ses 
«  oncles  ,  assés  en  meilleur  point  en  chevauchant  et  tra- 
a  veillant  que  en  séjournant.  Qui  me  conseille  '  le  contraire  * 
«  il  ne  me  conseille  pas  à  ma  plaisance,  et  si  ne  m^ayme  pas 
«  bien.  »  Aultre  response  on  ne  povoit  avoir  du  roy.  Tous 
les  jours  on  estoit  en  conseil  jusques  à  nonne  et  oultre  ,  et 
vouloit  le  roy  tondis  estre  ou  mylieu  du  conseil  afSn  que 
nuls  ne  peuist  mettre  empeschement  de  non  aler  avant  en 
ce  voyage  de  Bretaigne. 

Or  fut  advisé  le  roy  là  estant  et  séjournant  au  Mans  (et 
le  roy  si  assenty  assés  pour  accomplir  le  désir  de  ses  oncles), 
que  on  envoieroit  quatre  chevalliers  notables  devers  le  duc 
de  Bretaigne ,  lesquels  luy  remonstreroient  vifvement  et 
sagement  Fintention  du  roy  et  de  son  conseil,  que  trop 
grandement  il  se  fourfaisoit  et  estoit  fourfait  quant  Fen- 
nemy  du  roy  et  du  royaume  il  soustenoit  delés  luy  et  avoit 
soustenu  ne  jour  ,  ne  heure  ,  et  encoures  ,  se  de  tant  il  se 
vouloit  recongnoistre  et  amender  que  Tennemy  du  roy 
messire  Pierre  de  Craon  il  voulsist  envoyer  au  Mans  devers 
le  roy ,  on  trouveroit  ung  moien  par  quoy  il  *  n'aroit  * 
point  de  dommage  ,  ne  son  pays  en  ce  voyage.  £t  m*est 
advis  ,  selon  ce  que  je  fuis  infourmé,  que  messire  Regnault 
de  Roye ,  le  seigneur  de  Garensiôres  ,  le  sire  de  Ghastel- 
Morant  et  messire  Taupin  de  Cantemelle  le  chastellain  de 
Gisors ,  furent  ordonnés  pour  aler  en  ce  voyage.  Si  se 
départirent  de  la  cité  du  Mans  à  bien  quarante  lances  et 
passèrent  parmy  la  cité  d*Angiers  et  exploittèrent  tant  que 
ils  vindrent  en  la  cité  de  Nantes  ^  et  là  trouvèrent  le  duc 
qui  leur  flst  très-bonne  chière  et  leur  donna  ung  jour  à 
disner  bien  et  notablement.  Mais  avant  tout   ce  avoient- 

*-■  Autrement.  —  "^  Et  le  duc  n'aroient.  —  •  Et  puis  entrèrent 
dedans  la  ville. 


Digitized  by 


Google 


POUE  SB  BENDRB  EN  BRETAGNE.  31 

ils  fait  leur  message ,  et  luy  avoient  remonstré  ce  pour 
quoy  ils  estoient  là  venus  et  la  parole  du  roy  et  de  son  con- 
seil ,  à  laquelle  parole  il  avoit  respondu  grandement  et 
sagement ,  et  dit  ainsi  que  fort  luy  seroit  à  rendre  ,  ne 
livrer ,  ne  mener  messire  Pierre  de  Graon  ;  car,  se  Dieu  le 
peuist  aidier  et  valloir  en  toutes  ses  besoingnes  ,  de  luy  il 
ne  scavoit  riens  ,  ne  où  il  estoit ,  ne  se  tenoit  ;  et  prioit 
par  ces  seigneurs  que  de  ce  on  le  voulsist  tenir  pour  excusé. 
Bien  avoit  07  dire  depuis  ung  an  à  messire  Pierre  de  Craon 
que  au  r^ard  de  Olivier  de  Glichon  il  le  haioit  de  tout  son 
cuer  et  luy  feroit  guerre  mortelle  de  toute  sa  puissance  à 
quelque  fin  que  il  en  deuist  venir,  a  Et ,  quant  il  me  dist 
«  ces  paroles  ,  je  luy  demanday  se  il  luy  avoit  signiffié,  et 
«  il  me  respondi  que  ouil  et  que  il  estoit  tout  defiSé  et  le 
«  metteroit  à  mort ,  fuist  de  nuit  ou  de  jour  ,  là  où  il  le 
«  pourroit  trouver ,  ne  encontrer.  De  son  fait  je  ne  scay 
«  plus  avant ,  mais  je  m*esmerveille  de  ce  que  monseigneur 
«  me  veult  faire  guerre  pour  ceste  *  occoison.  *  Sauve  soit 
«  sa  grâce  et  de  son  conseil ,  je  ne  cuide  avoir ,  ne  voul- 
c  droie  avoir  envers  luy  *  riens  fourfeit ,  pour  quoy  il  ait 
«  cause  de  me  faire  guerre  ;  ne  les  aliances ,  ne  les  conve- 
«  nenoes  tant  du  mariage  de  nos  enfians  conmie  d*autres 
c  choses ,  jà  jour  ,  ne  heure ,  s'il  plaist  à  Dieu  ,  je  n*en^ 
«  fraindray ,  ne  briseray.  9 

Ce  fut  la  substance  de  la  response  que  les  chevalliers  de 
France  là  envoyés  de  par  le  roy  eurent ,  et  quant  ils  orent 
disné  aveuc  le  duc  et  esté  à  Nantes  ung  jour ,  ils  prindrent 
congié  et  se  départirent  et  mirent  au  retour  tout  le  chemin 
que  ils  estoient  venus.  Le  roy  et  son  conseil  de  sa  chambre 
désiroient  moult  leur  venue  pour  ouir  la  response  du  duc 
de  Bretaigne.  ^  Toute  telle  que  vous  avés  ouy  dire  et 

*-*  Cause.  —  '  Se  n'est  envers  son  conseil.  —  *  Et  quant  ils  furent 
Tenus. 


Digitized  by 


Google 


82  CHARLES  VI  QUITTE  PARIS 

racompter,  ils  la  firent  au  roy  de  par  le  duc  et  à  ceulx  '  qui 
estoient  *  dignes  *  de  lavoir  et  ouyr  \  Le  duc  de  Berry  et 
le  duc  de  Bourgoingne  et  leurs  consauls  s'en  fuissent  assés 
contemptés ,  se  on  voulsist ,  et  disoient  que  la  response 
estoit  deue  et  raisonnable  ;  et  le  roy  ,  par  Tinformation  que 
il  avoit ,  disoit  tout  le  contraire  ,  et  puisqu'il  estoit  venu  si 
avant ,  jamais  ne  retourneroit  vers  France ,  ne  Paris  ,  si 
auroit  le  duc  de  Bretaigne  mis  à  raison.  Trop  Toulentiers 
euissent  les  deux  oncles  du  roy,  ^  Berry  et  Bourgoingne, 
amodéré  ces  choses  ,  se  ils  poussent  ou  sceussent ,  mais  ils 
ne  povoient  estre  oys  ;  car  le  roy  avoit  prins  en  si  grant 
hayne  ce  duc  de  Bretaigne,  pour  la  cause  de  messire  Pierre 
de  Craon  ,  quil  disoit  que  le  duc  soustenoit  en  son  pays  , 
que  nulle  excusation  n'en  povoit  venir  à  point. 

Or  couroit  une  renommée  au  Mans  et  en  plusieurs  lieux 
depuis  par  le  royaulme  de  France  ,  que  la  royne  d'Ârragon 
madame  Yolend  de  Bar  ,  cousine  germaine  du  roy  de 
France  ,  tenoit  en  prison  en  la  cité  de  Barselonne  ung  che- 
vallier que  elle  ,  ne  ses  gens  ne  congnoissoient  point ,  ne 
celluy  ne  se  vouloit  point  nommer  ;  mais  on  supposoit  que 
cils  estoit  messire  Pierre  de  Craon  ,  et  rescripvoit  la  royne 
moult  amiablement  au  roy  pour  luy  complaire  en  toutes 
choses,  et  luy  signifioit  et  certiffioit  que  le  V*.  jour*  de  juillet 
ung  chevallier  en  bon  estât  et  en  bon  arroy  estoit  venu  à 
Barselonne  en  instance  de  passer  la  mer ,  et  avoit  loue 
et  retenu  bien  et  chier  pour  ses  deniers  une  nave  pour 
aler ,  ce  disoitil,  à  Naples.  «  Et  pour  ce  que  nous  avions 
<t  et  encoires  présentement  avons  fait  garder  nos  pors  et 
«  nos  passages,  les  entrées  et  yssues  de  nostre  royaulme,  et 
a  que  nul  estrangier  ne  s'en  peut ,   ne  puist  partir  sans 

•-*  Qu'il  pleut  au  roy  qu'ils  Foyssent,  —  •"'  Taiiliée.  —  ■  Assavoir 
les  ducs  de.  —  *  Du  mois. 


Digitized  by 


Google 


POUR  SB  UMD&B  ER  BRETAGNE.  33 

«  nostre  congié.  Le  dit  chevallier  qui  nommer  ne  se  veolt , 
«  nous  rayons  retenu  et  mis  en  prison ,  et  supposons  assés, 
«  par  ce  que  nous  le  voyons  moult  esbahj  ,  que  c*est  le 
«  chevallier  que  vous  demandés,  pour  lequel  nous  avés 
«  escript.  Si  vueilliés  envoier  devers  nous  à  toute  dilligence 
«  hommes  qui  ^  messire  Pierre  de  Craon  congnoissent  ; 
«  car  celluy  que  nous  tenons ,  n*aura  nulle  délivrance 
«  jusques  au  jour  que  nous  aurons  eu  response  de  par  vous, 
«  et  nous  verrions  très-voulentiers  que  nos  nouvelles  vous 
«  fuissent  prouffitables  et  agréables  *  :  ce  scet  le  Saint- 
«  Esperit  qui  vous  ait  en  sa  sainte  garde.  Escript  à  Parpe- 
«  gnant  le  noeufième  jour  du  mois  de  juillet.  Yolend  de  Bar, 
«  rojned*Ârragonetde ' Maïollique^,  dame  de'Sardigne*.  » 
Et  à  la  superscription  avoit  :  a  A  nostre  trôs-redoubté  sei- 
«  gneur  le  roy  de  France.  » 

De  ces  nouvelles  furent  très-grandement  amedérés  et 
adoulcis  les  cuers  de  plusieurs,  et  fut-on  sur  le  point  que 
de  tout  rompre  et  brisier  le  voiage  ;  mais  ceulx  de  la  partie 
messire  Olivier  de  Clidion  disoient  que  ces  nouvelles 
estoient  Êdttes  à  la  main  et  tout  pour  brisier  et  rompre 
>  la  chevauchie  du  roy,  et  que  messire  Pierre  de  Craon  ne 
estoit  en  autre  dangier ,  ne  prison  que  delés  le  duc  de 
Bretaigne,  lequel  Tavoit  voulentiers  soustenu  «t  soustenoit. 

De  ces  lettres  ne  flst  le  roy  de  France  nul  grant  compte, 
et  disoit  que  c'estoit  tout  abusement  et  trahison.  «  A  tout 
«  le  moins  ,  dist  le  duc  de  Bourgoingne  au  roy,  monsei- 
t  gneur ,  pour  appaisier  ma  niepce  d'Arragon  qui  vous  en 
t  a  rescript  et  pour  délivrer  le  chevallier  qui  prins  est ,  se 
t  point  n*est  coulpable  de  ce  méfiait ,  vueilliés  y  envoyer, 
t  par  quoy  vostre  cousine  se  contente  de  vous  et  de  nous.  » 

•  BieD.  —  '  A  TOUS  et  à  vottre  coiuMil.  —  •*•  Matogrea.  —  V 
Sardane. 

XV.  —  ntOlflSART.  3 


Digitized  by 


Google 


34  CHAHLES  TI  QUITTE  PARIS 

—  «  Nous  le  voulons  très-bien  ,  beaulx  ondes  ,  respondj 
«  le  roy.  On  y  envoyoi  Je  ne  vous  vueil  point  courrouchier, 
«  mais  je  tiens  fermement  et  seurement  que  le  desléal  trahi- 
a  tour  Pierre  de  Craon  n*estorendroit  en  autre  Barselonne, 
a  ne  prison  que  tout  quoy  delés  le  duc  de  Bretaigne  ,  et 
tt  celluj ,  par  la  foy  que  je  doy  à  monseigneur  saint  Denys, 
«  nous  en  rendera  une  fois  bon  compte.  »  Certes  on  ne 
povoit  ester  le  roy  de  ceste  oppinion  que  meismes  messire 
Pierre  de  Graon  ne  fuist  retrait  en  Bretaigne  du  sceu  et 
consentement  du  duc  et  près  de  luy. 

Le  duc  de  Bretaigne  qui  estoit  infourmë  de  toutes  ces 
besoingnes  et  qui  sentoit  le  roy  de  France  trop  fort  cour- 
rouchié  sur  luy  ,  ne  se  tenoit  pas  trop  bien  asseurë  ;  car  il 
veoit  que  le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  n'en 
povoient  faire  à  leur  voulenté ,  car  ceulx  de  la  partie  ^  de 
son  adversaire  Clichon  '  le  menoient  et  infourmoient  ainsi 
comme'  ils  vouloient.  Si  fsdsoit  ^  garder  ses  villes  et  les 
chasteaulx  soingneusement,  et  tant  y  avoit  de  mal  pour  luy 
que  à  peu  avoit-il  bonne  ville  où  il  se  *  osast  *  tenir , 
excepté  Vennes ,  Gamparlé  ,  Dol ,  Corentin ,  Camper , 
TErmine  et  le  Suseniot.  Et  avoit  rescript  aux  barons  et^ 
chevalliers  de  Bretaigne ,  desquels  il  pensoit  estre  aidié  et 
conseillié  ,  mais  ils  dissimuloient  contre  luy  pour  la  cause 
.de  ce  que  ils  veoient  et  sentoient  le  roy  leur  souverain  sei- 
gneur tant  fort  esmeu  et  courrouchié  sur  luy  ,  et  aussi  que 
la  matière  de  messire  Pierre  de  Craon  que  le  duc  portoit 
à  rencontre  du  roy  et  du  connestable  n*estoit  pas  conve- 
nable. Â  paynnes  se  repentoit-il  de  ce  que  il  avoit  fait. 
Nëantmains  il  avoit  le  courage  si  hault  et  si  grant  que  il 
ne  le  daignoit  dire ,  et  disoit  ainsi  :  (c  Se  le  i*oy  et  sa  puis- 
«  sance ,  à  ce  que  il  monstre ,  entre  en  Bretaigne ,  je  le 

•-■  Da  connestable.  —  •  Le  duc.  —  *-•  Peust. 


Digitized  by 


Google 


POUR  SE  RENDRE  EH  BRETAGNE^  85 

«  lairay  an  commencement  convenir ,  et  verray  ceulx  qui 
t  seront  amis  ou  ennemis.  Je  ne  me  hasteray  point  de  luy 
c  &ire  guerre  si  trôstost  ;  mais  ,  ^  quant  il  Guidera  le 
«  mieulx  estre  à  repos ,  je  le  resveilleray  puisque  par 
«  autre  *  manière  '  d'amour  je  ne  puis  venir  À  accord  à 
«  luy.  » 

Ainsi  se  devisoit  le  duc  de  Bretaigne  par  soy  à  la  fois  h 
oenlx  de  son  conseil ,  et  se  tenoit  pour  tout  ^  conforté  ^ 
que  il  aroit  la  guerre  au  roy  de  France ,  mais  non  ara , 
car  les  choses  tourneront  autrement  que  il  ne  pense ,  à  son 
grant  avantage  et  prouffit ,  et  pour  ce  fut  dit  :  «  Il  n*est 
t  pas  povres  ,  qui  est  eureux.  »  Ce  duc  de  Bretaigne  le 
fut  trop  grandement  en  celle  saison  par  une  incidense 
piteuse  et  merveilleuse  qui  advint  soubdainement  au  roy 
de  France.  Par  autre  voye  ne  povoit-il  estre  eschiévé  de 
tous  dangiers  et  de  la  guerre  ,  et  demeurer  en  paix. 


Quand  '  on  eut^  séjourné  environ  trois  sepmaines  en  la  cité 
du  Mans ,  et  tous  les  jours  conseillié ,  et  les  quatre  cheval- 
liers furent  revenus  de  Bretaigne,  lesquels  on  avoit  envoies 
devers  le  duc,  ainsi  que  vous  savés,  le  roy  de  France  dist, 
puisque  il  avoit  eu  et  oy  la  response  du  duc  de  Bretaigne , 
que  il  ne  vouloit  plus  séjourner,  car  le  séjour  luy  grevoit  et 
desplaisoit ,  et  vouloit  chevauchier  oultre  sur  les  parties  de 
Bretaigne  et  veoir  ses  ennemis,  c'est-assavoir  le  duc  de  Bre- 
taigne qui  soustenoit  ce  trahitour  Pierre  de  Craon,  et  avoit 
le  roy  très-grant  désir  de  veoir  lesquels,  comme  barons,  che- 
valliers et  escuiers,  se  metteroient  sur  les  champs  à  rencon- 
tre de  Iir^.  L'intention  du  roy  estoit  telle  que  dé  tous  poins 

•  A  rheore.  —  "  Moyen.  —  *^  Assearé.  —  V  Le  roy  et  les  siens 
onent.  • 


Digitized  by 


Google 


36  FRÉNÉSIE 

il  le  boateroit  hors  de  Téritage  de  Bretaigne  pour  tousjours 
mais  ,et  y  metteroit  ung  gouverneur  pour  les  enffans  tant 
que  ils  auroient  leur  eage,  et  puis  leur  renderoit  l'héritage, 
mais  le  duc  n'y  arait  jamais  riens. 

Celle  oppinion  tenoit  le  roy ,  et  ne  Ten  povoit  nuls 
^  rester  * ,  et  sur  cel  estât  il  se  départy  de  la  cité  du  Mans 
entre  noeuf  et  dix  heures ,  et,  après  la  messe  ouye  et  boire, 
tous  seigneurs  et  toutes  gens  qui  logiés  estoient  en  la  cité  et 
dehors ,  se  départirent  aussi  et  se  misrent  au  chemin  ou 
devant  ou  derrière ,  et  avoit  ce  soir  en  devant  mandé  ses 
mareschaulx  en  sa  chambre  ou  chastel  du  Mans  et  leur 
avoit  dit  :  «  Ordonnés-vous  et  faittes  le  bon  matin  toutes 
«  manières  de  gens  d*armes  et  de  routes  deslogier  et  prendre 
a  le  chemin  d'Angiers  ;  car  il  est  conclud  :  nous  ne  retour- 
«  nerons  jamais,  si  aurons  esté  en  Bretaigne  et  destruit  ces 
t  trahitours  qui  nous  donnent  celle  peine  et  ce  traveil.  »  Les 
mareschaux  avoient  obéy  et  fait  signiffier  aux  cappitaines 
des  routtes  le  mouvement  et  Tordonnance  du  roy  et  que  à 
ce  coup  c'estoit  tout  acertes. 

Ce  jour  que  le  roy  se  départy  et  yssi  du  Mans,  il  fist  très- 
asprement  chault,  et  bien  le  devoit  faire,  car  il  estoit  ens  ou 
plain  mois  de  hemu  que  le  soleil  par  droitture  et  nature  est 
en  sa  droitte  et  greigneur  force.  Or  devés-vous  savoir,  pour 
attaindre  toutes  choses  et  amener  à  vérité,  que  le  roy  de 
France ,  luy  séjournant  en  la  cité  du  Mans,  avoit  esté  dure- 
ment traveillié  de  conseillier ,  et  aveuc  tout  ce  '  qui  n'y 
aidoit  ^  pas ,  il  n'estoit  mie  bien  haittié ,  ne  n'avoit  esté 
toute  la  saison ,  mais  foible  de  ^  chief ,  petitement  beuvant 
et  mengant ,  et  près  tous  les  jours  en  chaUeur  de  fièvre  et 
de  chaude  maladie ,  et  se  s*i  enclinoit  tout  par  droitture. 


'  OstfiT.  —  *^  Qa*ll  ne  8*7  attendoit.  —  *  Sens  et  de. 


Digitized  by 


Google 


DE  CHAELB6  TI.  37. 

Traveil  de  corps  et  de  chief  lu  y  estoient  grandement  ^  enne- 
mis et  contraires  *  :  aveuc  tout  ce  Tadvenue  de  son  connes- 
table  dont  il  estoit  trop  durement  fort  mérancolieux  et  son 
esperit  tourblé  et  '  desvoyé  ^  ,  et  bien  s'en  perchevoient  ses 
médechins,  et  pareillement  faisoient  ses  oncles  ,  mais  ils  n*j 
poYoient  pourvoir,  ne  remédier,  car  il  ne  vouloit ,  ne  on  ne 
Iny  osoit  conseillier  du  contraire  de  non  aler  en  Bretaigne. 

Il  me  fut  dit ,  et  je  m'en  laissaj  infourmer  ,  ainsi  que  il 
chevauchoit  et  estoit  entré  en  la  forest  du  Mans,  une  moult 
grande  signiflance  luy  advint,  dont  il  se  deuist  bien  estre 
advisé  et  avoir  remis  son  conseil  ensemble,  ainchois  que  il 
foist  aie  plus  avant.  Il  luy  vint  soubdainement  ung  homme 
en  pur  le  chief  et  tous  deschaulx  et  vestu  d'une  povre  cotte 
de  burel  blancq,  et  monstroit  mieulx  que  il  fuist  fol  que  sage, 
et  se  lancha  par  entre  deux  arbres  hardiement ,  et  prist  les 
resnes  de  la  bride  du  cheval  que  le  roy  chevauchoit  et  Far- 
resta  tout  quoy  et  luy  dist  :  «  Roy,  ne  chevauche  plus  avant, 
t  mais  retourne  ,  car  tu  es  trahy.  »  Geste  parole  entra  en  la 
testeduroyquiestoitfoible,  dont  il  valu  depuis*  très-  •grande- 
ment pis  ;  car  son  esperit  se  frémy  et  ^  se  sangmella'tout. 

A  ces  mots  saillirent  sergens  d'armes  avant  et  frappèrent 
moult  villainement  sur  les  mains  de  celluy  qui  avoit  arresté 
le  cheval  du  roy  ,  tant  que  il  *  habandonna  la  bride  ^^  et 
demoura  derrière,  et  ne  tindrent  compte  de  sa  parole  non 
plus  que  d*un  fol ,  dont  ce  fut  folie  ,  sicomme  il  est  advis  à 
plusieurs  ;  car  à  tout  le  moins  ils  se  deuissent  estre  arrestés 
sur  l'homme  ung  petit  pour  en  avoir  eu  la  congnoissance  et 
luy  examiner  et  enquester  ,  et  bien  veu  se  il  estoit  naturel- 
lement fol  ou  sage,  et  sçavoir  qui  luy  faisoit  telles  paroles 
dire ,  ne  dont  elles  luy  venoient  à  savoir.  H  n'en  fîit  riens 

•••  Emniû  et  peines.  —  *^  TravaiUô.  —  •^  Trop.  —  '■•  Son  sang 
■*eimeat.  —  *^  Le  laissa  aler. 


Digitized  by 


Google 


38  fhMsib 

fisdt,  mais  le  laissièrent  derrière,  ne  on  ne  soeat  que  il  devint; 
car  oncques  depuis  ne  fut  veu,  non  de  gens  qui  en  euissent 
la  congnoissance.  Mais  ceulx  qui  pour  lors  estoient  delés  le 
roy»  Iny  oyrent  bien  les  paroles  dire. 

Le  roy  et  sa  routte  passèrent  oultre  ,  et  povoit  estre 
environ  douze  heures  quant  ils  orent  passé  la  forest  et 
vindrent  sur  les  champs  sur  ungs  très-beaulx  plains  et 
grans  sablonnjs.  Le  soleil  estoit  bel  et  cler  et  resplendissant 
à  grans  rais  et  si  plains  de  force  et  challeur  que  plus  ne 
povoit  estre ,  car  il  tapoit  de  telle  manière  que  on  estoit 
tout  tresperchié  de  sa  réverbération,  et  avoit  très-grande- 
ment eschauffé  le  sablon,  lequel  eschaufibit  ^  si  très-fort 
que  *  il  n'y  avoit  si  joly,  ne  si  •  usité  ^  d'armes  porter  ,  qu'il 
ne  fuist  ^  tout  mésaisié  *  de  challeur.  Et  chevauchoient  les 
seigneurs  par  routes,  l'un  çà  ,  l'autre  là ,  et  le  roy  chevau- 
choit  assés  à  par  luj  pour  luy  faire  moins  de  pouldrière.  Le 
duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  parlans  ensemble 
chevauchoient  sur  son  senestre  lés ,  ainsi  comme  deux 
arpens  en  sus  de  luy.  Les  autres  seigneurs  le  conte  de  la 
Marche ,  messire  Jaques  de  Bourbon,  messire  Charles  de 
Labreth,  messire  Phelippe  d'Artois,  messire  Henry  et  mes- 
sire Phelippe  de  Bar ,  messire  Pierre  de  Navarre  et  tous 
les  autres  seigneurs  chevauchoient  par  routes.  Le  duc  de 
Bourbon  ,  le  sire  de  Goucy  ,  messire  Charles  de  Hangiers 
et  le  baron  de  Yvry  et  tous  autres  en  sus  et  hors  de  la 
route  du  roy  ;  et  devisoient  et  parloient  les  ungs  aux 
autres  ,  et  ne  se  donnoient  garde  de  ce  que  soubdainement 
advint  et  sus  le  plus  grant  chief  de  la  compaignie  :  ce  fut 
sur  le  propre  corps  du  roy ,  et  pour  ce  sont  les  oeuvres  de 
Dieu  moult  manifestes,  et  ses  verges  crueuses,  et  sont  à 
doubter  À  toute  créature.  Et  on  a  veu  en  TAnchien  Testa- 

*-■  Moult  les  chevaulx.  —  ^  Usé.  —  *^  Trop  pressa. 


Digitized  by 


Google  • 


DB  CHARLES  YI.  39 

ment  et  ou  Nouvel  moult  de  figures  et  d'exemples.  N^avons- 
nous  pas  de  Nabugodonosor,  roy  des  Assiriens  ,  lequel  ung 
temps  régna  en  telle  puissance  que  dessus  luj  il  n'estoit 
nouvelle  de  nul  autre ,  et  soubdainement  en  sa  greigneur 
force  et  règne  le  souverain  *  roy,  •  Dieu,  souverain  sire  des 
cieulx  et  de  la  terre  et  '  foUrmeur  ^  de  toutes  choses,  Tappa- 
reilla  tel  que  il  perdy  sens  et  règne  ,  et  fut  sept  ans  en 
tel  estât  que  il  vivoit  de  glans  et  de  pommes  sauvages  ,  et 
avoit  le  goust  et  Tappé^it  d*un  '  pourcel  ?  et  quant  il  ot  fait 
celle  pénitance ,  Dieu  luy  rendi  sa  mémoire  ' ,  et  adont 
dist-il  à  Daniel,  le  prophète,  que  dessus  le  Dieu  dlsrael 
n*avoit  nul  autre  Dieu.  Â  parler  par  raison  et  ^  esclairchir  ^ 
vérité.  Dieu  le  Père,  Dieu  le  Fils  ,  Dieu  le  Saint-Esperit , 
trois  en  ung  nom  et  tout  en  une  substance  ,  fut ,  est  et 
sera  tousjours  aussi  puissant  pour  monstrer  ses  ouvres 
comme  il  fiit  oncques  ,  ne  on  ne  se  doit  esmerveiUier ,  ne 
esbahir  de  chose  que  il  fâche  :  pour  quoy  en  revenant  au 
propos  ,  je  dis  ces  paroles  et  ay  dittes  pour  une  influence 
du  Ciel  merveilleuse  qui  descendy  soudainement  ce  jour  sur 
le  roy  de  France ,  et  ce  fut  sa  coulpe  ,  ce  dient  les  plu- 
sieurs ;  car  selon  la  disposition  de  son  corps  et  Testât  où  il 
estoit  et  que  ses  médechins  le  sçavoient  et  jugoient ,  qui 
justement  la  congnoissance  avoir  en  dévoient ,  il  ne  deuist 
pas  avoir  chevauchié  en  si  hault  jour,  ne  à  telle  heure,  fors 
du  matin  ou  du  soir  à  la  froidure  ,  et  pour  ce  en  furent 
encoulpés ,  demandés  et  deshonnourés  ceulx  qui  le  menoient 
et  qui  à  conseiUier  Tavoient  et  par  lesquels  consaulx  le  plus 
pour  ce  temps  il  usoit  et  se  gouvemoit  et  s'estoit  usé  et 
gouverné. 
Ainsi  que  le  roy  de  Franco  chevauchoit  en  la  challeur 


*-*  De»  rois,  —  "  Créateur.  —  •  Sanglier  ou.  —  'Et  son  aeiu.  — 
'-*  Ezhaolchier. 


Digitized  by 


Google 


40  PRÉMisiE 

du  soleil  sus  nngs  plains  et  ungs  sablonnis^etfBdsoit  si 
merveilleusement  chault  que  par  avant,  ne  depuis  pour  celle 
saison  il  ne  flst ,  ne  n^avoit  fait  si  cbault ,  et  avoit  vestu 
ung  noir  jaques  de  velours  qui  moult  Teschauffoit ,  et  si 
avoit  sur  son  chief  ung  chaperon  ^  songle  *  de  vermeille 
escarlatte  et  ung  chappellet  dessus  de  '  grans  ^  gros  perles 
que  la  royne  sa  femme  luj  avoit  donné  au  prendre  congié, 
et  estoit  ung  sien  page  qui  chevauchoit  derrière  soy  et  por- 
toit  sur  son  chief  ung  chapel  de  Montauben  fin ,  cler.  et 
net  tout  d*achier,  qui  resplendissoit  au  soleil,  et  derrière  ce 
page  chevauchoit  encoires  ung  autre  page  du  roy  ,  qui  por- 
toit  une  lance  vermeille  toute  enfanonnée  de  soye  ainsi  que 
pour  le  roy  appartenoit ,  et  avoit  la  lance  ung  fer  d*achier 
large,  cler  et  fin ,  et  en  avoit  le  sire  de  la  Rivière  du  temps 
que  il  séjourna  à  Thoulouse  fait  forgier  une  douzaine ,  dont 
celluy-là  en  estoit  Fun ,  car  tous  douze  il  les  avoit  donnés 
au  roy ,  et  le  roy  en  avoit  donnés  trois  au  duc  d*Orléans  * 
et  trois  au  duc  de  Bourbon.  Advint ,  tout  en  chevau- 
chant en  Tarroy  et  estât  que  je  vous  compte  ,  ainsi  que 
enfians  et  pages  qui  en  chevauchant  se  desroient  par  leurs 
chevauls  ou  par  leur  négligence ,  le  page  qui  portoit  la 
lance  du  roy,  se  desroia  ou  s'endormy  et  *  n'j  pensoit 
point  ^  ,  et  laissa  celle  lance  et  le  fer  cheoir  sur  le  chappel 
d'achier  que  l'autre  page  avoit  sur  son  chief.  Si  sonnièrent 
hault  les  achiers  Fun  par  Tautre.  Le  roy  qui  estoit  si  près, 
que  les  pages  chevauchoient  aux  *  félons  *  de  son  cheval , 
tressailly  très-soudainement ,  et  frémy  son  esperit  ;  car  il 
avoit  encoires  en  son  ymagination  Timpression  des  paroles 
que  le  fol  homme  bu  le  sage  luy  avoit  dittes  en  la  forest  du 
Mans,  et  vint  au  roy  en  advision  que  grant  foison  de  ses 

*-'  Single.  —  '  *  Besnhc..  Blancs.  —  *  Son  frère.  —  *-*  Ne  penioit 
point  à  ceste  lanoe  qu'il  tenoit.  —  *-*  Escles*.  Talons. 


Digitized  by 


Google 


MS  CHARLES  VI.  41 

ennemis  luy  couroient  sus  pour  occire.  En  celle  abusion  il  se 
desroia  par  foiblesse  de  chief  et  saillj  avant  en  poindant  son 
cheval  ettraistsonespée,  et  se  tourna  sur  ses  pages  et  en  perdy 
la  congnoissance  et  aussi  la  congnoissance  de  tous  hommes 
mortels ,  et  cuida  bien  estre  en  une  bataille  et  enclos  de  ses 
ennemis,  et  haulchant  son  espée  et  levant  contremont  pour 
férir  et  donner  ung  coup  ou  plusieurs ,  ^  n*avoit  cure  *  sur 
qui ,  ne  où  ,  et  s'escria  et  dist  :  «  Avant  !  Avant  sur  ces 
«  trahitours  !  »  Les  pages  veirent  le  roy  enflambé  :  si  se 
'  doubtèrent  ^  à  bonne  cause  et  le  cuidiôrent  par  leur  des- 
roy  avoir  courrouchié  :  si  *  brocquôrent  de  l'esperon  •  l'un 
çà ,  Tautre  là. 

Le  duc  dX)rléans  n'estoit  pour  Teure  pas  trop  loings  du 
roy.  Le  roy  s'adrecha  devers  luy,  tenant  Tespée  toute  nue, 
et  jà  en  avoit  le  roy  par  sa  frénaisie  et  foiblesse  de  ^  chief  * 
perdu  la  congnoissance ,  ne  il  ne  sçavoit  qui  estoit  son 
frère  ou  son  onde.  Quant  le  duc  d*Orléans  le  perceu  venir 
devers  luy,  Tespée  toute  nue  en  sa  main,  si  se  efiréa  et  ne 
le  voult  pas  attendre  et  à  bonne  cause ,  et  poindy  *  le  che- 
val *•  quoiteusement",  et  le  roy  après  luy.  Le  duc  de  Bour- 
goingne  estoit  et  chevauchoit  de  costé,  et  pour  Tefiroy  des 
chevaulx  et  que  jà  il  avoit  ouy  les  pages  du  roy  crier , 
jetta  son  regard  celle  part  et  congneu  le  roy  qui ,  à  Tespée 
toute  nue ,  chassoit  son  frère  :  si  fut  tout  eshidé  et  à  bonne 
cause.  Si  dist  ainsi  :  «  "  Hara  !  Hara  ^'  !  le  grant  meschief  ! 
•  Monseigneur  est  tout  desvoyé.  Pour  Dieu  après  !  On  le 
c  prengne  !  »  Et  puis  dist  encoires  :  «  Fuies  !  Beaulx  nieps 
«  d'Orléans ,  fuies  !  monseigneur  vous  veult  occir.  »  Je 
vous  dy  bien  que  le  duc  d*Orléans  n*estoit  pas  bien  asseuré, 

*••  Ne  Iny  chaiUoit.  —  *^  Donnèrent  garde.  —  •-•  Poingnirent  lag 
chewilx.  —  '-•  Cœur.  —  •Et  ooita.  —  ^**  Dnrement..  Hastive- 
ment.  —  ••■"  Haro* 


Digitized  by 


Google 


42  FEÉKÉSIB 

et  voirement  fuioit-il  de  quanques  cheval  povoit  *  aler  *,  et 
chevalliers  et  escuiers  après.  On  commença  à  '  hayer.*  et 
traire  de  celle  part.  Les  loingtains  qui  chevauchoient  à 
destre  et  à  senestre ,  cuidoient  que  on  chaçast  au  loup  ou 
au  lièvre  ,  jusques  à  tant  qu'ils  sceurent  que  c'estoit  le  roy 
qui  n'estoit  pas  en  bon  point.  Touttefois  le  duc  d'Orléans  se 
sauva  ,  tant  tournia  et  retourna ,  et  aussi  on  luy  aida. 

Chevalliers ,  escuiers  et  gens  d'armes  se  haièrent  tout 
autour  du  roy  ,  et  le  laissièrent  lasser  et  saouler  ,  et  plus 
couroit  et  traveilloit ,  tant  avoit-il  greigneur  foiblesse  ,  et 
quant  il  venoit  sur  ung  homme,  fiiist  chevallier  ou  escuier , 
on  se  laissoit  cheoir  devant  le  coup.  Je  n'oys  point  dire  que 
nuls  fuist  mort  de  celle  *  aathie  *,  mais  il  en  abaiy  plusieurs, 
car  nuls  ne  se  mist  à  deffense.  Finablement ,  quant  il  fut 
bien  lassé  et  traveillié  et  son  cheval  fort  foulé  ,  et  que  le 
roy  et  le  cheval  tressuoient  de  challeur  et  de  ardeur  ,  ung 
chevallier  de  Norn^endie  qui  estoit  son  chambrelenc  et 
lequel  le  roy  moult  aymoit  (et  celluy  on  nommoit  messire 
Guillemme  Martel) ,  vint  par  derrière  et  embracha  le  roy 
l'espée  en  la  main  et  le  tint  tout  court.  Quant  il  fut  tenu  , 
tous  autres  ^  chevalliers  •  approchièrent ,  et  luy  fut  ostée 
l'espée  ,  et  fut  mis  jus  du  cheval  et  couchié  moult  doulce- 
ment ,  puis  desvestu  de  son  jaques  pour  luy  refifroidier  et 
rafreschir.  Là  vindrent  ses  trois  oncles  et  son  firère ,  mais 
certes  il  avoit  perdu  la  congnoissance  d'eulx  ,  ne  nul  sem- 
blant d'amour  *  ne  leur  faisoit ,  et  luy  tournoient  à  la  fois 
les  yeulx  moult  merveilleusement  en  la  teste  ,  ne  à  nuUuy 
il  ne  parloit. 

Les  seigneurs  de  son  sang  estoient  tous  esbahis  et  ne 
sçavoient  que  dire,  ne  que  faire.  Là  dirent  le  duc  de  Berry 

* ■  Courre.  —  •-*  Huyer.  —  '^  Emprise.  —  *"•  Seigneurs.  —  'Ne 
d'accointance. 


Digitized  by 


Google 


DB  CHARLES  VI.  45 

et  le  duc  de  Bonrgoingne  :  a  H  &ult  retourner  au  Mans.  Le 
t  voyage  est  fait  pour  ceste  saison,  n  Encoires  ne  disoient- 
ils  pas  tout  ce  que  ils  pensoient ,  mais  ils  le  dirent  grande- 
ment et  monstràrent  sur  ceulx  que  ils  n'avoient  pas  bien  À 
grftoe  ,  quant  ils  furent  retournés  à  Paris,  sicomme  je  vous 
recorderay  avant  en  Tistoire. 

A  considérer  raison  et  ymaginer  toutes  choses  en  vérité, 
ce  fat  grant  pitié  de  ce  que  le  roy  de  France  pour  ce  temps, 
qui  est  le  plus  digne  ,  le  plus  noble  et  le  plus  puissant  roy 
du  monde ,  chéy  en  telle  débilité  que  de  perdre  son  sens 
tout  soudainement.  On  ne  le  povoit  amender,  ne  &ire  autre, 
puisque  Dieu  vouloit  que  il  faist  ainsi.  On  le  appareilla  et 
mist  à  point  au  plus,  doulcement  que  on  peult ,  et  fat 
esiventé  et  refroidie  et  couchié  en  une  littière  et  tout  souef 
ramené  en  la  cité  du  Mans.  On  envoia  tantost  de  par  les 
mareschaulx  au  devant  de  ceulx  qui  chevauchoient,  et  leur 
fat  dit  et  signifié  que  tous  se  mesissent  au  retour  et  que  le 
voyage  pour  celle  saison  estoit  rompu.  Aux  aucuns  on 
disolt  la  cause  pour  quoy  ,  aux  autres  non. 

Ce  soir  que  le  roy  fat  rapporté  au  Mans ,  médechins 
forent  moult  ensoniés,  et  les  seigneurs  et  les  prochains  de 
son  sang  moult  tourblés  ,  et  vous  dy  que  on  en  parloit  là 
et  devisoit  en  plusieurs  manières  et  diverses.  Les  aucuns 
disoient,  qui  le  prendoient  et  exposoient  sur  le  mal,  que  on 
avoit  le  roy  ,  au  matin  avant  que  il  *  yssist  *  hors  du  Mans, 
empoisonné  et  *  ensorcéré  ^  pour  destruire  et  honnir  le 
royaulme  de  France.  Tant  multiplièrent  ces  paroles  que 
le  duc  d'Orléans  et  ses  oncles  et  autres  du  sang  royal 
Bottèrent  ces  paroles  et  en  parlèrent  plusieurs  fois  ensem- 
ble en  disant  :  «  Vous  et  vous  oés  ,  se  oyr  vous  voulés  , 
«  comment  Ton  murmure  en  plusieurs  lieux  sur  ceulx  jui 

•-•  Parteskt.  —  »-•  Ensorcelé. 


Digitized  by 


Google 


44  PRÉlffelE 

«  ont  eu  radministration  et  la  garde  ^  de  la  personne  *  du 
«  roy.  On  dit ,  et  commune  renommée  court  que  on  Ta 
«  ensorcelé  ou  empoisonné.  On  sache  comment  ce  se  pour- 
t  roit  faire ,  ne  où  ,  ne  quant  ce  a  esté  ;  et  comment  le 
«  porrons-nous  savoir  ?»  —  t  Certes  ,  nous  le  sçaurons  , 
«  dirent  les  aucuns ,  par  les  médechins.  Ceulx  le  doivent 
«  scayoir,  car  ils  congnoissent  sa  nature  et  sa^mplection.  » 
Les  médechins  furent  mandés  :  ils  vindrent.  Euls  venus, 
ils  furent  par  monseigneur  de  Bourgoingne  moult  fort 
examinés.  Â  cel  examen  ils  respondirent  et  dirent  ainsi  que 
le  roy  dès  grant  temps  avoit  engendré  ceste  maladie  :  «  Et 
«  bien  scavions-nous  que  ceste  foiblesse  de  chief  le  trar 
0  veilloit  trop  fort,  et  oonvenoit  que  ,  quant  que  ce  f  uist , 
0  il  le  monstrast.  »  Dont  dist  le  duc  de  Bourgoingne  : 
c  De  tout  ce  dire  et  remonstrer  vous  vous  estes  bien 
c  acquittés  ,  mais  il  ne  nous  en  a«,  ne  vous  ,  voulu  croire 
a  pour  la  grant  affection  que  il  avoit  de  venir  en  ce  voyage. 
«  A  mal  fut-il  oncques  advisé  ,  ne  '  pourpensé  ^ ,  car  le 
0  voyage  Ta  deshonnouré.  Mieulx  vaulsist  que  Clichon  euist 
a  esté  mort  et  tous  ceulx  de  sa  secte ,  que  le  roy  euist 
a  concheu,  ne  prins  ceste  maladie  ;  car  il  en  sera  partout 
«  grant  nouvelle,  pour  tant  que  c*est  encoires  ung  jeune 
c  homme ,  et  en  recepverons ,  nous  qui  sommes  ses  oncles 
«  et  de  son  sang  et  qui  l'avons  à  conseillier  et  à  introduire, 
«  grant  blasme ,  et  si  n'y  avons  coulpe.  »  —  «  Or  nous 
«  dittes  ,  dist  encoires  le  duc  de  Bourgoingne ,  huy  matin, 
«  quant  il  deubt  monter  à  cheval ,  feustes-vous  à  son  dis- 
«  ner?  »  —  «  En  nom  Dieu  ,  monseigneur,  ouyl,  »  respon- 
dirent les  médechins.  —  «  Etcommentmenga-il, ne  but?  » 
—  «  Certes ,  respondirent  les  médechins  ,  si  petitement  à 


*  Et  gouYernemeat.  —  *"•  Du  coq».  —  "  Poarparlé. 


Digitized  by 


Google 


DB  CHARLES  YI.  45 

c  peines  comme  riens,  et  ne  faisoit  que  penser  et  ^  bnsier  *.  » 

—  t  Et  qui  fut  cils  qui  luy  donna  derrainement  à  boire  ?  » 

demanda  le  duc  de  Bourgoingne.  —  «  Nous  ne  scavons,  res- 

c  pondirent  les  médecbins  ;  car,  tantost  la  table  ostée , 

«  nous  nous  départesismes  pour  nous  appareillier  et  monter 

«  &  cheval.  Sachiës  ce  par  les  bouteUliers   ou  par  ses 

«  chambrelens.  »  Dont  fut  mandé  Robert  de  '  Tengues  * , 

escuier  natif  de  Picquardie  et  maistre  des  eschansons ,  et , 

quant  il  fut  venu ,  on  luy  demanda  qui  avoit  darraine- 

ment  donné  à  boire  au  roy.  Il  respondi  ^  :  a  Certes ,  mes- 

«  seigneurs,  c*a  esté  messire  *  Hélion  ^  de  Lignach.  »  Lors 

fut  mandé  le  dievallier  ;  il  vint.  Quant  il  fut  venu,  on  luy 

demanda  qui  avoit  donné  À  boire  derrainement  au  roy  et 

où  il  avoit  prins  le  vin  dont  le  roy  avoit  beu  en  sa  ohambre 

quant  il  deubt  monter  à  cheval.  Il  respondy  :  o  Messei- 

t  gneurs ,  veés-là  Robert  de  Tengues  qui  le  livra  et  en 

c  flst  Tassay ,  et  je  aussi  en  la  présence  du  roy.  »  —  a  C'est 

c  vérité ,  dist  Robert  de  Tengues  ,  et  sachiés  que  en  tout 

c  ce  ne  puet  avoir  nuUe  souspechon  ,  ne  nulle  doubte  ;  car 

«  encoires  y  a  du  vin  pareil  ens  es  bouteiUes  du  roy,  et  en 

«  beuverons  et  ferons  moult  voulentiers   Tassay  devant 

ff  vous.  »  Dont  parla  le  duc  de  Berry  et  dist  :  a  Nous  nous 

«  débatons  et  traveillons  pour  néant  ;  car  le  roy  n'a  esté 

c  empoisonné,  ne  ensorcelé  fors  de  mauvais  conseil  ;  et  il 

i  n'est  pas  heure  de  parler  de  ceste  matière  maintenant. 

t  Mettons  tout  en  souffrance  jusques  À  une  autre  fois.  » 

Sus  cel  estât  *  se  départirent  les  seigneurs  pour  ce  soir 
là  lun  de  l'autre ,  et  se  retrairent  en  leurs  hostels  et  en 
leurs  chambres.  Et  furent  ordonnés  de  par  les  oncles  du  roy 
à  demeurer  tous  quois  delés  le  roy  pour  le  garder  et  admi- 

^  MoMr..  Bosiner.  —  "  Tankw.  —  •  Et  dit.  —  •"'  Robert.  — 
*  Et  condoiioiis. 


Digitized  by 


Google 


46  FRÉHÉaiE 

nûstrer  souverainement  quatre  chevalliers  d*onneur  :  premiè- 
rement messire  Regnault  de  Roye ,  messire  Regnault  de 
Trie,  le  sire  de  Garensières  et  messire  Guillemme  Martel , 
et  fiit  dit  au  seigneur  de  la  Rivière  ,  à  messire  Jehan  le 
Merchier ,  à  Montagu  ,  au  Bëgue  de  Velaines  ,  à  messire 
Guillemme  des  Bordes  et  à  messire  Hélion  de  Lignach,  que 
ils  s*en  départissent  de  tous  poins  tant  que  on  verroit 
comment  il  se  porteroit  et  seroit  en  meilleur  point  et  estât. 
Geulx  s'en  déportèrent ,  et  les  autres  en  eurent  Tadmi- 
nistration. 

Quant  ce  vint  à  lendemain  ,  les  oncles  du  roy  le  alèrent 
veir  et  le  trouvèrent  moult  foible.  Si  demandèrent  comment 
il  avoit  reposé.  Ses  chambrelens  respondirent  et  dirent  que 
moult  petitement ,  ne  il  ne  se  puet  prendre  au  repos.  «  Ce 
«  sont  povres  nouvelles,  »  respondy  le  duc  de  Bourgoingne. 
Adont  se  trayrent-ils  tous  trois  devers  le  roy ,  car  jà  y 
estoit  venu  le  duc  d*Orléans  son  frère,  et  luy  deman- 
dèrent comment  il.  luy  estoit.  Il  ne  sonna  ,  ne  respondi 
parole ,  ne  mot,  mais  les  regarda  très-diversement  et  perdy 
la  congnoissance  d'euls. 

Ces  seigneurs  furent  tous  esbahis  et  parlèrent  ensemble 
et  dirent  :  «  Nous  n'avons  icy  que  faire.  Il  est  en  très-mau- 
(T  vais  estât.  Nous  le  grevons  plus  que  nous  ne  luy  aydons. 
«  Nous  Tavons  recommandé  à  ses  chambrelens  et  à  ses 
«  médecins.  Ceulx  en  songneront  et  penseront.  Or  pensons 
<f  et  soingnons  comment  le  royaulme  soit  bien  gouverné, 
«  car  il  fault  que  il  ait  ung  bon  gouvernement  et  une  très- 
«  bonne  ordonnance  :  aultrement  les  choses  yroient  male- 
tt  ment.  »  Âdont  dist  le  duc  de  Bourgoingne  au  duc  de 
Berry  :  «  Il  nous  convient ,  beau  frère  ,  adviser  de  nous 
«  retraire  vers  Paris  et  ordonner,  par  la  plus  gracieuse  voye 
«  qu*il  sera  possible,  que  le  roy  soit  jusques  là  porté  et 
«  mené  tout  souef  et  quoyement  ;  car  mieulx  entenderons- 


Digitized  by 


Google 


DE  GEARLB8  TI.  47 

ff  nous  à  Iny  par  delà  qne  icy  :  c  est  une  loingtaine  marche 
ff  de  Paris.  Et  quant  nous  serons  là  venus  ,  nous  metterons 
c  ensemble  tout  le  conseil  de  France  ,  et  là  sera  ordonné 
ff  comment  on  se  chevira  ens  ou  rojaulme  et  lesquels 
ff  auront  administration  du  gouvernement,  ou  beau  nepveu 
«  d'Orléans  ou  nous.  »  —  «  C'est  moult  bien  advisé , 
«  respondi  le  duc  de  Berry.  Or  fault-il  avoir  bon  advis  et 
«  regarder  en  quel  lieu  et  place  on  le  menra,  et  qu'il  luy 
«  soit  bon  et  propice.  »  Et,  pour  le  plus  tost  retourner  à 
santé  il  fut  advisé  et  regardé  que  on  Tamenroit  tout  belle- 
ment et  souef  ens  ou  chastel  de  Craeil  et  que  là  a  très-bon 
air  et  moult  beau  pays  sur  la  rivière  d'Oise. 

Toutes  ces  ordonnances  se  tindrent.  On  donna  congié  à 
toutes  gens  d'armes  ,  et  leur  fut  dit  de  par  les  mareschaulx 
de  France  que  chascun  retoumast  ^  chi^  '  son  hostel  doul- 
cement  et  courtoisement  sans  faire  nulle  violence  sur  le 
pays  ;  et,  se  les  routiers  le  faisoient ,  on  s'en  prendroit  aux 
seigneurs  pour  amender  le  fourfait  et  le  dommage  que  leurs 
gens  auroient  fietit.  Les  deux  oncles  du  roy  et  le  chancel- 
lier  de  France  misrent  tantost  gens  à  cheval  et  bons  messa- 
gers en  euvre ,  et  envolèrent  par  les  cités  et  bonnes  villes 
de  France  et  de  Piccardie.,  en  euls  signifiant  et  estroitte- 
ment  mandant  que  ils  fuissent  soingneus  de  faire  garder 
leurs  cités  et  leurs  villes.  La  cause  pour  quoy ,  on  leur 
touchoit  ung  petit  :  que  le  roy  n'estoit  pas  bien  disposé. 
Les  mandemens  furent  tenus  et  accomplis  par  tout. 

Or  furent  les  bonnes  gens  du  royaulme  de  France  de 
toutes  pars  moult  esbahis  et  courrouchiés  ,  quant  ces  nou- 
velles furent  à  tous  lés  espandues  et  nottoirement  sceues  : 
que  le  roy  de  France  estoit  encheu  par  '  incidense  mer- 
veilleuse en  ^  frénaisie.  Si  en  parloient  bien  largement 

"  Bn.  —  »  Talle.  —  *  Maladie'et. 


Digitized  by 


Google 


4B  wvtxkm 

plusieurs  gens  sur  oeulz  qui  avoient  conseillié  le  roy  de 
aler  en  Bretaigne  ,  et  les  aucuns  disoient  que  le  roy  ayoit 
esté  trahy  de  oeulx  qui  Youloient  porter  à  rencontre  de  luy 
le  duc  de  Bretaigne  et  messire  Pierre  de  Graon.  On  ne 
puet  defiendre  les  gens  à  parler  :  la  matière  estoit  bien  telle 
et  si  grande  qu'elle  désiroit  bira  et  demandoit  à  estre 
1  déparlée  *  en  plusieurs  et  diverses  manières. 

Finablement  le  roy  fut  amené  à  Greil ,  et  là  mis  en  la 
garde  des  médechins  et  des  dessus  dis  cheyalliers.  Toutes 
gens  d'ùmes  se  départirent  et  se  traisent  en  leurs  lieux.  Il 
fut  ordonné  et  '  deffendu  ^  que  on  cellast  à  la  royne  ung 
temps  celle  advenue  de  la  maladie  du  roy ,  car  pour  ces 
jours  elle  estoit  durement  enchainte ,  et  fut  deffendu  à  tous 
et  à  toutes  qui  estoient  en  sa  chambre  sur  à  perdre  Tostel  et 
à  estre  grandement^rrigié,  que  nul,  ne  nulle  n'en  feist  men- 
tion. ^Toutce  *setint ,  et  fut  le  roy  à  Greil  en  la  marche  de 
Senlis  et  de  Gompiègne  sur  la  belle  et  doulce  rivière  d'Oise,  et  le 
gardoient  moult.dilUgamment  les  chevalliers  dessus  nommés, 
et  les  médechins  le  médechinoient  ce  que  ils  povoient ,  mais 
pour  leurs  médechines  ^  ne  s'ayanchoit  son  accident,  se  petit 
non,  car  trop  petitement  il  se  prendoit  à  '  santé. 

En  ce  temps  avoit  ens  ou  royaulme  de  France  ung  moult 
vaillant  et  saige  médechin,  et  n*y  avoit  point  son  pareil  nulle 
part,  et  estoit  grandement  amy  au  seigneur  de  Goucy  et  de 
nation  de  sa  terre.  Gelluy  médechin  demouroit  pour  le  temps 
en  la  cité  de  Laon  (là  faisoit-il  plus  voulentiers  sa  résidence 
que  ailleurs),  et  estoit  nommé  maistre  Guillemme  deHarselly. 
Quant  il  sceut  premièrement  les  nouvelles  de  Taccident  du 
roy  et  par  quelle  incidence  il  estoit  cheu  en  maladie,  il  dist 
ainsi,  car  il  cuidoit  assés  bien  congnoistre  la  complection  du 

"  Ventaée.  —  "  Dit.  —  •••  Ainai.  —  '  Ne  fisiques.  —  '-*  Trop 
petitement  il  recevoit. 


Digitized  by 


Google 


DE  CHARLES  YI.  49 

roy  :  «  Geste  maladie  est  Tenue  au  roy  de  tourble.  Il  tient 
i  trop  de  la  ^  moisteur  '  de  la  mère,  n  Ces  paroles  furent 
rapportées  au  seigneur  de  Coucy,  qui  pour  le  temps  se  tenoit 
à  Paris  delés  le  duc  d'Orléans  et  ses  oncles,  car  pour  lors  les 
consauls  de  France,  des  nobles ,  des  prélats  et  des  bonnes: 
yilles,  estoient  à  Paris  ,  pour  veoir  et  conseillier  lesquels 
ou  lequel  auroient  le  gouvernement  du  royaulme  ,  tant  que 
le  roy  seroit  retourné  en  bon  estât,  se  retourner  y  devoit,  ou 
son  frère  le  duc  d*Orléans  ou  ses  deux  oncles  ou  l'un  d*euls 
tout  par  luy,  et  fut-on  sur  cel  estât  et  conseil  plus  de  quinze 
jours  que  on  ne  povoit  estre  d'accord.  Finablement  adyisé 
fut  et  conseillié,  pour  la  cause  de  ce  que  le  duc  d'Orléans 
estoit  trop  jeune  pour  entreprendre  ung  si  grant  '  fais  ^  que 
les  deux  oncles  du  roy  ,  le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bour-^ 
goingne,  en  auroient  le  gouvernement,  et  principalement  le 
duc  de  Bourgoingne,  et  que  madame  de  Bourgoingne  se  ten- 
roit  toute  quoye  delés  la  royne  et  seroit  la  seconde  après  ly. 
Or  s'adyisa  le  sire  de  Coucy  ,  sicomme  je  vous  dy  ,  de 
maistre  Guillemme  de  Harselly.  Si  en  parla  aux  oncles  du 
roy  et  leur  remonstra,  pour  sa  santé  recouvrer,  la  prudence 
et  la  vaillance  du  dit  maistre  Guillemme.  Le  duc  de  Berry 
et  le  duc  de  Boui^ingne  y  entendirent  et  le  mandèrent  :  il* 
yint  à  Paris.  Quant  il  fut  venu,  le  sire  de  Coucy,  devers  qui 
il  se  tray  premièrement  (car  il  estoit  grandement  son  con- 
gneu),  l'emmena  devers  les  deux  oncles  du  roy  et  leurdist  : 
ff  Vescy  maistre  Guillemme  de  Harselly,  dont  je  vous  avoie 
«  parlé.  » — «  D  soit  le  très-bien  venu,  »  respondirent  les  trois 
ducs.  Adont  le  recueilliôrent-ils  et  luy  firent  moult  bonne 
chière,  et  puis  l'ordonnèrent  pour  aler  à  Creil  veoir  et  visi- 
ter le  roy  et  demeurer  tant  delés  luy  que  il  seroit  en  bon 
estât. 

*■•  Maistenr.  —  «^  Fait. 

XV.  —  FROISSART.  «  4 


Digitized  by 


Google 


30  FRiaisiB 

Le  ditmaistre  Guillemme,  &  la  contemplation  et  ordon- 
nance des  seigneurs ,  se  départy  de  Paris  en  bon  estât  et 
arroy  et  se  mist  au  chemin  et  vint  &  Creil.  Ainsi  comme  les 
deux  ducs  avoient  ordonné  à  maistre  Guillemme,  il  fist,  car 
il  se  tint  tout  quoy  delés  le  roy ,  et  emprist  dessus  tous  les 
autres  médechins  la  souveraine  administration  de  luy  curer, 
et  yey  bien  et  congneut  que  la  maladie  du  roy  estoit  curable 
et  que  le  roy  Tavoit  conchue  et  prise  par  foiblesse  de  chief 
et  par  incidence  de  tourble ,  siques  pour  y  pouryeoir  et 
remédier  il  y  entendy  et  besoingna  grandement. 

Les  nouvelles  de  la  maladie  du  roy  s'espardirent  moult 
loings;  et,  qui  qu*en  fuist  dolant  et  courrouchié,  vous  devés 
croire  et  savoir  que  le  duc  de  Bretaigne  et  messire  Pierre 
de  Craon  n'ra  furent  point  moult  tourblés,  mais  Feurent  tan- 
tost  plouré  ^  Quant  le  pape  Bonifâce  de  Romme  et  les  car- 
dinaulx  en  sceurent  la  vérité  ,  ils  en  furent  tous  resjoys  et 
se  mirent  ensemble  en  concitore ,  et  bien  dirent  que  le  plus 
grant  de  leurs  ennemis  (c*estoit  le  roy  de  France)  estoit  batu 
de  verges  crueuses  quant  Dieu  luy  avoit  toUu  son  sens ,  et 
que  ceste  influence  estoit  du  Ciel  descendue  sur  luy  pour 
luy  chastier ,  et  que  trop  avoit  soustenu  cel  antipape  d*Âvi- 
gnon,  et  la  playe  crueuse  luy  estoit  envoyée  pour  exemplier  * 
son  royaulme.  Et  tendent  entre  euls  et  disoient  que  leur 
querelle  en  seroit  plus  belle.  A  considérer  toutes  choses  et 
parler  par  raison,  voirement  ce  fut  une  grant  signifiance,  et 
dont  '  Clément  et  les  cardinaulx  d*Avignon  se  deuissent  estre 
bien  advisés  et  esbahis ,  mais  ils  n*en  feirent  compte  fors 
pour  Tonneiir  du  roy  et  du  royaulme,  et  dirent  entr  euls  que 
du  roy  qui  estoit  jeune  et  plain  de  ses  cuidiers  et  voulentés  ^ 
on  ne  povoit,  ne  devoit  attendre  autre  chose,  car  on  le  lais- 

*  Car  il  les  avoit  accueillis  &  trop  grant  hajne.  —  *  Et  adviser. 
—  *  Le  pape.  —  *  Et  avoit  accueilli  celle  maladie  par  dâiaulte. 


Digitized  by 


Google 


DE  CHARtBS  VI.  5i 

soit  trop  convenir  et  avoit  laissié  du  temps  passé ,  et  que 
petitement  et  foiblement  on  Fayoit  gardé,  et  que  trop  il  avoit 
fidt  d'excès  de  chevauchier  par  nuit  et  par  jour  et  detraveillier 
son  corps  et  son  chief  en  toute  peynne  hors  mesure  et  les 
^  articles  *  de  raison,  et  que  ceulx  qui  gouverné  Tavoient  du 
temps  passé,  en  devroient  estre  '  demandés  *  et  nuls  autres, 
car  c'est  leur  coupe.  Et,  se  ils  euissent  au  roy  donné  en  son 
«nfiance  et  jeunesse  ung  ^  règle  *  raisonnable  et  Teussent 
tenu  en  celluy  par  le  conseil  et  ordonnance  de  ses  oncles, 
ceste  incidence  de  maladie  ne  luy  feust  point  advenue, 
c  Aveuc  tout  ce  il  y  a  ung  trop  grant  membre  de  raison,  car 
«  il  prommist ,  ^  n'a  plus  d'un  an  ^ ,  au  pape  et  jura,  sur  sa 
i  foy  et  en  parole  de  roy  ,  que  il  se  ordonneroit  tellement 
fl  que  par  puissance  il  destruiroit  cel  antipape  de  Romme  et 
«  ses  cardinaulx,  et  osteroit  le  cisme  de  l'Église  et  remettroit 
«  les  choses  qui  sont  moult  tourblées  en  bon  estât ,  et  il 
i  n*en  a  riens  fait ,  mais  est  aie  de  tous  poins  contre  sa 
«  parole  et  son  serement,  dont  Dieu  est  courrouchié,  et  pour 
ff  luy  adviser  il  le  bat  de  ceste  verge  de  frénaisie,  et,  c*est-à- 
fl  entendre  raison  ,  tout  pour  nous.  Et,  se  il  se  retourne  à 
fl  santé,  ainsi  que  bien  se  pourra  faire,  il  nous  y  conyendra 
c  envoier  souffisans  et  sages  légauls ,  qui  luy  remonstrent 
€  vif^ement  et  sagement  la  deffaulte  de  ses  prommesses  affin 
«  que  point  ne  les  ygnore  par  nostre  négligence.  »  Ainsi  se 
devisoient  et  proposoient  en  Avignon  le  pape  et  les  cardi- 
naulx et  amettoient  que  de  ceste  maladie  dont  il  estoit  batu, 
il  Tavoit  grandement  acquis  et  en  estoit  cause,  et  tournoient 
grandement  le  meffîdt  et  Tincidence  de  l'aventure  sur  luy  et 
•  sur  ses  gardes  et  sur  le  conseil  de  sa  chambre.  Ainsi  faisoient 
bien  autres  gens  parmy  le  royaume  de  France  sans  euls. 
On  «ivoia  enune  ville  que  on  appelle  Haspre,  et  siet  en  la 

•-'  Tanne».  —  "  Chargîés.  —  «^  Rîeule.  —  '••  L'an  passé. 


Digitized  by 


Google 


52  FRÉIfiSIE 

conté  de  Haynnau  entre  Cambray  et  Valenchiennes  ,  en 
laquelle  ville  il  y  a  une  abbaye  qui  est  tenue  de  Saint-Vaast 
d'Ârras ,  en  laquelle  église  ou  abbaye  on  aoure  de  saint 
Akaire ,  et  là  gist  le  corps  du  dit  saint  Âkaire  en  fiertre 
moult  richement ,  et  est  requis  et  visité  de  moult  de  lieux 
pour  ce  que  les  verges  sont  '  crueuses  de  frénaisie  et  de 
*  derverie  '.  Et  pour  honnorer  le  saint ,  envoyé  y  fut  et 
apporté  ung  homme  de  cire  en  fourme  du  roy  de  France  et 
ung  très-beau  chierge  et  grant  et  offert  dévotement  au  corps 
saint  afiSn  qu'il  priast  à  Dieu  pour  alégier  la  maladie  du 
roy.  De  ce  don  et  offrande  il  fut  grant  nouvelle.  Aussi 
envoya-on  pareillement  à  saint  Hermer  à  Renaix ,  lequel 
saint  a  le  mérite  de  guérir  de  toute  frénésie.  En  tous  lieux 
où  on  sçavoit  corps  saint  ou  de  sainte  qui  euissent  grâce  et 
mérite  par  la  vertu  de  Dieu  à  garir  de  frénaisie  et  de  der- 
verie, on  y  envoioit  ordonnéement  et  dévottement  Tofirande 
du  roy. 

Quant  les  nouvelles  furent  venues  en  Angleterre  et  que 
le  roy  et  les  seigneurs  le  sceurent,  si  en  furent  grandement 
tourblés ,  et  par  espécial  le  duc  de  Lancastre  le  plaindy 
moult ,  et  dist  ainsi  aux  chevalliers  et  escuiers  qui  estoient 
delés  luy  :  a  Par  ma  foy,  c'est  grant  pitié  ;  car  il  monstroit 
tt  à  estre  homme  de  grant  emprinse  et  de  bonne  voulenté 
tt  au  bien  faire,  et  jà  me  dist-il  à  Amiens  au  congié  prendre  : 
ce  Beau  cousin  de  Lancastre,  je  vous  prye  chiôrement  que 
«  vous  mettes  peyne  et  rendes  bonne  diligence  que  ferme 
«  paix  soit  entre  nous  et  nostre  nepveu  d'Angleterre  et  nos 
«  royaulmes,  par  quoy  nous  puissons  aler  à  grant  puissance 
«  sur  TAmorath-Bacquin  qui  a  conquis  le  royaulme  d'Er- . 
«  ménie  et  qui  se  met  en  peine  de  destruire  crestienneté  , 
«  par  quoy  nostre  loy  soit  exaulchie,  car  nous  y  sommes  de 

*  Monlt.  —  •"•  Rêverie. 


Digitized  by 


Google 


•DE  CHARLES  YI.  55 

«  touspoihs  tenus  de  ce  faire.  Or  est,  ce  dist  le  duc  de  Lan* 
«  icastre,  la  chose  moult  retardée,  car  jamais  n'aura  si  grant 
«  crédence  comme  il  avoit  en  devant.  »  —  «  C'est  vérité  , 
«  respondirent  ceulx  à  qui  il  en  parloit ,  mais  ce  royaulme 
«  de  France  est  trop  bien  ^  conditionné  '  de  encheoir  en 
«  tourble.  » 

Ainsi  se  devisoient  et  parloient  tous  seigneurs  et  toutes 
gens  ens  es  pays  loingtains  et  prouchains  où  la  congnoissance 
de  la  maladie  du  roy  estoit  venue  et  sceue.  Et  le  roy  estoit 
tout  quoy  ens  ou  chastel  de  Greil  en  la  garde  des  chevalliers 
dessus  nommés  et  de  maistre  Guillemme  de  Harselly  qui  en 
avoit  la  souveraine  cure  et  administration  ;  ne  nuls,  ne  nulle 
ne  parloit  au  roy  ,  ne  n'entroit  ou  chastel,  fors  ceulx  qui 
estoient  députés  et  ordonnés  pour  luy  *.  A  la  fois  le  duc  de 
Bourbon  et  le  duc  d'Orléans  y  venoient  pour  luy  veoir  et 
visiter  et  savoir  comment  il  se  portoit. 


Le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  se  tenoient  à 
Paris,  et  n'avoient  encoires  riens  fait  de  nouvel ,  mais  ils 
avoient  bien  en  cuer  et  en  propos  que  ils  besoingneroient 
^  temprement^  et  tout  par  bonne  raison  sur  aucuns  lesquels  ils 
n'avoient  point  bien  à  grâce  ,  ne  leurs  consauls  ,  car  ils  les 
avoient  trouvés  durs  et  *  austères  ^  et  rebelles  en  plusieurs 
manières,  et  disoit  le  duc  de  Berry  :  «  Clichon,  la  Rivière  , 
«  le  Merchier  et  le  Bëghe  de  Velaines,  quant  ils  furent  en 
«  la  Languedoch  ,  me  ostèrent  et  pugnirent  à  mort  crueuse- 
«  ment  mon  trésorier  et  bon  serviteur  Béthisach  par  envie 
i  et  par  *  mauvaistié  ^ ,  ne  oncques  pour  chose  que  je 
i  sceusse,  ne  pousse  dire,  ne  faire,  je  ne  le  peuls  ravoir  de 
«  leurs  mains.  Or  se  gardent  de  moy,  car  l'eure  vendra  que 

"  TaiUié.  —  »  Garder.  —  "  De  brief.  —  •-'  Hauts.  —  "  Mauvaise. 


Digitized  by 


Google 


54 


LES  DUCS  DE  BERET  ET  DE  BOURGOGNE 


«  je  les  paieray  de  monnoye  pareille  :  ^  on  la  forge  *  quan- 
a  ques  '  on  puet  *.  » 

Aussi  le  duc  de  Bourgoingne ,  ne  ses  consauls  ne  povoient 
amer  les  dessus  nommés  qui  par  avant  avoient  gouverné  le 
roy  ;  car,  lorsoue  ils  avoient  à  besoingnier  en  court ,  ils 
estoient  dur  recueillies  et  reboutés ,  et  faisoit-on  moult 
petit  pour  euls,  dont  ils  sçavoient  bien  parler  et  murmurer 
en  derrière. 

Pour  ces  jours,  la  duchesse  de  Bourgoingne  qui  estoit  une 
crueuse  et  ^  austôre  *  dame  ,  se  tenoit  à  Paris  delës  la 
royne  de  France  ,  et  en  avoit  la  souveraine  administration, 
ne  nuls ,  ne  nulle  ne  parloit  à  la  royne  fors  par  le  moien 
d'elle.  Celle  dame  héeit  de  tout  son  cuer  messire  Olivier  de 
Clichon  pour  la  cause  du  duc  de  Bretaigne  ,  car  ce  duc  de 
Bretaigne  estoit  à  elle  moult  prochain  de  ''  sang  * ,  et  en 
parloit  la  dame  moult  souvent  au  ducMe  Bourgoingne  ,  et 
luy  remonstroit  vif^ement  et  clèrement  que  c'estoit  grant 
deffaulte  que  on  avoit  tant  et  si  longuement  porté  Olivier 
de  Clichon  à  rencontre  de  ung  tant  grant  prince  comme 
estoit  son  cousin  de  Bretaigne. 

Le  duc  de  Bourgoingne  qui  estoit  sage  et  ymaginatif,  et 
qui  sur  ces  besoingnes  veoit  tout  au  long,  et  qui  ne  vouloit 
pas  mettre  tourble  ou  royaulme  ,  mais  tenir  en  paix  toutes 
parties  ce  qu'il  povoit ,  ne  qui  ne  vouloit  pas  ,  ne  n'avoit 
voulu  du  temps  passé  courrouchier  ces  seigneurs ,  c*est-à- 
entendre  le  roy  Charles  son  frère  ,  ne  le  roy  Charles  son 
nepveu  ,  respondoit  à  sa  femme  sagement  et  doulcement  : 
«  Dame,  en  tous  temps  se  fait  bel  et  bon  dissimuler.  Vérité 
a  est  que  nostre  cousin  de  Bretaigne  est  ung  grant  sei« 
«  gneur,  et  sa  seigneurie  et  puissance  puet  trop  bien  contre 
«  le  seigneur  de  Clichon.  Se  je  faisoie  jà  partie  aveuc  luy 

•^  Et  forgée  en  mesme  forge.  —  •"•  Tant  que.  —  "  Haute.  — 
'-•  Lignage. 


Digitized  by 


Google 


GOUVBRIIENT   LA  FRAHGE.  55 

au  seigneur  de  Clichon  ,  on  s*en  esmerveilleroit  trop 
grandement  en  France  et  à  bonne  cause ,  car  le  sire  de 
Clichon  dit,  monstre  et  met  oultre  que  toutes  les  haynnes 
que  il  a  à  nostre  cousin  de  Bretaigne ,  sont  engendrées 
pour  soustenir  Tonneur  du  royaulme  de  France  où  nous 
avons  grant  part ,  et  ainsi  Tentendent  pareillement  la 
plus  grant  partie  des  gens  du  royaulme  de  France.  £t 
jusques  à  ores  je  n'ay  veu  nul  certain  article  de  rais(m 
pour  quoy  de  fait  je  me  ^  soye  avanchié  '  pour  demeurer 
delés  nostre  cousin  de  Bretaigne  à  rencontre  du  seigneur 
de  Clichon.  Si  m*en  a  convenu  dissimuler  ,  et  je  vouloie 
demeurer  en  la  grâce  et  amour  '  du  royaulme  »  où  je 
suis  tenu  de  foy  et  de  serement  trop  plus  que  je  ne  soye 
au  duc  de  Bretaigne.  Or  est  advenu  ainsi  que  monsei- 
gneur n'est  pas  en  bon  point  mais  en  dur  party  ,  ainsi 
comme  vous  sçavés,  et  tout  est  à  rencontre  du  sire  de 
Clichon  et  sera ,  et  de  ceulx  qui  l'ont  conseillié  oultre 
nous  (mon  frère  de  Berry  et  moy)  de  aler  ou  voyage  où 
il  vouloit  oultréement  aler.  La  verge  est  toute  cueillie , 
dont  ils  seront  *  hastivement  ^  batus  et  oorrigiés  ,  ainsi 
que  vous  orrés  et  verres  *  temprement  '' ,  mais  que  vous 
veuilliés  ung  petit  attendre  et  souffrir.  Dame  ,  dame  ,  il 
n*est  saison  qui  ne  paye ,  ne  fortune  qui  ne  tourne  et 
retourne  ,  ne  cuer  courrouchié  qui  ne  se  resjouissse,  ne  si 
resjouy  qui  n  ait  à  la  fois  des  courrons.  Clichon ,  la 
Biviôre ,  le  Merchier ,  Vilainnes  et  encoires  d'autres  ont 
mal  fait ,  et  on  leur  monstrera  *  temprement  ^.  »  Ainsi  et 

par  tels  langaiges  '^  resjouissoit  "  à  la  fois  le  duc  de  Bour- 

goingne  la  duchesse  sa  femme. 


*-•  Doye  i^Tanchier  —  •  Du  roy  et.   —  *■•  Aastèrement.  —  •-'  De 
bref.  —  "  De  bref.  —  ""  Apaiaoit. 


Digitized  by 


Google 


86  POURSUITES  DIRIGÉES 

Or  advint  ung  jour ,  et  gaires  ne  demoura  depuis  ces 
paroles  dessus  dittes ,  que  le  duc  de  Bourgoingne  et  le  duc 
de  Berry  eurent  ung  parlement  secret  ensemble  et  dirent  : 
tt  II  nous  fault  commenchier  à  destruire  ceulx  qui  ont  des- 
«  honnouré  nostre  nepveu  le  roy  et  qui  ont  ouvré  et  joué 
«  de  luy  à  leur  entente  et  voulenté.  Et  pi*emiôrement  nous 
a  commencherons  au  connestable  :  c'est  le  plus  grant  et  celluy 
«  qui  a  le  plus  de  finance ,  car  il  met  en  termes  et  fist  son 
a  testament  Tautre  jour.lorsque  il  fut  blechié ,  de'  dix-sept 
«  cens  mil  frans.  Où,  diable,  en  a-il  tant  assamblé ,  et  si  Ten 
a  a  bien  cousté  le  mariage  de  sa  fille  à  Jehan  de  Bretaigne 
a.  nostre  cousin  que  il  délivra  hors  de  dangief  et  de  prison 
a.  d'Angleterre  ,  deux  cens  mil.  Et  comment  y  entrerons- 
«  nous  tout  par  point  et  par  raison?  car  vescy  nostre 
«  nepveu  d'Orléans  qui  le  porte  très-grandement ,  et  aussi 
«  font  aucuns  barons  de  France.  Néantmains,  se  nous  le 
a  tenons  ,  nous  le  demeurons  par  loy  et  parlement  lequel 
«  nous  avons  à  présent  pour  nous.  »  —  «  C'est  vérité,  dist 
«  le  duc  de  Bourgoingne.  La  première  fois  que  il  vendra  par- 
«  1er  à  moy,  et»  se'&ult  que  il  y  viengne  dedens  demain,  je 
«  luy  remonstreray  bien  à  la  recueillotte  que  je  luy  feray  , 
a  que  je  ne  l'ay  pas  à  grâce,  ou  vous,  beau  frère  de  Berry  , 
«  se  premièrement  il  aloit  vers  vous.  »  —  a  Je  le  feray 
a  '  ainsi  ',  »  dist  le  duc  de  Berry  ;  et  se  départirent  de  ce 
conseil. 

Or  advint  que  le  seigneur  de  Clichon  qui  riens  n'y  pen- 
soit ,  mais  cuidoit  moiennement  estre  assés  bien  de  ces  sei- 
gneurs le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne ,  vint 
pour  '  l'office  *  de  la  connestablie,  dont  il  estoit  poursieùvy 
d'aucuns  chevalliers  et  escuiers  qui  en  ce  voyage  du  Mans 
avoient.esté  et  vouloient  avoir  argent ,  car  encoires  n'en 


•-■  Aassi.  —  "^  Le  deu  de  son 


Digitized  by 


Google 


CONTRE  LES  ANGIERS  CONSEILLERS  DU  ROI.        87 

avoient-ils  point  eu,  et  les  envoiolt  le  chancelier  de  France, 
et  aussi  &isoit  le  trésorier  devers  luj  pour  euls  délivrer. 
Et  vint ,  sicomme  je  vous  dy  ,  î  à  une  relevée  *  le  connes- 
table  à  Tostel  d'Artois  à  Paris  pour  remonstrer  Testât  de 
ces  besoingnes  au  duc  de  Bourgoingne  et  non  à  autrui  ; 
car  jà  luy  estoit  baillie  et  '  ordonnée  ^  la  charge  du  gou- 
vernement du  royaulme.  Quant  il  fiit  venu  à  Tostel  d'Ar- 
tois luy  et  ses  gens  (plenté  n'en  y  avoit-il  mie),  ils  entrèrent 
€31  la  court ,  car  le  portier  leur  ouvry  la  porte ,  et  descen- 
dirent de  leurs  chevauls. 

Le  connestable  monta  les  degrés  de  la  salle,  luy  et  ung 
escuîer  tant  seulement ,  et  les  autres  attendirent  ^  bas  en  la 
court  *.  Quant  le  connestable  fut  venu  en  la  salle,  il  trouva 
deux  de^chevalliers  du  duc  ^.  Si  leur  demanda  en  quel  point 
le  duc  estoit  et  se  il  pourroit  parler  à  luy  :  «  Sire  ,  nous  ne 
«  sçavons  ,  respondirent  les  chevalliers ,  mais  nous  le 
i  scaurons  tantost.  Demeurés  icy.  »  Ils  entrèrent  en  la 
chambre  du  duc  et  le  trouvèrent  assés  à  loisir ,  car  il 
*  gengloit  ^  à  ung  hérault  qui  venoit ,  ce  diiSoit-il ,  d'une 
feste  qui  s'estoit  tenue  en  Âllemaigne.  Les  chevalliers  rom- 
pirent leurs  paroles  ,  car  ils  dirent  ainsi  :  a  Monseigneur, 
«  vecy  messire  Olivier  de  Clichon  en  celle  salle,  et  vient,  à 
«  ce  qu'il  nous  a  dit,  pour  parler  à  vous,  se  c'est  vostre 
«  *•  aise  ".  »  —  «  De  par  Dieu  ,  dist  le  duc  *• ,  on  le  face 
«  venir  avant.  Nous  avons  assés  loisir  maintenant  pour 
i  parler  à  luy  et  savoir  que  il  veult  dire.  »  L'un  des  cheval- 
liers yssi  hors  de  la  chambre  et  appella  le  connestable  et 
luy  dist  :  a  Sire,  venés  oultre  ;  monseigneur  vous  mande.  » 
Le  connestable  passa  avant.  Quant  le  duc  le  vey ,  si  mua 
couleur  trop  grandement  et  se  repenty  en  soy  de  ce  que  il 

*-•  Après  dimer.  —  •-•  Délivrée.  —  •^  En  la  basse  court.  —  ^  De 
Boorgongne.  —  "^  Se  devisoit.  —  ••-"  Plaisir.  —  "De  Boorgongne. 


Digitized  by 


Google 


58  FOimsuiTEs  oiaiGiES 

ravoit  &it  Tenir  ,  quoyque  il  euist  bien  affection  et  désir 
de  parler  à  luy.  Le  connestable  osta  son  chapperon  de 
son  chief  et  enclina  le  duc  de  Bourgoingne  et  dist  :  a  Mon* 
«  seigneur ,  je  suis  cy  Tenu  par  devers  voua  pour  sgavoir 
«  de  Testât  et  du  gouvernement  du  royaulme  comment  on 
«  s*en  vouldra  ^  déduire  et  démener  ' ,  car  pour  mo^  office 
0  je  suis  tous  les  jours  demandé  et  poursieuvy,  et ,  pour  le 
«  présent,  vouset  monseigneurdeBerryenavés  lagouverne  : 
«  si  m'en  vueilliés  respondre.  »  Le  duc  de  Bourgoingne 
respondy  assés  follement  et  dist  :  a  Clichon ,  Glichon,  vous 
«  ne  vous  avés  que  faire  d*ensonnyer  de  Testât  du  royaulme, 
a  car  sans  vostre  office  sera-il  bien  gouverné.  A  la  malle 
«  heure  vous  en  soiés-vous  tant  '  ensonnyé  *.  Od  ,  diable  , 
«  avés-vous  tant  assamblé ,  ne  recueillie  de  finance  que 
«  nagaires  vous  fesistes  testament  et  ordonnance  de  ^  dix- 
«  sept  ^  cens  mille  firans  ?  Monseigneur,  ne  beau  frère  de 
tt  Berry,  ne  moy  pour  toute  nostre  puissance  à  présent  n'en 
«  pourrions  pas  tant  ^  mettre  ensemble.  Partés-vous  de  ma 
«  présence  ,  *yssiés  de  ma  chambre  ,  et  faittes  que  plus  je 
«  ne  vous  voye  ;  car ,  se  ce  n'estoit  pour  Tonneur  de  moy, 
«  je  vous  feroie  l'autre  oeul  crever.  »  A  ces  mots  le  duc  se 
départy  de  luy  ,  et  laissa  le  seigneur  de  Glichon  tout  quoy, 
lequel  yssy  hors  de  la  chambre,  baissant  le  chief  et  tout 
pensif ,  ne  nuls  ne  luy  flst  convoy  ,  et  passa  parmy  la  salle 
et  Tavala  tout  jus ,  et  vint  en  la  court  et  monta  à  cheval 
et  se  départy,  et  ses  gens  aussi,  et  se  mist  au  chemin  à  la 
couverte  et  retourna  à  son  hostel  ^  tant  pensif  que  plus  ne 
povoit  •. 

Quant  le  sire  de  Clichon  fut  en  son  hostel  revenu.,  il  ot 
mainte  pensée  et  ymagination  quel  chose  il  feroit ,  et  con*- 

•-•  Chevip.  —  »■•  M68lô.  — •-•  Quinze.  —  ^  Aaaambler  et.  — •  •-•  Sans 
dire  aatre  chose. 


Digitized  by 


Googre 


CONTRE  LIS  AROERS  QONSBILLB&S  BU  ROI.  50 

gneut  tantost  que  les  choses  yroient  mal,  et  ne  savoit  à  qui 
parler ,  ne  descouvrir  ses  besoingnes ,  car  le  duc  d*Orléans 
estoit  lors  à  Graeil.  Néantmains ,  se  il  fuist  à  Paris,  si 
n  avoit-il  nulle  puissance  de  luy  sauver  et  garder ,  et  se 
doubta  trop  fort  que  de  nuit  le  duc  de  Bourgoingne  ne  le 
feist  prendre  et  efforchier  son  hostel ,  et  ne  osa  attendre 
celle  adventure  ,  mais  ordonna  tantost  toutes  ses  besoingnes 
et  dist  à  aucuns  de  ses  vallets  ce  que  il  Youloit  faire  ,  et 
sur  le  soir  il  se  départy  luy  troisième,  et  Tuida  hors  de  son 
hostel  par  derrière  et  yssi  de  Paris  par  la  porte  Saint- 
Ânthoine  et  vint  au  pont  de  Charenton  passer  la  Saine,  et 
chevaucha  tant  que  il  se  trouva  en  ung  sien  chastel  à  sept 
lieues  de  Paris  que  on  dist  le  Mont-le-Héry  ,  et  là  se  tint 
tant  que  il  ot  autres  nouvelles.    ' 

Ce  propre  jour  que  le  duc  de  Bourgoingne  avoit  ainsi 
ravalé  de  paroles  le  connestable  de  France,  le  duc  de  Berry 
et  luy  se  trouvèrent,  car  ils  vindrent  au  palais  pour  parler 
ensemble  des  choses  qui  touchoient  et  appartenoient  au 
royaulme  de  France.  Si  compta  le  duc  de  Bourgoingne  à 
son  frère  le  duc  de  Berry ,   comment  il  avoit  parlé  et 

•  recueillie  *  Clîchon.  Le  duc  de  Berry  respondi  et  dist  : 

•  Vous  avés  bien  fait.  Par  aucune  voye  fault-il  entrer  en 

•  euls ,  car  voîrement  *  il  ^ ,  le  Merchier ,  la  Rivière  et 
i  Montagu  ont  desrobé  le  royaulme  de  France  ;  mais  le 
«  temps  est  venu  que  ils  remettront  tout  arrière  et  y  lai- 
€  ront  les  vies ,  qui  m'en  vouldra  croire.  » 

Je  ne  scay  comment  il  en  advint ,  ne  que  ce  fut ,  mais  ce 
propre  soir  que  le  connestable  yssi  de  Paris,  Montagu  s*en 
party  aussi  tout  secrètement  par  la  porte  Saint- Anthoine  et 
prist  le  chemin  de  Troyes  en  Champaigne,  et  dist  que  il  ne 
séjonmeroit ,  ne  s'arresteroit  nulle  part,  si  se  trouveroit  en 

"  Ravalé.  —  »-•  CHchon. 


Digitized  by 


Google 


60  POURSUITES  DlBlGàSS 

Avignon  ;  et  jà  y  avoit-il  envoyé  une  partie  de  ses  finances 
et  si  en  avoit  laissié  à  sa  femme  aucune  chose  pour  son 
estât  tenir  courtoisement  ;  car  bien  veoit  et  congnoissoit  que 
puisque  le  roy  avoit  perdu  son  sens  ,  que  les  choses  yroient 
mal ,  car  le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  ne  par- 
loient  mais  ft  luy. 

Messire  Jehan  le  Merchier  euist  Voulentiers  fedt  ainsi ,  se 
il  euist  peu  ;  mais  on  avoit  jà  mis  sur  luy  gardes  que  riens 
sans  sceu  n*yssoit  de  son  hostel ,  et  ce  que  en  devant  il 
avoit  sauvé,  luy  vint  depuis  trop  grandement  à  point,  quant 
il  le  trouva  ;  car  tout  ce  que  on  pot  tenir ,  avoir  et  trouver 
du  sien  ,  fut  attribué  au  duc  de  Berry  et  au  duc  de  Bour- 
goingne. Il  luy  fut  Ëiit  ung  commandement  par  les  dessus 
dis  que  il  alast  tenir  son  corps  prisonnier  ens  ou  chastel  du 
Louvre  ,  et  au  Bègue  de  Velaines ,  conte  de  la  ^  Ribôde  * 
en  Espaigne ,  aussi.  Ils  y  alèrent.  On  envoia  à  Tostel  de 
Montagu,  mais  ceulx  qui  envoies  y  furent,  ne  le  trouvèrent 
point ,  et  si  ne  scavoit  nuls  &  dire  quel  part  il  estoit  aie', 
ne  trais.  On  le  laissa,  quant  on  ne  le  peult  avoir. 

On  demanda  se  Olivier  de  Clichon  estoit  à  Paris,  et  fat 
envoyé  querre  en  son  hostel  pour  luy  faire  commandement, 
se  on  Teuist  trouvé  ,  que  il  fiiist  aie  aussi  tenir  son  corps 
•  prison  *  ens  ou  chastel  du  Louvre.  On  ne  le  trouva  point, 
ne  homme  de  par  luy,  fors  le  concierge  qui  gardoit  Tostel  et 
n*en  sçavoit  ^  quelques  ^  nouvelles.  On  laissa  ainsi  ester  ces 
paroles  deux  jours  tant  que  on  sceut  de  vérité  qu'il  estoit 
en  son  '  chastel  *  de  Mont-le-Héry. 

Quant  les  seigneurs  qui  le  vouloient  prendre  et  attraper, 
le  sceurent  (et  se  tenu  l'eussent ,  mal  et  lait  luy  feust  aie), 
ils  ordonhôrent  tantost  le  Barrois  des  Barres  et  messire 
Jehan  de  Ghastel-Morant ,  le  seigneur  de  Coursy  et  messire 

•-•  Ribedée.  —  »-*  Prisonnier.  —  "  Nulles.  —  '-•  Hostel. 


Digitized  by 


Google 


QORTRE  LES  ANCIENS  CONSEILLERS  OU  ROI.        61 

Guillemme  de  la  Trimouille  à  trois  cens  lances,  et  leur  fut 
dit  :  «  Alés-Yousentau  Mont-le-Héry.  Environnés  la  ville 
«  et  le  chastel,  et  ne  vous  partes  point  de  là  sans  nous 
«  ramener  Clichon  mort  ou  vif.  »  Les  chevalliers  obéirent, 
et  faire  leur  convint,  car  les  deux  ducs  pour  lors  avoient 
Tadministration  du  royaulme  de  France ,  et  partirent  de 
Paris  à  plus  de  lU^  lances»  non  pas  tout  à  une  fois,  mais  par 
cinq  routes ,  affin  que  leur  yssue  feust  moins  congneute* 
Dieu  aida  si  bien  le  connestable  ,  et  ot  de  si  bons  amis  en 
la  chevauchie,  que  ceste  ^  yssue  '  luy  fut  signiffiée  si  bien  à 
temps  et  à  point  que  il  n  y  receu  nul  dommage ,  et  se 
départy  luy  et  ses  gens  et  se  mist  au  chemin  et  chevaucha 
tant  par  voyes  couvertes,  par  bois  et  par  bruières,  hors  des 
dtés  et  des  villes  fermiées,  que  il  vint  seurement  et  sauve- 
ment  en  Bretaigne  et  se  bouta  en  ung  sien  chastel  bien 
gamy  et  pourveu  de  toutes  choses  nommé  Ghastel-Josselin, 
et  là  se  tint  tant  qu'il  oy  autres  nouvelles. 

Pour  ce  ne  demeura  pas  que  '  le  Barrois  des  Barres  et 
les  autres  chevalliers  dessus  nommés  ne  se  meissent  en 
peine  de  faire  leur  emprise  ,  ainsi  que  chargié  leur  estoit, 
et  vindrent  au  Mont-le-Héry  et  se  saisirent  de  la  ville  et 
environnèrent  le  chastel  et  furent  là  une  nuit,  et  cuidoient 
que  le  connestable  fuist  dedens  ,  mais  non  estoit  ainsi  que 
vous  sçavés,  et  se  ordonnèrent  au  matin  ainsi  que  pour 
assaillir.  Les  varlets  qui  le  chastel  gardoient ,  respondirent 
et  dirent  que  le  sire  de  Clichon  estoit  départy  de  là,  passé 
estoit  quatre  jours,  et  offrirent  à  ouvrir  le  chastel  et  à 
laissier  quérir  partout.  Les  chevalliers  prindrent  celle  oâre 
et  alèrent  ou  chastel  en  toutes  les  tours,  armés ,  de  piet  en 
cape ,  ainsi  que  pour  tantost  combatre ,  et  ce  firent-ils  affin 
que  là  dedens  ils  ne  fuissent  sourprins  de  trahison ,  ne 

•■' Venue.  —  »  Hues. 


Digitized  by 


Google 


89  POURSOTTBS  DIRIGÉES 

d*aucun6  embasche  ,  mais  ils  trouvèrent  tout  en  vérité  œ 
que  les  familliers  et  varlets  du  seigneur  de  Giichon  avoient 
dit ,  si  chercôrent-ils  hauls  et  bas  et  partout ,  et  riens  n*7 
trouvèrent.  Dont  s'en  partirent-ils  et  retournèrent  vers 
Paris  et  là  vindrent.  Si  comptèrent  à  ceulx  qui  là  les 
avoient  envoies  ,  comment  ils  avoient  exploittié. 

Quant  le  duc  de  Berrj  et  le  duc  de  Bourgoingne  et  leurs 
consauls  voiront  que  messire  Olivier  de  Clichon  leur  estoit 
eschappë  ,  si  en  furent  moult  courrouchiés  ,  et  le  duc  d*Or- 
léans  et  le  duc  de  Bourbon  tous  resjouys.  Or  dist  le  duc 
de  Bourgoingne  :  «  Il  a  bien  monstre  que  il  se  doubte.  Pour 
«  tant,  se  il  s'en  est  aie  et  eslongié  ,  n'est-il  pas  quitte. 
«  Nous  le  ferons  traire  et  venir  avant  hastivement,  ou  il 
«  perdra  tout  ce  où  nous  pourrons  la  main  mettre  ,  ne  jà 
«  n'en  sera  déporté,  car  il  a  sur  luy  plusieurs  articles  des- 
.«  raisonnables  qui  ne  demandent  que  jugement  de  pugni- 
«  tion  ;  et ,  se  les  grans  et  les  puissans  et  les  mauvais  n'es* 
«  toient  pugnis  et  corrigiés,  les  choses  ne  seroient  point 
«  proportionnées  justement,  et  se  contenteroient  mal  les 
«  petis  et  les  foibles  ,  et  justice  doit  estre  léalle  et  non  pas 
«  espargnier  ne  fort,  ne  foible,  par  quoy  tous  s*i  exemplient.  » 
Ainsi  disoit  et  devisoit  le  duc  de  Bourgoingne  ,  et  messire 
Olivier  de  Clichon  s'estôit  mis  et  bouté  sauvement  et  seu- 
rement  en  son  hostel  lequel  on  nomme  Chastel-Josselin  en 
Bretaigne  ,  et  estoit  bien  pourveu  de  tout  ce  qu'il  apparte- 
noit  pour  forteresse  tenir  et  garder. 

En  ce  propre  jour  que  le  Barrois  des  Barres  fat  retourné 
à  Paris  devers  les  seigneurs  et  que  il  leur  ot  dit  et  compté 
que  messire  Olivier  de  Clichon  nestoit  pas  ou  chastel  de 
Mont-le-Héry,  il  luy  fut  dit  de  par  le  duc  de  Berry  et  le  duc 
de  Bourgoingne  :  «  Départés-vous,  Barrois  ,  demain  de  bon 
«  matin  et  chevauchiés  jusques  à  Auniaulx.    On  nous  a 


Digitized  by 


Google 


courus  LES  ANCmS  COMSEILLBES  DU  ROI.  63 

«  dit  que  le  sire  de  la  Rivière  y  est.  ^  Calengiés-Ie  '  de  par 
«  nous  et  de  par  le  conseil  du  roy,  et  '  Tayés  tel  ^  que  vous 
«  nous  en  rendes  bon  compte,  quant  nous  le  vous  demande-- 
«  rons.  »  Il  respondy  :  o  Messeigneurs,  voulentiers.  »  Et 
chevauchèrent  Tendemain  luy  et  sa  route,  et  vindrent  à 
Anniaulx,  une  moult  belle  forteresse  séant  emprès  Chartres, 
que  le  sire  de  la  Rivière  tenoit  et  Tavoit  prins  en  mariage 
aveuc  la  dame  d'Âuniaulx  sa  femme ,  et  avoit  le  dit 
chastel  et  toute  sa  terre  trop  grandement  amendée  »  et 
moult  estoit  amé  de  ses  hommes  en  sa  terre  et  tout  là  envi- 
ron ,  car  il  ne  vouloit  que  tout  bien  et  loyaulté. 

Les  commissaires  de  par  les  seigneurs  dessus  nommés 
vindrent  à  Âuniaulx  et  firent  ce  dont  ils  estoient  chargiés  et 
trouvèrent  le  seigneur  de  la  Rivière,  sa  femme  et  ses  enfians, 
lequel  seigneur  de  la  Rivière  n'attendoit  autre  chose  que  ces 
^vigelles*,  car  jà  luy  avoit-on  dit  que  messire  Jehan  le 
Merchier  et  le  conte  de  la  Ribède  tenoient  prison  ,  et  que 
le  connestable  estoit  party  et  fuy  hors  du  Mont-le-Héry  et 
retrait  quelque  part  que  ce  fuist  à  sauveté  ,  et  luy  avoit-on 
dit  :  «  Sire,  saulvés  vostre  corps,  car  les  envieux  ont  à  pré* 
«  sent  règne  "^  contre  vous  pour  eulx.  »  Il  avoit  res- 
pondu  &  ces  paroles  et  dit  ainsi  :  «  Icy  et  aultre 
«  part  suis-je  en  la  voulenté  de  Dieu.  Se  je  *  me  dému* 
«  choie  • ,  je  me  "  jetteroie  "  ou  fait  dont  je  me  sens  pur 
0  et  net.  Dieu  m*a  donné  ce  que  j*ay  ,  et  Dieu  le  me  peult 
«  ester  quant  il  luy  plaist.  J*ay  servy  le  roy  Charles  de 
«  bonne  mémoire  et  le  roy  Charles  son  fils  à  présent  ^' , 
«  bien  et  loyaulment.  Mon  service  a  esté  aussi  bien  con- 
«  gneu  de  euls,  et  le  me  ont  grandement  rémunéré.  Je  ose- 
t  roie  bien ,  sur  ce  que  j*ay  fait,  servy  et  traveillié  à  leur 

*-•  Demandéih-k;  —  •-*  Faites  teUement;  —  ^  Vegilles.  --  '  Et  est 
fortune  toarnée.  —  •"•  M*enfajoie.  —  ••""  Metteroie.  —  "  Régnant, 


Digitized  by 


Google 


64  POURSUITES  DIBlGiBS 

«  commandement  pour  les  besoingnes  du  royaulme  de 
«  France,  attendre  le  jugement  de  la  chambre  de  parlement 
«  de  Paris ,  et ,  se  on  treuye  en  tous  mes  fais  chose  où 
«  riens  ait  à  dire  ,  je  soie  pugny  et  corrigié.  » 

Ainsi  disoit  et  avoit  dit  le  seigneur  de  la  Rivière  à  sa 
femme  et  à  ceulx  de  son  conseil,  en  devant  ce  que  les  com- 
missaires des  seigneurs  dessus  nommés  venissent  à  Auniaulx. 
Quant  on  luy  dist  :  «  Monseigneur ,  vecy  tels  et  tels  ,  et 
«  viennent  à  main  armée ,  et  veulent  entrer  chyans.  Qu'en 
«  dittes-vous  ?  Ouvrirons-nous  la  porte  ?»  —  «  Oyl ,  dist- 
0  il.  Quoy  dont  !  Ils  soient  les  bien  venus!  »  Et  à  ces  mots 
il-meismes  vint  à  rencontre  d*eulx  et  les  recueilly  ung  à  ung 
moult  honnourablement  ;  et  tout  en  parlant  &  euk  il  et  euk 
et  toutes  leurs  gens  entrèrent  en  la  salle  du  chastel  de 
Auniaulx.  Quant  ils  furent  venus  tous  là,  ils  se  arrestèrent, 
et  adont  le  Barrois  des  Barres,  ung  moult  douls  et  gentil 
chevallier,  flst  de  cuer  courrouchié  (et  bien  le  monstra)  Far- 
rest  sur  le  seigneur  de  la  Civière,  ainsi  que  chargîé  luy 
estoit  et  que  faire  luy  convenoit.  Le  sire  de  la  Rivière  le 
tint  pour  excusé  et  obéy  ;  autrement  ne  le  povoit  &ire , 
ne  vouloit.  Si  demeura  prisonnier  en  son  chastel  d*Auniaulx 
meismes.  Vous  devés  croire  et  sçavoir  que  la  dame  estoit 
moult  desconfortée  et  fut  plus  quant  elle  vey  ainsi  la  ^  for- 
tune tourner  et  renverser  sur  son  seigneur  et  mary,  et  se 
doubtoit  aveuc  ce  trop  fort  de  la  conclusion. 

Ainsi  fut  le  seigneur  de  la  Rivière  prisonnier  en  son 
chastel  de  Auniaulx.  Gaires  de  temps  depuis  n*y  demeura  que 
il  fut  envoie  quérir  par  les  dessus  dis  qui  avoient  le  gouver- 
nement de  la  temporalité  et  aussi  de  '  Tespiritualité  '  ;  car 
cils  qui  pape  Clément  s*escripvoit ,  n*avoit  riens  ou  royaulme 
de  France,  fors  par  ces  deux  qui  gouvemoient  le  dit 

*  Roe  de.  —  "  L'espirituel. 


Digitized  by 


Google 


CONTRE  LES  AMCDaiS  G(NXWI«¥'SBfi  BU  ROI.  05 

royaolme  »  et  fut  amené  à  Paris  et  mis  eus  ou  chastel  du 
Louvre.  Moult  de  gens  parmy  le  royaulme  de  France  en 
avoient  pitié,  et  si  n'en  osoient  parler  fors  en  ^  larchin  '. 
Enooires  ne  &isoit-on  point  si  grant  compte  de  la  tribulation 
de  messire  Jehan  le  MercUer  que  de  celle  du  seigneur  de 
la  Riviâre  ;  car  le  sire  de  la  Rivière  avoit  tousjours  esté 
doulx  ,  courtois ,  débonnaire  et  patient  aux  povres  gens,  et 
à  ceulx  et  à  celles  bon  moien,  qui  avoient  à  besoingnier  et 
qui  ne  povoient  avoir  audience.  On  disoit  tous  les  jours 
parmy  la  ville  et  cité  de  Paris  que  on  leur  trencheroit  les 
testes,  et  couroit  par  aucuns  ,  non  mie  tous  ,  ung  esca^idèle 
et  uçe  renommée  pour  euls  plus  grever  et  oppresser,  que  ils 
estoient  trahitours  contre  la  couronne  de  France  et  avoient 
usurpé  ,  emblé  et  démuchié  les  grans  prouffis  du  royaulme 
^de  France  ,  dont  ils  avoient  tenus  leurs  grans  estas ,  fait 
^misons  et  chasteaulx  et  beaulx  édifices,  et  les  povres  che- 
valliers et  escuiers  qui  avoient  exposé  leurs  corps  et  leurs 
membres  ens  ôs  armes  à  servir  le  royaulme  de  France  et 
vendu  et  aloué  leurs  héritages  en  servant,  n*avoient  peu 
estre  en  temps  passé  payés  tant  par  messire  Olivier  de 
Clichon  comme  par  ces  deux  et  aussi  j^ar  Montagu  qui  s'en 
estoit  ^  aies  *.  Les  envieux  et  les  hayneux  les  condempnoirat 
et  jugoient  à  mort ,  et  en  furent  en  trop  grant  aventure  ; 
et  fut  dit  que  sur  euls  il  estoit  tout  prouvé  que  ceulx  avoient 
plainement  conseillié  le  roy  de  France  de  aler  au  Mans  et 
pour  aler  en  Bretaigne,  et  Tavoient  mis  en  la  maladie  et  en 
la  frénaisie  où  il  estoit  par  donner  à  boire  poisons  appro- 
priés à  leur  voulenté  ,  et  couroit  commune  renommée  que 
les  médechins  qui  avoient  eu  le  roy  à  gouverner,  n'en 
povoient,  ne  n'avoient  peu  toute  la  saison  joyr,  ne  user  pour 
euls. 

•-•  Derrière.  —  "^  Foi. 

XV.  —  VBOISSARTé  6 


Digitized  by 


Google 


66  porasoms  mbigébs 

Tant  fut  proposé  à  rencontre  ^  d'enU  ' ,  c'est-assavoir  du 
seigneur  de  la  Rivière  et  de  sire  Jehan  le  Merchîer,  que  Us 
furent  ostés  du  Louvre  et  délivrés  an  prévost  de  Ghastelet 
de  Paris  et  mis  ens  ou  chastel  de  Saint-Ânthoine  en  la 
garde  du  visconte  d'Âscy  qui  pour  le  temps  en  estoit  cfaas- 
tellain.  Quant  ils  furent  lÀ  mis  et  que  on  le  sceut  de  vérité, 
dont  '  s'efibrcha  ^  renommée  à  courir  et  à  venteler  partout 
que  ils  seroient  exécutés  à  mort.  Mais ,  au  voir  dire  et 
parler  proprement  et  par  raison ,  ils  n'eurent  oncques  ce 
jugement  et  arrest  contre  euls  ;  ne  ceulx  qui  à  jugier  les 
avoient ,  ne  povoient  trouver ,  ne  sçavoir  en  bonne  con- 
science que  ils  deussent  ^  porter  peine  de  mort  ^  :  si  estoient- 
ils  tous  les  Jours  pour  eulx  contrarier  eshidés  et  assaillis,  et 
disoiton  ainsi  :  «  Pensés  pour  vos  âmes  ,  car  vos  corps 
«  sont  perdus.  Vous  estes  jugiés  à  morir  et  à  estr% 
«  décolés.  » 

En  celle  ''  peine  *  et  douleur  que  je  vous  dy ,  ils  furent 
ung  trôs-grant  temps.  Toutesvoies  le  Bèghe  de  Velaines  , 
ung  trôs-vaillant  chevallier  et  gentil  homme  en  armes  du 
pays  de  Beausse ,  lequel  estoit  admis  de  leur  meismes  fait 
et  encoulpé ,  fut  si  bien  aidié  et  ot  tant  de  bons  amis  en 
la  place,  que  il  fut  délivré  hors  de  prison,  et  ot  pleine  rémis- 
sion de  toutes  *  admises  ^^  ;  mais,  à  Tissir  hors  de  prison  et 
à  sa  délivrance,  ceulx  de  son  lignage  messire  le  Barrois  et 
autres  luy  dirent  que  il  se  ordonnast  et  s*en  alast  jouer  en 
Castille  ;  car  là  tenoit  bel  héritage  et  bon  de  par  sa  femme 
la  contesse  de  la  Ribède.  Sicomme  il  fut  conseillié,  il  le  fist, 
et  se  ordonna  et  appareilla  du  plus  tost  que  il  peult,  et  se 
départy  de  France  et  s*en  ala'en  Castille,  et  les  deux  autres 
dessus  nommés  demourôrent  en  prison  et  ou  péril  et  dan- 
gier  de  perdre  leurs  vyes. 

*  '  De  ces  deux.  —  *^  Commencha.  —  •■•  Mourir.  —  *-•  Pensée.  — 
•-*•  Choses. 


Digitized  by 


Google 


CONTBE  LES  ANGIBriS  CONSEILtKRS  BU  ROI.  67 

Tous  les  biens  meubles  et  non  meubles,  hiretages  et  autres 
possessions,  que  messire  Jehan  le  Merchier  avoit  dedens 
Paris  et  dehors  Paris  eus  ou  rojaulme  de  France  où  on 
peult  la  main  mettre ,  tout  fut  prins ,  ^  toUu  et  osté  ,  ainsi 
commebiens  acquis  '  et  fourfais,  et  tous  donnés  à  autrui.  Sa 
beUe  maison  du  Pont-à-Louvion  ou  diocèse  de  Laon,  qui 
tant  luj  avoît  cousté ,  luy  fut  ostée  et  donnée  au  seigneur 
de  Goucy,  et  toutes  les  appendences  ,  terres  ,  rentes  et  pos- 
sessions qui  au  manoir  et  à  la  ditte  ville  appartenoient  :  je 
ne  sçay  se  ce  fut  fait  à  '  sa  requeste  ^  ou  demande,  mais  il  en 
fiit  ahireté  pour  luy  et  pour  son  hoir. 

D'autre  part,  le  sii*e  de  la  Rivière  fut  trop  dur  mené. 
Vérité  est  que  de  son  meuble  là  où  on  le  peult  avoir  et  les 
terres  et  héritages  lesquels  il  avoit  acquis  et  achetés  ,  on 
luy  osta ,  réservé  que  on  laissa  à  sa  femme  la  dame 
d*Auniaulx  tous  les  héritages  lesquels  venoient  de  son  costé 
de  père  et  mère.  Aveuc  tout  ce  il  avoit  une  jeune  fille,  belle 
damoiselle  et  gente  ,  en  Teage  de  dix  ans  ,  laquelle  fille  par 
conjonction  de  mariage  avoit  espousé  ung  jeune  fils  qui 
s*appeUoit  ^  Jehan  *  de  ChastiUon,  fllsainsné  de  messire  Hues 
de  Ghastillon  qui  jadis  fut  maistre  des  ai^balestriers  de 
France ,  et  estoit  ce  fils  héritier  de  son  père  et  tenoit 
grans  héritages  et  beaulx  et  estoit  encoires  taillié  de  en 
plus  tenir,  et  jà  chevauchoit-il  et  avoit  plus  de  ung  an  che- 
vauchié  aveuc  son  grant  sire  le  seigneur  de  la  Rivière  ; 
mais,  non  obstant  toutes  ces  choses  et  oultre  la  voulenté  de 
Fenffimt,  on  le  desmaria  de  la  fille  au  seigneur  de  la  Rivière 
et  futremarié  ailleurs  là  où  il  pleut  ^  au  duc  ^  de  Bourgoingne 
et  à  oeulz  de  la  Trimouille  qui  pour  le  temps  de  lors 
menoient  la  *  tresque  ^^.  ^ 

*^  Ainsi  comme  bien  toUua  et  ostés.  —  *^  La  reqaeste  da  dît  Bei- 
gnenr  de  Coachy.  —  •^  Jacqaes»  —  '*•  Aux  seigneurs  de  Berry  et.  — 
•^Querelle. 


Digitized  by 


Google 


68  porasuiTEs  DiRia&Es 

Encoires  oultre,  le  sire  de  la  Riviôre  avoit  ung  fils  jeune 
escuier  et  son  héritier.  Ce  fils  estoit  marié  à  la  fille  du 
conte  de  Dampmartin,  et  n*avoit  le  dit  conte  plus  d*enffant 
et  h'estoit  point  taillié  que  jamais  en  peust  ou  deust  plus 
avoir,  et  estoit  la  fille  son  hiretière.  On  les  voult  desmarier 
et  remettre  la  fille  ailleurs  plus  haultement  assés  ;  mais  le 
conte  de  Dampmartin  ,  comme  vaillant  preu^homme  ,  ala 
^  moult  '  grandement  au  devant  et  dist  bien  et  le  tint  que 
tant  et  si  longuement  que  le  fils  du  seigneur  de  la  Riviôre 
aroit  vyeoucorps,sa  fille  n*aroit  autre  marypour  homme  qui 
en  peust  parler ,  ne  traittier ,  et  oultre  ,  se  on  faisoit  à 
Tenfiant  violence  pour  abrégier  sa  ^  fin  ^ ,  sa  fille  n'aroit 
jamais  mary  et  metteroit  son  héritage  en  si  dures  mains 
que  ceulx  qui  vouldroient  avoir  son  droit  sajos  cause  par 
fraude  ou  par  envie ,  ne  leur  pourroient  ester.  Quant  on  < 
vey  la  bonne  voulenté  du  conte  de  Dampmartin  et  ses 
defienses,  on  le  laissa  en  paix,  et  ainsi  dempura  le  mariage, 
«t  les  deux  enffans  ensemble ,  mais  le  premier  dont  je  vous 
ay  parlé  ,  se  desrompy ,  et  en  dispensa  le  pape  Clé- 
ment ,  voulsist  ou  non  ;  car  pour  lors  eus  ou  royaulme  de 
France  il  n'avoit  autre  puissance  que  celle  que  on  luy  don- 
noit  et  consentoit  à  avoir  ,  tant  estoit  TÉglise  subgette  et 
vitupérée  par  le  cisme  et  ordonnance  de  ceulx  qui  gouverner 
•la  dévoient. 

Moult  de  pueple  par  espécial  parmy  le  royaulme  de 
France  et  ailleurs  excusoient  grandement  ce  gentil  seigneur 
de  la  Riviôre  de  toutes  ces  admises  ,  voire  ,  se  excusances 
vaulsissent ,  mais  nennil  ;  ne  nuls,  quel  qu'il  fuist ,  ne  com 
cier  qu'il  veist  en  la  matière  ,  n'en  ousoit  parler. ,  ne  ouvrir 
la  bouche,  fors  tant  seulement  celle  vaillant  ^  jeime  dame 
madame  Jehenne  de  Boulongne ,  duchesse  de  Berry.  Trop 

•-•  Trop.  —  »-*  Vie.  —  •  Et  noble. 


Digitized  by 


Google 


CONTBB  LSS.  AMOISMS  G(»I9BILLBRS  DU  ROI.  69 

de  fois  celle  bonne  dame  8*en  mifli  à  genouLs  devant  son 
mary  le  duc  de  Berry,  et  luy  disoit  en  priant  à  mains 
jointes  :  a  Ha  t  a  !  monseigneur  ,  à  tort  et  à  péchié ,  yons 
vous  laissiés  des  ennemis  et  des  hajnenx  infourmer 
diversement  sur  ce  vaillant  chevallier  preud'omme  et 
vray  homme  le  seigneur  de  la  Rivière.  On  luy  fait  pure- 
ment tort  ;  ne  nuls  n'ose  parler  pour  luy  fors  moy.  Je 
vueil  bi^i  que  vous  sachiés  que ,  se  on  le  fait  morir  , 
jamûs  n'auroye  joye  ,  mais  ^  toumeray  '  tous  les  tours 
que  je  pourray ,  pour  vivre  '  en  tristresse  et  estre  en 
douleur  ;  car  il  est,  où  qu'il  soit,  très-léal  chevallier , 
vaillant  et  sage  preudliomme.  Ha!  al  monseigneur., 
certes  vous  considérés  petitement  les  beaulx  services  que 
il  vous  a  fais,  les  peynes  et  les  travauls  que  il  a  eus  pour 
vous  et  pour  moy  mettre  ensemble  par  mariage ,  car  je 
suis  une  petite  dame  à  rencontre  de  vous  ;  mais  vous  qui 
me  vouliés  avoir ,  vous  aviés  à  faire  à  ung  trop  dur  et 
advisé  *  seigneur  ^  monseigneur  de  Fois,  en  qui  garde  et 
gouverne  j*estoie  pour  lors.  Et ,  se  le  gentil  chevallier  le 
sire  de  la  Rivière  et  ses  douloes  paroles  et  sages  traittiés 
n  euissent  esté  ,  je  ne  fuisse  pas  en  vostre  compaignie , 
mais  je  fuisse  pour  le  présent  en  Angleterre  ;  car  le  duc 
de  Lancastre  me  vouloit  avoir  pour  son  fils  le  conte 
d'Erby,  et  plus  se  y  enclinoit  monseigneur  de  Fois  assés 
que  il  ne  feist  à  vous.  Très-chier  sire  ,  il  vous  doit  bien 
souvenir  de  toutes  *  ces  ^  choses,  car  elles  sont  véritables. 
Si  vous  prie  humblement  et  en  pitié  que  le  gentil  che- 
vallier qui  tant  doulcement  m'amena  par  dechÀ ,  n'ait 
nul  dommage  de  son  corps,  ne  de  ses  membres.  » 
Le  duc  de  Berry  qui  veoit  sa  femme  jeune  et  belle  et  que 

•■•  Trouveray.  —  *-"  Seray  tous  les  jours  que  je  vlTray.  —  **•  Che- 
valier. —  •-'  Telles. 


Digitized  by 


Google 


70  PO17B80ITES  DIRIGiBS 

il  aymoit  de  tout  son  cuer,  et  qui  bien  sçavoit  qu*eUe  disoit 
et  remonstroit  tonte  vérité,  amolioit  grandement  son  cner  que 
il  avoit  dur  et  ^  auster  '  sur  le  seigneur  de  la  Riviàre ,  et, 
pour  àppaisier  sa  femme  (car  il  veoit  bien  qu'elle  parloit  et 
prioit  de  grant  cuer),  luy  dist  :  «  Dame ,  se  Dieu  m'ait  à 
«  Fâme  !  je  vouldroie  par  espécial  qu'il  m'euist  cousté  vingt 
0  mil  frans ,  et  la  Rivière  ne  fuist  oncques  *  four&is  ^ 
ff  envers  la  couronne  de  France  ;  car,  en  devant  ceste 
ff  advenue  de  la  maladie  de, monseigneur ,  je  Famoie  bien 
0  ettenoiepour  ung  sage  et  pourveu  chevallier.  Et  puisque 
a  vous  en  parlés  et  priés  si  à  certes  ,  je  ne  vous  vouldroie 
a  pas  courrouchier.  A  vostre  prière  et  parole  il  en  vauldra 
t  grandement  mieulx ,  et  *  en  *  fera;  plus  pour  vous  et  si 
«  avant  que  ma  puissance  se  pourra  estendre,  que  se  tous 
«  ceulx  du  royaume  de  France  en  parloient  et  prioient.  »  — 
«  Monseigneur ,  respondy  la  dame  ,  se  Dieu  plaist,  je  m'en 
«  percevray,  et  vous  ferés  bien  et  aumosne.  Et  je  croy  que 
a  le  gentil  chevallier  et  vaillant  preudliomme  n'a  ^  nul 
«  advocat  *  fors  moy.  »  —  «  Vous  dittes  vérité ,  disoit  le 
«  duc  de  Berry ,  et  quant  vous  vous  en  voulés  ensonnier , 
«  il  *  doit  souffir.  » 

Ainsi  se  appaisoit  la  dame  sur  les  paroles  de  son  sei- 
gneur et  mary  le  duc  de  Berry ,  et  quant  lé  duc  de  Bout- 
goingne  et  leurs  consauls  parloient  ensemble ,  c'estoit  tout 
tourble  ,  et  n'estoit  nulle  doubte ,  se  la  bonne  dame  n'euist 
esté  et  si  très  à  certes  n'y  euist  entendu  ,  ils  euissent  esté 
mors ,  mais  pour  l'amour  d'elle  on  s'en  dissimula ,  et  en 
vallu  messire  Jehan  le  Merchier  très-grandement  mieulx  de 
la  compaignie  du  seigneur  de  la  Rivière,  pour  tant  que  ils 
estoient prins  et  accusés  pour  ung  meismes  fait;  et  on 


*-*Ha!ilt.  —  »^MesfiuB. —  "¥•  —  »■■  NuUeadvocate.  —  •  Vous. 


Digitized  by 


GoQgle 


CONTRE  LES  AKaENS  G0N8BILLER8  DU  ROI.  71 

n'avoit  point  conscience  ^  de  faire  morir  Tirn  sans  Tautre. 
Vous  devés  sçavoir ,  quelque  détriance  que  il  y  euist  et 
qae  on  leur  feist ,  ils  n'estoient  point  en  prison  bien  asseu- 
rés  ;  car  ils  sentoient  que  pour  le  présent  ils  avoient  trop 
*  d'ennemis  ',  et  ^  ces  ^  ennemis  estoient  en  leur  règne  et  en 
leur  puissance ,  et  moult  courrouchiés  estoient,  se  amender 
le  poussent ,  de  ce  que  on  les  gardoit  tant.  Messire  Jehan 
le  Merchier,  en  la  prison  où  il  estoit  ou  chastel  de  Saint- 
Anthoine»  continuellement  plouroit  si  soudainement  et  de  si 
grant  affection  que  sa  veue  en  fut  si  affoiblye  et  si  foulée 
que  il  en  lut  sur  le  point  d*en  estre  tout  aveugle  ,  et  estoit 
grant  pitié  à  luy  veoir  et  oyr  lamenter. 


Entreux  que  ces  deux  cheyalliers  estoient  en  ce  dangier 
et  en  prison  (et  furent  plus  de  demy  an  ,  ne  on  ne  scavoit  à 
dire  quelle  fin  ils  prenderoient) ,  on;  entendy  de  tous  poinâ 
au  seigneur  de  Clichon  pour  le  d^ader  et  ester  de  son 
office  et  honneur ,  et  plus  voulentiers  on  Feuist  tenu  que 
nul  des  autres ,  mais  il  s*en  garda  bien.  Si  fist  que  sages  ; 
car,  se  on  Teuist  tenu,  il  estoit  du  tout  ordonné  que  il  euist 
eu  jugement  contre  luy  pour  le  faire  morir  sans  remède  , 
et  tout  par  enyie  et  par  hayne  et  pour  complaire  à  son 
adversaire  le  duc  de  Bretaigne  qui  oncques  ne  fist  bien  au 
royaulme  de  France. 

Quant  les  seigneurs  veirent  que  il  leur  estoit  eschappé,  on 
*  tourna  ^  le  conseil  sur  autre  fourme,  et  fut  mené  et  démené 
par  la  manière  et  ordonnance  que  je  vous  diray.  Il  fut  * 
adjoumé  à  venir  en  la  chambre  de  parlement  à  Paris  pour 
oyr  droit  et-  pour  respondre  aux  articles  dont  on  Fadmettoit, 

*  Ne  oonseil.  —  "  D*envieux.  —  *-•  Leurs.  —  •*'  Atourna.  —  •Or- 
donné qu'il  aeroit. 


Digitized  by 


Google 


79  PROCÈS 

sus  à  perdre  son  honneur  et  le  royaulme  de  France  et 
Toffice  de  la  connestablie  ,  et  furent  envoyés  commissaires 
ad  ce  députés  et  ordonnés  de  par  ceuk  de  la  chambre  de 
parlement,  en  Bretaigne  pour  parler  à  luy  et  Mre  arrest  et 
adjoumement  suf  luy  de  main  mise.  Ceulx  qui  envoies  y 
furent,  se  acquittiôrent  bien  de  chevauchier  jusques  en  Bre- 
taigne et  d*aler  ens  es  forteresses  et  demander  ôs  dittes  villes 
et  forteresses  après  messire  Olivier'  de  Glichon  quel  part 
il  estoit,  et  disoient  :  a  Nous  sommes  cy  envoies  de  par  le 
ir  roi  nostre  sire  et  le  conseil.  Si  le  nous  enseigniés  tant 
«  que  nous  Taions  veu  et  parlé  à  luy  et  que  nous  aions  Êdt 
0  nostre  message.r  »  Les  hommes  des  villes  et  chasteaulx 
de  Bretaigne  tenables  du  dit  connestable,  ausquels  ils 
s'adreschoient ,  respondoient  et  disoient  ainsi  comme  tous 
garnis  et  advisés  de  respondre  :  a  Vous  nous  estes  les  bien 
«  venus  ;  et  certainement ,  se  nous  voulions  parler  k  mon- 
«  seigneur  le  connestable ,  nous  yrions  en  tel  lieu  «  car  là 
«  nous  le  Guiderions  trouver  sans  nulle  faulte.  n  Ainsi  de 
ville  en  ville  et  de  chastel  en  chastel  les  commissaires 
aloient  demandant  messire  Olivier  de  Glichon,  et  trouver  ne 
le  povoient,  ne  autres  nouvelles  n'en  ouoient,  et  tant  le  quis- 
rent  et  demandèrent,  sans  parler  à  luy,  que  ils  en  furent 
tous  tanés  et  tous  lassés.  Et  quant  ils  voiront  que  ils  n*en 
auroient  autre  chose ,  ils  se  misrent  au  retour,  et  vindrent 
à  Paris  dont  ils  estoient  *  venus  •  et  partis ,  et  firent  cer- 
taine relation  à  leurs  maistres  de  tout  ce  qu'ils  avoient  veu 
et  trouvé  ,  et  comment  à  rencontre  de  euls  le  connestable 
s'estoit  démuchié  et  ses  gens  dissimulées. 

Vous  devés  savoir  que  ceulx  qui  Taccusoient  et  qui  con- 
dempner  *  le  vouloient ,  ne  voulsissent  pas  que  il  se  fuist 
autrement  démené  ;  car  ores  à  primes ,  ce  disoient-ils,  en 

•-•  lasas.  —  •  Le  dévoient  et.  n 


Digitized  by 


Google 


DU  SIRE  DE  GLISSON.  73 

anroient-ils  plainement  leur  raison,  et  seroit  démené  selon 
qii*il  avoit  desservj. 

On  ordonna  à  messire  Olivier  de  Glichon  par  ordonnance 
de  parlement ,  fuist  tort  ou  droit ,  toutes  ses  ^  royes  '  et 
ses  '  adjours  ^,  à  la  fin  que  cils  qui  Tamoient ,  ne  poussent 
point  dire  et  proposer  que  par  envie  ,  ne  hayne  on  Teuist 
enforchié  ,  ^  ne  forjugié  '.  Et  quant  toutes  les  quinzaines 
furent  ^  accomplies  et  que  on  vey  que  de  luy  on  n'auroit , 
ne  orroit  nules  nouvelles  ,  %t  que  on  Tôt  appelle  générale- 
ment de  Tuis  de  la  chambre  de  parlement  et  ensievant 
publiquement  à  la  porte  du  palais,  et  aux  degrés  du  palais 
et  &  la  porte  de  la  court  du  palais,  et  que  on  luy  ot  donné 
toutes  ses  solempnités  et  que  nuls  ne  respondoit  pour  luy  , 
il  ot  arrest  en  parlement  contre  luy  trop  cruel ,  car  il  fut 
banny  hors  du  royaume  de  France  comme  &uls  et  trahittre 
contre  la  couronne  de  France,  et  jugié  à  cent  mil  mars  d'ar- 
gent pour  les  extorsions  que  indeuement  et  frauduleusement 
du  temps  passé ,  son  office  faisaQt  de  la  connestablie ,  il 
avoit  fais  tant  â  la  chambre  aux  deniers  comme  d'autrepart, 
et  &  perdre,  perpétuellement  et  sans  espoir  jamais  du  revenir, 
ro$ce  delà  connestablie  *.  A  celle  sentence  rendre  fut  le  duc 
d'Orléans  mandé  et  pryé  que  il  y  voulsist  estre  ,  mais  point 
il  n'y  voult  venir,  ainchois  s'excusa  ;  mais  les  ducs  de  Berry 
et  de  Bourgoingne  y  furent,  et  grant  foison  des  barons  du 
loyaulme  de  France. 

Or  regardés  des  ouvres  de  fortune  comment  elles  vont 
et  se  elles  sont  peu  fermes  ,  ne  estables  ,  quant  ce  vaillant 
homme  et  bon  chevallier,  qui  tant  avoit  traveillié  pour  Ton* 
neur  du  royaulme  de  France  ,  fut  ainsi  démené  et  vitupé- 
reusement  dégradé  dlionneur  et  de  chevance.  Oncques  homs 

*■•  Voyee.  —  ^  Adjournemena.  —  •■•  Ne  fonroyé.  —  ''  Faites  et. 
—  •  De  France. 


Digitized  by 


Google 


74  PB0GÈ8 

ne  fat  plus  eurenx  de  ce  que  point  ne  vint  &  ses  adjourne- 
mens  ;  car,  se  il  y  iîiist  venu  (il  estoit  tout  ordonné),  on 
luy  euist  honteusement  toUu  la  vie  ;  ne  pour  lors  le  duc 
d'Orléans  n'en  osoit  parler,  et,  se  il  en  eust  parlé  pour  luy, 
on  n'en  euist  riens  &it.  Considérés  ^  et  me  respondés  ,  se  il 
vous  plaist ,  se  le  duc  de  Bretaigne  et  messire  Pierre  de 
Craon  qui  estoient  conjoinds  ensemble,  lurent  point  resjouis 
de  ces  nouvelles.  Vous  devés  bien  croire  et  sçavoir  que  oyl; 
mais  de  ce  estoient-ils  courroifbhiés  que  on  ne  tenoit  Gli- 
chon  à  Paris ,  aveuc  les  autres  messire  Jehan  le  Merchier 
et  le  sire  de  la  Rivière. 

De  celle  sentence  et  jugement  vitupéreuz  fut-il  grant 
nouvelle  parmy  tout  le  royaulme  de  France  et  ailleurs 
aussi.  Les  aucuns  le  plaindoient  en  requoy  et  disoient  que 
on  luy  &isoit  tort.  Les  autres  opposoient  à  rencontre  et 
disoieùt  :  «  Voire,  de  ce  que  on  ne  Fa  tenu  et  pendu,  car  il 
«  l'a  bien  desservy,  et  nos  seigneurs  qui  sont  infourmés  de 
«  sa  vie  et  de  ses  meurs  ,  n'ont  pas  tort  que  ils  se  consen- 
a  tent  que  il  soit  ainsi  démené.  Comment  i  dyables ,  pour- 
t  roit-il  avoir  assamblé  tant  d'or  et  d^ai^ent  que  la  sonmie 
«  de  ung  million  et  demy  de  flourins  ?  U  ne  luy  vient  pas 
«  de  bon  acquest ,  mais  de  pillages  et  de  roberies  et  de 
ff  retaillier  les  gaiges  dois  povres  chevalliers  et  escuiers  du: 
«  royaulme  de  France  et  d'ailleurs ,  sicomme  on  sœt  bien 
«  par  la  chancellerie  et  trésorrerie,  car  tout  y  est  escript  et 
«  rostre.  En  '  ce  voiage  '  de  Flandres  il  a  ^  levé  ^  et  eu  à 
«  son  proufit  grant  foison  d'or  et  d'ai^ent ,  et  aussi  en»  ou 
«  voiage  d'Alemaigne  oti  le  roy  fut.  Toutes  les  tailles  du 
«  royaulme  de  France  et  les  délivrances  des  gens  d'armes  se 
«  passoient  parmy  ses  mains  :  il  en  donnoit  et  fidsoit  don- 
«  ner  ce  que  il  vouloit,  et  la  meilleure  part  il  en  retenoit  * , 

*  Donoques.  —  "  Ces  Toiagea.  —  •^  Rachea.  —  •  Pour  luy. 


Digitized  by 


Google 


IH7  SIRE  DE  GLKSON.  75 

«  ne  nnlâ  n'6n  osoit  parler.  »  Ainsi  et  par  tels  ^  langaiges 
estoit  '  démené  et  détaillié  '  en  derrière  messire  Olivier  de 
Glichon ,  et  pour  oe  eât-il  dit  en  *  reprouyier  ^  :  «  A  qui  il 
c  meschiet ,  chascun  luy  mésofire.  » 

Le  duc  de  Bretaigne ,  luy  estant  et  séjournant  en  son 
pays  y  fitisoit  courir  commune  renommée  que  quant  le  roy 
de  France  et  monseigneur  de  Berry  et  monseigneur  de 
Bourgoingne  vouldroient  bien  à  certes,  trop  seroit  petit 
Tarlet  le  seigneur  de  Clichon,  mais  on  le  laissoit  encoires  con- 
Tenir  ung  temps  pour  veoir  comment  les  besoingnes  se  porte- 
roient  ;  car  le  duc  de  Bretaigne  entendoit  bien  de  costé  que 
on  donroit  au  seigneur  de  Clichon  toutes  ses  *  royes  ^  et 
seroit  si  avant  mené  que  on  luy  feroit  perdre  son  office  de 
la  oonnestablie  de  France. 

Or  r^ardés  se  le  duc  de  Bretaigne  et  messire  Pierre  de 
Craon  en  brief  terme  estoient  revenus  sur  leurs  pies  «  et 
tout  par  les  oeuvres  de  fortune  ,  qui  oncques  ne  séjourne  , 
mais  tousjours  tourne  et  bestouroe ,  et  les  plus  hauls  mon- 
tés sur  sa  roe  en  la  fange  estrangement  *  tourne  *. 

Ce  messire  Olivier  de  Clichon  et  les  dessus  nommés  le 
sire  de  la  Rivière  et  messire  Jehan  le  Merchier  principale- 
ment et  souverainement  estoient  encoulpés  de  la  maladie 
du  roy  de  France,  et  couroit  commune  renommée  par 
envie  et  par  ceulx  qui  les  hayoient  et  qui  à  mort  traittier 
les  vonloient ,  que  ils  avoient  empoisonné  le  roy.  Or  consi- 
dérés entre  vous  qui  entendes  raison  comment  ce  se  peuist 
fidre  ;  car  ils  esioient  ceulx  du  monde  qui  à  la  maladie  du 
roy  povoient  le  plus  perdre  et  qui  plus  voulentiers  luy 
eoissent  gardé  sa  santé.  Mais  ils  n*en  peurent  estre  creus , 
ne  ne  furent ,  ainsy  que  vous  oyés  ;  mais  convint  ung  grant 

•  Maniérei  et*  —  «  Âcdiaé.  ~  *^  Proverbe.  —  •-'  Vojes.  — 
^Retoime. 


Digitized  by 


Google 


76  GUÉBISOM 

temps  demourer  en  prison  et  en  dangier  ena  ou  chastel  de 
Saint- Anthoine  messire  Jehan  le  Merchier  et  le  seigneur  d^ 
la  Rivière ,  et  furent  ^  trop  de  jours  '  sur  le  point  d'estre 
décolés  publicquement ,  et  l'eussent  esté  sans  doubte ,  se  le 
roy  ne  fuist  en  la  saison  retourné  en  assés  bonne  santé  ,  et 
se  '  la  duchesse  de  Berry  n'euist  esté  ,  qui  moult  grande-, 
ment  fut  pour  le  seigneur  de  la  Rivière.  Et  le  seigneur  de 
Clichon  se  tenoit  en  Bretaigne  et  faisoit  et  flst  une  très-forte 
guerre  et  felle ,  dure  et  austère  au  duc  de  Bretaigne ,  et  le 
duc  à  luy ,  laquelle  guerre  cousta  moult  de  vies  d'hommes  , 
sicomme  je  vous  recorderay  cy-après  au  long  en  nostre 
histoire. 


Voua  devés  sçavoir  »  et  vérité  fut ,  que  en  celle  saison 
Tenfermeté  que  le  roy  ot  prins  ou  voiage  de  Bretaigne, 
sicomme  il  est  cy-dessus  contenu ,  abaty  trop  grandement 
la  joye  et  le  revel  de  France ,  et  a  bonne  cause  que  le 
royaulme  sentesist  la  douleur  et  la  payne  du  roy ,  car  en 
devant  ce  il  estoit  durement  et  grandement  en  Tamour  et 
grâce  de  tout  le  pueple ,  et  pour  ce  que  il  estoit  le  chief , 
de  tant  le  dévoient  mieulx  toutes  gens  sentir  ;  car  quant  le 
chief  a  mal ,  ^  tous  les  membres  s*en  sentent.  Si  n'en  osoit* 
on  parmy  le  royaulme  de  sa  maladie  parler  plainement , 
mais  le  celloient  toutes  gens  ce  que  ils  povoient  ;  et  fut 
celle  malladie  trop  bien  cellée  et  dissimulée  devers  la^  royne, 
car  jusques  à  tant  qu'elle  fut  acouchie  et  relevée  ,  elle  n'en 
sceut  riens  et  ^  adjut  *  celle  fois  ,  ce  m'est  advis ,  d'une 
fille. 

Ce  maistre  Guillemme  de  Harsely ,  lequel  avoit  le  roy 

'-*  En  grant  péril.  —  '  Madame.  —  *  Toates  gens  8*en  sentent , 
c'est  à  dire  que.  —  "  ÀTint..  Eut. 


Digitized  by 


Google 


ra  GHABLKS  VI.  77 

en  cure  et  en  garde,  se  tenoit  tous  quois  delés  luy  à  Graeil, 
et  moult  soingneus  en  fut  et  trop  grandement  bien  s'en 
acquitta ,  et  honneur  y  acquist  et  prouffit  grant  ;  car  petit 
à  petit  il  le  remist  en  bon  estât.  Premièrement  il  le  osta 
h«rs  d'une  merveilleuse  et  forte  fièvre  et  de  la  challeur,  et 
luy  fist  avoir  goust  de  boire  et  de  mengier  et  appétit  de 
dormir  et  reposer ,  et  si  luy  fist  avoir  congnoissance  de 
toutes  choses,  mais  il  estoit  .trop  foible  ;  et  petit  à  petit  pour 
luy  renouveUer  ^  d'ayr ,  il  le  fist  chevauchier  et  aler  en 
gibier  et  voler  de  Tesprevier  aux  aloës. 

Quant  ces  nouvelles  furent  sceues  parmy  '  France ,  que 
le  roy  retoumoit  grandement  en  sens,  en  santé  et  en  bonne 
mémoire  ,  toutes  manières  de  gens  en  furent  '  grandement  * 
resjouys,  et  Dieu  gracié  et  loé  moult  humblement  et  haulte- 
•ment  et  de  bon  cuer.  Le  roy  estant  à  Graeil  demanda  et 
voult  veoir  sa  femme  la  royne  et  le  daufSn  son  fils.  La 
royne  vint,  et  fut  son  fils  apporté.  Le  roy  leur  fist  grant 
chière  et  les  recueilly  liement  et  convenablement  ;  et  ainsi 
petit  à  petit  par  la  grâce  de  Dieu  le  roy  retourna  en  bonne 
santé  et  en  bon  estât.  Quant  maistre  Guillemme  de  Harsely 
vey  que  il  estoit  en  bon  point ,  si  en  fut  tout  ^  joïeux  ,  ce 
fîit  raison ,  car  il  avoit  fait  une  belle  cure,  et  le  rendi  à  son 
•frère  le  duc  d'Orléans  et  à  ses  oncles  les  ducs  de  Berry ,  de 
BouTgoingne  et  de  Bourbon,  et  leur  dist  :  «  Dieu  mercy  , 
.  c  le  roy  est  en  bon  estât.  Je  le  vous  livre  et  rens  tout 
f  aidié  et  haitié.  D'ores-en-avant  on  le  garde  de  courrou- 
«  chier  et  mérancolier  ;  car  encoires  n'est-il  pas  bien 
c  ferme  de  tous  ses  esperits  ,  mais  petit  à  petit  il  se  afier* 
«  mera ,  et  joyes  et  déduits  ,  oubliances  et  dépors  par  rai- 
f  son  luy  sont  plus  prouffitables  que  autres  choses.  Mais  du 
f  moins  que  vous  povés ,  si  le  chargiés  et  ti*aveilliés  de 

•  Et  changer. —  '  Le  royaume  de.  —  "Moult  fort  —  •  Lie  et. 


Digitized  by 


Google 


78  GUfiBISOll  1»  CHAUM  TI. 

«  consauls ,  car  encoires  a-il  et  aura  tonte  oeste  saison  le 
«  chief  foible  et  tendre  et  tost  esmeu  «  et  c'est  raison ,  car 
f  il  a  esté  bâta  et  fonrmené  de  trôs-dnre  ^  maladie. 

Or  fut  r^ardé  *■  qne  on  retenroit  ce  maistre  Guillemme 
de  Harsely  delés  le  roy,  et  luy  donroit-on  tant  que  il  sten 
contenteroit ,  car  c*est  la  fin  où  médechins  tendent  tons- 
jours  que  avoir  grans  saUaires  et  grans  pronfSs  des  sei- 
gneurs et  des  dames  et  de  ceulx  et  celles  qne  ils  visittent , 
et  «a  fiit  requis  et  pryé  moult  estroitiement  de  demeurer 
delés  le  roy  ;  mais  il  se  excusa  trop  fort  et  disoit  que  il 
estoit  désormais  ung  vieulx  homs  foible  et  impotent  et  que 
il  ne  ponrroit  endurer  Tordonnance  de  la  court  et  que 
briefknent  il  vouloit  retourner  à  sa  nourrechon.  Quant  on 
yey  que  on  n*en  auroit  autre  chose ,  on  ne  le  yoult  pas 
*  courrouchier  ^.  On  luy  donna  congié ,  mais  à  son  départe- 
ment on  luy  délivra  mille  couronnes  d*or  du  roy,  et  fut 
escript  et  retenu  à  quatre  chevaulx  touttesfois  et  quanteffois 
qu*il  luy  plaisoit  ou  plairoit  à  venir  à  Tostel  du  roy.  Je  croy 
que  oncques  puis  n*y  retourna ,  car  quant  il  fut  venu  en  la 
cité  de  Laon  où  le  plus  communément  il  se  tenoit,  en  cel  an 
il  mom  très-riches  homs  ;  et  avoit  bien  en  finance  (tant 
fut  trouvé  du  sien)  trente  mil  frans  »  et  fut  en  son  temps  le 
plus  eschars  et  le  plus  ^  aver  *  que  on  sceuist,  et  estoit  toute 
sa  plaisance  et  fut  tant  que  il  vescu ,  à  assambler  grant  foi- 
son de  flonrins,  et  ^  chiés  soy  *  il  ne  despendoit  pas  tous  les 
jours  deux  sols  de  parisis ,  mais  aloit  boire  et  mengier  à 
l'avantage  où  il  povoit.  De  telles  verges  sont  batus  tous 
médechins. 


^  Et  wpro.  —  •  Et  avîsi.  —  ■"*  Tenir.  —  •-•  Avaricieulx.  —  '-'  En 
•a  maison..  En  sa  résidence. 


Digitized  by 


Google 


PROLOIIGATIOII  DBS  TEÀTES.  79 

^  Vous  scarés,  sicommô  il  est  cy-dessns  contenu  en  nostre 
histoire,  comment  les  triôves  furent  données  à  Lolinghem  et 
accordées  à  durer  trois  ans  entre  France  et  Angleterre,  *  et 
avoient  les  ambassadeurs  de  France ,  c*est-à-entendre  le 
conte  de  Saint-Pol ,  le  sire  de  Chastel-Morant  et  messire 
Taupin  de  Cantemelle  esté  '  en  'Angleterre  avec  le  duc  de 
Lancastre  et  le  duc  dlorch  pour  savoir  Tintention  du  roy  et 
du  peuple  d'Angleterre  ;  car  on  avoit  tant  proposé  et  si 
avant  entre  les  parties  au  parlement  à  Amiens  que  on  estoit 
sur  fourme  et  estât  de  paix  et  sur  certains  articles 
dénommés  et  prononchiés  ,  mais  que  il  pieust  à  la  commu- 
naulté  d'Angleterre.  Tout  ce  avoient  réservé  le  duc  de  Lan- 
castre et  le  duc  dTorch  ,  et  si  sçavés  comment  les  dessus 

*  Ici  quelques  mannscrîts  placent  an  aesez  long  passage  qn^on 
retrouve  dans  d*antrefl  textes  au  prologue  du  livre  IV  : 

Ainsi,  comme  vou»  avés  ony  cj-dessus  recorder  au  précédent  livre 
de  ceste  hante  et  excellente  histoire  ,  à  la  requeste ,  contemplation  et 
plaisance  de  très-haut  et  noble  prince ,  mon  très-cher  seigneur  et 
maistre,  Qny  de  Chastillon,  conte  de  Blois,  sire  d'Avesnes,  de  Cjmayet 
de  Beaumonty  de  Soonnehove  et  de  la  Gode,  Je  Jehan  Froissart,  prestre 
et  chapelain  à  mon  très-cher  seigneur  dessus  nommé,  et  pour  le  temps  de 
lors  trésorier  et  chanoine  de  Gjmay  et  de  Lisle  en  Flandres  ,  me  mets 
en  la  forge  pour  ouvrer  à  forger  en  la  hante  et  noble  matière  :  laquelle 
traitte  et  propose  les  faits  et  les  avenues  des  guerres  de  France  et 
d'Angleterre  et  de  tons  leurs  coi^oints  et  adhérans  (sicomme  il  appert 
clèrement  et  pleinement  par  les  traittés  qui  sont  Jnsqn*au  jour  de  cette 
piésente  date)  et  laquelle  très^exceUente  matière ,  tant  comme  je 
vivraj ,  par  la  grâce  de  Dieu,  je  continueray  ;  car,  tant  plus  y  suis  et 
plus  y  labeure,  plus  me  plaist.  Et  ainsi,  comme  le  gentil  chevaUer  et 
escuyer,  qui  ûme  les  armes,  en  persévérant  et  continuant,  s*j  nourrit 
et  parfait,  ainsi,  en  labourant  et  ouvrant  sur  cette  matière ,  Je  m*j 
habilite  et  délecte.  —  ***  Et  comment  les  ambassadeurs  de  France 
(o*est-à-entendre  le  conte  de  Saint-Pol  et  le  sire  de  Chastel-Morant) 
en  eurent  lettres ,  et  comment  aussi ,  depuis  ce  temps ,  ycelny  de 
Chastel-Morant  et  messire  Taupin  de  CantemeUe  forent. 


Digitized  by 


Google 


80  PEOLORGATION 

nommés  estoient  retournés  en  France ,  car  on  leur  avoit 
respondu  en  Angleterre  que  à  la  Saint-Michiel  qui  prochai* 
nement  devoit  venir ,  les  parlemens  seroient  à  Westmous- 
tier  des  trois  estas  d'Angleterre  ,  et  là  seroit  tout  Taffaire 
remonstré  généralement  et  en  auroit-on  response. 

Or  advint  que  quant  les  nouvelles  furent  sceues  en  Angle- 
terre de  la  maladie  et  impotence  du  roy  de  France ,  les 
choses  en  furent  grandement  ^  détryées  ^.  Néantmains  le 
roy  Richard  d'Angleterre  et  le  duc  de  Lancastre  avoient 
affection  très-grant  à  la  paix,  et ,  se  par  euls  du  tout  en 
alast ,  la,  paix  euist  bien  tost  esté  entre  France  et  Angle- 
terre ;  mais  nennil ,  car  la  communaulté  d'Angleterre  ne 
vouloît  point  paix  ,  mais  la  guerre ,  et  disoient  ces  Anglois 
que  la  guerre  aux  Franchois  leur  estoit  assés  mieulx  séant 
et  propice  que  la  paix. 

De  ceste  oppinion  estoit  tout  *  acertené  ^  Tun  des  onéles 
du  roy  messire  Thomas,  duc  de  Glocestre,  conte  d'Exesses  et 
de  Bue,  connestable  d'Angleterre,  lequel  estoit  grandement 
amé  ou  dit  pays,  et  vous  dy  que  ce  messire  Thomas  duc  de 
Glocestre  s'enclinoit  trop  plus  à  la  guerre  que  à  la  paix  ,  et 
avoit  la  voix  et  l'accord  des  jeunes  gentils  hommes  d'Angle- 
terre qui  se  désiroient  à  ^  armer  ;  mais  son  frère  le  duc  de 
Lancastre,  pour  tant  que  il  estoit  ainsné  et  moult  puissant  en 
Angleterre,  sourmontoit  tout,  et  bien  disoit  que  la  guerre 
àvoit  assés  duré  entre  France  et  Angleterre ,  et  que  une 
bonne  paix  qui  bien  se  tenist,  y  seroit  bien  séant,  car  Sainte- 
Chrestienté  en  estoit  trop  affoiblie  et  amenrie  ,  et  mettbit 
encoires  le  duc  de  Lancastre  en  termes  que  l'Amorath- 
Baquin  et  sa  puissance  estoit  trop  forte  sur  les  frontières 
de  Honguerie  et  que  là  feroit-il  bel  et  bon  entendre,  et  tous 


*••  Retardées.  —  •**  A  certes.  — '  Avanchier  et. 


Digitized  by 


Google 


DBS  TRÈTE9.  81 

jeunes  bachelers  et  escoiers  qui  ^  avanchier  se  *  désiroiént, 
devroient  prendre  ce  chemin  et  non  autre. 

Or  considérons  les  paroles  du  duc  de  Lancastrequiles 
proposoit  en  bien  ^  et  qui  par  armes  par  tant  de  fois  avoit 
chevanchië  et  traveillié  son  corps  »  et  ars  et  '  brûlé  ^  sur 
son  chemin  le  plat  pays  qui  tantost  recouvré  estoit,  et  que 
ceste  guerre,  à  ainsi  fSûre  et  démener,  ne  s'ordonnoit  à  nulle 
fin ,  mais  tondis  à  aler  avant  ;  et ,  se  les  fortunes  retour- 
noient sur  euls,  ils  y  pourroient  recepvoir  et  prendre  trop 
grant  dommage ,  et  veoit  que  le  roy  son  nepveu  s*enclinoit 
trop  pins  à  la  paix  que  à  la  guerre. 

Je  Jehan  Froissart,  acteur  de  ceste  histoire,  n*en  sçay  pas 
bien  à  déterminer  pour  dire ,  ne  mettre  oultre  ^  que  ^  il 
enist  tort ,  ne  droit ,  mais  il  me  fut  dit  ainsi  que  pour  la 
cause  de  ce  que  le  duc  de  Lancastre  veoit  ses  deux  filles 
mariées  en  sus  de  luy  et  hors  du  royaulme  d'Angleterre  , 
Tune  royne  d*Espaigne  et  Tautre  royne  de  Portingal,  il  s*en- 
clinoit  grandement  à  la  paix  ;  car  par  espécial  il  sentoit  en- 
coires  son  flls  qui  avoit  sa  fiUe ,  le  jeune  roy  d'Espaigne  ou 
dangier  de  ses  hommes,  et,  se  paisiblement  U  vouloit  ^  jouir 
et  possesser  de  Téritage  et  des  prouffis  d*£spaigne,  il  conve- 
noit  que  il  tenist  la  paix  et  Taliance  que  ils  avoient  au 
royaulme  de  France ,  lesquelles  ceulx  d'Angleterre  ne 
povoient  point  brisier  ;  et,  se  ils  les  brisoient  par  aucune 
incidence ,  tantost  les  François  le  feroient  comparer  au 
royaulme  d'Espaigne,  car  ils  avoient  là  leurs  entrées  toutes 
ouvertes  tant  par  le  royaulme  d'Arragon ,  dont  madame 
Yolend  de  Bar  estoit  royne  et  bonne  franchoise,  qui  gou- 
yemoit  pour  ce  temps  tout  le  royaulme  d'Arragon  et  de 
Castelongne  ,  que  par  le  pays  de  Berne  et  de  Bascles  ,  car 
le  viseonte  de  Castelbon  qui  hiretier  estoit  du  conte  Gaston 

*••  Cheyaachier.  —  *■*  Détruit.  —  "  Se.  —  '  Vivre  et. 

XV.  —  PR018SART,  6 


Digitized  by 


Google 


82  CHAELES  YI  RENTES  A  PARIS. 

de  Foi^,  Tavoit  ainsi  séellé  et  juré  au  roy  de  France.  Si 
avoient  les  Franchois  plusieurs  belles  entrées  pour  aler  en 
Espaigne  sans  le  danger  du  roy  de  Navarre  qui  au  fort 
n'euist  point  voulentiers  courrouchié  le  roy  de  France  son 
cousin  germain  ,  car  encoires  se  tenoit  delés  le  roy  messire 
Pierre  de  Navarre  son  frère ,  et  cils  brisoit  grandement 
aucuns  maltalens ,  se  ils  sourdoient  entre  le  roy  de  France 
et  le  roy  de  Navarre,  car  il  estoit  bon  François  et  léal  ;  ne 
les  royaulx  n'y  veoient  point  de  contraire.  Et  toutes  ces 
ymaginations  proposoit  en  soy-meismes  le  duc  Jehan  de 
Lancastre,  et  le  remonstroit  à  la  fois  à  son  jeune  âls  le  conte 
d'Erby,  lequel  estoit  dès  lors,  quoyque  jeune  fuist,  de  grant 
prudence  et  ydoine  de  venir  à  toute  perfection  de  bien  et 
d'honneur,  et  pour  lors  le  conte  d'Erby  avoit  quatre  beaulx 
fils  Henry ,  Jehan  ,  Offirey  et  Thomas  et*  deux  filles ,  et  la 
mère  de  ces  enffans  avoit  esté  fille  du  connestable  d'Angle- 
terre conte  de  Herfort  et  de  Northantonne ,  de  laquelle 
dame  il  tenoit  grant  héritage. 

La  conclusion  des  consauls  d'Angleterre  et  des  parlemens 
qui  furent  à  Wesmoustier,  des  prélats  ,  des  nobles  et  des 
bourgois  des  cités  et  bonnes  villes,  se  portèrent  ainsi  que 
trièves  furent  données  et  séellées  par  mer  et  par  terre  entre 
France  et  Angleterre ,  leurs  conjoints  et  leurs  adhers  à 
durer  de  la  Saint-Michiel  jusques  à  la  Saint-Jehan-Baptiste 
et  de  la  Saint-Jehan  en  ung  an  enssieuvant,  et  en  rapportè- 
rent les  chevalliers  (ceulx  qui  commis  y  estoient  de  par  le 
roy  de  France  et  le  conseil)  les  lettres,  et  furent  les  trièves 
bien  tenues  de  toutes  parties. 


Le  roy  de  France  qui  moult  grandement  avoit  esté  débi- 
lité de  santé  par  incidence  merveilleuse  (et  n'en  sçavoit-on 
comment  prendre  conseil ,  ne  à  qui ,  car  le  médechin  qui 


Digitized  by 


Google 


HOMMAGE  DU  COMTÉ  DB  FOIX.  85 

8*appelloit  maistre  Guillemme  de  Harsely,  estoit  mort ,  et , 
quant  il  se  départy  de  Creil  et  du  roy,  il  ordonna  plusieurs 
receptes  dont  on  usa ,  et  retourna  le  roy  sur  le  temps  d'iver 
en  bonne  santé  dont  tous  ses  proixmes  qui  Taymoient,  en 
furent  resjouys ,  et  aussi  tous  les  membres  des  commu- 
naultés  du  royaulme  de  France,  car  moult  en  estoit  amë), 
vint  à  Paris  et  là  environ  ,  et  la  royne  de  France  ,  et  tin- 
drent  le  plus  leur  estât  à  Tostel  de  Saint-Pol.  A  la  fois  le 
roy  aloit  esbatre  à  Tostel  du  Louvre,  quant  il  luy  plaisoit , 
mais  le  plus  il  se  tenoit  à  Saint-Fol ,  et  toutes  les  nuits  qui 
sont  longues  en  yver  ,  il  y  avoit  ou  flit  hostel  de  Saint-Fol 
danses  et  caroles  et  aussi  moult  d'esbatemens  devant  le  roy 
et  la  royné  et  la  duchesse  de  Berry  et  la  duchesse  d*Orléans 
et  les  dames  ,  et  passoient  ainsi  le  temps  et  les  longues  nuits 
dlver. 


Bn  celle  saison  avoit  esté  à  Paris  le  visconte  de  Castelbon 
lequel  s*estoit  trais  à  Féritage  de  Foix  et  de  Berne  comme 
hoir  droitturier  des  terres  dessus  nommées,  et  avoit  relevé 
la  ditte  conté  de  Foix,  et  âst  hommage  au  roy  de  France 
ainsi  comme  il  appartenoit  et  que  tenu  estoit  du  faire,  et  de 
Berne  non  ;  car  le  pays  de  Berne  est  de  si  noble  condition 
que  les  seigneurs  qui  par  héritage  le  tiennent,  n'en  doivent 
à  nul  roy,  ne  autre  seigneur  service  fors  à  Dieu,  quoyque  le 
prince  de  Galles  volt  dire  et  proposer  du  temps  passé  contre 
le  conte  Gaston  de  Foix  dernièrement  '  mort  '  que  il  le 
devoit  relever  de  luy  et  venir  au  ressort  de  la  duchié  d'Ac- 
quitaine.  Mais  le  dessus  dit  conte  s  en  estoit  bien  '  osté  ^  et 
defiendu,  et  au  voir  dire  toutes  ces  propositions  et  oppres- 
sions que  le  prince  de  Galles  y  avoit  mis  et  voulu  mettre  et 

*  •  Trespasaé.  —  •  *  Acquitté. 


Digitized  by 


Google 


84  LA  DAMSB 

monstre  de  fait  à  ùlre  et  calengié  ,  tout  avoit  esté  par  Tin- 
fourmatioQ  da  conte  Jehan  d*Armeignach»  sioomme  il  est 
escript  et  contenu  en  bonne  fourme  et  véritable  icy-dessus 
en  nostre  histoire  :  si  m*en  passeray  parmy  tant; 

Quant  ce  visconte  de  Gastelbon  appelle  de  cy-en-avant 
conte  de  Foix,  fut  venu  en  France  pour  faire  les  droittures 
du  relief  et  hommage  de  la  conté  de  Foix  ainsi  comme  il 
apparteiïoit,  il  amena  en  sa  compaignie  ung  sien  cousin  qui 
s'appèlloit  messire  Yeuvain  de  Foix  ,  fils  bastard  au  conte 
Gaston  de  Foix ,  bel  chevallier  jent  et  jeune  et  de  bonne 
taille,  ïnais  bastard  estoit  ;  et  en  son  vivant  le  conte  Gaston 
son  père  Teuist  voulentiers  fait  hiretier  de  tous  ses  héritages 
avec  ung  sien  autre  âls  qui  s  appelloit  Gratien,  lequel 
demouroit  emprôs  le  roy  de  Navarre  ;  mais  les  chevalliers 
de  Berne  ne  si  vouldrent  oncques  assentir.  Si  demeura  la 
chose  en  cel  estât ,  car  le  conte  m&ru  soudainement ,  ainsi 
que  vous  avés  oy  '  recorder. 

Quant  le  roy  de  France  vey  le  jeune  chevallier  messire 
Yeuvain  venu  en  sa  court,  si  Ten  ama  très-grandement ,  car 
*  il  le  vey  '  bel  et  jeune  et  de  bonne  taille  ^ ,  et  ils  estoient 
aucques  d'un  eage  ,  le  roy  et  luy  ,  et  en  valurent  grande- 
ment mieulx  les  besoingnes  du  visconte  de  Chastelbon,  et  en 
ot  plus  ^  hastive  ^  délivrance,  et  s'en  retourna  le  visconte  de 
Chastelbon  en  son  pays,  et  messire  Yeuvain  demoura  delés  le 
roy  et  de  sa  chambre  à  douze  chevaulx  et  tout  bien  délivre. 


Advint  assés  tost  après  celle  retenue  de  messire  Yeuvain 
de  Foix  ,  que  ung  mariage  se  flst  en  Tostel  du  roy  de  ung 
jeune  chevallier  de  Vermendois  et  de  une  jeune  damoiselle 
de  la  royne ,  et  tous  deux  estoient  de  Tostel  du  roy  et  de  la 

'  Dire  et.  —  *■  Luy  sembloit.  —  *  A  merveille.  —  •-•  Briève. 


Digitized  by 


Google 


DES  SAUVAGES.  85 

rojne.  Si  en  jfurent  le  roy  ,  la  royne  *  et  les  seigneurs  ,  les 
dames  ,  les  damoiselles  et  tout  Fostel  plus  resgouy  ,  et  pour 
oeste  cause  le  roy  yoult  faire  les  nopces,  et  furent  faittes 
dedens  Tostel  de  Saint-Pol  t  Paris,  et  y  ot  très-grant  foison 
de  bonnes  gens  et  seigneurs  ;  et  y  furent  le  duc  d*Orléans  , 
le  duc  de  Berry,  le  duc  de  Bourgoingne  et  leurs  femmes. 
Tout  le  jour  des  nopces  que  espousèrent,  on  danssa  et  mena 
grant  *  revel  ^ ,  et  âst  le  roy  le  souper  aux  dames,  et  tint 
la  royne  de  France  Testât,  et  s'efibrchoit  chascuns  de  joye 
faire  pour  la  cause  de  ce  qu'ils  veoient  le  roy  qui  s'en 
ensonnioit  si  avant.  Là  avoit  ung  escuier  d'honneur  en  los- 
tel  du  roy  et  bien  prochain,  du  roy,  de  la  nation  de  Nonien- 
die ,  lequel  s*appelloit  Hugonin  de  ^  Geussay  ^  :  si.  se  adyisa 
de  faire  aucun  esbatement  pour  complaire  au  roy  et  aux 
dames  qui  là  estoient.  Uesbatement  quel  il  fut ,  je  le  vous 
diray. 

Ce  jour  des  nopces  qui  fut  par  ung  mardy  devant  la 
Chandelleur  sur  ung  soir,  il  âst  pourvoir  six  cottes  de.toille 
et  mettre  à  part  dedens  une  chambre  et  porter  ,  puis  semer 
sus  délyé  lin  ^  en  fourme  et  en  couleur  de  cheveuls.  Il  en 
fist  le  roy  vestir  une,  le  conte  de  '  Joigny  •,  ung  très-gentil 
chevallier  et  jeune,  une  autre  ,  et  mettre  très-bien  à  leur 
point,  et  ainsi  une  autre  àmessire  *  Charles  ^^  de  Poitiers,  fils 
au  conte  de  Valentinois,  et  à  messire  Yeuvain  de  Galles,  bas- 
tard  de  Foix,  une  autre  (la  cinquième)  au  fils  monseigneur 
de  Nantoullet  ",  et  il  vesty  la  sixième.  Quant  ils  furent  tous 
six  vestus  de  ces  cottes  qui  estoient  faittes  à  leur  point  et  ils 
furent  dedens  enjoinds  et  cousus  ,  ils  se  monstroient  à  estre 
hommes  sauvages,  car  ils  estoient  tous  chargiés  de  poil  du 
chief  jusques  à  la  plante  du  piet. 

•  Les  dacs  ses  oncles.  —  ■-•  Joye.  —  *-'  Gnisay.  —  •  Et  les  cottes 
estoient  couvertes  de  àéHjé  lin.  —  ^-*  Jouy.  —  •■*•  Jacques.  —  "  Un 
jeone  efaevalier. 


Digitized  by 


Google 


86  LA  DANSE 

Geste  ordonnance  plaisoit  grandement  bien  au  roy  de 
France,  et  en  sçavoit  à  Fescuier  qui  Favoit  advisé  ,  grant 
gré ,  et  se  habillèrent  de  ces  cottes  si  secrètement  en  une 
chambre  que  nuls  ne  sçavoit  de  leur  affaire,  fors  ceulx- 
meismes  et  les  varlets  qui  vestus  les  avoient.  Messire 
Yeuvain  de  Foix  qui  de  la  compaignie  estoit ,  imagina  bien 
la  besoingne  et  le  péril  qui  en  jpovoit  advenir,  et  dist  au 
roy  :  «  Sire  ,  faittes  commander  bien  à  certes  que  nous  ne 
«  soions  approchiés  de  nulles  torses  ;  car,  se  nous  Testions 
«  et  que  Tair  du  feu  entrast  en  ces  cottes  dont  nous  sommes 
«  desguisés  ,  le  poil  happeroit  Tair  du  feu.  Si  serions  ars  et 
«  perdus  sans  remède ,  et  de  ce  je  vous  advise.  »  —  «  En 
tt  nom  Dieu  ,  dist  le  roy,  Yeuvain,  vous  parlés  bien  et  sage- 
«  ment,  et^  sera  &it.  »  Et  de  là  endroit  le  roy  flst  deffen- 
dre  aux  varlets  et  dist  :  «  Nuls  ne  nous  sieuve.  »  Et  fist  là 
venir  le  roy  ung  huissier  d*armes  qui  estoit  à  1  entrée,  de  la 
chambre,  et  luy  dist  :  «  Va-1rent  en  la  ^  salle  où  les  dansses  * 
tt  sont ,  et  coijimandes  de  par  le  roy  que  toutes  torses  se 
tt  traient  à  part,  et  que  nul  ne  se  boutte  entre  six  hommes 
«  sauvages  qui  doivent  là  venir.  » 

L'huissier  âst  le  comandement  du  roy  moult  bien  et  estroit- 
tement ,  que  toutes  torses  et  torsins  et  ceulx  qui  les  por- 
toient ,  se  traissent  en  sus  au  long  près  des  parroits,  et  que 
nuls  n  approchast  les  dansses  jusques  à  tant  que  six  hommes 
sauvages  qui  là  dévoient  venir  ,  seroient  rettràis.  Ce  com- 
mandement fat  oy  et  tenu  ,  et  se  retrayrent  tous  ceulx  qui 
torses  tenoient,  à  '  paroit  * ,  et  fut  la  salle  délivrée  sique  il 
n*y  demoura  que  les  dames  et  damoiselles  et  les  chevalliers 
et  escuiers  qui  danssoient.  Assés  tost  après  ce  ,  vint  le  duc 
d'Orléans  et  entra  en  la  salle  ,  et  avoit  en  sa  compaignie 
quatre  chevalliers  et  six  torses  tant  seulement,  et  riens  ne 

•-•  Chambre  où  les  dames.  —  *.*  Part. 


Digitized  by 


Google 


DES  SAUVAGES.  87 

acavoit  du  commandement  qui  avoit  esté  fait  de  par  le  roy, 
ne  des  six  hommes  sauvages  qui  dévoient  venir  :  au  mains 
s*en  excusa-il ,  mais  depuis  il  en  fut  très-grandement  cbar- 
gié.  II  ent^dy  à  regarder  les  danses  et. les  dames,  et  il- 
meismes  commença  à  dansser  au  plus  fort ,  ainsi  que  la 
chose  la  donnoit ,  mais  je  ne  sçay  si^r  quelle  intention  il  le 
povoit  faire. 

En  ce  ^  point  evous  venant  *  le  roy  de  France  luy  sixième 
tant  seulement  en  Testât  et  ordonnance  que  dessus  est  ditte, 
tons  appareilliés  comme  hommes  sauvages  et  couvers  de 
poil  de  lin  aussi  délié  comme  cheveuls  du  chief  jusques  aux 
pies,  ne  il  nestoit  homme  »  ne  femme  '  qui  les  peuist  con- 
gnoistre  ;  et  estoient  les  chinq  attachiés  Tun  à  lautre  et  le 
roy  tout  devant  qui  les  menoit  à  la  danse.  Quant  ils  entrè- 
rent en  la  salle ,  on  entendy  si  à  euls  regarder  que  il  ne 
souvint  de  torses  ,  ne  de  torsins.  Le  roy  qui  estoit  devant  ^ 
se  départy  de  ses  compaignons ,  dont  il  fut  eureux  ,  et  se 
traist  devers  les  dames  pour  luy  monstrer  ,  ainsi  que  jeu- 
nesse le  portoit ,  et  passa  devant  la  royne  et  s  en  vint  à  la 
duchesse  de  Berry  qui  estoit  sa  tante  et  la  plus  jeune.  La 
duchesse  par  esbatement  le  prist  et  voult  savoir  qui  il  estoit. 
Le  roy  estant  devant  elle  ne  se  vouloit  nommer.  Adont  dist 
la  duchesse  de  Berry  :  a«  Vous  ne  m*eschapperés  point , 
«  *  ains  *  que  je  ne  sache  premiers  vostre  nom.  » 

En  ce  ^  desroy  ^  advint  le  grant  meschief  sur  les  autres 
et  tout  par  le  duc  d'Orléans  qui  en  fut  cause ,  quoyque  jeu- 
nesse et ,  possible  est,  ygnorance  luy  feissent  faire  ;  car,  se 
il  euist  bien  présumé  et  considéré  le  grant  meschief  qui  en 
descendy,  il  ne  Teuist  fait  pour  nul  avoir.  Il  fut  trop  engrand 
de  scavoir  *  qui  ils  estoient.  Ainsi  que  les  cinq  dansoient , 

■  *^  Moment  vint.  —  '  En  la  compaignie.  —  *-•  Tant.  —  •■'  Point. 
—  •  Dont  ce  venoit  et. 


Digitized  by 


Google 


88  LÀ  DAMSB 

il  ^  abaissa  *  la  torse  que  Yua  de  ses  variets  tenoit  devant 
luy  si  près  de  luy  que  la  challear  du  feu  enlro  ou  lin.  Vous 
scavés  que  ou  lin  n  a  nul  remède  et  que  tantost  il  est 
enflamé.  La  flamme  du  feu  eschauffa  la  poix  à  quoy  le  lin 
estoit  attachié  à  la  toille.  Les  chemises  linées  et  poyées 
estoient  sèches  et  délies  et  joindans  à  la  char  et  se  prindrent 
au  feu  à  ardoir  ,  et  ceulx  qui  vestus  les  avoient  et  qui  Tan- 
goisse  sentoient ,  commœcièrent  à  crier  moult  amèrement 
et  horriblement ,  et  tant  y  avoit  de  meschief  que  nuls  ne 
osoit  approchier.  Bien  y  ot  aucuns  chevalliers  qui  s*avan- 
chèrent  pour  euls  aidier  et  tirer  le  feu  hors  de  leurs  corps , 
mais  la  challeur  de  la  poix  leur  ardoit  toutes  les  mains  ,  et 
en  furent  depuis  moult  mésaisiés.  L'un  des  cinq  (ce  fut  Nan- 
toullet)  s^avisa  que  la  bouteillerie  estoit  près  de  là  :  si  fuy 
celle  part  et  se  jetta  en  ung  cuvier  tout  plain  d*eaue  où  on 
*  rechinçoit  ^  tasses  et  hanaps.  Cela  le  saidva  :  autrement  il 
euist  esté  mort  et  ars,  ainsi  que  les  autres  ,  et  non  obstant 
tout  ce  fut-il  moult  ^mésaisié  •. 

Quant  la  royne  de  France  oy  ces  horribles  cris  que  ceulx 
qui  ardoient ,  faisoient ,  elle  se  doubta  de  son  seigneur  le 
roy  que  il  ne  fuist  attrapé,  et  bien  sgavoit,  car  le  roy  luy 
avoit  dit,  que  il  seroit  l'un  des  six  :  si  fut  très-durement 
mésaisie  et  chéy  pasmée.  Adont  saillirent  chevalliers  et 
dames  avant  en  luy  aidant  et  reconfortant. 

Tel  meschief,  tel  douleur  et  tel  cririe  avoit  en  la  salle  que 
on  ne  sgavoit  auquel  entendre.  La  duchesse  de  Berry  déli- 
vra le  roy  de  ce  péril,  car  elle  le  bouta  dessoubs  sa  gonne  et 
le  couvry  pour  eschiever  le  feu,  et  luy  avoit  dit  (car  le  roy 
se  vouloit  partir  d'elle  à  force)  :  a  Où  voulés-vous  aler  ? 
«  Vous  oyés  que  vos  compaignons  ardent.  Qui  estes-vous  ? 
«  Il  est  heure  que  vous  vous'  nommés  ^.  »  —  f  Je  suis  le 

*"*  Approcha.—"-*  Rinçoit.— ■■•  Mal  en  pomt.  —  '  Le  roy  se  nomma. 


Digitized  by 


Google 


DES  8AUTÀGES.  89 

«  roy,  »  dist-il.  —  «  Ha!  a!  monseigneur.  Or tost,  alés-vous 
«  mettre  en  autre  habit  ^  et  faittes  tant  que  la  royne  vous 
«  voye,  car  elle  est  moult  inésaisie  pour  vous.  » 

Le  roy  à  oeste  parole  yssy  hors  de  la  salle  et  vint  en  sa 
chambre  et  se  flst  déshabillier  du  plus  tost  que  il  pot  et 

*  mettre  '  en  ses  ^  gamemens  ^,  et  vint  devers  la  royne,  etl& 
estait  la  duchesse  de  Berry  qui  Tavoit  ung  petit  reconfortée 
et  luy  avoit  dit  :  «  Madame  ,  reconfortés-vous  ,  car  tantost 
«  vous  verres  le  roy.  Certes  sachiës  de  vray  que  j  ay  parlé  à 
«  luy.  »  À  ces  mots  vint  le  roy  en  la  présence  de  la  royne,  et 
quant  elle  le  vey ,  de  joye  elle  tressailly  ;  dont  fut-elle 
prisse  et  embrachie  des  chevalliers  et  portée  en  sa  chambre, 
et  le  roy  en  sa  compaignie  qui  tondis  la  reconfortoit. 

Le  bastard  de  Foix  qui  tout  ardoit ,  crioit  à  hauls  cris  : 
«  Sauvés  le  roy  !  sauvés  le  roy  !  »  Voirement  fut-il  sauvé 
par  la  manière  et  adventure  que  je  vous  ay  dit  ^,  et  Dieu  le 
volt  bien  aidier ,  quant  il  se  départy  de  sa  compaignie  pour 
aler  veoir  les  dames  ;  car  ,  se  il  euist  demeuré  aveuc  ses 
compaignons,  il  estoit  perdu  et  mort  sans  remède. 

En  la  salle  de  Tostel  de  Saint-Pol  à  Paris  entpur  la 
mynuit  avoit  telle  pestilence  et  horibleté  que  c'estoit  grant 
hideur  et  pité  de  Foyr  et  ^  de  le  regarder  *.  Des  quatre  qui 
là  ardoient ,  il  en  eut  les  deux  mors  et  sur  la  place  oultrés 
et  estains  ;  les  autres  deux ,  le  bastard  de  Foix  et  le  conte 
de  Joingny ,  furent  portés  en  leurs  hostels  et  morurent 
dedans  deux  jours  après  à  grant  payne  et  martire. 

Ainsi  se  desrompy  ceste  feste  et  assamblée  de  nopces  en 
tristesse  et  en  anoy ,  quoyque  l'espeus  et  Tespousée  ne  le 
poussent  amender  ;  car  on  doit  supposer  et  croire  que  ce  ne 
fut  point  leur  coulpe ,  mais  celle  du  duc  d*Orléans ,  lequel , 

*  Dit  la  dttchene  de  Beny.  —  *-*  Remettre.  —  ^-'  Habillemens.  «^ 

•  Et  compté.  —  '-•  Du  veoir. 


Digitized  by 


Google 


90  LA  DAM8B 

comme  il  dist,  nul  mal  n*y  pensoit ,  quant  il  dévala  la  torse 
pour  raviser  les  desguisés.  Jeunesse  luy  fist  faire  ,  et  bien 
dist  tout  en  audience  quant  il  vey  que  la  chose  aloit  mal  : 
«  Entendes  à  moy,  tous  ceulx  qui  me  pèvent  ^  oyr.  Nul  ne 
a  soit  demandé  ,  ne  encoulpé  de  ceste  dolente  adventure  ; 
«  car  tout  ce  qui  fait  en  est ,  est  tout  par  moy ,  et  en  suis 
a  cause.  Mais  ce  poise  moy  ,  quant  oncquea  m'est  advenu. 
«  Je  ne  euidoie  point  que  la  chose  deust  ainsi  tourner  ;  car. 
a  se  je  eusse  euidié  ,  ne  sceu  ce,  je  y  eusse  très-bien  pour- 
ri veu  ,  »  et  puis  si  s'en  ala  le  duc  d'Orléans  devers  le  roy 
pour  luy  excuser,  et  le  roy  le  tint  bien  pour  excusé. 

Ceste  *  pesme  '  et  doulente  adventure  advint  en  Vostel  de 
Saint-Pol  à  Paris  en  Tan  de  grâce  ^  mil  CCC.IIII"  et  Xn 
le  mardy  devant  la  Chandeleur  ,  de  laquelle  advenue  il  fut 
grant  nouvelle  parmy  le  royaulme  de  France  et  en  autres 
lieux  et  pays.  Le  duc  de  Bourgoingne  et  le  duc  de  Berry 
n'estoient  point  pour  Teure  là ,  mais  en  leurs  hostels ,  et 
avoient  du  soir  prins  congié  au  roy  et  à  la  royne  et  aux 
dames  et  retrait  en  leurs  hostels  pour  estre  mieuLx  à  leur 
aise. 

Quant  ce  vint  au  matin  et  la  nouvelle  fut  sceue  ei^  espan- 
due  parmy  la  ville  et  cité  de  Paris  ,  vous  devés  sçavoir  que 
toutes  gens  furent  moult  esmerveilliés ,  et  disoient  les  plu- 
sieurs communément  au  long  de  la  ville  de  Paris  que  Dieu 
avoit  encoires  monstre  secondement  ung  grant  exemple  et 
signe  sur  le  roy,  et  que  il  convenoit  et  appartenoit  que  il  y 
euist  regard  ,  et  que  il  se  retraist  de  ses  jeunes  huiseuses  et 
que  trop  en  faisoit  et  en  avoit  fait  par  cy-devant,  lesquelles 
n'appartenoient  point  à  faire  à  ung  roy  de  France  ,  et  que 
trop  jeunement  se  maintenoit  et  estoit  maintenu  jusques  ad 
ce  jour.  La  cohimûnaulté  de  Paris  en  murmuroit  fort  et 

•  Entendre  et.  —  ■-•  Peatilente.  —  *  Nostre-Seigneur. 


Digitized  by 


Google 


DES  SAUVAGES.  91 

disoit  sans  contrainte  :  «  Regardés  le  grant  meschief  qui 
«  est  près  advenu  sur  le  roy  ;  et ,  se  il  euist  esté  attrapé  , 
«  ne  ars,  sicomme  les  adventures  donnent  et  que  bien  en 
«  Êôsoit  les  oeuvres,  que  fuissent  ses  oncles  devenus  et  son 
«  frère?  Ils  doivent  estre  tous  certains  quejà  pié  d*eulr 
«  n*en  fuist  eschappé  ;  car  tous  euissent  esté  occis  et  tous 
«  les  barons  et  chevalliers  que  on  euist  trouvé  dadens 
«  Paris.  » 

Or  advint,  si  tost  que  le  duc  de  Berry  et  le  duc  deBour- 
goingne  au  matin  sceurent  les  nouvelles ,  ils  furent  tous 
esbabis  et  esmerveilliés  ,  et  bien  y  eut  cause.  Si  montèrent 
aux  chevaulx  et  vindrent  à  Fostel  du  roy  à  Saint-Pol  et  là 
trouvèrent  le  roy.  Si  le  *  consolèrent  * ,  et  bien  en  avoit 
bon  mestier  ;  car  encoires  estoit*il  efTraé,  et  ne  se  povoit 
*  réavoir  ^  de  l'ymagination,  quant  il  pensoit  au  grant  péril 
où  il  avoit  esté  ,  et  bien  dist  à  ses  oncles  que  sa  belle  tante 
de  Berry  Tavoit  sauvé  et  osté  hors  du  péril  ;  mais  il  estoit 
trop  fort  courrouchié  ^  du  conte  de  Joingny  et  de  messire 
Yeuvain  de  Foix  et  de  messire  Charles  de  Poitiers.  Ses 
oncles,  en  luy  reconfortant,  luy  dirent  :  «  Monseigneur,  ce 
«  qui  est  advenu,  ne  puet-on  recouvrer.  Il  vous  fault  oublier 
«  la  mort  de  euls  et  loer  Dieu  et  regracier  de  la  belle 
«  adventure  qui  vous  est  advenue  ;  car  vostre  corps  et  tout 
«  le  royaulme  de  France  a  esté  par  ceste  incidence  en  grant 
«  adventure  d'estre  tout  perdu,  et  vous  le  povés  bien  imagi- 
«  ner,  car  jà  ne  s'en  povoient  taire  les  *  villains  '  de  Paris, 
«  et  dient  que ,  se  le  meschief  euist  tourné  sur  vous  ,  ils 
«  nous  eussent  tous  occis.  Si  vous  ordonnés  et  appareilliés , 
«  et  vous  mettes  en  estât  royal ,  ainsi  que  à  vostre  estât 
«  appartient ,  et  montés  à  cheval  et  aies  en  pellerinage  à 
«  Nostre-Dame  de  Paris,  et  nous  yrons  en  vostre  compaignie, 

•-•  CoDaeiUérent.  —  *"*  Oster.  —  •  Et  marry.  —  "-^  Yaillans  gens. 


Digitized  by 


Google 


M  LB  PAPB  BOmrACB 

c  et  vous  monstres  au  peuple  ,  car  on  vous  désire  à  veoir 
t  parmj  la  cité  et  ville  de  Paris.  »  Le  roy  respondy  que 
'  aussi  '  feroit-il.  Sur  ces  paroles  s'embaty  le  duc  d'Orléans 
frère  du  roy.  Le  roy  qui  moult  Faymoit  comme  son  frère 
et  ses  oncles  le  recueillirent  assés  gracieusement ,  et  luy 
blasmôrent  *  de  la  jeunesse  et  grant  oultrage  que  fait  avoit. 
Ad  ce  que  il  leur  monstra ,  il  leur  en  sceust  bon  gré  en  soy 
excusant,  et  bien  dist  que  pas  ne  cuidoit  mal  faire.  Et  assés 
tost  apràs  sur  le  point  de  neuf  heures  montèrent  le  roy  et 
tous  les  ^  seigneurs  *  à  cheval,  et  se  départirent  de  Saint-Pol 
et  chevauchèrent  tout  au  *  loing  ^  parmy  Paris  pour  i^pai- 
sier  le  poeuple  qui  trop  fort  estoit  esmeu,  et  vindrent  en  la 
grant  église  Nostre-Dame  en  cité ,  et  lÀ  *  fist  le*  roy  dire  ' 
messe  et  fist  son  offrande,  et  depuis  retournèrent  le  roy  et 
les  seigneurs  en  Tostel  de  Saint-Pol  et  là  disnèrent.  Si  se 
passa  et  oublia  ceste  chose  petit  &  petit,  et  flst-on  obsèques, 
prières  et  aumosnes  pour  les  mors. 

Ha  !  a  1  conte  Gaston  de  Foix,  se  de  ton  vivant  tu  euisses 
eu  telles  nouvelles  de  ton  fils  Yeuvain  comme  il  eu  estoit 
advenu ,  tu  eusses  esté  oourrouchié  oultre  mesure  et  non 
sans  cause  ;  car  moult  l'amoyes.  Je  ne  sçay  penser  comment 
on  t*en  euist  appaisié.  ^^  Toutes  gens  ^^  qui  en  ouoient  parler 
en  France  et  ailleurs,  en  ^*  avoient  grant  merveilles  ^K 


Vous  devés  croire  et  savoir  que  le  pape  Bonifaoe  qui  se 
tenoit  à  Romme  et  tous  les  cardinaulx  et  le  collège  fiirent 
moult  resjouis  de  ceste  '^  advenue  ^*  et  mësadventure  de  la 
maladie  du  roy ,  quant  ils  en  sceurent  les  certaines  nou- 

•••  Ainii.  —  •  Ung  petit.  —  **  Compaignons.  —  •"'  Long.  — 
"  Ouit  le  roy.  —  *•'"  Tout  seignears  et  dames.  —  *••••  Estoient  moult 
esmenreiUiét  et  à  bouie  cause,  — '  '^**  Adirenture. 


Digitized  by 


Google 


Emro»  m  lâgat  km  feahcb.  OS 

Tdfes ,  pour  tant  que  le  roy  dd  France  et  son  conseil  luy 
estoient  contraires ,  et  dirent  adont  entre  enls  (car  ils  en 
tindrent  concitoii^)  que  c*estoit  une  seconde  playe  enYoiëe 
de  Dien  ou  ^  royaulme  *  de  France  pour  '  eulz  *  donner 
exemple.  Car  le  roy  (et  son  conseil)  soustenoit  à  tort  et  sans 
raison  cel  antipape  d'Avignon,  Robert  de  Jeunes  ,  ce  fidlour- 
deur,  orgueilleux  et  prësumptueux,  qui  oncques  n'avoit  bien 
fait  en  son  vivant,  mais  décheu  le  monde,  et  eurent  consdl 
le  pape  Boni&ce  et  les  cardinaulx  que  ils  envoieroient  en 
France  devers  le  roy  et  son  conseil  '  quoyement  *  et  couver- 
tement ,  de  providence ,  non  mye  par  pompes ,  ne  par 
orgueil ,  ung  Frère-Mynêur  ,  bon  clerc  et  bien  ''  lettré  * , 
pour  p|rler  au  roy  et  pour  sagement  et  discrettement  trait- 
tier  et  preschier  et  ramener  à  voye  de  salut  et  de  raison  ; 
car  ils  soustraoient  et  nudntenoient  entre  euls  que  il  estoit 
tout  desvoyé,  luy  qui  estoit  souverain  roy  de  la  crestienté , 
et  par  lequel  la  sainte  Église  devoit  estre  renluminée  plus 
que  par  nul  autre.  Si  advisërent  ung  saint  homme  de  reli- 
gion, pôurveu  de  prudence  et  de  grant  clergie,  et  le  chargè- 
rent pour  aler  en  France,  et  avant  son  département  ils  Ten- 
dittôrent  sagement  et  pourveuement  de  tout  ce  que  il  devoit 
dire  et  iaire.  Ces  choses  ne  furent  pas  si  tost  approchies  , 
ne  odluy  qui  envoyé  y  fut ,  si  tost  venu  ;  car  le  chemin  y 
est  grant  et  long,  et  moult  de  divers  pays  y  sont  à  passer , 
et  aussi  le  Frère  qui  estoit  religieux  cordelier ,  avant  que 
il  v«iist  en  la  présence  du  roy ,  il  convenoit  savoir  se  ce 
seroit  bien  la  voulenté  du  roy. 

Or  retournons  aux  besongnes  de  France,  et  *  devisons  ^^ 
comment  elles  se  portoient. 


*-•  Roy.  —  '^  Luy.  —  ^  Secrètement.  —  '-•  Instruit.  —  •.*•  Ra- 
comptone. 


Digitized  by 


Google 


94  LA  DUCHES5B  DK  BEERY 

t 

Non  obstant  toutes  ces  advenues,  le  duc  de  Berry  et  le  duc 
de  Bourgoingne  ne  se  '  reffroidoient  '  pointa  '  dégrader  ^^ 
tous  poins  ce  vaillant  seigneur  de  la  Rivière,  ce  vaillant  prend - 
homme,  et  messire  Jehan  le  Merchier,  mais  estoient  ens  ou 
chastel  Saint-Ânthoine  joindant  Paris  en  la  garde  de  messire 
Jehan  la  Personne,  le  visconte  d*Ascy  ,  et  disoit-on  en  plu- 
sieurs lieux  parmy  Paris,  et  estoient  semées  paroles  ,  que 
on  les  feroit  morir  et  que  de  jour  en  jour  on  n'attendoit  autre 
chose,  et  que  on  les  délivreroit  au  prévost  de  Chastelet,  et, 
euls  là  venus,  il  estoit  ordonné,  ilnyavoitnul  remède,  que  ils 
seroient  décolés  et  exécutés  publiquement  comme  trahitours 
contre  la  couronne  de  France.  Et  devés  savoir  que  je  fus 
pour  lors  infourmé,  se  Dieu  n'y  euist  pourveu  et  les  pryères 
de  la  duchesse  de  Berry  neuissent  esté ,  on  leur  euist  avan- 
chié  leur  condempnation  ;  mais  la  bonne  dame  rendoit 
grant  paine  et  traveilloit  fort  pour  le  seigneur  de  la  Rivière 
qui  Tavoit  amenée  en  France  et  fait  le  mariage  du  duc  de 
Berry  et  de  ly,  lequel  sire  de  la  Rivière  en  avoit  eu  moult 
de  traveil ,  et  ne  povoient  ces  deux  le  sire  de  la  Rif  ière  et 
messire  Jehan  le  Merchier  avoir  meilleur  moyen  que  la  ditte 
dame  ;  car  elle  en  estoit  moult  soingneuse  ,  et  disoit  à  la 
fois  tout  en  pleurant  et  acertes  à  son  seigneur  son  mary  que 
&  tort  et  à  péchié  et  par  envie  on  faisoit  cel  escandèle  et  ce 
blasme  au  seigneur  de  la  Rivière  ,  que  de  le  tenir  tant  en 
prison  et  de  luy  tollir  son  héritage  ,  et  disoit  la  duchesse  : 
tt  Ha  !  a  !  mon  chier  seigneur  ,  il  ot  tant  de  payne  et  de 
«  traveil  ^  de  •  nous  mettre  ensemble.  Vous  luy  rémunérés 
fc  petitement ,  qui  consentes  et  voulés  sa  mort  consentir  et 
tt  sa  destruction.  A  tout  le  mains  ,  se  on  luy  a  osté  sa  che- 
«  vance,  on  luy  laisse  la  vie  ;  car,  se  il  muert  sur  la  fourme 
a  et  estât  dont  il  ^  est  escandalisié  ^ ,  je  n'aray  jamais  joye. 

*"•  Désistoient.  —  "•*  Destraire.  —  •••  Pour.  —  ^-*  Estandre  est. 


Digitized  by 


Google 


niTBRCÈDB  POUR  LB  SIRE  DE  LA  RIVIÈRE.  9S 

«  Monseigneur,  je  ne  le  vous  dy  pas  de  Êiint  courage,  mais 
•  de  grant  voulenté.  Si  vous  prie  pour  Dieu  que  vous  y 
t  Yueilliés  pourveoir  et  penser  à  sa  délivranceet  allëgance.» 

Le  duc  de  Berry,  qui  veoit  sa  femme  parler  et  prier 
si  aoertes  et  côngnoissoit  bien  que  ses  paroles  estoient  véri- 
tables, en  avoit  pitié  et  s*amolioit  grandement  de  safélonnie  , 
et  euist  eu  plus  hastive  alégance  le  sire  de  la  Rivière  assés 
que  il  n'ot ,  mais  on  tiroit  trop  fort  à  *  honnir  •  et  '  de  tous 
poins  messire  Jehan  le  Merchier,  ne  on  ne  povoit  aidier  Tun 
sans  Tautre. 

Ce  messire  Jehanle Merchier  avoit  tant  plouré  en  prison  que 
moult  en  estoit  débilité  de  sa  veue.  Qui  euist  creu  la  ducheàse 
de  Bourgoingne,  on  les  euist  exécutés  honteusement  et  sans 
déport  ;  car  trop  fort  les  avoit  acueilliés  en  hayne  pour  la 
cause  de  ce  que  euls  et  messire  Olivier  de  Glichon  avoient 
conseillié  le  roy  de  aler  en  Bretaigne  pour  guerroier  et 
^  destruire  '  le  duc  de  Bretaigne  son  cousin,  et  disoit  la  ditte 
duchesse  que  le  Merchier,  Clichon  et  la  Rivière  estoient  cause 
de  la  maladie  du  roy  de  France  ;  car  par  euls  il  estoit  escheu  en 
enfermeté  et  maladie  et  par  le  voyage  que  conseillié  luy 
avoient  à  faire  pour  aler  sur  le  duc  de  Bretaigne. 


Vous  devés  sçavoir  que  quoyque  le  roy  de  France  fiiist 
retourné  assés  en  bon  estât  et  bon  point,  le  duc  de  Berry 
et  le  duc  de  Bourgojngne  n'estoient  point  démis  du  gouver- 
nement du  royaulme  • ,  mais'enya voient  le  fais  et  la  charge 
et  vouloient  avoir  pour  le  ^grant  prouffit  qui  leur  en  sour- 
doit ,  et  avoient  mis  delés  le  roy  toutes  gens  à  leur  plaisance 
et  séance. 

*••  Déshounourer.  —  '  Destraîre.  —  *"•  Destreindre.  —  •  De 
France. 


Digitized  by 


Google 


96  PLAINTES  M  LA  DUCHESSE  D*OBLiAllS. 

Le  roy  pour  ces  jours  avoit  le  nom  de  roj,  mais  des  besoin*- 
gnes  touchans  et  appartenans  à  la  couronne  de  France  on  ne 
iaisoit  que  trop  petit  ^  par  '  luy,  et  y ouloient  les  desaiisdis  tout 
veoir  *  et  savoir.  La  duchesse  de  Bourgoiiigne  estoit  la 
seconde  après  la  royne ,  dont  la  duchesse  d'Orléans  n'estclt 
pas  moult  lye,  car  elle  prendoit  vouleatiers  les  honneurs  et 
disoit  ainsi  à  celles  de  son  secret  :  «  La  duchesse  de  Bour- 
t  goingne  ne  peut  ^  par  nulle  condition  '  devant  moy  venir 
f  à  la  couronne  de  France;  car  j'en  suis  plus  prochaine  qu'elle 
f  ne  soit.  Monseigneur  mon  mary  est  frère  du  roy  :  encoires 
t  pourroit  advenir  que  il  seroit  roy ,  je  royne.  Je  ne  sçay 
f  pourquoy  elle  se  avance  de  prendre  les  honneurs  et  nous 
t  met  derrière.  » 


Nous  nous  souffrirons  à  parler  de  ces  dames  quant  à  pré- 
sent et  parlerons  des  ordonnances  du  royaulme  de  France  et 
de  messire  Olivier  de  Clichon  connestable  deFrance  comment 
il  fut  mené  et  traitié. 

Vous  avés  bien  oy  recorder  comment  il  estoit  adjoumé 
en  parlement  p^r  quinsaines,  et  aussi  comment  il  fut  envoyé 
querre  et  mandé  par  les  chevalliers  de  France  messire  Phelippe 
de  Savoisis  et  autres  qui  furent  en  Bretaigne  et  le  quisrent 
et  demandèrent  *  par  tous  ses  chasteaulx  "^  et  point  ne  le 
trouvèrent ,  car  il  se  cella  À  cautelle  et  point  ne  se  vouloit 
laissier  trouver  ;  car,  se  ceulx  qui  envoies  y  furent,  Teussent 
veu  et  parlé  à  luy  et  adjoumé  de  main  mise,  ils  euissent 
fait  ce  que  ordonné  et  commandé  leur  estoit. 

A  leur  retour  en  France,  et  euls  fait  leur  relation  vraye  de 
leur  voyage,  parlementé  fut  et  arresté  de  par  la  chambre  et 

•"■  Pour.  —  •  A  ceato  heure-là.  —  *■•  Ne  nullement  ne  doit  —  •"'  En 
toutes  places. 


Digitized  by 


Google 


HABIAGB  BB  PBIUPPB  1»*ABT0I8.  97 

les  seigneurs  de  parlement,  qae  messire  Olivier  de  Glichon 
eetûit  tout  four&it,  et  que  il  seroit  banny  et  expulse  hors  de 
tous  offiees  et  perdroit  ses  héritages  partout  où  il  les  avoit 
ou  ressort  et  demayne  du  royaulme,  et  ou  cas  que  on  lavoit 
sommé  par  lettres  ouvertes  et  sëellëes  du  grant  séel  de  la 
chambre  de  parlement  et  mandé  que  il  renvoiast  le  martel 
c^estrà-entendre  l'office  de  la  connestablie  de  France  et  que 
pointue  lavoit  fût,  mais  désobey,  Toffice  vacquoit.  Si  regar- 
dèrent le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  et  leurs 
consauls  qui  tous  estoient  contraires  au  seigneur  de  Clichon 
et  qui  ne  .vouloient  fors  sa  destruction ,  que  on  y  pourver* 
roit  et  que  Toffice  de  la  connestablie  de  France  estoit  si 
noble  et  de  si  grande  recommandation  et  renommée,  que  il 
ne  pourroit  longuement  estre  sans  meneur  et  sans  gouver- 
neur par  les  incidences  qui  en  pèvent  venir.  Si  fut  advisé 
que  le  sire  de  Goucy  feroit  bien  l'office;  et  y  estoit  propre  et 
ydoisne  pour  ce  ûdre,  et  en  fut  aparlés  ,  mais  il  s'en  excusa 
grandement  et  dist  que  jà  ne  le  seroit ,  né  ne  s  en  enson- 
nieroit,  pour  partir  du  royaulme  de  France.  Quant  on  vey 
que  il  n'y  vouloit  entendre,  on  regarda  aultre  part 


En  ce  temps  estoit  en  tndttié  de  mariage  messire  Pbe- 
lippe  d'Artois  pour  avoir  à  femme  la  jeune  ^  dame  '  Marie 
de  Berry,  vesve,  qui  çy-dessoubs  est  nommée  contesse  de 
Dunois  et  qui  ot  à  mary  Loys  de  Blois,  sicomme  vous  sçavés, 
et  euist  voulentiers  veu  le  roy  de  France  que  son  cousin 
dessnsdit  fiiist  parvenu  à  ce  mariage  ;  mais  le  duc  de  Berry 
ne  s'i  assentoit  point  bien  ,  car  petite  chose  est  de  la  conté 
d*En  an  regard  du  premier  mariage  que  sa  fille  avoit  eu,  et 
la  pensoit  bien  à  plus  hault  marier  ;  car  au  voir  dire  la  dame 

•  •  VeBTe. 

XV.  —  FR0188ART.  7 


Digitized  by 


Google 


96  PHILIPPE  d'artois  est  ceêâ 

en  tous  cas  le  valoit  bien  de  beaulté,  de  bonté  et  de  tout  ce 
qu'il  appartenoit  à  une  noble  et  haulte  dame.  Toutesfois  le 
duc  de  Berrj  au  fort  et  &  tout  conclurre  n'euist  osé  cour- 
rouchier  le  roy  ,  et  bien  sçavoit  le  roy  que  le  dit  duc  de 
Berrj  estoit  payé  et  requis  de  plusieurs  pour  avoir  sa  flUe 
en  mariage,  du  jeune  duc  de  Loheraine ,  du  conte  d*Ârmei- 
gnach,  de  Faisné  fils  du  conte  de  Foix  et  de  Berne  ,  et  tous 
ces  mariages  brisoit  le  roy,  et  disoit  à  son  oncle  :  «  Beaulx 
«  oncles  de  Berry,  nous  ne  voulons  pas  que  vous  nous 
«  eslongiés  nostrè  cousine  vostre  fille  des  fleurs  de  lis. 
«  Nous  luy  querrons  ung  mariage  bon  et  bien  séant  pour 
«  elle ,  car  nous  la  voions  voulentiers  delés  nous ,  et  bien 
«  affiert  à  estre  delés  nostre  tante  de  Berry  ,  car  elles  sont 
«  '  aucques  *  d'un  eage.  « 

Ces  paroles  et  autres  ^  reffraindoient  *  le  duc  de  Berry  & 
non  accorder  sa  fille  et  à  enconvenenchier  nulle  part  ;  et 
veoit  bien  que  le  roy  s'enclinoit,  tout  considéré,  &  messire 
Phelippe  d'Artois  son  cousin. 

Ce  messire  Phelippe  d'Artois  estoit  jeune  chevallier  et 
frisque  et  de  grant  voulenté ,  et  jà  avoit  moult  traveillié  en 
armes  et  oultre-mer  fais  plusieurs  très-beaulx  et  haulz 
voyages ,  lesquels  on  recordoit  en  moult  de  lieux  ,  et  les 
tenoient  les  chevallereux  à  très-grant  vaillance  ,  et  si  estoit 
trop  grandement  en  la  gr&ce  et  amour  des  chevalliers  et 
éscuiers  du  royaulme  de  France. 


Si  regardèrent  ainsi  le  duc  de  Berry  et  le  duc  dé  Bour- 
goingne  par  accord  que,  se  le  roy  vouloit  donner  et  accor- 
der à  leur  cousin  d'Artois  l'ofSce  de  la  connestablie  de 
France,  lequel  ils  tenoient  pour  vacquant  À  présent  (car 

•■•  Presque.  —  •-*  Refroidoient. 


Digitized  by 


Google 


coimirABLB  db  fraucb.  99 

messire  Olivier  de  Clichon  Favoit  perda  et  fourfait),  le 
mariage  se  feroît  de  Marie  de  Berry  à  luy  ;  car,  ou  cas  que 
ilseroit  connestable  de  France,  il  auroit  assés  miseetchevan- 
che  pour  tenir  son  estât,  et  eurent  conseil  et  advis  les  deux 
ducs  que  ils  en  parleroient  au  roy  sur  la  fourme  que  je  tous 
diray ,  et  luy  dirent  :  «  Monseigneur,  vostre  conseil  se  adonne 
c  générallement  et  par  science  que  nostre  cousin  et  le 
«  vostre  le  conte  d*Eu  messire  Phelippe  d'Artois  soit  à  pré^ 

•  sent  pourveu  de  Toffice  de  la  connestablie  de  France  qui 

•  vacque  ;  car  Clichon  ,  par  le  jugement  et  arrest  des  ders 
c  de  droit  et  de  vostre  chambre  de  parlement ,  Fa  fourfait, 
«  et  1  office  ne  puet  longuement  vaquier  que  ce  ne  soit  gran-. 

•  dément  au  préjudice  de  vostre  royaulme.  Et' vous  estes 

•  tenu,  et  aussi  sommes-nous,  de  aidier  et  avanchier  nostre 

•  cousin  d'Artois ,  car  il  nous  est  moult  prochain  de  sang 
tf  et  de  lignage  ,  et  puisque  la  chose  est  en  tel  party  que  le 

•  dit  office  vacque ,  nous  né  le  povons  pour  le  présent 
«  mieulx  mettre  ,  ne  asseoir  que  en  messire  Phelippe  d'Âr- 
«  tois  ;  car  il  le  sçaura  moult  bien  faire  et  ezcerser  ,  et  si 
«  est  âmé  de  toutes  gens ,  chevalliers  et  escuiers,  et  est 
«  homme  trôs-vertueuls  sans  envie,  ne  convoitise.  » 

Ces  paroles  furœt  assés  plaisans  au  roy ,  et  leur  res- 
pondy  *  lyement  *  qu'il  y  penseroit,  et,  se  à  donner  estoit  ', 
il  avoit  plus  chier  qu'il  l'euist  que  nul  autre.  Si  demeura  la 
chose  encoires  ung  petit  en  celluy  estât ,  et  en  fut  le  roy 
poursieuvy  de  ses  oncles,  car  ils  vouloient  messire  Phelippe 
d'Artois  avanchier  et  de  tous  pôins  dégrader  messire  Olivier 
de  Clichon^  car  ils  lavoient  acqueilly  en  grant  hayne  :  le 
duc  de  Berry  pour  ce  qu  il  avoit  aidié  à  destruire  son  tréso* 
rier  Bétbisach,  et  le  duc  de  Bourgoingne  pour  ce  que  il  fai- 
soit  guerre  au  duc  de  Bretaigne  ;  et  encoires  ne  le.hayoit 

*  '  Joyenflemeat,  —  *  L*oi&ce. 


Digitized  by 


Google 


400  pmi.iPPB  d'artoiS'BSt  geéê 

point  tant  le  duc  que  la  duchesse  sa  femme  fitisoit.  Finable- 
ment  le  roy  s'i  assenty  par  le  moien  de  ce  que  le  duc  de 
Berry  luy  accorda  sa  fille  Marie,  qui  vesve  estoit  de  Louys 
de  Blois,  à  avoir  en  mariage  ;  mais  ainchois  que  o^procédast 
plus  avant ,  tant  pour  saouler  le  roy  et  contempter,  que  le 
duc  d*Orléans  qui  supportoit  grandement  en  Toffice  de  la 
connestablie  messire  Olivier  de  Clichon  ,  de  rechief  messire 
Guillemme  des  Bordes  et  messire  Ouillemme  Martel,  tous 
deux  chevalliers  de  la  chambre  du  roy,  et  messire  Phelippe 
de  Savoisis,  chevallier  au  duc  de  Berry,  furent  chargiés  et 
ordonnés  de  aler  en  Bretaign0  et  pour  parler  à  messire  Oli- 
vier de  Clichon,  de  par  le  roy  et  non  de  par  aultruy. 

Les  dessus  dis  chevalliers  ordonnèrent  leurs  besoingnes 
et  se  misrent  à  voye  et  à  chemin ,  et  vindrent  à  Ângiers  et 
Ut  trouvèrent  la  royne  de  Jhérusalem  et  Jehan  de  Bretaigne 
qui  les  receuprent  moult  grandement  et  honnourablément 
pour  *  Famour  •  du  roy  ,  et  furent  là  deux  jours  et  deman- 
dèrent se  ils  sgavoient  nulles  nouvelles  certaines  de  meissire 
Olivier  de  Clichon  et  que  ils  avoient  commission  courtoise 
de  parle  roy  et  non  de  par  autruy  de  aler  parler  à  luy.  Us 
respondirent  que  nulle  certaineté  de  son  estât  ils  ne  sça* 
voient ,  ne  sçavoir  povoient ,  fors  tant  que  bien  pensoient 
qu*il  estoit  en  Bretaigne  en  Tune  de  ses  forteresses ,  mais 
point  ne  se  tenoit  establement  en  une  ,  mais  se  transportoit 
souvent  de  Tune  en  Tautre. 

Or  se  départirent  d* Angiers  les  deux  chevalliers,  et  prin- 
drént  congié  à  la  royne  et  à  son  fils  Charles  le  prince  de 
Tarente,  et  à  Jehan  de  Bretaigne  conte  de  Pentèvre  ,  et  se 
misrent  au  chemin  et  exploittièrent  tant  que  ils  vindrent  à 
'  Venues  ^  en  Bretaigne.  Le  duc  de  Bretaigne  se  tenoit  pour 
lors  moult  closement  aveuc  sa  femme  en  la  cité  de  Vennes  et 

*-•  L'honneur.  —  '-*  Rennes. 


Digitized  by 


Google 


COMIfiTABLB  DE  FRANCE.  101 

ne  chevauchoit  point ,  car  il  doubtoit  les  embusches  et  les 
rencontres  de  son  adversaire  messire  Olivier  de  Clichôn,  car 
ils  se  fidsoient  guerre  si  felle  et  si  dure  que  là  où  leurs  gens 
se  rencontroient  sur  les  champs  ,  il  n'y  avoit  nulle  merchy  : 
il  convenoit  que  la  place  demourast  aux  plus  fors  ,  et  tout 
estûit  occis,  quant  oif  en  venôit  au-dessus.  Si  se  doubtoient 
Fun  de  Tautre,  et  bien  y  avoit  cause  et  raison  ,  et  quoyque  le 
duc  fnist  souverain  du  pays,  si  ne  trouvoit-il  baron,  cheval- 
lier ,  ne  escuier  de  Bretaigne  qui  se  voulsist  armer  aveuc 
luy  à  rencontre  de  messire  Olivier  de  Glichon ,  mais  s'en 
dissimuloient  tous  et  disoient  que  celle  guerre  ne  les  r^ar- 
doit  en  riens  ,  ainsi  les  laissoient-ils  convenir  ,  et  se  tenoit 
chascun  chiés  soy ,  ne  le  duc  n*en  povoit  avoir  autre 
confort. 

Quant  les  dessus  nommés  chevalliers  de  France  lurent 
venus  en  la  cité  de  ^  Venues  ',  ils  s'enquirent  au  plus  vérita- 
blement que  ils  porrent  où  on  pourroit  trouver  messire  Olivier 
de  Clichon ,  mais  nuls  ne  leur  en  sçavoit  à  dire  la  vérité* 
Adont  ils  eurent  ad  vis  et  conseil  que  ils  se  trairoient  devers 
Chastel-Josselin ,  ainsi  que  ils  firent.  Ils  furent  recueillies^ 
des  gens  messire  Olivier  de  Clichon  bien  '  bellement  *  pour 
Famour  du  roy  de  France  ;  ils  demandèrent  de  messire  Oli- 
vier où  ils  en  orroient  nouvelles ,  cw  ils  avoient  à  parler  à 
luy  de  par  le  roy  de  France  et  son  frère  le  duc  d'Orléans  tant 
seulement..  Nuls  ne  leur  en  sceut  à  dire  vraies  nouvelles  ', 
et  respondirent  ainsi  aux  dessus  dis  chevalliers ,  en  euls 
excusant  et  messire  Olivier  de  CUchon  aussi  :  a  Certaine- 
■  ment ,  seigneurs  ,  il  n'est  nuls  qui  le  sache  où  trouver. 
•  Huy  est  en  ung  lieu  et  demain  en  ung  autre.  Mais  vous 
«  povés  bien  chevauchier  par  toute  la  duchië  de  Bretaigne» 
«  puisque  vous  estes  au  roy ,  et  toutes  les  forteresses  et 

*-*  Rennei.  —  "-*  Honnourablement.  —  *  On  ne  Tonlnreiit, 


Digitized  by 


Google 


102  PflILim  D^ARTOIS  EST  CRÉÉ 

«c  maisons  de  messire  Olivier  vous  seront  ouvertes  et  appa- 
t  reiUieè,  et  c*est  raison.  » 

Quant  les  dessus  dis  chevalliers  veirent  que  ils  n*en 
auroient  autre  chose  ,  si  se  départirent  de  Chastel-Josselin 
et  chevauchèrent  oultre  et  visittôrent  toutes  les  forteresses 
grandes  et  petites  de  messire  Olivier  d%  Clichon ,  et  autres 
nouvelles  ils  n'en  peurent  avoir ,  et  vindrent  à  Venues  ,  et 
là  trouvèrent  le  duc  de  Bretaigne  et  la  duchesse  qui  les 
recueillièrent  bellement ,  mais  ils  ne  furent  avéuc  euls  tant 
seulement  que  demy-jour  et  point  ne  se  descouvrirent  au 
duc  de  la  matière  secrette  pour  quoy  ils  estoient  là  venus. 
Aussi  le  duc  né  les  en  examina  point  trop  avant ,  ne  adont 
ils  ne  veirent  point  messire  Pierre  de  Graon  ,  et  prindrent 
congié  au  duc  et  à  la  duchesse,  et  puis  se  misrent  au  retour 
et  exploittèrent  tant  par  leurs  journées  que  ils  vindrent  à 
Paris,  et  trouvèrent  le  roy  et  les  seigneurs  qui  les  atten- 
doient ,  et  comptèrent  premièrement  au  roy  et  au  duc  d'Or* 
léans  comment  ils  avoient  visitté  tous  les  lieux ,  villes  et 
chasteaulx  en  Bretaigne  de  messire  Olivier  de  Clichon  et 
*point  ne  Favoient  trouvé.  De  ces  nouvelles  furent  le  duc  de 
Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  tous  resjouis,  et  ne  voulsis- 
sent  point  que  la  besoingne  se  portast  autrement. 

Assés  tost  après  ce  se  procéda  le  mariage  de  messire  Phe- 
lippe  d'Artois  ,  conte  d*Eu,  et  de  Marie  de  Berry  ,  et  fut  le 
dessus  nommé  fait  connestable  de  France  pour  user  de 
Foffice,  et  lever  ent  les  prouffis  aux  usances  et  ordonnances 
anchiennes,  quoy  que  messire  Olivier  de  Clichon  n*y  euist 
point  renonchié  ,  ne  renvoie  le  martel  de  la  connestablie  ; 
mais  disoit  et  affermoit  que  connestable  demourroit ,  car  il 
n'avoit  fait  chose  contre  le  roy  de  France,  ne  *  le  royauhne, 
pour  quoy  on  luy  deuist  ester. 

*  Contre. 


Digitized  by 


Google 


CONNÉTABLE  DE  FRANCE.  i05 

Bien  sceat  ces  nouvelles  messire  Olivier  de  Glichon , 
comment  le  conte  d'Eu  estoit  pourveu  de  la  connestablie  de 
France  ,  et  de  ce  jour  en  avant  il  en  lèveroit  les  proufSs  et 
par  le  consentement  assés  du  roj  de  France,  et  avoit  par 
mariage  espousée  la  fille  au  duc  de  Berry  madame  Marie. 
De  tout  ce  il  ne  tint  nul  compte  ,  car  il  se  sentoit  léal  et 
preud*homme  et  non  fourfait  devers  le  roy  et  la  ^  couronne  * 
dû  France  ;  et  tout  ce  que  Eût  en  estoit,  avoit  esté  proposé 
et  '  pourparlé  ^  par  envie  et  mauvaistié  que  luy  mons- 
troient  le  duc  de  Berry  et  le  due  de  Bourgoingne  ,  et  luy 
monstroient  telle  hayne  que  ils  ne  la  povoient  celler.  Si 
entendy  messire  Olivier  de  Glichon  k  faire  sa  guerre  et  à 
fumir  sagement  contre  son  adversaire  le  duc  de  Bretaigne, 
laquelle  guerre  fut  dure  et  crueuse  ,  et  ne  se  espargnoient 
point  leurs  gens  de  euls  occir  »  quant  ils  se  trouvoient  ou 
rencontroient  d*aventure  sur  les  champs,  et  plus  souvent 
cbevauchoient  assés  messire  Olivier  de  Glichon  et  ses  gens 
en  alant  de  chastel  en  autre  et  en  faisant  embusches,  que  le 
duc  de  Bretaigne  et  ses  gens  ne  feissent ,  et  se  trouvoit 
messire  Olivier  plus  fort  assés  pour  résister  à  rencontre  de 
son  adversaire  que  le  duc  ne  feist,  car  il  ne  trouvoit  baron, 
ne  chevallier  en  Bretaigne,  qui  de  ceste  guerre  se  voulsist 
'  ensonnier  ^,  et  s'en  dissimuloient,  et  quant  le  duc  les  man- 
doit ,  ils  venoient  parler  à  luy  pour  savoir  son  entente.  Là 
les  requerroit  le  duc  ^  de  confort  et  de  ayde  pour  corrigier 
son  homme  messire  Olivier  de  Glichon  qui  trop  grandement 
s*estoit  fourfais  envers  luy.  Les  barons  de  Bretaigne  ,  tels 
que  le  visconte  dé  Rohen ,  le  sire  de  Dignant  et  messire 
Hervieus  de  Lyon  et  plusieurs  autres  se  excusoient  et  disoient 
que  de  ce  ils  ne  scavoient  riens  et  que  point  de  guerre  ils 
ne  feroient  à  messire  Olivier  de  Glichon  pour  celle  cause , 

"  Royne.  —  •^  Fait.  —  •-•  Entremettre.  —  '  De  Bretagne. 


Digitized  by 


Google 


104  PHILIVPB  D*ABTOIS  B8T  CMÈà 

mais  voulentiers  ^  s'en  ensoumieroient  '  de  y  mettre  cause 
et  aucun  bon  moyen  de  venir  &  traittié  de  paix ,  se  ils 
povoient  on  sçavoient. 

Quant  le  duc  yey  que  de  tout  ce  il  n*auroit  autre  chose  et 
que  plus  perdoit  de  ses  hommes  par  celle  guerre,  que  messire 
Olivier  de  Glichon  ne  faisoit ,  il  '  eut  conseil  *  de  envoier 
les  dessus  nommés  barons  devers  messire  Olivier  de  Glichon 
et  traittier  devers  luy  que  ils  ramenassent  sur  son  saulf- 
conduit  parlementer  ft  Venues  à  luy ,  et  il  le  trouveroit  si 
traittable  et  débonnaire  que  il  entenderoit  À  toute  raison  , 
et,  se  mesprins  avoit  envers  luy,  il  luy  amenderoit  à  Fordon- 
nance  de  euls,  lesquels  il  prioit  dealer  en  ce  voyage. 

Les  dessus  nommés  à  ce  faire  s'accordèrent  voulenti^v 
par  cause  de  bon  moyen,  et  s'en  vindrent  tous  trois  devers 
messire  Olivier  de  Glichon  ,  et  firent  tant  qu'ils  parlèrent  k 
luy  au  Ohastel-Josselin,  et  luy  remonstrèrent  Imtention  du 
duc  et  ce  dont  ils  estoient  chargiés  et  plus  avant  pour  appro- 
chier  k  la  paix  ;  car  la  guerre  de  eulx  deux  estoit  mal  séant 
en  Bretaigne,  et  trop  desplusoit  aux  nobles  du  pays  et  gre- 
voit  à  tous  marchans  et  au  ^  commun  *  pueple  :  «  Messire 
«  Olivier,  nous^ous  disons  que  s'il  vous  plaist  aler  devers 
«  monseigneur,  en  cause  de  asseuranoe  tant  que  vous  serés 
«  retourné  arrière,  nous  nous  obligerons  &  cy  d^mourer  et 
«  point  partir  hors  des  portes  de  ^  céans  *,  et  nous  suppo- 
«  sons  assés  que,  se  vous  estes  en  la  présence  de  monseigneur, 
«  vous  serés  à  paix  et  d'accord ,  car  nous  Yen  veons  en 
«  bonne  voulenté.  » 

A  ces  paroles  respondy  messire  Olivier  de  Glichon,  et  dist 
en  telle  manière  :  «  Beauls  seigneurs  ,  que  vous  ^  aideroit- 
«  il  *•  se  j'estoie  mort  ?  Pensés-vous  que  je  ne  congnoisse  pas 

«■•  Traveilleroient.  —  •"*  CoMentit.  —  •  •  Menu.  —  '•  Chastel-Jos- 
selin.  —  •■••  Pronfiteroit-il. 


Digitized  by 


Google 


COmfeTABLB  DE  nUlIGS.  lOS 

le  duc  dd  Bretaigne  ?  Certes  si  fay  ;  il  est  trop  cruel  et 
>  anster  *,  et,  ({iioyqu*il  youb  aitenditté  et  infourmé  et  qae 
U  me  donne  saulf  alant  et  retournant ,  se  il  me  veoit  en 
sa  préasnce ,  jà  pour  parole  que  il  vous  ait  pronunise  ,  il 
ne  cesseroit,  si  m*aroit  rea  mort.  Et ,  se  je  estoie  mort  * 
vous  en  morriés  aussi,  car  mes  Jiomm|^  vous  oceiroient , 
ne  jà  pitié,  ne  merchy  n*en  auroient  ;  si  vault  mieulx  que 
^  vous  vives  et  moy  aussi  ' ,  que  nous  nous  boutons  en  ce 
dangier ,  car  de  luy  je  me  garderay  bien,  et  de  moy  il  se 
garde  ainsi  que  bon  luy  semble.  » 
Adont  respondy  messire  Charles  de  Dignant  et  dist  : 
Beau  cousin,  vous  povés  dire  ce  que  il  vous  plaist  ;  mais 
nous  ne  l'avons  point  veu  en  celle  voulenté  de  vous  occire, 
se  il  vous  veoit ,  par  le  ^  party  '  que  nous  vous  ofirons , 
mais  a  bonne  affection  de  vous  laissier  venir  à  *  accord  à 
luy ,  et  nous  v<ms  en  prions  que  vous  le  vueilliés  fidre.  » 
Adont  respondy  le  sire  de  Clichon  :  t  Je  croy  assés  que 
vous  ne  voulés  que  tout  bien  ;  mais  sur  ceste  asseurance 
que  vous  me  présentés,  ^  je  ne  me  avanceray  point  de  aler 
devers  le  duc  de  Bretaigne ,  et,  puisque  vous  vous  *  en 
ensonnyés  '  en  bonne  manière  (ainsi  le  doy*je  et  vueil 
croire  et  entendre) ,  je  vous  diray  que  je  feray  et  quelle 
response  je  vous  bailleray.  Vous  retoumerés  devers  luy 
qui  qy  vous  envoie  et  luy  dires  que  point  je  ne  vous  vueil 
prendre  en  plesges,  ne  en  hostages,  mais  il  me  envoyé  son 
biretier  qui  est  ^®  flanchié  "  à  la  fille  du  roy  de  France  , 
et  celluy  demourra  en  la  garde  de  mes  hommes  ou  Chas- 
tel-Josselin  tant  que  je  seray  aie  et  retourné.  Ceste  "  par- 
chon  ^'  est  plus  acceptable  pour  moy  que  nulle  des  autres 
et  est  raisonnable  ;  car ,  se  vous  demourés  icy,  sicomme 


"  Hault.  —  •  D'autre  part.  —  ^  Moyen.  —  •  Paix  et.  —  '  Je  vous 
pi-omets  que.  —  •^  Entremettes.  —  *•""  Marié.  —  *•-"  Voye. 


Digitized  by 


Google 


i06  PHILIPPE  D* ARTOIS  EST  CRiÉ 

«  VOUS  vous  offres  ,  qui  ^  s*ensonnieroit  '  des  besoingnes, 
tf  ne  destraittiés,  ne  qui  seroit  moyen  entre  nous  deux,  qui: 
«  jamais  sans  moien  ne  serions  d*accord  ?  » 

Quant  les  dessus  nommés  barons  de  Bretaigne  veirent 
que  ils  n'en  auroient  autre  chose ,  si  prindrent  congié  à 
messire  Olivier  de  Clichon,  et  il  leur  donna.  Si  se  partirent 
de  Ghastel-Josselin  et  retournèrent  à  Venues  devers  le  duc 
de  Bretaigne ,  et  luy  recordèrent  toutes  les  paroles  et  res- 
ponses  dessus  dittes  auxquelles,  en  tant  que  de  son  âls,  il  ne 
se  fuist  jamais  accordé  de  l'envoyer  ou  Ghastel-^Josselin.  Si 
demeura  la  chose  en  ce  point  et  estât ,  et  la  guerre  comme 
en  devant  felle  et  crueuse,  ne  à  peines  ne  osoit  nuls  chevau- 
chier  en  Bretaigne  sur  les  champs,  ne  aler  par  les  chemins 
pour  celle  guerre.  Marchandise  en  estoit  toute  morte  et  per- 
due parmy  Bretaigne ,  et  toutes  gens  ens  es  cités  et  bonnes 
villes  s*en  sentoient,  et  les  laboureurs  des  terres  meismement 
s'en  reffix)idoient  et  séjoumoient. 

La  duchesse  de  Bourgoingne  couvertement  confortoit  son 
cousin  de  gens  d'armes  ,  Bourgoingnons  et  autres ,  que  elle 
luy  envoioit  ;  car  le  duc  de  Bretaigne  ne  trouvoit  de  son 
pays  nulluy  qui  se  voulsist  armer  pour  celle  guerre ,  mais 
s'en  dissimuloient  chevalliers  et  escuiers  de  Bretaigne ,  se 
ils n'estoient  deTosteldu  duc.  Leduc  d'Orléans,  d'autre 
part ,  qui  moult  amoit  messire  Olivier  de  Clichon ,  le  con- 
fortoit  couvertement  et  luy  envoioit  gens  d'armes  et  bons 
coursiers  pour  luy  raffireschir  de  montures,  et  trop  plus  sou- 
vent chevauchoient  aux  adventures  messire  Olivier  de  Cli- 
chon et  ses  routes  que  le  duc  '  né  feist  *.  Et  advint  que  une 
fois  il  encontra  deux  escuiers  du  duc  qui  chevauchoient  et 
aloient  en  besoignes  pour  le  duc  :  l'un  estoit  appelle  Bernard 
et  l'autre  Yvonnet.  Ils  ne  peurent  fîiir ,  ne  eslongier  ;  car 

*'*  S*entremetira.  —  *-*  Et  ses  geni  ne  feiuent. 


Digitized  by 


Google 


COHIliTABLE  DE  FRANCE.  107 

ils  obéirent  es  mains  de  messire  Olivier  de  Clichon  qui  fut 
moult  ^  lye  *  de  leur  venue,  car  bien  les  congnoissoit.  L'un 
luy  avoit  fait  du  temps  passé  service  et  L'autre  non,  mais 
grant  rudesse  et  desplaisance  qu*il  n*avoit  pas  mis  en  oubly, 
mais  luy  en  souvint  à  celle  heure.  Quant  ils  se  veirent  attra* 
pés,  ils  furent  tous  esbahis.  Dont  dist  messire  Olivier  à, 
Yvonnet  :  «  Te  souvient-il  point  comment  ou  chastel  de  TEr- 
«  mine  delés  Venues  en  une  tour  tu  m*enferras  mal  cour- 
«  toisement ,  et  toy,  Bernard  ,  en  avoies  pitié  et  ^  disoies  : 
«  Je  vous  baille  ma  ^  gonne  ',  et  la  desvestant  et  ainsi  tu  la 
t  me  baillas  ',  pour  tant  que  ^  tu  me  veoies  *  en  pur  mon 
«  doublet  sur  le  pavement ,  pour  moy  eschiéver  le  froit  :  je 
a  le  te  vueil  icy  *  remercier  '^.  La  vie  t'en  sera  sauvée,  mais 
«  ce  gars  trahitour  Yvônnet,  qui  bien  t'en  fuisses  passé  & 
«  moins  faire,  se  tu  voulsisses,  tu  y  demourras.  »  A  ces  mots 
il  traist  une  dague  et  il-meismes  l'occist ,  et  puis  passa 
oultre  ,  mais  aux  varlets  il  ne  flst  riens. 

Une  autre  fois,  messire  Olivier  chevauchoit  devers  le 
chastel  d'Aulroy ,  car  le  duc  et  la  duchesse  estoient  là ,  et 
avoit  bien  trois  cens  lances  en  sa  compaignie ,  et  d'aventure 
il  trouva  trôs-bien  quarante  varlets  de  l'ostel  du  duc  qui 
estoient  sur  les  champs ,  et  fut  environ  la  Saint-Jehan  en 
esté.  Ces  varlets  avoient  loiés  leurs  chevaulx  aux  arbres  et 
avoient  faucilles  dont  ils  soioîent  de  randon  les  blés  pour 
faire  &is  et  tourses  et  pour  reporter  à  leurs  logis  comme 
fourrageurs.  Messire  Olivier  vint  sur  euls  et  les  espoventa  : 
autre  mal  il  ne  leur  flst.  Si  leur  dist  :  «  Et  comment,  var- 
«  lets,  estes-vous  si  osés  que  de  vous  mettre  sur  les  champs 
•  et  de  cueillier  et  embler  la  garnison  des  laboureurs  ?  Vous 
«  ne  les  avés  pas  ahanés,  ne  semés ,  et  si  les  copés  avant 

•-•  Joyeux.  —  ^  Devestia  ta  gonne.  —  **•  Robe.  —  '-•  J'estoie.  — 
••«•  Remërir. 


Digitized  by 


Google 


lOâ  LÀ  PAIX  EST  GOnCLOB 

«  que  ils  soient  meurs.  Or  tost  prenés  vos  faucilles  et  mon-^ 
«  tés  sur  vos  chevaulx.  Pour  Feure  je  ne  vous  feray  nul 
«  mal ,  mais  aies.  Si  dittes  au  duc  de  Bretaigne  qui  est  en 
a  Aulroy ,  jele  scay  bien,  que  il  viengne  recuéillier  ou 
tf  envoie  ses  hommes  recuéillier  *  ce  que  soyé  avés^*,  et  que 
«  Glichon  luy  mande ,  et  que  cy  on  le  trouvera  jusques  à 
«  soleil  esconsant.  »  Les  varlets  qui  furent  tous  joieulx  de 
celle  délivrance  (car  ils  cuidoient  bien  estre  tous  mors) , 
r^eprindrent  leurs  faucilles  et  remontèrrat  sut  leurs  che* 
vaulx  et  s'en  retournèrent  ens  ou  chastel  d*Aulroy  devers 
le  duc ,  et  croy  assés  qu'ils  luy  recordôrent  ces  nouvelles  , 
ne  autre  ch!ose  n*en  fut ,  ne  point  n'en  yssi,  ne  fist  yssir  ses 
hommes  du  chastel. 

Telles  aathies  et  telles  escarmuches  faisoient  adont  en 
Bretaigne  le  duc  et  messire  Olivier  de  Glichon  l'un  sur 
Fautre,  et  ne  s'en  ensonnyoient  point  ceulx  du  pays  dé  leur 
guerre. 

Nous  nous  soufirirons  pour  le  présent  à  parler  du  duc  de 
Bretaigne  et  de  messire  Olivierde  Glichon  et  de  leur  guerre, 
et  retournerons  aux  besongnes  de  France  et  d'Angleterre 
ensieuvant  nostre  principale  matière. 


Vous  savés  comment  les  parlemens  furent  tenus  en  la 
cité  d'Amiens ,  et  comment  les  seigneurs  se  départirent 
Tun  de  Tautre  ,  et  sur  quels  articles ,  aussi  comment  on 
envoia  en  Angleterre  ^,  et  la  response  queon  eut  des  Anglois 
qui  durs  estoient  à  entamer  et  à  venir  à  paix  ;  car  il  ne 
tenoit  pas  du  tout  au  roy  Richart  d*^gleterre  ,  ne  au  duc 
de  Lancastre  ,  ne  au  duc  dlorch  ,  ne  à  ceulx  qui  les  trait- 
tiés  et  paroles  de  la  paix  avoient  portés  ,  mais  ^  à  '  grant 

*-•  Sique  je  soye  aveao  luy.  —  •  Aveuc  .le  duo  de  Lancastre.  — 
**•  Grant  part  à.  —  •  La  plus. 


Digitized  by 


Google 


BMTRB  LÀ  FRANCK  ET  l' ANGLETERRE.         109 

part  de  ^  la  communaulté  d*Ângleterre,  et  désiroient  les 
oommunefi  ,  archiers  et  tels  gens  ,  ad  ce  que  ils  disoient  et 
monstroient ,  trop  plus  la  guerre  que  la  paix ,  *  et  d*ÂngIe- 
terre  les  deux  pars  des  jeunes  gentils  hommes,  chevalliers  et 
escuiers,  qui  ne  se  scavoient  où  employer  et  qui  aprins 
avoient  à  estre  oiseux  et  à  tenir  bon  estât  sur  le  fait  de  la 
guerre.  Et  au  fort  si  convenoit-il  que  ils  obéissent  là  où  le 
roy  et  ses  oncles  et  la  plus  saine  partie  d'Angleterre  s'en- 
dinoit.  Le  duc  de  Lancastre  considérant  toutes  ces  choses 
tant  pour  Tamour  de  ses  flUes  qui  roynes  estoient  comme 
vous  savés  lune  d'Ëspaigne  et  Fautre  de  Portingal ,  que 
pour  ce  que  il  veoit  que  le  roy  son  nepveu  si  enclinoit  aussi 
(et  disoit  que  la  guerre  avoit  assés  duré) ,  estoit  de  celle 
pppinion  et  y  rendoit  grant  peine,  mais  que  il  veist  que  ce 
fuist  à  Tonneur  du  royaulme  d'Angleterre. 

Du  costé  de  France  le  duc  de  Bourgoingne  y  rendoit  aussi 
grant  peine  ,  car  il  veoit  qu'il  estoit  chargië  très-grande- 
ment des  consauls  et  des  besoingnes  de  France,  et  que  ses 
deux  nepveus  estoient  jeunes  d'eage  et  de  sens,  le  roy  et  le 
duc  d'Orléans ,  et  si  se  trouvoit  ung  grant  hiretier  et 
attendant  encoires  de  grans  héritages  de  toute  la  duchié  de 
Brabant ,  et ,  se  Flandres  et  Brabant  en  temps  advenir  par 
aucun  incident  se  différoient  contre  la  couronne  de  France, 
aveoques  la  puissance  d'Angleterre ,  ainsi  que  ils  avoient 
antreffois  fait,  le  royaulme  de  France  aroit  trop  '  de  adver- 
saires ^.  Le  duc  de  Bourgoingne  qui  estoit  moult  ymaginatif 
et  veoit  moult  loing  en  ses  besoingnes ,  siques  il  me  fut  dit 
par  hommes  notables  qui  de  ces  affaires  dévoient  savoir  la 
certaineté ,  que  il  et  le  duc  de  Lancastre  rendirent  grant 
peine  ad  ce  que  les  parlemens  fuissent  derechief  mis  et  assis 
à  Lolinghem  où  autreffbis  avoient  esté,  et  y  fuissent  si  fors 

•  D6  France  —  •  *  D^ennemii. 


Digitized  by 


Google 


ilÔ  LA  ^AIX  EST  CONCLUE 

de  toutes  les  deux  parties  et  si  bien  pourreus  de  si  bonnes 
procurations  et  si  puissamment  fondés  comme  pour  faire 
paix ,  se  ^  il  besoingnoit  *  et  se  les  traittiés  s*estendoient 
jusques  là,  et  à  estre  à  Lolenghem  dedens  le  may  prochain 
venant,  lequel  on  comptoit  Tan  mil  CCC.IIII"  et  XIII. 

Accordé  et  séellé  fut  de  toutes  parties  ,  et  nommés  ceulx 
qui  le  parlement  tenroient  et  qui  de  par  les  roys  et  leurs 
consauls  envoies  y  seroient  :  premièrement  de  la  partie  du 
roy  Richard  d^Ângleterre  y  furent  principalement  ses  deux 
oncles  le  duc  de  Lancastre  et  le  duc  de  Glocestre  ,  lequel 
estoit  en  la  gr&ce  et  amour  de  toute  la  communaulté  d'An- 
gleterre et  des  chevalliers  et  escuiers  qui  plus  chier  avoient 
la  guerre  que  la  paix  ,  et  des  prélats  ,  Farchevesque  dlorch 
et  l'évesque  de  Londres  et  wcuns  clers  licenciés  en  droits 
et  en  loix  pour  entendre  et  exposer  les  lettres  en  latin.  Et 
dévoient  ces  seigneurs  venir  en  la  ville  de  Calais,  ainsi  que 
ils  firent ,  en  la  moyenne  du  mois  d*apvril  ou  tantost  après 
le  jour  Saint-Jeoi^e  passé ,  pour  tant  que  le  roy  et  les 
barons.  d'Angleterre  qui  du  Bleu-Gertier  sont ,  en  font  une 
solempnité  et  feste  moult  grande  ou  diastel  de  Windesorê 
qui  est  bel  ,  grant  et  spacieux  à  merveilles. 

D'autre  part  du  costé  de  France,  le  duc  de  Berry  et  le  duc 
de  Bourgoingne  et  les  consauls  du  roy  se  ordonnèrent  à  estre 
et  à  venir,  ainsi  que  ils  firent ,  en  la  ville  de  Boulongne  et 
de  euls  1&  tenir  et  venir  parlementer  à  Lolinghem.  Le  roy 
de  France  qui  moult  grande  afiection  avoit,  ad  ce  que  plai- 
nemœt  il  monstroit,  que  paix  fiiist  entre  euls  et  les  Anglois, 
car  trop  '  y  avoit  de  discord  *,  dist  à  ses  oncles  que  il  vou- 
loit  aler  au  plus  près  du  lieu  où  les  parlemens  se  tendroient 
comme  il  pourroit  par  raison,  pour  mieulx  monstrer  que  la 
besoingne  estoit  sienne  et  luy  touchoit.  Dont  fut  advisé  que 

*•  Mestîer  faisoit.  —  •-*  Le  discord..  La  g:aerre  y  ayoit  duré. 


Digitized  by 


Google 


BRTRB  LÀ  FRANCE  ET  l'àMGLETERRE.  '  lil 

le  roy  de  France  se  tenroit  ou  à  Saint-Omer  pour  estre  en 
la  marche  et  frontière  de  Calais  ou  à  Thérouenne  ou  à  Mons- 
treul  ou  à  Abbeviile.  Tout  considéré,  il  Tailloit  mieuk  le 
royluy  tenir  en  Abbeviile  que  autre  part,  car  il  y  a  puissant 
yille  et  bien  aisie  de  tous  biens ,  et  là  seroient  tous  sei- 
gneurs et  toutes  gens  aisiement  logiés  et  herbergiés  sus 
celle  belle  rivière  de  Somme.  Quant  ce  conseil  fut  arresté , 
on  fist  les  pourvéances  du  roy  grandes  et  grosses  en  la  ville 
d*Abbeville ,  et  pour  le  corps  du  roy  logier  on  ordonna 
Tabbaye  de  Saint-Pierre  qui  est  une  grande  abbaye  et  gar- 
nie de  beaulx  édifices  et  de  noirs  moisnes,  et  là  yint  le  roy 
et  son  frère  le  duc  d'Orléans  et  leurs  consauls  et  raessire 
Regnault  deCorbie,  chancellier  de  France  ;  et  le  duc  de  Berry 
et  le  duc  de  Bourgoingne  et  les  ^  parlemens  *  se  trairent  à 
Boulongne ,  et  le  duc  de  Lancastre  et  le  duc  de  Glocestre  à 
Calais  et  tous  leurs  consauls. 

Belle  chose  fut  de  veoir  Tordonnance  et  Testât  des  parle- 
mens qui  en  ce  temps  se  tindrent  et  lurent  mis  et  assis 
entre  les  Franchois  et  les  Anglois  sur  les  champs  entre  Bou- 
lougne  et  Calais  à  une  place  que  on  dist  Lolinghem  ;  et  là 
estoient  de  toutes  les  deux  parties  tendues  tentes ,  trefs  et 
pavillons ,  pour  euls  tenir  et  reposer  ,  boire ,  mengier  et 
dormir ,  se  dormir  y  convenoit.  Et  deux  ou  trois  jours  en 
la  sepmaine  les  Franchois  qui  pour  parlementer  estoient  là 
ordonnés ,  venoient  là  de  Boulongne ,  et  les  deux  oncles 
du  roy  d* Angleterre  venoient  là  de  Calais ,  et  souvent 
entroient  en  parlemens  et  en  traittiés  sur  le  point  de  neuf 
heures  et  là  se  tenoient  en  une  très-belle  tente  qui  par  accord 
de  toutes  les  parties  estoit  tendue  ,  et  là  parlementoient  et 
proposoient  plusieurs  articles.  Or  me  fut  dit  (car  pour  ce 
temps  et  pour  inieulx  savoir  la  vérité  de  leurs  traittiés,  oe 

*'  Parlementaan  françois. 


Digitized  by 


Google 


liS  hk  PAIX  BST  COHCLCB 

que  savoir  on  en  povoit ,  je  Jehan  Froissart,  actônr  et  pro* 
poseur  de  ce  livre,  taj  en  la  bonne  ville  d'Âbbeville  comme 
celluy  qui  grande  congnoissance  avoie  entre  les  seigneurs  i 
si  en  demandoie  à  la  fois  à  ceulx  qui  aucune  chose  en 
dévoient  savoir) ,  que  sur  rentrée  des  parlemens  les  Fran- 
çois misrent  en  termes  aux  seigneurs  d'Angleterre  qui  là 
.estoi^nt ,  quant  ils  àvoient  veues  leurs  procurations  et  leurs 
puissances  que  ils  avoient  de  tenir  le  parlement  et  de  don- 
ner trièves  et  ^  sur  *  les  trièves  bonne  paix  par  mer  et  par 
terre  de  eulx  principalement,  leurs  conjoins  et  leurs  adhers, 
que  ils  vouloient  avoir  Calais  abatue  par  telle  manière  qtie 
jamais  nuls  n*y  habita<$t  «  ne  demourast. 

A  celle  parole  et  article  respondirent  les  Anglois  et  dirent 
(c  est-À-entendre  le  duc  de  Lancastre  et  le  duc  de  Glocestre) 
que  ils  n'avoient  que  taire  de  mettre  ces  paroUes  en  termes 
d'avoir  Calais  abatue  ;  car  Calais  est  et  seroit  la  dernière 
ville  que  la  couronne  d'Angleterre  tenroit  en  son  demaine  et 
héritage  ;  et  se  on  vouloit  traittié  avoir  et  parlementer  & 
eulx ,  on  clouist  celle  parole  ,  car  en  nulle  manière  du 
monde  ils  n'en  vouloient  plus  oyr  piurler.  Quant  le  duc  de 
Berryet  le  duc  de  Bourgoingne  oyrent  leurs  cousins  les 
deux  duos  d'Angleterre  parler  si  aoertes  ,  ils  cessèrent  à 
parler  de  ceste  matière ,  etveirent  bien  que  ils  y  traveil- 
leroieht  en  vain  et  parlèrent  dur  autres  estas. 

Les  Anglois  ung  Ipng  temps  demandoient  a  avoir  en  res- 
titution tontes  lés  terres  qui  baillies  et  délivrées  '  avoient 
esté  au  roy  Edouard  d'Angleterre  leur  seigneur  de  père  ou 
a  ses  députés  et  commis  ,  et  de  rechief  toute  la  somme  de 
flourins  qui  demourée  estoit  à  payer  au  jour  que  la  guerre 
fut  renouvellée  entre  France  et  Angleterre.  Celle  demande 
aux  François  soustindrent  les  Anglois  ung  longtemps,  et 

•-•  De  faire  onltre.  —  "  Eitoient  et. 


Digitized  by 


Google 


BNTRB  LÀ  FRAMQB  BT  l'aHGL£T£RRE.  i  IS 

monstroient  bien  et  fidsoient  remonstrer  par  leurs  clers, 
pour  à  la  vérité  mieulx  ^  exposer  *  leurs  paroles  ,  qu  elles 
estoient  raisonnables.  Les  seigneurs  de  France ,  c*est*â- 
entsndre  les  deux  dncs  qui  là  estoient  et  le  chaneellier  de 
France ,  respondoient  doulcement  à  Tenoontre  et  arguoient 
do  contraire  et  disoient,  tant  que  de  toutes  les  terres  faire 
retourner,  anidre  au  premier  point  des  procès,  ou  gouverne 
et  demaine  du  roy  d'Angleterre  et  de  ses  successeurs,  impos- 
sible seroit  à  faire  ;  car  les  villes  ,  les  terres  et  lés  chas- 
teanlx ,  les  cités ,  les  seigneuries  et  les  hommages  des  pays 
qui  nommés  sont  et  furent  en  la  chartre  de  la  paix  donnée 
et  accordée  Fan  mil  CGC  '  soixante  ^  à  Bretigny  devant  Char- 
tres ,  et  puis  conformée  et  séellée  à  Calais,  estoient  trop 
eslongiés  et  desjointés  de  ce  propos  ;  car  le  roy  de  France  à 
qui  ils  estoient  de  voulenté  et  sans  contrainte  remis  et  ren- 
dus, leur  avoit  donné,  juré  et  séellé  si  grans  libertés  et  pri- 
vilèges et  conformé  sus  parole  de  roy  que  ce  ne  se  povôit 
ester,  brisier,  ne  retourner,  et  que ,  se  on  vouloit  *  venir  & 
paix  à  eulx ,  il  convenoit  entrer  en  autres  traittiés.  Adont 
iiit  regardé  par  Tadvis  et  ymagination  des  quatres  ducs 
principalement,  ausquels  il  tenoit  et  du  tout  pendoit  la 
foonne  de  la  paix  et  de  la  guerre,  que  les'  François^  de  leur 
costé  escriproient  les  articles  tels  que  ils  vouldroient  faire 
et  tenir ,  et  les  Anglois  pareillerarât  de  leur  costé  aussi 
escriproient;  et  bailliés  et  contrebaiUiés  ces  escripts  oulire,  à 
paix  et  à  loisir  les  seigneurs  les  regarderoient  et  visiteroieht 
et  feroient  visitter  et  regarder  par  leurs  *  chancelliers*,  leurs 
prélats  et  leurs  dors  en  droit  et  en  loix,  qui  de  leur  conseil 
estoient  et  qui  &  ce  entendre  estoient  habilles  et  propices  ; 


^  Excuser.  ^-  "**  Soixante  et  mi.»  Soixante  et  onze.  —  *  Retourner, 
B0.  —  *-*  Seigneun  de  France.  «-  *^  Chevaliers, 

XT.  —  VROÎSSART.  8 


Digitized  by 


Google 


114  LA  PAIX  BST  CORCLUE 

et  ce  qui  à  passer  et  tenir  feroit ,  il  seroit  teûu  »  et  ce  qui 
à  canceler  feroit ,  il  seroit  canoelé. 

Ceste  ordonnance  sembla  &  toutes  parties  estre  raison- 
nable et  bonne;  car,  en  devant  ce, les  corps  des  quatre  ducs 
avoient  trop  grant  chaîne  pour  oyr  lire  et  répéter  tantde 
paroles  ^  qui  là  estoient  répétées  et  proposées  de  la  partie 
des  François,  et  aussi  ils  n'estoient  pas  si  enclins,  ne  usés 
de  Tentendre  et  concepvoir  sur  la  fourme  et  manière  que 
les  François  les  bailloient  comme  les  François  estoient  ;  car 
en  parlure  francoise  a  mots  soubtils  et  couvers  et  sur 
double  entefidement ,  et  les  tournent  les  François,  Ut  où' ils 
veulent,  à  leur  prouffit  et  avantage  :  ce  que  les  Ân^ois  ne 
scauroient  trouver  ,  ne  faire  ,  car  euls  ne  le  veulent  enten- 
dre que  plainement.  Et  pour  ce  que  on  leur  avoit  donné  & 
entendre  du  temps  passé  ,  que  point  ils  n*avoient  bien  tenu 
les  conditions  conditionnées  sur  les  articles  de  la  paix, 
(et  le  vouloient  les  François  dire,  mcmstrer  et  prouver  par 
paroles  escriptes  et  séellées  à  tenir  sus  parole  de  roy  et  sur 
sentence  de  pape ,  que  ils  les  avoient  enfraintes  et  brisies), 
en  estoient  les  Anglois  plus  diligens  de  l'entendre;  et, 
quant  ils  veoient  escript,  ens  es  traittiés  et  artides  qui  là 
estoient  proposés  de  par  les  François,  aocime  parluïe  obs- 
cure et  dure  ou  pesant  pour  euls  à  entendre,  ils  s*arrestoient 
sus,  et  par  trôs-grant  loisir  le  examinoient,  et  excrutinoient, 
et  demandoient  ou  &isoient  demander  par  leurs  ders  de  drois 
et  de  loix  aux  prélats*  de  France  ou  au  duc  de  Berry  ou  au 
duc  de  Bourgoingne  comment  ils  Fentendoient ,  ne  nulle 
chose ,  ne  parlure  obscure  à  entendre  ne  vouloient  passw 
oultreles  ducs  d'Angleterre  qui  là  estoient  ' ,  qu'elle  ne 
fuist  justement  examinée  et  visitée  et  mise  au  der  ;  et  »  se 
riens  y  avoit  de  différent  ou  de  contraire  à  leur  entende- 

*  Et  principalement  les  Angtois  celles.  — -  *  Présens. 


Digitized  by 


Google 


BRTRB  hk  FRAIICB  ET  l'ÀNGLETERRE.  ii5 

ment ,  ils  le  faisoient  en  lear  présence  canceller  et  amender, 
et  disoient  bien  que  ils  ne  vouloient  riens  mettre  ,  ne  làis- 
ner  en  tonrble  ;  et,  pour  euls  raisonnablement  excuser,  ils 
disoient  bien  que  le  françois  que  ils  avoient  apris  chiés 
eulx  d'en£ance  ,  n'estoit  pas  de  telle  nature  et  condition  que 
celluy  de  France  estoit  et  duquel  les  clers  de  droit  en 
leurs  traittiés  et  ^  parlers  *  usoient. 

Tels  oblicques  et  propositions  que  je  vous  remonstre, 
^  alongèrent  ^  moult  les  traittiés  et  aussi  que  les  Ânglois  se 
tenoient  francs  de  mettre  à  effect  la  charge  dont  ils 
estoient  chargiés  de  par  le  général  concilie  d'Angleterre  ; 
car  ils  demandoient  à  ravoir  en  restitution  toutes  les  terres 
et  appendencès  qui  à  la  duchié  d*Acquitaine  appartenoient , 
et  les  prouffis  qui  levés  en  avoient  esté  depuis  la  guerre 
renouvellée,  laquelle  chose  les  Franchois  n'eussent  jamiais  " 
accordé. 

Bien  vouloient  donner  les  François  aux  Anglois  les  pays 
de  Tharbe  et  de  Bigorre ,  la  terre  et  le  pays  d'Agen  et 
d*Agenoi3,la  terre  et  le  pays  de  Pierregort  et  de  Pierreguis, 
mais  de  Chaours,  de  Rouergue,  de  Quaoursin  et  de  Lymosin 
ils  ne  vouloient  riens  baillier,  ne  délivrer,  ne  de  la  conté  de 
Ponthieu,  ne  de  la  conté  de  Ghines  non  plus  avant  que  les 
Anglois  en  tenoient  au  jour  de  ces  traittiés.  Si  furent  les  sei- 
gneurs plus  de  quinze  jours  sus  cel  estât,  et,  au  conclurre  ce 
traittié  tant  seulement,  les  quatre  ducs  ordonnèrent  que  tout 
ainsi  que  '  proposé  estoit  et  Ordonné  Tavôient,  ils  le  signif- 
fleroient  aux  deux  roys  ,  les  deux  ducs  d'Angleterre  au  roy 
d'Angleterre,  et  les  deux  ducs  de  France  au  roy  de  France, 
et  ^  venroient  &  Abbeville  et  luy  remonstreroient  ces  trait- 
tiés et ,  se  plus  '  esliurguir  '  il  se  vouloit  de  donner  aux 

"  Parlures..  Parlemans.  —  ^  EBloignôrent.  —  •  Fait ,  ne.  — 
*  Anûablement.  —  ^  Pour  ce  fidre  d'une  part.  —  ***  Bslargir. 


Digitized  by 


Google 


110  LA  PAIX  BST  COnCLUB 

Anglois  y  point  ils  ne  le  débateroient  ;  mais  ils  prioient 
amoureusement  à  leurs  cousins  d'Angleterre  que  doulcement 
ils  voulsissent  ces  traittiés  escripre  et  signifier  au  roy  d*An* 
Çleterre,  lequel  monstroit  et  avoit  monstre  depuis  deux  ans 
que  grande  afiTection  il  avoit  de  veoir  paix  entre  France  et 
Angleterre ,  leurs  conjoinds  et  leurs  ahers. 

Las  deux  ducs  d'Angleterre  leur  ^  eurent  en  oonyenant  ' 
que  ainsi  le  feroient ,  et  devés  sayoir  ,  sicomme  je  fus 
*  infpurmé  de  la  vérité  ,  que  le  duc  de  Glocestre  estoit  trop 
plus  fort  à  brisier  que  ne  fuist  le  duc  de  Lancastre  ,  et  pour 
ce  que  bien  savoient  son  oppinion  ceulx  d'Angleterre  qui 
plus  chier  avoient  la  guerre  que  la  paix ,  y  fut-il  envoie  ; 
car  bien  sçavoient,  que  riens  ne  passeroit»  que  ce  ne  fuist 
grandement  à  Tonneur  de  leur  partie  tant  que  il  y  seroit. 
Si  se  départirent  les  seigneurs  ,  c'est-à-entendre  les  quatre 
ducs,  amiablement  Tun  de  l'autre ,  et  pour  estre  là  au  IX^ 
jour  de  ce  département,  et  retournèrent  les  deux  ducs 
d'Angleterre  à  Calais,  et  les  deux  autres  ducs  &  Boulongne 
et  puis  vindrent  à  Abbeville. 

Quant  ils  furent  venus  en  la  bonne  ville  d'Abbeville,  ils  y 
trouvèrent  le  roy  de  France  qui  là  s'esbatoit  et  tenoit  moult 
voulentiers  ;  car  en  Abbeville  il  y  a  autant  d'esbatemens  et 
de  plaisances  que  en  cité,  ne  en  ville  qui  soit  en  France ,  et 
audedens  de  la  ville  d' Abbeville  a  ung  jardin  moult  bel 
enclos  environnéement  de  la  belle  rivière  de  Somme ,  et  là 
dedens  ce  clos  se  tenoit  le  roy  de  France  bien  voulentiers, 
et  le  plus  des  jours  il  y  soupoit ,  et  disoit  à  son  frère  d'Or- 
léans et  à  son  conseil  que  le  séjour  d'Abbeville  luy  faisoit 
grant  bien. 

Pour  ces  jours  estoit  aveuc  le  roy  de  France  le  roy  Lion 
d'Erménie,  et  estoit  tout  nouvellement  revenu  de  Grèce  et 

V  Promirent.  —  •  Adont. 


Digitized  by 


Google 


ENTEB  LA  FRAMCB  ET  L*ANGLETBERB.  117 

de  éeasas  les  frontières  de  son  pajs  ;  car  dedens  n*aypit-il 
point  entré ,  ne  entrer  n*y  povoit  »  se  il  ne  se  vouloit  per- 
dre. Car  les  Tors  Favoient  conquis  et  le  tenoient  de  force 
contre  toutes  les  nations  qui  guerre  leur  vouloient  £aire^ 
réservé  ^  la  forte  ville  de  Courch  séant  sur  la  mer,  que  les 
Jennevois  tenoient  et  gardoient  pour  la  doubtance  des  Turs, 
ear,  se  les  Turs  avoient  ce  port,  ils  feroient  des  mauls  sans 
nombre  aux  Gypriens  et  autres  nations  chrestienhes  sur  les 
confins  de  Rodes  et  de  Candie  ,  et  euist  moult  voulentiers 
▼eu  le  roy  d*Erménie  que  bonne  paix  fuist  entre  France  et 
Angleterre  à  la  fin  que  chevalliers  et  escuiers  qui  les  armes 
demandent ,  fuissent  aies  en  Grèce  et  luy  euissent  aidie  le 
royaulme  d'Erménie  à  conquérir  et  recouvrer. 

Quant  les  oncles  du  roy  de  France  furent  venus  à  Abbe- 
ville,  le  roy  les  vey  voulentiers  * ,  ce  fut  raison  ,  et  leur 
demanda  des  traittiés  comment  ils  se  portoient  '.  Ils  luy  en 
recordèrent  toute  la  pure  vérité  et  sus  quel  estât  *  ils  s'es- 
toient  départis.  De  tout  ce  fut  le  roy  content  et  très-resjouy, 
et  monstroit  assés  que  il  désiroit  la  paix. 

Pareillement  les  deux  ducs  d'Angleterre ,  c*est-assavoir 
le  duc  de  Lancastre  et  le  duc  de  Glocestre  ,  qui  retournés 
estoient  à  Calais  ,  escripsirent  tous  les  poins  et  articles  des 
traittiés:  proposés,  et  puis  les  séellèrent,  et  les  envoyèrent 
devers  le  roy  d*Engleterre  leur  nepveu ,  et  tellement  y 
besûingna  que  depuis  ils  en  eurent  moult  bonne  response  et 
assés  briefve.  Et  leur  escripvy  le  roy  que  ils  procédassent 
avant  sur  fourme  de  paix  ;  car  la  guerre  avoit  assés  duré  et 
que  ce  n*estoit  que  destruction  de  pueple  et  de  pays  et 
ocdsion  de  chevallerie,  dont  crestienneté  estoit  afibiblie , 
et  ce  pourroit  ou  temps  advenir  touchier  trop  grandement 

*  Toat  entièrement.  —  *  Et  leur  fiât  très-bonne  chière.  —  'Et 
comment  toot  en  aloit.  —  *  Et  manière. 


Digitized  by 


Google 


il8  LÀ  PAIX  EST  GONGLUB 

aux  terres  crestionnes ,  et  jà  s'avanchoit  fort  rAmorath- 
Baquin  et  ses  enffans  et  les  Turs  pour  venir  ou  royaulme 
de  Honguerie ,  et  se  tenoit  sus  la  terre  que  on  dist  la 
*  Blacquîe  *,  et  de  ce  avoient  eu  le  roy  de  France  et  le  roy 
d'Angleterre  lettres. 

'  Advind  ce  terme  pendant  que  au  terme  des  jours  que  les 
quatre  ducs  avoient  assignés  de  retourner  et  venir  à 
Lolinghem  pour  tenir  leur  journée  de  parlement ,.  tous  y 
furent,  et  aveuc  les  seigneurs  de  France  y  vint  le  roy  d*Er- 
ménie  pour  remonstrer  à  ceulx  d'Angleterre  la  nécessité  de 
ses  besoingnes,  et  par  espécial  il  estoit  bien  congneu  du  duc 
de  Glocestre,  car  il  avoit  esté  en  Angleterre  en  celle  saison 
que  l'armée  de  France  se  ordonnoit  pour  venir  à  l'Ësduse 
et  de  là  aler  ^  Angleterre  ,  et  l'avoit  le  dit  duc  de  Gloces- 
tre  très-honnourablement  receu  en  ung  sien  chastel  et  belle 
place  et  grant  habitation  qui  siet  en  Excesses ,  et  est 
nommé  le  dit  chastel  ^  Plaissy  ^.  De  rechief  les  deux  ducs 
de  Lancastre  et  de  Glocestre  frères  luy  firent  là  très-bonne 
chière  et  belle  recoeillote,  et  par  espécial  le  duc  Thomas  de 
Glocestre  pour,  tant  que  il  Tavoit  autreffois  veu  ,  et  l'oyrent 
les  deux  ducs  youlentiers  parler  de  ses  besoingnes,  et  l'en 
respondirent  doulcement  et  gracieusement  en  disant  que 
voulentiers  et  de  cuer  ils  y  adrescheroient ,  et  tant  que  le 
roy  d'Erménie  se  contempta  de  eulx  grandement. 

A  ces  parlemens  ot  plusieurs  traittiés  et  procès  mis  avant» 
et  s'estoit  tenu  ung  grant  temps  le  cardinal  de  la  Lune  en 
la  ville  d'Abbeville  ,  et  logié  aux  Frères-Cordeliers  sur  la 
rivière  de  Somme  ,  et  estoit  là  envoyé  en  légation  de  par 

*-*  Valaquie..  —  '  Or  ce  pendant  qu'en  AbbeviUe  et  aux  terres  'voi- 
sineR  estoyent  le  roy  de  France  et  tes  oncles  Berry  et  Bourgongne,  et 
que  les  Anglois  à  Calais  et  prés  de  Calais  s'esbatoyent.  —  ^'  Plaussi.. 
Plauscy. 


Digitized  by 


Google 


BRTRB  LA  FRAMGB  BT  L*AlfGLETBBRB.  149 

ooUay  qui  8*app6lIoit  pape  Clément  pour  le  fait  de  TÉglise, 
et  si  EYoit  voulu  proposer  en  leurs  parlemens  et  concitoires 
^•aucuns'  articles  touchansàla  matière  de  TÉglisepour 
soustenir  les  oppinions  de  ce  Clément  nommé  Robert  de 
Jeunes.  Mais  quant  les  deux  ducs  d* Angleterre  en  voiront  la 
manière ,  ils  alèrent  au  devant  grandement  et  sagement  » 
et  dirent  aux  deux  ducs  leurs  cousins  de  France  :  «  Ostés- 
f  nous  ce  légat.  Nous  n'avons  que  faire  d'entendre  à  ses 
«  paroles.  Ce  n*est  que  toute  charge  sans  prou£Bit  et  sans 
«  i^ect.  Nous  sommes  déterminés  à  pape  auquel  nous  obéis- 
f  sons  et  voulons  obéir.  Si  n'avons  que  faire  de  oyr  parler 

•  à  rencontre ,  et ,  se  il  venoit  avant  sur  nos  traittiés  par 
«  la  &veur  de  vous ,  nous  clorrions  tous  nos  parlemens 
«  et  nous  en  retournerions  arrière.  » 

Depuis  ceste  parole  ditte ,  on  ne  oy  nulles  '  nouvelles  ^ 
du  dit  cardinal  de  Lune  ,  mais  se  tint  tout  quoy  en  Abbe- 
ville ,  et  les  seigneurs  alèrent  avant  en  leurs  traittiés. 
Finablement  tant  furent  ces  traittiés  et  parlemens  démenés 
que  les  conclusions  furent  bonnes ,  et  se  contemptèrent 
toutes  les  parties  ;  car  les  quatre  ducs  veoient  que  les 
quatre  roys  s'enclinoient  grandement  ad  ce  que  paix  fuist 
entre  leurs  royaulmes,  leurs  conjoins  et  leurs  ahers ,  et 
moult  doulcement  le  roy  de  France  en  avoit  parlé  au  duc 
de  Lancastre,  quant  il  fut  aux  parlemens  à  Amiens  Tan  en- 
devant,  et  luy  avoit  dit  au  département  :  «  Beaulx  cousins, 

•  je  vous  prie  que  vous  exploittiés  tant  de  vostre  costé  que 
^f  bonne  paix  soit  entre  France  et  Angleterre  et  entre 
f  toutes  parties  :   si  sera  aidié  nostre  cousin  le  roy  de 

•  Honguerie  contre  FAmorath-Bacquin  qui  est  tant  fort  et 
«  tant  puissant  en  Turquie.  »  Le  duc  de  Lancastre  avoit 
respondu  ad  ce  et  avoit  dit  que  tout  son  plain  povoir  il  en 

•-■  Plnnean.  —  ^  Parole». 


Digitized  by 


Google 


-'19B  LA  PUT  tn  COKCLBE 

feroH,  et  ce  flst-il  yraiement,  car  par  lûjret  par  ses 
remonstrancesau  roy  d*Angleterre  son  nepyeu,  à  son  frère,  à 
tous  les  coBsaux  du  pays  et  du  royaume  d'Angleterre  ce 
second  parlement  fut  remis  ensemble  à  Lolinghem  pour  y 
fSEÛre  paix  ou  bon  accord,  Tonneur  d'Angleterre  gardée.  Son 
frère  le  duc  de  Glocestre  y  estoit  assés  plus  fort  que  il  ne 
fuist ,  et  ressoingnoit  les  ^  cavillations  '  et  déceptions  des 
paroles  ^  coulourées  ^  et  entonllies  des  François,  et  disdt 
que  les  François  vouloient  tousjours  '  luittier  ^  les  deux  bras 
desseure ,  et  si  en  dit  tant  que  les  parties  s*en  perdiurent. 
Et  vint ,  ce  me  semble  »  ung  ^  eecuier  *  d'honneur  nommé 
Robert  Ffirmite,  et  estoit  du  conseil  de  la  chambre  du  tqj 
de  France,  devers  le  duc  de  Glocestre,  je  ne  scay  se  il  y  fut 
envoyé  ou  se  il  y  vint  de  luy-meismes  ;  mais  il  dist  ûnsi  au 
duc  de  Glocestre  (car  le  dit  duc  me  compta  depuis  toutes  ces 
paroles  en  son  *  chastel  '^  de  Plaiscy)  :  «  Monseigneur,  pour 
«  le  saint  amour  de  Dieu ,  ne  vueilliés  point  brisierles 
t  articles  de  la  paix  ^^ ,  car  vous  veés  comment  nos  sei- 
«  gneurs  de  France  y  mettent  grant  diligence,  et  vous  ferés 
a  fleurie  aumosne ,  car  la  guerre  a  trop  duré,  et  quant 
«  temps  est  et  que  les  deux  roys  le  veullent ,  tous  leurs 
«  prochains  et  subgets  y  doivent  bien  obéyr.  »  —  f  Robert, 
«  Robert,  respondy  le  duc  de  Glocestre,  je  vueil  bien  à  tout 
tt  ce  adreschier ,  et  point  n'y  suis  contraire ,  ne  rebelle  ''  ; 
«  mais  entre  vous  de  France  avés  tant  de  paroles  coulou* 
t  rées ,  lesquelles  sont  obscures  à  nostre  entendement ,  que 
a  quant  vous  voulésil  est  guerre ,  et  quant  vous  voulés , 
«  il  est  paix  ;  et  ainsi  nous  avés-vous  mené  jusques  à  pré- 
•  sent ,  et  ainsi  vous  determinés-vous  tousjours  tant  que 
«  vous  soies  venus  à  vostre  ^'  attainte  ^^.Et,  se  monseigneur 

*-•  ContentioDui.  —  *■*  Contournées.  —  •^  Lntter.  —  '-*  Cheyalier.  — 
*'*'  Hostel.  —  "  Dût  che  Robert.  —  "  Mais  que  en  paix  paix  soit. — 
«»•"  Entente. 


Digitized  by 


Google 


BRTu  ià  nuMa  n  l'auglbteuui.  lil 

«  m*èDea&t  créa  et  la  gragneor  partie  de  son  royaulnie 
«  qm  iaillîés  aont  de  laj  Bervir  et  aidier,  jamais  paix 
m  n'einat  esté  entre  France  et  Angleterre  tant  que  toot  nous 
€  enist  esté  bien  restitoé  ce  qne  tolln  on  nons  a  et  sans 
s  canse  par  canteUes  sonbtives,  ainsi  que  Dieu  scet  et  tons 
s  cdttlx  qui  veulent  raison  oongn(Hstre  et  entendre.  Et 
c  puisque  monseigneur  se  encline  à  la  paix ,  de  ce  avés- 
c  vous  cause  de  parler  «  c^est  raison ,  que  nous  le  vueillons 
«  aussi  ;  et  «  se  paix  est  ainsi  que  les  deux  roys  le  délirent 
•  et  pour  quoy  nous  sommes  cy  assamblés,  elle  soit  bien  tœne 
«  de  vostre  costë,  et  elle  sera  bien  tenue  du  nostre.sSur  ces 
parx>}es  se  départy  le  duc  de  Glocestre  de  ce  Robert  l'Ermite» 
et  pristcongië  et  vintentre  ses  gens  et  entra  en  antres  paroles. 

Je  ne  TOUS  vneil  pas  tenir ,  ne  prolongier  ^  ces  procès  *  ; 
mais  je  Tueil  venir  à  condusion»  car  la  matière  le  désire. 
Les  quatre  ducs  qui  là  estoient ,  qui  j^aine  puissance 
avoient  de  leurs  deux  souverains,  c*est-ft-entendre  des  deux 
roys  de  France  et  d'Angleterre,  proposèrent  et  parlementè- 
rent tant  seulement  (car  povoir  irvoient  de  donner  trièves  et 
accorder  paix)  sique  renommée  générale  couru  parmyla 
ville  de  AbbeviUe  que  paix  estoit  emprise  sur  certains 
articles  entre  le  roy  de  France  et  le  roy  d'Angleterre,  leurs 
CKmjoints  et  leurs  ahers  ;  mais  je  ,  acteur  de  ceste  histoire  , 
qui  pour  ce  temps  séjonmoie  en  Abbeville  pour  oyr  et  pour 
savoir  des  nouvelles,  ne  peuls  pour  lors  ent  savoir  la  vérité, 
comment  la  paix  estoit  '  comprise  ^ ,  fors  tant  que  unes 
trièves  furent  prinses  à  durer  quatre  ans  et  à  tenir  fermes 
et  estables  par  mer  et  par  terre  de  toutes  parties ,  et  estoit 
advisé ,  ymaginé  et  considéré  en  Tadvis  et  ymagination  de 
œulx  qui  à  ce  parlement  avoient  esté,  que  avant  les  quatre 
ans  accomplis  tout  seroit  rendu  et  délivré  au  roy  d'Angle- 
• 

V  Ce  propos.  —  »**  Empriao. 


Digitized  by 


Google 


IB  LA  un  UT  OOnCLUB 

teire  et  &  ses  commis  les  terres  et  les  seigneuries  qui  en  la 
Languedoch  sont ,  qui  deToient  venir  et  retourner  au  roy 
d'Angleterre,  et  à  tous  jours  perpétuellement  seroient  au  . 
roy  d'Angleterre  venans  et  descendans  ,  et  au  domaine 
et  héritage  de  la  couronne  d'Angleterre.  Et  parmy  ces 
ordonnances  accomplies  et  les  lieux  livrés  aux  Anglois  et 
les  terres ,  villes ,  cités  et  chasteaulx  bailliés  et  délivrés 
aux  dis  Anglois  sur  la  fourme  et  ^  ordonnance  '  que  escript 
et  nommé  estoit  entre  les  parties  ,  les  deux  frères  dô  Lan- 
castre  et  de  Glocestre  '  dévoient  faire  vuidier  aucuns  capi- 
taines et  leurs  hommes  qui  tenoient  aucuns  fors  ou  domaine 
du  royaulme  de  France,  et  tous  ceulx  faire  partir  et  aler 
Jeur  voye,  qui  guerre  avoient  faite  et  faisoient  soubs  Tombre 
du  roy  d'Angleterre  et  des  Anglois  de  quelque  nation  que 
ils  fuissent  ;  et  de  toutes  ces  paroles  et  prommesses,  les  sei- 
gneurs et  leurs  consauls  estans  à  Lolinghem  ^,  lettres  en 
fui«(9nt  levées ,  jettées,  grossées  et  séellées,  et  les  copies 
envoyées  aux  deux  roys.  Et  pour  ce  que  le  roy  Ridiard 
d'Angleterre  avoit  très-grande  affection  à  oyr  certaines 
nouvelles  de  la  paix,  ses  deux  oncles  qui  là  séjoumoient , 
prindrent  ung  hastif  messagier  et  ung  certain  vallet,  ung 
hérault  que  on  appelloit  ^  Marche  *  et  roy  d'armes  d'Angle- 
.terre ,  et  rescripvirent  par  luy  au  roy  d'Angleterre  toute 
l'ordonnance  du  procès  dernièrement  traittié  et  conclud  et 
conditionné  sur  fourme  de  paix  ,  et  ainsi  l'entendoient  et 
avoient  arresté  toutes  les  parties. 
.  Le  hérault  dessus  nommé,  quant  il  eut  les  lettres  4es4eux 
ducs  de  Lancasire  et  de  Glocestre  frères  ,  fut  grandement 
resjouy  et  se  départy  des  tentes  des  Anglois ,  et  vint  à 
.Calais  et  loua  ^  ung  batel  *  de  pescheurs  pour  luy ,  et  se 

*■•  Manière.  —  •  Ponr  obvier  À  toute  caatelle.  —  *  Obligiâi.  — 
••Marke.  —  ^■•Unenef. 


Digitized  by 


Google 


■MTRE  hkfWàaCE  SI  l'anglbtbreb.  12S 

fist  du  plus  tost  comme  il  peut  '  bouter  *  oultre ,  et 
exploitta  tact  le  maronnier  à  Tajde  de  Dieu  et  du  vent  que 
ils  vindreot  à  Douvres^  et  depuis  chevaucha  tant  le  bérault 
sur  haguenée,  que  il  vint  en  ung  manoir  delés  Londres 
où  il  trouva  le  roy.  Si  trestost  comme  il  fut  venu  en 
Londres ,  on  le  '  mena  ^  en  la  chambre  du  roy  pour  tant 
qiia  il  venoit  de  Calais  et  des  deux  ducs  de  Lancastre 
et  de  Glocestre  qui  au  traittié  de  paix  avoient  esté  et 
encoires  estoient;  si  luy  bailla  les  lettres.  Le  roy  les 
ottvry  ^t  lisy ,  et  de  ce  que  dedens  trouva  ' ,  il  ot  grant 
joye ,  et  pour  les  bonnes  nouvelles  que  le  hérault  avoit 
apportées ,  il  luy  ^  en  fist  grant  prouffit  de  dons  ^  de  pré- 
sens et  de  rentes  annuelles  '',  sicomme  le  hérault  nommé 
Marche  ou  le  Roy  Marche  me  dist  depuis  à  grant  loisir  en 
dbevauchant  aveuc  luy  ens  ou  royaulme  d'Angleterre. 

Or  retournons  aux  traittiés  et  aux  seigneurs  de  France 
et  d'Angleterre,  qui  estoient  encoires  àLolinghem;  car  quant 
ils  vouloient ,  ils  séjoumoient  en  leurs  tentes  et  pavillons 
que  ils  avoient  là  ûdt^  tendre  et  *  appareillier  *  si  grande- 
ment, et  si  eçtofféement  que  merveilles  estoit  à  considérer  , 
et  entendoient  à  ce  que. les  lettres  fuissent  si  bien  vérifiées 
que  nulle  chose  de  tourblé  ,  ne  de  obscur  qui  touchast  à 
empeschement»  n*y  peuist  estre  entendu ,  ne  veu  ;  et  de  ce 
avoient  les  Anglois  grant  seing  et  diligence.^.et  voubient 
bien  tous  ces  articles  et  traittiés  "  proposer  "  et."  escruti- 
ner  ",  avant  que  ils  le  séellassent,  ne  voulsissent  passer,  et 
toutes  ces  paroles  justement  entendre. 

Or  y  sourvint  ung  trop  grant  empeschement,  par  quoy  les 
traittiés  oti  on  avoit  tant  labouré  et  tant  traveillié  »  furent 
sur  le.  point, d*estre  tous  perdus  et  brisiés  ;  .et  la  matière 


•-•  Passer.  —  *-*  Feîst  entrer.  —  •  Telle  affection  avoit-il  à  la  paix. 
••»  Donna  grans  don».  —  *"*  Parer.  —  *^**  Voir.  —  ••■••  Examiner. 


Digitized  by 


Google 


4M  iiA  PAIX  lurr  GOReuiE 

dont  oe  advint ,  je  le  von»  esclarchiray ,  car  <m  doit  parier 
justement  de  tontes  choses  »  aflBn  qne  les  histoires  en  soient 
tenues  pour  véritables. 

Vous  sçavës,  sioomme  il  est  c/nlessas  contenu ,  que  le 
roy  Charlee  de  France  ot  grande^  occoison*  d'estre  et  séjour- 
na en  la  boime  ville  d*Abbeville  ung  grant  temps  ,  et  les 
longs  séjours  venoient  par  la  cause  de  leurs  procès  et 
traittiés  qui  se  fitisoient  et  se  firent  en  celle  saison  entre 
les  parties  dessus  dittes.  Sur  la  conclusion  *  de  leurs  pro- 
cès ^ ,  le  duc  de  Lencastre  et  le  duc  de  Glocestre  misrent 
en  ternie  et  proposèrent  qne  c*estoit  Tintenticm  du  roy 
Richart  d'Angleterre  et  de  tout  son  conseil ,  que  le  pi^ 
Boniface  estant  à  Romme,  lequel  les  Rommains ,  les  Aie- 
raans ,  les  Hongres ,  les  Ytaliens ,  les  Vénitiens ,  les 
Anglois  et  *  toutes  les  nations  du  monde  crestiennes 
tenoient  à  vray  pape  «  fors  seulement  la  nation  de  France  » 
fuist  tenu  à  pape ,  et  celluy  qui  Clément  se  nommoit  et 
escripvoit ,  fuist  dégradé  et  condempné.  Et  dirent  les  deux 
ducs  d'Angleterre  et  proposèrent  que  de  ce  ils  avoient 
charge  espé<siale  des  trois  estas  du  royaulme  d'Angleterre. 

Quant  le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  étendi- 
rent ces  procès,  pour  leurs  cousins  d'Angleterre  complaîk^ 
et  saouler^  et  que  les  traittiés  de  trièves  et  de  paix  à  suppo- 
ser, qui  tant  leur  avoient  cousté,  demouMssent  et  poussent 
demeurer  fermes  et  entiers ,  ils  demandèrent  très-amiable^ 
ment  à  avoir  conseil  de  respondre  ;  on  leur  accorda.  Us  se 
conseilUèrent,  et  tantost  en  respondirent  et  sus  heure ,  et 
parla  et  remonstra  la  matière  le  duc  de  Bourgoingne  moult 
sagement ,  et  bien  le  sceut  faire,  et  pour  adouldr  et  *  amo- 
dérer  ^  Tymagination  de  leurs  cousins  d'Angleterre  qui  ce 

•^  Volonté.  —  **  Et  matière  de  leur  pais.  —  •  Presque.  —  •■»  Mo- 
dérer. 


Digitized  by 


Google 


BMTKB  tA  FKANCB  K  L'AnOLBTttU.  iS5 

avoient  proposé ,  dist  ainsi  :  «  La  matière  et  question  des 
t  deal  papes  n'est  pas  conyenable  pour  mettre  ea  fourme, 

•  ne  en  voye  sur  nos  traittiës,  et  noua  esmerveillonSt  mon 

•  firère  de  Berrj  et  moy,  pourquoy  7ou8  Favés  mis  et  pro« 
«  posé  en  ^  terme*  ;  car  ou  premier  chief  de  nos  traittiés  vous 
«  proposastes  et  feistes  proposer  que  du  eardinal  de  la 
i  Lune  le  légal  qui  9e  tient  et  séjourne  en  Abbeville,yousne 
«  Youlés  point  veoir  ,  ne  oyr  nulles  de  ses  paroles ,  et  sur 
i  oe  nous  sommes  fondés  et  arrestés  et  nous  fondons  et 
«  arrestons,  et  disons  ainsi  que  quant  les  eardinaulx  de 

•  Romme  esleurent  àpape  Urbain  et  puis  Boni&ce,  Urbain 

•  mort ,  à  Telection  nuls  de  nostre  costé ,  ne  du  Tostre  n'y 
c  furent  appelles  :  pareillement  aussi  à  l'élection  de  celluy 
€  quifi^appelle  Clément  «  quipourleprésent  setient^t  se- 
i  joume  en  Avignon.  Nous  ne  contredisons  pas  que  grant 
«  aumosne  seroit  de  euls  appaisier  et  unir,  qui  pourroit, 
t  mais  que  entendre  ils  y  voulsissent.  Nous  le  metterons 
t  derrière  et  en  laisserons  convenir  les  clers  de  l'université 

•  de  Paris,  et  quant  toutes  nos  besongnes  seront  conclûtes 
c  et  bien  et  '  en  fourme  de  ^  paix  de  nostre  partie,  aveuc 

•  le  *  conseil  et  moyen  du  *  concitoire  de  nostre  cousin  roy 
c  d'Âllemaigne ,  nous  y  entenderons  moult  voulentiers 
t  et  adrescherons ,  et  ^  ainsi  *  vous  de  vostre  partie./  » 

Geste  response  que  le  duc  de  Bourgoingne  âst ,  pleut 
asséa  à  ses  cousins  d'Angleterre,  et  leur  sembla  raisonnable 
et  acceptable ,  et  respondirent  les  deux  ducs  d'Angleterre  : 
c  Vous  avés  bien  parlé,  et  ainsi  soit  ^  que  proposé  et 
I  remonstré  Favés..  »  Si  demeura  la  chose  en  bon  estât , 
coQuiie  en  devant  ;  mais  encoires  y  ot  sus  la  conclueion  de 
ions  leurs  procès  et  traittiés  ung  grant  empeschement ,  <^ir 
le  roy  de  France  qui  tout  l'esté  jusques  près  de  la  Saint- 

•-'  Termes.  —  " Ferme.  —  ••  Moyen  da  congeil et,  —  '"•  Atuwi.  »- 
•Fait 


Digitized  by 


Google 


iiB  PAIX  ERTRE  t.  FRAIICB  BT  li'^AHGLBTBltiB. 

Jehan-Baptiste  8*estoit  tenu  en  la  Tille  d*Abbeville  j^oor  la 
cause  des  beaulx  et  grans  esbatemens  qui  y  sont ,  retourna 
en  la  maladie  de  frénaisie  ,  sicomme  Tannée  en  devant 
avoit  esté ,  et  se  tenoit  et  estoit  tenu  en  l'abbaye  de  Saint- 
Pierre  ;  et  celluy  qui  premièrement  s*en  '  i^erceu ,  oe  fut 
messire  Guillemme  Martel,  ung  chevallier  de  Norméndie  et 
pour  son  corps  le  plus  prochain  que  le  rojeuistensa 
chambre,  et  lors  estoient  le  duc  de  Berry  et  le  duc  de 
Bourgoingne  ft  Lolinghem  sur  la  an  de  leur  parlement ,  et 
avoient  aiilsi  que  tout  conclud  de  ce  que  faire  et  conclure 
se  povoit  pour  la  saison ,  et  si  tost  que  le  duc  d*Orléans 
frôre  du  roy  dé  France  fut  infourmé  de  ceste  incidence  ,  et 
il  ot  veu  le  rôy  en  ce  party  où  i|  estoit,  il  le  signiiBa  à  ses 
oncles  ,  et  y  envoya  ung  ûen  escuier  le  plus  prochain  que 
il  euist ,  que  on  appelloit  BoniSstce  ,  gracieux  homme 
grandement. 

Quant  les  deux  ducs,  oncles  du  roy ,  scearent  les  nou- 
velles de  ceste  *  advenue  ,  si  leur  tourna  à  grant  dés^ 
plaisance ,  et  se  départirent  du  plus  tost  que  ils  peurent,  et 
jà  avoient  prins  congié  à  leurs  cousine  d'Angleterre,  lesquels 
s'estoient  rettrais  et  retournés  &  Calais  ,  et  attendoient  lÀ  à 
oyr  nouvelles  du  roy  de  Navafre  et  du  duc  de  Bretaigne  ;* 
car  proposé  avoit  esté  en  ces  parlemens  que  le  chastel  dé* 
Chièrebourg  séant  sus  la  mer  et  sus  le  clos  de  Constentin  en 
Norméndie,  lequel  chastel  le  roy  d'Angleterre  avoit  en  garde 
et  en  gaige,  ce  m'est  advis,  pour  LX"  nobles  d'Angletefrre , 
le  roy  de  France  devoit  paier  les  deniers ,  et  le  chastel 
devoit  retourner  au  roy  de  Navarre ,  et  aussi  le  '  chastel  de 
Brest  pareillement,  que  les  Anglois  tenoiént,  devoit  retour*' 
ner  au  duc  de  Bretaigne. 


'  Airitaet.  7-  *  Incidence  et.  —  '  Fort. 


Digitized  by 


Google 


MALADIE  DU  ROI  DB  FRANGE.  iS? 

Le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  n  attendoient 
point  la  conduaion  de  ces  procès  ,  mais  s'en  yindrent  en 
Âbbeville  et  trouvôrent  le  roy  en  petit  estât  de  santé  ,  dont 
ils  forent  tous  courrouohiés,  et  aussi  forent  tous  ceulx  qui 
Tamoient.  La  maladie  du  roy  de  France  fot  cellée  et  tenue 
secrette  tant  que  on  polt ,  mais  ce  ne  fot  pas  moult  longue- 
ment ;  car  teles  advraues  sont  tantost  ^  escandalisées  *  et 
sceues,  et  se  espardirent  partout.  Si  se  départirent  tous 
seigneurs  qui  en  Abbeville  estoient,  l'un  après  Tautre,  tout 
bellement ,  et  s^en  retournèrent  sur  leurs  lieux.  On  ordon- 
na à  entendre  au  roy  ,  ce  fot  raison  ,  et  fot  regardé  et 
advisé  oCi  il  seroit  mis  et  amenés.  Âdvisé  fot  que  il  seroit 
amené  en  une  littière  ens  ou  cbastel  de  Craeil-sur-Oise  ,  oCi 
autreffois  il  avoit  esté.  Là  fot-il  amené  et  tout  de  nuit  ; 
car  lesjours,pourlachalleur  et  force  dusoleil,on  sëjoumoit, 
et  les  nuits  on  dieminoit. 

Le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourbon  chevauchièrent 
en  la  compaignie  du  roy  jusques  à  Graeil ,  et  le  duc  de 
Bourgoingne  8*en  ala  en  Artois  et  en  Flandres  tout  visitant 
'les  ^  pays,  et  retourna  la  duchesse  sa  femme  ens  ou  cbastel 
de  Hesdin.  On  ne  parloit  mais  du  seigneur  de  la  Rivière  »  ne 
de  messire  Johan  le  Merchier.  On  les  avoit  ainsi  que  tout 
oubliés,  ne  nul  ne  propoaoit  pour  leur  grevance,  ne  pour  leur 
délivrance  ;  car  encoires  la  seconde  maladie  où  le  roy  de 
France  estoit  rencheu,  les  excusoit  et  ^  descouppoit  *  grande- 
ment de  la  renommée  du  peuple  ;  et  avoient  bien  les  gens 
du  royaulme  de  France  celle  congnoissance  que  le  roy  par 
incidence  corporelle  et  par  les  grans  excès  en  plusieurs 
manières  que  du  temps  passé  il  avoit  fais  en  boire  et  %a 
mengier  hors  heure  et  autrement  et  par  grant  foiblesae 
de  chief  il  s'endinoit  ^  mpult  *  fort  à  cheoir  en  maladie. 

*^  Publiées, —  •-*  Ses.  —  "^  Dîflcolpoit.  — '-•Trop. 


Digitized  by 


Google 


iS^  iuEcnoii 

Oresestoit  regretté  grandement  de  tons  cenlx  qui  ajmoient 
et  désiroient  à  veoir  le  roj  en  bonne  disposition  et  santé 
de  sa  personne,  maistre  Gniilemmede  Harselly;  le  bon  méde- 
chin,  qui  mort  nouvellement  estoit,  et  ne  scayoient  bonne- 
ment les  plus  prochains  du  roy  où  recouvrer  de  médecbins 
sages  et  prudents  et  qui  bien  se  oongneussent  en  la  maladie 
duroy.  Toutesfois  il  se  convenoit  passer  et  aydier  de  ce  que 
onpoYoit  trouver  et  avoir^  quant  autre  chose  on  n*en  povoit 
faire. 


Bn  ce  temps*  ou  mois  de  septembre,  trespasisa  de  ce  siècle 
ens  ou  palais  de  Avignon  Robert  de  Jennes,  cy-dessus  nomtné 
en  nostre  histoire  papeClëment,  etadvintde  luy  ce  que  tous- 
jours  il  avoit  proposé  et  mis  avant ,  quant  on  ^  parlement 
toit  '  de  la  paix  et  unité  de  rÉglise  ,  que  il  morroit  pape. 
Voirement  le  moru-il  sus  la  fourme  et  estât  que  vous  sçavés. 
Du  tort  ou  du  droit ,  je  n*en  vueil  point  déterminer  ,  car 
tant  comme  à  mby  point  ne  appartient. 

Or  furent  lea  cardinauls  d*Avignon  tous  esbahis ,  çom-^ 
ment  entre  euk  et  de  l'un  d'eulx  ils  feroiènt  pape  ,  et 
eurent  conseil  que  ils  se  metteroient  en  conclave ,  et  se 
délivreroient  de  faire  ung  pape,  et  jà  commencoit  à  retour- 
ner en  santé  le  roy  Charles  de  France  ,  de  quoy  tous  ceulx 
qui  Faymoient  et  qui  ces  nouvelles  ouoient  voulentiers , 
estoyent  resjoys.  Et  la  bonne  royne  de  France,  une  trds- 
vaillant  dame  ,  qui  Dieu  doubtoit  et  aymoit ,  en  avoit  esté 
en  grande  aiBiction  ,  et  en  avoit  fait  faire  plusieurs  belles 
aumosnes  et  processions  et  par  espécial  en  la  cité  de  Paris. 

Ad  ce  que  je  fuis  adont  infourmé,  ce  coll^  des  cardinaulx 
qui  en  Avignon  pour  ce  temps  se  tenoient ,  esleurentà 
pape  le  '  lë^  *  cardinal  dé  la  Lune.  A  parler  par  raison,  il 

•^  ParloU,  —  M  UgEt. 


Digitized  by 


Google 


DE  BENOIt  XIII.  129 

estoit  moult  saint  homme  et  de  belle  vie  et  contemplative  , 
mais  lelection  fut  faitte  par  condition  :  se  il  plaisoit  au  roy  de 
France  et  à  son  conseil ,  car  autrement  ils  ne  Toseroient 
accepter,  ne  porter  oultre.  Or  regardés  et  considérés  la  grant 
subjection  oa  TÉglise  par  son  fourfait  se  boutoit  et  haban- 
donnoit,  quant  euls  qui  francs  estoient  ou  {[eussent  estre,  se 
soubsmettoient  envers  ceulx  qui  prier  les  dévoient. 

Le  cardinal  de  la  Lune  qui  fut  esleu  pape  ,  on  luy  âst 
en  Avignon  toutes  les  solempnités  de  papalité  ,  et  fut  nom- 
mé Bénédic  et  ouvry  grâces  générales  à  tous  clers  qui  en 
Avignon  aler  vouloient,  et  *  escripvy  •  par  le  conseil  de  ses 
frères  les  cardinauk  de  sa  papalité  et  de  sa  création  au  roy 
de  France  ;  mais  il  me  fut  dit  que  le  roy  n'en  âst  pas  trop 
grant  compte,  cai*  encoires  n*estoit-il  point  conseillié  pour  sa- 
voir comment  il  en  feroit,  se  il  le  tenroit  à  vray  pape  ou  non, 
et  manda  les  greigneurs  clers  en  prudence  qui  fuissent  en 
Tuniversité  de  Paris  pour  avoir  conseil  et  '  collation  à  *  euls, 
maistre  Jehan  de  Guignicourt  et  maistre  Pierre  *  de  Talion*, 
lesquels  estoient  en  prudence  et  en  science  les  plus  grans 
clers  de  Paris  et  les  plus  agus.  Bien  dirent  au  roy  ces  deux 
clers,  et  aussi  firent  autres,  que  ce  cisme^  corrompoit  la  foy 
crestienne  et  que  celle  chose  ne  povoit  longuement  ^ 
demeurer  en  cel  estât,  que  il  ne  convenist  que  la  crestienneté 
euist  à  souffrir  ,  et  par  espécial  les  '  paistres  '^  de  TÉglise  , 
et  ne  furent  pas  adont  conseilliés  ceulx  de  Tuniversité  de 
Paris  d'envoier  roUes  pour  les  clers  grâces  avoir  en  Avignon 
devers  ce  pape  Bénédic.  Et  quant  le  roy  "  de  France  vey 
leur  oppinion  ,  il  luy  fut  advis  que  elle  estoit  raisonnable  et 
que  aussi  pour  ses  clers  pryer  ,  ne  de  envoyer  relies  il  se 

*-•  Voulat  escripre.  —  •**  Consolation  en.  —  ••  Playons..  Palyon.. 
Blans.  —  '  De  rÉglige.  —  •  Durer,  ne.  —  •-*•  Pasteurs..  Prestres.  — 
"  Charles. 

XV.  —  FROiaSART.  0 


Digitized  by 


Google 


130  iLEGTION 

cesseroit ,  tant  que  il  en  seroit  déterminé  ;  et  demourôrent 
les  choses  en  cel  estât. 

Moult  fort  portoit  le  duc  de  Berry  ce  pape  ^  ,  et  Texaul- 
choit  et  auctorisoit,  et  y  envoia  son  roUe,  et  furent  moult  de 
ses  gens  pourveus  des  gr&ces  de  ce  Bénédic.  Le  duc  de  Bout- 
goingne  et  la  duchesse  sa  femme  s*en  dissimulèrent  avec  le 
roy;  aussi  fist  le  duc  d*Orléans  et  plusieurs  autres  grans  sei- 
gneurs en  France,  et  *  aucuns  par  faveur  le  tenoient  à  pape. 
^  Or  ^  Bénédic  n^escondissoit  nulle  grâce,à  la  fin  que  la  court 
d*ATignon  et  le  collège  en  vaulsissent  mieulx.  Le  duc  de 
Bretaigne  sieuvy  Foppinion  du  roy  de  France  moult  légière- 
ment ,  car  il  estoit  du  temps  passé  si  ^  abuvré  *  de  Tinforma- 
tion  de  son  cousin  le  conte  de  Flandres  pour  la  rébellion  de 
l*Église  que  son  cuer  ne  s*enclinaoncques  à  croire  ce  Clément, 
quoyque  les  clergies  de  Bretaigne  le  ^  cremissent'  ettenissent 
à  pape.  Et  quant  aucunes  bonnes  prébendes-  vacquoient ,  le 
roy  en  pourvéoit  ses  clers  ,  sans  parler  au  pape  ,  de  quoi 
Bénédic  qui  se  nommoit  pape  et  les  cardinaulx  de  Avignon 
qui  créé  Tavoient ,  en  estoient  tous  esbahis  ,  et  se  commen- 
cèrent à  doubter  que  le  roy  de  France  leur  feist  clorre  les 
prouffis  que  ils  avoient  des  bénéfices  que  ils  tenoient  ou 
royaulme  de  France  ,  et  eurent  conseil  de  envoyer  en 
France  ung  légal  pour  parler  au  roy  et  à  son  conseil  et  pour 
scavoir  comment  il  se  vouldroit  ordonner  de  l'Église  et  pour 
luy  remonstrer  que  le  pape  que  créé  avoient ,  il  estoit  en 
création  de  papalité  par  condition  telle  ,  s'il  plaisoit  au  roy 
de  France  ,  il  y  demourroit  ou  on  Tosteroit»  et  se  remette- 
roient  les  cardinauls  en  conclave  et  en  esliroient  ung  & 
la  séance  et  plaisance  du  roy. 

En  ce  temps  estoit  venu  à  Paris  et  se  tenoit  delés  le  roy, 
par  le  consentement  du  roy,  le  Frère-Mineur  duquel  je  vous 

•  Bënëdict.  —  '  Les.  —  V  Ce.  —  "  Abeuvri.  —  '■•  Creiusent. 


Digitized  by 


Google 


DB  benoIt  xni.  131 

ay  icy-dessos  ung  petit  touchié,  qui  envoyé  estoit  en  France 
en  légation  sans  orgueil  et  sans  beubant  de  par  le  pape  de 
Romme,  qui  se  nommoit  et  escripyoit  Boniface,  et  entendoit 
et  ouoit  Toulentiers  le  roy  de  France  aux  paroles  et  aux 
sermons  de  ce  Frère-Mineur. 

Or  vint  le  légal  d*  Avignon  qui  grant  clerc  et  soubtil  pra- 
ticien estoit  et  bien  enlangagié  ,  et  fut  aussi  oy  du  roy  et 
des  seigneurs  \  et  luy  faisoient  voye  et  avoir  audience  ceulx 
qui  porter  et  avanchier  vouloient  ce  pape  d*Avignon.  Or  fut 
advisé  au  conseil  du  roy,  mais  ce  ne  fut  pas  si  tost  déter- 
miné ,  et  à  cel  advis  et  conseil  l'université  y  rendy  grant 
peine»  et  fut  dit  ainsi  *  par  ^  la  plus  sayne  partie  :  qui  pour- 
roit  tant  faire  et  exploittier  que  on  peusist  démettre  ce 
Boniface  et  ce  Bénédic  hors  de  leur  papalité  et  tous  les  car- 
dinaulx  hors  de  leur  cardinalité,  et  puis  fuissent  prins  clers, 
vaillans  hommes  et  preud*hommes  et  de  grant  conscience  , 
et  ces  ders  tant  de  Tempire  d*Alemaigne  comme  de  France 
et  d^autres  nations  fuissent  mis  ensemble  y  et  ceulx,  par  le 
seAs  et  délibération  de  eulx-meismes  et  par  bon  conseil,  sans 
laveur,  ne  beubant,  ne  vouloir  porter  Fun  plus  que  Fautre, 
retournassent  et  remesissent  TÉglise  ou  point  et  ou  droit 
d^ré  de  unité  où  elle  deyoit  estre  ferme  et  estable ,  ce 
.  seroit  bien  labouré  ;  et  par  autre  voye  on  ne  veoit  point  que 
bonne  conclusion  y  deusist  avoir ,  car  Forgueil  du  monde 
estoit  si  grand  éns  es  cuers  des  seigneurs  que  chascun  vou- 
loit  soustenir  sa  partie. 

Geste  ymagination  proposée  devant  le  roy,  le  duc  d'Or- 
léans ,  le  duc  de  Bourgoingne  et  leurs  consauls ,  sambla 
bonne ,  et  se  *  aherdy  *  le  roy  aveuc  l'université  qui  pro- 
posée l'avoit,  et  dist  que  il  en  rescriproit  voulentiers  et 
envoieroit  ses  messages  devers  le  roy  d'AIlemaigne  et  de 

•  Moult  vonlentiers.  —  •■•  Pour.  —  *^  Joigny. 


Digitized  by 


Google 


iSâ  l'auditeur 

Boesme  ,  devers  le  roy  de  Honguerie  et  devers  le  roy  d'An- 
gleterre ,  et  se  faisoit  fort  du  roy  de  Castille,  du  roy  de 
Navarre,  du  roy  d'Arragon,  du  roy  de  Sézille  et  de  Naples  et 
duroyd'Escoce,  qu'il  les  feroit  obéyr  là  où  il  obéiroit  et  son 
royaulme.  Ceste  proposition  fut  tenue,  et,  par  cause  de  bon 
moyen  et  pour  entamer  les  procès,  le  roy  de  France  envoya 
ses  lettres  et  ses  messages  espéciaulx  à  ^  ces  roys  dessus- 
nommés. Ceste  chose  ne  fut  pas  si  tost  faitte»  ne  recueillie, 
ne  les  messages  aies,  ne  retournés  ,  ne  responses  de  leurs 
lettres  *  rapportées. 

En  ces  vacquations  trespassa  de  ce  siècle  à  Paris,  à  la  Sor- 
bonne,  ce  très-vaillant  clerc  dont  je  parloie  maintenant,  mais- 
tre  Jehan  de  Guignicourt,  dont  le  roy  de  France  et  tous  les 
seigneurs  furent  moult  courrouchiés,  et  aussi  furent  ceulxde 
l'université,  car  son  pareil  ne  demourroit  point  à  Paris,  et 
rendoit  et  euist  rendu  très-grant  diligence  ^  à  l'Église 
refourmer  et  mettre  en  *  unité  ^  parfeitte. 


En  ce  temps  avoit  ung  clerc  de  grant  science  en  Avignon, 
docteur  en  loix  et  de  nation  de  l'archeveschié  de  Reins,  lequel 
on  appelloit  maistre  Jehan  deVarennes,  et  estoit,  par  sa  science 
et  par  les  bons  sermons  qu'il  avoit  fait  tant  au  pape  Clément 
comme  à  autres,  fort  avanchié  et  pourveu  de  bénéfices,  et  estoit 
sur  le  point  que  pour  estre  évesque  ou  cardinal ,  et  avoit 
esté  chappellain  au  cardinal  que  on  appelloit  communément 
en  Avignon  saint  Pierre  de  Luxembourg.  Ce  maistre  Jehan 
de  Varennes,  com  bénéficyé,  jie  avanchié  qu'il  fuist,  résigna 
tous  ses  bénéfices  et  rompy  tout  son  estât ,  et  ne  retint  de 
tous  ses  bénéfices ,  pour  vivre  sobrement  et  petitement , 
que  la  *  chanonnerie  ''  de  Nostre-Dame  de  Rains,  qui  vault  en 

•  Tous. — •  Sitoat.  —'Et  grant  pajne.  — *^  Union.  —  *-'  Ghanonnie. 


Digitized  by 


Google 


DE  SAINT-Llé.  133 

résidence  environ  cent  frans  et  en  absence  trente  frans  ,  et 
se  départy  d'Avignon  et  s'en  vint  demourer  en  la  marche  de 
Rains  en  sa  nation  en  ung  village  que  on  dist  Saint-Lié  ,  et 
commença  .là  à  monstrer  sainte  vye  et  belle  et  à  preschier 
la  foy  et  les  œuvres  de  Nostre-Seigneur,  et  moult  auctorisoit 
et  exaulchoit  le  pape  d'Avignon,  et  disoit,  quant  il  fut  venu 
premièrement,  que  il  estoit  vray  pape,  et  condempnoit  fort 
à  merveilles  celluy  de  Romme  en  ses  paroles,  et  avoit  moult 
grant  hantise  de  poeuple  qui  le  venoient  veir  de  tous  pays 
pour  la  *  simple  *  vye,  très-noble  et  moult  honneste  que  il 
menoit ,  et  aveuc  ce  il  jeusnoit  tous  les  jours,  et  pour  les 
très-nobles  et  haultes  prédications  que  il  faisoit  moult  dilli- 
gammentau  poeuple,  aucuns  disoient  que  les  cardinaulx  d'Avi- 
gnon à  cautelle  l'avoient  là  envoie  pour  eulx  exaulchier 
et  coulourer ,  ou  il  estoit  là  venu  pour  donner  à  congnoistre 
sa  vie,  laquelle  tant  que  à  la  veue  du  monde  estoit  cour- 
toise, sainte,  juste  et  raisonnable,  pour  estre  esleu  à  Saint- 
Père. 

Ce  maistre  Jehan  de  Varennes  ne  vouloit  pas  que  on  l'appel- 
last  le  saint  homme  de  Saint-Lyé,  mais  l'auditeur^  et  '  avoit  ^ 
la  compaignie  de  sa  mère,  et  disoit  tous  les  jours  messe  moult 
dévotement,  et  tout  ce  que  on  luy  donnoit  de  grâce  ,  car  à 
nulluy  il  ne  demandoit  riens ,  il  rendoit  et  faisoit  rendre 
arrière  pour  Dieu. 

Nous  nous  souffrirons  pour  le  présent  à  parler  de  luy  et 
parlerons  d'autres  besoingnes  ,  car  la  matière  le  requiert. 


Vous  scavés  ,  sicomme  il  est  icy-dessus  contenu  en  nostre 
histoire,  que  les  trièves  qui  furent  prinses  et  données  entre 
le  royaulme  de  France  et  le  royaulme  d'Angleterre ,  leurs 


Sainte.  —  •**  Vivoit  là  en. 


Digitized  by 


Google 


134  JEAN  DE  GRÀILLT,  CAPITADIB  DE  BOUTETILLE. 

conjoinds  et  leurs  abers,  furent  bien  tenues  et  gardées  par 
mer  et  par  terre,  mais  tousjours  y  avoit  des  pillars  et  des 
robeurs  en  la  Languedoch,  lesquels  estoient  estrangiers  des 
nations  loingtaines  ,  de  Gascoingne  et  de  Berne  ou  d*AlIe* 
maigne  ,  et  estoit  cappitaine  du  fort  chastel  et  de  la  garni- 
son de  BoutevUle  messire  Jehan  de  Grailly ,  fils  bastard 
jadis  au  captai  de  ^  Buef  * ,  ung  jeune  et  appert  chevallier , 
et  devés  savoir  que  les  capitaines  de  ces  garnisons,  tant  de 
Lourde  qui  siet  en  Bigorre  sur  les  parties  du  royaulme  d'Arra- 
gon  ,  et  de  Bouteville  sus  les  frontières  de  Saintonge  en  la 
marche  de  la  Rocelle,  et  ceulx  de  la  garnison  de  Mortaigne 
estoient  trop  durement  courroucbiés  de  ce  que  ils  ne  povoient 
courir  et  &ire  leurs  envahies  etchevauchies,  ainsi  queaccous- 
tumé  avoient,  pour  prendre,  pillier  et  gaignier  sur  leurs  voi- 
sins. Mais  on  leur  avoit  leurs  voyes  et  leurs  chemins  toUus^ 
et  commande  estroittement  que  ils  ne  feissent,  ne  consentis- 
sent chose  à  &ire,pourquoy  les  trièves  fuissent  enfraintes , 
ne  brisies  ;  car,  se  ce  £sdsoient,  ils  en  seroient  pugnis  et  corri- 
giés  *  crueusement  *. 


En  ce  temps  fut  proposé  et  conseillié  en  Angleterre  ^,  ou 
cas  que  le  roy  d'Angleterre  qui  jeune  estoit ,  avoit  prins 
trièves  et  données  à  tous  ses  ennemis,  loingtains  et  pro- 
chains, *  réservé  les  Irlandois  où  à  Tiretage  dlrlande  ses 
prédicesseurs  avoient  clame  ^  grans  drois  *,  et  s'estoient 
escripts  roys  et  sires  dlrlande,  et  le  roy  Edouard,  de  bonne 
mémoire,  tayon  au  roy  Richard  d*Angleterre,  leur  avoit 
tousjours  fait  guerre  ,  combien  ensonnyés  qu'il  fuist  d  autre 
part,  •  de  quoy  ",  pour  les  jeunes  chevalliers  et  escuiers  d'An- 

•■•  Buch.  —  •-•  Estroitement.  —  »  De  faire  ung  voyage  de  guerre 
en  Irlande.  —  *  N^antmoins  il  avoit.  —  *-*  Grant  di-oit.  —  *-**  Dont, 


Digitized  by 


Google 


BICHARD  U  SB  PRÉPARE  A  PASSER  EM  IRLAKDE.  i3o 

gleteire  qui  les  armes  désiroient  employer  et  pour  Touneur 
dû  royaulme  d'Angleterre  augmenter  et  les  drois  garder  ,  le 
roy  Richard  feroit  làung  volage  à  puissance  de  gens  d*armes 
et  d'archiers,  et  chevaucheroient  si  avant,  il  et  ses  gens,  que 
ils  entreroient  ou  pays  âlrlande  et  jamais  ne  s'en  parti- 
roient,  si  auroient  eu  aucune  honnourable  ^  conclusion. 


De  rechief  il  fut  ordonné  en  celle  meismes  saison  que  le 
ducdeLancastre  qui  moult  *  ot'  traveillié  par  mer  et  par  terre 
pour  les  besoingnes  et  augmentation  du  royaulme  d^Angle- 
terre,  feroit  ung  autre  voyage  à  cinq  cens  hommes  d*armes  et 
mille  archiers,  et  monteroit  à  Pleumoude^  ou  ^  à  Hantonne  là 
oùlemieulxluy  plairoit,  et  s'en  yroit  en  Guienneeten  Acqui- 
taine.  Et  fut  adont  l'intention  du  roy  Richard  telle  et  de  tout 
son  conseil,  que  le  duc  de  Lancastre,  pour  luy  et  pour  ses 
hoirs  perpétuellement,  demourroit  sire  et  hiretier  de  tout  le 
pays  d*Acquitaine ,  des  terres  et  séneschaulsées  et  des 
demaines  telles  et  toutes  que  le  roy  Edouard  son  père  et  que 
les  autres  roys  d'Angleterre  et  ducs  d'Acquitaine  en-devant 
avoient  tenu  et  obtenu  et  que  le  roy  Richard  tenoit  à  pré- 
sent, réservé  lommage  que  faire  en  devroit  au  roy  et  aux  roys 
venans  d'Angleterre  ;  mais,  entant  que  de  toutes  obéissances 
et  seigneuries,  rentes  et  revenues,  le  dit  duc  de  Lancastre  en 
demourroit  sires,  et  luy  donnoit,  confermoitet  séelloit  le  roy 
Richard  purement  et  *  ligement  '',  lequel  don  le  duc  de  Lan- 
castre tenoit  et  tint  à  grant  et  à  bel  et  à  bonne  cause  ;  car 
en  la  duchié  d'Acquitaine  a  bien  pays  pour  tenir  ung  grant 
seigneur  bon  estât ,  et  furent  les  lettres  de  ce  don  faittes , 
grossées,  examinées  et  passées  par  grant  délibération  de  con* 
seil,  présent  le  roy  d'Angleterre  et  ses  oncles,  le  duc  dlorch 

*  Compottti(m  et.  ^  "  Avoit.  —  *•»  Et.  -  •*'  Nettement. 


Digitized  by 


Google 


156  LE  DUC  DE  LANCASTRB  CRÉÉ  DUC  d'aQUITAINE. 

et  le  duc  de  Glocestre ,  le  conte  de  Saslebéry ,  le  conte 
d'Arondel,  le  conte  d'Erby,  fils  au  duc  de  Lancastre,  le  conte 
Mareschal ,  le  conte  de  Rosteland,  le  conte  de  Northombre- 
lande,  le  conte  de  Northinghem,  messire  Thomas  de  Persy,  le 
seigneur  Despensier,  le  seigneur  de  Beaumont,  messire  Guil- 
lemme  d'Arondel,  l'archevesque  de  Cantorbie,  Farchevesque 
dTorch,  Tévesque  de  Londres,  et  tous  ceulx  présens  qui  y 
appartenoient  à  estre,  tant  prélats  comme  barons  d'Angle- 
terre. Et  en  remerchia  le  duc  de  Lancastre  premièrement  le 
roy  son  nepveu,  ses  frères,  les  prélats  et  les  barons  d'Angle- 
terre, et  puis  entendià  faire  ses  pourvéances  belles  et  grandes 
et  bien  estoffées  '  pour  passer  la  mer  et  pour  aler  en 
Acquitaine  et  exploittier  sur  le  don  dont  le  roy  Tavoitravesty. 
Pareillement  ceulx  qui  commis  estoient  à  ordonner  et  faire 
les  pourvéances  du  roy  pour  aler  en  Yrlande,  les  firent 
grandes  et  grosses,  et  furent  escripts  et  advisés  tous  les  sei- 
gneurs qui  aveuc  le  roy  feroient  le  voyage,  alSin  que  ils  se 
pourveissent  *.     • 


Sus  la  fourme  ,  estât  et  ordonnance  que  je  vous  devise, 
se  appareilloient  le  roy  et  le  duc  de  Lancastre  ,  et  faisoient 
ordonner  et  appareillier  leurs  gens  et  leurs  pourvéances 
grandes  et  grosses  au  pors  ,  aux  havènes  et  aux  passages  ,  là 
où  ils  vouloient  passer,  le  roy  pour  aler  en  Irlande,  et  le  duc  de 
Lancastre  en  Acquitaine;  mais  leurs  voyages  furent  retardés 
bien  deux  mois  bu  environ  :  je  vous  diray  par  quelle  raison. 

En  ce  temps  et  termine  que  ces  besoiijgnes  se  ordonnoient, 
maladie  prist  à  la  royne  Anne  d'Angleterre,  dont  le  roy  et 
tout  son  hostel  fut  durement  tourblé,  et  encoires  plus  ;  car 
la  maladie  ala  si  avant  que  la  dite  royne  d'Angleterre  tres- 

'  Et  honnestes.  —  *  De  toates  choses  à  eulz  nécessaires. 


Digitized  by 


Google 


MORT  D  ANNE  DE  BOHÊME,  REINE  D*ANGLETERRE.  137 

passa  de  ce  siècle  ens  es  festes  de  Penthecoste  que  on  compta 
Tan  de  Nostre-Seigneur  mil  IIP  IIII"  et  '  XIIII  *. 

De  la  mort  de  la  dicte  royne  furent  le  roy  et  tous  ceulx 
qui  l'ajmoient ,  dames  et  damoiselles,  tous  tourblés  et  cour- 
rouchiés.  Si  fut  ensepvelie  ^  solempnellement  *  et  bien  ^,  et 
son  obsèque  depuis  fait  à  grant  loisir  ;  car  le  roy  d'Angle- 
terre le  voult  faire  faire  estofféement  et  puissamment ,  et 
furent  cyres  à  grant  foison  et  à  grans  côustages  envolées 
querre  en  Flandres  pour  faire  chierges  et  torsses,  et  eut  au 
jour  de  Tobsèque  ung  luminaire  si  trôs-grant  que  on  n'avoit 
point  oy  parler  de  pareil,  ne  de  la  bonne  royne  Phelippe 
de  Haynnau,  royne  d'Angleterre,  ne  d'autre  royne  en  Angle- 
terre, qui  en-devant  y  euist  este,  et  le  voult  le  roy  Richart 
ainsi  faire  pour  ce  que  la  royne  Anne  avoit  esté  fille  du 
roy  de  Boesme,  empereur  de  Romme  et  roy  d'Allemaigne,  et 
ne  la  povoit  le  roy  Richard  oublier,  car  moult  l'amoit  et  avoit 
amée,  pour  tant  qu'ils  avoient  esté  jeunes  mariés  ensemble. 
De  celle  dame  royne  d'Angleterre  ne  demeura  nuls  enfans  , 
ne  oncques  n'en  ot  nuls.  Ainsi  furent  le  roy  d'Angleterre,  le 
duc  de  Lancastre  et  le  conte  d'Erby  en  une  saison  vesves, 
mais  on  ne  parloit  point  encoires  de  leurs  remariages ,  ne  le 
roy  d'Angleterre  n'en  vouloit  point  oyr  parler. 


Quoyque  la  royne  d'Angleterre  fiiist  trespassée  de  ce  siècle, 
ainsi  que  cy-dessus  est  contenu,  et  que  le  voyage  d'Irlande 
en  fiiist  retardé  ,  pour  ce  ne  séjournèrent  point  les  pour- 
véances  du  roy  et  des  seigneurs  à  faire,  et  passoient  oultre  la 
mer  d'Irlande  par  trois  havènes  à  Bristo,  à  l'Olihet  en  Galles 
et  à  Herfort,  et  les  menoient  et  adreschoient  ceulx  qui  les 
conduisoîent,  en  une  cité  en  ung  pays  à  l'entrée  d'Irlande, 

•-•  XIII.  —  ' Bien.  —  *•  En  Tëglise. 


Digitized  by 


Google 


138  UGHARD  U 

qui  tottsjoars  s*6st  tenue  au  roy  d'Angleterre,  laquelle  cité  on 
appelle  Duvelin,  et  y  a  archevesque,  et  cils  estoit  avec  le  roy, 

Tantost  après  laSaint-Jehan-Bapiste  le  roy  se  départy  de 
la  dté  de  Londres  et  prist  le  chemin  de  Galles  tout  en  cha- 
çant  et  en  esbatant  pour  oublier  la  mort  de  sa  femme  ;  et 
ceulx  qui  escrips  estoient  et  ordonnés  dealer  avec  luy ,  se 
misrent  aussi  tous  au  chemin,  ses  deux  oncles  le  duc  Aymon 
dlorchetle  duc  Thomasde  Glocéstre  ,  conte  d'Bxoesses  et  de 
'  Buch  '  etconnestable  d'Angleterre,  et  se  mist  sur  les  champs 
en  très-grant  arroy.  Aussi  firent  tous  les  autres  seigneurs,  le 
conte  de  Kent  frère  du  roy  '  et  messire  Thomas  de  Kent  fils 
du  conte,  le  conte  de  Rosteland,  fils  du  duc  dlorch,  le  conte 
Mareschal,  le  conte  de  Saslebéry,  le  conte  d'Arondel,  mes- 
sire Guillemme  d*Arondel ,  le  conte  de  Northombrelande  , 
seigneur  de  Persy,  et  messire  Thomas  de  Persy,  grant  sénes- 
chal  d'Angleterre,  le  conte  de  Devesière,  le  conte  de  Northin- 
ghem  et  le  conte  de  Northombrelande  et  grant  ^  foison  '  d'au- 
tres barons  et  chevalliers ,  réservé  ceulx  qui  demouroient  pour 
garder  la  frontière  d'Escoce  ;  car  certes  Bscochois  sont 
^  maleoites^  gens,  car  ils  ne  tiennent  triëves,  ne  réspit  qu'ils 
prommettent,  fors  '  tant  que  *  ils  veulent. 

Pour  ce  temps  que  le  roy  d'Angleterre  fist  ce  voyage  en 
Yrlande,  n'estoit  point  en  sa  compaignie  son  frère  messire 
Jehan  de  Hollande,  conte  de  Hostidonne,  mais  estoit  ou  chemin 
de  Jhérusalem  et  de  Sainte-Katherine  ou  moBt  de  Synay, 
et  devoit  retourner  par  le  royaulme  de  Honguerie  ;  car  il 
avoit  entendu  en  France,  quant  il  passa  (car  il  fut  à  Paris,  et 
luy  firent  le  roy  de  France,  son  frère  et  ses  oncles  et  les  sei- 
gneurs pour  l'amour  et  honneur  du  roy  d'Angleterre  très- 
bonne  chière),  que  le  roy  de  Honguerie  et  l'Amorath-Baquin 

V  Bocqningham.  —  *  Nommé  menire  Thomas  de  HoUand.  ^ 
*'*  Nombre.  —  *''  MauTaises..  Maudites.  —  ***  Quant. 


Digitized  by 


Google 


EN  IRLANDE.  159 

dévoient  avoir  bataille,  si  ne  vonloit  pas  deffSsdUir  à  y  estre. 
D*autre  part,  le  duc  de  Lancastre,  à  tout  son  arroy  ordonné 
et  estoffé,  s*en  vint  à  Pleumoude,  et  là  estoient  les  vaisseauls 
passagiers  qui  Tattendoient.  Quant  toutes  ses  gens  furent 
venus  et  les  vaisseaulx  furent  chargiés  et  ils  eurent  vent 
assés  bon  pour  passer,  si  entrèrent  ens  es  vaisseaulx,  et  puis 
se  désancrèrent  et  prindrent  le  chemin  pour  aler  vers  Bor- 
deaulx-sur-Gérônde. 

Nous  parlerons  du  roy  Richard  d'Angleterre  qui  bien 
avoit  quatre  mil  hommes  d*armes  et  trente  mil  archiers. 
Passage  leur  estoit  à  tous  ouvert  et  habandonnë  en  ces  trois 
lieux  que  je  vous  ay  nommés  à  Bristo  ,  à  l'Olihet  et  à  Har- 
fort ,  et  passoient  tous  les  jours  et  mirent  bien  ung  mois  à 
passer  avant  que  ils  fuissent  tous  oultre,  euls  et  leurs  che- 
vaulx.  D'autre  part  estoit  ens  ou  pays  d'Irlande  ung  vaillant 
chevallier  d'Angleterre,  lequel  s'appelloit  conte  ^  de  Dor- 
ment •  et  tenoit  terre  en  Yrlande  et  ont  tenu  ses  prédices- 
seurs ,  mais  c'estoit  tousjours  en  débat,  et  estoit  ordonné  ce 
conte  de  Dorment  '  et  le  conte  Mareschal  d'Angleterre  & 
avoir  Tavant-garde  à  quinze  cens  lances  et  à  trois  mille 
archiers ,  et  tous  deux  s'i  portèrent  sagement  et  vaillam- 
ment. 

Le  roy  d'Angleterre  et  ses  deux  oncles  passèrent  la  mer 
dirlande  au  port  de  Harfort  en  Galles  ,  et  les  plusieurs  à 
rOlihet ,  et  les  autres  à  Bristo  ,  et  tant  firent  que  tous  pas- 
sèrent sans  péril  et  sans  dommage.  Et  ainsi  que  ils  pas- 
soient par  l'ordonnance  du  connestable  le  duc  de  Glocestre 
et  des  mareschaulx  d'Angleterre,  ils  se  logièrent  sur  le  pays, 
et  comprendoient  bien  de  terre  oultre  la  cité  de  Duvelin  et 
là  environ  trente  lieues  englesces  ,  car  c'est  ung  pays  inha- 
bitable ,  et  se  logièrent  les  Anglois  de  l'avant-garde  sage- 

*'*  D^Onnont.  —  *  Comme  ms  prëdëcesMOitit 


Digitized  by 


Google 


140  RÉCITS 

ment  et  vaillamment  pour  la  doubte  des  Yrlandois  ,  et  faire 
le  convenoit  :  autrement  ils  euissent  receu  et  prins  dom- 
mage. Et  le  roy  et  ses  oncles  et  les  prélats  estoient  logiés 
en  la  cité  de  Duvelin  ou  près  de  là,  et  me  fut  dit  que  tout  le 
temps  que  ils  se  tindrent  là  et  séjournèrent ,  toutes  gens 
furent  aisiement  et  largement  pourveus  de  vivres  et  d'autres 
pourvéances  ,  car  Ânglois  sont  gens  tous  fais  à  la  guerre  , 
qui  bien  scèvent  voyagier,  fourragier  et  prendre  l'avantage 
et  '  sobrier  *  de  euls  et  de  leurs  chevaulx  quant  •  il 
besongne  ^. 

La  manière*  et  Tordonnance  et  ce  qu'il  advint  de  ce 
voyage  au  roy  d'Angleterre  ,  je  le  vous  *  esclarchiray  *  en 
la  fourme  et  manière  que  j'en  fuy  infourmé. 


Vérité  fut  et  est  que  je  sire  Jehan  Froissart ,  pour  ce 
temps  trésorier  et  chanoine  de  Chymay  séant  en  la  conté  de 
Haynnau  et  de  la  dyocèse  du  Liège,  euls  très-grande  affec- 
tion et  ymagination  de  aller  veoir  le  royaulme  d'Angleterre, 
quant  je  qui  avoieesté  à  Abbeville,  vey  que  les  trièves  estoient 
prinses,  entre  le  royaulme  de  France  et  le  royaulme  d'Angle- 
terre à  durer  à  quatre  ans,  leurs  conjoints  et  leurs  adhers,  par 
mer  et  par  terre,  et  plusieurs  raisons  me  esmouvoient  à  faire 
ce  voyage,  La  première  estoit  pour  ce  que  de  ma  joeunesse  je 
avoie  esté  nourry  en  la  court  et  hostel  du  noble  roy 
Edouard,  de  bonne  mémoire,  et  de  la  noble  royne  Phelippe 
sa  femme  ,  et  entre  leurs  enfans  et  les  barons  d'Angleterre 
qui  pour  ce  temps  y  vivoient  et  demouroient  ;  car  toute  hon- 
neur ,  largesse  et  courtoisie  je  avoie  veu  et  trouvé  en  euls. 
Si  désiroie  à  veoir  le  pays  ,  et  me  sembloit  en  mon  ymagi- 
nation que,  se  veu  ravoie,j'en  viveroie  plus  longuement; car, 

***  Penser.  —  '-*  Mestier  est.  —  •"•  Dëclareri^. 


Digitized  by 


Google 


DB  GUILLAUME  DE  LISLE.  141 

par  XXVII  ans  tous  accomplis,  je  m'estoie  tenu  d'y  aler,  et, 
se  je  n'y  trouvoye  les  seigneurs  lesquels  à  mon  département 
je  y  avoie  laissiés  et  veus,  je  y  verroye  leurs  hoirs,  et  ce  me 
feroit  trop  grant  bien  :  aussi  pour  justifier  les  histoires  et 
les  matières  dont  je  avoie  tant  escript  de  euls.  Et  en  parlay 
à  mes  chiers  seigneurs  qui  pour  le  temps  régnoient,  monsei- 
gneur le  duc  Aubert  de  Bavière,  conte  de  Haynnau,  de  Hol- 
lande et  de  Zéellande  et  sire  de  Frise,  et  h  monseigneur 
GuiUemme  son  fils  pour  ces  jours  conte  d'Ostrevan,  et  à  ma 
très-chière  et  honnourée  dame,  madame  Jehenne  la  duchesse 
de  Brabant  et  de  Luxembourg ,  et  à  mon  très-chier  et  grant 
seigneur  monseigneur  Ënguerran  seigneur  de  Coucy,  et 
aussi  à  ce  gentil  chevallier  monseigneur  de  Gommegnies, 
lequel,  de  sa  jeunesse  et  de  la  mienne,  nous  estions  veus  en 
Angleterre  en  l'ostel  du  roy  et  de  la  royne  ,  et  aussi  ^  avoit 
fait  *  le  sire  de  Coucy  et  tous  les  nobles  de  France  qui  à  Lon- 
dres tenoient  hostagerie  pour  la  rédemption  qui  faitte  avoit 
esté  pour  le  roy  Jehan  de  France  ,  sicomme  il  est  contenu 
en  nostre  histoire  et  en  ce  livre  bien  arrière. 

Ces  quatre  seigneurs  dessus  nommés  ausquels  j'en  parlay 
et  le  seigneur  de  Gommegnies  et  madame  de  Brabant  le  me 
conseilliôrent  grandement  ^  et  bien^,  et  me  donnèrent  toutes 
lettres  pour  adreschier  au  roy  et  à  ses  oncles,  réserve  le 
sire  de  Coucy  ;  car,  pour  ce  que  il  estoit  françois,  il  n'y  osa 
escripre  fors  tant  seulement  à  sa  fille  que  pour  lors  on 
appelloit  la  duchesse  dlrlande.  Et  avoie  de  pourvéance  fait 
escripre ,  grosser]^et  enluminer  et  fait  recueillier  tous  les 
traittiés  amoureux  et  de  moralité  que  ou  ^  terme  de 
XXXIIU  •  ans  je  avoie  par  la  grâce  '  de  Dieu  et  d'amours 
£eûs  et  '  compilés  ' ,  laquelle  chose  escueilloit  et  resveilloit 

"  Ayoi^je  veu.  —  "  Bien.  —  "  Temps  de  XXIIIL  —  '  Et  aide. 
—  •-•  Accomplis. 


Digitized  by 


Google 


142  RÉCITS 

grandement  mon  désir  pour  aler  en  Angleterre  et  veoir  le 
roy  Richard  d'Angleterre  qui  âls  avoit  esté  au  noble  et 
puissant  prince  de  Galles  et  d*Acquitaine  ;  car  veu  ne  Tavoie 
depuis  que  il  fut  tenu  sur  les  fons  en  Téglise  cathédral  de 
la  cité  de  Bourdeaulx  ,  car  pour  ces  jours  je  dessus  nommé 
estoie  à  Bourdeaulx  et  avoye  intention  de  aler  ou  voyage 
d*Espaigne  avec  ^  le  *  prince  de  Galles  et  les  seigneurs  qui 
ou  dit  voyage  furent;  mais,  quant  nous  feusmes  venus  en  la 
cité  de  Daix,  le  prince  me  renvoya  arrière  en  Angleterre 
devers  madame  sa  mère.  Si  désiroie  moult  ce  roy  Richart  à 
veoir  et  messeigneurs  ses  oncles ,  et  estoye  '  pourveu  de 
ung  très-beau  livre  et  bien  *  adoumé  *,  couvert  de  velours, 
garny  et  *  cloué  de  clous  ^  d'argent  dorés  d'or  pour  faire 
présent  et  entrée  au  roy.  Et  selonc  laymagination  que  j'eus, 
il  m'en  advint,  et  *  emprins  *  bien  légiërement  la  peine  et  le 
traveil ,  car  qui  voulentiers  fidt  et  entreprent  une  chose  , 
certes  il  semble  qu'elle  ne  luy  coui^te  comme  riens  ;  et  me 
pourvey  de  chevaulx  et  de  ordonnance  ,  et  passay  la  mer  à 
Calais  et  vins  à  Douvres  le  douzième  jour  du  mois  de  juillet. 
Quant  je  fuis  venu  à  Douvres  ,  je  ne  trouvay  homme  de  ma 
congnoissance  du  temps  que  j'avoie  fréquenté  en  Angleterre, 
et  estoient  les  hostels  tous  renouvelles  de  nouveau  poeuple, 
et  les  jœunes  enffans ,  fils  et  filles ,  devenus  hommes  et 
femmes,  qui  point  ne  me  congnoissoient,  ne  moy  eulx. 

Si  séjoumay  1&  "  demy  jour  "  et  une  nuit  pour  moy  rafires- 
chir  et  mes  chevaulx,  et  fut  par  ung  marredy,  et  le  mercredy 
ainsi  sur  le  point  de  noeuf  heures  je  vins  à  Saint-Thomas 
de  Cantorbie  veoir  la  âertre  et  le  corps  saint ,  et  la  tombe 
du  noble  prince  de  Galles  qui  là  est  ensevely  moult  riche- 
ment. Je  oys  là  au  grant.  autel  la  haulte  messe  et  feis  mon 

«-•  Iceluy.—  »  J*..  U.  -  -»^  Aoumô.  —  «  Clos.  —  •^^'en  prins.  — 
••-•*  Deux  jour». 


Digitized  by 


Google 


DB  GUILLAimE  DB  U8LB.  145 

oflrande  au  corps  saint ,  et  puis  retoumay  à  mon  hostel 
pour  disner.  Si  entendis  que  le  roy  d'Angleterre  devoit  là 
venir  le  jeudy  en  pellerinage  et  estoit  retourné  d'Irlande , 
où  il  avoit  esté  en  ce  voyage  bien  noeuf  mois  ou  environ  , 
et  voulentiers  visitoit  Téglise  Saint-Thomas  de  Gantorbie  , 
pour  la  cause  du  digne  et  honnouré  corps  saint  et  que  son 
pore  y  estoit  ensevely.  Si  me  advisay  que  là  je  attenderoie 
le  roy  comme  feis,  et  vint  là  le  lendemain  en  trôs-grant  et  ^ 
puissant  arroy  et  bien  accompaignié  de  seigneurs,  de  dames 
et  de  damoiselles,  et  me  mis  entre  euls,  et  tout  me  sembla 
nouvel,  ne  je  y  congnoissoie  àme,  car  le  temps  estoit  moult 
changié  en  Angleterre  depuis  le  terme  de  XXVIII  ans  ;  et 
là  en  la  compaignie  du  roy  n'avoit  nuls  de  ses  oncles ,  car 
le  duc  de  Lancastre  estoit  en  Acquitaine,  et  le  duc  dTorch 
et  le  duc  de  Glocestre  estoient  autre  part.  Si  fïiy  de  premier 
ainsi  que  tout  esbahy  ;  car  encoires ,  se  je  eusse  veu  ,  ne 
trouvé  ung  anchien  chevallier  et  lequel  fuist  des  chevalliers 
et  de  la  chambre  'du  roy  Edouard  d'Angleterre  et  estoit,  pour 
le  présent  dont  je  parle ,  des  chevalliers  du  roy  Richard 
d'Angleterre  et  de  son  plus  estroit  et  espécial  conseil ,  je 
me  fuisse  reconforté  en  ce  que  je  me  fuisse  trais  devers  luy. 
Le  chevallier  on  le  nommoit  messire  '  Richard  *  Stury.  Bien 
demanday  pour  luy  se  il  vivoit.  On  me  dist  :  a  Oyl,  »  mais 
point  n'estoit  là,  ains  séjournent  à  Londres. 

Dont  me  advisay  que  je  me  tr^droie  devers  messire  Tho- 
mas de  Persy,  grant  séneschal  d'Angleterre,  qui  là  estoit.  Si 
m'en  aquointay  et  le  trouvay  en  mes  aquointances  doulx , 
raisonnable  et  gracieux  ,  et  se  offry  pour  moy  à  présenter 
mon  corps  et  mes  lettres  au  roy  Richard.  De  ces  prom- 
messes  je  fïiy  tous  resjouy ,  car  aucuns  moyens  convient 
avoir  avant  que  on  ^  peuist  venir  à  si  hault  prince  que  le 

•  Très.  —  "  Jacques.  —  *  Se  boute,  ne. 


Digitized  by 


Google 


144  RÉCITS 

roy  d^Angleterre,  et  ala  veoir  en  la  chambre  du  roy  se  il 
estoit  heure  ;  mais  il  trouva  que  le  roy  estoit  retrait  pour 
aler  dormir  ,  et  ainsi  il  le  me  dist ,  et  je  me  retrais  en  mon 
hostel.  Et,  quant  le  roy  eut  dormy,  je  retoumay  en  Tostel 
de  Tarchevesque  de  Cantorbie  où  il  estoit  logié,  et  trouvay 
messire  Thomas  de  Persy  qui  se  ordonnoit  et  faisoit  ses  gens 
ordonner  pour  chevauchier,  car  le  roy  vouloit  chevauchieB 
et  venir  gésir  à  Espringue  ,  dont  au  matin  il  estoit  party. 
Je  demanday  au  dit  messire  Thqmas  de  Persy  ^  de  mes 
besoingnes.  Il  me  dist  et  conseilla  que  pour  leure  je  ne 
feisse  quelque  semblant  de  ma  venue  ^  mais  me  mesisse  en 
la  route  du  roy,  tousjours  me  feroit-il  bien  logier,  tant  que 
le  roy  seroit  ari^sté  ens  ou  pays  où  il  aloit  et  où  il  seroit , 
et  tout  son  hostel ,  dedens  deux  jours  :  c'estoit  ung  moult 
bel  chastel  et  '  délictable  ',  qui  siet  en  la  conté  de  Kent,  et 
Tappelle-on  Ledes. 

Je  me  ordonnay  sur  son  conseil  et  me  mis  au  chemin  et 
vins  devant  à  Espringue  et  là  me  logay.  Et  lus  logié  d'aven- 
ture en  ung  hostel  ouquel  il  avoit  avant  moy  logié  ung 
très-gentil  chevallier  d'Angleterre  et  de  la  chambre  du  roy  ; 
mais  il  estoit  léans  demeuré  derrière  au  matin  quant  le  roy 
et  sa  route  se  départy  de  la  ville,  pour  ung  petit  de  douleur 
qui  luy  tenoit  ou  chief,  laquelle  luy  estoit  prinse  par  nuyt 
estant  ou  lit.  Pour  tant  que  le  gentil  chevallier  ,  lequel  on 
nonmioit  messire  Guillemme  de  Lisle,  me  vey  estrangier  et 
des  marches  de  France  (car  toutes  gens  de  la  langue  ^  galic* 
que  ^,  de  quelle  conti'ée  et  nation  que  ils  soient,  ils  les  tien- 
nent et  réputent  pour  Franchois),  si  se  accointa  de  moy  et 
je  de  luy  ,  car  les  gentils  hommes  d'Angleterre  sont  tous 
courtois  ,  traittables  et  acointables.  Si  me  demanda  de  mon 
estât  et^de  mon  aâaire,et  je  luy  en  recorday  assés  et  tout  ce 

«  Conseil.  —  "  Délectable.  —  ^*  D*oïl.  —  *  Office  et  aàaii. 


Digitized  by 


Google 


IHS  GCILLADMB  DE  LISLE.  145 

que  messire  Thomas  de  Persy  m'avoit  dit  et  ordonné  &  &ire. 
Il  me  respondy  ad  ce  que  je  ne  povoie  avoir  meilleur 
moyen,  et  que  le  vendredy  au  disner  le  roy  seroît  à  Ledes  , 
et  là  trouveroit  venu  son  oncle  le  duc  d'Yorch. 

De  ces  nouvelles  je  fuis  tout  resjouy  pour  ce  que  j'avoîe 
lettres  ^  au  duc  dTorch,  et  aussi  de  sa  jeunesse  et  de  ta 
mienne  il  m*avoit  veu  en  l'ostel  du  noble  roy  Edouard  son 
père  et  madame  sa  mère  :  si  auroie  par  ce  moyen  tant  plus 
de  congnoissance ,  ce  me  sembla ,  en  Tostel  du  roy  Richard 
â*Ângleterre. 

Le  vendredy  au  matin,  nous  chevauchasmes  ensemble, 
messire  Guillemme  de  Lille  et  moy,  et  sus  nostre  chemin  je 
luy  demanday  se  il  avoit  esté  en  ce  voyage  d'Irlande  avec 
le  roy.  Il  me  respondy  :  «  Oyl.  »  Dont  luy  demanday  se  de  ce 
que  on  appelle  le  trou  Saint-Patris ,  c*estoit  vérité  tout 
ce  que  x)n  en  disoit.  Il  me  respondy  que  oyl ,  et  que  luy  et 
ung  chevallier  d'Angleterre ,  le  roy  estant  à  Duvelin ,  y 
avoient  esté  et  s'i  est(Hent  enclos  oultre  soleil  esconsant,  et 
là  demourôrent  toute  la  nuit  et  Tendemain  furent  yssus 
hors  à  soleil  levant.  Dont  luy  demanday  des  merveilles  et 
des  nouvelles  dont  on  racompte  et  *  que  on  y  veoit  ',  se  riens 
en  estoit.  Il  me  respondy  ad  ce  et  me  dist  :  a  Quant  moy  et 
«  mon  compaignon  eusmes  passé  la  porte  du  celier,  que  on 
«  appelle  le  Purgatoire  SaintrPatris,  et  nous  feusmes  des- 
«  cendus  trois  ou  quatre  pas  (car  on  y  descent  ainsi  que  à 
«  ung  celier  ),  challour  nous  prist  ens  es  testes  ,  et  nous 
«  asseismes  sur  les  pas  qui  sont  de  pierre  ,  et,  nous'  illec 
t  assis,  trôs-grant  voulenté  nous  vint  de  dormir,  et  dor- 
«  mismes  toute  la  nuit.  »  Dont  luy  demanday  se  en  dor- 
mant ils  sçavoient  où  ils  estoient  et  quelles  visions  leur 
vindrent.  Il  me  respondy  et  dist  que  en  dormant  ils  entré- 

•  Adroschans.  —  ^  Dit  qu'on  y  voit. 

XV.  —  FR018SART.  10 


Digitized  by 


Google 


146  Kicm 

rent  en  ymaginations  trës-grandes  et  songes  merveilleux,  et 
veoient ,  oe  leur  sembloit ,  en  dormant  trop  plus  de  choses 
que  ils  n  euissent  fait  en  leurs  chambres  sur  leurs  lits.  Tout 
ce  afiermoient-ils  bien  :  «  Et  quant  au  matin  nous  feusmes 
t  esveilliés,  on  ouvry  Fujs,  car  ainsi  le  ayion»-nous 
«  ordonné ,  et  yssismes  hors ,  et  ne  nous  souvint  de  chose 

•  que  euissions  veu  ,  et  tenions  et  tenons  encoires  ^  que  ce 

•  soit  toute  '  fantosme.  » 

De  ceste  matière  je  ne  parlay  plus  avant,  si  m'en  cessay  , 
car  voulentiers  je  luy  eusse  demandé  du  voyage  dirlande  , 
et  luy  en  youloye  parler  et  mettre  à  voye  ;  mais  routes 
'  de  ^  chevalliers  vindrent,  qui  parlèrent  à  luy,  et  je  laissay 
mon  propos  et  chevauchasmes  jusques  à  Ledes,  et  là  vint  le 
roy  et  toute  sa  route ,  et  là  trouvay  monseigneur  Àymond 
duc  dTorch.  Si  m*acointay .  de  luy  et  luy  baillay  les  lettres 
de  monseigneur  le  conte  de  Hainnau  son  cousin  et  du  conte 
d'Ostrevan.  Le  duc  me  recongneu  assés  et  me  flst  très-bonne 
chière  et  me  dist  :  a  Messire  Jehan  ,  tenés-vous  tousjours 
«  delés  nous  et  delés  nos  gens.  Nous  vous  ferons  toute 
t  amour  et  toute  courtoisie  ;  nous  y  sommes  tenus  pour 
«  cause  du  temps  passé  et  de  nostre  dame  de  mère  à  qui 
t  vous  fttstes ,  nous  en  avons  bien  la  souvenance.  »  Je  le 
remerchiay  de  ces  paroles  ,  ce  fut  raison.  Si  fus  avanchié 
tant  de  par  luy  que  de  par  messire  Thomas  de  Persy  et 
messire  Guillemme  de  Lille,  et  fus  mis  avant  en  la  chambre 
du  roy  et  représenté  à  luy  de  par  son  oncle  le  duc  dTorch  , 
lequel  roy  me  rechupt  *  lyement  *  et  doulcement ,  et  prist 
toutes  les  lettres  que  je  luy  baillay  ,  et  les  ouvry  et  lisi  à 
grant  loisir,  et  me  dist ,  quant  il  les  ot  leutes,  que  je  fuisse 
le  bien  venu  et  que ,  se  j'avoie  esté  de  Tostel  du  roy  son 
ayoul  ^,  encoires  estoie-je  de  l'ostel  du  roy  d'Angleterre. 

*-•  Tout  ce  à.  —  •-*  D'antres.  —  *-•  Joyeusement.  —  '  Et  de  madame 
son  ayeule. 


Digitized  by 


Google 


DB  GUILLÂCniB  DB  LISLE.  147 

Pour  ee  joar  je  ne  luy  monstray  point  le  livre  qu'apporté 
lay  avoie  ,  car  messire  Thomas  de  Persy  me  dist  que  point 
il  n*estoit  heure  et  que  il  estoit  trop  occupé  de  grandes 
besongnes  »  car  pour  ces  jours  il  estoit  en  conseil  dé  deux 
grosses  matières  :  la  première  estoit  que  il  vouloit  envoyer 
sottfSssans  messages,  tels  que  le  conte  de  Rosteland,  son  cou- 
sin germain,  le  conte  Mareschal,  Tévesque  de  Duvelin,  Téves- 
que  d*Ély,  messire  Loys  de  Clifibrt,  messire  Henry  de  Biau- 
mont ,  messire  Huon  le  Despensier  et  plusieurs  autres  en 
grant  arroy  et  en  bonne  ordonnance,  oultre  mer  par  devers 
le  roy  Charles  de  France  ,  et  la  cause  estoit  telle  que  pour 
tnâttier  du  mariage  de  luy  à  Taisnée  fille  du  roy  qui  s*ap* 
pelloit  Ysabel  et  laqudle  pour  lors  avoit  d*eage  environ 
huit  ans.  L*autre  cause  estoit  telle  que  le  seigneur  de  la 
Barde ,  le  sire  de  Taride  ,  le  sire  de  Pincomet,  le  sire  de 
Chastel-Noeuf ,  le  sire  de  ^  Lesque  ' ,  le  sire  de  Copane  et 
les  consauls  de  Bourdeaulx  et  de  la  cité  de  Baïonne  et  de 
Daix  estoient  venus  en  Angleterre  devers  le  roy  et  le  pour- 
sieuvoient  et  avoient  poursieuvy  moult  aigrement  depuis 
son  retour  dlrlande  à  avoir  response  des  requestes,  paroles 
et  procès,  que  mis  avoient  avant  sur  le  don  que  le  roy  d*Ân- 
^eterre  avoit  fait  et  ordonné  à  son  oncle  le  duc  de  Lancas- 
tre,  des  terres  et  seigneuries  ,  séneschauschies  et  baronnies 
d*Acquitaine  (ce  que  au  dit  roy  d'Angleterre  et  au  royaulme 
en  appartenoit  et  'où^sa  puissance  et  commandement  s*esten- 
doient) ,  car  proposé  avoient  les  barons  dessus  nommés  et 
tous  les  nobles  et  prélats  des  séneschauschies  d'Acquitaine 
et  les  consauls  des  dtés  et  bonnes  villes,  que  le  don  ne  se 
poToit  passer  et  estoit  inutille ,  car  toutes  ces  terres  se 
tenoient  du  droit  ressort  et  domaine  de  la  couronne  d'An- 
gleterre, ne  point  ne'  s'en  vouloient  desjoindre,  ne  départir  ; 

•-•  lisquê.  —  "^  En. 


Digitized  by 


Google 


148  RiaTs 

et  plusieurs  actions  raisonnables  y  avoient  proposé  et  pro^ 
posoient,  lesquelles  je  détermineray  et  esclarchiray  en  pour- 
sieuvant  la  matière ,  quant  temps  et  lieu  sera.  Mais  pour 
avoir  conseil  de  ces  deux  choses  qui  assés  grandes  estoient, 
le  roy  d'Angleterre  avoit  mandé  tous  les  espéciaulx  prélats 
et  barons  d'Angleterre  à  estre  à  ung  jour  de  la  Magdalène 
en  ung  sien  manoir  ou  lieu  royal,  que  on  dist  Eltem,  à  sept 
lieues  englesces  de  Londres  et  aussi  de  Dardesorde.  Et  le 
quatrième  jour  après  ce  que  je  fuy  là  yenu  ,  le  roy  et  tout 
son  conseil,  et  le  duc  Aymond  en  sa  compaignie,  se  départi- 
Xi^nt  du  chastel  de  Ledes ,  et  chevauchèrent  devers  la  cité 
de  Rochestre  pour  venir  à  Eltem,  et  je  me  mis  en  leur  com- 
paignie. 


En  chevauchant  ce  chemin,  je  demanday  à  messire  Guil- 
lemme  de  Lille  et  à  messire  Jehan  de  Grailly,  capitaine  de 
Bouteville,  la  cause  pour  quoy  le  roy  venoit  devers  Londres 
et  assambloit  son  parlement  et  avoit  assamblé  et  assigné  à 
estre  au  jour  dessus  nommé  à  Eltem.  Ils  le  me  dirent,  et  par 
espécial  messire  Jehan  de  Grailly  me  recorda  plainement 
pourquoy  ces  seigneurs  de  Gascoingne  estoient  là  venus ,  et 
les  consauls  des  cités  et  de  bonnes  villes.  Si  *  me  tiens  * 
par  le  dit  chevallier  infourmé,  et  bien  en  sçavoit  la  vérité  , 
car  il  avoit  souvent  *  la  parole  ^  à  euls  pour  tant  que  ils  se 
congnoissoient,  car  ils  estoient  ainsi  que  d'un  pays  et  d'une 
frontière  et  des  tenures  du  roy  d'Angleterre  ,  et  dist  ainsi  : 

a  Quant  le  duc  de  Lancastre  vint  ^  premièrement  ^  en 
«  Âcquitaine  pourveu  de  lettres  grossées  et  séellées  du 
a  grant  séel  du  roy  d* Angleterre ,  chancellées  et  passées 
0  par  le  décret  et  accord  des  prélats  et  barons  d'Angleterre, 

•■•  En  fus.  —  •-*  Parlé.  —  "  Dernièrement. 


Digitized  by 


Google 


DE  JEAN  DE  GUAILLT.  140 

auxquels  il  en  appartenoit  à  parler  et  ordonner,  etpar  espé- 
cial  au  duc  Âymond  dTorch,  conte  de  Cantelbruge,  et  au 
duc  Thomas  de  Glocestre,  conte  de  *  Bach  *  et  d'Excesses, 
qui  à  ces  héritages  povoient  retourner  par  la  succession 
de  leur  nepveu  le  roi  Richard  d'Angleterre  qui  pour  lors 
n'avoit  nul  enflant  (car  les  deux  ducs  dessus  nommés 
estoient  frères  germains  de  père  et  de  mère  au  duc  de 
Lancastre) ,  et  '  iP  envoia  une  partie  de  son  conseil  en 
la  cité  de  Bourdeaulx  pour  remonstrer  au  maieur  de 
Bourdeaulx  et  aux  consauls  de  la  ville  la  fourme  de  sa 
requeste  et  pour  quelle  cause  il  estoit  venu  ou  pays  ,  si 
leur  tourna  à  grant  merveille.  Non  obstant  ce  ,  ils  hon- 
nourèrent  et  ^  conjouirent  ^,  moult  grandement  et  de  bon 
cuer  ,  les  commis  du  roy  d'Angleterre  et  du  duc  de  Lan- 
castre pour  la  cause  et  honneur  du  roy  à  qui  ils  dévoient 
honneur  et  service  et  toute  obéissance,  et  demandèrent  à 
avoir  jour  et  conseil  de  respondre  ;  ils  Teurent  et  se  con- 
seillièrent.  Eulx  conseilliés,  ils  respondirent  et  dirent  en 
telle  manière,  que  le  duc  de  Lancastre,  fils  au  roy  Edouard 
d'Angleterre,  de  bonne  mémoire  ,  qui  leur  seigneur  avoit 
esté,  faist  le  bien  venu  entre  euls  et  non  autrement;  mais 
point  n'estoient  conseilliés  si  avant  que  de  luy  recueillier  , 
nerecepvoir  comme  souverain  seigneur,  car  le  roy  Richard 
leur  sire,  à  qui  ils  avoient  fait  féaulté  et  hommage,  ne 
leur  avoit  fait  encoires  nulle  quittance.  Âdont  respondirent 
les  commis  de  par  le  duc  de  Lancastre  que  de  tout  ce 
ils  se  faisoient  fort  assés,  et,  le  duc  leur  seigneur  receu, 
parmy  le  contenu  des  lettres  que  le  roy  d'Angleterre  leur 
envoyoit,  il  n'en  seroit  jamais  nulle  question.  Quant  ceulx 
de  Bourdeaulx  voiront  que  ils  estoient  approuchiés  de  si 


•-■  Bncquinghen.  —  *■*  Le  duo  de  Lancastre.  —  *"*  Convoyèrent.. 
Festoyèrent. 


Digitized  by 


Google 


150  '  RÉCITS 

a  près  ,  si  trouvèrent  ung  autre  recours  et  dirent  ainsi  : 
«  Seigneurs  ,  vostre  commission  ne  s'estend  pas  seulement 
«  à  nous,  mais  à  ceulx  de  la  cité  de  Dax,  de  Baionne  et  aux 
«  prélats  et  barons  de  Gascoingne,  qui  sont  en  Tpbéissance 
«  du  roy  d'Angleterre.  Vous  vous  trairés  devers  euls  ,  et 
a  tout  ce  que  ils  en  ordonneront  et  feront ,  nous  le  ten- 
tt.  drons.  Autre  response  n'en  porrent  avoir  à  ce  premier 
«  les  commis  du  duc  de  Lancastre  de  ceulx  de  Bourdeaulx, 
a  et  s*en  retournèrent  à  Liebourne  où  le  duc  estoit.  Quant 
a  le  duc  de  Lancastre  07  la  response  de  ceulx  de  Bour- 
«  deaulx,  il  pensa  sus  et  ymagina  tantost  que  les  besoingnes 
«  pour  lesquelles  il  estoit  venu  ou  pays  ,  ne  seroient  pas  si 
«  tost  achiévées  comme  de  premier  il  supposoit  et  luy 
«  avoit-on  donné  à  entendre.  Non  obstant  ce  il  envoya  son 
a  conseil  vers  la  cité  de  Baionne  ,  et  furent  recueillies  des 
0  Baïonnois  pareillement  comme  ils  avoient  esté  de  ceulx 
a  de  Bourdeaulx,  et  n'en  peurent  avoir  autre  chose ,  ne 
«  autre  response.  Finablement  tous  les  prélats,  les  nobles  et 
0  les  consauls  des  cités  et  bonnes  villes  de  Gascoingne  ,  de 
«  l'obéissance  du  roy  d'Angleterre,  se  conjoindirent  ensem- 
«  ble  et  se  cloïrent  sur  la  fourme  et  manière  que  je  vous 
a  diray.  Bien  vouloient  recueillier  ens  es  cités  ,  chasteaulx 
«  et  bonnes  villes  le  duc  de  Lancastre,  comme  le  flls  du  roy 
«  Edouard  de  bonne  mémoire  et  oncle  du  roy  Richard 
a  d'Angleterce  ,  et  au  recueillier  et  à  l'entrer  ens  es  forte- 
«  resses  luy  faire  jurer  solempnellement  que  paisiblement 
«  et  débonnairement  luy  et  les  siens  entre  euls  se  tiendroient 
«  et  demoureroient  sans  euls  en  riens  efforchier,  et  leurs 
a  deniers  paieroient  de  tout  ce  que  ils  prenderoient ,  ne  jà 
a  la  juridiction  de  la  couronne  d'Angleterre  le  duc  de  Lan- 
0  castre  ne  oppresseroit ,  ne  feroit  oppresser  par  quelcon- 
«  ques  voye,  ne  action  que  ce  fuist.  Bien  respondoit  le  duc 
a  de  Lancastre  à  ces  paroles,  et  disoit  que  il  n'estoit  pas 


Digitized  by 


Google 


DE  IBAN  DE  GRAILLT.  151 

venu  ou  pays  pour  grever,  ne  oppresser  le  pueple,  mais  le 
vouloit  garder  et  deffendre  contre  tout  homme  aiosi 
comme  son  héritage,  et  prioit  et  requéroit  que  le  comman- 
dement du  roy  d^Ângleterre,  ainsi  que  il  ^  s*estendoit  * , 
foist  accomply.  Le  pays  ,  de  voix  commune ,  tant  que  à 
celle  '  partie  ^,  respondoit  et  disoit  que  jà  de  la  couronne 
d'Angleterre  ne  se  départiroient,  ne  point  n  estoit  ou  roy 
d'Angleterre,  ne  en  sa  puissance,  de  euls  donner,  ne  met- 
tre à  autre  seigneur  que  luy.  Ces  demandes,  ces  remons- 
trances  et  ces  deffenses  furent  proposées  moult  longue- 
ment et  moult  de  fois  entre  le  duc  de  Lancastre  et  les 
dessus  nommés  de  Gascoingne.  Quant  le  duc  de  Lancastre 
vey  que  il  n'en  auroit  autre  chose ,  il  flst  requeste  au 
pays  que  les  nobles  ,  les  prélats  et  les  consauls  des  cités 
et  bonnes  yiUes  voulsissent  envoler  en  Angleterre  devers 
le  roy  et  son  conseil,  et  il  y  envoieroit  aussi  de  son  con- 
seil si  noblement  que  bien  devroit  soufSre,  et  tout  ce  que 
veu  et  trouvé  seroit  ou  conseil  du  roy  d'Angleterre,  il 
tenroit  à  ferme  et  à  estable ,  fuist  pour  luy,  fuist  contre 
luy.  Ceulx  de  Gascoingne  regardèrent  et  considérèrent 
que  ceste  requeste  estoit  raisonnable  :  si  y  descendirent 
et  l'accordèrent  au  duc  tout  ainsi  que  proposé  l'avoit ,  et 
vint  le  duc  de  Lancastre  logier  et  demourer  en  la  cité 
de  Bourdeaulx,  et  toutes  ses  gens,  et  se  loga  en  l'abbaye 
de  Saint-Andrieu,  ot  autreffois  il  s'estoit  logié.  Et  ceulz 
de  la  cité  de  Bourdeaulx  ,  de  Bayonne  et  de  Daix  ordon- 
nèrent soufSssans  hommes  et  de  grant  prudence  pour 
envoyer  en  Angleterre ,  et  les  barons  de  Gascoingne  de 
l'obéissance  du  roy  d'Angleterre  pareillement.  Or  devés- 
vous  savoir  que  quant  le  roy  de  France  et  ses  oncles  et 
leurs  consauls  entendirent  certainement,  par  ceulx  des 

*-•  Eatoit.  —  •■*  Entrée. 


Digitized  by 


Google 


1S2  aiciTs 

«  frontières  et  séneschaulcies  de  leurs  obéissances  ,  que  le 
«  duc  de  Lancastre  estoit  paisiblement  entré  en  la  cité  de 
«  Bourdeaulx  et  là  se  tenoit  et  demouroit  ;  et  ne  scavoient,  ne 
a  povoient  sçavoir  à  quoy  il  pensoit ,  ne  se  il  vouldroit 
«  tenir  les  trièves  qui  estoient  entre  France  et  Angleterre 
«  jurées  à  tenir  par  mer  et  par  terre,  si  ymaginèrent  et  pen- 
«  sôrent  sus  grandement,  et  leur  fut  advis  que  bon  seroit  de 
«  envoyer  devers  le  duc  de  Lancastre  souflSssans  messages 
«  pour  mieulx  savoir  son  intention.  Si  furent  esleus  pour  y 
«  aler  premièrement  :  messire  Boucicault ,  marescbal  de 
a  France,  et  messire  Jehan  de  Chastel-Morant  et  messire 
«  Jehan  le  Barrois  des  Barres ,  et  dévoient  mener  mille 
«  lances  '  toutes  *  estoffées  '  et  bonnes  gens  d*armes  ainsi 
tt  que  ils  firent ,  et  exploittièrent  tant  par  leurs  journées 
«  que  ils  vindrent  en  la  cité  ^  d*Agenis  ',  et  là  se  logièrent 
«  et  ou  pays  d'environ ,  et  puis  envolèrent  les  seigneurs 
«  hérauls  et  messagiers  en  la  cité  de  Bourdeaulx  devers  le 
«  duc  de  Lancastre  en  luy  remonstrant  que  voulentiers  ils 
«  parleroient  à  luy.  Le  duc  fist  aux  messages  très-bonne 
«  chiôre  et  entendy  à  leurs  paroles  ,  et  escripvy  par  euls 
«  aux  seigneurs  dessusnommés  que,  puisqu'ils  avoient  afiec- 
a  tion  de  parler  à  luy  ,  il  Tavoit  aussi  à  euls  ,  et  pour  euls 
a  donner  moins  de  *  traveil  ^ ,  il  venroit  à  Bergherac,  et  là 
a  parlementeroient-ils  ensemble.  Les  messages  retournèrent 
«  à  Agenis  et  '  monstrèrent  *  à  leurs  seigneurs  les  lettres 
«  du  duc  de  Lancastre.  Si  y  adjoustèrent  foy  et  crédence 
«  et  se  ordonnèrent  selon  ce  ,  et  si  tost  comme  ils  sorent 
a  que  le  duc  de  Lancastre  fut  venu  à  Berguerac,  ils  se  par- 
«  tirent  de  la  cité  de  Agenis  et  se  trairont  vers  Berguerac, 
«  et  leur  fut  la  ville  ouverte  et  appareillie,  e{;  entrèrent 

«■•  Bien.  —  •-•  En  point.  —  *•  D'Agen.  —  •-'  Peine.  —  •^  BaU- 
liôi'ent. 


Digitized  by 


Google 


DE  JEAN  DE  GRAILLT.  lt(5 

«  dedens  et  se  misrent  les  seigneurs  à  ^  hostel  ^,  car  toutes^ 
«  leurs  gens  n'entrèrent  point  en  la  Tille,  mais  se  logièrent 
«  ens  es  fourbours  et  villages  à  Fenviron. 

a  Ces  seigneurs  parlèrent  au  duc  de  Lancastre  qui  les 
a  receupt  moult  grandement  et  doulcement ,  car  bien  le 
«  sçavoit  faire ,  et  entendy  à  toutes  leurs  paroles  et  res- 
«  pondy  à  celles,  et  dist  ainsi  que  bon  amy  et  Toisin  il  vou- 
«  loît  estre  au  roy  de  France  et  au  royaulme  ,  et  tenir  les 
«  trièves  telles  comme  elles  estoient  données  et  séellées 
«  entre  le  royaulme  de  France  et  le  royaulme  d*Ângleterre, 
a  leurs  conjoinds  et  leurs  ahers,  par  mer  et  par  terre  ;  car 
«  il-meismes  les  avoit  aidié  à  traittier  et  ordonner ,  si  ne 
«  les  devoit ,  ne  vouloit  enfraindre  ,  ne  brisier ,  et  de  ce 
a  fiiist-on  tout  asseuré.  Les  responses  du  duc  de  Lancastre 
a  pleurent  grandement  à  ces  seigneurs  de  France,  et  furent 
a  le  duc  et  euls  amiablement  ensemble  ,  et  leur  donna  le 
«  duc  à  disner  et  à  soupper  moult  grandement  ens  ou  chas- 
tt  tel  de  Berguerac  ,  et  puis  prindrent  congië  Tun  de  Tau- 
«  tre  moult  courtoisement,  et  retourna  le  duc  de  Lancastre 
«  à  Bourdeaulx,  et  les  François  en  France  ,  et  trouTèrent 
«  sur  leur  chemin  en  la  cité  de  Poitiers  le  duc  de  Berry, 
a  auquel  les  trois  seigneurs  dessus  nommés  recordèrent  tout 
c  ce  que  exploittié  avoient  et  la  response  que  le  duc  de 
a  Lancastre  leur  avoit  faite.  Si  souffist  bien  au  duc  de 
«  Berry,  et  luy  sembla  raisonnable,  et  aussi  flst-il  au  roy 
«  de  France  et  au  duc  de  Bourgoingne,  quant  ils  en  furent 
«  infourmés  et  ces  seigneurs  dessus  nommés  furent  retour- 
«  nés  en  France.  Si  demeura  la  chose  en  tel  estât  et  sus 
«  bonne  asseurance. 

«  Or  est  advenu,  sicomme  vous  le  verres,  ce  me  dist  mes- 
«  sire  Jehan  de  Grailly  ,  que  le  duc  de  Lancastre  a  envoyé 

*^  Iceulx  bostels  qui  leur  avoient  esté  ordonnés. 


Digitized  by 


Google 


au  BiCITS 

«  par  deçà  en  Angleterre  de  son  conseil ,  tels  que  messire 
a  Jehan  de  la  Perrière  et  messire  Pierre  de  Glisqueton  et 
«  deux  ders  maistres  en  loix,  tels  que  maistre  Jehan 
a  Huche  et  maistre  Richard  de  Lincestre»  pour  parlementer 
«  et  proposer  toutes  ses  ententes  en  la  présence  du  roy,  de 
«  ses  oncles  et  de  tout  le  conseil  d'Angleterre,  et  pour  ce  le 
«  roy  chevauche  à  présent  vers  Eltem,  et  seront  là,  jeudy 
«  qui  vient  qui  sera  le  jour  de  la  Magdalène,  toutes  les  par- 
«  ties  ;  mais  ce  que  ordonné  en  sera  ,  je  ne  le  puis  savoir 
«  fors  tant  que  j*ay  ainsi  entendu  que  le  duc  de  Glocestre, 
ff  frère  au  duc  de  Lancastre,  y  est  et  sera  trop  grandement 
a  en  tous  estas  et  toutes  manières  pour  son  frère  ,  et  me 
«  suis  laissié  infourmer  par  aucuns  Ânglois  qui  en  cuidoient 
ff  bien  sgavoir  aucune  chose,  que  le  duc  de  Glocestre  8*i  en- 
«  cline  principalement  pour  ce  que  il  verroit  voulentiers 
«  que  son  frère  de  Lancastre  demourast  de  tous  poins  en 
ff  Guienne,  et  plus  ,  par  cause  de  résidence  ,  ne  retoumast 
«  en  Angleterre,  car  *  il  y  •  estoit  '  trop  grant.  Et  ce  Tho- 
«  mas  ^  de  Glocestre  est  d*une  très-mei*veilleuse  teste  ,  et 
ff  est  orgueilleux  et  présumptueux  et  de  très-périlleuse 
«  manière  ;  mais,  quoy  que  il  face,  ne  die,  il  est  tousjours 
«  advoué  de  la  communaulté  d'Angleterre  et  en  est  très- 
«  grandement  bien  amé  ,  et  tousjours  s*enclinent  à  luy  et 
«  il  à  euls  :  c'est  celluy  qui  âst  morir  et  déceler  ce  vaillant 
a  chevallier  messire  Simon  Burlé  et  a  bouté  hors  d'Angle- 
«  terre  le  duc  d'Irlande  et  larchevesque  dTorch,  et  plu- 
«  sieurs  *  autres  du  cooseil  du  roy  a-il  fait  •  morir  cruelle- 
a  ment  à  tort  et  sans  cause  par  hayne  et  maint  autre  à 
«  petite  occoison,  entrons  par  espécial  que  le  duc  de  Lan- 
«  castre  a  esté  delà  la  mer,  fuist  ou  royaulme  de  Castille 
a  ou  de  Portingal ,  et  povés  bien  penser  que  il  est  en  ce 
a  pays  trop  plus  cremu  que  amé. 

•  •  Luy.  —  "  Est.  —  *  Duc.  —  •  Chevaliew  et.  —  •  Chasser  ou. 


Digitized  by 


Google 


DE  JEAN  DE  GRAILLT.  455 

«  Or  laissons  ^  estre  *  pour  le  présent  à  parler  de  ceste 
matière ,  ce  dist  ^  Jehan  de  Grailly ,  et  parlons  de  la 
seconde  ^  qui  m'est  plus  agréable  ^.  Il  m*est  advis  ,  selon 
ce  que  je  voy  et  que  je  suis  infourmé,  que  le  roy  d'Angle- 
terre se  marieroit  •  voulentiers ,  et  a  fait  ''  jetter  sa 
visée  '  partout ,  et  ne  treuve-on  nulle  femme  pour  luy  ; 
car  ,  se  le  duc  de  Bourgoingne  ou  le  conte  de  Haynnau 
euissent  nulles  filles  en  point  de  marier  ,  il  y  entendesist 
voulentiers,  mais  ils  n'en  ont  nulles  qui  ne  soient  allouées 
et  assignées.  Il  est  venu  avant ,  qui  luy  a  dit  que  le  roy 
de  Navarre  a  des  suers  et  des  filles ,  mais  il  n'y  veult 
entendre.  Le  duc  de  Glocestre  son  oncle  a  une  fille  toute 
grande  assés  pour  entrer  en  mariage  ,  et  verroit  voulen- 
tiers que  le  roy  son  nepveu  la  presist  à  femme  ;  mais  le 
roy  n'y  véult  entendre,  et  dist  qu'elle  luy  est  trop  pro- 
chaine de  lignage,  car  elle  est  sa  cousine  germaine.  Â  la 
fille  du  roy  de  France  s'encline  le  roy  d'Angleterre,  dont 
on  est  moult  esmerveillië  en  son  pays  dé  ce  que  il  veult 
prendre  la  fille  de  son  adversaire  en  mariage,  et  n'en  est 
pas  le  mieulx  amé  de  son  poeuple,  mais  il  n'en  fait  compte, 
et  monstre  et  a  monstre  tousjours  que  il  auroit  plus  chier 
la  guerre  d'autre  part  que  au  royaulme  de  France,  car  il 
vouldroit,  et  tout  ce  scet-on  de  luy  par  vraie  expérience  , 
que  bonne  paix  fuist  entre  luy  et  le  roy  de  France  et 
leurs  royaulmes,  conjoinds  et  adhers.  Et  dist  ainsi  que  la 
guerre  a  trop  duré  entre  luy  et  ses  ancisseurs  ou 
royaulme  de  France  ,  et  trop  de  vaillans  hommes  en  sont 
mors  •,  et  trop  de  maléfices  perpétrés  et  advenus,  et  trop 
de  poeuple  crestien  tourné  à  perdition  et  destruction , 
dont  la  foy  crestienne  en  est  afibiblie  '®.  Et  est  advenu 

*^  Ester.  —  •  Messire.  —  *-»  Et  de  la  plaisance  du  i^oy.  —  •  Très. 
-  f'*  Chercher.  —  *  Tant  d*une  part  que  d'autre.  —  '*  Et  amoindrie. 


Digitized  by 


Google 


1S6  RÉCITS 

«  que  pour  oster  le  roy  de  ce  propos  (car  il  n  est  mie  plai- 
a  sant  ^  au  *  royaulme  d'Angleterre)  de  luy  marier  en 
«  France  ,  on  luy  a  dit  que  la  fille  du  roy  de  France  est 
«  trop  jeune  et  que  encoires  dedens  cinq  ou  six  ans  il  ne 
«  s'en  pourroit  aidier  ;  mais  il  a  respondu  et  dit  ainsi  que 
«  Dieu  y  ait  part ,  et  qu'elle  croistra  en  eage ,  et  trop  plus 
«  chier  pour  le  présent  il  la  joeune  que  aagie.  Et  à  ce  il  baille 
a  raison  selon  sa  plaisance  et  ymagination»  et  dit  ainsi,  que 
«  se  il  le  a  joeune,  il  la  duira  et  ordonnera  à  sa  voulenté  et 
«  la  mettera  et  enclinera  à  la  manière  d'Angleterre,  et  que 
«  il  est  encoires  jeune  assés  pour  attendre  tant  que  la  dame 
«  soit  en  eage  compétent.  Ce  propos  ne  luy  pot  nuls  oster  , 
a  ne  brisier  ;  et  de  tout  ce  avant  vostre  partement  vous 
«  verres  plusieurs  choses,  car,  pour  entendre  plainement  à 
a  toutes  ces  besongnes,  le  roy  chevauche  devers  Londres.  » 
Ainsi  par  sa  courtoisie  se  devisoit  sur  le  chemin  à  moy 
en  chevauchant  entre  Rocestre  et  Dardeforde  messire  Jehan 
de  Grailly,  capitaine  de  Bouteville,  qui  jadis  avoit  esté  fils 
bastard  de  ce  vaillant  chevallier  le  captai  de  Beuf ,  et  ses 
paroles  je  les  ouoye  très-voulentiers  et  les  mettoie  toutes  en 
'  retenance  ^  ;  et  tant  que  nous  fiismes  sur  le  chemin  de 
Ledes  à  Eltem,  je  chevauchay  tousjours  le  plus  en  sa  com- 
paignie  et  en  celle  de  messire  Guillemme  de  Lille. 


Or  vint  le  roy  à  Eltem  par  ung  mardy ,  et  le  mercredy 
enssieuvant  commencièrent  à  venir  seigneurs ,  barons  et 
chevalliers,  de  toutes  pars,  et  vindrent  le  duc  de  Glocestre, 
le  conte  d'Arondel ,  le  conte  de  Northombrelande  ,  le  conte 
de  Kent ,  le  conte  de  Rosteland  ,  le  conte  Mareschal ,  Tar- 
chevesque  de  Cantorbie  ,  Tarchevesque  dTorch ,  l'évesque 

*-•  A  ceux  du.  —  •-*  Mémoire. 


Digitized  by 


Google 


DE  RICHABD  STURT.  157 

de  Londres,  l'éyesque  de  Vincestre  et  tous  ceulx  qui  man- 
dés y  estoient ,  et  furent  là  le  jeudy  à  heure  de  tierce.  Si 
encommenchèrent  les  parlemens  en  la  chambre  du  roy,  et  là 
estoient ,  en  la  présence  du  roy  ,  de  ses  oncles  et  de  tout  le 
conseil,  les  chevalliers  gascoings ,  qui  envoies  y  estoient 
pour  leur  partie,  et  aussi  le  conseil  des  cités  et  des  bonnes 
villes  et  le  conseil  du  duc  de  Lancastre  ^  Aux  paroles  qui 
furent  là  dittes  et  proposées  je  n'estoie  pas  présent ,  ne  nul- 
lement estre  ne  povoie,  car  princes,  barons,  prélats,  ne  che- 
valliers n'estoient  en  la  chambre,  fors  tant  seulement  les 
seigneurs  du  conseil  ;  mais,  quant  le  conseil  fut  espars,  qui 
dura  plus  de  quatre  heures  et  ce  vint  après  disner  ,  je  me 
acointay  de  ung  anchien  chevallier  que  jadis  en  ma  jeunesse 
je  avoie  veu  en  la  chambre  du  roy  Edouard  ,  et  pour  lors  il 
estoit  du  destroit  conseil  du  roy  Richard  et  bien  le  vailloit , 
et  estoit  nommé  messire  Richard  Stury,  lequel  me  *  con- 
gnut  '  tantost ,  et  estoient  bien  XXIIII  ans  passés  que  il  ne 
m  avoit  veu  ,  et  la  dernière  fois  où  ce  avoit  esté  ,  ce  fut  à 
*  Cîodenberghe  ^  à  Brouxelles  ,  en  Tostel  du  duc  Vincelant 
de  Brabant*,  Messire  Richard  Stury  me  flst  très-bonne 
chière  ,  et  me  recueilly  et  conjouy  grandement  et  doulce- 
ment  et  me  demanda  de  plusieurs  nouvelles.  Je  luy  en  res- 
pondy  tout  à  point  de  celles  que  je  savoie.  Et  après  tout  ce 
et  en  gambiant  luy  et  moy  ens  es  allées  à  Fissue  de  la 
chambre  du  roy  à  Eltem,  je  luy  demanday  de  ce  conseil , 
voire  se  dire  le  me  povoit,  comment  il  estoit  conclud.  Il 
pensa  sus  ma  parole  ^  et  demande  '  ung  petit ,  et  puis  me 
respondy  et  dist  :  a  Oyl,  ce  ne  sont  pas  choses  qui  facent  à 
«  celer  ;  car  prochainement  on  les  verra  et  orra  publier  • 

•  Y  estoient.  —  "  Recongnut.  —  *-•  Colleberghe.  —  •  Et  de  la 
duchesse  Jehanne  de  Brabant  sa  femme.  —  ^~*  Et  demoara..  Attendit. 
—  *  Pabliquement. 


Digitized  by 


Google 


158  E&CIT8 

partout.  »  —  «  Vous  savés,  dist  le  chevallier  y  et  avés 
bien  ouy  recorder  comment  le  duc  de  Lancastre  est  aie 
en  Aquitaine  et  du  don  que  le  roy  nostre  sire  luy  a  £sdt 
et  donné  sur  fourme  et  entente  de  bonne  ^  conclusion  *  ; 
car  le  roy  ayme  et  '  crient  ^  tous  ses  charnels  amis  et 
par  espécial  ses  oncles  ,  et  se  sent  et  dist  moult  tenu  à 
ceulx  et  espécialement  à  son  oncle  le  duc  de  Lancastre  ;  et 
en  cause  de  rémunération  qui  est  belle  et  grande  et  bien 
congneute,  et  pour  les  beaulx  services  que  le  duc  a  fais  à 
la  couronne  d'Angleterre  ,  tant  deçà  la  mer  comme  delà, 
le  roy  luy  a  donné  purement  et  quittement  à  luy  et  à  ses 
hoirs  perpétuellement  toute  la  duchié  d*Acquitaine  ainsi 
comme  elle  sestent  et  comprent  en  toutes  ses  môtes  et 
toutes  ses  limitations  ,  séneschaussées  ,  bailliages,  mair- 
ries ,  seigneuries  et  vassaudies,  et  en  clayme  quittes  tous 
ceulx  qui  de  lùy  tiennent  en  foy  et  en  hommage,  réservé 
le  ressort  :  autre  chose  n*y-a-il  en  riens  retenu  pour  la 
couronne  d'Angleterre  en  temps  advenir.  Et  le  don  que 
le  roy  a  fait  à  son  oncle  de  Lancastre  a  esté  fait  et  donné 
si  souffissamment,  que  passé  est  par  Taccord  et  confirma- 
tion de  ses  autres  oncles  et  de  tout  le  conseil  d'Angleterre 
généralement  et  espécialement ,  et  commande  le  roy 
nostre  sire  par  ses  lettres  patentes  et  en  parole  de  roy 
que  tous  ses  subgets  qui  sont  ens  ôs  mètes  et  limitations 
d'Acquitaine  et  enclos  dedens  les  bonnes  ^,  obéissent  de 
tous  poins,  sans  moien  nul,  ne  contredit  à  son  chier  et 
bien  amé  oncle  le  duc  Jehan  de  Lancastre,  et  le  tiengnent, 
ces  lettres  veues,  à  seigneur  souverain,  et  luy  jurent  foy 
et  hommage  à  tenir  loyaulment  et  pour  tous  ,  ainsi  que 
anchiennement  ils  ont  fait  et  tenu,  faisoient  et  tenoient, 
au  jour  que  ces  dittes  lettres  furent  ^  monstrées  ^,  au  roy 

*-•  Condition.  —  ^  Croit.  —  •  ViUo».  —  •-»  Amonatr^..-  DonnJM. 


Digitized  by 


Google 


DE  RICHARD  STDRT.  i59 

d'Angleterre  ou  à  leurs  commis  ;  et,  se  il  y  a  nul  rebelle, 
de  quelconque  estât  ou  condition  et  aiSaire  que  ce  soit, 
qui  contredie  aux  lettres  du  roy  envoyées,  les.lettresyeues 
et  entendues  parfaittement  d'article  en  article,  qu  ils  ayent 
pourvéance  de  conseil  pour  respondre  tant  seulement 
trois  jours.  Et  le  roy  donne  à  son  oncle  de  Lancastre  et  à 
ses  commis  et  députés  puissance  de  pugnir  et  corrigier  à 
sa  conscience  ou  à  leur  conscience,  sans  nulle  espérance 
avoir  de  retour,  ne  de  ressort. 

«  Or  est  advenu,  non  obstant  ces  lettres  et  le  fort 
et  destroit  commandement  du  roy  ,  que  les  cités  et 
bonnes  villes  de  Gascoingne  ,  obéissans  au  roy  d'Angle- 
terre et  les  barons  et  chevalliers  et  gentils  hommes  du 
pays  se  sont  conjoLnds  et  adhers  ensemble  et  clos  ung 
temps  à  rencontre  du  duc  ,  et  ne  veuUent  point  obéyr  et 
n*ont  ^  voulu  *,  et  dient  maintenant  et  soustiennent,  et  ont 
dit,  maintenu  et  soustenu  jusques  à  ores,  que  le  don  que 
le  roy  a  fait  à  son  oncle  de  Lancastre,  est  inutille  et  hors 
des  môtes  et  termes  de  raison.  Le  duc  qui  ne  veult  que 
par  doulceur  aler  avant  en  ceste  besoingne  ,  a  trop  bien 
ouy  et  entendu  leurs  deffenses  :  si  s  est  conseillié  sur  ce, 
•  avant  que  plus  grant  mal  ne  s  en  *  engendre  *,  que 
les  nobles ,  les  prélats  et  les  consauls  des  cités  et  bonnes 
villes  de  Gascoingne ,  obéissans  au  roy  d'Angleterre , 
soient  cy  venus  ou  aient  envoyé  ,  pour  oyr  droit  et  sça- 
voir  pourquoy  ils  ont  débatu  et  débatent  et  ont  opposé  et 
opposent  au  commandement  du  roy  et  à  son  plaisir  et 
voulenté.  Et  certainement  ils  ont  huy  remonstré  moult 
sagement  leurs  *  deffenses  et  attaint  les  termes  et  articles 
de  raison  ,  et  voulentiers  ont  esté  ouys  ,  et  ont  donné  au 
roy  et  à  tout  le  conseil  moult  à  penser  ,  et  pourront  bien 

*-•  Vouloir  —  •  Plus  y  procéder.  —  *■•  Suive.  —  •  Reeponses  et. 


Digitized  by 


Google 


160  RÉCITS 

«  demourer  sur  leur  querelle ,  et  je  vous  monstreray  et 
«  diray  raison  pourquoy ,  mais  tous  le  teurés  en  secret, 
«  tant  que  plus  avant  sera  congneu  et  publyé.  i»  Et  je 
«  respondy  en  disant  :  «  Sire,'  ce  feray  mon  *  sans  &ulte.  » 

a  Remonstré  et  dit  a  esté  par  la  parole  de  Tun  qui  est , 
«  ce  me  semble ,  officiai  de  Bourdeauk  ,  et  tous  ceulx  de 
«  sa  partie  lont  advoé  et  par  science.  Et  tout  premièrement 
m  a  monstre  procuration  pour  luy  et  pour  tous  les  autres  à 
tt  celle  fin  que  on  y  euist  plus  grant  ^  conôd^ice  ^  et  c*es- 
«  toit  raison  ;  et  mist  en  terme  que  la  cité  de  Bourdeaulx  , 
«  la  cité  de  Bayonne  ,  la  cité  de  Dax  et  toutes  les  sei- 
«  gnouries  qui  sont  appendans  et  appartenans  eus  es  mètes 
«  et  limitations  dlcelles,  sont  de  si  noble  condition  que  nul 
«  roy  d'Angleterre,  par  quelconque  action  que  ce  soit,  ne 
«  les  puet  oster ,  ne  desjoindre  du  domaine  de  la  couronne 
«  d*Angleterre,  ne  donner,  ne  aliéner  a  enfilant,  oncle,  ne 
a  frère  qu*il  ait,^  soit  fils  ou  fille*;  et,  que  ce  soit  vérité,  les 
«  dessus  dittes  villes ,  cités,  chasteaulx  et  seignouries  en 
<c  sont  prévilégies  souffissamment  des  roys  d'Angleterre , 
«  lesquels  Font  juré  à  tenir  entièrement  sans  nul  rap- 
«  pel  ;  et  si  trestost  que  ung  roy  d'Angleterre  entre  en  la 
«  possession  de  la  couronne  et  héritage  d'Angleterre,  il  jure 
«  souffissamment ,  la  main  mise  sur  le  missel,  à  entretenir 
«  icelles  conditions  et  non  enfraindre  et  corrompre.  Et 
«  vous  ,  trôs-chier  sire  ,  vous  Tavés  juré  à  tenir  souffisam- 
«  ment,  et,  que  ce  soit  vérité,  vescy  de  quoy.  » 

«  A  ces  paroles  il  monstra  et  mist  avant  une  lettre 
«  tabellionnée  et  séellée  du  grant  séel  d'Angleterre,  donnée 
«  du  roy  Richart  qui  là  présent  estoit,  et  la  lisy  tout  du 
«  long  de  clause  en  clause ,  laquelle  lettre  fut  bien  ouye 
«  et  entendue ,  car  elle  estoit  en  latin  et  en  françois  ;  et 

•"•  Je  le  feray.  —  •"*  Crédence.  —  •  •  Popr  cause  de  mariage,  ne 
autrement. 


Digitized  by 


Google 


ff  BOttmoit  en  U  ihi  ptusiears  prilats  rt  htali  barons  d'An-^ 
«  gletarre,  qui  A  ee  ftorent  qtpellés  en  causa  de  aeureté  et 
c  tesmoingnage,  desqueb  il  y  aToit  là  jusqnes  &  onze.  Quant 
«  ils  orent  ouy  la  lettre  lire ,  ik  regardèrent  tons  Ton  sur 
«  Fautre  et  sur  le  roy,  et  n'y  ot  homme  qui  desist  mot ,  ne 
c  quln^icquaet  contre  la  lettre.  Quant  oelluy  ot  leu ,  il 
«  reploya  la  lettre  moult  bellement,  et  puis  parla  avant  et 
«  dist,  adreachant  sa  parole  sur  le  roy  :  c  Tràs-chier  sireet 
«  redonbtë,  et  vous,  messeigneurs,  aveuc  toutes  «s  johoses 
«  lesqudles  vous  avés  oyes,  je  fus  chargié,  à  mon  départe* 
t  ment,  ^  des  bonnes  villes  dessus  dictes  et  de  tout  le  pays 
«  enclos  dedens,  que  je  vous  desisse  et  remonstrasse  une 
«  considération  que  le  conseil  des  cités  et  bonnes  villes  de 
«  Oascoingne,  de  Tobéissanoe  et  demàine  de  la  couronne 
t  d^Angleterre ,  ont  eu  sur  la  £9urme  dp  mandement  que 
c  envoyé  leur  avés,  ainsi  comme  il  appert  par  vostre  séeUé 
t  et  que  bien  congnoisscnt,  posé  que  il  smt  ce  qu'il  ne  poet 
t  estre  ;  car ,  se  il  estait  ainsi  que  ks  cités  et  bonnes  villes 

•  de  Guienne  s'encUnassent  à  voufeir  recepvmr  le  duc  de 
c  Lancastre  à  seigneur  et  fitissent  quittes  et  du  tout  déli* 
«  vres  à  toujours  mais  de'lliommage  et  obéissance  que  ils 

•  vous  doivent ,  ce  seroit  *  grandement  au  préjudice  de  la 
c  couronne  d'Angleterre  ;  car ,  se  pobr  le  temps  présent  le 

•  duc  de  Lancastre  est  homme  du  loy  et  biqn  ayme  à  tenir 
i  et  à  garder  tous  les  peins  et^artides  drottonars  de  la 
c  couronne  d'Ângletenre/eeste  aanovr  et  tenure  se  puet  ou 
ff  temps  advenir  trop  léjgièrenietit  perdre  et  eslongier  par 
c  les  hoirs  qui  se  muettt  et  les  mariages  qui  se  font  des 
t  smgneursterriens  et  des  dames  terriennes  de  l'un  A  l'autre, 

•  '  jà  ^  8oient4ls  prochains  et  conjoinds  de  lignage,  par  dis* 
c  pensation  de  pape,  car  il  est  nécessité  que  mariages  soient 

•  Du  eonieil .  —  •  Trop.  —  •^  Tant 

XT.   ^VEOiSSABT.  11 


Digitized  by 


Google 


Itt 


MÈcm 


t  fais  de  haulx  prinoâB  on  de  leurs  enffims  pour  tenir  les 
c  terres  ensemble  en  amour.  Et  pourroit  advenir  que  les 
t  hoirs  qui  dëseenderont  des  ducs  de  Lancastre,  se  ooajoin- 
tt  dnmt  par  mariage  aux  enffans  des  roys  de  France  ou  des 
«  ducs  de  Berry  ou  de  Bretaigne  ou  des  contes  de  Fois  ou 
«  d*Armeignach  ou  des  roys  de  Nayaire  ou  des  ducs  d'An- 
«  jou  ou  de  Maine,  et  qui  les  vouldront  tenir  de  puissance 
a  aveuc  les  alianoes  que  ils  trouTeront  et  feront  delà  la 
«  mer,  et  se  daymeront  hiretiers  de  ces  terres  et  metteront 
«  la  duchië  de  Guienne  en  débat  et  en  ruyne  contre  la  cou- 
«  ronne  d'Angleterre  ^  par  quoy  le  roy  d*Angleterre  et  le 
ft  royauhne  ou  temps  advenir  pourroit  avoir  trop  de  peyne, 
«  et  le  droit  eslongier  de  là  où  il  devroit  retourner,  et  la 
«  domaine  de  la  noUe  couronne  d'Angleterre  perdre  sa  sei- 
«  gnourie.  Pour  quoy,  très^chier  et  redoubté  ^  sire  *  et  roy, 
c  et  vous ,  nos  très^chiers  et  amés  seigneurs  de  son  noble 
«  conseil ,  vueilliée  omsidérer  tous  ces  poins  et  articles , 
«  lesquels  je  vous  ay  présentement  proposés  et  déterminés, 
t  se  il  vous  semble  bon  ;  car  c'est  la  parole  de  tout  le  pays 
«  qui  veult  demeurer  en  l'obéiswice  de  vous,  trte-redoubtë 
t  sire  et  roy,  et  ou  domaine  de  la  nobl^  OQuronne  d'Angle- 
t  terre.  » 

«  A  tant  se  cesifet  fJ'advocat  ^  à  parler  pour  Tewe,  et  les 
«  seigneurs  et  prélats  regardèrent  tous  l'un  l'autre,  et  puis 
«  se  misrent  énsémUe  en  approcbant  le  roy ,  tout  premiers 
c  ses  deux  oncles,  le  conte  d'JSriby  et  le  conte  d'Arondel.  Et 
«  fut  adont  dit  que  oeulx  qui  estoieat  là  venus  d*Acquitaine, 
«  partesissent  de  la  chambre  tant  que  ils  seroient  appelles, 
c  Ils  le  firent ,  et  les  deux  chevalliers  ausû,  qui  là  estoient 
«  de  par  le  duc  de  Lancastre.  ^  Quant  ils  furent  yssus  hors 
«  de  la  chambre ,  le  roy  demanda  conseil  aux  prélats  et 

«-•  Signeur.  —  •*  L'offlcial.  —  «^  Et  ea  (ait. 


Digitized  by 


Google 


DB  AIGHARD  STURT.  463 

aux  barons  qui  là  estoient,  quel  chose  en  estoit  bonne  à 
faire  et  à  respondre.  Les  prélats  tournoient  la  response 
sur  les  oncles  du  roy  pour  tant  que  la  chose  leur  povoit 
et  devoît  plus  touchier  que  à  nuls  des  autres.  De  premier 
ils  se  excusoient  de  non  respondre  et  disoient  que  lai 
matière  estoit  commune  et  devoit  estre  délibérée  par 
commun  conseil  et  non  par  grâce  de  proixmeté  ,  ne  de 
faveur ,  et  ^  furent  •  sus  cel  estât  une  espace.  Finable- 
ment  la  response  fut  tournée  sur  le  duc  de  Glocestre ,  et 
fut  requis  et  prié  que  il  en  Toulsist  dire  son  advis.  Il  en 
respondy  et  dist  que  forte  chose  seroit  de  ester  à  ung  roy 
le  don  que  il  avoit  donné  et  confermé  et  sëellé  par  rac- 
cord de  tous  ses  hommes  et  la  dëlibëration  dé  son  plus 
espécial  conseil,  quoyque  ses  subgets  y  fuissent  rebelles  , 
et  que  le  roy  n'estoit  pas  sire  de  son  héritage,  se  il  n'en 
povoit  faire  sa  voulenté.  Aucuns^  gloscôrent  *  bien  ceste 
parole,  et  les  aucuns  en  leur  coun^  disoielrt  bien  que  la 
response  n'estoit  pas  raisonnable ,  mais  contredire  n*y 
«soient  ;  car  le  duc  de  Glocestre  estoit  trop  cremeu,  et  le 
conte  d*Brby,  fils  au  duc  de  Lancastre,  estoit  là  présent, 
qui  releva  tantost  la  parole  et  dist  :  a  Beaulx  oncles  ; 
vous  kvés  bien  parlé  et  remonstré  toute  raison  ,  et  je  de 
ma  personne  ensieuls  vostre  parole.  9  L^  conseil  se  com- 
mença à  despechier ,  et  les  aucuns  prindrent  à  murmurer 
Fun  à  l'autre ,  6t  ne  furent  point  rappelles  ceulx  de 
Guienne  ,  ne  les  deux  chevalliers  du  duc  de  Lancastre. 
«  *  Quant  le  roy  d'Angleterre  *  en  vey  l'ordonnance  ^,  si 
s'en  dissimula  ung  petit ,  et  fut  son  intention  que  après 
disner  on  remetteroit  le  conseil  ensemble  à  savoir  se 

*"*  Ont  demonrj.  -r-  *^  QloMérent.  —  *  Sar  qnoy  Taneieii  chevalier 
finit  eon  propos  ;  mêu  depnûi  Je  sceiui  de  luy  que,  -*  **'  Vey  ces 


Digitized  by 


Google 


riens  qui  foist  plus  ^  propice  *  et  acceptable  pour  la  oou- 
ronne  d'Angleterre ,  aoroit  point  de  lieu  ,  ne  so^oit  pro- 
posé plus  avant.  Et  fist  parler  rarchevesque  de  Gantorbie 
de  ce  dont  au  matin  il  le  aToit  chargié,  c*estoit  sur  Testât 
de  son  mariage  et  pour  envoyer  en  France  ;  car  sur  ce  il 
avoit  très-grande  et  bonne  affection  de  persévérer. 
Autreffois  en  avoit  parlé ,  et  estoient  les  seigneurs  ^  auc- 
ques  ^  d'accord  pour  7  envoyer,  et  ceulx  nommés,  qui  aler 
y  dévoient,  mais  leur  charge  ne  leur  estoit  point  encoires 
tpute  baillie  et  leur  fut  baillie  à  ce  parlement. 
«  Ordonné  estoit  que  Tarchevesque  de  Duvelin  ,  le  conte 
de  Rosteland,  le  conte  Mareschal ,  le  sire  de  Biaumont , 
messire  Eue  le  Despensier ,  messire  Loys  de  Cliffort  et 
jusques  h  vingt  chevalliers  et  quarante  escuiers  d'honneur 
yroient  en  France  devers  le  roy  de  France  pour  traittier, 
parler  et  pryer  du  mariage  de  sa  fille  Ysabel ,  laquelle 
povoit  avoir  pour  lors  environ  huit  ans ,  et  estoit  encou* 
Vttienchie  par  mariage  ailleurs  au  fils  du  duc  de  Bre« 
taigne ,  sicomme  *  il  est  cy-dessus  contenu  et  que  les 
appointemens  et  *  traittiés  s'en  portèrent  ft  Tours  en 
Thouraine.  Or  regardés  comment  ce  se  pourra  deffaire  ; 
car  le  roy  de  France  et  ses  oncles  Tout  tout  séellé  au  duc 
de  Bretaigne.  Néantmains  ces  ambassadeurs  d'Angle- 
terre furent  infourmés  de  toute  leur  charge,  et  se  dépar- 
tirent et  yssirent  hors  d'Angleterre  et  arrivèrent  par 
deux  ou  trois  jours  de  Douvres  à  Calais  et  là  se  raâjnes- 
chirent  et  leurs  chevaulx  cinq  jours^  et  depuis  se  dépar- 
tirent en  grant  arroy ,  et  se  misrant  au  chemin  pour  venir 
à  Amiens ,  et  envolèrent  devant  ^  Marche  *  le  hérault» 
roy  d'Irlande  tant  que  en  armes,  lequel  leur  avoit 
apporté  ung  saulf-conduit  alant  et  retournant  de  Calais 

•"•  Propre.  —  »^  Presque.  —  •-•  Vous  savës  que  les.  —  "  Marite. 


Digitized  by 


Google 


devers  le  roy  de  France  et  de  ïk  ntowmBr  &  Calais. 
Avettc  tout  ce  le  sire  de  Montcavrel  leur  fut  baillié  en 
'  gardé  *  pour  fiûre  ouvrir  dtés  et  bonnes  villes  et  euls 
administrer  ce  que  il  leur  besoi^oit.  Dont  nous  soufire- 
rons  ung  petit  parler  de  eulx  et  parlerons  des  matiâres 
devant  proposées. 

c  Ainsi  que  ic^-dessus  je  vous  ay  dit  et  proposé  ,les  con- 
sauls  des  cites  et  bonnes  villes  d*Acquitaine  prioient 
et  requéroient  au  roy  d'Angleterre  et  à  son  conseil  que 
ils  fuissent  tenus  ea  leurs  libertés  et  franchises  et  ou 
demaine  '  d'Angleterre ,  ainsi  que  juré  on  leur  avoit  et 
dontde  trop  anchien  temps  previlégiés  en  estoient,  et  voii- 
loient  tenir  et  tenoient  &  bons  ces  privilèges ,  ne  point 
^  partir  *  ne  s*en  vouloient  par  quelconque  cause ,  ne 
action  ou  condition  que  ce  fuist.  *  Les  quatre  pars  du 
conseil  du  roy  d'Angleterre  et  la  commune  voix  du  pays 
les  en  tenoient  à  vaillans  et  preud*hommes  ;  mais  Thomas 
de  ^  Widescot  * ,  mainsné  fils  du  roy  d'Angleterre ,  et  le 
duc  de  Glocestre  brisoient  et  empeschoient  tout  et  mons* 
troient  appertement  que  ils  euissent  voulentiers  veu  que 
le  duc  de  Lancastre  fuist  demeuré  en  Acquitaine  ,  car  il 
estoit  trop  grant  en  Angleterre  et  trop  prochain  du  roy. 
Desonfrôrele  duc  Aymond  d'Yorchne  faisoient-ils  compte, 
car  il  ne  visoit,  ne  pensoit  à  *  nul  malice  '®  »  ne  à  '^  quel- 
que "  chose,  fors  d*estre  tout  aise,  et  avoit  pour  ce  temps 
une  beUe  jeune  dame  à  femme  et  moult  gracieuse,  flUe  au 
conte  de  Kent ,  où  il  prendoit  tous  ses  esbatemens.  Et  le 
duc  de  Glocestre  son  frôre,  qui  soubtil  et  malicieux  estoit, 
demandoit  toudis  "  aucune  chose  À  son  nepveu  le  roy 
Richart  d'Angleterre,  et  fiiisoit  le  povre,  quoyque  il  fuist 

•-■  Qaide.  —  •  De  la  coaronne.  —  *-•  Oeter,  ne  départir,  —  •  Dont. 
-  '-•  Wideitoo.  —  •^  NnUe  mauvaiatié.  —  "-"  Autre.  —  ••  Avant. 


Digitized  by 


Google 


166  wkms 

ung  gnmt  seigMor .  6ar  il  estoit  oonnestaUe  d*AiigI^ 
terre  ,  oonte  de  ^  Harfort  *  «  d*ExcesBes  et  de  Buch ,  et 
joyssoit  paisiblement  de  tout  ce ,  et  aveuc  ce  sur  les  eo£r 
tires  du  roy  il  avoît  par  an  quatre  mil  nobles ,  et  n^euist 
point  cheyauchië  hors  pour  les  besoingnes  du  roy  «  ne  du 
royaulme  ung  jour,  se  il  ne  sceuist  comment  ;  et  pour  ce 
estoit-il  différent  à  ce  conseil  contre  les  Acquitbûns  et 
s'endinoit  à  ce  que  son  frère  de  Lancastre  demourast  à 
tousjours  mais  hors  d^Anj^eterre ,  car  du  demourant  il 
se  cheTiroit  bien.  Et  encoires,  pour  monstrer  que  il 
estoit  sires  et  onde  du  roy  et  le  plus  grant  du  conseil  « 
si  tost  comme  il  ot  dit  son  entente  et  il  yey  que  on  mur- 
muroit  ensemble  en  la  chambre  du  roy  et  que  les  prélats 
et  les  seigneurs  parloient  deux  À  deux  «  il  yssy  de  la 
diambre,  et  le  conte  d*Erby  '  en  sa  compaignie  ^ ,  et  s'en 
vindrent  dedens  la  salle  à  Eltem  et  firent  là  estendre  une 
nappe  sur  une  table  et  s'assirent  au  disner  ,  et  ainsi  lais- 
sièrent  les  autres  parlementer.  Et  quant  le  duc  dTcrdi 
sceut  que  ils  disnoient ,  il  leur  vint  tenir  conq»aignie  ;  et 
tantost  après  leur  disner  qui  fiit  bien  brief ,  le  duc  de 
Glocestre  se  dissimula  et  prinst  congié  au  roy  séant  à 
table,  et  puis  s'en  départy  et  monta  à  cheval  et  retourna 
&  Londres  ;  mais  le  conte  d*£rby  demeura,  et  tous  les 
seigneurs,  ce  jour  et  rendemain  delés  le  roy  ;  et  ne 
peurent  ceulx  d'Âcquitaine  pour  lors  avoir  nulle  expédi- 
tion, ne  délivrance.  9 
Je  me  suis  *  ddité  *  à  vous  monstrer  au  long  ^  le  procès  * 
de  ces  matières  dessus  dittes  et  proposées  pour  vous  mieulx 
infourmer  de  la  vérité  ,  et  pour  tant  que  je  acteur  de  ces 
histoires  y  estoie  présent.  Et  toutes  les  parties  qui  sont  icy- 
dessus  contenues,  celluy  vaillant  chevallier  anchien  messire^ 

«-•  Hereford.  —  "  Aveoc  luy.  —  ••  Délecté.  —  »'•  Partie. 


Digitized  by 


Google 


M  UCBAUI  STOET.  i67 

Richard  Stury  ks  me  dist  et  racompta  mot  à.mot  en  ^  gamr 
biant  les  *  gaUeries  de  Tostel  À  Eltem  où  il  fidsoit  moult  bel 
et  moult  plaisant  et  umbru,  car  '  icelles  gaUeries  ^  pour  lors 
estoient  toutes  couvertes  de  vignes. 


Or  advint'  le  dimence  «nssieuvant  et  que  *  tous  ces  con- 
sauls  furent  *  partis  ^  et  retrais  à  Lcmdres  ou  ailleurs  en 
leurs  lieux  ,  réservé  le  duc  cCYorch  qui  demeura  delës  le 
roj  et  messire  Richard  Stury,  ces  deux,  aveuc  messire  Tho- 
mas de  Persj,  remisrent  mes  besoingnes  sus  au  roy ,  et  voult 
veoir  le  roy  le  livre  que  je  luy  avoie  apporté.  Si  le  vey  en 
sa  chambre  ,  car  tout  pourveu  je  Tavoie,  et  luy  mis  sur  son 
lit.  n  1  ouvry  et  regarda  ens  ,  et  luy  pleut  trôs-grandement 
et  bien  plaire  luy  devoit ,  car  il  estoit  enluminé ,  escript  et 
historié  et  couvert  de  vermeil  velours  à  dix  dous  *  attachiés 
d*ai^nt  dorés  *  et  roses  d*or  ou  milieu,  à  deux  grans  ^^  fru* 
maus  "  dorés  et  richement  ouvrés  ou  milieu  de  roses  d*or. 
Adont  me  demanda  le  roy  de  quoy  il  traittoit.  Je  luy  dis  : 
«  D*amours.  »  De  ceste  réponse  fut-il  tous  resjouys,  et  r^ 
garda  dedens  le  livre  en  plusieurs  lieux  et  y  lisy,  car  moult 
bien  parloit  et  lisoit  le  franchois,  et  puis  le  fist  prendre  par 
ung  sien  chevallier  qui  se  nommoit  messire  Richard  Credon 
et  porter  en  sa  chambre  de  ^*  retraite  '*,  et  me  fist  de  plus 
en  plus  bonne  chière  et  bon  recueillotte  à  merveilles.  Et 
advint  que  ce  propre  dimence  que  le  roy  Richart  ot  reoeu 
et  retenu  en  très-grant  amour  mon  livre  ,  ung  escuier 
d'Angleterre  '^  estoit  en  "  la  diambre  du  roy  (etestoit  nommé 
Henry  Cristède),  moulthommede  bien  et  de  prudence  grande- 

•-■  Proumenant  aux.  —  *^  Lea  allées.  —  •  Eulx  et.  —  •■^  Dëpartia. 
—  •^  D'argent  dorés  d'or.  —  «•-"  Fermaubt.  —  *•-••  Retrait.  — 
•^  Estant  de. 


Digitized  by 


Google 


m  ftism 


laaatpMrreaetâMdBUett  pariant  ^  UlaogM  46  Fra^ 
Beacoointademoy  pour  Ueaaaede  ce  que  il  ot  tm  que  la 
roy  et  las  seigoeors  me  orent  Mtta  Qioidt  grant  diiàro 
bella  recueiUotte ,  et  avoit  ven  le  livra  lequel  j^avoye  pré- 
aeoté  au  roy  ,  et  ymagina,  sicomme  je  vey  les  apparam  par 
ses  paroles  ,  que  festoyé  ang  historien ,  et  auaû  il  luy  ayoit 
esté  dit  par  messire  Ricbart  Stury,  et  parla  à  moy  aaséa  par 
loisir  sur  la  fourme  et  manière  que  orendoit  je  vous  déelai* 
reray. 

a  Messire  Jehan  ,  dist  Henry  Oristàde ,  avés-vous  point 
«  enooires  trouvé  en  ce  pays,  ne  en  la  court  du  roy  nostre 
«  sire  ,  qui  vous  ait  dit ,  ne  parlé  du  voyage  que  le  roy  a 
c  £ût  en  celle  saison  en  Yrlandeetla  manite'e  comment 
k  quatre  roys  dTrlande,  grans  seigneurs  assés ,  sont  venus 
le  à  obéissance  au  roy  d*Angleterre  ?  »  Et  je  respondy  pour 
mieulx  avoir  matière  de  parler  :  «  Nennil.  »  —  •  Et  je  le 
«  vous  diray  ,  dist  Tescuier  qui  povoit  pour  lors  avoir 
«  Teage  de  cinquante  ans  ,  aBn  que  vous  le  mettes  en 
«  mémoire  perpétuelle  quant  vous  serés  retourné  en  vostre 
«  pays  et  vous  aurés  de  ce  faire  la  plaisance  et  le  loisir.  »  De 
oeste  parole  fiûs-je  tout  resjouy ,  et  respondy  :  a  Grant 
i  merchis.  » 

Lors  commença  Henry  Cristède,  et  dist  exi  telle  manière  : 
«  U  n'est  point  en  mémoire  que  oncques  roy  d'Angleterre» 
«  pour  aler  en  Yrlande  et  fidre  guerre  aux  Yrlandois»  euist 
M  si  grant  appareil  de  gens  d'armes  et  d'archiers ,  comme 
t  le  roy  a  eu  celle  saison  et  tenu  plus  de  noeuf  mois  sur  la 
«    frontière  dTrlande  et  h  grans  coustages ,  et  tous  ces 

•  despens  a  payé  trop  voulentiers  son  pays»  et  tiennent  tout 

•  à  bien  employé  les  marchans  des  cités  et  des  bonnes  villes 
«  d'Angleterre  ce  qu'ils  y  ont  mis^quant  ik  voient  que  le  roy 

*-*  Frauchoit. 


Digitized  by 


Google 


•  BstkwtÉkhoBùmrreibmxnéàB^  voyage  0tn*afiiit'  sa 
«  goenv^AmdegiMitUshomimesetd'ar^ 

«  lareompaigAfodaroj  bien 'largenient  quatre  mil  ^ 

•  eteecnierset  trente  mil  archiera,  et  tous  bien  pajés  et  délir 

•  TFës  de  eeptmiiine  en  septmaine,  tant  qne  tooB  s'en  conten- 
c  tent.BtYoii8dy,  pour  vous  mienlx  avertir  et  infonrmer  de 
t  lavérité/qoeTrlande  est  nng des 'manTaia^  pays  da  monde 
«  Agoerpoieretàtoabsmettre,  car  il  est  fonrmé  estrangep 
c  ment  et  sauvagement  de  haoltes  forests  et  de  grosses 
«  yaoes,  de  crohàres  et  de  lieux  inhabitables  ;  et  n'y  scet-on 
s  eommenfeùtrer  pour  eulsporterdomiliage  et  fidre  guerre, 
c  car»  quant  ils  veulent,  on  n'y  seet  h  qui  parlw,  ne  on  ny 
t  trouve  noUe  viUe.  Et  se  recueillent  Yrlandois  ens  ôs  bois  et 
«  forests,  et  demeurant  en  *  croûtes  *  fiuttes  dessoubs  grans 
«  arbres;  en  bayes  et  en  buissons  ainsi  comme  bestes  sau* 
«  vages.  Bt  quant  ils  sentent  que  on  vient  sur  eulspour  euls 
t  fidi^  guerre  et  que  on  est  entré  en  leur  pays.ils  se  mettent 
«  par  ^  destours  *  et  divers  lieux  ensemble,  et  se  mettent  et 

•  boutent  en  lieux  (brs  de  marescages  et  de  fort  pays,  sique 
t  on  ne  puet  venir  à  eulx.  Bt  quant  ils  voient  leur  plus  bel, 

•  ils  trouvent  bien  leur  avantage  pour  venir  à  leurs  ennemis, 
«  car  ilsoongnoissent  leur  pays,  et  sont  moult  apportes  gens, 
f  et  ne  pèvent  nuls  hommes  d'armes  montés  à  cheval  si  tost 
«  oourir,  tant  soient  bien  montés,que  ils  ne  les  rattaindent, 
«  et  saillent  de  t^rre  sur  ung  cheval,  et  embrachent  ung 
f  homme  par  derrière  et  le  tirent  jus  (car  ce  sont  fortes  gens 
«  de  bras)  ou  tout  en  tenant  ung  homme  ils  le  loyent  si 
«  fort  de  leurs  bras  que  celuy  qui  est  tenu  d*euls  no  se  puet 
«  deflbndre.  Et  ont  Yrlandois  coutiauls  agus  devant ,  À  lar- 
t  gue  alumelle  à  deux  taillans  à  la  manière  de  darde, 

•^  Ce  Tojagtt.  —  *^  Malaisiés.  —  "  Cavernei..  Grottes..  Trsa- 
ehto.  —  *'*  Ditenet  voies. 


Digitized  by 


Google 


170  liciTS 

'  dont  ils  oodent  leur  emiemy  ,  et  ne  tiennent  point  ung 
homme  pour  mortjosquesà  tant  que  ils  lujontcopé 
la  '  gueule  *  comme  À  ung  mouton,  et  luy  ouyrentle  rentre 
et  en  prendent  le  cner  et  remportent,  et  dient  les  aucuns 
qui  congnoissent  leur,  nature,  que  ils  le  '  menguent  ^ 
par  grant  délit ,  et  ne  prendent  nul  homme  à  raenchon  , 
et  quant  ils  voient  que  ils  n*ont  point  le  plus  bel  d*aucuns 
rencontres  que  on  leur  &it,  ils  s'espardent  et  boutent  en 
hayes  et  en  buissons  et  dedans  terre  ,  et  les  pert-on  ainsi 
et  ne  soet:on  que  ils  deviennent  ;  ne  oncques  messire 
Guillemme  de  Windesore  qui  plus  a  tenu  la  frontière 
dTrlande  en  euls  fiiisant  guerre  que  nuls  chevalliers 
d'Angleterre  n*ait  fût ,  ne  les  a  sceu  tant  guerroier  que 
il  peuist  ^  aprendre  la  condition  du  pays ,  ne  la  manière 
des  Yrlandois.  Et  sont  Yrlandois  très-dures  gens  et  *  aus- 
ters  ^ ,  de  gros  engien  et  de  diverse  *  acointance  ,  et  ne 
font  compte  de  nulle  joliveté,  ne  de  nul  gentil  homme  ; 
car  quoyque  leur  pays  soit  gouverné  souverainement 
par  roys  et  que  il  y  ait  en  Yrlande  grant  foison  de  roys, 
si  ne  veulent-ils  avoir  nulle  congnoissance  de  gentillesse , 
mais  veulent  demeurer  en  leur  rudesse  ,  et 'en  ce  sont- 
ils  nourris. 

«  Vérité  est  que  quatre  roys  dTrl%nde  des  plus  puissans 
qui  y  sont  selon  la  fourme  du  pays,  sont  venus  à  obéissance 
au  roy  Richart  d'Angleterre  par  amour  et  doulceur  ,  non 
par  bataille  ,  ne  par  constrainte  ,  et  y  a  rendu  le  conte 
d'Ormont  qui  est  marchissant  à  euls,  moult  grant  paine , 
et  les  a  *  trait  ^®  À  ce  que  ils  sont  venus  à  Duvelin  là  où  le 
roy  nostre  sire  se  tenoit,  et  se  sont  soubmis  à  luy  et  à  la 
couronne  d'Angleterre  ,  dont  le  roy  et  tout  le  royaulme 

•-■  Gorge.  —  •"*  Mangent.  —  •  Sçavoir ,  ne.  —  *-'*  Hautains.  — 
•  Fréquentation  et.  —  •••  Traittiôe. 


Digitized  by 


Google 


M  msmu  C8RTSTEAD.  171 

d*Aiigl6terre  tiennent  oe  fidt  à  grant  besoingne  et  la 
Toyage  h  très-bel  ;  car  oncqàes  le  roy  Edouard  de  bonne 
mémoire  ne  peult  tellement  exploittiâr  sur  euls  comme  la 
roy  Bicbard  a  fait.  L'onneor  j  est  grant,  mais  le  proufSt 
y  est  moult  petit,  car  de  gens  plus  rudes  comme  ils  sont^ 
ne  peut-on  parler,  ne  ^  recouvrer  *  ;  et  leur  rudesse  je  la 
vous  compteray  affin  que  ce  vous  soit  exemple  encontre 
gensdautres  nations.  Et  je  le  sgay  Me  smtement  et  ^ 
lay  esprouvé  de  euls-meismes,  car  ilsiurent  à  DuveliH 
en  mon  gouvernement  et  doctrine  pour  eulx  introduire 
et  amener  à  l'usage  de  ceulx  d'Angleterre  environ  ung 
mois  par  Tordonnanoe  du  roy  nostre  chiw  sire  et  de  son 
conseil,  pour  tant  que  je  sçay  parler  leur  langaige  *  autr^ 
tant  *  bien  comme  je  scay  le  frangois  ou  Fanglois  ,  car 
de  ma  jeunesse  je  fuy  nourry  entre  euls ,  et  le  conte 
Thomas  d'Ormont,  père  k  cestuy  qui  est  conte  présente*- 
ment,me  tenoit  aveuc  luy  et  moult  me  aymoit  pour  ce  que 
moult  bien  je  scavoie  chevauchier.  Et  advint  une  fois  que 
le  conte  dont  je  vous  parle,  fiit  envoyé  à  tout  trois  cens 
lances  et  mille  archiers  sur  les  frontières  dTrlande  pour 
leur  &irè  guerre  ,  car  tousjours  les  ont  tenus  les  Anglois 
en  guerre  pour  euls  subsmettre.  Le  conte  d*Ormont  qui 
marchist  de  terre  à  eulx  ,  âst  ung  jour  une  chevauchie 
sur  eulx  ,  et  ce  jour  il  m*avoit  mis  sur  ung  sien  coursier 
moult  appert  et  moult  lëgier,  et  chevauchoie  de  costé  luy. 
Les  Yrlandois  qui  s'estoient  mis  à  l'embusche  pour  adviser 
les  Anglois  et  porter  dommage  se  ils  peussent ,  ouvri- 
rent leur  embusche  et  approchèrent  les  Anglois  et  commen- 
cèrent à  traire  et  à  jetter  leurs  ^  gavrelots  *,  et  les  archiers 
de  nostre  costé  prindrent  à  traire  sur  euls  moult  aigrement. 
Les  Yrlandois  ne  peurent  souffrir  le  trait ,  car  ils  sont 

*••  Deviser.  —  **  Pour  ce  que  je.  —  ^  Anssy.  —  '-•  Javelotr. 


Digitized  by 


Google 


171 

rimplemmt  armés  et  '  se  recaeillièrent',  et  le  ccmte  mon 
xnaistre  se  misf  en  chasse  après  euls ,  et  je  qui  estoye 
bien  monté ,  le  sieavy  de  près.  Et  adTint  que  en  celle 
cbaoe  mon  coursier  se  effiréa  et  desroya  et  m'efforcha  sique, 
Youlsisse  ou  non ,  me  porta  si  avant  entre  les  Yrlandois 
que  oncques  nos  gens  ne  me  peurent  rescourre ,  et,  en 
passant  entre  les  Triandois ,  l'un  d*eulx  par  grant  apper* 
tise  de  membres  tout  en  courant  sailly  par  derriàre  sur 
mon  coursier»  et  puis  m'embracha,  mais  nul  mal  ne  meflst 
ne  de  iânee ,  ne  de  coûtai ,  mais  nous  desroia  »  et  ohe- 
vaudia  aveuc  moy  *  bien  deux  lieues  et  me  mena  en  ung 
moult  destoumé  lieu  et  près  d*nn  grant  buisson,  et  là 
trouva  .de  ses  gens  qui  an  buisson  estoient  venus  et 
^recueillis  *  et  hors  de  tontes  doubtes,  car  les  Ai^lois  ne  les 
eussent  jamais  poursieuvis  si  avant.  Ad  ce  que  il  monstra, 
il  eut  grant  joye  de  moy  et  me  mena  chiés  soy  en  une 
ville  et  forte  maison  avironnée  de  bois  et  de^  palus  ^  et 
d'eaues  mortes ,  et  est  la  ville  nommée  *  Herpelepin  *  ^  et 
le  gentil  homme  qui  prins  m'avoit,  on  lenommoit  ^®  Brun  ^' 
Costerec,  et  estoit  très-bel  homme,  et  ay  de  luy  demandé  à 
ceolx  aveuc  qui  j'ay  esté,et  me  ont  dit  que  il  vit  encoires  , 
mais  il  est  fort  anchien.  Ce  Brun  Costerec  me  tint  sept 
ans  aveuc  luy  et  me  donna  une  sienne  flUe  en  mariage,  de 
laquelle  j'en  ay  eu  deux  filles.  Or  vous  compteray-je 
comment  j'en  fois  délivré. 

«  n  advint  sur  la  ^*  huitiesme  ^'  année  que  j'avoie  demeuré 
et  conversé  en  Yrlande,  que  ung  de  leurs  roys  qui  s^ap* 
pelloit  Arthur  "  Macquemuire^*,  roy  de  "Lincestre  ",  fist 
une  armée  à  rencontre  du  duc  Lyon  de  Clarence,  fils  au  roy 

*-•  Reculèrent.  —  •  Sur  le  coanier.  —  *-■  Reoaléi.  —  ••^  Pal».  ^ 
^  Herpelipin.  —  «•■"  Brin.  —  «•■••  Septiesme.  —  «••••  Maqne- 
msire.  —  ^"  Unatre..  Ulnestre. 


Digitized  by 


Google 


DB  HBHU  CBBTSTSàD.  173 


c  Édouhrd  d'Angleterre  ,  et  contre  messîre  GttiUemme  de 
i  ^^(niidesûre ,  et  se  eneonirèrent  les  Irlandois  en  nne  place 
«  flssës  près  de  la  cite  de  ^  Dulnestre  '  et  les  Anglois  ensem-» 
ff  ble.  Là  en  j  eat  par  bataille  des  mors  et  des  pris  de  Tun 
«  costé  et  de  Fantre.  Les  Anglois  obtindrent  la  place ,  et 
ft  convint  les  Irlandois  fiiir  ,  et  se  sauva  le  roj  Arthur 
«  Maquemuire ,  et  là  fut  prins  le  père  à  ma  femme  Brun 

•  Coeteréch  sur  le  coursier  que  il  avoit  gaignë  à  moy, 

•  et  fiit  prins  dessoubs  la  banière  '  du  ^  duc  de  Glarence  qui 

•  enot  grant  joye  ,  et  fot  sceu  par  luyet  par  le  coursier 
t  qui  fut  '  recongneu^des  Anglois  et  des  gens  au  conte  d'Or- 
i  mont,  que  je  vivoie  et  me  tenoit  assës  honnourablement  en 
«  son  pays  et  chiés  soy  ea  son  manoir  de  Herpelepin  et 
c  m*aToit  donné  une  sienne  fille  en  mariage. 

«  De  ces  nouvelles  orent  le  duc  de  Glarence  et  messire 
ff  Gnillemme  de  Windesore  et  oealx  de  nostre  costé  grant 

•  joye.  Adont  fut  vers  luy  traittié  que  ,  se  il  vouloit  avoir 

•  sa  délivrance,  il  me  metteroit  arrière  par  devers  lessei- 
«  gneors  d^Anglsterre  quitte  et  délivre  ,  maiunme  et  mes 
i  enffims.  A  paines  vouloit^il  faire  ce  marcbié ,  car  moult 
i  m'amoit  et  sa  fille  et  oe  qui  de  nous  venoit.  Tontefbis  « 
ff  quant  il  vey  que  autremmt  il  ne  pourroit  finer,il  s'aooorda 

•  ad  ce ,  mais  il  convint  que  Tainsnée  de  mes  filles  luy 
i  dameurast  Si  retoumasmes  ma  femme  et  ma  seconde  fille 

•  en  Angleterre  ,  et  fois  logié  en  la  marche  de  Bristo  sur 
t  la  rivière  de  Saveme.  Mes  deux  filles  sottt  mariées , 

•  et  a  celle  dlriande  trois  fils  et  deux  filles  ,  et  celle  que 
i  je  ramenay  aveuc  moy ,  a  quatre  fils  et  deux  flUes.  Et 
i  pour  ce  que  la  langue.  dTrlande  m'est  en  parole  aussi 
I  q»pareillie  comme  est  la  langue  englesce^car  tousjours  je 
t  l'ay  continuée  aVeuc  ma  femme  et  introduis  à  Taprendre 

*"*  Linstre.  —  *^  De  monseignear  le.  — •  "^  Congneo. 


Digitized  by 


Google 


f14  ftÊcm 

mes  enflàns  ce  qae  je  puis  ),  fus-je  edea  et  institaé  de  par 
le  roj  nostré  sire  et  les  seigneurs  d'Angleterre  &  conduire 
et  à  gouvemer  et  à  ramener  à  rmaa  et  À  1  usage  d*An* 
gleterre  ces  quatre  roys  dTrlande,  qui  mis  se  s<»it  et 
rendus  à  lobéissance  du  roj  nostre  sire  et  de  la  cou- 
ronne d'Angleterre  et  Font  juré  à  tenir  à  toujours  mais* 
Et  vous  dy  que  les  quatres  roys,  lesquels  à  mon  povoir, 
pour  tant  que  je  sçavoie  leur  laagaige,  je  ay  introduits 
et  enseigniés  ,  je  lès  trouvay  très*rudes  et  de  moult  gros 
engira  ,  et  ay  eu  très-grant  paine  à  eulx  adoulcir  et 
atnodérer  leur  nature  ,  et,  touteffois  ,  si  elle  est  en  au- 
cune chose  brisie ,  ce  n'est  pas  de  plenté ,  car  tousjours 
se  retraient-ils  enooires  en  plusieurs  cas  &  leur  rudesse. 
«  Or  vous  compteray-je  la  charge  qui  me  fut  baillie  sur 
eulx  et  comment  j'en  exploittay  ;  car  l'intention  du  roy 
d'Angleterre  estoit  telle  et  fut  que  de  manière  et  conte* 
âance  et  de  habis  ils  fuissent  remis  à  l'usage  d'Angleterre  « 
car  le  roy  vouloit  faire  ces  quatre  roys  dTrlande  chevalr 
Uers.  Premièrement  on  leur  ordonna  en  la  cité  de  Duvelin 
ungbel  hostel  et  grant  pour  eulx  et  pour  leurs  gens,  et  je 
fus  ordonné  &  demeurer  aveuc  euls  ,  et  sans  point  yssir, 
ne  départir,  se  trop  grant  ^  besoingne  *  ne  le  fiûsoit  faire. 
Je  fus  deux  jours  ou  '  trois  ^  en  leur  compaigniepour  eulx 
aprendre  à  congnoistre  et  eulx  moy  ,.  et  riens  ne  leur 
disoie  fors  toujours  après  leur  voulenté.  Et  vey  à  ces 
quatre  roys  séans  à  table  faire  contenances  qui  ne  me 
sembloient  ne  belles,  ne  bonnes  ,  et  dis  en  moy-meismes 
que  je  leur  osteroye.  Quant  iceulx  roys  estoient  assis  h 
table  et  servis  du  premier  mes  ,  ils  fiiisoient  seoir  devant 
euls  leurs  ménestrels  et  leurs  plus  prochains  varlets  et 
mengier  à  leurs  escuelles  et  boire  à  leurs  hanaps,  et 

•■•  BMoing.  —  «^  Quatre. 


Digitized  by 


Google 


DB  HENRI  emiTSTBAD.  475 

disaient  qne  tel  estoit  Fusage  de  leur  pays  et  que  en 
toutes  choses,  i*éseryé  le  lit,  ils  estoienttous  communs.  Je 
leur  souffirjr  tout  ce  faire  par  trois  jours,  et  au  quatriesme 
jour  je  as  ordonner  tables  et  couvrir  en  la  salle  ,  ainsi 
comme  il  appartenoit,  et  fis  les  quatre  roys  seoir  à  haulte 
table  et  les  ménestrels  à  une  autre  table  bien  en  sus  d*eulx 
et  les  Tarlets  d*autre  part,  dont  par  samblant  ils  furent 
tous  courrouchiés,  et  régardoient  Tun  sur  Tautre  et  ne 
Youloient  mengier,  et  disoient  que  on  leur  ^  ostoit'  leur 
bon  usage  ouquel  ils  ayoient  esté  nourris.  Je  leur  n3s- 
pondi  tout  ea  riant,  poureulx  appaisier,  que  leur  estât 
n*estoit  point  '  honnourable^  à  estre  ainsi  comme  en  devant 
ils  avoient  &it ,  et  que  il  leur  convenoit  laissier  et 
euls  mettre  à  Fusage  d'Angleterre ,  car  de  ce  faire  j*estoie 
chaîné,  et  ^  me  Favoit  '  le  roy  et  son  conseil  baillié  par 
ordonnance  et  commandement. 

«'  Qtxant  ils  ^  entendirent  ^  ce  que  dist  est,  ils  si  assenti-* 
rent  pour  tant  que  mis  s'estoient  en  robéissânce  du  roy 
d'Angleterre,  et  persévérèrent  en  cel*  estât  ^^  assésdoulce-. 
ment  tant  que  je  fîiy  aveoc  euls.  Encoires  avoient-ik  ung 
usage  que  bien  savoie,  car  ils  Font  communément  en  leur 
pays,  c*est  que  ils  ne  portent  nulles  brayes,  et  je  leur  fis 
fiiire  des  linges  draps  grant  foison,  et  en  fis  délivrer  aux 
quatre  roys  et  à  leurs  g^os  et  les  remis  en  cel  usage,  et 
leur  ostay  ,  le  terme  que  je  fuy  aveue  euls,  moult  de 
choses  rudes  et  mal  appartenans  tant  en  habis  comme  ea 
autres  choses.  Mais  à  trop  grant  différent  leur  vint  de 
"prime  &ce  "à  vestir  houppelandes  de  drap  de  soye,  four* 
réesdemenu  vair  et  de  gris,  car  en  devant  ces  roys  estoient 
bien  parés  de  affubler  ung  mantel  d*Irlande;  ils  chevan- 

"  Vooloit  a»ter.  —  •^  RaiMnnabla.»  Hoimeste.  —  "^  Leur  avoit. 
-  »^  OywDt.  — '-^  Uaage. —  *«-*•  Premier. 


Digitized  by 


Google 


178  Mtem 

<Aoi6nt  sur  bats  dont  on  iait  sommier^ ,  sans  estntri.  A 
grant  dur  je  lee  fis  chevaachidr  sur  seUes  à  nostre  usage. 
«  Une  fois  je  leur  demanday  de  leur  créance  comment  ils 
créoient.  De  ce  ils  ne  me  scenrent  nul  gré ,  et  m*en  con« 
Tint  taire;  car  ils  me  respondirent  que  ils  créoient  en  Dieu 
et  en  la  Trinité  sans  '  différent  aatant  bien  que  nous.  Je 
leur  demanday  auquel  pape  ils  avoient  leur  inclination  et 
affection.  Ils  me  respondireut  :  t  En  celluy  de  Romme 
sans  ^  moien.  »  Je  leur  demanday  se  voulentiers  ils 
recepTroient  VorAre  de  chevallerie  et  que  le  roy  d'Angle- 
terre les  vouloit  faire  chevalliers  ainsi  comme  usage  et 
coustume  en  est  en  France  ,   en  Angleterre  et  '  en 
autres  pays  '.  Ils  respondirent  que  ils  estoient  chevalliers 
et  que  bien  leur  devoit  souffir.  Je  leur  demanday  com- 
ment et  oti  ils  Tavoient  esté  ;  et  ils  mè  resjpondirent  que 
en  Teage  de  sept  ans  en  Yrlande  ung  roy  &it  son  fils  die* 
vallitt'  et,  se  le  fils  n*a  point  de  père,  le  ^ lus  proxime  de 
sang  de  son  lignage  le  &it.  Ei  ^  convient  ce  jeune  enffant  ^ 
jéttstor  de  délies  lances,  lesqu^es  il  puet  porter  à  son 
aise,  encontre  ung  eseu  que  on  auta  mis  en  ung  pel  ou 
mylieu  d*un  pré,  et  comme  plus  il  brisera  de  lances,  tant 
sershil  plus  hoimouré.  «  Par  *  cd  '  essay  *  sont  fais  les 
nouveaulx  chevalliers  jeunes  eu  nostre  terre  et  par  espé- 
dàl  tous  les  enffans  des  roys.  »  Bt  qnoyque  de  celluy 
estât  je  leur  demandoie,  bien  en  scavoye  toute  Tordon* 
nance.  Si  ne  *  renouvellay  ^^  point  ce  propos,  fors  tant  que 
je  leur  dys  que  la  chevallerie  que  ils  avoient  prinse  de 
jeunesse,  ne  souffissoit  pas  assés  au  roy  d'Angleterre , 
mais  leur  donroit  par  autre  estât  et  affùre.  Ils  demandè- 
rent comment,  et  je  leur  respondy  que  œ  seroit  en  sainte 

•Nul.  7~"  Aillenm.  — *'  Commence  ce  Jeune  enfiluit  à.  — 
•■*  TeL  —  •  DLwit-il.  —  •-•  RelsTsy. 


Digitized  by 


Google 


DE   BINRl  CHRYST£A]>.  177 

^Uae ,  car  plus  dignement  ils  ne  le  povoient  estre.  Â 
mes  paroles  sachiés.que  ils  s^endinoient  assés. 
c  Environ  deux  jours  ^  devant  ce  que  *  le  roy  nostre  sire 
les  voulstst  fiiire  chevalliers,  vint  par  devers  euls  le  conte 
d^Ormont,  qui  scet  bien  parler  leur  langaige,  car  partie  de 
ses  seigneuries  s*estendent  et  gisent  en  la  marche  d'Ir- 
lande, et  fut  là  envoyé  en  nostre  hostel  de  par  le  roy  et 
son  conseil  affin  que  les  quatre  roys  dlrlande  y  eussent 
plus  grant  crédence.  Quant  il  fut  venu  devers  euls,  tous 
le  honnourèrent  ;  il  les  honnora  aussi  comme  celluy  qui 
bien  le  scavoit  faire,  et  furent  tous  resjouis,  ad  ce  que  ils 
monstroient,  de  sa  venue,  et  entra  en  paroles  en  eulx  au 
plus  doulcement  et  courtoisement  comme  il  sceut,  et  leur 
demanda  de  moy  quel  chose  il  leur  sembloit.  Ils  respon- 
dirent  tous  bellement  et  sagement  :  «  Il  nous  a  monstre 
et  enseignié  la  doctrine  et  usage  de  ce  pays  :  si  l'en 
devons  savoir  gré,  et  aussi  faisons-nous.  »  Geste  response 
pleut  assés  au  conte  d'Ormont ,  car  elle  fut  raisonnable  ; 
et  puis  petit  h  petit  entra  à  parler  de  l'ordre  de  cheval- 
lerie,  laquelle  ils  dévoient  recepvoir,  et  leur  remonstra  de 
point  en  point  et  de  article  en  article  comment  on  s'i 
devoit  maintenir  et  quel  chose  chevallerie  devoit  et  val- 
loit,  et  comment  ceulx  qui  '  la  prendoient  ^,  y  entroient. 
«  Toutes  les  paroles  du  conte  d'Ormont  pleurent  moult 
bien  *  à  •  ces  quatre  roys  d'Irlande,  lesquels  je  ne  vous  ay 
point  encoires  nommés,  mais  je  les  vous  nommeray.  Pre- 
mièrement le  grant  est  appelle^  Ancel*  de*  Mete  *®;  le  se- 
cond," Brun" de  Thomond,roydeThomondet"d'Arse"; 
le  tiers  ,  Arthus  "  Macquemuîre  " ,  roy  de  Lincestre  ; 


*^  Après,  qaant.  —  •^  L'aprendoient.  —  ^  Aux  uns  et  aux  autre» 
de.  —  »-•  Anel.  —  •*•  Methe.  —  ""  Brin.  —  *•"•*  D'Aire.  —  «•-«•  Ma- 
qnenudre. 

XV.  —  FBOiaSART.  12 


'Digitized  by 


Google 


178  .    RÉars 

a  lequart,  Ck>nhur,  roy  de  ^  Chenour 'etd^Erpe.  Et  furent  fais 
0  tous  quatre  chevalliers  de  la  main  du  roy  Richard  d'An- 
«  gleterre  en  Téglise  cathédral  de  Duvelin,  qui  est  fondée 
«  sur  Saint-Jehan-Baptiste,  et  fut  le  jour  Nostre-Dame  en 
«  mars,  qui  fut  en  ce  temps  par  ung  jeudy,  et  veillèrent  le 
«  mercredy  toute  la  nuit  ces  quatre  roys  en  la  ditte  église  , 
«  et  à  Tendemain  à  la  messe  du  roy  et  en  grant  solempnité 
«  ils  furent  fais  chevalliers ,  et  aveuc  euls  messire  Thomas 
«  '  Ourghem  ^  et  messire  Jonathas  de  Pado  et  messire 
«  Jehan  de  Pado  ^.  Et  estoient  les  quatre  roys  très-richement 
«  vestus  comme  à  eulx  appartenoit»  et  *  seirent  ^  ce  jour  à 
«  la  table  du  roy  •  d'Angleterre.  Et  devés  savoir  que  ils 
«  furent  moult  regardés  des  *  Anglois  et  de  ceulx  qui  là 
tt  estoient  et  à  bonne  cause,  car  ils  estoient  trop  estranges 
«  et  hors  de  la  contenance  de  ceulx  d'Angleterre  et  d'autres 
«  nations,  et  nature  s'encline  à  voulentiers  veoir  toutes 
«  nouvelles  choses,  et  pour  lors  véritablement  ^®  c'estoit 
tt  grant  nouvelleté  à  veoir  ces  quatre  roys  d'Irlande,  et  le 
«  vous  seroit,  se  vous  les  voyés.  » 

a  **  Henry,  respondy-je ,  je  le  croy  bien ,  et  je  vouldroye 
«  que  il  m'euist  cousté  du  mien  et  je  euisse  là  esté.  Et  tant 
«  vous  en  dy  que  ^'  dès  autem  "  mes  besoingnes  furent 
«  toutes  prestes  pour  venir  en  Angleterre,  et  y  fuisse  venu 
«  sans  faulte,  se  n'euissent  esté  les  nouvelles  qui  me  furent 
«  comptées  de  la  mort  de  la  royne  Anne  d'Angleterre,  et 
tt  cela  me  retarda  de  non  avoir  fait  le  voyage  ^*  de  '^  lors; 
tf  mais  je  vous  demande  une  chose  qui  moult  me  fait  esmer- 
«  veiUier,  et  voulentiers  le  scauroie,  se  vous  le  scavés,  et 
«  aucune  chose  en  ^*  devés  "  sçavoir  :  comment  ces  quatre 

*-'  Chonhour.  —  ■-*  Orphem.  —  "  Son  cousin.  —  •■*  S'assirent.  — 
*  Richard.  —  *  Seigneurs.  —  '*  Messire  Jehan.  —  "  Messire.  — 
••-"  Dès  ce  temps...  Tannée  passée.  —  **"  Dés.  —  «••"  Demés. 


Digitized  by 


Google 


DE  HB.NU  CBRYSTEAD.  i79 

«  roys  d'Irlande  sont  si  tost  venus  à  lobëissanee  du  roy  d'An- 
«  gleterre,  quant  oncques  le  roy  son  tayon  qui  fut  si  vaillans 
«  hoins,  si  doubte,  si  renommé  partout,  ne  les  pot  soub- 
«  mettre  \  et  si  les  a  tousjours  tenus  en  guerre.  Vous 
c  m  avés  dit  que  ce  fut  par  traittié  et  par  la  grâce  de  Dieu. 
«  La  grâce  de  Dieu  est  moult  bonne,  qui  la  puet  avoir,  et 
«  puet  grandement  valloir,  mais  on  voit  petit  de  sei- 
«  gneurs  terriens  présentement  augmenter  leurs  seignou- 
«  ries,  se  ce  n*est  par  puissance.  Et  quant  je  seray  retourné 
«  en  la  conté  de  Haynnau,  dont  je  suis  de  nation,  et  je  par- 
«  leray  de  ceste  matière,  saches  que  j'en  seray  examiné  et 
K  bien  avant  demandé,  car  velà  *  monseigneur  '  le  duc 
«  Aubert  de  Bavière,  conte  de  Haynnau,  de  Hollande,  de 
«  Zéellande,  et  son  fils  Guillemme  de  Bavière,  qui  s*escrip- 
«  vent  seigneurs  de  Frise,  qui  est  ung  grant  royaulme  et 
t  puissant,  et  lesquels  y  dayment  à  avoir  droit,  et  aussi 
«  ont  fait  leurs  prédicesseurs,  mais  les  Frisons  ne  veulent 
«  ^  escheir  ^  en  nulle  voye  de  raison,  ne  congnoistre,  ne 
«  venir  à  obéissance,  ne  oncques  ne  firent.  » 

Lors  respondy  Henry  Cristède  À  ceste  parole,  et  dist 
ainsi  :  «  Messire  Jehan,  je  vous  en  sçauroie  en  vérité  pas 
«  à  dire,  tout  le  fait  ;  mais  la  greigneur  supposition  qui  y 
«  soit,  est  telle,  et  ainsi  *  dient  les  plusieurs  de  nostre  costé, 
«  que  lagrantpuissancequeleroy  nostre  sire  mena  par  delàet 
«  fist  passer  la  mer  dlrlande  et  prendre  terre  en  leur  pays  (et 
«  puis  les  a  là  tenus  plus  de  noeuf  mois  et  tous  bien  payés) 
«  esbahist  les  Irlandois,  car  on  leur  doy  la  mer  de  tous  cos- 
t  tés,  par  quoy  vivres,  ne  marchandises  nulles  n*entroienten 
0  leurs  pays,  quoique  les  loingtains  habitans  en  Irlande 
fl  n*en  font  compte,  ne  ne  scèvent  que  c'est  de  marchan» 
«  dise,  ne  sçavoir  ne  veulent,  mais  vivent  grossement  et 

'  A  sa  Babjectioii.  —  *^  Nos  aeigneiin.  -«  ^*  Encheoir.  *-  *  Le. 


Digitized  by 


Google 


180  RÉCITS 

0  rudement,  pareillement  comme  bestes;  mais  ceulz  qui 
(c  '  demeurent  *  sur  les  frontières  d*Angleterre,  sont  plus  nos- 
a  très  et  usent  de  marchandise.  Et  le  roy  Edouard,  de  bonne 
a  mémoire,  en  son  temps  avoit  À  respondre  à  tant  de  guerres 
«  en  France,  en  Bretaigne,  en  Gascoigne  et  en  Escosse,  que 
«  toutes  ses  gens  estoient  espars  et  bien  employés,  et  n* en 
«  povoit  pas  bien  grant  foison  envoyer  en  Yrlande.  Et  quant 
«  ils  ont  sentu  venir  sur  euls  la  puissance  du  roy  nostre 
a  sire  si  grande ,  ils  se  sont  advisés  et  retournés  à  con-* 
«  gnoissanoe.  Bien  est  yéritë  que  jadis  ot  ung  roy  en 
«  Angleterre  ,  qui  fut  appelle  Edouard  et  est  saint,  et 
«  est  nommé  saint  Edouard  et  canonisié  et  solempnisié 
«  très-grandement  par  tout  le  royaulme  d'Angleterre,  et 
tt  soubmist  en  son  temps  les  Danois  et  les  desconflt  par 
«  bataille  sur  la  mer  par  trois  fois  ;  et  ce  saint  Edouard, 
«  roy  d'Angleterre,  sire  d'Irlande  et  d'Acquitaine,  les 
«  Irlandois  aymèrent  et  '  crémirent  ^  plus  biaucoup  que  nul 
«  roy  d'Angleterre  qui  euist  esté  en  devant,  ne  ne  fiiist 
«  oncques  puis.  Et  pour  ce  le  roy  Richard,  nostre  chier  sire, 
«  quant  '  auten  *  il  fut  en  Irlande,  en  toutes  ses  armoiries  il 
a  laissa  à-porter  les  armes  d*Angleterre  c'est4-entendre  les 
«  liépars  et  les  fleurs  de  lis  dont  il  est  esquartellé,  et  prist 
<(  celles  du  roy  Edouard  qui  est  saint,  qui  est  une  croix 
a  potencée  d'or  et  de  geules  à  quatre  blans  coulons  ou 
«  champ  de  Fescu  ou  de  la  banière,  ainsi  que  vous  le  vou- 
tt  lés  prendre,  dont  dit  a  esté  de  ceulx  de  nostre  costé  que 
«  les  Irlandois  luy  en  ont  sceu  très-grant  gré,  et  plus  vou- 
«  lentiers  ils  se  sont  enclines  à  luy  ;  car  vérité  est  que  ces 
«  quatre  roys  qui  présentement  sont  venus  à  obéissance 
«  à  luy,  leurs  prédicesseurs  obéirent  de  foy  et  d'hommage 
«  à  saint  Edouard,  et  ils  tiennent  le  roy  Richard  nostre 

**  Vivent.  -^  *^*  Crëmarent  moolt.  --  ^  L'année  passée. 


Digitized  by 


Google 


n  JfBHRI  CHRT8TEAD.  '  181 

«  sire  à  preudliomitte  et  de  bonne  conscience.  Si  luy  x>nt 
«  fait  foj  et  hommage  en  la  fourme  et  manière  que  £sûre 
«  dévoient  et  que  jadis  firent  leurs  prédicesseurs  au  roy 
«  saint  Edouard.  Ainsi  vous  ay-je  compté  la  manière  com- 
«  ment  le  roy  nostre  sire  a  en  partie,  ceste  année  présente, 
«  acoomply  et  fourny  son  voyage  en  Irlande  :  si  le  mettes 
«  en  mémoire  et  retenance  à  la  fin  que,  quant  vous  serés 
«  retourné  en  vostre  nation,  que  vous  le  puissiës  escripre 
«  et  croniquer  avec  vos  autres  histoires,  qui  descendent  de 
«  ceste  matière.  »  Et  je  respondy  :  «  Henry,  vous  parlés 
fl  loyaulmant,  et  ainsi  sera-il  fait.  » 

Adont  prist*il  congié  de  moy,  et  je  de  luy,  et  tantost 
aprôs  je  trouvay  *  Marche  •  le  hérault  ;  si  luy  demanday  : 
«  Marche,  dittes*moy  de  quoy  Henry  Cristède  s*arme,  car 
c  je  Fay  trouvé  bien  courtois  et  gracieux,  et  doulcement  il 
c  m'a  recordë  la  manière  du  voiage  que  le  roy  d'Angleterre 
«  a  &it  en  Irlande  et  Testât  de  ces  quatre  roys  dlrlande 
«  qu'il  et,  sicomme  il  dist,  en  son  gouvernement  plus  de 
t  quinze  jours.  »  Et  Marche  me  respondy  :  «  Il  s'arme  d'ar- 
c  gent  à  ung  kieviron  de  gheules  à  trois  besans  de  gheules,  . 
«  deux  dessoubs  le  kieviron  et  ung  dessus.  »  Et  toutes  ces 
choses  je  mis  en  '  retenance  ^  et  en  escript,  car  pas  ne  les 
vouloie  oublier  ^. 

Tant  fus-je  en  l'ostel  du  roy  Richard  d'Angleterre»  comme 
estre  m'y  pleut,  et  non  pas  tousjours  en  une  place,  mais  en 
plusieurs  *  ;  car  le  roy  muoit  souvent  hostel  et  aloit  de  l'un 
à  l'autre  ou  à  Ëltem ,  ou  à  Ledes  ou  à  Kinkestone  ou  à 
Senes  ou  à  Gartesée  ou  à  Windesore  et  tout  en  la  marche 
de  Londres.  Et  fus  infourmé  et  de  vérité  que  le  roy  et  son 
conseil  rescripvirent  au  duc  de  Lancastre  ;  et  exploittièrent 
tant  ceulx  d'Acquitaine,  desquels  je  vous  ay  parlé  cy-devant 

*.■  Mark.  —  *^  Mémoire.  —  •  Et  à  bonne  cause.  —  •  Lienz. 


Digitized  by 


Google 


182  RICHAU)  II  DEMAHDB  LA  MAIN 

que  ils  ne  vouloient  avoir  autre  seigneur  que  le  roy  d'An- 
gleterre ,  que  le  duc  de  Lancastre  fut  rescript  et  remandë  , 
et  fut  ainsi  conclud  par  le  général  conseil  d'Angleterre,  ne 
oncques  le  duc  de  Glocestre  qui  grant  pajrne  y  rendoit,  n'en 
poelt  estre  ouy  que  le  don  que  le  roy  d'Angleterre  lujr  aroit 
donné,  luy  demourast,  car  roulentiers  il ^  Teuist  veu  en  sus 
de  luy  '  ;  mais  ceulz  du  royaulme  d'Angleterre  *,  pour  les 
doubtes  et  cautelles  à  venir  ,  ^  entendirent  '  trop  bien  les 
paroles  que  ceulx  de  Bourdeaulx  et  de  Baïonne  avoient  pro- 
posées, et  ymaginèrent  que  voirement,  se  l'éritage  d'Acqui- 
taine  s'eslongoit  de  la  couronne  d'Angleterre,  ce  leur  netoit 
ou  temps  advenir  préjudice ,  lequel  ils  ne  vouloient  pas 
'  obtenir  ^,  ne  mettre  *  sus  *;  car  encoires  tousjours  Bour- 
deaulx et  Baïonne  et  les  firontiôres  de  Gascoingne  avoient 
grandement  gardé  le  bien  et  honneur  de  la  couronne  d'An* 
gleterre.  Et  tout  ce  fut  bien  '*  amentu  *^  des  sages  au  conseil 
du  roy,  leduc  de  Qloceetre absent,  car ennulle manière  devant 
luy  on  n*en  ousoit  parler.  Et  demeura  la  chose  sur  cel  estât. 
Or  vous  parleray-je  des  ambassadeurs  du  roy  d'Angleterre, 
o'est-à-entendre  du  conte  de  Rosteland,  du  conte  Mareschal 
et  des  autres  qui  lurent  envoies  en  France,  en  instance  que 
pour  traittier  du  mariage  du  roy  Richard  leur  seigneur  à  la 
jeune  fille  du  roy  Charles  de  France  ,  laquelle  fille  n'avoit 
pour  lors  que  huit  ans  ;  et  vous  compteray  comment  ils 
exploittièrent.  

Tant  chevauchèrent  les  seigneurs  d'Angleterre  dessus 
nommés,  depuis  que  ils  furent  yssus  de  la  ville  de  Calais,  que 
ils  passèrent  la  bonne  cité  d'Amiens  et  puis  Clermont  en 
Beauvoisis  et  Craeil,  et  vindrent  à  Paris  ;  et  partout  où  ils 

*'*  Bust  yen  son  frère  hors  d'avec  lay.  —  '  Et  le  conseil  da  voj.  — 
*^  Entendi.  —  •■'  Encourir.  —  •••  Jos  ce  droit.  —  ••■"  Ramenta. 


Digitized  by 


Google 


d'kabbixv  db  prarcb.  183 

avoient  passe,  ils  orent  esté  bien  receus,  car  ainsi  ot-il  esté 
ordonné  du  roy  de  France  et  de  son  conseil.  Si  furent  logiés 
à  Paris  *  à  Ma  Croix-ou-Tiroy  et  là  *  entour  \  et  avoient 
environ  '  six  '  cens  chevaulx,  et  le  roy  de  France  estoit  logié 
ou  chastel  du  Louvre,  et  la  royne  et  ses  enffans  à  lostel  de 
Saint-Pol-sur-Seynne,  et  le  duc  de  Berry  à  Tostel  de  Nelle, 
et  le  duc  de  Bourgongne  à  Fostel  d'Artois,  et  le  duc  dâ  Bour* 
bon  À  son  hostel ,  et  aussi  le  duc  d'Orléans  au  sien,  et  le 
oonte  de  Saint-Fol  et  le  seigneur  de  Coucy  à  leurs  hostels  ; 
car  le  roy  de  France  avoit  mandé  tout  son  conseil  pour  estre 
mieulx  conseillié  et  pour  réspôndre  à  ces  seigneurs  d'Angle- 
terre qui  estoient  là  venus.  Et  là  fut  ordonné  de  par  le  roy 
que  tous  les  jours  que  les  Anglois  furent  séjoumans  à  Paris, 
on  leur  délivreroit  deux  cens  couronnes  ^  d*or  ^  pour  leurs 
menus  firais  et  coustages  d*eulx  et  de  leurs  chevauls  à  leurs 
hostels.  Et  estoient  souvent  ces  seigneurs  d'Angleterre  qui 
là  se  retrouvoient ,  tels  que  le  gentil  conte  Mareschal  et  le 
conte  de  Rostelant,  dalés  le  roy,  et  demouroient  au  disner, 
et  leur  fiûsoient  le  roy  ,  son  frère  et  leurs  oncles  toute  la 
meilleur  chiôre  et  compaignie  que  ils  povoient,  en  euls  hon- 
nourant  pour  Tonneur  et  amour  du  roy  d'Angleterre  qui  là 
les  avoit  envoies.  Si  demandoient  ces  seigneurs  d'Angleterre 
à  avoir  response  de  leur  demande,  et  on  les  menoit  toudis 
de  paroles,  car  il  venoit  à  grant  merveille  à  plusieurs  nobles 
du  royaulme  de  France,  du  conseil  du  roy,  des  requestes  et 
traittiés  dont  ils  estoient  poursieuvis  de  par  les  Anglois,  pour 
tant  que  la  guerre  de  longtemps  avoit  esté  si  âëre  et  si 
cruelle  entre  France  et  Angleterre  *,  et  proposoient  les  plu- 
sieurs et  disoient  ainsi  :  a  Comment  pourra  nostre  sire  le 
«  roy  de  France  donner  et  accorder  sa  fille  pour  cause  de 

•-•  Près.  —  •*  Environ.  —  •*•  Cinq.  —  '-•  De  France.  -  •  Et  les 
roys  de  France  et  d* Angleterre. 


Digitized  by 


Google 


184  RICBARD  n  DEaUHI»  !«▲  MA» 

<c  mariage  au  voy  d^Ângleterre  son  adyeraaire  ?  H  nom  est 
«  advis,  avant  que  tels  traittiés  se  '  deutssent  comparoir  * 
«  que  bonne  paix  ferme  et  entière  deuist  estre  entre  le  roy 
«  de  France  et  le  roj  d'Angleterre»  leurs  conjoints  et  'leurs 
«  ahers^.  »  Et  toutes  ces  choses  et  autres  sur  fourme  et 
estât  de  bon  advis  estoient  remonstrées  ou  destroit  conseil 
du  roy. 

Pour  ce  temps  avoit  en  France  ung  ^  chancellier  *  sage  et 
moult  vaillant  homme  durement»  qui  s*appelloit  messire  Re- 
gnault  de  Corbie»  etmoultymaginatif,  et  veoit^  du  longet  du 
large  '  toutes  les  besoingnes  de  France  comment  elles  poux^ 
roient  cheoir  et  venir,  et  disoit  bien  au  roy  et  à  ses  oncles  : 
«  Messeigneurs,  on  doit  entrer  par  le  droit  huys  en  la  mai- 
«  son.  Ce  roy  Richard  d*Ângleterre  monstre  que  il  ne  veult 
«  à  nous  ,  ne  au  royaulme  de  France»  que  *  toute  amour, 
a  quant  par  cause  de  mariage  il  se  y  veult  ^^  aloyer  ^^.  Nous 
«  avons  eu  par  deux  saisons  consauls  et  traittiës  ensemble 
«  sur  fourme  de  paix  &  Amiens  et  à  Lolinghem,  et  oncques 
<f  ne  se  peurent  tant  approchier  les  traittiés  que  les  parle» 
a  mens  euissent  nulle  bonne  conclusion ,  fors  sur  estât  de 
«  triôves.  Et  sçavons  de  véritë  que  Fonde  du  roy  d*Ângle- 
«  terre,  celluy  qui  s'appelle  messire  Thomas  et  duc  de 
«  Olocestre,  est  du  tout  contraire  à  la  voulentë  du  roy  d' An- 
ci  gleterre  et  de  ses  oncles  le  duc  de  Lancastre  et  le  doc 
«  d*Iorch,  tant  que  de  venir  jusques  &  la  paix  ;  ne  le  roy 
«  d'Angleterre,  ne  tous  ceulx  qui  bien  luy  veulent  pour 
«  avoir  conclusions  et  confirmations  de  paix,  ne  le  pôvent 
«  brisier,  et  au  fort  sa  puissance  sera  petite  contre  celle  du 
ff  roy.  Si  entendons  à  recueillier  leurs  traittiés  et  paroles 
«  en  bien,  et  faisons  tant  avant  leur  département  que  de 
<f  nous  et  de  nos  responses  ils  se  contentent.  i> 

*-■  Fageent.  —  '*  Adhërens.  —  ••  Chevalier.  —  '-•  Aa  kmg.  — 
•  Tout  bien  et.  —  *•"  AlUer. 


Digitized  by 


Google 


D*IftAlBLLB  MS  PRAKCE,  i86 

A  cw  paFotefl  que  le  chancellier  dé  France  rettcmstFaist 
à  la' fois  remoQstroit,  ainsi  qae  dessus  est  dit,  seendinoient 
et  arrtBtoient  les  oncles  du  roy,  et  par  espëcial  le  duc  de  ^ 
Boui^ngne  ;  car  il  se  tenoit  à  si  chargië  de  la  guerre,  que 
moult  Toulentiers  il  euist  veu  bonne  paix  entre  France  et 
Angleterre.  Bt  la  principale  cause  qui  ad  ceTenclinoit,  c'es- 
toit  pour  le  pays  de  Flandres,  dont  il  estoit  sires  de  par 
madame  sa  femme,  qui  gësoit  en  la  main  et  frontière  des 
Anj^oie;  et  aussi  les  courages  de  moult  de  Flamens  sont  plus 
anglois  que  franchois  et  tout  pour  la  marchandise  qui  vient 
et  arrive  en  Flandres  par  mer  et^par  terre. 

Conseillié  et  arreste  fut  ou  destroit  conseil  du  roy  de 
France  que ,  ainsi  que  on  avoit  commenchié  à  faire  et  à 
mimstrer  bonne  chière  aux  Anglois,  il  seroit  moult  bon  de 
persévérer,  et  par  espëcial  le  roy  de  France  le  vouloit.  Et 
lut  conseillié,  fuist  par  dissimulation  ou  autrement,  que  les 
Anglois  qui  là  estoient  venus  en  ambassaderie  de  par  le  roy 
d'Angleterre,  seroient  doulcement  menés  et  respondus,  et 
leur  donroit-on  espérance,  avant  leur  département,  que  le 
roy  d'Angleterre  venroit  à  sa  demande. 

Pour  ces  jours,  la  royne  de  France  et  ses  enfiSms  estoient 
à  Tofitel  de  Saint-Pol-sur-Seynne.  Si  fut  octroyé  et  accordé 
pour  le  mieulx  aux  seigneurs  d'Angleterre  et  à  leurs  prières 
et  requestes ,  que  ils  verroient  la  royne  de  France  et  ses 
enffiins  et  par  espécial  celle  pour  laquelle  ils  prioient  et 
estoient  là  envoyés  et  venus,  car  moult  la  désiroient  à 
veoir. 

L'excusance  du  conseil  du  roy  estoit  telle  que  ceste  fille 
du  roy  estoit  moult  jeune  et  que  en  ung  enflant  de  huit 
ans  il  ne  povoit  pas  avoir  trop  grande  ordonnance  de  pru- 
dence. Si  estoit-elle  de  son  eage  moult  bien  introduite  et 
endoctrinée,  et  toute  telle  la  trouvèrent  les  seigneurs  d'An* 
gleterre,  quant  ils  parlèrent  à  ^e  ;  et  luy  dist  le  conte 


Digitized  by 


Google 


186  BIGHAllD  n  DBIIAIVDB  LA  MAIR 

Mareschal,  estant  à  deux  genoulx  devant  elle  :  «  Madame, 
«  au  plaisir  de  Dieu,  vous  serés  nostre  dame  et  royne  d*Ân- 
a  gleterre.  »  ^  Si  '  respondy  la  '  joeune  fille  ^  et  d  elle  n&eismes 
toute  advisee  sans  conseil  d'autruy  :  «  Se  il  plaist  à  Dieu  et 
«  à  monseigneur  mon  père  que  je  soye  royne  d'Angleterre» 
«  je  le  verray  voulentiers,  car  on  m*a  bien  dit  que  je  seroie 
«  une  grande  dame.  »  Et  adont  elle  flst  lever  le  conte 
Mareschal,  et  Famena  par  la  main  à  la  royne  sa  mère  qui  ot 
moult  grant  joye  de  la  response  de  sa  fille,  et  pareillement 
eurent  tous  ceulx  et  toutes  celles  qui  oy  Tavoient.  La 
manière  et  ordonnance  et  la  belle  doctrine  et  contenance 
de  ceste  joeune  fille  de  France  plot  trop  grandement  aux 
deux  chevalliers  ambassadeurs  du  roy  Richard  d'Angleterre, 
et  dirent  bien  et  ymaginèrent  entre  euls  qu'elle  seroit  encoires 
une  dame  de  hault  honneur  et  de  grant  bien,  et  qu'elle  en 
avoit  desjà  beau  commencement. 

La  conclusion  de  ce  traittié  fut  telle  :  quant  ces  seigneurs 
d'Angleterre  orent  esté  et  séjourné  à  Paris  plus  de  vingt 
jours  (mais  tous  leurs  menus  frais  de  bouche  et  de  leurs 
chevaulx  estoient  paies  de  par  le  roy  de  France) ,  response 
raisonnable  leur  fut  donnée  belle  ^  et  courtoise  de  par  le 
roy  et  le  conseil  en  euls  donnant  grant  espérance  que  ce 
pour  quoy  ils  estoient  venus,  se  feroit,  mais  ce  ne  seroit  pas 
si  tost  ;  car  la  dame  que  ils  ^  demandoient  à  ^  avoir  ,  estoit 
moult  jeune  d'eage ,  et  aveuc  tout  ce  elle  estoit  obligie  et 
enconvenenchie  en  cause  de  mariage  au  duc  de  Bretaigne 
pour  son  aisné  fils.  Si  convenoit  traittier  vers  luy  pour 
rompre  ces  convenences,  avant  que  les  procès  poussent  aler 
plus  avant,  et  cel  }Ter  qui  devoit  entrer  et  venir,  on  laisse- 
roit  les  choses  en  cel  estât ,  et  là  en  dedens  on  auroit  nou- 
velles en  Angleterre  de  par  le  roy  de  France ,  et  sur  le 

**  Sire.  —  ■-*  OamoMaUe.  —  *  Et  boqne^i  —  •*'  Vouloienl. 


Digitized  by 


Google 


ll'OABiXXB  DE  FRANCE.  i%l 

temps  de  quarèsme  que  les  jours  commencent  à  embellir  et 
à  alongier  et  les  mers  à  appaisier,  ils  retoumeroient,  ou 
antres  que  le  roy  d'Angleterre  y  vouldroit  envoler,  enFrance 
devers  le  roy  et  son  conseil ,  et  ils  seroient  les  bien-venus. 

De  ceste  response  se  contemptèrent  les  Ânglois,  et  prin* 
drent  congié  au  roy  et  à  la  royne  et  à  sa  fille  la  jeune  dame 
Ysabel  de  France,  au  frère  et  aux  oncles  du  roy  et  à  tous 
ceulx  ausquels  il  appartenoit  congié  prendre ,  et  puis  se 
départirent  de  Paris,  et  se  misrent  au  retour  pour  revenir  à 
Calais,  le  chemin  que  ils  estoient  venus,  et  firent  tant  par 
leurs  journées  que  ils  retournèrent  en  Angleterre.  Et  se  has- 
tèrent  devant  toutes  leurs  gens  les  deux  contes  d'Angleterre, 
qui  chief  avoient  esté  de  ce  traittié,  le  conte  de  Rosteland 
et  le  conte  Mareschal,  pour  apporter  nouvelles  au  roy  d*An* 
gleterre ,  et  vindrent  de  Zandewich  où  ils  prindrent  terre 
en  moins  de  jour  et  demy  à  Windesore  où  le  roy  pour  ces 
jours  se  tenoit ,  qui  moult  fut  ^  joieulx  *  de  leur  revenue  , 
et  se  contempla  des  responses  du  roy  de  France  et  de  ^  son 
conseil  ^,  et  ne  mist  pas  ceste  chose  en  non  challoir,  mais  le 
prist  si  à  coeur  et  à  grant  plaisance  que  il  n*entendoit  à  autre 
chose  fors  de  toudis  viser  et  soubtillier  comment  il  pourroit 
venir  à  son  entente  de  avoir  à  femme  et  à  espeuse  la  fille 
du  roy  de  France. 

Se  le  roy  d'Angleterre  pensoit  d'une  part  comment  il 
vendroit  par  ^  tous  grés  ^  au  mariage  de  la  jeune  fille  du  roy 
de  France,  le  roy  de  France  d'autre  part  et  ses  consauls 
pensoient  et  soubtilloient  nuit  et  jour  comment  ceste  chose 
se  feroit  à  l'onneur  d'euls  et  du  royaulme  de  France.  Plu- 
sieurs en  parloient  et  devisoient  ainsi  :  «  Se  nous  estions 
i  appelles  en  ces  traittiés  de  France  et  d'Angleterre  et  nos* 
«  tre  parole  fuist  oye  et  acceptée,  nous  dirions  ainsi  :  que 

•••  Ly«i.  —  *^  Ses  oncle*.  —  •-•  Toutes  voies. 


Digitized  by 


Google 


ISS  EOBUT  l'eBSITE 

«  jà  le  197  d'Angleterre  n'aroit  à  femme  la  fille  de  France, 
«  si  seroit  bonne  paix  entre  le  roy  de  France  et  le  roy 
«  d'Angleterre  ,  leurs  royaulmes,  leurs  conjoints  et  leurs 
«  ahers  à  la  guerre.  Â  quoi  sera-ce  bon  que  le  roy  d'Angle 
«  terre^aura  à  femme  la  fille  du  roy  de  France,  et  euls  et 
ff  leurs  royaulmes,  les  trièves  passées,  qui  n'ont  à  durer  que 
«  deux  ans,  se  guerroieront  et  seront  eulx  et  leurs  gens  en 
«  hayne  ?  Ce  sont  choses  qui  moult  sont  à  considérer.  » 

Le  duc  d'Orléans  et  le  duc  de  Berry  estoient  de  celle 
oppinion ,  et  plusieurs  hauk  barons  et  nobles  du  royaulme 
de  France,  et  tout  ce  sçavoient  bien  le  roy  de  France  et  le 
due  de  Bourgoingne  et  le  chancellier  de  France  ',  qui  s'en- 
dinoieat  assés  à  la  paix,  réservé  l'onneur  du  royaulme  *. 


En  ce  temps  avoit  ung  escuier  en  France,  prudent  et 
vaillant  homme  durement,  et  estoit  nouvellement  retourné 
^n  France,  et  avoit  en  son  temps  moult  traveillié  oultre  la 
mer,  et  avoit  esté  en  plusieurs  grans  et  beaulx  *  volages , 
pour  lesquels  il  estoit  moult  recommandé  en  France  et  ail* 
leurs,  où  la  congnoissance  de  luy  estoit  venue.  Cel  escuier 
estoit  de  nation  de  Normendie  de  ung  pays  que  on  appelle 
Caux,  et  nommé  Robert  le  ^  Mennoit  ^,  mais  au  présent  on 
ï'appelloit  Robert  l'Ermite  pour  ce  que  il  se  vestoit  d'abit 
d'ermitte  et  estoit  moult  religieux  et  de  belle  vie  et  plain  de 
bonnes  paroles.  Et  povoitestreen  Teage  environ  de  cinquante 
ans  et  avoit  esté  aux  traittiés  qui  furent  à  Lolinghen  du  duc 
de  Bourgoingue  et  des  seigneurs  de  France  d'une  part ,  et 
du  duc  de  Lancastre  et  du  duc  de  Glocestre  d'autre  part,  et 

*  Et  le  chancelier,  de  Bourgogne.  —  *  Estoient  d^aultre  opinion.  — 
•  Et  hanlx.  —  *•»  Mennot 


Digitized  by 


Google 


▼onleatidrs  y  avoit  este  07  ;  et  la  fourme  et  manière  comr 
nmit  il  j  estoit  entré,  je  le  vous  diray. 

Advenu  estoit  à  oe  Robert  TErmite  que  en  retournant  ens 
es  parties  de  France  ,  et  party  du  royaulme  de  Surie  et 
monte  à  Baruth  sur  la  haulte  mer,  une  fortune  de  vent  et 
de  tempeste  de  mer  à  luy  et  à  ses  compaignons  sourvint  si 
grande  et  si  cruelle  que  deux  jours  et  une  nuit  ils  furent  si 
tempestés  que  nulle  espérance  ils  n*avoient  à  yssir  hors  de 
ce  péril,  et  gens  qui  '  sont  '  en  ce  dangier  et  parti ,  sont 
mieulx  eontris  et  repentans  et  en  grant  recongnoissance  et 
crémeur  envers  Dieu.  Et  advint  que  sur  la  fin  de  celle  teour 
peste  et  que  le  temps  se  prist  à  adoulcir  et  le  vent  à  appai- 
aier,  une  fourme  d*ymage  plus  clore  que  nul  cristài  s'apparu 
&  Robert  TErmite  et  dist  ainsi  :  «  Robert,  tu  ysteras  et 
«  eschapperas  de  ce  péril,  et  tous  ceulx  qui  sont  aveuc  toy, 
c  pour  Tamour  de  toy,  car  Dieu  a  oy  tes  oraisons  et  pris  en 
«  gré,  et  veult  et  te  mande  de  pai*  moy ,  toy  retourné  en 
«  France,  du  plus  tost  que  tu  pourras ,  si  te  trais  devers  le 
«  roy  de  France,  et  tout  premièrement  compte-hiy  ton 
«  adventure,  et  luy  dis  que  il  s*encline  à  la  paix  devers  son 
«  adversaire  le  roy  d^Angleterre ,  car  la  guerre  a  trop  lon- 
«  guement  eu  durée  entre  euls;  et  sus  les  traittiés  qui  s'en- 
«  tameront  et  feront  entre  le  roy  '  de  France  et  le  roy  * 
«  d'Angleterre  et  leurs  consauls,  si  te  mets  hardiement,  et 
«  remonstre  ces  paroles,  car  tu  en  seras  ouy.  Et  tous  ceulx 
«  qui  contrediront  à  la  paix  et  aux  traittiés  et  soustendront 
«  l'oppinion  ^  de  la  guerre,  le  comparreront  en  leur  vivant 
«  chièrement  et  douloureusement.  » 

Sus  celle  paroUe  la  clareté  de  la  voix  s'esvanuy,  et  Robert 
demeura  tout  pensif ,  et  toutesvoies  il  retint  tout  ce  que  il 

*-*  Se  treavent..  Se  tiemient.  —  '  Charles.  —  *  Richard.  -— 
*  Mannûse. 


Digitized  by 


Google 


lyO  ROBWT  L*BEII1T( 

avoit  vea  et  ouy,  à  divine  chose,  et  depais  ceste  advenue  ils 
orent  le  temps  et  le  vent  à  souhait  et  arrivèrent  en  la 
rivière  de  Jennes,  et  prist  congié  à  ses  compaignons.  Quant 
il  fut  hors  du  vaissel,  il  exploitta  ^  tant  par  ses  journées  que 
il  vint  en  Avignon,  et  la  première  chose  que  il  flst,  ce  fut 
que  il  ala  à  relise  Saint-Pierre,  et  là  trouva  ung  moult 
vaillant  homme  pénitanchier  auquel  il  se  confessa  dévote- 
ment ,  et  luy  compta  toute  son  adventure ,  ainsi  que  en 
devant  vous  Tavés  oj,  et  en  demanda  à  avoir  conseil  pour 
scavoir  quel  chose  il  en  feroit.  Le  preud*homme  auquel  con- 
fessé il  8*estoit,  luy  dist  et  de£fendy  que  de  ceste  chose  il  ne 
parlast  aucunement,  tant  que  il  Taroit  remonstré  au  roy  de 
France  premièrement,  et  tout  ainsi  que  la  vision  luy  estoit 
venue,  et  ce  que  le  roy  Ten  conseilleroit,  il  fesist. 

Robert  *  crut  ce  conseil,  et  prist  ^  et  encharga  tout  sim- 
ple habit,  et  se  vesty  et  habitua  tout  de  drap  gris,  et  se 
maintint  et  ordonna  depuis  mioult  simplement,  et  se  départy 
de  la  cité  d'Avignon  et  exploitta  tant  par  ses  journées  que 
il  vint  à  Paris,  et  estoit  le  roy  pour  lors  à  Abbeville,  et  les 
tmttiés  estoient  ouvers  entre  les  Franchoiset  les  Anglois, 
ainsi  comme  il  est  contenu  icy-dessus  en  nostre  histoire. 
Tout  premièrement  il  se  traist  devers  le  roy  qui  pour  ces 
jours  estoit  logié  en  Tabbaye  de  Saint-Pierre ,  et  luy  fist 
voye  pour  parler  au  roy  ung  chevallier  de  Normendie  et  de 
sa  congnoissance,  qui  sappelloit  messire  Guillemme  Martel, 
lequel  estoit  chevallier  de  la  chambre  du  roy  .et  le  plus  pro- 
chain que  il  euist.  Robert  recorda  bellement  et  doulcement 
de  point  en  point  toute  son  adventure,  sicomme  icy-dessus 
est  contenu.  Le  roy  s'i  enclina  et  entendy  voulentiers ,  et 
pour  ce  jour  ses  oncles  le  duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bour- 
goingne,  et  messire  Regnault  de  Corbie,  chancellier  de  France, 

'  Depuis.  —  *-*  Prist  ce  conseil  à  bon  et  le  créât. 


Digitized  by 


Google 


■N  AMGLETKRfte.  i9l 

qui  les  plus  grans  estoient  du  coste  de  France  sur  ces  trait- 
tiés,  n'estoient  point  là,  mais  à  Lolinghem  contre  les 
Anglois.  Si  dist  le  roy  à  Robert ,  quant  il  ot  bien  ymaginé 
et  considéré  tout  le  fiiit  :  «  Robert ,  sachiés  que  nostre  con* 
«  seil  est  contre  les  Ânglois  à  Lolinghem.  Vous  vous  ten* 
«  drés  icy  tant  que  ils  retourneront  et,  euls  revenus,  je  par- 
«  leray  à  mon  oncle  de  Bourgoingne  et  au  chancellier,  et 
«  feray  tout  ce  que  pour  le  mieulx  ils  me  conseilleront.  » 
Robert  respondy  et  dist  :  i  Sire,  Dieu  y  ait  part  !  n 

En  celle  propre  sepmaine  retournèrent  en  la  bonne  ville 
d*Âbbeville  ceulx  du  conseil  du  roy,  et  apportèrent  aucuns 
articles  sur  fourme  de  paix  que  les  Anglois  avoient  mis  oui- 
tre ,  et  estoient  si  grans  que  ceulx  qui  s*ensonnioient  du 
traittié  de  par  le  roy  de  France ,  ne  les  vouloient  point 
accepter,  ne  passer,  sans  savoir  Fintention  du  roy ,  siques, 
quant  ils  furent  venus,  ils  luy  remonstrèrent.  Adont  traist 
à  part  le  roy  son  onde  de  Bourgoingne  et  le  chancellier,  et 
leur  remonstra  ce  dont  Robert  TErmitte  Tavoit  enditté  et 
infourmé ,  et  leur  demanda  se  c'estoit  chose  licite  à  ^  oyr  ' 
et  à  mettre  sus  avant.  Ils  regardèrent  Tun  sur  Fautre  et  pen- 
sèrent ung  petit,  et  puis  furent  advisés  de  parler  et  de  dire 
que  ils  vouloient  veoir  ce  Robert  et  oyr  parler,  et  sur  ce  ils 
anroient  advis.  Robert  fut  mandé  :  il  vint,  car  il  n*estoit 
point  trop  loing  de  la  chambre  où  les  parlemens  secrets  du 
roy  •  se  tenoient  *. 

Quant  Robert  TErmite  fut  venu  devers  le  roy  et  le  duc  de 
Bourgoingne,  il  les  honnôura  ainsi  que  bien  le  sceut  faire. 
Adont  dist  le  roy  :  «  Robert,  remonstrés-nous  icy  tout  au 
«  long  vostre  parole  et  de  laquelle  vous  nous  ayés 
•  infourmé.  »  Robert  respondy  et  dist  :  «  Sire ,  moult  vou- 
«  lentiers.  »  Là  emprist-il  à  parler  bien  doulcement  et  trôs- 

•-•  OnÂn.  —  ••*  EstouBt. 


Digitized  by 


Google 


I9S  ROMHiT  l'suhtb 

sagement ,  et  ne  fut  de  riens  effréés,  ne  esbaby.  Si  leor 
recorda  les  paroles  tout  au  long,  qae  vous  avës  <7-dessaB 
oyes,  ausqueUes  paroles  ils  entendirent  voulentiers.  Âdont 
ik  le  firent  ysslr  de  la  chambre  et  demourdrent  tous  ensem- 
ble en  la  chambre.  Le  roy  demanda  à  son  oncle  quel  chose 
en  estoit  bon  à  faire,  c  Monseigneur  ,  respondy  le  duc  de 
a  Bourgoingne ,  nous  et  le  chancellier  en  aurons  adtia 
«  dedens  demain.  » — «  Bien,  »  dist  le  roy.  Sus  cel  estât  ils 
finôrent  leur  ^  ccHUseil. 

Depuis  furent  ensemble  le  duc  de  Bourgoingne  et  maistre 
Regnault  de  Gorbie,  chancellier  de  France ,  et  parlèrent  de 
oeste  matière  *  assés  et  *  longuement,  et  le  examinèrent  et 
escrutinèrent  à  scavoir  que  ils  en  feroient  ;  car  ils  veoient 
Uen  que  le  roy  de  France  s*i  endinoit  fort  et  youloit  q,ue 
Robert  fuist  acyousté  arec  eulx  ens  es  fraittiës  deparlement, 
car  il  avoit  doulce  et  belle  parlure  et  *  amolioit  '  par  son 
langi^  tous  cuers  qui  Touoient  parler.  Gonseillié  fut  et  advisé, 
et  tout  pour  le  meilleur ,  ou  cas  que  ce  Robert  FErmite 
remonstroit  ce  fait  par  manière  de  miracle  et  vision  divine, 
que  on  le  lairoit  convenir  et  venir  aux  traittiée  et  parlemens, 
pour  remonstrer  aux  seigneurs  d'Angleterre  et  à  tous  ceulx 
qui  oyr  le  vouldroient ,  tout  ce  dont  il  les  avoit  infourmës, 
et  que  c'estoit  chose  bien  licite  à  fÎEÛre ,  et  tout  ce  dirent-ils 
à  Tendemain  au  roy. 

Sus  cel  estât,  quant  le  duc  de  Bourgoingne  et  le  chancel- 
lier de  France  retournèrent  aux  parlemens  et  aux  traittiës 
a  Lolinghem  a  rencontre  des  ^  Anglois  ,  ils  emmenèrent  ce 
Robert  FErmitte  avecques  euls ,  lequel  estoit  grandement 
fondé  de  bien  parler,  ainsi  que  dessus  vous  avés  ouy.  Et 
quant  tous  les  seigneurs  de  France  et  d'Angleterre  furent 
ensemble  en  leur  parlement ,  voire  ceulx  qui  y  dévoient 

*  Parlement  et.  —  ^  Ass^.  ^  *"  ConvertÎMoH.  —  *  SdgBeon. 


Digitized  by 


Google 


z' 


BM  AMGIiBTgRU*  195 

estre,  Robert  FErmite  vint  ^  emmy  '  eulx»  et  là  e&commencha 
à  parler  moult  firoidement  et  sagement  et  à  remontrer  tonte 
rarenture  qui  sur  mer  luy  estoit  advenue  depuis  nagaires 
de  temps  ;  et  disoit  et  maintenoit  en  ses  paroles  que  la  vision 
qui  luy  estoit  advenue»  estoit  inspiration  divine,  et  que  Dieu 
Iny  avoit  tramis  pour  tant  que  *  c'estoit  son  plaisir  ^  que  il 
foist  ainsi. 

En  ces  paroles  remonstrant  entendoient  aucuns  seigneurs 
d*Angleterre  qui  là  estoient  présens,  voulentiers,  et  s*i  encli- 
noient  en  bien ,  tels  que  le  duc  de  Lancastre  ',  le  conte  de 
Saslebéry  »  messire  Thomas  de  Persy  et  messire  Quillemme 
Clanwou ,  Févesque  de  Lincole  et  Tévesque  de  Londres  ; 
mais  le  duc  de  Glocestre  et  le  conte  d*Arondel  n'en  faisoient 
nul  compte,  et  dirent  depuis,  en  l'absence  des'  traitteurs  '  de 
France ,  quant  ils  furent  retournés  à  leurs  logis ,  que  ce 
n*estoit  fors  £Emtosme  et  toutes  paroles  cohtrouvëes  et  faittes 
à  la  main  pour  eulx  mieulx  abuser ,  et  eurent  conseil  gêné- 
rallement  que  ils  en  rescripvroient  devers  le  roy  d'Angle-* 
terre,  et  tout  Testât  de  ce  Robert  l'Ermite  et  quel  chose  il 
avoit  dit  et  proposé,  et  fut  ce  conseil  tenu.  Puis  fut  renvoie 
en  Angleterre,  devers  le  roy,  ung  chevallier  et  chambrelenc 
du  roy,  qui  s'appelloit  messire  Richard  Credon,  et  trouva  le 
roy  en  la  conté  de  Kent,  en  une  place  et  moult  beau  chastel 
que  on  dist  Ledes  »  et  là  luy  bailla  le  chevallier  les  lettres 
que  les  seigneurs  traitteurs  de  sa  partie,  qui  se  tenoient  en 
la  firontiôre  de  Calais,  luy  envoyoient,  et  dedens  estoit  con- 
tenue toute  la  certaineté  *  de  ce  Robert  TErmite.  Le  roy 
d'Angleterre  lisi  tout  au  long  ces  lettres  et  y  j^rist  très- 
grant  plaisance  ;  et  par  espécial,  quant  il  vint  au  point  de 
ce  Robert  TErmite,  il  dist  en  soy-meismes  que  il  verroit  vou- 

*-•  Parmj.  —  ■-*  Il  Touloit,  —  »  Oncle  da  roy  Richard  d'Angleterre. 
—  •'i  AmbaMsdeun—  *  Et  aignifiance. 

XV.  —  FROISSABT.  iS 


Digitized  by 


Google 


194  ROBBRT  l'eBIOTB 

lentiers  ce  Robert  et  orroit  parler ,  et  s'enclinoit  assés  & 
croire  en  vérité  que  ceste  *  vision  *  qu'il  remonstroit  et  prou- 
voit,  estoit  vraiement  advenue,  et  rescripvy  flnablement  au 
duc  de  Lancastre  et  au  conte  de  Sasiebérj  que,  se  on  povoit 
par  nulle  voye  faonnourablement  faire  que  bonne  paix  fîiist 
entre  luy  et  le  roy  de  France  ,  leurs  royaulmes  ,  leurs  con- 
joinds  et  leurs  ahers  à  la  guerre,  ils  s*en  voulsissent  mettre 
en  paine,  car  voirement,  selon  la  parole  de  ce  Robert  FEr- 
mite,  la  guerre  avoit  duré  trop  longuement,  et  que  bien  estoit 
temps  de  y  trouver  aucun  bon  moyen  de  paix. 

Bien  est  contenu  içy-dessus  en  nostre  histoire  comment 
les  traittiés  se  portèrent,  et  le  département  que  les  sei- 
gneurs firent  Tun  de  l'autre,  et  comment  triôves  furent 
prinses  et  '  données  ^  entre  ^  toutes  parties  *  à  durer  quatre 
ans,  et  là  en  dedens  on  fourmeroit  bonne  paix.  Telle  fut 
l'intention  des  traitteurs,  réservé  le  duc  de  Glocestre,  car 
bien  prommettoit  que,  luy  retourné  en  Angleterre,  jamais 
de  traittié  de  paix  envcirs  le  royaulme  de  France  il  ^  ne 
s*ensonnieroit  *.  Si  s'en  dissimula-il  adont  ce  que  il  pot  pour 
complaire  au  roy  et  à  son  frère  le  duc  de  Lancastre.  Ainsi 
par  celle  manière  et  ordonnance  que  je  vous  ay  dit  et 
recordé,  vint  en  congnoissance  Robert  TErmite. 

Assés  tost  après  ce  que  le  conte  de  Rostelant,  le  conte 
Mareschal,  Tarchevesque  de  Duvelin,  messireHuele  Des- 
pensier,  messire  Loys  de  Gliffort  et  ceulx  qui  en  France 
avoient  esté  envoyés,  furent  retournés  en  Angleterre  et 
eurent  apporté  sur  Testât  de  ce  mariage  nouvelles  qui  furent 
au  roy  Richard  plaisans  *  ,  les  parlemens  à  la  Saint- 
Michiel,  qui  se  tiennent  à  Westmoustier,  vindrent  ;  et  ont 

•■■  Chose.  —  "  Séellëes  et  jurées.—  »•  Les  royaumes  de  France  et 
d'Angleterre,  leurs  conjoints  et  adhérons.  —  '^  N'en  parleroit  noUa- 
ment.  —  *  Et  agréables. 


Digitized  by 


Google 


BM  ANGLBTBRRB.  195 

usage  0t  ordonnance  de  durer  par  ^  quarante  'jours,  et  sont 
parlemèns  et  consauls  générauls  de  toutes  les  besoingnes 
d'Angleterre,  qui  là  se  retreuvent  et  retournent. 

A  l'entrée  des  parlemèns,  retourna  en  Angleterre  le  duc 
de  Lancastre  du  pays  de  Gascoingne  et  de  la  cite  de  Bour- 
deaulx  où  il'  ot^esté  envoyë,  ainsi  que  vous  sçavés,  et  n*ayoit 
point  esté  receu  sur  la  fourme  et  manière  que  il  le  cuida 
estre,  quant  il  se  party  d'Angleterre  et  il  ala  à  Bour- 
deaubc.  Je  cuide  si  bien  avoir  dittées  et  remonstrées  les 
causes  icy-dessus  ^  en  mon  histoire  *,  que  paine  me  seroit  de 
les  réciter  encoires  une  fois.  Quant  le  duc  de  Lancastre 
fot  revenu  en  Angleterre,  le  roy  et  les  iseigneurs  luy  firent 
bonne  chiôre,  ce  fut  droit  et  raison,  et  parlèrent  ensemble 
de  leurs  besoingnes. 

Si  trestost  que  les  nouvelles  furent  venues  et  sceues  en 
France  que  le  duc  de  Lancastre  estoit  retourné  en  Angle- 
terre, le^roy  de  France  et  les  seigneurs  orent  conseil  que 
Robert  l'Ermite  yroit  en  Angleterre  et  porteroit  lettres  de 
arëanc€f  au  roy  d'Angleterre,  qui  fort  le  désiroit  à  veoir,  et, 
luy  revenu  en  France,  on  y  envoieroit  le  conte  de  Saint- 
Pol;  et  se  accointeroit  Robert  l'Ermite  du  roy  et  des  sei- 
gneurs qui  le  ouroient  voulentiers  parler  des  besoingnes  de 
Snrie  et  de  Tartarie  et  de  l'Amorath-Baquin  et  de  la  Turquie 
où  il  avoit  longtemps  ^  converse,  car  de  tels  matières  tes 
seigneurs  d'Angleterre  oyent  moult  voulentiers  parler. 

Il  fut  dit  à  Robert  l'Ermite  que  il  se  ordonnast  et  que  il 
le  convenoit  aler  en  Angleterre.  De  celle  commission  il  fut 
tout  resjouy,  et  respondi  et  dist  que  très-voulentiers  il  yroit, 
car  oncques  n'y  avoit  esté.  Si  luy  furent  baillyes  lettres  de 
créance  de  par  le  roy  de  France  adreschans  au  roy  d'Angle- 
terre et  à  ses  oncles.  Robert  l'Ermite  party  de  Paris  à  tout 

*-•  QuatM.  —  •-•Avoit.  —  •^  Audit  Utw.  —  »  Esté  «t. 


Digitized  by 


Google 


496  EOBBRT  L'BEMin 

son  arroy  à  a^t  chevaulx  tant  seulement  et  tont  aux  oons- 
tages  du  roy  (c*estoit  raison),  et  chemina  tant  que  il  vint  k 
Boulongne  et  là  entra  en  mer  et  arriva  à  Douvres,  et 
exploitta  tant  que  il  vint  à  Eltem,  ung  manoir  du  roy  à  sept 
lieues  englesces  de  là,  et  là  trouvale  roy,  leduc  de  Lancastre, 
le  conte  de  Saslebéry ,  le  conte  de  Hostidonne  et  messire  Tho- 
mas de  Persy,  et  de  tous,  pour  Tamour  du  roy  de  France,  il 
flit  moult  liement  recueillie  et  pai*  espécial  du  roy  d'Angle- 
terre qui  le  désiroit  à  veoir.  Il  monstra  ses  lettres  de  croaxlce 
au  roy.  Le  roy  les  rechupt  en  bien  et  les  lisy  tout  an  long, 
et  aussi  firent  tous  les  seigneurs  Tun  après  l'autre,  ausquels 
il  apportoit  lettres.  Le  duc  de  Glooestre  pour  ces  jours 
estoit^n  Excesses  en  ung  chastel  que  on  appelle,  cem*est 
advis,  Plaissy. 

Quant  il  ot  esté  delës  le  roy  et  le  duc  de  Lancastre  à 
Eltem  cinq  jours,  il  se  départy  pour  aler  veoir  le  duc  de 
Glooestre,  et  sus  celle  entente  prist-U  congié  au  roy  et  aux 
seigneurs,  et  vint  à  Londres,  et  Tendemain  il  se  ordonna  de 
chevaulchier  et  vint  au  giste  ep  une  ville  à  quarante  lieues 
englesces  de  Londres,  que  on  dist  Brehoude,  et  Tendemain  il 
vint  à  Plaissy  et  trouva  le  duc  et  la  duchesse  et  leurs  ^  enf- 
fans  ' ,  qui  le  recueillirent  doulcement  selon  son  estât. 
Robert  monstra  et  bailla  les  lettres  que  il  apportoit  de  par 
le  roy  de  France  au  duc  de  Glooestre.  Le  duc  les  ouvry  et 
lisy  tout  au  long,  et  quant  il  vey  que  elles  estoient  de 
créance,  si  traist  Robert  '  d'une  part  ^  et  luy  demanda  sa 
créance.  Robert  respondy  que  tout  par  bon  loisir  il  luy 
diroit  et  que  pas  il  n*estoit  venu  pour  si  tost  partir.  Adont 
respondy  le  duc  :  «  Nous  vous  tendrons  tout  aise,  et  vous 
tt  nous  estes  le  bien  venu.  » 

Bien  scavoit  Robert  TErmite  que  le  duc  de  Gloeestre 

*-•  Mabttie*.  —  *-*Apart. 


Digitized  by 


Google 


CN  AlfCLETBRKE.  i97 

esboit  nng  homme  ^  bien  *  dissimalant  et  contraire  à  la  paix  et 
tout  hors  de  Tacoord  et  oppinion  du  roy  d'Angleterre  et  du 
duc  de  Lancastre  ,  qui  s'enclinoient  assés  au  traittié  de  la 
paix.  Si  ne  le  sçaroit  bien  eomment  entamer,  ne  b'risier  ; 
cap  il  Tavoit  ve«  et  •  trouvé  *  trop  contraire  aux  traittiës 
à  Lolinghem  entre  Boulongne  et  Calais  '. 

Pour  ce  ne  demeura  pas  que  Robert  TErmite  ne  parlast 
firanehement  et  bien  au  duc  de  Glocestre  sus  fourme  de 
paix  ;  mais  il  trouva  le  duc  froit  en  ses  responses,  et  disoii 
que  pas  ne  tenoit  à-  luy  et  que  il  avoit  deux  frères  ainsnés 
de  luy,  c'est-assavoir  le  duc  de  Lancastre  et  le  duc  dTorch, 
ansquels  de  ceste  matière  il  appartenoit  mieulx  à  parler  que 
à  Inj  ;  et  aussi,  se  il  tout  seul  le  vouloit,  *  espoir  ^  ne  le 
vouldroient  point  accepter  les  consauls  d'Angleterre,  les 
prélats  et  les  bonnes  villes  :  n  Très-chier  sire,  pour  Tamour 
t  de  Nostre-Seigneur  Jésu-Crist  et  de  sa  benoitte  mère,  ne 
«  vueilliés  point  estre  contraire  à  la  paix,  ce  respondoit 
«  Robert  l'Ermite  ;  car  vous  y  povés  moult,  et  desjà  veés- 
ff  vous  que  le  roy  vostre  nepveu  le  désire  moult  et  s'i  encline 
«  très-grandement,  et  veult  par  voye  de  mariage  avoir  la 
«  fille  du  roy  de  France,  dont  par  ceste  conjonction  c'est 
•  une  mouli  grande  alliance  de  paix  et  ^  d'honneur  '.  » 

•  A  ceste  parole  respondy  le  duc  de  Glocestre  ,  et  dist  : 
«  Robert,  Robert,  quoyque  vous  soies  creu  et  ouy  à  présent 
«  des  roys  et  des  seigneurs  des  deux  royaulmes  et  que  vous 
ff  ayés  grant  voix  et  grant  audience  à  eulx  et  à  leurs  con- 
«  sauls,  la  matière  de  la  paix  est  si  grande  que  '^  avecques 
«  vous  fault  '^  que  plus  grans  et  plus  creus  de  vous  s'en 
«  ^  ensonnyent  ".  Je  vous  dy  et  ay  dit  cy  et  ailleurs  que  jà 

*-*  Monlt. — *^  CoDgnen. — *  Monlt. — *  Et  ne  deinandoit  que  la  guerre 
en  France.  —  •■'  Par  aventare.  —  •••  D'amoor.  —  ••***  IIJ  comient 
bien.  —  *' »  Entremettent. 


Digitized  by 


Google 


198  BOBERT  l'SRHITB 

ne  seray  contraire  à  paix  &ire,  mais  qu'elle  soit  à  Ton*- 
nenr  de  nostre  *  party  *.  Et  jà  fut-elle  du  roy  nostre  père  et 
nostre  frôre  le  prince  de  Galles  et  les  autres  jurée  et 
accordée  au  roy  Jehan  et  à  tous  ses  successeurs  et  de  leur 
costé  jurée,  et  enconvenenchie  sur  peine  et  sentence  de 
pape,  et  point  n*a  esté  tenue  et  de  nulle  ^alleur,  mai« 
Tout  les  François  enfrainte  et  brisie  frauduleusement  et 
cautuleusement ,  et  ont  tant  &it  que  ils  se  sont  remis  en 
possession  et  en  saisine  de  toutes  les  terres  et  seigneuries 
qui  furent  rendues  et  délivrées  par  paix  faisant  à  '  nostre^ 
seigneur  de  père  et  à  nos  prédicesseurs  ;  et  en  oultre,  de  la 
somme  de  XXX  cens  mille  frans  que  la  rédemption  monta 
en  payement,  encoires  en  sont  à  paier  '  XYP  *  mille  frans. 
Pour  lesquelles  choses,  Robert,  telles  ^  souvenances  qui 
devant  nous  reviennent,  nous  angoissent  et  tourblentles 
courages  durement  trop,  et  nous  esmerveillons,  moy  et 
plusieurs  de  ce  royaulme,  ausquels  il  appartient  bien  *  à 
esmerveillier  *,  comment  le  roy  nostre  sire  est.de  si  très* 
jeune  et  foible  advis  que  il  ne  regarde  et  considère  autre- 
ment le  temps  passé  et  le  temps  présent»  et  comment  il 
se  pnet  et  veult  aloyer  à  son  adversaire  et  par  ceste 
aliance  deshireter  la  couronne  d'Angleterre  '®et  eslongier 
des  roys  "  à  venir.  »  —  «  Très-chier  sire,  respondy 
Robert,  Nostre-Saulveur  Jésu-Crist  souflfry  mort.et  pas- 
sion en  croix  pour  nous  tous  pécheurs,  et  pardonna  .sa 
mort  à  ceulx .  qui  le  cruciffièrent  :  il  convient  aussi  tout 
pardonner,  qui  veult  avoir  fart  et  venir  à  la  gloire  da 
paradis.  Toutes  malivolences  et  haynes  ou  rancunes 
furent  pardonnées  au  jour  que  la  paix  fut  faitte  et  séellée 
«  à  Calais  par  vos  prédicesseurs.  Or  sont  renouvellées  les 

«■•  Partia.  —  »  Feu.  —  •  Dit  —  "^^  VI^.  —  '  MtooireB  et.  —  "  La 
cognoissance. —  *^"  Des  hëritaiges. 


Digitized  by 


Google 


EN  AKGUSTBHllB.  199 

gaeires  ^  dures  et  felles,  qui  ont  esté  entre  les  nostres  et 
les  Yostres,  espoir  par  *  Faction  '  et  coulpe  des  deux  par- 
ties ;  car,  quant  le  prince  de  Galles  et  ^  d'Acquitaine  fut 
yssu  hors  d'Ëspaigne  et  retourné  en  Acquitaine,  une 
manière  de  gens  qui  s'appelloient  '  compaignes  ^,  dont  la 
greigneur  partie  estoient  Anglois  et  Gascoings  tous 
tenans  du  roy  d'Angleterre  et  du  prince  ^,  se  misrent  et 
recueillièrent  ensemble  et  entrèrent  ens  ou  rojraulme  de 
France  sans  nul  title  de  raison,  et  firent  mortelle  et 
cruelle  guerre  aussi  dure  et  aussi  forte  comme  elle  avoit 
esté  en  devant,  et  appelloient  le  rojaulme  de  France 
leur  chambre,  et  estoient  si  fors  et  si  entalentés  de  mal 
faire  que  on  ne  povoit  résister  à  rencontre  d  eulx  ;  et 
pour  ce,  quant  le  royaulme  de  France  se  vey  ainsi  foulé 
et  *  grevé  ',  et  plus  venoit  le  temps  avant,  et  plus  multi- 
plioient  les  ennemis  du  rojaulme,  le  roj  Charles,  fils  au 
roy  Jehan,  fut  conseillié  de  ses  vassaulx  que  il  alast  au 
devant  de  tels  offenses  et  y  pourveist,  fuist  par  guerre  ou 
autrement  ;  et  aveuc  ce  plusieurs  hauls  barons  de  Gas- 
coingne  se  allèrent  avec  le  roy  de  France,  lesquels  le 
prince  de  Galles  qui  devoit  estre  leur  sires  ,  les  vouloit 
trop  submettre  et  leur  faisoit  moult  de  grans  injures  , 
comme  ils  di^oient ,  et  ce  monstroient-ils  par  plusieurs 
raisons,  et  ne  les  vouloient ,  ne  povoient  plus  souârir  ,  et 
encommencèrent  la  guerre  pour  la  cause  du  ressort  à 
rencontre  du  prince.  Et  le  roy  Charles  de  France,  par  le 
conseil  que  il  ot  de  ses  vassaulx ,  s*aherdy  à  la  guerre 
aveuc  eulx  pour  obvier  à  rencontre  de  ces  compaignes  ;  et 
se  retournèrent  devers  le  roy  de  France  en  son  ayde  en 
celle  nouvelle  guerre  plusieurs  grans  seigneurs  et  leurs 

*  Moalt.  --  •-•  La  déception.  —  *  Duc.  —  "^  Compaignies.  —  '  De 
Galles.  —  "  Guerroyé. 


Digitized  by 


Google 


900  ROBERT  L'BUUTE 

«  seignouries  ,  diés ,  villes  et  chastiaolx  ,  pour  la  grant 

«  oppression  que  le  prince  de  Galles  leur  faisoit  et  consen- 

•  toit  à  faire  par  ses  commis.  Ainsi  a  esté  la  guerre  renou- 

«  vellée  ^  dure  et  felle,  par  laquelle  moult  de  grans  mes- 

«  chiefs  en  sont  encourus,  de  destruction  de  poeuple  et  de 

ic  pays»  et  la  foy  de  Nostre-Seigneur  et   la  crestienneté 

«  affoiblie  et  moult  foullée ,  et  en  sont  resyeilliés  et  *  rele- 

«  yés  '  les  ennemis  de  la  foy  de  Dieu,  et  ont  jà  conquis 

(I  moult  de  la  Grèce  et  de  Tempire  de  Constantinoble,  et  ne 

«  peut  Tempereur  résister  contre  la  puissance  d*un  Turc  qui 

«  s'appelle  *  Basach  ^  dit  FAmourath-Baquin ,  et  cils  Amc«f 

«  rat  a  conquis  et  mis  en  sa  subgection  tout  le  royaulme 

«  d'Erménie»  réservé  une  ville  seulement  séant  sur  mer 

0  ainsi  comme  seroit  Hantonne  ou  Bristo,  laquelle  ville  on 

a  appelle  *  Curch  ^,  et  la  font  tenir  et  garder  les  Jennevois 

ff  et  Yénissiens,  et  ne  puet  moult  longuement  résister 

a  contre  celluy  prince  sarrazin  Basach,  Tempereur  ieJCon^ 

«  stantinoble;  qui  est  de  vostre  sang,  car  il  fat  fils  à  Fempe- 

«  reur  Hugues  de  Lésignan  et  de  madame  Marie  de  Bour- 

«  bon,  cousine  germaine  à  madame  la  royne  vostre  mère.  Et, 

«  se  paix  est,  ainsi  qu'il  sera,  s'il  plaist  à  Dieu,  entre  France 

«  et  Angleterre ,  chevalliers  et  escuiers  qui  les  armes  dési- 

0  rent  et  demandent  pour  leur  avanchement ,  se  trairont 

«  celle  part  et  aideront  le  roy  Lyon  d'Erménie  à  recouvrer 

«  son  héritage  et  à  mettre  hors  de  la  main  des  Turs  ;  car  la 

ff  guerre  a  trop  duré  entre  France  et  Angleterre ,  et  Dieu 

«  veult  quelle  prende  fin.  Et  tous  ceulx,  tant  d'un  royaulme 

«  commode  l'autre,  qui  la  contrediront  et  qui  empeschement 

«  y  metteront,  le  comparront  ohièrement  et  douloureuse- 

«  ment  ou  à  mort  ou  à  vye.  »  —  a  Gomment  povés-vous 

«  ce  sçavoir  ?  »  respondy  le  duc  de  Glocestre. 

*  Moult.  —  ■-•  Eohardi».  —  *-•  Basac..  Baasaac.  —  •■'  Coureh. 


Digitized  by 


Google 


^  BN  AM6LBTBERE.  201 

  oeste  parole  respondy  Robert  TErmitte,  et  dist  :  «  Chier 
«  sire  ,  ce  que  j'en  dj  et  faj  ,  il  me  vient  par  inspiration 
«  divine  et  par  nne  vision  qui  me  vint  sur  la  mer  en 
«  retournant  de  Baruth  (ung  port  en  Surie)  en  l'isle  de 
«  Rodes ,  n*a  pas  moult  longuement.  »  Adont  il  compta  de 
mot  à  mot  toute  la  vision  qui  advenue  luy  estent,  pour 
esmouvoir  le  cuer  du  duc  de  Glocestre  &  pitië  et  raison  ; 
mais  certes  ce  duc  avoit  le  courage  dur  et  ^  anster  '  contre 
la  paix,  et  vouloit  tousjours  retourner  '  et  maintenir  ^  ses 
oppinions,  et  condempnoit  durement  en  ses  paroles  les  Fran- 
çois, quoj  que  Robert  luy  euist  dit  et  remonstré.  Mais,  pour 
la  cause  de  ce  que  dis  Robert  estoit  estrangier  et  monstroit 
en  ses  paroles  et  en  ses  ouvres  que  il  ne  vouloit  que  tout 
bien ,  et  sœtoit  aussi  le  roy  d'Angleterre  *  qui  de  tous 
peins  s'enclinoit  à  la  paix ,  il  s'en  dissimuloit  aucunement 
et  toumoit  d'autre  partie  ses  paroles  que  le  coeur  ne  luy 
adonnoit. 

Deux  jours  et  deux  nuits  fut  Robert  l'Ermitte  à  Plaissy 
ddés  le  duc  de  Olocestre,  sa  femme  et  ses  enffans  ,  et  luy 
fist-on  par  samblant  très-bonne  chiôre.  Au  tiers  jour,  il  s'en 
départy  et  prist  congië  au  duc ,  à  la  duchesse  et  à  leurs 
enffans  et  aux  chevalliers  de  Tostel ,  et  puis  s'en  retourna 
à  Londres  et  de  lÀ  à  Windesore  où  le  roy  estoit  retirait , 
qui  luy  fist  trôs-grant  chière  et  bonne ,  et  Tavoit  jà  moult 
énamoure  pour  la  cause  de  ce  que  le  roy  de  France  luy 
avoit  envoyé  et  pour  ce  que  il  estoit  bien  *  et  saigement 
enlangaigié  ^  et  plain  de  bonnes  paroles  doulces  et  cour- 
toises *. 

On  doit  bien  croire  et  supposer  que  le  roy  d'Angleterre 
tout  *  quoiement  '^  demanda  au  dit  Robert  l'Ermite  de  Tes- 

*-•  Haolt.  —  ""*  A.  —  ■  Son  seigneoi*.  —  •-'  Éloqae&t  et  aaige.  — 
*  Et  honaeites.  —  *•**  Secrètemeat. 


Digitized  by 


Google 


202  LB  SIHB  M  Lk  RlTltal  BT  JBAH  LB  MBECΠ

tat  dd  son  oade  le  dac  de  Glooestre  et  tout  oe  qa  il  y  atoit 
trouvé,  et  Robert  luy  en  respondy  bien  et  à  point.  Bien 
scavoit  le  roy  d'Angleterre  que  le  duc  de  Oloœstre  ne  s'en- 
clineroit  point  à  la  paix  tant  qu'il  peuist ,  *  et  que  plus 
amoit  la  guerre  que  la  paix.  Si  tenoit  à  amour  le  roy  d*Ân* 
gleterre  ses  deux  autres  oncles  le  duc  de  Lancastre  et  le 
duc  dTorch  ^  et  '  plusieurs  prélats  et  barons  d'Angleterre, 
desquels  il  pensoit  à  estre  servy  et  aydié. 

Quant  Robert  TErmite  se  fut  tenu  environ  ung  mois 
delés  le  roy  d*Angleterre  et  les  seigneurs ,  il  prist  congië  et 
se  ordonna  pour  partir.  A  son  département ,  le  roy  d'An- 
gleterre ,  pour  Tonneur  et  amour  du  roy  de  France  qui  par 
del  Tavoit  envoyé  ,  luy  donna  de  grans  dons  et  beaulx  ,  et 
aussi  firent  le  duc  de  Lancastre  et  le  duc  d'Iorch,  le  conte 
de  Hostidonne  et  le  conte  de  Saslebéry  et  messire  Thoinas 
de  Perssy,  et  le  fist  le  roy  reconvoier  jusques  à  Douvres,  et 
là  monta  en  mer  et  vint  à  Boulongne  et  retourna  en  France, 
et  trouva  le  roy  et  la  royne  et  ses  oncles  à  Paris.  Si  se 
traist  devers  euls  et  racompta  au  roy  de  son  voyage  com- 
ment il  avoit  exploittié ,  et  de  la  bonne  '  recueillotte  *  que 
le  roy  d'Angleterre  espédalement  luy  avoit  faitte. 

Presque  '  toutes  les  septmaines  *  avoit  messagiers  de 
France,  alans  et  retournans  de  Tun  roy  à  l'autre  ,  qui  res- 
cripvoient  doulcement  et  amiablement  FuDi  à  Tautre,  et  ne 
désiroit  autre  chose  le  roy  d'Angleterre  fors  que  il  peuist 
parvenir  par  mariage  &  la  fille  ainsnée  du  roy  de  France  : 
espécialement  il  y  avoit  très-bonne  afiSdction  ,  et  aussi  avoit 
le  roy  de  France,  car  advis  luy  estoit  que  sa  fille  seroit  une 
grant  dame  assés  ,  se  elle  estoit  royne  d'Angleterre. 


Vous  avés  bien  ouy  cy-dessus  recorder  comment  le  sei- 

*"*  Tant  et  de  si  bon  coeur  qu'à  merreiUes,  «t  aoni  fkiaoit-il.  -^ 
■-*  Chiôre.  —  "  Tous  les  jours. 


Digitized  by 


Google 


KICOUTREIIT  LA  LIBERTÉ.  203 

gneurdela  Rivière  et  messâre  Jehan  le  Merchier  forent 
démenés  et  pourmenés  de  chastel  en  autre  et  de  prison  en 
autre  et  en  la  fin  rendus  au  prévost  de  Chastelet  de  Paris  ; 
et  forent  sur  le  point  que  ^  d*estre  perdus  de  leurs  *  vies  , 
et  tout  par  envie  et  par  hayne  que  le  duc  de  Herry  et  le  duc 
de  Bourgoingne  et  leurs  consauls  avoient  sur  les  deux  che- 
valliers ,  et  forent  en  ce  dangier  plus  de  deux  ans  ;  ne  à 
paines  le  roy  de  France  ne  les  povoit  aidier,  et  la  plus  grant 
ayde  que  on  leur  faisoit ,  c*estoit  que  le  roy  ne  vouloit  pas 
que  ils  foissent  traittiés  À  mort.  Aussi  le  duc  de  Berry  et' 
le  duc  de  Bourgoingne  et  leurs  consaulx  veoiént  bien  que  le 
duc  d^Orléans  les  aidoit  ce  qu*il  povoit.  La  duchesse  de 
Berry  estoit  bonne  moyenne  envers'  son  seigneur  pour 
eulx  et  par  espëciâl  pour  le  seigneur  de  la  Rivière  ;  et  on 
ne  vouloit  point  ^  condempner  Tun  sans  Tautre ,  car  ils 
estoient  tenus  et  accuses  pour  une  meismes  cause.  Les 
prières  des  bonnes  personnes,  aveuc  le  ^  bon  ^  droit  que  ils 
avoient,  les  aida  ^*andement,  et  fot  regardé ,  parmy  ce 
que  plusieurs  hàulx  barons  du  royaulme  de  France  en 
orent pitié,  que  trop  de  pénitance  avoient  eu  et  enduré 
en  prison,  et  que  on  leur  feroit  grâce  et  allégance  ;  car  par 
espécial  messire  Jehan  le  Merchier  avoit  tant  plouré  en  pri- 
son que  il  en  èstoit  débilité  de  sa  veue ,  sique  à  peines 
veoii-il ,  et  courôit  Commune  renommée  parmy  le  royaulme 
de  France  et  autre  part  que  il  estoit  aveugle.  Si  eurent 
sentence  pour  euls  telle  que  je  vous  diray.        ' 

Le  roy  de  France  V  pour  quel  cause  on  leur  donnoit  à 
entendre  que  on  les  tenoit  en  prison ,  leur  faisoit  grâce , 
car  it  metteît  en  souffrance  leur  meffaît  tant  que  plus  et 
mieulx  il  en  toroit  iné)urmé  ;  et  estoient  rendues  au  sei* 
gneur  de  la  Rivière  toutes  ses  terres  et  ses  chastiaulx  ,  et 

*"•  De  perdre  corps  et  —  •  Box  et  prloit  fort,  ^  *  Ne  poToit.  — 
"Grant. 


Digitized  by 


Google 


904  TRAIti  DU  DOC  DE  BBITAORE 

premièrement  le  bel  chastel  d*Aimiaulx  qui  séoit  en  Char- 
trois  sur  les  marches  de  Beausse  ;  mais*  lay  venu  À  Au» 
niaulx,  il  ne  devoit  jamais  rappasser  la  riTière  de  Saynne,  se 
il  n*estoit  rappelle  de  la  bouche  dn  roy.  Et  messire  Jehan  le 
Merchier  retoumoit  au  Pont-à-'Louvion  *  en  sa  belle  mat- 
son  en  '  Launois  ^,  et ,  luy  revenu  là,  il  ne  devoit  jamais 
rappasser  les  rivières  d*Oise,  d*Esne,  de  Marne  et  de  Seyne,  se 
il  n*estoit  aussi  rappelle  de  la  bouche  du  roy .  Et  aveuc  tout 
ce  ils  se  obligièrent  de  aler  en  prison  fermée  lÀ  où  on  dùroit, 
quant  requis  en  seroient  souffissâmment  de  par  le  roy  ou 
ses  commissaires. 

Les  deux  seigneurs  dessus  nommés  tindrent  celle  grâce  à 
bonne  et  à  belle  «  quant  ils  sceurent  que  ils  seroient  déli- 
vrés de  Ghastelet  ^  «  et  furent  mis  hors ,  et  bien  cuidèrent  à 
leur  yssue  aler  parler  au  roy  et  le  remerchier  de  la  grâce 
qui  faitte  leur  estoit  ;  mais  ils  ne  peurent ,  et  les  convint 
tantost  Didier  et  partir  de  Paris  et  aler  ens  es  lieux  et 
retenues  qui  ordonnés  leur  esloient.  Ainsi  eurent  le  sei- 
gneur de  la  Rivière  et  messire  Jehan  le  Merchier  leur. déli- 
vrance ,  dont  tous  ceulx  qui  les  aymoient ,  furent  resjouya. 


Vous  sçavés  comment  lé  duc  Jehan  de  Bretaigne  et  mes- 
sire Olivier  de  Glichon  se  guerroièrent  ung  moult  long 
temps  et  de  guerre  si  felle  et  si  crueuse  que  les  parties , 
quant  elles  se  trouvoient  et^rencontroient  sur  les  champs  « 
se  combatoient  jusques  &  oultrance  et  nuUay  ne  prendoient 
à  merchy.  Et,  tant  que  &  parler  de  ceste  guerre ,  messire 
Olivier  de  Glichon  et  sa  partie  se  portèrent  si  vaillamm^t 
que  des  trois  ils  en  avoient  tousjours  les  deux  ;  car  tous  les 
seigneurs  de  Bretaigne  s*en  dissimuloient ,  et  \e&  dtés  et 

*'*  Nonvion.  —  *'*  Laonnois.  -«  '  Bt  fiirent  teat  JoTmx. 


Digitized  by 


Google 


n  l^'OLIflEE  DB  GLI880R.  205 

bonnes  TiOes  avoient  bien  dit  an  duc  que  vivre  de  marchan- 
dise leur  convenoit ,  quelque  guerre ,  ne  hayne  que  il  euist 
an  seigneur  de  Glichon,  et  que  ceste  guerre  en  riens  ne  leur 
toûchoit ,  ne  regardoit  :  si  ne  s*en  vouloient  en  riens  mel* 
kr ,  ne  ensonnier.  Le  seigneur  de  Clichon  les  tenoit  bien 
pour  excusés. 

Entre  ces  haynes  et  maltalens  malprins,  s'ensonnyoient, 
par  cause  de  moyen  et  pour  y  mettre  accord  et  paix,  le 
visconte  de  Rohen,  le  seigneur  de  Lyon  et  le  sire  de  Dignant 
en  Bretaigne,  et  tellement  démenèrent  les  traittiés  que  le 
duc  de  Bretaigne  ^  ot  en  convenant  '  à  ces  trois  seigneurs  , 
mais  que  il  veist  en  sa  présence  messire  Olivier  de  Clichon 
en  tout  bon  endroit ,  il  en  feroit  tout  ce  que  ordonner  ils 
en  vouldroient.  Bt  sus  cel  estât  ces  trois  '  barons  ^  vindrent 
ung  jour  en  une  des  forteresses  du  seigneur  de  Clichon,  et 
bien  luy  remonstrèrent,  en  parlant  à  luy,  comment  par  bon 
moyen  ils  estoient  là  trais  et  venus,  et  avoient  amené  le  duc 
de  Bretaigne  ad  ce  que  il  donnoit  et  accordoit  à  messire 
Olivier  de  Clichon  et  à  sa  compaignie  saulf-alant  et  saulf- 
retournant,  et  pensoient  et  supposoient  bien  que,  luy  venu 
en  sa  présence,  tous  maltalens  seroient  pardonnes.  Âdont 
responidy  messire  Olivier  de  Clichon,  et  diat  :  a  Vous  estes 
«  tous  mes  amis  et  mes  cousins,  et  me  confie  bien  en  vous, 
«  et  si  croy  bien  que  le  duc  vous  a  dit  ce  que  me  dittes  et 
«  que  il  me  verroit  voulentiers  en  la  présence  de  luy.  Mais, 
«  se  Dieu  m*ait  et  saint  Yves,  sur  ceste  parole  et  prommesse 
«  je  ne  me  mettray  jà  hors  de  ma  maison,  ne  au  chemin  ; 
•  mais  vous  luy  dires,  puisqu'il  vous  a  icy  envoies,  que  il 
«  m'envoye  son  ainsné  fils,  et  il  demourra  et  sera  plesge  pour 
«  moy  ;  et  quant  je  m'en  tenray  seur ,  voulentiers  je  yray 
«  parler  à  luy  1à  oU  il  sera ,  et  toute  telle  fin  que  je  feray , 

*-'  Praimist.  —  ^  SdignM». 


Digitized  by 


Google 


206  TRAiri  DU  DUC  DB  DDBTAGRB 

«  son  fils  fera.  Se  je  demeure,  il  demoorra  :  ainsi  se  feront 
«  les  *  parchons  *.  » 

Quant  ces  trois  barons  de  Bretaigne  dessus  nommes  veirent 
que  ils  n'en  auroient  autre  chose,  si  prindrent  congié  à  luy 
moult  doulcement ,  et  se  contemptôrent  de  ceste  response  et 
retournèrent  arrière  à  Venues  où  le  duc  les  attendoit,  et,  euls 
revenus  devant  luy ,  ils.  luy  recordèrent  tout  ce  que  ils 
avoient  trouvé.  Si  n  en  polt  le  duc  avoir  autre  chose.  Et  se 
dëporta  si  bien  le  dit  messire  Olivier  de  Clichon  en  ceste 
guerre  que.le  duc  ne  conquist  riens  sur  luy,  mais  conquist 
messire  Olivier  sur  le  duc,  et  prist  par  deux  fois  toute  sa 
vaisselle  d'or  et  d'argent  et  moult  grant  foison  d'autres  très- 
riches  et  beaulx  joyaulx  et  plenté  d'autres  choses,  lesquelles 
il  tourna  toutes  à  son  proufSt,  ne  jamais  il  n'en  voult  faire 
quelque  restitution  au  duc. 

La  conclusion  de  ceste  guerre  et  hayne  dentre  le  duc  de 
Bretaigne  et  le  seigneur  de  Clichon  fut  telle  que  je  vous 
diray  .•  Le  duc  de  Bretaigne,  com  grant  seigneur  que  il  fuist, 
vey  bien  que  nullement  il  ne  '  povoit  *  venir  à  ses  intentions 
du  seigneur  de  Clichon  et  que  il  avoit  trop  d'amis  en  Bre- 
taigne ;  car,  réservé  la  ^  haulteur  ^  de  la  duchié  de  Bretaigne, 
tous  les  Bretons,  chevalliers  et  escuiers  et  prélats  et  hommes 
des  cités  et  bonnes  villes  ,  s^nclinoient  plus  au  seigneur  de 
Clichon,  et  les  haulx  barons  s'en  dissûnuloient  et  avoient 
respondu  au  duc  que  de  ceste  guerre  jà  ne  ^  s  ensonnieroient  *, 
fors  par  la  fourme  et  manière  que  de  y  mettre  paix  et 
accord,  se  trouver  moyen  y  povoient,  ne  sçavoient.  Et  aussi 
le  duc  d'Orléans  confortoit  couvertement  en  plusieurs  ma- 
nières messire  Olivier  de  Clichon,  et  estoit  tout  resjouis 
quant  de  ses  emprises  ou  chevaulchies  il  ôuoit  bonnes  nou- 
velles. 

«••  Parties.  —  ■-*  Poorroit.  —  •*  Hanltesse.  —  '••  Se  mealeioieiit. 


Digitized  by 


Google 


n   d'OUTUR   de  GLI880H.  907 

Le  duc  de  jfoetaigne,  qui  estoit  assés  soubtil  et  ymaginatif 
et  qui  moult  avoit  eu  à  faire  et  depayne  et  de  traveil  en  son 
temps,  oonsidéroit  toutes  ces  choses  et  que  de  ses  gens  il 
n*estoit  mie  tant  amë  en  cuer  ,  se  monstrer  luy  osassent, 
réservé  l'ommage  que  ils  luy  dévoient,  comme  estoient  ^  les 
enffisms  à  messire  Charles  de  Bretaigne,  que  on  dist  de  Blois, 
qui  fîit  occis  en  la  bataille  devant  Âuhroy,  Jehan  de  Bre- 
taigne, conte  de  Pentôvre  et  de  Lymoges,  et  qui  avoit  à  femme 
la  fille  messire  Olivier  de  Clichon,  et  messire  Henry  de  Bre- 
taigne son  frère ,  et  leur  suer  la  royne  de  Naples  et  de 
Jérusalem.  Et  sentoit  que  il  devenoit  anchi^,  et  veoit  ses  enf* 
fims  jeunes  et  à  venir,  et,  réservé  l'amour  du  duc  de  Bourgoin- 
gne  et  de  la  duchesse  sa  femme,  il  n'avoit  nul  amy  en  France, 
ne  ne  povoient  avoir  ses  enffans,  car  de  par  leur  mère  ils 
venoient  et  yssoient  des  membres  et  branches  de  Navarre, 
laquelle  génération  n*estoit  point  trop  àmée,  ne  alosée  en 
France,  pour  les  grans  meschiefs  que  le  roy  Charles  de 
Navarre,  père  à  la  duchesse  de  Bretaigne  sa  femme,  avoit 
fids  et  eslevés  du  temps  passe  en  France,  dont  les  traches  et 
souvenances  encoires  en  duroient.  £t,  se  '  il  '  deffailloit  en  cel 
estât,  ^sans  avoir  paix  ^  à  messire  Olivier  de  Clichon  et  au 
conte  de  Pentôvre  ,  il  se  doubtoit  trop  fort,  quant  il  se  res- 
veilloit  en  ses  pensées,  que  quant  il  seroit  aie  de  vie  à  très- 
pas,  que  ses  enffitns  qui  estoient  joeunes,  n'eussent  trop  de 
grans  ennemis.  Aveuc  tout  ce  il  veoit  que  les  amours  et 
aliances  d'Angleterre  qui  en  toute  son  honneur  et  enl'iretage 
de  Bretaigne  Tavoient  mis ,  s'eslongoient  trop  fort  de  luy  et 
estoient  taillies  d'eslongier;  car  encoires,  selon  ce  qu'il 
estoit  loyaulment  infourmé,  il  veoit  que  les  aliances  se 
approuchoient  trop  fort  entre  le  roy  de  France  et  le  roy 
d'Angleterre  ,^  car  traittiés  se  portoient    et  avanchoient 

*  Aimée.  —  "^  De  lay.  --  '^  Et  en  la  haine  mortelle  A  avoir. 


Digitized  by 


Google 


906  nARiBUMXSABBBXTAGB 

>  si  durement  '  que  le  roy  d'Angleterre  vooloit  avoir  &  femme 
la  fille  da  roy  de  France  et  celle  proprement  qui  lay  estoit 
obligie  et  enconvenenchie  ponr  son  ainsnë  fils. 

Toutes  ces  doubtes  mettoit  le  duc  de  Bretaigne  avant,  et 
par  espédal  de  la  darraine  il  avoit  plus  A  penser  que  de 
nulles  des  autres,  car  c'estoient  pour  luy  les  plus  doubtables. 
Si  se  advisa  et  ymagina  en  soy-meismes  ,  toutes  ces  choses 
considérées  par  grant  loisir»  que  il  briseroit  son  cuer  et  sans 
nulle  dissimulation  il  feroit  paix  ferme  et  entière  à  messire 
Olivier  de  Clichon  et  à  messire  Jehan  de  Bretaigne  et  se 
metteroit  en  leur  pure   voulenté    de  amender  courous  , 
fiourûds  ou  autres  dommages  que  luy  ou  ses  gens  leur 
auroient  fais  cedte  guerre  durant,  et  autres  que  du  temps 
passé  auroient  eu  ensemble,  réservé  ce  que  il  demourroit 
duc  et  hiretier  de  Bretaigne,  et  ses  enffans  après  luy,  sur  la 
fourme  des  articles  de  la  paix  qui  jà  avoit  esté  &itte  et 
séellée  par  Taccord  de  toutes  parties  entre  luy  et  les  enffims 
messire  Charles  de  Blois,  laquelle  chartre  de  paix  il  ne  vou- 
loit  violer,  ne  brisier,  ne  aler  contre  nuls  des  articles,  mais 
les  vouloit  tenir  et  accomplir  à  son  léal  povoir,  et  de  rechief 
jurer  et  séeller  fermement  et  léaulment  à  tenir  tout  ce  que 
il  disoit  et  prommettoit  à  faire  et  à  porter  oultre.  Et,  se  de 
réritage  de  Bretaigne  Jehan  de  Blois,  conte  de  Pointôvre, 
son  cousin,  n'estoit  mie  bien  party  à  son  gré  et  souffissanoe, 
de  ce  que  dire  y  auroit,  il  estoit  content  de  s*en  mettre  et 
couchier  À  la  pure  ordonnance,  sans  nulle  exception,  ne  di»- 
simulation,  du  visconte  de  Rohen  ,  du  seigneur  de  Dignant, 
du  seigneur  de  Lyon,  du  seigneur  de  Laval,  du  seigneur  de 
Beaumont  et  de  messire  Jehan  Harpedane. 

Quant  le  duc  de  Bretaigne  ot  jette  et  advisé  en  soy- 
meismes  tout  cepourpos,  sans  appeUer  homme  de  son  conseil, 

'-'  TeUement. 


Digitized  by 


Google 


BT  b'outibr  db  CLISSOH  .  909 

il  flst  venir  avant  ung  clerc  ;  et,  quant  il  fut  venu,  il  8*en- 
douj  en  une  chambre,  luy  et  le  clerc  tant  seulement,  et  prist 
une  feuUe  de  papier  de  la  grant  fourme,  et  puis  dist  au 
derc  :  «  Escripts  ce  que  je  te  nommera;.  »  Le  clerc  se 
ordonna  à  escripre  et  escripvy,  et  luy  nomma  le  duc  de  mot 
à  mot  tout  ainsi  que  il  vouloit  que  il  rescripvist.  Si  fut 
celle  lettre  escripte  et  dittée  si  doulcement  et  si  amiablement 
comme  il  peult  et  sceut,  et  sur  fourme  et  manière  de  paix  ; 
et  prioit  bien  doulcement  et  ^  amoureusement  '  À  messire 
Olivier  de  CUchon  que  il  se  voulsist  mettre  en  '  tel  party^ 
que  ils  poussent  avoir  secret  parlement  ensemble ,  et  les 
choses  descenderoient  en  tout  bien. 

Quant  la  lettre  fut  faitte  *  au  plus  doulcement  et  hum- 
blement que  il  peut  et  sceut,  sans  nuUuy  appeller  fors  luy 
et  le  derc,  il  la  séella  de  son  signet,  et  prist  le  plus  pro- 
chain varlet  de  chambre  que  il  euist  et  luy  dist  :  a  Va-t-en 

•  au  Chastel-Josselin  et  dy  hardiement  que  je  t'envoie  par- 
c  1er  à  mon  cousin  messire  Olivier  de  Clichon.  On  te  fera 

•  parler  à  luy.  Si  le  salue  et  luy  bailles  ces  lettres  de  par 
«  moy  et  men  rapportes  la  response,  et  garde  bien  sur  ta 
«  vie  que  à  nul  homme,  ne  femme  tu  ne  dyes  où  tu  vas,  ne 
t  qui  t'y  envoyé.  » 

Le  vallet  respondy  :  «  Monseigneur,  voulentiers.  »  Il  se 
mist  *  à  la  voye  ^ ,  et  tellement  exploitta  que  il  vint  au 
Chastel-Josselin.  Les  gardes  du  chastel  orent  grant  mer- 
veilles, quant  ils  luy  oyrent  dire  que  le  duc  de  Bretaigne 
renvoioit  parler  au  seigneur  de  Clichon  ;  néantmains  ils 
comptèrent  ces  nouvelles  à  leur  seigneur,  lequel  fist  tan- 
tost  venir  le  varlet  qui  les  lettres  luy  apportoit ,  devant 
luy,  et  lequel  flst  bien  son  message.  Messire  Olivier  de 
Clichon  prist  la  lettre  que  le  duc  luy  envoyoit  séellée  de 

*-*  Amiablement.  —  *"*  Manière.  —  •  Et  deviaée.— •"'  Au  chemin. 
XV.  —  fROISSART.  14 


Digitized  by 


Google 


MO  TtJJti  nu  DDC  M  BBSTAQHB 

son  sigaet  secret,  lequel  il  coBgaoissoit  moult  bien.  Si 
Fouvry  et  lisi  tout  au  long  par  deux  eu  par  trois  fois  pour 
mieulx  entendre,  et  en  lisant  il  ne  se.  poYoittrop  esmer- 
veillier  des  doulces  paroles  traittables  et  amiables  qui  en  la 
lettre  estoient  contenues  et  escriptes.  Si  pensa  sus  moult 
longuement  et  dist  que  il  en  auroit  advis  du  rescripre,  et 
flst  le  varlet  qui  les  lettres  avoit  apportées,  bien  aaUier 
et  mener  et  mettre  en  une  chambre  tout  par  luy.  De 
toutes  ces  choses  ainsi  faittes  et  advenues  avoient  ses  gens 
bien  grant  merveilles  et  bien  le  povoient  ayoir,  oar.  en 
devant  ce  il  n*euist  déporté  nul  homme,  ^rlet,  jie  autre, 
de  par  le  duc,  que  tantost  n*euist  esté  mort  ou  mis  en  pri- 
soa  douloureuse: 

Quant  messire  Olivier  de  Clidion  fut  entré  en  sa  cham- 
bre, il  commença  moult  fort  à  penser  et  à  buisier  pour  ces 
nouvelles,  et  ce  luy  brisolt  grandement  son  maltalent,  que 
le  duc  se  humilioit  ^  si  grandement  *  envers  luy,  qui  si 
doulcement  luy  escripvoit,  et  dist  ainsi  à  soy-meismes.qua 
il  le  vouldroit  esprouver  ;  car  sur  ceste  lettre,  sur  prom- 
messes,  ne  paroles  qui  dedens  fuissent  escriptes,  il  ne  sX 
'  oseroit  *  asseurer  ;  car,  se  mal  luy  en  prendoit,  il  ne  seroit 
de  nulluy  plaint.  Il  dist  que  il  rescriproit  à  luy,  et  là  où. 
il  luy  vouldroit  envoyer  son  fils  qui  hostage  faist  pour  luy, 
il  yroit  parler  a  luy  là  où  il  luy  plairoit,  et  pour  riens  non 
aultrement.  Âdont  escripvy  messire 'Olivier  de  Glichon  unes 
lettres  moult  belles,  doulces  et  moult  traittables  au  duc  de 
Bretaigne,  mais  la  conclusion  estoit  telle  que,  se  il  vouloit 
qu'il  venist  à  luy  parler,  il  luy  envoiast  avant  son  fils  en  plesge 
et  hostagerie,  et  se  il  s^oit  bien  gardé  jusques  à  son  retour. 

Ceste  lettre  fut  escripte  et  séellée  et  baillie  au  varlet  d^ 
duc  ,  lequel  se  mist  au  retour  et  vint  à  Venues  là  où  le  duc 

•■•  Tant.  —  »-*  Oaoit. 


Digitized  by 


Google 


BT  0*OUyiER  DE  CLISSON.  2ii 

Tattendoit ,  et  luy  bailla  les  lettres  de  messire  Olivier  de 
Clichon.  Le  duc  les  print,  ouvry  et  liay,  et  quant  il  en  vey 
le  contenu,  il  pensa  sus  ung  petit,  et  puis  dist  :  a  Je  le 
«  feray.  Ou  cas  que  je  traitte  amoureusement  à  hiy,  toute 
«  conjonction  damour  y  doit  estre.  »  Tantost  il  rescripvy 
par  devers  le  visconte  de  Rohen  qui  se  tenoit  au  Gayre, 
ung  chastel  en  la  marche  de  Venues.  Quant  le  visconte 
vey  les  lettres  du  duc,  tantost  il  vint  à  Venues.  Luy  venu, 
le  duc  luy  remonstra  toute  son  intention  et  luy  dist  :  «  Vis- 
«  conte,  vous  et  le  sire  de  Montbouchier ,  menrés  mon  flld 
«  au  Ghastel-Josselin  et  le  lairés  là,  et  si  me  amenés  mes- 
«  sire  Olivier  de  Clichon,  car  je  me  vueit accorder  À  luy.  » 
Le  visconte  respondy  que  tout  ce  f^x>it-il  voulentiers. 

Depuis  ne  demeura  gaires  de  jours,  que  le  visconte  et  le 
sire  de  Montbouchier  et  messire  Yves  de  ^  Tigré  *  ame- 
nèrent l'enfifant  qui  povoi!  avoir  environ  sept  ans,  au  Chas- 
tel-Josselin  à  messire  Olivier  de  Clichon  qui  les  recueilly 
et  honnoura  grandement.  Quant  il  vey  Teuffant  et  la  bonne 
affection  du  duc,  il  se  humilia  grandement,  aveuc  ce  que 
les  trois  chevalliers  luy  dirent  :  «  Sire,  vous  veés  la  bonne 
«  *  affection  ^  du  duc.  Il  ne  monstre  riens  deforainement 
«  que  le  cuer  et  la  bonne  affection  n'y  soit.  »  —  «  Je  le 
«  voy  très-bien,  respondy  messire  Olivier,  et  pour  tant 
«  que  je  perchoy  la  bonne  voulenté  dé  luy,  je  me  metteray 
«  si  avant  que  tenu  seray  en  son  obéissance.  Et  vous 
«  qui  estes  assës  prouchains  de  luy  et  éns  èsquels  il  a  grant 
c  fiance,  quant  il  vous  a  baillié  son  hiretier  pour  moy  ame<- 
«  ner  et  icy  laissier  en  hostage  '',  je  ne  sçay  se  il  vous  a 
«  dit  ce  que  il  m*a  rescript  et  séellé  dessoubs  son  ^  séel  de 
•  secret  ^  »  Dont  respondirent  les  chevalliers  et  tout  d*une 

*'■  Tr^ségoidi.  —  *-*  Volonté.  —  ■  Tant  que  je  soie  retourné.  — 
•-'  Signet.  r 


Digitized  by 


Google 


Sis  TRÀITi  DU  DUC  MB  BEITAGia 

voix  :  «  Sire,  il  nous  a  bien  dit  que  il  a  grant  désir  de 
«  venir  à  paix  et  à  concorde  devers  vous,  et  de  ce  nous 
«  povës-vous  bien  croire,  car  nous  sommes  de  vostre 
«  sang.  »  —  «  Je  vous  en  croybien  » ,  respondy  messire 
Olivier  de  Clichon,  et  adont  ala-il  qaerre  la  lettre  que  le 
duc  luy  avoit  envoyée,  et  leur  lisy.  Quant  ils  Teurent  oye , 
ils  respondirent  et  dirent  :  «  Certes,  sire,  tout  ainsi  que 
f  ceste  letft*e  le  contient,  le  nous  a-il  dit,  et  sus  cel  estât 
«  nous  a-il  mandés  et  cy  envoyés.  »  —  «  Or  vault  mieulx,  » 
respondy  le  sire  de  Clichon. 

Depuis  euls  venus  (les  trois  chevalliers  qui  le  hiretier  du 
duc  avoient  amené) ,  messire  Olivier  s'ordonna  et  mist  en 
bon  arroy  et  se  party  du  Chastel-Josselin  avec  les  III  cheval- 
liers et  remistrenfanten  'sa'compaignieet  dist  qu  illeremen- 
roit  à  son  père  le  duc  de  Bretaigne,  car  bien  s*affioit  d'ores- 
en-avant  au  duc  et  en  sa  parole,  quant  il  Tavoit  esprouvé  si 
avant,  dont  ce  fiit  grant  humilité.  Mais,  sicomme  il  disoit  : 
a  En  bonne  paix,  concorde  et  amour  ne  doit  avoir  nul 
«  umbre  de  trahison,  ne  de  dissimulation,  mab  doivent 
«  les  cuers  concordans  estre  tous  d'une  unité.  » 

Tant  chevauchèrent  que  ils  vindrent  à  Venues  toua 
ensemble.  Et  avoit  le  duc  ordonné  que  messire  Olivier 
de  Clichon  descenderoit  en  une  église  des  Frères-Prédi- 
catours  ,  laquelle  siet  au  dehors  de  Venues,  et  là 
vendroit  le  duc  parler  à  luy.  Ainsi  comme  ordonné  fut, 
il  fut  &it.  Et  quant  le  duc  vey  que  messire  Olivier  de  Cli- 
chon avoit  ramené  son  fils  en  sa  compaignie ,  si  le  tint  à 
grant  '  amour  ^,  et  s*en  contempta  très-grandement,  et  vint 
de  son  hostel  de  la  Motte  parler  À  messire  Olivier  de  Cli- 
chon en  la  maison  de  ces  Frères,  e1^  s'enfermèrent  ensemble 
en  une  chambre  et  là  '  s'accointièrent  *  de  paroles  ,  et  puis 

•-«  Lear.  —  V  Goortoiûe.  —  *^  S^entre-acoomtiérent. 


Digitized  by 


Google 


ET  DOLlTlEa  DE  CLISSON.  213 

yssirent  hors  par  derrière  les  jardins ,  et  vindrent  À  ung 
rivage ,  qui  respondoitÀ  ung  courant  d*eau  douice,  laquelle 
entroit  en  la  mer. 

Le  duc  vint  sur  le  rivage,  et  messire  Olivier  de  Clichon 
en  sa  compaignie  ;  et  entra  le  duc  en  ung  batel  et  flst 
entrer  messire  Olivier  aveuc  luy  et  de  là  ils  se  ^  remuèrent  * 
en  une  plus  grosse  nef  gésant  à  Tancre  à  Feutrée  de  Tem- 
bouchure  de  la  mer  ;  et  quant  ils  furent  bien  '  esseulés  ^  de 
toutes  gens,  ils  '  parlementèrent  *  moult  longuement  ensem- 
ble. Toutes  leurs  devises  et  paroles  je  ne  peuls  scavoir,  mais 
Tordonnance  fut  telle  que  je  vous  ^  compte  *.  Et  cuidoient 
leurs  gens  que  ils  fuissent  encoires  en  Féglise  parlans 
ensemble,  mais  *  non  estorent  ^^,  ains  parlementoient  en  la 
nef  et  ordonnoient  et  composoient  leurs  paroles,  ainsi  que 
Qs  vonloient  qu'elles  fuissent  et  "  alassent  "  ;  et  furent  en 
cel  estât,  sicomme  il  me  fut  dit,  ^*  largement  ^*  deux  heures, 
et  lÀ  flrent-ils  très-bonne  paix  et  la  jufèrent  de  foy  créan- 
tée  run  à  l'autre  à  tenir  sans  nulle  dissimulation.  Et,  quant 
ils  verront  yssir,  ils  appellèrent  le  batellier  qui  amenés  les 
7  avoit,  et  les  ala  requerre  et  les  remist  en  son  batel,  puis 
les  ramena  où  pris  les  avoit  ;  et  entrèrent  tous  deux  en 
Féglise  par  derrière,  et  par  les  jardins  ou  cloistre  des 
Frères,  et  assés  tost  après  ils  se  départirent  de  là,  et 
emmena  le  duc  de  Bretaigne  messire  Olivier,  tenant  par  la 
main,  amont  ens  ou  chastel  de  Venues,  que  on  dist  la  Motte. 
De  oeste  aocointance,  paix  et  aliance  furent  grandement 
resjouys  tous  œulx  du  pays ,  quant  si  amiablement  les 
veœent  ensemble  ;  et  aussi  furent  tous  ceulx  de  Bretaigne, 
quant  les  nouvelles  en  furent  sceues  et  espandues  parmy 
toute  la  province,  et  furent  moult  esmerveilliés  de  ce  que 

•-■  Remirent  —  «^  Etlongi^.  —  •••  Parlèrent.  —  '-•  Comptera. 
—  *^  NoQobetaat  ili  n'y  estoient  pas.  —  "-••  Demonraaaent.  — 
*>-««  L'espace  de  plaide. 


Digitized  by 


Google 


2i4  PIERRE  BB  CRAOn 

ils  avoient  fait  paix  ensemble  par  la  manière  que  dit  vous  ay . 
  celle  paix  et  ^  accointance  *  ne  perdy  riens  Jehan  de 
Blois,  conte  de  Pentèvre,  mais  y  gaigna  et  augmenta  ses 
revenues  en  Bretaignede  vingt  mille  couronnes  d*or,  que  on 
dist  escus  de  France,  par  an,  bien  ^  assises  ^,  prinses  et  mises 
au  los  et  entente  de  son  conseil  et  de  son  adveu,  ^  perpétuel- 
lement à  luy  et  à  ses  hoirs,  et  fut  adont  fait  et  ordonné  ung 
mariage  du  âls  au  conte  de  Pentèvre  à  la  fille  du  duc  de 
Bretaigne  pour  mieulx  conformer  et  tenir  en  amour  toutes 
leurs  aliances  ;  et  qui  plus  avoit  mis  à  la  guerre,  plus  y  avoit 
perdu.  De  ceste  paix  furent  grandes  les  nouvelles  en  France 
et  en  Angleterre. 

Vous  avés  bien  icy-dessus  oy  recorder  comment  messire 
Pierre  de  Graon  enchéy  en  Tindignation  du  roy  de  France 
et  du  duc  d*Orléans  pour  la  cause  du  connestable  de  Franoe, 
messire  Olivier  de  Clichon,  qu'il  avoit  voulu  ocdr  et  murdrir 
de  nuyt en* râlant^ de  Saint-Pol  à  son  hostel,  et  comment  le 
duc  de  Bretaigne  avoit  soustenu  en  ses  forteresses  oe  messire 
Pierre  de  Craon,  pour  laquelle  soustenance  le  roy  de  France 
s*en  estoit  *  ensonnyé  * ,  et  euist  fait  guerre  au  duc  de  Bre- 
taigne, se  la  maladie  qui  soubdainement  le  prist  et  assailly 
sur  les  champs  entre  le  Mans  et  Ângiers,  ne  luy  feust  yeaue  ; 
et  par  ceste  incidence  merveilleuse  Tarmée  du  roy  et  Tas- 
samblée  ^e  deffist  et  desrompy,  et  s'en  ^^  râla  "  chascunen  son 
lieu.  Et  si  ^*  scavés  ^*  comment  le  duc  de  Bêrry  et  le  duc  dé 
Bourgoingne  alèrent  au  devant  de  ceste  besoingne  et  aequeil- 
.  liront  en  grant  hayne  telle  '^  que  bien  le  monstrërent'^,  ceolx 
qui  avoient  conseillié  le  roy  de  France  à  aler  en  Bretaigne, 
tels  que  messire  Olivier  de  Clichon,  le  sire  de  la  Rivière, 

•-•  Ordonnance.  —  ***  Assignées.  —  *  A  durer.  —  •"'  Retournant. 
—  «^  Entremis.  —  «^"  Retourna.  —  «*••»  Avés  ony.  —  "^^  Qu'ils  le 

remonstrérent. 


Digitized  by 


Google 


liBYJBST  A  PAEIS.  31K 

meemre  Jehan  leMerchier,  Montagu  et  autres,  qui  eu  eurent 
d^ttis  grande  et  longue  pénitance  de  corps.  Et  eurent  en 
gouvernement  le  royaulme  de  France,  tant  que  le  roy  fut  en 
la  maladie ,  souyçrainement  ses  deux  oncles  le  duo  de  Berry 
et  le  duc  de  Bourgoingne.  Et  se  avés  ouy  comment  le  duc 
de  Bretaigne  et  messire  Olivier  de  Clichon  se  gueiroièrent 
de  guerre  felle  ,  mortelle  et  crueuse,  et  aussi  comment  ils 
ârentpaix,  et  de  la  délivrance  du  seigneur  de  la  Rivière  et 
de  messire  Jehan  le  Merchier  et  de  Montagu,  lequel  Montagu 
n'ot  pas  tant  de  payne  à  beaucoup  près  comme  les  autres  ; 
car,  si  tost  que  le  roy  fut  retourné  en  santé,  il  volt  avoir 
delés  luy,  comment  qu*il  fuist,  Montagu,  et  Taida  à  excuser 
de  toutes  choses,  et  ainsi  se  passa. 

.  Vous  devés  savoir  que  la  maladie  du  roy  de  France  ou 
ke  autres  maladies  (car  il  en  ot  plusieurs  qui  ^  soixrdirent  * 
'de  renchéances^,  dont  on  estoit  esmerveillié  et  tourblé  ens 
ou  royaulme  de  France),  abatirent  grandement  la  puissance 
du  roy  et  ses  voulentés,  et  en  furent  près  perdus  et  menés 
jusques  À  mort  les  trois  dessus  dis.  En  ces  vacquations  et 
tribulations,  messire  Pierre  de  Graon,  de  toutes  ces  mes-" 
chéances,  paines  et  travauls  que  le  roy  et  ses  consauls 
avoient,  n'estoit  mie  courrouchié,  mais  resjouy,  et  procuroit 
trop  fort  et  faisoit  pryer  et  traittier  que  il  peuist  retourner 
enlagtâceet  amour  du  roy  et  de  Tôstel  de  France,  et 
estoient  ses  procureurs  et  trâitteurs  le  duc  de  Bourgoingne 
et  messire  Guy  de  la  Trimouille  ,  et  trop  légièrement  feust 
vfflm  à  toute  paix  et  accord  ,  se  ce  n'euist  esté  par  espécial 
le  duc  d^Orleans  qui  à  la  fois  rompoit  et  empeschoit  tous  ces 
tndttiés  ;  et  tant  que  la  hayne  euist  duré  entre  le  duc  de 
Bretaigne  et  messire  Olivier  de  Clichon,  certes  il  ne  fuist 
venu  à  nulle  paix,  ne  accord ,  mais  quant  là  chose  fut  véri^ 

•  Lny  —  •"•  Sçor^ûreot.  —  »•*  Où  il  renchAol  *  .    -  *     * 


Digitized  by 


Google 


216  us  Bfifii 

tablement  scétte  de  la  paix  et  accord  du  dac  deBretaighe  et 
du  sire  de  Clichon  ,  la  querelle  à  messire  Pierre  de  Graon 
en  fut  grandement  adoulcie. 

En  ce  temps  Tavoit  ahers  en  plait  en  parlement  pour  la 
somme  de  cent  mille  frans  la  royne  de  Naples  et  de  Jhërusa- 
lem  et  duchesse  d*Ânjou,  nommée  Jehanne,  et  se  tenoitla  dite 
dame  toute  quoye  à  Paris  pour  mieulx  entendre  à  ses  besoin- 
gnes.  Messire  Pierre  de  Graon  qui  se  veoit  en  ce  dangier  et 
traittier  en  parlement,  et  ne  sçavoit,  ne  sçavoir  ne  poToit 
comment  les  besoingnes  et  les  arrésts  de  parlement  se  por- 
teroient  ou  pour  luy  ou  contre  luy,  et  avoit  à  feire  À  forte 
partie  (car  la  dame  prouvoit  bien  sur  luy  qu  il  avoit  eu  oe 
et  receu,  vivant  le  roy  Louys  son  mary,  roy  de  Naples  et 
de  Jhérusalem),  toutes  ces  choses  ymaginant  et  considérant, 
n*estoit  pas  bien  aise,  car  encoires  se  sentoit-il  en  la  malivo- 
lence  et  hayne  rancuneuse  du  roy  de  France  et  du  duc  d'Or- 
léans ;  mais  le  duc  de  Bourgoingne  et  la  duchesse  le  recon- 
fortoient,  aidoient  et  conseilloient  '  ce  *  qu'ils  povoient.  Il 
avoit  gr&ce' que  il  setenoit  ^  À  Paris,  mais  c'estoit  couverte- 
ment  et  très-secrètement,  et  se  tenoit  le  plus  en  l'ostel  d'Ar- 
tois delés  la  duchesse  de  Bourgoingne. 


En  ce  temps  escripvy  le  roy  Henry  de  Honguerie  lettres  ^ 
moult  doulces  et  moult  amiables  au  roy  de  France  si  nota*- 
blement  que  par  ung  évesque  de  Honguerie  et  deux  de  ses 
chevalliers,  et  estoit  contenu  en  ces  lettres  une  grant  partie 
de  Testât  et  affaire  de  TÂmorathrBaquin,  et  comment  celluy 
Amorath  se  vantoit  (ainsi  l'avoit  mandé  au  roy  de  Hongue- 
rie) que  il  le  venroit  combatre  *  ou  mylieu  de  son  pays 
et  chevaucheroit  si  avant  que  il  venroit  À  Romme  et  feroit 

*-«  Tant.  —  »^  D'dfltre.  —  •  Qui  estoieat.  ^  •  Jusque. 


Digitized  by 


Google 


l'appui  des  princes  chhétiens.  217 

son  cheval  mengier  avoine  sur  l'autel  saint  Pierre  à  Romme, 
et  tenroit  là  son  siège  impérial  et  amenroit  Tempereur  de 
C!onstantinoble  en  sa  compaignieettous  les  plus  grans  barons 
du  royaulme  de  Grèce,  et  tenroit  chascun  en  sa  loj  :  il  n  en 
vouloit  avoir  que  le  title  et  le  nom  et  la  seigneurie. 

Si  prioit  le  roj  de  Honguerie  par  ses  lettres  au  roj  de 
France  que  il  voulsist  entendre  ad  ce  et  luy  encliner  que 
ces  haultes  besoingnes  des  marches  loingtaines  fuissent 
signifiées  et  certiffiées  notablement  et  esparses  ^  parmy  le  * 
royaulme  de  France  à  la  fin  que  tous  chevalliers  et  escuiers 
se  voulsissent  esmouvoir  sus  l'esté  à  eulx  pourvoir  et  aler 
en  Honguerie  et  aidier  le  dit  roy  de  Honguerie  à  résister 
contre  le  roy  Basaach  dit  l'Amorath-Bacquin,  affin  que  sainte 
crestienneté  ne  fuist  foulée  ,  ne  violée  par  luy,  et  que  ses 
vantises  luy  fuissent  ostées  et  reboutées.  Ainsi  plusieurs 
paroles  et  '  ordonnances''  de  grant  amour,  comme  roys  et 
cousins  escripvent  Tun  à  lautre  en  cause  de  nécessité  et 
d'amour,  estoient  escriptes  et  contenues  en  ces  lettres  ,  et 
aussi  ceulx  qui  les  apportèrent,  lesquels  estoient  souffissans 
hommes  et  bien  enlangaigiés,  s'en  acquittèrent  bien,  et  tant 
que  le  roy  de  France  s'y  enclina  de  tout  son  cuer,  et  en 
valurent  grandement  mieulx  les  traittiés  de  mariage  de  sa 
fille  an  roy  '  d'Angleterre,  et  s'en  approchèrent  plus  tost  que 
se  ces  nouvelles  ne  fuissent  point  venues^  ne  apportées  de 
'  Honguerie  en  sa  court  ;  car,  comme*  le  roy  de  France  est^ 
chief  de  tous  les  roys  chrestiens  de  ce  monde,  il  y  vouloit 
pourvoir. 

Si  furent  ces  lettres  tantost  et  ces  nouvelles  de  Honguerie 
publyées ,  certiffiées  et  signifiées  en  plusieurs  lieux  et 
»  esparses  •  en  plusieurs  pays  pour  esmouvoir  les  cuers  des 

*••  Par  luy  m»  —  '"*  BemontPMicoi.  —  *  Richard.  —  ••'  Roy  de 
France  et.  —  *"*  Esparties..  Escriptes. 


Digitized  by 


Google 


218  LÉ  COMTE  DE  HSTBRS 

gentils  hommes  qui  désiroient  à  voyagier  et  à  aranebier 
leurs  corps.  • 

Quant  ces  nouvelles  furent  venues  au  roy  de  France,  pour 
ces  jours ,  le  duc  de  Bourgoingne  et  la  duchesse  et  Jehaâ 
de  Bourgoingne  leur  ainsné  fils,  conte  de  Nevers,  qui  pcwt 
n*estoit  encoires  chevallier ,  estoient  à  Paris,  et  messire 
Guy  de  la  Trimouille  et  messire  Guillemme  son  frère,  mes-^ 
sire  Jehan  de  Vienne,  admirai  de  France,  et  plusieurs  barons 
et  chevalliers  du  royaulme  de  France.  Si  fut  *  regardé  et 
considéré  en  Tostel  du  duo  de  Bourgoingne  par  espedal , 
(lequel  duc  àd  ce  très-grandement  s  enclinbit),  que  Jehan  de 
Bourgoingne  son  flls  entrepresist  ce  voyage  et  se  fesist 
chief  de  tous  les  Franchois  et  des  nations  nommées  eoa  ô9 
loingtaines  marches  le  Ponnent.  Ce  Jehan  de  Bourgoingne 
pour  1ers  estoit  joeune  fils  en  Teage  de  vingt-«t*âeux  ans» 
assés  sage ,  courtois  ,  traittable  ,  humble  et  débonnaire  et 
*  amé  de  tous  chevalliers  et  escuiers  de  Boui^oingne  et 
d*autres  nations  qui  avoient  la  congnoissance  dé  luy  ,  et 
avoit  pour  ^  mouillier  et  espeuse  *  à  ces  jours  la  fille  an  duc 
Aubertde  Bayvière  ,  conte  de  Haynnali,  de  Hollande  et  de 
Zéellande  ,  une  moult  bonne  dame,  sage  ,  discrette  et  bieil 
dëvotte;  et  avoient  desjà  deux  moult  beaulx  enlSans  ,  par  les^ 
quels  on  espéroit  en  temps  advenir  nobles  et  grans  mariages. 

On  donna  &  ^  sentir  ^  de  costé  à  Jehan  de  Bourgoingne 
toute  Tordonnance  de  ce  voyage  et  que  le  roy  de  France  y 
vouloit  envoyer  à  la  pryère  et  requeste  de  son  cousin  le  roy 
de  Honguerie,  pour  scavoir  quel  samblant  il  en  feroit.-  Il 
parla  et  dist  en  telle  manière  :  «  Se  il  plaisoit  à  mes  deux 
«  seigneiirs  ,  à  monseigneur  le  roy  et  à  monseigneur  mon 
«  père,  je  me  feroie  voulentiers  chief  de  ceste  année  .et 

*  Avisé.  —  «  Moult.  ~  •■*  Femme  espotisëe.  —'•* Entendre. 


Digitized  by 


Google 


CHEF  DE  L'BXPiDITlOff.  219 

«  assambléd  ;  et  si  me  vendroit  moult  bien  à  pointt  car 
«  j*ay  trôchgrant  désir  de  moy  avanchier.  n  Âdont  luy  fut 
respondu  :  o  Sire  «  parlés-ent  premier  à  Tostre  père, 
«  poursçavoir  seœseroit  bienson  plaisir  que  vousalissiés 
I  en  ce  voyage  de  Honguerie  ;  et,  se  il  le  vous  accordoit , 
«  il  en  parleroit  au  roy  ,  car  sans  luy  et  son  ordonnance 
«  ne  povés-vous  riens  faire  touchant  oeste  matière.  » 

Su9  oest  advis  et  information  ne  demeura  gaires  que 
Jehan  de  Bourgoingne  parla  au  duc  son  père ,  en  luy  hum^ 
blement  priant  que  il  voulsist  consentir  et  accorder  que  il 
peuist  aler  en  ce  voyage  de  Honguerie  ;  car  il  en  avoit  très- 
bonne  volonté.  A  ceste  prière  et  requeste  faire  du  fils  au 
père  estoient  ddés  luy  messire  Guy  de  la  Trimouille  et 
messire  Guillèmme  de  la  Trimouille  son  frère ,  messire 
Jaques  de  Vergy  et  autres  chevalliers,  qui  se  boutèrent  ens 
es  paroles  et  dirent  au  duc  :  «  Monseigneur  ,  ceste  prière 
<  que  Jehan  de  Bourgoingne  vous  fait,  est  bien  raisonnable, 
«  car  il  est  désormais  temps  que  il  prende  ^  lordonnance  ' 
«  de  chevallerie ,  et  plus  honnourablement  aujourd'hui  il 
«  ne  la  puet  prendre ,  ne  avoir  que  sur  les  ennemis  dé 
I  Dieu  nostre  créateur.  £t  ou  cas  que  le  roy  de  France  y 
«  voeult  envoyer,  il  n'y  poeult  envoier  plus  honnourable 
«  chief  que  son  cousin  germain  vostre  fils,  et  verres  et  trou- 
«  verés  que  moult  de  chevalliers  et  d'escuiers  pour  leur 
I  avanchement  se  metteront  en  cest  voyage  ^  en  sa  com- 
«  paignie.  »  Â  ces  paroles  respondy  le  duc  et  dist  :  a  Vous 
a  avés  raison  de  ce  dire  ,  et  la  bonne  voulenté  de  nostr» 
«  fils  nous  ne  luy  voulons  ester ,  ne  brisier  ;  mais  nous  en 
tt  parlerons  au  roy,  et  verrons  quel  chose  il  en  respondera.  » 
Ils  *  s'appaisièrent  ^  à  tant. 

Depuis  ne  demeura  gaires  ^  que  le  duc  en  parla  au  roy, 

*■•  L'ordre.  —  »  Et  iront.  —  *-•  Se  teurent.  —  •  De  terme. 


Digitized  by 


Google 


2SX)  LE  COMTE  DE  RETBES  CHEF  BE  L'EXPfeinON. 

et  le  roy  tout  incontinent  s*i  enclina  ^  et  dist  que  ce  seroit 
bien  fait  se  il  y  aloit  :  t  Et  nous  voulons  que  il  y  voise  «  et 
«  luy  accordons  ,  et  le  faisons  chief  et  capitaine  de  ceste 
«  besoingne.  »  Âdont  s*espandirent  les  nouvelles  parmy 
Paris  et  hors  de  Paris ,  que  Jehan  de  Boui^ingne  ,  à  tout 
très-grant  charge  de  chevalliers  et  d*escuiers,  yroit  en  Hon- 
guerie  et  passeroit  oultre  en  la  Turquie ,  et  entreroit  et 
marcheroit  si  avant  que  il  yroit  veoir  la  puissance  de 
TAmorath-Baquin,  et,  ce  voyage  achiévé ,  les  chrestiens 
yroient'en  Constantinoble  et  passeroient  oultre  au  bras 
Saint-Jeorge  et  entreroient  en  Surie ,  et  acquitteroient  la 
Sainte-Terre  et  dëlivreroient  Jhérusalem  et  le  Saint-Sëpul- 
cre  des  payons  et  de  la  subjection  du  souldan  et  des  enne- 
mis de  *  Nostre-Seigneur  '.  Adont  se  ^  resveilliôrent  *  che- 
valliers et  escuiers  *  qui  se  désiroient  à  avanchier  parmy  le 
royaulme  de  France. 

Le  duc  de  Bourgoingne ,  quant  il  sceut  que  son  flk  ^ 
yroit  en  ce  voyage  et  en  seroit  chief,  honnoura  trop  plus 
encoires  que  fidt  n*euist,  les  ambassadeurs  de  Honguerie  , 
lesquels ,  quant  ils  voiront  la  bonne  ordonnance  et  vou- 
lenté  du  roy  de  France  et  des  François  ,  se  contemptôrent 
grandement ,  et  prindrent  congié  au  roy  et  aux  seigneurs 
de  France ,  au  duc  d*Orléans  ,  au  duc  de  Berry  ,  au  duc  de 
Bourgoingne ,  À  messire  Phelippe  d*Artois,  conte  d'Eu  et 
connestable  de  France  ,  au  conte  de  la  Marche  et  À  tous  les 
seigneurs  de  la  court ,  et  puis  se  mirent  au  retour  par 
devers  leur  pays  et  reportèrent  ces  bonnes  nouvelles  en 
Honguerie  et  au  roy  qui  en  fut  tout  resjouy.  Et  flst  sur 
celle  entente  et  venue  des  François  ordonner  grandes  pour- 
véances  et  grosses  ,  et  envola  ses  messages  et  ses  ambassa- 

«  Et  accorda.  —  "  Dieu.  —  *^  RecueiDirent.  —  •  Et  aoltrea 
gentils  hommes.  —  *  Jehan. 


Digitized  by 


Google 


LB  8IBB  DB  GOVCT  RiGOGlB  AYBG  LES  CillOIS.  SSl 

deors  devers  son  firère  le  roy  d*Âllemaigne  pour  faire  ouvrir 
ses  passaiges  ,  et  aussi  devers  son  beau  cousin  le  duc  d'Os« 
triche ,  car  parmy  son  pays  et  les  destroits  de  la  duchié 
d*Ostriche  convenoit-il  que  ils  passassent.  Et  fist  partout 
sur  les  chemins  ordonner  et  administrer  vivres  et  pour- 
véances  pour  les  seigneurs  de  France  et  leurs  routes ,  et 
rescripvy  toutes  ces  bonnes  nouvelles  et  certefiances  au  grant 
maistre  de  Prusse  et  aux  seigneurs  de  Rodes ,  À  la  fin  que 
ils  euissent  advis  et  se  pourveissent  contre  la  venue  du  conte 
de  Nevers  Jehan  de  Bourgoingne ,  qui  sus  cel  ^  esté  * 
venroit,  à  tout  mille  chevalliers  et  escuiers  tous  vaillans 
hommes  ^  en  Honguerie ,  pour  tantost  entrer  en  la  Tur- 
quie et  résister  aux  grans  manaches  et  paroles  du  roy 
Basaach  dit  TAmorath-Baquin. 


En  ce  temps  que  ces  nouvelles  estoient  mises  hors  pour 
aler  ou  dit  voyage  dont  je  vous  paroUe  ,  estoit  le  sire  de 
Coucy  retourné  nouvellement  à  Paris  d*un  voyage  où  il 
avoit  esté  près  de  ung  an  :  ce  fut  sur  la  frontière  et  marche 
de  la  rivière  de  Jeunes,  car  aucuns  maistres  jennevoisavoient 
infourmé  le  duc  d'Orléans  que  la  terre  et  toute  la  ducUé 
de  Jennes  désiroient  à  avoir  ung  chief  à  seigneur ,  venu  et 
yssa  des  fleurs  de  lis ,  et  pour  tant  que  le  duc  d'Orléans 
avoit  à  femme  et  espeuse  la  fille  au  seigneur  de  Milan , 
caste  terre  et  seigneurie  '  luy  seroit  bien  séant.  En  celle 
instance  le  sire  de  Coucy ,  à  tout  trois  cens  lances  et  cinq 
cens  arbalestriers ,   avoit  passé  oultre  en  Savoie  et  en 
Pieumond  par  le  consentement  du  seigneur  de  Milan ,  et  là 
descendu  plus  aval  dessoubs  une  cité  qui  se  nomme  Alex- 
andrie ,  et  venu  sur  les  frontières  des  Jennevois  pour  trait- 

'-*.  EiUt.  —  *  De  Jeimes..  De  Milan. 


Digitized  by 


Google 


3S9  LE  81RB  DE  COCCt  EST  C80I8I 

tiar  &  eulx  et  pour  sgavoir  plus  plainement  leur  intention  ; 
car  de  force  ,  sll  n  avoit  plus  grant  puissance  et  accord  et 
aliances  au  pays  de  Jennes ,  il  n'y  poroit  riens  faire. 

Quant  le  sire  de  Coucy  vint  premièrement  sur  les  tvon-^ 
Hères  de  la  ririôre  de  Jennes,  où  les  entrées  du  pays  sont 
tant  fortes  que  elles  ne  sont  pas  à  conquérir  ,  se  ceulx  du 
pays  les  clouent  et  y  mettent  deffense  «  aucuns  seigneurs 
jennevoiB  par  la  faveur  et  ordonnance  desquels  il  estoit  lA 
venu  (et  avoient  infourmé  le  duc  d*Orléans  et  son  conseil), 
luy  firent  bonne  chière  et  le  recueilliôrent  dbuleement  et 
amiablement  et  le  misrent  en  leur  pays  et  luy  offrirent  leurs 
chasteaulx. 

Le  seigneur  de  Coucy,  qui  fut  très-sage  et  soubtil  et  nng 
chevallier  fort  ymaginatif  et  qui  cognoissoit  assés  la  nature 
des  Lombars  et  Jennevois,  ne  se  volt  pas  trop  avant  confier 
ou  fier  en  leurs  offres  et  en  leurs  promesses  ,  et  toutesfoîs 
il  les  tint  sagement  Â  amour  tant  que  il  fut  et  conversa 
aveuc  euls  ;  car  trop  bien  les  sQavoit  mener  par  paroles  et 
par  tndttiés ,  et  eut  plusieurs  parlemens  sur  les  champs., 
non  pas  en  maison ,  ne  en  forteresse  ,  à  ceulx  de  la  cité  de 
Jennes  ;  et  plus  parlementoit  à  eulx,  et  mains  conquéroit. 
Bien  luy  faisoient  les  Jennevois  tout  signe  d'amour  et  htj 
prommettoient  moult  de  choses  et  vouloient  que  il  s'avalast 
jusques  à  la  cité  de  Jennes  ou  à  ^  Porte-Vendre  ^  ;  mais  la 
seigneur  de  Coucy  ne  se  y  osa  oncques  asseurer.  La  conclu- 
sion de  son  voyage  fut  telle  que  riens  n'y  exploitta,  et  quant 
il  vey  que  riens  il  ne  besoigneroit,  quoyque  moult  soingneu- 
sèment  il  rescripvoit  et  signifiioit  son  estât  au  dop  de  Bour- 
goingne,  il  fut  remandé  et  retourna  à  Paris. 


Le  sire  de  Coucy  vint  si  à  point  à  Paris  épie  ces 

*-•  Porte-Venna. 


Digitized  by 


Google 


COmiE  COMSBILIiBR  DU  COIOTB  DE  IIEYBR8.  StS 

emprinses. et  nouvelles.  d*&Uer  en  Honguerie  e^toient  en 
<K>nrs  trop  grandement,  et  fût  le  duc  deBourgoingnemoultres» 
jûuy  de  son  retour,  et  le  mandèrent  en  Tostel  d'Artûîs.le  duo 
et  la  duchesse^  et  là  luy  dirent  en  signe  dQ  grant  amoUr  t 
c  Sire  de  Goticy ,  nous  nous  confions  grandement  en  vous  et 
«  en  vostre  sens.*  Nous  faisons  Jehan  nostre  fils  et  heVitiep 
t  entreprendre  ung  yoiage  :  à  Tonneur  de  Dieu  ôt  de  toute 
«  chrestienté  puist  estre  !  Nous  scavons  bien  que  sur- tous 
«  dbeyalliers  de  France  le  plus  ^  usé  '  vous  estes  et  lé  plu» 
«  coustumier  en  toutes  choses.  Si  vous  prions  chiôrement 
«  et  flablement  que  en  ce  voyage  vous  vueilliés  estre  com- 
f  pains  et  conseilliers  à  nostre  fils  ,  et  nous  vous  en  agau- 
«  rems  gré  et  à  desservir  À  vous  et  aux  vostres.  » 

A  ceate  prière  et  requeste  respondy  le  sire  de  Goucjr,  et 
dist  :  «  Monseigneur,  '  et  vous  madame,  vostre  requeste  et 
«  parole  me  doivent  bien  estre  bien  commandement.  En 
«  ce  voyage  se  il  plaist  à  Dieu,  je  iray  doublement,  et  pre- 
t  miârement  par  dévotion  et  pour  deffendre  la  foy  de 
«  Nostre-Saulveur  Jhésu-Crist  ;  secondement,  puisque  tant 
«  dlionneur  vous  me  faites  et  voua  me  voulés  chargier  que 
c  je  entende  à  Jehan  monseigneur  vostre  fils.  Je  m*en  tiens 
t  pour  tout  chargië  et  m*en  acquitteray  en  toutes  choses  & 
c  mon  léal  povoir  ;  mais  ,  chier  sii^e  ,  et  vous  ,  ma  très-» 
t  chière  dame,  de  ce  faire  vous  me  pourries  bien  excuser 
«  et  déporter ,  et  espécialement  rechargier  à  son  cousin 
«  moult  prochain  messire  Phelippe  d*Ârtois,  conte  d*Ëu, 
«  connestable  de  France,  et  à  son  autre  cousin  le  conte  de 
K  la  Marche.  Tous  deux  en  ce  voyage  ils  y  doivent  aler,  et 
c  oeulx  luy  sont  ^  bien  ^  prouchains  de  sang  et  d'armes.  » 

Dont  respondy  le  duc  de  Bourgoingne  et  dist  :  c  Sire  de . 
«  Gouçy,  vous  avés  trop  plus  veu  que  ces  deux  ^  n'aient  ^,  et 

•••  Usité.  —  •  Vous.  —  ^ Moalt.  —  •'  N'ont. 


Digitized  by 


Google 


914  PAÉPAIATIFS 

«  sçavés  trop  mieulx  où  on  ^  puet  *  aler  aval  le  pays  que 
«  nos  cousins  d*Bu  et  de  la  Marche.  Si  vous  chargiés  de  ce 
t  dont  vous  estes  requis ,  et  nous  vous  en  pryons.  »  — 
«  Monseigneur ,  respondy  le  sire  de  Gouc^  ,  vostre  prière 
«  m*est  commandement ,  et  je  le  feray  »  puisque  il  vous 
«  plaist ,  aveuc  Tayde  '  de  messire  Guy  de  la  Trimouilie  et 
«  de  messire  Guillemme  son  frôre  et  de  Tamiral  de  France 
«  messire  Jehan  de  Vienne.  »  De  ceste  réponse  orint  le  duc 
et  la  duchesse  de  Bourgoingne  grant  joye. 


Or  se  ordonnèrent  ces  seigneurs  de  France  grandement 
et  estoffSfement  pour  aler  ens  ou  voyage  de  Honguerie  ,  et 
prioient  les  barons,  les  chevalliers  et  escuiers  pour  en  avoir 
le  service  et  compaignie  ;  et  ceulx  qui  point  pryés  n*en 
estoient  et  qui  désir  et  affection  d*y  aler  avoient,  prioient 
aux  seigneurs  tels  que  au  conte  d*Eu,  connestablf  de  France» 
au  conte  de  la  Marche  et  au  seigneur  de  Coucy  ,  que  ils  les 
voulsissent  prendre  en  leur  compaignie.  Les  aucuns  estoient 
retenus,  et  les  ^  aucuns  '  n*avoient  point  de  maistre.  Et  pour 
ce  que  le  voyage  estoit  long  d*aler  en  Honguerie  et  de  l  en 
Turquie ,  chevalliers  et  escuiers  ,  quoyqu'ils  euissent  bonne 
voulenté  de  avanchier  leurs  corps  (et  ne  sentoient  pas  la 
mise  et  la  chevance  pour  honnourablement  faire  ce  voiage), 
se  reffraindoient  de  leur  emprise  ,  quant  point  de  retenue 
n'avoient. 

Vous  devés  sçavoir  que  pour  Testât  du  corps  *  Jehan  de 
Boui^oingne ,  riens  n'estoit  espargnié  de  montures  , 
^  d'armoieries  ,  de  chambres  ',  d*abis,  grans,  riches  et  puis- 
sans ,  de  vaisselle  d*or  et  d'argent.  Et  n*entendoient  cbam- 

•■•  Doit.  —  ■  Et  conduite.  —  *-•  Aultref.  —  •  Du  jeune.  —  '"•  D'ar- 
meures,  de  timbres. 


Digitized  by 


Google 


TÀILLBS  LST£eS  PAR  LE  DUC  DE  BOURGOGNE.  335 

brelens  à  autre  chose  ;  et  fat  tantost  tout  délivré  à  touâ 
officiers  pour  le  corps  Jehan  de  Bourgoingne,  et  à  chascun  à 
par  luy  grant  nombre  de  flourins  ;  et  ceolx  }es  paioient  et 
délivroient  par  ordonnance  aux  ouvriers  et  aux  marchans 
qui  les  ouvrages  appartenans  à  eulx  faisoient  et  ouvroient. 
Tous  barons,  chevalliers  et  escuiers  et  en  dessonbs,  pour 
Tonneur  de  Jehan  de  Boui^oingne  et  le  leur  aussi  et  pour 
ravancement  de  leur  corps  s*efforchoient  de  eulx  ^  jolier  et 
cointier*.  Messire  Phelippe  d*Artois,  conte  d*Eu,  s'ordonnoit 
si  puissamment  que  riens  n*y  estoit  espargnië  ,  et  vouloit 
aler  en  ce  voiage  comme  connestable  de  France  «  et  le  roy 
qui  bien  Tamoit ,  luy  aidoit  quant  à  la  '  chevance  *  gran-' 
dément,  et  aussi  fist-il  à  messire  Bouchicault,  mareschal  de 
France. 


Le  duc  de  Bourgoingne  advisa  et  considéra  une  chose  que 
ce  Toyage ,  au  tout  ^  estoffer  ^ ,  cousteroit  trop  grandement 
en  mise  et  finance,  et  se  convenoit  que  Testât  de  luy  et  de 
la  duchesse  sa  femme  et  de  Anthoine  son  fils  fuist  pannain« 
tenu  et  point  brisié,  et  pour  trouver  argent  il  très^soubtille- 
ment  trouva  une  arrière-taille  ;  car  de  la  première  taille  les 
plats  pays,  hommes  des  cités,  des  bonnes  villes  ^et  des  chas- 
teaulx  86  taillièrœt ,  et  monta  celle  taille  en  Bourgoingne 
pour  la  chevallerie  première  de  son  ainsné  fils  à  •  VI"  •  mille 
couronnes  ^^.  De  rechief  À  tous  chevalliers  et  dames  nobles 
qui  de  luy  fief  tenoient ,  joeunes  et  vieulx  ,  il  leur  fist  dire 
que  il  oonvenoit  que  ils  alassent  à  leurs  coustages  en  Hon- 
gaene  en  la  compaignie  de  son  fils,  ou  ils  paiassent  ung 

"  Mettre  en  point.  —  •-•  Finance,  —  *^  Appareiller.  —  '^Ferm^s. 
—  **  Cent.  —  «•  D'or. 

XV.   —  VR0I88ART.  15 


Digitized  by 


Google 


TAILLES  LBYiBS  PAR  LB  DUC  DB  BOURGOGKE. 

^  tant  *  d'argent.  Si  estoient  tauxés  les  ungs  à  mille  ' ,  les 
autres  À  deux  mille,  les  autres  à  cinq  cens  francs  ,  et  chas- 
con  et  chascune  selon  sa  chevance  et  la  valleur  de  sa  terre. 
Dames  et  anchiens  chevalliers,  qui  ressoingnoientle  traveil 
du  corps  et  qui  n  estoient  mie  bien  tailliés  de  porter  armes, 
ne  d'avoir  telle  payne ,  se  composoient  *'  et  paioient  à  la 
voulentë  du  duc ,  et  sçavoit-on  bien  lesquels  estoient 
déportés  de  celle  taille.  Jeunes  chevalliers  et  escuiers  estoient 
ordonnés  d'aller  en  ce  voyage,  et  leur  estoit  dit  :  «  Monsei* 
«  gneur  ne  vœlt  point  de  vostre  ai^nt ,  mais  vous  yréa 
«  aveuc  monseigneur  Jehan  de  Bourgoingne  À  vos  coustages 
«  aucunement,  non  en  tout  en  ce  voyage,  et  luy  ferés  com- 
«  pagnie.  »  De  ceste  arrière-taille  le  duc  de  Bourgoingne 
sur  ses  gentils  hommes  trouva  quarante  mille  couronnes. 
Ainsi  ne  fut  nuls  de  ce  voyage  déporté. 


Les  nouvelles  de  ce  voiage  de  Honguerie  s'espardirent 
^  par  moult  de  contrées  ^,  et  quant  elles  furent  venues  jusques 
en  la  conté  de  Haynnau,  chevalliers  et  escuiers  qui  avoient 
désir  de  eulx  avanchier  et  de  voiagier ,  encommencôrent  à 
parler  ensemble  et  à  dire  par  advis  de  pays  :  u  Ceste  chose 
a  se tailleque monseigneurd'Ostrevan^quiest jeuneetenson 
(f  venir ,  voist  en  ce  voiage  avec  son  beau-frère  le  conte  de 
«  Nevers,  et  ^  ce  sera  '  une  belle  compaignie  de  eulx  deux, 
a  et  nous  n'y  fauldrons  point ,  mais  leur  ferons  compai- 
«  gnie,  car  aussi  désirons-nous  les  armes.  » 

Le  conte  d'Ostrevan  qui  pour  ces  jourâ'se  tenoit  au  Ques- 
noy-le-Oonte,  entendoit  bien  et  sçavoit  assés  ce  que  les  che- 
valliers et  escuiers  de  son  pays  de  Haynnau  disoient  l'un  à 

Y  Taux.  —  •  Uvres.—  *  Et  taiUoient.  —  •^  Partout.—  »-•  Se  fora. 


Digitized  by 


Google 


PEOIST  D'BlPÉDinOlf  BN  FRIBB. 


a» 


Faatre.  Si  n'en  pensoit  mie  gramment  moins  et  avoit  très- 
bon  désir  et  très-bonne  affection  de  aller  en  ce  tant  hon*- 
nourable  voyage  et  faire  compaignie  à  son  beau-frôre  de 
Bourgoingne.  Et  quant  il  advenoit  que  on  en  parloit  etdevi- 
soit  aucune  chose  en  la  présence  de  luy,  petit  en  respon- 
doit,  mais  s*en  dissimuloit.  Bien  avoit  intention  que  il  en 
parleroit  à  son  seigneur  de  pore  le  duc  Âubert  de  Baivière, 
conte  de  Hajnnau,  et  ce  que  il  Ten  conseilleroit,  il  en  feroit. 
Et  advint  que  le  conte  d*Ostrevan  en  briefs  jours  vint  à  la 
Haye  en  Hollande  où  son  père  estoit,  et  pour  le  temps  le 
plus  là  il  se  tenoit  aveuc  la  contesse  sa  femme.  Si  luy  dist 
une  fois  :  c  Monseigneur,  telles  nouvelles  courent.  Mon 
«  Jbeau-frère  de  Nevers  a  emprins  à  cest  esté  d'aler  en 
a  Honguerie  et  de  là  en  la  Turquie  sur  TÂmorat^-Bacquin, 
«  et  là  doivent  estre  et  advenir  grans  fais  d*ar.mes  ;  et  pour 
«  le  présent  je  ne  me  sçay  où  mettre,  ne  employer  pour 
«  les  armes  avoir.  Si  sçauroie  voulentiers  Fintention  de 
«  vous,  se  il  vous  plairoit  que  je  allasse  en  cel  honnourable 
«  voyage  à  tout  une  route  de  cent  chevalliers,  et  feisse  com- 
«  paignie  à  mon  bel-frëre.  Monseigneur  et  madame  de 
«  Bourgoingne  m'en  sçauroient  trës-bon  gré ,  et  moult  de 
«  chevalliers  et  d'escuiers  a  en  Haynnau  ,  qui  voulentiers 
«  me  compaigneroient  en  ce  voyage.  »  ' 

A  ces  paroles,  le  duc  Âubert,  comme  homme  tout  pour- 
veu  de  respondre ,  dist  :  «  Guillemme ,  puisque  tu  as  la 
«  voulenté  de  voiagier  et  aler  en  Honguerie  et  en  Turquie 
«  et  quérir  les  armes  sur  gens  et  pays  qui  oncques  riens 
a  ne  nous  fourfirent,  ne  nul  article  de  raison  tu  n'y  as  d'y 
«  aler ,  fors  que  pour  la  vayne  gloire  de  ce  monde ,  laisse 
«  Jehan  de  Bourgoingne  et  nos  cousins  de  France  faire 
«  leurs  emprises ,  et  fay  la  tienne  à  par  toy,  et  t'en  va  en 
«  Frise  et  conquiers  nostre  héritage,  que  les  Frisons  par  leur 
«  orgueil  et  rudesse  nous  ostent  et  toUent ,  et  ne  veulent 


Digitized  by  VjOOQIC 


S98  PEOJBT  D'BXPiDinON  BM  PRI8B, 

tt  nullement  venir,  ne  escbéir  en  ^  quelqae  '  obéissance  de 
«  raison  ,  et  ad  ce  faire  je  te  aideray.  »  La  parole  du  père 
au  fils  esleva  très-grandement  le  coeur  du  jeune  conte  Guil- 
lemme,  seigneur  d'Ostrevan.  Si  rcspondy  au  duc  son  père 
et  dist  en  telle  manière  :  «  Monseigneur,  vous  dittes  bien,  et 
«  ou  cas  que  il  vous  plaist  que  je  face  ce  voyage,  je  Tentre- 
«  prendray  à  faire  moult  voulentiers  ,  comme  raison  est.  » 
De  petit  en  petit  ces  paroles  du  père  au  fils  et  du  fils  au 
père  mouteplièrent  tant  que  le  voiage  d*aler  en  Frise  pour 
celle  saison  fut  '  excepte  ^.  Le  conte  d*Ostrevan  pour  ces 
jours  avoit  deles  luy  et  de  son  conseil  le  plus  prouchain  que 
il  peuist  avoir,  ung  escuier  de  Haynnau ,  qui  s'appelloit 
Fier-à-Bras  et  autrement  le  Bastard  de  Vertaing,  sage  homme 
et  vaillant  ^  durement,  moult  courtois,  bien  enlangagié,  car 
il  avoit  beaucoup  voyagié  ,  et  moult  usé  d*armes  ^ ,  sicques 
quant  les  paroles  vinrent  à  l'escuier  du  conte  d*Ostrevan  , 
il  respondy  et  dist  :  «  Monseigneur  J  vous  dittes  bien,  et 
«  vostre  père  *  vous  conseille  loyaulment ,  et  mieulx  vous 
«  vault  pour  vostre  honneur  que  vous  fachiés  ce  voyage 
«  que  celluy  de  Honguerie,  et  vous  ordonnés  selon  ce. 
«  Vous  trouvères  chevalliers  et  escuiers  de  Haynnau  et 
a  d'ailleurs,  qui  en  vostre  compaignie  se  metteront  et  vous 
«  aideront  à  leur  lëal  povoir  à  faire  ceste  emprinse  et 
a  voyage.  Et  ou  cas  que  vous  avés  ou  aurës  la  bonne  vou- 
a  lente  de  là  aller,  je  vous  *  advise  ^^  et  conseille  que  vous 
«  allés  en  Angleterre  et  signiffiés  vostre  estât  et  emprinse 
«  aux  chevalliers  et  escuiers,  et  pryës  au  roy  d'Angleterre 
a  vostre  cousin  que  il  vous  vueille  accorder  que  cheval- 
tt  liers  et  escuiers  et  archiers  d'Angleterre,  parmy  vos 
«  deniers  payans,  il  vous  face  celle  gr&ce  que  il  les  laisse  ^^ 

*-•  Nulle.  —  '-*  Accepte.  —  ••  Et  moult  stylé  en  fait  d'armes.  — 
'  •  Vostre  père  parle  bien  et.  —  ••"  Advertia.  —  "  Partir  et. 


Digitized  by 


Google 


JfiAIf  DE  MEYERS  EN  AOTEICHE.  2S9 

tf  yssir  d'Angleterre  pour  aler  en  ce  voyage  de  Frise  en 
«  Yostre  compaîguie.  Ânglois  sont  gens  de  fait  et  d'exploit, 
a  et,  on  cas  que  vous  les  avés,  vous  en  ferés  bien  yostre  ^ 
«  besoingne.  Et,  se  vous  povës  avoir  par  vôstre  prière  vos- 
fc  tre  cousin  le  conte  d'Erby  eu  vostre  compaignie  ,  vostre 
«  voiage  en  seroit  plus  bel,  et  vostre  emprise  de  plus  grant 
«  renommée.  » 

Le  conte  d'Ostrevan  aux  paroles  et  remonstrances  de 
Fier-à-Brasbastardde  Vertaingse  enclina  du  tout,  car  advis 
luy  fut  que  il  le  conseilloit  loyaulment.  Et  quant  il  en  parla 
au  seigneur  de  Gommegnies ,  il  luy  en  dist  en  cause  de  con- 
seil *  autretant  '  ,  et  aussi  firent  tous  ceulx  qui  l'amoient. 
Dont  se  commenciôrent  ces  paroles  et  ces  nouvelles  à  amplyer, 
desc^idre  et  espardre  en  Haynnau,  et  fut  mise  sus  une 
ordonnance  et  deffense  sur  tous  chevalliers  et  escuiers  hayn- 
nuyers  que  nul  n*entrepresist  voyage  à  &ire  ,  ne  à  vndier 
le  pays  pour  aler  en  Honguerie,  ne  ailleurs  ;  car  le  conte 
d*Ostrevan  les  embesoingneroit  pour  celle  saison  et  les 
envoyeroit  en  Frise. 

Nous  nous  souffrirons  ung  petit  de  ceste  matière  et  par- 
lerons des  besoingnes  devant  emprinses. 


Ainsi  avoient  cause  de  euls  resveillier  plusieurs  chevalliers 
et  escuiers  en  plusieurs  parties  pour  les  armes  qui  apparoient 
en  celle  saison,  les  ungs  pour  ^  aler  ou  ^  voiage  de  Hongue* 
rie,  et  les  autres  pour  le  voiage  de  Frise.  Et  en  parloient  et 
devisoient  Tun  à  Tautre,  quant  ils  se  trouvoient  ou  estoient 
ensemble.  Premièrement  Jehan  de  Bourgoingne,  conte  de 
Nevers,  avancha  son  voyage,  et  furent  nommés  et  escripts 
tous  chevalliers  et  escuiers,  qui  aveuc  luy  et  de  sa  charge  et 

*  Employ  et.  —  •••  Autrement.  —  *■•  S'apprester  pour  le. 


Digitized  by 


Google 


230  IBAM  DE  hbvers  en  autucbb. 

délivrance  *  e&toient  *•  Les  pourvëanoes  forent  fidttes  très- 
grandes  et  grosses  et  bien  ordonnées  ;  et  pour  oe  que  le 
voiage  mouvoit  de  Iny  et  quli  devoit  avoir  la  renommée  en 
sa  nouvelle  chevallerie  de  ceste  emprise,  il  flst  plusieurs 
largesses  aux  chevalliers  et  escuiers  qui  en  sa  compaignie 
se  misrent,  et  avantages  de  délivrances,  car  le  voiage  estoit 
bien  long  et  coustable.  Si  convenoit  que  les  compaignons  sur 
leurs  finances  '  de  menus  frais  foissent  aidiés. 

Pareillement  se  ordonnoient  et  appareilloient  les  autres 
chieÊt  des  seigneurs  ,  tels  que  le  connestable  de  France, 
conte  d'Eu,  le  conte  de  la  Marche,  messire  Henry  et  messire 
Phelippe  de  Bar,  frères,  le  seigneur  de  Cioucy,  messire  Guy 
de  la  TrimouiUe,  messire  Jehan  de  Vienne,  admirai  de . 
France,  messire  Bouchicault,  mareschalde  France,  messire 
Regnault  de  Roye,  le  sire  de  ^  Saint*Pol^,  le  sire  de  Montca- 
vrel,  le  Hazse  de  Flandres,  messire  Loys  de  ^Friese^  son  frère, 
le  Borgne  de  *  Montcavrel  '  et  tant  d'autres  que  ils  estoient 
bien  mil  chevalliers  et  escuiers ,  et  tous  de  vaillance  et 
d'emprise  garnis.  Et  se  départirent  tous  de  leurs  lieux  sur 
^^  le  mois  de  mars  "  et  chevauchièrent  par  ordonnance  et  par 
compaignies,  et  trouvèrent  tous  les  chemins  envers,  car  le 
roy  d'ÂUemaigne  avoit  commandé  et  ordonné  par  tout  son 
royaulme  en  Âllemaigne  et  en  Boesme,  que  tout  leur  foist 
ouvert  et  appareillié"  ce  que  nécessité  leur  seroit  ",  et  que 
nuls  vivres  ne  leur  foissent  renchierris. 

Les  seigneurs  de  France  qui  chevauchoient  et  traveil- 
loient  sur  la  fourme  que  je  vous  dy  pour  aler  en  Tayde  du 
roy  de  Honguerie  (qui  devoit  avoir  bataille  contre  le  roy 
Basaach  ditrÂmorath-Bacquin  puissance  contre  puissance), 


•-•  Iroient.  ^  •  Et.  -  *-•  Saint-Py.  ~  "  Vrieee.  —  •-•  Mont- 
quel.  —  *****  La  mi-mars.  —  **-"  Ce  qui  leur  estoit  nécessaire. 


Digitized  by 


Google 


AMBASSADE  ANGLAISE  A  PARIS.  251 

le  XX'  jour  de  may  passèrent  Loheraine  et  la  ^  duchié  *  de 
Bar  et  tonte  la  conte  de  Montbliart  et  la  conte  de  Bour* 
goingue,  et  entrèrent  en  Aussay  etpassèrent  oultre  le  pays 
d'Aussay  et  la  rivière  du  Rin  et  la  conte  de  '  Fiëret  \  et 
puis  entrèrent  en  Austerice  ,  et  passèrent  tout  au  long  ^  le 
pays  d' Austerice  qui  moult  est  grant  et  ^  divers  en  plusieurs 
lieux  ''  et  les  entrées  et  les  yssues  fortes  et  despertes  »  mais 
ils  y  aloient  tous  de  si  grant  voulente  que  payne  et  traveil 
que  ils  endurassent,  ne  leur  faisoit  comme  point  de  mal.  Et 
parloient  les  plusieurs  en  cheminant  de  cel  Amorath- 
Bacquin  et  '  admiroient  '  petit  sa  puissance. 

Le  duc  d'Ostriche  flst  aux  chiefs  des  seigneurs  en  son 
pays  là  où  ils  le  trouvèrent,  *^  très-bonne  chière  "  et  par  espé- 
cial  a  Jehan  de  Bourgoingne,  conte  de  Nevers  ;  car  '*  son 
aisné  fils  ^'  Othes  monseigneur  ^*  avoit  Marie  de  Bourgoingne 
espousée  ^^^  la  fille  au  duc  de  Bourgoingne  et  suer  germaine 
àce  Jehan  de  Bourgoingne,  qui  chief  estoit  de  ceste^^besoin- 
gne  ".  Tous  ces  seigneurs  de  France  et  leurs  routes  se 
dévoient  attendre  et  trouver  en  Honguerie  en  une  cite  que 
on  dist  Bude. 
.  Or  retournons  aux  autres  advenues  de  France. 


Vous  sçavés,  sicomme  il  e^t  icy-dessus  contenu  en  nostre 
histoire,  comment  le  roy  Richart  d'Angleterre  avoit  envoie 
en  celle  saison  souffissans  messages  et  ambassadeurs  en 
France  devers  le  roy  de  France  et  son  conseil  pour  avoir 
à  femme  et  à  espeuse  madame  Ysabel  sa  fille,  et  tels  que 

*-*  Cont^.  —  ••*  Fëi-ette.  —  •  Parmi.  —  •'  De  divers  paya.  — 
•■•  Grémoient...  Prieoient  moult.— *•■"  Aûesi  bon  recueil.— •"""  L'ais- 
lïè  fils  d'Ostiiche.  —  "**  Monseigneur  Othes.  —  "  Comme  jeunes 
qa*ils  fussent.  —  **•"  Emprise. 


Digitized  by 


Google 


232  A1IBÀ68ADB  AMGLAISE  A  PABIS. 

rarchevesque  de  Duvelin  ,  Tëvesque  de  ^  Lincestre  * ,  le 
conte  MareBchal,  le  conte  deRosteland,  âlsau  duc  d'Yorch, 
messire  Henry  de  Biaumont,  messire  '  Henry  ^  de  Gliffort, 
messire  Hues  le  Despensier,  messire  Jehan  de  Robersart 
et  plusieurs  autres  ;  et  avoient  si  bien  exploittié  et  besoin- 
gnië  en  ce  voyage  que  le  roy  de  France  leur  avoit  fait  bonne 
chiëre,  et  aussi  tous  ses  oncles  et  leurs  consauls.  Et  estoient 
ces  devant  dis  ambassadeurs  et  leurs  gens  retournés  en 
Angleterre  en  joye,  et  avoient  donné  au  roy  d'Angleterre 
sus  ses  requestes  et  plaisances  grans  espoirs  et  conforts  en 
l'asseurant  de  parvenir  à  ses  demandes.  Et  sur  ce  le  roy 
d'Angleterre  n'avoit  point  ygnoré  ,  ne  dormy  sur  ces 
besoingnes,  mais  avoit,  tout  l'yver  qui  s'epsieuvy,  envoie  et 
resveillié  le  roy  de  France  et  *  raffreschy  •  de  ce?  matières, 
et  à  tout  ce  s'enelinoit  le  roy  de  France  et  ses  consauls 
assés,  qui  espéroient  et  tendoient  i  venir  à  fin  de  guerre 
qui  trop  longuement  avoit  duré  entre  France  et  Angleterre. 
Tant  et  si  bien  s'estoient  portés  ces  procès  et  ces  traittiés 
et  poursieutss,  et  tant  et  si  amoureusement  avoient  escript 
ces  deux  roys  l'un  à  l'autre,  que  les  besoingnes  estoient  fort 
^  approchies  *,  car  le  roy  d'Angleterre  prommettoit  loiaul- 
ment  que  il  auroit  tels  '  les  hommes  en  ^^  son  pays  que  paix 
seroit  entre  France  et  Angleterre.  Par  le  moyen  de  ce  trait- 
tié  se  approchèrent^^  tellement  ^*  les  besoingnes  que  de 
rechief  le  conte  Mareschal  et  le  conte  de  Rostelant  et  tous 
ceulx  (ou  en  partie),  qui  la  première  fois  furent  en  France 
sur  Testât  du  mariage,  y  furent  renvoies,  et  vindrentàParis 
et  se  logiôrent  tous  à  la  Groix-du-Tiroy ,  et  comprendoient 
les  Anglois  toute  la  rue  et  là  environ  bien  avant,  car  ils 
estoient  bien  cinq  cens  chevaulx  ,  et  tous  furent  délivrés 

*••  Wincestre.  —  ••*  Loys.  —  ■-•  Fait  souvenir.  —  *-•  AdTanchièes. 
-  •■«•  Ses  hommes  et.  -  "-"  Si..  Si  fort. 


Digitized  by 


Google 


PROCÈS  D0  SmB  M  «RAOIt.  2SS 

de  par  le  roy  de  France,  et  si  séjoumërent  à  Paris  plas  de 
trois  septmaines. 


'  Entreux'que  ces  seigneurs  ambassadeurs  et  messagiers 
de  par  le  roy  d^Ângleterre  estoient  à  Paris,  laroyne  Jehane, 
duchesse  d'Anjou,  qui  s'escripvoit  royne  de  Naples  et  de 
Jhërusalem,  estoit  aussi  à  Paris,  et  poursieyoit  moult  fort 
ses  besoingnes  ,  car  elle  fut  une  dame  de  trës-grant  dili- 
gence. Ses besoingnes  estoient  telles,  pour  lors,  que  je  vous 
diray.  Elle  playdoit  en  parlement  pour  deux  choses.  La 
première  estoit  pour  l'éritage  de  la  conté  de  Roussy  à  ren- 
contre du  '  conte  *  de  Brienne  ;  car  Louys  duc  d'Anjou  * 
Tavoit  achetée  et  payé  les  deniers  à  une  dame  qui  fut  con- 
tesse  de  Roussy,  jadis  femme  à  messire  Louys  de  Namur  , 
mais  elle  se  desmaria  en  son  temps  de  messire  Loys  de 
Namur  ,  et  trouva  cause  raisonnable  •  pour  quoy  ce  fut  ^. 
La  seconde  cause  estoit  à  rencontre  de  messire  Pierre  de 
Graon,  et  luy  demandoit  la  somme  de  cent  mille  frans,  les- 
quels elle  monstroit  bien  et  prouvoit  sur  luy  que  il  les  avoit 
levés  et  recheus  ou  nom  de  son  seigneur  et  '  mary  ^  le  roy 
Louys  de  Naples,  de  Sézille  et  de  Jhérusalem,  et  s'en  estoit 
le  dit  messire  Pierre  de  Craon  chargié  du  payer  en  Puille. 
Mais  ,  quant  les  nouvelles  luy  vindrent  que  le  duc  d'Anjou 
roy  et  sire  des  dittes  terres,  son  maistre  et  seigneur,  estoit 
mort,  il  ne  chemina  plus  avant  et  retourna  en  France  et 
mist  toutes  ces  sommes  ^^  de  flourins  ^^  en  son  prouffit  et 
n'en  rendy  oncques  compte  à  la  dame  royne  dessus  ditte  , 
ne  à  ses  enffans  Louys  et  Charles ,  mais  les  dissipa  en 
"  orgueils  "  et  beubans.  Et  par  celle  deffaultela  dame  disoit 


*-•  Bntretant.  —  V  Duc.  —  •  Son  mari..  Son  seigneur.  — •*' 
oent  ce  ftist.  —■  •••  Maistre.  —  "-"  D'argent.  —  •■•*•.  Oi^gueil. 


Digitized  by 


Google 


334  PROCkS  DB  LA  RBINB  DE  NAPLBS 

et  monstroit  sur  luy  que  la  terre  de  Naples  estoit  perdue  et 
conquise  de  Marguerite  de  Duras  et  des  hoi^  messire 
Charles  de  la  Paix  ;  car  les  souldoiers  du  roy  Louys  son 
roary  dessus  dit,  qui  luy  aidoient  à  maintenir  sa  guerre  en 
Puille  et  en  Galabre,  n'avoient  point  este  payes  :  si  estoient 
les  plusieurs  tournés^  en  la  partie  du*  conte  de  Saint- 
Séverin  et  devers  Marguerite  de  Duras,  et  les  autres  ayoient 
cessé  de  faire  guerre. 

Toutes  ces  causes  estoient  mises  en  '  parlement  ^  en  la 
chambre  du  ^  palais  ^  de  Paris,  proposées  ,  monstrées  et 
demandées  et  deffendues  de  toutes  parties  données.  Et  jà 
en  avoit-on  bien  plaidoié  ^  trois  ans  tous  entiers,  quoyque 
le  dit  messire  Pierre  de  Graon  fuist  absent  de  Paris  et  de 
parlement  ;  mais  ses  advocas  le  defTendoient  de  grant  manière, 
et  disoient  que,  se  messire  Pierre  de  Craon  avoit  rechupt^ 
ou  nom  du  roy  Loys  de  Sézille,  de  Naples  et  de  Jhérusalem, 
cent  mille  frans  ,  le  dit  roy  estoit  bien  de  tant  tenu  et  de 
plus  envers  le  dit  messire  Pierre  de  Craon  à  bon  compte 
fait  des  beaulx  et  grans  services  que  faits  luy  avoit. 

Tant  furent  ces  choses  démenées  et  playdoiées  en  parle- 
ment à  Paris  que  il  leur  convint  avoir  fin  et  conclusion,  et 
la  dame  dessus  ditte  y  rendoit  grant  payne  ad  ce  que  arrest 
en  parlement  en  fuist  rendu.  Les  seigneurs  de  parlement, 
considéré  toutes  choses,  ne  vouloient  mie  parler  si  avant 
que  pour  rendre  arrest,  se  ils  n*estoient  fors  de  toutes  les 
parties.  Et  messire  Pierre  de  Craon  ne  se  osoit  point  bon- 
nement •  apparoir  •  à  Paris  ,  car  il  se  sentoit  trop  grande- 
ment en  rindignation  du  roy  et  du  duc  d*Orléans  pour 
Tofiense  que  faitte  avoit  et  commandé  à  faire  sur  la  personne 
de  messire  Olivier  de  Clichon,  connestable  de  France.  Et 

•■■  D6ven  le.  —  *-♦  Jugement.  —  •^  Parlement.  — -  '  Longuement 
bien.  —  •-•  Comparoir. 


Digitized  by 


Google 


ET  DU  SIRE  DE  CHAOlf.  335 

convenoit,  avant  que  parlement  rendosist  sentence  ^  ânitiye* 
des  demandes  dont  la  dessus  ditte  dame  etroyne  le  poursieu- 
voit,  que  il  fuist  cler  en  France  et  luy  fuissent  pardonnes 
tous  ses  meffais  et  peuist  quittement  chevaulchier  et  aler 
partout ,  sicques  la  dame  qui  estoit  contraire  et  adversaire 
à  luy  »  meismement  mettoit  peine  et  rendoit  grandement 
dilligence  que  messire  Pierre  de  Craon  fuist  quitte  et  déli- 
vre partout  et  en  tout,  réservé  d'elle,  pour  le  grant  désir 
qu'elle  avoit  de  veoir  le  fons  de  ces  besoingnes. 

Tant  fut  procuré,  traittié  et  prié  envers  les  courrouchiés 
sus  messire  Pierre  de  Craon,  espécialement  le  roy,  monsei- 
gneur le  duc  d*0rléans  ,  monseigneur  le  trente  de  Pentëvre 
et  messire  Jehan  Harpedane  et  tous  autres  du  royaulme  de 
France,  qui  action  povoient  avoir  en  ces  matières,  que  tout 
luy  fut  quittié  et  pardonné  ,  et  fut  cler  en  ses  besoingnes 
par  tout  le  royaulme  de  France,  et  luy  monstroient  et  fai- 
soient  bonne  chière  tous  seigneurs  et  toutes  dames  (ne  sçay 
se  ce  fut  par  dissimulation  ou  autrement)  ,  tant  que  le  dit 
arrest  de  parlement  fut  rendu.  Et  estoit  à  Paris  tenant  son 
estât  aussi  grant  que  il  fist  oncques,  au  jour  ou  ens  es  jours 
que  les  seigneurs  d'Angleterre  qui  estoient  là  venus  pour 
le  mariage  de  France  et  d'Angleterre,  s'i  tenoient,  et  les 
avoit  aidiés  à  honnourer  et  recueillier  devers  le  roy  et  les 
ducs  qui  là  estoient ,  Berry  ,  Bourgoingne  et  Bourbon,  car 
ce  fut  ung  chevallier  qui  sçavoit  '  des  honneurs  grant 
foison  ^. 

Or  fut  le  jour  '  déterminé  '  et  nommé  que  les  seigneurs 
de  parlement  rendroient  leur  arrest ,  car  jà  estoit-il  tout 
escript  et  ordonné  et  clos  jusques  à  tant  que  les  choses  des- 
sus dittes  fuissent  en  Testât  où  elles  estoient.  Et  au  jour 

que  les  seigneurs  de  parlement  rendirent  leur  arrest»  ot 

*^ 

•-•  Définitive.  —  '**  Moult  des  honneurs.  —  ^  Ordonné. 


Digitized  by 


Google 


236  PROCÈS  W  SIRE  RE  CRAOII. 

grant  foison  des  nobles  du  royaulme  de  France  à  la  fin  qne 
la  chose  fuist  plus  autentiqne,  et  estoit  là  la  rojne  de  Jhëra- 
salem  et  de  Sezille,  duchesse  d'Angou  et  contesse  de  Prou- 
yence ,  çt  son  fils  Charles,  prmce  de  Tarente»  et  Jehan  de 
Blois  dit  de  Bretaigne ,  conte  de  Pentëvre  et  de  Lymoges  , 
et  le  ducd*Orlëans,  le  duc  de  Berrj,  le  duc  de  Bourgoingne, 
le  conte  de  Brayne  et  révesque  de  Laon  qui  trait  en  parle- 
ment avoientla  dessus  dite  dame  pour  la  conte  de  Roussy  ; 
et  d'autre  part  messire  Pierre  de  Graon  et  plusieurs  autres 
de  son  lignaige. 

Premièrement  arrest  par  sentence  de  parlement  moult- 
autentiquement  fut  rendu  pour  la  conté  de  Roussy,  et  fut 
l'iretage  adjugië  et  remis  es  mains  et  possession  du  conte 
de  Brayne  et  de  ses  hoirs  qui  descendoient  de  la  droitte 
branche  de  Roussy.  Réservé  ce,  il  fut  dit  que  la  royne  des- 
sus ditte  devoit  ravoir  en  deniers  comptans  tout  ce  que  son 
mary  le  roy  Louys  en  avoit  payé  à  la  contesse  de  Roussy 
dernièrement  morte.  De  ce  jugement  et  arrest  les  hiretiers 
de  la  ^  contesse  *  de  Roussy,  ausquels  l'iretage  appaftenoit, 
remerchièrent  les  seigneurs  de  parlement  qui  cel  arrest 
ayoient  rendu  '• 

Après  se  levèrent  cenlx  qui  estoient  ordonnés  à  parler 
pour  le  second  jugement ,  et  fut  dit  ainsi  par  sentence  de 
parlement  que  messire  Pierre  de  Craon  estoit  tenu  envers 
madame  la  royne  de  Naples,  de  Sézille  et  de  Jhérusalem, 
duchesse  d'Anjou  et  contesse  de  Prouvence,  en  la  somme 
de  cent  mille  frans  et  à  payer  de  deniers  appareilliés  ou  son 
corps  aler  en  prison  ,  tant  qu'elle  seroit  de  tous  poins  con- 
temptée  et  satisfaitte.  De  cestuy  arrest  remerchia  la  dessus 
ditte  dame  les  seigneurs  de  parlement,  et  tantost  et  incon- 
tinent, à  la  complainte  de  la  dame,  main  fut  mise  de  par  le 

y 
•••Conté. —»  Et  donné. 


Digitized  by 


Google 


nANÇAlLLBS  DE  RICHÀR»  Il  BT  b'iSABBLLB  DE  FRANCE.      237 

roy  de  France  à  messire  Pierre  de  Craon,  et  fut  saisy  et  mené 
sans  aacon  déport ,  ne  excusance  nulle,  ens  ou  chastel  du 
Louvre  ,  et  là  fut  enferme  et  bien  gardé  ,  et  sus  cel  estât 
tous  les  seigneurs  et  chevalliers  se  départirent  de  la  cham- 
bre de  parlement  et  de  là  retournèrent  chascun  en  leurs 
lieux  et  en  leurs  hostels. 

Ainsi  furent  ces  deux  arrests  rendus  comme  je  vous 
'  dëclaire  * ,  dont  la  royne  de  Naples,  de  Sézille  et  de  Jhé- 
rusalem,  duchesse  d'Anjou  et  contesse  de  Prouvence,  estoit  ^ 
et  fut  principalement  cause  ;  car  à  son  grant  pourchas  la 
chose  en  prinst  conclusion  anale. 


Environ  vingt-et-deux  jours  furent  le  conte  Mareschal 
et  le  conte  de  Rosteland  et  les  ambassadeurs  d'Angleterre 
devers  le  roy  de  France  et  la  royne  et  les  seigneurs  à  Paris, 
et  leur  fut  faitte  toute  la  meilleure  chiëre  et  compaignie 
comme  on  peult,  et  se  portèrent  si  bien  les  traittiés  et  les 
ordonnances  que  le  mariage  fut  accordé  ,  pour  quoy  ils 
estoient  là  venus,  du  roy  d'Angleterre  à  Ysabel  ainsnée  fille 
du  roy  Charles  de  France ,  et  la  fiança  et  espousa  par  la 
vertu  d'une  procuration  ou  nom  du  roy  d'Angleterre  le 
conte  Mareschal ,  et  fut  celle  dame  et  sera  d'ores-en-avant 
nommée  royne  d'Angleterre  ;  et  pour  lors  ,  sicomme  fus 
infourmé ,  il  la  faisoit  plaisant  veoir  ,  com  joeune  qu'elle 
fu|st,  car  moult  bien  sçavoit  et  sceut  faire  la  royne. 

Après  toutes  ces  choses  faittes  et  les  ordonnances  escriptes 
et  séellées,  les  ambassadeurs  d'Angleterre  prindrent  congié 
an  roy  de  France,  et  à  la  royne  et  à  sa  fille  la  royne  d'An- 
gleterre' et  aux  seigneurs  ,  et  se  départirent  de  Paris ,  et 
retournèrent  '  à  Calais  et  de  là  en  Angleterre,  où  ils  furent 
moult  grandement  ^  conjouis  ^  du  roy  et  du  duc  de  Laucastre 

•^«  Dis,  —  »  Arrière.  —  *-•  RecueiUiée. 


Digitized  by 


Google 


258  MAEIAGB 

et  des  seiguears  favonrables  au  roy  et  à  ses  plaisances  et 
intentions.  Mais  ,  qaiconqaes  fuist  de  ce  mariage  resjony 
en  Angleterre ,  le  duc  de  Glocestre,  oncle  du  roy,  n'en  ot 
point  de  feste ,  car  H  vey  bien  que  par  ce  mariage  et 
aliance,  paix  seroit  encoires  entre  les  roy  s  et  leurs  royaulmes 
de  France  et  d'Angleterre,  laquelle  chose  il  yerroit  trop 
envis  ;  se  la  paix  n'estoit  trop  grandement  à  l'onneur  du 
royaulme  d'Angleterre  et  des  Anglois  ,  et  remis  ens  ou 
point  et  estât  où  les  choses  estoient  quant  la  guerre  renou- 
Telia  ens  es  parties  de  Gascoingne.  Et  en  parloit  souyen- 
tesfois  à  son  frère  le  dac  d'Iorc,  quant  il  le.trouvoit  à  son 
loisir ,  et  le  attraioit  ce  qu'il  poToit  à  ses  oppinions,  pour 
tant  que  il  le  sentoit  mol  et  simple  et  paisible.  Au  duc  de 
Lancastre  son  ainsnë  frère  il  n'en  ousoit  parler  trop  large- 
ment pour  tant  que  il  le  sentoit  du  tout  de  Taliance  du  roy, 
et  bien  plaisoit  au  duc  de  Lancastre  le  mariage  et  l'aliance 
de  ce  mariage,  principalement  pour  l'amour  de  ses  deux 
filles  la  royne  d'Espaigne  et  la  royne  de  Portingal. 


En  ce  temps  se  remaria  le  duc  de  Lancastre  tiercement 
à  une  damoiselle,  fille  d'un  chevallier  de  Haynnau,  qui  jadis 
s'appelle  messire  Paon  de  ^Ruet  ',  et  fut  en  son  temps  des 
chevalliers  à  la  noble  et  bonne  royne  Phelippe  d'Angleterre, 
qui  tant  ayma  les  Haynnuiers,  car  elle  en  fut  de  nation.  Celle 
dame  à  laquelle  le  duc  de  Lancastre  se  remaria,  onl'appelloit 
Katherine  ,  et  fut  mise  en  sa  jeunesse  en  l'ostel  du  duc  et 
de  la  duchesse  Blanche  de  Lancasti^e.  Et  advint  que,  quant 
la  ditte  duchesse  Blanche  fut  trespassëe,  sicomme  il  est 
contenu  en  nostre  histoire  cy-dessus  bien  avant,  encoires 
madame  C!onstance  d'Espaigne ,  fille  au  roy  damp  Piètre 

"  Roet.  / 


Digitized  by 


Google 


DU  DUC  DB  LANCASTRB.  259 

d*Espaigne»  où  le  duc  de  Lancastre  se  remaria  secondement  et 
en  et  celle  fille  qui  fat  royne  d'Espaigne»  et  celle  seconde 
duchesse  Constance  fut  morte,  le  duc  de  Lancastre,  la 
dame  vivant,  avoit  tenu  celle  Katherine  de  Ruet,  qui  aussi 
avoit  este  mariée  à  ung  chevallier  d'Angleterre.  Le  cheval- 
lier vivant  et  mort ,  tousjours  le  duc  Jehan  de  Lancastre 
avoit  amë  et  tenu  celle  dame  Katherine  ,  de  laquelle  il  ot 
trois  enffans,  deux  fils  et  une  fille,  dont  on  nommoit  Taisnë 
Jehan  et  aultrement  messire  Biaufort  de  Lancastre ,  et 
moult  l'aymoit  le  duc,  et  l'autre  ot  nom  Thomas,  et  le  dit 
duc  son  père  le  tint  à  Tescole  à  ^  Acquessoufort  * ,  et  en 
fist  ung  grant  légiste  et  juriste,  et  fut  ce  Thomas  évesque 
de  Lincole  en  son  temps  (celle  évesquiet  est  la  plus  noble 
et  la  mieulx  revenant  en  grant  proufBt  d'argent  de  toute 
Angleterre).  Et  pour  l'amour  de  ces  trois  enffans  le  duc  de 
Lancastre  espousa  ^  la  ^  mère  madame  Katherine  de  Ruet, 
dont  on  fut  en  France  et  en  Angleterre  moult  esmerveillié, 
car  elle  estoit  de  basse  lignie  au  regard  des  deux  autres 
dames  la  duchesse  Blanche  et  la  duchesse  Constance,  que 
le  duc  Jehan  avoit  en  devant  eues  par  mariage. 

Quant  la  congnoissance  du  mariage  de  celle  madame 
Katherine  en  fut  venue  aux  haultes  dames  d'Angleterre, 
telles  que  à  la  duchesse  d'Iorch,>  à  la  duchesse  de  Glocestre, 
à  la  contesse  d'Erby,  à  la  contesse  d'Arondel  et  aux  autres 
dames  des^endans  du  sang  royal  d'Angleterre ,  si  furent 
moult  esmerveiUies  et  tindrent  ce  fait  à  grant  blasme,  et 
dirent  ainsi  que  le  duc  de  Lancastre  s^estoit  grandement 
fourfait  et  vitupéré  ,  quant  il  avoit  espousé  sa  concubine  , 
et  ^  convenroit  *,  puisque  jusques  à  là  estoit  venue,  que  elle 
fuist  seconde  es  honneurs  en  Angleterre:  «  Or  sera  la 
«  roysie  d'Angleterre  recueillie  vitupéreusement.  »  Puis 

•••  Asque-Suffort.  —  "•*  Leur.  —  •-•  Convenoit. 


Digitized  by 


Google 


MO  MARIA6B  OQ  DUC  M  LiHCAfiTKE. 

disoiônt  oultre  :  a  Nous  luy  lairons  toute  seule  faire  les  hou- 
a  neurs.  Nous  ne  yrous,  ne  vendrons  en  nuUe^lace  où  elle 
a  soit  ;car  ce  nous  tourneroit  à  trop  grant  blasme  que  une 
d  telle  duchesse  qui  vient  de  basse  lignie  et  qui  a  esté  conçu- 
a  bine  du  duc  ung  trop  long  temps  en  ses  mariages  S  se 
«  ores  qu'elle  est  mariée  ,  alloit,  ne  passoit  devant  nous, 
a  Les  coeurs  nous  devroient  crever  de  dueil  et  à  bonne 
«  cause.  »  Etceulx  et  celles  qui  plus  en  parloient,  c'estoit 
le  duc  de  Glocestre  et  la  duchesse  sa  femme,  et  tenoient  le 
duc  de  Lancastre  à  fol  et  oultre-cuidié  quant  il  avoit  prins 
par  mariage  sa  concubine,  et  disoient  que  jà  ne  luy  feroient 
honneur  de  mariage  «  ne  de  nommer  dame  ,  ne  sereur.  Le 
duc  dlorch  s'en  passoit  assés  briefment ,  car  il  estoit  le 
plus  résident  delés  le  roy  et  son  frère  *  de  Lancastre.  Le 
duc  de  Glocestre  estoit  de  une .  autre  '  matière  ^  et  ordon- 
nance ,  car  il  ne  tenoit  compte  de  nulluy,  quoyque  ce  fuist 
1$  mainsné  de  tons  les  frères,  mais  il  estoit  trop  orgueilleux 
et  présumptueux  de  manière,  et  en  ce  s'enclinoit  sa  nature, 
et  m^l  concordant  à  tous  les  consauls  du  roy,  se  ils  ne 
s'enclinoient  du  tout  à  sa  voulenté. 

Geste  dame  Katherine^  demeura,  tant  qu'elle  vesquy  , 
dui^hesse  de  Lancastre ,  et  fut  seconde  en  Angleterre  et 
ailleurs  après  la  royne  d'Angleterre,  et  fut  une  dame  qui 
sçavoit  moult  de  toutes  honneurs,  car  elle  y  avoit  dès  sa 
jeunesse  et  tout  son  temps  esté  ^  nourrie,  et  moult  ama  le 
duc  de  Lancastre  les  enffans  que  il  ot  de  la  dame,  et  bien 
leur  monstra  à  mort  et  à  vie. 


Voussçavés,  et  il  esticy  dessus  contenu  en  nostre  histoire, 
ccmiment  jugemmit  et  arrest  de  parlement  de  Paris  fîit 

*  Et  hors  sas  mariagas.  —  '  Le  duc.  -*•  *-*  Manière.  —  *  De  Ruet. 
—  *  Amenée  et. 


Digitized  by 


Google 


LE  9IEB  M  GftAOlf  PUSONHIBR  AU  LOUTBB.  341 

renda  sur  messire  Pierre  de  Craon»  lequel  fat  condempné 
à  cent  mille  frans  ^  à  devoir  à  *  la  royne  de  Naples  et  de 
Jhëmaalem ,  duehesse  d^Anjoa  et  contasse  de  Pronyence. 
Qaant  le  dit  messire  Pierre  de  Graon  yey  que  il  eut  ceUe 
condempnation  ,  si  fat  tout  esbahy ,  car  il  luy  convenoit 
tantost  payer  les  cent  mille  frans  ou  demeurer  tout  quoy 
ou  chastel  du  Louvre  à  Paris  en  prison.  Si  fut  conseillië,  et 
ce  conseil  luy  vint  de  costë  par  le  moyen  du  duc  de  Bour- 
goingne  et  de  la  duchesse,  que  il  fesist  faire  une  prière  par 
la  joeune  royne  d* Angleterre  à  la  royne  de  Naples  dessus 
ditta  que  il  fuist  ralaxë  de  prison  pour  quinze  jours  tant 
seulement ,  et  peuist  aler  et  venir  parmy  Paris  pour  pryer 
ses  amis  et  pour  payer  celle  finance,  ou  que  pour  luy  ils 
demeurassent  hostagiers  et  il  s'en  peuist  aler  en  Bretaigne 
et  tant  faire  que  de  rapporter  en  deniers  tous  appareilliës 
la  somme  de  flourins  en  quoy  il  estoit  jugië. 
.  A  la  prière  de  la  jeûne  royne  d'Angleterre  la  royne  de 
Naples  descendy  parmy  tant  que  tous  les  soirs  messire 
Pierre  de  Graon  devoit  aler  et  retourner  dormir  ens  ou 
chastel  du  Louvre.  Messire  Pierre  de  Graon  pria  moult  de 
ceulx  de  son  lignage  et  de  son  sang  ;  mais  il  ne  trouva 
nuls  qui  voulsist  demeurer  pour  luy ,  car  la  somme  estoit 
'  grande  ^  Au  chief  de  quinze  jours,  il  le  convint  demeurer 
tout  quoy  en  prison  et  atendre  l'aventare,  et  estoit  près 
garde  de  nuit  et  de  jour,  et  les  gardes  à  ses  *  coustages. 

Nous  parlerons  ung  petit  de  l'emprise  et  chevaucie  que 
le  conte  de  Nevers  et  les  princes  de  France  firent  en  cel 
este  en  Honguerie  ,  et  puis  retournerons  à  Talëe  de  Frise 
où  le  conte  de  Haynnau  et  le  conte  d'Ostrevan  ^  furent. 


•-■  EiiTeni.  —  •^  Trop  groste.  —  •  Dépens  et.  —  *  Et  lee  Hen- 
nnyers* 

XV.  —  FEOISSAKT.  16 


Digitized  by 


Google 


Si9  ut  ci(»8fa  N*APPEBiiiiBRT  mm 

Quant  Id  conte  de  Neyers  et  ses  routes  où  moult  aydt  de 
vaillans  hommes  de  France  et  d'antres  pays,  furent  yenns 
en  Hongnerie  en  la  cite  de  ^  Bude  \  le  roy  leur  fist  '  grant  ^ 
recueillotte  et  bonne  chière»  et  bien  le  deyoit  faire,  car  ils 
Testoient  de  loin  yenus  yeoir  et  querre  les  armes.  L'inten- 
tion du  roy  de  Hongnerie  estoit  telle  que,  ayant  que  il,  ne 
ses  gens ,  ne  ces  seigneurs  de  France  se  mesissent  sus  les 
champs,  il  auroit  certaines  nouyelles  de  l'Âmorath'-Bacquin, 
car  le  dit  Amorath  luy  ayoit  mande  dès  le  mois  de  février 
que  il  fuist  tout  conforté  et  que  il  seroit  à  puissance  en 
Hongnerie  ayant  l'issue  du  mois  de  may  et  le  venroit  com- 
batre  et  passeroit  la  Dunœ,  dont  l'en  avoit  trop  grant  mer- 
yeille  comment  ce  seroit ,  ne  faire  se  pourroit  ;  mais  les 
plusieurs  disoient  :  «  Il  n'est  riens  que  on  ne  face.  L'Amo- 
«  rath-Bacquin  est  ung  moult  yaiUant  homme  et  de  très- 
«  grant  emprinse  et  qui  désire  moult  les  armes  ad  ce  qu'il 
«  monstre  ;  et  puisque  il  l'a  dit ,  il  le  fera.  Et,  se  il  ne  le 
«  fait  et  ne  passe  la  Dunoe  au  lés  de  dechà,  nous,  le  deyrions 
«  passer  au  lés  de  delà  et  à  puissance  entrer  en  la  Turquie  ; 
«  car  le  roy  de  Hongnerie  parmy  les  estrangiers  aura  bien 
«  cent  mille  hommes  ,  et  ung  tel  nombre  de  yaillans 
«  hommes,  c'est  bien  pour  conquérir  toute  la  Turquie  et  pour 
«  aler  jusques  en  l'empire  de  Perse,  Car,  se  nous  poyons 
«  ayoir  une  journée  de  yictoire  sur  l'Amorath-Bacquin , 
0  nous  yenrons  au-dessus  de  nostre  emprinse  et  conquerrons 
«  tout  le  royaulme  de  Surie  et  la  Sainte-Terre  de  Jhéru- 
«  salem  et  le  déliyrerons  des  mains  du  souldan  et  desenne- 
«  mis  de'  Nostre-Seigneur  ^  ;  car,  à  l'esté  qui  retournera, 
«  le  roy  de  France  et  le  roy  d'Angleterre  qui  se  conjoindent 
«  ensemble  par  mariage  ,  metteront  sus  une  grant  fdson 
«  de  gens  d'armes  et  d'archiers,  et  trouveront  les  passages 

*-■  Boade.  —  •"*  Une  moult  grande  et  bonne.  —  •.•  Dieu. 


Digitized  by 


Google 


DB8  PlOjnS  DB  BAJAZBT.  245 

«  tous  envers  et  appareilliës  pour  eulx  recepvoir,  et  riens 
«  ne  demourra  devant  '  enix  ' ,  que  tout  ne  soit  conquis  et 
«  mis  en  nostre  obéissance,  quant  nous  serons  tous  ensem- 
•  ble.  »  Ainsi  se  devisoient  les  François  qui  estoient  ou 
rojaulme  de  Honguerie. 

Quant  le  mois  de  may  fut  venu,  on  espéroit  à  avoir  nou- 
velles de  l'Amorath-Baquin  ;  et  envoia  le  roi  de  Honguerie 
sur  les  passages  de  la  rivière  de  la  Dunœ  et  fist  ung  grant 
mandement  par  tout  son  roialme  et  mist  lagreigneur  partie 
de  sa  puissance  msemble ,  et  vindrent  les  seigneurs  de 
Rodes  moult  *  estoffëement  ^.  Tout  le  mois  de  may  on 
attendy  la  venue  des  Sarrazins,  mais  on  n*en  ot  nulles  nou- 
velles ,  et  fist  le  roy  de  Honguerie  chevauchier  aucuns 
Hongriens  qui  estoient  aooustumës  d'armes  et  cognoissoient 
le  pays  oultre  la  Dunoe  pour  savoir  se  ils  orroient  nulles 
nouvelles.  Quant  ceulx  qui  envoies  furent  en  celle  commis- 
sion, orent  ^  cherdë  *  biaucoup  de  pays  ,  ils  ne  trouvèrent 
iqui  parler,  ne  il  estoit  nulles  nouvelles  de  TAmorath- 
Bacquin ,  ne  de  ses  gens  encoires  par  dechi  le  bras  Saint- 
Jeorge,  n'en  la  marche  d'Alexandrie,  de  Damas  et  d'An- 
thioche.  Si  retournèrent  en  Honguerie  devers  le  roy  et  les 
seigneurs  et  rapportèrent  ces  nouvelles. 

Quant  le  roy  de  Honguerie  ouy  ses  gens  ainsi  parler,  si 
appella  son  conseil  et  les  seigneurs  de  France  qui  là  estoient 
et  qui  faire  armes  dësiroient ,  pour  sçavoir  comment  ils  se 
maintendroient  en  ceste  besoingne,  et  remonstra  le  dit  roy 
comment  aucuns  appers  hommes  d'armes  avoient  chevau- 
ehië  sur  la  Turquie  ;  mais  il  n'estoit  nul  apparant  que  l'Amo- 
rath*Baçquin^  venist  *  avant ,  sicomme  il  Tavoit  mande 
notablement  que  il  seroit  dedens  la  *  moienne  de  may  ^^  à 

*••  Nous.  —  »-*  Eflforctoant,  —  •^  Chevauchié.  —  '■•  Paatast  avant, 
ne  Tanist.  —  *^*  Mi-may. 


Digitized  by 


Google 


344  LB  COKTB  DB  NBTBBS 

puissance  oultre  la  ^  Dunoe  '  at  venroit  combatre  le  roy  de 
Honguerie  en  son  pays,  desquelles  choses  le  dit  roy  youloit 
bien  ayoir  et  demandoit  conseil»  et  par  espédal  '  aux  barons 
de  France.  Euls  conseilliës»  ils  respondirent  (le  seigneur 
de  Coucy  parla  pour  tous)  que  là  ou  cas  que  rAmorath- 
Bacquin  ne  ^  trairoit  >  avant  et  que  il  estoit  demeure  en 
bourde  et  en  mencboingne ,  on  ne  demourast  pas  pour 

*  tant^  à  Yoyagier  et  faire  armes ,  puisque  ils  estoient  là 
venus  pour  les  faire  et  que  tous  les  Franchois,  les  Alemans 
et  les  autres  estrangiers  en  avoient  grant  désir  ;  et,  se  ils 

*  se  monstroient  prests*  de  fait  et  de  voulentë  i  trouver 
les  Sarrazins  et  le  dit  Amorath-Bacquin,  ^*  leur  seroit-ce 
plus  grant  honneur  "  • 

La  parole  du  seigneur  de  Coucy  fut  acceptée  de  tous  les 
barons  de  France  qui  là  estoient,  et  aussi  ce  fut  Toppinion 
des  Alemans  et  des  Behaignois  et  de  tous  les  estrangiers, 
pour  employer  leur  saison. 


Adont  fut  ordonné  de  par  le  roy  de  Honguerie  et  les 
mareschaulx  que  chascun  se  ordonnast  et  appareillast  selon 
luy,  et  que  dedens  tel  jour  qui  fut  nommé  (ce  fut  aux  octaves 
de  la  SaintJehan-Baptiste)  on  se  départesist  et  se  mesist- 
on  au  chemin  pour  aler  sur  la  Turquie.  Ainsi  que  il  fut 
dit,  il  fut  fait.  Adont  veisȎs-vous  gens  et  hommes  d'offices 
ensonniés  et  appareilliés  pour  entendre  ad  ce  qu'il  "  besoin- 
gnoit  ^'  à  leur  maistres  et  deappointier  tellement  que  point 
de  ^^  deffaulte  ^^  n*y  euist.  Ces  seigneurs  de  France  qui  vou- 
loient  oultre  passai,  pour  estre  frischement  et  richement 

•-•Mer.  —  "  Il  s'adressa..  Il  demandoit  et  s'adressoit.  —  *-•  Traioit 
pas.  —  •-*  Ce.  —  •-•  Le  monstroient.  —  *•"  Tant  leur  seroît 
rhonneor  plus  grande.  —  **•*•  Convenoit.  —  •<"  Faulte. 


Digitized  by 


Google 


PA86B  LE  DIHUBE.  245 

ordonnes,  firent  entendre  à  leurs  hamas  et  à  leurs  armeàres, 
et  n'espargnoient  or ,  ne  argent  pour  mettre  en  ouvrage 
autour  d'euls. 

Moult  fut  Testât  grant  ^t  bel,  quant  ce  vint  au  départir 
de  Bude  la  cite  souveraine  de  Honguerie,  et  se  misrent  tous 
'sur  les  champs.  Le  connestable  de  Honguerie  ot  l'avant- 
garde  ,  et  ung  grant  nombre  d'AIlemans  en  sa  compaignie, 
pour  tant  que  il  congnoissoit  le  pays  et  les  passages.  Après 
luy  cheminoient  et  chevauchoient  les  Franchois,  le  connes- 
table de  France  ,  messire  Phelippe  d'Artois,  conte  d'Eu,  le 
conte  de  la  Marche ,  le  seigneur  de  Coucy,  messire  Henry 
et  messire  Phelippe  de  Bar  et  plusieurs  autres  barons  et 
chevalliers.  En  la  compaignie  du  roy  de  Honguerie  et 
délës  luy  le  plus  du  temps  chevauchoient  les  plus  grans  de 
son  pays,  c'estoit  raison  ,  et  aussi  d'encoste  luy  Jehan  de 
Bourgoingne ,  conte  de  Nevers,  et  se  devisoient  souvent 
ensemble.  Bien  se  troùvoient  sur  les  champs  soixante  mille 
hommes  tous  bien  montés.  Petit  en  y  avoit  de  piet,  se  ce 
n'estoient  ^  gens  sieuvaus  '.  La  compaignie  des  crestiens 
estoit  noble  et  bien  ordonnée.  Entre  ces  Hongres  avoit 
grant  foison  d'arbalestriers  aux  chevaulx. 

Tant  'cheminèrent^  ces  osts  que  ils  vindrent  sur  la 
rivière  de  la  Dunoe,  et  là  passèrent  tous  à  barges,  à  nefs 
et  à  pontons ,  qui  ad  ce  avoient  esté  ordonnés  ung  grant 
temps  devant  ^ ,  et  misrent  plus  de  huit  jours  avant  que  ils 
fuissent  tous  oultre,  et,  à  la  mesure  que  ils  passoient,  ils  se 
logoient,  et  tousattendoient  l'un  l'autre. 

Vous  devés  *  savoir  que  la  rivière  de  la  Dunoe  départ  les 
royaulmes  et  seigneuries  de  Honguerie  et  de  la  Turquie. 


•••  PourtiiiTMUi.  —  *-*  Ch8vanoliièi*ttxit.  —  •  Pour  le  ptwge.  — 
[^roirt  et. 


Digitized  by 


Google 


tu  SliGB 

Qaant  les  ersstiens  forent  tons  oultre  et  que  riens  n*7 
demoora  derrière  ,  et  ils  se  trouyërent  sur  la  frontière  de 
Tarqnie  ,  si  furent  tous  resjonys ,  car  ils  désiroient  trop 
grandement  à  faire  armes,  et  orent  conseil  et  adyis  qne  ils 
vendroient  mettre  le  siëge  devant  une  cite  de  Tarqme  qui 
s'appelle  la  '  Cornette  '.  Ainsi  qne  ils  Tordonnèrent,  ils  le 
firent,  et  Tassiëgièrent  envuronnéement ,  et  bien  se  povoit 
faire  ,  car  elle  siet  ou  plain  '  de  ^  pays,  et  court  une  riyiëre 
au  dehors  portant  navire,  laquelle  on  appelle  Mette ,  et 
vient  d*amont  de  la  Turquie  et  se  va  fërir  ass^  près  de  la 
mer  en  la  Dunoe. 

Ceste  eaue  de  la  Dunoe  est  malement  grosse  et  a  bien 
quatre  cens  lieues  de  cours  depuis  qu'elle  commence  son 
cours  avant  qu'elle  rentre  en  la  mer.  Et  seroit  la  Dunoe  la 
plus  prouffitable  rivière  du  monde  pour  le  royauhnede 
Honguerie  et  pour  les  pays  voisins ,  se  la  navie  que  elle 
porte ,  povoit  entrer  et  yssir  de  la  Dunoe  en  la  mer,  mais 
on  ne  poeult  ;  car,  droit  à  l'entrëe  et  à  Tembouchure  de  la 
mer ,  il  y  a  en  la  rivière  de  la  Dunoe  une  montaigne  qui 
font  Teaue  en  deux  moittiës  et  rent  si  grant  bruit  que  on 
l'oit  bien  bruire  de  *  sept  *  lieues  loing,  et  pour  celle  tem- 
peste  ne  l'ose  nulle  nafvire  approuchier. 

Sur  celle  rivière  de  la  Mette,  tout  contremont  et  contreval 
ainsi  comme  elle  court ,  a  moult  belles  praieries  dont  le 
pays  d'entour  est  servy  et  aisi4 ,  et  d'autre  part  grans 
vignobles  qui  font  par  saisons  bons  vins,  et  les  vendengent 
les  Tnrs,  et  les  mettent,  quant  ils  sont  vendengijs,  en  cuirs 
de  chièvres  et  les  vendent  aux  crestiens ,  car  selon  leur 
loy  ils  n'en  pèvent,  ne  osent  boire  là  où  on  le  sache,  et  leur 
est  deffendu  sur  la  vie  ;  mais  ils  menguent  bien  les  roisins- 
et  ont  moult  de  bons  firuis^  et  d*espices  dont  ils  font  espë- 

«■•  Mete.  —  M  Du.  —  •••  Deux.  —  *  De  loccres. 


Digitized  by 


Google 


DB  OOIIBTTB.  S47 

ciaHbL  '  beaTTiges  '.  Et  osent  à  boire  entre  euls  grant 
plentë  de  lait  de  chièyres,  pour  le  chanlt  temps,  qui  les 
raffreschist  et  reffroide  et  les  tient  vigerenx. 

Le  roy  de  Honguerie  et  tout  Tost  derant  celle  cite  se 
logièrent  et  toat  i  leur  aise,  car  nnl  ne  leur  *  vëa  ^  le  siëge, 
ne  nulle  nouTelle  n*estoit  en  Tost  de  cel  Âmorath-Bacquin  , 
ne  de  personne  de  par  luy.  Et  quant  ils  vindrent  devant  la 
cite  ,  ils  trouvèrent  plentë  de  fruits  meurs  qui  leur  firent 
grant  doulceur. 

A  celle  cite  de  la  Gommette  *  ot  fait  *  plusieurs  assauls  , 
et  bien  la  gardoient  et  defiendoient  ceulx  qui  dedans  estoient, 
et  espéroient  tous  les  jours  à  estre  confortes  et  que  TAmo- 
rath-Bacquin  leur  sire  deuist  venir  et  lever  le  siège  à 
puissance  de  gens ,  mais  non  flst  :  dont  la  cité  par  force 
de  siëge  fut  prinse  et  destruitte,  et  y  ot  trës-grant  occision 
d'hommes,  de  femmes  et  d'enfians,  et  n'en  avoient  les  ores* 
tiens  qui  dedens  entrèrent,  nulle  pitié  ^. 


Quant  la  Comettç  fut  prinse  ainsi  que  je  vous  dy,  le  roy 
de  Honguerie  et  ses  osts  se  deslogèrent  et  entrèrent  plus 
amont  en  la  Turquie  pour  venir  devant  une  cité  grande  et 
forte  durement  qui  s'appelle  Nicopoly  ;  mais,  avant  que  ils 
y  parvenissent ,  ils  trouvèrent  en  leur  chemin  la  ville  de 
'  La  Quarie  *  et  là  s'arrestèrent,  et  y  furent  quinze  jours 
avant  que  ils  la  peuissent  avoir.  Touteffois  finablement  ils 
la  conquisrent  par  assault,  et  fut  toute  pillye  et  destruitte. 
Et  puis  passèrent  oultre  et  trouvèrent  une  autre  ville  et  fort 
chastel  que  on  dist  Brehappe  en  la  Turquie,  et  la  gouver- 
noit  et  maintenoit  ung  chevallier  turcq  qui  en  tient  la 

*••  Breavagei.  —  ^  Leva..  Dastotuma.  —  *^  On  Art.  —  '  Ne  men^. 
—  •*  La  Qiuûre. 


Digitized  by 


Google 


seignourid  »  et  pour  lors  que  les  crestiens  y  vindrent  pour 
r^ssiegier,  il  estait  dedans  i  tout  '  nng  grant  nombre  '  de 
gens  de  deffense. 

Le  roy  de  Honguepe  à  tout  ses  hommes  se  loga  à  mie 
petite  lieue  près  pour  la  cause  de  ce  que  il  y  avoit  une 
rivière,  et  devant  Brebappe  il  n'en  y  avoit  pcMiit.  Et  plus 
près  s*approcbiërent  Jehan  de  Bourgoingne,  conte  de 
Nevers ,  le  conte  d'Eu  »  le  conte  de  la  Marche ,  le  sire  de 
C!oucy  ,  messire  Bouchicault ,  le  seigneur  de  Saint-Py  , 
messire  Regnault  de  Roye ,  messire  Henry  de  Bar  et  mes- 
sire Phelippe  de  Bar  son  frère  et  les  François  où  bien  avoit 
mille  chevalliers  et  escuiers,  et  desjà  estoitle  vaillant  conte 
de  Nevers  chevallier,  car  il  le  fut  et  le  fist  le  roy  de  Uon- 
guérie  si  tost  que  il  entra  en  la  Turquie  et  leva  là  sa 
baniëre.  Et  ce  jour  que  il  fut  fait  chevallier,  il  en  y  ot  de 
fais  plus  de  trois  cens. 

Tous  ceulx  que  je  vous  nomme,  vindrent  devant  Brebappe 
et  Tassiëgiërent  à  Tentour  et  le  conquisrent  de  fait  et  de 
force  sur  le  terme  de  quatre  jours  ;  mais  ils  n'eurent  point 
le  chastel ,  car  il  estoit  '  fort  a  merveilles  ^.  Le  sire  de 
Brebappe  saulva  *  ung  grant  nombre  *  de  ses  gens  par  la 
forche  du  chastel  où  ils  se*  retrairent,  et  estoit  ce*  Turc 
nomme  ,  ce  m'est  advis  ,  Corbadas,  et  fut  moult  vaillant 
homme.  Il  avoit  trois  frères  ;  Tun  avoit  Maladius  à  nom  , 
le  second  Balachius,  et  le  tiers  Ruffin. 

Depuis  la  prinse  de  Brebappe  furent  les  crestiens  devant 
le  chastel  sept  jours  et  y  livrèrent  aucuns  tfssanls,  mais  plus 
y  perdirent  que  ils  n'y  gaingnèrent  ;  car  les  quatre  frères, 
tous  chevalliers  turs,  qui  dedens  estoient,  monstroient  bien 
à  leur  deffense  que  ils  estoient  très-vaillans  hommes.  Quant 
les  seigneurs  de  Honguerie  et  de  France  eurent  bien  yma- 

«-•  Grant  foison.  —  »;*  Trop  fort.  —  •*•  Grant  foison. 


Digitized  by 


Google 


DE  MUnUPPE.  S49 

giné  0t  eompriiiE  la  force  da  ehasiel  et  l'ordonnance  de 
oenlx  de  dédens  et  comment  vaillamment  ils  se  deffendoient 
quant  on  les  assailloit,  si  veirent  bien  que  ils  perdoient 
lenr  paine.  Si  se  deslogiërent ,  car  ils  entendiroit  que  le 
roy  de  Hongaerie  vonloit  aler  mettre  le  siëge  devant  la  cite 
de  ^  Nyoolpoly  *.  Ainsi  se  deffist  le  siëge  de  Brehappe,  et 
demonrèrent  pour  celle  saison  le  chastel  et  cenlxqui  dedens 
estoient,  en  paix  ;  mais  sachiës  que  la  ville  fat  tonte  arse, 
et  se  retray  le  conte  de  Nevers  et  tons  les  seigneurs  de 
France  en  *  Tost^  du  roy  de  Honguerie  et  de  son  connes- 
table  et  de  ses  mareschanls  qui  s'ordonnoient  pour  aler 
devant  Nycolpoly. 


Quant  Gbrbadas  de  Brehappe  se  vey  dessiëgë  des  Fran- 
choia,  si  fut  tous  résjouys  et  dist  :  «  Nous  n'avons  mais 
t  plus  gardepour  celle  saison.  Se  ma  ville  est  arse  et  essillie» 
«  elle  se  recouvrera,  mais  d'une  chose  ay  grant  merveille 
«  qne  nous  n'oons  de  monseigneur  le  roy  Basaach  dit 
«  rAmorath*Bacqûin  nulles  nouvelles ,  car  il  me  dist  la 
«  derraine  fois  que  je  le  vey  et  parlay  à  Iny  en  la  cité  de 
«  Nicolpoly  en  Turquie»  que  il  seroit  cy  en  ceste  contrëe 
«  dedens  l'entrée  de  may ,  et  avoit  intention  (et  sur  ce  il 
«  estoit  tout  fonde  et  ordonne)  de  passer  à  puissance  le 
«  bras  Saint-Jeorge  et  de  venir  en  Honguerie  pour  com* 
«  batre  les  crestiens  ,  et  tout  ainsi  Tavoit-ii  mande  au  roy 
«  de  Honguerie  ;  mais  il  m'est  advis  que  riens  n'en  a  fait, 
«  et  sur  ce  se  sont  les  Hongres  forteffiës ,  et  ont  pour  le 
«  présent  moult  grant  secours  et  confort  de  France  et 
«  d'AUemaigne  ,  et  ont  par  vaillance  passé  la  rivière  de  la 

*-•  Niehopoljr.  —  •*  La  compaigaîe. 


Digitized  by 


Google 


280 


•iteB 


Dnnoe  ei  sont  dntrës  en  la  Torqnie,  et  destmisent  la  terre 
du  roy  Basaaeh  et  destmiront ,  car  nais  ne  ^  résiste  *  à 
rencontre  de  leurs  emprises.  Certes  ils  y  sont^  entres 
monlt  pnissans  ^  »  et  tieng  senrement  que  ils  yront  tout 
d'an  train  ^  mettre  le  siège  devant  Nyeolpoly.  La  cité  est 
forte  assës  pour  les  y  tenir  an  siège  nng  grant  temps, 
mais  qne  par  cenlx  dedens  elle  soit  nuit  et  jour  bien 
gardée  et  deffbndue.  Nous  sommes  nous  quatre  frëres 
cheyalliers  et  du  lignage  au  roy  Basach.  Se  devons  et 
sommes  tenus  d'entendre  â  ses  besoingnes.  Si  nous 
ordonnons  par  la  manière  que  je  vous  diray.  Moy  et 
Maladius  mon  frère  en  yrons  en  la  cité  de  Nicolpoly  pour 
le  aidier  à  garder  et  deiSendre ,  et  Balachius  demourra 
icy  pour  garder  et  soingnier  du  chastel  de  Brehi^pe»  et 
je  ordonne  Ruffin  mon  quart  frère  à  dievauchier  oultre 
et  passer  le  bras  Saint-Jeorge  et  tant  faire  et  exploittier 
que  il  trouve  VÂmorath-Bacquin  et  luy  recorde  vérita* 
blement  tout  ce  que  il  aura  veu  et  laissié  derrière,  et 
luy  die  par  telle  manière  que  il  Tentende  et  s*i  encline 
pour  son  honneur  et  pour  garder  et  deffendre  sonhéri* 
taige  et  viengne  si  fort  "que  pouç  résister  à  rencontre 
des  crestiens  et  rompre  et  brisier  leur  emprise  et  leur 
puissance.  Âultrement  il  perdent  le  royaulme  d*Bmiénie 
qu'il  a  conquis  et  tout  son  pays  aussi  ;  car,  ad  ce  que  on 
peult  sentir  et  ymaginer,  le  roy  de  Honguerie  et  les  cres- 
tiens sont  ^  escueilliés  ^  à  faire  ung  grant  fait.  • 
A  la  parole  et  promotion  de  leur  frère  *  obéirent  diUi- 
gamment  les  trois  frères  turs,  et  dirent  que  sa  parole  et  son 
advis  seroit  *  &it  ^*  et  creu.  Si  se  ordonnèrent  sur  celle 
conclusion ,  et  le  siège  fut  mis  à  grant  puissance  et  par 


'-•   Rèufltenu  —  *•*  Trop  forts  entrés.  —  *  Combattre  et.  ^ 
^«  EicueUlii.  —  •  Corbadas.  —  •-**  Tena. 


Digitized  by 


Google 


M  mcoMLi.  3M 

'  bolle  *  ordonnaiioe  devant  la  cite  de  Nyoolpoly,  et  estoieaxt 
les  creetieiui  bien  cent  mille  hommes  *. 

Ainsi  se  ^  ordonna  *  le  siëge  en  celle  saison  da  roy  de 
Hcmgaerie  et  des  crestiens  devant  la  cité  de  Nycolpoly  en 
Turquie ,  et  Gorbadas  de  Brehappe  et  Maladins  son  frire 
8*en  Tindrent  bouter  dedens  »  dont  tons  ceubc  de  la  cité 
ftarent  resjonys.  Balachins  draioora  en  Brehappe  pour  gar- 
der le  chastel,  et  Ruffin,  quant  il  sceut  que  Tèure  fut,  il  se 
mist  à  la  voye  et  eslonga  de  nuit  Tost  des  crestiens,  car 
bien  congnoissoit  le  pays,  et  prist  le  chemin  du  Bras-Saint- 
Jeorge  pour  là  passer  oultre  et  pour  oyr  et  avoir  nouvelles 
de  rAmorath-Bacquin. 


Bien  est  vérité  que  le  roy  Basaach  estoit  au  '  Kahaire  ' 
*  en  Babilonne  aveuc  le  souldan  *  pour  avoir  gens,  et  là  le 
trouva  le  Turc  dessus  nommé.  Quant  le  roy  Çasaach  le  vey, 
il  fut  tout  esmerveillié  et  pensa  tantost  que  il  auroit  dé 
grosses  nouvdles  de  la  Turquie.  Si  le  appella,  et  ilviht 
devant  luy ,  et  quant  il  fut  venu,  il  luy  demanda  comment 
on  se  portoit  en  la  Turquie .'  «  Mon  chier  seigneur,  res- 
«  pondy  RuiBn ,  on  vous  désire  moult  i  veoir  et  avoir  ; 
«  car  le  roy  de  Honguerie  i  grant  puissance  a  passé  la 
«  Dunoe  et  est  entré  eu  Turquie ,  et  y  ont  fait  ses  gens 
«  moult  de  desroys,  car  ils  y  ont  ars  et  ^^  essiUié  "  cinq  ou 
«  six  bonnes  villes  fermées  des  vostres.  Et  lorsque  je  m*en 
«  partis  c'est-i-dire  de  Brehappe ,  ils  tiroient  tous  i  aler 
«  devant  Nycolpoly.  Gorbadas  mon  frère  et  Maladins  se 
ff  sont  boutés  atout  gens  d'armes  pour  le  aydier  i  def- 
«  fendre  et  à  garder.  Et  sachiés  que  en  la  route  et  com- 

"  Bonne.  —  »  Ou  environ.  —  *••  Fiat.  —  **'  Quaire,  —  •••  ÀTOitc 
le  eouldan  de  Babilonne.  —  '.**"  AMwillL, 


Digitized  by 


Google 


2S3  BAIAUT  ArPRBND 

c  paignie  da  rojr  de  Honguerie  a  la  plus  belle  geniet  les 
c  mieulx  montés,  armés  et  arroyés,  qui  leur  sont  yenns  et 
«  yssos  hors  da  royaolme  de  France,  qne  on  poist  veoir. 
«  Si  TOUS  convient  entendre  à  ceste  besoingne,  et  tantost 
«  esmonvoir  yostre  ost  et  semondre  yos  amis  et  yos  gens, 
«  et  retourner  en  Turquie  et  rebouter  vos  ennemis  les 
«  crestiens  oultre  la  Dunoe  par  puissance  ;  car,  se  grant 
«  puissance  ne  le  fait,  yous  n*en  yendrës  jamais  à  chief.  » 
r-  «  Quel  nombre  de  gens  sont-ils  ?  »  demanda  l'Âmorath- 
Bacquin.  -^  «  Ils  sont  plus  de  cent  mille  S  respondy  le 
f  Turoh,  et  la  plus  belle  *  compaignie  de  gens  d'armes  '  du 
«  monde  et  les  mieulx  armés  et  tous  à  cheyal*  • 

A  ces  paroles  ne  respondy  pas  l'Amorath-Bacquin,  mais 
tout  incontinent  entra  en  la  chambre  du  souldan,  et  laissa 
le  Turc  qui  ces  nouvelles  ayoit  apportées ,  entre  ses  gens, 
et  là  recorda-il  tout  premièrement  l'affaire  et  ordonnance, 
ainsi  comme  il  estoit  infourmé  de  son  cheyallier,  au  sool- 
dan.  Âdont  dist  le  souldan  :  «  Il  y  convient  pourvoir.  Vous 
«  aurés  gens  assés  pour  résister  i  Rencontre  d'euls,  car 
a  il  nous  fault  deffendre  nostre  loy  et  nostre  héritage.  •  «r- 
«  C'est  *  vérité  ^ ,  respondy  l'Amorath-Bacquin.  Or  sont 
a  mes  désirs  venus ,  car  je  ne  désiroie  autre  chose  fors 
«  que  je  pousse  le  roy  de  Hon^erie  et  sa  puissance  tenir 
«  oultre  la  Dunoe  et  ou  royaulme  de  Turquie.  Âd  ce  pre- 
«  mier  je  les  lairay  ung  petit  convenir,  mais  en  la  fin  ils 
a  paieront  leur  escot,  et  de  tout  ce  ay-je  esté  adver<y,pliis 
«  a  de  quatre  mois ,  par  mon  grant  amy  le  seigneur  de 
«  Millan,  lequel  m'envoya*  ostoirs^,  gerfaulx  et  faulcons 
«  jusques  à  douze,  les  plus  beaulx  et  les  meilleurs  que  je 
tt  veisse  oncques  ;  et  avecquos  ce  beau  présent  il  me  ras- 
«  cripvy,  tout  par  nom  et  par  soumom,  les  chiefs  des  barons 

*  HoQimff.  —  ^  QenU  -^  **  Voir.  —  •"'  Oitouw. 


Digitized  by 


Google 


LA  MABCBB  M»  CtOISÉS.  S53 

de  France  qui  me  deyoient  yenir^Teoir  et  faire  ^  gaekre  : 
premièrement  Jehan  de  Bourgoingne,  fils  ainsnë  au  duc 
de  Boargoingne»  après  Phelippe  d*Ârtois,  conte  d*Ea  et 
connestable  de  France  «  Jehan  de  Bourbon,  conte  de  la 
Marche ,  Henry  et  Phelippe  de  Bar  ,  cousins  prochains 
au  roy  de  France  «  Enguerran  ,  seigneur  de  Coucy  et 
conte  de  Soissons ,  Bouchicault  Faisne ,  mareschal  de 
France ,  Guy  de  la  Trëmoille,  seigneur  de  Sully,  Jehan 
de  Vienne ,  admirai  de  mer  pour  le  roy  de  France-.  Et 
contiennent  ces  lettres  *  que,  se  je  ayoie  en  mon  dangier 
ceulx  que  je  nomme  ,  ils  me  yauldroient  ung  million  de 
flourins.  Ayecques  tout  ce  ils  y  doivent  estre  en  leur 
compaignie  du  royaulme  de  France  ou  des  tenures  de 
France  plus  de  cinq  cens  chevalliers  tous  vaillans  hommes. 
Et  me  escripyy  bien  le  sire  de  Milan  que,  se  nous  avions 
i  euls  la  bataille,  ainsi  que  nous  arons  (nous  n*y  povons 
faillir,  car  je  leur  yray  au  devant  à  puissance),  je  m'y 
conduise  par  bon  art  et 'advis  et  trè8<-bonne  ordonnance 
pour  euls  combatre ,  car  ce  sont  gens  de  si  grant  fait  et 
tant  vaillans  aux  armes  que  point  ne  fuiront  pour  estre 
dëtrenchies  membre  après  autre  ou  pour  y  laissier  la 
vye  ;  et  sont  yssus,  ce  m'a  escript  le  seigneur  de  Milan» 
hors  de  leur  nation  par  vaillance  et  pour  excerser  les 
armes.  Et  de  tout  ce  Cure  je  leur  sçay  bon  grë,  et  leur 
accompliray  leur  dësirier  dedans  trois  mois,  si  avant  que 
par  raison  ils  en  devront  avoir  assës.  » 


A  considérer  les  paroles  dessus  dittes  comment  l'Amo- 
rafh-Bacquin  parloit  et  devisoit  de  messire  ôalëas,  conte 

*  La.  -  •  Ainii.  —  *  Que  j'aye. 


Digitized  by 


Google 


SS4  TTRAHIIIB 

de  Vertus  et  seigneur  de  Milan»  on  se  pnet  et  doit  esmer- 
Yeillier,  car  on  le  tient  ponr  crestien  et  homme  baptisië  et 
régénéré  à  nostre  foy ,  et  si  avoit  qnis  et  quéroit  de  avoir 
amonr  et  alîance  à  nng  roy  sarrazin  et  hors  de  nostre  loy 
et  de  nostre  foy  et  créance  ,  et  luy  envoyoit  tons  les  ans 
dons  et  présens  de  oyseanlx  et  de  chiens  on  de  fins  draps 
on  de  fines  toilles  ^  de  Rains  *,  qni  sont  choses  monlt  plai- 
santes aux  Turs,  payons  et  Sarrasins,  car  ils  n*en  ont  nuls, 
ne  nulles ,  se  ils  ne  Tiennent  de  nos  parties  ;  et  TAmorath- 
Bacquin  luy  renyoioit  autres  dons  et  riches  présens  de 
draps  d*or  et  de  pierres  précieuses,  dont  ils  ont  grant  hu^ 
gesse  entre  euls ,  et  nous  les  ayons  à  dangier,  se  ce  n'est 
par  le  moien  des  marchans  yénissiens,  jenneyois  et  ytaliens 
qui  les  yont  quérir  entre  euls.  Mais  pour  '  ce  jour  ^  ce  duc 
de  Milan  et  conte  de  Vertus  et  messire  Galléas  son  pire  ' 
régnèrent  comme  tirans  et  obtindrent  leurs  seigneuries.  Et 
inerveilles  est  à  considérer  et  i  penser  de  leurs  fais  et 
comment  ils  entrèrent  premièrement  en  la  seigneurie  de 
Milan. 

Us  furent  trois  frères  * ,  messire  '  Sansse  *,  messire  Gal- 
léas et  messire  Bamabo.  Ces  trois  frères  orent  ung  oncle 
lequel  fut archeyesque  de  Milan,  et  yint  atant  i  Milan 
Charles  de  Luxembourg,  roy  de  Boesme  et  d' Allraiaigne  et 
*  empereur  de  Romme ,  qui  régna  '^  i^rès  '^  Loys  de  Bay- 
yîère,  lequel  ^'  obtint  en  son  temps  l'Bmpire  par  force,  car 
il  ne  fut  oncques  accepté  empereur  de  FÉglise,  mais  fut 
excommunié  du  pape  Innocent  qui  pour  ce  temps  régnoit, 
car  ce  Loys  de  Bayyière  «Ua  à  Romme  et  se  fist  couronner 

*-*  Et  des  plus  «xoeUenti  qQ*on  povoit  trouver  comme  do  Raini ,  de 
Cambraj  et  de  Hollande  ou  aultret.  —  '-^  Cee  Jours.  —  *  Qui  en  lenn 
Joiin.  —  *  De  la  maieon  des  Viscontes  de  MUan.  —  '-*  Matthée.. 
MauiWs.  —  •  Put  ftdt.  —  *••"  Au  Ueu  de.  —  *•  U  roy.  —  •»  Loys. 


Digitized  by 


Google 


DBS  8DGHB0II8  M  KILÀN.  9B5 

i  empereur  par  ang  pape  et  douce  cardinattlx  que  il  fiât, 
et  si  tort  qae  il  fat  couronné  par  ees  Allemans»  pour  eolx 
pajer  leurs  ^  souldëes ,  car  il  leur  deyoit  grans  sommes  de 
deniers ,  il  les  flst  courir  parmy  Romme  et  tout  pillier  et 
rober.  Ce  fut  le  beau  guerredon,  que  les  Rommains  orent 
de  sa  recueillote,  pour  quoy  ilmoru  excommunié  et  en  celle 
sentence ,  et  le  pape  et  les  cardinaulx  que  fait  ayoit,  sans 
constrainte  vindrent  depuis  en  Avignon,  et  se  misrent  en 
la  merchy  du  pape  Innocent  qui  régna  devant  Urbain  V*, 
et  se  firent  absouldre  de  leur  erreur.  Au  revenir  au  propos 
dont  je  parloie  maintenant  pour  les  seigneurs  de  Milan  et 
comment  ils  entrèrent  premièrement  en  la  seigneurie  de 
Milan»  je  lé  vous  diray. 

Gelluy  archevesque  de  Milan  leur  oncle  rechupt  le  roy 
Charles  de  Boesme  en  la  cité  de  Milan  moult  antentique- 
ment,  quant  il  ot  fait  son  fait  devant  Aix-la-Chappelle,  où 
il  airt  quarante  jours  comme  'raison'  est.  Bt  pour  la  grande 
et  belle  ^  recueiUotte  que  celluy  archevesque  flst  à  Tempe- 
renr  Charles  et  pour  cent  mil  ducas  que  il  luy  presta,  il 
le  institua  à  Millau  visconte ,  et  ses  nepveus  après  luy,  et 
à  tem'r  la  terre  et  seigneurie  de  Milan  jnsques  à  sa  vou- 
lente  et  que  tout  i  une  fois  il  luy  aroit  rendus  les  cent 
mille  ducas. 

Cel  archevesque  morut.  Messire  ^  Sansse  *  son  nepveu, 
par  l'accord  de  Tempereur  et  pour  l'amour  de  Tarchevesque 
son  oncle ,  fut  receu  en  la  seigneurie  de  Millan  à  visconte. 
Ses  deux  frères ,  qui  pour  lors  n'estoient  pas  moult  riches, 
Galléas  et  Barnabe,  orent  conseil  entre  eulx  que  ils  régne- 
roient  et  tendroient  les  terres  de  JiOmbardie  et  se  conjoin- 
droient  par  mariage  à  si  grans  seigneurs  que  on  ne  les 
oseroit,  ne  pourroit  courrouchier  ;  et  firent  morir  messire 

*  Oaiges  et.  —  "  Uiage.  —  *  Chidre  et.  —  •■•  Bfaaff^. 


Digitized  by 


Google 


S86  ttbaunib 

Sansse  leur  frère  par  Teuin  ou  autrement.  Quant  il  fat 
mort,  ils  régnèrent  de  puissance  et  de  sens,  et  farent  tout 
leur  vivant  trop  bien  d'accord,  et  départirent  les  cites  de 
Lombardie.  Messire  Oalléas  en  ot  dix ,  pour  tant  que  il 
estoit  l'ainsnë,  et  messire  Barnabe  noeuf,  et  Millau  estoit 
gouvernée  ung  an  par  Fun  et  l'autre  par  Tautre.  Et 
^  demeurèrent  en  leur  seigneurie  :  aussi  ils  amassèrent 
grant  foison  finances.  '  Ils  mirent  sus  impositions,  subsides 
et  gabelles  et  moult  de  '  mauvaises  ^  coustumespour  mieulx 
^  extordre  argent  et  or  à  plenté*  et  pour  régner  à  grant 
puissance.  Et  faisoient  garder  leurs  cités  de  jour  et  de  nuit 
de  sôuldoiers  estrangiers  ,  AUemans,  Franchois,  Bretons, 
Ânglois  et  gens  de  toutes  nations  (réservé  Lombars,  car 
en  sentence  de  Lombard  ils  u'avoient  nulle  fiance),  à  la 
fin  que  nulle  rébellion  ne  s'eslevast,  ne  meust  contre  eals, 
et  estoient  ces  sôuldoiers  payés  de  mois  en  mois.  Et  par 
ces  moiens  se  firent  tant  doubter  et  ^  cremir  *  de  leur  * 
poeuple  que  nuls  ne  les  osoit  courroucUer  ;  car,  en  tontes 
leurs  seigneuries,  qui  se  vonlsist  lever,  ne  aler  à  rencontre 
d'euls,  ils  en  presissentsi  cruelle  vengance  que  pour  celluj 
ou  ceulx  de  tous  peins  destruire  et  tous  ceulx  de  son 
lignaige ,  et  plusieurs  en  destmisirent  en  leurs  terres  pour 
exemplier  les  autres  ;  ne,  en  toutes  les  cités,  chastiaulx  et 
villes  de  messire  Galléas  et  de  messire  Barnabe,  nulsn'avoit 
riens  au  sien,  se  ils  ne  ^^  vouloient.  Et  tailloient  ung  riche 
homme  trois  ou  quatre  fois  ^^  en  Tan ,  et  disoient  que  Lom- 
bars sont  trop  orgueilleux  et  présumptueux  en  leurs 
richesses  et  ne  vallent  riens  se  ils  ne  sont  tenus  en  sub- 
gection  ,  et  bien  les  y  tindrent,  car  nuls  ne  les  osa  courrou- 

^  Pour  damonrer  en  leur  seignourie  et  avoir  grant  quantité  de 
finances.  —  ^*  Maies.  —  ^  Extorquer  grant  foison  d*or  et  d'argent. 
—  '••  Craindre.  —  ••  Du.  —  *•  U.  —  "  Dn  sien. 


Digitized  by 


Google 


DBS  SBlGNBimS  DB  MILAN.  257 

elder ,  ne  contredire  à  chose  nnlle  que  ils  vonUissent  faire^ 
dire  et  commander.  Bt  se  marièrent  les  deux  frdres  Oalléas 
et  Barnabe  grandement  et  haultement,  mais  ils  adiat* 
tarent  leurs  femmes  de  Tavôir  de  lents  poenples.  Messire 
Galléas  et  à  femme  Blanche  la  seréur  an  bon  conte  de 
Savoie;  mais,  ainohois  qa*il  Tesponsast,  il  en  paya  au  conte 
cent  mille  ducas.  Messire  Barnabe  se  maria  en  AUemaigne 
à  la  sereiff  dn  duc  de  Bresvich  et  n'en  payàpai^oins  ^ 
Ces  deux  frères  orent  beaucoup  de  beaulx  enffans  et  les 
marièrent  grandement  et  richement  pour  avoir  *  plus  ' 
fortes  aliances. 

Messire  Gallëas  ot  nng  fils  que  on  appella  *  Qallëas.  Si 
entendy  que  le  roy  Jehan  de  France ,  quant  il  fut  yssu 
hors  deFrance  et  remis  â  trente  cens  mille  frans  de  rédemp- 
nation  ,  que  le  premier  payement  on  ne  té  sçavoit  bonne- 
ment où  prendre  :  si  fist  traitâer  devers  lé  roy  de  France 
ses  oncles  et  son  conseil  comment  il  pourroit  avoir  une  de 
ses  filles  pour  Gallëas  son  fils  aisnë.  On  entepdy  à  ces 
traittiës  pour  tant  que  on  le  senty  fort  fonde  et  pourvèu  de 
moult  grant  finance.  Il  achatta  la  fille  du  roy' Jehan  six 
cens  mille  frans ,  lesquels  furent  tournes  et  convertis  en 
bon  payement  devers  le  roy  d'Angleterre  à  tant  mains  de 
la  finance  du  roy  Jehan  de  Pranee ,  ^t  parmy  tant  son  fils 
Gallëas  espousa  la  fille  du  roy  Jehan  de  France  ,  et  luy  fut 
doniiëe  en  mariage  la  conte  de  Vertus  eu  Champaigne.  De 
ce  fts  GaDëasetde  ceste  fille  de  France  yssireUt  fils  et  fille. 
La  fille  par  force  d'argent  ot  esponsë  le  fils  second  du  roy 
Charles  de  France  ',  lequel  on  appelloit  Loys,  et  fut  duc  d'Or- 
lëans,  conte  de  Blois  et  de  Vallois  ;  mais  le  mariage  cousta 
an  conte  de  Vertus ,  pore  de  celle  dame  ,  ^quinze  ^  cens 

r 

*  Qae  flou  frère  flst  de  la  sienne.  —  *-'  Plusieurs.  —  *  Jehan.  — 
•  Cinquiteme.  ^-  •-*  Dix. 

XV.  —  FROISSAKT.  i7 


Digitized  by 


Google 


3S8  TYRArauiî 

mile  firam ,  et  en  fat  achetée  la  oontë  de  Blote  et  aooqK 
tëe  par  le  oo&te  Guy  de  Bioid ,  sioomme  il  est  ioy-desttts 
a>otantt  dn  noatre.  histoire. 

Meseire  Gall^  rt  measire  Bataabo  m  leor  nva&t 
furent  tou^oor»  trëi^bieii  d'accord ,  ne  onques  ne  se  ^  des-* 
cordèrent  \  ne  levrs  gens  ensemble»  et  ponr  ce  régnèrent^ 
ils  en  grant  pnissance  et  richesses  ,  et  ne  pent  oncqnee 
tfnls  avoU*  raison  d'enlx ,  ne  pape  %  ne  cardinanlx ,  ne 
meismes  Tempereur  qui  leur  flst  guerre  ,  fors  le  marqnis 
de  Montferrat  qui  tient  des  fortes  places  marehissans  à  la 
conté  de  Pieuroont ,  à  la  conté  de  Jennes  et  a  la  duchië  de 
Hi\m  ,  mais^  ce  tut  par  le  moyen  de. messire  Jdiân  Hac- 
condoi  chevallier  anglois»  et  des  routes  ^  cboipaigilies 
^ae  te  marquis  ^t  luy  yindrent  quérir  en  ProuTen^»  et  les 
inena  le  chevallier  en  Lomhardie  et  en  fist  sa  guerire^ 

Après  la  mort,  de-messire  Galléas  régna  le  conte  de  Ye^ 
tus  son  41s  appelle  '  Galléas  en  monlt  grant  paissance ,  et 
se  flst  fin  commencement  de  son  règne  grandement  amer 
en  Lombardie,  et  monstra  tonte  ordonnance  de  simple 
homme  et  de  pread*hoipme,  car  jl  esta  tontes  ^  man- 
yaises  ^  ^ustnmes  eslevées  en  ses  seignooricfs .,  leeqnaUes 
son  père  avoit  miaes  sus  ^  et  fut  m<Hilt  amë  et  renommé  de 
bonne  grâce  tellement  qne  tons  et  tontes  en  disoient  bien. 
Et  t  qnant  il  vey  son  point ,  il  bonstra  le  venin  qae>moalt 
longuemrat  il  avoit  porté  en  garde  en  son  &xw  ;  car  il  fist 
nng  jour  sur  les  champs  &ire  une  embûche  convertaeieirt 
par  laquelle  embnche  fut  pritt8<  et  saisi  messire  Bamabo  aon 
4>ncle ,  qui  riens  ^  ne  ^  pensoit.  et  qui  de  son  nepvea  trop 
bien  «stre  euidoit  /et  luy  fut  dit  ea  prendant*  :  «  Il  y  a 
H  assés  d'un  seigneur  en  Lombardie.  »  Il  n^n  jioolt  antre 
chose  avoir  ,  car  la  force  n'estoit  pas  sienne.  Si  fut  des- 

'*  Discordèrent.  —  •  Jehan.  -  *-•  Maies.  —  ••*  N'y. 


Digitized  by 


Google 


tourna  et  mené  en  ung  cteêtel ,  et  iâ  le  ftit  morir  '  par 
poison  K 

*Dé^  BMBsire  Barnabe  mvoit  des  beanix  eaffans,  dent  la 
royne  de  France  estiHt  flile  de  Tone  de  ses  filles ,  laqnelle 
ot  esponsë  le  duc  Estienne  de  Bavière ,  et  les  enffans , 
fils  et  ûlléB^  que  il  pot  avoir  et  happer  ,  il  les  flst  empri- 
sonner, et  saisi  tontes  les  seignoories  que  messire  Barnabe 
son  oncle  tenoit  ;  et  les  *  attribua  avec  les  siennes ,  et 
régna  eu  tràs^grant  puissance  d*or  et  d'argent ,  car  il 
remist  sns  les  matières  dont  on  le  ibrge  et  assamUe  en 
Lombardie  et  antre  part  là  où  on  use  de  tels  coustnmes  : 
ce  sont  impositions ,  gabelks ,  dismes ,  qnatriesmes  et 
tontes  extorsions  sur  lepoeuple.  Et  se  fist  cremir  trop  pins 
que  amer  ;  et  tint  Toppinion  et  erreur  de  son  père ,  car  ils  ' 
disoient  et  maintenoient  que  jiils*  n'aonrroient  ^ ,  ne 
crrfroient  en  Dieu  ,  ne  en  ses  commandemens  »  tant  qne  ils 
peuissent  ;  ei  esta  à  grant  fiiison  de  abbayes  et  de  prières 
plentd  de  lenrs  revenues  et  les  attrtbna  à  Iny,  et  dist  que 
les  molsnes  estoieut  trop  dëUciensement  nourris  de  bons 
vins  et  de  dëlicienses  viandes  »  pour  lesquels  délices  et 
saperfluités  de  boire  et  mengier  ils  ne  se  povoient  relever 
à  mjr^nuyt  pour  ùàn  leur  office,  et  que  saint  Benoit  n'avoit 
point  tenu  ainsi  ordre  de  religion  ,  ne  commandé  à  tenir , 
et  de  fait  les  remist  aox  œufs  et  an  petit  vin  pour  estre 
pfasB  légiers  et  pour  avoir  plus  dère  voix  et  chanter  plus 
haalt*  Et  se  firent  le  père  et  le  fils  et  messire  Barnabe, 
tant  qne  ils  vesquirent,  ainssi  comme  papes  en  4enrs  sei- 
gnonries,  et  commirent  moult  de  oruaultëset  de  despits  sur 
les  personnes  '  de  TÉglise ,  ne  ils  *  ne  acomptoient  **  riens 
i  nnlle  sentence  de  ps^.  Et  par  espécial  depuis  les  jours 

••■  Js  ne  içay  comment  —  •**  Ce.  —  •  Ajouta  et.  —  •-'ITâdorè- 
roient.—  *  Et  gens.— *^  Ne  doabtoient  riens,  ne..  Ne  eeooutèient  de« 


Digitized  by 


Google 


980 

da  ciSiBô  que  se  nommàre&t  dMx  papes  qui  excommn- 
nioient  ran  Tantre ,  iceaix  seigneurs  de  Millau  ne  8*6ii 
faisoient  que  gaber  et  mocqtiier ,  et  A  leur  peurpos  et 
exemple  aussi  faisoient  plusiemps  autres  seigneurs  par  le 
monde. 

La  fille  de  ce  messire  ^  GalUas  qui  s'escripyoit  duc  de 
Millau  »  laquelle  estoit  duchesse  d'Orléans  ,  tenoit^  moult 
du  pore  et  riens  de  sa  m&re  qui  fille  avoit  esté  du  roy 
Jehan  de  France  ;  car  elle  estoit  moult  envieuse  et  convoi- 
teuse  sur  les  délices  et  estas  de  ce  monde ,  et  voulentiers 
euist  yen  que  son  mary  le  duc  d'Orléans  fuist  parvenu  â  la 
couronne  de  France ,  n'euist  cure  comment ,  ei  couroit  sur 
elle  famé  et  *  escandôle  ^  général  que  toutes  les  enfermetés 

*  que  le  roy  de  France  ot  eues,  et  avoLt  encoires  moult 
souvent ,  dont  nul  médechio  ne  le  sçavdt ,  ne  povoit  con- 
seillier ,  venoient  de  elle  et  par  ses  ars  et  par  ses  sors.  Et 
ce  qui  descouvry  trop  grandement  ses  œuvres  ,  je  le  vous 
diray  ,  et  qui  mist  tous  ceulx  et  toutes  celles  qui  parler  en 
ouoirat ,  en  grant  ^  souspechon  ^. 

Ceste  dame  dont  je  parle*  nommée  Valentine,  duchesse 
d'Orléans ,  avoit  pour  I<»rs  ung  fils  de  son  mary ,  bel 
eoffant  et  de  l'eage  du  daulôn  de  Vienne,  fils  an  roy  de 
Firanoe.  Une  fois  ces  deux  enfians  estoient  éa  la  chambre 
de  la  duehesse  d*OrléaAS  et  s'esbatoient  ainsi  que  enffans 
font  ensemble.  Une  pomme  toutenvenimée  fut  jette  tout  en 
rondelant  sur  le  pavement  ^  et  devers  le  daulfln  de  Vienne 
le  plus  ;  car  on  cuida  que  il  la  déuist  prendre ,  mais  non 
fist  par  la  grflce  de  Dieu  qui  l'en  garda.  L'enffant  à  la  du- 
chesse d'Orléans  qui  à  nul  mal  n!y  pensoit ,  couru  iqprèe  la 
pomme  et  la  happa ,  et  si  tost  qu'il  la  tint ,  il  la  mist  à  sa 

*  Jehan.  -^  *^'  Baclandre.  —  ^  Bt  maladie.  •—  ** Snapicion.  — 

*  De  la  dite  chambre. 


Digitized  by 


Google 


DES  SK10IIB0R9  DB  MOAlf  •  9Bf 

bouche ,  et  liursqae  il  ot  mors  dadens ,  il  fat  tout  enyonimé 
et  moru  là«  ne  oncques  on  ne  Ten  polt  garder.  €ëalx  qui  la 
charge  ayoient  et  la  garde  de  Charles  le  daulfin,  le  prin- 
drent  et  le  remenôrent ,  sique  oncques  puis  ne  rentra  en  la 
chambre  de  la  duchesse. 

De  celle  adventure  yssirent  grans  murmurations  à  Paris 
et  ailleurs  aussi»  et  en  fut  de  tout  le  poeuple  celle  duchesse 
escandalisée  et  tant  que  le  duc  d*Orléans  s*en  perchut  ;  car 
commune  renommée  couroit  parmy  Paris  que ,  se  on  ne 
l'ostoit  de  delés  le  roy ,  on  la  yroit  quërir  '  jusques  au- 
près du  roy  *  et  seroit  morte  ;  car  on  disoit  qu'elle  Touloit 
empoisonner  le  roy  et  ses  enffans  ,  et  jà  rayoit-elle  bien 
ensorceré  «  car  le  roy  en  ses  maladies  ne  youloit  point  la 
royne  yeoir ,  ne  congnoistre ,  ne  nulle  femme  du  monde, 
fors  celle  duchesse.  Dont  pour  celle  doubte  et  pour  en  ester 
Tesçandèle ,  '  il-meismes  ^,  sans  constrainte  de  nulluy,  le 
mist  hors  de  Tostel  de  Saint-Pol  en  Paris  et  Tenyoya  en 
ung  sien  chastel  qui  siet  sur  la  costière  de  Paris  ou  chemin 
de  Biauyoisis ,  que  on  dist  Anières ,  et  fut  là  grant 
temps  9  ne  point  ne  yssoit  hors  des  portes  du  chastel ,  et 
de  là  elle  fut  transmuée  et  conyoiée  jusques  au  Noeuf- 
Ghastel-sur-Loirre  et  là  mise.  Et  Tayoit  le  duc  d'Orléans 
son  mary  acqueilUe  en  moult  grant  hayne  pour  la  cause  de 
Tayenture  qui  ^  adyenue  estoit  de  son  fils  «  mais  ce  que  il 
en  ayoit  encoires  des  trës-beaulx  enffans,  luy  brisoit  moult 
ses  maltalens. 

Ces  nouvelles  s'espardirent  jusques  à  Milan  ,  et  en  fut 
infourmémessireOalléas  comment  sa  fille ^s'estoit  démenée' 
en  grant  dangier.  Si  en  fut  trop  durement  courrouchié  sur 
le  roy  de  France  et  son  conseil,  et  enyoya  souffissans 
messages  tel  que  messire  Jaques  de  le  Verme  et  autres 

•^  Do  iait.— «^  Le  duc  d'Orléans.—'  Par  elle.— ^•*  Batoit  demoor4e« 


Digitized  by 


Google 


âBS  TTRAMRIE  BBS  SB16!IEURS  M  MlLAll. 

dinrers  le  roy  et  son  conseil  en  excusant  sa  fille  et  remon- 
strant ,  se  il  estoit  nul  corps  de  chevallier  qui  la  voulsist 
amettre  de  trahison  ,  il  le  feroit  combatre  jusques  à  oui- 
trance.  Pour  lors  que  ces  ambassadeurs  vindrent  à  Paris , 
le  roy  de  France  estoit  en  bon  point  ;  mais  il  ne  tint  compte 
des  paroles  ,  des  exeusations  ,  ne  des  messagiers  du  duc  de 
Milan ,  et  furent  respondus  moult  briefment.  Quant  ils 
voiront  ce ,  ils  retournèrent  en  Lombardie  et  record^rent 
au  seigneur  de  Milan  tout  ce  que  ils  ayoient  veu  et 
trouve. 

Or  fut  le  seigneur  de  Milan  plus  courrouchié  assés  que 
devant ,  et  tint  ce  â  grant  blasme  ^  et  envoia  deffler  le  roy 
de  France  et  tout  le  royaulme  entièrement.  Et  quant  ces 
deffiances  furent  apportées  A  Paris  devers  le  roy,  les  barons 
et  chevalliers  de  France  cy-dessus  nommes  estoient  jà  ou  en 
Honguerie  on  en  Turquie.  Et  par  despit  *  ou  engaigne  '  que 
le  duc  de  Milan  avoit  sur  le  roy  de  France  et  sur  aucuns 
membres  du  conseil  de  France  et  pour  porter  oultre  son 
oppinion  et  la  défiance ,  il  tenoit  i  amour  et  à  aliance 
grandement  le  dit  Âmorath-Bacquin  ^  ;  car  par  ce  duc  de 
Milan  estoient  sceus  et  révélés  devers  celiuy  Âmorath- 
Bacquin  plusieurs  secrets  de  France.  Nous  nous  souffrerons 
'^■(UlTer  de  luy  pour  le  présent,  et  nous  retournerons  i  la 
matière  dessus  ditte  et  parlerons  de  TAmorath-Bacquin'. 


Ne  demeura  gaires  de  temps  après  que  TÂmorath-Bacquin 
se  départy  du  Kayre  et  du  souldan,  lequel  luy  *  ot  en  con- 
venant '  que  il  luy  envoieroit  grant  secours  et  grant  ayde , 

*  Et  iiijttra.  —  *"'  Bt  haine.  —  ^  Et  il  luy.  -*  *  Nomm^  roy  Basasch 
et  des  chreitiens  et  des  barons  qui  estoient  en  la  Turquie.  —  ^''  Pro- 
mist 


Digitized  by 


Google 


r 


AUEHSMTS  DE  BAIAZBT.  265 

et  tûQt  ^  i  rëlection  *,  des  meilleurs  hommes  d*afmesde  son 
pays  et  de  tootes  ses  seigneuries,  pour  résister  contre  la 
puissance  du  roy  de  Honguerie  et  des  barons*  de  France, 
qui  à  ce  commencement  estoient  entrés  en  Turquie  ,  et  se 
retray  devers  Alexandrie  et  Damas  ,  et  tout  ainsi  que  il 
chevâuchoit  â  grant  puissance ,  il  enVoioit  partout  ses 
messagiers  ens  es  royaulmes  et  pays  dont  il  pensoit  avoir 
gens  et  confort.  Aussi  faisoit  le  soujdan.  Et  mandoient  et 
prioient ,  au  plus  affectueusement  que  ils  povoient ,  que  i 
ce  grant  besoing  nuls  ne  voulsist  demeurer  derrière.  Car 
la  doubte  et  les  périls  estoient'  grans  à  considérer  Taf* 
faire  ;  car ,  se  les  François  conquéroient  là  Turquie  ,  tons 
les  royaulmes  voisins  trambleroient  devant  euls.  Ainsi 
Beroit  leur  ^  loy  ^  destmite,  et  seroient  en  la  subjectiou  des 
crestiens,  et  trop  mieubcet  plus  chier  leur  vauldroit  à  morir 
que  ils  le  fuissent. 

Sus  le  ^  commandement  ^  et  pryère  du  souldan ,  du 
caliphe  de  Bandas  et  de  TAmorath-Bacquin  s'enclinërent 
plusieurs  roys  sarrazins,  et  '  descendirent  *  ces  pryères  et 
mandemens  jusques  en  Perse ,  en  Mëde  et  en  Tarse ,  et 
d*autre  part  sur  le  septentrion  ou  royaulme  de  Lecto  et 
tout  oultre  jusques  sur  les  bonnes  de  Prusse.  Et  pour  tant 
que  ils  estoient  infourmés  que  leurs  ennemis  les  CMStiens 
estoient  fleur  de  chevallerie ,  les  roys  sarrazins  et  les  sei* 
gneurs  de  leur  loy  eslisoient  entre  euls  les  plus  habilles , 
les  mienix  traveillans  et  combatans  et  les  plus  coustu- 
miers  et  usés  d'armes  ,  sicques  ce  mandement  ne  se  peult 
pas  si  tost  faire  ,  ne  les  Sarrazins  appareillier ,  ne  yssir 
hors  de  leurs  terres  et  pays,  ne  les  pourvéances  faire  ;  car 
c*estoit  rintention  de  TAmorath-Bacquin  qne  il  vendroit  si 

*••  D'éUte.  —  »  Trop.  —  *"•  Foy.  —  •"  Mandement.  —  •••  yeaten- 
doient. 


Digitized  by 


Google 


964  CBEyKvcniB 

fort  que  pour  bien  résister  contre  la  puissance  des  cres- 
tiens.  Bt  se  mist  sur  les  champs  le  dit  Amorath,  tonsjours 
attendant  son  poeuple  qui  yenoit  par  compaignies  de  moult 
longues  et  diverses  '  nations  * ,  et  par  espécial  de  Tar- 
tarie ,  de  Mède  et  de  Perse  luy  vindrent  moult  de  vaillans 
hommes  sarrazins  ;  car  tous  s'efforchoient  pour  venir  veoir 
les  crestiens  et  congnoistre  leur  estât  «  car  '  désir  entre 
euls  avoient  de  combatre  pour  espronver  leur  force  à  ren- 
contre d*euls. 

Nous  nous  sonffrircms  ung  petit  A  pader  de  TAmorath* 
Bacquin  qui  se  tenoit  en  la  partie  de  Alexandrie ,  et  parle- 
rons des  crestiens  qui  estoient  au  siège  devant  la  ville  et 
cité  de  Nicolpoly  ^. 


Les  crestiens  avoient  assiégié  environnéement  la  cité  et 
forte  ville  de  Nieolpoly ,  en  laquelle  avoit  dedens  en  garni- 
son moult  de  vaillans  hommes  turs  qui  ^  en  soingnoient  ^ 
vaillamment.  Les  crestims  qui  devant  estoient,  estoient 
esbahis  pour  ce  qu'ils  ''  n*avoient  '  nulles  nouvelles  de 
FAmorath-Bacquin.  Bien  leur  avoit  escript  l'empereur  de 
Constantinoble  que  il  estoit  ens  as  parties  de  Alexandrie 
et  point  n'avoit  encoires  passé  le  bras  Saint  Jeorge.  Si 
tenoient  les  crestiens  leur  siège  devant  Nycolpoly  tout  i 
dégois,  car  ils  avoient  vivres  à  foison  et  à  bon  marchié,  qui 
leur  venoient  de  Honguerie  et  des  marches  prochaines. 

Le  siège  là  estant  ainsi  que  je  vous  compte ,  il  prist 
plaisance  au  seigneur  de  Coucy  et  à  aucuns  crestiens  fran- 
ehois  qui  là  estoient,  de  chevauchier  à  Taventure  et  de  aler 
veoir  la  Turquie  plus  avant ,  car  trop  se  tqnoient  sur  une 

•-■  ICarches.  —  "  Grant.  —  ♦  En  Tniquie.  —  *^  S«  defCmdoient. 
—  '••  IToyolent 


Digitized  by 


Google 


BU  SIRE  DE  GOIJGY.  S65 

place ,  et  le  roy  de  Hongnerie  et  les  autres  tendroient  le 
ai^ge.  Si  se  départirent  environ  cinq  cens  lances  et  aatre- 
tant  d'arbalestriers,  tous  montés  à  cheyal.  Et  fut  le  seigneur 
de  Couçy  chief  de  ceste  cheyauchie ,  messire  Regnault  de 
Roye  et  le  sire  de  SaintrPy  en  sa  compaignie  «  le  chas- 
tellain  de  ^  Biauvais  * ,  le  seigneur  de  Montcavrel  '  et 
plusieurs  autres  chevalliers.  Et  prindrent  guides  pour  euls 
conduire ,  qui  congnoissoient  le  pays  ,  et  avoient  aucuns 
dievaulcheurs  hongres  et  autres,  montés  sur  fleurs  de  che- 
vanlx  9  pour  partout  descouvrir  le  pays  assavoir  se  riens 
ils  trouveroient. 

En  celle  propre  sepmaine  que  l'armée  des  crestiens  se 
ordonna  et  mist  sus  «  se  mist  pareillement  sur  les  champs 
une  armée  de  vingt  mille  Turq  bien  en  point,  car  ils  avoient 
entendu  que  les  crestiens  chevaulchoient  et  couroient  leur 
pays  et  y  fourfaisoient.  Si  se  advisèrent  que  bien  brief  ila 
y  pourverroient.  Ainsi  que  je  vous  ^  racompte  ',  se  misrent 
ensemble  bien  vingt  mille  Turs,  et  vindrent  sus  ung  des- 
troit  et  ung  pas ,  par  où  il  convenoit  entrer  les  crestiens 
en  la  *  playne  de  ^  Turquie,  et  n*y  povoient  entrer  les  cres- 
tiens bonnement  le  chemin  que  ils  tenoient  par  autre  pas 
que  par  là,  et  se  tindrent  là  tous  quoys  pour  garder  ce  des- 
tiroit  et  ce  passage  ,  et  y  furent  deux  jours  que  nulles  nou- 
velles ils  n'ouoient  de  nul  homme ,  et  s'en  vouloient 
retourner  au  tiers  jour,  quant  les  chevalliers  crestiens  vin- 
drent à  broqant  jusques  à  là.  Quant  les  Turs  les  veirent 
venir  et  approchier ,  ils  se  tindrent  tous  quois  pour 
regardée  ent  le  convenant  des  crestiens ,  ne  nul  signe ,  ne 
apparant  ils  ne  firent  de  traire ,  ne  de  lanchier.  Les 
'  chevalliers  crestiens  *  approuchèrent  les  Turs  de  moult 

•-•  Beauvoir.  —  ■  Le  Borgne  de  MontqueL  —  ^  Dis.  —  •-'  Plsjne. 
*-*  CbeTaneheon. 


Digitized  by 


Google 


386  CBBVAUCHtB 

prës,  et  veirent  bien  que  il  en  y  avoii  trës-grant  foison. 
Ancoires  ne  les  poToient-ils  pas  tons  adtîser.  Et  quant 
ils  eurent  fait  ang^  petit  de  contenance,  ils  s'en  retournèrent 
arrière  et  vindrent  nonchier  au  seigneur  de  Coucy  et  aux 
autres  seigneurs  tout  ce  que  ils  avoient  veu  et  trouvé. 

De  ces  nouvelles  furent  les  crestienstous  resjouis,  et  dist 
le  seigneur  de  Coucy  :  «  Il  nous  &ult  aler  veoir  de  plus 
«  prôs  quels  gens  ce  sont.  Puisque  nous  sommes  venus  si 
«  avant ,  nous  ne  nous  départirons  point  sans  eulx  com- 
«  batre  ;  car ,  se  le  contraire  faisions  »  nous  y  recepvrions 
«  blasme.  •  —  «  Cest  vérité,  »  respondirent  les  cheval* 
tiers  qui  ouy  parler  Tavoient.  Adont  restraindirent-ils  leurs 
armures  et  leurs  chevaulx  rechainglèrent ,  et  chevau- 
chèrent tout  le  pas. 

Entre  le  lieu  où  les  Turs  estoient  arrestés  et  les  cres- 
tiens  qui  chevauchoient ,  avoit  ung  bois  qui  n'estoit  pas 
trop  grant.  Quant  ils  furent  venus  à  rencontre  de  ce  bois , 
ils  s'arrestèrent ,  car  le  seigneur  de  Coucy  dist  ainsi  a 
messire  Regnault  de  Roye  et  au  seigneur  de  Saint-Py  : 
«  Je  conseille  pour  ^  tirer  *  ces  Turs  hors  de  leur  pas , 
«  que  vous  prendés  des  nostres  tant  seulement  cent  lances, 
a  et  nous  metterons  le  demeurant  en  ce  bois  ;  et  vous  che- 
«  vaucherés  avant  et  les  ferés  saillir  hors  de  ce  pas  où  ils 
«  se  sont  boutés  ,  et  par  euls  vous  ferés  chacier  '  et  tant 
«  que  ils  nous  aront  passé  ,  et  lors  vous  retoumerés  tout  â 
tt  un  fais  sur  euls  ,  et  nous  les  enclorrons^par  derrière,  et 
«  ainsi  les  aurons  à  voulenté.  » 

A  cel  advis  et  propos  s^enclinèrent  les  deux  chevalliers, 
et  s*en  départirent  environ  cent  lances  tout  des  mieulx 
montés,  et  tout  le  demeurant  où  il  povoit  avoir  entour  huit 
cens  combatans  tous  hommes  d'honneur,  se  boutèrent  à  la 

•••  Traire.  —  »  D'eulx. 


Digitized  by 


Google 


Dû  SIRE  DK  COUGT.  M7 

couverte  dedans  le  bois  et  là  se  tindrent.  fit  les  autres 
chevauchërent  les  ^  bons  *  gallos  tout  devant  et  vindrent 
jnsqnes  an  pas  on  les  Turs  estoient.  Quant  les  Turs  voiront 
venir  les  crestiens  ,  ils  furent  tous  resjonys  et  cuidiërent 
que  il  n*en  y  euist  plus.  Si  yssirent  tous  hora  de  Tembusoe 
et  vindrent  sur  les  champs.  Quant  les  crestiens  les  voiront 
approuchier ,  si  retoornërent  tous  à  ung  fais  et  se  firent 
chasser.  Ils  estoient  bien  montés  tous  à  Tavantage  sur 
fleurs  de  chevaulx.  Si  ne  les  povoient  en  leur  chace  les 
Turs  rattaindre ,  et  tant  alèrent  que  ils  passèrent  le  bois 
tout  oultre  et  rembusce  du  sire  de  Goucy,  sans  euls  per- 
chevoir  en  rien.  Lors  saillirent  les  crestiens  hors,  quant  ils 
les  veirent  oultre  leur  embusce  «  en  escriant  :  ce  Nostre- 
«  Dame  au  seigneur  de  Goucy  !  »  Et  vindrent  frapper 
ens  es  Turs  par  derrière ,  et  en  abatirént  à  ce  commence- 
ment grant  foison. 

Les  Turs  se  tindrent  tous  quois,  quaiït  ils  se  veirent  en- 
clos devant  et  derrière ,  et  se  mirent  à  deffense  ce  qu'ils 
peurent  ;  mais  ils  ne  tindrent  point  d'ordonnance ,  ne  de 
conroy ,  car  de  ceste  arrière- garde  ils  ne  sçavôient  riens  ; 
et  quant  ils  sont  *  soudainement  prins  et  sans  guet  comme 
ils  furent  là ,  ils  sont  tous  esbahis  de  euls-meismes.  Là 
furent  les  François  vaillans  gens  d'armes  ,  et  les  occirent 
à  voulentê  et  misrent  en  chace  et  en  fuite,  et  les  abatoient 
par  mons  ;  car  en  fuiant  ils  chëoient  l'un  sur  l'autre  ainsi 
que  besies.  Là  en  y  ot  grant  foison  de  mors  et  destruis  , 
ne  les  crestiens  n'en  prindrent  nuls  à  merchy.  Eureus 
estoient  ceulx  qui  eschapper  povoient  et  sauver  et  retour- 
ner sus  le  soir  ens  ou  lieu  duquel  ils  s'estoient  partis  le 
matin.  Après  celle  desconfiture ,  les  crestiens  retournèrent 
sur  le  soir  en  l'ost  devant  Nicolpoly. 

•••  Grans.  —  •  Ainsy. 


Digitized  by 


Google 


9(iB  CHBTAUCHiB  DU  81U  DB  CODCT. 

Si  s'espardirent  les  nouyelles  par  tout  Fost  comment  le 
sire  de  Goucy  »  par  son  sens  et  par  sa  vaillance,  avoit  mes 
^  jus  *  et  desconfis  plus  de  vingt  mille  Tors.  Les  plusienrs 
en  reoordoient  et  disoient  grant  bien  de  luy.  Mais  le  conte 
d*Eu  ne  le  tint  pas  en  bien ,  ne  en  vaillance ,  et  disdt  que 
ceste  emprise  avoit  este  faitte  par  beubant,  et  qne  il  avoit  mis 
les  crestiens  et  par  espëcial  sa  route  en  grant  aventure  et 
përil,  quant  à  tout  une  poingnie  de  gens  il  s*estoit  combatu 
et  habandonnë  follement  en  la  route  de  vingt  mille  Turs. 
«  Et  de  rechief ,  i  considérer  raison ,  puisque  faire  armée 
«  il  vûuloit  et  que  les  Turs  estoient  sur  les  champs ,  il 
«  le  deuist  avoir  signifié,  avant  que  assaillis  leseuist,  à  leur 
(t  chief  et  souverain,  messire  Jehan  de  Boui^oingne,  conte 
«  de  Nevers,  qui  désire  à  faire  armes,  par  quoy  il  eu  euist 
a  eu  Tonneur  et  la  renommée.  • 

Ainsi  par  envie ,  ce  doit-on  supposer  ,  parloit  le  conte 
d*Eu  sur  le  seigneur  de  Coucy ,  et  en  tout  ce  voyage  il  ne 
le  peut  oncques  avoir  en  amour  parfaittement  pour  tant 
que  il  veoit  que  le  sire  de  Goucy  avoit  tout  l'amour  ,  le 
retour  et  la  compaignie  des  chevalliers  de  France  et  des 
estrangiers  ;  et  il ,  ce  luy  estoit  advis,  le  deuist  avoir ,  car 
il  estoit  moult  prochain  de  sang  et  de  lignage  au  roy  de 
France ,  et  portoit  les  fleurs  de  lis  à  moult  petit  dé  bri- 
sure ,  et  aveuc  tout  ce  il  estoit  connestable  de  France. 
Ainsi  se  '  couvoit  ^  une  hayne  couverte  du  conte  d*Eu 
messire  Phelippe  d'Artois  devers  le  gentil  chevallier  le  sire 
de  Goucy  ,  laquelle  hayne  ne  se  pot  depuis  celler  qu'elle  ne 
se  monstrast  clèrement  «  dont  grans  meschiefs  advindrent 
en  celle  saison  sur  les  crestiens  ,  sicomme  je  vous  recor- 
deray  avant  en  l'histoire. 

*  •  Par  tsire.  —  '••  Noarrinoit. 


Digitized  by 


Google 


SBNTIWRTS  BBIiLlQinWX  BU  DOC  t^K  GL0GB8TRB.  98B 

Noos  nous  soaffinrous  i  parler   de   ceste  matière  et 
retonmeroiis  ^  i  *  Tanire  '. 


Vous  8çaYé6,  sicomme  il  est  contenu  icy-dessus  en 
nostre  histoire,  qne  le  mariage  de  la  fille  du  roy  de  France 
et  dn  roy  d'Angleterre  poar  celle  saison  se  approchoit 
4  durement  ^ ,  et  y  avoient  les  deux  roys  ^  grant  affection, 
et  aussi  ayoient  tontes  les  parties  et  lignage ,  rësenrë  le 
duc  Thomas  de  Glocestre.  Celluy  n'en  avoit  point  de  joye  , 
car  il  veoit  bien  que  par  ce  mariage  grans  considërations 
et  aliaaces  ^  s^engendreroient  '  entre  les  deux  roys,  par  quoy 
paix  se  feroit  ens  ôs  roiaulmes,  ce  que  il  verroit  trop  enyis, 
car  il  ne  dësiroit  que  la  guerre  et  y  esmouvoit  tous  ceulx 
où  il  pensoit  que  s'i  *  enclinoient  ^*. 

Pour  ce  temps  il  avoit  ung  chevallier  dalës  luy,  qui  s'ap* 
pelloit  messire  Jehan  Laquingay,  V  très-couyert  homme  ", 
lequel  sayoit  tous  les  secrets  du  duc  ,  et  en  luy  esmouvant 
à  la  guerre  il  ne  se  faindoit  pas ,  mais  en  parloit  au  dit 
duc  souyent  en  meryeilleuses  manières. 


En  ce  temps  vint  le  duc  de  Guéries  en  Angleterre  yeoir 
le  roy  et  ses  oncles  ,  et  luy  offry  i  faire  tous  les  services 
licites  au  roy  ,  car  il  y  estoit  tenu  de  foy  et  d'hommage.  Et 
veist  très-Youlentiers  ce  duc  de  Guéries  que  le  roy  d'Angle- 
terre l'ensonniast  en  guerre  ,  car  trop  envis  se  yeoit  en 
paix.  Ce  duc  de  Guéries  et  le  duc  de  Lancastre  orent  grans 
parlemens  ensemble  du  volage  que  le  conte  de  Haynnau  et 
le  conte  d'Ostrevan  sou  fils  youloient  faire  en  Frise. 

*"*  Sor.— ^>  Notre  première  matière  dea  rois  de  FniBôe  et  d* Angle- 
terre. —  *-■  Fort.  —  •  Très.  —  »-•  Se  garderoient  —  •*•  EncUne- 
roient.  —  **'**  Couvert  homme  dorement. 


Digitized  by 


Google 


Pour  eas  joion^  Fier-à«Bra8  de  VertaingesteiteD  Angle- 
terre envoyé  de  par  le  conte  d^Ostrovan  à  quérir  gefis 
d'armes  et  archiers  pour  aler  en  ce  voiage  ;  et  en  estoit 
pryë  le  conte  d'Erby  pour  aler  avenc  ses  cousins  de  Hayn- 
nan  «  et  le  gentil  conte  en  avoit  tris-bonne  affectioii,  et  au 
dit  Fi«r4*Bra8  ^  en  *  avoit  respondu  moult  à  pdntt  en 
disant  que  ou  voiage  de  Frise  il  yroit  de  bon  cœur ,  mais 
que  il  pleust  au  roy  et  à  son  père. 

Dont  il  advint  que  quant  le  duc  de  Ouerles  vint  ou  fut 
venu  en  Angleterre  »  le  duc  de  LiMicastre  iuy  en  parU,  et 
demanda  principalement  de  ce  voiage  de  Frise  quelle  chose 
il  Iuy  en  sembloit.  Il  respondi  à  ce  et  dist  que  le  voiage 
estoit  périlleus  et  que  Frise  n'estoit  pas  terre  ^  de^  cou- 
quest  ^  et  que  plusieurs  contes  de  Hollande  et  de  Haynnau 
du  temps  passé  avoient  contendu  et  clamé  droit  ^en  l'éri* 
taige ,  et  pour  ^  soubsmettre  les  Frisons  et  faire  vmiir  à 
l'obéissance  s'i  estoient  esprouvés  et  aies  en  Frise ,  mais 
tous  y  estoimt  demeurés  »  et  la  cause  pour  quoy  c'estoit 
ung  périlleux  voyage  il  esclarcissoit  sa  parole  en  disant 
ainsi  :  «  Frisons  sont  gens  sans  honneur  et  sans  congnois* 
«  sance  ,  ne  en  euls  il  n'a  nulle  pitié,  ne  merchy,  ne  ils  ne 
«  prisent ,  ne  ayment  nul  seigneur  du  monde  «  tant  soit 
«  grant,  et  ont  trop  fort  pays ,  car  il  est  tout  environné  de 
«  la  mer  et  fourme  d'iales ,  de  croslis  et  de  marescages , 
«  ne  on  ne  s'i  scet  comment  avoir ,  ne  gouverner  fors 
«  ceulx  qui  sont  de  la  nation.  J'en  ay  esté  pryé  et  requis 
«  grandement  »  mais  je  n'y  entreray  point ,  ne  je  ne  con« 
«  seille  jà  que  mon  cousin  d'Erby ,  vostre  fils ,  y  voist  ; 
«  car  ce  n'est  point  ung  voyage  pour  Iuy.  Je  croy  assés  que 
a  mon  biau  ^  cousin  '  d'Ostrevan  yra ,  car  il  en  a  tràs- 

*-•  Oe,  ^  •-•  Aig^e  4»  conquasto.  ~  "  Conquesto.  —  •  Vouloir.  — 
'-•Frère. 


Digitized  by 


Google 


EN  AKGLBTBBitti  f7i 

M  0r«nt  yMlmtë  et  y  menra  des  Hayonaiers  en  sa  eom- 
«  paignie ,  mais  adyentnre  est  se  jamais  il  en  retourne 
«  piet.  • 

Geste  parole  que  le  duc  de  Guéries  dist,  reffroida  telle- 
ment et  advisa  le  duc  de  Lancastre  que  il  dist  très-bien  en 
soy-meismes  que  son  fils  ^  estoit  revenu  du  voiage  de 
Frise  ,  et  luy  signifia  *  quoyement  '  toute  son  ^  intention  ^; 
car  pour  lors  il  n'estoit  pas  delës  luy  et  luy  manda  que  il 
se  dissimulast  de  ce  voiage  de  Frise ,  car  le  roy  et  luy  ne 
Touloient  point  que  il  y  alast.  Ainsi-  osta  le  duc  de  Guéries 
en  celle  saison  an  conte  de  Haynnau  et  au  conte  d*Os- 
trevan  son  fils  Tayde  et  compaignie  du  conte  d'Erby ,  dont 
if  sembla  à  plusieurs  que  il  ne  fut  pas  bien  conseillië  ,  ne 
advisé,  ne  point  n'amoit  Tonneur,  ne  de  Tun,  ne  de  l'autre  ; 
et  de  telle  condition  fut-il  toute  sa  vie  orgueilleux  ,  prë- 
sumptueux  et  envieux. 

Pour  ce  ne  demeura  pas  que  Fier*à-Bras  de  Vertaing 
qui  envoie  estoit  en  Angleterre  pour  avoir  des  compaignons 
pour  le  voiage  de  Frise,  ne  fesist  grandement  sa  ditligeuce, 
et  ot  chevalliers  et  escuiers  et  bien  deux  cens  archiers  ; 
mais  le  conte  d'Erby,  par  la  manière  que  je  vous  ay  dit , 
s*escusa ,  laquelle  excusance  il  convint  *  oyr  ^  et  prendre 
en  grë  ;  mais  on  vey  bien  que  voulentiers  il  y  fuist  aie ,  se 
le  roy  n*y  euist  mis  defiense  à  la  prière  et  moyen  4u  duc 
de  Lancastre. 

Si  ordonna  le  roy  pour  Tavancement  de  ses  cousins  de 
Haynnau  sur  la  rivière  de  la  Thamise  à  avoir  vaisseaulx  â^es 
coustages  pour  mener  les  Anglois  qui  en  ce  voiage  yroient, 
jusques  à  '  Encuse  *,  une  ville  tiui  est  au  conte  de  Hayn- 
nau, et  siet  tout  au  ^^  debout  "  du  pays  de  Hollande,  et  siet 

♦  N'y  entreroit  Jà  «t  qu'a.  —  »•»  Secrètement.  —  ^  Entente.  — 
•-^  Avoir.  —  •^  Remue.  —  ^*  Bout. 


Digitized  by 


Google 


272  L«  COHTB  DE  SAINT-POL 

celle  Yille  de  Encose  sas  la  iner  à  douze  lieues  d^yaue  pràs 
da  royaume  de  Frise. 


En  ce  temps  fat  envoyé  en  Angleterre  dé  par  le  roy  de 
France  le  conte  Walleran  de  Saint-Pol  sur  aucuns  articles 
et  matières  en  devant  mises  en  traittiés  et  proposées  sur 
fourme  de  paix,  et  estoit  le  dit  conte  de  Saint-Pol  infourmë 
de  par  le  roy  de  France  et  son  conseil  pour  secrètement  et 
vivement  remonstrer  au  roy  d'Angleterre.  Et  aveuc  luy  y 
fut  envoyé  Robert  TErmite  qui  de  la  paix  avoit  desjà  trait- 
tié  et  parlé  au  roy  d'Angleterre  ,  et  voulentiers  en  fut 
ouy. 

Quant  le  conte  de  Saint-Pol  fut  envoyé  et  venu  en 
Angleterre  «  il  trouva  le  roy  et  ses  frères  le  conte  de  Kent 
et  le  conte  de  Hostidonne  et  son  oncle  le  duc  de  Lancastre 
en  ung  moult  bel  manoir  que  on  clayme  Eltem.  Le  roy  le 
recueilly  doulcement  et  lyement ,  comme  celluy  qui  bien  le 
sçavoit  faire ,  et  ente^dy  à  toutes  ses  paroles  voulentiers  , 
et  luy  dist  à  part  :  a  Certes ,  beau  frère  de  Saint-Pol , 
«  tant  que  au  traittié  de  la  paix  à  avoir  à  mon  biau  frère 
«  de  France  ,  je  me  encline  du  tout  ;  mais  je  ne  puis  pas 
«  tout  seul  faire  ,  ne  promouvoir  ceste  besoingne.  Voyrs 
«  est  que  mes  deux  frères  et  mes  deux  oncles  de  Lancastre 
«  et  d'Yorch  si  enclineroient. assés  tost ,  mais  j'ay  ung 
«  autre  oncle  de  Glocestre  trop  périlleux  et  merveilleus 
«  et  qui  en  ce  met  tout  le  tourble  que  il  peult,  et  ne  cesse 
(f  nuit  et  jour  (de  ce  suis-je  tout  infourmé)  de  attraire  les 
«  Londriens  à  sa  voulenté  pour  mettre  une  rébellion  ens 
«  ou  pays  et  pour  esmouvoir  et  faire  eslever  le  poeuple  à 
«  rencontre  de  moy.  Or  regardés  le  grant  péril  ;  car ,  se 
«  le  poeuple  d'Angleterre  se  relevoit  secondement  à  Yest 


Digitized  by 


Google 


TRAITS  DB  LA  PAIX.  37S 

contre  de  moy,  et  y  euissent  ^  mon  oncle  de  Olocestre  et 
anciins  barons  et  chevalliers  d'Angleterre  qni  sont  de 
lenr  accord  et  àliance  ,  que  trôs-bien  sçay ,  le  royanlme 
seroit  perdn.  Et  si  ne  sçay  comment  y  ponrreir;  car 
mon  oncle  de  Glocestre  est  de  si  merreillense  manière  et 
tant  conyerte  que  nnls  ne  se  congnoist  en  luy.  »  — 
M onseigneor ,  respondy  le  conte  de  Saint-Pol ,  il  le  Tons 
fanlt  mener  par  donices  paroles  et  amoareuses.  Donnes* 
luy  dn  Yostre  largement.  S'il  tous  demande  '  qnoy  ^  que 
ce  soit ,  accordës-luy  tout,  car  c'est  la  Yoye  par  laquelle 
TOUS  le  gaignerés.  Il  le  vous  fault  blandir  tant  que  tous 
en  aurës  fait  et  que  le  mariage  soit  passé  et  que  tous 
ayés  Tostre  femme  amenée  en  ce  pays.  Etquant  tout  sera 
fait  et  accomply  ,  vous  aurés  nouvel  advis  et  conseil ,  et 
aurés  bien  puissance  de  ester  les  rebelles  à  vous  et  mau- 
vais contre  vous  ;  car  le  roy  de  France  au  besoing  vous 
aidera  :  de  ce  devés-vous  estre  asseuré.  »  —  «  ^  Et  mon 
Dieu  *  !  dist  le  roy ,  beau  frère ,  vous  parlés  bien  ,  et  je 
le  feray  •  ainsi  '•  » 
Le  temps  que  le  conte  de  Saint-Pol  fut  en  Angleterre , 
il  estoit  logié  à  Londres,  et  souvent  aloit  veoir  le  roy  à 
Bltem  et  le  duc  de  Lancastre,  et  avoient  parlement  ensem- 
ble et  le  plus  sus  les  ordonnances  de  ce  mariage. 


Ordonné  estoit  en  France ,  et  le  conte  de  Saint-Pol 
Favoit  remonstré  au  roy  d'Angleterre,  que  le  roy  de  France 
et  ses  oncles  venroient  à  Saint-Omer  et  amenroient  la 
joeune  dame  qui  devoit  estre  royne  d'Angleterre  ,  et  estoit 
leur  intention  que  le  roy  vendroit  à  Calais,  et  *  se  verroient 

•  Avecqaeeealfl.  —  •**  Aacane chose.  —  "En  nom  Dieu.  —  •*'  Trèi- 
▼onleiitien.  —  *  LA  entre  Saint-Omer  et  Calais. 

XV. — FROISSART.  i8 


Digitized  by 


Google 


S(74  RICBABB  U 

les  deux  roys,  car  de  vene  et  parleure  ensemble  cest 
conjonotioii  d'amour  ;  et  auroient  secrets  traittiés  les  deux 
roys  et  leurs  ondes  sans  plus  ensonnier  plenté  de  gens  sus 
la  fourme  et  ordonnance  de  paix,  avant  que  le  rojr  d'Angle- 
terre emmenast  sa  femme  en  Angleterre.  Et ,  se  paix  n'y 
povoit  avoir ,  on  alongeroit  les  triëves  trente  ans  ou  qua- 
rante à  durer  entre  les  deux  roys  et  leurs  royaulmes,  leurs 
conjoints  et  leurs  ahers. . 

Geste  ordonnance  sambla  belle  et  bonne  au  roy  et  à  son 
conseil ,  et  envoia  tantost  faire  ses  pourvéances  grandes  et 
grosses  par  mer  et  par  terre  à  Calais  ,  et  aussi  firent  tous 
les  seigneurs.  Et  fut  le  duc  de  Glocestre  pryé  de  par  le  roy 
d'aler  en  ce  voiage  et  la  duchesse  sa  femme  aussi  et  ses 
enffans  ,  et  aussi  ^  la  duchesse  d'Iorch  et  la  duchesse  de 
Lancastre ,  et  celle  estoit  toute  pryée ,  car  elle  se  tenoit  à 
Eltem  delés  le  roy  avec  le  duc  de  Lancastre  son  mary.  Et  se 
départirent  le  roy  d'Angleterre  et  le  conte  de  Saint-Pol  tout 
ensemble  et  chevauchèrent  vers  Cantorbie  et  vers  Douvres, 
et  après  sieuvoient  tous  les  seigneurs  qui  en  ce  voiage  aler 
dévoient  et  qui  priés  eu  estoient. 

Au  voir  dire ,  le  conte  de  Saint-Pol,  pour  rapporter  ces 
nouvelles  en  France  devers  le  roy ,  passa  premièrement  la 
mer  et  vint  à  Boulongne,  et ,  là  luy  venu ,  il  exploitta  tant 
par  terre  que  il  vint  à  Paris,  et  là  trouva  le  roy  de  France 
et  ses  oncles  et  leur  recorda  comment  il  avoit  besoingnié. 
Tous  s'en  contemptèrent  et  se  départirent  de  Paris  et 
approuchèrent  petit  à  petit  la  cité  d'Amiens ,  et  le  roy 
d'Angleterre  et  ses  oncles  vindrent  à  Calais  et  là  se 
logièrent ,  et  grant  foison  de  seigneurs  et  de  dames  ,  et  le 
duc  de  Bourgoingne  *  sur  certains  traittiés  s'en  vint  à 
Saint-Omer.  Et  de  toutes  ces  besoingnes  et  approchemens 

*  Le  duc  et.  —  *  OncU  du  roj  de  France. 


Digitized  by 


Google 


k  CALAIS.  S75 

d*amoiir  dt  sur  traitties  de  paix  estoient  moyens  le  conte  de 
Saiht-Pol  et  Robert  l'Ermitte.  Et  vint  la  nnyt  de  la  Nostre- 
Dame  en  my*aoast  pour  lors  le  duc  de  Bourgoingne  à 
Calais  ,  et  luy  amena  le  conte  de  Saint-Pol  Teoir  le  roy 
d'Angleterre  et  ses  oncles.  Si  y  fut  recueillie  du  roy  ,  de 
ses  oncles  et  de  tous  les  seigneurs  grandement  et  lyement, 
et  orent  là  parlement  ensemble  sus  certains  articles  de 
paix  ,  ausquelles  choses  le  roy  d'Angleterre  s'enclinoit  du 
tout ,  et  *  n'avoit ,  au  voir  dire ,  cure  *  quel  chose  on  feist, 
mais  que  il  euist  sa  femme. 

Quant  le  duc  de  Bourgoingne  ot  esté  à  Calais  deux  jours 
et  parlemente  au  roy  d'Angleterre  sur  les  articles  de  paix, 
le  roy  luy  dist  que  tous  ces  '  procès  il  feroit  porter  en 
Angleterre  et  les  feroit  très-bien  remonstrer  à  tout  le 
poeuple  ,  car  il ,  ne  tous  les  seigneurs  qui  là  estoient ,  ne 
les  poYoient  nullement  conclurre  ,  ne  accorder  souffissam- 
ment,  ne  sceurement  que  ils  se  tenissent  fermes  et  estables 
sans  la  générale  voulenté  de  tout  le  poeuple  d'Angleterre. 
Et  aultretant  bien  y  convenoit-il  le  roy  retourner  ,  et  ainsi 
il  feroit  tout  ung  voyage.  «  C'est  bien  dit ,  respondy  le 
tt  noble  et  sage  duc  de  Bourgoingne  ,  et  à  vostre  retour 
«  toutes  les  choses  se  conclurront  et  parferont  bien  ,  ce 
«  m'est  advis.  » 

Sus  cel  estât  se  départirent  le  duc  de  Bourgoingne  et  le 
conte  Walleran  de  Saint-Pol  de  la  ville  de  Calais ,  et 
retournèrent  à  Saint-Omer  et  de  là  à  Amiens  où  le  roy  de 
France  estoit  arresté,  et  la  royue  leur  fille  ^,  le  duc  deBerry 
etaussileducdeBretaigne,carle  roy  de  France  luy  ot  mandé 
expre8sément,pour  quoy  il  y  estoit  venu  en  moult  grant  arroy  • 
Et  le  roy  Richart,  ses  oncles  et  ^  leur  route  *  retournèrent 

•■«  Ne  lay  chaloit.  —  *  Articles  et  ces.  —  *  Qui  royne  d'Angleterre 
detoit  eftre.  —  '-*  Antres  seignears  anglois. 


Digitized  by 


Google 


276  HPiDinoN 

en  Angleterre  ;  mais  leurs  femmes  demoorèrent  à  Calais  i 
tout  leur  estât  »  car  ils  espëroient  à  retourner  «  ainsi  qu'ils 
ârent. 

En  ces  vacquations  se  fist  le  voyage  en  Frise  des  Hay- 
nuiers,  premièrement  du  duc  Aubert  et  de  son  fils  le  conte 
d'Ostreyan;  si  vous  en  compterons  Tordonnance  et  remons- 
trerons ,  car  la  matière  le  ^  requiert  *. 


Vous  avës  bien  ouy  qr-dessus  recorder  comment  le  duc 
Aubert  de  Bayrière  et  le  conte  Guillemme  son  fils  estoient 
trop  fort  dësirans  de  passer*  en  Frise  et  de  li  employer 
la  saison  pour  le  pays  conquerre ,  et  aussi  estoient  les  che- 
valliers etescuiers  de  leurs  pays  de  Haynnau,  de  Hollande 
et  de  Zéellande ,  dont  le  dit  duc  Aubert  estoit  par  droitte 
succession  d'éritage  seigneur  et  conte  ;  pour  laquelle 
besoingne  avanchier  et  mettre  à  efiect ,  le  dit  Guillemme 
conte  d'Ostrevan  avoit  envoyé  en  Angleterre  ung  sien 
escuier  moult  renommé  en  armes  nommé  Fier-a-Bras  de 
Vertaing  pour  avoir  Tayde  des  Anglois,  lequel  Fier-à-Bras 
fist  tant  et  ezploitta  que  le  roy  Richart ,  pour  Tonneur  de 
ses  cousins  de  Haynnau  avanchier,  envoia  aucuns  hommes 
d*armes  accompaigniés  de  deux  cens  archiers  anglois,  et  en 
estoient  chiefs  et  cappitaines  trois  chevalliers  d'Angleterre, 
nommés  l'un  Cornuaille  ,  le  second  CoUeville ,  et  du  tiers 
n*ay-je  peu  savoir  le  nom,  mais  bien  ay  esté  infourmé  qu*il 
estoit  vaillant  homme  de  son  corps  et  bien  usé  d'armes ,  de 
guerres  et  de  batailles  ,  et  avoit  eu  son  menton  coupé  en 
^  une rèse  ^  où  il  avoit  ung  petit  par  avant  esté,  et  luy 
ayoit  depuis  esté  fait  ung  menton  d'argent  qui  luy  tenoit  à 
^  une  cordelette  ^  de  soye  par  à  l'entour  de  la  teste. 

*-•  DArire.  —  •  Et  aller.  —  <-•  Un  voyage.  —  •■'  Un  cordelet. 


Digitized  by 


Google 


n  PEI8E.  277 

Icralx  Anglois  vindrent  à  Bncase ,  à  heure  et  à  temps  , 
ainsi  que  par  avant  est  dit  ;  mais,  pour  la  matière  vérifSer, 
j'ay  este  infoormé  que  le  duc  de  Baiviëre  Aubert,  conte  de 
Haynnau ,  de  Hollande  et  de  Zëellande ,  après  plusieurs 
consultations  on  consauls  que  ils  eurent  ensemble,  luy  et 
ses  enffans ,  c'est-assayoir  monseigneur  Guillemme^  conte 
d^Ostrevan  son  aisnë  fils  et  Aubert  monseigneur  son  maisnë 
fils  qui  estoit  ung  escuier  moult  bien  ^  estoffë  '  de  tous 
membres ,  car  il  estoit  grant  et  gros  à  merreilles  et  de 
très-bon  courage.  Et  aussi  en  ces  consauls  estoit  moult 
recommande  et  bien  ouy  ung  très-vaillant  escuier  et  noble 
homme  à  merveilles  Guillemme  de  '  Croennebourg  ^  qui 
très-fort  admonnestoit  et  enhortoit  le  dit  voyage  ;  car  il 
avoit  une  merveilleuse  hayne  aux  Frisons ,  et  leur  avoit 
£ût  moult  de  despits  et  leur  flst  encores  assës  depuis,  ainsi 
que  vous  orrës. 

Alors  le  duc  Aubert  se  party  de  son  pays  de  Hollande 
aveuc  Guillemme  son  fils  conte  d*Ostrevan,  et  s*en  vint  en 
json  pays  de  Haynnau  et  par  espëcial  en  sa  ville  de  Mons , 
en  laquelle  ville  il  flst  assambler  et  convenir  les  trois  estas 
de  Haynnau  qui  très-voulentiers  comme  à  leur  seigneur 
droitturier  obëyrent ,  et,  euls  venus  et  assamblës ,  il  leur 
remonstra  et  flst  remonstrer  sa  bonne  et  *  haultaine  *  vou- 
lentë  sur  le  fait  du  voyage  de  Frise  et  le  droit  et  Taetion 
que  il  avoit  de  ce  faire.  Et  en  ces  remonstrances  faisant  il 
leur  flst  lire  plusieurs  lettres  patentes  apostoliques  et 
impëriales,  moult  noblement  et  autentiquement  de  plomb  et 
d*or  sëellëes ,  saines  et  entières  ,^  par  lesquelles  apparoit  et 
iqpparut  très-ëvidemment  le  droit  que  il  avoit  en  la  sei- 
gneurie de  Frise ,  en  disant  :  «  Seigneurs  et  vaillans 
«  hommes  nos  subgets ,  vous  sçavës  que  tout  honmie  doit 
«  son  hiretage  garder  et  deffendre ,  et  que  Tomme  pour 

••■  Fourni..  Fourme.  —  •-♦  Croaeiiboiircli.  —  "  Haute. 


Digitized  by 


Google 


S78  Binfcmiioii 

«  son  pays  et  pour  sa  terre  puet  de  droit  esmouvoir  gaerre. 
«  Yoas  sçavës  par  droit  que  les  Frisons  doivent  estre 
«  subgets  à  nous ,  et  ils  nous  sont  trës-inobédieus  et 
a  rebelles  à  nous  et  à  nostre  haultesse  et  seigneurie 
«  comme  gens  sans  loy  et  sans  foy.  Et  pour  tant,  très- 
(c  chiers  seigneurs  et  bonnes  gens  ^  ,  que  de  nous-meismes 
a  et  sans  l'ayde  de  vous,  c'est-assavoir  de  vos  corps  et  de 
a  vos  ehevances,  nous  ne  povons  bonnement  ung  si  haul- 
tt  tain  fait  fumir,  ne  mettre  à  exécution,  nous  vous  prions 
«  que  ad  ce  besoiug  vous  nous  vueilliés  aidier  ,  c'est-assa- 
«  voir  d'ayde  d*argent  et  de  gens  d*armes ,  à  celle  fin  que 
a  iceulx  Frisons  inobédiens  nous  puissions  subjuguier  et 
a  mettre  en  nostre  obéissance.  » 

Geste  remonstrance  d'autelle  ou  de  pareille  substance 
ainsi  faitte  que  dit  est ,  tantost  iceulx  trois  estas  ,  d'un 
commun  accord  et  assent,  accordèrent  à  leur  seigneur  le 
duc  Âuhert  sa  pétition  et  requeste  comme  ceulx  qui  très- 
désirans  estoient  (et  ont  tousjours  esté  trouvés  tels)  de 
faire  plaisir ,  service  et  toute  obédience  à  leur  seigneur 
et  prince  principalement  et  plainement.  Et ,  comme  j'en  ay 
esté  infourmé,  il  luy  firent  tout  prestement  avoir  sur  son 
pays  en  deniers  tous  comptans  la  somme  de  trente  mille 
livres  sans  en  ce  comprendre  la  ville  de  Valenchiennes  , 
laqodle  ville  fist  de  ce  très-bien  son  devoir  ;  car  le  duc 
Aubert  aveuc  son  fils  les  ala  veoir  et  leur  fist  une  pareille 
requeste  que  il  avoit  faitte  aux  Haynnuiers  en  sa  ville  de 
Mons. 

Les  choses  ainsi  conclûtes,'  le  bon  vaillant  prince  ^  le  duc 
Âubert  et  le  conte  Guillemme  son  fils ,  voyans  la  bonne 
voulenté  de  leurs  hommes,  forent  moult  joieulx,  et  n*est 
point  de  merveilles  ,  car  ils  sentoieut  et  veoient  que  par 

*  Que  vous  scavés.  —  ''  Ces  bons  vaillans  princes. 


Digitized  by 


Google 


m  niSB.  919 

eals  ils  estoient  très-grandement  amés ,  et  si  en  seroient 
très-grandement  honnonrés.  Et  pour  tant  que  ils  se  sen* 
toient  assës  bien  servis  d'argent  et  de  finance ,  ils  orent 
conseil  de  envoyer  par  devers  le  roy  de  France  et  luy 
feroient  remonstrer  l'emprise  de  leur  voyage  ,  et  avec  ce 
ils  le  pryeroient  d*ayde.  Si  le  firent  ainsi.  Et  y  furent 
envoyés  deux  vaillans  chevalliers  sages  et  prudens,  qui 
moult  bien  s*en  acquittièrent ,  c'est-assavoir  le  seigneur  de 
Ligne  et  le  seigneur  de  Jumont,  lesquels  estoient  moult  bien 
amés  des  François,  et  par  espëcial  le  seigneur  de  Ligne  que 
le  roy  avoit  fût  son  chambrelenc ,  et  estoit  très-bien  en  la 
grice  du  roy.  Si  en  parla  au  roy,  et  luy  remonstra  bientôt 
à  point  la  voulenté  et  emprise  de  son  seigneur  le  duc  Aubert 
de  Bayvière  ,  en  faisant  sa  pétition  et  requeste  à  laquelle 
très-favourablement  condescendy  le  roy  et  son  conseil  et 
meismement  le  duc  de  Bourgoingne ,  pour  tant  que  il  luy 
sambloit  que  sa  fille  qui  mariée  estoit  au  conte  ^  d*Ostre« 
van  ,  en  pourroit  en  temps  advenir  '  mieulx  valloir ,  non 
obstant  que  plusieurs  '  seigneurs  de  France  en  parloient 
ou  parlassent  en  diverses  manières  et  assés  estrangement 
en  disant  :  «  A  quel  pourpos  viennent  ces  Haynnuyers 
a  requérir ,  ne  pryer  le  roy  d'ayde?  Ils  voisent  en  Angle- 
a  terre  requérir  et  pryer  les  Anglois.  Ne  velà  pas  Guil* 
«  lemme  de  Haynnau ,  qui  depuis  ung  peu  de  temps  a  pris 
a  le  Bleu  Gertier  pour  sa  chausse  lyer ,  qui  est  Tordre  et 
«  enseigne  des  Anglois  ?  Il  n'a  pas  monstre  en  ce  faisant 
a  que  il  ait  trop  grande  affection,  ne  amour  aux  Franchois.  » 
Les  autres,  qui  plus  sages  et  advisés  estoient ,  respon- 
doient  ad  ce  et  disoient  :  «  Vous  avés  tort,  biaus  seigneurs, 
c  qui  dittes  telles  paroles.  Se  le  conte  d'Ostrevan  a  prins 
«  le  Bleu  Gertier,  se  n'est-il  pas  pour  tantalyé  aux  Anglois, 

•  GaiUemme.  —  •  Beaucoup.  —  »  Grana. 


Digitized  by 


Google 


380  EXPÉDinoii 

«  mais  s'est  du  toat  alyë  aux  François.  Et ,  que  il  soit 
«  vray  »  ne  a-il  pas  en  mariage  dame  ^  Marguerite  ' ,  la 
«  fille  monseigneur  Phelippe  le  duc  de  Bourgoingne ,  qui 
«  est  trop  plus  grant  aliance  que  ne  soit  ung  gertier  ?  Et 
«  ne  dittes  jamais  que  il  ne  doye  tousjours  mieulx  amer  à 
«  faire  plaisir  aux  François  par  ceste  aliance  de  sa  femme 
a  que  aux  Ânglois  de  son  gertier.  Et  fera  le  roy  trës-gran- 
«  dément  son  honneur  »  et  le  pris  des  François  en  aocrois- 
«  tra ,  se  il  leur  fkit  ayde  ,  et  aussi  fera-il  comme  sage  et 
«  bien  conseillië.  » 

Ainsi  se  devisoient  les  François  les  ungs  aux  autres  ,  et 
parloient  en  moult  de  manières  de  ces  emprises  d'armes 
qui  estoient  en  grant  bruit  pour  ces  jours,  dont  les  aucunes 
se  faisoient  ou  dévoient  faire  en  Honguerie  ou  en  Turquie 
sus  TÂmorath-Bacquin  et  sus  les  Turs  ,  et  les  autres  en 
Frise  sus  les  Frisons. 

Le  roy  de  France  ne  tarda  gaires  que  il  flst  mettre  sus 
une  armée  de  cinq  cens  lances ,  tant  de  Piccars  comme  de 
François ,  desquels  il  flst  chiefs  et  capitaines,  pour  iceubc 
conduire  et  mener  en  Frise  en  Tayde  de  ses  cousins  de 
Haynnau,  monseigneur  Walleran  conte  de  Saint-Pol  et 
monseigneur  Charles  de  Labreth  ,  lesquels  deux  cheval- 
liers estoient  trës-bien  aprins  et  duits  de  tels  besoingnes. 
Et  deurent  ces  deux  vaillans  capitaines  mener  iceulx  Fran- 
çois en  la  ville  de  Encuse  en  la  Basse-Frise  là  où  Tassam- 
blée  se  devoit  faire  et  où  on  devoit  monter  en  mer  pour 
entrer  en  la  Haulte-Frise ,  comme  ils  firent. 

Quant  ces  deux  vaillans  chevalliers,  c'est-assavoir  mon- 
seigneur de  Ligne  et  monseigneur  de  Jeumont ,  veirent  la 
bonne  voulentë  du  roy  et  que  ils  furent  tous  certains  que 
la  chose  estoit  commandée  et    jà  l'argent  des   conapai- 

*-*  Catherine. 


Digitized  by 


Google 


EN  FRISE.  381 

gnons  payé  et  dëlivrë  ,  ils  8*en  vindreut  deTors  le  roy  ;  et 
en  le  remerchiant  de  sa .  bonne  providence ,  ils  prindrent 
congié  de  luy  »  lequel  fut  ^  accorde,  et  s'en  retournèrent  en 
Haynnan  par  devers  leurs  seigneurs ,  monseigneur 
le  duc  Ânbert  et  monseigneur  Ouillemme  conte  d'Os- 
trevan,  son  flis,  qui  les  recueillièrent  moult  honnoura- 
blement  ;  car  ils  avoient  très^bien  exploittié.  Si  leur  recor- 
dërent  bien  et  au  long  la  doulce  et  débonnaire  response  du 
roy  et  du  duc  de  Bourgoingne  son  oncle  ,  qui  grandement 
conjouy  et  festoyé  les  avoit  et  fait  moult  dé  beaulx  dons  et 
de  beaulx  prësens,  dont  ils  remerchièrent  grandement  leur 
seigneur  '  le  conte  Guillemme  d'Ostrevan  ;  car  pour 
Tamour  ^  de  luy  *  il  leur  avoit  fait  tant  d'honneur  et*  de 
courtoisie  que  longue  chose  seroit  du  recorder.  Si  nous  en 
tairons  i  tant.  Mais  ,  pour  venir  au  propos  ,  quant  le  duc 
de  Baivière  Âubert  et  conte  de  Haynnau  entendy  et  sceut 
que  le  roy  de  France  luy  envoyeroit  en  son  armée ,  pour 
son  honneur  accroître  et  avanchier,  cinq  cens  lances,  ainsi 
que  vous  avés  ouy  ^ ,  il  appella  et  flst  assambler  tous  ses 
nobles  hommes  ,  chevalliers,  escuiers  ,  gentils  hommes  et 
vassauls  de  son  pays  de  Haynnau,  et  y  forent  ceulx  qui  s*en- 
sieuvent,  c'est-assavoir  le  seigneur  de  Werchin,  son 
séneschal  de  Haynnau,  qui  moult  estoit  vaillant  homme  et 
très*renommé  en  armes  «  le  seigneur  de  Ligne  ,  le  seigneur 
de  Gommegnies,  que  il  âst  mareschal  de  ses  gens  d'armes, 
le  seigneur  de  Havrech  »  messire  Michiel  de  Ligne  ,  mon- 
seigneur de  Lalaing ,  messire  Guillemme  de  *  Houdaing  ^ , 
le  seigneur  de  Chin  ,  le  seigneur  de  Cantaing  ,  le  seigneur 
du  Quesnoy ,  le  seigneur  de  Floion  et  Jehan  son  frère  ,  le 
seigneur  de  Boussut ,  le  seigneur  de  Jeumont,  qui  moult 

•  Dëbonnaîrement.  —  '  Et.  —  *-*  D*ealx.  —  •  Gy-desius.  — 
•"'  HonniUdjQg. 


Digitized  by 


Google 


282  EXPÉDITION 

estpit  aigre  chevallier  et  ^  despert  *  sur  ses  ennemis,  et  de 
lors  avoit-il  les  yeulx  tous  ronges  '  et  sambloient-ils 
estre  fourrés  de  corrail  tout  vermeil ,  Robert  le  Rons  » 
le  seigneur  de  Monchiaulx  ,  le  seigneur  de  Fontaines ,  le 
seigneur  de  Senzelles ,  messire  Jaques  de  Sars  ,  messire 
Guillemme  *  de  Hërimës  ^ ,  messire  '  Picquart  ''  son  frère  , 
le  seigneur  de  Lçns  ' ,  le  seigneur  de  Velaines  *  \  messire 
Ânsel  de  Trasegnies ,  messire  Oste  ^®  d'Escaoursines  ", 
messire  Gérard  son  frère  ,  le  seigneur  d*Itre  et  Jehan  son 
frère,  messire  Ansel  de  Sars.  messire  Bridonl  de  Montegny, 
messire  Daniel  de  ^*  Puille  ''  et  messire  Guy  son  frère,  le 
seigneur  de  Mastaing,  messire  Floridas  de  Villers ,  lequel 
estoit  ung  moult  vaillant  chevallier  ,  et  avoit  fait  moult  de 
beaulx  voyages  oultre-mer  sur  les  Turs  et  sur  les  Sarra- 
zins ,  dont  il  estoit  grandement  recommandé  pour  ung 
très-vaillant  homme ,  messire  Witasse  de  Vertaing , 
messire  Fier-à-Bras  de  Vertaing  qui  tout  nouvellement 
estoit  revenu  d'Angleterre  et  avoit  recordé  à  son  seigneur 
le  duc  Aubert  tout  ce  que  il  avoit  labouré  et  exploitdé  en 
Angleterre  ,  dont  le  duc  estoit  moult  joieux,  le  seigneur  de 
'^  Donstévène  '* ,  '^  messire  Jehan  d'Andregnies ,  messire 
Persant  son  frère  et  autres  plusieurs  escuiers  et  gentils 
hommes  :  tous  lesquels  assamblés  en  son  hostel  à  Mons , 
il  très-adcertes  leur  prya  et  requist  que  tous  se  voulsissent 
armer  et  appareillier  et  aussi  pourvoir  de  bons  compai- 
gnons, chascun  selon  sa  puissance,  "au  plus  estofféement  ^' 
que  faire  sepourroit,  et  voulsissent  tous  de  bonne  voulenté  et 
par  bonne  affection  pour  son  honneur  et  le  lenr  avanchier,  le 

'-•  Expert.  —  *  Et  embrasée.  —  *^  Des  Hermoiee.  —  •-'  Pinchai*t. 
—  •■•Le  seigneur  de  Berlaimont.  —  "-"  D'Escaussines.  —  **-**  La 
Poulie.  —  **'**  Donstienne.  —  **  Messire  Rasse  de  Montigny,  messire 
Thiér^  de  Merse  ,  le  sei^eur  de  Roisin,  -^  *^^**  Le  mieux  en  point. 


Digitized  by 


Google 


EN  FBIftK.  285 

servir  et  estre  en  sacoropaignie  en  «a  ville  de  Encaseen  la 
Basse-Frise,  à  Mecmelic  et  là  entour,  ponr  aveuc  lay  monteren 
mer  et  passer  en  la  Hanlte-Frise  où  il  entendoit  i  estre  au 
plaisir  de  Dieu  à  la  my-aoust  prochainement  venant,  et  que 
lâ  les  attenderoit-il,  car  son  intention  estoit  de  aler  devant 
pour  tous  ses  affaires  préparer  et  ses  gens  d'armes  recueil- 
lier  et  asaambler  ,  et  aussi  HoUandois  etZéellandoisesmou- 
voir  et  induire  à  son  service  faire  et  son  désir  accomplir  .Tous 
lesquels  seigneurs ,  chevalliers  et  escniers,  débonnairement 
et  sans  quelque  contredit,  luy  accordèrent  sa  requeste  et  luy 
promisrent  tous  service  à  faire  comme  ses  léaulx  vassauls; 
à  quoy  nulle  deffaulte  le  duc  Âubert ,  ne  son  fils  le  conte 
Guillemme  d*Ostrevan  ne  trouvèrent ,  mais  tres^dilligam- 
ment  se  préparèrent  et  firent  tant  que  à  rentrée  du  mois 
d'aoust.  en  Tau  mil  CGC.  IIII«.  et  XVI.  ils  furent 
tous  appareilliés,  et  se  mirent  au  chemin  par  routes  et  par 
compagnies ,  et  tant  bien  estofiës  que  roieulx  dire  on  ne 
pourroit  ou  sçaroit ,  et  s'en  alèrent  en  Anvers  pour  monter 
sur  Teaue  pour  aler  à  Encuse  en  la  Basse-Frise  où  l'as- 
samblëe  se  faisoit ,  ainsi  que  dit  est* 

Or  pensés  se  adont  ou  pays  de  Haynnau  ,  endementiers 
que  ces  apparauls  ^  se  faisoient  et  que  ces  gentils  cheval- 
liers et  escuiers  et  gentils  hommes  et  aussi  plusieurs  autres 
rades  et  gentils  compaignons  se  appareilloient ,  les  dames 
et  damoiselles  et  plusieurs  autres  femmes  estoient  joieuses  : 
*  les  aucunes  ,  mais  la  plus  part  dévoient  estre  dolentes  ^  ; 
car  elles  veoientles  unes  leur  père,  leurs  frères,  leurs  oncles, 
leurs  oousins  et  parens  et  leurs  maris,  et  les  autres  leurs 
amis  par  amours ,  qui  s'en  aloient  en  celle  guerre  très- 
périlleuse  et  mortelle.  Car .  à  aucunes  ^  bien  souvenoit 
comment  ou  temps  passé  les  Haynnuyers  aveuc  leur  sei- 

*  Et  pourvéancea.  —  •"•  Il  faut  vous  4ire  :  non.  —  *  Et  plusieurs, 


Digitized  by 


Google 


384  KXPÉMTIGR 

^eur  16  conte  Goillemme  j  estoient  demourës  mors.  Si 
'  cremoient  *  que  ainsi  ne  advenist  à  leurs  parens  et  amis , 
comme  il  avoit  fait  i  leurs  prédicessenrs  ;  et  monlt  bon 
gré  en  sçavoient  à  la  dachesse  de  Brabant  qui  avoit  def- 
fendu  par  tont  son  pays  que  nul  gentil  homme,  ne  autre  ue 
s^ayançast  d'y  aler.  Si  en  parloient  souvent  lesdittes  dames 
à  leurs  amis  en  eulx  pryant  que  ils  se  voulsissent  déporter 
de  ce  voyage  faire ,  et  en  tenoient  souvent  plusieurs  pa^ 
lemensetconsauls,  qui  moult  peu  leur  proufStoit.  Touteffois 
elles  en  sçavoient  (les  plusieurs)  trës-mauvais  gré  an  bas- 
tard  de  Vertaing ,  c'est-assavoir  Fier-à-6ras  de  Vertaing, 
car  elles  disoient  que  c*estoit  celluy  qui  plus  avoit  esmeu 
la  besoingne. 

Quant  le  duc  Âubert  et  son  fils  eurent  ouy  la  response 
de  leurs  bonnes  gens  de  Haynnau,  ils  s'en  retournèrent  en 
Zéellande  et  remonstrèrent  '  aux  Zëellandois  toute  lenr 
^  besoingne  ^ ,  lesquels  descendirent  '  très-bënignement  ^  à 
leur  requeste  et  pétition  ;  et  &  ces  exploits  faire  se  encli- 
noient  grandement  le  seigneur  de  Vere  messire  Floris  de 
Borsel ,  messire  Floris  •  d'Alye  • ,  le  seigneur  de  Zeven- 
berg ,  messire  Clais  de  Borsel  et  messire  Phelippe  de  Cor- 
tien  et  plusieurs  autres  gentils  hommes  ,  tous  lesquels  se 
mirent  tout  prestement  en  armes  et  en  ordonnance  de  très- 
bel  arroy ,  et  très-bien  monstrèrent  à  leur  i^pareil  que  ils 
avoient  tous  désir  de  eulx  avanchier. 

Après  ces  choses  passèrent  les  deux  seigneurs  et  princes, 
c'est-assavoir  le  père  et  le  fils  ,  en  Hollande,  et  là  pareille- 
ment firent-ils  leurs  requestes  aux  HoUandois  ,  espéciale- 
ment  aux  barons  et  bonnes  villes  ,  ainsi  que  ils  avoient  fait 
en  Haynnau  et  en  Zéellande.' Et ,  à  '^  vous  en  parler  ",  les 

•■•  Doatoient.  —  *  TrèB-Wnignement.  —  *••  AfGodre.  —  •■'  Douce- 
ment. —  •  •  D'Axel.  —  "•"  Voir  dire. 


Digitized  by 


Google 


m  VRISB.  285 

HoUandois  en  ftirent  si  trës-joieolx  que  à  paines  vous  en 
sçaaroit-on  dire  lamoittië  ,  car  HoUandois  sar  tonte  rien 
hayent  les  Frisons,  et  par  espécial  les  cheyalliers  et  escniers 
dn  pays,  ponr  ce  qne  ils  ont  continuelles  guerres  ensemble 
sur  la  mer  et  sur  les  bondes  du  pays  et  prendent  et  pillent 
souvent  et  menu  l'un  sur  l'autre.  Et  pour  tant  les  sei- 
gneurs de  Hollande,  tels  que  le  seigneur  d'Arkel ,  le  sei* 
gneur  d'Egmont ,  messire  Thierry  son  frëre ,  le  seigneur 
de  Brederode  ,  Walleran  son  frère,  le  seigneur  de  Wasse- 
naire ,  ^  bourgrave  de  Leide ,  messire  Thierry  de  Leyde  , 
messire  Thierry  son  frère,  messire  Henry  de  '  Malduich  'i 
messire  Floris  d'Âlkemalde,  le  seigneur  de  CuUenbourg  , 
le  seigneur  d'Aspre ,  messire  ^  Busten  ^  de  *  Haruvède  ^ , 
Guillemme  de  Gronembourg ,  ^  ung  escuier  d'honneur , 
Jehan  et  Henry  ses  deux  fils  ,  le  seigneur  de  le  Meruwède, 
messire  Jehan  de  Drongle,  messire  Gérard  de  *  Heinsberg^®, 
Clais  de  Sueten ,  messire  Guy  de  "  Poulleghest  ^  et  plu- 
sieurs autres  escoiers  et  nobles  hommes  ,  oyans  les  suppli- 
cations et  haultains  vouloirs  de  leurs  princes  le  duc  Aubert 
et  Guillemme  son  fils,  de  voulenté  grande  se  offrirent  à 
eulx  et  leur  prommirent  confort  et  ayde  de  toute  leur  puis- 
sance et  bien  le  monstrèrent ,  car  prestement  ils  se  mirent 
en  armes  «  et  aussi  firent  les  bonnes  villes  et  le  plat  pays 
qui  livrèrent  grant  nombre  d'arbalestriers,  crennequiniers^ 
picquenaires  et  gens  d'armes. 

Ne  demeura  gaires  après  que  de  toutes  pars  gens  d'armes 
se  commencèrent  à  assambler  et  à  venir  devers  celle  ville 
de  Bncuse  là  ou  l'assamblée  se  faisoit.  Là  venoient  de 
toutes  pars  vaisseaulx  et  ^'  par  si  grans  nombres  que  on 
disoit  ^^  que  ,  quant  ils  furent  assamblës,  il  y  avoit  plus  de 

•  Le.  —  ••«  MalJuick..  Nalduich..  Waldech.  —  *-•  Rusten.  — 
•  '  Harruwède..  Garowède.  —  •  Qui  lors estoit.  —  •••  Gremabex^.  — 
"/*  Poelgheest.  — ^V^  TeUement  que  on  tenoit. 


Digitized  by 


Google 


386  EXPiDITIOR 

trente  mille  maronniers  ;  et  disoit-on  que  la  ville  de  Har- 
lem en  ayoit  livré  seulement  douze  cens  ;  tous  lesquels 
vaisseaulx  furent  retenus  ,  et  furent  très-bien  pourveus  de 
tous  vivres  et  de  tous  autres  habillemens  de  guerre  tant 
sûuffissamment  et  estoffëement  que  mieulx  on  ne  pourroit , 
etn*estoit  riens  qui  y  deffaulsist.  Et  sans  faute,  se  les  dames 
de  Hainaut  estoient  envieuses  pour  leurs  hommes  ,  autant 
bien  l'estoient  les  Zéellandoises  et  les  Hollandoises,  et  fut 
vray  que  leur  malveillance  cheut  sur  Guillemme  de  Cro- 
nembourg  pour  tant  que  il  avoit  le  nom  d'estre  celluy  qui 
plus  avoit  esmeu  et  incite  la  besongne  à  faire  et  qui  plus 
le  conseilloit  au  duc  Aubert  que  il  feslst  ceste  emprise  » 
et  pareillement  le  seigneur  de  '  Meruwëde  *  qui  trop  fort 
se  dësiroit  à  vengier  sur  les  Frisons  pour  les  desplaisirs 
qu'ils  luy  avoient  fait  ;  car  à  la  ba.taille  de  par  avant  là  où 
le  conte  ûuillemme  fut  douloureusement  et  trbs-piteuse- 
ment  occis  ,  il  y  avoit  perdu  par  compte  fait  trente  et  trois 
cottes  d'armes  de  son  lignage ,  dont  messire  Daniel  de  la 
Meruwëde  estoit  chief ,  dont  les  Frisons  n*en  vouldrent 
oncques  prendre  ung  à  merchy  ,  ne  à  raenchon.  Ils  (c*est- 
assavoir  ces  deux  seigneurs  Guillemme  de  Gronnebourg 
et  le  seigneur  de  la  Meruwède)  ne  se  ouSoient  pour  riens 
veoir  devant  les  princesses  et  dames  de  la  court  du  duc 
Aubert. 

Ne  demeura  gaires  après  que  toutes  manières  de  gens 
d'armes  furent  venus  et  arrives  ,  et  vindrent  premièrement 
les  Anglois.  Si  leur  fut  leur  délivrance  faitte.  Et  en  après 
vindrent  les  Haynnuyers  en  très^bel  arroy,  et  les  menoient 
monseigneur  le  séneschal ,  monseigneur  de  Jeumont  et 
monseigneur  de  Gommegnies ,  qui  tous  prestement  furent 
mis  en  délivrance  aussi  ;  puis  Zéellandois ,  et  en  après 

•-•  Merwède. 


Digitized  by  ' 


EN  rRisB.  987 

HoUandois.  Mais  les  Franchois  ne  yindrent  pas  si  tost  ;  car, 
depuis  que  toutes  manières  de  gens  d'armes  de  tous  lés 
furent  Tenus  et  assamblés  et  tous  apprestës  pour  passer , 
il  convint  tarder  onze  jours  après  les  Franchois ,  ou  quel 
terme  pendant ,  s'esmut  ung  débat  dentre  les  Hollandois 
et  les  Ânglois  ;  et  sans  nulle  faulte  ,  se  ce  n'euist  esté  le 
conte  Guillemmed*Ostrevan^  tous  les  Angloii^  euisseut  esté 
occis  par  les  Hollandois  ,  lesquels  débats  Vappaisiés  et  les 
François  venus  (dont  on  fut  moult  resjoy  ,  car  à  la  vérité 
c'estoient  gens  d*armes  merveillensement  bien  ^  habilliés  ' 
de  tous  hamois  et  parures),  on  commanda  que  tout  homme, 
quel  que  il  fuist,  se  mesist  en  son  vaissel.  Si  fut  ainsi  fait, 
et  ainsi  montèrent  toutes  manières  de  gens  es  vaisseaulx, 
ungs  et  autres. 

Quant  ils  furent  tous  entrés  es  vaisseaulx  ,  ils  levèrent 
leurs  voilles  et  se  recommandèrent  à  Dieu  ,  et  commen* 
cèrent  à  singler  parmy  la  mer  qui  estoit  moult  belle,  quoye 
,  et  série  ,  et  sembloit  parfaittement  que  elle  désirast  à  euls 
faire  plûsir.  Et  tant  y  avoit  de  vaisseaulx  que ,  se  ils  euis- 
sènt  esté  rengiés  l'un  '  emprès  ^  Tautre  de  la  bonde  de 
devers  Encuse  jusques  à  la  bonde  de  Gundren  qui  est  en 
la  Haulte-Frise  où  ils  contendoient  à  descendre  comme  ils 
firent ,  où  il  y  a  douze  lieues  d'yaue  ,  certes  ils  enissent 
bien  couvert  toute  la  marine,  mais  ils  aloient  de  front  tant 
ordonnéement  que  mieulx  on  ne  pourroit. 


Si  vous  lairons  ung  petit  à  parler  d*euls,  et  parlerons  des 
Frisons  ,  lesquels,  comme  j'ay  esté  à  la  vérité  infourmé  , 
estoient  de  long  temps  advertis  de  la  venue  du  duc  Aubert 
et  de  la  grant  puissance  de  gens  d'armes  que  il  amenroit 

•-•  Appareilliëi.  —  ***  Après. 


Digitized  by 


Google 


sur  euls  :  pour  qooy  ioeulx  Frisons ,  quant  ils  sceurœt  et 
entendirent  que  ils  auroient  la  gnerre,  ils  se  misrent 
ensemble  et  firent  convenir  tous  les  plus  sages  hommes  de 
leurs  terres  pour  sur  ceste  ^  besoingne  avoir  advis  com- 
ment pour  le  mieulx  ils  s'en  pourroient  ordonner  et 
^chevir  '.  Et  combien  que  ils  tenissent  eteuissent  tenu  plu- 
sieurs consauls  ,  si  estoit  leur  intention  telle  que  ils  eom- 
bateroient  leurs  adversaires  tantost  et  tout  prestement  que 
ils  les  sçauroieut  et  sentiroient  ^  sur  leur  pays.  Et  bien 
disoient  entre  eulx  que  mieulx  ils  aymoient  à  morir  francs 
Frisons  que  d*estre  à  nul  quelconque  roy  ,  ne  prince  en 
servage,  ne  en  subgection,  et  que  pour  tous  k  morir  ils  ne 
se  déporteroient ,  ne  partiroient  sans  combatre  leurs  enne- 
mis. Et  puis  ils  ordonnèrent  en  leurs  consauls  que  jà 
homme  ils  ne.prendroient  à  raenchon  ,  tant  grant  fuist ,  et 
metteroient  tout  à  mort  et  i  perpétuel  essil. 

Entre  euls  avoit  ung  moult  noble  homme  grant  ^  et  joer- 
veiUeux  de  corps  ^,  sage  et  puissant  homme  ,  et  véritable- 
ment il  excedoit  tout  le  plus  grant  Frison  de  toute  Frise 
voire  de  toute  la  teste,  et  de  plus,  et  estoit  nommé  en  celle 
terre  Yvon  ^  Joncre  * ,  et  le  appelloient  les  Haynnuyers  , 
HoUandois  et  Zéellandois  le  grant  Frison.  Cestuy  vaillant 
homme  estoit  fort  recommandé  en  Prusse ,  en  Honguerie 
et  en  Turquie ,  en  Roddes ,  en  Cyppre  et  ailleurs  où  il 
avoit  fait  plusieurs  grans  et  nobles  fais  d*armes  de  son 
corps  tant  que  sa  renommée  estoit  partout  *  congneute  '^. 

Quant  il  oy  les  Frisons  parler  de  combatre  leurs  adver- 
saires ,  il  respondy  et  dist  :  «  0  vous  ,  nobles  hommes  et 
«  ^*  francs  ''  Frisons  ,  sachiés  que  il  n'est  chance  qui  ne 
«  retourne.  Se  par  vos  vaillandises  ^^  vous  avés  autrefibis 

*  Grande.  —  •-*  Tenir.  —  *  Estre  entrés.  —  "A  merveille.  — 
'  ■  De  Yvorie.  —  •-*•  Moult  augmentée.  —  "*•  Féaulx.  —  "  Et  proesseB. 


Digitized  by 


Google 


DES  FRttOMS.  389 

«  Haynirayers,  HoUandois  etZéellandois  desconfis,  sachiét 

«  qne  eealx  qui  maintenant  Tiennent  pardechâ ,  sont  gens 

<r  tons  aprins  des  guerres  et  des  hnstins  ,  et  crées  de  cer- 

«  tain  que  ils  feront  tout  autrement  que  leurs  prédices* 

ff  seurs  ne  firent ,  et  verres  que  ils  ne  s'abandonneront 

«  point ,  mais  seront  tous  advisës  et  aprins  de  leur  fait. 

«  Et  pour  tantjeconseilleroie  que  nous  les  laissons  venir 

«  et  entrer  si  avant  que  ils  pourront ,  en  uostre  terre  , 

a  et  gardons  bien  nos  villes  ,  nos  chasteaulx  et  nos  forte^ 

«  resses,  et  les  laissons  aox  champs  où  ils  se  dëgasteront. 

a  Nostre  pays  n'est  point  pour  euls  longuement  soustenir. 

«  Nous  avons  plusieurs  bonnes  ^  lancwëres  *  (ce  sont 

«  fossés  ou  dicques).  Si  ne  pourront  aler  aval  le  pays  ;  ils 

«  n'y  pourront  mener  charroy  »  ne  aler  à  cheval ,  et  ils  ne 

«  pèvent  plentë  aler  i  piet  ;  et  pour  tant  ils  seront  tantost 

«  si  tanés  que  ils  se  dëgasteront   et  '  rompront  leur 

<c  emprinse  ^^  quant  ils  auront  ars  dix  ou  douze  villages. 

«  Sine  nous  grèvera  tout  ce^  gaires  *:  tousjours  les 

«  refera-on  bien.  Et»  se  nous  les  combatons  je  fay  très- 

«  grant  doubte  que  nous  ne  serons  point  assës  fors  pour 

«  euls  combatre  à  une  fois  ;  car  ,  ad  ce  que  j'ay  entendu 

«  et  sceu  par  certaine  relation ,  ils  sont  plus  de  cent 

«  mille  testes  armées,  b  Et  il  disoit  voir ,  car  ils  estoient 

très-bien  autant  ou  plus. 

A  ces  ^  consauls  *  se  consentoient  assës  trois  vaillans  che- 
valliers frisons,  qui  nommés  estoient,  l'un  messire  Feu  de 
*  Doclicque  ^^,  l'autre  messire  Gérard  ^^  Ganim^'»  et  le  tiers 
messire  Thuy  de  ^'  Yalting  ^^  ;  mais  le  pueple  nullement  ne 
s'i  consentoit  point,  et  aussi  ne  faisoient  plusieurs  autres 

•-■  Lsndwerea.  —  »-*  S'en  retourneront.,  —  •^  Ainsi  que  rien.  — 
'-•  Paroles.  —  •-••  Dortrecq,.  Dorekerq..  Dockepq.  —  *<-"  Catîn.. 
Camin.  —  «»-"  Waltarg..  Walting. 

XV.  —  FROISSAET.  49 


Digitized  by 


Google 


390  DÉFAITS 

nobles  hommes ,  que  ils  appellent  ou  pays  les  Elins ,  c'est- 
à-dire  les  gentils  hommes  ou  les  juges  des  causes.  Et  tant 
opposèrent  à  cestuy  grant  Frison,  nomme  Yve  S  que  il  fut 
entre  euls  conclut  que  tout  incontinent  que  ils  sçauroient  * 
que  leurs  ennemis  seroient  arrivés  ,  ils  les  combatroient. 
Et  demourërent  tous  sur  ce  pourpos  '  ;  et  pour  tant  ils  se 
mirent  tout  prestement  en  armes,  et  n'ayoient  les  plusieurs 
quelques  armures  deffensives  sinon  leurs  yestures  qui 
estoient  de  gros  bureauls  et  gros  draps  de  tels  ou  parauls 
que  on  fait  les  *  flaissars  ^  des  chevauls.  Les  aucuns 
estoient  armés  de  cuir ,  et  les  autres  de  haubergons  tous 
^  enrouUiés  ^.  Et  sembloit  proprement  que  ils  voulsissent 
faire  ung  *  carivary  *  les  plusieurs  ;  mais  s'en  y  ayoit-il 
aucuns  qui  estoient  bien  armés« 


Ainsi  se  misrent  ces  Frisons  en  armes ,  et  quant  ils 
furent  habilliés  et  prests ,  ils  s*en  alërent  en  leurs  églises 
et  là  prirent  les  crucefixs ,  gonfanons  et  croix  de  leurs 
églises,  puis  s'en  vindrent  par  trois  batailles  ,  à  tout  leurs 
crucefixs  ,  leurs  confanons  et  leurs  croix  (et  en  chascune 
bataille  avoit  bien  onze  mille  combatans)  jusques  à  une 
*•  lancwère  "  (c'estoit  une  deffense  d'un  fossé  qui  estoit  non 
pas  moult  loing  de  là),  où  HoUandois,  Haynnuyers  et  Zéel- 
landois  dévoient  prendre  terre  et  port ,  et  là  s'arrestoient. 
Et  bien  les  veoient  Haynnuyers,  Hollandoîs  et  Zéellandois, 
car  ils  estoient  "là  *'  comme  tous  arrivés,  et  **  dévoient  ** 
descendre  jus  des  vaisseaulx.  Et  fut  vérité  que  le  jour  que 
le  duc  Âubert  et  ses  gens  arrivèrent,  il  estoit  le  jour 

'  Jonere.  —  *  Et  sentiroient.  —  '  Et  d^Ubération.  -~  ^  Fkasanet. 
—  •^  Enrugnifl.  —  ••  Charivari.  —  ""  Laadwere.  —  **^»  Jà,  — 
•*•»  Vouloient. 


Digitized  by 


Google 


DBS  FRISONS.  291 

de  ^  Saint*6erfhélemy  *  par  ong  dimence  en  Fan  dessus  dit. 
Quant  les  Frisons  veirent  leurs  adversaires  ainsi  appro- 
chier ,  ils  '  envoyèrent  environ  six-vings  hommes  ^  de 
leurs  gens  sur  les  dicques  pour  adviser  se  ils  pourroient 
^  destoumer  *  à  leurs  ennemis  de  descendre  ;  mais  entre 
ces  Frisons  y  eut  une  femme  vestue  de  bleu  drap,  laquelle, 
comme  folle  et  esragie ,  se  bouta  hors  des  Frisons  ,  et  s'en 
vint  par  devant  les  navires  des  Haynnuyers  qui  se  appa- 
reilloient  pour  combatre  leurs  ennemis  ,  et  advisoient  la 
manière  d*euls  et  que  celle  femme  vouloit  faire ,  laquelle 
femme  vint  tant  en  approuchant  iceulx  Haynnuiers  qu'elle 
fut  près  d'euls  le  trait  d'une  flesche.  Tantost  ceste  femme  là 
venue  se  ^  tourna  *  et  leva  ses  draps  ,  c'est-assavoir  sa 
robe  et  sa  chemise,  et  monstra  son  derrière  aux  Hayn- 
nuyers ,  HoUandois  et  Zëellandois  et  à  toute  la  compai- 
gnie,  qui  veoir  le  voult ,  en  criant  aucuns  mots  ,  ne  sçay 
mie  bien  quels ,  senon  qu'elle  desist  en  son  langaige  : 
«  Prendés  là vostre  bienvenue.  »  Tantost  que  ceulx  des  nefs 
et  des  vaisseaulx  percheurent  la  mauvaisetë  de  celle  femme, 
ils  tirèrent  après  flesches  et  viretons  ,  et  fut  prestement 
enferrée  par  les  fesses  et  par  les  jambes ,  car  au  voir  dire 
ce  sembloit  nesge  qui  volast  vers  celle  femme,  du  trait 
qu'on  luy  envoioit.  Et  ne  demeura  galres  que  les  aucuns 
saillirent  hors  des  nefs ,  les  aucuns  en  l'iaue,  et  les  autres 
dehors,  etsemisrent  à  course  après  celle  maleureuse  femme, 
les  espëes  toutes  nues  en  leurs  mains.  Si  fut  tantost  prinse 
et  rattainte  et  enfin  despechie  en  cent  mille  pièces  *.  Et 
tondis  s'avançoient  toutes  manières  de  gens  d'armes  à  yssir 
hors  ^^  des  vaisseauls,  et  s'en  vindrent  contre  ces  Frisons  qui 

*-'  Saint-Bôrtremieu.  —  •"*  Issirent  environ  six  miUe.  —  "  Dea- 
tourber.  --  ''-^  Mit  en  place,  et  pais  tourna  le  derrière.  ~  *  Ou  plus. 
~  "  Des  nefs  et. 


Digitized  by 


Google 


292  DÉFAITE 

les  receurent  par  grant  vaillance  et  les  repoossoient  ^  de 
bastons  ferrés  au  debout  et  bien  bendës  de  part  en  part. 
Et ,  i  voir  dire,  au  prendre  terre,  il  y  eut  moult  de  fais 
d*armes  fais  et  plusieurs  haultes  et  bien  vaillans  emprises  , 
car  de  mors  et  d*abatus  il  en  y  eut  sans  nombre  ;  mais  par 
la  force  des  archiers  et  des  crenequiniers ,  Haynnuiers , 
Hollandois  et  Zéellaudois  et  tous  les  autres  qui  se  com- 
batoient  par  belle  ordonnance  ,  gaingnërent  sur  les  Frisons 
la  dicque  et  la  place  ,  et  demeurèrent  victoriens  par  ceste 
première  envaye,  car  là  sus  celle  dicque  se  arrengoient-ils 
moult  ordonnëement  chascun  soubs  sa  bannière  en  atten- 
dant lun  l'autre .  Et  véritablement ,  quant  ils  furent  tous 
arengiés ,  ils  tenoient  plus  de  demie-lieue  de  loing. 

Ces  Frisons  qui  avoient  esté  reboutés  et  qui  avoient 
celle  dicque  deffendue ,  se  retrairent  entre  leurs  gens  qui 
estoient  bien  trente  mil  tous  enclos  en  une  lancwère ,  dont 
ils  avoient  jette  la  terre  par  devers  euls,  et  estoit  la  fosse 
moult  *  parfonde^,  laquelle  n'estoit  point  biei|  loing  de  là  ; 
car  très-bien  les  povoient  veoir  les  Haynnuiers  qui  rengiés 
estoient  sus  celle  dicque.  Et  en  celle  ordonnance  furent-ils 
tant  et  si  longuement  que  toutes  manières  de  gens  furent 
hors  des  nefs  et  des  vaisseaulz,  et  tous  leurs  habillemens, 
et  aucunes  tentes  et  trefs  dreschies  ,  et  se  reposèrent  et 
aaisiôrent  ce  dimence  et  le  lundi  enssieùvant  en  ^  ad  visant  ^ 
'  leurs  ennemis  les  Frisons.  Et  y  eut  fait  en  ces  deux  jours 
plusieurs  escarmuches  et  fais  d'armes. 

Quant  ce  vint  le  mardi  au  matin  ,  ils  furent  tous  prests 
d*un  costé  et  d*autre  ;  et  adont  furent  fais  plusieurs  non- 
veauls  chevalliers  entre  les  Haynnuyers ,  Hollandois  et 
Zéellandois ,  et  estoit  ordonné  que  les  Frisons  seroient 
combatus.  Si  se  misrent  tous  ces  Haynnuyers ,  Hollandois 

*  Et  reboutoient.  —  •»  Parfaite.  —  *•  Sievant. 


Digitized  by 


Google 


DB8  FRISOIIS.  S95 

et  Zeellandois  ateuc  leurs  aidans  en  bataille  trës-ordonnëe- 
ment ,  et  leurs  archiers  entre  enls  et  devant ,  et  puis 
firent  '  desclicqnier  *  ces  trompettes  ' ,  et,  en  ce  faisant , 
ils  commenc^ent  à  venir  ^  pas  pour  pas  ^  pour  passer  ce 
fosse. 

Lors  yindrent  Frisons  avant,  qui  le  deffendoient,  et 
archiers  tiroient  sur  eulx ,  mais  ces  Frisons  se  couvroient 
de  targes  et  de  la  terre  du  fosse  qui  estoit  haulte  devers 
euls.  Nëantmains  ils  furent  approchiës  de  si  près  que  plu- 
sieurs Hollandois  se  boutèrent  en  ce  fossé ,  et  faisoient 
pons  de  lances  et  de  picques,  et  par  trës-merveilleuse 
manière  commencèrent  à  envahir  ces  Frisons ,  lesquels 
deffendoient  le  pas  trës-vaillamment  et  ruoientles  coups  si 
grans  sur  ceulx  qui  vouloient  monter  sur  la  dicque  du 
fossé  que  ils  les  rejettoient  tous  plats  estendus  en  ce  fossé. 
Mais  les  Haynnuiers ,  Hollandois ,  Zeellandois ,  Franchois 
et  Anglois  estoient  si  fort  armés  que  les  Frisons  ne  les 
povoient  adommagier  ,  ne  autre  mal  ne  lemr  faisoient  que 
ruer  par  terre.  Et  là  estoient  les  fais  d'armes  et  appertises 
monstrées  et  veues  si  grandes  et  si  nobles  que  ce  seroit 
chose  impossible  du  recorder.  Là  8*acquittoient  haultement 
ces  nouveaulx  chevalliers  qui  fort  désiroient  à  faire  armes 
et  i  mettre  leurs  ennemis  au  dessoubs,  lesquels  Frisons  se 
deffendoient  ^^TUftHr^^'"^""^^^"*  ^^  ^  très  aigrement  ^. 
Car,  à  la  vérité  dire,  ce  sont  fors  hommes,  grans  et  gros  et 
bien  tailliés  de  tous  membres  ,  mais  ils  estoient  très-mal 
armés,  et  en  y  avoit  plusieurs  tous  deschauls  et  sans  soul- 
liers  à  tout  leurs  robes  de  gros  bureau  ,  combien  que  tous 
se  deffendissent  par  moult  grant  courage. 

En  ce  fouUeis  etjmerveilleux  assaultoù  estoient  plusieurs 
durs  et  horribles  rencontres  et  grans  poussis  de  lances  et 

*-•  Sonner.  —  'Et  clairons.  — *-•  Pas  à  pas  —  •-*  Saigement. 


Digitized  by 


Google 


294  DÉFAITE  DES  FRISONS. 

de  picques  et  grana  martellis  de  haches  que  avoient  ces 
Frisons ,  lesquelles  estoient  à  manière  de  cui^ies  à  abatre 
boySy  bien  bondées  de  fer  au  long  deshanstes,  trouvèrent 
monseigneur  de  Ligne  »  monseigneur  le  sëneschal  de 
Haynnàu ,  monseigneur  de  Jeumont  et  plusieurs  autres 
seigneurs  de  Haynnau  à  tout  leurs  gens  ,  en  tournant  et 
advironnant  ^  celle  lancwôre  ,  une  frette  *  là  où  ils  passè- 
rent tout  oultre ,  et  vindrent  sur  ces  Frisons  ,  où  ils  se 
boutèrent  aux  fers  de  lances  en  telle  manière  que  les  Fri- 
sons furent  comme  tous  esbahis  ,  et  laissièrent  les  '  plu- 
sieurs de  ces  Frisons  ^  le  fossé  et  la  dicque  que  ils  deffen- 
doient ,  aux  Hollandois ,  et  s'en  vindrent  férir  sur  ces 
Haynnuyers  qui  les  receuprent  moult  vaillamment  et  telle- 
ment qu'ils  les  firent  partir  et  ouvrir.  Et  lors  Hollandois  et 
Zéellaudois  passèrent  oultre  ce  fossé,  et  s'en  vindrent  aussi 
bouter  et  plongier  en  ces  Frisons,  et  les  commencèrent 
moult  fors  à  ^  esparpeillier  ^  puis  çà ,  puis  là.  En  ceste 
griefve  et  horrible  bataille  fut  mort  et  occis  le  grant  Frison 
que  ils  nommoient  Yves  '. 

Si  ne  demeura  gaires  après  que  les  Frisons  s'esbahirent 
tellement  que  ils  commencèrent  à  fuir,  qui  mieulx  mieulx , 
et  laissièrent  la  place  à  leurs  adversaires  ;  mais  la  chace 
fut  très-grande  et  très-horrible ,  car  on  n'y  prendoit  nul- 
luy  à  raenchon  ,  et  par  espécial  les  Hollandois  les  tuoient 
tous,  nemeismes  ceulx  qui  estoient  prins  des  Haynnuyers, 
des  François  ou  des  Ânglois  ;  si  les  tuoient-ils  entre  leurs 
mains. 

Entre  ces  Hollandois  estoient  Guillemme  de  Groenne- 
bourg  et  ses  deux  fils  Jehan  et  Henry ,  qui  nouveaulx  che- 
valliers estoient  devenus  la  matinée  ,  qui  merveilleusement 

*.*  Celuy  fossé,  une  fente.  —  '■*  Frisons  (aucuns,  non  pas  tous).  — 
*••  Espartir.  —  '  Joncre. 


Digitized  by 


Google 


LE  SUC  AUBBBT  QUITTA  hk  FRIU.  S95 

s'acquittoient  de  faire  armes  et  de  oocir  Frisons ,  et  bien 
monstroient  à  leur  semblant  qne  petit  les  aymoîent.  A 
^  TOUS  *  dire»  flnablement  Frisons  fàrent  desconfls,  et  en  y 
demoora  la  plus  grant  partie  de  mors  sur  le  champ  et  là 
entour.  Âucnn  peu  en  y  ent  de  prius  ,  environ  cinquante, 
qui  depuis  furent  menés  à  la  Haye  en  Hollande,  et  y  ftarent 
*grant  pièce  de  temps  ,  et  loist  à  sçavoir  que  le  seigneur  de 
Oundren  ,  c'est-assaToir  le  seigneur  de  la  terre  où  le  duc 
Âubert  et  ses  gens  estoient  descendus ,  s'estoit  rendu  au 
duc  Âubert  le  lundy  devant ,  et  fut  luy  et  ses  deux  âls  & 
la  bataille  contre  les  Frisons  ,  lesquels  deux  fils  furent 
depuis  '  moult  longuement  ^  delés  le  duc  Aubert  et  delés 
son  fils  le  conte  Gnillemme  d'Ostrevan,  tant  en  Hollande , 
en  Zéellande  comme  en  Haynnau. 


Après  ceste  desconflture  ^  séjournèrent  *  Haynnuyers , 
Hollandois  ,  Zéellandois  ,  Franchois  et  Ânglois  ou  dit  pays 
de  Cundren,  en  prendant  villes  et  forteresses  ;  mais  certai- 
nement ils  y  conquestèrent  bien  petit ,  car  les  Frisons  les 
adommagoient  trop  grandement  par  aguets  et  par  rencon- 
tres. Et  quant  ils  prendoient  aucuns  prisonniers  ,  si  n'en 
povoit-on  riens  avoir ,  ne  ils  ne  se  vouloient  rendre  ,  mais 
se  combatoient  jusques  à  la  mort,  et  disoient  que  mieulx 
aymoient  à  morir  francs  Frisons  que  estre  en  la  subjection 
de  seigneur  ou  de  prince.  Et  quant  est  aux  prisonniers  que 
on  prendoit,  on  n*en  povoit  extraire  quelque  raenchon  ,  ne 
leurs  amis  ,  ne  parens  ne  les  vouloient  rachetter ,  mais 
laissoient  morir  l'un  l'autre  ens  es  prisons  ,  ne  jamais  aul- 
trement  ils  ne  vouloient  rachatter  leurs  gens  ,  sinon  que 
quant  ils  prendoient  aucuns  de  leurs  adversaires,  ils  ren- 

•"•  Voir.  —  *'*  Grant  temps  —  "  Se  retottrnèrent* 


Digitized  by 


Google 


^96  LE  DUC  ADBBIIT  QUITUS  LA  fRlSE. 

doient  homme  pour  homme  ^  ;  mais ,  se  ils  sentoient  que 
ils  n'eussent  nuls  de  leurs  gens  prisonniers  ,  certainement 
ils  tuoient  tout  et  mettoient  tous  leurs  prisonniers  à 
mort. 

Quant  ce  vint  au  bout  de  *  six  '  septmaines  et  que  ji  on 
avoit  ars  moult  de  villes  et  de  villages  et  abatu  *  moult 
de  ^  forteresses  qui  n'estoient  point  de  trop  grant  valleur  / 
le  temps  se  commença  très-fort  à  reffroidier  et  à  pleuvoir 
souvent  sique  à  paines  il  plouvoit  tous  les  jours.  La  mer 
s'enfloit  et  engroissoit ,  et  si  se  tempestoit  souvent  par 
les  vens  qui  fort  *  tourmentoient  ^.  Le  duc  Âubert  et  son 
fils  le  conte  Guillemme  ce  voywt  proposèrent  de  enis 
mettre  au  retour  et  revenir  en  la  Basse-Frise ,  dont  ils 
estoient  partis  ,  et  de  là  en  Hollande  »  pour  plus  convena- 
blement passer  Tiver  qui  estoit  *  ystant  *.  Si  le  firent  ainsi, 
car  ils  se  misrent  au  retour  et  firent  tant  que  ils  refurent 
à  Encuse  ;  et  là  donnèrent  iceulx  seigneurs  ^^  à  toutes 
manières  de  gens  d'armes  congié  et  par  espécial  aux 
estrangiers  que  ils  contentèrent  très-grandement ,  et  leur 
payèrent  très-bien  leurs  sauldées ,  et  si  les  remerchièrent 
de  la  bonne  ayde  et  service  que  fait  leur  avoient. 

Ainsi  se  de£3st  ceste  armée  de  Frise  ,  et  n'y  conques- 
tèrent  autre  chose  pour  celle  saison;  mais,  dedensle  terme 
de  deux  ans  après  ,  iceulx  deux  nobles  princes  ,  c'est- 
assavoir  le  duc  Âubert  et  son  fils  Guillemme  ,  conte  d'Os- 
trevan  et  pour  lors  gouverneur  de  Haynnau ,  y  râlèrent  la 
seconde  fois  et  y  conquestèrent  grandement  et  largement, 
et  y  firent  de  moult  belles  vaillances  et  sans  nombre, 
ainsi  que  au  plaisir  de  Dieu  cy-après  ^^  sera  dëclairë  '^ 
Mais  nous  nous  en  tairons  à  tant,  et  parlerons  de  l'ordon- 

*  Autrement  non.  --  •■»  Cinq.  —  *•  Plusieurs.  —  '-^  S'eslevoient, 
—  •••  Instant.  —  "  Et  princes.  -  ""  Apperra. 


Digitized  by 


Google 


ISABELLE  DE  nUlCCB  EST  BEUSB  A  RICHARD  II.  297 

nanee  des  nopces  da  roy  Richart  d'Angleterre  et  de  ]a  fille 
de  France  nommée  madame  Ysabel. 


Vous  sçayés  comment  le  roy  Richard  d'Angleterre,  quant 
il  ot  esté  à  Calais  et  là  séjourné  aveuc  ses  oncles  et  plu- 
sieurs prélats  et  barons  d'Angleterre  de  son  conseil ,  et 
parlementé  au  duc  de  Bourgoingne  sur  certains  traittiés  , 
et  que  il  fut  retourné  en  Angleterre ,  il  s*i  tint  tant  que  la 
Saint-Michiel  fut  venue  et  que  les  parlemens  générauls  se 
tiennent  au  palais  de  Westmoustier.  Et  en  ce  tandis  on 
flst  les  pouryéauces  à  Calûs  grandes  et  grosses  ,  et  aussi 
à  Guisnes  tant  pour  le  roy  comme  pour  plenté  des  princes 
et  barons  d'Angleterre  ;  et  là  estoient  envolées  par  la  grei- 
gneur  partie  des  pors  et  des  havres  d'Angleterre  et  de  la 
rivière  de  la  Tamise ,  et  aussi  on  en  prendoit  grant  foison 
en  Flandres  »  à  Bruges  et  au  Dam  et  à  l'Escluse,  et  toutes 
ces  pourvéances  venoient  par  mer  à  Calais.  Pareillement 
pour  le  roy  de  France  et  son  frère  le  duc  d'Orléans  et  leurs 
oncles  et  les  prélats  et  barons  de  France  on  faisoit  grandes 
pourvéances  à  Saint-Omer ,  à  Ayre ,  à  Thérouenne ,  à 
Ardre  ,  à  la  Montoire,  à  ^  Bevlinghehen  *  et  en  toutes  les 
maisons  et  abbayes  de  là  environ  ,  et  n'y  estoit  riens 
espargnié,ne  de  l'un  costé,  ne  de  l'autre,  et  se  efforchoient 
tous  les  officiers  des  seigneurs  l'un  pour  l'autre  ,  et  par 
espécial  l'abbaye  de  Saint-Bertin  estoit  fort  raemplie  de 
tous  biens  pour  recueillier  les  royaulx. 

Quant  les  parlemens  d'Angleterre  qui  se  font  et  sont 
par  usage  tous  les  ans  au  palais  du  roy  à  Wesmoustier, 
furent  passés  (et  commenchent  à  la  Saint-Michiel  et  ont 
ordonnance  de  durer  quarante  jours  »  mais  pour  lors  on 

'-*  Bavelinghen..  Oravelingen. 


Digitized  by 


Google 


296  ISABELLE  DE  nUKCB 

les  abréga  »  car  le  roy  n'y  fat  que  cinq  jours  ;  et  furent  en 
ces  cinq  jours  remonstrëes  les  besoingnes  du  royaulme  les 
plus  près  touchans  et  les  plus  nécessaires  ,  et  par  espëcial 
celles  qui  à  luy  appartenoient  et  pour  lesquelles  il  estoit  là 
venu  et  retourne  deGalais)4l8e  mistau  retour  etau  chemin,  et 
aussi  dirent  ses  deux  oncles  Lancastre  et  Glocestre  et  tous 
les  prélats,  barons  et  chevalliers  d'Angleterre ,  qui  du  con- 
seil estoient  et  qui  escripts  et  mandés  estoient ,  et  tant 
exploittèrent  par  leurs  journées  que  tous  passèrent  la  mer 
et  se  trouvèrent  à  Calais.  Le  duc  Âymond  dTorch  point  ne 
passa  la  mer  ,  ainchois  demeura  en  Angleterre  ,  et  aussi 
ne  flst  le  conte  d*Erby  ,  et  demeurèrent  derrière  pour 
garder  Angleterre  jusques  au  retour  du  roy  Richart. 

Quant  le  roy  d'Angleterre  et  ses  deux  oncles  furent 
'  venus  *  à  Calais ,  ces  nouvelles  furent  tantost  signifiées 
aux  seigneurs  de  France  qui  se  tenoient  en  la  marche  de 
Piccardie.  Si  s'en  vindrent  à  Saint-Omer ,  et  se  logièrent 
le  duc  de  Bourgoingne  et  la  duchesse  sa  femme  en  Tab- 
baye  de  Saint-Bertin. 

Tantost  que  le  roy  de  France  sceut  que  le  roy  d'Angle- 
terre ^  reestoit  venu  ^  à  Calais ,  il  y  envoya  le  conte  de 
saint-Pol  veoir  le  roy  et  luy  dire  de  leur  ordonnance 
comment  on  vouloit  en  France  que  elle  se  feist.  Le  roy 
Angleterre  y  entendi  voulentiers  ,  car  grant  plaisance  il  y 
prendoit ,  et  moult  luy  agréoit  la  matière. 

Or  retournèrent  à  Saint-Omer,  en  la  compaignie  du 
conte  de  Saint-Pol,  le  duc  de  Lancastre  et  son  fils  messire 
Biaufort  de  Lancastre  ,  et  le  duc  de  Glocestre  et  Offren 
son  fils  (le  conte  de  Rosteland) ,  le  conte  Mareschal ,  le 
conte  de  Hostidonne,  chambrelenc  ^  du  roy  d'Angleterre^,  et 
grant  foison  de  baroQS  et  de  chevalliers  ^ ,  lesquels  furent 

*-*  Retournés.  —  •-*  Estoit  revenu.  —  •-•  d'Angleterre.  —  ^  Et 
escujers. 


Digitized  by 


Google 


EST   REMISE  A  RICHARD  II.  399 

moult  grandement  et  bel  recueillies  du  duc  de  Bourgoingne 
et  de  la  duchesse ,  et  là  vint  aussi  le  duc  de  Bretaigne  qui 
avoit  laissié  le  roy  de  France  à  Ayre  et  la  joenne  royne 
d'Angleterre  madame  Ysabel  sa  fille. 

Vous  devës  savoir  que  toute  la  pejne  et  dilligence  que 
on  puet  ^  mettre  à  bien  festoyer  ces  seigneurs  d'Angleterre, 
on  le  fist  et  mist ,   et  leur  donna  la  duchesse  de  Bour- 
goingne   grandement  et  richement  à  disner ,   et  fut  la 
duchesse  de  Lancastre  à  ce  disner  et  la  duchesse  de  Glo- 
cestre  et  ses  fils  et  ses  filles,  et  y  ot  trës-grant  foison  de 
mets  et  d'entremets  et  grans  prësens  ,  nobles  et  riches,  de 
Taisselle  d'or  et  d'argent  et  de  toutes  nouvelles  choses  ,  et 
riens  n'y  ot  espargnie  en  estât  tenir,  tant  que  les  Ânglois 
s'en  esmerveilloient  où  telles    richesses  povoient    estre 
prinsesy  et  par  espécial  le  duc  de  Glocestre ,  et  avoit  bien 
grant  merveille  et  disoit  bien  à  ceulx  de  son  conseil  que 
ens  ou  royaulme  de  France  est  toute  richesse  et  toute  puis- 
sance. Ce  duc  de  Glocestre,  pour  luy  adoulcir,  et  mettre  à 
bonne  voye  de  raison  et  d'humilitë  (car  les  seigneurs  de 
France  sçavoient  bien  que  il  estoit  '  hauster  '  et  dur  en 
toutes  concordances) ,  on  luy  faisoit  et  monstroit  tous  les 
sigfaes  d'amour  et  d'honneur  que  on  povoit.    Néantmains 
tout  ce,  il  prendoit  bien  tous  les  joyanix  que  on  luy  donnoit 
et  présentoit ,  mais  tousjours  demouroit  la  rachine  de  sa 
rancune  dedens  le  cuer ,  ne  oncques  pour  chose  que  les 
François  sceuissent  faire  ,  on  ne  le  polt  *  apprivoisier  ^  que 
il  ne  demourast  tousjours  fel  et  cruel  en  toutes  responses 
puisque  elles  traittoient  et  parloient  de  la  paix.  Franchois 
sont  moult  soubtils^  mais  tant  qu'à  luy  ils  n'y  sçavoient 
comment  advenS  ;  car  ses  paroles  et  responses  estoîent 
si  couvertes  que  on  ne  les  sçavoit  comment  entendre, 

'  Par  honneur.  —  '^  Hault.  —  **  Adoucir. 


Digitized  by 


Google 


300  ISABELLE  BB  FRAHCE 

ne  sas  qael  point  prendre.  Et  quant  le  duc  de 
Bourgoingne  en  vey  la  manière,  si  dist  à  ceulx  de 
son  conseil  :  «  Nous  perdons  quanques  nous  mettons  '  en  * 
«  ce  duc  de  Glocestre  ;  car  jà,  tant  que  il  yiye  ,  il  ne  sera 
«  paix  entre  France  et  Angleterre  ,  mais  trouvera  tondis 
tt  des  nouvelles  cautelles  et  incidences ,  par  quoy  les 
tt  haynnes  s'engendreront  et  renouvelleront  ens  es  coeurs 
«  des  hommes  de  Tun  royaulme  et  de  l'autre  ,  car  il  n'en- 
a  tend  «  ne  pense  a  autre  chose.  Et ,  se  le  grant  bien  que 
«  nous  veons  *  au  roy  ^  d'Angleterre,  n'estoit,  par  quoy  ou 
n  temps  advenir  nous  en  espérons  mieulx  à  valloir  ,  pour 
«  vërite  il  n'auroit  jà  à  femme  nostre  niepce  de  France.  » 

Quant  le  duc  et  la  duchesse  de  Bourgoingne  et  la  con- 
tesse  de  Nevers  et  la  contesse  de  Saint-Pol  ^  orent  receu 
ces  seigneurs  et  ces  dames  d'Angleterre  et  festoie  si  gran« 
dément  comme  vous  avës  oy  ,  en  laquelle  recueillotte  fut 
ordonné  et  advisé  comment,  où  et  quant  les  deux  roys  s'en- 
contreroient  et  trouveroient  sus  les  champs ,  et  seroit  au 
roy  d'Angleterre  délivrée  sa  femme  ,  congié  fut  prins  et 
donné  de  toutes  parties ,  et  retournèrent  les  ducs  d'Angle- 
terre, leurs  femmes  et  leurs  enffans  et  tous  les  barons  et 
chevalliers  d'Angleterre  qui  là  avoient  esté,  à  Calais  devers 
le  roy  auquel  ils  recordèrent  comment  on  les  avoit  recueil- 
lies et  festoies  et  bien  grandement  enrichis  de  dons  et  de 
joyaulx.  Ces  paroles  et  louenges  pleurent  grandement  au 
roy  d'Angleterre ,  cai*  il  estoit  trop  joieulx  quant  il  ouoit 
bien  dire  du  roy  de  France  et  des  Franchois ,  tant  les 
avoit-il  desjà  énamourés  pour  la  cause  de  la  fille  au  roy,  que 
il  tendoit  à  avoir  à  femme. 

Assés  test  après  vint  le  roy  de  France  à  Saint-Omer  et 
se  bouta  en  l'abbaye  de  Saint-Bertin  et  fist  bouter  tout  hors 

'-■  A.—*-*  Enaou  royaulme.  — 'Et les  dames  et  seigneurs  de  France. 


Digitized  by 


Google 


B8T  REMISE  A  EICHARD  II,  SOi 

cenlx  et  celles  qui  logiës  y  estoient  »  et  amena  le  duc  de 
Bretaigne  en  sa  compaignie.  Et  furent  ordonnés  d*aler  à 
Calais  parler  au  roy  d* Angleterre  et  sou  conseil  le  duc  de 
Berry  ,  le  duc  de  Bourgoingne  et  le  duc  de  Bourbon ,  et 
chevauchërent  devers  Calais  et  firent  tant  que  ils  y  vindrent. 
Si  furent  recueillies  du  roy  et  des  seigneurs  grandement  et 
très-joieusement»  et  leur  fut  faitte  la  meilleure  chiëre  comme 
on  peult ,  et  eurent  là  les  trois  ducs  dessus  nommés  certain 
et  especial  traittié  au  roy  d'Angleterre  et  à  ses  oncles  ,  et 
'  cuidièrent  '  adont  moult  de  gens  de  France  et  d'Angleterre 
que  paix  fuist  accordée  entre  France  et  Angleterre  ,  et 
estoient  '  aucques  ^  sur  cel  estât,  et  si  assentoit  assés  pour 
ce  temps  le  duc  de  Glocestre,  car  le  roy  *  Tavoit  si  •  avant  ' 
mené  de  paroles  que  prommis  luy  avoit,  là  où  paix  seroit , 
que  il  feroit  son  fils  Ofirem  conte  de  *  Glocestre  *  et  mettroit 
en  héritage  et  feroit  la  ditte  conté  par  an  valloir  de 
revenue  *^  deux  "  mille  livres  à  Testrelin  ,  et  au  dit  duc  de 
Glocestre  son  oncle  il  donroit,  luy  retourné  en  Angleterre, 
en  deniers  appareilliés ,  cinquante  mille  nobles ,  siques 
pour  la  convoitise  de  ces  dons  le  duc  de  Glocestre  avoit  gran- 
dement adoulcy  et  attempré  ses  ^'  oppinions  tant  que  les 
seigneurs  de  France  qui  là  estoient venus,^^  s'enperchnrent^^ 
assés  et  le  trouvèrent  plus  humble  et  plus  douls  que  oncques 
mais  n'avoient  fait. 

Quant  tout  fut  ordonné  ce  pour  quoy  ils  estoient  là 
venus,  ils  prindrent  ^^  congié  au  roy  et  aux  seigneurs,  et  s'en 
retournèrent  arrière  à  Saint-Omer  devers  le  roy  de  France 
et  le  duc  d'Orléans  son  frère  qui  là  les  attendoient ,  et 
recordèrent  comment  ils  avoient  exploittié. 

*-•  Tindront.  —  '-*  Presque.  —  »  Son  nepveu.  —  «'  Bien.  — 
**Rocheatre.  —  *••"  Quatre.  —  "  Dures.  —  *•-•*  S'en  aperçurent. 
—  "Tous. 


Digitized  by 


Google 


302  ISABELLE  DE  FEANCE 

Le  roy  de  France  se  dëparty  de  Saint-Omer  et  s'en  vînt 
logier  en  la  bastide  d* Ardre,  et  le  dac  de  Bourgoingne  à  la 
Montoire ,  le  duc  de  Bretaigne  en  la  Tille  d'Osque  et  le 
duc  de  Berry  à  Bavelinghem.  Et  furent  tendus  sur  les 
champs  de  toutes  parts  tentes  et  trefs,  et  tout  le  pays  raem- 
pli  de  poeuple  tant  de  France  comme  d'Angleterre.  Et  vint 
le  roy  d'Angleterre  logier  à  Guisnes  ,  et  le  duc  de  Lan- 
castre  aveuc  luy ,  et  le  duc  de  Glocestre  à  Hames. 

La  *  nuit  *  Saint-Simon  et  Saint-Jude  ,  qui  fut  par  nng 
vendredy  l'an  de  grâce  Nostre-Seigneur  mil  CCC.IIII**  et 
XVI,  sur  le  point  de  *  neuf  *  heures,  se  départirent  les  deux 
roys,  chascun  avec  ses  gens,  de  sa  tente ,  et  s'en  vindreut 
tout  de  piet  l'un  contre  l'autre  et  sus  une  certaine  place  de 
terre  où  ils  se  dévoient  trouver  et  encontrer ,  et  là  estoient 
tous  rengiës  d'un  les  quatre  cens  chevalliers  françois  armés 
tout  au  cler  et  leurs  espées  toutes  nues  ens  es  mains  ,  et 
d'autre  part  pareillement  quatre  cens  chevalliers  anglois 
armés  ^  tout  au  cler  * ,  et  estoient  ces  huit  cens  chevalliers 
tous  hayés  et  rengiés  d'une  part  et  d'autre,  et  passèrent  les 
deux  roys  tout  au  long  parmy  euls,  et  estoient  adestrés  et 
menés  par  l'ordonnance  que  je  vous  diray. 

Le  duc  de  Lancastre  et  le  duc  de  Glocestre  menoient  et 
adestroient  le  roy  d'Angleterre,  et  ainsi  tout  le  pas  ils  s*en 
vindrent  parmy  ces  ^  quatre  cens  chevaliers  d'un  lés  et 
quatre  cens  chevaliers  de  l'autre  lés  *.  Et  pareillement  le 
duc  de  Berry  et  le  duc  de  Bourgoingne  menoient  et  ades- 
troient le  roy  de  France.  Et  quant  les  deux  roys  vin- 
drent si  près  que  pour  encontrer  l'un  l'autre,  les  huit  cens 
chevalliers  s'agenoullèrent  tout  bas  à  terre  en  pleurant  de 
pitié. 

*-•  Veille.  —  »-*  Dix.  —  *•«  Comme  dessus.  —  ^"*  Huit  cens  cheva- 
liers. 


Digitized  by 


Google 


EST  REMISE  A  RICHARD  II.  303 

Les  deux  roys  à  nud  chief  s'encontrërent.  Si  se  encli* 
Qërent  ung  petit  et  se  pxdndrent  par  les  mains,  et  emmena 
le  roy  de  France  le  roy  d'Angleterre  en  sa  tente,  laquelle 
estoit  belle ,  riche  et  bien  ordonnée.  Et  les  quatre  ducs  se 
prindrent  par  les  mains  et  sieuvoient  de  près  les  deux  roys 
et  les  cheyalliers.  Les  François  d'un  lés  et  les  Anglois  de 
l'autre  se  tindrent  sur  leur  estant ,  regardans  l'un  l'autre 
par  humble  et  bonne  manière ,  et  point  ne  se  départirent 
de  la  place  tant  que  tout  fut  achiévé ,  et  fut  trop  bien 
adyisée  la  place  et  la  terre  où  les  deux  roys  s'encontrèrent 
et  prindrent  par  les  mains  l'un  l'autre  ,  et  fut  dit  et  advisé 
que  droit  là,  sus  celle  pièce  de  terre  où  les  deux  roys  s'en- 
contrèrent,  on  fonderoit  et  ordonneroit  une  chappelle  en 
Toimeur  de  Nostre-Dame ,  et  seroit  nommée  Nostre-Dame 
de  la  Grâce.  Je  ne  scay  se  riens  en  fut  fait  ^ 

Quant  le  toj  de  France  et  le  roy  d'Angleterre  qui  se 
t^KMAnt  par  les  mains,  entrèrent  en  la  tente  du  roy  de 
France,  le  dac  d'Orléans  et  le  duc  de  Bourbon  leur 
vindrent  au  devant  et  s'agenoullèrent  devant  les  roys.  Les 
deux  roys  s'arrestèrent  et  les  firent  lever.  Les  six  ducs  se 
recueillirent  en  front  et  se  misrent  en  parole  ensemble  ;  et 
les  deux  roys  passèrent  oultre  et  se  arrestèrent  sur  le  pas, 
et  là  parlementèrent  une  espace  ensemble  et  entandis  on 
appareilla  vin  et  espices  ;  et  servy  du  drageoir  et  des  espices 
le  roy  de  France  le  duc  de  Berry ,  et  de  la  coupe  et  du  vin 
le  duc  de  Bourgoingne,  et  le  roy  d'Angleterre  pareillement 
le  duc  de  Lancastre  et  le  duc  de  Glocestre  '. 

Le  vin  et  les  espices  prins  des  deux  roys,  chevalliers  de 
France  et  d'Angleterre  reprindrent  les  drageoirs  et  les 
espices  et  le  vin  et  les  coupes,  et  servirent  les  prélats,  les 
ducs  ^  et  les  contes,  et  après  ce  les  escniers  et  gens  d'ofGice 

*  Mais  il  fot  ordonné.  —  '  Da  vin  et  des  espices.—'  Et  les  princes. 


Digitized  by 


Google 


304  ISABBLLE  DE  PRANCE 

firent  ce  mestier  «  et  tant  qae  tous  ceulx  qui  dedens  la 
tente  estoient ,  orent  vin  et  espices.  Et  ^  entreux  *  sans 
nul  empeschement  parlementoient  ensemble  les  deux  roys. 
Gest  estât  et  affaire  passes ,  les  deux  roys  prindrent  congié 
ensemble  et  tous  les  seigneurs  l'un  à  l'autre.  Et  retour- 
nèrent le  roj  d'Angleterre  et  ses  oncles  en  leurs  tentes  ,  et 
tantost  se  ordonnèrent  et  montèrent  '  aux  ^  cheyaulx  et  se 
départirent  et  retournèrent  vers  Calais,  le  roy  d'Angleterre 
à  Guisnes,  le  duc  de  Lancastre  et  le  duc  de  Glocestre  à 
Hames  »  et  les  autres  à  Calais ,  et  chascun  à  son  logis. 
Pareillement  le  roy  de  France  retourna  à  Ardre,  et  le  duc 
d'Orléans  aveac  luy,  et  le  duc  de  Berry  à  Toumehem  à  son 
logis ,  et  le  duc  de  Bourgoingne  à  la  Montoire ,  et  ainsi  de 
hexk  en  lieu  tant  que  ils  furent  tous  bien  logiés ,  et  n'y  eut 
plus  riens  fait  pour  le  jour  ,  et  demeurèrent  les  tentes  du 
roy  de  France  et  des  seigneurs  sur  les  champs. 

Quant  ce  vint  le  samedi  le  jour  Saint-Simon  et  Saint- 
Jude,  sur  le  point  de  onze  heures,  le  roy  d'Angleterre  et 
ses  oncles  et  tous  les  hommes  d'honneur  d'Angleterre,  qui 
avecques  le  roy  la  mer  passé  ayoient ,  vindrent  devers  le 
roy  de  France  en  sa  tente,  et  là  furent-ils  recueillies  moult 
solempnellement  du  roy,  de  son  frère,  de  leurs  oncles  et  des 
autres  princes  et  barons  ;  et  parloit  chascun  à  son  pareil 
joieuses  paroles.  Et  là  furent  les  tables  mises  :  première- 
ment celle  pour  les  roys ,  qui  fut  longue  et  belle,  et  le  dre- 
choir  couvert  de  riche  et  noble  vaisselle  ^  à  grant  plenté  , 
et  séirent  les  deux  roys  tant  seulement  à  une  table  ,  le  roy 
de  France  au  dessus,  et  le  roy  d'Angleterre  au  dessoubs, 
assés  loing  l'un  de  l'autre ,  et  servirent  devant  les  deux 
roys  le  duc  de  Berry ,  le  duc  de  Bourgoingne  et  le  duc  de 
Bourbon  ;  et  là  dist  le  duc  de  Bourbon  plusieurs  joieuses 

*-«  EntreUnt.  —  »-*  Sur  leurs.  —  ■  D'argent  et  d'or. 


Digitized  by 


Google 


EST  MBOW  A  RICIMA»  U.  305 

paroles  et  '  gales  *  pour  faire  rira  les  roys  et  les  aeignecirs 
(pli  devant  la  table  estoient ,  car  oe  dap  dont  je  parole  >,  fut 
noait  '  lyes  *  et  moult  reveleos  ,  et  dist  toot  haalt,  adres- 
ehsat  sa  parole  au  roy  d'Angleterre  :  «  Monseigneur  le  roy 
«  d'Angleterre»  vous  devës  foire  bonne  cbière.  Vous  avës 
«  tout  ce  que  vous  dësirés  et  demandés.  Vous  avés  vostre 
«  femmeou  aurës  :  elle  vous  eeradélivrëe.  n  Dont  dist  le  roy 
de  France  :  «  Bourbonngis,  nous  vouldrions  que  nostre  fille 
«  fuist  autant  aagie  comme  nostre  cousine  de  Saint-Polest: 
«  ^  silaprendroit  nostre  fils  d'Angleterre  en  plus  grantgrë  ', 
«  et  il  nous  euist  cousté  grandement  du  nostre.  • 

Ges^  parole  entendy  et  oy  le  roy  d'Angleterre.  Si 
respondy  en  lui  enclinant  devers  le  roy  de  France ,  et  fut 
la  parole  adreschie  au  duc  de  Bourbon  ,  pour  tant  que  le 
roy  de  France  avoit  fait  comparison  de  la  fille  au  conte  de 
Saint*PoL  «  Beau-père,  Teage  que  nostre  femme  a  »  nous 
•  plaist  grandement  bien ,  et  nous  n'amons  point  tant  le 
«  grant  6age  d'elle»  que  nous  faisons  l'amour  ^  de  nous  et  de 
«  nos  royaulmes  ;  car  là  où  nous  "  serions  *  bien  ^^  d'accord  ^^ 
«  et  d'une  aliance ,  il  n'est  roy  crestien,  ne  autre ,  qui  nous 
«  peuistpcNrter  contraire.  » 

Ce  disner  ^*  se  passa  ^'^  comme  vous  povés  entendre,  en 
la  tente  du  roy  de  France ,  qui  fut  bien  brief.  On  leva  les 
nappes  ;  les  tables  furent  abaissles  ;  onpristvin  et  espicos. 
Après  tout  ce  fait  »  la  joeuue  royne  d'Angleterre  fut  ame- 
née en  la  place  et  dedens  la  tente  du  roy,  accompaignie  de 
grant  ^^  foison  ^'  de  dames  et  de  damoiselles ,  et  là  fut-elle 
baiUie  et  délivrée  au  roy  d'Angleterre  ,  et  luy  bailla  son 
père  le  roy  de  France  par  la  main. 

•-■  Cailles.  —  *^  Joyeux.  —  •••  Elle  prendroit  nostre  fils  à'Angle- 
terre  en  plus  grant  gré. — 'Et  la  conjonction.  —  "^ Serons.  —  ••^^ 
D'an  accord.  —  ••-"  Pasaë.  —  **-"  Nombre. 

XV.  —  FROISSART.  20 


Digitized  by 


Google 


306  I8ABBLLB  }>E  FEANCB  E8T  UKIBB  k  RICHABB  II. 

^  Incontinent  '  qne  le  roy  d'Angleterre  fat  de  la  dame 
saîsy ,  congiAs  furent  prins  de  tontes  pare.  On  mist  la 
joenne  royne  d'Angleterre  en  nne  littiëre  monlt  noble  et 
monlt  riche ,  qui  estoit  ordonnée  pour  elle.  Et  de  tontes 
les  daines  et  damoiselles  de  France  qui  estoient  là  venues, 
n'en  ala  nulle  aveuc  la  ditte  royne,  fors  la  dame  de  Coursy. 
Là  estoient  plusieurs  haultes  princesses  d'Angleterre» 
accompaignies  de  dames  et  de  damoiselles,  telles  que  la 
duchesse  de  Lancastre,  la  duchesse  d'Iorch,  la  duchesse  de 
Glocestre,  la  duchesse  d'Irlande,  la  dame  de  '  Maynne  ^  la 
dame  de  ^  Prounins  *  et  foison  d'autres  haultes  dames  qui 
recueilliërent  la  joeune  royne  d'Angleterre  en  moult  grant 
léesseetjoye. 


Tout  ce  fait  et  les  dames  appareillies  ,  le  roy  d'Angle- 
terre et  tous  les  '  Anglois  partirent  et  chevauchèrent  le  bon 
pas  et  vindrent  au  giste  à  Calais ,  et  le  roy  de  France  et 
tous  les  seigneurs  à  Saint-Omer,  et  là  estoient  la  royne  de  i 
de  France  et  la  duchesse  de  Bourgoingne ,  et  forent  ainsi 
le  dimence  et  le  lundi  ;  et  le  mardi  qui  fut  le  jour  de  tous 
les  Sains  espousa  le  roy  d'Angleterre  ,  en  l'ëglise  Saint- 
Nicholay  de  Calais,  Tsabel  de  France  qui  fut  sa  femme  et 
royne  d'Angleterre ,  et  les  espousa  l'archevesque  de  Can- 
torbie ,  et  là  furent  les  festes  et  les  solempnitës  moult 
grandes,  et  hërauls  et  ménestrels  payés  bien  et  largement 
tant  que  tous  s'en  contemptërent. 

Le  jeudi  enssieuvant  vindrent  à  Calais  le  duc  d'Or- 
léans et  le  duc  de  Bourbon  veoir  le  roy  d'Angleterre  et  la 
royne ,  et  prindrent  congié  à  eulx  et  aux  seigneurs  d'An- 
gleterre, et  le  vendredi  au  matin  retournèrent,  et  vindrent 

"  Sitost.  —  "  Man.  —  ^  Poiniiu.  —  ^  Seigneur». 


Digitized  by 


Google 


au  disâér  i  Saint-0mdr,etlàtF0uyërent1d  royde  France  qui 
les  attendoît.  Et  te  roj  f  Angleterre  et  là  royne,  après  lift  messe 
oye  du  matin  et  boire  nug  petit,  qui  boire*  venlt ,  'entrèrent 
en  leurs  taisseadls  passagfiôrs  qui  ordonnes  ^  estaient , 
et  eurent  yent  appareilliez  quant  ils  furent  dësancrës, 
et  esquipèrent  en  mer,  et  fdrent  à  Douvres  en  moins  de  trois 
hettHès,  éi  là  vint  )e  roj  et  la  royne  à  disner  eus  ou  chastel 
et  gésir,  et  à  l*endemain  à  Rocestre,  et  puis  à  Dardeforde  , 
et  puis  à  Bltém  *  la  maison  ?  du  roj.  Bt  prlndrent  congië 
les  seigneurs  et  les  dame^  .d'Angleterre  au  roy  et  à  la  royne, 
et  puis  retôumëreni  chascun  en  leurs  lieux. 

Depuis  environ  XV  jours  fut  -  la  royne  d'Angleterre 
amenée  en  la  cité  de  Londres  ,  aceompaignie  grandement 
dé  seigneurs  ,  de  dames  et  de  damoiselles,  et  jeut  une  nuit 
ens  ou  chastel  dé  Londres  séant  sur  la  rivière  de  la  Tha- 
mise  y  et  à  Tendemain  fut  amenée  tout  au  long  de  Londres 
à  gruit  solempnité  jusques  au  palais  dé  Wesmoustiér,  et  là 
estoit  le  roy  qui  la  recueilly.  Et  ce  jour  firent  les  Lon- 
driensà  la  royne  graus  dons  etrïches  présens  ,  qui  tous 
furent  récheus  en  ^  jbye.  Et  le  roy  et  là  royné  et  les  sei- 
gneurs et  les  dames  estans  à  Wesmoustiér,  furent  unes 
joustes  ordonnées  et  assises  à  estre  en  Semettefille  en  la 
cité  de  Londres  à  la  Cfaandelleùr*  de  quarante  chevalliers 
dedens  et  de  quarante  escuiers  ,  et  fut  la  feste  baillie  et 
délivrée  aux  hérauts  pour  nonchier  et  signifier  deçà  la 
mer  jusques  eut  ou  royaulme  d'Encoche.  * 


En  ce  temps  ,  le  roy  de  Frcmce  revenu  à  Paris  depuis 
le  mariage  de  sa  fille ,  et  les  seigneurs  retournés  en  leurs 

•  Pour  eulx,  -—  •-•  Le  nuuiioir.  —  *  Orent. 


Digitized  by 


Google 


lieux  «rtoieot  gratis  novnreUes  an  Fianoa  de  guerre  ;  car  ai 
propoeoit  qae  tantûst  apràe ,  à  rentrée  de  mers ,  le  roy  de 
France  prenderpit  le  chemin  d'aller  à  pniisaiioe  et  d'entrer 
en  Lombardie  pour  deetroire  meeaire  Oalléas  dne  de  Millan, 
etavoitprineleroy.de  France  le  dncde  Millan  en  telle 
hayue  que  point  ne  vouloit  oyr  parler  dn  contraire  que  le 
voyage  ne  ne  fo8ist;et  Iny  devoit  le  roy  d'A|i£^terre 
envoyer  fm  mil  archiere.  Et  proprement  le  dnc  de  Bre^ 
taigne,  qui  pour  le  temps  s'estoit  tenu  avenc  le  roy ,  s'es- 
toit  offisrt  pour  aller  aveuc  le  roy  en  ce  voyage  i  tout  deux 
mille  lances  de.  Bretons  »  et  se  faisoient  jà  les  pourvéanoes 
du  roy  et  des  seigneurs  sur  les  chemins  en  la  dauffioé  de 
Vienne  et  en  la  conte  de  Savoie.  Et  quant  le  duc  de  Bre- 
ta^gne  se  d^arty  du  roy  et  des  seigneurs ,  messire  Pierre 
de  Cr^n«  qui  estoit  condempnë  envers  la  royne  de  Naplas 
et  de  Jhërusalem  i  payer  cent  mille  frans,  et  sur  ce  il 
tenoit  prison  eus  ou  chastel  du  Louvre  à  ses  coustages  , 
tellement  que  »  pour  obvier  à  ces  frais  et  coustages ,  il 
m'est  a4vis  que  ^  celluy  duc  de  Bretaigne  *  fist  tant  par 
pryères  au  roy  et  aux  seigneurs  que  par  bons  moiens 
?  moyennes  ^,  que  il  am^oa  en  sa  compaignie ,  '^^ue  son  * 
cousin  messire  Pierre  de  Craon ,  '  comme^  je  croy  assés  *  , 
*  se  atermina  ^^  à  paier  à  termes  la  royne  de  Naplea  et  de 
Jhérusalem  dessus  nommée. 

De  ce  payement  et  du  duc  de  Bretaigne  et  de  messire 
Pierre  de  Craon ,  je  me  cesseray  i  parler  pour  le  présent  • 
et  "  retraiteray  "  des  adventures  et  du  voyage  de  Turquie, 
car  il  est  "  heure  ^^  que  je  y  retourne. 


•••  Le  duc  de  Bourgogne.  —  ••*  Et  moyennes.  —  *■•  Son.  —  '-•  Je 


Digitized  by 


Google 


PEOiBts  ins  cr6i8&.  309 

Vou^^  8çav4è^  comment  il  edt  icy-deédàs  contehu  en  nos- 
trôhisiioire,  comment'leroy^  Hon^erie  et  les  seignênt^  de 
f'ranêe,  qui  en  celle  saison  eâtbiënt  aies  on  t*oyét(Imè  de  Hon- 
gnérîe  ponr  quérir  et  *  tr^ocrter  *  les  *  armes  '•;  àvoiéiit  tatl-' 
lamment  passé  la  mièrè  de  là  Duno6»  et  esttiiéiit'èiitMs  en' 
là  Turquie ,  et  fout  Testé  déj[)ms' le  inois  de  juillet  y  àvoiëùt' 
fait  teouH  d'armes  ,  prïnà  et  mis  à  merdhy  plènté  de  bon  ' 
pays  ,  villes  et  chastiauli  ^',  hé'  niiVs  né  leur  éstolf  àlé  au 
devant ,  qui  peuist  résister  àieur  ptrissancei  et  aioieht 
miilé  siège  éitbur  la  cifié  de  Nyc6lpoiy  et  durement 

*  estràinte  *  ei  tellement  lliènée  par  force  d^assatiTs  que  elle 
estoit  en  petit  estât  et  siis  '  le  point  de  rëÀdre  ;  et  si  ne 
oyoiènt  nulles  hoûVéheé  iê  i'Âmoilratb-Bac^uitt.  Bt  ja  àvoit' 
dit  le  roy  de  Hôbigtieriè  «iiix  Seigneuns  de  France,  à  Jehan 
de  Bourjgoingné»  conte  de  devers,  au  ôonte  d'En»  au  éonté 
de  la  Marche ,  au  seigneuî^  de  Goucy ,  conte  de  Sbissbns  , 
et  àui  ïiaroûs  et  chevailiers  de  France  et  de  Bourgoin^e  : 
f  Beàuls  seigneurs  ,  Dieu  merctiy ,  nîbus  avons  eu  ûné 
i  moùlt  bonne  saison  ;  car  nous  àvoità  fait  plénté  d*àrmes 

•  et  dèètmit  grant  pays  en  la  Turquie.  Je  tiens  et  compte 
«  ceste  ville  de  Nicolpoly  pour  nostre,  toutes  fois  que  nous 
«  vouldrons  :  elle  est  tellemwt  menée  et  si  astrainte  que 
f  elle  ne  se  puet  tenir,  sique  ,  tout  considéré  «je  conseille 
ir  que,  la  tille  prinse  et  miseènno£rire  mercby,  nousn'alons 
tf  plus  avant  pour  la  saison  ;  mais  nous  retrairons  de  Ift  le 
s  Dunoe  ens  ou  rô^^ufane  de  Honguerie  ,  ouqueï  je  tiens 
«  plusieurs  ville^  ,  cités  et  chasieaulx,  tous  àppareiUiës  et 
«  envers  pour  vous  recepvoir ,  et  c^esf  bien  raison,  ou  cas 
«  que  vous  me  aidiés  à  faire  ma  guerre  contre  ces  Turs  et 

*'*  AfU  cj.'  —  *'*  Siéwir.  —  ***  Hmto  UàU  d'armes  sur  les  euie- 
mie  à  la  crestienté.  —  *  Qu'ila  avoient  mie  «a  leur  eubjection.  — 
^  Atteinte. 


Digitized  by 


Google 


2^0  PROJETS  BSS  CKQISÉS. 

j 

«  09i69crpian&,  lesquels  j'ay  trouves  et  treuve  durs  et 
<c  h^uiiSters  ennemis. .  En  cestuy  jyer ,  nous  ferons  nos , 
«  pourvéanoes,  Gha$|cun  selon  qu!J1,  les  vouldra  avoir,  pour . 
<x  resté  advenir ,  et  signifierons  nostre  estât  au  roy  de 
«  France.,  lequel.,  sur  Testi  ^1  retournera ,  nous  raffres- 
«.  chlra.da  iioovelles  gens.  Et,  eqpoir^  quant  il  saura  Tor- 
«  donni^nce  et  le  ^  convenant  '  de  nous  ,  aura-il  affection 
«.  de  7  venir  en  personne  i  car  il  est  joeune  et  de  grant 
«  voulenté,  et  ayme  moult  les  armes.  Et,  viengne  ou  non 
«  viengne ,  à  ]*esté  qui  retournera ,  se  il  plaist  à  Dieu  , , 
«  nous  acquitterons  le  rôyaulme  ,d'Ermënie  et  passerons  le 
«  Bras-SaintrJeorge  etyrons  en^urie  et  acquittei^ons  des . 
«  Sarrazins  les  pors  d^  '  Japbe  ^  et  de  Baruth  et  plusieurs 
«  autres ,  ^  pour  descendre  *  en  ^urie ,  et  irons  conquÀ*ir 
<(  la  cité  de  Jhérus^em  et  toute  la  Sainte-Terre.  Et»  se. 
«  le  sonldan  à  tout  son  effort  nQi|S  vien,t  au  deywti»  nous 
«  le  combaterons ,  ne  jà  ne  s'en  partira  sans  la  bataille , 
«  au  Dieu  plaisir,.  »^  Ainsi  avoit  dit  et  proposé  le  roy  de 
Honguerie  auK  seigneurs  de  France,  et  tenoient  eit  <^mp- 
toient  la  c^té  de  Nicolpoly  pour  eulx  ;  mais  il  en  avenra 
bien  autrement.    . 


Toute  celle  saison,  le  roy  Basaach  de  Turquie,  dit 
rAippurat};i-Bacquin,  avoit  fait  son "^  amas 'de  '  Sarrazins  et 
de  mescréans ,.  et  estoient  priés  et  mandés  jusques  ens  ou 
royanlme  de  Perse.  Et  se  ^^  prendoient  ^'  tous  les  seigneurs 
de  sa  loy  moult  près  i  luy  poursieuvir  et  aidier  pour  des- 
truire  la -sainte  crestienneté,  et  avoient  tous  passé  le  Bras-^ 

•-•  Commandement.  —  '-*  Japlia.  —  *-•  Et  irons.  —  '"•  Armée.  — 
•  Gens  d'armes.  —  '  «•"  Présentèrent. 


Digitized  by 


Google 


VABCHB  DS8  TURCS.  511 

Saint-Jeorge ,  et  estoient  bien  denx  cens  mille  * ,  et  de  la 
puissance  et  dn  nombre  *  d'euls  n'estoient  point  les  cres- 
tiens  certifia.  Et  tant  approchèrent  le  roy  Basaach  et 
ses  gens,  en  cheminant  les  couvertes  voyes,  que  ils  appro» 
chèrent  la  cite  de  Nicolpoly ,  et  riens  ne  sçavoient  les 
crestiens  de  leur  convenant ,  ne  que  ils  fussent  si  près 
de  eols  i^pronchiës  comme  ils  estoient  ;  car  cel  Amorath- 
Bacqnin  sçavoit  de  guerre  quanques  on  en  povoit  sçavoir , 
et  fut  en  son  temps  ung  moult  vaillant  homme  et  de  grant 
emprise  »  et  bien  le  monstra  ' ,  et  »  par  ^  le  grant  sens  qui 
en  luy  estoit ,  il  '  amyroit  *  bien  les  crestiens  et  leur 
puissance  »  et  disoit  bien  que  ils  estoient  ''  vaillans  gens. 

L'Amonrath-Bacquin ,  qui  venoit  pour  lever  le  siëge  de 
devant  la  cite  de  Nycolpoly  »  chevauchoit  en  Tordonnance 
que  je  vous  diray.  Tout  son  ost  estoit  en  elles ,  en  manière 
de  une  herche ,  et  comprendoient  bien  ses  gens  plus  d'une 
grande  lieue  de  terre  «  et  devant  environ  une  lieue,  pour 
faire  monstre  et  visage  ,  chevauchoient  environ  huit  mille 
Turs.  Et  les  deux  elles  de  TÂmourath-Bacquin  estoient 
ouTertes  ou  front  devant  et  estoient  estroittes  derriàre , 
mais  elles  espessissoient  tondis ,  et  estoit  TÂmourath  ou 
fons  de  la  bataille,  et  tous  cheminoient  à  la  couverte,  et  les 
huit  mille  Tors  qui  faisoient  Tavant-garde  devant,  estoient 
ordonnés  en  celle  entente  que  pour  faire  monstre  et  visage, 
mais  si  trestost  que  ils  verroient  les  crestiens  approchier, 
petit  à  petit  ils  dévoient  reculer  et  euls  retraire  ou  *  fort  * 
de  la  bataille  ,  et  les  deux  elles  ,  lesquelles  estoient  toutes 
ouvertes  ,  quant  les  crestiens  seroient  entres  dedens  ,  se 
dévoient  devant  clorre  et  par  grant  puissance  de  poèuple 
tout  estraindre  et  confondre  quanques  ils  trouveroient  et 

*•■  De  pniflflance  ;  et  da  nombre.  —  •-•  Par,  —  •^  .  ATÎBoit.  — 
»  Moult  —  •••  Fond. 


Digitized  by 


Google 


542  AAftCHE  0É8  T01KC8. 

ôncontreroient,  et  e&clorroient  en  leurs  elles.  Ainsi  fut 
faitté  Tordonnance  de  la  bataille  de  rAinotirath-Bacqain. 

Advint  en  ce  temps  que  on  compta  Fan  mil  CCCIIII»  et 
XYI  le  lundi  devant  le  jour  Saint-Michiel  on  mois  de  sep- 
tembre, sur  le  point  de  noeuf  heures ,  ainsi  que  le  roy  de 
Honguerie  et  les  seigneurs  et  leurs  gens,  qui  au  siège 
devant  Nicolpoly  estoient,  sëoient  au  disner,  nouvelles  Tin« 
drent  en  Tost  que  les  Turs  chevaucfaoient  à  puissance  non 
pas  moult  loing  de  là.  Et  «  sicomme  il  me  fut  dit  »  les  cou- 
reurs ne  rapportèrent  pas  la  véritë  de  la  besongne  »  car  ils 
n*avoientpas  chevauchië  si  avant  que  ils  eussent  veu  la 
puissance  des  deux  elles  de  la  grosse  bataille  du  dit  Amou* 
rath-Bacquin  ;  car,  si  tost  que  ils  veirent  Tavant-garde, 
ils  ne  chevauchèrent  plus  avant ,  ou  ils  n'osèrent  ou  ils 
n*estoient  pas  hommes  d'armes  de  sage  entreprise.  Et 
avoient  les  Franchois  leurs  descouvreurs  ,  et  les  Hongrois 
tes  leurs.  A  leur  retour,  chascun  coureur  retourna  devers 
son  seigneur  ou  son  maîstre,  et  rapportèrent  nouvelles  auc- 
qnes  aussi  tost  Tuâ  comme  Tautre.  La  greigneur  partie  de 
Fost  sëoient  au  disner.  Nouvelles  vindrent  à  Jehan  de 
Bourgoingné,  conte  deNevers,  et  au  conte  d*Eu,  connestable 
de  France ,  au  conte  de  la  Marche  ,  au  seigneur  de  Goucy, 
conte  de  Soissons ,  et  à  tous  seigneurs  en  généraf ,  en 
disant  :  a  Or  tost,  armës-vous  et  apprestës  que  vous  ne 
«  soies  sourprins  et  dëcheus ,  car  veës-cy  les  turs  qui 
«  viennent  et  chevauchent.  » 

Ces  nouvelles  resjouirent  grandement  plusieurs  crestiens 
qui  dësiroient  les  armes  ,  et  se  levèrent  sus  pies ,  et  bou- 
tèrent les  tables  ouHre,  et  demandèrent  leurs  armes  et 
leurs  chevauls,  et  avoient  le  vin  en  la  teste,  dont  à  la  vérité 
ils  estoient  eschauffés,  et  en  plus  grant  frëfeil  et  en  moins 
de  sens  et  de  bon  advis ,  et  se  trairont  chascun  quj 
mieulx  mieulx  sur  les  champs.  Banières  et  pennons  furent 


■  Digitized  by 


Google 


SA6BS  CONSULS  DfJ  EOI  DB  HÔHGtit.  SIS 

ddsvofopés  et  mis  avant.  Et  se  retray  chascun  dessoubs  sa 
banière  ou  son  pennon  ;  et  là  fbt  desveloupée  la  banière 
Mostre-Dame,  et  estoit  ordonné  pour  ^  la  porter  ^  ce  vaillant 
dievallier  messire  Jehan  de  Vienne,  admirai  de  France, 
ifonlt  se  avancbièrent  et  hastèrent  les  l^rançois  de  enls 
armer  et  de  traire  sur  les  champs  ,  et  y  farent  tons  des 
premiers  en  trës-grant  puissance  et  riche  arroy,  et  dôuidient 
moult  petit  les  Turs  ad  ce  que  ils  monstroiént ,  car  ils  ne 
cuidoient  point  que  le  nombre  y  ifuist  si  grant  comme  it 
estoit  et  rAmourath-Bacquin  en  propre  personne. 


Ainsi  que  les  seigneurs  de  France  ^  se  traioient  ^  hors  de 
leurs  logis  et  venoient  moult  '^  coiteusement  ^  sur  les 
champs  â  petite  ordonnance  ,  evous  venir  le  mareschal  du 
roy  de  Honguerie ,  ung  moult  appert  et  très-vaillant  che- 
vallier, qui  se  appelloit  messire  Henry  ^  d'Esteullemchale  '» 
monte  sur  ung  coursier  très-bien  alant,  et  portant  ung 
court  pennon  de  ses  armes  qui  estoient  d^argent  a  une 
croix  ancrée,  que  on  appelle  en  àrmoierie  ung  fer  de  mou- 
lin ;  et  vint  chevauchant  jusques  aux  seigneurs  de  France 
et  s'arresta  devant  la  bannière  Kostre-Dame,  etlà  estoient 
la  plus  grant  partie  de  barons  de  France ,  et  dise  tout 
hault,  sique  bien  fut  ouy  et  «ntendu  :  a  Je  suis  cy  envoie 
f  de  par  monseigneur  le  roy  de  Honguerie  ,  lequel  vous 
«  prie  et  mande  par  moy  ,  que  poiiit  vous  ne  fachiës  ung 
«  si  gi*ant  oultrage  que  vous  aies  commenchier  ^  Testour^^t 
«  ne  la  bataille  ,  ne  assaillir  les  ennemis  jusques  ad  ce 
i  que  vous  aurés  de  par  le  roy  autres  nouvelles  ;  car  il 
•  fait  grant  doubte  que  nos  descouvreurs  et  coureurs ,  et 

•■EUe.  —  ^  iMojent.  —  ••  Haativement  —  '-•  D'ErteaUlemi- 
challe..  FEgtenlemluaie.  —  •^  U  bataiUe. 


Digitized  by 


Google 


314  S4GBS  CONSULS  BU  ROI  M  BONGBI^. 

«  aussi  font  cenlx  de  son  conseil,  n'ont  point  bien  rapporté 
«  la  certaineté  des  Turs.  Et  dedens  deux  heures  ou  environ 
«  vous  orrës  autres  nouyelles ,  car  nous  avons  envoyé 
«  chevauçheurs  qui  chevaucheront  plus  avant  que  ceulx 
«  n'ont  fait,  qui  y  furent  envoies  et  qui  en  sont  retournés  et 
«  par  lesquels  nous  avons  eu  ces  nouvelles.  Et  soies  tous 
«  ^  confortés  *  que  les  Turs  ne  vous  envahiront  point ,  se 
tt  vofisne  les  assaillies,  jusques  i  tant  que  ils  seront  en  puis- 
«  sance  tous  ensemble.  Or  faittes  ce  que  je  vous  conseille  et 
«  devise ,  car  c*est  Tordonnance  du  roy  et  de  s<m  conseil. 
«  Je  m'en  retourne  ;  je  ne  puis  plus  demeurer.  • 

A  ces  mots  s*en  retourna  le  mareschal  de  Honguerie  , 
et  les  seigneurs  de  France  demeurèrent  et  se  misrent 
ensemble  pour  sçavoir  quel  chose  ils  feroient.  Là  fut 
demandé  au  seigneur  de  Goucy  quel  chose  en  estoit  bon  à 
faire.  U  respondy  et  dist  :  «  Le  roy  de  Honguerie  a  cause 
«  de  nous  mander  ce  qu  il  veult  que  nous  Cachons ,  et  Tor- 
«  donnance  du  mareschal  est  bonne.  » 

Or.  me  fut  dit  que  messire  Phelippe  d'Artois,  conte  d'Eu 
et  connestable  de  France  ,  se  félonna  de  ce  que  première- 
ment on  ne  luy  avoit  demandé  Tadvis  de  sa  response  et  que 
le  seigneur  de  Coucy  s'estoit  avanchié  de  parler.  Si  dist  par 
orgueil  et  par  despit  tout  le  contraire  de  ce  que  le  seigneur 
de  Coucy  avoit  nagaire^  dit  et  rémonstré ,  et  dist  :  «  Ouy, 
«  ouy,  le  roy  de  Honguerie  veult  avoir  la  fleur  de  la  jour- 
«  née  et  Tonneur.  Nous  avons  Tavant-garde  ,  et  jà  le  nous 
a  a-il  donnée.  Si  la  nous  veult  rétollir  et  avoir  la  première 
«  bataille  ,  et  qui  l'en  croira,  je  ne  l'en  crôiray  mie.  »  Et 
puis  dist  au  chevallier  qui  portoit  sa  bahière  :  a  '  Avant 
tf  baniëre  ^  ou  nom  de  Dieu  et  de  saint  Jeorge  ,  car  on  me 
«  verra  huy  bon  chevallier.  » 


'  Âsseiirés.  —  ^  Va. 


Digitized  by 


Google 


BATAILLE  B^  RICOPOU.  5i^ 

Qaant  le  sire  de  Co^cy  eut  o^  ^  le  conoestable  de  J^raoce 
ainsi  parler  * ,  si  tint  la  parole  eQ  gran;t  prësumption ,  et 
r^arda  sur  messire  Jehan  de  Vienne  »  qui  tenoit  et  pqrtoit 
la  banière  Nostre-Dame  ,  la  souveraine  de  toutes  les  autres  ; 
et  leur  raliance.  Si  luy  demanda  quel  chose  estoit  bonne  à 
faire  :  «  Sire  de  Coucy ,  dîst-il ,  là  où  vérité  et  raisota  ne 
«  pëvent  estre  oys  ,  il  convient  que  oultre-cuidance  règne. 
«  Et  puisque  le  conte  d'Ku^  veult  combatre ,  il  fault  que 
«  nous  le  sieuvons  ;  mais  serions  plus  fors»  se  nous 
«  estions  tous  ensemble  »  que  nous  jie  serons  là  où  nous 
•  as/BamUerons  sans  le  roj  de  Honguerié.  »  Et  quojque 
ainsi  ils  devisassent  et  parlassent  sur  les  champs,  les 
mescroiaas  approçhoient.  moult  fort»  et  les  deux  elles  des 
batailles ,  où  bien  avoit  en  chascune  quarante  mil  hommes» 
se  commenchoient  à  approchier  et  à  clorre ,  et  se  trou- 
vèrent les  crestiens  emmy  la  moyenne  de  ;euls«  et  se  recu- 
ler se  voulsissent»  si  ne  peuissent-ils  pour  '  euls  ^  »  tant 
estoient  les  deux  elles  fortes  et  espesses. 

Lors  congneurent  plusieurs  chevalliers  et  escnjiers  usés 
d*armes  que  la  journée  ne  povoit  estre  pour  euls.  Non 
obstant  ils  s*avanchèrent  et  sijeuvirent  la  baniëre  Nostre* 
Dame  que  ce  vaillant  chevallier  messire  Jehan  de  Vienne 
portoit.  Là  estoient  ces  seigneurs  de  France  si  richement 
en  leurs  armures  ^  et  en  si  bel  arroy  ^  que  chascunsembloit 
ung  roy.  Et  quant  ils  assamblërent  premièrement  aux  Turs» 
sicomme  il  me  fut  dit  »  ils  n*estoient  pas  sept  cens.  Or 
regardés  ja  grant  folie  et  le  grant  oultrage  ;  car  »  se  ils 
euissent  attendu  le  roy  de  Honguerié  et  ks  Hongres  où 
bien  avoit  soixante  mil  hommes»  ils  euissent  fait  ung  grant 
fait  ;  et  par  euls  et  par  leur  foie  oultre-cuidance  et  orgueil 

*^  Le  commandement  du  connectable  de  France.  —  "-^  Lee  Sarra- 
•ina  qoi  jà  lei  avoient  en  doa.  —  *^*  Si  proprement. 


Digitized  by 


Google 


3T6  iiitAïus 

fut  totite  la  perte,  et  le  âoamage  que  Os  recheupreDt ,  si 
graut  que  depuis  la  bataillé  de  Ronchevauls  où  les  dotuse 
pers  de  France  fùr^t  mors  et  desôonfls ,  ne  receaprent  si 
grant  dommage.  Mais ,  au  voir  dire ,  ils  firent  »  avant  que 
ils  enchéissent  on  dommage  et  on  dangier  de  Ieni*s  ennemis, 
grant  *  foison  d'armes  '.  Et  veoient  bien  les  plosieui's  che- 
valliers et  escuiers  que  ils  s'en  aloient  p^^ire  et  iout  par 
Torgneil  et  beubant  de  enls.  EU  desconfirent  néantmoins 
les  François  la  première  bataille  et  misrent  en  chace ,  et 
vindrent  sor  uiig  grant  val  où  TAmonrath  se  tenoit  aveue 
sa  puissance.  Lors  vonidrent  retourner  les  Frànchois 
deverft  Fost ,  car  ils  estoient  montas  toné  sur  cbevàals 
couvers  ;  mais  ils  ne  péureût ,  car  ils  furent  clos  ôt  serras 
de  toutes  pars.  Là  eut  grant  bàtdllé  ,  ^  a^pre  ^  forte  ^  et  * 
inoult  bien  *  combatue ,  et  durèrent  les  François  en  bon 
convenant  moult  ^  longue  espace  *. 

Les  nouvelles  vindrent  au  roy  de  Hongùerie  et  par  fout 
son  ost  que  les  cresitiens  françois  ,  anglois  et  allemâns  se 
combatoient  aux  Turs,  et  que  point  n'avoient  tenu  son 
ordoùnance ,  ne  son  conseil ,  ne  de  son  inareschal  aussi. 
Si  fût  moult  tourblê  et  courrouchië,  et  bien  y  avoit  raison  , 
ei  cotignut  tàntost  que  là  journée  n*estoit  point  pour  euls. 
Si  dîftt  ainsi  au  grani  inâistrè  de  feoddes  qui  estoit  àÀ4s 
luy  :  «  Nous  perdrons  huy  là  journée  par  le  grànt  orgueil 
«  e^  &eùbant  de  ces  François  ;  et ,  se  iîs  m'euissâit  creù , 
a  nous  avions  gens  à  plentë  pour  combatre  tios  ennemis.  » 

A  ces  paroles  regarda  le  roy  de  Èonguerie  derrière  lUy 
el!  vey  que  ses  gens  fuioiént  et  '  esclarcissoient  et  esbahis* 
soient  ^^  de  euls-meismes,  et  que  les  Turs  les  înettoient  en 
chàcé  :  dont  il  vey  bien  que  point  n'y  avoit  de  recouvraifce. 

•-•  iïdurtre  de  gens  d*arme8  tares.  —  •^  Dure.  —  •^  tort.  — 
*-*  LofigaeoMiit.  —  ^^  Descônfiàoient.  « 


Digitized  by 


Google 


DB  mmoiA.  217 

^  lA  diront  *  cealx  qui  ostoirat  (Méê  luy  :  «  Sire,  saiÛTés- 
.41  TOSUB  ;  car»  se  TOUS  estas  ne  mort  «naprios^ioate  Hou* 
«  goarie  est  perdue.  Il  nous  'faalt  *  bny  perdre  la  jptumée 
«  par  l'orgoeil  des  Praneboie.  Leur  Taillaiice  kunr  (oanumt 
«  à  ooltre<iiidaace  ;  car  tous  j  seront  mors  et  pris  «  et  ji 
«  nng  seul  ne  s'en  sauTora.  St*^  eschiév^'  le  dangiert 
€  se  TOUS  nous  en  roulés  croire.  » 

Auroyde  Hongaerie  n'aroit  que  oonrronchier ,  qoant 
il  Tey  que  il  perdoit  la  journée  par  le  desroy  et  oultrage 
4es  François,  et  que  il  le  eonfenoit  toir  «se  il  ne  Touloit 
«stre  mort  ou  prins.  Au  voir  dire ,  là  advint  très^*Ande 
pestilence  sur  les  Franchois  et  sur  les  Hongres  ;  car  tous 
scavés  «  qui  fnit ,  on  le  chace.  Les  Hongr^  fuioient  sans 
ordonnance  et  sans  arroy ,  et  les  Turs  lea  chaçoientà 
povoir.  Si  en  y  eut  moult  de  mors  et  de  prins  en  la 
ehace.  Tontaffois  Dieu  aida  le  roy  de  Honguerie  et  le 
grant  maistre  de  Bodes ,  car  ils  Yîndrent  sur  la  riTÎère 
de  la  Ponoe  et  trouvèrent  une  petite  barge  qui  là  s'ar- 
rastoit,  laquelle  estoit  au  ^  maistre  de  Roddes.  Us 
entrant  dedens  euls  sept  tant  seulement  et  eslongèrent 
taatost  la  rire.  Autrement  ils  euissent  esté  tous  mors  on 
prins  ;  car  les  Tars  yindrent  jusques  au  rivage  »  et  là  y 
et  grant  oceisien  de  oeulx  qui  poursieuvoient  le  roy  et  qui 
se  cuidoient  saulver.  Or  parlons  des  François  *. 

Quant  le  seigneur  de  Hontcavrel,  ung  moult  vaillant 

•  chevallier  d* Artois  ,  vey  que  la  desconfiture  toumoit  sur 
euls ,  il  avoit  là  ung  sien  jœune  fils,  ^i  dist  à  ung  sien 
escnier  :  «  Prens  mon  flls  :  si  l'emmaine.  Tu  te  peuls  bien 
c  partir  par  ceste  ella-là  qui  est  toute  ouverte.  Salue-moy 
«  '^  ma.  femme  ^^  J'attenderay  Taventure  avecques  les 

•^  Lori  Iny  eferièrent.   —  *^  Convient.   ^  •^  Bachappéi.  — 

*  Omt.*-*  Et  dw  AnMMiii,  qtii  tê  oombatoi<Bt  mBamnMiit  «t  moult 
d*sniim  j  feirsnt.  -^  *  Seigneur  et  goatti.  •*  **^  SsuUe  men  ais. 


Digitized  by 


Google 


318  BATAILLE 

«  antres.  »  Quant  Tenffant  07  parler  son  père  ,  si  dist  que 
point  ii  ne  se  dëpartiroit ,  ne  point  ii  ne  le  lairoit  ;  mais  le 
përe  à  force  flst  tant  que  rescnier  Temmena  et  le  mist  ho^s 
dn  péril  «  et  vindrent  snr  la  Dnnoe.  Mais  Tenfiant  qni  se 
Toioit  là  endroit  et  qui  estoit  trës-mérancolieux  pour  son 
père  qu'il  laissôit  ainsi ,  fut  noyë  par  grant  mësadveâ- 
ture  entre  deux  bargeÉ  ,  ne  oncques  homme  *  ne  le  pealt 
saulver. 

Messire  Ouillemme  de  la  Trimouille  estoit  en  la  bataille, 
et  moult  yaillament  se  combaty  ,  car  il  flst  ce  jour  grant 

*  foison  '  d*armes ,  et  là  fut-il  occis  ,  et  ung  sien  fils  sur 
Muy  ». 

Messire  Jehan  de  Vienne,  qui  portoit  la  banière  Nostre- 
Dame,  y  flst' moult  ^  d*armes,  mais  il  fut  là  ocds,  la 
banière  Nostre-Dame  entre  ses  poings  «  et  ainsi  fut-il 
trouve. 

Toute  la  force  des  seigneurs  de  Franise,  qui  pour  ce  jour 
furent  à  la  besoingne  de  Nycolpoly»  fut  là  ruée  jus  et 

*  deschirëe  *  aucqûes  par  la  manière  et  ordonnance  que  je 
vous  diray. 

Le  conte  de  Nevers,  messire  Jehan  de  Bourgoingne, 
estoit  pour  lors  en  si  grant  arroy  et  si  ^^  noble  "  que  plus 
on  n*en  povoit  faire ,  ne  mettre  avant  ^* ,  et  aussi  estoient 
messire  Guy  de  la  Trimouille  et  plusieurs  barons  et  che* 
valliers  de  Bourgoingne,  qui  tous  8*estoient  efforchiës  pour 
Tamour  de  luy.  Là  y  ot  deux  escuiers  de  Picquardie;  mouît 
vaillans  hommes ,  lesquels  s'estoient  trouves  en  plusieurs 
places  de  rencontres  et  dé  batailles  dont  ils  estaient  partis 
à  leur  honneur ,  et  aussi  firent-ils  de  la  besoingne  de 
Nycolpoly  :  ce  furent  Guillemme  "  du  Bus  "  et  le  Borgne 

*  Nul.  —  •-»  Fait.  —  *^  Le  lien.  —  •'  MwveiUe,  —  ^  Destraite. 
-.  •«-"  Riche.  —  «  Qu'il  se  povoit  faire.  —  «"  De  Ba. 


Digitized  by 


Google 


de  Moniquel.  Ces  den^  eecuiers ,  par  gréât  TaiBane»  et 
(tài  d'armes  et  ^  hardieme&t  *  combatre/passèrent  et^  tres- 
passèreBi  *  onltre  les  batailles  et  retournèrent  en  la  bataille 
par  deux  fois^  et  y  firent  plusieurs  grandes  àppertises 
d*armes ,  et  li  furent  occis.  *^  A  la  vërité  ^  dire  et  consi- 
dërer ,  les  cheiràlliers  et  escniers  de  France  et  lés  estran- 
giers  d'antres  nations  se  acquittièrent  et  portèrent  très- 
vaillamment  '  à  combatre  * ,  et  y  firent  mouK  d^armes!  Et» 
se  les  Hongres  se  ftaissent  anssi  vaillamment  portes  et 
acquittes ,  comme  firent  les  François  ,  la  besoingne  se 
faist  aultrement  portée  et  tournée  que  elle  ne  fist  ;  mais  de 
tout  le  *  mehaing  ^^,  à  considérer  raison,  les  Franchois  en 
ftunsnt  cause  et  coulpe  ;  car  par  leur  orgueil  et  désar- 
roiance  tout  se  perdy. 

Li  avoit  ung  chevallier  de  Picquardie,  qui  s*appell6it 
messire  Jacques  de  Helly ,  lequel  avoit  demouré  en  son 
temps  en  la  Turquie  ,  et  avoit  servy  en  armes  TAmorath 
père  i  ce  roy  Basaach  dont  je  parole  présentement ,  et  si 
sçavoit  ung  petit  parler  turc.  Quant  il  -^ey  que  la  descon* 
flture  "  toumeroit  ^*  sur  euls  »  si  eut  advis  de  soy'saulver^ 
car  il  veoit  que  qui  povoit  venir  jusques  i  estre  prins  ,  il 
se  rendait  et  mettoit  à  sanlfveté  »  et  tous  Sarrazins  qui 
sont  convoitteux  sur  or  et  sur  argent ,  les  prendoient  et 
tournoimt  d*un  lés  et  les  saulvoient.  Par  celle  manière 
fut  sanivé  de  non  estre  occis  messire  Jacques  de  Helly  en 
la  prise  et  en  la  chasse,  et  aussi  ung  escuier  de  Toumésis, 
qui  se  nommoit  Jacques  du  Fay,  et  avoit  servy  au  roy  de 
Tartarie ,  lequel  roy  s'appelloit  Tanburin.  Et  quant  ce 
Jaques  du  Fay  sceut  les  nouvelles  que  les  François  venoient 
en  Turquie ,  il  prist  congié  au  roy  de  Tartarie ,  lequel  lay 

*-•  A  force*  da.  —  *^  Tresperchôrent.  —  **  Au  voir.  —  ^**  Au  com- 
bat. —  •-^*  MûBchief .  —  "-«  Cooroit. 


Digitized  by 


Google 


3B0  luxâiiw. 

donna  amb  Ugîèrement.  Si  fut  prins  i  U  batidlleda 
Nycolpoly  et  saolvë  et  propremMt  des  geiu  du  roy  Taa* 
bioîn  de  Tartarie  qni  U  estoient  ;  car  cellny  roy  Tenburin, 
àlaprikre  et  re^aesie  de  rAmourath^Baequin,  y  avait 
envoie  graot  foison  de  ses  gens  ^  ^  ainsi  qne  *  les  '  roya 
crestiens  ou  payons  ,  quant  *  il  besongne  *  »  confortent  Vuu 
Tautre* 

Moult  grant  meschief  et  dommage  redieurent  devant  la 
cité  de  Nyoolpoly  en  Turquie  les  Fraachois  ;  car  ils  furent 
tous  mors  et  tous  prins ,  et  pour  ce  qulls  estoient  si  riche» 
oient  armés  et  arroyés  de  si  riehœ  *  parures  '  que  ce 
^embloieat  roys ,  on  en  saulva  à  grant  foison  les  vyes  ;  car 
ises  Sairazins  et  Turs  et  tous  ceulx  de  leur  loy  sont  grafi- 
dément  convoitteux  sus  or  et  sus  argent ,  et  leur  estoit 
advis  que  des  seigneurs  que  pris  avoient,  ils  *  extrairoiont  * 
grant  finance  »  et  les  tenoient  encoirqs  à  plus  graas  sei- 
gneurs que  ils  n'estoient. 

.  Messire  Jehan  de  Bourgoingne»  conte  de  Nevers,  fut 
prins ,  et  moult  d*armes  fist  ce  jour.  Aussi  furent  prins  le 
conte  d*£u  et  le  conte  de  la  Marche,  le  seigneur  de  Coucy, 
messire  Henry  de  Bar  »  messire  Gny  de  la  TrimouiUe , 
messire  Bouchicai](lt  et  ^^  messire  Jaques  de  Helly  ".  Et 
messire  Phelippe  de  Bar  fut  mort  sur  la  place»  et  messire 
Jehan  de  Vienne ,  messire  Guillemme  de  la  TrimouiUe  et 
son  fils. 

Sur  Tespace  de  trois  heures  ceste  grosse  bataille  fut 
faitte  »  et  perdy  le  roy  de  Honguerie  tout  sou  arroy  entiè- 
rement et  toute  sa  vaisselle  d'or  et  d'argent  que  la  avoit , 
chambres»  joiaulx  et  autres  choses  »  et  se  saulva,  luy  VU* 
tant  seulement ,  et  entra  en  ung  batel  de  Roddes  ,  lequel 

•  D*«rma8.  — "  Tom.  —  ^ Mtttiar est  —•'  Armupai.  —  •-»  Ektor- 
qaeroieat..  En  tolroient  moult.  —  **'"  Plaaieura  autres. 


Digitized  by 


Google 


DB  IfIGOPOLI.  321 

ayoit  là  amené  des  pcarvëancea,  et  luy  en  chèj  moult  bien, 
car  autrement  il  eoist  este  mort  ou  pris  sans  ^  recouvrier  '. 
Et  y  ot  '  sus  la  chace  ^  mort  et  occis  moult  d*hommes  plus 
assës  que  en  la  bataille ,  et  de  noyés  grant  foison.  Eureus 
se  tenoit  eelluy  qui  se  poYoit  saulyer  et  eschapper  de  mort 
par  quelque  voye  que  ce  fuist. 


Quant  toute  ceste  desconflture  fut  passée ,  et  que  les 
Sarrazins,  Turs,  Persains  et  tous  aultres  là  envoies  de  par 
le  souldan  et  les  roys  payens ,  furent  rettrais  en  leurs 
logis,  c'est-à-entendre  ens  es  tentes,  trefs,  aucubes  et 
payiDons,  que  conquis  avoient  sur  les  crestiens,  que  trop 
bien  pourreus  et  garnis  trouvèrent  de  vins  ,  de  viandes  et 
^  d*autres  biens  tous  prests  ',  dont  ils  se  aaisièrent  et  déme- 
nèrent leur  gloire  en  joye  et  en  revel,  ainsi  que  peult 
faire  ung  tel  poeuple,  lequel  a  eu  victoire  sur  les  ennemis,  le 
roy  Basaach  dit  TÂmourath^Bacquin  vint  descendre  à  grant 
foison  de  ménestrels,  selon  Fusage  que  ils  ont  en  leur  pays, 
devant  la  ^  maistre-tente  *  qui  avoit  este  au  roy  de  Hon- 
guérie,  laquelle  estoit  belle  et  bien  aoumée  de  moult  beaulx 
aoumemens  et  paremens,  où  le  dit  Âmourath  prinst  très- 
grant  *  plaisance  ^^  au  regarder,  et  entra  dedens  à  moult 
grant  gloire  et  magnificence ,  et  se  gloriffioit  en  son  cuer 
de  la  belle  victoire  que  il  avoit  eue  sur  les  crestiens  ,  et  eh 
^^  regracioit  les  dieux  et  les  déesses  ''  selon  sa  loy'où  il 
crëoit  et  que  les  paiens  croient.  Et  quant  on  Tôt  désarmé 
et  esventé  pour  rafireschir  et  reffroidier  ,  il  s'assist  sur 
ung  tapis  de  soye  emmy  la  tente  et  fist  venir  tous  ses  plus 
principaulx  et  grans  amis  pour  gengler  et  bourder  à  euls,  et 

*-•  Remède*  —  "**  En  fayant.  —  "  De  poarrôances  toutes  prestes. 
—  '.•  Maistresse-tente.  —  V»  Plaisir.  —  "-"  Remercioit  Dieu. 
XV.  —  FKOISSART.  31 


Digitized  by 


Google 


322  VICTOIRE 

il-meismes  les  mettoit  en  voye  ^  de  rire ,  de  jouer  et  d'es- 
batre ,  et  bien  disoit  que  prochaynement  tous  passeroient 
à  puissance  ou  royaulme  de  Honguerie  et  conquerroieut 
le  pays  et  ensieuvant  tous  les  autres  royaulmes  et  pays 
crestiens,  et  metteroit  '  en  son  obéissance,  et  luy  sou£Sroit 
de  chascun  tenir  en  sa  loy  »  mais  que  il  en  euist  la  sei* 
gnourie ,  et  vouloit  régner  comme  Alexandre  de  Maché- 
donne ,  qui  fut  roy  de  tout  le  monde  sur  douze  ans ,  du 
sang  duquel  il  se  disoit  estre  descendu  et  yssu.  Et  tous 
ceulx  qui  environ  luy  estoient ,  luy  accordoient  sa  parole 
et  s*encIinoient  contre  luy. 

Là  fist  le  roy  Basaach  faire  trois  commandemens.  Le 
premier  commandement  fut  que  quiconques  avoit  prison- 
nier ,  le  mesist  avant  dedens  le  second  jour ,  et  feust 
amené  devers  le  roy  et  ses  hommes.  Le  second  comman- 
dement fut  que  tous  les  mors  fuissent  cerchiés  et  visités  , 
et  les  nobles  qui  se  monstroient  à  estre  plus  grans  sei- 
gneurs que  les  autres ,  fuissent  trais  d'un  lés  et  laissiés 
en  leurs  '  parures  * ,  tant  que  il  les  euist  vous ,  car  il  vou- 
loit celle  part  aler  devant  souper.  Le  tiers  commandement 
fut  que  on  enquesist  véritablement  et  justement .  entre 
les  mors  et  les  vifs  crestiens  se  le  roy  de  Honguerie  y 
estoit  vif  ou  mort ,  ne  prins  prisonnier.  Tout  fut  fait  en  la 
manière  que  il  ordonna,  ne  nuls  n*euist  osé  ^  penser  ^  du 
contraire. 

Quant  FÂmorath-Bacquin  fut  rafreschy  et  remis  en 
autres  habis  ,  11  luy  vint  eu  plaisance  et  voulenté  que  il 
yroit  veoir  les  morts  où  la  bataille  avoit  esté  ;  car  dit  luy 
fut  que  trop  grant  ^  foison  ^  de  ses  gens  il  avoit  perdus  et 
que  trop  luy  avoit  cousté  la  bataille  ,  desquelles  paroles  il 
estoit  moult  esmerveillié  et  ijie  le  povoit  croire.  Si  monta 

*  Et  en  matière.—  •  Tout.—  »-*  Points.  —  »"•  Faire  —  V  Nombre. 


Digitized  by 


Google 


DE  BAIAZBT.  383 

à  cheval,  et  grant  foison  de  nobles  hommes  de  son  ost  en 
sa  compaignie  ,  et  estoient  les  plus  prouchams  dn  roy  et 
de  son  conseil  Âlis-Basaach  et  le  Sour-Basaach.  Aucunes 
gens  disoient  que  c*estoient  ses  frères,  mais  il  ne  les  vouloit 
point  recongnoistre  et  disoit  que  il  n'avoit  nul  frère. 

Quant  il  fut  venu  jusques  au  lieu  où  la  bataille  ayoit 
esté  et  où  les  mors  et  occis  gésoient ,  si  trouva  en  vérité 
tout  ce  que  dit  luy  avoit  esté  ,  car  pour  ung  crestien  de 
ceulx  qui  gésoient  sur  les  champs  morts  ,  il  y  avoit  trente 
Turs  ou  plus  ou  aultres  homqies  de  sa  loy.  Sy  fut  dure- 
ment courrouchié  en  soy-meismes.  Âdont  il  dist  tout 
hault  :  «  Il  y  a  eu  icy  moult  crueuse  bataille  sur  nos  gens, 
«  et  merveilleusement  fort  se  sont  ces  crestiens  ^  vendus  ', 
«  mais  je  feray  celle  occision  '  terriblement  ^  comparer  à 
«  tous  ceulx  qui  sont  demeurés  en  vie.  » 


^  Alors  ^  se  départy  TAmourath-Bacquin  de  la  place  et 
retourna  aux  tentes  et  logis  où  il  se  aaisa  de  ce  que  il 
trouva,  tant  du  sien  comme  des  pourveances  que  ils  avoient 
trouvé  et  conquesté  à  la  journée ,  et  passa  la  nuit  en 
moult  grant  fureur  de  cuer.  Quant  ce  vint  au  matin , 
avant  que  il  fuist  levé  ,  ne  que  il  s'amonstrast ,  grant  foi- 
son de  ses  hommes  se  assamblèrent  en  la  place  devant  sa 
tente  pour  veoir  et  sçavoir  quel  chose  il  vouldroit  faire 
des  prisonniers  qui  prins  estoient ,  car  la  commune 
renommée  couroit  en  Tost  de  toutes  pars  que  tous  les  pri- 
sonniers crestiens  qu*ils  tenoient,  seroient  sans  respit 
morts  et  détrenchiés  sans  ent  nul  prendre  à  merchy ,  ne  a 
pitié  ;  mais  ainsi  ne  advint-il  pas.  L*Amourath-Bacquin 
avoit  réservé  ,  quelque  fureur  ,  ne  courons  que  il  euist  (et 

*••  ReTODgiAi..  Deffendus.  —  »-*  Chier..  Bien.  —  ^  Adont. 


Digitized  by 


Google 


324  QUELQUES  SEIGNEUES  SONT  EXCEPTÉS 

ordonna  de  soy-meismes)  que  les  grans  seigneurs  des 
crestiens  que  ses  hommes  avoient  prins  et  vous  et  trouyés 
en  grant  arroy  eu  la  bataille  ,  fuissent  tournés  d*un  les  ; 
car  dit  luy  fut  que  ceulx  paieroient  grandes  raenchons ,  et 
pour  ce  s'estoit-il  incline  à  eulx  sauver. 

Aveuc  tout  ce  il  estoit  bien  advenu  que  plusieurs  Sarra- 
zins  ,  payons ,  Persains ,  Tartres  ,  Arabes  ,  Lectuaires , 
Turs  et  Suriens  avoient  prins  des  prisonniers ,  dont  ils 
pensoient  grandement  à  mieulx  valloir,  ainsi  que  ils  firent 
Si  les  cellërent  et  muchôrent ,  et  ne  vindrent  pas  tous  à  la 
coQgnoissance  de  TAmourath-Bacquin.  Et  advint  que 
messire  Jacques  de  Helly  fut  le  marredy  au  matin  amène 
devant  la  tente  du  roy  aveuc  plusieurs  autres ,  et  ne  Posa 
celluy  qui  pris  Tavoit»  plus  celler,  ne  garder  ;  et  ainsi  que 
on  attendoit  la  venue  de  TAmourath ,  les  chevalliers  et 
les  hommes  de  son  hostel  se  tenoient  là  tous  quois  et 
regardoient  ^  les  chevalliers  de  France  et  autres  prison- 
niers. Si  ot  le  dit  messire  Jacques  de  Helly  *  si  bonne  adven- 
ture  ^  pour  luy  que  il  fut  recongneu  des  gens  et  serviteurs 
du  corps  et  del  hostel  de  TAmourath-Bacquin.  Si  fist  recon- 
gnoissance  à  euls ,  et  euls  à  luy ,  et  le  dëlivrôrent  tantost 
les  Turs  des  mains  de  celluy  qui  prins  Favoit ,  pour  tant 
que  ils  le  recongneurent ,  et  demeura  ens  es  mains  et 
ordonnance  des  hommes  de  TAmourath  :  dont  il  tenoit 
l'aventure  à  belle  ,  et  voirement  le  fut-elle ,  ainsi  que  vous 
orrés  recorder  ,  car  aux  aucuns  crestiens  elle  fut  piteuse 
et  crueuse. 

Avant  ce  que  le  roy  Basaach  venist  en  la  place ,  ne  que 
il  s'amonstrast  générallement  à  tous  ses  hommes  ,  on  avoit 
enquis  et  demandé  par  ordonnance  lesquels  des  seigneurs 
crestiens  estoient  les  plus  grans  ,  et  furent  bien  examinés 

*  L*un  Taatre.  —  *■•  Celle  adventaro  à  bonne. 


Digitized  by 


,"y  Google 


DU  IIAS8ACEB  DB8  CROltiS.  3S5 

des  lattiniers  du  roy,  et  forent  mis  d'an  les  pour  les  sanver 
de  non  occire,  premièrement  messire  Jehan  de  Bourgoingne, 
conte  de  Nevers,  ddef  de  tous  les  autres ,  secondement 
messire  Phelippe  d*Ârtois,  conte  d*Eu,  le  conte  de  Marche, 
le  seigneur  de  Coucy,  messire  Henry  de  Bar,  messire  Guy 
de  la  Trimouille  et  tant  que  il  en  y  ot  jusques  à  huit ,  les- 
quels TAmourath  voult  veoir  et  parler  à  euls  ,  et  les 
regarda  moult  longuement ,  et  forent  conjurés  ces  sei- 
gneurs sur  leur  foy  et  sur  leur  loy  se  ils  estoient  tels 
comme  ils  se  nommoient.  Et  encoires ,  pour  mieulx  en 
sçavoir  la  yëritë  ,  on  se  adyisa  que  on  envoyeroit  devers 
euls  le  chevallier  franchois  que  je  nomme  messire  Jaques 
de  Helly  ,  car  par  raison  il  les  devoit  bien  congnoistre ,  et 
jà  estoit  recongneu  de  l'Âmourath  auquel  il  avoit  servy  : 
si  estoit  prins  sus  et  ^  hors  du  *  péril  de  mort.  Si  luy  fot 
dit  et  demandé  se  il  congnoissoit  ces  chevalliers  de  France 
prisonniers  qui  là  estoient  ou  '  fons  *  des  autres  ensemble. 
Il  respondy  :  «  Je  ne  sçay.  Se  je  les  veoie  ,  je  les 
«  congnoisteroie  bien.  Je  y  regarderay  voulentiers.  *» 
Dont  luy  fot  dit  et  enjoindi  :  «  Âlés  par  devers  euls,  et  les 
«  advisés  et  regardés  bien  et  rapportés  la  certaineté  de 
«  euls  à  TAmourath  et  de  leurs  noms  ;  car  sur  vostre 
«  parole  il  aura  advis.  »  Il  le  fist  ainsi  que  dit  et  ordonné 
luy  fot ,  et  s'en  vint  devers  les  seigneurs  dessus  nommés 
et  les  enclina  ,  et  tantost  les  ^  ravisa  et  recongneult  ^.  Si 
parla  à  euls  et  leur  dist  son  adventure  et  comment  il 
estoit  là  envoyé  de  par  TAmourath  à  sçavoir  se  ils  estoient 
tels  que  ils  se  disoient  et  nommoient.  Ils  respondirent 
sagement  et  dirent  :  a  Messire  Jaques,  vous  nous  con- 
«  gnoissiés  tous,  et  si  povés  veoir  ^  comment  *  la  fortune  est 
«  contre  nous  et  que  nous  sommes  en  grant  dangier  et  en 

•■  An  —  •"*  Fond.  —  "  Avisa  et  congneat.  —  '••  Comme. 


Digitized  by 


Google 


QUELQUES  ftEIGNBURS  SONT  EXCETTÉS 

«  la  merchy  de  ce  roy ,  siques  pour  nons  sanlvdr  les  vies, 
tt  faittes  noas  encoires  plus  grans  devers  ce  roy ,  que 
«  nous  sommes,  et  dites-luy  que  nous  sommes  hommes  et 
u  seigneurs  pour  payer  grant  finance.  »  Adont  respondy 
messire  Jacques  :  a  Messeignenrs  »  tout  ce  feray-je  moult 
«  Youlentiers ,  et  ad  ce  faire  suis-je  tenu.  » 

Dont  retourna  le  choyallier  devers  TÂmourath  et  son 
conseil»  et  leur  dist  que  ces  seigneurs  qui  prins  estoient 
etausquels  présentement  parle  avoit,  estoient  les  plus 
grans  et  les  plus  nobles  du  royaulme  de  France  et  moult 
prouchains  de  lignage  du  roy  de  France,  et  paieroient 
pour  leur  délivrance  grant  somme  ^  de  fiourins  *.  Ces 
paroles  furent  assës  agréables  à  rAmourath  ,  et  voult 
entendre  à  autre  chose  et  dist  ainsi  que ,  ceulx  tant  seule- 
ment réservés,  tous  les  autres  qui  prisonniers  estoient , 
seroient  mors  et  détrenchiés,  et  délivreroit-on  ainsi  le  pays 
d*eulx  ,  par  quoy  tous  les  autres  s*i  exemplieroient. 

Adont  s'amonstra  le  roy  à  tout  le  poeuple  qui  là  8*estoit 
assamblé  ,  et  quant  ils  le  veirent  venir ,  tous  ensemble  se 
enclinèrent  contre  luy  et  luy  firent  la  révérence ,  et  se 
misrent  les  hommes  de  FAmourath  en  deux  elles  ,  et  le  dit 
roy  et  les  plus  nobles  de  son  hostel  et  de  sa  compaignie 
estoient  ou  chief  de  ces  deux  elles ,  et  se  ouvrirent  et 
tenoient  les  espées  toutes  nues  par  ordonnance  en  leurs 
mains  ,  et  le  conte  de  Nevers  et  ceux  qui  estoient  réservés 
de  non  morir,  assés  près  d'eux  ;  car  le  roy  vouloit  que  ils 
veissent  la  correction  et  discipline  que  Ten  feroit  du  demeu- 
rant des  autres  ,  à  laquelle  chose  faire  tous  les  Sarrazins 
estoient  moult  enclins  et  désirans  '  du  *  faire. 

Dont,  furent  amenés  ainsi  que  tous  nuds ,  en  leurs  linges 
draps,  l'un  après   l'autre  ,  plusieurs  bons  chevalliers  et 

*-»D'or. -"'^Dece. 


Digitized  by 


Google 


DU  lUMACRE  DES  CROIStS.  527 

escuiers  du  royaulme  de  France  et  d'autres  nations»  qui 
prins  avoient  esté  en  la  bataille  et  sus  la  chace ,  devant 
rAmpurath-Bacquin ,  lesquels  il  regardoit  ung  petit  ;  et 
quant  il  les  avoit  veus,  il  les  mettoit  hors  de  son  regard , 
puis  faisoit  ung  signe  que  ils  fuissent  mors  et  détrenchiës , 
et,  si  trestost  que  ils  entroient  entre  ceulx  qui  aux  espées 
toutes  nues  les  attendoient ,  ils  estoient  frappés  et  mors  et 
détrenchiés  pièce  à  pièce  sans  en  avoir  nulle  pitié ,  ne 
merchy.  Celle  ^  malle  '  justice  âst  faire  ce  jour  l'Âmourath- 
Bacquin,  et  en  y  ot  plus  de  trois  cens,  tous  gentils  hommes 
de  diverses  nations,  mis  en  ce  party,  dont  ce  fut  dommage 
et  pitié  grant ,   quant  ainsi  furent  '  martirisés  ^  pour 

*  l'amour  •  de  Nostre-Saulveur  J^ésu-Crist,  qui  en  vueille 
avoir  les  âmes.  Entre  lesquels  (ceulx  qui  là  furent  ainsi 
détrenchiés  et  occis  en  la  fourme  et  manière  que  je  vous 
déclaire),  ce  gentil  chevallier  françois  et  haynnuyer  Henry 
d*Anthoing  en  fut  Tun  :  Dieu  luy  soit  piteux  et  miséricords 
à  rame  1  Et  advint  que  messire  Bouchicault,  mareschal  de 
France ,  fut  tout  nud  amené  aveuc  les  autres  devant  le  dit 
Amourath  ,  et  euist  eu  celle  peine  et  celle  mort  crueuse 
sans  merchy  ,  se  messire  Jehan  de  Bourgoingne,  conte  de 
Nevers,  ne  Teuist  ravisé  ;  mais,  si  trestost  que  il  le  vey,  il 
se  départy  de  ses  compaignons  qui  tous  "^  eshidés  ^  estoient 
delà  crueuse  paynne  que  on  faisoit  souffrir  à  leurs  gens  , 
et  8*en  vint  jetter  et  mettre  à  deux  genoulx  devant  le  dit 
roy  Basaach ,  et  luy  prya  et  requist  de  bon  cuer  et  très- 

•  adcertes  *•  que  on  voulsist  saulver  et  respiter  ce  che- 
vallier nommé  Bouchicault ,  car  il  estoit  trop  grandement 
bien  du  roy  de  France  et  puissant  assés  pour  payer  grant 
raenchon,  et  luy  âst  encoires  le  dit  conte  de  Nevers  signe, 

•-•  Cruelle.  —   »-*  Tonrmentës.  — •  ""•  L'honneur.  —  ''-•  Esbahis.  — 
*~'*  Affectueusement. 


Digitized  by 


Google 


328  QUELQUES  SBIGREORS  SONT  EXCEPTÉS 

en  comptant  d'une  main  en  Fautre ,  qu'il  paieroit  grant 
finance ,  pour  mieulx  adoulcir  la  furenr  da  roy  Basaach. 
Le  roy  s'enclina  et  descendy  à  la  parole  et  prière  da  noble 
conte  de  Nevers ,  et  fut  messire  Bonchicault  tourne  d'un 
lés  et  remis  aveuc  les  autres  et  respitë  de  non  morir. 
Depuis  luy  en  y  et  des  autres  et  tant  que  le  nombre  cj- 
dessus  fut  accomply  et  emply. 

Ceste  cruense  vengance  et  justice  faitte  des  crestiens  , 
on  entendy  à  autres  choses  ;  et  me  semble  que  il  advint 
ainsi ,  selon  ce  que  je  fuy  infourmé,  que  rAmourath  ot 
plaisance  et  voulentë  que  la  belle  journée  de  victoire  que 
il  avoit  eue  sur  les  crestiens  et  la  prinse  du  conte  de 
Nevers  seroit  signifiée  en  France  par  ung  chevallier  de 
France  et  manifestée.  Si  furent  prins  trois  chevalliers 
franchois,  entre  lesquels  messire  Jacques  de  Helly  estoit 
Tun  »  et  furent  amenés  devant  FAmourath  et  le  conte  de 
Nevers  aussi ,  et  fut  demandé  au  conte  de  Nevers  lequel 
des  trois  il  vouloit  qui  feist  le  message  et  alast  par 
devers  le  roy  de  France  et  son  përe  le  duc  de  Bourgoingne. 
Messire  Jacques  de  Helly  ot  celle  bonne  adventure  pour 
tant  que  le  conte  de  Nevers  le  congnoissoit  jà  ,  et  dist 
ainsi  :  «  Sire  ,  je  vueil  que  cestuy-cy  y  voist  de  par  vous 
tt  et  de  par  nous.  »  Geste  parole  fut  acceptée  de  TAmourath 
et  des  seigneurs  de  France ,  et  les  deux  autres  chevalliers 
furent  renvoies  et  délivrés  au  poeuple  pour  occire  et  des- 
membrer,  ainsi  que  ils  ^  furent  *,  dont  ce  fut  grant  pitié. 

Après  toutes  ces  choses  et  ordonnances  faittes,  on  se 
appaisa ,  et  entendy  le  dit  roy  que  le  roy  de  Honguerie 
n'estoit  ne  mort,  ne  prins  ,  mais  s'estoit  saulvé.  Si  ot  con- 
seil que  il  se  retrairoit  en  Turquie  et  par  devers  la  cité  de 

^  Bruse  ^,  et  li  seroient  menés  ses  prisonniers,  et  que  pour 

• 

•••Firent.  —  •♦Burse. 


Digitized  by 


Google 


DU  MASSAGRB  DBS  CROISÉS.  S29 

celle  saison  il  en  avoit  assës  fait,  et  donroit  à  ses  hommes 
congie  et  à  cenlx  des  loingtains  royaulmes,  qui  servy 
ravoient  en  ce  voyage.  Ainsi  fat  fait  comme  il  le  ordonna  , 
et  se  dét)artirent  ses  osts  ,  car  il  y  avoit  gras  de  Tartarie, 
de  Perse ,  de  Mëde  »  de  Snrie,  d'Alexandrie,  de  Lecto  et 
de  monlt  loingtaines  contrées  des  mescroians. 

Encoures  aveuc  tontes  ces  ordonnances  fat  ordonné  et 
délivré  par  ce  roy  Basaach  le  chevallier  françois  messire 
Jacqnes  de  Helly  de  retonmer  en  France  et  de  luy  salaer 
le  roy  de  France ,  et  lay  fat  enjoind  et  chargié  que  il 
tenist  son  chemin  parmy  Lombardie  et  lay  saluast  le  doc 
de  Millan  nommé  messire  Galéas  Yisconte,  et  vouloit  trôs« 
bien  FÂmoorath-Bacqain,  et  estoit  telle  son  intention,  que 
le  bon  chevallier  franchois  messire  Jacqnes  de  Helly  sur 
son  chemin,  partout  où  il  vendroit  S  en  villes,  cités,  chas- 
teaulx ,  forteresses  ,  bours  et  passages,  prononchast  et 
manifestastja  belle  journée  de  victoire  que  le  roy  Basaach 
dit  FÂmourath-Bacquin  avoit  eue  sur  les  crestiens.  Jehan 
de  Bourgoingne,  conte  de  Nevers,  rescripvy  pour  luy  et 
pour  tous  les  autres  qui  prisonniers  estoient ,  au  roy  de 
France  et  à  son  père  le  duc  Phelippe  de  Bourgoingne  et 
à  sa  mère  la  duchesse. 

Quant  le  chevallier  eut  toute  sa  charge  tant  de  lettres 
comme  de  paroles  ,  il  se  départy  de  TÂmourath-Bacquin 
et  de  ses  barons  et  des  seigneurs  de  France ,  et  se  mist  à 
la  Yoye ,  et  fut  Tintention  de  TAmourath,  et  fist  jurer  et 
certiffier  au  dit  chevallier,  que,  fait  son  voyage  et  nonchié 
au  roy  et  aux  autres  tout  ce  dont  il  estoit  chargié ,  au  plus 
tost  que  il  pourroit  il  se  metteroit  au  retour.  Ainsi  '  Tôt 
en  convenant  '  et  le  jura  le  chevallier,  et  le  tint  à  son  léal 
poYoir.  Nous  nous    souffrirons  ung  petit  à  parler  de 

*  Et  passeroit  —  •^  Le  pronmit. 


Digitized  by 


Google 


350  LES  DÉBRIS  DB  L  ARHÉB  CBRiTUraiE 

rAmoarath-Bacquin  et  des  seigneurs  de  France  qui  ses 
prisonniers  estoient  et  demourërent  tant  et  si  longuement 
que  il  luy  vint  à  plaisance ,  et  parlerons  d'autres  nouvelles 
qui  toutes  ^  descendirent  *  de  ceste  matière. 


Âpr&s  ceste  grant  desconfiture  qui  fut  faitte  par  les  Turs 
et  par  leurs  aydans  sur  les  crestiens  «  sicomme  il  est  icy- 
dessus  contenu  en  nostre  histoire  »  chevalliers  et  escuiers 
'  qui  ce  lundy  au  matin  estoient  aies  fourragier  et  qui 
point  ne  furent  à  la  bataille  et  à  la  desconfiture  ,  qui  saul- 
ver  se  porrent ,  se  saulvèrent.  Et  en  y  ot  plus  de  trois 
cens,  chevalliers  et  escuiers  ^,  car  quant  ils  entendirent  par 
les  desconfis  et  fuyans  comment  la  desconfiture  estoit 
advenue  sur  leurs  gens  ,  ils  n'eurent  nul  talent  de  retour- 
ner vers  leurs  logis  ;  mais  «  au  plus  tost  que  ils  peurent , 
se  misrent  à  salvation  et  prindrent  divers  chemins  en 
eslongant  le  péril  de  la  Turquie.  Et  entrèrent  les  fuyans , 
Franchois  et  de  autres  nations  ,  comme  AUemans,  Angloîs, 
Escochois ,  Behaignois  ,  Franchois,  Flamens  et  autres,  en 
ung  pays  qui  joind  à  la  Honguerie  ,  que  on  appelle  la 
Blacquie  ,  et  est  une  terre  raemplie  de  diverses  gens  ;  et 
furent  jadis  conquis  sur  les  Turs  et  retournés  de  force 
à  la  foy  crestienne. 

Les  gardes  des  pors  et  des  passages  et  des  villes  ,  des 
cités  et  des  chasteauhc  de  celle  contrée  nommée  Blacquie 
laissoient  entrer  et  venir  assés  légiërement  les  crestiens 
entre  euls ,  qui  de  la  Turquie  venoient  ^  ;  mais  ,  au  matin, 

*-*  DdBcendent.  —  "^  Qui  saulver  se  porrent,  se  sanlvôrent.  Et  y  en 
ot  pins  de  trois  cens  ,  chevaliers  et  escuyers,  qui  le  landi  au  matin 
estoient  aies  fourragier ,  qui  point  ne  furent  &  la  bataille,  ne  à  la  des- 
confiture. —  'Et  les logoient. 


Digitized  by 


Google 


TRAVERSENT  l'aIXEIUGRE.  351 

an  prendre  congié  ,  ils  toUoient  aux  chevalliers  et  escuiers 
tout  ce  que  ils  ayoient,  et  les  mettoient  en  une  petite  cot- 
telle  et  leur  donnoient  ung  petit  d'argent  pour  passer  la 
joumëe  tant  seulement.  Celle  grâce  faisoient-ils  aux  gen- 
tils hommes  »  et  les  autres  gros  vallets  qui  point  n'estoient 
gentils  hommes,  ils  les  despouilloient  tous  nuds  et  les  bat- 
toient  de  verges  villainement»  comme  ceulx  qui  n*en  avoient 
nulle  pitié.  Et  orent  toutes  ces  gens  ,  Franchois  et  autres, 
moult  de  povretés  et  de  paynnes  à  passer  la  Blacquie  et 
tonte  Honguerie ,  ne  à  paines  povoient-ils  trouver  qui  pour 
Tamour  de  Dieu  lenr  voulsist  donner  ^  du  *  pain ,  ne  euls 
au  vespre  logier  ou  herbergier.  Et  endurèrent  '  ce  dan- 
gier  ^  les  passans  jusques  à  tant  que  ils  furent  venus  à 
Vienne  en  Austrice.  Là  furent-ils  recueillies  ung  petit  plus 
doulcement  des  bonnes  gens  qui  en  eurent  pitié ,  et  rêves- 
toient  les  nuds  et  départoient  de  leurs  biens  ,  et  ainsi  tout 
parmy  le  royaulme  de  Boesme  ;  car,  se  ils  euissent  trouvé 
aussi  durs  les  Âllemans  comme  ils  firent  les  Hongres,  ils 
ne  peuissent  estre  retournés  en  leurs  lieux  ,  mais  fuissent 
tous  mort  de  froit  et  de  famine  sur  les  chemins. 

Ainsi  que  ils  venoient  et  retournoient  ou  seuls  ou  à  com- 
paignie ,  ils  recordërent  ces  povres  nouvelles,  dont  toutes 
gens  qui  les  ouoient ,  en  avoient  pitié,  '^  le  *  plus  les  ùngs 
que  les  autres.  Et  tant  avalèrent  les  fuyans  et  ^  enchâssés  * 
que  ils  vindrent  en  France  et  à  Paris.  Si  y  commencèrent 
à  ®  bouter  hors  ces  dures  et  angoisseuses  nouvelles  ,  les- 
quelles du  premier  on  ne  vouloit ,  ne  povoit  croire  ;  et 
disoient  les  aucuns  parmy  Paris  :  «  C'est  dommage  que  on 
«  ne  pend  ou  noyé  ceste  ribaudaille  qui  ^^  ont  mis  hors  et 
a  mettent  ^^  tous  les  jours  tels  gengles  et  '*  tels  bourdes  ^'.n 

•••  Un  morceau  de.  —  ■-*  Ceste  povreté  et  misôre.  —  •-•  Et.  —  '•• 
Encachiës.  —  •  Dire  et.  —  ••-"  Sèment.  —  *■-•*  Fallaces. 


Digitized  by 


Google 


35S  XACQUB8  DE  HELLT 

Non  obstant  ces  menaces  ,  tons  les  jours  monteplioient  et 
partout  s'espardoient  ces  nonvelles  ;  car  nouvelles  gens 
reyenoient ,  qui  en  parloient  les  ungs  en  une  manière  »  et 
les  autres  en  une  autre. 

Quant  le  roy  de  France  entendi  que  telles  nouvelles  se 
multiplioient  et  continuoient,  si  ne  luj  furent  pas  plaisans, 
car  trop  grant  dommage  y  avoit  des  nobles  de  son  sang  et 
des  bons  chevalliers  et  escuiers  du  royaulme  de  France.  Et 
fist  ung  commandement ,  affin  que  nuls  n*en  parlast  plus 
avant  jusques  à  tant  que  on  seroit  infourmë  de  la  vérité  ou 
de  la  mencboingne ,  que  tous  ceulx  qui  en  parloient  et 
devisoient  et  qui  disoient  que  ils  retoumoient  de  Hongnerie 
et  de  Turquie  ,  fuissent  incontinent  boutés  ou  Chastelet  de 
Paris.  Si  en  y  ot  bouté  grant  foison  ,  et  leur  fut  dit  que , 
se  on  trouvoit  en  menchoingne  les  paroles  que  dit  avoient , 
il  estoit  ordonné  que  ils  seroient  tous  noies  ;  et  en  furent 
en  la  fureur  du  roy  en  grant  adventure. 


Or  advint  que  ^  la  propre  nuit  ^  du  Noël,  que  on  dist  en 
France  kalendes  ,  messire  Jacques  de  Helly  sus  heure  de 
nonne  entra  en  la  viUe  de  Paris  ,  et,  si  trestost  que  il  fut 
descendu  de  son  cheval  i  son  bostel ,  il  demanda  où  le  roy 
estoit.  On  luy  dist  que  il  estoit  à  Saint-Pol-sur-Seyne.  Lors 
il  se  traist  celle  part.  Pour  ce  jour  estoient  delés  le  roy 
le  duc  d'Orléans  son  frère ,  le  duc  de  Berry ,  le  duc  de 
Bourgoingne  et  le  duc  de  Bourbon  ses  oncles ,  le  conte  de 
Saint-Pol  et  moult  d'autres  nobles  du  royaulme  de  France» 
ainsi  que  à  une  telle  solempnité  les  seigneurs  vont  de  cous- 
tume  voulentiers  veoir  le  roy  et  est  d'usage. 

Messire  Jaques  de  Helly  entra  en  Tostel  du  roy  à  Saint- 

"  Le  propre  jour. 


Digitized  by 


Google 


ARUTB  A  PARIS.  S55 

Pol  en  l'arroy  que  je  tous  dy,  tont  housë  et  toat  espou- 
ronnë.  Et  pour  ce  jour  il  n'y  estoit  point  congneu ,  car  il 
ayoit  trop  plus  poursuivy  et  hanté  les  parties  de  oultre-mer 
et  loingtaines,  quërant  les  ayentures,  que  les  prouchaines  de 
sa  nation.  Si  fist  tellement  par  sa  parole  que  il  approcha 
la  propre  chambre  du  roy,  et  se  ^  donna  à  congnoistre  que 
il  quéroit  '  ;  car  il  dist  que  il  venoit  tout  droit  de  la  court 
du  roy  Basaach  dit  TAmourath-Bacquin  et  de  la  Turquie, 
et  ayoit  esté  à  la  bataille  de  Nycolpoly ,  où  les  crestiens 
franchois  et  de  autres  nations,  résenrë  les  Hongres,  ayoient 
este  tous  mors  ou  prins,  et  de  tout  ce  il  apportoit  certaines 
nouyelles,  tant  de  Jehan  de  Bourgoingne,  conte  de  Noyers, 
comme  des  autres  seigneurs  de  France,  qui  en  sa  compaignie 
estoient  passés  oultre  en  la  Honguerie. 

Les  cheyalliers  de  la  chambre  du  roy  entendirent  à  ces 
'paroles^  moult  youlentiers ,  car  bien  sçayoient  que  le 
roy  de  France  et  le  duc  de  Bourgoingne  et  les  autres  sei« 
gneurs  de  France  désiroient  à  oyr  nouyelles  yéritables  des 
parties  dont  il  yenoit,  et  luy  firent  yoye  en  luy  donnant  au- 
dience de  yenir  devant  le  roy.  Et  quant  il  fut  devant  le 
roy  venu ,  il  s'agenouilla  comme  raison  estoit ,  et  parla 
sagement  en  remonstrant  *  ce  qu'il  savoit  et  ce  dont  il 
estoit  chargié  du  dire  *  tant  de  par  l'Amorath  comme  de  par 
le  conte  de  Nevers  et  les  seigneurs  de  France,  qui  prison- 
niers estoient  aux  Sarrazins.  A  toutes  ces  paroles  entendy 
le  roy  voulentiers ,  et  aussi  firent  les  seigneurs  de  France 
qui  delés  luy  estoient ,  car  elles  leur  sembloient  yéritables, 
ainsi  que  elles  estoient.  Si  fut  de  tout  enquis  et  demandé  et 
doulcement  examiné  pour  attaindre  mieulx  et  plus  vérita- 
blement la  matière ,  et  à  tout  il  respondy  si  sagement  et  si 
i  point  que  le  roy  et  les  seigneurs  ^  s'en  contemptèrent  '. 

*-■  Pist  à  congnoùtre.  —  •-*  NoaTelles.  —  •  Tont.  —  <  Et  do  pai^ 
1er.  —  *-*  En  furent  moult  contens. 


Digitized  by 


Google 


334  lACQUBS  DE  HELLT 

Coorroachiës  furent^  grandement'  dn dommage  que  le 
roy  Loys  de  Honguerie  et  les  seigneurs  de  France  et 
d'ailleurs  avoient  receu,  et  d'autre  part  ils  se  reconfortoient 
en  ce  et  de  ce  que  le  roy  Loys  estoit  eschapë  sans  mort 
et  sans  prison  ;  car  ils  supposoient  et  disoient,  en  devisant 
là  entre  euls  ,  que  encoires  il  feroit  de  belles  et  grandes 
recouvrances  sur  TAmourath-Bacquin  et  sur  la  Turquie , 
et  leur  porteroit  encoires  moult  de  dommages.  Et  si  estoient 
moult  resjouys  de  ce  que  le  conte  de  Nevers ,  le  conte 
d'Eu ,  connestable  de  France ,  le  conte  de  la  Marche  et 
de  Vendosme,  messire  Henry  de  Bar,  le  seigneur  de  Goucy» 
messire  Guy  de  la  Trimouille  et  messire  Bouchicault 
estoient  hors  du  péril  de  mort  et  prins  et  retenus  prison- 
niers ;  car  tousjours ,  ainsi  que  les  seigneurs  disoient  et 
deyisoient  devant  le  roy ,  viennent  seigneurs  i  raenchon 
et  à  finance ,  et  on  trouveroit  aucun  moyen  par  quoy  ils 
seroient  rachatés  et  délivrés.  Car,  ainsi  que  messire  Jaques 
de  Helly  leur  disoit  et  remonstroit ,  il  espéroit  bien  que  le 
roy  Basaach  dedens  ung  an  ou  deux  au  plus  tard  les  met- 
teroit  à  finance,  car  il  '  convoittoit  or  et  richesses  à 
avoir  ^  par  devers  luy  trop  grandement ,  et  ce  sçavoit-il 
de  sentement,  car  il  avoit  demeuré  et  conversé  en  Turquie 
aveuc  euls  et  servy  l'Amourath,  përe  à  celluy  dont  je  parle 
présentement ,  plus  de  trois  ans. 

Si  fist  le  roy  de  France  lever  sus  des  genouls  le  dit  che^ 
vallier  qui  ces  nouvelles  avoit  apportées  ,  et  le  "^  conjouy  * 
grandement,  et  aussi  firent  les  seigneurs  qui  là  estoient,  et 
luy  dirent  générallement  et  espécialement  que  il  estoit  en 
ce  monde  bien  eureus ,  quant  il  avoit  esté  à  une  telle 
journée  de  bataille  et  que  il  avoit  la  congnoissance  et 
l'accointance  de  ung  tant  puissant  roy  mescroiant  que  de 

*-•  Moult.  —  »^  Coûvenoît  or  et  richesses  envoyer.  —  •^  Pestoay. 


Digitized  by 


Google 


▲RRIVB  A  PAHI8.  SSS 

l'Amourath  qui  Tavoit  envoyé  en  message  devers  le  roy  de 
France  et  les  seigneurs  de  France ,  de  laquelle  bonne 
adventore  il  et  tout  son  lignage  en  devroient  ^  valloir  de 
mienlx  *. 

Si  flst  tantost  et  incontinent  le  roy  de  France,  ces  lettres 
oyes  et  ces  nourelles,  délivrer  hors  de  prison  de  Chastelet 
tous  ceulx  qui  mis  y  avoient  esté  pour  les  nouvelles  paroles 
que  mis  hors  avoient  »  semées  et  esparses  parmy  Paris  et 
ailleurs  aussi ,  avant  que  messire  Jaques  de  Helly  fuist 
venu ,  de  laquelle  délivrance  ils  eurent  tous  grant  joye  ; 
car  les  plusieurs  se  repentoient  de  ce  que  ils  avoient  tant 
parlé  de  leur  mésadventure. 

Or  s'espardirent  ces  nouvelles  que  messire  Jacques  de 
Uelly  avoit  apportées  en  France  et  à  Paris,  et  furent  tenues 
à  véritables  et  tant  que  chascun  et  chacune  en  fut  raemply . 
Geulz  et  celles  qui  leurs  seigneurs  et  leurs  maris  ,  leurs 
pères  et  leurs  frères,  leurs  enffans  et  leurs  cousms  avoient 
perdus»  furent  ' très ^-courrouohiés  et  destourbés  et  à 
bonne  cause.  Les  haultes  dames  de  France ,  telles  que  la 
duchesse  de  Bourgoingne  pour  son  âls  Jehan  de  Bour- 
goingne,  conte  de  Nevers,  et  sa  fille  Marguerite  de  Hayn- 
naupour  son  mary  le  dit  [conte  de  Nevers  furent  fort 
^  tourmentées  et  destourbées  * ,  et  bien  y  avoit  cause ,  car 
il  leur  tenoit  trop  près  ^.  Aussi  Marie  de  Berry,  contesse 
d'Eu  et  connestablesse  de  France,  pour  son  mary  messire 
Phelippe  d'Artois  * ,  la  contesse  de  Marche,  la  dame  de 
Goucy  et  sa  fille  la  dame  de  Bar  ,  la  dame  de  Sully  et 
toutes  les  dames  générallement  tant  du  royaulme  de  France 
comme  d'ailleurs  ;  mais  ce  les  reconfortoit  au  fort,  quant 
elles  avoient  assés  plouré  et  lamenté ,  qu'ils  estoient  pri- 

*-•  Trop  mieulx  vaUGir  —  •"*  Moult.  —  •■•  Courrouchées.  -  '  Du 
cuer.  —  *  Conneatable  de  France. 


Digitized  by 


Google 


5S6  JACQUES  DB  HBLLT 

sonniers ,  mais  il  11*7  avoit  nul  ^  conseil  *  entre  celles  qui 
entendoient  leurs  maris  mors,  leurs  përes»  leurs  firëres»  leurs 
enffans  et  leurs  parens,  et  durèrent  ces  lamentations  moult 
longuement  parmy  le  royaulme  de  France  et  ailleurs  aussi. 

Vous  devës  savoir  que  le  duc  de  Bourgoingne  '  conjouy  ^ 
bien  grandement  le  chevallier  qui  ces  nouvelles  luy  avoit 
apportées  de  son  flls,  et  luy  donna  et  fist  donner  grant  foi- 
son du  sien  de  beaulx  dons  et  de  moult  riches  joyaulx  »  et 
le  retint  de  ses  chevalliers  parmy  deux  cens  livres  de 
revenue  par  an,  dont  il  le  doua  et  fiefva  &  le  tenir  tout  son 
vivant.  Le  roy  de  France  et  tous  les  seigneurs  en  dossoubs 
firent  grant  prouffit  au  dit  chevallier,  lequel  mist  en  termes, 
puisque  il  avoit  fait  son  message ,  que  il  le  convenoit 
retourner  devers  TÂmourath  ;  car  ainsi  luy  avoit  esté  dit 
et  enjoind  à  son  département ,  et  se  tenoit  enooires  prison- 
nier à  FAmourath  ,  quoyque  il  fuist  venu  pardechà  :  ce 
n'avoit  esté  que  pour  apporter  nouvelles  tant  de  l'Âmou* 
rath  et  de  sa  victoire  que  des  seigneurs  de  France  qui 
prins  et  mors  estoient  et  avoient  esté  â  la  bataille  de 
Nycolpoly, 

Ces  paroles  et  signifiances  de  retour,  que  messire  Jacques 
de  Helly  fist  au  roy  de  France  et  aux  *  princes  du  sang  *, 
leur  furent  assés  agréables  et  leur  semblèrent  assés  rai- 
sonnables, et  entendirent  fort  à  sa  délivrance.  Et  escrip- 
virent  le  roy ,  le  duc  de  Bourgoingne  et  les  seigneurs  qui 
à  Paris  estoient,  i  leurs  proixmes  et  amis  ;  mais,  avant 
toutes  ces  choses,  advisé  fut  au  conseil  du  roy  de  France 
que  on  envoyeroit  de  par  le  roy  de  France  ung  chevallier 
d'honneur ,  de  prudence  et  de  vaillance  devers  TAmourath- 
Bacquin ,  et  lequel ,  son  message  fut  au  dit  Amourath , 
retoumeroit  en  France  et  rapporteroit  secondes  nouvelles 

V  Reconfort,  —  V  Festoya— .  *^  Seigneon. 


Digitized  by 


Google 


AftUVB  A  PAftIS.  337 

da  4it  Amourath  ou  cas  que  massire  Jaques  de  Helly  ue 
poT<Ht  retourner  fors  que  par  cougië ,  car  il  estoit 
oncoireB  priBonuier  où  que  il  fuist,  et  obligië  au  dit 
Amourath. 

Si  fut  esleu  pour  aler  an  ce  yoyage  et  pour  faire  le 
message  de  par  la  roy  de  France  messire  Jehan  de  Chas- 
tel-Morant ,  lequel  estoit  chevallier  pourveu  de  sens  et  de 
beau  langaige ,  froit  et  aitempré  an  toutes  manières  ;  et 
fut  seau  et  demandé  &  messire  Jacques  da  Helly  quels 
joiauls  on  pourroit  transmettre  ,  ne  envoyer  de  par  le  roy 
de  France  audit  roy  Basaach  ,  qui  mieulx  luy  peuissant 
complaira ,  a£Sn  que  le  conte  de  Nerars  et  tous  les  autres 
seigneurs  qui  prisonniers  estoient ,  an  vaulsissant  mieulx. 
La  chevallier  respondy  ad  ce  et  dist  que  l'Amourath  pran- 
droit  grant  plaisance  à  vaoir  draps  de  haultes  lices  ouvres 
i  Arras  ou  an  Picquardia,  mais  que  ils  fuissent  de  bonnes 
histoires  anchiennes ,  et  aussi  à  veoir  blans  faulcons  qui 
sont  nomiuës  guerfauls.  Aveuc  tout  ce  il  pensoit  que  ânes 
blanches  toilles  dëlyëes  de  Rains  seroient  de  l'Amourath 
et  da  ses  gens  bien  recueillies  en  grant  joye ,  et  fines 
ascarlattes;  car  de  drap  d'or  et  de  soye,  en  Turquie,  le  roy 
et  las  seigneurs  avaient  assës  et  largement ,  et  prendoient 
an  nouvelles  choses  leurs  esbatemens  et  leurs  plaisances. 
Ces  paroles  furent  arrestëes  du  roy  et  du  duc  de  Bour- 
goingne  qui  toute  son  entente  mettoit  à  complaire  i  l'Amou- 
rath-Bacquin  pour  la  cause  de  son  fils. 


Environ  douze  jours  demeura  messire  Jaques  de  Helly 
à  Paris  delës  le  roy  et  les  seigneurs  S  et  y  avoit  pressa  à 
le  festoyer,  conjouir  et  honnourer  '  pour  tant  que  très-pro- 

*-*  Qui  Toulentien  le  esooutoient. 

XV.  —  FROISSAKT.  22 


Digitized  by 


Google 


338  JACQUES  DE  HELLT  RETOUftinS  EN  TURQUIE. 

prement  il  parloit  des  advenues  de  Turquie  et  de  Hon- 
guerie  ,  du  roy  Basaach  dit  FÂmourath-Bacquin  et  de  sou 
ordonnance ,  et  pour  tant  aussi  que  il  devoit  retourner 
vers  luy  et  devers  les  seigneurs.  Â  son  département  il  luy 
fut  dit  :  «  Messire  Jacques  ,  vous  cheminerës  tout  souef  et 
m  à  vostre  aise.  Nous  créons  bien ,  dirent  les  seigneurs, 
«  que  vous  yrës  par  Lombardie  et  parleras  au  duc  de 
a  Milan ,  car  ils  s*entrayment  et  congnoissent  assës  par 
<i  *  oyr  dire  *  et  par  recommandations  TAmourath  et  luy, 
«  car  oncques  ne  se  voiront.  Mais  ,  quel  chemin  que  vous 
«  tenés  ,  ne  falttes  ,  nous  vous  pryons  et  enjoindons  que 
tt  messire  Jehan  de  Ghastel-Morant ,  lequel  nous  avons 
a  ordonne  à  envoler  par  delà  de  par  le  roy  et  les  princes , 
a  vous  l'attendes  en  Honguerie  ;  car  c'est  nostre  entente 
a  que  il  passera  oultre  en  Turquie  et  portera  dons  et  pré* 
«  sens  de  par  le  roy  de  France  à  rAmourath-Bacquin  ,  i 
«  celle  fin  que  il  soit  plus  doulx  et  plus  débonnaire  au 
«  conte  de  Nevers  et  à  ceulx  de  sa  compaignie ,  qui  sont 
«  en  ses  dangiers  comme  vous  scavés.  »  Môssire  Jacques 
le  Helly  dessus  nommé  respondi  ad  ce  et  dist  que  tout  ce 
feroit-il  voulentiers.  Âdont  fut  faitte  sa  délivrance  de  tous 
poins  ,  et  se  départy  du  roy  et  du  duc  de  Bourgoingne  et 
des  seigneurs  de  France  ,  et  yssy  de  Paris ,  et  prinst  son 
chemin  aucques  ainsi  comme  il  estoit  venu  ,  et  '  se  mist 
au  retour ,  et  fut  sou  entente  que  jamais  en  France  ne 
retoumeroit ,  si  auroit  esté  en  Honguerie  et  en  Turquie. 


> 


D'autre  part ,  depuis  le  département  de  Jaques  de  Helly , 
le  roy  et  le  duc  de  Bourgoingne  n'entendirent  à  autre  chose 
fors  que  de  pourveoir  les  présens  que  ils  vouloient  envoier 

*/  Oy  dire.  —  »  Puis. 


Digitized  by 


Google 


PRÉSENTS  DBSTIHÉS  A  HAJAZBT.  S59 

devers  rÂmourafh-Bacqain  ;  et  quant  ils  furent  pourveus  ', 
messire  Jehan  de  Ghastel-Morant  fut  tout  appareillië  et 
ordonne  de  départir ,  car  bien  sçavoit  que  il  estoit  chargië 
de  par  le  roy  d'aler  en  ce  yoyage  et  de  faire  celluy  message. 
On  se  '  hasta  et  ayancha  ce  que  on  pot  de  querre  et  pour- 
veoir  ces  présens»  lesquels  on  youloit  enyoier  en  Turquie  ' 
de  par  le  roy  de  France  à  l'Amourath-Bacquin,  afin  que 
messire  Jehan  de  Ghastel-Morant  pust  ^  raconsieuyir  ^ 
messire  Jaques  de  Helly.  Ils  furent  tous  quis  et  pourveus, 
eteny  otjusques  à  VI  sommiers  fort  chargiës.  Si  vous 
•  diray  de  quoy  ils  furent  chargiës.  Les  deux  furent  chargiës 
de  draps  de  haulte  lice ,  pris  et  fais  à  Ârras  les  mieulx 
ouvres  que  on  puet  *  trouver  deçà  les  mons  ''^  et  estoient 
ces  draps  fais  de  Tistoire  du  roy  Alexandre  et  de  la  grei- 
gneur  partie  de  sa  vie  et  de  ses  conquestes  ,  laquelle  chose 
estoit  très-plaisante  et  agréable  à  veoir  à  toutes  gens  d'hon- 
neur et  de  bien.  Les  autres  II  sommiers  estoient  chargiës 
de  si  très-ânes  toilles  de  Rayns  blanches  et  dëlyes  que  Ten 
ne  pourroit  mieulx  ;  et  les  autres  deux  sommiers  de  fines 
escarlattes  blanches  et  vermeilles.  De  toutes  ces  choses 
•  recoeuvre-on  •  assës  lëgièrement  parmy  les  deniers 
palans,  mais  on  trouva  et  recouvra  à  trop  grant  payne  des 
blans  guerfauls.  Toutefibis,  fuist  à  Paris  ou  en  AUemaigne» 
on  en  ot ,  et  de  tout  fut  chargié  messire  Jehan  de  Ghastel- 
Morant  à  faire  les  présens  et  son  message ,  et  se  dëparty 
de  Paris  du  roy  et  des  seigneurs  quinze  jours  après  ce  que 
messire  Jaques  de  Helly  fut  mis  à  voye  et  à  chemin. 


Entrons  que  ces  voyagiers  cheminoient ,  le  roy  de  Hon- 

•  Trài-bien.  —  «-»  DUigenta  d'envoyer  les  prieenU-  —  *■•  AUain- 
dre.  —  •-'  ÀToir  et  recoafrer.  —  •-•  ReoouTra-on. 


Digitized  by 


Google 


340  LB  ROI  SB  lUkKGRIB  EBHTU  OAIIS  BSS  iTÀTS. 

gnerie  qui  si  grant  dommage  avoit  receu  et  en  en  la  bataille 
de  Nycolpoly ,  eicomme  il  est  icy-dessus  dit  et  contenu  en 
nostre  histoire,  retourna  en  son  pays.  Dont,  quant  on  soeut 
sa  revenue ,  toutes  gens  qui  moult  Taymoient ,  en  furent 
fort  resjouys  et  vindrent  devers  luy  et  le  réconfortèrent , 
en  luy  disant  que ,  se  il  avoit  prins  et  receu  dommage , 
une  autre  fois  il  aroit  prouffit.  Il  convenoit  au  roy  de  Hon- 
guerie  porter  son  dommage  au  plus  bellement  que  il  pot , 
et  aussi  flst*il  à  ses  gens. 


D'autre  part,  TAmourath-Bacquin  retourna  bien  avant 
en  son  pays  depuis  la  bataille  passée  ,  ainsi  que  cy-dessus 
est  contenu,  et  arriva  en  une  sienne  grosse  ville  que  on 
appelle  Bruse  en  Turquie  ,  et  là  furent  les  chevalliers  de 
France  amènes  prisonniers  ,  et  là  se  tindrent  soubs  bonnes 
gardes  qui  furent  ordonnées  et  establies  sus  euls.  Et  devés 
savoir  que  ils  n*avoient  pas  toutes  leurs  aises  ,  mais  moult 
au  contraire.  Trop  fort  leur  furent  changié  le  temps  et  les 
vivres ,  car  ils  avoient  aprins  la  ^  nourirechon 'de  doulces 
viandes  délicieuses  ,  et  souloient  avoir  leurs  '  cuisiniers  ^ , 
leurs  seI^riteu^s,  leurs  maisnies  qui  leur  administroient  * 
après  leur  goust  et  appétis  ;  mais  de  tout  ce  ils  n*avoient 
riens  fors  que  tout  le  contraire ,  car  ils  estoient  servis  de 
grosses  viandes,  de  grosses  chars  et  mal  cuittes  et  mal 
appareillies.  De  toutes  manières  d'espices  avoient-ils  *  à 
plenté  ^  ,  et  à  largesse  du  pain  de  milet  qui  '  durement  ' 
est  "  doucreus  "  et  hors  de  la  nature  de  France.  Des  vins 
avoient-ils  à  grant  dangier  ;  et  jà  soit  ce  que  tous  fuissent 
grans  seigneurs,  on  ne  faisoit  pas  grant  compte  de  nul 

*■•  Nourriture.  —  •-*  Queox.  —  •  Leurs  tiandes.  —  •^  Aaaéë.  — 
•  •  Moult,  —  ••^*  Douoereui. 


Digitized  by 


Google 


LES  PElSONMlBaS  CHRtTIBMS  SORT  KNTOTte  A  BROUSSB.      341 

d'enls,  et  les  avoient  les  Tors  aussi  chier  malades  que 
^  haytiés  '»  et  morts  que  vis;  car,  se  par  le  plaisir  et  conseil 
de  plusieurs  alast ,  ils  euissent  esté  tous  '  mis  à  exécution. 
Ces  seigneurs  de  Franco  qui  prisonniers  estoieni  en 
Turquie,  se  confortoient  Tun  parmy  Tautre  »  et  prendroient 
en  gré  tout  ce  que  on  leur  faisoit  et  administroit ,  car  ils 
n'en  povoient  avoir  autre  chose.  Si  se  prindrent  à  muer 
moult  fort  de  sang  et  de  couleur ,  et  se  altérèrent  tous  , 
car  ils  engendrèrent  petit  à  petit  foible  sang ,  et  commen- 
cèrent à  avoir  des  maladies  ,  mais  trop  plus  les  uugs  que 
les  autres  ;  et  par  espécial  ceUuy  qui  se  reconfortoit  le 
mienlz ,  c*estoit  messire  Jehan  de  Bourgoingne ,  conte  de 
Nevers ,  mais  il  le  faisoit  tout  par  sens  ,  pour  reconforter 
et  resjouir  les  autres  ,  et  aveuc  luy  estoient  de  boA  recon-* 
fort  messire  Bouchicault ,  le  conte  de  la  Marche  et  mes- 
sire  Henry  de  Bar,  et  prendoient  le  temps  en  bon  gré  et 
en  patience,  et  de  ce  disoient  que  on  ne  povoit  avoir  les 
honneurs  d'armes  et  les  gloires  de  ce  monde  sans  avoir 
payne  et  traveil  et  à  la  fois  des  dures  adventures  et  des 
rencontres',  et  oncques  ne  fut  nul  en  ce  monde  ,  tant  fuist 
vaillant ,  ne  eureux ,  ne  bien  usé  d*armes ,  qui  euist  toutes 
ses  aises  ,  ne  ses  souhais  ,  ne  ses  voulentés  ,  et  dévoient 
encoires  louer  Dieu  ,  quant  ils  se  trouvoient  en  ce  party , 
que  on  leur  avoit  sanlvé  les  vyes  en  la  fureur  et  courrous 
où  ils  avoient  veu  TÂmourath-Bacquin  et  les  plus  prou- 
chains  de  son  conseil  ;  car  il  fut  dit  et  conseillié  en  Fost , 
(et  s'y  enclinoit  et  arrestoit  générallement  le  poeuple  lAes- 
croiant),  que  tous  fuissent  mors  et  détrenchiés  :  «  Et  je- 
c  meismes  ,.disoit  messire  Bouchicault,  en  doy  de  Talon- 
«  gement  de  ma  vie  plus  loer  Dieu  que  nul  de  vous;  car  je 
«  fuis  sur  le  point  d'estre  'mort ,  occis  et  détrenchié  ainsi 

V  Sains.  —  •  Occw  et. 


Digitized  by 


Google 


342  LES  PRISOIfRIBRS  GHRÊTIBIfS 

«  que  les  nostres  autres  compaignons  furent ,  et  estoit 
a  tout  ordonné  quant  monseigneur  de  Nevers  me  ravisa 
«  et  tantost  il  se  mist  à  genouls  devant  l'Âmourath  et 
a  pria  pour  moy,  et  à  sa  prière  j*en  euls  la  yye  respitëe. 
tt  Si  tiens  et  recorde  ceste  adventure  à  belle  et  à  bonne , 
«  et  que  je  muire  quant  il  plaist  à  Nostre  Seigneur  ;  car, 
«  d'ores-en-avant  ce  que  je  viveray»  il  me  semble  que  ce 
«  sera  avantage.  Et  Dieu  qui  nous  a  délivre  de  ce  péril,  nous 
a  délivrera  encoires  de  plus  grant ,  car  nous  sommes  ses 
tt  souldoiers,  et,  pour  l'amour  de  luy ,  nous  avons  celle 
a  peine  ;  car  par  messire  Jacques  de  Helly  qui  chemine 
a  en  France  de  par  TÂmourath  et  qui  recordera  ces  non- 
a  velles  au  roy  et  aux  barons  de  France ,  pourrons-nous 
a  avoir  dedens  ung  an  aucun  bon  reconfort  et  délivrance. 
«  La  chose  ne  demourra  pas  ainsi  ;  il  y  a  moult  de  sens 
«  delés  le  roy  de  France  et  monseigneur  de  Bourgoingne. 
«  Jamais  ils  ne  nous  oublieroient  que  par  aucun  ^  moyen 
«  et  traittié  '  nous  ne  venons  à  finance  et  '  délivrance,  b 

Ainsi  se  recoufortoit  ^  messire  Bouchicault  et  prendoit 
le  temps  assés  en  bon  gré  et  en  patience,  et  ausâi  faisoit  le 
joeune  conte  de  Nevers.  Mais  le  seigneur  de  Coucy  le  pre- 
noit  en  moult  grant  desplaisance  ,  dont  c*estoit  merveilles  , 
car  en  devant  ceste  advenue  il  avoit  tousjours  esté  ung 
seigneur  pourveu  et  plain  de  trës-grant  reconfort,  ne 
oncques  il  ne  fut  esbahy  ;  mais  à  celle  ^  saison  *  où  il  estoit 
à  Bruse  ^  il  se  desconfortoit  et  esbahissoit  de  luy-meismes 
plus  que  nul  des  autres ,  et  se  merancolioit  et  avoit  le 
coeur  trop  pesant,  et  bien  disoit  que  jamais  il  ne  retour- 
neroit  en  France ,  car  il  estoit  yssu  de  tant  de  grans 
périls  et  dures  adventures  que  ceste  seroit  la  derreniëre. 

*  '  Temps  et  moyen.  —  >  A  plaine.  —  ^  Ce  gentil  aeignenr.  — 
»••  Prison.  ■—  '  En  Turquie. 


Digitized  by 


Google 


SONT  SRVOTiS  À  BROUSSE.  345 

Messire  Henry  de  Bar  le  reconfortoit  si  acertes  comme  il 
poYoit ,  et  lay  blasmoit  ses  desconfors  ,  lesquels  encoires 
sans  canse  il  prendoit,  et  lay  disoit  que  c  estoit  foUe  de 
dire  et  faire  ainsi  et  que  en  luy  il  devoit  avoir  plus  de 
reconfort  que  en  tous  les  autres;  mais,  non  obstant  tout  ce, 
il  se  esbahissoit  de  luy-meismes  et  luy  souvenoit  trop 
durement  de  sa  femme  et  de  sa  flUe ,  et  les  regrettoit 
moult  souvent ,  et  aussi  faisoit  messire  Phelippe  d*Ârtois, 
conte  d*Eu  et  connestable  de  France.  Messire  Guy  de 
la  Trimouille  se  reconfortoit  assés  bien ,  et  aussi  faisoit 
le  conte  de  la  Marche.  L'Amourath-Bacquin  vouloit  bien 
que  ils  euissent  aucunes  gr&ces  et  esbatemensde  leurs 
délits  et  les  vouloit  veoir  aucunes  fois  et  jengler  etbour* 
der  à  euls  ,  et  leur  estoit  assés  gracieux  et  débonnaire , 
et  vouloit  bien  que  ils  veissent  son  estât  et  une  partie  de 
sa  puissance. 


Nous  laisserons  ung  petit  à  parler  d*euls  et  parlerons  de 
messire  Jaques  de  Helly  et  de  messire  Jehan  de  Ghastel- 
Morant  ;  et  entra  le  dit  messire  Jaques  en  Honguerie  et 
vint  en  la  cité  de  Bude  et  là  trouva  le  roy  de  Honguerie  qui 
moult  doulcement  le  rechupt  pour  *  Tamour  *  du  roy  de 
France  et  des  royaulx ,  et  luy  demanda  des  nouvelles,  et 
messire  Jacques  luy  en  dist  assés. 

Environ  '  dix  ou  douze  ^  jours  séjourna  messire  Jacques 
de  Helly  en  la  cité  de  Bude  en  Honguerie  en  attendant 
messire  Jehan  de  Chastel-Morant,  lequel  exploitta  tellement 
en  cheminant  et  avança  du  plus  tost  que  il  pot»  que  il  vint 
en  Honguerie;  et  quant  il  fut  venu  en  Tarroy  et  ordon- 
nance que  dessus  avés  oy  recorder  ,  messire  Jacques  en 

•-•  L^honneur.  -^  *-*  Neuf  ou  dix. 


Digitized  by 


Google 


344  XiCQUBB  MB  niiLY 

fat  tout  resjouy  ,  car  il  dësiroU  à  passer  (mltr#  en  twetpàé 
pour  Itiy  acquittier  deyers  rÂmourath-Bacquin  de  sa  foy  » 
et  pour  veoir  messire  Jehan  de  Bourgoingne ,  conte  de 
Nevers ,  et  les  antres  seigneurs.de  France  '  priscmniers  et 
pour  eulx  à  son  léal  povoîr  reconforter. 

Quant  le  roy  de  Honguerie  vey  le  sire  de  Chaste!- 
Morant ,  si  luy  fist  moult  bonne  chière  pour  *  rameur  '  du 
roy  de  France  ,  et  aussi  pour  Famour  ^  de  ses  cousins  les 
ducs  du  sang  roial  * ,  et  œtendy  par  ses  hommes  meismes 
que  le  roy  de  France  envoioit  à  TÂmourath  par  son  che- 
vallier moult  grans  prësens  et  riches  joyaulx,  desquelles 
choses  U  fut  tout  courrouchië  *  ;  mais  il  s^en  dissimula  gran- 
dement et  couvry  sagement  tant  que  messire  Jaques  de 
Helly  fut  départy  et  aie  en  Turquie ,  car  il  dist  bien  en 
soy-meismes  et  à  ceulx  de  son  plus  estroit  ^  conseil  ans- 
quels  il  s'en  descouvry ,  que  jà  ce  chien  mescroiant  son 
adversaire  TAmourath  ne  auroit  dons  »  ne  prësens  qui 
yenissent  de  France  ,  ne  d'ailleurst  tant  qu'il  euist  la  puis- 
sance du  destourner. 

Quant  messire  Jaques  de  Helly  se  fut  rafreschy  deux  ou 
trois  jours  à  Bude  en  Honguerie,  il  prinst  congië  au  roy  et 
au  sire  de  Chastel-Morant,  et  dist  que  il  vouloit  passer 
oultre  et  aler  en  Turquie  devers  le  roy  Basaach  et  pour 
impëtrer  ung  saulf-<;ottduit  pour  messire  Jehan  de  Ghasteï- 
Morant,  à  la  fin  que  ce  qu'il  menoit,  peuist  passer  oultre  et 
venir  devers  luy  ,  et  le  roy  luy  dist  que  ce  seroit  bien  fait. 
Lors  se  dëparty  le  dit  chevallier  *  à  tous  *  ses  gens  et  se  mist 
au  chemin  et  prist  guides  qui  le  menèrent  parmy  la  Hon- 
guerie et  la  Blacquie,  et  tant  exploitta  par  ses  joumëes  que 
il  vint  devers  l'Amouraih-Bacquin,  et  ne  le  trouva  point  i 

*  Qui  estoient  là.  —  ***  L'honneur.  —  *^  Des  royaux  ses  contini. 
—  'Et  marrj.  —  '  Et  «spécial .—  •"•  Avecques. 


Digitized  by 


Google 


SE  BBHD  mÈS  DE  tUàZET.  S4S 

Brnse ,  mais  estoit  ailleurs  en  une  antre  cité  en  Tarquie, 
qae  on  appelle  ^  Pebly  *  ;  et ,  partout  où  il  aloit  et  se 
traioit ,  les  prisonniers  de  France  estoient  mènes  ,  réserve 
le  sire  de  Coucy  qui  demeura  tondis  i  Bruse  séant  à  l'en- 
trée de  la  Turquie ,  car  il  ne  povoit  souffrir  la  paine  de 
cheyaucliier  pour  tant  que  il  n'estoit  point  bien  baîttié  « 
et  aussi  il  estoit  recreu  et  replesgié ,  et  estoit  demeuré 
pour  luy  ung  sien  cousin  de  Grèce  ,  ung  '  grant  ^  hwron 
durement ,  qui  descendu  et  yssu  estoit  des  ducs  d*Ostrice, 
nommé  le  seigneur  de  Matelin. 

Quant  messire  Jaques  de  Hellj  fut  venu  i  Pebly ,  si  se 
'  traist  ^  tantost  vers  Tostel  de  TAmourath-Bacquin ,  car 
il  estoit  bien  congneu ,  et  fut  mené  devant  FÂmourath  qui 
le  vey  voulentiers  pour  tant  que  il  estoit  retourné  de 
France.  Messire  Jaques  de  Helly  se  bumilia  contre  luy 
moult  doulcement  et  luy  dist  :  «  Très-chier  sire  et  redoubté, 
f  vescy  vostre  prisonnier.  A  mon  léal  povoir  j*ay  fttit  vostre 
«  message  et  ce  dont  j*estoye  cbargié.  »  Dont  respondy 
le  roy  Basaacb  :  a  Tu  soies  le  bien  venu.  Tu  te  es  acquittié 
«  léaulment ,  et  pour  tant  je  te  quitte  ta  prison  ,  et  peuls 
«  aler ,  venir  et  retourner  quant  il  te  plaist.  »  Lors  le 
remercia  pour  celle  grâce  '  moult  humblement  le  dit  che- 
vallier ,  et  luy  dist  comment  le  roy  de  France  et  le  duc  de 
Bourgoingne ,  père  au  conte  de  Nevers  son  prisonnier , 
luy  euvoioient  ung  chevallier  dlionnenr  et  de  crédencè  en 
ambassade  ,  et  lequel  de  par  le  roy  de  France  luy  appor- 
toit  aucuns  bons  joiaulx  de  recréation ,  lesquels  il  ver- 
roit  voulentiers.  L'Amourath-Bacquin  demanda  si  il  les 
avoit  veus.  Il  respondi  que  non  :  a  Mais  le  chevalier  qui  de 
t  faire  le  message  est  chargié  «  est  demeuré  delés  le  roy 
«  de  Honguerie  à  Bude,  et  je  suis  venu  devant  '  jusques  à  * 

«-•  PoUy.  —  »-*  Moalt^amaat.  —  •-•  Tourna.  —  '  Qn'U  luy  ûdsoit. 
— •-•  Devers. 


Digitized  by 


Google 


546  JACQUES  DE  HELLT 

«  VOUS  nonchier  ces  nouvelles  ,  et  pour  avoir  ung  saulf- 
d  condoit  alant  et  retournant  devers  vous  et  de  vous 
a  arrière  sans  mauvais  engien  en  Honguerie.  »  Â  ceste 
parole  respondy  TÂmourath  et  dist  :  «  Nous  voulons  que 
tt  il  Tait  »  et  luy  accordons  tout  ainsi  que  vous  le  voulës 
c  avoir.  »  De  ceste  parole  remerchia  le  chevallier  TÂmou- 
rath  et  se  humilia  moult  devers  luy.  Adont  se  départy 
TÂmourath  de  sa  présence  et  entendi  à  ^  autres  oiseuses  ' 
ainsi  que  grans  seigneurs  '  pëvent  faire  ^. 

Depuis  à  une  autre  heure  advint  que  messire  Jaques  de 
Helly  parla  à  TÂmourath ,  et  se  mist  à  genouls  devant 
luy  et  luj  pria  moult  doulcement  que  il  peuist  veoir  ses 
seigneurs  les  chevalliers  de  France  ,  car  il  avoit  à  parler 
à  eulx  de  plusieurs  choses.  L'Amourath  à  ceste  parole  ne 
respondy  pas  si  tost  et  pensa  sus  ung  petit.  Et  quant  il 
parla»  il  dist  :  a  Tu  en  verras  Tun  tant  seulement  et  non 
a  les  autres,  o  Adont  flst-il  signe  à  aucuns  de  ses  hommes 
que  le  conte  de  Nevers  ^  fuist  amené  en  place  en  sa  pré- 
sence tant  que  il  euist  ung  petit  parlé  à  luy,  et  puis  fuist 
ramené.  On  flst  tantost  son  commandement»  et  ala-on 
querre  le  conte  de  Nevers  ,  et  fut  amené  devant  le  cheval- 
lier qui  s'enclina  contre  luy.  Le  conte  le  vey  très-voulen- 
tiers ,  ce  fut  raison  »  et  luy  demanda  du  roy  et  de  son 
seigneur  et  père  et  de  sa  dame  de  mère  et  des  nouvelles 
de  France.  Le  chevallier  luy  en  recorda  ce  qu'il  en  sçavoit 
et  avoit  veu,  et  tout  ce  luy  dist  de  bouche  ,  dont  il  estoit 
chargié  »  et  n*orent  pas  si  grant  loisir  de  parler  Tun  à 
Tautre ,  comme  il  voulsissent  bien  ;  car  les  hommes  de 
TAmourath-Bacquin  estoient  là  présens  »  qui  leur  disoient 
qu'ils  se  délivrassent  de  parler  et  que  il  leur  convenoit 
entendre  à  autre  chose. 

•-•  Autre  chose.  —  ^  Font.  —  •  Tout  seul. 


Digitized  by 


Google 


M  RBID  PRÈS  DE  BAiAZBT.  347 

Dont  demanda  messire  Jacques  de  Helly  au  conte  de 
Noyers  se  tons  les  antres  seigneurs  de  France  estoient  en 
bon  point.  Il  respondi  :  <r  Ouyl,  mais  le  seigneur  de  Concy 
«  n'est  point  avec  nous  :  il  est  demonrë  à  Bmse  et  ^  sas 
«  recrëance  '  du  seigneur  de  Matelin ,  ainsi  que  je  Ten- 
«  tens ,  qui  est  demeuré  pour  luy ,  et  ce  seigneur  de 
«  Matelin  est  assés  en  la  grâce  de  TAmourath.  »  Dont  luy 
dist  messire  Jacques  '  comment  messire  Jehan  de  Ghas- 
tel-Morant  estoit  *  party  '  hors  de  France ,  et  venoit  de 
par  le  roy  de  France  et  le  duc  de  Bourgoingne  en  ambassa- 
derie  devers  l'Âmourath ,  et  luy  apportoit ,  pour  adoulcir 
sa  fëlonnye  et  son  ayr  ,  des  biaulx  joiaulx  moult  nobles  et 
riches  :  «  Mais  il  s*est  arresté  à^^Bude  en  Honguerie  de- 
«  les  le  roy  ^  et  je  suis  venu  querre  ung  saulf-conduit 
«  pour  luy  ,  alant  et  retournant ,  luy  et  toute  sa  famille , 
«  et  le  roy  Basaach  le  m'a  desjà  accordé ,  et  croy  assës 
«  que  je  retoumeray  *  temprement  ^  devers  luy.  o 

De  ces  paroles  et  nouvelles  fiit  le  conte  de  Nevers  moult 
resjouy  »  mais  il  n'en  osa  monstrer  évident  samblant  pour 
les  Turs  qui  les  gardoient  et  regardoient.  La  derraine 
parole  que  à  messire  Jacques  de  HeUy  dist  messire  Jehan 
de  Bourgoingne,  conte  de  Nevers,  fut  telle  :  a  Messire 
u  Jacques,  j'entens  par  vous  que  l'Amourath  vous  a  quit- 
u  iié  de  tous  poins  vostre  raenchon,  et  povés,  quant  il  vous 
a  plaist,  retourner  en  France.  Vous  venu  là,  dittes  de 
«  par  moy  à  monseigneur  mon  père,  se  il  a  intention  et  afiec- 
a  tion  de  moy  ravoir  et  mes  compaignons,  il  envoyé  traittier 
a  de  nostre  délivrance  *  à  toute  dilligence  *par  marchans 
a  jennevois  et  vénisciens,  et  se  compose  et  accorde  à  la 
a  première  demande  que  l'Amourath  ou  '^  autres  "  qui  de 

«-*  Comme  recréant  de  maladie  et  sur  le  crédit.  —  >  Et  compta.  — 
*-•  Imu.  —  •-'  De  bref.  —  •■•  Haativement. ,—  *•""  Ceulx. 


Digitized  by 


Google 


349  j  LB  ROI  DE  MOlffiUE  S'OVPOBB 

«  par  Iqj  de  ce  se  ensonnienmt,  feront  ^;  car  nous  sommes 
a  perdus  pour  tonsjoars  mais,  se  on  s'i  arreste,  ne  Tarie 
f  longuement»  car  j'ay  entendu  queFAmourath  est  loyal 
«  et  courtois  et  moult  brief  en  toutes  ses  choses,  mais  que 
«  on  le  sache  prendre  à  point.  » 


A  tant  ânërent  les  parlemens  de  messire  Jacques  de 
Helly  et  de  messire  Jehan  de  Bourgoingne  conte  de  Neyers 
lequel  fut  remené  aveuc  ses  compaignons,  et  messire 
Jacques  de  Helly  retourna  d'autre  costé ,  et  puis  entendy 
à  avoir  tout  ce  que  ottroyë  lui  estoit  de  par  TAmourath, 
pour  retourner  en  Honguerie.  Quant  le  saulf-conduit  fut 
escript  et  sëellë  selonc  Tusage  et  coustume  que  le  roy 
Basaach  avoit  du  faire  et  donner ,  on  le  bailla  et  délivra 
au  chevallier.  H  le  prist,  et  puis  prist  congié  à  TAmou- 
rath  et  à  ceulx  de  sa  court  de  sa  congnoissance ,  et  se 
mist  au  retour ,  et  tant  chevaucha  par  ses  journées  que  il 
vint  à  Bude  en  Honguerie.  Si  se  traist  tantost  devers 
messire  Jehan  de  Ghastel-Morant  qui  Tattendoit  et  fort 
désiroit  sa  venue.  Lors  luy  dist  :  «  Sire  de  Ghastel-Morant, 
«  je  vous  apporte  ung  saulf-conduit  alant  en  Turquie  et 
a  retournant  seurement  pour  vous  et  pour  toute  vostre 
«  famille,  lequel  m'a  accordé  et  donné  le  roy  Basaach 
«  à  ma  requeste  assés  legièrement.  »  —  «  C'est  bien 
«  besoingnié,  respondy  le  chevallier ,  et  pour  tant  il  nous 
«  convient  aler  par  devers  le  roy  de  Honguerie,  et  luy 
«  recordons  ces  nouvelles,  et  puis  *  demain  au  plus  matin* 
«  je  me  mettray  à  la  voye ,  car  j'ay  icy  assés  séjourné.  » 

Adont  s'en  alèrent    les  deux  chevalliers ,  tous  d*un 
accord ,  devers  le  roy  de  Honguerie ,  qui  estoit  en  sa 

*  Ou  demanderont.  —  *^  De  matin.  % 


Digitized  by 


Google 


▲  L*BIY0I  DIS  nÉUERTS  A  BAIÀZBT.  S40 

diambre ,  et  ^  luy  monstrôrent  tontes  les  besoingnes  et 
affaires  '  que  vous  avës  ouy.  Le  roy  de  Honguerie  respondy 
i  leur  pétition  et  dist  en  telle  manière  en  plaine  audience  ; 
a  Vous  9  ChastelrMorant ,  et  vous  Helly ,  vous  nous  soies 
«  les  bien  venus ,  et  vous  voyons  voulentiers  pour  l'amour 
I  de  nos  cousins  de  France  et  leur  ferions  voulentiers 
8  plaisir  et  à  vous  aussi,  et  povës  venir  et  aler  parmy 
«  nostre  royaulme  à  vostre  voulentë  et  aussi  en  la  Turquie, 
«  se  il  vous  plaist  ;  mais  pour  le  présent  nous  ne  sommes 
«  pas  d'accord  ad  ce  que  les  présens  et  joiaulx  lesquels 
«  vous  Chastel-Morant  qui  messagier  en  estes  ,  avés  fait 
«  venir  du  royaulme  de  France  ,  vous  les  menéiat  oultre  , 
«  ne  présentés  à  ce  chien  mescréant  le  roy  Basaach,  car  jà 
I  n'en  sera  enrichy»  ne  resjoy.  Il  nous  tourneroit  à  trop 
«  grant  '  vieultéet  à  trop  grant  blasme  ^,  se  ou  temps  adve- 
a  nir  il  se  povoit  vanter  que  pour  luy  attraire  à  amour  et  par 
«  cremeur ,  pour  tant  qu'il  a  eu  une  victoire  sur  nous  et 
a  qu'il  tient  en  dangier  et  en  prison  ancuns  hauls  barons 
ff  de  France,  il  fuist  tant  honnouré  que  il  peuist  dire  et 
c  monstrer  :  «  Le  roy  de  France  et  les  seigneurs  de  son 
«  sang  de  France  m'ont  envoyé  ou  envoiërent  ^  telles 
«  richesses  et  tels  *  présens  et  joyaulx  » .  Tant  que  des  guer- 
«  fauls,  je  n'en  feroie  pas  bien  grant  compte,  car  oiseaulx 
«  voilent  légiërement  de  pays  en  autre  :  ils  sont  donnés 
«  tost  et  tost  perdus;  mais,  au  regard  des  draps  de  haultes 
I  lices ,  ce  sont  choses  à  garder  ,  à  monstrer ,  à  demeurer 
«  etàveyrà  tousjours  mais  ,  siques,  Ghastel-Morant , 
«  distleroy  de  Honguerie,  se  vous  voulés  passer  oultre 
«  en  Turquie  et  porter  les  fanlcons-guerfauls  et  veoir  ce  roy 
I  Basaach,  faire  le  povés,  mais  vous  n'y  porterés  autre 
«  chose.» 

***  Parlèrent  à  Ipy  en  remonstrant  tonte  Taffaire.  —  *-*  Vitupère , 
blasme  et  vileté.  —  *^  Tels  riches. 


Digitized  by 


Google 


5B0  LE  ROI  DB  HOHGBIE  6*0PP08E 

Dont  respondy  messire  Jehan  de  Ghastel-Morant  et 
dist  :  a  Certes,  chier  sire  et  redoubté  roy,  ce  ne  serdt  pas 
«  mon  honneur ,  ne  la  plaisance  du  roy  de  France,  ne  des 
«  seigneurs  qui  ^  pardechà  *  m'envoient ,  se  je  n*accom- 
«  plissoie  mon  '  voiage  ^  en  la  fourme  et  manière  que  il 
«  m'est  chargie  à  faire.  »  —  «  Or  bien  ,  dist  le  roy  ;  tous 
«  n'en  aurës  autre  chose  présentement  par  moy.  »  Si  se 
départy  à  tant  des  deux  chevalliers  et  entra  en  ses  cham- 
bres ,  et  les  laissa  illec  parlans  ensemble ,  euls  conseiUans 
quel  chose  ils  pourroient  faire  pour  le  mieulx  ;  car  ceste 
abusion  du  roy  de  Honguerie  leur  toumoit  à  grant  des- 
plaisance. Et  en  parlèrent  entre  eulx  deux  en  plusieurs 
manières  pour  avoir  conseil  comment  ils  s'en  dieviroient , 
et  advisèrent  que  tout  leur  estât  et  Tymagination  du  roy  de 
Honguerie  ils  l'envoieroient  par  lettres  et  par  ^  hastieu  ' 
message  au  roy  de  France  et  au  duc  de  Bourgoingne ,  i  la 
fin  que  ils  y  voulsissent  pourvoir,  puisque  autre  chose  ils 
n'en  povoient  avoir,  par  quoy  aussi,  seU  ^  besoingnoit',  que 
ils  fuissent  excuses  de  leur  longue  demeure  par  le  moyen 
du  roy  de  Honguerie.  Si  escripvirent  lettres  ces  deux  che- 
valliers et  sëellerent ,  adreschans  au  *  duc  de  Bourgoingne 
comme  au  roy  ^^,  et  prindrent  certain  message  bien  exploit- 
tant  pour  chevauchier  en  France,  et  luy  firent  finance  d'or 
et  d'argent  assés  pour  souvent  remuer  et  changier  che- 
yaulx  à  la  fiin  que  il  fuist  plus  tost  exploittant  sur  son 
chemin  ;  et  ils  demeurèrent  à  Bude  en  Honguerie,  attendant 
le  retour  du  dit  ^^  messagier  ^*. 

Tant  exploitta  le  messagier  des  deux  chevalliers  de 
France  dessus  nommes  ,  et  si  bonne  dilligence  fist  sus  son 

«^  Cy.  —  »^  Measaige.  —  ^  Haatif.—  '••  Convenoit.  —  •••  Roy 
et  au  dac  de  Bonrgoingne.  —  **  Afia  qa*ils  y  volsissent  pourvoir.  — 
"■"  Message. 


Digitized  by 


Google 


l'envoi  DBS  PRÉSENTS  A  BAIAZBT.  551 

chemin  que  il  vint  en  France  et  à  Paris,  et  là  trouva  le 
roj,  le  duc  de  Bourgoingne  et  les  seigneurs.  Si  présenta  ses 
lettres.  On  les  prist,  ouvry  et  lisy,  et  tout  au  long  fut  veu  le 
contenu  en  icelles,  '  duquel  *  on  fut  '  à  merveilles  *  tourblë  et 
courrouchié.  Et  pensèrent  sus  moult  longuementpour  adviser 
la  raison  par  laquelle  le  roy  de  Honguerie  povoit  avoir 
empeschië  ou  empeschoit  à  passer  oultre  en  Turquie,  et  de 
faire  les  présents  à  TÂmourath-Bacquin,  ainsi  que  ordonné 
et  déterminé  l'avoient. 

Le  duc  de  Berry  excusoit  trop  fort  le  roy  de  Honguerie 
et  disoit  que  il  n'avoit  nul  tort  à  cela  faire  ;  car  on  s'estoit 
de  trop  humilié  et  abaissié ,  quant  le  roy  de  France 
envoyoit  dons  ,  présens  et  joyaulx  à  ung  roy  payen  mes- 
croiant.  Le  duc  de  Bourgoingne  à  qui  la  matière  touchoit , 
proposoit  à  rencontre  que  c'estoit  toute  chose  raisonnable 
ou  cas  que  fortune  et  adventure  luy  avoient  fait  tant  de 
grâce  qu'il  avoit  eu  victoire  et  journée  de  bataille  pour  luy 
si  belle  et  si  grande  que  desconfy  et  mis  en  chace  avoit  le 
roy  de  Honguerie  et  pris  tous  les  plus  nobles  et  les  plus 
grans ,  réservé  *  la  personne  •  du  roy ,  qui  ce  jour  s*es- 
toient  armés  en  bataille  contre  luy  ,  et  les  tenoit  prison- 
niers et  en  ses  dangiers  ,  pour  laquelle  cause  il  ^  besoin- 
gnoit  *  bien  aux  proïxmes  et  amis  de  ceulx  ,  que  par  aucun 
moyen  ils  fuissent  aidiés  et  confortés  ,  se  on  entendoit  à 
euls  ravoir  et  délivrer. 

Les  paroles  du  duc  de  Bourgoingne  furent  aydyes  et 
soustenues  du  roy  et  de  son  conseil ,  et  fut  bien  dit  que  il 
avoit  bonne  cause  de  ce  dire  et  remonstrer  ,  et  demanda 
le  roy  au  duc  de  Berry  en  disant.  «  Beaulx  oncles ,  se 
«  l'Amourath-Bacquin  ou  le  souldan  ou  ung  autre  roy 
«  payen  vous  envoyoit  ung  rubis  noble  et  riche ,  je  vous 

*'*  Desquelles  paroles  qui  dedans  estoient  esciiptes.  —  *'*  Trop 
dorement.  —  "^  Le  corps.  —  '"•  Convenoit. 


Digitized  by 


Google 


352  LA  DUCHES»  D*OaLÉAIIS  BST  jMUa»iB 

«  demande  se  vous  le  recepvriés.  »  Le  duc  de  Berrj  res- 
pondy  et  dist  :  «  Monseigneur  ,  j'en  auroye  conseil.  »  Or 
fiit-ii  dit  et  remonstrë  du  roy,  pour  tant  qne  il  n'y 
avoit  pas  dix  ans  que  le  souldan  Iny  avoit  envoyé  ung 
rubis,  lequel  il  avoit  acheté  vingt  mille  ^  frans  '. 

L'affaire  du  roy  de  Honguerie  ne  fut  en  riens  soustenue, 
ainchois  fut  bien  dit  que  il  avoit  trop  mal  ezploittié ,  quant 
il  empeschoit  et  avoit  empeschié  les  présens  à  aler  oultre 
devers  le  roy  Basaach  et  que  ce  pourroit  les  seigneurs  de 
France  plus  '  arriérer  ^  que  avanchier.  Si  fut  ordonné 
ainsi  et  conseillié  au  roy  de  France  de  escripre  au  roy  de 
Honguerie'  lettres  moult  amiables  en  priant  que  il  ne 
mesist  nul  empeschement  ad  ce  que  son  chevallier  et  tout 
ce  que  de  charge  avoit,  ne  passast  oultre  en  Turquie  et  n'en 
fesist  son  message.  Si  furent  de  rechief  lettres  escriptes 
sus  la  fourme  que  je  vous  dy  et  séellées  et  baillies  à  cellny 
qui  les  nouvelles  avoit  apportées.  Quant  le  messagier  ot  sa 
délivrance ,  il  se  départy  du  roy  et  du  duc  de  Bourgoingne 
et  des  seigneurs  de  France ,  et  se  mist  au  retour  pour 
revenir  en  Honguerie  par  devers  messire  Jacques  de 
Helly  et  messire  Jehan  de  Chastel-Morant. 


Vous  sçavés,  comment  il  est  icy-dessus  contenu  en  nostre 
histoire,  la  manière  et  comment  le  roy  de  France  estoit 
tous  les  ans  enclin  de  rencheir  en  une  maladie  '  que  on 
dist  frénaisie  * ,  et  si  n'estoit  nuls  médechins,  ne  surgiens 
qui  rensceuissmt  conseillier,  ''  ne  qui  y  peuissent  pourvoir 
deremdde*.  Aucuns  s'estoient  bien  avanchiés  et  vantés 
que  ils  le  gariroieÀt  et  metteroient  en  ferme  santé  ;  mais, 
quant  ils  avoient  tout  emprins  et  labouré,  ils  *  ouvroient'^ 

«-•  Fbrins.  —  «"*  ArrMier.  —  *•  FiÀTrease.  —  '-•  Ne  rem4di«r.  — 
••'*  Labonnûent. 


Digitizedby  Google 


l>*AVOm  KlIPOISOlIlli  LB  ROI.  ^  3K3 

en  tain ,  car  la  midadie  du  roy  ne  se  oesaoit ,  ne  pour 
pryères,  ne  pour  mëdediinea^  jusqnes  à  tant  que  elle  avoit 
prins  tout  son  cours.  Les  aucuns  ^  comme  arioles  devisoient 
et  adetindent  sus  leur  entente ,  pour  mieulx  yalloir,  sus  la 
maladie  du  roy,  et  mettoient  oultre»  qu^mt  ils  vicient  que 
leur  labeur  estoit  nul ,  que  le  roy  estoît  empoisonné  et 
enherbë.  Bt  ce  *  maintenoit  '  les  seigneurs  de  France 
et  le  poeuple  génërallement  en  grans  variations  et  ^  «uppo* 
sitions  ^  de  mal  ;  car  les  aucuns  de  ces  arioles  affermoient, 
pour  mieulx  attaindre  leurs  jangles  et  peur  plus  donner 
toutes  gens  à  penser,  que  le  roy  estoit  démené  par  sors 
et  par  *  charmes  ^ ,  et  le  sçavoieat  par  le  déable ,  qui  leur 
réTéloit  oest  affaire,  desquels  arioles  '  il  en  y  eut  aucuns 
destruits  et  ars  à  Paris  et  en  Avignon,  car  ils  parloient  si 
avant,  *  disans  ^^  que  la  duchesse  Valentine  d'Orléans  et 
ftUe  au  duc  de  Milan  faisoit  "  cel  encombrier  et  en  estoit 
cause  pour  parvenir  à  la  couronne  de  France ,  et  en  fut 
par  telle  manière  la  dame  acqueillie  par  les  parlera  de  ces 
arioles,  que  commune  renommée  couroit  parmyle  royaulme 
de  France  qu'elle  jouoit  de  tels  ars  et  que  si  longuement 
qu'elle  seroit  delés  le  roy  de  France  i  séjour,  ne  queie 
roy  la  verroit ,  ne  orroit  parler,,  il  n'en  aroit  autre  chose. 
Bt  convint  la  dite  dame,  pour  ester  cel  ^*  escandële  "  et 
fuyr  tels  périls  qui  de  trop  près  l'approuchoient ,  dissimu- 
ler et  départir  de  Paris  et  aler  demeurer  à  ^^  Aniers  ^%  ung 
moult  bel  et  fort  chastd  près  de  Ponthoise ,  lequel  chastel 
estoit  au  duo  d'Orléans  son  seigneur  et  mary,  et  depuis 
ala-elle  demeurer  au  Noeuf-Chastel-sur-Loirre,  lequel  est 
aussi  et  estoit  pour  lots  au  duc  d'Orléans.  Et  quant  le  duc 

*  De  ces  médechins.  —  "  Mettoit.  —  *-■  Souipechons.  —  •*'  Car- 
met.  —  •  Bt  devin».  —  •*•  Qu'Ile  dirent.  —  "  Tout.  —  *•-*»  Eadan- 
dre.  -  •*-»  Anièren. 

'XV.  —  FROISSART.  23 


Digitized  by 


Google 


S54  tA  DUCHBSBfi  B'OBtÊAlrd  EST  AC<!USàfi 

d'Orléans  senti  que  tel  famé  ^  couroit  sus  sa  femme,  il  en 
estoit  tout  mërancolieus  et  8*en  dissimuloit  an  mieulx  et 
pins  bel  qne  il  povoit ,  et  n'eslongoit  pas  ponr  ce  le  roy 
son  frère ,  ne  la  conrt  ;  car  '  plenté  ^  des  pins  hanltes 
besoingnes  dn  royaulme  de  France  se  ordonnoient  par  les 
consanls  où  il  estoit  appelle. 

Le  duc  de  Milan  qni  s  appelloit  Gallëas ,  estoit  bien 
infouri&é  que  de  telles  viles  choses  et  désordonnées  sa  fille 
la  duchesse  d*0rlëans  estoit  amise  et  demandée.  Si  tour- 
noit  ce  à  grant  ^  blasme  ^  »  et  envoia  deux  ou  trois  fois  ^i 
France  ambassadeurs  pour  excuser  sa  fille  devers  le  roy  et 
son  conseil ,  et  ofiroit  chevallier  ou  chevalliers  *  à  corn- 
batre  ^  autre  ou  autres  qui  luy  ou  sa  fille  voulsissent  de 
nulle  trahison  accuser.  Et  monstroient  iceulx  messages  ces 
paroles  si  acertes  que  il  en  menachoit  le  roy  de  France  i 
faire  guerre  contre  le  royaume  de  France  et  tons  les  Fran- 
çois ;  car  le  roy  de  France  avoit  '  mis  hors  *  et  proposé, 
lorsque  il  estoit  en  bonne  santé,  quant  il  fut  sur  le  mont 
de  Bavelinghem  entre  Saint-Omer  et  GaUds  et  il  donna 
Ysabel  sa  fille  par  mariage  au  roy  Richart  d'Angleterre, 
que ,  luy  retourné  en  France  ,  jamais  il  n'entenderoit  i 
antre  chose  ,  si  seroit  aie  à  puissance  sur  le  duc  de  Milan. 
Et  le  roy  d'Angleterre  qni  s'escripvoit  et  nommoit  son 
fils ,  luy  avoit  prommis  en  ce  voyage  de  purs  Anglois 
mille  lances  et  six  mille  arehiers  ,  dont  le  roy  de  France 
estoit  *®  moult  resjony  et  non  sans  cause  ".  Et  furent  les 
pourvéances  faittes  et  ordonnées  pour  le  roy  de  France 
en  la  conté  de  Savoie  et  en  la  danlphiné  de  Vienne,  car  par  là 
vouloit  entrer  le  roy  de  France  en  Piedmont  et  en  Lom- 
bardie. 

•  Et  renommée.  —  "•  Moult.  —  V  Iigare.  —  'Du  royanme  de 
France.  —  '  A  outrance.  -^  ••  Dit.  —  *•-"  Grandement  reejoy. 


Digitized  by 


Google 


D*AVOIR  EMPOISOIIIIÉ  LE  ROI.  SS5 

Or  advint  que  ce  voyage  se  brisa  et  desrompy  et  ala 
tout  à  néant ,  quant  les  certaines  nouvelles  vindrent  en 
Fraaœ  de  la  grant  bataille  et  desconfiture  qui  avoit  esté 
devant  Nycolpoly  sus  les  crestiens ,  et  de  la  mort  et  prinse 
des  *  nobles  barons  *  de  France  ;  car  le  roy  de  France  , 
le  duc  de  Bourgoingne  et  tous  les  seigneurs  furent  si  char- 
giés  de  ces  dures  nouvelles  que  ils  orent  assés  à  entendre 
à  autre  diose ,  et  aussi  ils  sentoient  ce  duc  Galléas  de 
Milan  grant  et  puissant  et  moult  bien  du  roy  Basaach 
de  Turquie,  dit  rAmourath-Bacquin  ',  pour  quoy  ils  *  ne 
Tosërent  bonnement  courrouchier  ^. 


Le  duc  de  Bourgoingne  et  la  duchesse  sa  femme  jet- 
tment  toutes  leurs  visées  ^  au  long  de  toutes  pars  ^  comment 
et  par  quel  poûrchas  et  traiitié  ils  pourroient  ravoir  leur 
fils  Jehan  de  Bourgoingne  conte  de  Nevers.  Bien  sçavàient 
que  avant  que  il  yssist  de  Turquie,  il  *  en  convenoit  grant 
avoir  saillir  *.  Si  restraindireut  leur  estât  ^^  et  commence 
roità^^  espargnier  etassamblerpar  toutes  leurs  terres  grant 
or  et  grant  aj^ent  ;  car  sans. le  moien  de  ce  ne  se  povoient 
leurs  besoingnes  faire.  Et  acquirent  de  toutes  pars  amis 
et  par  espëcial  marchans  vénisciens  et  jennevois  et  hommes 
de  telle  sorte ,  car  bien  sentoient  et  oongnoissoient 
que  par  tels  gens  convenoit-il  que  ils  fussent  adreschiés. 

Le  duo  de  Bourgoingne  pour  ce  temps  se  tenoit  tout 
quoy  à  Paris  delés  le  roy  son  nepveu  et  luy  remonstroit 
souvent  ses  besoingnes.  Le  roy  8*i  enclihoit  assés ,  car  le 
duc  son  oncle  avoit  la  greigneur  partie  du  gouvernement 
•  •        "  •  ' 

V'  Seigneani.  [•—  *-*  Si.  —  *  Et  le  laiuièrent  pour  lora  en  oettay 
estât.  —  *-^  En  toutes  manieras.  ^  *-*ConTenoit  payer  grant  finance. 
—  «•^"  Pour. 


Digitized  by 


Google 


856  lfi<HM:iAT101l8  MMm  LA  RANÇON 

da  dit  royanlme ,  dont  sês  besoingnes  en  dévoient  mienlx 
valloir. 

En  ce  temps  avoit  nng  ^  Lombart  '  à  Paris,  puissant 
homme  darement  et  grant  marchant ,  et  auquel  tons  les 
fais  d*autres  Lombars  se  rapportoient  »  et  estoit  congnen» 
à  parier  proprement,  par  tout  le  monde  là  où  marehans 
vont  et  viennent  et  hantent  ;  et  cestuy  marchant  on  nom- 
moit^  Din  de  Responde^  et  par  luy  se  povoient  faire 
tontes  finances.  Et  qnoyqae,  en  devant  ceste  adventnre  de 
la  prinse  dés  seigneurs  de  France  en|Tnrqaie,  il  Aiist  bien 
amë  et  honnoarë  du  roy  et  des  seigneurs  de  France,  I 

lencoires  de  rechief  le  fut-il  plus  grandement.  Et  eu  par-  I 

oit  souvent  le  duc  de  Bourgoingne  à  luy  pour  avoir  con-  I 

seil  comment  il  s*en  pourroit  chevir ,  ne  entrer  en  traittië 
deivers  rAmourath-Baoquin  ^  pour^  ravoir  son  fils  et  les 
autres  seigneurs  de  France,  qui  àveuc  luy  eàtoient  pris(»miers 
an  Turquie.  Sire  Din  de  Responde  respondoit  i  ces  paroles  ' 
et  disoit  :  «  Monseigneur ,  on  y  regardera  petit  à  petit. 
«  Les  marehans  de  Venise  et  de  Jeunes  et  des  ysles 
f  obeissans  à  euls  sont  congnens  partout  et  font  le  fait  de  • 
I  la  marchandise  au  Quaire ,  en  Alexandrie ,  i  Damas  ^ , 
a  en  Surie,  en  Tmrquie  et  par  toutes  les  mëtes  et  limitations 
c  loingtatnes  des  mesoroians  ;  car,  ainsi  que  vous  sçavés, 
a  marohandiee  va  et  court  partout,  et  se  gouverne  et 
et  estofie  *  le  monde  par  celle  ordonnance.  Si  escripvës 
«  et  faittes  le  roy  escripre  amiablement  devers  euls,  et 
«  leur  proumettës  grans  biens  et  grans  prouflSs,  se  ils  y  • 
f  veulent  entendre.  Il  n'est  chose  qui  ne  s'appaise  et 
«  'moyenne  ^^  par  OFOt  par  argent.  Aussi  le  roy  de  Chyp- 
«  pre  qui  est  marchissant  à  la  Turquie  et  qui  point 

^  Mkrohaat  locqaois.  —  ^  Digne  Rap<md«.  —  '-*  Et  comment  U 
poorroit  Tenir  à.  —  '  A  Damiette.  —  •  Tout.  —  •-••  Amoyenae. 


Digitized  by 


Google 


BC  COKTB  LIE  NBTBftS.  357 

«  enooirea  n'a  fait  de  guerre  à  rAmoarath,  y  puet  bien 
ff  aidier.  Vous  deyés  croire  et  savoir  que  de  bon  cuer  et 
«  très-acertes  je  y  entenderay  ;  car  je^  suis  en  tout  ce 
«  tenu  du  faire.  » 

On  ne  se  doit  point  esmerveillier  se  le  duo  de  Bour- 
goingne  et  la  duchesse  sa  femme  quëroient  Toye  et  adresse 
pour  ^  Taligance  *  de  leur  fils  Jehan  de  Bourgoingne  conte 
de  Nevers  ;  car  ceste  prison  leur  touchoit  de  trop  près 
pour  tant  que  il  devoit  estre  leur  hoir  et  successeur  de 
tous  leurs  héritages,  dont  ils  tenoient  grant  foison  ,  et  se 
luy  estoit  ceste  adventure  advenue  en  sa  promit  et 
joeune  et  noutelle  cheTallerie. 


Les  dames  de  France  regrettoient  leurs  '  maris  et  leurs 
amis  ^.  La  dame  de  Goucy  par  espécial  ne  povoit  oublyer 
son  mary  et  plouroit  et  lamentoit  nuit  et  jour  »  ne  on  ne 
la  poYoit  reconforter.  Le  duc  de  Loheraine  et  measire 
Ferry  de  Loheraine  la  vindrent  veoir  à  Saint-Goubain  où 
elle  se  tenoit,  et  la  réconfortèrent  ce  que  ils  peurent ,  et 
Fadvisèrent  de  ce  qu'elle  vouisist  envoier  en  Honguerie  et 
en  Turquie  i  sçavoir  comment  il  luy  estoit,  car  ils 
aToient  entendu  que  il  evoit  plus  ^  de  douloeurs  et  de 
courtoises  *  que  nul  des  autres  prisonniers. 

La  dame  sceut  à  son  frère  le  due  et  à  messire  Férry 
son  second  frère  uug  très-bon  grë  de  eelluy  advis,  et 
manda  messire  Robert  d'Esne  ung  cheyalUer  de  Cambré- 
sis  ^  et  luy  pria  donlcement  que  il  se  vouisist  tant  traveil- 
lier  pour  l'amour  d'elle  que  de  *  aler  en  Honguerie  et  eâ 
Turquie  veoir  en  quel  estât  son  seigneur  et  mary  le  sire 
de  Coucy  estoit. 

*-*  La  d^livi*ance.  —  '-^  Amis  «t  leurs  marii.  —  ^  Douce  et  pins 
ooartoise  prison.  —  ^  Bon  et  vaillant.  —  *  Prendra  le  chemin  et. 


Digitized  by 


Google 


^58  LE  SIRE  d'eMB  SB  R8HD  EN  TURQUIE. 

'  Le  chevallier  deecendy  à  la  prière  de  la  dame  de  Goucy 
assës  lëgiërement ,  et  respondy  qae  vonlentiers  il  feroit  le 
message  et  yroit  si  avant  que  il  en  rapportôroit  certaines 
nouvelles.  Adont  se  ordonna  de  tons  poins»  et  quant  il  ent 
sa  délivrance  ,  il  se  mist  au  chemin  luy  cinquiesme  tant 
seulement.  Pareillement  les  autres  dames  de  France 
envoyèrent  2^rès  leurs  maris  pour  ent  savoir  la  vërite. 


Vous  avez  icy-dessus  bien  ouy  recorder  comment  le  roy 
de  Honguerie  s'estoit  ad  ce  arrestë  que  nullement  il  ne 
vouloit  consentir  que  le  sire  de  Chastel^Morant  passast 
oultre  en  Turquie  pour  faire  les  présens  ^  à  TÂmourath- 
Bacquin  de  par  le  roy  de  France ,  et  demeura  *  sus  cel 
estât  et  oppinion  ung  long  temps,  dont  il  desplaisoit  gran- 
dement à  messire  Jehan  de  Ghastel-Morant  et  à  messire 
Jaques  de  Helly,  quoyque  '  amender  ne  le  ^  peuissent. 

Or  advint  que  le  grant  maistre  de  Roddes  vint  en  Hon- 
guerie en  là  dtë  de  Bnde  veoir  le  roy,  qui  luy  flst  très- 
bonne  chière,  et  bien  luy  devoit  faire  et  estoit  tenu,  car  le 
jour  de  la  bataille  il  se  saulva  de  mort  et  de  prison.  Et 
trouva  les  deux  chevalliers  de  France  qui  là  sejoumoient. 
Si  se  trairent  devers  luy  et  luy  remonstrërent  toute  la 
matière  pour  quoy  le  roy  de  Honguerie  les  faisoit  lâ  tenir  i 

à  s^our.  de  laquelle  chose  il  fut  trop  grandement  esmer-  ! 

veillië  y^  et  dist  que  il  en  parleroit  au  roy  et  tant  que  ils 
s'en  perchevroient,  ainsi  que  il  flst,  et  le  remonstra  au  jroy 
de  Honguerie  par  telle  manière  et  si  sagement  que  il  luy 

*  rompy  ^  tous  ses  argus,  tellement  que  messire  Jehan  de 
Chastel-Morant  eut  congië  de  passer  *  en  la   Turquie 

*  Et  graiu  dont.  —  '  Le  roi  de  Honguerie.  —  "^  Pounreoîr  n'y.  — 

•  Et  1|6  appaîsa.  —  •-»  Bris*.  —  «•  Outre. 


I 


Digitized  by 


Google 


tfi  diRfi  Dti    dUTRAOMOllAirr  HMmSOlT  SON  tOtAGS. 

à  tons  les  prësens  ^  tels  *  que  de  par  le  roy  de  France  il  y 
menoit  ^ ,  et  passèrent  oaltre  sans  aucun  empeschement  ; 
car  le  chevallier  pour  luy  et  pour  sa  famille  atoit  bon 
saulf-conduit ,  lequel  messire  Jaques  de  Helly  luy  avoit 
fait  avoir,  comme  dist  est ,  et  vindrent  jusques  au  roy 
Basaach  qui  rechupt  les  cheyalliers  et  les  prësens  ^  de  par 
le  roy  de  France  selon  son  usage  assës  honnourablement 
et  fist  de  tout  ^  moult  grant  feste  et  en  tint  grant  compte. 

Les  chevalliers  parlèrent  une  fois  tant  seulement  au 
conte  de  Nevers  ,  et  non  aux  autres,  et  assës  longuement 
tant  que  bien  povoit  souffire  ;  et  au  prendre  congië  le  conte 
de  Nevers  leur  dist  :  «  Recommaudës-moy  à  monseigneur 
«  mon  père  et  à  madame  ma  mère  ^  à  monseigneur  de 
«  Berry  et  à  monseigneur  le  roy  ,  et  me  salues  tous  mes 
«  amis  de  par  delà.  Et ,  se  il  est  ainsi  que  par  aucuns 
«  traittiës ,  soit  par  marchans  ou  autrement ,  TAmourath 
«  vueille  entendre  à  nostre  raenchon  »  on  se  délivre  du 
«  plus  tost  que  on  puet  ;  car  à  y  mettre  *  longuement  ,  on 
«  y  perderoit  assës.  Nous  ^  estiens  '  de  commencement 
a  nous  *  noeuf  ^^  ;  mais  depuis  en  sont  revenus  sèze  :  ce 
a  sont  "  vingt-et-cinq  ^*.  Que  Ten  fâche  ung  rachat  tout 
«c  ensemble.  Aussi  bien  flnera-on  de  vingt-et-cinq  que  d'un 
«  tout  seul ,  car  l'Amourath  s'est  arrestë  à  ce ,  et  soies 
«  certain  que  sa  parole  sera  véritable  et  estable ,  et  y 
«  pôvent  bien  adjouster  foy  ceulx  de  par  delà ,  qui  cy 
«  vous  ont  envoyé.  » 

Messire  Jehan  de  Ghastel-Morant  et  messire  Jaques  de 

Helly  respondirent  et  dirent  que  toutes  ces  choses  et  tout 

^le  bien  que  ils  pourroient  dire  et  faire ,  ils  le  feroient  vou- 

lentiers  ^*.  Si  prindrent  congië  à  tant  à  messire  Jehan  de 

*  Qui  forent  délivrés.  —  *-*  Comme  il  les  portoit.  —  ^  Et  dons.  — 
*  Ce  qoe  le  roy  de  France  lay  avoit  envoyé.  —  *  Plus.  —  '-*  Fnames. 
—  •-••  Huit.  —  "-"  Vingt-et-qnatre.  «  «•  Et  qae  ils  y  estoient  teniiB. 


Digitized  by 


Google 


LK  MftË  Dfi  CttATlADilOtUMT  POOfiSUtT  SON  VOYACB. 

Bourgoingne  conte  de  Nevers ,  et  puis  an  roy  Basaach  dit 
rAmonrath'Baoqtim ,  et  se  départirent  de  la  Turquie  ,  et 
retournèrent  arrière  en  Honguerie  et  puis  de  là  par  Alle- 
maigae  exploittiërent  tant  que  ils  entrèrent  en  la  France  , 
et  tronvèrent  sas  le  chemin  leur  message  qui»  ils  avoîent 
envoie  en  France  devers  le  roy  de  France,  ainsi  que  icy 
dessus  est  contenu  ,  qui  rapportoit  lettres  au  roy  de  Hon- 
guerie de  par  le  roy  de  France.  Si  le  firent  retourner  avec- 
ques  euls  ,  car  il  n'avoit  que  faire  de  aler  plus  avant  , 
*  p<Hir  tant  que  ils  avoient  besoingnié  de  ce  pour  quoy  il  y 
estoient  aie  comme  dit  est  *. 

'-*  Poisqu'iU  estoient  déli?rë8  et  aioBi  qu'Us  avoie&t  jA  fait  leur 
voyage  en  Turquie ,  et  's'en  retournèrent  tous  ensemble  en  FVance 
devers  le  roy. 


m  hV  TOME  XV. 


Digitized  by 


Google 


NOTES. 


La  grande  orarre  hiatonqne  de  Froûaart  approche  de  son  terme. 

La  décadence  de  la  cheyalerie  se  rëTèle  à  tous  les  regards.  A  la  pre- 
nùôre  page  de  ce  Tolame,  Froissart  nous  montre  le  sire  de  Craon 
assassinant  lâchement  pendant  la  nuit  le  aire  de  Clisson.  Les  derniers 
feuillets  retraceront  les  malheurs  de  la  croisade  de  Nicopolî,  où  le 
chef  de  Tannée  chrétienne  se  prosternera  devant  Bigazet  pour  qa*il  lui 
fasse  grftce  de  la  vie. 

L'abaissement  des  monarchies  rivales  de  France  et  d'Angleterre 
n'est  pas  moins  manifeste. 

Charles  YI ,  dont  la  folie  a  fait  de  rapides  pi^ogrôs,  est  dominé  par 
ses  oncles  qui  jettent  en  prison  ses  plus  fidèles  conseUlers.  Si 
Richard  II  épouse  Isabelle  de  France,  cette  alliance  ne  sera  pas  moins 
funeste  à  FAngleterre  et  à  son  roi,  que  lorsqu'une  autre  Isabelle  de 
France  devint  la  compagne  d'Edouard  II.  Le  duc  de  Glocester  j  tix>u- 
Tera  le  prétexte  de  nouvelles  séditions  fomentées  par  ses  soins ,  et 
Pomfret  rappellera  Berklej. 

Dans  l'ordre  religieux  ,  les  déchirements  du  schisme  deviennent  de 
plus  en  plus  profonds ,  et  nous  voyons  monter  sur  le  siège  d'Avignon 
ce  Pierre  de  Luna  qui  mit  tant  de  persévérance  A  les  entretenir  et  à 
les  perpétuer. 

La  fin  du  XIY*  siècle  est  voilée  d'incertitudes  ,  d'angoisses  et  de 
deuil. 

XT.  —  FROISSART.  â* 


Digitized  by 


Google 


362  NOTES. 

Meurtre  du  eonnélable(pT^,  1-21).  —  Pierre  de  Craon  était  le  eaooiid 
fils  de  GoilUrame  de  Craon  et  de  Marguerite  de  Flandre.  Le 
8  mars  1379  (▼.  et.)  il  avait  obtenu  à  la  prière  dn  comte  de  Flandre 
des  lettres  de  rémission  ponr  avoir  mis  &  mort  Baudoin  le  Yela ,  sei- 
gneur du  Laonnais.  Ayant  accompagné  le  duc  d*Ai^ou  en  Italie,  il  fut 
un  instant  emprisonné  comme  soupçonné  d^avoir  détourné  la  plus 
grande  'partie  du  trésor  de  ce  prince  ;  il  continua  néanmoins  à  jouir 
^un  grand  crédit  qui  reposait  surtout  sur  sa  parenté  avec  la  du- 
chesse de  Bourgogne. 

Le  10  juin  1392,  dans  un  débat  en  pleine  cour  du  parlement,  Tavocat 
de  la  reine  de  Sicile  affirmait  que  Pierre  de  Craon  était  depuis  aiz 
jours  à  Paris.  Ceci  se  passait  trois  jours  avant  le  meurtre  d*01ivier  de 
Ciisson.  Le  sire  de  Craon  avait  réuni  dès  le  commencement  do  mois 
de  juin  1392  dans  son  château  de  Porchefontaine  prés  de  Versailles 
une  vingtaine  dliommes  prêts  à  accomplir  toutes  ses  volontés  :  parmi 
ceax-ci  se  trouvaient  deux  écujers  picards  Adam  d*Avelujs  et  Jean  de 
Hubines.  Le  13  juin  1392,  jour  de  la  Fête-Dieu,  Ciisson,  après  avoir 
soupe  avec  le  roi ,  se  retira  suivi  de  cinq  serviteurs  à  cheval.  Lea 
conjurés  s'étaient  cachés  à  Thôtel  du  Chariot,  oc  Si  nous  ne  pouvons 
<c  remmener  vivant,  nous  le  tuerons,  »  avait  dit  Craon.  Les  coiyurés,  dès 
qu'ils  eurent  frappé  le  connétable ,  se  hâtèrent  de  fuir  et  passèrent 
la  Seine  au  bac  de  Nenilly.  Quatre  d'entre  eux  furent  atteints  et  exé- 
cutés. 

J'emprunte  ces  détails  à  un  mémoire  fort  érudit  de  M.  le  baron 
Pichon  sur  Pierre  de  Craon. 

n  est  d*autres  données  intéressantes  que  fournissent  les  doeoments 
contemporains. 

D'après  le  Religieux  de  Saint-Denis ,  un  des  meurtriera  montra  son 
épée  toute  sanglante  au  sire  de  Craon.  Celui-ci  crut  que  la  victime 
avait  reddu  le  dernier  soupir  et  s'écria  :  «  Tout  est  fini.  » 

La  Chronique  de  Berne  rapporte  que  le  sire  de  Craon  a'enfîiit  par 
le  pont  de  NeuiUy  et  qu*on  rasa  son  hôtel  de  Paris  et  plusieurs  de  ses 
châteaux. 

L'ordre  d'arrêter  Pierre  de  Craon  porte  la  date  du  14  juin  1392. 
Adam  d^Avelujs  est  nommé  parmi  ses  compUces.  Cetordra  était 
adressé  à  Jean  de  Blaisy  que  nous  retrouverons  bientôt  parmi  les  héros 
de  Nîcopoli. 

On  trancha  la  tête  à  un  vieillard  de  soixante-dix  ans  et  à  on  J 


Digitized  by 


Google 


noTBS.  Z65 

ptge  dé  qoatone  èhb,  qn^on  tra^TA  dans  Fhôtol  de  Piem  da  Gnon. 
(CAro«.  <te  Quatre  Valait.) 

Uordre  donné  par  Charles  YI  ponr  la  saisie  des  meortriera  prescri- 
vait  d^an^ter  PieiTO  de  Graon  et  ses  complices  Bonnabés  et  Pierre 
de  Tussy,  son  queux,  son  autmchier  et  antres  serviteurs  «  demeurant  en 
«  Maine.  »  (Archives  Jownafnoault:) 

Jean  Poulain  était  trésorier  du  duc  d*Orléans. 

Ckarlet  VI  veiU  combattre  le  dnc  de  Bretagne  (pp.  21-2Ô).  —  On 
racontait  que  le  roi  de  Navarre  avait  en  1371  excite  la  Jalousie  du  duc 
de  Bretagne  contre  Clisson  en  le  lui  dépeignant  comme  l'amant  de  la 
duchesse  de  Bretagne.  A  cette  date  remontait  la  haine  du  duc  de 
Bretagne  qu'on  accusait  d'avoir  armé  le  bi^as  de  Graon. 

Louis,  frère  de  Gharles  YI,  reçut  le  duché  d*Orléans  le  4  juin  1392. 
A  ce  don  se  rapporte  une  note  insérée  tome  XIY»  p.  440. 

Le  24  juillet  1392  ,  le  duc  d^Orlëans  donna  à  Amaury  d'Oi^mont 
des  pleins  pouvoirs  pour  recevoir  Thommage  de  ses  nonreanx  vassaux 
du  duché  d*Orléans. 

Charles  VI  quitte  Paris  pour  se  rendre  en  Bretagne  (pp.  26-35). 
—  Sur  les  chevaliers  et  les  hommes  d'armes  dont  se  composait  cette 
expédition,  voyez  le  ms.  7858  de  la  Bibl.  nat.  de  Paris,  p.  309. 

Diaprés  la  chronique  de  Saint-Brieuc  publiée  par  dom  Morice, 
Pierre  de  Graon  fut  un  instant  prisonnier  de  la  reine  d'Aragon. 

Frénésie  de  Charles  VI  {pp.  35-53).  —  D'après  une  chronique  bour- 
guignonne, le  duc  d'Orléans  avait  remis  uneépée  à  Gharles  YI  partant 
pour  le  Mans,  et  dés  que  celui-ci  y  toucha,  il  fut  pris  d'un  accès  de 
folie. 

Le  Religieux  de  Saint-Denis  raconte  que,  vers  le  mois  de  juillet  1390, 
par  un  temps  serein,  on  vit  tout  à  coup  se  former  au  dessus  du  châ- 
teau de  Saint-Germain  où  se  trouvait  le  roi,  un  épais  nuage  sillonné 
par  des  éclaira.  Aux  fêtes  de  Noèl,  un  épouvantable  ouragan  ravagea 
toute  FEurope.  On  trouva  plus  tard  dans  ces  événements  le  pronostic 
des  malheura  qui  frappèrent  le  roi  de  France. 

Le  Religieux  de  Saint- Denis  place  cet  événement  le  5  août  1392. 
D'après  son  récit  le  roi  tua  quatre  hommes,  entre  autres  le  bâtard  de 
Polignac.  Bureau  de  la  Rivière  ne  cacha  point  aux  ambassadeurs 
anglais  la  démence  du  roi.  Le  duc  de  Bourgogne  le  lui  reprocha  vive- 
ment :  c'était  révéler  aux  ennemis  du  royaume  une  nouvelle  cause 
d'affaiblissement  et  de  ruine. 


Digitized  by 


Google 


361 

La  Ckronifue  des  Q^aire  VaMs  indique  aoin  la  date  da  5  août. 

D*apré8  la  chroniqae  de  Berne,  le  fon  de  la  forât  da  Hana  adressa 
à  Charles  VI  oes  paroles  :  «  Roi,  ta  es  trahi  ;  roi,  ta  es  empoisonni.  » 
Il  tint  la  bride  du  cheval  da  roi  pendant  vingt  pas  et  disparat.  Le  roi 
Testa  qaelqae  temps  sans  parler,  pois  il  s'écria  :  «  J'annd  donc  ton- 
te Jours  des  traîtres  A  ma  coar  !  »  Ea  achevant  ces  mots,  il  firdmit, 
saisit  sa  lance  ,  son  ëpée  et  sa  bâche  ,  et  blessa  phisiears  des  siens. 
Enfin  on  se  rendit  maître  de  loi  et  on  le  condaislt  A  Téglise  de  Saint- 
Julien  do  Mans.  Pendant  deux  jours  il  fat  fort  malade  et  reçat  mtee 
les  derniers  sacrements.  Des  processions  solennelles  farent  organisées 
A  Paris  et  dans  toat  le  royaume.  Après  nenf  jours  le  roi  quitta  le  Mans 
et  se  rendit  à  Greil. 

Diaprés  Cabaret  d*OrronviUe,  cet  accident  eut  liea  dans  cette  mâme^ 
plaine  de  Pont-Vallain  où  jadis  Bertrand  du  Guesdin  avait  vaincu 
Robert  Conolle. 

Gilles  le  Bel  se  borne  à  dire  dans  sa  chronique  inédite  :  <c  En  oel  an 
«  entrât  le  roy  Charle  en  frénesye,  dont  ce  fut  pité.  » 

Les  adversaires  du  pape  d* Avignon  faisaient  remonter  jusqu'à 
Philippe  le  Bel  Torigine  des  chAtiments  que  la  colère  divine  n'épar- 
gnait point  A  la  maison  royale  de  France. 

Ce  fut  en  souvenir  de  ce  triste  événement  que  Charles  VI  inscrivit 
pins  tard  dans  son  testament  un  legs  de  dix  mille  firancs  à  l'église 
de  Saint-Julien  du  Mans. 

Dans  son  poème  de  MutaHan  de  Fortune,  Christine  de  Pinn 
s^affligeait  des  maladies  qui  ruinaient  la  santé  de  Charles  VI  ;  elle 
n*avait  jamais  vu,  disait-elle,  «c  chevalier  p^us  glorieus.  » 

Christine  de  Pisan  composa  un  dit  spécialement  consaeré  à  la 
Iblie  du  roi  de  France. 

La  première  strophe  se  termine  par  ces  vers  ; 

Pour  nos  péchiés  si  porte  la  penance 
Nostre  bon  roy  qui  est  en  maladie. 

Le  26  mars  1373,  Charles  VI,  à  peine  Agé  de  cinq  ans,  avait  déjà 
son  fou.  On  cite  ailleurs  comme  vivant  à  sa  cour  «  maistre  Jehan  le 
Fol.  »  Je  ne  crois  pas  qu'on  ait  signalé  quelque  part  le  fou  de 
Charles  V. 

Sur  Guillaume  de  Harselly  on  Hersiquies,  voyez  tome  V  ,  p.  511. 

Le  26  août  1392,  le  ChAtelet  condamna  au  bannissement  Pierre  de 
Craon  et  confisqua  ses  biens.  (Arrives  nationales  à  Paris.) 


Digitized  by 


Google 


KMBS.  36S 

Za  éke$  de  Bitry  st  de  Bowrçûgm  siowermiU  la  Franae  (pp.  53* 
55).  —  Le  duc  de  Bourgogne  était  £»rt  unbitîeQX.  Alors  qne  ton  frère 
aîné  le  duc  d'Aajou  vivait  encore  ,  il  avait»  comme  doyen  des  pairs, 
réclamé  dans  les  fôtes  solennelles  la  première  place  après  le  roi.  An 
sacre  de  Charles  YI ,  le  duc  d'Aigoa  s*était  assis  à  côté  da  nouveau 
roi  ;  «(  mais  Phelippe  saillist  par  dessus  et  se  vint  mettre  entre  W  roj 
«  et  son  frère  Loujs,  lequel  print  en  patience  et  dissimula  tout,  et  fut 
«  lors  Phelippe  appelé Phelippe  le  Hardy.»  (Ms.  5031  de  laBibL  nat. 
de  Paris.) 

Les  ambitions  qui  entouraient  le  roi ,  s'élevaient  et  s^abaissaient 
selon  les  péripéties  de  ses  souffrances  et  les  intervalles  de  lumière  qui 
se  faisaient  dans  son  intelligence.  Au  mois  de  novembre  1392,  Tor- 
donnance  qui  fixe  la  mtgorité  royale  à  quatorze  ans»  est  confirmée.  Au 
mois  de  janvier  suivant  on  rencontre  Tune  à  côté  de  Tautre  deux 
ordonnances  sur  le  gouvernement  du  royaume  en  cas  de  décès  du  roi« 
L*une  désigne  le  duc  d^Orléans  ;  Tautre  assure  la  tutelle  à  la  reine, 
aux  ducs  de  Berry,  de  Bourgogne  et  de  Bourbon^  et  à  Louis  de  Bavière» 
frère  de  la  reine. 

Pouriwiiei  dirigées  contre  les  anciens  conseUlws  dn  rai  (pp.  56- 
71).  —  Dans  un  mémoire  du  17  février  1400  (v.  st.),  la  dame  de  la 
Rivièi^  expose  qu*au  mois  de  septembre  1302  le  sire  de  Coucy  fit 
conduire  le  sire  de  la  Rivière  àRochefortoù  il  resta  jusqu'à  la  Chande- 
leur, puis  àCreil,  et  enfin  à  la  bastille  Saint-Antoine.  Le  sire  de  Coocy 
mit  la  main  sur  les  co£Ebes  où  se  trouvaient  la  vaisselle  d'or  et  d'argent 
et  les  tapisseries.   En  1400,   la  restitution  n'en  avait  pas  eu  lieu. 

On  arrêta  successivement  Buraau  de  la  Rivière,  Jean  Marchand  et 
le  Bègue  de  Vilaine.  Le  duc  de  Berry  s*étant  rendu  à  Paris  fit  éga- 
lement mettre  la  main  sur  Oui  Chrétien,  trésorier  de  France.  {Ckrtm. 
de  Berne.) 

Thomas  Rebechen,  queux  de  l'archevêque  de  Rouen^  se  vit  impliqué 
dans  les  mômes  pourauites. 

Le  bruit  se  répandit  que  les  anciens  conseillers  de  Charles  V 
allaient  subir  le  dernier  supplice,  et  pendant  plusieurs  jours  les  bour- 
geois de  Paris  s'assemblèrent  sur  la  place  de  Grève  pour  assister  à 
ce  spectacle  (Religieux  de  Saint-Denis). 

Christine  de  Pisan  a  parlé  avec  un  haut  sentiment  d'estime  du  sire 
de  la  Rivière.  Y  avait-il  quelques  liens  de  fionille  entre  le  nûnistre  et 
l'apologiste  de  Charles  V!  En  1350  vivait  en  Picardie  Pierre  de 


Digitized  by 


Google 


366  NOTES. 

Rivière  qui  avait  épousé  Thomaase  de  Bologne.  Un  traité  adressé  à 
Thomas  de  Bologne  est  conservé  à  la  BibK  nat.  de  Paris,  n^  2018»  et 
peut-être  Thomas  de  Bologne  est-il  lui-même  Tauteur  du  Romuléon 
(ms.  10173  delà  Bibl.  de  Bourgogne).  Ce  Thomas,  communément  dési- 
gné sous  le  nom  de  Thomas  de  Bologne,  était  le  père  de  Christine  de 
Pisan. 

Procès  du  tire  de  Olissonipp.  71-76).  —  Le  sire  de  Clisson  s'était 
d'abord  réfugié  au  château  de  Montlhéry.  De  là  il  se  retira  eu*Bre* 
tagne. 

OitérUon  de  Charles  VJ  (pp.  76-78).  —  Au  mois  de  janvier  1392 
(v.  s.),  Charles  YI  fit  son  testament.  J*ai  déjà  dit  qu'il  s'y  trouvait  un 
don  considérable  pour  Téglise  de  Saint-Julien  du  Mans  ;  un  autre  legs 
était  feit  à  l'église  de  Roosebeke. 

Quelque  temps  après  ,  Charles  YI  fut  de  nouveau  souffrant ,  mais  il 
recouvra  la  santé,  et  on  lui  fit  faire  un  autre  testament  qui  porte  la 
date  du  25  septembre  1393. 

Au  mois  d'avril  1394  (n.  st.),  Charles  YI  fit  un  pèlerinage  an  Montr 
Saint-Michel. 

Prolongation  des  fr^90i(pp.  79-82).— Le  duc  de  Bourgogne  s'était 
rendu  en  1393  à  Boulogne  pour  traiter  de  la  paix.  Il  offrit  au  due  de 
Lancastre  une  tapisserie  de  l'histoire  de  Clovis.  Parmi  les  tapisseries 
qu'il  donna  aux  autres  seigneurs  anglais,  il  s'en  trouvait  une  qui  repré*» 
sentait  les  sept  vertus  ayant  à  leurs  pieds  les  princes  vertueux,  et  une 
antre  figurant  les  sept  vices  ayant  aussi  à  leurs  pieds  les  princes  qui 
s'en  étaient  rendus  esclaves.  Une  trêve  fut  conclue  au  mois  de  mai 
1394  {Dom  Plancher,  Hist.  de  Bourgogne). 

Ce  fut  après  les  fêtes  de  Pâques  1394  qu'une  trêve  de  quatre  ans 
fut  conclue  entre  la  France  et  rAngleterns  {Bel-  de  Saint-Denis). 

Yers  les  fâtes  de  la  Saint- Jean  1394,  le  duc  de  Lancastre  revint 
de  France  où  il  se  trouvait  depuis  le  mois  de  mai.  Il  rapportait  la 
charte  de  la  trêve  (Annales  Rieardi  II). 

Charles  VI  rentre  à  Paris  (pp.  82*,  83).  —  Ce  fut  probablement 
vers  cette  époque  que  Charles  YJ,  ayant  appris  que  Pierre  de  Craoa 
était  arrivé  à  Brest,  écrivit  &  Richard  II  que,  s'il  découvrait  qu^on  lui 
donnait  asile  dans  quelque  fi>rteresse  anglaise,  il  la  ferait  raser 
{Chron.  des  Quatre  Valois). 

Hommage  du  comte  de  Foiw  <pp.  83,  84).  —  Matthieu  de  Poix  ren- 
dit hommage  à  Charles  YI  en   1392.  Les  contestations  auxquelles 


Digitized  by 


Google 


ROTES.  567 

ftvait  donné  Hen  la  Boccession  de  Gaston  Phôbns,  furent  aplanies  par 
une  convention  du  moia  de  décembre  1391. 

ladause  des  sawûoges  (pp.  84-92).  —  Voici  qnel  e«t  le  récit  d*un 
chroniqueur  bourguignon  : 

«  Environ  ce  tamps  avint  que  le  dit  Loye,  lequel  avoit  toujours  à  son 
privé  conseil  Philippe  de  Maiziôres,  mist  en  avant  au  roi  son  frère  de 
fidre  une  mommerieet  danses  de  nuit  en  la  salle  deFostel  deSaint-Pol. 
Sy  avoit  par  le  conseil  du  dit  Philippe  fait  faire  X  ou  XII  cottes  de 
toille  doubles,  tonttes  aemplies  de  souffre,  harpoy  et  crasse  ,  et  au 
dehors  touttes  couvertes  de  lin,  et  fist  le  dit  Loys  acroire  au  roy  que 
oncques  mais  n'avoit  veu  faire  miUeur  esbatement  pour  complaire 
et  reigoir  les  dames. 

«  Quant  à  uttg  certain  jour  qu*il  avoient  assigné  pour  faire  oeste 
belle  mommerie,  les  dittes  robes  furent  prestes  au  dit  lieu,  on  en 
vesti  premiers  an  roi  une,  au  conte  de  Joingni,  au  conte  de  Poitiers 
et  au  bastard  de  Fois  une,  et  à  plusieurs  autres  damoiseaux  de  ey  au 
nombre  de  IX  ou  X  ;  mais,  quant  au  dit  Loys,  il  s'excusa,  disant  que 
la  sienne  estoit  trop  estroitte  ,  mais  très-instamment  il  a'offry  de 
porter  la  torse  pour  esolairier  les  dits  dansseurs.  Le  bastard  de  Pois 
appella  deux  de  ses  serviteurs,  ausquels  il  commanda  tenir  chascan  ung 
f^  linceul  à  Thuys  de  la  salie,  affin  que,  se  par  flamesque  on  autre 
meschSef  le  fii  se  prenoit  à  aucuns,  qu'ils  fussent  prests  de  le  sauver. 
Et  volt  à  touttes  fins  le  dit  Loys  que,  pour  mieulx  faire  la  grimace, 
ils  fussent  attachiés  ensemble,  mais  il  y  ot  ung  des  varlets  de  chambre 
du  roy,  qui  dist  :  «  Sire  roy,  trop  y  a  de  péril  à  se  tenir  enssamble  pour 
«  doubte  du  fn.  »  Et  quant  le  dit  Loys  Toit,  il  bouta  an  dit  varlet  la 
torse  an  visaige  ;  sy  le  brûla  moult  vilainement,  et  luy  dist  :  «  Ri- 
«  bault,  qny  te  menlt  de  parler  de  nostre  esbatement  ?  i»^ 

«  Puis  saillirent  avant  trompettes,  ménestreux,  flûtes,  tamburina  et 
challemies  quy  jouèrent  mélodieusement  ;  mais  ,  tout  ainsy  comme 
les  dansses  se  deurent  commenchier  et  qu'il  se  tenoient  en  tresque 
par  les  mains  en  manière  d'hommes  sauvaiges,  le  duo  Loys,  portant 
la  torse  devant  yaulx,  ainssy  que  par  meschansse,  tout  de  gré,  se 
Uussa  cheoir  ou  millieu  d*eux,  dont  le  fu  se  bouta  en  l'un  d'iceulx,  et 
pour  ce  qu'ils  estoient  près  lun  de  l'autre,  ne  se  polrent  oncques  gar- 
der que  tous  ne  fussent  entrepris  du  feu,  et,  se  n'eust  esté  ung  gar- 
tier  d'argent  par  quoy  les  dames  recongnenrent  le  roy,  il  estoit  mort 
sans  nul  recouvrier  ;  mais  elles  le  couvrirent  de  leurs  grandes  robes 


Digitized  by 


Google 


368  ROTES. 

et  estaindirent,  tyqne  oncquet  fa  ne  te  polt  esprendre»  tant  que  eUes 
orent  sa  robbe  tirée  jas  par  pièces.  Des  autres  ea  ot  IIII  ou  V  mors 
en  la  place  et  ars.  Le  bastard  de  Fois  s*enfay  verases  geos,  mais  il 
n*y  polt  à  temps  venir.  Pour  ce  fait  j  ot  ung  mervilleux  effroy  avant  la 
Tille,  et  y  acoururent  du  commun  de  Paris  plus  de  XL™  hommes,  pour 
ce  que  la  voix  couroit  desjà  que  on  vouloit  murdrir  le  roj.  Sy  s'en 
vint  tout  ce  peuple  criant  :  «  Alarme  !  »  toute  en  desroy,  pour  rom- 
pre et  abbatre  la  maison  de  Saint-Pol  et  pour  tuer  tous  ceux  quy  là 
dedens  estoient,  quant  le  roy  s'amontra  et  vint  aux  fenestres,  et  leur 
pria  qulls  s*en  retournassent  chascun  chiës  soy,  disant  qu*il  n'y  avoit 
fors  que  joieuseté  et  esbatement  ;  sy  les  merchia  moult  de  la  diligence 
et  bonne  voUenté  qu'ils  luy  avoient  monstre.  Quant  ce  vint  à  Tende- 
main  que  les  nouvelles  s*espandirent  avant  Paris  des  sîgneurs  quy 
avoient  este  ars*  et  mors  par  tel  encombrier,  chascun  commencha 
merveilleusement  &  murmurer,  et  tenoient  ainssy  que  parlemens  par 
tropeaux  assembles  enssamble  et  disant  :  «  Ha  !  sire  roy  ,  poarqnoy 
«  tenés-vous  tels  trayttres  autour  de  vous  ,  quy  ne  chassent  que  vous 
«  destruire  ?  Pourquoy  ne  fiûttes-vous  justice  sans  espai^nier  frère, 
«  cousin,  ne  parent  f  » 

D'après  le  Religieux  de  Saint-Denis,  cette  fête  eut  lien  le  29  janvier 
1392  (v.  a.)  à*  Toccasion  des  noces  d'un  seigneur  allemand  et  de 
l'une  des  dames  d'honneur  de  la  reine  Isabeau,  qui  se  mariait  pour  la 
troisième  fois.  Selon  l'usage  on  organisa  une  mascarade,  on  dansa 
des  danses  turques,  on  indta  le  glapissement  du  loup  et  on  recourut 
de  pluB  à  ce  déguisement  en  hommes  sauvages  qui  donna  lien  à  un  si 
triste  accident.  Le  comte  de  JoigpBy  mourut  presque  aussitôt  ;  le  bâtard 
de  Foix  deux  jours  après.  Le  lendemain  le  duc  d'Orléans  accompagné 
des  ducs  de  Berry  et  de  Bourgogne  se  rendit  processionellement  nu- 
pieds  À  l'église  Notre-Dame. 

D'après  la  chronique  de  Berne,  ce  fut  le  28  janvier  1392  (v.  a.) 
qu'eut  lieu  cette  fête  &  l'hôtel  de  Saint-Paul  Â  l'occasion  du  mariage  de 
la  veuve  de  Robinet  de  Bauchien.  Le  duc  d'Orléans  fit  élever  &  la 
mémoire  des  victimes  une  belle  chapelle  dans  l'église  des  Géleetins. 

la  Ckromqtêe  dâs  (imUfe  VaMi  ri^porte  que  cette  fôte  eut  lieu  le 
mardi  avant  la  Ohandelear  1392  (v.  s.).- 

Le  mil.  de  Frolasart ,  conservé  à  Londres,  Harley,  4380,  renferme 
une  miniature  fort  corieoae  qui  représente  la  danse  des  sauvages. 

Telle  avait  été  Ja  gravité  des  rumeurs  populaires  que  peu  de  semaines 


Digitized  by 


Google 


ROTIS.  369 

après  le  p^ril  auquel  Charles  YI  avait  été  exposé  pendant  la  fdte  de 
Fh^tel  Saint-Pol,  le  doo  d*Orléans  se  vit  réduit  à  Jurer  qu'il  respec- 
terait, si  le  roi  mourait,  le  di'oit  de  ses  desc^endants.  Ce  serment 
porte  la  date  du  24  février  1392  (Ms.  3910  de  laBibî.  Nat.  de  Paris). 

lipape  Boni/ace  eiwoie  tm  légat  m  France  (pp.  92,93).  ^ 
D*après  le  Religieux  de  Saiut-Denis,  les  lettres  du  pape  Boniface 
inrent  apportées  en  France  par  un  chartreux  du  monastère  d'Asti. 
Charles  VI  répondit  qull  appelait  de  tous  ses  vœux  Tunion  de 
rÈglise. 

L'université  de  Paris  réunie  au  collège  de  Saint-Bernard  «1  «tarif 
estinarimis  adopta  unanimi  facuUatum  sinçularum  et  iMtûmuet^ 
eofuensu  un  long  mémoire  qui  fut  adressé  au  roi  de  France.  Il  porte  la 
date  du  8  des  ides  de  juin ,  veille  de  la  Pentecôte  (qno  ^  SpiritfU 
Sanctme  discipulorum  mentibus  in  unmm  eongreçatamm  illapsns  est 
et  eafitate  concordes  enamundantesffratiaprqfneionereplev^  çnen 
et  noetro  tam  concordi  conventui  ea  hora  aetitissepia  et  verieimili 
conjectura  credimns). 

Nous  reproduisons  ici  quelques  pièces  importantes  que  nous  a  con- 
servées la  chronique  de  Berne  : 

«(  Anno  DominiM^^  CCC<»  nonagesimo  quarto  Universitas  Parisiensis 
direxit  epistolam  Karolo  régi  Franci»,  ci^us  ténor  sic  incipit  : 

«c  Christianissimo  religionis  orthodox»  zelantissimo  principi  Karolo 
«  Dei  gratia  régi  Francorum  illustrissimo  devota  snaa  oelsitudinis 
«  filia  Universitas  stndii  parisiensis  devotaa  etâlialis  obedienti»  since- 
«  ritatem.  Quamquam  migorum  nostrorum  revocata  ante  oculos 
«  exempla  multos  nobis  et  maximes  in  arduis  quibuslibet  ad  virtu- 
«c  tem  capessendam  stimules  incutiant,  attamen  nbi  religionis  et  fidei 
«  res  geritur  ad  strenue  et  viriliter  agendum  quantum  nostra  inter- 
«  esse  potest,  ex  eorum  monimentis  ac  gestis  majori  quidam  ardore 
«  attendimus,  qnibus  semper  id  maximse  ourse  fuit  pro  sacrosanct» 
«c  religionis  catfaolic»  cnstodia  coutinuis  vigiliis  excubare,  ne  quid  in  ea 
«  errpris ,  detrimenti  aut  scandali  irreperet ,  sic  nempe  saluti&mm 
«  suum  florere  stndium  œstimabant  si  illud  ad  profectum  et  tutelam 
«  Ecclesisa  convertissent.  Ea  nos  occasione  ducti, .  zelo  quoque  domus 
«  Dei  potissimum  exdtati,  setsmatis  nefandÎBsimi  abhomlnationabilem 
«  pestem  qu»  Ecclesiam  Christi  radicitus  exterminât,  de  medio  summo- 
«  père  desiderantes  anfferri  post  sexdedm  evolutos  annos»  quibus 
«  idem  sceleratissimnm  sdsma  jam  vignit ,  nunc  privatim  disœp* 


Digitized  by 


Google 


370  HOTES. 

a  tando ,  oonferreado  et  icribando ,  none  palam  et  ia  aperto  oonm 
«  TeBtra  celsitadine  regia  pnsdieando  ,  proponendo  atqne  exhor- 
te tando,  ad  Ecdeii»  îpsras  nniooem  ,  quantom  nobis  diviDitos  faoul- 
«  tatis  erat  datum ,   niti  et  anhelare  irallateniis  oeasayimna»  etc.  » 

Et  plas  loin  : 

«  Sed  quia  jam  satia  diu  nos,  cum  Pétri  navicula  tatii  super  qua 
«  fluctibos  et  sœviasimis  procellis  agitata  vêla  nostra  laborando 
«  laxavimus,  libetjam  portnm  petere ,  qui  ot  nobis  liberior  tatior- 
«  que  patescat ,  qniescentem  nunc  Dominnm  ezeitemus  ,  obseerantes 
«  instantius  ut  quassatam  pêne  nndis  ratem  Buamjam  sine  sua  ope 
«  obniti  Yalentem  tandem  aliqoando  serret,  Tontia  et  mari  imperana, 
«  ut  poaitia  tnrbinibua  aecure  jam  ulteriua  désistant ,  quo  per  plaoida 
«  8»quora  et  ^nlcea  imminas  auras  nos  eum  ea  pada  litna  tamdiu  deû- 
«  deratnm  quam  prozime  teneamus.  Amen.  —  Datum  in  Sancto» 
«  Bernardo  in  profesto  Pei|theoostes  anni  Domini  M.  CGC.  nonagesimi 
«  qnarti.  » 

Tota  vero  epistola  hîc  inseri  dimissa  est ,  quia  per  subséquentes 
Uttiversitatis  parisiensis  litteras  domino  Pap»  directas  substantia 
ijusdem  stndiose  legenti  satia  innotesdt.  Qnarum  quidam  litterarum 
ténor  sequitnr  et  est  talis  : 

«  Goegit  tandem  nos ,  Pater  beatiasîme  »  Christi  fidea  ;  ooegit 
•c  chriatian»  religionia  doTotio  ;  coegit  diutnmitaa  non  ultra  jam 
te  toleranda  nefimdiasinuepestii  scismatic»,  qu»  magis  in  dies  erescit, 
«  roboratur  atque  inTalesdt,  nendne  remedium  efficaoiter  apponeate  ; 
«  coegit  miserabilis  et  horrenda  Eoclesiao  sanct»  Dei  subversio  ao  dissi- 
a  patio,  ut  ad  qu«rendam,  tractandam,  nec  non  pro  Tiribnr  nostria  pro- 
«  cnrandam  EccleàsB  catholic»  unionem,  vigilanti  ac  aedulo  intendere- 
«  mus  animo,  utque  in  primis  ad  hanc  rem  christianiasimum  principem 
«  Karolum  Francorum  regem  illnstrissimum  ac  deinde  per  ^us 
«  médium  ad  ipsum,  ni  fal  imur,  aptissimum  Beatitudinem  Vestram 
«  suppUciter  hortaremur.  Movit  ad  hoc  nostra  professionis  officiom 
«  que  et  Testr»  et  su»  saluti  et  totius  Ecelesi»  tenemur  obnozii.  la 
«  pastoribus  siquidem  et  dootoribns  maxime  totum  Ecdesi»  regimen 
«  consistit.  Fadant  pastores  ipsi  qood  suum  est  :  nos  certe  nostrum 
«I  docendi,  si  Dominus  annuerit,  nuUatenus  omittemus  officinm«  Quod, 
«  quamquam  omni  tempore  congruum  sit  et  necessarium ,  praadpue 
«  tamen  hoc  tempore  quo  tam  multis,  in  angustiis ,  erumpnia  et 
a  scandalia  per  execraadum  scisma  Eocleaia  atteritur.  Ad  quid 


Digitized  by 


Google 


NOTES.  571 

«  nos  docendi  liceatiam  snscepimas  ai  nunc  inter  lot  gracia  EcdetiaB 
a  et  fidei  discrimina  a  veritate  docenda  tacendum  est?  Clamai 
«  ioqait  Propheta ,  nec  cesses  ;  qnasi  tuba,  exalta  vocem  tuam.  Mont 
«c  adhnc  prœterea  prœfati  domini  nostri  régis  imperinm,  qai  nos  ad 
«  escogitandas  ecclesiaticas  vias  régi»  serenitatis  edicto,  quod  minime 
«  prœtermittere  nobis  licet,  excitant.  Hiis  itaq^e  aliisqoe  pluribus  ratio- 
«  nibus  quas  brenandi  cansa  subticemas  indaeti»  quamdam  aaper  re 
«  ista  epistolam,  utinam  tam  efficacem  qnam  sincero  fidelique  a£focta 
«  oompoeitam,  régi  direximus  ipsi  memorato  ,  intentionis  noitr»  in 
«  hac  parte  plenius  et  nberius  expressiyam,  qaas  très  concordi»  yias 
«  a  nobis  exoogitatas  et  tamqiiam  oonvenientes  approbatas  cnm  suis 
«  appai*antiis  et  motivis  aliqnibas  complectitar.  Prima  na  est  ces- 
«  sionis  attt  renunoiatîonis  plenari»  ad  totale  jus  illud  qnod  habetis 
«  io  papatu  vel  pars  adversa  prœtendit  ;  seconda  est  condlii  particop 
«  laris  vel  compromissi  ;  tertia  est  concilii.  generalis  Ibrmaliter  vel 
«  «qnivalenter.  Modi  autem  exsequendl  quamlibet  hanim  Tiamm 
«  cnm  jQstificationibQs  earamdem  satis  in  dicta  epirtola  qoam 
«  apistolains  patiebatur  angastia ,  expressi  sont»  et  tamen  fortasse 
«  adhnc  magis  explicandi.  Quam  iddrco  epistolaOi  VestraBeatitndini 
«  non  mittimus,  quam  per  régi»  prsBceptom  msjestatis  transmisse  a 
«c  Jam  esse  sdmns.  Ceterum ,  Pater  beatissime,  nobis  ea  qa»  andistis 
«  erga  pnefiitum  prindpem  pro  Ecclesi»  sainte  et  conoordi  unione 
<c  agentibns  et  circa  tam  sanctum  opns ,  piom  ac  religiosnm  operam 
a  dantibus,  snpervenit  inimicns  homo  qui  antiqniszizaniis  noTasnper- 
cc  seminando  hune  totnm  laborem  nostrom  tam  salnbrem  tamqne 
«c  salntifenim  extingoere  et  cassare  ,  lioet  frustra  ,  molitus  est.  Et 
«  primo  qoidem  temptayit  andientiam  nostram  in  regia  prsesentia 
«  impedire,  qno  fiicilius  factnm  rumperetnr.  Ddnde,  ubi  hoc  ineptnm 
a  minime  procedere  sensit  et  se  penitns  elctsum  de  spe  eecidiise  vidit, 
«  ad  aliam  continue  falladam  se  convertit  et  super  hac  materia  pér- 
it petuum  silentinm  nobis  impoili  nisns  est.  Sed  certe  dignam  nîminm 
«  meritamque  repnlsam  retnlit,  qui  a  rege  christianissimo  christia- 
«  nissimaqne  ejus  propagine  tam  impium  ,  nefarium,  tamque  inexpia- 
«  bile  scelus  prtaposdsset ,  nti  super  religionis  et  fldei  christianas 
«  materia  ,  super  Eeclesias  sanct»  dissipations,  dampnabilique 
c(  jactura,  doctoribus  Ecclesiœ  et  lucemis  ardentibus  silentium  impo- 
li neret.  Nequam  qui  hoc  cogitavit ,  nequior  qui  tam  inique  cogitatui 
«c  consensit ,    nequisdmus  qui  hoc    ipsum  abhominandum  fSsdnus 


Digitized  by 


Google 


373  ROI». 

«  explore  Tohiit.  Heu  !  Pater  Beatienae ,  iternm  Hea  !  tertio  Hca  t 
«  qiiia  vir  ecclesiastieiui  h»o  aadeat.  Si  qois  m  verbo  doBttaxat  perti- 
«  naciter  diceret,  hœreticnm  censeremut,  et  noa  pnblîee  fleri  idipaam 
«  alque  impane  ferremoa  !  Deterioria  multo  eaempli  amt  et  mi^iena 
«  Bcandali  facta  qaam  rerba.  Beatitndinem  Vealram  talion  vindicem 
<c  esse  decnerat,  quem  et  no»  in  ultionem  hqjoacemodi  maloruia  appeli- 
«  lamaa.  impbramas  atqne  expectamua.  Naai  de  modia  et  mediîa  per 
«  qooB  «mim  dampnabile  propositum  obtinere  eonatua  eat,  quid  attinet 
«  ambere!Noti  p»ne  omniboa  sont  ,  aee  etîam  digai  tcribi  ne 
<c  paginam  hano  noetram  aua  fceditate  poUuant.  Et  ne  erret  aeetimajidfQ 
«  secretos  ease  iUos,  satia  eerte  aeimua  eoe,  aeiant  omnee  prope  modom, 
«t  et  mirantur  regui  hi^iia  chriatiam'itaiini  incoiie;  scient,  proh  pudor  ! 
«  extene  nationes  :  sciant  ^  inqaam ,  otinam  noft  ad  Veatr»  Sanctîta- 
«  tis  dedecua ,  utinam  non  ad  veati*»  cauaœ  detrimeatum,  utinam.  non 
«c  ad  totioa  ecckataatici  ordinia  confuaionem  «  opprobrium  et  con- 
«  temptam  !  Ea  propter,  Pater  beatisaime ,  per  fidem  integerrimam, 
«c  per  foedoB  inviolandom»  per  amorem  amplissimiim  et  sinoeriBaimum 
«e  qaem  ad  sponsam  Bccleaiam  habere  debetis,  per  paatoria  ^gilantî» 
«c  debitam  soUicitadinem  ,  per  matem»  miserieordi»  discriminia  aiit 
«  aoandali  compassionem  commieerationemqae ,  per  qn»  veetri 
tt  honoris  anxmo  cura  reaidet ,  per  qnœ  Tobis  cara  ttSt  sakia  anim» 
a  veatraa,  tob  hortamnr  ;  et  itemm  itemmque  repelentea  caritative 
a  monemoa  nt  ad  hancaaoratissimam  qius  in  manu  veatra  sita  est»  non 
«c  ultra  jam  prorogaado,  intendatis.  Satis  jam  satis  hucuaqoe  cessatna 
«  est  ;  satis  tepuimns ,  aatû  qnienmoa  «  satis  expectaTimus.  Exor- 
«  gendum  tandem  aMqoando  ad  pacem,  et  desidea  torpentesqne  jam 
a  aaimi  ad  hc^jns  rei  i^gressnm  excitandi  ni  sdama  perpetaum,  qvod 
«  Altissimus  avertat ,  in  Eccleaia  Ghriati  permittere  propenimns, 
«  qoia  Jam  eo  ventam  est  et  in  tantam  perniciem  errorenque  res 
«  processit  ut  pleriqne  pasaim  et  pnblice  non  vereantar  dîoere  nichil- 
«c  ominas  cnrandnm  qnot  papas  sint,  et  non  modo  dnoawt  très,  aeddecem 
«  aut  dnodedm  ,  immo  et  singnlis  regnis  prsefioi  poase  nolla  aibi  van^ 
«  cem  potestatis  aut  Juridictionis  anctoritate  praktos.  Qaod  in  q«an- 
«c  tom  detriméntum  sacrosanct»  roman»  EccUsite  et  totioa  eeclesîas- 
«  ticœpoliti»  imo  et  religionia  catholics&Tergat, judieate.  Beatitndiiiem 
«c  Vestram  feMcibua  successibas  fecundare  veUt  Chriatnaet  eo  pins 
«  qnod  ad  Eoelesi»  su»  nnionem  mi^Jori  diligeniia  TigilaTeritis.  Scrip- 
te tmn  Parinas.  » 


Digitized  by 


Google 


H0T8S.  373 

littensndn»  ad  papam  saper  urnooe  taoetaa  siatiû  EcoUtiie  anm 
enm  epistola  Kait^  Pranoomm  régi  per  UiiiTersHatoiii  parifliesBem 


<c  Paueis  abbine,  Pator  beatiasMue,  diebua  «lactU ,  aobia  in  maatem 
«c  Tenerat  super  proearaada  paoe  désolât»  Jam  taandin  perhoo  ferais 
«  adsma  Ecolesia»,  Beatitadiai  Vestne  littaras  bortalorias  scribere 
•«  nonnaUis  ad  id  agendua  et  legitimis  de  cauais  ni^gentibiis  qaas  in 
«  litteris  eisdem  expressimos.  Et  visam  aobis  fuerat  iiichil  noa 
«  aggredi  posse  qnod  et  Deo  placentios  «e  menti  celsioris  essat,  qaod 
«  et  laudis  ampUorîs  et  frvictas,  qaod  mondo  et  fidelibus  nniversia 
te  optatias ,  qnod  denique  eidem  Sanctitali  Yestr»  gratins  esse  de- 
«  béret  atque  acoeptias,  quaa  si  ad  banc  nnionem  aanctissimam, 
«  tom  jnxia  nostri  modoli  portionem  per  nos  ipsos ,  tam  quod  nostri 
«  propriom  est  offidi  ceteros  ad  eamdem  rem  iadncendo  elaboraremas. 
«  Yeram  aliter  molto  qoam  oredebamns  eveiiisse  qaantnm  ad  ilhid 
«  postremnm  ramoribos  quibnsdam,  vtinam  prorsos  falais,  nobis  ipero 
«  vix  eredibilibus  andÎTimos.  Est  itaqae  bnc  relatnm,  eam  memora- 
«  tas  litteras  parte  aostra  directes  légende  perridissetis,  tos  velut 
«  eis  offensum  graviter  indignabondam  et  moleste  admodnm  £»ren- 
«  tem  ia  verba  Iisbc  erapisse  :  «  MàUBSUfit  et  venenasm  !  »  Qaod  si 
•t  vanom  ac  fiotom,  ut  magis  credimaâ,  grata  Testra  responsio  se  ad 
<c  pacem  Boclesiaa  Tolantariam  monstrans  effecto,  fidem  facere  debebit 
«  et,  ut  speramas,  fieioiet.  Sin  vero,  quod  procul  absit,  id  Terom  est,  et 
«  supra  modum  miramur  et  dolemus  qnod  tam  indignum  fadnus 
«  patria  ezcederet  ore.  Nam  propter  Dei  atque  homiaum  fidem,  Pater 
«  beatîssime ,  unde  Tenenum  emergit  in  re  ista  f  Labor  isie  tam 
«  sanctus  est,  et  materia  tam  sincera  tamque  impoUuta  ut  neo  Teneno 
«c  pollui,  nec  Tenenam  admittere  ullum  in  se  possit,  etiam  si  quia 
«  cuperet  infundere.  Nos  vero  non  id  cupimus,  qui  in  re  bac  puro 
«  corde,  sincera  intentione  ,  vera  et  inobUquabili  ratione,  teste  Deo, 
«  proeessimus,  et  ad  concordiam  usque,  Deo  semper  propitio,  procede- 
«c  mus,  ne  quis  Jam  nos  tepescere  et  ttedio  victos  esse  snspicetur.  Et  ut 
«  partes  epistobe  procuremus,  an  illnd  venenosum  est  quod  labentis 
«  Ecdesi»  in  ipsius  initie  condolemus,  quod  officie  dediti  et  conscient- 
«  tia  ducti  bnnc  laborem  snscepisse  nos  dicimus,  quod  principem 
«  christianissimnn  Kah>lum  regem  Francorum  ad  hoc  opus  in  enn- 
«  dtim  indnzimns,  quod  Sanctitatem  Vestram  ad  idipsnm  pia  quidem 
«  etfratema  caritate  commovere  fedmua  ?  Unde  hssc  venenosa  aint 


Digitized  by 


Google 


374  NOTES. 

«  non  Tidemus.  Si  quia  acutiiu  cernit  in  dignotcendis  venenis»  ab  eo 
«  libenter  mnltam  doceri  vellemus  qno  eauttorot  aliu  in  devitan- 
«  dis  angaibufl  venenosis  et  tatiores  esaemas.  Cdtèrnm  illa  fonitan 
«  Taneoofta  arguitor  oratio,  qaa  in  inimicum  faominem  taxa  salubrîB 
«  propositi  ac  operis,  quantom  quidem  in  ae  erat,  tarbatorem,  paulu- 
«  lam  aliqnid  et  non  certe  pro  rei  magnitndine  insarreximur.  Qaod  ai  id 
«  vitio  datur,  quid,  qnœsumna,  deterinB  aut  magie  virulentam  est,  val 
«  ad  paoem  Eccleei»  laborantee  vils  talibus  qoalibus  impedii^  atqne 
«  tam  eaaotum  laborem  fnnditos  exinanire  satagere,  vel  doctoree 
«  Eccleâsead  ipsias  unionempeneverantemoperam  impendere,  ade* 
«  matiBqne  nutritorea  qui  vere  aciematici  ennt,  refellere?  Nundnm  veri- 
«  tas  ipea,  licet  graviter  oppressa,  usqne  adeo  corruit  in  plateis  ut 
a  in  dnbîam  adduci  illud  opporteat?  lUe ,  iUe  venenosne  potiua  erat 
«  dicendns,  qui  errori  acismatico  perfidœ  hœresis  suspicionem  cumnla- 
«  ^t»  doctoribos  Ecolesi»  perpetaum  machinatns  imponere  silentium, 
«  nec  quamqoam  de  hoc  ad  eos  pertinere  ausoa  ore  sacnlego  ero- 
«  mère,  cni  forsan,  dnm  tempua  erit  gratum,  ad  eos  spectet  elacebit. 
«  Beatitndinem  Vestram  itemm  atqne  itemm  in  bujns  rei  vindicti 
«  imploramaa  quam  ad  nnionem  qnoqne  Ecclesi»  et  rursum  alteia 
«  vice  instantios,  obnizios,  homiliua  per  uberrimam  Ghristi  caritatem 
«  ezortamnr.  Et  non  est  quod  miremini  sed  potius  ignoscatis,  Pater 
«  beatiBsime,  si  fortasse  vehementius  solito  super  hi^^nscemodi  ras» 
«  cribimos.  In  aliis  materiis  blandiri  aliquatenus  fas  fait,  sed  catoUca 
tt  Veritas,  qualis  ea  quam  loquimur  et  de  qua  loquemur,  siocas  essen- 
ce tationes  palpantium  non  recipit.  Hue  accedunt  diutumitas  pestis 
c  scismatic»  oui  per  tanta  tempora  non  obviatnm  est,  borrenda 
«  impendentium  breri  forte  scandalorum  immanitas  ,  ni  feativum 
«  quseratur  remedium,  quss  nota  vobis  sunt  ut  credimus,  et  ex  frè- 
te quenti  anditn  etiam  facilis  futurorum  ex  rébus  jam  prœsentibos 
«  conjectura  Sanctitati  Vestrte.  A  qua  talium  maloram  conside- 
«  ratione  per  fEdsos  adulatores  etscismatis  nuti*itores  absque  contuma- 
«  tia  avertitur,  qui  si  œqne  nobiscum  sentirent,  non  in  dnbium  ver- 
«  timus  vos  huic  tremend»  plagSB  de  céleri  antidoto  proviaurum. 
«  Aocedit  insuper  ecclesiasticorum  pêne  omnium  viromm  simplicum- 
«  queliteratorum  ac  plurimorum  clamor et  querimonia  adversum  nos, 
ce  nec  non  adversum  pastores  Ecclesiœ,  quodtamdiu  cladis  hujus  detes* 
«  tandam  planitiem  radicari  et  convalescere  nepbario  silentio  passi. 
«  Bumus ,  sed  per  vos  et  pastores  antedictos  finem  ils  malis  imponi 


Digitized  by 


Google 


HOTES.  375 

«  expectabamos,  nt  onde  morbiis  eepermt,  inde  qaoqnè  medieina  on- 
ce retar.  Quare  ignotcite  »  Pater  ,  ignoacite  ai  qûd  foraan  aaperioa 
«  aat  qood  minua  placitamin  aliqnibus  erat,  in  ra  hae  locilti  ramus, 
«  non  ex  odio  aliqno,  malignove  conoepto  Denm  testannir ,  neà  ex 
«  xelo  Tehementi  Eccleci»  hiec  Teniunt,  ai  indigaate  etiam  qnippiam 
«  ant  insulte»  quod  sedalo  caviBse  novimoa,  diziasemna.  Propterenni 
«c  tamen  zelnm  quant  habemua,  parcendam  nobia  faerat,  nec  aermonaa 
«  noatri  per  ainiatmm  interpretem  in  deteriorem  partent  detorquendi, 
«  ant  contnmeli»  nobia  propter  eam  cauaam  ingeri  debebant  ;  aad  quid 
«  plnra  de  hiia  videant  œmnli  noatri  »  quoa  multoa  nobia  peperit  arnica 
«  Teritaa  ?  Quemadmodum  rarba  noatra  accipient  ?  Noa  aedulo  aempar 
«  animadTertemoa  ne  aliqnid  in  eiadam  Juat»  reprehenaionia  aat 
«c  veneni  ingéniant.  Supplioamua  ad  poatremum ,  Pater  beatiaaime  , 
«  nt  aaper  litteria  illia  nobia  reaponaum  mittere  dignemini  et  vea- 
«  tram  intentionem  in  parte  hae  quodam  modo  aperire»  uteidem 
«c  conformare,  quantum  facultaa  tularit,  noa  poaaimua,  in  hacque  via 
«  Domini  unanimea  ambulare  cum  conaenan.  Si  ullam  trinm  viarum 
«c  quaa  noa  excogitamua  acceptandam  duxaritia  gaudebimua  ;  ai  in 
«  manibua  aliam  fi>rte  congruentiorem  Toa  habere  coatigerit,  eamdam 
«  nobia  pariter  et  ticiaaim  patefacere  velitia  ,  neque  enim  facile 
«  credimua  Yoa  ad  qnem  aummam  hanc  remm  ante  omnea  mortalaa 
«  pertinety  per  tôt  annomm  apatia  abaque  veatras  alicigua  oogitaiione 
«  atque  invantione  atetiaae.  Beatitudinem  Yeatram  Chriatua  ad  auae 
«  apona»  longa  jam  œgritudine  tabeaoentia  ao  exténuât»  unionem 
«  inapirare,  promoyere  et  a^juTara  dignetur.  Amen.  » 

En  1392  fat  composée  une  œuyre  poétique  aaaes  peu  intérea- 
aante ,  intitulée  :  la  Complainte  de  VÉgUte.  L'auteur  devait  qnelquea 
annéea  plua  tard  ae  iaire  une  ploa  grande  renommée  par  aea  diaconra 
et  aa  véhémente  apologie  du  tyrannicide.  C'était  mattre  Jean  Petit. 
On  a  de  lui  d'autrea  poSmea  également  oubliée  :  la  Dispwtùiiùn  dee 
PasUmrelles.  le  livre  du  champ  d'or  et  des  troit  nobles  marteaula,  le 
livre  du  miraeU  de  Batqueville.  (Bibl.  nat.  de  Paria,  n<>  5403.) 

Dana  une  déclaration  de  1413,  Jean  Sana  Peur  mentionne  feu  Jean 
Petit»  jadia  aon  confeaaeur.  (Arékitei  de  Lille,)  Jean  Petit,  confeaaenr 
du  meurtrier,  fut,  il  faut  le  croire,  moins  indulgent  que  i'apologiate  du 
meurtre. 
^  La  duchesse  de  Berry  inUrcèdepour  le  sire  de  la  Rivière  (pp.  94, 
95).  —  On  comprend  combien  Froiaaart  eat  heureux  de  rendre  hom- 


Digitized  by 


Google 


576  HOTBS. 

mage  à  la  gënéniUM  interventioii  de  cette  princesse  qa'il  atait  accom- 
pagna lors  de  son  départ  da  Béarn. 

PkMttet  de  la  dnekene  d'OrUoMi  (pp.  95,  96).  —  Yalentine  de 
Milan  a  pris  dans  Thistoire,  ris-àrTis  de  Taltière  Marguerite  de  Bour- 
gogne, nne  position  t  la  fois  sympathique  et  douloureuse.  Il  semble  que 
sur  Tune  et  Tautre  de  ces  princesses  ait  rejailli  un  reflet  de  ce  qu*il  j 
eut  de  brillant  chez  Tépoux  de  Tune,  de  sombre  et  de  cruel  chez  le 
fils  de  Tautre. 

Tandis  qu'un  écrivain  inconnu  offre  à  Jean  sans  Peur  des  traités 
de  maléfices  et  de  sortilèges ,  Christine  de  Pisaa  coii^>ose  sa  Descrip- 
tion et  DeJMtian  de  preudommie  selon  l'opinion  de  monseignenr 
d'Orléans,  consenrée  avijourd'hni  à  la  bibliothèque  du  Vatican. 

Oondamnaiion  d'Olwier  de  Clisson  (pp.  96,  9T).  —  Le  sire  de  Cou- 

cy,  ici  loué  par  Froissart,  était  Tun  de  ses  plus  généreux  protecteurs. 

Mariaffe  de  Philippe  d'Artois  (pp.  97,  98).  —  Philippe  d'Artois 

épousa,  par   contrat  du  27  janrier  1392,  Marie  de  Berry,  touto  de 

Louis  de  ChAtillon. 

Philipped'Artoisest  créé  connétable  de  France  (pp.  98-108).— Phi- 
lippe d'Artois  prêta  serment  comme  connétable  le  31  décembre  1392. 
Lapaimeet  conclue  entre  la  France  et  l'Angleterre  (pp.  108-126).  ^ 
Selon  Froissart  et  d'autres  hbtoriens,  on  s'entendit  sur  les  principales 
conditions  de  la  paix ,  et  même  sur  la  forme  de  l'hommage  que 
Richard  II  eût  ûùt  à  Gharies  YI.  La  paix  était  considérée  comme  con- 
clue ,  quand  de  nouveaux  dissentiments,  auxquels  le  duc  de  Gloceater 
n'était  pas  étranger ,  vinrent  ralentir  les  négociations,  et  cette  fois 
encore  tout  se  réduisit  à  la  trêve  de  quatre  ans  entre  les  deux  rois  et 
leurs  alliés,  qui  avait  été  scellée  le  27  mai  1394. 

Ce  fiit  vers  cette  époque  que  Philippe  de  Maisières  adressa  à 
Richard  II  une  longue  épltre  conservée  at^ourd'hui  parmi  les  plus 
précieux  manuscrits  du  British  Muséum. 

Quelques  mots  d'abord  sur  l'auteur.  Peu  de  renseignements  sont 
parvenus  jusqu'à  nous  sur  son  pays  et  sa  famille.  Il  était  vraisembla- 
blement parent  de  Jean  de  Maisières,  maître  de  la  chambre  des  comptes, 
l'un  des  exécuteurs  testamentaires  de  Philippe  de  Valois. 

Philippe  de  Maisières  fut  l'un  des  plus  sages  conseillers  de  Charles  V. 
Il  fut  aussi  chancelier  du  roi  Pierre  de  Chypre  ,  et  ce  fat  à  ce  titre 
qu'il  se  signala  en  Orient  par  un  courage  admirable,  bravant  les  tem- 
pêtes et  les  naufivges,  combattant  an  premier  rang»  et  souvent,  afaiai 


Digitized  by 


Google 


NOTBS.  S77 

qu'il  le  dit  lai-mdme  «  h  abandonné,  comme  mort ,  d'amla  et  d*en* 
tt  ncmia.  » 

Les  Bollandistes  ont  inséré  dans  les  Acta  Sanetorum  l*un  des 
otivrag<«  de  Philippe  do  Maisiôres  :  c'est  la  vie  du  bienheureux  Pieri*e 
Thomas,  patriarche  de  Constantinople. 

Un  écrivain  anonyme ,  en  offrant  à  Philippe  de  Maisières  nn  sermon 
sur  saint  Louis,  où  étaient  vivement  retracés  les  pieux  souvenirs  des 
croisades,  lui  écrivait  en  ces  termes  :  Viro  nobili  Cùnsuîari  celsitudine 
et  militari  forlitudine  prmpolUnti  domino  Philippo  de  MaUieriit, 
(Bibl.  nat.  de  Paris  f.  lat.  n»  3122.) 

Dans  la  bibliothôqi^  de  Charles  V  se  trouvait  un  ouvrage  qui 
venait  de  Philippe  de  Maisières.  Il  avait  pour  titre  :  Zamentatio 
super  Jherusalem  de  negligenlia  christianorum. 

Le  catalogue  de  la  Bibliothèque  de  TArsenal  à  Paris  mentionne  quel- 
ques tra  tés  mystiques  de  Philippe  de  Maisiôres.  Une  épltre  du  même 
genre  offerte  à  Philippe  de  Maisières  se  trouve  dans  le  ms.  Bibl.  nat. 
de  Paris,  n»  3122. 

On  a  parfois  attribué  à  Philippe  de  Maisières  le  Sonçe  du  Verger. 
n  semble  que  la  désignation  de  Tanteur  de  ce  traité  ne  doive  pas  offrir 
de  sérieuses  difficultés  si  1  on  s'en  référé  à  cette  note  du  ms.  3180<. 
f.  lat.  Bibl.  nat.  de  Paris,  où  Ton  rapporte  qu'il  fut  créé  conseiller  du 
roi  le  16  mai  1376.  • 

On  peut  lire  le  testament  de  Philippe  de  Maisières  dans  le 
ms.  15077  de  la  Bibl.  nat.  Je  Paris  (fonds  Saint-Victor). 

Un  assez  long  mémoire  a  été  consacré  à  Philippe  de  Maisières  par 
l'abbé  Lebeuf  dans  le  tome  XVII  du  recueil  de  V Académie  des  Inscrip- 
tions et  Belles- Lettres, 

Revenons  au  manuscrit  de  Londres. 

Nous  rencontrons  d'abord  une  grande  miniature  divisée  par  trois 
frontons  de  sfjle  gothique.  Au  centre,  dans  un  champ  de  sable  semé 
de  larmes  de  sang,  se  voit  la  couronne  d'épines  du  Christ,  d'où  des 
rajons  d  or  descendent  d'une  part  sur  la  couronne  d'Angleterre,  d'au- 
tre part  sur  la  couronne  de  France.  La  couronne  d'Angleterre  se 
détache  d'un  fond  ronge  avec  la  dexise  :  Sans  départir^  et  les  mots  : 
Richart,  roy  d* Angleterre.  La  couronne  de  France  est  accompagnée 
de  la  devise  :  En  bien  et  des  mots  :  Charles,  roy  de  France.  Sous  la 
couronne  d'épines,  on  lit:  Pax  vohis.  —  Jhésus,  roy  de  paix.  Plus  bas 
la  croix  sépare  les  écus  de  France  et  d'Angleterre. 

Xy.  —  FROISSART.  25 


Digitized  by 


Google 


878  ROTIS. 

Aa  premier  feuillet,  ane  autre  miniature  représente  Tauteor  offrant 
■on  livre  à  Richard  II.  Voici  quel  en  est  le  titre  : 

«  Une  povre  et  simple  ôpiatre  d'un  vieil  solitaire  des  C^lestins  de 
Paris  adressant  à  très -excellent  et  très-puissant,  très-dëbonnair«, 
très-catholique  et  très-dôvost  prînce  Richart  par  la  grûce  de  Dieu  roj 
d'Angleterre  pour  aucune  confirmation  telle  quelle  de  la  Traje  paix 
et  amour  fraternelle  dudit  roj  d'Angleterre  et  de  Charles  par  la  grâce 
de  Dieu  roj  de  France.  » 

Nous  signalerons  d'abord  une  oraison  latine  pour  demander 
Tamour  de  Jésus  ;,  puis  a  ci-après  commence  le  prologue  de  Tee- 
«  pistre.  » 

L'auteur  rappelle  le  discours  de  Jésus  à  la  Samaritaine  ;  il  s'excnse 
de  donner  des  leçons  à  la  sapience  royalîe^  par  l'exemple  de  ^olse, 
de  David,  de  Tânesse  de  Balaam  qui  parla  dans  une  circonstance  ana- 
logue, etc.  ;  il  démontre  ensuite  l'importance  des  songes  par  des 
exemples  tirés  des  histoii*es  anciennes  et  continue  en  ces  termes  : 

«  Il  est  assavoir  que  en  ceste  foible  épistre  sont  traities  IX  matères 
ce  à  la  sainte  mémoire  des  IX  ordres  des  angels. 

ce  La  première  si  est  une  concordance  de  pierres  prédenses  et  cer- 
«  taines  médicines  aux  très  -haultes  personnes  du  roy  de  France  et  du 
«  roy  d'Angleterre  par  manière  d'un  songe  figuratif  pour  doulce  con- 
«  firmation  de  \t^  paix  et  vràye  amour  l'un  à  Taultre,  en  récitant  les 
«  maux  qui  sont  advenus  de  la  guerre  de  leurs  prédécesseurs  et  qui 
tt  pourroient  advenir,  se  la  guen^ese  i*ecommençoit  (quejà  n'aviengne), 
«  faisant  conclusion  partant  de  la  paix  des  dits  roys  et  de  tonte  la 
«  crestienté. 

«  La  seconde  matère  si  est  du  fait  et  sisme  de  l'Eglise,  des  maux 
«  qui  en  sont  advenus  et  adviennent  tous  les  Jours,  et  du  remède  et 
tt  union  de  l'Eglise  par  le  moyen  de  la  vraie  paix  des  deux  pays. 

«  La  tierce  matère  sy  est  touchant  au  saint  passage  d*oultre-mer, 
«  pour  la  préparation  duquel  saint  passage,  le  vieil  solitaire  offre  an 
«  roy  d'Angleterre  une  nouvelle  chevalerie  très-nécessaire  pour  le 
«  dit  saint  passage  et  pour  la  réformation  de  toute  la  crestienté. 

<c  La  quarte  matère  si  est  un  petit  traité  touchant  an  marîage  de  la 
tt  royale  majesté  du  roy  d'Angleterre,  par  lequel  la  sainte  paix  des 
«  deux  rois  pourroit  estre  empeschie,  et  le  remède  dudit  empesche- 
tt  ment. 


Digitized  by 


Google  * 


NOTis.  379 

«  La  qninte  matère  si  eat  un  exemple  intelligible  qui  eondampne 

«  les  rojs  crestiens  d'espandre  le  sanc  hamaia  de  leura  frèrea  créa-  ' 

«  tiens. 
«  La  sixième  sj  est  que  pour  confirmation  de  la  vraye  pais  des 

«  deux  rojs,   la  fine  escharboucle  figurée  %t  le  fin  dyamant  figure 

«  doivent  estre  trempé,  arrousé  et  en7n*é  du  prédeuz  Wn  des  vingnes 

«  d*Engadi. 
«  Et  les  autres  trois  sont  plusieurs  exemples  tendans  à  la  conclusion 

«  de  la  paix  tant  désirée  des  proud*oms  de  la  crestienté.  » 
On  lit  plus  loin  : 
«  "îrès-débonnaire  prince,  cestui  solitaire  escripvain  en  sa  vieillesse 

«  a  Tea  un  songe  en  sa  contemplation,  parlant  moralment Et  ce 

«  souffist  dudit  prologue.  » 
Passons  à  l'épître  : 

«  Cj  commence  Tespitre.  Or  entrons  ou  nom  de  Dieu  en  la  matère 
«  gracieuse  de  la  grant  vertu  du  fia  baiilme...,  et  ce  soit  dit  et  mora- 
«  lise  de  la  vertu  du  fin  balme  pai*  manière  de  médicine  pour  aucune 
«c  ramanbranoe  des  grans  plaies  qui  ont  été  mal  curées  en  nostre 
«  temps  depuis  XL  ou  LX  ans....  Par  la  dicte  plaie  proposée  morali- 
«c  sant  puet  estre  assés  dèrement  entendue  la  mortele  guerre  qui  a  esté 
«  commencée  et  maintenue  par  vos  grans  pères  le  très-vaillant  roj 
«  Éiouart  et  par  vostre  père  le  très- vaillant  prince  de  Galles,  auquels 
«  Dieu  soit  débonnaires,  encontre  leurs  frères  crestiens  et  frères  en 
«  lignage  les  roys  de  France  trois  :  Phelipe,  Jean  et  Charlsi,  an- 
«  quels  Dieu  face  pardon.  » 

Puis  vient  une  Zamentatio»  : 

a  II  se  puet  dire  clèrement  que  ou  royaume  de  France  ne  se 
«  trovera  pas  personne  royale  à  laquelle  les  dictes  vertus  au  propos 
«  puissent  estra  mieux  appropriées  ou  ymagînées  ,  ne  si  proprement, 
«  comme  à  la  haulte  ,  très-noble  et  très-gracieuse  personne  du  roy 
«  Charles  VI*  de  son  nom ,  sicomme  il  apparra  par  les  aimiiita- 
«  des...  » 

Philippe  de  Maisières  loue  Charles  VI  de  ses  vertus  pacifiques  : 

«  Chascun  scet,  et  Anglois  et  François,  que  depuis  le  gouvernement 
«  du  Josae  roy  Charles  en  son  royaume  de  France  ,  par  la  grâce  de 
«  Dieu  ,  la  douleur  de  la.  dicte  plaie  (c*est  de  la  maie  guerre) , 
«  a  été  plus  appaisie  et  mains  gettée  de  venir  par  bataille  et  efifusion 


Digitized  by 


Google 


S80  NOTES. 

«  âé  sanc ,  qfiie  la   plaie    n'agit   fait   eu    XXX   on  en  XL    ans 
«  devant...  n 
Voici  comment  sont  appréciées  les  victoires  des  Anglais  : 
s  Dieu  les  avoit  mandés  prîmitivement  es  dis  rojaiimes  pour  oorri- 
M  gier  les  rois,  princes  et  communes  des  dis  royaumes  de  lenra  péchiés, 
«  et  non  p&s  pour  avoir  la  plaide  seignourie  des  dis  royaumes  ;  car, 
«  comme  il  est  dit  en  proverbe ,  Lombardie  demoure  as  Lombars  , 
«  Bspaigne  aux  EspaignoU,  France  aux  Prauçols,   et  Engleterre  aux 
«c  Anglois...  Les  Angiois  souloyent  espandre  le  sang  de  leurs  frérea 
a  chrestiens  en  Espaigne  et  en  Bretaigne,  en  Escosse,  en  Normandie,  en 
«  France,  en  Guiane,  en  Champaigne  et  en  Picardie  par  telle  manière 
«  que  la  plus  grande  partie  de  Chrestienté  de  la  dicte  espëe  des  Angloi» 
«  a  esté  toute  ensanglantée.  » 

Un  chapitre  a  pour  titre  :  La  vertu  du  Jln  armant  mnraliiié  à  k 
fersonne  du  roy  d*  Engleterre. 

Nous  passons  à  la  seconde  et  à  la  troisième  matière  : 
«  Lu  ieconde  matère  de  eeste  présente  épistre,  c'eet'OStaooir  in 
«  mortel  séisme  de  l'Église  et  du  remède  d'icelug   par  le  moyen 
m  de  h  paix  des  II  rois.  » 

cr  ...  Aucuns  voudraient  dire  en  lamentant  que  c'est  ladicte  fosse 
«  figurée,  de  laquelle  j nuques  à  ores  on  n'a  pas  pu  congnoistre  le  fons 
(c  comme  il  seroit  expédient.  Les  cardinaulx,  après  la  moii  du  pape 
«  Grégoire  XI*,  y  misrent  la  main  et  fairent  et  ci*éèrent  par  la 
«  bresche  et  chappe  d^ambition  et  de  bien  propre  et  singulier  ou 
«  pi*éjudice  de  Tu  ni  on  de  leur  mère  Sainte-EglÎ!*e.  » 

ce  La  tierce  matère  de  ceste  présente  épistre^  est-assawAr  du  saint 
«  passage  d'ouUre-mer  qui  doit  estrefait  par  ces  deux  Jotènes  roy  s  de 
<c  France  et  d'Angleterre.  » 

Cependant  il  faut  créer  pour  cette  croisade  un  nouvel  ordre  de 
chevalerie. 

«  Comment  le  vieil  solitaire  présente  au  roy  d^ Angleterre  une  non* 
«  velle  chevalerie  du  Crucijœ,  qui  doit  eslre  mandée  oultre-mer  devant 
«  les  deux  rois  qui  par  la  grâce  de  Dieu  feront  le  saint  ptUsage.  » 

Une  lettrine  spéciale  représente  les  emblèmes  du  nouvel  ordre  de 
chevalerie  :  c^est  une  croix  rouge  ,  à  laquelle  est  attaché  un  ocu^son 
où  se  voit  un  agneau  portant  une  bannière  blanche  avec  une  croix 
rouge  sur  un  champ  de  sable. 


Digitized  by 


Google 


HOTEB.  381 

Ici  Philippe  de  M«iiièrw  rappelle  aa  roi  d*Angleterre  leseflbrta  et 
les  remontrances  de  Robert  T  Ermite  : 

«  Encoree  le  dit  vieil  solitaire  a  esté  infourmë  par  le  mesiiagd  de 
«  Dieu  Robert  TErmite  jà  pai*  plusieurs  années  de  vostre  trés-haalte 
«  voulenté  et  prouesse.  » 

Plus  loin  il  expose  a  les  grands  biens  qui  raisonnablement  doivent 
«  advenir  dlcelle  chevalerie  à  Thonneur  et  réparation  de  tonte  la  cres- 
«  tienté  catholique.  » 

«  Vostre  débonaaire  et  rojale  dévotion  pnet  avoir  esté  par  vos- 
«  tre  très-lojal  serviteur  et  orateur  le  dit  Robert  TErmite  plei- 
«  nement  enfermé  de  la  dicte  chevalene,  et  darrainement  par  le 
«  livi-e  de  la  s.istance  abrégle  de  la  dicte  chevalerie,  que  le  vieil  soli- 
«  taire  humblement  et  à  grant  dévotion  bailla  nagaire  à  vostre  très- 
«  a^mô  frère  le  comte  de  Hontintone  ,  trè*-puissant  roj ,  pour  le  vous 
«  présenter  et  vous  enformer  du  bien  à  advenir  de  la  dicte  chevalerie. 
«  et  pour  ce  aussi  que  par  vostre  très^aimé  oncle  le  duc  de  Wyork  et 
«  par  messire  Jehan  de  Harlestone  etautres  très-vaillans  chevaliers  vos 
«  loyaux  subgiès  vostre  débonnaireté  |iourra  estre  enfourmôe » 

Nous  passons  aux  six  dernières  matières  : 

—  «  Ztf  quarte  matcre  de  eeste  présente  épistre,  c'est-assavoir  au- 
aeuns  mariajes  touchant  au  roy  d'Angleterre n  par  lesquels  la  paia 
«  désirée  pourrait  estre  empesehée.  et  le  remède  au  propos.  » 

—  m  la  quinte  mature  de  ceste  présent  épistre^  c'est-assavoir  un 
«  exemple  par  lequel  les  rois  devroient  fort  doubter  d*espandre  lesane 
«  de  leurs  frères  crestiens^  par  un  autre  cwemple  de  MoXse  et  Aaron.  » 

«  Et  se  puet  dire  que  le  roy  Charles  est  le  plus  débonnaire  homme 
«  qui  soit  sur  la  terre,  et  le  roy  Richai*t  son  frère  est  des  plus  vigilans 
«  sur  le  gouvernement  de  son  pueple,  qui  se  porroient  trouver,  n 

«  La  VI*  matère  de  ceste  prc sente  épistre  c'est  assavoir  parlant 
ce  moralement  comment  les  pierres  précieuses  aux  deus  roys figurées 
«  doivent  estre  trempées  et  enytrées  du  précieux  vin  des  vingnes  d'En- 
«  gadù  » 

Suit  :  «  Une  oraison  briefve  contre  ceulx  qui  destoarberout  la 
«  paix.  » 

—  «  Ztf  r//«  maière  de  ceste  présente  épistre  demonstre  comment 
«  les  deux  roys,  s*il  auront  la  guerre^  détendront  sers  à  tous  leurs 
«  subgiès^  et.,  s'il  auront  paix,  tout  le  contraire.  » 


Digitized  by 


Google 


382  iiOTBS. 

-^  a  la  VHP  matire  de  la  présente  épistre  iémonstre  II  tergien 
«  du  jardin,  Vun  trci-ddieieus  et  comparé  à  la  paix,  et  Vautre  hor- 
«  rihle  et  périlleua  et  comparé  à  la  guerre,  présentée  ans  deus  rags 
«  ajln  qu'ils preignent  l'un  et  se  gardent  de  rautre.  » 

Suit  :  «  La  concordance  des  II  vergiera  par  le  moien  des  II  grans 
«  périls  de  mer ,  Tun  appelé  Sillam  et  Tantro  Carypdia.  » 

—  «  Za  II*  matire  et  la  derraine  de  ceste  présente  épistre,  c'est- 
«  assawn^r  une  britfve  récapitulation  deia  substance  de  la  dicte,épistr$ 
«  et  confirmation  de  la  pais  et  amour  des  deus  rois  par  le  moyen 
«  d'une  doulce  alyancepar  mariage  gracieuw  qui  sera  occasion  en  Dion 
tf  de  la  paix  de  la  Crestienté,  » 

«  L'ouvrage  se  termine  par  uue  briefve  excusation  du  vieil  solitaire 
«  de  la  prolixité  de  ceste  présente  épistre.  » 

Maladie  du  roi  de  France  (pp.  127,  128).— An  mois  de  janvier  1393 
(V.  st.),  Charles  VI  se  rendit  en  pèlerinage  au  Mont- Saint-Michel. 
Avec  lui  se  trouvait  Louis  Blanchet  son  secrétaire.  Quelques  auteurs 
placent  ce  voyage  au  mois  d'avril  suivant. 

On  voit  par  des  lettres  de  rémission  de  cette  époque  qu'on  con- 
damnait ceux  qui  avaient  osé  dire  :  «Le  roy  n'est  pas  en  son  bon  sens  ; 
«  le  roy  est  fol.  »  {Pièces  inéd.  sur  le  règne  de  Charles  F/,  publiées  par 
M.  Douét  d'Arcq,  1. 1,  p.  153.) 

Élection  de  Benoit  XIII  (pp.  128-132).  —  Clément  VII  mourut  le 
16  septembre  1394  après  avoir  reçu  des  lettres  de  l'Université  de 
Paris,  dont  il  se  montra  fort  irrité.  Peut-être  étaient-ce  celles  que 
nous  aTons  publiées  plus  haut.  Il  laissait  un  trésor  de  trois  cent  mille 
écns  d'or. 

L'élection  de  Benoit  XIII  eut  lieu  le  26  septembre.  Le  29  il  fut 
ordonné  prêtre,  et  le  11  octobre  il  fut  sacré  pape.  Il  avait  été  profes- 
seur à  l'Université  de  Montpellier  et  était  cardinal  depuis  1375. 

Le  précieux  recueil  formé  à  la  fin  du  XIV*  siècle  par  Henri  de 
Arena,  aujourd'hui  conservé  &  la  Bibliothèque  de  Cambray^  renferma 
le  texte  de  la  promesse  du  cardinal  de  Lnna  : 

«  Juramentum  qnod  fecerunt  cardinales  curiae  ATinionensis  ante 
electionem  Benedicti  XIII. 

«  In  nomineDomiui,  amen.Per  hoc  praosens  publicum  instmmentum, 
ego  talis,  sanctae  Romanœ  ecclesiie  cardinalis,  promitto  et  juro  omni- 
potent! Deo  et  Tobis  dominis  meis  cardinalibus  hîc   coUegialiter  con- 


Digitized  by 


Google 


HOTM.  383 

gregatis  recipientibos  Tice  et  nomine  ■anet»  Roman»  «t  totitia 
eatholic»  Eccleat»,  quod  si  forte  di\ina  favente  dementia  contingat 
me  per  tos  oligi  et  assumi  in  summum  pontificem  et  me  electîonî  et 
assomptioni  hujusmodi  conseotire ,  quod  abaque  mora  toto  posse  et 
corde  lutendam  totis  viribus  adc;0  miohi  datis  ad  pressentis  scismatia 
in  Ecclesia  Tîgentis  sedatîonem  et  Ecclesias  ac  christianitatis  unionem, 
et  quoi  pro  hoc  sabibo  omnes  qnos  potero  labores.  Opperabor  qaam 
fideliter,  et  aine  simalatione  ac  fraude  quacumque  adimplebo  omnes 
TÎas  ad  hoc  habiles  et  prssaertim  qaas  domini  cardinales  pro  tempore 
ezistentes  sen  eoruni  major  pars  ad  hoc  de  consilio  chrîstianissimi 
principis  domini  régis  Franciss  vîderint  opportunas,  etiam  usque  ad 
rennntiationem  liberam  papatus  et  ejus  oneris  Qt  honoris  inclusive, 
cnm  primum  viderint  expedire.  Etiam  ad  eorum  arbitrium  me  propter 
hoc  submittamjadido  et  cognitioni  quoramcumque  dequibus  eisvide- 
bitnr,  et  etiam  libère  rentmtiabo  papatui  et  ejus  oneri  et  honori  cum 
primum  ad  pmdictos  fines  duxerint  expedire.  Sic  me  Deus  ac^uvet 
et  httc  sancta  Dei  eyangelia  ;  et  quod  prsadicta  omnia  et  singula 
statim  post  aaaumptionem  meam  et  consenaum  meum  me  facturum 
intimabo  christianissimo  régi  et  aliis  regibus  et  principibua  ac  personia 
qnibnscamqne  de  quibos  et  prout  Tidebitia  opportanum.  » 

«  P.  de  Luna.  » 

Dans  one  lettre  ^rite  an  mois  de  décembre  1394,  Benoit  XIII 
adressait  les  plus  vifs  remerclments  au  roi  d* Aragon  et  lui  rappelait 
qu'il  était  né  dans  ses  états.  Il  lui  promettait  de  le  choisir  pour 
guide  :  Te  ducem  siffn\ferum  tequi  proponimus. 

Z'auâite%r  de  Saint- Lié {ipp.  132,  133).  —  On  ne  parlait  albrs  que 
d'un  docteur  nommé  Jean  de  Varennes,  qui  avait  renoncé  aux  revenns 
de  ses  bénéfices  pour  se  retirer  dans  une  cellule  sur  le  mont  Saint-Dié 
pris  de  Rheims.  Bien  que  tout  le  monde  ne  crût  pas  &  la  sincérité  de 
sa  détermination,  les  habitants  du  pays  rappelaient  :  le  saint  homme. 
(Religieux  de  Saint- Denis.) 

D*aprô8  Ju vénal  des  Ursins,  Jean  de  Varennes  s'était  retiré  &  Ville- 
Dommangf»,  près  du  village  de  Saint-Dié. 

Jean  de  Orailly^  capitaine  de  Bouteviïîe  (pp.  133, 134).  —Jean 
de  Grailly  avait  pour  péra  le  fameux  captai  de  Buch  qui  expia  par 
une  mort  si  cruelle  dans  la  captivité  Tappui  qu'il  avait  donné  anx 
Anglais. 


Digitized  by 


Google 


384  HOTES. 

Richard  II  se  prépart  à  passer  en  Irlande  (pp.  134,  135).  —  Nom 
ayons  raconté  ailleurs  les  expéditions  qui  eurent  lieu  en  Irlande  sooa 
le  règne  d'Edouard  III,  principalement  sous  la  conduite  de  Guillaume 
de  Windsor. 

Dans  des  lettres  du  l*' juillet  1394,  Richard  II  annonça  son  des- 
sein de  se  rendre  en  Irlande. 

Ze  due  de  Zancastre  créi  duc  d^Aguitaine  (pp.    135,  136).  — 

Richard  II  avait  créé  le  duc  de  Lancastre  duo  d'Aquitaine  le  2  mars 
1389  (v.  s.).  Ce  don  avait  été  confirmé  le  7  juillet  1392. 

Les  habitants  de  la  Guyenne  ^fusaient  de  recevoir  Henri  Perej 
comme  lieutenant  du  nouveau  duc  d* Aquitaine. 

Mort  d'Anne  de  Bohême.,  reine  d* Angleterre  (pp.  130, 137).  —  Anne 
de  Bohême  mourut  le  10  juin  1394.  Ses  funérailles  furent  célébrées  à 
WesfminBter  le  3  août. 


«  Amatriz  eleemosjuse,  fautrix  panperum,  cultrix  fidei,  execuirix 
«  furtivaa  pœnitentise,  sed  tamen  multorum  obloquiis  infamata.  » 

Pendant  longtemps  on  l'appela  en  Angleterre  :  la  bonne  reine  Anne. 
On  lui  éleva  au  mois  d*avril  1394  (v.  s.)  un  splendide  monument  orné 
de  douze  statues  ;  il  était  de  la  même  hauteur  que  le  mausolée 
d*èdouard  III. 

D'après  une  vieille  tradition  ,  Richard  II  fit  démolir  le  chiteau  de 
Sheen  afin  que  la  vue  de  ces  lieux  ne  lui  rappelât  point  les  derniers 
moments  d*Anne  de  Bohême.  Là  était  mort  aussi  Edouard  III.  Les 
souvenirs  de  la  gloire  et  de  la  beauté  disparurent  ensemble. 

Richard  II  en  Irlande  (pp.  137-140).  —  Richard  II  débarqua  en 
Irlande  au  mois  de  septembre  1394  ;  il  était  accompagné  do  doc  de 
Giocester,  des  comtes  de  March,  de  Nottingham  et  de  Rntiand. 

Fardes  lettres  données  A  Kedwilly  le  13  septembre  1394,  Richard  II 
annonee  son  prochain  départ  pour  Tlrlande  et  nomme  le  duc  dTork 
cutos  Ànglim. 

Le  1*'  octobre,  le  duc  d'York  fait  sceller  des  chartes  où  il  prend 
cdtitrs. 

Le  l*'  mai  1395,  Richard  II  n*était  pas  revena  d^Irlande. 

RéciU  de  Ouillanme  de  Liste  (pp.  140-148).  —  Guillaotte  de  Lîsle 
était  fils  de  Robert  de  Lisie  et  neveu  de  Guillaama  de  Lisle,  qui  loi 
avait  donné  son  prénom  ;  il  plaidait  en  1393  contre  Jean  de  Windsor  an 


Digitized  by 


Google 


I 


Un  auteur  contemporain  la  loue  en  ces  termes  :  i 


I 


NOTES.  385 

•i^et  de  quelques  domaines  situés  dans  le  comté  de  Cambridge.  On 
troDTe  aussi  à  la  même  époque  un  Jean  de  Lisle  qui  succéda  en  1^0 
à  son  père  Jean  de  Liste  gouverneur  de  l'île  de  Wight,  et  qui  est  cité 
dans  un  rôle  de  1394,  comme  possédant  un  manoir  à  Southampton. 

Assez  prés  de  Donegal,  dans  un  paysage  solitaire  et  désolé,  parsemé 
de  marais  fangeux,  entouré  de  montagnes  arides,  s*étend  le  Louch-Derg, 
e*e8t-à-dire  le  Lac  rouge.  C'est  dans  une  de  ses  îles  que  se  trouvait 
la  célèbre  caverne  de  Néglis  qui  fut  fermée  au  mois  de  septembre  1632 
par  Tordre  d'Elisabeth. 

Les  documents  abondent  au  moyen- âge  sur  le  Purgatoire  de  saint 
Patrice. 

Le  récit  du  ms.  3338  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  adressé 
par  un  moine  à  un  abbé,  romonte  an  régne  du  roi  Etienne,  c'est-A-dire 
à  1096.  On  y  trouve  non- seulement  la  description  du  Purgatoire  de 
saint  Patrice,  mais  aussi  celle  du  Paradis.  Dans  le  Purgatoire  on 
remarquait  un  chevalier  qui  avait  tout  négligé  pour  se  livrer  au  plaisir 
de  la  chasse  ;  son  faucon  lui  rongeait  le  poing. 

Sur  le  purgatoire  de  saint  Patrice^  voyez  aussi  le  ms.  f.  fr.  1544  de 
la  Bibliothèque  nationale  de  Paris. 

Vers  1350,  le  sire  de  Beaujeu  se  rendit  au  Purgatoire  de  saint 
Patrice,  où  il  eut  le  spectacle  de  tous  lea  tourments  infernaux  comme  le 
raconta  Héronnet  son  écuier.  Il  vit  notamment  Burgibus,  le  portier  d'en- 
fer, qui  en  un  jour  faisait  mouvoir  parcent  fois  cent  mille  tours  une  roue 
qui  entrainaitcent  mille  Ames.  11  remarqua  à  rentrée  le  pont  tranchant 
comme  un  rasoir.  Il  aperçut  les  âmes  retenues  dans  des  lits  enflammés. 
11  pénétra  jusqu'au  puits  et  jusqu'au  gouffre  d'enfef,  et  parvint  enfin 
an  Paradis  terrestre.  Ainsi  le  rapporte  Mandeville.  {Chnm*  det 
Quatre  Valois.) 

Le  vicomte  de  Périgueux,  qui  visita  le  Purgatoire  de  saint  Patrice 
en  1307,  écrivit  à  son  retour  le  récit  de  son  voyage.  Il  Pavait  entrepris 
pour  savoir  quel  était  le  sort  réservé  à  Tàme  de  son  cher  ami  le  roi 
Jean  d'Aragon  qui  venait  de  mouiir.  Il  le  trouva  en  effet,  ainsi  que 
plusieurs  de  ses  amis  et  de  ses  parents,  dans  le  quatrième  cercle  du 
Purgatoire. 

Calderon  a  consacré  l'un  de  ses  drames  au  Purgatoire  de  saint 
Patrice. 

Sur  le  Purgatoire  de  saint  Patrice  on  peut  consulter  le  tri^vail 
spëdal  de  M.  Wright.  Voyez  aussi  tome  I,  l^*  partie,  p.  393. 


Digitized  by 


Google 


386  KOTM. 

On  peut  Toir  par  un  podme  que  M.  Wrîght  a  inséra  dans  ses  reh- 
quÙB  antique  combien  de  rôcits  merveilleux  avaient  Tlrlande  pour 
théâtre.  On  y  parle  d'hommes  qui  se  changent  en  loups,  de  femmes 
enlevées  par  les  démons,  de  navires  aériens.  Il  8*7  trouvait,  disait-on, 
un  rocher  qu'il  suffisait  de  frapper  d'une  baguette  pour  faire  naître 
une  tempête.  Ailleurs  il  suffisait  de  mettre  la  main  dans  une  fontaine 
pour  faire  descendre  la  pluie  du  ciel.  Le  bien  et  le  mal  étaient  égale- 
ment au  pouvoir  de  la  magie. 

Récits  de  Jean  de  Qrailly  (pp.  148-156).  —  Chose  étrange.  c>8t 
dans  les  archives  du  Record  office^  à  côté  des  documents  relatif  à  la 
revendication  des  privilèges  de  l'Aquitaine,  que  Ton  a  conservé  le  texte 
de  la  charte  par  laquelle  Philippe  le  Bel,  avant  de  mourir,  déclare  réta- 
blir toutes  les  anciennes  franchises  de  son  rojaume. 

ce  Articuli  extracti  à  carta  Philippi  Ffrancorum  régis  nunc  facta 
ad  instantiambaronum  et  nobilium  regni  Ffranciœ  coufœderatomm  pro 
privilegiis,  libertatibus^  ffranchisiis  et  consuetudinibus  ac  immunitati> 
bus  personis  ecclesiasticis,  duoibus,  comitibus  et  aliis  subditis  Ffranco- 
rum régis  tempore  Beati  Lodowici  servatis,  recuperandis,  et  attemp- 
tatis  in  contrarium  revocandis,  per  litteram  ad  perpetuam  rei  memo- 
riam  registrandi. 

«  Primo  est  intentlonis  nostrae  sacrosanctas  ecclesias,  monasteria , 
prselatos  et  qnascumque  personas  ecclesiasticas  ob  Dei  reverentiam  et 
amorem  tenere,  custodire  et  servare  in  favore,  gratia  et  auxilio  conde- 
center,  quibus  prsedecessores  nostri  tenueinint. 

«  Item  volumus  quod  privilégia,  libertates,  ffranchisiae,  consuetudi- 
nes  seu  immunitates  dictarum  ecclesiarum,  etc.  intègre  et  illœse  8«r- 
ventur  eisdem,  sicuttemporibus  felicis  racordationis  Lodowici  avi  nostri 
inviolabiliter  fuernnt. 

«  Inhibentes  ne  prssdictas  immunitates,  privilégia,  etc. 

«  Istam  ordinationem  quantum  ad  duces,  comités,  barones  et  alios 
quosvis  subditos  nostros  volumus  observari. 

«  Mittemus  bonas  personas  et  suffîcientes  qu»  visitabunt  seneschal- 
cias  et  ballivias  regni  nostri  ad  sciendum  de  consuetudinibus  antiquis 
regni  nostri  et  quomodo  tempore  Beati  Lodowici  utebantur  eisdem. 

tt  Volentes  quod  ,  si  a  dicto  tempore  citra  aliquas  bonas  et  approba- 
tas  consuetudines  abbolitas  invenerint ,  et  alias  quasdam  invenerint 
introductas,  eas  revocabunt  et  facient  revocari  et  ad  prœdictum  anti- 
qaam  atatum  reduci  et  ad  futuram  memoriam  registrari. 


Digitized  by 


Google 


HOTES.  387 

a  Item  in  eornm  feodis  vel  retrofeodii  nichil  de  cetero  adquiremui 
niû  de  eorum  procédât  assensa,  um  in  casa  pertinente  ad  Jus  nostrum 
reginm. 

«  Nec  recipîemus  novas  ad^ocationes  vassallornm  sea  hominum 
ecclesiasticorum  ,  necnoi  nostris  bii^onibus  subjectorum,  et  eas  quas 
reperiemtis,  reTocabinius,  nisi  eas  tanto  tempore  tenaerimus  paciûce 
qaod  de  consuetudine  patriœ  nobis  fuerint  adquisitœ.  » 

Récits  dâ  Richard  Stury  (pp.  156-167).  —  Le  père  de  Richard 
Stury  était  maire  des  marchands  d*Ângleterre  ;  un  de  ses  oncles, 
ntiUs  hostiarius  auïa  régis.  Il  avait  eu  lui-même  l'honneur  d'être 
armé  chevalier,  aux  portes  de  Paris  «  par  Edouard  III.  Froissart  avait 
rencontre  Richard  Stury  &  la  cour  du  duc  Wenceslas  de  Brabant,  et 
nous  lisons  son  nom  au  dernier  feuillet  d*un  ms.  de  la  Bibliothèque 
de  Bourgogne,  qui  parait  remonter  &  cette  époque.  Lorsqu'à  Tavô- 
nement  de  Richard  II  ,  les  anciens  ^nseillers  d'Edouard  ill  furent 
éloignés  et  disgraciés,  on  condamna  Stury  &  un  exil  perpétuel  commo 
complice  des  dilapidations  d'Alice  Ferrera.  Cependant  Stury  revint 
à  la  cour,  et  il  fut,  dit  Frçissart,  Tun  des  sages  chevaliers  de  la  cham- 
bre du  roi,  restés  avec  lui  après  la  fuite  du  duc  d'Irlande,  qui  calmè- 
rent leur  maître  profondément  irrité.  Néanmoins  le  comte  d*ArundeU 
qui  était  l'un  de  ceux  qui  Tenaient  de  présider  à  cette  révolution, 
reprocha  à  Rirhard  Stui7  de  lui  être  hostile.  Il  l'accusa  de  plus 
de  partager  les  erreui*s  de  Wiclef. 

Robert  Stury  avait  pris  part  en  1390  à  la  joute  de  Saint-Inglevert. 
La  même  année  il  traita  avec  les  députés  flamands,  et  quatre  ans 
plus  tard  avec  les  seigneurs  écossais.  Dans  un  autre  document  on 
l'appelle  :  Ricardus  Stury  justiciarîus  Southv^all. 

Richard  Stury  vivait  encore  en  1395.  Il  termina  peut-être  sa 
vie  en  prison  ou  tout  au  moins  dépouillé  de  ses  biens,  et  ce  fut  un  des 
oncles  du  roi,  un  des  amis  du  comte  d'Arundel  ,  qui  recueillit  ses 
livres.  On  lit  en  effet  dans  un  vieux  ms.  du  Roman  de  la  Rose  ,  con- 
servé au  British  Muséum  :  Cest  livre  est  à  Thomas,  fis  au  roy,  duc 
de  Oloucestre,  achaté  des  exécutours  monsieur  Richard  Stury. 

Récits  de  If enri  Chrystead  (pp.  167-182). —  Le  prince  irlandais 
que  Froissart  appelle  Arthur  Macquemuire,  porte  dans  les  chroniques 
anglaises  le  nom  de  Abroa  Makmoath. 

Richard  II  demande  la  main  ^Isabelle  de  France  (pp.  182-188).  — 
Les  poavoii*s  donnés  par  Richard  II  à  Tarchevâque  de  Dublin  pour 


Digitized  by 


Google 


588  NOTES. 

demander  la  main  d*Iiabelle  de  France,  portaient  la  date  da  8  jaU* 
let  1395. 

Ce  fui  à  la  fin  du  mois  de  juillet  1395  qne  les  ambassadenre  anglais 
se  rendirent  à  Paris.  Ils  j  restèrent  jusqu'à  la  fin  d'octobre.  Leur 
suite  comprenait  douze  cents  gentilshommes^.  (Religieux  de  Saint- 
Denis.) 

D'après  Brandon,  l'ambassade  anglaise  qui  vint  à  Paris,  comptait 
neuf  cents  pei*sonnes.  On  y  remarquait  trois  évoques  et  trois  comtes. 

Robert  V Ermite  en  Angleterre  (pp.  188-202).  —  Il  ne  faut  paa 
confondra  Robert  l'Ermite  qui  était  un  ^cuyer  de  Normandie,  arec  cet 
ermite  de  Provence  qui  en  1 388  se  présenta  à  Charles  VI  pour  lui 
faire  part  d'une  vision  qu'il  avait  eue  et  pour  le  menacer  de  la  colère 
de  Dieu  si  le  fai'dean  des  charges  publiques  n'était  pas  allégé.  (Reli- 
gieux de  Saint- Denis.) 

Robert  l'Ermite  fit  plusieurs  voyages  en  Angleterre  ponr  trai- 
ter de  la  paix.  Lorsqu'il  s'y  renciit  au  mois  de  mai  1395  ,  il  était 
chargé  de  remettre  à  Richard  II  une  lettre  où  le  roi  de  France  la 
félicitait  sur  ses  succès  en  Irlande  et  l'engageait  à  prendre  les  armes 
contre  les  infidèles  : 

«  Notra  très-chier  cosin  et  très-amé  frère,  nous  désirons  de  très- 
bon  cœur  continuelment  estre  enformé  de  vostre  bon  estât  et  sancté* 
que  Dieu  voille  msyntenir  et  ascrescer  à  sa  loenge  et  à  vostre  conso- 
lation come  vous  le  voudrés  et  nous  désirons,  et ,  se  de  nostre  estât 
vous  plaist  saveir,  quant  ces  lettres  furent  eacriptes,  par  la  grâce  de 
Dieu  nous  esteimes  en  bon  point,  le  Dieu  mercy  ,  attendants  et  ési- 
rants  vostre  venue  d'Ybernie  à  victoire  en  Dieu  et  consolation  et  de 
vous  et  de  nous.  Et,  très-amé  frère  ,  de  ce  que  nous  avons  entendu 
que  grante  pleynté  de  vos  subgiès  d'Ybernie  sont  revenus  à  vostre 
obéissance  sauns  graunt  bataile  ou  eflfusion  da  sanc,  nous  en  avons 
grant  joie  et  en  loons  nostre  et  vostre  Dieu  qui  est  aveucques  vous  et 
par  qi  viennent  les  victoyres.  * 

a  Ti*ès-chier  et  très-amé  coysin,  il  nous  souvient  de  le  bon  amour 
et  dilection  que  vous  avés  à  nous  sicome  par  plusours  de  nos  subgiès 
et  des  vostres  a  grant  temps  et  plusoura  fois  nous  avons  esté  enfer- 
mes et  par  espécial  par  vostre  loyal  seinriteur  et  dévost  orateur  Robert 
l'Ermite  à  quel  pur  la  révérence  de  Dieu  et  pur  sa  loialté  de  la  dite 
amour  nous  luy  avons  doné pleyne  foy,  et  tenonsdoulcement  que  ladite 
amour  et  de  vous  et  de  nous  est  et  serra  fondée  sur  la  pierre  ferme, 


Digitized  by 


Google 


MOTBS.  389 

laquele,  selon  le  dict  seact  Pol  Tapostra,  est  Jéha-Crist  qui  les  deux 
ptrois  estrannges  et  ennemies  Tua  de  Tautra,  c^est-assaver  le  peuple 
d68  Jayfs  et  le  |>euple  des  gens  payens  par  le  moyen  de  sa  saincte  Pas- 
sion fist  assembler  ensemble  en  un  temple  d*union  et  de  charité  en  la 
saincte  foy  catholique.  Tout  ainsi  à  nostre  désir,  ti*ès-amé  frère,  ladite 
pierre  Johu-Cri^t  qui  par  sa  grâce  a  inspiré  famonr  soventes  foys  et 
Joyeusement  répété  entre  tous  et  nous,  fera  rassembler  ensemble  les 
deux  parois  un  grant  temgs  jà  pièça  ennemies  et  séparées  Tune  de 
Fantre  par  mortel  guerre,  c'est-assaver  France  et  Angleteire,  en  un 
temple  et  esglise  de  Dieu,  dount  es  babitans  sera  une  viér  et  une  Ame 
en  Dieu  par  vrai  amour  à  son  service  et  sauvement  des  Ames 
enfinies,  laquelle  chose  Dieu  par  sa  grâce  nous  voille  ottroïer.  Très- 
chîer  et  très-amé  fcère  enCeluy  qui  ses  a|K)3tres  appela  frères,  quant 
à  nostre  lacrimable  remembrance  sovent  se  présente  cornent  par  la 
perilious  guerre  de  nos  pré  lecesseura  qi  J^X  ans  a  duré,  taunts  de 
maulx  ont  esté  fdicts  et  tants  des  âmes  baptisées  ont  été  perles, 
esglises  destniites  et  vierges  violées,  et  que  par  la  bounté  de  Dieu  et 
grâce  singulière  il  a  réservé  jusques  à  ore  et  tous  et  nous  innocens  de 
l'effusion  du  sanc  de  nos  subgiès ,  et  doulcement  il  nous  a  réservé  et 
gardé  d*e8pan(2re  Tun  et  l'autre,  nounobstant  les  ennemys  de  pais  qi 
sont  nourris  de  Terser  le  sanc  de  lours  frères  crestiens,  de  vostre  part  et 
de  nostre,  qi  jusques  à  oi*e  n*ount  pas  dormi  et  ne  dorment  encores  pur 
impugner  et  pur  nous  attraire  à  la  proye  transitoire  et  infernale  d^or- 
gul,  d'envie  et  d*avarice,  par  laquelle  Tamour  de  tous  et  tle  nous  soit 
sépai-é  et  anuUé.  que  jà  n'aviègne,  dont  Dieu  nous  voille  garder.  Orpen- 
sonsdonques,  beau  frère,  coadjuturesde  Dieu,  de  nous  tenir  fermes  en  la 
Tocation  qe  Dieu  nous  a  appelé  en  nostre  jonesse,  c'est-assa voir  en  la 
douce  paix  tant  désirée  de  la  crestienté,  et  non  prester  les  oreilles  an 
chant  de  leseraioe.  ne  à  Tescorpion  qi  de  la  langue  oint  etiie  sa  queue 
point.  Et,  très-amé  frère,  prions  à  Dieu  doucement  et  faisons  prier  a« 
i&inctes  personnes  que  par  sa  grâce  une  première  fois  il  nous  Toille 
assembler  ensemble  au  plus  bref  que  faire  ce  pourra  bonement,  pur 
laquelle  assemblée,  laquelle  nous  désirons  parfaitement,  tous  nous 
trouvères  toutsjours  et  prest  et  apparaillet.  Et  nous  espérons  en 
Celny  qi  dist  à  ses  apostres  :  «  Paix  soit  avecques  vous,  je  vous  donne 
«c  ma  paix  » ,  que,  nous  assemblé  ensemble  non  pas  en  pompe  royale  mais 
engrant  humilité,  en  Tamour  de  Dieu  et  de  sa  charité.  Dieu  nous- 
fera  gi*âce  et  i*efreindra  sa  Tergo  corrective  qe  longement  a  duré  par 


Digitized  by 


Google 


NOTfift. 

noi  prëdécessears  en  la  crestienté,  et  qe  lore  par  vostre  seinct  tra- 
Taill,  beau  frôre,  et  par  le  nostre  aassi,  combien  que  nous  en  eoioos 
pas  dignes,  les   voies  en  la  crestienté  de  tous   les  pa!s  serront  on- 
Tertes  à  yraje  paix  ,  et  qe  plus  est ,  ceste  paix  dou  ciel  descendue  et 
entre  nos  deuls  personnes  par  le  Senct-  Esprit  confermëe,  nostre  mère 
Sainte- Eglise,  ëlas  I  jà  grant  temps  a  ,  par  le  maudit  sisme  foulée  et 
divisée,  parla  prière  de  latrès-amôe  Vierge  Marie  sera,  comme  ressas- 
sitëe,  à  sa  gloire  relevée,  et  lors  sera  temps,  beau  frère,  acceptable  et  à 
Dieu  agréable  que   vous  et  nous  pour  satisfaction  de  nos  prédéces- 
seurs devons  emprendre  le  senct  passage  d'oultre- mer  pursecourre 
nos  frères  crestiens  et  délibérer  la  terre  seinte   à  nous  acquise  par 
le  précious  sanc  de  Taignelet  occis  pur  les  brebis  ,  en  multipliaunt 
par  la  vertu  de  la  croix  la  seinte  foj  catholique  par  toutes  les  parties 
d'Orient,  et    là  moustrer   en  Dieu   la  vaillaunce  de    la  chevalerie 
d'Angleterre  et  de  France  et  des  nos  autres  frères  crestiens,  laquelle 
chose,  très-amé  frère,  Dieu  par  sa  seinte  miséricorde  vueille  ottroier  et 
non  regardera  nos  péchiés,  ne  aus  péchiés  de  son  peuple.  Encores , 
beau  trôs-douc  frère ,  ce  que   dict  est  desus  en  la  balance  de  nos 
considérations  bien  pesé  et  repesé,  pur  la  révérence  de  Dieu,  bien  nous 
devons  garder  que  nous  ne   délaissions  la  douce  paix  que  Dieu  benoît 
Sent-Esprit  nous  ad  inspirée,  ne  pur  choise  temporel  quecumque,    ne 
pur  acquerre  roiaime,  par  Tun  de  nous  ne  brisie,  ne  violée,  car  tant  de 
maux  en  vendroient  qu'ils  ne  se  porroient  descrire.  Et  toutefois  une 
fojrs  il  faut  vendre  à  compte  devant  le  grand  Juge,  et  benois  serront 
les  rojB  qui  serront  nombres  avecques  ceulx  qui  aueront  amé  la  paix 
en  terre.  Très-aimé  frère,  s'il  ept  chose  qe  par  nous  poet  estre  fait 
à  vostre  plaisir  et  consolation,  mandés  le  à  nous,  et  nous  le  ferons  de 
très-bon  coer,  et  vous  plaise,  très-amé  cosyn,  faire  nous  savoir  sovent 
vos  plesires  et  vostre  bon  estât  et  en  espécial  par  le  dit  Robert  TEr- 
myte  qe  nous  renvoions,  lequel  fut  mandé  à  nous  et   à  vous  de  la 
grâce   de  Dieu,  sicome  doucement  nous  créons  ,  pur  le  bien  et  sal- 
vement  de  nos  aimes,  paix  et  réparation  de  le  cristienté ,  à  quel 
RobeK  l'Ermyte,    très-doulc   amé  frère,  voillés   adjouster  pleine  foy 
de  ce  qu'il  vous  dira  de  par  nous.  Nostre  très-chier  cosyn  et  trôs-amé 
frère,  le  Dieu  de  paix  veuille  adrescier  toute  vos  faits  et  dits  en  corn- 
plissant  touts  vos  désirs.  E8cx*ipt  à  Paris  le  XV*  jours  de  may,  l'an  de 
grâce  etc.  nonantyme... 
La  réponse  de  Richard  II,  rédigée  en  latin,  n*e8t  qu'une  longue 


Digitized  by 


Google 


NOTXS.  S91 

déclamation  en  llionnenr  de  la  paix.  Dès  sfi  jeanease^  il  ae  l'eat  propo- 
aée  pour  but  de  tous  aea  effoi-ta  : 

«  0  quam  bonua  Israël  Deiia  ,  qui  noa  talia  docnit  a  Jnventute  at  de 
guerrarum  abstinentia  usque  nanc  pronunciemus  aua  mirabilia  !  » 

Nous  reproduirons  ailleurs  un  document  fort  curieux  eur  les  efforts 
de  Robert  TErmite  pour  mettre  un  terme  au  schisme. 

Lb  être  de  La  Rivière  et  Jean  Le  Mercier  recouvrent  la  liberté 
(pp.  202-204).  —  On  lit  dans  undocument  du  31  Janvier  1393  (v.  s.)qae 
Bureau  de  La  Rivière  et  Jean  Le  Mercier  qui  étaient  prisonniers  depuis 
le  mois  de  septembra  1392,  obtinrent  la  permission  de  sortir  du  chA- 
tean  de  la  Porte -Saint- Antoine  à  la  mi-caréme.  Ils  s'engageaient  à 
qaitter  la  France  et  à  n*y  rentrer  que  du  consentement  du  roi,  de  ses 
oncles  et  de  son  frère. 

D'aprèa  la  chronique  de  Berne ,  ils  furent  mis  en  liberté  au  mois 
de  février  1393  (v.  s.)»  grâce  au  rétablissement  de  la  santé  du  roi. 

Traité  du  duc  de  Bretagne  et  â^Olivier  de  Clisson  (pp.  204-214).— 
Lea  négociationa  du  duc  de  Bretagne  et  du  sire  de  Clisson  se  renou- 
velèrent à  plusieurs  reprises. 

Par  une  convention  du  6  février  1392  (v.  st)  le  duc  de  Bretagne 
promit  de  payer  cent  mille  francs  d*or  à  Olivier  de  Clisson  pour  Tln- 
demniser  de  la  captivité  qu'il  lui  avait  autrefois  fait  subir  ;  mais  on 
vit  ausaitôt  après  les  hostilités  éclater  en  Bretagne. 

Pierre  de  Craon  y  était  revenu  au  mois  de  février  1392  (v.  st).  Le 
30  avril  1393,  lorsque  le  duc  de  Hi*etagne  assiégea  Châtel-Joaselin,  le 
aire  de  Craon  se  trouvait  au  nombre  des  assaillants. 

Lorsqu'on  somma  Clisson  défaire  la  paix,  il  se  borna  A  répondre  : 
«  n  y  a  trois  rois  en  France  :  je  ne  sais  auquel  je  dois  obéir.  » 
(Chron.  des  Quatre  Valois.) 

Le  7  juillet  1394  ,  des  instructions  furent  données  par  le  conseil 
du  roi  au  duc  de  Bourgogne  qui  allait  se  rendre  prés  du  duc  de  Bi*e- 
tagne.  La  réponse  du  chancelier  de  Bretagne  au  duc  de  Bourgogne 
porte  la  date  du  3  octobre  suivant. 

Le  duc  de  Bourgogne  arriva  à  Angers  le  16  octobre  1394.  Oe  U  il  se 
rendit  A  Ancenis  où  se  trouvaient  le  duc  de  Bretagne  et  le  sire  de 
Clisson.  Un  traité  fut  conclu  le  19  octobre  à  Ancfer  près  de  Redon. 
Clisson,  alors  à  Rieux,  jura  le  lendemain  de  robsei*ver.  A  la  suite  de 
ce  traité,  le  duc  de  Bourgogne  rendit  le  24  janvier  1394  (v.  st.)  une 
sentence  arbitrale  qui  fut  proclamée  le  7  février  suivant. 


Digitized  by 


Google 


892  NOTES. 

Pierre  de  CraoHreviifU  à  Paris  (pp.  214-216).  —  La  15  mart  13115 

(▼.  it  ),  des  lettres  de  grâce  furent  accorda  à  Pierre  de  Craon.  Elles 
entendaient  à  sa  tentative  de  meurtre  contre  le  connétable  et  au  bannis- 
sement prononcé  contre  lui  dans  son  procès  avec  la  dnchesse  d* Anjou. 

Le  roi  de  Hongrie  réclame  l'appui  des  princes  chrétiens  (pp.  216- 
218).  —  Le  8  mai  1395 ,  les  ducs  de  Berry  et  de  Bourgogne,  alors  à 
Lyon ,  reçurent  les  ambassadeurs  du  roi  de  Hongrie  qui  Tenaient 
réclamer  du  secours  contre  les  Turcs.  Régnier  Pot  les  conduisit  à 
Paris. 

Le  FUligieux  de  Saint-Denis  reproduit  le  discours  que  les  envoyés 
du  roi  de  Hongrie  adresseront  à  Charles  VL  Ils  reçurent  une  réponse 
favorable  et  furent  comblés  de  présents. 

Le  comte  d*Eu  avait  reçu  des  lettres  du  roi  de  Hongrie  qui  annon* 
çaientque  Bajazet  avait  réuni  pour  le  combattre  quarante  mille  Sarasins, 
dont  dix  mille  à  cheval.  BoucJquaut  fut  fun  des  premiers  à  prendre 
les  armes  et  pour  trois  raisons  :  il  désirait  vivement  lutter  contre  les 
Sarasins,  il  se  souvenait  du  gracieux  accueil  que  lui  avait  fiât  naguère 
le  roi  de  Hongrie,  et  enfin  il  tenait  à  honneur  de  chevaucher  en  la 
compagnie  du  comte  d*Eu.  {Chronique de  Boueiquaut.) 

Bajazet  avait  résolu  de  venger  la  mort  de  son  père  Amurath  I*"*. 

En  1389,  Amurath  I*'  avait  péri  dans  une  bataille  livrée  à  Koçovo 
à  Lazare,  roi  des  Serbes.  Ce  combat  fut  longtemps  célébré  dans  les 
chants  populaires. 

Le  Religieux  de  Saint^Denis  mentionne  cette  journée  et  sjoute  que 
Charles  VI  se  rendit  à  Notre-Dame  de  Paiis  pour  rendre  à  Dieu  de 
solennelles  actions  de  grâces. 

Nous  insérerons  dans  les  notes  du  tome  XVI  une  narration  inédits 
de  Philippe  de  Maisiéres,  qui  renferme  d'autres  détsils. 

Le  Religieux  de  Saint- Denis  rapporte  que  dans  un  rêve  Bajaset 
•  avait  cru  voir  Apollon  ,  Tun  de  ses  faux  dieux,  lui  offrir  une  oonronne 
d'or  devant  laquelle  se  prosternaient  treize  princes  de  TOccident. 

le  comte  de  Neters  ch^f  de  Vexpéditian  (pp.  218-22 1).  —  Un  chro- 
niqueur parlant  de  cette  expédition  dit  que  le  comte  de  Nevers  «  fn 
«  envoyés  pour  luy  habiliter  et  api*endre  le  fait  de  la  guerre  ,  car 
«  moult  estoit  simples.  » 

En  1388  y  quatre  ans  après  son  mariage  ,  le  comte  de  Nevers  avait 
encore  avec  lui  Baudouin  de  la  Nieppe  «  son  maistre  en  doctriae 
«  d'escele.  » 


Digitized  by 


Google 


NOTES.  333 

En  1394,  le  comte  de  Neven  s'était  rompu  Tëpaule»  et  la  ducheese 
d'Orléans  avait  envoyé  un  de  ees  chirargiens  pour  le  eoigner. 

Le  comte  de  Nevera  jeune  encore  aimait  à  se  retirer  au  fond 
dea  bois ,  et  on  disait  qu'il  j  consultait  lee  démons.  Tout  au  moins 
crojait-il  à  leur  intervention  active  dans  les  affaires  de  ce  monde.  On  lit 
dans  un  traité  dédié  A  Jean  sans  Peur  :  a  Le  déable  peut  savoir  la  dîs- 
«  position  et  ordenance  et  le  gouvernement  des  royalmes  et  des  sei- 
«c  gneurs  temporels  ,  conspirations  et  traysons,  quar  de  telles  choses 
«  souvent  il  se  mesle  {Ms.  1 1216  de  la  Bihl.  de  B(mrgogn$).  » 

L*horoscope  du  comte  de  Nevers  annonçait  les  périls  auzqueh  il  allait 
être  exposé  dans  son  vojrage  ;  «  in  electionibus  hijgas  nativitatis  péri- 
culosa  snnt  tempora.  Mars  occupât  domum,  quod  iter  significat.  Sus- 
pectum  estarripere  itinera.  Expediens  videretur  nato  habere  homines 
fortnnaios  in  armis  et  taies  soi  exercitus  capitaneos  facere  (Ms.  *  7443 
de  la  Bibl.  nat.  de  Paris).  » 

Le  Hre  de  Coucf  négocie  avec  les  Oénois  (pp.  221 ,  222).  —  Par  une 
déclaration  du  mois  de  février  1393,  Charles  de  Fiesque  avait  con- 
senti à  ce  que  Charles  VI  fût  mis  en  possession  de  la  seigneurie  de 
Gênes. 

Plusieurs  pièces  des  Archives  Nationales  de  Paris  concernent  la 
mission  d*Engaerpand  de  Cou cy  envoyé  en  1395  en  Italie  parle  duc 
d*Orléans  pour  prendre  le  commandement  de  ses  hommes  d'aimés  et 
pour  aider  la  ville  de  Savone  dans  sa  guerre  contre  les  Génois. 

En  1396  le  sire  de  Couoy  alla  en  Lombardie  pour  engager  le  doc  de 
Milan  A  ne  point  empêcher  les  Génois  de  se  soumettre  au  roi  de 
France.  Il  se  rendit  ensuite  &  Gènes  au  mois  de  juin,  et,  dans  les  der* 
nier  s  jours  de  ce  mois,  les  Génois  se  placèrent  sous  Tobéissance  du  roi 
de  France.  (Religieux  de  Saint-Denis.) 

Au  mois  d*août  1396,  les  ambassadeurs  génois  vinrent  à  Thôtel 
Saint-Pol  offrir  la  seigneurie  de  leur  république  au  roi  de  France. 

Le  12  décembre  1396,  le  duc  d'Orléans  qui  occupait  Savone,  aban- 
donna A  son  frère,  moyennant  là  somme  de  trois  cent  mille  francs, 
toutes  ses  prétentions  sur  les  villes  de  Gênes  et  de  Savone. 

le  sire  de  Ca%cy  est  choisi  comme  conseiller  du  comte  de  Nevers 
(pp.  222-224).  —  Le  sire  de  Coucy  passait  pour  Tun  des  princes  les 
plus  prudents  de  son  temps  ;  il  eut  Thonneur  d'être  Tan  des  bienfai- 
teurs de  Froissart. 

La  Chronique  de  Boueiquemt  dit  de  lui  :  a  Le  vaillant  seigneur  de 
XY.  —  FROISSART.  26 


Digitized  by 


Google 


394  NOTES. 

Cl  Coucj,  chevalier  espronvii,  toaté  sa  vie  nVvolt  HMé  d^urmea  toivrOy 
a  et  moult  estoit  de  grant  vertu.  » 

Préparatifs  de  VecBpédiiion  (pp.  224 ,  225).  —  Dom  Pta&cher  a 
publie  les  noms  des  barons  et  des  éhevaliers  qui  devaient  aoeompagoer 
le  comte  de  Nevers.  Je  me  bornerai  à  citer  Geoffroi  de  Ohanij,  Jean 
de  Blaisy  ,  GuUlaume  de  Vienne  ,  Jacques  et  Guittaume  de  Vergy, 
Urbain  de  Neufchastel,  le  Hase  de  Flandre,  Raoul  de  Plaadi^,  <3iarl€tt 
d'Estouteville,  Louis  de  Giac  ,  Guillaume  de  la  Trémoitte,  Vidtor 
bâtard  de  Flandie,  Régnant  de  Flandre,  Guillaume  de  Oraaa  ,  ^eaa 
de  Trie. 

Jean  de  Trie  est  «  Ton  de  ceux  à  qui  moiiseigiieiir  ne  eonsMllera 
«  quant  bon  luy  semblera,  n 

Philippe  de  Mussj  était  chargé  de  la  bannièra  du  comte  de  risve»  ; 
le  sirô  de  la  Gruuthuse  ,  de  son  pennon.  Parmi  les  chevaliers  oIémMb 
à  sa  personne  se  trouvait  Jean  de  Blaisy. 

Les  livrées  du  o(»nte  de  Nevers  étaient  d'uM  oeidear  qa^Aiafifelait  : 
le  verd  gai. 

D*aprèe  la  Chromique  de  Boncipumt  Texpédition  comprenait  mille 
chevaliers,  la  fleur  de  la  chevalerie  française.  Bouciquaut  entretenaiiià 
ses  dépens  soixante-dix  gentilshommes. 

Je  reproduirai  diaprés  M.  Buchon  Téanmération  des  ohevalieni  qui 
accompagnèrent  le  comte  de  Nevers,  ainsi  que  celle  des  éeayars  et 
autres  serviteurs  attadiés  à  sa  maison. 

a  Cy-après  s'ensuient  les  noms  de  ceulx  que  monseigneur  a  ordonnés 
aler  ou  volage  de  Honguerie  en  la  compaignie  de  monsaîgaeur  de 
Nevers. 

êi  Premièrement: 

«  Messire  Philippe  de  Bar,  lui  quatrième  de  chemliera  et  êfm 
«  escuiers. 

c<  Messire  Tadmiral  de  France  ,  lui  troisième  de  chevalieirs  et  xâiiq 
«  escuiers. 

«  Messire  de  la  Trémoille«  lui  huitième. 

ce  Messire  le  mareschal  de  Bourgogne,  lui  quatrième. 

«  Messire  Oudart  de  CSuuieron,  lui  troisième. 

(c  Messire  Jehan  de  Sainie-Croix,  lui  troisième. 

«  Messire  Guillaume  de  Merlo,  lui  troisième. 

«  Messire  Gieffroy  de  Charny,  lui  troisième. 

tt  Messire  Élyon  de  Neilhao,  lui  troisième. 


Digitized  by 


Google 


395 

«  MeMÎr»  Jehaa  de  Blaiajr»  lai  et  un  esciiiep. 

«  Me(iiir#  Qea^pjK  de  MoabéUart»  lui  dMizièa!W:de  cheyaliem  et  deux 
o  eecofte». 

«  Meenre'de  Cfanstel-BeUn,  lai  deaxiàoM:  de  cbeya|iera  et  deax 
a  ewMiienu 

«  Meesû»  GaillMime  de  Vieâne  y  lai  ddoxième  d»  chevaliera  et 
«  deux  eeeoien. 

«f  Memiine  Jacques  de  Yiaan^ ,  lai  deavième  de  chevaliers  et  deax 
a 


«  M«isùreJao%Be»de  Vergj»  lui  troisième. 

«  Messire  Thibault  de  Noefiihastel,  lai  troisième. 

«  Af essire  Gaillaame  de  Veigj  et  son  frère,  chacun  lai  deazième. 

«  Messire  Henrj  de  Salins* 

«  Messire  Henry  de  Chalon ,  lui  deuxième  de  cheTaliei*a  et  deux 


«  Messire  le  Haze  de  Flandre,  lai  troi^mew 

«  La  sire  de  Ray. 

«  Le  firère  de  1»  £Nnme  messire  Henry  de  Monbéliart. 

«  CU'êpràê  $'mswint  (m^u  dt  l'ottel  de  monM  mgnew^  : 

ce  Messire  Berthaut  de  Chartres  ;  messire  Loys  du  Qeay,  uo  ^scuier  ; 
messire  Jehan  des  Boves  ;  messire  Cort  des  Essars  ;  messire  Girai*d 
de  Ragny  ;  messire  Raoul  de  Flandre  y  otessire  Jacques  de  Pontallier  ; 
messire  Jehan  de  PontailUer  ;  messire  Jehan  de  Savoisy  ;  messire 
Plali^e  de  la  TrèmoiUe  ;  messire  Louis  le  Maréchal  ;  messire  Louis 
Zebenenghem  ;  messire  Philibert  de  Villers  ;  le  sire  de  Graville  ,  lui 
troisième  ;  le  sire  dePlancy^  lui  deuxième  ;  messire  Jacques  de  Cor- 
tiamble  ;  messire  Jehan  de  Goux  ;  messire  Hugues  de  Mouneton  ;  mes- 
aire  Philippe  de  Mussy  ;  measke  Jehan  de  Rigny  ;  messire  de  Mau- 
mes  ;  messire  Fouque  Paynnel.;  messire  le  Galois  de  Reuti  ;  messire 
Antoine  de  Bolone,  lui  troisième  ;  messire  Anceau  de  Pommart  ;  mes- 
sire Heni7  de  Rye  ;  messire  Jehan  de  Saint- Aubin  ;  messire  Jehan 
de  Montaubert  ;  messire  Jehan  de  Pamele  ;  messire  Jehan  de  Tan- 
que  ;  messire  Charles  d'Estouteville  ;  messire  Jehan  de  Granson  ;  mes- 
sire de  Ver,  lui  deuxième  ;  messire  Jean  Le  Sarrasin  ;  messire  Jean  de 
Saint-Germain  ;  le  Petit  Braqueton  ;  Boelin  Villiers  ;  le  fils  du  sei- 
gneur de  Chastillon,  lui  deuxième  ;  messire  Raoul  de  Rayneval,  lui 
deuxième  ;  le  sii*e  de  TËspinace  ;  le  sire  de  Montigny  ;  messire  Loys 
de  Giac,  un  escuier  ;  messire  Gauvanet  de  Bailleur,  lui  deuxième  ;  le 


Digitized  by 


Google 


396  NOTES. 

Normandâa,   maistre  d'ostel,   icealx  qnll  plaira  à  mon  dît  sîear 
Damas  de  Braxeal  ;  Briffaat  ;  Robert  de  Ardentin  ;  GaiHaameBretoav 
le  jeune  Monnoier  ;   Moataubert  ;  Jehan  de  Sereus  ;  Rocheohoari 
Anceau  de  Villiers  ;   Guillaame  de  Vantraux  ;  Jehan  de  Copeaux 
Simon  Breteau  ;  Gauvignon  ;  Guillaume  de  la  TrémoiUe  ;  Conestable 
Lojs  Done  ;   Estienne  de  Monsajou  ;  Victor   bastard  de  Flandre 
Estienne  de  Germigny,  escuier  d^escnrie  ;  Jehan  de  GranaoB  ;   le 
Porcelot  de  Besançon  ;   Thpmas  de  Garruvel  ;    Mathe   Lalemant  ; 
Engnerramet  ;  Cloux  le  Ba)iaignon  ;  Guillaume  de  Lugnj  ;  Jehan  de 
Ternant  ;  Bertran  de  Saint-Chatier  ;  George  de  Rigny  ;  Pierre  de  la 
Haje  ;  Jehan  de  Pontaillier  ;  Tierrj  de  Saint-Soigne  ;  Jehan  de  Ger- 
mignj  ;   Guillaume  de  Craon,  lui  deuxième  ;  Régnant  de  Flandre  ; 
Guillaume   de  Nauton  ;  Batetau  ;   Maubuisson  ;  le  fila  au   aire  de 
Garanciers  ;  Rasse  de  Rancy  ;  le  fila  de  madame  de  Malurooe 
Hugi^elin  de  Lugny  ;  Matherj  ;   Pierre  de  la  Trémen  ;  Gmthuae 
Jacques  de  Buxeul  ;   Toulongon  ;   Muart  ;  Jehan  Bugnot  ;  Tajant 
Robin  de  la  Cressonnière  ;  Copin  Paillart  ;  Jehan  Huron  ;  Philippot 
de  Nauton  ;   Bonneu  ;  Guillaume  d*Aunoy  ;   Chiffireval  ;  Jehan  de 
Blaisj  ;  Rasse  de  Tanques  ;  Mile  de  Coudebonrch  ;  Robert  Gaudia  ; 
Octeville  ;  Jaquot  de  Saux  ;  le  Bègue  de  Rasse. 
«  Item  dûs  arehert. 
«  Premièrement  : 
«  Laurens  Cogniguehant  ;  Donat  du  Cops  ;  Ogier  Bloet  ;  Jehan  Car- 
nes ;  Jehan  Robichon  ;   André  le  petit  aroher  ;   Gadifbr  ;  Brocart  ; 
Berthelot  de  Revel  ;  Adam  Pasquot. 

<c  Item  vingt  arhaîestierg^  c'ert-assavair  : 
(Les  noms  de  ces  vingt  arbalestriers  sont  omis.) 
«  les  gens  qui  sont  advisés  pour  aler  devant  en  ffanguerie  p<mr 
faire  les  provisions  de  monseigneur  de  Nevers  : 

«  Simon  Breteau,  maistre  d*ostel  ;  Guillaume  Breteau,  pennetier  ; 
Jehan  de  Ternant,  eschançon  ;  Robert  de  la  Cressonnère  ;  Copin  Pail- 
lart, escuier  de  cuisine  ;  un  boucher  et  ung  poulaillier. 

«  Cy -après  ê'ensuient  les  choses  nécessaires  et  appartenant  au  fait 
que  monseigneur  de  Nevers  doit  faire  présentement  en  ffonguerie  : 

tt  Premièrement  il  est  ordonne  que  tous  oeulx  qui  yront  en  sa  com- 
paignie,  soient  au  vingtième  jour  d^avrilà  Dijon,  et  iUec  on  fera  prest 
pour  quatre  mois ,  c*est- assavoir  :  chacun  chevalier  quarante  flo- 
rins, et  chacun  escuier  vingt  florins,  et  chacun  archer  douze  florins 
par  chacun  mois. 


Digitized  by 


Google 


NOTES.  S97 

«  Ordemié  par  monsienr,  préaeus  monaiear  le  conte  de  Neven, 
mcHwiear  l'Admira],  monsieur  de  1»  TrémoiUe,  measire  GuiHaame  delà 
Trémoîlle,  mewire  Odart  de  Chaseron^  mesure  Ëlion  de  Meilhac  et 
Pierre  de  la  Trémoiile»  le  vingt-huitleame  jour  de  mai's  ayant  Pasqne, 
Tan  mil  trois-cent-qoatre-nngt-qninze. 

«  Monsieur  le  comte  de  Nevers  sera  le  Tingtiesme  jour  d'aTril  à 
D^jon,  et  là  seront  paie  tontes  ses  gens,  et  sera  à  la  fin  d*aTril  à  Mont- 
bëliari  pour  tenir  son  chemin. 

«  Ceu»  par  pn  matmeur  le  conte  se  conseillera  : 
«  Premièrement  : 

«  Messire  Philippe  de  Bar  ;  monsieur  TÂdmiral  ;  monsieur  de  la 
TrJmoiUe  ;  messire  Gnillaume  de  la  Trémoille  ;  messire  Oudart  de 
Chaseron. 

tt  Bt  quant  bon  semblera  : 

«  Monsieur  de  Bourbon  ;  messire  Henry  de  Bar  ;  messire  de  Coussi  ;  . 
monsieur  le  connétable  ;  monsieur  le  maréchal  Boussicaut. 
«c  Et  anssi  qnant  bon  semblera  : 

«  Messire  Henry  de  MontbéUart;  messire  Guillaume  de  Vienne; 
messire  Henry  de  Chalon  ;  messire  de  Chatel-Belin  ;  messire  de  Longry  ; 
messire  Guillaume  de  Merlo  ;  messire  Gieuffroy  de  Charny  ;  messire 
Jehan  de  Blaisy  ;  messire  Élion  de  Meillac  ;  messire  Jehan  de  Tiye. 
«  Ponr  le  frain  de  monsieur  le  conte  de  Nevers  : 

«  Messire  Guillaume  de  Merlo  ;  messire  Jehan  de  Blaisy  ;  messira 
Jehan  de  Sainte-Croix  ;  messire  Élion  de  Neillac  ;  messire  Guillaume 
de  Vienne  ;  messire  Gieufroi  de  Charny. 

€c  La  bannière  de  monsieur  le  conte  de  Nevers  :'  messire  Philippe  de 
Mussy  la  portera.  PourFacompagnier  :  Cpurtiambles  ;  Jehan  de  Blaisy  ; 
Bttxeul. 

«  Le  pennon  de  monsieur  :  le  conte  Gruthuse  le  portera.  Nauton  et 
Hnguenin  de  Lugny  pour  raccompagner.  » 

Le  document  suiyant  a  été  conservé  dans  le  trésor  des  chartes  des 
comtes  de  Flandre  : 

«  Ce  sont  les  noms  des  chevaliers  qui  furent  enHonguerieenla 
compaignie  de  monseigneur  de  Nevers  : 

«  Messire  Loys  dit  le  Haze  ;  messire  Loys  dit  le  Frison  ;  messire 
Jean  dit  Sens-TeiTO  ;  messire  Renault,  bastars  de  Flandres  ;  messire 
Pierre  de  le  Delft  ;  messire  Olivier  de  Haluwin  ;  messire  Louis  de 
Zweveg^m  ;  messire  Philippe  de  Lannoit  ;  messira  Roland  Hauwel  ; 


Digitized  by 


Google 


S98  Nons. 

messire  Loys  le  Mmriml  ;  meMire  GiUe  4b  Zwsesbergfa»  ;  ttenire 
Rogier  de  Campigfaem  ;  meeeire  Jean  dis  Lesibèqae  ;  messire  Rolftad 
le  Bruwere  ;  mesBire  Loys  d*Eyne  ;  mesmre  Jehan  de  ^eingaerdB» 
▼liete  ;  mestire  Jehan  Metten-Eje  ;  measire  Hugfae  le  Proeat  ;  mowira 
Trîstran  de  Messem  ;  meseire  Jehan  Utenhove  ;  mewrire  Galoia  <UtoB- 
zwane,  bastard. 

ce  Fêoners  Gitans  ou  ddivoyage,  dufays  de  Fimdim  : 

«  Jehan  de  Halawin  ,  fils  mesaire  Jaqvea  ;  Jehan  4s  le  Orothnae  ; 
Jehan,  le  Courtroisin  ;  Jehan  de  Caedaand  ;  Jean  da  V^nmam  ;  Jorge 
de  le  Douve  ;  Le  leu  de  le  Hamme  ;*Beptran  le  Brnwere  ;  Jehan  de 
Bochont  ;  Ony  Bloume  ;  Wantier  le  Bnsere  ;  Alavd  de  Bnwsrfhond  ; 
Jehan  de  Temseke  et  Loys  Metten-Eye  ,  bourgeois  de  firu^es  ;  Jean 
du  Mes,  de  la  chasiellenie  de  Lille.  »  {Archicet  générales  d%  fWf&mm)* 

Tailles  levées  par  le  due  de  Bowrgogne  (pp.  225»  226).  '--  La  Flan- 
dre donna  65,000  noUee,  le  dnch4  de  Boui^gogna  dO.OOOiirauMM. 

Projet  d'expédition  en  Frise  (pp.  ft2ô-229).  —Ici  eacove'novaavoiia 
à  faire  remarquer  combien  ProiasarC  est  «xactement  informa  de  tout 
ce  qui  se  rapporte  à  Aubért  de  Bavière  et  au  comte  dXVttreivaat. 

Jean  de  Nevers  en  Autriche  (pp.  239*^1).  —  Le  coBAa4a  Kawans 
partit  le  6  Août  1396  de  Paris.  Il  arriva  le  18  à  Dijon.  La  90  il  aon- 
tinua  son  voyage. 

Le  comte  de  Nevers  fit  publier  dans  aon  arm^  rordosnance  ani- 
vante  : 

«  Gentil  homme  fEÙsant  rumeur  pert<elieval  -et  hamoia. 

a  Varlet  qui  fiert  du  coutel ,  pert  le  point  ;  et  8*il  robe  ,  il  part 
«  Toreille.  » 

Ambassade  anglaise  à  Paris  (pp.  &ai-(^).  —  Cette  «mbaaaada  «mit 
pour  chefs  le  comte  de  Rutland,  le  comte  Maréchal ,  rarehevèqae  de 
Dublin  et  Inique  de  Saint^avîd.  Ils  avaieat  avec  aux  sme  anita  de 
six  cents  chevaux. 

Les  pouvoirs  donnés  aux  ambasaadeara  anglais  portant  kr  data  do 
8  juillet  1395. 

Le  Religieux  de  Saint-Denis  reproduit  laa  ponvoira  dcnnda  le 
30  décembre  1395  par  Richard  U  aux  oomtea  de  Rntland  at  da  Mot- 
tingham  et  à  Guillaume  Scrop  pour  fiancer  Isabelle  de  Franoe  per 
verha  defutnro. 

Procès  de  la  reine  de  Naplesetdmtireék  Craon  (pp.  ^233-237).  — 
Le  26  janvier  1395  (v. a.),  dealettraa  de  aamregarëeiuraBt  aooordéea 


Digitized  by 


Google 


NOTES.  399 

ppor  «ix  mois  à  Pierre  d^  Graon  et  à  vingt  hommes  de  sa  suite.  D*aa« 
très  lettres  semblables  lui  avaient  été  données  précédemment  pour 
un  terme  de  quatre  mois. 

Fùm^ilkf;  de  Richard  II  $t  d'Isabelle  de  France  (pp.  237,  238). 
—  Dans  les  premiers  jours  de  février  1395  (v.  s.)  les  comtes  de  Rut- 
land  et  de  Nottingham  revinrent  à  Paris,  et  le  patriarche  d'AIeiandrie 
célébra  la  mariage  dans  la  Sainte  Chapelle  le  dimanche  de  Lœtare. 
La  jeune  reine  n'avait  pas  encore  atteint  sa  septième  année  ;  on  espé- 
rait qu*elle  fermerait  Tablme  des  guerres  ouvert  par  une  autre  Isa- 
belle do  France  également  reinç  d'Angleterre.  (Religieux  de  Saint- 
Denis.) 

Le  contrat  de  mariage  porte  la  date  du  9  mars  1395  (v.  s.). 

Une  trêve  de  vingt-cinq  ans  entre  la  France  et  l'Angleterre  fut 
signée  à  Londres  le  30  décembre  1395  et  à  Paris  le  3  mars  suivant. 

Dans  mie  charte  du  1^  janvier  1395  (v.  st.),  Richard  II  déclare  con- 
sentir, sans  aucune  diminution  de  ses  propres  droits  à  la  couronne  de 
PraQLce,  à  oe  qu'Isabelle  ne  puisse  en  transmettre  de  nouveaux  de  la 
même  n%ture  &  sa  postérité.  Les  Français,  en  réclamant  cet  engage- 
ment y  se  souvenaient  des  malheurs  qui  étaient  résultés  de  Tunion 
d'Edouard  II  et  d'une  fille  de  Philippe  le  BeL 

Mmofe  ^  duc  de  Lancastre  (pp.  238-240).  —  La  duchesse  de 
Lancastre  étajit  morte  vers  le  mois  de  mai  1394  au  moment  où  le  duc 
de  Lancaatre  ae  trouvait  en  Fram»  pour  traiter  d'une  trêve  avec 
Charles  VI. 

Le  duc  de  Lancastre  avait  été  assez  mal  reçu  à  Langlej  où  le  roi 
Richard  célébra  les  fâtes  de  Noôl,  en  1396.  Il  se  rendit  de  là  à  Lincoln 
où  habitait  Catherine  de  Swynford  et  l'épousa  :  cunctU  admirantibus 
Jacfi  «M;r(^/tii»  quiafartuna  talie/œmifue  tanta  suhlimitatis  heroi 
ninimrcamg^hat. 

Le  9  février  1396  (v.  st.),  Richard  II  accorda  des  lettres  de  légiti- 
mation &  Jean  chevalier,  Henri  clerc,  Thomas  damoiseau  et  Jeanne 
d/9  Beaiifort  dfunoiselle,  tous  enfâns  «  de  nostre  oncle  le  duc  de  Lan- 
«  castre.  » 

Après  les  fâtes  ^de  Noél  1397,  un  parlement  i*éuni  à  Londres  con^ 
firma  ces  lettre^.  Beaufort  de  Lancastre  fut  créé  comte  de  Somerset. 

Paon  de  Ruet  était  peut-être  fils  de  Jean  de  Ruet  qui  avait  lui-même 
pour  p^re  Huon  de  Rnet.  Jean  de  Ruet  mourut  en  1305.  Paon  de  Ruet 
vivait  en  1351  :  «  A  monseigneur  Paon  de  Ruet  pour  offrandes  pour 


Digitized  by 


Google 


400  K0TB8. 

«  monseigneur  le  dack  Willaume  ,  le  duck  Aubiert  et  le  daek  Otton 
Cl  quant  il  alèrent  en  pellerinaige  à  Saint-Draon  à  Seboarch.  » 
(Comptes  de  la  ree.  gé%.  de  Eaina%t,  1351^ 

le  sire  de  Craon  prisonnier  au  Louvre  (pp.  240  ,241).  —  Npiu 
▼errons,  lors  de  Tentrevue  des  deux  rois  prés  d*Ardret,  Richard  If 
intercéder  de  noaveaa  en  faveur  de  Pien*e  de  Craon  « 

Les  Croisés  n'apprennent  rien  des  projets  de  Bajatet  (pp.  242-244).— 
Le  comte  de  Nevers  passe  le  Danube  (pp.  244,  245). —Siège  de  Cornette 
(pp.  246.  2i7).'-Sieffe  de  Brehappe  {pp.  247-249).— Lorsque  les  croi- 
sa traversèrent  le  Danube,  on  comptait  dans  leurs  rangs  cent  mille 
chevaux.  On  attaqua  d*abord  une  forteresse  nommée  Bandin  (Widin?) 
qui  fut  livrée  par  un  seigneur  du  pays,  chrétien  grec.  Ce  fut  là  que  le 
comte  de  Nevers  et  le  comte  de  la  Marche  furent  armés  .chevaliers. 

L*année  chrétienne  traversa  les  Portes  de  Fer.  Elle  occupa  Widin 
sans  résistance.  Orsovra  se  défendit  pendant  cinq  jours.  Raoo 
(Rachovra  ?)  fut  prise  d*assaut,  et  la  garnison  fut  passée  au  fil  deVépée. 

Félix  Petancius,  dans  son  traité  de  itineribus  aggrediendi  Tureos , 
indique  la  route  que  suivirent  les  croisés,  et  dont  voici  d'après  lui  les 
principales  stations  :  Sibinium ,  Bresovia ,  Tragoniscus  (metropolis 
Valachorum),  Bidinum,  Nicopolis. 

Néanmoins  Petancius  place,  et  sans  apparence  de  raison,  le  théâtre 
de  la  bataille  prés  d'une  autre  ville  de  Nicopolis  «  ubi  campus  est 
«  VarnsB.  »  Là,  dit-il,  périt,  en  1444,  Ladislas,  roi  de  Hongrie,  dans  on 
combat  contre  le^  Turcs. 

Froissart  est  le  seul  historien  qui  parle  de  la  rivière  de  Mette  ,  de  la 
ville  de  (^omette,  du  château  de  Brehappe.  Je  ne  pnis  déterminer  A 
quoi  se  rapportent  ces  indications  géographiques^ 

Après  la  prise  de  Baudin,  les  croisés  assiégèrent  la  ville  de  Raoo 
R  achowa?).   Il  j  eut  un  combat  très-vif  où  se  signala  Bouciqnaut,  et. 
les  Sarasins,  malgré  tons  leurs  efibrts,  se  virent  réduits  &  capituler. 
(Chronique  de  Boudquaut.) 

Le  Religieux  de  Saint-Denis  rapporte  que  les  croisés  s'emparèrent 
d'abord  de  Racho  (Rachovra  ?)  où  tout  fut  mis  À  feu  et  A  sang. 

D'après  rhîstorien  hongrois  Jean  de  Thwrocz,  les  croisés  dévastèrent 
la  Rascie  et  s'emparèrent  de  deux  villes  qu'il  nomme  Oriszo  et  Bidin. 

D'après  la  chronique  de  Berne,  ce  fut  le  23  juin  1396  que  les 
croisés  quittèrent  une  ville  de  Hongrie,  qu'il  appelle  eivitas  ViduaMen- 
sis,  pour  entrer  en  Bosnie . 


Digitized  by 


Google 


MOTBft.  401 

Les  ehevalien  croises,  en  souveiiir  de  leur  passage  &  Bnde»  laissè- 
rent leors  insignes  dans  le  cloître  de  Saint-Nicolas. 

Siège  de  NieopoK  (pp.  249-251).  —  Le  nom  de  Nieopoli  (ville  de 
la» Victoire)  semblait  d'an  hearenx  aagare  anx  croisés.  Il  en  était 
beaoeoiip  parmi  enx ,  à  ce  qne  nous  apprend  la  chronique  de  Berne, 
qui  croyaient  être  anÎTés  dans  le  pays  où  était  né  Alexandre  le  Grand. 

B^azet  apprend  la  marehe  des  Croieis  {pp.  251-253). -^  D'Apre 
les  historiens  turcs,  fiajazet  assiégeait  Constantinople  lorsqu*il  apprit 
que  les  croisés  avaient  passé  le  Danube. 

Tfrmmê  des  seigneurs  de  Miian  (pp.  253-262).  —  On  reprochait 
aux  seigneurs  de  Milan  leurs  crimes  et  leurs  relations  avec  les  infi- 
dèles :  rhistoire  n*allégne«  pour  excuser  leurs  richesses,  que  la  protec- 
tion qu*ils  accordèrent  aux  lettres  et  aux  arts. 

Armements  de  BaioMet  (pp.  262-264).  —  D*api*ès  Michel  Ducas, 
Bajazet  ayant  réuni  à  son  ai*mée  les  troupes  qui  assiégeaient  Gonstan- 
tittople,  traversa  Fhilippopolis  et  se  dirigea  vers  les  hautes  montagnes 
qui  dominent  les  marais  près  de  Sophia.  Non  loin  de  là  s^engagea  la 
bataille. 

Ckevauekée  dm  sire  de  Caney  (pp.  264-269).  —  La  Ckroniqnede 
Boneiqnant  ne  parle  point  de  cette  chevauchée.  Froissart  au  contraire 
ne  néglige  aucune  occasion  de  mettre  en  relief  les  exploits  du  sire  de 
Com^'. 

SênH/mênts  heUiqneua  du  due  de  Olocester  (p.  269).  —  Sur  Toppo- 
sition  du  due  de  Olocester  &  toute  réconciliation  entre  la  France 
et  TAngleterre,  voyez  ci-dessus  p.  376. 

la  bâtard  de  Vertaing  en  Angleterre  (p.  269-272).  —  Fier-&-bras 
de  Vertaing  passait  pour  un  chevalier  fort  intrépide ,  mais  aussi  fort 
redoutable  dans  ses  colères. 

On  racontait  que  Fier-èrbras  de  Vertaing  avait  mis  la  main  A  Fèpée 
pour  tirer  vengeance  des  habitants  de  Houdeng  qui  l'avaient  ofiensé  J 
mais  Notre-Dame  lui  apparut  et  apaisa  sa  colère.  Un  ancien  monu- 
ment dans  réglise  de  Famillenreux  rappelle  cette  légende. 

Le  l*'  août  1383,  Fier-A-bras  bâtard  de  Vertaing*  reconnaît  avoir 
reçu  du  duc  Wenceslas  de  Brabant  le  prix  d*un  cheval  perdu  devant 
Lonvaia. 

Le eonU de Saint'Pol  traite  delà  paix  (pp.  272,273).  —  Le 
sauf-conduit  donné  par  Richard  II  au  comte  de  Saint-Pol  porte  la  date 
du  12  Juillet  1396. 


Digitized  by 


Google 


40t 

U  conle  <fe  Saiftt-Pol  voyagaait  avee  i)unatti*d6^Mii«.viagis 
chevanx. 

ii«0A«rif  //â  Calmé  (pp.  273-276).  —  Le  ^  a^iambre  1396 , 
Richard  II,  prdt  à  s^embaripiar  &  OouTrea  ,  créa  la  duo  dToak  MM|of 
AnfUm. 

Expédition  de  Frite  (pp.  276  287).  ^  ilnaMMiite  iIm  iVàMa 
(pp.  287-290).  ~  2>^(uM  (2m  Frù&nt  (pp.  280-295).  -^léd^e  À^b$H 
ptitte  h  Frise  (pp.  295-297).  —  Lea  Hainajara  abordèrent  à  Aaatorxaa 
prôa  de  Caynder. 

lyea  Jnvinga ,  olderman  de  Bokarert,  avait  eogagé  laa  Fnaaaa  à  aa 
retirer  dana  lenra  retranchenieiita  et  à  ne  paa  chercher  le  eoabat.  Ott 
ne  rëeonta  point.  La  bataUle  eut  lien  le  22  août  1396  à  SehotenjL 
Lea  Friaona  j  perdirent  cinq  centa  hommea  d*aprèa  leum  hîatorîana. 

n  exiate  dana  la  Bibliothèque  de  Vienne  et  daqa  qnalqaea  aaiApaa  aol- 
lectiona  an  armoriai  manuaerit  donnant  lea  noma  etka  éooa  daa  d&a- 
yaliera  qni  prirent  part  à  cette  expédition  et  abordârent  an  «  Knynra.  » 
J*j  rencontre  notamment  :  le  landgrave  de  Lotenberg,  le  aira  d'An- 
toing,  le  vicomte  de  Leyde,  le  aénéchal  de  Hainaut,  lea  airea  de  Bra* 
derode,  de  Ligne,  d^Egmond,  d'Havre ,  de  la  Hamafde ,  da  Perwez, 
de  LcDa ,  de  Trazegniee,  de  Montigny,  de  Berlaiment,  de  Maneada, 
de  Zevenberghe,  de  Vertaing,  dUematedef  de  Reneaaa.  de  WaaacHber, 
de  Berghea,  de  Boraele,  d'Incby,  de  Bonlers,  de  Naeltwjck,  da 
Calonne,  de  Landaa,  d*Alkmade,  de  Romerawaeie ,  dliniataBi,  d*Aa- 
aendelft,  de  Hennin,  de  Mailly,  de  Vendegiea  ,  de  Oeldarp ,  6hdi-< 
lanme  de  Donstienne,  lea  airea  de  Hoocourt,  de  Zayleo,  de  ddatallea, 
de  Zaeten,  de  Cmningen,  de  Maldeghem,  de  Poelgeest»  da  Pék,  de 
Maelatede,  de  Potellee,  de  Roaimboa,  de  Briman,  d'HéiÛBèa ,  da 
Lannoy,  de  Gommegnies,  de  LalaiDg,  de  Cani^,  de  Brog^^^un^ 
d*Aaxy,  de  Sainte-Aldegonde ,  Jean  de  Floyon,  Ostelet  d'ËcanBainea, 
Frossart  de  Steenborcfa,  Jean  Holland,  Jean  de  RoberaaTi,  Roland  da 
la  Hovarderie,  Mansart  d*Eyne.  Jean  de  Moreuil,  Jean  de  Dieat,  Jean 
bAtard  de  Bloia,  Robert  de  QliHnea,  etc. 

Jean  de  Gronbarch  portait  :  d'aznr  an  chef  d'or  aa  franc  canton  de 
Hainaat;J6an  Coniualge,  l'un  des  capitaineaan^aia  dent  parWProift- 
aart  :  d'argent  au  lion  de  gueules  à  la  bordure  de  sable  chargea  da 
douze  besanta  d'argent. 

On  trouve  diverses  mentions  de  paiementa  ftdta  apréa  rexpédMiac 
de  Frise  en  1396  &Jean  de  Namur ,  aeigneur  de  Winandata,  at  * 
Senri  d'Antoing. 


Digitized  by 


Google 


KOTES. 


m 


Je  reproduirai  le  récit  de  la  chronique  de  Berne  : 

«  Anno  eeqtienti,  BCîlicetmiUesimo  cec°  nonagedmo  sexto,  dnx  Alber- 
tus  in Bavaria,  cornes  Hanonise,  Hollandi»,  Zellandfse,  etc.,  enmmagno 
ezercitn  in  qao  erant  XX*  milia  Holandistarum  et  mille  sexcenti  tam 
milites  qnam  scotiferi ,  tam  de  Hannonia  quam  de  aliîs  terris  sois, 
abiit  in  Frisiam  ad  eam  expugnandam  et  sibi  yestigia  snomm  prasde- 
cessomm  insequendo  sabjngandam.  Erant  etiam  com  eo  Karolns  de 
Arbreto  consobrinus  regiFrancorum  Karolo,  Walrandos  cornes  Sancti- 
PaalietvicecomeeMeldensis  loco  comitis  Blesensis  conaobrini  ejos- 
demdadsAlberti,  unacamGaillermo  comité  Oatrevantî  dicti  Alberti 
dnds  primogenito.  Hii  intrantes  mare  appliouerant  ad  qoemdam 
locam  nomine  Cubraes  distantem  tribus  leucia  ab  abbatia  de  Stabula 
ubi  erant  circiter  VII*^'*  milia  Tiri  Frisones  qui  eos  expectabant  ad 
praeliandum.  Deinde  inito  bello  vîcti  faerunt  Frisones  et  ex  eis  occîm 
sunt  quasi  tria  millia.  Ibi  enim  melius  se  habuerunt  Gallici  et  Hanno- 
nienses.  Quo  facto  dux  Albertus  fedt  se  coronarî  in  regem  Frisi»  in 
sno  tentorio.  Postes  vero  contracta  ibi  mora  non  multoram  dierum 
expectando  concordiam  habuere  cum  Frisonibus  mediante  episcopo  Tra- 
jectensi  qui  colloquebatur  cum  Fiisonibufi  iUios  patri»  suis  parochia- 
nÎB.  Dnx  cum  suis  Holandistis  seu  Holandistibus  insperate  recessit, 
unde  oomes  de  Ostrevanto  filius  eju8  cum  suis  Hanoniensibus  et  6al- 
licis  qui  cumeo  erant^  irati  euntvalde  quîasic  eos  opportebat  recedere. 
Postea  vero  bina  vice  cornes  de  Ostrevanto  primogenitus  prsememorati 
duds  Alber(î  cum  exercitn  rediit  in  Frisiam,  sed  nichil  ibidem  fecit 
nisi  vastare  prsedictam  de  Stabula  abbatiam  et  patrlam  circnmstantem.  » 

Voici  la  version  de  Brandon  : 

«  Eodemtempore,  menée  julio,  Albertus,  dux  et  cornes  Haynoniae  et 
Hollandiae,  Willelmus  quoque  filius  ejus  ,  comes  de  Oostervant ,  col- 
lecte exercitu  ,  contra  Frisones  proficiscuntur  ut  Fresiam  eibi  subju- 
garent ,  fueruntque  cum  eis  dominus  de  Bar ,  juvenis  comes  Sancti* 
Pauli  et  multi  ex  Francia  nobiles  ,  sed  et  ex  Anglia  multi ,  quorum 
capitaneus  extitit  Gcrnuaelge,  ex  Alemannia  quoque  qnamplures ,  qui 
confiictum  habuerunt  cum  Frisonibus  et  eos  in  fugam  verterunt  ;  sed, 
dum  patriam  cum  tam  nobili  exercitio  bene  subj usassent,  orta  discor» 
dia  inter  patrem  et  filium,  absque  ulteriori  progressu,  nichil  amplius 
facientes,  reversi  sunt,  totusque  exercitus  separatus  ad  propria  dilap- 
sus  est. 

«  Eodem  mnno,  poat  festum  Omnium  Sanctorum,  spectacula  et  insig* 


Digitized  by 


Google 


404  NOTBS. 

nia  militiae  apad  Montem  HaynonisB  ostensa  tant ,  abi  seneBcaUna 
Haynonias,  dominua  qaoqae  de  Ligne  et  dominas  Miohael  de  Ligna  et 
Robertns  Roue  contra  Cornnaelge  ,  Thommelin  et  alios  Anglicos  , 
primo  acntis  lançais,  deinde  gladiis,  post  hsac  aecaribns,  et  postremo 
dagghis  sive  cultris  sese  exercentes,  ipsi  Franei  emerit»  landis  emi- 
caerunt.  » 

En  1397^  le  comte  d'Ostrevant  retourna  en  Frise,  s^empara  de  Sta- 
Teren  et  recouvra  le  corps  du  comte  Guillaume  de  Hainant  qui  fat 
rapporté  en  Hollande  et  de  là  mi  Hainaut.  En  1399,  les  Hollandais 
et  les  Zélandais  obtinrent  d^antres  succès  sar  les  Frisons  (Ckrtm.  de 
Oilles  le  Bel).  Cf.  le  r4cit  de  la  chronique  de  Berne. 

Isabelle  de  France  est  remise  à  Richard  II  (pp.  297-306).  —  Le 
24  octobre  1396,  Richard  II,  alors  à  Calais,  jura  de  respecter  la  sus- 
pension d*ho8tilités  pendant  Tentrevue  qu*il  allait  avoir  avec  le  roi  de 
France.  Le  même  serment  fut  prêté  par  les  ducs  de  Lancastre  et  de 
Olocester,  les  comtes  de  Rutland  ,  d'Huntingdon  et  de  Nottingham. 
L'ordre  de  la  cérémonie  fut  en  même  temps  réglé.  Quatre  cents  gentils- 
hommes ,  dans  Tun  et  l'autre  parti,  devaient  conserver  leurs  épées  : 
tons  les  valets  devaient  être  sans  armes.  (Bibl.  nat.  de  Paris,  nus. 
Brienne,  tome  XXXIV.) 

D'après  Tordonnance  du  29  juillet  1396  «  sur  le  ûût  de  Talée  de  la 
«  rojne  d'Angleterre  »  on  donna  pour  les  frais  de  ce  vojage  et  de  ces 
fêtes  dix  mille  francs  au  duc  de  Berry  et  au  duc  de  Bourgogne,  hait 
mille  francs  à  la  duchesse  de  Bourgogne,  mille  francs  À  la  dame  des 
Préaux  qui  devait  accompagner  la  Jeune  reine,  mille  francs  à  la  dame 
de  Coursy  et  à  sa  fille.  Il  avait  été  résolu  que  le  duc  de  Berry,  le  duc  et 
la  duchesse  de  Bourgogne  conduiraient  Isabelle  de  France  à  Calais. 
Avec  le  doc  de  Bourgogne  se  trouvaient  le  sire  d'Harcourt,  le  sire 
d'Albret,  le  vicomte  de  Melnn  et  d'autres  chevaliers  (Pièces  relaUoes 
au  règne  de  Charles  VI  publiées  par  M.  Donët  d'Arcq.) 

L'entrevue  des  deux  rois  eut  lieu  entre  Ai^dres  et  Guines. 

Richard  II  portait  sur  la  tête  un  chaperon  orné  de  pierres  précieuses, 
que  Charles  VI  lui  avait  donné,  et  sur  la  poitrine  un  cerf  (la  devise  de 
Charles  VI).  Ses  serviteurs  étaient  revêtus  d'un  livi-ée  à  la  bande  blan- 
che ;  c'était  encore  celle  d'Anne  de  Bohême. 

Charles  VI  portait  une  robe  de  velours  rouge  avec  une  bande  engre- 
lée  de  blanc  et  de  noir.  Il  avait  anssi  l'image  d'un  cerf  sar  la  j^itrine. 

Charles  VI,  en  remettant  sa  fille  à    Richard  II ,   prononça  ces 


Digitized  by 


Google 


NOTES.  40S 

jMuroles  :  «  Mon  cher  fils,  je  Toas  remets  ce  que  j*ai  de  pliu  cher  ao 
«  monde,  après  le  dauphin  notre  âls  et  la  reine  notre  épouse.  » 

Le  duc  de  Bourgogne  donna  à  cette  occasion  à  Richard  II  un  llTre 
couTert  de  perles  avec  une  image  de  saint  George. 

Sur  l'entrevue  des  deux  rois  et  la  remise  d^Isabelle  à  Richard  II,  il 
fitut  consulter  le  Rehgieux  de  Saint-Denis  qui  donne  A  ce  sujet  des 
détails  étendus. 

L'entrevue  eut  lieu  le  vendredi  27  octobre  1396,  et  il  y  eut  un  conseil 
secret  dont  le  Religieux  de  Saint-Denis  ne  put  connaître  Fobjet.  Le 
lendemain  les  deux  rois  se  revirent  et  multiplièrent  les  protestations 
d*amitié.  Les  assistants  remarquèrent,  comme  un  signe  de  mauvais 
angure,  qu*an  mâme  moment  le  ciel  se  couvrit  de  nuages  et  qu*un 
orage  d*une  violence  extrême  renversa  la  plupart  des  tentes  dans  les 
deux  camps. 

Jean  de  Wavrin  rappoi*te  que  dans  Tentretien  secret  qui  eut  lieu 
entre  les  deux  rois,  Richard  II  promit  à  Charles  YI  de  restituer  pour 
une  somme  d'argent  Brest  au  duc  de  Bretagne  et  Cherbourg  au  roi 
de  Navarre. 

L*ordre  de  remettre  la  ville  de  Brest  porte  la  date  du  28  mars  1396 
(v.  st.)  ;  il  fut  exécuté  le  12  juin. 

Quant  &  la  viUe  de  Cherbourg  ,  Richard  II  avait,  dès  le  27  octobi^e 
1393,  chargé  ses  commissaires  d*en  ouvrir  les  portes  an  fondé  de  pou- 
voirs du  roi  de  Navarre. 

Quand  Isabelle  eut  été  remise  à  Richard  II,  celui-ci  pria  Charles  VI 
de  pardonner  à  Pien-e  de  Craon,  et  ce  fut  à  l'occasion  de  la  grâce  dont 
il  avait  été  Tobjet  après  avoir  couru  tant  de  périls,  que  le  sire  de 
Craon  fit  ériger  près  du  gibet  de  Paris  une  croix  de  pierre  avec  ses 
armes.  Il  avait  obtenu  que  désormais  les  condamnés  pussent  se  con- 
fesser avant  de  subir  le  dernier  supplice,  et  dans  ce  but  il  fit  une  gêné* 
reuse  donation  aux  cordeliers. 

Biéhard  II  épouse  Isabelle  de  France  (pp.  306,  307).  —  D'après 
le  Religieux  de  Saint-Denis  le  mariage  fut  célébré  le  4  novembre  avec 
une  grande  pompe.  La  cérémonie  eut  lieu  dans  Féglise  de  Saint-Nicolas. 

Le  4  novembre,  aussitôt  après  la  célébration  du  mariage,  un  écuyer 
attaché  au  duc  de  Bourgogne,  nommé  Raoul  d'Auqueton ville,  paya  au 
roi  d'Angleterre  la  dot  convenue  de  trois  cent  mille  francs.  Il  avait 
été  aussi  chargé  de  lui  remettre  Tanneau  de  mariage. 

Raoul  d'Auquetonville  devint  général  des  finances  en  1397.  En  1401 


Digitized  by 


Google 


m  Nom. 

il  voulait  (C6  qui  était  contraire  aux  oaagee)  acheter  aae  charge  de 
trésorier  qui  lui  fut  donnée  en  1403.  En  1407  il  fut  le  chef  dea  meur- 
triers ohoiais  pai*  Jean  eana  Peur  pour  frapper  le  duc  d^Orléana,  et 
l'eçttt  peu  après  cinq  cents  francs  d*or  a  pour  les  agréables  services 
a  par  luy  rendus.  » 

Raoul  d*Auquetonville  appartenait  A  une  famille  normande  ot  la 
violence  était  de  tradition.  En  1371,  Guillaume  d^Auquetonville  obtint 
remise  de  la  peine  qu'il  avait  encourue  pour  des  coups  qnll  avait 
donnés.  En   1385,  Odard  d*Auqueton ville,  moins  heureux,  fut  pendu. 

Par  une  déclaration  du  mois  de  mai  1396,  le  duc  de  Lancastre  pro- 
sût  que  si  Richard  II  mourait  sans  enfants,  Isabelle  pourrait  libre- 
ment retoomer  en  France. 

Parmi  ceux  qui  accompagnèrent  Isabelle  de  France  en  Angleterre 
se  trouvait  Pierre  Salmon,  dont  les  mémoires  forment  Tun  des  pam- 
phlets les  plus  bicarrés  de  ce  temps. 

DHirérind  de  Charïsi  VI  et  du  due  deMiUu  (pp.  307,  308).  - 
Charles  YI  reprochait  surtout  au  duc  de  Milan  d'avoir  cherché  à 
entraver  par  ses  menées  Is  soumission  des  Génois  à  la  France  (Rali- 
gienx  de  Saint-Denis). 

On  voit  par  les  documents  anglais  du  mois  de  janvier  1306  (vjit.)qu0 
Riahavd  avait  an  effet  promia  i^  Charles  YI  de  Taider  dans  sa  guerre 
contre  le  doo  de  Milan. 

Le  29  septembre  139Ô,  une  alliance  dirigée  contre  le  duc  de  Milaa 
Ait  coadue  entre  Charles  YI  et  la  république  de  Florence.  Pen  après» 
(le  25  aeftobre) ,  la  ville  de  Qénes  se  soumit  à  rauterité  du  roi  de 
France. 

PfQJeU  de$  eroieée  (pp.  309, 310).  -*-  M<^k0  da  Tmns  (pp.  310- 
313) —  Së^  eetmiU  du  fi  de  Heugrie  (pp.  313, 314).  —  Le  ReU- 
gieux  de  8alnt-Deais  trace  un  triste  taUean  des  festins  eé  des  plaisîn 
des  chevaliers  chrétiens.  Bajazet  s'était  éerié,  ^  apprenant  oea  désor- 
dMa  :  «  Dieu  dans  sa  colère  prépare  lentement  sa  vengeance  ;  mais, 
«  plus  elle  est  tardive,  plus  elle  est  tevriUe.  » 

D*iq»rès  le  Religieux  de  Saint-Denis,  ce  fut  le  dimanche  24  aeptem- 
bfe  139(i  que  les  croisés  apprirent  rapproche  dea  Turcs.  Le  lendemain, 
avant  le  lever  du  soleil,  le  roi  de  Hongrie  se  rendit  seol  dans  le  camp 
français  oà  ses  conseils  furent  repousses. 

BetailU  de  NicepoU  (pp.  315-321).  --  \icMre  de  Beiaseê  (pp.  321- 
329).  —  La  bataille  de  NIcopoU  fiit  livrée  le  lundi  85  ai^tembre  1396, 


Digitized  by 


Google 


MonSi  401 

jMr  de  M  fètd  «U  saint  Finûin.  Les  croîtés  mwîdgoaiQiit  Ni^poli  dapuis 
qoiiiM  joQM  lonqoa  le  oottte  de  Nerera  appirit  Tapproeka  daa  Sarrarina. 
Il  aa  lavftanaaîlât  de  tabla  et  rangea  aaa  honunaa  d*annea  an  bon  ardna. 
Lea  âlamai&apaatéeéapar  lea  pieux  aigus  qu'ila  plaataient  4a?aBt  eniL, 
Isngnwif  aar  les  eroîsés  ane  grêle  de  flèches  ;  ila  étaiflot  plaa  de  traia 
contre  mi*  NéaniBoitts  les  croises  reponssèrettt  un  inatwrt  laa  aaaaftl* 
lants.  La  plaine  ae  coaTrit  des  cadayrea  amimoeléa  daa  Turcs  )  râ^ 
miUa  d'eiitjna  eux  avaient  péri  quand  la  faree  du  nombre  remporta 
{Ckmtnipn  de  Bomeiqtmut). 

Le  RaligÎMB  de  Saint-Denis  reproche  au  comte  de  Nerera  aa  pnsii- 
lanimité  ;  il  se  jeta  à  terre  devant  Isa  vainqueurs,  les  auppliant  d'dpar- 
gner  sa  vie ,  et,  à  aon  exemple  ,  d*aatres  ^retiens  ae  rAûgaiàreiit 
comme  de  vila  esclaves  à  une  honteuse  aervitade. 

Aux  beiMÀes  du  Danube  se  trouvaient  quelques  BAviras  vteîtieM 
sons  les  ordrea  de  ThoBuui  Mocenigo.  Us  reoueillirBnt  le  ro  de  Has- 
grîe  et  d*a«trea  fiigitilB. 

D^i^Déa  le  rétH  de  Pievo  IfinerbetU  (Rar.  ital.  script,  t.  II  p.  3M) 
Isa  Turca  eomptnent  deux  cent  mille  ehevaiax^  et  lea  ehvtôens  seule- 
ment ireaÉfr*eiBq  aûlle. 

L'anasée  des  ereisés  était  divisée  en  cinq  aorps.  Ls  preaner  était 
eompeaé  d'hommes  4  pied  ,  le  second  de  Français,  le  troisième  d*Al- 
lemaada  et  d'AnglsiB  (un  fila  du  duc  deLancastre  se  tfouvait  à  la  tôto 
de  mille  dievanx),  le  quatrième  de  Hongrois,  le  cânqulime  de  Valaqnaa. 
Ceux-ci  prirent  ,1a  fidie  ;  les  Hongrois,  ébraidés  par  leur  exemple, 
battireat  an  retoaite.  Soixante  mille  Turoa  périrent,  et  aeulemant  dix 
mille  ehrétiena.  De  dix  mille  priaonniers,  trente  à  peine  furent  épairgnéa* 
Le  toi  de  Hongrie  se  jeta  dans  une  barque  sur  laquelle  il  descendit 
le  Danube  Josqu'AU  point  où  il  rencontra  la  flotte  vénitienne. 

La  chronique  de  Berne  renferme  un  récit  de  la  malhaai^ausa  expé« 
ditiott  des  croisée,  qui  parait  avoir  été  écrit  anaaltôt  après  : 

«  Si  de  eoMn  hnjaamodi  infixtunio  aeireaiagîs  a  ksigo  et  diffuse  alh- 
quid  qoÎB  aflbctst,  iioeoBtur  qood  mense  junii  ultimo  lapao,  in  ngiUa 
Nativitatfs  Jéhannia  Baptist»  beaU,  Chrmtiam  «npnadi^ti  oxienint  de 
éiv&tate  B&daaneaai  in  Hungaria  et  intraveruai  jne^^wn  Bosseoenae.  5t 
eiroa  finem  ejusdem  aunsis  rex  BessenenaU  veult  ad  r«vem  Hungartii 
et  oelepoB  primates  chriakianorum  ,  ac  «ia  sponte  reg»um  ei  finoM  aua 
trwMit,  quaaiqaam  jaramento  aatrictua  arat  BsMac^  enmqne  ah  eis* 
dem  éomlais  bevlgniter  reaiparetar^  yanaruAt  pari  modo  Qaiat»,  qui 


Digitized  by 


Google 


408  MOTBS. 

etiam  ut  alii  in  prompta  reoepti  saiàt  Notandom  quod  daplex  ««t 
Gaktia,  major  scilicet  et  minor  :  primB  est  in  Bithinift  ultra  bradiiam 
Sancti-Qeorgii  tita  ;  ista  minor  est  citra,  scilioet  in  Missia  in  qnadam 
parte  Missi»,  et  hseo  qaidem  Missia  in  Minoris  Asiss  confinio  oonatitata 
est.  Gajas  Galat»  Grssci  snnt  ut  alii  de  majore  Oalatliia,  qnibos  bca* 
tus  Paulus  apostolos  legitur  scripsisse,  a  quibus  postmodam  exierant. 
Deinde  transeuntes  Danubinm  abierunt  ia  Bulgariam  ante  regiam 
civitatem  Bndinensem,  totius  imperii  Bulgari»  principalem.  Ad  quam 
aggrediendam  cum  prœmemorati  cum  aciebus  ordinatis  prompti 
essent,  rex  Hnngari»  propria  manu  fecit  milites  novos  comités  Ni  ver- 
nensem  et  Marcbiœ  tantum.  Tune  etiam  faoti  sunt  alii  milites  qoam- 
plurimi  ab  aliis  principibus.  Pocro  imperator  BulgarisB  cemens 
patriam  suam  desolatam,  una  cum  bnrgensibus  su»  prefat»  civitatis, 
yenit  obviam  régi  Hungari»  ,  ac  eidem  claves  ejusdem  su»  civitatis, 
patriam  suam  et  arma  sua  reddidit,  quamvis  et  ipse  subjectus  esset 
Baisaco.  Receptus  est  autem  cum  tota  patria  sua  ad  fidem  cbrîstia» 
nam  ,  erantque  Bulgari  ab  olim  Constantinopolitano  patriarchatui 
subjecti.  Tune  spatio  trium  dierum  obristiani  locati  sunt  in  piatissnb- 
tus  Budinum,  ubi  rex  Hungari»  magnum  fecit  oonvivinm.  Postea 
recedentes  equitaverunt  in  Greciam  usque  ad  civitatem  Redesconnen- 
sem  (f),  qu» ,  postquam  ab  eis  quadam  die  sabbati  bis  aggressa  est, 
reddita  est  eis  dilnculo  dominiose  sequentis.  Ultraque  eqnitaates  et 
Maeedoniam  prœtereuntes  abierunt  ante  ciTitatem  Nicbopolis  et  obsé- 
deront eam  ,  unde  Riehardus  de  Sancto-Victore  ait  in  Exoeptorio  :  In 
Tracbia  Constantinopolis,  Panisus,  Nicbopolis.  Quidam  autem  illiterati 
▼el  ydîot» ,  postquam  reversi  snnt  de  illa  redemptione  in  Francian , 
dixemntmnltis  quod  beeo  civitas  Nicbopolis,  ultra  Maeedoniam  quam- 
dam  civitatem  desertam  qnam  coulis  perspexerunt,  ubi  Alexander 
Magnus  natus  est,  tribus  diebus  situata  est.  Quidquid  enim  sit»  de  hoc 
YeriuB  est  quod  Macedonia ,  quœ  ab  oocasu  Trachi»  subjaeet , 
tait  patria  Alexandri  magni,  et  regio  aureis  venis  argentiqne  optima. 
Lapidem  quem  piritem  vocant^  ista  gignit,  et  in  ea  est  mons  Olimpus 
transcendons  aéra,  super  quem  pbilosophi  asceadentes  fecerant  figu- 
ras in  pulvere ,  quas  post  annum  reperierunt  illaasas.  Cumqoe  dictam 
Nichopolim  civitatem  XV""^  dierum  spatio  obsedissent,  et  jam  minitorcs 
oomitis  Nivemensis  usque  in  castellum,  et  minitorea  régis  Hungari» 
usque  in  civitatem  visa  occultas  infra  terram  ad  ingredieadum  dispo- 
suissent ,  necnon  jam  parata  sunt  omnia  ad  imponendum  ignem, 


Digitized  by 


Google 


MOTBS.  409 

•cce  y  hora  prandii,  rex  mandavit  omnîbas  ut  contetim  armareatar 
propter  Turcos,  qui  modicum  ab  eia  distabant  et  ad  eonim  extarmi- 
niam  vénérant.  Tuno  illl<»  christiani  omnibua  relietis  equitaTerunt 
qnaei  spatio  daaram  leucaram  aat  amt>Hu8,  donec  TiJenint  Tarcoa 
ordinatoa  ad  pneliandam ,  qai  fixerant  in  terra  stipites  ligneaa  actt- 
minatas  altitadinis  doorom  cabitoram  vel  circa,  per  longitadinem 
jactna  unius  ballet»  et  latitudinem  unius  lanceae,  modo  qno  fit  in 
garenaiia  oanicabmm  in  Franeia.  Primum  itaque  prsoliam  a  rege 
Hangari»  lieet  inrito  conceuum  est  Francis  et  ceteris  citramontanis. 
Malaisset  enim  Hnngaris  sais  conoessisse,  nisi    Franci  importons 
petivissent  :  volebat  autem  Hungaros  qaos  hostes  fagere  quam  fagai*e 
paratiores  noverat,  Francis  prsaponere,  ne  ipsi  a  tergo  eorum  exeuntes 
sinerent  eos  fagere.  Franci  igitur  et  faii  qui  cum  eis  erant,  primam 
Tareorom  aciem,  in  qua  erant  plus  quam  VlIIroiilia  hominum,  aggre- 
dieates,  ante  quartam  partera  nnius  horse  victores  fuerunt.  Quo  facto, 
cnm  vexillifer  eorum  ,  admiraldns  de  Vienne,  comitem  Nivemensem 
hortaretnr  ut  rétrocédèrent  «  responsom  habuit  ab  eo  qnod  lente  et 
ineonstanterpugnabant.  Inruentesigitur,  dicto  rexillifero  pneeunte,  in 
secondam  Tnrcorum  aciem ,  mox  in  debiliorem  partem  cecidemnt, 
ita  nt  omnes  a  multitudine  hostium  circonsepti  ibidem  vel  extincti  vel 
capti  sunt^  exceptis  hiis  qui  fug»  prsssidium  quœrentes  tutamina 
naTiom  petebant.  Intérim  vero  acîes  Thurcorom  qu»  rétro  erant,  se 
traxerant  versus  Hongaroe   qui  erant  ad   dexteram  partem  quasi 
numéro  L.  millia  hominum  aimomm.  Hii  videntes  Turcos  accelerare 
ad  se,  non  obstantibos  régis  sui  monitibus  qui  eos  ad  prssliandom  ani- 
mabat,  mox  terga  vertentes,  fugerunt  versus  fluvium  sioe  aliqua  rêver- 
sione  ad  pugnam  vel  aliquo  certamine,  insequentibus  eos  Turchis 
osque  ad  Dannbium,  in  quo  naviginm  eorum  erat,  ubi  tutamen  fluvii 
tam  ex  voto  quam  ex  neeessario  nacti  sunt.  Occiderunt  autem  multos 
qui  nullas  habebant  naves,  etaiiquos  de  fratribus  Hospitalis  Rodiensia, 
quihtc  per  brachium  Sancti-Georgii  et  inde  in  Danubium  navigio 
descenderant.  Plures  namque  transnatando  flumen  transire  festinantes 
infra  voraginem  fluctus  periclitati  sunt.  Chriatianos  ergo  diffugientea 
Tnrehi  infestant  ;  infestatos  vero  partim  in  undii,  partim  super  rippam 
prosternant ,  et  nunc  hao  ,  nanc  illac  diapersis  eorum  aciebus  discur- 
rendo  dupplicem  necem  eis  ingeatam  esse  lœtantur.  Quidam  vero 
castra  Ghristianonim  pervagantes,  qnotquot  nostroram  occurrebant 
gladiia  ocddenlht ,  ab  eisdem  ablatia  divitiia  quibnacumque.  Nec 

XI.  —  FROISSÀRT.  27 


Digitized  by 


Google 


410  NOTfcS. 

miram  ergo  si  Franci  victi  suât,  qui  pancos  habebant  aecum  ad  pn»- 
liandum  contra  Sarracenos  qui  erant  numéro  centnm  milia  SMtimati. 
In  toto  enim  non  erant,  tam  de  Fiamingis,  Anglicisqae  quam  aliis  qui 
cum  618  erant,  plus  quam  VIII  millia  bachinetorum  ;  et  etiam  Deua 
non  erat  cum  eis.  Hoc  bellum  accidit  mense  septembri,  die  sancti 
Firmini  episcopi  et  martiris.  Die  vero  .sequenti  Baizacus  ab  ira  furoria 
ejus  nundum  mitigatus,  in  tentorio  suo  sedens  pro  tribunal!  mandant 
coram  se  omnes  Christianos  qui  capti  fuerant  in  prselio.  Qui  cum  nudi 
adducti  fuissent  coram  eo ,  statim  a  satellitibus  ejus  ibidem  ante  vel 
satis  prope  dictum  tentorîum  suum  amara  morte  necati  sunt.  Satelli- 
tes enim  turchi  de  gladiis  suis  super  eosdem  Christianos  jussu  ejus 
simul  funibus  alligatos  percutiebant  unnm  in  capite,  alium  in  coUo, 
alterum  in  scepulis  ;  et  sic  omnes  ululantes  et  Cbristum  filinm  Dei 
voce  magna  reclamantes  crudeliter  martirizati  sunt.  Nec  ab  hoc  mor- 
tifl  génère  exempt!  sunt  aliqni  quantumcumque  nobiles  prsster  comi- 
tem  Nivemensem  ,  quem  ipse  Baizacus  eorum  noverat  esse  dominum, 
et  alios  paucos  quorum  ritam  idem  comes  a  supradicto  Baizaco  cum 
difficuUate  obtinuit,  et  Jacobum  dominum  de  Helliaco  miiitem,  qui 
casu  captus  fait  a  quodam  admiraldo  Turcorum,  cum  quo  habebat 
notitiam  specialem  ,  qui  a  Baizaco  vitam  ejus  sibi  dari  et  poposcit  et 
promeruit  ;  et  sic  ille  periculum  mortis  evasit.  Deinde  tofo  comes 
Nivernensis  et  concaptivi  sui  jussu  prœfati  Baizaci  dncti  sunt  in 
Thurquiam ,  et  in  ejus  civitate  regia  quœ  Bursa  dicitur  haud  longe  a 
Nichomedia  urbe  Bithiniss  olim  famosa,  ubiquondam  Hanibal  fugiens 
yaneni  haustu  animam  exhalavit,   positi  sunt  in  custodia.  Porix>  ex 
omnibus  Christianis  absque  Hungaris,  tam  de  castris  qui  bello  non 
interfnerant  et  mortis  discrimen  evaserant,  quam  a  prselio  dilapais, 
non  fuerunt  plus  quam  VIII  miUia  hominum  diTersi  status,  qui  Au- 
vium  transirent,  quamquam  œstimarentur  in  die  belli  octoginta  millia. 
Hii  intrantes  Galathiam  ab  illius  patii»  ihoolis  aggressi,   multis 
eorum  occisis,  ceteri  exuti  sunt  omnibus  yestimentis  et  calciamantis 
prseter  bracas  et  sic  dimissi.  Die  sancti  Remigii  sequenti  in  eodem 
statu  quasi  ti^ecentas  leucas  itineraverant  ;  fuerunt  autem  in  Gala- 
thia  supradicta  VIII  dierum  spatio  non  manducantes  pan^m,  nec  sub 
teoto  jacentes,  sed  jacebant  in  nemoribus  et  comedebant  frnctua  ama- 
ros  quos  inveniebant,  scilicet  fagena  nemorum,  genelas  ac  fordinas , 
quarum  quis  très  vel  quatuor  habere  poterat  ,  optime  cibatua  erat. 
Planes  namque  qualibet  die  scrutabantur  in  capillif,  oribua  et  aliis 


Digitized  by 


Google 


KOTIS.  411 

locis  nbi  argentnm  poterat  repoui.  Erant  tamen  omnes  siae  camisîa, 
«t  adfaac  plus  quam  mille  ex  eis  erant  sine  brachis,  quando  iatraverunt 
primam  villam  Christ ianoram  iatinorum,  quse  vocal ur  Harmestat.  Ibi 
enim  reperierunt  homines  maxim»  pîetatis  et  misericordi».  Hsdc  est 
illa  civitas  Harmestat ,  ut  quidam  ferunt,  uude  olim  episcopus  cum 
Balduino  Flandrensi,  Ludovico  Blesensi,  Stéphane  Perticensi,  Hngona 
Sancti-Panli  comitibus ,  episcopo  Trecensi,  marquisio  Montisferrati, 
duce  Venetiss  et  pluribus  aiiis  magnis  viris  ad  capiendum  Constanti- 
nopolim  fuit ,  ubi  idem  cornes  Balduinus  coronam  et  imperii  digaita- 
(em  suscepit.  Fostea,  eollaterando  Boemiam  et  Poloniam,  pertranseuo- 
tes  Hungariam,  applicuerunt  apud  Viennam  in  Austria  vigilia  Omnium 
Sanctorum ,  quasi  sexcenti  Gallici.  Qua  die  burgenses  eis  prandium 
dederunt,  et  eomm  cuilibet  liberaliter  Tîcentas  uluas  porrexerunt ,  ut 
&cerent  quilibët  habitum  secundum  suumyelle.  Die  vero  Ânimarum 
illi  de  villa  duierant  eos  quos  hospitaverunt  ad  magnam  ecclesiam 
Beat»>Mari89  ,  quibus  ceteri  de  villa  magnas  elemosinas  contulemnt 
Deinde  venerunt  in  Franciam  per  Almaniam,  Austriam  et  Bavariam, 
in  quibus  partibus  gentes  eleemosinarîas  specialiter  invenerunt.  » 
Le  récit  de  Brandon  est  moins  développé  : 

a  Hiis  diebus,  Johannes,  comes  Nyvemensis,  filins  ducis  Burgnndi», 
aonos  natus  circiter  XXVIII,  forti  manu  armatornm  et  nobilium  ver- 
sus Hungariam  profectus  est ,  fueruntque  secum  ex  Francia  comes 
Marchisa  ,  comes  de  Heu  ,  cpnestabularius,  domlnus  de  Couchy,  do- 
minus  Johannes  de  Vienna,  marescallus  Franciae  ,  filii  ducis  de  Bar  , 
domlnus  Reynaldus  de  Roye,  duo  fratres  de  la  Ti*emoelge,  Guillelmus 
et  Guy  do  ex  Flandria,  dominus  Hase  et  fratres  ejns  ;  sed  et  alii  milites 
multi  ex  aliis  regionibus  venerunt ,  qui  primo  in  Arragoniam ,  in 
subsidium  régis  Aixagoni»,  qui  una  cum  illis  bellum  cum  Saracenis 
commisit  et  Victoria  potitus  multos  Sarace  norum  occidit  et  ipsum 
Balxyn  ammyraldum  in  fugam  egit.  Deinde  Franoi  et  comes  Nyver- 
nensis  in  Hungarias  partibus  multa  pungitia  cum  eodem  admiraldo 
gesserunt ,  in  quibus  victores  eminebant  ;  sed  tandem  ,  exigentibus 
forsitan  peccatis  nostris,  ab  eodem  admiraldo  et  Turcis  circumventi, 
infeliciter  et  inconsulte  dimicantes,  nec  régis  Hungariss  consilinm  et 
anxilium  advertentes,  sed  propriis  viribus  nimis  confidentes,  superbia 
inter  eos  régnante,  impetnose  se  ingérantes,  victi  sunt,  pluribus  eorum 
ooeisis ,  ceteris  captis  ,  paucis  effugientibus.  Ceciderunt  ibi  comes  de 
Een,  coneatabnUurius,  dominus  Johannes  de  Vienna,  admiraldus  Fran- 


Digitized  by 


Google 


41S  «OTii. 

ci»,  dominus  de  Coachy  ,  dominus  Onjào  de  la  Tremoelge  ,  domimie 
Reynaldus  de  Roye,  filii  de  Bar,  dominus  Haso  de  Flandria  et  fratree 
ejus,  domiaus  Ludovicas  Frieo  et  domiaus  Johaanes  Sine  Terra, 
domiaos  de  Lembeke  ,  dominus  Jobannes  de  Casant,  dominus  Rolan- 
dus  Houweel  et  plures  alii  milites  et  nobiles  et  flos  fere  totins  mîlitia» 
gallicanœ.  Capti  quoque  fuerunt  ibidem  cornes  Njyemensis,  dominas 
Marchi»  cornes,  dominas  de  Conchi,  dominus  Willelmns  de  la  Tre« 
moelge,  domînns  Reynaldns  de  Roye  et  plures  alii  exceteris  regionibus, 
qui ,  gravi  rentione  et  magnis  pecuni»  sommis  se  i^^dîmentes  ,  post- 
modum  ad  propria  devenerunt.  Basac  autem  amyras  ,  dum  Victoria 
potitus  esset,  multos  ex  captivie  cbristianis  securi  percuti  fecit  sut  per 
médium  sarra  lignea  sciodi.  Comes  autem  Nyrernensis  captoset  Tendi- 
tus  est,  diutinsque  in  partibus  illis  servabatur,  sed  tandem  a  merea* 
toribus  Venetianis  redemptus  magno  pretio  ad  propria  rerersus 
est.  » 

Adrien  de  But  semble  s^ttacher  surtout  à  reproduire  ce  qu'avait 
dit  avant  lui  le  chroniqueur  de  Valenriennes  : 

«  Eodem  anno,  Karolus  VI^,  Prancorum  rez,  litteris  Ludovid  régis 
Hungari»  super  infestatione  Lamourach  Baby  régis  Turquorum  inci- 
tstns.  Eo  quod  nepotes  erant  prsefati  duo  reges  ,  factum  est  ut  mu- 
torum  Juvenum  et  nobilium  de  Francia ,  Flandria ,  Hannonia,  ceterii* 
que  partibus  ad  militiam  anhelantium  fieret  collectio  ,  quorum  caput 
Jobannes  comes  Nivernensis,  filius  senior  Philippi  ducis  Burgundi», 
constituebatur.  Qui  quidem  Jobannes  ,  vix  agens  XXII  annum  ,  dnas 
jam  filias  procreaverat  sibi  ex  uxore  sua  filîa  ducis  Bavante  Alberti , 
comitis  Hollandi»  et  Hannoniss.  Cujus  Alberti  filius  Willelmus , 
comes  d*0o8trevant ,  cum  socero  suo  libenter  perrexisset ,  sed  a  pâtre 
durius  increpatus,  accepit  utiliorem  fore  belii  eausam  contra  Frisones 
procedere,  qui  prssdecessorum  suorum  hereditates  injuste  possidebant, 
quam  contra  Turchos  qui  suis  nondum  mala,  neo  sibi  inferebant. 
Inbibitus  igitur  Willelmus  graviter  patri  adversatus  est,  neque  ut 
filîua  sibi  contra  Frisones  auxilium  prastare  volnit.  Jobannes  igitur 
cornes  Nivernensis ,  ut  brevis  sim  ,  a  rege  Francorum  et  pâtre  auo 
Pbilippo  duce  Burgundi»  iicentiam  quœsivit  in  expeditionem  contra 
Turchos  pergendi.  Qua  obtenta  ,  tanqnam  princip^lis  db-ector  assig- 
nattts  est  ei  dominus  Ingelrammus  de  Couchiaoo  ,  miles  prudens  ae 
strenuus  et  in  rébus  bellicis  plurimum  expertus.  Vemmptamen  minus 
bene  res  illa  plaçait  comiti  de  Heo  connestabolario  Franci»,    et^ns 


Digitized  by 


Google 


nom.  4(3 

perhoehonôram  Tidabatur  officinm  diminui.  Nichilominasperrexit  cam 
eetdris,  semper  sociatus  eu  m  sibi  faventiorîbus  doaec  in  Hungarîam 
perveniasent.  Sed,  biis  temporibua,  Galeaciua  dux  Mediolani  regaavit, 
flliua  Galeae»  tjranni,  qui  et  filius  fuit  naturalis  Ludovici  de  Bavaria, 
dadum  vi  Komanonimimperium  occupantîa.  Hic  Galeaciua,  filius  Galea- 
e»,  daxeratuxorem  Blancham  filiaœ  Johannis  régis  Francorum,  exqua 
genuit  duos  filios  dt  anam  filîam  Valeutinam  nomine,  qu»  nupta  fuit 
propr»senti  Lodovieo  duci  Aurelianensi,  secundogenîto  régis  Franco- 
rum  Karoli  V^.  Hœe  vero  fiiia  Galeacii  dacissa  Aui^elianensis  regnum 
suis  Teneflciis  marito  suo  secretius  voluit  uaurpare  per  mortem  fiiiorum 
régis,  et  aecusata  est  rea  lésas  majestatis  in  regem  quem  intoxicaverat, 
noxque  répudiât»  est  a  viro  suo.  Quso  veniens  apud  patrem  suscepta 
est ,  née  multo  post  pater,  anhelans  ad  opproBrîum  vindicandum,  llt- 
teras  régi  Francorum  minaces  destinavit,  publicum  sibi  bostem  fore 
denuntians.  Et  hie  Galeacius,  singulorum  nobilium  qui  de  Francia  per- 
rexerant  in  Hungarîam  ad  pugnandum  supra  Turchos  cum  Ludorico 
rege  Hungarias  describens  nomina,  clausis  litteris,  intimavit  adventum 
eorumdem  ipsi  régi  Turcborum  Lamourach  Baby,  eoa  tradere  cupiens 
in  manibus  bostium,  prout  evenit.  Nam  cam  Francorum  exercitus  et 
Hungaroi-um  flumen  Danubii  transiisset  atque  cîrca  oras  regni  Tur- 
cborum Cometam  civitatem  fortissimam  multis  assultibus  cepisset/ 
igné  et  gladio  eonsumptis  omnibus  fortalitiis,  et  obviis  Turebis  aciem 
Tersns  magnam  illam  civitatem  de  Quarre  convertisset,  post  diram 
quassationem,  interfectis  ferecunctisiobabitautibuseam,  indeditionem 
eam  cepit,  et  ante  Breebappe  se  contulit,  ubi  castnim  situatum  erat 
fortissimum.  In  cujns  expeditione  primo  factus  fuit  miles  Jobannes 
eomes  Nivemensis.  Sed  Corboda,  capitanens  loci,  misais  tribus  fratri- 
bus  suis  scilicet  Illacio,  Balacio  et  Ruffino  versus  regem  Basaacb  ,  for- 
titer  contra  oppngnantes  sustinuit  castrum.  Unde  recedentibus  ab 
obsidione  Francis  et  Hungaris,  properavit  exercitus  opulentissimam 
civitatem  Nicbopoli  capere  in  deditionem.  Dum  vero  bœcevenissent, 
Corboda  capitaneus  clam  exiens  perrexit  in  occnrsum  Lamouracb 
Baby  sive  Basaacb  cum  fei*e  ducentis  millibus  Turcborum  properantia 
obaidionem  de  Nicbopoli  6ttblevai*e  et  impedire.  Qui  cum  appropin- 
quasset  dvitati  obaess»  :  «  Nunc ,  ait ,  scio  quia  vere  Galeacius  ami- 
«  eus  est  meus,  qui  bos  miebi  venturos  significavit.  »  —  Porro  feria 
qaadam  menais  septembris  ante  festum  Micbaelis  arcbangeli,  Basaacb 
Tarchorum  rex  cam  omni  potentia  aaa  affdit  et  dnxit  civitatem  qaam 


Digitized  by 


Google 


414  1I0TB8. 

rex  Hnagaroram  et  cornet  Nivernensis  eum  Francis  raie  per  qninde- 
cim  diee  obeederant.  Quiboe  hora  prandii  jacentibas  in  obeidione 
pnafatœ  civitatis,  nuntiatar  inopioate  Tarchorum  adventas  et  qaod 
ad  duo  milliaria  visi  essent.  Qa»  qoidem  profecto  noTa  qQoedam 
▼ocayerunt  in  arma,  quosdam  vero  minime  commoTerunt.  Dominas 
tamen  Ingelrammus  de  Couchiaco  qui  paulo  ante  cnm  trecentie  lanceia 
insignia  multa  fecerat  in  congreesu  contra  tex  millia  Turchomm» 
mox  ut  andivit  baec  verba,  perrexit  ad  regem  Hangarorum  qui  fngam 
enasit  inire  potiue  qnam  congredi.  Qa»  qnidem  opinio  plaçait  domino 
de  Couchiaco,  sed  non  plaçait  Philippo  de  Artheeia  connestabalario 
Franciae.  Continuo  dominas  Johannes  de  Vienna  primipalarias  exer- 
citas  Fraucorum  requi<ivit  a  domino  de  Coachiaco  et  non  a  Philippo 
de  Arthesia  qoid  agendum  esset.  Quam  ob  causam  indignatua  PhiUp- 
pus  dixit  :  «  Hodie  fidèles  apparebant  milites  »  ;  et  sic  hostibas  se 
objecit,  qui  cnm  duabas  alis  expansis  universos  tam  Francos  qnam 
Hangaros  per  duo  milliaria  comprehendernnt.   Ibi  illico  bellatam  est 
inter  utrosque  fortiter  et  acerrime.  Franci,  fugientibas  Hungaris,  in- 
caluerunt.  Subtiliter  enim  Hungari  cum  rege  suo  faga  salvati  sant  pro 
magna  parte,  saccumbentibus  cunctis  fere  Francis.  Rex  enim  Hnn* 
garorum  et  magnus  magister  Rodonorum  transierunt  Danubiam  cum 
*Hungaris  suis,  paucissimisque  Francis.  Caesi  fuerant  plnres  vulgares 
et  nobiles  ante  civitatem  de  Nichopoli,  procipue  dominas  Gaillelmos 
de  La  Tremoulle,  dominas  Philippus  Barensis,  dominas  Johannes  de 
Vienne,  miles  procerus  et  Texillum  gerens  in  hostes,  cum  filio  soo,  item 
dominus  de  Montcareel,  Guillelmus  de  leBeigne,  dominas  de  Moncael 
etc.  Miles  quidam  nomine  Jacobus  de  Helly  ex  Picardia  captas  fuit  ; 
sed  quia  cum  pâtre  régis  Lamourach  Babj  paulo  ante  moram  traxis- 
set,  idem  incidens  in  manus  hominnm  régis  Tartaroram  Tamburini 
saWatus  est  cum  domino  Jacobo  du  Faj  qui  similiter  notas  erat  ibi- 
dem. Hii  duo   profecto  causa  vit»  mnltorum    exstiterunt.  Strage 
peracta  ,  rex  Basaach  ,  si  qui  superstites  haberentur ,  mandavit  sibi 
pnesentaii  ,  necnon  si  qui  nobiles  reperirentur  interfeeti ,  separaren* 
tur  ab  aliis  cum  armis  et  signis  suis  in  campo  ubi  c^ciderant ,  quia 
Tisitat*e  volebat  interfectos  ab  ut  raque  parte.  Quos  cum  visitasset, 
stnpefactus  est  de  suis  ibidem  prostratis.  Qua  de  causa  plnres  captives 
superstites  in  furore  Jussit  occidi ,  inter  quos  filii  naturales  Ludovici 
comitis   Flandriœ    cum   multis    aliis  interiei*e.  Prœsentatis    autem 
captivis,  adducti  sunt  dominas  Jacobos  de  Helly  et  dominus  Jacobas 


Digitized  by 


Google 


MOTU.  415 

du  Fay  qm  régi  Lamourach  Bahy  singalatim  declaraTênmt  captiTorom 
Bomina,  sic  quod  idem  rezj usait  retentos  Tita  frai  comitem  Nivemen- 
sem,  Philippum  de  Arthesia,  dominum  Johannem  deBorbonia,  Gnido*» 
nem  de  La  TremoaiUe  et  aliqaos  alîos  usque  ad  octo  animas,  percussis 
ceteris  crudeliter  gladio,  quorum  fere  ultimns  Boucbicanlt,  marescallus 
Franciae,  similem  exsolvisset  pœnam,  niai  preces  comitis  Nivemensis 
interTenissent.  Interempti  sunt  autem  quingenti  viri,  de  quibus  tre- 
Cênti  milites  exstitei*e.  Ipse  vero  dominus  de  Helly  deputatas  est  per 
regem  Turchornm  descendere  et  boc  infortunium  régi  Francorum,  snb 
redeandi  certo  termino  ,  denuatiare,  quod  peregit  fideliter.  Vernm 
plares,  eo  tardante  ,  pnevenerant  et  talia  nova  dilataverant  in  Fran- 
eia,  ceterisque  partibus,  quos  rex  Francoram  Karolus  jussit  impri- 
sionari ,  doneo  domînus  Jacobus  de  Hellj  venisset ,  cujus  relatione 
Veritas  oomparuit,  qui  Parisins  veniens  regem  invenit  et  majores  regni 
eongregatos  ibidem,  coram  quibus  missionis  su»  declaravit  sarcinam. 
De  multis  idem  interrogatus  est,  qui  totam  seriem  luculenter  exposuit 
gestaram  reram,  addens  animum  régis  Lamouraob  Baby  facile  plaoa- 
bilem  reddituram  panm's  laneis  et  lineis,  diyersarum  bistoriaram 
figuris  impictis,  nec  non  avibus  quas  falcones  appellant ,  quorum  om- 
nium facta  sibi  fuit  deliberatio,  et  unicus  repertus  falco  candidos  mis- 
sus  est  per  dominum  de  Chastel-Morant ,  qui  cnm  prsefato  domino 
Jaoobo  versas  regem  Lamouracb  perrexit.  Quibns  in  Hungariam 
applicantibus,  non  faciliter  est  passus  baec  munera  deferri  rex  Hun- 
garise.  Tandem  multis  laboribus  cum  eisdem'  pervenerunt  in  conspeeta 
régis  Turcbonim  qui  gratis  suscepit  munera  oblata. 

«  Intérim  obiit  dominus  Ingelrammus  de  Coucbiaco  in  captivitate  » 
eqjos  corpus  delatum  est,  aromathizatum  et  reconditum  apnd  Cou- 
ebiacnm.  Permisit  autem  Lamouracb  Baby  missos  nuntios  loqui  pan- 
Inlnm  cum  captivis  ,  et  comes  Nivernensis  inter  eeteros  gratiam  régis 
obtittujt,  quod  magnâtes  segre  tulerunt ,  et  idcirco  dimissi  sunt  nuntii 
régis  Francoram  et  patrie  sui  ducis  Burgundi»  onus  babentes  ab 
eodem  qualiter  die  noctuque  laborarent  ad  redimendiim  captives  , 
quoniam  sentiebaut  animum  régis  ad  boc  satis  inclinatum  ,  medianti- 
bus  illis  muneribus  transmissis. 

a  Eisdem  temporibus,  raercator  quidam  oriundus  deLnca,  nuncnpa- 
tos  Dinde  Responde,  nptitiam  babenscum  mercatoribus  Januenaibus, 
Parisius  coram  rege  mandatas  est,  taliterque  tractatum  est  cum  eodem 
mereatore  at  de  captivorom  rensioae  deliberanda  se  cei*tum  faciebat. 


Digitized  by 


Google 


416 

casa  qoo  Mtet  imposita  pro  denariis,  sed  son  impotita  fait.  Qaare 
dominas  Jacobas  de  Helljr  iteram  ex  Francia  iter  arripait  yènos 
Lamourach  Bahj,  déferons  navicalam  ex  paro  aoro,  mirabili  arfcifldo 
compositam,  et  hoc  ad  majorem  captivorum  consolationem  et  sablera- 
tionem.  QaamWs  dox  Mediolani  Galeacins  plarimaminhac  re  Taittiaset» 
nolebant  tamen  assistentiam  ejas  reqairere.  Sed  eaasa  pinncipalia 
qaare  Jacobus  rex  Cypri  favebat  Francis,  existimatar  ex  iib  perpetrato 
in  fratrem  saum  Petram  regem  Cjpri  quem  jusserat  oceidi,  quo  fiieto 
non  ansas  est  se  regao  servare,  sed  mari  se  dédit,  et  tandem  a  Janaen- 
sibas  receptus  est,  qui  sibi  adhœrebant.  Hic  pm&tas  Petras  rèx  paiilo 
ante  gravissimas  gaerras  in  Turchos  gesserat,  qai,  cam  ▼exîaaet  ani- 
cam  filiam  saum  ultra  mare,  fecit  eum  coronari  adhuc  paerom,  qai 
panels  snpervixit  diebas  ,  et  ita  Januensea ,  capto  porta  de  Simagooxe 
n  armonim  ,  Jacobam  coronaTeruat ,  nataralem  fratrem  Pétri  régis 
nnper  intei-fecti.  » 

La  chronique  anonyme  de  Flandre  se  rapproche  beaucoup  aoni  de 
la  narration  de  Froîssart  : 

a  Advint  que  le  roj  de  Honguerie,  nommé  Stgîsmont,  frères  à  Win- 
<^elle,  roys  des  Rommaina  et  de  Behaigne,  ot  très-grant  et  cruelle 
guerre  contre  Sarrazins  et  manda  secours  par  universe  monde,  tant 
en  FEmpire,  en  France,  en  Ytalie,  comme  en  pluisenrs  autres  paya , 
pour  résister  contre  Sarrazins  ;  et  tant  que  pour  aller  en  son  ayde,  le 
duc  Phelippe  de  Bourgoingne  fist  tant  que,  par  le  gré  du  roy  de 
France,  Jehan  son  aisné  fils,  lors  nommé  conte  de  Nerers,  y  fu  euToyéa 
pour  luy  habiliter  et  «prendre  le  fait  de  la  guerre,  car  moult  estoit 
simples.  Et  avec  luy  y  allèrent  le  conte  d'Ku,  connestable  de  France, 
le  bon  seigneur  de  Coucy,  meseii*e  Henry  de  Bar,  son  beao*fils,  messins 
Phelippe  de  Bar,  frère  audit  messire  Heniy  de  Bar,  Hue  et  Henry 
d*Antoing,  le  Haze  de  Flandres,  mesure  Boussicaut  et  plutseurs  anl- 
tres  chevaliers  et  escuiers  du  pays  de  France  et  d'environ.  Et  furent 
tréS'grant  nombre  et  très-grant  assemblée  de  gens  d'armes,  et  furent 
on  pays  de  Honguerie  très-bien  receus  et  à  grant  feste  ,  et  eubrent 
contre  Sarrazins  pluisieurs  fois  bataille  et  vietore,  en  conquérant  sur 
eulx  grant  pays.  Or  avint  que  discence  se  meult  entre  Franchois 
diaans  que  Hongrois  avoient  eu  toudis  Tonneur  de  aller  devant  et 
que  ils  y  vouloient  aller.  Et  le  roy  de  Hongi|erie  si  leur  disoit  que, 
se  ses  gens  n*aloient  devant  et  ils  veoient  le  fais  estre  doubtenx  et 
pesans,  ils  a'enfuyeroient  tantost,  et  oognoissoit  bien  leur  Toalenté.  A 


Digitized  by 


Google 


H0TC8.  417 

4faoj  le  seigneur  deCoacy  respoady  qne  il  fàisoit  bon  epolre  eonseil  ;  et 
adont  demanda  Bouasicaat  aadit  seigneur  de  Coucy  se  il  ayoitrpaonr. 
Et,  après  puiseurs  paroiles,  ledit  de  Concy  luy  dist  que  il  oseroit 
mieolx  mettre  pins  avant  le  teste  de  son  cheval  en  le  besongne  qae 
Boussicautne  feroit  le  kene  da  sien.  Et  lors  se  mirent  cbrestiens  à 
TOje  et  passèrent  la  rivière  de  la  Danoe,  et  perceurent  les  Sarrazins, 
qui  venoient  en  bataille  contre  eulz ,  qui  estoient  nombres  à  plus 
de  trois  cens  mil  testes,  et  cbrestiens  estoient  nombres  à  dix  mil  hom- 
mes d'armes,  qui  ne  daigniôrent  attendre,  ne  repairier,  et  assemblèi- 
rent  à  bataille,  qui  fu  moult  crueuse,  grande  et  bien  combatue  dee 
ehrestienv  ;  mais  ils  furent  desoonfis  et  tous  mors  ou  prins.  Et  le  roy 
de  Honguerie,  par  quel  conseil  on  ne  avoit  voulu  faire,  et  ses  gens,  se 
partirent  de  le  bataille,  tous  entiers  sans  combatre.  Et  y  ot  bien  soi> 
zante  mil  Sarrazins  mors,  dont  on  fu  bien  esmerveilliés  de  si  peo 
gens  chrestiens  en  avoir  tant  ochis  ;  et  furent  prins  à  le  bataille 
Jehan  de  Bourgoingne  ,  lors  conte  de  Nevers  ,  le  seigneur  de 
Coucy ,  messire  Henry  de  Bar  et  plniseurs  autres  qui  furent 
deavestus  et  mis  en  purs  les  petits  pourpoins,  ayans  grant  doubte  que 
ils  ne  fussent  décoUs,  comme  on  faisoit  pluiseurs  anltres  chrestiens 
!^  devant  TAmonrat-Bacquin  ,   chief  de  Tarm^e  des  Sarrazins,  dont  li 

sangs  des  décolés  cou  roi  t  pardevant  ledit  Jehan  de  Bourgoingne  et  les 
aaltres  prisonniers  dessnsdis  :  lequel  décolement  Ai  moult  blasmés 
à  TAmourat ,  et  par  ce  se  cessa  d*en  plus  faira  décoler,  et  faisoit  pre- 
ssas des  prisonniers  aux  grans  seigneurs  de  le  contrée  des  Sarrazins. 
Et  assés  tost  après  trespassa  li  sires  de  Coucy,  en  une  ville  nommée 
Brasse,  de  flux  de  ventre  et  du  fais  de  la  bataille  ;  et  messire  Henry 
de  Bar  trespassa  en  mer  en  retournant  en  France  ;  et  au  bastard  de 
Savoie  on  coppa  les  conilles,  pour  doubte  que  il  ne  s*acointast  de  la 
dame  du  aeignenr  qui  le  tenoit  prisonnier.  Et  les  dis  de  Bourgoingne 
et  Bonssicaut^demourèrent  prisonniers,  tant  que  le  seigneur  de  Heilly , 
qui  avoit  este  paravant  avec  TAmourat-Bacquin  et  en  son  host,  ro- 
tourna,  par  le  congié  de  TAmourat  en  France  compter  l'avenue  de  le 
besongne  au  roy  et  aux  aultt*es  princes  de  France,  et  aussi  que  on 
rendeist  paine  d*envoyer  traitier  ou  faire  traitier  pour  la  délivrance 
des  prisonniers,  lequel  seigneur  du  Hailly  en  fist  très-bien  son  devoir 
et  bonne  dilligenee.  Et  fu  celle  bataille  en  Tan  mil  trois-cens-quatré- 
vings«et-sèze,  le  jour  Saint -Michiel.  Et  tant  fu  traitié  aux  Sarrazins 
et  meeeréans,  et  aussi  payé  par  m^rchans  de  Venisse,  que  ledit'.  Jehan 


Digitized  by 


Google 


418  IfOTBS. 

de  BoQrgoingne  r«paira  en  Franoe,  et  fà  fids  ehevalien  en  le  bataille. 
Et  arec  luy  s^en  roTint  Bonssicaox,  mais  ainchoia  demoara  ledit  mon- 
seigneur  de  Neyera  en  le  maitt  des  Sarrazina  deux  ans.  Et  quant  il  fti 
retournas  en  France,  il  fu  reœus  en  grant  joie,  et  luy  fist-on  grant 
feste.  » 

M.  Bucbon  a  cité ,  dans  les  notes  de  son  édition  de  Froissait,  la 
relation  de  la  sanglante  bataille  de  Nicopoli,  telle  que  la  donnent  quel- 
ques historiens.  Je  reproduirai  ce  qu'en  disent  Michel  Dncas  et 
Jean  de  Thwrocz. 

Michel  Ducas  s'exprime  en  ces  termes  : 

«  L'empereur  Manuel  se  Tojant  tous  les  jours  plus  prené  par  le 
tyran  Bajazet  et  n'apercevant  aucun  secours  prochain ,  écrivit  an 
pape,  au  roi  de  France  et  an  craie  de  Hongrie,  en  leur  annonçant  que 
Gonstantinople  était  i^édoite  k  la  plus  grande  exti*émité,  et  que  s'ils  ne 
venaient  pas  promptement  à  son  aide,  il  serait  forcé  de  rendre  cette 
ville  aux  ennemis  de  la  foi.  Exdtés  par  ces  discours,  les  chefs  de  l'ooi 
oident  prirent  les  armes  pour  résister  aux  ennemis  de  la  cnûx,  et  à 
l'approche  du  printemps  on  vit  arriver  en  Hongrie  le  roi  de  Flandre , 
un  grand  nombre  d'Anglais,  les  plus  grands  de  la  France  et  beaucoup 
d'Italiens.  A  l'approche  de  la  canicule  ,  ils  campèrent  sur  la  rive  du 
Danube,  ayant  avec  eux  le  craie  de  Hongrie,  Sigismond,  qui  était  en 
même  temps  empereur  des  Romains.  Ayant  passé  le  Danube  devant 
Nicopoli ,  ils  se  préparèrent  à  combattre  avec  courage  contre  Biga* 
zet, 

«c  Bajazet  fut  bientôt  informé  que  les  hommes  de  Foccidfnt  avalent 
levé  une  armée,  et  il  se  hAta  de  i*assembler  ses  troupes  de  l'orient  et 
de  l'occident  et  y  réunit  celles  qui  formaient  le  siège  de  Gonstantino- 
ple. Marchant  vers  l'occident  il  traversa  PhilippopoHs  et  s'approcha  des 
hautes  montagnes  qui  dominent  les  marais  pi*ès  de  Sophia.  C'est  lA 
qu'il  s'arrêta  et  les  attendit.  Le  lendemain,  les  Chrétiens  s'avancèrent 
en  bataille,  en  présence  de  l'armée  des  Turcs.  Ils  formèrent  la  tortue, 
brisèrent  du  premier  choc  le  milieu  de  la  phalange  ennemie  et  oom- 
battirent  avec  la  plus  grande  vigueur.  Ils  pénétrèrent  enfin  jusqu'aux 
dernières  lignes  et  massacrèrent  tout  ce  qu'ils  rencontrèrent.  Se  réu- 
nissant de  nouveau  en  masse  serrée,  ils  se  conduisirent  avec  tant  de 
vigueur  que  les  frondeurs  et  les  archers  turcs  ne  purent  avoir  aucune 
prise  sur  eux. 

«  Dès  que  ceux  de  Flandre  aperçurent  que  l'avantage  était  de  leor 


Digitized  by 


Google 


HOTis.  419 

eôté  et  qae  les  Turcs  prenaient  la  fiiite,  ib  lee  ponnniTirent  en  oen- 
rant.  Après  avoir  passé  les  retranchemens  des  Tares  et  ensanglanté  le 
champ  de  bataille,  ils  retournèrent  à  leurs  retranchemens.  Les  Turcs , 
de  la  garde  de  Bajazet ,  qui  prennent  le  nom  de  Porte  comme  s*ils 
étaient  les  portes  du  palais  de  la  cour,  tous  salariés  et.  de  diflérentes 
tribas,  au  nombre  de  plus  de  dix  mille,  cachés  dans  une  embûche 
pour  n*étre  pas  tus,  se  concertèrent  et  attaquèrent  les  chrétiens  en 
poussant  de  grands  cris  ;  et  après  les  avoir  entourés  et  en  être  venus 
aux  mains  avec  eux  ,  ils  massacrèrent  les  uns  et  mirent  les  antres  en 
fuite. 

«  Les  hommes  de  Flandre,  ayant  vu  les  Hongrois  s'enfuir  et  les 
Turcs  les  poursuivre  en  poussant  de  grands  cris ,  prirent  eux-mêmes 
la  fuite.  Tout  §coup  d'autres  ennemis,  avec  des  cris  retentissans  et  au 
bruit  de  leurs  trompettes,  tombèrent  sur  les  Francs,  chassèrent  les  uns, 
démontèrent  les  autres  et  tuèrent  ceux  qui  voulaient  résister.  Ils  pour- 
suivirent ainsi  les  fuyards  jusqu'au  Danube,  dans  lequel  plusieurs  se 
précipitèrent  et  se  noyèrent.  Parmi  les  chefs  chrétiens  ils  firent 
prisonniers  le  duc  de  Flandre  et  de  Bourgogne  et  d'autres  Français , 
ainsi  que  de  très-illustres  barons,  que  Bajazet  envoya  à  Brousse,  oii  il 
les  fit  enfermer.  11  les  rendit  ensuite  ,  après  avoir  reçu  beaucoup 
d'argent  et  pris  pour  caution  le  prince  de  Mételin  ,  fils  de  Francisco 
Oateluzzo.  » 

Jean  de  Thwrocz,  historien  hongrois ,  donne  quelques  détails  de 
plus  : 

«  Rébus  Turcorum  in  dies  augescentibus,  regeLodovico  vitafùncto , 
habenisqiie  Hungaricis  in  Sigismundum  i*egem  devolutis,  Pasaithes  et 
ipse  Csesar  Turcorum,  pâtre  Amurate,  peracri  ingenio ,  non  minus 
idoneus,  et  in  tentandis  rébus  arduis  magis  audax,  brevi  spatio  tem- 
poris,  Thraciam  universam,  Tbessaliamque  ac  Macedoniam,  Phoci- 
dem,  Bosotiam  et  Atticam,  tum  vi,  tum  deditione  capiens,  sui  dominii 
fecit.  Mises  quoque ,  quos  nos  Bulgaros  vogamus,  régis  Sigismundi 
sub  ditione  constitutos,  armis  infestis  aggressus  est.  Ad  hune  Paaai- 
them  rex  sues  caduceatores  misisse  ,  utque  ab  invadendo  régno  sibi 
juris  vigore  attinente  ,  desisteret ,  eidem  intimasse  ,  illum  ver6  per 
occasionem,  intérim,  donec  iota  Bulgariœ  terra  potitus  est,  relationem 
distttlisse  ,  tandem,  diversitatnm  armorum ,  framearum  puta  ac  cly- 
peorum,  nec  non  pharetrarum,  quibus  Tnrci  in  hostes  utuntur,  singu* 
los  per  parietes  unius  domus  ^  appendi  fecisse,  introductisque  regiis 


Digitized  by 


Google 


4â0 


ROTES. 


eaduceatoribuB,  ad  illôs  dixisse,  fertur  :  «  Revertimini  ad  regem  ▼estram 
a  et  dicite  illi  quoniam  et  ego  terram  ad  banc  ,  ut  videtis ,  jna  habeo 
«  sufiiciens.»  Pariterque  et  illis  in  parietibus  pendentia  manuostendit 
arma.  Haec  res  Sigismundi  régis  animum  non  parum  ulcisoendi  in 
timorem  excitavit.  Quapropter  ani  regni  decimo ,  Dominica  autem 
Incarnationia  mccoxcvi  anno,  commota  unirersa  sai  principataB  armo- 
ram  virtute,  ÎDgentem  conflavit  exercitum.  In  quam  qoidem  regiam 
expeditionem  tam  grandem  ,  dux  Burgundisa,  inter  alîaa  nationea,  ae 
Francoram  sive  Galloram  populus,  arma  non  paaca ,  fortiaque  vire- 
ram  bellatorum  agmina  advexerant.  Quorum  nobilitatis  armomm 
insignia  Budse  in  claustro  Saneti-Nlcolai  confeasoris  erga  Fratres 
Prœdicatorum  tabulis  arte  pictoria  inscripta  ac  parietibus  aflixa 
meos  usque  ad  annos  pi*o  memorîa  stetere.  Mota  igiturrex  Sigismon- 
dus  tam  grandi  sui  exercitus  congregatione,  Danubium  transivit  ;  et 
nedum  Turcorum  timeret  Cœsarem,  verum  quidam  ipsnm  dixisse 
feront  :  ce  Quid  metnendus  est  nobis  homo  ?  Vastum  si  cœlorum  super 
«  nos  pondus  rueret,  ipsi  illud  nostris,  qnas  gerimus  hastis,  ne  lasdere- 
«  mur,  sustentare  possemus.»  Regno  tandem  Rascise  crudelifurore^in 
magna  rerum  direptione,  horribilitatisque  strepitu  nimio,  pertransito, 
Bulgariœ  venit  ad  oras  ;  indô  oppidis  Oriszo  et  Bidinio  ,  aliisque  pai^ 
tium  earumdem  munitionlbus  nonnullis ,  Turcorum  quas  tntabator 
beliicoïa  manns,  non  sine  sui  et  suorum  multa  sanguinis  effasione  « 
expugnatis,  ad  ultimum,  ea  ipsius  anni  œstate,  cum  vites  suos  fruetus 
dulciores  cultoribus  reddebant,  cîrca  festum  videlîcet  sancti  Michaelis 
Archangeli^  in  campo  castri  majoris  Nîcopolis  sua  castra  fixit.  Turci 
vevo  crebrius  de  Castro  erumpentes,  regium  exercitum  in  se  provoca- 
bant ,  monnullosque  vulnerantes ,  ssepius  vuloerati  redibant.  CAsar 
autem  Tui*corum,  quem  nostri  seniores  Pasaythem  supradictom  nomi- 
navere  (Nicolaus  autem  Secundini,  de  famiiia  et  origine  Tnrcorum 
ad  iEneam  Senarum  episcopum  scribens,  enmdem  Ghalapinum  fuisse 
posuitj,  dum  regem,  granii  bellico  cum  apparatu ,  sua  in  dominia 
pénétrasse  audivit,  non  minus  omne  gentis  su»  robur  in  arma  coud- 
tavit,  et  in  forti  suorum  manu  regise  obsistere  expeditiont  conatns, 
appropinquabat.  Galli  retx>  sive  Franci,  advenientis  hostisfama  pulsati, 
regem  adeuntes ,  et  eu  m  belli  prîmitias,  quœ  majori  fervere  soient 
atrocitate  ,  illis  in  se  accipere  ,  ut  annueret,  rogatum  effecere.  Dum 
igitur  Csesar  ipse,  frementibus  undique  suis  agminibus,  magnam  vim 
paganorum  secum  trahens  regiis  opponi  castris  vîsus    est,    mox 


Digitized  by 


Google 


HOTES.  4Si 

Pranei,  pr«cipiend»  pugn»  iasolanti  cupidilate  capti,  prluaquam 
univerB»  regalM  oopi»,  iastractis  ex  ordine  aciebtts  ,  Bignis  eoUatia , 
pnsliaxii  inirent,  e  castris  prosilientea  et  précipites  ab  equis,  ut 
eoknm  moria  est,  pedites  certaturl,  descendentea,  contraiiaa  irruerunt 
intarmaa.  Diro  itaque  bello  hoatea  intetmtrosque  vigente  ,  cum  Huo* 
gari,  aellatoa  Francorao^  equos,  curaa  tranaverao,  regia  petere  castra 
conspîciant  (nondam  enim  iiloram  bellandi  usus  ipsis  notas  erat),  illos 
omnino  hostilem  per  maniim  extinctos  fore  credentes,  graves  disso-» 
lati  in  tumultus,  castra  pariter  et  bellica  relinquentes  ingénia ,  campo 
undiqne  fusi,  hostibas  acriter  icsistentibas,  in  fugam  conveHuntor. 
Strages  fit  mazima  :  multi  cecidere  de  Hiingaris,  et  xnulti  captivitaté 
affecti  ;  et  niai  îpae  rez  ,  navis  ministerio  ,  sibi  adinvenisset  salutem, 
non  cœlo ,  relu^  elatoa  princeps  dixisse  fertur,  sed  hoatis  armis  ibi- 
dem obrutus  fuisset.  » 

Le  récit  fort  intéressant  d*an  témoin  oculairo  de  ces  désastres  a 
été  conservé  en  Allemagne  ;  je  le  résumerai  d*aprés  Tédition  qui  en  a 
été  donnée  à  Munich  en  1813. 

Jean  Schiltberger  quitta  la  Bavière  en  1394  avec  son  maître  Lien- 
bard  Reichertinger  pour  aller  servir  sous  les  ordres  de  roi  de  Hon- 
grie ,  et  ne  rentra  dans  son  pays  qu'en  1427.  11  déclare  qu'il  n^avait 
pas  eu  le  loisir  d'étudier  les  letti*es.  Ses  malheurs  et  ses  souffrances 
suffisaient  pour  imprimer  un  vif  intérêt  au  travail  où  il  les  retraçait. 
'  Les  cit>iBés  traversèrent  les  Portes -de- Fer.  Un  corps  composé  de 
troii  cents  chevaux  et  d'hommes  de  pied  se  dirigea  vers  la  capitale  des 
Bulgares,  ici  nommée  Baden,  ou  Pudem  (Widin)  qui  ouvrit  ses  portes 
sans  résistance.  Une  autre  ville  assiégée  pendant  cinq  jours  fut 
livrée  au  pi  liage.  De  U  Tarmée  chrétienne  s'avança  vers  Nicopoli  qu'on 
assiégea  pendant  six  jours.  Cependant  Bajazet  s'approchait  avec  deux 
cent  mille  hommes.  Le  roi  de  Hongrie  qui  n'en  avait  pas  plus  de  soix- 
ante mille  aous  ses  ordres  ,  se  porta  à  la  distance  d'un  mille  alle- 
mand au  devant  des  infidèles  et  chargea  le  vaiovode  des  Yalaques 
d*aUer  les  reconnaître.  Celui-ci  rapporta  que  les  Turcs  avaient  formé 
leur  avant-garde  de  deux  corps  ,  chacun  de  dix  mille  hommes,  qui  , 
marchaient  séparément.  L9  vaiovode  des  Yalaques  se  préparait  à  les. 
attaquer  lorsque  le  comte  de  Nevers  réclama  cet  honneur.  En  vain  le 
roi  de  Hongrie  lui  représentait- il  que  les  siens  connaissaient  mieux 
la  manière  de  combattre  des  Turcs.  Le  comte  de  Nevers  se  porta 
en  avant  et  fit  reculer  les  dttux  premiers  corps  qu'il  rencontra  ;  mais 
il  trouva,  en  combattant  le  troisième,    une  résistance  si   vive  qu'il 


Digitized  by 


Google 


4â  MOTBS. 

fîit  rëdait  à  recaler.  La  retraite  était  devenue  inpotsible,  et  la  plupart 
des  chevaliers  avaient  perdu  leurs  chevaux.  Bientôt  le  comte  de 
Nevert  fut  fait  prisonnier.  Sigismond  continuait  Taillamment  la  lutte 
quand  le  despote  de  Syrie  amena  à  Bajazet  un  renfort  de  cinquante 
mille  hommes.  Le  roi  de  Hongrie  vit  tomber  sa  bannière  ,  et  le  bur* 
grave  de  Nurenberg  Tentralna  hors  du  champ  du  combat  jusqu'à  une 
galère  qui  le  conduisit  à  Constantinople.Dès  ce  moment,  la  fuite  devint 
générale,  et  les  chrétiens  se  précipitèi*ent  en  désordre  vers  le  Danube 
oti  on  grand  nombre  trouva  la  mort. 

Bajazet  vainqueur  fit  amener  devant  lui  les  chrétiens  prisonniers. 
A  la  vue  du  carnage  des  siens,  il  jura  d*en  prendre  une  terrible  ven- 
geance ,  et  pour  qu^elle  fût  plus  complète  ,  il  voulut  que  le  comte  de 
Nevers  en  fût  le  témoin.  Il  consentit  toutefois  è  épargner  douze  che- 
valiers français.  Schiltberger  attaché  avec  les  mêmes  liens  que  trois 
de  ses  compagnons  allait  périr  comme  eux,  lorsque  le  fils  de  Bigazet 
remarqua  qu*il  n'avait  pas  vingt  ans  et  obtint  sa  grAce.  Le  massacre 
dura  depuis  le  matin  jusqu'à  quatre  heures  de  Taprès-midi  ;  enfin 
Bajazet,  à  la  prière  des  principaux  cheft  de  son  armée,  consentit  à 
épargner  ceux  qui  n'avaient  pas  encore  été  frappés  par  le  glaive.  Dix 
mille  prisoxiniers  avaient  péri. 

Les  prisonniers  qui  avaient  été  épargnés,  furent  conduits  dans  la 
grande  ville  d*Andrinople  où  Ton  comptait  cinquante  mille  maisons,  et 
j  passèrent  quinze  jours  ;  puis  on  les  mena  à  Oaliipoli,  où  les  Tares 
franchisaient  habituellement  le  Bosphore  en  se  rendant  d*Asie  en  Eu- 
rope. Le  comte  de  Nevers  j  resta  pendant  deux  mois  enfermé  dans  one 
tonr.  Ce  fut  alors  que  le  roi  de  Hongrie  traversa  le  Bosphore  au  milieu 
des  insultes  des  Turcs  qui  lui  criaient  :  «  Venez  délivrer  nos 
«  prisonniers.  » 

Cependant  Bigazet  avait  passé  la  Save  et  brûlé  Pettau  (Peter- 
Waradin?)  où  il  avait  fjùt  seize  mille  prisonniers  qui  furent  conduits 
les  uns  en  Asie,  les  autres  en  Grèce  où  ils  formèrent  des  colonies.  En- 
suite il  se  rendit  à  Oallipoli  et  à  Brousse  où  il  fit  amener  les  captifr 
de  Nicopoli.  Brousse  ,  capitale  de  Tempire  de  Bijazet,  possédait  trois 
cents  palais  et  deux  cent  mille  maisons.  Celle  qui  fut  assignée  pour 
demeure  au  comte  de  Nevers,  se  trouvait  à  côté  du  palais  habité  par 
Bajazet.  Quant  au  pauvre  Schiltberger,  il  fut  pendant  six  ans  Ton  des 
coureurs  de  Bajazet,  puis  il  passa  encore  six  années  à  son  service,  et 
par  un  étrange  revers  de  la  fortune  il  partagea  son  sort  en  tombant 
plus  tard  «utre  les  mains  de  Tamerlan . 


Digitized  by 


Google 


MOTBS.  42S 

Lts  docaments  mentionaés  ci-aprôs  n*eiiAteut  plus  aux  archives  du 
Lille.  Force  mVst  de  me  borner  à  en  reproduire  l'analyse  : 

«  1396 ,  22  fétriir,  à  Dijon,  —  Lettre  d'A.  Pasté,  clerc,  à  Jean 
Canard,  évéqne  d'Arras  et  chancelier  du  duc  de  Bourgogne,  par  laquelle 
il  lui  envoie  la  copie  du  pouvoir  de  feu  messire  Nicolas  de  Fonteno^i 
gouverneur-général  des  finances,  et  en  réponse  à  une  lettre  qu*il  lui 
avoit  écrite  le  22  janvier  pour  s*informer  des  offices  vacans  en  Bour- 
gogne et  en  Nivemois  et  des  personnes  qui  étoient  mortes  dans  le 
voyage  de  Hongrie  ,  lui  mande  que  Ton  en  nomme  plusieurs,  savoir  : 
Henri  du  Sanvement ,  bailly'  d'Amont  au  comté  de  Bourgogne  ;  Jean 
de  Germigny ,  bailly  d'Ostan  ;  Guillaume  de  Lugny,  capitaine  de 
Brancion  ;  Damar  de  Bnxeuil ,  capitaine  de  Liénara  ;  Gauvignon  de 
Semur,  capitaine  du  château  de  Doudain  ;  Estienne  de  Monseaogeon, 
capitaine  de  Poligny  ;  Jean  de  Gray,  concierge  de  Thôtel  d'Artois  à 
Paris  ;  Michelet  Hodierne  ;  Enguerrammet  de  Houlfort ,  chAtelain  de 
Monbar ,  mais  qu*il  n'y  a  rien  de  ceriain. 

«  1396,  16  mart^  à  Dijon.  —  Les  gens  des  comptes  à  Dijon  man- 
dent à  Jean  Canari ,  évdque  d^Arras  et  chancelier  dn  dac  de  Bour- 
gogne ,  et  lui  envoient  les  noms  des  personnes  qui  étoient  allées  en 
Hofngrie,  auxquelles  il  étoit  dû  des  pensions,  qa*il  avoit  fait  demander 
par  maître  Jean  de  Sauls  ,  et  que  le  duc  de  Bourgogne  avoit  aussi 
ûdt  demander  par  Pierre  de  Montbertaut ,  trésorier  et  gonvemeor  de 
sea  finances ,  mais  que  Ton  ne  sait  par  si  ces  personnes  vivent  encore. 

liste  des  noms  des  personnes  qui  sont  allées  en  Hongrie  : 

«  Jean  Sauvegrain ,  dit  Normendel ,  qui  tient  Vemon  ; 
«  Jean  de  Gray  tenoit  la  Conciergerie  de  Thôtel  d* Artois  à  Paris  ; 
«  Messire  Bertaut  de  Chartres  tenoit  Saint-Mérs  ; 
«  Damas  de  Buxenl  tenoit  la  capitainerie  de  Liénais  ; 
«  Gouvignon  tenoit  la  capitainerie  de  Doudain  en  Charolois  ; 
«  Henri  du  Sanvement  étoit  bailly  d'amont  au  comté  de  Bourgogne; 
«  Etienne  de  Germigny  étoit  bailly  d'Ostnn  ; 
«  Anguerrammet  de  Houlfort  étoit  châtelain  de  Montbar  ; 
«  Michelet  Hodierne ,  maître  de  la  Chambre  aux  deniers,  et  par 
avant  clerc  des  comptes,  â  VII*  VI^   tournois  de  gages  par  jonr  ; 
«  GieiTroy  Guindot ,  châtelain  d'A  vallon  ; 
«  Etienne  de  Montsaugeon,  capitaine  de  Poligny  ; 
«  Messire  Philippe  de  Mnssy ,  capitaine  de  Juilly  ; 


Digitized  by 


Google 


424.  ROTES. 

.  «  Mâssire  Hélyon  de  Neiliac  ,  capitaine  de  Dontj  »  d*Aatrain  et  de 
Saint-Sauvear  en  Puisoje  ; 

«  Quillaume  de  Lugny  ,  capitaine  de  Brancion  ; 

«  Louis  d*Aynne  ,  capitaine  de  Montréal , 

«  Claax  de  Bahagnon,  capitaine  de  Disiae.  » 

Quelques  seiçneurs  sont  exceptés  du  massacre  des  Cnn$és  (pp. 
323-330).  —  La  Chronique  de  Boueiquaut  comparé  restermination 
des  prisonniers  chrétiens  au  massacre  des  Innocents.  Bouciqaant 
déponillé  de  ses  Tdtements  allait  être  mis  à  mort  lorsque  le  comte  de 
Nevei*s  joignant  les  mains  en  signe  de  supplication  obtint  sa  grâce  de 
Bi^azet. 

On  peut  comparer  au  récit  de  Froissart  celni  du  Religieux  de  Saisi* 
Denis  :  «  Dieu!  8*écrie-t-il ,  tes  jugements  sont  un  abSme.  Tuaaappe- 
«  santi  ta  main  sur  ton  peuple  ;  tu  aa  choisi  Bajaset  pour  instrument 
«  de  ta  vengeance.  Puisse  ce  châtiment  tourner  à  la  gloire  des  chré- 
«  tiens  !  » 

Jq vénal  des  Ursins  assigne  à  la  résolution  de  Bigazet  d'épargner  le 
oomte  de  Nevers,  un  motif  assex  étrange  :  «  Et  disoit-on  communôment 
«  qu*ily  eut  un  Sarrasin,  devin  ou  sorcier,  qui  dist  qu*on  le  sauvaat  et 
«  qu'il  estoittailiié  de  faire  mourir  plus  de  chrestiens  que  le  Basae,  ne 
«  tous  ceux  de  leur  loy  ne  sçauroient  faire.  » 

La  chronique  de  Berne  se  borne  à  rapporter  que  le  massacre  des 
prisonniers  eut  lieu  devant  la  tente  de  B^jazet  et  que  le  sire  de  Helly 
fut  sauvé  par  un  émir  turc. 

D*aprè3  le  Religieux  de  Saint-Denis,  trois  mille  chrétiens  forent 
égorgés  par  Tordre  de  Bc^jazet.  Cent-vingt  hommes  d^armes  bretons  se 
trouTgiient  à  NioopoU  ;  il  n'en  revint  que  trois. 

Juvénal  des  Ursins  rapporte  que  comme  on  avait  dépouillé  le  aire  de 
Coucy  de  ses  vêtements  ,  un  nianteau  le  couvrit  :  «  d*où  il  vint,  on  pe 
«  sçait.  3» 

Nonioia  de  là  se  trouvait  Trinovi ,  cette  résidence  du  roi  bulgare 
Joannice  où  un  priuce  également  venu  de  Flandre ,  l'empereur  Ban- 
douin  de  Constantinople,  avait  terminé  par  un  cruel  supplice  Taven- 
tureuse  croisade  qui  avait  fait  de  lui  le  aucceaseur  dea  Conmène  sur 
le  trône  de  Constantinople. 

Eustache  Deschamps  dans  une  pièce  de  vers  où  il  rappelle  d^abord 
la  désolation  de  Rachel  ;  termine  ainsi  : 


Digitized  by 


Google 


NOTES.  4S5 


Ayons  tuit  Bonvenance 

Ans  priaonniers  que  tient  Ba«ach  boub  lame, 
Dea  mors  aussi  pour  garder  no  créance  : 
De  chascun  d'eulx  ait  Dieu  mercj  de  Pâme  ! 

Ailleurs ,  il  s*ëorie  en  rappelant  de  récents  souvenirs  : 

Las  !  où  sont  les  haulx  instrumena  , 
Les  draps  d'or ,  les  robes  de  soye  , 
Les  grans  destriers  ,  les  paremens  , 
Les  jousteurs  qu'à  veoir  souloie  , 
Lee  dames  que  dancer  veoie 
Dés  la  nuit  jusques  au  cler  jour  ? 
Las  !  où  est  d^orgueil  le  séjour  ? 


Je  ne  voy  que  tristesce  et  plour.  > 

.Indépendanmient  des  croisés  épargnés  pai*  Bajazet,  il  y  en  ent 
plusieurs  &  qui  les  Turcs  laissèrent  la  vie  parce  qu*ils  en  espéraient 
d'importantes  rançons. 

Ltz  iébrù  de  l'armée  chrétienne  traversent  V Allemagne  (pp.  330- 
332.)  —  Au  commencement  du  mois  de  décembre  1396  les  premières 
ni^uyelles  de  la  déroute  de  Nicopoli  furent  apportées  en  France  par 
deux  Talets  du  comte  d*Eu. 

Le  7  décembre  1396,  le  duc  de  Bourgogne,  alarmé  par  ces  bruits, 
chargea  son  écuyer  Jean  de  Neuville  et  son  valet  dé'chambre  Pieterken 
Vande  Walle  de  se  rendre  à  Venise  pour  y  recueillir  des  nouvelles  sur 
ce  qui  s'était  passé  en  Turquie. 

Le  même  jour  ,  le  roi  de  France  envoya  également  à  Venise  Guil- 
laume de  TAigue  ,  Jean  Picquet ,  écuyer ,  et  Jean  de  Reims  ,  Tun  de 
ses  valets  de  chambre.  Ils  étaient  chargés  d'une  lettre  pour  le  doge 
de  Venise  ou  le  roi  le  priait  de  transmettre  le  plus  promptement 
possible  à  Paris  les  renseignements  qull  aurait  reçus  sur  les  mal- 
heurs des  Croisés  et  le  sort  du  comte  de  Nevers. 

Le  8  décembre  le  duc  de  Bourgogne  écrivit  lui-mâme  à  ce  sujet  au 
doge. 

Deux  jours  après,  le  duc  d'Orléans  adressa  au  doge  d'autres  lettres 
où  il  écrivait  que  l'on  n'avait  recueilli  à  Paria  que  des  bruits  vagues  et 
que  l'on  attendait  impatiemment  quelques  nouvelles  certaines. 

Ces  diverses  lettres  sont  mentionnées  dans  des  document&.conservés  à 

XY.  —  FR01S8ART.  28 


Digitized  by 


Google 


4â6  NOTES. 

Venise ,  comme  me  rapprend  nne  obligeante  commnnication  de  M.  de 
Maa-Latrie. 

Un  servitenr  de  Henri  de  Bar,  nommé  Geoffroy  de  Saint-Marc»  se 
rendit  aussi  à  Venise  pour  sUnformer  de  Tétat  de  son  mattre. 

Jacques  de  Helly  arriw  à  Paris  (pp.  332-337).  —  Le  doc  de  Bour- 
gogne nomma  le  sire  de  Helly  son  chambellan  et  lui  donna  deux  cents 
francs  de  rente.  Faut-il  ajouter  que  ce  héros  des  ayentureuses  chevau- 
chées d'Orient  fut  plus  tard  Tinstioiment  complaisant  de  toutes  les 
violences  du  parti  bourguignon ,  à  ce  point  qu'on  Taccusa  en  141 1 
d'avoir  fait  piller  Tabbaye  de  Saint-Denis  ? 

Les  sires  de  Helly  ou  Heilly  étaient  issus  de  la  maison  de  Créquy  par 
Philippe  de  Créquy  qui,  après  avoir  épousé  Aélis  de  Heilly  ,  prit  ce 
nom  et  le  transmit  à  ses  descendants. 

Le  roi  de  France  fit  célébrer  un  service  solennel  À  Notre-Dame  de 
Paris  :  les  cloches  sonnèrent  dans  toutes  les  églises,  et  les  sanglots 
des  assistants  se  mâlèi*ent  aux  prières  du  clergé.  (Chronig^ue  de  Bond- 
quant,) 

La  date  donnée  par  Froissart  à  Tarrivée  du  sire  de  Helly  parait  fort 
exacte. 

Le  23  décembre  1396  ,  le  duc  de  Bar,  alors  à  Bar-Ie-duc,  écrivit  au 
doge  de  Venise  qu*il  avait  appris  la  captivité  de  Henri  de  Bar  ,  mais 
qu'il  ignorait  encore  ce  qu'était  devenu  Philippe,  un  autre  de  ses  fils. 
Il  le  priait  de  lui  faire  connaître  ce  qu'il  aurait  appris  et  de  s'inter- 
poser pour  le  rachat  de  son  fils  prisonnier. 

Le  31  décembre  suivant,  la  dame  de  Coùcy  écrivit  de  son  côté  au 
doge  pour  qu'il  s'employât  À  abréger  la  captivité  de  son  mari. 

Jacques  de  Eelly  retourne  en  Turquie  (pp.  337,  338).  —  11  paraît 
que  deux  mois  auparavant  le  sire  de  Châteauinorant  avait  reçu 
du  duc  de  Bourgogne  une  semblable  mission  déjà  justifiée  par 
les  inquiétudes  qui  se    répandaient.   En   effet ,  par  une  charte  du  i 

5  novembre   1396 ,  donnée  à  Calais  le  lendemain  de   son  mariage,  i 

Richard  II  recommanda  à  toos  les  princes  alliés  de  TAngleterre 
Jean  de  Château morant,  chambellan  du  roi  de  France,  et  Pierre 
Dertluot ,  secrétaire  du  duc  de  Bourgogne. 

Jean  de  Châteaumorant,  Jean  de  Vergy  et  Gilbert  de  Leeuwer- 
ghem  partirent  avec  Jacques  de  Helly  le  20  janvier  1396  (v.  st.). 
Ils  emmenaient  avec  eux  vingt^uatre  valets  pour  conduire  les  chevaux 
et  les  chiens,  et  dix  fauconniers  chargés  du  soin  des  faucons. 


Digitized  by 


Google 


NOTES.  437 

PrétenU  destinés  à  Bajaut  (pp.  338,  330.)  ^  Le  compte  de  Pien^e 
dé  Montbertaot  indique,  parmi  les  présents»  des  selles  à  arçons  d'ivoire, 
couTertes  d'étoffes  précienses  fixées  par  des  clous  d'or  ,  où  Ton  voyait 
aux  quatre  coins  de  grosses  roses  d*or  pendantes.  Les  trousses  étaient 
en  broderie  d'or  de  Chypre  semée  de  pierreries.  Les  mors  étaient  d'or 
fin. 

£e  roi  de  Hongrie  rentre  dans  ses^États  (pp.  339, 340.)—  Le  roi  de 
Hongrie,  recueilli  sur  la  flotte  vénitienne,  se  dirigea  vers  le  Bosphore. 
Quand  il  passa  devant  Gallipoli,  les  Turcs  rangèrent  leurs  prisonniers 
sur  le  rivage  et  crièrent  an  roi  de  Hongrie  de  les  racheter  de  la  cap- 
tivité. —  Sigismond  s'arrêta  à  Rhodes  avant  de  rentrer  dans  ses 
États  en  passant  par  la  Dalmatie. 

Les  prisonniers  chrétiens  sont  envoyés  à  Brousse  (pp.  340-343).  — 
La  chronique  de  Berne  fait  remarquer  que  Brousse  ,  prison  du  comte 
de  Nevers ,  n'est  pas  loin  de  Nicomédie  ,  prison  d'Annibâl. 

Jacgines  de  Helly  se  rend  près  de  Bajaset  (pp.  343-348).  —  La 
seigneurie  de  Mételin  ou  Mytiléne  (Lesbos)  avait  été  conquise  en  1333 
par  Dominique  Cataneo.  En  1355,  elle  avait  passé  à  François  Gate- 
luzzo.  Nous  reviendrons  dans  le  volume  suivant  sur  les  seigneurs  de 
Mételin  à  la  fin  du  XIV«  siècle. 

Quelle  est  cette  cité  de  Pébly  où  Jacques  de  Helly  trouva  Btijazet  t 
Peut-être  faut-il  lire  :  Boly.  Cette  ville  située  à  soixante  lieues  au 
delà  de  Brousse  est  la  capitale  d'une  province  turque. 

Ze  roi  de  Hongrie  s'oppose  à  l'envoi  des  présents  à  Bajaut  (pp.  348- 
352).  —  Pendant  longtemps  les  sultans  s'enorgueillirent  des  orne- 
ments de  leurs  palais,  qui  rappelaient  l'humiliation  des  princes  chré- 
tiens. 

Quelques  années  plus  tard,  des  marchands  rapportèrent  à  Vienne  de 
magnifiques  tapisseries  achetées  à  Constantinople.  On  en  trouve  la 
description  dans  le  ms.  1 193  ,  f.  fr.  de  la  Bibliothèque  nationale  de 
Paris. 

laduckesse  d'Orléans  est  accusée  d'avoir  empoisonné  le  roi{^]p^  352- 
355).  — Charles  VI  ne  reconnaissait  dans  sa  folie  que  la  duchesse  d'Or- 
léans ;  il  voulait  la  voir  tous  les  jours,  et,  lorsqu'elle  était  absente,  il 
appelait  à  grands  cris  sa  sœur  bien-aimée.  Pour  quelques-uns  cette 
influence  ne  s'expUquait  que  par  des  maléfices,  et,  d'après  les  conseils 
du  maréchal  de  Sancerre,  la  duchesse  d'Orléans  se  vit  réduite  à  quit- 
ter Paris.  (Religieux  de  Saint-Denis.) 


Digitized  by 


Google 


428  NOTES. 

La  rameur  relative  à  L'attentat  de  la  duchesse  d^Orféans  iitigé 
contre  un  enfant  du  roi  et  dont  son  propre  enfant  aurait  ^té  victime, 
est  reproduite  dans  un  passage  du  discours  de  Jean  Petit,  qu'un  chro- 
niqueur bourguignon  rësume  en  ces  termes  :  «  La  ducesse  d*0rlëans  , 
fille  à  Galliace,  estoit  ung  jour  au  jardin  de  Tostel  de  Saint-Pol,  où  à 
celle  heure  avoit  grand  plenté  de  nobles  signeurs,  dames,  demoiselles  et 
enffans  grands  et  petis  de  si^eurs  et  de  dames.  La  ditte  ducesse 
d'Orléans  tint  une  pomme  belle  et  vermeille  ;  sy  dist  à  ung  enfiant 
qu  elle  trouva  en  sa  voie  :  «  Mon  enffant,  porte  ceste  pomme  au  dan- 
«  phin  de  Vienne  quy  illec  s'esbat.  »  L'en  fiant  prist  la  pomme,  qay 
moult  en  fu  joieux,  mais,  ainssj  comme  il  s'en  aloit,  il  rencontra  la 
nourrice  à  la  meisme  dame  et  duchesse,  laquelle  avoit  à  son  col  Tenf- 
faut  au  duc  Lojs  d'Orléans,  laquelle  demanda  prestement  au  dit 
enfiant  la  pomme,  et  il  luj  bailla  ,  et  sy  test  qu'elle  le  tint,  l'enffimt 
le  prist ,  quy  moult  le  dôsiroit,  et  au  plus  tost  qu'il  le  tint,  le  mist  à 
sa  bouche  et  mordy  tan  tost  dedens,  mais  si  tost  qu'il  senty  la  sayeur, 
il  s*estendy  et  tourna  les  yeulx  tout  tremblant.  I«a  nourrice  le  mist  à 
terre  et  s'escria  si  hault  que  pluiseurs  y  affuyrent,  et  mesmement  y 
arriva  la  ditte  ducesse  ,  laquelle,  quand  elle  perchutque  son  enffant 
se  moroit  et  recongnut  la  pomme,  elle  chéy  k  terre  comme  pasmée,  et 
an  relever  s'écria  en  hault  :  «  Vray  Dieux,  que  tu  es  juste  !  Comment 
ce  tu  scès  bien  tes  gens  payer.  » 

L'enfant  désigné  dans  cette  rumeur  populaire  ne  peut  être  que 
Charles  d'Orléans  né  vers  le  15  novembre  1394  et  inhuma  le  27  sep- 
tembre 1 395.  Il  naquit  et  mourut  à  l'hôtel  Saint-Pol. 

Hors  de  France,  en  Flandre  notamment  on  considérait  la  démence 
de  Charles  VI  comme  la  punition  de  l'appui  qu'il  donnait  au  pi^ 
d'Avignon. 

L'université  de  Paris  venait  d'adi*esser  à  Benoit  XIII  et  aux  cardi- 
naux réunis  autour  de  lui,  de  nouvelles  lettres  pour  l'union  de  'rËgliae. 

Ce  qui  suit,  est  tiré  de  la  chronique  de  Berne  : 

4  Cardinalis  de  Luna  de  Arragonia  oriundus,  qui  de  Francia  vix  en- 
riam  remearat,  Beuedictus  vocatus  est  hoc  nomine  XIII»*.  Quod  quam- 
primum  ad  prsedict»  Universitatis  Paiîsiensis  pervenit  notitiam  cardi- 
nales in  suam  electionem  convenisse,  tali  pacto  quod  jùravit  cedere 
pro  unione  Ecclesiœ  quotienscumque  coUegio  dominorum  cardinalium 
vel  majori  parti  eorum  videretur  expedire,  confestim  suas  dîrexît  lit- 
teras  pnefato  papse  Benedicto  et  cardinalibus  super  dîctam  unionem 
sanctse  Dei  Ecdesi»  et  in  hanc  formam  :  v 


Digitized  by 


Google 


ROTIS.  429 

«  Qtuunqaftm,  pater  sanctiiBime  ,  dnm  ad  nos  perlata  fait  romani 
«  pontificis  vacatio  ,  zelo  pads  Ecclesise  ferventissime  succensi,  quam 
«  super  alia  quoqnea  nobis  desiderata  restitatam  conspioere  impensins 
a  sempervoptaTimof,  dominis  cardinalibus,  ut  snam  electionem  cele- 
«  brare  aliquantisper  differrent,  humili  oordialique  affectu  supplica- 
«  Tissemus ,  hoc  pacto  posse  multo  faciJius  leviusque  rem  tantopere 
«  qoMsitam  obtineri,  altéra  expagnandorum  et  validiori  parte  devin- 
«  eentiam  (?)  medio  subducta,  sîmulque  veriti  ne  qaod,  non  nunquam 
«  nt  assolet  in  talibos,  avida  interveniret  aliunde  capiditas  ,  sic  quod 
«  non  modo  spes  omnis  scismatis  eradicandi  intercepta  escideret, 
«  vemm  insuper  radices  rursum  altius  agere  inciperet,  postquam 
«  tamen  indnbie  comperimus  prsBfatos  dominos  nostros  cardinales  in 
a  yestram  electionem  pari  et  consona  voce  unanimique  consensu 
«  convenisse,  SanctoquidemSpiritu^  ut  credimu8,interveniente,  ingens 
«  animis  n<>stris  betitia,  yoxque  gratnlatîonis  ezorta  est,  sperantibus 
«  uniyersis  sanctum  illud  propositum  flagransque  desiderium  unitatis 
«  Ecdesiœorthodoxse  qnod  vestris  in  prœcordiis  indesinenter  hucusque 
«  gessistis,  gerereque  vos  avidius  speramns  etcredimus,  nunc  tandem 
a  nacto  tempore  opportnno  facultateque  de  Gœlo  exhibita,  debere 
«  patefieri  ac  in  medinm  produci.  Nunc  ergo ,  pater  Bénédicte,  ut 
«  vos  vestro  nomine  alloqnamur,  pater,  inquam,  Bénédicte  in  quem 
M  onmia  secula  jugiter  benedicent,  sacratissimam  illam  volnntatem 
«  tanto  tempore  conceptam  parturite,  opère  exequamini,  quod  tamdiu 
te  in^ndistis ,  etc.  » 
«  Circa  vero  ânem  hujus  epistolœ  sic  scriptum  erat  : 
«  Si  vero  in  hoc  opère  ad  exitum  perducendo  nostri  moduli  parvitas 
«  conferroaut  subvenire  Vestrse  Beatitndini  aliquantulum  valeret,  nichil 
«  est  quod  recosemus.  Ad  quaeque  prorsns  onera  subeunda,  quSB  cervi- 
«  eibus  nostris  imponere  jam  dicta  Beatitudo  dignabitur,  promptissimi 
«  sumus.  Id  modo  prœcipiatJs  quid  per  nos  agi  velitis,  et  nos  certe 
«  faciemuà  t^  nostram  sedulitatem  simulque  fidelitatem  in  ea  re 
«  experiamini.  Quam  ob  causam  snpplicamus  humiliter  ,  uti  nostrum 
fc  coUegium  jmmo  vestrum,  si  in  oculis  vestris  ulla  gratia  digxymi  est, 
«  hoc  honore  et  mnnere  dignemini  ut  démenti»  vestrse  littéral  sua* 
«  vissimas  vestrse  benedictionis  coUatrices  et  voluntatis  indices 
«  mereamur,quantocius  commoditas  affaerit,accipero.  Id  enim  magnsa 
«  gratiœ  appd  Vestram  Sanctitatem  indicium  et  magni  pignus  amoris 
A  habebimns  ;  et  vestri  beneplaciti  oognita  intentione  nos  eidem  con- 


Digitized  by 


Google 


450  MOTKS. 

«  formarainageadiseDitemur.De  iUiusconcordi»  tnrbatdris,  ne  aliad 
a  in  eumdicamas.exeqaendapugnitioneysicat  Testrum  praedeceasorem 
«  monaimas,  ita  tempore  conginio  vos  monere  intendimns.  Sed,  ne  toi 
<c  aimai  agendis  Beatitadinem  Vestram  oneremua,  inprseaena  aupersede- 
«  mua.  Veatro,  pateraanctiasime,  ingreaaai  Spiritaa  Sanctua  aapiret, 
«  progreaaoi  comea  aaait,  feliciqae  egresau  voa  aaaiatat.  Amen.  » 
La  lettre  aux  cardinaux  était  conçue  en  ces  termea  : 

a  Reverendiaaimi  patrea,  acribimua  domino  noatro  aummo  pontifici 
«  auper  unioAem  aanctœ  Dei  Eccleaiss  in  hanc  formam  :  Quamquam  , 
«  etc.  Propterea,  reverendiaaimi  patrea,  toti  veatro  sacro  collegio  et  vea- 
«  trum  unicuique  omnibua  cordia  viribua,  omnique  humilitate  aupplica- 
«  mua,  quod  in  hujua  rei  maturando  initio,  nam  in  maturato  opua  eat, 
«  in  promotione  quoque  apud  eumdem  dominum,  in  onmi  deniqne 
«  proaecutione  atque  agitatione  pro  ae  quîaque  partea  auaa  laudabili 
«  aoUicitudine  intermiacere  atudeat,  ipai  inauper  domino  quem  valde 
«  ad  boc  affici  ipai  meliua  noatîa,  ipaumque,  aient  credimua,  obinde 
«  elegiatia,  in  ope  ,  patrocinio,  conailio,  aubaidio  ceteriaque  generibua 
«  auxilii  univerai  adeaae,  ut  quod  aalutiferse  veatras  electionia  titnlo 
fc  exordium  acceperit,  proapero  per  Toe  ipaoa  qui  apiritualea  eatia, 
«  potiua  quam  per  terrenam  poteatatem  conaumetur  effectu  ;  in  quo  et 
«  noatram  operam,  ai  ulliua  momenti  eat  in  veatro  conapectaf  sulla- 
«  tenua  defuturam  confidite.  Nobia  autem  qui  vobia  jam  tertio  auper 
«  hac  re  acribimua,  aliquid  tandem  responaum,  aupplicamua,  remitta- 
ce  tia.  Valete,  patrea  metuendiaaimi,  et  ita  militantem  Jbemaalem 
a  quam  in  bumeria  vebitia,  cogitate.  » 

La  aantë  dn  roi  de  France  était  expoaée  à  dea  criaea  fréquentée  qui 
raffaibliaaaient  de  plua  en  plua. 

En  1395,  Gbarlea  VI  avait  chaaaéaon  médecin  Renaud  Freron  qui 
a^était  réfugié  à  Cambray,  et  bientôt  aa  folie  redoubla  ;  il  prétendait 
qu'il  n*était  plua  roi  et  voulait  quitter  Fhôtel  de  Saint-Pol  dont  on 
mura  lea  portée.  II  courait  de  aalle  en  aalle,  effaçant  lea  flenra  de  lya 
et  prétendant  que  aea  armea  étaient  un  lion  percé  d'une  épée.  II  diaait 
qn*il  aStait  lui-même  dana  aon  oorpa  le  fer  de  aea  ennemia.  (Religieux 
de  Saint-Denia.) 

Le  I***  janvier  1395(v.a.),  une  proceaaion  parcourut  lea  ruea  de  Paria 
pour  implorer  du  ciel  la  g^ériaon  du  roi.  On  n'en  avait  point  vu  de  ai 
aolenneile  depuia  Tan  1239  aoua  le  régne  de  aaint  Louia. 

La  même  proceaaion  eut  lieu  dana  toutes  lea  villea  du  royaume. 


Digitized  by 


Google 


NOTES.  43f 

Le  19  janvier  1395  (y.  st.),  on  publia  à  Tournay  dons  les  principales 
raes  de  la  ville  les  lettres  closes  snivantes  adressées  par  la  reine  de 
France  à  l'ëvâque  de  Tonrn&y  : 

«  Ysabiel,  par  la  grâce  de  Oiea,  rojne  de  France.  Révérend  Pore  en 
Dien,  par  la  délibération  et  advis  deplasienrs  du  sang  et  li^aig^de  mon-  ^ 
seignear  et  de  son  grant  conseil,  et  aussi  d'aucunes  dévotes  personnes^ 
a  esté  ordonné  que  ,  pour  la  bonne  santé  et  prospérité  de  mondit  sei- 
gneur ,  soient  faites  iij  processions  générales  ,  la  première  à  un  jour 
de  joedi  en  Thonneur  et  révérence  du  Saint-Esprit ,  la  seconde  à  un 
jour  de  vendredi  en  la  ramenbranche  de  la  passion  de  Nostre-Sei- 
gneur  Jésns-Christ ,  la  tiei*ce  à  un  jour  de  sabmedi  en  Thonneur  et 
révérence  de  la  glorieuse  Vierge  Marie  »  et  que  le  peuple  soit  amo-  . 
nestédejuner  au  jour  que  Ton  fera  ladite  procession  et  de  aler  à 
ioelle  nus  pies  ou  en  langes  on  en  autre  manière  ,  cascun  selon  sa 
dévotion.  Sy  vous  prions  et  requérons  ,  le  plus  acertes  que  plus  pou- 
vons ,  que  les  dites  iij  pourcessions  vous  ordonés  et  fachiés  faire  et  en 
partout  vostre  diocèse  ,  en  la  manière  que  dit  est ,  le  plus  briefment 
que  vous  pourés  ,  et  en  ce  n*ait  ancun  deffaut ,  si  chier  que  vous  avés 
le  bien  de  mondit  seigneur  et  faire  nostre  plaisir.  Nostre -Seigneur 
soit  garde  de  vous.  Escript  au  bois  de  Vinchennes  le  ^«  jour  de  jan* 
vier  (Archives  de  Toumap).  » 

En  cet  état  de  choses,  les  oncles  du  roi  se  préoccupaient  vivement 
de  la  part  d'influence  qui  leur  serait  réservée  lejonr  où  ils  auraient 
à  exercer  le  gouvernement  du  royaume. 

J'emprunte  aux  archives  de  Lille  les  documents  suivants  relatifs 
an  testament  de  Charles  VI  et  à.  Torganisation  d'une  régence  si  le  roi 
de  France  succombait  au  mal  dont  il  était  atteint. 

Mémoire  secrète  pour  le  roy^  touchant  la  tutèle  de  monseigneur  le 
dalphin,  le  ffouvernement  du  royaume,  etc. 

Pour  la  tutèle. 

«  Soit  vene  la  tutèle  donnée  par  le  roy  Gharle  à  ses  enfans. 

a  Quelle  prérogative  auroit  le  principal  tuteur  ? 

<c  II  samble  que  le  principal  tuteur  ne  puisse  faire  aucune  chose 
sans  tous  les  autres. 

«  Il  n^est  pas  exprimé  le  pooir  de  instituer  officiers,  ne  de  lever  les 
aides  es  terres  qui  seront  ballies  ans  tuteurs,  ne  aussi  des  confiscations 
et  fourfaitures. 


Digitized  by 


Google 


452  HOTES. 

a  Et  n'est  faite  aucane  mention  dea  mXiebles  du  roy  et  de  la  tojim  ; 
c<  Se  ila  pourront  faire  rémissions  ; 

tt  Quid  des  ëglises  cathédraus[et  de  fondation  royal  assises  es  terres 
ballies  ans  tuteurs  ? 
c(  Soit  avisé  quelles  pensions  prend rçnt  les  tuteurs. 

Le  testament  : 

a  A  Saint-Denis  G  livres  de  rente  pour  les  obis  du  roy  et  de  laroyne. 

«  Paler  les  testamens  des  roys  et  i*oynes  trespassés. 

a  IIII^  LXXIII  livres  à  la  Sainte-Chapelle  pour  la  fondation  dea  heures. 

fc  A  Saint- Julien  du  Mans  X"^  û*ans. 

«  Aus  ëglides  de  fondation  royal  X"*  frans. 

«  Pour  fonder  V  chappelains  à  Rosebec  II«  L  livres  de  rente. 

«  Plusieurs  grosses  sommes  de  don. 

«  Monseigneur  d'Orliens  n*est  point  ordonnés  pour  la  garde  des 
muebles. 

a  II  samble,  par  la  principale  clause,  que  les  revenues  du  royaume 
doivent  estre  gardées  au  profit  de  leur  ainsné ,  et  que  ainsi  soit 
ordonné  par  autres  lettres,  dont  il  n'appert  point,  et  samble  qu'elles 
appartiennent  à  monseigneur  d^Orliens. 

«  Le  roy  ne  baille  pas  la  possession  de  ses  biens  es  mains  de  ses 
exécuteurs  pour  son  testament  acomplir. 

a  Que  à  la  garde  des  meubles  soit  a^joustée  la  royne,  et  que  Tun  ne 
puit  riens  faire  sans  trois  des  antres,  qu'il  soient  enfermés  sous  quatre 
clés  qui  seront  gai*dées  par  la  royne  et  nos  trois  seigneui*s. 

a  Item,  que  la  royne  ait  un  des  testamens  par  original,  nos  sei- 
gneurs les  ondes  un,  et  qu'il  en  ait  un  en  Parlement. 

Aus  lettres  du  goutemement  dn  royaume  : 

«  Il  samble  par  une  clause,  qui  est  ou  milieu,  que  monseigneur  d*Or- 
liens  ne  l'ait  pas  juré,  et  par  ses  lettres  appert  que  si  a.  Soluiio  fer 
datas. 

«  S'il  a  fait  le  serment  et  ballié  ses  lettres,  riens  n*i  puet  estre  mué 
sans  s#n  consentement  et  qu'il  face  serment  nouvel,  qui  porroit  estre 
rupture  de  tout  le  fait. 

«  Aucune  mention  n'y  est  faite  des  aides,  fors  par  le  mot  :  extraar^ 
dinaires. 

tt  Se  monseigneur  d'Orliens  moi*oit  ou  qu'il  ne  vousist  pas  accepter 
le  gonvemement,  il  n'est  pas  desdairié  qui  l'auroit  ; 


Digitized  by 


Google 


485 

«  Ne  wMÏi  8«  le  roj  chéoit  en  longue  maladie. 

«  Il  n^estpas  exprimé  qae  monseigneur  d'Orliena  doie  païer  lee 
charges. 

«  Des  terres  qui  demeurent  au  régent ,  soit  destrait  le  douaire. 

«  Soit  avisé  du  conseil,  quant  monseigneur  le  dalphin  sera  entré  ou 
Xim«  an. 

ce  Acte  de  la  création  d'officiers  et  mutation. 

Lettres  du  serment  de  monseigneur  d'Orliens. 

u  II  n'est  pas  exprimé  qu'il  ait  à  lire  les  lettres  du  gouTemement  du 
royaume. 

«  Se^ès  la  tntèle,  gouvernement  etc.  aucunes  corrections  sont  ûdtes, 
les  lettres  seront  de  date  subséquent  le  serment,  par  quoi  monsei- 
gneur d'Orliens  n'en  seroit  pas  lyôs,  et  si  faudroit  rappeler  les  tes- 
moins  nommés  es  lettres  du  testament  et  du  gouvernement,  et  si 
afferme  monseigneur  d'Oriiens  avoir  veu  les  lettres  de  la  loi  et  de  la 

tuteUe. 

Douâtes  communes. 

a  Pourquoi  ne  sont  séelées  les  lettres  de  la  tutelle  et  du  gouverne- 
mânt  du  royaume  ? 

«  S'il  y  faut  faire  mutation,  que  ce  soit  pai*  plus  gi*ant  conseil. 

a  Se  la  royne  doit  avoir  aucuns  biens  muebles,  se  elle  survivoit  le 
roy,  et  se  elle  doit  riens  paier  des  debtes. 

«  Monseigneur  le  chancelier  doit  tout  savoir,  et  si  le  sauront  mes- 
seigneurs  de  Berri,  de  Bourbon  et  autres. 

Memoraauta  seripta  XXVI  septembre. 

«  Avis  se  les  lettres  du  roy,  conftrmatoires  de  la  loy  faite  par  le  roy 
son  père,  seront  publiés  en  Parlement  et  enregistrées. 

a  Item,  se  la  royne  et  nos  seigneurs  les  oncles  auront  autant  des  let- 
tres de  la  dicte  loy  et  de  celles  de  la  tutoie. 

De  h  tutelle. 

ce  Soit  ponrvéu  au  cas,  qui  pôrroit  advenir,  que  nos  seigneurs  lee 
6ncle«  soient  trespassés  ou  empeschiés  d'âge  ou  de  maladie,  et  que 
la  royne  seroit  remariée  ou  empeschiée,  que  lors  Lois  de  Bavière 
demourroit  seul  en  la  tutelle,  qui  ne  seroit  pas  convenable,  ne  souffert. 

«c  Soit  àdjoustée  une  danse  général  pour  les  chastiaus  et  forteresses 
des  cités,  villes,  vlscontés,  balliages  et  pals  compris  eu  la  tutéle. 


Digitized  by 


Google 


434  MOTkss. 

*  • 

ce  Acte  des  terres  que  madame  la  Royne  Blaache  tient, en  Normandie, 

en  douaire. 

«  Item  collation  de  bénéfices. 

«  Item  les  hommages.  Au  mot  :  à  cause  defiess  de  lumbert,  etc,  «oit 
adjousté  :  ou  autrement,  pour  comprendre  les  autres  fiés. 

«  Après  le  mot  :  ordinaires  et  extraordinaires  qui  est  en  une  imti'e 
clause,  soit  adjousté  :  et  les  aides  qui  auront  cours  pour  quelque 
nécessité  que  ce  soit. 

«  Que  ceus  qui  seront  ordonnés  conseillers  des  tuteurs,  soient  aa 
conseil' des  autres  besengnes  du  royaume. 

<c  Que  les  seigneurs  du  sanc  du  ro  y  et  autres  grans  du  rojaame 
facent  serment  de  garder  toutes  ces  ordonnances  et  en  séelent  lettres. 

In  alio  folio, 

tt  Soita^jousté  que  les  uteurs  porront  instituer  tous  officiers  et  que 
les  receveur  renderont  compte  pardevant  ceus  que  les  tuteurs 
ordonneront. 

«  Que  ils  aient  toutes  foarfaitures  et  confiscations,  pour  quelconques 
cas  que  ce  soit,  tant  crisme  de  lèse-majesté  comme  autre. 

«  Se  Ten  exprimera  rémission  de  crimes,  légitimations,  anoblisse- 
mens,  etc. 

«  Des  terres  ballies  ans  tuteurs  soient  destraites  les  terres  ballies  à 
la  rpyne  pour  douaire. 

II 

Pour  la  loy. 

a  Mémoire  que  les  lettres  de  la  loy  soient  regiitrées  en  Parlement. 
«  Soit  avisé  qui  gouverneroit  le  Dalphinô  et  le  vicariat  durant  la 
minorité  ,  quar  la  loj  ne  s'i  puet  extendre. 

La  tutèle, 

et  Nos  seigneurs  facent  le  serment  contenu  es  lettres  de  la  tutèle  et 
en  baillent  leurs  lettres. 

ce  Pour  ce  qu'il  est  dit  es  lettres  de  la  tutelle  que  la  rojne  est  la  prin- 
cipale ,  et ,  après  elle ,  autres  par  ordre  ,  soit  avisé  et  pourveu  quelle 
prérogative  aura  le  principal  tuteur  et  s'il  faudra  que  à  toutes  beson- 
gpaes  expédier  tous  les  tuteurs  soient  présens. 

a  Es  dites  lettres  est  contenu,  en  deux  clauses,  que  ,  pour  le  goViver- 
nement  des  enfans  et  estât  de  la  ro^ne  et  des  tuteurs,  leur  sont 


Digitized  by 


Google 


Non».  435 

balli^  la  nfconté  de  Paris,  le  balliage  de  Senlis  ,  etc.,  &  parfaire 
etc.,  soit  avisé  quels  estas  la  i-oyne  et  nos  seigneurs  prendront  ;  car,  se 
ils  y  Toloient  prendre  tonte  leur  despense,  les  dites  terres  nesoaflroient 
pas,  et  si  a  la  rojne  un  douaire. 

«  Le  douaire  de  la  royne  est  assigné  en  aucunes  des  terres  ordonnées 
ponr  la  tutèle.  Si  devroit  estre  déclairié  que  ledit  douaire  demonrast 
entier  à  la  royne,  non  obstant  la  tutoie. 

'  «  Item,  quant  à  la  dnché  de  Normandie,  qui  est  ballié  pour  la  tutelle, 
est  dit  :  ainsi  que  le  roy  la  tient  à  frètent  on  tendra  an  temps  de  san 
décès  ;  si  soit  avisé  pour  le  douaire  de  la  Royne  Blanche,  qui  porroit 
estre  estaint  après  le  décès  du  roy. 

«  11  est  contenu  en  la  clause  des  terres  pour  la  tutèle  :  Umtes  rete- 
nues ordinaires  et  extraordinaires  :  sisoit  déclairié  se  les  impositions 
et  autres  aides  y  sont  comprins. 

«  Qui  donra  les  bénéfices  qui  vaqueront  en  régale  ;  qui  aura  la  con- 
gnoissance  des  églises  cathédrana  et  de  fondation  roIal,et  se  le  régent 
porra  imposer  aides  nouvelles. 

Le  testament. 
«  La  royne  devroit  estre  exécuteresse   et  ordonnée    avecques  les 
autres  à  la  garde  des  jolaus  et  muebles  ,  et  que  inventaire  en  soit 
fait. 

«c  Soit  apronvée  la  tutèle  pour  le  testament  comme  sont  la  loy  et  le 
douaire. 

Pour  le  douaire. 

«  Soit  déclairié  es  lettres  que  la  royne  prendra  franchement  son 
douaire ,  tel  que  assigné  lui  est,  es  terres  ordonnées  ponr  la  tutèle 
et  ailleurs. 

Pour  la  régence. 

«  Les  lettres  ne  font  aucune  mention  du  dalphin.  Si  soit  avisé  s'il  en 
sera  parlé  :  car  ,  si  non  ,  il  samble  entendu  que  c*est  en  pals  de  droit 
escript  qu'il  demourra  en  gouvernement  de^  tuteura.  « 

Item,  du  vicariat. 

a  II  est  expédient  que  le  régent  ait  autant  de  toutes  les  lettres,  et 
aussi  la  royne  et  les  tuteurs.  » 

On  trouve  en  marge  ces  lignes  barrées  :  «  Soit  avisé  de  quoi  seront 
faites  les  funéralles  et  les  lois  païés,  atendu  que  tous  les  mnebles  doi- 
vent estre  mis  en  garde.  » 


Digitized  by 


Google 


456  Nons. 

III. 
Mémoire. 

«  Premièrement,  que,  pour  la  garde  et  gouvernement  de  l*eiiftat, 
soit  ponrven  de  bonnet  et  eaiges  et  souffisane  personnes.  Per  tutarêi. 

a  Secondement,  que  bonne  provision  soit  mise  à  la  seignearie.  Ad 
regetUem. 

«  Tiercement,  aux  biens  et  jojanz  qui  lui  doivent  appartenir.  P$r 
testamentum, 

«  Et  pour  ce  que  nosgrans  seigneurs  sont  souvent  essoiniés  et  occu- 
pés, que  aucuns  bons  de  mendre  estât  feosaent  chargiés  de  mettre 
diligence,  et  le  ramentevoir  à  nos  seigneurs ,  et  lesquels  par  leur 
ordonnance,  feussent  avec  Tenâmt.  Ad  tutores, 

a  Item,  que  la  dame  feust  ordonnée  ou  testament,  avec  les  autres, 
pour  garder  les  joyaux  et  antres  biens  appertenans  à  Teniant,  et  que 
Tun  n*en  peust  rien  prendre  sans  Tautre,  et  que  ils  feussent  mis  en 
lien  seur.  Eofpedit. 

a  Item,  que  son  douaire  feust  bien  ordonné,  et  télement  qu*il  feust  à 
part,  hoi*s  du  gouvernement  et  hors  de  la  provision  de  Tenfant. 
Declaretur. 

a  Item,  que  sur  tout  feussent  faictes  bonnes  lettres,  et  feussent 
publiées,  et  que  ceulx  qui  doivent  jurer,  jurassent  et  baillassent  leurs 
lettres. 

tt  Item,  que  la  dame  eust  vers  elle  et  en  sa  garde  les  dites  lettres 
ou  copie  telle  qui  vaulsist,  pour  s'en  aidier  quant  besoing  lui  seroit, 
que  jà  n*aviengne.  RationU  est.  » 

{Baillié  pur  Barhery  à  monseigneur  à  Sûint-Aumer  vers  la  fin 
d;<umstIIlI"'etXVI.) 

Négociations  pour  la  rançon  du  comte  de  Nevers  (pp.  354-357).— 
Le  comte  de  Nevers  chargea  le  maréchal  Bouciquaut  et  le  seigneur  de 
la  Trémouilie  de  traiter  de  sa  rançon  avec  Bajazet,  mais  celui-ci  ne 
voiiiut  point  les  écouter  ;  il  se  borna  à  leur  accorder  un  sauf-conduit 
afin  qu'ils  pussent  se  rendre  près  des  seigneurs  chrétiens  de  rArehi- 
pel.  Le  seigneur  de  la  Trémouilie  se  dirigea  vers  Rhodes  et  j  mourut. 
Bouciquaut  plus  heureux  obtint  du  seigneur  de, Mételin  un  prêt  de 
trente  mille  francs  qui  vint  fort  à  point  aux  prisonniers.  Peu  à  peu 
Bajazet  s'adoucit.  Après  leur  avoir  demandé  une  rançon  d'un  million 
de  francs,  il  se  contenta  dotent  cinquante  mille  francs,  exigeant  qu'ilf 


Digitized  by 


Google 


NOTES.  4S7 

JnrasMiit  de  ne  plas  porter  les  armes  poor  le  combattre.  (Chronique 
de  Boueiquaut.) 

Ce  fut  à  cette  4poqae  quele  dac  de  Bourgogne  nomma  Dino  Rapondi 
son  conseiller  et  son  maître  d'hôtel  en  lui  faisant  don  de  trois  mille 
francs d*or.  Dino  Rapondi  habitait  Bruges.  Il  s'y  trouvait  en  1369  quand 
il  prêta  de  Targent  au  duc  de  Bourgogne^  aprôs  ses  noces  avec  Mar- 
guerite de  Maie,  et  y  mourut  en  1414.  Il  eut  sa  chapelle  à  Saint- 
Donat,  et  son  épitaphe  rappelait  ses  dignitiés  :  Sapiens  et  pmdens  vir 
Dj/nas  de  Rwpondis ,  mercat&r^  oriundus  de  Lnca,  illusMum  Phi" 
lij9pi  et  Johannis  Bvrgnndia  ducum  et  Flandria  camitum  contiliariMS 
et  maçister  hospitiû 

En  1399,  Dino  Rapondi  vendit  au  duc  de  Bourgogne  un  Tite-Live 
et  une  Bible  enluminés  de  lettres  d*or,  d'histoires  et  d'images. 

Guibert  de  Mets  (et  non  de  Metz)  cite  parmi  les  beaux  hôtels  de 
Paris  celui  de  Digne  Responde  en  la  Vielle-Monnoie. 

Les  Rapondi  portaient  d'azur  à  dix  gerbes  d'or  :  allusion,  aisée  à 
comprendre^  à  Tabondance  de  leurs  richesses  et  à  l'éclat  de  leur 
fortune. 

le  sire  d'Esne  se  rend  en  Turquie  (pp.  357, 358).  —  Ce  fut  le  duc 
d'Orléans  qui  envoia^Robert  d'Esne,  chevalier,  en  Lombardie  et  ailleurs 
pour  la  délivrance  de  Henri  de  Bar  et  du  sire  de  Coucy,  prisonniers 
au  pouvoir  des  Turcs. 

Les  sires  d'Esne  s'étaient  signalés  dans  la  première  croisade.  Plus 
tard  la  seigneurie  d'Esne  passa  à  la  maison  de  Landàs.  Robert  d'Esne, 
seigneur  de  Beauvoir,  avait  épousé  la  dame  de  Béthencourt.  Son  fils 
Jean  périt  à  la  bataille  d'Azincourt. 

Le  sire  de  Châteaumorant  poursuit  son  voyage  (pp.  358-360).  — 
Le  comte  de  Nevers  montrait  une  grande  impatience  de  sortir  d^jw 
captivité  de  Turquie.  Loin  de  chercher  plus  tard  à  venger  sa  défaite 
sur  les  infidèles ,  il  devait  se  livrer  tout  entier  aux  sombres  intrigues 
des  factions  qui  déchiraient  la  France. 


nu  DES  NOTES. 


Digitized  by 


Google 


Dightized  by 


Google 


RELATION 


DB  LA 


CROISADE  DE  NICOPOLI 

Par  an  servitear  de  Gai  de  Blois. 

(PREMIÈRE  PARTIE) 


Deux  manuscrits ,  Ynn  dans  la  bibliothèque  du  duc  d*Aren- 
berg ,  Tautre  dans  celle  de  lord  Ashburnham  ,  nous  ont  con- 
servé une  relation  de  la  croisade  de  Nicopoli ,  écrite  diaprés 
Proissart  par  un  anonyme  qui  nous  apprend  qu*il  fut  a  le  petit 
«  serviteur  »  de  Oui  de  Blois. 

n  nous  a  paru  intéressant  de  publier  à  la  fin  de  ce  volume 
et  du  volume  suivant  à  la  suite  des  récits  de  Froissart  cette 
narration  qui  les  reproduit  en  j  ajoutant  quelques  variantes. 


En  ce  temps  escripvy  le  roy  de  Honguerie  et  flst  sçavoir  par 
ses  lettres  moult  bénignement  et  trôs-amiablement  au  roy  de 
France  Testât  et  affaire  du  roy  Basaach  dit  TAmourath-Baby, 
qui  estoit  ung  prince  turcq  moult  puissant  et  qui  pour  lors  per- 


Digitized  by 


Google 


440  REUTlOlf 

sécutoit  moult  fort  la  saincte  chrestienté ,  lesquelles  lettres  ledit 
roj  de  Honguerie  envoya  par  sa  notable  ambassade ,  assavoir 
ung  évesque  et  deux  notables  chevaliers,  au  roj  de  France,  qui 
contenoient  entre  aultres  choses  comment  ledit  Amourath  se  van- 
toit  (et  défait  il  Tavoit  ainsi  mandé  au  roj  de  Honguerie),  que  il 
le  viendroit  combatre  au  milieu  de  son  rojalme  et  descenderoit 
si  avant  qull  viendroit  jusques  &  Romme  et  illec  feroit  mengier 
à  son  cheval  avaine  sur  le  grant  autel  Sainct-Pierre,  et  tiendroit 
illec  son  siège  impérial  et  amenroit  en  sa  compagnie  Tempereur 
de  Coastantinoble  et  tous  les  plus  grans  barons  de  Tempire  de 
Grdoe«  mais  il  tiendroit  chascun  en  sa  loy  ,  car  il  ne  dësiroît 
fors  en  avoir  le  nom,  le  tiltre  et  seigneurie  :  pour  quoj  le  roj  de 
Honguerie  requéroit  au  roj  de  France  que  aux  emprises  et 
deslo  jales  vantises  dudit  Amourath  il  se  voulsist  endiner  et  les 
prendre  &  cœur  pour  le  bien  et  deffense  de  la  saincte  chrestienneté 
et  les  faire  publier  et  manifester  par  tout  son  rojaulme  et 
ailleurs  1&  où  il  lui  sambleroit  convenable  et  nécessaire,  afin 
que  tous  nobles  chevaliers ,  esouiers  et  aultres  se  voulsissent 
esmouvoir  et  estre  prest  sus  la  saison  pour  aller  au  sainct  voiage 
de  Honguerie  et  eulx  emploier  à  la  résistence  et  reboutement 
dudit  roj  Basaach  dit  TAmourath-Bahi  et  des  aultres  ennemis 
de  la  foj  catholicque.  Et  luj  rescripvi  aussi  plusieurs  aultres 
belles  remonstrances  touchans  les  dits  affaires,  en  très-grande 
affection ,  bénignité  et  amour ,  ainsi  que  tels  ro js  et  grans 
princes  et  parens  sont  accoustumés  de  rescripre  Tun  par  Tautre, 
en  tel  cas  de  nécessité.  Et  aussi  les  dits  ambassadeurs  de  Hon- 
guerie ,  lesquels  estoient  gens  très-notables ,  suffisans  et  bien 
enlangagiés,  s*acquitèrent  moult  bien  de  remonstrer  au  roj  de 
France  et  ailleurs  là  où  il  appartenoit ,  iceulx  grans  et  haulx 
affaires,  et  tant  que  le  roj  s*i  enclina  et  prinst  Taffaire  moult 
fort  à  cœur,  tellement  que  le  mariage  dentre  sa  fllie  et  le  roj 
d*Engleterr8  s'en approucha plustost  et  valj  grandement  de 
mieolx ,  affin  de  plus  seurement  estre  son  rojaulme  entretenu 
en  paix  ;  car,  comme  roj  de  France  qui  est  chief  de  tous  les 
ro ja  ehrestiens ,  il  vouloit  remédier  et  pourveoir  &  la  nécessité 
de  ce  grant  affaire. 


Digitized  by 


Google 


DK  LA  CROISABB.  441 

Lors  forent  les  nouvelles  de  ces  lettres  tantost  publiées  et 
manifestées  en  pluiseurs  lieux  et  pluiseurs  pais  ,  pour  esmou- 
Yoir  les  coeurs  des  nobles  hommes  ,  cheyaliers,  escuiers  et  aul- 
très»  qui  désiroient  à  voiagier  et  à  acroistre  leur  honneur. 

Quant  ces  nouvelles  furent  premières  apportées  au  roy,  le  duc 
et  la  ducesse  de  Bourgongne  et  Jehan  leur  fils  aisné,  pour  lors 
conte  de  Nevers ,  qui  encores  n'estoit  chevalier ,  estoient  À 
Paris  ,  et  samblablement  messire  Guy  et  messire  Guillame  de  la 
TrémouUe,  frôres  ,  Jehan  de  Vienne,  admirai,  et  pluiseurs  aul- 
tres  barons  et  chevaliers  de  France.  Dont  fut  advisé  (et  par 
espécial  le  duc  de  Bourgongne  estoit  moult  désirant  en  ce)  que 
Jehan  ,  son  fils,  entreprist  ce  sainct  voyage  ,  et  désiroit  bien 
qu'il  fust  chief  de  Tarmée  de  France  et  des  nations  de  pardechà. 
Icellui  Jehan  de  Bourgongne  estoit  lors  jeune  en  Teage  de  envi- 
ron XXII  ans ,  assés  sage  ,  courtois ,  admiable  ,  humble  et 
débonnaire,  et  si  estoit  amé  de  tous  chevalière  et  escuiers  qui 
avoient  congnoîssance  de  lui,  et  a  voit  pour  lors  à  moulUer  la 
fille  du  duc  Aubert  de  Bavière  ,  conte  de  Haynau  ,  de  Hol- 
lande et  de  Zélande,  qui  moult  bonne  et  dévote  dame  estoit ,  et 
avoient  jà  deux  enffans ,  par  lesquels  Ion  esp^roit  grans 
mariages  pour  le  temps  advenir. 

On  commencha  à  touchier  audit  Jehan  de  Bourgongne  de  ce 
Toiage  pour  scavoir  quel  semblant  il  en  feroit,  en  luy  remons- 
trant  comment  le  roy  avoit  volonté  de  y  envoler  &  la  prière  et 
contemplation  du  roy  de  Hongucrie.  A  quoy  ledit  de  Bour* 
gongnerespondy,  disant  :  «  Seplaisoit  à  monseigneur  le  roy  et& 
«  monseigneur  mon  père  ,  je  iroie  moult  volontiers  audit  suiact 
a  volage  et  vouldroie  bien  que  ils  me  voulsissent  baillier  la 
«  charge  et  me  faire  chief  de  la  compaignie,  tt  je  m'y  condui- 
«  roie  tellement ,  à  Taide  de  Dieu  et  par  le  conseil  des  sages, 
«  que  nous  et  toute  la  chrestienneté  y  aurions  honneur  et  prouf- 
a  fit  ;  car  j'ay  grantdjsirde  moy  advanchier  et  de  accroistre 
«  mon  honneur.  »  Sur  quoy  luy  fust  respondu  :  a  Monseigneur,  , 
a  puisque  vous  avés  coste  bonne  et  honnourable  volonté ,  il 
«  seroit  bon  que  premier  vous  en  parliés  à  monseigneur  le  duc  . 

XY.  —  VROISSAKT.  29 


Digitized  by 


Google 


442  RBLATION 

«  Yostre  père  et  sachiés  se  il  vouldroit  que  entrepresisiës  ce 
«  voiage  ;  car ,  comme  voua  sçavés  assés  ,  sans  luy  et  sans  son 
«  ordonnance  vous  ne  poés  rien  faire,  et,  se  le  tous  conseille 
«  et  accorde  ,  il  en  parlera  au  roj.  » 

Ne  demoura  guôres  aprôs  que  ,  sur  cest  advis  et  information, 
Jehan  deBourgongne  parla  au  duc  son  père  en  lu j  suppliant  hum- 
blement que  luj  Youlsist  consentir  et  accorder  qu'il  peust  aller 
en  ce  saînct  vojage  de  Honguerie  ,  en  luy  remonstrant  la  très- 
grande  volonté  qu*il  en  avoit.  A  laquelle  requeste  du  fils  au  père 
estoient  présens  messire  Guy  et  messire  GuiUame  de  la  Tré- 
moille  ,  messire  Jaques  de  Vergy  et  aultres  chevaliers,  qui  se 
boutèrent  es  paroles  et  dirent  au  duc  :  a  Certes  ,  monseigneur, 
a  ceste  requeste  que  vous  fait  Jehan  monseigneur  vostre  fils, 
(c  est  honorable  et  raisonnable  mesmément ,  attendu  qu'il  est 
«  jeune  prince  et  qu'il  n'est  point  encores  chevalier  ;  et  toutefois 
a  il  est  bien  temps  qu'il  en  prende  l'ordre,  et  plus  honorablement 
cr  ne  le  peut  prendre  que  sur  les  ennemis  de  Dieu ,  nostre  créa* 
«  teur,  et  de  sa  saincte  foy  catholique.  Et  d'aultre  part,  ou  cas 
«  que  le  roy  y  voeulle  envoler,  il  n'y  peut  envoler  plus  honorable 
a  chief  que  monseigneur  vostre fils,  qui  est  son  cousin  germain, 
a  Et,  se  ainsi  le  fait,  vous  verres  et  trouvères  que  moult  de  nobles 
«  chevaliers  et  escuiers  se  metteront  au  voiage  soubs  luy  et  en 
«  sa  compaignie  pour  exaucier  et  accroistre  leur  honneur.  »  A 
ces  paroles  le  duc  respondy  :  «  Vous  dittes  bien,  et  sommes  bien 
«  joyeux  de  la  bonne  volonté  de  nostre  fils  ,  et  en  parlerons  à 
«  monseigneur  le  roy  et  sçaurons  de  luy  sa  volonté  en  ceste 
«  partie.  »  Et  &  tant  s'apaisèrent  ;  mais  ne  demoura  guères 
après  que  le  duc  de  Bourgongne  en  parla  au  roy.  Et  quant  le 
roy  sceut  la  bonne  et  honorable  volonté  de  Jehan  de  Bour- 
gongne ,  il  le  print  en  moult  grant  gré  et  s'enclina  incontinent  à 
sa  requeste.  Et  dist  :  «  En  vérité  ,  bel  oncle  ,  Jehan  vostre  fils 
a  et  nostre  cousin  montre  bien  qu'il  est  de  nostre  sang,  quant 
«  ainsi  il  désire  &  soy  advanchier  en  honneur,  dont  luy  sçavons 
«  grant  gré  ;  et,  puisqu'il  a  ^este  bonne  volonté,  nous  luy  accor- 
«  dons  ou  nom  de  Dieu,  et  volons  qu'il  voist  au  saînct  voyage,  et 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  GEOISADI.  443 

f  le  fidflons  ehief  et  conducteur  de  ceste  besongne  et  de  nosrtre 
«  armée.  »  Lors  les  nouvelles  s'espandirent  dedens  et  dehors  la  cité 
de  Paris  que  Jehan  de  Bourgongne  estoit,  de  par  le  roj,  estably 
chief  des  nobles  sâgneurs,  cheyaliers  et  escuiers  ,  et  de  la  grant 
armée  qu'il  vouloit  enyoier  en  Honguerie  et  d'illec  passer  oultre 
en  la  Turquie  pour  combatre  la  puissance  du  roy  Basaach  dit 
TAmourath-Bahj.Et  après  ce  voyage  accompli  et  achevé,  il  avoit 
ordonnance  de  tourner  son  armée  oultre  le  Bras-Sainct-Qeorge 
et  entrer  en  Surie,  pour  acquiter  et  délivrer  la  Saincte-Terre  et 
la  cité  de  Jhérusalem  hors  des  mains  des  mescréans,  ennemis  de 
la  saincte  foy  catholique.  Lors  s*esmurent  chevaliers  et  escuiers 
du  royaulme   de   France   qui   désiroient    &  eulx  advanchier. 
Et  d'aultre  part ,  quant  le  duc  de  Bourgongne  sentit   que  Jehan 
do  Bourgongne ,  son  fils,  estoit  ordonné  chief  et  qu*il  avoit  la 
charge  générale  de  ceste  notable  compaignie  »    il  recueUa  et 
honoura  trop  plus  grandement  Fambassade  de  Honguerie  que  il 
navoit  encores  fait  paravant  :    lesquels  ambassadeurs  ,  quant 
ils  virent  la  bonne  volonté  du  roy  et  des  seigneurs  fimnchois, 
ils  furent  moult  contons  et  joyeulx  ,  et  prinrent  lors  congié  du 
roy  et  puis  après  du  duc  d'Orléans  ,  du  duc  de  Bourgongne ,  du 
conte  d*Eu ,  connestable  ,  du  conte  de  la  Marche  et  de  tous  les 
aultres  seigneurs,  barons  et  chevaliers  de  France,  et  s*en  retour- 
nèrent devers  leur  païs  de  Honguerie  ,  et  raportèrent  au  i^oy  , 
leur  seigneur,  les  nouvelles  de  ce  qu'ils  avoient  besongnié  en 
France  et  comment  Jehan  ,  fils  aisné  du  duc  de  Bourgongne» 
estoit  estably  chief  de  tous  les  aultres  grans  seigneurs ,  cheva- 
liers et  escuiers  etdetouteFarmée  de  France,  pour  aller  en  Hon- 
guerie au  service  de  Nostre-Seigneur,  &  rencontre  des  infidèles, 
à  Testé  prochain  et  pour  résister  aux  menasses  et  paroles  inju- 
rieuses dudit  Amourath-Bahy.  Et  quant  le  roy  entendy   qu'ils 
avoient  si  bien  besongnié  ,  il  en  fut  moult  joyeulx.  Et  sur  ce 
incontinent  ilfist  de  grafides  préparatores  et  envoya  ses  messa- 
giers  et  ambassades  devers  l'Empereur ,  son  frère ,  et  aussi 
devers  le  duc  d'Autrice  ,  son  cousin:,  etpluîseurs  aultres  grans 
princes  d'Âlemaigne,  par  où  les  Fï*anchois  dévoient  passer^  eulx 


Digitized  by 


Google 


444  RSLATIOll 

aigniâer  leur  venue,  affin  qu'ils  tenissent  les  passages  ôarers,  et 
aussi  que  partout  sur  leurs  chemins  il  leur  feust  administré 
des  vivres  et  de  toutes  leurs  aultres  nécessités.  En  oultre  le  roj 
de  Honguerie  fist  aussi  signifier  ,  par  ses  lettres ,  ces  nouvelles 
au  grant  maistre  de  Pruce  et  de  Rodes  ,  afSn  que  sur  ce  ils 
eussent  advis  et  qu*ils  feussent  pourveus  contre  la  venue  dudit 
Jehan  de  Bourgongne  et  des  Franchois. 

Au  temps  que  les  nouvelles  de  ce  vojage  estoient  en  si  grant 
brujt,  le  sire  de  Coucy  estoit  nouvellement  retourné  &  Paris 
d'un  voyage  où  il  a  voit  esté  près  d'un  an  sur  les  frontières  de 
la  rivière  de  Gennes ,  pour  le  duc  d'Orléans  ,  lequel  avoit  esté 
informé  par  aucuns  puissans  seigneurs  genevois  que  ceulx  de  la 
terre  et  duché  de  Gennes  désiroient  à  avoir  ung  chief  &  seigneur 
venu  et  issu  de  la  noble  couronne  de  France  ;  et  pour  ce  que  icel- 
luy  duc  d^Orléans  avoit  pour  loi:s  à  espeuse  la  fille  du  duc  de 
Millan  ,  ceste  terre  de  Gennes  luy  estoit  très-bien  séant.  A 
celle  instance  ,  le  sire  de  Coucy  et  avec  luj  trois  cens  lances  et 
chincq  cens  arbalestriers  estoient  par  consentement  dudit  duc  de 
Millan  passé  oultre  en  Savoie  et  en  Pieumont  et  descendu 
aval  desoubs  une  cité  qui  s'appelle  Alexandrie  et  d'illec  venu 
sur  les  frontières  des  Genevois  pour  traittier,  selon  l'instruction 
et  charge  que  luj  en  avoit  fait  ledit  duc  d'Orléans,  avecque 
lesdits  seigneurs  genevois  par  amiable  voie  ;  car,  par  force , 
s  il  n'avoit  plus  grant  puissance  et  alliance  audit  paîs  de  Gennes, 
il  n'y  povoit  rien  faire  ,  attendu  que  les  entrées  du  pais  sont 
tant  fortes  qu  elles  ne  sont  point  à  con]uerre,  quant  ils  les  cloent 
et  y  mettent  résistence.  Et  ,  quant  ledit  sire  de  Coucy  fut  pre- 
mier arrivé  sur  ladite  rivière  de  Gennes  ,  lesdits  seigneurs 
genevois  par  laquelle  assistence  et  faveur  il  estoit  illec  venu 
et  qui  ainsi  avoient  informé  le  duc  d  Orléans  et  son  conseil ,  le 
recueillirent  doulcement  et  amiablement  et  le  misrent  en  leur 
paîs  et  luy  ofii'irent  leurs  chasteaulx  et  leurs  fortresses.' 

Le  sire  de  Cîoucy ,  qui  estoit  sage  et  soubtils  et  ung  chevalier 
moult  ymaginatif  et  qui  congnoissoit  assésla  nature  des  Lombars 
et  des  Genevois,  ne  se  voult  point  trop  avant  confier  en  eulx,  ne 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  CROISADE.  44S 

en  leurs  promesses  ;  et  toutesfois  ,  tant  qQ*il  fut    et  conversa 
avec  éulx  •  il  les  tenoit  sagement  en  amour  et  les  savoit  trop 
bien  entretenir  en  paroles,  et  eut  pluiseurs  fois  parlemens  et 
tractemens  avec  eulx,  et  mains  les  trouroit  affects  à  son  intention, 
combien  quiis  luy  monstroient  tous  signes  d amour  et  ]uy  pro- 
mettoient  moult  de  choses  ^  son  avantage,  et  eussent  bien  volu 
que  feust  descendu  jusquesà  la  cité  de  Gennes  ou  au  moins  qu'il 
fust  venu  jusques  aux  portes  ;  mais  il  ne  8*j  osa  oncques  aven* 
turer.  Finablement  la  conclusion  de  son  vojage  fut  telle  que 
rien  n  j  exploita.  Et  quant  il  vej  que  il  ne  povoit  riens  exploi- 
tier,  combien  que  moult  songneusement  il  rescripvoit  son  affaire 
au  duc  d*Orlëans,  il  fut  mandé,  et  par  ainsi  retourna  à  Paris  et 
vint  sj  &  point  que  ces  nouvelles  et  emprinses  d'aller  en  Hon- 
guerie  estoient  moult  en  bruit.  Duquel  retour  le  duc  et  la  ducesse 
de  Bourgongne  furent  moult  joyeulx,  et  le  mandèrent  venir  vers 
eulx  en  Tostel  de  Saînct-Pol  &  Paris ,   et  luy  dirent  moult 
amiablement  :  «  Sire  de  Coucy  ,  nous  sommes  bien  jojeulx  de 
a  vostre  retour  ,  et  pour  ce  que  nous  avons  parfaite  confidence 
*«  en  vous  et  en  vostre  grant  sens»  nous  vous  avons  icy  mandé, 
«  et  vous  volons  déclarer  ung  petit  d  affaire  que  avons  sus  le 
c  cuer.  Il  est  vrai  qu*il  a  pieu  à  monseigneur  le  roj  establir  et 
«  ordonner  Jehan,  nostre  ainsné  fils ,  chief  et  gouverneur  général 
ff  de  son  armée,  laquelle  il  veult  présentement  envoler  par  delà  en 
a  Honguerie  contre  les  infidèles  :  pour  quoj  nous  vous  prions 
tf  chièrement  et  féablement  que  voeuUiés  estre  compaignon,  con- 
a  sellier  et  gouverneur  de  nostre  fils  et  de  ses  affaires  en  ce 
«  présent  vojage,  et  vous  nous  ferés  très-grant  honneur    et 
«  plaisir ,  dont  nous  nous  réputerons  à  tousjours  grandement 
«  estre  tenu  à  vous,  et  le  recongnoisterons  devers  vous  et  les 
a  vostres  de  tout  nostre  povoir.  » 

  ces  paroles  respondi  le  sire  de  Coucj  :  a  Monseigneur,  et 
«  vous,  madame,  vos  belles  paroles  et  prières  me  doivent  bien 
c  estre  commandement,  et,  puisqu  il  vous  plaist  ainsi,  se  plaist 
«  à  Dieu,  je  iraj  en  ce  vojage  en  deux  manières  :  Tune  si  est 
<f  pour  Thonneur  et  révérence  de  Dieu  nostre  benoist  créateur  et 


Digitized  by 


Google 


446  REUkTIOR 

I 

a  poTir  deffendre  la  sainctd  chresiienté  ;  et  FaoUre  ai  eet,  pnisqnll 
«  TOUS  plaist  moj  tant  faire  d*honnear  qae  de  moj  enchai^^  de 
tt  la  personne  de  Jehan ,  Tostre  fils ,  et  de  ses  hanls  afBedres,  je 
tt  iray  en  sa  compaignie  et  le  serviraj  dorant  ledit  Toyage  à 
«  mon  loial  povoir  le  mieulx  qa*il  me  sera  possible  de  faire« 
<f  Mais ,  mes  trôs-redpubtés  seigneur  et  dame ,  se  Tostre  plai- 
a  sir  estoit ,  tous  me  porriés  bien  tenir  pour  excusé  de  ceste 
«  grande  charge ,  attendu  que  sçavés  assés  qu*il  en  y  a  ,  allant 
«  en  ceste  présente  armée ,  plus  nobles ,  plus  sages  et  à  ce 
«  plus  jdones  que  moj.  Et  mesmement  celle  charge  apparten- 
tt  roit  mieulx  &  monseigneur  PhiUppe  d*Artois,  conte  d*Eu,  qui 
.  a  est  connestable  et  cousin  moult  prochain  à  mondit  seigneur 
u  vostre  fils,  ou  k  monseigneur  le  conte  de  la  Marche  ,  qui 
m  aussi  est  son  cousin ,  et  qui  sont  deux  trôs-nobles  et  sages 
«  seigneurs,  b 

A  quoj  le  duc  de  Bourgongne  respondj  et  dist  :  «  Sire,  tous 
«  dittes  très-bien  ;  mais  nous  congnoissons  bien  TOstre  sens  et 
«  TOstre  grant  conduite,  et  si  sçaTons  bien  que  tous  aTés  trop 
4c  plus  Teu  et  scaTés  mieulx  conduire  tels  affaires  que  ne  soau^' 
«  roient  faire  beau  cousin  d'Eu,  ne  de  la  Marche.  Si  tous  prions 
a  de  rechief  que  nous  Teullés  faire  cest  honneur  que  &  nostre 
«  faTeur  tous  acceptés  celle  charge.  »  Lors  le  sire  de  Gouchj 
respondi  :  «  Mon  trôs-redoubté  seigneur ,  TOstre  prière  m*est 
c  commandement  ;  et,  puisqu'il  tous  plaist,  à  Faide  de  Dieu  et  de 
«  messeigneurs  messire  Guy  et  messire  Guillame  de  la  Tré- 
«  moille  et  de  monseigneur  l'admirai  et  de  messire  Jehan  de 
c  Vienne,  je  m*y  emploieray  et  acceptela  charge.  »  Et  de  ceste 
responoe  firent  le  duc  et  la  ducesse  moult  grant  joie. 

Lors  les  seigneurs  de  France  ordonnèrent  leur  affiiire  moult 
grandement  et  richement  pour  aller  audit  sainct  Toyage,  et 
prioient  leurs  barons ,  cheTaliers,  escuiers  et  amis ,  affln  de  les 
esmouToir  et  d*aToir  leur  serTice  et  compagnie  oudit  Toiage.  Et 
aucuns  aultres  qui,  sans  semonce  bu  prière  de  nuls  desdits  sei- 
gneurs, aToient  désir  et  affection  d*aller  en  icelluy  Toyage , 
requéroient  moult  ledit  conte  d*Bu ,  connestable ,  le  conte  de  la 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  CROISADE.  44? 

Marche ,  le  seigneur  de  Coucsy  et  aultres,  que  ils  les  Youlsissent 
recepvoir  et  entretenir  en  leur  compagnie  durant  ledit  voyage  : 
dont  les  aucuns  d'eux  furent  retenus,  et  les  aultres  non,  par 
quoj  iceulx  non  retenus,  combien  qu'ils  eussent  grant  vouloir 
et  désir  de  accroistre  leur  honneur ,  ne  osèrent  entreprendre 
plus  avant  ledit  voiage ,  considérant  qu'ils  ne  se  sentoient  point 
assés  fondés  pour  soustenir  la  grant  despense  que  leur  convien- 
droit  supporter  à  conduire  leur  affaire  honorablement  oudit 
voiage.  Si  s'en  déportèrent  puisque  point  de  retenue  n'avoient. 

En  oultre  sachiés  que  rien  n'estoit  espargnié  pour  Testât  du 
corps  de  Jehan  de  Bourgongne.  Chevaulx,  armes,  tapisseries, 
riches  habillemens  de  drap  d'or  et  de  soje  de  diverses  sortes, 
vaisselle  d'or  et  d'argent  et  tant  d'aultres  richesses  luj  estoient 
habandonnées  que  sans  nombre.  Grandes  sommes  de  deniers  luy 
furent  délivrées  et  aux  aultres  seigneurs  aussi  oudit  voiage  pour 
emploier  et  convertir  ou  paiement  des  marchans  et  ouvriers  qui 
avoient  délivré  et  fais  les  ouvrages  qui  leur  estoient  nécessaires 
pour  ledit  voyage. 

Samblablement  tous  aultres  barons  ,  chevaliers  et  escuiers 
dlans  soubs  et  en  la  compaignie  dudit  Jehan  de  Bourgongne  , 
s'efforchoient  moult  fort  de  eulxagensser,  chascun  en  son  endroit, 
le  plus  richement  et  au  mieulx  que  faire  le  po voient.  D'aultre 
part,  monseigneur  le  conte  d'Eu ,  connestable,  se  mist  tant 
richement  en  point  que  riens  n'y  estoit  espargnié  ;  car  il  vouloit 
aler  audit  voiage  comme  connestable  de  France.  Aussi  le  roy 
qui  moult  l'amoit,  luy  ûst  en  ce  moult  grant  assistence  ;  et  sam- 
blablement  assista  messire  Bouchicaut  qui  estoit  mareschal  de 
France.  D'autre  part ,  le  duc  de  Bourgongne  considéroit  que  ce 
voiage,  à  tout  fumir,  luy  cousteroit  une  grande  finance,  et  aussi 
qu'il  convenoit  entretenir  Testât  de  luy  et  de  la  ducesse  son 
espeuse  et  de  Anthoine  ,  son  fils ,  sans  rompre  ,  ne  amendrir. 
Si  advisa  qu'il  requerroit  une  aide  aux  estas  de  ses  païs  et  sei- 
gneuries, intitulée  pour  la  première  chevalerie  de  Jehan  ,  son 
fils  aisné,  laquelle  luy  fut  accordée,  de  YI"^  escus  d'or.  Et  fina- 
blement  fist  requérir  aux  nobles  chevaliers  et  dames,  jeunes  et 


Digitized  by 


Google 


448  BBLATIOR 

yieulx,  qui  tenoient  fiefs  de  lui,  qu  ils  se  vonlsissent  emploxer  et 
aller  oudit  volage  à  leurs  despens  soubs  et  en  la  compagnie  de 
sondit  fils,  ou  au  mains  qu'ils  paiassent  ung  certain  taux'  et 
somme  de  deniers  d'or  pour  convertir  en  icelluy  voiage,  dont 
aucuns  anchiens  chevaliers  et  dames  qui  n  estoient  disposés  pour 
aller  oudit  voiage ,  furent  contons  d  eux  composer  et  taxer 
les  ungs  à  V*" ,  les  aultres  &  mille  et  les  aultres  H  II™  ,  chascun 
selon  sa  puissance  et  la  valeur  de  son  fief  :  laquelle  composition 
des  anchiens  nobles  chevalier»  et  dames  qui  n*esloierit  point  dis- 
posés  d'aller  audit  voiage  ,  monta  &  LX™  esous  d  or  ;  et  les 
aultres  jeunes  chevaliers  et  escuiers  emprinrent  ledit  vovage  & 
aller  soubs  ledit  Jehan  ,  fils  du  duc  de  Bourgongne  ,  en  partie 
à  leurs  despens  et  en  partie  aux  despens  du  duc. 

Les  nouvelles  de  ce  voyage  s*espardirent  partout  »  et,  quant 
elles  furent  sceues  en  Hajnault,  chevaliers  et  escuiers  qui 
désiroient  à  voiager  et  &  exaucier  leurs  personnes,  en  devisant 
Fun  à  Faultre  ,  disoient  :  a  En  vérité  il  seroit  bienséant  que 
c  monseigneur  d'Ostrevant ,  qui  est  jeune  prince  et  fils  de 
«  monseigneur  le  duc  Âubert  de  Bavière  ,  conte  de  Haynau  , 
c  nostre  prince ,  allast  en  la  oompaignie  de  monseigneur  le 
«  comte  de  Nevers,  son  beaufrôre,  en  ce  sainct  voyage,  et  seroit 
c  une  compagnie  belle  et  bonne  d*eulx  deux  ensemble,  et  ne  faul- 
«  drions  point  de  les  en  ce  compagnier  et  servir.  » 

Le  conte  d*Ostrevant,  qui  pour  lors  tenoit  sa  résidence  en  la 
ville  du  Quesnoy,  scavoit  bien  le  propos  desdits  escuiers  et  che- 
valiers,  et  n^enpensoit  pas  moins  ;  car  il  avoit  grant  désir  d*aller 
et  accompaignîer  sondit  beau- frère  de  Bourgongne  audit  voyage. 
Mais  quant  il  en  ooit  parler,  il  en  respondoit  pou  ,  ains  dissi- 
muloit  sa  volonté,  et  avoit  bien  intention  de  en  parler  &  mondit 
seigneur  son  père  et  de  en  faire  par  son  ordonnance  et  conseil. 

Or  advint  que  ledit  conte  d*Ostrevant  en  briefs  jours  après 
vint  à  la  Haye  où  monseigneur  son  pore  estoit ,  et  se  tenoit 
illec  le  plus  du  temps  avec  la  contesse,  son  espeuse  ;  si  luy  dist 
une  fois  entre  les  aultres  :  «  Monseigneur,  il  est  vray  que  mon 
t  beau-frôre  de  Nevers  a  emprins  sur  cest  esté  aUer  en  Hon- 


Digitized  by 


Google 


DE  LA    CROISADE.  449 

c  gaerie,  et  avec  luy  telle  puissance  de  gens  de  guerre  que  mon- 
c  seigneur  le  roy  luy  a  baiilie  à  conduire  et  d^illec  passer  oui- 
a  tre  et  d  aller  en  la  Turquie  combatre  rAmourath-Bahj  et  la 
a  puissance  des  infidèles  par  delà.  Et  pour  ce  que  je  dësire  à 
a  employer  mon  jeune  temps  à  Tonneur  de  Dieu  ,  nostre  créa- 
«  teur,  et  à  Texaltation  et  advanchement  de  ma  personne  en 
a  siéTant  le^  haulx  fais  d'armes  ,  je  vous  supplie  que  sur  ce  me 
c  yeuliiés  dire  vostre  intention  ;  et,  se  vostre  bon  plaisir  estoit 
c  de  moj  consentir  aller  oudit  vojnge  en  la  compagnie  de 
f  mondit  beau-frôre  de  Nevers  et  consentir  mener  avec  moj 
a  cent  chevaliers  et  escuiers  seulr^ment  de  vostre  pays  de 
c  Hajnnau,  qui  volon'iers  m*iiccompaigneroient  oudit  vojage  , 
a  en  vérité  il  me  semble  que  fériés  bien,  et  vous  en  supplie  très- 
«  humblement  :  et  je  m'y  conduira j  tellement  que  m'en  sçaurés 
a  bon  gré  et  que  j*y  acquerraj  honneur.  » 

  ces  paroles  le  duc  Aubert  respond  j  :  «  Guillame,  beau 
a  fils,  puisque  tu  as  volonté  d'aller  voiagier  et  de  siévir  les 
a  armes  en  estrange  païs  sur  gens  qui  oncques  riens  ne  te  mef- 
0  firent,  et  n'y  as  nuls  tiltres  de  raison,  ains  n*est  que  vaine 
«  glore,  laisse  donc  Jehan  de  Bourgongne  et  nos  aultres  cousins 
tf  faire  leur  omprinse  par  eulx  ,  et  fais  la  tienne  &  par 
c  toy  assavoir  en  Frise,  et  va  conquester  nostre  droit  héritage 
c  que  les  Frisons  par  leur  orgnel  et  grande  présumption  nous 
0  occupent  et  détiennent,  et  ne  veullent  venir  â  nulle  obéis- 
«  sance  ;  et  a  ce  faire  je  te  assistera^,  n  A  quoj  le  fils,  quant  il 
ouj  son  pore  ainsi  parler,  esleva  moult  fort  son  courage  et  dit  : 
a  Monseigneur,  vous  dittes  bien,  et,  ou  cas  que  vostre  plaisir 
«  soit  et  que  en  ce  me  veullés  assister,  je  entreprenraj  ledit 
«  vojage  en  Frise,  à  la  répulsion  et  reboutement  d'iceulx  nos 
«  ennemis  rebelles  et  désobéissans,  et  me  emploraj  à  leur  réduc- 
«  tion  de  tout  mon  povoir.  » 

Icy  parlerons  ung  petit  de  Temprinse  de  Jehan  de  Bourgongne, 
conte  de  Nevers,  et  des  aultres  seigneurs  de  France  qui  allèrent 
en  Honguerie.  Quant  le  conte  de  Nevers  et  sa  route,  où  moult 
avoit  de  vaillans  hommes  de  France  et  d*aultres  pais  furent 


Digitized  by 


Google 


450  RELATION 

Tenus  en  Honguerie,  ils  trouvôrent  le  roj  illec  en  one  sienne 
bonne  grande  cité  nommée  Bode  ,  lequel  les  recuella  moult  bien 
et  grandement,  ainsi  que  bien  faire  debvoit  ;  car  ils  estoient 
venus  si  belle  et  si  noble  compagnie  de  si  lointainnes  marches, 
pour  le  secourir  contre  ses  ennemis»  que  debvoit  bien  estre  tenu 
à  eulx.  U  advisa  pour  le  mieulx,  ainsque  luj  et  lesdits  seigneurs 
de  France  se  meissent  aux  champs,  qu*il  estoit  nécessaire  de 
sçavoir  de  Testât  et  vraies  nouvelles  de  TÂmourath-Babj  et  de 
sa  puissance.  Lequel  Amourath  luy  avoit  mandé  dès  le  mois  de 
febvrier  qu'il  feust  certain  que  passeroit  la  Dunoe  et  entreroit 
en  son  rojaulme  à  puissance  avant  Tyssue  du  moys  de  maj  et 
illec  le  viendroit  combatre  :  dont  aucuns  avoient  grant  merveil-* 
les  de  son  voloir  et  leur  sembloit  bien,  puisqu*il  avoit  oeste  vo- 
lonté, qull  enferoit  sa  puissance  ;car  ils  le  congnoissoient  homme 
vaillant  et  de  grande  entreprinse  et  qui  désiroit  moult  À  siévir 
les  armes.  Touttesfois  le  roj  de  Honguerie  et  les  Wtres  sei- 
gneurs de  France  conclurent  ensemble,  ou  cas  que  ledit  Amou* 
rath  ne  passeroit  la  Dunoe  au  lés  de  dechà  en  dedens  ledit  jour, . 
ainsi  qu*il  avoit  mandé  qu*il  feroit,  que  ils  le  passeroient  eulz-mes- 
mes  au  lés  de  dechà  et  entreroient  en  la  Turquie  avec  toute 
leur  puissance  ;  car  le  roj  et  les  estrangiers  estoient  bien  assam* 
blés  cent  mil  vaillans  hommes.  Et  en  vérité  ils  estoient  assés 
pour  confondre  toute  la  puissance  dudit  Amorath^Bahy  et  pour 
conquerre  toute  la  Turquie  juaques  en  Perse  et  aussj  pour 
cônquerre  le  rojaulme  de  Surie  et  la  Saincte-Terre  de  Jhéru- 
salem  et  la  délivrer  hors  des  mains  du  soldan  et  des  ennemis  de 
la  foy  catholique,  ainsi  qu*ils  avoient  emprins,  se  ils  se  fussent 
bien  conduis.  Et  d'aultre  part  le  roy  de  France  et  le  roy  d*En- 
gleterre,  qui  par  le  traitié  de  mariage  de  la  âUe  du  roy  de  France 
au  roy  d*£ngleterre  s'estoient  réduis  ensemble,  avoient  conclu 
de,  à  Testé  prochain,  euls  mettre  sus  à  grant  puissance  de  gens 
d*armes  et  d'archiers  et  de  vemr  avec  eulx  conquerre  la  très- 
saincte  Terre,  se  Nostre-Seigneur  leur  en  eust  volu  donner  la 
grâce. 
Quant  vint  au  mois  may,  on  attendoit  toujours  Àoyr  nouvel* 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  CROISADE.  45i 

les  de  rAmoQratb-Balij.  Le  roy  ûst  très-grant  mandemeiit  et 
assamblée  de  gens  d^armes  par  tout  son  rojaulme  de  Honguerie^ 
et  envoya  sus  les  passages  de  la  rivière  de  la  Dunoe,  et  mist 
la  plus  grant  partie  de  sa  puissance  ensamble.  Et  d*aultre  part, 
les  seigneurs  de  Rodes  vindrent  &  moult  noble  compagnie  et 
moult  bien  armés  et  habillés  de  toutes  choses  nécessaires  &  la 
guerre.  Tout  ce  mois  de  maj  on  attendit  la  Tenue,  mais  on. 
n'en  ost  nulles  nouvelles  :  pour  quoy  le  roy  fist  aucuns  de  ses 
jgens  coureulx,  congnoissans  le  pais,  monter  à  cheyal  et  passer 
la  Bunoe  pour  enquérir  1&  comment  il  estoitde  rAmourath-Bahy. 
Iceulx  chevauceurs  chevauchèrent  bien  avant  en  la  Turquie; 
mais  ils  ne  trouvoient  nuls  qui  leur  en  dist  nulles  certainnes 
nouvelles ,  tant  finablement  qu'ils  furent  advertis  que  le  dit 
Âmorath  et  ses  gens  estoient  encores  de  là  le  Bras-Sainct-Greorge 
en  la  marche  d'Alexandrie,  de  Damas  et  d*Antioche  ;  et  lors 
ils  retournèrent  en  Honguerie  devers  le  roj  et  luy  disrent  ce 
qu'ils  avoient  trouvé.  Et  quant  le  roy  ot  entendu  ses  gens,  il 
dist  aux  seigneurs  de  France  et  aux  aultres  estrangiers  com- 
ment il  avoit  envoie  aucuns  de  ses  plus  subtils  chevaucheurs 
en  fait  de  guerre  passer  la  rivière  de  la  Dunoe  sur  la  fron* 
tière  et  bien  avant  en  la  Turquie,  pour  enquérir  et  sçavoir  de 
Testât  et  convent  de  TAmourath-Babj  et  des  Sarrasins  et 
comment  ils  luj  ont  raporté  qu'ils  n'avoient  point  trouvé  ledit 
Amourath-Bahj  faisant  samblant  de  vol(Hr  passer  la  Dunoe 
pour  entrer  en  Honguerie,  ainsi  qu'il  avoit  mandé  qu'il  feroit 
avant  le  my-maj  passe.  Sur  quoy  le  rojr  demanda  à  chascun 
d'eulx  leur  oppinion  et  conseil,  et  par  espécial  il  s'adrecha  pre- 
mier aux  barons  de  France,  et,  eulx  sur  ce  conseilliés,  le  sei- 
gneur de  Coucy  réspondj  par  adveu  de  tous  et  dist  :  «  Sire, 
tt  nous  avons  parlé  ensamble,  et  nous  est  advis,  puisque  ledit 
tt  Amourath  et  les  aultres  nos  ennemis  que  avons  icy  desj&  longe- 
«  ment  attendu,  ne  se  advanchent  de  venir,  que  nous  les  debvons 
«  aler  quérir  et  cherchier,  tant  que  les  ayons  trouvé  là  où  il 
«  sont,  et  leur  monstrer  la  cause  pour  quoy  nous  sommes  icy 
«  venus  et  le  désir  que  avons  de  confondre  leur  grant  orgùel.  n 


Digitized  by 


Google 


452  RELATION 

A  ces  paroles  s^acordôrent  les  Alemans,  Behaignois  et  aultres 
estrangiers  qui  illec  estoi.^nt  assamblés.  Et  lors  le  roj  ordonna 
et  flst  commandement  &  ses  gens  et  mareschaulx  que  chascun 
d  eulx  en  son  endroit  feust  prest  pour  partir  et  entrer  sur  les 
ennemis  aux  octaves  de  la  Sainct-Jehan-Baptiste ,  ainsi  que 
ce  jour  avoit  esté  prins  entre  eulx,  et  ainsi  le  firent.  Chascun 
préparoit  ses  affaires,  et  se  montoient  en  point  le  plus  richement 
qulls  po  voient.  Et  d  aultre  part  les  Franchois  se  ordonnèrent 
tant  richement  que  rien  n  j  estoit  espargnié.  Finablement 
ils  estoient  tous  tant  richement  en  point  que  moult  grant  no* 
blesse  estoit  a  les  veoir.  Et  quant  lis  se  partirent  de  la  dite  cité 
de  Bode,  qui  est  la  souverainne  du  rojaulme  de  Honguerie,  le 
connestable  de  Honguerie  ot  lavant-garde,  et  avoit  en  sa  corn- 
paignie  grant  nombre  de  Hongres  et  d'Alemans,  pour  ce  qu*il 
oongnoissoient  le  pais  et  les  passages.  Aprôs  lui  aloient  les  Fran* 
chois ,  assavoir  messire  Philippe  d'Artois ,  connestable ,  le 
conte  de  la  Marche,  le  seigneur  de  Coucj,  messire  Henry  et 
messire  Philippe  de  Bar  et  pluiseurs  aultres.  Et  en  le  compai- 
gnie  du  roj  estoient  les  plus  grans  seigneurs  de  son  pais  ,  rai- 
son estoit,  et  Jehan  de  Bourgongne  luj  estoit  toujours  à  son 
costé,  et  se  devisoient  ensemble.  Ils  se  trouvèrent,  quant  ils 
furent  aux  champs,  bien  LX*"  hommes  bons  combatans  &  cheval, 
et  pou  en  y  avoit  à  pié,  sinon  aucuns  qui  siôvoient  le  charroj. 
Et  y  avoit  entre  les  Hongres  grande  quantité  d*arbalestrier8  A 
cheval. 

L^ost  des  chrestiens  chemina  tant  qu*ils  vindrent  sus  la  rivière 
de  la  Dunoe  et  passèrent  tous  &  barges  ,  &  nefs  et  à  pons,  qui  y 
l\roient  esté  fais  et  ordonnés  grant  temps  devant  pour  le  pas* 
sage ,  et  mirent  plus  de  VIII  jours  avant  qulls  fussent  passés 
tous  oultre.  Et  à  fait  qu'ils  estoient  tous  passés  oultre  ,  ils  se 
logoient  en  attendant  lun  lautre  ,  laquelle  rivière  de  la  Dunoe, 
comme  vous  povés  sçavoir  ,  départ  les  royaulmes  de  Honguerie 
et  de  la  Turquie. 

Quant  les  chrestiens  furent  tous  passés  oultre  ladite  rivière 
de  la  Dunoe  et  qu'ils  se  trouvèrent  sus  la  frontière  de  la  Tur- 


Digitized  by 


Google 


OB  hk  GROISADB.  4S3 

quie  ,  ils  furent  tous  resjoîs»  car  ils  désiroient  moult  de  assam- 
bler  contre  les  Sarrazins.  Ils  orent  advis  et  conseil  ensemble  et 
conclurent  que  ils  iroient  assiégier  illec  en  la  Turquie  une  cité 
qui  estoit  prochainne  de  eulx ,  nommée  Cornette,  et  ainsi  le 
firent  et  Tadvironnôrent  de  toutes  pars ,  ainsi  qu'ils  povoient 
bien  faire,  car  elle  siet  en  plain  païs ,  et  au  dehors  queurt  une 
rivière  portant  navire,  qui  8*apelle  Mete,  et  vient  de  amont  la 
Turquie  et  s  en  va  fërir  assés  près  de  la  mer  et  entre  en  la 
Dunoe.  Geste  rivière  de  la  Dunoe  est  mervelleusement  grosse  et 
a  bien  Iir  lieues  de  cours  de  là  où  elle  commence  jusques  1&  où 
elle  entre  en  la  mer  ;  et  seroît  ladite  rivière  de  la  Dunoe  la  plus 
profitable  du  monde  pour  le  rojalma  de  Honguerie  et  pour  les 
aultres  pais  voisins,  se  la  navire  qu^elle  porte,  povoit  entrer  et  issir 
en  la  mer  ;  mais  elle  ne  peult ,  car  droit  à  Tentrée  et  à  Tembou- 
*  chure  de  la  mer  ,  il  j  a  en  ladite  rivière  de  la  Dunoe  une  mon- 
taigne  qui  fent  Feaue  en  deux  parties  et  moitiés  et  rent  si  grant 
bruit  que  on  Tôt  bien  bruire  de  Vil  lieues  loings,  et,  pour  che  , 
nulles  navires  n'y  osent  approchier. 

Sur  celle  rivière  de  Mette,  il  j  a  tout  contremont  et  contre- 
val  ,  ainsi  qu  elle  court ,  moult  belles  praieries  dont  le  pais  est 
moult  bien  aise  et  bien  servi.  Et  j  a  daultre  part  grans  vigno- 
bles qui  font  en  aucunes  saisons  bons  vins,  et  les  vendengent  les 
Turcs  ,  et  quant  ils  les  ont  vendengiés  ,  ils  les  mettent  en  cuirs 
de  chièvres  et  les  vendent  aux  chrestiens  ;  car  ,  selon  leur  loy, 
ils  n*en  pèvent,  ne  osent  boire  que  on  puisse  sçavuir,  car  il  leur 
est  deffendu  sur  la  vie.  Mes  ils  menguent  bien  les  roisins  et  ont 
moult  bons  i'ruis  et  espices  ,  dont  ils  font  espéciaulx  bruvages  , 
et  usent  entre  eulx  à  boire  grant  foison  do  let  de  chiôvre  qui 
les  ral'reschit  et  refroide  contre  la  chaleur  du  temps.  Le  roj  de 
Honguerie  et  tout  lost  se  logèrent  tout  à  leur  aise  devant  celle 
cité  sans  nul  empeschement  ;  car  illec  n  estoit  nulle  nouvelle  de 
rAmourdth-Bahj,nede  personne  de  par  lu/. 

Quant  ils  vindrent  devant  celle  cité ,  ils  trouvèrent  les  fruis 
tous  meurs,  qui  leur  fust  grant  doulceur.  PC  os  gens  firent  à  celle 
dté  de  Comète  pluiseurs  assaulx  ;  mais  ceuix  de  dedens  la  gar- 


Digitized  by 


Google 


454  RBLAnON 

durant  et  deffendirent  moult  bien  ,  car  ils  avoient  toujours 
espoir  qae  TAmourath ,  leur  seigneur ,  les  viendroit  secourir  et 
lever  le  siège  ;  mais  il  leur  failli  :  dont  la  cité  fut  par  force  de 
siège  et  d'assault  prinse  et  destruite  ,  et  y  ot  grant  ocdsion 
d*ommes ,  de  femmes  et  d'effans ,  car  les  chrestiens  qui  dedeus 
estoient  entrés,  n*en  avoient  nulle  pitié.  Quant  la  cité  de  la 
Comète  fut  prinse  ,  ainsi  que  vous  avés  07  ,  le  roj  et  tout  Tost 
des  chrestiens  se  deslogôrent  d'illec  et  entrèrent  plus  avant  en 
la  Turquie  en  intention  de  aller  .assègier  une  aultre  grande 
forte  cité  qui  8*apelle  Nicolpolj.  Mais,  avant  qu'ils  y  parvenis- 
sent,  ils  trouvèrent  en  leur  chemin  une  ville  appellée  La  Quare , 
et  illec  8*arrestèrent  et  7  furent  XV  jours ,  avant  qu'ils  en 
peussent  venir  &  chief  ;  mais  finablement  ils  le  conquirent  par 
force  d'assault,  et  fut  toute  destruite.  Et  puis  passèrent  oultre 
et  trouvèrent  encore  une  aultre  ville  et  fort  chastel  appelle  * 
Brehappe  en  Turquie.  Et  en  estoit  seigneur  ung  chevalier  turc, 
qui  pour  lors  estoit  dedens  à  grant  compagnie  de  gens. 

Le  roj  et  ses  gens  se  logèrent  à  une  lieue  près  de  la  ville  » 
pour  che  que  illec  7  avoit  une  bonne  rivière ,  et  devant  la  dite 
ville  de  Brehape  n  en  7  aroit  point.  Et  le  conte  de  Nevers  , 
lequel  le  ro7  de  Honguerie  avoit  fait  chevalier  incontinent  qu'il 
entra  en  la  Turquie  ,  leva  banière,  et  furent  fais  avec  IU7  plus 
de  Iir  chevaliers ,  print  son  chemin,  et  avec  IU7  le  conte  d'Eu, 
le  conte  de  la  Marche,  le  sire  de  C0UC7  ,  messire  Boudcault,  le 
seigneur  de  Sampi,  messire  Regnault  de  Ro7e,  messire  Henry 
et  messire  Philippe  du  Bar ,  frères  ,  et  tous  les  aultres  Fran- 
ohois  qui  estoient  bien  mille  chevaliers ,  et  allèrent  assiéger 
ladite  ville  de  Brehappe  et  le  prindrent  de  fait  et  de  force  en 
dedens  le  IIIP  jour  ;  mais  ils  ne  peurent  arvoir  le  chastel»  car 
il  estoit  trop  fort.  Le  sire  de  Brehappe ,  lequel  avoit  nom , 
comme  il  me  semble,  Gorbadas  ,  sauva  moult  de  gens  par  la 
force  dudit  chastel.  Icellui  Gorbadas  estoit  vaillant  homme  et 
avoit  trcns  frères ,  dont  le  premier  avoit  nom  Maladins  »  le 
second  Baladins,  et  le  tiers  Ruffln. 

Depuis  la  prinse  de  ladite  ville  de  Brehiq^ ,  les  ohrestieaa 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  CROISADB.  455 

furent  VU  jours  devant  ledit  chastel  et  lui  livrèrent  aucuns 
assaulx  ;  mais  plus  y  perdirent  que  ils  n'y  gaignèrent.  Et  les 
ini  frôres  turcs  ,  tous  chevaliers  »  monstrèrent  bien  par  leur 
deffense  qu'ils  estoient  vaillans  hommes.  Et  quant  nos  seigneurs 
orrent  bien  avisé  et  ymaginé  la  force  du  chastel  et  comment 
ceulx  de  dedens  se  deffendoient  vaillaument  quant  on  les  assal- 
loit ,  ils  se  deslogèrent  dlllec,  car  ils  veoient  bien  qu'ils  y 
perdoient  leur  paine.  Et  d*autre  part  le  roy  de  Honguerie  leur 
avoit  mandé  qu*il  vouloit  aller  mettre  le  siège  devant  ladite  dté 
de  Nicopoly,  et  par  ainsy  ils  levèrent  le  siège  dudît  chastel  de 
Brehappe  et  le  laissèrent  pour  ceste  fois  à  ceulx  qui  estoient 
dedens  ;  mais  la  ville  fut  toute  arse  et  destruite.  Et  se  retrai- 
reilt  le  conte  de  Nevers  et  les  aultres  seigneurs  de  France  en 
l'ost  du  roy  de  Honguerie,  et  s'ordonnèrent  avec  les  Hongres 
pour  aller  assiégier  ladite  cité  de  Nicopoly. 

Quant  Corbadas  veit  que  les  chrestiens  levoient  le  siège  de 
son  chastel  de  Brehappe  et  qu'il  sceut  qu'ils  alloient  assiégier 
ladite  cité  de  Nicopoli ,  il  en  fust  tout  resjoy  et  dist  :  a  Je  ne 
tt  les  doubte  plus  pour  ceste  saison,  et  combien  qu'ils  aient  brûlé 
»  et  exillié  ma  ville  de  Brehappe  ,  je  le  recouveray  et  réédiflie- 
«  ray  bien  cy-après ,  car  j'ay  bon  espoir  et  bonne  volunté  de 
«  me  vengier  et  recouvrer  mes  pertes  sur  eulx.  Mais  je  m'es- 
«  merveille  moult  que  nous  n'avons  nulles  nouvelles  de  nostre 
«  sire  le  roy  Basaach  dit  l'Amourath-Bahy  ;  car  ,  quant  demie* 
«  rement  je  parlay  &  lui  en  la  cité  de  Popoly  en  Turquie,  il  me 
«  dit  qu'il  avoit  intention  de  estre  en  ces  contrées  dès  l'entrée  de 
«  may,  et  estoit  sur  ce  tout  délibéré  de  passer  le  Bras-Sainct- 
«  George  et  d'entrer  en  Honguerie  ;  mais  il  n'en  a  riens  fait  , 
«  par  quoy  icelluy  roy  de  Honguerie,  avec  les  Pranchois  et  les 
«  aultres  estrangiers  qui  présentement  le  sont  venus  assister, 
«  ont  passé  la  Dunoe  et  se  sont  efforchiés  et  eflbrcent  de  jour  en 
«  jour  d'entrer  en  nostre  terre  et  destruire  le  pais ,  et  encore 
«  plus  feront  se  aultre  résistence  n'y  est  mise  ;  car  ils  sont 
a  grant  puissance,  et  si  sont  de^à  entré  bien  avant,  et,  comme 
«  j'entends,  ils  ont  intention  d'assiégier  la  cité  de  Nicopoly , 


Digitized  by 


Google 


436  RfiLATlON 

«  laquelle  est  forte  assés  pour  tenir  contre  leur  puissance  une 
«  grande  espasse  de  temps ,  mais  qu*elle  soit  bien  garnie  et 
tt  deffendue.  Et  au  regard  de  moj  ,  je  m'y  emploraj  avec  mes 
«  trois  frôres  comme  tenus  y  sommes  ,  attendu  mesmement  que 
«  nous  sommes  lignage  bien  prochain  à  monseigneur  le  roj 
a  Basaach ,  et,  pour  ce  faire,  moy  et  Maladins ,  mon  frôre, 
«  irons  et  entrerons  en  ladite  cité  de  Nicopolj  ,  pour  garder  et 
«  assister  au  peuple  et  pour  la  garder  et  deffendre.  Balachins, 
a  mon  aultre  frère,  demourra  en  cestui  chastel  de  firehappe , 
«  pour  le  garder  et  deffendre  ;  et  RufSn  ,  mon  frère  mainsné  , 
a  passera  le  Brach-Sainct-George  et  cherchera  tant  qu  il  aura 
«  trouvé  TAmourath,  et  Tadvertira  de  tout  ce  qull  est  advenu  et 
«  des  affaires  qu'avons  p^rdechà,  en  luy  remonstrant  tellement 
«  que  luy-mesme  viengne  en  personne  si  puissant  comme  pour 
tt^  garder  son  honneur  et  son  héritage  et  pour  rebouter  ses 
a  ennemis  hors  de  sa  terre  ,  ou  sinon  il  seroit  en  péril  de  per- 
tt  dre  tout  son  païs  et  le  royaulme  d'Arménie  qu'il  a  nouvelle- 
«  ment  cont^uis  ;  car  le  roj  de  Honguerie ,  Içs  Franchois  et  les 
«  aultres  estrangiers  sont  très-grant  puissance  et  trôs-vaillans 
«  hommes  entrés  en  sa  terre  et  fort  esmeus  à  rencontre  de 
«  luy.  » 

  Tordonnance  dudit  Corbadas  obéirent  ses  trois  frôres,  et 
8*apareillèrent  pour  faire  et  accomplir  tout  ce  qu  il  âvoit  ordonné. 
Et  lors  le  siège  fut  mis  devant  ladite  cité  de  Nicopoly  et  moult 
bien  ordonné,  et  estoient  assavoir  bien  cent  mille  chrestiens. 

Le  roy  de  Honguerie  et  les  aultres  chrestiens  asségôrent 
celle  saison  ladite  cité  de  Nicopoly,  en  laquelle  Corbadas  de 
Brehappe  et  son  fcère  se  boutèrent  ,  dont  le  peuple  fut  moult 
resjoïs.  Balachins  demeura  audit  Brehappe  pour  garder  le 
chastel,  et  Ruffin  se  m'ist  de  nuit  à  chemin  pour  escapper  Tost 
des  chrestiens,  et  passa  oultre  le  Bras-Sainct-George  pour  cher- 
cher et  oyr  nouvelles  du  roy  Basaach. 

Il  est  vrai  que  le  roy  Basaach  estoit  4ors  allé  au  Quaire, 
devers  le  soldan  de  Babilolne,  et  le  trouva  illec  ledit  Turc.  £t 
quant  le  roy  Basaach  1  apperceu,  il  en  fut  moult  esmerveillés. 


Digitized  by 


Google 


DB  LA  CROISADE.  457 

pensant  qa*il  convenoit  qu*îl  j  eust  de  grans  affaires  en  Turquie. 
SiTappella  devant  luj  et  lu  j  demanda  des  nouvelles  du  paîs  ;  et 
ledit  Turc  luy  dist  :  «  Monseigneur,  on  j  a  bien  affaire  de  vous» 
a  et  vous  y  désirons  bien  à  veoir ,  car  le  roy  de  Honguerie  et 
«  aultres  chrestiens  de  France,  d*Alemagne  et  d'ailleurs  sont 
1  passés  la  rivière  de  la  Dunoe  et  sont  entrés  en  vostre  terre  & 
«  moult  grant  puissance  et  ont  destruit  V  ou  VI  des  milleures 
1  villes  du  paîs  et  mij  à  l'espée  hommes  et  femmes  et  enffans 
1  san^  miséricorde.  Et  quant  je  partis  du  paîs,  ils  s*estoient 
1  tous  mis  &  chemin  en  tirant  vers  la  cité  de  Nicopolj,  pour 
«  Tasségier,  en  laquelle  Corbadas  et  Maladins,  mes  frères,  se 
«  sont  boutés  pour  Taidier  &  garder  et  deffendre.  Et,  pour  vous 
«  advertir,  icelluy  roj  de  Honguerie  a,  entre  les  aultres  estran- 
«  giers  en  son  armée,  une  compagnie  de  gens  d*armes  de  Fran- 
«  che,  qui  \\xy  sont  venus  en  aide,  les  plus  belles  gens  et  les 
t  mieulx  montés  et  les  plus  richement  armés  et  habillés  qu*il 
«  est  possible  de  voir  au  monde,  et  samblent  bien  estre  gens 
«  de  grande  résistt^nce.  Donc  il  est  bien  nécessaire  de  y  avoir 
f  grant  advis  et  pourveoir  en  vostre  affaire  par  grande  puis* 
«  sance  de  gens  que  vous  convient  assambler  en  requérant  vos 
i  amis  de  toutes  pars,  car  ils  sont  bien  assamblés  C™  bons  ..,..« 

i  combatans,  tous  &  ch^^val  et  les  plus  belles  gens  du  monde.  » 
  ces  paroles  le  ro;  Basaach  ne  r.  spondit  mot,  ains  entra 
en  la  chambre  du  soldan  et  laissa  ledit  Turc  qui  ces  nouvelles 
luy  avoit  apportées,  entre  ses  gens,  et  raconta  au  soldan  toute 
la  manière  de  Taffaire,  ainsi  que  le  dit  Turc,  son  chevalier,  luj 
avoit  raporté.  A  quoy  le  soldan  respondist  :  «  11  nous  y  con« 
«  vient  pourveoir  et  deffendre  nostre  lo.r  (t  nostre  héritaige  ; 
c  vous  aurés  gens  assôs  pour  résister  contre  eulx,  et  vous  y 
i  assisteray  à  mon  povoir.  »  Et  TAmourath  res}ondy  :  «  En 
«  vérité,  sire,  la  chose  est  advenue  tout  ainsi  que  je  le  'lésiroie, 
«  car  tout  mon  désir  estoit  que  je  peusse  tenir  le  roy  de  Hon- 
«  guérie  et  sa  pu  ssance  par  dechà  et  oultre  la  rivière  de  la 
«  Dunoe.  Et  puisqu'il  y  est  ainsi  advenu,  je  les  lairay  ung  petit 
t  convenir  à  ce  commencement  ;  mais  en  la  fin  ils  ne  retour* 
-1?.  —  raoïssAUT.  30 


Digitized  by 


Google 


458  ULATion 

«  neront  point  sans  compter  À  Toste,  et  de  toutes  ces  choses 
«  j*aj  bien  este  adverty,  passé  a  plos  de  IIII  mois,  par  mon 
«  grant  ami  le  duc  de  Milan»  lequel  m*a  envoie  une  douzaion^ 
«  d'oiseaulx,  tant  ostirs  que  gerfaux  et  falcons  les  plus  beaulx 
a  et  les  meilleurs  que  je  vois  oncques,  et  avec  oe  m*a  aigni&é 
«  par  ses  lettres  les  noms  et  surnoms  des  barons  de  France 
«  qui  me  sont  icy  venu  faire  guerre,  assavoir  premier  Jeban,  &ln 
c  aisné  du  duc  de  Bourgongne,  Philippe  d^Artoia,  conte  d'En, 
a  connestable  de  France,  Enguerran,  seigneur  de  Coucj,  conte 
«  de  Soissons,  Boucicault  Taisné,  marescal  de  France,  Gnj  de 
«  la  Trémoille,  seigneur  de  SuUj,  Jehan  de  Vienne,  admirai 
a  de  la  mer  pour  le  roy  de  France  ;  et  me  advertit  ledit  duc  de 
«  Millan,  par  sesdites  lettres  que,  se  je  avoie  les  dessus  nom* 
«  mes  en  mon  dangier,  qu*ils  me  renderoient  bien  ung  million 
«(  doren  grans  florins,  et  j  a  en  leur  compagnie  plus  de  Y^ 
«  aultres  vaiUans  chevaliers  du  rojraulme  de  France.  Et  avec 
tt  ce  ledll  duc  de  Millan  me  advertit  encores  que  je  me  advise 
«  bien  de  aborder  &  eulx  par  soutives  voies  et  maniôres  et  par 
tt  si  grant  puissance  que  la  victore  en  soit  pour  moy  ;  car  ils 
«  sont  gens  de  grant  conduite  et  vaillans  *auz  armes  et  ne 
«  fuiront  pour  morir,  néant  plus  le  moindre  que  le  plus  grant  ; 
«  car,  par  leur  vaillance  et  pour  siévir  les  haulx  fais,  ils  sont 
«  issus  et  absentés  de  leur  nation  et  venus  en  ma  terre,  comme 
a  tout  ce  me  rescript  le  duc  de  Millan,  dont  je  leur  sçaj  bon. 
0  gré  et  ay  bien  intention  de  bien  brief  leur  accomplir  leur 
«  voloir  tellement  que  par  raison  ils  deveront  bien  estre  assouffis 
«  deleuremprinse.  » 

A  considérer  les  paroles  que  ledit  rojr  Basaanh  racomptoit 
dudlt  due  de  Millan ,  nommé  messire  Oaliéas ,  conte  de  Vertus, 
on  s*en  peult  et  doibt  esmerveililer,  car  on  le  tenoit  pour  chres- 
tien  baptisié  et  de  nostre  foj.  Et  toutesfois  il  faisoit  alliance  et 
affinité  au  roj  sarrazin  contraire  à  nostre  loy  et  par  très^grant 
amour  luy  envoioit  tous  les  ans  de  beaux  présens  ,  sieomme  de 
chiens  ,  d*oiseaulx  et  de  fins  draps  de  laine  et  de  finettes  toil- 
lett'es  de  Sains  »  qui  sont  choses  moult  agréables  aux  paiens  , 


Digitized  by 


Google 


DB  LA  CROISiM.  489 

car  ilp.nte  ostipokit.,  ae  dis  ne  leur  vienneift  d«8  parties 'd« 
pardechà.  Et  d  aultre  part  ledit  Âmourath  loy  renvoloit  auHMB 
pvésens  de  par  delà ,  aicomme  de  draps  dor  et  de  pierres  pré- 
cieuses dont  ils  ea  ont  grant  larguesse  par  delà,  4^  noue  •en  àmiiê 
gcantdangier  par  dechà,  .se  n'est  par  les  marchaos  vénissiens, 
genevois  et  aultres  Italiens  ,  qui  les  apportent  de  oes  marehei 
et  les  |M)U8  vendent  chiôrement.  Mais ,  pour  lors  ioellu^  duc  4e 
Millau  et  messirii  Galleas ,  son  pore ,  régnoient  'Comme  tjraos 
et  obtindrent  leur  eeignourie.  Dieu  scet  oommant.  Ils  furent 
trois  frôres  «  aesavoir  messire  Maufes  •  messire  Qall«as  et  ines- 
sire  Barnabe.  Iceulx  trois  frôres  eurent  ung  oncle ,  lequel  fut  ' 
archevesque  de  Millan.  Or  Hdvint  en  ce  temps  tiue  Charles  de 
Luxembourg  ,  ro;  de  Behaigne  et  empereur  d*Allemaigne,  estoit 
enJ*exco.mmuni6ment  du  pape  Innocent  qui  pour  Ions  jëgsnbit/ 
et  Loj?»  de  3aviôre  alla  à  puissauceà  Romme  et  illecJBefiet 
couronner  empereur.  Et sitost qu'il  ost  receu  du  SainDt->Siêg« ^kt 
dignité  de  ia  couronne  de  TBinpire,  il  fist  par  «es  soidiemi  aUë» 
mans  ,  à  qui  'A  devoit  grans  sommes  de  déniai»  ,  pillera  des- 
rober  l^u^.la  cité  de  Komme ,  pour  leurs  salières  et  leurs ^sojuV- 
déas.  Ce  fut  le  guer.lon  que  les  Rommains  et  le  Sainet-Sié^s 
apostolique  eulient  de  1  avoir  mis  en  celle  baulte  dignité  :  pour 
quo.v  il  morut  en  sentence  dVxcommuniement.  £t  aprds  tce ,  le 
pape  jSt  les  cardinauLx  qui  l'avoient  créé  em^iereur ,  ;vindrekt 
sans  nulle  contraincte  depuis  en  Avignon  req  iérir  de^t  mèrcjr 
au  pape  Innocent  qui  régna  devant  Urbain  le  V* ,  et  ^nal 
furent  absoube. 

Pour  revenir  &  mon  premier  propos  &  déclarm*  eomment  ees 
trois  frères  enlrùret  premiers  en  la  seigneurie  de  Millan,  ioelluy 
archevesque  de  Millan,  leur  oncle,  receut  le  roy  Charles  de  Be- 
haigne moult  haultement,  quant  il  ot  fait  son  entr>  e  ft  Aix,  ainsi 
qu*il.e8t  aooustumé  de  faire  &  ung  empereur,  quant  il  e4  premid* 
renuuit  créé,  et  luy  presta  cent  mille  ducas.  Et  pour  celle  grant 
ameur  oudit  archevesque  de  Millan,  il  le  âst  et  constitua  viconte 
de  Alillan  et  ses  nepveux  aprùs  luj  &  entretenir  la  seignourie 
jusques  â  son  rappel  et  aussi  longtemps  qu  il  ne  l'auroit  entière* 


Digitized  by 


Google 


400  EBLATtOH 

ment  remboursé  de  ladite  somme  de  cent  mille  dacas.  Et  aprte 
la  mort  dadit  éveaque,  ledit  empereur  mist  en  possession  de  la 
dite.  Ticonté  de  Millan,  pour  Tamour  dudit  évesque,  messire 
Maufes  son  nepveu.  Et  lors  messire  Qaléas  et  messire  Bamabo, 
ses  firdres»  qui  pour  lors  n^estoient  guôres  riches,  advisôrent 
que  ils  se  joinderotent  ensemble  et  qu*ils  feroient  tant  par  eau- 
t^es  et  autrement  qu'ils  gou  vemeroient  et  tienderoient  aussi  une 
bonne  partie  des  terres  de  Lombardie,  et  si  s*alieroient  en  si  haulx 
lieux  par  mariage  et  aultrement  ou  pais  que  nuls  en  les  oseroit  con> 
tredire.  Et  de  fait  ils  firent  tantost  après  morir  messire  Maufes. 
leur  firére,  par  poison. 

Quant  ledit  messire  Mauffe  fiist  mort»  les  deux  frères  ré- 
gnèrent de  force  et  de  puissance  et  furent  tout  leur  rivant  bien 
unis  ensemble  et  départirent  les  cités  du  pafs,  dont  messire 
Oaléas  en  ot  les  X,  pour  ce  qu*il  estoit  Taisné,  et  messire  Bar- 
nabe ot  les  neuf  ;  et  la  cité  de  Millan  estoit  gouvernée  Tune 
année  par  Tun  et  Taultre  année  par  Taultre.  Et  affin  qu'ils  peut* 
sent  régner  plus  puissamment  en  leurs  seigneuries  et  assam- 
bler^plus  grant  finance,  ils  firent  mettre  sus  grans  impositions, 
subsides,  gabelles  et  aultres  mauvaises  coustumes.  Et  d  aultre 
part,  ils  mettoient  garnison  et  faîsoicnt  guetter  en  leurs  villes  et 
cités  de  jour  et  de  nuit  par  souldoiers  estrangiers,  sicomme 
AUeBianS)  Franchois,  Bre  ons,  Anglois  et  toutes  aultres.  nations,, 
réservé  Lombars  ;  car  iU  ne  se  fioient  point  en  eulx  et  faisoient 
paîer  iceulx  souldoiers  de  mois  en  mois.  Finablement  ils  se 
faiseient  tellement  cremir  de  leur  peuple  .que  nul  ne  les  osoit 
désobéir  de  chose  qu  ils  voulsissent  avoir  fait  ;  et,  s'il  advenoit 
que  aucun  les  voulsissent  contrarier  en  leur  seigneurie,  il  les 
faisoient  cruellement  pugnir  et  destruire  eulx  et  tout  leur 
linage,  affin  que  les  aultres  j  presissent  exemple.  Finablement 
ils  tendent  le  pus  en  hi  grande  s.bjection  qu'ils  faisoient  des 
habitans  et  de  leurs  biens  tout  &  leur  volonté,  et  disoient  que 
Lombars  sont  trop  plains  d'orguel  et  de  présumption  quant  ils 
ont  richesse,  et  qu'ils  ne  valent  riens  s'jIs  ne  sont  tenus  en  sub- 
jectioa.  Et  en  vérité  ils  les  tenoient  bien,  car  nuls  ne  les  osoient 


Digitized  by 


Google 


M  LA  CftOiftAPB.  461 

djfabéjr,  pour  quelque  craaulté  qu'ils  loar  feissant.  loaalx 
deux  frères  messire  Galéas  dt  messire  Barnabo  se  marièrent 
moalt  baultement  par  le  mojea  du  grant  tK-sor  qa*ils  rapine* 
tent  sur  leur  peuple.  lœlluj  messire  Oaléas  ot  à  espeuse 
madame  Blance,  seur  au  bon  oonte  de  Savoie  ;  mais*  avant 
qu*ii  en  peust  flner,  il  en  paîa  au  bon  oonte  de  Savoie  cent 
mille  ducas.  Et  messire  Barnabo  espousa  la  seur  d*un  duo  de 
Brusvjc,  qui  n*e  i  pala  pas  mains  que  son  frère.  Ces  Jeux  frères 
orent  beaucoup  d*enfans  de  leurs  mariages*  lesquels  ils  mariè- 
rent baultement  et  richement,  affln  destre  plus  fort  allies.  Mes- 
sire Oalléai  ot  ung  âls  qu'on  appela  aussi  Galléas. 

Il  advint  en  ce  temps  que  le  roy  Jehan  de  France,  qui  estoit 
prisonnier  en  Engleterre,  estoit  mis  &  rançon  pour  trente  cens 
mil  francs  à  paier  À  certains  paiemens.  Icellujr  messire  Oal- 
Idas  sceut  que  Ten  ne  sçavoit  bonnement  où  trouver  le  premier 
paiement.  Si  s'advisa  qu'il  envoiroit  devers  le  rojr  et  par  molens 
il  feroit  traitier  le  mariage  dentre  la  fiUe  du  roj  et  son  dit 
flls  Galléas,  ainsi  comme  il  flst  ;  et  lûy  fust  ladite  fille  accordée 
moîennant  Vr  mille  frans  qu'il  en  paîa,  qui  furent  convertis 
au  paiement  du  roj  d'Engleterre  en  tant  mains  de  la  dite  rea- 
cbon  ;  et  par  ainsi  son  fils  espousa  la  dite  fille,  et  lu  j  fut  donné 
par  ce  traitié  la  conté  de  Vertus  en  Champaigne.  De  ce  fils  de 
MiUan  et  de  celle  fille  de  France  issirent  fils  et  fille,  dont  la 
fille  ot  depuis  espousé  par  force  d'argent  Lojs,  second  fils  du 
roy  Charles  de  France  ,  et  fut  Lojs  ,  duc  d'Orléans ,  conte  de 
Blois  et  de  Valois ,  ainsi  qu  il  est  déclaré  cy -devant.  Iceulx 
messire  Galéas  et  messire  Barnabo  furent  tout  leur  vivant  bien 
unis  ensemble,  ne  oncques  ne  se  discordèrent  \  et  pour  ce 
régnèrent-ils  puissamment ,  tellement  que  oncques  pape ,  car- 
dinaulx ,  empereur  ,  ne  aultres  ne  les  peurent  domter  pour 
quelque  guerre  qu^  leur  feissent,  réservé  le  marquis  de  Monfer* 
rat  qui  leur  fist  moult  grant  guerre  ;  mais  ce  fut  par  le  moyen  d'un 
capitaine  d'Engleterre  nommé  messire  Hacoudes  et  d'autres 
routes  de  gens  d*armes  qu'il  amena  de  Provence  en  Lombardie. 

Après  la  mort  de  messire  Galéas,  Galéas,  son  fils,  qui  estoit 


Digitized  by 


Google 


48S  ttLAnoR 

conté  de  Yerfhs;  rdgna  paissamment  et  m  flst  mouli  itauft 
ùû  Lombardie  à  rencommencem  *nt  do  son  rè^ne,  car  il  aboKst 
loutea  mauvaises  ooustumes  mises  sus  par  son  pare  en  ses 
sei^nouries.  et  tellement  que  tout  son  peuple  Tamoit  de  itèê' 
grant  amour  :  mai»  ce  ne  dura  gut>res,  car  quant  il  se  senty  an 
dessus  et  ferme  en  sa  possession,  il  jmonstra  le  venin  qu*il  avoi( 
longuement  porté  en  son  ceur«  et  mesmément  il  fist  secrètement 
mettre  ses  gens  d*armes  en  embusche  hux  champs  ou  chemin  par 
oCr  mesBiro'  Barnabo  son  oncle  devoit  passe.*,  qui  de  riens  ri^  se 
doubtoit  de  son  nepreu,  ains  cuidoit  bi  n  estre  asseuré  de  lujT. 
Mnis,  ainsi  qu'il  passoit  son  chemin,  ladite  embusche  sally  sur 
brj^.  et  fut  prins  ;  et  quant  il  der.iunda  la  cause'  pourquoy  on  le 
fcisoit  prisonnier,  on  lujr  re^pondi  quM  v  a'voit  ass^s  d'un'#e3^ 
gneur  à.  Milian  et  que  d-illec  en  avant,  il  n*eny  auroit  que  ung. 
Et  lors  il-  fut  destourmî  et  mené  en  ung:  fort  chastel)  et  iiieD  le 
flsùson  nepveu  œorir,  ne  sça;  comment. 
.  lœlluy  messire  Barnabo  délaissa  pluiseurs  enGPans,  dtrnt  la 
yti(7ne  de  Fiance  est  issue d  une  sienne  fille,  qu  ot  espoueée  le  duo 
Estieone  de.  Bavière,  Ec  tous  les  aultres  enffàns  que  icetlu^  G^ 
lëas  pot  attraper,  tant  filles  comme  fils,  il  les  ftst  empriwiiin^i 
«tjoindi  toutes  Les  seignouries  que  avoit  tenu  messire  Barnabe'* 
80D>  jonde,  avec  les  siennes,  et  régna  en  grant  puissance  et 
acquistgrant  trésor  d'or  et  d*argeot  ;  car  il  remist  sus  imposî* 
tionSy  gabelles,  subsides»  quatriesmes  et  toutes  aultres  tOash- 
tînmes:  mauvaises,  ainsi  que  avoient  fait  son  père  et  son  oncl^, 
et  tenoit  toutes  telles  manières  envers  son  peupU  que  il  avoietft 
tenu  en  leur  vivant.  Et  que  plus  est,  il  resta  aux  abâes'  et  gêsm 
de  religion  une  grande  quantité  de  leurs  revenues  et  les  attribnn 
ft  son  demaine,  disant  que  moisnes  et  gens  de  religion  estoient  Si 
plains  de  grandes  richesses  et  se  nourrissoient  si  délicieusetnént 
de  bons  vins  et  bonnes  viandes  qu*ils  ne  se  pôvent  relever  pour 
aler  aux  matines  et  pour  faire  leur  service,  et  les  remist  au 
petit  vin  et  aux  légiôres  viandes,  affln  qu'ils  chantassent  plu^ 
der  et  plus  hault  et  qu*ils  se  réglassent  ttinsi  que  avoient 
faôet  lesi  saincts  religieux  de  leur  ordre  du  temps  passé.  leel- 


Digitized  by 


Google 


os  I.A  cnoisADB.  463 

Iny  Oàtëft!^  dfspô^it  dbs  biens  de  TËglisé,  en  sear  «ei^onries, 
tout  &  sa  volonté  ainsi  qoe  9*il  east  esté  pape,  ainsi  que  aroient 
Met  messire  Œa^éas,  son  pdre.  et  messir^  Barnabe,  son  oncle  » 
en  leur  vivant  et  par  etspéciai  depuis  le  jour  du  séisme-  qui  lorv 
estoit  eit  TÉg  ise  :  car  il  y  avoit  deux  papes  qui  se  edcommu* 
nioient  1  un  iaultre.  dont  iceulx seigneurs deMillan se  moquoient 
et  en  eulr  insinuant  :  aussi  faisoient  assés  d^aultres  seigneurs 
par  le  monde. 

Icelluy  Galéas  avoit  une  fille  de  son  espeuse  qui  fut  fille  du 
rojr  Jehan  de  Franche,  «laquelle  s'escripvoit  ducesse^  de  Milan, 
qui  depuis  fut  dueesse  d*Orl(^ans.  Elle  tenoit  assés  des  condi- 
tions du  pore  et  riens  de  la  môre,  car  elle  estoit  moult  convoi- 
teuse  et  enviouse  sus  les  délices  et  estas  de  ce  monde,  et  eust 
volontiers  veu  que  son  mary  le  duc  d*Orléans  feust  parvenu  À  la 
haulte  seigneurie  de  la  couronne  de  France,  et  n^eust  eu  cure 
commegt  :  dont  la  famé  et  renommée  générale  estoit  sur  elle 
qu'elle  estoit  cause  de  toutes  les  grandes  enfermetés  et  maladies 
que  le  roy  Charles  avoit  eues  ot  encores  avoit  bien  souvent,  par 
ses  sors  et  mauvais  ars,  tellement  qu'il  n  estoit  médecin,  ne  aultre 
qui  y  sceust  remédier.  Icy  vous  veul  ung  petit  déclarer  le  sus- 
picion que  aucunnes  gens  orent  sur  elle  desdits  mauvais  ars.  Il 
est  vrai  que  icelle  dame  dueesse  de  Milan,  nommée  Valentinsf, 
avoit  pour  lors  ung  fils  de  son  seigneur,  moult  bel  jeune  enflknt, 
et  ^oit  environ  de  Teage  monseigneur  le  daulphin  de  Viennois, 
fils  du  roy.  loeulx  deux  enffans  estoient  une  fois  entre  les 
aultres  en  la  chambre  de  la  dueesse  d*Orléans,  et,  ainsi  comme 
ils  8*esbatoient  emsemble,  une  pomme  empoisonnée  futgettée 
tout  en  rondelant  sur  le  pavement,  en  tirant  plus  sus  le  costé 
de  monseigneur  le  daulphin,  cuidant  qu*il  la  deust  prendre  ; 
mais,  par  la  grâce  de  Dieu,  qui  le  garda,  il  ne  la  prinst  pas , 
ains  l'enfant  d'Orléans,  qui  riens  ne  se  doubtoit  du  mtdice,  couru 
après  et  la  happa.  Et  si  tost  que  la  tinst,  il  la  mist  en  sa  bouche 
et  mordi  dedens  ;  et  tout  incontinent  qu'il  en  ot  goutté,  il  fut 
empoisonné,  et  finablement  il  morut,  car  oncques  on  n*y  Sbeut 
mettre  remède.  Et  ceulx  qui  avoient  la  garde  et  le  gouverne- 


Digitized  by 


Google 


434  RUATIOH 

ment  à^  mondit  seigneur  le  da  ilpbin.  le  prinrent  et  remmenè- 
rent hors  de  ladite  ch  im^ira.  et  onoqued  de.iuis  ne  vouldrent 
souffrir qu il  alust.  ne  venUt  devers  la  dite  du&sse.  De  ceste 
chose  sourdi  moult  grant  murmure  par  toute  la  cité  de  Paris  et 
ailleurs  :  dont  la  ducesse  fut  moult  honteusement  scandalisée. 
Et  estoient  tellement  tsmeus  &  rencontre  d'elle  pour  double 
qu  ils  avoient  qu  elle  ne  usasi  encor  *  plus  avant  de  ses  nrauvaii 
ars  sus  la  personne  du  rojr  et  de  sa  Mgnêe,  ainsi  que  la  com- 
mune famé  couroit  qu*elle  feroit,  se  on  n'y  remédioit  ;  car  deejA 
elle  avo.t  tellement  traTvi  lé  le  rojr  par  sortilèges  qu'il  en  estoit 
moult  affoibljr  et  desbiiité  en  ^on  entend,  ment,  en  telle  manière 
qu'il  ne  vouloit  yeoir,  ne  congnoistre  la  loine  son  espeuse,  ne 
aultre  femme  quelconque,  réservé  seullement  icelle  dnoesse 
d'Orléans,  laquelle  l'a  voit  ainsi  ensorcelle.  Par  quoy  le  peuple 
estoit  tout  délibéré  de  Taler  quérir,  et  l'eussent  fait  morir  ;  mais 
le  roj,  qui  par  ce  cas  congneut  le  malice  d'elle,  la  prinst  en  si 
grant  haine  que,  sans  advis,  ne  conseil  de  personne  quelconque, 
fors  de  luj-mesmes,  il  la  fist  oster  de  l'ostel  Saint-Pol,  À  Paris, 
1&  où  elle  se  tenoit,  et  l'envoia  en  son  chastel  de  Âniôres,  qui 
ficiet  sur  la  costiôre  de  Paris,  au  chemin  de  Beaurais.  Et  fut 
illec  une  grande  espace  de  temps,  tellement  gardée  qu'elle  ne 
povolt  issir  hors  des  portes  du  dit  chastel,  et  depuis  elle  fut 
envolée  &  Neufcha4tel-sus-Loire.  Et  d  auUre  part  le  duc  d'Or^ 
léans/son  seigneur,  l'a  voit  moult  fort  prias  en  son  indignation, 
pour  cause  de  l'adventure  qui  estoit  advenue  de  son  fils  ;  mais 
ce  qu'il  avoit  encores  d'aultres  beaux  enfbns ,  l'appaisa  de 
son  ire. 

Ces  nouvelles  furent  espanduos  jusiues  &  Milan,  tellement 
qu'elles  vindrent  &  la  congnoissance  dudit  messire  Oalléas,  dont 
il  fut  très-mal  content  du  roy  et  de  son  conseil.  Et  pour  ceste 
cause  envoji^  devers  luj  &  Paris  ungsien  suffisant  chevalier 
nommé  messire  Jacques  de  la  Verme  et  aultres  pour  excuser 
sa  fille  et  pour  la  remettre  en  la  bonne  grâce  du  roj,  en  luj 
remonstrant  qu'il  se  voulsist  bien  informer  et  qu'il  ne  voulsist 
point  croire  tout  ce  qui  luj  estoit  raporté  &  rencontre  d'elle, 


Digitized  by 


Google 


DB  LA  CR0I9AI»E  165 

«t  que  6ll  estoit  nul  chevalier  ou  aultre  noble  homme  quelooh- 
qu6  qui  la  voulsist  accuser  de  traïson  ou  d  aultre  villaia  cas  » 
iceliuy  messire  Galléas,  son  père,  estoit  prest  de  baillier  homme 
suffisant  qui  respondero  t  pour  elle  corps  pour  corps  en  champ 
de  bataille  jusqu  s  à  oultrance*  Mais  le  roy  ne  s'aresta  gaires 
ft  leurs  piroles,  nins  leur  dist  bien  brief7e  response.  Et  quant 
ils  veirent  que  aultrement  ils  nj  povoîent  remédier,  ils  retour- 
nèrent en  Louibardie  devers  .'eur  seigneur  et  luj  racontèrent 
comment  ils  avoient  besongnié  devers  le  roy,  dont  il  fut  trop 
plus  mal  content  que  devant,  et  en  ot  si  grant  vergongne 
qu*il  en  envoya  deffier  le  roy  de  France  et  tout  son  royalme. 
Mais,  quant  il  envoya  ses  defflances,  les  barons  dessus  nommés 
estoient  oudit  volage  de  Honguerie  :  pour  quoy  icelluy  mauvais 
duc  de  Millan,  pour  nuire  au  roy  et  à  ses  gens  dudit  voyage, 
enquéroit  des  secrets  et  emprinses  des  Franchois,  qui  se  fai- 
soient  touchant  la  guerre  à  rencontre  des  Turcs,  et  si  avant  que 
les  povoit  sçavoir.  il  les  signifioit  au  préjudice  des  Francbois 
et  de  toute  la  chrestianté  audit  Amourath-Bahy,  &  qui  il  avoit 
grande  considération  et  alliance,  comme  dit  est  dessus.  Ores 
retournerons  icy  &  nostre  matière. 

Ne  demeura  guaires  après  que  ledit  Amourath  se  party  du 
Oaaire  et  prinst  congié  du  souldan,  lequel  lui  promist  de  I  aidier 
À  résister  contre  les  chrestiens,  qui  de  prime  face  estoient  entrés  . 
en  Alexandrie  et  devers  Damas  ;  et  de  fait  le  soldan  envoya 
par  toutes  ses  seigneuries,  et  fist  assambler  une  grande  quao- 
tité  de  ses  milleurs  gens  de  guerre  &  Teslite  et  les  envoya  audit 
Amourath-Bahy.  Et  d^aultre  part,  ledit  Amourath,  en  passant 
chemin,  envoioit  ses  messages  ôs  royaulmes  et  pais  devers  les 
rois,  princes  et  seigneurs  ses  amis,  dont  il  pensoit  avoir  assis- 
tence,  et  les  faisoit  à  toute  instance  requérir  de  leur  secours-, 
en  eulx  remonstrant  le  grant  péril  où  il  estoient  sil  advenott 
que  les  chrestiens  conquissent  sa  terre,  où  ils  estoient  entrée  à 
grant  puissance,  disant  qu'il  faLsoit  à  doubter  que  metteroiont 
au&si  les  aultres  royaulmes  voisins  en  leur  subjectien  et  destrui* 
roient  leur  loy  :  si  vauldroit  mieulx  qu  ils  se  mesissent  tous  en 


Digitized  by 


Google 


46S  BELATIOn 

tAwmtoT^émmôrït^n  defléndant  krar  tèrreét  léat làj  (faé Se 
tout  p^rdreK 

Aux  prières,  mandemens  et  semonceis  desdits  soldflo  et  Amotf- 
rath  et  du  oalliffe  de  Baudas  qui  aussi  fist  grant  effoi*t«  s'esiira- 
MQttou9les<roj8  8arra/in8Jusque9en  Perse,  des  rojaulmetf  de 
Mdde  et  de  Tiiarseet  des  parties  septentrionnalles  du  rojrauime  dé 
Lecto  et  tout  oultre  juiriues  sus  les  bonnes  de  Pruoe.  Et  pour 
dequer  iceulx  Sarrazins  estoient  bien  acerten^s  que  les  obrestîeti#. 
sitoient  fleur  de  cbevalerie,  ils  eslisoient  entre  eult  leifplu^ 
babiller  et  expers  en  fait  d  armes,  et  aussii  se  mettoient  sus  i. 
errant  puissance  de  toutes  pars.  Mais  pour  la  grande  multitude 
dépeuple  qulls  estoienr,  ils  ne  povoient  estre  si  tost  prests  pour  . 
issip  du  pa»,  ne  estre  furnis  de  toutes  leurs  nécoessités  pour  1# 
fait  de  la  guerre;  Kl  aussi  llntention  dudit  Amourath  éstoit  d^ 
vàiir  si  fort  et  si  bien  furny  de  son  affaire  que  il  pourroit  bimr 
résister  oontre  ses-  ennemie,  et  ne  se  voloit  point  tiast€^.  Ledi^ 
Amour^tb  semist  sus  les  champs  tousjours  en  attendant  son  peu* 
pie;  qui  vieiioit  par  compaignies  de  moult  lointain  nés  et  diver»e# 
qsarchesv  et  par  e^^pécial  il  luy  vindrent  de  moult  vaiilans  hom- 
mes sarrasins  de  Turtarie,  de  Màde  et  de  Perse,  et  avoien^ 
moult  grant  désir  d'esprourer  leur  force  sur  les  chrestiene.  loy 
vous  lairons  uag  peu  &  parler  de  TAmourath-Babj  et  dee  aul~ 
très*  Sarrazins  qui  s'asambloient  en  la  partie  de  Alexandri«F,  et 
parlel*ons  des  ohrestiens  qui  estoient  au  siège  devant  la  cité-d^ 
Nioopoly. 

ÎM  chresrtiens  avoient  assiégé  tout  &  renvirdn  la  forte  cité 
de^  Nicopoly,  efa  laquelle  estoit  en  garnison  de  moult  i^àillsus 
hôttimes,  qui  moult  yaillamment  deffendoient  la  cité  contre'  léÊ 
cbrestiéns  qui  les  avoient,  assiégés,  et  n*avoient  nulles  nouvel*» 
les  de  r Amourath- Bahj,  combien  que  Tempereur  de  Constan- 
tinobiè**  leur  avoit  bien  signifié  quil  estoit  ôs  parties  d'Alestan- 
drie  ^  qu'il  n*avoit  encore  point  passé  le*  Bras^Saînct- 
GeiQ4^  :  dont  ils  estoient  bien  &  leur  aise  en  leur  dit  siège  ié 
Nicbpoly. 

n  priost  volonté  au  sire  de  Coucy  et  à  aucuus  tfultreil  ^^ettHf 


Digitized  by 


Google 


DE  L4  CROISADE.  407 

iiKUlôlioxs,  flssavofir  meflsire Regmault  de  Roje  ei  lemre  de  Saint- 
Pi,  et:ea  sa  oompag^nio  le  chastellain  de  Beauvoir,  I0  Être  de 
Koncarerel,  le  Borgne  de  Monqueul  et  pluis  urs  autreA,  de 
entrer  plus-  avant  en  pais  et  de  veoir  le  Turquie,  car  il  leu;^ 
semb'.oit  qu  ils  seestoient  trop  longuemeat  tenus  en  ung  lieu  sans 
rien  faire.  Ils  estaient  tous  ass<i(nb}é<  environ  eent^  lances  éb 
autant  de  arbales'riers,  tous  à  cheval,  dont  ledit  sirii  de^Coucf 
estoit  le  eapitainne.  lis  pr>ndrent  guides  qui  congnoiiisoient  le 
pais,  pour  lO'i  conduire,  et  se  misrent  a  cheojin  ;  et  le  roy  de 
Hon^uerie-  et  les  aultres  demouri^reni  tenant  ledit  stëgei  Le 
sire  de;  Couch/ envoya  aucunes  de  se%  guides  et  une  partiè^de 
se^  gens  avec  eulx  des  mieulx  montés  pour  descouYrir  p»e  et 
pour  SQayoir  se  ils  trouveroient  riens. 

Eh  ce  mesme  temps  s  asambloîent  et  se  misrent  ensemble  bien 
£&^  Turcs,  car  ils  estoient  bien  advertis  que  lee  Frahchois 
0ntpoieat  plus  avant  sur  eulx  et  que  ils  destruisoient  le  paîs.  Si' 
advisôrent  qu'ils  y  remédieroient  se  pouvoient.  Ils  vtndrentf  sus 
ung  destroit  passage  par  où  il  convenoit  nos  gen»  passer  pow 
entrer  en  la  Turquie  le  chemin  qu'ils*  tenoient,  et  SO'  tindrent 
iUfic  en  gardant,  ce  destroit  tout  quo jement  san»  riens  faire  par 
y^spasse  de  deux  jours  qu'ils  n*orent  on'cques  nouveller  quVxi 
l^ur  voolsist  faire  nul  destoarbier  ;  et  s  en  voutoient  retourner 
aa  tiers,  quant  il»  veirent  venir  nos  cheyaucbeurs  qui  vindi^enè 
brpphans  jusques  a  illee.  Et,  quant  les  Turcs  les  virent  approcher 
jttsques  a^illec,  ils  se  tindrent  tout  quojement  sans- faire  ntd 
8igne.de  traire,  ne  de  lanchier  sur  eulx,  pour  regu'der  levr  <s9ah 
Tine,  et  les  laissôrent  approchler  de  si  prôs  que  nos  gens  vmrevt 
bien  qu*ils  estoient  grant  foison  ;  mais  toutesfois  ils  ne  léM 
poyoient  pas  bien  exstimer.  Et  quant  ils  orent  âtiti  \mg  petit 
de»  contenancor  ils  se  tournèrent  devers  ledit  sire  d»  Gmmy 
et  les  anltres  seigneurs,  et  leur  annoncbôrent  ee  qu*ito  avoi«nt 
veii.  De  ces  nouvelles  furent  nos  gens  tous  resjouis.  Et  loi» 
le.sirp  de  Ooucj  dist  :  «  Puisque  nous  sommes  venu^  si  aranA^ 
•  il  nous  oonvient  aller  veoir  de  plus  prds  quel»  gens»  osi  esni  ; 
«  cas  œ  mus  seirott  gvaot  honte  de  veioumer  wm  ke  ooi^Nli^  - 


Digitized  by 


Google 


i68  mBLAnoH 

c  tre.  »  A  ce  respondirent  qu*il  avoit  dit  Tëriié.  Et  Iôtb  rat* 
traindiroDt  les  armes  et  rechainglôrent  leurs  cbe^aalx  et  che- 
Taulcèrent  tout  le  pas.  Il  j  avoit  ung  bois  entre  eulz  et  leurs 
ennemis,  qui  n*estoit  gaires  grant  ;  et  quant  ils  yindn>nt  à  Ten* 
contre  de  ce  bois,  ils  s'arrestèrènt  iliec.  Et  lors  le  sire  de  Coucj 
dist  À  messire  Renault  de  Roje  et  au  sire  de  Saint-Pi  :  «  Je 
«  conseille  que  vous  deux  ensemble  prenés  cent  lances  de 
«  nos  gens  et  allés  veoir  se  porrés  attraire  nos  ennemis  bors  de 
c  ce  détroit,  et  nous  metterons  lé  demeurant  en  embuscbe  en 
«  ce  bois.  Et  s'il  adWentquHb  viennent  sur  vous»  laissiés-vôus 
«chasser  d*eux,  tant  quUs  auront  passé  nostre  embuscbe,  et 
*  puis  retournés  tout  à  ung  fais,  et  nous  sauldrons  de  nostre 
«  embuscbe  sur  eulx  par  derridre,  et  ainsi  lés  enclorons  et  aurons 
ff  ft  nostre  volonté,  s 

A  ce  conseil  s*acc6rdôrént  tous  ensemble.  Ds  se  départirent 
environ  cent  lances  des  mieulx  montes  et  allèrent  devers  ledit 
destroit  ;  et  tout  le  demoumnt,  qui  estoient  environ  II>b  bons 
combatans,  tous  hommes  de  bien  et  de  honneur,  se  boutèrent  A 
couvert  et  en  embuscbe  oudit  bois,  et  ilIec  se  tindrent.  Les  aul- 
tres  cbevauchôrent  les  bons  galops,  tant  qu*ils  vindrent  ou  des- 
troit où  les  Turcs  estoient.  Mais,  quant  les  Turcs  lès  voiront,  ils 
en  furent  tous  resjoîs,  car  ils  cuidoient  quils  ne  fussent  que  ce 
petit  nombre  qu  ils  veoient.  Dont  ils  issirent  tous  hors  de  leur 
fort.  Et  quant  les  chrestiens  les  voiront  approchier,  ils  retour- 
nèrent tous  en  fttiant  et  se  firent  chasser,  car  ils  estoient  tout 
bien  montés  sur  eslite  de  chevaulx  :  par  quoj  les  Turcs  ne  les 
povoient  rataindre.  Et  tant  chevauchèrent  qu^ils  passèrent  le 
bois  où  nos  gens  estoient  embuschés,  sans  eulx  apperchevoir.  Et 
quant  les  chrestiens  virent  que  tous  les  Sarrazins  estoient  tous 
passés  oultre,  ils  sallirent  de  leur  embûche  en  escriant  :  «  Nos- 
«  âra*Dame  au  seigneur  de  Coucj  !  »  et  vindrent  frapper  par  der- 
rière sur  leurs  ennemis.  Et  les  aultres  qui  s*estoient  fait  chas- 
ser* retournèrent  sur  eulx  et  les  combatoient  par  defVant,  et  ils 
se  deffendoient  au  ndeulx  quils  povoient  ;  mais  ils  ne  tenoient 
point  d'ordonnance,  ains  estoient  tous  en  desroy»  sans  guet  et 


DigiÛzed  by 


Google 


hm  LA  GaonAM.  469 

lans  garde,  ear  ils  ne  se  doubtoient  point  d*ioelIe  embusche  qui 
kJIj  sur  eulx  :  dont  ils  furent  tous  confus  quant  ils  se  trou- 
Tôrent  ainsi  assaillis  par  devant  et  par  derrière.  Les  Franchois 
oombatirent  leur  ennemis  vaillaument  et  les  misrent  A  desoon- 
flture  et  en  chasse ,  et  les  abbatoient  et  occident  par  grans 
mons  et  tout  A  volonté.  Moult  y  ot  grant  occision»  car  les  chres* 
tiens  n*en  prenoient  nuls  A  merchi.  Eureulx  furent  ceulx  qui 
en  peurent  eschapper  et  retourner  au  lieu  dont  ils  estoient 
part^.  Le  matin  aprôs  ces  desconfltures,  les  Franchois  retour* 
nèrent  en  Tost  devant  Nicopolj.  Et  s*espandirent  les  nouvelles 
par  tout  Tost  comment  le  sire  de  Coucjr,  par  son  grant  sens  et 
vaillance,  avoit,  avec  ses  gens,  desconfy  et  rué  jus  plus  de 
XT""  Sarrazins,  dont  chascun  en  disoit  grant  bien  et  grant  bon  - 
neur.  Mais  le  conte  d*Eu  n*en  tenoit  nul  bien,  ne  nulle  vaillance  , 
ains  disoit  que  ceste  emprinse  avoit  esté  faitte  par  grande  pré- 
sumption  et  qu*il  avoit  mis  les  chi  estions  et  par  espécial  ceulz 
de  sa  route  en  grant  aventure  et  péril  d'estretous  perdus, 
quant«  A  si  petite  compagnie  de  gens,  il  s*estoît  combatu  et  haban- 
donné  par  sa  folie  contre  XX"*  Turcs.  Et  dist  aussi,  puisque  les 
Turcs  estoient  sus  les  champs,  il  le  deust  par  raison  bien,  avoir 
signifié,  avant  que  les  eust  assallis,  A  son  souverain  chief  mon- 
seigneur Jehan  de  Bourgongne,  qui  moult  désiroit  faire  armes 
sur  eulx,  car  il  en  eust  eu  Thonneur  et  renommée.  Ainsi  parloit 
le  conte  d*Ëu  sur  le  sire  de  Coucy  par  envie,  ainsi  comme  il 
sambloit  ;  car  en  tout  ce  voyage  il  ne  le  peult  avoir  parfaitement 
en  amour,  pour  ce  qu*il  veoit  que  le  sire  de  Coucjr  avoit  tout  le 
recuel,  Tamour  et  la  compagnie  des  seigneurs  de  France  et  des 
estrangiers,  et  il  luy  sambloit  que  le  debvoit  avoir,  attendu  qu*il 
estoit  moult  prochain  de  sang  et  de  lignage  au  roy  de  France, 
car  il  portoit  en  ses  armes  les  fleurs  de  lis  A  bien  peu  de  rou- 
ture«  et  si  estoit  connestable  de  France.  Ainsi  engendra  mes* 
sire  Philippe  d*Arthois  haine  couverte  A  rencontre  de  ce  gentil 
chevalier  le  seigneur  de  Coucy  :  laquelle  hainne  ne  se  peult 
dlllec  en  avant  plus  celler  qu*elle  ne  sj  monstrat,  dont  il  en 
advint  grant  meschief  A  la  chrestienté ,  ainsi  que.  vous  orrés 
cjr-ajprds. 


Digitized  by 


Google 


470  tsLATum 

Tous  aves  oy  cy-dessus ,    en  Tistore ,  comment  le  roy  de 
Honguerie  et  les  seignears  de  France  en  celle  saison  estoient 
passés  oultre  la  Dunoe  en  la  Turquie  pour  quérir  et  suivir  tes 
haulz  fais  d*armes  sur  les  ennemis  de  la  saincte  chrestienté  et 
comment  ik  ont  conquis  villes  et  chasteaulx  et  mis  en  leur 
subjection  une  grande  partie  du  pais,  et  avoient  aussi  tellement 
abstraint  ladite  cité  de  Nicopoly  par  force  d'assault  et  de  trait 
d*6ngins  &  pouldre  qu'elle  estoit  en  moult  petit  estât  et  très^fort 
afToiblie  «  ainsi  comme  sus  le  point  de  eulx  rendre  ,  car  ils 
n*avoient  nulles  nouvelles  du  secours  de  rAmouraih,  ne  d*aultre, 
et  la  tenoit  le  roy  de  Honguerie  comme  pour  gaignie  ;  car  il 
dist  au  conte  de  Nevers  et  aux  aultres  seigneurs  :  «  En  vérité, 
«  messeigneurs.  la  mercy  Dieu,  car  nous  avons  eu  belle  bonne 
«  saison,  et  desj&  avons  tant*  exploitié  que  avons  destruit  une 
Cl  grande  partie  de  la  terre  de  nos  ennemis  et  tellement  affoibH 
«  eeste  cité  qu'elle  ne  se  peult  gaires  plus  tenir  contre  nostre 
«  I^i^issànce.  Et  pour  ce  ,  eu  avis  et  considération  &  toutes ' 
«  choses  ,  je  conseille  ,  aprôs  que  aurons  ceste  cité  en  nostre 
«  subjection,  que  nous  ne  allons  plus  avant  pour  ceste  saison  , 
c  mais  que  nous  retournons  delà  la  rivière  en  nostre  Toyaulme 
c  de  Honguerie  ,  ouquel  vous  serés  bien  receus,  comme  raison 
«  est ,  attendu  la  bonne  assistance  et  service  que  nous  avés  fait 
«  en  ceste  guerre  et  espérons  que  encores  ferôs  en  la  prochainne 
«  saison  ;  et  vous  abandonnons  nos  villes  ,  cités  et  chasteaubc 
«  en  tout  nostre  roy aulme  pour  vous  y  yverner  là  où  il  vous 
c  plaira.  Et  en  cest  yver  chascun  pourna  faire  ses  provéances 
«  pour  la  guerre  ainsi  que  bon  luy  semblera,  pour  soy  en  aider 
c  à  Teste  ft  venir  &  recommencer  nostre  guerre  sur  nos  ennt  mis. 
€  Et  envoirons  en  France  signifier  au  roy  nostre  estât ,  qui 
€  nous  pourra  renvoier  nouvelles  gens,  ou  par  adventure  luy- 
«  mèsmes  qui  est  jeune  et  de  grant  courage ,  porroit    avoir 
«  volonté  de  venir  en  personne  par  dech&.  Toutesfois  en  face 
«  son  bon  plaisir  ;  mais  j*ay  intention  de  en  cest  esté  entrer  en 
«  Arménie  et  de  conquester  le  rovaulme  ,  ft  Taide  de  Dieu  ,  et 
«  aprdi  passer  le-Bras-Saisct-Gëorge,  et  irons  en  Surie  et  cou- 


Digitized  by 


Google 


DB  LA  CADliAltt.  4Si 

«  qoest^roDS  \w  poro  de  Jaffe  et  de  Barath  ,  la  cité  de  Jhéra- 
«  Mlem  et  toute  la  Sainte-Terre  ;  et,  se  le  soldan  vient  0Mktr# 
«  nous ,  noue  le  combaterons  et  ne  retoamerone  jamaie  4aiw> 
«  battaille.  » 

iônei  propoeoit  le  roj  de  Hongperie  en  parlant  ans  seigMum 
franchoie  qui  tenoient  ladite  cité  de  Nicopoli  ainsi  que  pour 
gaignie  ;  mais  il  en  avint  tout  aultrement.  Toute  celle  eaison  h 
roy  Baaaach  de  Turquie  ,  dit  TAmourath-Baby,  ayoit  partout 
joiquee  au  rojauime  de  Perse  semons  et  requis  les  prinoes  ds  . 
sa  loj ,  qui  moult  désiroient  de  Fassister  et  de  destmine  ioule 
la  chrestienté  ,  tellement  quli  avoit  amassé  une  grande  multi- 
tude de  Sarrasins  ;  et  passèrent  le  BraeSainct- Georges  ;  #t, 
quant  ils  furent  tous  assamblés ,  ils  esioient  bien  IP"  miUes 
hommes.  Lors  ledit  roy  Basaach  ,  avec  toute  sa  compagnie  , 
commencèrent  &  marcher  tout  le  chemin  couvert  vers  les  ciuree^ 
tiens  pour  lever  le  siège  qu^ils  tenoient  devant  ladite  cité  de 
Nicopoly  et  pour  les  rebouter  hors  de  sa  terre  :  lesquele  cbim* 
tiens  ne  eca voient  riens  que  les  Sarrazins  les  eussent  dC'Si  près 
approchés  ,  ne  de  leur  grant  puissance  ,  ne  aussi  de  l^ur  oon* 
vine.  Icelluy  Amourath-Bahy  fut  en  son  temps  ung  moult  cail- 
lant homme  et  de  grant  emprinse,  et  sçavoit,  en  fait  de  guenns, 
tout  ce  qu*on  y  povoit  sçavoir,  ainsi  qu*il  monstra  bien  en  cestùy 
affiiire.  Toutesfois ,  il  admiroit  moult  les  chrestiens  ,  car  il 
dtsoit  bien  qu'ils  estoient  gens  subtils  et  vaillans  aui  armes. 
L'Amourath  avoit  mis  sa  bataille  en  mouit  belle  ordonnance , 
assavoir  en  deux  elles  ouvertes  au  front  devant  et  estroites 
derrière,  et  comprenoient  bien  une  grant  Iteue  en  espeiesissant 
tottdis,  et  il  estott  au  fonsde  la  bâtai. le,  et  ainsi  cheminoient  aie 
couverte.  Et ,  pour  descouvrir,  il  envoya  devant,  en  une  avant- 
garde  ,  environ  XX"*  Sarrazins,  pour  monstrer  évidence  auc 
chrestiens  qulls  vendent  pour  les  combatre  ;  maitf  il  leur  avoit 
orilonné  que  incontinent  qu*ils  verroient  que  les  chrestiene 
appro  heroient  d*eulx,  que  neculassent  tousjours  le  petit  pas,  jus- 
ques  au  fort  de  leur  grosse  bataille  «  affln  de  attraire  les  obree- 
tienadedena  icelles  deux  elles  quil  Avoit. ainsi  ordonnées  »  #t 


Digitized  by 


Google 


472  RBLATIOR 

quant  ils  seroient  dedens  ,  icelles  deux  elles  se  doroient  et  8*a8- 
sambleroient  en  ung,  et  par  tUnsi  les  chrestiens  demouiroient 
enclos  entre  ealx  ,  et  les  auroient  attrapés  tout  ft  leur  volonté^ 
en  telle  manière  qu*ils  demourroient  tous  destruls  et  desconfis 
par  leurs  mains  et  par  la  grande  puissance  de  peuple  qulls 
estoient.  Ainsi  fust  Fordonnance  du  roy  Basaach  de  Turquie  » 
dit  rAmourath-Bahy. 

Avint  en  ce  temps  ,  qui  fut  en  Tan  mil  Iinitl"  et  XYI,  le 
lundi  devant  le  jour  Sainct-Mikiel,  ou  mois  de  septembre,  envi- 
ron à  Theure  de  X  heures  ,  ainsi  que  le  roj  de  Honguerie  ^ 
tous  les  aultres  seigneurs  et  leurs  gens  séoient  au  disner  ,  non- 
voiles  vindrent  en  leur  ost,  que  leurs  coureurs  raportôrent,  qu'ils 
avoient  tous  les  Turcs.  Mais ,  comme  j*entends  ,  ils  ne  rapor* 
tèrent  pas  bien  la  certainneté  ,  car  ils  n*avoient  point  chevau* 
chié  si  avant  qu^ils  eussent  peu  veoir  la  puissance  des  deux  elles 
et  de  la  grosse  bataille  de  TAmourath  devant  dit  ;  car,  quant 
ils  apperceurent  lavant-garde  des  Turcs»  dont  cy- dessus  est 
faitte  mention ,  ils  ne  chevauchèrent  plus  avant  :  ne  sçay  s'ils 
en  orent  point  d*avis  ou  sin*osôrent.  Toutesfois  ilsmonstrèrent 
grande  couardise  ou  qu'ils  estoient  mal  usités  ôs  telles  affaires , 
combien  qu'ils  fussent  Pranchois  et  Hongres  ensemble  ;  car  le 
roy  y  avoit  ordonné  de  ses  gens,  et  aussi  avoient  les  Franchois 
des  leurs  pour  aler  descouvrir  emsemble.  Mais  ,  comme  dit  est* 
ils  retournèrent  ensemble  soudainnement  et  sans  afivis ,  et 
vindrent ,  assavoir  les  Franchois,  &  monseigneur  de  Nevers 
et  aux  aultres  seigneurs  de  Franche,  en  disant  :  «  Or 
«  tost,  or  tost,  armés  vous ,  que  vous  ne  soiJ^s  supprins  ;  car 
«  veé»-cy  les  Sarrazins  qui  viennent  à  puissance  et  sont  jà  bien 
«  près  de  cy.  »  Et  samblablement  les  aultres  descouvreurs  hoU'* 
grès  firent  en  Tost  du  roy  de  Hon^ruerie.  De  celles  nouvelles 
furent  nos  g-  ris  moult  resjoîs ,  car  i!3  désiroient  moult  faire 
armes  sur  leurs  ennemis.  Ils  se  levèrent  tous  et  bouttèrent  les 
taUes  en  bas,  car  ils  avoient  le  vin  en  la  teste  ,  dont  ils  estoient 
plus  eschauffés  en  fureur  et  «voient  moins  de  sens  et  d  avis.  Ils 
demandaient  armes  et  chevaulx  et  savanchèrent  moult  fort 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  CR0I8ADK.  473 

d'eux  armer  et  agenser  moult  richement ,  et  puis  se  mirent 
tous  sus  les  champs.  Estandars,  penons  et  banières  furent  des- 
ploiés,  et  fut  la  baniôre  Nostre^Dame  baillie  à  che  vaillant 
chevalier  messire  Jehan  de  Vienne  ,  admirai  de  France.  Nos 
seigneurs  doubtoient  moult  pou  le  Turcs  ,  selon  le  samblant 
qu'ils  monstroient,  car  ils  ne  ciiidoient  pas  que  VAmourath  j  fust 
en  propre  personne  et  aussi  qu^ils  feussent  si  grant  nombre 
comme  ils  estoient. 

Ainsi,  comme  nos  seigneurs  de  France  se  tenoient  sus  les 
champs ,  moult  bien  et  richement  montés  et  armés  à  petite 
ordonnance,  le  mareschai  de  Honguerie,  qui  estoit  ung  moult 
sage,  apert  et  vaillant  chevalier,  appelle  messire  Henry  d*£n- 
steinchalle,  vint  monté  sur  ung  bon  coursier,  très-bien  allant  et 
portoit  en  sa  main  ung  court  penon  de  ses  armes  qui  estoient 
d'argent  à  une  noire  croix  ancrée  que  on  appelle  en  armoirie 
ung  fer  de  molin,  et  s*arresta  devant  la  baniôre  Nostre-Dame  , 
car  illec  estoient  la  plus  grant  partie  des  barons  de  Franche» 
et  dist  si  hault  qu*il  fut  bien  entendu,  en  saluant  les  sei- 
gneurs :  «  Je  suis  envoyé  devers  vous  de  par  monseigneur 
«  le  roy  de  Honguerie,  et  vous  prie  et  mande,  de  par  moy  que 
0  ne  soies  si  oultrageux  de  commencier  la  bataille,  ne  assaillir 
ce  les  ennemis  JQsques  ad  ce  que  vous  aurés  aultres  nouvelles  de 
«  par  luy,  car  il  et  aussi  son  conseil  font  doubte  que  nos  des- 
(c  couvreurs  niaient  point  bien  raporté  la  certaineté  de  nos 
a  ennemis,  et,  dedens  environ  deux  heures,  vous  en  aurés  aul« 
a  très  certainnes  nouvelles,  car  nous  avons  envolé  aultres 
tt  coureurs  pour  les  descouvrir  et  chevauchier  plus  avant  que 
«  n'ont  fait  ceulx  qui  nous  ont  apporté  ces  nouvelles,  et  soies 
tt  asseurés  que  les  ennemis  ne  vous  envahiront  point,  se  vous  ne 
«  les  assaillies  premiers  jusques  ad  ce  qu*ii  seront  en  puis- 
<c  sance  tous  assamblés  sur  nous.  Si  vous  prie  que  le  faites  ainsi 
tt  que  je  vous  ay  devisé,  car  c'est  Tadvis  et  ordonnance  du 
tt  roy  et  de  son  conseil,  et  sur  ce  il  me  convient  retourner  , 
tt  car  je  ne  puis  plus  arrester.  » 
'  À  ces  paroles  le  mareschai  de  Honguerie  s'en  retourna  et 

XV.  —  FROISSART.  3  t 


Digitized  by 


Google 


474  RBLAfion 

les  seignearo  de  France  se  misrent  &  conseil  ensemble  pour  sur 
ce  adriser  quelle  chose  il  seroit  bon  de  faire.  Us  demandèrent 
premiè)rement  au  seigneur  de  Coucj  son  ad  vis  sus  ceste  matiôre, 
A  quoj  il  respondy  et  dist  :  «  Le  roy  de  Honguerie  fait  bien 
a  de  nous  fadre  sçavoii*  son  oppinion  en  ceste  partie,  et  me 
c  samble  sou  ordonnance  et  advis,  ainsi  que  le  nous  mande  par 
s  son  mareschal,  estre  bonne,  »  Mais,  comme  Ten  disoit,  mes- 
sire  PhUippe  d'Artois,  connestable  de  France,   fut  moult  ma) 
content  de  ce  que  premiers  on  luj  en  aroit  demandé  son  advis 
et  que  le  sire  de  Couchy  s'estpit  advanchiô  de  parler  devant 
hiy,  et  dist  par  orguel  et  par  grant  despit  tout  au  contraire  de 
tout  ce  que  le  sire  de  Couchy  avoit  dit,  en  disant  :  «  Oyl,  oyl, 
c  le  roy  de  Honguerie  veult  avoir  le  bruit  et  Thonneur  de  la 
<  journée  ;  toutesfois  il  nous  a  donné  Tavant-garde,  ainsi  qu'il 
«  appartient  à  nous,  et  ne  le  nous  doit  ester.  Mais,  par  sainct 
9  George,   qui  m'en   créra,  aussi  aurons«nous    la  première 
«  bataille  sus  nos  ennemis ,  car  de  ma  part  je  ne  seray  jâ 
«  consentant  à  son  oppinion,  et,  qui  croire  me  vouldra,  nous 
«  n'en  ferons  riens.  »  Et  puis  dist  au  chevalier  qui  portoit 
la  baniôre  Nostre-Dame  :  a  Marchons  au  nom  de  Dieu  et  de 
«  monseigneur  sainct  Qeorge,  et  aujourd'hui  on  verra   qui  sera 
a  bon  chevalier.  » 

Quant  le  sire  de  Coucy  entendit  le  connestable  ainsi  parler, 
il  tint  ses  paroles  à  moult  grant  présumption  et  regarda  lors 
sur  messire  Jehan  de  Vienne,  qui  tenoit  la  bannière  Nostre- 
Dame,  qui  estoit  la  souverainne  de  toutes  les  aultres  et  celle 
où  ils  se  debvoient  raller.  Si  luy  en  demanda  son  advis ,  à 
quoy  il  respondy  :  «  Sire  de  Coucy,  là  où  vérité  et  raison  ne 
H  peult  estre  oye,  il  convient  bien  que  oultrecuidance  y  domine, 
a  et  puisque  le  connestable  veult  combatre  et  assembler  aux 
«  ennemis,  il  fault  bien  que  nous  le  suivions  ;  mais  il  me  semble 
«  que  nous  ferions  plus  sagement  de  suivre  le  conseil  du  roy  de 
<c  Honguerie  et  de  attendre  que  nous  fuissions  tous  ensemble  pour 
«  combatre  nos  ennemis;  car  nous  en  serions  plus  fors  et  plus 
«  seuraque  de  les  aller  envahir,  si  grant  puissance  comme  ils  sont. 


Digitized  by 


Google 


DB  LA  CROISADE.  4T5 

<f  à  ai  petite  compagnie  que  nous  sommes.  »  Mais,  quoj  quMls  en 
dissent,  le  connestable  marcboit  adès  et  eulx  après.  Et  d*anltre 
part  les  mescréans  marchoient  aussi,  et  commenchoient  leurs 
deux  elles  dessusdites,  où  bien  avoit  en  cbascune  LX"*  hommes, 
monlt  fort  ft  aprochier  et  &  clore  en  telle  manière  que  nos  gens 
se  trouTèrent  enclos  au  millieu  d*icelles  deux  elles,  qui  estoient 
si  fortes  et  si  espesses  que  nos  gens  ne  leur  povoient  eschapper 
ne  ehà,  nel&. 

Lors  le  sire  de  Couchy  et  aultres  chevaliers  et  escuiers  ttsitéa 
en  fait  de  guerre  appercheurent  bien  que  la  victore  de  la 
Journée  ne  seroit  pas  pour  eulx.  Ce  nonobstant  nosdits  sei- 
gneurs de  France,  qui  moult  estoient  vertueulx  et  de  grant 
courage  et  si  richement  aoumés  qu*il  sembloît  que  le  moindre 
d*eulx  fust  ung  grant  prince,  marchèrent  tout  dedens  et  aui- 
Tirent  la  banière  Nostre-Bame  ,  que  ledit  vaillant  chevalier 
messire  Jehan  de  Vienne  portoit.  Or  notons  icy  ung  po^ 
comment  par  Torguel  du  connestable  ils  furent  contrains  pour 
leur  honneur  d*eulx  tous  "mettre  en  ce  grant  péril  ;  car  ils 
furent  tous  mors  et  prins  et  cause  de  la  perdition  de  la  journée, 
de  laquelle  ils  eussent  bien  eu  la  victore  ,  &  Taide  de  Dieu,  s*il 
eussent  volu  croire  bon  conseil  et  attendre  le  roy  de  âonguerie 
et  sa  compagnie  ,  qui  estoient  bien  LX"*  bons  combatans.  Mais 
ils  ne  furent  pas  si  advisés  ,  ains  par  grant  orguel  et  oultragë 
ils  se  frappèrent  en  la  bataille  sans  attendre  le  roy,  ne  aultre  , 
et  si  n*estoient  point  tous  ensemble  VII  mille  ,  dont  ils  furent 
cause  de  la  doloureuse  perte  et  tellement  qu'oncques  depuis  la 
bataille  de  Rainchevaulx ,  où  les  XII  pers  de  France  moru- 
rèrent ,  ne  fut  si  grande  perte  pour  chrestienté  que  fut  faitte  en 
celle  bataille  par  leur  orguel  et  oultrage.  Toutesfois,  ains  qu*ils 
fussent  vaincus  ,  ils  firent  de  moult  hauls  fais  d'armes  ,  car  ils 
desconflrent  la  première  bataille  de  leurs  ennemis  et  les  misrent 
en  casche  ;  et  en  chassant  ils  voiront  sus  ung  grant  plain  une 
grant  puissance ,  là  où  TAmourath  estoitTïls  estoient  fort  mon- 
tés sur  bons  chevaulx  bien  bardés  et  se  fussent  lors  voluntiers 
retournés  devers  Tost  du  roy  de  Honguerie  ;  mais  ils  ne  peu* 


Digitized  by 


Google 


47^6  RKLATION 

rent ,  car  ils  estoient  tellement  enserrés  et  enclos  de  toutes 
pars  que  ils  nullement  ne  se  pçvoient  sauver.  Là  j  ot  bataille 
moult  fière  et  cruelle  »  qui  dura  moult  longuement.  Et  quant  les 
nouvelles  vindrent  au  roj  de  Honguerie  que  les  chresUens 
estrangiers ,  sicomme  Franchois ,  Anglois  et  Alemans  comba- 
toient  les  Sarrazins  et  que  les  Franchois  n'avoient  volu  tenir 
son  consel  et  ordonnance,  ainsi  que  leur  avoit  mandé  par  son 
mareschal ,  il  en  fut  moult  dolent ,  ainsi  que  bien  avoit  cause  ; 
car»  par  ce  il  apperceut  bien  que  la  victore  ne  seroit  point  pour 
eulx.  Si  dist  au  grant  prieur  et  maistre  de  Rodes  :  a  Élas  ! 
a  aigourd'huj  nous  serons  tous  destruis ,  par  le  grant  orguel 
a  et  oultrage  de  ces  Franchois,  et  par  eulx  perderons  la 
«  bataille.  Èlas  !  se  m*eussent  volu  croire ,  nous  estions  gens 
«  assés  pour  combatre  toute  la  paiennie.  »  Et  &  ces  paroles, 
en  regardant  derrière  luy,  il  vej  que  ses  gens  ,  sans  cop  férir, 
et  sans  quelque  deffence,  se  misrent  &  desconfiture  et  en 
fuite.  Et  les  Turcs  les  chassoient  et  occioient  &  grant  torment. 
Lors  le  roj  de  Honguerie  veit  bien .  qu*il  n*7  avoit  nulle  recou- 
vrance.  Si  luy  dissent  aucuns  qui  estoient  delés  luj  :  «  Sire,  pour 
c  Dieu  sauvés-vous ,  car,  se  vous  estes  mors  bu  prins,  tout 
«  vostre  rojaulme  est  perdu.  »  —  a  Élas  ,  dist  celuj,  il  nous 
«  convient  perdre  ceste  journée  honteusement ,  par  le  grant 
«  orguel  des  Franchois,  qui  aussi  leur  tournera  à  grant  honte 
«  et  &  grant  martire ,  car  ils  ne  peuvent  escapper  qu'ils  ne 
«  soient  tous  mors  ou  prins.  Ores  créés  conseil,  sauvés-vous  et 
«  évités  che  dangier.  » 

Le  roj  de  Honguerie  fut  moult  dolant,  quant  il  vej  que  la 
bataille  estoit  perdue  pour  les  chrestiens  et  qu'il  convenoit  tour- 
ner en  fuite  ou  qu'il  fust  prins  ou  occis  honteusement  par  la 
mauvaise  conduite  des  Franchoi/,  dont  il  advint  grant  persé- 
cution pour  eulx  tous  ;  car,  comme  vous  sçavés  que  fut  adès 
trouvé  :  il  qui  fuit,  on  le  chasse.  Les  Hongres  furent  sans  ordon- 
nance et  sans  arroj,  et  les  Turcs  les  chassoient  &  grant  povoir, 
dont  moult  en  j  ot  de  prins  et  de  occis.  Mais  toutesfois,  &  l'aide 
de  Dieu,  le  roj  de  Honguerie  et  le  grant-maîstre  de  Rodes  se 


Digitized  by 


Google 


DE  LA   CROISADE.  ^  477 

sauvèrent  ;  car  ils  vindrent  aifuiant  sur  la  rivière  de  la  Dunoe 
et  trouvèrent  illec  une  petite  barge  qui  estoit  audit  grant-maistre 
de  Rodes  et  entrèrent  dedens,  eulx  sept  tant  seulement,  et 
eslongèrent  la  rive  à  grant  haste,  car  les  Turcs  les  chas- 
soient  moult  asprement  jusques  au  rivage  ;  et  ainsi  passèrent 
oultre  et  se  sauvèrent.  Mais  les  Turcs  firent  grant  occision 
des  chrestiens  qui  affuioient  sus  ledit  rivage  après  le  roy  leur 
seigneur  pour  eulx  cuidier  sauver. 

Ores  parlons  des  Franchois  et  des  aultres  estrangiers  qui 
moult  vaillamment  se  combatoîent  en  doloureuse  bataille.  Quant 
le  seigneur  de  Montcaverel,  qui  estoit  ung  moult  vaillant  che- 
valier d* Artois,  lequel  avoit  amené  illec  ung  sien  jeune  fils  avec 
luj,  vej  que  la  desconfiture  tournoit  sur  eulx,  il  dist  à  ung  sien 
escuier  :  «  Prens  mon  fils  et  Temmainne  avec  toj.Tu  te  peuls 
a  bien  partir  par  ceste  elle  illec  qui  est  ouverte,  et  le  me  sauve, 
«  et,  au  regard  de  moj,  jeattendraj  avec  les  aultres  Fadventure, 
«  telle  qu*il  plaira  à  Dieu  de  le  nous  envoier.  o  Mais,  quant  Ten- 
fant  oji;  parler  son  père,  il  dist  que  point  ne  se  partiroit  et  pour 
riens  ne  le  lairoit;  mais  le  père  fist  tant  par  force  que  Tescuier 
remmena  et  le  mist  hors  du  péril  de  la  bataille,  et  vindrent  sus 
la  rivière.  Mais  ledit  enffant  de  Montcaverel  ,  qui  moult 
estoit  desplaisant  de  ce  qu'il  avoit  ainssi  laissié  son  père,  fut 
noies  par  grant  mésadventure  entre  deux  barges,  et  ne  le  peult- 
on  oncques  sauver.  Messire  Guillame  de  la  Trémoille,  qui  ce 
jour  avoit  fait  maint  beau  fait  d^armes  sur  les  mescréans,  fut 
occis  en  la  bataille,  et  ung  sien  fils  sus  luj.  Et  le  bon  chevalier 
messire  Jehan  de  Vienne,  qui  portoit  la  banière  Nostre-Dame 
et  qui  moult  vaillamment  s  estoit  combatu,  fut  aussi  occis,  ôt 
fut  trouvée  la  banière  Nostre-Dame  entre  ses  poings.  Toute  la 
force  des  seigneurs  de  France  qui  avoient  esté  au  siège  de  Nico- 
poly,  fut  illec  ruée  jus  et  defiaite. 

Monseigneur  le  conte  de  ]>^evers,  Jehan  de  Bourgongne,  mes- 
sire Guy  de  la  Trémoille  et  pluiseurs  aultres  chevaliers  de 
France  et  de  Bourgongne  estoient  en  la  bataille  en  tant  riche 
arroj  que  on  ne  pourroit  plus,  faisans  merveilles  d*armes.  Il 


Digitized  by 


Google 


478  BELATimi 

j  avoit  avec  eulx  deux  vaillans  hommes,  escoien  de  Picardie, 
dont  Tun  avoit  nom  Guillame  de  Monqnel,  lesquels  escoiers 
s'esioient  trouvés  en  ce  volage  en  pluiseurs  rencontres  et  batail- 
les, dont  ils  estoient  adôs  partis  et  issus  sans  perte  &  leur  honneur. 
Et  mesmement  par  leur  grande  vaillance  ils  passèrent  et  rapaasô- 
rent  ce  jour  tout  oultre  la  bataille  par  deux  fois,  et  ils  firent 
de  moult  grant  fais  d'armes  ;  mais  finablement  ils  j  furent 
occis. 

En  vérité  les  François  et  les  aultres  estrangiers  s'acquittèrent 
ce  jour  moult  vaillamment  et  firent  moult  grant  résistence  et 
tellement  que,  se  les  Hongres  se  fussent  aussi  bien  acquittés  de 
la  besongne,  ellese  fust  aultrement  tournée  qu'elle  ne  fist.  Mais, 
à  tout  considérer,  les  Francbois  furent  cause  et  ooulpe  de  celle 
grant  mésadventure  ;  car,  par  leur  orguel  et  oultrage  tout  fut 
perdu,  ainsi  que  dessus  est  dit.  lUec  estoit  ung  chevalier  de 
Picardie,  qui  s'apelloit  messire  Jacques  de  Heiiij,  lequel  avoit 
en  son  temps  demeuré  en  Turquie  et  avoit  servj  en  armes 
FAmourath-Babj,  père  de  ce  roy  Basaach  dont  je  vous  parie, 
et  savoit  ung  pou  parler  de  langage  de  Turc.  Quant  il  vey  la 
desconfiture,  il  advisa  de  soy  sauver,  car  il  savoit  bien  que 
Sarrasins  convoitent  argent  et  que  povoit  sauver  sa  vie  par 
moyen  de  soy  rendre  prisonnier,  et  par  ainsi  se  rendit  et  fut 
sauvé  de  péril  de  mort.  Et  samblablement  ung  aultre  escuier 
de  Tournésis,  nommé  Jaques  du  Fay,  lequel  servoit  le  roy  de 
Tartarie,  nommé  Tamburin,  ou  temps  que  les  Francbois  vin* 
drent  en  Turquie.  Quant  il  sceut  que  les  Franchois  estoient 
passés  en  la  Turquie,  il  prinst  congié  du  roy,  son  maistre,  et 
fut  en  ladite  bataille  avec  les  Franchois  et  y  fut  pris  des  gens 
mesmes  dudict  Tamburin,  que  il  avoit  envoies  à  grant  nombre 
au  secours  du  roy  Basaach  et  à  sa  prière  et  requeste,  ainsi 
que  rois  et  princes,  tant  chrestiens  comme  sarrazins,  ont  acous- 
tumé  de  faire  Tun  à  Taultre,  quant  ils  en  sont  requis  et  que 
besoing  leur  en  est. 

En  ce  temps  les  chrestiens  furent  desconfis  en  la  bataille 
devant  Nicopoly,  en  Turquie,  et  y  furent  les  Franchois  tous 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  cmoisàiiB.     •  4T9 

inon  et  prim.  Hais,  pour  eho  qu'ils  estoient  si  richement  armés 
et  aoumés»  les  Sarrazins  en  prirent  prisonniers  une  grant  foi- 
son  et  leurs  sauvèrent  les  ries  ;  car  il  leur  sambloit  bien  qu'ils 
estoient  encores  plus  grans  et  plus  puissans  qu'ils  n*estoient  et 
qu'ils  en  trairoient  une  grande  finance  ;  car  comme,  dessus  est  dit, 
les  Sarrazins  convoitent  moult  fort  les  grandes  richesses.  Illec  , 
en  cdle  dolereuse  bataille,  qui  dura  environ  III  heures,  furent 
prins  monseigneur  Jehan  de  Bourgongne ,  le  connestable  de 
Franche,  le  conte  de  la  Marche,  le  sire  de  Coucj,  messire 
Henry  de  Bar,  messire  Guy  de  la  Trémoille,  messire  Bouci* 
cault  et  assés  d^aultres.  Et  j  furent  occis  messire  Philippe  de 
Bar,  messire  Jehan  de  Vienne,  messire  Guillame  de  la  Trémoille 
et  son  fils.  Le  roj  de  Honguerie  perdist  tout  son  arroj  entière- 
ment et  toute  sa  vaiselle  dor  et  d'argent,  joiaulx  et.aultres 
choses  qu'il  y  avoit  apporté,  et  se  sauva  en  une  barge  de  Rodes, 
qui  avoit  amené  vivres,  luy  VU*  seulement,  ainsi  que  vous  avés 
oy  cy-dessus,  dont  il  en  ot  grant  adventure,  car  il  fut  en  moult 
grand  péril  d*estre  occis  ou  prins,  et  y  ot  de  occis  en  la  chasse 
plus  beaucoup  que  en  la  bataille,  et  grant  foison  de  noies.  Ceulx 
se  tendient  moult  eurenlz,  qui  en  pevoient  eschapper  par  quel- 
que chemin  que  ce  fust. 

Quant  toute  icelle  desconflture  fut  passée  et  que  les  Turcs  , 
les  Persans  et  les  aultres  Sarrazins  illec  assamblés  et  envoies 
de  par  le  soldan  et  rois  paiens  furent  retournés  es  logis^ 
assavoir  es  très  ,  tentes,  occubes  et  pavillons  qu'ils  avoient 
conquis  sus  les  chrestiens  et  qu'ils  trouvèrent  moult  bien  gar- 
nis de  vins ,  de  viandes  et  de  toutes  richesses,  dont  ils  se  repeu- 
rent  et  aÛBèrent  en  démenant  leur  glore  en  grant  joie  et  grant 
revri,  ainsi  que  peuples  font  quant  ils  ont  en  leur  pays  victôre 
sur  leurs  ennemis.  Le  roy  Basaach  dit  TAmourath-Baby  vint  a 
grant  foison  de  ménestres,  selon  l'usage  qu'il  ont  en  leur  pays, 
descendre  devant  la  maistresse  tente  qui  avoit  esté  au  roy  de 
Honguerie,  laquelle  estoit  moult  belle  et  moult  bien  aournée  de 
dioult  riches  paremens ,  a  quoy  ledit  Amourath  print  grant 
plaisance  à  le  veoir,  et  entra  dedens  a  grant  joie  et  se  glorifioit 


Digitized  by 


Google 


480  ,   .   RELATIO.^ 

moult  en  son  ceur  de  la  grande  victore  qu*il  avoit  eue  en  celle 
journée  sus  ses  ennemis,  dont  il  regracioit  haultement  ses  dieux 
et  ses  déesses  selon  sa  loj.  £t  quant  il  fut  désarmé  et  esventé 
et  qu'il  fut  rafreschj,  il  s'asist  sur  ung  tapis  de  soje  au  mil- 
Ueu  de  la  tente  et  ôst  venir  devers  luj  ses  principaulx  et  plus 
grans  amis  pour  avecques  eulx  deviser,  esbatre  et  solacier.  Et 
luj-mesme  les  metoit  en  voie  de  rire  et  de  joie,  et  brief  disoit 
qu'ils  passeroient  ensemble  la  rivière  de  la  Dunoe  et  entreroient 
à  puissance  au  royaulme  de  Honguerie  et  conquerroient  le  paîs 
et  tous  les  aultres  rojaulmes  et  paîs  chrestiens  et  metteroit  tout 
en  son  obéissance  ,  et  seroit  bien  content  que  chascun  se  tenist 
en  sa  loy  ,  mais  qu'il  en  eust  la  seigneurie,  et  vouldroit  régner, 
comme  fist.  Alexandre  de  Macédoine  ,  qui  conquist  Tempire  de 
tout  le  monde,  en  maius  de  XII  ans,  duquel  U  disoit  estre  des- 
cendu du  sang.  Et  lors  ses  gens  lui  firent  moult  grande  révé- 
rence et  luj  disrent  qu'il  avoit  moult  bien  dist  et  que  ce  luy 
seroit  chose  bien  légiôre  à  faire  se  le  voloit  entreprendre  , 
attendu  le  grande  puissance  et  le  grant  commenchement  qu'il 
avoit.  Le  roy  Basaach  fist  trois  commandemens  ,  assavoir  pre- 
mier, que  tous  ceulx  qui  avaient  prisonniers,  que  les  amenassent 
au  second  jour  devant  luy  ;  secondement  il  commanda  que  tous 
les  mors  fussent  visités  et  que  cheulx  qui ,  entre  les  aultres, 
sambleroient  estre  grans  seigneurs,  fussent  tirés  à  part  et  ainsi 
les  laissier  en  leur  parure  tant  que  les  auroit  veus  ,  car   son 
intention  estoit  de  les  aller  veoir  avant  le  soupper  ;  le  tierch 
commandement  fut  que  on  sceust  bien  au  vraj  entre  les  mors 
'  et  les  prisonniers  se  le  roy  de  Honguerie  estoit  mort  ou  prison- 
nier. Ainsi  que  TAmpurath  avoit  commandé,  il  fust  fait  ;  car  nul 
n  eust  osé  penser  au  contraire,  ne  désobéir  à.  ses  commandemens. 
Quant  VAmourath  fut  bien  rafreschi   et  remis  en  aultres 
habis  ,  il  luy  vint  en  volunté  d  aler  veoir  les  mors  où  la  bataille 
avoit  esté  ;  car  on  luy  avoit  rapporté  qu'il  y  avoit  moult  grant 
foison  de  ses  gens  mors,  dont  il  estoit  moult  esmerveillié,  et  ne 
le  povoit  point  bien  croire.  Il  monta  à  cheval,  et  moult  grant 
foison  de  ses  nobles  et  de  son  secret  conseil ,  entre  lesquels 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  CROISADE.  481 

éstoiént  Ali-Basach  et  le  Sour-Basach ,  dont  aucunes  gens 
disoient  que  c^estoient  ses  frôres ,  mais  il  ne  les  vouloit  point 
congnoistre  pour  ses  frôres  ,  ains  disoit  qu'il  n'avoit  nuls  frôres. 
Et  quant  il  fut  venu  au  lieu  là  où  la  bataille  avoit  esté  ,  là 
où  les  mors  gisoient,  il  trouva  la  vérité  de  ce  que  on  luj  avoit 
dit ,  car  contre  ung  chrestien  ,  qui  illec  gisoit  mort ,  il  y  avoit 
XXX  Sarrasins  :  dont  il  fut  en  soj-mesmes  moult  durement 
courouchiés.  Et  dist  tout  en  hault  :  «  Il  y  a  c y  eu  cruelle 
(f  bataille  sur  nos  gens,  et  se  sont  ces  chrestiens  fort  vendus  ; 
«  mais  ,  par  ma  loy  ,  je  feray  ceste  oecision  bien  obier  compa- 
<c  rer  a  ceulx  que  je  tiens  prisonniers ,  qui  sont  demeurés 
«  vivans.  » 

Adont  leroy  Basaach  se  party  dlllec  et  s*en  retourna  au  logis, 
et  se  aisa  tant  du  sien  comme  de  ce  qu*il  avoient  trouvé  et 
conquesté,  et  passa  la  nuit  en  grant  fureur  de  ceur.  Et  quant  ce 
vint  au  matin  ,  devant  qu'il  feust  levé  ,  ne  que  s^amontrast , 
grant  foison  de  see  hommes  s'asamblôrent  en  la  place  devant  sa 
tente  ,  pour  sçavoir  et  veoir  quelle  chose  il  vouldroit  faire  des 
prisonniers  qui  estoient  prins  ,  car  la  voix  couroit  entre  eulx 
qu'ils  seroient  tous  desmembrés  et  détrenchiés  sans  miséricorde. 
Ledit  Amourath  avoit  réservé  et  ordonné  ,  quelque  couroux  et 
fureur  qu'il  eust  sus  les  chrestiens,  que  les  plus  grans  seigneurs, 
lesquels  ses  gens  tendent  prisonniers ,  fussent  tournés  d'un 
costé  »  sans  touchier  &  leur  corps  ;  car  il  estoit  adverty  qu'ils 
éstoiént  puissans  et  qu'ils  povoient  bien  paier  grant  finance  pour 
leur  renchon.  Et  d  autre  part  aultr^  nations  païennes,  qui  n'es- 
toient  point  de  l'obéissance  dudit  roy  Basaach  ,  sicomme  Per- 
sans, Tartarins,  Arabes,  Lectuaires  et  Suriens  avoient  conquis 
assés  de  prisonniers  ,  dont  ils  espéroient  avoir  grant  finance.  Si 
les  cdloient  et  muchoient,  et  par  ainsi  ils  ne  vindrent  point  tous 
à  la  congnoissance  dudit  roy  Basaach.  Et  par  ung  mardi  au 
matin  messire  Jaques  de  Helly  et  pluiseurs  aultres  prisonniers 
furent  amenés  devant  la  tente  du  roy  ,  car  celuy  qui  l'avoit 
prins,  ne  l'osa  plus  celer,  ne  garder.  Et,  en  attendant  l'issue  du 
roy  de  sa  tente,  les  chevaliers  et  les  serviteurs  familîiers  de  son 


Digitized  by 


Google 


48i  RBLATION 

hostel  4ui  s'estoient  assamblés  devant  la  tonte*  en  regardant  ioa 
icenlx  prisonniers  ,  recongnenrent  entre  lee  aoltres  le  seigneur 
de  HeUj ,  qui ,  comme  dist  est  cj-dessus ,  avoit  servi  le  pore 
dadit  Amonrath  :  dont  il  fust  eurenlz ,  car  ils  loi  firent  grande 
recongnoissance  et  le  délivrèrent  incontinent  des  mains  de  oeiluj 
A  qui  il  estoit  prisonnier,  et  demeura  ôs  mains  desdits  serviteurs 
d'icelluj  Amourath ,  de  laquelle  adventure  il  devoit  bien  loer 
Dieu ,  car  à  aucuns  d'eux  elle  fut  moult  cruelle  et  piteuse , 
ainsi  que  vous  orrés. 

Ains  que  le  roj  Basaach  widast  de  sa  trato  ,  ne  qu*il  8*ad* 
monstrast  généralement  a  son  peuple  ,  il  avoit  faire  informa* 
tion  et  enquérir  bien  au  long  entre  les  prisonniers  lesquels 
estoient  les  plus  grans  et  puissans  seigneurs  d*entre  eulx  pour 
les  garder  affln  de  les  mettre  à  finance.  Et  fut  trouvé  par 
ladito  information  que  Jehan  de  Bourgongne,  conte  de  Nevers, 
esteit  le  chief  d*eulx  teus  et  le  plus  noble  et  le  plus  puissant  ; 
et  après  luj  le  connestable  messire  Phelippe  d*Artois ,  conte 
d*Eu,  le  conte  de  la  Marche,  messire  Henrj  de  Bar,  messire 
Guy  de  la  Trémoille  et  ainsi  par  ordre  jusquee  à  YIII,  lesquels 
TAmourath  volut  voir  et  parler  k  eulx  ,  et  les  regarda  moult 
longuement,  et  puis  les  examina  et  constraindj  par  serment 
sur  leur  foj  et  sur  leur  loj ,  chasoun  Tun  après  Taultre,  à  dire 
leur  nom  et  leur  estet.  Et  que  plus  est ,  affln  d*en  eetre  mienlx 
informé,  il  envoya  ,  après  ce  que  les  ot  ainsi  examiné,  devere 
eulx  le  chevalier  de  Franche ,  messire  Jaques  de  Helly ,  duquel 
ledit  Amourath  avoit  grand^oongnoissance ,  c(»nme  dit  est , 
et  Tavoit  fait  délivrer  du  péril  de  la  mort ,  et  lequel  chevalier 
devoit  par  raison  bien  congnoistre  lesdits  prisonniers,  et  luy 
commanda  et  eigoingnit  très-expressément  qu'il  allast  devers 
eulx  et  que  luy  raportast  la  certainete  de  leurs  noms  et  de  leurs 
estas,  et  leur  dist  que ,  sur  sa  parole  ,  il  adviseroit  t  leur  fait* 
Ledit  seigneur  de  Helly  respondy  à  FAmourath  qu^il  feroit 
voluntiers  teut  ce  qu'il  luy  vouldroit  commander,  car  il  ne  Teust 
osé  désobéyr.  Si  alla  devers  lesdits  seigneurs  de  France  et  leur 
flst  la  révérence  grande;  et,  quant  il  les  ot  advisé,  il  les 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  GR018A»B.  483 

rèoongneut  tout  incontinent  et  se  devisa  Rrant  pièce  avec  eolx 
et  lem*  raconta  toute  son  adventare  et  aussi  comment  TAmou- 
rath  le  avoit  envoie  devers  eulz  pour  savoir  et  luy  raporter  la 
vâritë  s'ils  estoient  tels  que  eulx-mesmes  leur  avoient  donné 
&  con^oistre.  A  quoy  ils  respondirent  sagement ,  disant: 
a  Vous  nous  congnoissés  tous,  et  si  sçavés  que  par  mauvaise 
a  fortune  sommes  tous  en  ce  dangier  et  en  la  mercj  de  ce 
«  ro7  Basaach.  Si  vous  prions  que  pour  nous  sauver  les  vies , 
«  vous  le  veulliés  informer  tellement  que  nous  mette  à  ronchon 
«  en  luy  remonstrant  que  nous  sommes  gens  de  grant  lieu  et 
a  de  grande  puissance  et  dont  il  pourra  avoir  une  grande 
a  finanche.  »  Et  ledit  messire  Jaques  de  Hellj  leur  respondj  : 
«  En  vérité  ,  mes  très-bonnourés  seigneurs  ,  au  bien  de  vous 
«  et  de  vostre  délivrance  je  m*emploiray  très-voluntiers  de 
0  tout  mon  loial  povoir ,  comme  raison  est  et  que  tenu  y 
«  suis.  9  Et  lors  ledit  seigneur  de  Helly  print  congié  d*eulx  en 
les  reconfortant  moult  bien,  et  retourna  devers  TÀmourath  et 
son  conseil  et  luy  dist  comment  en  enssuivant  son  commande* 
ment  il  avoit  parlé  audits  prisonniers  et  luy  déclara  tous  leurs 
noms  et  leurs  estas  en  luy  remonstrant  quHls  estoient  des  plus 
nobles  et  des  plus  puissans  du  royaulme  de  France  et  moult 
prochains  parens  au  roy  et  qu'ils  estoient  gens  pour  paier 
grant  finance. 

Ces  paroUes  furrent  moult  aggréables  &  FAmourath  et  dit  : 
a  Puisque  je  trouve  leur  fait  véritable ,  je  les  réserve  de  la 
«  mort  ;  mais,  au  regard  des  aultres  prisonniers ,  je  les  ferai 
«  tous  occire  et  détrenchier  devant  eulx,  afin  que  aultres 
«  chrestiens  y  prendent  exemple.  »  Lors  ledit  Amourath  wida 
de  sa  tente  et  s'admonstra  à  tout  son  peuple  qui  illec  estoit 
assemblé.  Et  quant  il  le  virent  venir,  il  se  misr^t  tous  à 
genoulx  et  lui  firent  moult  grant  révérence,  et  puis  il  se  remis- 
rent  sus  en  'estant  et  en  deux  elles  ,  chascun  tenant  les  espées 
toutes  nues  en  leurs  msins.  Et  le  roy  avec  les  plus  nobles  de 
son  hostel  et  de  sa  compagnie  estoit  au  chief  des  deux  elles  ; 
0t  le  conte  de  Nevers  et  les  aultres  prisonniers  qui  estant 


Digitized  by 


Google 


484  RELATION 

réservé  de  la  mort,  estoient  assés  près  d'eulx  ;  car  le  rojr  von- 
loit  qu'ils  veissent  la  cruelle  discipline  que  âst  illec  faire  des 
aultres  chrestiens  prisonniers ,  à  quoy  les  félons  Sarrazins 
estoient  moult  enclins  et  désiroient  moult  acomplir  celle  cruelle 
tirannie,  ainsi  que  leur  avoit  ordonné  faire  ledit  roj  Basaach. 
Lors  furent  amenés  illec  tous  nuds  devant  FAmourath  en 
leurs  chemises  pluiseurs  bons  chevaliers  et  escuiers  prisonniers 
du  rojaulme  de  France  et  d'autres  nations,  qui  avoient  esté 
prins  en  ladite  bataille  et  en  la  chasse  :  lesquels  prisonniers  , 
après  ce  que  ledit  Amoorath  les  eust  ung  petit  regardé,  à  ung 
signe  qu'il  faisoit,  on  les  destournoit  de  sa  veue  et  les  faisoit-on 
passer  parmi  ses  gens  qui  tenoient  leurs  espées  nues,  comme  dit 
est  dessus.  Et  tantost  iceulx  félons  tirans  les  détrencboient  tous 
par  pièces,  et  ainsi  ce  cruel  roj  inûdôle  âst  mettre  à  mort  plus 
de  IIP  nobles  hommes  et  de  diverses  nations  qui  morurent  mar- 
tirs  au  service  de  Nostre-Seigneur,  dont  Dieu  veulle  avoir  les 
àmes«  entre  lesquels  martirs  fut  occis  messire  Henry  d'An- 
toing.  Or  advinMl  que  messire  Boucicault,  mareschal  de  France, 
fust  admené  tout  nud,  comme  les  aultres,  pour  le  faire  morir  de 
ceUe  cruelle  mort,  se  le  conte  de  Nevers  ne  Tenst  aperceu.  Maïs 
quant  il  le  vej,  il  se  partj  incontinent  de  ses  eompaignons  qui 
moult  estoient  tristes  et  doloureux  de  la  cruelle  mort  qu^ils  veoient 
soufirir  à  leurs  confrères,  et  se  vint  getter  à  genoux  devant 
ledit  roy  fiasaach,  et  luy  pria  moult  piteusement  et  de  grant  ceur 
qu'il  voulsist  respiter  la  vie  à  ce  bon  chevalier  messire  Bouci- 
cault,.en  luy  remonstrant  qu'il  estoit  hault  noble  homme  et  gran- 
dement en  la  grâce  du  roy  de  France ,  par  quoy  il  estoit  pour 
payer  une  grande  ronchon.  Finablement  le  conte  flst  tant  par 
ses  paroles  et  par  signes  qu'il  faisoit  audit  roy  Basaach  pour  luy 
donner  À  entendre  son  intention,  que  ledit  messire  Boucicault 
fut  tourné  de  costé  et  mis  avec  les  aultres,  et  ainsi. ot  sa  vie 
reepitée.  Et  après  luy,  en  ot  assés  qui  morurent  de  celle  dolon- 
reuse  mort  :  Dieu  en  veulle  recepvoir  les  âmes  en  sa  glore  de 
paradis  1  Et  en  faisant  toutes  ches  inhumanités  et  inhumaines 
œuvres  sus  ches  povres  chrestiens,  le  roy  Basaach  se  advisa  quMl 


Digitized  by 


Google 


DE  LÀ  CEOISAOB.  48S 

Touloit  envoler  en  France,  manifester  par  ung  chevalier  fran- 
chois,  la  joamée  de  la  victore  qu*il  avait  eue  sas  les  chrestiens 
et  aussi  signifier  aa  roj,  princes  et  seigneurs  de  France  la  prinse 
du  conte  de  Nevers  et  des  aultres  que  ledit  Amourath  et  ses 
gens  avoient  prins  prisonniers  en  ladite  bataille  ;  et  pour  ce 
faire  avoit  advisé  trois  chevaliers  franchois,  pour  en  prendre 
Tun  au  choix  de  Jehan  de  Bourgongne  :  entre  lesquels  trois  che* 
valiers  estoit  messire  Jacques  de  Hellj.  Si  furent  tous  trois 
amenés  devant  ledit  Amourath  en  la  présence  dudit  Jehan  de 
Boui^ngne,  et  demanda  ledit  Amourath  audit  Jehan  de  Bour- 
gongne lequel  des  trois  il  voloit  pour  faire  ce  message  en  France. 
A  quoj  faire,  ledit  Jehan  de  Bourgogne  choisit  messire  Jacques 
de  Hellj,  lequel  en  ot  la  bonne  adventure,  pour  ce  qu*il  le  con- 
gnoissoit  mieulx  que  tous  les  aultres.  Et  dist  :  «  Sire,  se  vous 
«  plaist,  cestuj  fera  le  message  pour  vous  et  pour  nous.  »  Et  par 
ainsj  ledit  messire  Jacques  de  Hellj  en  ot  la  charge  de  ce  mes- 
sage faire,  et  les  deux  aultres  furent  renvoies  au  peuple  pour 
détrenchier,  ainsi  qu*avoient  esté  les  aultres.  Et  quant  le  roj 
Basaach  ot  fait  toute  sa  cruelle  et  inhumainne  volunté  sur  les 
chrestiens  prisonniers,  et  qull  sceut  que  le  roj  de  Honguerie 
n'estoit  ne  mort,  ne  prins,  ains  s'estoit  sauvé  et  passé  la  rivière 
de  la  Dunoe,  il  se  retrait  en  Turquie  devers  la  cité  de  Burselle, 
et  là  fist  mener  les  prisonniers  de  France  et  dist  que,  pour  celle 
saison,  il  avoit  assés  fait,  et  donna congié  à  aucuns  de  ses  hommes 
et  mesmement  à  tous  ceulx  des  loingtains  rojaulmes  qui  Testoient 
venus  servir  en  ce  voiage,  sioomme  de  Tartarie,  de  Perse,  de 
Mode,  de  Surie,  d'Alexandrie  et  aultres  de  moult  loingtainnes 
contrées.  Après  ce  fait,  ledit  Amourath  fist  préparer  ledit  che- 
valier messire  Jacques  de  Hellj,  pour  retourner  en  France,  et 
lu j  dist  qu*il  lujsaluast  le  roj  de  France,  et  par  dessus  tout  lu j 
commanda  et  eiyongn j  par  exprès  qu*il  prinst  son  chemin  par 
Lombardie  et  qu*il  saluast  le  duc  de  MiUan,  et  que  partout  où  il 
passeroit,  manifestast  la  journée  de  la  grande  victore  qu*il  avoit 
eue  sur  les  chrestiens  ;  car  il  vouloit  bien  que  tout  le  monde  le 
soeust.  D'aûltre  part,  le  conte  de  Nevers  rescripvj  pour  luj  et 


Digitized  by 


Google 


4t6  ULATioir 

poarles  aaltres  prisoiiiiidn,  ses  oompaignons,  au  roj  et  à  moiv- 
seigneor  le  dac  de  Bourgongne,  son  père,  et  à  madame  ta  mère. 
Et  qpant  ledit  chevalier  ot  sa  charge»  tant  par  lettres  comme 
par  bottohe,  il  print  oongié  dndit  Àmonrath  et  des  burons  de 
France.  Mais,  ains  qa*il  peult  partir,  ledit  Amoorath  laj  flst 
jurer  et  promettre  que  incontinent  qull  auroit  fait  son  dit 
voyage  en  France  et  signifié  au  roj  et  aux  seigneurs  ce 
dont  il  avoit  la  charge,  qu*il  retoumeroit  au  plus  test  qu'il  pour- 
roit,  et  ainsi  le  jura  et  promist  et  le  tint  bien  aussi  à  son  lojat 
povoir.  Et  par  ainsi  FAmourath  luy  donna  oongié,  et  il  se  sût  à 
chemin.  Icy  lairons  ung  petit  à  parler  dudit  Amourath  et  des 
aultres  seigneurs  de  Franche  et  parlerons  d'aultree  ofaoees 
descendans  de  ceste  matière. 

Après  celle  grande  desconfiture ,  il  advint  que  ce  mesilie 
lundi ,  jour  de  ladite  bataille,  aucuns  chevaliers  et  escuiers, 
qui  estoient  bien  au  nombre  de  IIP  ,  tant  Franchois  que  d'au- 
tres diverses  nations  ,  estoient  au  plus  matin  allés  fonmgier  et 
us  scavoient  riens  de  la  bataille  ,  quant  à  leur  retour  ils  ren- 
eontrèrei^t  les  fuians ,  qui  leur  racontèrent  la  desoonfiture.  Et 
quantilsoîrent  ces  griefves  nouvelles  ,  ils  tournèrent  au  con- 
traire ,  et,  au  plus  test  qu'ils  peurent,  se  misrent  à  salvation  et 
prinrent  divers  chemins  en  eslongant  le  péril  et  dangier  des 
mescréans.  De  prime  face  ils  entrèrent  en  ung  paîs  qui  joint  à 
la  Hoaguerie  ,  que  on  appelle  la  Blaquie  et  est  une  terre  peu- 
plée de  gens  divers  qui  furent  conquiA  sur  les  Turcs  et  par 
force  convertis  à  la  foj  chrestienne. 

Les  gardes  des  pors,  des  passages,  des  villes  et  chastiaulx  de 
ceste  contrée  laiseoient  assés  légièrement  entrer  en  leur  terre 
iceulx  chrestiens  fuians  et  lesreeeulloient  et  logoient  ;  mais ,  au 
partir  et  au  congié  prendre ,  ils  leur  ostoient  tout  ce  qu'ils 
avoient ,  jusques  k  le  chemise ,  réservé  aux  gentils  hommes  à 
qui  ils  laissoient  une  povre  robe  et  petit  d'argent  pour  passer  la 
journée  seulement.  Mais  aux  aultres  de  basse  condition  ,  ils  iea 
despoulloient  tous  nuds  et  les  batoient  villainnement  et  sans 
pitié ,  et  ainsi  à  grant  misère  passèrent  ce  pafs  tant  qu'ils  vm- 


Digitized  by 


Google 


w  hà  uMu»M.  497 

drent  en  Hongnme  ;  maû  ils  na  trouvôrent  illec  gatres  miecdz, 
car  à  grant  painne  poToient-ils  trouver  qui  leur  voulsist  donner 
da  pain»  na  logier  pour  Famour  de  Dieu.  Ces  poTres  gens  endu- 
rèrent tant  de  rudesses  et  de  misérables  povretës  que  on  ne  las 
TOUS  sçauroit  raconter  ;  niais ,  quant  ils  vindrent  an  Ostrieet  an 
unecitë  appelé  Vienne  ,  ils  furent  illec  plus  doulcement  receul- 
liés  ;  ear  les  bonnes  gens  du  pato ,  qui  en  orent  grant  pitié  , 
rsvastoient  les  nuds  et  leur  départoient  de  leurs  biens  et  Dû- 
soient  samblablement  par  tout  le  rojauhoae  de  Babaigne.  Et  an 
Térité  s*Us  eussent  trouTés  les  Alemans  ausi  rudes  comme  ils 
aYoient  trouvés  les  Blas  et  les  Hongres  ,  jamais  n'eussent  peu 
retourner  en  France  ,  ains  fassent  tous  mors  de  froit  et  de  faim 
sur  le  chemin.  Et  cbascun  qui  les  oioit  raconter  les  grans  périla 
et  povretés  qu'ils  atoient  eus  sur  le  chemin  ,  an  avoient  moult 
grant  pitié  »  et  les  ungs  plus  que  les  aultres.  Et  finablamant 
ioeulx  déchassés  cheminèrent  tant  qu'ils  vindrent  à  Paris.  Et 
brs  commenchèrent  fort  à  amplier  ses  angoisseuses  nouvelles 
de  la  desconflture  ,  lesquelles  à  rencommencement  l'en  ne  vou- 
loit  pas  bien  croire  ,  et  disoient  les  aucuns  parmi  la  cité  da 
Paris  :  «  C'est  dommage  que  on  ne  pende  ces  ribaudailles  qui 
«  ont  mis  et  mettent  en  avant  tous  les  jours  tdles  bourdes  et 
e  fallaces.  s  Ce  nonobstant  toujours  oontinuoient  ces  nouvdles 
de  plus  en  plus  et  amplioient  partout,  car  toujours  en  vanoiant 
nouvelles  sus  aultres ,  et  en  parlaient  en  diverses  manières.  Et 
quant  le  roj  de  Franoeapperceut  que  ces  nouvelles  multtplioiant 
et  oontinuoient  toui^ours ,  il  en  fut  moult  dolent ,  car  trop 
grant  dommage  et  perte  des  nobles  de  son  sang  et  de  sa  cheva- 
lerie 7  avoit.  Et  pour  ce  fist  commandement  sur  paine  de  grande 
correction  que  nul  ne  fost  si  hardy  d'en  parler  jusques  ad  ce 
qu'on  sçauroit  mieulx  la  vérité  du  fait ,  et  que  tous  oaulx  qui  an 
avaient  raporté  les  nouvelles  ,  disans  qu'ils  venoient  dudit  voil- 
age ,  fussent, tous  nds  et  boutés  en  prison  au  Chastellet  à  Paris, 
et  que  ,  s'il  estoit  trouvé  qu'ils  n'en  eussent  raporté  le  vérité  , 
qulls  fussent  tons  noyés.  Dont  il  advint  qu'il  en  y  ot  tant  d# 
prisonniers  que  ledit  Chastellet  en  estoit  tout  plain.. 


Digitized  by 


Google 


48è 


RBLATION 


Or  advint  que  messire  Jaques  de  Helly  entra  en  la  cité  de 
Paris  ,  environ  à  heure  de  nonne  ,  sur  la  propre  nuit  de  Noël , 
que  Ton  dlst  en  Flandres  Kalendes  ;  et  si  tost  qu'il  fut  À  son 
hostel  descendu  de  son  cheval,  il  demanda  où  le  roj  estoit,  et 
on  luj  dist  qu'il  estoit  en  Tostel  de  Saint-Pol  sur  Sainne.  Et  lors 
incontinent  il  tira  celle  part.  Pour  ce  temps  estoient  devers 
le  roy,  À  Paris,  le  duc  d*Orléans  ,  le  duc  de  Berry ,  le  duc  de 
Bourgongne,  le  conte  de  Saint -Pol  et  moult  d^aultres  nobles 
seigneurs  du  royaulme  de  France  ,  ainsi  qull  est'  d*usage  que 
À  une  telle  solennité  les  seigneurs  simt  voluntiers  devers  leur 
roj  et  souverain  seigneur.  Icelluj  messire  Jacques  entra  ou  dit 
hostel  de  Sainct-Pol  en  tel  estât  qu'il  estoit  dessendu  de  son 
cheval,  ainsi  que  tout  housé  et  esperonné  ;  mais  pour  lors  il  n*j 
estoit  point  congneu  ,  car  il  avoit  plus  hanté  les  marches  loing- 
tainnes  ,  quérant  les  aventures  du  monde,  qu*il  n*avôit  fait  les 
prochainnes  de  sa  nation.  Si  âst  tant  par  ses  paroles  quon 
le  laissa  entrer  jusquesà  la  chambre  du  roy.  Et  illec  âst 
congnoissance  par  les  lettres  qu'il  raportoit,  disant  qu'il  venoit 
tout  incontinent  de  devers  TAmourath-Baby  et  de  la  Turquie 
et  qu'il  avoit  esté  à  la  bataille  de  Nicopoly  ,  où  les  chrestiens 
avoient  esté  desconfis ,  dont  il  apportoit  certainnes  nouvelles  , 
tant  du  conte  de  Nevers ,  comme  des  aultres  seigneurs  de 
France  qui  en  sa  compaignie  estoient  allés  audit  voyage. 

Quant  les  chevaliers  de  la  cambre  oîrent  ledit  chevalier 
ainsi  parler,  ils  Tescoutôrent  moult  voluntiers  tant  qu'il  sam- 
bloit  bien  qu'il  estoit  homme  révérend  et  véritable,  comme 
aussi  pour  ce  qu'il  sçavoient  bien  que  le  roy,  le  duc  de  Bour- 
gongne  et  les  aultres  seigneurs  de  France  désiroient  moult  & 
oyr  certainnes  nouvelles  des  parties  dont  il  venoit.  Se  le 
menèrent  devers  le  roy  ;  et  quant  il  l'aperceut ,  il  se  jetta  à 
genoux  et  luy  âst  la  révérence,  ainsi  qu'il  appartenoit,  et  parla 
moult  sagement  en  déclarant  la  charge  qu'il  avoit  de  l'Amou- 
rath-Bahy  et  de  par  le  conte  de  Mevers  et  les  aultres  seigneurs 
de  France  que  ledit  Amourath  tenoit  prisonniers.  Et  puis  luy 
raconta  toute  la  manière  comment  ils  s'estoient  conduis  au 


Digitized  by 


Google 


DE  LA   CROISADE.  489 

fait  de  la  guerre  contre  les  mescréans ,  durant  tout  ledit 
Yoiage,  et  aussi  la  manière  de  la  bataille  et  de  la  desconfiture. 
Quant  le  roj  et  les  seigneurs  oîrent  ces  douloureuses  nou- 
velles, ils  en  furent  moult  desplaisans,  car  ils  sçavoient  bien 
qu*il  leurracomptoit  la  vérité  et  qu*il  avoit  veu  toute  la  manière 
de  la  mésadventure.  Si  Texaminôrent  moult  doulcement  pour 
mieulx  attaindre  la  vérité  du  cas  ,  et  il  leur  respôndoit  À  tous 
si  sagement  que  le  roj  et  tous  les  seigneurs  furent  moult  con- 
tens  de  lui.  Ils  furent  moult  desplaisans  de  la  perte  que  le  roy 
de  Honguerie  et  ses  gens  avoient  eue  À  ladite  bataille  ;  mais 
ils  se  resconfortoient  en  che  qu*il  estoit  eschappé  sans  mort  ;  car 
ils  avoient  bon  espoir  que  encores  il  recouvreroit  ses  pertes 
sur  ledit  Amourath  et  sur  la  Turquie  ,  car  encores  estoit-il 
aussi  puissant  pour  luy  faire  guerre ,  qu*il  avoit  oncques  esté. 
Et  d'aultre  part  puisque  Tadventure  estoit  ainsi  advenue,  ils 
estoient  tous  reconfortés  et  reçois  de  che  que  les  seigneurs  de 
France  prisonniers,  assavoir  le  conte  de  Nevers  ,  le  conte  d*Eu, 
le  conte  de  la  Marche,  messire  Henry  de  Bar,  messire  Guy  de 
la  Trémoille  et  messire  Bouchicault  estoient  hors  de  péril  de 
mort,  combien  qu'ils  fussent  prisonniers  ;  car  il  leur  sambloit 
bien  que  quant  ils  seroient  mis  &  finance,  qu'ils  seroient  bien 
rachetés,  quoy  qu*il  deust  couster.  Et  comme  leur  disoit  icel- 
luy  messire  Jaques  de  Helly,  il  leur  sambloit  bien  que  ledit 
Amourath,  lequel  estoit  moult  convoiteux  de  assembler  grant 
finance  en  son  trésor,  les  metteroit  à  ronchon  en  dedens  ung 
mois  ou  deux  au  plus  tart.  Mais  Us  estoient  moult  desplaisans 
de  la  mort  de  ces  bons  vaillans  chevaliers  messire  Jehan  de 
Vienne,  messire  Guillame  de  la  Trémoille  et  les  aultres  qui 
furent  occis  en  la  dite  bataille. 

Après  ce  que  ce  bon  chevalier  messire  Jaques  de  Helly  ot 
fait  son  message,  ainsi  que  vous  avés  oy,  le  roy  et  les  seigneurs 
le  receullirent  moult  bénignement  et  le  loèrent  moult  en  disant  : 
«  Certes  ,  sire  de  Helly  ,  ce  vous  est  une  belle  grâce  de  Dieu  et 
«  ung  grant  eur ,  quant,  par  la  congnoissance  que  TAmourath- 
«  Bahy  et  les  aultres  Turcs  par  delà  ont  de  vous  ,  À  cause  de 

XV.   —  FROISSART.  3â. 


Digitized  by 


Google 


490  RELATION 

«  la  conversation  que  avés  de  longtemps  eue  avec  eulx  ,'à  qui 
u  TOUS  estiés  prisonnier  pi'ins  en  celle  bataille  avec  les  attitrés, 
0  ils  vous  ont  respité  la  vie  et  vous  ont  envoie  par  dechà.  faire 
«  ce  message,  dont  vous  et  tout  vostre  lignage  en  devés  mieulx 
«  valloir  et  estre  loés  et  prisiés  à  tousjours.  » 

Tantost  après  ce  que  messire  Jaques  de  Helly  ot  raporté  ,  à 
Paris ,  à  la  personne  du  roy  et  des  seigneurs ,  la  certaiiineté  de 
ces  nouvelles ,  le  roj  flst  délivrer  tous  les  prisonniers  qu  ils 
avoit  fait  bouter  ou  Chastelet ,  pour  la  cause  devant  dite  , 
dont  ils  furent  moult  joyeulx. 

Lôrs  furent  les  nouvelles  de  la  desconûture  des  chrestienâ 
que  ledit  messire  Jacques  de -Hellj  avoit  apportées  en  France, 
tenues  pour  véritables,  et  furent  tantost  ampliées  par  tout  le 
rojaulme  ,  dont  ceulx  et  celles  qui  leurs  maris  ,  leurs  pores  , 
leurs  frères  ,  leurs  enfans  ,  leurs  parens  et  leurs  amis  j  avoieni 
perdus  ou  qui  y  estoient  demeurés  prisonniers,  faisoient  moidt 
grant  duel ,  et  non  sans  cause.  Les  haultes  dames  de  Franco  et 
mesmement  madame  de  Bourgongne,  mère  dndit  conte  de  Nevers, 
et  madame  Marguerite  de  Haynau ,  son  espeuse ,  firent  ung 
merveilleux  duel ,  quant  elles  sceunent  qu'il  estoit  ainsi 
demeuré  prisonnier  entre  les  mains  des  Sarrasins.  Et  sambla^ 
blement  madame  Marie  de  Berrj  ,  espeuse  du  conte  d'Eu , 
connestable ,  madame  de  Coucy ,  mademoiselle  sa  âUe  et  géné- 
ralement toutes  les  autres  dames  et  demoiselles  de  France  et 
d'ailleurs  ,  qui  leurs  maris,  parens  et  amis  y  avaient  prisonniers* 
démbnoient  duel  À  désmesure ,  combien  que  aucunement  elles  se 
rèconfortoient  en  ce  qu'ils  estoient  hors  du  péril  de  la  mort , 
considérant  que  on  les  osteroit  bien  hors  du  âangi«r  où  ils 
estoient,  par  aucun  bon  moyen.  Mais  il  n*y  avoit  point  de  res- 
confort  en  celles  qui  sçavoient  que  leurs  maris  ,  leurs  pores  et 
amis  y  estoient  occis. 

Les  lamentations  de  ces  nouvelles  durèrent  moult  longuement 
au  royaulme  de  France.  Toutesfois  le  duo  de  Bourgongne  festoia 
môult  grandement  ledit  seigneur  de  Helly  qui  ces  nouvdles  luy 
avoit  apportée^  d^  son  fils,  et  luy  donna  de  naoult  grans  dons  de 


Digitized  by 


Google 


DE*  LA  CROISADE.  49f 

son  trésor  et  de  moult  beaulx,  et  riches  joyaulx,  et  le  retint  des 
chevaliers  de  son  hostel,  en  luj  assignant  II"  livres  par  an,  dont 
il  possessa  et  joîst  sa  vie  durant.  Et  samblablement  le  roy  et 
tous  les  seigneurs  luy  firent  aussi  de  beaux  dons ,  et  s*efforcha 
chascun  de  le  festoier  et  honnourer  et  mesmement  pour  ce  qu'il 
estoit  moult  vénérable  chevalier  et  qui  bien  sçavoit  deviser  des 
contrées  de  la  Turquie  ,  du  royaulme  de  Honguerie  et  des  païs 
de  par  delà  et  des  conditions  dudit  Amourath  et  des  prlncep 
de  par  delà.  Et  après  qu'il  ot  illec  séjourné  Tespasse  de  XII 
jours  seulement  et  fait  son  message  deuement ,  il  dist  au  roj  et 
aux  seigneurs  comment  il  estoit  obligié  de  retourner,  incontinent 
qnH  avoit  fait  son  message  ,  devers  TAmourath  ;  car  encores 
il  estoit  son  prisonnier,  et  ne  luj  avoit  donné  congié  que  pour 
aller  faire  ce  message  ,  comme  dit  est ,  et  incontinent  retourner 
devers  luy. 

Quant  le  roy  et  les  seigneurs  entendirent  messire  Jacques  de 
Helly,  ils  orent  ses  paroles  assés  agréables,  et  lors  le  roy,  le 
duc  de  Bourgongne  et  les  aultres  seigneurs  qui  illec  estoient, 
advisôrent  de  le  expédier  au  plustost  qu'il  peurent,  et  con- 
clurent ensemble,  veu  que  ledit  messire  Jacques  estoit  encore  en 
dangier  de  prison  devers  ledit  Amourath,  doubtant  aussi  que  à 
celle  cause  il  ne  pourroit  si  tost  retourner  devers  eulx  qu'il 
estoit  besoing  pour  la  délivrance  desdits  prisonniers  ,  qu'ils  en- 
voiroient  avec  lui  ung  aultre  chevalier  sage  et  prudent,  lequel, 
après  qu'il  auroit  fait  son  message,  pourroit  retourner  sans  em- 
peschement  devers  eulx  par  moyen  de  sauf-conduit.  Et  pour  ce 
faire  fut  esleu  ung  chevalier  de  moult  grant  discrétion  ,  nommé 
messire  Jehan  de  Chastelmorant.  Et  pour  ce  qu'ils  vouloient 
complaire  audit  Amourath,  affin  qu'il  fust  plus  doulx  et  plus 
aimable  auxdits  prisonnieif ,  ils  advisôrent  qu'il  luy  envoiroient 
par  ledit  messire  Jehan  de  Chastelmorant  quelque  honneste 
présent  ;  et  à  ceste  cause  demandèrent  audit  messire  Jaques 
de  Heilly  quel  présent  ils  lui  porroient  envoler  qui  luy  fust 
aggréable.  A  quoy  messire  Jacques  respondy  qu'il  sçavoit  bien 
que  ledit  Amourath  prendroit  grant  plaisir  à  veoir  tapisserie  de 


Digitized  by 


Google 


492  RBLATIOU 

haulte  lisse,  quant  elle  est  bien  faitte  et  bien  ouvrée  à  an- 
chiennes  hjstores,  et  aussi  qu*il  veoit  voluntiera  blans  faucons» 
que  Ten  nomme  gerfaulx  ;  il  savoit  bien  aussi  qu*il  prenoit  bien 
en  gré  fines  toillettes  de  Rains  et  fines  escaUatres.  Car  les  Sar- 
razins,  quant  une  fois  ils  en  pôvent  finer  par  aucuns  marchaas 
ouaultrementqui  leur  apportent  de  pardechà,  ils  les  ont  en  grande 
chiôreté  et  les  prisent  beaucoup  plus  que  ne  font  les  riches 
draps  d  or  et  de  soie  qu'ils  ont  par  delà  en  grant  habundance  ; 
car  ils  ont  grant  délectation  et  grant  plaisir  &  veoir  choses 
nouvelles. 

Aux  paroles  dlcelluy  messire  Jacques  de  Hellj  s*arrestèrent, 
le  roj  et  le  duc  de  Bourgongne,  qui  moult  désiroient  &ire  chose 
qui  pleust  audit  Amourath,  pour  l'amour  desdits  prisonniers  et 
mesmement  pour  Tamour  de  Jehan  de  Bourgongne.  Si  disrent  : 
«  Messire  Jaques,  nous  sommes  avertis  que  vous  volés  retourner 
«  par  Lombardie,  pour  parler  au  duc  de  Millan  ;  car,  comme  le 
a  renommée  est,  FAmourath  et  ledit  duc  de  Millan  s*entr*aiment 
a  moult  fort  Tun  Taultre,  combien  que  oncques  ne  se  soient 
n  entreveusf.  Mais,  quelque  chemin  que  prenés,  nous  vous  prions 
<i  et  ordonnons  que  vous  attendes  en  Honguerie  le  seigneur  de 
tt  Chastelmorant,  auquel  le  roy  a  ordonné  de  passer  le  royaulme 
a  de  Honguerie  et  aller  en  Turquie  devers  rAmourath-Bahj 
tt  hxy  faire  le  message  et  de  par  lu j  ce  que  ordonné  luj  est.  »  Et 
edit  messire  Jacques  respondj  que  moult  voluntiers  il  le  feroit 
et  obéiroit  à  ses  commandemens,  comme  raison  estoit  ;  et  lors 
il  fut  entièrement  délivré  et  print  congié  du  roj  et  du  duc  de 
Bourgongne  et  des  aultres  seigneurs  de  France,  et  partj  de 
Paris  ;  et  puis  prinst  son  chemin  ainsi  qu*il  estoit  venu,  et  ainsi 
se  mist  au  retour  en  intention  de  ne  jamais  retourner  en  France» 
qu'il  n'eust  passé  Honguerie  et  esté  en  la  Turquie  devers 
rAmourath-Bahy.  Et  d'aultre  part  le  roy  et  le  duc  de  Bour- 
gongne firent  moult  diligamment  pourveoir  les  présens  qu'ils 
avoient  ordonnés  estre  présentés  audit  Amourath.  Quant  ils 
forent  pourveus,  ils  furent  délivrés  audit  seigneur  de  Chas- 
telmorant, lequel  fut  tantost  prest  pour  faire  et  accomplir  le 


Digitized  b'y 


Google 


DB  LA  CROISADE.  495 

message,  ainsi  que  le  roy  et  les  seigneurs  luy  avoient  ordonne. 

Affln  qne  messire  Jehan  de  Chastelmorant  se  peust  mettre  à 
chemin  et  qu'il  peust  rataindre  messire  Jacques  de  Kelly,  Ten 
flst  grant  dllligence  tant  que  Ten  fina  les  présens  que  Ten  avoit 
conclu  d*enyoier  présenter  par  ledit  messire  Jehan  audit  Amou- 
rath,  dontil  y  ot  VI  sommiers  chergiés  :  assavoir  les  deux  som- 
miers estoient  chergiés  de  tapisserie  de  haulte  lisse  qui  estoit 
moult  riche,  bel  et  plaisant  à  veoir,  et  si  estoit  ouvré  à  Tistore  et 
vie  et  conqueste  du  roy  Alexandre,  que  Fen  avoit  prins  et  acheté 
d'un  moult  bon  ouvrier  en  la  ville  d'Arras.  Les  aultres  deux 
sommiers  estoient  chergiés  de  moult  belles  et  ânes  toillettes  de 
Rains,  et  les  aultres  deux  sommiers  estoient  chargiés  de  moult 
belles  fines  escallatres  blanches  et  vermeilles  ;  et  avec  ce  luy 
furent  envoies  une  paire  de  moult'beaux  faucons  gerfaulx,  que 
Fen  recouvra  à  moult  grant  paine  ;  mais,  toutefois,  Ten  chercha 
tant  en  AUemaigne  et  aillieurs,  que  ils  furent  trouvés  ,  et  furent 
baiUiéset  délivrés,  avec  toutes  les  choses  dessusdites,  audit  mes* 
sire  Jehan  de  Chastelmorant,  et  luy  fust  bien  enchargié  de  faire 
bon  debvoir  comme  de  son  message,  comme  desdits  présens.  Et 
lors  prinst  congié  du  roy  et  des  seigneurs,  et  se  mist  à  chemin 
XV  jours  après  ledit  messire  Jacques  de  Helly. 

Ce  temps  pendant ,  le  roy  de  Honguerie  ,  qui  moult  grande 
perte  et  dommage  de  ses  gens  et  bagues  avoit  aussi  eu  en  la 
bataille ,  comme  dessus  est  dit,  estoit  retourné  en  son  royaulme, 
dont  tout  son  peuple  ,  qui  moult  Tamoient ,  furent  moult  res- 
jo!s,  et  vindrent  devers  luy  pour  le  reconforter  et  luy  disrent 
qu*il  presisttouten  patience,  puisqu'il  plaisoit  ainsi  à  Nostre-Seî- 
gneur,  et  puisqu'il  en  estoit  retourné  sain  et  sauf ,  il  estoit  bien 
en  luy ,  à  Faide  de  Dieu  ,  de  recouvrer  ses  pertes  au  double  sur 
ses  ennemis  ;  et  ainsi  le  roy  de  Honguerie  se  reconforta  et  print 
en  patience  sa  fortune  au  mieulx  qu'il  peult. 

D'aultre  part  l'Amourath-Bahy  retourna  après  sa  victore  en 
son  pals  et  mena  ses  prisonniers  avec  lui ,  et  vint  en  une  sienne 
groese  cité  en  Turquie  appellée  Brusele  ;  et  1&  furent  les  pri- 
sonniers de  France  bailliés  à  garder  à  certains  Sarrazins  que 


Digitized  by 


Google 


194  aELATlON 

ledit  Amourath  avoit  à  ce  establj  sur  eiilx.  Si  povés  Uen 
savoir  qu'ils  n*a voient  point  leurs  aises,  ne  la  nourrechon  qu'ils 
avoient  acoustumé  d  avoir  auparavant  ;  car  ils  avoient  aprins 
d  avoir  leur  queux  et  serviteurs ,  qui  leur  administroient  et 
servoient  diligamment  et  délicieusement  de  doulces  viandes , 
selon  leur  appétit,  et  de  toutes  leurs  aultres  nécessités.  Mais  ils 
estoient  lors  administrés  tout  au  contraire  ,  car  ils  estoient  ser- 
vis de  grosses  viandes  mal  cuites  et  mal  appareillées  et  de  pain 
de  millet  qui  est  mou  ,  dur  à  digérer  et  hors  de  la  nature  de 
France ,  et  si  avoient  vin  À  grant  dangier  ;  mais  ils  avoient 
espisses  à  largesse  ,  et  combien  qu'ils  fussent  grans  seigneurs  , 
les  Turcs  n*en  faisoient  ne  plus,  ne  moins ,  ains  les  avoient 
aussi  chier  malades  que  haitiés  et  mors  que  vifia  ;  car  assés 
en  j  avoit  qu'ils  eussent  bien  volu  que  on  les  eust  tous  fais 
morir ,  se  ils  en  eussent  esté  creus. 

Iceulx  seigneurs  prisonniers  se  reconfortoient  avec  Fun 
Taultre,  et  prenoient  en>gré  leur  fortune,  puisque  aoltrement 
ne  povoit  estre  ;  mais  ils  se  changèrent  moult  de  sang  et  de 
couleur ,  dont  ils  furent  moult  altérés  ,  car  ils  engendrèrent 
petit  à  petit  foîble  sang,  et  les  ungs  plus  que  leii  aultres.  Et 
par  espécial  le  conte  de  Nevers ,  par  son  sens,  prenoit  très- 
bien  en  patience  sa  fortune,  affin  que  les  aultres  fussent  plus 
reconfortés.  Et  semblablement  messire  Boucicault,  le  conte  de 
la  Marche  et  messire  Henry  de  Bar  prenoient  aussi  assés  en 
patience  leur  diverse  adventure,  et  disoient  en  leurs  devises  que 
on  ne  peut  tousjours  avoir  les  honneurs,  glore  et  prospérité 
des  fais  d  armes ,  sans  aucune  fois  avoir  diverses  adventures 
au  contraire  ;  et  ne  fut  oncques  sceu  que  nul  homme  en  ce 
monde  tant  feust  eureulx ,  vaillant ,  ne  bien  usité  en  fais 
d'armes,  qu'il  en  eust  tous  ses  souhais,  et,  que  plus  est,  puis* 
que  leur  adventure  leur  estoit  ainsi  advenue ,  ils  dévoient  bien 
loer  Dieu  qu'ils  en  povoient  eschapper  leurs  vies  sauves  ;  car  , 
en  la  fureur  de  l'Amourath  ,  par  Fadvis  et  acord  de  son  plus 
prochain  conseil  et  de  tout  le  peuple  généralment,  il  fut  ordonné 
qu'ils  seroient  tous  mis  &  mort  et  détrenchiés.  Et  dist  mesmes 


Digitized  by 


Google 


DE  LA   CROISADE.  495 

meiBfàre  Boucieault  :  «  Je  xnesmes  dois  loer  Dieu  plua  que  puis 
«  de  TOUS  aultres  ;  car»  comme  ;  tous  sçarés  ,  je  fus  amené  et 
«  jusques  À  Textréme  d^estre  occis  et  détrenchiés ,  ainsi  que 
«  furent  nos  aultres  compagnons,  quant  monseigneur  de 
a  Nevers  me  recongneut  et  de  sa  grâce  incontinent  se  vint  get- 
«  ter  à  genoulx  devant  TAmourath  en  luj  priant,  en  moult 
a  grande  humilité,  qu*il  voulsist  avoir  pitié  de  moy  ;  et  à  sa 
«  prière  je  fus  respité  de  la  mort,  dont  je  le  merchie  humble- 
«  ment.  Toutesfois  je  congnoj  que  je  morraj  quant  il  plaira 
%  à  Nostre-Seigneur  ;  mais  che  que  je  viveraj  doresenavant , 
«  je  le  conte  tout  d'avantage.  Et  en  Tespoir  de  Dieu,  à  qui  nous 
«  sommes  souldoiers  et  pour  qui  nous  sommes  en  ce  dangereux 
«  païs ,  puisqu  il  nous  a  jusques  À  ores  préservé  de  péril  de 
4  mort ,  je  suis  asseuré  que  encores  il  nous  délivrera  de  ceste 
f  prison  et  au  plus  tart  en  dedens  ung  an  ;  car  j*aj  bon  espoir 
«  en  messire  Jacques  de  Hellj,  qui,  par  Tordonnance  de 
«  TAmourath  est  allé  en  France  devers  Je  roj,  monseigneur  de 
«  3ourgongne  et  les  aultres  seigneurs  signifier  nostre  adven- 
a  ture,etDous  en  raportera  bonnes  nouvelles  bien  brief;  car 
«  je  sçaj  bien  que  le  roj,  monseigneur  de  Bourgongne  et  nos 
«  aultres  seigneurs,  parens  et  amis,  auront  grant  désir  de  nous 
a  secourir  et  aidier  en  ceste  adversité.  » 

Ainssi  se  reconfortoit  messire  Boucieault,  et  semblablement 
le  jeune  conte  de  Nevers  et  les  aultres.  Mais  le  sire  de  Coucj 
se  desconfortoit  moult  et  prenoit  en  grant  desplaisir  sa  mau- 
vaise fortune,  dont  ce  fut  grant  merveille  ;  car  auparavant  ceste 
ditte  adventure,  il  avoit  esté  toujours  pourveu  de  grant  sens 
et  reconfortoit  les  aultres  et  n'avoit  oncques  esté  esbahy.  Mais 
luj  estant  prisonnier  en  la  dite  cité  de  Bursele  en  Turquie , 
il  se  de^onfortoit  et  esbahissoit  moult  fort  et  beaucoup  plus 
que  nuls  des  aultres  ,  et  taiit  estoit  triste  et  mérencolieux  de 
oeur  qu*il  en  estoit  trôs-fort  affoiblj,  et  disoit  bien  que  jamais 
ne  retourneroit  en  France ,  et  combien  qu*il  estoit  eschappé  de 
maint  aultre  grant  péril  et  diverses  adventures ,  que  ceste 
seroit  la  dernière.  Messire  Henry  de  Bar  le  reconfortoit  au 


Digitized  by 


Google 


496  BELÀTIOR 

mieufx  qu'il  povoit  et  luj  blasmoit  fort  sa  contenance,  diaaot 
que  entre  tous  les  aultres  il  devoit  estre  le  plus  constant  et  le' 
plus  asseurê,  attendu  qu'il  estoit  des  plus  anchiens  de  leur 
compaignie  et  celuj  qui  avoit  le  plus  veu  et  eu  plus  de  fortunes 
de  ce  monde  que  nuls  d*eux  tous,  dont  il  estoit  tousjours  bien 
escappé,  et  que  enoores  estoît-il  bien  en  la  puissancede  Dieu  de 
le  mettre  hors  de  ce  dangier  ainsi  qu'il  avoit^fait  de  tous  les  aultres. 
Mais  riens  n'y  valloit,  car  tousjours  de  plus  en  plus  se  desoon- 
fortoit  et  regretoit  souvent  sa  femme  et  sa  belle  ûlle  mouU 
piteusement.  Messire  Philippe  d'Arthoia ,  conte  d'Eu,  messire 
Gu  j  de  la  Trémoille  et  le  conte  de  la  Marche  se  reoonfortoient 
assés  bien,  espérans  que  encores  tous  seroient  mis  à  délivrance. 
Au  regard  de  l'Amourath-Bahi,  il  leur  estoit  assés  amiable  et 
débonaire,  car  il  voloil  bien  que  aucune  fois  ils  eussent  grâce 
d'eulx  aller  esbatre,  et  les  faisoit  souvent  venir  devers  luj  pour 
deviser  et  esbatre  avec  eulx  ,  affln  aussi  qu'ils  veissent  son 
estât  et  sa  puissance. 

Icy  lairons  ung  petit  é  parler  d'eulx  et  parlerons  de  messire 
Jaques  de  Hellj  et  de  messire  Jehan  de  Chastel-Morant  qui 
tous  deux  cheminoient  l'un  après  Taultre  devers  Honguerie  ; 
mais  messire  Jaques  j  arriva  devant  ledit  messire  Jehan  et 
vint  en  la  cité  de  Boude  où  il  trouva  le  roy,  qui  le  recuella 
moult  doulcement  pour  l'amour  du  roy  et  des  royaulx  de  France, 
et  luy  en  demanda  des  nouvelles  ,  lequel  luy  en  dist  assés. 

Messire  Jaques  de  Helly  séjourna  environ  X  ou  XII  jours 
en  la  dite  cité  de  Bode  ,  en  Honguerie,  en  attendant  ledit- 
messire  Jehan  de  Chastel-Morant,  lequel  exploita  tellement 
que  tantost  après  luy  lesdits  sommiers  et  toute  sa  compaignie 
arrivèrent  aussi  en  ladite  cité ,  dont  ledit  messire  Jaques , 
quant  il  sceut  sa  venue,  fut  moult  re^oy  ;  car  il  le  désiroit 
moult  tant  pour  passer  oultre  et  le  conduire  en  la  Turquie  , 
ainsi  que  luy  avoient  ordonné  le  roy  et  le  duc  de  Bourgongne  , 
comme  pour  acquittier  sa  foy  devers  ledit  Amourath  et  ausai 
pour  rcsjoïr  et  reconforter  le  conte  de  Névers  et  les  aultres 
seigneurs  de  France  prisonniers,  à  son  loyal  povoir. 


Digitized  by 


Google 


M  LA  caoiSADE.  497 

Quant  ledit  messire  Jehan  de  Chacrtel-Morant  fost  descenda 
en  Bon  hostel,  en  ladite  cité  de  Bonde  en  Honguerie,  tantost 
après  il  vint  faire  la  révérence  au  roy,  lequel  le  recuella  moult 
honorablement  et  bénignement  et  luj  fist  grant  chière  pour 
l'amour  du  roj  et  des  nobles  de  France  ;  mais,  quant  il  sceut 
que  le  roj  de  France  envoioit  par  lesdits  chevaliers  tant  de  si 
beaulx  et  riches  jojaulx  présenter  audit  Amourath,  il  en  fut 
moult  courouchié  ,  combien  quMl  dissimula  et  oouvrj  son  cou- 
rage sagement,  tant  que  messire  Jaques  de  Hellj  fut  parti 
d*il]ec  et  que  fut  passé  en  la  Turquie.  Mais  lors  il  s*en  descou- 
vrj  à  ceulx  de  son  plus  privé  conseil  et  leur  dist  moult  furieu- 
sement que  jà  il  ne  souffriroit  que  iceulx  jojaulx  fussent  por- 
tés, ne  présentés  audit  chien  mescréant,  son  adversaire,  tant 
qu'il  le  porroit  destourner. 

Après  chê  que  messire  Jaques  de  Hellj  fust  reposé  environ 
deux  jours,  il  prinst  congié  du  roj  et  dudit  seigneur  de  Chas- 
tel- Morant  et  dist  qu'il  vouloit  passer  oultre  pour  aller  en 
Turquie  devers  TAmourath  et  mesmement  pour  impétrer  ung 
saulf-conduit  pour  icelluj  messire  Jehan  de  Chastel-Morant , 
a/Bn  que  luj  et  ce  qu'il  menoit  peussent  passer  oultre  et  venir 
sauvement  devers  luj.  A  quoj  le  roj  respondj  que  ce  seroit 
bien  fait.  Et  par  ainsj  ledit  chevalier  se  mist  au  chemin  avec 
ses  gens  et  prinst  guides  qui  le  menèrent  par  Honguerie  et  par 
Blacquie  et  exploita  tellement  par  ses  journées  qu'il  vint  devers 
l'Amourath.  Mais  il  ne  le  trouva  pas  à  Bursele ,  ains  estoit 
parti  d'illec  et  estoit  allé  en  une  aultre  cité  plus  avant  en  la 
Turquie  ,  nommée  Polli,  et  avoit  mené  avec  luj  lesdits  sei- 
gneurs prisonniers,  ainsi  qu*il  avoit  acoustumé  de  les  mener 
avec  luj  partout  où  il  alloit,  réservé  le  seigneur  de  Coucj , 
qu'il  avoit  laissié  en  la  cité  de  Bursele,  qui  est  à  l'entrée  de 
la  Turquie,  pour  che  qu'il  ne  povoit  souffrir  le  traveil  de  che- 
vauchier,  tant  estoit  affoibli  par  maladie,  et  aussi  pour  ce 
que  ung  grant  baron  de  Grèce,  qui  estoit  son  prochain  parent , 
nommé  le  seigneur  de  Matelîn,  lequel  estoit  issu  des  ducs 
d^Ostrice,  estoit  demeuré  piège  pour  luj  :  pour  quoj  on  estoit 


Digitized  by 


Google 


498  RBLATION 

plos  asseoré  de  luj  que  de  nais  des  aaltres.  Et  quant  ledit  mes- 
sire  Jaqaes  de  Hellj  fat  vena  en  la  cité  de  Polj,  il  se  traj 
incontinent  devers  Fostel  de  rAmourath,  là  où  il  sçavoit  bien 
le  chemin  et  si  y  estoit  bien  congnea.  Et  tantost  qu'il  j  fast 
yeno,  il  fut  mené  devers  TAmourath  qui  le  vej  moult  volun- 
tiers  mesmement  pour  ce  qu'il  estoit  retourné  de  Franche.  Lors 
le  seigneur  de  Hellj  lujfist  la  révérence  en  moult  grande 
humilité  et  luj  dist  :  «  Très-chier  et  redoubté  seigtieur,  veés- 
«  icj  vostre  prisonnier  ;  j'ay  fait  vostre  message ,  tout  ainsi 
a  quUl  vousT  avoit  pieu  le  moj  chargier,  au  mieulx  que  j'aj 
«  sceu  à  mon  loial  povoir.  »  Lors  ledit  Amourath  respondj  et 
luj  dist  :  tf  Tu  soies  le  très-bien  venu  ,  et  pour  ce  que  tu  te 
«  es  bien  et  deuement  acquittié  de  ta  promesse  et  que  je  te 
a  treuve  franc  et  lojal,  je  te  quitte  libéralement  de  ta  prison, 
«  et  te  donne  franchise  dealer  et  venir  par  toute  ma  terre 
«  tant  et  si  longuement  que  tu  vouidras,  et  aussi  de  retourner 
K  en  France  quant  tu  vouidras.  »  De  laquelle  grâce  ledit 
messire  Jaques  le  remercia  moult  humblement.  Et  lors  luj 
dit  comment  le  roj  de  France  et  le  duc  de  Bourgongne,  pcro 
du  conte  de  Nevers  son  prisonnier,  luj  envoioient  ung  moult 
notable  chevalier  de  grant  honneur  et  de  crédence  en  embas- 
sade  ,  par  lequel  le  roy  luj  envoioit  aucuns  jojaulx  de  récréa- 
tion, lesquels  il  verroit  moult  voluntiers.  Lors  TAmourath  luj 
demanda  s'il  les  avoit  veus ,  et  il  luj  dist  que  non  ;  et  puis 
dist  :  tt  Sire,  ledit  chevalier  qui  aoharge  de  faire  ce  message»  ^ 
«  est  demeuré  emprès  le  roj  de  Honguerie,  en  sa  cité  de 
«  Boude,  et  je  suis  venu  devant  par  devers  vous  pour  vous 
<c  annonchier  ces  nouvelles  et  aussi  pour  avoir  sauf-conduit 
«  pour  luj  et  sa  compagnie,  sauf  allant  et  sauf  retournant  sans 
•  «  barat  et  malengin.  »  A  quoj  TAmourath  respondi  :  t  Nous 
a  volons  et  recordons  qu'il  aist  sauf-conduit  tout  ainsi  et  en 
«  telle  manière  que  vous  le  vouldrés  ordonner.  » 

A  ces  paroles  ledit  messire  Jaques  remercia  moult  humble- 
ment ledit  Amourath,  et  puis  se  partirent  Tun  de  Taultre. 
L* Amourath  se  tourna  vers  ses  gens  et  se  commencha  à  es- 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  CROISADE.  499 

batre  et  à  deviser  en  oiseuses  paroles,  a^nsi  que  ont  accoustumé 
de  faire  grans  seigneurs,  quant  ils  veullent  prendre  récréation 
avec  leurs  gens.  Mais  après  ledit  messire  Jaques  de  Hellj  se 
getta  à  genoulx  de  rechief  devant  luj,  et  luj  pria  moult  hum- 
blement qu'il  luy  voulsist  ottroyer  que  il  peust  parler  aux  sei- 
gneurs prisonniers  de  France,  ausquel  il  avoit  charge  de  parler 
de  par  le  roy  et  leurs  aultres  amis  de  par-delà.  Quant  TAmou- 
rath  entendit  sa  requeste,  il -pensa  ung  petit  et  puis  luy  dist  : 
(f  Tu  en  verras  ung  seulement  et  non  plus,  »  et  lors  ordonna  à 
aucuns  de  ses  gens  qu'ils  allassent  quérir  le  conte  de  Nevers,  et 
qu'ils  l'amenassent  en  la  place  et  le  laissent  ung  petit  parler  à 
luy  ;  et  ainsi  fut  fait  comme  il  le  commanda.  Et  quant  messire 
Jaques  veist  le  conte  de  Nevers,  il  luy  fist  la  révérence  moult 
honorablement,  et  le  conte,  qui  le  vey  moult  voluntiers,  comme 
raison  estoit,  le  resalua  moult  doulcement  et  luy  demanda  de 
Testât  du  roy,  du  duc  de  Bourgongne,  son  père,  de  madame  sa 
mère,  de  son  espeuse  et  de  toutes  nouvelles  de  France.  Et  le 
chevalier  luy  en  conta  tout  che  qu'il  en  savoit,  et  luy  dist  la 
charge  quMl  avoit.  Mais  ils  n'orent  pas  si  grant  loisir  de  parler 
ensemble,  comme  ils  eussent  bien  yolu  ;  car  les  gens  de  l'Âmon- 
rath  leur  disrent  qu'ils  se  despescbassent  de  parler,  car  ils  ne 
povoient  illec  attendre  plus  longuement. 

Lors  ledit  messire  Jacques  demanda  audit  conte  de  Nevers  se 
tous  les  aultres  prisonniers  estoient  en  bon  point,  et  le  conte  de 
•Nevers  respondi  et  dist  :  a  Ouy,  mais  le  sire  de  Couchi  n'est 
ic  point  avec  nous,  ains  est  demeuré  à  Sursoie,  et,  comme  j'ay 
«  entendu,  le  seigneur  de  Mathelin,  qui  est  ung  seigneur  de 
a  Grèce,  est  demeuré  plaige  pour  luy.  »  Et  lors  messire  Jaques 
de  Helly  luy  raconta  comment  messire  Jehan  de  Chastelmorant 
estoit  envoie  de  par  le  roy  et  le  duc  de  Bourgongne,  son  père, 
en  ambassade  devers  TAmourath  et  luy  apportoit ,  pour  adoul- 
chîer  sa  félonnie  envers  eulx,  de  moult  beaux  et  riches 
joyaulx,  et  luy  dist  comment  il  estoit  demeuré  emprès  le  roy  de 
Honguerie,  en  sa  cité  de  Bode,  et  qu'il  estoit  venu  devant  quérir 
ung  sauf-conduit  pour  luy  et  ses  gens,  lequel  ledit  Amountth 


Digitized  by 


Google 


800  RBLàTlOU 

layavoit  accordé.  Et  dist  <ia'il  la  j  sambloit  bien  qa  il  avoit  charge 
de  retouj^ner  devers  ledit  messire  Jehan  dé  Chaatelmorant,  pour 
laj  porter  ledit  sanf-oondait,  desquelles  paroles  le  conte  de  Nevera 
fat  moult  resjoj,  mais  il  n*en  osa  monstrer  sàmblant  pour 
doabte  des  Turcs  qui  moult  près  se  donnoieut  garde  de  luj.  Mais 
il  luj  dist  :  a  Messire  Jaques,  j  entends  par  vous-mesmes  que 
«r  TAmourath  vous  a  légièrement  quittié  et  deschargié  de  vostre 
t  prison  et  que  vous  povés  retourner  en  Franche,  quant  il  vous 
«  plaira.  Pour  quoj  je  vous  prie  que,  quant  vous  serés  par  d^, 
«  vous  veuilliés  remonstrer  à  monseigneur  mon  père,  s*il  a  in- 
«  tention  de  moj  jamais  et  mes  compaîgnons  ravoir,  qu*il  en- 
ff  voie  traitjtier  à  nostre  délivrance,  le  plus  brief  que  faire  se 
«  polra,  par  marchans  genevois  et  vénissiens,  et  s'accorde  à  la 
«  première  demande  que  fera  l'Amourath  ou  ceulx  qu'il  aura 
«r  commis  à  ce  ;  car  je  doubte  que  nous  soyons  tous  destruis,  se 
t  nostre  fait  varie  et  tarde  ainsi  longuement.  Et  aussi  j'aj  en- 
«  tendu  que  FAmourath  est  loyal  et  brief  eh  toutes  ses  choses» 
«  mais  que  on  le  sache  prendre  à  point.  » 

A  tant  finèrent  les  paroles  entre  eulx  deux.  Le  conte  de 
Nevers  fut  remené  avec  ses  compaignons,  et  le  sire  de  Hellj 
retourna  d'aultre  costé  et  fist  dilligence  d'avoir  son  expédition 
dudit  Amourath  et  le  sauf-conduit  que  luj  avoit  accordé.  Et 
quant  il  fut  seellé  et  expédié  selon  leur  coustume,  il  le  fist  déli- 
vrer audit  messire  Jacques,  lequel  le  print,  et  puis  prinst  congié 
derAmourath  et  de  ceulx  de  sa  cour  à  qui  il  avoit  congnoissance, 
et  se  mist  à  retour,  et  chemina  tant  qu'il  arriva  en  la  cité  de 
Bode  en  Honguerie,  et  se  traj  incontinent  devers  ledit  messire 
Jehan  de  Chastelmorant ,  qui  Tatendoit  et  désiroit  moult  sa 
venue.  Si  luj  dist  :  «  Je  vous  apporte  le  sauf-conduit  du  roj 
«  Basaach  dit  l'Amourath-Bahj,  pour  vous  et  vos  gens  aler 
«  sauvement  devers  luj  en  la  Turquie,  et  le  m'a  assés  légière- 
«  ment  accordé  ;  »  dont  le  dit  chevalier  de  Chastelmorant  fut 
bien  jojeulx.  Si  luj  dist  :  «  Messire  Jaques,  vous  avés  très* 
«  bien  besongnié.  Si  vous  prie,  allons  vers  le  roj  lui  adnon- 
s  chier  ceste  affaire,  affln  que  demain  au  matin  je  me  paisse 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  CROISADE.  SOi 

a  mettre  à  chemin  et  parfaire  mon  message,  selon  ma  charge  ; 
t  car  j*a7  icj  assés  séjourne.  »  Et  lors  tous  d'un  accort  allèrent 
ensemble  devers  leroj,  quiestoitensa  chambre, et parlèrentàluy 
et  luj  remonstrèrent  toute  la  préparation  de  leur  affaire  en  luy 
priant  qu'il  leur  voulsist  donner  congié  d*aler  parfaire  leur 
message.  A  quoj  le  roj  respondj  :  «  Mes  amis ,  vous  nous 
€  soies  les  très-bien  Tenus.  Nous  vous  véonsmoult  volontiers  et 
«  vous  ferions  plaisir  de  tout  nostre  povoir  pour  Vamour  du 
«  roj  et  des  aultres  seigneurs  de  par  delà  nos  cousins,  et 
a  povés  bien  aler  en  Turquie  sauvement,  puisque  estes  furnis 
t  de  ce  sauf-conduit  ;  mais  pour  le  présent  nous  ne  sommes 
«  point  bien  d  advis  que  les  jojaulx  que  avés  amenés  de  par 
«  delà  pour  présenter  à  ce  pervers  sarrasin  matin  le  roj  Basaach 
«  nostre  mortel  ennemj,  vous  les  luj  menés ,  ne  présentés.  Jà  ne 
«  serons  consentans  qu'il  soit  enrich  j  de  nulle  richesse  qui  viengne 
t  de  Franche,  ne  denulleaultreterredechrestienté,  tant  que 
«  nous  le  puissions  destourner  ;  car  il  nous  tourneroit  à  trop 
«  grant  vice,  confusion  et  blasme,  quant  au  temps  advenir  il 
s  se  porroit  vanter  que  pour  luj  complaire  ou  pour  cremeur 
«  après  la  victore  qu'il  a  eue  sur  nous,  que  tels  riches  présens  luy 
«  fussent  envoies  de  France.  Jà  telle  honneur  ne  Inj  sera  attri* 
«  buée  par  la  chrestienté,  et  mesmement  quant  au  regart  des 
«  draps  de  haulte  lisse,  car  ce  sont  choses  de  grant  montre  et  de 
t  grant  veue  et  durant  à  tousjours  :  dont  ce  seroit  au  rojaulme 
«  de  France  et  à  toute  la  chrestienté  trop  grande  reproche 

•  et  par  espécial  à  nous  qui  sommes  leurs  ennemis  et  plus  pro- 
«  chaîns  voisins.  Mais  au  regart  des  gerffaulx  nous  n'en  faisons 
«  gaires  de  difficulté,  car  ils  volent  légièrement  d'un  pais  à  Tau- 
«  tre  :  ils  sont  tost  donnés  et  tost  perdus.  Si  les  poés  bien  pré- 

•  senter,  se  bon  vous  semble  ;  mais,  au  regard  du  surplus,  nous 
«  ne  serons  jà  consentans  que  riens  luj  en  soit  présenté.  » 

Lors  le  sire  de  Ghastelmorant,  à  qui  la  chose  touchoit,  res- 
pondj et  dist  :  «  Certes ,  très-chier   seigneur ,  vous  sçavés 
«  bien  que  se  je  ne  accomplissoie  mon  vojage  en  la  manière  qu'il 
'  t  m'a  esté  ordonnés  et  enchargié  le  faire,  ce  ne  seroit  pas  mon 


Digitized  by 


Google 


502  RELATION 

«  honneur,  et  en  porroient  le  roy  et  messeigneurs  de  France, 
«  qui  me  ont  envoie  pardechà,  estre  mal  content  de  moj.  Si 
«  vous  supplie  humblement  que  aultrement  y  veuilles  advîser  et 
a  vous  consentir  que  je  puisse  parfaire  ma'  charge,  ainsi  qu'elle 
«  m'est  ordonnée.  »  Et  le  roy  respondy  :  «  Soies  contens  ;  car 
«  tout  bien  entendu  et  considéré,  il  ne  peult  estre  aultrement 
«  pour  ceste  fois  ;  »  et  ainssy  laissa  lesdits  d^vtx  chevaliers  et 
rentra  en  sa  chambre.  Et  ils  demeurèrent  eulx  deux  seulement 
moult  tristes  et  pensans  sur  ce  retardement  que  le  roy  leur  fai- 
soit,  qui  leur  tournoit  à  très-grant  destourbier  et  desplaisilr,  et 
advisèrent  en  pluîseurs  manières  comment  ils  en  pourroient 
bien  faire,  et  finablement  conclurent ,  puisque  aultrement  ils 
ne  povoient  faire,  ne  aller  avant,  qu'ils  rescriproient  au  roy  et 
au  duc  de  Bourgongne  leur  estât  et  Tempeschement  que  le  roy 
de  Honguerie  leur  faisoit,  par  quoy  ils  feussent  tenus  pour 
excusés  de  leur  longue  demeurée.  Si  escripvirent  au  roy  et  au 
duc  de  Bourgongne,  afSin  que  en  ce  ils  voulsissent  pourveoir ,  et 
baillèrent  les  lettres  à  ung  certain  messagier  diligent  et  luy 
firent  délivrer  or  et  argent  assés  pour  soy  aidier  à  advanchier 
diliganment  son  chemin  et  pour  renouveller  chevaulx  quant 
besoing  seroit  ;  et  ils  demourèrent  à  Bode  en  Honguerie  en 
attendant  le  retour  dudit  message. 

Tant  exploita  le  message  des  deux  chevaliers  de  France  des- 
sus nommés  et  fist  si  bonne  dilligence  ou  chemin  que  en  brief 
temps  il  vint  à  Paris,  là  où  il  trouva  le  roy,  le  duc  de  Bour- 
gongne et  les  anltres  seigneurs,  et  leur  présenta  ses  lettres,  les* 
quelles  ils  recourent  et  leurent  bien  au  long  :  du  contenu 
desquelles  lettres  Ds  furent  moult  courouchiés  etesmerveillés, 
et  pensèrent  moult  pour  quoy  le  roy  de  Honguerie  empeschoit 
à  leurs  gens  et  à  leurs  bagues  le  passage  et  mesmement  pour- 
quoy  il  destourboit  à  faire  ces  présens ,  ainsi  quMls  avoient 
déterminé  estre  fais  par  le  dit  messire  Jehan  de  Chastelmorant 
de  par  le  roy  à  TAmourath.  Mais  le  duc  de  Berry  en  excuseit 
moult  fort  le  roy  de  Honguerie,  disant  qu'il  n'avoit  nul  tort  de 
ce  faire  et  que  le  roy  et  sa  noble  maison  de  France  se  humi- 


Digitized  by 


Google 


DE  LA  CROISADE.  503 

lioient  et  ravaloient  trop  quant  ils  enyoioient  tant  de  si  riches 
joyaulx  présenter  à  ung  roy  infidèle.  Mais  le  duc  de  Bourgon- 
gne,  à  qui  la  chose  touchoit  autant  et  plus  que  à  nulx  d*eulx, 
dîsoit  au  contraire  qu'il  se  debvoit  ainsi  faire  et  que  c'estoit 
chose  raisonnable,  puisque  fortune  luj  atoit  esté  si  bonne  et  si 
amiable  qu'elle  Tavoit  fait  victorieux  de  la  batailUe  et  mis  en 
desroj  et  desconfiture  le  roj  de  Honguerie  et  sa  puissance  et 
mis  en  ses  mains  prisonniers  les  plus  grans  des  ^ojaulmes  d^ 
France  et  de  Honguerie  et  tellement  que  à  bien  grant  painne  le 
roy  de  Honguerie  mesmes  en  est  escappé  à  bien  petite  compa^ 
gnîe ,  lesquels  prisonniers  ne  se  pourront  jamais  recouvrer 
hors  du  péril  où  ils  sont,  se  n*est  par  quelque  doulceur  et  molens 
gracieux,  et  n*est  pas  honte,  ne  reproche  de  aucunement  com- 
plaire à  son  ennemj  quel  qu'il  soit,  quant  on  est  en  sesdangiers^ 
et  se  doit  chascun  qui  aime  son  ami,  en  ce  emploier. 

La  parole  du  duc  de  B6urgongne  fut  soustenue  et  confortée 
du  roy  et  de  son  conseil,  et  disrent  qu'il  avoit  bien  dit  et  rai- 
sonnablement. Et  pour  ce  parla  le  roy  au  duc  de  Berry  en 
ceste  manière  et  luy  dist  :  «  Bel  oncle,  se  TAmourath  ou  le  sol- 
tt  dan  ou  quelque  aultre  roy  ou  prince  sarrazin  vous  envoioit 
a  aucun  riche  joyau,  je  vous  demande  se  vous  le  prenriés.  « 
Aquoy  leduc  de  Berry  respondi  :  a  Monseigneur,  j*y  auroie 
«  advis.  »  Ceste  demande  flst  le  roy  au  duc  de  Berry  son  oncle 
pour  ce  qu'il  estoit  bien  averty  que  environ  avoit  X  ans  ,  le 
soldan  luy  avoit  envoie  ung  riche  rubis  ballex,  qui  avoit  bien 
cousté  XX"*  ducas.  Et  par  ainsi  le  propos  du  roy  de  Hongue- 
rie ne  fut  en  ceste  partie  riens  loé  entre  les  aultres  seigneurs 
de  France,  ains  fut  fort  blasmé,  disant  qu'il  faisoit  mal  d*em- 
peschier  leurs  gens  et  leurs  joyaulx  qu'ils  avoient  envolés 
pardëlà  pour  présenter  à  TAmourath,  attendu  qu'il  estoit  néces- 
saire pour  le  bien  de  la  délivrance  de  leurs  amis  prisonniers 
de  pardelà  et  ce  les  pourroit  très-fort  nuire.  Lors  conclurent 
ensemble  qu'ils  rescriproient  unes  lettres  bien  amiables  de  par 
le  roy  au  roy  de  Honguerie,  en  luy  priant  et  requérant  très* 
affectéement  que  il  se  voul^ist  déporter  de  plus  avant  empes- 


Digitized  by 


Google 


S04  RBLATION 

chier  son  chevalier  et  lesdits  jojaalx,  ains  le  voulsist  assister 
et  adrechier  à  Tacomplissement  de  sa  charge.  loelles  lettres 
furentfaittes  etséellées  enla  maniôre  ditte  et  forent  baillies 
audit  messagier ,  lequel,  quant  il  les  ot,  se  partj  du  roj  et  des 
seigneurs  de  France  et  se  mist  au  retour  vers  Honguerie. 

Le  ducet  la  ducesse  de  Bourgongne  advisèrrent  mains  sub- 
tils moîens  pour  trouver  manière  de  ravoir  leur  dit  fils 
au  délivre  hors  des  mains  des  mescréans.  Toutefois ,  ils 
8$avoient  bien  qu*ils  n'estoient  point  à  ravoir  sans  mojen  de 
grant  finance,  pour  quoy  ils  restraindirent  leur  estât  et  com- 
mencèrent à  espargnier  et  à  assambler  par  toutes  leurs  terres 
et  seigneuries  moult  grant  trésor  d'or  et  d*argent  ;  car  ,  sans  le 
moyen  d'icellui ,  ils  n'eussent  scep  venir  à  leur  intention.  Et 
d'aultre  part  ils  acquirent  la  congi^oissance  et  amitié  de  toutes 
gens  dont  ils  se  povoient  aidier  en  ceste  partie ,  et  par  espécial 
de  marchans  vénissiens  et  genevois  et  gens  de  telle  sorte  ; 
car  ils  savoient  bien  que  par  eulx  il  oonvenoit  que  Taffaire  fust 
conduite. 

Or  eflit-il  que  le  duc  de  Bourgongne  ,  qui  pour  lors  gouver- 
noit  la  grigneur  partie  du  rojaulme  ,  pour  quoj  ses  besongnea 
en  debvoient  mieulx  valoir,  se  tenoit  le  plus  du  temps  à  Paris 
emprès  le  roj ,  son  nepveu.  En  ce  mesme  temps  demouroit  en 
la  cité  de  Paris  ung  puissant  homme  marchant  lucquois,  nommé 
Digne  Responde ,  auquel  tous  les  gros  fais  des  marchans  se 
raportoient,  et  estoit  cougneu  par  tout  le  monde  là  où  marchans 
ont  acoustumé  de  converser  ou  fait  de  leurs  marchandises,  et 
se  povoient  faire  par  luj  toutes  grosses  finances.  Et  combien  que, 
auparavant  Tadventure  desdits  prisonniers  franchois  en  la 
Turquie ,  icelluy  marchant  luquois  fust  bien  aimé  du  roj  et 
des  seigneurs  royaulx  de  France  ,  il  le  fut  pour  lors  encore 
plus  que  devant  ;  car  le  duc  de  Bourgongne  parloit  souvent  à 
luy  pour  avoir  conseil  et  advis  avec  luy  comment  il  porroit  trai- 
tier  avec  rAmourath  Baby  de  la  renchon  de  son  fils  et  des 
aultres  seigneurs  franchois  qu*il  tenoit  prisonniers.  Messire 
Digne  Responde  respondi  à  ces  paroles  :  «  Monseigneur ,  en 


Digitized  by 


Google 


DB  hk  GRÛI8ADB.  tlMS' 

vérité  c'est  bien  raison  de  7  adriBer^  et  eapoire  1>ieii  qoe  petit 
à  petit  on  7  trourera  bien  bon.  moyen.  Je  voua  advertis  que 
les  marohana  de  Oenèye  «t  des  villes  à  eulx  obéiasans  sont 
opngnens  par  tout  le  inonde ,  car  ils  font  le  fait,  de  leor 
marchandise  au  Qaaire,  en  Alexandrie,  à  Di^nas,  à  Bamiçtte, 
en  Sorie,  en  Turquie  et  par  toutes  les  mettes  et  limitations  dés 
lointainnes  terres  des  mescréans  ;  car ,  comme  vous  sçavé» , 
marchandise  va  et  .court  partout  et  gouverne  le  monde  tout 
par  ordonnance. . Si  me  semble,  que  fériés  biea  de- eacripre 
amiablement  par  devers  eulx ,  en  eulx  promettant  qnojvons 
leur  ferés.  des  p*ans  biens  et  prouffis,  se  vous  veulli^t  assister 
en  ceste  partie ,  car  U  n'est  riens  ^tt*il  ne  de  fasse;  .et  a^tpaise 
par  moyen  d*or  et  d'argent.  Semblf^blen^ent  I0  roj  de  Cypr^., 
qui  est  marchissant  à  la  Turquie  et  qui.  encore  n\  point  fait 
de  guerre  à  ÏAmourath»  7  peult  beaucoup  aidièr  i-eti  au 
regard  de  moj  «  je  m'7  emploiray  comme,  raison  éBt ,.  unsi 
que  je  soay  bien  que  je  7  suis  temu  ,  de  .tout  mon  léal  pq- 
voir.  s  ^  ...,'.'•  ^.     '-..'  r\^  ••'; 

Ce  n'est  point  de  merveilles. se  le  duc  et  .la  duchesse  ^ 
Qourgongne  quéroient  moiens  et  adresse de.abrégier. la  déli- 
vrance de  leur  âls ,  le  conte  de  Nevers ,  qui  par  fortune  .àvèiit 
esté  prins  en  la  bataille  de  Nichopol7  et  estôit  prisonièrde 
rAmourath-Bah7  ;  car  il  estoit  leur  hoir  et  àQCceasenrde>  toutes 
leurs  seignouries  qu'ils  tenoient  en  grondé,  quantité ,  laquelle 
adventure  IU7  estoit  advenue^  en  sa  jeunesse  et  aouv'dla  dieva- 
larie.  D'aultre  part»  les  dames  de  Fvài^çe  re^retoient  moôlt  leurs 
maris  et  leurs  amis  ,. et  par  espéoial  la.  dame  de  Coucy.ne 
poyoit  oublier  son  seigneur  Qt  lam^ntoit.  nuit  et  jouri  Lô;dUc  de 
Loraine  et  messice  Ferry  «  .sefl  deu:i:  frères  «  la  vendent  sou- 
vent visiter  et  la  r^confortpient  au  mieulx  qu'ils  povbient,  et  lp7 
conseillèrent  qu'elle  envoiart  en  Honguerie  et  eoi.Turquie^pour 
illec  enquérir  en  quel  estât  «oa  setigneur  estoit ,  combien  qu^ils 
avoient  entendu  qu'il  avoit  plus  dtalce  et  couHoise  prison  q«e 
nuls, des  anltres.  Duquel  conseil  lardiune  sce^t  moult  grftùt 
gréàsesdits.  deux  frère;i,et  poUr.che  manda  venir  Vers  elle 

XV.  —  FEOISSAET.  S3 


Digitized  by 


Google 


806  UUULTIW 

niiffai^  chevalier  de  Cambréeis,  nommé  measire  Robert 
d'Eshe ,  et  laj  reqoist  moult  amiablement  que ,  pour  Tamour 
et  en  la  faveur  de  aondit  seigneur  et  d'elle  ^  il  Toulsifit  aller 
par  delà  en  Turquie  et  iUec  enquérir  de  Testât  de  sondit 
seig^ur.  A  qnoj  ledit  cheyallM* ,  qui  moult  désiroit  complaire 
à  ladite  dame  (et  ne  luy  eust  nulle  chose  raisonnaMe  toIu 
refuser),  se  consenty  légièrement  et  respondit  que  moult  volon- 
tiers feroit  ce  volage  et  s'i  emploiroit  tellement  qu'il  en  appor- 
teroit  certainnes  nouvelles.  Btlors  icelluj  messire  Robert  se 
apresta  ;  et ,  quant  il  ûit  prest,  il  se  mist  à  chemin  luy  V*  tant 
seulement.  Et  samblablement  les  aultres  dames  de  France 
envolèrent  par  delà  enquérir  de  Pestât  de  leurs  seigneurs, 
qui  aussi 7  estoient  demeurés  prisonniers,  pour  en  sçavofr 
certainnes  nouvelles. 

Vous  avés  bien  entendu  comment  le  roj  de  Honguerie  s'estdt 
arresté  à  ce  que  le  seigneur  de  Chastelmorant  dessus  nommé  ne 
passeroit  point  oultre  en  la  Turquie,  pour  présenter  à  rAmouratti 
de  par  le  roy  de  France  les  riches  joyaulx,  ainsi  qud  luy  avoit 
esté  ordonné,  et  demeura  longuement  en  ceste  oppinion,  dont 
lesdiis  messire  Jehan  de  Chastelmorant  et  metsire  Jaques  de 
HeUy  estoient  moûlt  desplaisaiis. 

Or  advint^il  que  le  grant-maistre  de  Rodes  vint  vers  le  roy 
qui  pour  lors  estait  en  sa  dite  ciÛ  de  Bodes  en  Honguerie  et  hiy 
flst  moult  grmnt  chière,  ainsi  que  bien  fiure  debvoit  et  que  tenu 
y  estoit  ;  car  il  le  sauva  dé  mort  ou  de  prison  le  jour  de  la  ba- 
taille deNioopoly.  Icelluy  maistre  de  Rodes  trouva  IDec  séjoat^ 
nans  lesdits  deux  chevaliers  de  France  qui  se  trairent  devers  hiy 
et  luy  remonstrèrent  toute  la  mc^ière  comment  le  roy  de  Hon- 
guerie les  empeschoiten  leur  affaire  dessusdiié,  en  luy  requérant 
que  en  ce  ils  les  voulaist  assister  et  teDement  remonstrer  au  roy 
qu'il  se  voulsist  contenter  qu'ils  peuss^t  pariSBore  leur  allidre, 
ainsi  que  leur  estoit  enchargié.  De  laqudle  chose  ledit  grant- 
iQAistre  de  Rodes  fut  moult  esmerveilliés  et  dist  qull  le  remons- 
treroitaa  roy  en  telle  manière  qu'ils  s*apercfaeveroiMit  qu*fl  y 
auroit  bien  besengnié  à  leur  intention,  ainsi  comme  il  ftrt  ;  car 


Digitized  by 


Google 


DB  LA  CaOlSAW.  S07 

il  8*en  alla  devers  le  roy  et  lai  remocstra  la  chose  dessasdite 
si  sagement  et  par  si  bonne  manière  qu'il  lu  j  rompi  toute  son 
oppinion  qu'il  avoit  longuement  soustenue  en  ceste  partie  ,  et 
tellement  qu'il  donna  congié  ausdits  oheyaliers  de  France  et 
leur  accorda  de  mener  leurs  bagues  entièrement  avec  eulx,  et 
de  fait  ils  passèrent  oultre  et  vindrent  devers  TÂmourath,  sans 
nul  empeschement  quelconque  ;  car  ledit  messire  Jaques  de 
UeUj  avoit  paravant  prépare  leur  passage  de  sauf-conduit  et  de 
guides,  ainsi  que  dessus  est  dit.  Et  quant  ils  furent  devers 
TAmourath,  ils  luj  présentèrent  lesdits  présens  de  par  le  roy 
de  Franche,  selon  Tusage,  assés  honorablement.  Et  FAmourath 
les  receupt  moult  joyeusement  et  les  print  en  moult  grant  gré. 
Et  quant  ils  eurent  ce  fait,  il  leur  fist  à  leur  requeste  amener 
le  conte  de  Nevers,  et  parlèrent  seulement  celle  fois  assés  Ion* 
guement  à  luy  et  tant  que  pour  ceste  fois  il  debvoit  bien  suffll'e. 
Et  au  prendre  congié  le  conte  de  Ne  vers  leur  dit  :  «r  Mes  amis, 
a  je  vous  prie,  recommandés  moy  à  monseigneur  le  roy,  à 
«  monseigneur  mon  père,  à  madame  ma  mère,  à  monseigneur 
a  de  Berry  et  à  tous  mes  amis  de  par  de  là,  et  leur  remonstrés, 
«  s'il  advient  que  TAmourath  se  veulle  condescendre  aucune- 
«  ment  à  traitier  de  nostre  renchon,  que  on  quière  les  moyens 
«  par  aucuns  marchans  ou  aultrement,  ainsi  qu'il  sera  néces- 
«  saire,  et  que  on  se  abrège  le  plus  tost  que  faire  se  porra;  car,  à 
«  longuement  tarder,  on  pourroit  assés  perdre.  A  Tencommen* 
«  chôment  de  nostre  prinse,  nous  estions  IX  prisonniers,  mais 
«  depuis  il  en  est  venu  encore  XVI.  Ainsi  sommes-nous  main- 
«r  tenant  tout  ensemble  XXY  prisonniers,  desquels  Fen  pourra 
«  traitier  ensemble  de  la  renchon,  aussi  bien  que  d'un  seul  ; 
«  car  je  sais  bien  que  l'Amourath  s'est  à  ce  arresté.  Et  sachiés 
«  pour  certain  que  sa  parole  est  véritable  et  estable,  et  y  peult- 
«  on  bien  a^jouster  foy  et  soy  arrester,  ainsi  que  porrés  re- 
f  monstrer  et  dire  par  delà.  «  A  quoy  iceulx  messire  Jehan  de 
Ghastelmorant  et  messire  Jacques  de  Helly  respondirent  que 
tout  le  bien  que  en  ce  ils  pourroient  faire,  ils  s'i  emploi- 
roient  moult  voluntiers  et  de  bon  ceur,  comme  raison  est.  Et  à 


Digitized  by 


Google 


508  RELATION  DE  LA  CROISADE. 

tant  prinrentcongié  da  conte  et  puis  de  TAmourath,  et  partirent 
d*lllec  et  retournèrent  en  Honguerie  et  dMlec  en  Franche.  Et 
rencontrèrent  en  leur  chemin  leur  messaige  qu'ils  avoient 
envoie  en  France  devers  le  roy,  comme  dessus  est  dit,  qui  ap- 
portoit  lettres  de  par  le  roy  de  France  au  roy  de  Honguerie,  tou- 
chant les  présens  que  icelluy  messire  Jehan  de  Chastelmorant 
dvoit  présenté  à  FAmourath,  lesquels  le  roy  de  Honguerie  avôit 
ârrestés,  comme  dit  est  dessus.  Si  le  firent  retourner  avec  eulx, 
car  il  n'àvoit  que  faire  dealer  plus  avant.  ' 


■4e«^ 


Digitized  by 


Google 


TABLE. 


Page» 

Meurtre  du  connétable 1 

Charles  VI  veut  combattre  le  duc  de  Bretagne  ....  21 

Charled  YI  quitte  Paris  pour  se  rendre  en  Bretagne     .     .  26 

Frénésie  de  Charles  VI 35 

Les  ducs  de  Berrj  et  de  Bourgogne  gouvernent  la  France.  53 

Poursuite  dirigée  contrôles  anciens  conseillers  du  roi .  56 

Procès  du  sire  de  Clisson 71 

Guérison  de  Charles  VI 76 

Prolongation  des  trêves 79 

Charles  VI  rentre  à  Paris 82 

Hommage  du  comté  de  Foix 83 

La  danse  des  sauvages 84 

Le  pape  Boniface  envoie  un  légat  en  France     ....  92 

La  duchesse  de  Berry  intercède  pour  le  sire  de  la  Rivière.  94 

Plaintes  de  la  duchesse  d*Orléans 95 

Condamnation  d'Olivier  de  Clisson 96 

Mariage  de  Philippe  d'Artois 97 


Digitized  by 


Google 


510  TABLE. 

Philippe  d'Artois  est  créé  connétable  de  France.     ...  98 

La  paix  est  conc  lue  entre  la  France  et  F  Angleterre     .     .  108 

Maladie  du  roi  de  France 127 

Élection  de  Benoît  XIII 128 

L^auditeur  de  Saint-Lié 132 

Jean  de  Graillj  connétable  de  Bouteville 133 

Richard  II  se  prépare  à  passer  en  Irlande 134 

Le  duc  de  Lancastre  créé  duc  d'Aquitaine 135 

Mort  d*Anne  de  Bohême,  reine  d'Angleterre 136 

Richard  II  en  Irlande 137 

Récits  de  Guillaume  de  LisIe 140 

Récits  de  Jean  de  Graillj 148 

Récits  de  Richard  Sturj 156 

Récits  de  Henri  Chrjstead 166 

Richard  II  demande  la  main  dlsabelie  de  France  .     .     .  182 

Robert  TErmite  en  Angleterre •  .     .     .  188 

Délivrance  tlu  sire  de  la  Rivière 202 

Traité  entre  le  duc  de  Bretagne  et  Olivier  de  Clisson  .     .  204 

Pierre  de  Craon  revient  à  Paris 214 

Le  roi  de  Hongrie  réclame  Tappui  des  princes  chrétiens.  216 

Le  comte  de  Nevers  choisi  pour  chef  de  rexpédition  .     .  218 
Le  sire  de  Coucj  est  chargé  de  conseiller  le  comte  de 

Nevers 221 

Tailles  levées  par  le  duc  de  Bourgogne 226 

Projet  d'expédition  en  Frise 227 

Jean  de  Nevers  en  Autriche 229 

Ambassade  anglaise  à  Paris 231 

Procès  du  sire  de  Craon 233 

Fiançailles  de  Richard  II  et  d'Isabelle  de  France    .     .     .  237 

Mariage  du  duc  de  Lancastre 238 

Le  sire  de  Craon  prisonnier  au  Louvre 241 

Les  croisés  n'apprennent  rien  des  projets  de  Bigazet  .     .  242 

Le  comte  de  Nevers  passe  le  Danube 244 

Siège  de  Comette 246 

Siège  de  Brehappe 247 


Digitized  by 


Google 


TABLB.  511 

Siège  de  Nicopoli 249 

Bsgazet  apprend  la  marche  des  Croisés 251 

Tyrannie  des  seigneurs  de  Milan 253 

Armements  de  B^jazet 262 

Chevauchée  du  sire  de  Coucj 264 

Sentiments  belliqueux  du  sire  de  Coucj 269 

Le  bâtait;  de  Yertaing  en  Angleterre 269 

Le  comte  de  Saint-Pol  traite  de  la  paix 272 

Richard  II  à  Calais 273 

Expédition  de  Frise 276 

Armements  des  Frisons 288 

Défidte  des  Frisons 290 

Le  duc  Aubert  quitte  la  Frise 295 

Isabelle  de  France  est  remise  à  Richard  II 297 

Richard  II  épouse  Isabelle  de  France 806 

Différends  de  Charles  VI  et  du  duc  de  Milan     ....  307 

Projets  des  Croisés 307 

Marche  des  Turcs 310 

Sages  conseils  du  roi  de  Hongrie 313 

Bataille  de  Nicopoli 315 

Victoire  de  Bajazet 321 

Quelques    seigneurs     sont  exceptés    du    massacre  des 

Croisés 323 

Les  débris  de  l'armée  chrétienne  traversent  TAUemagne.  330 

Jacques  de  Helly  arrive  à  Paris 332 

Jacques  de  Helly  retourne  en  Turquie 337 

Présents  destinés  à  Bsgazet 338 

Le  roi  de  Hongrie  rentre  dans  ses  états 339 

Les  prisonniers  chrétiens  sont  envoyés  à  Brousse       .     .  340 

Jacques  de  Helly  se  rend  près  de  Bajazet  .....  343 
Le  roi  de  Hongrie  s^oppose  à  Fenvoi  des  présents  à  Baja- 

«et     .     .     • 348 

La  duchesse  d*Orléans  est  accusée  d'avoir  empoisonné  le 

roi 352 

Négociations  pour  la  ran^n  du  comte  de  Nevers   .     .     .  354 


Digitized  by 


Google 


K12  TABLE. 

Le  sire  d*Esne  se  rend  en  Turquie 357 

Le  sire  de  Châteaumorant  poursuit  son  voyage  ....  358 

Notes 361 

Rblation  db  la  Croisadb 439 


Digitized  by 


Google 


ERRATA. 


AU  UEU  DB  : 

usBZ  : 

P. 

10,  1.  31.  il  loj  eui«t, 

ila  Iny  euîMent. 

p. 

16,1.    4,  Le, 

La. 

p. 

23,  L  18,  conjonction  de  mariage, 
se  fuiit, 

eftàc&z  la  virgule. 

p. 

32,  1.  30,  pent. 

peuBt, 

p. 

40,  1.  24,  sonnièrent. 

sonnèrent. 

p. 

56,  1.    8,  met, 

mit. 

p. 

61,  1.  ll,recea, 

récent. 

p. 

79,  1.  26,  cette. 

ceste. 

p- 

84,  L  25,  dëlim. 

délivré. 

p. 

87,  1.    6,  ladonnoit, 

Tadonnoit. 

p. 

94,  1.  32,  estandre. 

esclandi^e. 

p. 

109,  1.  26,  Le  dnc  de  Bourgongne 

Le  mot  qui  se  trouve  dans 

qni, 

le  ms.  de  Breslau,  mais  il 
paraît  devoir  être  supprimé . 

p. 

119,  1.  21,  les  quatre  roys, 

Tel  est  le  texte  du  ms.  de 
Breslau.  Il  faut  lire  :  les 
deux  rojs. 

p. 

126,  1.    5,  apercea. 

apercent. 

p. 

148,  1.    8,  Dardeeorde 

Dardeforde 

p. 

167,  1.  13,  bon. 

bonne. 

p. 

176,  1.  17,  prozime. 

proixme. 

XV.  r-  PROISSART. 

54 

Digitized  by 


Google 


514                                                    ERRATA. 

P.  178,  1.  22,  autem. 

antem. 

P.  180,  1.  20,  auten. 

antan. 

P.  198,  1.    8,  cautuldusement, 

cauteleusemeut. 

P.  224,  au  haat  de  la  paga  :  PrëparatiCi, 

ajoutez    :   de  FexpéditioB 

de  Hongrie. 

P.  226,  1.  14,  quarante  mille, 

Mettez  en  note  comme  va- 

riante  :  soixante  mille. 

P.  255,  1.  15,  antentiquement, 

antentiquement. 

P.  265,  1.  26,  à  brocant. 

abrocant. 

P.  275,  1.  27,  la  royne  leur  fiUe. 

Le    sens    demande   qa*oa 

• 

lise  :  la  royne  et  leur  fille. 

P.  281,  1.  18,  accroitre, 

accroiatre. 

P.  341,  1.    5,  prendroieat, 

prendoient. 

Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


\ 


EN   VENTE: 

Lefl  Vriaycii  Chi'onli|ue«  <lf*  Jehan  le  Bel,  puliliées  pour  la 
première  fois  par  M.  Polain,  mi'mhre  de  rAca»iémi<»  royale  de 
Belgii|ue,  2  vol.  in-8'' Fr.      10 

Le  premier  livre  des  ChronlqneM  de  FrolMjiarl,  publié  (l*après 
un  texte  inédit  de  la  bibliothèque  du  Vatican  par  M.  le  baron 
Kervyn  de  Lettknhove,  membre  de  rAcadémie  royale  de  Belgique, 
2  vol.  in-80 .Fr.     12 

OEttvreii  de  CSeor^eM  Chaaiellalu,  publiées  par  M.  le  barou 
Kervtn  de  Lettenhove,  membre  de  TAcadémie  royale  de  Belgique, 
8  vol.  in-8* Fr.     48 

Ll  ronman*  de  Cléomadéa,  par  Adenés  li  Roys,  publié  pour  la 
première  fois  par  M.  Van  Uasselt,  membre  de  TAcadémie  royale 
de  Belgique,  2  vol.  in-B» Fr.     10 

OHfl  ei  eonten  de  Baudouin  de  Condé  ei  de  «on  ai*  Jean  de 
Condé,  publiés  par  M.  Aug.  Sgbeler,  associé  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  3  vol.  in-8« Fr.     18 

Ll  Ar«   d'amour,  de  vertu   et  de   boneurté,   publié  pour  la  * 
première  fois  par  M.  Joles  Petit,  2  vol.  in-8*» Fr.    12 

Lettres  et  !¥éffoclatlons  de  Philippe  de  Comminea,  publiées 
par  M.  le  barou  Kervyn  de  Lettenhoye,  membre  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  2  vol.  in-8° .Fr.     iO 

Dlta  de  iVatriquct  de  Couvin,  publiés  pour  la  première  fois 
par  M.  Aug.  Scheler,  associé  de  l'Académie  royale  de  Belgique, 
i  vol.  in-S» Fr.      6 

Poésies  de  Frolssart,  publiées  par  M.  Adg.  Scheler  ,  3  vol. 
in-8" Fr.     48 

SOUS    PRESSA  : 

Chroniques  de  Frolssart,  tome  !«<'  (2«  et  3«  parties). 

»  »  tomes  XVI  et  WIL 

retires  et  négociations  de  Philippe  de  Commines,  tome  III. 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google 


Digitized  by 


Google