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UiiiviM-sitv of Toronto
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OEUVRES
DE
J. J. ROUSSEAU.
TOME QUATORZIÈME.
DE L'IMPRIMERIE DE P. DIDOT L'AÎNÉ,
CHEVALIER DE l'oRDHE ROYAL DE SAINT-MICHEL ,
IMPllIMEPR nu noi.
OEUVRES
DE
J. J. ROUSSEAU
CITOYEN DE GENEVE.
NOUVELLE ÉDITION
ORNÉE DE VINGT GRAVURES.
TOME QUATORZIÈME.
A PARIS
CHEZ DETERVILLE, LIBRAIRE,
RCE BAUTEFEVILLE, H*> 8}
ET LEFEVRE, RUE DE L'ÉPERON, N" G.
M D CGC XYII.
LES
CONFESSIONS
DE J. J. ROUSSEAU.
.4.
LES
CONFESSIONS
DE J.J. ROUSSEAU.
SECONDE PARTIE.
LIVRE SEPTIÈME.
Après deux ans de silence et de patience, mal-
gré mes résolutions , je reprends la plume. Lec-
teur, suspendez votre jugement sur les raisons
qui m'y forcent : vous n'en pouvez juger qu'a-
près m'avoir lu.
On a vu s'écouler ma paisible jeunesse dans
une vie assez égale , assez douce , sans de grandes
traverses ni de grandes prospérités. Cette mé-
diocrité fut en grande partie l'ouvrage de mon
naturel ardent, mais foiblc, moins prompt en-
core à entreprendre que facile à décourager ,
sortant du repos par secousses, mais y rentrant
par lassitude et par goût , et qui , me ramenant
toujours loin des grandes vertus et plus loin des
grands vices, à la vie oiseuse et tranquille pour
4 LES CONFESSIONS,
laquelle je me senlois né, ne m'a jamais permis
d aller à rien de (^rand, soit en bien soit en mal.
Quel tableau différent j'aurai bientôt à tracer!
Le sort, qui durant trente ans favorisa mes pcn-
cliants, les contraria durant les trente autres;
et, de cette opposition continuelle entre ma
situation et mes inclinations , on verra naître
des fautes énormes, des mallieius inouis, et tou-
tes les vertus, excepté la force, qui peuvent ho-
norer ladversité.
Ma première partie a été toute écrite de mé-
moire, et j'y ai dû faire beaucoup d'erreurs.
Forcé d'écrire la seconde de mémoire aussi , j'y
en ferai probablement bcnuicoup davantajye. Les
doux souvenirs de mes beaux ans, passés avec
autant de simplicité que d'innocence , m ont
kissé mille impressions charmantes que j'aime
sans cesse à me rappeler. On verra bientôt com-
bien sont différents ceux du reste de ma vie. Les
rappeler, c'est en renouveler lanu^rtume. Loin
d ajprir celle de ma situation par ces tristes re-
tours, je les écarte autant (juil mest possible,
et souvent j y réussis au point de ne les pouvoir
plus retrouver au besoin. Cette facilité d'oublier
les maux est une consolation que le ciel m'a mé-
nap,ée dans ceux (pie le sort devoit ini jour ac-
cumuler sur moi. Ma uiémoire, qui me retrace
uni([uement les objets af;réal)les , est Ibeureux
coutic-poids de mon ima[;ination effaroui bée,
qui ne me fait prévoir cpu* de cruels avenirs.
Tous les papiers que j avois rassemblés pour
PARTIE ir, LIVRE VII. 5
su|)|)léer à ma mémoire et me guider clans cette
entreprise, passés en d autres mains, ne rentre-
ront plus dans les miennes. Je n ai qu'un guide
fidèle sur lequel je puisse compter; c'est la chaîne
des sentiments qui ont marqué la succession de
mon être, et dont l'impression ne s'efface point
de mon cœur. Ces sentiments me rappelleront
assez les événements qui les ont faitnaitrc, pour
pouvoir me flatter de les narrer fidèlement : et
s'il se trouve quelque omission, quelque trans-
position de faits ou de dates, ce qui ne peut
avoir lieu qu'en choses indifférentes , et qui m'ont
fait peu d'impression, il reste assez de monu-
ments de chaque fait pour le remettre aisément
à sa place dans l'ordre de ceux que j'aurai mar-
qués.
Il y a cependant, et très heureusement, un
intervalle de six à sept ans dont j'ai dos rensei-
gnements sûrs dans un recueil transcrit de let-
tres dont les originaux sont dans les mains de
M. du Peyrou. Ce recueil, qui finit en 1760,
comprend tout le temps de mon séjour à l'Her-
mitagc, et de ma grande hrouillerie avec mes
soi-disant amis : époque mémorahle dans ma
vie, et qui fut la source de tous mes autres mal-
heurs. A l'égard des lettres originales plus ré-
centes qui peuvent me rester , et qui sont en très
petit nombre, au lieu de les transcrire à la suite
du recueil , trop volumineux pour que je puisse
espérer de le soustraire à la vigilance de mes
Argus, je les transcrirai dans cet écrit même.
6 LES CO?iFESSIONS.
lorsqu'elles me paroîtront fournir quelque éclair-
cissement sur la vérité des faits , soit à mon avan-
tage, soit à ma charge : car je n'ai pas peur que
le lecteur oublie que je fais mes confessions,
pour croircque je fais mon apologie; mais, après
l'exposition de mon projet, il ne doit pas non
plus s'attendre que je taise la vérité, lorsqu'elle
parle en ma faveur.
Au reste cette seconde partie n'a que cette
même vérité de commune avec la première, ni
d'avantage sur elle que par limportance des cho-
ses. A cela près, elle ne peut que lui être infé-
rieure en tout, .l'écrivois la première avec plai-
sir, avec complaisance, à mon aise, à Wooton
ou dans le château de Trie : tous les souvenirs
que ) avois à me rappeler étoient pour moi au-
tant de nouvelles jouissances. J'y revenois sans
cesse avec un nouveau plaisir, et je pouvois
tourner mes descriptions sans gène jusfju'à ce
que j en lusse content. Aujourcrimi ma mémoire
et ma tête affoihlies me rendent presque inca-
pable de tout travail ; je ne m'occupe de celui-ci
que par force , et le cœur serré de détresse. Il ne
m'offre «pie malheurs, trahisons , perlidies, que
souvenirs attristants et déchirants. Je voudrois
pour tout au monde pouvoir ensevelir dans la
nuit des temps cetjuej ai à dire; et forcé de par-
ler jna^ré moi, je suis ré<lnit encore à me ca-
cher, à ruser, à tâcher de «loiiiu r le change, à
m'avihi- aux choses j)oui- lesipielles j'ctois le
jaoins né : les planchers sous les(juels je suis ont
PARTIE II, LIVRE VII. 7
des yeux , les murs qui m'entourent ont des
oreilles; environné d'espions et de surveillants
malveillants et vigilants, inquiet et distrait, je
jette à la hâte et furtivement sur le papier quel-
ques mots interrompus qu à peine j'ai le temps
de relire, encore lî^pins de corriger. Je sais que,
malgré les barrières immenses qu'on entasse au-
tour de moi, l'on craint toujours que la vérité
ne s'échappe par quelque fissure. Gomment m'y
prendre pour la faire percer? Je le tente avec
peu d'espoir de succès. Qu'on juge si c'est là de
quoi faire des tableaux agréables et leur donner
un coloris bien attrayant. J'avertis donc ceux
qui voudront commencer cette lecture que rien,
en la poursuivant ne peutles garantir de l'ennui,
si ce n'est le désir d'achever de connoître un
homme, et l'amour pur de la justice et de la
vérité.
Je me suis laissé, dans ma première partie,
partant à regret pour Paris, déposant mon cœur
aux Charmettes , y fondant mon dernier châ-
teau en Espagne, projetant d'y rapporter un
jour aux pieds de maman , rendue à elle-même,
les trésors que j'aurois acquis , et comptant sur
mon système de musique comme sur une for-
tune assurée.
Je m'arrêtai quelque temps à Lyon pour y
voir mes connoissances, pour m'y procurer quel-
ques recommandations pour Paris , et pour ven
dre mes livres de géométrie que j'avois appor-
tés avec moi. Tout le monde m'y Ht accueil.
8 LES CONFESSIO^'S.
M. et madame de Mahly marquèrent du plaisir
à me revoir et me donnèrent à dîner plusieurs
fois. Je fis chez eux connoissance avec 1 abbé de
Mably , comme je l'avois déjà faite avec labbé
de Condillac , qui tous deux étoicnt venus voir
leur frère. L'abbé de Mably me donna des lettres
pour Paris , entre autres une pour M. de Fonte-
nelle , et une pour le comte de Caylus. L un et
l autre me furent des connoissances très agréa-
bles , sur-tout le premier , qui , jusqu'à sa mort ,
n'a point cessé de me mar([uer de la bienveil-
lance , et de me donner, dans nos tctcs-à-tètes ,
des conseils dont j'aurois dû mieux profiter.
Je revis M. Bordes, avec lequel j'avois depuis
lonfj-tomps fait connoissance, et <jui m'avoit
souvent oblij^é de très granil cœur. Eu cette oc-
casion je le retrouvai toujours le même. Ce fut
lui qui me fit vendre mes livres, et il me donna
lui-même ou me procura de bonnes recomman-
dations pour Paris. Je revis M. lintendant , dont
je devois la connoissance à M. Bordes , et à (jui
je dus celle de M. le duc de Hit lu^litm, (jui passa
à Lyon dans ce temps-là. M. Pal lu me pré.senta
à lui. M. de Richelieu me reçut bien, et me dit
de l'aller voir à Paris; ce que je fis plusieurs fois ,
comme il sera dit ci-après, sans j)ourtant que
cett(^ haute connoissance, (jui ne laissa pas da-
voir des suites , m'ait été jamais utile à rien.
Je revis le musicien David, qui m'avoit rendu
service dans ma détresse à un de mes précédents
voyapcs. 11 m avoit prêté un bonnet et des bas
PARTIE II, LIVRE VII. g
qu'il ne m'a jamais redemandés et que je ne lui
ai jamais rendus. Je lui ai pourtant fait dans
la suite un petit présent à-peu-près équivalent.
Je dirois mieux s'il s'agissoit iei de ce que j'ai dû;
mais il s'agit de ce que j ai fait , et malheureuse-
ment ce n'est pas toujours la même chose.
Je revis le noble et généreux Perrichon , et
ce ne fut pas sans me ressentir de sa magnifi-
cence ordinaire ; il me 6t le même cadeau qu il
avoit fait auparavant au gentil Bernard , en me
défrayant de ma place à la diligence. Je revis le
chirurgien Parisot, le meilleur et le mieux-fai-
sant des hommes : je revis sa chère Godefroy,
qu'il entretenoit depuis dix ans , et dont la dou-
ceur de caractère et la bonté de cœur faisoient
à-peu-près tout le mérite, mais qu'on ne pou-
voit aborder sans intérêt ni quitter sans atten-
drissement ; car elle étoit au dernier terme d'une
étisie dont elle mourut peu après. Rien ne mon-
tre mieux les vrais penchants d un homme que
l'espèce de ses attachements (i). Quand on avoit
vu la douce Godefroy , on connoissoit le bon
Parisot.
J'avois obligation à tous ces honnêtes gens :
(i) A moins qu'il ne se soit d'abord trompé dans son
choix, ou que celle à laquelle il s'étoit attaché n'ait en-
suite changé de caractère par un concours de causes
extraordinaires, ce qui n'est pas impossible absolument.
Si l'on vouloit admettre sans modification ce principe,
il fuudroit donc juger de Socrate par sa femme Xantippc,
cl de Dion par son ami Calippus ; ce qui seroit le plus
lO Li:S CONFESSIO>'S.
Dans la suite je les négligeai tous , non certaine-
ment par ingratitude, mais par cette invincible
paresse qui m'en a souvent donne 1 air. .lamais
le sentiment de leurs services n'est sorti do mon
cœur ; mais il m'en eût moins coûté de leur prou-
ver ma reconnoissance que de la leur témoigner,
et l'exactitude à écrire a toujours été au-dessus
de mes forces. J ai donc gardé le silence et j ai
paru les oublier. Parisot et Perricbon n'y ont
pas même fait attention, et je les ai toujours
trouvés les mêmes ; mais on verra , vingt ans
après, dans M. Bordes, jusquoii 1 amour-propre
d un ]jel-espritpeut porter la vengeance lorsqu'il
se croit négligé.
Avant de quitter Lyon , je ne dois pas oublier
une aimable personne que j'y revis avec plus de
plaisir que jamais , et <[ui laissa dans mon cœur
des souvenirs bien tendres. C'est mademoiselle
Serre, dont j'ai parlé dans ma première partie,
et avec lacjuelle j'avois renouvelé connoissance
tandis (jue j'étois chez M. de Mably. A ce voyage^
ayant plus de loisir, je la vis davantage; mon
CHï'ur se prit, et très vivement, .leiis qurl([ue lieu
de penser que le sien ne m'étoit pas contraire ;
mais elle m'accorda une confiance (jid m'ôta la
iiU(jUL' cl le plus faux juj^cniriit «(n"on ait jamais porte.
Au reste, qu'on écarie ici toute application injurieuse à
ma l'ernine. Elle est, il est vrai, plus bornée et plus fa-
cile à tromper que je n'avois cru ; mais pour son carac-
tère pur, excellent , sans malice, il est dipfne «le toute
mon estime, et l'aura tant (jue je vivrai.
PARTIE II, LIVRE Vil. II
tentation d'en abuser. Elle n'avoit rien ni moi
non plus ; nos situations étoient trop semblables
pour que nous pussions nous unir- et , dans les
vues qui m'occupoient, j'étois bien éloigné de
songer au mariage. Elle m'apprit qu'un jeune
commereant, appelé M. Genève, paroissoit vou-
loir s'attaclier à elle. Je le vis cbez elle une fois
ou deux; il me parut honnête homme, il pas-
soit pour l'être. Persuadé qu'elle seroit heureuse
avec lui, je desirois qu'il l'épousât, comme il a
fait dans la suite; et, pour ne pas troubler leurs
innocentes amours, je me hâtai de partir, fai-
sant pour le bonheur de cette charmante per-
sonne des vœux qui n'ont été exaucés ici-bas que
pour un temps, hélas! bien court; car j'appris
dans la suite qu'elle étoit morte au bout de deux
ou trois ans de mariage. Occupé de mes tendres
regrets durant toute ma route, je sentis, et j'ai
souvent senti depuis lors en y repensant, que,
si les sacrifices qu'on fait au devoir et à la vertu
coûtent à faire , on en est bien payé par les doux
souvenirs (|u ils laissent au fond du cœur.
Autant à mon précédent voyage j'avois vu Pa-
ris par son côté défavorable , autant à celui-ci
je le vis par son côté brillant : non pas toutefois
quant à mon logement ; car, sur une adresse que
m'avoit donnée M. Bordes , j allai loger à l'hôtel
Saint-Quentin, rue des Gordiers, proche la Sor-
bonne, vilaine rue, vilain hôtel, vilaine cham-
bre; mais où cependant avoient logé des hom-
mes de mérite , tels que Gresset , Bordes , les al>
12 LES CONFESSIONS.
Lés (le Mahly , de Gondillac, et plusieurs antres
dont malheureusement je n'y trouvai plus au-
cun. Mais j'y trouvai un M. de Bonnelond, ho-
bereau boiteux, plaideur, faisant le puriste,
auquel je dus la connoissance de M. lîoj^uin,
maintenant le doyen de mes amis; et par lui,
celle du philosophe Diderot, dont j'aurai heau-
couj) à j)arl(;r dans la suite.
J'arrivai à Paris dans l'automne de 1741, avec
quinze louis d'argent comptant , ma comédie de
Narcisse , et mon projet de musi(pie, pour toute
ressource , et ayant par consécpient peu de temps
à perdre pour tâcher d'en tirer parti. Je me pres-
.sai de faire valoir mes recommandations. Vn
jeune homme qui arrive à Paris avec une H{jure
passable, et qui s'annonce par des talents, est
assuré d'être accueilli. Je le fus, cela me procura
des af^réments sans me mener à {;rand chose. De
toutes les personnes à qui je lus reconnnande,
il n'y en eut que trois qui me furent utiles; sa-
voir, M. Damesin, fjentilhomme savoyard , alors
écuyer, et je crois fovori de madame la princesse
de (Jarijjnan; INI. de boze , secrétaire de lacade-
niie des inscriptions et garde des médailles du
cabinet du roi; et le P. Castel , jésuite, auteur
du clavec in oculaire.
M. Damesiu pourvut au j)lus pressé pai* deux
connoissances (pi il me procura: lune, de M. de
(iiise, président à mortier au parl(Mn(Mit de bor-
deaux, et (pii jouoit très hien du violon; laiitre,
de M. lubbé de Léon, (|ui logeoit alors eu Sor-
PARTIE II, LIVRE VII. i3
bonne , jeune seigneur très aimable , qui mourut
à la fleur de son âge, après avoir brillé quelques
instants dans le monde sous le nom de chevalier
de Roban. L'un et Tautre eurent la fantaisie
d'apprendre la composition. Je leur en donnai
quelques mois de leçons qui soutinrent un peu
ma bourse tarissante. L'abbé de Léon me prit
en amitiiî et vouloit m'avoir pour son secrétaire :
mais il n'étoit pas riche, et ne put m'offrir en
tout que huit cents francs , que je refusai bien à
regret ; mais qui ne pouvoient me suffire pour
mon logement, ma nourriture, et mon entre-
tien.
M. de Boze me reçut fort bien. Il aimoit le sa-
voir, il en avoit; mais il étoit un peu pédant.
Madame de Boze auroit été sa fille ; elle étoit
brillante et petite maîtresse, .l'y dînois quelque-
fois ; on ne sauroit avoir l'air plus gauche et plus
sot que je l'avois vis-à-vis d'elle. Son maintien
dégagé m'intimidoit et rendoit le mien plus plai-
sant. Quand elle me présentoit une assiette , j'a-
vaneois nia fourchette pour piquer modeste-
ment un petit morceau de ce qu'elle m'offroit ;
de sorte qu elle rendoit à son laquais l'assiette
qu'elle m'avoit destinée , en se tournant pour
que je ne la visse pas rire. Elle ne se doutoit
guère que dans la tête de ce campagnard il ne
laissoit pas d'y avoir quelque esprit. M. de Boze
nie présenta à M. de Réaumur, son ami, qui
venoit dîner chez lui tous les vendredis, jours
d'académie des sciences. Il lui parla de mon
l4 LES COKFESSIO^'S.
projet, et du flesir que j'avois de le soumettre à
rexamen de raeadcmie. M. de Rcaumur se char-
gea de la proposition , qui fut agréée. Le jour
donné, je lus introduit et présenté par iSI. de
Iléaunjur; et le même jour, 22 août 174^, j eus
l'honneur de lire à l'académie le mémoire que
j'avbis préparé pour cela. Quoique cette illustre
assemblée fût assurément très imposante, j'y
fus ])caucoiip moins intimidé ([ue devant ma-
dame de Boze , et je me tirai passablement de
ma lecture et de mes réponses. Le mémoire réus-
sit, et m'attira <les compliments qui me surpri-
rent autant rjuils me flattèrent, ima{;inant à
peine que , devant une académie , ([uiconque
n'en étoit pas pût avoir le sens commun. Les
commissaires qu'on me donna furent MM. de
Mairan, Hellot, et de Fouchy, tous trois gens
de mérite assurément, mais dont pas un ne sa-
\oit la musique, assez du moins pour être en
état déjuger de mon projet.
Durant mes conférences avec ces messieurs,
je me convainquis, avec autant de certitude que
de surprise, que, si quelquefois les savants ont
moins de pré|ug(''S (|ue les autres hommes, ils
tiennent en revanche encore plus fortement à
ceux qu'ils ont. Quehjue foibles, quehjue faus-
ses que fussent la plupart de leurs objections,
et quoi([uej'y répondisse timidement , je l'avoue,
et en mauvais termes, mais par des raisons pé-
remptoires, je ne vins pas une seule fois à bout
de me faire cntendie et de les contenter, .l'étois
PARTIE II, LIVRE VII. i5
toujours élDahi de la facilité avec laquelle , à
l'aide de quelques phrases sonores , ils me réfu-
toient sans m'avoir compris. Ils déterrèrent, je
ne sais où , quun moine , appelé le P. Souhaitti,
avoit jadis imaginé de noter la gamme par chif-
fres. C'en fut assez pour prétendre que mon sys-
tème netoit pas neuf. Et passe pour cela: car,
bien que je n eusse jamais oui parler du P. Sou-
haitti, et bien que sa manière d'écrire les sept
notes du plain-chant , sans même songer aux
octaves , ne méritât en aucune sorte d'entrer en
parallèle avec ma simple et commode invention
pour noter aisément par chiffres toute musique
imaginable , clefs , silences , octaves , mesures ,
temps, et valeurs des notes, choses auxquelles
Souhaitti n avoit pas même songé ; il étoit néan-
moins, très vrai de dire que , quant à l'élémen-
taire expression des sept notes , il en étoit le
premier inventeur. INIais, outre qu'ils donnèrent
à cette invention primitive plus d'importance
qu'elle n'en avoit , ils ne s'en tinrent pas là ; et,
sitôt qu'ils voulurent parler du fond du système,
ils ne firent plus que déraisonner. Le plus grand
avantage du mien étoit d'abroger les transposi-
tions et les clefs , en sorte que le même morceau
se trouvoit noté et transposé à volonté dans
quelque ton qu'on voulût, au moyen du chan-
gement supposé d'une seule lettre initiale à la
tête de l'air. Ces messieurs avoient ouï dire aux
croque-sol de Paris que la méthode d'exécuter
par transposition ne valoit rien. Ils partirent do
|6 LES CONFESSIONS.
là pour tourner en invincible objection contre
mon système son avantajje le plus marqué , et ils
«lécidèrent (pic ma note ctoit bonne pour la vo-
cale, et mauvaise pour 1 instrumentale; au lieu
de décider, comme ils Tauroient dû, quelle étoit
bonne pour la vocale et meilleure pour l'instru-
mentale. Sin^ leur rapport, l'académie m'accor-
da un certificat plein de très beaux compli-
ments, à travers lesquels on démèloit , pour le
fond, (ju'elle ne juf^eoit mon système ni neuf ni
utile. Je ne crus pas devoir orner d'une pareille
pièce louvrafje intitulé Dissertation sur la Mu-
sique moderne^ par lequel j'en appelois au pu-
blic.
J'eus lieu de rcmarcpuM' en cette occasion com-
bien, même avec im esprit borné, la connois-
sanee unique mais profonde de la cbose est pré-
férable, pour CM bien ju{^er , à toutes les lumières
que donne la culture des sciences lorscju'on n'y
a pas joint l'étude particulière de celle dont il
s'agit, La seule objection solide qu'il y eût à faire
à mon système y fut faite par lîamcau. A peine
le lui eus-je explicpu-, cju il en vit le côté loiblc.
Vos signes, dit-il, sont très bons, en ce qu'ils
déterminent simplement et clairement les va-
leurs , en ce qu ils représentent nettement les
intervalles et montrent toujours le simple dans
le rcdojibic ; mais ils sout mauAais en ce (ju ils
c\iî;('nt pour cIkkiuc intervalle une ojxration de
l'esprit, <[ui ne peut suivre la rapidité de lexé-
cution. La position de nos notes , continua-t-il,
PARTIE II, LIVRE Vil. I y
se peint à l'œil sans le concours de cette opéra-
tion. Si deux notes , l'une très haute , l'autre très
basse, sont jointes par une tirade de notes in-
termédiaires , je vois du premier coup-d'œil que
l'une est jointe à l'autre par degrés conjoints,
mais, pour m'assurer chez vous de cette tirade ,
il faut nécessairement que j'épelle tous vos chif-
fres l'un après l'autre ; le coup-d'œil ne peut sup-'
pléer à rien. L'objection me parut sans réplique,
et j enconvinsà linstant. Quoiqu'elle soit simple
et frappante, il n'y a qu'une grande pratique de
l'art qui puisse la suggérer : et il n'est pas éton-
nant qu'elle ne soit venue à aucun académicien;
mais il l'est que tous ces grands savants qui sa-
vent tant de choses sachent si peu que chacun
ne devroit juger que de son métier.
Mes fréquentes visites à mes commissaires et
à d'autres académiciens me mirent à portée de
faire connoissance avec tout ce qu'il y avoit à
Paris de plus distingué dans la littérature; et
par-là cette connoissance se trouva toute faite
lorsque je me vis dans la suite inscrit tout d'un
coup parmi eux. Quant à présent , concentré
dans mon système de musique, je m'obstinoiâ
à vouloir par lui faire une révolution dans cet
art, et parvenir de la sorte à une célébrité qui,
dans les beaux arts, se conjoint toujours, à
Paris, avec la fortune. Je m'enfermai dans ma
chambre et travaillai deux ou trois mois avec
une ardeur inexprimable à refondre , dans un
ouvrage destiné pour le pubUc , le mémoire
14.
iS LES CONFESSIONS,
que j'avois lu à Tacadémie. La difficulté fut
de trouver un li])!aire qui voulût 8e cliarger
de mon manuscrit, vu quil y avoit quelque dé-
pense à faire pour les nouveaux caractères , que
les libraires ne jettent pas leurs écus à la tête
des débutants , et qu'il me sembloit cependant
l)icn juste que mon ouvrage me rendit le pain
que j'avois mangé en lecrivant.
Bonnefond me procura Quillau le père, qui fit
avec moi un traité à moitié profit , sans compter
le privilé^je que je payai scid. Tant lut opéré
par ledit Quillau , que j en fus pour mon privi-
lège et n'aitiréjamais un liard de cette édition,
f[ui vraisemblablement eut un débit médiocre,
quoi<[ue Tabbé des Fontaines meut promis de
la faire aller, et que les autres journalistes en
eussent dit assez île bien.
Le plus grand obstacle à fessai de mon sys-
tème et oit la crainte que, s'il n'étoit pas admis ,
on ne perdît le temps qu'on iiietlroit à fap-
j)rendre. .le disois à cela cpie la pratique de nia
note icndoit les itiécs si claires, ([uc, j)Our ap-
j)rendre la musi(jue par les caractères ordinaires,
on gagneroit encore beaucoup de tenyps à com-
mencer par les miens. Pour eu donner la preuve
jjarfexpériencc, j enseignai gratuitement la mu-
si({ueàune jeune Américaine aj)pelée mademoi-
selle de Uoulins, dont M. Boguin m-avoil pro-
ciné la connoissance : en trois mois elle lut en
état de déchiffrer sur ma note (|uelque musi(jue
que ce lut , et même de chanter à livre ouvcit,
PARTIE II, LIVRE VII. jg
mieux que moi-înênie , toute celle qui né toit
pas fort chargée de difficultés. Ce succès fut
frappant, mais ignoré. Un autre en auroit rempli
les journaux ; niais avec quelque talent pour
trouver des choses utiles , je n'en eus jamais
pour les faire valoir.
Voilà comment ma fontaine de héron fut
encore cassée ; mais cette seconde fois j'avois
trente ans , j'étois homme fait , et je me trou-
vois sur le pavé de Paris où l'on ne vit pas pour
rien. Le parti que je pris dans cette extrémité
n'étonnera que ceux qui n'auront pas bien lu
ma première partie. Je venois de me donner des
mouvements aussi grands qu'inutiles ; j avois
besoin de reprendre haleine. Au lieu de me li-
vrer au désespoir, je me livrai tranquillement
à ma paresse et aux soins de la Providence, et,
pour lui donner le temps de faire son œuvre,
je me mis à manger, sans me presser, quelques
louis qui me restoient encore , réglant la dépense
de mes nonchalants plaisirs sans la retrancher,
n'allant plus au café que de deux jours l'un, et
au spectacle que deux fois la semaine. A légard
de la dépense des filles, je n'eus aotcune réforme
à y faire, n'ayant de ma vie mis un sou à cet
usage, si ce n'est une seule fois, dont j'aurai
bientôt à parler.
La sécurité, la volupté, la confiance avec la-
quelle je me livrois à cette vie indolente et soli-
taire , ([ue je n'avois pas de quoi faire durer trois
mois, est une des singularités de ma vie et une
20 LES CONFESSIONS,
des bizarreries de mon humeur. L'extrême be-
soin que j'avois qu'on s'occupât de moi étoit
précisément ce qui m'ùtoit le courajjc de me
montrer; et la nécessité de faire des visites me
les rendit insupportal)lcs , au point que je ces-
sai même de voir les académiciens et autres {i;cns
de lettres avec lesquels j'étois déjà faufdé. INIa-
rivaux , l'abbé de IMably , Font(;nelle , lurent
presque les seuls chez qui je continuai d'aller
quelquefois. Je montrai même au premier ma
comédie de Narcisse. Elle lui plut , et il eut la
complaisance de la retoucher, Diderot , plus
jeune qu'eux, étoit à-peu-prcs de mon âfje. Il
aimoit la musique; il en savoit la théorie; nous
en parlions ensemble : il me parloit aussi de ses
projets douvrages. Cela forma bientôt entre
nous des liaisons plus intimes, (jui ont duré
quinze ans, et (pii probablement dureroient en-
core, si mallieureusemcnt et bien par sa faute
je n'eusse été jeté dans son même métier.
On n'imaj^ineroit pas à quoi j'occupois ce cotirt
et précieux intervalle (|ui meresloit encore avant
d'être forcé de mendier mon pain : à étU(Ucr
par cœur des.passages de poètes que j'avois ap-
pris cent fois , et autant de fois oubliés. Tous
les matins, vers les dix heures , j'allois me pro-
mener au Lu\einbour{j un Virj^ile et un Hous-
seaudans ma poche; et là , juscpià 1 heure «lu
dîner, je renninorois tantôt une ode sacrée et
tant«")t une bucolique , sans me rehuter de ce
qu'eu repassant celle du jour je ne manquoij»
PARTIE II, LIVRE VII. 51
pas d'oublier celle de la veille. Je me rappelois
qu'après la défaite de Nicias à Syracuse les Athé-
niens prisonniers gajjnoient leur vie à réciter les
poèmes d'Homère. Le parti que je tirai de ce
trait d'érudition pour me prémunir contre la
misère fut d'exercer mon heureuse mémoire à
retenir tous les poètes par cœur.
J'avois un autre expédient non moins solide
dans les échecs , auxquels je consacrois régu-
lièrement, au café de Maugis, les après-midi
des jours que je n'allois pas au spectacle. Je fis là
connoissance avec M. de Légal , avec un M. Hus-
son, avecPhilidor, avec tous les grands joueurs
d'échecs de ce temps-là , et n'en devins pas plus
habile. Je ne doutai pas cependaut que je ne de-
vinsse à la fin plus fort qu'eux tous, et c'en étoit
assez selon moi pour me servir de ressource. De
quelque folie que je m'engouasse , j'y portois
toujours la même manière de raisonner. Je me
disois : Quiconque prime en quelque chose est
toujours sûr d'être recherché : primons donc,
n'importe en quoi ; je serai recherché ; les oc-
casions se présenteront , et mon mérite fera le
reste. Cet enfantillage n'étoit pas le sophisme
de ma raison , c'étoit celui de mon indolence.
Effrayé des grands et rapides efforts qu'il auroit
fallu faire pour m'évertuer , je tâchois de flatter
ma paresse , et je m'en voilois la honte par des
arguments dignes d'elle.
J'attendois ainsi tranquillement la fin de mon
argent; et je crois que je serois arrivé au dernier
22 LES COÎ^FESSIONS.
sou sans m'en cnjouvoir (lavanta[;r, si le P. Cas-
tel , quej allois voir quehjuelois eu allant au caFé,
ne m'eût arraché de ma léthargie. iiC P. Castel
étoit fou , mais bon homme au demeurant : il
étoit fâché de me voir consumer ainsi sans rien
faire. Puisque les musiciens , me dit-il , puisque
les savants ne chantent pas à votre unisson ,
chan^fcz de corWe , et voyez les femmes. Vous
réussirez peut-être mieux de ce côté-là. .Vai parlé
de vous à madame de Ijeuzenval ; allez la voir
de ma part. C'est une bonne femme , «|ui verra
avec plaisir un pays de son fds et de son mari.
Vous verrez chez elle madame de Brof^Ue sa
fille, qui est ime femme d esprit. Madame Dupin
en est une autre à qui j ai aussi parlé de vous :
])ortez-lui votre ouvra^^e ; elle a envie de vous
voir, et vous recevra bien. On ne fait rien dans
Paris que par les femmes. Ce sont comme des
courbes dont les sages sont les asymptotes; ils
s'en approchent sans cesse , mais ils n'y louchent
jamais.
Après avoir long-temps remis d'un jour à I au-
tre l'exécution de ces terribles corvées, je pris
enfin courage, et j'allai voir madame de Heuzen-
val. Elle me re(]ut avec bonté, ^hulame de bro-
glie étant entrée dans sa chambre, elle lui dit :
Ma fille , voilà M. Rousseau dont le P. Castel
nous a parlé. Madame de Hroglic me fit com-
pliment sur mon ouvrage , et , me menant à son
clavecin, me fit voir (piClle s'en étoit occupée.
Voyant à sa pendule qu il étoit |uès d'une hem-e.
PARTIE II, LIVRE VIL 2.3
je voulus m'en aller. Madame de Beuzenval me
dit: Vous êtes loin de votre quartier, restez;
vous dînerez ici. Je ne me fis pas prier. Un quart
dlieure après , je compris par quelque mot que
le dîné auquel elle m'invitoit étoit celui de son
office. Madame de Beuzenval étoit une très
bonne femme, mais bornée, et trop pleine de
son illustre noblesse polonoise ; elle avoit peu
d'idée des égards qu'on doit aux talents. Elle me
jugeoit même en cette occasion sur mon main-
tien plus que sur mon équipage, qui, quoique
très simple , étoit fort propre , et n'annonçoit
point du tout un bommc fait pour dîner à î of-
fice. J'en avois oublié le chemin depuis trop
long-temps pour vouloir le reprendre. Sans lais-
ser voir tout mon dépit, je dis à madame de
Beuzenval qu'une petite affaire qui me revenoit
en mémoire me rappeloit dans mon quartier,
et je voulus partir. Madame de Broglie s'appro-
cha de sa mère , et lui dit à l'oreille quelques
mots qui firent effet. Madame de Beuzenval se
leva pour me retenir, et me dit : Je compte
que c'est avec nous que vous nous ferez Ihon-
neur de dîner, .le crus que faire le fier eût été
faire^t^ sot, et je restai. D'ailleurs la bonté de
madame de Broglie m'avoit touché, et me la
rendoit intéressante. Je fus fort aise de dîner
avec elle , et j'espérai qu'en me connoissant da-
vantage elle n'auroit pas regret à m'avoir pro-
curé cet honneur. M. le président dcTiamoignon,
grand ami de la maison , y dîna aussi. Il avoit ,
^4 LES CONFESSIONS,
uinsi que madame de Broglie, ce petit jargon
de Paris, tout en petits mots, tout en petites
allusions fines. 11 n'y avoit pas là de quoi bril-
ler pour le pauvre Jean-.Tac(jues. J'eus le bon
sens de ne vouloir pas faire le gentil malgré
Minerve , et je me tus. Heureux si j'eusse été
toujours aussi sage ! Je ne serois pas dans l'a-
byme où je suis aujourd'bui. J'étois désolé de
ma lourdise, et de ne pouvoir justifier aux yeux
de madame de Broglie ce qu elle avoit lait en nia
faveur.
Après le dîner je nTavisni de ma ressource or-
dinaire. J'avois dans ma poche une épitre en vers
écrite à Parisot pendant mon séjour à Lyon. Ce
morceau ne mancjuoit pas de clialeur; j'en mis
dans la façon de le réciter, et je les fis pleurer
tous trois. Soit vanité, soit vérité dans mes in-
terprétations, je crus voir (juc les regards de
madame de Broglie disoient à sa mère : lié bien ,
maman ! avois-je tort de vous dire que cet homme
étoit plus fait pour diner avec vous qu'avec vos
femmes? Jusquà ce monuni j avois eu le c.rur
un peu gros; mais, apiès mètre ainsi vengé,
je fus content. Madame de Broglie, poussant
un peu trop loin le jugement avantageux (ju'clle
avoit porté de moi , crut que j'allois faire sensa-
tion dans Paris, et devenir un homme à bonnes
fortunes. Pour guitler lunn inexpérience, elle
un- donna les Confessions du comte de *"*, Ce
livre, me dit-elle, est un Mentor dont vous au-^
rez besoin dans le monde. Vous ferez bien de le
PARTIE II, LIVRE VII. 25
consulter quelquefois. J'ai gardé plus de vingt
ans cet exemplaire avec reconnoissance pour la
main dont il nie venoit, mais riant quelquefois
de l'opinion que paroissoit avoir cette dame de
mon mérite galant. Du moment que j eus lu cet
ouvrage je desirai d'obtenir l'amitié de l'auteur.
Mon penchant ni'inspiroit très bien : c'est le
seul ami vrai que j'aie eu parmi les gens de
lettres (i).
Dès-lors j'osai compter que madame la ba-
ronne de Beuzenval et madame la marquise de
Broglie prenant intérêt à moi ne me laisseroient
pas long-temps sans ressource ; et je ne me
trompai pas. Parlons maintenant de mon en-
trée chez madame Dupin , qui a eu de plus lon-
gues suites.
Madame Dupin étoit , comme on sait , fille
de Samuel Bernard et de madame Fontaine.
Elles étoient trois sœurs qu'on pouvoit appeler
les trois Grâces : madame de La Touche, qui fit
une escapade en Angleterre avec le duc de Kings-
ton ; madame Darty, la maîtresse , et, bien plus ,
(i) Je Tai cru si lonff-tetnps et si parfaitement, que
c'est à lui que, depuis mon retour à Paris, je confiai le
manuscrit de mes Confessions. Le défiant Jean-Jacques
n'a jamais pu croire à la perfidie et à la fausseté qu'après
en avoir été la viciime.
Au lieu Je celte note, il va simplement dans le manuscrit au-
tographe :
H Voilà ce que j'aurois pensé toujours si je n'étois ja-
t» mais revenu èi Paris. »
26 LES CONFESSIONS.
laniic, runiquc et sincère amie de ^I. le prince
de Conti , femme adorable autant par la dou-
ceur, par la bonté de son cliarmant caractère,
que par raf^rément de son esprit et pai liiialté-
rablc (jjaieté de son liumeur ; enfin madame l)u-
pin , la plus belle des trois , et la seule à qui Ton
n'ait point reproche d'écart dans sa conduite.
Elle fut le prix de l'hospitalité de M. Dupin, à
qui sa mère la donna avec une place de fermier-
général et une fortune iminen se, en reconnois-
sance du bon accueil qu il lui avoit fait dans sa
province. Elle étoit encore , (juand je la vis pour
la première fois-, une des phis bt^lles femmes de
Paris. Elle me reçut à sa toilette. Elle avoit les
bras nus, les cheveux épars, son peignoir mal
arranrré. Cet abord m étoit très nouveau ; ma
pauvre tête n'y tint pas : je me trouble, je m'é-
gare, et bref me voilà épris de madame Dupin.
Mon trouble ne parut pourtant pas me nuire
auprès (felle ; elle ne s en apeiçut point. Elle
accueillit le livre et l'auteur, me parla de mon
projet en personne instruite , chanta , s'accom-
pa(|na du clavecin, me retint à diner, me lit
mettre à table à côté d'elle. Il n'en falloil pas
tant pour me rendre fou ; je le devins. Elle me
permit de la venir voir; j'usai, j'abusai de la
permission. J'y allois prcscpie tous les jours , j y
diuois deux ou trois fois par semaint-. .le mou-
rois d'envie de parler; je n'osai jamais. Plusieurs
raisons renforçoient ma timidité naturelle. L en-
trée dune maison opulente étoit une jiorte ou-
PARTIE II, LIVRE VII. 27
verte à la fortune; je ne voulois pas, clans ma
situation, risquer de nie la fermer. Madame Du-
pin , tout aimable qu elle étoit , étoit sérieuse
et froide; je ne trouvois rien dans ses manières
d'assez agaçant pour m'enliardir. Enfin sa mai-
son, aussi brillante alors qu'aucune autre dans
Paris , rassembloit des sociétés auxquelles il ne
manquoit que d'être un peu moins nombreuses
pour être d'élite dans tous les genres. Elle ai-
moit à voir tous les gens qui jetoient de l'éclat ,
les grands, les gens de lettres, les belles fem-
mes ; on ne voyoit chez elle que ducs , ambas-
sadeurs , cordons bleus. Madame la princesse
de Rohan , madame la comtesse de Forcalquier,
madame de Mirepoix , madame de Brignolé ,
milady llervey, pouvoient passer pour ses amies,
M. de Fonteuelle , l'abbé de Saint-Pierre , l'abbé
Sallier, M. de Fourmont, M. de Bcrnis, M. de
Buffon, M. de Voltaire, étoient de son cercle et
de ses dîners. Si son maintien réservé n'attiroit
pas beaucoup les jeunes gens , sa société d'autant
inieux composée n'en étoit que plus imposante;
et le pauvre Jean-Jac((ucs n'avoit pas de quoi se
flatter de briller beaucoup au milieu de tout
cela. Je n'osai donc parler ; mais , ne pouvant
j)]lîs me taire, j'osai écrire. Elle. garda ma lettre
deux jours sans m'en parler. Le troisième jour
elle me la rendit , en m'adr|tesant verbalement
quelques mots d'exbortatiorfd'un ton froid qui
me glaça. Je voulus parler, la parole expira sur
mes lèvres ; ma subite passion s'éteignit avec
28 LES CONFESSIONS.
l'espérance ; et , après une déclaration clans les
formes, je continuai à vivre avec elle comme
auparavant , sans plus lui parler de rien, même
des yeux.
Je crus ma sottise oubliée ; je nie trompai.
M, de Francueil , fils de M. Dupin et beau-fils de
madame , étoit à-peu-près de son âj^e et du mien.
11 avoit de Tesprit, de la fififure ; il pouvoit avoir
des prétentions. On disoit (piil en avoit auprès
d'elle , uniquement peut-être parcequ'elle lui
avoit donné une femme bien laide, bien douce,
et qu elle vivoit parfaitement bien avec tous les
deux. M. de Francueil aimoit et cultivoit les ta-
lents. La musique, qu'il savoit très bien , fut entre
nous un moven de liaison, .le le vis beaucoup:
je m attacbois à lui, quand tout d un coup il me
fit entendre que madame Dupin trouvoit mes vi-
sites trop fré(juentes , et me prioit de les discon-
tinuer. Ce compliment auroit pu être à sa j^lace
quand elle me rendit ma lettre ; mais liuit ou dix
jours après et sans aucune autre cause , il venoit,
ee me semble, bors de propos. Cela faisoit une
position d'autant plus bizarre (pie je n'en étois
pas moins bien venu qu auparavant cbcz M. et
madame de Francueil. J'y allai cependant plus
rarement; et j'aurois cessé d'y aller tout à-fait ,
.si, par un autre caprice imprévu , madame Du-
pin ne m'avoit faiA)rier de veiller pendant buit
à dix joiu'S à son "Is (pii , cban{;cant de gou-
verneur, restuit seul durant cet intervalle. Je
passai ces buit jours dans un supplice que le
PARTIE II, LIVRE VII. 29
plaisir d'obéir à madame Dupin pouvoit seul
me reiKlre souffraLle ; car le pauvre Chenonceaux
avoit dès-lors cette mauvaise tête quia failli dés-
honorer sa famille, et qui l'a fait mourir à lîle
de Bourbon. Pendant que je fus auprès de lui ,
je Fempêchai de faire du mal à lui-même ou à
d'autres , et voilà tout : encore ne fut-ce pas
une médiocre peine ; et je ne m'en serois pas
chargé huit autres jours de plus, quand ma-
dame Dupin se seroit donnée à moi pour ré-
compense.
M. de Francueil me prenoit en amitié : je tra-
vaillois avec lui ; nous commençâmes ensemble
un cours de chimie chez Rouelle. Pour me rap-
procher de lui , je quittai mon hôtel Saint-Quen-
tin , et vins me loger au jeu de paume de la rue
Verdelet , qui donne dans la rue Plâtrière , où
logeoit M. Dupin. Là, par la suite d'un rhume
négligé, je gagnai une fluxion de poitrine dont
je faillis mourir. J'ai eu souvent durant ma jeu-
nesse de ces maladies inflammatoires , pleuré-
sies , et sur-tout des esquinancies auxquelles j'é-
tois très sujet, dont je ne tiens pas ici le registre,
et qui toutes m'ont fait voir la mort d'assez près
pour me familiariser avec son image. Durant
ma convalescence , j'eus le temps de réfléchir sur
mon état, et de déplorer ma timidité, ma foi-
blesse, et mon indolence, qui, malgré le feu
dont je me sentois embrasé , me laissoient lan-
guir dans l'oisiveté d'esprit, toujours à la porte
de la misère. La veille du jour où j'étois tombé
3o LES CONFESSIONS,
malade, jetois aile à un opéra de Rover qu'on
donnoit alors, et dont j ai oublié le titre. Malgré
ma prévention pour les talents des autres , <{ui
m'a toujours fait défier des miens , je ne pou-
vois m'empêelier de trouver cette musique foi-
ble, sans chaleur, sans invention. J'psois quel-
quefois me dire: 11 me semble que je ferois mieux
que cela. Mais la terrible idée que j'avois de la
composition d un opéra , et limportance que
j'entendois donner par les gens de fart à cette
entreprise , m'en rebutoient à l'instant même ,
et me faisoient rou(ifir d'oser v sonj^er. D'ailleurs,
oii trouver quelquiin (pii voidiil me fournir des
paroles, et prendre la 'peine de les tourner à
mon p^ré ? Ces idées de musique et dopera me
revinrent durant ma maladie; et , dans le trans-
port de ma fièvre , je composois des vers , des
chants , des duo , des chaurs. Je suis certain d'a-
voir fait deux ou trois morceaux di prima intcJi-
zioiie^ (lif>nes peut-être de ladmiration des maî-
tres , s'ils avoient pu les entendre exécuter. O si
l'on pouvoit tenir registre des rêves d nn lié-
vreux, «pielles grandes et sublimes choses on
verroit sortir queUjuefois de son délire !
Ces sujets de musique et d'opéra m'occupèrent
encore pendinit ma convalescence, mais plus
tran(piilleiuent. A force d'y penser, et même
mal{;ré moi, je voulus en avoir le cour net, et
tenter de faire à moi seid un ojxia, paroles et
musique. Ce n'étoit pas tout-à-fait mon coup
d'essai. .Vavois fait jadis à Chand)éry un opéra-
PARTIE II, LIVRE Vif. 3l
tragédie , intitule Iphis et Anaxarète , que j'avois
eu le bon sens de jeter au feu. J en avois fait à
Lyon un autre , intitulé la Découverte du Nou-
veau-Monde, dont , après lavoir lu à M. Bordes,
à l'alihé de Mably , à Tabbc Trublet, et à d'autres,
j'avois fini par faire le même usaj^^e , quoique
j'eusse déjà fait la musique du prologue et du
premier acte, et que David m'eût dit , en voyant
cette musi(|ue , qu'il y avoit des morceaux dignes
du Buononcini.
Cette fois , avant que de mettre la main à l'œu-
vre , je me donnai le temps de méditer mon
plan. Je projetai dans un ballet héroïque trois
sujets différents en trois actes détachés , chacun
dans un différent caractère de musique, et, pre-
nant pour chaque sujet les amours d'un poète,
j'intitulai cet opéra Les Muses galantes. Mon pre-
mier acte, en genre de musique forte, étoit le
Tasse; le second, en genre de musique tendre,
étoit Ovide; le troisième, ïwùx.wXv A jiacréon .,
devoit respirer la gaieté du dithyrambe. Je m'es-
sayai d'abord sur le premier acte, et je m'y li-
vrai avec une ardeur qui , pour la première fois,
me fit goûter les délices de la verve dans la com
position. Un soir , près d'entrer à l'opéra , me
sentant tourmenté, maîtrisé par mes idées, je
remets mon argent dans ma poche , je cours
m'enfermer chez moi, je me mets au lit, après
avoir bien fermé tous mes rideaux pour empê-
cher le jour d'y pénétrer; et là, me livrant à
tout l'œstre poéti(|ue et musical , je composai
32 LES CONFESSIONS.
rapidement en sept ou huit heures la meilleure
partie de mon acte. Je puis dire que mes amours
pour la princesse de ierrare (car j'étois le Tasse
pour lors ) , et mes nobles et liers sentiments vis-
à-vis de son injuste frère, me donnèrent une
nuit cent fois plus délicieuse que je ne l'aurois
trouvée dans les bras de la première beauté de
Tuniveis. Il ne resta le matin dans ma tête qii une
bien petite partie de ce que j'avois fait ; mais ce
peu , presque effacé par la lassitude et le som-
meil , ne laissoit pas de mar(pier encore l'éner-
gie des morceaux dont il oHroit les débris.
Pour cette fois, je ne poussai pas fort loin ce
travail , en ayant été détourné par d'autres af-
faires. Tandis que je m attacliois à la maison
Dupin , madame de Beuzenval et madame de
Broglie , que je continuai de voir quelquefois,
ne m'avoient pas oublié. M, le comte de Mon-
taigu , capitaine aux gardes, venoit d'être nom-
mé ambassadeur à Venise, G étoit un and)assa-
deur de la façon de Barjac , auquel il faisoit très
assidûment la cour. Son frère le chevaUer de
IVIontaigu , gentilhomme de la manch(> i\c mon-
seigneur le Dauphin , étoit de la connoissance
de ces deux dames , et de celle de l'abbé Alary de
l'aradiMnie IVaiicoise , «juc je vovois aussi quel-
quefois. Madnnu^ de Hroglie, sachant (|ue le nou-
vel ambassadeur cherchoit un secrétaire , me
proposa. Nous entrâmes en pourparicr. .h' de-
mandois cinfiuinite louis d'apppointcnicnt , ce
qui éioii Jjicn peu dans une place ou Ion est
PARTIE II, LIVRE VII. 33
t)bli[;é de figuier. Il ne vouloit nie donner que
cent pistoles , et que je fisse le voyage à mes frais,
La proposition étoit ridicule. Nous ne pûmes
nous accorder. M. de Francueil , qui faisoit tous
ses efforts pour me retenir, lemporta. .le restai,
et M. de Montaigu partit , emmenant un autre
secrétaire , nommé M. Follau , qu'on lui avoit
donné au bureau des affaires étrangères. A peine
furent-ils arrivés à Venise qu'ils se brouillèrent.
Follau , voyant qu'il avoit affaire à un fou , le
planta là ; et M. de Montaigu , n'ayant qu'un
petit abbé , appelé de Binis , qui écrivoit sous le
secrétaire et n'étoit pas en état d'en remplir la
place , eut recours à moi. Le chevalier son frère,
homme d'esprit , me tourna si bien , me faisant
entendre qu'il y avoit des droits attachés à la
place du secrétaire, qu'il me fit accepter les mille
francs. J'eus vingt louis pour mon voyage , et je
partis.
A Lyon j'aurois bien voulu prendre la route
du Mont-Genis pour voir en passant ma pauvre
maman ; mais je descendis le Rhône, et fus m'em.-
barqucr à Toulon pour (rênes, tant par raison
d'économie, que pour prendre un passe-port de
M. de Mirepoix qui commandoit alors en Pro-
vence, et à qui j'étois adressé. M. de Montaigu,
ne pouvant se passer de moi, m'écrivoit lettre
sur lettre pour presser mon voyage. Un Inci-
dent le retartla.
C'étoit le temps de la peste de Messine. La
flotte angloise y avoit mouillé, et visita lu le-
'4. 3
34 LES COJSFESSIONS.
loiique sur laquello j etois. Cela nous assujettit,
en arrivant à (Jéncs après une lonfjue et fati-
gante traversée, à une quarantaine de vin{;t-un
jours. On donna le choix aux passaj>ers de la
faire à l)ord , ou au lazaret, dans lequel on nous
prévint que nous ne trouverions que les quatre
murs, parccqu on n'avoit pas encore eu le temps
de le meubler. Tous choisirent la felou(jue. I/in-
supportahle chaleur, lespace étroit, limpossi-
l)ilité d'y marcher, la vermine, me firent préfé-
rer le lazaret , à tout risque. Je fus conduit dans
un grand hâtinient à deux ('tapes ahsohunent
iiu, oi-i je ne trouvai ni ienêtre, ni lit , ni table,
ni chaise , pas même un escabeau pour m'as-
seoir, ni une botte de paille pour me coucher.
On m'apporta inon manteau, mon sac de nuit,
mes deux malles ; on ferma sur moi de grosses
portes^ grosses serrures, et je restai là, maître
de me promener à mon aise de chaud )re eu
chambre et d étage en étage, trouvant par-tout
la même solitude et la même nudité.
Tout cela ne me fit pas repentir d'avoir choisi
le lazaret plutôt (jue la felou(pu\ et , comme un
autre liobinsou, je me mis à m arranger pour
mes vingt-un jours comme j'aurois pu faire pour
toute ma vie. J eus d'abord l'amusement d'aller
à la (basse aux poux que j'avois gagnés dans la
feloiVpie. Quand, a force de (lianj'/r de linge
et de bardes, je me fus ciiliii rendu nel , je pro-
cédai à ranu'ublement de la chand)re que je
m'étois choisie. Je me fis un bon matelas de mes
PARTIE II, LIVRE VII. 35
vestes et de mes chemises , des draps de plu-
sieurs serviettes que je cousis, une couverture
de ma robe-de-chambre , un oreiller de mon
manteau. Je me fis un siège d'une malle posée à
plat, et une table d'une autye que je mis de
champ. Je tirai du papier, une écritoire; j'ar-
rangeai en manière de bibliothèque une dou-
zaine de livres que j'avois. Bref, je m'accommo-
dai si bien, quà 1 exception des rideaux et des
fenêtres, j'étois presque aussi commodément à
ce lazaret qu'à mon jeu de paume de la rue Ver-
delet; Mes repas étoient servis avec beaucoup
de pompe- deux grenadiers, la baïonnette au
bout du fusil , les escortoient : l'escalier étoit
ma salle à manger, le haut du palier me servoit
de table , la marche inférieure me servoit de
siège; et, quand mon dîné étoit servi, l'on son-
noit en se retirant une clochette pour m'avertir
de me mettre à table. Entre mes repas , quand
je ne lisois ni n'écrivois , ou que je ne travaillois
|)as à mon ameublement, j'allois me promener
dans le cimetière des protestants , qui me ser-
voit de cour, ou je montois dans une lanterne
qui donnoit sur le port, et d'où je pouvois voir
entrer et sortir les navires. Je passai de la sorte
quatorze jours ; et j'y aurois passé la vingtaine
entière sans m'cnnuyer un moment , si M. de
Jonville, envoyé de France , à qui je fis parvenir
une lettre vinaigrée, parfumée, et demi brûlée,
n'eût fait abréger mon temps de huit jours: je
Jcs allai passer chez lui et je me trouvai mieux,
36 LES CONFESSIONS,
je l'avoue , d\\ pîte tic sa maison que de celui du
la/ai et. 11 me lit force caresses. Dupont, son se-
crétaire, étoit un bon garçon, <jui me mena,
tant à Gênes qu'à la campagne, dans plusieurs
maisons où Ion s'amusoit assez; et je liai avec
lui connoissance et correspondance, (jue nous
entretînmes fort long-temps. Je poursuivis agrêa-
})lement ma route à travers la liOmbardie; je
vis Milan, V^érone, Bresse, Padoue; et j arrivai
enfin à Venise impatiemment attendu par mon-
sieur l'ambassadeur.
.le trouvai des tas de dépêclies tant de la cour
que des autres ambassadeurs, dont il n'a voit pu
lire ce qui étoit chiffré , quoiqu'il eût tous les
chiffres nécessaires pour cela, N'ayant jamais
travaillé dans aucun bureau, ni vu de ma vie
lin chiflic de ministre, je craignis d abord d'ê-
tre embarrassé. Mais- je trouvai que rien n'étoit
plus simple: et, en moins de huit jours, jeus
déchiffré le tout, qui assurément n'en valoit pas
la peine; car, outre que 1 ambassade de Venise
■est toujours assez oisive, ce n'étoit pas à ce pau-
vre homme qu'on eût voulu confier la moindre
négociation. Il s'étoit trouvé dansim jpand em-
barras jus(pi'à mon arrivée, ne sachant ni dic-
ter, ni écrire lisiblement, .le lui étois très mile;
il le sentit, et me traita bien. \\\ auti-e motif
l'y portoit encore. J)oj)uis M. de TrouJav, son
prédécesseur, dont la tête s'étoit dérangée, le
consid de France, appelé M. liC lilond , étoit
resté chargé des affairco de rand)assade; et , de-
PARTIE II, LIVRE VII. 87
puis Farrivée de M. de Montaigu, il continuoit
do les faire jusqu'à ce qu il rjcût mis au fait. M. de
Montaigu, jaloux qu'un autre fit son métier,
quoique lui-même n'y entendît rien , prit en
guignon le consul; et , sitôt que je fus arrivé , il
lui ôta les fonctions de secrétaire d'ambassade
pour me les donner. Elles étoient inséparables
du titre; il me dit de le prendre. Tant que je
restai près de lui, jamais il n'envoya que moi
sous ce titre au sénat et cliez son confèrent ; et,
dans le fond , il étoit fort naturel qu'il aimât
mieux avoir pour secrétaire d'ambassade un
homme à lui qu'un consul ou un commis des
bureaux nommé par la cour.
Gela rendit ma situation assez agréable, et
empêcha ses gentilshommes qui étoient Italiens,
ainsi que ses pages et la plupart de ses gens , de
me disputer la primauté dans sa maison. Je me
servis avec succès de l'autorité qui y étoit atta-
chée pour maintenir son droit de liste, c'est-à^
dire la franchise de son quartier, contre les ten-
tatives qu'on fit plusieurs fois pour l'enfreindre,
et auxquelles ses officiers vénitiens n'avoient
garde de résister. Mais aussi je ne souffris jamais
qu'il s'y réfugiât des bandits , quoiqu'il m'en eût
pu revenir des avantages dont son excellence
n'auroit pas dédaigné sa part. Elle osa même la
réclamer sur les droits du secrétariat, qu'on ap-
peloit la chancellerie. On étoit en guerre ; il ne
laissoit pas d'y avoir bien des expéditions de
passe-ports. Chacun de ces passo-ports payoit
38 LES CONFESSIONS,
un sequin au secrétaire qui rexpédioit et le con*
tre-sig^noit. Tous rne.^ prédécesseurs s'étoieut fait
payer indistinctement ce sequin tant des Fran-
çois que des étranf^ers. Sans être François , je
trouvai cet usage injuste, et je Tabroj^eai pour
les François : mais j'exigeai si n^Toureusement
mon droit de tout autre, que le marquis Scotti,
frère du favori de la reine d'Espagne, m ayant
fait demander un passe-port sans in'envover le
sequin, 'je le lui fis demantler, hardiesse que le
vindicatif Italien n'oublia pas. Dès qu'on sut la
réforme que j'avois faite dans la taxe des passe-
ports, il ne se présenta plus pour en avoir que
des foules de prétendus l'rancoi.s, qui^ dans des
baragouins abominables , se disoient, l'un Pro-
vençal, l'autre Picard, l'autre Bourguignon. Com-
me j ai l'oreille assez fine, je n'en fus guère la
dupe; et je doute qu'un seul Italien m'ait souf-
flé mon sequin. J'eus la bêtise de dire à M. de
•IMontaigu, qui ne savoit rien de rien, ce que j'a-
vois fait. Ce mot de sequin lui fit ouvrir les
oreilles; et, sans me dire son avis sur la sup-
pression de ceux des François, il prétendit (pie
j'entrasse en compte avec lui sur les autics, me
promettant des avantages é([uivalents. Plus in-
digné de cette bassesse qu'affecté par mon inté-
rêt, je rejetai hautement sa proposition ; il in-
sista, je m'échauffai. \on, monsieui-, lui dis-je
tïès vivenuMit , (pie votre «'xcellence garde ce (pii
est à elle, et me laisse ce cpii est à moi; je ne
lui en céderai jamais un sou. Voyant qu il ne
PARTIE II, LIVRE VII. 89
gagneroit rien par cette voie , il en prit une au-
tre , et n'eut pas honte de nie dire que, puisque
j'avois les profits de sa chancellerie , il étoit juste
que j'en fisse les frais. Je ne voulus pas chicaner
sur cet article ; et depuis lors j'ai fourni de mon
argent encre, papier, cire, bougie, nonipareille,
et tout le reste, sans qu'il m'en ait jamais rem-
boursé un liard. Gela ne m'empêcha pas de faire
une petite part du produit des passe-ports à
l'abbé de Binis, bon garçon, et bien éloigné de
prétendre à rien de semblable. S'il étoit com-
plaisant envers moi, je n'étois pas moins hon-
nête envers lui, et nous avons toujours bien vécu
ensemble.
Sur l'essai de ma besogne, je la trouvai moins
embarrassante que je n'a vois craint pour un
homme sans expérience , auprès d un ambassa-
deur qui n'en avoit pas davantage , et dont ,
pour surcroît , l'ignorance et l'entêtement con-
trarioient comme à plaisir tout ce que le bon
sens et quelques lumières m'inspirbient de bien
pour son service et celui du roi. Ce qu il fit de
plus raisonnable fut de se lier avec le marquis
Mari , ambassadeur d Espagne , homme adioit
et fin , qui l'eût mené par le nez s'il eût vou-
lu , mais qui, vu l'union d'intérêt des deux cou-
ronnes , le conseilloit assez bien , si l'autre n'eût
gâté ses conseils en fourrant toujours du sien
dans leur exécution. La seule chose qu'ils eus-
sent à faire de concert étoit d'engager les Véni
tiens à maintenir la neutralité. Ceux-ci ne maii-
io LES CONFESSIO^'S.
quoient pas de ])i otostcr fie leur fidélité à 1 oh-
server , tandis qu ils fournissoienl pid)li(jiienient
des munitions aux. troupes autrichiennes et
même des recrues, sous prétexte de désertion.
M de Montaifju , qui, je crois, vouloit plaire
à la répuhlique, ne manquoit pas aussi, mal-
gré mes représentations, de me faire assurer,
dans toutes ses dépêches, qu'elle n'enfreindroit
jamais la neutralité. L'entêtement et la stupi-
dité de ce pauvre homme me faisoient écrire et
faire à tout moment«des extravafjances dont j'c-
tois hien forcé d être laj^ont, puisqu'il le voidoit,
mais qui ine rendoient quehpiclois mon métier
insupportable et même presque inq^raticahle. H
vouloit absolument (jue la plus grande partie
de sa dépêche au roi et de celle au ministre fût
en chiffres, quoique lune et lautre ne contînt
absolument rien qui demandât cette précaution.
Je lui représentai (pi entre le vendredi, (ju arri-
voient les dcpêclies de la cour, et le samedi
que partoient les nôtres , il n'y avoit pas assez
de temps pour l'employer à tant de chiffres et
à la forte correspondance dont j étois charge
par le même courrier. 11 trouva à cela un expé-
dient admirable; ce fut de faire dès le jeudi la
réponse aux dépêches qui dévoient arriver le
len<lemain. Cette idée lui parut si heureusement
trouvée, que, (pioi que je pusse lui dire siu'
l'impossibilité, sur l'absurdité de son exécution,
il en fallut passer par-là, et , tout le tenq)s que
j'ai demeuré cbez lui , après avoir tenu note de
PARTIE II, LIVRE VII. 4'
quelques mots qu'il me disoit dans la semaine
à la volée , et de quelques nouvelles triviales
que j allois écumant par-ci par-là , muni de ces
uniques matériaux, je ne manquois jamais le
jeudi matin de lui porter le brouillon des de-
pêches qui dévoient partir le samedi , sauf quel-
ques additions ou corrections à faire sur celles
qui dévoient venir le vendredi, et auxquelles les
nôtres servoient de réponses. Il avoit un autre
tic fort plaisant , et qui donnoit à sa corres-
pondance un ridicule difficile à imaginer ; c'étoit
de renvoyer cliafjue nouvelle à sa source , au
lieu de lui faire suivre son cours. Il marquoit
à M. Amelot les nouvelles de la cour, à M. de
Maurepas celles de Paris, à M. d'Havrincourt
celles de Suéde , à M. de La Cliétardie celles de
Pétersbourg , et quelquefois à chacun celles qui
venoient de lui-même , en termes un peu dif-
férents. Comme de tout ce que je lui portois
à signer il ne parcouroit que les dépêches de la
cour , et signoit celles pour les autres ambassa-
deurs sans les lire, cela me rendoit un peu plus
le maître de tourner ces dernières à ma mode,
et j'y fis au moins croiser les nouvelles. Mais il
me fut impossible de donner un tour raison-
nable aux dépêches essentielles; heureux encore
quand il ne s'avisoit pas d'y larder impromptu
quelques lignes de son estoc , qui me forroient
de retourner transcrire en hâte toute la dépêche
ornée de cette nouvelle impertinence, à laquelle
il Calloit donner Ihonneur du chiffre , sans quoi
42 LES CONFESSIONS,
il ne l'auFoit pas siyucc. Je fus tenté vingt fois ,
pour l'amour de sa gloire, de chiffrer autre chose
que ce quil avoit dit; mais , sentant que rien ne
pouvoit autoriser une pareille infidélité, je le
laissai délirer à ses ris([ucs, content de lui par-
ler avec franchise, et de remplir aux miens mon
devoir auprès de lui.
C est ce que je fis toujours avec une droiture ,
un zélé et un courage qui méritoient de sa part
une autre récompense que celle que j'en reçus
à la fin. Il étoit temps que je fusse une fois ce
que le ciel , qui m'avoit doué d un heureux na-
turel , ce que l'éducation que javois recrue de la
meilleure des femmes , ce (jue celle que je m'é-
tois donnée à moi-même, m'avoit fait être, et
je le fus. Livré à moi seul , sans ami, sans con-
seil, sans expérience, en pays étranger, servant
nne nation étrangère, au milieu d'une foule de
fripons qui , pour leur intérêt et pour écarter le
scandale du hon cxtMupIc, me tcntoient de les
imiter; loin d en rien faire, je servis hien la Fran-
ce, à qui je ne dcvois rien, et mieux fambassa-
deur, comme il étoit juste, en tout ce qui dé-
pendit de moi. Irréprochable dans un poste
asse? en vue, je méritai, j'obtins l'estime de la
Tépul)li(jnc, celle de tous \cs and)assadeurs avec
qui nous étions en correspondance , < t laffec-
tion de tous les François établis à Venise, sans
en excepter le consid même, que je supplantois
à regret dans des fonctions «jue je savois lui être
PARTIE II, LIVRE VII. /^3
dues, et qui me donnoient plus d'embarras que
de plaisir.
M. de Montaigu, livré totalement au marquis
Mari, qui n'entroit pas dans le détail de ses de-
voirs, les négligeoit à tel point que, sans moi, les
François qui étoient à Venise ne se seroient pas
aperçus qu'il y eût un ambassadeur de leur na-
tion. Toujours éeonduits, sans qu'il voulût les
entendre, lorsqu'ils avoient besoin de sa pro-
tection, ils se rebutèrent , et l'on n'en voyoit plus «
aucun, ni à sa suite ni à sa table, où il ne les
invita jamais. Je fis souvent de mon cbef ce
qu'il auroit dû faire : je rendis aux François qui
avoient recours à lui ou à moi tous les services
qui étoient en mon pouvoir. En tout autre pays
j'aurois fait davantage; mais ne pouvant voir
personne en place, à cause de la mienne, j'étois
forcé de recourir souvent au consul, et le con-
sul, établi dans le pays où il avoit sa famille,
avoit des ménagements à garder, qui l'empc-
cboient de faire ce qu'il auroit voulu. Quelque-
fois , cependant , le voyant mollir et n'oser parler,
je m'aventurois à des démarcbes basardcuses ,
dont plusieurs m'ont réussi. Je m'en rappelle une
dont le souvenir me fait encore rire. On ne se
douterôit guère r|ue c'est à moi que les amateurs
du spectacle à Paris ont dû Coralline et sa sœur
Camille : rien cependant n'est plus vrai. Véro-
nèse, leur père, s'étoit engagé pour la troupe
italienne, et, après avoir reçu deux mille francs
44 I-ES CONFESSIONS.
pour son voya{]c, au lieu de partir, il s'cloit
tranquillement mis à Venise au théâtre de Saint-
Luc (i), où Goralline, tout enfant quelle étoit
encore, attiroit beaucoup de monde. M. le duc
de Gcsvres, comme premier {jcntiihomuK^ de la
chambre, écrivit à Tambassadeur pour réclamer
le père et la fille. M. de Montai^u me donna la
lettre, et, pour toute instruction, me dit, Voyez
cela. .1 allai chez M. Le Blond le prier de parler
^ au patricien à qui appartenoit le théâtre de
Saint-Luc, et qui étoit, je crois, un Zusliniani,
afin qu il renvoyât Véroncse qui étoit enf;a(ié au
service du roi. Le Blond, qui ne se soucioit pas
trop de la commission, la fit mal. Zustiniani
battit la campaj^nc, et Véronèse ne fut point
renvoyé. J étois pi([ué. L on étoit en carnaval ;
ayant pris la bahutte et le masque , je me fis
mener au palais de Zustiniani. Tous ceux qui
virent entrer ma {^ondoie avec la livrée de lam-
Jjassadeur furc^nt frajipés : Venise navoil |am;iis
vu pareille chose. .1 entre, je me tais annoncer
sous le nom duna siora Maschera. Sitôt (pie je
fus introduit , j otai mon mascpie et je me nom-
mai. Le sénateur pâlit , et resta stupéfait. Mon-
sieur, lui dis-je, c'est à re};ret <pie j inq>ortune
votre Lminenee de ma visite; mais vous avez à
votre théâtre de Saint-Luc un homme nonnné
Véronèse qui est enj^afié au service du roi, et
(i) Je suis en doute si ce n't-toil point Sainf-Sontiicl.
Les noms propres in'éclhTppeni iibsoliiineni.
((Jptic note n'est point ilans \c luiinustrit ;iuto;;r;iplie. )
PARTIE II, LIVRE VU. 45
qu'on vous a fait demancîerinutilemeiU: je viens
le réclamer au nom de sa majesté. Ma courte
harangue fit effet. A peine étois-je parti que mon
homme courut rendre compte de son aventure
aux inquisiteurs détat, qui lui lavèrent la tête.
Véronèse fut congédié dès le jour même. Je lui
fis dire que s il ne partoit dans la huitaine, je le
ferois arrêter, et il partit.
Dans une autre occasion, je tirai de peine un
capitaine de vaisseau marchand, par moi seul
et presque sans le concours de personne. Il s'ap-
peloit le capitaine Olivet de Marseille. Son équi-
page avoit pris quereile avec des Esclavons au
service de la répuhlifjue; il y avoit eu des voies
de fait, et le vaisspau avoit été mis aux arrêts
avec une telle sévérité, que personne, excepté
le seul capitaine , n y pouvoit ahorder ni en sor-
tir sans permission, 11 eut recours à l'amhassa-
<leur , qui fenvoya promener : il fut au consul,
qui lui'dit que ce n etoit pas une affaire de com-
merce , et qu il ne pouvoit s'en mêler ; ne sachant
plus que faire, il revint à moi. Je représentai à
M. de Montaigu quil devoit me permettre de
donner sur cette affaire un mémoire au sénat ,
je ne me yaopelle ])as s'il y consentit et si je pré-
sentai le mémoire; mais je me rappelle bien que
mes démarches n'ahoutissant à rien , et l'em-
bargo durant toujours , je pris un parti qui me
réussit. J'insérai la relatioîi de cette affaire dans
une dépêche à M. de ISiauîcpas , et jius même
assez de peine à faire consentir M. de Montaigu
46 LES CONFESSIONS,
à passer cet article. Je savois que nos dépèches .
sans valoir trop la peine d'ctre ouvertes,! etoient
à Venise. J en avois la preuve dans les articles
quej'en trouvois mot pour mot dans la gazette :
infidélité dont j'avois inutilement porté l'ambas-
sadeur à se plaindre. Mon objet, en parlant de
cette vexation dans la dépêche , étoit de tirer
parti de leur curiosité pour leur faire peur, et
les engagera délivrer le vaisseau; car s'il eût fallu
attendre pour cela la réponse de la cour, le ca--
pitaine étoit ruiné avant qu elle fut venue. Je fis
plus , je me rendis au vaisseau pour interroger
l'équipage. Je pris avec moi l'abbé Patizel , chan-
celier du consulat, qui ne vint qu'à contre-cœur,
tant ces pauvres gens craignt>ient tous de dé-
plaire au sénat. Ne pouvant monter à bord à
cause de la défense , je restai dans ma gondole,
et j'y dressai mon verbal , interrogeant à haute
voix et successiveiTient tous les gens de l'équi-
page , et dirigeant mes questions de manière à
tirer des réponses (pii leur fussent avanta{;eu-
ses. Je voulus engaj'/r l'atizel à faire les inter-
rogations et le verbal lui-même, ce qui en effet
étoit })lus de son métier (pie i\n mien : il n'y
voulut jamais consentir, et ne dit pi^is un seul
mot. Cette démarche, un peu hardie, eut ce-
pendant un heureux succès, et le vaisseau fut
délivré long-temps avant la réponse du minis-
tre. Le capitaine voidut me fair(^ un |)r(''scnt.
iians n\o. lâcher je lui dis, en lui lraj)|)aut sur
Vépaulo : Gapitainç Olivet, crois-tu (jue celui
PARTIE 11, LIVRE VII. 4;
qui ne reçoit pas des François un droit de passe-
port qu'il trouve établi, soit homme à leur ven-
dre la protection du roi ? Il voulut au moins me
donner sur son bord un dîné que j'acceptai , et
où je menai le secrétaire d'ambassade d'Espa-
gne , nommé Garrio , homme de mérite et très
aimable, qu'on a vu depuis secrétaire d'ambas-
sade à Paris et chargé des affaires, avec lequel je
m étois intimement lié à l'exemple de nos am-
bassadeurs.
Heureux si , lorsque je faisois avec le plus par-
fait désintéressement tout le bien que je pouvois
faire , j'avois su mettre assez d'ordre et d'atten-
tion dans tous ces menus détails pour n'en être
pas moi-même la dupe , et servir les autres à
mes dépens ! Mais dans des places comme celle
que j'occupois , où les moindres fautes ne sont
pas sans conséquence, j épuisois toute mon at-
tention pour n en point faire contre mon ser-
vice ; je fus jusqu'à la fin du plus grand ordre
et de la plus grande exactitude dans tout ce
qui regardoit mon devoir essentiel. Hors quel-
ques erreurs qu'une précipitation forcée me fit
faire en chiffrant et dont les commis de M. Ame-
lot se plaignirent une fois, ni l'ambassadeur, ni
persoiiiije, n'eut jamais à me reprocher une seule
négligence dans aucune de mes fonctions : mais
je manquois parfois de mémoire et de soin dans
les affaires particulières dont je me chargeois ;
et l'amour de la justice m'en a toujours fait sup-
porter le préjudice de mon propre mouvement,
48 LES CONFESSIONS,
avant que personne songeât à se plaindre. Je
n'en citerai <[ifuu seul trait, qui se rapporte à
mon départ de Venise , et dont j ai senti le contre-
coup dans la suite à Paris.
Notre cuisinier, appelé Rousselot, avoit ap-
porté de France un ancien billet de deux cents
francs, qu'un pcrruL|uier de ses amis avoit d'un
noble vénitien appelé Zanetto Nani, pour four-
niture de perruques. Rousselot m'apporta ce bil-
let, me priant de tâcbcr d'en tirer quelque cliose
par accommodement. Je savois , il savoit aussi
que l'usaf^fe constant des nobles vénitiens est de
ne jamais payer, de retour dans leur patrie , les
dettes qu'ils ont contractées en pavs ctran{;er;
quand on les y veut contraindre, ils consument
en tant de lon{>ueuis et de frais le inallieureux
créancier, qu'il se rebute, et bnit par tout aban-
donner ou s accommoder presque pour rien. Je
priai M. Le Blond de parler à Zanetto ; celui-ci
convint du billet, non du paiement. A force de
])atailler il ])romit eidin tiois sequins. Quand Le
Blond lui porta le billet , les trois sequins ne se
trouvèrent pas prêts ; il fallut attendre. Durant
cette attente survint ma querelle avec l'ambas-
sadeur , vt ma sortie de cbe/ lui. Je laissai tous
les papiers de landjassade dans le plus {^rand
ordre, mais le J)illet de Rousselot ne se trouva
point. M. Le Blond m'assura me l'avoir rendu;
je le eounoissois trop bonnète bonime pour en
douter, mais il me fut imjxissible de me rap-
peler ce quétoit devenu ce billet. Comme Za-
PARTIE II, LIVRE VÏI. 4q
nctto avoit avoué la dette , je priai M. I.e Blond
de tâcher d'en tirer les trois sequins, ou de l'en-
gager à renouveler le billet par duplicata. Za-
netto , sachant le billet perdu , ne voulut faire
ni l'un ni l'autre, .l'oiïris à Rousselot les trois
sequins de ma bourse, pour l'acquit du billet.
Il les refusa, et nie dit que je ni'accomnioderois
à Paris avec le créancier , dont il nie donna
l'adresse. Le perruquier, sachant ce qui sétoit
passé , voulur son billet , ou son argent en en-
tier. Que n'aurois-je point donné dans mon in-
dignation pour retrouver ce maudit billet ! Je
payai les deux cents francs , et cela dans ma
plus grande détresse. Voilà comment la perte
du billet valut au créancier le paiement de la
somme entière, tandis que, si malheureusement
pour lui ce billet se fût retrouvé , il en auroit
difficilement tiré les dix écus promis par son
excellence Zanctto Nani.
Le talent que je crus me sentir pour mon
emploi me le fit remplir avec goût ; et, hors la
Société de mon ami de Carrio , du vertueux Al-
tuna, dont j'aurai bientôt à parler, hors les
récréations bien innocentes de la place Saint-
Marc , du spectacle , et de quelques visites que
nous faisions toujours ensemble , je fis mes seuls
plaisirs de mes devoirs. Quoique mon travai
ne fût pas fort pénible , sur-tout avec l'aide de
Va])bé de Binis , comme la correspondance étoit
très étendue , et que nous étions en temps de
guerre, je ne laissois pas d'être occupé raison-
'4- 4
5o LES CONFESSIONS,
nablcment. Je travaillois tous les jours une bonne
partie de la matinée, et , les jours de courrier,
quelquefois jusqu'à minuit. Je consacrois le reste
du tcixips à Tétude du métier que je commen-
çQkis, et dans lequel je comptois bien, parle
succès de mon début , être employé plus avan-
tageusement dans la suite. En effet , il n'y avoit
qu'une voix sur mon compte, à commencer par
celle de lambassadeur, qui se louoit bautement
de mon service, qui ne s'en est jamais plaint,
et dont toute la fureur ne vint dans la suite que
de ce que , m'étant plaint inutilement moi-
même , je voulus avoir enfin mon congé. Les
ambassadeurs et ministres du roi , avec qui nous
étions en correspondance, lui faisoient, sur le
mérite de son secrétaire , des compliments qui
dévoient le flatter, et qui, dans sa mauvaise
tête , produisirent un effet tout différent. Il en
reçut un sur-tout , dans une circonstance essen-
tielle, qu'il ne m'a jamais pardonné. Ceci vaut
la peine d'être expliqué.
Il pouvoit si peu se gêner , que , le samedi
même, jour de presque tous les courriers , il ne
pouvoit attendre pour sortir que le travail fût
acbevé , et , me talonnant sans cesse pour expé-
dier les dépêcbes du roi et des ministres , il
signoit en bâte, et puis couroit je ne sais où,
laissant la plupart des autres lettres sans signa-
ture, ce qui me forçoit , quand ce n'étoit que
des nouvelles, de les tourner en bulletins; mais
lorscpiil sagissoit d'affaires qui rcgardoient le
PARTIE lî, LIVRE VIT. 5i
service du roi , il falloit bien que quelqu'un
signât , et je signois. J'en usai ainsi pour un
avis important que nous venions de recevoir de
M. Vincent , chargé des affaires du roi à Vienne.
C'ctoit dans le temps que le prince deLobkowitz
lîiarchoit à Naples , et que le comte de Gages fit
cette mémorable retraite, la plus belle manœuvre
de guerre de tout le siècle, et dont l'Europe a
trop peu parlé. L'avis portoit qu'un homme ,
dont M. Vincent nous envoyoit le signalement,
partoit de Vienne et devoit passer à Venise ,
allant furtivement dans l'Abruzze , chargé d'y
faire soulever le peuple à l'approche des Autri-
chiens. En l'absence du comte de Montaigu ,,
qui ne s'intéressoit à rien, je fis passer à M. le
manjuis de l'Hôpital cet avis si à propos que
c'est peut-être à ce pauvre Jean- Jacques , si ba-
foué , que la maison de Bourbon doit la conser-
vation du royaume de Naples
Le marquis de l'Hôpital, en remerciant son
collègue, comme il éloit juste , lui parla de son
secrétaire et du service qu'il venoit de rendre à
la cause commune. Le comte de Montaigu, qui
avoit à se reprocher sa négligence dans cette af-
faire , crut voir aussi dans ce compliment un
reproche , et m'en parla avec humeur. J'avois
été dans le cas d'en user avec le comte de Cas-
tellane, ambassadeur à Constantinople, comme
avec le marquis dcriiôpital , quoique en choses
moins importantes. Gomme il n'y avoit point
d'autre poste pour Gonstantinople que les cour-
4-
52 LES COÎÎFESSIONS.
riers que le sénat envoyoit de temps en temps
à son baylc , on donnoit avis du départ de ces
courriers à Tanibassadeur de France, pour qu'il
pût écrire par cette voie à son coll(f;uc, s'il le
jugeoit à propos. Cet avis venoit d'ordinaire un
jour ou deux à l'avance : mais on faisoit si peu
de cas de M. de Montaigu qu'on se contentoit
d envoyer chez lui, pour la forme, une heure
ou deux avant le départ du courrier ; ce qui me
mit plusieurs fois dans la nécessité de faire la
dépêche en son absence. M. de Castellane , en
y répondant , faisoit mention de moi en termes
honnêtes ; autant en faisoit à Gènes M. de Jon-
ville : autant de nouveaux griefs.
J'avoue que je ne fuyois pas loccasion de me
faire connoître ; mais je ne la cherchois pas non
plus hors de propos, et il me paroissoit fort
juste, en servant bien , -d'aspirer au prix naturel
des bons services, fjui est lestime de ceux (pii
sont en état d en juger et de les réconq)enser. Je
ne dirai pas si mon exactitude à remplir mes
fonctions étoit , de la part de l'aml:assadeur, un
légitime sujet de plainte, mais je dirai l)i( ii (jue
cest le seul <juii ait articulé jus'juau jour de
notre séparation.
Sa maison, qu'il n'avoit jamais n»ise sur un
trop bon pied, se renq)lis,s<)it de canaille: les
François y étoient mal traitts, les Italiens y
prenoient l'ascendant ; et ,»mêni(' parmi eux , les
Lons serviteurs attaches depuis loMg-t(inps à
l'ambassade furent tous maJLlionnêtenient chas-
PARTIE II, LIVRE VII. 53
ses; entre autres, son premier gentilhomme,
qui lavoit été du comte de Froulay , et ([u'on
appeloit , je crois , le comte Piati , ou d'un nom
très approchant. Le second gentilhomme, du
choix de M. de Montaigu , étoit un bandit de
INIantoue appelé Dominique Yitali, à qui l'am-
bassadeur confia le soin de sa maison , et qui ,
à force de patelinage et de basse lésine , obtint
sa confiance et devint son favori au grand pré-
judice du peu d'honnêtes gens qui y étoient en-
core , et du secrétaire qui étoit à leur tête. L'œil
intègre d'un honnête homme est toujours in-
quiétant pour les fripons. Il n'en auroit pas
fallu davantage pour que celui-ci me prît en
haine ; mais cette haine avoit une autre cause
encore qui la rendit bien plus cruelle. Il faut
dire cette cause, afin qu'on me condamne si
j'avois tort.
L'ambassadeur avoit , selon l'usage, une loge
à chacun des cinq spectacles. Tous les jours à
dîner il nommoit le théâtre où il vouloit aller ce
jour-là; je choisissois après lui, et les gentils-
hommes disposoient des autres loges. Je prenois,
en sortant, la clef de celle que j'avois choisie.
Un jour Vitali qui tenoit les clefs n'étant pas là ,
je chargeai le valet de pied qui me servoit de
m'apporter la mienne dans une maison que je
lui indicjuai. Vitali, au lieu de m'envoycr ma
clef, dit qu'il en avoit disposé, .l'étois d'autant
plus outré que le valet-de-picd m'avoit rendu
compte de ma commission devant tout le mon-
54 LES CONFESSIOÎ^ÎS.
de. Le soir, Vitali voulut me dire quelques mots
d'excuse que je ne reçus point. Demain, mon-
sieur, vous viendrez, lui dis-jc, me les faire à
telle heure dans la maison oùjai reçu l'affront^
et devant les gens qui en ont été témoins , ou
après demain , quoi quil arrive, je vous déclare
que vous ou moi sortirons d'ici. Ce ton décidé
lui en imposa. Il vint au lieu et à l'heure me
faire des excuses puhliques avec une bassesse
difyne de lui : mais il prit à loisir ses mesures ; et ,
tout en me faisant de (grandes courbettes , il
travailla tellement à l'italienne , que , ne pou-
vant porter l'ambassadeur à me donner mon
confié, il me mit dans la nécessité de le prendre.
Un pareil misérable n'étoit assurément pas
fait pour me connoître, mais il connoissoit de
moi ce qui servoit à ses vues. Il me connoissoit
bon et doux à l'excès pour snpporti'r des torts
involontaires , fier et peu endurant pour des
offenses préméditées, aimant la décence et la
difjnité dans les choses convenables , et non
moins cxi(jeant pour Ihonneur qui m'étoit dû
qu'attentif à rendre celui que je tlevois aux au-
tres. C'est par-là (ju'il entreprit et vint à bout
de me rebuter. Il mit la maison sens-dessus-
dessous, il en ôta ce que j'avois tâché d'y mainte-
nir de régie , de subordination , de propreté ,
d'ordre. Une maison sans fiMiime a besoin d une
discipline un peu sévère poiu- y (aire régner la
modestie inséparable de la dignité. Il Ht bientôt
de la nôtre un lieu de crapule et de licence , un
PARTIE II, LIVRE Vit. 55
repaire de fripons et de débauchés. Il donna pour
second gentilhomme à son excellence , à la place
de celui qu'il avoit fait chasser, un autre maque-
reau comme lui , qui tenoit bordel public à la
croix de Malte ; et ces deux coquins bien d'accord
ctoient d'une indécence égale à leur insolence.
Hors la seule chambre de l'ambassadeur , qui
même n'étoit pas trop en règle, il n'y avoit pas
un seul coin dans la maison souffrable pour un
honnête homme.
Gomme son excellence ne soupoit pas, nous
avions le soir, les gentilshommes et moi , une
table particulière oii mangeoient aussi labbé de
Binis et les pages. Dans la plus vilaine gargotte
on est servi plus proprement, plus décemment ,
en linge moins sale , et l'on a mieux à manger.
On nous donnoit une seule petite chandelle bien
noire, des assiettes d'étain, des fourchettes de fer.
Passe encore pour ce qui se faisoit en secret ;
mais on m'ôta ma gondole : seid de tous les se-
crétaires d'ambassadeurs , j'étois forcé d'en louer
une ou d'aller à pied ; et je n'avois plus la livrée
de son excellence que quand j'allois au sénat.
D'ailleurs rien de ce qui se passoit au dedans
n'étoit ignoré dans la ville. Tous les officiers de
l'ambassadeur en jetoient les hauts cris. Domi-
nicjue, la seule cause de tout, crioit le plus
haut, sachant bien que l'indécence avec laquelle
nous étions traités m'étoit plus sensible qu'à
tous les autres. Seul de la maison je ne disois
rien au dehors , mais je me plaignois vivement
56 LES CONFESSIONS,
à rambassadeiir , et tlii reste, et sur-tout de lui-
inêmo, qui, seerétement excité par son anie
damnée, me faisoit chaque jour quelque nouvel
alfVont. Forcé de dépenser beaucoup pour me
tenir au pair de mes confrères et convenal)le-
mcnt à mon poste, je ne pouvois arracher un
sou de mes appointements; et quattd je lui de-
mandois de Targent . il me parloit de son estime
et de sa confiance , comme si elle eut dii remplir
ma bourse et suffire à tout.
Ces deux coquins finirent par faire tourner
tout-à-fait la tête à leur maitre, (|ui ne lavoit
déjà pas trop bonne, et le ruinoient dans un
brocanta[;e continuel par des marchés de du^^c ,
t[u ils lui persuadoient être des marchés d'escroc.
Ils lui firent louer sur la Brenta un palazzo le
double de sa valeur, dont ils parta^^èrent le sur-
plus avec le propriétaire. Les appartenu'uts en
ctoient incrustés en mosaïque, et garnis de co-
lonnes et de pilastres de très beaux marbres, à
lu mode du pavs. M. de Montnirju fit supcii)e-
ment masquer tout cela d'une boiserie de sapin,
par Tunique raison qu'à l*aris les appartements
sont ainsi boisés. Ce fut par ime raison sembla-
ble que, seul de tous les ambassadeurs (juiétoicnt
à Venise, il ôta lepée à ses pages et la canne à
ses valets de pied. Voilà rpiel étoit J'homme (jui ,
toujours par le même nmtif peut-être, \uc prit
en grippe unicpuMUCut siu- ce «pie je \c scrvois
trop fidèlement.
J endurai patiemment ses dédains, sa brûlai i-
PARTIE II, LIVRE VIT. Sj
té, ses mauvais traitements, tant qu'en y voyant
de riiumcur je crus n'y pas voir de la haine .
mais , dès que je vis le dessein formé de me pri-
ver de l'honneur que je méritois par mon bon
service, je résolus d'y renoncer. La première
marque que je reçus de sa mauvaise volonté fut
à l'occasion d'un dîner qu'il devoit donner à
M. le duc de Modène et à sa famille qui étoient
alors à Venise, et dans lequel il me signifia que
je n'aurois pas place a sa table, .le lui répondis
piqué, mais sans me fâcher, qu ayant l'honneur
d'y dîner journellement , si M. le duc de Modène
cxifjeoit que je m'en absentasse quand il y vien-
droit , il étoit de la di(],nité de son excellence et
de mon devoir de n'y pas consentir. Comment,
me dit-il avec emportement , mon secrétaire ,
qui même n'est pas (j^entilhomme, prétend dîner
avec un souverain quand mes pcntilshommes
n'y dînent pas? Oui, monsieur, lui répliquai-^jc;
le poste dont m'a honoré votre excellence m'en-
noblit si bien , tant que je le remplis , que j'ai
même le pas sur vos gentilshommes soi-disant
tels , et suis admis oîi ils ne peuvent l'être. Vous
u'ionorcz pas que, le jour que vous ferez votre
entrée puhiitjue , je suis appelé par l'étiquette et
par un usage immémorial à vous y suivre en
habit de cérémonie , et à l'honneur d'y dîner
avec vous au palais de Saint-Marc; et je ne vois
pas pourquoi un homme, qui peut et doit man-
ger en puhiic avec le doge et tout le sénat de
Venise , ne poiuroit pas manger en particulier
58 LES CONFESSIONS,
avec M. le duc de INIodciio, Quoique l'arf^ument
fût sans réplique , lamhassadcur ne s y rendit
point : mais nous n eûmes pas occasion de re-
nouveler la dispute, M. le duc de Modène ne-
tant point venu dîner chez lui.
Dès-lors il ne cessa de me donner des dés-
agréments, de me faire des passe-droits , s'effor-
c;ant de m'ôter les petites prérogatives attachées
à mon poste, pour les transmettre à son cher
Vitali , et je suis sûr que s'il eût pu 1 envoyer au
sénat à ma place, il l'auroit fait. Il emplovoit or-
dinairement Tahhé de lîinis pour écrire dans
son cahinet ses lettres particulières : il se servit
de lui pour écrire à INI. de iNlaurcpas une relation
de l'affaire du capitaine Olivet, dans laquelle,
loin de faire aucune mention de nioi, qui seul
m'en étois mêlé, il m'ôtoit même Ihonneur du
verbal , dont il lui envoyoit un double , pour
l'attribuer à Patizel, qui n'avoit pas dit un seul
mot. Il vouloit me morliiicr et conq)hûrc à son
favori , mais non pas se défaire de moi. 11 scn-
toit qu'il ne lui seroit plus aussi aisé de me trou-
ver un successeur cju'à M. Follau , qui l'avoit
déjà fait connoître. Il lui falloit absohmicnt un
secrétaire (|ui sut litalien , à cause des réponses
du sénat; qui fit toutes ses dépêches , toutes ses
affaires, sans ((u'il se mêlât de rien ; qui joijjuit
au mérite de le bien servir la bassesse dètie le
complaisant de messieurs sesfa«piiiis de jjentils-
liomnies. 11 vouloit donc me gartier et me mat-
tcr , en me tenant loin de mon pays et du sien ,
PARTIE II;, LIVRE VII. 5^
sans arf^ent pour y retourner; et il auroit réussi
peut-être , s'il s'y fut pris plus niodcrément :
mais Vitali, qui avoit d'autres vues, et qui vou-
loit me foreer de prendre mon parti, en vint à
bout. Dès que je vis que je perdois toutes mes
peines , que l'ambassadeur me faisoit des crimes
de mes services , au lieu de m'en savoir gré , que
je n'a vois plus à espérer chez lui que désagré-
ment au-dedans , injustice au-dehors , et que
dans le décri général oii il s'étoit mis , ses mau-
vais olfices pouvoient me nuire sans que les
bons pussent me servir, je pris mon parti, et
lui demandai mon congé, lui laissant le temps
de se pourvoir d'un secrétaii e. Sans me dire ni
oui ni non, il alla toujours son train. Voyant
que rien n'alîoit mieux, et qu'il ne se mettoit
en devoir de cîierclier personne , j'écrivis à son
frère; et, lui détaillant mes motifs, je le priois
seulement d'obtenir mon congé de son excel-
lence, ajoutant que, de manière ou d'autre, il
m'étoit impossible de rester. J'attendis long-
temps, et n'eus point de réponse. Je commen-
<jois d'être fort embarrassé : mais l'ambassadeur
reçut enfin une lettre de son frère. Il falloit
qu'elle fût vive ; car, quoiqu'il fût sujet à des em-
portements très féroces, je ne lui en vis de ma
vie un pareil. Après des torrents d'injures abo-
minables , ne sachant plus que dire, il m'accusa
d'avoir vendu ses chiffres. Je me mis à rire, et
lui demandai, d'un ton moqueur, s'il croyoit
qu'il y eût dans tout Venise un homme assez
»
Co LES CONFESSIONS.
sot pour en donner un écu? Cette réponse le fit
écumer de rage. Il Ht mine d'aj^peler ses gens,
pour me faire, dit-il, jeter par la fenêtre. Jusque-
là j'avois été fort tranquille ; mais , à cette me-
nace, la colère et Tindij^^nation me transportè-
rent à mon tour. Je nréjaneai vers la j)orte; et,
après avoir tiré un bouton qui la fermoit en-
dedans, Non pas, M. le comte, lui dis-je en re-
venant à lui fl'un pas grave , vos gens ne se n)ê-
leront pas de cette affaire; trouve/ bon quelle
se passe entre vous et moi. Mon action, mon
air, le calmèrent à l'instant même: la surprise
et l'effroi se marquèrent dans son main lien.
Quand je le vis levenu de sa fuiie, je lui fis mes
adieux en peu de mots ; puis , sans attendre sa
réponse, j'allai rouvrir la porte; je sortis, et
passai posément dans l'anti-ehandire au milieu
de ses gens, qui se levèrent à rordiniiiie, et qui,
je crois, m'auroicnt plutôt prêté main-forte con-
tre lui (ju'à lui contre moi. Sans remonter cliez
moi, je descendis l'escalier tout de suite, et sor-
tis sur-le-champ du palais pour n'y plus rentrer.
J'allai droit chez M. Le Blond lui conter fa-
venture. 11 en fut ])eu surpris, il connoissoit
1 homme. Il m(> retint à dîner. Ce tlîné , ([uoicpie
impromptu, fut brillant: tous les François de
considération qui (loicnl à V( nise s'y trouvè-
rent. Ti'and)assadeui' u eut j)as un chat. fiC con-
sul conta mou cas à la conq>a{;nie. A ce récit,
il n'y eut (pi un cri, «pu' ne fut ])as en faveur de
son excellence. IJle n'avoil point réj;lé mou
PARTIE II, LIVRE VII. 6l
compte, ne ni'avoit pas donné un sou; et, ré-
duit pour toute ressource à quelques louis que
j'avois sur moi , j etois dans l'embarras pour
mon retour. Toutes les bourses me furent ou-
vertes. Je pris une vingtaine de sequins dans
celle de M. Le Blond, autant dans celle de M, de
Saint-Gyr, avec lequel, après lui, j'avois le plus
de liaison; je remerciai tous les autres; et, en
attendant mon départ, j'allai loger chez le chan-
celier du consulat, pour bien prouver au public
que la nation n'étoit pas complice des injus-
tices de l'ambassadeur. Celui-ci , furieux de me
voir fêté dans mon infortune, et lui délaissé,
tout ambassadeur qu'il étoit, perdit tout-à-fait
la tête, et se comporta comme un forcené. Il
s'oublia jusqu'à présenter un mémoire au sénat
pour me faire arrêter. Sur l'avis que m'en donna
l'abbé de Binis, je résolus de rester encore quinze
jours, au lieu de partir le surlendemain comme
j'avois compté. On avoit vu et approuvé ma
conduite ; j'étois universellement estimé. La sei-
gneurie ne daigna pas même répondre au mé-
moire de l'ambassadeur, et me Ht dire par le
consul que je pouvois rester à Venise aussi long-
temps qu'il me plairoit, sans m'inquiéter des
démarches d'un fou. Je continuai de voir mes
amis : j'allai prendre congé de M. l'ambassa-
deur d'Espagne, qui me reçut très bien, et du
comte de Finochictti, ministre de Naples, que
je ne trouvai pas, mais à (|ui j écrivis, et (jui me
répondit la lettre du monde la plus obligeante.
62 LES CONFESSIO>'S.
Je partis enfin, ne laissant, malgré mes embarras,
d'autres dettes que les emprunts dont je viens de
parler, et une cinquantaine d rcus chez nn mar-
chand, nommé Morandi, que Carrio se chargea
de payer, et que je ne lui ai jamais rendus , quoi-
que nous nous soyons souvent revus depuis ce
tenq)s-là: mais, quant aux deux emprunts dont
j'ai parlé, je les remboursai très exactement si-
tôt que la chose me fut possible.
Ne (juittons pas Venise sans dire un mot des
célèbres amusements de cette ville, ou du moins
de la très petite part que j'y pris durant mon sé-
jour. On a vu, dans le cours de ma jeunesse,
combien peu j'ai couru les plaisirs de cet âge,
ou du moins ce qu'on nomme ainsi. Je ne chan-
geai pas de goût à Venise ; mais mes occupa-
tions , qui d'ailleurs m'en auroient empêché ,
rendirent plus piquantes les récréations très sim-
ples que je me permettois. La première et la
pins douce éloit la société des gens de nu'rite,
MM. liC Blond, de Saint-Cyr, Carrio, Altuna,
et un gentillionwne forlan dont j'ai grand regret
d'avoir oublié le nom, et dont je ne me rappelle
point sans émotion l'aimable souvenir: c'éloit ,
de tous l(\s hommes que j'ai connus en ma vie,
celui tlont le cfrur ressembloit le plus au mien.
Nous étions liés aussi avec deux ou trois Anglois
pleins d'esprit et de connoissances, passionnés
«le la musique, ainsi que uous. Tcuis ces mes-
sieurs avoient leurs femmes , <ui leurs amies ,
ou leurs maîtresses; ces dernières presque toutes
PARTIE II, LIVRE VU. 63
filles à talents , chez lesquelles on faisoit de la
musique ou des bals. On y jouoit aussi, mais
très peu; les poûts vifs, les talents, les specta-
cles, nous rendoient cet amusement insipide.
Le jeu n'est que la ressource des gens ennuyés.
J'avois apporté de Paris le préjugé qu'on a dans
ce pays-là contre la musique italienne; mais j'a-
vois aussi reçu de la nature cette sensibilité de
tact contre laquelle les préjugés ne tiennent pas.
J'eus bientôt pour cette musique la passion
qu'elle inspire à ceux qui sont faits pour en ju-
ger. En écoutant des barcarolles, je trouvois
que je n'avois pas ouï chanter jusqu'alors ; et
bientôt je m'engouai tellement de l'opéra , qu'en-
nuyé de babiller, manger, et jouer dans les lo-
^es, quand je n aurois voulu qu écouter, je me
dérobois souvent à la compagnie pour aller d'un
autre côté. Là , tout seul , enfermé dans ma loge,
je me livrois, malgré la longueur extrême du
spectacle , au plaisir d'en jouir à mon aise et
jusqu'à la fin. Un jour, au théâtre de Saint-
Ghrysostôme, je m'endormis, et bien plus pro-
fondément que je n'aurois lait dans mon lit.
Les airs bruyants et brillants ne me réveillèrent
point. Mais qui pourroit exprimer la sensation
délicieuse que me firent la douce harmonie, et
les chants angéliques de celui qui me réveilla!
Quel réveil , quel ravissement , quelle extase ,
quand j'ouvris au même instant les oreilles et
les yeux ! Ma première idée fut de me croire en
paradis. Ce morceau ravissant que je me rap-
64 LES CONFESSIONS.
pelle encore, et que je n'oublierai de ma vie,
coniniençoit ainsi :
Con.ser\'ami la beîla
Che si m'acccutle il cor.
Je voulus avoir ce morceau, je l'eus, et je l'ai
gardé lonfy-temps; mais il n'étoit pas sur mon
papier comme dans ma mémoire. Gétoit bien
la même note , mais ce nëtoit jkis la même
chose. Jamais cet air divin ne peut être exécuté
que dans ma tête comme il le lut en clfet le
jour qu il me réveilla.
Une musique à mon gré bien supérieure à celle
des opéra, et qui n'a pas sa send)lable en Italie,
ni dans le reste du monde, est celle tles scuo/e.
Les scuole sont des maisons de charité établies
pour donner leducation à de jeunes filles sans
bien, et que la républi(jue dote ensuite, soit pour
le mariage , soit poui" le cloître, l'armi les talents
<[u'on cultive dans ces jeunes lilles, la musique
est au premier rang. Tous les dimanches, à lé-
glise de chacune de cescjuatrc scuole ^ on a, du-
rant les vêpres , des motets à grand chour et en
grand orchestre, composés et dirigés par les plus
grands maîtres de 1 Italie, exécutés dans des tri-
bunes grillées , uni([uemcnt par des filles dont
la plus vieille n'a j)as vingt ans. Je n'ai l'idée de
rien d'aussi voUiptucux , d aussi loiuliain (|ii(;
cette nmsique : les licbesses de 1 art, le {;<»ut ex-
quis des chants, la beauté des voix, la justesse
de l'exécution , tout, daus ces délicieux coucerts,
PARTIE II, LIVRE VII. 65
concourt à produire une impression qui n'est as-
surément pas du bon costume, mais dont je
doute qu'aucun cœur d'homme soit à l'abri. Ja-
mais Carrio ni moi ne manquions ces vêpres
aux Mendicanti, et nous n'étions pas les seuls.
L'cg^lisc étoit toujours pleine d'amateurs ; les ac-
teurs même de l'opéra venoient se former au
vrai (Toùt du chant sur ces excellents modèles.
Ce qui me désoloit étoit ces maudites grilles ,
qui ne laissoient passer que des sons , et me ca-
choient les anges de beauté dont ils étoient dignes.
Je ne parlois d autre chose. Un jour que j'en
parloischczM. Le Blond : Si vous êtes si curieux,
me dit -il, de voir ces petites filles, il est aisé
<le vous contenter. Je suis un des administrateurs
de la maison : je veux vous y donner à goûter
avec elles. Je ne le laissai pas en repos qu'il ne
m'eût tenu parole. En entrant dans le salon
qui rcnfermoit ces beautés si convoitées, je sen-
tis un frémissement d'amour que je n'avois ja-
mais éprouvé. M. Le Blond me présenta l'une
après l'autre ces chanteuses célèbres, dont le
nom et la voix étoient tout ce qui m'étoit connu.
Venez , Sophie... elle étoit horrible. Venez, Ga-
tina... elle étoit borgne. Venez, Bettina... la pe-
tite-vérole l'avoit défigurée. Presque pas une
n étoit sans quelque notable défaut. IjC bourreau
rioit de ma cruelle surj)rise. J3eux ou trois , ce-
pendant, me parurent passables : elles ne chan-
toieiît que dans les chœurs. J'étois désolé. Du-
rant le goûté on les agaça- elles s'égayèrent. La
M- 5
66 LES CONFESSIONS.
laideur même n exclut pas les grâces; je leur eu
trouvai. Je me disois : On ne chante pas aiwsi
sans ame; elles en ont. Enfin ma faqon de les
voir chan[}oa si l)ien , qucje sortis presquoamou-
reuxde tous ces laiilerous.J osois à peine retour-
ner à leurs vêpres. J'eus de quoi me rassurer. Je
continuai de trouver leurs chants délicieux , et
leurs voix fardoient si bien leurs visafjes, que,
tant quelles cliantoient, je m'ohstinois , en dé-
pit de mes yeux , à les trouver belles.
La musique en Italie coûte si peu de chose,
que ce n'est pas la peine de s en faire faute (juand
on a du goût pour elle. Je louai un clavecin , et,
pour un petit écu, j'avois chez moi (juatre ou
cinq synk|jlionistes avec lesquels je m'exerçois
une lois la semaine à exécuter les morceaux (jui
m'avoient fait le plus de plaisir à l'Opéra. J'y
fis essayer aussi quelques symphonies de mes
Muses galantes.. Soit «ju'ellcs plussent, ou qu'on
me voulût cajoler, le niaitre des ballets de Saiiit-
Chrysostôme m'en fit demander deux <|ue j eus
le plaisir d'entendre exécuter par cet a(hiiirable
orchestre, et qui furent dansés par une jietitr
Bettina , jolie, et sur-tout iiiniable lillc, entrete-
nue par un Espagnol de nos amis appelé Fa-
goaga, et chez la(|u<'lle nous allions passer la
soirée assez souvent en hiver.
Mais à propos de filles, ce n'est pas dans une
ville coiniue Venise <pi On s'en abstient ; n avez-
vous rien , pourroit-ou me dire, à confesser sur
cet article ;' Oui, j ai (juchpie chose à dire, en
PARTIE II, LIVRE VII. 67
effet, et je vais procéder à cette confession avec
la même naïvetéque j ai mise à toutes les autres.
J'ai toujours eu de l'aversion pour les filles
publiques ,et je navois pas à Venise autre chose
à ma portée , lentrée des bonnes maisons du
pays m'étant interdite à cause de ma place. Les
filles de M. Le Blond étoient aimables, mais d'un
difficile abord , et je considérois trop le père et
la mère pour penser même à les convoiter.
J'aurois eu plus de goût pour une jeune et
belle personne appelée mademoiselle de Gata-
neo , fille de l'agent du roi de Prusse, mais Garrio
étoit amoureux d'elle; il a même été question
de mariage. Il étoit à son aise , et je navois
rien : il avoit cent louis d'appointements, je
navois que cent pistoles , et, outre que je ne
voulois pas aller sur les brisées d'un ami, je sa-
vois que, quand on n'a pas la bourse bien gar-
nie, on ne doit pas se mêler de faire l'amour,
sur-tout à Venise. Je navois pas perdu la triste
habitude de donner le change à mes besoins ;
trop occupé pour sentir bien vivement ceux que
le climat donne , je vécus près d'un an dans
cette ville aussi sage que j'avois fait à Paris , et
j'en repartis au bout de dix-huit mois sans avoir
approché du sexe que deux seules fois , par les
singulières occasions que je vais dire.
La première me fut procurée par l'honnête
gentilhomme Vitali , quel((ue temps après l'ex-
cuse que je l'obligeai de me demander dans tou-
tes les formes. Un soir on parloit à table de»
68 LES COISFESSIOKS.
amusements de Venise. Ces messieurs, me rc
proehant mon indilïérence pour le plus pitjuant
de tous, me vautoient la gentillesse des eourti-
sanes de Venise , et disoient qu'il n'y en avoit
point au monde qui les valussent. Dominicpie
ajouta (|u il ialloit (jue je tisse eonnoissance av<'e
la plus aimable de toutes, qu'il vouloit m\ me
lier, et que j'en serois content. Je me mis à rire
de cette offre ol)li{;eante ; et le comte Piaii ,
déjà vieux et vénérable , dit , avec plus de fran
chise que je n'en aurois attendu d'im Italien ,
qu il me erovoit trop sensé pour me laisser me
lier chez des filles par mon ennemi. Je n en avois
en effet ni l'intention ni la tentation ; et mal(;ré
cela, par ime de ces inconsé(pience.s (juc je ne
comprends pas moi-même, je finis ])ar me lais-
ser entraîner contre mon caur , mon goût , ma
raison , ma volonté même , uniquement par foi-
blesse, par honte de marquer de la défiance, et,
comme on dit dans ce ]>ays-là, pei- non parer
troppo coglione. l^a l'adoana éloit assez bien de
figure, belle même, mais non pas (fuiie l,(-aut(>
qui me plut, Domini([ue nie laissa chez elle; je
fis venir des sorl)etti,je la fis chanter, et au bout
d une demi-heure je voulus m'en îdier en lais-
sant sur la table un durât ; mais elle ( iit le siu-
gidier serupide de n en Aouloir point (juelle ne
1 eût gagné, et moi la singidièie bêtise de lever
son scrupule, .le m en revins si persuadé que j'c-
tois poivré, que la première chose que je fis en
entrant fut d'en\over chercher le chirurgien
PARTIE II, LIVRE VIT. 69
pour lui demander des tisanes. Rien ne peut
é/Taler le malaise d'esprit que j'éprouvai durant
plus de trois semaines , quoique aucune incom-
modité réelle , aucun signe apparent ne l'auto-
risât. Je ne pouvois concevoir qu'on pût sortir
impunément des bras de la Padoana. Le chirur-
gien eut toute la peine imaginable à me rassurer.
Il n'en put venir à bout qu'en me persuadant
que j'étois conformé d'une façon particulière , à
ne pouvoir pas aisément être infecté ; et quoique
je me sois moins exposé peut-être qu'aucun autre
homme à cette expérience , ma santé de ce côté
n'ayant jamais reçu d'atteinte , m'est une preuve
que le chirurgien avoit raison. Cette opinion ne
m'a jamais cependant rendu téméraire ; et si je
tiens en effet cet avantage de la nature^ je puis
dire que je n'en ai pas abusé.
Mon autre aventure , quoique avec une fille
aussi , fut d'une espèce bien différente , et quant
à son origine et quant à ses effets. J'ai dit que le
capitaine Olivet m'avoit donné à diner sur son
bord , et que j'y avois mené le secrétaire d'Espa-
gne. Jem'attendois ausalut du canon. L'équipage
nous reçut en haie; mais il n'y eut pas une amor-
ce brûlée, ce qui me mortida beaucoup à cause
de Carrio , que je vis en être un peu piqué ; et il
ctoit vrai que sur les vaisseaux marchands on
accordoit le salut du canon à des gens qui . par
le rang, ne nous valoient certainement pas:
d'ailleurs je croyois avoir mérité quchjue dis-
tinction du capitaine. Je ne pus me déguiser 1
-^O LES CONFESSIONS.
parceque cela iiiV'st toujours impossible; et,
quoique le dîné fût très bon et qu Olivet en fit
bien les honneurs, je le conimenrai de mau-
vaise hunieur, mangeant peu et parlant encore
moins.
A la première santé du moins jattcndois une
salve : rien. Carrio , qui me lisoit dans lame ,
rioit de me voir grofjner comme un enfant. Au
tiers du dîner je vois approcher inie (jondole.
Ma foi, monsieur, me dit le capitaine, prenez
p,arde à vous, voici Tennemi. Je lui demande ce
<ju il veut dire : il répond en plaisantant. La {gon-
dole aborde, et j en vois sortir une jeune |)er-
sonne éblouissante, fort coquettement mise et
fort leste , qui dans trois sauts fut dans la cliam-
bre, et je la vis établie à côté de moi avant (|uc
) eusse remarqué ([u on y avoit mis un couvert.
Elle étoit aussi charmante que vive, une })ru-
nette de vingt ans au plus. Elle ne parloil (|u i-
talien: son accent seul eût sidïi j)0ur me tour-
nei- la tète. Tout en mangeant , tout en causant ,
elle me regarde , me fixe un moment ; puis s'é-
criant: Bonne Vierge! Ah, mon cher Brémond ,
qu il y a de temps que je ne t ai vu! se jette entre
mes bras , colle sa l»ouclie contie la mienne, et
me serre à m'éloufler. Ses grands \vu\ noirs à
forientale lancoient dans mon cœur des traits
de feu ; et , <pioique la surprise fit d abord (quel-
que diversion , la volupté me gagna très rapide-
ment, au point (pie, malgré les spectateurs, il
fallut bientôt (pie cette belle me contint elle-
PARTIE II, LIVRE VIT. 7I
môme, car jetois ivre ou plutôt furieux. Quand
elle me vit au point où elle me vouloit , elle mit
plus de modération dans ses caresses , mais non
dans sa vivacité ; et quand il lui plut de nous
expliquer la cause vraie ou fausse de toute cette
pétulance , elle nous dit que je ressemblois à s'y
tromper à M. de Brémond, directeur des doua-
nes de Toscane ; qu elle avoit raffolé de ce M. de
Brémond , qu'elle en raffoloit encore ; qu elle
l'avoit quitté parcequ'clle étoitune sotte; quelle
me prenoit à sa place , quelle vouloit m'aimer,
parceque cela lui convenoit ; qu'il falloit par la
même raison que je Taimasse tant que cela lui
conviendroit , et que , quand elle me planteroit
là , je prendrois patience comme avoit fait son
cher Brémond. Ce qui fut dit fut fait. Elle prit
possession de moi comme d\m homme à elle ,
me donnoit à garder ses (ifants , son éventail ,
son cincla , sa coiffe; m'ordonnoit d'aller ici ou
là , de faire ceci ou cela , et j'obéissois. Elle me
dit d'aller renvoyer sa gondole, parccqu'ellc vou-
loit se servir de la mienne , et j'y fus ; elle me dit
de m'ôter de ma place et de prier Carrio de s'y
mettre, parcequ'clle avoit à lui parler, et je le
fis. Ils causèrent très long-temps ensemble et
tout bas , je les laissai faire. Elle m'appela , je re-
vins. Écoute , Zanetto , me dit-elle , je ne veux
point être aimée à la françoise, et même il n'y
feroit pas bon. Au premier moment d ennui ,
va-t en ; mais ne reste pas h demi , je t'en avertis.
Nous allâmes après le dîné voir Ja verrerie à Mu-
73 LES CONFESSIONS,
rano. Elle acheta Ijeaucoup de petites breloque?
qii\ lie nous laissa payer sans f'aeon ; mais elle
donna par-lout des tringueltes beaucoup ])lus
forts que tout ce que nous avions dépensé. Par
rindiflérence avec laquelle elle jetoit son arf^ent
et nous laissoit jeter le nôtre , on voyoit qu il
nV'toit d'aucun prix pour elle. Quand elle se fai-
soit payer, je crois ((ue cétoit par vanité plutôt
que })ar avarice. Elle s'applaudissoit du prix
qu on nicttoit à ses laveurs.
Le soir nous la ramenâmes chez elle. Tout en
causant , je vis deux pistolets sur sa toilette. Ah!
ah! dis-je en en prenant un, voici une hoîte à
mouches de nouvelle lahrique ! pourroit-on sa-
voir ([ucl en est l'usafije? Je vous connois d'au-
tres armes qui font feu mieux que celles-là.
Après quelques plaisanteries sur le même ton ,
elle nous dit avec une naïve lierté, (|ui la ren-
doit encore plus charmante : Quand jai des
])ontés pour des {^ens que je n aime point, je leur
lais payer fennui qu ils me donnent; rien n'est
plus juste: mais en endurant leurs caresses, je
ne veux pas endurer leurs insultes ; et je ne man-
(pierai pas le premier qui me mai)(niera.
[•Ai la (piittaul, j'avois pris son heure j)our le
lendemain. Je ne la fis pas attendre. Je la trou-
vai in vestito di confidenza ^ dans un déshahillé
plus que {galant, ([u'on ne connoît (pie dans les
pays méridiouaux, et que je ne maniuscrai pas
à décrire, quoitjue je me le rappelle dop hien.
.le dirai seulement que ses manchettes et son
PARTIE II, LIVRE VII. 'j3
tour de gorge étoientbordés d'un fil de soie garni
de pompons couleur de rose. Gela nie parut ani-
mer fort une belle peau. Je vis ensuite que c'étoit
la mode à Venise, et l'effet en est si charmant
que je suis surpris que cette mode n'ait jamais
passé en France. Je n'avois point d'idées des vo-
luptés qui m'attendoient. J ai parlé de madame
de Larnage , dans les transports que son souve-
nir me rend quelquefois encore ; mais qu'elle
étoit vieille et laide et froide auprès de ma Zu-
lietta! Ne tâchez pas d'imaginer les charmes et
les grâces de cette fille enchanteresse, vous res-
teriez trop loin de la vérité. Les jeunes vierges
des cloîtres sont moins fraîches, les beautés du
sérail sont moins vives, les houris du paradis
sont moins piquantes. Jamais si douce jouissan-
ce ne s'offrit au cœur et aux sens d'un mortel.
Ah! du moins, si je l'avois su goûter pleine et
entière un seul moment Je la goûtai, mais
sans charmes. J'en émoussai toutes les délices;
je les tuai comme à plaisir. Non, la nature ne
m'a point fait pour jouir. Elle a mis dans ma
mauvaise tête le poison de ce bonheur ineffable
dont elle a mis l'appétit dans mon cœur.
S'il est une circonstance de ma vie qui peigne
bien mon caractère, c'est celle que je vais racon-
ter. I^a force avec laquelle je me rappelle en ce
moment l'objet de mon livre, me fera mépriser
ici la fausse bienséance qui m empêcheroit de le
remplir. Qui que vous soyez, qui voulez con-
noître un homme, osez lire les deux ou trois
74 lES CONFESSIONS.
pajjos qui suivent, vous allez connoitre à plein
J. .1. Rousseau.
J'entrai dans la chaml)re d'une eourtisane
comme dans le sanctuaire de l'amour et de la
beauté; j'en crus voir la divinité dans sa per-
sonne. Je n'aurois jamais cru que sans respect
et sans estime on pût rien sentir de pareil à ce
qu'elle me fit éprouver. A peine eus-je connu
dans les premières familiarités le prix de ses char-
mes et de ses caresses , que , de peur d en perdre
le fruit d'avance, je voulus me^hâter de le cueil-
lir. Tout-à-coup au lieu des flammes qui medé-
voroient , je sens un froid mortel courir dans
mes veines; les jambes me llajjeolent, et, prêt
à me trouver mal , je m'asseye , et je pleure com-
me un enfant.
Qui pourroit deviner la cause de mes larmes,
et ce qui me passoit par la tète en ce moment ?
Je me disois : Cet objet dont je dispose est le chef-
d'œuvre de la nature et de l'amour; l'esprit, le
corps , tout en est parfait ; elle est aussi bonne
et (généreuse quelle est aimable et belle. J^es
fjrands, les princes , devroient être ses esclaves;
les sceplics doNroicnt être à ses pieds. Ce|)en-
dant la voilà, misérable coureuse , livrée au |)ii-
blic ; un capitaine de vaisseau marchand dis-
pose dellc ; elle vient se jeter à ma tête, à moi
quelle sait ((ui nai rien, à moi dont le mérite
quelle ne peut coiinoîlir doit être nul à ses yeux.
Il y a là qu('l((we < ho.^e d inconcevable. Ou mon
cœur me ironq>e, fascine mes sens, et me rend
PARTIE II, LIVRE VII. -jS
la dupe d'une indigne salope ; ou il faut que quel-
que défaut secret que j'ignore détruise Teffet de
ses charmes , et la rende odieuse à ceux qui de-
vroient se la disputer. Je me mis à chercher ce
défaut avec une contention d'esprit singulière ,
et il ne me vint pas même à l'esprit que la
vérole put y avoir part. La fraîcheur de ses
chairs , l'éclat de son coloris , la hlancheur de
ses dents, la douceur de son haleine, l'air de
propreté répandu sur toute sa personne , éloi-
gnoient de moi si parfaitement cette idée , qu'en
doute encore sur mon état depuis laPadoana, je
me faisois plutôt un scrupule de n'être pas assez
sain pour elle , et je suis très persuadé qu'en cela
ma confiance ne me trompoit pas.
Ces réflexions si hien placées m'agitèrent au
point d'en pleurer. Zulietta, pour qui cela fai-
soit sûrement un spectacle tout nouveau dans
la circonstance, fut un moment interdite. Mais
ayant fait un tour de chamhrc et passé devant
son miroir, elle comprit, et mes yeux lui con-
firmèrent , que le dégoût n'avoit point de part
à ce rat. Il ne lui fut pas difficile de m'en guérir
et d'effacer cette petite honte. Mais au moment
que j'étois prêt à me pâmer sur une gorge qui
eemhloit pour la première fois souffrir la hou-
che et la main d'un homme, je m'aperçus quelle
avoit un tetonborgne. .le me frappe, j examine,
je crois voir que ce tcton n'est pas conformé
comme l'autre. Me voilà cherchant dans ma tête
comment on peut avoir un teton borgne, et.
7^ LES CONFESSIONS,
persuadé que cela tenoit à (|uc']<|uc notable vice
naturel, à force de tourner et letouiner cette
idée , je vis clair comme le jour tjue , dans la plus
charmante personne dont je pusse me former
rimai^e, je ne tenois dans mes hras (junne es-
pèce de monstre, le re})ut de la nature, des
hommes et de l'anîour. Je poussai la stirpidité
jusqu'à lui parler de ce teton borjrne. VA\c prit
d'abord la chose en plaisantant, et, dans son
humeur folâtre, dit et Ht des choses à me faire
mourir damour. Mais (i[ardant un fonds (fin-
quiétude que je ne pus lui cacher, je la vis enlin
roufjir, se rajuster, se redresser, et, sans dire
un seul mot, s'aller mettre à sa fenêtre. Je vou-
lus m'y mettre à côté délie; elle s en ota , lut
s'asseoir sur un lit de rejios, se leva le monuMit
d après , et se promenant par la chambre en s è-
ventant, me dit , d'un ton froid et dédai;;neux :
Zanetto, lascia le donne , c studia la mataina-
tica.
Avant de la quitter je lui demandai pour le
lendemain un autre rendez-vous (pi elle remit
au troisième jour, en ajoutant, avec un sourire
ironique , que je devois avoir besoin de repos.
Je passai ce tenq),s mal à mon aise, le cieur plein
de ses charmes e( d<' ses grâces , sentant mon
e.\travaj;anee , me la rej)roehant, re};reitant les
moments si mal enq)lo\( s <ju il n avoit tenu cpi à
moi tic rendre les |)Ius doux de nui vie, atten-
dant avec la plus vi\e impatience celui den ré-
parer la perle, et néanmoins inquiet encore
PARTIE II, LIVRE VII. -^y
malgré que j'en eusse , de concilier les perfec-
tions (le cette atlorahle fille avec Tindignité de
son état. Je courus, je volai chez elle à l'heure
dite. Je ne sais si son tempérament ardent eût
été plus content de cette visite ; son orgueil l'eût
été du moins , et je me faisois d'avance une
jouissance délicieuse de lui montrer de toutes;
manières comment je savois réparer mes torts :
Elle m'épargna cette épreuve. Le gondolier ,
qu'en abordant j'envoyai chez elle, me rapporta
qu elle étoit repartie la veille pour Florence. Si
je n'avois pas senti tout mon amour en la pos^
cédant , je le sentis bien cruellement en la per-
dant. Mon regret insensé ne m'a point quitté.
Tout aimable, toute charmante quelle étoit à
mes yeux , je pouvois me consoler de la perdre ;
mais de quoi je n'ai pu me consoler, je 1 avoue ,
c'est qu'elle n'ait emporté de moi qu'un souvenir
méprisant.
Voilà mes deux histoires. Les dix-huit moi»
que j'ai passés à Venise ne-m'ont fourni de plus
à dire qu'un simple projet tout au plus. Cairio
étoit galant. Ennuyé de n aller toujours que chez
des filles engagées à d'autres, il eut la fantaisie
d'en avoir une à son tour, et , comme nous étions
inséparables , il me proposa l'arrangement peu
rare à Venise den avoir une à nous deux. J'v
consentis. Il s'agissoit de la trouver sûre. Il
chercha tant , qu'il déterra une petite fille d'onze
à douze ans, que son indigne mère cherchoit à
vendre. Nous fûmes la voir ensemble. Mes en-
^8 LES CONFESSIONS.
trailles s'cmurent en voyant cet enfant. Elle étoit
blonde, et douce comme un agneau; on neTau-
roit jamais crue Italienne. On vit pour très peu
de chose à Venise: nous donnâmes quelfjue ar-
gent à la mère, et pourvûmes à 1 entretien de la
fille. Elle avoit de la voix ; pour lui procurer un
talent de ressource, nous lui donnâmes une épi-
nette et un maître à chanter. Tout cela nous
coùtoit à peine à chacun deux sequins par mois,
et nous en épargnoit davantage en autres dépen-
ses : mais comme il falloit attendre (|u elle lïit
mûre, c étoit semer beaucoup avant tic lecueil-
lir. Cependant, contents d'aller là passer les soi-
rées , causer et jouer très innocemment avec
cette enfant , nous nous amusions plus agréable-
ment peut-être que si nous lavions possédée;
tant il est vrai que ce qui nous attache le plus
aux femmes est moins la débauche qu'un certain
agrément de vivre aiqirès délies. Insensihlement
mon coHU' s'attachoit à la petite Anzoletta , mais
d'un attachement paternel auquel les sens avoient
si peu de part, quà mesure (pi il augmentoit il
me devenoit moins possible de les y faire entrer,
etjesentois que j'aurois eu horreiu* d'approcher
de cette lille devenue nubile , comme (f un in-
ceste al)oniiiiable. .Te voyois les sentinMiits (hi
bon Carrit» piendre à son insu le même tour
Nous nous ménagions sans y penser des plai-
sirs non moins doux, mais J)ien différents de
ceu\ dont nous avions d'abord eu 1 idée , et je
suis certain (pie ([ucl([ue belle (pi'eùt pu devenir
Tome 14 ■
Pa<,r -S.
77^
'^ J. J,M®iiLsseai]L et son ami Cairi'© cliez Ansoletta
^ ■ ' I
:/■„..■,.„, Jfl. A'. Oy„rk- S<u/p iSl
PARTIE II, LIVRE VII. ^g
cette pauvre enfant, loin d'être jamais les cor-
rupteurs de son innocence , nous en aurions été *
lesprotecteurs. Ma catastrophe arrivée peu après
ne me laissa pas le temps d'avoir part à cette
l)onne œuvre, et je n ai à me louer dans cette
affaire que du penchant de mon cœur. Revenons
à mon voyage.
Mon premier projet , en sortant de chez M. de
Montaigu , étoit de me retirer à Genève , en at-
tendant (pi'un meilleur sort , écartant les obsta-
cles , pût me réunir à ma pauvre maman ; mais
Téclat qu'avoit fait notre querelle , et la sottise
qu'il eut d'en écrire à la cour, me fit prendre le
parti d'aller moi-même y rendre compte de ma
conduite et demander justice de celle d'un for-
cené. .Te marrpiai de Venise ma résolution à
INI. du 'l'hcil chargé par intérim des affaires étran-
gères après la mort de M. Amelot. Je partis aus-
sitôt que ma lettre ; je pris riia route par Berga-
nie , Côme et Duon d'Ossola : je traversai le
Saint-Plomh. A Sion , M. de Chaignon , chargé
des affaires de France, me fit mille amitiés : à
Genève, M. de La Closure m'en fit autant. J'v
renouvelai connoissance avec M. de Gauffecourt
tlont j'avois quelque argent à recevoir. .l'avois
traversé Nyon sans voir mon père, non qu'il ne
m'en coûtât extrêmement : mais je n'avois pu
me résoudre à me montrer à ma belle-mère après
mon désastre, certain qu'elle me jugeroit sans
vouloir m'écouter. Le libraire duVillard, ancien
ami de mon père , me reprocha vivement ce tort
Ro LES CONFESSIONS.
Je lui en dis la cause; et, pour le réparer sans
ni exposer à voir ma belle -nicrc, je pris une
chaise, et nous fûmes ensemble à Nyon descen-
dre au cabaret. Du Villard s en lut cliercher mon
pauvre père, qui vint tout courant ni'embrasser.
îSous soupâmes ensemble; et , après avoir passé-
une soirée bien douce à mon cœur, je retournai
le lendemain matin à Genève avec du Villard ,
pour qui j'ai toujours conservé de la reconnois-
sance du bien quil me fit en cette occasion,
jNIon plus court chemin nétoit pas par Lyon,
mais j'y voulus passer pour vérifier une fripon-
nerie bien basse de M. de Montaipu. J avois fait
venir de Paris une petite caisse contenant une
veste brodée d'or, quelques paires de manchettes
et six paires de bas de soie blancs. 8ur la propo-
sition (péil m'en fil lui-même, je fis ajouter cette
caisse, ou plutôt cette boîte, à son baga^je. Dans
le mémoire d'apothicaire <[u'il voulut me donner
en paiement de mes appointements, et qu'il avoil
écrit de sa main, il avoit mis (jue celte boite ,
quil appeloit ballot, pesoil onze (juinlaux, et
il m en avoit passé le port à un prix énorme.
Par les soins de M. Boy de La Tour, auquel jetois
recommandé |)ar M. lloj^uin son oncle, il lut vé-
rilié sur les rej;islies des douanes de Lyon et de
Marseille , que ledit ballot ne pesoit que quarante-
cinq livres, et n avoit payé le portquà raison de
ce poids. Je joif^nis cet extrait aulhenti«nie au
mémoire de INI. de Montaijju; et, muni de ces
pièces cl (le plusieurs autre? de lu iiicine force.
PARTIE II, LIVRE VII. 8l
je me rendis à Paris , très impatient d'en faire
usage. J'eus durant toute cette longue route de
petites aventures à Côine en Valais, et ailleurs.
Je vis plusieurs choses , entre autres les îles Bor-
romées, qui vaudroient la peine d'être décrites.
Mais le temps me gagne , les espions m'oljsé-
dent; je suis forcé de faire à la hâte et mal un
travail qui dcmandcroit le loisir et la tranquillité
qui me manquent. Si jamais la Providence, je-
tant les yeux sur moi, me procure enlln des
jours plus calmes , je les destine à refondre , si
je puis , cet ouvrage , ou à y faire au moins un
supplément dont je sens qu'il a grand hesoin (i).
Le bruit de mon histoire m avoit devancé ; et
en arrivant je trouvai que dans les bureaux et
dans le public, tout le monde étoit scandalisé des
folies de lambassadeur. Malgré cela , malgré le
cri public dans Venise , malgré les preuves sans
réplique que j'cxhibois , je ne pus obtenir au-
cune justice. Loin davoir ni satisfaction , ni
réparation , je fus même laissé à la discrétion
de l'ambassadeur pour mes appointements ; et
cela par l'unique raison que , n'étant pas Fran-
çois, je n'avois pas droit à la protection natio-
nale, et que c'étoit une affaire particulière entre
lui et moi. Tout le monde en particulier convint
avec moi que j'étois offensé, lésé, malheureux;
que l'ambassadeur étoit un extravagant cruel,
(i) J';ii renoncé à ce projet.
(Cette note n'est point dans le manuscrit aulcJ^raplie. )
82 LES CONFESSIONS.'
ini([uc , et que toute cette affaire le déshono-
roit à jamais. Mais quoi! il ctoit 1 ambassadeur:
je n'étois, moi, que le secrétaire. Le bon ordre,
ou ce qu'on appelle ainsi , vouloit que je n'ob-
tinsse aucune justice , et je n en obtins aucune.
Je nVimapjinai qu'à force de crier et de traiter
publiquement ce fou comme il le méritoit, on
nie diroit à la lin de me taire ; et c étoit ce que
i'atlciitlois , bien résolu de n obéir ([ua])rèsqu on
auroit prononcé. Mais il n y iivoit point alors
de ministre des affaires ctranjTèrcs. On me laissa
clabauder , on m encouragea même ; on faisoit
cborus : mais l'affaire en resta toujours là, jus-
<juà ce que, las d avoir toujours raison et ja-
mais justice, je perdis enlîn courage et plan-
tai là tout.
La seule personne qui me recrut mal , et dont
j'aurois le moins attendu cette injustice, fut ma-
dame de Beu/.cnval. Toute pleine (]ci^ prérogati-
ves du rang et de la noblesse, elle tu^ put jatnais
se mettre dans la tète (pidu and)assadeur j)ùt
avoir tort avec son secrétaire. Laccueil (ptelle
me fit fut conforme à ce préjugé. Jen fus si pi-
qué , <pten sortant de cliez elle je lui écrivis
ime des fortes et vives lettres que j aie j)eut-
ctre écrites , et je n'y suis jamais retourné. l>.e
père Castel nu^ reçut mieux : mais, à travers le
patelinage jésuiti(pie , je le vis suivre assez fidè-
lement une des grandes maximes de la société ,
(pii (\st (riuimoler toujoius le plus foibleau plu*
puisauul. Le vil s( a liment de lajusticede ma eau-
PARTIE II, MYRE VII. 83
se , et ma fierté naturelle , ne me laissèrent pas
endurer patiemment cette partialité. Je cessai
de voir le père Gastel, et par-là d'aller aux Jé-
suites , oîi je ne connoissois que lui seul. D'ail-
leurs , l'esprit tvrannique et intrigant de ses
confrères, si différent de la bonhomie du bon
père Hemet , me donnoit tant d'éloignement
pour leur commerce , que je n'en ai vu aucun
depuis ce temps-là , si ce n'est le père Bertliier,
que je vis deux ou trois fois chez M. Dupin, avec
le([uel il travailloit de toute sa force à la réfuta-
tion de Montesquieu.
Achevons, pour n'y plus revenir, ce qui me
reste à dire de M. de Montaigu. Je lui avois dit
dans nos démêlés qu'il ne lui falloit pas un se
crétaire, mais un clerc de procureur. Il suivit
cet avis, et me donna réellement pour succes-
seur un vrai procureur, qui, dans moins d'un
an, lui vola vingt ou trente mille livres. Il le
chassa , le fit mettre en prison , chassa ses gen-
tilshommes avec esclandre et scandale, se fit
par-tout des querelles , reçut des affronts qu'un
valet n'endureroit pas , et finit , à force de folies,
par se faire rappeler et renvoyer planter ses
choux. Apparemment que, parmi les répriman-
des qu'il reçut à la cour, son affaire avec moi ne
fut pas oubliée. Du moins peu de temps après
son retour, il m'envoya son maître-d'hôtel pour
solder mon compte, et me donner de l'argent.
J'en manquois dans ce moment-là; mes dettes
tle Venise , dettes d'honneur si jamais il en fut ,
6.
i
84 LES CONFESSIONS,
nie pcsoient sur le cœur. Je saisis le moyen qui
se présentoit de les acquitter, de même que le
billet (le Zanetto Naui. .le reçus ce qu on voulut
nie donner, je pavai toutes mes dettes , et je res-
tai sans un sou comme auparavant, mais sou-
la(jé d un poids qui métoit insupporta])le. De-
puis lors je n'ai plus entendu parler de M. de
Montai.jîu quïi sa mort que j'appris par la voix
pul)li(|ue. Que Dieu fasse paix à ce pauvre hom-
me ! Il étoit aussi propre au métier d'ambassa-
deur que je lavois été dans mon enfapcc à celui
de (jrapignan. Cependant il n'avoit tenu (pi à lui
de se soutenir honorablement par mes services,
et de me faire avancer rapidement dans Ictat
auquel le comte de Gouvon m'avoit destiné dans
ma jeunesse, et dont, par moi seul, je nVétois
rendu caj)al)le dans un âjje plus avancé.
La justice et linutilité de mes plaintes me lais-
sèrent dans lame un germe d indi{;nation contre
nos sottes institutions civiles , oii le vrai bien
public et la véritable justice sont toujours sacri-
£iés à je ne sais quel ordre apparent, destructif
en effet de tout ordre, et ((ui ne fait (ju'ajouter
la saiictiun île fautorité publique à lopprcssion
du foible et à finiquitédu fort. Deux choses em-
pêchèrent ce germe de se développer yiouv lors
comme il a fait dans la suites : lune, qu il s'a{;is-
soit de moi dans cette affaire, et (|ue f intérêt
privé , qui n'a jamais rien produit de grand et
de noble, ne sauroit tirer de mon cœm' les divins
élans (|uil n'appartient c^u'au plus pur amour
PARTIE II, LIVRE VII. 85
du juste et du beau d'y produire ; l'autre fut le
charme de ramitié qui teinpéroit et calnioit ma
colère par Tascendant d'un sentiment plus doux.
.1 avois fait connoissance à Venise avec un Bis-
caïen, ami de mon ami de Carrio, et dij^ne de
l'être de tout homme de bien. Cet aimable jeune
homme, né pour tous les talents et pour toutes
les vertus, venoit de faire le tour de l'Italie pour
prendre le goût des beaux-arts, et n'imaginant
rien de plus à acquérir, il vouloit s'en retourner-
en droiture dans sa patrie. Je lui dis que les arts
n'étoient que le délassement d'un génie comme
le sien, fait pour cultiver les sciences, et je lui
conseillai , pour en prendre le goût , un voyage
et six mois de séjour à Paris. Il me crut, et fut
à Paris. Il y étoit et m'attendoit quand j y arri-
vai. Son logement étoit trop grand pour lui ;
il m'en offrit la moitié: je l'acceptai. Je le trou-
vai dans la ferveur des hautes sciences. Paen n"é-
toit au-dessus de sa portée ; il dévoroit et digé-
roit tout avec une prodigieuse rapidité. Com-
bien il me remercia d'avoir procuré cet aliment
à son esprit , que le besoin de savoir dévoroit
sans qu'il s'en doutât lui-mcme ! Quels trésors
de lumières et de vertus je trouvai dans cette
amc forte ! Je sentis que c'étoit l'ami qu'il me
falloit : nous devînmes intimes. Nos goûts n'é-
toient pas les mêmes; nous disputions toujours.
Tous deux opiniâtres , nous n'étions jamais d'ac-
cord sur rien. Avec cela nous ne pouvions nous
quitter; et, tout en nous contrariant sans cesse,
86 LES CONFESSIONS.
aucun des deux n'eût voulu que l'autre fût au-
trement.
Ignacio Emmanuel de Altuna étoit un de ces
hommes rares «jue lEspagne seule produit , et
«lont elle produit trop peu pour sa gloire. Il n"a-
voit pas ces violentes passions nationales com-
munes dans son pays. L'idée de la vengeance ne
pouvoit pas plus entrer dans son esprit, que le
désir dans son cœur. Il étoit trop fier pour être
vindicatif, et je lui ai souvent oui dire, avec
beaucouj) de sang-froid , qu'un mortel ne pou-
voit pas offenser son ame. Il étoit galant sans
être tendre. Il jouoit avec les femmes comme
avec de jolis enfants. Il se plaisoit avec les maî-
tresses de ses amis, mais je ne lui en ai jamais
vu aucune, ni aucun désir d en avoir. Les llam-
mcs de la vertu , dont son cœur étoit dévoré , ne
permirent jamais à celles de ses sens de naître.
Après ses voyages il s'est marié, il est mort
jeune, il a laissé des enfants, et je suis persuadé,
comme de mon existence, (jue sa femme est la
première et la seule ([ui lui ait fait conuoitre les
plaisirs de lamour. A lextérieur il étoit dévot
comme un Espagnol , mais en dedans étoit la
piété d'un ange. Hors moi , je n'ai vu que lui seul
de toh'rant, depuis ([ue j'existe. Il ne sest jamais
informé ilaueun homme comment il pensoit
en matière de religion. Que son ami fût juif,
protestant, turc, athée, peu lui importoit, pour-
vu (pi'il fût honnête homme. Obstiné, têlu ,])our
des opinions indiiïérenles , dès qu il s agissoit de
PARTIE II, LIVRE VII. 87
reli(jion, même cle morale, il se recueilloit, se
taisoit, ou clisoit simplement : Je ne suis chargé
que de moi. Il est incroyable qu'on puisse asso-
cier autant d élévation dame avec un esprit de
détail porté jusqu'à la minutie. Il partageoit et
fixoit d avance leuqjloi de sa journée par heu-
res, quarts d'heure, et minutes , et suivoit cette
distribution avec un tel scrupule, que, si l'heure
eut sonné tandis qu il lisoit sa phrase , il eût
fermé le livre sans achever. De toutes ces me-
sures de temps ainsi rompues, il y en avoit pour
telle étude, il y en avoit pour telle autre; il y en
avoit pour la réflexion , pour la conversation ,
pour l'office, pour Locke, pour le rosaire, pour
les visites, pour la musique, pour la peinture;
et il n'y avoit ni plaisir, ni tentation, ni com-
plaisance , (pii pût intervertir cet ordre. Un de-
voir à remplir, seul l'auroit pu. Quand il me
faisoit la liste de ses distributions afin que je
m'y conformasse, je commencois par rire, et je
finissois par pleurer d'admiration. Jamais il ne
gênoit personne; mais il brusquoit les gens qui,
par politesse, vouloient le gêner. Il étoit em-
porté sans être boudeur. Je l'ai vu souvent en
colère, mais je ne l'ai jamais vu fâché. Kicn n'é-
toit si gai que son humeur : il entendoit raille-
rie , et il aimoit à railler ; il y brilloit même, car
il avoit le talent de lépigramme. Quand on l'a-
nimoit il étoit bruyant et tapageur en paroles;
sa voixs'entendoit de loin. Mais tandis qu'il crioit
on le vovoit sourire, et tout à travers ses cm-
8S LES CONFESSIONS,
portements il lui vonoit nurlqiie mot plaisant
qui faisoil éclater tout le moiulc. 11 navoit pas
plus le teint espap^nol que le phle^j^me. Il avoit
la peau blanclie, les joues colorées, les cheveux
duu châtain presque blond. Il étoit f;ran<l et
bien fait. Son corps fut formé pour lo^yer son
ame.
Ce saj^e de cœur ainsi que de tête se connois-
soit en hommes, et fut mon ami. Cest toute ma
réponse à quiconque ne Test pas. jNous nous liâ-
mes si bien que nous fîmes le projet de passer
nos jours ensemble. Je dcvois dans quelques an-
nées aller le joindre à Ascovtia pour vivre avec
lui dans sa terre. Toutes les parties de ce piojet
furent arrangées entre nous la veille rie son dé-
part. II n'y manqua que ce qui ne dépend pas
des hommes dans les projets les mieux concer-
tés. Les événements postérieurs, mes désastres,
son mariage, sa mort euHu, nous ont séjiarés
pour toujours. On diroit qu'il n y a que les noirs
complots des méchants qui réussissent : les pro-
jets innocents des bons n'ont presque jamais
d'accomplissement.
Ayant senti 1 inconvénient de la d<''pen(lance,
je me promis bien de ne m y plus exposer. Ayant
vu renverser dès leur naissance les projets dam-
l>ition que loccasion m'avoit fait former, rebuté
de rentrer dans la carrière que j'avois si bien
commencée, et dont néanmoins je venois d'être
expulsé, je résolus de ne plus m'attaclier à per-
sonne, mais de rester dans lindép endance en
PARTIE II, LIVRE VII. 89
tirant parti de mes talents, dont enfin je com-
ineneois à sentir la mesure, et dont j'avois trop
modestement pensé jusqu'alors. Je repris le tra-
vail de mon opéra, que j'avois interrompu pour
aller à Venise : et, pour m'y livrer plus tranquil-
lement, après le départ d'Altuna, je retournai
loger à mon ancien hôtel Saint-Quentin, qui,
dans un quartier solitaire et peu loin du Luxem-
bourg, m'étoit plus commode pour travailler à
mon aise, que la bruyante rue Saint-Honoré. Là
m'attendoit la seule consolation réelle que le
ciel m'ait fait goûter dans ma misère , et qui
seule me la rend supportable. Ceci nest pas une
connoissance passagère; je dois entrer dans quel-
que détail sur la manière dont elle se fit.
Nous avions une nouvelle hôtesse qui étoit
d Orléans. Elle prit pour travailler en linge une
fille de son pays d'environ vingt-deux à vingt-
trois ans , qui mangeoit avec nous ainsi que
riiôtesse. Cette fdic , appelée Thérèse Le Yas-
seur, étoit de bonne famille. Son père étoit offi-
cier de la monnoie d'Orléans , sa mère étoit
marc bande. Ils avoient Ijeaucoup d'enfants. La
monnoie d Orléans n'allant plus , le père se trouva
sur le pavé; la mère, ayant essuyé des banque-
routes , fit mal ses affaires , quitta le commerce,
et vint à Paris avec son mari et sa fille , qui les
nourrissoit tous trois de son travail.
La première fois que je vis paroître cette fille
à table , je fus frappé de son maintien modeste ,
et plus encore de son regard vif et doux, q'ù"
QO LES CONFESSIONS.
pour moi n'eut jamais son semblable. La table
ctoit composée, outre M. de Bonnefond, de plu-
sieurs abbés irlandois , gascons , et autres gens
de pareille étofïe; notre liotesse elle-même avoit
roli le Jjalai; il n'y avoit là que moi .seul rpii
parlât et se comportât décemment. On agaça la
petite; je pris sa défense. Aussitôt les lardons
tombèrent sur moi. Quand je n'aurois eu natu-
rellement aucun goût pour cette j)auvre Hlle ,
la compassion , la contradiction , m'en auroient
donné. .Kai toujours ainié riionnèteté dans les
manières et dans les propos, j)rin(ipalcment
avec le sexe. Je devins bautement son cbam])ion.
Je la vis sensible à mes soins, et ses regards,
animés par la rcc oinioissance <pi Cllo n'osoit ex-
])rimer de bouclic, nen devenoient (jue plus
])énctrants.
Elle étoit très timide; je letois aussi. La liai-
son, rpie cette disposition connnune sembloit
(loigner, se lit pourtant très rapidement. Lbô-
tesse , qui s'en aperçut , devint furieuse ; et ses
Inutalités avancèrent encore ines affaires auprès
de la petite, qui, n'ayant d'appui que moi seul
dans la maison , me voyoit sortir avec peine , et
soupiroit après le retour de son protecteur, f^e
1 apport de nos cceurs , le concours de nos dis-
jiositions, ement bientôt son effet ordinaire.
Elle crut voir en moi un bonnèie bomme; elle
ne se trompa pas : je < rus voir eu elle une Hlle
seusible , siuiple et sans ccxpictlerie ; je ne me
trompai pas non plus. Je lui déclarai davance
PARTIE II, LIVRE VII, gi
que je ne l'abandonnerois ni ne l'épouserois ja-
mais. L'amour, l'estime , la sincérité naïve , fu-
rent les ministres de mon triomphe, et cétoit
parce(|ue son cœur étoit tendre et honnête , que
je fus heureux sans être entreprenant.
La crainte qu'elle eut que je ne me fâchasse
de ne pas trouver en elle ce qu'elle croyoit que
j'y chcrchois recula mon bonheur plus que toute
autre chose. Je la vis , interdite et confuse avant
que de se rendre , vouloir se faire entendre , et
n'oser s'expliquer. Loin d'imaginer la véritable
cause de son embarras, j'en imaginai une bien
fausse et bien insultante pour ses mœurs , et
croyant qu'elle m'avertissoit que ma santé cou-
roit des risques , je tombai dans des perplexités
qui ne me retinrent pas , mais qui , durant plu-
sieurs jours , empoisonnèrent mon bonheur.
Gomme nous ne nous entendions point l'un
l'autre, nos entretiens à ce sujet étoient autant
d'énigmes et damphigouris plus que risibles.
Elle fut prête à me croire absolument fou. Enfin
nous nous expliquâmes : elle me fit en pleurant
l'aveu d'une faute unique au sortir de renfance,
fruit de son ignorance et de lacbesse d un séduc-
teur. Sitôt que je la compris je fis un cri : Puce-
lage ! m'écriai-je; c'est l)ien à Paris, c'est bien
à vii;igt ans qu'on en cherche ! Ah , ma Thé-
rèse, je suis trop heureux de te posséder sage et
saine, et de ne pas trouver ce que je ne cherchois
pas.
Je n avois songé dabord qu'à me donner un
92 LES CONFESSIONS.
amusement; je vis f[ue j'avois plus fait , et que je
m étois donné une compafjne. Un peu d lia])itude
avec cette excellente fille, un peu do rcllexion
sur ma situation, me firent sentir (piVn ne son-
geant quïi mes plaisirs j avois beaucoup fait
pour mon bonheur. Il me falloit à la place de
l'ambition éteinte un sentiment vif qui remplît
mon cœur ; il falloit , pour tout dire , un succes-
seur à maman , puisque je ne devois plus vivre
avec elle; il me falloit quelqu'un qui vécût avec
son élève, et en qui je trouvasse la simplicité ,
la docilité de cœur (ju elle avoit trouvées en moi ;
il (alloit que la douceur de la vie privée et do-
mesti((uenie dédommaffcàt du sort l)rillant au-
f(uelje renon(;ois.Quandj'étois absolument seul ,
mon canir étoit vide, mais il nVn falloit quun
j)our le remplir. Le sort ni'avoit ôté , m'avoit
aliéné du moins en partie celui pour lequel la
nature m avoit fait. Dès-lors j'étois seul, car il
n'y eut jamais pour moi d intermédiaire entre
tout ou rien. Je trou vois dans Thérèse le supplé-
ment dont j'avois besoin ; par elle je vécus heu-
reux autant que je pouvois l'être selon le cours
des événements.
.Te voulus d'abord former son esprit ; j'y per-
dis ma peine ; son esprit est ce que l'a fait la na-
ture ; la culture et les soins n'y prennent pas.
.Te ne rouois point d'avouer (jucllc n'a jamais
])\cu ajipris à lirr, (pioiqu'elle écrive passable-
ment. Quand j'allai lorjer dans la rue neuve des
Petits-Champs , j'avois , à Ihùtel de Pontchar-
PARTIE II, LIVRE VU. gS
train , vis-à-vis de mes fenêtres , un cadran sur
lequel je m'efforçai durant plus d'un mois à lui
faire connoître les heures : à peine les connoît-
cllc encore à présent. Elle n'a jamais pu suivre
l'ordre des douze mois de l'année , et ne connoît
pas un seul chiffre , malgré tous les soins que j'ai
pris pour les lui montrer. Elle ne sait ni comp-
ter l'argent ni le prix d'aucune chose. Le mot
qui lui vient en parlant est souvent l'opposé de
celui qu'elle veut dire. Autrefois j'avois fait un
dictionnaire de ses phrases pour amuser mada-
me de Luxemhourg, et ses quiproquo sont de-
venus célèbres dans les sociétés où j'ai vécu.
Mais cette personne si bornée, et , si l'on veut ,
si stupide, est d'un conseil excellent dans les oc-
casions difficiles. Souvent en Suisse , en Anp^Ie-
terre , en France , dans les catastrophes où je
me trouvois , elle a vu ce que je ne voyois pas
moi-même; elle m'a donné les avis les meilleurs
à suivre ; elle m'a tiré des dangers où je me pré-
cipitois aveuglément , et devant les dames du
plus haut rangf, devant les grands et les princes,
ses sentiments , son bon sens, ses réponses, et
sa conduite, lui ont attiré l'estime universelle,
et à moi, sur son mérite , des compliments dont
je sentois la sincérité. Auprès des personnes
qu'on aime le sentiment nourrit l'esprit ainsi
que le cœur , et Ion a peu besoin de chercher
ailleurs des idées. Je vivois avec ma Thérèse
aussi af^réabloment qu'avec le plus beau çénie
(le 1 univers. Sa mère , hère d avoir été jadis clc-
C)4 LES CONFESSIONS,
vcc auprès de la marquise tic Monpipeau , fai-
soit le bel esprit , vouloit dirioor le sien , et gà-
toit par son astuce la simplicité de notre com-
merce.
L'ennui de rctle importunité me fil un pou
surmonter la sotte honl*' de n'oser me montirr
avec Thcix'se en j)ul»lic; et nous faisions tête à
tête de petites promenades champêtres et de
petits goûtés qui m'étoient délicieux. Je voyois
qu elle m'aimoit sincèrement , et cela redoubloit
ma tendresse. Cette douce intimité me tenoit
lieu de tout : 1 avenir ne me toiiclioit pins, ou
ne me touclioit que comme le présent prolongé :
je ne desirois rien que d en assurer la durée.
Cet attachement me rendit toute autre dissi-
pation superflue et insipide. Je ne sortois plus
que pour aller chez Thérèse ; sa demeure devint
presque la mienne. Cette vie retirée et domesti-
que lut si avantageuse à mon travail , (pieu
moins de trois mois mon opéra tout entier fut
fait, paroles et musi(pi«'. Il rcstoit seulement
quelques accompagiuMnents et renq)lissages à
faire. Ce travail de nuMuruvre mVnnuvoit fort.
Je proposai à Philidor de s( n charger en lui
donnant part au hénéfice. il \in( deux fois, et
fit (puhjues renq)lissa.';es i\a\is laclc dOvide ;
mai> il ne |)ut se captiver à ce travail assidu pour
nu |)rolil ("loigné , et nu' nuMU» « rtain. Il ne re-
vint |)lus, et j achevai ma besogne moi-nuMue.
>b)n ojH'ra fait, il s'agit d en tinM' parti : cétoit
un autre opéra bien plus diflicile. Ou ne vient 4
PARTIE II, LIVRE VII. ^5
bout (le rien à Paris quand on y vit isolé. Je pen-
sai à me faire jour par M. de La Poplinière, chez
qui Gauffecourt , de retour de Genève , nVavoit
introduit. M. de La Poplinière étoit le Mécène
de Rameau : madame de La Poplinière étoit sa
très humble écolière. Rameau faisoit , comme
on dit , la pluie et le beau temps dans cette mai-
son, .lujj^eant qu'il proté(]fcroit avec plaisir l'ou-
vrage d'un de ses disciples , je voulus lui mon^
trer le mien. Il refusa de le voir, disant qu'il ne
pouvoit lire des partitions , et que cela le fati-
guoit trop. La Poplinière dit là -dessus qu'on
pouvoit le lui faire entendre , et m'offrit de ras-
sembler des musiciens pour en exécuter des
morceaux. Je ne demandois pas mieux. Rameau
consentit en grommelant et répétant sans cesse
que ce devoit être une belle chose que la compo-
sition d'un homme qui n'étoit pas enfant de la
balle, et qui avoit appris la musique tout seul.
Je me hâtai de tirer en parties cinq ou six mor-
ceaux choisis. On me donna une dixaine de sym-
phonistes , et pour chanteurs Rérard , Lagardc ,
et mademoiselle Bourbonnois, Rameau com-
mença, dès l'ouverture, à faire entendre, par
ses éloges outrés, qu'elle ne pouvoit être de moi.
Il ne laissa passer aucun morceau sans donner
des signes d impatience ; mais à un air de haute-
contre , dont le chant étoit mâle et sonore, et
l'accompagnement très brillant, il ne put plus
se contenir; il m'apostrophai avec une brutalité
qui scandaliba tout le monde, soutenant qu une
96 LES CONFESSIONS,
partie de ce quil venoit d'entendre étoit dan
homme consommé dans l'art, et que le reste
étoit d'un i{^norant qui ne savoit pas même la
niusi(iue : et il est vrai (pie mon tiavail inégal
et sans rèfjle étoit tantôt sublime et tantôt très
plat, comme doit être celui de quiconque ne s'é-
lève que par quelques élans de (;énie et que la
science ne soutient point. P»ani(\'ui prétendit ne
voir en moi <pj nu p(li( pillard sans talent et
sans goût. Les assistants, et sur-tout le maître
de la maison , ne pensèrent pas de même. M. de
llichelieu , (pii dans ce tenq)s-là voyoit beaucoup
monsieur , et , comme on sait , madame de La
Poplinière, ouït ]>arler de mon ouvrage et vou-
lut 1 entendre, avec le projet de le faire donner
à la cour s'il en étoit content. Il lut exécuté à
grand chœur et en grand orchestre , aux Irais
du roi , cliez M. de Ronneval , intendant des me-
nus. Francœur dirigeoit Icxécutiou. L'efi^et en
fut surprenant : M. le duc ne-cessoit de s'écrier
et d'applaudir; et a la lin d'un chœur, dans l'acte
du Tasse , il se leva , vint à moi , et me serrant la
main: M. Rousseau, me dit-il, voilà de Ihar-
n)(jMie (pli transporte. Je n'ai jamais rien en-
tendu de plus beau : je veux faire donner cet
ouvrage à Versailles. Madame de La Poplinière,
qui étoit là, ne dit pas un mot. Hameau, (juoi-
([uc invite, n y avoit pas voulu venir, f^c lende-
main , niadanie de La Poplinière me lit, à sa toi-
lette , un accueil foft dur, aflét la de rabaisser
ma pièce, et me dit que , quoitpiun peu de cliu-
PARTIE ÏI, LIVRE VÏI. 9-7
qtiant eût d abord ébloui M. de Richelieu , il en
étoit bien revenu , et qu'elle ne me conseilloit
pas de compter sur mon opéra. M. le duc arriva
peu après et me tint un tout autre langage , me
dit des choses flatteuses sur mes talents , et me
parut toujours disposé à faire donner ma pièce
devant le roi. Il nV a, dit-il , que l'acte du Tasse
qui ne peut passer à la cour ; il en fiaut refaire
un autre. Sur ce seul mot , j'allai m'enfermer
chez moi , et, dans trois semaines , j eus fait , à
la place du Tasse, un autre acte, dont le sujet
étoit Hésiode inspiré par une muse. Je trouvai
le secret de faire entrer dans cet acte une partie
de l'histoire de mes talents , et de la jalousie
dont Rameau vouloit bien les honorer. Il y avoit
dans ce nouvel acte une élévation moins gigan-
tesque et mieux soutenue que celle du Tasse. La
musique en étoit aussi noble et beaucoup mieux
faite , et si les deux autres actes avoient valu
celui-là , la pièce entière eût avantageusement
soutenu la représentation. Mais , tandis que j'a-
clievois de la mettre en état , une autre entre-
prise suspendit l'exécution de celle-là.
L'hiver qui suivit la bataille de Fontenoi il y
eut beaucoup de fêtes à Versailles, entre autres
plusieurs opéra au théâtre des petites écuries.
De ce nombre fut le drame de Voltaire, intitulé
la Princesse de Navarre ^ dont Rameau avoit fait
la musique, et (jui venoit dètre changé et ré-
formé sous le nom des fêtes de Raniire. Ce nou-
veau sujet dcmandoit plusieurs changements
14. 7
^8 LES CONFESSIONS,
aux divertissements de rancicn , tant dans les
vers que dans la musicjue. Il sagissoit de trou-
ver quel(ju\ui qui j)ùt icniplir ce double objet.
Voltaire, alors en Ijorraine, et Rameau, tous
deux occupés à Topera du Temple de la (lloire,
ne |)ouvant donner des soins à celui-là, M. de
liicbelieu pensa à moi , me fit proposer de m'en
charjTcr; et, pour (jue je pusse examiner mieux
ce (ju'il y avoit à faire, il mVnvoya séparément
le poème et la niusi([ue. Avant toute chose, je
ne voulus toucher aux paroles que de Taveu de
l'auteur, et je lui écrivis à ce sujet une lettre très
honnête, et même respectueuse, comme il con-
venoit. Voici sa réponse , dont 1 ori^jinal est
dans la liasse A , n" i .
i5 décembre 174^.
« Vous réunissez, monsieur, deux talents (pii
Il ont toujours été séparés jusqu'à présent. Voilà
i( déjà deux l)onnes raisons j)our moi de vous
« estimer et de chercher à vous aimer. Je suis
u facile pour vous que vous employiez ces deux
<< talents à un ouvrage qui n'en est pas trop <li-
« gne. U V a quebjues mois que M. le duc de \\i-
u chciicu m ordonna absolunu'nt de faire en un
« clin-d'œil une petite et mauvaise esquisse de
« quebpies scènes insipides et trontjuées, (pii de-
" voient s'ajuster à des divertissements qui ne
« sont point faits pour elles. Jobéis avec la j)lus
«grande exactitude, je fis très vite et très mal.
«J'envoyai ce misérable croquis à M. le duc de
PARTIE II, LIVRE VII. gg
" Richelieu, comptant qu'il ne serviroit pas , ou
« queje le corri(jerois. Heureusement il est entre
«( vos mains, vous en êtes le maître absolu; j'ai
«< perdu tout cela entièrement de vue. Je ne doute
« pas que vous n'ayez rectifié toutes les fautes
« échappées nécessairement dans une composi-
« tion si rapide d une simple esquisse, que vous
« n'ayez rempli les vides et suppléé à tout.
« Je nie souviens qu'entre autres balourdises
« il n'est pas dit dans ces scènes, qui lient les di-
« vertissements , comment la princesse Grena-
" dine passe tout d'un coup d'une prison dans
« un jardin ou dans un palais. Gomme ce n'est
i< point un magicien qui lui donne des fêtes ,
« mais un seigneur espagnol, il ine semble que
<( rien ne doit se faire par enchantement. Je
« vous prie , monsieur, de vouloir bien revoir cet
« endroit , dont je n'ai qu'une idée confuse.
« Voyez s'il est nécessaire que la prison s'ouvre ,
K et qu'on fasse passer notre princesse de cette
« prison dans un beau palais doré et verni pré-
« paré pour elle. Je sais très bien que tout cela
« est fort misérable, et qu'il est au-dessous d'un
« être pensant de se faire une affaire sérieuse de
«ces bagatelles; mais enfin, puisqu'il s'agit de
« déplaire le moins qu'on pourra, il faut mettre
«le plus de raison qu'on peut, même dans un
« divertissement d'opéra.
«< Je me rapporte de tout à vous et à M. Bal-
«lod,et je compte avoir bientôt l'honneur de
« vous faire mes remerciements, et de vous as-
lOO LES GONFESSIOXS.
«< surer, monsieur, à quel point j'ai celui de-
« trc , etc. »
Qu on ne st)it pas surpris de la grande poli-
tesse de cette lettre, comparée aux autres let-
tres demi-cavalières qu'il m'a écrites depuis ce
temps-là. 11 me crut en jjrandc laveur auprès
de M. de Richelieu; et la souplesse courtisane
qu'on lui connoît l'obligeoit à beaucoup d'é{;ards
pour un nouveau venu, jusqu'à ce quil connut
ini(Hj.\ la mesure de son crétlit.
Autorisé par M. de Voltaire et dispensé de
tous éfjards pour Rameau , qui ne clierchoit (pi à
me nuire, je me mis à travailler; et en dcuv
jnois ma besogne lut j)rête. Elle se borna, quant
aux vers, à très peu de chose: je tâchai seule-
ment qu'on n'y sentît pas la différence des styles,
et j eus la présomption de croire avoir réussi.
IMon travail en niusi»[ue fut plus long et plus
pénible. Outre que j eus à faire plusieurs mor-
ceaux d'appareil, et entre autres l'ouverture,
tout le récitatif dont jétois chargé se trouva
d'une difficulté extrême, en ce qu'il falloit lier,
souvent en peu de vers et par des modulations
très rapides , dc6 synq>honies et des chciins dans
des tons fort éloignés : car, pour (|ue Hameau
ne m'accusât pas d avoir défiguré ses airs, je
n'en voulus chanp,er ni trans|)oser aucun, .le
réussis à ce récitatif. Il étoit bien accentué, plein
d'énergie, et sur-tout excellennnenl modulé. T/i-
déc des deux hommes siqiérieurs au\<[ucls on
PARTIE II, LIVRE VII. 10 r
dai^^noit m associer mavoit élevé le <yénic, et je
puis dire que dans ce travail ingrat et sans gloire,
dont le public ne pouvoit pas même être infor-
mé, je me tins presque toujours à côté de mes
modèles.
La pièce, dans l'état où je Tavois mise, fut
répétée au grand théâtre de l'opéra. Des trois
auteurs je m'y trouvai seul. Voltaire étoit ab-
sent, et Rameau n'y vint pas, ou se cacha.
Les paroles du premier monologue étoient
très lugubres ; en voici le début ;
O mort ! viens terminer les malheurs de ma vie !
Il avoit bien fallu faire une musique assortis-
sante. Ce fut pourtant là-dessus que madame
de La Poplinière fonda sa censure, en m'accu^
sant avec beaucoup d'aigreur d'avoir fait une
musique d'enterrement. M. de Richelieu com-
mença judicieusement par s'informer de qui
étoient les paroles de ce monologue. Je lui pré-
sentai le manuscrit qu il mavoit envoyé , et qui
faisoit foi qu'elles étoient de Voltaire. En ce cas,
dit-il , c'est Voltaire seul qui a tort. Durant la
répétition , tout ce qui étoit de moi fut succes-
sivement inq)rouvé par madame de La Popli-
nière et justifié par M, de Richelieu. Mai^ enliu
j'avois à faire à trop forte partie, et il me fut si-
gnifié ([u'il y avoit à refaire à mon travail plu-
sieurs choses sur lesquelles il falloit consulter
M. Rameau. Navré d'une conclusion pareille,
au lieu des éloges que j'attendois et qui certai-
102 LES CONFESSIONS,
ncmcnt mctoient dus, je rentrai chez moi la
mort dans le cœur. Jy tombai malade, épuisé
de fatigue, dévoré de chagrin , et de six semaines
je ne fus en état de sortir.
Rameau, qui fut chargé des changements in-
diqués ])ar madame de La Poplinière, m'envoya
demander l'ouverture de mon grand opéra, pour
la substituer à celle que je venois de faire. Tlcu-
reusement je sentis le croc-en-jandje , et je la
refusai. Comme il n'y avoit plus que cinq ou six
jours jusqu'à la représentation devant le roi, il
n'eut j)as le teuij)S d'en faire une, et il fallut lais-
ser la mienne. Elle éloit à litalicnne et dun style
très nouveau pour lors en France. Cependant
clic fût goûtée, et j'appris par M. de Valmalette,
maître-d'hotel du roi et gendre de M. Mussard
mou parent et mon ami, (jue les connoisseurs
avoient été très contents de mon ouvrage, et
que le public ne l'avoit pas distingue de celui de
Rameau ; mais celui-ci, de concert avec madame
de lia Poplinièie, prit des mesures pour qu'on ne
sût pas même «[uc j v avois travaillé. Sur- le livie
([u'on distribue aux spectateurs, et oii les au-
teurs sont toujours nommés, il n'y eut de nom-
mé que V(/ltaire; et Rameau aima mieux que
son nom fût suppriuu' i[iw d y voir associer le
mien.
Sitôt que je fus en état de sortir, je vouhis aller
chez M. le due de Richelieu: il u etoit plus temps.
)I venoit de partir ])our Dunkercpie , ou il devoit
commander le déljar(juement destiné pour l'E-
PAîlTIE II, LIVRE VII. lo3
€osse. A son retour je me dis, pour autoriser ma
paresse , qu'il étoit trop tard. Ne l'ayant plus revu
depuis lors, j'ai perdu Tlionneur que méritoit mon
ouvraf^e, l'honoraire qu'il devoit me produire;
et mon temps , mon travail , mon chagrin , ma
maladie et l'argent qu'elle me coûta, tout cela fut
à mes frais , sans me rendre un sou de bénéfice
ou plutôt de dédommagement. Il m'a cependant
toujours paru que M. de Richelieu avoit natu-
rellement de l'inclination pour moi , et pensoit
avantageusement de mes talents ; mais mon mal-
heur et madame de La Poplinière empêchèrent
tout l'effet de sa bonne volonté.
Je ne pouvois rien comprendre à l'aversion de
cette femme, à qui je m'étois efforcé de plaire,
et à qui je faisois assez régulièrement ma cour.
Gauffecourt m'en expliqua les causes : d'abord ,
me dit-il, son amitié pour Rameau, dont elle
est la prôneuse en titre , et qui ne veut souffrir
aucun concurrent; et de plus, un péché originel
qui vous damne auprès d'elle, et qu'elle ne vous
pardonnera jamais, c'est d'être Genevois. Là-
dessus il m'expliqua que l'abbé Hubert qui l'étoit,
et sincère ami de M. de La Poplinière, avoit fait
ses efforts pour l'empêcher d'épouser cette femme
qu'il connoissoit bien, et qu'après le mariage
elle lui avoit voué une haine implacable, ainsi
qu'à tous les Genevois. Quoi([ue La Poplinière,
ajouta-t-il , ait de l'amitié pour vous , et que je
le sache, ne comptez pas sur son appui. Il est
amoureux de sa femme; elle vous hait, elle est
lo4 LES CONFESSIONS.
méchante, elle est adroite; vous ne ferez jamais
rien dans cette maison. Je me le tins pour dit.
Ce même Gauffccourt me rendit à-pcu-près
dans le môiiie temps un service dont j avois
(Trand besoin. Je venois de perdre mon vertueux
père, âgé d'environ soixante ans. Je sentis moins
cette perte que je n'aurois fait en d'autres temps
où les embarras de ma situation mauroient
moins occupé. Je n'avois point voulu réclamer
de son vivant ce qui restoit du bien de ma mère,
et dont il tiroit le petit revenu. Je n'eus plus là-
dessus de scrupule a])rès sa moit. Mais le dé-
faut de preuve juridi([ue de la mort de mon
frère faisoit une dilticulté que Gauffccourt se
cliaq;ca de lever, et qu II leva en effet ])ar les
bons offices de l'avocat de Loi me. Comme j avois
le plus grand besoin de cette petite ressource ,
et que l'événement étoit douteux, j'en attendois
la nouvelle fléiinitivc avec la ])lus vive im}>a-
tience. Un soir, en rentrant cliez moi , je trou-
vai la lettre qui devoit contenir cette nouvelle,
et je la pris pour louvrir avec un trend)lement
d impatience dont j'eus honte en dedans de moi.
VAi (pioi 1 me dis-je avec dcklain , Jean-Iaeques se
laissera-t-il subjuguer à ce point par 1 intérêt et
par la curiosité.^ Je remis sur-le chanq) hi lettre
sur ma cheminée. Je me dé.shabillai, me couchai
tranquillement , dormis mieux qu à mon ordi-
naire , et me levai le lendemain assez tard sans
plus penser à ma lettre. En m habillant je l'aper-
rus, je l'ouvris sajis me presser, j y trouvai une
PARTIE II, LIVRE VIL 10^
lettre-de-change. J'eus Lien des plaisirs à-la-fois ;
mais je puis jurer que le plus vif fut celui d'avoir
su me vaincre. J'aurois vingt traits pareils à ci-
ter en ma vie, mais je suis trop pressé pour pou-
voir tout dire. J'envoyai une petite partie de cet
argent à ma pauvre maman , regrettant avec
larmes l'heureux temps oii j'aurois mis le tout à
ses pieds. Toutes ses lettres se sentoient de sa
détresse. Elle m'envoyoit des tas de recettes et
de secrets dont elle prétendoit que je fisse ma
fortune et la sienne. Déjà le sentiment de sa mi-
sère lui serroit le cœur et lui rétrécissoit l'esprit.
Le peu que je lui envoyai fut la proie des fripons
qui fobsédoient. Elle ne profita de rien. Cela me
dégoûta de partager mon nécessaire avec ces
misérables , sur-tout après l'inutile tentative que
je fis pour la leur arracher, comme il sera dit
ci-après. Le temps s'écouloit, et l'argent avec lui.
Nous étions deux , même quatre , et , pour mieux
dire , nous étions sept ou huit. Car, quoique
Thérèse fût d'un désintéressement qui a peu
d'exemples, sa mère n'étoitpas comme elle. Sitôt
qu'elle se vit un peu remontée par mes soins ,
elle fit venir toute sa famille pour en partager
le fruit. Sœurs, fils, filles, petites-filles, tout
vint, hors sa fille aînée , mariée au directeur des
carrosses d'Angers. Tout ce que je faisois pour
Thérèse étoit détourné par sa mère en faveur de
ces affamés. Comme je n'avois pas à faire à une
personne avide, et que je n'étois pas subjugué
par une passion folle, je ne faisois pas des folies.
lo6 I.FS CONFESSIONS.
Content de tenir Thérèse honnêtement, mais
sans luxe , à 1 abri des pressants besoins, je con-
sentois que ce quelle {ijafjnoit par son travail lût
tout entier au profit de sa mère, et je ne me
bornois pas à cela ; mais , par une fatalité qui
mepoursuivoit , tandis que maman ctoit en proie
à ses croquants, Thérèse ctoit en proie à sa fa-
mille, et je ne pouvois rien faire (raucun cote
qui profitât à celle pour qui je lavois destiné.
Il étoit singulier que la cadette des enfants de
madame Le Vasseur, la seule qui n'eût point été
dotée, étoit la seule qui nourrissoit son père et
sa mère, et qu'après avoir été long-tenqis bat-
tue par ses frères, par ses sœurs, même par ses
nièces, cette pauvre Hlle en étoit maintenant pil-
lée sans qu'elle pût mieux se défendre de leurs
vols que de leurs coups. Une seule de ses nièces
appelée Goton étoit assez aimable, et d'un ca-
ractère assez doux, quoique j^àtée par lexenqile
et les léchons des autres. Comme je les voyois
souvent ensemble, je leur donnois les noms
qu'elles s'entre-donnoicnt : j appelois la nièce ma
nièce ^ la tante ma tante. Toutes de ii\ m'appe-
loient leur oncle. De là le nom de tante du(piel
j'ai continué d'appeler Thérèse , et (|ue mes amis
répétoieut (pielquefois en plaisantant. On sent
que dans une ])areille situation je n avois pas un
moment à jn'rdrc pour tacher de m'en tirer, .lu-
çeant que M. de Kichelicu m'avoit oublié, et
n'espérant plus rien du côté de la cour, je fis
quelques tentatives pourfaire passer à Paris mon
PARTIE II, LIVRE VII. 107
opéra : mais j'éprouvai des difficultés qui de-
niandoient bien du temps pour les vaincre, et
j etois de jour en jour plus pressé. Je m'avisai de
présenter ma petite comédie de Narcisse aux Ita-
liens : elle y fut reçue, et j'eus les entrées, qui
me firent grand plaisir. Mais ce fut tout. Je ne pus
jamais parvenir à faire jouer ma pièce; et, en-
nuyé de faire ma cour à des comédiens , je les
plantai là. Je revins enfin au dernier expédient
qui me restoit, et le seul que j'aurois dû pren-
dre. En fréquentant la maison de M. de La Po-
plinière, je m'étois éloigné de celle de M. Dupin.
Les deux dames , quoique parentes , étoient mal
ensemble , et ne se voyoient point. Il n'y avoit
aucune société entre les deux maisons , et Thie-
riot soûl vivoit dans l'une et dans l'autre. Il fut
chargé de tâcher de me ramener chez M. Dupin.
M. de Francueil suivoit alors l'histoire naturelle
et la chimie, et faisoit un cabinet. Je crois qu'il
aspiroit à l'acadéniie des sciences ; il vouloit pour
cela faire un livre, et il jugeoit que je pouvois
lui être utile dans ce travail. INÏadame Dupin
qui, de son côté, méditoit un autre livre , avoit
sur moi des vues à-pcu-près semblables. Ils au-
roicnt voulu ni'avoir en commun pour une es^
pêce de secrétaire, et c'étoit là l'objet des semon-^
ces de Thieriot. J'exigeai préalablement que M. de
Francueil emploieroit son crédit et celui de Jé-
liote pour faire répéter mon ouvrage à lopéra;
il y consentit. Les Muses Galantes furent répétées
d'abord plusieurs fois au magasin , puis au grand
Io8 LES CONFESSIONS,
théâtre. Il yavoitl)eauf oup de monde à la grande
répétition , et plusieurs morceaux furent très
applaudis; cependant je sentis moi-même durant
l'exécution , fort mal conduite par Re])ol , que la
pièce ne passeroit pas, et même quelle n étoit
pas en état de paroître sans de grandes correc-
tions. Ainsi je la retirai, sans mot dire, et sans
m'cxposer au refus : mais je vis clairement , par
plusieurs indices , (jue louvrage, eùt-il été par-
fait , n'auroit pas passé. Francueil m'avoit bien
promis de le faire répéter, mais non pas de le
faire recevoir. Il me tint exactement parole. J'ai
toujours cru voir, et dans celle oreasion et dans
beaucoup d'autres, que ni lui, ni matlame Du-
pin, ne se soucioicnt de me laisser acquérir une
certaine réputation dans le monde, de peur peut-
être qu'on ne sup])Osàt, en voyant leurs livres,
qu'ils avoient greffé mes talents sur les leurs.
Cependant comme madame Dupin m'en a tou-
jours supposé de très médiocres, et quelle ne
m'a jamais employé qu'à écrire sous sa dictée ,
OU à des recherches de pure érudition , ce re-
proche, sur-tout à son égard, eût été bien in-
juste.
Ce dernier mauvais succès acheva de me dé-
courager , j'abandonnai tout projet d'avance-
ment et de gloire, et, sans ]>lus sonjjer à des
talents vrais ou vains ((ui uuq)iOspér<>i(>nt si [)eu ,
je consacrai mon tenq)s et mes soins à me pro-
curer ma subsistance et celle de ma Thérèse ,
comme il plairoit à ceux (jui se chargcroient d'y
PARTIE II, LIVRE VIT. 109
pourvoir. Je m'attachai donc tout-à-fait à ma-
dame Dupin et à monsieur de Francueil. Cela
ne me jeta pas dans une grande opulence ; car,
avec huit à neuf cents francs par an que j'eus les
deux premières années, à peine avois-je de quoi
fournir à mes premiers besoins , forcé de me
loger à leur voisinage , en chambre garnie , dans
un quartier assez cher, et payant un loyer à
Textrémité de Paris , tout au haut delà rue Saint-
Jacques, où, quelque temps qu il fît, j allois sou-
per presque tous les soirs. Je pris bientôt le train
et même le goût de mes nouvelles occupations.
Je m'attachai à la chimie"; j'en fis plusieurs cours
avec M. de Francueil chez M. Rouelle , et nous
nous mîmes à barbouiller du papier tant bien
que mal sur cette science , dont nous possédions
à peine les éléments. En i '747 nous allâmes pas-
ser l'automne en Touraine, au château de Ghe-
nonceaux, maison royale sur le Cher, bâtie par
Henri II , pour Diane de Poitiers , dont on y voit
encore les chiffres , et maintenant possédée par
M. Dupin, fermier-général. On s'amusa beau-
coup dans ce beau lieu; on y faisoit très bonne
chère ; j y devins gras comme un moine. On y
fit beaucoup de musique. J'y composai plusieurs
trio à chanter, pleins d'une assez forte harmo-
nie, et dont je rcj^arlerai jieut-être dans mon
supplément. On y joua la comédie ; j v en Hs, en
quinze jours, une en trois actes, intitulée \En-
gagement téméraire , qu'on trouvera parmi mes
papiers, et qui n'a d'autre mérite que beaucoup
i ro LES CONFESSIONS.
tic ^oaictc. J'y composai dautres petits ouvrapfes,
entre autres une pièce en vers intitulée \ Allée
de Sylvie , du nom dune allée du parc ([ui bor-
<loit le Cher , et tout cela se lit sans discontinuer
mon travail sur la chimie, et celui que je (aisois
auprès de madame Dupin.
Tandis que j'engraissois à Chenonceaiix, ma
pauvre Thérèse engraissoit à Paris d une autre
manière; et, quand j y revins, je trouvai l'ou-
■vrage que j'avois mis sur le chantier plus avancé
que je ne Favois cru. Cela m'eût jeté , vu ma si-
tuation, dans un embarras extrême , si des ca-
marades de table ne mVussent lourni hi seule
ressource qui poiivoit m en tirer. C'est \\\\ de ces
récits essentiels que je ne puis faire avec trop de
simplicité; parcequ il faudroit, en les commen-
tant , m excuser ou me charger , et que je ne dois
faire ici ni l'un ni Tautre.
Durant le séjour d'Altuna à Paris, au lieu
d aller manger chez un traiteur, nous mangions
oi'dinairement lui et moi à notre voisinage,
presque vis-à-vis [le cul-de-sac de 1 opéra , chez
luie madame Tia Selle, femnic d un tailleur, qui
donnoit assez mal à manger, mais dont la table
ne laissoit pas d'être recherchée à cause de la
bonne et sûre compagnie qui s'y trouvoit : car
on n'v rccevoit aucun inconnu, et il falloit être
introduit parcpu'hju undcceux([uiy mangeoient
d'ordinaire. F.e commandeur de Graville, vieux
débauché, plein depolitesseet d'esprit, mais or-
duri<M' , y logeoit , et y attiroit une folle et bril-
PARTIE II, LIVRE Vil. m
lante jeunesse en officiers aux {gardes et mous-
quetaires. Le commandeur de Nouant , cheva-
lier de toutes les filles de l'opéra, y apportoit
journellement les anecdotes de ce tripot. M. du
Plessis, lieutenant-colonel retiré, bon et sage
vieillard, Ancelet (i), officier des mousque-
taires, y niaintenoient un certain ordre parmi
ces jeunes j^ens. Il y venoit aussi des commer-
çants, des financiers, des vivriers, mais polis,
honnêtes , et de ceux qu'on distinguoit dans leur
métier : M. de Besse, M. de Forcade, et d autres
dont j'ai oublié les noms. Enfin l'on y voyoit
des gens de mise de tous les états , excepté des
abbés et des gens de robe que je n'y ai jamais
vus , et c'étoit une convention de n'y en point
introduire. Cette table assez nombreuse étoittrè»
gaie sans être bruyante, et Ion y polissonnoit
(i) Ce fut à ce M. Ancelet que je donnai une petite co-
médie de ma façon, intitulée Les Prisonniers de guerre,
que j'avois faite après les désastres des François en Ba-
vière et en liohême, et que je n'osai jamais avouer ni
montrer, et cela par la singulière raison que jamais le
roi, ni la France, ni les François, ne furent peut-être
mieux loués ni de meilleur cœur que dans cette pièce; et
que, républicain et frondeur en titre, je n'osois m'a-
vouer pané;;yriste d'une nation dont toutes les maximes
étoient contraires aux miennes. Plus navré des malheurs
de la France que les François mêmes, j'avois peur qu'on
ne taxât de flatterie et de lâcheté les marques d'un sin-
cère attachement dont j'ai dit l'époque et la cause dans
ma première partie, et que j'étois honteux de montrer.
(Cette note n'est point dans le manuscrit autographe déposé
aux archives nationales.)
I 12 LES COISFESSIONS.
hcaucoup sans {irossièrcté. Le vieux commaii-
cleur, avec tous ses contes (^las, quant à la sub-
stance, ne percloit jamais sa politesse de la vieille
cour, et jamais un mot de {;ueule nesortoit de
sa })ouclie ([u il ne lut si plaisant , que des fem-
mes Fauroient pardonné. Son ton servoit de ré-
gie à toute la table : tous ces jeunes gens con-
toient leurs aventures {galantes avec autant de
licence (jue de grâce, et les contes de filles man-
quoient d'autant moins, que le magasin ctoit à
la porte; car Tallée qui menoit cbez madame La
Selle étoit la même oii étoit la bouticpie de la
Ducliapt , célèbre marcliande de modes , «jui
avoit alors de très jolies filles, avec Icscjuelles
tous nos messieuis alloient causer avant ou après
dîné, .le m'y serois amusé comme les autres, si
j'eusse été plus bardi. 11 ne falloit qu entrer com-
me eux; je n'osai jamais. Quant à madame La
Selle, je continuai d'y aller man.f^er assez sou-
vent après le départ il Altuna. .Vy apprenois des
foules d'anecdotes très amusantes , et j'y pris
aussi peu-à-peu, non, grâce au ciel, jamais les
nifrurs, mais les maximes (jue j y vis établies.
Jjlionnêles personnes mises à mal, des maris
trompés, des femmes séduites, des accoucbe-
ments clandestins, étoient là les textes les plus
ordinaires; et (clui <pii ])euploit le mieux les \\n-
ianls-Trouvés éloit toujours le plus applaudi.
Cela me gagna ; je iormai ma lac-on de penser
sur celle ([ue je voyois en règne cbez ties gens
très aimables, et dans le fond Irèsbonnètesgens,
PARTIE lî, LIVRE VIT. îi3
'Ct je me dis : Puisque c'est lusage du pays , quand
on y vit on peut le suivre ; voilà l'expédient que
je cherchois. Je m'y déterminai gaillardement,
sans le moindre scrupule; et le seul que j'eus à
vaincre fut celui de Thérèse, à qui j'eus toutes
les peines du monde à faire adopter cet unique
moyen de sauver son honneur. Sa mère , qui de
plus craignoit ce nouvel emharras de marmaille,
étant venue à mon secours, elle se laissa vain-
cre. On choisit une sage-femme prudente et sûre,
appelée mademoiselle Gouin , pour lui confier
ce dépôt ; et , quand le temps fut venu , Thérèse
fut menée par sa mère chez la Gouin à la pointe
Saint-Eustache. J allai l'y voir plusieurs fois , et
je lui portai un chiffre que j'avois fait à douhle
sur deux cartes, dont une fut mise dans les lan-
ges de l'enfant, et il fut déposé parla sage-femme
au bureau des Enfants-Trouvés, dans la forme
ordinaire. L'année suivante, même inconvénient
«t môme expédient , au chiffre près, qui fut né-
gligé. Pas plus de réflexion de ma part , pas plus
d'approbation de celle de là mère ; elle obéit en
gémissant. On verra successivement toutes les
vicissitudes que cette fatale conduite a produi-
tes dans ma façon de penser, ainsi que dans ma
destinée. Quant à présent, tenons-nous à cette
première époque. Ses suites , aussi cruelles qu'im-
prévues, ne me forceront que trop d'y revenir.
Je mar(j[ue ici celle de ma première connois-
sance avec madame d'Épinay , dont le nom re-
viendra souvent dans ces mémoires. Elle s'appe-
lî- 8
Il4 LES CONFESSIONS,
loit mademoiselle des Clavelles, et vcnoit d'é-
pouser M. d'Epinay, fils de M. de La Live de
Bellegarde, fermier (général. Son mari étoit mu-
sicien, ainsi ([ue M. de Francueil. Elle étoit mu-
sicienne aussi, et la passion de cet art mit entre
ces trois personnes une grande intimité. M. de
Francueil m'introduisit chez madame d'Epinay;.
j'y soupois quelquefois avec lui. Elle étoit aima-
ble , avoit de l esprit, des talents : c étoit assu-
rément une bonne connoissance à faire. Mais
elle avoit une amie appelée mademoiselle d Ette,
qui passoit pour méchante , et qui vivoit avec
le chevalier de Valory, qui ne passoit pas pour
bon. .le crois que le commerce de ces deux per-
sonnes fit tort à madame dEpinay, à (jui la na-
ture avoit donné , avec un tempérament très
exigeant, des qualités excellentes pour en régler
ou racheter les écarts. M. de Francueil lui coin-
muni(jua une partie de l'amitié (pi il avoit pour
moi , et m avoua ses liaisons avec elle, dont, par
cette raison , je ne parlerois pas ici , si elles ne
fussent devenues pul)li(|ues un point de n'être
pas même cachées à M. d l'.jjinay. M. de l-ran-
cucil me lit même sur cette dame des confiden-
ces bien singulières , quelle ne m'a jamais faites
elle-même, et dont elle ne m'a jamais cru in-
stniit; car je n'en ouvris ni n'en ouvrirai de ma
vie la bouche ni à elle, ni à <pii «pie ce soit.
Toute cette confiance île part et d autre rendoit
ma situaliou très cmharrassante , sur-tout avec
iaadame de Eraucucil , i[ui me connoissoit assez
PARTIE II, LIVRE VIT. Ii5
pour ne pas se défier de moi , quoiqu en liaison
avec sa rivale. Je consolois de mon mieux cette
pauvre femme , à qui son mari ne rcndoit assu-
rément pas Famour quelle avoit pour lui. J'é-
coutois séparément ces trois personnes ; je gar-
dois leurs secrets avec la plus grande fidélité ,
sans qu'aucune des trois m'en arrachât jamais
aucun de ceux des deux autres , et sans dissi-
muler à chacune des deux femmes mon attache-
ment pour sa rivale. Madame de Francueil , qui
vouloit se servir de moi pour bien des choses ,
essuya des refus formels ; et madame d'Épinay,
m'ayant voulu charger une fois d'une lettre pour
Francueil , non seulement en reçut un pareil ,
mais encore une déclaration très nette que si
elle vouloit me chasser pour jamais de chez elle ,
elle n'avoit qu'à me faire une seconde fois pa-
reille proposition. Il faut rendre justice à ma-
dame d'Epinay. Loin que ce procédé parût lui
déplaire, elle en parla à Francueil avec éloge,
et ne m'en reçut pas moins bien. C'est ainsi que
dans des relations orageuses entre trois person-
nes que j'avois à ménager , dont je dépendois en
quelque sorte , et pour qui j'avois de l'attache-
ment , je conservai jusqu'à la fin leur amitié ,
leur estime , leur confiance , en me conduisant
avec douceur et complaisance, mais toujours
avec droiture et fermeté. Malgré ma bêtise et ma
gaucherie, madame dEpinay voulut me mettre
des amusements de la Chevrette , château près
de Saint-Denis, appartenant à M. de Bellegarde,
a.
Jl6 LES CONFESSIONS.
11 y avoit un théâtre où l'on jouoit souvent des
pièces. On me chargea d un rôle que j étudiai
six mois sans relâche , et qu il fallut me souffler
d'un bout à l'autre à la représentation. Après
cette épreuve, on ne me donna plus de rôle.
En faisant la connoissanee de madame d Kpi-
nay , je fis aussi celle de sa belle-sœur, mademoi-
selle de Belle(;arde, qui devint bientôt comtesse
de Iloudetot. La première fois que je la vis , elle
étoit à la veille de son mariage ; elle me lit voir
Tappartenjent qu'on lui préparoit , et me causa
lono-temps avec cette familiarité charmante (jui
lui est naturelle, .le la trouvai très aimable , mais
j'étois bien éloigné de prévoir que cette jeune
personne feroit un jour le destin de ma vie , et
m'entraînoroit , (juoique bien innocemment ,
dans fabyme où je suis aujourdhui.
Quoique je n'aie pas parlé de Diderot depuis
mon retour de Venise , non plus que de mon
ami M. Roguin , je n'avois pourtant négligé ni
1 Uïi ni fautre , et je m'étois sur-tout lié de jour
en jour ])lus intimement avec le premier. Il avoit
une Nanette , ainsi que j'avois une Thérèse ; c'c-
toit entre nous une conformité de plus. Mais la
dilférence étoit c[ue ma Thérèse , aussi bien tout
au moins de figure (jue sa INanettc, avoit yne
humeur douce et un caractère aimable , lait
pour attuclur un honnête homme ; au lieu (pic
la sienne, ])i{frièche et harengère , ne moutroit
rien aux y<'u\ des autres «pii put racheter la
mauvaise éduiatiuu. 11 lépoïK^a toutefois: ce fut
PARTIE II, LIVRE VII. I 17
fort bien fait, s'il Tavoit promis. Pour moi , qui
n'avois rien promis de semblable, je ne me pres-
sai pas de Timiter.
Je m'étois aussi lié avec l'abbé de Gondillac ,
qui n'étoit rien , non plus que moi , dans la litté-
rature , mais qui étoit fait pour devenir ce qu'il
est aujourdbui. Je suis le premier peut-être qui
ai vu sa portée , et qui l'ai estimé ce qu'il va-
loit. Il paroissoit aussi se plaire avec moi , et ,
tandis qu'enfermé dans ma chambre , rue Jean-
Saint-Denis , près l'opéra , je faisois mon acte
d'Hésiode , il venoit quelquefois dîner avec moi
tête à tête en piquenique. Il travailloit alors à
\ Essai sur F origine des connaissances humaines ^
qui est son premier ouvrage. Quand il fut ache-
vé , l'embarras fut de trouver un libraire qui
voulut s'en charger. Les libraires de Paris sont
arrogants et durs pour tout homme qui com-.
mence , et la métaphysique , alors très peu à la
mode, n'offroit pas un sujet bien attrayant. Je
parlai à Diderot de Gondillac et de son ouvrage;
je leur fis faire connoissance. Ils étoient faits
pour se convenir , ils se convinrent. Diderot en-
gagea le libraire Durand à prendre le manuscrit
delabbé ;et ce grand métaphysicien eut de sou
premier livre , et presque par grâce , cent écus
qu'il n'eût peut-êti*e pas trouvés sans moi. Com-
me nous demeurions dans des quartiers fort éloi-
gnés les uns des autres , nous nous rassemblions
tous trois une fois la semaine au Palais-Jîoynl ,
et nous allions dîner ensemble à l'hôtel tlu Pa-
llS LES CONFESSIONS,
nier fleuri. Il falloit (|uc ces petits flines hebdo^
inadaires plussent extrêmement à Diderot; ear
lui, qui manquoit presque à tous ses rendez-
vous , fussent-ils même avec des femmes , ne
manqua jamais à aucun de ceux-là. ,1e formai
là le projet d une iêuille périodicjue intitidée le
Persifleur ^ que nous devions faire alternative-
ment Diderot et moi. .l'en esquissai la première
feuille, et cela me fit faire connoissance avec
dAlcud)ert, à qui Diderot en avoit parlé. Des
événements imprévus nous barrèrcut , et ce pro-
jet en demeura là.
Ces deux auteurs venoient d entreprendre le
dictionnaiie encyclopédiipie , <(ui ne devoit d a-
bord être qu'une espèce de traduction de Gbam-
i)ers , semblable à-peu-près à celle du dictionnaire
de médecine deJames,queDiderotvenoit d a( he-
ver. Celui-ci voulut me faire entrer poiu' <jucl([ue
cliose dans cette seconde entreprise , et me pro-
posa la partie de la mnsi<pu',(jue j'acceptai et «pie
j exécutai très à la liàte et très mal dans li^s trois
mois qu'il m'avoit donnés, comme à tous les au-
teurs qui dévoient concourir à c( tle entreprise.
Mais je fus le scid <|ui fus prêt an terme prcsiM'it.
Je lui remis mon manuscrit que jaNois fait mettre
au net par un laquais dcM. de Franeueil , appelé
Diq)ont, qui écrivoit très bièh, et à qui je i>ayai
dixécus tirés de ma pocbeet qui ne m'ont jamais
été r(Mubour>cs. Didin'ot m'avoit promis, de la
part des libraires . \\\\\: rétribution dont il ne m'a
jamais reparlé, ni mtu à lui.
PARTIE II, LIVRE VIL Iig
Cette entreprise de rEncyclopédic fut inter-
rompue par sa détention. Les Pensées philosoplii-
quesXwx avoient attiré quelques chagrins, qui
n'eurent point de suite. Il n'en fut pas de même
de] la Lettre sur les Aveugles ^ qui n'avoit rien de
répréliensible que quelques traits personnels
dont madame Dupré de Saint -Maur et M. de
Réaumur furent choqués , et pour lesquels il fut
mis au donjon de V^incennes. Rien ne peindra
jamais les angoisses que me fit sentir le malheur
de mon ami. Ma funeste imagination , qui porte
toujours le mal au pis, s'effaroucha. Je le crus là
pour le reste de sa vie. lia tête faillit à ni en tour-
ner. J'écrivis à madame de Pompadour pour la
conjurer de le faire relâcher ou d'obtenir qu'on
m'enfermât avec lui. Je n'eus aucune réponse à
ma lettre : elle étoit trop peu raisonnable pour
être efficace , et je ne me flatte pas qu'elle ait
contribué aux adoucissements qu'on mit quel-
que temps après à la captivité du pauvre Diderot.
Mais si elle eût duré quelque temps encore avec
la même rigueur, je crois que je serois mort de
désespoir au pied de ce malheureux donjon. Au
reste, si ma lettre a produit peu d'effet, je ne
m'en suis pas non plus ])eaucoup fait valoir ; car
je n'en parlai qu'à très peu de gens, et jamais à
Diderot lui-même.
FIN DU SEPTIKME LITP.L".
12G LES CONFESSIOPTS-,
LIVRE HUITIEME.
J'ai dii faire une pause à la fin du précédent livre.
Avec celui-ci commence, dans sa première ori-
gine, la longue chaîne de mes malheurs.
Ayant vécu dans deux des plus brillantes mai-
sons de Paris , je n'avois pas laissé, malgié mon
peu dcntregent , d'y faire qucltpies connois-
sances. J'avois fait entre autres chez madame
Dupin celle du jeune prince héréditaire de Saxe-
Gotha et du baron de Thtm son gouverneur.
J avois fait chez M. de La Popliuièrc celle de
M. Seguy, ami du baron de Thun, et connu dans
le monde littéraire par sa belle édition de Rous-
seau. Le baron nous invita, M. Seguy et moi,
d'aller passer un jour ou deux à Foutenai-aux-
Roses (i), où le prince avoit une maison. Nous
y fûmes. En passant devant Vincennes , je sen-
tis à la vue du donjon un déchirement de cœur
dont le baron remarqua l'effet sur mon visage.
(i) C/est la I<>roiî du manuscrit auto{;raplje dépose
aux archives nalioualos; mais la mt-moiic i\c Rousseau
Ta trompé. Fonlouai-aux-noscs est «lu côté do Sceaux.
C'est certainement Fontenai-sous-Hois, auprès de Viu-
ccnnes, comme la suite du texte le prouve.
(Note de rÉiliteui-. )
PARTIE II, LIVRE VIIÏ. 121
A souper , le prince parla de la détention de Di-
derot. Le baron , pour me faire parler , accusa
le prisonnier d'imprudence : j'en mis dans la ma-
nière impétueuse dont je le défendis. L'on par-
donna cet excès de zèle à celui qu'inspire un
ami malheureux , et l'on parla d autre chose. Il
.y avoit là deux Allemands attachés au prince.
L'un appelé M. Klupffell, homme de beaucoup
desprit, étoit son chapelain, et devint ensuite
son gouverneur après avoir supplanté le baron..
L'autre étoit unjeune homme , appeléM. Grimm,
qui lui servoit de lecteur en attendant qu'il trou-
vât quelque place, et dont l'équipage très mince
annonçoit le pressant besoin de la trouver. Dès
ce même soir Klupffell et moi commençâmes
une liaison qui bientôt devint amitié. Celle avec
le sieur Grimm n'alla pas tout-à-fait si vite. Il
ne se mettoit guère en avant , bien éloigné de
ce ton avantageux que la prospérité lui donna
dans la suite. Le lendemain à dîné l'on parla de
musique; il en parla bien, .le fus transporté d aise
en apprenant qu'il acçompagnoit du clavecin.
Après le dîné on fit apporter de la musique ita-
lienne. Nous musicâmes tout le jour au clavecin
du prince, et ainsi commença cette amitié qui
d'abord me fut si douce, enfin si funeste, et dont
j'aurai tant à parler désormais.
En revenant à Paris j y appris l'agréable nou-
velle que Diderot étoit sorti du donjon, et qu'on
lui avoit donné le château et le parc de Vincennes
pour prison sur sa parole, avec permission de
122 LES CONFESSIONS,
voir ses amis. Qu'il nie fut dur de n'y pouvoir
courir à 1 instant même ! mais , retenu deux ou
trois jours chez madame Dupin par des soins
indisj)ensahles , après trois ou quatre siècles
d impatience, je volai dans les l)ras démon ami.
Moment inexprimable! Il nY'toitpasseul. D Alem-
bert et le trésorier de la sainte Chapelle étoient
avec lui. En entrant je ne vrs que lui , je ne fis
qu'un saut, un cri, je collai mon visa{],e sur le
sien , je le serrai étroitement sans lui parler au-
trement que par mes pleurs et par mes sanglots;
j't'touffoi.s de tendresse et de joie. Son ]iremier
mouvement , aj)rès ce transport , fut de se tour-
ner vers recclésiastiqueet de lui dire : Vous voyez,
monsieur , comment m aiment mes amis. Tout
entier à mon émotion , je ne réfléchis pas alors
à cette manière d'en tirer avantage. Mais en y
pensant quelquefois depuis ce temps-là, j'ai tou-
jours jugé qu'à la place de Diderot ce n'eût pas
été là la première idée (jui me seroit venue.
Je trouvai Diderot très affecté de sa prison.
Le donjon lui avoit fait ujie impression terrihle,
et, (|uoi(|u il fût fort agrcahliMuent au château ,
et maître tle ses promenades tlans un parc (jui
n'est pas même fermé de murs, il avoit l)esoin
de la société de ses amis , pour ne pas se livrer
à son humour noire. Comme j'étois assurément
celui ([ui coinjjahssois \c plus à sa pciuc, |c crus
être aussi celui dont la vue lui seroit la ])lus
consolante, et tous les deux jours au |)lus tard,
malgré îles occupations très exigeantes , jallois.
PARTIE IT, LIVRE VTîI. 12.^
soit seul, soit avec sa femme, passer avec lui les
après-midi.
Cette année, 1 749 , l'<^'té fat d'une chaleur ex-
cessive. On compte deux lieues de Paris à Vin-
cennes. Peu en état de payer des fiacres , à deux
heures après midi, j'allois à pied, quand jetois
seul, et j'allois vite pour arriver plus tôt. Les ar-
bres de la route , toujours élagués , à la mode du
pays, ne donnoient presque auciuie ombre, et,
souvent rendu de chaleur et de fatigue , je m'é-
tendois par terre , n'en pouvant plus. Je m'avi-
sai, pour modérer mon pas, de prendre quelque
livre. Je pris un jour le Mercure de France, et
tout en marchant et le parcourant , je tombai
sur cette question , proposée par l'académie de
Dijon pour le prix de l'année suivante : Si le
progrès des sciences et des arts a contribué à cor-
rompre ou à épurer les mœurs ?
A l'instant de cette lecture, je vis un autre
univers, et je devins un autre homme. Quoique
j'aie un souvenir vif de l'impression que j'en rc-
(jus, les détails m'en sont échappés depuis que je
les ai déposés sur le papier dans une de mes
quatre lettres à M. de Malesherbes. C'est une des
singularités de ma mémoire , qui mérite d être
dite. Quand elle me sert , ce n'est qu'autant que
je me suis reposé sur elle; .sitôt que j'en confie le
dépôt au papier , elle m'abandonne , et dès qu'une
fois j'ai écrit une chose , je ne m'en souviens plus
du tout. Cette singularité me suit jusque dans
la musique. Avant de l'avoir apprise, je savois
124 LES CONFESSIONS.
par cœur des multitudes de chansons : sitôt que
j ai su chanter des airs notés , je n en ai pu re-
tenir aucun , et je doute que de ceux que j ai le
plus aimés, jeu susse aujourd'hui redire un seul
tout entier.
Ce quejemc rappelle Ijicn tlistinctement dans
cette occasion^ c'est qu'arrivant à Vineennes,
j étois dans une aj^itation qui tenoit du délire.
Diderot lapèrent; je lui en dis la cause, et je lui
lus la prosopopée de Fahrieius, écrite en crayon
sous un arbre. Il m'exhorta de donner l'essor à
mes idées, et de concourir au prix. Je le fis , et,
dès cet instant, je fus perdu. Tout le reste de
ma vie et de mes malheurs fut l'effet et la suite
inévitable de ce moment d ejyarement.
Mes sentiments se montèrent avec la plus in-
concevable rapidité au ton de nu\s idées. Toutes
mes petites passions furent étouffées par Icn-
thousiasme de la vérité, delà liberté, delà vertu;
et, ce qu'il y a de plus étonnant, est que cette
effervescence se soutint dans mon cœur durant
plus de quatre ou cinq ans , à un aussi haut de-
f>ré j)eut-étre qu'elle ait jamais été dans le cniu'
d'aucun autre homme.
Je travaillai ce discours d'une façon bien sin-
f>ulièrc, et que j ai pres(pu' toujours suivie dans
mes auties (unraf;es. .le lui consacrnis Us in-
somnies «le mes nuits. Je mcditois dans mon lit
à yeux fermés, et je tournois et retournois dans
ma tète mes périodes avec des peines incroya-
bles ; puis , quand j'etois parvenu à en être con-
PARTIE IT, LIVRE VIII. 125
tent, je les déposois dans ma mémoire jusqu'à
ce que je pusse les mettre sur le papier : mais le
temps de me lever et de m'iiahiller me faisoit
tout perdre , et quand je m'étois mis à mon pa-
jjier, il ne me venoit presque plus rien de ce que
j avois composé. Je m'avisai de prendre pour
secrétaire madame Le Vasseur, Je l'avois lo^ée
avec sa fille et son mari plus près de moi, et c'é-
toit elle qui , pour m épargner un domestique ,
venoit tous les matins allumer mon feu et faire
mon petit service. A son arrivée , je lui dictais ,
de mon lit , mon travail de la nuit , et cette pra-
tique, (pie j ai long-temps suivie, m'a sauvé bien
des oul)]is.
Quand ce discours fut fait , je le montrai à
Diderot , qui en fut content, et m'indiqua quel-
ques corrections. Cependant cet ouvrage, plein
de chaleur et de force , manque absolument
d ordre et de logique ; de tous ceux qui sont sor-
tis de ma plume c'est le plus foible de raisonne-
ment, et le plus pauvre de nombre et d'harmonie;
mais, avec quelque talent qu'on puisse être né,
l'art d'écrire ne s'apprend pas tout d'un coup,
.le lis partir cette pièce sans en parler à per-
sonne autre , sice n'est , je pense , à Grimm , avec
lequel depuis son entrée chez le comte de Frièse
je commençois à vivre dans la plus grande inti-
mité. Il avoit un clavecin qui nous servoit tle
point de réunion, et autour duquel je passois
avec lui tous les moments que j'avois de libres,
à chanter des airs italiens et des barcarolles sans
I2»j LES CO^"FESSIO^'^.
trêve et sans relâche du matin au soir, ou plutôt
du soir au matin, et sitôt qu'on ne me trouvoit
pas chez madame Dupin , on étoit sur de me
trouver chez M. (H-imm , ou du moins avec lui ,
soit il la promenade, soit au spectacle. Je cessai
d'aller à la comédie italienne où j'avois mes en-
trées, mais qu'il n'aimoit pas, pour aller avec
lui, en payant, à la comédie Françoise , dont il
étoit passionné. Enlin un attrait si puissant me
lioit à ce jeune homme , et j'en devins tellement
inséparable , que la pauvre tante elle-même étoit
né{;ligée, c'est-à-dire <[uc je la voyois moins ; car
jamais un moment de ma vie mon attachement
pour elle ne s'est affoibli.
Cette impossibilité de partaj^rr à mes inclina-
tions le peu de temps que j'avois de libre renou-
vela plus vivement que jamais le désir que j'a-
vois depuis long-temps de ne faire qu'un ménage
avec Thérèse : mais l'embarras de sa nombreuse
famille , et sur-tout le défaut (fargcnt pour aclie-
ter des meubles , mavoit justju'alors retenu.
L'occasion se présenta de faire un effort, et j'en
profilai. M. de Francueil et madame Dupin ,
s<'ntant bien que huit à neuf cents francs par an
ne pouvoient me suffire , portèrent de leur pro-
pre mouvement mon lionoraire annuel à cin-
quante louis; et, de plus, madame Dupin, ap-
i)renanl (pie je cherchois à me mettre dans mes
meubles , m'aida de quelques secours pour cela :
avec les meubles cpiavoit déjà Thérèse nous mî-
mes tout en commun , et ayant loué un petit
PARTIE II, LIVRE VIÎI. Ï27
appartement à Thôtel de Languedoc, rue de Gre-
nclle-Saint-IIonoré, chez de très bonnes gens,
nous nous y arrangeâmes comme nous pûmes ,
et nous y avons demeuré paisiblement et agréa-
blement pendant sept ans, jusqu'à mon déloge-
ment pour l'Hermitage.
Le père de Thérèse étoit un vieux bonhomme ,
très doux , qui craignoit extrêmement sa femme,
et qui lui avoit donné pour cela le surnom de
lieutenant criminel, que Grimm, par plaisante-
rie, transporta dans la suite à la fille. Madame
Le Vasseur ne manquoit pas d'esprit ; elle se
piquoit même de politesse et dairs du grand
monde; mais elle avoit un patelinage mysté-
rieux qui m'étoit insupportable, donnant d'assez
mauvais conseils à sa fille , cherchant à la rendre
dissimulée avec moi, et cajolant séparément mes
amis aux dépens les uns des autres et aux miens :
du reste assez bonne mère, parcequ'elle trou-
Yoit son compte à l'être, et couvrant les fautes
de sa fille parcequ'elle en profitoit. Cette femme,
que je comblois d'attentions, de soins, de petits
cadeaux, et dont j'avois extrêmement à cœur
de me faire aimer, étoit, par limpossibilité que
j'éprouvois d'y parvenir, la seule cause de peine
que j'eusse dans mon ménage; et, du reste, je
puis dire avoir goûté durant ces six ou sept ans
le plus parlait bonheur domestique que la foi-
blesse humaine puisse comporter. Le cœur de
ma Thérèse étoit celui d'un ange : notre atta-
chement croissoit avec notre intimité » et nous
128 LES CONFESSIONS,
sentions davanta^^e de jour en jour combien
nous étions faits l'un pour 1 autre. Si nos plai-
sirs pouvoient se décrire, ils feroient rire par
leur simplicité : nos promenades tête à tête hors
de la ville, où je dépensois magniHrpicmcnt huit
ou dix sous à quelque guinguette : nos petits
soupers à la croisée de ma fenêtre, assis en vis-
à-vis sur deux petites chaises posées sur une
malle qui tenoil la largeur de fembrasurc. Dans
cette situation, la fenêtre nous servoit de table;
nous respirions l'air; nous pouvions voir les en-
virons, les passants; et, quoicjue nous fussions
au quatrième étage, plonger dans la rue tout
en mangeant.
Qui décrira , qui sentira les charnies de ces
repas composés pour tout mets d'un quartier de
gros pain, de quehjues cerises, d un polit mor-
ceau de fromage , et d'un demi-septier de vin
que nous buvions à nous deux ? Amitié , con-
fiance, intimité, douceur dame, (jiie vos assai-
sonnements sont délicieux ! QueK(uefois nous
restions là jusqu'à minuit sans y songer, et sans
nous douter de l'heure, si la vieille maman ne
.nous eut iaveitis. Riais laissons ces détails qui
paroîtront insipides ou risibles : je l'ai toujours
«lit et senti, la véritable jouissance ne se décrit
point.
.! en eus à-]^eu-près dans le même temps une
]>ius grossière, la dernière de cette espèce que
jàie eue à me reprocher. J'ai dit que le ministre
l\hq)frell étoit aimnble; mes liaisons avec lui
PARTIE II, LIVRE VIII. 129
n ctoient guère moins étroites qu'avec Grimni ,
et ficvinrcnt aussi familières ; ils raangeoient
quelquefois chez moi. Ces repas , un peu plus
que simples , étoient égayés par les fines et folles
polissonneries de Klupffell, et par les plaisants
germanismes de Grimm , qui n etoit pas encore
devenu puriste.
La sensualité ne présidoit pas à nos petites or-
gies, mais la joie y suppléoit, et nous nous trou-
vions si bien ensemble, que nous ne pouvions
plus nous quitter. Klupffell avoit mis dans ses
meubles vme petite fdle qui , par convention ,
ne laissoit pas cVêtre à tout le monde, parcequ'il
ne pouvoit pas l'entretenir en entier. Un soir,
en entrant au café , nous le trouvâmes qui en
sortoit pour aller souper avec elle. Nous le rail-
lâmes ; il s'en vengea galamment en nous met-
tant du même souper, et puis nous raillant à
son tour. Cette pauvre créature me parut d'un
assez bon naturel, très douce, et peu faite à son
métier, auquel une sorcière , qu'elle avoit avec
elle , la styloit de son mieux. Les propos et le
vin nous égayèrent au point que nous nous ou-
bliâmes. Le bon Klupffell ne voulut pas faire ses
honneurs à demi; et nous passâmes tous trois
successivement dans la chambre voisine avec la
pauvre petite, qui ne savoit si elle devoit rire
ou pleurer. Grimm a tou joins affirmé quil ne
l'avoit pas touchée : c'étoit donc pour s'amuser
à nous impatienter qu'il resta si long-temps avec
elle; et, s'il s'en abstint, il est peu probable que
M. 9
l3o LES CO^'I•ESSIO]SS.
ce fût par scrupule, puisque, avant d'entrer chex
le comte de Frièse , il logeoit chez des filles au
même quartier de Saint-Koch,
Je sortis de la rue des Moineaux, où logeoit
cette fille, aussi honteux que Saint-Preux sortit
de la maison où on l'avoit enivré; et je me rap-
pelai bien mon histoire en écrivant la sienne.
Thérèse sapèrent à quelque signe, et sur-tout à
mon air confus, que j avois quelque reproche à
me faire; jen allégeai le poids par ma franche
et prompte confcssicm. Je fis bien; car, dès le
lendemain , Grimm vint en trionjphe lui racon-
ter mon forfait en l'aggravant; et , depuis lors ,
il n'a jamais manqué de lui en rappeler mali-
gnement le souvenir; en cela dautant plus cou-
pable, ([ue, layant mis pleinement et librement
dans ma confidence, j'avois droit d'attendre de
lui ([u il ne m'en feroit pas repentir. Jamais je ne
sentis mieux qu'en cette occasion la bonté du
naturel de ma Thérèse ; car elle fut plus cho-
quée du procédé de Grimm qu'offensée de iftoii
infidélité; et je n'essuyai de sa part cpie dvs re-
proches touchants et tendres dans lesquels je
n aperqus jamais la moindre trace de dépit.
La simplicité d'esprit de cette excellente fille
égaloit sa bouté de cœur, c'est tout dire : mais
un exemple cpii se présente mérite (('pcudaut
d'être ajouté. Je lui avois dit (pie KbqiHeil etoit
ministre et chapelain du prince de Saxe-Gotba.
Un ministre étoit pour elle un homme si extra-
ordinaire, que, confondant coniiquemeut Ici
PARTIE II, LIVRE VIII. i3i
idées les plus disparates, elle s'avisa de prendre
Klupffell pour le pape. Je la crus folle la pre-
mière fois qu elle me dit , comme je rentrois ,
que le })ape metoit venu voir. Je la fis expli-
quer, et je n'eus rien de plus pressé que d'aller
conter cette histoire à Griinm et à Klupffell ,
à qui le nom de pape en resta parmi nous. Nous
donnâmes à la fille de la rue des Moineaux lé
nom de papesse Jeanne. C'étoient des rires in-
extinguibles ; nous étouffions. Ceux qui , dans
une lettre qu'il leur a plu de m'attribuer, m'ont
fait dire que je n'avois ri que deux fois en ma vie,
ne m'ont pas connu dans ces temps-là ni durant
ma jeunesse : car assurément cette idée n'auroit
jamais pu leur venir.
L'année suivante, 1750, comme je ne songeoîs
plus à mon discours, j'appris quil avoit rem-
porté le prix à Dijon. Cette nouvelle réveilla
toutes les idées qui me l'avoient dicté , les ani-
ma d'une nouvelle force , et acheva de mettre en
fermentation dans mon cœur ce premier levain
d'héroïsme et de vertu que mon père et ma pa-
trie et Plutarque y avoient mis dans mon en-
fance. Je ne trouvai plus rien de grand et de
beau que d'être libre, vertueux, au-dessus de
la fortune et de l'opinion, et de se suffire à soi-
même. Quoique la mauvaise honte et la crainte
des sifflets m'empêchassent de me conduire d'a-
bord sur ces principes , et de ronq^re brus(|uc-
mcnt en visière aux maximes de mon siècle ,
j'en eus dès-lors la volonté décidée, et je ne tar-
9-
l32 LES CONFESSIONS.
(lai à l'exécuter (ju'autniit de temps qu'il en fal-
Joit aux contradictions pour 1 irriter et la rendre
triomphante.
Tandis que je pliilosophois sur les devoirs de
riiomme, un événement vint me faire mieux
réfléchir sur les miens. Thérèse devint grosse
pour la troisième fois. Trop sincère avec moi,
trop fier en dedans pour vouloir démentir mes
principes par mes œuvres, je me mis à exami-
ner la destination de mes enfants , et mes liai-
sons avec leur mère sur les lois de la nature, de
la jifsticc et de la raison, et sur celles de cette
rclijjion pure et sainte , éternelle connue son
auteur, que les hommes ont souillée en l-ieignant
de vouloir la purifier , et dont ils n'ont plus fait
par leurs formules qu'une religion de mots , vu
t|U il encoLite peu de prescrirel impossiblecpiaud
on se dispense de le pratiquer.
Si je me trom])ai dans mes résultats , rien n'est
plus étonnant que la sécurité d ame avec la-
quelle je m y livrai. Si j'étois de ces hommes mal
vés, sourds à la douce voix de la nature, au-
ilcdans dcstpaels aucun vrai sentiment tle jus-
tice et d humanité ne germa jamais, cet cnilur-
cissement seroit tout simple, mais cette chaleur
de cœur, cette sensibilité si vive, cette facilité à
former des atlachcnuMits, cette foice avec la-
(pielleilsnic subjuguent, ces déchirements cruels
<[uand il les faut rompre, cette bienveillance in-
née pour tous mes semblables, cet amour ar-
dent du grand, du vrai , du beau, du juste, cette
PARTIE II, LIVRE VIII. i3î
hbrreur du mal en tout fijenre, cette impossibi-
lité de haïr, de nuire et même de le vouloir , cet
attendrissement, cette vive et douce émotion
que je sens à l'aspect de tout ce qui est vertueux,
généreux, aimable ; tout cela peut-il jamais s'ac-
corder dans la même ame avec la dépravation
qui fait fouler aux pieds sans scrupule le plus
doux des devoirs? Non, je le sens et je le dis hau-
tement, cela n'est pas possible; jamais un seul
instant de sa vie Jean Jacques n'a pu être un
homme sans entrailles, sans mœurs, un père
dénaturé. J'ai pu me tromper, mais non m'en-
durcir. Si je disois mes raisons , j'en dirois trop.
Puisqu'elles, ont pu me séduire, elles en sédui-
poient bien d'autres : je ne veux pas exposer les
jeunes gens qui pourront me lire à se laisser
abuser par la même erreur; je me contenterai
de dire qu'elle fut telle que dès-lors je ne regar-
dai plus mes liaisons avec Thérèse que comme
un engagement honnête et saint, quoique libre
et volontaire; ma lidélité poui' elle , tant (|uil
duroit, comme un devoir indispensable ; lin-
fraction que j'y avois faite une seule fois, comme
un véritable adultère. Et quant à mes enfants,
en les livrant à l'éducation publique, faute de
pouvoir les élever moi-même , en les destinant à
devenir ouvriers ou paysans plutôt qu'aventu-
riers et coureurs de fortunes , je crus faire un
acte de citoyen et de père; et je me regardai
comme un membre de la république de Platon.
Plus d'une fois depuis lors les regrets de mon
l34 LES CONFESSIONS,
cœur m'ont appris <pic je m'étois trompé; mais
loin que ma raisou m ait donné jamais le même
avertissement , j'ai souvent béni le ciel de les
avoir garantis par-là du sort de leur père , et de
celui rpii les menaroit lorsque j'aurois été forcé
de les a])andonncr. Si je les avois laissés à ma-
dame d'Épinay ou à madame de I.uxembourf;,
qui, soit par amitié, soit par générosité, soit
par (juehjuc autre motif, ont voulu s en charger
dans la suite, auroicnt-ils été élevés en honnê-
tes gens? je lignore; mais je suis sur cpion les
auroit portés à haïr, peut-être à trahir leurs pa-
rents : il vaut mieux cent fois (pi ils ne les aient
point connus.
Mon troisième enfant fut donc mis aux En-
fants-trouvés, aiusi que les deux autres; et il en
fut de même des deux suivants; car j en ai eu
cinq en tout. Cet arrangement me parut si bon ,
si sensé, si légitime , que si je ne m'en vantai pas
ouvertement, ce fut uni([uement par égard pour
la mère, mais je le dis à tous ceux à ({ui nos liai-
sons n'étoient pas cachées; je le dis à Diderot,
à Orimm; je l'appris dans la suite à madame
dKpinay, et dans la suite encore à madame de
liUxeud)ourg, et cela MhrenuMil, frauchenieiit ,
sans aucune espèce de nécessité, et pouvant ai-
sément le cacher à tout le monde; caria (iouin
ctoit une très honnête femme, très discrète, et
sur laquelle je comptois parfaitement. Le seul
de mes amis auquel j'eus quelque intérêt dem'ou-
viir fut le médecin Tliyerri, (]ui soigna ma ]>nu-
PARTIE II, LIVRE VIIÎ. i35
Tre tante clans une de ses couches où elle se
trouva fort mal. En un mot, je ne mis aucun
mystère à ma conduite , non seulement parceque
je n'ai jamais rien su cacher à mes amis , mais
parcequ'en effet je n'y voyois aucun mal. Tout
pesé, je choisis le mieux pour mes enfants, ou
ce que je crus l'être. J'aurois voulu, je voudrois
encore avoir été élevé et nourri comme ils T'ont
été.
Tandis que je faisois ainsi mes confidences,
madame Le Vasseurles faisoit aussi de son côté,
mais dans des vues moins désintéressées. Je les
avois introduites , elle et sa fille , chez madame
Dupin , qui , par amitié pour moi , avoit mille
hontes pour elles. La mère la mit dans le secret
de sa fdle. Madame Dupin , qui est fjonne et gé-
néreuse , et à qui elle ne disoit pas combien ,
malgré la modicité de mes ressources , j'étois
attentif à pourvoir à tout, y pourvoyoit de son
côté avec une libéralité que, par l'ordre de la
mère , la fille m'a toujours cachée durant
mon séjour à Paris , et dont elle ne me fit
l'aveu qu'à l'Hermitage , à la suite de plusieurs
autres épanchements de cœur. J'ignorois que
madame Dupin , qui ne m'en a jamais fait le
moindre semblant , fût si bien instruite ; j'ignore
encore si madame de Clicnonceaux sa bru le fui
aussi, mais madame de Francueil sa belle-fille le
fut , et ne put s'en taire. Elle m'en parla l'an-
née suivante, lorsque j'avois déjà quitté leur
maison. Cela m'engagea à lui écrire à ce sujet
i36 LES co^■FEssIO^<s.
une lettre qu'on trouvera dans mes recucilb , et
dans laquelle j'expose celles de mes raisons que
je pouvois dire sans compromettre madame Le
Vasseur et sa famille ; car les plus déterminantes
venoient de là, et je les tus.
Je suis sûr de la discrétion de madame Dupin
et de Tamitic de madame de Clienonceaux ; je
Fétois de celle de madame de Francucil, qui
daillcurs mourut lon{]-temps avant (juo mon
secret fût ébruité. Jamais il n'a pu lètre que
par les (^ens mêmes à qui je lavois confié , et
ne Fa été en effet cpi'après ma rupture avec eux.
Par ce seul fait ils sont jugés : sans vouloir me
disculper du hlàme que je mérite , j'aime njieux
en être chargé (jue de celui (pi ils méritent eux-
mêmes. IMa faute est grande , mais c est une er-
reur : j'ai négligé mes devoirs , mais le désir de
nuire n'est pas entré dans mon cœur, et les en-
trailles de père ne sauroicnt ])arler l)icn puis-
samment pour des enfants qu'on n a jamais vus :
mais trahir la confiance de l'amitié , violer le
]dus saint de tous les pactes , publier les secrets
versés dans notre sein , déshonorer à plaisir
l'ami qu'on ^ trompé , et (pii nous cpiitlant nous
respecte encore , ce ne sont pas là tles fautes ,
ce sont des bassesses dame et des noirceurs.
J'ai promis ma confession, non ma justifica-
tion ; ainsi je m'arrête ici sur ce point. C! est à
moi d'être vrai, c'est au lecteur d'être juste. Je
ne lui <lemandcrai jamais rien de ]>lus.
Le mariage de M. de Clienonceaux me rendit
PARTIE II, LIVRE VIÏI. l^j
la maison cle sa mère encore plus agréable par le
mérite et l'esprit de la nouvelle mariée, jeune
personne fort aimable , et qui de son côté parut
me distinguer parmi les scribes de M, Dupin.
Elle étoit fille uni([ue de madame la vicomtesse
de Rocbecliouart , grande amie du comte de
Frièse , et par contre-coup de Grimm qui lui étoit
attaché. Ce fut pourtant moi qui l'introduisis
chez sa fille ; mais leurs humeurs ne se convenant
pas , cette liaison n'eut point de suite ; et Grimm ,
qui dès-lors visoit au solide , préféra la mère,
femme du grand monde , à la fille , qui vouloit
des amis sûrs et qui lui convinssent , sans se
mêler d aucune intrigue , ni chercher du crédit
parmi les grands. Madame Dupin , ne trouvant
pas dans madame de Ghcnonceaux toute la do-
cilité (ju'elle en attendoit, lui rendit sa maison
fort triste; et madame de Ghcnonceaux, fière
de son mérite , et peut-être de sa naissance ,
aima mieux renoncer aux agréments de la so-
ciété et rester presque seule dans son appar-
tement , que de porter un joug pour lequel elle
ne se scntoit pas faite. Gettc espèce d'exil aug-
menta mon attachement pour elle par cette
pente naturelle qui m'attire vers les malheu-
reux. Je lui trouvai l'esprit métaphysique et
penseur , quoique parfois un peu sophistique.
Sa conversation, ((ui n'étoit du tout point celle
d'une jeune personne qui sort du couvent , étoit
pour moi très attrayante. Cependant elle n'avoit
pas vingt ans: son teint étoit d'une blancheur
l38 LES CONFESSIONS.
€])Joiii8santc; sa taille eiit étéfjrande et belle, si
elle selùt mieux tenue. Ses cheveux, dun blond
cendre et d'une beauté peu commune , me i ap-
peloient ceux de ma pauvre maman dans son
bel â[}e, et m'af>itoient vivement le cœur. Mais
les principes sévères que je venoisdeme faire, et
que j'étois résolu de suivre à tout prix, me ga-
rantirent d'elle et de ses charmes. J'ai passé ,
durant tout un été , trois ou fjuatre heures par
jour tétc à tête avec elle à lui montrer grave-
ment l'arithmétique, et à l'ennuyer de mes chif-
fres éternels, sans lui dire un seul mot galant
ni lui jeter une œillade. Cinq ou six ans plus
tard je n'aurois pas été si sage ou si fou; mais
il étoit écrit que je ne devois aimer d'amour
qu'une seule fois en ma vie , et qu'une autre
qu'elle auroit les premiers et les derniers soupirs
de mon cœur.
Depuis que je vivois chez madame Dupin , je
m'étois toujours contenté de mon sort, sans
mar<|uer aucun dcsir de le voir améliorer. L'aug-
mentation qu'elle avoit faite à mes honoraires ,
conjointement avec M. de Francueil , étoit venue
nnicpienient de leur propre mouvement, flettc
année , jNI. de Francueil ,(pii me pren<nt de jour
en jour plus en amitié, songea à me mettre un
peu pins (ui large et dans une situation moins
précaire. 11 étoit receveur-général des finances.
M. Dudoyer, son caissier, étoit vieux , riche, et
vouloit se retirer. M de Franc ucil m'offrit cette
place, et , pour me mettre en état de la remplir,
PARTIE II, LIVRE VIII. l39
j'allai pendant quelques semaines chez M. Du-
doyer prendre les instructions nécessaires. Mais,
soit que j'eusse peu de talent pour cet emploi ,
soit que Dudoyer, qui me parut vouloir se don-
ner un autre successeur, ne m'instruisît pas de
}3onne foi , j'acquis lentement et mal les con-
noissances dont j'avois besoin , et tout cet ordre
de compte, embrouillé à dessein , ne put jamais
bien m'entrer dans la tête. Cependant , sans avoir
saisi le fin du métier , je ne laissai pas d'en
prendre la marche courante , assez pour pouvoir
l'exercer rondement tant bien que mal. J'en com-
mençai même les fonctions*; je tenois les regis-
tres et la caisse ; je donnois et recevois de l'ar-
gent, des récépissés; et, quoique j'eusse aussi
peu de goût que de talent pour ce métier, la
maturité des ans commençant à me rendre sage,
j'étois déterminé à vaincre ma répugnance pour
me livrer tout entier à mon emploi. Malheureu-
sement, comme je commençois à me mettre en
train , M. de Francueil fit un petit voyage , du-
rant lequel je restai chargé de sa caisse , où il
n'y avoit cependant pour lors que vingt-cinq à
trente mille francs. Les soucis , riiKpiiétude d es-
prit que me donna ce dépôt me firent sentir que
je n'étois point fait pour être caissier, et je ne
doute point que le mauvais sang que je fis du-
rant cette absence n'ait contribué à la maladie
où je tombai après son retour.
J ai dit dans ma première partie que j'étois né
mourant. Un vice de conformation dans la ves»
l4o LES CONFESSIONS,
sie me fît éprouver, <1iirant mes premières an-
nées, une rétention d urine presque continuelle;
et ma tante Suzon , qui prit soin de moi, eut
des peines incroyables à me conserver. Elle en
vint à l)Out cependant ; ma robuste constitution
prit enfin le dessus , et ma santé s'airermit lelle-
nient durant ma jeunesse , qu'excepté la mala-
die de lanjpieur dont j ai raconté lliistoire , et
de frétjuents besoins d'uriner, que le moindre
écliauffement me rendit toujours incommodes,
jeparvins jusqu'à l'âçc de trente ans sans presque
me sentir de ma première iidinnité. Le premier
ressentiment que j'en eus lut à mon airivée à
Venise. I.a fatigue du voyajO;c et les terribles cba-
leurs que j'avois souffertes me donnèrent une
ardeur d'nrine et des maux de reins (pie je {;ar-
dai jusqu'à l'entrée de Ibiver. Après avoir vu la
Padoana, je me crus mort , et n'eus pas la moin-
dre incommodité. Après mètre épuisé plus d'i-
magination que de cor[)S pour ma Zulietta, je
me ])oriai mieux que jamais. Ce ne fut qu'après
la détention de Diderot que réchauffement con-
tract»' dans mes courses de Vincennes , durant
les teiribles chaleurs ipi'il faisoit alors, me don-
na une violente néphréti(pie, depuis larpiellejc
nai jamais recouvré ma première santé.
Au nionicn» dont je parie, uï'étant j)tMit-èlre
un peu fali{^;ué au maussade travail de cette mau-
dite caisse , je retombai j)lus bas qu'auparavant,
et je demeurai dans mon lit près de six semai-
nos dans le plus triste état que l'on puisse ima-
PARTIE II, LIVRE VIII. I^I
giner. Madame Dupin ni envoya le célèbre Mo-
rand , qui , malgré son habileté et la délicatesse
ds sa main , me fit souffrir des maux incroya-
bles , et ne put jamais venir à bout de me son-
der. Il me conseilla de recourir à Daran , dont
les bougies plus flexibles parvinrent en effet à
s'insinuer et ▼aincre l'obstacle; mais, en ren-
dant compte à madame Dupin de mon état -,
Morand lui déclara que dans six mois je ne se-
rois pas en vie. Ce discours , qui me parvint ,
me fit faire de sérieuses réflexions sur mon état ,
et sur la bêtise de sacrifier le repos et 1 agrément
du peu de jours qui me restoient à vivre à l'as-
sujettissement d'un emploi pour lequel je ne me
sentois que du dégoût. D'ailleurs, comment ac-
corder les sévères principes que je vcnois d adop-
ter avec un état qui s'y rapportoit si peu ? et
n'aurois-je pas bonne grâce , caissier d'un rece-
veur-général des finances , à prêcber le désinté
ressèment et la pauvreté ? Ces idées fermentèrent
si bien dans ma tête avec la fièvre, elles s'y com-
binèrent avec tant de force, que rien ficpuis lors
ne les en put arracher, et, durant ma convales-
cence , je me confirmai de sang froid dans toutes
les résolutions que j'avois ])rises dans mon dé-
lire. Je renonçai j)our jamais à tout projet de
fortune et davancemcnt. Déterminé à passer
dans l'indépendance et la pauvreté le peu de
temps qui me restoit à vivre, j appliquai toutes
les forces de mon ame à briser les fers de l'oj^i-
nion , et à faire avec courage tout ce qui me pa-
1^1 LES COISIESSIOXS.
roissoit bien , sans m'enibarrasser aucunement
du jugement des bommes. Les obstacles que
j'eus à combattre et les efforts que je fis pour
en triompbcr sont incroyables. Je réussis autant
quil t'toit possiljje , et plus que je n'avois espéré
moi-même. Si j'avois aussi bien secoué ïe joug
de faniitié que celui de l'opinion , je venois à
bout de mon dessein , le plus grand peut-être,
ou du moins le plus utile à la vertu , que mortel
ait jamais conçu : mais , tandis que je foulois
aux pieds les jugemcnt.s insensés de la tourbe
vulgaire des soi-disant grands et des soi-disant
sages , je me laissois subjuguer et mener comme
un enfant par de soi-disant amis , qui , jaloux
de me voir marcber tièrement et seul dans une
route nouvelle , tout en paroissant s'occuper
beaucoup à me rendre beureux , ne s'occupoient
en effet qu'à me rendre ridicule , et commencé--
rent par travailler a m'avilir , pour parvenir dans
la suite à me diffamer. Ce fut moins ma célé-
brité littéraire que ma réforme personnelle ,
dont je marque ici lepoque, qui m'attira leui-
jalousie : ils m auroient pardonné peut-être de
briller dans Fart d écrire ; mais ils ne purent
me pardonner de donner par ma conduite
un exemple (Qu'ils ne voiiloicnt pas suivre et
qui send)!oit les importuner. J etois né pom
famitié; mon bumeur facile et douce la nour-
ri.ssoit sans peine. Tant que je vécus ignoré du
public, je fus aimé de tous ceux (jui nu» connu-
rent , et je u eus ])as un seul ennemi ; mais sitôt
PARTIE II, LIVRE VIII. 10
que j'eus un noni , je n'eus plus daniis. Ce fut
un très grand malheur ; un plus grand encore
fut d'être environné de gens qui prenoient ce
nom , et qui n'usèrent des droits qu'il leur don-
noit que pour m'entraîner à ma perte. La suite
de ces mémoires développera cette odieuse tra-
me; je n'en montre ici que l'origine , on en verra
bientôt former le premier nœud.
Dans Findépendance où je voulois vivre , il
falloit cependant subsister. J'en imaginai un
moyen très simple : ce fut de copier de la mu-
sique, à tant la page. Si quelque occupation plus
solide eût rempli le même but , je l'aurois prise ;
mais ce talent étant de mon goût , et le seul qui
pût me donner du pain au jour le jour , je m'y
tins. Croyant n'avoir plus besoin de prévoyance,
et faisant taire la vanité , de caissier de financier
je me fis copiste de musique. Je crus avoir gagné .
beaucoup à ce choix , et je m'en suis si peu re-
penti que je n'ai quitté ce métier que par force
pour le reprendre aussitôt que je pourrai.
Le succès de mon premier discours me rendit
l'exécution de cette résolution plus facile. Dide-
rot s'étoit chargé de le faire imprimer. Tandis
que j'étois dans mon lit , il m'écrivit un billet
})our m'en annoncer la publication et l'effct. //
prend , me marquoit-il , tout par-dessus les nues;
il n!j a nul exemple d'un succès pareil. Cette
faveur du public , nullement briguée et pour un
auteur inconnu , me donna la première assu-
rance véritable démon talent, dontj'avois tou
t44 LES CONFESSIONS.
jours douté jusrju" alors. Je compris tout l'avan-
tage que j'en pou vois tirer pour le parti ([uc
j'étois prêt à prendre, et je jupeai (prun eo])iste
de quel(jue ce)»')>rilé dans les lettres ne nianque-
roit vrais(ii.l. laidement pas de travail.
Sitôt que ma résolution fut prise et bien con-
firmée , j écrivis un l)illet à M. de Franeueil pour
lui en faire pvut, [)our le remercier, ainsi (juc
madame Dupin , de toutes leurs I)ontés , et pour
leur denip.nder leur pratique. Franeueil, ne com-
i)reiiaiit rien à ce billet, et me croyant encoiHî
dans le transport de la Hévre , accourut chez
moi ; mais il trouva ma lésolution si bien prise
(jiiil ne put ])ai'V('nir a Tcbranler. Il alla dire à
madame Dupin vi à tout le monde que j etois
devenu ion ; je laissai dire , et j'allai mon train.
Je commençai ma réforme par ma parure ; je
(piittai la dorure et les bas blancs, je pris une
perru(pie ronde, je posai réj)ée, je vendis ma
montre , en me disant avec une joie incroyable :
Grâces au ciel, je n'atuai ])lus besoin de savoir
riicuie qu'il est. M. de Franc ucil eut rhonnèleté
d'attendre assez long -temps encore avant de
disposer de sa caisse. Enfin, voyant mon parti
bii'u |>iis, il la remit à M. d'Alibart, jadis gou-
V(M utur du j(Mme (llicnouccaux , <'t connu dans
la bolanicjne par aajlora parisicnsis ;i \
(i) Je no (liiiil(; ])iis (|iic tout ceci ne soit inaintiMuint
conté liien diffi'ivninirnt par Francncil cl sos consorts;
mais je niVn rappurrc à <•<• qu'il en dit al(»is cl Iouj;-
temps après ù tout le monde, jusqu'à la t\)rniation du
PARTIE II, LIVRE VIIT. l/[S
Quelque austère que fût ma réforme somptuai-
re , je ne letendis pas d'abord jusqu'à mon linge ,
qui étoit beau et en quantité, reste de mon équi-
pajje de Venise, et pour lequel j'avois un atta-
<'licment particulier, A force d'en faire un objet
de propreté , j'en avois fait un objet de luxe qui
ne laissoit pas de mètre coûteux. Quelqu'un me
rendit le service de me délivrer de cette servitude.
La veille de Noël , tandis que les gouverneuses
<îtoient à vêpres , et que j'étois au concert spi-
rituel , on força la porte d'un grenier où étoit
€tendu tout notre linge après une lessive qu'on
venoit de faire. On vola tout , et entre autres
quarante-deux cbemises à moi de très belle toile,
€t qui faisoient mon principal fonds de garde-
robe en linge. A la façon dont les voisins dépei-
gnirent un bomme qu'on avoit vu sortir de l'iiotel
portant des paquets à la même heure , Thérèse
et moi soupçoTnnâmes son frère, qu'on savoit
être un très mauvais sujet. La mère repoussa
vivement ce soupçon; mais tant d indices le con-
firmèrent qu'il nous festa malgré qu'elle en eût.
Je n'osai faire d'exactes recherches de peur de
trouver plus que -je n'aurois voidu. Ce frère ne
se montra plus chez moi. Je déplorai le sort de
Thérèse et le mien, de tenir à une famille si mê-
lée , et je l'exhortai plus que jamais à secouer un
joug aussi dangereux. Cette aventure me guérit
com|)l()t, et dont les çjens de bon sens et de bonne foi ont
du conserver le souvenir.
( Cutlc note n'est pas clans le manuscrit nulojjraphe. )
l46 LES CO>'FESSIONS.
de la passion du beau lin^^je , et je n'en ai plus eu
depuis lors que de très commun , plus assortis-
sant jau reste de mon équipage.
Ayant ainsi complété ma réforme, je ne son-
geai plus quà la rendre solide et duiable, en
travaillant à déraciner de mon cœur tout ce qui
tenoit encore au jugement des hommes, tout ce
qui pouvoit me détourner par la crainte du
blâme de ce qui éloit l)on et raisonnable en soi.
A l'aide du bruit <[ue laisoit mon ouvrage, ma
résolution fit du bruit aussi, et m'attira des pra-
tiques; de sorte que je commençai mon métier
avec assez de succès. Plusieurs causes cependant
m'empêcbcrent d'y réussir comme j'aurois pu
faire en d'autres circonstances. D'abord ma mau-
vaise sauté. L'attacjue que je vcnois d essuyer eut
des suites qui ne m'ont laissé jamais aussi bien
portant qu'apparavant ; et je crois que les mé-
decins au\(|ucls je me livrai me firent bien au-
tant de mai <jue ma maladie. Je vis successive-
ment Morand , Daran , Helvétius, Thierry, Ma-
luuin , qui, tous très savants, tous mes amis,
me traitèrent chacun à sa mode, ne me soulagè-
rent point, et m a(roii)liient considérablement.
Plus je m'asservissois à leur direction , plus je
devenois jaune , maigre, foible. Mon inia{;ina-
tion , «pi ils elfarouchoient, mesurant mon état
sur l'effet de leurs drogues , ne me montroit
avant la inoit (jn luic Miite de souffrances, les
rétentions, la gravelle, la j>ierre. Tout ce qui
soulage les autics, les tisanes, les bains, la sai-
PARTIE II, LIVRE VIII. 14)
fjiiée, empiroit mes maux. M'ëtant aperçu que
Jes sondes de Daran, qui seules uie laisoient
quelque effet, ne me donuoient qu'un soulape-
ment momentanée , me voilà faisant à grands
frais d'immenses provisions de sondes pour pou
voir en porter toute ma vie. Pendant huit ou
dix ans que je m'en suis servi si souvent, il faut
que j'en aie employé pour cinquante louis. On
sent qu'un traitement si coûteux , si douloureux ,
si pénible , ne me laissoit pas travailler sans dis-
traction , et qu'un mourant ne met pas une
ardeui* bien vive à gagner son pain c[uotidien.
Les occupations littéraires firent une autre
distraction non moins préjudiciable à mon tra-^
vail journalier. A peine mon discours eut -il
paru que les défenseurs des lettres fondirent sur
moi de concert. Indigné de voir tant de petits
messieurs Josse , qui n'entendoient pas même
la question, vouloir en décider en maîtres, je
pris la plume , et j'en traitai quelques uns de
manière à ne pas leur laisser les rieurs pour eux.
Un certain M. Gautier, de Nancy, le premier qui
tomba sous ma coupe, fut rudement mal mené
dans une lettre à M. Grimm. Le second fut le
roi Stanislas lui-même , qui ne dédaigna pas d'en-
trer en lice avec moi. L'honneur qu'il me fit me
forera de changer de ton pour lui répondre ; j'en
pris un plus grave, mais non moins fort, et,
sans manquer de respect à fauteur , je léfutai
pleinement l'ouvrage. Je savois qu'un jésuite ap-
pelé le P. de Menou y avoit mis la main ; je me
l4^ LES CONFESSIONS.
fiai à mon tact ])oiir dôniclcr ce (|iii étoit dvi
prince et ce qui étoit du moine, et, toml)ant
sans ménagement sur toutes les phrases jésui-
tiques , je relevai chemin faisiint un anachro-
nisme, que je crus ne pouvoir venir que du ré-
vérend. Cette pièce (pii , je ne sais |)Our<|U(>i,
a lait moins <le hruit que mes autres écrits,
est jusqu'à présent un ouvrage unique dans son
espèce, .l'y saisis l'occasion (jui m étoit oiïcite
d appiendre au public connucnt un particulier
pouvoit défendre la cause de la vérité contre
un souverain même. Il est dilficile de prendre
en même temps un ton plus Her et plus rcs])e( -
tucux (juc celui que je pris pour lui répondre.
J'avois le bonheur d'avoir affaire à un adver-
saire pour Icfjuel mon cœur plein d estime pou-
voit , sans adulation , la lui témoigner ; c'est ce
((ue je Hs avec assez de succès, mais toujours
avec dignité. Mes amis , effrayés pour moi ,
croyoicnt déjà me voir à la Bastille. Je n eus pas
cette crainte un seul moment, et j eus raison.
Ce bon prince , après avoir vu ma réponse , dit :
fat mon compte ^ je ne m' jr frotte plus. Depuis
lors je reçus de lui diverses marques d estime et
lie bienveillance, dont j aurai «juclcjucs unes à
citcr,et mon écrit courut tranquillement la Fran-
ce et l'Europe, sans (jue personne y trouvât rien
à blâmer.
.1 eus , peu de tenqis après, un antre adver-
saire auipiel je ne m'étois pas attendu , ce même
M. Bordes , tle Lyon , qui , dix ans auparavant ,
PARTIE II, LIVRE VlII. i /jQ.
m'avoit fait beaucoup d'amitiés et rendu plu-
sieurs services. Je ne l'avois pas oublié , mais je
Tavois négligé par paresse, et je ne lui avois pas
envoyé mes écrits , faute d'occasions toutes trou-
vées pour les lui faire passer. J'avois donc tort ,
et il m'attaqua , bonnêtement toutefois , et je
répondis de même. Il répliqua sur un ton plus
décidé. Cela donna lieu à ma dernière réponse ,
après laquelle il ne dit plus rien; mais il devint
mon plus ardent ennemi, saisit le temps de mes
malbeurs pour faire contre moi, sans me nom-
mer, d'affreux libelles , et fit un voyage à Londres
exprès pour m'y nuire.
Toute cette polémique m'occupoit beaucoup ,
avec beaucoup de perte de temps pour ma co-
pie , peu de progrès pour la vérité , et peu de
profit pour ma bourse ; Pissot , alors mon li-
braire , me donnant toujours très peu de cbose
de mes brochures , souvent rien du tout. Et ,
par exemple, je n'eus pas un bard de mon pre-
mier discours; Diderot le lui donna gratuitement.
Il falloit attendre long-temps , et tirer sou à sou
le peu qu'il me donnoit. Cependant la copie n'ab
loit point, .le faisois deux métiers,c'étoit le moyeu
de faire mal lun et lautre.
Us se contrarioient encore d'une autre façon
par les diverses manières de vivre aiixquelles ils
m'assujettissoient. Le succès de mes premiers
écrits m'avoit mis à la mode. L'état ([ue j avois
pris excitoit la curiosité : Ton vouloit connoître
cet homme bizarre qui ne recherchoit personne,
l5o LES CONFESSIONS,
et ne se soucioit de rien que de vivre libre à sa
manière; c'en étoit assez pour (ju il ne le pût
pas. Ma chambre ne désemplissoit jkis de gens
qui, sous divers prétextes, venoient s'emparer
de mon temps. Les femmes emplovoient mille
ruses pour m avoir à dîner. Plus je brustpiois les
gens , plus ils s'obstinoient. Je ne pouvois refuser
tout le monde. En me faisant mille ennemis
par mes refus, j'étois incessamment subjuf^né
par ma complaisance, et, de quel(|ue façon que
je m'y prisse,' je n'avois pas pai Jolii une beure
de tcMups à moi.
Je sentis alors (juil nest pas toujoiu'S aussi
aisé qu'on se rimagine d'être |)auvrc et indépen-
dant. Je voulois vivre de mon métier; le public
pe le vouloit j)as. On imaj^inoit mille moyens de
me (lédomma[;er du temps qu'on me faisoit ])er-
dre. Les cadeaux de toute espèce venoient me
cbercber. Bientôt il auîoit fallu me montrer
comme l'olicbinelle , à tant j>ar personne. Je ne
conuois pas d assujettissement plus avilissant et
j)lus cruel que celui-là. Je ny vis de remède (pie
de refuser les cadeaux {grands et petits, et <le ne
faire exception pour qui que ce fût. Tout cela ne
fit qu'attirer les donneurs, qui vouloient avoir
la fjloire de vaincre ma résistance et me forcer
de leur être oblijjé malgré moi. Tel (\u\ ne m au-
roit pas donné un écu, si je I avois demandé, no
cessoit de m'importuner de ses offres , et , poiu'
ge venger de les voir rejetées, laxoit jnes refus
d'arrogance et d Ostentation.
PARTIE II, LIVRE VIII. i5p
On se doutera bien que le parti que j'avois
pris , et le système que je voulois suivre, nétoient
pas du goût de madame Le Vasseur. Tout le dés-
intéressement de la fille ne l'empêchoit pas de
suivre les directions de sa mère , et les gouver-
lieuses, comme les appeloit Gauffecourt , n e-
toient pas toujours aussi fermes que moi dans
leurs refus. Quoiqu'on me cachât Lien des cho-
ses, j'en vis assez pour juger que je ne voyois
pas tout , et cela me tourmenta moins par l'ac-
cusation de connivence qu'il m'étoitaisé de pré-
voir, que par 1 idée cruelle de ne pouvoir jamais
être maître chez moi ni de moi. Je priois , je
conjurois , je me fâchois, le tout sans succès ; la
m^aman me faisoit passer pour un grondeur éter-
nel, pour un bourru. G'étoient des chuchotte-
ries continuelles avec mes amis ; tout étoit mys-
tère et j^ret pour moi dans mon ménage , et
pour ne pas m'exposer sans cesse à des orages, je
n'osois plus m'informer de ce qui s'y passait. Il
auroit fallu, pour me tirer de tous ces tracas,
une fermeté dont je n'étois pas capable. Je sa-
vois crier , et non pas agir ; on me laissoit dire,
et l'on alloit son train.
Ces tiraillements continuels et les importu-
nités journalières auxquelles j'étois assujetti me
rendirent enfin ma demeure et le séjour de Pa-
ris désagréables. Quand mes incommodités me
permettoient de sortir, et que je ne me laissois
pas entraîner ici ou là par mes connoissances,
j'allois me promener seul , je revois à mon grand
l52 LES CONFESSIONS,
système, j'en jctois quelque chose sur le papier
à 1 aide duu crayon et d un livret que j avois tou-
jours dans ma poche. Voilà comment les dés-
agréments imprévus d'un état de mon clioix me
jetèrent par diversion tout-à-iait dans la litté-
rature, et voilà comment je portai dans tous
mes premiers ouvrages la bile et 1 humeur qui
m'en faisoient occuper.
('ne autre chose y contrihuoit encore. Jeté
malgré moi dans le monde sans en avoir le ton ,
et sans être en état de le prendre, je m avisai
d'(>n prendre un à moi (jui m'en dispensât. Ma
sotte et maussade liniitlité cpie je ne pouvois
vaincre ayant pour principe la crainte de man-
quer aux hienséances, je pris le parti de les fou-
ler aux pieds, .le me Hs cynique et caustique par
honte, et j aHeclai de mépriser la politesse, (jue
je ne savois pas prati^pier. Il est vrai^tt^e cette
âpreté, conforme à mes nouveaux p^neipcs ,
.sVnnohlissoit dans mon ame, y prenoit lintré-
pitlité de la vertu; et c'est, j'ose le dire, sur cette
auguste hase qu'elle s'est soutenue mieux etj^lus
long- temps qu'on n'auroit du laitt'ndre dun
effort si contraire à mon naturel. Cependant,
malgré la réputation de misanthropie (jue mon
extérieur et quelques mots heureux me donnè-
rent dans le monde, il est certain (\\\o dans lo
particulier je soutins toujours mal mon person-
nage, que mes amis et mes connoissances me-
noient cet ours si farouche comme un agneau,
et que, bornant Hàc» sarcasmes à des vérités du-
PARTIE II, LIVRE VIII. i53^
res , mais générales, je nai jamais su dire un
seul mot désobligeant à qui que ce fût.
Le Devin du village acheva de me mettre à la
mode, et bientôt il n'y eut pas d'homme plus
recherché que moi dans Paris. L'histoire de cette
pièce, qui fait époque, tient à celle des liaisons
que j'avois pour lors. C'est un détail dans lequel
je dois entrer pour l'éclaircissement de ce qui
doit suivre.
J'avois un assez grand nombre de connoissan-
ces, mais deux seuls amis de choix ^ Diderot et
Grimm. Par un effet du désir que j'ai de rassem-
bler tout ce qui m'est cher, j'étois trop l'ami de
tous les deux pour qu'ils ne le fussent pas bien-
tôt l'un de l'autre. Je les liai ; ils se convinrent ,.
et s'unirent plus étroitement encore entre eux
quavcc moi. Diderot avoit des connoissances
sans nombre, mais Grimm, étranger et nouveau
venu, avoit besoin d'en faire. Je ne demandois
pas mieux que de lui en procurer. Je lui avois
donné Diderot; je lui donnai Gauffecourt. Je le
menai chez madame de Chenonceaux , chez ma-
dame d Epinay, chez le baron d Holbach , avec
le(|uel je me trouvai lié presque malgré moi.
Tous mes amis devinrent les siens , cela étoit
tout simple : mais aucun des siens ne devint ja-
mais le mien ; voilà peut-être ce qui l'étoit moins.
Tandis (juil logeoit chez le comte de Fricse, il
nous donnoit assez souvent à dîner chez lui;
mais jamais je n'ai reçu aucun témoignage d'à-
mitié ni de bienveillance du comte de Frièse,
154 LES CONFESSTO^^S.
ni du comte de Schoniberjj , son parent , qui
lo{]fcoit chez lui, ni d aucune des personnes,
tant hommes que femmes, aveclesquelles Grini ni
eut par eux des liaisons. J'excepte le seul abbé
Raynal, qui, quoi({ue son ami, se montra des
miens , et m'offrit dans l'occasion sa bourse avec
une générosité peu commune. Mais je connois-
sois l'abbé Raynal lon[]f-temps avant que Grimm
le connut lui-même , et je lui étois toujours resté
attaché depuis un procédé plein de délicatesse
et d'honnêteté quil eut pour moi dans une
occasion bien légère, mais que je n'oubliai ja-
mais.
GetabbéRaynalestcertainementunami chaud.
J'en eus la preuve à-j)eu-près au temps dont je
parle envers le niêine Grimm avec lequel il s'é-
toit très étroitement lié. (jrinnn, après avoir vu
quelque temps mademoiselle Fel de bonne ami-
tié, s'avisa tout-à-coup de devenir éperdument
amoureux d'elle, et de vouloir supplanter Ga-
husac. fia belle, se picpiant de constance, écon-
duisit ce nouveau prétendant. Gelui-ci prit l'at-
faire au tra(]ique, et s'avisa d'en vouloir mou-
rir. Il t(»ud)a dans la plus étran^^c maladie dont
jamais [)eut-être on ait oui parler. 11 passoit les
jours et les nuits dans une continuelle léthar-
ffie, les yeux bien ouverts, le poulsbien batlaul,
mais sans parler, sans manj^er, sans 1)Ou.|;(M' ,
paroissant (pu^bjurfois entendre, mais ne répon-
dant jamais, pas même par sijyne , et du reste
sans agitation, sans douleur, sans Hêvre, et res-
PARTIE II, LIVRE VIII. l55
tant là comme s'il eût été mort. L'abhéEaynal
et moi nous partageâmes sa garde : labljé , plus
robuste et mieux portant, y passoit les nuits,
moi les jours , sans le quitter jamais ensemble,
et l'un ne par toit jamais que l'autre ne fut arrivé.
Le comte de Frièse , alarmé, lui amena Senac,
qui , après l'avoir bien examiné , dit que ce ne
seroit rien, et n'ordonna rien. Mon effroi pour
mon ami me fît observer avec soin la conte-
nance du médecin , et je le vis sourire en sortant.
Cependant le malade resta plusieurs jours im-
mobile, sans prendre ni bouillon ni quoi que
ce fût que des cerises confites que je lui mettois
de temps en temps sur la langue , et qu'il avaloit
fort bien. Un beau matin il se leva, s'habilla , et
reprit son train de vie ordinaire , sans que ja-
mais il m ait reparlé , ni , que je sache, à labbé
Raynal , ni à personne, de cette singulière lé-
thargie, ni des soins que nous lui avions rendus
tandis qu'elle avoit duré.
Cette aventure ne laissa pas de faire du bruit,
et c'eût été réellement une anecdote assez mer-
veilleuse ([ue la cruauté d'une fdle d'opéra eût
fait mourir un homme de désespoir. Cette belle
passion mit Grimm à la mode; bientôt il passa
pour un prodige d'amour, d'amitié, d'attache-
ment de toute espèce. Cette opinion le fit re-
chercher et fêter dans le grand monde , et par-là
l'éloigna de moi, qui jamais n'avois été pour
lui qu'un pis-aller. Je le vis prêt à m'échapper
tout-à-fait : j'en fus navré ; car tous les senti-'
id6 les confessions.
mcnts vifs dont il faisoit trophée étoient ceux
qu'avec moins de Ijriiit j'avois pour lui. Jctois
pourtant bien aise quil réussît dans le monde,
mais je n'aurois pas voulu que ce fut en oubliant
son ami. Je lui dis un jour : Grimm , vous me
néfjli{;(v. , je vous le pardonne : quand la pre-
mière ivresse des plaisirs bruyants aura fait son
effet , et que vous en sentirez le vide , j'espère
que vous reviendrez à moi, et vous me retrou-
verez toujours : quant à présent ne vous gênez
point ; je vous laisse libre , et je vous attends. Il
me dit que j'avois raison , s arranj^ea en consé-
quence, et se mit si bien à son aise que je ne
le vis plus qu'avec nos amis communs.
Notre principal point de réunion , avant (pi'il
fût aussi lié avec madame d'I'pinay qu'il l'a élé
dansUisuite,étoitla maison du baron d llolbac b.
Cedit baron étoit un fils cîe parvenu , qui jouis-
soit d'une assez (^rande fortune dont il usoit no-
blement, recevant chez lui des {^cns de lettres,
et , par son savoir et ses ronnoissances, tenant
bien sa place au milieu d'eux : lie depuis lon{;-
tenq^s avec Diderot , il m'avoit recbercbé par
son entremise , même avant (\\\c mon nom fût
connu. Tue réjJUfynanee naturelle m'enqiêcha
lonfT-tenq)s de répondre à ses avances, lu jour
il me demanda pour([uoi je le fuyois , je lui r('-
])ondis : Vous êtes troj) riebe. H s obstina, et
vainquit enlin. Mon plus {;rand malbeur fut
touj<mrs de ne savoir résister aux caresses : je
ne me suis jamais bien trouvé d y avoir cédé.
PARTIE lî, LIVRE VIII. ï57
Une autre connoissancc qui devint amitié ,
sitôt que j'eus un titre pour y prétendre, fut
celle de M. Duclos : il y avoit plusieurs années
que je l'avois vu pour la première fois à la Che-
vrette chez madame d'Eninay , avec laquelle il
étoit très bien. Nous ne fîmes que dîner en-
semble , et il repartit le même jour ; mais nous
causâmes quelques moments après le dîné. Ma-
dame d Epinay lui avoit parlé de moi et de mon
opéra des Muscs galantes. Duclos, doué de trop
grands talents pour ne pas aimer ceux qui en
avoient, s'étoit prévenu pour moi, m'avoit in-
vité à faller voir. Malgré mon ancien penchant ,
renforcé par sa connoissancc , ma timidité, ma
paresse , me retinrent tant que je neus au-
cun passe-port auprès de lui : mais, encouragé
par mon premier succès et par ses éloges qui me
revinrent, je fus le voir , il vint nie voir ; et ainsi
commencèrent entre nous des liaisons qui me le
rendinjnt toujours cher, et à qui je dois de sa-
voir , outre le témoignage de mon propre cœur,
que ladroitureetla probité peuvent s'allier quel-
quefois avec la culture des lettres.
Beaucoup d'autres liaisons, moins étroites,
moins durediles , et dont je ne fais pas ici men-
tion, furent Teffet de mes premiers succès, et
durèrent jusqu'à ce que la curiosité fût satis-
faite : j'étois un homme sitôt vu , quil n'y avoit
rien à voir de nouveau dès le lendemain. Une
femme cependant , qui me rechercha dansée
temps - là , tint plus solidement (|ue toutes les
î58 LES co^•I•ESSIO^"S.
autres : ce fut madame la marquise de; Cré-
qui, niccc de M. le. bailli de Froulay, ambassa-
deur de Malte, dont le lière avoit précédé, dans
l'ambassade de Venise, M. de ]\Jontai(;u. Ma-
dame de Créqui m'écrivit: je l'allai voir; elle
me ]>rit en amitié. J'y dînois quelquefois; j'y
vis plusieurs gens de lettres , et , entre autres ,
ce M. Saurin , l'auteur de Spartacus , de Bar-^
nevelt , etc. , devenu depuis lors mon très cruel
ennemi , sans que j'en puisse imaginer d'au-
tre cause , sinon que je porte le nom d'un
homme que son père a bien vilainement per-
sécuté.
On voit que pour un copiste qui devoit être
occiq>é i\c son métier du matin jtiscpi'au soir,
j'avois bien des distractions (pii ne icndoient
pas ma journée fort lucrative, et (pii m'empè-
choient d'être assez attentif à ce que je faisois
pour le bien foire : aussi perdois-je à effacer et
gratter mes fautes, ou à reconjmcncer ma feuille,
plus de la moitié du temps qu'on me laissoit.
Cette inq)ortunité me rendoit de jour en jour
Paris |)lus insupportable, et me iaisoit reeber-
cher la campagne avec ardeur, .l'allai plusieurs
fois passer (juel(|ues jours à Marcoussis , dont
madame Le Vass(?ur connoissoit le vicaire, cbez
Icipiel nous nous arrangions tous , de laeon qu'il
ne s'en trouvoit pas mal. Grimm y vint une fois
avec nous (i). Le vicaire avoit de la voix, clian-
(i) l'uis(j[ue jai lu'vlijjtj do lacoulcr une pclilc mai*
PARTIE II, LIVRE VIII. iSg
toit bien , et , quoiqu'il ne sût pas la musique ,
il apprenoit sa partie avec beaucoup de facilité
et de précision. Nous y passions le temps à chan*
ter mes trio de Glienonceaux. J'y en fis deux
ou trois nouveaux sur des paroles que Grimm
et le vicaire bâtissoient tant bien que mal. Je ne
puis m'empêcber de regretter ces trio .faits et
cbantés dans des moments de bien douce joie ,
et que j'ai laissés à Wooton avec toute ma mu-
sique. Mademoiselle Davenport en a peut-être
déjà fait des papillottes ; mais ils méritoient
d'être conservés. Ce fut après quelqu'un de ces
petits voyages où j'avois le plaisir de voir la
tante à son aise , bien gaie , et où je m'éçayois
fort aussi, que j'écrivis au vicaire fort rapide-
ment et fort mal une épître en vers qu'on trou-
vera parmi mes papiers.
J'avois , plus près de Paris , un autre refupe
fort de mon goût cbez M. Mussard , mon com-
patriote , mon parent et mon ami , qui s'étoit
fait à Passy une retraite cbarmante , où j'ai
coulé de bien paisibles moments. M. Mussard
étoit un joaillier, bomme de bon sens, qui,
après avoir acquis dans son commerce une for-
mémorable aventure que j'eus là avec ledit M. Grimm,
un matin que nous devions aller dîner à la fontaine de
Saint-Vandrille, je n'y reviendrai pas; mais, en y repen-
sant dans la suite, j'en ai conclu qu'il couvoit dès-lors au
fond de son cœur le complot qu'il a exécuté depuis avec
un si prodigieux succès.
(Cette note n'est point dans le manuscrit autographe. )
6o LES CONFESSIOÎsS.
tune honnête , et avoir marié sa fille unique à
M. de Vahnak'tte , maître-d'hôtel du loi, avoit
pris le sa(}e parti de quitter sur ses vieux jours
le néfjocc et les affaires , et de mettre un in-
tervalle de repos et de jouissance entre les tra-
cas de la vie et la mort. Le bonhomme Mus-
sard, vrai philosophe de pratiipie, vivoit sans
souci dans une maison très élégante qu'il s'étoit
bâtie, et dans un très joli jardin qu'il avoit planté
de ses. mains. En fouillant à fond de cuve les
terrasses de ce jardin , il trouva des coriuillages
fossiles, et il en trouva en si grande ([uautité
que son imagination exaltée ne vit plus que co-
quilles dans la nature, et qu'il crut enfin tout
de bon (pie lunivers entier n'étoit que coquilles,
débris de coquilles , et (pi'cn un mot la terre en-
tière n'étoit que du cron. Toujours occupé de
cet objet et de ses singulières découvertes , il s'é-
chauffa si bien sur ces idées qu'elles se seroient
enfin tournées dans sa tète en système, c'est-à-
dire en folie , si , très heureusement pour sa rai-
son, mais bien malheureusement pour ses amis,
qui trouvoicnt chez lui l'asile le plus agréable,
la mort ne fût venue le leur enlever par la plus
étraujje et cruelle malailie. Cétoil une tumeur
tlans l'estomac, toujours croissante , qui l'em-
pèclioil de manger, sans tj[ue , dniant très long-
temps , on en trouvât la cause, et qui finit, après
plusieurs années de souffrances, par le faire
mourir de faim. Je ne puis me iap[)eler sans
PARTIE II, LIVRE VIII. i6l
des serrements de cœur les derniers temps de
ce pauvre et dij^ne homme, qui, nous recevant
encore avec tant de plaisir Lenieps et moi , les
seuls amis que le spectacle des maux qu'il souf-
froit n'écarta pas de lui jusqu'à sa dernière
heure ; qui , dis-je , étoit réduit à dévorer des
yeux le repas qu'il nous faisoit servir, sans pou-
voir humer à peine quelques gouttes d'un thé
bien léger, qu'il falloit rejeter un moment après.
Mais avant ces temps de douleurs , combien j'en
ai passé chez lui d'agréables avec les amis d'élite
qu'il s'étoit faits ! A leur tête je mets l'abbé Pré-
vôt , homme très aimable et très simple , dont
le cœur vivifioit ses écrits dignes de l'immorta
lité, et qui n'avoit rien dans la société du coloris
qu'il donnoit à ses ouvrages ; le médecin Pro-
cope , petit Esope à bonnes fortunes ; Boulan-
ger, le célèbre auteur posthume du Despotisme
oriental^ et qui , je crois, étendoit les systèmes
de Mussard sur la durée du monde : en femmes ,
madame Denis , nièce de Voltaire , qui , n'étant
alors qu'une bonne femme , ne faisoit pas en-
core du bel esprit; madame Vanloo , non pas
belle assurément , mais charmante , qui chan-
toit comme un ange ; madame Valmalette elle-
même, qui chantoit aussi , et qui , quoique fort
maigre, eût été très aimable, si elle en eût moins
eu la prétention. Telle étoit à-peu-près la société
de M. Mussard, qui m'auroit assez plu, si son
tète-à-tête avec sa conchyliomanie ne m'avoit
i4- Il
lC2 LES CONFESSIONS.
|)lii davanlaj^e ; et je puis dire que, pendant
i)lus de six mois , j'ai travaillé à sou cabinet avec
autant de plaisir que lui-même.
Il y avoit long-temps qu'il prétendoit que ,
pour mon état, les eaux de Passy me scroient
salutaires , et qu'il m'exhortoit à les venir pren-
dre chez lui. Pour nie tirer un peu de la cohue,
le me rendis à la fin , et je fus passer à Passy
huit ou dix jours, qui me firent plus de bien ,
parceque j'ëtois à la campaffne , que parcecpie
j'y prenois les eaux. Mussard jouoit du violon-
celle, et aimoit passionnément la musique ita-
lienne. Un soir nous en parlâmes beaucoup
avant que de nous coucher, et siu-tout des opère
huffe^ que nous avions vus l'un et l'autre en Ita-
lie, et dout nous étions tous deux transportés.
I.a nuit, ne dormant pas , j'allai rêver comment
on pourroit faire pour donner en France l'idée
d'un drame de ce j«enre; car les amours de I^a-
(jonde ny ressembloient point du tout. Le ma-
tin , en me promenant et prenant les eaux , je
fis quelques manières de vers très à la bâte, et
j'y adajitai des chants qui me vinrent. Je bar-
l)ouillai le tout dans une espèce de salon voûté
qui étoit au haut du jardin , et au thé je ne pus
m'empêcher de montrer ces essais à Mussard
et à mademoiselle Duvernois sa gouvernante,
qui étoit une 1res bonne et aimable liHe. Les
trois morceaux <|U(> javois es(juissés ctoient , le
])renner m()nolo(;ue, f ai perdu mon serviteur ;
l'air ilu Devin , L amour croit iil s'i,:quicte ; et le
PARTIE II, LIVRE VIII. iG3
dernier duo , A jamais , Colin , je t'engage , etc.
.Timajjinois si peu que cela valût la peine d être
suivi , que , sans les applaudissements et les eu-
couragcments de l'un et de l'autre, jallois jeter
au feu mes chiffons et n'y plus penser, comme
j'ai fait tant de fois de choses du moins aussi
bonnes : iftais ils m'excitèrent si bien , qu'en six
jours mon drame fut écrit , à quelques vers près ,
et toute ma musique esquissée, tellement que
je n'eus plus à faire à Paris que ce qui étoit pu-
rement de remplissage ; et j'achevai le tout avec
une telle rapidité , qu'en trois semaines mes scè-
nes furent mises au net et en état d'être repré-
sentées. Il n y man([uoit que le divertissement ,
qui ne fut fait quç, long-temps après.
Échauffé de la composition de cet ouvrage ,
j'avois une grande passion de l'entendre , et j'au-
rois donné tout au monde pour le voir repré-
senter à ma fantaisie , à portes fermées , comme
on dit que Lulli fit une fois jouer Arniide pour
lui seul. Comme il ne m'étoit possible d'avoir ce
plaisir qu'avec le public, il falloit nécessaire-
ment , pour jouir de ma pièce , la faire passer à
l'Opéra. Malheureusement elle étoit dans un
genre absolument neuf, auquel les oreilles n'é-
toicnt point accoutumées ; et d'ailleurs le mau-
vais succès des Muses galantes m'en faisoit pré-
voir un pareil ])Our le Devin , si je le présentois
sous mon nom. Duclos me tira de peine, et se
chargea de faire essayer l'ouvrage en laissant
ignorer l'auteur. Pour ne pas me déceler, je ne
l64 LES CONFESSIONS,
me trouvai point à cette ré|3étition , et les pe-
tits violons (i) qui la dirigèrent ne surent eux-
mêmes quel en étoit l'auteur qu'après qu'une
acclamation générale eut atteste la bonté de
l'ouvrage. Tous ceux qui l'entendirent en étoient
enchantés , au point que , dès le lendemain ,
dans toutes les sociétés , on ne parteit d'autre
cliosc. M. de Cury , intendant des menus , qui
avoit assisté à la répétition , demanda l'ouvrage
pour être donné à la cour. Duclos , qui savoit
mes intentions , jugeant que je serois moins le
maître de ma pièce à la cour qu'à Paris , la re-
fusa. Cury la réclama d'autorité ; Duclos tint
bon, et le débat entre eux devint si vif, qu'un
jour à l'opéi^ ils alloicnt sortir ensemble si on
ne les eût séparés. On voulut s'adresser à moi ;
je renvoyai la décision de la chose à M. Duclos;
il fallut revenir à lui. M. le duc d'Aumont s'en
mêla. Duclos crut enfin devoir céder à l'autori-
té , et la pièce fut donnée pour être jouée à l-'on-
tainebleau.
La partie à laquelle je m'étois le plus attaché
et oii je m'éloignois le plus de la route commune
étoit le récitatif : le mien étoit accentué d une
façon toute nouvelle, et marchoit avec le débit
(i) C'est ainsi tju'on appeloit Kebcl et rrancœur , qui
s'cloient fait connoîtJ*e dès leur jeunesse en allant tou-
jours onscinl)li^ jouer du violon dans les niaisons.
II y a tout siniplenieiit ilaiis le iiiHiiiisrrit rili- :
C'est ainsi qu on a toujours désijjné Uebel et Fran-
cœur.
PARTIE II, LIVRE VIII. i65
de la parole. On n'osa laisser cette horrible in-
novation ; on craignoit qu elle ne révoltât les
oreilles moutonnières. Je consentis que Fran-
cueil et Jélyotte fissent un autre récitatif, mais
je ne voulus pas m'en mêler.
Quand tout fut prêt et le jour fixé pour la re-
présentation , Ton me proposa le voyage de Fon-
tainebleau pour voir au moins la dernière répé-
tition. J'y fus avec mademoiselle Fel , Grimm ,
et, je crois , l'abbé Raynal , dans une voiture de
la cour. La répétition fut passable ; j'en fus pins
content que je ne m'y étois attendu. L'orchestre
étoit nombreux, composé de ceux de l'Opéra et
de la musique du roi. Jélyotte faisoit Colin ;
mademoiselle Fel , Colette ; Cuvillier, le Devin :
les chœurs étoicnt ceux de l'opéra. Je dis peu
de chose ; c'étoit Jélyotte qui avoit tout dirigé :
je ne voulus pas contrôler ce qu'il avoit fait , et ,
malgré mon ton romain , j'étois honteux com-
me un écolier au milieu de tout ce monde.
Le lendemain , jour de la représentation , j'al-
lai déjeûner au café du grand commun. Il y
avoit là beaucoup de monde. On parloit de la
répétition de la veille , et de la difficulté qu'il y
avoit eu d'y entrer. Un officier qui étoit là dit
qu'il y étoit entré sans peine, conta au long ce
qui s'y étoit passé , dépeignit fauteur , rapporta
ce qu'il avoit fait , ce qu'il avoit dit : mais ce qui
m'émerveilla de ce récit assez long , fait avec au-
tant d'assurance que de simplicité , fut qu'il ne
s'y trouva pas un seul mot de vrai. Il m'étoit très
• i66 LES CONFESSIONS,
clair que celui qui parloit si savamment de cette
répétition ny avoit point été, puisquil avoit
devant les yeux sans le connoître cet auteur qu'il
disoit avoir tant vu. Ce qu'il y eut de ])lus siu-
fjulier dans cette scène tut IciFet (pi elle lit sur
moi. Cet homme étoit d'un certain âge; il n'a-
\oit point l'air fat et avantageux; sa physiono-
mie annonçoit un homme de mérite; sa croix
de S. Louis annon(;oit un ancien olHcier. Il m in-
téressoit malgré son impudence et malgré moi
tandis qu'il débitoit ses mensonges, je rougis-
sois , je haissois les yeux , j etois sur les épines ;
je cherchois quehpieiois en moi-même s il n'y
auroit pas moyen de le croire dans l'erreur et de
bonne foi. Enfin, tremblant (|uc «pielcpiun ne
me reconnût et ne lui en fît laflront , je me hâ-
tai d'achever mon chocolat sans rien dire, et,
baissant la tête en passant devant lui , je sortis
le plus tôt (pi il me fut possible, tandis cpie les
assistants péroroient sur sa relation. Je maper'
eus dans la rue que j'étois en sueur, et je suis
sûr que si quelqu'un m'eût reconnu et nommé
avant ma sortie , on m auroit vu la honte et
1 embarras (fun coupable, par le seul sentiment
de la j)(i no que ce pauvre homme auroit à
souffrir.
Me voici dans un de ces moments criti({ues de
ma vie ou il estdilHcile de ne faire «jne narier,
parcequ'il est presque impossible que la narra-
tion même ne porte enqireinte de censure ou
dapologie. J'essaierai toutefois de rapporter
PAP.TIE II, LIVRE VIII. l6j
comment et sur quels motifs je me conduisis ,
sans y ajouter ni louanges ni blâme.
J'étois ce jour-là dans le même équipai^e né-
jTli{^é qui metoit ordinaire, grande barbe et per-
ruque assez mal peigné^Prenant ce défaut de
décence pour un acte de courage , j'entrai de
cette façon dans la même salle où dévoient ar-
river, une demi-beure après , le roi , la reine, la
famille royale , et toute la cour. J'allai ni établir
dans la loge où me conduisit M. de Cury , et qui
étoit la sienne : c'étoit une grande loge sur le
tbéâtre , vis-à-vis la petite loge plus élevée où se
plaça le roi avec madame de Pompadour. Envi*
ronncde dames et seul d'bommesurle devant de
la loge , je ne pouvois douter qu'on ne m'eût
mis là précisément pour être en vue. Quand
on eut allumé, me voyant dans cet équipage au
milieu de gens tous excessivement parés , je
commençai d'être mal à mon aise ; je me de-
mandai si j'étois à ma place , si j'y étois mis con-
venablement; et, après quelques minutes d in-
quiétudes, je me répondis: Oui, avec une intré-
pidité qui venoit peut-être plus de l'impossibilité
de m'en dédire que de la force de mes raisons.
Je me dis : Je suis à ma place , puisque je vois
jouer ma pièce , que j'y suis invité, que je ne l'ai
faite que pour cela , et qu'après tout personne
n'a plus de droit que moi-même à jouir du fruit
de mon travail et de mes talents. Je suis rais à
mon ordinaire , ni mieux ni pis ; si je recom =
menée à m'asservir à fopinion dans quelque
l6S LES CONFESSIONS.
chose , m y voilà bientôt asservi derechef ea
tout. Pour être toujours moi-même, je ne dois
rougir en quelque lieu que ce soit d'être mis se-
lon létat que j'ai choisi. Mon extérieur est sim-
ple et nc[îli()é, mais noi^rasseux ni malpropre;
la harbe ne l'est point en elle-même, puisque
G est la nature qui nous la donne, et que, selon
les temps et les modes , elle est (pielqurFois mê-
me un ornement. On me trouvera ridicule, im-
pertinent ; eh! (jue m importe? Je dois savoir
endurer le murmure et le blâme, pourvu qu ils
ne soient pas mérités. Après ce petit solilocjue
je me raffermis si bien , que jaurois été intré-
pide si j'eusse eu besoin de l'être. Mais, soit effet
de la j)résence du maitrc, soit naturelle dispo-
sition des cœurs, je n'aperqus rien que d obli-
geant et d'honnête dans la curiosité dont jVtois
lobjct. J'en fus touche jusqu'à recommencer
d'être in(juiet sur moi-même et sur le sort de
ma pièce, craignant d'effacer des préjugés si fa-
vorables qui sendiloient ne chercher qu'à m'ap-
plaudir. J'étois armé contre leur raillerie; mais
leur air caressant, aucpiel je ne m'(Hois ])as at-
tendu, me subjugua si bien, (pic je trcmblois
comme un enfant quand on commença.
J eus bientôt de quoi me rassurer. La pièce
fut très mal joui'e quant aux acteurs , mais bien
f;hantée et bien exécutée (piant à la musique.
Dès la première scène, qui véritablement est
d'une naïveté touchante, j'entendis s'<^lever dans
les loges un nuunmrc de surprise et d applau-
PARTIE II, LIVRE VIII. iGg
dissement, jusqu'alors iiioui dans ce j^enre de
pièces. La fermentation croissante alla bientôt
au point d'être sensible dans toute l'assemblée,
et, pour parler à la Montesquieu, d'aufïjmenter
son effet par son effet même. A la scène des deux
petites bonnes gens, cet effet fut à son comble.
On ne claque point devant le roi ; cela fît qu'on
entendit tout : la pièce et l'auteur y gagnèrent.
J'entendois autour de moi un cbucbottement de
femmes qui me sembl oient belles comme des
anges, et qui s'entredisoient à demi-voix. Cela
est cbarmant, cela est ravissant; il n'y a pas un
son là qui ne parle au cœur. Le plaisir de don-
ner de l'émotion à tant d'aimables personnes
m'émut moi-même jusqu'aux larmes , et je ne
les pus contenir au premier duo, en remarquant
que je n'étois pas le seul à pleuier. J'eus un mo-
ment de retour sur moi-même en me rappe-
lant le concert de M. de Treytorens. Cette rémi-
niscence eut l'effet de l'esclave qui tenoit la cou-
ronne sur la tête des triompîiateuis , mais elle
fut courte, et je me livrai bientôt pleinement et
sans distraction au plaisir de savourer ma gloire.
Je suis pouitant sur qu'en ce moment la volupté
du sexe y entroit beaucoup plus que la vanité
d'auteur; et sûrement, s'il n'y eût eu là que des
hommes, je n'aurois pas été dévoré comme je
l'étois sans cesse du désir de recueillir de mes
lèvres les délicieuses larmes que je faisois cou-
ler. J'ai vu des pièces exciter de plus grands trans-
ports d'admiration , mais jamais une ivresse aussi
lyo LES CONFESSIONS.
pleine, aussi douce, aussi touchante, régner dans
tout un spectacle, et sur-tout à la cour, un jour
de première représentation. Ceux qui ont vu
celle-là doivent s'en souvenir ; car relïet en lut
unique.
^ Le soir même, INI. le duc d'Aumont me fit dire
de me trouver au château le lendemain sur les
onze heures,, et qu'il me présenteroit au roi.
ÎNI. de Cury , qui me Ht ce message, ajouta (ju on
croyoit qu'il s'agissoit d'une pension, et que le
roi vouloit me l'annoncer lui-même.
Croira-t-on cjue la nuit (jui suivit ime journée-
aussi hrillanle lut une nuit d angoisse et de j)er-
plexité pour moi? Ma première idée, après ceile
de cette présentation, se porta sur un fré<juent
besoin de sortir (|ui m'avoit lait beaucoup souf-
frir le soir même au spectacle, et qui pou voit me
tourmenter le lendemain quand je serois dans la
galerie ou dans les appartcnuMits du roi, au mi-
lieu de tous ces grands, attendant le passage de
sa majesté. Cette inlirmité étoit la principale
cause qui me tenoit écarté de tout cercle, et qui
m'empêchoit d'aller m'enfernu*r chez des fem-
mes. L'idée seule de Iclat (ùi ce besoin pouvoit
me mettre étoit capable de me le donner au
point de m'en trouver mal, à moins d'un es-
clandre au(juel j'auiois préféré la mort. Il n y a
([ue les gens qui counoissent cet état cpii j)uis-
scnt juger de l'effroi d'en courir le risque.
.le me Figurois ensuite devant le roi, présenté
à sa majesté , qui daignoit s'arrêter , et m'adresser
PABTIE II, LIVRE VIII. 171
la parole. C'étoit là qu'il falloit de la justesse et
de la présence d'esprit pour répondre. Ma mau-
dite timidité, qui me trouble devant le moindre
inconnu, mauroit-elle quitté devant le roi de
France, ou mauroit-elle permis de bien cboisir
ce qu'il falloit dire? Je voulois, sans quitter l'air
et le ton sévère que j'avois pris , me montrer
toutefois sensible à l'honneur que me faisoit un
si grand monarque. 11 falloit envelopper quel-
que grande et utile vérité dans une louange belle
et méritée. Pour préparer d'avance une réponse
heureuse, il auroit fallu prévoir juste ce qu'il
pourroit me dire , et j'étois sûr après cela de ne
pas retrouver en sa présence un mot de ce que
j'aurois médité. Que deviendrois-je en ce mo-
ment , et sous les yeux de toute la cour , s'il alloit
m'échapper dans mon trouble quelqu une de
mes balourdises ordinaires? Ce danger m'alar-
ma , m'effraya , me fit frémir au point de me
résoudre à tout risque de ne m'y pas exposer.
Je perdois , il est vrai , la pension qui m'étoit
offerte en quelque sorte; mais je m'exemptois
aussi du joug qu'elle m'alloit imposer. Adieu la
vérité , la liberté , le courage. Comment oser
parler d indépendance et de désintéressement?
Il ne falloit plus que flatter ou me taire en re-
cevant cette pension : encore , qui m'assuroit
qu'elle me seroit payée? Que de pas à faire! que
de gens à solliciter! Il m'en coùteroit plus de
soins, et bien plus désagréables, pour la conser-
ver que pour m'en passer. Je crus donc, en y
172 LES CONFESSIONS,
renonçant, prendre vin parti très conséquent à
mes priueipcs , et saerifier 1 aj)parence à la réa-
lité. Je dis ma résolution à Grimm , qui n y op-
posa rien. Aux autres j'alléguai ma santé, et je
partis le matin même.
Mon départ lit du bruit, et fut généralement
blâmé. Mes raisons ne pouvoient être senties par
tout le monde; nVaeeuser d'un sot orgueil étoit
bien plutôt fait, et contentoit mieux la jalousie
de «piiconque sentoit en lui-même qu il ne se
seroit pas conduit ainsi. Le lendemain , Jélyotte
m'écrivit un billet ou il me détailla les succès de
ma pièce, et lengouement où le roi lui-même en
étoit. Toute la journée, me marquoit-il, sa ma-
jesté ne cesse de chanter, avec la voix la plus
fausse de son royaume : J'ai perdu mon servi-
teur ; f ai perdu tout mon bonheur. Il ajouloit
que , dans la quinzaine , on devoit donner une
seconde représentation du Devin, qui cousta-
teroit aux yeux de tout le public le plein succès
de la première.
Deux jours après, comme j'entrois sur les neuf
heures chez madame d'Kpinay, où j'allois sou-
per, je me vis croisé par un fiacre à la porte.
Quel((u'un me Ht signe de ce fiacre d'y monter ;
j'y monte: c'étoit Diderot. 11 me parla de la j)en-
sion avec un f«u<jue, sur pareil sujet, je n'au-
rois pas attendu d'un philosophe. 11 ne me fit
pas un crime de n'avoir j)as voulu être présenté
au roi, mais il m'en fit un terrible de mon in-
différence pour la pension. Il me dit que sij'é-
PARTIE II, LIVRE VIII. 17^
tois désintéressé pour mon compte , il ne m'é-
toit pas permis de l'être pour celui de madame
Le Vasseur et de sa fille ; que je leur devois de
ne négliger aucun moyen possible et honnête de
leur donner du pain ; et, comme on ne pouvoit
pas dire après tout que j'eusse refusé cette pen-
sion , il soutint que, puisqu'on avoit paru dis-
posé à me l'accorder, je devois la solliciter et
l'obtenir à quelque prix que ce fût. Quoique je
fusse touché de son zèle, je ne pus goûter ses
maximes , et nous eûmes à ce sujet une dispute
très vive, la première que j'aie eue avec lui; et
nous n'en avons jamais eu que de cette espèce,
lui me prescrivant ce qu'il prétendoit que je de-
vois faire , et moi m'en défendant parceque je
croyois ne le devoir pas.
Il étoit tard quand nous nous quittâmes. Je
voulus le mener souper chez madame d'Épinay;
il ne voulut point ; et , quelque effort que le dé-
sir d'unir tous ceux que j'aime m'ait fait faire en
divers temps pour l'engager à la voir, jusqu'à la
mener à sa porte , qu'il nous tint fermée, il s'en
est toujours défendu, ne parlant d'elle qu'en ter-
mes très méprisants. Ce ne fut qu'après ma
brouillerie avec elle et avec lui qu'ils se lièrent ,
et qu'il commen(ja d'en parler avec honneur.
Depuis lors Diderot et Grimm semblèrent
prendre à tâche d'aliéner de moi les {jouver-
neuses , leur faisant entendre que c'étoit mau-
vaise volonté de ma part si elles n'étoient pas
plus à leur aise, et qu'elles ne feroient jamais
1-74 LES CONFESSIONS,
rien avec moi. Ils tâclioient de les engajjer à
me quitter, leur promettant un regrat de sel ,
MU bureau de tahac , et je ne sais quoi encore,
parle crédit de madame d'Epernay. Ils voulurent
même entraîner Duclos , ainsi que d'Holbach ,
dans leur ligue ; mais le premier s'y refusa tou-
jours. J'eus alors quelque vent de tout ce ma-
nège ; luais je ne 1 appris bien distinctement
que long-temps après , et j'eus souvent à déplo-
rer le zèle aveugle et peu discret de mes amis,
qui, clierchantà me réduire, inconnnodé comme
j'étois, à la plus triste solitude , travailloient dans
leur itlée à me rendre heureux parles moyens les
plus propres à me rendre en ellét Uiisérable.
Le carnaval suivant , i ySS , le IJeviu liit joué à
Paris , et j'eus le temps, dans cet intervalle, d'en
faire l'ouverture et le divertissement. Ce diver-
tissement , tel (|u'il est gravé, devoit être en ac-
tion duu bout à lautre, et dans un sujet suivi,
cjui, selon moi, fournissoit des tableaux très
agréables. Mais (juand je proposai cette idée à
l'opéra, on ne m'entendit seulement pas, et il
fallut coudre des chants et des dansées à l'ordi-
jialre : cela lit <jue ce divertissement, quoique
jdein d'idées charmantes , qui ne déparent point
les scènes, réussit très nu'diocrement. .l'otai le
récitatif de Jélyotte, et je rétablis le mien tel (jue
jclavoisfait d'abord et qu'il est gravé; et ce ré( i-
latil, tni p<Mi francisé, jcravoue.c'est-à-diretraîné
j)ar le> acteurs , loin de cluxpier personne , na
.pas moins réussi ([uc les airs , et a paru , même
PARTIE II, LIVRE VIII. i ■yS
au puhlic , tout aussi bien lait pour le moins. Je
dédiai la pièce à M. Duclos qui l'avoit protégée ,
et je déclarai que ce seroit ma seule dédicace..
J'en ai pourtant fait une seconde avec son con-
sentement ; mais il a dû se tenir encore plus
honoré de cette exception que si je n en avois
fait aucune.
J'ai sur cette pièce beaucoup d'anecdotes sur
lesquelles des choses plus importantes à dire ne
me laissent pas le temps de m'étendre ici. J'y re-
viendrai peut-ètreun jour dans le supplément. Je
n'en saurois pourtant omettre une, qui peut avoir
trait à tout ce qui suit. Je visitois un jour dans le
cabinet du baron d'Holbach samusique ; après en
avoir parcouru de beaucoup d'espèces , il médit,
en me montrant un recueil de pièces de clavecin :
Voilà des pièces qui ont été composées exprès
pour moi ; elles sont pleines de goût , bien chan-
tantes ; personne ne les connoît ni ne les verra
que moi seul. Vous en devriez choisir quelqu'une
pour l'insérer dans votre divertissement. Ayant
dans la tête des sujets d'airs et de symphonies
beaucoup plus que je n'en pouvois employer , je
me souciois très peu des siens. Cependant il me
pressa tant , que par complaisance je choisis
une pastorellc que j'abrégeai, et que je mis en
trio pour lentrée des compagnes de Colette.
Quelques mois après,, et tandis qu'on représen-
toit le Devin, entrant un jour chez Grimm , je
trouvai du monde autour de son clavecin , d'où
il se leva brusquement union arrivée. En regar-
l-j6 LES CO>'FESSIONS.
daiit machinalfiiioiu sur son pupitre, j y vis ce
iiiêiiie recueil du baron d Holbach ouvert préci-
sément à cette niùnie pièce quil nTavoit pressé
de prendre, en m assurant quelle ne sortiroit
jamais de ses mains. Quelque temps après je
vis encore ce même recueil ouvert, au même
endi'oit , sur le clavecin de M. dEpinay , un jour
quil avoit musique chez lui.Grinim ni personne
ne m'a jamais parlé de cet air ; et je n en parle-
rois pas ici moi-nième, si,(|urlque tenqis après,
il ne setoit répandu dans i'arisun bruit, tpii vé-
ritablement ne dura pas , que je n etois l'auteur
que du Devin du Villafje. Comme je ne Tus ja-
mais un (jrand croque-notes , je suis ])ersuadé
que, sans mon Dictionnaire tle musique, on
auroit dit à la fin que je ne la savois pas (i).
Qucl([ue temps avant qu'on donnât le Devin
du Village, il étoit arrivé à Paris des boulFons
italiens qu'on fit jouer sur le théâtre de lopéra,
sans prévoir l'eflèt (pi'ils y alloient faire. Quoi-
qu'ils fussent détestables, et que l'orchestre-,
alors très ip;noiant, estropiât comme à ])laisir
les pièces qu'ils donnèrent, elles n%laissèrent yn\s
de faire à l'opéra françois un tort (|u il n a ja-
mais réparé. J.a conq)araison de (es deux mu-
siques, entendues le même jour sur le niême
théâtre , déboucha les oreilles françoises ; il n'y
en eut point qui pût endurer la trainerie tie
(i) Je ne prévoyois jjuère encore qu'on le diroil enfin,
maigre le Dictionnaire.
(Celte noiu ii\;H poial dans le manuscrit uuiujp-aphe. )
PARTIE II, LIVRE VIII. ly-y
leur musique après l'accent vif et marqué de
l'italienne : sitôt que les bouffons avoient fini ,
tout s'en alloit. On fut forcé d'en clianji^er
l'ordre , et de mettre les bouffons à la fin. On
donnoit Ep,lé , Py^rmalion, le Sylphe; rien ne
tenoit. Le seul Devin du Viîlaçe soutint la com-
paraison ,et plut encore apiv s la Serva padrona.
Quand je composai mon intermède j'avois l'es-
prit rempli de ceux-là; ce furent eux (jui m'en
donnèrent l'idée , et j'étois bien éloigné de pré-
voir qu'on les passeroit en revue à côté de lui.
Si j'eusse été un pillard, que de vols seroient
alors devenus manifestes , et combien on eût
pris soin de les faire sentir ! Mais rien : on a
eu beau faire , on n'a pas trouvé dans ma mu-
sique la moindre réminiscence d'aucune autre;
et tous mes cliants , comparés aux originaux,
se sont trouvés aussi neufs que le caractère de
musique que j'avois créé. Si l'on eût mis Mon-
donville ou Rameau à pareille épreuve , ils n'en
seroient sortis qu'en lambeaux.
Les bouffons firent à la musique italienne des
sectateurs très ardents. Tout Paiis se divisa en
deux partis plus échauffés que s'il se fût agi
d'une affaire d'état ou de religion. L'un, plus
puissant, plus nombreux, composé des grands,
des riches et des femmes, soutenoit la musique
françoise; l'autre, plus vif, plus îier, plus en-
thousiaste, étoit composé des vrais connois-
seurs , des gens à talents, des hommes de génie.
Son petit peloton se rassembloit à l'opéra sous
14. 13
178 LES CO>FESSIOrsS.
la loge delà reine. L'antre parti remplissoit tout
le reste du parterre et de la salle; mais son foyer
principal ctoit sous la loge du roi. Voilà d'où
vinrent ces noms de partis , célèbres dans ce
temps-là , de Coin du roi et de Coin de la reine.
La dispute,, en s'animant , produisit des bro-
chures. Le coiji du loi voulut plaisanter, il fut
niotpié par le petit Prophète : il voulut se nulcr
de raisonner ; il fut écrasé par la Lettre sur la
musique jrançoise. Ces deux petits écrits , l'un
de Grimm et l'autre de moi , sont les seuls qui
survivent à cette ([uerelle ; tous les autres sont
déjà morts.
Mais le petit Proplicte qu'on s'obstina long-
temps à m'attribuer malgré moi, fut pris en
plaisanterie , et ne fit jamais la moindre peine
à son auteur ; au lieu que la Lettre sur la musique
fut prise au sérieux, et souleva contre moi toute
la nation, qui se crut offensée dans sa musique.
La description de fincroyable effet de cette bro-
chure seroit digne de la plume de Tacite. C'étoit
le tenqis de la grande querelle du ])arlement et
du clergé. Le parlen?ent venoit d être exilé; la
fermentation étoit au comble : tout menac^oit
d'un prochain soulèvQment. Ma brochure parut;
à finstant toutes les autres (puMvllcs furent ou-
J)ljées: on ne songea (pi au péril de la nmsitpie
franeoise, et il n y eut plus de soulèvement <juc
contre nmi. 11 lut tel , cpie la nation uen est ja-
mais bien revenue. A la cour, on ne balancoit
qu entre la Bastille et l'exil ; et la leltre-de-cacli<'t
PARTIE II, LIVRE VIII. 1-9
alloit être expédiée , si M. de Voyer n'en eut fait
sentir le lidicule. Quand on lira que cette bro-
chure a peut-être empêché une révolution dans
r^'tat , on croira rêver. C'est pourtant une vérité
bien réelle , que tout Paris peut encore attester,
puisqu'il n'y a pas aujourd'hui plus de quinze ans
de cette singulière anecdote.
Si l'on n attenta pas à ma liberté, l'on ne m'é-
pargna pas du moins les insultes-, ma vie même
fut en danger. L'orchestre de l'opéra fit l'hon-
nête complot de m'assassiner quand j'en sorti-
reis. On me le dit; je n'en fus que plus assidu à
lopéra, et je ne sus que long-temps après que
M. Ancclct, officier des mousquetaires, qui avoit
d-e famitié pour moi, avoit détourné l'effet du
çonqDlot, en me faisant escorter à mon insu à
la sortie du spectacle. La ville venoit d'avoir la
direction de l'opéra. Le premier exploit du pré-
vôt des marchands fut de m ôtcr mes entrées ,
et cela de la façon la plus malhonnête qu'il put
ima^»iner; c'€st-à-dire en me les faisant refuser
puliliqucment à mon passage ; de sorte que je
fus obligé de prendre un billet d'amphithéâtre
poiu- n'a'voir pas l'affront de m'en retourner ce
jour-là. L'injustice étoit d'autant plus criante
que le seul prix ({ue j'avois mis à ma pièce , en
la leur cédant, étoit mes entrées à perpétuité :
car, quoique ce fut un droit pour tous les au-
teurs, et que j'eusse ce droit à double titre, je
ne laissai pas de le stipuler expressément , en
présence de M. Duclos. Il est vrai qu'on m'envoya
l8o LES CONl'ESSIOKS.
pour mes honoraires, par le caissier de 1 opéra ,
cinquante louis que je n avois pas demandés ;
mais , outre que ces cinquante louis ne faisoient
pas même la somme qui me revenoit dans les
règles , ce paiement n avoit rien de comnmn
avec le droit d'entrées formellement stipulé , et
qui en étoit entièrement indépendant. Il y avoit
dans ce procédé une telle complication de bru-
talité et d iniquité, que le public , alors dans sa
plus grande animosité contre moi, ne laissa pas
d'en être unanimement choqué, et tel qui m'a-
voit insulté la veille crioit le lendemain tout
haut dans la salle (ju il étoit honteux d'ôterainsi
les entrées à un auteur qui les avoit si bien mé-
ritées, et qui pouvoit même les réclamer pour
deux. Tant est juste le proverbe italien cli ognun
ama la giustizia in casa daltrui.
Je n'avois là-dessus qu'un parti à prendre ;
c étoit de réclamer mon ouvrage puisqu'on m'en
ôtoit le prix accordé. J'écrivis pour cet effet à
M. d'Argenson , qui avoit le département de
Topera, et je joignis à ma lettre un mémoire qui
étoit sans réplique , et qui demeura sans réponse
et sans effet , ainsi c[ue ma lettre, f.e silence de
cet homme injuste me resta sur le cœur, et ne
contribua pas à augmenter l'estime très médio-
cre que j'eus toujours pour son caractère et pour
ses talents. Cest ainsi <pi on a gardé ma pièce à
l'opéra, en me frustrant du prix pour lequel je
l'avois cédée. Du foible au fort, ce seroit voler;
PARTIE II, LIVRE VIII. l8l
<\n fort au foible , c'est seulement s'approprier le
bien d'autrui.
Quant au produit pécuniaire de cet ouvrage ,
quoiqu'il ne m'ait pas rapporté le quart de ce
([u'il auroit rapporté dans les mains d'un autre,
il ne laissa pas d'être assez grand pour me mettre
en état de subsister plusieurs années, et suppléer
à la copie, qui alloit toujours assez mal. J'eus
cent louis du roi, cinquante de madame de Pom-
padour pour la représentation de Bellevue , où
elle fit elle-même le rôle de Colin, cinquante de
l'opéra, et cinq cents francs de Pissot pour la gra-
vure; en sorte que cet intermède, qui ne me
coûta jamais que cinq ou six semaines de tra-
vail , me rapporta presque autant d'argent, mal-
gré mon malbcur et ma lialourdise, que m'en a
depuis rapporté l'Emile , qui m'avoit coûté vingt
ans de méditation et trois ans de travail : mais
je payai bien l'aisance pécuniaire où me mit cette
pièce, par les cbagrins infinis qu'elle m attira.
Elle fut le germe des secrètes jalousies qui n'ont
éclaté que long-temps après. Depuis son succès,
je ne remarquai plus ni dans Diderot ni dans
Grimm , ni dans aucun dos gens de lettres de
ma connoissance , cette cordialité, cette fran-
chise, ce plaisir de me voir, que j'avois cru trou-
ver en eux jusqu'alors. Dès que je paroissois
chez le baron, la conversation cessoit d'être gé-
nérale. On se rassembloit par petits peloton.-» ,
on se chuchotoit à l'oreille, et jerestois seul sans
l82 LES CONFESSIONS,
savoir avec qui parler. J'endurai lonrj-tcnips ce
choquant abandon , et , voyant que uiadamc
d'Holbach, qui ctoit douce et aimable, me re-
cevoit toujours bien, je supportai les grossièretés
de son mari tant quelles furent supportables ;
mais un jour il m'entreprit sans sujet, sans pré-
texte, et avec une telle brutalité, devant Dide-
rot, qui ne dit pas un mot, et devant Margency,
qui m'a dit souvent depuis lors avoir admiré la
douceur et la modération de mes réponses ,
qu enfin, chassé de chez lui par ce traitement
indij^ne, j'en sortis, résolu de n'y ]dus rentrer.
(]ela ne m'empêcha pas de parler toujours hono-
rablement de lui et de sa maison ; tandis qu'il
ne s'exprimoit jamais sur mon compte qu'en
termes outrageants, méprisants, sans me dési-
gner autrement que par cq petit cuistre ^ et sans
pouvoir cependant articuler aucun tort d'aucune
espèce que j'aie eu jamais avec lui, ni avec per-
sonne à laquelle il prît intérêt. Voilà comment
il finit par vérifier mes prédictions et mes crain-
tes. Pour moi , je crois que mcsdits amis m au-
roient pardonné de faire des livres , et d'excel-
lents livres, parceque cette gloire ne leur étoit
pas étran{ifère , mais qu ils ne purent me pardon-
ner d'avoir fait un opéra, ni les succès brillants
cju eut cet ouvrage , parcerpie aucun d eux n'éloit
tn état tic courir la même carrière, ni d aspirer
aux mêmes honneurs. Duclos seul, au-dessus de
cette jalousie , parut augmenter encore d'amitié
pour moi, et jn'iiitroduisit oliez mademoiselle
PARTIE ri, LIVRE VIII. l83
Quinault, où je trouvai autant d'attentions ,
d'honnêtetés , de caresses , que j'avois trouvé peu
de tout cela chez M. d'Holbach.
Tandis quon jouoit le Devin du village à l'o-
péra , il étoit aussi question de son auteur à la
comédie Françoise , mais un peu moins heureu-
sement. N'ayant pu dans sept ou huit ans faire
jouer mon Narcisse aux italiens , je m'etois dé-
goûté de ce théâtre par le mauvais jeu des ac-
teurs dans le fraheois , et j'aurois bien voulu
avoir fait passer ma pièce aux françois plutôt
que chez eux. Je parlai de ce désir au comédien
La Noue, avec lequel j'avois fait connoissance ,
et qui, comme on sait , étoit homme de mérite
et auteur. Narcisse lui plut ; il se chargea de le
faire jouer anonyme , et, en attendant, il me
procura les entrées , qui me furent d'un grand
agrément; car j'ai toujours préféré le théâtre
françois aux deux autres. La pièce fut reçue avec
applaudissement , et représentée sans qu'on en
nommât l'auteur ; mais j'ai lieu de croire que
les comédiens et bien d'autres ne l'ignoroient
pas. Les demoiselles Gaussin et Grandvaljouoicnt
les rôles d'amoureuses, et, quoique l'intelligence
du tout fût manquée à mon avis, on ne pouvoit
pas appeler cela une pièce absolument mal jouée.
Toutefois je fus surpris et touché de l'indulgence
du public , qui eut la patience de l'entendre tran-
quillement d'un bouta l'autre, et d'en souffrir
même une seconde représentation sans donner
le moindre signe d'impatience. Pour moi , je
l84 LES CONFESSIONS.
m'ennuyai tellement à la première, que je ne
pus tenir jusqu'à la fin ; et , me rcfufriant au café
tic Procope, (jui étoit vis-à-vis, j'y trouvai Boissi
et quehpies autres , qui , probablement , sétoient
ennuyés comme moi. Là je dis hautement mon
peccavi , m'avouant humblement 1 auteur de la
pièce, et en parlant connue tout le monde en
pensoit. Cet aveu pui)licde l'auteur d'une mau-
vaise pièce qui tombe fut fort admiré, et me parut
très peu pénible, .ly trouvai même un dédom-
marjement d amour-propre dans le coura{;c avec
lequel il fut fait, et je crois qu'il y eut en cette
occasion plus d'orgueil à parler, qu'il n'y auroit
eu de sotte honte à se taire. (Cependant, comme
il étoit sûr que la pièce, (|u<)i(jue fi,lacée à la re-
présentation, soutenoit la lecture, je la fis im-
primer; et, dauG la préface, qui est un de mes
bons écrits, je commentai de mettre à décou-
vert mes principes un peu plus que je n'avois
fait jusqu alors.
J'eus bientôt occasion de les développer tout-
à-fait dans un oi'vrafje de plus jurande impor-
tance ; car ce fut , je pense , en cette année i 'jj
que parut le proijramme de lacadémie de Dijon
sur VOrigirie Je Vuiégalité parmi les hommes.
Frappé de celte fjrandc «piestion , je fus surpris
que cette académie eut osé la proposer ; mais ,
puisque enfin elîe avoit eu ce courage, je pou-
vois bien avoir celui de la traiter; et je l'entrepris.
Pour méditer à mon aise ce fjrand sujet , je fis
à Saint-Germain un voyage de sept ou huit jouri
PARTIE II, LIVRE VIÎI. l85
avec Thérèse, notre hôtesse, qui étoit une bon-
ne femme, et une de ses amies. Je compte ce
voyage pour un des plus agréables de ma vie. Il
faihoit très beau : ces bonnes femmes se char-
geoient des soins et de la dépense ; Thérèse s'a-
musoit avec elles , et moi , sans souci de rien , je
venois m'égayer sans gêne aux heures des repas.
Tout le reste du temps , enfoncé dans la forêt ,
j'y cherchois , j'y trouvois l'image des premiers
temps , dont je tracois fièrement l'histoire : je
faisois main-basse sur les petits mensonges des
hommes ; j'osois dévoiler à nu leur nature , sui-
vre le progiès du temps et des choses qui l'ont
défigurée; et, comparant l'homme de l'homme
avec l'homme naturel, leur montrer dans son
perfectionnement prétendu la véritable source
de ses misères. Mon ame , élevée par ces con-
templations sublimes, s'osoit placer auprès de la
divinité , et , voyant de là mes semblables suivre
dans l'aveugle route de leurs préjugés celle de
leurs erreurs , de leurs malheurs , de leurs cri-
mes , je leur criois d'une foible voix qu'ils ne
pouvoient eittendre : Insensés, qui vous plai-
gnez sans cesse de la nature , apprenez que tous
vos maux vous viennent de vous.
De ces méditations résulta le Discours sur
l'inégalité ^ ouvrage qui fut plus du goût de Di-
derot que tous mes autres écrits , et pour lecjuel
ses conseils me furent le plus utiles (i), mais
(i) Dans le temps que j'ëcrivois ceci , je n'avois encore
l86 LES CONFESSIONS.
qui ne trouva dans toute l'Europe que peu Je
lecteurs qui rcntendissent , et aucun de ceux-là
qui voulût en parler. Il avoit été fait pour con-
courir au prix : je l'envoyai donc , mais sûr d'a-
vance qu'il ne l'auroit pas, et sachant bien que
ce n est pas pour des pièces de cette étoffe que
sont fondés les prix des académies.
Cette promenade et cette occupation firent
du l)ien à mon humeiu' et à ma santé : il y avoit
déjà plusieurs années que, tourmenté de ma ré-
tention d'urine , je m'étois livré sans réserve aux
iiK'decins , qui, sans alléfifcr mon mal, avoient
épuisé mes forces et détruit mon tempérament.
Au retour de Saint-Germain , je me trouvai plus
de forces et me sentis beaucoup mieux. Je sui-
vis cette indication ; et , résolu de guérir ou
mourir sans médecins et sans remèdes, je leur
dis adieu pour jamais, et je me mis à vivre au
jour la journée, restant coi quand je ne pouvois
aucun soupçon du gran<l complot deDidcrotet deCrimn»,
sans quoi j'aurois aisément reconnu combien le premier
abusoit de ma confiance pour donner à mes écrits ce ton
dur et cet air noir qu'ils n'eurent plus quand il cessa de
me dirifjer. Fie morceau du pbilosopbe qui s'argumente
en se boucbant les oreilles pour s'endurcir aux ptaintes
d'un malheureux est de sa fanon, et il m'en avoit fourni
d autres plus forts encore «pie je ne pus me rt'soudre à
«•luployer. Mais, attribuant utiicpiemeut cette liiiineur
nf)ire à celle que lui avoit donnée le donjon de Vincen-
nes , et dont on r«'trouve «lans son (Uairval ime assez forte
dose, il ne me vint jamais à l'esprit d'y soupçonner la
moindre méchanceté.
PARTIE II, LIVRE VIII. iSy
aller, et marchant sitôt que j'en avois la force.
Le train de Paris parmi les gens à prétention
étoit si peu de mon goût ; les cabales des gens
de lettres, leurs honteuses querelles, leur pou
de bonne foi dans leurs livres , leurs airs tran-
chants dans le monde, m'ctoient si odieux, si
antipathiques ; je trouvois si peu de douceur ,
d'ouverture de cœur, de franchise, dans le com-
merce môme de mes amis , que , rebuté de cette
vie tumultueuse , je commencois de soupirer
ardemment après le séjour de la campagne , et ,
ne voyant pas que mon métier me permît de
m'y établir, j'y courois du moins passer les heu-
res que j'avois de libres. Pendant plusieurs mois,
tV abord après mon dîné , j'allois me promener
seul au bois de Boulogne , méditant des sujets
d'ouvrages, et je ne revenois qu'à la nuit.
Gauffecourt , avec lequel j'étois alors extrê-
mement lié , se voyant obligé d'aller à Genève
pour son emploi , me proposa ce voyage. J'y
consentis. Je n'étois pas alors assez bien pour
mepasser des soins de la gouverneuse. Il fut dé-
cidé qu'elle seroit du voyage , que sa mère gar-
deroit la maison ; et , tous nos arrangements
pris , nous partîmes tous trois ensemble le pre-
mier juin 1754.
Je dois noter ce voyage comme l'époque de la
première expérience <[ui, jusqu'à 1 âge de qua-
rante-deux ans que j'avois alors , ait porté at-
teinte au naturel pleinement confiant avec le-
quel j'étois né , et auquel je niétois toujours
l88 LES CONFESSIONS,
livré sans réserve et sans inconvénient. Nous
avions un carrosse bourfjeois , qui nous menoit
avec les mêmes chevaux à très petites journées.
Je dcsccndois et marcliois souvent à j)ied. A
peine étions-nous à la moitié de notre route que
Thérèse marqua la plus grande répufjnance à
rester seule dans la voiture avec Gauffecourt ;
et que , ([uand , malf^ré ses prières , je voulois
descendre, elle desccndoit et marchoit aussi. Je
la grondai long-temps de ce caprice, et même
je m'y opposai tout-à-fait, jusqu'à ce quelle se
vit forcée enfin à m'en déclarer la cause. Je crus
rêver, je tond)ai des nues, quand j appris que
mon ami M. de Gauffecourt , âgé de plus de
soixante ans, podagre, impotent, usé déplai-
sirs et de jouissances, travailloit en secret de-
puis notre départ à séduire et corrompre une
personne qui n'étoit plus ni belle ni jeune, qui
appartenoit à son ami; et cela par les moyens
les plus bas, les plus honteux, jus(ju'a lui pré-
senter sa bourse, jusqu'à tenter de l'émouvoir
par la lecture d'un livre abominable, et par la
vue des figures infâmes dont il étoit plein. Thé-
rèse iiidijjiiée lui lança une fois son vilain livre
par la portière ; et j'appris que, le premier jour,
m'étant allé coucher sans souper à cause d'une
violente migraine , il avoit employé tout le
tenq)s de ce tête-à-tête à des tentatives et des
m;iiueuvres plus dignes d un satvreet diin bouc
que d'un honnête homme aM<|nel javois confié
ma compagne et moi-même. Quelle surprise !
PARTIE II, LIVRE VIII. ïSg
quel serrement de cœur tout nouveau pour
moi ! Moi , qui jusqu'alors avois cru Tamitié in-
séparable des sentiments aimables et nobles qui
font tout son charme, pour la première fois d^
ma vie , je me vois forcé de l'allier au dédain ,
et d'ôter ma confiance et mon estime à un hom-
me que j'aime et dont je me crois aimé ! Le
malheureux me cachoit sa turpitude ; pour
ne pas exposer Thérèse , je me vis forcé de lui
cacher mon mépris , et de receler au fond de
mon cœur des sentiments que mon ami n'e de-
voit pas connoître. Douce et sainte illusion de
l'amitié î Gauffecourt leva le premier ton voile à
mes yeux. Que de mains cruelles l'ont empêché
depuis lors de retomber !
A Lyon, je quittai Gauffecourt pour prendre
ma routé parla Savoie, ne pouvant me résoudre
à passer derechef si près de maman sans la re-
voir. Je la revis.... dans quel état, mon Dieu ï
Quel avilissement ! que lui restoit-il de sa vertu
première? Étoit-ce la même madame de Warens,
jadis si brillante, à qui le curé Pontverre m'avoit
adressé? Que mon cœur fut navré ! Je ne vis plus
pour elle d'autre ressource que de se dépayser.
Je lui réitérai vivement et inutilement les in-
stances que je lui avois faites plusieurs fois dans
mes lettres de venir vivre paisiblement avec moi,
qui voulois consacrer ma vie et celle de Thérèse
à rendre ses jours heureux. Attachée à sa pen-
sion , dont cependant elle ne tiroit plus rien de-
puis long-temps, elle ne m'écouta pas. Je lui fis
lr)0 LES CONFESSIONS,
quelque légère part de uia liourse, bien moins
que je n'aurois dû, bien moins que je naurois
fait, si je n'eusse été sur qu'elle n'en mettroit
pas un sou à son usage. Durant mon séjour à
Genève, elle fit un voyage en Ghablais, et vint
me voir à Grange-Canard. Elle mancjuoit d'ar-
gent pour aeliever son voyage ; j<3 n'avois pas
sur moi ee qu'il falloit pour cela; je le lui en-
voyai une heure après par Thérèse. Pauvre ma-
man ! Que je dise encore ce trait de son cour. 11
ne lui restoit pour dernier bijou qu une petite
bague. Elle l'ôta de son doigt pour la mettre à
celui de Thérèse, ({ui la remit à l'instant au sien,
en baisant cette nol)l(' main ({u'cllc arrosa de ses
pleurs! .\li cétoil alors le iiioujcnt tiaccjuittcr
jiia (Ici te! Il lalloit tout (piiltrr pour la suivre,
m'attacher à elle jusqu'à sa dernière heure, et
partager son sort quel <|u il fût. Je n'en fis rien.
Distrait par un autre attachement, je sentis re-
lâcher le mien pour elle, faute d'espoir de pou-
voir le lui rendre utile. Je gémis sur elle, et ne
la suivis pas. De tous les remords que j'ai sentis
en ma vie , voilà le plus vif et le plus permanent.
Je méritai par-là les châtiments terribles qui ,
<lepuis lors, n'ont cessé de m'accablcr; puissent-
ils avoir expié mon ingratitiule ! Elle fut dans
ma conduite ; mais elle a trop dcchir*' mon cœur
pour (jue jamais ce cœur ait été c( lui d un in-
grat.
Avant mon départ de l'aris, j avois cscjuis'-c
Ja dédic.icc du Df'scuiirs sur l'inci^a/ité. Je TaclK -
PARTIE II, LIVRE VIII. ïQï
vai à Chanibéry, et la datai du même lieu, ju
géant qu'il ëtoit mieux, pour éviter toute chi-
cane , de ne la dater ni de Genève ni de France.
Arrivé dans cette ville, je me livrai à l'enthou-
siasme républicain qui m'y avoit amené. Cet
enthousiasme augmenta par l'accueil que j'y re-
çus. Fêté , caressé dans tous les états , je me li-
vrai tout entier au zèle patriotique ; et, honteux
d'être e^clu de mes droits de citoyen par un
autre culte que celui de mes pères, je résolus de
reprendre ouvertement celui de mon pays. Je
pensois que la morale de l'évangile étant la mê-
me pour tous les chrétiens , et le fond du dogme
n'étant différent qu'en ce qu'on vouloit expli-
quer ce qu'on ne pouvoit entendre , il apparte-
noit en chaque pays au seul souverain de fixer
ce dogme inintelligible, ainsi que le culte, et
qu'il étoit par conséquent du devoir de tout ci-
toyen d'admettre le dogme et de suivre le culte
prescrit par la loi. La fréquentation des ency-
clopédistes, loin d'ébranler ma foi, l'avoit affer-
mie par mon aversion pour la dispute et pour
les partis. L'étude de l'homme et de l'univers
m'avoit montré par-tout les causes finales et
l'intelligence qui les dirigeoit. La lecture de la
Bible , et sur-tout de fEvangile , à laquelle je
m'appliquois depuis quelques années , m'avoit
fait mépriser les basses et sottes interprétations
que donnoient à Jesus-Ghrist les gens les moins
dignes de l'entendre. En un mot, la philoso-
phie, en m'attachant à l'essentiel de la religion,
t()3 LES CONFESSIOÎ^S.
m'avoit détaché de ce fatras de petites formules
dont les hommes Font offusquée. Jugeant qu il
n'y avoit pas pour un homme raisonna})le deux
manières dêtre chrétien, je jur;cois aussi que
tout ce qui est discipline et forme étoit dans
chaque pays du ressort des lois. De ce principe
si sensé, si social , si [>acifique, et qui m'a attiré
de si ciuelles persécutions, il s'ciisuivoit <{ue,
voulant être citoyen, je devois être protestant,
et rentrer dans le culte étahli dans mon pays.
Je m'y déterminai ; je me soumis même aux in-
structions du pasteur de la paroisse où je lo-
geois. .le desirai seulement de n'être pas oblif;é
de paroîtrc en consistoire. Ledit ecclésiastique
cependant y étoit formel; on voulut l)icn y dé-
roger en ma faveur, et l'on nomma une com-
mission de cinq ou six membres pour recevoir
en particulier ma profession de foi. Malheureu-
sement le ministre Perdriau, homme aimable et
doux avec qui j'étois lié, s'avisa de me dire qu'on
se réjouissoit de m'entendre parler dans cette
petite assemblée. Cette attente m'cffrava si fort,
qu'ayant étudié jour et nuit pendant trois se-
maines un petit discours que j'avois prépaie, je
me troublai lorsqu'il fallut le réciter, au j>oint
de n'en pouvoir pas dire un seul mot, rt je fis
dans cette conférence le rôle du plus soi écolier.
Les commissaires parloient pour moi , je rt pon-
dois bêlement oui et non: ensuite je Wx:-' admis à
la communion et réintégré dans mes (hoiis de
citoyen , ayant été inscrit comme tel dans le
PARTIE II, LIVRE VIII. 1^3
rôle des gardes que payent les seuls citoyens et
bourgeois , et ayant assisté à un conseil général
extraordinaire pour recevoir le serment du syn-
dic Mussard. Je lus si touché des bontés (|ue me
témoignèrent en cotte occasion le conseil , le
consistoire, et des procédés obligeants et hon-
nêtes de tous les magistrats, ministres, et ci-
toyens, que, pressé par le bon homme Deiuc
qui m'obsédoit sans cesse , et encore plus par
mon propre penchant , je ne songeai à retour-
ner à Paris (jue pour dissoudre mon ménage,
mettre en régie mes petites affaires , placer ma-
dame Le Vasseur et son mari , ou pourvoir à
leur subsistance, et revenir avec Thérèse m'éta-
blir à Genève pour le reste de mes jours.
Cette résolution prise, je fis trêve aux affaires
sérieuses pour m'amuser avec mes amis jusqu'au
temps de mon départ. De tous ces amusements j
celui qui me plut davantage fut une promenade
autour du lac, que je fis en bateau avec Dcluc
père, sa bru, ses deux fils, et ma Thérèse. Nous
mîmes sept jours à cette touinée par le plus
beau temps du monde, .l'en gardai le vif souve-
nir des sites qui m'avoient frappé à l'autre extré-
mité du lac, et dont je fis la description quel-
ques années après dans la Nouvelle Héioïse.
Les principales liaisons que je fis à Genève,
outre les Deluc dont j'ai parlé , furent le jeune
ministre Vernes, que j'avois déjà connu à Paris,
et dont j'augurois mieux ([u'il n'a valu dan« la
suite- M. Perdriau, alors pasteur de campagne,
i4- li
194 LES CONFESSIONS,
xiujourdhui professeur de belles-lettres, dont la
société pleine de douceur et d'aménité me sera
toujours re?;retta])lc, quoiqu'il ait cru du bel air
<\e se détacher de moi; M. Jalabert, alors pro-
fesseur de physique, depuis conseiller et syndic,
auquel je lus mon Discours sur rinégulilé ( mais
non [)as la dédicace) et qui en parut transporté;
le professeur Lullin , avec lequel , jusquà sa
mort , je «uis resté en correspondance , et qui
an'avoit même chargé d'emplettes de livres pour
la bibliothèque; le professeur Vcinet, qui me
toiniia le th)s comme tout le monde, après que
je lui eus donné des preuves d'attachement et de
confiance qui l'auroient du toucher, si un théo-
logien pouvoit être touché de (juelquc chose;
Chappuis, commis et successeur de Gauffccourt
qu'il voulut supplanter pour les sels du Valais,
et qui bientôt fut supplanté lui-nu' ine ; Marcet,
de Mézières , ancien ami de mon père et qui s'é-
toit aussi montré le mien , mais qui, après avoir
jadis bien mérité de la patrie, s'étant fait auteur
dramati(|ue et prétendant aux deux-cents, chan-
{jea de maximes et devint ridicule avant sa mort.
Mais celui de tous dont j attendis davantage fut
Moultou le fds , qui , pendant mon séjour à Ge-
nève , fut reçu dans le ministère, aucjuel il a
depuis rt;noncé : jeune lionnne de la plus {;randc
espérance par ses talents , par son esprit plein
de feu , «jue j ai toujours aimé, <juoi(jue sa con-
duite à mon égard ait été souvent é(juivo(]uo,
et quil ait des liaisons avec mes plus cruels en-
PARTIE II, LIVRE VIII. igS
nemis , mais qu avec tout cela je ne puis ni'eni-
pècher de regarder «ucore comme appelé à être
un jour le défenseur de ma mémoire et le ven-
geur de son ^nii.
Au milieu de ces dissipations je ne perdis ni
le goût ni l'habitude de mes promenades soli-
taires, et j'en faisois souvent d'assez grandes sur
les bords du lac , durant lesquelles ma tête ac-
coutumée au travail ne demeuroit pas oisive. Je
digérois le plan déjà formé de mes institutions
politiques, dont j'aurai bientôt à parler; je mé-
•ditois une histoire du Valais, un plan de tragé-
die en prose , dont le sujet n'étoit pas moins
que Lucrèce , et dont je n'espérois pas moins
<jue d'attércr les rieurs [ quoique j'osasse laisser
paroître encore cette infortunée, quand elle ne
le peut plus sur aucun théâtre françois ]. Je
m'essayois en même temps sur Tacite, et je tra-
iluisis le premier livre de son histoire , qu'on
trouvera parmi mes papiers.
• Après quatre mois de séjour à Genève je re-
tournai au mois d'octobre à Paris, et j'évitai de
passer par Lyon [)our ne pas me retrouver en
route avec Gauffecourt. Gomme il entroit dans
mes arrangements de ne revenir à Genève que le
printemps prochain, je repris pendant l'hiver
mes habitudes et mes occupations, dont la prin-
cipale fut de voiries épreuves de mon Discours
sur l'inégalité, que je faisois imprimer en Hol-
lande par le libraire Rcy , dont je venois de faire
la connoissancc à Genève. Comme cet ouvrage
196 LES CONFESSIONS,
étoit détlié à la répul)liquc, et que cette dédi-
cace pouvoit ne pas plaire au conseil , je voulois
attendre Teffet qu'elle feroit à Genève avant que
d'y retourner. Cet effet ne me fut pas favorable,
et cette dédicace, f[ue le plus pur patriotisme
m'avoit dictée, ne fit que m'attircr des ennemis
dans le conseil , et des jaloux dans la bourgeoi-
sie. M. Chouet, alors premier syndic, m'écrivit
une lettre bonnête , mais froide , qu'on trouvera
dans mes recueils. (Liasse A, n^ 3.) Je reçus des
particuliers, et entre] autres des Deluc et de Ja-
ïabcrt, (juelques compliments , et ce fut là tout;
je ne vis point (ju'aucun Genevois me sût un vrai
gré du zèle de cœur qu'on sentoit dans cet ou-
vrage. Cette indifférence scandalisa tous ceux
qui la remarquèrent. Je me souviens que , dî-
nant un jour à Glicby cliez madame Diipin avec
MM. de Mairan et Crommelin, résidents de la
république , le premier dit en pleine table que
le conseil me devoit un présent et des bonncurs
publics pour cet ouvrage , et qu il se désbono-
roit s'il manquoit à ce devoir. Crommelin, qui
dtoit un petit bomme noir et ])assemcnt mé-
cliant, n'osa rien répondre en maprésence; mais
il fit une grimace effroyable qui fit sourire ma-
dame Dupin. Le seul avantage que me procura
cet ouvrage, outre celui d'avoir satisfait mon
cœur, tût le ûivv i\c citojen ^ (pu me fui donné
par mes amis , puis par le public à leur exemple,
çt que j'ai perdu dans la suite pour l'avoir trop
bien mérité.
PABTIE II, LIVRE VIII. 197
Ce mauvais succès ne ni'auroit pourtant pas
détourné d'exécuter ma retraite à Genève, si
des niotiftj plus puissants sur mon cour n'y
avoient concouru. M. d'Epinay, voulant ajouter
une aile qui manquoit à son château de la Che-
vrette, faisoit une dépense immense pour l'a-
chever. Étant allé voir un jour avec madame
d'Épinay ces ouvrages de sa maison d'Epinay,
où nous étions alors, nous poussâmes notre
promenade un quart de lieue plus loin jusqu'au
réservoir des eaux du parc qui touchoit la lorêt
de Montmorency, et où étoit un joli potager
avec une très petite loge fort délabrée qu'on ap-
peloit l'Hermitage. Ce lieu solitaire et très agréa-
ble m'avoit frappé, quand je le vis pour la pre-
mière fois avant mon voyage de Genève. Il m'é-
toit échappé de dire dans mon transport : Ah !
madame, quelle habitation délicieuse! voilà un
asile tout fait pour moi. Madame d'Epinay ne
releva pas beaucoup mon discours ; mais , à ce
second voyage, je fus tout surpris de trouver au
lieu de la vieille masure une petite maison pres-
que entièrement neuve, fort bien distiibuée et
très logeable pour un petit ménage de trois per-
sonnes. Madame d'Epinay avoit fait faire cet
ouvrage en silence et à peu de frais, en déta-
chant quelques matériaux et quelques ouvriers
de ceux du château. A ce second voyage, elle me
dit en voyant ma surprise : Mon ours, voilà
votre asile; c'est vous qui l'avez choisi, c'est l'a-
mitié qui vous l'offre j j'espère qu'elle vous ôtera
tqS les coNFESSIO^^s.
la cruelle idée de vous éloigner de moi. Je ne
crois pas d'avoir été de mes jours plus viveiTient,
plus délicieusement ému; je mouillai de pleurs
la main bienfaisante de mon amie, et, si je ne
fus pas vaincu dès cet instant même, je fus ex-
trêmement ébranlé. Madame d'Épinay, ({ui ne
vouloit pas en avoir le démenti, devint si pres-
sante, employa tant de moyens, tant de gens
pour me circonvenir, jusqu a ça(ifner pour cela
madameLeVasseuretsa fille, qu'enfin elle triom-
pba de mes résolutions. Renonçant nu séjour de
ma patrie, je résolus , je promis <riiabiU'r I Iler-
mitaf;e;ct,cn attendant (pu» le bâtiment fût sec,
clic prit soin d en pivparcr les meubles , en sorte
que tout fut prêt pour y entrer le printemps pro-
cbain.
Une chose qui aida beaucoup à me détermi-
ner fut l'établisseuvent de Voltaire auprès de
(icnève; je compris que cet homme y Icroit ré-
volution, que j'irois retrouver, dans ma patrie,
le ton , les airs, les mœurs , qui me chassoient de
Paris; qu'il me faudroit l)ataillcr sans cesse, et
que je n aurois d autre choix dans ma conduite
que celui d'être un pédant insupportable, on un
lâche et mauvais- citoyen. La lettre que Voltaire
m'écrivit sur mon dernier ouvraj^e me donna
lieu d insinuer nu^s craintes dans ma réptnise;
Icffet ((u'elle produisit les confirma. Dès-lors je
tins (»encvc ])er(lue, et je ne me tron)]>ai pas.
.1 aurois dû peut-être aller faire tête à rora{|e,sî
je m'en étois senti le talent. Mais qu'eussê-je fait
PARTIE II, LIVRE VIII. I99
seul, timide, etparlant très mal, contre un homme
arrogant, opulent, étayé du crédit des ^grands,,
d'une brillante faconde, et déjà l'idole des fem-
mes et des jeunes gens ? Je craignis d'exposer
inutilement au péril mon courage ; je n'écoutai
que mon naturel paisible , que l'amour du re-
pos, qui, s il me trompa, me trompe encore
aujourdhui sur le même article. En me retirant
à Genève j'aurois pu m'épargner de grands nial-
heurs à moi-même , mais je doute qu'avec tout
mon zèle ardent et patriotique j'eusse rien fait
de grand et d'utile pour mon pays.
Tronchin , qui dans le même temps à-peu-près
fut s'établir à Genève . vint quelque temps après
à Paris faire le saltimbanque, et en emporta des
trésors. A son arrivée il me vint voir avec le che-
valier de .Taucourt. Madame d'Épinay souhaitoit
fort de le consulter en particulier, mais la presse
n'étoit pas facile à percer. Elle eut recours à
moi. J'engageai Tronchin à l'aller voir. Ils com-
mencèrent ainsi sous m^es auspices des liaisons
qu'ils resserrèrent ensuite à mes dépens. Telle
a toujours été ma destinée : sitôt que j'ai rap-
proché l'un de l'autre deux amis que j'avois sé-
parément , ils n'ont jamais manqué de s'unir
contre moi. Quoi([ue, dans le complot que for—
moient dès-loi^ les Tronchins d'asservir leur
patrie, ils dussent tous me haïr mortellement ,
le docteur pointant continua long-temps à me
témoigner de la bienveillance. Il m écrivit même
après son retour à Genève pour me proposer la
200 LES CONFESSIONS.
place de bibliothécaire honoraire. Mais moQ
parti étoit pris , et cette offre ne Di'ébranla pas.
Je retournai dans ce trmps-là chez ]M. dllol-
bach. Loccasion en avoit étv' la mort de sa
femme, arrivée, ainsi que celle de madame de
Francueil , durant mon séjour à (ienève. Di-
derot , en me la mar({uant , me parla de la pro-
fonde aliliction du mari. Sa douleur eUiUt nion
cœur. Je refjrettois vivement moi-même cette
aimable f nime. J'écrivis sur ce sujet à M. d Hol-
bach : il me répondit honnêtement. Cette triste
circonstance me fit oublier tousses torts ; et lors-
que je fus de retour de (ienève, et t[uil fut de
retour lui-même d'un tour de France, quil a\oit
fait pour se distraire, avec (Jrimm et d autres
amis , j'allai le voir, et je continuai jusqu'à mon
départ pour fUermitage. Quand on sut dans .sa
coterie que madame d'Fpinay , qu'il ne voyoit
point encore, m'y préparoit un lo{;ement les
sarcasmes tomlièrent sur moi comme la {yrêle ,
fondés sur ce qu'ayant besoin de l'enccDS et des
amusements de la ville , je ne soutiendrois pas
la solitude seuler.ient ((uinze jours. Senlant en
moi ce qu'il en étoit , je laissai dire et j allai
mon train. M. d'Holbach ne laissa pas de mètre
utile (i) pour j»hu cr le vieux bon homme Le
Vasseur <pii avoit plus de quatre-vingts ans et
(i) Voici un exemple «les tours rpie inr j me ma iné-
naoire. Long-temps après avoir écrit rc<i, je viens «r.Tp-
prenflre , en ransnnt avec ma tVinme (]<■ son vieux hon
homme de père, que ce iio fui point M. d lloll)aeli , mais
PARTIE II, LIVRE VIII. 201
dont sa femme , qui s'en sentoit surcharjjée, ne
cessoit de me prier de la débarrasser. Il fut mis
dans une maison de charité, oùFâge et le regret
desevoirloin de sa famille le mirent au tombeau
presque en arrivant. 8a femme et ses autres en-
fants le regrettèrent peu : mais Thérèse , qui
l'ainioit tendrement, n'a jamais pu se consoler
de sa perte , et d'avoir souffert que , si près de
son terme , il allât loin d'elle achever ses jours.
J'eus à-peu-près dans le même temps une vi-
site à laquelle je ne m'attendois guère, quoique
ce fut une bien ancienne connoissance. Je parle
de mon ami Tenture , qui vint me surprendre
un beau matin , lorsque je ne pensois à rien
moins. Qu'il me parut changé !Un autre homme
étoit avec lui. Au lieu de ses anciennes grâces,
je ne lui trouvai plus qu'un air crapuleux qui
empêcha mon cœur de s'épanouir avec lui. Ou
mes yeux n'étoient plus les mêmes , ou la dé-
bauche avoit abruti son esprit , ou tout son
premier éclat tenoit à celui de la jeunesse qu'il
n'avoil plus. Je le vis presfjuc avec indifférence,
et nous nous séparâmes assez froidement. Mais
quand il fut parti , le souvenir de nos liaisons
me rappela si vivement celui de mes jeunes ans ,
si doucement, si pleinement consacrés à cette
femme angélique , qui maintenant n'étoit guère
M. de Chenonceaux, alors un des administrateurs de
l'flôtel-Dieu, qui le fit placer. J'en avois si totalement
perdu l'idée, et j'avois celle do M. d'Holbach si présente,
que jaurois juré pour ce dernier.
202 LES CO>'FESSIONS.
moins chanfifce ([ue lui ; les petites anectiotes de
cet heureux temps ; la romanesque journée de
Toune , passée avec tant d'innocence et de jouis-
sance entre ces deux charmantes filles , dont une
main baisée avoit été lunicpie faveur, et qui,
malgré cela , m'avoit laissé des regrets si vifs, si
touchants , si durables ; tous ces ravissants dé-
lires d'un jeune cœur, que j'avois sentis alors
dans tonte Iciu' force, et dont jecroyois le temps
pour jamais passé, toutes ces tendres réminis-
cences me firent verser des larmes sur ma jeu-
nesse écoulée, et sur ces transj)orts désormais
perdus pour moi. Ah ! combien jVn aurois versé
sur leur retour tardif et funeste, si j'avois prévu
les maux (pi'il malloit coùtei!
Avant de quitter Paris, j'eus, (hiranl 1 hiver
qui précéda ma retraite, un plaisir bien selon
mon cœur, et que je goûtai dans toute sa pu-
reté. Palissot , académicien de Nancv , connu par
quel([ues drames , venoit d'en donner un à Lu-
néville devant le roi de Pologne. Il crut a])jKi-
remment faire sa cour en jouant dans ce drame
un iiomme qui avoit osé se mesurer avec le roi la
plume à la main. Stanislas, qui étoit généreux
et qui n'aimoit pas la satire, fut indigné qu'on
osât ainsi personnaliser en sa ]>résence. INI. le
comte de Tressan écrivit , par Tordre de ce prin-
ce, à d'Alend)ert et à moi , pour m'informer que
lintention de sa majesté étoit (|ue lesicur Palis-
sol fût chassé de son aeaclémi(\ !Ma réponse fut
PARTIE II, LIVRE VIII. 20:/
une vive prière à M. de Tressan d'intercéder au-
près du roi pour obtenir la grâce du sieur Palis-
sot. La grâce fut accordée à ma sollicitation , et
M. de Tressan , en me le marquant au nom du
roi , ajouta que ce fait seroit inscrit sur les re-
gistres de l'académie. Je répliquai que c'étoit
moins accorder une grâce que perpétuer un
châtiment. Enfin j'obtins , à force d instances ,
qu'il ne seroit fait mention de rien dans les re-
gistres , et qu il ne resteroit aucune trace pu-
})lique de cette affaire. Tout cela fut accompagné,
tant de la part du roi que de celle de M. de Tres-
san , de témoignages d'estime et de considération
dont je fus extrêmement flatté ; et je sentis en
cette occasion que l'estime des hommes qui en
sont si dignes eux-mêmes , produit dans famé un
sentiment bien plus doux et plus noble que ce-
lui de la vanité. J'ai transcrit dans mon recueil
les lettres de M. de Tressan avec mes réponses,
et l'on en trouvera les originaux dans la liasse
A , n° 9 , I o et 1 1 .
Je sens bien que , si jamais ces mémoires par-
viennent à voirie jour, je perpétue ici moi-mê-
me le souvenir d'un fait dont je voulois effacer
la trace , mais j'en transmets bien d'autres mal-
gré moi. Le grand objet démon entreprise tou-
jours présent à mes yeux , lindispensablc devoir
de la remplir dans toute son étendue , ne m en
laisseront point détourner par de plus foibles
considérations qui ni'écarteroient de mon but.
2o4 LES COMESSIONS.
Dans r tranffc , dans Tu nique situation où je me
trouve , je nie dois trop à la vérité pour devoir
rien de plus à autrui. Pour me bien connoître ,
il faut me connoître dans tous mes rapports
bons et mauvais. Mes confessions sont ncces-
aairement liées avec celles de beaucoup de gens :
je fais les unes et les autres avec la même fran-
chise en tout ce qui se rapporte à moi, ne
croyant devoir à qui que ce soit plus de mé-
nagements que je n'en ai pour moi-même , et
voulant toutefois en avoir beaucoup plus. Je
veux être toujours juste et vrai, dire d autrui
le bien tant (ju il me sera possible , ne dire ja-
mais que le mal qui me regarde , et qu'autimt
que j'y suis forcé, (^ui est-ce (pii, dans l'état où
l'on m'a mis, a droit d'exiger de moi davantage?
Mes confessions ne sont point faites pour pa-
roître de mon vivant ni de celui des personnes
intéressées. Si jétois le maître de ma destinée et
de celle de cet écrit, il ne verroit le jour que
long-temps après ma mort et la leur. Mais les
efforts que la terreur de la vérité fait faire à me^
puissants opj)resseurs, pourcn effacer les traces,
me forcent à faire, pour les conserver, tout ce
que permettent le droit le plus exact et la plus
sévère justite. Si ma nuMuoinMlevoit s'ctcMudre
avec moi , plutôt (jue de conqjroiiiettre j)er-
sonne, je souffrirois un opprobre injuste et pas-
sager sans murmure : mais puisque enfin mon
nom doit vinc et parvenir à la postérité, je
PARTIE II, LIVRE VIII. 20:)
me dois de tâcher de transmettre avec lui le
souvenir de l'homme infortuné qui le porta ,
tel qu'il fut réellement , et non tel que ses ini-
ques ennemis travaillent sans relâche à le pein-
dre.
FIN DU HUITIEME LIVRE.
2o6 LES CONFESSIONS.
LIVPlE NEUVIEME.
L'impatience cVhabiter la campagne ne me
permit pas d'attendre le retour de la belle sai-
son, et sitôt que mon logement fut prêt , je me
liâtai de m'y rendre, aux grandes liuées de la
coterie liolbachique , (jui prédisoit hautement
que je ne supporterois pas trois mois de solitu-
de, et qu'on me verroit dans ))eu revenir avec
ma courte honte vivre comme eux à Paris. Pour
moi, (jui depuis quinze ans hors de ^mon élé-
ment me voyois près d'y rentrer, je ne faisois
pas même attention à leurs plaisanteries. De-
puis que je m'étois , malgré moi , jeté dans le
monde , je ii'avois cessé de regretter mes chères
Gharmettes et la douce vie que j'y avois menée.
Je me sentois fait pour la campagne et la re-
traite ; il m'étoit inq)ossil)le de vi\ re heureux
ailleurs: à Venise, dans le train des alfaires
pul)li(iues, dans la dignité d'une espèce de re-
présentation, dans l'orgueil di's projets d avan-
cement; a Paris, dans le tourijiHon de; la grand*'
société, dans la sensualité des soupers, dans
l'éclat de-s spectacles, dans la hunée (h> la glo-
riole ; toujours mes bosipiets , mes luisseaux,
mes promenades solitaires, venoieiit par leur
\
PARTIE II, LIVRE IX. 207
souvenk' nie distraire, me contrister, m arra-
cher des soupirs et des désirs. Tous les travaux
auxquels j avois pu m'assujettir, tous les projets
d'aniijitioii qui , par accès , avoient animé mon
zèle, n'avoient d'autre but que d'arriver un jour
à ces bienheureux loisirs champêtres , auxquels
en ce moment je me flattois de toucher. Sans
nVêtre mis dans l'honnête aisance que j'avois
cru seule pouvoir m'y conduire , je jugeois , par
ma situation particulière, être en état de m'en
passer, et pouvoir arriver au même but par un
chemin tout contraire. Je n'avois pas un sou de
rente, mais j'avois un nom , des talents ; j'étois
sobre , et je m'étois ôté les besoins les plus dis-
pendieux, tous ceux de l'opinion. Outre cela,
xjuoique paresseux , j'étois laborieux cependant
quand je voulois l'être , et ma paresse étoit moins
celle d'un fainéant que celle d'un homme indé-
pendant qui ne sait travailler qu'à son heure.
Mon métier de copiste de musique n'étoit ni
brillant ni lucratif, mais il étoit sûr. On me sa-
voit gré dans le monde d'avoir eu le courage de
]e choisir. Je pouvois compter que l'ouvrage ne
me manqueroit pas, et il pouvoit me suffire en
J)ien travaillant. Deux mille francs qui me res-
toient du produit du Devin du village et de mes
autres écrits me faisoient une avance pour n'être
pas à l'étroit, et plusieurs ouvrages que j'avoii?
sur le métier me promettoient , sans rançonner
les libraires , des suppléments suffisants pour
travailler à mon aise , sansm'excéder, et même
2o8 LES COIVrESSIONS.
en mettant à profit les loisirs de la promenade.
Mon petit ménage, composé de trois personnes,
(jui toutes s'occupoient utilement, n'étoit pas
d'un entrelien fort coûteux. Enfin mes ressour*
ces, proportionnées à mes besoins et à mes de-
sirs , pouvoient raisonnablement me promettre
ime vie beureuse et iîurabi<^ dans celle qiu- mon
inclination m'avoit fait cfioi^ir,
J'aurois pu me jeter tout-à-iait du côté le plus
lucratif, et au lieu d'asservir ma plume à la co-
pie , la dévouer entière a des écrits , cjui , du vol
que j'avois pris et que je me sentois en état de
soutenir, pouvoient me faire vivre (l,\ns 1 abon-
dance, et même dans l'opulence, pour peu ([ue
j'eusse voulu joindre des manœuvres dauteur
au soin de publier de bons livres. Mais , sans ré-
péter ce que j'ai dit sur le même sujet , j'ajoute-
rai seulement qu'écrire des livres jiour avoir du
pain eût bientôt étouffé mon génie et tué mon
talent, qui étoit moins dans ma plume que dans
mon cu'ur, et né unitpiement d'une façon de
penser élevée et fière, ({ui seule pouvoit le nour-
rir. Rien de vigoureux , licrj de {;raiid ne peut
partir d'une plume toute vénale, l^a nécessité ,
l'avidité peut-être, m'eût fait faire plus vite que
bien. Si le besoin du succès ne m'eût pas fourré
dans les cabales, il m'eût lait cbercber à dire
moins des choses utiles et vraies, <|uc i\rs cho-
ses qui plussent à la nuiltitude; et, d un écri-
vain distingué (pie je pouvois être, je n aurois
été qu un barbouilleur de papier. Non , non ; j'ai
PARTIE II, LIVRE IX. 209
toujours senti que l'état d'auteur 11 étoit , ne
pou voit être illustre et respectable qu'autant
qu'il n'étoit pas un métier. Il est trop difficile
de penser noblement quand on ne pense que
pour vivre. Pour pouvoir , pour oser dire de
grandes vérités , il ne faut pas dépendre de son
succès. Je jetois mes livres dans le public avec
la certitude d'avoir parlé pour le bien commun,
sans aucun souci du reste. Si l'ouvrage étoit re-
buté , tant pis pour ceux qui n'en vouloient pas
profiter. Pour moi , je n'avois pas besoin de leur
approbation pour vivre. J'avois un métier qui
pouvoit me nourrir , si mes livres ne se ven-
doient pas ; et voilà précisément ce qui les fai-
soit vendre.
Ce fut le 9 avril i^Sô que je quittai la ville
pour n'y plus habiter; car je ne compte pas pour
habitation quelques courts séjours que j'ai faits
depuis tant à Paris qu'en d'autres villes , mais
toujours de passage ou toujours malgré moi.
Madame d'Epinay vint nous prendre tous trois
dans son carrosse: son fermier vint charger mon
petit bagage , et je fus installé dès le même jour.
Je trouvai ma petite retraite arrangée et meu-
blée simplement , mais proprement , et même
avec goût. La main qui avoit donné ses soins à
cet ameublement le rendoit à mes yeux d'un
prix inestimable, et je trouvois délicieux d'être
l'hôte de mon amie , dans une maison de mon
choix qu'elle avoit faite exprès pour moi.
Quoi(pul fit froid et qu'il y eût même encore
i4- «4
210 LES CONFESSIONS.
de la neige , la terre commencoit à végéter ; on
voyoit des violettes et des primevères ; les bour-
fveons des arbres commenroient à poindre, et
la nuit même de mon arrivée fut marcjuée par
le premier cliant du rossignol , qui se lit enten-
dre presque à ma fenêtre dans un bois qui tou-
choit la maison. Après un léger sommeil , ou-
bliant à mon réveil ma transplantation , je me
croyois encore dans la rue Grenelle, quand toul-
à-coup ce ramage me fit tressaillir , et je m'écriai
dans mon transport : Enfin tous mes vœux sont
acconq>lis ! Mon premier soin lut de me livrer
à la délicieuse impression des objets champêtres
dont j etois entouré. Au lieu de commencer à
m'arranger dans mon logement, je commentai
par m arranger pour mes promenades, et il n'y
eut pas un sentier, pas un taillis, pas un bos-
quet , pas un réduit autour de nui dcuHune , que
je n'eusse parcouru tiès le lendemain. IMus j'exa-
minois cette charmante retraite, plus je la sen-
tois faite pour moi. Ce lieu solitaire plutôt (|ue
sauvage me trausportoit en idée au bout du
monde : il avoit de ces beautés touchantes qu on
ne trouve guère auprès des villes ; et jamais, eu
s y trouvant transporté tout-à-coup, on neùt pu
croire être à ((uatrc lieues de Paris.
Après (pu^hpu'sjours livrés à mon délire cham-
pêtre , je songeai à ranger mes paperasses et ù
relier mes occupatiDus. .le destinai, comme ja-
vois toujours lait, mes nuitinées à hi copie, et
mes après - dinées à la promenade , muni de
PARTIE II, LIVRE IX. 211
mon petit livre blanc et de mon crayon : car
n'ayant jamais pu écrire et penser à nion aise
que sub dio ^ je netois pas tenté de chan^nfer de
méthode , et je comptois bien que la forêt de
Montmorency, qui étoit presque à ma porte,
seroit désormais mon cabinet de travail. J'avois
plusieurs écrits commencés ; j'en fis la revue.
J'étois assez magnifique en projets; mais, dans
les tracas de la ville , l'exécution jusqu'alors
avoit marché lentement : j'y comptois mettre
un peu plus de diligence quand j'aurois moins
de distraction. Je crois avoir assez bien renq:>li
cette attente, et, pour un homme souvent ma-
lade , souvent à la Chevrette, cLl^z madame
d'Fpinay , plus souvent importuné chez moi de
curieux désœuvrés , et toujours occupé la moitié
<le ma journée à la copie , qu'on compte et me-
sure les écrits que j'ai faits durant les six ans
que j'ai passés tant à THermitage (pi'à Montmo-
rency , l'on trouvera , je m'assure , que si j'ai
perdu mon temps ce n'a pas été du moins dans
l'oisiveté.
Des divers ouvrages que j'avois sur le chan-
tier, celui qucjeméditois depuis plus long-temps,
dont je m'occupois avec plus de goût, auquel je
voulois travailler toute ma vie, et qui devoit,
selon moi, mettre le sceau <à ma réputation, étoit
mes Institutions poliluiiies. II y avoit treize à qua-
torze ans que j en avois conçu la première idée,
lors([ue, étant à Venise, j'avois eu (juclque occa-
sion de remarquer les défauts de ce gouvernc-
'4.
212 LES CONFESSIONS.
ment si vanté. Depuis lors, mes vues s'ctoient
Leaucoup étendues par l'étude historique de la
morale. .Vavois vu que tout tenoit radicalement
àla politique , et que , de quelque façon (pi'on s'y
prît, aucun peuple ne seroit jamais t(ue ce que la
nature de son gouvernement le feroit être: ainsi
cette question du meilleur gouvernement pos-
sible me paroissoit se réduire à celle-ci : Quelle
est la nature du gouvernement propre à former
le peuple le plus vertueux , le plus éclairé , le plus
«âge, le meilleur enfin, à prendre ce mot dans
son plus grand sens^ .l'avois cru voir que cette
question tenoit de hien près à cette autre-ei, si
même elle en étoit différente : Quel est le gou-
vernement qui, ])ar sa nature, se tient toujours
le plus près de la loi ? De là , (pi'est-ce que la loi?
et une chaîne de questions de cette importance.
Je voyois que tout cela me menoit à de grandes
vérités, utiles au honheur du geni;e humain,
mais sur-tout à celui de ma patrie , où je n avois
pas trouvé, dans le voyage que je venois d'y
faire, les notions des lois et de la liberté assez
justes, ni assez nettes à nu)n gré; et j'avois cru
cette manière indirecte de les leur donner la plus
propre à ménager l'aniour-propre de ses mem-
bres, et à me faire pardonner d'avoir pu xoir là-
dessus un peu ])his loin <pieux.
Qji(>i(ju il y eût <l<'ja ciiKj ou six ans (pie je
travaillois à cet ouvi'age, il nctoit encore |>uère
avane('\ Les livres de cette espèce demandent de
la méditation, du loisir, de la tran([uillité. De
PARTIE II, LIVRE IX. 2l3
plus, je faisois celui-là , comme on dit, en bonne
fortune, et je n'avois voulu communiquer mon
projet à personne , pas même à Diderot. Je crai-
(jnois qu'il ne parût trop hardi pour le siècle et le
pays où j écrivois , et que reiïroi de mes amis (i)
ne me gênât dans 1 exécution. J'ignorois encore
s'il seroit fait à temps , et de manière à pouvoir
paroître de mon vivant. Je voulois pouvoir sans
contrainte donner à mon sujet tout ce qu'il me
demandoit ; bien sûr que , n'ayant point l'hu-
meur satirique, et ne cherchant jamais d'appli-
cation ,je serois toujoursirrépréhensibleen toute
équité. Je voulois user pleinement, sans doute,
du droit de penser que j'avois par ma naissance ,
mais toujours en respectant le gouvernement
sous lequel j'avois à vivre, sans jamais désobéir
à ses lois; et, très attentif à ne pas violer le droit
des gens, je ne prétendois pas non plus renon-
cer par crainte à ses avantages.
J'avoue même qu'étranger et vivant en France
je trouvois ma position très favorable pour oser
dire la vérité, sachant bien que, continuant,
(i) C'étoit sur-tout lu sage sévérité de Duclos qui
m'inspiroit cette crainte: car, pour Diderot, je ne sais
comment toutes mes conférences avec lui tendoient tou-
jours à me rendre satirique et mordant plus que mon
naturel ne me portoit à rélre. Ce fut cela même qui me
détourna de le consulter sur une entreprise où je voulois
mettre uniquement toute la force du raisonnement , sans
aucun vestige d'humeur et de partialité. On peut juger
du ton que j'avois j)ris dans cet ouvrage par celui tlii
Contrat Social , qui en est tiré.
21 f LES CONFESSIONS.
Comme je voulois faire , à ne jamais rien impri-
mer dans létat sans permission , je n'v devois
compte à personne de mes maximes et de leur
publication par-tout ailleurs. .Vaurois été l)icn
moins libre à Genève même , où, dans quchpie
lieu que mes livres fussent imprimés, le magis-
trat avoit droit d'épilo(juer sur leur contenu.
Cette considération avoit beaucoup contribué à
nio faire abandonner la résolution daller nié-
tablir à Genève, et céder aux instances de ma-
dame d Epinay. Je sentois, comme je lai dit dans
IKniilc, <[u à moins dètre lionnne dintrijjucs,
(juaiid on veut consacrer ses livres au bien tic la
patrie, il ne faut pas les composer dans son sein.
Ce ((iii me faisoit trouver ma j)0.silion plus
heureuse étoit la persuasion oii j étois que le
gouvernement de France, sans peut-être me voir
de bon œil, se feroit un honneur, sinon de me
protéfijcr, au moins de me laiss(M tranquille. Cé-
toit , ce me sembloit, uu trait de pcvliiicpie très
simple et cependant très adroite, de se faire uu
jnérite de tolérer ce qu'on ne pouvoit empê-
cher; puisque si Ton m'eût chassé de France, ce
qui étoit tout ce qu on avoit droit de faire, mes
livres n'auroient pas moins été faits, et peut-
être avec moins de retenue : au lieu «ju eu nu^
laissant en repos on gardoit l'auteur j>our ca«i-
lion de ses ouvra{^,es, et, de plus , ou elfaeoit des
])i('ju(^,('s bien enracinés dans le reste <le l Eu-
rope , en se donnant la réputation d avoir uu
respect éclairé pour le droit des (jens.
PARTIE II, LIVRE IX. 21 5
Ceux qui juf^eront sur révénement que ma
confiance m'a trompé , pourroient bien se trom-
per eux-mêmes. Dans l'orage qui m'a submergé ,
mes livres ont servi de prétexte, mais c'étoit à
ma personne qu'on en vouloit. On se soucioit
très peu de l'auteur , mai^ on vouloit perdre
Jean-Jacques ; et le plus grand mal qu'on a
trouvé dans mes écrits était Thonneur quils
pouvoient me faire. N'enjambons pas ici sur
l'avenir. J'ignore si ce mystère , qui en est en-
core un pour moi , s'éclaircira dans la suite de
cet ouvrage au gré de certains lecteurs : je sais
seulement que , si mes principes manifestés
avoient pu m'attirer les traitements que j'ai
soufferts, j'aurois tardé moins long-temps à en
être la victime , puisque celui de tous mes écrits
où ces principes sont développés avec le plus de
hardiesse, pour ne pas dire d'audace, avoitparu,
avoit fait son effet, même avant ma retraite à
THermitage, sans que personne eût songé, je ne
dis pas à me chercher querelle, mais à empêcher
seulement la publication de l'ouvrage en France ,
où il se vendoit aussi publiquement qu'en Hol-
lande. Depuis lors la nouvelle Iléloïse parut en-
core avec la même facilité , j ose dire avec le
même applaudissement ; et ce qui semble pres-
que incroyable , et qui pourtant est très vrai ,
est que la profession de foi de cette même Hé-
loïse mourante est exactement la même que
celle du Vicaire Savoyard. Tout ce qu'il y a de
hardi dans le Contrat Social étoit auparavant
2l6 LES CONFESSIONS.
dans le Discours sur linéjjalité; tout ce quil y a
de hardi dans l'Emile étoit auparavant dans la
Julie. Or ces choses hardies n'excitèrent aucune
rumeur contre les deux premiers ouviages ; ce
ne sont donc pas elles qui l'excitèrent contre les
derniers.
Une autre entreprise à-peu-près du même
genre, mais dont le projet ctoit plus récent,
jn occupoit davantage en ce moment ; cétoit
l'extrait des écrits de 1 abhé de Saint -Pierre ,
dont, entraîné par le i\\ «le ma nari alion , je n'ai
pu parler jusqu ici. Jjidée m en avoit été suggé-
rée depuis mon retour de Genève pai* l'abhé de
Mahly, non pas immédiatement, mais par l'en-
tremise de madame I)u|)in , qui avoit une sorte
dintérêt à me la liiin; adopter. Elle étoit une
des trois ou quatre jolies femmes de Paris dont
le vieux abbé de Saint-Pierre avoit été 1 enfant
gàlé , et si elle n'avoit pas eu décidément la pré-
Icrence , du moins elle 1 avoit partagée avec
madame d'Aiguillon. Elle conservoit pour la
mémoire du bon homme un respect et une at-
lection (jui laisoient honneur à tous deux, et
son amour -ju'opre eût été flatté de voir resr
susciter par son secrétaire les ouvrages morts-
nés lie son ami. Ces mènjcs ouvrages ne lais-
soient pas dètre pleins d excellentes choses, <pii
méritoient d'être mieux dites; et il est étonnant
que l'abbé de Saint-Pierre , (pii regardoit ses lecr
tcurs comme de grands cnlants , leur parlât ce-
PARTIE II, LIVRE IX. 217
pendant comme à des hommes , en mettant si
peu d'art à s'en faire écouter. G'ëtoit pour cela
qu'on m'avoit proposé ce travail , comme utile
en lui-même, et comme très convenable à un
homme laborieux en manœuvre , mais pares-
seux comme auteur, qui trouvoit la peine de
penser très fatigante , et aimoit mieux , en
choses de son goût, éclaircir et pousser les idées
d'un autre que d'en créer. D ailleurs , en ne me
bornant pas à la fonction de traducteur, il ne
m'étoit pas défendu de penser quelquefois par
moi-môme , et je pouvois donner telle forme à
mon ouvrage, que bien d'importantes vérités
y passeroient sous le manteau de l'abbé de Saint-
Pierre, plus heureusement encore que sous le
jnien. L'entreprise au reste n'étoit pas légère: il
neVagissoit pas moins que de lire, de méditer,
d'extraire vingt-trois assommants volumes diFfus,
confus, pleins de redites, d'éternelles rabâche-
ries, et de petites vues courtes ou fausses, parmi
lesquelles il en falloit pêcher à la nage quelques
unes grandes , belles , et f}ui donnoicnt le cou-
rage de svipporter ce pénible travail. Je l'aurois
moi-môme souvent abandonné si j'eusse honnê-
tement pu m'en dédire ; mais en recevant les
manuscrits de l'abbé, que Saint-Lambert me fit
donner par son neveu le comte de Saint-Pierre,
je m'étois en quelque sorte engagé d'en faire usa-
ge, et il falloit ou les rendre, ou tâcher d'en ti-
rer parti. G'étoit dans cette dernière intention
2l8 LES CONFESSIONS.
que javois apporté ces manuscrits àl Hermitage,
et c étoit là le premier ouvrajyc auquel je comp-
tois donner mes loisirs.
J'en méditois un troisième dont je devois l'idée
à des observations faites sur moi-même , et je me
sentois d'autant plus de courage à l'entreprendre
que j'avois lieu d'espérer faire un livre vraiment
utile aux liommes, et même un des plus utiles
qu'on pût leur offrir, si l'exécution répondoit
difinement au plan que je m'étois tracé. L'on a
remarqué que la plupart des hommes sont dans
le cours de leur vie fort disscud)ial)les à eux-
mêmes , et semblent se transformer en des hom-
mes tout différents. Ce n'étoit pas pour étal)lir
une chose aussi connue que je voulois faire un
livre: j'avois un objet plus neuf et même plus
ijnportant. G'étoit de marquer les causes de ces
variations, et de m'attachcr à celles (pii dépen-
doient de nous, pour montrer comment elles
pouvoient être dirif^ées par nous-mêmes pour
nous rendre meilleurs et plus sûrs de nos actions.
Car il est, sans contredit , plus pénible à l'iion-
liêtc homme de résister aux désirs ([u'il doit
vaincre, que de prévenir, chan^yer ou modilier
ces mêmes désirs dans leur source , s'il étoit en
état dy remonter. Un homme tenté résiste une
fois parce(pi'il est fort, et succombe une autre
fois parceiju'il est foihle; s'il eût été le même
qu'auparavant , il n'auroit pas succombé.
En sondant en moi-même et en recherchant
dans les autrca à (pioi tenuicnt ces di\ers(,'s ma-
PARTIE II, LIVRE IX. 219
nières d'être , j'avois trouvé quelles dépendoient
en grande partie de l'impression antérieure des
objets extérieurs, et que, modifiés continuelle-
ment par nos sens et par nos organes, nous
portions , sans nous en apercevoir , dans nos
idées , dans nos sentiments , dans nos actions
mêmes, l'effet de ces modifications. Les frap-
pantes et nombreuses observations que j'avois
recueillies étoient au-dessus de toute dispute ;
et, par leurs principes physiques, elles me pa-
roissoient propres à fournir un régime exté-
rieur qui, varié selon les circonstances, pouvoit
mettre ou maintenir lame d'ans l'état le plus
favorable à la vertu. Que d'écarts on sauveroit
à la raison , que de vices on empêclieroit de naî-
tre , si l'on savoit forcer leconomie animale à
favoriser l'ordre moral qu'elle trouble si souvent l
Les climats , les saisons , les sons , les couleurs,
l'obscurité , la lumière , les éléments , les aliments,
le bruit , le silence , le mouvement , le repos , tout
agit sur notre machine et sur notre ame par con-
séquent; tout nous offre mille prises assurées pour
gouverner dans leur origine les sentiments dont
nous nous laissons dominer. Telle étoit l'idée fon-
damentale dont j'avois déjà jeté l'esquisse sur le
papier , et dont j'espérois un effet d'autant plus
sûr pour les gens bien nés , qui, aimant sincère-
ment la vertu , se défient de leur foiblesse, qu'il
me paroissoit aisé d'en faire un livre agréable
ù lire, comme il l'étoit à composer. J'ai cepen-
dant bien peu travaillé à cet ouvrage , dont le
/
220 LES CONFESSIONS.
titre étoit la Morale sensitive , ou le matérialisme
du sage. Des distractions , dont on apprendra
bientôt la cause , m'empêchèrent de m en occu-
per, et 1 on saura aussi ({uel fut le sort de mon
esquisse, qui tient au mien de plus près <[uil ne
semhleroit.
Outre tout cela, je méditois depuis (juelque
temps un système d'éducation dont madame de
Ghenonceaux , que celle de son mari faisoit
trembler pour son fils , m'avoit prié de m occu-
per. L'autorité de l'amitié faisoit que cet objet ,
quoique moins de mon {^oût en lui-même y me
tenoit au cœur plus que tous les autres. Aussi ,
de tous les sujets dont je viens de parler, celui-
là est-il le seul que j aie conduit à sa fin. Celle
que je métois proposée, en y travaillant ,méri-
toit ce semble à l'auteur une autre destinée. Mais
n'anticipons pas ici sur ce triste sujet ; je ne se-
rai que trop forcé d'en parler dans la suite de
cet écrit.
Tous ces divers projets m'offroient des sujets
de méditation pour mes pronu^nades : car ,
comme je crois l'avoir dit , je ne puis de jour
méditer qu'en marchant; sitôt que je m'arrête,
je ne pense plus, et ma tète ne va «juavcc mes
pieds. J'avois cependant eu la précaiiliou de me
pourvoir aussi il un travail de cal>in<'t j)our les
jours de pluie. C'étoit mon Dictionnaire de mu-
sique , dont les matériaux, épars, mutilés, in-
formes , rendoient l'ouvrafie nécessaire à re-
prendre ]>res<[ue ù neuf. J apj)ortois (piehpies
PARTIE II, LIVRE IX. 221
livres dont j'avois besoin pour cela ; j'avois passé
deux mois à faire l'extrait de beaucoup d'autres
qu'on me prêtoit à la bibliothèque du roi , et
dont on me permit même d'emporter quelques
uns à l'Hermitage. Voilà mes produisions pour
compiler au logis, quand le temps ne me per-
mettoit pas de sortir, et que je m'ennuyois de
ma copie. Cet arrangement n|É|»convenoit si
bien , que j'en tirai parti tant à l'Hermitage qu'à
Montmorency , et même ensuite à Moitiers , où
j'achevai ce travail en en faisant d'autres , et
trouvant toujours qu'un changement d'ouvrage
est une véritable récréation.
Je suivis assez exactement , pendant quelque
temps , la distribution que je m étois tracée, et
je m'en trouvois très bien : mais quand la belle
saison ramena plus fréquemment madame d'Épi-
nay à Epinay et à la Chevrette, je trouvai que
des soins , qui , d'abord, ne me coûtoient pas,
mais que je n'avois pas mis en ligne de compte,
dérangeoient beaucoup mes autres projets. J'ai
déjà dit que madame d Epinay avoit des quali-
tés très aimables : elle aimoit bien ses amis ,
elle les servoit avec beaucoup de zèle«; et, n'épar-
gnant pour eux ni son temps ni ses soins , elle
méritoit assurément bien qu'en retour ils eus-
sent des attentions pour elle. Jusqu'alors j'avois
rempli ce devoir sans songer que c'en étoit un :
mais enfin je compris que je m'étois chargé d'une
chaîne dont l'amitié seule m'empêchoit de sentir
le poids : j'avois aggravé ce poids par ma repu-
222 LES CONFESSIONS.
finance pour les sociétés nombreuses. Madame
d'Épinay s'en prévalut pour me faire une propo-
sition qui paroissoit m'arran(>er, mais qui l'ar-
rangcoit tlavantap;e. Cétoit de me faire avertir
toutes les fois qu elle seroit seule ou à-peu-près.
•l'y consentis , sans voir à quoi je m enfjap,eois. Il
s'ensuivit de ^^ue je ne lui faisois plus de visite
à mou hcui^^H|ais à la sienne, et que je nélois
jamais sûr (flPôuvoir disposer de moi-même un
seul jour. Celle gêne altéra beaucoup le plaisir
que j'avois pris jusqu'alors à l'aller voir. Je trou-
vai {{ue toute "cette liberté , (pi elle m'avoit tant
promise , ne m'étoil donnée qu'à condition de
ne m'en prévaloir jamais ; et, pour une fois ou
deux que j en voulus essayer, il y eut tant de
mcssaj^jes , tant de billets , tant d alarmes siu' ma
sauté , que je vis bien qu il n'y avoit que l'excuse
d'être à })lat de lit (jui put me disj)enser de cou-
rir à son premier mot. 11 falloit me souniellie à
ce joup, ; je le fis , et même assez volontiers ,
pour uu aussi (jrand ennemi delà dépendance,
rattacbement sincère ([uc j avois poiuelle m em-
pêebaut en jjrande partie de sentir le lien qui s'y
joi{;noit. Elie remplissoit ainsi tant bien que mal
les vides ([ue l'absence de sa coiu' ordinaire lais- ,
soit dans ses amusements. Cétoit pour elle un
suj>pIciu(Mil biru mince , mais <pii \aloit encore
inieu\ (|u'iii;r soliimle absolue qu'elle ne pouvoit
.supporter. I.lle avoit cependant de quoi la reni-
jilir bien plus aisément, depuis (p*{lle avoit
voulu tàler de la lillcralure , et quelle s'ctoit
PARTIE II, LIVRE IX. 223
fourré dansJa tête de faire, bon gré mal gré,
des romans , des lettres , des comédies , des
contes , et d'autres fadaises comme cela. Mais
ce qui l'amusoit étoit moins de les écrire que
de les lire , et s'il lui arrivoit de barbouiller de
suite deux ou trois pages, il falloit qu'elle fùi
sure au moins de deux ou trois auditeurs béné
voles , aubout de cet immense travail. Je n'avois
guère rbonneur d'être au nombre des élus qu'à
la faveur de quelque autre. Seul , j'étois presque
toujours compté pour rien en toute cbose, et
cela , non seulement dans la société de madame
d'Epinay , mais dans celle de M. d'Holbach , et
par-tout où M. Grimm donnoit le ton. Cette
nullité m'accommodoit fort par-tout ailleurs
que dans le tête-à-tête , où je ne savois plus
quelle contenance tenir, n'osant parler de lit-
térature , dont il ne m'appartenoit pas de ju-
ger , ni de galanterie , étant trop timide et crai-
gnant plus que la mort le ridicule d'un vieux
galant ; outre que cette jidée ne me vint jamais
près de madame d'Epinay , et ne m'y scroit
peut-être pas venue une seule fois en ma vie ,
quandje l'aurois passée entière auprès d'elle: non
que j'eusse pour sa personne aucune répugnance;
au contraire, je l'aimois peut-être trop' comme
ami pour pouvoir l'aimer comme amant. Je
sentoiâ du plaisir à la voir, à causer avec elle.
Sa conversation , quoique assez agréable en
cercle , étoit aride en particulier ; la mienne ,
qui n'est pas plus llcurie, n'étoit pas pour elle d'un
224 LES CONFESSIONS.
grand secours. Honteux d'un trop long silence ,
je nVévertuois pourrelever Tentretien ,et, quoi-
qu'il me fatiguât souvent , il ne ni'cnnuyoit ja-
mais. J'étois fort aise de lui rendre de petits
soins , de lui donner de petits baisers bien fra-
ternels , qui ne me paroissoient pas plus sen-
suels pour elle : cétoit là tout. Elle étoit fort
blanche , fort maigre ; de la gorge comme sur
ma main. Ce défaut seul eût sufH pour me gla-
cer : jamais mon cœur ni mes sens n'ont su
trouver une femme dans quelqu'un qui n'eût
pas des tétons ; et d'autres causes , dont il est
inutile de parler ici , m'ont toujours fait oublier
son sexe auprès d elle.
Ayant ainsi pris mon parti sur un assujettisse-
ment nécessaire, je m'y livrai sans résistance, et
le trouvai, du moins la première année, moins
onéreux (jue je ne m'y serois attendu. Madame
d Kpinay , qui d ordinaire passoit l'été pres([ue
entier à la campagne, n'y passa qu'une partie de
celui-ci; soit que ses affaires.la retinssent davan-
tage à Paris^ soit que l'absence de Grimm lui
rendit la Chevrette moins agréable, .le pioliiai
des intervalles qu'elle n'y passoit pas , ou durant
lesijuels elle y avoit beaucoup de monde , pour
jouir de ma solitude avec ma bonne Thérèse et
sa mère, de manière à m'en bien faire sentir le
prix. Quoiijue depuis quelques années j'allasse
assez fré(juemment à la canq)agne, cétoit pres-
que sans la {;oûter, et ces voyages , toujours
faits avec des gens à préteulious, toujours gâ-
PARTIE II, LIVRE IX. 225
tés par la gêne, ne faisoient qu'aiofuiser en moi
le goût des plaisirs rustiques, dont je n'entre-
voyois de plus près l'image que pour mieux sen-
tir leur privation. J'étois si ennuyé de salons,
de jets-d'eau, de bosquets, de parterres, et des
plus ennuyeux montreurs de tout cela ; j etois
si excédé de brochures, de clavecin, de tri, de
nœuds, de sots bons-mots, de fades minaude-
ries , de petits conteurs , et de grands soupes ,
que, quand je lorgnois du coin de l'œil un sim-
ple pauvre buisson d'épines , une grange , une
haie, un pré; quand je humois , en traversant
un hameau , la vapeur d'une bonne omelette au
cerfeuil ; quand j'entendois de loin le rustique
refrain de la chanson des bisquières, je donnois
au diable et le rouge et les falbalas et l'ambre ;
et, regrettant le dîné de la ménagère et le vin du
cru , j'aurois de bon cœur paumé la gueule à
monsieur le chef et à monsieur le maître, qui
me faisoient dîner à Iheure où je soupe, souper
à l'heure où je dors, mais sur-tout à messieurs
les laquais , qui dévoroient des yeux mes mor-
ceaux, et, sous peine de mourir de soif, me ven-
doient le vin drogué de leur maître dix fois plus
cher que je n'en aurois payé de meilleur au ca-
baret.
Me voilà donc enfin chez moi, dans un asile
agréable et solitaire , maître d'y couler mes jours
dans cette vie indépendante, égale et paisible,
pour laquelle je me sentois né. x\vant de dire
l'effet que cet état, si nouveau pour moi, lit sur
il. i5
2-J.G l-ES CONFESSIONS.
mon cœur, il convient d'en récapituler les affec-
tions secrètes, afin qu'on suive mieux dans sa
cause le progrès de ces nouvelles modifications.
J'ai toujours regarde le jour qui m'unit à ma
Thérèse comme celui qui fixa mon être inoral.
J'avois l)e.soin d'un attachement, puisque enfin
celui qui devoit me suffire avoit été si cruclle-
nicnt rompu. La soif duLonheur ne s'éteint point
dans le cœur de 1 homme. ÎNIaman vieilli.s?oit et
s'avilissoit! Il m'étoit prouvé qu'elle ne pouvoit
plus être heiucuse ici-has. Restoit à chercher un
J)onheur qui me fut proj)re, ayant perdu tout
espoir de jamais partajjcr le sien. JeHottai (piel-
que temps d'idée en idée et de projet en projet.
3Ion voyaj^e de Venis(> m'eut jeté dans les affai-
res puhliques, si Ihomme avec (pii j allai me
fourrer avoit eu le sens commun. Je suis facile
à décourajj^er, sur-tout dans les entreprises pé-
nibles et de lonp,ue haleine. I^e mauvais succès
de celle-ci me dégoûta de toute autre, et, re;;ar-
tiant, selon mon ancienne maxime, les objets
lointains comme des leiUTCs de dupe, je me ilé*
terminai à vivre désormais au jour la journée,
ne voyant plus rien dans la vie (jui me tenlàl de
m'évertuer.
Ce fut juécisément alors <jue se fil notre con-
noissance, J^e doux carac;lère de cette bonne Hllc
me parut si bien convenir au mien , que je m'u-
nis à elle d'un attachemcnl à lépreuvedu tenq)s
et des torts, et ([ue tout ccMpii fauioit dû rom-
j)re n'a jamais lait <ju augmenter. On connoîtru
PARTIE II, LIVRE IX. 227
la force de cet attachement dans la suite , quand
je découvrirai les plaies, les déchirures dont elle
a navré mon cœur dans le fort de mes misères,
sans que, jusqu'au moment où j'écris ceci, il
m'en soit échappé jamais un seul mot de plainte
à personne.
Quand on saura qu'après avoir tout fait , tout
Lravé pour ne m'en point séparer, qu après vingt-
cinq ans passés avec elle, malgré le sort et les
hommes , j'ai fini sur mes vieux jours par l'épou-
ser, sans attente et sans sollicitation de sa part,
sans engagement ni promesse de la mienne , on
croira qu'un amour forcené , m'ayant dès le pre-
mier jour tourné la tcte , n'a fait que m'amener
par degrés à la dernière extravagance ; et on le
croira bien plus encore, quand on saura les rai-
sons particulières et fortes ([ui dévoient m'em-
pêcher d'en jamais venir là. Que pensera donc
le lecteur, quand je lui jurerai, dans toute la
vérité, qu'il doit maintenant me connoître , que,
du premier moment que je lavis jusqu'à ce jour,
Jjc n'ai jamais senti la moindre étincelle d'amour
pour elle, que je n'ai pas plus désiré de la pos-
séder que madame de Warens, et <jue les be-
soins des sens , que j'ai satisfaits auprès d'elle
ont uniquement été pour moi ceux du sexe , sans
avoir rien de propre à l'individu? Il croira peut-
être qu'autrement constitué ([uun autre homme
je fus incapable de ressentir l'amour, puisqu'il
n'entroit point dans les sentiments qui m'atta-
choient aux femmes (pii m'étoicnt les plus chè <
228 LES CONFESSIONS.
res. Patience, ô mon lecteur! le moment funeste
approche où vous ne serez que trop Lien dés-
abusé.
Je me répète, on le sait; il le faut. Le premier
de tous mes besoins, le plus p^rand , le j)liis fort,
le plus inextinguible, étoit tout entier dans mon
cœur : c'étoit le besoin d ime société intime et
aussi intime qu elle pouvoit l'être ; c etoit sur-
tout pour cela qu'il me falloit une femme plu-
tôt qu un Iionnne, une amie plutôt (pi un ami.
Ce besoin sin{julier étoit tel , i[uc la plus étroite
union des corps ne pouvoit encore y suflire : il
m'auroit fallu deux âmes dans le même corps ;
sans cela , je sentois toujours du vide. Je me crus
au moment de n'en plus sentir. Cette jeune per-
sonne , aimable par mille excellentes (pialitcs,
et même alors par la li^jine , sans ombre d art
ni tle coquetterie , eût borné dans elle seule mon
existence , si j'avois pu borner la sienne en moi ,
comme je l'avois espéré. Je n'avois rien à crain-
dre du côté des hommes ; je suis sur d'être le
seul qu'elle ait véritablement aimé ; et ses tran-
quilles sens ne lui en ont guèie demandé d au-
tres , même quand j'ai cessé d'en être un pour
elle à cet éyard. .le navois point tle famille; elle
en avoit une ; et cette famille , dont tous les na-
turels différoient trop du sien , ne se trouva j)as
telle (pie j en pusse faire la mienne. Là fui la
piemièrccausede mon malheur. Que n aurois-jc
point donné pour me faire l'enfant de sa mère ! Je
iii tout pour y parvenir, et n'en pus venir à bout.
PARTIE II, LIVRE IX. 229
.l'eus beau vouloir unir tous nos intérêts, cela
me fut impossible. Elle s'en fit toujours un dif-
férent du mien , contraire au mien , et même à
celui de sa fille , qui déjà n'en étoit plus séparé.
Elle et tous ses autres enfants et petits-enfants
devinrent autant de sang-sues , dont le moindre
mal qu'ils fissent à Tbérèse étoit de la voler. La
pauvre fille, accoutumée à fléchir, même sous
ses nièces, se laissoit dévaliser et gouverner sans
mot dire ; et je voyois avec douleur qu'épuisant
ma bourse et mes leçons je ne faisois rien pour
elle dont elle pût profiter. J'essayai de la déta-
cher de sa mère ; elle y résista toujours. Je res-
pectai sa résistance , et l'en estimai davantage :
mais son refus n'en tourna pas moins au préju-
dice de tous deux. Livrée à sa mère et aux siens,
elle fut à eux plus qu'à moi , plus qu'à elle-mê-
mie. Leur avidité lui fut moins ruineuse que
leurs conseils ne lui furent pernicieux; enfin si,
grâces à son amour pour moi , si , grâces à son
bon naturel, elle ne fut pas tout-à-fait subju-
guée , c'en fut du moins assez pour empêcher
en grande partie l'effet des bonnes maximes que
je m'cfforçois de lui inspirer ; c en fut assez pour
que , de ([uel([ue façon que je m'y sois pu pren-
dre , nous ayons toujours continué d'être deux.
Voilà comment, dans un attachement sincère
et réciproque , où je mis toute la tendresse de
jnon cœur, le vide de ce cœur ne fut pourtant
jamais bien rempli. Les enfants , par lesquels il
l'eût été, vinrent; ce fut encore pis. .le fré lis
p3o les confessions.
de les livrer à cette famille mal élevée pour en
être élevés encore plus mal. Les risques de Fé-
ducation des Enfants-trouvés leur étoient cent
fois moins funestes. Cette raison du parti que
je pris, plus forte que toutes celles <[ue j éiion-
c^ai dans ma lettre à madame de Francueil , lut
pourtant la seule que je n'osai lui dire. J'aimai
mieux ne pas me disculper autant que je le pou-
vols d'un blâme aussi ^rave , et ména(Tfer la fa-
mille d'une personne que j'aimois. Mais on peut
jup;er, par les mœurs de son malheureux frère ,
si jamais, quoi qu'on en pût dire , je devois ex-
poser mes enfants à recevoir une éducation sem-
bla) )le à la sienne.
Ne pouvant ffoûter dans sa plénitude cette in-
time société dont je sentois le besoin , j'y clier-
cliois des suppléments qui n'en remj)lissoient
pas le vide, mais qui me le laissoient moins sen-
tir. Faute d'un ami qui fût à moi tout entier, il
me falloit des amis dont limpulsion surmontât
mon inertie. G est ainsi que je cultivai, que je
resserrai mes liaisons avec Diderot, avec l'abbé
de Gondillac , que j'en fis une nouvelle avec
rFiimm, plus étroite encore, et qu'enfin je me
trouvai, par ce mallieureux discours dont j'ai
narré l'histoire, rejeté sans y sonfjer dans la lit-
térature, dont je me croyois sorti pour toujours.
IMon début me fit suivre une route nouNclle
f[ui me jeta <lans un autre moiicK" iiitellcc luel ,
dont je ne pus sans eiiilioiisiasmc envisafjer la
simple et hère économie, bientôt , à force de
PARTIE II, LIVRE IX. 23l
m'en occuper , je ne vis plus qu erreur et folie
dans la doctrine de nos sages , qu'oppression et
misère dans notre ordre social. Dans l'illusion
de mon sot orgueil , je me crus fait pour dissi-
per tous ces prestiges ; et jugeant que , pour me
faire écouter y. il falloit mettre ma conduite d'ac-
cord avec mes principes , je pris l'allure singu-
lière qu'on ne mi'a pas permis de suivre , dont
mes prétendus amis ne m'ont jamais pardonné
l'exemple , qui d abord me rendit ridicule , et
qui m'eût enfin rendu respectable, s il m'eût été
possible d'y persévérer.
Jusque-là j'avois été bon : dès-lors je devins
vertueux, ou du moins enivré de la vertu. Cette
ivresse avoit commencé dans ma tête, mais elle
avoit passé dans mon cœur. Le plus noble or-
gueil y germa sur les débris de la vanité déra-
cinée. Je ne jouai rien : je devins en effet tel que
je parus ; et , durant quatre ans au moins que
dura cette effervescence, rien de grand et de beau
ne peut entrer dans un cœur d iiomme dont je
ne fusse capable entre le ciel et moi. Voilà d'où
naquit ma subite élo^juence , voilà d'où se ré-
pandit dans mes premiers livres ce feu vraiment
céleste qui m'écbauffoit en dedans , et dont pen-
dant (juarante ans il ne s'étoit pas échappé la
moindre étincelle , pai'cequ'il n'éloit pas encore
allumé.
J'étois vraiment transformé ; mes amis , mes
connoissanccs ne me reconnoissoiont plus. Je
n'étois plus cet homme timide , et plutôt bon-
232 LES CONFESSIONS.
teux que modeste, qui n'osoit ni se prëscntcrni
parler , qu'un mot badin déconcertoit , qu'un
lefjarddc femme faisoit rougir. Audacieux, fier,
intrépide, je portois par-tout une assurance
d'autant plus ferme quelle étoit simple et rési-
doit plus dans mon ame que dans mon main-
tien. Le mépris que mes profondes méditations
m'avoient inspiré pour les mœurs, les maximes
et l(^s préjii.fjés de mon siècle, me rcndoit insen-
sible aux railleries de ceux qui les avoient , et
j ecrasois leurs petits l)ons-mots avec mes sen-
tences , comme j ceraserois un insecte entre mes
doigts. Ou(l liiangement étonnant! i'out Faiis
répétoit les acres et mordants sarcasmes de ce
même bomme, qui, deux ans auparavant et
dix ans après, n'ji jamais su trouver la chose
qu'il avoit à diie , ni le mot qu'il devoit em-
ployer. Qu'on chercbe l'état <hi monde le plus
contraire à mon naturel ; on trouvera celui-là.
Qu'on se rappelle un de ces courts moments de
ma vie où je devenoisun autre, et cessois d'être
moi ; on le trouve encore dans le temps dont je
parle : mais au lieu de durer six jours, six se-
maines , il dura près de six ans , et dureroit peut-
être encore sans les circonstances jiarticulières
qui le firent cesser, et me rendirent à la nature,
au-dessus de laquelle^ j'avois voulu m'élever.
Clecbinigcmciit ( oniuîcnça sitôt (juc j fusipiit-
té Paris , et que le spectacle des vices de cette
grande ville cessa de nourrir l'indignation qu'il
m'avoit inspiix'c. Quand je n«^ vis plus les lioni-
PARTIE II, LIVRE IX. 2^3
mes , je cessai de les mépriser ; quand je ne vis
plus les méchants , je cessai de les haïr. Mon
cœur , peu fait pour la haine, ne fit plus que
déplorer leur misère et n'en distinguoit pas leur
méchanceté. Cet état plus doux , mais hien moins
suhlime, amortit bientôt l'ardent enthousiasme
qui m'avoit transporté si long-temps ; et , sans
qu'on s'en aperçut , sans presque m'en aperce-
voir moi-même, je redevins craintif, complai-
sant , facile , en un mot le même Jean-Jacques
que j'avois été auparavant.
Si la révolution n'eût fait que me rendre à
moi-même et s'arrêter là, tout étoit bien ; mais
malheureusement elle alla plus loin et m'em-
porta rapidement à l'autre extrême. Dès -lors
mon ame en branle n'a plus fait que passer par
la ligne de repos, et ses oscillations toujours
renouvelées ne lui ont jamais permis d'y rester.
Entrons dans le détail de cette seconde révo-
lution : époque terrible et fatale d'un sort qui
n'a point d'exemple chez les mortels.
N étant que trois dans notre retraite, le loisir
et la solitude dévoient naturellement resserrer
notre intimité. C'est aussi ce qu'ils firent entre
Thérèse et moi. Nous passions tête à tête sous
les ombrages des heures charmantes dont je n'a-
vois jamais si bien senti la douceur. Elle me
parut la goûter elle-même encore plus qu'elle
n' avoit fait jusqu'alors. Elle m'ouvrit son cœur
sans réserve , et m'apprit de sa mère et de sa
famille des choses qu'elle avoit eu la force de
234 I-ES CONFESSIONS,
me taire pendant lonp-tenips, TAine et l'antre
avoient reçu de madame iJiipin des multitudes
de présents faits à mon intention , mais que la
vieille madrée setoit appropriés pour elle etpour
ses autres enfants , sans en rien laisser à Thé-
rèse, et avec très sévères défenses de m en par-
ler; ordre que la pauvre fille avoit suivi jusqu'a-
lors avec une obéissance incroyable.
Mais une chose qui me surprit beaucoup da-
vanta^re fut d apprendre cju outre les entretiens
particuliers que Diderot et (rrimm avoient eus
souvent avec Tune et lautre , pour les détacher
de moi , et qui n'avoient pas réussi par la résis-
tance de Thérèse, tous deux avoient eu depuis
lors de fréquents et secrets colloques avec sa
mère , sans qu'elle ei'it rien pu savoir de ce (jui
se traitoit entre eux. Tout ce qu elle savoit éloit
que les petits présents s'en étoient mêlés , et
qu'il y avoit de petites allées et venues dont
on tâchoit de lui faire mvslère, et dont elle
ignoroit absolument le motif Quand nous (juit-
tàmes Paris , il y avoit déjà long-temps que ma-
dame Le Vasseur étoit dans l'usage d'aller voir
M, Grimm deux ou trois fois par mois, et dy
passer (pl(>l(pu^•^ heures à des conversations si
secrètes que le la«juais même de (Irinun étoit
renvoyé.
Je jugeai (juece motif n'étoit autre que le nu*-
me projet dans lequel on avoit taché de faire
riitrcrla hlle , en pronntlant <Ic Icni prorurei-,
]>ar madame d'Épinav, un rcgrat de sel , un l)u-
PARTIE II, LIVRE IX. 23>
reauà tabac, et les tentant en un mot par l'appât
du gain. On leur avoit représenté qu étant hors
d'état de jamais rien faire pour elles, je ne pou-
vois pas même , à cause d'elles , parvenir à rien
faire pour moi. Comme il ne paroissoit à tout
cela que de la bonne intention , je ne leur en
savois pas absolument mauvais gré. Il n'y avoit
que le mystère qui me révoltât , sur-tout de la
part de la vieille , qui devenoit outre cela plus
flagorneuse, plus pateline avec moi qu'elle n'a-
voit jamais été; ce qui ne l'empêchoit pas de re-
procher sans cesse en secret à sa fille qu'elle
m'aimoit trop , qu'elle me disoit tout , qu'elle
n'étoit qu une bête , et qu'elle en seroit la dupe.
Cette femme possédoit au suprême degré l'art
de tirer d'un sac dix moutures, de cacher à l'un
ce qu'elle recevoit de l'autre , et à moi ce qu elle
recevoit de tous. Je lui pardonnois son avidité ,
mais j'avois peine à lui'pardonner sa dissimu-
lation. Que pouvoit-elle avoir à me cacher , à
moi , qu elle savoit si bien qui faisois mon bon-
heur presque unique de celui de sa fille et du
sien? Ce que j'avois fait pour sa fille je l'avois
fait pour moi , mais ce (jue j'avois fait pour elle
méritoit de sa part quelque gratitude: elle en
auroit dû savoir gré du moins à sa fille , et m'ai-
mer pour l'amour d'elle , qui m'aimoit. Je l'a-
vois tirée de la plus complète misère , elle te-
noit de moi sa subsistance , elle me devoit toutes
les connoissances dont elle tiroit si bon parti.
Thérèse l'avoit long-temps nourrie de son tra-
23G LES CONFESSIONS,
vail, et lanounissoit inaintonant (\e mon pain.
Elle (Icvoit tout à cette lille pour qui jamais elle
n'avoit rien fait ; et ses autres enfants , qu'elle
avoit tous dotes , pour lesquels elle s'étoit rui-
née , loin de lui aider à subsister , lui dévoroient
encore sa suLsistance et la mienne, .le trouvois
(|ue , dans une pareille situation , elle devoit me
rejyardcr comme son imique ami, son plus sur
protecteur , et , loin d'avoir pour moi des secrets
sur mes propres affaires , loin do comploter
contre moi dans ma propre maison , m'avertir
fidèlement de tout ce qui pouvoit m intéresser ,
quand elle lapprenoit plus tôt que moi. De quel
œil pouvois-je donc voir sa conduite :' Que de-
vois-jc penser sur-tout des sentiments qu'elle
s'efforçoit (Redonner à sa fille envers moii' Quelle
monstrueuse in^yratitude devoit être la sienne ;
quand elle cherclioit à lui en inspirer !
Toutes ces réflexions aliénèrent enfin mon
cœur de cette femme au ])oiut de ne pouvoir
jdus la voir sans dédain. C('j)endaut je ne ces-
sai jamais de traiter avec respect la mère de ma
couqia(Tne , et de lui marquer en toutes clioses
pres(jue les éjjards et la considération (fun fils ;
mais il est vrai que je n'aimois pas à rester lonj;-
temps avec elle, et il n est p,uère en moi de sa-
voir me nèuei'.
Gest enctire ici un de ces courts moments de
ma vie où j ai vu le honheui- de hien près sans
pouvoir l'atteindre, et sans (juil y ait de ma
faute à lavoir manqué. Si cette femme eût été
PARTIE II, LIVRE IX. 287
d'un bon caractère , nous étions heureux tous
les trois jusqu'à la fin de nos jours ; le dernier
vivant seul fût resté à plaindre. Au lieu de cela ,
vous allez voir la marche des choses, et vous ju-
gerez si j'ai pu la changer.
Madame Le Vasseur, qui vit que j'avois gagné
du terrain sur le cœur de sa fille , et qu'elle en
avoit perdu , s'efforça de le reprendre , et , au lieu
de revenir à moi par elle , tenta de me l'aliéner
tout-à-fait. Un des moyens qu'elle employa fut
d'appeler sa famille à son aide. J'avoisprié Thé-
rèse de n'en faire venir personne à l'Hermitage ;
elle me le promit. On les fit venir en mon ab-
sence sans la consulter , mais on lui fit promet-
tre de ne m'en rien dire, he premier pas fait ,
tout le reste fut facile. Quand une fois on fait à
quelqu'un qu'on aime un secret de quelque cho-
se , on ne se fait bientôt plus guère de scrupule
de lui en faire sur tout. Sitôt que j'étois à la Che-
vrette, THermitage étoit plein de monde qui s'y
réjouissoit assez bien. Une mère est toujours
bien forte sur une fille d'un bon naturel; ce-
pendant, de quelque façon que s'y prît la vieille,
elle ne put jamais faire entrer Thérèse dans ses
vues , et l'engager à se liguer contre moi. Pour
elle , elle se décida sans retour ; et voyant d'un
côté sa fille et moi, chez qui Ton pouvoit vivre ,
et puis c étoit tout ; de l'autre , Diderot , Grimm ,
d'noll)ach , et madame d'Kpinay , qui promet-
toicnt i)caucoup et donnoient quelque chose,
elle n'estima pas qu'on pût avoir jamais tort
n38 LES CONFESSIONS.
dans le parti tlune fermière-générale et d un
baron. Si j eusse eu de meilleurs yeux , j'aurois
vu dès-lors que je nourrissois un serpent dans
mon sein. Mais mon aveugle confiance, que rien
encore n'avoit altérée, étoit telle que je n'ima-
ffinois pas même ([uon pût vouloir nuire à f[uel-
qu'un qu'on tlevoit aimer, et quen voyant our-
dir autour de moi mille trames , je ne savois me
plaindre que de la tyrannie de ceux que j'appc-
lois mes amis , et qui vouloient, selon moi , me
iorcer d'être heureux à leur mode plutôt qu à la
mienne.
Quoique Thérèse refusât d'entrer dans la ligue
avec sa mère, elle lui .*;arda derechef le secret:
son motif étoit louahlc; je ne dirai pas si elle
fit bien ou mal. Deux femmes qui ont des secrets
aiment à en l)abiller ensemble ; cela les rappro-
choit ; et Thérèse , en se partageant, me laissoit
sentir quelquefois que j'étois seul : car je ne pou-
vois plus compter pour société celle que nous
avions tous trois ensemble. Ce fut alors que je
sentis vivement le tort que j'avois eu, durant
nos premières liaisons , de ne pas profiter de la
docilité que lui donnoit son amour pour l'orner
de talents et de <onnoissances qui, nous tenant
plus rapprochés dans notre retraite, auroient
agréablement renq")li son temps et le mien, sans
jamais nous laisser sentir la longueur du têle-à-
tête. Ce n'étoit pas que rcutrcli«Mi laiît enlre
nous, et quelle parût s ennuyer dans nos pro-
menades} mais enfin nous n'avions pas assez
PARTIE II, LIVRE IX. 23()
d'idées communes pour nous faire un grand ma-
gasin : nous ne pouvions plus parler sans cesse
de nos projets bornes désormais à celui de jouir.
Les objets qui se présentoient m'inspiroient des
réflexions qui n'étoient pas à sa portée. Un atta-
chement de treize ans navoit plus besoin de
paroles ; nous nous connoissions trop pour avoir
plus rien à nous apprendre. Restoit la ressource
des caillettes , médire et dire des quolibets. C'est
sur-tout dans la solitude qu'on sent l'avantape
de vivre avec quelqu'un qui sait penser. Je n'a-
vois pas besoin de cette ressource pour me plaire
avec elle ; mais elle en auroit eu besoin pour se
plaire toujours avec moi. Le pis étoit qu'il fal-
loit avec cela prendre nos têtes-à-têtes en bonne
fortune : sa mère , qui m'étoit devenue impor-
tune, me forçoit à les épier. J'étois gêné chez
moi ; c'est tout dire : l'air de l'amour gâtoit la
bonne amitié. Nous avions un commerce inti-
me , sans vivre dans l'intimité.
Dès que je crus voir que Thérèse cherchoit
quelquefois des prétextes pour éluder les pro-
menades que je lui proposois, je cessai de lui
en proposer, sans lui savoir mauvais gré de ne
pas s'y plaire autant que moi. Le plaisir n'est
point une chose qui dépende de la volonté. J'é-
tois sûr de son cœur, ce m'étoit assez. Tant que
mes plaisirs étoient les siens , j'en étois fort aise;
quand cela n'étoit pas, je préférois son contcji-
tcnicnt au mien.
Voilà comment , ù demi trompé dans mon
240 LES CONFESSIONS,
attente , menant une vie de mon goût , clans un
séjour de mon choix , avec une personne qui
in'étoit chère, je parvins pourtant à me sentir
presque isolé. Ce(|ui me manfjuoit m enqiêchoit
de goûter ce que j'avois. En fait de honheur et
de jouissances il me falh)it tout ou rien. On verra
pourquoi ce détail m'a paru nécessaire. Je re-
prends à présent le fil de mon récit.
Je croyois avoir des trésors dans les immen-
ses manuscrits que m avoit donnés le comte de
• Saint-Pierre. En les examinant , je vis que ce
n'étoit presque <[ue le recueil deu ouvrages im-
primés de son oncle, annotés et corrij;és «le sa
main , avec très peu d'autres petites ])ièi'es qui
n'avoient pas vu le jour. Je me conlirmai par
ses écrits de morale dans Tidée «pie m. noient
donnée quelques lettres de lui que niadame de
Gréqui m'avoit montrées, «pi'il avoit henueoup
plus desprit que je n a vois cru ; mais 1 exanien
approfondi de ses ouvrages de politique ne me
montra que des vues superlicielles , des ])r«ijels
utiles, mais impraticables par Terreur dont I au-
teur n'a jamais pu sortir, «pie les hommes se
conduisoient par leurs lumières plutôt «pu- par
leurs passions. I^a haute ojdnion «ju il av«)ii pri>e
des connoissances modernes lui avoit fait ad«jp-
ter ce faux principe de la raison perfectionnée,
hase de tous les étahlissenients «pi il proposoit ,
et source «le tous ses sophisnus p«)liti<pies. Cet
homme rare, Ihonncur «le son siècle et de son
espèce, et le seul , depuis lélahlissemcntdu genre
PARTIE II, LIVRE IX. 24l
humain, qui n'eût d'autre passion que celle de
la raison, ne fît cependant que marcher d'erreur
en erreur dans tous ses systèmes , pour avoir
voulu rendre les hommes semhlahles à lui , au
lieu de les prendre tels qu'ils sont et qu'ils con-
tinueront d'être. Il n'a travaillé que pour des
êtres imaginaires en pensant travailler pour ses
contemporains.
Tout cela vu , je me trouvai dans quelque em-
barras sur la forme à donner à mon ouvrage*
Passer à l'auteur ses visions , c'étoit ne rien faire
d'utile ; les réfuter à la rigueur étoit faire une
chose malhonnête, puisque le dépôt de ses ma-
nuscrits, que j'avois accepté et même demandé,
m'imposoit l'obligation d'en traiter honorable-
ment l'auteur. Je pris enfin le parti qui me pa-
rut le plus honnête, le plus équitable, et le plus
utile : ce fut de donner séparément les idées de
l'auteur et les miennes, et pour cela d'entrer
dans ses vues , de les éclaircir , de les étendre , et
de ne rien épargner pour leur faire valoir tout
leur prix.
Mon ouvrage devoit être composé de deux par-
ties absolument séparées; lune, destinée à ex-
poser de la façon que je viens de dire les divers
projets de l'auteur. Dans l'autre, qui ne devoit
paroître qu'après que la première auroit fait son
effet , j'aurois porté mon jugement sur ces mê-
mes projets; ce qui, je l'avoue, eût pu les expo-
ser f[uel(jucf'ois au sort du sonnet du misan-
thrope. A la tête de tout l'ouvrage devoit être
i4- jt»
2i\l LES CONFESSIONS,
une vie de 1 auteur, pour laquelle] avois ramassé
classez bons matériaux , que je me llattois de ne
pas gâter en les employant. J avois un peu vu
ral)l)é de Saint-Pierre dans sa ^•^eilIesse; et la
vénération que j avois pour sa mémoire métoit
garant qu'à tout prendre M. le comte ne seroit
pas mécontent de la manière dontj'aurois traite
son parent.
Je fis mon Essai sur la paix perpétuelle , le
plus considérable et le plus travaillé de tous 1rs
ouvrages qui composoient ce recueil , et avant
de me livrer à mes réflexions, j'eus le comage
de liie absolument tout ce (pie 1 abbé avoit écrit
sur ce beau sujet, sans jamais me rebuter par
ses longueurs et par ses redites. Le public a vu
cet extrait, ainsi je n'ai rien à en dire. Quant au
jugement (pie j en ai porté, il n'a point été im-
primé, et j'ignore s'il le sera jamais : mais il lut
tait en même temps ([ue l'extrait. Je passai de lu
à la polysj nodie ^ ou pluralité des conseils; ou-
vrage fait sous le régent pour favoriser l'admi-
nistration (pi'il avoit choisie , et (pii fit chasser
de l'académie frîineoise l'abbé de Saint-lMerre
pour (juclijiies traits contre ra(hninistrationpré-
cédent(^ , dont la duchesse du Maine et le cardi-
nal de Polijjnac furent fâchés, .l'achevai ce tia-
vail comme le précédent, tant le jugement (jue
l'extrait :mais je m'en tins là, sans vouloir eon-
tiiiiu r ccnc entreprise, (pie je n aurois pas dû
COmUKMK (•! .
La réllexion ([iii m y fit renoncer se présente
PARTIE II, LIVRE IX. 243
crelle-mênie , et il étoit étonnant (qu'elle ne nie
lût pas venue plus tôt. La plupart des écrits de
Tabbé de Saint-Pierre étoient ou contenoient
des observations critiques sur quelques parties
du {j^ouvernenicnt de France, et il y en avoit
même de si libres qu il étoit beureux pour lui
de les avoir faites impunément. Mais dans les
bureatix des ministres on avoit de tout temps
re[yardé l'abbé de Saint-Pierre comme une es-
pèce de prédicateur moral plutôt que comme un
vrai politique, et on le laissoit dire tout à son
aise, parcequon voyoit bien que personne ne
Técoutoit. Si j'étois parvenu à le faire écouter,
le cas eût été bien différent. 11 étoit François; je
ne fétois pas : et , en m'avisant de répéter ses
censures , quoique sous son nom, je m'exposois
à me faire demander un peu rudement , mais
sans injustice , de quoi je me mêlois. Heureuse-
ment avant d aller plus avant je vis la prise que
j'allois donner sur moi, et me retirai bien vite!
Je savois que, vivant seul au milieu des bom-
mes, et d'bommes tous plus puissants que moi,
je ne pouvois jamais, de quelque façon que je
m'y prisse , me mettre à labri du mal qu'ils vou-
droient me faire. Il n y avoit qu'une chose en
cela qui dépendît de moi ; ç'étoit de faire en sorte
au moins que ({uand ils m'en voudroient faire,
ils ne le pussent <[u injustement. Cette maxime,
qui me fit abandonner l'abbé de Saint-Pierre,
m'a fait souvent renoncer à des projets beau-
coup plus chéris. Ces gens , toujours prompts à
16.
244 LES CONFESSIONS.
faire un crime de Tatlversité , qui jugent de ma
conduite par mes disf^^races, seroicnt bien sur-
pris s ils savoient tous les soins (jue j ai pris en
ma vie pour qu'on ne pût jamais me dire avec
équité dans mes malheurs : Tu les as bien mé-
rités.
Cet ouvrage abandonné me laissa quelque
temps incertain sur le choix de celui que j y fc-
rois succéder; et cet intervalle de désœuvrement
fut ma perle, en me laissant tourner mes ré-
flexions sur moi-même, faute d objet étranger
qui m'occupât. Je n'avois plus de projet pour
favenir ([ui pût amuser mon imagination. 11 ne
liiétoit pas môme possible don lairc, puiscpie la
situation où j'étois étoit précisément celle où
s'étoient réunis tous mes désirs : je n'en avois
plus à former, et j avois encore le cœur vide. Cet
état étoit d'autant plus cruel que je n'en voyois
point à lui préférer. J'avois rassemblé mes plus
tendres affections daus une personne selon mon
cœur, qui me les reudoit : je vivois avec elle sans
gêne, et pour ainsi dire à discrétion. Cependant
un secret serrement de cœur ne me quittoit ni
près ni loin d'elle : en la possédant je scntois
<ju elle me mau(|uoit encore, et la seule idée (juo
je n'étois pas tout popr elle faisoit qu'elle n étoit
presque rien pour moi.
J avois dos amis des deux sexes auxrpiels j'é-
tois attaebé par la plus |)ure amitié, par la plus
parfaite estime; je conqitois sur le [)Ius vrai re-
tom- de leur part , et il ne in'étoit pas même
PARTIE II, LIVRE IX. 245
venu dans l'esprit de douter une seule fois de
leur sincérité : cependant cette amitié ni etoit
plus tourmentante que douce par leur obstina-
tion , par leur affectation même à contrarier
tous mes goûts , mes penchants , ma manière
de vivre , tellement qu'il me suffisoit de paroître
désirer une chose qui n'intéressoit que moi seul
et qui ne dépéndoit pas d'eux, pour les voir tous
se liguer à l'instant même pour me contraindre
d'y renoncer. Cette obstination de me contrôler
en tout dans mes fantaisies , d'autant plus in-
juste que , loin de contrôler les leurs , je ne m'en
informois pas même , me devint si cruellement
onéreuse , qu'enfin je ne recevois pas une de
leurs lettres sans sentir en l'ouvrant un certain
effroi qui n'étoit que trop justifié par sa lecture.
Je trouvois que , pour des gens tous plus jeunes
que moi , et qui tous auroient eu grand besoin
pour eux-mêmes des lettons qu'ils me prodi-
guoicnt , c'étoit aussi trop me traiter en enfant.
Aimrz-inoi, leur disois-je , comme je vous aime,
et du reste ne vous mêlez pas plus de mes affai-
res que je ne me mêle des vôtres ; voilà tout ce
que je vous demande. Si de ces deux choses ils
m'en ont accordé une, ce n'a pas du moins été
la dernière.
.Vavois une demeure isolée , dans une solitude
charmante ; maître chez moi, j'y pouvois vivre
à ma mode , sans que personne eût à m'y con-
trôler. Mais cette habitation m'imposoit des de
voirs doux à remplir, -mais indispensables. Toute
2^6 LES CONFESSIONS,
ma liberté n étoit que précaire ; plus asservi qne
par (les ordres , je devois l'être par ma volonté :
je n'avois pas un seul jour dont, en me levant,
je pusse me dire : J'emploierai ce jour comme il
me plaira. Bien plus ; outre ma dépendance des
arranp,emcnts de madame d Kpinay , j en avois
ime autre, bien plus importune, du public et
des survenants. La distance où j'étois de Paris
n empéclioit pas qu'il ne me vînt journellement
des tas de désœuvrés qui , ne sacliant <pie faire
de leur temps , prodifjuoient le mien sans aucun
scrupule. Quand j'y pensois le moins , j'étois
impiloyablcment assailli; et rarement j ai fait
vm joli projet pour ma joiunée , sans le voir ren-
verser par quelque arrivant.
Bref, au milieu des biens que j'avois le plus
convoités, ne trouvant point de pure jouissan-
ce , je revenois par élans sur les jours sereins de
ma jeunesse , et je m'écriois quelquefois en sou-
pirant : Ah ! ce ne sont pas encore ici les Char-
mettes !
Les souvenirs des divers tcnqis de ma vie m a-
menèrent à réfléchir sur le point où j'étois par-
venu , et je me vis déjà sur le déclin de rii{|<' , en
proie à des maux douloureux, et croyant appro-
f lier du terme de ma carrière, sans avoir (^oùlé
dans sa plénitude presque aucun des plaisirs
dont mon cour étoit avide, sans avoir donné
Tessor aux vifs sentiments (pu;jy sentois en ré-
serve, sans avoir savouré, sans avoir effleuré
du moins, cette enivrante volupté que je sentois
PARTIK II, LIVRE .IX. 2,^7
dans mon ame en puissance, et qui , faute d'ob-
jet , s'y ti ouvoit toujours comprimée , sans pou-
voir s'exhaler que par mes soupirs.
Comment se pouvoit-il qu'avec une ame na-
turellement expansive , pour qui vivre c'étoit
aimer, je n'eusse pas trouvé jusqu'alors un ami
tout à moi, un véritable ami , moi qui me sen-
tois si bien fait pour l'être ! Comment se pou-
voit-il qu avec des sens si combustibles , qu'avec
un cœur tout pétri d'amour, je n'eusse pas , du
moins une seule fois , brûlé de sa flamme pour
un objet déterminé? Dévoré du besoin d'aimer
sans l'avoir jamais pu bien satisfaire , je me
voyois atteindre aux portes de la vieillesse , et
mourir sans avoir vécu.
Ces réflexions , tristes mais attendrissantes ,
me faisoient replier sur moi-même avec un re-
gret qui n'étoit pas sans douceur. Il me sembloit
que la destinée me devoit quelque chose qu'elle
ne m'avoit pas donné, A quoi bon m'avoir fait
naître avec des facultés exquises, pour les laisser
jusqu'à la fin sans emploi? Le sentiment de mon
prix interne, en me donnant celui de cette in-
justice , m'en dédommaj^coit en quelque sorte,
et me faisoit verser des larmes que j'aimois à
laisser couler.
•le faisois ces méditations dans la plus belle
saison de Tannée, au mois de juin y sous des bo-
ca{Tes frais , au chant du rossignol , au gazouille-
ment des ruisseaux. Tout concourut à me re-
plonger dans cette mollesse trop séduisante pour
^48 LES CONFESSIONS,
laquelle jetois né, mais dont le ton dur et sé-
vère où vcnoit de me monter une Jonj^ne effer-
vescence m auroit dû délivrer pour toujours..! al-
lai malheureusement me rappeler le dînéduclui-
teau de Toune, et ma rencontre avec ces deux
charmantes filles dans la mcme saison et dans
des lieux à-peu-prcs semblables à ceux oii j'étois
dans ce moment. Ce souvenir, que l'innocence
qui s'y joi^onoit me rendoit pins doux encore ,
m'en rappela d autres de la même espèce. Hien-
tôt je vis rassemblés autour de moi tous les ob-
jets qui m'avoient doniH'de 1 émotion dans ma
jeunesse, madenioiscllc (Jallcv, n»ad( inoisidle
de Graflènried, mademoiselle de iJrcil , madame
Basile , madame de Larnage , mes jolies écoliè-
res , et jusqu'à la piquante Zulietta , que mon
cœur ne peut oublier, .le me vis entouré d'un
sérail dhouris, de mes anciennes counoissan-
ces pour qui toutes le goût le plus vif ne m'étoit
pas un sentiment nouveau. Mon sanjj s'allume
et pétille , la tête me tourne malf;ré ses cheveux
grisonnants; et voilà le (^rave ciKn'en de (ienè-
ve , voilà l'austère .lean-Jacques , à près de qua-
rante-cin(| ans, redevenu tout-à-roup le bcrj^fcr
extravaffaut. l/ivresse, tlont je fus saisi, (juoicpie
si prompte et si folle, fut si durable et si forte,
qu'il n'a pas moins fallu , pour m en |;uérir,(pie
la crise im|)réviu' et terrible des malheurs où
t'Ile ma précipité.
Cette ivresse , à'quebpie point <pi elle Fût por-
tée , n'alla pourtant pas jusquà me faiie oublier
PAr.TIE II, LIVRE IX. D.'[iJ
mon âge et ma situation, jusqu'à me flatter de
pouvoir inspirer de l'amour encore, jusqu'à ten-
ter de communiquer enfin ce feu dévorant , mais
stérile, dont depuis mon enfance je scntois en
vain consumer mon cœur. Je ne l'espérai point,
je ne le desirai pas même. Je savois que le temps
d'aimer étoit passé, je sentois trop le ridicule
des i^alants surannés pour y tomber, et je n'é-
tois pas homme à devenir avantapcux et con-
fiant sur mon déclin , après l'avoir été si peu
durant mes plus belles années. D'ailleurs , ami
de la paix , j'aurois craint les orapes domesti-
ques , et j'aimois trop sincèrement ma Thérèse
pour l'exposer au chagrin de me voir porter à
d'autres des sentiments plus vifs que ceux qu'elle
m inspiroit.
Que fis-je en cette occasion? Déjà le lecteur Fa
deviné pour peu qu'il m'ait suivi jusqu'ici. L'im-
possibilité d'atteindre aux êtres réels me jeta
dans le pays des chimères; et, ne voyant rien
d'existant quifûtdi(jne de mon délire, je lenour-
ris dans un monde idéal que mon ima(jination
créatrice eut bientôt peuplé d'êtres selon nîon
cour. Jamais cette ressource ne me vint plus à
propos et ne se trouva si féconde. Dans mes
continuelles extases je m'enivrois à torrents «les
plus ([''licieux sentiments qui jamais soient en-
trésdans un cœur d'homnie. Oubliant tout-à-fait
la race humaine , je me fis des sociétés de créa-
tures parfaites, aussi célestes par leurs vertus
que par leurs beautés , d'amis sûrs , tendres, fidc-
25o LES CONFESSIONS,
les , tels que je n en trouvai jamais ici-bas. Je pris
un tel {joùtàplaner ainsi danslcnipyréeau milieu
des objets charmants dont je m'étois entouré,
que j'y passois les heures, les jours sans comp-
ter , et , perdant le souvenir de toute autre
chose , à peine avois-je mangé un morceau à la
liàte, que je brùlois de m'échapper pour cou-
rir retrouver mes bosquets. Quand , prêt à par-
tir pour le monde enchanté, je voyois airivir
de malheureux mortels qui venoient me retenir
sur la terre , je ne pouvois ni modérer ni cacher
mon dépit , et , n étant ])lus maître de moi , je
leur Faisois un accueil si briis(pi(\ (pi il pouxoit
porter le nom de brutal. Cela ne fit qu'augmen-
ter ma réputation de nnsanthropie , par tout ce
qui m'en eût acquis une bien contraire , si l'on
eût mieux lu dans mon cœur.
Au fort de ma plus grande exaltation , je i'ns
retiré tout d im coiq) par le cordon comme un
cerf-volant , et remis à ma place par la nature ,
à laide d'une attaque assez vive de mon ma!,
.l'employai le seul remède (jui m'eût soulagé ,
savoir les bougies, et cela lit trêve à nus angéli-
(juesanïours: car, outrcijuOn n'est {;uêre amou-
reux (jiKiiid on souffre , mon iniajyinatioii , <|iii
s anime en canqiagne et sous les ari)res , lan-
guit et meurt «lans la chambre et sous les s<di-
ves d'un ])lancher. .lai ceut fois regretté qu'il
n'existât pas des Dryades; car c'eût infailliblc-
ineiit ("té parmi elles que j'aurois fixe mon at-
tachement.
PARTIE II, LIVRE IX. 2al
D'autres tracas domestiques vinrent en même
temps augmenter mes chagrins. Madame Le
Vasseur , en me faisant les plus beaux compli-
ments du monde, aliënoit de moi sa fille tant
qu'elle pouvoit. Je reçus des lettres de mon an-
cien voisinage , qui m'apprirent que la bonne
vieille avoit fait à mon insu plusieurs dettes au
nom de Thérèse , qui le savoit, et qui ne m'en
avoit rien dit. Les dettes à payer me fâchoient
beaucoup moins que le secret qu'on m'en avoit
fait. Eh! comment celle pour qui jamais je n'eus
aucun secret pouvoit-elle en avoir pour moi?
Peut-on dissimuler quelque chose aux gens qu'on
aime ? La coterie holbachique , qui ne me voyoit
faire aucun voyage à Paris , commençoit à crain-
dre tout de bon que je ne me plusse en cam-
pagne , et que je ne fusse assez fou pour y de-
meurer.
Là commencèrent les tracasseries par lesquel-
les on clierchoit à me rappeler indirectement à
la ville. Diderot , qui ne vouloit pas se montrer
sitôt lui-même , commença par me détacher
Deleyre, à qui j'avois procuré sa connoissance,
lequel recevoit et me transmettoit les impres-
sions que vouloit lui donner Diderot sans que
lui Deleyre en découvrît le vrai but.
Tout sembloit concourir à me tirer de ma
douce et folle rêverie. Je nétois pas rétabli de
mon attaque, quand je reçus un exemplaire dn
poëme sur hi ruine de liisbonne, (^ue je suppo-
sai m'êti (• <'nvoyé par fauteur. Cela me mit dans
202 LES CONFESSIONS.
ï'ol)li(jation de lui écrire et de lui parler de sa
pièce. Je le lis par une lettre qui a été impri-
mée lon{^-tenips après sans mon aveu , comme
il sera dit ci-après.
Frappé de voir ce pauvre homme, accablé ,
pour ainsi dire de prospérités et de fjoire, dé-
clamer toutefois amèrement contre les misères
de cette vie , et trouver toujours que tout étoit
mal , je formai finsensé projet de le faire ren-
trer en lui-même, et de lui prouver que tout
étoit bien. Voltaire,enparoissant toujours croire
en Dieu, na réellement jamais cru (pTiui Dia-
})le ; puisque son dieu jircicndu nest<juun être
malfaisant , ([ui , selon lui , ne prend du plaisir
qu'à nuire. L'absurdité de cette doctrine , qui
saute aux yeux, est sur-tout révoltante dans
un homme comblé des biens de toute espèce,
qui, du sein du bonheur, cherche à désespérer
ses semblables par fimafie affreuse et cruelle de
toutes les calamités dont il est exenipt. Autorisé
plus que lui à ccnnpter et peser les maux de la
vie humaine, jeu lis l'équitable examen, et je
lui prouvai (pie ,de tous cva maux , il n y en avoit
pas un dont la Providence ne fut disculpée, et
qui n'eût sa source dans l'abus que l'homme a
fait de ses facultés plus «pie dans la nature elle-
niènie. Je le traitai dans celle lellre avec tous les
égards , toute la considérai ion , tout le njenaj;e-
ment , et je puis dire avec toui le respect , pos-
sibles. Cepeudaiit, lui connoissant un amour-
propre extrènicuK.ut irritable , je ne lui envoyai
PARTIE II, LIVRE IX. 253
pas cette lettre à lui-même, mais au docteur
Tronchin , son médecin et son ami , avec plein
pouvoir de la donner ou supprimer , selon ce
tpi il trouveroit le plus convenable. Tronchin
donna la lettre. Voltaire me répondit, en peu
de lignes, quêtant garde-malade et malade lui-
même il remettoit à un autre temps sa réponse,
et ne dit pas un mot sur la question. Tronchin,
en m'en voyant cette lettre, m en écrivit une , où
il marquoit peu d'estime pour celui qui la lui
avoit remise.
Je n'ai jamais publié ni même montré ces deux
lettres, n'aimant point à faire parade de ces sor-
tes de petits triomphes; mais elles sont en ori-
ginal dans mes recueils. ( Liasse A , n** 20 et 2 1 . )
Depuis lors Voltaire a publié cette réponse qu'il
m'avoit promise, mais qu'il ne m'a pas envoyée :
elle n'est autre que le roman de Candide, dont
je ne puis parler parceque je ne l'ai pas lu.
Toutes ces distractions m'auroient dû guérir
radicalement de mes fantastiques amours , et
c'étoit peut-être un moyen que le ciel m'offroit
d'en prévenir les suites funestes; mais ma mau-
vaise étoile fut la plus forte, et à peine recom-
mençai-je à sortir, que mon cœur, ma tête, et
mes pieds, reprirent les mêmes routes : je dis les
mêmes , à certains égards ; car mes idées , un peu
moins exaltées, restèrent cette fois sur la terre,
mais avec un choix si exquis de tout ce qui pou-
voit s'y trouver d'aimable en tout genre , que
cette élite n'étoit guère moins chimérique que le
254 LES COA'IESSIOKS.
monde imaginaire que je vcnois d'abandonner.
Je me figurai l'amour, Tamitié, les deux idoles
de mon cœur, sous les plus ravissantes images:
je me plus à les orner de tous les cliarmes du
sexe que j'avois toujours adoré. J'imaginai deux
amies, plutôt que deux amis, parcequc si l'exem
pie est plus rare, il est plus aimable en même
temps: je les douai de deux caractères analogues,
mais différents; de ileux figures, non pas parfai-
tes, mais de mon goût, quanimoient la bien-
veillance et la sensibilité. Je fis Tune brune et
1 autre blonde, l'une vive et l'autre douce, lune
sage et 1 autre loible, mais d'une si toucliante
foiblesse que la vertu send)loit y ga{;ner. Je don-
nai à 1 une des deux un amant dont 1 autre fut
la tendre amie, et même quelque cliose de plus;
mais je n'admis ni rivalité, ni querelles, ni ja-
lousie , parceque tout sentiment pénible me
coûte à imaginer, et que je ne voulois ternir ce
riant tableau par rien qui dégradât la nature.
Ëprisdemes deuxebarmants modèles, je m'iden-
tiliois avec l'amant et lanii le plus qu'il m'étoit
possible; mais je le fis aimable cl jeune, lui don-
nant au surplus les vertus et les défauts que je
me sentois.
Poiu" placer mes personnages <lans un séjour
qui leiu" convînt, je passai successivement en
revue les plus beaux lieux cpie j'eusse vus dans
mes voyages. ^îais je ne trouvais point dcbocage
assez frais, point de paysage assez toucbant à
mongré:les vallées delaTbessaliem'auroientpu
PARTIE II, LIVRE IX. 2d5
contenter si je les avois vues; mais mon imafri-
nation , fatiguée à inventer, vouloit quelque lieu
réel qui pût lui servir de point d'appui, et me
faire illusion sur la réalité des habitants que j'y
voulois mettre, .le songeai long-temps aux îles
Borromées dont rasJDect délicieux m'avoit trans-
porté , mais j'y trouvai trop d'ornement et d'art
pour mes personnages. Il me falloit cependant
un lac, et je finis par choisir celui autour duquel
mon cœur n'a jamais cessé d'errer ; je me fixai
sur la partie des bords de ce lac à laquelle depuis
long-temps mes vœux ont placé ma résidence
dans le bonheur imaginaire auquel le sort m'a
borné. Le lieu natal de ma pauvre maman avoit
encore pour moi un attrait de prédilection. Le
contraste des positions , la richesse et la variété
des sites, la magnificence, la majesté totale du
spectacle qui ravit les sens , émeut le C(eur, élève
lame, achevèrent de me déterminer, et j'établis
à Vévai mes jeunes pupilles. Voilà tout ce que
j'imaginaidu premier bond; le reste n'yfùt ajouté
que dans la suite.
Je me bornai long-temps à un plan si vague,
parcequ'il suffisoit pour remplir mon imagina-
tion d'objets agréables , et mon cœur de senti-
ments dont il aime à se nourrir. Ces fictions^ a
force de revenir , prirent enfin plus de consis-
tance, et se fixèrent dans mon cerveau sous une
lorine déterminée. Ce fut alors que la fantaisie
me prit dexprimer sur le papier quelques unes
des situations qu'elles m'oihoieut, et , rappelant
256 LES CONFESSIONS.
tout ce que i avois senti clans ma jeunc^se, de
donner ainsi l'essor on (juelque sorte au désir
d'aimer <|uejtMravois jamais pu satisfaire, etdont
je me seutois dévoré.
Je jetai d abord sur le papier quelques lettres
cparses sans suite et sans liaison , et lorsque je
m'avisai de vouloir les coudre, j'y fus souvent
fort embarrassé. Ce qu il y a de peu croyable et
de très viai , est que les deux premières parties
ont été écrites presque en entier de cette ma-
nière, sans que j eusse aucun j)lan bien formé,
et même sans prévoir (ju un jour je serois tenté
d'en faire un ouvrajjeen rêp,le. Aussi voit-on que
ces deux parties formées après coup de maté-
riaux ({ui n ont j)as été tailles pour la j)lace ipi ils
occupeut , sont pleines d un remplissage verbeux
qu'on ne tiouve pas dans les autres.
Au plus fort de mes douces rêveries, j'eus une
visite de madame d iloudetot,la première quelle
m'eût faite en sa vie, mais qui mallieureusement
ne fut pas la dernière, comme on verra ci-aprèv.
Tia comtesse dIJoudctot étoil fille de feu INI. de
lielleoarde, fermier-{>enéral , so'ur de iM. d l.pi-
nay et de MM. de La Live et de La liriclie, (jui
depuis ont été tous deux introducteurs des am-
bassadeurs. J ai parlé de la counoissance que je
fis avec elle étant fille. Depuis son mariajje, je
ne la vis qu'aux fêtes de la Chevrette, ebe/, ma-
dame dEj)iiiay sa belle-sfeur. Avant souvent
passé plusieurs jours avec elle, tant à la Clic-
PAtlTIÉ II, LIVRE IX. 257
vrette qu'à Epinay, non seulement je la trouvai
toujours très aimable, mais je crus lui voir aussi
pour moi de la bienveillance. Elle aimoit assez
à se promener avec moi; nous étions marcheurs
l'un et l'autre, et l'entretien ne tarissoit pas entré
nous. Cependant , je n'allai jamais la voir à Pa-
ris, quoiquelle m'en eût prié et même sollicité
plusieurs fois. Ses liaisons avec M. de Saint-Lam-
bert, avec qui je commençois d'en avoir, me la
rendirent encore plus intéressante , et c'étoit
jpour m'àpporter des nouvelles de cet ami , qui ,
pour lors, étoit , je crois, à Malion, qu'elle vint
me voir à l'Hermitage.
Cette visite eut un peu l'air d'un début de ro-
man. Elle s'égara dans la route. Son cocher,
quittant le chemin qui tournoit , voulut tra-
verser en droiture du moulin de Clairvaux à
l'Hermitage : son carrosse s'embourba dans le
fond du vallon ; elle voulut descendre et faire le
reste du trajet à pied. Sa mignonne chaussure
fut bientôt percée; elle enfonçoit dans la crotte ,
ses gens eurent toute la peine du monde à la
dégager , et enfin elle arriva à l'Hermitage en
bottes , et perçant l'air d'éclats de rire auxquels
je mêlai les miens en la voyant arriver. Il fallut
changer de tout ; Thérèse y pourvut, et je l'en-
gageai d'oublier la dignité pour faire une colla-
tion rustique dont elle se trouva fort bien. Il
étoit tard , elle resta peu ; mais l'entrevue fut si
gaie qu'elle y prit goût , et parut disposée à re-
14. 17
258 LES CONFESSIONS,
venir. Elle n'exécuta pourtant ce projet rjucTan-
née suivante; mais, hélas! ce retard ne me ga-
rantit de rien.
Je passai 1 automne à une occupation dont on
ne se doutcroitpas, à laj^ardedu Irnit de M. d K-
pinay. L Hermitagc ctoit le réservoir des eaux du
parc de la Chevrette : il y avoit un jarilin clos
de murs, et {^arni d'espaliers et d'autres arhres
<|ui donnoient plus de Iruits à M. d Épinay f|uc
son p^raud potajjer de la Chevrette, et tournis-
soit presque toute l'année son office et sa ta-
ble. Pour nêtre pas un hôte ahsohuncnl inutile,
je me chargeai de la direction du jardin et de
Tinspection du jardinier. Tout alla ])ien jusqu'au
temps des fruits; mais à mesure qu'ils mûris-
soient je les voyois disparoître, sans savoir ce
qu'ils étoient devenus. I.e jardinier m'assura
que c étoient les loirs qui mangeoient tout. Je
fis la guerre aux loirs , j'en détruisis beaucoup ,
et le fruit ncn disparoissoit pas moins, .le guet-
tai si bien ipi enfin je trouvai que le jardinier
lui-même étoit le grand loir. Il logeoit à Moul-
inorency, d'où il venoit les nuits avec sa fennue
et ses enfants eidever les dépôts de iruits (pi il
avoit faits |)endant la journée, et qu il laisoit
vendre à la halle à Paris aussi publiijuenuMii
<pu* s'il (Mil tu un jardin a lui. Ce miséial)K\ (pu;
je comblois de bit.'ufaits, dont Thcrè&e liai lii loi t
les enfants, et dont je nourrissois presque le
père qui étoit mendi;mt, nous dévalisoit aussi
aisément (preflV(jntéui( ni , ;iucun des trois nV-
PARTIE II, LIVRE IX. 259
tant assez vi{>ilant pour y mettre ordre, et dans
une seule nuit il parvint à vider ma cave, où je
ne trouvai rien le lendemain. Tant qu'il ne pa-
rut s'adresser qu'à moi , j'endurai tout ; mais
voulant rendre compte du fruit , je fus obligé
d'en dénoncer le voleur. Madame d'Épinay me
pria de le payer , de le mettre dehors , et d'en
chercher un autre ; ce que je fis. Comme ce grand
coquin rôdoit toutes les nuits autour de IHer-
mitage, armé d'un gros bâton ferré qui avoit
l'air d'une massue , et suivi d'autres vauriens
de son espèce , pour rassurer les gouverneuses
que cet homme effrayoit terriblement, je pris
le parti de faire coucher son successeur toutes
les nuits à l'Hermitage ; et , cela ne les tranquil-
lisant pas encore, je fis demander à madame
d'hpinay un fusil que je tins dans la chambre du
jardinier, avec charge à lui de ne s'en servir qu'au
besoin, si Ton tcntoit de forcer la porte ou d'es-
calader le jardin, et de ne tirer qu'à poudre,
uniquement pour effrayer les voleurs. C'étoit
assurément la moindre précaution que pût pren-
dre pour la sûreté commune un homme incom-
modé , ayant à passer ^hi^ cr au milieu des bois ,
seul avec deux femmes timides. Enfin, je fis
l'acquisition d'un petit chien pour servir de sen-
tinelle. Dclcyrc m'étant venu voir dans ce temps-
là, je lui contai mon cas, et ris avec lui de
mon appareil militaire. De retour à Paris , il en
voidut amuser Diderot à son tour, et voilà com-
ment la coterie holbachique apprit que je vou-
26o LES CO>'I ESSIONS.
lois tout de bon passer 1 hiver à IHermitagc.
Cette constance qu'ils n avoient pu se figurer les
désorienta ; et en attendant qu ils inia{>,inassent
qucl([uc autre tracasserie pour me rendre mon
séjour déplaisant (i) , ils me détachèrent par Di-
derot le même Deleyre , qui , d'abord ayant trouvé
mes précautions toutes simples , finit par les
trouver inconséquentes à mes principes et pis
que ridicules dans des lettres où il m accabloit de
plaisanteries amères et assez piquantes pom-
m'offenser, si luon humeur eût été tournée de
ce côté. Mais alors saturé de sentiments atï'ec-
lueux et tendres , et n'étant suscepti})le d aucun
autre , je ne voyois dans ses aigres sarcasmes
que le mot pour rire, et ne le trouvois que fo-
lâtreoùtout autrereùttrouvé extravagant. Ainsi
ceux qui le souffloient en furent cette lois pour
leur peine , et je n'en passai pas mon hiver moins
tranquillement.
A iorce de vigilance et de soins , je parvins à
garder si bien le jardin , que, quoique la récolte
du fruit eût pres([ue manqué cette année, le pro-
duit fut triple de celui des années précédentes ;
(i) J'iuhnire en ce moment ma stupidité de n'avoir pas
vu, (juand j'écrivois ceci, que le ilepit avec lequel les
liolhachiens nie virent aller et rester à la campajyne re-
gardoii principalement la mère Le Vasseur, qu'ils n'a-
voient plus sous la main pour les {yuider dans leurs sys-
tèmes d'imposture par des points fixes de temps et de
lieux. Cette idée, <|ui me vient si tard, ériaireit parfai-
lemeiU la bizarrerie de leur conduite, qui, dans toute
autre supposition, est inexplicable.
PARTIE II, LIVRE IX. 261
et iî est vrai que je ne niepargnois point pour le
préserver, jusqu'à escorter les envois que je fai-
sois à la Chevrette ou à Epinay, jusqu'à porter
des paniers moi-même; et je me souviens que
nous en portâmes un si lourd, la tante et moi ,
que , prêts à suceomber sous le faix , nous fûmes
contraints de nous reposer de dix en dix pas, et
n'arrivâmes que tout en nage.
Quand la mauvaise saison commença de me
renfermer au logis, je voulus reprendre mes oc-
cupations casanières : il ne me fut pas possible.
Je ne voyois par-tout que les deux charmantes
amies , que leur ami , leurs entours , le pays
qu'elles habitoient, qu'ol>jets créés ou embellis
pour elles par mon imagination. Je n'étois plus
un moment à moi-même ; le délire ne me quit-
toit plus. Après beaucoup d'efforts inutiles pour
écarter de moi toutes ces fictions, je fus enfin
tout-à-fait séduit par elles , et je ne m'occupai
plus qu'à tâcher d'y mettre quelque ordre et quel-
que suite pour en faire une espèce de roman.
Mon grand embarras étoit la honte de me dé-
mentir ainsi moi-même si nettement et si haute-
ment. Après les principes sévères que je veuois
d'établir avec tant tle fracas, après les maximes
austères que j'avois prêchécs, après tant d'invec-
tives mordantes contre les livres efféminés qui
respiroient l'amour et la mollesse, pouvoit-on
rien imaginer de plus inattendu, de plus cho-
quant que de me voir tout-à-coup m'inscrire de
ma propre main parmi les auteurs tle ces livre*
262 LES CONFESSIONS,
que j'^vois si durement censurés? Je sentois cette
inconscquonre dans tonte sa force ; je me la re-
procliois, j'en roug^issois, je m'en dépitois : mais
tout cela ne put suffire pour me ramener à la
raison. Subjugué complètement, il fallut me
soumettre à tout risque, et me résoudre à bra-
ver le Qu'en dira-t-on ; sauf à délibérer dans la
suite si je me résoudrois à montrer mon ouvraffc
ou non : car je ne supposois pas encore que ja-
mais j'en vinsse à le publier.
Ce parti pris , je me jette à plein Cf)llier dans
mes rêveries; et à force de les tourner et retour-
ner dans ma tète, j'en forme enfin respèce de
plan dont on a vu l'exécution. C étoit assurément
le meilleur parti qui pût se tirer de mes folies:
l'amour du bien , qui n'est jamais sorti de mon
cœur, les tourna naturellement vers des objets
utiles, et dont la morale eût pu faire son profit.
M^ tableaux voluptueux auroient perdu de leurs
fjraces , si le doux coloris de l'innocence y eut
manqué.
Une fille foible est un objet de pitié que l'amour
peut rendre intéressant et qui souvent n'est pas
iimins aimable : mais cjui peut supporter sans
indif;nation le spectacle des mœurs à la mode?
cl (pi y a-t-il de plus révoltant que l'orgueil d'uiu'
femme infidèle, (|ui, foulani ouvertement aux
pieds tous ses devoirs, prétend <jue son niari soit
pénétré de reeounoissanee de la {pace (ju elle lui
accorde de vouloir bien ne pas se laisser prendre
sur le fait? Les êtres parfaits ne sont pas dans la
PARTIE II, LIVRE IX. 263
nature, et leurs leçons ne sont pas assez près de
nous. Mais qu une jeune personne, née avec un
cœur aussi tendre qu'honnête , se laisse vaincre
à l'amour étant fille , et retrouve étant femme
des forces pour le vaincre à son tour, et se main-
tenir vertueuse : quiconque vous dira que ce ta-
Lleau dans sa totalité est scandaleux et n'est pas
utile , est un menteur et un hypocrite : ne l'é-
coutez pas.
Outre cet objet de mœurs et d'honnêteté con-
jugale qui tient radicalement à tout l'ordre social ,
je m'en fis un plus secret de concorde et de paix
publique , objet plus grand , plus important peut-
être en lui-même , et du moins pour le moment
oii l'on se trouvoit. L'orage excité par l'encyclo-
pédie, loin de se calmer, étoit alors dans sa plus
grande force. Les deux partis déchaînés l'un con-
tre l'autre avec la dernière fureur, ressembloient
plus à des loups enragés , acharnés à s'entredé-
chirer , qu'à des chrétiens et des philosophes qui
veulent s'éclairer, se convaincre mutuellement,
et se ramener dans la voie de la vérité. Il ne
manquoit peut-être à l'un et à l'autre que des
chefs remuants qui eussent du crédit, pour dé-
générer en guerre civile ; et Dieu sait ce qu'eût
produit une guerre civile de religion , où l'into-
lérance la plus cruelle étoit au fond la même
des deux côtés ! Ennemi né de tout esprit de
parti , j'avois dit franchement aux uns et aux
autres des vérités dures quilsn'avoient pas écou-
tées. Je m'avisai d un autre expédient, qui , dans
264 LES CONFESSIONS.
ma simplicité de cœur, me parut admirable :
c'étoit dadoucir leur haine réciproque en dé-r
ttruisant leurs préjugés, et de montrer dans cha-r
que parti le mérite et la vertu dans l'autre, di"
gnes de lestime publique et du respect de tout
l'univers. Ce projet peu sensé, qui supposoit de
la bonne foi dans les hommes , et par lequel je
tondjai dans le défaut que je reprocbois à labbé
de Saint-Pierre, eut le succès quil dcvoit avoir;
il ne rapprocha point les partis et ne les réunit
que pour m'accabler. En attendant que Icxpé-
rience m'eût fait sentir ma folie, je m'y liviai,
j'ose le dire, avec un enthousiasme dijjue du lun-
tif qui me l'inspiroit ; et je dessinai les <lou\ ca-
ractères de Wolmar et de Julie, dans im ravis-
sement qui me faisoit croire que je parviendrois
aies rendre aimal)les tous les deux, et, qui plus
est , l'un par l'autre.
Content d'avoir grossièrement esquissé mon
plan , je revins aux situations de détail (jue j a-
vois tracées; et, de l'arrangement que je leur
donnai, résultèrent les deux premières parties
de la Julie, que je fis et mis au net durant cet
hiver avec un plaisir inexpriuiable , employant
pour cela le plus beau papier doré , séchant I c-
criture avec de la poudre dazur et d'argent , cou-
sant mes cahiers avec de la nomjKircille bleue ,
enfin ne trouvant rien d'assez galant, rien d as-
sez mignon pour les charmantes hlles dont je
raffolois , malgré ma barbe déjà grisonnante.
Tous les soirs, au coin de mon feu , je lisois et
PARTIE II, LIVRE IX. -265
relisois ces deux parties aux fjouverneuses. La
fille, sans rien dire, sanglotoit avec moi d'at-
tendrissement ; la mère qui , ne trouvant point
là de compliments, n'y comprenoit rien , restoit
tranquille , et se contentoit dans les moments
de silence de me répéter toujours: Monsieur ^
cela est bien beau.
Madame d'Epinay , inquiète de me savoir seul
en hiver au milieu des bois , dans une maison
isolée, envoyoit très souvent savoir de mes nou-
velles. Jamais je n'eus de si vrais témoignages
de son amitié pour moi , et jamais la mienne
n'y répondit plus vivement. .1 aurois tort de ne
pas spécifier , parmi ces témoignages , qu elle
m'envoya son portrait , et qu'elle me demanda
des instructions pour avoir le mien, peint par
Latour, et qui avoit été exposé au salon. Je ne
dois pas omettre une autre de ses attentions ,
qui paroîtra risible , mais qui fait trait à l'his-
toire de mon caractère , par l'impression qu elle
fit sur moi. Un jour qu'il geloit très fort , en ou-
vrant un paquet qu'elle m'cnvoyoit de plusieurs
commissions dont elle s'étoit chargée , j y trou-
vai un petit jupon de dessous de llanelle d An-
gleterre , qu'elle me marquoit avoir porté , et
dont elle vouloit que je me fisse faire un gilet.
Le tour de son hillet étoit charmant , plein de
caresse et de naïveté. Ce soin plus qu amical me
parut si tendre, comme si elle se fût dépouillée
pour me vêtir, que , dans mon émotion , je bai-
sai vingt fois en pleurant le billet et le juj)on :
266 LES CONFESSIOKS.
Thérèse me croyoit devenu fou. Il est singulier
(|ue, de toutes les marques d'amitié (jue mada-
me d'Épinay m'a prodiguées , aucune ne m'a ja-
mais touché comme celle-là , et que , même de-
puis notre rupture, je n'y ai jamais repensé sans
attendrissement. .1 ai lon^j-temps conservé son
petit hillet ; et je Tauiois encore , s'il n'eût eu le
sort de mes autres lettres du même temps.
Quoique mes rétentions me laissassent alors
peu de relâche en hiver , et qu une partie de
celui-ci je fusse réduit à L'usage des sondes, ce
fut pourtant , à tout prendre , la saison que ,
depuis ma demeure en IVance , j ai passée avec
le plus de douceur et de tranipiiliité. Dniant
quatre ou cinq mois que le mauvais temps me
dut presque à ra))ri des survenants , je savourai,
plus ({ue je n'ai fait avant et depuis , cette vie
indépendante, éjjale , et simple, dont la jouis-
sance ne faisoit pour moi qu'auf|menter le prix,
sans autre compaj^nie rpie celle dc^^ deux {{ou-
verncuses en réalité , et cvWc des deux cousines
en idée. C'est alors sur-t(^nt que je me félicitois
chaque jour davantajje du parti ([ue j'avois eu le
bon sens de prendre, sans é^^ard aux clameurs
de mes amis , lâchés de me voir affranrhi de
leur tyrannie; et, quand j'appris 1 attentat <\<-
rrahle d'un forcené; quand Deleyre et madame
d'Fipinay nie jiarloientdans hurs lettres du trou-
ble et de ra|;itation qui ré};noient dans Paris,
combien je remerciai le ciel de m avoir éloi{;né
de ces spectacles d horreurs et de crimes qui
PABTIE II, LIVRE IX. 26j
ïi eussent fait que nourrir , qu'aigrir l'humeur
hilieuse que 1 aspect des désordres publics ni'a-
voit donnée , tandis que , ne voyant plus autour
de ma retraite que des objets riants et doux, mon
cœur ne se livroit qu'à des sentiments aimables.
Je note ici avec complaisance le cours des der-
niers moments paisibles qui m'ont été laissés. Le
printemps , qui suivit cet hiver si calme , vit
éclore le germe des malheurs qui me restent à
décrire , et dans le tissu desquels on ne verra
plus d'intervalle semblable où j'aie eu le loisir de
respirer.
Je crois pourtant me rappeler que , durant
cet intervalle de paix, et jusquau fond de ma
solitude, je ne restai pas tout-à-fait tranquille
de la part des holbachiens. Diderot me suscita
quelque tracasserie, et je suis fort trompé si ce
n'est dyrant cet hiver que parut le Fils naturel^
dont j'aurai bientôt à parler. Outre que , par
des causes que Ion saura dans la suite, il m'est
resté peu de monuments sûrs de cette époque ,
ceux mêmes qu'on m'a laissés sont très peu pré-
cis quant aux dates. Diderot ne datoit jamais
ses lettres. Madame d Epinay , madame d'Hou-
detot, ne datoient guère les leurs que du jour de
la semaine ; et Deleyre faisoit comme elles le
plus souvent. Quand j'ai voulu ranger ces lettres
dans leur ordre, il a fallu suppléer, en tâton-
nant, des dates incertaines sur lesquelles je ne
puis compter. Ainsi , ne pouvant fixer avec cer-
titude le commencement de ces brouilleries ,
268 LÈS CONFESSIONS.
j aime mieux rapporter ci-après , clans un seul
article, tout ce que je m'en puis rappeler.
Le retour du printemps avoit redoublé mon
tendre délire ; et , dans mes erotiques transports,
j'avois conqiosé , pour les dernières parties de
la Julie, plusieurs lettres qui , j ose le dire, se
sentent du ravissement dans lequel je les écri-
vis. Je puis citer entre autres celles de TÉlysée et
de la promenade sur le lac, «pii , si je m'en sou-
viens l)ien, sont a la Mn de la (piatriènie partie.
Quiconque, en lisant ces deux lettres, ne sent
pas amollir et fondre son cœur dans Tattendris-
scment qui me les dicta, doit lérmer le livre;
il nest pas fait pour juger des choses de senti-
ment.
Précisément dans le même tenq^s j'eus de ma-
dame d'Houdetot une seconde visite imprévue.
En l'absence de son mari , qui étoit capitaine de
gendarmerie , et de son amant , qui servoit aussi,
elle étoit venue à Eaubonne, au uïilieu delà val-
lée de Montmorency, où elle avoit loué une as-
sez jolie maison. Ce fut de là qu'elle vint faire
à lllermitaf^e une nouvelle excursion. A ce
voyap,c cllf étoit àcbeval et en lionnue. Quoique
je n aime point ces sortes de mascarades , je lus
pris à l'air romanes([ue de celle-là , et pour cette
fois ce fut de l'amour. Comme il fui le premier
et l'unique en toute ma ^ie, et (pie ses suites le
rendront à jamais mémorable et terrible à mon
souvenir , (pi il me soit permis d'entrer dans (picU
ques détails sur cet article.
PARTIE II, LIVRE IX. 269
Madame la comtesse dHoudetot approchoit
de la trentaine , et n'étoit point belle : son vi-
sage étoit marqué de la petite-vérole , son teint
manquoit de finesse , elle avoit la vue basse et
les yeux un peu ronds ; mais elle avoit l'air jeune
avec tout cela, et sa physionomie, à-la-fois
vive et douce, étoit caressante. Elle avoit une
forêt de grands cheveux noirs , naturellement
bouclés, qui lui descendoient au jarret; sa taille
étoit mignonne, et elle mettoit dans tous ses
mouvements de la gaucherie et de la grâce tout
à-la-fois. Elle avoit l'esprit très naturel et très
agréable ; la gaieté , letourderie et la naïveté s'y
marioient très heureusement; elle abondoit en
saillies charmantes quelle ne recherchoit point,
et qui lui venoient quelquefois malgré elle. Elle
avoit plusieurs talents agréables , jouoit du cla-
vecin , dansoit bien, faisoit d'assez jolis vers.
Pour son caractère , il étoit angélique; la dou-
ceur dame en faisoit le fond ; mais , hors la pru-
dence et la force , il rassembloit toutes les ver-
tus. Elle étoit sur-tout d'une telle sûreté dans
le commerce , d'une telle fidélité dans la socié-
té , que ses ennemis mêmes n'avoient pas besoin
de se cacher d'elle. J'entends par ses ennemis
ceux ou plutôt celles qui lahaïssoient ; car, pour
elle, elle n avoit pas un cœur qui pût hair, et je
crois que cette conformité de naturel contribua
beaucoup à me passionner pour elle. Dans les
confidences de la plus intime amitié, je ne lui
ad jamais ouï parler mal des absents , pas même
2'jO LES C0^FESS10^"S.
de sa belle-sœur. Elle ne pouvoit ni déguiser ce
qu'elle pensoit à personne , ni même ccaitrain-
dre aucun de ses sentiments, et je suis persuadé
quelle parloit de son amant à son mari même,
comme elle en parloit à ses amis, à ses connois-
sances et à tout le monde indifléremment. En-
fin , ce qui prouve sans réplicpic la pureté, la
sincérité de son excellent naturel, c'est (|u étant
sujette aux plus énormes distractions et aux plus
risibles étourderies, il lui en écliappoit souvent
de très imprudentes pour elle-même, mais ja-
mais d offensantes pour cpii (pu" ce fut.
On Tavoit mariée très jeune , et malj^ré elle ,
au comte d'PIoudctot , homme de condition ,
biave militaire, mais joueur , chicaneur , très
peu aimable, et quelle n'a jamais aimé. Elle
trouva dans M. de Saint-Lambert tous les mé
rites de son mari avec des qualités plus afjréa-
bles , de l'esprit, des vertus, et les plus rares
talents. S'il faut pardonner <|uelque chose aux
mœurs du siècle, c'est sans doute un pareil atta-
chement, que sa durée épure, que ses effets hono-
rent, et qui ne s est cimeiitv' (jne par des vertus.
C'étoit un peu par {;oiit, à ce que j'ai pu croire,
mais beaucoup pourconqilaireà Saint-Eandjerl,
qu'elle venoit me voir. Il Ivavoit exhortée , et il
avoit I aisoii de cioire que lamilic qui comnien-
coit à s'établir entre nous rendroit cette société
agréable à tous les trois. Elle savoit ((ue j'étois
instruit de leuis liaisons: et , pouvnnt me parler
de lui sans gène, il ctoil nalujcl «juClle se plut
PARTIE II, LIVRE IX. 27 1
avec moi. Elle vint , je la vis,jetois ivre d'a-
mour sans objet ; cette ivresse fascina mes yeux,
cet ohjet se fixa sur elle , je vis ma Julie en ma-
dame d Houdetot , et bientôt je ne vis plus que
madame d'Houdetot elle-même , mais revêtue
de toutes les perfections dont je venois d'orner
Fidole fictive de mon cour. Pour m'achever, elle
me parla de Saint-Lambert en amante passion-
née. Force conta^^yieuse de lamour! en l'écou-
tant, en me sentant auprès d'elle, j étois saisi
d'un frémissement nouveau , mais délicieux ,
que je n'avois éprouvé jamais auprès de per-
sonne. Elle pailoit , et je me sentois ému; je
croyois ne faire que m'intéresser à ses senti-
ments , quand j'en prenois de semblables; j'a-
valois èi lonfjs traits la coupe empoisonnée, sans
en sentir encore que la douceur. Enfin , sans que
je m'en aperçusse et sans qu'elle s en aperçût,
elle m'inspira pour elle-même tout ce qu'elle ex-
primoit pour son amant. Hélas! ce fut bien tard^
ce fut bien cruellement brûler d'une passion non
moins vive que malheureuse pour une femme
dont le cœur étoit plein d'un autre amour.
Malgré les mouvements extraordinaires que
j'avois éprouvés auprès d'elle , je ne m'aperçus
pas d'abord de ce qui m'étoit arrivé : ce ne fut
qu'après son départ que, voulant penser à Julie,
je fus frappé de ne pouvoir plus penser qu'à ma-
dame d'Houdetot. Alors mes yeux se dessillèrent;
je sentis mon malheur , j'en gémis, mais je n'en
prévis pas les suites.
lip LES C0MESSI0K3.
J'hésitai long-temps sur la manière dont je mr
conduirois avec elle, comme si Tamour véritable
laissoit assez de raison poursuivre des délil)éra-
tions. Je n ctois pas déterminé , quand elle re-
vint me prendre au dépourvu. Pour lors iétoi&
instruit. La honte , compagne du mal, me rendit
muet, tremblant devant elle; je n'osois ouvrir
la bouche ni lever les yeux ; j'étoisdans un trouble
inexprimable , qu'il étoit impossible qu elle ne
vît pas. Je pris le parti de le lui avouer, et de
lui en laisser deviner la cause : c'étoit la lui dire
assez clairement.
Si j'eusse été jeune et aimable , ou (jue dans la
suite madame dlloudctot eût été foiblc, je blâ-
inerois ici sa conduite, mais, tout cela n'étant
pas, je ne puis que 1 applaudir et 1 admirer. l-.e
parti qu'elle prit étoit également celui de la gé-
nérosité et de la prudence. Elle ne pouvoit s'é-
loif^ncr brus(|uement de moi sans en dire la cause
à Saint-Lambert, qui l'avoit lui-même engagée à
me voir ; c'étoit exposer deux amis à une rup-
ture, et peut-être à un «'clat «juelle devoit évi-
ter. Elle avoit pour moi de 1 estime et de la bien-
veillance. Elle eut pitié de ma folie ; sans la flat-
ter, elle la plaignit et tâcha de m'en guérir. Elle
étoit bien aise de conserver à son amant et à
elle-Miême un ami dont elle Jaisoit eas : rlle ne
me parioit de rien avec plus de j)laisir (jue de
l'intime et douce société (jue nous pouvions for-
mer entre nous trois, quand je serois deveni>
raisonnable j elle uc se boiuoit pas toujours à
PARTIE II, LIVRE IX. 273
ces exhortations amicales , et ne m'épargnoit
pas au besoin les reproches plus durs que j'a-
vois bien mérités.
Je me les épar^^^nois encore moins moi-même;
sitôt que je fus seul , je revins à moi ; j étois plus
calme après avoir parlé : l'amour connu de celle
quil'inspire en devient plus supportable. La force
avec laquelle je me reprochai le mien m en eût
dû guérir , si la chose eût été possible. Quels
puissants motifs n'appelai-je point à mon aide
pour l'étouffer! Mes mœurs, mes sentiments,
mes principes, la honte , l'infidélité, le crime,
l'abus d'un dépôt confié par l'amitié, le ridicule
enfin de brûler à mon âge de la passion la plus
extravagante pour un objet dont le cœur préoc-
cupé ne pouvoit ni me rendre aucun retour, ni
me laisser aucun espoir : passion, de plus, qui,
loin d'avoir rien à gagner par la constance, de-
venoit moins souffrable de jour en jour.
Quicroiroit que cette dernière considération,
qui devoit ajouter du poids à toutes les autres,
fut celle qui les éluda! Quel scrupule, pensai-je,
puis-je me faire d'une folie nuisible à moi seul?
Suis-je donc un jeune cavalier fort à craindre
pour madame d'Houdetot? ÎSe diroit-on pas, à
mes présomptueux remords, que mon équipage,
ma galanterie, mon air, vont la séduire? Eh !
pauvre Jean-Jacques , aime à ton aise en toute
sûreté de conscience, et ne crains pas que tes
soupirs nuisent à Saint-Lambert.
On a vu que jamais je ne fus avantageux ,
M- 18
274 LES co^'FESSIo^■s.
même dans ma jeunesse. Cette modeste façon
de penser étoit dans mon tour d'esprit ; elle flat-
toit hia passion : c'en fut assez pour m'y livrer
sans réserve, et rire même de rimpcrtincnt scru-
pule que je croyois mètre fait par vanité plus
que par raison. Grande leçon pour les amos hon-
nêtes, que le vice n'attaque jamais à découvert,
mais ({u'il trouve le moyen de surprendre en se
nias<piant toujours de quelque sophisme, et sou-
vent de quelque vertu.
Goupahle sans remords, je le fus ])ientôt sans
mesure; et, de grâce, ((u'on voie comment ma
passion suivit la tracedc mon naturel pour m en-
traîner enlin dans fabyme. D'abord elle prit un
air humble pour me rassurer; et puis, pour me
rendre entre])renant, elle poussa cette humilité
jusqu'à la défiance. Madame dHoudetot, sans
cesser de me rappeler à mon devoir, à la raison ,
sans jamais flatter un moment ma folie , me trai-
toit au reste avec la plus [jrande douceur, et prit
avec moi le ton de l'amitié la plus tendre. Cette
amitié m eût suffi , je le proteste , si je lavoiscruc
sincère; mais, la trouvant trop vive pour être
vraie, nallai-je pas me fourrer dans la tête (pie
1 amour désormais, si peu convenable à mon â{;e
et à ma parure, m'avoit avili aux yeux tl(' ma-
dame d llouiletot, (pie cette jeune folle ne vou-
loit (pie se divertir de moi et de mes doiux'urs
surannées; quelle en avoit faitconfidenceàSaint-
l.ambert, et (pie, fiudi.'yiKitioii de mon infidélit(!'
ayant fait entrer sou amant ilans ses vues, ils
PARTIE II, LIVRE IX. 275
S enteiidoient tous les deux pour achever de me
faire tourner la tête et me persifler. Cette bê-
tise , qui m avoit fait extrava^^uer à vingt-six ans
auprès de madame de Larnage, que je ne con-
noissois pas, m'eût été pardonnable à quarante-
cinq auprès de madame d'Houdetot, si j'eusse
ignoré qu'elle et son amant étoient trop hon-
nêtes gens lun et l'autre pour se faire un aussi
barbare amusement.
Madame d'Houdetot continuoit à me faire des
visites que je ne tardai pas de lui rendre. Elle
aimoit à marcher ainsi que moi : nous faisions
<îe longues promenades dans un pays enchanté.
Content d'aimer et de l'oser dire , j'aurois été
danslaplus douce situation si mon extravagance
n'en eût détruit tout le charme. Elle ne comprit
rien d'abord à la sotte humeur avec laquelle je
recevois ses caresses; mais mon cœur, incapable
lie savoir jamais rien cacher de ce qui s'y passe,
ne lui laissa pas long-temps ignorer mes soup-
çons; elle en voulut rire : cet expédient ne réus-
sit pas ; des transports de rage en auroient été
l'effet. Elle changea de ton. Sa compatissante
douceur fut invincible. Elle me fit des reproches
qui me pénétrèrent; elle me témoigna sur mes
injustes craintes des inquiétudes dont j'abusai.
J'exigeai des preuves quelle ne se moquoit pas
de moi. Elle vit qu'il n'y avoit nul autre moyen
de me rassurer. .Je devins pressant : le pas étoit
délicat. Il est étonnant, il est unique peut-être,
qu'une femme, ayantpu venir jus<pi'à marchan-
276 LES COiNFESSlOISS.
der , s'en soit tirée à si bon compte. Elle ne me
refusa rien de ce que la plus tendre amitié pou-
voit accorder : elle ne m'accorda rien qui pût
la rendre infidèle; et j eus 1 humiliation de voir
que l'embrasement dont ses légères faveurs allu-
moient mes sens n'en porta jamais aux siens la
moindre étincelle.
J'ai dit quelque part qu'il ne faut rien accor-
der aux sens quand on veut leur refuser quelque
chose. Pour connoître combien cette maxime
se trouva fausse avec madame dHoudetot et
combien elle eut raison de compter sur elle-
même , il faudroit entrer dans le détail de nos
longs et fréquents têtes-à-tètes, et les suivre dans
toute leur vivacité durant quatre mois que nous
passâmes ensemble, dans une intimité presque
sans exemple entre deux amis de .différents sexes,
qui se renferment dans les bornes dont nous ne
sortîmes jamais. Ah ! si j'avois tardé si long-temps
à sentir le véritable amour, qu'alors mon coeur
et mes sens lui payèrent bien l'arrérage ! et quels
sont donc les transports qu'on doit éprouver
près d'un objet aimé «jui nous aime, si même un
amour non partagé peut en inspirer de pareils?
Mais j'ai tort de dire un amour non partagé :
le mien létoit en quebjue sorte; ilétoit égal des
deux cotés , tjuoiiju il ne fut pas récij)ro(jue. ÎNous
étions ivres d'amour l'un et l'autre , elle pour sou
amant, moi pour elle; ik^s soupirs, mos déli-
cieuses larmes se confontloicnt. Tendres confi-
dents l'un de l'autre , nos sentiments avoicnt
Pcuje 2"~
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PARTIE II, LIVRE IX. ^77
tant de rapport , qu'il étoit impossible qu ils ne
se mêlassent pas en quelque chose ; et toutefois,
au milieu de cette dangereuse ivresse, jamais
elle ne s'est oubliée un moment ; et moi je pro-
teste , je jure à la face du ciel , que , si quelque-
fois égaré par mes sens j'ai tenté de la rendre
infidèle , jamais je ne l'ai véritablement désiré.
La véhémence de ma passion la contenoit par
elle-même. Le devoir des privations avoit exalté
mon ame. L'éclat de toutes les vertus ornoit à
mes yeux l'idole de mon cœur : en souiller la
divine image eût été l'anéantir. J'aurois pu com-
mettre le crime ; il a cent fois été com.mis dans
mon cœur: mais avilir ma Sophie ! ah ! cela se
pouvoit-il jamais ! non , non ; je le lui ai cent fois
dit à elle-même : eussè-je été le maître de me
satisfaire, sa propre volonté l'eùt-elle mise à ma
discrétion , hors quelques courts moments de
délire , j'aurois refusé d'être heureux à ce prix.
Je l'aimois trop pour vouloir la posséder.
Il y a près d'une lieue de THermitage à Eau-
bonne ; dans mes fréquents voyages il m'est ar-
rivé quelquefois d'y coucher: un soir, après avoir
soupe tête à tête, nous allâmes nous promener
au jardin , par un très beau clair de lune. Au
fond de ce jardin étoit un assez grand taillis par
où nous fumes chercher un joli bosquet, orné
d'une cascade dont je lui avois donné l'idée et
qu'elle avoit fait exécuter. Souvenir immortel
d'innocence et de jouissance! Ce fut dans ce bos
quct qu'assis avec elle sur un banc de gazon ,
278 LES CONFESSIONS.
SOUS un acacia tout charge de fleurs, je trouvai,
pour rendre les niouvenicnls de mon cœur, un
langage vraiment digne d eux. Ce lut la première
et Tunique fois de ma vie ; mais je fus suhlime ,
si l'on peut nommer ainsi tout ce que l'amour
le plus tendre et le plus ardent peut porter d'ai-
mable rt de séduisant dans un Cdur d homme.
Que d'enivrantes larmes je versai sur ses genoux !
que je lui en fis verser malgré elle ! Enfin , dans
un transport involontaire, elle s'écria: Non, ja-
mais homme ne fut si aimahie, et jamais amant
n'aima comme vous! Mais voire ami Saint Lam-
hert nous écoute, et mou C(ciu' ne sauroit aimer
deux fois. Je me tus en soupirant ; je 1 embras-
sai ; quel eml)rassement ! Mais ce fut tout.
Il y avoit six mois qu'elle vivoit seule , c'est-à-
dire loin de son amant et de son mari ; il y en
avoit trois que je la voyois prcscpie tous les jours,
et toujours l'amour en tiers entre elle et moi.
Nous avions soupe tète à tète, nous étions seuls,
dans un bosquet, au clair de la lune, et, aj^rès
deux heures de fcntreticn le plus vif et le plus
tendre, elle sortit , au milieu de la nuit, de ce
Losquet et des bras de son ami, aussi intacte,
aussi pure de corps et de cœur qu'elle y étoit
entrée. Lecteur, pesez toutes ces circonstances;
je n'ajouterai rien de plus.
. Et (pi'on n aille pas s iuMginer (|U ici nies sens
me laissoient traïupiiile, comme auprès de Thé-
rèse et de maman. Je l'ai déjà dit ; c'étoit de fa-
n\our cette fois, et l'amour dans toute son éner-
PARTIE II, LIVRE IX. 279
gie et clans toutes ses fureurs. Je ne décrirai ni
les apjitations, ni les frémissements, ni les pal-
pitations , ni les mouvements convulsifs , ni les
défaillances de cœur que j eprouvois continuel-
lement , on en pourra juger par l'effet que sa
seule image faisoit sur moi. J'ai dit quil y
avoit loin de THermitage à Eaubonne : je pas-
sois par les coteaux d'Andilly, qui sont char-
mants. Je revois , en marchant, à celle que j'ai-
lois voir, à l'accueil caressant qu'elle me feroit ,
au baiser qm m'attendoit à mon arrivée. Ce seul
baiser, ce baiser funeste , avant même de le re-
cevoir, m'embrasoit le sang à tel point, que ma
tête se troubloit ; un éblouissement m'aveugloit,
mes genoux tremblants ne pou voient me soute-
nir, j'étois forcé de m'arrêter , de m'asseoir; toute
ma machine étoit dans un désordre inconceva-
ble : j'étois prêt à m'évanouir. Instruit du dan-
ger , je tâchois , en partant , de me distraire et
de penser à autre chose. Je n'avois pas fait vingt
pas que les mêmes souvenirs et tous les accidents
qui en étoient la suite revenoient m'assaillir sans
qu'il me fût possilile de m'en délivrer , et , de
quelque façon que je m'y sois pu prendre , je ne
crois pas qu'il me soit jamais arrivé de faire seul
ce trajet impunément. J'arrivois à Eaubonne ,
foible , épuisé , rendu , me soutenant à peine. A
linstant que je la voyois , tout étoit réparé;- je
ne sentois plus auprès d'elle que l'importunité
d'une vigueur inépuisable et toujours inutile. Il
y avoit sur ma route, à la vue d'Eaubonne, uuc
o.8o LES CONFESSIONS,
terrasse agréable, appelée le mont Olvmpe, où
nous nous rendions quelquefois , eliacun de no-
tre côté. J'arrivois le premier, j'étois lait pour
1 attendre ; mais que cette attente me coùtoit
cher ! Pour me distraire , j'essayois d écrire avec
mon crayon des billets que j'aurois pu tracer du
plus pur démon sang: je n'en ai jamais pu ache-
ver un ([ui fût lisible. Quand elle en trouvoit
quelqu un dans la niche dont nous étions con-
venus , elle n'y pouvoit voir autre chose que l'état
vraiment déplorable où j'étois en l'écrivant. Cet
état , et sur-tout sa durée pendant trois mois
d irritation continuelle et de privation, me jeta
dans un épuisement dont je n'ai pu me tirer de
plusieurs années, et finit par me donner une
descente que j'emporterai ou qui m'emportera
au tombeau. Telle a été la seule jouissance amou-
reuse de l'homme du tempérament le plus com-
bustible, mais le plus timide en morne tenq)S,
que peut-être la nature ait jamais produit. Tels
ont été les derniers beaux jours qui m'aient été
comptés sur la terre : ici commence le long tissu
des malheurs de ma vie , où l'on verra peu d'in-
terruption.
On a vu dans tout le cours de ma vie, que mon
cœur, transparent comme le cri.stal , n'a jamais
su cacher, dmant une minute entière, un srn-
timent un ])cu vil'cp " s'y IVn r('fu{;ié. Qu'on )ii|;e
s'il me fut possible de cacher long-temps mon
amour pour madame d'IIoudctoC Notre intimité
frappoit tons les yeux, nous n y mettions ni se-
PARTIE II, LIVRE IX. 281
cret ni mystère ; elle n etoit pas de nature à en
avoir besoin , et comme madame d'Houdctot
avoit pour moi l'amitié la plus tendre , qu elle ne
se reprochoit point ; que j'avois pour elle une
estime dont personne ne connoissoit mieux que
moi toute la justice; elle, franche, distraite,
étourdie ; moi , vrai , maladroit , fier, impatient ,
emporté, nous donnions encore sur nous, dans
notre trompeuse sécurité , beaucoup plus de
prise que nous n'aurions fait si nous eussions
été coupables. Nous allions l'un et l'autre à la
Chevrette ; nous nous y trouvions souvent en-
.semble , quelquefois môme par rendez -vous.
Nous y vivions à notre ordinaire; nous prome-
nant tous les jours tête à tête en parlant de
nos amours, de nos devoirs, de notre ami, de
nos innocents projets, dans le parc, vis-à-vis
l'appartement de madame d'Epinay , sous ses fe-
nêtres, d'où, ne cessant de nous examiner et se
croyant bravée , elle assouvissoit son cœur par
ses yeux de rage et d indignation.
Les femmes ont toutes fart de cacher leur fu-
reur quand elle est vive ; madame d'Épinay, vio-
lente, mais réfléchie, possède sur-tout cet art
éminemment. Elle feignit de ne rien voir, de ne
rien soupçonner ; et , dans le même temps ([u elle
redoul)loit avec moi d'attentions , de soins , et
presque d'agaceries, elle affectoit d'accabler sa
belle-sœur de procédés malhonnêtes, et de mar-
ques d'un dédain qu'elle scmbloit vouloir me
communiquer. On juge bien quelle ne réussis-
282 LES CONFESSIONS,
soit pas; mais j'étois au suppliro. Drcliiiv tie
sentiments contraires en même tenjps que j étois
touché de ses caresses , j'avois peine à contenir
ma colère quandjelavoyoismanrpierà madame
d'Houdetot. I^a douceur an^rdique de celle-ci lui
faisoit tout endurer sans se plaindre, et même
sans lui on savoir plus mauvais gré. Elle étoit
d'ailleurs souvent si distraite, et toujours si peu
sensible à ces choses-là, que la moitié du temps
elle ne s'en apercevoit ])as.
J'étois si préoccupé de ma passion, que, ne
voyant rien f|ue Soj)hie ( c'étoit un des noms
de madame d Iloudetot), je ne remarquois pas
même que j'étois devenu la fable de toute la
maison et des survenants. Le^baron d Holbach ,
qui n'étoit jamais venu que je sache à la (Ihe-
vrette, fut au nond)re de ces derniers*. Si j'eusse
été aussi défiant que je le suis devenu dans la
suite, j'aurois fort soupçonné madame d Epinay
d'avoir arrangé ce voyage , pour lui donner la-
musant cadeau de voir le citoyen amoureux :
mais j'étois alors si bête que je ne voyois pas
même ce qui crevoit les yeux à tout le monde.
Toute ma stupidité ne m e'mpêcha pas de trou-
ver au baron l'air plus content , plus jovial qu'à
son ordinaii-e. Au lieu de me regarder noir, se-
lon sa coutniiie, il me lâchoit (^ent proj^os go-
guenards au\(|u^s je ne conq)r(H()is rien, .l'ou-
vrois de grands yeux sans rien répondre ; ma-
dame d'Kpinay se tenoit les côtés de rire; je ne
savois sur quelle iuM'he ils avoient marché. Com-
PARTIE II, LIVRE IX. 283
me rien ne passoit encore les bornes de la plai-
santerie , tout ce que j'aurois eu de mieux à faire,
si je m'en étois aperçu, eût été de m'y prêter.
Mais il est vrai qu'à travers la railleuse gaieté
du baron l'on voyoit briller dans ses yeux une
maligne joie , qui m'eût peut-être inquiété, si je
l'eusse aussi bien remarquée alors que je me la
rappelai dans la suite.
Un jour que j'allai voir madame d'Houdetot à
Eaubonne au retour d'un de ses voyages de Pa-
ris , je la trouvai triste , et je vis qu elle avoit
pleuré. Je fus obligé de me contraindre parceque
madame de Blainville, sœur de son mari, étoit
là ; mais , sitôt que je pus trouver un moment ,
je lui marquai mon inquiétude. Ah! me dit-elle
en soupirant , je crains bien que vos folies ne
me coûtent le repos de mes jours. Saint-Lambert
est instruit, et mal instruit. Il me rend justice ;
mais il a de l'humeur, dont , qui pis est, il me
cache une partie. Heureusement je ne lui ai
rien tu de nos liaisons , qui s'étoient faites sous
ses auspices. Mes lettres étoient pleines de vous
ainsi que mon cœur: je ne lui ai caché que votre
amour insensé, dont j'espérois vous guérir, et
dont, sans m'en parler, je vois qu'il me fait un
crime. On nous a desservis ; l'on m'a fait tort ,
mais n'importe. Ou rompons tout-à-fait, ou soyez,
tel que vous devez être. Je ne veux plus rien avoir
à cacher à mon amant.
Ce fut là le premier moment où je fus sensible
à la honte de me voir humilié par le sentiment
2S4 LES CONFESSIONS,
de ma faute, devant une jeune femme dont j'au-
rois dû être le mentor. L'indignation que j'en
ressentis contre moi-même eut peut-être suffi
pour surmonter ma foiblesse , si la tendre com-
passion que m'en inspiroit la victime n'eût encore
amolli mon cœur. Hélas 1 ctoit-ce le moment de
pouvoir l'endurcir lorsqu'il étoit inondé par des
larmes qui le pénétroient de toutes parts ? Cet
attendrissement se changea bientôt en colère
contre les vils délateurs (jui n'avoient vu que le
mal d'un sentiment criminel , mais involontaire,
sans croire , sans imaginer même la sincère hon-
nêteté de cœur qui le rachetoit. Nous ne restâ-
mes pas long-temps en doute sur la main d'où
partoit le coup.
Nous savions l'un et l'autre que madame d'É-
pinay étoit en commerce de lettres avec Saint-
Lambert. Ce n'étoit pas le premier orage qu'elle
avoit suscité à madame d'Houdetot, dont elle
avoit fait mille efforts pour le détacher, et que
les succès passagers de quelques uns de ces ef-
forts faisoient trembler pour la suite. D'ailleurs
Grimm,qui, ce me semble, avoit suivi M. de
Castrics à l'armée, étoit en Westphalie aussi bien
que Saint-Lambert; ils se voyoient quelquefois.
Grimm avoit fait près de madame d'Houdctot
quehjucs tentatives qui n'avoient pas réussi.
Grimm, très piipié, cessa tout-à-fait de la voir.
Qu'on juge du sang-froid avec lequel , modeste
comme on sait qu'il l'est, il lui supposoit des
préférences pour un homme plus âgé que lui,
PARTIE II, LIVRE IX. 285
et dont lui Grimm , depuis qu'il fréquentoit
les grands , ne parloit plus que comme de son
protégé.
Mes soupçons sur madame d'Épinay se chan-
gèrent en certitude, quand j'appris ce qui s'étoit
passé chez moi. Quand j'étois à la Chevrette ,
Thérèse y venoit souvent , soit pour me rendre
des soins nécessaires à ma mauvaise santé , soit
pour m'apporter mes lettres. Madame d'Épinay
lui avoit demandé si nous ne nous écrivions pas,
madame d Houdetot et moi. Sur son aveu , ma-
dame d'Epinay la pressa de lui remettre les let-
tres de madame d'Houdetot, l'assurant qu'elle
les recachéteroit si bien qu'il n'y paroîtroit pas.
Thérèse, sans montrer combien cette proposi-
tion la scandalisoit , et même sans m'avertir, se
contenta de mieux cacher les lettres quelle m'ap-
portoit : précaution très heureuse ; car madame
d'Épinay la faisoit guetter à son arrivée ; et , l'at-
tendant au passage , poussa plusieurs fois l'au-
dace jusqu'à chercher dans sa bavette. Elle fit
plus : s'étant un jour invitée à venir avec M. de
Margency dîner à IHermitage pour la première
fois depuis que j'y demeurois , elle prit le temps
que je me promenois avec Margency, pour en-
trer dans mon cabinet avec la mère et la fille ,
et les presser de lui montrer les lettres de ma-
dame d'Houdetot. Si la mère eût su où elles
étoient , les lettres étoient livrées; mais heureu-
sement la fille seule le savoit , et nia que j'en
eusse conservé aucune. Mensonge assurément
28G LES CONFESSIONS.
plein de fidélité, de générosité, d'honnêteté,
tandis que la vérité n'eût été qu'une perfidie.
INÏadame dKpinay, voyant (juollr ne ])ouvoit la
séduire , s'elïorea de l'irriter pur la jalousie, en
lui reprochant sa facilité et son aveuglement.
Comment pouvez-vous , lui dit-elle , ne pas voir
qu'ils ont entre eux un commerce criminel? Si
malgré tout ce qui frappe vos yeux, vous avez
besoin d'autres preuves , prêtez-vous donc à ce
qu'il faut faire pour les avoir : vous dites tju il
déchire les lettres de madame d Iloudetot aus-
sitôt qu il les a lues. lié hien , recueille/, avec soin
les pièces , et donnez-les-moi ; je me charge de
les rassend)ler. Telles étoient les leçons que mon
amie donnoit à ma compajpie.
Thérèse eut la tliscrétion de metaireassezlong-
teoips toutes ces tentatives; niais, voyant mes
perplexités, elle se crut ohligée à me tout <lire,
alin que , sachant à qui j avois affaire, je ]uisse
mes mesures pour me garantir des trahisons
qu'on me préparoit. Mon indignation , ma fu-
reur ne peut se décrire. Au lieu de dissimuler
avec madame d'I^pinav à son exenqdc , et d user
de contre -ruses, je me livrai sans mesure à l'im-
pétuosité de mon naturel ; et , avec mon étour-
derie ordinaire, j'éclatai tout ouvertement. On
peut juger de mon inq>ru(lcnce par les lettres
siiiv;inl(>s, cpii uionlrcnt sulïisamment la ma-
nière de procéder de liin ri de l'autre en cette
occasion.
PARTIE II, LIVRE IX. 287
BILLET DE MADAME d'ÉPINAY.
(Liasse a , n" 440
" Pourquoi donc ne vous vois-je pas, mon cher
«anii? Je suis inquiète de vous. Vous m'aviez
'< tant promis de ne faire qu aller et venir de
« l'Hermita^feici. Sur cela, je vous ai laissé libre;
« et point du tout, vous laissez passer huit jours.
•' Si on ne m'avoit pas dit que vous étiez en bon-
« ne santé, je vous croirois malade. Je vous at-
" tendois avant-hier ou hier, et je ne vous vois
« point arriver. Mon Dieu, qu'avez-vous donc?
« Vous n'avez point d affaires : vous n'avez pas
« non plus de chagrins ; car je me flatte que vous
« seriez venu sur-le-champ me les confier. Vous
" êtes donc malade ! tirez-moi d'inquiétude bien
« vite, je vous en prie. Adieu, mon cher ami:
« que cet adieu me donne un bonjour de vous. "
RÉPONSE.
Ce mercredi matin.
« Je ne puis rien vous dire encore. J'attends
« d'être mieux instruit, et je le serai tôt ou tard.
M En attendant , soyez sûre que rinnoccnce accu-
« sée trouvera un défenseur assez ardent pour
« donner quelque repentir aux calomniateurs
« quels qu'ils soient. »
288 LES CO^'F£SSIONS.
SECOXD BILLET DE LX MÊME.
(Liasse a, n«> 45- )
* Savez-vous que votre lettre m'effraie ?Qirest-
« ce qu'elle veut donc dire? .le lai relue plus de
« vinjjt cinq fois. En vérité , je n'y comprends
« rien. J'y vois seulement que vous êtes incpiict
« et tourmenté, et que vous attendez <]ue vous ne
« le soyez plus pour m'en parler. Mon cher ami,
« est-ce là ce dont nous étions convenus? ([u'est
« donc devenue celte amitié , cette confiance, et
« comment lai-je perdue ? Est-ce contre moi ou
« pour moi que vous êtes fâché ? Quoi qu il en
« soit, venez dès ce soir, je vous en conjure ; sou-
(( venez-vous que vous m avez promis , il n y a pas
« huit jours , de ne rien garder sur le cœur, et de
« me parler sur-le-champ. Mon cher ami , je vis
« dans cette confiance... .Tenez , je viens encore
« de lire votre lettre ; je n'y con(^ois pas davan-
« tage , mais elle me fait tremhler. Il me semhle
« que vous êtes cruellement agité. Je voudrois
•< vous calmer; mais comme j'ignore le sujet de
«< vos inquiétudes, je ne sais que vous dire , sinon
« que me voilà tout aussi malheureuse que vous,
« jusqu'à ce c[tic je vous aie vu. Si vous n'êtes pas
(c ici ce soir à six heures , je pars dtMiiain pour
« rilermitage, quelque temps qu'il fasse, et dans
« (juelque état ([ue je sois ; car je ne saurois tenir
« à cette incpuétude. Ponjour , mon cher hon ami.
«A tout hasard , je risque de voua dire, sans
PARTIE II, LIVRE IX. 289
« savoir si vous en avez besoin ou non , de tâcher
« de prendre garde , et d'arrêter les progrès que
" fait Finquiétude dans la solitude. Une mouclie
« devient un monstre, je l'ai souvent éprouvé. »
RÉPONSE.
Ce mercredi soir.
c< Je ne puis ni vous aller voir, ni recevoir votre
" visite, tant que durera l'inquiétude où je suis.
« La confiance dont vous parlez n'est plus , et il
« ne vous sera pas aisé de la recouvrer. Je ne vois
« à présent dans votre empressement que le désir
« de tirer des aveux d'autrui quelque avantage
« qui convienne à vos vues ; et mon cœur , si
« prompt à s'épancher dans un cœur qui s'ouvre
« pour le recevoir , se ferme à la ruse et à la
«( finesse. Je reconnois votre adresse ordinaire
« dans la difficulté que vous trouvez à compren-
« dre mon hillet. Me croyez -vous assez dupe
«< pour penser que vous ne l'ayez pas compris ?
« Non , mais je saurai vaincre vos subtilités à
" force de franchise. Je vais m'expliquer plus
« clairement, afni que vous m'entendiez encore
«( moins.
« Deux amants bien unis et dignes de s'aimer
« me sont chers : je m'attends bien que vous ne
« saurez pas qui je veux dire, à moins que je ne
« vous les nomme. Je présume qu'on a tenté de
« les désunir, et que c'est de moi qu'on s'est servi
« pour donner de la jalovisic à l'un des deux. Le
•4- 19
290 LES CONFESSIOKS.
<: choix n'est })as fort adroit , mais il a paru com-
•i mode à la mécliaiiceté ; et cette méchanceté ,
« c'est vous que j'en soupçonne. J'espère que ceci
« devient [)lu.s clair.
« Ainsi donc la femme que j'estime le plusau-
u roit de mon su Tinfamie de partager sou cœur
u et sa personne entre deux amants , et moi celle
u d'être un de ces deux lâches ! Si je savois ([u'un
« seul moment de la vie vous eussiez pu penser
<( ainsi d'elle et de moi , je vous hairois jusqu'à
« la mort. Mais c'est de l'avoir dit, et non de l'a-
u voir cru, que je vous taxe. Je ne comprends
« pas en pareil cas auquel c'est des trois que vous
" avez voulu nuire; mais si vous aimez le repos,
« craignez d'avoir eu le malheur de réussir. Je
a n ai caché ni à vous ni à elle tout le mal que
«je pense de certaines liaisons, mais je veux
« qu'elles finissent par un moyen aussi honnête
«que sa cause, et qu'un amour illégitinie se
« change en une éternelle amitié. Moi (j[ui ne fis
«jamais de mal à personne, servirois-je inno-
« cemment à en faire à mes amis? Non, je ne
«vous le pardonnerois jamais, je devicntlrois
« votrti irréconciliable ennemi. Vos ijccrcts seids
« seroient toujours respectés , car je ne sciai ja-
« mais un homme sans foi.
" Je n imagine pas que les perplexités oii je
« suis puissent durer hieu long-temj)s. Je ne tar-
« derai pas à savoir si je me Miis tronq)é. Alors
« j aurai piMil-éirc île grands loiMs à réparei', et
«je n'aurai rien fuit en ma vie de si bon cœur.
PARTIE II, LIVRE IX. 29I
« Mais savez-vous comment je rachèterai mes
" fautes durant le peu de temps qui me reste à
'< passer près de vous? En faisant ce que nul au-
« tre ne fera que moi; en vous disant franche-
«ment ce qu'on pense de vous dans le monde,
« et les brèches que vous avez à réparer dans
«votre réputation. Malgré tous les prétendus
« amis qui vous entourent, quand vous m'aurez
* vu partir, vous pourrez dire adieu à la vérité;
« vous ne trouverez plus personne qui vous la
« dise. »
TROISIÈME BILLET DE LA MÊME.
(Liasse a, n» 46-)
" Je n'entendois pas votre lettre de ce matin 5
«je vous l'ai dit, parceque cela étoit. J'entends
« celle de ce soir: n'ayez pas peur que j'y réponde
«jamais; je suis trop pressée de l'oublier, et,
«quoique vous me fassiez pitié, je n'ai pu me
« défendre de l'amertume dont elle me remplit
« l'ame. Moi ! user de ruses , de finesses avec vous !
«moi, accusée de la plus noire des infamies!
« Adieu , je regrette que vous ayez la... adieu, je
« ne sais ce que je dis... adieu : je serai bien pres-
« sée de vous pardonner. Vous viendrez quand
" vous voudrez ; vous serez reçu mieux que ne
't l'cxigeroient vos soupçons. Dispensez-vous scu-
« lement de vous mettre en peine de ma réputa-
« tion. Peu m'inqiorte celle (ju'on me donne. Ma
« conduite est bonne, et cela uie suffit. Au sur-
oyy LES CO:S FESSIONS.
« plus, j'ignorois absolument ce qui est arrivé
" aux deux personnes qui me sont aussi chères
'< qu à vous. "
Cette dernière lettre me tira d'un terrible em-
barras, et nxc plongea dans un autre qui nVtoit
guère moindre. Quoique toutes ces lettres et ré-
ponses fussent allées et venues dans l'espace d'un
jour avec une extrême rapidité , cet intervalle
avoit suffi pour en mettre entre mes transports
de fureur, et pour me laisser réfléchir sur lénor-
mité de mon imprudence. Madame d'Hoiidctot
ne m'avoit rien tant recommandé (pic de rester
tran([uille, de lui laisser le soin de se tirer seule
de cette affaire, et d'éviter, sur-tout dans le mo-
ment même, toute rupture et tout éclat; et moi,
par les insultes les plus ouvertes et les plus atro-
ces, j'allois achever de porter la rage dans lecdur
d'une femme qui n'y étoit déjà que trop dispo-
sée. Je ne devois naturellement attendre de sa
part qu'une réponse si Hère, si dédaigiunise, si
méprisante, que je n'aurois pu, sans la plus in-
digne lâcheté, m'abstenir de (juitt( r sa maison
sur-le-champ, lleureuscment, plus adroite en-
core que je n étois emporté , elle évita par le tour
de sa réponse de me réduire à cette extrémité.
Mais il falloit ou sortir ou lalh'r voir sm-Ic-
champ ; ralternative étoit in(''vit(d)le. .!(> pris le
dernier parti , fort ( inbariassé de nui conte-
nance dans l'explication que je prévoyois. Car,
PARTIE II, LIVRE IX. 29^
comment m'en tirer sans compromettre ni ma-
dame d'Houdetot ni Thérèse? et malheur à celle
que j'aurois nommée ! Il n'y avoit rien que la
venr*^eance d'une femme implacable et intrigante
ne me fit craindre pour celle qui en seroit l'ob^
jet, C'étoit pour prévenir ce malheur que je n'a-
vois parlé que de soupçons dans mes lettres,
afin d'être dispensé d'énoncer mes preu-ves. Il
est vrai que cela rendoit mes emportements plus
inexcusables , nuls simples soupçons ne pou-
vant m'autoriser à traiter une femme , et sur-^
tout une amie, comme je venois de traiter ma-
dame d'Épinay. Mais ici commence la grande et
noble tâche que j'ai dignement remplie , d'expier
mes fautes et mes foiblesses cachées , en me char-
geant du blâme de fautes plus graves dont je-
tois incapable, et que je ne commis jamais.
Je n'eus pas à soutenir la prise que j'avois
redoutée, et j'en fus quitte pour la peur. A mon
abord, madame d'Épinay me sauta au cou en
fondant en larmes. Cet accueil inattendu , et de
la part d'une ancienne amie, m'émut puissam-
ment; je pleurai beaucoup aussi. Je lui dis quel-
ques mots qui n'avoient pas grand sens; elle
m'en dit quelques uns qui en avoient encore
moins, et tout finit là. On avoit servi; nous al-
lâmes à table, oii, dans l'attente de fcxplication
que je croyois remise après le soupe , je fis mau-
vaise figure; car je suis tellement subjugué par
la moindre inquiétude qui m'occupe, ([ne je ne
394 LES CONFESSIONS.
la saurois cacher aux moins clairvoyants. Mon
air embarrassé devoit lui donner du couraffe ;
^ cependant elle ne risqua point l'aventure : il ny
eut pas plus d explication après le soupe rpi'a-
vant. Il n'y en eut pas plus le lendemain , et nos
3ilcncieux tctes-à-têtes ne furent remplis ipie de
choses indifférentes, ou de quel([ues j)ropos hon-
nêtes de ma part, par lesquels, lui témoif^uant
ne j)ouvoir encore rien |)rononcer siu' le Innde-
ment de mes soupesons, je lui protestois avec
hien de la vérité que, s'ils se trouvoient mal fon-
dés, ma vie entière ser(»it cmj)loyée à réparer leur
injustice. Elle ne manpia pas la moindre curio-
sité de savoir jirécisément <juels étoient ces
soupçons, ni comment ils m étoient venus; et
tout notre raccommodement, tant de sa part
que de la mienne, consista dans rembrassement
du premier abord. Puisqu'elle étoit seule offen-
sée , au moins dans la forme, il me ])arut que
ce n étoit pas à moi de cherclier im éclaircisse-
ment (pi'elle ne cherchoit j)as elle-même, et je
m'en retournai comme jétois venu. Continuant
au reste à vivre avec elle comme auparavant,
j'oubliai bientôt pres(pie entièrement cette que-
relle, et je crus bêtement (pi'elle loublioit de
menu;, parcequelle paroissoit ne s'en plus sou-
venir.
Ce ne fut ()as là, comme ou verra bientôt, le
seul chafîriu <pir m attira ma Ibiblesse; mais j en
avois d autres non ujoins sensililcxpie je ne m'é-
t ois point attirés, etcpiin a voienH»our ton te cause
PAPvTIE IT, LIVRE IX. 293
que le désir de nVanaclier de ma solitude (i) à
force de m'y tourmenter. Ceux-ci me venoieinr\
de la part de Diderot et des Holbachiens. Depuis
mon établissement à l'Hcrmitage , Diderot n'a-
voit cessé de m'y harceler, soit par lui-même
soit par Deleyre; et je vis bientôt, aux plai-
santeries de celui-ci sur mes courses boscares-
ques , avec quel plaisir ils avoient travesti l'iier-
mite en galant berger. Mais il n'étoit pas ques-
tion de cela dans mes prises avec Diderot; elles
avoient des causes plus graves. Après la publi-
cation du Fils naturel^ il m'en avoit envoyé un
exemplaire que j'avois lu avec l'intérêt et l'at-
tention qu'on dofine aux ouvrages d'un ami. En
lisant l'espèce de poétique en dialogue qu'il y a
jointe , je fus surpris et même un peu con triste
d'y trouver, parmi plusieurs choses désobligean-
tes , mais tolérables, contre les solitaires, cette
âpre et dure sentence , sans aucun adoucisse-
ment : Il n'y a que le méchant qui soit seul. Cette
sentence est équivoque, ce me semble, et pré-
sente deux sens : l'un très vrai; l'autre très faux,
puisqu'il est même de toute impossibilité qu'un
homme seul, et qui veut être seul, puisse et
veuille nuire à personne. La sentence en elle ■
(i) C'est-à-dire d'en arracher la vieille, dont on avoit
besoin pour arranger le complot. 11 est étonnant que,
durant ce long orage, ma stupide confiance m'ait em-
pêché de comprendre que ce n'étoit point moi mais elle
qu'on vouloit ravoir à Paris.
( Cette note u'est point dans le manuscrit autographe. )
296 LES CONFESSIONS,
même exigeoit donc une interprétation ; elle
l'exigeoit bien plus, ce me semble, de la part
d'un auteur qui , lorsqu'il imprimoit cette sen-
tence, avoit lui ami retiré depuis six mois dans
une solitude. Il me paroissoit également mal-
lionnête et choquant, ou d avoir oublié en la
publiant qu il avoit un ami solitaire, ou, s il s'en
étoit souvenu, de n'avoir pas fait, du moins en
maxime générale, l'honorable et juste exception
qu il devoit non seulement à cet ami, mais à tant
de sages respectés, qui, dans tous les temps, ont
cherché le calme et la paix dans la retraite, et
dont, pour la première fois depuis que le monde
existe, un écrivain s'avise, avec un trait de plu-
n)e , de faire indistinctement autant de scélé-
rats.
J'aimois tendrement Diderot, je l'estimois sin-
cèrement , et je comptois avec une entière con-
fiance sur les mêmes sentiments de sa part. Mais
excédé de son infatigable obstination à me con-
trarier éternellement sur mes goûts, mes pen-
chants, ma manière de vivre, sur tout ce (|ui ne
rcgardoit que moi seul ; révolté de voir un hom-
me plus jeune que moi vouloir à toute force me
gouverner malgré moi comme un enfant; rebu-
té de sa facilité à promettre et de sa négligence
à tenir; ennuyé de tant de rendez-vous donnés
et mianqués de sa part , et de sa fantaisie (fen
donner toujours de nouveaux pour y manquer
derechef; gêné de l'attendre inutilement trois ou^
quatre fois par mois les jours marcpiés par lui-
PARTIE n, LIVRE IX. 297
même, et de dîner seul le soir après être allé au-
devant de lui jusqu'à Saint-Denis, et l'avoir at-
tendu toute la journée , j'avois déjà le cœur plein
de ses torts multipliés. Ce dernier me parut plus
grave et me navra davantage. Je lui écrivis pour
m'en plaindre, mais avec une douceur et un at-
tendrissement qui me fit inonder mon papier
de mes larmes ; et ma lettre étoit assez touchante
pour avoir dû lui en tirer. On ne devineroit ja-
mais quelle fut sa réponse sur cet article : la
voici mot pour mot (liasse A, n° 33). « Je suis
« bien aise que mon ouvrage vous ait plu , qu'il
« vous ait touché. Vous n'êtes pas de mon avis
« sur les hermites ; dites-en tant de bien qu il
« vous plaira, vous serez le seul au monde dont
«j'en penserai; encore y auroit-il bien à dire là-
« dessus , si l'on pouvoit vous parler sans vous
« fâcher. Une femme de quatre-vingts ans ! etc.
« On m'a dit une phrase d'une lettre du fds de
« madame d'Epinay qui a dû vous peiner beau-
« coup, ou jeconnois malle fond de votre ame.»
11 faut expliquer les deux dernières phrases
de cette lettre.
Au commencement de mon séjour à l'Hermi-
tage , madame Le Vasseur parut s'y déplaire et
trouver Ihabitation trop seule. Ses propos là-
dessus m'étant revenus , je lui offris de la ren-
voyer à Paris si elle s'y plaisoit davantage , d'y
payer son loyer, et d'y prendre le même soin
d'elle ([ue si elle étoit encore avec moi. Elle re-
jeta mon offre , me protesta qu'elle se plaisoit
?.C)^ LES CONFESSIONS,
fort à 1 ileiinitagc, que lair fie la campa^rne lui
faisoit (lu bien ; et Ion voyoit que cela étoit vrai;
rarclley rajeunissoit, pour ainsi dire^et s'y por-
toit beaucoup mieux ([u'à Paris. Sa fille m'assura
même qu'elle eût été dans le fond très fâchée
que nous quittassions l'ilcrmitage, qui réelle-
ment étoit un séjour charmant; aimant fort le
petit tripotajoe du jardin et des fruits dont elle
avoit le maniement ; mais qu'elle avoit dit ce
qu'on lui avoit fait dire pour tâcher de m'en^a-
ger à retourner à Paris,
Cette tentative n'ayant pas réussi , ils tâchè-
rent d'ohtcnir par le scrupule leffet que la com-
plaisance n'avoit pas produit , et me firent un
crime de {jarder là cette vieille fenmie , loin des
secours dont elle pouvoit avoir hesoin à son â{}e,
sans son{jer qu'elle et heaucoup dautrcs vieilles
gens, dont rexccllent air du pays prolonge la
vie, pouvoient tirer ces secours de Montmoren-
cy, (jue j'avois à ma porte, et comme s il n'y
avoit des vieillards ([uà Paris, et «jue par-tout
ailleurs ils fussent hors d'état de vivre. Madame
FicVasseur, qui mangeoit heaucoup et avec une
grande voracité, étoit sujette à des déhordc-
ments de hile et à de fortes diarrhées qui lui du-
roient (jnelques jours et lui servoiciit de remède.
A Paris, elle n'y l'aisoit jamais rien cl laissoit
agir la nature. I^lli; en usoit de jnèmc à llh rnii-
tage, sachant hien cpi'il n'y avoit rien de mieux
à faire. N'importe, pareequ'il n'y avoit pas des
apothicaires et des médecins à l.i campagne ,
PARTIE II, LIVRE IX. .1()9
cetoit vouloir sa mort que de l'y laisser. Dide-
rot auroit dû déterminer à (juel âge il n'est plus
permis , sous peine d'homicide , de laisser sortir
les vieilles gens de Paris.
Cetoit là une des deux accusations atroces
sur lesquelles il ne m'exceptoit pas de sa senten-
ce : qu'il n'y avoit que le méchant qui fût seul ;
etc'étoit là ce que signifioit son exclamation pa-
thétique : Une femme de quatre-vingts ansl etc.
Je crus ne pouvoir mieux répondre à ce re-
proche qu'en m'en rapportant à madame Le
Vasseur elle-même. Je la priai d'écrire natu-
rellement son sentiment à madame d'Epinay.
Pour la mettre plus à son aise , je ne voulus
point voir sa lettre, et je lui montrai celle que
je vais transcrire , et que j écrivis à madame d'E-
pinay au sujet d'une réponse que j'avois voulu
faire à une autre lettre de Diderot encore plus
dure , et qu elle ra'avoit empêché d'envoyer.
Ce jeudi.
«Madame Le Vasseur doit vous écrire, ma
.< honne amie ; je l'ai priée de vous dire sincèrc-
" ment ce qu'elle pense. Pour la mettre hicn a
« son aise , je lui ai déclaré que je ne voulois
« point voir sa lettre , et je vous prie de ne me
« rien dire de ce rju'elle contient.
« Je n'enverrai pas ma lettre puisque vous
« vous y opposez; mais, me sentant très griève-
» ment offensé, il y auroit, à convenir que j'ai
(! tort , une hasscsse et une fausseté que je ne
3oO LES GONFESSIO^S.
• saurois me permettre. L Evangile ordonne bica
" à celui qui reçoit un soufflet d offrir fautre
" joue , mais non pas de demander pardon. Vous
<: souvenez-vous de cet homme de la comédie ,
« qui crie en donnant des coups de bâton : Voilà
« le rôle du pliilosophe.
« Ne vous flattez pas de rempêcher de venir
« par le mauvais temps qu'il fait. La colère lui
« donnera le temps et les forces que l'amitié lui
« refuse ; et ce sera la première fois de sa vie
" qu il sera venu le jour qu il avoit promis.
" U s'excédera pour venir me répéter de bou-
" che les injures qu il uic dit dans ses lettres; je
« ne les endurerai rien moins que patiemment.
« 11 s'en retournera être malatle à Paris, et moi
«je serai, selon f usage , un iLomme fort odieux.
" Que faire? Il faut souffrir.
« Mais n'admirez-vous pas la sagesse de cet
«■ homme, qui vouloit me venir prendre à Saint-
« Denis, en fiacre, y dîner, me ramener vvi 11a-
« cre ( liasse A , n** 33 ) , et à <jui , huit jours
'< après (liasse A, n" 34), sa fortune ne permet
« plus d aller à l'ilermitage autrement ((u'à pied?
« U n'est pas absolument inqjossible, pour par-
« 1er son langage, que ce soit là le ton de la bon-
>' ne foi: mais en ce cas il faut rpi'en huit jours il
" soit arrivé d'étranges changements dans sa for-
u tune.
« .le prends part au chagrin (jue vous donne
I. la maladie de madame votie mèie; mais vous
»' voyez que votre peine n approche pas de la
PARTIE II, LIVRE IX. 3ol
« mienne. On souffre moins encore à voir mala-
" des les personnes qu'on aime, qu'injustes et
« cruelles.
« Adieu , ma bonne amie ; voici la dernière
« fois que je vous parlerai de cette malheureuse
« affaire. Vous me parlez d'aller à Paris avec un
« sang-froid qui me réjouiroit dans un autre
« temps.
J'écrivis à Diderot ce que j'avois fait au sujet
de madame Le Vasseur sur la proposition de
madame d'Épinay elle-même ; madame Le Vas-
seur ayant choisi, comme on peut bien croire,
de rester à IHermitage [ où elle se portoit très
bien, où elle avoit toujours compagnie, et où
elle vi voit très agréablement] , Diderot ne sachant
plus de quoi me faire un crime , m'en fit un de
cette précaution de ma part , et ne laissa pas de
m'en faire un autre de la continuation du séjour
de madame Le Vasseur à l'Hermitage , quoique
cette continuation fût de son très libre choix ,
et qu'il n'eût tenu et qu'il ne tînt toujours qu'à
elle de retourner vivre à Paris , avec les mêmes
secours de ma part qu'elle avoit auprès de moi.
Voilà l'explication du premier reproche de la
lettre de Diderot, n° 33. Celle du second est
dans sa lettre n° 34- « Le Lettré (c'étoit un nom
« de plaisanterie donné par Grimm au fils de
« madame d'Épinay) le Lettré a dû vous écrire
" '^l'^J il y avoit sur le rempart vingt pauvres qui
« mouroient de faim et de froid; et qui atten-
3o2 LES CONFESSIONS.
« doient le liard que vous leur donniez. Cest un
« échantillon de notre petit l!a))il... et i>i vous
« entendiez le reste , il vous réjouiroit comme
u cela. )i
Voici ma réponse à ce terrible argument dont
Diderot paroissoit §i fier.
« Je crois avoir répondu au Lettré ^ c est-à-dire
« au fds d'un ferinier-jjénéral , que je ne plaiguoi*
« pas les pauvres qu'il avoit aperçus sur le rem-
«( paît attendant mon liard; (|u'apparemment il
«les en avoit amplement dédommagés; (|ue je
« l'établissois mon substitut; (jue les pauvres de
« Paris n'auroientpas à se plaindre de cet échan-
« ge; mais que je ne trouverois pas aisément un
" aussi bon substitut pour ceux de Montmorency,
« qui en avoient beaucoup plus de besoin. Il y a
« ici un bon vieillard respectable, (pii, après
« avoir passé sa vie à travailler, ne le pouvant
« plus, meurt de faim sur ses vieux jours. Ma
« conscience est plus contente des deux sous (pie
« je lui donne tous les lundis, que de cent liards
« que j aurois distribués à tous les gueux du
« renqjart. Vous êtes plaisants, vous autres plii-
« losoplies , quand vous regardez les habitants
w des villes comme les seuls honnnes auxcpiels
« vos devoirs vous lient. Cest à la campagne
« qu'on apprend à aimer et servir l'humanité; ou
« n'apprend qu'à la mépriser dans les villes, n
Tels étoient les singuliers scrupules sur les-
PARTIE II, LIVRE IX. 3o3
quels un homine d'esprit avoit rimbécillité de
me faire sérieusement un crime de mon éloigne-
ment de Paris, et prétendoit me prouver, par
mon propre exemple , qu'on ne pouvoit vivre
hors de la capitale sans être un méchant hom-
me. Je ne comprends pas aujourd'hui comment
j'eus la bêtise de lui répondre , et de me fâcher,
au lieu de lui rire au nez pour toute réponse.
Cependant les décisions de madame d'Épinay, et
les clameurs de la coterie holbachique , avoient
tellement fasciné les esprits en sa faveur, que
je passois généralement pour avoir tort dans
cette affaire , et que madame d'Houdetot elle-
même , grande enthousiaste de Diderot , voulut
que j'allasse le voir à Paris, et que je fisse toutes
les avances d'un raccommodement qui , tout
sincère et entier qu'il fut de ma part , se trouva
pourtant peu durable. L'argument victorieux
sur mon co'ur dont elle se servit fut qu'en ce
moment Diderot étoit malheureux. Outre l'oia-
ge excité contre l'Encyclopédie , il en essuyoit
alors un très violent contre sa pièce , que, mal-
gré la petite histoire qu'il avoit mise à la tête ,
on faccusoit d'avoir prise en entier de Goldoni.
Diderot , plus sensible encore aux critiques que
Voltaire, en étoit alors accablé. Madame de Gra-
figny avoit même eu la méchanceté de faire
courir le bruit que j'avois rompu avec lui à cette
occasion. Je trouvai qu'il y avoit de la justice
et de la générosité de prouver publiquement le
contraire , et j'allai passer deux jours non seule-
3o4 LES CONFESSIONS.
ment avec lui, niais chez lui. Ce fut, depuis
mon établissement à 1 Ilermitage, mon second
voyage à Paris. .Vavois fait le premier pour cou-
rir au pauvre Gauffecourt, qui eut une attaque
dapoplexie dont il n'a jamais été bien remis, et
durant laquelle je ne quittai pas son chevet qu'il
ne fût hors d'affaire.
Diderot me requt bien. Que l'embrassement
d un ami peut effacer de torts ! Quel lessenti-
ment peut rester dans le cœur après cela! Nous
eûmes peu d'explications. Il n'en est pas besoin
pour des invectives réciproques. Il n'y a (piune
chose à faire ; savoir, de les oublier. Il n'y avoit
i)()int de procédés soulcnains , du moins qui
lussent amaconnoissancc : ce n étoit pas comme
avec madame dEpinay. 11 me montra le plan
du Père de famille. Voilà, lui dis-je , la meilleure
défense du Fils naturel. Gardez le silence ; tra-
vaillez cette pièce avec soin , et puis jetez-la tout
d un coup au nez de vos ennemis pour toute ré-
ponse. Il le fit, et s'en trouva bien. Il y avoit
près de six mois que je lui a vois envoyé les deux
premières parties de la Julie , pour m'en dire son
avis. 11 ne les avoit pas encore lues. Nous en lû-
mes un cahier ensemble. Il trouva tout cela
feuillu, ce fut son terme, c'est-à-dire chargé de
paroles et redondant. Je l'avois d('ja bien senti
inoi-nu'me; mais c'étoit le bavarda{;e de la fiè-
vre: je lu- lai iMMiais j»u corri{;er. Les dernières
parties ne .xuit pas connue cela. La (juatrième
PARTIE II, LIVRE IX. 3o5
sur-tout et la sixième sont des chefs-d'œuvre de
diction.
Le second jour de mon arrivée, il voulut ab-
solument me mener souper chez M, d'Holbach.
Nous étions loin de compte , car je voulois mê-
me rompre l'accord du manuscrit de chimie ,
dont je m'indignois d'avoir l'obligation à cet
homme-là. Diderot lemporta sur tout. Il me
jura que M, d Holbach m'aimoit de tout son
cœur , qu'il falloit lui pardonner un ton qu'il
prenoit avec tout le monde , et dont ses amis
avoient plus à souffrir que personne. Il me re-
présenta que refuser ce manuscrit , après l'avoir
accepté deux ans auparavant , étoit un affront
au donateur qu'il n'avoit pas mérité , et que ce
refus pourroit même être mésinterprété comme
un secret reproche d'avoir attendu si long-temps
d'en conclure le marché. Je vois d Holbach tous
les jours , ajouta-t-il , je connois mieux que vous
l'état de son ame. Si vous n'aviez pas lieu d'en
être content , croyez-vous votre ami capable de
vous conseiller une bassesse? Bref, avec ma foi-
blesse ordinaire je me laissai subjuguer, et nous
allâmes souper chez le baron , qui me reçut à
son ordinaire ; mais sa femme me reçut froide-
ment , et presque malhonnêtement. Je ne re-
connus plus cette aimable Caroline qui mar-
quoit avoir pour moi tant de bienveillance, étant
fille. J'avois cru sentir, dès long-temps aupara-
vant, que depuis que Grimm fréquentoit la mai-
ï4- ao
3o6 LES CONFESSIONS.
son d'Aine , on ne m'y voyoit plus d'aussi bon
œil.
Tandis que j etois à Paris , Saint-Lambert y
arriva de 1 armée. Comme je n'en savois rien , je
ne le vis qu'après mon retour en campaçne ,
d abord à la Cbevrette, et ensuite à lUerniitage,
où il vint , avec madame d'IIoudetot , me de-
mander à dîner. On peut jup,er si je les reçus
avec plaisir! Mais jeu pris bien plus encore à
voir leur bonne inleili^^encc. Content de n avoir
pas troublé leur bonlieur, j'en étois heureux
moi-même; et je puis jureique, durant toute
ma lollc passion , mais sur-tout en ce moment,
quand j aurois pu lui ôter madame d'IIoufletot,
je ne l'aurois pas voulu faire, et je n'en aurois
pas même été tenté. Je la trouvois si aimable
aimant 8aint-Lambert, (pie j imaj>inois à peine
qu'elle eût pu l'être autant en m'aimant moi-
même ; et, sans vouloir troubler leur uniort,
tout ce ({ue j'ai le plus véritablement désiré d elle
dans mon délire, étoit (piVIle se laissât aimer.
Enlin, de quelque violente passion que j'aie brûlé
pour elle , je trouvois aussi doux d'être le confi-
dent que 1 Objet de ses amours; et je n ai jamais
un moment rcf^ardé son amant comme nion ri-
val, mais toujours comme mon ami. On dira
que ce n étoit pas encore là vrainuiit de I a-
mour: soit; mais c'étoit donc plus.
Pour Saint-Lambert, il se conduisit en hon-
nête lionnne et judicieux : comme j étois le seul
coupable, je fus aussi le seul puni et même avec
PARTIE II, LIVRE IX. So^
indulgence. Il me traita durement , mais amica-
lement, et je vis que j avois perdu quelque chose
dans son estime, mais rien dans son amitié. Je
m'en consolai, sachant que l'une me seroit bien
plus facile à recouvrer que l'autre, et qu'il étoit
trop sensé pour confondre une foiblesse invo-
lontaire et passagère avec un vice de caractère.
S'il y avoit de ma faute dans tout ce qui s'étoit
passe, il y en avoit bien peu. Etoit-ce moi qui
avois recherché sa maîtresse? N'étoit-ce pas lui
qui nje l'avoit envoyée? N'étoit-ce pa§ elle qui
m'avoit cherché ? Pouvois-je éviter de la rece-
voir? Que pouvois-je faire? Eux seuls avoient
fait le mal , et c'étoit moi qui l'avois souffert. A
ma place, il en eût fait autant que moi, peut-
être pis : car enfin, quelque fidèle, quelque esti-
mable que fut madame dHoudetot, elle étoit
femme ; il étoit absent; les occasions étoient fré-
quentes, les tentations étoient vives, et il lui
eût été bien difficile de se défendre toujours avec
le même succès contre un homme plus entrepre.'
nant. C'étoit assurément beaucoup pour elle et
pour moi, dans une pareille situation, d'avoir
pu nous poser des limites que nous ne nous
soyons jamais permis de passer.
Quoique je me rendisse au fond de mon cœur
un témoignage assez honorable, tant d'appa-
rences étoient contre moi , que l'invincible honte
qui me domina toujours me donnoit devant- lui
tout l'air d'un coupable , et il en abusoit souvent
pour m'humilicr. Un seul trait peimlra notice
3o8 IKS CONFESSION?,
position réciproque. Je lui lisois, après le dîne,
la lettre que j avois écrite laiinée précédente à
Voltaire , et dont lui Saint-Lambert avoit en-
tendu parler. Il s'endormit durant la lecture; et
moi, jadis si fier, aujourd'hui si sot, je n osai
jamais interrompre ma lecture, et continuai de
lire tandis qu'il continuoit de ronfler. Telles
étoient mes indignités , et telles étoient ses ven-
geances ; mais sa générosité ne lui permit ja-
mais de les exercer qu entre nous trois.
Quanti -il fut reparti, je trouvai madame 4 Ilou-
detot fort changée à mon égard. J'en fus surpris,
comme si je n avois pas dû m y attendre; j'en
fus touché plus que je n'aurois dû lêtre, et cela
me fit beaucoup de mal. 11 sembloit que tout ce
dont j'attendois ma guérison ne fit qu enfoncer
dans mon cœur davantage le trait qu enfin j ai
plutôt brisé qu'arraché.
J'étois déterminé tout-à-fait à me vaincre , et
à ne rien épaigner pour changer ma folle j)as-
sion en une amitié pure et durable. J avois lait
pour cela les plus beau.x projets du monde , pour
l'exécution desquels j'avois besoin du concours
de madame d'iloudetot. Quand je voulus lui
parler, je la trouvai distraite, end)ariassée; je
sentis (piclie avoil cessé de se plaire avec moi;
et je vis clairement quil sétoit jiassc* (juchpie
chose qu'elle ne vouloit pas me diie, et que je
n ai jamais su. Ce changement , dont il me fut
iuq^ossible d obtenir 1 explication , me navra,
tllc me redemanda ses lettres; je les lui rendis
PAKTIE II, LIVRE IX. 3o(3
toutes avec une fidélité dont elle me fit l'injure
de douter un moment.
Ce doute fut encore un déchirement inatten-
du pour mon cœur, qu elle devoit si bien con-
noître. Elle me rendit justice, mais ce ne fut pas
sur-le-champ; je compris que lexamen du pa-
quet que je lui avois remis lui avoit fait sentir
son tort; je vis même qu'elle se le reprochoit,
et cela me fit regagner quelque chose. Elle ne
pouvoit retirer ses lettres sans me rendre les
miennes. Elle me dit qu elle les avoit brûlées ;
j'en osai douter à mon tour, et j'avoue que j'en,
doute encore. Non , l'on ne met point au feu do
pareilles lettres. On a trouvé brûlantes celles de
la Julie. Eh dieu! qu'auroit-on dit de celles-là?
Non, non, jamais celle qui peut inspirer une
pareille passion n'aura le courage d'en brûler
les preuves : cela n'est pas possible. Mais je ne
crains pas non plus qu'elle en ait abusé ; elle
n'en est pas capable , et d'ailleurs j'y avois mis
bon ordre. La sotte mais vive crainte d être per-
siflé m'avoit fait commencer cette correspon-
dance sur un ton qui mît mes lettres à l'abri des
communications. Je portai jusque la tutoyer la
familiaiité que j'y pris dans mon ivresse : mais
quel tutoiement! elle n'en devoit sûrement pas
être offensée. Cependant elle s'en plaignit plu-
sieurs fois assez vivement, mais sans succès: ses
plaintes ne faisoient que réveiller ma défiance;
et daillcurs je ne pouvois nie résoudre à rétro-
grader. Si ces lettres sont encore en être, et ({u un
3 10 LES CONFESSIONS.
jour elles soient vues , on connoîtra comment
j'ai aimé.
La douleur que me causa le refroidissement
de madame d'IIoudetot , et la certitude de ne
l'avoir pas mérité , me firent prendre le sinf^ulier
parti de m'en plaindre à Saint-I.andjert même.
En attendant 1 effet de la lettre que je lui écrivis
à ce sujet , je me jetai dans les distractions que
j'aurois dû chercher plus tôt. Il y eut des fêtes à
la Chevrette pour lesquelles je fis de la musi(|ue.
Le ])laisip de me faire honneur auprès de ma-
dame d Houdetot d'un talent (piVIle aimoit ex-
cita ma verve , et un autre ohjct contrihuoit
encore à laninier; savoir, le désir de montrer
que fauteur du De\>in du vilfas^e savoit la mu-
sique; car je m'aperrcvois depuis loup-lcjups
que quelqu un travailloit en secret à rendre cola
douteux, du moins quant à la composition. Mon
déhut à Paris, les épreuves où j'y avois été mis à
♦Uverses fois, tant chez M. Diipin que chez INL de
lia Poplinière; «piantilc de nnisiipic cpio j v av«iis
composée pendant quatorze ans au milieu des
plus célèhres artistes, et sous leurs yeux; enfin
fopéra des Muses galantes; celui même du De-
vin du village^ un moïJ^t que j avois fait pour
mademoiiielle Fel , et (pi'ello avoit «haulc au
concert spirituel; tant de conférences ipic ; avois
eues sur ce hel art avec les ])lus j;raiuls maîtres:
tout semhloit devoir prévenir ou tlissip(>r \\\\ pa-
reil doute. Il existoit cependant, mémo à la ( Ihe-
vrette; et je voyois (pie M. d'Lpinay n'eu éioit
PARTIE II, LIVRE IX. 3ti
pas exempt. Sans paroître m apercevoir de cela,
je me chargeai de lui composer tm motet pour
la dédicace de la chapelle de la Chevrette, et je
le priai de me fournir des paroles de son choix.
Il chargea de LinaiU, le gouverneur de son fils,
de les faire. De Linant arrangea des paroles con-
venables au sujet; et, huit jours après quelles
m'eurent été données , le motet fut achevé. Pour
cette fois, le dépit fut mon Apollon, et jamais
musique plus étoffée ne sortit de mes mains. Les
paroles commencent par ces mots : Ecce sedes
lonantis (i), La pompe du début répond aux pa-
roles , et toute la suite du motet est d'une beauté
de chant qui frappa tout le monde. J'avois tra-
vaillé en grand orchestre. D'Epinay rassembla les
meilleurs symphonistes. Madame Bruna , chan-
teuse italienne, chanta le motet, et fut très bien
accompagnée. Le motet eut un si grand succès,
qu'on l'a donné dans la suite au concert spiri-
tuel, où, malgré les sourdes cabales et lindigne
exécution, il a eu deux fois les mêmes applau-
dissements. Je donnai pour la fête de M. d'Épi-
nay l'idée d'une espèce de pièce, moitié drame,
moitié pantomime , que madame d'Épinay com-
posa, et dont je fis encore la musique. Grimm,
en arrivant, entendit parler de mes succès har-
moniques ; une heure après , on n'en parla plus :
(i) J'ai ajipris depuis que ces paroles étoiont de San-
teuil, et que M. de Linant se les étoit doucoinenl appro-
priées.
(Celte note n'est point dans le manuscrit autographe. )
3i2 LES CONFESSIOrçS.
mais du moins on ne mit plus en question , que
je sache, si je savois la composition.
A peine Grimni fut-il à la Chevrette , où déjà
je ne me plaisois pas trop, qu'il acheva dé me
la rendre insupportahle par des airs tels cpic je
ne vis jamais à personne, et dont je navois pas
même l'idée. La veille de son arrivée , on me dé-
lofifca de la chamhre de faveur que j'occupois ,
contirruë à celle de madame d Epinay ; on la pré-
para pour M. Grimm, et on m'en donna une
autre plus éloig^née. Voilà, dis-je en riant à ma-
dame d'Epinay, comment les nouveaux venus
déplacent les anciens. Elle parut emharrassée.
J'en compris mieux la raison dès le même soir,
en apprenant qu'il y avoit entre sa chamhre et
celle que j'avois quittée une porte masquée de
communication , qu'elle avoit juge inutile de
nie montrer. Son commerce avec Grimm n'é-
toit i{^noré de personne, ni chez elle, ni dans
Je puhlic, pas même de son mari: cependant,
loin den convenir avec moi, confident de se-
crets qui lui importoient heaucoup davantaf^e,
et dont elle étoit hien sûre, elle s'en défendit
toujours très fortement. Je compris que cette
réserve venoit de Grimm, qui, dépositaire de
tous mes secrets, ne vouloit pas que je le fusse
d'aucun des siens.
Quelque prévention que mes anciens senti-
ments qui n'étoient pas éteints, et le mérite réel
de cet homme-là, me donnassent en. sa faveur,
elle ne put tenir contre les soins «pi il prit pour
PARTIE II, LIVRE IX. 3l3
la clétrniie. Son abord fut celui du comte de
Tuf'fière ; à peine daigna-t-il nïe rendre le salut ;
il ne m'adressa pas une seule fois la parole , et
me corrigea bientôt de la lui adresser , en ne me
répondant point du tout. Il passoit par-tout le
premier, prenoit par-tout la première place ,
sans jamais faire aucune attention à moi. Passe
pour cela , s'il n'y eût pas mis une affectation-
choquante: mais on en jugera par un seul trait
pris entre mille. Un soir madame d'Epinay Se
trouvant un peu incommodée , dit qu'on lui
portât un morceau dans sa chambre, et monta
pour souper au coin de son feu. Elle me proposa
de monter avec elle; je le fis. Grimm vint en-
suite. La petite table étoit déjà mise; il n'y avôit
que deux couverts. On sert; madame d'Epinay
prend sa place à lun des coins du feu. M. Grimm
prend un fauteuil, s'établit à l'autre coin , tire la
petite table entre eux deux, déplie sa serviette ,
et se met en devoir de manger sans me dire un
seul mot. Madame d'Epinay rougit, et, pour
l'engager à réparer sa grossièreté , m'offre sa
propre place. Il ne dit rien, ne me regarda pas.
Ne pouvant approcher du feu , je pris le parti de
me promener par la chambre , en attendant
qu'on m'apportât un couvert. Enfin il me laissa
souper au bout de la table, loin du feu, sans me
faire la moindre honnêteté , à moi incommode,
son aîné , son ancien dans la maison , qui l'y
a vois introduit, et à qui même, comme favori
de la dame, il eût dû faire les honneurs. Toutes
3l/\ LES CONFESSIONS,
ses manières avee moi répoiuloient fort bien à
cet ëcliantilloii. Il ne me traitoit pas précisé-
ment conmie son inférieur ; il me regardoit
comme nul. .J'avois peine à reconnoître là l'an-
cien petit cuistre qui, chez le prince de Saxe-
Gotha, se tenoit honoré de mes rc.j^ards. .Ven
avois encore plus à concilier ce profond silence
et cette morgue insultante avec la tendre amitié
quil se vantoit d'avoir pour moi, près de ceux
f[u il savoit en avoir eux-mêmes. 11 est vrai qu il
ne la témoiçnoit guère que pour me plaindre de
ma fortune , dont je ne me plaignois point ,
pour compatir à mon triste sort, dont j étois
content, et pour se lamenter amèrement de me
voir refuser durement aux soins bienfaisants
f(u'il tlisoit vouloir inc rcu(h(\ Cétoit avec cet
art quil faisoit admirer sa tendre générosité,
blâmer mon ingrate misanthropie, et quil ac-
coutumoit insensiblement tout le monde à n'i-
maginer entre un jirotcctcur tel (jue lui et un
malheureux tel «pic moi (|ue des liaisons de bien-
faits d'une part et d'obligations de l'autre, sans
y supposer, même dans les possibles, une ami-
tié d'égal à égal. Pour moi, j'ai cherché vaine-
ment en quoi je pouvois être obligé à ce nou-
veau patron, .le lui avois prêté de l'argent, il
ne m'en prêta januiis; je Tavois gardé dans sa
maladie, à peine ine venoit-il voir dans les
miennes; je lui avois donné tous mes amis, il
ne m'en donna jaiuais aucun ; je Tavois prôné
de tout mon pouvoir s'il m'a prôné , c'est
PARTIE II, LIVRE IX. 3l5
moins publiquement, et cVune autre manière.
Jamais il ne m'a rendu ni même offert aucun
service d'aucune espèce. Comment étoit-il mon
Mécène? Comment étois-je son protégé? Cela
me passoit, et me passe encore.
Il est vrai que du plus au moins il étoit arro-
gant avec tout le monde , mais avec personne
aussi brutalement qu'avec moi. Je me souviens
qu'une fois Saint-i.ambcrt laillit à lui jeter son
assiette à la tète sur une espèce de démenti qu'il
osa lui donner en pleine table , en lui disant
grossièrement, Cela n'est pas vrai. A son ton,
naturellement tranchant, il ajouta la suffisance
d'un parvenu , et devint même ridicule à force
d'être impertinent. Le commerce des grands fa-
voit séduit au point de se donner à lui-même
des airs qu'on ne voit qu'aux moins sensés d'en-
tre eux. Il nappeloit jamais son laquais que
par Eh! comme si, sur le nombre de ses gens,
monseij^neur n'eût pas su lequel étoit de garde.
Quand il lui donnoit des commission^, il lui
jetoit l'argent par terre au lieu de le lui donner
dans la main. Enfin, oubliant tout-à-fait fju'il
étoit homme, il le traitoit avec un mépris si
cluxjuant, avec un dédain si dur en toute chose,
f(uc ce pauvre garcjon , qui étoit un fort bon su^
jet , que madame d'I'pinay lui avoit donné ,
quitta son service, sans autre grief que l'impos-
sibilité d'endurer de pareils traitements : c'étoit
le la Fleur de ce nouveaiu Glorieux.
Aussi fat qu'il étoit vain , avec ses gros yeux
3l6 LES COI^FESSIONS.
tron))le$ et sa fij^urc tlcrfingandce, il avoit des
j>iL'teiitions près des femmes ; et, depuis sa co-
médie avec mademoiselle Fel, il passoit auprès de
plusieurs d'entre elles pour un homme à grands
sentiments. Cela Tavoit mis à la mode, et lui
avoit donné du goût pour la propreté de femme.
Il se mit à faire le beau : sa toilette devint une
grande affaire. Tout le monde sut qu il mettoit
du hlanc; et moi , qui n en croyois rien , je rom-
nienrai de le croire, non seulement par lembel-
lissement de son teint, et pour avoir trouvé des
tasses de hlanc sur sa toilette , mais sur ce (juCn-
trant un matin dans sa chambre , je le trouvai
brossant ses ongles avec une petite vergette faite
exprès; ouvrage qu'il continua Hèrcment devant
moi. Je jugeai qu'un homme qui passe deux
heures tous les matins à brosser ses ongles peut
bien passer quelques instants à remplir dv blanc
les creux de sa peau. Le bon homme Gauffe-
court, qui n'étoit pas sac-à-diable, favoit assez
plaisamment surnomme Tyran-Ic-Hlanc.
Tout cela n'étoit (jue des ridicules, mais les
plus antij)athiques à mon caractère. Ils achevè-
rent de me rendre suspect le sien. J'eus peine à
croire qu'un homme à qui la tête tournoit de
cette force pût conservei* nu cnin bien phuc 11
ne s'étoil pi(|M('' de rien tant «pie <!<' st'u>iliiliic
dame et donei;;ic de sentiment. (lomment cela
s'accordoit-il avec des défauts (pii sont propres
aux petites âmes:' Comment les vils et conti-
nuels élans que fait hors de lui-même un cœur
PARTIE II, LIVf.E IX. Siy
sensible peuvent-ils le laisser s'occuper sans cesse
de tant de petits soins pour sa petite personne?
Eh, mon dieu 1 celui qui se sent embraser de ce
feu céleste cherche à Tcxhaler, et veut montrer
le dedans. Il voudroit mettre son cœur sur son
visage ; il n'imaginera jamais d'autre fard.
Je me rappelai le sommaire de sa morale ,
que madame d'Epinay m avoit dit, et qu'elle
avoit adopté. Ce sommaire consistoit en un seul
article ; savoir, que l'unique devoir de l'homme
est de suivre les penchants de son cœur. Cette
morale, quand je lappris, me donna terrible-
ment à penser, quoique je ne la prisse alors que
pour un jeu d'esprit. Mais je vis bientôt que ce
principe étoit réellement la régie de sa conduite,
et je n'en eus que trop dans la suite la preuve à
mes dépens. C'est la doctrine intérieure dont
Diderot m'a tant parlé , mais qu'il ne m'a jamais
expliquée.
Je me rappelai les fréquents avis qu'on m'a-
voit donnés , il y avoit plusieurs années, que cet
homme étoit faux, qu'il jouoit le sentiment, et
sur-tout qu il ne m'aimoit pas. Je me ressouvins
de plusieurs petites anecdotes que m'avoient là-
dessus racontées M. de Francueil et madame de
Chenonceaux , qui ne lestimoient ni l'un ni
l'autre, et qui tous deux dévoient le connoitie,
puisque madame de Chenonceaux étoit fille de
madame de Ilochechouart , intime amie du feu
comte de Frièse , et que M. de Francueil, très
lié alors avec le vicomte de Polignac , avoit beau-
3l8 LES CONFESSIONS.
coup vécu au Palais-Royal, précisément quand
Griram commcnçoit à s'y introduire. Tout Paris
fut instruit de son désespoir après la mort du
comte de l'rièse. 11 s'ayissoit de soutenir la répu-
tation (|U il s'étoit donnée par son histoire de
Carpe pâmée ^ après les rigueurs de mademoi-
selle Fel, et dont j aurois vu la forfanterie mieux
(jue personne, si j eusse alors été moins aveii{;lé.
11 fallut lentraîner àfliôtel deCastries, oii il joua
dipjnement son rôle, livré à la plus mortelle af-
fliction. Là, tous les matins, il alloit dans le
jardin ])leurer à son aise, tenant sur ses yeux
son mouchoir haifjné de larmes, tant (pfil étoit
en vue de l'hôtel ; mais, au détour d'une certaine
allée, des (yens auxqiuls il ne songeoit pas le vi-
rent mettre à linstant le mouchoir dans sa j)0-
che, et tirer un livre. Cette observation, qu'on
répéta, fut bientôt puhlicpie dans tout Paris, et
presque aussitôt oubliée, .le lavois oubliée moi-
même: un fait (|ui me rejjardoit servit à me la
rappeler, J'étois à l'extrémité dans mon lit, rue
de Grenelle : il étoit à la canq)a{yne. Il vint un
matin me voir, tout essoufllé , disant (pi il venoit
darriver à l'instant même. Je sus un moment
après qu'il étoit arrivé de la veille, i^t (piOn la-
voit vu au spectacle le nu'-mc jour.
Il me revint mille faits (h; cette espèce; mais
une observation que je fus surpris de faire si tard
me frappa plus que tout celi^ J'avois donné à
(^»riunu tous mes amis sans exception; ilsétoient
tous devenus les siens. Je pouvois si peu me se-
PARTIE II, LIVRE IX. 3ig
parer de lui, que je n'aurois pas voulu me con-
server l'entrée d'une maison où il ne Tauroit pas
eue. Il n'y eut que madame de Gréqui qui refusa
de l'admettre, et qu'aussi je cessai presque de
voir depuis ce temps-là. Grimm, de son côté,
se fit plusieurs amis , tant de son estoc que de
celui du comte de Frièse. De tous ces amis-là,
jamais un seul n'est devenu le mien: jamais il
ne m'a dit un mot pour m'engafrer de faire au
moins leur connoissance; et de tous ceux que j'ai
quelquefois rencontres chez lui, jamais un seul
ne m'a marqué la moindre bienveillance, pas
même le comte de Frièse, chez lequel il demeu-
roit , et avec lequel il m'eût par conséquent été
très agréable de former quelque liaison , ni le
comte de Schomberg son parent , avec lequel
Grimm étoit encore plus familier.
Voici plus , mes propres amis dont je fis les
siens , et qui tous m'étoient tendrement attachés
avant cette connoissance, changèrent sensible-
ment pour moi quand elle fut faite. Il ne m'a
jamais donné aucun des siens, je lui ai donne
tous les miens , et il a fini par me les tous ôter.
Si ce sont là des effets de l'amitié , quels seront
donc ceux de la haine?
Diderot même, au commencement, m'avertit
plusieurs fois que Grimm, à qui je donnois tant
de confiance, n'étoit pas mon ami. Dans la suite
il changea de langage , mais ce fut quand lui-
même eat cessé d'être le mien.
La manière dont j'avois disposé de mes en-
320 LES CONFESSIONS,
i'ants n'avoit besoin du concours de personne.
J'en instruisis cependant mes amis , unique-
ment pour les en instruire , pour ne pas paroi-
tie à leurs yeux meilleur que je nV'tois. Ces amis
étoient au nombre de trois : Diderot, Grimm ,
madame d Epinay. Duclos , le plus digne de ma
confidence, fut le seul à qui je ne la Fis pas. 11 la
sut cependant ; par qui;* .le 1 ij^nore. Mais il ii est
guère probable que cette infidélité soit venue
de madame d'Lpinay, qui savoit qu en l'imitant ,
si ) en eusse été capable, je pouvois m en venger
cruellement. Restent Orimm et Diderot , alors si
unis en tant de cboses, sur-tout contre moi,
qu il est plus (jue probable (pie ce crime leur fut
commun. Je paricrois ipie Duclos, à qui je nai
pas dit mon secret , et qui par conséquent en
étoit le maître , est le seul qui me l'ait gardé.
Grimm et Diderot , dans leur projet de muter
les gouverneuses, avoieiit fait effort pour le faire
entrer dans leurs vues : il s'y refusa toujours avec
dédain. Ce ne fut que dans la suite que j'appris
de lui tout ce qui sétoit passé entre eux à cet
égard; mais j en appris dès-lors assez par Tbé-
rèse pour voir qu il y avoil à tout cela (piel([ue
dessein secret, et ipion vouloit disposer de moi,
sinon contre mon gré, du moin5 à mon insu;
[ ou bien qiion voulait faire servir ces deux per-
sonnes d'instrument à quelque dessein cache. J
'J'out cela n'éioit pas assurément de la droi-
ture, li »»j)p()siti()n de Duclos le pi()uv(nt sans
PARTIE II, LIVRE IX. 321
réplique. Ju^oeia qui voudra que c'ctoit de l'a-
mitié.
Cette prétendue amitié metoit aussi fatale
au-dcdans qu'au-dchors. Les longs et fréquents
entretiens avec madame Le Vasseur depuis plu-
sieurs années avoicnt changé sensiblement cette
femme à mon égard; et ce changement ne m'é-
toït assurément pas favorable. De quoi trai-
toient-ils donc dans ces singuliers tôtes-à-tétes?
Pourquoi ce profond mystère? La conversation
de cette vieille femme étoit-elle donc assez agréa-
ble pour la prendre ainsi en bonne fortune, et
assez importante pour en faire un si grand se-
cret? Depuis trois ou quatre ans que ces collo-
ques duroient, ils m avoient paru risibles : en y
repensant alors, je commençai de m'en étonner.
-Cet étonnement eût été jusqu'à l'inquiétude, si
j'avois su dès-lors ce que cette femme me pré-
paroit.
Malgré le prétendu zèle pour moi dont Grimm
se targuoit au-deliors , et difficile à concilier avec
le ton qu'il prenoit vis-à-vis de moi-même , il ne
me 4evenoit rien de lui d'aucun côté qui fût à
mon avantage; et la commisération qu'il affec-
toit d'avoir pour moi tendoit bien moins à me
servir qu'à m'avilir. Il m'ôtoit même, autant
qu'il étoit en lui, la ressource du métier que je
m'étois choisi , en me décriant comme un mau-
vais copiste; et je conviens qu'il disoit en cela la
vérité; mais ce n'étoit pas à lui de la dire. Il
14. ^ 21
323 LES CONFESSIONS,
prouvoit que ce ii étoit pas plaisanterie, en se
servant il un autic copiste, et en ne me laissant
aucune "des pratiques qu il pouvoit ni'ôter. On
eut dit que son projet étoit de nie faire dépendre
de lui et de son crédit pour ma sulwistance , et
d'en tarir la source jusqu'à ce que j en fusse ré-
duit là.
Tout cela résumé, ma raison fit taire enfin
mon ancien attachement qui parloit encore.
Je jufjeai son caractère au moins très suspect; et
quant à son amitié, je la décidai fausse. Puis,
résolu de ne le plus voir, j'en avertis madame
d'Kpinay, appuyant ma résolution de plusieurs
faits sans répli([ue , mais que j ai maintenant
oubliés.
Elle combattit fortement ma résolution san»
savoir trop qu'opposer à mes raisons. Elle ne
s'étoit pas concertée encore a-vec lui ; mais le
lendemain, au lieu de s'explicpier verbalement
avec moi, elle me remit une lettre très adroite ,
qu'ils avoient minutée ensemble, et par iacpielle,
sans entrer dans aucun détail des faits, elle le
justifioit par son caractère naturellement ct)n-
centré; et, me faisant un crime de lavoir soup-
çonné de perlidie envers son anu, m exbortoit
à me raccommoder avec lui. Cette lettre , qu on
trouveiadans la liasse A, n^'/iS, m'ébranla. Dans
une conversation (pic nous eûmes ensuite, et oii
je la trouvai mieux préparée f|uelie n étoit la
première fois, j'achevai de nie laisser vaincre:
J'en vins à croire <jue je pouvois avoir mal jugé.
PARTIE II, LIVRE IX. 323
et qucii ce cas j'avois réellement envers un ami
des torts {jraves que je devois réparer.
Bref, comme j'avois déjà fait plusieurs fois
avec Diderot , avec le baron d'Holbach , moitié
gré, moitié foiblesse , je fis toutes les avances
que j'avois droit d'exiger ; j'allai chez Grimm ,
comme un autre George Dandin , lui faire ex-
cuse des offenses qu'il m'avoit faites ; toujours
dans cette fausse persuasion qui m'a fait faire
en ma vie mille bassesses auprès de mes feints
amis , qu'il n'y a point de haine qu'on ne désar-
me à force de douceur et de bons procédés ; au
lieu qu'au contraire la haine des méchants ne
fait que s'animer davantage par l'impossibilité
de trouver sur quoi la fonder; et le sentiment
de leur propre injustice n'est qu'un grief de plus
contre celui qui en est l'objet. J'ai , sans sortir
de ma propre histoire, une preuve bien forte de
cette maxime dans Grimm et Tronchin , deve-
nus mes deux plus implacables ennemis par
goût , par plaisir , par fantaisie , sans pouvoir
alléguer aucun tort d'aucune espèce que j'aie eu
jamais avec aucun des deux (i), et dont la rage
• (i) Je n'ai donné dans la suite au dernier le surnom
Ac jongleur que long-temps après son inimitié déclarée
et les sanfflantes persécutions qu'il m'a suscitées à Ge-
nève et ailleurs. J'ai même bientôt supprimé ce nom
quand je me suis vu tout-à-fait sa victime. Les basses
ven»jeances sont indignes de mon cœur, et la haine n'y
prend jamais pied.
(Cette note u'est poiul duo$ le manuscrit autograjilie.)
ai.
324 LES CONFESSIONS.
s'accioît de jour en jour comme celle des tigres
par la facilité (|u ils trouvent à 1 assouvir.
Je m'attendois que , confus de ma condescen-
dance et de mes avances, Grimm me recevroit
les bras ouverts avec la plus tendre amitié. Il
me reçut en empereur romain , avec une mor-
gue que je n'avois jamais vue à personne. .l*ne-
tois j)oint du tout préparé à cet accueil. Quand,
dans rembarras d un rôle si peu fait pour moi ,
j'eus rempli en peu de mots et d'un air timide
l'objet qui m'amenoit près de lui, avant de me
recevoir en fjiace , il prononça avec bcaut'oup
de majesté une long^ue luuanj^ue quil avoit pré-
parée, et qui contcnoit la nombreuse énumé-
ration de-ses rares vertus , et siir-tout dans l'a-
mitié. 11 appuya long-temps sur une cbose cjui
dabord me frappa bcaucoiq) ; cest qu on lui
voyoit toujours conserveries mêmes amis. Tan-
dis ([u il parloit , je me disois tout bas qu il seroit
J^ien cruel pour moi de faire seul exception à
cette léglc. Il y revint si souvent et avec tant
d'affectation, ([uil me fit penser enfin (pie, s il
ne suivoit en cela que les sentiments de son
cœur, il seroit moins frappé de cette maxime,
et ipi il s'en faisoit un art utile à ses vues dans
les moyens de parvenir. [Jusqu'alors javois été
dans le même (as, j avois conservé toujours tous
mes amis dojniis mu j)lus tendre enfance, |c n en
avois pas perd i seul . si ce n'est par la mort ,
et cependant je n en avois pas fait jus({u alors la
réflexion; ce n'étoit pas une maxime (pie ji^ me
PARTIE II, LIVRE IX. -325
fusse prescrite. Puisque c'étoit un avanta^je alors
commun à Tun et à 1 autre, pourquoi donc s en
targuoit-il par préférence, si ce n'est quil son-
geoit d avance à me Tôter?] Il s'attacha ensuite
à m'humilier par les preuves^ de la préférence
que nos amis communs lui donnoient sur moi.
Je connoissois aussi bien que lui cette préfé-
rence; la question étoit de savoir à quel titre il
l'avoit obtenue; si c'étoit à force de mérite ou
d'adresse , en s'élevant lui-même ou en cher-
chant à me rabaisser. En fia , quand il eut mis à
son (ifré entre lui et moi toute la distance qui
pouvoit donner du prix à la grâce qu il m'alloit
faire , il m'accorda le Ijaiser de paix dans un lé-
ger embrassement qui ressembloil à l'accolade
que le roi donne aux nouveaux chevaliers. Je
tombois des nues, j'étois ébahi , je ne savois que
dire , je ne trouvois pas un mot. Toute cette
scène eut l'air de la réprimande qu'un précep-
teur fait à son disciple en lui faisant grâce du
fouet. Je n'y pense jamais sans sentir combien
sont trompeurs les jugements fondés sur l'appa-
rence auxquels le vulgaire donne tant de poids,
et combien souvent l'audace et la fierté sont du
côté du coupable , la honte et l'embarras du côté
de l'innocent.
Nous étions réconciliés; c'étoit toujours un
soulagement pour mon cœur, que toute que-
relle jette dans des angoisses mortelles. On se
doute bien qu'une pareille réconciliation ne
changea pas ses manières ; elle m ota seulement
326 LES CONFESSIONS.
le flroit (le mon plaindre. Aussi pris-je le parti
dcndurer tout et de ne dire plus rien.
Tant de chafrrins coup sur coup nie jetèrent
dans un accaMement qui ne me laissoit guère
la force de r(j)rendre l'empire de moi-même.
Sans réponse de Saint-Iiamliort , né{Tlij.c de ma-
dame dHoudetot, n'osant plus m ouvrir à per-
sonne, je commençai de craindre qu'en faisant
de l'amitié lidole de mon co^ur je n'eusse em-
ployé ma vie à sacrifier à des chimères. Epreuve
faite , il ne restoit de toutes mes liaisons que
deux hommes qui eussent conservé toute mon
estime et à ((ui mon co'ur put donner sa con-
fiance ; Duclos, que depuis ma retraite à IHer-
mitage j'avoiS perdu de vue, et Saint-Lamhert,
Je crus ne pouvoir hien réparer mes torts envers
ce dernier (ju en lui déchargeant mon cour sans
réserve , et je résolus de lui faire pleinement
mes confessions en tout ce qui ne compromet-
toit pas sa maîtresse. Je ne tloute pas que ce
choix ne fût encore un piège de ma passion, pour
me tenir plus rapproché d'elle ; mais il est cer-
tain que je nu* serois jeté dans les bras de son
amaul sans réserv<^ , M"^.!^' "^*^' serois mis plei-
nement sous sa conduite, et (jue j aurois pousse
la franchise aussi loin qu'elle pouvoit aller. .1 é-
tois prêt à lui écrire une seconde lettre à larpuile
j étois sûr quil auroit répondu, quand j appris
la Iriste cause <le sou silence siu" la j)renuère. Il
na\()it pu >()ui( iiir iiis(|iiMu hout les fatigues
de celte canq)agne. Madame dEpinay m'ajiprit
PARTIE II, LIVRE IX. 827
qu il venoit d'avoir une attaque de paralysie ; et
madame d'Houdetot, que son affliction finit par
rendre malade elle-même , et qui fut hors d'élat
de m'écrire sur-le-champ , me marqua deux ou
trois jours après, de Paris où elle étoit alors,
qu'il se faisoit porter à Aix-la-Chapelle pour y
prendre les bains. Je ne dis pas que cette triste
nouvelle m'affligea comme elle ; mais je doute
que le serrement de cœur qu'elle me donna fût
moins pénible que sa douleur et ses larmes. Le
chagrin de le savoir dans cet état, augmenté par
la crainte que l'inquiétude n'eût contribué à l'y
mettre, me toucha plus que tout ce qui m'étoit
arrivé jusqu'alors , et je sentis cruellement qu'il
me manquoit dans ma propre estime la force
dont j'avois besoin pour supporter tant de dé-
plaisir. Heureusement ce généreux ami ne me
laissa pas long-temps dans cet accablement ; il
ne m'oublia pas , malgré son attaque , et je ne
tardai pas d'apprendre par lui-même que j'avois
trop mal jugé de ses sentiments et de son état.
Mais il est temps d'en venir a la grande révolu-
tion de ma destinée , à la catastrophe qui a par-
tagé ma vie en deux parties si différentes , et
qui d'une bien légère cause a tiré de si terribles
effets.
Un jour que je ne songeois à rien moins, ma-
dame d'Epinay m'envoya chercher. En entrant,
j'aperçus dans ses yeux et dans toute sa conte-
nance un air de trouble dont je fus d'autant plus
frappé, que cet air ne lui étoit point ordinaire ,
328 IFS COKFESSIO^^S.
personne an inonde ne saeliant mienx qnVlIc
gouverner son visafje et ses mouvements. Mon
ami, me dit-elle, je pars pour Genève; ma
poitrine est en mauvais état, ma santé se déla-
bre au ]>oint que , toute chose cessante , il tant
que j'aille voir et consulter IVonchin. Cette r(^
solution, si brusquement prise, et à l'entrée de
la mauvaise saison , m'étonna d autant j)lus que
je Tavois quittée trente-six heures auparavant
sans qu'il en fût tpiestion. Je lui demandai qui
elle emmèueroit avec elle. Elle me dit «juellc
emmèneroit son (ils avec M. de Linant; cl puis
elle ajoula né|;lifjcmment : Et vous, mon ours,
ne viendrcz-vous pas aussi? Comme je ne crus
pas quelle parlât sérieusement, sachant que,
dans la saison où nous entrions, j'étois à peine
en état de sortir de ma chambre, je jilaisantai
sur l'utilité du cortège d'un malade pouiun au-
tre malade: elle parut elle-même n'en frvoir ]ias
fait tout de bon la proposition, et il n'en fut plus
tpieslion. Nous ne pai li'mics plus que des pn''-
paratifs de son voyage dont elle s'occupoit avec
beaucoup de vivacité, étant résolue à partir dans
quinze jours.
Je n'avois pas besoin de beaucoup de péné-
tration pour voir (juil y avoit à ce voyage un
ïiiotifsecret c[ii'on me taisoit. Ce secret , <|ui n en
étoit un dans toute la maison (|ue pour moi, lut
découvert dès le lendemain par Thérèse, à qui
Teissier, le mailrc dhotcl, <|tii le savoit de la
femme-dc-cliand)re, le révéla. Quoi<pie je ne
PARTIE' II, LIVRE IX. 329
<loive pas ce secret à madame d'Epinay, puisque
je ue le tiens pas d'elle , il est trop lié à ceux que
j en tiens pour que je puisse l'en séparer. Ainsi
je me tairai sur cet article. Mais ces secrets, qui
jamais ne sont sortis ni ne sortiront de ma bou-
che ni de ma plume , ont été sus de trop de gens
pour pouvoir être if^norés dans tous les entours
de madame d'Epinay.
Instruit du vrai motif de ce voyage , j'aurois
reconnu la secrète impulsion d'une main enne-
mie dans la tentative de m'y faire le chaperon
de madame d'Épinay; mais elle avoit si peu in-
sisté, que je persistai à ne point regarder cette
tentative comme sérieuse, et je ris seulement du
beau personnage que j'aurois fait là, si j'eusse eu
la sottise de m en charger. x\u reste, elle gagna
beaucoup à mon refus, car elle vint à bout d'en-
gager son mari même à l'accompagner.
Quelques jours après , je reçus de Diderot le
billet que je vais transcrire. Ce billet , seulement
plié en deux et de manière que tout le dedans
se lisoit sans peine, me fut adressé chez madame
d'Epinay, et recommandé a M. de Einant, legou
verneur du (ils et le confident de la mère.
BILLET DE DIDEROT,
(Liasse a, w^ 62.)
«Je suis fait pour vous aimer, et pour vous
« donner du chagrin. J apprends que madame
« d Epinay va à Genève , et je n'entends point
33o LES CO^'FESSIO?yS.
« dire que vous l'accompagniez. Mon ami, con-
« tcnt de madame d'Épinay, il faut partir avec
" elle; mécontent, il faut partir beaucoup plus
<< vite. Êtes-vous surchargé du poids des ohliga-
" tions que vous lui avez? voilà une occasion de
« vous acquitter en partie et de "vous soulager,
« Trouverez-vous une autre occasion dans votre
« vie de lui témoigner votre rcconnoissance? Elle
« va dans un pays où elle sera comme tombée
« des nues. Elle est malade ; elle aura besoin d'a-
« musemcnt et de distraction. L'hiver ! voyez ,
« mon ami. L'objection de votre santé peut être
« beaucoup plus forte que je ne la crois. Mais
M êtes-vous plus mal aujourd'hui que vous ne
« l'étiez il y a un mois, et que vous ne le serez
« au commencement du printemps.' Ferez-vous
«« dans trois piois d'ici le voyage plus commodé-
« ment qu'aujourd'hui? Pour moi , je vous avoue
•< que, si je ne pouvois supporter la chaise, je
«« prendrois un bâton et je l.i suivrois. Et puis ne
« craignez-vous point qu'on ne mésinterprèie
" votre conduite? On vous soupçonnera ou d'in-
« gratitude ou d'un autie motif secret. .Iesaisl)ien
« (jue, quoi ((uc vous fassiez, vousaurez toujours
« pour vous le témoignag(> de votrt^ conscience :
« mais ce témoi{;nage suflit-il seul:' et est-il j)er-
•< mis de né(;liger jusqu'à certain point celui des
" autres hommes? Au reste, mon ami, c'est pour
« m'acquitter avec vous et avec moi que je vous
«I écris ce billet. S il vous déplaît , jetez-le au feu,
i' et qu il n en soit non plus ([ucslion (pie sil
PARTIE II, LIVRE IX. 3')1
« n eût jamais été écrit. Je vous salue, vous aime,
" et vous embrasse. »
Le tremblement de colère , leblouissement qui
me gagnoient en lisant ce billet, et qui me per-
mirent à peine de l'achever , ne m'empêchèrent
pas de remarquer 1 adresse avec laquelle Diderot
y affectoit un ton plus doux, plus caressant,
plus honnête , que dans toutes ses autres lettres,
dans lesquelles il me traitoit tout au plus de mon
cher, sans avoir presque jamais daigné m'y don-
ner le nom d'ami. Je vis aisément le ricochet
par lequel me venoit ce billet, dont la suscrij>-
tion , la forme , et la marche, déceloient, même
assez maladroitement, le désir: car nous nous
écrivions ordinairement par la poste ou par le
messager de Montmorency, et ce fut la première
fois qu'il se servit de cette voie-là.
Quand le premier transport de mon indigna-
tion me permit d'écrire, je lui traçai précipitam-
ment la réponse suivante , que je portai sur-le-
champ de rilermitage où j'étois pour lors à la
Chevrette , pour la montrer à madame d Epinay,
à qui, dans mon aveugle colère, je la voulus lire
moi-même, ainsi que le billet de Diderot.
«< Mon cher ami , vous ne pouvez savoir ni la
" force des obligations que je puis avoir à ma-
" dame d'Épinay, ni jusqu'à quel point elles me
<< lient , ni si elle a réellement besoin de moi dans
« son voyage, ni si elle désire que je raccompa-
332 LES CONFESSION' S.
« gnc, ni s'il m'est possil)le de le faire , ni les rai-
« sons que je puis avoir de m'en abstenir. Je ne
" refuse pas de discuter avec vous à loisir tous
« ces points ; mais, en attendant , convenez que
« me prescrire si affirmativement ce que je dois
« faire, sans vous être mis en état d'en ju^yer,
« c'est, mon cher philosophe, opiner en franc
« élourdi. Ce que je vois de pis à cela , est que
« votre avis ne vient pas de vous. Outre que je
« suis peu d'humeur à me laisser mener sous
" votre nom parle tiers et le (juart, je trouve à
« ces ricochets certains détours tpii ne vont pas
« à votre franchise , et dont vous ferez bien , pour
« vouù et pour moi, de vous abstenir désormais.
" Vous craififncz qu'on n'interprète pas bien
« ma conchiito; mais je dcHe un co'ur comme le
" vôtre d'oser mal penser du mien. D'autres peut-
" être parleroient mieux de moi si je leur res-
" sembhiis davantapc. Que Dieu me ])réserve de
" me faire a[)prouvcr d'eux! Que les méchants
.< m'éj)i('nt et m'interprètent, Rousseau n'est pas
«fait j)Our les craindre, ni Diderot pour les
« écouter.
" Si votre l)illet m'a déplu, vous voulez que je
« le jette au hui, et ([u il n'en soit plus question.
» Pens(v,-vons (juOn oublie^ ainsi ee (jui Nient de
•< vous.' Mon cher, vous faites aussi l)on uuirché
" de mes larmes dans les peines que vous me don-
" nez que de ma vie et de ma santé dans les soins
•< que vous m'exhortez à prendre. Si vous pou-
»' viez vous corri{jer de cela, votre amitié m en
PARTIE II, LIVRE IX. 333
« seroit plus douce, et j'en deviendrois moins à
« plaindre. »
En entrant dans la chambre de madame d'É-
pinay, je trouvai Grimm avec elle, et j'en fus
charmé. Je leur lus à haute et claire voix mes
deux lettres avec une intrépidité dont je ne me
serois pas cru capable, et j y ajoutai en finissant
quelques discours qui ne les démentoient pas. A
cette audace , inattendue dans un homme ordi-
nairement si craintif, je les vis l'un et l'autre at-
terrés, abasourdis, ne répondant pas un mot;
je vis sur-tout cet homme arrojjant baisser les
yeux à terre, et n'oser soutenir les étincelles de
mes regards : mais, dans le môme instant, au
fond de son cœur , il juroit ma perte, et je suis
sûr qu'ils la concertèrent avant de se séparer.
Ce fut à-peu-près dans ce temps-là que je re-
çus enfin par madame d'Houdetotla réponse de
Saint-Lambert (liasse A , n'* Sy), datée encoie
de Wolfenbutel , peu de jours après son acci-
dent , à ma lettre qui avoit tardé long-temps
en route. Cette réponse m'apporta des conso-
lations , dont j avois grand besoin dans ce mo-
ment-là, par les témoignages d'estime et d'ami-
tié dont elle étoit pleine, et qui me donnèrent
le courage et la force de les mériter. Dès ce mo-
ment je fis mon devoir; mais il est constant
que , si Saint-Landjert se fût trouvé moins sensé,
moins généreux, moins honnête homme , j'étois
perdu sans retour.
334 LES CONFESSIONS.
La saison devcnoit mauvaise, et Ton corn-
meneoit à quitter la campagne. Madame d Hou-
detot me marqua le jour où elle comptoit venir
faire ses adieux à la vallée, et me donna rendez-
vous à Eaubonne. Ce jour se trouva par hasard
le même où madame d'Epinay quittoit la Che-
vrette pour aller' à Paris achever les préparatifs
de son voyage. Heureusement elle partit le ma-
tin , et j eus le temps encore, en la (piillanl, dal-
ler dhier avec sa helle-sœur. J'avois la lettre de
Saint-T^ambert dans ma poche; je la relus plu-
sieurs fois en marchant. Cette lettre me servit
d'égide contre ma foiblesse. Je tis et je tins la
résolution de ne voir plus en madame d'Iïou-
detot (jue mon amie et la maîtresse de mon ami ;
et je passai tête à tète avec elle quatre ou cinq
heures dans un calme délicieux, préférable in-
finiment, même quant à la jouissance , à ces
accès de fièvre ardente que, jusqu'alors , j'avois
eus auprès (felle. Comme elle savoit trop (pie
mon C(eur n'étoit j)as changé, elle fut sensible
aux efforts (juej avois faits|pour me vaincre, elle
m'en estima davantage, et j Cus le plaisir de voir
que son amitié poiu' moi n étoit point éteinte.
Elle mannonea le prochain retonr i\c. Sainl-
Land)ert , (pii, ([uoi<[ue assez bien rétabli de son
attacjue, n'étoit plus en état de soutenir les fa-
tigues de la guerre, et quittoit le service pour
revenir vivre ])aisibleui(nt auprès d'elle. Nous
formâmes le projet charnuint d une étroite so-
ciété t;ntre nous trois; et uuus pouvions espérer
PARTIE II, LIVRE IX. 335
que l'exécution de ce projet seroit durable, vu
que tous les sentiments qui peuvent unir des
cœurs sensibles et droits en'faisoient labase, et
que nous rassemblions d ailleurs à nous trois
assez de talents et de connoissances pour nous
suffire à nous-mêmes , et n'avoir besoin d'aucun
supplément étranger. Hélas ! en me livrant à
l'espoir d'une si douce vie, je ne songeois guère
à celle qui m'attendoit.
Nous parlâmes ensuite de ma situation pré-
sente avec madame d'Epinay. Je lui montrai la
lettre de Diderot avec ma réponse ; je lui détail-
lai tout ce qui s'étoit passé à ce sujet, et je lui
déclarai la résolution où j'étois de quitter l'Hcr-
mitage. Elle s'y opposa vivement , et par des
raisons toutes puissantes sur mon cœur. Elle me
témoigna combien elle auroit désiré que j'eusse
fait le voyage de Genève, prévoyant qu'on ne
manqucroit pas de la compromettre dans mon
refus; ce que la lettre de Diderot sembloit an-
noncer d'avance. Cependant, comme elle savoit
mes raisons aussi bien que moi-même, elle n'in-
sista pas sur cet article, mais elle me conjura
d'éviter tout éclat, à quelque prix que ce put être,
et de pallier mon refus de raisons assez plausi-
bles pour éloigner l'injuste soupron qu'elle pût
y avoir part. Je lui dis <{u'ellc ne m'imposoit
pas une tâcbe aisée ; mais que , résolu d'expier
mes torts au prix même de ma réputation , je ^
voulois donner la préférence à la sienne en tout
ce que rbonneur me permettroit d'endurer. On
336 LES CONFESSIONS.
connoîtra bientôt si j'ai su remplir cet engage-
ment.
Je le puis jurer, lain rpie ma passion mallieu-
reuse eût rien perilu de sa force, je n aimai ja-
mais ma Sophie aussi vivement, aussi tendre-
ment que je fis ce jour-là. Mais telle fut 1 impres-
sion (pio filent 9ur moi la lettre de Saint-Land)ert,
le sentiment du devoir, et lliorreur de la perfi-
die , que , durant toute cette entrevue , mes sens
me laissèrent pleinement en paix auprès d'elle,
et que je ne fus pas niême tenté de lui baiser la
main. Kji partant, elle inend)rassa devant ses
gens. Ce baiser, si différent de ceux que je lui
avois dérol)és cpudfjuefois sous les fVuilla{;es , me
fut garant que j avois repris lempire de moi-
même: je suis prestpie assuré que , si mon cœur
avoit eu le temps de se raffermir dans le calme ,
il ne me faîloit pas trois mois pour être guéii
radicalement.
Ici finissent mes liaisons personnelles avec
madame d'IIoudetot, liaisons dont chacun a pu
juger sur les apparences, selon les dispositions de
son propre cœiu % mais dans lesquelles la passion
que m'inspira cette aimable femme, passion la
plus vive peut-être qu'aucun homme ait jamais
sentie, s'honorera toujours entre le ciel et nous
des rares et pénibles saeiilices faits par tous deux
au devoir, à Ihonneur, à 1 amour, et à 1 amitié.
Nous nous étions trop élevés, j ose le dire, aux
yeux lun de lautre pour pouvoir nous avilir
aisément. 11 faudroit être indigne de toute es-
PARTIE II, LIVRE IX. SSj
tinie pour se résoudre à eu perdre une de si haut
prix ; et réncrgie même des sentiments qui pou-
voient nous rendre coupaJjles fut ce qui nous
empêcha de le devenir.
C'est ainsi qu'après une si longue amitié pour
l'une de ces deux femmes , et un si vif amour
pour l'autre, je leur fis séparément mes adieux
en un même jour, à l'une pour ne la revoir de
ma vie, à l'autre pour ne la plus voir que deux
fois dans les occasions que je dirai ci-après.
Après leur départ, je me trouvai dans un grand
embarras pour remplir tant de devoirs pressants
et contradictoires , suites de mes imprudences.
Si j'eusse été dans mon état naturel , après la
proposition et le refus de ce voyage de Genève,
je n'avois qu'à rester tranquille, et tout étoit dit.
Mais j'en avois sottement fait une affaire qui ne
pouvoit rester dans l'état où elle étoit , et je ne
pouvois me dispenser de toute ultérieure expli-
cation qu'en quittant l'Hermitage , ce que je ve-
iiois de promettre à madame d'IIoudetot de ne
pas faire, au moins pour le moment présent.
De plus , elle avoit exigé que j'excusasse, auprès
de mes soi-disant amis, 1^ refus de ce voyage,
afin qu'on ne lui imputât pas eç refus. Cepen-
dant je n'en pouvois alléguer l<t'\€ritable cause
sans outrager madame (rEpinay,^ qui je devois
certainement de la reconnoissance après tout
ce qu'elle avoit fait pour moi. Tout bien consi-
déré, je me trouvai dans la dure mais indispen-
sable alternative de manquer à madame d'Épi-
'4^ ' i-A
338 LES CONFESSIONS,
nay , à madame crUoudctot , ou à moi-même ;
et je pris le dernier parti. Je le pris hautement,
pleinement, sans tergiverser, et avec une géné-
rosité digne assurément de laver les fautes qui
m'avoient réduit à cette extrémité. Ce sacrifice,
dont mes ennemis ont su tirer parti , et qu'ils
attendoient peut-être, a fait la ruine de ma ré-
putation et m'a ôté par leurs soins 1 estime pu-
Lli(jue ; mais il m'a rendu la mienne , et m'a
consolé dans mes malheurs. Ce n'est pas la der-
nière fois , comme on verra , que j'ai fait de pa-
reils sacrifices, ni la dernière aussi qu'on s en
est prévalu pour m'accahler,
Grimm étoit le seul qui parût n'avoir pris au-
cune part dans cette affaire ; ce fut à lui que je
résolus de m'adresser. Je lui écrivis une longue
lettre , dans laquelle j'exposai le ridicule de vou-
loir me faire un devoir de ce voyage de Genève,
l'inutilité, l'emharras même dont j'y aurois été
à madame d'Épinay, et les inconvénients qui en
auroient résulté pour moi-même. Je ne résistai
pas dans cette lettre à la tentation de lui laisser
entrevoir que j'étois instruit, et qu'il me parois-
soit singulier qu'on prétcnilît que c'étoit à moi
de laire ce voyage , tandis que lui-même s'en
dispensoit , et qu'on ne faisoit pas mention de
lui. Cette lettre, où, faute de jxmvoir chic M(>t-
tement mes raisons, je fus forcé de battie sou-
vent la campagne , m'auroit donné dans le pu-
blic l'apparence de bien des torts ; mais elle étoit
un exemple de retenue et de discrétion pour les
PARTIE II, LIVRE IX. SSg
gens qui , comme Grimm , étoient au fait des
choses que j'y taisois , et qui justifioient pleine-
ment ma conduite. Je ne craignis pas même de
mettre un préjugé de plus contre moi, en prê-
tant l'avis de Diderot à mes autres amis , pour
insinuer que madame dHoudetot avoit pensé
de même , comme il étoit vrai ; et taisant que ,
sur mes raisons, elle avoit changé d'avis, je ne
pouvois mieux la disculper du soupçon de con-
niver avec moi , qu'en paroissant sur ce point
mécontent d'elle.
Cette lettre finissoit par un acte de confiance
dont tout autre homme auroit été touché; car,
exhortant Grimm à peser mes raisons et à me
marquer après cela son avis, je lui marquois
que cet avis seroit suivi , quel qu'il put être ; et
c'étoit mon intention , eût-il même opiné pour
mon départ ; car M. d'Épinay s'étant fait le con-
ducteur de sa femme dans ce voyage , le mien
prenoit alors un coup-d'œil tout différent : au
lieu que c'étoit moi d'abord qu'on voulut cjiar-
ger de cet emploi , et qu il ne fut question de
lui qu'après mon refus.
La réponse de Grimm se fit attendre ; elle fut
singulière; je vais la transcrire ici. ( Voyez lias»
se A, n*' 59.)
« Le départ de madame d'I'Lpinay est reculé,
« son fils est malade , il faut attendre qu'il soit
« rétabli. Je rêverai à votre lettre. Tenez -vous
« tranquille à votre Hermitage. Je vous ferai pas-
34o LES CONFESSIONS.
« ser mon avis à temps. Comme elle ne partira
« sûrement pas de f[uclques jours , rien ne presse.
« En attendant, si vous le jugez à propos , vous
« pouvez lui faire vos offres , quoique cela me
«paroisse encore assez égal. Car, connoissant
« votre position aussi bien que vous-nicme , je
" ne doute point qu elle ne réponde à vos offres
«< comme elle doit; et tout ce que je vois à gagner
K à cela, c'est que vous pourrez dire à ceux qui
« vous pressent, que si vous n'avez pas été, ce
« n'est pas faute de vous être offert. Aii reste, je
« ne vois pas pourquoi vous voulez absolument
u que le piiilosoplie soit le porte-voix de tout le
«I monde , et , parceque son avis est que vous
« partiez, pourquoi vous imaginez que tous vos
« amis prétendent la même cliose. Si vous écri-
« vez à madame dEpinay , sa réponse peut vous
« servir de réplique à tous ces amis , puis(ju'il
u vous tient tant au cœur de leur répli(pier.
«< Adieu ; je salue madame Le Vasscur et le Cri-
« mi|icl (i). »
Frappé detonnemcnt eh lisant cette letti*c, je
cbercbois avec inquiétude ce qu clic pouvoit si-
gnifier, et je ne Irouvois rien. Comment ! au lit n
de me répondre avec simplicité sur la mienne, il
(l) M. Le Vasscur, que sa Icnimr inciKiil iiii jxii rude-
ment, l'appeloit le LieiiWnatit criminel. AL (Jiimni clon-
iioit, jiar plaisanterie, le niên)e nom à la fille; et, pour
abréger, il lui plut ensuite d'en retrancher le premier
mot.
PARTIE II, LIVRE IX. 34^1
prend fin temps pour y rêver, comme si celui
qu'il avoit déjà pris ne lui avoit pas suffi. Il m'a-
vertit même de la suspension dans laquelle il
veut me tenir, comme s'il s'agissoit d'un pro-
blême profond à résoudre, ou comme s'il im-
portoit à ses vues de m'ôter tout moyen de pé-
nétrer son sentiment jusqu'au moment qu'il
voudroit nie le déclarer. Que signifient donc ces
précautions , ces retardements,. ce mystère? Est»
ce ainsi qu'on répond à la confiance ? Cette al-
lure est-elle celle de la droiture et de la bonne
foi? Je cherchais en vain quelque interpréta^
tion favorable à cette conduite; je n'en trouvois
point. Quel que fut son dessein , s'il m'étoit con-
traire, sa position en facilitoit l'exécution , sans
que , par la mienne, il me fût possible d'y met-
tre obstacle. En faveur dans la maison d'un
grand prince, répandu dans le monde, donnant
le ton à nos communes sociétés, dont il étoit
l'oracle, il pouvoit, avec son adresse ordinaire,
disposer à son aise toutes ses machines ; et moi,
seul dans mon Hermitage , loin de tout , sans
avis de personne , sans aucune communication ,
je n'avois d'autre parti que d'attendre et rester
en paix; c'est ce que je fis: seulement j'écrivis à
madame d'Epinay, sur la maladie de son fils ,
une lettre aussi honnête qu'elle pouvoit l'être ,
mais où je ne donnai pas dans le piège grossier
de lui offrir de partir avec elle.'
Après des siècles d'attente dans la cruelle in-
certitude où cet homme barbare m'avoit plongé^
34^ LES CONFESSIONS,
j'appris, au bout de huit ou dix jours, que ma-
dame d'Epinay ctoit partie ; et je reçus de lui
une seconde lettre, l'allé nétoit ([ue de sept à
huit lignes, que je n'achevai pas de lire... C'étoit
une rupture, mais dans des termes tels que la
plus infernale haine les peut dicter, et qui même
dcvenoient bêtes à force de vouloir être oHen-
sants. Il me défendoit sa présence comme il
m'auroit défendu ses états. Il ne manquoit à sa
lettre, pour faire rire, que d'être lue avec plus
de sang froid. Sans la transcrire, sans même en
achever la lecture , je la lui renvoyai sur-le-
champ avec celle-ci :
v Je me refusois à ma juste défiance : j'achève
« trop tard de vous connoître.
« Voilà donc la lettre que vous vous êtes don-
« né le loisir de mé<literl je vous la renvoie; elle
« n'est pas pour moi. Vous pouvez nie haïr oii-
« vertement et montrer la mienne à toute la
«terre; ce sera de votre part une fausseté de
« moins. »
Ce que je lui disois, qu'il pouvoit montrer ma
précédente lettre, se rapportoit à im article de
Ja sienne, sur lerpiel on pourra juger de la pro-
fonde adresse qu'il mit à toute cette affaire.
.l'ai dit «pje, pour gens (pii n'étoiiMJt |)as au
fait, ma lettre pouvoit donner sur moi bien des
prises. Il le vit avec joie; mais comment se pré-
valoir de cet avantage sans se compromettre?
PARTIE II, LIVRE IX. 343
En montrant cette lettre, il s exposoit au repro-
che d'abuser de la confiance de son ami.
Pour sortir de cet embarras , il imagina de
rompre avec moi de la façon la plus piquante
qu'il fût possible , et de me faire valoir dans sa
lettre la grâce qu'il me faisoit de ne pas montrer
la mienne. Il étoit bien sur que , dans l'indigna-
tion de ma colère, je me refuserois à sa feinte
discrétion , et lui permettrois de montrer ma
lettre à tout le monde ; c'étoit précisément ce
qu'il vouloit, et tout arriva comme il l'avoit ar-
rangé. Il fit courir ma lettre dans tout Paris,
avec des commentaires de sa façon, qui pour-
tant n'eurent pas tout le succès qu'il s'en étoit
promis. On ne trouva pas que la permission de
montrer ma lettre, quil avoit su m'extorquer,
rexemptât du blâme de m'avoir si légèrement
pris au mot pour me nuire. On demandoit tou-
jours quels torts personnels j'avois avec lui pour
autoriser une si violente haine. Enfin l'on trou-
voit que, quand j'aurois eu de tels torts qui l'au-
roient obligé de rompre , l'amitié , môme éteinte ,
avoit encore des droits qu il auroit dû respecter.
Mais malheureusement Paris est frivole; ces re-
marques du mament s'oublient ; l'absent infor-
tuné se néglige, l'homme qui prospère en im-
pose par sa présence ; le jeu de l'intrigue et de
la méchanceté se soutient , se renouvelle ; et
bientôt son cfTet, sans cesse renaissant, efface
tout ce qui l'a précédé.
Voilà comment, après m avoir si long-temps
344 LES CONFESSIONS,
trompe, cet homme enfin quitta pour moi son
masque, persuadé que, dans IVtat où il avoit
amené les choses, il cessoit d'en avoir besoin.
Soulagé de la crainte d'être injuste envers ce mi-
sérable, je 1 abandonnai à son propre cœur, et
cessai de penser à lui. Huit jours après avoir
reçu cette lettre , je reçus de madame d'Épinay
sa réponse , datée de Genève , à ma précédente.
( Liasse B, n*^ lo. ) Je compris, au ton ([uclle y
prenoit avec moi pour la première fois de sa
vie, que l'un et l'autre, comptant sur le succès
de leurs mesures, affissoient de concert , et que,
me regardant comme un homme perdu sans
ressource , ils se livroient désormais sans risque
au plaisir d'achever de m'écraser.
Mon état, en effet, étoit des plus déplorables.
Je voyois s'éloigner de moi tous mes amis, sans
qu'il me fût possible de savoir ni comment ni
pourquoi. Diderot, ((ui se vantoit de me rester
seul, et qui depuis trois mois mepromettoit une
\isite, ne venoit point. L'hiver commençoit à se
faire sentir, et avec lui les atteintes de mes maux
habituels. Mon tempérament, quoique vigou-
reux, n'avoit pu soutenir les eond)als de tant de
passions contraires. J'étois dans un épuisement
qui ne me laissoit ni force ni courage pour ré-
sister à rien. Quand mes engagements, (piand
les continuellrs représentations de Diderot et
de madame d Iloudetot, mauroient permis en
ce moment de (piitter IHermitace, je ne savois
ni où aller, ni comment me traîner. Je rcstois
PARTIE II, LIVRE IX. 345
Immobile et stupitle , sans pouvoir a^ir ni pen -
ser. La seule idée d un pas à faire , d une lettre
à écrire, d'un mot à dire, me faisoit frémir. Je
ne pouvois cependant laisser la lettre de ma-
dame d'Epinay sans réplique , à moins de m a-
vouer digne des traitements dont elle et son
ami m'accabloieipit. Je pris le parti de lui noti-
fier mes sentiments et mes résolutions , ne dou-
tant pas un moment que , par humanité , par
générosité, par bienséance, par les bons senti-
ments que j'avois cru voir en elle malgré les
mauvais, elle ne s'empressât d'y souscrire. Voici
ma lettre:
A rHermitage , le 23 novembre ly^j..
« Si l'on mouroit de douleur, je ne serois pas
« en vie. Mais enfin j ai pris mon parti. L'amitié
« est éteinte entre nous, madame; mais celle qui
« n'est plus garde encore des droits que je sais
« respecter. Je n'ai point oublié vos bontés pour
" moi , et vous devez compter de ma part sur
<' toute la reconnoissance qu'on peut avoir pour
" quelqu'un qu'on ne doit plus aimer. Toute au-
« tre explication seroit inutile : j ai pour moi ma
« conscience , et vous renvoie à la vôtre.
« J'ai voulu quitter l'Hermitage , et je le de-
« vois. Mais on prétend qu'il faut que j'y reste
<' jusqu'au printemps ; et , puisque mes amis le
« veulent, j'y resterai jusqu'au printemps, si vous
« y consenteïi. »
346 LES CONFESSIONS.
Cette lettre cerite et partie, je ne pensai plus
qu'à nie traii(|uiiliser à lIlcfniitajTfC, en y soi-
gnant ma santé, tâchant de recouvrer des forces
et de prendre des mesures pour en sortir au
printemps sans bruit et sans afficher une rupture.
Mais ce nétoit pas là le compte de M. Grimm
et de madame d'Épinay , comme on verra dans
un moment.
Quelrpies jours après, j'eus enfin le plaisir de
recevoir de Diderot cette visite si souvent pro-
mise et manrpice. Elle ne pouvoit venir plus à
propos ; c'étoit mon plus ancien ami , c'étoit
presque le seul qui me restât: on peut juf;er du
plaisir que j'eus à le voir dans ces circonstances.
J'avois le cœur plein , je répanchai dans le sien.
Je l'éclairai sur beaucoup de faits (pi'on lui avoit
tus, dé^;uiscs, ou supposes. Je lui appris, de tout
ce qui s'étoit passé, ce qu'il m'étoit permis de lui
dire. Je n'affectai point de lui taire ce qu'il ne
savoit que trop, rpi'un an^.our aussi malheureux,
qu'insensé avoit été liustrument de ma j)ert«' ;
mais je ne convins jamais que madame d'IIou-
detot en fût instruite, ou du moins que je le lui
eusse déclaré. Je lui parlai des indij^fues manou-
vres de madame dJ'.pinay pour suiprt'ndre les
lettres très innocentes que sa belle-sœur mCcri-
voit. Je voulus qu'il apprit ces détails de la bou-
che même des persouiuvs <pu^ cette danjjereuse
femme avoit tenté de séduire. Thérèse les lui fit
exactement : mais cpie <levius-)(> (piaud ce fut le
tour de la uièic , et que je Icntcndis déclarer et
PARTIE II, LIVRE IX. 347
soutenir que rien de cela n'étjoit à sa connois-
sance? Ce furent ses termes, et jamais elle ne
s'en départit, 11 n'y avoit pas quatre jours qu'elle
m'en avoit répété le récit à moi-même , et elle
me dément en face de mon ami. Ce trait me pa-
rut décisif, et je sentis alors vivement mon im-
prudence d'avoir gardé si long-temps une pareille
femme auprès de moi. Je ne m'étendis point en
invectives contre elle ; à peine daignai-je lui dire
quelques mots de mépris. Je sentis ce que je de-
vois à la fille, dont l'inébranlable droiture con-
trastoit avec l'indigne lâcheté de la mère. Mais
dès-lors mon parti fut pris sur le compte de la
vieille, et je n'attendis que le moment de l'exé-
cuter.
Ce moment vint plus tôt que je ne l'avois at-
tendu. Le lo décembre, je reçus de madame d'E-
pinay réponse à ma précédente lettre. En voici
le contenu (liasse B , n'^ 1 1 ) :
A Genève, le i" décembre 1757-
«Après vous avoir donné, pendant plusieurs
« années, toutes les marques possibles d'amitié
i< et d'intérêt , il ne me reste qu'à vous plaindre.
" Vous êtes bien malheureux. Je désire que votre
« conscience soit aussi tranquille que la mienne»
« Gela pourroit être nécessaire au repos de votre
" vie.
« Puisque vous vouliez quitter l'Hermitage et
« que vous le deviez , je suis étonnée que vos amis
« vousaient retenu. Pour moi, jeneconsultepoint
348 LES CONFESSIONS.
« les miens sur mes devoirs , et je n'ai plus rien à
« vous dire sur les vôtres. »
Un congé si imprévu, mais si nettement pro-
nonce, ne me laissa pas un instant à ])alancer.
II falloit sortir sur-le-champ, quelque temps qu il
fit , en quelque état que je fusse , dussè-je coucher
dans les bois et sur la neige , dont la terre ctoit
alors couverte, et quoi que pût dire et faire ma-
damed'Houdetot, carjte voujois l)ien lui complai-
re en tout, mais non pas jusqu'à finfamie.
Je me trouvai dans le plus terrible embarras
oùj'aie été de mes jours; mais ma résolution étoit
prise, je jurai, quoi qu il arrivât, de ne pas cou-
cher le huitième jour à fUermitage. Je me mis
en devoir de sortir mes effets, déterminé à les
laisser en plein champ plutôt que de ne pas ren-
dre les clefs dans la huitaine : car je voulois sur-
tout que tout fût fait avant qu'on pût écrire à Ge-
nève et recevoir réponse. J étois d'un coura.|;e ([ue
je ne métois jamais senti : toutes mes forces
étoient revenues. L'honneuret l'indignation m'en
rendirent sur lesquelles madame dl'.pinaynavoit
pas compté. La fortune aida mon audace. ÎM. Ma-
thas, procurcur-liscal de M. le prince de Coudé,
entendit parlerdcmon eml)arras. 11 me fit offrir
une petite maison ([u il a voit à son jardin de Mont-
Louis à Montmorency. J acceptai avec ( mpresse-
mcnt et reconnoissance. Le marché lut bientôt
fait; je fis en hâte acheter quehiues meubles pour
nou6 coucher Thérèse et moi. Je lis charrier mes
PARTIE II, LIVRE IX. 349
effets à grand'pcine et à grands frais : malgré
la glace et la neige , mon déménagement fut
fait dans deux jours ; et le quinze décembre je
rendis les clefs de l'Hermitage , après avoir payé
les gages du jardinier, ne pouvant payer mon
loyer.
Quant à madame Le Vasseur , je lui déclarai
qu'il falloit nous séparer ; sa fille voulut m ébran-
ler, je fus inflexible. Je la fis partir pour Paris
dans la voiture du messager , avec tous les effets
et meubles que sa fille et elle avoient en commun.
Je lui donnai quelque argent, je m'engageai à lui
payer son loyer cbez ses enfants ou ailleurs , à
pourvoir à sa subsistance autant qu'il me seroit
possible , et à ne jamais la laisser manquer de
pain , tant que j'en aurois moi-même.
Enfin le surlendemain de mon arrivée à Mont-
Louis , j'écrivis à madame d'Epinay la lettre sui-
vante.
A Montmorency, le 17 de'cembre lySj.
« Rien n'est si simple et si nécessaire, madame,
«que de déloger de votre maison, quand vous
« n'approuvez pas que j'y reste. Sur votre refus
« de consentir que je passasse à l'Hermitage le
« reste de l'biver , je l'ai donc quitté le (juinze dé-
" cembre. Madestinéeétoitd y entrer malgré moi
« et d'en sortir de même. Je vous remercie du sé-
« jour que vous m'avez engagé d'y faire , et je vous
« en remereierois davantage si je l'avois payé
« moins cber. Au reste, vous avez raison de me
35o LES CO^■FESSIO^S.
« trouver malheureux : personne au monde ne
« sait mieux que vous combien je dois l'être. Si
« c'est un malheur de se tromper sur le choix de
« ses amis, cen est un autre non moins cruel de
« revenir d'une erreur si douce. »
Tel est le narré fidcle de ma demeure à l'Her-
mitage ,ct des raisons qui m'en ont fait sortir. Je
n'ai pu coupercerécit,etilimportoit de le suivre
avec la plus grande exactitude , cette époque de
ma vie ayant eu sur la suite une influence qui
s'étendra jusqu'à mon dernier jour.
F1:N du NEUVIEME LIVRE.
PARTIE II, LIVRE X. 35 1
LIVRE DIXIEME.
JjA force extraordinaire qu'une effervescence
passagère ni'avoit donnée pour quitter rHermi-
tage m'abandonna sitôt que j'en fus dehors. A
peine fus-je établi dans ma nouvelle demeure, que
de vives et fréquentes attaques de mes rétentions
se compliquèrent avec l'incommodité nouvelle
d'une descente qui me tourmentoit depuis quel-
que temps , sans que je susse que c'en étoit une.
Je tombai bientôt dans les plus cruels accidents.
Le médecin Thierry, mon ancien ami , vint me
voir et m'éclaira sur mon état. Les sondes, les
bougies , les bandages , tout lappareil des infir-
mités de l'âge rassemblé autour de moi, me fit
durement sentir qu'on n'a plus le cœur jeune im-
punément, quand le corps a cessé de l'être. La
belle saison ne me rendit point mes forces , et je
passai toute l'année 1768 dans un état de langueur
qui me fit croire que je touchois à la fin de ma
carrière. J'en voyois approcher le terme avec une
sorte d'empressement. Revenu des chimères de
l'amitié, détaché de tout ce qui m'avoit fait aimer
la vie, je n'y voyois plus rien qui put me In rendre
agréable ; je n'y voyois plus que des maux et des
misères qui m'cmpêchoicnt de jouir de moi. J as-
352 LES CONFESSIONS,
pirois au moment d'être lilire et d'échapper à
mes ennemis. Mais reprenons le fil des événe-
ments.
11 paroît que ma retraite à Montmorency dé-
concerta madame d ï^pinay : vraisemblahlcment
elle ne s'y étoit pas attendue. Mon triste état, la
rigueur de la saison , 1 abandon général où je me
trouvois, tout leur fiaisoit croire , à Grimm et à
elle . qu'en me poussant à la dernière extrémité
ils me réduiroient à leur crier merci, et à m'avilir
aux dernières bassesses pour être laissé dans l'asile
dont riiouneur m'oi'donnoit de sortir. Je délogeai
si brusquement qu'ils n'eurent pas le temps de
prévenir le coup ; et il ne leur resta plus que l'op-
tion de jouer à quitte ou double , et d'achever de
me perdre, ou de tâcher de me ramener. Orinmi
prit le premier parti ; mais je crois que madame
d'Épinay eût préféré l'autre; et j'en juge par sa
réponse à ma dernière lettre, où elle radoucit
beaucoup le ton qu'elle avoit pris dans les précé-
dentes , et où elle sembloit ouvrir la porte à un
raccommodement. F^e long retard de cette ré-
ponse, qu'elle me fit attendre un mois entier , in-
dique assez lembarras ou elle se trouvoit poiu'
lui donner un tour convenable, et les délibéra-
tions dont elle la fit précéder. File ne pouvoit
s'avancer plus loin sans se commettre : mais,
après ses lettres précédentes, et après ma brus-
que sortie de sa maison , l'on ne peut qu'être
Irappé du soin (pi'elle prend dans cette battre, de
n'y pas laisser gbsscr im seul mot désobligeant.
PAHTIE II, LIVRE X. 353
■Je vais la transcrire en entier, afin (|u'on en juge.
( Liasse B , n** 23. )
A Genève, le 17 janvier 1^58.
" Je n'ai reru votre lettre du 17 décembre,
monsieur, qu'hier. On me l'a envoyée dans une
caisse remplie de différentes choses, qui a été
tout ce temps en chemin. Je ne répondrai qu'à
< l'apostille: quant à la lettre , je ne l'entends pas
« bien; et , si nous étions dans le cas de nous ex-
«pliquer, je voudrois bien mettre tout ce qui
s'est passé sur le compte d un malentendu. Je
reviens à lapostille. Vous pouvez vous rappe-
ler, monsieur, que nous étions convenus que
les gages du jardinier de l'Hermitage passe-
t roient par vos mains , pour lui mieux faire sen-
( tir qu'il dépendoit de vous, et pour vous éviter
f des scènes aussi ridicules et indécentes qu'en
« avoit fait son prédécesseur, La preuve en est
que les premiers quartiers de ses gages vous
< ont été remis, et que j'étois convenue avec
« vous , peu de jours avant mon départ, de vous
faire rembourser vos avances. Je sais que vous
en fîtes d'abord difficulté : mais ces avances,
je vous avois prié de les faire; il étoit simple
de m'acquitter; et nousen convînmes. Cahouet
m'a marqué que vous n'avez point voulu rece-
« voir cet argent. Il y a assurément du quipro-
< quo là-dedans. Je donne ordre qu'on vous le
< reporte; et je ne vois pas pourquoi vous vou-
« driez payer mon jardinier, malgré nos con-
i4- j-i
354 LES CONFESSIONS.
« ventions, et au-delà même du terme que vou>^
« avez habité l'Hermitajife. Jecomptedone, mon-
« sieur, que, vous lappelanttoutce que j'ai ilion-
<i neurde vous dire, vous ne refuserez pas dêtre
«« remboursé de 1 avance que vous avez bien voulu
<( Faire pour moi. »
Après tout ce qui s étoit passé , ne pouvant
plus prendre de confiance en madame d Épinay,
je ne voulus point renouer avec elle; je ne ré-
pondis point à cette lettre, et notre correspon-
dance finit là. Voyant mon parti pris, elle prit
le sien , et, entrant alors dans toutes les vues de
Grimm et de la coterie bolbachique, elle unit
.ses efforts mix leurs pourme couler à fond. Tan-
dis (juils travailloient à Paris, elle travailloit à
Genève. Grimm, qui dans la suite alla l'y join-
dre, acheva ce qu'elle avoit commencé. Tron-
chin , qu'ils n'eurent pas de peine à j^aj^ner, les
seconda puissamment, et tleviut le plus furieux
de mes persécuteurs, sansavoirjamais eu de moi,
non plus (|ue Grimm ,lemoîn(lresujetdeplainte.
Tous trois d'accord semèrent sourdenu-nt tlans
Genève le germe qu'on y vit éclore quatre ans
après.
Ils euriMit plus de peine à Taris , oiij'étoispliis
connu, et oii les cotiurs, moins disposés à la hai-
ne, n'en reçurent pas si aisément les impressions,
l*oiir porter leurs (oups avec plus dadresse, ils
commencèrent |)ar débiter «jue e'étoit moi (pii
les avois (juittés. (Voyez la lettre de iJeleyre,
PARTIE II, LIVRE X. 355
liasse B, n^ 3o. ) De là, feignant d'être toujours
nies amis, ils semoient adroitement leurs accu-
sations malignes , comme des plaintes de Fin-
justice de leur ami. Gela faisoit que, moins en
ji;arde, on ëtoit plus porté à les écouter et à me
blâmer. Les sourdes accusations de perfidie et
d'ingratitude se débitoient avec plus de précau-
tion, et par-là même avec plus d'effet. Je sus
qu'ils m'imputoient des noirceurs atroces , sans
jamais pouvoir apprendre en quoi ils les fai-
soient consister. Tout ce que je pus déduire de
la rumeur puldique fut qu elle se réduisoit à ces
quatre crimes capitaux : i ^ ma retraite à la cam-
pagne; ■i'^ mon amour pour madame d'Houde-
tot ; 3° refus d'accompagner à Genève madame
d'Épinay; 4° sortie de l'Hermitage. S'ils y ajou-
tèrent d'autres griefs , ils prirent leurs mesures
si justes, qu'il m'a été parfaitement impossible
d'apprendre jamais quel en étoit le sujet.
C'est donc ici (pie je crois pouvoir fixer l'éta-
blissement d'un système adopté depuis par ceux
qui disposent de moi avec un progrès et un suc-
cès si rapide , qu'il tiendroit du prodige pour qui
nesauroit pas quelle facilité tout ce qui favorise
la malignité des bommes trouve à s'établir. 11
faut tâcber d'expliquer en peu de mots ce que
cet obscur et profond système a de visible à mes
yeux.
Avec un nom déjà célèbre et connu dans toute
l'Europe , j'avois conservé la simplicité de mes
premiers goûts. Ma mortelle aversion pour tout
a3.
356 LES CONFESSIONS.
ce qui s'appcloit parti, faction, cabale, mavoit
maintenu libre , indépendant , sans autre chaîne
que les attachements de mon cœur. Seul , étran-
ger, isolé, sans appui, sans l'amille, ne tenant
quà mes principes et à mes devoirs, je suivois
avec intrépidité les routes de la droiture , ne flat-
tant , ne ménageant jamais personne aux dépens
de la justice et de la vérité. De plus, retiré de-
puis deux ans dans la solitude, sans correspon-
dance de nouvelles , sans relation des affaires du
f monde, sans être instruit ni curieux de rien, je
vivois à (juatre lieues de i'aris, aussi séparé de
cette capitale par mon incurie, que je Taurois
été par les mers dans 1 île de Tinian.
Grinim , Diderot , d Holbach , au contraire , au
centre du tour])ilIon , vivoient répantUis dans le
plus grand monde, et s'en partageoient presque
entre eux toutes les sphères. Grands, beaux es-
prits , gens de lettres, gens de robes, femmes,
ils__p^ouvoient de concert se faire écouter par-tout.
On doit voir déjà l'avantage que cette position
donne à trois hommes bien unis contre un (jua-
trième dans celb^ où je me trouvois. 11 est vrai
queDiderotetd Holbach n'étoient ]kis, du moins
je ne puis le croire , gens à tramer deux-mêmes
<lcs ( ouiplots J)ien noirs; lun n'en avoit j)as la
méchanceté: (i), ni l'autre riiabilcte ; mais c'é-
toit en cela même que la partie étoit mieux liée.
(l) J'avniic <|iu", depuis ce livre ciiit, Icnit vv. (jiie
jCnhTVtiis a Uaver.s les iiivslères ([iii m (•iiviruuiiciiL ui«
lail ciaiiulrc tic u'uvoir pas coaiiu Diderot.
PARTIE II, LIVRE X. 3^7
Grimin seul fornioit son plan dans sa tête , et n'en
nionti oit aux deux autres que ce qu ils avoient
besoin de voir pour concourir à l'exécution.
L'ascendant qu'il avoit pris sur eux rendoit ce
concours facile , et l'effet du tout répoudoit à la
supériorité de son talent.
Ce fut avec ce talent supérieur que , sentant
l'avantage qu'il pouvoit tirer de nos positions
respectives , il forma le projet de renverser ma
réputation de fond en comble , et de m'en faire
une tout opposée , sans se compromettre , en
commençant par élever autour de moi un édi-
fice de ténèbres qu'il me fut impossible de percer
pour éclairer ses manœuvres et pour le démas-
quer.
Cette entreprise étoit difficile, en ce qu'il en
falloit pallier liniquité aux yeux de ceux qui dé-
voient y concourir. Il falloit tromper les hon-
nêtes gens ; il falloit écarter de moi tout le
monde, ne pas me laisser un seul ami, ni petit
ni grand. Que dis-je ? il ne falloit pas laisser per-
cer un seul mot de vérité jusqu'à moi. Si un seul
homme généreux me fût venu dire : Vous faites
le vertueux , cependant voilà comme on vous
traite, et voilà sur quoi l'on vous juge ; qu'avez-
vous à dire? Gtimm étoit perdu: il le savoit ;
mais il a sondé son propre rcxiir, et n'a estimé
les hommes que ce quils valent. Je suis fâché,
pour l'honneur de l'humanité , qu il ait calculé
si juste.
En marchant dans ces souterrains , ses pas ,
358 LES CONFESSIONS,
pour être sûrs , dévoient être lents. Il y a dix
ans quil suit son plan , et le plus difficile reste
encore à faire : c'est d'abuser le puhlic entier. Il
y reste des yeux cpii l'ont suivi de plus près qu'il
ne pense. Il le sent , et n'ose encore exposer sa
trame au grand jour (i). Mais il a trouvé le peu
difficile moyen de faire entrer la puissance , et
cette puissance dispose de moi. Soutenu de cet
appui, il avance avec moins de risque. Les sa-
tellites de la puissance se piquant peu de droi-
ture pour l'ordinaire , et heaucoup ujoins de
franchise, il n'a plus .j;u('re à craindre lindis-
crétion de quelque homme de hien. [ Car il a
besoin sur-tout que je sois environné de ténèbres
impénétrables, et que son complot me soit tou-
jours caché , sachant bien qu'avec quelque art
qu'il en ait ourdi la trame, elle ne souiicndroit
jamais mes regards. Sa grande adresse est de
paroître me ménager en me diffamant, et de
donner encore à sa perfidie l'air de la généro-
sité. ]
Je sentis les premiers effets de ce système par
les sourdes accusations de la coterie holbachi-
que, sans qu'il me fût possible de savoir ni de
conjecturer même en (pioi consistoient ces ac-
cusations. Deleyre me disoit , dans ses lettres,
qu'on m'imputoit des noirceurs. Diderot u\c di-
(0 Depuis que ceci est écrit, il a franchi le pas avec
le plus plein et le plus inconcevable succès. Je crois que
c'esl Troiiclnn qui lui « n a flouue le courape et les moyens.
(Cette note n'est jioiiit tlaii* l«: inanuscril .iHtociMiilic )
PATITIE TI, LIVRE X. 3.^9
soit à-peii-près la même chose ; et , quand j eii-
trois en explication avec 1 un et 1 autre, tout se
réduisoit aux chefs d'accusation ci-devant notés.
Je sentois un refroidissement graduel dans les
lettres de madame d'Houdetot. Je ne pouvois
attribuer ce refroidissement à Saint-Lambert ,
qui continuoit de m'écrire avec la même amitié,
et qui me vint même voir après son retour. Je
ne pouvois non plus m'en imputer la faute ,
puisque nous nous étions séparés très contents
l'un de l'autre , et qu il ne s'étoit rien passé de
ma part depuis ce temps-là, que mon départ de
rHermitage , dont elle avoit elle-même senti la
nécessité. Ne sachant donc à quoi m'en prendre
de ce refroidissement , dont elle ne convenoit
pas , mais sur lequel mon cœur ne prenoit pas
le change , j'étois inquiet de tout. Je savois
qu'elle ménageoit extrêmement sa belle-sœur et
Grimm à cause de leurs liaisons avec Saint-Lam '
bert ; je craignois leurs œuvres. Cette agitation
rouvrit mes plaies , et rendit ma correspondance
orageuse, au point de l'en dégoûter tout-à-fait.
J'entrevoyois mille choses cruelles sans rien
voir distinctement. J'étois dans la position la
plus insupportable pour un homme dont l'ima-
gination s'allumoit aisément. Si j'eusse été tout-
à-fait isolé , si je n'avois rien su du tout, je se-
rais devenu plus tranipiille ; mais mon cœiu'
tenoit encore à des attachements par lesquels
mes ennemis avoient sur moi mille prises , et
les foibles rayons qui perçoient dans mon asile
36o LES CONFESSIONS.
ne servoient qu'à nie laisser voir la noirceur des
mystères qu on nie cachoit.
J'aurois succombé , je n'en doute point , à ce
tourment trop cruel, trop insupportable à mon
naturel ouvert et franc , qui , par linipossil^ilité
de cacher mes sentiments, me lait tout craindre
de ceux qu'on me caclie , si très heureusement
il ne se fût présenté des objets assez intéressants
à mon cœur pour faire une diversion salutaire
à ceux qui m'occupoient mal^ifré moi. Dans la
dernière visite que Diderot m'avoit faite à lller-
mita^e , il m'avoit |)arl('' de larticle Genève (pie
d Alembcrt avoit mis dans 1 Encyclopédie ; il
m'avoit appris ([ue cet article , concerté avec des
Genevois du haut étage, avoit pour but rétablis-
sement de la comédie à Genève; qu'en consé-
quence les mesures étoient prises, et (pie cet
établissement ne tarderoit pas d'avoir lieu. Com-
me Diderot paroissoit trouver tout cela fort
bien, qu il ne douloit pas du succès , et que j'a-
vois avec lui trop d'autres débats pour (lisj)nler
encore sur cet article , je ne lui dis rien ; mais,
indigné de tout ce manège de séduction dans ma
patrie, j'attendois avec impatience le volume
de IKncyclopédie ou étoit cet article, pour voir
si) n'y aur(jit ])as moyen d y faire (|M(l(|ne ré-
ponse (pii put parer ce malbeuieux ( oup. .le iv-
<^us le voliune jieu apiès mon établissenuMit ù
Mont-Louis, et je trouvai l'article fait avec beaiir
coup d'adresse et dart , et digne de la plume
dont il étoit parti. Cela ne me détourna })our-
PARTIE II, LIVRE X. 36l
lant pas de vouloir y répondre ; et , malgré ra-
battement où j'étois , maljnfré mes cliafjrins et
mes maux , la rigueur de la saison et 1 incom-
modité de ma nouvelle demeure , dans laquelle
je n'avois pas encore eu le temps de m'arranger,
je me mis à Touvrage avec un zèle qui surmonta
tout.
Pendant un hiver assez rude , au mois de fé-
vrier, et dans letat que j'ai décrit ci-devant, j'ai-
lois tous les jours passer deux heures le matin
et autant l'après-dînée dans un donjon tout ou-
vert, que j'avois au l)out du jardin où étoit mon
habitation. Ce donjon, qui terminoit une allée
en terrasse, donnoit sur la vallée et Tétang de
Montmorency, et m'offroit pour terme du point
de vue le sim])le mais respectable château de
Saint-Graticn, retraite du vertueux Gatinat. Ce
fut dans ce lieu , pour lors glacé , que , sans abri
contre le vent et la neige, et sans autre feu que
celui de mon ca^ur, je composai, dans l'espace
de trois semaines, ma Lettre à dAlembert sur
les spectacles. C'est ici le premier de mes écrits,
car la Julie n étoit pas à moitié faite, où j'aie
trouvé des charmes dans le travail. Jusqu'alors
lindignation de la vertu m'avoit tenu lieu d'A-
pollon : la tendresse et la douceur dame nj'en
tinrent lieu cette fois. Les injustices dont je n'a-
vois été que spectateur m'avoient irrité; celles
dontj'étois devenu l'objet m'attristèrent: et cette
tristesse sans fiel n'étoit que celle d'un cœur trop
aimant, trop tendre, qui, trompé par ceux (pi'il
362 LES CONFESSIONS,
avoit crus tic sa li eiiij)e , étoit force de se retirer
au-dedans de lui. IMciii de tout ce qui venoit de
iii'arriver, encore ému de tant de violents mou-
vements , le mien méloit le sentiment de ses
peines aux idées que la méditation de niou sujet
m avoit lait naître ; mon travail se sentit de ce
mélanjre. Sans m'en apercevoir, j'y décrivis ma
situation actuelle; j'y peignis Grimm, madame
d I^[)inay, madame d'Houdetot, Saint-LamUert ,
moi-même. En 1 écrivant, que je versai de déli-
cieuses larmes ! Hélas ! on y sent trop que la-
mour, cet amour latal dont je m'efforçois de
f^uérir, n'étoit pas encore sorti de mon cœur. A
tout cela se méloit un certain attendrissement
sur moi-même, qui me sentois mourant, et qui
croyois faire au public mes derniers adieux. Tioiu
de craindre la mort , je la voyois approcher avec
joie; mais javois regret de quitter mes sembla-
bles sans qu'ils sentissent tout ce que je valois,
sans qu'ils sussent combien javois mérité d'être
aimé deux , s'ils m'avoient connu davantage.
Voilà les secrètes causes du ton singulier qui
régne dans cet ouvrage, et qui tranche si prodi-
gieusement avec celui du précédent (i).
.h' rctoiuhois et mettois ;ui lu't cette Lettre,
et je me disposois à la faire imprimer, quand ,
après un long silence , j'en rvcus une de madame
d Moudetol , ([ui me plongea dans une affliction
nouvelle , la plus sensible i[UQ j eusse encore
(i) Le Discours sur rinégalité.
PxVETIE II, LIVr.E X. 363
éprouvée. Elle ni'apprenoit dans cette lettre
( liasse B , n*' 34 ) que ma passion pour elle étoit
connue dans tout Paris , que j'en avois parlé à
des gens qui l'avoient rendue publique; que ces
bruits, parvenus à son amant, avoient failli lui
coûter la vie, qu'enfin il lui rendoit justice, et
que leur paix étoit faite ; mais qu'elle lui devoit ,
ainsi qu'à elle-même et au soin de sa réputa-
tion, de rompre avec moi tout commerce, m'as-
surant au reste qu'ils ne cesseroient jamais l'un
et l'autre de s'intéresser à moi ; (|u'ils me défen-
droient dans le public, et qu'elle enverroit de
temps en temps savoir de mes nouvelles.
Et toi aussi , Diderot ! m'écriai-je. Indigne
ami!.... Je ne pus cependant me résoudre à le
juger encore. Ma foiblesse étoit connue d'autres
gens qui pouvoient l'avoir lait parler. Je vouIiîs
douter.... mais bientôt je ne le pus plus. Saint-
Lambert lit peu après un acte digne de sa géné-
rosité. Il jugeoit, connoissant assez mon ame,
en quel état je devois être , trahi d'une partie de
mes amis et délaissé des autres. Il vint me voir.
La première fois il avoit peu de temps à me
donner. Il revint. Malheureusement , ne l'atten-
dant pas, je ne me trouvai pas chez moi. Thé-
rèse, qui s'y trouva, eut avec lui un entretien
de plus de ileux heures , dans lequel ils se dirent
mutuellement beaucoup de faits dont il m'im-
portoit que lui et moi fussions informés. La sur-
prise avec laquelle j'appris par lui que personne
ne doutoit dans le inonde que je n'eusse vécu
364 LES CONFESSIONS,
avec madame d Epinay , comme Grimm y vivoit
maintenant , ne peut être égalée que ])ar celle
qu'il eut lui-même en apprenant combien ce
bruit étoit faux. Saint-Laml)ert, au grand dé-
plaisir de la dame, étoit dans le même cas que
moi , et tous les éclaircissements qui résultèrent
de cet entretien achevèrent déteindre en moi
tout regret d'avoir rompu sans retour avec elle.
Par rapport à madame dlloudetot, il tlétailla à
Thérèse plusieurs circonstances qui n'étoient
connues ni d'elle, ni même de madame d'Hou-
detot, que je savois seul, que je n'avois dites
qu'au seul Diderot sous le sceau de lamitié , et
c'étoit précisément Saint-Lambert qu'il avoit
choisi pour lui en faire la eoulidence. Ce dernier
trait me ilécida ; et, résolu de ronq:)ie avec Di-
derot pour jamais, je ne délibérai plus que sur
la manière; car je metois aperc^u que les rup-
tures secrètes tournoient à mon préjiulice, en
ce qu'elles laissoient le mascjuc de l'amitié à mes
plus dangereux ennemis.
IjCS régies de bienséance établies dans le mon-
de sur cet article semblent dictées par l'esprit
de mensonge et de trahison. Paroitrc^ encore
l'ami (liiii iiomme dont on a cessé de lêtre,
c'est se réserver des moyens de lui nuire, en sur-
prenant les lionnètes gens. Je nie rappelai que,
<[iiand liUu.stre M()nles([uieu ronqul avec le i'.de
Tournemine, il se hâta de le (h'clarrr haute-
ment, en tlisant à tout le monde, ' ÎS écoutez ni
«le V. de l'ournemine ni moi, parlant lun de
PARTIE II, LIVRE X. 365
" Tautre ; car nous avons cessé d'être amis. »
Cette conduite fut très applaudie , et tout le
inonde en loua la franchise et la générosité. Je
résolus de suivre avec Diderot la même méthode.
Mais comment , de ma retraite , puhlier cette
rupture authentiquement , et pourtant sans
scandale? Je m'avisai d'insérer, par forme de
note, dans mon ouvra^je , un passage du livre
de l'Ecclésiastique, qui déclaroit cette rupture,
et même le sujet, assez clairement pour quicon-
que étoit au fait, et ne signifioit rien pour le
reste du monde; m attachant au surplus à ne
désigner dans l'ouvrage l'ami auquel je renon-
çois qu'avec fhonncur qu'on doit toujours ren-
dre à l'amitié même éteinte. On peut voir tout
cela dans l'ouvrage même.
Il n'y a qu'heur et malheur dans ce monde, et
il semhle que tout acte de courage soit un crime
dans ladversité. Le même trait qu'on avoit ad-
miré dans Montesquieu ne m'attira que hlâme
et reproche. Sitôt que mon ouvrage fut impri-
mé, et que j'en eus des exemplaires, j'en envoyai
un à Saint-Lamhert , qui, la veille même, m'a-
voit écrit , au nom de madame d'Houdetot et au
sien , un hillet plein de la plus tendre amitié
(liasse B, n" 37). Voici la lettre qu'il m'écrivit
en me renvoyant mon exemplaire (liasse B,
n"" 38).
Eaubonne, 10 octobre 1768.
*< En vérité, monsieur , je ne puis accepter le
3G6 LES CONFESSIONS.
« présent que vous venez de me faire. A rendroit
" de votre préface où , à foccasion de Diderot ,
« vous citez un passafije de lEcclésiaste ( il se
" trompe, c'est de TEcclésiastique), le livre m est
0 tom])é des mains. Après les conversations de cet
" été, vous m'avez paru convaincu que Diderot
« étoitinnoccntdcs prétendues indiscrétions (pie
« vous lui imputiez. Il peut avoir des torts avec
«vous : je l'ignore; mais je sais bien (jiiils ne
« vousdonnentpas ledroitde luifaireune insulte
« pul)Iique. Vous n ignorez pas les persécutions
« qu'il essuie , et vous allez mêler la voix d'un an-
" cien ami aux cris de l'envie. Je vous avoue, mon-
" sieur, cpic je ne j)uis vous dissiuïuler cond)ien
" cette atrocité me révolte. Je ne vis point avec
u Diderot, mais je l'honore; et je sens vivement
« le chagrin que vous donnez à un homme à qui,
u du moins vis-à-vis de moi , vous n'avez jamais
«reproché (pi un peu de foihlesse. IMonsieur,
" nous différons trop de principes pour nous con-
« venir jamais. Ouhlicz mon existence ; cela ne
« doit pas être difficile. Je n ai jamais fait aux
« hommes ni le bien ni le mal dont on se s(Hi-
.' vient long-temps. Je vous promets , moi , mon-
'< sieur , d'oublier votre personne, et de ne me
" souvenir (pie de vos talents. »
Je ne me sentis pas moins indigné que déchiré
])ar la lecture de cette Icltre; et , dans Texcès de
ma misère, retrouvant enfin ma fierté, je lui
répondis par le billet suivant.
PARTIE II, LIVRE X. Sôy
A Montmorency, le ii octobre ijSS.
« Monsieur , en lisant votre lettre, je vous ai
« fait l'honneur d'en être surpris , et j'ai eu la bê-
«< tise d'en être ému ; mais je l'ai trouvée indigne
« de réponse.
« Je ne veux point continuer les copies de ma-
« dame d'Houdetot. S'il ne lui convient pas de
« garder ce qu'elle a , elle peut me le renvoyer ,
«je lui rendrai son'^rgent; si elle le garde, il faut
« toujours qu'elle envoie chercher le reste de son
« papier et de son argent. Je la prie de me rendre
u en même temps le prospectus dont elle est dé-
« positaire. Adieu , monsieur. »
Le courage dans linfortune irrite les cœurs lâ-
ches, mais il plaît aux cœurs généreux. Il paroît
que ce billet fit rentrer Saint-T>ambert en lui-mê-
me , et qu'il eut regret à ce quil avoit fait; mais,
trop lier à son tour pour en revenir ouvertement,
il saisit , il prépara peut-être , le moyen d'amor-
tir le coup qu il m'avoit porté. Quinze jours après,
je reçus de M. dEpinay la lettre suivante (liasse
B, ii°io. )
Ce jeudi 26.
" J'ai reçu, monsieur, le livre que vous avez eu
« la bonté de m'envoyer ; je le lis avec le plus
«' grandplaisir. C'est lesentimentquej'ai toujours
« éprouvé à la lecture de tous les ouvrages qui sont
rt sortis de votre plume. Recevez-en tous mes re-
i\ merciemcnts. J'aurois été vous les faire moi-
368 LES CONFESSIONS.
« même , si mes affaires m'eussent permis de dc-
« meurcr quelf^ue temps dans votre voisinage :
« mais j'ai \ncn peu lial)ité la Chevrette cette au-
« née. M. cl madame JJupin viennent m y deinan-
« der à dîner dimanche prochain. Je compte que
« MM. de Saint-Lambert , de Francucil , et ma-
« dame (riloudetot , seront de la partie. Vous me
« feriez un vrai plaisir, monsieur, si vous vou-
«< liez être des nôtres. Toutes les personnes que
«< j'aurai chez moi vous désirent et seront char-
« niées de partager avec moi le plaisir de passer
« avec vous ime partie de la journée. .1 ai 1 lion-
« neur d'être avec la plus parfaite considération,
« etc. >'
Cette lettre me donna d horribles battements
de cœur. Après avoir fait depuis un an la nou-
velle de Paris, l'idée de m'alI(M- donner en spec-
tacle vis-à-vis de madame d lloudetot me laisoit
trend)ler , et j'avois peine à trouver assez de cou-
rage j)our soutenir cette épreuve. Cependant ,
puisjpiclle et Saint-T.ainbert le vouloient bien ,
puis([uctl h'.})inay parloit au nom de tous les con-
viés, et qu'il n'en nommoit aucun que je ne fusse
bien aise devoir, je ne crus point , après tout , me
C()m|)r()mcttreeii acceptant un <lîué oiij étois, en
quehpie sorte, invité par tout le monde, .le |)ro-
mis donc. FiC dimanche il fit numvais. M. d l'^pi-
nay m'envoya son carrosse, et j'allai.
Mon arrivée fit sensation. ,}c n'ai jamais reçu
PARTIE II, LIVRE X. 36g
cVaccueil plus caressant. On eût dit que toute la
compagnie sentoit combien j'avois besoin d'être
rassure. 11 n'y a que les cœurs François qui con-
noissent ces sortes de délicatesses. Cependant je
trouvai plus de monde quejenem'y étois atten-
du; entre autres , le comte d'Houdetot , que je ne
connoissois point du tout , et sa sœur , m adame de
Blainville, dont je meserois bien passé. Elle étoit
venue plusieurs fois l'année précédente à Eau-
bonne ; et sa belle-sœur , dans nos promenades
solitaires, l'avoit souvent laissée s'ennuyer à gar-
der le mulet. Elle en a voit nourri contre moi un
ressentiment qu'elle satisfit durant ce dîné tout à
son aise ; car on sent assez que la présence du
comte d'Houdetot et de Saint-Lambert ne mettoit
pas les rieurs de mon côté, et qu'un homme em-
barrassédans les entretiens les plus faciles n'étoit
pas fort brillant dans celui-là. Je n'ai jamais tant
souffert , ni fait si mauvaise contenance , ni reçu
d'atteintes plus imprévues. Enfin , quand on fut
sorti de table , je m'éloignai de cette mégère ; j'eus
le plaisir de voir Saint-Lambert et madame d'Hou-
detot s'approcher de moi, et nous causâmes en-
send)le , une partie de l'après-midi, de choses in-
différentes, à la vérité , mais avec la même fami-
liarité qu'avant mon égarement. Ce procédé ne
fut pas perdu dans mon cœur , et si Saint-Lam-
bert y eût pu lire , il en eût sûrement été content.
Je puis jurer que , quoiqu'en arrivant la vue de
madame d'Houdetot m'eût donné des palpita-
'4- 24
370 LES CONFESSIONS,
lions jusqu'à la délaiJlaiice,en m'en retournant,
je ne pensai presque pas à elle ; je ne fus occupé
que de Saint-Lambert.
Mal(Tré les malins sarcasmes de madame de
Blainville, ce dîné me lit grand bien , et je me
félicitai fort de ne m'y être pas refusé. J'y recon-
nus non seulement que les intrigues de Grimni
et des Ilolbacliicns n'avoient point détaché de
inoi mes anciennes connoissaiices (i), mais, ce
qui me flatta davantage encore, que les senti-
ments dç madame d'IIoudetot et de Saint-Lam-
bert étoient moins changés que je n'avois cru;
et je conq)iis enfin (pi il y avoit plus de jalousie
que de mésestime dans l'éloigneinent où il la ic-
iioit de moi. Cela me consola et me tranquillisa.
Sûr de n'être pas un objet de mépris pour ceux
qui l'étoient de mon estime, j'en travaillai sur
mon propre cœur avec plus de courage et de
succès. Si je ne vins pas à bout d'y éteindre en-
tièrement une j)assion coupable et malheureuse ,
j'en réglai du moins si bien les restes , qu'ils ne
m'ont pas fait faire une seule faute depuis ce
lenqis-là. Les copies de madame dlloudctot,
quelle m engagea de reprendre, mes ouvrages^
que je continuai de lui envoyer quand ils parois-
soient, m'attirèrent encore de sa ])ari de temps
à autre (piel(pu\s messages et billets indillei-ents ,
mais (►bligcanls. l^llc lit nu'iue |)lus , comme on
(1) Voilà te (|tic . (liiiis la siiiipliciU' dr iiKin cnur, je
CKiyjis encore <|u.iimI j'cirivis mes llonfcssious.
(iNotf t|iii iii;iiii|U(.- iiu iii:iiiiii>cri( autt){',rupl)C.)
PARTIE II, LIVRE X. 87!
verra dans la suite ; et la conduite réciproque de
tous les trois , quand notre commerce eut cessé,
peut servir dexemple de la façon dont les hon-
nêtes gens se séparent quand il ne leur convient
plus de se voir.
Un autre avantage que me procura ce dîné fut
qu'on en parla dans Paris , et qu'il servit de ré-
futation sans répli([ue au bruit que répandoient
par-tout mes ennemis , que j'étois brouillé mor-
tellement avec tous ceux qui s'y trouvèrent, et
sur-tout avec M. d'Epinay. En quittant l'Hermi-
tage, je lui avois écrit une lettre de remercie-
înent très honnête, à laquelle il répondit non
moins honnêtement; et les attentions réciproques
ne cessèrent point , tant avec lui qu'avec M. de La
Live , son frère , c[ui même vint me voir à Mont-
morency, et m'envoya sesgravures. Hors les deux
belles-sœurs de madame d'Houdetot, je n'ai ja-
mais été mal avec personne de sa famille.
Ma Lettre à d' Alembert eut un grand succès.
Tous mes ouvrages en avoient eu, mais celui-ci
me fut plus favorable : il apprit au public à se
défier des insinuations de la coterie holbachi-
que. Quand j'allai à l'IIermitage, elle prédit,
avec sa suffisance ordinaire, que je n'y tiendrois
pas trois mois. Quand elle vit que j'y en avois
tenu vingt, et que, forcé d'en sortir, je fîxois
encore ma demeure à la campagne, elle soutint
([ue c'étoit obstination pure; que je m'ennuyois
à la mort dans ma retraite; mais que, rongé
d'orgueil , j'aimois mieux y périr victime de mon
34.
372 LES CONFESSIONS,
opiniâtreté que de m'en dédire, et de revenir à
Paris, ha Lettre à d' jd lembert respiroit une dou-
ceur dame qu'on sentit n'être point jouée. Si
j'eusse été rongée d'humeur dans ma retraite,
mon ton s'en seroit senti. Il en réjynoit dans tous
les écrits que j avois faits à Paris : il n en régnoit
plus dans le premier que j'avois fait à la campa-
gne. Pour ceux qui savent observer , cette re-
manpie étoit décisive. On vit que j'étois rentré
dans mon élément.
Cependant ce même ouvraf^e, tout plein de
douceur quil étoit, me Ht encore, par ma ba-
lourdise ou par mon malheur ordinaire, un nou-
vel ennemi parmi les rjens de lettres. ,1 avois fait
connoissance avec Marmontel chez M. de La
Poplinière, et cette connoissance s'étoit entre-
tenue chez le baron. Marmontcl faisoit alors le
Mercure de France. Gomme j'avois la fierté de
ne point envoyer mes ouvrages aux auteurs pé-
riodiques, etque je voulois cependant luienvover
le mien sans qu'il crût que cetoit à ce titre et
pour qu'il parlât de mon ouvrage , j'écrivis sur
son exemplaire que ce n'étoit pas pour l'auteur
(lu Mercure , mais pour M. Marmontcl. Je crus
lui faire un très l)eau compliment : ilcruty\(jir
ime cruelle offense, et devint mon irréconcilia-
l)lc ennemi. U écrivit contre cette même lettre
avec politesse, mais avec un Hel cjui se sent ai-
sément; et, depuis lors, il na man(jué aucune
occasion de nie nuire dans la société, et tie me
liialtraitcr indirectement dans ses ouvrages :
PARTIE II, LIVRE X. 3']3-
tant le très irritable amour-propre des gens de
lettres est difficile à ménager, et tant on doit
avoir soin de ne rien laisser dans les compli-
ments qu on leur fait qui puisse même avoir la
moindre apparence équivoque !
Devenu tranquille de tous les côtés^, je profitai
dv. loisir et de Tindépendance où je me trouvois
pour reprendre mes travaux avec plus de suite.
J'achevai cet hiver la Julie ^ ^t j^ 1 envoyai à Rey,
qui la fit imprimer Tannée suivante. Ce travail
fut cependant encore interrompu par une pe-
tite diversion , et même assez désagréable. J'ap-
pris qu'on préparoit à l'opéra une nouvelle re-
mise du Devin du r>illage. Outré de voir ces
gens-là disposer arrogamment de mon bien , je
repris le mémoire que j'avois envoyé à M. d'x\r-
genson, et qui étoit demeuré sans réponse; et,
l'ayant retouché, je le fis remettre par M. Sel-
Ion , résident de Genève, avec une lettre dont il
voulut bien se charger, à M. le comte de Saint-
Florentin , qui avoit remplacé M. d'Argenson
dans le département de l'opéra. M. de Saint-
Florentin promit une réponse, et n'en fit au-
cune. Duclos , à qui j'écrivis ce que j avois fait ,
en parla aux petits violons , qui offrirent de me
rendre, non mon opéra, mais mes entrées dont
je ncpouvois plus profiter. Voyant que je n'avois
daucun côté aucune justice à espérer , j'aban-
donnai cette affaire; et la direction de l'opéra,
sans répondre à mes raisons ni les écouter, a
continué de disposer , comme de son propre
.^yi LES CONFESSIONS,
bien , et de faire son profit du Devin du inllage,
qui très incontestablement napparticnt quà
moi seul (i).
Depuis que j'avois secoué le jourj de mes ty-
rans , je nicnois une vie assez égale et paisible :
privé du cbarme des attachements trop vils , j é-
tois libre aussi du poids de leurs chaînes. Dé-
{Tfoùté des amis protecteurs ([ui vouloient abso-
lument disposer de ma destinée , et m asservir
à leurs prétendus bienfaits malgré moi, jétois
résolu de m'en tenir désormais au\ liaisons de
simple bienveillance ,<pii, sans (;êii<>r la liberté,
font 1 agrément de la vie, et dont une mise dé-
galitéfaitle fondement. J'en avoisde cette espèce
autant (ju'il m'en falloit pour goûter les dou-
ceurs de la société, sans en souffrir la dépen-
dance; et sitôt que j eus essayé de ce genre de
vie, je sentis que c'étoit celui qui me convenoit
à mon âge , ])our finir mes jours dans le calme ,
loin de l'orage, des brouilleries et des tracasse-
ries où je venois d'être à demi submergé.
Durant mon séjour à lllcrmitage, et depuis
mon établissement à Montmorency, javois fait
à mon voisinage (piel([ues connoissances cpii
m'étoient agréables et qui ne m'assujetlissoient
à rien. A leur tête étoit le jeune Loyseau de Mau-
léon , qui, débutant alois au bair(Nni, ij^noroit
encore (pielle y se roit sa place, .le n eus pas com-
(i) Il lui apparticnldcpiiis lois |>nr un jkcokI quelle
a fait avec moi tout nonvrllenirni.
(Cette note manque au uianusciil aulojjiajiliL-. )
PARTIE II, LIVRE X. SyS
me lui ce doute : je lui marquai bientôt la car-
rière illustre qu'on le voit fournir aujourd'hui. Je
lui prédis que, s'il se rendoit sévère sur le choix
des causes, et qu'il ne fût jamais que le défen-
seur de la justice et de la vertu, son génie, élevé
par ce sentiment sublime , égaleroit celui des
plus grands orateurs. Il a suivi mon conseil, et
il en a senti Icffet. Sa défense de M. de Portes est
digne de Démosthène. Il venoit tous les ans pas-
ser les vacances à Saint-Brice, à un quart de
lieue de THermitage, dans le fief de Mauléon,
appartenant à sa mère , et où jadis avoit logé le
grand Bossuet. Voilà un fief dont une succession
de pareils maîtres rendroit la noblesse difficile
à soutenir.
J'avois , au même village de Saint-Brice , le li-
braire Guérin, homme d'esprit , lettré, aimable,
et de la haute volée dans son état. Il me fit faire
aussi connoissance avec Jean ]\<'aulme , bbraire
d'Amsterdam, son correspondant et ami, qui
dans la suite imprima \ Emile.
J'avois , plus près encore que Saint - Brice ,
M. Maltor, curé de Groslay, plus fait pour être
homme d état et ministre que curé de village ,
et à qui l'on eût donné tout au moins un dio-
cèse à gouverner , si les talents décidoient des
jdaces. Il avoit été secrétaire du comte du Luc^
et avoit connu très particulièrement Jean-Bap-
tiste Rousseau. Aussi plein d'estime pour la mé-
moire de cet illustre banni , que d'horreur pour
celle du fourbe Sauriii , il savoit sur f un et sur
376 LES CO?JFE'sSIOKS.
lautro beaucoup d'anecdotes curieuses que Se-
guy n'avoit pas mises dans la vie encore manu-
scrite du premier; et il m'assuroit que le comte
du Luc , loin d avoir eu jamais à s en plaindre ,
avoit conservé jusquà la fin de sa vie la plus
tendre amitié pour lui. M. Maltor, à qui M. de
Vintimille avoit donné cette retraite assez honne
après la mort de son patron , avoit été enq^loyé
jadis dans beaucoup d'affaires , dont il avoit ,
quoique vieux, la mémoire encore présente, et
dont il raisonnoit très bien. 8a conveisation ,
non moins instructive qu'amusante y ne sentoit
point son curé de village : il joignoit le ton d'un
homme du monde aux connoissances d'un hom-
me de cabinet. Il éloit de. tous mes voisins celui
dont la société m'étoit le plus agréable , et que
j'ai eu le plus de regret de quitter.
.ï'avois à Montmorency les Oratoriens , et
entre autres le père Berthier, professeur de Jiby-
sique , auquel, malgré quelque léger vernis de
pédanterie, je m'étois attaché par un certain air
de bonhomie que je lui trouvois. J'avpis ce-
pendant peine à concilier cette grande sinq^li-
cité avec le désir et l'art qu'il avoit de se fgurrer
par-tout, chez les grands, chez les fennnes ,
chez les dévots , chez les philosophes. 11 savt>it
se faire tout à tous. Je me plaisois l'ort avec lui ,
j'en parlois à tout le monde. Apparemnu'ut que
ce que j'en disois lui revint : il nu' renuM'(ioit un.
jour, en ricanant, de lavoii- trouve hou boni-
me. Je trouvai dans son souris je ne sais quoi
V
PARTIE II, LIVRE X. 377
de sardonique qui changea totalement sa phy-
sionomie à mes yeux , et qui m'est souvent re-
venu depuis lors dans la mémoire. Je ne peux
pas mieux comparer ce souris qu'à celui de Pa-
nur^o^e achetant les moutons de Dindenaut. No-
tre connoissance avoit commencé peu de temps
après mon arrivée à l'Hermitage , où il me venoit
voir très souvent. J'étois déjà établi à Montmo-
rency, quand il en partit pour retourner de-
meurer à Paris. Il y voyoit souvent madame Le
Yasseur. Un jour que je ne pensois à rien moins,
il m'écrivit de sa part pour m'informer que
M. Grimm lui olfroit de se charger de son en-
tretien , et pour me demander la permission de
1 accepter. J appris que cette offre consistoit en
une pension de trois cents livres , et qu elle de-
voit venir demeure à Deuil , entre la Chevrette
et Montmorency. Je ne dirai pas limpression
que fit sur moi cette nouvelle, qui auroit été
moins surprenante si Grimm avoit eu dix mille
livres de rente , ou quelque relation plus facile
à comprendre avec cette femme , et qu'on ne
m'eût pas fait un si grand crime de l'avoir ame-
née à la campagne , où cependant il lui plaisôit
maintenant de la ramener, comme si elle étoit
rajeunie depuis ce temps-là. Je compris que la
bonne vieille ne medemandoit une permission,
dont elle auroit bien pu se passer si je lavois re-
fusée, qu'afin de ne pas s'exposer àperdrece qu(^
jeluidounois de mon côté. Quoique cette chari-
té me parût très extraordinaire, elle ne me frappa
378 LES CONFESSIONS,
pas alors autant qu'elle a fait dans la suite. Mais
quand j'aurois su tout ce que j'ai pénétré depuis,
je n'en aurois pas moins donné mon consente-
ment , comme je Hs , et comme j étois obligé
de faire , à moins de renchérir sur l'offre de
M. Grimm. Depuis lors le père Berthier me {gué-
rit un peu de rimj)utation de honliomie ([ui
lui avoit j)aru si plaisante, et dont je lavois si
étourdiment char(;é.
Ce même f)ère Berthier avoit la connoissance
de deux hommes qui recherchèrent aussi la
jnienne, je ne sais pom'f|uoi ; car il y avoit as-
surément peu de rapport entic iniis jjonts et
les miens. Gétoient des enfants île Melchisédcc,
dont on ne connoissoit ni le pays, ni la faniille,
ni probablement le vrai nom. Ils étoient jansé-
nistes , et passoient pour des prêtres dé(»uisés ,
peut-être à cause de leur façon ridicule de por-
ter les rapières auxquelles ils étoient attachés.
Le mystère prodigieux qu'ils mettoicnt à toutes
leurs allures leur donnoit un air de chefs de
parti; et je n ai jamais douté qu'ils ne fissent la
gazette ecclésiastifjuc. liUn, {;ian(l , bénin, j)a-
tclin , s'appeloit M. Ferrand; l'autre , petit , tra-
pu, ricaneur, pointilleux, s'appeloit M. Minard.
Ils se traitoicnt de cousins ; ils logcoient à Taris
avec d AIcmbcrt, chez sa nourrice appelée ma-
dame Rousseau, et ils avoient pris à Montmo-
rency un petit ap|).u'tcmcut pour y passer les
étés. Ils faisoicnt leur nu''nnge cux-nu''mcs, sans
domestique et sans commissionnaire. Us avoient
PARTIE II, LIVRE X. 379
alternativement chacun sa semaine pour aller
aux provisions , faire la cuisine , et balayer la
maison. D'ailleurs ils se tenoient assez bien ;
nous mangions quelquefois les uns chez les an-
tres. Je ne sais pas pourquoi ils se soucioient de
moi; pour moi, je ne me soucidis d'eux que
parcequils jouoient aux échecs; et, pour ol)tc-
nir une pauvre petite partie , j'endurois quatre
heures d'ennui. Gomme ils se fourroient par-
tout et vouloient se mêler de tout , Thérèse les
appcloit les commères ; '^X. ce nom leur est de-
meuré à Montmorency.
Telles étoient , avec mon hôte , M. Mathas ,
qui étoit un bon homme , mes principales con-
noissances de campagne. Il m'en restoit assez à
Paris pour y vivre quand je voudrois avec agré-
ment , hors de la sphère des gens de lettres , oii
je ne comptois que le seul Duclos pour ami; car
Deleyre étoit encore trop jeune , et quoique
apvès avoir vu de près les manœuvres de la cli-
que philosophique à mon égard il s'en fût tout-
à-fait détaché, je ne pouvois encore oublier la fa-
cilité qu il avoit eue à se faire auprès de moi le
porte-voix de tous ces gens-là.
J'avois d'abord mon ancien et respectable ami ,
M. Roguin. C'étoit un ami du bon temps , que
je ne devois point à mes écrits , mais à moi-
même , et que , pour cette raison , j'ai toujours
conservé, .l'avois le bon Le ISieps , mon compa-
triote , et sa fdle , alors vivante , madame Lam-
bert. J avois un jeune Genevois, appelé Coindet,
38o LES CONFESSIO:fS.
bon garçon , ce me sem])loit , soi{jneux , offi-
cieux, zélé, mais ignorant, confiant, gourmand,
avantageux, fjui métoit venu voir dès le com-
mencement de ma demeure à 1 Ilermitage , et ,
sans autre introducteur que lui-mênje, s'étoit
bientôt établi chez moi, malgré moi. Il avoit
quelque goût pour le dessin et connoissoit les
artistes. Il me tut utile pour les estanqjes de la
Julie ; il se chargea de la direction des dessins
et des planches , et s'acquitta bien de cette com-
mission.
J'avois la maison de M. Dupin , qui, moins
l)rillante que durant les beaux jours de madame
Dupin , ne laissoit pas d'être encore , par le mé-
rite des maîtres, et par le choix des {;ens qui s'y
rassemhloicnt , une des meilleures maisons de
Paris. Gomme je ne leùravois préféré personne,
que je ne les avois quittés (pie pour vivre libre,
ils n'avoient point cessé de me voir avec amitié,
et j'étois sûr d'être en tout temps bien vqc\\\ de
madame Dupin. .le la pouvois même conq>ter
en quelque sorte pour une de mes voisincvs de
campagne, depuis (j[u ils s'étoient fait \\\\ éta-
blissement à Clichy , où j'allois quelquefois pas-
ser un jour ou deux , et où j'aurois été davan-
tage, si madame Dtqiin et madame de Chcnou-
ceaux avoient vécu de nu-illeure intcllijiiMnc.
Mais la difficulté «le se ])artager i\i\\\> la nu'ine
maison entre <leux fennnes (pii ne synq)athi-
soient pas me rendoU (liicliy tiop {;ênant. Atta-
ché à madame de Chcnonceaux d une amitié plus
PARTIE II, LIVRE X. 38l
éf^ale et plus familière, j'avois leplaisirde lavoir
plus à mon aise à Deuil , presque à ma porte , où
elle avoit loué une petite maison , et même chez
moi oii elle me venoit voir assez souvent.
J'avois madame de Gréqui qui, s étant jetée
dans la haute dévotion , avoit cessé de voir les
dAlemhert , les Marmontel , et la plupart des
gens de lettres , excepté , je crois, Tabhé Trublet,
manière alors de demi -cafard, dont elle étoit
même assez ennuyée. Pour moi, qu'elle avoit
recherché, je ne perdis ni sa bienveillance, ni
sa correspondance. Elle m'envoya des poulardes
du Mans aux étrennes , et sa partie étoit faite
pour me venir voir l'année suivante, quand uu
voyage de madame de Luxembourg croisa le
sien. [ Je lui dois ici une place à part ; elle en
aura toujours une distinguée dans nies souve-
nirs. ]
J'avois un homme qu'excepté Roguiu j'aurois
dû mettre le premier en compte , mon ancien
confrère et ami de Garrio , ci-devant secrétaire
titulaire de lambassadc d'Espagne à Venise, puis
en Suéde, où il fut par sa cour chargé des affai-
res, et enfin nommé réellement secrétaire d'am-
bassade à Paris. Il me vint surprendre à Mont-
morency lorsque je m'y attendois le moins. Il
étoit décoré d'un ordre d'Espagne, dont j ai ou-
blié le nom, avec une belle croix en pierreries.
Il avoit été obligé dans ses preuves d'ajouter une
lettre à son nom de Carrio, et portoit celui de
chevalier de Garrion. Je le trouvai toujours le
382 LES CONFESSIONS.
même , cest-à-tHre le même excellent cœur, l'es-
prit de joui en jour plus ainiahle. J'aurois repris
avec lui la même intimité quauparavant , si
Coindet , s interposant entre nous à son ordi-
naire , n'eût profité de mon éloignement pour
sinsinuer à ma place et en mon nom dans sa
conliance, et me supplanter à iorce de zèle à
me servir.
La mémoire de Carrion me rappelle celle d un
de mes voisins de campagne , dont j aurois d au-
tant j)lus de tort île ne pas parler, (jue j en ai à
confesser un bien inexcusable et bien choquant
envers lui. G'étoit 1 honnête M. Le Blond, qui
m avoit rendu service à Venise , et qui , étant
venu laire un voyage en France avec sa famille,
avoit loué une maison de campa(jne à la Briche,
non loin de Montmorency (i). .Sitôt (]ue j'appris
qu il étoit mon voisin , j en fus dans la joie de
mon cœur, et me fis encore plus une fête qu'un
devoir d'aller lui rendre visite. Je partis pour
cela dès le lendemain. Je fus rencontré par des
gens (pii me venoient voir moi-même, et avec
lesquels il fallut retourner. Deux jours après je
pars encore; il avoit dîné à Paris avec toute sa
famille. Une troisième fois il étoit chez lui : j'en-
tendis des voix de lèmmes, je vis un carrosse à
la porte ; cela me lit peur, ,5e voulois du moins,
(i) ()iian(l jV'crivois (■(•(• i . jilciii de mon ancienne et
aven;;le ((inriMncc, j'étois Mcn loin de souptonnor le vrai
uiutif et 1 elTel <le ce V()ya{;(' (Ie-l\iris.
(Cette note DiMiiqnc (lans le innnusciit autographe.)
PARTIE II, LIVRE X. 383
pour la première fois , le voir à mon aise et cau-
ser avec lui de nos anciennes liaisons. Enfin , je
remis si b'icn ma visite de jour à autre, que la
honte de remplir si tard un pareil devoir fit
que je ne le remplis point du tout : après avoir
osé tant attendre, je n'osai plus me montrer.
Cette néfjligence , dont M. Le Blond ne put
qu'être justement indigné , donna vis-à-vis de
lui l'air de l'ingratitude à ma paresse ; et cepen-
dant je sentois mon cœur si peu coupable , que
si j'avois pu faire à M. Le Blond quelque vrai
plaisir, j'étois sur qu'il ne m'auroit pas trouvé
paresseux. Mais 1 indolence, la négligence , et les
délais dans les petits devoirs à remplir, m'ont
fait plus de tort que de plus grands vices. Mes
pires fautes ont été d'omission : j'ai rarement
fait ce qu'il ne falloit pas faire, et malheureu-
sement j'ai fait plus rarement encore ce qu'il
falloit.
Puisque me voilà revenu à mes connoissances
de Venise, je n'en dois pas oublier une qui s'y
rapporte, et que je n'avois interrompue, ainsi
que les autres, que depuis beaucoup moins de
temps. C'est celle de M. de Jonville, qui avoit
continué, depuis son retour deGônes,àme faire
beaucoup d amitiés. 11 aimoit fort à me voir et à
causer avec moi des affaires d Italie et des folies
de M. de Montaigu , dont il savoit de son côté
})icn des traits par les bureaux des affaires étran-
gères, dans lcs{juels il avoit beaucoup de liai-
iions. J'eus le plaisir aussi de revoir chez lui mon
384 LES CONFESSIONS,
ancien camarade Dupont , qui avoit acheté une
charge dans sa province, et dont les affaires le
ramenoient quelquefois à Paris. M. de Jonville
devint peu-à-peu si empressé de m'avoir, quil
en étoit même gênant; et, quoique nous logeas-
sions dans des quartiers fort éloignés, il y avoit
du bruit entre nous quand je passois une se-
maine entière sans aller dîner chez lui. Quand
il alloit à Jonville, il m'y vouloit toujours em-
mener ; mais, y étant une fois allé passer huit
jours qui me parurent fort longs, je n y voulus
plus retourner. M. de Jonville étoit assurément
un honnête et galant homme , aimable même à
certains égards; mais il avoit peu desprit: il
étoit beau, tant soit jieu narcisse, et passable-
ment ennuyeux. Il avoit un recueil singulier, et
peut-être uni(jue au monde, dont il s'occupoit
beaucoup, et dont il occupoit aussi ses hôtes,
qui quelquefois s'en amusoient moins que lui.
Cétoit une collection très conqilête de tous les
vaudevilles de la cour et de l'aiis depuis plus de
cinquante ans, où Ton trouvoit beaucoup d a-
necdotes qu'on auroit peut-être clicrchées inu-
tilement ailleurs. Voilà des mémoires pour l'his-
toire de France, dont on ne saviseroit jamais
che/- toute autre nation.
Un jour, au fort de notre meiileuri- intelli-
gence, il me fit un accueil si froid, si {;laçant , si
j)eu dans son ton ordinaire , ([u'après lui avoir
donné occasion de se.\pli(juer , et même len
avoir prié, je >ortis de chez lui avec la résolu-
PARTIE II, LIVRE X. ^85
lion, que j'ai ternie, de n'y plus remettre les
pieds; car on ne me revoit guère où j'ai été une
fois mal reçu, et il n'y avoit point ici de Diderot
qui plaidât pour M. de Jonville. Je cherchai vai-
nement dans ma tête quel tort je pouvois avoir
avec lui : je ne trouvai rien. J'étois sûr de n'avoir
jamais parlé de lui ni des siens que de la façon
la plus honorable; car je lui étois sincèrement
attaché ; et, outre que je n'en avois que du bien
à dire, ma plus inviolable maxime a toujours
été de ne parier jamais qu'avec honneur des
maisons que je fréquentois.*
Enfin , à force de ruminei-, voici ce que je con-
jecturai. La dernière fois que nous nous étions
vus, il m'avoit donné à souper chez des filles de
sa connoissance , avec deux ou trois commis des
affaires étrangères, gens très aimables, et qui
n'avoient point du tout l'air ni le ton libertin •
et je puis jurer que de mon côté la soirée se
passa à méditer assez tristement sur le malheu-
reux sort de ces créatures. Je ne payai pas mon
écot , parceque M. de Jonville nous donnoit à
souper; et je ne donnai rien à ces filles, parceque
je ne leur fis point gagner, comme à la Padoa-
na, le paiement que j'aurois pu leur offrir. Nous
sortîmes tous assez gais et de très bonne intelli-
gence. Sans être retourné chez ces filles, j allai
trois ou quatre jo#t's après, dîner chez M. de
Jonville, que je n'avois pas revu depuis lors , et
qui me fit l'accueil que j'ai dit. IN'en pouvant
imaginer d'autre cause que quelque malentendu
i4- aS
3S6 LES CO^'FESSIONS.
relatif à ce souper, et voyant ({uil ne vouloit
pas s'expliquer, je pris mon parti et cessai de le
voir; mais je continuai tle lui envoyer mes ou-
vrages : il me lit faire souvent des compliments ;
et, l'ayant un jour rencontré au chauffoir de la
comédie, il me fit, sur ce que je nallois plus le
voir, des reproches ol)li(jeants , qui ne m y ra-
menèrent pas. Ainsi cette affaire avoit plutôt
l'air d'une bouderie que d une hrouillerie. Tou-
tefois, ne l'ayant pas revu et n avant plus oui
parler de lui depuis lors , il eut été troj) lai d
pour y retourner au bout d'une interru))tion de
plusieurs années. Voilà pourquoi M. de .lonville
n'entre point ici dans ma liste, (pioi(pie j'eusse
assez long-temps fréquenté sa maison.
Je n'enflerai point la même liste de beaucoup
d'autres connoissanccs moins familières, ou qui,
par mon absence , avoient cessé de lètre, et cpie
je ne laissois pas de voir (|uel(|uefois en cam-
pagne, tant chez moi qu'à mon voisinage ; telles
par exenq)lc que les abbés de Condillac, de Ma-
bly, MM. de Mairan , de La Live, de IJoisgelou,
Vatelet, Ancelet , et d'autres, qu'il seroit trop
long de nommer. Je passerai légèrement aussi
sur celle de M. de Marjicncy, gcntillioninu- ordi-
naire du roi, ancien membre de la eoteiie bol-
bachicpie, qu'il avoit quittée ainsi (pie moi, et
ancien ami de madame dEfUliay, dont il sétoit
dé(acbé ainsi ((ue moi; ni siu' celle de son ami
Desmaliis, auteur célèbre, mais éphémère, de
lil comédie du 1 Impertinent. Le premier ùtoit,
PARTIE II, LIVRE X. 387
mon voisin de campagne, sa terre de Margency
étant près de Montmorency. Nous étions d'an^
ciennes connoissances ; mais le voisinage et une
certaine conformité d'expérience nous rappro-
chèrent davantage. Le second mourut peu après.
Il avoit du mérite et de l'esprit : mais il étoit un
peu l'original de sa comédie , un peu fat auprès
des femmes , et n'en fut pas extrêmement re-
gretté.
Mais je ne puis omettre une correspondance
nouvelle de ce temps-là, qui a trop influé sur le
reste de ma vie pour que je néglige d'en mar-
quer le commencement. Il s'agit de M. de La-
moignon de Malesherbes, premier président de
la cour des aides, chargé pour lors de la librai-
rie , qu'il gouvernoit avec autant de lumières
que de douceur, et à la grande satisfaction des
gens de lettres. Je ne l'avois pas été voir à Paris
une seule fois; cependant j'avois toujours éprou-
vé de sa part les facilités les plus obligeantes,
quant à la censure , et je savois qu'en plus d'une
occasion il avoit fort mal mené ceux ipii écri-
voient contre moi. J eus de nouvelles preuves
de *ses bontés au sujet de l'impression de la Ju-
lie; car les épreuves d'un si grand ouvrage étoient
fort coûteuses à faire venir d'Amsterdam jîar la
poste ; il permit , ayant ses ports francs , qu elles
lui fussent adressées , et il me les envoyoit fran-
ches aussi sous le contre seing de M. le chance-
lier son père. Quand l'ouvrage fut inqirimé, il
n'eu permit le débit dans le royaume qu en suit«
25.
388 LES CONFESSIONS,
d'une édition <|u il en fit faire à mon profit , mal-
gré moi-même : eonime ce profit eût été de ma
part un vol fait à Rey, à qui j'avois vendu mon
manuscrit , non seulement je ne voulus point
accepter le présent qui m'étoit destiné pour cela,
sans son aveu , qu'il accorda très généreusement ,
mais je voulus parta^jer avec lui les cent pistoles
à quoi monta ce présent, et dont il ne voulut
rien. Pour ces cent pistoles, j'eus le désagrément,
dont M. de Malcslierbcs ne m'avoit point pré-
venu , de voir horril)lement mutiler mon ou-
vrage, et empêcher le débit de la bonne édition
jusqu'à ce que la mauvaise fût écoulée.
J'ai toujours regardé M. de Malesherbcs com-
me un homme d'une droiture à toute épreuve.
Jamais rien de ce qui m'est arrivé ne m'a fait dou-
ter un moment de sa probité ; mais , aussi foible
qu'honnête , il nuit quelquefois aux gens pour
lesquels il s'intéresse, à force de les vouloir prt^
server. Non seulement il fit retrancher plus de
cent pages dans l'édition de Paris, mai^ il fit un
retranchement , qui pouvoit porter le nom d in-
fidélité, dans Texinplaire de la bonne édition,
qu'il envoya à madame dePompadour. 11 est dit,
quehpu' part dans cet ouvrage, que la femme
d'un charbonnier est plus digne de respect (juc
la maîtresse d'un prince. Cette phrase m'étoit
venue dans la chaleur de la composition , sans
aucune application , je le jure. En relisant l'ou-
vrage, je vis qu ou feroil celle appliealion. Ce-
pendant, par la très imprudente maxime de ne
PARTIE II, LIVRE X. ISg
rien ôter , paréjjard aux applications qu'on pou-
voit faire , quand j'avois dans ma conscience le
témoignage de ne les avoir pas faites en écrivant,
je ne voulus point ôter cette phrase , et je me con-
tentai de substituer le mot prince au mot roi ,
<{uc j'avois d'abord mis. Cet adoucissement ne
parut pas suffisant à M. de Malesherbes : il re-
trancha la phrase entière dans un carton qu'il
fit imprimer exprès , et coller aussi proprement
qu'il fut possible dans l'exemplaire de madame
de Pompadour. Elle n'ignora pas ce tour de
passe-passe. Il se trouva de bonnes âmes qui l'en
instruisirent. Pour moi , je ne l'appris que long-
temps après , lorsque je commencois d'en sentir
les suites.
N'est-ce point encore ici la première origine de
la haine ouverte, mais implacable, d'une autre
dame , qui étoit dans un cas pareil , sans que j'en
susse rien , ni même que je la connusse quand j'é-
crivis ce passage ? Quand le livre se publia , la
connoissance étoit faite, et j'étois très inquiet.
Je le dis au chevalier de Lorenzy , qui se mo-
qua de moi , et m'assura que cette dame en étoit
si peu offensée qu'elle n'y avoit pas même fait
attention. Je le crus , un peu légèrement peut-
être, et je me tranquillisai fort mal-à-propos.
Je reçus , à l'entrée de lliiver , une nouvelle
marque des bontés de M. de Malesherbes à la-
quelle je fus fort sensible, quoique je ne jugeasse
pas à propos d'en profiter. Il y avoit une place va-
cante dans le journal des savants. Margency m'é-
3go LES CONFESSIONS.
crivit pour me la proposer comme de lui-même.
Mais il me fut aisé de comprendre , parle tour de
sa lettre (liasse G, n° 33), quil étoit instruit et
autorisé; et lui-même me mni(|ua dans la suite
( liasse C,n" 47 ) qu ilavoitété cliarf^é de me taire
cette offre. T.e travail de cette place étoit peu de
chose. Il ne s'ajjissoit que de deux extraits par
mois dont on m apporteroit les livres . sans être
obligé jamais à aucun vovaj;ede Paris, pas même
pour faire au magistrat une visite de remercie-
ment. .Ventrois par-là dans une société de rrcns
de lettres du premier mérite, MM. de Mairan,
Clairaut , de Ouip,nes , et I abhé Rarthclemi, dont
la connoissance étoit déjà faite avec les deux pre-
miers, et très bonne à faire avec les deux autres.
Enfin, pour un travail si peu pénible, et qu'on
me permettoit de faire si commodément, il y
avoit un honoraire de huit cents francs attaché.s
à cette place. Je délibérai (pi(>l(jues heures avant
de me déterminer, et je puis juicr que la seule
chose qui nie fitbalancerfut la crainte de fâcher
Marfjency, et de déplaire à M. de Maleshcrbes.
Mais enfin la f;êne insupportable de ne pouvoir
travailler à mon heure et d'être commande par le
temps, bien plus encore, la certitude de mal
renq)lir les fonctions dont il falloit me cbar};er,
1 enq>ortêrent sur tout , «t nu^ déterminènMit à
refuser une place pour larpu^Ile je n ('lois pas
propre. Je savois <|U(' tout mou talent veuoit du
vif intérêt que je pr<M)ois aux matières qu(î j a-
vois à traiter, <'t (|u il n v avoit (|ue lamour du
PARTIE II, LIVRE X. 3(J I
fjrand, du vrai , du beau, qui pût animer mon
jDfénie. Et que ni'ayroicnt importé les sujets de Ja
plupart des livres que j'aurois à extraire, et les
livres mêmes? Mon indifférenee pour la ehosc
eût glacé ma plume et abruti mon esprit. On
s'ima{>inoit que je pouvois éerire |>ar métier,
comme tous les autres gens de lettres , au lieu
que je ne sus jamais écrire que par passion. Ce
n'étoit assurément pas là ce quil falloit au jour-
nal des savants. J'écrivis donc à Margency une
lettre de remerciement, tournée avectoute Tlion-
nêteté possible , dans laquelle je lui lis si bien le
détail de mes raisons , qu'il n'est pas possible que
ni lui , ni M. deMalesberbes , aient pu croire qu'il
entrât ni humeur ni or(iucil dans mon refus. Aussi
1 approuvèrent-ils 1 un et l'autre, sans m'en faire
moins bon visage ; et le secret fut si bien gardé
sur cette affaire, que le public n'en a jamais eu
le moindre vent.
Cette proposition ne venoit pas dans un mo-
ment favorable pour me la faire agréer. Car, de-
puis quelque temps , je formols le projet de quit-
ter tout-à-fait la littérature , et sur-tout le métier
d'auteur. Tout ce qui venoit de m'arriver m'avoit
absolument dégoûté des gens de lettres, etj'avois
épiouvé qu'il étoit impossible de courir la môme
carrière sans avoir quelques liaisons avec eux. Je
ne l'étois guère moins des getis du monde , et en
général de la vie mixte que je venois de mener,
moitié à moi-même , et moitié à des sociétés pour
Icsquellcsje n'étois point fait. Je sentois plus que
3y3 LES CONFESSIONS,
jamais, et par une constante expérience, que
toute association inégale est toujours désavan-
tageuse au côtéfoihle. Vivant avec des gens opu-
lents, et dun autre état que celui (jue j avois
choisi, sans tenir maison comme eux, j étois
obligé de les imiter en bien des choses ;et de me-
nues dépenses, <[ui nétoicnt rien pour eux ,
étoient pour moi non moins ruineuses (juindis-
pensalîles, Quun autre homme aille dans une
maison de campagne, il est servi par son la-
<piais , tant à tahie (jue dans sa chand)rc : il en-
voie chercher tout cv dont il a hesoin ; n ayant
rien à faire directement avec les gens de la mai-
son , ne les voyant même pas, il ne leur donne
des étrcnnes <pie quand et comme il lui plaît :
mais moi , seul , sans domestitiue , j ctois à la
merci de ceux de la maison , dont il falloit néces-
sjairement capter les honnes grâces, pour n avoir
j»as beaucoup à souflrir ; et , traité connue 1 é{;al
de leur maître , il en falloit aussi traiter les gens
comme tel, [et même faire pour eux j)lus rju un
autre, parcequ en eflét jeu avois bien plus be-
soin. ] Passe encore quand il y a peu de domes-
tiques; mais , dans les maisonsoii j allois,il y en
a\oit beaucoup, tous très rogu(\s , irès fripons ,
très alertes , j (miUmkIs |)our leurs intérêts ; et les
coquins savoieni (aiic m sorte (pie ja\(>is suc-
cessivement besoin «le tous. Les lémmes de l'aris,
qui ont tant (resj)rit, n Ont aucune idte piste sur
let article; «U, a force de Nouloii" économiser ma
bourse, elles me ruinoient. Si jesoupois eu ville,
PARTIE II, LIVRE X. SqS
un peu loin de chez moi , au lieu de souffrir
que j'envoyasse chercher un fiacre , la dame de
la maison faisoit mettre des chevaux pour me
remmener j elle étoit fort aise de m'épargner les
vingt-quatre sous du fiacre ; quant à Fécu que je
donnois au laquais et au cocher, elle n'y son-
geoit pas. Une femme m'ccrivoit-elle de Paris à
rHermitage ou à Montmorency ; ayant regret
aux quatre sous de port que sa lettre m'auroit
coûté , elle me Tenvoy.oit par un de ses gens ,
qui arrivoit tout en nage , et à qui je donnois à
dîner et un écu qu'il avoit assurément bien ga-
gné. Me proposoit-elle d'aller passer huit ou
quinze jours avec elle à sa campagne, elle se di-
soit en elle-même : ce sera toujours une écono-
mie pour ce pauvre garçon ; pendant ce temps-
là , sa nourriture ne lui coûtera rien. Elle ne
songeoit pas qu'aussi , durant ce temps-là , je ne
travaillois point ; que mon ménage n en alloit
pas moins ; que je payois mon barbier à double,
et qu'il ne laissoit pas de m'en coûter chez elle
bien plus qu'il ne m'en auroit coûté chez moi.
[ Quoique je bornasse mes petites largesses aux
seules maisons où je vivois d'habitude , elles ne
laissoient pas de métré ruineuses : ] je ])uis as-
surer que j ai bien versé vingt-cinq écus chez ma-
dame dlloudetot àEaubonne, où je n'ai couche
que quatre ou cinq fois , et plus de cent pistoles,
tant à Kpinay qu à la Chevrette, pendantles cinq
ou six ans que j'y fus le plus assidu. Ces dépen-
se^ sont inévitables pour un homme de mon hu-
394 LES CONFESSIONS,
meur, qui ne sait se pourvoir de rien , ni s'in^jé-
niersur rien, ni supporter 1 aspeetcl'un valet ([ui
(yroj'pie, et ({ui vous sert en reelii^nant. Chez
madame Dupin même , où j etois de la maison,
et où je rendois mille serviees aux domestiques,
je n'ai jamais reeu les leurs qu'à la pointe de
mon ar^jent. Il a fallu renoncer enKn à ces pe-
tites libéralités que ma situation ne ma plus
permis de faire ; et cette réforme m'a fait sentir
Jiicn plus durement entore l'inconvéuieut de
fré<{urnter des (|ens d'un autre état (|ue le sien.
Encore si cette vie eût été de mon {joùt , je me
serois consolé d'une dépense onéreuse consacrée
à mes plaisirs : mais se ruiner ])our s'ennuyer
étoit trop insupj)orlal)le ; et j'avois si bien senti
le poids de ce train dévie, (jue, prf)litant de lin-
tervalle de liberté où je me trouvois pour lors,
j'étois déterminé à le perpétuer, à renoncer to-
talement à la jurande société, à la conq)osition
des livres, à tout commerce de littérature , et à
me renfermer pour le reste de mes jours dans la
sphère étroite et paisible pour hupielle je me
sentois ne.
Le produit de la Lettre à (T Aletnbert et de la
Nouvelle Héloïse avoit un peu remonte'' mes
finances (jui s'étoient fort épuisées à illeimi-
tnf;e. .le nu' voyois environ mille écus devant
moi. \a Emile ^ aucpiel je m'étois mis tout de bon
quand j'eus achevé \ Héloïse ^ étoit fort avancé;
et son produit devoit au moins doubler cette
somme. .le formai le projet de placer ce fonds
l'ARTIE n, LIVRE X. 39^
tic inanière à me faire une petite rente viagère
qui pût, avec ma copie, me faire subsister sans
plus écrire. J'avois encore deux ouvrages sur le
cîianticr. Le premier étoit mes Institutions po-
litiques. J'examinai l'état de ce livre , et je trou-
vai qu'il deinaudoit encore plusieurs années de
travail. Je n'eus pas le courage de poursuivre et
d'attendre qu'il fût achevé pour exécuter ma ré-
solution. Ainsi, renonçant à cet ouvrage, je
résolus d'en tirer ce qui pouvoit se détacher,
puis de brûler tout le reste; et, poussant ce tra-
vail avec zèle , sans interrompre celui de \ Emile y
je mis , en moins de deux ans , la dernière main
au Contrat Social.
Restoit le Dictionnaire de musique. C étoit un
travail de manrruvre qui pouvoit se faire en tout
temps, et qui n'avoit pour objet qu'un produit
pécuniaire. Je me réservai de l'abandonner ou
de l'achever à mon aise, selon que mes autres
ressources rassemblées me rcndroient celle-là
nécessaire ou superflue. A l'égard de la Morale
^e/2«V^V<?, dont l'entreprise étoit rcstéeen esquisse,
je l'abandonnai totalement.
Gomme j'a vois en dernier projet , si je pouvois
me passer de la copie, celui de m'éloigner tout-
à-fait de Paris , où l'affluence des survenants rcn-
doitmasubsistance coûteuse, et m'ùtoit letenips
d'y pourvoir ; pour prévenir dans ma retraite
l'ennui dans lequel on dit que tombe un auteur
quand il a quitté la plume, je me réscrvois une
occupation cpii pût remplir le vide de ma soli-
396 LES CONFESSIONS,
tilde, sans me tenter de plus rien faire imprimer
de mon vivant. Je ne sais par quelle fantaisie
Rey me pressoit depuis lono-tenips d'écrire les
mémoires de ma vie. Quoi(pi ils ne lussent pas
jusqu'alors fort intéressants par les faits, je sen-
tis qu ils pouvoient le devenir par la franchise
que j etois capable d'y mettre; et je résolus d'en
faire un ouvrage unique par une véracité sans
exemple , afin qu'au moins une fois on put voir
réellement un homme tel qu'il étoit en dedans.
J avois toujours ri de la fausse naïveté de Montai-
gne, qui , faisant semblant d'avouer ses défauts,
a grand soin de ne s'en donner (jue d'aimables;
tandis (pie je sentois, moi, (pii me suis cru tou-
jours, et qui me crois encore, à tout prendre, le
meilleur des hommes, qu'il n'y a point d'inté-
rieur humain , si pur qu'il puisse être , qui ne
recèle quelque vice odieux. Je savois qu'on me
peignoit dans le publie sous des traits si peu sem-
blables aux miens, et. quelquefois si difformes,
que , malgré le mal, dont je ne voulois rien
taire, je ne pouvois que gagner encore à me
montrer tel que j'étois. D'ailleurs, cela ne se
pouvant faire sans laisser voir aussi d'autres gens
tels <[u ils étoient, et par eonséipient cet ouvrage
ne ]>()iivant paroitre qu aj)rès ma mort et celle
de beaucoup d autres, cela m enhardissoit da-
vantage à faire nu\s confessions , dont jamais je
ii'aurois à roii{;ir «levant j)crsf)nn(\ ,]c. résolus
donc de consacrer mes loisirs à bien exécuter
cette entreprise; et je me mis à recueillir les let-
PARTIE II, LIVRE X. Sgj
très et papiers qui pouvoient guider ou réveiller
ma mémoire , regrettant fort tout ce que j avois
déchiré , brûlé , perdu jusqu'alors.
Ce projet de retraite absolue , un des plus sen-
sés que j'eusse jamais faits , étoit fortement em-
preint dans mon esprit; et déjà je travaillois à
son exécution , quand le ciel , qui me pi^éparoit
une autre destinée , me jeta dans un nouveau
tourbillon.
Montmorency, cet ancien et beau patrimoine
de l'illustre maison de ce nom , ne lui appartient
plus depuis la confiscation : il a passé, par la
sœur du duc Henri , dans la maison de Gondé,
qui a changé le nom de Montmorency en celui
d'Enguien ; et ce duché n'a d'autre château qu'une
vieille tour, où Ton tient les archives , et où se
fait l'hommage des vassaux. Mais on voitàMont-
morency ou Enguien une maison particulière ,
bâtie par Croisât , dit \e pauvre , laquelle , ayant
la magnificence des plus superbes châteaux , en
mérite et en porte le nom. L'aspect imposant de
ce bel édifice, la terrasse sur laquelle il est bâti,
sa vue , unique peut-être au monde , son vaste
salon peint d'une excellente main, son jardin
planté par le célèbre Le Nostre, tout cela forme
un tout dont la majesté frappante a pourtant je
ne sais quoi de simple qui soutient et nourrit
l'admiration. M. le maréchal -duc de Luxem-
bourg, qui occupoit alors cette maison, venoit
tous les ans dans ce pays, où jadis ses pères
étoient les maîtres, passer, en deux fois, cin<j
398 LES CONFESSIONS.
OU six semaines comme simple habitant , mais
avec un éclat (|ui ne déjïénéroit point de Tan-
cienne splendeur de sa maison. Au premier
voyaj^e qu'il y fit, depuis mon établissement à
Montmorency, M, et madame la maréchale en-
voyèrent un valet-de-<bambre me faire compli-
ment de leur part, et m inviter à souper chez
eux toutes les fois que cela me feroit plaisir. A
chaque fois qu ils revinrent , ils ne manquèrent
point de réitérer le même compliment et la
même invitation. Cela me raj)p( loit madame
de Beuzenval m'envoyant din( r à 1 ofHcc. I^es
temps étoient chanp,és, mais j étois demeuré le
même. .le ne voulois point qu on m'envoyât dî-
ner à l'office, et je me souciois peu de la table des
grands. J'aurois mieux aimé (pi'ils me laissas-
sent pour ce que j'étois, sans me fêter et sans
m'avilir. Je répondis honnêtement et respec-
tueusement aux politesses de M. et madame de
Luxembourg; mais je n'acceptai point leuis ol-
frcs; et, tant mes incommodités (|ue mon liii-
meur timide et mon end^arras a parlei- me fai-
sant frémir à la seule idée de me présenter dans
une assemblée de gens de la cour, je n'allai j)as
même au château faire une visite de remercie-
ment, <pioi([ue je comprisse assez (jue cctoit ce
quOii «lierchoit, et que tout cet empressement
éloit plutôt une affaire de curiosité (pie de bien-
veillance.
Cependant les avances continuèrent , et allè-
rent même eu augnicutaut. ^ladauie la comtesse
PARTIE II, LIVRE X. Sqq
de Boufflei S , qui étoit fort liée avec madame la
maréchale , étant venue à Montmorency , en-
voya savoir de mes nouvelles et me proposer de
me venir voir. Je répondis comme je devois ,
mais je ne démarrai point. Au voyage de pâques
de l'année suivante i ySg , le chevalier de Loren-
zy , qui étoit de la cour de M. le prince de Conti
et de la société de madame de Luxemhourg ,
vint me voir plusieurs fois; nous fîmes connois-
sance : il me pressa d'aller au château , je n'en
fis rien. Enfin , un après-midi que je ne songeois
à rien moins , je vis arriver M. le maréchal de Lu-
xemhourg suivi de cinq ou six personnes. Pour
lors il n y eut plus moyen de m'en dédire , et je
ne pus éviter, sous peine détre un arrogant et
un mal appris , de lui rendre sa visite et d'aller
faire ma cour à madame la maréchale , de -la
part de laquelle il m'avoit comblé des choses les
plus obligeantes. Ainsi commencèrent , sous de
funestes auspices , des liaisons dont je ne pus
plus long-temps me défendre, mais qu'un pres-
sentiment secret me fit redouter jusqu'à ce que
j'y fusse engagé.
Je craignois excessivement madame de Lu-
xembourg. Je savois qu'elle étoit aimable. Je
l'avois vue plusieurs fois au spectacle et chez
madame Dupin , il y avoit dix ou douze ans ,
lorsqu'elle étoit duchesse de Boufflers et qu'elle
brilloit encore de sa première beauté. Mais elle
passoit pour méchante, et dans une aussi giande
dame cette réputation me faisoit trembler. A
4oO LES CONFESSIONS,
peine Teus-je vue , que je fus subjugué. Je la
trouvai charmante , de ce charme à 1 épreuve du
temps, le phis fait pour a(;ir sur mon cour, .le
m attendois à lui trouver un entretien mordant
et plein d'cpigrammes. Ce n'étoit point cela ;
c'étoit heaucoup mieux. La conversation de ma-
dame de Luxembourg^ ne pétille pas d'esprit. Ce
ne sont pas des saillies , et ce n'est pas mênie
proprement de la finesse ; mais c'est une délica-
tesse exquise qui ne frappe jamais et <jui plaît
toujours. Ses Hatteries sont dautant |)lus eni-
vrantes qu'elles sont plus simples ; on diroit
qu'elles lui échappent sans qu'elle y pense , et
que c'est son cciur qui s'épanche, uniquement
parce(pi il est trop renq>ii. Je crus m apercevoir,
dès la première visite, que, malgré mon air
gauche et mes lourdes phrases , je ne lui déplai-
sois pas. Toutes les femmes de la cour savent
vous persuader cela (piand elles veulent, vrai ou
non ; mais toutes ne savent pas , comme nuidame
de Tjuxemhoiufj , vous rendre cette persuasion
si douce ([u on ne s'avise j)lus d'en vouloir tlou-
ter. Dès le premier jour, ma conliance en elle
eût été aussi entière cpi tlle ne tarda pas dv le
devenir, si madame la duchesse <le INlontmo-
rency, sa helle-Hlle , jeune folle, assez mali{^;ne,
et, je pense, un peu tracassière, ne se fût avisée
de m entreprendre; et , tout au travers de force
élofjes de sa maman et «le feintes nj^aceries pour
son propre eomj)te, ne meut mis en doute si je
n'étois pas persillé.
PARTIE II, LIVRE X. 4^1
•Je me serois peut-être difficilement rassuré
sur cette crainte près des deux dames , si les ex-
trêmes bontés de M. le maréchal ne m'eussent
confirmé que les leurs étoient sérieuses. Rien de
plus surprenant, vu mon caractère timide, que
la promptitude avec laquelle je le pris au mot
sur le pied d'égalité où il voulut se mettre avec
mo?" ^si ce n'est peut-être celle avec laquelle il me
pr't iiu mot lui-même sur Tindépendance abso-
is.ie dans laquelle je voulois vivre. Persuadés l'un
et l'autre que j'avois raison d'être content de
mon état et de n'en vouloir pas changer, jamais
ni lui ni madame de Luxembourg n'ont paru
s'occuper un instant de ma bourse ou de ma.
fortune, quoique je ne pusse douter du tendre
intérêt qu'ils prcnoient à moi tous les deux; ja-
mais ils ne m'ont proposé de place et ne m'ont
offert leur crédit , si ce n'est une seule fois que
madame de Luxembourg parut désirer que je
voulusse entrer à l'académie françoise. J'alléguai
ma religion : elle me dit que ce n'étoit pas un
obstacle , ou qu'elle s'engageoit à le lever. Je ré-
pondis que, quelque honneur que ce fût pour
moi d'être membre d'un corps si illustre, ayant
refusé à M. de Tressan , et en qiielque sorte au
roi de Pologne , d'entrer dans l'académie de
Nancy, je ne pouvois plus honnêtement entrer
dans aucune. Madame de Luxembourg n'insista
pas , et il n'en fut plus reparlé. Cette simplicité
de commerce avec de si grands seigneurs, et qui
pouvoient tout en ma faveur, M. de Luxem-
i-i. ^6
4o2 LES CONFESSIONS.
bourg étant et méritant bien d'être l'ami parti-
culier du roi; cette simplicité, dis-je, faisoit un
bien singulier contraste avec les continuels sou-
cis, non moins importuns qu'ofiieieux, des amis
protecteurs que je venois de quitter , et ([ui
cherchoient moins à me servir qu'à m'avilir.
Quand M. le maréchal m'étoit venu voir à
Mont-Louis , je l'avois reçu avec peine , lui et
sa suite, dans mon unique chambre, non par-
ceque je lus obligé de le faire asseoir au milieu
de mes assiettes sales et de mes pots ébréchés ,
mais parceque mon plancher pourri Kunboit
<în ruine , et que je craignois que le poids de sa
suite ne l'effondràt tout-à-fait. Moins occupé de
mon propre danger cpic de celui ({ue 1 alïabilité
de ce bon seigneur lui faisoit courir, je me hâ-
tai de le tirer de là, pour le mener, malgré le
froid qu'il faisoit encore, à mon donjon tout
ouvert et sans cheminée. Quand il y fut , je lui
dis la raison qui m'avoit engagé à l'y conduire :
il la redit à madame la maréchale; et l'un et
l'autre me pressèrent, en attendant qu'on rcfe-
roit mon platicher, d'accepter un logcnuMit au
château, ou , si je l'aimois mieux, dans un édi-
fice isolé qui étoit au milieu du parc, et qu'on
appeloit le petit château. Cette demeure en-
thautée mérite qu'on en parle.
Le parc ou jardin de Montmorency n'est pas
en plaine comme celui île la flluvrette. Il est
inégal, montueux, mêlé de collines et d'eufon-
ceuïcnts, dont l'habik' aitistc a tiré parti pour
PABTIE II, LIVRE X. 4o3
varier les Jjosqucts , les ornements , les eaux , les
points de vue, et multiplier, pour ainsi dire, à
force d'art et de génie, un espace en lui-même
assez resserré. Ce parc est couronné dans le haut
par la terrasse et le château ; dans le bas il forme
une gorge qui s'ouvre et s'élargit vers la vallée ,
et que remplit une grande pièce d'eau. Entre
l'orangerie qui occupe cet élargissement, et cette
pièce d'eau entourée de coteaux bien décorés,
de bosquets , et d'arbres , est le petit château
dont j'ai parlé. Cet édifice et le terrain qui Fen-
toure appartenoient jadis au célèbre Le Brun ,
qui se plut à le bâtir et décorer avec ce goût
exquis d'ornements et d'architecture dont ce
grand peintre s'étoit nourri. Ce château , depuis
lors, a été rel:fâti, mais toujours sur le dessin
du premier maître. Il est petit , simple, mais élé-
gant. Comme il est dans un fond, entre le bas-
sin de l'orangerie et la grande pièce d'eau , par
conséquent sujet à l'humidité , on la percé dans
son milieu d'un péristyle à jour, entre deux éta-
ges de colonnes, par lequel l'air, jouant dans
tout l'édifice, le maintient sec malgré sa situa-
tion. Quand on regarde ce bâtiment de la hau-
teur opposée qui lui fait perspective, il paroît
absolument environné d'eau, et l'on croit voir
une île enchantée, ou la plus jolie des trois îles
Borromées , appelée Isola hella , dans le lac
Major.
Ce fut dans cet édifice solitaire qu'on me don-
na le choix des quatre appartements complets
26.
4o4 LES COISFESSION5.
qu'il contient, outre le rez-de-chaussée composé
d'une salle de bal, d'une salle de billard, et d'une
cuisine. Je pris le plus petit et le plus simple,
au-dessus de la cuisine , que j eus aussi. Il étoit
d'une propreté charmante , rameublcment en
étoit blanc et bleu. C'est dans cette profonde et
délicieuse solitude, qu'au milieu des bois et des
eaux , aux concerts des oiseaux de toute espèce,
au parfum de la fleur d'oranjje , je composai ,
dans une continuelle extase, le cinquième livre
de l'Emile, dont je dus en (grande partie le colo-
ris assez frais à limpression du local où je lécii-
vois.
Avec quel empressement je courois tous les
matins, au lever du soleil, respirer un air em-
baumé sur le péristyle ! Quel boi> café au lait j'y
prenois tête à tète avec ma Thérèse ! Ma chatte
et mon chien nous faisoient conqiagnie. Ce t>cul
cortège m'eût sufh pour toute ma vie , sans
éprouver jamais un moment d'ennui. J'étois là
dans le paradis terrestre ; j'y vivois avec autant
d innocence, et j'y {^oîitois le même bonheur.
Au voya()e de juillet, M. et madame de Luxeiu-
bourg me marquèrent tant d'attention , et me
firent tant de caresses, que, logé chez eux et
comblé de leurs bontés, je ne pus moins faire
que dy répondre en les voyant assidunuMit. .1c
ne les quittois prescjue point : j'allois le m;Uin
faire ma cour à madame la maréchale, j'y dî-
nois ; j'allois l'après-midi me promener avec
M. le maréchal \ mais je n'y souj)uis ]»as, à cause
PARTIE II, LIVRE XJ /joS
du Pfrand monde, et qu'on y soupoit trop tard
pour moi. Jusqu alors tout étoit convenable, et
il n'y avoit poinlt de mal encore , si j'avois su m'en
tenir là. Mais je n'ai jamais su garder un milieu
dans mes attachements, et remplir simplement
des devoirs de société : j'ai toujours été tout ou
rien. Bientôt je fus tout; et, me voyant fêté,
gâté par des personnes de cette considération ,
je passai les bornes, et me pris pour eux d'une
amitié qu'il n est permis d'avoir que pour ses
égaux, .l'en mis toute la familiarité dans mes
manières, tandis qu'ils ne se relâchèrent jamais,
dans les leurs, de la politesse à laquelle ils m'a-
voicnt accoutumé. Je n'ai pourtant jamais été
très à mon aise avec madame la maréchale.
Quoique je ne fusse pas parfaitement rassuré
sur son caractère, je le redoutois moins que son
esprit; c'étoit par-là sur-tout qu'elle m'en impo-
soit. Je savois qu'elle étoit difficile en conversa-
tions , et qu'elle avoit droit de l'être; je savois
que les femmes , et sur-tout les grandes dames,
veulent absolument être am«sécs, qu'il vaudroit
mieux les offenser que de les ennuyer; et je ju-
gcois, par ses commentaires sur ce quavoient
dit les gens qui vcnoient de partir, de ce qu'elle
devoit penser de mes })alourdises. Je m'avisai
d'un supplément pour me sauver auprès d'elle
l'embarras de parlera ce fut de lire. Elle avoit
ouï parler de la Julie; elle savoit qu'on l'inqDri-
inoit ; elle marqua de l'empressement de vois
cet ouvrage ; j'offris de le lui lire ; elle accepta*
4o6 LES CONFESSIONS.
'J'ous les matins jo me rendois chez elle sur les
dix heures ; M. de Luxemhourg y venoit : on fer-
nioit la porte. Je iisois à côté de son lit , et je
compiisàrii si bien mes lectures, qu'il y en auroit
eu pour tout le voya(je, quand nicmo il iî auroit
pas été interrompu (i). Le succès de cet expé-
dient passa mon attente. Madame de Luxem-
hourf^ s'en(Toua de la Julie et de son auteur ; elle
ne parloit que de moi, ne s'occuj)oit que de moi,
me disoit des douceurs toute la journée, nVem-
hrassoit dix fois le jour. Elle voulut que j eusse
toujours ma place à table à côté d elle; et, ((uand
quelques seijyneursvoul oient prendre cette place,
elle leur disoit que c'étoit la mienne , et les fai-
soit mettre ailleurs. On peut ju{T;er de l'impres-
sion que ces manières charmantes laisoient sur
moi, que les moindres marques d'affection sub-
juguent. Je m'attachois réellement à elle , à pro-
portion de l'attachement qu'elle me témoi{;noit.
Toute ma crainte, en voyant cet enj^oueinent ,
et me sentant si peu d agrément dans l'esprit
pour le soutenir, étoit cpiil ne se changeât en
dégoût; et, malheureusement potu' moi, cette
crainte ne fut que trop bien fondée.
Il falloit qu'il y eût une opposition naturelle
entre son tour d'esprit et le mien , ])uis([ue, in-
dépendamment des foules de baloiu'dises ((ui
m'échappoient à chaque instant dans laconver-
(i) T^a perle (rniic (grande bataillo, qui afUigca hcaii-
coiip le roi, força M. <le Luxcmbourjj de retourner pré-
cipiiaiiime«it ii la cour.
PARTIE II, LIVRE X. 4<^7
sation , dans mes lettres iiieme, et lorsque j'étois
le mieux avec elle, il se tiouvoit des choses qui
lui déplaisoient , sans que je pusse imaginer
pourquoi. Je n'en citerai qu'un exemple , et j'en
pourrois citer vingt. Elle sut que je faisois pour
madame d'Houdetot une copie de l'Héloïse, à
tant la pa^e : elle en voulut avoir une sur le
même pied. Je la lui promis; et, la mettant par-
là du nombre de mes pratiques, je lui écrivis
dans une de mes lettres quelque chose d'obli-
geant et d'honnête à ce sujet; du moins telle
étoit mon intention. Voici sa réponse, qui me
fit tomber des nues (liasse G, n° ^3).
A Versailles, ce mardi.
« Je suis ravie, je suis contente; votre lettre
« m'a fait un plaisir infini, et je me presse pour
« vous le mander et pour vous en remercier.
«Voicilespropres termes de votre lettre: Quoi-
« que vous sojez sûrement une très bonne pra-
« tique, je me fais quelque peine de prendre votre
i< argent: régulièrement ce seroit à moi de payer
«< le plaisir que faurois de travailler pour vous.
« Je ne vous en dis pas davantage. Je me plains
« de ce que vous ne me parlez jamais de votre
" santé. Rien ne m'intéresse davantage. Je vous
« aime de tout mon cœur; et c'est, je Vous as-
ti sure, bien tristement ([ue je vous le mande,
« car j'aurois bien du plaisir à vous le dire moi-
« même. M. de Luxembourg vous aime et vous
« embrasse de tout son cœur. »
4o8 LES CONFESSIONS.
En recevant cette lettre, je me hâtai dV ré-
pondre, en attendant plus ample examen , pour
protester contre toute interprétation désobli-
geante; et, après nVêtre occupé quelques jours à
cet examen avec 1 inquiétude qu on peut conce-
voir, et toujours sans y rien comprendre, voici
quelle fut enfin ma dernière réponse à ce sujet :
A Montmorency, le 8 décembre ijSg.
" Depuis ma dernière lettre, j'ai examiné cent
<; et cent fois le passag^c en question. Je l'ai con-
II sidéré par son sens propre et natuiel: je l'ai
« con^iidéré par tous les sens qu on peut lui don-
<( ner, et je vous avoue , madame la maréchale,
« que je ne sais plus si c'est moi qui vous dois
« des excuses, ou si ce n'est point vous qui m'en
<c devez. «
Il y a maintenant dix ans que ces lettres ont été
écrites. J'y ai souvent repensé depuis ce tenq)s-
là; et, telle est encore aujourdhui ma stupidité
sur cet article, que je n'ai pu parvenir à sentir
ce qu'elle avoit pu trouver dans ce passane , je
ne dis pas d'offensant, mais même qui put lui
déplaire.
A propos oc cet exemplaire manuscrit de lllé-
loïse, que voulut avoir madame de T>u\eud)()ur{j,
je dois dire ici ce (pie j iuia};inai pour lui donner
quelque avantage manpié (pii le distinguât de
tout autre. J'avois écrit à part les Aventures de
milord Edouard, et j'avois balancé lonj^-temps
PARTIE II, LIVRE X. 4^9
à les insérer, soit en entier, soit par extrait , dans
cet ouvrage , où elles paroissent manquer. Je me
déterminai enfin à les retrancher tout-à-fait ,
parceque, n'étant point du ton de tout le reste,
elles en auroicnt fifâté la touchante simplicité.
J'eus une autre raison l)ien plus forte quand je
connus madame de Luxembourg. C'est qu'il y
avoit dans ces Aventures une marquise romaine
d'un caractère très odieux , dont quelques traits,
sans lui être applicables , auroient pu lui être
appliqués par ceux qui ne la connoissoient que
de réputation. Je me félicitai donc beaucoup du
parti que j avois pris, et m'y confirmai. Mais,
dans l'ardent désir d'enrichir son exemplaire de
quelque chose qui ne fût dans aucun autre ,
n allai-je pas songer à ces malheureuses Aven-
tures, et former le projet d en faire l'extrait pour
l'y ajouter. Projet insensé, dont on ne peut ex-
pliquer l'extravagance que par l'invincible fata-
lité qui m'entraînoit à ma perte.
Quos vult perdere Jupiter clementat.
J'eus la stupidité de faire cet extrait avec bien
du soin , bien du travail , et de lui envoyer ce
morceau comme la plus belle chose du monde ;
en la prévenant, comme il étoit vrai , que j'avois
brûlé l'original , <juc l'extrait étoit pour elle seule,
et ne scroit jamais vu de personne , à moins
qu'elle ne le montrât elle-même ; ce qui , loin de
lui prouver ma prudence et ma discrétion , com-
me je croyois faire, n'étoit que l'avertir du juge-
4lO LES COrCFESSIONS.
ment que je portois moi-même sur 1 application
des traits dont elle auroit pusolïcnser. Mon im-
bécillité fut telle, que je ne doutois pas quelle
ne fût enchantée de mon procède. Elle ne me fit
pas là-dessus les grands compliments (|uc j en
attendois , et jamais , à ma très (grande surprise,
elle ne me parla du cahier que je lui avois en-
voyé. Pour moi , toujours charmé de ma con-
duite dans cette afiairc , ce ne fut < jue lon{)-tcmps
après que je ju[][eai , sur d'autres indices , de l'ef-
fet qu'elle avoit produit.
J'eus encore , en faveur <lc son manuscrit , ime
autre idée plus raisonnal)le , mais qui, par des
effets plus éloif^nés , ne m'a (juère été plus avaii-
taj^euse ; tant tout concourt à l'œuvre de la des-
tinée quand elle appelle un houîme au malheur,
.le pensai dorncr ce manuscrit des (.Icssins des
estampes de la Julie^ les(|U(;ls dessins se trouvè-
rent être du même format que le manuscrit. Je
demandai à Goindet ces dessins , qui m'appar-
tcnoient à toutes sortes de titres, et (fautant
plus que je lui avoisj^vljandomié le j)roduit des
planches, lesqiKîiles nirent un friand débit. Coin-
dci est aussi rusé que je le suis peu. A force de
se faire demander ces dessins , il parvint à savoir
ce <|u<' j'en voulois faire. Alors, sous préttxle
tfajoiKci" (picltjues ornements à ces dessins, il
se les lit laisser, et finit par les présciihr lui-
même.
Ego vcrsicuIo!i fcci, tidit aller liuaores.
PARTIE II, LIVRE X. /[It
Cela acheva de 1 introduire à l'hôtel du Luxem-
hourg sur un certain pied. Depuis mon étahlisse-
ment au petit château, ilmy venoitvoirtrès sou-
vent, et toujours dès le matin, sur-tout quand
M. et madame de Luxemhourj^ ctoient à Mont-
morency. Celafaisoit que, pour passer avec lui la
journée , je n'allois point au château. On me re-
procha des ahsences : j'en dis la raison. On me
pressa d'amener M. Coindet ; je le fis : c'étoit ce
que le drôle avoit cherché. Ainsi, grâces aux.
hontes excessives qu'on avoit pour moi, un com-
mis de M. Thelusson , qui vouloit hien lui donner
quelquefois sa tahle quand il n avoit personne à
dîner , se trouva tout d un coup admis à celle d un
maréchal de France, avec les princes, les duches-
ses , et tout ce qu'il y avoit de grand à la cour. Je
n'ouhlierai jamais qu un jour, qu'il étoit ohligé
de retourner à Paris de honne heure , M. le ma-
réchal dit après le dîné à la compagnie : Allons
nous promener sur le chemin de St. -Denis, nous
accompagnerons M. Coindet. Le pauvre garçon
n'y tint pas ; sa tête s'en alla tout- à -fait. Pour
moi, j'avois le cœur si ému, que je ne pus dire
un seul mot. Je suivois par derrière, pleurant
comme un enfant, et mourant d'envie de haiser
les pas de ce bon maréchal : mais la suite de cette
histoire de copie m'a fait anticiper ici sur les
temps. Reprenons -les dans leur ordre , autant
que nia mémoire me le permettra.
Sitôt que la petite maison de Mont-T.ouis fut
prête, je la fis meuhler proprement , simplement,,
4r3 LES COÎSFESSTOKS.
et retournai m'y établir , ne pouvant renoncer à
cette loi que je nietois faite en quittant iHcrnii-
tage d'avoir toujours mon logement à moi ; mais
je ne pus me résoudre non plus à quitter mon ap-
partement du petit château. .Icn gardai la clef,
et, tenant beaucoup aux jolis déjeunes du péri-
style, j'allois souvent y coucher , et j'y passois
quelquefois deux ou trois jours , connue à une
maison de campagne. J'étois peut-être alors le
particulier de l'Europe le mieux et le plus agréa-
blement logé. Mon hôte, iNI. Mathas, quiéloit le
meilleur honnue du monde , m'avoit absolu-
ment laissé la direction des réparations de Mont-
Louis, et voulut que je disposasse de ses ouvriers,
sans même qu'il s'en mêlât. Je trouvai donc le
moyen de me faire d'une seule chambre au pre-
mier un appartement complet , composé d'une'
chambre , d'une antichambre et d'une garde-
robe. Au rez-de-chaussée étoit la cuisine et la
chand)re de Thérèse. Le donjon me servoit de
cabinet , au moyen d'une bonne cloison vitrée et
d'une cheminée qu'on y fit faire, ,1e m amusai ,
quandj'y ius,à orner la terrasse ([Uond)rageoient
déjà deux rangs déjeunes tilleuls; j y en lis ajou-
ter deux pour faire un cabinet de verdure; j'y fis
p()S(>r une'table et d(>s bancs de pierre ; je Vrn-
lourai de lilas, de serin{;a , de chèvre-feuille ; j y
fis faire une belle plate-bande de fleurs parallèle
aux deux rangs d'arbres, et cette tcirasse , plus
élevée que celle du cbâteau , dont la vue (Moit du
inoins aussi ])elle, [ <l sur laipiell»' javois aj)pri'
PARTIE II, LIVRE X. 4l3
voisé des multitudes d'oiseaux , ] me servoit de
salle de compagnie pour recevoir M. et madame
de Luxembourg, M. le duc de Villeroy, M. le
prince de Tingry , M. le marquis d'Armentières,
madame la duchesse de Montmorency, madame
la duchesse de Boufflers, madame la comtesse de
Valentinois, madame la comtesse de Boufflers,
et beaucoup d'autres personnes de ce rang qui ,
du château, ne dédaignoi^nt pas de faire, par
une montée très fatigante , le pèlerinage de Mont :
Louis. Je devois à la faveur de M. et de madame
de Luxembourg toutes ces visites ; je le sentois,
et mon cœur leur en faisoit bien l'hommage,
C'est dans un de ces transports d'attendrissement
que je dis une fois à M. de Luxembourg en l'em
brassant : Ah ! M. le maréchal, je haïssois les
grands avant que de vous connoître, et je leshais
davantage encore, depuis que vous me faites si
bien sentir combien il leur est aisé de se faire
adorer.
Au reste, j'interpelle tous ceux qui m'ont vu
durant cette époque, s'ils se sont jamais aperçus
que cet éclat m'ait un seul instant ébloui, que la
vapeur de cet encens m'ait porté à la tête; s'ils
m'ont vu moins uni dans mon maintien , moins
simple dans mes manières , moins liant avec le
peuple , moins familier avec mes voisins , moins
prompt à rendre service à tout le monde , quand
je l'ai pu, sans me rebuter jamais des importuni^
tés sans nombre et souvent déraisonnables dont
j'étois sans cesse accablé. Si mon cœur m'attiroit
4l4 î ES CONFESSIONS,
au château de Montmorency par mon sincère
attachement pour les maîtres, il me ramenoit
cîc même à mon voisinajjc {jouter les douceurs
de cette vie cpale et simple, hors de laquelle il
n est point de bonheur pour moi. Thérèse avoit
fait amitié avec la fille d'un maçon mon voisin,
nommé Pilleu : je la fis de même avec le père;
et , après avoir le matin diné au château , non
sans gêne, mais pour complaire à madame la
maréchale, avec quel empressement je revcnois
le soir souper avec le bon homme l'illeu et sa
famille , tantôt chez lui , tantôt chez moi !
Outre ces deux logements , j'en eus bientôt un
troisième à riiôtel de I.u\em])ourg, dont les
maîtres me pressèrent si fort d aller les y voir
quelquefois, que j'y consentis malgré mon aver-
sion pour Paris , où je n'avois été depuis ma re-
traite àl'IIermitage que les deux seules fois dont
j'ai parlé : encore n y allois-je que les jours con-
venus , uniquement pour souper et m'en retour-
ner le lendemain matin. J'eittrois et sortois par
le jardin qui dounoit sur le boulevard , de sorte
que je pouvois dire avec la plus exacte vérité
que je n'avois pas mis le pied sUr le pavé de
Paris.
Au soin de cette prospérité passagère se pré-
paroit de loin la catastrophe qui devoit en Jiiar-
fjuer la lin. Peu de temps après mon retour à
Mont-liouis, j y fis, et bien malj;ré moi ccnnme
à fordiuaire, une nouvelle counoissance (pii fait
encore époque daais mon liistoire. On jugera
PARTIE II, LIVRE X. /^iS
dans la suite si cest en bien ou en mal. Cest
madame la marquise de Verdelin , ma voisine,
dont le mari venoit d'acheter une maison de
campagne à Soisy, près de Montmorency. Made-
moiselle d'Ars , fille du comte d'Ars, homme de
condition mais pauvre , avoit épousé M. de Ver-
delin, vieux, laid, sourd , dur, brutal, jaloux, ba-
lafré , borgne , au demeurant bon homme quand
on savoit le prendre, et possesseur de quinze à
vingt mille livres de rentes, auxquelles on la ma-
ria. Ce mignon , jurant , criant, grondant, tem-
pêtant , et faisant pleurer sa femme toute la
journée, finissoit toujours par faire ce qu'elle
vouloit; et cela pour la faire enrager, attendu
qu'elle savoit lui persuader que c étoit lui qui le
vouloit, et que c'étoit elle qui ne le vouloit pas.
M. de Margency, dont j'ai parlé, étoit l'ami de
madame, et devint celui de monsieur. Il y avoit
quelques années qu'il leur avoit loué son châ-
teau de Margency, près d'Eaubonne et d'Andilly,
et ils y étoient précisément durant mes amours
pour madame dHoudetot. Madame d'Houdetot
et madame de Verdelin se connoissoient par
madame d'Aubeterre, leur commune amie ; et
comme le jardin de Margency étoit sur le pas-
sage de madame d'Houdetot pour aller au Mont-
Olympe , sa promenade favorite , madame de
Verdelin lui donna une clef pour passer. A hi
faveur de cette clef, j'y passois souvent avec
elle : mais je n'aimois point les rencontres im-
prévues ; et quand madame de Verdelin se trou-
4lG Ï.ES CONFESSIONS.
voit par hasard sur notre passage, je les laissois
ensemble sans lui rien dire, et jallois toujours
devant. Ce procède peu fjalant n'avoit pas dû
me mettre en Ijon prédicameiit auprès dclle.
Cependant quand elle fut à Soisy, elle ne laissa
pas de me rechercher. Elle me vint voir plu-
sieurs fois à Mont-Louis sans me trouver ; et
voyant que je ne lui rendois pas sa visite , elle
s avisa , pour m y forcer, de m'envoyer des pots
de fleurs pour ma terrasse. Il falhit hien 1 aller
remercier: cen fut assez; nous voilà liés.
Cette liaison commença par être orageuse,
comme toutes celles que je faisois malgré moi.
11 n'y régna même jamais un vrai calme. Le
tour desprit de matlame de Verdelin étoit par
trop antipathique avec le mien. Les traits ma-
lins et les épigrammes partent chez elle avec
tant de simplicité, quil faut une attention con-
tinuelle , et pour moi tiès fatigante , pour sentir
quand on est persiflé. Une niaiserie qui me re-
vient suffira pour en juger. Son frère venoit (la-
voir le commandement il une frégate en course
contre les Anglois. Je parlois de la nuinièrc d'ar-
mer cette frégate sans nuire à sa légèreté. Oui ,
dit-elle , d'un ton tout uni, l'on ne preiul de ca-
nons que ce quil en faut pour se battre, .le lai
rarement oui parler en bien de quelqu'un de ses
amis absents, sans glisser quebjue mot à leur
charge. Ce qu'elle ne vovoit pas en ujal , elle \c.
voyoit en ridi(ide, et son ami Margency n étoit
pas excepté. Ce «pie je iiouvois encore eu elle
PARTIE II, LIVRE X. ^l-^
d'insupportable étoit la gêne continuelle de ses
petits envois , de ses petits cadeaux , de ses petits
billets , auxquels il me falloit battre les flancs
pour répondre, et toujours nouveaux embarras
pour remercier ou pour refuser. Cependant , à
force de la voir , je finis par ni'attacher à elle.
Elle avoit ses cliagrins ainsi que moi. Les confi-
dences réciproques nous rendirent intéressants
nos têtes-à-têtes. Rien ne lie tant les cœurs que
la douceur de pleurer ensemble. Nous nous
cherchions pour nous consoler , et ce besoin
m'a souvent fait passer sur beaucoup de cho-
ses. J'avois mis tant de dureté dans ma fran-*
chise avec elle, qu'après avoir montré quelque-
fois si peu d'estime pour son caractère il falloit
réellement en avoir beaucoup pour croire qu'elle
pût sincèrement me pardonner. Voici un échan-
tillon des lettres que je lui ai quelquefois écri-
tes, et dont il est à noter que jamais dans au-
cune des ses réponses elle n'a paru piquée en
aucune façon.
A Montmorency, le 5 novembre 1760.
« Vous me dites, madame, que vous ne vous
" êtes pas bien expliquée, pour me faire enten-
" dre que je m'explique mal. Vous me parlez de
«votre prétendue bêtise, pour me faire sentir
« la mienne. Vous vous vantez de n'être qu'une
« bonne femme , comme si vous aviez peur ifêtre
«prise au mot, et vous me faites des excuses
«pour m'apprendre que je vous en dois. Oui,
*4- 27
4i8 LES CONFESSIONS.
« madame, je le sais bien ; c'est moi qui suis une
«( bête, un bon bomnie , et pis encore s il est pos-
« sible ; c'est moi ([ui clioisis mal mes termes,
« au dré d'une belle dame fran(^oise qui fait au-
« tant d'attention aux paroles et qui j)arle aussi
« bien que vous. Mais considérez queje les prends
u dans le sens commun de la langue , sans être
M au fait ou en souci des lionnêtes acceptions
u qu ou leur donne dans les vertueuses sociétés
t< de Paris. Si quelquefois mes expressions ont
u un tour équivoque, je tâche que ma conduite
<i en détermine le sens, etc. " Le reste de la lettre
est à-peu-près sur le même ton. Voyez-en la ré-
ponse ( liasse D, n° 4 0 ? ^* .i"5^ ^^ l'incroyable
modération dun cœur de femme qui peut n'a-
voir pas plus de ressentiment dune pareille let-
tre que cette réponse n'en laisse paroitre, et
qu'elle ne m'en a janmis témoigné.
Coindct, entrant, hardi jusquà l'effronterie,
et qui se tenoit continuellement a l'affût de tous
mes amis, ne tarda pas à s introduire en mon
nom chez madamede Verdelin , et y lut ])i{Miiot,
à mon insu, plus familier que moi-même. C'étoit
un singulier corps que ce Coindet. Il se préseu-
toit de ma part chez toutes mes connoissânces,
s'y établissoit, y mangeoit sans façon. Trans-
porté de zèle pour mon service, il ne parhiit
jamais <\r moi (pie les larnu^s aux yeux ; mais
quand il me venoit voir, il gardoit le plus pro-
fond silence sur toutes ces liaisons cl sur tout
ce (ju'il savôit devoir mintéresser. Au lieti de
PARTIE II, LIVRE X. 4^^
jtne dire ce qu'il avoit appris , ou dit , ou vu qui
m'intéressoit, il m ccoutoit , rn iuterrogeoit mê-
me. Il ne savoit jamais rien de Paris que ce que
je lui en apprenois : enfin , quoique tout le
inonde me parlât de lui , jamais il ne me parloit
de personne : il n'étoit secret et mystérieux qu a-
vecsonami. Mais laissons, quantàpresent, Coin-
det et madame de Verdelin : nous y reviendrons
dans la suite.
Quelque temps après mon retour à Mont-
Louis , La Tour, le peintre, vint m'y voir , et
m'apporta mon portrait en pastel, qu'il avoit
exposé au salon il y avoit quelques années. Il
avoit voulu me donner ce portrait , que je n'a-
vois pas accepté. Mais madame d'Epinay , qui
m'avoit donné le sien et qui vouloit avoircelui-là ,
m'av;oit engagé à le lui redemander. Il avoit pris
du temps pour le retoucher. Dans cet intervalle
vint ma rupture avec madame d'Epinay; je lui
rendis son portrait, et n'étant plus question de
lui donner le mien, je le mis dans ma chambre
au petit château. M. de Luxembourg l'y vit, et
le trouva bien : je le lui offris ; il l'accepta , je le
lui envoyai. Ils comprirent lui et madame la ma-
réchale que je serois bien aise d'avoir les leurs.
Ils les firent faire en miniature de très bonne
main , les firent enchâsser dans une boîte à bon-
bons de cristal de roche, montée en or, et m'en
firent le cadeau d'une façon très galante, dont
je fus enchanté. Madame de Luxembourg ne
voulut jamais consentir que son portrait occu-
420 LES CONFESSIONS.
pât le dessus de la boîte. Elle ni'avoit reproché
plusieurs fois que jainiois mieux M. de Luxem-
bourg <juclle,et je ne m en étois point défendu,
parceque cela ctoit vrai. Elle me témoigna bien
galamment , mais bien clairement par cette fa-
çon de placer son portrait , qu elle n oublioit pas
cette préférence.
Je fis, à-peu-près dans ce même temps, une
sottise qui ne contribua pas à me conserver ses
bonnes grâces. Quoique je ne connusse point du
tout M. de Silhouette, et que je fusse peu porté
à Taimer, j'avois une grande opinion de son ad-
ministration. Lors([uil commença d'appesantir
sa main sur les financiers , je vis qu il n entanioit
pas son opération dans un temps favorable : je
n'en fis pas des vœux moins ardents pour son
succès; et, quand j appris qu'il ctoit déplacé, je
lui écrivis, dans mon intrépide étourderie , la
lettre suivante, qu'assurément je n'entreprends
pas de justifier.
A Montmorency, le 2 décembre i/Sg.
" Daignez, monsieur, recevoir riiommaged'un
« solitaire qui n'est pas connu de vous, mais ([ui
«vous estime pai" vos talents, qui vous resj)ecte
». par votre administration , et (|ui vous a fait
« l'honneur de croire qu'elle ne vous resteroit pas
« long-temps. Ne pouvant sauver IVtat (|uaux
« dejX'ns de la caijilale <pii l'a j)ei(iu , vous avez
«bravé les cris «les {gagneurs dar(;ent. Eu vous
« voyant écraser ces misérables , je vous enviois
PARTIE II, LIVRE X. 4^1
«votre place; en vous la voyant quitter sans vous
« être démenti , je vous admire. Soyez content
« de vous , monsieur; elle vous laisse un hon-
" neur dont vous jouirez lonj^-temps sans con-
i< current. Les malédictions des fripons sont la
« gloire de l'homme juste. »
Madame de Luxembourg, qui savoit que j'a-
vois écrit cette lettre , m en parla au voyage de
Pâque ; je la lui montrai ; elle en souhaita une
copie; je la lui donnai : mais j'ignorois en la lui
donnant qu'el'e ctoit un de ces gagneurs d'argent
qui s'intéressoient aux sous-fermes , et qui a voient
fait déplacer Silhouette. On eût dit , à toutes mes
balourdises, que j'all ois excitant à plaisir la haine
d'une femme aimable et puissante , à laquelle ,
dans le vrai, je m'attachois davantage de jour
en jour, et dont j'étois bien éloigné de vouloir
m'attirer la disgrâce, quoique je fisse, à force
de gaucheries , tout ce qu'il falloit pour cela. Je
crois qu'il est assez superflu d'avertir que c'est
à elle que se rapporte l'histoire de l'opiate de
M. Tronchin, dont j'ai parlé dans ma première
partie : l'autre dame étoit madame de Mirepoix.
Elles ne m'en ont jamais reparlé , ni fait le moin-
dre 8eml)lant de s'en souvenir ni Tune ni l'autre;
mais de présumer que madame de Luxembourg
ait pu l'oublier réellement, c'est ce qui meparoît
bien difficile , quand même on ne saiyoit rien
des événements subséquents. Pour moi je m'é-
tourdissois sur l'effet de mes bêtises , par le té-
422 LES CONFESSIONS.
nioigna^je que je me rendois de n'en avoir fait
aucune à dessein de l'offenser : comme si jamais
femme en pouvoit pardonner de pareilles , même
avec la })las parfaite certitude que la volonté n'y
a pas eu la moindre part.
Cependant , quoiqu'elle parût ne rien voir, ne
rien sentir , et que je ne trouvasse encore ni di-
minution dans son empressement , ni clian[;c-
ment dan* ses manières , la continuation , f auf^-
mcntation même d un pressentiment trop l)ieii
fondé me faisoit trembler sans cesse que fennui
ne succédât bientôt à cet enfjouement. l'ouvois-
ie attendre d'une si grande dame une constance
à l'épreuve de mon peu d'adresse à la soutenir?
Je ne savois pas même lui cacher ce pressenti-
ment sourd qui m'inquiétoit, et ne me rendoit
que plus maussade. On en juf^era par la lettre
suivante , qui contient une bien singulière pré-
diction.
N. B. Cette lettre, sans date dans mon brouillon, est
du mois d'octobre 1760 au plus tard.
" Que VOS bontés sont cruelles! Pourquoi trou-
«bler la paix d'un solitaire, qui renoncoit aux
« plaisirs de la vie pour n'en plus sentir l^s en-
« nuis :* .l'ai passé mes jours à chercher en vain
« des attachements solides. .Te ne» ai pu former
1 dans les conditions auxquelles je pouvois at-
u teindre; est-ce <lans la votre <piej en dois cher-
•* cher? L'ambition nilintérêt ne me tentent pas,
-je suis peu vain, j)cu craintif ; je puis résister à
PARTIE II, LIVRE X. 423
« tout , hors aux caresses. Pourquoi m'attaquez
« vous tous deux par un foible qu'il faut vaincre,
« puisque , dans la distance qui nous sépare , les
" épanchenients des cœurs sensibles ne doivent
« pas rapprocher le mien de vous ? I.a reconnois-
« sance suffira-t-elle pour un cour qui ne con-
« noît pas deux manières de se donner, e t ne se
« sent capable que d amitié? D'amitié, madame
« la maréchale ! Ah ! voilà mon malheur ! Il est
"beau à vous, à M. le maréchal, d'employer ce
« terme : mais je suis insensé de vous prendre au
« mot. Vous vous jouez, moi je m'attache ; et la
« fin du jeu me prépare de nouveaux regrets. Que
«je hais tous vos titres, et que je vous plains de
« les porter ! Vous me semblez si dignes de goû-
« ter les charmes de la vie privée! Que n'habitez-
u vous Glarens ! J'irois y chercher le bonheur de
« ma vie: mais le château de Montmorency '.mais
«l'hôtel de Luxembourg! Est-ce là qu'on doit
« voir Jean-Jacques ? Est-ce la qu'un ami de l'é-
« galité doit porter les affections d'un cœur sen-
« sible qui , payant ainsi l'estime qu'on lui témoi-
« gne , croit rendre autant qu'il reçoit? Vous êtes
« bonne et sensible aussi ; je le sais , je lai vu;
«j'ai regret de n'avoir pu plus tôt le croire: mais
u dans le rang où vous êtes , dans votre manière
« de vivre , rien ne peut faire une impression du
u rable , et tant d'objets nouveaux s'effacent mu-
« tuellement, ([u'aucun ne demeure. Vous m'ou-
u blierez, madame , après m'avoir mis hors d'état
u de vous imiter. Vous aurez beaucoup fait pour
424 I^ES CONFESSIONS.,
«me rendre malheureux, et pour être inexcu-
« sable. »
\
Je lui joignois là M, de Luxembourg afin de
rendre le compliment moins dur pour elle ; car,
au reste, je me sentois si sur de lui , qu'il ne m'est
pas même venu dans Tesprit une seule crainte
sur la durée de son amitié. Rien de ce qui m in-
timidoit de la part de madame la maréchale ne
s'est un moment étendu jusqu à lui. .le n'ai jamais
eu la moindre défiance sur son caractère, que je
savois être foible , mais sûr. Je ne craignois pas
plus de sa part un refroidissement, que je n'en
attendois un attacliemcnt héroïque. F. a simjdi-
cité , la familiarité de nos manières lun avec
l'autre marquoit combien nous comptions réci-
proquement sur nous. Nous avions raison tous
deux : j'honorerai , je chérirai tant que je vivrai
la mémoire de ce digne seigneur ; et , <juoi ([u'on
ait pu faire pour le détacher de moi , je suis aus-
si certain qu'il est mort mon ami, (|uc si j ;i\(»is
reçu son dernier soupir.
Au second voyage de Montmorency de l'année
1760 , la lecture de la Julie étant l'mii- , j eus re-
cours à celle de M'uiile pour me soutenir auprès
de madame de Lu\end>ourg; nuiis cela ne réus-
sit pas si bien, soit que la matière fut moins de
son goût, soit que tant de lecture r<'unu\ât à la
fin. Cependant, comme elle nie reproehoii de
nie laisser duper |)ar mes libraires , elle ^()ulut
que je lui laissasse le soin de faire imprimer cet
PARTIE II, LIVRE X. /\2S
«uvrage , afin d'en tirer un meilleur parti. J'y
consentis sous l'expresse condition qu'il ne s'inv
primeroit point en France, et c'est sur quoi nous
eûmes une longue dispute: moi, prétendant que
la permission tacite étoit impossible à obtenir ,
imprudente même à demander , et ne voulant
point permettre autrement l'impression dans le
royaume ; elle , soutenant que cela ne feroit pas
même une difficulté à la censure, dans le systè-
me que le gouvernement avoit adopté. Elle trou-
va le moyen de faire entrer dans ses vues M. de
Maleslierbes , qui m'écrivit à ce sujet une longue
lettre toute de sa main, pour me prouver que la
profession de foi du vicaire savoyard étoit pré-
cisément une pièce faite pour avoir par-tout l'ap-
probation du genre humain , et celle de la cour
dans la circonstance. Je fus surpris de voir ce
magistrat, toujours si craintif, devenir si cou-
lant dans cette affaire. Gomme l'impression d'un
livre qu'il approuvoit étoit par cela seul légiti-
me, je n'avois plus de bonne objection à faire
contre celle de cet ouvrage. Cependant , par un
scrupule extraordinaire , j'exigeai toujours ([ue
l'ouvrage s'imprimeroit en Hollande , et même
par le libraire Néaulmc , que je ne me contentai
pas d'indiquer, mais que j en prévins, consen-
tant au reste que l'édition se fit au profit d un
libraire de France , et que , quand elle seroit
faite, on la débitât soit à I\iris , soit où Ton vou-
droit , attendu que ce débit ne me regardoit pas.
Voilà exactement ce qui fut convenu entre ma-
/\2G LES CONFESSIONS.
tiamc de Luxembourg et moi, après quoi je lui
remis mon manuscrit.
Elle avoit amené à ce voya^^c sa petite -fille,
mademoiselle de Boufflers, aujourtlhui madame
la duchesse de Lauzun. Elle s'appeloit Amélie.
C'étoit une charmante personne. Elle avoit vrai-
ment une fi(Ture , une douceur, une timidité de
vier^oo. llien de plus aimable et de plus intéres-
sant que sa figure , rien de plus tendre et de plus
chaste que les sentiments qu'elle inspiroit. D ail-
leurs , cétoit un enfant ; elle n avoit pas onze
ans. Madame la maréchale , (pii la trouvoit trop
timide , faisoit ses efforts pour l'animer. Elle me
permit plusieurs fois de lui donner un baiser; ce
que je fis avec ma maussaderie ordinaire. Au lieu
des gentillesses qu'un autre eût dites à ma place,
je rcstois là muet, interdit ; et je ne sais lequel
étoit le plus honteux de la pauvre petite ou de
moi. Un jour je la rencontrai seule dans l'esca-
lier du petit château : elle venoit de voir Thé-
rèse , arec laquelle sa gouvernante étoit encore.
Faute de savoir que lui dire, je lui proposai un
baiser (|uc , dans l'innocence de son cœur, elle
ne refusa pas, en ayant reçu un le matin même
par l'ordre de sa grand'maman ,et en sa présen-
ce. TiC londeniai»! , lisant ri''niilo au chevet de ma-
dame la maréchale, je t()nd)ai précisément sur
un passage où je censure , avec raison , ce que
j'avois fait la veille. Elle trouva la réflexion très
juste, et dit là-d(\^sus «pu-hpie chose de fort sen-
sé , qui nie fit rougir. Que je maudis mon in-
PARTIE II, LIVRE X. /\in
croyable Jjêtise , qui m'a si souvent donné Tair
vil et coupable , quand je n'étois que sot et em-
barrassé ! Bêtise qu'on prend même pour une
fausse excuse dans un homme qu'on sait n'être
pas sans esprit. Je puis jurer que, dans ce baiser
si répréhensible , ainsi que dans tous les autres,
le cour et les sens de mademoiselle Amélie n'é-
toient pas plus purs que les miens ; et je puis ju-
rer même que si , dans ce moment , j'avois pu
éviter sa rencontre, je l'aurois fait ; non qu'elle
ne me fît (ifrand plaisir à voir , mais par l'embar-
ras de trouver en passant quelque mot agréable
à lui dire. Comment se peut-il qu'un enfant mê-
me intimide un homme que le pouvoir des rois
na pas effrayé? quel parti prendre? Comment
se conduire, dénué de tout impromptu dans
l'esprit ? Si je me forre à parler aux gens que je
rencontre, je dis une balourdise infailliblement:
si je ne dis rien , je suis un misanthrope , un ani-
mal farouche , un ours. Une «totale imbécillité
m'eût été bien plus favorable : mais les talents
dont j'ai manqué dans le monde ont fait les
instruments de ma perte des talents que j eus
à part moi.
A la fin de ce même voyage , madame de Lu-
xembourg fit une I)onnc œuvre à latjuelle j'eus
quelque part. Diderot ayant très imprudemment
offensé madame la princesse de Robeck , fille de
M. de Luxembourg, Palissot, qu'elle protégeoit,
la vengea par la comédie des philosophes , dans
la(pelle je fus tourné en ridicule , et Diderot
428 LES CONFESSIONS,
extrêmement maltraité. L'auteur m'y ménafjea
davantaj^c, moins , je pense , à cause de l'oMiga-
tion qu il ni avoit , que de peur de déplaire au
père de sa protectrice , dont il savoit que jVtois
aimé. Le libraire Duchesne , qu'alors je ne con-
noissois point du tout , m'envoya cette pièce
quand elle fut imprimée; et je soupçonne que
ce fut par Tordre de Palissot, qui crut peut-être
que je verrois avec plaisir déchirer un homme
Vivec lequel j'avois rompu. Il se trompa fort. En
rompant avec Diderot, que je savois moins mé-
chant qu'indiscret et foil)le,j'ai toujours conser-
\é dans l'ame de l'attachement pour lui , même
de l'estime et du respect pour notre ancienne
amitié, que je sais avoir été long- temps aussi
sincère de sa part que de la mienne. C'est tout
autre chose avec Grimm , homme faux par carac-
tère , qui ne m'aima jamais , qui n'est pas même
capai)le d'aimer, et (pii , do f;aieté de cœur, sans
aucun sujet de plante , et seulement pour con-
tenter sa noire jalousie , s'est fait , sous le mas-
que, mon plus cruel calomniateur. Celui-ci n'est
plus rien pour moi; l'autre sera toujours mon
ancien ami. Mes entrailles s'émurent à la vue de
cette odieuse pièce : je n'en pus supporter la Irr-
turc; et, sans fachever , je la renvoyai à Du-
chesne avec la lettre suivante.
A Montmorency , le o.i mai 1760.
«< En parcourant , monsieur, la pièce que vous
« m'avez envoyée, j ai frémi de m'y voir loué. Je
PARTIE II, LIVRE X. 4^9
« n'accepte point cet horrible présent. Je suis
« persuadé qu'en me l'envoyant vous n'avez pas
" voulu me faire une injure ; mais vous ignorez
« ou vous avez oublié que j'ai eu l'honneur d'être
« l'ami d'un homme respectable , indignement
« noirci et calomnié dans ce libelle. »
Cette lettre courut. Diderot , qu'elle auroit dû
toucher, s'en dépita. Son amour-propre ne put
me pardonner la supériorité d'un procédé gé-
néreux ; et je sus que sa femme se déchaînoit
par-tout contre moi avec une aigreur qui m'af-
fectoit peu , sachant qu'elle étoit connue de tout
le monde pour une harengère.
Diderot à son tour trouva un vengeur dans
l'abbé Morrellet , qui fit contre Palissot un petit
écrit imité du petit prophète, et intitulé la Vi~
sion. Il offensa très imprudemment dans cet
écrit madame deRobeck , dont les amis le firent
mettre à la Bastille : car pour elle , naturelle-
ment peu vindicative , et pour lors mourante,
je suis persuadé qu'elle ne s'en mêla pas.
D'Alembert, qui étoit fort lié avec l'abbé Mor-
rellet, m'écrivit pour m'engager à prier madame
de Luxembourg de solliciter son élargissement ,
lui promettant en reconnoissance des louanges
dans l'Encyclopédie (i) : voici ma réponse.
(i) Cette lettre, avec plusieurs autres, a disparu à
riiôiel de Luxembourg, taudis tjue mes papiers y étoieut
en dépôt.
(Cette note n'est point dans le manuscrit autographe.)
43o LES CONFESSIONS.
« Je n'ai pas attendu votre lettre , monsieur ,
« pour témoigner à madame la maréeliale de
« Luxembourg la peine que nie faisoit la déten-
«« lion de 1 abbé Morrellet. Elle sait l'intérêt que
«j'y prends , elle saura celui que vous y prenez;
« et il lui suifiroit, pour y preutlrc intérêt elle-
« même , de savoir que c'est un bomme de mé-
« rite. Au surplus, quoiqu'elle et M. le marécbal
w m'honorent d'une bienveillance (|ui fait la con-
« solation de ma vie , et que le nom de votre
« ami soit près d'eux une recommandation jxmr
n l'abbé ■Nlorrellet , j i;;nore jusfju à <jiiel point il
«' leur convient d employer eu cette occasion le
« crédit attaché à leur rang , et la considération
« due à leurs personnes. Je ne suis pas même
u persuadé ([uc la vengeance en ([uestion regarde
« madame la princesse de liol)eck , autant que
« vous paroissez le croire ; et, quand cela seroit,
«t on ne doit pas s'attendre que le [5laisir de la
ce vengeance appartienne aux philosophes exclu-
« sivemcnt , et ([ue , (juand ils Noiidront être
« femmes, les femmes sewDnt philosophes.
« Je vous rendrai compte de ce (pie m'aura dit
« madame de Luxembourg quand je lui aurai
u nionlré votre lettre, f^n attendant , je crois la
M coniioitre assez j)oiw jxmx oir \(His assurer
li d'avance que , quand elle auroit le plaisir de
Il contribuer à lélargissement de labbe Morrcl-
« let, elle n accepteroit point le tribut de recon-
u noissance cpic \nus lui |)rnnuiu/, dans l'Ency-
« elopcdie, quoi(piclle s en tint honorée; par-
I
PARTIE II, LIVRE X. 4^1
« qu elle ne fait point le bien pour la louange ,
« mais pour contenter son bon cœur. »
Je n épargnai rien pour exciter le zèle et la
commisération de madame de Luxembourg en
laveur du pauvre captif- et je réussis. Elle lit un
voyage à Versailles exprès pour voir M. le comte
de Saint-Florentin ; et ce voyage abrégea celui
de Montmorency, que M. le marécbal fut obligé
de quitter en même temps pour se rendre à
Rouen, où le roi l'envoyoit comme gouverneur
de Normandie, au sujet de quelques mouve-
ments du parlement, qu'on vouloit contenir.
Voici la lettre que m'écrivit madame de Luxem-
bourg le surlendemain de son départ (liasse D,
n°23).
A Versailles ce mercredi.
« M. de Luxembourg est parti bier à six lieures
« du matin. Je ne sais pas encore si j irai. J'at-
i< tends de ses nouvelles, parcequ'il ne' sait pas
« lui-même combien de temps il y sera. J ai vu
"M. de Saint-Florentin, (|ui est le niieux dis-
« posé pour ral>bé Morrellet ; mais il y trouve des
u obstacles dont il espère cependant triompher
« à son premier travail avec le roi , qui sera la
«< semaineprocbainc. J'ai demandé aussi en grâce
« qu'on ne l'exilât point , parcequ'il en étoit
« question ; on vouloit lenvoyer àNancy. Voilà,
« monsieur, ce que j'ai pu obtenir; mais je vous
« promets que je ne laisserai pas M. de Saint-
432 ' LES COISFESSIO>'S.
« Florentin en repos que Taffaire ne soit finie
« comme vous le desirez. Que je vous dise done
« à présent le chagrin que j'ai eu de vous quit-
« ter sitôt : mais je me flatte ({uc vous non dou-
« tez pas. Je vous aime de tout mon cœur , et
« pour toute ma vie. »
Ouel([ues jours après , je reçus ce billet de
d'Alomljdt, qui me donna une véritable joie
(liasse D, n° 2G).
Ce i" août.
«Grâce à vos soins, mon cher philosophe,
<i Tahbé est sorti de la Bastille, et sa détention
« naura point d autres suites. Il part pour la
« campagne, et vous lait, ainsi que moi , mille
« remerciements et compliments. Vale , et me
w ama. "
L'abbé m'écrivit aussi «pielques jours après
une lettre de remerciement (liasse D, n° 29),
qui ne me parut pas respirer une certaine effu-
sion de cœur, et dans lacjuelle il send)loit atté-
nuer en quelque sorte le service que je lui avois
rendu ; et, à quelque temps de là, je trouvai ((ue
d Alembert et lui iii'avoient en quebpie sorte ,
je ne dirai pas supplanté, mais succède auprès
de madame de Luxend)our{;, et (|uej avois p<'rdu
près d'elle autant qu'ils avoient gagné. Cepen-
dant je suis bien éloijpK- de S()Uj)(;onner 1 abbé
Morrellet d'avoir conti ibué à ma disgrâce; je Tes-
PARTIE II, LIVRE X. 4^3
time trop pour cela. Quant à M. dWlenibert , je
n'en dis rien ici; j'en reparlerai dans la suite.
J'eus dans le même temps une autre affaire
qui occasiona la dernière lettre que j aie écrite
à M. de Voltaire, lettre dont il a jeté les hauts
cris , comme d'une insulte abomina}3le , mais
qu'il n'a jamais montrée à personne. Je supplée-
rai ici à ce qu'il n'a pas voulu faire.
L'abbé Trublet , que je connoissois un peu,
mais que j'avois très peu vu , m'écrivit, le i3
juin 1760 (liasse D, n° 11), pour m'avertir que
M. Formey, son ami et correspondant, avoit
imprimé dans son journal ma lettre à M. de Vol-
taire, sur le désastre de Lisbonne. I/abbé Trublet
vouloit savoir comment cette impression s'étoit
pu faire; et, dans son tour desprit fin et jésui-
tique, me demandoit mon avis sur la réimpres-
sion de cette lettre , sans vouloir me dire le sien.
Comme je hais souverainement les ruseurs de
cette espèce, je lui fis les remerciements que je
lui devois , mais j'y mis un ton dur qu'il sentit ,
et qui ne l'empêcha pas de me pateliner encore
en deux ou trois lettres, jusqu'à ce quil sût tout
ce qu il avoit voulu savoir.
Je compris bien, quoi qu'en pût dire Trublet,
que Formey n'avoit point trouvé cette lettre im-
primée , et que la première impression en venoit
de lui. Je le connoissois pour un effronté pillard,
qui, sans façon, se faisoit un revenu (}es ou-
vraj^es des autres , quoiqu'il n'y eût pas encore
mis 1 impudence incroyable dont il usa dans la
14. 2â
434 Ï^ES CONFESSIONS,
.suite envers moi (i). ISlais comment ce manur
scrit lui étoit-il parvenu? Gétoit là la question,
qui n'étoit pas difficile à résoudre, mais dont
j'eus la simplicité d'être embarrassé. Quoique
Voltaire fût honoré par excès dans cette lettre,
comme enfin , malgré ses procédés malhonnêtes,
il eut été fondé à se plaindre, si je favois fait
imprimer sans son aveu, je pris le parti de lui
écrire à ce sujet. Voici cette seconde lettre , à
laquelle il ne fit aucune réponse, et dont, pour
mettre sa brutalité plus à f aise , il fit semblant
d'être irrité jusqu'à la fureur.
A Montmorency, le 17 juin 17G0.
(( Je ne pensois pas, monsieur, me retrouver
«jamais en correspondance avec vous. Mais,
« apprenant que la lettre que je vous écrivis en
« 1756 a été imprimée à Berlin , je dois vous
«< rendre compte de ma conduite à cet égard , et
«je remplirai ce devoir avec vérité et sinq)li-
<c cité.
« Cette lettre, vous ayant été réellement adres-
« sée, n'étoit point destinée à limpression. Je la
« communiquai, sous condition , à trois person-
« ncs à qui les droits de famitié ne me permet-
« toicnt pas de rien refuser de semblable, et à
»< qui les mêmes droits permettoirnt encore
» moins d abuser de leur déj)ôt, en violant leur
(1) CV'St ainsi (|iril s'est, dans I.i siiiic, .ipjirojnic Vïù
Biilc.
( Citlc uotc iic-i |i('iiit :ni 111,111151 lit aiito^riiphe.)
PARTIE II, LIVRE X. 43^
« promesse. Ces trois personnes sont madame
« de Chenonceaux, belle-fille de madame Dupin ,
« madame la comtesse dHoudetot, et un Alîe-
« mand nommé M. Grimm. Madame de Che-
« nonceaux souhaitoit que cette lettre fût impri-
« mée, et me demanda mon consentement pour
« cela. Je lui dis qu'il dép^ndoit du vôtre. Il vous
« fut demandé ; vous le refusâtes , et il n'en fut
« plus question.
« Cependant M. Fabbé Trublet , avec qui je
« n'ai nulle espèce de liaison , vient de m'écrire ,
« par une attention pleine d'honnêteté, qu'ayant
« recules feuilles d'un journal de M. Formey, il
« y avoit lu cette même lettre, avec un avis dans
« lequel l'éditeur dit, sous la date du 2 3 octobre
« 1759, qu'il l'a trom'ée il y a quelques semaines
« chez les libraires de Berlin^ et que ^ comme c'est
« une de ces feuilles volantes qui disparoissent
« bientôt sans retour , il a cru lui devoir donner
'< place dans son journal.
« Voilà, monsieur, tout ce que j'en sais. Il est
« très sûr que jusqu ici l'on n'a voit pas même
« ouï parler à Paris de cette lettre ; il est très sûr
« que l'exemplaire, soit manuscrit, soit impri-
« mé , tombé dans les mains de M. Formey, n'a
« pu lui venir que de vous , ce qui n'est pas vrai-
« semblable, ou d'une des trois personnes que je
« viens de nommer. Enfin , il est très sûr que les
« deux dames sont incapables d'une pareille infi-
«( délité. Je n'en puis savoir davanta{>e de ma
<' retraite : vous avez des correspondances au
436 LES CONFESSIONS.
« moyen desquelles il vous seroit aisé , si la chose
«en valoit la peine, de remonter à la source,
« et de vérifier le fait.
« Dans la même lettre, M, fabbé Trublet me
(1 mar([ue quil tient la feuille en réserve, et ne
<' la prêtera point sans mon consentement ,
« qu'assurément je nç donnerai pas: mais cet
« exemplaire peut n'être pas le seul à Paris, .le
« soubaite , monsieur, que cette lettre n y soit
« pas imprimée, et je ferai de mon mieux ponr
« cela ; mais , si je ne pouvois éviter qii'elle le
"fût, et qu instruit à temps je pusse avoir la
.< préférence, alors je nbésitcrois pas à la lairc
u imprimer moi-même. Gela me paroît juste et
'< naturel.
" Quant à votre réponse à la même lettre , elle
<' n a été communi{{uéc à personne; et vous pou-
" vez compter ([uelle ne sera point imprimée
« sans votre aveu, qu assurément je n'aurai pas
«< I indiscrétion devons demander, sachant l)ien
" que ce qu un homme écrit à un aiitie il ne 1 é-
« crit pas au public: mais, si vous en vouliez
w faire une pour être publiée et me 1 adresser, je
« vous promets de la joindre fidèlement à ma
" lettre, et de n'y pas répliquer un seul mot.
« .le ne vous aime point monsieur : vous m a-
« ve/- lait les maux «pii jiouvoient mètre les plus
« sensibles, à moi voire disciple et voire entliou-
<' siaste. Vous avezj^erdu Genève pour le prix de
« l'asile que vous y |ivcz reçu : vous avez aliéné
« de moi mes concitoyens , pour le prix de^ ap-
PARTIE II, LIVRE X. 4^7
" plaiidissements que jfi vous ai prodigués parmi
« eux ; c'est vous qui nie rendez le séjour de mon
« pays insupportable ; c'est vous qui me ferez
« mourir en terre étrangère, privé de toutes les
« consolations des mourants, et jeté pour tout
" honneur dans une voirie, tandis que tous les
« honneurs qu'un homme peut attendre vous
« accompagneront dans mon pays. Je vous bais
«< enfin, puisque vous l'avez voulu ; mais je vous
" hais en homme encore plus digne de vous ai-
«mer, si vous l'aviez voulu. De tous les senti-
« raents dont mon cœur étoit pénétré pourvous^,
<' il a'y reste que l'admiration qu'on ne peut re-
" fuser à votre beau génie, et l'amour de vos
« écrits. Si je ne puis honorer en vous que vo*
« talents, ce n'est pas ma faute : je ne manquerai
« jamais au respect que je leur dois, ni aux pro-
u cédés que ce respect exige. Adieu, monsieur. '>
•
Au milieu de tous ces petits tracas littéraires,
qui me confirmoient de plus en plus dans ma
résolution, je reçus le plus grand honneur que
les lettres m'aient attiré, et auquel j'ai été le plus
sensible, dans la visite que M. le prince de Conti
daigna me faire par deux fois, lune au petit châ~
teau, et fautre à jNIont-Louis. U choisit mênie,
toutes les deux fois , le temps que M. et madame
de r^uxcmbourg n'étoicnt pas à Montmorency,
afin tic rendre plus manifeste qu'il n y \ cuoit (pie
pour moi. Je n'ai jamais douté que je ne dusse,
les premières bontés de ce prince à madame de
438 LES CONFESSIONS.
Luxembourg et à madame de Boufflers, mais je
lic doute pas non plus que je ne doive à ses pro-
pres sentiments et à moi-même eelles dont il n'a
cessé de m'honorer depuis lors (i).
Coiume mon appartement de Mont - TiOuis
étoit très petit, et ([ue la situation du donjon
étoit charmante, j'y conduisis le prince, qui,
pour comble de grâces, voulut que j'eusse llion-
ncur de faire sa partie aux échecs. Je savois f[u il
gagnoit le chevalier de Tjorenzy, qui étoit plus
fort ([ue nu)i. Cependant, malgré les signes et
les grimaces du chevalier et des assistants, que
je ne fis pas semblant de voir, je gagnai les deux
i)artiesque nous jouâmes. Mn linissant , je lui dis,
d'un ton respectueux, mais grave : « Monsei-
u gneur, j'honore trop votre altesse sérénissime
" pour ne la pas gagner toujours aux échecs. "
Ce grand prince, plein d'espiitettle lumières, et
si digne de n'être pas adulé, sentit ^n effet, du
moins je le pense, qu'il n'y avoit \\ que moi (|ui
le traitasse en homme, et j ai tout lieu de croire
qu'il m'en a vraiment su bon gré.
Quand il m'en auroit su mauvais gré , je ne me
reprocheroispas de n'avoirpas voulu le tromper,
<'t je n ai |)as assurément à me reprocher non |)lus
d'avoir mal répondu dans mon cœur à ses bon-
(t) l{('m;ii(|iioz In |>rrs(:vcrinico do cette aveii{;Io ci slu-
pido confiance au milieu de tous les traitements qui dé-
voient le plus m'en «lesahuser : elle n'a (■oss(' fjue tlepuis^
mon retour à Paris en 1770.
(Noie qui iitnnqiir ;iu in:iniisrrit autogrnphc. )
PARTIE II, LIVRE X. 4^9
tes, mais bien d'y avoir répondu quelquefois de
mauvaise {^fraee, tandis quil mettoit lui-même
une grâce infinie dans la manière de me les mar-
quer. Peu de jours après, il me fit envoyer un
panier de gibier, que je reçus comme je devois.
A quelque temps de là , il m'en fit envoyer un
autre; et l'un de ses officiers des chasses écrivit,
par son ordre, que c'étoit de la chasse de son
altesse, et du gibier tiré de sa propre main. Je le
reçus encore, mais j'écrivis à madame de Bouf-
flers que je n'en reccvrois plus. Cette lettre fut
généralement blâmée , et méritoit de l'être. Re-
fuser des présents en gibier d'un prince du sang,
qui de plus met tant d'honnêteté dans l'envoi ,
est moins la délicatesse d'un homme fier qui
veut conserver son indépendance , que la rusti-
cité d'un mal appris qui se méconnoît. .le n'ai
jamais relu cette lettre dans mon recueil, sans
len rougir, et sans me reprocher de l'avoir écrite.
Mais cniin je n'ai pas entrepris mes confessions
pour taire mes sottises, et celle-là me révolte
trop moi-même pour qu'il me soit permis de la
dissimuler.
Si je ne fis pas celle de deyenir son rival, il
s'en fallut peu : car alors madame de Boufflers
étoit encore sa maîtresse, et je n'en savois rien.
Elle nie vcnoit voir assez souvejit avec le cheva-
lier de Lorenzv. Elle étoit belle et jeune encore.
Elle affectoit l'esprit romain , et moi je l'eus tou-
jours romanesque; cela se tenoit d'assez près. Je
faillis me prendre; je crois qu'elle le vit ; le chc-
^io LES CONFESSIONS.
\alicr le vit aussi, du moins il m'en parla, et de
manière à ne pas me déeourager. Mais pour le
coup je fus sa(je, et il en étoit temps à cinquante
ans. Plein de la leron que je venois de donner
aux barbons , dans ma Lettre à cV Alembert ^ j eus
bonté d'en profiter simal moi-même. D ailleurs,
apprenant ce que j'a^'ois ignoré, il auroit fallu
que la tête m'eût tout-à-fait tourné, pour por-
ter si baut mes concurrences. Enfin, mal guéri
peut-être encore de ma passion pour madame
dHoudetot, je sentis que plus rien ne la pouvoit
remplacer dans mon cœur, et je fis mes adieux
à lamour poiu* le reste de ma vie. Au moment
où j'écris ceci, je viens d'avoir dune jeune et
belle personne des agaceries bien dangereuses,
et avec des yeux bien incjuiétants : mais si elle
a fait semblant d oublier ma soixantaine, pour
moi je m'en suis souvenu. Après ni'être tiré de
ce pas, je ne crains plus de cbutes , et je réponds
de moi pour le reste de mes jours.
Madame de Boufllers , s'étant aperçue de fé-
motion qu'elle m'avoit donnée, put s'apercevoir
aussi ([lie j en avois triompbé. .le ne suis ni assez
fou ni assez vain pour croire avoir pu lui inspirer
du goût à mon âge ; mais sur certains propos
qu'elle tint à Tbérèse , j'ai cru lui avoir inspiré
de la curiosité. Jii cela est, et ((u'ellene m ait pas
pardonné cette curiosité frustrée, il faut avouer
que j étois bien ne pour être \ i( ( imc de mes foi-
blesses, puiscpie, si lamour vaiuijiunir me fut si
funeste , l'amour vaincu me le lut encore plus.
PARTIE II, LIVRE X. 44*
Ici finit le recueil de lettres qui ma servi de
guide dans ces deux livres. Je ne vais plus mar-
cher que sur la trace de mes souvenirs : mais ils
sont tels dans cette cruelle époque , et la forte
impression m'en est si bien restée, que , perdu
dans la mer immense de mes maliieurs, je ne
puis oublier les détails de mon premier naufrage ,
quoique ses suites ne m'offrent plus que des sou-
venirs confus. Ainsi je puis marcher encore dans
le livre suivant avec assez d'assurance. Si je vais
plus loin , ce ne sera plus qu'en tâtonnant.
FIN DU DIXIEME LIVRE.
4'p LES CONFESSIONS.
LIVRE ONZIEME.
(Quoique la Julie , qui depuis lonfj- temps étoit
soasprcsse,ncparût{)ointencorcàla iinde i -60,
elle conimciK^oit à faire grand ))iuit. Madame de
TjUxeinhouiY; *'" avoit parlé à la eour , madame
dlloudcîtoi à l'aris. Cette dernière avoit nu-me
obtenu de moi, pour Saint-Land)ert , la permis-
sion de la faire lire en manuscrit au roi de Polo-
fine , qui en avoit été enchanté, Duclos , à t|ui je
Tavois aussi fait lire, en avoit parlé à lacadémie.
Tout Paris étoit dans l'impatience de voir ce ro-
man; les libraires de la rue Saint-Jacques et celui
du Palais-roval étoient assié{;és de p,ens qui en de-
iiiandoient des nouvelles. Il parut enfin , et sou
succès , contre l'ordiMaire , répondit à fenq^resse-
ment avec lecpiel il avoit été attendu. Madame la
daupbine, qui lavoit lu des premières, en parla
à M. de Luxend)our{', comme d un ouvra(^;e ravis-
sant. TiCs sentiments furent partaf^és chez les {^ens
de lettres, mais dans le monde il n'y eut «péun
avis, et les femmes sur-tout s'enivrèrent et du li-
vre et de l'auteur, au point rpi'il yen avoit l)eu,
nu";medans les Iwuits ranj^s , dont je n'eusse fait la
eon(piête, si je l'avois entrepris. .Vai de cela des
preuves que je ne yeux pas écrire , et qui, sans
PARTIE II, LIVRE XT. 44^^
avoir besoin de Tcxpérience autorisent mon opi-
nion. Il est singulier que ce livre ait mieux réussi
en France que dans tout le reste de l'Europe ,
quoique les François, hommes et femmes, ny
soient pas fort biçn traités. Tout au contraire de
mon attente, son moindre succès fut en Suisse,
et son plus grand à Paris. L'amitié, Tamotir , la
vertu, régnent-ils donc à Paris plus qu'ailleurs?
Kon, sans doute ; mais il y régne encore ce sens
exquis qui transporte le cœur à leur. image, et qui
nous fait chérir dans les autres les sentiments
purs , tendres , honnêtes que nous i.î'avons plus.
La corruption désormais est par-tout la même :
il n'existe plus ni mœurs ni vertus en Europe ;,
mais s'il existe encore quelque amour pour elles,
c'est à Paris qu'on doit le chercher (i).
Il faut, à travers tant de préjugés et de passions
factices, savoir bien analyser le cœur humain
pour y démêler les vrais sentiments de la nature.
Il faut une délicatesse de tact qui ne s'acquiert
que dans l'éducation du grand monde , pour sen-
tir , si j ose ainsi dire , les finesses de cœur dont
cet ouvrage est rempli. Je mets sans crainte sa
quatrième partie en parallèle avec la princesse
de Cléves, et je dis que, si ces deux morceaux
n'eussent été lus qu'en province, on n'auroit ja-
mais connu tout leur prix. Il ne faut donc pas
s'étonner si le plus grand succès de ce livre fut à
(i) J'écrivoisceci en ijGq.
(Cette note n'est point au manuscrit auto^mphe. )
444 I ES COISFESSIOXS.
la cour. Il aljonde en traits vifs , mais voilés , qui
doivent y plaire parcequ on est plus exercé à les
pénétrer. Il faut pourtant ici distinguer encore.
Cette lecture n'est assurément pas propre à cette
sorte de (^ens desprit qui n ont que de la ruse,
qui ne sont fins que pour pénétrer le mal, et qui
ne voient rien du tout où il n y a que du bien à
voir. Si , par exemple , la Julie eût été publiée en
certain pays que je pense , je suis sur fjue per-
sonne n'en eut achevé la lecture, et quelle seroit
morte en naissant.
.Vai rassemblé la plupart des lettres ([ui n\r.
furent écrites sur cet ouvraj^c, dans imeliar-se <pii
est entre lesmains de madame deNadailIac. Si ja-
mais ce recueil paroît,on y verra des choses bien
singulières, et une opposition de jugements rpii
montre ce que c'est que d avoir alïairc au public.
La chose qu'on y a le moins xuc , et <pii On fera
toujours un ouvrage uni([ue, est la simplicitc^
du sujet et la chaîne de 1 intérêt, qui, concentré
entre trois personnes, se soutient durant six vo-
lumes, sans épisode, sans aventure romanesque,
sans méchanceté d'aucune espèce , ni dans les
personnages ni dans les actions. Diderot a fait de
grands conqdiments à lîichardson sur la prodi-
gieuse variété de ses tableaux, et sur la multitu-
de de ses personnages. Hichardson a en effet le
mérite de les a\(>ii- tous bi(Mi carac terisés; mais,
f[uant à leur n<)nd)re, il a cela de commun avec
les plus insipides romanciers, qtii suppléent à la
stérilité de leurs idées à force de personnages et
PAÏiTIE iî, LIVRE XI, 44^
d'aventures. Il est aisé de réveiller l'attention en
présentant incessamment et des événements in-
ouis, et de nouveaux visages qui passent comme
les figures de la lanterne magique : mais de sou-
tenir toujours cette attention sur les mêmes ob-
jets, et sans aventures merveilleuses, cela, cer-
tainement , est plus difficile; et si, toute chose
égale, la simplicité du sujet ajoute à la beauté de
l'ouvrage, les romans de Richardson, quoi que
M. Diderot en ait pu dire, ne sauroient , sur cet
article, entrer en parallèle avec le mien. [ Il est
mort cependant , je le sais, et j'en sais la cause;
mais il ressuscitera. ]
Toute ma crainte étoit qu'à force de simplicité
ma marche ne fût ennuyeuse, et que je n'eusse
pu nourrir assez l'intérêt pour le soutenir jus-
qu'au bout, .le fus rassuré par un fait qui , seul ,
m'a plus flatté (pie tous les compliments qu'a pu
ni'attirer cet ouvrage.
Il parut au commencement du carnaval. Le
colporteur le porta à madame la princesse de Tal-
mont(i) , un jour de bal de l'opéra. Après souper,
elle se fît habiller pour y aller, et, en attendant
l'heure, elle se mit à lire le nouveau roman. A
minuit , elle ordonna (pion mît ses chevaux, et
continua de lire. On vint lui dire que ses chevaux
étoicnt mis ; elle ne répondit rien. Ses gens, voyant
qu'elle s'oublioit , vinrent l'avertir qu'il étoit
(i) Ce n'est pas elle, c'est une autre dame dont j'ignore
le nom ; mais le fait m'a été assure.
446 LES CONFESSIOISS.
deux heures. Rien ne presse encore, dit-elle en
lisant toujours. Quelque temps après, sa montre
étant arrêtée , elle sonna pour savoir (juellc heure
il étoit. On lui dit qu'il étoit quatre heures. Cela
étant , dit-elle, il est trop tard pour aller au hal;
qu'on ôtemes chevaux. Elle se fit déshahiller , et
passa le reste de la nuit à lire.
Depuis qu'on me raconta ce trait , j'ai toujours
désiré de voir madame de Talmont, non seule-
ment pour savoir d'elle-même s'il est exactement
vrai, mais aussi parcetjnc j'ai toujours cru (pion
ne pouvoit prentlre un intérêt si vil à llléloise,
sans avoir ce sixième sens, ce sens moral dont si
peu de cœurs sont doués, et sans le(juel nul ne
sauroit entendre le mien.
Ce qui me rendit les femmes si favorahlcs fut
la persuasion où elles furent que j'avois écrit ma
propre histoire , et que j'étois moi-même le héros
de ce roman. Cette croyance étoit si hien étahlie,
que madame de Polignac écrivit à madame de
Verdelin pour la prier de m'en^jager à lui laisser
voir le portrait de Julie. Tout le monde étoit per-
suadé qu'on ne pouvoit exprimer si vivement des
sentiments qu'on n'auroit point éprouvés , ni
peindre ainsi les transports de l'amour que d'a-
près son propre cœur, rncela l'on avoit raison,
et il est certain que j'écrivis ce roman dans les
plus éroticjues extases : mais on se trompoit en
pensant «[u'il avoit fallu des ohjets réels pour les
produire; on éloit loin de concevoir à quel point
je puis ni'enllamincr pour des êtres iniarfinaires.
PARTIE II, LIVRE XI. "447
Sans quelques réminiscences de jeunesse et ma-
•dame dlioudetot, les amours que j'ai sentis et
décrits n'auroient été qu'avec des sylphides. Je
ne voulus ni confirmer ni détruire une erreur qui
ni'étoit avantaj'^feuse. On peut voir dans la pré-
face en dialogue, queje fis imprimer àpart,com-
ment je laissai là-dessus le public en suspens. Les
rij^oristes trouveront que j'aurois dû déclarer la
vérité tout rondement : pour moi, je ne vois pas
ce quim'y pouvoit oblijoer , et je crois qu'il y au-
roit eu plus de bêtise que de franchise à cette dé-
claration faite sans nécessité.
A-peu-près dans le même temps, parut \aPaix
perpétuelle^ dont, l'année précédente, j'avois cé-
tlé le manuscrit àun certain M. deBastide , auteur
d'un journal appelé le Monde, dans lequel il au-
roit voulu , bon gré mal gré , fourrer tous mes
manuscrits. Ilétoit de la connoissance de M.Du-
clos,et vint en son nom me presser de lui aider à
remplir le Monde. Il a voit ouï parler de Julie, et
vouloit que je la misse tout entière dans' son
journal : il vouloit que j'y misse V£mile,i\ auroit
voulu <Pie jy misse le Contrat social ^ s il eût su
que cet ouvrage existoit. Enfin , excédé de ses ini-
portunités , je pris , pour m'en délivrer , le parti
de lui céder, pour douze louis, mon extrait delà
Paix perpétuelle. jN'otre accord étoit qu'il s iin-
j)rimeroit dans son journal; mais sitôt qu'il fut
])ropriéiaire de ce manuscrit, il jugea à propos
de le faire inqirimer à part , avec quelques retian-
chcments (jue le censeur exi[;ea. Ou'cuî-ce été ,-i
448 LES co^"FESSIO^'S.
j'y avois joint mon jugement sur cet ouvrage,
dont très heureusement je ne parlai pas à M. de
Bastide, et qui nViitra point dans notre marclié?
Ce jugement est encore en manuscrit parmi mes
papiers. Si jamais il voit le jour, on y pourra
connoître combien les plaisanteries et le ton suf-
fisant (le Voltaire, à te sujet, m'ont dû faire
rire , moi qui voyois si lùcn la portée de ce pau-
vre homme dans les matiètes politiques dont il
se mêloit de parler.
Au milieu de mes succès dans le public , et de
la faveur des dames, je me sentois déchoir à
l'hôtel de Luxembourg, non pas auprès de M. le
maréchal , qui sembloitmême redoubler chaque
jour de bontés et d amitiés pour moi, mais au-
près de madame la maréchale. Depuis ([uc je u'a-
vois plus rien à lui lire, son appartement m'étoit
moins ouvert ; et , durant les voyages de Mont-
morency, quoi([uc je me piésentasse assez cxac*-
tement , je ne la voyois plus guère qu'à table: ma
place même n'y étoit plus aussi marquée à côté
d'elle. Comme elle ne me l'offroit plus, quelle
me parloit peu, et que je n avois pas ngon plus
grand' chose à lui dire, j'aimois autant prendre
une autre place, où j étois plus à mon aise, sur-
tout le soir; car, machinalement, je prenois|)cu-
à-peu 1 babil ude de me placer plus près tle M. le
marée bal.
A propos du soir , je me souviens d'avoir dit
(|ue jene soupois pas au cbàteau, et cela étoit vrai
dans le commencement delà connoissance: mais
PARTIE ÏI, LIVRE XI. 449
comme M, de Luxemliourg ne dînoit*poiiit, et
ne se metloit pas même à table , il arriva de là
qu'au bout de plusieurs mois, et déjà très familier
dans sa maison, je n'avois encore jamais mangé
avec lui. Il eut la bonté d'en faire la remarque :
cela me détermina d'y souper quelquefois , quand
il n'y avoit pas beaucoup de monde , et je m'en
trouvois très bien, vu qu'on dînoit presque en
l'air, et , comme on dit , sur le bout du banc ; au
lieu que le soupe étoit très long, parcequ'on s'y
reposoit avec plaisir au retour d'une longue pro-
menade; très bon,parceque M. de Luxembourg
étoit gourmand ; et très agréable, parceque ma-
dame de Luxembourg en faisoit les honneurs à
charmer. Sans cette explication, l'on entendroit
difficilement la fin d'une lettre de M, de Luxem-
bourg (liasse G, n'' 36) , où il me dit qu'il se rap-
pelle avec délices nos promenades, sur -tout,
ajoute-t-il, quand, en rentrant les soirs dans la
cour, nojis n'y trouvions point de traces de roues
de carrosses : c'est que, commç on passoit tous
les matins le râteau sur le sable de la cour , pour
effacer les ornières , je jugeois , par le nombre de
ces traces, du monde qui étoit survenu dans
l'après-midi.
Cette année lyGi mit le comble aux pertes
continuelles que fit ce bon seigneur depuis que
j avois le bonheur de le voir; comme si les maux
que nje préparoit la destinée eussent dû com-
mencer par riiomme pour qui j'avois le plus
d'attachement, et qui en étoit le plus digne. La
14. 39
45o LES CONFESSIONS,
première année il perdit sa sœur , madame la
duchesse de Villeroy; la seconde, il perdit sa
fille, madame la princesse de Roheck; la troi-
sième, il perdit dans le duc de Montmorency,
son fils uni(jne, et, dans le comte de Luxem-
bour^j, son petit-fils, les seuls et derniers sou-
tiens de sa branche et de son nom. Il supporta
toutes ces pertes avec un courafje apparent ; mais
son cœur ne cessa de saigner en dedans tout le
reste de sa vie, et sa santé ne Ht plus cpic décli-
ner, lia mort imprévue et tragique de son fils
dut lui être d autant plus sen.sil)le, qu'elle arriva
précisément dans le moment où le roi venôit
de lui accorder pour son fils, et de lui promettre
pour son petit-fils , la survivance de sa charge
de capitaine des gardes-du-corps. Il eut la dou-
leur de voir s éteindre peu à peu, sous ses yeux,
ce dernier enfant de la plus grande espérance,
et cela par l'aveugle confiance de la mère au mé-
decin, qui fit périr ce pauvre enfant d'inanition,
avec des médecines pour toute nourriture. Hé-
las ! si j'en eusse été cru, le grand-père et le petit-
fils sçroient tous deux encore en vie. Que ne
dis-je point, <pie n'écrivis-je point à M. de Lu-
x«;ud)()iirg! cpio de représentations ne fis-je point
à madame de Montmorency, siu' le régime plus
qu'austère (jue, sur la foi de son n'édeeiii , elle
faisoit observer à son fils! ÎVÏadame de Luxem-
bourg, (jui pensoit comme moi , ne vouloir point
usurper l'autorité de la mère; M. de Luxem-
bourg , homme doux et foible , u aimoit point à
PARTIE II, LIVRE XI. 4^1
contrarier. Madame de Montmorency avoit dans
Bordeu une ioi dont son fils finit par être la vic-
time. Que ce pauvre enfant étoit aise quand il
pouvoit obtenir la permission de venir à Mont-
Louis , avec madame de Boufflers, demander à
goûter à Thérèse , et mettre quelque aliment
dans son estomac affamé ! Combien je déplo-
rois en moi-même les misères de la grandeur,
quand je voyois cet unique héritier d'un si p^rand
bien , d'un si grand nom , de tant de titres et de
dignités , dévorer avec l'avidité d'un mendiant
un pauvre petit morceau de pain ! Enfin , j'eus
beau dire et beau faire, le médecin triompha,
et l'enfant mourut de faim.
La même confiance aux charlatans , qui fit
périr le petit-fils , creusa le tombeau du grand-
père, et il s'y joignit de plus la pusillanimité de
vouloir se dissimuler les infirmités de l'âge. M. de
Luxembourg avoit eu par intervalles quelque
douleur au gros doigt du pied; il en eut une at-
teinte à Montmorency, qui lui donna de finsom-
nie et un peu de fièvre. J'osai prononcer le mot
de goutte; madame de Luxembourg me tança.
Le valet-de-chambre-chirurgien de M. le ma-
réchal, appelé Morlane , soutint que ce n'étoit
pas la goutte, et se mit à panser la partie souf-
frante avec du baume tranquille. Malheureuse-
ment la douleur se calma , et quand elle revint
on ne manqua pas d'employer le même remède
qui l'avoit calmée : la constitution s'altéra , les
maux augmentèrent , et les remèdes en même
452 LES GOrîFESSIONS.
raison. Madame de Luxembourjy, qui vit bien
entin que c étoit la {^foutte , s opposa à cet in-
sensé traitement. On se cacha d'elle, et M. de
Luxembourg périt par sa faute au bout de queJ-
ques années, pour avoir voulu s'obstiner à f^ué-
rir. Mais n anticipons pas de si loin sur les mal-
heurs : combien j'en ai d'autres à narrer avant
celui-là!
Il esisinrrulier avec quelle fatalité tout ce que
je pouvois dire et faire sembloit fait pour dé-
plaire à madame de Luxembourg, lors même
<|ue i'avois le plus à cœur de cmiserver sa bien-
vcùUancc. Les afflictions que M. de Luxembourg
éprouvoit coup sur coup ne faisoient que m'at-
iacher à lui davantage, et par conséquent à ma-
dame de Luxembourg : car ils m'ont toujours
paru si sincciement unis, ([ue les sentiments
qu'on avoit pour lun sétendoient nécessaire-
ment à l'autre, M. le maréchal vieillissoit : son
assiduité à la cour, les soins tpi elle enirahioit ,
les chasses continuelles , la ialigue sur-toul du
service durant son quartier , auroient demandé
la vigueur dun jeune homme; et je ne voyois
plus rien qui pût soutenir la sienne dans cette
cairière. IViiscpie ses dignités dévoient être dis-
persées , et son nom éteint après lui, peu lui
iinportoil de eontiiniei- une vie lahorieuse, dont
lubjtt princijial n avoit ete (pie de mena;;er les
faveurs du prince à ses enfants. Ln jour ipie
nous n'étions que nous trois , et (pi il se plaignoit
des laligues de la cour, en homme cpieses per-
PARTIE II, LIVRE XI. /\J?i
t€S avoient découragé , j'osai parler de retraite,
et lui donner le conseil que Gynéas donnoit jadis
à Pyrrhus; il soupira, et ne répondit pas décisi-
vement. Mais , au premier moment où madame
de Ijuxembourg me vit en particulier , elle me
relança vivement sur ce conseil qui me parut
l'avoir alarmée. Elle ajouta une chose dont je
sentis la justesse , et qui me fit renoncer à re-
toucher jamais la même corde : c'est que la lon-
gue habitude de vivre à la cour devenoit un
besoin , que c'étoit même en ce moment une
dissipation pour M. de Luxembourg, et que la
retraite que je lui conseillois seroit moins .un
repos pour lui qu'un exil , où l'oisiveté, t'ennui,
la tristesse , achèveroient bientôt de le consu-
mer. Quoiqu'elle dût voir qu'elle m'avoit per-
suadé, quoiqu'elle dût compter sur la promesse
que je lui fis et que je lui tins, elle ne parut ja-
mais bien tranquillisée à cet égard , et je me suis
rappelé que, depuis lors, mes têtes-à-tétes avec
M. le maréchal avoient été plus rares et presque
toujours interrompus.
Tandis que ma balourdise et mon guignon
me nuisoicnt ainsi de concert auprès d'elle, les
gens quelle voyoit et quelle aimoit le pkis ne
m'y servoient pas. L'abbé de Boufflers sur-tout,
jeune homme aussi brillant quil soit possible
de l'être , ne me parut jamais bien disposé pour
moi; et non seulement il est le seul de la société
de madame la maréchale qui ne m'ait jamais
marfpié la moindre attention, mais j ai cru ma-
454 LES CONFESSIONS,
percevoir qu à tous les voyages qu'il fit à Mont-
morency je perdois quelque chose auprès d'elle ;
et il est -vrai que, sans même qu'il le voulut,
c'étoit assez de sa seule présence : tant la grâce
et le sel de ses [;entillesses appesantissoient en-
core mes lourds spropositi. Les deux premières
années il nétoit ])res(jue pas venu à Montmo-
rency, et, par lindulpcnce de madame la maré-
chale, je m'étois passablement soutenu; mais,
sitôt qu'il y parut un peu de suite, je fus écrase
sans retour. J'aurois voulu me réfuj;ier sous son
aile, et faire en sorte <juii me prit en amitié;
mais la même maussaderie, qui me faisoit un
besoin de lui plaire, m'empêcha d'y réussir, et
ce que je fis pour cela maladroitement acheva
de me perdre auprès de madame la maréchale,
sansm'ètre utile auprès de lui. Avec autant d'es-
prit il eût pu réussira tout; mais l'impossibilité
de s'appliquer et le {^oût de la dissipation ne
lui ont permis dacquérir que des demi-talents
en tout genre. En revanche il en a beaucouj),
et c'est tout ce (pi'il faut tlans le grand monde
où il veut briller. Il fait très bien de petits vers ,
écrit très bien de petites lettres, va jouaillant
un peu du cistre , et barbouiilani nu \n\\ de
peinture au pastel. Il s'avisa de vouloir faiie le
portrait de madame de Luxcndxiurj; ; ce por-
trait étoit horrible. Elle prétendoit <|u il ne lui
ressembloit point du (ont , et cela étoit vrai. !.<•
traître d'abbé me consulta; et moi, comme un
menteur et comme un sot, je dis cpie le poi trait
PARTIE II, LIVRE XI. 4^5
ressembloit. Je voulois cajoler l'abbé; mais je
ne cajolois pas la maréchale, qui mit ce trait
dans ses registres ; et Fabbé, ayant fait son coup,
se moqua de moi. J'appris, par ce succès de mon
tardif coup d'essai, à ne plus me mêjer de vou-
loir flagorner et flatter malgré Minerve.
Mon talent étoit de dire aux hommes des vé-
rités utiles, mais dures, avec assez d'énergie et
de courage; il falloit m'y tenir. Je n'étois point
né, je ne dis pas pour flatter, mais pour louer.
La maladresse des louanges que j'ai voulu don-
ner m'a fait plus de mal que lâpreté de mes
c.ensures. J'en ai à citer ici un exemple si terri-
ble , que ses suites ont non seulement fait ma
destinée pour le reste de ma vie , mais décide-
ront peut-être de ma réputation dans toute la
postérité.
Durant les voyages de Montmorency, M. de
Choiseul venoit quelquefois souper au château.
Il y vint un jour que j'en sotf-tois. On parla de
moi; M. de Luxembourg lui conta mon histoire
de Venise avec M. de Montaigu. M. de Choiseul
lui dit que c'étoit dommage que j'eusse aban-
donné cette carrière , et que, si j'y voulois ren-
tref, il ne demandoit pas mieux que de m'occu-
per. M. de Luxembourg me redit cela: j'y fus
d'autant plus sensible, que je n'avoispas accou-
tumé d'être gâté par les ministres ; et il n'est pas
sûr que, malgré mes résolutions, si ma santé
m'eût permis d'y songer, j'eusse évité la tentation
d'en faire de nouveau la folie. L'ambition n'eut
456 LES CONFESSIONS,
jamais cliez moi que les courts intervalles où
d'autres passions me laissoieut libre ; mais un de
ces intervalles eût suffi pour me rengager. Cette
bonne intention de M. de Choiseul, malfection-
nant à kii,«ccrut Testime ([ue, sin- (|ucl(]nes opé-
rations de son ministère, j'avois conçue pour ses
talents; et le pacte de famille en particulier me
parut annoncer un homme d état du premier or-
dre. Il gagnoit encore dans mon esprit au peu de
cas que je faisois de ses prédécesseurs , sans ex-
cepter madame de Pomnadoiir, que je regardois
comme une fa<;on de premier ministre ; ct,<[uand
le bruit courut que d'elle ou de lui lun des deux
expulseroit l'autre, je crus faire des vœux pour
la gloire de la Trance en en faisant pour que
M. de Choiseul triomphât, .le m'élois senti de
tout temps pour madame de Pompadour de
l'antipathie, même quand, avant sa fortune, je
l'avois vue chez maflamc de La Poplinière j>or-
tant encore le nom de madame diùioles. De-
puis lors, j'avois été peu content de son silence
au sujet de Diderot, et de tous ses procédés par
rapport à moi, tant au sujet des fêtes de Ilamirc
et des Muses galantes, cpi'au sujet du Devin du
village, ([ui ne m'avoit vahi dans aucun gçiire
de produit des avantages proportionnés à ses
succès; et, dans toutes les occasions, je l'avois
trouvée très peu disposée à mOhhger: ce (|ui
n'empêcha pas le chevaher de lioreuzy de me
proposer de faire <juel(jU(^ chose à hi louange de
cette dame, en m insinuant <|ue cela pourroit
PARTIE II, LIVRE XI. 4^7
îii'être utile. Cette proposition m'indigna d'au-
tant plus, que je vis hien qu'il ne la iaisoit pas
de son chef ^sachant que cet homme , nul par
lui-même, ne pense et n'agit que par l'impul-
sion des gens qui disposent de lui. Je sais trop
peu me contraindre pour avoir pu lui cacher
mon dédain pour sa proposition, ni à personne
mon peu de penchant pour la favorite : elle le
connoissoit, j'en étois sûr; et tout cela mêloit
mon intérêt propre à mon inclination naturelle
dans les vœux que je faisois pour M. de Ghoi-
scul. Prévenu d'estime pour ses talents, plein de
reconnoissance pour sa bonne volonté , igno-
rant dailleurs totalement dans ma retraite ses
goûts et sa manière de vivre , je le regardois
d'avance comme le vengeur du public , et le
mien : et , mettant alors la dernière main au
Contrat social , j'y marquai dans un seul trait
ce que je pensois des précédents ministères et
de celui qui commenroit à les éclipser. Je man-
quai dans cette occasion à ma plus constante
maxime, et de plus je ne songeai pas que, quand
on veut louer et ])lâmcr fortement dans un
même article sans nommer les gens, il faut tel-
lement approprier la louange à ceux qu'elle re-
garde, que le plus ombrageux amour-propre ne
puisse y trouver de quiproquo, J'étois là-dessus
dans une si folle sécurité , qu'il ne me vint pas
même à l'esprit que quelqu'un pût prendre le
change. On verra bientôt si j'eus raison.
Une de mes chances étoit d'avoir toujours
458 LES CONFESSIONS,
clans mes liaisons dos femmes auteurs. Je croyois
au moins parmi les grands éviter cette chance.
Point du tout; elle m y suivit enopre. Madame
de Luxembourg ne fut pourtant jamais, (jue je
sache, atteinte de cette manie; mais madame
la comtesse de BoufHers le fut. Elle fit une tra-
gédie en prose, qui fut d abord lue, j)romenée ,
et prônée dans la société de M. le prince de
Conti , et sur la<juelle , non contente de tant
d'éloges , elle voulut aussi me consulter pour
avoir le mien. Elle l'eut, mais modéré, tel (pie
le méritoit l'ouvrage. Elle eut de pkis 1 avertis-
sement (pie je crus lui devoir, (pu^ sa pièce, in-
titulée l'Esclave généreux^ avoit un très grand
rapport à une pièce anjjbuse, assez peu connue,
mais pourtant traduite, intitulée Oroonoko. Ma-
dame de Boufllers me remercia de l'avis , en
massurant toutefois ([ue sa pièce ne ressem-
l)loit point du tout à l'autre. Je n'ai jamais parlé
de ce plagiat à personne au monde qua elle
seule , et cela pour renqilir un devoir (pi'elle
m'avoit imposé; cela ne m'a pas empêché de nie
rappeler sou\ent depuis lors le sort «le <elui ((ue
remplit (iil-Illas auprès de révc([ue prédicateur.
Outre Tablié de Boufflers , qui ne m'aimoit
pas , outre la comtesse de Boufflers, auprès de
laqiu'lle j avois des torts que jamais les femmes
ni les auteurs ne pardonnent , tons les autres
amis de UKnlanie la iiun ( ( liiic ni ont tc^njoius
j)aru jieu disposes à être <les miens, entie au-
tres M. le président Ilénault, lecpjel , enrôlé par-
PARTIE n, LIVRE XI. 459
mi les auteurs , n'étoit pas exempt de leurs dé-
fauts ; entre autres aussi madame du Deffand
et mademoiselle de Lespinasse, toutes deux en
fjrande liaison avec Voltaire , et intimes amies
de d'Alembert , avec lequel la dernière a même
fini par vivre , s'entend en tout bien et en tout
honneur, et cela ne peut même s'entendre au-
trement. J'avois d'ahord commencé par m'inté-
resser fort à madame du Deftand, que la perte
de ses yeux faisoit aux miens un o})jet de com-
misération ; mais sa manière de vivre , si con-
traire à la mienne que Iheure du lever de l'un
étoit presque celle du coucher de l'autre , sa pas-
sion sans bornes pour le petit bel-esprit, l'impor-
tance qu'elle donnoit , soit en bien soit en mal,
aux moindres torche-culs (jui paroissoicnt , le
despotisme et femportement de ses oracles, son
engouement outré pour ou contre toutes cho-
ses, qui ne lui permettoit de parler de rien qu'a-
vec des convulsions, ses préjujjés incroyables,"
son invincible obstination , lenthousiasme de
déraison où la portoit l'opiniâtreté de ses juge-
ments passionnés ; tout cela me rebuta bientôt
des soins que je voulois lui rendre ; je la négli-
geai, elle s'en aperçut : c'en fut assez pour la
mettre en fureur ; et , quoique je sentisse assez
combien une femme de ce caractère pouvoit être
à craindre, j'aimai mieux encore m'cxposer. au
fléau de sa fiaine qu'à celui de son amitié.
Ce n'étoit pas assez d'avoir si peu d'amis dans
la société de madame de Luxembourg , si je
46o LKS CONFESSIONS,
n'avois des ennemis dans sa famille. Je n en eus
qu'un , mais qui , par la position où je me trouve
aujourd'hui , en vaut cent. Ce n'étoit assurément
pas M. le duc de V^illeroY, ^^^ frère ; car non seu-
lement il mëtoit venu voir, mais il m avoit in-
vité plusieurs lois d'aller à Villeroy ; et, comnnie
j'avois répondu à cette invitation avec autant de
respect et d'honnêteté qu'il m'avoit cté])OSsihle,
partant de ceue réponse vague comme tl un con-
sentement , il avoit arrangé avec M. et madame
de Luxemhourj» un voyaj^e d une cpiinzaine de
jours , dont je devois être et ([ui me fut proposé.
Comme les soins ([ucxifjeoit ma santé ne me
permettoient pas alors de nie déplacer sans ris-
que , je priai M. de Luxembourg de vouloir bien
ine dégager. On peut voir par sa réponse ( lias-
se D, n° 3) que cela se fit de la meilleure grâce
du monde, et M. le duc de Villeroy ne m'en té-
moigna pas moins de bonté <[u'aupaiavant. Son
neveu et son héritier, le jeune marquis de Vil-
leroy , ne participa pas à la bieuveillanee dont
m'honoroit son oncle, ni. aussi, je l'avoue , au
respect que j'avois pour lui. Ses airs éventés me
le rentlirent insupportable , et mon air froid
m'attira son aversion. Il fit même , un soir à ta-
ble, une incartade dont je me tirai mal , parqe-
que je suis bête, sans aucune présence desprit,
et que la colère, au lieu d'aiguiser le peu que
j'en ai, me lotc. .lavois un cliien (pion m avoit
donné tout jeune , pres(pu' à mou arrivée à
lllermitage, et (|ue j avois alors appelé duc. Ce
PARTIE II, LIVRE XI. /^Gl
chien , non ])eau, mais rare en son espèce, du-
quel j'avois lait mon compagnon , mon ami , et
qui certainement mcritoit mieux ce titre que la
plupart de ceux qui l'ont pris, étoit devenu cé-
lèbre au château de Montmorency par son na-
turel aimant, sensible , et par l'attachement que
nous avions lun pour l'autre ; mais , par une
pusillanimité fort sotte, j avois changé son pre-
mier nom en celui de turc , comme s il n y avoit
pas des multitudes de chiens qui s'appellent
marquis ^ sans qu'aucun marquis s'en fâche. Le
marquis de Yilleroy, qui sut ce changement de
nom, s'avisa de me pousser tellement là-dessus,
que je fus obligé de conter en pleine table ce
(|ue j'avoisfait. Ce qu'il y avoit d'offensant pour
le nom de duc dans cette histoire étoit moins de
l'avoir donné à mon chien que de le lui avoir
ôté. Le pis fut qu il y avoit là plusieurs ducs ;
M. de Luxembourg l'étoit lui-même , son fils l'é-
toit , le marquis de Yilleroy , fait alors pour le
devenir, et qui l'est aujourd hui , jouit avec une
cruelle joie de l'embarras où il m'avoit mis, et
de l'effet qu'avoit produit cet embarras. On m'as-
sura le lendemain que sa tante l'avoit très vive-
ment tancé là-dessus : et l'on peut juger si cette
réprimande, en la supposant réelle, a dû beau-
coup raccommoder mes afiàires auprès de lui.
Je n'avois pour appui contre tout cela , tant
à l'iiotel de Luxembourg qu'au Temple , que le
seul chevalier de Lorenzy , qui fit profession
dètre mon ami; mais il l'étoit encore plus de
46'2 LES CONFESSIONS.
d'Alembert , à Tombre duquel il passoit chez les
femmes pour un grand géomètre. Il étoit d'ail-
leurs le sigishée ou |»]«ilot le complaisant, de
madame la comtesse de Buutïlcrs , très amie elle-
même de d Alcmbert ; et le chevalier de Lorenzy
n'avoit d'existence et ne pensoit que par elle.
Ainsi, loin que j'eusse au-dehors fjU('l(|ue con-
tre-poids à mon ineptie poinine soutenir auprès
de madame de Luxembourg , tout ce qui 1 ap-
prochoit sembloit concourir à me nuire dans
son esprit. Cependant , outre 1 Emile dont elle
avoit voulu se charger, elle me donna dans le
même tenqjs une aiitie marque d intérêt et de
bienv(Mllance , qui me Ht croire que, même en
s'ennuyant de moi , elle me conservoit et me
conserveroit toujours lamitié quelle m'avoit
tant de fois promise pour toute la vie.
Sitôt <pie j'avois cru pouvoir conqUer sur ce
sentiment de sa part, j avois commencé par sou-
lager mon cour auprès d'elle de l'aveu de toutes
mes fautes , ayant pour maxime inviolable , avec
mes amis, de me montrer à leurs >('u\ exaet(^-
ment tel (jue je suis, ni meilleui-, ni pire. .\v lui
avois déclaré mes liaisons avec Thérèse , et tout
ce qui en avoit résulté, sans omettre de (pielle
façon j'avois dispos(^ de mesenf'ants. Elle avoit
reçu mes confessions très bien, iroj) bien nu'ine,
en m'épargnant les censures (jne |e nuritois ; et
ce (pii m émut sm-tout vivement lut de voir les
bontés quelle prodiguoit à 'IMiéièse, lui faisant
de petits cadeaux , l'envoyant chercher, l'exhor-
PARTIE II, LIVRE XI. 4^3
tant à rallervoir,la recevant avec cent caresses,
et Tembrassant très souvent devant tout le mon-
de. Cette pauvre fille étoit dans des transports
de joie et de reconnoissance qu'assurément je
partageois bien , les amitiés dont M. et madame
de Luxembourg me combloient en elle me tou-
chant bien plus encore que celles qu'ils me fai-
soient directement.
Pendant assez long-temps les choses en restè-
rent là: mais enfin madame la maréchale poussa
la bonté jusqu'à vouloir retirer un de mes enfants.
Elle savoit que j'avois fait mettre un chiffre dans
les langes de l'aîné; elle me demanda le double
de ce chiffre , je le lui donnai. Elle employa pour
cette recherche La Roche, son valet-de-chambre
et son homme de confiance, qui fit de vaines
perquisitions, et ne trouva rien, quoiqu'au bout
de douze^u quatorze ans seulement , si les re-
gistres des Enfants -trouvés étoienf bien en or-
dre , ou que la recherche eût été bien faite , ce
chiffre n'eiit pas dû être introuvable. Quoi qu'il
en'soit , je fus moins fâché de ce mauvais succès
que je ne faurois été si j'avois suivi des yeux cet
enfant dès sa naissance. Si , à l'aide du rensei-
gnement , on m'eut présenté quelque enfant pour
le mien, le doute si ce l'étoit bien en effet , si on
ne lui en substituoit point un autre, m'eût resser-
ré le cœur par lincertitude, et je n'aurois point
goûté dans tout son charme le vrai sentiment de
la nature: il a besoin, pour se soutenir, au moins
durant fenfance, d'être appuvé sur liiabitudc.
464 LES CONFESSIONS.
Le long éloignement d'un enfant qu'on ne con-
noît pas encore affoiblit, anéantit enfin les sen-
timents paternels et maternels; et jamais on n'ai-
mera celui qu'on a mis en nourrice comme celui
qu'on a nourri sous ses yeux. La réflexion que je
fais ici peut exténuer mes torts dans leurs effets,
mais c'est en les ag<rravant dans leur source.
Il n'est peut-être pas inutile de remarquer
que , par l'entremise de Thérèse , ce même La
lioclie fit connoissanec avec madame Le Vas-
seur ,que Grimm eontinuoit de tenir à Deuil à
la porte de la Chevrette , et tout près de Mont-
morency. Quand je fus parti , ce fut par ^\. La
Roche que je continuai de fatre remettre à cette
femme l'argent que je n'ai point cessé de lui
envoyer ; et je crois qu'il lui portoit aussi sou-
vent des présents de la part de madame la ma-
réchale ; ainsi elle n'étoit sûrement })as à plain-
dre, quoiqu elle se plaignît toujoms. iVlcgard de
Grimm, comme je n'aime point à parler des gens
f[ue je dois haïr, je n'en parlois jamais à mada-
me de liUxemhourg ([uc malgré moi ; mais elle
me mit plusieurs fois sur son chapitre , sans me
dire ce qu'elle en pensoit , et sans me laisser pé-
nétrer jamais si cet honnne étoit de sa connois-
sanec ou non. Comme la réserve avec les gens
qu'on aime , et cpii n'en ont point avec nous,
n est iKis de n»on goût , siir-tont en ( e (|iii les
regarde , j ai depuis lors pensé <jucl(lu<'lois à
t elle-là ; mais seulement <[uand d autres événe-
ments ont rendu cette réflexion naturelle.
PARTIE II, LIVRE XI. 465
Après avoir demeuré îon{>-tenips sans enten-
dre parler de l'Emile, depuis que je l'avois re-
mis à madame de JiUxemhourg, j'appris enfin
que le marché en étoit conclu à Paris avec le li-
braire Ducliesne, et par celui-ci avec le libraire
Néaulme , d'Amsterdam. Madame de Luxem-
Lourg m'envoya les deux doubles de mon traité
avec Duchesne, pour les signer. Je reconnus l'é-
criture pour être de la même main dont étoient
celles des lettres de M. de ^lalesherbes qu'il ne
m'écrivoit pas de sa propre main. Cette certitude
que mon traité se faisoit de l'aveu et sous les
yeux du magistrat me le fit signer avec confiance.
Ducliesne me donnoit de ce manuscrit six mille
francs , la moitié comptant , et je crois cent ou
deux cents exemplaires ; je ne me souviens pas
bien de la quantité. Après avoir signé les deux
doubles , je les renvoyai tous deux à madame de
Luxembourg qui l'avoit ainsi désiré: elle en don-^
na un à Ducliesne, elle garda l'autre au lieu de
me le renvoyer , et je ne l'ai jamais revu.
La connoissance de M. et de madame de Lu-
xembourg , en faisant quelque diversion à mon.
projet de retraite, ne m'y avoit pas fait renon-
cer. Même au temps de ma plus grande faveur
auprès de madame la maréchale, j'avois tou-
jours senti qu'il n'y aVoit que mon sincère at-
tachement pour M. le maréchal et pour elle qui
pût me rendre leurs entours supportables; et
tout mon embarras étoit de concilier ce même
attachement avec un genre de vie plus conforme
14. 3©
/^G6 LES CONFESSIONS,
à mon {joût, et moins contraire à ma sauté , que
celte gène et ces soupers tenoieut clans une alté-
ration continuelle , malgré tous les soins qu'on
apportoit pour ne pas m'exposer à la tléranger;
car, sur ce point comme sur tout autre, les atten-
tions furent poussées aussi loin qu il étoit possi-
ble; et, par exemple, tous les soirs après souper,
M. le maréchal , qui s'alloit coucher de bonne
heure, ne manquoit pas de m emmener, bon gré
mal gré, pour m'aller coucher aussi. Ce ne lut
que quelque temps avant ma catastrophe (piil
cessa , je ne sais pourquoi , d'avoir cette atten-
tion.
Avant même d'apercevoir le refroidissement
de madam.e la maréchale , je dcsirois, pour ne
m'y pas exposer, d'exécuter mon ancien piojct;
mais, les moyens me manquant j)our cela, je
fus obligé d'attendre la conclusion du traité de
ï Emile ^ et en attendant je mis la dernière main
au Contrat Social , et l'envoyai à Rey, fixant le
prix de ce manuscrit à mille francs , (pi il me
donna. Je ne dois pcHit-ètre pas omettre un petit
fait qui regarde ledit manuscrit. Je le remis ,
bien cacheté , à du Voisin , ministre du pays de
Vaud, et chapelain de Ihotel de Hollande, (pii
me vcnoil voir (pielquefois , et qui se chargea
de l'envoyer à iley , avec leipiel il étoit en liaison.
Ce manuscrit , écrit en menu caraclèic , ctoit
fort petit, et ne renq)liss()it pas sa poche. Ce-
pendant, en passant la harrièie, son pa<juet
tomba , je ne sais conuncnt , entre les mains des
PARTIE II, LIVRE XI. 4^7
commis , qui l'ouvrirent, rexaminèrent , et le lui
rendirent ensuite , quand il Teut réclamé au
nom de lambassadeur ; ce qui le mit à portée
<le le lire lui-même, comme il me marqua naï-
vement avoir fait , avec force éloges de l'ouvrage ,
et pas un mot de criti({uc ni de censure , se ré-
servant sans doute d'être le vengeur du christia-
nisme lorsque l'ouvrage auroit paru. Il recachela
le manuscrit, et l'envoya à Rey. Tel fut en sub-
stance le narré qu'il me fit dans la lettre oii il
me rendit compte de cette affaire ; et c'est tout
ce que j'en ai su.
Outre ces deux livres, et mon Dictionnaire cle
musique auquel je travaillois toujours de temps
en temps , j'avois quelques autres écrits de moin-
dre importance , tous en état de paroître, et que
je me proposois de donner encore, soit séparé-
ment , soit avec mon recueil général , si je l'en-
treprenois jamais. Le principal de ces écrits,
dont la plupart sont encore en manuscrit dans
les mains de du Peyrou , étoit un Eisai sur Vo-
ri^ine des langues , que je lis lire à M. de Males-
herbes , et au chevalier de I^orenzy qui ni'èn dit
du bien. Je comptois que toutes ces productions
rassemblées me vaudroient au ilioins, outre ma
dépense ordinaire, un capital de huit à dix mille
francs, que je voulois placer en rente viagère,
tant sur ma tête que sur celle de Thérèse ; après
quoi nous irions , comme je l'ai dit , vivre en-
semble au fond de quehjue province, sans plus
occuper le public de moi , et sans plus m'occu-
3o.
468 LES CONFESSIONS,
pep moi-nicmc d'autre cliosc que d'achever pai-
siblement ma carrière , en continuant de faire
autour de moi tout le bien qu'il m etoit possi-
ble, et décrire à loisir les mémoires que je mé-
ditois.
Tel étoit mon projet, dont une générosité de
Rey, que je ne dois pas taire, vint faciliter en-
core l'exécution. Ce libraire , dont on me disoit
tant de mal à Paris , est cependant , de tous ceux
avec qui j ai eu affaire, le seul dont j aie eu tou-
jours à me louer (i). Nous étions à la vérité sou-
vent en querelle sur l'exécution de mes ouvra-
ges ; il étoit étourdi, j'étois emporté. Mais, en
matière d'intérêt et de procédés qui s'y rappor-
tent , quoit[ue je n'aie jamais fait avec lui de
traité en forme , je l'ai toujours trouvé plein
d'exactitude et de probité. 11 est même aussi le
seul qui m'ait avoué franchement qu'il faisoit
Lien ses affaires avec moi ; et souvent il m'a dit
qu'il me devoit sa fortune, en offrant de m'en
faire part. Ne pouvant exercer dircM teuuMit avec
moi sa gratitude, il voulut me la témoigner au
moins dans ma gouvernante, à laquelle il lit
une pension viagère de trois cents francs, ex-
priinaut dans lacté que cétoit en reconnois-
sance des avantages que je lui avois prociués. Il
(i) Quand j'cciivnis ceci, j'clois liicii loin rncorc «Ti-
Tna{;mfr «le conrevoir, (M «le croire, les tr;ni«l«'.s (jiie j'ai
découvertes ensuite «lans les inipressions «le nies écrits,
et «Jont il a été forcé «Je convenir.
(Cette note n'est p.i!> ihiiis le manuscrit auloor.iphc.)
PARTIE II, LIVRE XI. 4^9
fit cola de lui à moi , sans ostentation ,sans pré-
tention , sans bruit ; et , si je n'en avois parlé le
premier à tout le monde, personne n'en auroit
rien su. Je fus si touché de ce procédé que de-
jouis lors je me suis attaché à Rey d'une amitié
véritable. Quelque temps après il désira de m'a-
voir pour parrain d'un de ses enfants ; j'y con-
sentis , et l'un de mes regrets , dans la situation
où l'on m'a réduit , est qu'on m'ait ôté tout
moyen de rendre désormais mon attachement
utile à ma filleule et à ses parents. Pourquoi , si
sensible à la modeste générosité de ce libraire ,
le suis-je si peu aux bruyants empressements de
tant de gens haut huppés, qui remplissent pom-
peusement l'univers du bien qu'ils disent m'avoir
voulu faire , et dont je n'ai jamais rien senti ?
Est-ce leur faute? est-ce la mienne? Ne sont-ils
que vains , ou ne suis-je qu'ingrat? Lecteur sensé,
pesez , décidez ; pour moi , je me tais.
Cette pension fut une grande ressource pour
l'entretien de Thérèse, et un grand soulagement
pour moi. Mais, au reste, j'étois bien éloigné
d'en tirer un profit direct pour moi-même , non
plus que de tous les cadeaux qu'on lui faisoit.
Elle a toujours disposé de tout elle-même. Quanti
je gardois son argent , je lui en tenois un fidèle
compte , sans jamais en mettre un liard à notre
commune dépense , même quand elle étoit plus
riche <jue moi. Ce qui est à moi est à nous, lui
disois-jc , et ce qui est à toi est à toi. Je n'ai ja-
mais cessé de me conduire avec elle selon cette
'470 LES CONFESSIONS,
maxime que je lui ai souvent répétée. Ceux qui
ont eu la bassesse de m'aeeuser de recevoir par
ses mains ce que je relusois dans les miennes ,
jugeoient sans doute de mon cour par les leurs,
et me connoissoient bien mal. .Te manp,erois vo-
lontiers avec elle le pain qu elle auroit [;agné ,
jamais celui qu'elle auroit reçu. .1 en appelle sur
ce point à son témoignage , et dès à présent , et
lorsque , selon le cours de nature , elle m'aura
survécu. Malheureusement elle est peu entendue
en économie à tous égards , peu soigneuse , et
fort dépensière, non par vanité ni par gourman-
dise, n:^ais par négligence uni(picnîent. Nul nest
parfait ici-bas ; et , puisqu il faut que ses excel-
lentes qualités soient rachetées , j'aime mieux
qu'elle ait des défauts que des vices, quoique ses
défauts nous lasst^nt peut-être encore plus de
mal à tous deux. Les soins que j'ai pris pour
elle, comme jadis pour maman , de lui accumu-
ler quelque avance rpii pût un jour lui servir de
ressource, sont inima,<;iiiaMt'.s : mais ce Furent
toujours des soins perdus. Jamais elles n'ont
compté, ni l'une ni l'autre , avec elles-mêmes ;
et , malgré tous mes efforts , tout est toujours
parti à mesure qu'il est venu. Quelcpie sinq>Ie-
ment que Thérèse se mette, jamais la pension
de Hey ne lui a sul'fi pour se nip]ier,(pie je u y aie
suppléé du mi(Mi chaque année. Nous ne sommes
pas faits, elle ni moi, pour être jamais riches;
et je ne compte assurément pas cela parmi nos
malheurs.
PARTIE II, LIVRE XI. ^Jï
Le Contrat Social s'imprimoit assez rapide-
ment. Il n'en étoit pas de môme de \ Emile ^ dont
j attendois la publication pour exécuter la retrai-
te que je méditois. Duchesne m'envoyoit de temps
à autre des modèles d'impression pour choisir ;
quand j'avois choisi, au lieu de commencer, il
m'en envoyok encore d'autres. Quand enfin nous
fûmes bien déterminés sur le format , sur le ca-
ractère , et qu il avoit déjà plusieurs feuilles d'im-
primées , sur quelque léger changement que je
fis à une épreuve, il recommença tout ; et, au
bout de six mois , nous nous trouvâmes moins
avancés que le premier jour. Durant tous ces es-
sais , je découvris que Touvrage s'imprimoit en
France ainsi qu'en Hollande , et qu'il s'en faisoit
à-la fois deux éditions. Que pouvois-je faire? Je
n'étois plus le maître de mon manuscrit. Loin
d'avoir trempé dans l'édition de France , je m'y
étois toujours opposé; mais enfin , puisque cette
édition se faisoit bon gré malgré moi , et puis-
qu'elle servoit de modèle à l'autre , il falloit bien
y jeter les yeux et voir les épreuves, pour ne pas
laisser estropier et défigurer mon livre. D'ailleurs,
l'ouvrage s'impiimoit tellement de laveu du ma-
gistrat , ([ue c'étoit lui qui dirigeoit l'entreprise
en quelque sorte , fju il m'en écrivoit très sou-
vent, et qu'il me vint voir même à ce sujet, dans
une occasion dont je vais parler à l'instant.
'^J'andis que Duchesne avançoit à pas de tor-
tue , Néauline, qu'il retenoit , avançoit encore
plus lentement. On ne lui envoyoit pas fidèle-
472 LES CONFESSIONS.
jiient les feuilles à mesure qu'elles s'imprimoicnt.
Il erut apercevoir de la mauvaise foi dans la ma-
nœuvre de Ducliesne , ç est-à-dirc de Guy , qui
faisoit pour lui ; et, voyant qu'on nVxëcutoit pas
le traité, il m écriyoit lettres sur lettres pleines de
doléaneeset de griefs auxquels je j)ouvois encore
jnoins remédier qu à ceux que j'avois pour moi-
même. Son ami Ouérin , qui me voyoit alors fort
souvent, me parloit incessamment de ce livre,
mais toujours avec la plus (grande réserve. Il sa-
Yoit et ne savoit ])as (pion rim|)rimoit en Fran-
ce; il savoit et ne sa\oitpas que le ma(;i.sirat s en
mêlât : en me plai(jnant des emharras qu alloit
me donner ce livre, il sembloit m'accuser dim-
prudence, sans vouloir jamais dire en quoi elle
consistoit ; il biaisoit et ter^oiversoit sans cesse;
il sembloit ne parler ipie pour me faire parler.
Ma sécurité pour lors étoit si complète «pie je
riois du ton circonspect et mystérieux qu il met-
toit ^ cette affaire, comme dun tic contracté
chez les magistrats et chez les ministres, dont il
fréquentoit assez les bureaux. Sûr dètre en rêj;lc
à tous égards sur cet ouvrage , foitement j)ersua-
dé qu il avfiit non seulen)ent lagrément et la
protection du magistrat, niais même (luil nié-
ritoit et i[\\ il avoit de même la faveur du minis-
tre, je me félieituis de mon coinageà l)ien la ire,
et je riois de mes pusillanimes amis qui j^arois-
soicnt s'iiKjuiéter poui" moi. Duelos fut de ce
nond)re; et j avoue que ma eonlianec en sa droi-
ture et en ses Inmières eut [)li malarmer à son
PARTIE II, LIVRE XI. ^^3
exemple , si j'en avois eu moins dans l'utilité de
l'ouvrage et dans la probité de ses patrons. Il me
vint voir de chez M, Baille, tandis que \ Emile
étoit sous presse; il ni en parla : je lui lus la pro-
fession de foi du vicaire savovard. Il l'écoutatrès
paisiblement , et , comme il me parut , avec grand
plaisir. Il me dit, quand j'eus fini: Quoi, citoyen!
cela fait partie d'un livre qu'on imprime à Pa-
ris? Oui, lui dis-je; et l'on devroit l'imprimer au
Louvre par ordre du roi. .l'en conviens , me re-
prit-il ; mais faites-moi le plaisir de ne jamais
dire à personne que vous m'ayez lu ce morceau.
Cette fiappante manière de s'exprimer me sur-
prit sans m'efirayer. Je savois que Duclos voyoit
beaucoup M. de Malesberbes. J'eus peine à con-
cevoir comment il pensoit si différemment que
lui sur le même objet.
Je vivois à Montmorency depuis plus de qua-
tre ans, sans y avoir eu un seul jour de bonne
santé. Quoique l'air y soit excellent, les eaux y
sont mauvaises , et cela peut très bien être une
des causes ([ui contribuoient à empirer mes maux
babituels. Sur la fin de l'automne l'yôi , je tom-
bai tout -à - fait malade, et je passai fliiver en-
tier dans des souffrances presque sans relâcbe.
Le mal pbysiquc , augmenté par mille inquié-
tudes , me les rendit aussi plus sensibles. Depuis
(juelque tenq:)s de sourds et tristes pressenti-
ments me troubloient , sans (|ue je susse à pro-
pos de quoi. Je recevois des lettres anonymes as-
jjcz singulières , et même des lettres signées qui
474 LES CONFESSIONS,
ne Ictoient p[uèro mr'ns. J'en reçus une d\m
conseiller au parlement de Paris , qui , mécontent
de la présente constitution des choses , et n'au-
gurant pas bien des suites, me consultoit sur le
choix dun asile, à Genève ou en Suisse, pour
s'y retirer avec sa famille. J'en reçus une de
M. de... , président à mortier au parlement de... ,
lequel me proposoit de rédiger pour ce parle-
ment, qui pour lors étoit mal avec la cour , des
mémoires et remontrances, oFfrant de me four-
nir tous les documents et matériaux dont j au-
rois besoin pour cela. Quand je souffre, je suis
sujet à Ihumcur. J'en avois en recevant ces let-
tres, j en mis dans les réponses que j y Hs , refu-
sant tout à plat ce qu'on me demandoit. Ce refus
n'est assurément pi:s ce que je me reproche ,
puisque CCS lettres pouvoient être des pièges de
mes ennemis (i) , et que ce qu'on me demandoit
étoit contraire à des principes dont je voulois
moins me départir ([uc jamais. Mais , pouvant
refuser avec aménité, je refusai avec dureté , et
voilà en quoi j eus tort.
On trouvera parmi mes papiers les deux let-
tres dont je viensde parler. Celle du conseiller ne
mesurpritpas absolument, parceque je pensois,
comme lui et comme beaucoup d'autres , que la
constitution déclinante menacoit la l'ranced un
prochain délabrement . Les désastres dune guerre
(i) Jp savois, par exemple, qiir le pi-rsidont dr... ctoit
fort lié avec les encyclopédistes et les Iiulbachiens.
PARTIE II, LIVRE XI. ^jS
malheureuse , qui tous venoient de la faute du
gouvernement , l'incroyable désordre des finan-
ces, les tiraillements continuels de Tadministra-
tion , partagée jusqu'alors entre deux ou trois
ministres en guerre ouverte Tun avec l'autre, et
qui, pour se nuire mutuellement, abymoient le
royaume; le mécontentement général du peuple
et de tous les ordres de l'état; l'entêtement d'une
femme obstinée, qui , sacrifiant toujours à ses
goûts ses lumières, si tant est quelle en eût,
écartoit presque toujours des emplois les plus
capables , pour placer ceux qui lui plaisoient le
plus : tout concouroit à justifier la prévoyance
du conseiller, et celle du public, et la mienne.
Cette prévoyance me mit même plusieurs fois en
balance si je ne chercherois pas moi-même un
asile hors du royaume avant les troubles qui
sembloient le menacer: mais, rassuré par ma
petitesse et par mon humeur paisible, je crus
que , dans la solitude où je voulois vivre , nul
orage ne pouvoit pénétrer jusqu'à moi; fâché
seulement que , dans cet état de choses , M. de
Luxembourg se prêtât à des commissions qui
dévoient le faire moins bien vouloir dans son
gouvernement, .l'aurois Voulu qu il s y ménageât
à tout événement une retraite , s'il arrivoit que
la grande machine vînt à crouler , comme cela
paroissoit à craindre dans l'état actuel des cho-
ses; et il me paroît encore à présent indubitable
que , si toutes les rênes du goavernement ne
fussent enfin tombées dans une seule main, la mo-
47^ LES CONFESSIONS,
narchie franroise scroit maintenant aux aLois.
Tandis que mon état cmpiioit , I iniprcsïiion
de l'Emile se ralentissoit, et fut enfin tout-à-fait
suspendue, sans que j'en pusse apprendre la rai-
son, sans que Guy daijynât plus m'i'criro ni me
répondre , sans que je pusse avoir des nouvelles
de personne , ni savoir rien de ce qui se passoit,
M. de Maleshcrbes étant pour lors à là campa-
gne. Jamais un malheur , quel qu'il soit , ne me
trouble et ne m'abat , pourvu (pie je sache en
quoi il consiste ; mais mon penchant naturel est
«l'avoir peur des ténèbres : je redoute et je hais
leur air noir; le mystère m'inquiète toujours , il
est par trop antipathicpie avec mon naturel ou-
vert jus(|u'à l'étourderie. L'aspect du monstre le
plus hideux m'effraieroit ])ou, ce me semble;
mais , si j'entrevois de nuit une figure sous uu
drap blanc , j'aurai peur. Voilà donc mon ima-
gination, qu'allumoit ce long silence, occupée
à me tracer des fantômes. IMus j'avois à Cdur hi
publication de mon dernier et r.ieilleur ouvra-
ge , plus je me tourmentois à chercher ce (pii
j>ouvoit l'accrocher; et, toujours portant tout
à l'cNtrême , dans la suspension de l'inqiression
du livre, j'en croyois voir ranc^antissenient. dé-
pendant , n'en jxnivant imaginer ni l;i cause ni
la manière , \v n^stoisdans rinccrtitu«lc du mon-
de la plus cruelle. .IVcrivois lettres sur lettres à
Guy, à M. de Maleshcrbes , à madjunede Luxem-
bourg; et , les réponses ne venant point , ou ne
venant pas quand je les attendois, je me tiou-
PARTIE II, LIVRE XL 4??
tlois entièrement , je délirois. Malheureuse-
ment j'appris dans ce même temps que le père
Griffet , jésuite, avoit parlé de l'Emile, et en
avoit même rapporté des passages. A l'instant
mon imagination part comme un éclair, et me
dévoile tout le mystère d'iniquité : j'en vis la mar-
che aussi clairement et aussi sûrement que si
elle m'eût été révélée. Je me fourrai dans l'es-
prit que les jésuites, furieux du ton méprisant
sur lequel j'avois parlé des collèges , s'étoient
emparés de mon ouvrage ; que c'étoient eux qui
en accrochoient l'édition ; qu'instruits par Gué-
rin , leur ami , de mon état présent , et prévoyant
ma mort prochaine , dont je ne doutois pas, ils
vouloientretarder l'impression jusqu'alors , dans
le dessein de tronquer, d'altérer mon ouvrage, et
de nie prêter, pour remplir leurs vues , des sen-
timents différents des miens. Il est étonnant
quelle foule de faits et de circonstances vint dans
mon esprit se calquer sur cette folie, et lui don-
ner un air de vraisemblance ; que dis-je? et m'y
montrer l'évidence et la démonstration. Guérin
étoit totalement livré aux jésuites; je le savois.
Je leur attribuai toutes les avances d'amitié qu'il
m'avoit faites : je me persuadai que c'étoit par
leur impulsion qu'il m'avoit si fort pressé de trai-
ter avec Néaulme; que par ledit Néaulme ils
avoienteu les premières feuilles de mon ouvrage;
qu'ils avoient ensuite trouvé le moyen d'en ar-
rêter l'impression chez Duchesne, et peut-être
de s'emparer de mon manuscrit pour y travail-
478 LES CONFESSIONS.
1er à leur aise, jusqu'à ce que ma mort les lais-
sât libres de le puhlîer travesti à leur mode.
J'avois toujouis senti, malgré le patelinage du
père Ik'rthier, que les jésuites ne nVaimoient
pas , non seulement comme encyclopédiste ,
mais parceque mes principes de religion étoient
beaucoup pins contraires à leurs maximes et à
leur crédit que l'incrédulité de mes confrères,
puisque le fanatisme atbée et le fanatisme dé-
vot, se touchant par leur commune intoléran-
ce , peuvent même se réunir, comme ils ont fait
à la Chine, et comme ils font contre moi ; au
lieu que la religion raisonnable et morale, ôtant
tout pouvoir humain sur les consciences, ne
laisse plus de ressource aux arbitres de ce pou-
voir. Je savois que monsieur le chancelier étoit
aussi fort ami des jésuites : je craignois que le
fils, intimidé par le père, ne se vît forcé de leur
abandonner l'ouvrage qu'il avoit protégé. Je
croyois même voir Fcf Tet de cet abandon dans
les chicanes que Ton commençoit de me susci-
ter sur les deux premiers volumes , oii Ton cxi-
geoit des cartons pour des riens; tandis que les
deux autres volumes étoient, comme on le sa-
voit très bien , remplis de choses si fortes , qu'il
eût fallu les refondre eu entier, enles censuiaut
comuu; les deux pri'uiiers. Je savois de plus ,
et M. de Malesherbes me le dit liii-mèu»e , (juc
1 abbé deCirave, cpi'il avoit chargé de l'inspec-
tion de cette édition , étoit encore un autre par-
tisan des jésuite?. Je ne vovois par-tout que les
PARTIE II, LIVRE XI. 479
jésuites , sans songer qu'à la veille d'être anéan-
tis, et tout occupés de leur propre défense, ils
avoient autre chose à faire que d'aller tracasser
sur l'impression d'un livre où il ne s'agissoit pas
d'eux. J'ai tort de dire sans j songer^ car j'y son-
geois bien, et c'est même une objection que
M. de Maleshcr!)cs eut soin de me faire sitôt
qu'il fut instruit de ma vision : mais , par un
autre de ces travers d'un homme qui , du fond
de sa retraite, veut juger du secret des grandes
affaires dont il ne sait rien , je ne voulus jamais
croire que les jésuites fassent en danger, et je
regardois le bruit (pii s'en répandoit comme
un leurre de leur part pour endormir leurs ad-
versaires. Leurs succès passés, qui ne s'étoient
jamais démentis , njc doimoient une si terrible
idée de leur puissance, que je déplorois déjà l'a-
vilissement du parlement. Je savois que M. de
Choiseul avoit étudié chez les jésuites , que
madame de Ponqoadour n'étoit point mal avec
eux , et (jue leur ligue avec les favorites et les
ministres avoit toujours paru avantageuse aux
uns et aux autres contre leurs ennemis com-
muns. La cour paroissoit ne se mêler de rien ;
et , persuadé que , si la société recevoit un jour
queltjue rude échec , ce ne scroit jamais le par-
lement qui seroit assez fort pour le lui por-
ter , je tirois de cette inaction de la cour l'augure
de leur triomphe et le fondement de leur con-
fiance.
Enlin, ne voyant dans tous les bruits du jour
48o LES CONFESSIONS,
qu'une feinte et des pièges de leur part, et leur
croyant, dans leur sécurité, du temps pour va-
quer à tout, je ne doutois pas qu ils n'écrasas-*
sent dans peu le jansénisme, et le parlement , et
les encyclopédistes, et tout ce qui n'auroit pas
porté leur joujif, et qu'enfin, s ils laissoient pa-
roître mon livre, ce ne fût qu'après 1 avoir trans-
formé, au point de s'en faire imc arme , en se
prévalant de mon nom pour surprendre nies
lecècurs.
Je me sentois mourant ; j ai peine à compren-'
dre comment cette extravajjance ne m acheva
pas : tant lidée de ma mémoire déshonorée
après moi, dans mon ])lus di^j^nc et meilleur
livre, m'étoit effroyable. Jamais jen'ai tant craint
de mourir, et je crois que , si cela me fût arrivé
dans ces circonstances , je serois mort déses-
péré. Aujourd'hui même que je vois marcher
sans obstacle à son exécution le plus noir , le
plus affreux complot qui jamais ait été tramé
contre la mémoire d'un honnne , je mourrai
beaucoup plus tranquille, certain de laisser dans
mes écrits un témoignage de moi, qui triom-
phera tôt ou tard des complots des hommes.
M. de Malesherbes , témoin et confident de
mes agitations, se donna, pour les calmer, des
soins (jui piouvcnt son inépuisable bonté de
cœur. Madame de Luxemboui'g concourut à
cette bonne œuvre, et fut plusieurs fois chez
Duehcsne , j)our savoir à <(uoi en étoit cette
édition. Enfin, fimpression fut reprise et niar-
PARTIE II, LIVRE XI. /\8l
ftîia plus rondement, sans que jamais j'aie pu
savoir pourquoi elle avoit été suspendue. M. de
Maleslierbes prit la peine de venir à Montmo-
rency pour nie tranquilliser , il en vint à bout ;
et ma parfaite confiance en sa droiture , l'ayant
emporté sur l'égarement de ma pauvre tête, ren-
dit efficace tout ce qu il fit pour m'en ramener.
Après ce qu'il avoit vu de mes angoisses et de
mon délire, il étoit naturel qu'il me trouvât très
à plaindre : aussi fit-il. Les propos incessam-
ment rebattus de la cabale philosophique qui
l'entouroit lui revinrent à l'esprit. Quand j'allai
vivre à l'Hermitage, ils publièrent, comme je
l'ai déjà dit, que je n'y tiendrois pas long-tenq:)S;
quand ils virent que je persévérois, ils dirent
que c'étoit par obstination, par orgueil, par
honte de m'en dédire , mais que je m'y ennuyois
à périr , et que j'y vivois très malheureux. M. de
Maleslierbes le crut et me l'écrivit : sensible à
cette erreur, dans un homme pour qui j'avois
tant d'estime , je lui écrivis quatre lettres consé-
cutives ^ où, lui exposant les vrais motifs de ma
conduite , je lui décrivis fidèlement mes goûts,
mes penchants, mon caractère, et tout ce qui se
passoit dans mon cœur. Ces quatre lettres , faites
sans brouillon , rapidement , à trait de plume ,
et sans même avoir été relues, sont peut-être la
seule chose que j'aie écrite avec facilité "dans
toute ma vie; ce qui est bien étonnant au mi-
lieu de mes souffrances et de l'extrême abatte-
ment où j'étoi-s. Je gémissois , en me sentant dé-
14. 3r
482 LES CONFESSIONS,
faillir , de penser que je laissois dans lespril des
honnêtes gens une opinion de moi si peu juste ;
et , par Tesquisse traeée à la liûte dans ces quatre
lettres, je tàchois de suppléer en quelque sorte
aux mémoires que j'avois projetés. Ces lettres,
qui plurent à M. de Malesherbes, et qu il mon-
tra dans Paris, sont en quelque faqou le som-
maire de ce que j'expose ici plus en détail , et
méritent à ce titre d être conservées. On trou-
vera parmi mes papiers la copie qu'il en fit faire
à ma prière , et qu'il m'envoya quelques années
après.
La seule chose (|ui m'affligeoit désormais ,
<lans l'opinion de ma mort prochaine, étoit de
n'avoir aucun liomnie lettré de confiance, entre
les mains duquel je pusse déposer mes papiers ,
pour en faire après moi le triage.
Depuis mon voyage de Genève , je m'étois lié
d'amitié avec Moultou; j'avois de l'inclination
pour ce jeune homme , et j aurois désiré (|u il
vînt me fermer les yeux; je lui marquai ce de-
sir , et je crois <|u'il auroit fait avec plaisir cet
acte d humanité, si ses affaires et sa famille le
lui eussent permis. Privé de cette consolation,
je voulus du moins lui marquer ma confiance,
(Il lui envoyant la j)rofession de foi du vicaire
avant la |)ul)lieati()n. Il en fut content, mais il
ne nie j)arut pas , dans sa réponse ,paitagcr lu
sécurité avec laquelle j'en attendois ]K)in* lors
l'eflet. 11 «lesira d'avoir de moi quehpie morceau
que n'eût personne autre. Je lui cnvovai une
PARTIE ïl, LIVRE XL 483
Oraison funèbre du feu duc d Orléans^ que j'a-
vois faite pour l'abbé IJarty, et qui ne fut pas
prononcée, parceque, contre son attente, ce
ne fut pas lui qui en fut chargé.
L impression , après avoir été reprise, se con-
tinua, s'acheva même assez tranquillement, et
j'y remarquai ceci de singulier , qu'après les
•cartons qu'on avoit sévèrement exigés pour les
deux premiers volumes, on passa les deux der-
niers sans rien dire, et sans que leur contenu
fit aucun obstacle à sa publication. J'eus pour-
tant encore quelque inquiétude que je ne dois
point passer sous silence. Après avoir eu peur
des jésuites, j'eus peur des jansénistes et des
philosophes. Ennemi de tout ce qui s'appelle
parti , faction , cabale ,je n'ai jamais rien attendu
<le bon des gens qui en sont. Les commères
avoient depuis un temps quitté leur ancienne
demeure , et s'étoient établies tout à côté de
moi , en sorte que de leur chambre on entendoit
tout ce qui se disoit sur ma terrasse, et que de
leur jardin on pouvoit très aisément escalader
le petit mur qui le séparoit de mon donjon.
J'avois fait de ce donjon mon cabinet de tra-
vail , en sorte que j'y avois une table couverte
d'épreuves et de feuilles de \ Emile et du Contrat
Social; et, brochant ces feuilles à mesure qu'on
me les envoyoit, j'avois là tous mes volumes
long-temps avant (pion les publiât. Mon étour-
dcrie , ma négligence , ma confiance en M. Ma-
thas, dans le jardin duquel j'étois clos, fai-
3i.
484 LES CONFESSIONS,
soient que souvent, oubliant de fermer le soir
mon donjon, je le trouvois le matin tout ou-
vert; ce qui ne m'eût guère inquiété si je n'a-
vois cru remarquer du dérangement dans mes
papiers. Après avoir fait plusieurs fois cette re-
marque, je devins plus soigneux de fermer le
donjon; la serrure étoit mauvaise , la clef ne
ifermoit qu'à demi-tour. Devenu plus attentif, je
trouvai plusieurs fois un plus grand dérange-
ment encore que quand je iaissois tout ouvert.
Enfin, un de mes volumes se trouva éclipsé pen-
dant un jour et deux nuits, sans quil me fût
possible de savoir ce qu il étoit devenu jusqu'au
matin du troisième jour, que je le retrouvai sur
ma table. Je n'eus , ni n'ai jamais eu de soup-
çon sur M. Matlias ni sur son neveii", M. Dumou-
lin, sachant qu'ils m'aimoient fun et l'autre, et
prenant en eux toute confiance. Je commençai
d'en avoir moins dans les commères. Je savois
cjuo , (juoi(|ue jansénistes, ils étoient en (|ii('l(jue
liaison avec d'Alembert et logeoient dans la mê-
me maison. Gela me donna quelque incjuiétude
et me rendit plus attentif. Je retirai mes papiers
dans ma chambre, et je cessai tout-à-fait de voir
ces gens-là, ayant su d ailleurs rpi ils avoient lait
parade , dans plusieurs maisons, du premier vo-
lume de \ Emile que j'avois eu l'imprudence de
leur prêtei". (^uoiqu ils continuassent d être mes
voisins juscjuà mon départ, je n'ai plus eu de
communication avec eux depuis lors.
LeContrat social parut un mois ou deux avant
PARTIE II, LIVRE XI. 4^5
l'Emile. Rey, dont j'avois toujours exigé qu'il
ii'introduiroit jamais furtivement en France au-
cun de mes livres, s'adressa au magistrat pour
obtenir la permission de faire entrer celui-ci par
Rouen, où il fit par mer son envoi. Rey neut
aucune réponse : ses ballots restèrent à Rouen
plusieurs mois , au bout desquels on les lui ren-
voya après avoir tenté de les confisquer ; mais
il fit tant de bruit qu'on les lui rendit. Des cu-
rieux en tirèrent d'xVmsterdam quelques exem-
plaires qui circulèrent avec peu de bruit. Mau-
léon , qui en avoit ouï parler , et qui môme en
avoit vu quelque chose, m'en parla d'un ton
mystérieux qui me surprit , et qui m'eût inquiété
même , si, certain dêtre en régie à tous égards
et de n'avoir nul reproche à me faire, je ne m'é-
tois tranquillisé par ma grande maxime. Je ne
doutois pas même que M. de Ghoiseul , déjà bien
disposé pour moi, et sensible à l'éloge que mon
estime pour lui m'en avoit fait faire dans cet
ouvrage , ne me soutint en cette occasion contre
la malveillance de madame de.Pompadour.
J'avois assurément lieu de compter alors au-
tant que jamais sur les bontés de M. de Luxem-
bourg et sur son appui dans le besoin ; car jamais
il ne me donna des marques d'amitié ni plus fré-
quentes ni plus touchantes. Au voyage de Pàque,
mon triste état ne me permettant pas d'aller au
château, il ne manqua pas un seul jour de me
venir voir; et enfin , me voyant souffrir sans re-
lâche , il fit tant qu'il me détermina à voir le
486 LES CONFESSIONS,
frère Côme , l'envoya chcrelier, me Tanicna lui-
même, et eut le courage, rare certes et méri-
toire dans un grand seigneur , de rester chez moi
durant l'opération, qui fut cruelle et longue. Il
n'ctoit pourtant question que d'être sonrlé; mais
je n'avois jamais pu l'être, même par Morand,
qui s'y prit à plusieurs fois et toujours sans suc-
cès. Le frère Côme, qui avoit la main d'une
adresse et d'une légèreté sans égale, vint à bout
enfin d'introduire une très petite algalie, après
m'avoir beaucoup fait souffrir pendant plus de
deux heures, durant lesquelles je m cfforeai de
retenir mes plaintes, pour ne pas (iéchirer le
cœur sensible du bon maréchal. Au premier exa-
men , le frère Côme crut trouver une grosse
pierre, et me le dit; au second, il ne la trouva
plus. Après avoir recommencé une seconde et
une troisième fois avec un soin et ime exactitude
qui me firent trouver le temps fort long , il dé-
clara qu'il n'y avoit point de pierre, mais «(ur la
prostate étoit squirreuse et d une grossi^ur sur-
naturelle ; il trouva la vessie très grande et en
l)on état, et finit par me déclarer que je souf-
frirois beaucoup et que je vivrois long-temps.
Si la seconde prédiction s'accouq)lit aussi bien
que la. première, mes maux ne sont pas prêts à
finir.
C'est ainsi qu'après avoir été traité successi-
vement peuflani tant d'années de vingt maux
que je n'avois pas, je finis p;n- savoir que ma
maladie , incurable sans être mortelle, dureroit
PARTIE II, LIVRE XI. ^^1
autant que moi. Mon imagination , réprimée
par cette connoissance , ne me fit plus voir en
perspective une mort cruelle dans les douleurs
du calcul. Je cessai de craindre quun bout de
bougie, qui s'étoit rompu dans l'urètre il y avoit
long-temps , n'eût fait le noyau d'une pierre.
Délivré des maux imaginaires, plus cruels,
pour moi que les maux réels, j'endurai plus pai-
siblement ces derniers. Il est constant que , de-
puis ce temps, j ai beaucoup moins soulfert de
ma maladie que je n'avois fait jusqu'alors , et je
ne me rappelle jamais que je dois ce soulage-
ment à M. de Luxembourg, sans m'attendrir de
nouveau sur sa mémoire.
Revenu pour ainsi dire à la vie , et plus oc-
cupé que jamais du plan sur lequel j'en voulois
passer le reste , jen'attendois pour l'exécuter que
la publication de l'Emile. Je songeois à la Tou-
raine^ où j'avois déjà été, et qui me plaisoit
beaucoup tant pour la douceur du climat quje
pour celle des habitants.
La terra molle, lieta, e dillettosa,
Simile a se l'habitator produce.
J'avois déjà parlé de mon projet à M. de Lu-
xembourg , qui m'en avoit voulu détourner; je
lui en reparlai derechef comme d'une chose ré-
.solue. Alors il me proposa le château de Mer-
lou, à ([uinze lieues de Paris, comme un asile
qui pouvoit me convenir, et dans lequel ils se
feroient l'un et l'autre im plaisir de m'établir.
488 LES CONFESSIONS.
Cette proposition me toucha et ne me déplut
pas. Avant toute chose, il fiiUoit voir le lieu;
nous convînmes du jour où M. le maréchal en-
verroit son valet de chamhrc avec une voiture
pour m'y conduire. Je me trouvai ce jour-la lort
incommodé; il fallut remettre la partie, et les
contre-temps qui survinrent m'empêchèrent de
l'exécuter. Ayant appris depuis ([ue la terre de
Merlou n étoit pas à M. le maréchal, mais à
madame, je m'en consolai plus aisément de n'y
être pas allé.
L'Emile parut enfin , sans que j'entendisse
plus parler de cartons ni d aucune dilHculté.
Avant sa publication, M. le maréchal me rede-
manda toutes les lettres de M. de Malcsherbes
qui se rapportoient à cet ouvrap;e. jNla grande
confiance en tous les deux, ma profonde sécu-
rité, m'empêchèrent de réfléchir sur ce qui! y
avoit d'extraordinaire et même dincpiiétant dans
cette demande, .le rendis les lettres, hors une
ou deux qui par mégarde avoient resté dans des
livres. Quelque temps auparavant, M. de Ma-
lcsherbes m'avoit marqué (pi'il rctireroit les let-
tres que j'avois écrites à Duchesne durant mes
alarmes au sujet des jésuites ; et il faut avouer
que ces lettres ne faisoient pas {jrand honneur
à ma raison. iNïais je lui marquai qu'en nulle
chose je ne voidois passer pour nieilleur <pie je
n'étois , et qu il pouvoit lui laisser les lettres.
J'ijifnore ce (juil a lait.
l^a publication de ce livie ne se fit point avec
PARTIE II, LIVRE XI. /(Bg
cet éclat crapplaudissements qui suivoit celle de
tous mes écrits. Jamais ouvrage n eut de si grands
éloges particuliers , ni si peu d'approbation pu-
blique. Ce que ni en dirent, ce que m'en écrivi-
rent les gens les plus capables d'en juger, me
confirma que c'étoit là le meilleur de mes écrits,
ainsi que le plus important. Mais tout cela fut
dit avec les précautions les plus bizarres, comme
s'il eût importé de garder le secret du bien que
l'on en pensoit. Madame de Boufllers , qui me
marqua que l'auteur de ce livre méritoit des sta-
tues et les hommages de tous les humains, me
pria sans façon à la fin de son billet de le lui
renvoyer. D'Alembert, qui m'écrivit que cet ou-
vrage décidoit de ma supériorité , et devoit me
mettre à la tête de tous les gens de lettres, ne
signa point sa lettre, quoiqu'il eut signé toutes
celles qu'il m'avoit écrites jusqu'alors. Ducîos,
ami sûr, homme vrai mais circonspect, et qui
faisoit cas de ce livre , évita de m'en parler par
écrit; La Gondamine se jeta sur la profession de
foi du vicaire, et battit la campagne; Clairaut
se borna dans sa lettre au même morceau : mais
il ne craignit pas d'exprimer l'émotion que sa
lecture lui avoit donnée, et il me marqua en
propres termes que cette lecture avoit réchauffé
sa vieille ame. De tous ceux à qui j avois envoyé
mon livre, il fut le seul (jui dit hautement et
librement à tout le monde tout le bien qu il eu
pensoit.
Mathas , à qui j'en avois aussi donné un cxcm-
4c)0 I.ES CONFESSIONS,
plaire avant qu il fïit en vente , le prêta à iSI. de
Claire, conseiller au parlement, père de l'inten-
dant de Strasbourg. M. de Blaire avoit une mai-
son de campagne à Saint-Graticn ; et Matlias,
son ancienne connoissance , ly alloit voir quel-
quefois quand il pouvoit aller. Il lui fit lire TÉ-
mile avant qu'il ftit public. En le lui rendant,
M. de Blaire lui dit ces propres mots, qui me
furent redits le même jour : « M. Matbas, voilà
" un fort beau livre, mais dont il sera parle dans
" peu plus qu il ne seroit à désirer pour Tau-
« teur. » Quand il me raj^porta ces mots , je ne
fis quen rire; ^^ V- ^* Y ^ '=> 4"^' linqxjriance d un
homme de robe (jui met du mystère à tout.
Tous les propos inquiétants qui me revinrent
ne me firent pas plus d'impression ; et, loin d*e
prévoir en aucune sorte la catastrophe à la-
quelle je touchois , certain de l'utilité, de la
beauté de mon ouvrage; certain d'être en régie
à tous égards; certain, comme je croyois lêtrc,
de tout le crédit de madame de Luxembourg,
et même de la faveur du ministère , je m'ap-
plaudissois du ])arti (pie j avois pris de me reti-
rer au milieu de mes triomphes, et lorscjue je
venois d'écraser tous mes envieux.
Une seule chose m'alarmoit dans la publica-
tion de ce livre; et cela, moins pour ma siiicté
(pie pour facupiit de mon cirur. A lllcrmitage,
à Montmorency, j avois vu de près et avec indi-
gnation les vexations (ju un soin jaloux des plai-
sirs des princes fait exercer sur les malheureux
PARTIE II, LIVRE XL /\cj1
paysans , forcés de souffrir le dégât que le gibier
fait dans leurs champs , sans oser se défendre
autrement qu'à force de bruit, et forcés de pas-
ser toutes les nuits dans leurs fèves et leurs pois
avec des cbaudrons, des tambours, des sonnet-
tes, pour écarter les sangliers. Témoin de la du-
reté barbare avec laquelle M. le comte de Gha-
rolois faisoit traiter ces pauvres gens , j'avois
fait, vers la fin de l .Emile ^ une sortie sur cette
cruauté. J'appris que les officiers de M. le prince
de Gonti ne les traitoient guère moins durement
sur ses terres ; je tremblois que ce prince, pour
lequel j'étois pénétré de respect et de reconnois-
sance , ne prît pour lui ce que l'humanité ré-
voltée m'avoit fait dire pour son oncle , et ne
s'en tînt offensé. Gependant , comme ma con-
science me justifioit pleinement sur cet article ,
je me tranquillisai sur son témoignage , et je fis
bien. Du moins je n'ai jamais appris que ce
grand prince ait fait la moindre attention à ce
passage écrit long-temps avant que j'eusse l'hon-
neur d être connu de lui.
Peu de jours avant ou après la publication de
mon livre, car je ne me rappelle pas bien exac-
tement le temps , parut un autre ouvrage sur
le même sujet, tiré mot-à-mot de mon premier
volume , hors quelques platises dont on avoit
entremêlé cet extrait. Ce livre portoit le nom
d'un Genevois, appelé Balexsert; et il étoit dit
dans le titre qu'il avoit remporte le prix à l'aca-
démie de Harlem. Je compris aisément que cette
492 LES CONFESSIONS,
académie et ce prix étoient cVune création tonte
nouvelle , pour déguiser le plagiat aux yeux du
public; mais je vis aussi qu il y avoit à cela quel-
que intrigue antérieure à laquelle je ne com-
prenois rien ; soit par la communication de mon
manuscrit, sans quoi ce vol n'auroit pu se faire;
soit pour bâtir Tbistoire de ce prétendu prix, à
laquelle il avoit bien fallu donner quelque fon-
dement. Ce n'est que bien des années après que,
sur un mot écliappé à d'ivernois , j ai pénétré
le mystère , et entrevu ceux qui avoient mis en
jeu le sieur Balexsert.
Les sourds mugissements qui précèdent To-
rage commcnçoient à se faire entendre ; et tous
les gens un peu pénétrants virent bientôt qu'il
se couvoit , au sujet de mon livre et de moi , ([ucl-
que complot qui ne tarderoit pas d éclater. Pour
moi , ma sécurité , ma stupidité fut telle , que ,
loin de prévoir mon malheur, je n'en soupçon-
nai pas même la cause, après en avoir ressenti
l'effet. On commença par répandre , avec assez
d'adresse , qu'en sévissant contre les jésuites on
ne pouvoit marquer une indulgence partiale
pour les livres et les auteurs ([ui atlaquoient la
religion. On me rcproclioit d'avoir mis mon nom
à ï Emile ^ comme si je ne l'avois pas mis à tous
mes autres écrits, auxquels on n'avoit rien dit.
Il sembloit qu'on craignît de se voir forcé à quel-
que démarche ([u'oii feroità regret , mais ([ue les
circonstances rendoient nécessaire, et à laquelle
mon imprudence avoit donné lieu. Ces bruits
PARTIE II, LIVRE XI. 49!
me parvinrent , et ne m'inquiétèrent guère : il
ne nie vint pas même à l'esprit qu'il pût y avoir
dans toute cette affaire la moindre chose qui
me regardât personnellement ; moi qui me sen-
tois si parfaitement irréprochable , si bien ap-
puyé , si bien en règle à tous égards , et qui ne
craignois pas que madame de Luxembourg me
laissât dans l'embarras pour un tort qui , s'il
existoit, étoit tout entier à elle seule. Mais , sa-
chant en pareil cas comment les choses se pas
sent , et que l'usage est de sévir contre les librai
res en ménageant les auteurs , je n'étois pas sans
inquiétude pour le pauvre Duchesne , si M, de
Malesherbes venoit à l'abandonner.
Je restai tranquille. Les bruits augmentèrent
et changèrent bientôt de ton. Le public, et sur-
tout le parlement , sembloit s'irriter par ma
tranquillité. Au bout de quelques jours , la fer-
mentation devint terrible ; et les menaces , chan-
geant d'objet, s'adressèrent directement à moi.
On entendoit dire tout ouvertement aux parle-
mentaires , qu'on n'avançoit rien à brûler les li-
vres , et qu'il falloit s'adresser directement aux
auteurs. La première fois que ces propos , plus
dignes d'un inquisiteur de Goa que d'un séna-
teur, me revinrent , je ne doutai point que ce
ne fût une invention des holbachiens, pour tâ-
cher de m'effrayer et de m'exciter à fuir. Je ri»
de cette puérile ruse ; et je me disois, en me mo-
quant d'eux , que , s'ils avoient su la vérité des
choses, ils auroient cherché quelque autre moyen
494 LES CONFESSIONS.
de me faire peur : mais la rumeur enfui devint
telle , qu'il fut clair que c étoit tout de bon. M. et
madame de Luxemlx)ur{; avoicnt, cette année,
avancé leur voyage de Montmorency , tle sorte
qu'ils y étoient au commencement de juin. J'y
entendis très peu parler de mes nouveaux livres,
malgré le bruit qu'ils faisoient à Paris ; et les
maîtres de la maison ne m'en parloient point
du tout. Un matin cependant que j'étois seul
avec M. de Luxembourg , il me dit : Avez-vous
parlé mal de M. de Choiseul dans le Contrat so-
cial? Moi! lui dis -je en reculant de surprise,
non , je vous jure ; mais j'en ai fait en revanche,
et d'une plume qui n'est pas louangeuse , le plus
bel éloge que jamais peut-être ministre ait rec;u;
et tout de suite je lui rapportai le passage. Et
dans l'Emile , reprit-il. Pas un mot , répondis-je;
il n'y a pas un seul mot qui le regarde. Ah ! ilit-il
avec jdus de vivacité ([u il n en avoit d ordinaire,
il falloit faire la même chose dans l'autre livre,
ou être plus clair ! J'ai cru l'être, ajoutai-je; je
l'estimois assez pour cela, il alloit reprendre la
parole; je le vis prêt à s'ouvrir; il se retint, et
se tut. Malheureuse prudence de courtisan qui,
dans les meilleurs cœurs , domine l'amitié même.
Cette conversation , ([uoi(pic courte , m éclaira
sur ma situation, du moins à certain égard, et
me lit comprendre que c'ctoit bien à moi qu'on
eu voiiloit. .h; déplorai cette iuouie fatalité qui
tournoit à nu)n prejndice tout ce que je tlisois
et faisois de bien. Cependant, me sentant pour
PARTIE II, LIVRE XI. /\g5
plastron dans cette affaire madame de Luxem-
bourg et M. de Malesherbes , je ne voyois pas
connnent on pouvoit s'y j)rcndre pour les écar-
ter et parvenir jusqu'à moi : car d'ailleurs je sen-
tis Lien dès -lors ([u'il ne seroit plus question
d'équité ni de justice, et qu'on ne s'embarrasse-
roit pas d'examiner si j'avois réellement tort ou
non. L'orage cependant grondoit de plus en plus.
11 n'y avoit pas jusquà îSéaulme, qui , dans la
diffusit^n de son bavardage , ne me montrât du
regret de s'être mêlé de cet ouvrage , et la certi-
tude où il paroissoit être du sort qui menaçoit
le livre et l'auteur. Une cbose pourtant me ras-
suroit toujours : je voyois madame de Luxem-
bourg si tran([uille, si contente, si riante même,
qu'il ialloit bien (ju'elle fût sûre de son fait, pour
n'avoir pas la moindre inquiétude à mon sujet,
pour ne pas me dire un seul mot de commisé-
ration ni d'excuse , pour voir le tour que pren-
droit cette affaire avec autant de sang froid que
si elle ne s'en fût point mêlée , et qu'elle n'eût
pas pris à moi le moindre intérêt. Ce qui me
surprenoit étoit qu'elle ne me disoit rien du tout.
H me sembloit qu'elle auroit dû médire quelque
cbose. Madame de Boufflers paroissoit moins
tranquille. Elle alloit et venoit avec un air d'a-
gitation, se donnant beaucoup de mouvement,
et m'assurant que M. le prince de Conti s'en
donnoit beaucoup aussi pour parer le coup qui
m'étoit préparé , et qu'elle attribuoit toujours
aux circonstances présentes , dans lesquelles il,
496 LES CONFESSIONS,
importoit au parlement de ne pas se laisser ac-
cuser par les jésuites d'indifférence sur la reli-
fjion.Elle paroissoit cependant peu compter sur
le succès des démarches du prince et des siennes.
Ses conversations , plus alarmantes que rassu-
rantes , tendoient toutes, à m engager à la re-
traite ; et elle me conseilloit fort TAupleterre ,
où elle lîi offroit beaucoup d'amis, entre autres
le célèbre Hume , qui étoit le sien depuis long-
temps. Voyant que je persistois à rester tran-
quille, elle prit un tour plus capable de m'é-
branler. Elle me fit cntendio (|ue , si j'étois arrêté
et interrogé , je me mettois dans la nécessité de
nommer madame de Luxembourg, et que son
amitié pour moi méritoit bien que je ne m'expo-
sasse pas à la compromettre. Je répondis qu en
pareil cas elle pouvoit rester tranquille , et que
je ne la compromcttrois point. Elle répliqua
que cette résolution étoit plus facile à prendre
qu'à exécuter; et en cela elle avoit raison, sur-
tout pour moi , l)ien déterminé à ne jamais me
parjurer ni mentir devant les juges, quelque
risque qu'il put y avoir à dire la vérité.
Voyant que cette réflexion m'avoit fait tpul-
que impression, sans cependant que je pusse
me résoudre à fuir, elle me parla de la Hastillc
poiu' (juelques semaines , connue dun moyen
de me soustraire à la juridiction du parlement,
qui ne se mêle j)as des jirisonniers détat. Je
n'objectai rien contre cette singulière grâce,
pourvu ([ucUe ne fut pas sollicitée en mon nom.
PARTIE II, LIVRE XI. ^g^
Gomme elle ne m'en parla plus , j'ai jugé daiii*
la suite quelle n avoit proposé cette idée que
pour me sonder, et qu'on n'avoit pas voulu d'un,
expédient qui finissoit tout.
Peu de jours après , M. le maréchal reçut du
curé de Deuil , ami de Grimm et de madame
d'Epinay, une lettre portant l'avis , qu'il disoit
avoir eu de bonne part , que le parlement de^
voit procéder contre moi avec la dernière sévé-
rité, et que tel jour, qu'il marqua , je serois dé-
crété de prise de corps. Je jugeai cet avis de fa-
brique holhacliienne ; je savois que le parlement
étoit très attentif aux formes , et que c'étoit tou-
tes les enfreindre que de commencer en cette
occasion par un décret de prise de corps , avant
de savoir juridiquement si j'avouois le livre qui
portoit mon nom , et si réellement j'en étois l'au-
teur. 11 n'y a, disois-je à madame de Boufilers ,
que les crimes qui portent atteinte à la tranquil-
lité publique, dont sur le simple indice on dé-
crète les accusés de prise de corps, de peur qu'ils
n'échappent au châtiment. Mais , quand on veut
punir un délit tel. que le mien, qui mérite des
honneurs et des récompenses , on procède contre
le livre, et Ton évite, autant qu'on peut, de s'en,
prendre à fauteur. Elle me fit à cela une distinc-
tion subtile que j'ai oubliée, pour me prouver
que c'étoit par faveur qu'on me décrétoit de
prise de corps , au lieu de m assigner pour être
ouï. Le lendemain je reçus une lettre de Guy,
qui me marquoit que , s'étant trouvé le même
i4- 3a
■498 LES CONFESSIONS,
jour chez M. le procureur-fréuéral , il a voit vn
sur son bureau le brouillon dun réquisitoire
contre l'Emile et son auteur. iSotez que ledit
Guy étoit Tassocié de Duchesne qui avoit impri-
mé rouvra{]c , lequel, fort tranquille pour son
propre compte, donnoit par charité cet avis à
l'auteur. On peut juger combien tout cela fne
parut croyable. Il étoit si simple , si naturel ,
iiu'un libraire, admis à 1 audience du procureur-
jrénéral , lût tranquillement les manuscrits et
brouillons épars sur le bureau de ce ma^ifistrat !
Madame de lîoufflcrs et d'autres me confirmè-
rent la même chose. Sur les absurdités dont
on me rebattoit incessamment les oreilles , j'é-
tois tenté de croire que tout le monde étoit de-
venu fou.
Sentant bien qu il y avoit sous tout cela quel-
que mystère qu'on ne vouloit pas me dire , j'at-
tendis tranquillement révénement, me reposant
sur ma droiture et mon innocence en toute cette
affaire, et trop heureux, quehpie persédition
qui dût m'attendre, d'être appelé à l'honneur de
souffrir pour la vérité. Loin de craindre et de
me tenir caché, j'allois tous les jours au châ-
teau, et ie faisois les après-midi mes promena-
des ordinaires. Le 8 juin , veille du (Un ict , je la
fis avec deux professeurs oraloriens, le 1'. Ala-
nianni et le P. iMandard. iSous portâmes aux
Champeaux un petit yoùté que nous mangeâ-
mes de grand appétit. Nous avions oul)Iié des
verres; nous y suppléâmes par des chalumeaux
PARTIE II, LIVRE XL 499
de seigle , avec lesquels nous aspirions le via
dans la bouteille , nous piquant de choisir des
tuyaux bien larges pour pomper à qui mieux
mieux. Je n'ai de ma vie été si gai.
J'ai conté comment je perdis le sommeil dans
ma jeunesse. Depuis lors j'avois pris l'habitude
de lire tous les soirs dans mon lit, jusqu'à ce
que je sentisse mes yeux s'appesantir. Alors j'é-
teignois ma bougie, et je tàchois de m'assoupir
quelques instants , qui ne duroient guère. Ma
lecture ordinaire du soir étoit la Bible , et je l'ai
lue entière au moins cinq ou six lois de suite de
cette façon. Ce soir-là , me trouvant plus éveillé
quà l'ordinaire, je prolongeai plus long-temps
ma lecture, et je lus tout entier le livre qui finit
par l'histoire du lévite d'Lphratm , et qui , si je
ne me trompe , est le livre des Juges ; car je ne
l'ai pas revu depuis ce temps-là. Cette histoire
m'affecta beaucoup, et j'en étois occupé dans une
espèce de rêve , quand tout-à-coup j'en fus tiré
par du bruit et de la lumière. Thérèse, qui la
portoit , éclairoit M. La Roche qui, me voyant
lever brusquement sur mon séant , me dit : Ne
vous alarmez pas ; c est de la part de madame la
maréchale , qui vous écrit et vous envoie une
lettre de M. le prince de Conti. En effet , en ou-
vrant la lettre de madame de Luxembourg, je
trouvai celle qu'un exprès de ce prince venoit de
lui apporter, poitant avis ([ue, malgré tous mes
elforts , on étoit déterminé à procéder contre
moi à toute rigueur. La fermentation , lui mar-
2i,
5oo LES CONFESSIONS,
quoit-il, est extrême ; rien ne peut parer le coup ,
la cour Texi^oe, le parlement le veut; à sept heu-
res du matin , il sera décrété de prise de corps ,
et l'on enverra sur-le-champ le saisir ; j'ai obtenu
qu'on ne le poursuivra pas s il s éloigne ; mais ,
s'il persiste à vouloir se laisser prendre , il sera
pris, fja Koche me conjura , de la part de ma-
dame la maréchale , de me lever et d'aller con-
férer avec elle. 11 étoit deux heures , elle venoit
de se coucher. Elle vous attend , ajouta-t-il , et
ne veut pas s'endormir sans vous avoir vu. Je
m'habillai en hâte, et j'y couius.
Elle me parut agitée : c étoit la première lois.
Son trouble me toucha. Dans ce moment de sur-
prise , je n'étois pas moi-même exempt d'émo-
tion : mais, en la voyant, je m'oubliai pour ne
penser quà elle et au triste rôle (juellc alloit
jouer si je me laissois prendre : car, me sentant
assez de courage pour ne dire jamais que la vé-
rité, dût-elle me nuire et me perdre, je ne mr
sentois ni assez de présence d'esprit , ni assez
d'adresse , ni peut-être assez de fermeté pour
éviter de compromettre madame de Luxem-
bourg, si j étois vivement pressé. Cela me dé-
cida à saerilier ma gloire à sa trancjuillité, et à
faire j)our elle , en cette rencontre , ce qu'aucune
puissance humaine ne m'eût engaj;»' à linre |)our
moi. Dans I instant (pie ma résolution lut prise,
je la lui déclarai , n(; voulant point gâter le prix
de mon saeriliee en le lui iaisant acheter, .le suis
«^ertain «juClh; ne put so tromper sur mon mo-
PARTIE II, LIVRE XI. 5oi
tif ; cependant elle ne me dit pas un mot qui
marquât qu'elle y fût sensible. Je lus indigné de
cette indifférence , au point de balancer à me
rétracter: mais M. le maréchal survint; madame
de Boufflers arriva de Paris quelques n)onicnts
après. Ils firent ce qu'auroit dû faire madame
de Luxembourg. Je me laissai flatter ; j'eus honte
de me dédire , et il ne fut plus (juestion que du
lieu de ma retraite et du temps de mon départ.
M. de Luxembourg me proposa de rester chez
lui quelques jours incognito , pour délibérer et
prendre mes mesures plus à loisir; je n'y con-
sentis point , non plus que d aller secrètement
au Temple. Je m'obstinai à vouloir partir dès
le inême jour, plutôt (pie de rester caché où
que ce put être.
Sentant que j'avois des ennemis secrets et
puissants dans le royaume, je jugeai que , mal-
gré mon attachement pour la France , j'en de-
vois sortir pour assurer ma tranquillité. Mon
premier mouvement fut de me retirer à ( ienêve;
mais un instant de réflexion suffit pour me dis
suader de faire cette sottise. Je savois que le mi-
nistère de France, encore plus puissant à Oe-
nève qu à Paris, ne me laisseroit pas plus en ])aix
dans une de ces villes que dans l'autre, s il avoit
résolu de me tourmenter. Je savois que le Dis-
cours sur V inégalité avoit excité contre moi dans
le conseil une haine d autant plus dangereuse,
qu'il n'osoit la manifester. Je savois qu'en der-
nier lieu , lorsque la Nouvelle Héloïse parut , il
5o2 LES CONFESSIONS,
s'étoit pressé de la défendie à la sollicitation du
docteur Tronchin ; niais , voyant que personne
ne rimitoit, pas même à Paris , il eut honte de
cette ctourderie, et retira la défense.
Je ne doutois pas que, trouvant ici 1 occasion
plus favorable, il n'eût (jrand soin d'en profiter.
Je savois que, malgré tous les beaj.ix semblants,
il réf^noit contre moi dans tous les cœurs gene-
vois une secrète jalousie qui n attehdoit que l'oc-
casion de s'assouvir. Néanmoins l'amour de la
patrie me rappeloit tlans la mienne; et , si j'a
vois pu me flatter dy vivre en paix, je n'aurois
j)as balancé : mais Ibonueur ni la raison ne me
permettant pas de m'y réfugier comme un iu{;i-
tif, je pris le parti de m'en rapprocher seule-
ment , et d aller attendre en Suisse celui qu'on
prendroit à Genève à mon égard. On verra
bientôt que cette incertitude ne dura pas long-
temps.
Madame de Boufflers désapprouva beaucoup
cette résolution, et Ht de nouveaux efforts pour
m engager à passer en Angleterre. Elle ne m'é-
l)ranla pas. Je n'ai jamais aimé l'Angleterre ni
les Anglois, et toute rélo((uence de madame
de Boufflers, loin de vaincre ma répugnance,
scnd)loit l'augmenter, sans que je susse pour-
quoi.
Décidé à partir le mèni»? jour, je fus dès le
malin parti pour tout le monde; et La Hoche,,
par (jui j'envoyai chercher mes papiers, ne vou-
lut pas dire à Thérèse elle-même si je fétois ou
PARTIE II, LIVRE XI. 5o3
ne Tétois pas. Depuis que j'avois résolu d'écrire
un jour mes mémoires, j'avois accumulé beau-
coup de lettres et autres papiers , de sorte qu il
fallut plusieurs voyages. Une partie de ces pa-
piers déjà triés furent mis à part; et je m'occu-
pai durant le reste de la matinée à trier les au-
tres , afin de n'emporter que ce qui pouvoit
m'être utile , et brûler le reste. M. de Luxem-
bourg voulut bien m'aider à ce travail , qui se
trouva si long que nous ne pûmes achever dans
la matinée, et je n'eus le temps de rien brûler.
M. le maréchal s'offrit de se charger du reste de
ce triage , de brûler le rebut lui-môme , sans s'en
rapporter à qui que ce fût, et de m'envoyer tout
ce qui auroit été mis à part. J'acceptai l'offre,
fort aise d'être délivré de ce soin, pour pouvoir
passer le peu d'heures qui me restoient avec des
personnes si chères , que j'allois quitter pour
jamais. Il prit la clef de la chambre où je lais-
sois CCS papiers; et, à mon instante prière, iV
envoya chercher ma pauvre tante, qui se con-
sumoit dans la perplexité mortelle de ce que
j'étois devenu, et de ce qu'elle alloit devenir,
et attendant à chaque instant les huissiers, sans
savoir comment se conduire et que leur répon-
dre. La Roche l'amena au château sans lui rien
dire; elle me croyoit déjà bien loin ; en m'aper-
eevant, elle perça l'air de ses cris, et se préci-
pita dans mes bras. G amitié, rapport des cœurs,
habitude, intimité! Dans ce doux et cruel mo-
ment se rassemblèrent tant de jours de bonheur,
5o4 LF.S CONFESSIONS,
de tendresse , et de paix , passés ensemljle, pour
me faire mieux sentir le (Jécliiicment d une pre-
mière séparation après nous être à peine perdus
de vue un seul jour pendant j)rès de dix-sept ans.
Le maréchal, témoin de cet embrassenient, no
put retenir ses larmes : il nous laissa. Thérèse
ne vouloit plus me quitter. Je lui lis sentir lin-
convénient qu'elle me suivît en vo moment, et
la nécessité qu'elle restât poiu- liquider mes ef-
fets et recueillir mon ar(Tent. Quand on décrète
un homme de prise de corps, Tusaf^e est de sai-
sir ses ])apiers , de mettre le scellé siu- ses eHèts ,
ou d en faire 1 inventaire, et d y nommer un (gar-
dien. Il falloit bien (judle restât pour veiller à
ce qui se passeroit, et tirer de tout le meilleur
parti possible. Je lui |)romis qu'elle me rejoin-
droit dans peu : M. le maréchal conlirma ma
promesse; mais je ne voulus janiais lui dire on
j'allois , afin qu interrojjée par ceux qtii vien-
droient me saisir, elle put protester avec viM'ité
de son ignorance sur cet article. Kn l'endiras-
sant, au moment de nous cpiiitcr, je sentis en
moi-même un mouvenjcnt très extraordinaire;
et je lui ilis dans un transpoit, hélas! troj) pro-
phéti(|ue : Ah)n enfant, il faut t'armer de cou-
rage; tu as partagé la prospérité de mes Ixanx
jours, il te reste, pnisfuic tu le veux, à parla;;( r
mes misères. N attends j)lns (uralfronls <•( tala-
mitës à ma suil(\ Le sort (jue ce itiste loiirconi-
mence pour moi me poursuivra jusfju'à ma der-
nière heure.
PARTIE II, LIVRE XI. 5o5
Il ne me restoit plus qu'à sonxrcr au départ.
Les huissiers avoient dû venir à dix heures. Il
en étoit quatre après midi quand je partis, et ils
n'étoient pas encore arrivés. Il avoit été décidé
que je prendrois la poste. Je n'avois point de
chaise: M. le maréchal me ht présent d'un ca-
briolet, et me prêta des chevaux et un postillon
jusqu'à la première poste, où, par les mesures
qu'il avoit prises , on ne ht aucune difficulté de
me fournir des chevaux.
Gomme je n'avois point dîné à table, et ne
m'étois pas montré dans le château, les dames
vinrent me dire adieu dansl'entrc-sol où j'ayoîs
passé la journée. Madame la maréchale m'em-
brassa plusieurs fois d'un air assez triste; mais
je ne sentis plus dans ces embrassements les
étreintes de ceux qu elle m'avoit prodif^ués il y
avoit deux ou trois ans. Madame de Boufflers
m'embrassa aussi , et me dit de fort belles cho-
ses. Un embrasscment qui me surprit davan-
tage, fut celui de madame de Mirepoix; car elle
étoit aussi là. Madame la maréchale de Mire-
poix est une personne extrêmement froide, dé-
cente, et réservée, et ne me paroît pas tout-à-fàit
exempte de la hauteur naturelle à la maison de
Lorraine. Elle ne m'avoit jamais témoigné beau-
coup d'attention. Soit que, flatté d'un honneur
auquel je ne mattendois pas, je cherchasse à
m'en augmenter le prix; soit qu'en effet elle eût
mis dans cet embrasscment un peu de cette
commisération naturelle aux cœurs généreux ,
5o6 LES CONFESSIONS.
je trouvai dans son mouvement et dans son
re{jard je ne sais quoi d'énergique qui me péné-
tra. Souvent , en y repensant , j'ai soupçonné
dans la suite que , n'ignorant pas à ({ucl sort
j'étois condamné , elle n'avoit pu se tlélendrc
d'un moment d'attendrissement sur ma des-
tinée.
M. le maréchal n'ouvroit pas la bouche; il
ctoit pâle comme un mort. Il voulut ahsohi-
ment m'accompagner jusqu'à ma chaise, qui
m'attendoit à 1 ahrcuvoir. Nous traversâmes tout
le jardin sans dire un seul mot, .l'avois une clef
du parc dont je me servis pour ouvrir la porte,
après quoi, au lieu de remettre la clef dans ma
poche, je la lui tendis sans mot dire. 11 la prit
avec une vivacité surprenante, à laquelle je n'ai
pu m'empêcher de penser souvent depuis ce
temps-là. Je n'ai guère eu dans ma vie d'instant
plus amer que celui de cette séparation. Lcm-
hrassement fut long et muet : nous sentîmes
l'un et l'autre que c'étoit un dernier adieu.
Entre la Barre et Montmorency, je rencon-
trai dans un carrosse de remise quatre hommes
en noir, qui me saluèrent en somiant. Sur ce
que Thérèse m'a rapporté, dans la suite, de la
figure des huissiers, de l'heure de leur arrivée ,
et de la làeon dont ils se comportèrent, je nai
ppint douté (jue ce ne fussent eux ; sur-tout
ayant appris dans la suite <|ii au lieu d'être dé-
crété à sept heures, comme ou me lavoit an-
noncé, je ne lavois été (pi à midi. 11 fallut tra-
PARTIE II, LIVRE XI. Soj
verser tout Paris, On n'est pas fort caché dans
un cabriolet tout ouvert. Je vis dans les rues
plusieurs personnes qui me saluèrent d'un air de
connoissance; mais je n'en reconnus aucune. Le
même soir je me détournai pour passer à Yille-
roy. A Lyon, les courriers doivent être menés
au commandant. Cela pouvoit être enabarras-
sant pour un homme qui ne vouloit ni mentir
ni chanjjer de nom. J'allois avec une lettre de
madame de Luxembourg prier M. de Vilieroy
de faire en sorte que je fusse exempté de cette
corvée. M. de Vilieroy me donna une lettre dont
je ne fis point usage, parceque je ne passai pas
à Lyon. Cette lettre est restée encore cachetée
parmi mes papiers. M. le duc me pressa beau-
coup de coucher à Vilieroy; mais j'aimai mieux
reprendre la grande route, et je fis encore deux
postes le même jour.
Ma chaise étoit rude , et j'étois trop incom-
modé pour pouvoir marcher à grandes jour-
nées. Bailleurs, je n'avois pas l'air assez impo-
sant pour me faire bien servir; et l'on sait qu'en
France les chevaux de poste ne sentent la gaule
que sur les épaules du postillon. En payant gras-
sement les guides, je crus suppléer à la mine
et au propos; ce fut encore pis : ils me prirent
pour un pied-plat, qui marchoit par commis-
sion , et qui couroit la poste pour la première
fois de sa vie. Dès-lors je neus plus que des ros-
ses, et je devins le jouet des postillons. Je finis,
comme j'aurois du commencer , par prendre
5o8 les' C0?5FESSI0NS.
patience, ne rien dire, et aller comme il leur
plut.
J avois de quoi ne pas m'ennuyer en route , en
me livrant aux réflexions qui se présentoient
sur tout ce qui venoit de m'arriver : mais ce n'é-
toit là ni mon tour d'esprit , ni la pente de mon
cœur. 11 est étonnant avec quelle facilité j ou-
blie le mal passé, quelque récent quil puisse
être. Autant sa prévoyance m effraie et me trou-
ble, tant que je le vois dans l'avenir, autant son
souvenir me revient foiblement et s'éteint sans
peine, aussitôt qu'il est arrivé. Ma cruelle ima-
(jination , qui se toiumente sans cesse à prévenir
les maux qui ne sont point encore, fait diver-
sion à ma mémoire, et m'empêche de me rap-
peler ceux qui ne sont plus. Contre ce qui est
fait il n'y a plus de précautions à prendre, et il
est inutile de s'en occuper. .Vépuise en quehpie
façon mon malheur d avance; plus j'ai souffert
à le prévoir, plus j'ai de facilité à l'oublier : tan-
dis qu'au contraire, sans cesse occupé de mon
court bonheur passé, je le rappelle et le rumine,
pour ainsi dire, au point dCu jouir dcrei lief
quand je veux.
C'est à cette heureuse disposition , je le sens,
que je dois <le n'avoir jamais connu cette Iiu-
meui- r;ui< iiiiji'ic (jui ferniente dans un C(i ur
vindicatif, yiii le souvenir toujours |)r< sent des
offenses rejoues, et qui le tourmeiiic lui-même
de tout le mal qu il voudroit rendre à son en-
nemi. NalurcllenK lit emporté, j'ai senti la co-
PARTIE II, LIVRE XI. Sog
Jèie, la fureur même dans les premiers mouve-
ments; mais jamais un désir de vengeance ne
[)rit racine au-dedans de moi : je m occupe trop
j)eu de J'offense pour in'occuper beaucoup de
1 offenseur. Je ne pense au mal que j'en ai reçu
qu'à cause de celui que j'en peux recevoir en-
core ; et , si j'étois sur qu'il ne m'en fît plus , celui
qu'il ma fait seroit à l'instant oublié. On nous
prêche beaucoup le pardon des offenses : c'est
une fort belle vertu, sans doute, mais qui n'est
pas à mon usage. J'ignore si mon cœur sauroit
dominer sa haine, car il n'en a jamais senti, et
je pense trop peu à mes ennemis pour avoir le
mérite de leur pardonner. Je ne dirai pas à quel
point, pour me tourmenter, ils se tourmentent
eux-mêmes. Je suis à leur merci ; ils ont tout
pouvoir, ils en usent. Il n'y a qu'une chose au-
dessus de leur puissance, et dont je les défie;
c'est, en se tourmentant de moi, de me forcer
à me tourmenter d'eux.
Dès le lendemain de mon départ, j'oubliai si
parfaitement tout ce qui venoit de se passer,
et le parlement, et madame de Pompadour, et
M. de Choiseul , et Grimm , et d'Alembert , et
leurs amis , et leurs complots , que je n'y aurois
pas même repensé de tout mon voyage, sans les
précautions dont j'étois obligé d'user. Un sou-
venir qui me vint au lieu de tout cela fut celui
de ma dernière lecture, la veille de mon départ.
Je me rappelai aussi les Idylles de Gessner^ que
son traducteur Huber , m'avoit envoyées il y
5io LES co^:FESSIO^'S.
avoit quelque temps. Ces deux idées ine rcviu-
rent si bien , et se mêlèrent de telle sorte dans
mon esprit, que je voulus essayer de les réunir,
en traitant , à la manière de Gessner , le sujet
du Lévite d Ephraùn. Ce style champêtre et naïf
ne paroissoit guère propre à un sujet si atroce,
et il n'étoit guère à présumer que ma situation
présente me fournît des idées bien riantes pour
l'jégayer. Je tentai toutefois la chose, unique-
ment pour m'amuser dans ma chaise, et sans
aucun espoir de succès. A peine cus-je essayé,
que je fus étonné de l'aménité de mes idées , et
de la facilité que j eprouvois à les rendre. .Te fis
en trois jours les trois premiers chants de ce pe-
tit poënie , que j'achevai dans la suite à Motiers ;
et je suis sûr de n'avoir rien fait en ma vie oit
règne une douceur de mœurs plus attendris-
sante, un coloris plus frais, des peintures plus
naïves , un costume plus exact , une plus antique
simplicité en toute chose , et tout cela , malgré
l'horreur du sujet, qui, dans le fond, est abo-
minable; de sorte (pi'outre tout le reste j'eus en-
core le mérite de la difficulté vaincue. Le Lévite
d'Éphraïm, s il n'est pas le meilleur de mes ou-
vrages, en sera toujours le plus chéri. Jamais je
ne l'ai relu, jamais je ne le relirai sans sentir en
dedans raj)pl;iu(lissemeiil d'un c(« ur sans fiel,
qui, loin de s'aigrir par ses nudlieurs, s'en con-
sole avec lui-même , et trouve en soi d<' quoi s'en
dédommuger. Qu'on rasscmide tous ces giands
PARTIE IT, LTVRE XI. 5ll
philosophes ,si supéiieursàradversitédansleurs
livres ; qu'on les mette dans une position pareille
à la mienne , et que , dans la première indigna-
tion de rhonneur outragé, on leur donne un
pareil ouvrage à faire, on verra comment ils
s'en tireront.
En partant de Montmorency pour la Suisse,
j'avois pris la résolution d'aller m arrêter à Yver-
dun, patrie de mon bon vieux ami M. Roguin,
qui s'y étoit retiré depuis quelques années, et
qui m'avoit même invité à l'y aller voir. J'ap-
pris en route que Lyon faisoit un détour; cela
m'évita d'y passer. Mais en revanche il f'alloit
passer par Besançon , place de guerre , et par
conséquent , sujette au même inconvénient. Je
m'avisai de gauchir et de passer par Salins, sous
prétexte d'aller voir INI. de Miran , neveu de
M. Dupin , qui avoit un emploi à la saline, et
qui m'avoit fait jadis force invitations de l'y
aller voir. L'expédient me réussit; je ne trouvai
point M. de Miran : fort aise d'être dispensé de
m'arrêter, je continuai ma route sans que per-
sonne me dît un mot.
En entrant sur le territoire de Berne , je fis ar-
rêter ; je descendis , je me prosternai , j'embras-
sai , je baisai la terre , et m'écriai , dans mon trans-
port : Ciel , protecteur de la vertu , je te loue, je
touche une terre de liberté l C'est ainsi qu'aveu-
gle et confiant dans mes espérances, je ma suis
toujours passionné pour ce qui devoit faire mon
^121 LES CONFESSIONS.
malheur. Mon postillon surpris me crut fou ; jr
remontai dans ma chaise ; et , peu d'heures après ,
j'eus la joie aussi pure que vive de me sentir pres-
se dans les bras du respectable Rofjuin. Ah ! res-
pirons ([iu'l([ues instants chez ce di{jne hôte :
j'ai besoin d'y reprendre du couraj^e et des for-
ces ; je trouverai bientôt à les employer.
Ce n'est pas sans raison que je me suis éten-
du, dans le récit que je viens de l'aire, sur tou-
tes les circonstances que j ai pu nie rappeler.
Quoiqu'elles ne soient pas ])ar eiies-iucnies fort
lumineuses, quand on tient une fois le lil de la
trame, elles peuvent jeter du jour sur sa mar-
che; et , par exemple, sans donner la première
idée du problême que je vais proposer, el^es ai-
dent beaucoup à le résoudre.
Supposons que, pour l'exécution Au complot
dont j'étois l'objet , mon éloiçnenuMit fût abso-
lument nécessaire, tout devoit, pour l'opérer,
se passer à-peu-])rès comme il se j)assa : mais si,
au lieu de me laisser épouvanter par l'ambassade
nocturne de madame de Luxembourf; et trou-
bler par ses alarmes, j'avois continué, comme
j avois commencé, de tenir fernu" , et qu'au lieu
de rester au château, je m'en fusse retourné dans
mon lit, dormir trancpiillement la fraîche ma-
tinée, aurois-jc également été décrété ;* Grande
(jucstion , d où dépend la solution de beaucoup
d'au|,res, et pour l'cxanicu de hicjuclle fheuredu
décret comminatoire et celle du décret réel ne
PARTIE II, LIVRE XI. 5l3
sont pas inutiles à remarquer. Exemple grossier,
mais sensible , de l'importance des moindres dé-
tails , dans l'exposé des faits dont on cherche
les causes secrètes , pour les découvrir par in-
duction.
FIN DU ONZIEME LIVRE.
i>i- 33
5l4 LES CONFESSIONS,
LIVRE DOUZIEME,
Ici commence l'œuvre de ténèbres dans lequel,
depuis huit ans, je me trouve enseveli, sans (jue,
de quelque façon que j aie pu m'y prendre , il
m'ait été possible d'en percer leffrayantc obscu-
rité. Dans ra])yme de maux où je suis submergé,
je sens les atteintes des coups qui me sont por-
tés ; j'en aperçois l'instrument immédiat, mais
je ne puis voir la main qui le dirige , ni les
moyens qu'elle met en œuvre. L'opprobre et les
malheurs tombent sur moi comme d'eux-mê-
mes, et sans (ju'il y paroisse. Quand mon cœur
déchiré laisse échapper des gémissements , j ai
l'air d'un homme qui se plaint sans sujet , et les
auteurs de ma ruine ont trouvé l'art inconce-
vable de rendre le pubHc complice de leur com-
j)lot, sans quil s'en doute lui-même et sans (pi il
en aperçoive l'effet. En narrant donc les événe-
ments (pii me regardent , les traitements que j'ai
soufferts et tout ce qui m'est arrivé , je suis hors
d'état de remonter à la main motrice , et d'assi-
gner les causes en disant les faits. Ces causes pri-
mitives sont tontes niar(ju<''es dans h\s deux j)ré-
cédenis livres ; tous les intérêts relatifs à moi ^
tous les motifs secrets y sont exposés. Mais dire
txiRTlE II, LIVRE Xlt. 5l5
eh quoi ces diverses causes se combinent pour*
opérer les étranges évéuements de ma vie , voilà
ce qu'il m'est impossible d'expliquer, même par
conjectuj-e. Si parmi mes lecteurs il s'en trouve
d'assez généreux pour vouloir approfondir ces
mystères et découvrir la vérité, qu'ils relisent avec
soin les trois précédents livres; qu'ensuite, à
chaque fait qu'ils liront dans les suivants , ils
prennent les informations qui seront à leur por-
tée ; qu'ils remontent d'intrigue en intrigue et
d'agent en agent jusqu'aux preniiers moteurs de
tout , je sais certainement à quel terme abouti-
ront leurs recherches ; mais je ine perds dans la
route obscure et tortueuse des souterrains qui
les y conduiront.
Durant mon séjour à Yverdun , j'y fis connois-»
sance avec toute la famille de M. Roguin , et en-
tre autres avec sa nièce madame Boy de La Tour
et ses filles, dont, comme je crois l'avoir dit, j'a-
vois autrefois connu le père à Lyon. Elle étoit
venue à Yverdun voir son oncle et ses sœurs ; sa
fille aînée , âgée d'environ quinze ans , m'enchan-
ta par son grand sens et son excellent caractère.
Je m'attachai à la mère et à la fille de l'amitié là
plus tendre. Cette dernière étoit destinée par
M. Roguin au colonel son neveu , déjà d'un cer-
tain âge , et qui me témoignoit aussi la plus
grande affection ; mais quoique l'oncle fût pas-
sionné pour ce mariage, que le neveu le désirât
fort aussi , et que je prisse un intérêt très vif à la
satisfaction de l'un et de l'autre, la grande di»-
i3.
5lÔ LES CO^'FESSIOKS.
proportion d'âge et rextrème répugnance de la
jeune personne me firent concourir avec la mère
à détourner ce mariage, qui ne se fit point. Le
colonel épousa depuis mademoiselle Dillan sa
parente, d un caractère et dune beauté bien se-
lon mon cœur , et qui l'a rendu le plus beureux.
des maris et des pères. Malgré cela , M. Roguin
n'a pu oublier que j'aie en cette occasion con-
trarié ses désirs. Je m'en suis consolé par la
certitude d'avoir rempli , tant envers lui qu'en-
vers sa famille , le devoir de la plus sainte
amitié , qui n'est pas de se rendre toujours
agréable, mais de conseiller loujoius pour le
mieux.
Je ne fus pas long-temps en doute sur l'accueil
qui m'attendoit à Genève, au cas que j'eusse en-
vie d'y retourner. Mon livre y fut brûlé, et j y fus
décrété de prise de corps le 1 8 juin , c'est-à-dire
neuf jours après lavoir été à Paiis. Tant d in-
croyables absurdités étoicnt cumulées dans ce
second décret , et ledit ecclésiastique y étoit si
formellement violé, que je refusai d ajouter foi
aux premières nouvelles ([ui m'en vinrent , et
que , quand elles furent bien confirmées , je trem-
blai qu'une si manifeste et criante infraction de
toutes les lois , à commencer par celle du bon
sens, ne mîtCienève sens-dessus-dessous : j'eus de
quoi me rassurer ; tout resta tranquille. S il s'émut
<(uelque rumeur dans la popuhue, elle ne fut
([ue contre moi , v\ je fus traité publitjuement par
toutes les caillettes et par tous les cuistres comme
PARTIE II, LIVRE XII. Siy
un écolier qu'on nienaroit du fouet pour n'a-
voir pas bien dit son catéchisme.
Ces deux décrets furent le signal du cri de ma-
lédiction qui s'éleva contre moi dans toute l'Eu-
rope avec une fureur qui n'eut jamais d'exemple.
Toutes les gazettes, tous les journaux , toutes les
brochures sonnèrent le plus terrible tocsin. Les
François sur-tout , ce peuple si doux, si poli, si
généreux , qui se pique si fort de bienséance et
d'égards pour les malheureux , oubliant tout d'un
coup ses vertus favorites , se signala par le nom-
bre et la violence des outrages dont il m'accabloit
à l'envi. .l'étois un impie , un athée , un forcené ,
un enragé, unebôte féroce, unloup. Le continua-
teur du journal de Trévoux fit sur ma prétendue
lycanthro^ie un écart qui montroit assez bien
la sienne. Enfin, vous eussiez ditquon craignoit
à Paris de se faire une affaire avec la police , si ,
publiant un écrit sur quelque sujet -que ce pût
être, on manquoit d'y larder quelque insulte
contre moi. En cherchant vainement la cause de
cette unanime animosité , je fus prêt à croire
que tout le monde étoit devenu fou. Quoi! le ré-
dacteur de la Paix perpétuelle souffle la discor-
de ! l'éditeur du Vicaire savoyard est un impie !
l'auteur de la Nouvelle Iléloïse est im loup ! celui
de rÉmilc est un enragé ! Eh mon dieu ! qu'aurois-
je donc été si j'avois publié le livre de l'Esprit ou
quelque ouvrage semblable! Et pourtant dans
l'orage qui s'éleva contre l'auteur de ce livre , le
public , loin de joiudie sa voix à celle de ses per-
5l8 LES CONFESSIONS,
gécutcurs, le voiifiea d'eux par ses élnj^es. Que
Ton compare son livre et les miens, 1 accueil dif-
férent qu'ils ont reçu, les traitements faits aux
deux auteurs dans les divers états de l'Europe ;
quon trouve à ces différences des causes qui
puissent contenter un homme sensé: voilà tout
ce que je demande , et je nie tais.
Je me trouvois si bien du séjour d'Yverdun ,
que je pris la résolution d'y rester , à la vive sol-
licitation de M. Rof;uin et de toute sa fan»ille.
M. de Moiry de Crinf^in , bailli de cette ville,
iu'encoura{jeoit aussi par ses liontcs à rcsterdi'.ns
son gouvernement. Le colonel me pressa si fort
d'accepter riiabitalion d'un petit pavillon qu'il
avoit dans sa maison , entre cour et jardin , (jue
j'y consentis , et aussitôt il s enquessî^iH le meu-
bler et le garnir de tout ce qui ctoit nécessaire
pour mon petit ménage. Le banneret Roguin ,
des plus empressés autour de moi , ne me quit-
toit pas de la journée, .l'étois toujours très sen-
sible à tant de caresses , mais j eu étois quel([ue-
fois bien importuné. Le jour de mon emména-
gement étoit déjà marqué , et j'avois écrit à
Thérèse de mq venir joindre , quand tout-à-coup
j'appris qu'il s'élevoit à lîerne un orage contre
moi, qu'on atlribuoit aux dévots, et dont- jr
n'ai jamais pu pénétrer la ])remière cause. Le
^énat , ex( ité sans (pion sût par qui , j)ar()issoit
ne vouloir pas me laisser traïupiille dans ma
retraite. Au prenuer avis qu'eut M. le bailli de
cette fermentation , il écrivit en n\a faveur
PARTIE II, LIVRE XII. 5 19
à plusieurs membres du gouvernement , k ur
reprochant leur aveugle intolérance , et leur
faisant honte de vouloir refuser à un homme
de mérite opprimé l'asile que tant de bandits
trouvoient dans leurs états. Des gens sensés ont
présumé que la chaleur de ses reproches avoit
plus aigri qu'adouci les esprits. Quoi qu'il en
soit , son crédit ni son éloquence ne purent pa-
rer le coup. Prévenu de l'ordre qu il devoit me
signifier, il m'en avertit d'avance ; et , pour ne
pas attendre cet ordre , je résolus de partir dès
le lendemain. La difficulté étoit de savoir où
aller, voyant que Genève et la France métoient
fermées , et prévoyant bien que dans cette af-
faire chacun s'emprcsseroit d imiter son voisin.
Madame Boy de La Tour me proposa d'aller
m'établir dans une maison vide , mais toute
meublée , qui appartenoit à son fils , au village
de Motiers , dans le Val-de-Travers , comté de
Neuchâtel. Il n'y avoit qu une montagne à tra-
verser pour m'y rendre. L'offre venoit d'autant
plus à propos, que dans les états du roi de Prusse
je devois naturellement être à l'abri des persé-
cutions, et qu'au moins la religion n'y pouvoit
guère servir de prétexte. Mais une secrète diffi-
culté, qu'il ne me convenoit pas de dire, avoit
bien de quoi me faire hésiter. Cet amour inné
de la justice, qui dévora toujours mon cœur ,
joint à mon penchant secret pour la France,
m'avoit inspiré depuis long-temps de l'aversion
pour le roi de Prusse, qui me paroissoit par ses
520 LES CONFESSIO>-S.
maximes et par sa conduite fouler aux pieds
tout respect pour la loi naturelle et pour tous
les devoirs humains. Parmi les estampes enca-
drées dont j avois orné mon donjon à Montmo-
rency étoit un portrait de ce prince, au-dessous
duquel j avois mis un distique qui finissoit ainsi:
Il pense en philosophe, et se conduiyen roi.
Ce vers qui , sous toute autre plume , eût fait un
assez bel éloge , avoit sous la mienne un sens
qui nVloit pas équivoque , et qu'explicpioit d ail-
leurs ]>ien clairement le vers précédent. Cle dis-
tique avoit été vu de tous ceux qui vcnoicnt nie
voir , et qui n'étoient pas en petit nombre. Le
chevalier de Lorenzy Tavoit même écrit pour le
donner à d Alembert , et je ne doutois pas que
d'Alembert n'eût pris le soin d'en faire ma cour
à ce prince. J'avois encore agrjravé ce premier
tort par un passaj^e de iKniile où , sous le nom
d'Adraste , roi des Dauniens , on voyoit assez qui
j'avois en vue ; et la remarque n'avoit pas échappa
pé aux épilopfueurs , puisque madame de Koui-
flers mavoit mis plusieurs fois sur cet article.
Ainsi jetois bien sûr d'être inscrit en encre rouge
sur les registres du roi de Prusse; et, supposant
d'ailleurs qu'il eût les principes (|ue j'avois osé
lui attribuer , mes écrits et leur auteur ne pou-
voicnt par cela seul que lui déplaire: car on vsait
que les méchants et les tvrans m'ont toujoins
pris dans la j)lu3 mortelle haine, même sans
PARTIE II, LIVRE XII. 521
me connoître , et sur la seule lecture de mes
écrits.
J'osai pourtant me mettre à sa merci , et je
crus courir peu de risque. Je savois que les pas-
sions basses ne subjuguent que les hommes foi-
J)Ies , et ont peu de prise sur les âmes d'une
forte trempe , telles que j'avois toujours reconnu
la sienne. Je jugeois que dans son art de ré[^ner
il entroit de se montrer ma(>nanime en pareille
occasion , et qu'il n'étoit pas au-dessus de son
caractère de l'être en effet. Je jugeai qu'une vile
et facile vengeance ne balanceroit pas un mo-
ment en lui l'amour de la gloire ; et , me mettant
un moment à sa place , je ne crus pas impossi-
ble f[u'il se prévalût de la circonstance pour ac-
cabler du poids de sa générosité l'homme qui
avoit osé mal penser de lui. J'allai donc m'éta-
blir à Motiers avec une confiance dont je le crus
fait pour sentir le prix , et je me dis : Quand
Jean-Jacques s'élève à côté de Goriolan , Frédé-
ric dcscendra-t-il plus bas que le général des
Volsques ?
Le colonel Roguin voulut absolument passer
avec moi la montagne, et venir m'installer à
Motiers. Une belle-sœur de madame Boy de La
Tour, appelée madame Girardier, à qui la mai-
son que j'allois occuper étoit très commode, ne
me vit pas arriver avec un certain plaisir; cepen-
dant elle me mit de bonne grâce en possession
de mon logement , et je mangeai chez elle eu
522 LES CO^'FESSIO^'S.
attendant que Thérèse fût venue et que mon
petit ménage fût établi.
Depuis mon départ de ^lontmorency, sentant
l)ien (jue je serois désormais fugitif sur la terre,
j hésitois à permettre qu elle vînt me joindre et
partager la vie errante à laquelle je me voyois
condamné. Je sentois que par cette catastrophe
nos relations alloient changer, et que ce qui jus-
qu'alors avoit été faveur et bienfait de ma part ,
le seroit désormais de la sienne. Si son atuichc-
ment me restoit à l'épreuve de mes malheurs ,
elle en seroit déchirée, et sa douleur ajouteroit
à mes maux. Si ma disgrâce attiédissoit son
cœur, elle me feroit valoir sa constance comme
un sacrifice; et , au lieu de sentir le plaisir que
j avois à partager avec elle mon dernier morceau
de pain , elle ne sentiroit que le mérite qu elle
auroit de vouloir bien me suivre par-tout où le
sort me forcoit d aller.
Il faut dire tout : je n'ai dissimulé ni les vices
de ma pauvre maman ni les miens; je n<> dois
j>as faire plus de grâce à Thérèse; et, ([urlque
plaisir que je prenne à rendre honneur à une
personne qui m'est si chère , je ne veux pas non
plus déguiser ses torts, si tant est même (piHn
changement involontaire dans les affections du
ccrur soit un vrai tort. Depuis long- 1( inps je
mapereevois de l'attiédissement du sien. Je sen-
tois qu'elle n'étoit ])lus pour moi ce (pi'elle fut
dans nos belles années, et je le sentois d'autant
mieu.\. que j étois le même pour elle toujours. Je
PARTIE II, LIVr. E XII. J2 )
retombai dans le même inconvénient dont j'a-
vois senti 1 effet auprès de maman , et cet effet
fut le même auprès de Thérèse. N'allons pas
chercher des perfections hors de la nature ; il
seroit le même auprès de quelque femme que ce
fût. Le parti que j'avois pris à Fégard de mes en-
fants , quelque bien raisonné qu il m'eût paru ,
ne m'avoit pas toujours laissé le cœur tranquille.
En méditant mon traité de l'éducation , je sentis
que j'avois négligé des devoirs dont rien ne pou-
voit me dispenser. Le remords enfin devint si
vif, qu'il m'arracha presque l'aveu public de
ma faute au commencement de FEnnile , et le
trait môme est si clair , qu'après un tel passage
il est surprenant qu'on ait eu le courage de me
la reprocher. Ma situation cependant étoit alors
la même, et pire' encore par l'animosité de me.^
ennemis , qui ne cherchoient qu'à me prendre
en faute. Je craignis la récidive ; et , n'en vou-
lant pas courir le risque , j'aimai mieux me con-
damner à 1 abstinence que tl'exposer Thérèse
à se voir dereclècf dans le même cas. J'avois d'ail-
leurs remarqué que riiabitatlon des femmes
cmpiroit sensiblement mon état : le vice équi-
valent, dont je n'ai jamais ;ni bien me guérir,
m'y paroissoit moins contraire. Cette double rai-
son m'avoit fait former des résolutions que j'a-
vois ((uolquefois assez mal tenues , mais dans
lesquelles je persistois avec plus de constance
depuis trois ou quatre ans : c'étoit aussi depuis
petto époque que j'avois remarqué du refroidis-
524 LES CONFESSIONS,
sèment dans Thérèse : elle avoit pour moi le
même attachement par devoir, mais elle n'en
avoit plus par amour. Cela jetoit nécessairement
moins d'aj^ rément dans notre commerce , et j'i-
maginai que, sûre de la continuation de mes
soins où quelle pût être, elle aimeroit peut-être
mieux rester à Paris que d'errer avec moi. Ce-
pendant elle avoit marqué tant de douleur à
notre séparation , elle avoit exi(>é de moi des
promesses si positives de nous rejoindre , elle
en exprimoit si vivement le dcsir depuis mon
départ , tant à M. le prince de Conti qu'à M. de
Luxcmhourg, que, loin d'avoir le couraf^e de
lui parler de séparation , j eus à peine celui d'y
penser moi-même ; et, après avoir senti dans
mon cœur combien il m'étoit impossible de me
passer d'elle , je ne songeai plus qu'à la rappeler
incessamment. Je lui écrivis donc de partir; elle
vint. A peine y avoit-il deux mois que je l'avois
quittée ; mais c étoit depuis tant d années notre
première séparation. Kous l'avions sentie bien
cruellement l'un et l'autre. Quel saisissement en
nous embrassant! O (jue les larmes de tendresse
et de joie sont douces ! comme mon cœur s'en
abreuve ! Pourquoi m'a-t-on fait verser si peu de
celles-là?
Eu arrivant à Motiers javois écrit à milord
Keith , maréchal d'Ecosse , gouverneur de Neu-
châtel , pour lui donner avis de ma retraite dans
les états de sa majesté , et pom- lui demander sa
protection. 11 me répondit avec la générosité
PARTIE II, LIVRE XII. 525
qu'on lui connoît et que j'attendois de lui. Il
m'invita à l'aller voir. J'y fus avec M. Martinet ,
châtelain du Val-de-Travers , qui étoit en grande
faveur auprès de son Excellence. L'aspect véné-
rable de cet illustre et vertueux Ecossois m'émut
puissamment le cœur ; et , dès l'instant même ,
commença entre lui et moi ce vif attachement
qui de ma part est toujours le même, et qui le
seroit toujours de la sienne, si les traîtres qui
m'ont ôté toutes les consolations de la vie n'eus-
sent profité de mon éloignement pour abuser sa
vieillesse et me défigurer à ses yeux.
George Keith, maréchal héréditaire d'Ecosse,
et frère du célèbre général Keith , qui vécut glo-
rieusement et mourut au lit d'honneur, avoit
quitté son pays dans sa jeunesse ; et y fut proscrit
pour s'être attaché à la maison Stuart, dont il
se dégoûta bientôt par l'esprit injuste et tyran-
nique qu'il y remarqua, et qui en fit toujours le
caractère dominant. Il demeura long-temps en
Espagne, dont le climat lui plaisoit beaucoup,
et finit par sattaclier, ainsi que son frère ^ au
roi de Prusse, (jui se connoissoit en hommes,
et les accueillit tous deux comme ils le méri-
toient. Il fut bien payé de cet accueil par les
grands services que lui rendit le maréchal Keith ,
et par une chose bien plus précieuse encore, la
sincère amitié de milord-maréchal. La grande
ame de ce digne homme , toute républicaine
et fière, ne pouvoit se plier que sous le joug
de famitié ; mais elle s'y plioit si parfaitement,
^26 LES CONFESSIONS,
qu'avec des maximes l)ien différentes il ne vif
])Ius que Frédéric du moment qu'il lui fut atta-
ché. Le roi le charjrea d affaires importantes ,•
l'envoya à Paris , en Espa{;iie ; et enfin le voyant ,
déjà vieux, avoir besoin de repos, lui donna
pour retraite le gouvernement de ÎSeuchâtel ,
avec la délicieuse occupation d'y passer le reste
de sa vie à rendre ce petit peuple heureux.
Les Neuchâtelois , qui n'aiment que la prétin-
taille et le clinquant , qui ne se connoissent pas
en véritable étoffe, et mettent lesprit dans les
longues phrases, voyant un homme froid et sans
façon, prirent sa sinq^lieité pour de la hauteur;
sa franchise, pour de la rusticité; son laconisme,
pour de la bêtise; se cabrèrent contre ses soins
bienfaisants, parceque, voulant être utile et non
cajoleur, il ne savoit point flatter les gens qu'il
n'estimoit pas. Dans la ridicule affaire du mi-
nistre Petit-Pierre, qui fut chassé par ses con-
frères pour n'avoir pas voulu qu ils fussent dam-
nés éternellement, milord, s'étant opposé aux
usurpations des ministres, vit soulever contre
lui tout le pays dont il prenoit le parti; et, quand
j y arrivai, ce stupide murmure n'étoit pas éteint
encoie. Il passoit au moins ])our un honnne qui
gelaissoit prévenir, et de toutes les imputations
dont il fut chaigé c'étoit jjeut-étre la moins in-
juste. Mon premier mouvement, en voyant ce
vénérable vieillard, fut de m attendrir sur la
maigieur de son corps, cleja (iccharne par les
ans; mais, en levant les yeux sur sa pliysiono-
PARTIE II, LIVRE XII. $27
mie animée, ouverte , et noble, je me sentis saisi
d'un respect mêlé de confiance qui l'emporta
sur tout autre sentiment. Au compliment très
court que je lui fis en Tabordant il répondit en
parlant d'autre cliose, comme si j'eusse été là de-
puis huit jours. Il ne nous dit pas même de nous
asseoir. L'empesé châtelain resta debout. Pour
moi, je vis dans l'œil perçant et fin de milord je
ne sais quoi de si caressant, que, me sentant
d'abord à mon aise , j'allai sans façon partager
son sofa , et m'asseoir à côté de lui. Au ton fa-
milier qu'il prit à l'instant, je sentis que cette
liberté lui faisoit plaisir, et qu'il se disoit en lui-
même : Celui-ci n'est pas un Neuchâtelois.
Effet singulier de la grande convenance des
caractères ! Dans un âge où le cœur a déjà perdu
sa chaleur naturelle , celui de ce bon vieillard se
réchauffa pour moi d'une façon qui surprit tout
le monde. Il vint me voir à Motiers, sous pré-
texte de tirer des cailles, et y passa deux jours
sans toucher un fusil. Il s'établit entre nous unç
telle amitié, car c'est le mot, que nous ne pou-
vions nous passer l'un de l'autre. Le château de
Colombier, qu'il habitoit l'été, étoit à six lieues
de Motiers ; j'allois tous les quinze jours au plus
tard y passer vingt-quatre heures , puis je reve-
nois de même en pèlerin , le cœur toujours plein
de lui. L'émotion que j'éprouvois jadis dans mes
courses de l'Hermiiage à Eaubonne étoit bien
différente assurément; mais elle n'étoit pas plus
douc€ que celle avec laquelle j'approchois de
528 LES CONFESSIONS.
ColomLier. Que de larmes d attendrissement j'ai
souvent versées dans ma route, en pensant aux
bontés paternelles, aux vertus aimables, à la
douce philosophie de ce respectable vieillard ! Je
l'appelois mon père ; il m appeloit son enfant. Ces
doux noms rendent en partie l'idée de l'attache-
ment qui nous unissoit, mais ils ne rendent pas
encore celle du besoin que nous avions lun de
l'autre, et du désir continuel de nous rappro-
cher. Il vouloit absolument me loger au château
de Colombier, et me pressa lonj^-temps d'y pren-
dre à demeure raj)partemcnt ({ue j'occupois. Je
lui dis enfin que j'étois plus libre chez moi , et
que j'aimois mieux passer ma vie à le venir voir.
Il approuva cette Iranchise, et ne m en parla
plus. O bon milord ! ô mon digne père ! que
mon cœur s'émeut encore en pensant à vous!
Ah ! les barbares ! quel coup ils m'ont porté en
vous détachant de moi! Mais non, non, grand
homme, vous êtes et serez toujours le même
pour moi, qui le suis toujours. Us vous ont
trompé, mais ils ne vous ont pas changé.
Milord-maréchal n'est pas sans défauts : c'est
un sage, mais c'est un homme. Avec l'esprit le
plus pénétrant, avec le tact le plus fin (ju il soit
possible d avoir, avec la plus profonde connois-
sance des hommes, il se laisse abuser (pielque-
fois, et n'en revient pas. Il a l'humeur singulière,
(pielque ( liosc d(î bizarre et d'étranger dans son
tour d esprit. 11 paroit oublier les gens (|uil voit
tous les jours, et se souvient deux au moment
PARTIE II, LIVRE XII. 629
•qu'ils y pensent le moins; ses attentions parois-
sent hors de propos ; ses cadeaux sont de fan-
taisie et non de convenance; il donne ou envoie
à l'instant ce qui lui passe par la tête , de j^rand
prix ou de nulle valeur indifféremment. Un
jeune Genevois , désirant entrer au service du roi
de Prusse, se présente à lui; niilord lui donne
au lieu de lettre un petit sachet de peau plein
de pois , qu'il le charj^e de remettre au roi. En
recevant cette singulière recommandation , le
roi place à l'instant celui qui la porte. Ces gé-
nies élevés ont entre eux un langage que les es-
prits vulgaires n'entendront jamais. Ces petites
bizarreries, semblables aux caprices d'une jolie
femme , ne me rendoient milord-maréchal que
plus intéressant. J'étois bien sur , et j'ai bien
éprouvé dans la suite qu'elles n'influoient pas
sur ses sentiments, ni sur les soins que lui pres-
crit l'amitié dans les occasions sérieuses. Mais il
est vrai que dans sa façon d'obliger il met en-
^core la même singularité que dans ses manières.
Je n'en citerai qu'un seul trait sur une baga-
telle. Comme la journée de Motiers à Colom-
bier étoit trop forte pour moi, je la partageois
d'ordinaire en partant après dîné et couchant
à'Brot,à moitié chemin. T^'hôte, appelé Sandoz,
ayant à solliciter à Berlin une grâce qui lui im-
portoit extrêmement , me pria d'engager sou
excellence à la demander pour lui. Volontiers.
Je le mène avec moi; je le laisse dans l'anti-
chambre, et je parle de son affaire à milord,
14. 34
53o LES CONFESSIONS.
qui ne me répond rien. La matinée se passe. En
traversant la salle pour aller dîner , je vois le
pauvre Sandoz qui se morfondoit d'attendre.
Croyant que milord l'avoit oublié, je lui en re-
parle avant de nous mettre à table : mot, com-
me auparavant. Je trouvai cette manière de me
faire sentir que je l'importunois un peu dure,
et je me tus , en plaignant tout bas le pauvre
Sandoz. En m'en retournant le lendemain , je
fus bien surpris du remerciement qu il me fit ,
du bon accueil et du bon dîné qu'il avoit eus
chez son excellence, et qui de plus avoit reçu
son papier. Trois semaines après , milord lui
envoya le rescrit qu il avoit demandé , expédié
par le ministre et signé du roi ; et cela sans m'a-
voir jamais voulu dire ni répondre un seul mot,
ni à lui non plus sur cette affaire, dont je crus
qu'il ne vouloit pas se charger.
Je voudrois ne pas cesser de parler de George
Kcith : c'est de lui que me viennent mes derniers
souvenirs heureux ; tout le reste de ma vie n'a
])lus été qu afflictions et serrements de cœur.
La mémoire en est si triste et m'en vient si con-
fusément , (|u'il ne m'est pas possible de mettre
aucun ordre dans mes récits ; je serai forcé dé-
sormais de les arranger au hasard et comme ils
se présenteront.
Je ne tardai pas dctre liié tl inquicluih* sur
mon asile par la réponse du roi à milord-ma-
réchal , en qui, comme on peut croire, j'avoi*
tioMvé un bon avocat. Non seulement Sa Ma-
PARTIE II, LIVRE XII. 53t
jfvsté approuva ce quil avoit fait, mais elle le
chargea, (ar il faut tout dire, de me donner
douze louis. Le bon milord, embarrassé d'une
pareille commission, et ne sachant comment
s en acquitter honnêtement , tâcha d'en exté-
nuer l'insulte en transformant cet argent en na-
ture de provisions , et me marquant qu'il avoit
ordre de me fournir du bois et du charbon pour
commencer mon petit ménage; il ajouta même,
et peut-être de son chef, que le roi me feroit vo-
lontiers bâtir une petite maison à ma fantaisie,
si j'en voulois choisir l'emplacement. Cette der-
nière offre me toucha fort, et me fit oublier la
mesquinerie de l'autre. Sans accepter aucune des
deux, je regardai Frédéric comme mon bienfai-
teur et mon protecteur; et je m'attachai si sin-
cèrement à lui que je pris dès-lors autant d in-
térêt à sa gloire que j'avois trouvé jusqualors
d'injustice à ses succès. A la paix qu'il fit peu
après , je témoignai ma joie par une illumina-
tion de très bon goût : c'étoit un cordon de guir-
landes dont j'ornai la maison que j'habitois , et
oii j'eus, il est vrai, la fierté vindicative de dé-
penser presque autant d'argent qu'il m'en avoit
voulu donner. La paix conclue, je crus que , sa
gloire militaire et politique étant au comble , il
alloit s'en donner une d'une autre espèce eu re-
vivifiant ses états , en y faisant régner le com-
merce, l'agriculture, en y créant un nouveau
sol, en le couvrant d'un nouveau peuple, en
maintenant la paix chez tous ses voisins, en se
532 LES CONFESSIONS.
faisant Tarhitrc de l'Europe après en avoir été
la terreur. Il pouvoit sans riscjue poser l'épée ,
bien sûrqu on ne l'ohliçeroit pas à la reprendre.
Voyant qu'il ne désarmoit pas , je craignis qu il
ne profitât mal de ses avantages , et ^u'il ne tût
grand qu à demi. J osai lui écrire à ce sujet, et,
prenant le ton familier fait pour plaire aux hom-
mes de sa trempe, porter jusqu'à lui cette sainte
voix de la vérité, que si peu de rois sont faits
pour entendre. Ce ne fut qu'en secret, et de moi
à lui, que je pris cette liberté. Je n'en fis pas
même [)arlicipant niilord -maréchal , et je lui
envoyai ma lettre au roi toute cachetée. INlilord
envoya ma lettre sans s'informer de son con-
tenu. Le roi n'y fit aucune réponse, et, quelque
temps après , milord-maréchal étant allé à Ber-
lin , il lui dit seulemeiit que je lavois bien gron-
dé. Je compris par-là que ma lettre a voit été
mal reçue, et (jue la franchise de mon zèle avoit
passé pour la rusticité d'un pédant. Dans le fond,
c^a pouvoit très bien être; peut-être ne dis-je
pas ce qu'il falloit dire , ou ne pris-je ])as le ton
(pi'il falloit jircndre. Je ne puis répondre (juc du
sentiment ([ui m avoit mis la jilume à la main.
Peu de temps après mou éiahlissement à Mo-
tiers-Travers , ayant toutes les assurances pos-
sihics fju'on m'y laisseroit tranquille , je j>ris
I hahit ainiéiiien. Ce nétoit pas une idée nou-
vclh'. Elle m'étoit venue diverses fois dans le
cours de ma vie , et elle me revint souvent à
Montmorency, ou le fréquent usage des sondes,
PARTIE II, LIVRE XII. 533
me condamnant à rester souvent dans ma cham-
bre, me fit mieux sentir tous les avantages de
l'habit long. La commodité d'un tailleur armé-
nien , qui venoit souvent voir un parent qu'il
avoit à Montmorency, me tenta d'en profiter
pour prendre ce nouvel équipage, au risque du
Qu'en dira-t-on , dont je me souciois très peu.
Cependant , avant d'adopter cette nouvelle pa-
rure, je voulus avoir l'avis de madame de J^uxem-
bourg, qui me conseilla fort de la prendre. Je
me fis donc une petite garde-robe arménienne;
mais forage excité contre moi m'en fit remettre
l'usage à des temps plus tranquilles; et ce ne fut
que quelques mois après, que , forcé par de nou-
velles attaques de recourir aux sondes, je crus
pouvoir, sans aucun risque, prendre ce nouvel
habillement à Motiers , sur-tout après avoir con-
sulté le pasteur du lieu, qui me dit que je pou-
vois le porter même au temple sans scandale. .le
pris donc la veste , le cafetan , le bonnet fourré,
la ceinture ; et , après avoir assisté dans cet équi-
page au service divin, je ne vis point d'inconvé-
nient aie porter chez milord-maréchal. Son ex-
cellence me voyant ainsi vêtu , me dit pour tout
coin\)\iment salamale/ii ^ après quoi tout fut fini,
et je ne portai plus d autre habit.
Ayant quitté tout-à-fait la littérature, je ne
songeai plus quïi mener une vie tranquille et
douce autant qu il dépendroit de moi. Seul , je
n'ai jamais connu l'ennui , même dans le plus
parfait désœuvrement : mon imagination, rem-
534 LES CONFESSIO>'S.
plissant tous les vides, sufilt seule pour m'oC"
cuper. Il n'y a que le bavarclaj^e inactif de cham-
hre, assis les uns vis-à-vis des autres à ne mouvoir
que la lanf)ue, que jamais je n ai pu supporter.
Quand on marche, qu on se promené, encore
passe; les pieds et les yeux font au moins quel--
que chose : mais rester là les hras croisés, à par-
ler du temps qu'il fait et des mouches qui vo-
lent, ou, qui pis est, à s'entrcfaire des compli-
ments, cela m'est un supplice insupporlahlc. Je
m'avisai, pour ne pas vivre en sau\a<;e, d'ap-
prendre à faire des lacets, .le portois mon cous-
sin dans mes visites ; ou j'allois, comme les fem-
mes , travailler à ma porte , et causer avec les
passants. Cela me fiisoit supporter linanilé du
]»a])illage, et passer nion tcmj>s sans ennui chez,
mes voisines, dont plusieurs étoient assez ai-=-
jnablesetne manquaient pas d'esprit. Une entre
autres, appelée Isahclle divernois, fille du pro-
cureur-[général de ISeu(;hâtel, me parut assez
estimable pour me lier avec elle d'une amitié
particulière, ilont elle ne s'est pas mal trouvée
par les conseils utiles que je lui ai donnés, et par
les soins que je lui ai rendus dans des occasions
essentielles ; de sorte que maintenant , dij^ne et
vertueuse mère de famiJle, elle me doh peut-être
son mîu'i, sa raison, sa vie, et son bonheur. De
nu)u coté, je lui dois des consolations très do u-^
CCS, et sur-tout durant un bien triste hiver ou,
dans le fort de mes maux et de mesj)eines, elle
vcnoit passer avec Thérèse et moi de longue.-
PARTIE II, LIVRE XII. 535
soirées, quelle savoit nous rendre bien courtes
par l'agrément de son esprit et par les mutuels
épanchements de nos cœurs. Elle m'appeloit son
papa, je Fappelois ma fille; et ces noms, que
nous nous donnons encore , ne cesseront point ,
je l'espère, de lui être aussi chers qu'à moi. Pour
rendre mes lacets bons à quelque chose, j'en fai-
sois présent à mes jeunes amies à leur mariage ,
à condition qu'elles nourriroient leurs enfants ;
sa sœur aînée en eut un à ce titre , et la mérité ;
Isabelle en eut un de même, et ne l'a pas moins
mérité par l'intention : mais elle n'a pas eu le
bonheur de pouvoir faire sa volonté. En leur
envoyant ces lacets , j'écrivis à l'une et à l'autre
des lettres dont la première a couru le monde ;
mais tant d'éclat n'alloit pas à la seconde : l'a-
mitié ne marche pas avec si grand bruit.
Parmi les liaisons que je fis àmon voisinage, et
dans le détail desquelles je n'entrerai pas , je dois
noter celle du colonel Pury, qui avoit une mai-
son sur la montagne, où il venoit passer les étés.
Je n'étois pas empressé de sa connoissance , par-
ceque je savois qu'il étoit très mal à la cour et au-
près de milord-maréchal , qu'il ne voyoit point.
Cependant, comme il me vint voir et me fit beau-
coup (riionnêtetés , il fallut l'aller voir à jnon
tour. Gela continua ; et nous mangions quel-
qufois l'un chez l'autre. Je fis chez lui connois-
sance avec M. du Peyrou , et ensuite une amitié
trop intime pour que je puisse me dispenser de
parler de lui.
536 LES CONFESSIONS.
M. du Peyrou étoit Américain, fils d'un com-
mandant de Surinam , dont le successeur, M. Le
Chaml)rier, épousa la veuve. Devenue veuve une
deuxième fois , elle vint , avec son fds , s établir
dans le pays de son second mari. Du Peyrou , fils
unique , fort riche , et tendrement aimé de sa
mère, avoit été élevé avec assez de soin , et son
éducation lui avoit profité. 11 avoit acquis beau-
coup de demi-connoissances, quelque ffoùt pour
les arts, et ilsepiquoit sur-tout d'avoir cultivé sa
raison: son air Iiollaudois , froid et philosophe,
son teint basané, son humeur silencieuse et ca-
chée, favorisoient beaucoup cette opinion, 11
étoit sourd et f^outteux, quoique jeune encore:
cela rendoittous ses mouvements fort posés , fort
fjraves; et, quoiqu'il aimât à disputer, quel({uc-
fois même un peu lon{|uement, généralement il
parloit peu, parccquil n'entendoit pas. Tout cet
extérieur mon inq)osa : je me dis. Voici un pen-
seur, un homme safjc, tel ([uon seroit heureux
d'avoir un ami. Pour achever de me prendre, il
m'adressoit souvent la parole sans jamais me
faire aucun compliment. Il me j)arloit peu de
moi , peu de mes livres, très peu de lui. Il n étoit
pas dépourvu d'idées, et tout ce qu'il disoit étoit
assez juste. Cette justesse et cette é{Talité ni'atti-
rcrent. Il n'avoit dans l'esprit ni l'élévation ni la
finesse de celui de milord-maréchal , mais il eu
avoit la sinq)li(Mi('' ; c'i loif Jonjouis h^ roj)réseu-
ter en (piehpie tliose. Je ne mVnp,()uai pas, mais
je m'attachai par fcstime jet, par trait de temps.
PARTIE II, LIVRE XII. 537
cette estime amena l'amitic. J'oubliai totalement
avec lui Tobjection que j'avois faite au baron
d'Holbach , qu'il étoit trop riche; et je crois que
j'eus tort. J'ai appris à douter qu'un homme
jouissant d'une grande fortune, quel qu'il puisse
être, puisse aimer sincèrement mes principes
et leur auteur.
Pendant assez lon^f-temps , je vis peu du Pey-
rou, parceque je n'allois point à Ncuchàtel , et
qu'il ne venoit qu'une fois l'année à là montagne
du colonel Pury. Pourquoi n'allois -je point à
Neuchâtel ? C'est un enfantillage qu'il ne faut
pas taire.
Quoique protégé par le roi de Prusse et par
milord-maréchal , si j'évitai d'abord la persécu-
tion dans mon asile , je n'évitai pas du moins les
murmures du public , des magistrats munici-
paux , des ministres. Après le branle donné par
la France, il n'étoit pas du bon air de ne me pas
faire au moins quelque insulte , on auroit eu
peur dç paroître improuver mes persécuteurs,
en ne les imitant pas. La classe de Neuchâtel ,
c'est-à-dire la compagnie des ministres , donna
le branle en tentant d'abord d'émouvoir contre
moi le conseil d'état. Cette tentative n'ayant pas
réussi , les ministres s'adressèrent au magistrat
municipal , qui fit aussitôt défendre mon livre ,
et , me traitant en toute occasion peu honnête-
ment , faisoit comprendre et disoit même que
si j'avois voulu m'aller étal)lir dans la ville on ne
m'y auroit pas souffert. Us remplirent leur Mer-
538 LES CONFESSIONS,
cure (rincptics et du plus idiot cafardage , qui ,
tout en faisant rire les (jens sensés, ne laissoit
pas d'échauffer le peuple et de l'animer contre
moi. Tout cela n'cmpêchoitpas qu à les entendre
dire je ne dusse être très rcconnoissant de l'ex-
trême grâce qu'ils me faisoient de me laisser vivre
à Motiers ; ils m'auroient volontiers mesuré l'air
à la pinte, à condition que je l'eusse payé bien
cher. Ils vouloient que je leur fusse obligé de la
protection que le roi m'accordoit malgré eux ,
et qu'ils travailloicnt sans relâche à m'ôter. En-
fin, ny pouvant réussir, après mavoii" fait tout
le tort qu'ils purent, et m avoir décrié de tout
leur pouvoir , ils se firent un méiite de Iciu' im-
puissance, en me faisant valoir la bonté quils
avoient de me souffrir dans leur pays. J'aurois dû
leur rire au nez pour toute réponse, je fus assez
l)étc pour me piquer, et j eus lineplie de ne vou-
loir point aller à Neuchàtcl, résolution que je
tins près de deux ans, comme si ce n'étoit pas
trop honorer de pareilles espèces de faire atten-
tion à leurs procédés, qui, bons ou mauvais, ne
peuvent K'ur être imputés , ])uis(juils n agissent
jamais que par impulsion! D'ailleurs, des esprits
sanscultureet sans lumières, quineconnoisscnt
d'autre objet de leur estime que le crédit , la puis-
sance ,et l'argent , sont bien éloignés de soupçon-
nermême qu'on doive quelqueé{;ard an\ talents,
et (ju'il y ait du déslionneur aies outrager.
Un certain maire de village , (pii j)our ses mal-
versations uvoit été cassé, disoit au lieutenant
PARTIE II, LIVRE XII. SBq
du Val-de-Travers , mari de^ion Isabelle : On dit
que ce Rousseau a tant cV esprit ; amenez-le-moi ;
que je voie si cela est vrai. Assurément les mé-
contentements d'un homme avec qui l'on prend
un pareil ton doivent peu fâcher ceux qui les
éprouvent.
Sur la façon dont on me traitoit à Paris , à Ge-
nève, à Neuchâtel même, je ne nVattendois pas
à plus de ménagement de la part du pasteur du
lieu. Je lui avois cependant été recommandé par
madame Boy de La Tour, et il m'avoit fait beau-
coup d'accueil ; mais dans ce pays, où l'on flatte
également tout le monde , les caresses ne signi-
fient rien. Cependant , après ma réunion solen-
nelle à l'église réformée , vivant en pays réformé ,
je ne pouvois , sans manquer à mes engagements
et à mon devoir de citoyen , négliger la profes-
sion publique du culte où j'étois rentré ; j'assis-
tois donc au service divin. D'un autre côté, je
craignois , en me présentant à la table sacrée ,
de m'exposer à l'affront d'un refus ; et il n étoit
nullement probable qu'après le vacarme fait à
Genève par le conseil , et à Neuchâtel par la
classe, il voulût inadministrer tranquillement
la cène dans son église. A'^oyant donc approcher
le temps de la communion , je pris le parti d'é-
crire à M, de Montmollin ( c'étoit le nom du mi-
nistre), pour faire acte de bonne volonté, et lui
déclarer que j'étois toujours uni de cœur à l'église
protestante ; je lui dis en même temps , pour
éviter des chicanes sur les articles de foi, que je
54o LES CONFESSIONS.
ne voulois aucune explication particulière sur le
dojyme. M'étant ainsi mis en rèp,le de ce côté, je
restai tranquille, ne doutant pas que M. dcMont-
niollin ne reftisât de ni'admettre sans la dis-
cussion préliminaire dont je ne voulois point , et
quainsi tout ne fût fini sans qu'il y eût de ma
faute : point du tout. Au moment où je m'y at-
tendois le moins , M. de Montmollin vint me dé-
clarer , non seulement quil m'adn»«'ll(>it à la
communion sous la clause que j'y avois mise ,
mais, de plus, que lui et ses anciens se faisoient
un^yrand honneur de m'avoir dans son troupeau.
Je n'eus de mes jours pareille surprise, ni ]>lus
consolante. Toujours vivre isolé sur la terre me
paroissoit un destin bien triste, sur-tout dans
l'adversité. Au milieu de tant de proscriptions et
de persécutions , je trouvois une douceur extrê-
me de pouvoir me dire , Au moins je suis parmi
mes frères; et j'allai conmiunier avec une émo-
tion de cœur et des larmes d'attendrissement ,
qui étoient peut-être lai préparation la plus
agréable à Dieu Cju'on pût y porter.
Quelque temps après, milord m'envoya une
lettre de madame de Houlîlers, venue, du moins
je le présumai, j)ar la voie de d'Alemhert , qui
connoissoit milord-Miaréclial. Dans cette lettre,
la première que celte dame m'eût écrite depuis
mon départ do Montmorency, elle me tançoit
vivement de ecllc (|ue j avois «'(rite à M. de Mont-
mollin , et sur-tout ilavoir <ommniii<\ .le com-
pris d'autant moins à (pii elle en avoit avec sa
PARTIE II, LIVRE XII. 54l
mercuriale, que, depuis mon voyage de Genève,
je metois toujours déclaré hautement protes-
tant, et que j'avois été très publiquement à rhô-
tel de Hollande, sans que personne au monde
l'eût trouvé mauvais. Il me par oissoit fort plai-
sant que madame la comtesse de Boufïlers vou-
lût se mêler de diriger ma conscience en fait de
religion. Cependant comme je ne doutois pas
que son intention , quoique je n'y comprisse
rien , ne fût la meilleure du monde , je ne -m'of-
fensai point de cette singulière sortie, et je lui
répondis sans colère en lui disant mes raisons.
Cependant les injures imprimées alloient leur
train, et leurs bénins auteurs reprochoient aux
puissances de me traiter trop doucement. Ce
concours d'aboiements, dont les moteurs conti-
nuoient d'agir sous le voile, avoit quelque chose
de sinistre et d'effrayant. Pour moi , je laissois
dire sans m'émouvoir. On m'assura quil y avoit
une censure de la Sorbonne; je n'en crus rien.
De quoi pouvoit se mêler la Sorbonne dans cette
affaire? Vouloit-elle assurer que je n'étois pas
catholi(jue ? Tout le monde le savoit. Vouloit-
elle prouver que je n'étois pas ban calviniste?
C'étoit prendre un soin bien singulier; c'étoit se
faire les substituts de nos ministres. Avant d'a-
voir vu cet écrit, je crus qu on le faisoit courir
sous le nom de la Sorbonne pour se moquer
d'elle; je le crus bien plus encore après l'avoir
lu. lùifin , quand je ne pus plus douter de son
authenticité , tout ce que je me réduisis à croire
6/^2 LES CO>"FESSIO>S.
fut qu'il falloit mettre la Sorbonne aux petites
maisons.
Un autre écrit m'affecta davantafje, parccqu'il
venoit d'un homme pour qui j'avois toujours de
l'estime, et dont j'admirois la constance en plai-
gnant son aveuglement. Je parle du mandement
de rarclievèque de Paris contre moi. Je crus que
je me devois d y répondre. Je le pouvois sans
m'avilir ; c étoit un cas à-peu-près semblable à
celui du roi de Pologne. Je n'ai jamais aimé les
disputes brutales , à la Voltaire. Je ne sais me
battre qu avec dignité , et je veux que celui (juî
m'attaque ne déshonore pas mes coups, pour
que je daigne me défendre. Je ne doutois point
que ce mandement ne fût de la façon des jésui-
tes; et, quoiqu'ils fussent alors malheureux eux-
mêmes , j'y reconnoissois toujours leur ancienne
maxime, d écraser les malheureux. Je pouvois
donc aussi suivre mon ancienne maxime , d ho-
norer fauteur titulaire, et de foudroyer l'ou-
vrage ; et c'est ce que je crois avoir fait dans ma
réponse avec assez de succès.
Je trou vois le séjour de Moticrs fort ajjréablc;
et , pour me déterminer à y finir mes jours , il
ne me manquoit qu'une subsistance assurée :
mais on y vit assez chèrement ; et j'avois vu ren-
verser tous mes anciens j)rojets par la dissolu-
tion de mon ménage, par rétablissement d un
nouveau , par la vente ou dissipation de tous
mes meubles, «t par les dépenses cpi il m avoit
fallu faire depuis mon tlépart de Montmorency.
PARTIE II, LIVRE XII. 543
Je voyois journellement diminuer le petit capi-
tal que j'avois devant moi. Deux ou trois ang
suffisoient pour en consumer le reste , sans que
je visse aucun moyen de le renouveler , à moins
de recommencer à faire des livres , métier fu-
neste auquel j'avois déjà renoncé.
Persuadé que tout chanj^eroit bientôt à mon
égard , et que le public , revenu de sa frénésie ,
en feroit rougir les puissances , je ne chercliois
qu'à prolonger mes ressources jusqu'à cet heu-
reux changement, qui me laisseroit plus en état
de choisir parmi celles qui pourroient s'offrir.
Pour cela , je repris mon Dictionnaire de musi-
que , que dix ans de travail avoient déjà fort
avancé , et auquel il ne manquoit que la dernière
main et d'être mis au net. Mes livres qui m'a-
voient été envoyés depuis peu me fournirent les
moyens d'achever cet ouvrage ; mes papiers qui
me furent envoyés en même temps me mirent
en état de commencer l'entreprise de mes mé-
moires , dont je voulois uniquement m'occuper
désormais. Je commençai par transcrire des let-
tres dans un recueil , qui pût guider ma mé-
moire dans l'ordre des faits et des temps. J'avois
déjà fait le triage de celles que je voulois con-
server pour cet effet , et la suite depuis près de
dix ans n'en étoit point interrompue. Cependant,
en les arrangeant pour les transcrire , j'y trouvai
une lacune qui me surprit. Cette lacune étoit de
près de six mois, depuis octobre i-jSô jusqu'au
mois de mars suivant. Je me souvenois parfai-
544 LES CONFESSIONS.
tenient d'avoir mis dans mou triage nombre de
lettres de Diderot , de Deleyre , de madame d'É-
pinay, de madame de Chenonccaux, etc., qui
remplissoient cette lacune, et qui ne se trouvè-
rent plus. Quctoicnt-elles devenues? Quehjuun
avoit-il mis la main sur mes papiers pendant
qucl({ucs mois qu ils étoient restés à riiôtol de
Luxembourg ? Gela n cloit pas conccvalile , et
j'avois vu M. le maréchal lui-même prendre la
clef de la chambre où je les avois déposés. Com-
me plusieurs lettres de femmes et toutes celles
de JJiderot étoient sans date , et (pie j avois été
force de remplir ces dates de mémoire et en tâ-
tonnant, pour ranger ces lettres dans leur ordre,
>e crus d'aJ^ord avoir tait des erreurs de dates,
et je passai en revue toutes les lettres qui n'en
avoient point ou auxquelles je Tavois suppléée,
pour voir si je n'y trouverois point celles (pii
dévoient remplir ce vide. Cet essai ne réussit
point ; je vis que le vide étoit bien réel , et que
les lettres avoient certainement été enlevées.
Par qui et pourquoi? voilà ce ipii me passoit.
Ces lettres, antérieures à mes grandes (pierelles,
et du temps de ma première ivresse de la Julie,
ne pouvoient intéresser personne. C étoient tout
au pins quehjues tracasseries de Diderot, quel-
ques persillages de Deleyre , des t<Mn<»i{jnages
d'amitié de madame de Chenoneeaux et même
de madame d itpinay , avec laquelle j étois alors
le niieux du monde. A (\u\ pouvoient importer
ces Iclires ' «pi en vouloit-on (aire? [Ce nest que
PARTIE II, LIVRE XII. 545
sept ans après que j'ai soupçonné l'affreux ol^jet
de ce vol. ]
Ce déficit bien avéré nie fit chercher parmi mes
brouillons si j'en découvrirois quelque autre. J'en
trouvai quelques uns qui , vu mon défaut de mé-
moire, m'en firent supposer d'autres dans la mul-
titude de mes papiers. Ceux que je remarquai le
plus furent le brouillon de la Morale sensitive,
et celui de l'Extrait des aventures de milord
Edouard. Ce dernier, je l'avoue, me donna quel-
que soupçon sur madame de Luxembourg. C'é-
toit La Roche, son valet-de-chambre , qui m'a-
voit expédié ces papiers; et je n'imaginai qu'elle
au monde qui put prendre intérêt à ce chiffon:
mais quel intérêt pouvoit-elle prendre à l'autre
et aux lettres enlevées , dont , même avec de
mauvais desseins , on ne pouvoit faire aucun
usage qui pût me nuire , à moins de les falsi-
fier? Pour M. le maréchal, dont je connoissois
la droiture invariable et la vérité de son amitié
pour moi, je ne pus le soupçonner un moment;
je ne pus même arrêter ce soupçon sur madame
la maréchale. Tout ce qui me vint de plus rai-
sonnable à l'esprit , après mètre fatigué long-
temps à chercher l'auteur de ce vol, fut de l'im-
puter à d'Alembcrt, qui, déjà faufilé chez ma-
dame <lcLuxcni])ourg,avoit pu trouver le moyen
de fureter ces papiers, et den enlever ce qu'il lui
avoit plu tant en manuscrits qu'en lettres, soit
pour chercher à me susciter quelque tracasserie,
soit pour s'approprier ce qui lui pouvoit conve-
i4- 35
546 LES CONFESSIONS,
nir. Je supposai rpiabusé par le titre de la Mo-
rale sensitive il avoit cru trouver le plan d\in
vrai traité de matérialisme, dont il auroit tiré
contre moi le parti qu'on peut bien s'imaginer.
Sûr qu'il seroit bientôt détrompé par l'examen
du brouillon, et déterminé à quitter tout-à-fait
la littérature , je m'inquiétai peu de ces larcins^
qui n'étoient pas les premiers de la même main ,
qu€ j'avois endurés sans m'en plaindre( i ). Bientôt
je ne songeai pas plus à cette inlidélitéquc si l'on
ne m'en eût fait aucune ; et je me mis à rassem-
bler les matériaux qu'on m'avoit laissés , pour
travailler à mes Confessions.
J'avois long-temps cru qu'à Genève la compa-
gnie des ministres , ou du moins les citoyens et
bourgeois réclameroient contre l'infraction de
ledit dans le décret porté contre moi. Tout resta
tran(piille,au moins à l'extérieur; car il y avoit un
mécontentement général qui n'attendoit qu'une
occasion pour se manifester. Mes amis , ou soi-
disant tels, m'écrivoient lettres sur lettres pour
m'exhorter à venir me mettre à leur tête , m'assu-
rant d'une réparation publique de la part du con-
(i) J'avois trouvé clans ses Eléments de Musif/iichcau-
coup de choses tirées de ce que j'avois écrit sur cet art
pour VEncyclope'dic ^ et »|ui lui fut remis plusieurs an-
nées avant l.i puMicaliou de ses llléuieuls. .) ignore la
part qu'il a pu avoir à un livre intitulé Dictionnaire des
Beaux-Arts ; mais j'y ai trouvé des articles transcrits tics
miens, mot à mot; et cela lon{;-temps avant que ces
uièu>es articles fussent imprimés dans ï Encyclopédie.
MRTIE li, LIVRE XII. 54^
seil. IjB crainte du désordre et des troubles que
ma présence pouvoit causer m'empêcha d'ac-
quiescer à leurs instances ; et , fidèle au serment
que j'avois fait autrefois de ne jamais tremper
dans aucune dissention civile dans mon pays,
j'aimai mieux laisser subsister l'offense et me
bannir pour jamais de ma patrie que d'y rentrer
par des moyens violents et dangereux. Il est vrai
que je m'étois attendu de la part de la bourgeois
sic à des représentations légales et paisibles con-
tre une infraction qui l'intéressoit extrêmement*
Il n'y en eut point. Ceux qui la conduisoient cher-
clioient moins le vrai redressement des griefs que
l'occasion de se rendre nécessaires. On cabaloit j
mais on gardoit le silence , et on laissoit clabau-
der les caillettes et les cafards que le conseil
mettoit en avant pour me rendre odieux à la
populace, et faire attribuer son incartade au zèle
de la religion.
Après avoir attendu vainement plus d'un an
que quelqu'un réclamât contre une procédure
illégale, je pris enfin mon parti; et, me voyant
abandonné de mes concitoyens, je me détermi-
nai à renoncer à mon ingrate patrie où je n'a-
vois jamais vécu , dont je n'avois reçu ni bien ni
service , et dont , pour prix de l'honneur que j'a-
vois tâché de lui rendre , je me voyois si indigne-
ment traité d'un consentement unanime, puis-
que ceux qui dévoient parier n'avoient rien dit.
J'écrivis donc au premier syndic de cette année-là
et dont j'ai oublié le nom , une lettre par laquelle
3Ô.
548 LES CONFESSIO^•S.
j'abdiquois solennellement mon droit de bour-
geoisie , et dans laquelle, au reste, j'observai la
décence et la modération que j'ai toujours mises
aux actes de fierté que la cruauté de mes enne-
mis m'a souvent arracbés dans mes malheurs.
Cette démarche ouvrit enfin les \eu\ aux ci-
toyens ; sentant qu'ils avoient eu tort pour leur
propi^ intérêt d'abandonner ma défense , ils la
prirent quand il n'étoit plus temps. Ils avoient
dautresgiicfs qu'ils joijjuirent à celui-là, et ils en
firent la matière de plusieurs représentations très
bien raisonnées qu ils étendirent et renforcèrent
à mesure que les durs et rebutants refus du con-
seil , cjui se sentoit soutenu par le ministère de
France , leur firent mieux sentir le projet formé
de les asservir. Ces altercations proeluisirent di-
verses brochures qui ne décidoicnt rien, jusquù
ce que parurent tout d'un coup les Lettres écrites
de la campagne ^ ouvrage écrit en faveur du con-
seil avec un art infini, et par lequel le parti re-
présentant , réduit au silence , bu pour un temps
écrasé. Cette pièce , monument duraljle tles rares
talents de son auteur, étoitdu procureur-géné-
ral Tronchin, homme desprit, homme éclairé,
très versé tians les lois et le gouvernement de la
répul)li(|uc. Siluit terra.
Les représentants, levcnus de leur premier
idiatlenuMit , entreprirent une réponse , et sen
tirèrent passai )lcnïent avec le t'emps. Mais tous
jetèrent les yeux sur moi, connue sur le seul
qui pût entrer en lice contre un tel adversaire
PARTIE II, LIVRE XII. 5^9
avec espoir de le terrasser. J'avoue que je pensai
de même; et, poussé par mes anciens conci-
toyens , qui me faisoient un devoir de les aider
de ma plume dans un embarras dont j'avois été
Toccasion , j'entrepris la réfutation des Ze^^re^
écrites de la campagne ^ et j'en parodiai le titre
par celui de Lettres écrites de la montagne que
je mis aux miennes. Je fis cette entreprise et je
l'exécutai si secrètement que , dans un rendez-
vous que j eus à Thonon avec les chefs des re-
présentants, pour parler de leurs affaires, et où
ils me montrèrent l'esquisse de leur réponse, je
ne leur dis pas un mot de la mienne qui étoit déjà
faite , craignant qu'il ne survînt quelque ob-
stacle à l'impression , s'il enparvenoit le moindre
vent soit aux magistrats, soit à mes ennemis
particuliers. Je n'évitai pourtant pas que cet ou-
vrage ne fût connu en France avant la publica-
tion ; mais on aima mieux le laisser paroître que
de me faire trop comprendre comment on avoit
découvert mon secret. Je dirai là-dessus ce que
j'ai su, qui se borne à très peu de chose ; je me
tairai sur ce que j'ai conjecturé.
J avois à Moticrs presque autant de visites que
j'en avois eu à l'Hermitage et à IMontmorency ;
mais elles étoient la plupart d'une espèce fort
différente. Ceux qui m'étoieat venus voir jus-
qu'alors étoient des gens qui, ayant avec moi
des rapports de talents, de goûts, de maximes,
les alléguoient pour cause de leurs visites , et me
mettoient d'abord sur des matières dont je pou-
55o LES CONFESSIONS,
vois m'entretenir avec eux. A Motiers , ce n'ctoit
plus cela , sur-tout du côté rie France. Cétoient
(les officiers ou d'autres gens qui n'avoient aucun
goût pour la littérature, qui même, pour la plu-
part, n'avoicnt jamais lu mes écrits, et qui ne
laissoient pas d'avoir fait, à ce qu'ils disoient,
trente, quarante, soixante, cent lieues pour
me venir voir et admirer l'homme illustre, le
grand homme, l'homme céléhre, etc.; car dès-
lors on n'a cessé de me jeter grossièrement à la
face les plus impudentes flagorneries, dont l'es-
time de ceux qui m'ahordoient m'a voit ga-
ranti jusqu'alors. Comme laphipart de ces sur-
venants ne daignoient ni se nommer ni me ilire
leur état , que leurs connoissances et les miennes
ne tomhoient pas sur les mêmes points, et qu'ils
n'avoient ni lu ni parcouru mes ouvrages , je ne
savois de quoi leur parler : j'attendois (pi ils par-
lassent eux-mêmes , puisque cctoit à eux à sa-
voir et à me dire pourquoi ils me venoient voir.
On sent que cela ne faisoit pas pour moi des
conversations bien intéressantes , quoiqu'elles
pussent l'être pour eux, selon ce qu'ils vouloient
savoir; car , comme j'étois sans défiance , je m'ex-
primois sans réserve sur toutes les (piestions
qu'ils jugeoient à propos de me faire, et ils s'en
retournoient pour l'ordinaire aussi savants «pic
moi sur tous les détails de ma sittiatiou.
.l'eus, j)ar exenqde , de ccHc façon, M. de
Feins, ccuyer de la reine et capitaine de cavale-
rie dans le régiment de la reine , lequel eut la
PARTIE II, LIVRE XII. 55ï
constance de passer plusieurs jours à Motiers ,
et même de me suivre pëdestrement jusqu à la
Perrière, menant son cheval par la bride, sans
avoir avec moi dViutre point de réunion, sinon
que nous connoissions tous deux mademoiselle
Fel , et que nous jouions l'un et l'autre au bilbo-
quet.
J'eus , avant et après M. de Feins , une autre
visite bien plus extraordinaire. Deux hommes
arrivent à pied, conduisant chacun un mulet
chargé de son petit bagage, logent à l'auberge,
pansent leurs mulets eux-mêmes, et demandent
à me venir voir. A leur équipage , on prit ces
muletiers pour des contrebandiers ; et la nou-
velle courut aussitôt que des contrebandiers
venoient me rendre visite. Leur seule façon de
m'aborder m'apprit que c'étoient des gens d'une
autre étoffe; mais , sans être des contrebandiers,
ce pouvoit être des aventuriers, et ce doute me
tint quelque temps en garde. Ils ne tardèrent
pas à me tranquilliser. L'un étoit M. de Montau-
ban, appelé le comte de La Tour-du-Pin, gen-
tilhomme duDauphiné; l'autre étoit M. Dastier ,
de Garpentras , ancien militaire, qui avoit mis
sa croix de S.-Louis dans sa poche, ne voulant
pas l'étaler à la queue de son mulet. Ces mes-
sieurs, tous deux très aimables, avoient tous
deux beaucoup desprit; leur conversation étoit
agréable et intéressante : leur manière de voya-
ger , si bien dans mon goût et si peu dans celui des
gentilshommes françois, me donna pour eux
552 LES CO^'FESSIONS.
une sorte crattachcnient que leur commerce ne
pouvoit qu affermir. Cette connoissance même
ne finit pas là , puisqu'elle dure encore , et qu'ils
me sont revenus voir diverses fois, non plus à
pied cependant, cela étoit Ijon pour le début ;
mais plus j'ai vu ces messieurs, moins j'ai trouvé
de rapports entre leurs goûts et les miens, moins
j'ai senti que leurs maximes fussent les miennes,
que mes écrits leur lussent familiers , qu il y eût
aucune véritable sympathie entre eux et moi.
Que me vouloient-ils donc? Pourquoi me venir
voir dans cet é([uipa{;e.^ Pourquoi rester plu-
sieurs jours? Pounpioi revenir plusieurs fois?
Pourquoi désirer si fort de m'avoir pour bote ?
Je ne m'avisai pas alors de me faire toutes ces
questions. Je me les suis faites (Quelquefois de-
puis ce temps-là.
Touché de leurs avances , mon cœur se livroit
sans raisonner, sur-tout à M. Dastier, dont l'air
plus ouvert me plaisoit tlavantage. Je demeurai
même en correspondance avec lui ; et, quand je
voulus faireimprimerles Lettres de la montagne^
je songeaiàm'adresser àluipour donner le chan-
ge à ceux qui atteudoi( ut mon pa([uet sur la
route de Hollande. 11 m'avoit parlé beaucoup de
la liberté de la presse à Avignon ; il m'avoit of-
fert ses soins si j'avois quelque chose à y faire
imprimer ; je me prévalus de cette offre, et je
lui adressai successivement jiar la ]>oste mes
premiers cahiers. Après les avoir gardés assez
long-temps , il me les renvoya, en me marquant
PARTIE II, LIVRE XII. 553
qu'aucun libraire n'avoit osé s'en charger; et je
fus contraint de revenir à Rey, prenant soin de
n'envoyer mes cahiers que l'un après 1 autre, et
de ne lâcher les suivants qu'après avoir reçu
avis de la réception des premiers. Avant la pu-
blication de l'ouvrage, je sus qu'il avoit été vu
dans les bureaux des ministres ; et Descherny ,
de Neuchâtel , me parla d'un livre de VHomme
de la montagne ^c[iie d'Holbach lui avoit dit être
de moi. Je l'assurai, comme il étoit vrai, n'avoir
jamais fait aucun ouvragequieûtcetitre. Quand
mes lettres parurent il étoit furieux , et m'accusa
de mensonge , quoique je ne lui eusse dit que la
vérité. Voilà comment j'eus l'assurance que mon
manuscrit étoit connu. Sur de la fidélité de Rey,
je fus forcé de porter ailleurs mes conjectures,
et celle à laquelle j'aimai le mieux m arrêter fut
que mes paquets avoient été ouverts à la poste.
Une autre connoissance à-peu-près du même
temps , mais qui se fit d'abord seulement par
lettres, fut celle d'un M. Laliaud , de Nîmes, le-
quel m'écrivit de Paris, pour me prier de lui en-
voyer mon profil à la silhouette, dont il avoit,
disoit-il , besoin pour mon buste en marbre qu'il
faisoit faire par Lemoine , pour le placer dans
sa bibliothèque. Si c'étoit une cajolerie inventée
pour m'apprivoiscr , elle réussit pleinement. Je
jugeai qu'un homme qui vouloit avoir mon buste
en marbre dans sa bibliothèque étoit plein de
mes ouvrages, par conséquent de mes principes,
et qu'il m'aimoit parceque son ame étoit au ton
554 1 KS CONFESSIONS.
de la mienne. II étoit difficile que cette idée ne
me séduisît pas. J'ai vu M, Laliaud dans la suite;
je l'ai trouvé très zélé pour me rendre beaucoup
de petits services, pour s'entremêler beaucoup
dans mes petites affaires; mais, du reste, je
doute qu'aucun de mes écrits ait été du petit
nombre de livres qu'il a lus en sa vie. J'iffnore
s'il a une bibliothêcpie , et si c'est un meuble à
son usage ; et , quant au buste , il s'est borné à
une mauvaise esquisse en terre, sur laquelle il
a fait graver un portrait bideux , qui ne laisse
pas de courir sous mon nom , comme s il avoit
avec moi quelque ressemblance.
Le seul François qui parut me venir voir par
goût pour mes sentiments et pour mes ouvrages
fut un jeune officier du régiment de Limousin,
appelé M. Séguier de Saint -Brisson , qu'on a vu
et qu'on voit peut-être encore briller à l^aris et
dans le monde par des talents assez aimables et
par des prétentions au bel esprit. Il m étoit venu
voir à Montmorency l'hiver qui précéda ma ca-
tastrophe. Je lui trouvai une vivacité de senti-
ment qui me plut. 11 m'écrivit dans la suite à
Motiers ; et , soit (ju'il voulût nu^ cajoler , ou (jue
réellement la tête lui tournât de \ Emile , il m'ap-
j)iit (ju'il (juittoit le service pour vivre indi'pcn-
<lant, et (ju'il apprenoit le nutierde menuisier.
11 avoit un frère aîné, capitaine dans le même
régiment, pour lecjuel étoit toute la prédilection
de la mère, cpii , dévote outrée, et dirigée par
je ne sais quel abbé tartufe, en usoit très mal
PARTIE II, LIVRE XII. Sdj
avec le cadet, qu'elle accusoit d'irréligion, et
même du crime irrémissible d'avoir des liaisons
avec moi. Voilà les griefs sur lesquels il voulut
rompre avec sa mère, et prendre le parti dont
je viens de parler ; le tout pour faire le petit
Emile.
Alarmé de cette pétulance , je me hâtai de lui
écrire pour le faire changer de résolution , et je
mis à mes exhortations toute la force dont j'é-
tois capable. Elles furent écoutées ; il rentra
dans son devoir vis-à-vis de sa mère , et il retira
des mains de son colonel sa démission qu'il lui
avoit donnée , et dont celui-ci avoit eu la pru-
dence de ne faire aucun usage , pour lui laisser
le temps d'y mieux réHéchir. Saint-Brisson , re-
venu de ses folies , en fit une un peu moins cho-
quante , mais qui n'étoit guère plus de mon
goût ; ce fut de se faire auteur. Il donna coup
sur coup deux ou trois brochures , qui n'annon-
çoient pas un homme sans talents, mais sur
lesquelles je n aurai pas à me reprocher de lui
avoir donné des éloges bien encourageants pour
poursuivre cette carrière.
Quelque temps après il me vint voir, et nous
fîmes ensemble le pèlerinage de l'île de Saint-
Pierre. Je le trouvai , dans ce voyage , différent
de ce que je l'avois vu à Montmorency. Il avoit
je ne sais quoi d'affecté qui d'abord ne me cho-
qua pas beaucoup , iTiais qui m'est revenu sou-
vent en mémoire depuis ce temps-là. Il me vint
voir encore une fois à l'hôtel de Saint-Simon , à
556 LES CONFESSIONS,
mon passage à Paris pour aller en Anp,lelerre.
J'appris lace quil ne m avoit pas dit , qu'il vivoit
dans les plus grandes sociétés , et qu'il voyoit
assez souvent madame de TAixenibourg. Il ne
me donna aucun signe de vie à Tryc , et ne me
fit rien dire par sa parente mademoiselle Sé-
guier , qui étoit ma voisine , et qui ne m'a ja-
mais paru bien favorablement disposée pour
moi. En un mot , 1 engouement de M. de Saint-
Brisson finit tout d'un coup , comme la liaison de
M. de Feins : mais celui-ci ne me devoit rien , et
lautrc me devoit au moins (piebpie souvenir, à
moins que les sottises que je 1 avois enq)èelié de
faire n'eussent été qu'un jeu de sa part ; ce qui ,
dans le fond, pourroit très bien être.
J'eus aussi des visites de Genève tant et plus.
Les Deluc père et fds me cboisirent successive-
ment pour leur garde-malade ; le père tomba
malade en route ; le fils l'étoit en ]iartant de (ie-
iiève : tous deux vinrent se rétablir cbez moi.
Des ministres , des parents , des cagots , des (jui-
dams de toute espèce , venoient de Genève et de
Suisse, non pas, coninie ceux de France, pour
m'admirer et me persiller, mais pour me lan-
cer et catécbiser. liC seul qui me lit plaisir fut
Mouitou, qui vint passer trois ou quatre jours
avec moi , et que j'y aurois ])ien voulu retenir
davantage; le plus constant de tous, celui (jui
sopiniàna le plus, et <|ui nie sid)]ugua à force
d ituportuiiités, fut un M. (Tlvernois , couimer-
eant de Genève, François réfugié, et parent du
PARTIE II, LIVRE XIT. Sjy
procureur- général de Neucbâtel. Ce M. dlver-
nois , de Genève , passoit à Motiers deux fois
l'an tout exprès pour m'y venir voir, restoit chez
moi du matin au soir plusieurs jours de suite,
se mettoit de mes promenades , m'apportoit
mille sortes de petits cadeaux, s'insinuoit malgré
moi dans ma confidence , se mêloit de toutes
mes affaires , sans qu il y eût entre lui et moi
aucune communion d'idées , ni d'inclinations ,
ni de sentiments , ni de connoissances. Je doute
qu'il ait lu dans toute sa vie un livre entier d au-
cune espèce , et qu il sache même de quoi trai-
tent les miens. Quand je commençai dherbori-
ser , il me suivit dans mes courses de botanique,
sans goût pour cet amusement , et sans avoir
rien à me dire , ni moi à lui. 11 eut même le cou-
rage de passer avec moi trois jours entiers tête
à tête dans un cabaret à Goumoins, d'où j'avois
cru le chasser à force de lennuycr et de lui faire
sentir combien il m'cnnuyoit : et tout cela, sans
qu'il m'ait été possible jamais de rebuter son
incroyable constance , ni d'en pénétrer le motif.
Parmi toutes ces liaisons , que je ne lis et
n'entretins que par force, je ne dois pas omet-
tre la seule qui m'ait été agréable, et à laquelle
j'ai mis un véritable intérêt de cœur: c'est celle
d'un jeune Hongrois qui vint se fixer à Neu-
cbâtel, et de là à Motiers, quelques mois après
que j'y fus établi moi-même. On l'appeloit dans
le pays le baron de .Sauttern , nom sous lequel
il y a voit été recommandé de Zurich. 11 étoit
558 LES CONFESSIONS,
grand et bien fait, tl'unc Fif^urc aj^rcable , dune
société liante et douce. [I dit à tout le monde et
Die fit entendre à moi-même qu'il n etoit venu
à jN'eucbâtel qu'à cause de moi, et pour tormer
sa jeunesse à la vertu par mon commerce. Sa
physionomie, son ton, ses manières, me paru-
rent d'accord avec ses discours; et j aurois cru
manquer à lun des plus (ji-ands devoirs en écon-
duisant un jeune homme en qui je ne voyois
rien que d aimable , et qui me recherchoit par
un si respectable motif. Mon cœur no sait j>oiiit
se livrer à demi. Bientôt il eut toute mon ami-
tié, toute ma confiance: nous devînmes insépa-
rables. 11 étoit de toutes mes courses pédestres;
il y prenoit f^oût. Je le menai chez milord-ma-
récbal, qui lui lit mille caresses. Comme il ne
pouvoit encore s'exprimer en franc^ois , il ne me
parloit et ne m'écrivoit qu'en latin, je lui répon-
dois en François , et ce mélanfi[o des deux lanj^ues
ne rendoit nos entretiens ni moins coulants, ni
moins vifs à tous égards. Il me parla de sa fa-
mille, de ses affaires, de ses aventures, de la cour
de Vienne, dont il paroissoit bien connoitre les
détails domesti(iucs. EnWn , pendant près de
deux ans que nous passâmes dans la plus grande
intimité, je ne lui trouvai cpiune douceur de
caractère à toute épreuve , des mœurs non seu-
lement honnêtes mais élégantes , une grande
propreté sur sa personne , une décence extrême
dans tous ses discours, enfin tontes les marques
PARTIE II, LIVRE XII. 55g
clun homme bien ne , qui me le rendirent trop
estimable pour ne pas me le rendre cher.
Dans le fort de mes liaisons avec lui, d'Iver-
nois de Genève m'écrivit que je prisse garde au
jeune Hongrois qui étoit venu setablir près de
moi; qu'il savoit de bonne part que c'étoit un
espion que le ministère de France avoit mis au-
près de moi. Cet avis pouvoit paroître d'autant
plus inquiétant que, dans le pays où j'étois, tout
le monde m'avertissoit de me tenir sur mes gar-
des , qu'on me guettoit , et qu'on cherchoit à
m'attirer sur le territoire de France pour m'y
faire un mauvais parti.
Pour fermer la bouche une fois pour toutes à
ces ineptes donneurs d'avis , je proposai à Saut-
tern, sans le prévenir de rien, une promenade
pédestre à Pontarlier; il y consentit. Quand nous
fûmes arrivés à Pontarlier, je lui donnai à lire
la lettre de d'Ivernois ; et puis , en l'embrassant
avec ardeur, je lui dis : Sauttern n'a pas besoin
que je lui prouve ma confiance, mais le public
a besoin que je lui prouve que je la sais bien
placer. Cet embrassement fut bien doux ; ce fut
un de ces plaisirs de lame que les persécuteurs
ne sauroient connoître , ni les ôter aux oppri-
més.
Je ne croirai jamais que Sauttern fût un es-
pion, ni quil m ait trahi; mais il m'a trompé.
Quand j'épanchois avec lui mon cœur sans ré-
serve, il eut le courage de me fermer constam-
56o LES CONFESSIONS.
ment le sien , et de ni'abuser par des mensonges
Il me controuva je ne sais quelle histoire qui
me fit juger ([uc sa présence étoit nécessaire
dans son pays. Je l'exhortai de partir au plus
vite: il partit; et, quand je le croyois déjà en
Hongrie , j'appris qu'il étoit à Strasbourg. Ce
n'étoit pas la preniiérc fois qui! y avoit été. Il
y avoit jeté du désordre dans un ménage; le
mari, sachant que je le voyois, m'avoit écrit. Je
n'avois omis aucun soin pour ramener Sauttern
à la vertu, et la jeune femme à son devoir.
Quand je les croyois pariaitenient détachés
fun de l'autre, ils s'étoient ainsi rapprochés; et
le mari môme eut la complaisance de reprendre
le jeune homme dans sa maison : dès-lors je n eus
plus rien à dire. J appris que le prétendu ])aron
m'en avoit imposé par un tas de mensonges. Il
ne s'appeloit point Sauttern, il s'appcloit Saut-
tersheim. A lé{;ard du titre de baron (ju on lui
donnoit en Suisse , je ne pouvois le lui repro-
clier, parcequ'il ne favoit jamais pris; mais je
ne doute pas tpi il ne fût bien gentilhomme : et
milord-maréchal , qui se connoiasoit en hom-
mes et qui avoit été dans son pays, l'a toujours
regardé et, traité comme tel.
Sitôt qu'il fut parti, la servante de l'auberge
oii il nuuigcoit à Motiersse dcclara grosse de son
fait. (J étoit iin(> si vilaine salope, et Sauttern, gé-
néralement estimé et considéré dans tout le pays
par sa conduite et ses nueurs honnêtes, se pi-
quoit si fort de propreté t^ue cette impudence
PARTIE II, LIVRE Xîl, 56ï
clioqua tout le monde. Les plus aimaLles per-
sonnes du pays, qui luiavoient inutilement pro-
digué leurs agaceries , étoient furieuses ; j'étois
outré d indignation. Je fis tous mes efforts pour
faire arrêter cette effrontée , offrant de payer tous
les frais et de cautionner Sauttersheim. Je lui
écrivis , dans la forte persuasion non seulement
que cette grossesse netoit pas de son fait, mais
qu'elle étoit feinte, et que tout celan'étoit qu'un
jeu joué par ses ennemis et les miens. Je voulois
qu'il revînt dans le pays confondre cette co-
quine et ceux qui la faisoient parler. Je fus sur-
pris de la mollesse de sa réponse. Il écrivit au
pasteur dont la salope étoit paroissienne . et
fit en sorte d'assoupir l'affaire ; ce que voyant, je
cessai de m'en mêler, fort étonné qu'un homme
aussi crapuleux eût pu être assez maître de lui-
même pour m'en imposer par sa réserve dans la
plus intime familiarité.
De Strasbourg Sauttersheim fut à Paris cher-
cher fortune, et n'y trouva que de la misère. Il
m'écrivit en disant son peccavi. Mes entrailles
s'émurent au sou venir de notre ancienne amitié ;
je lui envoyai quelque argent. L'année suivante,
à mon passage à Paris , je le revis à-peu-près dans
le même état , mais grand ami de M. Laliaud ,
sans que j'aie pu savoir d'où lui venoit cette con-
noissance, et si elle étoit ancienne ou nouvelle.
Deux ans après, Sauttersheim retourna à Straî:^
hourg , d'oîi il m'écrivit, et où il est mort. Voilà
l'histoire abrégée de nos liaisons , et ce que je
i4. 3G
56ii LES C0NFESS10^^S.
sais (le ses aventures; mais en déplorant le sort
de ce malheureux jeune homme , je ne cesserai
jamais de croire (ju'il étoit bien né , et que tout
le désordre de sa conduite fut Teffct des situations
où il s'est trouvé.
Telles lurent les acquisitions que je fis à
Motiers en fait de liaisons et de connoissances.
Qu'il en auroit fallu de pareilles pour compen-
ser les cruelles pertes que je lis dans le même
temps !
La première fut celle de M. de Luxembourg,
qui , après avoir été tourmenté lon[;-temps par
les médecins, fut enfin leur victime, traité de la
goutte, quils ne voulurent point reconnoître ,
comme d'un mal qu'ils pouvoient guérir.
Si l'on doit s'en rapporter sur ce triste événe-
ment à la relation que m en écrivit La Roche,
Ihomme de confiance de madame la maréchale,
c'est bien par cet exemple, aussi cruel que mé-
morable, quil faut déplorer les misères de la
j^;ran(lein\
La perte de ce bon seigneur me fui d autant
plus sensible , que c'étoit le seul ami vrai que
j'eusse en France ; et la douceur de son caractère
étoit telle (ju'elle m avoit lait oublier tout-à-lait
son ran.j;, pour m'attacht i' à lui comme à mon
égal. Nos liaisons ne cessèrent point par ma re-
traite, et il continua de mécrire comme aupara-
vant. .Te crus pourtant remarquer que fabsence,
ou mon mallunr, a\oit attic^li son affection. Il
oi l)i(ii (linicile (|n"nn courtisan garde le même
PARTIE II, LIVRE XII. 563
attachement pour quelqu'un qu'il sait être dans
la dis(ïrace des puissances. J'ai jug^c d'ailleurs que
le grand ascendant qu'avoit sur lui madame la
maréchale ne m'avoit pas été favorable , et qu'elle
avoit profité de mon éloignement pour me nuire
dans son esprit. Pour elle, malgré quelques dé-
monstrations affectées et toujours plus rares,
elle cacha moins de jour en jour son changement
à mon égard. Elle m'écrivit quatre ou cinq fois
en Suisse, de temps à autre, après quoi elle ne
m'écrivit plus du tout; et il falloit toute la pré-
vention , toute la confiance, tout laveuglement
oii j'étois encore, pour ne pas voir évidemment
en elle plus que du refroidissement envers moi.
Le libraire Guy , associé de Duchesne, qui de-
puis moi fréquentoit beaucoup Thôtel de Luxem-
bourg, m'écrivit que j'étois sur le testament de
M. le maréchal. Il n'y avoit rien là que de très
naturel et de très croyable; ainsi je n'en doutai
pas. Gela me ht délibérer en moi-même comment
je me comporterois sur ce legs. Tout bien pesé,
je résolus de l'accepter, quel qu'il pût être, et de
rendre cet honneur à la mémoire d'un honnête
homme qui m avoit honoré d'une sincère amitié,
[qui dans un rang où l'amitié nepénètre guère , en
avoit eu une véiitable pour moi.] J'ai été dispen-
sé de ce devoir, n ayant plus entendu parler de ce
legs vrai ou faux ; et en vérité j'aurois été peiné
de blesser une des grandes maximes de ma mo-
rale , en profitant de quel([ue chose à la mort de
(|uel([u un (pii ni avoit été cher. Durant la der-
5G4 LES CONCESSIONS.
lîière maladie de notre aniijMussard,Lenieps me
proposa de profiter de la sensibilité quil mar-
quoit à nos soins, pour lui insinuer quelques dis-
positions en notre faveur. Ah ! cher Lenieps, lui
dis-je , ne souillons pas, par des idées d intérêt,
les tristes mais sacrés devoirs que nous rendons
à notre ami mourant ; j'espère n'êtixî jamais dans
le testament de personne, et jamais du moins
dans celui d'aucun de mes amis. Ce lut à-peu-
près dans ce même tenqis-ci que milord-maré-
chal me parla du sien , de ce (ju il avoit dessein
dy faire pour moi, et que je lui fis la réponse
dont j ai parlé dans ma première partie.
Ma seconde jDferte, plus sensible encore et plus
irréparal)le , fut celle de la meilleure des femmes
et des mères, qui , déjà charjjée tlans et surchar-
gée d'infirmités et de misères , quitta cette vallée
de larmes pour passer dans le séjour des bons , oii
l'aimable souvenir du bien qu on a fait ici-bas en
fait léternelle récompense. Allez, anu" douce et
bienfaisante, auprès i\c<, IVnélon , des Bernex,
des Gatinat, et de ceux qui, dans un état ])lus
humble, ont ouvert comme eux leurs en ursà la
charité véritable ; allez goûter le fruit delà vôtre,
et pré[)arer à votre élève la place qu'il espère oc-
cuper ini join auprès de vous : heureuse dans vos
infortunes, <[uc le ciel en les terminant vous ait
éparj^né le cruel spectacle des siennes! Craif;nant
de contrister son cœur par le. ici it do nu\s pre-
miers désastres , je ne lui avois point écrit dcjHiis
PARTIE II, LIVRE XII. 565
mon arrivée en Suisse; mais j'écrivis à M. de Gon-
zié pour m informer d'elle , et ce fut lui qui m'ap-
prit qu'elle avoit cessé de soulager ceux qui souf-
iroient et de souffrir elle-même. Bientôt je cesse-
rai de souffrir aussi ; mais, si jecroyois ne lapas
revoir dans l'autre vie , ma foihle imaf^ination
se refuseroit à lidée du bonheur parfait que je
m'y promets.
Ma troisième perte et la dernière , car, depuis
lors, il ne m'est plus resté d'amis à perdre, fut
celle de milordniaréchal. Il ne mourut pas; mais,
las de servir des ingrats , il quitta Neuchâtel , et
depuis lors je ne l'ai pas revu. Il vit, et me survi-
vra , je l'espère ; il vit , et grâce à lui , tous mes at-
tachements ne sont pas rompus sur la terre : il y
reste un homme digne de mon amitié: car son
vrai prix est encore plus dans celle qu'on sent
que dans celle qu'on inspire; mais j'ai perdu les
douceurs que la sienne me prodiguoit, et je ne
peux plus le mettre qu'au rang de ceux que j ai-
me encore , mais avec qui je n'ai plus de liaison.
Il alloit en Angleterre recevoir sa grâce du roi ,
et racheter en Ecosse ses biens jadis confisqués.
Nous ne nous séparâmes point sans des projets
de réunion , quiparoissoient presque aussi doux
pour lui que pour moi. Il vouloit se fixer à son
château de Kcith-IIalI, près d'Aberdcen, et je de-
vois m'y rendre auprès de lui ; mais ce projet me
flattoit trop pour que j'en pusse espérer le suc-
cès. Il ne resta point en Ecosse. Les tendres soU
5G6 LES CONFESSIONS.
licitations du roi de Prusse le rappelèrent à Ber-
lin; et l'on verra bientùtcommentjefus empêché
de l'y aller joindre.
Avant son départ, prévovant lOraj^e fpie ion
commenroit à susciter contre moi, il m envoya
de son propre mouvement des lettres de natura-
lité , qui sembloient être une précaution très
sûre pour qu'on ne j)ût pas me chasser du pays.
La communauté de Gouvctdans le Val-dc-Tra-
vers imita l'exemple du {gouverneur, et me don-
na des lettres de Communier, p,ratuites comme
les premières. Ainsi, devenu de tout ])oint ci-
toyen du pays, j'étois à l'abri de toute expulsion
légale , même tle la paît du prince ; mais ce n a
jamais été par des voies ](''|';itimes ([u'on a pu
persécuter celui de tous les liouiincs <[ui a tou-
jours le plus respecté les lois.
Je ne crois pas devoir compter au nombre
des pertes que je fis en ce même teiiq^s celle de
l'abbé de Mably. .Vavois eu d anciennes liaisons
avec lui, mais jamais bien intimes; et jai lieu
de présumer que ses sentiments à mon ('oard
avoient chanf^é de nature , dcimis (pie j'avois
acquis plus de célébrité «pu* lui. Mais ce Fut à la
publication des Lettres écrites de lu uiouiafine
que j eus le premier sif^ne de sa mauvaise vo-
lonté pour moi. On fit courir sous son nom
dans Genève une lettre à inadinne Saladin , dans
lacpielle il parloit de ( et ()u^ raf;e comme des cla-
nu'urs séditieuses d un (l(Munj;o;;iio <'ffVéné. Les-
time que j avois pour 1 abhé de ^lafily, et le cas
\
PARTIE II, LIVRE XIL S67
que je faisois de ses lumières, ne nie permirent
pas un instant de croire que cette extravagante
lettre fut de lui. Je pris le parti que m'inspira
ma franchise. Je lui envoyai une copie de la let-
tre, en l'avertissant qu'on la lui attrihuoit. Il ne
me fit aucune réponse. Ce silence me surprit;
mais qu'on juge de ma surprise, quand madame
de Chenonceaux me manda que la lettre étoit
bien réellement de l'abbé, et que la mienne l'a-
voit fort embarrassé. Car enfin , quand même
il auroit eu raison , comment pouvoit-il excuser
une démarche éclatante et publique , faite de
jjaieté de cœur, sans obligation, sans nécessité,
dont l'effet étoit d'accabler, au fort de tous ses
malheurs, un homme auquel il avoit toujours
montré de la bienveillance, et qui n'avoit jamais
démérité de lui ? Quelque temps après , parurent
les Dialogues de Phocion, où je ne vis qu'une
conq^ilalion de mes écrits, faite sans retenue et
sans honte. Je compris, à la lecture de ce livre,
que l'auteur avoit pris son parti à mon éfjard,
et que je n'aurois point désormais de plus cruel
ennemi. Je crois quil ne m'a pardonné ni le
Contrat social, trop au-dessus de ses forces, ni
la Paix perpétuelle, et qu'il n'avoit paru désirer
que je fisse 1 extrait de fabbé de Saint-Pierre que
dans lespoir que je m'en tirerois mal.
Plus j'avance dans mes récits, moins j'y puis
mettre d'ordre et de suite. L'agitation du reste
de ma vie n'a plus laissé aux événements le temps
de s'arranger dans ma tète. Ils ont été trop nom-
568 LES CONFESSIONS.
breux , trop mêlés, trop désagréables pour pou
voir être narrés sans confusion. La seule im-
pression forte qiiils mont laissée est celle de
rhorrihlc mystère qui rouvre leur cause, et de
Tétat déplorable ou ils m'ont réduit. Mon récit
ne peut plus marcher qu'à Taventure, et selon
que les idées me reviendront à l'esprit. Je me
rappelle que, dans le temps dont je parle , tout
occupé de mes confessions , j en parlois très im-
prudemment à tout le monde, n'imafrinant pas
même que personne eût intérêt, ni volonté, ni
pouvoir, de mettre obstacle à cette entreprise;
et , quand je laurois cru, je n'en aurois guère été
plus discret, par l'impossibilité totale où je suis
par mon naturel détenir caché rien de ce (jue
je sens et de ce que je pense. Cette entreprise
connue fut, autant que j'en puis juger, la véri-
table cause de l'orage qu'on excita pour m'ex-
pulser de la Suisse, et me livrer entre des mains
qui m'empêchassent de l'exécuter.
J'en avois une autre qui n'étoit guère vue de
meilleur œil par ceux qui craignoient la pre-
mière ; c'étoit celle d une édition générale de mes
écrits. Cette éilitic^n me paroissoit nc'cessairt^
pour constater ceux des écrits pori;inf inon nom
qui étoicnt véritablement de moi, et mettre le
pid)lic en état de les distinguer de ces écrits
pseudonvnies que mes ennemis me prêtoicnt
pour nie discré(liter<'t m avilir. Onirc cela , cette
édition étoit un uïovcm siniplc cl honnête de
m'assurer du paiu ; et c etoit le seul , puis(j[u ayant
PARTIE II, LIVRE XII. 669
renoncé à faire des livres , mes mémoires ne
pouvant paroître de mon vivant, ne gagnant
pas un sou d'aucune autre manière , et dépen-
sant toujours, je voyoisla fin de mes ressources
dans celle du produit de mes derniers écrits.
Cette raison m'avoit pressé de donner mon Dic-
tionnaire de musique encore informe. Il m'avoit
valu cent louis comptant et cent écus de rente
viagère, mîjis encore devoit-on voir bientôt la
fin de cent louis , quand on en dépensoit an-
nuellementplus de soixante ; et cent écus de rente
étoient comme rien pour un homme sur qui les
quidams et les gueux venoient incessamment
fondre comme des étourneaux.
Il se présenta une compagnie dg négociants
de INeuchâtel pour fentreprise de mon édition
générale; et un imprimeur ou libraircdeLyon ,
appelé Reguillat, vint, je ne sais comment, se
fourrer parmi eux pour la diriger. L'accord se fit
sur un pied très raisonnable, et suffisant pour
bien remplir mon objet. J'avois , tant en ouvra-
ges imprimés qu'en pièces encore manuscrites,
de quoi fournir six volumes in-quarto; je m'en-
gageois de plus à veiller sur lédition : au moyen
de quoi ils dévoient me faire une pension via-
gère de seize cents livres de France, et un pré-
sent de mille écus une fois payés.
Le traité étoit conclu , non encoresigné , quand
les Lettres écrites de la montagne parurent. La
terrible explosion qui se fit contre cet infernal
ouvrage ., et contre son abominable auteur, épou-
570 lt:s co^'FEssIONS.
vanta la conipa(|nie, et l'entreprise s'évanouit.
Je conipai erois Teffet de ce dernier voyage à ce-
lui de la Lettre sur la musique françoise , si cette
lettre, en ni'attirant la haine, et m exposant au
péril , ne m eût laissé du moins la considération
et l'estime. Mais , après ce dernier ouvrage , on
parut s'étonner, à Genève et à Versailles, (juil
y eût quelque contrée au monde où 1 on laissât
respirer un monstre tel que moi. Le petit con-
seil, excité par le résident de France, et dirigé
parle procureur- général, donna luie déclara-
tion sur mon ouvrage^ par latjucllc , avec les
qualifications les plus atroces, il le déclare in-
digne d'être brûlé par. le bourreau , et ajoute,
avec une adresse qui tient du burlesque, qu'on
ne peut, sans se déshonorer, y répondre, ni
même en faire aucune mention. Je voudrois de
tout mon cœur pouvoir transcrire ici cette cu-
rieuse pièce; mais malheureusement je ne lai
pas , et ne m'en souviens exactement pas d'un
seul mot. Je désire ardemment que quchpi un
de mes lecteurs , animé du zèle de la vérité et de
ré([uité, veuille relire en entier les Lettres écrites
de la montagne : il sentira , j'ose le dire , la
stoïque modération (jui règne dans cet ouvrajje,
après les sensibles et cruels ouliages dont «m
venoit à l'envi d accabler l'auteur. Mais, ne pou-
vant répondre aux injures , parcecjn il n y en
avoit point, ni aux raisons ,parcequ elles étoient
sans réponse , ils prirent le parti de paroître trop
courroucés pour vouloir répondre ; et il est vrai
PARTIE II, LIVRE XH. 5-1
que, sils prenoient les arfifuments invincibles
pour des injures, ils dévoient se sentir fort in-
juriés.
Les représentants, loin de faire aucune plainte
sur cette odieuse déclaration, suivirent la route
qu'elle leur traçoit ; et, au lieu de faire trophée
des Lettres de la montagne , qu ils voilèrent pour
s'en faire un bouclier, ils eurent la lâcheté de ne
rendre ni honneur ni justice à cet ouvrage, ni le
citer, ni le nommer, quoic{u'ils en tirassent ta-
citement tous leurs arguments , et que l'exacti-
tude avec laquelle ils ont suivi le conseil par
lequel finit cet ouvrage ait été la seule cause de
leur salut et de leur victoire. Ils m'avoient im-
posé ce devoir , je l'avois rempli ; j'avois jusqu'au
bout servi la patrie et leur cause. .le les priai d'a-
bandonner la mienne , et de ne songer qu'à eux
dans leurs démêlés. Ils me prirent au mot , et je
ne me suis plus mêlé de leurs affaires que pour
les exhorter sans cesse à la paix, ne doutant pas
f|ue, s'ils s'obstinoient , ils ne fussent écrasés par
la France. Gela n'est pas arrivé : j'en comprends
la raison; mais ce n'est pas ici le lieu de la dire.
L'effet des Lettres de la montagne à Neuchâ-
tel fut d'al)ord très paisible. J'en envoyai un
exemplaire à M. de MontmoUin ; il le reçut bien
et le lut sans objection. II étoit malade : il me
vint voir amicalement quand il fut rétabli, et
ne me parla de rien. Cependant kin^umeur com-
mençoit ; on brida le livre je ne sais oii. De Ge-
nève , de Berne, et de Versailles peut-être, le
672 LES CONFESSIONS.
foyer de i'effervescence passa bientôt à Neuchâ-
tel , et sur - tout dan5 le Val-de-Travcrs , où ,
avant même que la classe eût fait aucun mou-
vement apparent, on avoit commencé d'ameu-
ter le peuple par des pratiques souterraines. Je
devois , j'ose le dire , être aimé dans ce pays-là,
conmie je l'avois été dans tous ceux où j'avois
vécu, versant les aumônes à pleines mains, ne
laissant sans assistance aucun indif;ent autour
de moi , ne refusant à personne aucun service
que je pusse rendre et qui fut dans la justice,
ine familiarisant troj) peut-être avec tout 1«
inonde , et me dérobant de tout mon pouvoir
à toute distinction qui pût exciter la jalousie.
Tout cela n'empêcha pas ((ue le peuple , soulevé
secrètement je ne sais par qui , ne s'animât con-
tre moi par déférés jusqu'à la fureur, qu'il ne
m'insultât publiquement en plein jour, non seu-
lement dans la campaj^ne et dans les chemins,
mais en pleine rue. Ceux à (jui j avois lait \v phis
de bien étoient les plus acharnés , et des {;ens
même à qui je continuois d'en faire, n'osant se
montrer, excitoicnt les autres, et sembloient
vouloir se venger ainsi de 1 humiliation de mètre
obli{^cs. Montmollin paroissoitne rien voir, et ne
se nioiuroit ])oint encore. Mais, comni«^ on n|i-
prochoit d un temps de romnuinion, il vint (liez
moi pour me conseiller (]c m'abstenir de m'y
présenter, m'assuranl «jne du reste il ne m'en
vouloit point , cl (|u'il nie Inisseroit tranquille.
Je trouvai le conq)linK'nt bizarre: il me rappc-
PARTIE II, LIVRE XII. SyS
loit îa lettre de madame de Boufflers , et je ne
pouvois concevoir à qui donc il importoit si fort
que je communiasse ou non. Gomme je regar-
dois cette condescendance de ma part comme
un acte de lâcheté , et que d'ailleurs je ne vou-
lois pas donner au peuple ce nouveau prétexte
de crier à l'impie, je refusai net le ministre, et
il s'en retourna mécontent , me faisant entendre
que je m'en repentirois.
Il ne pouvoit pas m'interdire la communion
de sa seule autorité; il falloit celle du consistoire
qui m'avoit admis , et , tant que le consistoire
n'avoit rien dit , je pouvois me présenter liardi-
ment sans crainte de refus. Montmollin se fit
donner commission par la classe de me citer au
consistoire pour y rendre compte de ma foi, et
de m'excommunier en cas de refus. Cette ex-
communication ne pouvoit se faire non plus que
par le consistoire et à la pluralité des voix. Mais
les paysans qui , sous le nom d'anciens , compo-
soient cette assemblée , présidés et , comme on
comprend bien, gouvernés par leur ministre , ne
dévoient pas naturellement être d an autre avis
que le sien , principalement sur des matières
théologi({ues , qu'ils entendoient encore moins
que lui. Je fus donc cité , et je résolus de com-
paroître.
Quelle circonstance heureuse , et quel triom '
plie pour moi , si j'avois su parler, et que j'eusse
eu, pour ainsi dire , ma plume dans ma bouche !
Avec quelle facilité , avec quelle supériorité j'au-
^74 LES CONFESSIONS.
rois terrassé ce pauvre ministre an milieu de ses
six paysans ! L'avidité de dominer ayant fait ou-
blier au clergé protestant tous les principes de
la réformation , je n'avois , pour ly lappeler çt
le réduire au silence, qu'à commenter mes pre-
mières Lettres de la montaf^ne, sur lesquelles ils
avoient la bctise de m'épilopuer. Mon texte étoit
tout fait, je n avois qu a létendre , et mon hom-
me étoit confondu, .le n'aurois pas été assez sot
pour me tenir sur la défensive ; il m'étoit aisé
de devenir a[;resseur sans même qu'il s en aper-
çut. Les prestoiel.s de la classe, non nu)ins ét(jur-
dis qu i[jnorants, m'avoient mis eux-mêmes dans
la position la plus lieureuse que j aurois pu dé-
sirer pour les écraser à plaisir. Mais quoi ! il fal-
loit parler, et parler sur-le-champ, trouver les
idées, les nu)ts, les tours, au moment du besoin,
avoir toujours l'esprit présent , être toujours
de san{} froid , ne jamais me troubler un mo-
ment. Que pouvois-je espérer de moi , qui senlois
si bien mon inaptitude à m exprimer impromp-
tu ? J'avois été réduit au silence le plus humi-
liant à Genève, devant une assemblée toute eu
ma faveur, et déjà résolue à tout approuver. Ici
c étoit tout le contraire; j'avois affaire à un tra-
cassier qui met toit l'astuce à la plirce i\n savoir,
(pii nu- ttndroit cent pié(^;es avant que j en apei-
çusse un , et tout déterminé à me prendre en
faute à (pi(l<pie prix (pie ce fiit. Plus j examinai
cette position , plus elle me parut périlleuse ; et,
sentant limpossibilité de m en liicr avec succès,
PARTIE II, LIVRE X)I. ^75
j'imaginai un autre expédient. Je méditai un
discours que je prononcerois devant le consis-
toire pour le récuser et me dispenser de répon-
dre ; la chose étoit très facile. J écrivis ce dis-
cours , et je me mis à letudier par cœur avec
une ardeur sans égale. Thérèse se moquoit de
moi en m'entendant répéter et marmotter inces-
samment les mêmes phrases pour tâcher de les
fourrer dans ma tête. J espérois tenir enfin mon
discours ; je savois que le châtelain , comme of-
ficier du prince , assisteroit au consistoire ; que,
malgré les manœuvres et les bouteilles de Mont-
mollin , la plupart des anciens étoient bien dis-
posés pour moi ; j'avois en ma faveur la raison ,
la vérité, la justice , la protection du roi, Tau-
torité du conseil d'état , les vœux de tous les
bons patriotes , que l'affaire intéressoit ; tout
contribuoit à m'encourager.
La veille dvi jour marqué, je savois mon dis-
cours par cœur; je le récitai sans faute. Je le re-
mémorai toute la nuit dans ma tête; le matin
je ne le savois plus, j'hésite à chaque mot, je
ire trouble , je balbutie, ma tête se perd ; enfin,
presque au moment d'aller, le courage me man-
que totalement; je reste chez moi, et je prends
le parti d'écrire au consistoire, en disant mes
raisons à la hâte, et prétextant mes incommo-
dités, qui véritablement, dans l'état où j'étois
alors , m'auroient difficilement laissé soutenir
la séance entière.
Le ministre, embarrassé de ma lettre, remit
576 LES CONFESSIONS.
l'affaire à une autre séance. Dans l'intervalle , il
se donna, par lui-même et par ses créatures,
mille mouvements pour séduire ceux des an-
ciens qui, suivant les inspirations de leur con-
science plutôt que les siennes, n opiuoient pas
au gré de la classe et au sien. Quelque puissants
que ses arguments, tous tirés de sa cave, dus-
sent être pour ces sortes de gens, il n'en put ga-
gner aucun autre que les deux ou trois qui lui
étoient dévoués, et qu'on appeloit ses âmes dam-
nées. L'officier du prince et le colonel Tuiv, qui
se porta dans celte affaire avec beaucoup de
zélé, maintinrent les autres dans leur devoir;
et, quand ce Montmollin voulut procéder à l'ex-
communication , son consistoire, à la pluralité
des voix, le refusa tout à plat. Réduit alors au
dernier expédient d'ameuter la populace , il se
mit , avec ses confrères et d'autres gens , à y tra-
vailler ouvertement, et avec un tel succès, que,
malgré les forts et fréquents rescrits du roi, mal-
gré tous les ordres du conseil d'état, je fus cnt'n
forcé de quitter le pays, pour ne pas e\|)0ser
l'officier du prince à s'y faire assassiner lui-mêi\'e
en me défendant.
Je n'ai qu'un souvenir si confus de toute cette
affaire, (|uil m'est impossiMc de niettre aucun
ordre, aucune liaison, dans les idées qui m en
reviennent, et (jue je ne les puis i-cndrc <juc-
parscs et isolées, comme elles se présentent à
mon esprit. .Te me rappelle cju il v avoit eu avec
la classe quelque espèce de négociation , dont
PARTIE IT, LIVRE XII. 677
Montniollin avoit été rentrenietteur. Il avoit
feint qu'on craignoit que , par mes écrits , je ne
troublasse le repos du pays. Il ni'avoit fait en-
tendre que, si je ni'engageois à ne plus écrire,
on seroit coulant sur le passé. J'avois pris déjà
cet eng^agement avec moi-même; je ne balançai
point à le prendre avec la classe, mais condi-
tionnel , et seulement sur les matières de reli-
gion. Il trouva le moyen d'avoir cetécrit à double.
La condition ayant été rejetée , je redemandai
mon écrit; il me rendit un des doubles, et parda
l'autre , prétextant qu'il l'avoit égaré. Après cela,
le peuple, ouvertement excité par les ministres,
se moqua des rescrits du Roi, des ordres du
conseil d'état, et ne connut plus de frein. Je fus
prêché en chaire, nommé l'antechrist, et pour-
suivi dans la campagne comme un loup-garou.
Mon habit d'Arménien servoit de renseignement
à la populace; j'en sentois cruellement l'incon-
vénient ; mais le quitter dans ces circonstances
me sembloit une lâcheté : je ne pus m'y résou-
dre, et je me promenois tranquillement dans le
pays avec mon cafetan et mon bonnet fourré,
entouré des huées de la canaille, et quelquefois
de ses cailloux. Plusieurs fois , en passant devant
des maisons, j'entendois dire à ceux qui les ha-
bitoient : «Apportez-moi mon fusil, que je lui
<' tire dessus. » Je n'en allois pas plus vite : ils
n'en étoient que plus furieux ; mais ils s'en tin-
rent toujours aux metiaces, du moins pour l'ar-
ticle des armes à feu.
14. 37
5y3 LES CONFESSIONS.
Durant toute cette fermentation , je ne laissai
pas d'avoir deux grands plaisirs , auxquels je fus
bien sensible. lie premier fut de pouvoir faire
un acte de reconnoissance par le canal de mi-
lortl-maréclial. Tous les honnêtes gens de Neu-
châtel j indignés des traitements que j'essuyois ,
et des manœuvresdontj'ctois la victime, avoient
les ministres en exécration , sentant bien qu ils
suivoient des impulsions étrangères , et qu'ils
n'étoient que les satellites d'autres gens qui se
cacboient en les faisant agir, et craignant que
mon exemple ne tirât à conséquence pour réta-
blissement d'une véritable inquisition. Les ma-
gistrats, et sur-tout M. Meuron , qui avoit suc-
cédé à M. d Ivernois dans la charge de procu-
reur-général , faisoient tous leurs efforts pour
me défendre. Le colonel Pury, quoique simple
particulier, en fit davantage et réussit mieux.
Ce fut lui (jui trouva le moyen de faire boucpier
Montmollin tlans son consistoire, en retenant
les anciens dans leur devoir. Comme il avoit du
crédit , il l'employa tant (|U il put pour arrêter la
sédition; niais il n avoit que 1 autorité des lois,
de la justice , et de la raison, à opposer à celle de
l'argent et du vin : la partie n étoit pas égale ; et,
dans ce point, IMontinollin triompha de lui. Ce-
pendant , sensible à ses soins et à son zèle, j au-
rois voulu pouvoir lui rendre bon office pour
bon office, et m'ac(juitter avec lui de ([uehjue
fa(]on. .le savois (juil convoitoit fort une place de
conseiller d état • mais, s étant mal conduit dani
PARTIE II, LIVRE XII. 679
Taffairc du ministre Petit-Pierre, il étoit en dis-
grâce à la cour et près du gouverneur. Je ris-
quai pourtant d'écrire en sa faveur à niilord-
maréchal : j'osai même parler de l'emploi qu'il
desiroit , et si heureusement, que, contre 1 at-
tente de tout le monde , il lui lut presque aussi-
tôt conféré par le roi. C'est ainsi que le sort, qui
m'a toujours mis en même temps trop haut et
trop bas , continuoit à me ballotter d'un ex-
trême à l'autre ; et, tandis que la populace me
couvroit de fange, je faisois un conseiller d'état.
Mon autre grand plaisir fut une visite que
vint me faire madame de Verdelin avec sa fille,
qu'elle avoit menée aux bains de Bourbonne,
d'où elle poussa jusqu'à Motiers , et logea chez
moi deux ou trois jours. A force d'attentions et
de soins , elle avoit enfin surmonté ma longue
répugnance; et mon cœur, vaincu par ses ca-
resses , lui rendoit toute l'amitié qu'elle m'avoit
si long-temps témoignée. Je fus touché de ce
voyage, sur-tout dans la circonstance oîije me
trouvois , et où j'avois grand besoin , pour sou-
tenir mon courage, des consolations de l'ami-
tié. Je craignois qu'elle ne s affectât des insultes
que je recevois de la populace, et j'aurois voulu
lui en dérober le spectacle, pour ne pas contris-
ter son cœur ; mais cela ne me fut pas possible;
et, quoique sa présence contînt un peu les in-
solents dans nos promenades , elle en vit assez
pour juger de ce qui se passoit dans les autres
temps. Ce fut môme durant son séjour chez moi
58o LES CONFESSIONS,
que je commençai tVêtre attaqué de nuit dans
ma propre habitation. Sa lemme-de-chambre
trouva ma fenêtre couverte un matin des pierres
qu'on y avoit jetées pendant la nuit. Un banc
très massif, qui étoit dans la rue , à côté de ma
porte , et fortement attaché, fut détaché , enlevé,
et posé debout contre la porte; de sorte que, si
Ton ne s'en fût aperçu, les premiers qui, j)Our
sortir , auroient ouvert la porte d'entrée, dévoient
naturellement être assommés. Madame de Ver-
delin n'ignoroit rien de ce qui se passoit ; car,
outre ce quelle voyoit elle-même, son domes-
tique, homme de confiance, étoit très répandu
dans le village, y accostoit tout le monde, et on
le vit même en conférence avec Montmollin.
Cependant elle me parut ne faire aucune atten-
tion à rien de ce qui m'arrivoit, ne me parla ni
de Montmollin ni de personne, et répondit peu
de chose à ce que je lui en dis quehjuefois : seu-
lement, paroissant persuadée que le séjour de
l'Angleterre me convenoit plus qu'aucun autre,
elle me parla beaucoup de M. Hume, (jui étoit
alors à Paris, de son amitié pour moi , et du
désir qu elle avoit de m être utile dans son pays.
11 est temps de dire quelque chose de ce M. Hume.
11 s'étoit acquis une grande réputation en
France, et sur-tout parmi les encycloj)édistes,
par ses Traités de Conniierce et de Politi<pie , et ,
en dernier lieu , j)ar son Histoire de la maison
Stuard^ le seul de ses écrits dont j avois lu quel-
f[uc chose dans la traduction de labbé Prévôt.
PARTIE II, LIVRE XIT. 58l
Faute d'avoir lu ses autres ouvrages , j etois per-
suadé , sur ce qu'on ni'avoit dit de lui , que
M. Hume associoit une ame très républicaine
aux paradoxes anglois en faveur du luxe. Sur
cette opinion , je regardois toute son Apologie
de Charles P'" comme un prodige d'impartialité,
et j'avois une aussi grande idée de sa vertu que
de son génie. Le désir de connoître cet homme
rare et d'obtenir son amitié avoit beaucoup aug-
menté les tentations de passer en Angleterre ,
que me donnoient les sollicitations de madame
de Boufflers, intime amie de M. Hume. Arrivé
en Suisse, j'y reçus de lui, par la voie de cette
dame, une lettre extrêmement flatteuse, dans
laquelle, aux plus grandes louanges sur mon
génie, il joignoit l'invitation de passer en An-
gleterre, et l'offre de tout son crédit et de tous
ses amis pour m'en rendre le séjour agréable.
Je trouvai sur les lieux milord - maréchal , le
compatriote et l'ami de M. Hume, qui me con-
firma tout le bien que j'en pensois, et qui m'ap-
prit même à son sujet une anecdote littéraire
qui l'avoit beaucoup frappé , et qui me frappa
de même. Vallace, qui avoit écrit contre Hume
au sujet de la population des anciens , étoit ab-
sent, tandis qu'on imprimoit son ouvrage. Hume
se chargea de revoir les épreuves et de veiller à
ledition. Cette conduite étoit dans mon tour
d'esprit. C'est ainsi que j'avois débité des copies
à six sous pièce d'une chanson qu'on avoit faite
contre moi. J'avois donc toute sorte de préjugés
582 LES CONFESSIONS,
en faveur de Ifunie , f|uaiul madaiiio de Verde-
lin vint me parler vivement de 1 amitié ({u il di-
soit avoir pour moi , et de son empressement à
me faire les honneurs de TAnnleterre, carcest
ainsi qu'elle sexprimoit. Elle me pressa beau-
coup de profiter de ce zèle, et d écrire à M. lin me.
Comme je n'avois pas naturellement de jien-
chant pour l'Angleterre, et que je ne voulois
prendre ce parti qu'à l'extrémité, je ne voulus
ni écrire ni promettre; mais je la laissai la maî-
tresse de faire tout ce qu'elle jufjeroit à propos
pour maintenii- TTumc dans ses honnes disposi-
tions. En quittant Motiers, elle me laissa per-
suadé par tout ce qu'elle m'avoit dit de cet homme
illustre, qu'il étoit de mes amis, et qu'elle étoit
encore plus de ses amies.
Après son départ , Montmollin poussa ses ma-
nœuvres, et la populace ne connut plus de frein.
Je continuois cependant à me promener tran-
quillement au nulieu de ses huées; et le f;out de
la botanique que j avois cfimmencé de picndrc
auprès du docteur divernois , donnant iiii nou-
vel intérêt à mes promenades, me faisoit par-
courir le pays en herborisant, sans m émouvoir
des clameurs de toute cette canaille, dont ce
san{^-froid ne faisoit qu'irriter la fureur. Enc i\c^
choses ([ni m'affectèrent le plus fut de voir les
familles de mes amis (i), ou des {jeus (jui por-
(l) Cette fatalité avoit rninnini( r des mon séjour à
Yvciduu: car le baniierct lloî'uiii étant mort un an ou
PARTIE II, LIVRE XII. 583
toient ce nom, entrci assez ouvertement dans
la ligue de mes persécuteurs; comme les dlver-
nois , sans en excepter même le père et le frère
de mon Isabelle; Boy de La Tour, parent de Ta-
mie chez qui j'étois logé, et madame Girardier,
sa belle-sœur. Ce Pierre Boy étoit si butor, si
bête , et se comporta si brutalement que , pour
ne pas me mettre en colère , je me permis de le
plaisanter , et je fis , dans le goût du petit pro-
phète , une petite brochure de quelques pages ,
intitulée la Vision de Pierre de la montagne , dit
le Voyant^ dans laquelle je trouvai le moyen de
tirer en même temps assez plaisamment sur les
miracles , qui faisoient alors le grand prétexte
de ma persécution. Du Peyrou fit imprimer à
Genève ce chiffon, qui n'eut dans le pays qu'un
succès médiocre , les Neuchâtelois , avec tout leur
esprit , ne sentant guère le sel attique ni la plai-
santerie , sitôt qu'elle est un peu fine.
deux après mon départ de cette ville , le vieux papa Ro-
guin eut la bonne foi de me marquer avec douleur qu'on
avoit trouvé dans les papiers de son parent des preuves
qu'il étoit entré dans le complot pour m'expulser d'Y-
verdun et de l'état de Cerne. Cela prouvoit bien claire-
ment que ce couiplot n'étoit pas, comme on voiiloit le
faire croire, une affaire de cajjolisme, puisque le ban-
neret Roguin , loin d'être un dévot, poussoit le matéria-
lisme et l'incrédulité jusqu'à l'intolérance et au fana-
tisme. Au reste, personne à Yverdun ne s'étoit si fort
euiparé de moi, ne m'avoit tant prodigué de caresses,
de louanges, et de llatterie, que ledit banncret. Il suivoit
fulclement le plan chéri de mes persécuteurs.
584 I^ES CONFESSIOISS.
Je mis un peu plus de soin à un autre écrit Jit
même temps, dont on trouvera le manuscrit
parmi mes papiers , et dont il faut dire ici le
sujet.
Dans la plus grande fureur des décrets et de la
persécution , les Genevois s'étoient particulière-
ment signalés en criant haro de toute leur force,
et mon ami Vcrnes entre autres, avec une géné-
rosité vraiment théologique , choisit précisé-
ment ce temps-là ])our publier contre moi des
lettres où il prétendoit prouver que je n'étois
pas chrétien. Ces lettres, écrites avec un ton de
suffisance , n'en étoient pas meilleures , <|uoi-
qu on assurât que le naturaliste Bonnet y avoit
niis la main : car ledit Bonnet, quoique maté-
rialiste , ne laisse pas, sitôt ((u'il s'agit de moi ,
tiêtre d'une orthodoxie très intolérante. Je ne
fus assurément pas tenté de répondre à cet ou-
vrage : mais l'occasion s'étant ])résentée den dire
un mot dans les Lettres de la montagne, j y in-
sérai une petite note assez dédaigneuse qui mit
Vernes en fureur. Il remplit (Tcnéve des cris de
sa rage, et divcrnois me marqua (juil ne se
possédoit pas. Quehjue tenq)S après parut une
feuille anonyme qui semhloit écrite, au lieu
d'encre , avec l'eau du Phlégéton. On m'accusoit
hautement, dans cette lettre, d'avoir exjiosé mes
enfants dans les rues , de traîner aprè^nioi une
coureuse de corps-de-garde , dètre usé de déhau-
che , pourri de vérole , et d autres gentillesses du
même ton. 11 ne me fut pas difficile de recon-
PARTIE II, LIVRE XII. 585
noître mon homme. Ma première idée, à la lec-
ture de ce libelle , fut de mettre à son vrai prix
tout ce qu'on appelle renommée et réputation
parmi les hommes, en voyant traiter de coureur
de bordel un homme qui n'y fut de sa vie, et
dont le plus grand défaut fut toujours d'être ti-
mide et honteux comme une vierge , et en me
voyant passer pour être pourri de vérole, moi
qui , non seulement n'eus de mes jours la moin-
dre atteinte d'aucun mal de cette espèce , mais
que des gens de l'art ont même cru conformé de
manière à n'en pouvoir contracter. Tout bien
pesé , je crus ne pouvoir mieux réfuter ce libelle
qu'en le faisant imprimer dans la ville où j'avois
vécu,et je l'envoyai àDuchesnepourlefaire im-
primer tel qu'il étoit, avec un avertissement où
je nommois M. Vernes , et quelques courtes notes
pour l'éclaircissement des faits. Non content d'a-
voir fait imprimer cette feuille, je l'envoyai à
plusieurs personnes , et entre autres à M. le prince
Louis de Wirtemberg, qui m'avoit fait des avan-
ces très honnêtes , et avec lequel j'étois alors en
correspondance. Ce prince, du Peyrou , et d'au-
tres , parurent douter que Vernes fût l'auteur du
libelle , et me blâmèrent de l'avoir nommé trop
légèrement. Sur leurs représentations, le scrupule
me prit , et j'écrivis à Duchesne de supprimer
cette feuille. Guy m'écrivit lavoir supprimée; je
ne sais pas s'il l'a fait; je lai trouvé menteur en
tant d'occasions que celle-là déplus ne seroit pas
une merveille, et dès-lors j'étois enveloppé de
586 LES CONFESSIONS.
CCS profondes téncl)res à travers lesquelles il
m'est impossible de pénétrer aucune sorte de
vérité.
M. Vernes supporta cette imputation avec une
modération plus qu'étonnante dans un homme
qui ne l'auroit pas méritée , après la Fureur qu'il
avoit montrée auparavant. Il m'écrivit deux ou
trois lettres très mesurées , dont le but me parut
être de tâcher de pénétrer, par mes réponses, à
quel point j'étois instruit, et si j'avois quelques
preuves contre lui. Je lui fis deux réponses cour-
tes , sèches , dures dans le sens , mais sans mal-
honnêteté dans les termes, et dont il ne se fâcha
point. A sa troisième lettre , voyant qu'il vouloit
lier une espèce de correspondance, je ne réj)on-
dis plus : il me fit parler par d'Ivernois. Madame
Cramer écrivit à du Peyrou qu'elle étoit sure
que le libelle n'étoit pas de Vernes. Tout cela n'e-
branla point ma persuasion. Mais comme enfin
je pouvois me tromper, et tpien ce cas je devois
à Vernes une réparation authentique, je lui fis
dire par d'Ivernois que je la lui ferois telle (ju'il
en seroit content, s'il pouvoit m'indicjuer le vé-
jjtablc auteur du libelle , ou me prouver du
moins qu'il ne l'étoit pas. Je fis plus : sentant
bien f[u'après tout, s'il n'étoit pas coupable , je
n'avois pas droit d'exi(>er qu'il me ]ir()nvà( rien,
je pris \v j)arli (fcrrire , dans un mémoire assez
anqile, les raisons de ma persuasion, et df les
soumettre au jugement d'un arbitre ([uc Vernes
PARTIE II, LIVRE XII. 687
me put récuser. Ou ne deviueroit pas quel fut cet
arbitre? le conseil de Genève. Je déclarai à la fin
du mémoire que si , après Favoir examiné et avoir
fait les perquisitions quil jugeroit à propos, et
qu'il étoit bien à portée de faire avec succès , le
conseil prononroit que M. Vernes n'étoit pas
l'auteur du mémoire, dès l'instant je cesserois
sincèrement de croire qu'il l'est, je partirois
pour m'aller jeter à ses pieds , et lui demander
pardon jusqu'à ce que je l'eusse obtenu. J'ose le
dire , jamais mon zèle ardent pour l'équité , jamais
la droiture, la générosité de mon ame, jamais
ma confiance dans cet amour de la justice, inné
dans tous les cœurs, ne se montrèrent plus plei-
nement, plus évidemment que dans ce sage et
touchant mémoire, où je prenois sans hésiter
mes plus implacables ennemis pour arbitres su-
prêmes entre le calomniateur et moi. Je lus cet
écrit à du Peyrou : il fut d'avis de le supprimer,
et je .le supprimai. Il me conseilla d'attendre les
preuves que Vernes promettoit ; je les attendis
et je les attends encore : il me conseilla de me
taire en attendant , je me tus et me tairai le reste
de ma vie , blâmé d'avoir chargé Vernes d'une
imputation grave, fausse et sans preuve, quoi-
que je reste intérieurement aussi persuadé, aussi
convaincu qu'il est l'auteur du libelle, que je le
ëuis de ma propre existence. Mon mémoire est
entre les mains de M. du Peyrou. Si jamais il
voit le jour, on y trouvera mes raisons , et Ton
588 LES CONFESSIONS.
y connoîtra, je Tespèrc, lame tic Jean-Jacques,
que mes contemporains ont si peu voulu con-
noître.
Il est temps d'en venir à ma catastrophe de
Motiers, et à mon départ du Val-de-Travers ,
après deux ans et demi de séjour, et huit mois
d'une constance incl)ranlahle à souffrir les plus
indifynes traitements ïl m'est impossible de me
rappeler nettement les détails de cette désagréa-
ble époque, mais on les trouvera dans la rela-
tion qu'en publia M. du Peyrou , et dont j'aurai
à parler dans la suite.
Depuis le départ de madame de Verdelin, la
fermentation devcnoit plus vive; et, malgré les
rescrits réitérés du roi, malgré les ordres fré-
quents du conseil d'état , malgré les soins du
châtelain et des magistrats du lieu , le peuple ,
me regardant tout de bon comme l'antechrist,
et voyant toutes ses clameurs inutiles, parois-
soit enfin vouloir en venir aux voies défait:
déjà dans les chemins les cailloux commencoient
à rouler après moi , lancés Cependant encore
d'un peu trop loin pour pouvoir m'atteindre.
Enfin la nuit de la foire de Motiers , qui est au
commencement de septembre , je fus attaqué
dans ma maison, de manière à mettre en dan-
ger la vie de ceux (|ui riiabitoient.
A minuit, j'entendis un grand bruit dans la
galerie qui régnoit sur le <Ierrière de la maison.
Une grêle de raille mi\ lancés contre la fenêtre et
la jiorte (|ui donuoient sur cette galerie y tom-
PARTIE II, LIVRE XII. 689
bèrent avec tant de fracas , que mon chien , qui
couclioit dans la galerie et qui avoit commencé
par aboyer, se tut de fraveur, et se sauva dans
un coin , rongeant et grattant les planches pour
tâcher de fuir. Je me lève au bruit, j'allois sor-
tir de ma chambre pour passer dans la cuisine,
quand un caillou , lancé d'une main vigoureuse ,
traversa la cuisine , après en avoir cassé la fenê-
tre, vint ouvrir la porte de ma chambre et tom-
ber au pied de mon lit , de sorte que, si je m'é-
tois pressé d'une seconde, j'avois le caillou dans
l'estomac. Je jugeai que le bruit avoit été fait
pour m'attirer, et le caillou lancé pour nî'ac-
cueillir. Je saute dans la cuisine. Je trouve Thé-
rèse qui s'étoit aussi levée, et qui, toute trem-
blante , accouroit à moi. Nous nous rangeons
contre un mur hors de la direction de la fenê-
tre, pour éviter l'atteinte des pierres, et délibé-
rer sur ce que nous avions à faire : car sortir
pour appeler du secours étoit le moyen de nous
faire assommer. Heureusement la servante d'un
vieux bon homme qui logcoit au-dessous de moi,
se leva au bruit, et courut appeler M. le châte-
lain dont nous étions porte à porte. Il saute de
son lit, prend sa robe de chambre à la hâte, et
vient à l'instant avec la garde, qui, à cause de la
foire, faisoit la ronde cette nuit-là, et se trouva
tout à portée. Le châtelain vit le dégât avec un
tel effroi qu'il en pâlit, et, à la vue des cailloux
dont la galerie étoit pleine, il s'écria : Mon Dieu!
c'est une carrière! En visitant le bas, on trouva
590 LES CONFESSIO>'S.
que la porte dune cour de derrière avoit été
forcée, et qu'on avoit tenté de pénétrer dans la
maison par la (jalerie. En recherchant pourquoi
la^jarde n avoit point aperçu ou empêché le dés-
ordre, il se trouva que ceux de Motiers s'étoient
obstinés à vouloir faire cette garde hors de leur
rang, quoique ce fût le tour d'un autre village.
Le lendemain le châtelain envoya son rapport
au conseil d'état , qui , deux jours après , lui en-
voya l'ordre d'informer sur cette affaire, de pro-
mettre une récompense et le secret à ceux qui
dénonccroient les couj)ahle8 , et de mettre en
attendant , aux frais du prince, des gardes à ma
maison et à celle du châtelain qui la touchoit.
Le lendemain le colonel Pury, le procureur-gé-
néral Meuron, le châtelain Martinet, le receveur
Guyenet, le trésorier d'Ivernois et son père, en
un mot tout ce qu'il y avoit de gens distiii(;ués
dans le pays vinrent me voir, et réunirent leurs
sollicitations pour m'engager à céder à l'orage,
et à sortir au moins pour un temps d'une pa-
roisse où je ne' pouvois plus vivre en sûreté ni
avec honneur. Je m aperçus même <juo \c châte-
lain , effrayé des fureurs de ce peuple forcené,
et craignant qu'elles ne s'étendissent jus(pi'à lui ,
auroit été bien aise de m'en voir partir au plus
vite pour n'avoir plus leinbarias de m y proté-
ger, et pouvoir le (piitler lui-même, comme il
lit après mon départ. .le cédai donc, et même
avec peu de peine, car le spectacle de la haine
PARTIE II, LIVRE XII. Gyl
du peuple me causoit un déchirement de cœur
que je ne pouvois plus supporter.
J'avois plus d'une retraite à choisir. Depuis le
retour de madame de Verdelin à Paris, elle m'a-
voit parlé dans plusieurs lettres d'un M. Wal-
pole, qu'elle appeloit milord, lequel, pris d'un
{^rand zèle en ma faveur , me proposoit dans une
de ses terres un asile, dont elle me faisoit les
descriptions les plus agréables , entrant , par rap-
port au logement et à la subsistance, dans des
détails qui marquoient à quel point ledit mi-
lord Walpole s'occupoit avec elle de ce projet.
Milord - maréchal m'avoit toujours conseillé
l'Angleterre ou l'Ecosse , et m'y offroit aussi un
asile dans ses terres ; mais il m'en offroit un qui
me tentoit beaucoup davantage à Potzdam, au-
près de lui. Il venoit de me faire part d'un pro-
pos que le roi lui avoit tenu à mon sujet , et qui
étoit une espèce d'invitation de m'y rendre; et
madame la duchesse de Saxe-Gotha comptoit
si bien que je profiterois de cette invitation ,
qu'elle m'écrivit pour me presser d'aller la voir
en passant, et de m'arrêter quelque temps au-
près d'elle ; mais j'avois un tel attachement pour
la Suisse que je ne pouvois me résoudre à la
quitter, tant qu'il me seroit possible d'y vivre ,
et je pris ce temps pour exécuter un projet dont
j'étois occupé depuis quelques mois, et dont je
n'ai pu parler encore pour ne pas couper le fil
de mon récit.
5^2 LES CONFESSIOJSS.
Ce projet consistoit à m'aller établir à lile de
Saint -Pierre, domaine de Ihôpital de Berne,
au milieu du lac de Biennc. Dans un pèlerinage
pédestre que j avois fait 1 été précédent avec du
Peyrou , nous avions visité cette île , et j'en
avois été tellement enchanté que je n'avois cessé
depuis ce temps-là de songer aux moyens dy
l'ail e ma demeure. Le plus grand obstacle étoit
que l'île appartenoit aux Bernois qui, trois ans
auparavant, m'avoient vilainement chassé de
chez eux ; et , outre que ma fierté pâtissoit à re-
tourner chez des gens cjui mavoient si mal reçu,
j'avois lieu de craindre qu'ils ne me laissassent
pas plus en repos dans cette île qu'ils n avoient
fait à Yverdun. J avois consulté là-tlessus mi-
lord-maréchal qui, pensant comme moi, ((ue
les Bernois bien aises de me voir relégué dans
cette petite île et de m'y tenir en otage pour les
écrits ([ue je pourrois être tenté de faire , avoit
fait sonder là-dessus les dispositions de leurs ex-
cellences par un M. Sturler, son ancien voisin
de Colombier. M, Sturler s'adressa à plusieurs
chefs de l'état, et, sur leur réponse, assura mi-
lord que les Bernois, honteux de leur conduite,
ne demandoient pas mieux que de me voir do-
micilié dans l'île de Saint-Pierre , et de m'y lais-
ser tran((uille. Pour surcroît <le précaution ,
avant de risquer de m'y transporter, je fis pren-
dre de nouvelles informations par le colonel
(Ihaillet , (pii me confirma les nu'mes choses ;
et le receveur de lile ayant eu de ses maîtres la
PARTIE II, LIVRE XII. SgS
permission de nie lop^er, je crus ne rien risquer
d'aller ni'établir chez lui, avec l'agrément tacite
tant du souverain que des propriétaires ; car je
ne pouvois pas espérer que messieurs de Berne
reconnussent ouvertement l'injustice qu'ils m'a-
voient faite , et péchassent ainsi contre la plus
inviolable maxime de tous les souverains.
L'île de Saint-Pierre , appelée à Neuchâtel l'île
de la Mothe, au milieu du lac de Bienne , a en-
viron demi-lieue de tour; mais, dans ce petit
espace , elle fournit toutes les principales pro-
ductions nécessaires à la vie. Elle a des champs,
des prés , des vergers , des bois , des vignes ; et
le tout , à la faveur d'un terrain varié et monta-
gneux , forme une distribution d'autant plus
agréable que ses parties ne se découvrant pas
toutes ensemble se font valoir mutuellement ,
et font estimer Fîle plus grande (pi'elle n'est en
effet. Une terrasse fort élevée forme la partie
occidentale de l'île qui regarde Gleresse et la
bonne ville. On a planté cette terrasse d'une
longue allée qu'on a coupée dans son milieu par
un grand salon, où, durant les vendanges , on
se rassemble les dimanches de tous les rivages
voisins, pour danser et se réjouir. 11 n'y a dans
l'île qu'une seule maison , mais vaste et com-
mode, où loge le receveur, et située dans uu
enfoncement (jui la tient à l'abri des vents.
A ciu(j ou six cents pas de l'île, est, du côté
du sud , une autre île beaucoup plus petite, in-
culte et déserte, qui paroît avoir été détachée
il- 3S
•J94 Î-ES CONFESSIONS,
autrefois de la grande par les orages , et ne pro-
duit paruii ses graviers que des saules et des
persicaires , mais où est cependant un tertre
élevé, bien gazonné, et très agréable, La forme
de ce lac est un ovale presque régulier. Ses rives,
moins ricbes que celles des lacs de Genève et de
Neucbâtel , ne laissent pas de former une assez
belle décoration, sur-toutdanslapartic occiden-
tale, ({ui est très peuplée, et bordée de vignes au
pied d'une chaîne de montagnes, à -peu -près
comme à Côte-Rôtie , mais qui ne donnent pas
d'aussi bon vin. On y trouve , en allant du sud
au nord , le Jiailliage de Saint-Jean , la bonne-
Ville , Bienne, et Nidau, à Textrémité du lac;
le tout entremêlé de villages très agréables.
Tel étoit Tasile que je m'étois ménagé , et où
je résolus d'aller m'établir en quittant le Val-
de-Travers (i). Ce choix étoit si conforme à mon
goût pacifique, à mon humeur solitaire et pa-
resseuse, que je le conque parmi les douces rê-
veries dont je me suis le plus vivement .passion-
né. Il me sembloit que , dans cette île, je serois
plus séparé des hommes , plus à Tabri de leurs
(i) Il n'est peut-être pas inutile cravcrtir que j'y lais-
sois un ennemi particulier clans un .M. du Terreaux ,
maire des Verrières, en très médiocre estime dans Je
pays, mais qui a un frère, qu'on dit honnêt(î iiommc,
à Paris, dans les bureaux de M. de Saint-Florentin. Le
maire rcl«)it allé voir cjuchpie temps avant m(»n aven-
ture. [ IjCS petites remarques de cette espèce, qui par
elles-mêmes ne sont rien , peuvent mener dans la suite-
à la découverte de bien des souterrains. ]
PARTIE II, LIVRE XII. ^gS
outrages , plus oublié d'eux , plus livré en un
mot aux douceurs du désœuvrement et de la vie
contemplative. J'aurois voulu être tellement con-
finé dans cette île , que je n'eusse plus de com-
merce avec les mortels ; et il est certain que je
pris toutes les mesures imaginables pour me
soustraire , autant qu'il étoit possible , à la né-
cessité d'en entretenir.
Il s'agissoit de subsister; et, tant par la cherté
des denrées que par la difficulté des transports ,
la subsistance est chère dans cette île , où d'ail-
leurs on est à la discrétion du receveur. Cette
difficulté fut levée par un arrangement que du
Peyrou voulut bien prendre avec moi , en se
substituant à la place de la compagnie qui avoit
entrepris et abandonné mon édition générale.
Je lui remis tous les matériaux de cette édition.
J'en fis l'arrangement et la distribution : j'y joi-
gnis l'engagement de lui remettre les mémoires
de ma vie , et je le fis dépositaire généralement
de tous mes papiers , avec la condition expresse
de n'en faire usage qu'après ma mort , ayant à
cœur d'achever tranquillement ma carrière , sans
plus faire souvenir le public de moi. Au moven
de cela, la pension viagère quil se chargeoit de
m:e payer suffisoit pour ma subsistance. Milord-
maréchal , ayant recouvré tous ses biens , m'en
avoit offert une de douze cents francs , que j'a-
vois acceptée en la réduisant à la moitié. Il m'en
voulut envoyer le capital, que je refusai, par
l'embarras de le placer. Il fit passer ce capital à
596 LES CONFESSIOINS.
du Peyrou , entre les mains de qui il est resté
[ et qui m'en paye la rente via()ère sur le pied
convenu avec le constituant]. Joignant donc
mon traité avec du Peyrou , la pension de mi-
lord-maréchal dont les deux tiers étoient réver-
sibles à Thérèse après ma mort, et la rente de
trois cents francs que j'avois sur Duchesne , je
pouvois compter sur une subsistance honnête,
et pour moi , et après moi pour Thérèse , à qui
je laissois sept cents francs de rente , tant de la
pension de Rey que de celle de milord-maréchal :
ainsi je n'avois plus à craindre (|ue le pain lui
manquât non plus quà moi. Mais il étoit écrit
que l'honneur m'ôteroit toutes les ressources
que la fortune et mon travail mettroient à ma
portée , et que je mourrois aussi pauvre (pie j'ai
vécu. On jujjcra si , à moins d être le dcj nier des
infâmes, j ai pu tenir des arrangements (pion
a toujours pris soin de me rendre ignominieux,
en m'ôtant en même temps toute autre ressour-
ce , j)our me forcer de conscnlir à mon déshon-
neur. Gomment se douteroieni-ils de mtm t hoix
en pareille alternative? Us ont toujouis jugé de
mon cœur par les leurs.
En repos de ce côté, j'étois sans souci de tout
autre. Quoi([ue j abandonnasse dans le monde
le chann) libnî à nies ennemis, je laissois dans
le noble enthousiasme qui avoit dicté mes écrits,
et dans la constante uniformité de mes princi-
j)es, un ténjoignage démon ame qui réj)ondoit
à celui que toiUe ma concUute icndoit île mon
PARTIE II, LIVRE XII. Sgy
caractère. Je n'avois pas ])esoin d'une autre dé-
fense contre mes vils calomniateurs. Ils pou-
voient peindre sous mon nom un autre homme,
mais ils ne pouvoient tromper que ceux qui vou-
loient être trompes. Je pouvois leur donner ma
vie à épiloguer d'un bout à l'autre; j'ctois sûr
qu à travers mes fautes et mes foiblesses ^ à tra-
vers mon inaptitude à supporter aucun joug,
on trouveroit toujours un homme juste, bon,
sans fiel et sans haine ; prompt à reconnoître
ses propres torts , plus prompt à oublier ceux
d'autrui, cherchant toute sa félicité dans les pas-
sions aimantes et douces , et portant en toute
chose la sincérité jusqu'à l'imprudence, jusqu'au
plus incroyable désintéressement.
Je prcnois donc en quelque sorte congé de
mon siècle et de mes contemporains , et je fai-
sois mes adieux au monde, en me confinant dans
cette île pour le reste de mes jours ; car telle étoit
ma résolution, et c'étoit là que je comptois exé-
cuter enfin le grand projet de cette vie oiseuse ,
auquel j'avois inutilement consacré jusqu'alors
tout le peu d'activité que le Ciel m'avoit dépar-
tie. Cette île alloit devenir pour moi celle de
Papimanie , ce bienheureux pays où l'on dort :
On y fait plus, on n'y fait nulle chose.
' Ce plus étoit tout pour moi; car depuis ({ue
j'ai perdu le sommeil je lai peu regretté ; loisi-
veté me suffit, et , pourvu que je ne fasse rien ,
j'aime encore mieux rêver éveillé qu'en songe.
BgS LES CONFESSIONS.
L'âf^o des projets romanesques étant passé, et
la fumée de la gloriole mayant plus étourdi que
flatté , il ne me restoit plus , pour dernière es-
pérance, que de vivre sans gêne dans un loisir
éternel. C'est la vie des bienheureux dans l'autre
inonde, et j'en faisois désormais mon bonheur
suprême dans celui-ei.
Ceux qui me reprochent tant de contradic-
tions ne manqueront pas ici de m'en reprocher
encore une. J'ai dit que l'oisiveté des cercles me
les rendoit insupportables, et me voilà recher-
chant la solitude uni((uemcut pour m'y livrer à
l'oisiveté. G est pourtant ainsi que je suis ; s il y
a là de la contradiction, elle est du fait de la
nature, et non pas du mien; mais il y en a si
peu , que c'est par-là précisément que je suis tou-
jours moi. L oisiveté des cercles est tuante, par-
cequ'elle est de nécessité; celle de la solitude est
charmante, parcequ'elle est libre et de volonté.
Dans une comjiagnie, il m'est cruel de ne rien
faire, parceque j'y suis forcé. 11 faut que je reste
là cloué sur ma chaise ou debout, planté comme
un piquet, sans remuer ni pied ni patte, n'osant
ni coiuir, ni sauter, ni chanter, ni crier, ni ges-
ticuler (piand j'en ai envie, n'osant pas même
rêver; ayant à-la-fois tout l'ennui de l'oisiveté et
tout le tourment delà coiitrainte; oblip,é d'être
attentif à touhvs les sottises (pii se disent et à
tous les compliments cpù se font, et de fatiguer
incessamment ma Minerve pour ne pas man-
quer de placer à mon tour mon rébus et ma
PARTIE II, LIVRE XII. Sgg
"nienterie. Et vous appelez cela de l'oisiveté ! c'est
un travail de forçat.
L'oisiveté que j'aime n'est pas celle d'un fai-
néant qui reste là les bras croisés dans une inac-
tion totale, et ne pense pas plus qu'il n'agit. C'est
à-la-fois celle d'un enfant qui est sans cesse en
mouvement pour ne rien faire, et celle d'un ra-
doteur dont la tête bat la campagne sitôt que
ses bras sont en repos. J'aime à m'occuper sans
cesse à faire des riens ; à commencer cent clioses,
et à n'en achever aucune ; à aller et venir comme
la tête me chante ; à changer à chaque instant
de projet ; à suivre une mouche dans toutes ses
allures; à vouloir déraciner un rocher; à entre-
prendre sans crainte un travail de dix ans , et à
l'aliandonner au bout de dix minutes ; à muser
enfin toute la journée sans ordre et sans suite,
et à ne suivre en toute chose que le caprice du
moment.
La botanique, telle que je l'ai toujours consi-
dérée, et telle qu'elle commençoit à devenir pas-
sion pour moi, étoit précisément une étude oi-
seuse , propre à remplir tout le vide de mes
loisirs, sans y laisser place au délire de l'imagi-
nation , ni à l'ennui d un désœuvrement total.
Errer nonchalamment dans les bois et dans la
campagne, prendre machinalement çà et là tan-
tôt une flem-, et tantôt une autre, brouter mon
foin presque au hasard, observer mille et mille
fois les mêmes choses, et toujours avec le même
intérêt, parceque je les oubliois toujours, étoit
6oo LES co^FESSlo^'S.
de quoi passer léternité sans pouvoir ni'cnnuycr
un moment. Quelque élégante , quelque admi-
rable , quelque diverse que soit la structure des
végétaux, elle ne frappe pas assez un œil igno-
rant pour 1 intéresser. Cette constante analogie,
et pourtant cette variété prodigieuse qui régne
dans leur organisation, ne transporte que ceux
qui ont déjà quelque idée du système végétal.
Les autres n'ont, à 1 aspect de tous ces trésors
de la nature, qu'une admiration stupide et mo-
notone. Ils ne voient rien en détail, parcequ'ils
ne savent pas même ce «ju il faut regarder, et ils
ne voient pas non plus renscmble, parccquils
n'ont aucune idée de cette chaîne de rapports et
de combinaisons qui accable de ses merveilles
l'esprit de lobservatcur. .Vétois, et mon défaut
de mémoire me de voit tenir toujours dans cet
heureux point d'en savoir assez peu pour que
tout me fût nouveau, et assez pour que tout
me fût sensible. Les divers sols dans les(juels
l'île, quoique petite, étoit partagée, m'offroient
une suffisante variété de plantes pour l'élude
ou plutôt l'amusement de toute ma vie. .le n'y
voulois pas laisser un pod dlieibe sans un exa-
men particulier, et je m'arrangeois déjà pour
faire avec un recueil immense d'observations
curieuses la Flora Petrinsularis.
.le Hs vt'nir Thérèse avec ukvs livres cl mr'S
effets. Nous nous mîmes en pcMision chez le re-
ceveur de file. Sa fennne avoit à Nidau des sœurs
qui la venoient voir tour-à-touj-, et qui faisoient
PARTIE II, LIVRE XII. 6or
à Tliérèse une compagnie. Je fis là Tessai d une
douce vie dans laquelle j'aurois voulu passer la
mienne , et dont le goût que j'y pris ne servit
qu'à nie faire mieux sentir l'amertume de celle
qui devoit si promptement y succéder.
J'ai toujours aimé l'eau passionnément, et sa
vue me jette dans une rêverie délicieuse, quoi-
que souvent sans objet déterminé. Je ne man-
quois point à mon lever, lorsqu'il faisoit beau,
de courir humer sur la terrasse l'air salubre et
frais du matin , et planer des yeux sur l'horizon
de ce beau lac , dont les rives et les montagnes
qui le bordent encliantoient ma vue. Je ne trouve
point de plus digne hommage à la divinité que
cette admiration muette qu'excite la contem-
plation de ses œuvres , et ne s'exprime point par
des actes développés. Je comprends comment
les habitants des villes, qui ne voient que des
murs et des rues , ont peu de foi , mais je ne puis
comprendre comment des campagnards, et sur-
tout des solitaires , peuvent n'en point avoir.
Gomment leur ame ne s'éléve-t-elle pas cent fois
le jour avec extase à fauteur des merveilles qui
les frappent? Pour moi, c'est sur-tout à mon
lever, affaissé par mes insomnies, qu'une lon-
gue habitude me porte à cette élévation de cœur
qui n'impose point la fatigue de penser. Mais il
faut pour cela que mes yeux soient frappés du
ravissant spectacle de la nature. Dans ma cham-
bre , je prie plus rarement et plus sèchement ;
mais, à l'aspect d'un beau paysage, je me sens
602 LES CONFESSIO>^S.
ému sans pouvoir dire de quoi. J ai lu qu'un saint
ëvèque , dans la visite de son diocèse , trouva
une vieille femme qui, pour toute prière, ne
savoit dire que O! et il lui dit: Bonne mère,
continuez de prier toujours ainsi ; votre prière
vaut mieux que les nôtres. Cette meilleure prière
est aussi la mienne.
Après le déjeuné, je me hâtois d'écrire en re-
cliijjnant quelques malheureuses lettres, aspi-
rant avec ardeur au moment de n'en plus écrire
du tout. Je tracassois quelques moments autour
<le mes livres et papiers, pour les déballer et
arran[;er plutôt que pour les lire; et cet arran-
gement, qui dcvcnoit pour moi l'œuvre de Pé-
nélope, me donnoit le plaisir de muser quel-
ques moments, après quoi je m'en ennuyois et
le ((uittois pour passer les trois ou quatre heures
qui me restoient de la matinée à l'étude de la
))Otanique, et sur-tout du système de Linn.eus,
pour lecpu^l je pris une passion dont jamais je
n'ai pu bien me {ijuérir, même après en avoir
senti le vide. Ce [^rand ohservateur est à mon
(^ré le seul avec Lud\vi}> (jui ait vu jus(|u'i(i la
botaniijue en naturaliste et en philosophe; mais
il l'a trop étudiée dans des herbiers et dans des
jardins, et j)as assez dans la nature elle-même.
Pour moi , cpii prenois pour jardin lile entière,
iiitôt (pie |a\(ii,s besoin de iaire ou vérifier (piel-
quc observation , je «-ouroisdans les bois ou dans
les prés , mon livre sous le bras : là, je me cou-
chois parterre auprès de la plante en question j
PARTIE II, LIVRE XII. 6o3
et cette méthotle ma beaucoup servi pour con-
noître les végétaux dans leur état naturel, avant
qu'ils aient été cultivés et dénaturés par la main
des hommes. On dit que Fagon, premier méde-
cin de Louis XIV, qui nommoit et connoissoit
parfaitement toutes les plantes du jardin royal ,
étoit d'une telle ignorance dans la campagne ,
qu'il n'y reconnoissoit plus rien. Je suis précis
sèment le contraire. Je connois quelque chose
à l'ouvrage de la nature , mais rien à celui du
jardinier.
Pour les après-dînécs , je les livrois totalement
à mon humeur oiseuse et nonchalante , et à
suivre sans régie limpulsion du moment. Sou-
vent, quand l'air étoit calme , j'allois immédia-
tement en sortant de table me jeter seul dans
un petit bateau , que le receveur m'avoit appri.»
à mener avec une seule rame ; je m'avancois en
pleine eau. Le moment où je dérivois me don-
noit une joie qui alloit jusqu'au tressaillement,
et dont il m'est impossible de dire ni de bien
comprendre la cause, [si ce n'étoit peut-être
une fclicitation secrète dêtre en cet état hors
de l'atteinte des méchants.] J'crrois ensuite seul
dans ce lac, approchant quel(|uefois du rivage,
mais n'y abordant jamais. Souvent laissant aller
mon bateau tout-à-fait à la merci de lair et de
l'eau, je me livrois à des rêveries sans objet, et
qui , pour être stupides , n'en étoient pas moins
délicieuses. [Je m'écriois parfois avec attendris-
sement : O naturel O ma mère! me voici sous
6o4 l'ES CONFESSIONS,
ta seule (yarde ; il n'y a point ici cVliomme adroit
et fourbe qui s interpose entre toi et moi. Je
iu'éloif]fnois ainsi jusqu'à demi-lieue de terre ;
j aurois voulu que ce lac eut été l'océan.] Cepen-
dant , pour complaire à mon chien , qui n'aimoit
pas autant que moi les stations sur 1 eau, je sui-
vois d'ordinaire un Init de promenade, cétoit
' d'aller débarquer à la petite ile , de m'y prome-
ner une heure ou deux , ou de m'étendrc au som-
met du tertre sur le fjazon, pour m assouvir du
plaisir d'admirer le lac et ses environs , pour
examiner et dissécpier toutes les lierbes ([ui se
trouvoient àmaportée, et pour me bâtir, comme
un autre llobinson , une demeure imaginaire
dans cette petite île. Je m'affectionnai fortement
à cette butte. Quand j'y pouvois mener prome-
ner Thérèse avec la receveuse et ses sœurs , com-
me j'étois lier d'être leur pilote et leur guide !
ISous y j)ortâmes en pompe des lapins jiour la
peupler. Autre fête pour Jean-Jacques, Cette pe-
tite peuplade me rendit la petite ile encore plus
intéressante. J'y aiiois plus souvent et avec plus
de plaisir depuis ce temps-là , pour recheicher
des traces du progrès des nouveaux habitants.
A ces amusements, j en joignois un (jui me
rappcloitla douce vie des Charmettes, et auquel
la saison m'invitoit particulièrenient. Cétoit un
détail de soins rustiijues j)oin' la récolte des lé-
gumes et des fruits, et que nous nous faisions
une fête, Tliérèse et moi, de partager avec la
receveuse et sa famille. Je me souviens qu un
Tcmif i4'.
PARTIE II, LIVRE XII. 6o5
Bernois , nommé M. Kirkcbergher , m étant venu
voir , me trouva perché sur un grand arbre, un
sac attaché autour de ma ceinture, et déjà si
plein de pommes, que je ne pouvois plus me
remuer. Je ne lus pas fâché de cette rencontre
et de quelques autres pareilles. J'espérois que les
Bernois, témoins de l'emploi de mes loisirs , ne
songeroient plus à en troubler la tranquillité ,
et me laisseroicnt en paix dans ma solitude.
.1 aurois bien mieux aimé y être confiné par leur
volonté que par la mienne : j'aurois été plus
assuré de n'y point voir troubler mon repos.
Me voici encore réduit à l'un de ces aveux sur
lesquels je suis sûr d'avance de l'incrédulité des
lecteurs , obstinés à juger toujours de moi par
eux-mêmes, quoiquils aient été forcés de voir,
dans tout le cours de ma vie, mille affections in-
ternes qui ne ressembl oient point aux leurs. Ce
qu'il y a de plus bizarre est qu'en me refusant tous
les sentiments bons ou indifférents qu'ils n'ont
pas , ils ne font aucune difficulté de m'en prêter
de si mauvais qu'ils ne sauroient même entrer
dans un cœur d'homme; ils trouvent tout simple
de me mettre en contradiction même avec la na-
ture, et de flaire de moi un monstre tel qu'il n'en
peut exister. Bien d absurde ne leur paroît in-
croyable pourvu (juil tende à me noircir; ils ne
s'arment d'incrédulité contre ce qui est extraor-
dinaire que lorsqu'il n'est pas criminel.
Mais, quoi (ju'ils en puissent croire ou dire,
je n'en continuerai pas moins de rapporter fi-
6o6 LES CONFESSIONS.
délemeiit ce que fut, fit, et pensa, J. J. Rous-
seau , sans expliquer ni justifier la sinffularité de'
ses sentiments et de ses idées, ni rechercher si
d'autres ont pensé comme lui. Je pris tant de
goût à rhabitation de Tîle Saint -Pierre, et son
séjour nie convenoit si parfaitement, qu'à force
d'inscrire tous mes désirs dans cette île, je m'en
fis un de n'eu sortir janiais. Les visites que j a-
vois à rendre au voisinage , les courses qu'il me
faudroit faiie à iSeuchàtel , à Bienne, à Yverdun,
àNidau, fatiguoient déjà mon imagination; un
jour à passer hors de liJe me paroissoit retran-
ché de mon honheur; et sortir de l'enceinte de ce
lac étoit pour moi sortir de mon élément. D ail-
leurs Icxpérience du passé m'avoit rendu crain-
lii". llsuffisoit que quelque bien Hattât mon cœur
pour que je dusse m'attendre à le perdre , et l'ar-
dent désir de (inir mes jours dans cette île étoit
inséparable de la crainte d être forcé d'en sortir.
J'avois pris l'habitude d'aller les soirs m'asseoir
sur la grève , sur-tout quand le lac étoit agité.
Je sentois un plaisir singulier à voir les Ilots se
briser à mes pieds; je m'en laisois fimajje du
tumulte du monde et de la paix de mon habita-
tion, et je m'attendrissois quelquefois à cette
douce idée , au point de sentir i\c^ larmes couler
de mes yeux. Ce repos, dont je jouissois avec
passion , n'étoit troublé que par l'inquiétude de
le perdre; mais cette in<juiélude albiii au point
d en altérer toute la douceur. .\c sentois ma si-
tuation si précaire, (pie je n'osois y conq)ter. Ah!
PARTIE II, LIVRE XII. 607
que je cliangerois volontiers, me disois-je , la li-
berté de sortir d'ici, dont je ne me soucie point,
avec l'assurance d'y pouvoir rester toujours ! Au
lieu de n'y être que par grâce , que n'y suis-je par
force! Ceux qui ne font que m'y souffrir peuvent
à chaque instant m'en chasser ; [etpuis-je espé-
rer que mes persécuteurs , m'y voyant heureux,
m'y laissent continuer de l'être.' Ah ! ] c'est peu
qu'on me permette d'y vivre, je voudrois qu'on
m'y condamnât ; et je voudrois être contraint
d'y rester, pour ne l'être pas d'en sortir. Je jetois
un œil d'envie sur l'heureux Micheli Ducret , qui,
tranquille au château d'Arherg, n'avoit eu qu'à
vouloir être heureux pour l'être. Enfin , à force
de me livrer à ces réflexions, et aux pressenti-
ments inquiétants des nouveaux orages toujours
prêts à fondre sur moi , j en vins à désirer, mais
avec une ardeur incroyable, qu'au lieu de tolérer
seulement mon habitation dans cette île, on me
la donnât pour prison perpétuelle; et je puis ju-
rer que s'il n'eût tenu qu'à moi de m'y faire con-
damner je l'aurois fait avec la plus grande joie ,
préférant mille fois la nécessité d'y passer le reste
de ma vie au danger d'en être expulsé.
Cette crainte ne demeura pas long - temps
vaine: au moment où je m'y attendois le moins,
je reçus une lettre de M. le bailli de Nidau, dans
le gouvernement duquel étoit l'île de Saint-
Pierre, par laquelle il m'intimoit, de la part de
leurs excellences , l'ordre de sortir de l'île et de
leurs états. Je crus rêver en la lisant. Rien de
C)oS LES CONFESSIO^'S.
moins naturel, rien de moins raisonnai )le, de
moins prévu même, quun pareil ordre; ear j a-
vois plutôt rOj"[ardé mes secrets pressentiments
comme les inquiétudes d un homme elïarouché
par ses malheurs, que comme une prévoyance
qui pût avoir le moindre fondement. T.es me-
sures que j'avois prises pour m'assurcr de l'aj^ré-
inent tacite du souverain , la tran([uiililL' avec
laquelle on m'avoit laissé faire mon établisse-
ment, les visites de plusieurs Bernois, et du
bailli de iSidau lui-même, cpii m avoit comblé
d'amitié et de prévenances , la rigueur de la sai-
son , dans laquelle il étoit barbare d'expulser un
homme infirme , tout me fit croire, avec beau-
coup de gens, qu'il y avoit quehpie malenten-
du dans cet ordre, et que les malintentionnés
avoient pris exprès le temps des vendanj^cs et
de riniré([uence du sénat poiu' me porter brus-
quement ce coup.
Si j'avois écouté ma première indignation , je
serois parti sur-le-champ. Mais où aller? Que de-
venir à l'entiée de l'hiver, sans but , sans piépa-
ratif ,sans conducteur , sans voiture? A mt>insdc
laisser tout à l'abandon , mes papiers , mes effets,
toutes mes affaires, il me falloit un temps pour
y poiuvoir , et il n'étoit pas dit dans l'ordre si on
m en laissoit ou non. La coMlinuitc t\vs niailicuis
conniHiicoii d altérer mon courage. Pour la pre-
mière fois je sentis ma fierté naturelle flét^hir
sous le joug de la nécessite; et, malgn* les mur-
mures de mou ca:iu', il fallut m abaisser à de-
PARTIE II, LIVRE XII. 609
mander un délai. C'étoit à M. de Graffenried,
qui nVavoit envoyé l'ordre, que je m'adressai
pour le faire interpréter. Sa lettre porioit une
très vive improbation de ce même ordre , qu'il
ne m'intimoit qu'avec le plus vif re^o^ret ; et les
témoignages de douleur et d'estime dont elle
étoit remplie me sembloient autant d'invitations
bien douces de lui parler à cœur ouvert ; je le fis.
Je ne doutois pas même que ma lettre ne fît ou-
vrir les yeux à ces hommes iniques sur leur bar-
barie, et que, si l'on ne révoquoit pas un ordre
si cruel , on ne m'accordât du moins un délai
raisonnable et peut-être l'hiver entier , pour me
préparer à la retraite et pour en choisir le lieu.
En attendant la réponse, je me mis à réflé-
chir sur ma situation et à délibérer sur le parti
que j'avois à prendre. Je vis tant de difficultés
de toutes parts , le chagrin ni avoit si fort affec-
té, et ma santé en ce moment étoit si mauvaise,
que je me laissai tout-à-fait abattre, et que
l'effet de mon découragement fut de ni'ôter le
peu de ressources qui pouvoient me rester dans
l'esprit , pour tirer le meilleur parti possible de
ma triste situation. En c[uelque asile que je pusse
me réfugier , je ne pouvois me soustraire à au-
cune des deux manières qu'on avoit prises de
m'expulser; lune en soulevant contre moi la
populace par des manœuvres souterraines, l'au-
tre en me chassant à force ouverte, sans en dire
aucune raison. Je ne pouvois donc compter sur
aucune retraite assurée , à moins de laller clier-
6iO LES CONFESSIOISS.
cher plus loin que mes forces et la saison ne scm-
bloient me le permettre. Tout cela me rame-
nant à lidéc dont je v^nois de ni'occuper , j'osai
désirer et proposer qu'on voulût plutôt disposer
de moi dans une captivité perpétuelle, que de
me lairc errer incessamment sur la terre en
m'expulsant successivement de tous les asiles
que j aurois choisis. Deux jours après ma pre-
mière lettre, j en écrivis une seconde à ]M. de
Gralfcnried , pour le prier d'en faiie la proposi-
tion à leurs excellences. La réponse de Berne à
lune et à l'autie fut un ordre couru daus les
termes les plus durs de sortir de lile et de tout
le territoire médiat et immédiat , dans l'espace
de vin{jt-(iuatre heures , el de n'y rentrer jamais,
sous les [dus (^rièves peines.
Ce moment fut aifi eux. Je me suis trouvé sou-
vent dans de pires anjjoisses, jamais dans un
plus f^rand eml)arra5. Mais ce (jui maflli{]ea le
plus fut d'être forcé de renoncer au |)rojei (|ui
m a voit fait désirer de passer Ihiver dans 1 lie.
Il est temps de rapporter l'anecdote fatale (|ui a
mis le comble à mes désastres, et (jui a entraîne
dans ma ruine un peuple infortuné , dont les
naissantes vertus promettoi< iit déjà dijjaler un
jour celles de Sparte et de Home.
Javois parlé des Corses daus le Contrat social
comme dun peuple neuf, le seul de ILurope
<|ui ne fût pas usé pour la lé{]islatiou ; et j avois
marqué la fjraftde espérance <|u On dcvoit avoir
d'im tel peuple, s il avoit le bonheur de trouver
i
PARTIE II, LIVRE XII. 6lt
tin sage instituteur. Mon onvrafre fut lu par quel*
ques Corses qui furent sensibles à la manière
dont je parlois d'eux , et le cas où ils se trou-
voient de travailler à rétablissement de leur ré-
publique fit son(>er à leurs chefs à me -demander
mes idées sur cet important ouvraf^e.Un M. Rut-
tafuoco , d'une des premières familles du pays,
et capitaine en France dans Royal-Italien , m'é-
crivit à ce sujet plusieurs lettres, et me fournit
beaucoup de pièces que je lui avois demandées
pour me mettre au fait de l'histoire de la nation
et de l'état du pays. M. Paoli m'écrivit aussi
plusieurs fois ; et, quoique je sentisse urie pa-
reille entreprise au-dessus de mes forces , je crus
ne pouvoir les refuser pour concourir à une
si grande et belle œuvre, lorsque j'aurois pris
toutes les instructions dont j'avois besoin pour
cela. Ce fut dans ce sens que je répondis à l'un
et à l'autre , et cette correspondance continua
jusqu'à mon départ.
Précisément dans le même temps j appris que
la France cnvoyoit des troupes en Corse , et
qu'elle avoit fait un traité avec les Génois. Ce
traité , cet envoi de troupes , m'in(piiétèrent ; et,
sans m'imaginer encore avoir aucun ra])port à
tout cela , je jugeois impossible et ridicule de
travailler à un ouvrage qui demande un aussi
profond repos (|ue l'institution d'un peuple, au
moment où il alloit ])(Mit-être être subjugué. Je
ne cachai pas mes inquiétudes à M. Buttafuoco ,
qui me rassura par la certitude que, s'il y avoit
39.
6l2 LES CONFESSIONS,
dans ce traité des choses contraires à la lil)erlé
de sa nation, un aussi hon citoyen que lui ne
resteroit pas , comme il iaisoit , au service de
France. En effet , son zèle pour la législation des
Corses , et ses étroites liaisons avec M. Paoli , ne
pouvoient me laisser aucun soupçon sur son
compte ; et quand j appris qu'il Iaisoit de Iré-
qiients voyages à Versailles et à Fontainchlcau,
et qu il avoit des relations avec M. de Clioiscul ,
je n'en conclus autre chose sinon qu'il avoit sur
les véritables intentions de la cour de France
des sûretés qu il me laissoit entendre, mais sur
lesquelles il ne vouloit pas s expli(juer ouverte-
ment par lettres.
Tout cela me rassuroit en partie. Cependant,
ne comprenant rien à cet envoi de troupes Iran-
çoises , et ne ])ouvant raisonnahlcment ])ens( r
quelles fussent là pour protéger la liherlé des
Corses , qu'ils étoient bien en état de défendre
seuls contre les Génois , je ne pouvois me tran-
quilliser parfaitement ni me mêler tout de bon
de la législation proposée , jnsqu a ce (jne j eusse
des preuves solitles que tout cela n étoit pas un
jeu pour se moquer de moi. .l'aurois extrême-
ment désiré une entrevue avec M. liuttafuoco;
c'étoit le seul moyen den tirer les éclaircisse-
ments dont j'avois besoin. 11 me la lit csjx rc iim
moment , et je lattendois ;»vee la plus giande
impatience. Four lui, je ne sais s'il en avoit vé-
ritablement le j)rt>jet ; mais, «punid il lauroit
PARTIE II, LIVRE XII. 6l3
cil , mes désastres mauroicnt cnipêehé d'en pro--
fîter.
Plus je mcditois sur l'entreprise proposée ,
plus j'avançois dans l'examen des pièces que j'a-
vois reçues , et plus je sentois la nécessité d'étu-
dier de près , et le peuple qu il s'agissoit d insti-
tuer, et le sol qu'il habitoit , et tous les rapports
par lesquels il lui falloit approprier cette insti-
tution..Je sentis qu'il m'étoit impossible d'acqué-
rir de loin toutes les lumières nécessaires pour
me guider. Je l'écrivis à M. Buttafuoco ; il le sen-
tit lui-même : et si je ne formai pas précisément
la résolution de passer en Corse , je m'occupai
beaucoup des moyens de faire ce voyage. J'en
parlai à M. Dastier, qui ayant autrefois servi
dans cette île , sous M. de Maillebois , devoit la
connoîtrc. Il n'épargna rien pour me détourner
de ce dessein ; et j'avoue que la peinture affreuse
qu'il me fit des Corses et de leur pays refroidit
beaucoup le désir que j'avois d'aller vivre au
milieu d'eux.
Mais quand les persécutions de Motiers me fi-
rent songer à quitter la Suisse , ce désir se ranima
par lespoir de trouver enfin cbez ces insulaires
le repos qu'on ne me laissoit nulle part. Une
chose seulement m'effarouchoit sur ce voyage;
c'étoit l'inaptitude et l'aversion que j'eus tou-
jouis pour la vie active à laquelle j'allois être
condamné. Fait pour méditer à loisir dans la sa
litude, je ne l'étois point pour parler , agir, trai-
\
6l4 Lt:S CONFESSIONS.
ter d'affaires avec les hommes. La nature, qui
m'avoit donné le premier talent , m'a voit refusé
l'autre. Cependant je sentois que , même sans
prendre part directement aux affaires puhlifjues,
je serois nécessité, sitôt c|uc je serois en Corse,
de me livrer à l'empressement du peuple, et de
conférer très souvent avec les chefs. L'ohjet mê-
me de mon voyage exif^^eoit qu'au lieu de cher-
cher la retraite, je cherchasse, au sein de la
nation , les lumières dont j'avois hcsoin. Il étoit
clair que je ne pourrois plus disposer de moi-
même, et ({n'entraîné malfifré moi dans un toin-
])illon jjour h-qucl je n'étois point ne j v mène-
rois une vie toute contraire à mon î;oût , et ne
m'y montrerois qu'à mon désavantafie. Je pré-
voyois que, soutenant mal par ma présence l'o-
pinion de capacité (juavoient jui leur donner
mes livres , je me décréditerois chez les (torses,
ctpenlro's, autant à leur préjudice qu au mien,
la confiance qu'ils m a voient donnée , et sans la-
quelle je ne pouvois faire avec succès l'œuvre
qu'ils attendoient de moi. .l'etois sûr qu'en sor-
tant ainsi de ma sphère je leur deviendrois inu-
tile, et me rend rois maliieureux.
Tourmenté, ])attu d'oraf;es de toute espèce ,
fati{];ué de voya^ifcs et de persécutions depuis plu-
sieurs aniH'es, je sentois viven)ent le h«"soin (hi
repo3, dont mes harhares ennemis sétoieni lait
un jeu de me priver ; je soupirois après cette ai-
mable oisiveté, après cette douce quiétude d'es-
prit et de corps que j'avois tant convoiic'e, et à
PARTIE II, LIVRE XII. 6l5
laquelle, revenu des chimères de l'amour et de
Tamitié , mon cœur bornoit sa félicité suprême.
Je n'envisageois qu'avec effroi les travaux que
j'allois entreprendre, la vie tumultueuse à la-
quelle j'allois me livrer; et si la grandeur, la
beauté, l'utilité de l'objet animoient mon cou-
rage, l'impossibilité de payer de ma personne
avec succès me l'ôtoit absolument. Vingt ans de
méditation profonde à part moi m'auroient
moins coûté que six mois d'une vie active ail
milieu des hommes et des affaires , et certain d'y
mal réussir.
Je m'avisai d un expédient qui me parut pro-
pre à tout concilier. Poursuivi dans tous mes
refuges par les menées souterraines de mes se-
crets persécuteurs , et ne voyant plus que la Corse
où je pusse espérer , pour mes vieux jours, le
repos qu'ils ne vouloient me laisser nulle part,
je résolus de m'y rendre avec les directions de
Buttafuoco , aussitôt que j'en aurois la possibi-
lité, mais, pour y vivre tranquille, de renoncer,
du moins en apparence, au travail de la législa-
tion, et de me borner , pour payer en quelque
sorte à mes hôtes leur hospitalité, à écrire sur
les lieux leur hi5itoire,sauf à prendre sans bruit
les instructions nécessaires pour leur devenir
plus utile après le départ des troupes françoises,
si je voyois jour à y réussir. En commençant
ainsi par ne m'engager à rien , j'espérois êtreea
état de méditer en secret et plus à mon aise un
plan qui put leur convenir , et cela sans renon-
6i6 LES coînfessio:n'5.
cer beaucoup à ma chère solitude , ni prendre
un genre de vie qui me mettoit au supplice , et
dont je navois pas le talent.
IMais ce Yoyage dans ma situation n ctoit pas
une chose aisée à exécuter. A la manière dont
M. Dastier mavoit parlé de la Corse, je n'y de-
vois trouver des plus simples commodités de la
vie que celles que j'y porterois : linge , habits ,
vaisselle, batterie de cuisine , j)apicr, livres, il
falloit tout porter avec soi. Pour m'y transplan-
ter avec ma gouvernante, il falloit franchir les
Alpes, et, dans un trajet de deux cents lieues ,
traîner à ma suite tout un bagage ; il falloit trou-
ver le passage libre à travers les états de plu-
sieurs souverains ; et , sur le ton donné par toute
l'Europe, je devois naturellement m attendre ,
après mes malheurs , à trouver par-tout des ob-
stacles et à voir chacun se faire un honneur de
m'accablcr de <}ueh[ue nouvelU; disgrâce, et vio-
ler avec moi tous les droits tics gens et de 1 hu-
manité. Les frais immenses , les fatigues, les
risques d'un pareil voyage, m'obligeoient d'en
prévoir d'avance et d'en bien peser toutes les dif-
ficultés. L idée de me trouver enfin seul , sans
ressource , et loin de toutes mes connoissanccs,
à la merci de ce peuple leroee et demi-sauvage ,
tel que me le dépeignoit M. Dastier, étoit bien
proj)re à me faire rêver sur une résolution pa-
reille avant de l'cxécnt» r. Je d(>-;ii;u passionné-
ment une entrevue avecbuttaluoco pourconfé—
PARTIE n, LIVRE XII. 617
rer avec lui sur tout cela; et comme il m'en
avoit donné l'espérance, j'attendois qu'il la rem-
plît pour prendre tout-à-fait mon parti.
Tandis que je balançois ainsi, \inrent les per-
sécutions de Motiers , qui me forcèrent à la re-
traite. Je n'étois pas prêt pour un long voyage,
bien moins encore pour celui de Corse. J'atten-
dois des nouvelles de Buttafuoco; je me réfugiai
dans l'île de Saint - Pierre , d où je fus chassé à
lentrée de l'hiver, comme j'ai dit ci-devant. Les
Alpes couvertes de neiffc rendoient alors pour
moi cette émigration impraticable, [sur-tout
avec la précipitation qu'on me prescrivoit. 11 est
vrai que l'extravagance d'un pareil ordre le rcn-
doit impossible à exécuter: car du milieu de cette
solitude enfermée au milieu des eaux, n'ayant
que vingt-quatre heures depuis l'intimation de
l'ordre pour me préparer au départ ,. pour trou-
ver bateaux et voitures pour sortir de lîle et de
tout le territoire ; quand j'aurois eu des ailes ^
j'aurois eu peine à pouvoir obéir. Je l'écrivis à
M. le bailli de Nidau , en répondant à sa lettre ^
et je m'empressai de sortir de ce pays d'iniquité.
Voilà comment] il fallut renoncer à mon projet
chéri. N'ayant pu , dans mon découragement ,
obtenir quoii disposât de moi, sur finvitation
de milord-maréchal , je n>c déterminai pour le
voyage de Berlin , laissant Thérèse hiverner à
l'île de Saint-Pierre, avec mes effets et mes livres,
et mettant mes papiers en dépôt dans les mains
6l(S LES CONFESSIONS.
de M. (lu Peyrou. [Je fis une telle diligence (i) ,
que, dès le lendemain matin , je partis de 1 Ile
et me rendis à Bienne encore avant midi. Peu
s'en fallut (|ue je n'y terminasse mon voyage
par un incident dont le récit ne doit pa* être
omis.
Sitôt que le bruit s'étoit répandu que javois
ordre de quitter mon asile, j'eus une afHuence
de visites du voisinage, et sur-tout de Bernois
qui venoient avec la plus détestable fausseté me
llagorncr , m adoucir , et me protester qu'on
avoit pris le njoment des vacances et de linfré-
quencc du sénat pour minuter et m intimer cet
ordre , contre lequel , disoient-ils , tout le Deux-
cent fut indigné. Parmi ce tas de consolateurs,
il en vint (piebjues uns de la ville de liicnne,
petit état libre enclavé dans celui de Berne, et
entre autres un jeune bomme, appelé Wildre-
met , dont la famille tenoit le premier rang, et
avoit le principal crédit dans cette petite ville.
Wildremet me conjura vivement, au nom de ses
concitoyens, de cboisir ma retraite au milieu
d'eux, m'assurant qu'ils desiroient avec empres-
sement de m y recevoir, cpi ils se feroient une
(i) Tout ce fjui est enfermé entre deux rrorhefs, «le-
puis ces mots, Je fis une telle diligence, etc. , iusqu'à
ceux-ci, marquant mon nouK'eau désastre, ne se trouve
point dans le ui;uiu>-rrit au(of;r;»plie. dans lequel, après
ces mots , dans les mains de M. du Pe) rou ^ on lit de suite
ceux-ci ( de la page 0^4 ) , On verra dans ma troisième
partie^ etc.
PARTIE II, LIVRE XII. 619
gloire et un devoir de m'y faire oublier les per-
sécutions que j'avois souffertes , que je n'avoià
à craindre chez eux aucune influence des Ber-
nois, que Bienne étoit une ville Iil)re, qui ne re-
cevoit des lois de personne , et que tous les ci-
toyens étoient unanimement déterminés à n'é-
couter aucune sollicitation qui me fût contraire.
Wildremet vf>yaiit qu'il ne m'ébranloit pas,
se fit appuver de plusieurs autres personnes,
tant de Bienne et des environs que de Berne
nicme, et entre autres, du mèmeKirkebcr[jher,
dont j'ai parlé , qui m'avoit recherché depuis ma
retraite en Suisse, et que ses talents et ses prin-
cipes me rendoient intéressant. Mais des solli-
citations moins prévues et plus prépondérantes
furent cebes de M. Barthès , secrétaire d'ambas-
sade de France, qui vint me voir avec Wildre-
met, m'exhorta fort de me rendre à son invita-
tion , et m'étonna par l'intérêt vif et tendre qu'il
paroissoitprendreàmoi. Je ne connoissois point
du tout M. Barthès; cependant je le voyois met-
tre à ses discours la cbaleur, le zèle de l'amitié;
etje voyois qu'il luiteiioit véritablement au c.eur
de me persuader de m'établir à Bienne. Il me fit
l'éloge le plus pompeux de cette ville et de ses
habitants, avec lesquels il se montroit si inti-
mement lié, qu'il les a[)pela plusieurs fois de-
vant moi ses patrons et ses pères.
Cette démarche de Barthès me dérouta dans
toutes mes conjectures. J'avois toujours soup-»
conné iNÎ. de Choiscul d'être l'auteur racbc do
620 LES CONFESSIO>'S.
toutes les persécutions quej éprouvois en Suisse.
I^a conduite du résident de France à Genève ,
cellederambassadeuràSoleure,necon{irmoient
que trop ces soupçons; je vovois la France in-
fluer en secret sur tout ce qui niarrivoit à Berne,
à Genève, à Neucliâtel; et je ne croyois avoir en
France aucun ennemi puissant que le seul duc
de Choiseul. Que pouvois-je donc penser de la
visite tle Barthès, et du tendre intérêt (pi il pa-
raissoit prendre à mon sort ? Mes malheurs n'a-
voicnt pas encore détruit cette confiance natu-
relle à mon cœur, et 1 expérience ne mavoit pas
encoreappris à voir par-tout des embûches sous
les caresses. Je cherchois avec surprise la raison
de cette bienveillance de Barthès ; je n'étois pas
assez sot pour croire qu il lit cette démarche de
son chef; j'y voyois une publicité , et même une
affectation qui marquoit une intention cachée;
et j'étois bien éloi{^né travoir jamais trouvé dans
tous ces petits ajjents subaUcrnes cette intré|)i-
dité fjénéreuse qui, dans un poste seml)hd)lc,
avoit souvent fait bouillonner mon cœur.
J'avois autrefois un peu connu le chevalier de
Beauteville chv/. M. dv Luxcmbour{;; il mavoit
témoifjné quelque bienveillance; depuis son am-
bassade, il m'avoitcncore donné qnehjues sif^nrs
de souvenir, et mavoit même fait invitera I aller
voir à Soleure : luvilaliou dont, sans m'y ren-
(he, j'avois élc IoiicIk", n av;Mit pas accoutumé
tlêtre traité si honuêtemeni parles j;ensen plact i
Je présumai que M. de lîeautcville, forcé desui-
PARTIE II, LIVRE XII. 62Ï
vre ses instructions en ce qui regardoit les af-
faires de Genève, nie plaignant cependant dans
mes malheurs, m'a voit ménagé, par des soins
particuliers , cet asile de Bicnne pour y pouvoir
vivre tranquille sous ses auspices. Je fus sensible
à cette attention, mais sans en vouloir profiter ;
et, déterminé tout-à-fait au voyage de Berlin,
j'aspirois avec ardeur au moment de rejoindre
milord-maréchal, persuadé que ce n'étoit plus
qu auprès de lui que je trouverois un vrai repos
et un bonheur durable.
A mon départ de lîle , Kirkebergher m'accom-
pagna jusqu à Bienne. J'y trouvai Wildremet et
quelques autres Biennois qui m'attendoient à la
descente du bateau. Nous dînâmes tous ensem-
ble à lauberge; et , en y arrivant , mon premier
soin fut de faire chercher une chaise, voulant
partir dès le lendemain matin. Pendant le dîner,
ces messieurs reprirent leurs instances pour me
retenir parmi eux, et cela avec tant de chaleur
et des protestations si touchantes que , malgré
toutes mes résolutions, mon cœur, qui n'a ja-
mais su résister aux caresses, se laissa émouvoir
aux leurs : sitôt quils me virent ébranlé, ils re-
doublèrent si bien leurs efforts, qu'enfin je me
laissai vaincre, et consentis de rester à Bienne,
au moins jusqu'au printenqDs prochain.
Aussitôt Wildremet se pressa de me pourvoir
d'un logement, et me vanta comme une trou-
vaille une vilaine petite chambre sur un derrière
au troisième étage, donnant sur une cour, où
622 LÈS CONFESSIO>-S.
j'avois pour verrai Ictalaj^e dos peaux puantos
d'un chaiiKj^seur. Mon hôteétoit un petit honinu'
de basse mine et passal)lenicnt fripon , quej'ap-
jiris le lendemain être dc-hauelic, joueur, et en
fort mauvais prédicameiit dans le ipiartier; il
ii'avoit ni femme, ni eiiîaiils, ni domestiques;
et tristement reclus dans ma ciiand)re solitaire,
j'étois, dans le plus liant pays du montle, loj^é
de manière à périr de mélancolie en peu dejours.
Ce qui m'affecta le plus, mal{jré tout ve qu'on
m'avoit dit de rempressemcnt des hahitanls à
me recevoir, fut de n'apercevoir, en passant dans
les rues, rien d'honnête envers moi dans leurs
manières, ni d'oblifi^ant dans leurs refjards. .Vé-
tois pourtant tout déterminé à rester là, quand
j'appris, vis, et sentis même dès le jour suivant
tni'il y avoit dans la ville une fermentation ter-
rible à mon éjCjard; plusieurs empressés vinrent
oljli'^eamment m avertir qu on devoit des le len-
demain me si{;nilicr, le plus durement quon
pourroit , un ordre de sortir sur-le-champ de
l'état, c'est-à-dire de la ville. Je n'avois j)ersonno
à qui me confier; tous ceux qui m'avoient re-
tenu s'étoicnt éparpillés. Wildremet avoit dis-
paru, je n'entendis plus parler de Barthès, et il
ne parut pas que sa recommandation m'eût
mis en grande faveur auprès des patrons et des
pères qu'il s'étoit donnés devant moi. Un M. de
Vau-Travers, Bernois, qui avoit une jolie mai-
son proche la ville , m'y offrit cej)cii(îant un
asile, espérant, me dit-il, que j y jiourrois éviter
PARTIE II, LIVRE XII. 623
(1 être lapidé. L'avantage ne me parut pas assez
flatteur pour me tenter de prolonger mon sé-
jour chez ce peuple hospitalier.
Cependant ayant perdu trois jours à ce retard,
j'avois déjà passé de beaucoup les vingt-quatre
heures que les Bernois m'avoicnt données pour
sortir de tous leurs états, et je ne laissois pas,
connoissant leur dureté , d'être en quelque peine
sur la manière dont ils me les laisscroicnl tra-
verser, quand M. le bailli de Nidau vint tout à
propos me tirer d'embarras. Comme il avoit
hautement improuvé le violent procédé de leurs
excellences, il crut dans sa générosité me devoir
un témoignage public ([u'il n'y prenoit aucune
part, et ne craignit pas de sortir de sou bail-
liage pour venir me faire une visite à Bicnne. Il
vint la veille de mon départ; et, loin de venir
incognito, il affecta même du cérémonial , vint
in fiocchi dans son carrosse avec son secrétaire,
et m'apporta un passe-port en son nom pour
traverser l'état de Berne à mon aise et sans
crainte d'être inquiété. La visite me toucha plus
que le passe-port. Je n'y aurois gncre été moins
sensible quand elleauioit eu pour objet un autre
que moi. Je ne connois rien de si puissant sur
mon cœur qu'un acte de courage fait à propos
en faveur du loible injustement opprimé.
Enfin , après mètre avec peine procuré une
chaise , je partis le lendemain matin de cette
terre homicide , avant l'arrivée de la députation
dont on devoit m'honorer, avant même d'avoir
624 LES COMESSIOM5.
pu revoir Thérèse , à ([ui j'avois marqué de me
venir joindre , quand j'avois cru m'arrêtcr à
Bicnne , et que j eus à peine le temps de contre-
mander par un mot de lettre, en lui marquant
mon nouveau désastre. ] On verra dans ma troi-
sième partie, si jamais j'ai la forée de l'écrire,
comirrent , croyant partir pour Berlin , je partis
en efïét pour rAnpleterre ; et comment les deux
dames qui vouloient disposer de moi et de ma
réputation , après m'avoir à force d'intrigues
cliassé de la Suisse , oii je n Ctois jias assez en
leur puissance, parvinrent enhn à me livrer à
leur ami.
[ J'ajoutai ce qui suit dans la lecture que je fis
de cet écrit à monsieur et à madame la comtesse
d Egmont , à M. le prince Pignatelli , à madame
la marquise de Mesmes , et à M. le mar(|uis de
Juigné.
« J ai dit la vérité ; si quelqu'un sait des choses
" contraires à ce (]ue je viens d'exposer, lussent-
'" elles mille fois prouvées , il sait des mensonges
' et des impostures ; et , s il refuse de les appro-
« fondir et de les éclaircir avec moi , tantlis que
"je suis en vie, il n'ainu' ni la justice ni la vé-
«( rite. Pour moi , je le déclare liautenicnt et sans
«crainte: Quiconque, même sans a\(»ir lu mes
'écrits, examinera par ses propres yeux mon
.' naturel, mon caractère, nu\s nuiurs, mes pcii-
" chants, mes j)laisirs, mes haljiludes, et ])ouri;i
PARTIE II, LIVRE XII. 625
« me croire un malhonnête homme , est lui-
« même un homme à étouffer. »
J'achevai ainsi ma lecture , et tout le monde
se tut. Madame d'Egmont fut la seule qui me
parut émue : elle tressaillit visiblement , mais
elle se remit bien vite, et garda le silence, ainsi
que toute la compagnie. Tel fut le fruit que je
tirai de cette lecture et de ma déclaration.]
FIN DU DOUZIEME ET DERNIER LIVRE.
» 'î. 4o
TABLE
DES NOMS ET DES MATIÈRES
CONTENUS
DANS LES DEUX VOLUMES DES CONFESSIONS.
Nota. Le tome I est le tome XIII de cette édition de Rousseau,
et le tome II est le XIV. La lettre N désigne les notes.
A.
zVbeilles. Comment Jean-Jacques étoit devenu familier
avec les siennes. Tome I, page 385.
Abjuration de Jean -Jacques a Turin. Son costume dans
cette cérémonie. I, 107. — Produit delà quête qui fut
faite à cette occasion. I, log.
Aadé.miciens, Académies. Ce qu'en pensoit Jean-Jacques.
II, i4, 16, 17.
Académie Françoise. Raisons déduites par Jean-Jacques
pour ne point accepter la proposition qu'on lui fait
d'entrer dans cette compagnie. II, 4oi.
Académie des sciences de Paris. Jugement qu'elle porte
d'un ouvrage de Jean-Jacques sur la manière d'écrire
la musique. II , i6.
Acadéjiie de Dijon, couronne le premier discours de Jean-
Jacques. II, i3i. — Propose un nouveau sujet de prix
auquel Jean -Jacques concourt encore, et qui donne
lieu au Discours sur l'égalité. II, 184.
Adoration de Dieu, est sur-tout l'effet de l'admiration de
ses œuvres. II, 601.
Aiguillon (madame d'). Ses liaisons avec l'abbé de Saint-
Pierre. II, 216.
40.
628 TABLE
Alamanm (le p.), oratorien. Tome II, page 498.
Alary (l'abbé), de racadémie francoise. II, 3.j.
Albert (i), chanteur, est chargé d'exécuter une pièce de
Jean-Jacques. II , gS.
Algèbre. JeaB-Jacques l'étudié ; ce qu'il pense de l'ap-
plication de cette science à la {;éométrie. I, 382.
AxTUNA. Ses liaisons avec Jean-Jacques. 11,49, Ga. — Por-
trait de cet aimable jeune homme; tendre attachement
de Jean-Jacques pour lui. II , 85.
Amis. Combien leurs soins affectueux pour un malade
concourent à lui rendre la santé. I, 35G.
Amour. Effets de cette passion sur Jean-Jacques. I, 35i ;
II, 246 — Voyez Attachement. — L'impossibilité de
voir réaliser ses idées sur ce sentiment lui fait compo-
ser la nouvelle Iléloïse. II, 204. — Avec quelle violence
il l'éprouve étant sur le retour de l'âge. II , 271 , 309.
Anatoimie. Effets que produit sur Jean-Jacques l'étude
de cette science. I, 398.
Akcelet, officier des mousquetaires. Ses liaisons avec
Jean-Jacques. II, m', 386. — Quel service il lui rendii.
11,179-
A>"ET (Claude), domestique et confident de madame de
VVarens. I, 16G. — Caractère de cet lionnne ; inliniilé
de ses liaisons avec sa mailresse. I, 282. — Comnwnt
et pourquoi il souffre que Jean-Jacques y soit associé.
I, 322. — Sa mort; attachement et estime de Jean-
Jacques pour lui. I, 329.
A.NGLOis. Antipathie de Jean-Jacques pour cette nation.
II, 5o2.
Annecy. Arrivée et séjour de Jean-Jacques dans cette
ville. I, 72, 162.
Antremont ( marquis d' ). Ses liaisons avec Jean-Jacques.
I,33G, 342.
Anzoletta. Conduite généreuse de Jean-Jacques envers
cette fille. II, 78.
(1) Ce nom est remplacé djus celle édition par celui de Lagaidc
DES MATIÈRES. 629
Archevêque de Paris. Fait un mandement au sujet de
l'Emile ; Jean-Jacques lui répond. Tome II, page 542.
Archimandrite de Jérusalem. Jean-Jacques l'accompa-
gne en qualité d'interprète. 1 , 245.
Arènes. Voyez Nismes , Vérone.
Argenson (M. d'). Injustice que ce magistrat commet
envers Jean-Jacques. II, 180.
Argent. Comment Jean-Jacques avoit tout à-la-fois du
mépris pour ce métal , et de l'avarice. I, 54-
Armentières (le marquis d'). Cité. II, 4ï3.
Attachement. Quels étoient les sentiments de Jean-
Jacques et les besoins* de son cœur à cet égard. Voyez
Amour. II , 228.
AuRETERRE (madanMo'). A quelle occasion Jean-Jacques
la connut. II, 4i5.
Acronne (M. d' ). Voyez D'Aubonne.
AuMONT ( duc d') fait jouer à la cour le Devin du village.
II, iG4, 170.
Avarice. Voyez Argent.
Bacle, jeune Genevois, va voir Jean-Jacques àTurin,et
se lie d'amitié avec lui; effets de cette liaison. I, i55.
Bagueret , Genevois , enseigne les échecs à Jean-Jacquas.
1 , 353.
Balexsert. Stratagème mis en, œuvre sous le nom de ce
particulier pour enlever à Jean-Jacques l'invention de
l'Emile. II, 491-
Banchieri ( le P. ). Jean-Jacques étudie les ouvrages de
cet auteur sur la musique. I, 3c)5.
Bardonanche (la présidente de ), de Grenoble, cité(î-
1,346.
Barillot père et fils, de Genève. Leurs liaisons avec
Jean-Jacques. 1 , 346 , 395.
Barjac. Ses liaisons avec le comte de Montaigu , qu'il fait
ambassadeur à Venise. II, 32.
C3o TABLE
Barthélémy ( Tabbé ). Jiif;einent qu'en portoit Jean-
Jacques. Tome ÏI , page 390.
Barthès , secrétaire d'ambassade de France à lîerne.
Ses efforts pour engager Jean-Jacques à fixer sa de-
meure à Bienne , après sa sortie de l'île de Saint-Pierre.
11,619.
Basile ( madame ), jeune marchande de Turin , accueille
Jean-Jacques, qui lui demandoit de l'ouvrage. 1 , 114.
— Son portrait. 1 , 11 5. — Portrait d'un commis de cette
dame, à qui son mari l'avoit laissée en garde. Ibid.
— Jean-Jacques en devient amoureux. 1 , 116. — Scène
intéressante. I, 117. — Retour du mari , qui renvoie
Jean-Jacques. I,i'23.
Bastide (M. de). Traité que fait avec lui Jean-Jacques
pour son Projet de paix perpétuelle, et comment ce
traité fut exécuté. II, 447'
Bastille (la). Jean-Jacques faillit y être mis pour avoir
écrit contre la musique francoise. II , 178.
Batistix. Une des cantates de cet auteur procure à Jean-
Jacques une aventure agréable. I, 2'jo.
Beauté. Surprise de Jean-Jacques en voyant de jonnrs
fdles fort laides , et qu'aux charmes de leurs chants il
avoit jugées devoir être d'une beauté extraordinaire.
II, 65,66.
Reauteville ( le chevalier de ). Ses liaisons avec Jean-
Jacques. Service qu'il veut lui rendre. II, 620, 621.
Bellay Bon accueil que reçut Jean-,Ia(ques en passant
par cette ville. I, 204.
Bellegarde ( le comte de ). Ses liaisons avec Jean-Jacques.
I, 336.
Bellegarde. Voyez FIoi-detot.
BÉRARD, chanteur, est chargé d'exécuter u rie pièce de
Jean-Jacques. Il, 95.
Bernard ( Samuel ) , père de madame r)nj)iu. II , Ti.
Bî-rxard (Gabriel), «»ncle malenicl rio Jean-Jacques.
. I, 5. — Passe au service fie KFinpire. Flmi. — Va dans
la Caiolinc pour y faire bâtir In ville de Charlçs-Town;
DES MATIÈRES. 63 1
il y meurt. Tome I, page 347- — Livres et papiers
ti'ouvés par Jean-Jacques dans sa succession. Ibid.
Bernard, fils du précédent, et cousin de Jean-Jacques ,
est mis en pension avec lui chez le ministre Lambercier;
leur amitié. I, i6. — Leur séparation. I, 65. — Meurt
au service du roi de Prusse. 1 , 347-
Bernard ( Suzanne ), mère de Jean-Jacques, meurt en
lui donnant le jour. 1,6.
Berne (Sénat de). Sa conduite envers Jean-Jacques lors-
qu'il se retire sur son territoire, après la publication
de l'Emile. II, 5i8. — Il semble ensuite avoir honte
de cette conduite , et le laisse quelque temps en paix
dans l'île de Saint-Pierre. II, Sga. — L'en expulse,
ainsi que de tout son territoire. II , 6io.
Bernex (M. DE ), évêque deGenéve, fait faire abjuration
à madame de Warens. 1 , 76. — Quelle part il a à celle
de Jean-Jacques. 1, 83. — Comment Jean-Jacques con-
tribue à le faire passer pour saint. 1 , 191.
Bernis (l'abbé de), cité. II, 27.
Berthier ( le p. ) , jésuite. A quelle occasion JeanJacques
le connut. II, 83. — Ce qu'il en pensoit. II, 478.
Berthier (le P. ), oratorien. Son caractère; ses liaisons
avec Jean-Jacques. II , 376.
Besse ( M. de). Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, iii.
Bettina. Ce qu'étoit cette fille. II , 66.
Beuzenval (madame de). De quelle manière Jean-Jacques
fut reçu chez elle. II, 33. — Utilité de cette connois-
sance. 1 1 , 32. — Sujet de leur rupture. II , 82.
Bienxe. Jean-Jacques invité de se fixer dans cette ville au
sortir de l'île de Saint-Pierre. II, 618. — En prend la
résolution. II, 621. — Il y reçoit la visite du bailli de
Nidau, qui lui apporte un passe-port pour traverser
en sûreté l'état de Berne. II, 623.
Bienne (lac de ). Description des côtes qui l'avoisincnt.
II, 593.
BiNis ( l'abbé de). Quelles furent ses liaisons avec Jean-
Jacques. Il , 33 , 3g , 49 , 61.
632 TABLE
Blainville (madame de). A quelle occasion Jean-Jacques
la connut. Tome II, page 283. — Pourquoi elle conçut
du ressentiment contre lui. II, 3Gg.
Blaire ( M. de ), conseiller au parlement. Jugement qu'il
porte de l'Emile. II , 490-
Blanchard (ral)bé), maître de musique à Besancon.
Jean-Jacques se rend auprès de lui pour prendre des
leçons de composition. I, 333.
BoisGELou (M. de) , cité. H , 386.
BoNAC le marquis de). A quelle occasion il connut Jean-
Jacques , et ce qu'il voulut faire pour son avancement.
1 , 249 , 25o.
BoNNEFOND. A qucllc occasion Jean-Jacques le connut.
Avantages qu'il retira de celte connoissance. II, 12, 18.
Bonnet. Opinions religieuses de ce docteur. Il écrit con-
tre Jean-Jaccpies. II , 584- *
BoNNEVAL ( M. de), intendant des Menus , fait exécuter
chez lui un opéra de Jean-Jacques. II , 96.
Bordes, de Lyon. Ses liaisons avec Jean-Jacques , à qui
il donne de bonnes reconnnandations pour Paris. II , 8.
— Celui-ci le néglige ensuite ;ef(éts de cet oubli. II, 10.
— Leurs querelles littéraires ; inimitié qui en est la
suite. II, i48, i49«
Bordec , médecin. De quelle manière et avec quel succès
il traite le jeune comte de Luxemliourg. II, 4^1.
BoRROMÉES. Observations de Jean-Jac(jues sur ces iles du
lac de Genève, II, 81 , 255. — Lieu qu'il compare à la
plus jolie. II, 4o3.
BossEY. Jean-Jacques est mis en pension dans ce village,
près de Genève. I, i5.
BoTAMQi'E. Jean - Jacques se livre à l'étude de cette
science. Il , 582. — De quelle manière il s'en occu-
yxiit. Il , ;")(-)() , Cio |.
Bot'ciiAUD, libraire aChambéry ; ses relalions avec Jeauf
Jacques. I, 3~'\.
BoiJFKLERS ( l'abbé de \ Ses talents ; son caractère ; ses re-
lalions avec Jean-Jacques. II, 453. — l'ait le portrait
DES MATIÈRES. 633
de madame de Luxembourg, sur lequel Jean-Jacques
a la maladresse de dire son avis. Tome II, page 454-
BouFFLERS (la comtesse de). Commencement de ses liai-
sons avec Jean-Jacques. II, Sgg, 4i3. — Ses liaisons
avec le prince de Conti. II , 437 , 438. — En quoi Jean-
Jacques lui cause du déplaisir. II , 458. — Jugement
qu'elle porte de l'Emile. II, 489. — Sa conduite envers
Jean-Jacques lors des orages que lui suscite la publi-
cation de cet ouvrage. II , 495 , Soi , 5o2 , 5o5. — i- Elle
le réprimande pour s'être réconcilié avec son église, et
y avoir communié. II, Sl\o.
BoiTFFLERs (la duchcsse de), citée. II, 4i3.
BouFFLERs ( mademoiselle de ). Voyez Lauzun.
Boulanger, auteur de plusieurs ouvrages célèbres. Ses
liaisons avec Jean-Jacques. II, 161.
BouRBONNois ( mademoiselle ) , célèbre cbanteuse , est
cliargée d'exécuter une pièce de Jean-Jacques. II , 96.
Boy de La Tour (M. ). Quelle espèce de service il rendit
à Jean-Jacques. II, 80.
Boy de La Tour ( Pierre ). Caractère de cet homme ; ses
mauvais procédés envers Jean-Jacques. Il, 583.
Boy de La Tour ( inadame ). Jean-Jacques se lie d'une
étroite amitié avec cette dame et ses filles. II, 5i5.
— Services qu'elle lui rend. II, 619, 539,
BozE (M. de). Accueil que Jean-Jacques reçoit chez lui
à son arrivée à Paris. II, 12.
BozE (madame de). Combien Jean- Jacques étoit timide
et embarrassé dans sa compagnie. II, i3.
Breil ( madame de). Jean -Jacques étant à son service ,
elle le traite avec dédain. I, i5i. — Pourquoi elle a
ensuite poiu- lui des procédés plus affables. I, i54.
Brefl (mademoiselle de). Portrait de cette jeune per-
sonne. I, i48. — Amour de Jean-Jacques pour elle. Ibid.
Brignolé ( madame de ). Dans quelle société Jean-Jacques
la connut. II, 27.
Broglie (madame de). Jean -Jacques fait sa connois-
sance. II , 22. — Bon office qu'elle lui rend chez ma-
634 TABLE
dame de Beuzenval. Tome II, pa{;tî ?3. — Chcrclie à lui
être utile ensuite d'une autre manière. Il, 3?,.
Bruna, chanteuse italienne, exécute un motet de la com-
position de Jean-Jacques: II, 3i i.
Bi'FFON (M. de). En quelle société Jean-Jacques le con-
nut. U, 27.
BuTTAFuoco. Ses relations avec Jean-Jacques. Il lui de-
mande ses vues sur le plan de {gouvernement de la
Corse. II, 6i I.
Cauusac ayant pour maîtresse une actrice de l'opéra ,
Griinm tente vainement de se faire aimer d'elle ;
étran{;e aventure qui en est la suite. H, i').\.
Camille. Voyez Coualline.
Canavas, musicien , jouoit du violoncelle aux concerts
de madame de Warens. I, 297.
Carrio, secrétaire d'ambassade d'Espagne à Venise. Ses
liaisons avec Jean-Jacques. II , 47 , 49 1 ^^ r 67 , 70 , 77.
— Il vient à Paris, et renouvelle sa connoissancc avec
lui. Par quelle cause ils cessent de se voir. II , 38 1.
Castel (le P.), connoissancc de Jean-Jacques. II, 22.
— Pourquoi Jean-Jacques cessa de le voir. II , 82, 83.
Castellane ( le comte dfJ. A quelle occasion Jean-Jac-
ques eut des relations avec lui. II, rli.
Catanéo (mademoiselle de). Pourquoi Jean-Jacques ne
se livra pas à soft fjoût pour cette jeune personne. 11,67.
Caton (le P.), cordelier. A quelle occasion Jean-Jacques
en fit la connoissancc. I, 2o!S. — Portrait de ce rrli-
{;ieux. I , o.r)6.
Cayus (le comte de), af;réablc connoissancc de .Iran-
Jacques. II , 8.
CiiAioNON (M. de), rharf^é des affaires de France à Sion.
Bonne n-ceplion «|n'il fait à .Ican-Jacqucs. If, 79.
Chailles. Ce que ce lieu de la Savoie offre de curieux.
l, 27.'>. — A quoi Jcan-.lacques s'y amusa. 1 , 276.
DES MATIÈRES. 63S
CiiAiixET ( le colonel ). Quel service il rend à Jean-Jac-
ques. Tome II, page Sg^.
Challes (mademoiselle de), une des écolières de Jean-
Jacques pour la musique. Son portrait, 1 , 3o3.
Chambéry. Arrivée de Jean-Jacques dans cette capitale
de la Savoie. I, 276, 277. — Caractère de ses habi-
tants. I, 3o2.
Chapplis. Ses liaisons avec Jean-Jacques. II , ig4.
Charly ( madame de ) , mère d'une des écolières de Jean-
Jacques pour la musique. Portrait de cette dame. 1 , 3o3.
Charmettes ( les ). Description de cette campagne près
de Chambéry. Jean-Jacques s'y retire avec madame de
Warens. I, SSg.
Charolois (le comte de). Avec quelle barbarie il traitoit
les paysans. lï , 49 1 •
Chatellt (mademoiselle du), amie de madame de Wa-
reng. Portrait de cette demoiselle ; ses liaisons avec
Jean-Jacques. I, 262, 272.
Chenoxceaux (M. de). Caractère et dispositions de ce
jeune homme. Jean-Jacques est chargé pendant huit
jours de son éducation. II, 28. — Quel service il rend
à Jean-Jacques. II, 201.
Chenoxeaux ( madame de ). Caractère de cette dame.
Avec quelle considération elle traite Jean-Jacques. II,
137. — Elle l'engage à écrire un traité sur l'éduca-
tion. II, 220. — Elle continue ses liaisons avec lui de-
puis sa retraite à la campagne. II , 38o.
Chenonceaux ,*beau château en Touraine ; pour qui bâti ,
par qui possédé. II , log. — Pièces qu'y compose Jean-
Jacques. Ibid.
Chevrette ( la ). Fréquents voyages de Jean-Jacqnes à ce
château. II , 1 1 5 , 221, 222.
Choiseul (le duc de). Témoignage de sa bienveillance à
Jean-Jacques. Opinion de celui-ci sur ce ministre et
sur sa manière de gouverner. II , 455 , 479 ,4^5. — Ce
qui arrive à Jeau-Jacques pour l'avoir loué dans le
Contrat social, 11,494- — Jean- Jacques le soupçonne
636 TABLE
de lui susciter des persécutions en Suisse. Tome I,
page 343 N; II, 619.
Cirque. Voyez Vérone.
Clairailt. Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, 390. — Ju-
gement qu'il porte de VEmilc. II , 4^9.
Closure (M. DE La), résident de France à Genève, de-
vient amoureux de la mère de Jean -Jacques. I, 6.
— Tendre souvenir qu'il on conserve. \ ,?»\(S. — Quels
services il rend à (iaulfecourt. 1 , 34 1. — Son amitié pour
Jean-Jacques. II, 79.
Clôt (madame). Genevoise. Espièglerie que lui fit Jean-
Jacques. 1,12.
CoccELLi (madame), commère de Joan-Jacques. I, 3^8.
— Son mari s'empare d'un mémoire que Jcan-Jac(jues
lui avoit confié. I, 349-
CoiMDET. Ce qu'il étoit; comment il se lia avec Jean-Jac-
ques. II, 379, 38o. — Comment il se conduisif à son
égard relativement à un ancien ami, II, 382. — Quel
étoit son caractère. II, 4'"5 4'ï' — Comment il s'in-
troduisoit chez les amis de Jean-Jacques. II, 4i<^-
Colombier (madame du). A quelle occasion Jean-Jacques
la connut. I, 399.
Colombier, château dans la principauté de Neuchâtel.
Fréquents voyages qu'y fait Jean-Jacques pour voir
milord-maréchal. II, 627.
CÔME (le frère) sonde Jean-Jacques, et lui explique la
nature de sa maladie. II , 4^6. ;
Commères. Voyez Feiu\and et Minard. — Soupçons que
Jean-Jacques conçut contre ceux à qui on donnuit ce
nom. Fondement de ces soupçons. II , 483.
Concerts. Voyez Musique.
(^o.ndamine ( La ). Jugement qu'il porta de V Emile. II , 489.
CoNDiLLAc ( l'abhé DE ). Comment Jean-Jac(pu\s fit con-
noissance avec lui. II , 8. — Leurs liaisons. Jug^emcnt
qu'on a porté Jean-Jac(jues. II, 117, 38G.
CoAD^LLAC. Voyez Madly.
DES MATIÈRES. 63-J
Confessions. A quelle occasion Jean-Jacques a formé le
projet d'écrire les siennes. Tome II, page Sgô.
CoNTi (le prince de). Ses liaisons avec madame Darty.
II , 2.5, 26. — Et avec madame de Boufflers. II, 43g-
-^ Sa bienveillance pour Jean-Jacques. Il lui fait visite
à Montmorency. II , \'i'j. — Sa conduite envers lui lors
des persécutions qu'il éprouve à l'occasion de V Emile.
11,495.
Contrat social. Somme que Jean-Jacques retire de la
vente de cet ouvrage. II , 4^6. — Comment il est ac-
cueilli en France. II , 4^5. ■
CoNziÉ (M. DE ). Étroite liaison dans laquelle il vécut avec
Jean-Jacques. 1 , 342 , S^S.
CoppiÉ (le P.), jésuite. Ses liaisons avec Jean-Jacques. 1,389,
CoRALLiNE. C'est à Jcaii-Jacqucs que le théâtre italien de
Paris a dû la possession de cette actrice célèbre. II, 43.
Corses. Estime de Jean-Jacques pour ce peuple. Il est
char<ijé de présenter des vues sur l'organisation de son
gouvernement. II, 611.
CoRVEzi (M. );, intendant d'Annecy. Portrait de cet hom-
me. 1 , 190. — Sa brouillerie avec M. d'Aubonne_, qu'il
force de quitter Annecy. I, 189.
CoRVEZi ( madame). M. d'Aubonne en devient amoureux.
I, 177. — Suites de cette liaison. I, i8g.
CouvET. La communauté de cet endi'oit donne à Jean-
Jacques des lettres de communier. II, 566.
Cramer ( madame ). Part qu'elle prend dans les querelles
de Jean-Jacqvies avec le ministre Vernes. II, 586.
Créqui (la marquise de). Liaisons de Jean-Jacques avec
cette dame. II, 1 58, 38 1. — Cas particulier qu'il faisoit
d'elle et de son amitié. II , 38 1 .
Crommelin (M.), résident de la république de Genève
en France. Caractère de cet homme. II, 196.
CuuY (M. de), intendant des menus-plaisirs, fait jouer à
la cour le Devin du village. II, i64 , 170.
Cuvillier , acteur de l'opéra , joue un rôle à la première
représentation du Devin du villai^c. W , i65.
638 TABLE
D,
D'Alembert. Commencement de ses liaisons avec Jean-
Jacques. Tonin II, pajije 1 18. — A quelle occasion et
pourquoi celui-ci lui écrit sa Letlrc sur les spectacles.
il , 36o. — Quel service Jean-Jacquos lui rend. II, 429.
— Quel prix il en reçoit. II, 432 — Jujjcnient qu'il
porte de VEniikt II , \'6<^. — Jean-Jacques le soupçonne
de lui avoir soustrait une partie de ses papiers; motifs
sur lesquels il appuie ce soupçon. II , .^45.
D'Alibart, auteur d'un ouvrage sur la botanique. II , i44-
D.v.MESix (M.), écuyer de la princesse de Carij^nan. De
quelle utilité fut sa connoissance à Jean-Jacques. II,
12.
Darax. Quels secours ce médecin administre à Jean-
Jacques dans une maladie grave, et avec quel succès^
n,i4^>,47.
Darty (Tabbé). Jean-Jacques compose pour lui lOraison.
funèbre du duc d'Orléans. II, 483.
Darty ( madame) , sœur de madame Dupin. Portiait de
cette dame. II , 2;), 26.
Dastier (M-), ancien militaire. Singulière manière dont
il s'y prend pour faire connoissance avec Jean-Jacques.
II, 55 1. — Jean-Jacques lui comnmniquc le dessein
qu'il a de passer en Corse. II, 61 3.
D'AuBONNE (M.), parent de madame de Warens ; quel
homme c'étoit. I, 177. — Jugement qu'il porte de Jean-
Jacques. I, 178. — Ses amours avec madame de Cor-
vezi. I, 177. — Quelle en fut la suite. I, 1S9.
DAti'HiNE (madame l.i ). Jugement qu'elle porte d«; lu
ISouvclle IJcïoïse. il , 44'^-
David, musicien. Obligations que lui avoit Jean-Jacques.
11,8.
Defiand (madame nr). Caractère de cette femme bel-
esprit. l'our([uoi elle n'aimoit pus Jean-Jacques, II,
459.
DES MATIÈRES. 689
Déjeuker. Pour quelle raison Jean-Jacques airnoit beau-
coup ce repas. Tome I , page 38o.
Dele\ke, connoissance de Jean-Jacques; entre dans les
tracasseries qu'on lui faisoit. II, 25 1. — Sa conduite à
son égard. II, 260, 358.
De Linant se fait passer pour l'auteur des paroles d'un
motet dont Jean- Jacques fait la musique. II, 3ii. —
Sa conduite envei's lui. II, 329.
Deluc , père et fis. Leurs liaisons avec Jean-Jacques.
Leurs efforts pour l'engager à se fixer à Genève. II,
193, 556.
Denis (madame), nièce de Voltaire. Ses liaisons avec
Jean-Jacques. II, i6i.
Descherny. Ses relations avec Jean-Jacques. II, 353.
Desfontaines (l'abbé), cité à l'occasion du premier ou-
vrage que Jean-Jacques livre à l'impression. II, 18.
Desmahis. Liaisons de Jean-Jacques avec cet écrivain.
Jugement qu'il en porte. II, 386.
Des Rouhns (mademoiselle). Jean-Jacques lui enseigne
la musique suivant son nouveau système. Succès de
cette méthode. II, 18.
Devix bv village; où ébauché. II, 162. — Temps que
met Jean-Jacques à l'achever. II, i63. — Essayé ano-
nyme. Ibid.-^3oué à la cour. II, i65. — Obtient un
succès éclatant. II, 168. — Joué à l'opéra. II, ij4' —
Jalousies que cette pièce excite contre son auteur. II,.
175. — Inutiles elforts de Jean-Jacques pour la retirer
de l'opéra. II, 373.
Deybens (madame). A quelle occasion Jean-Jacques fait
connoissance avec elle. 1 , 346. — Quel service elle lui
rendit. I, 428, 43o.
Dideuot. Par qui Jean-Jacques fait connoissance avec
lui. H, 12. — Leurs liaisons. II , 20, 116. — Cause de
son emprisonnement ; combien Jean-Jacques y est
sensible. II, 119, 120. — Ses efforts pour déterminer
Jean«Iacques à accepter et même à solliciter une pen-
sion de la cour à la suite des succès de son Dciin du
i)^0 TABLE
village. Tome II, page ty2. — Quelle conduite il lient
ultérieurement avec lui. II, 174^ '81, 186. — Son carac-
tère. II, 186, 21 3, 356, 358, 363. — Sa sensibilité pour les
critiques. II, 3o3. — Ses mauvais procéilés pour Jean-
Jacques. Coniinencement de leurs démêlés. II, ?34 ,
260, 267. — Publie le Fils naturel. Semence dure que
Jean-Jacques y remarque. II, 2g5. — Sa réponse à une
lettre amicale de celui-ci. II, 33i. — Suite de leurs
brouilleries. II, 33o, 344- — Jean-Jacques rompt publi-
quement avec lui; à quel sujet. II, 364- • — Sa conduite
ultérieure à son égard. II, 429.
Dijon. Jean-Jacques remporte le prix proposé par l'aca-
démie de cette ville. II, i3i.
DiLLAN (mademoiselle). Portrait de cette demoiselle. II,
5 16.
Dissentions civiles. Jean-Jacques fait serment de ne ja-
mais tremper dans aucune. I , 346. — Son attention
scrupuleuse à tenir cette promesse. II, 547.
DoRTAN (l'abbé). A quelle occasion Jean-Jacques en fit
la connoissance. 1 , 2o5.
DucHAT (la), célèbre marcbande de modes à Paris. Quelle
société se rassembloit cliez elle. II , 112.
DucHESNE, libraire de Paris. Ses relations avec Jean-Jac-
ques. II, 428. — Traite pour le manuscrit de l'I'mile.
Il, 4^^' — Comment il se conduit dans l'exécution de
ce traité. II, 471-
DucLOS. Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, 157. — Servi-
ces qu'il lui rend. II, i63, 373. — Conduite franche et
loyale qu'il tient à son égard. II, 174 , 182, 320. — Té-
moignage public que Jean-Jacques lui donne de son
estime. Il, 175. — Jugement qu'il porte de l'Emile. Sa
conduite en cette occasion. II, 472.
DucoMMUN (M.), graveur à (Jenève. Jean-Jacques est mis
en ap|irentissage chez lui. 1 , 45.
Dt'cnET (Michelli). I"in inalhenreuso de cet homme cé-
lèbre. 1 , 347, 348.
DuoniNG, nom an^lois «nu- prit Jcan-Jaccjues dans une
DES MATIÈRES. 6/[l
circonstance où il ne vouloit pas dire le sien. Tome I ,
page 4oi. — Correspondance sous ce nom. I,4i4-
DuDOYER (M.), caissier de M. de Francueil. Espèce de
service qu'il rend à Jean-Jacques. II, i38.
DuPiN (M.), fermier -général. Comment il obtint cette
place et sa femme. II, 26.
DupiN (madame). Portrait de cette dame; ses sociétés.
Jean-Jacques est introduit chez elle, en devient amou-
reux, écrit, reçoit une réponse qui le glace, et conti-
nue d'être reçu dans sa maison. II, 26 et suiv. — Ce
qu'elle pense de ses talents, et quelles vues elle a sur
lui. II, 107. — Elle l'occupe en qualité de secrétaire.
II , 108. — Lui fournit des secours pour se mettre dans
ses meubles avec Thérèse Le Vasseur. Il , 126. — L'en-
gage à faire l'extrait des ouvrages de l'abbé de Saint-
Pierre. II, 216. — Fait à Thérèse Le Vasseur et à sa
mère un grand nombre de cadeaux. II, 234. — Jean-
Jacques continue de la voir depuis sa retraite à la cam-
pagne. II , 38o.
Dupont, secrétaire de l'envoyé de France à Gênes. Ses
liaisons avec Jean-Jacques. II , 3G.
Durand, libraire de Paris. Traité qu'il fit avec l'abbé de
Condillac pour son premier ouvrage. II, 117.
DuvERNois (mademoiselle). Caractère de cette fille. Com-
ment elle contribua à faire faire à Jean-Jacques le De-
vin du F^i liage. II, 162.
Du ViLLAUD, libraire genevois. Bon office qu'il rendit à
Jean -Jacques. II, 79, 80.
DuviviER (M.), Lyonnois. Comment il fut, sans le vou-
loir, la cause d'un malheur qui arriva à Jean-Jacques.
I, 334, 335.
Du Voisin. Ses relations avec Jean-Jacques. Ce qui lui
arrive à l'occasion du manuscrit du Contrat social. II ,
466.
14.
642 TABLE
E.
Eacbonne. a quelle occasion ce lieu est devenu mémo-
rable pour Jean-Jacques. Tome II , pajje 268,
Échelle (Pas de I'). Voyez. Chailles.
Échecs. Passion de Jean-Jacques pour ce jeu ; combien
il se donne de peine pour l'apprendre. I, 354; ÏI? ^79.
— Il y joue avec le prince de Conti. II, 438.
EGMo^T (le comte et la comtesse d') présents à une lec-
ture des Confessions. II , 624. — Émotion que cette
lecture cause à la comtesse. II, 625.
Emile. Madame; de Luxembourg se charç^e de faire im-
primer cet ouvrage. Il, 424? 4^^ ? 4^^- — Quelle part y
prend M. de Malesherbes. II, 425,479- — A quelles
conditions Jean-Jacques en cède la propriété. II, 466.
— Lenteurs de l'impression. II, 471, 476- ■ — Pressenti-
ments sinistres qui tourmentent Jean-Jacques pendant
ce temps. II , !\']'i. — Quel accueil éprouve cet ouvrage.
H, 489. — Orages contre son auteur. II, 492. — Persé-
cutions qui en sont la suite. II , 499' •'^'6, 517, etc.
ÉACïCLOPÉDiE. Jean-Jacques y travaille. II , 1 18. — Quelle
fermentation cause la publication de cet ouvrage. Jean-
Jacques tente de rapprocher les deux partis. II , 263 ,
264.
Enfants. Jean-Jacques fait mettre les siens aux Enfants-
trouvés. II, 112, ii3. — Motifs de cette résolution dé-
duits. II, ii3, i33, 523. — Regrets qu'il en éprouve. II,
523. — Pourquoi néanmoins, lorsque madanu^le Lu-
xembourg en fait cliercber un pour le retirer, il n'est
que médiocren)ent fâché de ce qu'on ne peut venir a
bout de le retrouver. II , 463.
Enfants-trouvés. Mauvais ordre dans les registres de cet
étal>lissem(Mit. Il . 463.
ExiiiiEN. Voyez. Montmorency.
Épagn\ ( madame d' ). Témoignage qu'elle rendoil d»
jngf-magc d'Annecy. I, 2->j.
DES MATIÈRES. 643
Êphraïm. Voyez Lévite.
Épinay (M. d'). Ses liaisons d'amitié avec Jean-Jacques.
Tome II, pages ii4, 367, 871. — Quelle opinion il
avoit de ses talents en musique. II, cJio.
Épinay ( madame d' ). Commencement de ses liaisons
avec Jean-Jacques. II, ii3, 114. — Elle lui fait con-
struire et préparer une habitation à l'Hermitage. II,
197. — Leur amitié devient intime. 11,222, 266. — Ce
qu'on en pense dans le public. II , 363. — Quelle con-
duite elle tient ensuite avec lui. II, 282, 286, 3 12. —
Caractère de cette dame. I, ii4î 221, 222, 3i2, 317,
820, 327. — Sa rupture avec Jean-Jacques. II , 344 1 352»
Ette (mademoiselle d'). Caractère de cette demoiselle.
11,114.
Étude. Diverses méthodes que suivit Jean-Jacques avant
de parvenir à étudier avec succès. I , iyS , 382.
EucLiDE. Jugement de Jean-Jacques sur les ouvrages de
cet auteur. 1 , 382.
Expérience de physique. Voyez physique.
F.
Fagoaga. Liaisons de Jean-Jacques avec cet Espagnol.
II , 66.
Fagon , premier médecin de Louis XIV, Ses connoissan-
ces en botanique. II, 6o3.
Fanatisme dévot, peut se réunir quelquefois avec le fa-
natisme athée. Comment et dans quelles circonstances.
11,478.
Favria (le comte de) veut faire monter Jean-Jacques der-
-rière son carrosse. I, i46. — A quoi il l'occupe. IbicL —
Service important qu'il veut lui rendre quelque temps
après. I, i58.
Feins (M. de). A quel propos il va rendre visite à Jean-
Jacques dans sa retraite de iMotiers-Travers , II, 55o,
55i.
Fel (mademoiselle). Grimm devient amoureux de cette
4'.
644 TABLE
actrice; singulière aventure qui en est la suite. To-
me II , page i54- — Elle joue dans le De^in du village
à la première représentation de celte pièce à Fontai-
nebleau. II, i65.
FiiMMES. Quels appas Jean-Jacques aimoit en elles. II,
224. — Pourquoi elles l'aimoient après la publication
de la Nouvelle Héloïse. II , 44^-
FÉNÉLOS. Jugement de Jean-Jacques sur cet auteur du
Tcléniaque. 1 , 367 , 564-
Ferrand. Portrait de cet bonime ; ses liaisons avec Jean-
Jacques. II, 378.
Filles publiques. Jean-Jacques en va voir deux à Venise.
11,68. — Ce qui lui arrive cliez la seconde. II, 72 et suiv.
FiNOCHiETTi (le cointe de). Considération qu'il avoit pour
Jean-Jacques. II, 61.
FiTZ-Mouis. Ce que c'étoit que ce médecin. A quelle oc-
casion et avec quel succès Jean-Jacques se mit en
pension chez lui. 1 , 4i3.
FizEs(M. ). Jean-Jacques va à Montpellier consulter ce
docteur. I, 398, 4i3.
Foi. Pourquoi elle doit être plus vive chez les solitaires
et les campagnards que chez les habitants des villes.
11,601.
Follau (M.), secrétaire d'ambassade à Venise, et prédé-
cesseur de Jean-Jacques dans cette place. II , 33.
Fontaine de héron. Espérance de fortune fondée sur ce
joujou d'enfant. 1 , 159. — Comment évanouie. 1 , 161.
Fontenelle. Agréable connoissance de Jean-Jacques, qui
en reçoit de bons conseils. II , 8.
FORCADE (M. de). Cité. II. III.
FoKCALQiiF.R (la couitessc de). Dans quelle société Jean-
Jaccjues la connut. II, 27.
F'oRMEY (M.). Quelles furent ses relations avec Joan-
Jacques. II , 433.
FoLCHY (M. de). Est nommé commissaire par l'académie
des sciences pour examiner le l*rojet de ^lusique de
Jean-Jacques. II, iV
DES MATIÈRES. 645
FotRMONT (M. de). En quelle société Jean-Jacques le
connut. Tome II, page 27.
François. Portrait qu'en fait Jean-Jacques. 1 , 255. — Ju»-
jement qu'il en porte, I, [\ii. — Motifs de la prédilec-
tion qu'il a toujours eue pour eux. 1 , 291 , 292. —
Souhait remarquable. I, 292. — Combien il a eu à s'en
plaindre. II, 517.
Francoeur. Son origine. Gomment on l'appeloit. Quelle
part il eut à l'exécution des opéra de Jean-Jacques. Il,
96, 164.
Francueil (M. de). Commencement des liaisons de Jearv
Jacques avec lui. II, 28. — Anecdote de l'opéra. I, 58.
— Ses vues sur Rousseîm. Services qu'il lui rend, ir,
108, ii4, 126. — Fait des changements à la musique
du Devin du village. II , i65.
Francueil (madame de). Portrait de cette dame. Ses liai-
sons avec Jean-Jacques. II, 28, 11 5,
Frédéric, roi de Prusse. Voyez Prusse.
Fréron. Usage qu'il fait d'un certificat donné par Jean-
Jacques au sujet d'un prétendu miracle. I, i9;2.
Frièze (le comte de). Cité. U, i25, i53, 3x9.
G.
Gages ( le comte de). Savante manœuvre de guerre de
ce général. II, 5i.
Gaime ( M. ). Portrait de cet honnête ecclésiastique.
I, 142. — Service qu'il rend à Jean-Jacques. I, i43.
— L'un des originaux du vicaire savoyard. I, i44'
— Voyez Gatier. ,
Galley (mademoiselle). Agréable rencontre que Jean-
Jacques eut avec elle. I, 214. — Suites de cette rencon-
tre. I, 2i5. — Comment finit la liaison. I, 219.
Gard. Voyez Pont.
Gase (M. de), président au parlement de Bordeaux.
Quelles furent ses liaisons avec Jean-Jacques. II, 12.
Gatier. Caractère de ce jeune ecclésiastique. U se charge
646 TABLE
d'instruire Jean Jacques pendant son séjour au sémi-
naire. Tome I, pages 187, 188. — Ce qu'il devient. I, 189.
Gauffecourt. Ce qu'il étoit; ses bonnes fortunes. I, 34o.
— Ses liaisons intimes avec Jean-Jacques. Services qu'il
lui rend. II, 79, 90, io3. — (Conduite odieuse et basse
qu'il tient ensuite à son éf;ar(l. II, 188. — Cela n'em-
pêche pas Jean-Jacques de lui rendre service par la
suite. II, 3o4-
Gacssin ( mademoiselle), joue un rôle dans le Narcisse
de Jean-Jacques. H, i83.
Gautier, Genevois. Suite de son démêlé avec le père de
Jean-Jacques. I, i5.
Gautier de Nancy. Ses querelles littéraires avec Jean-
Jacques. Quel en fut le résultat. Il, 1^7.
GÊNES. Jean-Jacques est obligé d'y faire une quarantaine
au lazaret. II, 34.
Genève , patrie de Jean-Jacques. 1,4* — A quelle époquo
il quitte cette ville. I, 64. — Il y retourne; rentre dans
la religion protestante (ju'il nvoit quittée, et dans ses
droits de citoyen. II, 191. — L'accueil qu'il y reçoit lui
fait prendre la résolution d'y fixer sa demeure pour le
reste de ses jours. Il, 193. — Il renonce ensuite à ce
dessein à cause du mauvais accueil fait par le conseil
de cette ville a sou Discours sur l'inc^alitc , qui lui est
dédié. II, 196,501. — (Conduite de ce même conseil après
la publication de VÉniiie. II , 5i6. — Situation de cette
ville après le décret lancé contre Jean-Jacf(ues. II , 547.
— Il renonce à son droit de b()urgeoi,-»ic.II,548. — t^urllo
conduite tient le conseil à son égard après la publicaliou
des Lettres écrites fie la montagne. II , S-jo, etsuiv.
'Céométrif. Comment Jean-Jac<jues apprit cette scienct^,
1 , 387..
Gessneh. Jean-Jacques entreprend un poëme à son iniil;»-
tioD. II, 5io.
G1RARD1ER (madame). Met Jean-.îacques en possession
d- son logement it Mniiers. II, Sai. — Elle se range
ensuite au nombre «le ses persécuteurs. Il, 583.
DES MATIÈRES. 647
GiRATTD (mademoiselle). Ce qu'elle étoit. Tome I, p. ii-i
— Son inclination pour Jean-Jacques; Ibid. — Il veut
l'employer à servir l'amour qu'il sent pour une autre.
I, 226. — Quel parti elle prend à cette occasion. I, 22/.
Godard ( le colonel ). Ses procédés avares envers Jean-
Jacques. I, 256. — Épître satirique en vers que celui-ci
lui adresse par la poste. 1 , 267.
GoDEFROY. Caractère de cette femme; ses liaisons avec
le [chirurgien Parisot de Lyon, ami de Jean-Jacques.
11,9-
GoLDONi. Reproche fait à Diderot d'avoir pillé dans le
théâtre italien de cet auteur sa pièce du Fils naturel,
II, 3o3.
GoNTAUT (le ducDE). Balourdise échappée à Jean-Jacques
en sa présence. I, i83.
GoTON ( mademoiselle). Amour de Jean-Jacques encore
enfant avec cette jeune personne. I, 3c).
Goui\ ( mademoiselle ). Quel service elle rendit à Jean-
Jacques. II, ii3.
GouvoN ( le comte de ). Jean-Jacques entre chez lui en
qualité de laquais. I , i^5. — Il le traite avec bonté , et
veut travailler à son avancement. I, i5i , 132.
GouvoN ( l'abbé DE ), prend en amitié Jean-Jacques et lui
sert de précepteur. I , i:r2. — De quelle manière Jean-
Jacques le quitte. I, i58 , iSg.
Graffenried ( mademoiselle de ). Ce qu'elle étoit; agréa-
ble rencontre que Jean-Jacques eut avec elle. I, 214.
— Suites de cette rencontre. I, 21 5. — Comment finit
cette liaison. 1 , 219.
Graffenried (M, de), père de la précédente, chargé
d'intimer à Jean-Jacques Tordre du sénat dt; Berne qui
l'expulse del'île de Saint-Pierre. Il, 60g, 610.
Graffm^ny ( madame de). Quels bruits cette femme au-
teur répand relativement à Jean-Jacques et à Diderot.
II, 3o3.
Granvai. (mademoiselle), cumédien«e , joue un rôle
dans le Narcisse de Jean-Jacques. II, i83.
648 TABLE
GnAviLiE ( le commandeur de). Caractère de cet homme;
dans quelle maison Jean-Jacques fait sa connoissance.
Toine II;, page i lo.
Griffet (le p.), jésuite. A quelle occasion il cause des-
inquiétudes à Jean-Jacques. II, [\ — .
Grimm. Commencenientdeses liaisons avec Jean-Jacques.
II , 121. — Ils deviennent intimes. II , i25 , 129. — Faus-
seté dans Tamitié de Grimm. II, i53. — Étrange mala-
die dans laquelle le jette un désespoir amoureux. II,
i54. — Comment il en use avec Jean-Jacques. II, i55,
173, 181, 186,234, 284, 3o5, 3t2, 3-i3. — Caractère
de cet homme. II , 3i5. — Sa morale. II ,317. — Sa sen-
sihilité. II,3i8. — De quelle nature étoit son amitié.
II, 319. — Jean-Jacques prend la résolution de rompre
avec lui; madame d'Epinay veut les rapprocher; ce qui
se passe entre eux. 11,322. — Continue ses mauvais
procédés. II, 333, 339. — Rompt brusquement avec
Jean-Jacques; effets de cette rupture. II, 34^. — Com-
ment il s'y prend pour faire entrer Diderot et le baron
d'Holbach dans ses projets de vengeance. II ,357. — Ses
liaisons avec la mère de Théi'èse Le Vasseur ; il lui
paye pension. II , 377 , 464-
Gros ( M. ). Portrait de ce prêtre. I, i85. — Il se cl»arge
d'instruire Jean-Jacques , et de le rendre propre à l'état
ecclésiastique. Ibid.
Grossi (M.), proto-médecin à Chambéry. Portrait da
cet homme ; ses liaisons avec madame de Warens.
1 , 326. — Singulière réponse qu'il fait à une invitation
de dîner. 1 , 327.
Guérin , libraire de Paris. Ses liaisons avec Jean-Jacques»
II, 375. — Sa conduite relativement à VEmile. II, 472-
— Soupçons de Jean-Jacques contre lui. Il, 477-
GiUGNKS ( INI. r» ). Jugement qu'en portoit J. J. H , 390.
Guy associé du libraire Durhesnci sa conduite envers
Jean-.Iacques relativement à l'impression de YEmile.
II, 472 , 47(^1 497- — Sujets de plainte de Jean-Jacques
contre lui. Il , 585.
DES MATIÈRES, 649
H.
Harlem. Voyez Balexsert.
Hellot, l'un des commissaires chargés par l'académie
des sciences d'examiner le Projet de musique de Jean-
Jacques. Tome II , page i4-
Héloïse { la Nouvelle ). Comment Jean-Jacques forma le
plan de ce roman. 11,247, 254- — Jugement qu'en
porta Diderot. II,3o4. — Ce qu'en pensoit Jean-Jacques.
II, 262 , 263 , 268, 3o4 , 444 6t suiv. — Succès étonnant de
cet ouvrage. 11,442- — Jugements divers qu'on en porta
dans le public. II, 444-
HELVÉTits , médecin, traite sans succès Jean-Jacques
dans une maladie. II , i46.
Hemet ( le P. ). Caractère de ce jésuite ; ses liaisons avec
Jean-Jacques. I, SSg.
Héxault ( le président ). Pourquoi il n'aimoit pas Jean-
Jacques. II , 458.
Hermitage. ( r ). Madame d'Épinay y fait construire et
préparer une habitation agréable et commode pour
Jean-Jacques. II, 197. — Elle l'y installe. II, 209.
— A quelles occupations il se livre dans cette retraite.
II, 211. — Pourquoi il la quitte. II, 348.
Hervey ( milady ). Dans quelle société Jean-Jacques la
connut. II , 27.
Holbach (le baron d'). Ce qu'il étoit ; ses liaisons avec
Jean-Jacques, II, i53 ,_ i56. — Sa conduite envers lui.
II, 174 et suiv. — Mauvais traitements qu'il lui fait en-
durer ; rupture. II , 1 8 1 , 1 82. — Son caractère. II , 356v
— Se ligue avec les ennemis de Jean-Jacques, et cette
ligue porte le nom de Coferie Holbachiffut ou de Holba-
chiens. II, 206, 260, 282. — Jean-Jacques va le voir à la
sollicitation de Diderot; quel accueil il en reçoit. Il, 3o5,
Holbach (madame d'). Caractère de cette femme; sa
conduite envers Jean-Jacques. II, 182. — Accueil froid
quelle lui fait à sa dernière visite. II, 3o5.
C5o TABLE
IIoi-BACiiiExs. Voyez Holbach.
Hôpital ( le marquis (Icl'). A quelle occasion Jean-
Jacques eut correspondance avec lui. Tome II, page 5 1 .
Hospice des Catéchcmènes à Turin. Jean-Jacques ventre
pour être instruit dans la religion catholique. 1 , 92.
— Quelle espèce de prosélytes il y rencontre. I, 93.
— Conférences pour parvenir au but proposé. I, loi.
— Aventure dégoûtante. I, io3.
Hot'DETOT ( le comte d' ). Ce qu'en pensoit Jean-Jacques.
II, 270. — Dans quelle circonstance il le rencontra
H, 369.
IIoLDETOT ( la comtesse d' ). Commencement de ses liai-
sons avec Jean-Jacques. II, 116, 256. — Portrait de
cette dame ; Jean-Jacques en devient cperdument
amoureux. II, 269. — Quelle conduite elle tient avec
■ lui. II , 272. — Son refroidissement à son égard. II , 3o8.
— Ce que deviennent leurs liaisons. II, 826, 334, 336,
359, 362,369,370, 4^7, 44^'
Hubert ( l'abbé ). Quel tort il fit à Jean-Jacques sans le
vouloir, II, io3.
IIi'ME. Opinion de Jean-Jacques sur cet écrivain ; leurs
relations. II , 58o.
Hfssox, joueur d'échecs, avec lequel Jean-Jacques fait
connoissance. II, 21.
I.
Inquisition. Jean-Jacques y reçoit l'absolution du crime
d'hérésie. I, 108.
IvEHNois (M. d') de Genève. Quels éclaircissements 11
donne à Jean -Jacques. II, /\ç)2. — Singulière et en-
nuyeuse assiduité de cet homme auprès de Jean-Jac-
ques. II , fiSi .
ÏVEHNois (M. d'), procureur-général <le Neurhâtel. Il se
range ouvertement avec son fds dans le parti des per-
sécuteurs de Jean-Jacques. II, 583.
IvERXois ( Isabelle d'). Jean-Jacques se lie avec elle d'une
DES MATIÈRES. 65l
amitié particulière. Tome II, page 534-— Présent de
noces qu'il lui fait ainsi qu'à sa sœur, et à quelle condi-
tion. 11,535.
Jacqueline , gouvernante de Jean-Jacques dans son en-
fance. 1 , 8.
Jalabert, professeur à Genève. II, 194.
JÉLYOTE. Quel service il rend à Jean-Jacques. II, loy.
— Quelle part il prend à la représentation du Devin du
village. II, i65.
JÉSUITES. Quels étoient les sentiments de Jean-Jacques à
leur égard, I, 389; II, 83. — Soupçons contre eux.
11,477-
JoNviLLE ( M. de),. envoyé de France à Gênes; ses rela-
tions avec Jean-Jacques. II, 35 , 52, 383. — Caractère
de cet homme ; pour quelle raison Jean-Jacques cesse
de le voir. 11,383, 384»
Journal des sava>'ts. Jean-Jacques refuse d'en être un
des rédacteurs. II , 390.
JuiGNÉ (le marquis de), présent à une lecture des Coij^
fessions. II, 624.
K.
Keith ( milord ). Voyez Maréchal,
Kingston ( le duc de). Cité. II, 25.
KiRKEBERGHER va voir Jean-Jac(jues à l'île de St. -Pierre;
dans quelle occupation il le trouve. II , 6o5. — Leurs
liaisons. II, 619. — Accompagne Jean-Jacques jusqu'à
Bienne. II, G21.
Klupffell, chapelain du prince de Saxe-Gotha. Ses liai-
sons avec Jean-Jacques. II, 121. — Singulier amuse-
ment qu'il lui donne à la suite d'un souper. II, 12g.
C53 TABLE
Lac de Bienne. Voyez Isle de Saint-Pierre.
Lac de Genève. Pourquoi Jean -Jacques a préféré ses^
Lords pour y placer les personnages de sa Nom-eile
Heloïse. Tome I, page 241 ; II, 255.
Lalial'd. Ses liaisons avec Jean-Jacques : il se montre très
officieux envers lui. II ,353.
Lambercier ( M. ). Jean-Jacques est lais en pension chez
ce ministre. I , i5.
Lambercier (mademoiselle), sœur du ministre, concourt
à l'éducation de Jean-Jacques. I, 18. — Lui inflige un
châtiment d'enfant qui produit un effet contraire au
but proposé. I, 19. — Et ce châtiment décide de ses
goûts pour la vie. 1 , 20.
Lambert. ( madame). Citée. II, 379.
Lami (le P. ), oratorien. Combien la Icrteure de ses ou-
vrages fut utile à Jean-Jacques lorsqu'il commença de
se livrer à l'étude des sciences. 1 , 3^2 , 382.
Lamoignon ( le président de ). A quelle occasion Jean-
Jacques en fait la connoissance. Il, 23.
Lamoignon (le chancelier de). Ses liaisons avec les jé-
suites. II , 478.
Lamoignon. Voyez Malesherbes.
Langue latine. Comment Jean-Jacques parvint à l'ap-
prendre seul. 1 , 383.
Lanove , comédien , fait recevoir au théâtre François le
Narcisse de Jean-Jacques. II, i83.
Lard ( mademoiselle ), écolière de Jean-Jacques pour la
musique. Portrait de cette demoiselle. I, 3o4.
Lard (madame), mère de la précédente; caractère de
eette femme. I, 3o5. — Son portrait et celui de sou
mari. Ihid.
L.vRNAGE ( madame de). Rencontre que Jean-Jacques fait
de celte dame. 1 , 399. — Il en devient amoureux. Ibid.
— Suites de cette aventure. 1 , 4o3. — Portrait de cette
DES MATIÈRES. 653
Femme. Tome I , page 4o5. — Jean-Jacques renonce à
elle. I, 417-
Laroche, valet-de-chambre de madame de Luxembourg,
chargé par elle de faire la recherche d'un des enfants
de Jean-Jacques pour le retirer des Enfants-trouvés.
II, 463. — Il est aussi chargé d'expédier à Jean-Jacques
ses papiers après sa fuite. II, 545.
Laroquei^Ic comte de), neveu de la comtesse de Vercellis.
1, 12g. — Ce qu'il fit pour Jean-Jacques. I, i3i, i34, i\S.
Latour (la comtesse de). Dans quelle société Jean-Jac-
ques la connut. I, 336.
Latocr-du-pin. Voyez Montauban.
Lausanjje. Séjour de Jean-Jacques dans cette ville; il y
fait ses premiers essais de musique , et avec quel succès.
I, 233, 234.
Lautrec ( le comte de ). Avantages que Jean -Jacques a
retirés de sa connoissance et de ses promesses. I, 338.
Lauzun (la duchesse de). Combien elle éloit aimable
dans sa jeunesse ; ce qui arriva à Jean-Jacques à son
occasion. II , 426 et suiv.
Lazaret de Gênes. Jean-Jacques y fait une quarantaine.
Description de ce lieu. II, 34.
Leblond ( M. ), consul de France à Venise durant le séjour
de Jean-Jacques en cette ville. Leurs relations. II, 36,
44 , 48 , 60 , 62 , 65. — Fait un voyage à Paris. II , 38'j.
Leduc (Goton). Caractère de cette fille. II, 106.
LÉGAL ( M. DE ), joueur d'échecs de la connoissance de
Jean-Jacques. II, 21.
Legs. Voyez Testaments.
Le Maître (M.), maître de musique de la cathédrale
d'Annecy. Jean-Jacques est mis en pension chez lui.
I, 193. — Caractère de cet artiste. I, 200. — Quitte
brusquement sa place; Jean -Jacques l'accompagne
dans sa fuite ; puis l'abandonne à Lyon. I, 2o5. — Quel
malheur il éprouve ensuite. I, 209.
Lenieps. Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, 16 1.
Léon (l'abbé de), depuis chevalier de Rohan ; l'une des
654 taëLE
premières connoissauces de Jean-Jacques à Paris. To-
me II , page 12. — Le prend en amitié , et désire Tavoir
pour secrétaire. II, i3.
Lespinasse ( mademoiselle de ). Pourquoi elle n'aimoit pas
Jean-Jacques. II , 459-
Lettres-de-cacuet. Voyez Bastille.
Lettres écrites de la campag?«e. A qu^elle occasion elles
parurent ; quel en étoit l'auteur. II _, 549-
Lettres écrites de la moktagne. Jean-Jacques les publie
en réponse aux Lettres écrites de la campagne. II , 502.
— ElFet qu'elles produisent. II, 569 et suiv. — Persé-
cution qu'il éprouve à ce sujet. — II , 672.
Le Vassecr (M.), père de Thérèse; caractère de cet
lionnne. Il , 1 27. — Jean-Jacques le fait placer dans un
linpital où il jneiirt. II, 200, 201.
Le Vassevk (madame), mère de Thérèse ; caractère de
cette femme. II, 127, i5i. — Désa(];rémcnts qu'elle
cause à Jean-Jacques dans son ménage. II, i5i. — Ses
mauvais procédés envers lui ; elle se ligue avec ses en-
nemis. II, 234» 320, 347. — Jean-Jacques la renvoie à
Paris. îl , 349- — Elle y continue ses liaisons avec les
ennemis de Jean-Jacques, et reçoit d'eux des secours/
11,377,464.
Le Vasselr (Thérèse), maîtresse, puis fcninu^ de Jean-
Jacrjues. Ce qu'elle étoit; commenceujtaii de leur liai-
son. II, 89. — Scrupule qui la retarde. II, 91. — Ce
que deviennent leurs enfants. H, 1 13. — Caractère de
cette femme. Il, 92, 93, 127 , i3o, i5i , 228, 233, 469-
— Les amis de Jean-Jacques chtrchcnt à la dt'larher
de lui. II, 1/3, 174. — (jaulfecourt tente delà séduire.
II, 188. — Caractère de l'attachement de Jean-Jacques
pour elle. Il , 2>.7 , 469- — Quelles preuves elK> lui
donne du sien lorsqu'il est obligé de sortir de l'rauce.
II, r)o3. — Sou refroidissement pour lui ; causes de ce
changement. II , 622. — Elle va le joiniire dans sa re-
traite. II , 524*
DES MATIÈRES. 655
LÉVITE d'Éphraïm. a quelle occasion Jean -Jacques com-
pose un poème sur ce sujet. Tome II, page 5io.
Libraires. Ce que pensoit Jean-Jacques de ceux de Paris.
11,117.
LiNNiEUS. Jean-Jacques étudie les ouvrages de ce savant
naturaliste suédois ; jugement qu'il en porte. II, 602.
LivE (M. DE La ). Cité. II , Syi , 386.
Livres obscènes. En quoi une belle dame les trouvoit in-
commodes. 1,61.
LoBKowiTz ( le prince de ). Ses opérations militaires en
Italie. II, 5i.
LoLME (M. de), avocat. Quel service il rend à Jean- Jac-
ques. II, 104.
LoisGUEViLLE (madame de). Comparaison de cette prin-
cesse avec madame de Warens. 1 , 77.
Lorexza (la dame), vieille intendante de l'hospice des
catéchumènes à Turin. I, io5, 107.
Lorenzy, intendant de madame de Vercellis. Relations
forcées de Jean-Jacques avec lui et sa femme. I, 129,
i3i , i32.
LoREAZT ( le chevalier de ). Ses liaisons avec Jean-Jacques.
II , 389 , 399 , 438 , 439. — Cité. II , 456 , 46 1 , 467.
LoYSEAU DE Mauléox (M.). Scs liaisons avec Jean-Jacques,
qui l'encourage à son début dans la carrière du bar-
reau. II, 374.
LuDwiG. Jugement de Jean-Jacques sur ce savant natura-
liste. II, 602. •
LuLLiN , professeur à Genève. Ses liaisons avec Jean-Jac-
ques. II , 194.
LuNEL. Voyez Pont.
LuTOLD, musicien, donne des consolations à Jean^Jac-
ques après le mauvais succès de son concert de Lau-
zanne. 1 , 238.
Luxembourg ( le comte de). Causes de la mort de ce jeune
homme. II , 45o.
Luxembourg (le maréchal duc de). Commencement des
liaisons de Jean-Jacques avec ce seigneur. II, 398 , 399.
656 TABLE
— Étroite amitié <^ui se forme entre eux. Tom. II, p,4ot,
4o4. — Caractère de cet homme estimable. II, 4 1 1 . — Sin-
cérité de son attachement pour Jean-Jacques. II, ![io ,
424, 449» 466, 486. — Il perd sa soeur et ses enfants.
II, \bo. — Sa conduite envers Jean -Jacques pendant
les orages que lui occasione la publication de V Emile.
II, 494 1 5oi , 5o3. — Avec quels regrets mutuels se fait
leur séparation lorsque Jean -Jacques est obligé de
quitter la France. II , 5o6. — Son absence le refroidit
à son égard. II, 56'i. — Causes de sa mort. II, 4^'' —
Combien Jean-Jacques y est sensible. II, 562.
Luxembourg ( madame de ). Commencement de ses liai-
sons avec Jean-Jacques. II, 398, 899. — Opinion qu'il
avoit d'elle auparavant. II, 899. — Elle le prend en
amitié. II, 4oo. — Ce qu'il éprouve en sa compagnie ;
caractère de cette dame. II , 404 , l\oS , 409- — I^^r
quelle gaucherie il s'attire son ressentiment. I, i83 ;
II, 409,421 , 4^2. — Services qu'elle lui rend pour l'im-
pression de VEmile. II, 426. — Elle se refroidit à son
égard. II, 44^, 4^3. — Ses bontés pour Thérèse Le Vas-
seur. II, 462. — Elle fait rechercher un des enfants de
Jean-Jacques pour le retirer des Enfants- trouvés. II,
403. — Mouvements qu'elle se donne pour avancer
limpression de VEmilc. II, 480. — Comment elle se
conduit avec Jean -Jacques lors des orages qu'excite
contre lui la publication de cet ouvrage. II, 49-^ , 499-
— Quels témoignages d'amitié elle lui donne lorsqu'il
se sépare d'elle , II , 5o5. — Son changement à son
égard. II , 563. — Soupçons de Jean-Jacques contre elle
au sujet de la soustraction de ses papiers. H, 54^-
Lyon. Séjour de Jean-Jacques dans cette ville ; aventure
qu'il y éprouve. 1 , 263. — Jugement (ju'il porte de ses
habitants. 1 , 1.6-. — Il y est charge de l'éducalion des
enfants de M. de Mably. 1 , 428.
DES MATIÈRES. ÔSy
M.
Mably (l'abbë de ). Bons offices qu'il rend à Jean-Jacques.
II, 8 . — Leurs liaisons. II, 20, 216, 386. — Il devient
ensuite son ennemi, et écrit contre lui. II, 566, 667.
— Conduite de Jean-Jacques. II, 667.
Mably (M. de), grand prévôt à Lyon, confie l'éduca-
tion de ses enfants à Jean-Jacques. 1 , 428. — Conserve
pour lui de l'amitié après qu'il a quitté cet emploi. 11,8.
Mably (madame de), entreprend de former les manières
de Jean-Jacques , qui devient amoureux d'elle. 1 , 43o.
Maine ( duchesse du ). Comment elle se vengea de l'abbé
de Saint-Pierre. II, 242.
Mairan (M. de) est chargé par l'académie des sciences
d'examiner le système de musique de Jean -Jacques.
II, 14. — Quel jugement il porte d'un autre écrit de
cet auteur. II, 196. — Ses liaisons avec lui. II, 386, 390.
Maîtresses. Qualités sur lesquelles Jean-Jacques régloit
son choix et déterminoit sa préférence. 1 , 212 ; II , 224.
Malesherbes ( M. DE ). Liaisons de ce magistrat avec Jean-
Jacques ; quels témoignages d'amitié il lui donne. II ,
387, 389. — Services qu'il lui rend. II, 4^5, 465. —
Quelle part il prend à l'impression de VEmile. II, 4''8,
479, 4^*^ 5 48 1. — Il fait redemander à Jean-Jacques ,
au moment où cet ouvrage paroît, les lettres qu'il lui
avoit écrites à ce sujet. II, 488.
Malouin (le médecin) traite Jean-Jacques sans succès.
II, i46.
Maltor (M. de). Estime particulière de Jean-Jacques
y)our ce curé de village. II , 375.
Mandard (le p.), oratorien. Ses liaisons avec Jean-Jac-
ques. II , 498.
Marcet de Mézières. Ses liaisons avec Jean-Jacques ; ju-
gement (jue celui-ci en porte. II, 194.
Marcocssis. Agréables promenades que faisoit J. J. chez
le vicaire de ce village, et avec qui. Il , 158, iSg.
14. 42
658 TABLE
Maréchal ( miloi'd-). Son caractère; liaisons de Jean-Jac-
ques avec lui. Tome II, page ^)2^. — Son portrait. II,
628. — Leur séparation et leurs projets tle réunion ,
qui demeurent sans effet. II , 565. — Offre un asile à
Jean-Jacques dans ses terres d'Ecosse , ou auprès de
lui à Postdam. II , Sqi . — Lui fait une pension viagère.
II , 595.
Marge>cy (>I. de). Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, i8a,
285, 386, 389, 390, l\iS.
Mari (le marquis), ambassadeur d'Espagne à Venise.
Ses liaisons avec le comte de ÎMontai[;u , ambassadeur
de France dans la même ville. II , 39 , 43. — Son ami-
tié pour Jean-Jacques. II, Gi.
Marianne (M. de), dépositaire d'un des prcmicrb essais
littéraires de Jean-Jacques. I, 25i.
Maiuon , jeune cuisinière de la comtesse de Vercellis , ca-
lomniée par Jean-Jacques. I, i32. — Remords de celui-
ci. I, 134.
Marivaux. Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, 20.
Maumontel. a quelle occasion il connoît Jean-Jacques ;
pourquoi il devient son ennemi. H, 3j2.
Martinet, châtelain du Val-de-ïravers. Ses liaisons avec
Jean-Jacques. II, SaS.
Martinière (M. de La), secrétaire d'aujbassade à Soleure,
présage à Jean-Jacques sa célébrité l'uture. I, 25o.
Masseron ( m. ) , greffier. Jean-Jacques est mis en appren-
tissage chez lui , et n'y reste pas long-temps. 1 , 44-
Mathas (M. de), connoissance et hôte de Jean-Jacques à
Montmorency. Services qu'il lui rend. II , 348, 3^9,4 1 2.
Mai GIS (Café ), où Jean-Jacques alloit jouer aux échec».
Connoissance qu'il y fait. II , 21 .
MaI'I.ÉoN. Voyez LoYSEAU.
Médecine, Ce qu'<''piouvoit Jean-Jacques en lisant les li-
vres qui traitent de cette science. 1 , 398.
Médecins. Quelle confiance Jean-.Iar(|ues avoit en eux et
à leurs ordonnances. I, 356.373. — Il renonce pouc
toujours aux secours de leur scionce. II, i8('.
DES MATIÈRES. ÔSq
Mellarède (mademoiselle de), une des ccolières de Jean-
Jacques poui' la musique. Portrait de cette demoiselle.
Tome I, 3o2.
Menou (le p.), jésuite. Comment Jean-Jacques le traite
dans un écrit qu'il publie pour le réfuter. II, i/^y, i48i
Menthon (mademoiselle de), une des écolières de Jean-
Jacques pour la musique. Portrait de cette demoiselle.
1 , 3o3.
Menthon (madame de) , mère de la précédente. Portrait
de cette dame. I, 3o7.
Merceret, femme-de-chambre de znadame de Warens.
I , i66. — Portrait de cette jeune personne. 1 , 211, 23 1 .
— Elle prend du goût pour Jean-Jacques , et se fait
reconduire par lui dans son pays. I, 228.
Merlou, château. M. de Luxembourg veut y établir Jean-
Jacques. II, 487. ^
Merveilleux (M. de). Comment 11 voulut rendre service
à Jean-Jacques. I , sSi.
Merveilleux ( madame de ). Portrait de cette femme ;
bons offices qu'elle rendit à Jean-JacqueS. I, 204.
Mesme (la marquise de) présente à une lecture des Con-
fessions. II, 624.
Meuron ( m. ) , procureur-général du Val-de-Travers. Ser-
vices qu'il rend à Jean-Jacques. II, 578.
Minard. Portrait de cet homme; ses liaisons avec Jean-
Jacques. II , 378.
MiNUTOLi (INI.), capitaine de porte à Genève. Comment ,
sans s'en douter, il a influé sur la destinée de .Jean-
Jacques. 1 , 63.
Miracle. Comment Jean-Jacques a passé pour en avoir
attesté un. I, 191.
MiRAN (M. de). Ses liaisons avec Jean-Jacques. II , 5i i.
M1REP01X (madame de). Dans quelle société Jean-Jac(jues
la connut. II, 27. — Ses liaisons avec elle. I, i83; II,
421. — Caractère de cette dame; témoignage d'affec-
tion que Jean-Jacques en reçut au moment de son dé-
part de France. Il , 5o5.
4a.
66o TADIE
MoiRANs. Ce qui arrive à Jean-Jacques en cet endroit.
Tome I , pa{;e 399.
MoiRY DE GiNGiNS (M. ) , })ailli d'Yverdun. Témoignages
d'amitié qu'il donne à Jean-Jacques. II, 5i8, Sig.
Montaigne. Jugement que porte Jean-Jacques de cet
écrivain. II, Sgô.
MoNTAiGU (le chevalier de). Quel service il rendit à Jean-
Jacques. II , 32.
MoNTAiGU (le comte de), nommé ambassadeur à Venise.
II, 32. — Caractère de cet homme; son peu de capa-
cité pour sa place. II , 33 , 3^, 4o , 4^ 1 5 1 , et suiv. —
Ses mauvais procédés pour Jean-Jacques alors son se-
crétaire. II, Sy. — rriponnerie qu'il commet à sou
égard. II, 80. — Comment il termine son ambassade.
Il , 83.
MoNTAUBAN (INI. DE ) , comtc de La Tour-du-Pin. Ses liai-
sons avec Jean-Jacques; singulière visite quil lui ren-
dit à Mo tiers. II, 55i.
Mont -Louis. Etablissement et séjour de Jean -Jacques
dans cette demeure. II , 348, 4i i, \ii.
MoNTMOLLiN (M. DE ). Conduite de ce ministre envers
Jean-Jacques. II, 54o, 571, 672. — Persécutions qu'il
lui suscite à Motiers-Travers. Il, 676, 678, 58o, 682.
Montmorency. Jean-Jacques y va demeurer en sortant de
rilermitage. II, 348. — Description de ce lieu et du
château du même nom. II, 397, 4o2. — Insalubrité de
ses eaux. 11 , 473.
Montmorency (le duc de). Sa mort. II, 4-^o.
Montmorency (la duchesse de). Son caractère. II, 4f>o- —
Citée. II, 4» 3.
Montpellier. Jean-Jacques va se faire guérir en cette
ville. 1, 399. — Quel genre de vie il y mène. 1, 4 '3,
4i4.
Morand, médecin, iraiic J('an-Jac(jues sans succès dans
luie maladie grave. II, i4<>.
Mohlane, valet-de-cliambre-chirurgien <lu maréchal de
Luxembourg. Comment il le traite de la goutte. ll,4.'Ji.
DES MATIÈRES. 66l
MoRRELLET ( l'abbé ). A quelle occasion il se fait mettre
à la Bastille; Jean-Jacques l'en fait sortir. Tome II,
pafje 4'-?-9'> 43o- — Comment il lui en témoigne sa recon-
noissance. II, 432.
MoTiERS. Jean-Jacques s'y retire lors de sa proscription
en France. II, 5ig. — Persécution qu'il y éprouve, et
de la part de qui. II , 672 , Syô.
MouLTou le fils. Liaison intime dans laquelle il vécut
avec Jean-Jacques. II, 194, 4^^i 5^6.
Musique. Goût naturel de Jean-Jacques pour cet art ;
comment il parvient à l'apprendre. I, 186, igS, 271,
289, 2g4, 395. — Il l'enseigne avant de la savoir. I,
234. — Aventure désagréable qu'il éprouve à Lausanne
en donnant un concert. I, 236. — Il en donne des le-
çons à Chambéry. I, 3oo. — Il entreprend de simplifier
la manière de l'apprendre, et compose un nouveau
système pour en marquer les signes. I, 436. — Il pré-
sente ce projet à l'académie des sciences de Pai'is. II,
14. — Jugement qu'elle en porte. II, 16. — Objections
que fait Rameau contre ce système. Ibûi. — Jean-Jac-
ques fait imprimer sur cet objet un ouvrage qui a peu
de succès. II , 18. — Il enseigne la musique suivant cette
méthode, et l'éussit complètement. Ibid. — Il connoît
la musique italienne à Venise, et se passionne pour
elle. II, 63 et suiv. — Ravissants concerts qu'il entend
aux Scuole de cette ville. II , 64. — Il compose un opéra
ou ballet héroïque; quel en est le succès. II, 94, 93.
— Il compose le Devin du village; succès éclatant de
cette pièce. II, 163, 170. — Fermentation que produit
à Paris la musique italienne; Jean-Jacques prend part
à cette querelle, et écrit contre la musique franroise;
ce qui en résulte, II, 178. — Dictionnaire de Musique.
II, 220, 569. — Motets et autres pièces de musique
malgré le succès desquels les détracteurs de Jean-Jac-
ques s'efforcent toujours de faire croire au public qu'il
ne la sait pas. II , 3 1 o , 3 1 1,
662 TABLE
MrssARD (M.) , peintre genevois. Effet d'une visite qu'il
rendit à Jean-Jacques à Turin. Tome I , page i55.
MussARD ( M. ) , joaillier , parent et ami de Jean-Jacques ;
cité. II , I02. — Caractère de cet homme estimable. II ,
i5g.
N.
Nadaillac (madame de), dépositaire d'un recueil intér
rcssant de lettres écrites à Jean-Jacques au sujet de la
Nouvelle Héloise. II , 4 44-
Nanette, maîtresse , puis femme de Diderot ; caractère
de cette femme. II , 1 16.
Nangis ( le comte de). C^ité. I, 336.
Narcisse, comédie présentée et reçue aux Italiens. II,
107. — Jouée aux François; avec quoi sucrés. Il , i83.
— Jean-Jacques s'en déclare l'auteur. Il , 184.
NÉAULME (Jean), libraire à Amsterdam; ses relations
avec Jean-Jacques. II , 3y5 , l\'x'^ , 4^5 , 47ï'
Neuchatel. Séjour de Jean-Jacques en cette ville ; quels
y sont ses occupations. 1 , 244* — Caractère et tournure
d'esprit des habitants de ce pays. II, 626. — Les mi-
nistres de cette ville cherchent à susciter des persécu-
tions à Jean-Jarques. II, 53-.
Nîmes. Jugement de Jcni-Jacquc^s sur les arènes de cette
ville. \^l\\\.
Nobles vénitiexs. Couinicnt ils paveni Inirs dcltes. II ,4^.
NoiRET (M.), de (iliainbéry, loue à madame de AVan-ns
la maison de campagne des Charmetles. 1 , 36o, 380.
NôNANT (le commandeur de). Caractère de cet homuie;
à quelle occasion et où Jean-Jacques le connut. H , 1 1 1-
O.
Oisiveté. Dans quel sens elle avoii di' iatlrait jiour Jean-
Jacques. Il , .598.
Olivi.t, capitaine de vaisseau marscillois. Service im-
portant que Jean-Jacques lui rrndii ;» Venise. II ,43, 6g.
DES MATIÈRES. 663
Oltmpe (mont). Motifs de la prédilection marquée que
Jean -Jacques avoit pour cette promenade près de
Montmorency. Tome II, pages aSo, 280.
Opéra de Paris. Quelle opinion en prend Jean-Jacques
après l'avoir vu, et en le comparant à ce qu'il avoit
imaginé. I, aS/j.. — Tl y fait jouer son Devin du village.
II, 174- — Il en reçoit ensuite toutes sorles d'outrages;
ses entrées même lui sont ôtées. II , 178 , 17g. — Suites
de ce démêlé. II, 873, 874.
Opéra de Venise. Jean-Jacques se passionne pour ce spec-
tacle. II , 63 , 64.
Padoana. Ce qui arrive à Jean-Jacques avec cette fille.
11,68.
Palais (l'abbé), musicien et organiste. Liaisons de Jean-
Jacques avec cet artiste. I, sgS.
Palissot. Comment il est puni pour avoir joué Jean-Jac-
ques dans une pièce. IF , 202. — Sa conduite envers
Jean-Jacques et Diderot. II , 427.
Pallu (M.), de Lyon. Bon office qu'il rend à Jean-Jac-
ques. II , 8.
Paoli (le général) écrittà Jean-Jacques , et pourquoi. II,
611.
Paris. Idée qu'en prit Jean-Jacques en y arrivant par le
faubourg Saint-Marceau. 1 , 253. — Pourquoi le roman
de la Nouvelle Héloise a été mieux accueilli dans cette
ville que par-tout ailleurs. II , 443-
Parlement de Paris. Sa conduite à l'égard de Jean-Jac-
ques relativement à VEmile ; motifs de cette conduite.
II 5 49^,494, 497' •^•^o 5 5o^'
Parisot. Ses liaisons avec Jean-Jacques. Caractère de cet
estimable chirurgien. II , 9.
Pas de l'Échelle. Voyez -Chailles.
Passions. Effets qu'elles ont produits sur Jean-Jacques.
I, 35i.
664 TABLE
Passy. Amusements qu'y f;oùte Jean-Jacques. II y com^-
mence son Devin du village. Tome II , pa^jes 1 5g , i6o.
Patizel , chancelier du consulat de France à Venise.
Quelles relations Jean-Jacqnes eut avec lui. II, 46.
Perdriau. Caractère de ce ministre ; ses liaisons avec
Jean-Jiicques. II, 192, ig3.
Perret (le ministre), passa pour avoir été mi des amants
de madame de Warens. I, 3 17.
Perrichon. Ses liaisons avec Jean-Jacques. I, 345. —
Quel service il lui rendit. II , 9.
Perrine , servante du maître de musique de la cathédrale
d'Annecy. 1 , 195.
Perrotet. JeanJacques se met en pension chez lui à Lau-
sanne. 1 , 234. — Portrait de cet homme , et les servi-
ces qu'il rend à son hôte. 1 , 234, 238, 244-
Pervenche. Vive sensation qu'éprouve Jean-Jacques à la
vue de cette plante. 1 , 363.
PÉTAU (le P.). Jean-Jacques étudie les ouvraf;es de cet
auteur ; jugement qu'il en porte. 1 , 385 , 386.
Petit-Chat , surnom donné par madame de Warens an
musicien Le Maître. ï, 200. ||i
Petit-Pierre. Pour quelle raison ce ministre fut chassé
par ses confrères. II, 526.
Petits-Violons. A qui on donnoTt ce nom dans Paris , et
pourquoi. II , 164.
Ï'eyrou (M. du). Son caractère; orifjine de ses liaisons
avec Jcan-Jacqu!;s. Il , 535 , 536. — Comment il est de-
venu dépositaire de ses manuscrits et d'une partie de
ses papiers. H, 5, 467, ÎJ84, 587, 695.
PniLiDOR. A quelle occasion Jean-Jacques fait connoîs-
sanrc avec lui. Il, 21. — Leurs liaisons. II, 94-
Physiologii.. Kffets que produit sur Jcan-Jac(|u«s létude
de cette science. 1 , 398.
Physique. Quel accident éprouva Jcan-,ïacqucs en vou-
lant en faire une expérience. 1 , 35(t.
PiATi (le cf)mte). Italien, cité. Il, 53. — Bon conseil
qu'il donne à Jean-Jacques, il , 08.
DES MATIÈRES. 665
PrcoN (le comte), gouverneur de Savoie; quel étoit son
caractère. Tome I , page 327.
Pigeons. Jusqu'à quel point JeanJacques avoit appri-
voisé les siens. I, 37.5.
PiGNATELLi (le princc), présent à une lecture des Con-
fessions. II , 624.
PiLLEu , maçon à Montmoreney. Jean-Jacques se lie d'a-
mitié avec lui. II , 4i4-
PissoT, libraire de Jean-Jacques. Comment il lui payoit
- le prix de ses ouvrages. II , 149.
Plessis (M. du). Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, m.
PoLiGNAC ( cardinal de ). Comment il se vengea de l'abbé
de Saint-Pierre. II , 242.
PoLiGNAC ( madame de ). Ce qu'elle pensoit de Jean-Jac-
ques après la lecture de la Nouvelle He'loïse. II , 44^.
PoMPADOUR (madame de). Quelle gratification elle donne
à Jean-Jacques pour son Devin du village. II, 181. — ■
A quelle occasion elle le connut; quels étoient ses sen-
timents pour lui. II , 388. — • Ce que Jean-Jacques pen-
soit d'elle. II , 456 , 47^ , 485.
Pont du Gard. Admiration de Jean-Jacques à la vue de
cet ouvrage étonnant. 1 , 4 10.
Pont de Lunel , auberge renommée pour la bonne chère
qu'on y faisoit. I, [^\i.
PoNTAL (mademoiselle). Ce qu'elle étoit; à quelle occasion
elle eut des relations avec Jean- Jacques. I, 129, i32.
PoNTVERRE ( M. de). Caractère de cet ecclésiastique ; con-
seils qu'il donne à Jean-Jacques dans sa jeunesse ; sei'-
vice important qu'il lui vend. I, 70, 71.
PoPLiNiÈRE ( M. DE La ). Origine de ses liaisons avec Jean-
Jacques ; quel en est l'effet. II , gS.
PopMNiÈRE ( madame de La ). Ses relations avec Jean-Jac-
ques ; cause de la bainc qu'elle lui portoit et des mau-
vais services qu'elle lui rendit. II , 96.
Port-Royal. Ce que pensoit Jean-Jacques des livres élé-
mentaires sortis de cette célèbre maison. 1 , 372 , 383 ,
388.
666 TABLE
PosTrLLoxs. Comment ils se conduisent 'en France à Yé-
ffartl des voyageurs. II , 5oy.
Prévost ( l'abbé ). Caractère de cet écrivain ; ses liaisons
avec Jean-Jacques. II, i6i.
Prière. Quels étoient les principes de Jean-Jacques sur
cette matière. 1 , 3^9 ; II , 60 1 , 602.
Princesse de Clèves. Jugement que portoit Jean-Jacques
de cet ouvrage. II , 44^-
Prix. Voyez Académie.
Procope. Portrait de ce médecin. Ses liaisons avec Jean-
Jacques. II, 161.
Procope (café de ). Jean-Jacques s'y déclare hautement
l'auteur d'une pièce qui a eu un mauvais succès.
II, 184.
Prusse ( prince royal de), depuis roi sous le nom de Fré-
déric le Grand. Effets que produisit sur Jean-Jacques
la lecture de sa correspondance avec Voltaire. I, S43.
— Aversion de Jean-Jacques pour ce monarque -, sur
quoi fondée. II, Sig. — Jean-Jacques se réfugie dans
ses états ; comment il y est accueilli. II, 53 1. — Il lui
écrit relativement à ses projets militaires; comment sa
lettre est reçue. II, 532.
PuRY (colonel). Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, 535.
— Services qu'il lui rend. 11,578. — Heu reçoit un à son
tour de grande importance. II , 579.
Q-
QuiLLAU. Fait un traité avec Jean-Jacques pour l'impres-
sion de son premier ouvrage. II , 18.
QuiNAi i.T ( mademoiselle ). Bon accueil que Jean-Jacques
reçut chez elle. II, i83.
R.
Rameau. Jugement de Jean-Jacques sur les ouvrages de
cet auteur. 1, 294, 352. — Objection qu'il fait à son
DES MATIÈRES. 667
tour contre la nouvelle manière de noter la musique
inventée par Jean-Jacques, Tome II, page 17. — Ses
liaisons avec Jean-Jacques ; jalousie qu'il conçoit con-
tre lui ; mauvais service qu'il lui rend, II , g5.
Haynal (l'abbé). Ses liaisons avec Jean-Jacques; sondé-
vouement pour ses amis. II, i54.
RÉAUMUR. Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, i3, 14.
Rebel. Son origine, comment on l'appeloit; il dirige les
répétitions des deux opéra de Jean-Jacques. II, 108,
164.
Reglillat, libraire à Lyon. Entreprend de diriger une
édition générale des OEuvres de Jean-Jacques. II , 56g.
Religion. Principes de madame de Warens sur cette ma-
tière. 1 , 367. — Quels étoient ceux de Jean-Jacques ; ses
terreurs à ce sujet; et moyens ridicules qu'il cmployoil
pour s'en délivrer, l , 889.
Rey (M. M.), libraire boHandois. II, igS, 378. — Sa
conduite généreuse envers Jean-Jacques. 11,388. — Il
lui fait naître l'idée d'écrire ses Confessions. II , 396.
— Traite pour le Contrat social. Il , 4^6. — Comment il
se conduit envers lui. II, 4^8.
Reydelet, curé de Seyssel. Bon accueil qu'il fit à Jean-
Jacques. 1 , 2o3.
Reyneau ( le P. ). Étude que fit Jean-Jacques des ouvra-
ges de cet auteur. 1 , 382.
Richelieu ( duc de }. Comment Jean-Jacques fit connois-
sance avec lui. II, 8. — Quels services il en reçut.
11,97-
RiCHARDSON. Parallèle que fait Jean-Jacques des écrits
de cet auteur anglois avec la Nouvelle Héloïse. II,
444 , 445.
Rival, ami de Rousseau père; portrait de cet liomme.
I , 84.
RoBECK (la princesse de). Ce qui arive à Diderot pour
l'avoir offensée. II, 427. — Sa mort. II,4jo-
Roche , maître à danser qui jouoit du violon aux con-
perts de madame de Warens. I, 295.
668 TA RLE
RoGUiN. Comment il connut Jean -Jacques. Tome IT,
page 12. — Leurs liiùsons. Il, i8, 8i , i r6, 379. — Té-
moignages d'amitié qu'il donne à Jean -Jacques. II,
5i2, 5i6 5i8.
RoGUiN, colonel, neveu du précédent. Ses liaisons avec
Jean-Jacques ; témoignages d'amitié qu'il lui donne.
II, 5r5, 5t8, Bai.
RoGuiiî , banneret. Ses procédés faux et perfides envers
Jean-Jacques. II, 58?,, 583 ; N.
RoHAN ( la princesse de ). Dans quelle société Jean-Jacques
se rencontre avec elle. II, 27.
RoLiCHON. Rencontre heureuse qu€ fait Jean-Jacques de
ce religieux. I, 270^
Rouelle. Jean-Jacques étudie la cliimie sous cet habile
maître. II, 29, 109.
Rousseau ( Isaac), père de Jean-Jacques; sa profession.
I, 4. — Devient horloger du sérail à Constantinople.
1,6. — Revient à Genève et perd son épouse à la nais-
.sance de son second fils. Ibid. — Est obligé de quitter
Genève. I, i5. — Caractère de cet homme. I, 85.
Rousseau ( Jean- Jacques ). Ses parents. I, 4- — Cause
la mort à sa mère en naissant. 1,6. — Son enfance
est soignée par une sœur de son père. 1,7 — Portrait
de cette tante. I, i3. — Ses premières lectures ; effets
qu'elles produisent en lui. 1,8. — Ses premières in-
clinations. I, 12. — On le met en pension rhe/ le mi-
nistre Lambercier avec le jeune Bernard , son cousin;
leur amitié. I, rS. — Effets que produisent en lui les
corrections de mademoiselle Lambercier. I, 20. — Ca-
ractère de ses passions. I, 21. — Leur énergie se dé-
veloppe H la suite d'un châtiment non mérité. I , 2O.
— Ses occupations chez son oncle Bernard. I, 35. — Ses
amours avec mademoiselle de Vulson et avec made-
moiselle Goton ; différence de ses goûts pour Tune et
pour l'autre. I, 39. — Devient appn-nli grcKier, et n'y
reste pas long-temps. 1 , 44- — ^^" '^ naet ensuite ei>
apprentissage chez un graveur. I , f\Ti.
DES MATIÈRES. 669
HoussEAU. Les mauvais traitements qu'il y reçoit chan-
gent son caractère et ses inclinations. Tome I , p. 45. — -
Il y contracte l'habitude de dérober. 1 , 48. — H reprend
le goût de la lecture; effets de ce retour,!, 59. — 11 sort
de chez son maître, et même de Genève. I, 64. — Son
arrivée à Annecy chez madame de Warens. 1, j3. — Sen-
timents qu'il conçoit pour elle. I, 79. — Il va à Turin,
comment et avec qui ; agrément de ce voyage. 1 , 83. —
Son entrée à l'hospice des catéchumènes de cette ville.
I, 91. — Il y fait abjuration. I, 107. — Ce qu'il devient
en sortant de l'hospice. I, 109. — Accueil qu'il reçoit
de madame Basile ; il en devient amoureux. 1 , 1 14. —
Il entre en qualité de laquais chez la comtesse de Ver-
cellis. I, 126. — Action honteuse qu'il commet dans
cette maison. I, i32. — Développement de ses pas-
sions; extravagances qu'elles lui font faire. I, i38.
— 11 sprt chez le comte de Gouvon. I, i45 , i46. —
Il y est traité avec une bonté qui lui annonce qu'on
a des vues sur lui. I, i54- — H s'en fait renvoyer. I,
i58. — Il retourne chez madame de Warens , qui le
garde chez elle. I , i63. — Liaison intime qui s'établit
entre eux; nature des sentiments de Jean-Jacques pour
cette dame. 1 , 168. — Genre de vie qu'il mène chez
elle. I, 173. — li y contracte le goût de l'étude ; ses
premières lectures. I, 175. — Jugement que porte de
lui M. d'Aubonne , parent de madame de Warens. I,
T78. — A quoi il faut attribuer les jugements désa-
vantageux qu'on a portés de lui plus d'une fois ; ré-
flexions sur la tournure de son esprit , qui dans la
conversation Ta souvent fait regarder comme un
homme médiocre. I, 179, 184. — On le fait entrer
au séminaire pour embrasser l'état ecclésiastique. 1 ,
186. — Honnête ecclésiastique qu'il rencontre dans
cette maison. I , 187. — On le renvoie comme n'étant
bon à rien , pas même à être prêtre. I, 192. — Com-
mence à étudier la musique , et avec quel succès. 1 ,
186, 193 , et suiv.
670 TABLÉ
RoLSSEAC. Abandonne lâchement à Lyon un ami qu ii
avoit accompaf[né dans sa fuite. Tome I , page 2o5-
■ — Ne trouve plus madame de VVarens en retournant à
Annecy. 1 , 207. — Est réduit à la misère. 1 , 221 , 232.
Ses goûts en fait de maîtresses. I, 212. — Ses idées sur
respérance et le plaisir. 1 , 232. — Se fait maître de mu-
sique à Lausanne, sans la savoir. I, 235. — Compose
et fait exécuter un concert chez ^L deTreytorens : suc-
cès de cette tentative. 1 , 236. — Va à Neuchàtel , où il
réussit mieux. I , :>J\\. — Il y rencontre rarrhirnandrite
de Jérusalem , et s'attache a lui en qualité d'inter-
prète. 1 , 245. — Il est retenu à Soleure par l'ambassa-
deur de France. I, 249. — Il vient à Paris; à quel des-
sein. Projets chiméri<jues qu'il forme en roule. I, 25i.
Quelle idée il prend de celte ville en y arrivant. I,
253. — Accueil qu'il y reçoit. 1 , 254. — 11 quitte Paris
pour aller à la recherche de madame de Wareus. 1 , 257.
— Situation délicieuse dans laquelle il se trouve du-
rant tout le cours de ce voyage ; effets des voyages à
pied sur son imagination. I, 258, 273, 297. — Excel-
lent repas qu'il fait en route chez un bon paysan qui
n'osoit pas le lui donner, même en payant. 1, 2G0. —
Il se trouve à Lyon dans une grande détresse ; aven-
tures qu'il éprouve dans cette ville. I, 263, 264. — il
rejoint madame de Warens à Chambéry , et reprend
son logement chez elle. 1 , 277 , 278. — Elle lui procure
un euiploi. 1 , 277. — Origine et motifs de sa prédilic-
lion pour la nation françoise. I, 291. — Souhait re-
marquable en sa faveur. I, 292. — Il reprend l'étude
de la musique. 1 , 289 , 294. — H (piitte son euiploi pour
se liver tout entier à son goût pour cet art. 1 , 299. —
Il se met à l'enseigner. 1 , 3oo. — Singulier moyen qu'em-
ploie madanie de Warens pour le préserver de la sé-
duction. I , 309. — Quel effet produit en lui la jouis-
sance. 1 , 3i5. — Il pjirt pour Hesancon dans l'intention
de se perfectionner dans la musique, et d'y apprendre
lu composition sous un habile maître. F, 334-
DES MATIÈRES. 67Ï
Rousseau. Quel accident l'oblige à revenir à Chambéry*
Tome I, page 336. — Il manque de perdre la vue en
voulant faire une expérience de physique. I, 35o. — Il
se passionne pour le jeu d'échecs. 1 , 353 , 354- — Il
tombe malade: tendres soins que lui prodigue madame
de Warens dans cette occasion. 1 , 355. — 11 va demeu-
rer avec elle à la campagne. 1 , 359. — Quel genre de
vie il y mène ; incommodité dont il est affligé. I, 364-
— Il se livre à l'étude des sciences avec une grande ac-
tivité. 1 , 372. — Il s'égare d'abord dans ses études par
une fausse m^j^ode qu'il ne tarde pas de rectifier. I,
375 , 376. — Il apprend le latin. 1 , 383. — Il étudie l'as-
tronomie. I, 386. — Aventure plaisante qui lui arrive
à cette occasion. 1 , 387. — Ses principes sur la prière,
et ses idées sur la religion. 1 , 379 , 389. — Ridicules
expédients qu'il emploie pour se délivrer de la crainte
de l'enfer. I, 390. — Réalisation d'un songe qu'il avoit
fait sept ou huit ans auparavant. I-, 170, 393. — Effets
que produit sur lui la lecture des livres de médecine.
1 , 398. — Il se croit malade d'un polype au cœur." Ibid,
— Il va à Montpellier pour se faire guérir; ses amours
avec madame de Larnage durant ce voyage. I, 399. —
Il va retrouver madame de Warens; accueil froid qu'il
en reçoit; motifs de ce changement. I, 4^9 5 4^0. —
Combien il en est affecté. I , [\ii. — Il cherche à se
faire ami de son rival. I, l\io. — Refroidissement ab-
solu de madame de Warens à son égard, I, 427. — Il
se sépare d'elle. 1 , 428. — Il va à Lyon et devient pré-
cepteur; ses succès dans cette carrière. I, 4^8, 429.
— Il y renonce , et retourne auprès de madame de
Warens. 1,434- — H ne retrouve plus en elle ses anciens
sentiments pour lui. Ibid. — Quels projets il forme
pour la préserver de sa ruine prochaine et de la mi-
sère. I, 436. — Compose \\\\ nouveau système sur les
signes de la musique. Ibid. — Il part pour Paris dans
l'espérance d'y faire fortune avec cette découverte. I,
437. »
672 TABLE
IlocssEAU. Son arrivée en cette ville; connoissances qu'il
y fait. Tome II, pajjes 11 , 12. — Il présente son projet
de musique à l'académie des sciences. II, 14. — Juge-
ment qu'elle en porte. II, 17. — Il compose sur ce su-
jet un ouvraf;e qu'il fait imprimer. II , 18. — Commen-
cement de ses liaisons avec madame Dupin et avec
M. de Francueil» II, aft, 28. — Il entreprend de com-
poser un opéra. II , !^i. — 11 part pour Venise en qua-
lité de secrétaire d'ambassade. Il, 33. — Ce qui lui ar-
rive dans le voyage. II, 34» — Comment il remplit
cette place. II, 36. — Mauvais procédés^le l'ambassadeur
à son égard. U^'ty. — Il le quitte. II, 60. — Descrip-
tion des amusements dont il jouit à Venise. II , Ga. — 11
y devient passionné pour la musique ilalienne.11,63. —
Ce qui lui arrive chez les fdles publiques. 11,66 et suiv. —
Sa conduite généreuse envers une jeune personne qu'on
lui «voit livrée. II, 78. — De retour à Paris, il se dé-
termine à mener une vie indépendante et à tirer parti
de ses talents ; commencement de ses liaisons avec
Thérèse Le Vasseur. H , <S8 , 89. — Il achève son opéra
et excite la jalousie de Rameau. II , 94 , 9r>. — Il est
chargé de retoucher une pièce de cet auteur, dont
Voltaire avoit fait les paroles. II, 97. — On lui enlève
l'honneur de son travail. II, 101. — Il donne nue co-
médie au théâtre italien ; elle n'y est pas jouée. II , 107.
— Mauvais succès de son opéra. Il se dégoûte de cette
carrière. II, 108. — Il se fixe chez madame Dupin, et
s'y livre à Tétudc de la chimie. II , 109. — Ce qu'il f;iit
de ses enfants. Il, no, »i3, i3a. — Commencement
de ses liaisons avec madame d'Épinay. II, 1 13^. — Ses
liaisons avec Diderot, dWlembert, Condillac, etc. ; il
travaille à rKncyciopédie. II, 116, 117. — Combien il
est sensible à rai-reslation de Ditlciot. II , 119. — (^nels
témoignages «rattachement il lui donne ]n>ndant sa
détention. U , luo, i>.i. — Commencement de ses liai-
sons avec (irimm. U, lai , i25. — l'ait venir Thérèse
Le Vasseur demeurer avec lui. II, 126. •
DES MATIÈRES. 6']3
Rousseau. Quelle Vévolution se fait dans ses idées à la
lecture du sujet de prix proposé par l'académie de Di-
jon. Il concourt à ce prix. Tome II, pages i23, 124. —
11 le remporte: effets que cet événement opère dans
son caractère. II , 1 3 1 . — Il est nommé caissier d'un re-
ceveur général des finances. II, i38. — Il tombe ma-
lade, et renonce à cette place pour mener une vie libre
et indépendante. II, i4i. — H se fait copiste de musi-
que. II , i44- — Commencement de ses querelles litté-
raires. II, 147. — Il réforme son costume et sa ma-
nière de vivre; affluence que cette singularité attire
cbez lui. II , 149. — Il est forcé de rester dans cette car-
rière , malgré son désir de la quitter; et c'est à cela
qu'il attribue le ton d'bumeur qui régne dans ses pre-
miers écrits. II, i52. — On le regarde comme misan-
tlirope. Ibid. — Ses liaisons avec plusieurs gens de
lettres célèbres. II, i56, 161. — Il compose le Dei'irt
du village. II, 162, i63. — Succès de cette pièce. II,
168. — Il quitte précipitamment Fontainebleau pour
éviter d'être présenté au roi ; motifs de cette résolu-
lution. II, 17c. — Ce qu'on en pense dans le public;
mécontentement de ses amis à ce sujet. II, 172. — Sa
Lettre sur la musique française lui attire un grand
nombre d'ennemis ; on lui ôte ses entrées à l'opéra.
II, 178, 179. — Ses amis lui tournent le dos. II, iSi.
Il fait jouer aux François sa comédie de Narcisse , qui
n'a point de succès ; il s'en avoue bautement l'auteur,
et la fait imprimer. II, i83, 184. — Il compose son Z)«-
cours sur l'inegalite\ et l'envoie à l'académie de Dijon
pour concourir au prix. II, 184. — ' Il fait un voyage à
Genève. II, 187. — Il revoit madame de Warens , et la
trouve dans la plus grande misère. II, 189. — Il rentre
dans la religion protestante qu'il avoit abjurée autre-
fois, et se fait réintégrer dans ses droits de citoyen de
Genève. II, 192, 193. — Quel effet produit en cette
ville la dédicace qu'il met en tête de son Discours sur
l'iurgaliCc. II , 196.
.4. 43
e-ji TABLE
Rousseau. Renonèe au projet d'aller fixer son séjour k
Genève. Tome II, page 197. — Il quitte Paris, et va
habiter THermitage, que madame d'Epinay lui avoit
fait préparer. II, 206. — Quel plan de vie il se trace
dans cette habitation champêtre. II, 210. — Va'h l'ex-
trait des ouvrages de l'abbé de Saint-Pierre. II, ixG.
— Travaille à son Traite des Institutions po/ilirjutf. II,
218. — Caractère de son attachement pour Tln-rese Le
V^asseur; bonheur dont il jouit dans sa société. II,
226, 238, 239, 244. — Pourquoi il met ses enfants -tux
Enfants-trouvés. II , 23o. — Pourquoi il ailopte un cos-
tume et un genre de vie singuliers ; comment il de-
vient enthousiaste de la vertu, et éloquent par suite
de cet enthousiastne. II, 23 1 , 282. — Chagrins que lui
cause madame Le Vasseur, mcre d(> Thérèse. II, 234-
— Quels motifs lui font abandonner son travail sur
les écrits de l'abbé de Saint-Pierre. II, 243. — Ce qui
l'empêche d'être heureux à l'IIermitage. II, ^.f\('i. —
Son cœur redevient ivre d'amour au souvenir des doux
sentiments qu'il éprouva dans sa jeunesse, et des per-
sonnes qui les firent naître. II, 248. — Les images et
les sentiments que lui fournissent ces souvenirs lui
servent d'éléments j)onr la composition tle sa 3o//i<*/A;
Hélolse. II, 254. — Il devient éperdumoni amoureux
de madame d'Houdetot. 11,271. — Suites de cet amour.
II, 280. — Conduite de u)adame d'l'>pinay dans cette
occasion. II , 285. — Conduite que tient avec lui Saint-
Lambert loi-^qu'il en est instruit. II , 3o6. — Change-
ment de madame d'Houdetot à son égard. II, 3o8. —
Ses démêlés avec Diderot. II , 297, 329. — (Conduite de
Grimm à son égard. II, 32 1, 339. — Leur rupture. II,
342. — Sa rupture avec madame d'Epinay. Il, 345. —
11 quitte l'Hermitage, et va s'établir à Montmorency.
Il , 348. — (Causes des persécutions que lui fait soullrir
la coterie holbachi(/i/c. II, 355, 35C». — A «juelle occa-
sion et dans quelle ^ituati(>n d'esprit il écrit la Lettre
à d'Alcnihcit sur les Spcctacies. Il , 3Go.
DES MATIÈRES. 675
Rousseau. Succès de sa Lettre a d' Alemhert sur les Spec-
tacles. Tome II, 371. — Il rompt publiquement avec
Diderot. II , 364- — Comment sa Lettre sur les Specta-
cles lui attire l'inimitié de Marmontel. II, 372. — Ses
sociéte's à Montmorency et aux environs. II, 374. — Re-
ftise d'être un des^rédacteurs du Journal des Savants, II,
390. — Commencement de ses liaisons avec M. et ma-
dame de Luxembourg. II, SgS. — Ils lui donnent un
logement au petit château. II , 4o3. — Il se forme entre
eux une intime amitié. II, 4o4- — Le prince de Conti
lui témoigne de l'amitié; comment il en use avec lui.
II , 437. — Publie la Nouvelle Héloise; succès étonnant
de cet ouvrage; jugements divers qu'on en porte. II
442. — Il commence à déchoir dans les bonnes f races
de madame de Luxembourg. II , l\\^. — Comment il
déplaît, sans le savoir, au duc de Choiseul, alors mi-
nistre. II, 457- — Madame de Luxembourg fait recher-
cher un de ses enfants pour le retirer des Enfants-
trouvés; pourquoi il n'est que médiocrement fâché de
ce qu'on ne le retrouve pas, II, 4G3. — Traite avec le
libraire Duchesne pour le manuscrit de VÉmile. II
465. — Forme le projet de se retirer au fond d'une
province et d'y vivre ignoré. II , 465 , 467. — Lenteurs
qu'éprouve l'impression de VEmile. II, 471» 476.
Inquiétudes et sinistres pressentiments de Jean-Jac-
ques pendant ce temps. II, 473, 476. — Situation de
la France à cette époque. — II, 470. — Quelle sensa-
tion fait la publication de VEmile. II , 489. — Quels
orages s'élèvent contre l'auteur. II , 492. — Mouve-
ments inutiles que se donnent ses amis pour l'en pa-
ranlir. II , 499. — Il est décrété de prise de corps. II ,
5oo. — 11 se détermine à quitter la France. II, Soi. —
Il compose un poème en prose durant son voyage. II
5 10. — Conduite des magistrats de Genève à sou égard.
II, 5 16. — Il en éprouve une à-peu-près semblable de
la part du sénat do Berne. II, 5i8. — Il se réfugie à
Molicrs , dans le Val-de-Travers. II j 621.
G-jG TABLE
Rousseau. Ses liaisons avec milord Keitli, ou iiiilonî-
maréchal. Tr ne II, pa{]e Su/j. — Il ])rend Thabit armé-
nien. II, 532. — Il apprend à faire îles lacets , cl se livre
tout entier à cette occupation. II , 534- — L'archevêque
de Paris publie un Mandement contre lui ; réponse. II,
54?.. — Il achève stjn Dictionnaire de iVusii/iie. Il , 543.
— II veut travailler à ses Mémoires , et s'aperçoit qu'on
lui a soustrait une partie de ses papiers. II, 543. — Il
soupçonne d'Alembert de cette soustraction. II, 545.
— II envoie aux magistrats de Genève sa renonciation
au droit de bourgeoisie. H, 548. — A ([uelle occa^^ion
il publie les Lettres écrites de la montagne. II , 549- — ■
Fermentation qui s'élève contre lui au sujet de cet
écrit. II, 5^0. — On le fait insulter par la ))opuIacc
de Motiers , qu'on attroupe à cet effet. II , Sj.? , 58o. —
Ces excès sont portés au point que sa vie §e trouve en
danger. II, 588, 589. — Il quitte Motiers, et va s'éta-
blir à l'île de Saint-Pierre, II, 592. — Agréable vie qu'il
y mène; il s'y plaît au j)oint de désirer qu'on lui donne
ce séjour pour prison. II , 60 r. — Il A'a jusqu'à le faire
demander au sénat de Uerne. II, Gio. — Et reçoit,
pour toute réponse, l'ordre d'en sortir sous vingt-qua-
tre heures, ainsi que de tout le (erritt)ire de la répu-
bliijue. Ibid. — Il se reiul à Hieiuie. Il, G 18. — Il en
sort dans le dessein d'aller à Berlin , après avoir déposé
ses papiers entre les mains de du Peyrou, et se reiul à
liienne. Ibid. — Pressé de se fixer dans celte petite
ville; par <|ui. II, 619. — Y ])rend un logement. Il,
621. — Le quitte aussitôt. II, G23. — Fait liuc lecture
des Confessions , en présence de qui. Il , G24. — ■* Décla-
ration qu'il y ajoute ; efftît tprcllc protbiit. Ibid.
Rorsshi.or. ('onunissioix tlésagréablc dont il chargea Jean-
Jacques. Il , /|«S.
KovF.n. Jugenu'ut que porta Jean-Jacques d'un o[)éra de
cet auteur. Il , 3o.
DES MATIÈRES. 677
Sabran et sa femme. Ce que c'étoit que ces personnages,
Tomel, pages 87, 88. — Ils furent la cause que Jean-
Jacques fut envoyé à Turin pour être converti , et
furent chargés de Ty conduire. I, 82. — Comment ils le
dévalisèrent. I, 92.
Saint-Brice. Connoissances agréables qu^avoit Jean-Jac-
ques dans ce village. II, SyS.
Saint-Cyr (M. de). Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, 6r.
Saint-Florentin (le comte de). Conduite de ce ministre
envers Jean-Jacques. II, SyS.
Saint-Lambert. Cité. II, 217, 267. — Ses bonnes qualités;
ses liaisons avec la comtesse d'Houdetot. II , 270. —
Comment il se conduit avec Jean-Jacques après avoir
su qu'il a aimé sa maîtresse. II, 3o6, 827, 333, 309, 363.
— Il se brouille avec lui au sujet de Diderot. II , 366,
367. — Ils se raccommodent. II, 369, 370. — Suite de
leurs liaisons. II, l\l\i.
Saint-Laurent (le comte de ). Comment madame de Wa-
rens obtint son amitié. I, 282.
Saint-Marcellin. Ce qui arrive à Jean-Jacques dans ce
bourg du Languedoc. I, 4oi et suiv.
Saint-Pierre (l'abbé de). A quel occasion Jean-Jacques
le connut. II, 27. — Il est chargé de faire l'extrait de
ses ouvrages; jugement qu'il en porte. II, 216. — W
publie le Projet de Paix perpétuelle. II , 447-
Saint-Pierre (le comte de), neveu de l'abbé; ses liai-
sons avec Jean-Jacques. H, 21 t.
Saint-Pierre (ile de). Jean-Jacques va s'y établir. II, 592.
— Description de cette île. II, 593. — Il désire d'y finir
ses jours, et va jusqu'à souhaiter d'être conchimné à
n'en jamais sortir. Il, 60G. — Le sénat de Berne lui fait
intimer l'ordre d'en sortir, ainsi que de tout son terri-
toire. II, 607, 610.
C-jS TABLfc
Sallier (l'abbé). A quelle occasion Jean-Jacques le con-
nut. Tome II, page 27.
Salomon. Portrait de ce médecin; attachement de Jean-
Jacques pour lui. 1, Syi. — Manière dont il le traitoit.
I ^"3
Sandoz. De quelle manière milord-maréchal lui rend ser-
vice à la recommandation de Jean-Jacq. Il, 629, 53o.
Sacrin. Il fait connoissance avec Jean-Jacques, et devient
son ennemi. II, i58.
Sautern ou Sauttersheim. Tendre attachement de Jean-
Jacques pour ce jeune homme. Il, 567, 558. — De
quelle manière celui-ci y répond ; fausseté de son ca-
ractère; ses mœurs crapuleuses. II , 56o.
Savoyards. Caractères et mœurs de ce peuple. I, 3oi, 3f)3.
Saxe-Gotha (le prince héréditaire de). Coniiuont il con-
nut Jean-Jacques. Il, 120.
Saxe-Gotha ( la duchesse de) fait à Jean-Jacques des invi-
tations de l'aller voir. II, 591.
ScHOMBERG (le comte de). Sa conduite envers Jean-Jac-
ques. II, i54, 319.
SroTTi (marquis de). A quelle occasion il connut Jean-
Jacques. II , 38.
ScuoLE. Ce que c'est; musique ravissante qui s'exécutoit
dans ces maisons. H, 64-
SÉGUiER DE Saint-Brisson. Scs lïaisons avec Jean-Jacques.
Son enthousiasme à la lecture de VEniilc ; folies <jui ea
sont la suite. H, 554»
SiÎGiiiER ( mademoiselle ). Quelles étoient ses dispositions
pour Jean-Jacques. II, 556.
SutLE ( madame La). Quelle société voyoit Jean-Jacques
dans la maison de celte feunne. II, 1 10, i 1 1.
Sellon (M')î lésident de Genève'à Paris. Uon office qu'il
rend à Jean-Jacques. II, 373.
Senac. Connnent ce njédecin traita la singulière maladie
(h> Grinini. Il , i 55.
Sennectiue (nuirquis dk;. A qu«'lle occasion lenn-Jarqius
ht connoissance avec lui, 1 , 338.
DES MATIÈRES. 679
"SerSï (mademoiselle). Jean-Jacques fait connoissance
avec elle. Tome I, page 278. — Il en devient amoureux;
caractère de cette honnête demoiselle. II, 10.
(Silhouette (M. de). A quelle occasion Jean-Jacques lui
écrit ; effets de sa lettre. II , 420. .
Simon ( M. ) , juge-mage d'Annecy. A quelle occasion Jean-
Jacques fit connoissance avec lui. I, 221. — Portrait de
cet homme. I, 222, 228. — Aventure plaisante. 1, 22.4-
— Mot d'une dame à son sujet. I, 226.
Simon (M.), de Genève, cité. I, 35o.
SoLAR ( maison de ). Orthographe de la devise des armes
de cette famille piémontoise , justifiée par Jean-Jac-
ques. I, i5o.
S0RB0NNE (la) porte une censure contre Jean-Jacques au.
sujet de V Emile. II , 54 1.
SouHAiTTi (le P.), inventeur d'un système pour noter la
gamme en chiffres, lequel fut perfectionné par Jean-
Jacques. II , i5.
Spectacles. Jugement de Jean-Jacques sur ceux de Ve-
nise. II, 63. . — Lettre de Jean -Jacques à d'Alembert
sur les spectacles ; jugement de l'auteur sur cet écrit.
II,36i.
Stanislas , roi de Pologne. Ses démêlés littéraires avec
Jean-Jacques. II , 147. — Comment il venge cet auteur
d'un outrage que lui avoit fait Palissot. II, 202. — Sou
Jugement sur la Nouvelle Héloïse. II, 44^.
Sturler. Quel service il rend à Jean-Jacques. II , 692.
SuRBERC (M. de). Accueil qu'il fit à Jean -Jacques à qiii
on l'avoit adressé et recommandé à Paris. J[, 254-
Talmont (la princesse de). Effet que produit sur elle la
lecture de la Nouvelle He'loïse. II, 445, 446-
Tavel(M. de). Ses liaisons avec madame de Warens. I, 7!}.
— Quels étoient ses principes de morale, et par quels
moyens il parv'int à séduire cotte dame, l, 3iG, 36p.
68o TABLE
Tempéra^ient. L'importunité de celui de Jean-Jacques lui
fait faire des extravagances. Tome I, page i38. —
Aventure plaisante. I, 1.39, i4o.
Terreaux (M. du), maire des Verrières, dans le Val-dc-
Travers. Son inimitié contre Jean-Jacques. II, St):").
Testaments. Répugnance de Jean-Jacques pour être porté
comme légataire sur ceux de ses amis. 1,8-, 563.
Thieriot. Quel service il rendit à Jean-Jacques. II, 10-.
Thierry, médecin. Ses liaisons avec Jean-Jacques-, soins
qu'il lui rend. II , 35i.
Thun (le baron de). Nommé. II, 120.
TixGRY ( le prince de). Cité, II, '\ i3.
ToRiOAX (le martjuis de). A quelle occasion Jo;ui-Jac-
ques l'a connu. I, 4"i' — Caractère de cet homme. I,
4o2.
Touche ( madame de La ), sœur de madame Dnpin. 11,25.
TouRAiNE ( la). Jean-Jacques forme le projet de se retirer
dans cette province pour y finir ses jours. Il , 487.
Travers (Val-de-). Voyez Motiers.
Tressan ( le comte de). A (pjelle occasion il entre en cor-
respondance avec Jean-Jacques. II, 202.
Trévoux. Conduite du rédacteur de ce journal envers
Jean-Jacques après la publication de VEmiU:. II, 517.
Treytorexs (M. de). Jean-Jacques compose et fait exé-
cuter un concert chez lui ; quel en est le succès. 1 , 23G.
Tribu (La), fameuse loueuse de livres a (ienéve. I, 59.
Trie (le château de), indiqué comme un des lieux où
Jean-Jacques a écrit la première partie de ses Cuiifcs-
siuus. II , C.
Trimouille (le duc de La). Accueil (piil lit à Jean-Jac-
ques. I, 291.
Tronchin, médecin genevois. Ses liaisons avec Jean-Jac-
ques. Il, 199. — Ses procédés envers lui; il se ligue
avec ses ennemis, et enq>loie toutes sortes de moyens
pour lui nuire. II , Sïi , 354 » 358, 5o2.
TiioNCMiN , jiroeureur-général à Genève, cité comme au-
teur des LcUrci dçriles de lu caiiipaQuc. II , 548.
DES MATIÈRES. 68l
Trublet (l'abbé). Cité. Tome II, page 38 1. — Ses rela-
tions avec Jean-Jacques. II , 4^3 et suiv.
Turin. Arrivée de Jean-Jacques en cette ville ; ce qu'il y
devient. I, 92. — Voyez Hospice, Basile, Gouvox ,
SOLAR, VeRCELLIS, CtC.
Tyrax-le-Blaxc , surnom plaisant donné à Grinim par
Gauffecourt. II, 3i6.
V.
Valentinois (la comtesse de). Citée. II, 4i3.
Valmalette (M. de). Liaisons de Jean- Jacques avec ce
maître-d'Iiôtel du roi. II, 102 , i6o.
Valmalette ( madame de). Citée. Caractèie de cette fem-
me. II , 161.
Valory( le chevalier de). Quel étoit son caractère. II, ii4«
Vanloo( madame). Citée. Portrait de cette femme. II, 161.
Vatelet. Ses liaisons avec Jean-Jacques. II, 386.
Vaud ( Pays de), (jaractère des femmes de ce pays. 1 , 176.
— Pourquoi il est si cher à Jean-Jacques. Caractère de
ses halntants. I, ^4 ^ ? ^4^-
Venise. Séjour de Jean^Jacques en cette ville en qualité
de seci'étaire d'ambassade. II, 36. — Description des
amusements qu'elle fournit en tout temps II, 62 et suiv.
Vénitiens. Leur conduitç envers la France pendant que
Jean-Jacques étoit secrétaire d'ambassade dans leur
ville. II, 39, 4o.
Véxiti' ns (nobles). Comment ils payent leurs dettes. 11,48.
Ventvre de Villeneuve. Ce qu'il étoit; comment Jean-
Jacques lia connoissance avec lui. I, 196, 197. — Suites
de cette liaison. I, 21 1 , 221, 222. — Dans quel état
Jean-Jacques le revit à Paris. II, 201. 1^
Vekcf.i.lis ( la comtesse de ). Jean-Jacques entre à son
service en qualité de laquais ; portrait de cette femme.
1 ': — Mot de cette dame à l'article de la mort. I, i3i.
> .... ( M. de). Portrait agréable de cet homme.
Jl,4i5.
14. 41
682 TABLE
Verdemn ( la marquise de ). Caractère de cette dame ;
comment elle entre en liaison avec Jean-Jacq. Tome II ,
jiaf;. 4' 5. — Mlle va le visiter à Motiers-Travers, et veut
le déterminer à se retirer en Angleterre. II , Stq, 69 i.
Vernes, jeune ministre à Genève. Ses liaisons avec Jean-
Jacques. II, 193. — Il écrit ensuite contre lui et tra-
vaille à le diffamer; vengeance qu'en tire Jean-Jacques.
II, 584.
Vernet. , théologien à-Gexvêve. Sa conduite envers Jean-
Jacques. II , 194-
VÉRONE. Ce que pensoit Jean-Jacques du cirque de cette
ville. 1 , 4i^'
T"ÉRONÈSE. Comment Jean-Jacques obligea cet acteur de
se rendre au tliéâtre italien de Paris, pour l*;quel il
s'étoit engagé avec ses deux fdles. II , 43 , 44-
Verrat, compagnon graveur. Instruction qu'il donnoit
à Jean-Jacques lorsqu'il étoit en. apprentissage avca
lui. I, 49.
Vevai. Affection deJean-Jacques pour cette petite ville.
I, "il^i , 2'43. — Pourquoi il l'a choisie pour y placer
les personnages de la Nouvelle Hcloïse. II , 255.
ViCAfRE SAVOYARD. Originaux du portrait admirable que
Jean-Jacques en a tracé dans son Emile. 1, i44i '^9-
Victor-Amédée, roi dcSardaigne,bienfaiteurde madame
de Warens. ï , 73.
VtDONNE ( l'abbé de). Son démêlé avec le maître de mu-
sique de la cathédrale d'Annecy ; quelles en furent les
suites , et la part qu'y prit Jean-.Iacques. I, aoi.
Vir,i,F.ROY. ( le due de ) ; cité. II , 4'^- — Amitié qu'il té-
mcngnoit à Jean-slacqnes. II , 46o.
Vii.leroy ( la duchesse de). Sa mort. II, 45o.
^ V1L1.EROY ( le marquis de ). Pourquoi Jean-Jacques et lui
ne s'aimoient pas. II, 460.
Vincent ( M. ), chargé des affaires de France à Vienne.
A quelle occasion,)ean-,Iacques fut en relation avec lui.
II, 5i.
ViNTZENRiED. Ce qu'étoit ce jeune homme; comment il
DES MATIÈRES. 683
enleva à Jean-Jacques l'affection et les faveurs de ma-
dame de Warens. Tome I , page 420 , l^ii , 42-5 , 435.
ViTALi. Ce que c'était que cet homme. A quelle occasion
il conçut de la haine contre Jean-Jacques. II , 53 , 54»
— Quels en furent les effets. ÏI, 56, 67.
Vol. Penchant de Jean-Jacques pour ce vice. I, 46, 49»
5i , 52 , 58 , i32 , 43i.
Voltaire. Effet que produisit sur l'esprit de .lean-Jac-
ques la lecture de ses écrits. 1 , 343. — Dans quelle
société il le rencontra. II, 27. — A quelle occasion ils
entrèrent en relations. 11,98,99, 198, 253, 433, etsuiv.
— Quel jugement en portoit Jean-Jacques , II, 448*
WooTON. C'est où Jean-Jacques a écrit la première par
lie de ses Confessions. II , 6.
Voyages a pied. Quels effets ils produisoient sur l'iraa»
gination de Jean-Jacques. I, 258, 275.
VoYEU ( M. DE ) empêche que Jean-Jacques ne soit mis à
la Bastille. II , 179.
VuLsox ( mademoiselle de ). Jean-Jacques en devient
amoureux dans son enfance. I, 39.
Walpole ( milord ). Offre un asile à Jean-Jacques dans
ses terres. II, 591.
Warexs ( madame de ). Ce qu*elle étoit ; son origine. I,
72, 75. — Portrait de cette femme. I, 76, 176, 186.
— Arrivée de Jean-Jacques chez elle ; quelle réception
elle lui fait. I, 7^, 74. — Attachement qu'il conçoit
pour elle. 1 , 79 , 169. — Comment elle contrihue à sa
conversion. 1 , 82. — Il revient chez elle ; elle le garde
dans sa maison. I , i63. — Tableau de son domestique.
I, 166. — Quelles étoient leurs occupations. I, 173.
— Elle va à Paris; motifs de ce voyage. I, 207. — Jean-
Jacques la retrouve à Chamhéry, et reprend son domi-
cile chez elle. I, 276, 277. — De quelle manière elle
vit avec Claude Anet, son domestique. I, 282, 283.
— Comment elle s'y prend poursauver Jean-Jacques de
la séduction. 1 , 309. — Réflexions sur cette démarche
et les motifs qui purent l'y déterminer. 1 , 3i3. — Rare»
684 TABLE DES MATIÈRES.
qualités qui rachetoient les défauts de cette dame. To-
me H, p. 3i8 , 322 ,-42i' — Son penchant pour de folles
entreprises qui la ruinent et la rendent dupe des char-
latans. 1 , 325 , 33o , 3r)3. — Inutilité des remontrances
de Jean-Jacques pour Tengager à prévenir sa ruine. I ,
345. — Tendres soins qu'elle lui rend durant une ma-
ladie grave. 1 , 335. — Elle va demeurer avec lui à la
campagne. I, 36o. — Ses opinions en matière de reli-
gion. I, 36-. — Ses principes de morale. I, 369. — Elle
reçoit et installe chez elle un autre jeune homme qui
partage avec Jean-Jacques son affection et ses faveurs.
I, 4'-"^ 1 ^'2^. — Son attachement pour Jean-Jacques se
refroidit. 1 , 427- — H se sépare d'elle. I, 428. — Com-
ment elle le reçoit lorsqu'il revient auprès d'elle. I ,
434. — Il s'en sépare une seconde fois. 1 , 437. — Elle
tombe dans la misère. Il , i<»5. — Dans quel ('tal Jean-
Jacques la trouve lorsqu'il vient la revoir. IF, 189. —
t^lle meurt accablée d'infirmités et de misères. II, 564.
WiLDREMET fait à Jean-Jacqucs beaucoup d'instances
])our le retenir à Bienne au sortir de lile do Saint-
Pierre. II, 618. — Et le pourvoit d'un logement, II, 62*1,
Wirtemberg( le prince de). Ses relations avec J. J. II, 585.
Y.
YvFnm'N. Jean-Jacques s'y retire après avoir été décrété
parle j)arlement de Paris. H, 5ii. — Agréments qu'il
y trouve. 11 , 5i J,
Zanftto N.vm. Comment ce noble Vénilien j)aya une
somme qu'il devoit à un perruquier de Paris. Il, 4<*^-
ZrtiETTA. Portrait de cette fille. Jean-Jacques en devient
anmureux; ce (jui lui arrive chez elle. II, 70, r-x cl suiv,
ZfSTiNiANi, patricien de Venise. Quel dénu-lé Jcan-Jac«
ques eut avec lui. Il , 44 5 4'*-
TW DE LA TAUI V.