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Full text of "Les oeuvres de Molière"

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UTf  COHHZNTAJ&E  HISTOUQUE  ET  LITltitAIRE: 


DU  TAB£>EAU  DES  MOEURS  DU  DIX-SEPTIÈME  SIÈCLE, 
ET  DE  Là  VIE  DE  HOUËEZ, 

PAR  M.  PETITOT, 

^ettWfi*  Sï&ition. 
TOME  SECOND. 


J.   p.   AIIXAUD,  QUAI  VOLTAIRE,  H" 

UDOocxxin. 


2  9ArR  i974     I 


I 


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/ 


DON  GARCIE 

DE  NAVARRE, 

OU 

LE  PRINCE  JALOUX, 

COMÉDIE   HÉROÏQUE 

EN  CINQ  ACTES  ET  EN  VERS, 

Représentée  à  Paris ,  dans  la  salle  du  Palais  -  Rojral ,  le  4 

iiéyrier  i66i. 


M oiuiiRi.  a. 


^ 


PERSONNAGES. 

Don  GARGIE,  prince  de  Navarre,  amant  de  done  Blvire. 

Do  NE  ELVIRE,  princesse  de  Léon. 

Don  ALPHONSE,  prince  de  Léon,  cru  prince  de  Gastille 

sous  le  nom  de  don  Sylve. 
Done  IGNES,  comtesse,  amante  de  don  Sylve,  aimëe  par 

Maurëgat,  usurpateur  de  l'Etat  de  Lëon. 
ËLISB,  confidente  de  done  Elvire. 
Don  ALYAR,  confident  de  don  Garcîe^  amant  d'Elise. 
Don  LOPE,  autre  confident  de  don  Garcie,  amant  d'Elise. 
DonPËDRE,  ëcuyer  d'Ignés. 
Un  page  de  done  Elvire.     - 


La  seine  est  dans  Astorgue ,  ville  d'Espagne ,  dans  le  lo janme 

de  Léon.  . 


DON  GARCIE 

DE  NAVARRE, 

* 

OU 

LE  PRINCE  JALOUX. 


ACTE  PREMIER. 


SCÈNE  L 

DONE  ELVIRE,  ÉLISE. 

DONB  ELVIRE. 

Non,  ce  n'est  point  nn  choix  qui  pour  ces  deux  amants 

Sut  régler  de  mon>cœur  les  secrets  sentiments; 

Et  le  prince  n'a  point,  dans  tout  ce  qu'il  peut  être, 

Ce  qui  fit  préférer  l'amour  qu'il  £iit  paroître. 

Don  Sylve ,  comme  lui,  fit  briller  à  mes  yeux 

Toutes  les  qualités  d^un  héros  glorieux  ; 

Même  éclat  de  vertus,  joint  à  même  naissance. 

Me  parloit  en  tous  deux  pour  cette  préférence; 

Et  je  serois  encore  à  nommer  le  vainqueur. 

Si  le  mérite  seul  prenoit  droit  sur  un  cœur  : 

Mais  ces  chaînes  du  ciel  qui  tombent  sur  nos  âmes 

Décidèrent  eu  moi  le  destin  de  leurs  flammes; 

Et  toute  mon  estime,  égale  entre  les  deux. 

Laissa  vers  don  Garcie  entraîner  tous  mes  vœux. 


•  ■  *  - 


4         DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

ÉLISE. 

Cet  amour  que  pour  lui  votre  àstrè  vous  inspire 
N'a  sur  vos  actions  pris  que  bien  peu  d'empire, 
Puisque  nos  yeux,  madame,  ont  pu  long- temps  douter 
Qui  de  ces  deux  amants  vous  vouliez  mieux  traiter. 

DONE   ELVIRE. 

De  ces  nobles  rivaux  Tamoureuse  poursuite 
  de  fîcheux  combats,  Élise,  m'a  réduite. 
Quand  je  regardois  Tun,  rien  ne  me  reprochoit 
Le  tendre  mouvement  où  mon  âme  penchoit  ; 
Mais  je  me  limputois  à  beaucoup  d'injustice, 
Quand  de  l'autre  à  mes  yeux  s'ofiroit  le  sacrifice  : 
Et  don  Sylve,  après  tout,  dans  ses  soins  amoureux. 
Me  sembloit  mériter  un  destin  plus  heureux. 
Je  m'opposois  encor  ce  qu'au  sang  de  Castille 
Du  feu  roi  de  Léon  semble  devoir  la  fille. 
Et  la  longue  amitié  qui  d'un  étroit  lien 
Joignit  les  intérêts  de  son  pore  et  du  mien. 
Ainsi,  plus  dans  mon  âme  un  autre  prenoit  place. 
Plus  de  tous  ses  respeas  je  plaignoisla  disgrâce  : 
Ma  pitié,  complaisante  à  ses  brûlants  soupirs, 
D  un  dehors  favorable  amusoit  ses  désirs, 
Et  vouloit  réparer,  par  ce  foible  avantage, 
Ce  qu'au  fond  de  mon  cœur  je  lui  faisois  d'outrage. 

ÉLISE. 

Mais  son  premier  amour  que  vous  avez  appris 
Doit  de  cette  contrainte  af&anchir  vos  esprits  ; 
Et  puisque  avant  ces  soins  où  pour  vous  il  s'engage 


ACTE  I,  SCÈNE  I.  5 

Done  Ignés  de  son  cœur  ayoit  reçu  l'hommage, 
Et  que  y  par  des  liais  aussi  fermes  que  doux , 
L'amitié  yousi  unit  cette  comtesse  et  vous , 
Son  secret  révélé  vous  est  une  matière 
  donner  à  vos  vœux  liberté  tout  entière; 
Et  vous  pouvez  sans  crainte  à  cet  amant  confus 
D'un  devoir  d'amitié  couvrir  tous  vos  refus, 

DONE   EtVIRE. 

il  est  vrai  que  j'ai  lieu  de  chérir  la  nouvelle 
Qui  m'apprit  que  don  Sylve  étoit  un  infidèle, 
Puisque  par  ses  ardeurs  mon  cœur  tyrannisé 
Contre  elles  à  présent  se  voit  autorisé, 
Qu'il  en  peut  justement  combattre  les  hommages, 
Et,  saps  scrupule,  ailleurs  donner  tous  ses  suffrages. 
Mais  enfin  quelle  joie  en  peut  prendre  ce  cœur. 
Si  d'une  autre  contrainte  il  soufire  la  rigueur; 
Si  d'un  prince  jaloux  l'éternelle  foibfesse 
Reçoit  indignement  les  soins  de  ma  tendresse, 
Et;  semble  préparer,  dans  mon  juste  courroux. 
Un  éclat  à  briser  tout  commerce  entre  nous? 

ÉLISE. 

Mais,  si  de  votre  bouche.il  n^a  point  su  sa  gloire , 
Est-ce  un  crime  pour  lui  que  de  n'oser  la  croire? 
Et  ce  qui  d'un  rival  a  pu.flatter  les  feux . 
L'autorise-t-il  pas  à  douter  de  vos  vœux? 

DONE   ELVIRE.  ^     - 

Non ,  nen^  de  cette  sotubre  et  lâcbô  jalousie 


6         DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Rien  ne  peut  excuser  Tétrange  frénésie; 
Et  par  mes  actions  je  Fai  trop  informé 
Quil  peut  bien  se  flatter  du  bonheur  d'être  aîm^. 
Sans  employer  la  langue,  il  est  des  interprètes 
X^ui  parlent  clairement  des  atteintes  secrètes  : 
Un  soupir,  un  regard ,  une  simple  rougeur, 
Un  silence  est  assez  pour  expliquer  un  cœur. 
Tout  parle  dans  lamour ;  et  sur  cette  matière 
Le  moindre  jour  doit  être  une  grande  lumière, 
Puisque  chez  notre  se;s:e,  ou  Thonneur  est  puissant, 
On  ne  montre  jamais  tout  ce  que  l'on  ressent. 
J'ai  voulu,  je  layoue,  ajuster  ma  conduite, 
Et  voir  d'un  œil  égal  l'un  et  l'autre  mérite  : 
Mais  que  contre  ses  yœux  on  combat  vainement, 
Et  que  la  différence  est  connue  aisément 
De  toutes  ces  faveuts  qu'on  fait  avec  étude, 
A  celles  où  du  cœur  fait  pencher  Thabitude! 
D'ans  les  unes  toujours  on  paroît  se  forcer; 
Mais  les  autres ,  hélas  !  se  font  sans  y  penser, 
Semblables  à  ces  eaux  si  pures  et  si  belles 
Qui  coulent  sans  effort  des  sources  naturelles. 
Ma  pitié  pour  don  Sylve  avoît  beau  l'émouvoir, 
Ten  trahissois  les  soins  sans  m'en  apercevoir; 
Et  mes  regards  au  prince,  en  un  pareil  martyre, 
En  disoient  toujours  plus  que  je  n'en  voulois  dire. 

ÉLISE. 

Enfin  si  les  soupçons  de  cet  illustre  amant, 
Puisque  vous  le  voulez ,  n'ont  poiut  de  fondemjent , 


ACTE  I,  SCÈNE  I.  y 

Ponr  le  moins  font-ils  foi  d'une  ftme  Hen  atteinte; 
Et  d'antres  chériroient  ce  qui  fait  votre  plainte. 
De  jaloux  mouyements  doivent  être  odieux  ^ 
S'ils  partent  d'un  amour  <jtd  déplatt  à  nos  yeux  : 
Mais  tout' ce  qu'un  amant  nous  peut  montrer  d'alarmes 
Doit,  lorsque  nous  l'aimons ,  avoir  pour  nous  des  charmes  ; 
C'est  par-là  que  son  fou  se  peut  mieux  exprimer; 
Et  plus  il  est  jaloux ,  plus  nous  devons  Faimer. 
Ainsi  y  puisqu'on  votre  âme  un  prince  magnanime.  •  • 

DONE   ELVIRE. 

Alil  ne  m'avance^  point  cette  étrange  maxime  : 
Partout  la  jalousie  est  un  monstre  odieux; 
Rien  n'en  peut  adoucir  les  traits  injurieux^ 
Et  plus  l'amour  est  cher  qui  lui  donne  naissance, 
Plus  on  doit  ressentir  les  coups  de  cette  offense 
Voir  un  prince  emporté ,  qui  perd  à  tous  moments 
Le  respect  que  l'amour  inspire  aux  vrais  amants^ 
Qui ,  dans  les  soins  jaloux  où  son  âme  se  noie  y 
Querelle  également  mon  chagrin  et  ma  joie^ 
Et  dans  tous  mes  regards  ne  peut  rien  remarquer 
Qu'en  JÈiveur  d'un  rival  il  ne  veuille  expliquer. . .  î; 
Non  j  non ,  par  ses  soupçons  je  suis  trop  offensée  y. 
Et  sans  déguisement  je  te  dis  ma  pensée  : 
Le  prince  don  Garcie  est  cher  à  mes  désirs , 
n  peut  d'un  cœur  illustre  échauffer  les  soupirs;. 
Au  milieu  de  Léon  on  a  vu  son  courage 
Me  donner  de  sa  flammé  un  noble  témoigna^^ 
Braver  en  ma  Êiveur  les  périls  les  {dus  grands^ 


8         DON  GARQIE  DE  NAVARRE. 

AFenlçyer  anï  desseins  de  noâ  lâches  tyrans , 

Et ,  dans  ses  murs  forcés ,  Imettre^  dia  destinée 

A  couvert  ({es  horreurs  d'un  indigne  hyménée  : 

Et  je  ne  cèle  point  que  j'àurôis  de  l'ennui 

Que  la  globe  eti  fut:due  à  quelque  autre  que  l'ai  ; 

Car  un  cœur  amoureux  prend  un  plaisir  extrême 

A  se  voir  redevable,  Élise  ^  à  ce  qu'il  aime; 

Et  sa  flamme  timide  ose  mieux  éclater       . 

Lorsqu^en  Êivorisant  elle  croit  s'acquitter. 

Oui^  j  aime  qu  un  secours  qui  hasarde  sa  tête 

Semble  à  sa  passion  donner  droit  de  conijuéte;     \  ! 

J'aime  que  mon  péril  m'ait  jetée  en  ses  mains, 

Et  si  les  bruits  coinmuhs  ne  sont  pas  des  bruits  vains, 

Si  la  bonté'du  ciel  nous  ramène  mon  frère, 

Les  vœux  les  phis  ardents  que  mon  cœur  puisse  fairte , 

C'est  que  son  bras  encor  sur  un  perfide  sang 

Puisse  ^ider  à  ce  frère  à  reprendre  son  rang^ 

Et  par  d'heureux  succès  d'une  haute  ^vaillance 

Mériter  tous  les  soins  de  sa  reconnoissance. 

Mais  avec  tout  oela ,  sll  pousse  mon  courrpujjc , 

S^il  ne  purge  ses  feux  de  leurs  transports  jaloux, 

Et  ne  les  range  aux  lois  que  je  lui  veux  prescrire, 

C'est  inutilement  qu'il  prétend  done  Elvire  : 

L^hymen  ne  peut  nous  joindre;  et  j'abhorre  des  nœuds 

Qui  deviendroient  sans  douté  un  enfer  pour  tous  deux, 

ÉLISE. 

Bien  que  Fon  pût  avoir  des  sentiments  tout  autres, 
C^est  au  prince,  madame,  à  se  régler  aux  vôl;res; 


ACTE  I,  SCÈNE  I.  9 

Et  dans  votre  billet  ils  sont  si  bien  marqués, 
Que ,  quand  3  les  verra  de  la  sorte  expliqués. . . 

DONE   ELVIRE. 

Je  n'y  veux  point ,  Elise,  employer  cette  lettre; 
C'est  un  soin  qu^à  ma  bouche  il  me  vaut  mieux  commettre  ; 
La  faveur  d  un  écrit  laisse  aux  mains  d'un  amant 
Des  témoins- trop  constants  de  notre  attachement  : 

Ainsi  donGèmpâch'ez  qu^àu  prince  oh  ne  la  livre. 

-        •   •  «  '  •  » 

ELISE» 

•  "■     •         •      .  •  • 

Toutes  vos  volontés  sont  des  lois  qu'on  doit  suivre. 

Jadmire  cependant  que  le  ciel  ait  jeté 

Dans  le  goût  des  esprits  tant  de  diversité , 

Et  que  ce  que  les  uns  regardent  comme  outrage 

Soit  vu  par  d^autres  yeux  sous  lin  autre  visage. 

Pour  moi  j  je  trouverois  mon  sort  tout-à-fait  doux 

Si  j  avois  un  amant  qui  pût  être  jaloux  ;  ' 

Je  saurois  m'applaudir  de  son  inquiétude  : 

Et  ce  qui  pour  mon  âme  est  souvent  un  peu  rude , 

C'est  de  voir  don  Alvar  ne  prendre  aucun  souci. . . 

•     •    ■      ■  '  !     ■ 

r 

DONE    ELVIRE.  . 

Kous  ne  le  croyions  pas  si  proche;  le  voicL       . 

SCÈNE   II. 

DONE  ELVIRE,  DON  ALVAR,  ÉLISE. 

.'DONE   ELVIRE. 

Votre  retour  surprend :qu'avez-vous  à  m'âpprendre-î 
Pon  Alphonse  vient-il?  a-t-oti  lieu  de  ralteudre  ? 


10       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

D.   ALYAR. 

Oui,  madame;  et  ce  bère  en  CastiUe  élev£ 
De  rentrer  dans  ses  droits  voitle  temps  arrivié, 
JusqnHci  don  Louis ,  qui  yit  à  sa  pradence 
Par  le  feu  roi  mourant  commettre  son  enfance  ^ 
A  caché  ses  destins  aux  yeux  de  tout  FEtat, 
Pour  Fôter  aux  fureurs  du  traître  Maurégat: 
Et  bien  que  le  tyran ,  depuis  sa  lâche  audace , 
L^ait  souvent  demandé  pour  lui  rendre  sa  place  ^ 
Jamais  son  zèle  ardent  n'a  pris  de  sûreté 
A  l'appât  dangereux  de  sa  fausse  équité  : 
Mais  9  les  peuples  émus  par  cette  violence 
Que  vous  a  voulu  faire  tme  injuste  puissance. 
Ce  généreux  vieillard  a  cru  qu'il  étoit  temps 
D'éprouver  le  succès  d'un  espoir  de  vingt  ans  : 
n  a  tenté  Léon ,  et  ses  fidèles  trames 
Des  grands  comme  du  peuple  ont  pratiqué  les  âmes, 
Tandis  que  la  Castille  armoit  dix  mille  bras 
Pour  redonner  ce  prince  aux  vœux  de  ses  États  5 
n  fait  auparavant  semer  sa  renommée, 
Et  ne  veut  le  montrer  qu'en  tête  d'une  armée, 
Que  tout  prêt  à  lancer  le  foudre  punisseur 
Sous  qui  doit  succomber  un  lâche  ravisseur.      ' 
On  investit  Léon ,  et  don  Sylve  en  personne 
Commande  le  secours  que  son  père  vous  donne. 

DOIfE   ELVIRE. 

Un  secours  si  puissant  doit  flatter  notre  espoir;' 
Mais  je  crains  que  mon  frère  y  puisse  trop  devoir. 


-t 


0 


ACTE  I,  SCÈNE  IL  H 

D.   ALYÀR. 

Mais,  madame,  admirez  que,  malgré  la  tempête 
Que  votre  usurpateur  voit  grouder  sur  sa  tète, 
Tous  les  bruits  de  Léon  annoncent  pour  certain: 
Qu'à  la  comtesse  Ignés  il  va  donner  la  main. 

DONi:    ELVIRE. 

n  cbercbe  dans  lliymen  de  cette  illustre  fille 
L'appui  du  grand  crédit  où  se  voit  sa  famille. 
Je  ne  reçois  rien  d'elle,  et  j'en  suis  en  souci; 
Mais  son  cœur  au  tyran  fut  toujours  endurci. 

iLISE. 

De  trop  puissants  motifs  d'bpnneur  et  de  tendresse 
Opposent  ses  refus  aux  nœuds  dont  on  la  presse. 
Pour.... 

D.  A&VAR. 

Le  prince  entre  ici. 

SCÈNE   III. 

D.  GARCIE,  DONE  ELVIRE,  D.  ALVAR,  ÉLISE. 

D.   GARCIE. 

Je  viens  m'intéresser, 
IVbdame',  au  doux  espoir  qu'il  vous  vient  d'annoncer. 
Ce  frère,  qui  menace  un  tyran  plein  de  crimes , 
Flatte  de  mon  amour  les  transports  légitimes  : 
Son  sort  ofEre  à  mon  bras  des  périls  glorieux 
Dont  je  puis  faire  bommage  à  l'éclat  de  vos  yeux, 
Et  par  eux  m'acquérir^  si  le  ciel  m'est  propice^ 


la       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

La  gloire  d'un  revers  que  vous  doit  sa  justice, 

Qui  va  faire  à  vos  pieds  choir  Tinfidélité , 

Et  rendre  â  votre  sang  toute  ^  dignité. 

Mais  ce  qui  plus  me  plaît  d^une  attente  si  chère, 

C'est  que,  pour  être  roi,  le  ciel  vous  rend  ce  frère; 

Et  qu^ainsi  mon  amour  peut  éclater  au  moins  . 

Sans  qu  a  d'autres  motifs  on  impute  ses  soins, 

Et  qu'il  soit  soupçonné  que  dans  vQtre  personne 

Il  cherche  à  me  gagner  les  droits  dune  couronne. 

Oui ,  tout  mon  cœur  voudroit  montrer  aux  yeux  de  tou$ 

Qu'il  ne  regarde  en  vous  autre  chose  que  vous  : 

Et  cent  fois,  si  je  puis  le  dire  sans  offense , 

Ses  vœux  se  sont  armés  contre  votre  naissance; 

Leur  chaleur  indiscrète  a  d'un  destin  plus  bas 

Souhaité  le  partage  à  vos  divins  appas , 

Afin  que  de  ce  cœur  le  noble  sacrifice 

Pût  du  ciel  envers  vous  réparer  Tin  justice. 

Et  votre  sort  tenir  des  mains  de  mon  amour 

Tout  ce  qu'il  doit  au  sang  dont  vous  tenez  le  jour. 

Mais  puisque  enfin  les  cieux  de  tout  ce  juste  hommage 

A  mes  feux  prévenus  dérobent  l'avantage, 

Trouvez  bon  que  ces  feux  prennent  un  peu  d'espoir 

Sur  la  mort  que  mon  bras  s'apprête  à  faire  voir, 

Et  qu'ils  osent  briguer  par  d'utiles  services 

D'un  frère  et  d  un  État  les  suffrages  propices. 

DONE   ELVIRE. 

Je  sais  que  vous  pouvez,  prince,  en  vengeant  nos  droits. 
Faire  par  votre  amour  parier  cent  beaux  exploi  Is  ; 


ACTE  I,  SCÈNE  III.  i3 

Mais  ce  n^est  pas  assez  pour  le  prix  qu'il  espère 

Que  l'aveu  d'un  État  et  la  faveur  d*un  frère; 

Done  Elvire  n'est  pas  au  bout  de  cet  effort ,  i 

Et  je  vous  vois  à  vaincre  un  obstacle  plus  fort. 

D.    GARCIE. 

Oui,  madame,  j'entends  ce  que  vous  voulez  dire. 

Je  sais  bien  que  pour  vous  mon  cœur  en  vain  soupire;   . 

Et  Tobstacle  puissant  qui  s'oppose  à  mes  feux, 

Sans  que  vous  le  nommiez,  n'est  pas  secret  pour  eux. 

DONE   ELVIRE. 

Souvent  on  entend  mal  ce  qu'on  croit  bien  entendre ^ 
Et  par  trop  de  chaleur,  prince,  on  se  peut  méprendre* 
Mais ,  puisqu'il  &ut  parler,  désirez-vous  savoir    . 
Quand  vous  pourrez  me  plaire  et  prendre  quelque  espoir  7 

D.   04RGIE.*  *  j' 

Ce  me  sera,  madame,  une  faveur  extrême. 

DONE   ELVIRE. 

Quand  vous  saurez  m'aimer  comme  il  faut  que  Ton  aime. 

D.    GARCIE. 

Et  que  peut-on ,  hélas  I  observer  sous  les  deux 
Qui  ne  cède  à  l'ardeur  que  m'inspirent  vos  yeux  ? 

» 

DONS   ELVIRE.' 

Quand  votre  passion  ne  fera  rien  paroître 
Dont  se  puisse  indigner  celle  qui  Ta  fait  naître. 

D.    GARCIE. 

.C'est  là  son  plus  grand  soin. 


i4       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

DONE  EliVlRE. 

Quand  tous  ses  mouvements 
Ne  prendront  point  de  moi  de  trop  bas  sentiments. 

D.   G^ARGIE. 

Ils  vous  révèrent  trop. 

DONE   ELVIRE. 

Quand  d'un  injuste  ombrage 
Votre  raison  saura  me  réparer  l'outrage, 
Et  que  vous  bannirez  enfin  ce  monstre  affi*eux 
Qui  de  son  noir  venin  empoisonne  vos  feux  ; 
Cette  jalouse  humeur,  dont  Fimportun  caprice 
Aux  vœux  que  vous  m^ojQtez  rend  un  mauvais  office, 
S'oppose  à  leur  attente,  et  contre  eux  à  tous  coups 
Arme  les  mouvements  de  mon  juste  courroux. 

D.   GARCIE. 

Ahl  madame,  il  est  vrai,  quelque  effort  que  je  &5se, 

Qu'un  peu  de  jalousie  en  mon  cœur  trouve  place, 

Et  qu  un  rival  absent  de  vos  divins  appas 

Au  repos  de  ce  cœur  vient  livrer  des  combats. 

Soit  caprice  ou  raison,  j'ai  toujours  la  croyance 

Que  votre  âme  en  ces  lieux  souffire  de  son  absence, 

Et  que,  malgré  mes  soins,  vos  soupirs  amoureux 

Vont  trouver  à  tous  coups  ce  rival  trop  heureux. 

Mais ,  si  de  tels  soupçons  ont  de  quoi  vous  déplaire, 

Il  vous  est  bien  facile,  hélas!  de  m  y  soustraire; 

Et  leur  bannissement,  dont  j'accepte  la  loi, 

Dépend  bien  plus  de  vous  qu^  ne  dépend  de  moi. 

Oui ,  c'est  vous  qui  pouvez ,  par  deux  mots  pleins  de  flamme,  ' 


ACTE  I,  SCÈNE  lU  i5 

Contre  la  jalousie  armer  tonte  mon  âme. 
Et  y  des  pleines  clartés  d'an  glorieux  espoir, 
Dissiper  les  horreurs  que  ce  monstre  y  &it  choir. 
Daignez  donc  étouffer  le  doute  qui  m'accable, 
Et  faites  qu'un  ayeu  d'une  bouche  adorable 
Me  donne  l'assurance,  au  fort  de  tant  d'assauts, 
Que  je  ne  puis  trouver  dans  le  peu  que  je  vaux. 

nONE   ELVIRE. 

Prince,  de  vos  soupçons  la  tyrannie  est  grande. 

Au  moindre  mot  qu'il  dit  un  cœur  veut  qu  on  l'en  Vende , 

Et  n'aime  point  ces  feux  dont  Fimportunite 

Demande  qu^on  s'expb'que  avec  tant  de  clarté. 

Le.  premier  mouvement  qui  découvre  notre  âme 

Doit  dW  amant  discret  satis&ire  la  flamme; 

Et  c'est  à  s'en  dédire  autoriser  nos  voeux 

Que  vouloû*  plus  avant  pousser  de  tels  aveux. 

Je  ne  dis  point  quel  choix,  s'il  m'étoit  volontaire, 

Entre  don  Sylve  et  vous  mon  âme  pourroit  faire  : 

Mais  voulob  vous  contraindre  à  n'être  point  jaloux 

Auroit  dit  quelque  chose  à  tout  autre  que  vous  ; 

Et  je  croyois  cet  ordre  un  assez  doux  langage 

Pour  n'avoir  pas  besoin  d'en  dire  davantage. 

Cependant  votre  amour  n^est  pas  encor  content  ; 

il  demande  un  aveu  qui  soit  plus  éclatant  ; 

Pour  Fôter  de  scrupule,  il  me  Êiut  à  vous-même, 

En  des  termes  exprès,  dire  que  je  vous  aime; 

Et  peut-être  qu'encor,  pour  vous  en  assurer, 

Vous  vous  obstineriez  à  m'en  faire  jurer. 


i6       DON  GÂRCIE  DE  NAVARRE. 

D.    GARCIE. 

Hé  bieni  madame,  hé  bien!  je  suis  trop  téméraire; 
De  tout  ce  qui  vous  plait  je  dois  me  satisfaire. 
Je  ne  demande  point  de  plus  grande  clarté  : 
Je  crois  que  vous  avez  pour  moi  quelque  bonté  ^ 
Que  dW  peu  de  pitié  mon  feu  vous  sollicite^ 
Et  je  me  vois  heureux  plus  que  je  ne  mérite. 
Cen  est  fait,  je  renonce  à  mes  soupçons  jaloux; 
L*arrêt  qui  les  condamne  est  un  arrêt  bien  doux, 
Et  je  reçois  la  loi  qu^il  daigne  me  prescrire 
Pour  affiranchir  mon  cœur  de  leur  injuste  emphre. 

DONE   ELYIRE. 

Vous  promettez  beaucoup,  prince;  et  je  doute  fort 
Si  vous  pburrez  sur  vous  faire  ce  grand  effort. 

n.   GARGIE. 

Ah!  madame,  il  suffit,  pour  me  rendre  croyable, 
Que  ce  qu  on  vous  promet  doit  être  inviolable, 
Et  que  rheuf  d'obéir  à  sa  divinité 
Ouvre  aux  plus  grands  efforts  trop  de  facilité. 
Que  le  ciel  me  déclare  une  étemelle  guerre. 
Que  je  tombe  à  vos  pieds  d'un  éclat  de  tonnerre^ 
Ou,  pour  périr  encor  par  de  plus  rudes  coups, 
Puissé-je  voir  sur  moi  fondre  votre  courroux, 
Si  jamais  mon  amour  descend  à  la  foiblesse 
De  manquer  au  devoir  d'une  telle  promesse,. 
Si  jamais  dans  mon  âme  aucun  jaloux  transport 
Fait.  .A 


/■ 


ACTE  I,  SCÈNE  IV.  17 

SCÈNE    IV. 

DONE  ELVIRE,  D.  GARCIE,  D.  ALVAR,  ÉLISE5 

UN  PAGE^  PRÉSENTAIfT  U»  BILLET  A  DOHTE  ELVIRE. 

DONE    ELVIRE. 

J'en  étois  en  peine,  et  tu  m'obliges  fort* 
Que  le  courrier  attende.  *- 

SCÈNE    V. 

I 

DONE  ELyiRE,  D.  GARCIE^  D.  ALVAR,  ÉLISE. 

DONE  ELVIRE^  bas,  à  part. 

A  ces  regards  qu'il  jette , 
Vois -je  pas  que  déjà  cet  écrit  Tinquiète? 
Prodigieux  effet  de  son  tempérament  ! 

(  haut.  ) 

Qui  vous  arrête,  prince,  au  Inilieu  du  serment? 

D.   GARCIE.  I 

J'ai  cru  que  vous  aviez  quelque  secret  ensemble, 
Et  je  ne  voulois  pas  Finterrompre. 

DONE  ELVIRE. 

Il  me  semble 
Que  VOUS  me  répondez  d'un  ton  fort  altéré. 
Je  vous  vois  tout  à  coup  le  visage  égaré. 
Ce  changement  soudain  a  lieu  de  me  surprendre  : 
D'où  peut-il  provenir?  le  pourroit-on  apprendre  ? 

D.    GARCIE. 

D'un  mal  qui  tout  à  coup  vient  d'attaquer  mon  cœur. 

MoLiknc    2.  % 


i8       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

DONE  ELVIRE. 

Souvent  plus  qu'on  ne  croit  ces  maux  ont  de  rigueur, 
Et  quelque  prompt  secours  vous  seroit  nécessaire. 
Mais  encor,  dites-moi,  vous  prend-il  d'ordinaire? 

D.    GARCIE. 

Parfois. 

DONE  ELVIRE. 

Ahl  prince  foible,  hé  bien  !  par  cet  écrit, 
Guérissez-le  ce  mal;  il  n'est  que  dans  l'esprit. 

n.    GARCIE. 

Par  cet  écrit,  madame?  Ah!  ma  main  le  refuse. 
Je  vois  votre  pensée,  et  de  quoi  l'on  m  accuse. 
Si. . . 

DONE  ELVIBE. 

Lisez-le,  vous  dis- je,  et  satisfaites- vous. 

D.   GARCIE. 

Pour  me  traiter  après  de  foible ,  de  jaloux  ? 
Non,  non  :  je  dois  ici  vous  rendre  un  témoignage 
Qu  à  mon  cœur  cet  écrit  n'a  point  donné  d'ombrage; 
Et,  bien  que  vos  bontés  m'en  laissent  le  pouvoir, 
Pour  me  ^justifier  je  ne  veux  point  le  voir. 

nONE  ELVIRE. 

Si  vous  vous  obstinez  à  cette  résistance, 
J'aurois  tort  de  vouloir  vous  faire  violence; 
Et  c  est  assez  enfin  que  vous  avoir  pressé 
De  voir  de  quelle  main  ce  billet  m'est  tracé. 

D.   GARCIË. 

Ma  volonté  toujours  vous  doit  être  soumise. 


ACTE  I;,  SCÈNE  V.  19 

Si  c'est  votre  plaîsîr  que  pour  vous  je  le  lise , 
Je  consens  volontiers  à  prendre  cet  emploi. 

DONE  ELVIRE. 

Oui,  oui 9  prince^  1;enez,  vous  le  lirez  pour  moi. 

D.  GARGIE. 

C^est  pour  vous  obéir  au  moins;  et  je  puis  dire. , . 

DONE   ELVIEE. 

C'est  ce  que  vou^  voudrez  ;  dépéchez-vous  de  lire* 

D.    GARCIE. 

Il  est  de  donc  Ignés,  à  ce  que  je  connoi. 

DONE  ELVIRE. 

Oui.  Je  m'en  réjouis  et  pour  vous  et  pour  moi. 

D.  GARGIE  Ut, 

«  Malgré  Feffort  d'un  long  mépris, 
«  Le  tyran  toujours  m  aime;  et,  depuis  votre  absence, 
«  Vers  moi ,  pour  me  porter  au  dessein  quHl  a  pris , 
«  n  semble  avoir  tourné  toute  sa  violence, 
ce  Dont  â  poursuivait  l'aUiance 
«  De  vous  et  de  son  fils. 
«  Ceux  qui  sur  moi  peuvent  avoir  empire, 
«Par  de  lâches  motifs  qu'un  faux  honneur  inspire, 

«  Approuvent  tous  cet  indigne  lien. 
K  Jignore  encor  par  où  finira  mon  martyre; 
«  Mais  je  mourrai  plutôt  que  de  consentir  rien. 
«  Puissiez -vous  jouir,  belle  Elvire, 
«  D'un  destin  plus  doux  que  le  mien! 

«  D.  Ignbs.  » 
Dans  la  haute  vertu  son  âme  est  affermie. 


\ 


.* 


îto        DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

DONS  ELVIRE. 

Je  vais  faire  réponse  à  cette  illustre  amîe* 
Cependant  apprenez ,  prince ,  à  vous  mieux  armer 
Contre  ce  qui  prend  droit  de  vous  trop  alarmer. 
J'ai  calmé  votre  trouble  avec  cette  lumière  j 
Et  la  chose  a  passé  dWe  douce  manière; 
Mais^  à  n^en  point  mentir,  il  seroit  des  moments 
Où  je  pourrois  entrer  en  d  autres  sentiments. 

D.    GARCIE. 

Hé  quoi  !  vous  croyez  donc. . .  ? 

DONE   ELVIRE. 

Je  crois  ce  qu  il  faut  croire. 
Adieu.  De  mes  avis  conservez  la  mémoire  ; 
Et,  s'il  est  vrai  poux  moi  que  votre  amour  soit  grand, 
Donnez -en  à  mon  cœur  les  preuves  qu'il  prétend» 

D.   GARCIE. 

Croyez  que  désormais  c'est  toute  mon  envie, 
Et  qu'avant  d'y  manquer  je  veux  perdre  la  vie. 


Flir   DU    PREMIER    ACTE. 


DON  GARGIE  DE  NÂVARRC:.       v 


N^»^«^»^»  ^  '<»  i^i^^l^P^»  #«i^^^» 


ACTE  SECOND. 


SCÈNE  I. 

ÉLISE,  D.  LOPE: 

,         » 

ELISE. 

To  UT  ce  que  fait  le  priDce ,  à  parler  franchement, 

N^est  pas  ce*qui  me  donne  un  grand  étonnement; 

Car,  que  d'un  noble  amour  une  âme  bieo  saisie 

En  pousse  les  transports  jusqu^â  la  jalousie, 

Que  de  doutes  fréquents  ses  vœux  soient  traversés, 

Il  est  fort  naturel,  et  je  lapprouve  assez  : 

Mais  ce  qui  me  surprend,  don  Lope,  c'est  d  entendre 

Que  Yous  lui  préparez  les  soupçons  qu^il  doit  prendre; 

Que  votre  âme  les  forme,  et  quil  n'est,  en  ces  lieux, 

y 

Fâcheux  que  par  vos  soins,  jaloux  que  par  vos  yeux. 
Encore  un  coup,  don  Lope,  une  âme  bien  éprise . 
Des  soupçons  quelle  prend  ne  me  rend  point  surprise  ; 
Mais  qu^on  ait  sans  amour  tous  les  soins  d W  jaloux , 
C'est  un,e  nouveauté  qui  n'appartient  qu'à  vous* 

D.    LOPE. 

Que  sur  cette  conduite  à  son  aise  l'on  glose! 
Chacun  règle  la  sienne  au  but  qu'il  se  propose  ; 
Et,  rebuté  par  vous  des  soins  de  mon  amour , 
Je  songe  auprès  du  prince' à  bien  faire  ma  cou,r. 


aa        DON  GARCIE  OE  KAYAk^R*. 

ÉLISE. 

Mais  sâvez-Yous  qu^eufin  il  fera  mal  la  sienne, 

S'il  faut  qu  eh  cette  humeur  votre  esprit  reiitretienne? 

D.  LOPE. 

Et  quand,  charmante  Elise,  a-t-on  vu,  s'il  vous  plaît, 

Qu'on  cherche  auprès  des  grands  que  son  propre  intérêt; 

Qu'un  parfait  courtisan  veuille  charger  leur  suite 

D'un  censeur  des  défauts  qu  on  trouve  en  leur  conduite, 

Et  s'aille  inquiéter  si  son  discours  leur  nuit, 

Pourvu  que  sa  fortune  en  tire  quelque  finiit? 

Tout  ce  qu'on  &it  ne  va'  qu'à  se  mèitre  en  lèiir  grâce  i 

Par  la  plus  courte  voie  on  y  ôherche  une  place; 

Et  les  plus  prompts  moyens  de  gagner  leur  faveur, 

C'est  de  flatter  toujours  le  foible  de  leur  cœur, 

D'applaudir  en  aveugle  à  ce  qu'ils  veulent  faire, 

Et  n'appuyer  jamais  ce  qui  peut  leur  déplaire  : 

C'est  U  le  vrai  secret  d'être  bien  auprès  d  eux. 

Les  utiles  conseils  font  passer  pour  fâcheux. 

Et  vous  laissent  toujours  hors  de  la  confidence. 

Où  vous  jette  d'abord  l'adroite  complaisance. 

Enfin  on  voit  partout  que  l'art  des  courtisans 

Ne  tend  qu'à  profiter  des  foiblesses  des  grands, 

A  nourrir  leurs  erreurs,  et  jamais  dans  leur  âme 

Ne  porter  les  avis  des  choses  qu'on  y  blâme. 

Ces  maximes  un  telnps  leur  peuvent  succéder  : 

Mais  il  est  des  revers  qu'on  doit  appréhender, 

Et  dans  l'esprit  des  grands,  qu'on  tâche  de  surprendre. 


ACTE  II,  SCÈNE   I.  a3 

Un  rayon  de  lumière  à  la  fin  peut  descendre , 
Qui  sur,  tous  ces  flattleurs  venge,  équitablement 
Ce  qu'a  Eut  à  leur  gloire  un  long  ayeuglement« 
Cependant  je  dirai  que  votre  âme  s'explique 
Un  peu  bien  librement  sur  votre  politique  ; 
Et  ces  nobles  moti&,  au  prince  rapportés, 
Serviroient  assez  mal  vos  assiduités. 

n.    LOPE. 

Outre  que  je  pourrois  d^avouer  sans  blâme 

Ces  libres  vérités  sur  quoi  s'ouvre  mon  âme  y 

Je  sais  fort  bien  qu  Elise  a  l'esprit  trop  discret 

Pour  aller  divulguer  cet  entretien  secret. 

Qu'ai-je  dit,  après  tout,  que  sans  moi  Ton  ne  sache  ? 

Et  dans  mon  procédé  que  fautnil  que  je  cache?. 

On  peut  craindre  une  chute  avec  quelque  raison , 

Quand  on  met  en  usage  ou  ruse  ou  trahison  : 

Mais  qu  aî-je  à  redouter,  moi  qui  partout  n'avance 

Que  les  soins  approuvés  d'un  peu  de  complaisance , 

Et  qui  suis  seulement  par  d^utîles  leçons 

La  pente  qu'a  le  prince  à  de  jaloux  soupçons? 

Son  âme  semble  en  vivre,  et  je  mets  mon  étude 

A  trouver  des  raisons  à  son  inquiétude , 

A  voir  de  tous  côtés  s'il  ne  se  passe  rien 

A  fournir  le  sujet  d'un  secret  entretien; 

Et  quand  je  puis  venir,,  enflé  d'une  nouvelle , 

Donner  à  son  repos  mie  atteinte  mortelle, 

C'est  lors  que  plus  il  m'aime,  et  je  vois  sa  raison 

P'une  audience  avide  avaler  ce  poison., 


24       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Et  m'en  remercier  comme  d*une  victoire 

Qui  combleroit  ses  jours  de  bonheur  et  de  gloire. . . 

Mais  mon  rival  paroit,  je  vous  laisse  tous  deux  : 

Et,  bien  que  je  renonce  à  Fespoir  de  vos  vœux, 

Jaurois  un  peu  de  peine  à  voir  qu'en  ma  présence 

Il  reçût  des  effets  de  quelque  préférence; 

Et  je  veux  j  si  je  puis,  m'épargner  ce  souci. 

ÉLISE. 

Tout  amant  de  bon  sens  en  doit  user  ainsi. 

SCÈNE  U. 

D.  ALVAR,  ÉLISE. 

n.   ALVAR. 

Enfin  ftous  apprenons  que  le  roi  de  Navarre 
Pour  les  désirs  du  prince  aujourd'hui  se  déclare, 
Et  qu'un  nouveau  renfort  de  troupes  nous  attend 
Pour  le  fameux  service  où  son  amour  prétend. 
Je  suis  surpris ,  pour  moi ,  qu'avec  tant  de  vitesse 
On  ait  fait  avancer. . .  Mais. . . 

SCÈNE  IIL 

D.  GARCIE,  ÉLISE,  D.  ALVAR. 

D.    GARCIE. 

QiTE  fait  la  princesse? 

ÉLISE. 

Quelques  lei£r23,  seigneur,  je  le  présume  ainsi. 
Mais  elle  va  savoir  que  vous  êtes  ici. 

D.    GARCIE. 

^attendrai  qu'elle  ait  fait. 


ACTE  II,  SCÈNE  IV.  23 

SCÈNE  IV. 

D.  GARCIE. 

Près  de  souffirir  sa  vue, 
Dun  trouble  tout  nouveau  je  me  sens  Fâme  émue, 
Et  la  crainte ,  mêlée  à  mon  ressentiment , 
Jette  par  tout  mon  corps  un  soudain  tremblement. 
Prince ,  prends  garde  au  moins  qu'un  aveugle  caprice 
Ne  te  conduise  ici  dans  quelque  précipice, 
Et  que  de  ton  esprit  les  désordres  puissants 
Ne  donnent  un  peu  trop  au  rapport  de  tes  sens  : 
Consulté  ta  raison,  prends  sa  clarté  pour  guide; 
Vois  si  de  tes  soupçons  l'apparence  est  solide  : 
Ne  démens  pas  leur  voix  ;  mais  aussi  garde  bien 
Que,  pour  les  croire  trop,  ils  ne  t'imposent  rien. 
Qu'à  tes  premiers  transports  ils  n'osent  trop  permettre, 
Et  relis  posément  cette  moitié  de  lettre. 
Ah!  qu'est-ce  que  mon  cœur,  trop  digne  de  pitié, 
Ne  voudroit  pas  donner  pour  son  autre  moitié! 
Mais ,  après  tout ,  que  dis^  je  ?  il  suffit  bien  de  Tune , 
Et  n'en  voilà  que  trop  pour  voir  mon  infortune. 

«  Quoique  votre  rival. . . 
«  Vous  devez  toutefois  vous, . .  - 
«  Et  vous  avez  en  vous  à. . . 
ce  L'obstacle  le  plus  grand. . . 

a  Je  chéris  tendrement  ce. . . 
«  Pour  me  tirer  des  mains  de. . . 


a6       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

«  Son  amour,  ses  devoirs.  •  • 
«  Mais  il  m'est  odieux  avec.  • . 

«  Otez  donc  à  vos  feux  ce. .  • 
«  Méritez  les  regards  que  Ton. .  • 
«  Et  lorsiju'on  vous  oblige. . . 
<c  Ne  vous  obstinez  point  à. . .  » 

Oui,  mon  sort  par  ces  mots  est  assez  éclairci; 
Son  cœur,  comme  sa  main,  se  fait  connoitre  ici, 
Et  les  sens  imparfaits  de  cet  écrit  funeste 
Pour  s'expliquer  à  moi  n'ont  pas  besoin  du  reste. 
Toutefois  dans  Tabord  agissons  doucement, 
Couvrons  à  l'infidèle  un  vif  ressentiment; 
Et,  de  ce  que  je  tiens  ne  donnant  point  d'indice, 
Confondons  son  esprit  par  son  propre  artifice. 
La  voici.  Ma  raison,  renferme  mes  transports, 
Et  rends-toi  pour  un  temps  maitresse  du  dehors. 

SCÈNE  V. 

DONE  ELVIRE,  D.  GARCIE. 

DONE   ELVIRE. 

Vous  avez  bien  voulu  que  je  vous  fisse  attendre. 

D.   GARCIE,  bas ^  à  paru 
AL  I  qu'elle  cache  bien. . .  ! 

DONE   ELVIRE. 

On  vient  de  nous  apprendre 
Que  le  roi  votre  père  approuve  vos  projets, 


ACTi;  II,  SCtNE  V.  ay 

Et  veut  bien  que  son  fils  nous  rende  nos  sujets  ; 
Et  mon  âme  en  a  pris  une  allégresse  extrême. 

9.   6ARGÎB. 

Oui,  madame ,  et  mon  cœur  s  en  réjouit  de  même  ; 
Mais... 

DONE   ELVIRE. 

Le  ^an ,  sans  doute ,  aura  peine  à  parer 
Les  foudres  que  partout  il  entend  murmurer; 
Et  j'ose  me  flatter  que  le  même  courage 
Qui  piit  bien  me  soustraire  à  sa  brutale  rage, 
Et  dans  les  murs  d'Âstorgue ,  arrachée  à  ses  maitis. 
Me  faire  un  sûr  asile  à  braver  ses  desseins, 
Pourra,  de  tout  Léon  achevant  la  conquête, 
Sous  ses  nobles  efforts  faire  choir  cette  tête. 

D.    GAROIE. 

Le  succès  en  pourra  parler  dans  quelques  jours. 
Mais,  de  grâce, ^passons  à  quelque  autre  discours. 
Puis-j^ ,  sans  trop  oser,  vous  prier  de  me  dire 
A  qui  vous  avez  pris ,  madame ,  soin  d'écrire ,    . 
Depuis  que  le  destin  nous  a  conduits  ici? 

PONE   ELVIRE. 

Pourquoi  cette  demande?  et  d'où  vient  ce  souci? 

D.    GARCIE. 

D'un  désir  curieux  de  pure  fantaisie. 

DONE   ELVIRE. 

La  curiosité  nait  de  la  jalousie. 


â8       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

D.   GARCIE. 

Non  y  ce  n'est  rien  du  tout  de  ce  que  vous  prisez  ^ 
Vos  ordres  de  ce  mal  me  défendent  assez. 

DONE   ELVIRE. 

Sans  chercher  plus  avant  quel  intérêt  vous  presse , 
JTai  deux  fois  à  Léon  écrit  à  la  comtesse, 
Et  deux  fois  au  marquis  don  Louis  à  Burgos. 
Avec  cette  réponse  êtes-vous  en  repos? 

D.    GARCIE. 

Vous  n'avez  point  écrit  à  quelque  autre  personne, 
Madame? 

DONE   ELVIRE. 

Non,  sans  doute;  et  ce  discours  m'étonne» 

D.    GARCIE. 

De  grâce,  songez  bien  avant  que  d'assurer. 
En  manquant  de  mémoire  on  peut  se  parjurer. 

DONE    ELVIRE. 

Ma  bouche  sur  ce  point  ne  peut  être  parjure. 

0  D.    GiiRGIE. 

Elle  a  dit  toutefois  une  haute  imposture. 

DONE    ELVIRE. 

Prince! 

D.    GARCIE. 

Madame  ! 

DONE   ELVIRE. 

O  ciel!  quel  est  ce  mouvement? 
Avez-vous,  dites-moi;  perdu  le  jugement? 


ACTE  II,  SCÈNE  V.  29 

D.    GARGIE. 

Ouï,  oui,  je  laî  perdu,  lorsque  dans  votre  vue 
Jai  pris,  pour  mon  malheur,  le  poison  qui  me  tué. 
Et  que  j'ai  cru  trouver  quelque  sincérité 
Dans  les  traîtres  appas  dont  je  hs  enchanté. 

DONE   ELVIRE. 

De  quelle  trahison  pouvez-vous  donc  vous  plaindre  ? 

D.   GARGIE. 

Ah!  que  ce  cœur  est  double,  et  sait  bien  Fart  de  feindre! 
Mais  tous  moyens  de  ftiir  lui  vont  être  soustraits. 
Jetez  ici  les  yeux,  et  connoissez  vos  traits. 
Sans  avoir  vu  le  reste,  il  m'est  assez  facile 
De  découvrir  pour  qui  vous  employez  ce  style. 

DONE    ELVIRE. 

Voilà  donc  le  sujet  qui  vous  trouble  lesprit? 

D.    GARGIE. 

Vous  ne  rougissez  pas  en  voyant  cet  écrit? 

D017E   ELVIRE. 

Llnnocence  à  rougir  n'est  point  accoutumée. 

D.    GARGIE. 

n  est  vrai  qu'en  ces  lieux  on  la  voit  opprimée. 
Ce  billet  démenti  pour  n'avoir  point  de  seing. . . 

DOKE   ELVIRE. 

Pourquoi  le  démentir,  puisqu'il  est  de  ma  main? 

D.    GARGIE.  ' 

Encore  est-ce  beaucoup  que,  de  franchise  pure, 
Vous  demeuriez  d'accord  que  c  est  votre  écriture  : 
Mais  ce  sera  sans  doute ^  et  j'en  serois  garant,^ 


3o       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Un  billet  (ju'on  envoie  à  quelque  indifférent; 
Ou  du  moins  ce  qu'il  a  de  tendresse  évidente 
Sera  pour  une  amie  ou  pour  quelque  parente. 


I 

! 

DOKB   ELVIRE. 


Non ,  c'est  pour  un  amant  que  ma  main  la  fiirmé, 
Et,  j  ajoute  de  plus^  pour  uu  amant  aimé. 

D.    OAECIS. 

Et  je  puis,  ô  perfide!. . . 

DONB  BliYIllE. 

Arrêtez,  prince  ûod^e. 
De  ce  lâche  transport  l'égarement  insigne. 
Bien  que  de  vous  mon  cœur  ne  prenne  point  de  loi^. 
Et  ne  doive  en  ces  lieux  aucun  compte  qu'à  soi, 
Je  veux  bien  me  purger,  pour  votre  seul  supplice, 
Du  crime  que  m'impose  un  insolent  caprice. 
Vous  serez  éclairci,  n'en  doutez  nullement  : 
Jaima  défense  prête  en  ce  même  moment; 
Vous  allez  recevoir  une  pleine  lumière; 
Mon  innocence  ici  paroitra  tout  entière; 
Et  je  veux,  vous  mettant  juge  en  votre  intérêt, 
Vous  faire  prononcer  vous-même  votre  arrél. 

D.   GARG'IE. 

Ce  sont  propos  obscurs  quW  ne  sauroit  comprendre. 

DONE   BLVXRE.  < 

% 

Bientôt  à  vos  dépens  yons  me  pourrez  entendre. 
Élise,  holà! 


ACTE  II,  SCÈNE  VI. 

SCÈNE   VI. 

D.  GARCIE,  DONE  ELVIRE,  ÉLISE. 

ÉLISE. 
MAtDAME? 
DONE  BCVIRE,  &  don  Garcie. 

Observez  bien  au  moins 
Si  j  ose  à  vous  tromper  employer  quelques  soins , 
Si  par  un  seul  coup  d^œil'ou  geste  qui  l'instruise 
Je  cherche  de  ce  coup  A  parer  la  surprise. 

(  à  Élise.  ) 

Le  billet  qiœ  tantèt  ma  main  ayoit  tracé , 
Répondez  promptement,  où  faYez-yous  laissé? 

ÉLISE. 

Madame,  j'ai  sujet  de  m'ayouer  coupable; 

Je  ne  sais  cosune  il  est  demeuré  sur  ma  table; 

Mais  ou  yient  de  m'apprendre  en  ce  même  moment 

Que  don  Lope  yenant  dans  mon  appartement, 

Par  une  liberté  qu'on  lui  yoit  se  permettre , 

A  fureté  partout,  et  trouyé  cette  lettre. 

Gomme  il  la  déplioit,  Léonor  a  youlu 

S'en  saisir  promptement  ayant  qu'il  eût  rien  lu  ; 

Et,  se  jetant  sur  lui,  la  lettre  contestée 

En  deux  justes  moitiés  dans  leurs  mains  est  restée; 

Et  don  Lope,  aussitôt  prenant  un  prompt  essor, 

  dérobé  la  sienne  aux  soins  de  Léonor* 

DONS   ELyiRE. 

Avez-yous  ici  Pautre? 


3a       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

ÉLISE. 

Oui  9  la  Yoilà ,  madame. 

DONE   ELYIRE. 
(  à  don  Garcie.  ] 

Donnez.  Nous  allons  voir  qui  mérite  le  blâme. 
Avec  votre  moitié  rassemblez  celle-ci. 
Lbez,  et  hautement,  je  veux  lentendre  aussi. 

D.    GARCIE. 

Au  prince  don  Garcie.  Ah  I 

D0N£  ELVIRE. 

Achevez  de  lire. 
Votre  âme  pour  ce  mot  ne  doit  point  s'interdire. 

D.   GARCIE  lit. 

«  Quoique  votre  rival,  prince,  alarme  votre  âme, 
«  Vous  devez  toutefois  vous  craindre  plus  que  lui; 
«  Et  vous  avez  en  vous  à  détruire  aujourd'hui 
«  L'obstacle  le  plus  grand  que  trouve  votre  flamme. 

«  Je  chéris  tendrement  ce  qu'a  fait  don  Garcie 
«  Pour  me  tirer  des  mains  de  mes  fiers  ravisseurs;' 
«  Son  amour ,  ses  devoirs ,  ont  pour  moi  des  douceurs , 
«  Mais  il  m'est  odieux  avec  sa  jalousie. 

«  Otez  donc  à  vos  feux  ce  qu'ils  en  font  paroitre, 
«  Méritez  les  regards  que  l'on  jette  sur  eux; 
«  Et  lorsqu'on  vous  oblige  à  vous  tenir  heureux, 
«  Ne  vous  obstinez  point  à  ne  pas  vouloir  Fêtre. .». 

DONB  ELVIRE. 

Hé  bien  !  que  dites  -vous  ? 


ACTE  II,   SCÈNE  VI.  33 

D.  GAEGIE. 

Âh!  madame,  je  dis 
Qu'à  cet  objet  mes  sens  demeurent  interdits, 
Qae  je  vois  dans  ma  plainte  une  horrible  injustice. 
Et  qu'il  n'est  point  pour  moi  d'assez  cruel  supplice. 

DONE  ELYIRE. 

n  suffit.  Apprenez  que  si  j'ai  souhaité 
Qu  à  vos  yeux  cet  écrit  pût  être  présenté. 
C'est  pour  le  démentir ,  et  cent  fois  me  dédire 
De  tout  ce  que  pour  yous  vous  y  venez  de  lire. 
Adieu,  prince. 

n.  GARCIE. 

Madame,  hélas!  où  fuyez -vous? 

DONE  ELYIRE. 

Où  VOUS  ne  serez  point ,  trop  odieux  jaloux. 

O.  GARGIE. 

Âh  !  madame  j  excusez  un  amant  misérable  ^ 

Qu  un  sort  prodigieux  a  Ëiit  vers  vous  coupable , 

Et  qui ,  bien  qu'il  vous  cause  un  courroux  si  puissant. 

Eût  été  plus  blâmable  à  rester  innocent. 

Car  enfin  peut-il  être  une  âme  bien  atteinte 

Dont  l'espoir  le  plus  doux  ne  soit  mêlé  de  crainte  ? 

Et  pourriez-vous  penses  que  mon  cœur  eût  aimé. 

Si  ce  billet  J&tal  ne  l'eût  point  alarmé. 

S'il  n'avoit  point  fi:émi  des  coups  de  cette  foudre 

Dont  je  me  figurois  tout  mon  bonheur  en  poudre? 

Vous-même,  dites-moi  si  cet  événement 

N'eût  pas  da<ns  mon  erreur  jeté  tout  autre  amant  ^ 

MoLiàaz.  2«  3 


34       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Si  d'une  preuve,  hélas!  qui  me  sembloit  si  claire 
Je  pouyois  démentir.  • . 

DONE  ELVIRE. 

Oui ,  vous  le  pouviez  faire  ] 
Et  dans  mes  sentiments,  assez  bien  déclarés, 
Vos  doutes  rencontroient  des  garants  assurés  : 
Vous  n'aviez  rien  à  craindre;  et  d autres,  sur  ce  gage, 
Auroient  du  monde  entier  bravé  le  témoignage. 

D.    GARCIE. 

Moins  on  mérite  un  bien  qu^on  nous  fiiit  espérer. 

Plus  notre  âme  a  de  peine  à  pouvoir  s'assurer. 

Un  sort  trop  plein  de  gloire  à  nos  ;^eux  est  fragile. 

Et  nous  laisse  aux  soupçons  une  pente  facile. 

Pour  moi,  qui  crois  si  peu  mériter  vos  bontés, 

J'ai  douté  du  bonheur  de  mes  témérités^; 

« 

J'ai  cru  que,  dans  ces  lieux  rangés  sous  ma  puissance. 
Votre  âme  se  forçoit  à  quelque  complaisance; 
Que,  déguisant  pour  moi  votre  sévérité. . . 

PONÈ   EtVIRE. 

Et  je  pourrois  descendre  à  cette  lâcheté! 
Moi ,  prendre  le  parti  d'une  honteuse  feinte , 
Agir  pat"  les  motifs  d'une  servile  crainte, 
Trahir  mes  sentiments,  et,  pour  être  en  vos  mains. 
D'un  masque  de  faveur  vous  couvtir  mes  dédains  î 
La  g|loire  sur  mon  cdeur  auroit  s!  peu  d'empire! 
Vous  pouvez  le  penser!  et  vous  me  l'osez  dire! 
Apprenez  que  ce  cœur  ne  sait  point  s'abaisser. 
Qu'il  n'est  rien  sous  les  cieux  qUi  puisse  l'y  forcer; 


ACTE  II,  SCÈNE  YI.  35 

Et,  s'il  vous  a  fait  voir,  par  une  erreur  insîf^e, 
Des  marcpies  de  bonté  doat  tou»  n'étiez  pas  digoe. 
Qu'il  saura  bien  montrer,  malgré  votre  pouvoir, 
La  haine  que  pouf  vous  i|  se  résout  d'avoir, 
Braver  votre  furie,  et  vous  &ire  connaître 
Qu'il  n'a  point  été  lâche  et  ne  veut  jamais  1  être; 

Hé  bien  !  je  suis  coupable ,  et  ne  m'tii. défends  pas  : 

Mais  je  demande  grâce  à  vos  divins  appas  ; 

Je  la  demande  au  nom  de  la  fim  vive  flamme 

Dont  jamais  deux  beaux  yeiïx  ^ient  fait  brûler  une  âme. 

Que  si  votre  courroux  ne  peut  être  apaisé , 

Si  mon  crime  est  trop  grand  pour  se  voir  excusé  | 

Si  vous  ne  regardez  ni  l'amour  q^i  le  cause , 

Ni  le  vif  repentir  que  mon  cœur  vdos  expose, 

11  ËLut  qu'un  coup  heureux^  on  tne  faisant  mourir^ 

MTarrache  à  des  tourments  que  je  ne  puis  soul&ir. 

Mon ,  ne  présumez  pas  qu'ayant  su  vous  déplaire, 

Je  puisse  vivre  une  heure  avec  votre  colère. 

Déjà  de  xx  memmi  la  barbare  longueur 

Sous  ses  cuisants  remords  fait  succocaber  mon  cœur, 

Et  dcv  mille  vautours  les  biessui^  cruelles 

N'ont  rien  de  compatible  k  cestkuleurs  mortelles. 

Madame,  vous  n'avez  qu'à  me  le  .déclarer. 

S'il  n'est  point  de  pardon  que  je  doive  espérer, 

Cette  épée  auasitôt,  par  un  coup  favorable, 

Va  peresr  i  vos  yeux  le  ceeur  d'un  misérable , 

Ce  cœiâr,  oe  tMMve  cœur,  dont  leS  ^perplexités 


36       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Ont  si  fort  outragé  vos  extrêmes  bontés  : 
Trop  heureux^  en  inonrant,  si  ce  coap  légitime 
EBkce  en  votre  esprit  Timage  de  mon  crime , 
Et  ne  laisse  aucuns  traits  de  TOtre  aversion 
Au  foible  souvenir  de  mon  affection! 
C'est  Tunique  faveur  que  demande  ma  flamme^ 

DONE  XLVIRB. 

Ah  I  prince  trop  cruel  ! 

p.   GARCIE. 

Dites,  parlez,  madame. 

DONS  ELVIRE. 

Faut- il  encor  pour  vous  cons^rer  des  bontés, 
Et  vous  voir  m'outrager  par  tant  d^indîgnités? 

D.   6AR0IE. 

Un  coeur  ne  peut  jamais  outrager  quand,  il  aime  ; 
Et  ce  que  fait  l'amour,  il  Texcuse  lui-même.' 

DONE  ELVIRE. 

L'amour  n'excuse  point  de  tels  emportements. 

D.    GARCIE, 

Tout  ce  qu'il  a  d'ardeur  passe  en  ses  mouvements; 
Et  plus  il  devient  fort,  plus  il  trouve  de  peine. •  « 

DONE  ELVIRE. 

Non,  ne  m'en  parlez  point,  vous  méritez  ma  haine. 

D.   GARGIE. 

Vous  me  haïssez  donc? 

DONE   ELVIRE. 

Ty  veux  tâcher  au  moins  : 
MaiS|  hélasl  fe trains  bien  que  j'y  perde  mes  soins, 


ACTE  II,  SCÈNE  VI.  37 

Et  qae  tout  le  courroux  ^'excite  votre  offense 
Ne  puisse  jusque-là  faire  aller  ma  vengeance. 

D.    6ARCIE. 

D'un  supplice  si  grand  ne  tentez  point  l'effort, 
Puisque  pour  vous  venger  je  vous  offire  ma  mort; 
Prononcez-en  Farrât,  et  j'obéis  sur  l'heure. 

DONE   ELVIRE. 

Qui  ne  saurpit  haïr  ne  peut  vouloir  quW  meure. 

B.    GiARCIE. 

Et  moi,  je  ne  puis  vivre,  à  moins  que  vos  bontés 

Accordent  un  pardon  à  mes  témérités. 

Résolvez  l'un  des  deux,  de  punir,  ou  d'absoudre. 

DONE   ELVIRE. 

Hélas!  j'ai  trop  fait  voir  ce  que  je  puis  résoudre. 
Par  Taveu  d'un,  pardon  n'est-ce  pas  se  trahir. 
Que  dire  au  criminel  qu'on  ne  le  peut  haïr? 

D..  GARGIE. 

Âh!  c'en  est  trop;  soaffi'e;z,  adorable  princesse. •• 

DONE   ELVIAÊ. 

Laissez  ;  je  me  veux  mal  d'une  telle  foiblesse. 

% 

D.   GÂRGIS,  seuln 

Enfin  je  suis. 


. . 


38       DON  6ARG1Ë  DE  NAVARRE. 

SCÈNE  VU. 

D.  GARCI5,  D.  LOPE, 

n.  EûPB. 
SjuGNJirvR^  je  vicxi^  tou»  infiNner 
D'un  secret  dont  tos  feax  o&t  droit  de  s  dkf  mer« 

»,    GÀRCIÇ- 

Ne  me  YÎeixs  poiot  parler  de  secret  ni  d'diarme 

Dans  les  doux  mouvements  du  transport  qui  me  charme. 

Après  ce  qu'à  mes  yeux  on  vient  de  présenter, 

Q  n^est  point  de  soupçons  que  je  doive  écouter  j 

Et  d'un  divin  objet  la  bonté  sans  pareille 

À  touâfces  vains  rapports  doit  fermer  mon  oreille  : 

Ne  m'en  fai$  plus. 

D.  LOPE. 

t  ■ 

Seigneur,  je  veux  ce  qull  voUs  plaît; 
Mes  soins  en* tout  ceci  n'ont  que  votre  intérêt.' 
J'ai  cru  que  le  secret  que  je  viens  de  surprendre 
Méritoit'bîcn  qu'en  hâte  on  vous  le  vint  apprendre  : 
Mais,  puisque  vous  voulez  que  je  n^en  touche  rien , 
Je  vous  dirai ,  seiigneur,  pour  ohangoBr  d'^ntEetioot^ 
Que  déjà  dans  Léoii  on  voit  çb^ue  famille 
Lever  le  masque  au  bruit  des  troupes  de  QastiUe. 
Et  que  surtout  le  peuple  y  fait  pour  son  vrai  roi 
Un  éclat  à  donner  au  tyran  de  leifroi, 

D.    GARCIE, 

La  Castille  du  moins  n  aura  pas  la  victoire 
Sans  que  nous  essayions  d  en  partager  la  gloire; 


ACTE  II,  SCÈNE  VII.      «         39 

Et  nos  troupes  aussi  peuvent  être  en  état 
D^imprimer  ^elque  crainte  au  cœur  de  Maurégat. 
Mais  quçl  est  ce  secret  dont  tu  voulpis  mHnstruire? 
Voyons  un  peu. 


D.    LOPE. 


Seigneur,  je  n'ai  rien  à  vous  dire. 

D.    GARCIE. 

Va,  va,  parlé;  mon  cœur  t'en  donne  Je  pouvoir. 

Pf  Loy*. 
Vos  paroles,  seigneur,  m^en  ont  trop  &it  savoir; 
Et  puisque  pie?  avis  ont  de  quoi  voua  déplaire, 
Je  saurai  4^sormais  trouver  Yant  de  me  t^ire. 

D.    OARÇÏE. 

Enfin  je  vçui:  savoir  la  chose  absolument* 

D.   LOP£. 

Je  ne  réplique  point  à  ce  commandement. 

Mais^  seigueur  ^  en  ce  lieu  le  devoir  de  mon  z^le 

Trahiroit  le  secret  d'une  telle  nouvelle  ; 

Sortons  pour  vous  Tapprendre;  et  ^  §au5Tien  eipj?ra§fier, 

Vous-même  yçqç  vçrrez  ce  qu'on  en  doit  peuseï:. 


FIN   nV   SECOND    ACTE. 


4o       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 


ACTE  TROISIÈME. 


«k  I 


SCÈNE  I. 

DONE  ELVIRE,  ÉLISE. 

DORE   EI.YIRE. 

Elise  ,  que  ttis-ta  de  l'étrange  foiblesae 
,  Que  vient  de  témoigner  le  cœur  d\ine  princesse? 
Que  dis-tu  de  me  voir  tomber  si  promptemenC 
De  to4le  la  chaleur  de  mon  ressentiment. 
Et,  malgré  tant  d'éclat,  relâcher  mon  courage 
Au  pardon  trop  honteux  d'un  si  cruel  outrage? 

ÉLISB. 

Moi,  je  dis  que  d'un  cœur  que  nous  pouTous  chérir 

Une  injure,  sans  doute,  est  bien  dure  à  souffiir; 

Mais  que,  s'il  n'en  est  point  qui  davantage  irrite, 

n  n  en  est  point  aussi  qu'on  pardonne  si  vite. 

Et  qu'un  coupable  aimé  triomphe  à  nos  genoux 

De  tous  les  prompts  transports  du  plus  bouillit  courroux , 

D'autant  plus  aisément,  madame,  quand  loifense 

Dans  un  excès  d'amour  peut  trouver  sa  naissance. 

Ainsi p  quelque  dépit  que  l'on  vous  ait  causé. 

Je  ne  m'étonne  point  de  le  voir  apaisé; 

Et  je  sais  quel  pouvoir,  malgré  votre  menace, 

A  de  pareils  forfaits  donnera  toujours  grâce. 


ACTE  m,  SCÈNE  I.  4i 

DONK  BIVIRB. 

Âh  !  sache ,  quelque  ardeur  qui  m'im^pose  Ses  lois  y 
Que  mon  front  a  rougi  pour  la  dernière  fois , 
Et  que,  si  désormais  on  pousse  ma  colère, 
n  n^est  point  de  retour  qu'il  faille  qu^on  espère. 
Quand  je  pourrois  reprendre  un  tendre  sentiment, 
Cest  assez  contre  lui  que  Téclat  d'un  serment  : 
Car  enfin  un  esprit  qu'un  peu  d  orgueil  inspire 
Trouve  beaucoup  de  honte  à  se  pouvoir  dédire, 
Et  souvent,  aux  dépens  d'un  pénible  combat. 
Fait  sur  ses  propres  vœux  un  illustre  attentat, 
S'obstine  par  honneur,  et  n  a  rien  qu'il  n'imimole 
  la  noble  fierté  de  tenir  sa  parole. 
Ainsi,  dans  le  pardon  que  l'on  vient  d'obtenir. 
Ne  prends  point  de  clartés  pour  régler  l'avenir. 
Et,  quoi  qu'à  mes  destins  la  fortune  prépare, 
Crois  que  je  ne  puis  être  au  prince  de  Navarre, 
Que  de  ces  noirs  accès  qui  troublent  sa  raison 
n  n'ait  fait  éclater  l'entière  guérison , 
Et  réduit  tout  mon  cœur,  que  ce  mal  persécute, 
A  n'en  plus  redouter  laflfront  d'une  rechute- 

ÉLISE. 

Mais  quel  affront  nous  fait  le  transport  d'un  jaloux  ? 

DONE  ELVIRE, 

En  est-il  un  qui  soit  plus  digne  de  courroux? 
Et  puisque  notre  cœur  faitun  effort  extrême 
Lorsqu'il  se  peut  résoudre  à  confesser  qu il  aime. 
Puisque  l'honneur  du  sexe,  en  tout  temps  rigoureux^ 


43       DON.  QARCIP  DE  NAVARRE. 

Oppose  un  fort  obst^Je  4  i^i  pai^eik  aveux , 
L'amam  qiÀ  v^il  pow  Iw  ^Tv^ncti  un  tel  <^tade 
Doit-il  impimëm^t  dou^  ^  eet  or^de? 
Et  n  est-il  pas  ço^^able  ftlors  qu'il  ne  çcoit  pas 
Ce  qu'on  ne  dît  jamb  qu  aprë$  de  grands  çembats? 

Moi,  je  tiens  que  touj^ur^  un  peu  ^e  défiance 

En  ces  occasions  n'a  rion  qui  nous  offense, 

Et  qu'il  est  dangereux  qu-uq  çoepr  qu'on  4  cbanpé 

Soit  trop  persuadé ,  madaip^,  d'être  aimé  : 

Si. . . 

nONE   B^VIRE. 

Ken  disputons  plu$.  Chaçmi  a  sa  pei^séfe. 
C'est  un  scrupule  enfin  dopt  .mon  ime  «$t  Ule$aé^  \ 
Et  contre  ines  désirs  je  sen$  je  ne  çais  quoi 
Me  prédire  un  éclat  entre  U  prince  et  moi^ 
Qui  j  malgré  ce  qu'on  doit  aux  vertus  dont  il  briUe.  • , 
Mais,  ô  ciel!  en  c^  iieu;^  don  Sylve  de  Castille!  ^ 

SCÈNE  IL 

DONE  ELYIRE;  D.  ALPHONSÇ,  cru  D.  SYLVp- 

ÉLISE. 

âh!  seigneur,  par  quel  sprt  vous  y^is-|e  maintenant? 

D.    ALPHarïSE. 

Je  sais  que  mon  abord,  madame,  est  surprenant , 
Et  qu'être  sans  éclat  entré  dan$  cette  ville  ^ 
Dont  Tordre  d'un  rival  rend  l'accès  difficile^ 


ACTE  III,  SCÈNE  IL  43 

Qu'avoir  pu  me  soustraire  aux  yeux  de  ses  soldats , 
C'est  un  événement  que  vous  n^ttendiez  pas. 
Mais  si  j^ai  dans  oe& lieux  franchi  quelques  obstacles^ 
L'ardeur  de  VQUS  revoir  peut  bien  d'autres  miracles  ; 
Tout  mon  cœur  a  senti  par  de  trop  rudes  coups 
Le  rigoureux  destin  d^dti^  éloigné  de  vous, 
Et  je  n'ai  pu  nier  an  tourment  qui  le  tue 
Quelques  momenta  secrets  d'une  si  chère  vue* 
Je  viens  vous  dire  dcmc  que  je  rends  grflciei  aux  eieux 
De  vous  voir  hors  des  mains  d^un  tyran  odiei£&  : 
Mais,  parmi  les  douceurs  d'une  telle  aventuré, 
Ce  qui  m^est  un  sujet  d  éternelle  torture,  .  . 

C'est  de  voir  qu^à  mon  bras  les  rigueitrs'de  mon  sert 
Ont  envié  l'honneur  de  cet  illustre  effi>rt. 
Et  fait  à  mon  lival ,  avec  trop  d^injustice , 
Offinr  les  doux  périls  d'un  si.&meux  servie^. 
Oui ,  madame ,  j'avois ,  pqur  rompre  vos  liens , 
Des  sentiments  sans  doute  aussi  be^ux  que  les  siens; 
Et  je  pouvois  pour  Wus  ^gfier  cette  victoire , 
Si  le  ciel  n'eût  voulu  m*en  dérober  la  gloire. 

DONÉ   ELVXRE.  / 

Je  sais ,  seigneur,  je  saiâ  que  vous  ayez  un  cœur 

Qui  des  plus  grands  périls  vous  peut  rendre,  vainqueur; 

Et  je  ne  doute  point  que  ce  généreux  2sè}e, 

Dont  la  chaleur  vous  pousse  à  venger  ma  querelle, 

N'eût  contre  les  efforts  d'un  indigne  projet.  . 

Pu  faire  en  ma  Ëiveur  tout  çâ  qu'un  autre  a  fait. 

Mais ,  sans  cette  action  dont  vous  étiei;  oapa^ e , 


44       DON  GARCIE  DE  NAVARRE- 

Mon  sort  à  la  Castille  est  a^ssez  redevable  ; 

On  sait  ce  qu'en  ami  plein  d'ardeur  et  de  foi 

Le  comte  Totre  père  a  fait  pour  le  feu  roi  :  . 

Après  Tavoir  aidé  jusqu'à  l'heure  dernière, 

n  donne  en  ses  États  un  asile  à  mon  frère. 

Quatre  lustres  entiers  il  y  cache  son  sort 

Aux  barbares  fureurs  de  quelque  lâche  effort; 

Et^  pour  rendre  à  son  front  l'éclat  d'une  couronne, 

Contre  nos  ravisseurs  vous  marchez  en  personne. 

N'êtes-vous  pas  content?  et  ces  soins  généreux 

Ne  m  attachent-ils  point  par  d'assez  puissants  nœuds? 

Quoil  votre  âme,  seigneur,  seroit-elle  obstinée 

A  voukir  asservir  toute  ma  destinée  ? 

Et  faut-il  que  jamais  il  ne  tombe  sur  nous 

L'ombre  d'un  seul  bienfait,  qu'il  ne  vienne  de  vous? 

Ah!  souffrez,  dans  les  maux  où  mon  destin  m'expose, 

Qu'aux  soins  d'un  autre  aussi  je  doive  quelque  chose; 

Et  ne  vous  plaignez  point  de  voir  un  autre  bras 

Acquérir  de  la  gloire  où  le  vôtre  n'est  pas* 

D.    ALPHONSE. 

Oui,  madame,  mon  cœur  doit  cesser  de  s'en  plaindre. 
Avec  trop  de  raison  vous  voulez  m'y  contraindre; 
Et  c'est  injustement  qu'on  se  plaint  d'un  malheur. 
Quand  un  autre  plus  grand  s'offre  à  notre  douleur. 
Ce  secours  d'un  rival  m'est  un  cruel  martyre. 
Mais,  hélas!  de  mes  maux  ce  n'est  pas  là  le  pire  : 
Le  coup ,  le  rude  coup  dont  je  suis  atterré , 
C'est  de  m^  voir  par  vous  ce  rival  préféré. 


N 


ACTE  III,  SCÈNE  IL  45 

Ouï,  je  ne  vois  que  trop  que  ses  feux  pleins  de  gloire 

Sur  les  miens  dans  votre  âme  emportent  là  victoire; 

Et  cette  occasion  de  servir  vos  appas , 

Cet  avantage  offert  de  signaler  son  bras. 

Cet  éclatant  exploit  qui  vous  fut  salutaire, 

N'est  que  le  pur  effet  du  bonheur  de  vous  plaire, 

Que  le  secret  pouvoir  d'un  astre  merveilleux 

Qui  fait  tomber  la  gloire  où  s'attachent  vos  vœux. 

Ainsi  tous  mes  efforts  ne  seront  que  fumée. 

Contre  vos  fiers  tyrans  je  conduis  une  armée  : 

Mais  je  marche  en  tremblant  à  cet  illustre  emploi. 

Assuré  que  vos  vœux  ne  seront  pas  pour  nioi, 

Et  que ,  s'ils  sont  suivis,  la  fortune  prépare 

L'heur  des  plus  beaux  succès  aux  soins  de  la  Navarre» 

Â.hl  madame,  faut-il  me  voir  précipité 

De  l'espoir  glorieux  dont  je  m  etois  flatté? 

Et  ne  puis- je  savoir  quels  crimes  on  m'impute. 

Pour  avoir  mérité  cette  eflfroyable  chute? 

DONE  ELVIRE. 

Ne  me  demandez  rien  avant  que  regarder 
Ce  qu'à  mes  sentiments  vous  devez  demandeur; 
Et  sur  cette  firoideur  qui  semble  vous  confondre 
Répondez-vous,  seigneur ^^  ce  que  je  puis  répondre  : 
Car  enfin  tous  vos  soins  ne  sauroient  ignorer 
Quels  secrets  de  votre  âme  on  m'a  su  déclarer; 
Et  je  la  crois  cette  âme  et  trop  noble  et  trop  haute 
Pour  vouloir  m'obliger  à  commettre  une  £iute. 
Vous-même ,  dites-vous  s'il  est  de  l'équité 


46       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

De  me  voir  couronner  une  infidélité. 

Si  vous  pouyez  m'offirîr  sans  beaucoup  d^in  justice 

Un  cœur  à  d'autres  yeux  offert  en  sacrifice , 

Vous  plaindre  avec  raison ,  et  blâmer  mes  refiis 

Lorsqu'ils  veulent  d'un  crime  affiranchir  vos  vertm. 

Oui,  seigneur,  c'est  un  crime;  et  les  premières  flamme 

Ont  des  droits  si  sacrés  sur  les  illustres  ftmes , 

Qu'il  faut  perdre  grandeurs  et  renoncer  au  jour 

Plutôt  que  de  pencher  vers  un  second  amour« 

J'ai  pour  vous  cette  aideur  que  peut  p^rendre  l'estime 

Pour  un  courage  haut,  pour  un  cœur  magnanime; 

Mais  n  exigez  de  moi  que  ce  que  je  vous  dois , 

Et  soutenez  l'honneur  de  votre  premier  choix. 

Malgré  vos  feux  nouveaux,  voyez  quelle  tendresse 

Vous  conserve  le  cœur  de  l'aimable  comtesse, 

Ce  que  pour  un  ingrat  (  car  vous  Pètes,  seigneur,  ) 

Elle  a  d'un  choix  constant  refiisé  de  bonheur; 

Quel  mépris  généreux,  dans  son  ardeur  extrâm«, 

Elle  a  fait  de  l'éclat  que  donne  un  diadème  : 

Voyez  combien  d'ejffi>rts  pour  vous  elle  a  bravés, 

Et  rendez  à  son  cœur  ce  que  vous  lui  devez. 

D.   ALPHONSE. 

Ah!  madame,  à  mes  yeux  n'ollrez  point  son  mériiie, 
Il  n'est  que  trop  présent  à  l'ingrat  qui  la  quitte  ;. 
Et  si  mon  cœur  vous  <dît  ce  que  pour  elle  il  sent, 
J'ai  peur  qu'il  ne  soit  pas  envers  vous  innaceût. 
Oui ,  ce  cœur  lose  plaindre ,  et  ne  smt  pas  «ans \^^^ 
L'impérieux  effort  de  l'amour  qui  l'entraîne; 


ACTE  III,  SCÈNE  tl.  I^j 

Âacun  espoir  pour  yoiis  ii'à  Sàtté  mes  désirs,  ' 

Qui  ne  m'ait  arraché  pour  elfe  des  soupira^ 

Qui  n'ait  dans  ^^  douceurs  fait  jeter  à  mëti  ânie 

Quelques  tristes  regards  vers  sa  pemière  iSamm^, 

Se  reprocher  l'efiet  de  vos  divins  attraits , 

Et  mêler  des  remords  à  mes  plus  chers^ouhaits. 

J'ai  fait  plus  que  cela,  puis^u'U  vdus  faut  tout  dire  ; 

Oui,  j'ai  voulu  sur  moi  vous  ôter  votre  empire, 

Sortir  de  votre  chaîne,  et  rejeter  mon  cœur 

Sous  le  joug  innocent  de  son  premier  Vainqueur. 

Mais,  après  mes  efforts ^  ma  constance  ahattue 

Voit  un  cours  néce^^aire  à  ce  mai  qui  me  tue;; 

Et,  dût  être  mon  sort  à  jamais  malheureux , 

Je  ne  puis  renoncer  à  Tespoi^de  mes  vœtix. 

Je  ne  sauroifi  sotifflrir  Pépouvantahle  idée 

De  vous  voir  par  un  autre  à  mes  yeux  possédée  ; 

Et  le  flambeau  du  jour  qui  m'offre  vos  appas 

Doit  avant  cet  hymen  éclairer  mon  trépas* 

Je  sais  que  je  trahis  une  princfeSSe  aimable; 

Mais,  madame,  après  tout^  mon  cœur  est-3  coupable? 

Et  le  fort  ascendant  qiié  prend  votre  beauté 

Laisse- t-il  aux  esprits  aucune  liberté? 

Hélas  !  je  suis  ici  bien  phis  à  plaindre  qu'elle  ; 

Son  cœur,  en  mé  perdant,  tie  perd  qu'un  iûfiéèle  ; 

D'un  pareil  déplaisir  on  se  peut  consoler  : 

Mais  moi ,  par  un  malheur  qtti  né  petit  s'égaler , 

J^ai  celui  de  quitter  une  aiinabk  personne, 

Et  tous  les  maux  encor  que  mon  amour  me.  donne. 


48       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

P0I7E  ELVIRE. 

Vous  n  avez  que  les  maux  que  vous  voulez  avoir; 
Et  toujours  notre  coeur  est  en  notre  pouvoir: 
Il  peut  bien  quelquefois  montrer  quelque  foiblesse; 
Mais  enfin  sur  nos  sens  la  raison  est  maîtresse.  • . 

SCÈNE  m. 

D.  GARCIE,  DONE  ELVIRE,  D.  ALPHONSE,  cko 

D.  SYLVE. 

D.    6AKGIE. 

Madame.,  mon  abord,  comme  je  connois  bien , 
Assez  mal  à  propos  trouble  votre  entretien  : 
Et  mes  pas  en  ce  lieu,  s'il  faut  que  je  le  die, 
Ne  croyoient  pas  trouver  si  bonne  compagnie. 

DONE   ELVIAE. 

Cette  vue,  en  effet,  suiprend  au  dernier  point; 
Et,  de  même  que  vous,  je  ne  Fattendois  point* 

i).    GARCIE. 

Oui,  madame,  je  crois  que  de  cette  visite. 

Comme  vous  lassurez ,  vous  n'étiez  point  instruite.    ^ 

(  à  don  Sjlye.  ) 

Mab,  seigneur,  vous  deviez  nous  faire  au  moins  l'honneur 
De  nous  donner  avis  de  ce  rare  bonheur, 
Et  nous  mettre  en  état,  sans  nous  vouloir  surprendre, 
De  vous  rendre  en  ces  lieus  ce  qu  on  voudroit  vous  rendre. 

J>.    ALPHONSE. 

Les  héroïques  soins  Vous  occupent  si  fort. 


ACTE  III,  SCÈNE  III.  49 

Que  de  vous  en  tirer,  seigneur,  j'aurois  eu  tort; 
Et  des  grands  conquérants  les  sublimes  pensées 
"^    Sont  aux  civilités  avec  peine  abaissées. 

D.    GARCIE. 

Mais  les  grands  conquérants,  dont  on  vante  les  soins, 

Loin  d'aimer  le  secret,  affectent  les  témoins  : 

Leur  âme,  dès  l'enfance  à  la  gloire  élevée, 

Les  fiiit  dans  leurs  projets  aller  tête  levée  ; 

Et  s  appuyant  toujours  sur  de  hauts  sentiments. 

Ne  s'abaisse  jamais  à  des  déguisements. 

Ne  commettez-vouS  point  vos  vertus  héroïques 

En  passant  dans  ces  lieux  par  de  sourdes  pratiques^ 

Et  ne  craignez-vous  point  qu'on  puisse ,  aux  yeux  de  tous, 

Trouver  cette  action  trop  indigne  de  vous? 

D.   ALBHONSS. 

Je  ne  sais  si  quelqu'un  blâmera  fta  conduite, 

Au  secret  que  j'ai  fait  d'une  tqlle  visite; 

Mais  je  sais  qu  an;x  projets  qui  veulent  la  clarté , 

Prince ,  je  n  ai  jamais  cherché  l'obscurité  : 

Et ,  quand  j'aurai  sui:  vous  à  faire  ui^e  entreprise , 

Vous  n'aurez  pas  sujet  de  blâmer  la  surprise  ; 

n  ne  tiendra  qu'à  vous  de  vous  en  garantir. 

Et  l'on  prendra  le  soin  de  vous  en  avertir. 

Cependant  demeurons  aux  termes  ordinaires , 

Remettons  nos  débats  après  d'autre  affaires; 

Et,  d'un  sang  un  peu  chaud  réprimant  ks  bouillons , 

N  oublions  pas  tous  deux  devant  qui  nous  parlons. 

MOLI^AE     2.  '4 


So       DON  6ÂRCIE  DE  NAVARRE. 

DONB  BLYIRB,   à  ^n  Garcîe. 

Prince,  VOUS  avez  t<^;  et  sa  irisite  est' t^6) 
Que  vous... 

D.   GARGIE« 

Ah  !  c^en  est  trop  que  prendra  sa  ^erelle , 
Madame;  et  votre  esprit  devroit  feindre  an  peu  mieux, 
Lorsqu^il  veut  ignorer  sa  venue  en  ces  lieux* 
Cette  chaleur  si  prompte  à  vouloir  Ja  défendre 
Persuade  assez  mal  (ju  elle  ait  pu  vous  surprendre. 

DONE   ELVIRB. 

Quoi  que  vous  soupçonniez,  il  m'importe  si  peu, 
Que  j^aurois  du  regret  d  en  faire  un  désaveu* 

D.    GARGIE.  . 

Poussez  donc  jusquVu  bout  tet  orgueil  héroïque, 
Et  que  sans  hésiter  tout  votre  cœur  s^explique;  * 
C'est  au  déguisement  donner  trop  de  crédit. 
Ne  désavouez  rien,  puisque  vous  l'avez  dit. 
Tranchez ,  tranchez  le  mot ,  forcez  toute  conlrainte) 
Dites  que  de  ses  feux  vous  ressentez  latteinte^ 
Que  pour  vous  isa  présence  a  des  charmes  si  doajic.  ; . 

DONB   EtVIRE. 

Et  si  je  veux  l'aimer,  m  en  empêcherez- vous? 
Âvez-vous  sur  mon  cœur  quelque  empire  à  prétendrai 
Et,  pour  régler  mes  vœux,  ai-je  votee  ordre  à  prendre? 
Sachez  que  trop  d  orgueil  a  pu  vous  décevoir. 
Si  votre  cœur  sur  moi  sVst  cru  quelque  pouvoir. 
Et  que  mes  sentiments  sont  d'une  âme  trop  grande 
Pour  vouloir  les  cacher  lorsqu'on  me  les  demanâe. 


ACTE  m,  SCÈNE  IIL  5t 

Je  ne  Y0113  dirai  point  si  le  comte  est  aimé  : 

Mais  apprenez  ^e  moi  qu'il  est  fort  estimé; 

One  ses  haute»  v^tus,  pour  qui  je  m'intéresse, 

Méritent  mieux  que  vous  le$  vqpuz  IPune  princesse; 

Que  je  garde  aux  ardeur^ ,  aui  soips  quH  me  feit  voir, 

Tout  le  ressentiment  qn^uQ  ftipe  puisse,  avoir; 

Et  que,  si  des  destiqs  la  &tale  puis^pce 

M^ôte  la  liberté  d'être  sa  récompense  ^ 

Au  moins  esl-il  en  moi  de  promettre  &  ses  yœipc 

Qu'on  ne  me  yçrra  point  le  butin  de  yos  feui^.  » 

Et,  sans  tous  amuser  d'une  attente  ^iyole, 

C^est  à  quoi  JQ  Ve^gage  ;  et  je  tiendrai  paroje, 

Voilà  mon  cœur  oi^yert ,  puisque  yous  le  vouiez  ^ 

Et  mes  vrai^  sentimeqts  à  vos  yeux  étalée. 

Êtes-vous  satjsj^t?  et  mon  âme  attaquée 

S'est-elle ,  à  votre  ^yi? ,  ^sses  bien  expliquée  ?    ■ 

Voyez ,  pour  vo^  ôter  toqt  lie^  de  soupçonner  ^ 

S'il  reste  quelt^u^  jc^qr  ençorq  ^  vqu^  donner* 

Cependant  si  VQS  ^oipç  s'attachent  à  me  plaire. 
Songez  quç  votre  })ra$,  ÇQinte,  m^est  nécessaire  ^ 
Et,  d'un  capricie^i^  qu^}$ <^e  çoient  les  transports^ 
Qfik  punir  nos  tyrans  U  dpit  tpiis  çps  efforts. 
Fermez  l'oreille  enfii»  ^  jQUte  ^  ftjrie  J 
Et,  pour  vous  y  porteri  c'pgt  jsxql  qui  yous  en  prie. 


5a       DON  GARCIË  Dfe  NÀYÀRRR 

SCÈNE   IV. 

D   GARCIE;  D-  ALPHONSE,  cwj  IX  SYLVE. 

'   D.    &ÀRCIE. 

Tout  vous  rit,  et  votre  âme  en  cette  occasion 
Jouit  superbement  de  ma  confusion, 
n  vous  est  doux  de  voir  un  aveu  plein  de  gloire 
Sur  les  feux  d  un  rival  marquer  votre  victoire  : 
Mais  c'est  à  votre  joie  un  surcroît  sans  égal,  * 
J^en  avoir  pour  témoins  les  yeux  de  ce  rival^ 
Et  mes  prétentions ,  hautement  étouffées , 
A  vos  vœtix  triomphants  sont  d'illustres  trophées. 
Goûtez  à  pleins  transports  ce  bonheur  éclatant  : 
Mais  sachez  qu'on  n'est  pas  encore  où  Ion  prétend. 
La  fureur  qui  m^anime  a  de  trop  justes  causes, 
Et  Ton  verra  peut-être  arriver  bien  des  choses. 
Un  désespoir  va  loin  quand  il  est  échappe, 
Et  tout  est  pardonnable  à  qui  se  voit  trompé. 
Si  l'ingrate,  à  mes  yeux,  pour  flatter  votre  flamme, 
A  jamais  n  être  à  moi  vient  d'engager  son  âme, 
Je  saurai  bien  trouver,  dans  mon  juste  courroux. 
Les  moyens  d'empêcher  qu  elle  ne  soit  à  vous. 

n.   ALPHONSE. 

Cet  obstacle  n'est  pas  ce  qui  me  met  en  peine. 
•  Nous  verrons  quelle  attente,  en  tout  cas,  sera  vainc; 
Et  chacun  de  ses  feux  pourra ,  par  sa  valeur. 
Ou  défendre  la  gloire,  ou  venger  le  malheur. 
Mais  comme^  entre  rivaux,  Tàme  la  plus  posée 


♦  , 


ACTE  III,  SCÈNE  IV.      .         53 

A  des  termes  d  aigreur  trouve  une  pente  aisée, 
Et  ^e  je' ne  yeu^  point  qu'un  pareil  entretien 
Poissa  trop  échauflfer  Totre  esprit  et  le  mien , 
Prince,  affi*anchissez-moi  d'une  gêne  secrète, 
Et  me  donnez  moyen  de  Êiire  ma  retraite. 

D.i  GRACIE. 

Non,  non,  ne  craignez  point  qa'on  pousse  votre  esprit 
A  viofer  ici  Tordre  qu  on  vous  prescrit. 
Quelque  juste  fureur  qui  me  presse  et  vous  flatte. 
Je  sais,  comte,  je  sais  quand  il  faut  qu'elle  éclate. 
Ces  lieux  vous  sont  ouverts;  oui ,  sortez-en,  sortez , 
Glorieux  des  douceurs  que  vous  en  remportez  : 
Mais,  encore  une  fois,  apprenez  que  ma  tète 
Peut  seule  dbns  vos  mains  mettre  votre  conquête* 

■ 

D.    ALPHONSE. 

Quand  nous  en  serons  là,  le  sort  en  notre  bras 
De  tous  nos  intérêts  videra  les  débats. 


riN   DU   TROISIEME  ACTE. 


<    •• 


54       DON  GÂRCIE  DE  NAVARRE., 

ACTE  QUATRIÈME. 


ji  r. 


SCÈNE  L 

DONE  ELVIREj  D.  ALVAft. 

DONE   SLVIRE. 

Retournez  ,  don  Alvar,  et  perdè^  Tèisfîéralicé 
De  me  persuader  loilUi 'àt  celttt  offeâdè. 
Cette  plaie  entnoB  cœur  îitB  sauroît  isè  gnérir^ 
Et  les  soins  ç[^ii'on  en  prend  ne  font  den  que  f^grin 
A  (juelijues  faux  respects  6roit41  que  je  défère? 
Non ,  non ,  il  a  poussé  trop  avant  knâ  Côlèré  ; 
Et  son  vain  repentir  qui  porte  ici  vos  pas^ 
Sollicite  un  pardon  que  vous  n'obtiendrez  pas, 

D.    ALVAR. 

Madame,  il  fait  pitié  :  jamais  cœur,  que  je  pense, 
Par  un  plus  vif  remords  n'expia  son  offense; 
Et ,  si  dans  sa  douleur  vous  le  ^nsidériez , 
H  toucheroit  votre  âme,  et  vous  Texcuseriez. 
On  sait  bien  que  le  prince  est  dans  un  âge  à  suivre 
Les  premiers  mouvements  où  son  âme  se  livre, 
Et  qu  en  un  sang  bouillant  toutes  les  passions 
Ne  laissent  guère  place  â  des  réflexioilS* 
Don  Lope,  prévenu  d'ui^e  fausse  lumière  ^ 


ACTE  IV,  SCÈNE  I.  5S 

De  Terreur  de  son  maître  a  fourni  la  manière. 
Un  bruit  assez  confiis,  dont  le  zèle  înâîscret 
A  de  l'abord  du  comte  éventé  le  secret) 
Vous  avoit  mise  aussi  de  cette  inlelUgence- 
Qui ,  dans  ces  lieux  gardés ,  a  donné  sa  présence» 
Le  prince  a  cru  Tavis;  et  son  amour  séduit 
Sur  une  fausse  alarme  a  &it  tout  ce  grand  bruit. 
Mais  d'une  telle  erreur  son  âme  est  revenue  : 
Votre  innocence  enfin  lui  vient  d'éfte  connue  ; 
Et  don  Lope  qu'il  chasse  est  un  visible  effet 
Du  vif  remords  qu'il  sent  de  l'éclat  qu'il  a  fait. 

DONE    ELVIRE. 

Ah!  c'est  trop  promptement  qu'il  croit  mon  innocence, 
Il  n'en  a  pas  encore  une  entière  assurance  : 
Dites-lui,  dites-lui  qu'il  doit  bien  tout  peser , 
Et  ne  se  hâter  point,  de  peur  de  s'abuser, 

n«  alvàr. 

Madame ,  il  sait  trop  bien. . . 

DON£   ELVIRE. 

Mais,  don  Alvar,  de  grfcc, 
N'étendons  pas  plus  loin  un  discours  qui  me  lasp  -, 
lU^veille  un  cliagrin  qui  vient  à  contre-temps 
En  troubler  dans  mon  cœur  d'autres  plus  importants. 
Qui,  ^LU^  trop  grand  malheur  la  surprise  me  presse, 
Et  le  bruit  du  trépas  de  Tillustre  comtesse 
Doit  s'emparer  si  bien  de  tout  mon  déplaisir, 
'  Qu'aucun  autre  souci  n'a  droit  de  me  saisir. 


5(5       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

.     D.   ALVAJI. 

Madame,  ce  peut  être  une  fausse  nouvelle; 
Mais  mon  retour  au  prince  en  porte  une  cruelle. 

DONE   ELVIRE. 

De  ({uelq[ue  grand  ennui  qu'il  puisse  être  agité^ 
Il  en  aura  toujours  moins  qu'il  n^a  mérité. 

SCÈNE  ii: 

DONE  ELVIRE,  ÉLISE. 

ELISE. 

JaTtendois  qu'il  sortit,  madame,  pour  vous  dire 
Ce  qu  il  faut  maintenant  que  votre  âme  respire, 
Puisque  votre  chagrin,  dans  un  moment  d'ici, 
Du  sort  de  dofte  Ignés  peut  se  voir  éclairci. 
Un  inconnu,  qui  vient  pour  cette  confidence, 
Vous  &it  par  un  des  siens  demander  audience. 

DONE    ELVIRE. 

Élise,  il  faut  le  voir)  qu'il  vienne  promptemeut. 

ÉLISE. 

MaU  il  veut  n'être  vu  que  de  vous  seuleiment; 

Et  par  cet  envoyé,  madame,  il  sollicite 

Qu^il  puisse  sans  témoins  vous  rendre  sa  tlM^ite. 

DONE   ELVIRE. 

Hé  bien!  nous  serons  seuls,  et  je  vais  l'ordonAer 
Tandis  que  tu  prendras  le  soin  de  l'amener. 
Que  mon  impatience  en  ce  moment  est  forte! 
Q  destins!  est-ce  joie  ou  douleur  quVn  m'apporte? 


ACTE  IV,  SCÈNE  III.  57 

SCÈNE    III. 

« 

D.  PEDRE,  ÉLISE. 

iLISE, 

oi...  i 

D.   PiDRB. 

Si  vous  me  cherchez,  madame ,  me  voici* 

ÉLISE. 

En  qnel  lieu  votre  maitre  7 

D.   PÂDRE. 

Il  est  proche  d'ici. 
•  Le  ferai- je  venir? 

ELISE. 

Dites-lui  qu'il  s'avance , 
Assm^  qu'on  l'attend  avec  impatience  y        * 
Kt  qu'il  ne  se  verra  d'aucuns  yeux  éclairé. 

(seule.) 

Je  ne  sais  quel  secret  en  doit  être  auguré  ; 
Tant  de  précautions  qu'il  affecte  de  prendre. .  • 
Mais  le  voici  déjà. 

SCÈNE   IV. 

DONE  IGNÉS,  DÉGUISÉE  en  hommej  ÉLISE. 

lELISE. 

Seigneua,  pour  vous  attendre 
On  a  Ëtit. . .  Mais  que  vois-je  7  Âh  1  madame ,  mes  yeux. . .  f 

DONE  iGNis. 
^e  me  découvrez  point,  Élise,  dans  ces  lieux, 


58       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Et  laissez  respirer  ma  triste  destinée 
Sous  une  feinte  mort  que  je  me  suis  donnée. 
GW  elle  qui  m  arrache  à  tous  mes  fiers  tyrans, 
Car  je  puis  sous  ce  nom  comprendre  mes  parents; 
J'ai  par  elle  évité  cet  hymen  redoutable, 
Pour  qui  j'aurois  souffert  une  mort  yéritable  ; 
Et  sous  cet  équipage  et  le  bruit  de  ma  mort 
,  Il  faut  cacher  à  tous  le  secret  de  mon  sort , 
Pour  me  voir  à  l'abri  de  l'injuste  poursuite 
Qui  pourroit  dans  ces  lieux  persécuter  ma  fuite. 

^LISE. 

Ma  surprise  en  public  eût  trahi  vos  désirs; 
Mais  allez  là-dedans  étouffer  des  soupirs, 
Et  des  charmants  transports  d^un«  pleine  allégresse 
Saisir  à  votre  aspect  le  cœur  de  la  princesse  : 
Vous  la  trouverez  seule;  elle-même  a  pris  soin 
Que  votre  abord  fiit  libre,  et  n'eût  aucun  témoin. 

SCÈNE    V. 

D.  ALVAR,  ÉLISE. 

ÉLISE. 

Vois- JB  pas  don  Alvar? 

n.    ALVAR. 

Le  prince  me  renvoie 
Vous  prier  que  pour  lui  votre  crédit  s  emploie. 
De  ses  jours,  belle  Élise,  on  doit  n'espérer  rien, 
S'il  n'obtient  par  vos  soins  un  moment  d'entretien. 
Son  âme  à  des  transports. . .  Mais  le  voici  lui-méBie. 


ACTE  IV,  SCÊNË  Vl.  Sg 

SCÈNE   VI. 

D.  GARCIE,  ÏK  ÂLVÂR,  ÉLISE. 

1» 
D.    GARCIE. 

Ah!  sqjfi  un  peu  sensible  à  ma  disgrâce  extrême, 
Elise,  et  prends  pitié  d^un  cœur  infortuné 
Qu^auz  plus  vives  douleurs  tu  vois  abandonné. 

£fIS£. 

G^est  avec  d'autres  yeux  que  ne  fait  la  princesse  ^ 
Seigneur^  <|ae  je  verrois  le  tourmetit  qui  vous  jMresM  i 
Mais  nous  avons  dtt  ciel,  ou  du  tempérament^ 
Que  nous  jugeons  de  tout  chacun  diversement; 
Et  puiscju  elle  vous  blâme ,  et  que  sa  fantaisfe 
Lui  fait  un  monstre  affreux  de  votre  jalousie, 
Je  serois  complaisant,  et  voudrois  m'efForcer 
De  cacher  à  ses  yeux  ce  qui  peut  les  blesser. 
IM  amant  suit  sans  doute  une  utile  méthode, 
S'il  Ëtit  qu'à  notre  humeur  la  sienne  s'accommode; 
Et  cent  devoirs  font  moins  que  ces  ajustements 
Qui  font  croire  en  deux  cœurs  les  mêmes  sentiments. 
L'art  de  ces  deux  rapports  fortement  les  assemble, 
'  Et  nous  n'aimons  rien  tant  que  ce  qui  nous  ressemble. 

• 

D.    GARGIB. 

Je  le  sais  :  mais,  hélas!  les  destins  inhumains 
S'opposent  à  YeSët  de  ces  justes  desseins, 
Et,  malgré  tous  mes  soins,  vieniftnt  toujours  me  tendre 
Un  piège  dont  mon  cœur  ne  sauroit  se  défendre. 


6o       DON  GARCIE  DE  NAVAsRRE. 

Ce  n'est  pas  cpie  l'ingrate,  aux  yeux  <fe  mon  rival, 
N'ait  Eût  contre  mes  feux  un  aveu  trop  fatal, 
Et  témoigne  pour  lui  des  excès  de  tendresse 
Dont  le  cruel  objet  me  reviendra  sans  cesse  : 
Mais  comme  trop  d  ardeur  enfin  m'avoit  séduit 
Quand  j^ai  cru  qu^en  ces  lieux  elle  l'eut  introduit^  ' 
D'un  trop  cuisant  ennui  je  sentirois  Fatteinte 
A  lui  laisser  sur  moi  quelque  sujet  de  plainte. 
Oui ,  je  veux  faire  au  moins ,  si  je  m'en  vois  quitté , 
Que  ce  soit  de  son  cœur  pure  infidélité^ 
Et,  venant  m^excuser  d^un  trait  de  promptitude. 
Dérober  tout  prétexte  à  son  ingratitude. 

ELISE. 

Laissez  un  peu  de  temps  à  son  ressentiment, 
Et  ne  la  voyez  point,  seigneur,  si  promptement. 

D.    GARCIE. 

* 

Ah  !  si  tu  me  chéris ,  obtiens  que  je  la  voie  s     . 

C'est  Une  liberté  qu'il  fîiut  qu'elle  m'octroie  : 

Je  ne  pars  point  d'ici ,  qu'au  moins  son  fier  dédain. .  • 

ÉLISE. 

De  grâce ,  différez  l'effet  de  ce  dessein. 

D.    GARCIE.  t 

Non ,  ne  m'oppose  point  une.  excuse  frivole. 

ELISE,  à  part. 

Il  faut  que  ce  soit  elle ,  avec  une  parole, 
Qui  trouve  les  moyens  de  le  faire  en  aller. 

(à  don  Garcie.  ) 

Demeurez  donc,  seigneur;  je  m'en  vais  lui  parler^ 


ACÏE  IV,  SCÈNE  VI.  6i 

D.    6ARGIE. 

Dis-lui  que  j^ai  d'abord  banni  de  ma  présence 

Celui  dont  les  avis  ont  causé  mou  offense;  ^ 

Que  don  Lope  jamais. . . 

i.  SCÈNE   VIL 

D.  GARCIE,  D.  ALVAR. 

D.   GARCIE,  regardant  par  la  porte  qu'Élise  a  laissée 

entr'ou  verte. 

Que  vois-je,  ô  justes  cieux! 
Faut-il  que  je  m'assure  au  rapport  de  mes  yeux  ! 
Âh!  sans  doute,  ils  me  sont  des  témoins  trop  fidèles. 
Voilà  le  comble  affireux  de  mes  peines  mortelles; 
Voici  le  eoup  fatal  qui  devoit  m'accabler  : 
Et  quand  par  des  soupçons  je  me  sentois  troubler, 
Cétoit,  cetoit  le  ciel,  dont  la  sourde  menace 
Présageoit  à  mon  cœur  cette  horrible  disgrâce. 

D.    ALYAR. 

Qu'avez-vous  vu,  seigneur,  qui  vous  puisse  émouvoir? 

D.    GARCIE. 

fki  vu  ce  que  mon  âme  a^peine  à  concevoir; 
Et  le  renversement  de  toute  la  nature 
Tie  m'étonneroit  pas  comme  cette  aventure. 
C'en  est  fait. .  Le  destin. . .  Je  ne  saurois  parler. 

D.    ALVAR. 

Seigneur,  que  votre  esprit  tâcbe  à  se  rappeler.  . 

D.    6ABCIB« 

J'ai  vu.  • .  Vengeance ,  ô  ciel  I 


69       DON  QÂRCIE  DE  NAVARRE. 

QueUe  atteinte  soudaine,  •  • 

D«  GARCIS. 

Ten  monirai,  don  Alyar;  la  chose  est  bien  certaine* 

3  D.    ÀLVAR. 

Mais,  Seigneur,  qui  pourroit. . .  '^ 

Ah!  tout  est  ruiné! 
Je  suis,  je  suis  trahi,  je  suis  assassiné: 
Un  homme  (sans  mourir  te  le  puis- je  bien  dire?), 
Un  homme  dans  les  bras  de  Tinfidèle  Elvire  ! 

D.   ALYAR* 

Ah  !  seigneur,  la  princesse  est  vertueuse  au  point, , . 

D.  GARCI£. 

Ah  !  sur  ce  que  j^ai  vu  ne  me  conteste  point , 
Don  Alvar;  c  en  est  trop  que  soutenir  sa  gloire. 
Lorsque  mes  yeu?  font  foi  d'une  actiou  si  noire. 

n,  ALyAR. 

Seigneur,  nos  passions  nous  font  prendre  30uvent 
Pour  chose  véritable  un  objet  décevant; 
Et  de  croire  qu'uoe  âme  à  la  vertu  nourrie 
Se  puisse. . . 

n.    GARCIE« 

Don  Alvar,  laissez-moi,  je  vous  prie  : 
Un  conseiller  me  choquf?  ep  cettç  occasion , 
Et  je  ne  prends  avis  que  de  ma  passion. 

D.  4.LVAR,  à  part* 

n  ne  faut  rien  répondre  à  cet  esprit  £u:ouche. 


ACTE  IV,  SCÈNE  VIL  63 

0.    GAKGIS. 

Al!  que  simaiblaDezit  cette  atteinte  me  touche! 
Mais  il  faut  voir  qui  c'est ,  et  de  ma  main  punir.  •  • 
La  voici.  Ma  fureur^  te  peux-tu  retenir  ? 

SCÈNE  vni.  ' 

DONE  ELVWE,  D.  GARCIE,  D.  ALVAR. 

DONE  ELVIRE. 

Hi  bien!  que  voulez-vous?  et  quel  espoir  de  grâce} 
Après  vos  procédés,  peut  flatter  votre  audace? 
Osez-vous  à  mes  yeux  encor  vous  présenter? 
Et  que  me  direz-vous  que  je  doive  écouter? 

D.   GARCIE. 

Que  toutes  les  horreurs  dont  une  âme  est  capable 
A  vos  déloyautés  n'ont  rien  de  comparable; 
Qae  le  sort,  les  démons,  et  le  ciel  en  courroux, 
N  ont  jamais  rien  produit  de  si  méchant  que  vous. 

DONB  ELVIRE. 

Ahl  vraiment  j'attendois  l'excuse  d'un  outrage, 
Mais,  à  ce  que  je  vois,  c'est  un  autre  langage* 

n.   GARCIE. 

Oui ,  oui,  c  en  est  ua  autre  ;  et  voust  n^atteudiez  pas 
Que  j'eusse  découvert  le  tfaitré  dans  vos  bras; 
Qu'un  funeste  hasaid,  par  la  porte  entrouverte,. 
Eût  offert  à  mes  yeux  votre  honte  et  ma  perte. 
Est-ce  l'heureux  amant  sur  ses  pas  revefiiu. 
Ou  quelque  autre  rival  qui  mutait  inconnu? 


64       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

O  ciel,  donne  à  mon  cœur  des  forces  suffisantes 

Poui:  pouvoir  supporter  des  douleurs  si  cuisantes  ! 

Rougissez  maintenant,  vous  en  avez  raison, 

Et  le  masque  est  levé  de  votre  trahison. 

Voilà  ce  que  iflarquoient  les  troubles  de  mon  âme , 

Ce  n'étoit  pas  en  vain  que  s^alarmoit  pia  flamme;  ' 

Par  ces  fréquents  soupçons  qu'on  trôuvoit  odieux, 

Je  cherchois  le  malheur  qu'ont  rencontré  mes  yeux-^ 

Et,  malgré  tous  vos  soins  et  votre  adresse  à  feindre, 

Mon  astre  me  disoit  ce  que  j^avois  à  craindre. 

Mais  ne  présumez  pas  q«e,  sans  être  vengé. 

Je  sou£Sre  le  dépit  de  me  voir  outragé. 

Je  sais  que  sur  les  vœux  on  n'a  point  de  puissance  ^ 

Que  l'amour  veut  partout  naître  sans  dépendance, 

Que  jamais  par  la  force  on  n'entra  dans  un  cœur  j 

Et  que  toute  âme  est  libre  à  nommer  son  vainqueur  : 

Aussi  ne  trouverois-je  aucun  sujet  de  plainte, 

Si  pour  moi  votre  bouche  a  voit  parlé  sans  feinte  ;  * 

Et ,  son  arrêt  livrant  mon  espoir  à  la  mort , 

Mc^n  cœur  n  auroit  eu  droit  de  s'en  prendre  qu'au  sort. 

Mais  d'un  aveu  trompeur  voir  ma  flamme  applaudie, 

C  est  une  trahison,  c'est  une  perfidie. 

Qui  ne  sauroit  trouver  de  trop  grands  châtiments; 

Et  je  puis  tout  permettre  à  mes  ressentiments. 

Non ,  non ,  n  espérez  rien  après  un  tel  outrage  ; 

Je  ne  suis  plus  à  moi ,  je  suis  tout  à  la  rage. 

Trahi  de  tous  cfttés,  mis  dans  un  triste  état , 

Il  faut  que  mon  amour  se  venge  avec  éclat, 


ACTE  IV,  SCÈNE  VIII.  65 

Qulci  j'immole  tout  â  ma  fureur  extrême, 
Et  que  mou  désespoir  achève  par  moi>-même. 

DÔNE   ELVIRE. 

Assez  pabiblement  vous  a-t-^n  écouté? 
Et  pourrai- je  à  mon  tour  parler  eu  liberté? 

D.    GARCIE. 

Et  par  quels  beaux  discours  que  l'artifice  inspire* . . 

DONE   ELVIKE. 

Si  vous  avez  encor  quelque  chose  à  me  dire, 
Vous  pouvez  rajouter,  je  suis  prête  à  Touïr; 
SiuoD,  faites  au  moins  que  je  puisse  jouir 
De  deux  ou  trois  moments  de  paisible  audience. 

D.    GARCIE. 

Hé  bien!  j'écoute.  O  ciel!  quelle  est  ma  patience! 

DONE   ELVIRE. 

Je  force  ma  colère,  et  veux,  sans  nulle  aigreur, 
Répondre  à  ce  discours  si  rempli  de  fureur. 

D.    GARCIE. 

C'est  que  vous  voyez  bien. . . 

DONE    ELVIRB. 

^      Ah  !  j'ai  prêté  Foreille 
Autant  qu'il  vous  a  plu;  rendez-moi  la  pareille. 
J'admire  mon  destin,  et  jamais  sous  les  cîeux 
11  ne  fut  rien ,  je  crois ,  de  si  prodigieux , 
Rien  dont  la  nouveauté  soit  plus  inconcevable, 
Et  rien  que  la  raison  rende  moins  supportable. 
Je  me  vois  un  amant  qui ,  sans  se  rebuter , 
Applique  tous  ses  soins  à  me  persécuter*, 

MoLlàAE.   2. 


66       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Qui,  dans  tout  cet  amour  que  sa  bouche  m  exprime  ^ 
Ne  conserve  pour  moi  nul  sentiment  d  estime; 
Rien  au  fond  de  ce  cœur  qu'ont  pu  blesser  mes  yeux 
Qui  ùisse  droit  au  sang  que  j  ai  reçu  des  cieux. 
Et  de  mes  actions  dé&nde  Tinnocence 
Contre  le  moindre  effort  d'une  fausse  apparence. 
Oui,  je  vois... 

(  Don  Garcie- montre  de  Timpatience  pour  parler.  ) 

Ah!  surtout  ne  m'interrompez  point. 
Je  vois,  dis- je,  mon  sort  malheureux  à  ce  point. 
Qu'un  cœur  qui  dit  qu'il  m'aime  ;  et  qui  doit  faire  croire 
Que,  quand  tout  l'univers  douteroit  de  ma  gloire. 
Il  voudroit  contre  tous  en  être  le  garant. 
Est  celui  qui  s'en  fait  lennemi  le  plus  grand. 
On  ne  voit  échapper  aux  soins  que  prend  sa  flamme 
Aucune  occasion  de  soupçonner  mon  âme  : 
Mais  c'est  peu  des  soupçons;  il  en  fait  des  éclats 
Que,  sans  être  blessé,  l'amour  ne  souffre  pas. 
Loin  d'agir  en  amant  qui,  plus  que  la  mort  même, 
Appréhende  toujours  d'offenser  ce  qu'il  aime , 
Qui  se  plaint  doucement,  et  cherche  avec  respect 
A  pouvoir  s  eclaircir  de  ce  qu'il  croit  suspect, 
A  toute  extrémité  dans  ses  doutes  il  passe. 
Et  ce  n'est  que  fureur,  qu'injure  et  que  menace. 
Cependant  aujourd'hui  je  veux  fermer  les  yeux 
Sur  tout  ce  qui  devroit  me  le  rendre  odieux. 
Et  lui  donner  moyen ,  par  une  bonté  pure , 
De  tirer  son  salut  d'une  nouvelle  injure. 


ACTE, IV,  SCÈNE  VIII.  67 

Ce  grand  emportement  qu^U  ];aa  fallu  souffirir 
Part  de  ce  qu'à  td6  yeux  le  hasard  yi^ût  d^offrir* 
J'aurois  tort  de  vouloir  démentir  votre  vue , 
Et  votre  âme  sans  doute  a  dû  parojitre  imue« 

D,   GARCIE. 

Et  n'est-ce  pas,.. 

DOUB  £LyiR£. 

Encore  un  peu  d^attentioui 
Et  vous  allez  savoir  ma  résolution, 
n  faut  que  de  nous  deux  le  destin  s  accomplisse.     ^ 
Vous  êtes  maintenant  sur  un  grand  précipice; 
Et  ce  que  votre  cœur  pourra  délibérer 
Va  vous  y  faire  choir,  ou  bien  vous  en  tirer. 
Si  y  malgré  cet  objet  qui  vous  a  pu  surprendre, 
Prince,  vous  me  rendez  ce  que  vous  devez  rendre , 
Et  ne  demandez  point  d'autre  preuve  que  moi 
Pour  condamner  l'erreur  du  trouble  où  je  vous  voi; 
Si  de  vos  sentiments  la  prompte  déférence 
Veut  sur  ma  seule  foi  croire  mon  innocence  ^ 
Et  de  tous  vos  soupçons  démentir  le  crédit, 
Pour  croire  aveuglément  ce  que  mon  cœur  vous  dit  ^ 
Cette  soumission,  cette  marque  d'estime, 
Du  passé  dans  ce  cœur  eSace  tout  le  crime  ; 
Je  rétracte  à  l'instant  ce  qu'un  juste  courroux 
M'a  fait  dans  la  chaleiir  prononcer  contre  vous  3 
Et  si  je  puis 'un  jour  choisir  ma  destinée 
Sans  choquer  les  devoirs  du  rang  où  je  suis  née  ^ 
Mon  honneur  )  satisfait  par  ce  respect  soudain  ^ 


68       DON  ÔARCIE  t)E  NAVARRE. 

Piomet  à  votre  amour  et  mes  vœux  et  ma  main. 

Mais,  prêtez  bien  l'oreille  à  ce  que  je  vais  dire, 

Si  cette  offire  sur  vous  obtient  si  peu  d'empire 

Que  vous  me  refusiez  de  me  faire  entre  nous 

Un  sacrifice  entier  de  vos  soupçons  jaloux; 

S'il  ne  vous  suffit  pas  de  toute  lassurance 

■Que  vous  peuvent  donner  mon  cœur  et  ma  naissance., 

Et  que  de  votre  esprit  les  ombrages  puissants 

Forcent  mon  innocence  à  convaincre  vos  sens. 

Et  porter  à  vos  yeux  Téclatcint  témoignage 

D'une  vertu  siilcère  à  qui  Ton  fait  outrage , 

Je  suis  prête  à  le  faire,  et  vous  serez  content  : 

Maia  il  vous  &ut  de  moi  détacher  à  l'instant, 

A  mes  vœux  pour  jamais  renoncer  de  vous-même  : 

Et  j'atteste  du  ciel  la  puissance  suprême 

Que,  quoi  que  le  destin  puisse  ordonner  de  nous, 

Je  choisirai  plutôt  d'être  à  la  mort  qu'à  vous. 

Voilà  dans  ces  deux  choix  de  quoi  vous  satisfaire  : 

Avisez  maintenant  celui  qui  peut  vous  plaire. 

D.    GARCIE. 

Juste  ciel!  jamais  rien  peut-il  être  inventé 
Avec  plus  ^d'artifice  et  de  déloyauté! 
Tout  ce  que  des  enfers  la  malice  étudie 
A-t-il  rien  de  si  noir  que  cette  perfidie  ! 
Et  peut-elle  trouver  dails  toute  sa  rigueur 
Un  plus  cruel  moyen  d'embarrasser  un  cœur! 
Ah!  que  vous  savez  bien  ici  contre  moi-même. 
Ingrate,  vous  servir  de  ma  foiblesse  extrême,  • 


ACTE  IV,  SCÈNE  VIII.   .  69 

Et  ménager  pour  vous  l'effort  prodigienz 
De  ce  fatal  ao^our  né deyos  traîtres y^ux.!. 
Parce  qu'on  est  surprime  et  qu'on  manque  d'eiLCUse, 
D'une  offire  de  pardon  on  emprunte  la  ruse  : 
Votre  feinte  douceur  forge  un  amusement 
Pour  divertîr  l'eftet  de  mon  ressentiment; 
Et,  par  le  nœud  subtil  du  choix  qu'elle  embarrasse, 
Veut  soustraire  un  perfide  au  coup  qui  le  menace. 
Oui,  vos  dextérités  veulent  me  détourner 
D'un  éclaircissement  qui  vous  doit  condamner; 
Et  votre  âme ,  feignant  une  innocence  entière , 
Ne  s'o£Bre,  à  m'en  donner  une  pleine  lumière 
Qu'à  des  conditions  qu^après  d^ardents  souhaits 
Vous  pensez  que  mon  cœur  n'acceptera  jamais. 
Mais  vous  serez  trompée  en  me  croyant  surprendre  : 
Ouï,  oui ,  je  prétends  voir  ce  qui  doit  vous  défendre , 
Et  quel  Ëimeux  prodige,  accusant  ma  fureur, 
Peut  de  ce  que  j'ai  vu  justifier  l'horreur. 

DONE   ELVlRE. 

Songez  que  par  ce  choix  vous  allez  vous  prescrire 
De  ne  plus  rien  prétendre  au  cœur  de  done  Elvire. 

I).    GARClE. 

*  Soit  :  je  souscris  à  tout;  et  mes  vœux  aussi-bien, 
En  l'état  où  je  suis,  ne  prétendent  plus  rien. 

DONE   ELVIRE. 

Vous  vous  repentirez  de  l'éclat  que  vous  Êiites. 

.    D.   IG^ARCIE. 

Non,  non,  tous  ces  ^scours  sont  de  y^ipes  défîtes; 


70       DOIÎ  ÔÀftClËbE  NAVARRE. 

Et  c'est  moi  bien  plutôt  qui  dois  vous  avertir 
Que  quelque  autre  dam  peu  se  pouita  repentir  : 
Le  traître,  quel  qu'il  soit,  n'aura  pas  l'avantage 
De  dérober  sa  vie  à  Feifort  de  ma  rage. 

nONE   ELVIRE. 

^  Ah!  c'est  trop  çri  souffrir;  et  mon  cœur  irrité 
Ne  doit  plus  conserver  une  sotte  bonté; 
Abandonnons  l'ingrat  à  son  propre  caprice; 
Et,  puisqu'il  veut  périr,  consentons  qu'il  périsse. 

(  à  don  Garcie.  ^ 

Élise. . .  à  cet  éclat  vous  voulez  me  forcer; 

Mais  je  vous  apprendrai  que  c*est  trop  m'offenser: 

SCÈNE  IX. 
DONE  ELVIRE,  D.  GARCIE,  ÉLISE,  D,  ALYAR. 

DONS   ELVIUE,  à  Élise. 

Faites  un  peu  sortir  la  personne  chérie. . . 
Allez,  vous  m  entendez,  dites  que  je  l'en  prie. 

D.    GARCIE. 

Et  je  puis. . . 

DONE   ELVIRE. 

Attendez ,  vous  serez  satisfait. 

ÉLISE,  à  part,  en  sortant. 

Voici  de  son  jaloux  sans  doute  tm  nouveau  trait. 

DONB   BLVIHE. 

Prenez  garde  qu'au  moins  cette  noble  colèi^e 


ACTE  IV,  SCÈNE  IX.  yç 

Dans  la  même  fierté  jusqu'au  bout  persévère; 

Et  surtout  désormais  songez  bien  à  quel  prix  > 

Vous  ayez  voulu  voir  vos  soupçons  éclaircis. 

SCÈNE  X. 

DONE  ELVIRE,  D.  GARCIE;  DONE  IGNÉS, 
DÉGUISÉE  EN  homme;  ÉLISE,  D.  ALVAR. 

DONE  ELVIRE,à  don  Garcîe,  en  lui  montrant  done  Ignés. 

Voici,  grâces  au  ciel,  ce  qui  les  a  fait  naître 

Ces  soupçons  obligeants  que  l'on  me  fait  paroitre; 

Voyez  bien  ce  visage,  et  si  de  done  Ignés 

Vos  yeux  au  même  instant  n'y  connoissent  les  traits. 

D.    6ARGIE. 

Ociel! 

DONE   ELVIRE. 

Si  la  fureur  dont  votre  âme  est  émue 
Vous  trouble  jusque-là  l'usage  de  la  vue, 
Vous  avez  d'autres  yeux  à  pouvoir  consulter, 
Qui  ne  vous  laisseront  aucun  lieu  de  douter. 
Sa  mort  est  une  adresse  au  besoin  inventée 
Pour  fuir  l'autorité  qui  Ta  persécutée  ; 
Et  sous  un  tel  habit  elle  cachoit  son  sort 
Pour  mieux  jouir  du  finit  de  cette  feinte  mort. 

(  k  done  Ignè«.  ) 

Madame ,  pardonnez  s  il  faut  que  je  consente 
A  trahir  vos  secrets  et  tromper  votre  attente  : 
Je  me  vois  exposée  à  sa  témérité  > 


711       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Toutew«i  mes  actions  n'ont  plus  de  liberté  ; 

Et  mon  honnçur,  en  butte  aux  soupçonsqu'il  peut  pren4re , 

Est  réduit  à  toute  heure  aux  soins  de  se  défendre. 

Nos  doux  embrassements,  qu'a  surpris  ce  jaloux, 

De  cent  indignités  m'ont  fkit^souflBrir  les  coups. 

Qui ,  voilà  le  sujet  d^une  fureur  si  prompte , 

Et  rassuré  témoin  qu'on  produit  de  ma  honte. 

( à  don  Garcie.) 

Jouissez  à  cette  heure  en  tyran  absolu 
De  l'éclaircissement  que  vous  avez  voulu  : 
Mais  sachez  que  j'aurai  sans  cesse  la  mémoire 
De  Foutrage  sanglant  qu'on  a  fait  à  ma  gloire , 
Et,  si  je  puis  jamais  oublier  mes  serments, 
Tombent  sur  moi  du  ciel  les  plus  grands  châtiments. 
Qu  un  tonnerre  éclatant  mette  ma  tête  en  poudre, 
(lOrsqu  à  souffrir  vos  feux  je  pourrai  me  résoudre  ! 
Allons,  madanie, allons,  ôtons-noiis  de  ces  Ueux 
Qu'infectent  les  regéirds  d\ui  monstre  fi^rieux; 
Fuyons-en  promptement  Fatteinle  enveninjée  j 
Evitons  les  effets  de  sa  rage  animée, 
Et  ne  faisons  des  vœux,  dans  nos  justes  desseins. 
Que  pour  nous  voir  bientôt  afl^anchir  de  ses  mains. 

DONE   IGNÉS,  à  dan  Garcie^ 

Çeigneur,  de  vos  soupçons  l'injuste  violence 
A  la  même  vertu  vient  de  faire  une  offense. 


ACTE  IV,  SCÈNE  XI.  73 

SCÈNE  Xî. 

D.  GARCIE,  D.  ALVAR. 

D.   6ARGIE. 

Quelles  tristes  clartés,  dissipant  mon  erreur, 
Enveloppnt  mes  sens  d'une  profonde  horreur, 
Et  ne  laissent  plus  voir  à  mon  âme  abattue 
Que  FeABroyable  objet  dHxn  remords  qui  me  tue! 
Ah!  don  Alvar,  je  vois  que  vous  avez  raison; 
Mais  l'enfer  dans  mon  cœur  a  soufflé  son  poison , 
Et,  par  un  trait  fatal  de  sa  rigueur  extrême , 
Mon  plus  grand  ennemi  se  rencontre  en  moi-même. 
Que  me  sert-il  d'aimer  du  plus  ardent  amour 
Qu'une  âme  consumée  ait  jamais  mis  au  joui^, 
Sij  par  ces  mouvements  qui  font  toute  ma  peine, 
Cet  amour  à  tout  coup  se  rend  digne  de  haine? 
Il  faut,  il  faut  venger  par  mon  juste  trépas 
L'outrage  que  j'ai  fait  à  ses  divins  appas  ; 
Aussi-bien  quels  conseils  aujourd'hui  puis- je  suivre? 
Ah!  j'ai  perdu  l'objet  pour  qui  j'aimois  à  vivre. 
Si  j'ai  pu  renoncer  à  Tespoir  de  ses  vœux, 
Renoncer  à  la  vie  est  beaucoup  moins  fâcheux. 

D.    ALVAR. 

Seigneur.  • . 

D.    GARCIE. 

Non,  don  Alvar,  ma  mort  est  nécessaire; 
D  n  est  soins  ni  raisons  qui  m'en  puissent  distraire  ; 
Mais  il  faut  que  mon  sort,  en  se  précipitant  ^ 


74       DON  GARGIE  DE  NAVARRE. 

Rende  à  cette  princesse  an  service  éclatant; 

Et  je  veux  me  chercher  dans  cette  illustre  envie 

Les  moyens  glorieux  de  sortir  de  la  vie, 

Faire,  par  un  grand  coup  qui  signale  ma  foi, 

Qu'en  expirant  pour  elle  elle  ait  regret  à  moi, 

Et  qu^elle  puisse  dire  en  se  yoyant  yeilgée  : 

ce  C^est  par  son  trop  d'amour  qu'il  m  aypit  outragée^  » 

Il  faut  que  de  ma  main  un  illustre  attentat 

Porte  une  mort  trop  due  au  sein  de  Maurégat, 

Que  j^aille  prévenir  par  une  belle  audace 

Le  coup  dont  la  Castille  avec  bruit  le  menace  ; 

Et  j'aurai  la  douceur,  dans  mon  instant  fatal , 

De  ravir  cette  gloire  à  Fespoir  d'un  ri^al. 

D.    ALVAR. 

Un  service ,  seigneur,  de  cette  conséquence 
Auroit  bien  le  pouvoir  d'efiacer  votre  offense  ; 
Mais  hasarder. . . 

_     D.    GARGIE. 

Allons,  par  un  juste  devoir. 
Faire  à  ce  noble  eflfort  servir  mon  désespoir. 


FIN    DU    QUATRIÈME    ACTE. 


DON  GARCIE  DE  NAVARRE.       78 

ACTE  CINQUIÈME. 


SCÈNE  L 

.D.  ALVAR,  ÉLISE. 

D.   ALVAR. 

Oui,  jamais  il  ne  fut  de  si  rude  surprise. 

Il  venoit  de  former  cette  haute  entreprise  ; 

  Tavide  désir  d'immoler  Màurégat 

De  son  prompt  désespoir  il  toumoit  tout  l'éclat; 

Ses  soins  précipités  youloient  â  son  courage 

De  cette  juste  mort  assurer  layantage, 

Y  chercher  son  pardon,  et  prévenir  Fennui 

QuW  rival  partageât  cette  gloire  avec  lui; 

II  sortoit  de  ces  murs  ;  quand  un  bruit  trop  fidèle 

Est  venu  lui  porter  la  fâcheuse  nouvelle 

Que  ce  même  rival  qu'il  vouloit  prévenir 

A  remporté  l'honneur  qu  il  pensoit  obtenir  ^ 

L'a  prévenu  lui-même  en  immolant  le  traître,   , 

Et  poussé  dans  ce  jour  don  Alphonse  à  paroître, 

Qui  dun  si  prompt  succès  va  goûter  la  douceur, 

Et  vient  prendre  en  ces  lieux  la  princesse  sa  soeur 

Et,  ce  qui  n'a  pas  peine  à  gagner  là  croyance , 

On  entend  publier  que  c^est  la  récompense 

Dont  il  prétend  payer  le  service  éclatant 

Du  bras  qui  lui  &it  jour  au  trône  qui  l'attend. 


76       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

'  Oui,  done  Elvîre  a  su  ces  nouvelles  semées, 
Et  du  vieux  don  Louis  les  trouve  confirmées, 
Qui  vient  de  lui  mander  que  Léon  dans  ce  jour 
De  don  Alphoi^se  et  d'elle  attend  Fheureux  retour; 
Et  que  c'est  là  qu'on  doit,  par  un  revers  prospère, 
Lui  voir  prendre  un  époux  de  la  main  de  ce  frère. 
Dans  ce  peu  qu'il  en  dit,  il  donne  assez  à  voir  . 
Que  don  Sylve  est  Fépoux  qu  elle  doit  recevoir, 

D.    ALVAK. 

Ce  coup  au  cœur  du  prince. .  • 

ELISE. 

Es^t  sans  doute  bien  rudej 
Et  je  le  trouve  à  plaindre  en  son  inquiétude. 
Son  intérêt  pourtant,  si  j^en  ai  bien  jugé, 
Est  encor  cher  au  cœur  qu'il  a  tant  outragé; 
Et  je  n'ai  point  connu  qu'à  ce  succès  qu  on  vante 
La  princesse  ait  fait  voir  une  âme  fort  contente 
De  ce  frère  qui  vient,  et  de  la  Içttre  aussi  : 
Mais... 

•       SCÈNE  II. 

» 

DONE  ELVIRE;  DONE  IGNÉS,  déguisée  en 
homme;  élise,  DON  ALVAR. 

DONE   ELVIRE. 

Faites,  don  Alvair,  venix  le  prince  ici.. 

(  Don  AlVar  sort.  )  * 

Souffi'ez  que  devant  vous  je  lui  parle,  madame, 


ACTE  V,  SCÈNE  IL  77 

Sur  cet  ëyénement  dont  on  surprend  mon  âme  ; 

Et  ne  m'accusez  point  d'un  trop  prompt  changement, 

Si  je  perds  contre  lui  tout  mon  ressentiment. 

Sa  disgrâce  imprévue  a  pris  droit  de  Téteindre  ; 

Sans  lui  laisser  ma  haine ,  il  est  assez  à  plaindre  ; 

Et  le  ciel,  qui  Texpose  à  ce  trait  de  rigueur, 

Wa  que  trop  bien  servi  les  serments  de  mon  cœur. 

Un  éclatant  arrêt  de  ma  gloire  outragée 

A  jamais  n'être  à  lui  me  tenoit  engagée  : 

Mais,  quand  par  les  destins  il  est  exécuté , 

J'y  vois  pour  son  amour  trop  de  sévérité  ;  • 

Et  le  triste  succès  de  tout  ce  qu'il  m'adresse 

ITefiace  son  offense  et  lui  rend  ma  tendresse. 

Oui,  mon  cœur,  trop  vengé  par  de  si  rudes  coups, 

Laisse  à  leur  cruauté  désarmer  son  courroux , 

Et  cherche  maiïitenant,  par  .un  soin  pitoyable, 

  consoler  le  sort  d'un  amant  misérable  : 

Et  je  crois  que  sa  flamme  a  bien  pu  mériter 

Cette  compassion  que  je  lui  veux  prêter. 

DONE   IGNÉS. 

w 

Madame,  on  auroit  tort  de, trouver  à  redire 
Aux  tendres  sentiments  qu'on  voit  qu'il  vous  inspire» 
Ce  qu'il  a  fait  pour  vous. . .  Il  vient,  et  sa  pâleur 
De  ce  coup  surprenant  marque  assez  la  douleur. 


78       DON  GARCIE  DE  MAVARRE. 

SCÈNE  IIL 
D.  GARCIE,  DONE  ELVIRE;  DONE  IGNÉS, 

DÉGUISÉE  EN  HOM,ME;   ÉLISE. 
D.    GARCIE. 

Madame,  ayec  quel  front  faut-il  que  je  m'avance, 
Quand  je  viens  vous  oiErir  Todieuse  présence. . .  ? 

DONS   ELVIRE» 

Prince,  ne  parlons  plus  de  mon  ressentiment  : 
Votre  sort  dans  mon  âme  a  Êiit  du  changement; 
Et,  par  le  triste  état  où  sa  rigueur  vous  jette, 
Ma  colère  est  éteinte,  et  notre  paix  est  faite. 
Oui,  bien  que  votre  amour  ait  mérité  les  coups 
Que  &it  sur  lui  du  ciel  éclater  le  courroux; 
Bien  que  ces  noirs  soupçons  aient  offensé  ma  gloire 
Par  des  indignités  qu'on  auroit  peine  à  croire; 
Javoûrai  toutefois  que  je  plains  son  malheur 
Jusqu'à  voir  nos  succès  avec  quelque  douleur; 
Que  je  hais  les  faveurs  de  ce  fameux  service, 
Lorsqu'on  veut  de  mou  cœur  lui  faire  un  sacrifice. 
Et  voudrois  bien  pouvoir  racheter  les  moments 
Ou  le  sort  contre  vous  n'armoit  que  mes  serments. 
Mais  enfin  vous  savez  comme  nos  destinées 
Aux  intérêts  publics  sont  toujours  enchaînées, 
Et  que  Tordre  des  cieux,  pour  disposer  de  moi. 
Dans  mon  frère  qui  vient  me  va  montrer  mon  roi. 
Cédez  comme  moi ,  prince ,  à  cette  violence 
Où  la  grandeur  soumet  celles  de  ma  naissance; 


ACTE  V,  SCÈNE  III.  79 

Et,  si  de  votre  amour  les  déplaisirs  sont  grands , 
Qu'il  se  fasse  un  secours  de  la  part  que  j'y  prends , 
Et  ne  se  serve  point,  contre  un  coup  qui  Fétonne , 
Du  pouvoir  qu^en^ces  lieux  votre  valeur  vous  donne  : 
Ce  vous  seroit  sans  doute  un  indigne  transport 
De  vouloir  dans  vos  maux  lutter  contre  le  sort  : 
Et,  lorsque  c'est  en  vain  qu'on  s'oppose  à  sa  rage, 
La  soumission  prompte  est  grandeur  de  courage. 
Ne  résistez  donc  point  à  ces  coups  éclatants-, 
Ouvrez  les  murs  d'Astorgue  au  frère  que  j  attends: 
Laissez-moi  rendre  aux  droits  qu'il  peut  sur  moi  prétendre 
Ce  que  mon  triste  cœur  a  résolu  de  rendre  ; 
Et  ce  fatal  hommage  oh  mes  vœux  sont  forcés 
Peut-être  n'ira  pas  si  loin  que  vous  pensez. 

D.    GÀRGIE. 

C'est  faire  voir,  madame,  une  bonté  trop  rare 

Que  vouloir  adoucir  le  coup  qu'on  me  prépare  ; 

Sur  moi,  sans  de  tels  soins,  vous  pouvez  laisser  choir 

Le  foudre  rigoureux  de  tout  votre  devoir. 

En  l'état  où  je  suis  je  n'ai  rien  à  vous  dire. 

J'ai  mérité  du  sort  tout  ce  qu'il  a  de  pire  ; 

Et  je  sais ,  quelques  maux  qu'il  me  faille  endurer, 

Que  je  me  suis  ôté  le  droit  d'en  murmurer. 

Par  où  pourrois-je,  hélas!  dans  ma  vaste  disgrâce. 

Vers  vous  de  quelque  plainte  autoriser  laudace? 

Mon  ammir  s  est  rendu  mille  fois  odieux  ; 

D  n'a  fiiit  qu'outrager  vos  attraits  glorieux  ; 

Et  lorsque,  par  un  juste  et  fameux  sacrifice , 


8o       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Mon  bras  à  votre  sang  cherche  à  rendre  un  service, 
Mon  astre  m'abandonne  au  déplaisir  fatal 
De  me  voir  prévenu  par  le  bras  d'un  rival. 
Madame,  après  cela  je  n'ai  rien  à  prétendre; 
Je  suis  digne  du  coup  que  Ton  me  ùdt  attendre; 
Et  je  le  vois  venir  sans  oser  contre  lui 
Tenter  de  votre  cœur  le  favorable  appui. 
Ce  qui  peut  me  rester  dans  mon  malheur  extrême, 
Cest  de  chercher  alors  mon  remède  en  moi<-méme, 
Et  faire  que  ma  mort,  propice  à  mes  désirs, 
A£Branchisse  mon  cœur  de  tous  ses  déplaisirs. 
Oui,  bientôt  dans  ces  lieux  don  Alphonse  doit  être , 
Et  déjà  mon  rival  commence  de  paroître  : 
De  Léon  vers  ces  murs  il  semble  avoir  volé 
Pour  recevoir  le  prix  du  tyran  immolé. 
Ne  craignez  point  du  tout  qu'aucune  résistance 
Fasse  valoir  ici  ce  que  j'ai  de  puissance  : 
n  n  est  effort  humain  que,  pour  vous  conserver, 
Si  vous  y  consentiez ,  je  ne  pusse  braver. 
Mais  ce  n'est  pas  à  moi,  dont  on  hait  la  mémoire, 
A  pouvoir  espérer  cet  aveu  plein  de  gloire; 
Et  je  ne  voudrois  pas ,  par  des  efforts  trop  vains. 
Jeter  le  moindre  obstacle  à  vo^  justes  desseins  : 
.   Non ,  je  ne  contrains  point  vos  sentiments ,  madame  ; 
Je  vais  en  liberté  laisser  toute  votre  âme , 
Ouvrir  les  murs  d'Astorgue  à  cet  heureux  vainqueur, 
Et  subir  de  mon  sort  la  dernière  rigueur. 


ACTE  V,  SCÈNE  ly.  8i 

SCÈNE  IV. 

DONE  ELVIRE;  DONE  IGNÉS,  D^GinsÉE  en  homme; 

ÉLISE. 

I>ON£  ELVIRE.  ' 

Madame  ,  au  désespoir  où  son  destin  Fexpose 
De  tous  mes  déplaisirs  n'imputez  point  la  cause. 
Vous  me  rendrez  justice  en  croyant  que  mon  cœur 
Fait  de  vos  intérêts  sa  plus  vive  douleur  ; 
Que  bien  plus  que  lamour  l'amitié  m'est  sensible^ 
Et  que  si  je  me  plains  d^une  disgrâce  horrible , 
Cesi  de  voir  que  du  ciel  le  funeste  courroux 
Ait  pris  chez  moi  les  traits  quHl  lance  contre  vous  y 
Et  rendu  mes  regards  coupables  d'une  flamme 
Qui  traite  indignement  les  bontés  de  votre  âme. 

DONE   IGNÉS. 

C'est  un  événement  dont  sans  doute  vos  yeux 

MWt  point  pour  moi,  madame,  à  quereller  les  cieux. 

Si  les  foibles  attraits  qu'étale  mon  visage 

IVTexposoiait  au  destin  de  souffirir  un  volage, 

Le  ciel  ne  pouvoit  mieux  m'adoucir  de  tels  coups , 

Quand ,  pour  m'ôter  ce  cœur ,  il  s'est  servi  de,  vous  ; 

Et  mon  front  ne  doit  point  rougir  d'une  inconstance 

Qui  de  vos  traits  aux  miens  marque  la  différence. 

Si  pour  ce  changement  je  pousse  des  soupirs, 

Os  viennent  de  le  voir  fatal  à  vos  désirs; 

Et,  dans  cette  douleur,  que  1  amitié  m^cxcite, 

Je  m'accuse  pour  vous  de  mon  peu  de  mérite, 

MoLiinE.  îi.  0 


8a       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Qui  n^a  pu  retenir  un  cœur  doHt  les  tributs 
Causent  un  si  grand  trouble  â  yos  yœux  combattus. 

DOITE  ELVIRE. 

Accusez-vous  plutôt  de  l'injuste  silence 

Qui  m'a  de  yos  deux  cœurs  caché  l'intelligence. 

Ce  secret,  plus  tôt  su,  peut-être  à  toutes  deux 

Nous  auroit  épargné  des  troubles  si  fâcheux; 

Et  mes  justes  froideurs,  des  désirs  d\in  yolage 

Au  point  de  leur  naissance  ayant  banni  Fhommage^ 

Eussent  pu  rcnyoyer. . . 

DONE   IGKÈS. 

Madame,  le  voici. 

DONE   ELVIRE. 

Sans  rencontrer  ses  yeux  vous  pouvez  être  ici  : 
Ne  sortez  point,  madame  ;  et  dans  un  tel  martyre^ 
Veuillez  être  témoin  de  ce  que  je  vais  dire. 

noNE  iGNis. 
Madame,  j'y  consens,  quoique  je  sache  bien 
Qu'on  fuiroit  en  ma  place  un  pareil  entretien^ 

DONE   ELVIRE. 

Son  succès,  si  le  ciel  secondé  ma  pensée, 
Madame,  n'aura  rien  dont  vous  soyez  Uessée. 


ACTE  V,  SCÈNE  V. 


iB 


SCÈNE.  V. 

D.  ALPHONSE,  cko  D.  SYLVEj  DONE  ELVIREj 
DONE  tGNÈS,  J>iovaéz  en  homme;  ÉLISE. 

DONS  EIiTIRE. 

Avant  que  vous  pariiez,  je  demande  instamment 

Que  TOUS  daigniez,  seigneur,  m  écouter  un  moment. 

Déjà  la  renommée  a  jusqu'à  nos  oreilles 

Porté  de  yotre  bras  les  soudaines  merveilles; 

Et  j'admire  ayec  tous  comme  en  si  peu  de  temps 

Il  donne  à  nos  destins  ces  succès  éclatant^.  ' 

Je  sais  bien  qu'un  bienfait  de  cette  conséquence' 

Ne  sauroit  demander  trop  de  reconnoissance, 

Et  qu'on  doit  toute  chose  à  l'exploit  immortel 

Qui  replace  mon  frère  au  trône  paternel. 

Mais,  quoi  que  de  son  cœur  vous  o£Grent  les  hommages ^ 

Usez  en  généreux  de  tous  vos  avantages, 

Et  ne  permettez  pas  que  ce  coup  glorieux 

Jette  sur  moi,  seigneur,  un  joug  impérieux  : 

Que  yotre  amour,  qui  sait  quel  intérêt  m'anime, 

S  obstine  à  triompher  d  un  refus  légitime , 

Et  yeniUe  que  ce  frère,  où  l'on  va  m'exposer, 

Commence  d'être  roi  pdur  me  tyranniser* 

Léon 'a  d  autres  prix  dont,  en  cette  occurrence, 

n  peut  mieux  honorer  votre  haute  vaillance  : 

Et  c'est  à  vos  vertus  faire  un  présent  trop  bas 

Que  vous  donner  un  cœur  qui  ne  se  donne  pas« 


84       DON  GARCIE  DE  3ÎAVARRE. 

Peut-on  être  jamais  satisÊiIt  en  soi-même, 

Lorsque  par  la  contrainte  on  obtient  ce  qu'on  aime? 

Cest  un  triste  avantage;  et  l'amant  généreux 

A  ces  conditions  refuse  d'être  heureux  : 

Il  ne  veut  rien  devoir  à  cette  violence 

Qu'exercent  sur  nos  coeurs  les  droits  de  la  naissance , 

Et  pour  l'objet  qu'il  aime  est  toujours  trop  zélé 

Pour  souffrir  qu'en  victime  il  lui  soit  immolé. 

Ce  n'est  pas  que  ce  coeur  au  mérite  d'un  autre 

Prétende,  réserver  ce  qu'il  refuse  au  vôtre  : 

Non ,  seigneur,  j'en  réponds ,  et  vous  donne  ma  foi 

Que  personne  jamais  n'aura  pouvoir  sur  moi; 

Qu'une  sainte  retraite  à  toute  autre  poursuite. . . 

D.    ALPHONSE. 

J'ai  de  votre  discours  assez  souffert  la  suite, 

Madame;  et  par  deux  mots  je  vous  l'eusse  épargné, 

Si  votre  Êiusse  alarme  eût  sur  vous  moins  gagné.  . 

Je  sais  qu  un  bruit  commun ,  qui  partout  se  fait  croire , 

De  la  mort  du  tyran  me  veut  donner  la  gloire; 

Mais  le  seul  peuple  enfin,  comme  on  nous  fait  savoir, 

Laissant  par  don  Louis  échauffer  son  devoir, 

A  remporté  l'honneur  de  cet  acte  héroïque 

Dont  mon  nom  est  chargé  par  la  rumeur  publique  : 

Et  ce  qui  d'un  tel  bruit  a  fourni  le  sujet. 

C'est  que.,  pour  appuyer  son  illustre  projet. 

Don  Louis  fit  semer,  par  une  feinte  utile^ 

Que ,  secondé  des  miens ,  j'avois  saisi  la  ville  : 

£t  par  cette  nouvelle  il  a  poussé  les  bras 


ACTE  ?,  SCÈNE  V.  85 

Qui  d^un  usurpateur  ont  hâté  le  trépas; 

Par  son  zèle  prudent  il  a  su  tout  conduire , 

Et  c*est  par  un  des  siens  qu'il  vient  de  m  en  instruire. 

Mais  dans  le  même  instant  un  secret  m'est  appris  ; 

Qui  va  TOUS  étonner  autant  qu'il  m'a  surpris. 

Vous  attendez  un  ùëre ,  et  L^on  son  vrai  maitre  : 

  vos  yeux  maiBtenant  le  ciel  le  fait  paioitre  : 

Oui,  je  sub  don  Alphonse;  et  mon  SQrt  conservé, 

Et  sous  le  nom  4u  sang  de  Castille  élevé, 

Est  un  fameux  efiet  de  Tamitié  sincère 

Qui  fut  entre  son  prince  et  le  roi  notre  père. 

Don  Louis  du  secret  a  toutes  les  clartés, 

Et  doit  aux  yeux  de  tous  prouver  ces  vérités. 

D^autres  soins  maintenant  occupent  ma  pensée  ^ 

Non  qu  à  votre  sujet  elle  soit  traversée, 

Que  ma  flamme  querelle  un  tel  événement. 

Et  qu'en  mon  cœur  le  firère  importune  Tamant.  . 

Mes  feux  par  ce  secret  ont  reçu  sans  murmure 

Le  changement  qu^en  eux  a  prescrit  la  nature  ; 

Et  le  sang  qui  nous  joint  m  a  si  bien  détaché 

De  l'amour  dont  pour  vous  mon  cœur  étoit  touché. 

Qu'il  ne  respire  plus ,  pour  Êiveur  souveraine , 

Qu-e  les  chères  douceurs  de  sa  première  chaîne, 

Et  le  moyen  de  rendre  à  l'adorable  Ignés 

Ce  que  de  ses  bontés  a. mérité  L'excès, 

Mais  son  sort  incertain. rend  le  mien  misérable  : 

Et,  si  ce  qu'on  en  dit  se  trouvoit  véritable, 

En  vain  Léon  m  appelle  et  le  trône,  m'attend; 


86       DON  GARCIE  DE  HAVARRE. 

La  couronne  n'a  rien  à  me  rendre  content, 
£t  je  n'en  yeux  l'éclat  que  pour  goûter  la  joie 
D'en  couronner  Fobjet  où  le  ciel  me  renvoie, 
Et  pouvoir  réparer  par  ces  justes  tributs 
L'outrage  que  j'ai  fait  à  ses  rares  vertus» 
Madame  9  c'est  de  vous  que  j'ai  raison  d  attendre 
Ce  que  de  son  destin  mon  âme  peut  apprendre  ; 
Instruisez-m'en,  de  grâce;  et,  par  votre  di^ours, 
Hâtez  mon  désespoir,  ou  le  bien  de  mes  jours* 

DONS   ELVIKE. 

Ke  vous  étonnez  pas  si  je  tarde  à  répondre, 
Seigneur;  ces  nouveautés  ont  droit  de  me  confondre. 
Je  n^entreprendrai  point  de  dire  h  votre  amour 
Si  done  Ignès  est  morte ,  ou  respire  le  jour; 
Mais  par  ce  cavalier,  l'un  de  ses  plus.fîdèles , 
Vous  en  pourrez  sans  douté  apprendre  des  nouvelles. 

D.  ALPHONSE,  reconnoissant  done  Ignès. 

Ah!  madame,  il  m'est  doux  en  ces  p^rj^exités 
De  voir  ici  briller  vos  célestes  beautés. 
Mais  vous ,  avec  quels  yeux  verrez-vous  un  volage 
Dont  le  crime. , . 

DONE    IGNÉS, 

Ah  !  gardez  de  me  taire  un  outrage , 
Et  de  vous  hasarder  à  dire  que  vers  moi 
Un  cœur  dont  j'ai  fait  cas  ait  pu  manquer  de  foi  : 
Ten  refuse  l'idée ,  et  l'excuse  me  blesse. 
Rien  n'a  pu  m'oitènser  auprès  de  la  princesse; 
Et  tout  ce  que  d  ardeur  elle  vous  a  causé 


ACTE  V,  SCÈNE  V.  8; 

Par  un  si  haut  mérite  est  assez  excusé. 
Cette  flamme  vers  moi  ne  vous  rend  point  coupable; 
Et,  dans  le  DX)ble  orgued  dont  je  me  sens  capable, 
Sachez ,  si  tous  Tétiez ,  que  ce  seroit  en  yain 
Que  vous  présumeriez  de  fléchir  mon  dédain, 
Et  qu'il  n'est  repentir,  ni  suprême  puissance , 
Qui  gagnât  sur  mon  cœur  d^oabliert:ette  offense* 

DONE  £LytRS<< 

Mon  frère,  d'un  tel  nom  souflS:ez-moi  la  douceur. 
De  quel  ravissement  comblez-vous  une  sœur  ! 
Que» j'aime  votre  choix,  et  bénis  l'aventure 
Qui  vous  Ëiit  couronner  une  amitié  si  pure  ! 
Et  de  deux.XM)bIes  cœurs  que  j'aîme  tendrement.. . 

SCÈNE  VI. 

D.  GARCIE,  DONE  ELVIRE;  DONE  IGNÉS, 
DÉGUISAS  EN  homve;  D.  ALPHONSE,  cmjj  D.  SYLYE; 
ÉUSE. 

D.   GABCIE. 

De  grâce,  cachez-moi  votre  contentement. 
Madame,  et  me  laissez  mourir  dans  la  croyance 
Que  le  devoir  vous  fait  un  ]^eu  de  violence. 
Je  sais  que  de  vos  vœux  vous  pouvez  disposer, 
Et  mon  dessein  n  est  pas  de  leur  rien  opposer; 
Vous  le  voyez  assez ,  et  quelle  obéissance 
De  vos  commandements  m'arrache  la  puissance  : 
Mais  je  vous  avoûrai  que  cette  gaieté 
Surprend  au  dépourvui  toute  ma  fermeté, 


88       DON  ÔARCIE  DÉ  NAVARRE. 

Et  qu'un  pareil  objet  dans  mon  âme  &it  naître 

Un  transport  dont  fai  peur  qnè  je  ne  soîs  pas  maitre; 

Et  je  me  punirois .  s'il  m  ayoit  pu  tirer 

De  ce  respect  soumis  où  je  veux  demeurer. 

Oui,  vos  commandements  ont  prescrit  à  mon  âme 

De  souf&ir  sans  édat  le  malheur  de  ma  flamme; 

Cet  ordre  sur  mon  cœur  doit  être  tout-puissant, 

Et  je  prétends  mourir  en  vous  obéissant  : 

Mais,  encore  une  fois,  la  joie  oii  je  vous  treuve  ' 

M'expose  à  la  rigueur  d'une  trop  rude  éjpreuve, 

Et  Tâme  la  plus  sage  en  ces  occasions  ' 

Répond  malaisément  de  ses  émbtîbiis'. 

Madame ,  épargnez-moi  cette  cruelle  atteinte  j    ■ 

Donnez-moi  par  pitié  deux  moments  de  contrainte; 

Et,  quoi  que  d'un  rival  vous  inspirent  les  soins, 

N  en  rendez  pas  mes  yeux  les  malheureil;x  témoins  :   ' 

C'est  la  moindre  iaveur  qu'on  peut,  je  cbois-,  prétendre , 

Lorsque  dans  ma  disgrâce  un  amant  peut  descendre. 

Je  ne  l'exige  pas ,  madame,  pour  long-temps, 

Et  bientôt  mon  départ  rendra  vos  vcèùx  Obritcùts.    • 

Je  vais  où  de  ses  feux  mon  âme  consumée" 

N'apprendra  votre  hymen  que  par  la  renommée  : 

Ce  n'est  pas  un  spectacle  où  je  doive  courir^  ' 

Madame;  sans  le  voir,  j  en  saurai  bien  mounr.; 

» 

DONE    IGNÉS. 

Seigaeur,  permettez-moi  de  blâmer  Votre  plaînie. 
De  vos  maux  la  princesse  a  su  jparoître  atteinte; 
Et  cette  joie  encor^  de  quoi  vous  murmurer  y 


ACTE  V,  SCÈNE  VL  89 

Ne  lui  vient  que  des  biens  qui  vous  sont  préparés. 
Elle  goAte  un  succès  à  vos  désirs  prospère , 
Et  dans  votre  rival  elle  trouve  son  frère  ; 
Cest  don  Alphonse  enfin  dont  on  a  tant  parlé , 
Et  ce  Êtmeujt  secret  Tient  d'être  dévoilé. 

b.  ALFHONSB. 

Mon  cœur,  grâces  au  ciel,  après  un  long  martyre, 
Seigneur,  sa&s  vous  rien  prendre,  a  tout  ce  qu'il  désire, 
Et  goûte  d'autant  mieux  sdn  bonheur  en  ce  jour. 
Qu'il  se  voit  en  état  de  servir  votre  amour. 

D.    GARGIE. 

Hélas!  cette  bonté, seigneur,  doit  me  confondre; 

A  mes  plus  chers  désirs  elle  daigne- répondre. 

Le  coup  que  je  craignois,  le  ciel  Ta  détourné,    - 

Et  tout  autre  que  moi  Éè  verrott  fortuné  : 

Mais  ces  douces  clartés  d'un  secret  favorable 

Vers  l'objet  adoré  me  découvrent  coupable; 

Et,  tombé  de  nouveau  dans  ces  traîtres  soupçons, 

Sur  quoi  Ton  m'a  tant  fait  d'inutiles  leçons. 

Et  par  qui  mon  ardeur,  si  souvent  odieuse , 

Doit  perdre  tout  espoir  d'être  à  jamais  heureuse. . , 

Oui ,  l'on  doit  me  haïr  avec  trop  de  raison  ; 

Moi-même  je  me  trouve  indigne  de  pardon  ; 

Et,  quelque  heureux  succès  que  le  sort  me  présente, 

La  mort,  la  seule  mort  est  toute  mon  attente. 

DON£    ELVIRE. 

Non ,  non  ;  de  ce  transport  le  soumis  mouvement, 
Prince,  jette  en'  mon  âme  un  plus  doux  sentiment. 


g6       DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 

Par  lui  de  mes  serments  je  me  sens  détachée  ; 

Vos  plaintes 9  vos  respects,  yos  douleurs  mont  touchée^ 

Jy  vois  partout  briller  un  excès  d'amitié, 

Et  votre  maladie  est  digne  de  pitié. 

Je  vois  9  prince ,  je  vois  qu'on  doit  quelque  indulgence 

Aux  défauts  où  du  ciel  fait  pencher  Tinfluence; 

Et ,  pour  tout  dire  enfin ,  jaloux  ou  non  jaloux , 

Mon  roi,  sans  me  gêner,  peut  me  donner  À  vous, 

^       D.    GA&CIE. 

Ciel ,  dans  l'excès  des  biens  que  cet  aveu  m^octroie , 
Rends  capable  mon  cœur  de  supporter  sa  joie! 

D.   ALPHONSE. 

Je  veux  que  pet  hym^n ,  après  nos  vains  débats, 
Seigneur,  joigne  à  jamais  nos  cœiïts  et  nos  État;. 
Mais  ici  le  temps  presse,  ef  Léon  nous  appelle; , 
Allons  dans  nos  plaisirs  satisÊdre  son  zèle. 
Et,  par  notre  présence  et  nos  soins  diffîrents. 
Donner  le  dernier  coup  du  parti  des  tyrans. 


FIN   DE   DON   GARCIE   DE  NAVARRE. 


RÉFLEXIONS 


SUR 


DON  GARCIE  DE  NAVARRE. 


JuA  jalousie  eéi  une  des  passions  les  plus  propres  à  réussir  au 
théâtre.  Molière  essaya  pour  là  première  fois  de  la  peindre 
dans  cette  pièce;  '  mais  il  échoua  ;  et  le  peu  de  succès  dé  son 
entreprise  lui  fît  deviner  les  moyens  de  présenter  cette  pas- 
sion sous  les  véritables  couleurs  qu'elle  doit  avoir  da''ns  la  co- 
médie. La  jalousie  est  une  passion  très-sérreuse  :  elle  fait  le 
tourment  de  ceux  qui  eu  sont  atteints  :  tout  est  pour  eux  ma-» 
tière  de  Soupçons  et  d'inquiétudes;  et  l'aveuglement  qui  les 
égare  leur  fait  souvent  commettre  deis  injustices  :  maïs  ce 
travers ,  qui  rend  aussi  malheureux  ceux  qui  s'y  abandonnent 
que  celles  qui  en  sont  l'objet,  n'est  pas  susceptible  d'intéres- 
ser au  théâtre  comique  :  on  ne  prend  aucune  part  aux  visious 
qui  en  sont  la  suite  ;  et  l'homme  jaloux  ne  peut  même  espérer 
d'être  plaint. 

Le  ridicule  de  cette  passion  est  donc  le  seul^côté  par  lequel 
on  peut  la  présenter  avec  succès  sur  la  scène  comique.  Aussi 
Molière,  éclairé  par l'acceuil  froid  qu'on  fit  à  don  Garcie, ne 
peignit  plus  la  jalousie  quedans  desrôles  plaisans.  Sganarelle  et 
Arnolphe  *  offrirent  ce  travers  dans  toute  son  énergie  :  on  ne 


«  Sganarelle,  dans  le  Cocu  imaginaire;  n'est  point  vëritablemcnt  ja- 
loux ;  il  n'est  pas  amoureux  de  sa  femme. 
3  École  des  BCam ,  École  des  Femmes. 


ga  RÉFLEXIONS 

plaignit  point  le  tuteur  d'Isabelle  d'être  entièrement  trompé 
dans  son  espoir,,  et  de^se  voir  joaë  et  dupé  par  l'adresse  d'une 
jeune  personne.  Le  sort  d'Arnolphe  éprouvant  l'ingratitude 
d'une  orpheline  qu'il  a  recueillie  n'inspira  pas  plus  d'intérêt  : 
on  s'aifi^usa  de  leurs  précautions  inutiles,  des  pièges  qui  leur 
étoieut  tendus,,  et  du  peu  de -succès  de  leur  prëvoyance.  Le 
Misanthrope ,  amoureux  et  jaloux ,  quoique  plus  noble  ,  ne 
produisit  pas  un  autre  effet  :  on  estima  sa  franchise  et  sa 
lojautë ,  mais  on  se  moqua  de  sa  passion  pour  Gelimène  ;  et 
sa  jalousie,  exprimée  avec  la  même  force  que  celle  de  don 
Garcie,  fit  une  sensation  très-difïerenle,. parce  que  la  situa- 
tion d'Alceste  est  constamment  comique. 

Cependant  le  Prince  jaloux  ,  tout  défectueux  qu'il  est  pour 
la  conception,  annonce  un  grand  maître.  Ce  carâetère,  par- 
faitement soutenu ,  présente  les  intervalles  d'emportement  et 
de  douceur  qui  lui  sont  naturels  :  Tantôt  aux  genoux  de  sa 
maîtresse,  tantôt  l'accablant  des  injures  les  plus  yiolentes, 
don  Garcie  ne  connoît  aucune  mesure  entre  une  confiance 
sans  bornes  et  une  méfiance  outrageante.  Son  rôle  est  plein 
de  chaleur  et  d'énergie  :  on  voit  qi|e  l'auteur  avoit  éprouvé 
cette  terrible  passipn  dont  il  faisoit  la  peinture.  A  côté  de  ce 
personnage  il  a  eu  l'art  de  placer  un  vil  flatteur  qui  nourrit 
la  passion  de  son  maître  par  de  faux  rapports  :  ce  rôle  de  don 
Lope  olFre  un  tableau  très-curieux  dû  manège  de  la. cour  à 
cette  époque  :  il  est  malheureux  qu'il  ne  soit  pas  plus  déve- 
loppé. 

La  jalousie  de  don  Garcie  est  fondée  sur  trois  motifs  assez 
raisonnables,  et  qui  par  cela  même  produisent  moins  d'effet. 
Don  Lope  lui  apporte  un  billet  déchiré  dont  il  interprète  le 
sens  contre  Elvire  ;  et  ce  n'est  que  lorsque  celle -«ci  lui  prouve 
sa  fidélité  par  lautrc  partie  du  billet  qu'il  cosse  de  la  soup* 


SUR  DON  GARCÏE  DE  NAVARRE.      93 

çonrier.  L'idée  de  ceftt€  méprise  a'éCé  employée  d'une  manière 
très-heureuse  par  M.  de  Voltaire  dans  le  conte  de  Zadig.  Le 
second  motif  de  jalousie  paroît  trop  commun  :  c'est  tout  sim- 
plement l'arrivée  d'un  prince-  qui  n'est  pas  attendu.  Le  troi- 
sième est  plBS  piquant ,  et  fournit  une  situation  cb'amatique. 
Une  femme  déguisée  en  homme  va  chez  Elvire  :  la  porte  est 
ouverte;  et  don  Garcie  les  voit  s'embrasser  tendrement.  Il 
entre  en  fureur  :  un  de  ses  confidents  lui  dit  en  vain  qu'il  ne 
faut  pas  s'en  rapporter  aux  apparences,  il  s'ëcrie  qu'il  a  tout 
vu  par  ses  yeux ,  et  son  emportement  augmente  par  la  con- 
tradiction. Si  cette  situation,  au  lieu  d'être  sérieuse,  eût  été 
prise  du  côté  comique ,  il  y  a  lieu  de  présumer  qu'elle  auroit 
relevé  la  pièce,  dont  le  dénouement  est  froid  et  languissant. 

Molière  transporta,  dans  la  scène  du  Misanthrope  où  ce 
personnage  fait  éclater  sa  jalousie,  plusieurs  morceaux  de 
deux  scènes  de  don  Garcie.  On  distingue  principalement  le 
commencement  de  cette  tirade  : 

Oai,  ooi,  je  Tai  perdu  lorsque  dans  vôtre  vue,  etc. 
l'emportement  d'Alceste  : 

C'est  une  trahison,  c*est  une  perfidie,  etc. 

Et  ce  retour  si  naturel  : 

Ah  !  ^ue  Y011S  savez  bien  ici  contre  moi-même  , 
Ingrate,  vous  servir  de  ma  tendresse  extrême  ! 

Cette  scène,  dans  le  Misanthrope,  est  toujours  fort  ap- 
plaudie ;  pourquoi  ne  produisit-elle  pas  le  même  effet  dans  le 
Prince  jaloux?  C'est  que  don  Garcie  est  jaloux  d'unç  femme 
vertueuse  dont  il  cause  injustement  le  malheur,  tandis  qu'Al- 
ceste  aime  une  coquette  qui  se  moque  de  lui ,  qui  d'un  coup 
d'œil  le  désarme ,  et  qui  ne  s^effraic  pas  de  ses  emportements- 


94    RÉFLEXIONS  SDR  DON  GARCIE  DE  NAV. 

La  scène  du  Prince  JALonc  tient  au  genre  da  drame;  celle  du 
Misanthrope  est  de  l'excellente  comëdie. 

L'auteur  transporta  aussi  dans  Amphitryon  quelques  vers 
trèsp-heureux  du  Prince  jalofitz.  Don  Garcie  implore  sa  grâce 
d'Elyire ,  et  lui  dit  qu'il  mourra  si  elle  ne  la  lui  accorde.  Elvire 
attendrie  répond  : 

Qui  ne  saoroit  baïr,  ne  peut  Tonloir  qu'on  meure. 

Alcmène  fait  la  même  réponse  à  Jupiter  qui  sollicite  le  par- 
don des  torts  qu'elle  lui  suppose. 

L'emploi  de  tous  ces  vers  dans  d'autres  pièces  prouve  que 
Molière*  avoit  entièrement  renoncé  à  celle-ci  ^  et  que  le  juge» 
ment  du  public  lui  paroissoit  juste.  Elle  ne  fut  imprimée  qu'a- 
près sa  mort»  On  a  prétendu  qu'il  l'avoit  imitée  d'un  auteur 
espagnol  nommé  Gicognini  :  il  nous  a  été  impossible  de  nous 
procurer  l'ouvrage  de  cet  auteur,  dont  il  n'est  fait  mention 
dans  aucune  biographie. 


rfft 


L'ECOLE 

DES  MARIS, 

COMÉDIE 

EN  TROIS  ACTES  ET  EN  VERS, 

Représentée  le  la  juin  1661 ,  dan«  une  fête  que  donna  Fouqnet 
à  la  reine  d'Angleterre  ;  et  le  1 4  du  même  mois ,  sur  le  théâtre 
^  Palais^lojaL 


A   MONSEIGNEUR 

LE  DUC  D'ORLÉANS, 

I 

FRÈRE  UNIQUE  DU  ROI. 


M 


ONSEIGNEUR 


Je  fais  voir  ici  à  la  France  des  choses  bien  peu  propor- 
tionnées :  il  n'est  rien  de  si  grand  et  de  si  superbe  que  le 
nom  que  je  mets  à  la  tête  de  ce  livre ,  et  rien  de  plus  bas 
que  ce  qu'il  contient.  Tout  le  monde  trouvera  cet  assem- 
blage étrange;  et  quelques-uns  pourront  bien  dire,  pour 
en  exprimer  l'inégalité ,  que  c'est  poser  une  couronne  de 
perles  et  de  diamants  sur  une  statue  de  terre ,  et  faire 
entrer  par  des  portiques  magnifiques  et  des  arcs  triom- 
phaux superbes  dans  une  méchante  cabane.  Mais,  mon- 
seigneur, ce  qui  doit  me  servir  d'excuse,  c'est  qu'en 
cette  aventure  je  n'ai  eu  aucun  choix  à  faire,  et  que 
l'honneur  que  j'ai  d'être  à  votre  altesse  royale  m'a 
imposé  une  nécessité  absolue  de  lui  dédier  le  premier 


ÉPITRE  DÊDICATOIRE.  97 

ouvrage  que  je  mets  de  moi-même  au  jour.  Ce  n'est  pas  un 
présent  que  je  lui  fais,  c^est  un  devoir  dont  je  m'acquitte; 
et  les  hommages  ne  sont  jamais  regardés  par  les  choses 
qu'ils  portent.  J'ai  donc  osé,  monseigneur^  dédier  une 
bagatelle  à  votre  altesse  royale,  parce  que  je  n'ai  pu 
m'en  dispenser;  et  si  je  me  dispense  ici  de  m^étendre  sur 
les  belles  et  glorieuses  vérités  quou  pourroit  dire  d'elle, 
c  est  par  la  juste  appréhension  que  ces  gtasdes  idées  ne 
fissent  éclater  encore  davantage  la- bassesse  de  mon  of- 
frande. Je  me  suis  imposé  silence  pour  trouver  un  endroit 
plus  propre  à  placer  de  si  belles  choses  ;  et  tout  ce  que  j'ai 
prétendu  dans  cette  épitre,  c'est  de  justifier  mon  action  à 
toute  la  France ,  et  d'avoir  cette  gloire  de  vous  dire  à  vous- 
même,  MONSEIGNEUR,  avcc  toutc  la  soumissiou  possible, 
que  je  suis,         .      ,  i 


DE  VOTRE  ALTESSE  ROYALE 


et  très-humble ,  très-obéissant 
et  très-fîdèle  serviteur^ 

MOLIÈRE. 


MoiikBE.  a. 


'  ^*  ^  '  ^  '  -  '  '      ■  ■    '-' 


PERSONNAGES. 


SGANARELLE,  frère  d'Ariste. 
ARISTE,  frère  de  Sganarelle. 
ISABELLE,  sœur  de  Lëonor. 
LËONOR,  sœur  d'Isabelle. 
VALËKE,  amant  d'Isabelle. 
LISETTE,  suivante  de  Lëonor. 
ERGASTE,  valet  de  Valère. 
UN  COMMISSAIRE. 
UN  NOTAIRE. 
DEUX  LAQUAIS. 


La  scène  est  à  Paris ,  dans  une  place  pubUqae» 


7? 


L'ECOLE  DKSMAHIS. 


V» 


L'ECOLE 

DES  MARIS. 


ACTE  PREMIER. 


SCÈNE  I. 

SGA^ARELLE,  ARJSTE. 

'  ■     '  '  '  •       . 

.  ^OA«A|LELLE. 

jylon  frère  ^  s'il  Vews  plaît ,  ^e  ^î^coqroii»  point  t^nt  ; 
Et  que  chacun  de  nous  vîye  comme  il  Fenteud. 
Bien  que  sur  pioi  deç  ^^s  vous  ^yez  l'avantage , 
Et  so^e?  assôTi  vieM!  pour  devoir  4tre  sage, 
.  Je  vous  dirai  pourtant  ^e  mes  intentions 
Sont  de  ne  prendre  poiut  dé  vos  QOfreqtioùi^  y 
Que  j'ai  pe^ur .tout  con^^il  ma  Ëintaisiç  i  ^iLiyt^^ 
Et  me  trouve  fort  bien  de  ma  façou  ^e  'y\KT^\ 

ARISTE, 

Mais^h^Ufl  1a  çfiUdftmne. 

.     ;jaA3ïfAREI'X|i. 

Qui ,  des  foi^  comn^  voç^ . 
.Môpfrirç.* 

ARISTE. 

Grand  merci  ;  le  compliment  est  douxl . 


100  UÉCOLE  DES  MARIS. 

SGANARELLE. 

Je  voudroîs  bîen  savoîr,  puisqu'il  faut  tout  entendre, 
Ce  (jue  ces  beaux  censeurs  en  moi  peuvent  reprendre. 

ARISTE. 

Cette  farouche  humeur  dont  la  sévérité 

Fuit  toutes  les  douceiu*s  de  la  société, 

A  tous  vos  procédés  inspire  un  air  bizarre  ^ 

Et  jusques  à  Thabit,  rend  tout  chez  vous  barbare. 

SGANARELLE. 

Il  est  vrai  qu'à  la  mode  il  faut  m  assujettir, 

Et  ce  n'est  pas  pour  moi  que  je  me  dois  vêtir. 

Ne  voudrieZ'Vous  point  par  vos  belles  sornettes, 

Monsieur  mon  frère  aîné,  car.  Dieu  merci,  vous  Fâtes 

D'une  vingtaine  d'ans,  à  ne  vous  rien  celer. 

Et  cela  ne  vaut  pas  la  peine  d  en  parler; 

Ne  voudriez-vous  point,  dis- je,  sur  ces  matières. 

De  vos  jeunes  muguets  *  m'inspirer  les  manières; 

Mobliger  à  porter  de  ces  petits  chapeaux 

Qui  laissent  éventer  leurs  débiles  cerveaux, 

Et  de  ces  blonds  cheveux  dé  qui  la  \fa&te  enflure 

Des  visages  humains  ofiusque  la  figure; 

De  ces  petits  pourpoints  sous  les  bras  se  perdants. 

Et  de  ces  grands  collets  jusqu'au  nombril  pendants;, 

De  ces  manches  qua  table  on  voit  tâter  les  sauces. 

Et  de  ces  cotillons  appelés  hauts-de-chausses; 

I  Muguet,  galant.  Ménage  prétend  que  ce  mot  yient  de  rnuKo* 
tum.  aromate. 


.    ACTE  I,  SCÈNE  I.  loi 

De  ces  souliers  migopus  de  rubans  reyétus, 

Qai  vous  font  ressembler  à  des  pigeons  patus; 

Et  de  ces  grands  canons  '  où ,  comme  en  des  entraves , 

On  met  tous  les  matins  ses  deux  jambes  esclaves , 

Et  par  qui  nous  voyons  ces  messieurs  les  galants 

Marcher  écanjuillës  ^  ainsi  çjue  des  volants? 

Je  vous  plairois  sans  doute  équipé  de  la  sorte , 

Et  je  vous  vois  porter  les  sottises  quW  porte. 

ARISTE. 

Toujours  au  plus  grand  nombre  on  doit  s'accommoder, 

Et  jamais  il  ne  &ut  se  faire  regarder. 

LW  et  l'autre  excès  choque;  et  tout  homme  bien  sage 

Doit  fsiire  des  habits  ainsi  que  du  langage, 

N'y  rien  trop  affecter,  et,  sans  empressement. 

Suivre  ce  que  Fusage  y  fait  de  changement. 

Mon  sentiment  n'est  pas  qu'en  prenne  la  métliode 

De  ceux  qu'on  voit  toujours  enchérir  sur  la  mode. 

Et  qui,  dans  ces  excès  dont  ils  sont  amoureux. 

Servent  fâchés  qu'un  autre  eût  été  plus  loin  qu'eux  : 

Maïs  je  tiens  qu'il  est  mal,  sur  quoi  que  l'on  se  fonde, 

De  fuir  obstinément  ce  que  suit  tout  le  monde. 

Et  qu'il  vaut  mieux  souffrir  d'être  au  nombre  des  fous 

Que  du  sage  parti  se  voir  seul  contre  tous. 

r 

«  Canon,  bande  d  étoffe  que  l'on  portoit  au-'dessus  du  genou. 
( Voy.  tome  I ,  la  note  des  Précieuses  ridicules ,  page  SSy.  ) 

»  EcarcjuiUer,  ou  escarqaliier  les  jambes,  les  ouvrir,  les  écarte^ 
autant  que  l'on  veut. 


loa  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

Gda  sent  soA  Vieillard  qui  ^  pom*  eh  faire  acccolm. 
Cache  ses  cheveux  blancs  d'une  ^emvjoe  noire. 

ARISTfi« 

C^est  un  étrange  &it  du  soin  que  vous  prenez 
  me  venir  toujours  jeter  mon  âge  au  nez  y 
Et  qu'il  faille  qu'en  moi  sans  oesse  je  vous  voie 
Blâmer  l'ajustement  aussi-bieu  que  la  joie  : 
Comme  si,  condamnée  à  ne  plu»  rien  chérir, 
La  vieillesse  devoit  ne  songer  qu^à  mourir  | 
Et  d'assez  de  laideur  n'est  pas  accompagnée  ^ 
Sans  se  tenif  encor  inal  ropre  et  rechignéc.  ' 

Quoi  qu  il  en  soit,  je  suis  attaché  fortement 

A  ne  démordre  point  de  mon  habillement. 

Je  veux  une  coiÔure^  en  dépit  de  la  mode, 

Sous  qui  toute  Ina  tête  ait  un  abri  commode  ; 

Un  bon  pourpoint  bien  long,  et  fermé  comme  il  faut, 

Qui ,  pour  bien  digéter ,  tienne  l'estomac  chaud  ; 

Un  haùt-de-chausse  fait  justement  pour  ma  cuisse  ; 

Des  souliers  bu  mes  pieds  ne  soient  point  au  supplice, 

Ainsi  qu  eii  ont  usé  sagement  nos  aïeux  : 

Et  qui  me  trouve  mal  n'a  qu'à  fermer  les  yeux. 

. _-  --  - ,  I  I  -    . 

»  Rechigné,  vient  de  réchin,  vieux  mot  françois  qui  signidoit 
chagrin X  morose,  de  mauvaise  humeur. 


ACTE  I.  SCÈNE  U  io3 

SCÈNE  IL 

lÉONOR,  ISABELLE,  LISETTE-,  ARISTE,  jlt 
SGANARELLiE,  paaiiAhx  b49  ^i^ssm^ipe  sur  le 

DEVANT   DU  THEATEE,   SANS   ÊTRE   APERÇUS. 

LÉONOR,  à  Isabelle. 

Je  me  charge  de  tout  en  cas  que  Ton  vous  gronde. 

LISETTE,  k  Isabelle. 

Toujours  dans  une  chambre  à  ne  point  voir  le  n^ondel 

ISABELLE. 

Il  est  ainsi  bâti. 

LioNOR. 

Je  voos  en  plains,  ma  sœur. 

LISETTE,  à  Léonor. 

Bien  vous  prend  que  son  firère  ait  tout  une  autre  humeur, 

Madame  ;  et  le  destin  tous  fut  bien  favorable 

En  vous  Élisant  tomber  ai»  mains  du  raisonnable. 

ISABELLE. 

C^est  un  miracle  encor  qu^il  ne  m^ait  aujourd'hui 
Enfermée  à  la  clef,  ou  menée  avec  lui. 

LISETTE. 

Ma  foi ,  je  l'enverrois  au  diable  avec  sa  frabe , 
Et... 

SGANARELLE,  hearté  par  Lisette. 

Où  donc  allez-y 0118)  qu^il  ne  vous  en  déplaise? 

LiONOR. 

Nous  ne  savons  encore,  et  je  pressoia  ma  sœur 


lol  UÊCOLE  DES  MARFS. 

De  venir  du  beau  temps  respirer  la  douceur  : 
Mais. . . 

SGANARELLEy  à  Léonor. 

Pour  VOUS ,  VOUS  pouvez  aller  où.  bon  vous  semble  ; 

(  montrant  Lisette.  ) 

Vous  n'avez  qu'à  courir,  vous  voUà  deux  ensemble. 

(  à  Isabelle.  ) 

Mais  VOUS  9  je  vous  défends ,  s'il  vous  plait,  de  sortir. 

▲  RISTE. 

Âhl  laissez-les 9  mon  frère,  aller  se  divertir. 

SGANARELLE. 

Je  suis  votre  valet,  mon  frère. 

ARISTE. 

La  jeunesse 
Veut,  •  4 

SGANARBLLE. 

La  jeunesse  est  sotte,  et  parfois  la  vieillesse* 

ARISTE. 

Croyez-vous  qu'elle  est.mal  d'être  avec  Léonor? 

SGANARELLE. 

Non  pas;  mais  avec  moi  je  la  crois  mieux  encor. 

ARISTE. 

Mais. . . 

SGANARELLE. 

Mais  ses  actions  de  moi  doivent  dépendre. 
Et  je  sais  l'intérêt  enfin  que  fy  dois  prendre. 

ARISTE. 

A  celles  de  sa  sœur  ai^je  un  moindre  intérêt? 


ACTE  I,  SCÈNE  II.  io5 

86ANA⣣I.E. 

Mon  Dieu!  chacun  raisonne  et  &it  comme  il  lui  plait. 
Elles  sont  sans  parents ,  et  notre  amî>  leur  père 
Nous  commit  leur  conduite  à  son  heure  dernière  ; 
Et 9  nous  chai^eant  tous  deux,  ou  de  les  épousèry 
Ou,  sur  notre  refus,  un  jour  d'en  disposer, 
Sur  elles ,  par  contrat ,  nous  sut ,  dès  leur  en&nce , 
Et  de  père  et  d'époux  donner  pleine  puissance. 
D'élever  celle-là  vous  prhes  lé  souci , 
Et  moi  je  me  chargeai  du  soin  de  celle-ci  : 
Selon  vos  veloutés  vous  gouvernez  la  vôtre  : 
Laissez-moi,  je  vous  prie,  à  mon  gré  régir  Vautre. 

ARIST.E. 

D  me  semble. . . 

SGANARELLE. 

n  me  semble,  et  je  le  dis  tout  haut. 
Que  sur  un  tel  sujet  c'est  parler  comme  il  faut. 
Vous  sou£Grez  que  la  vôtre  aille  leste  et  pibapanle , 
Je  le  veux  bien;  qu'elle  ait  et  laquais  et  suivante. 
J'y  consens  ;  qu  elle  coure ,  aime  l'oisiveté , 
Et  soit  des  damoiseaux  flairée  en  liberté. 
J'en  suis  fort  satisfait  :  mais  j  entends  que  la  mienne 
Vive  à  ma  fantaisie,  et  non  pas  à  la  sienne  ; 
Que  d'une  serge  honnête  elle  ait  son  vêtement. 
Et  ne  porte  le  noir  qu'aux  bons  jours  seulement; 
Qu'enfermée  au  logis,  en  personne  bien  sage , 
Elle  s'applique  toute  aux  choses  du  ménage, 
A  recoudre  mon  linge  aux  heures  de  loisir , 


io6  L'ÉCOLE  DES  MAHI& 

Ou  bien  à  tricoter  qudcpes  bas  par  plabir  ; 

Quaux  discours  des  muguets  elle  ferme  roréille, 

Et  ne  sorte  jamais  sans  avoir  cpd  la  yeiUe. 

Enfin  la  chair  est  foible,  et  j  entends  tous  les  bruits. 

Je  ne  veux  point  porter  de'comes  y  si  je  puis; 

Et,  comme  à  m'épouser  sar  fortuite  l'appelle^ 

Je  prétends,  corps  pour  corps  9  pouvoir  répondre  d'oU^* 

Vous  n'avez  pas  sujet ,  que  je  crois. .  « 

SOASARJSLIiS. 

Xaises^TOus.    ^ 
Je  vous  apprendrai  bien  s'il  &ut^sbrtîr  sans  nous. 

LÉONOR» 

Quoi  donc,  monsieur. . . 

S<^ANAR£I.l.jE, 

Mon  Dieul  madame,  sans  langage: 
Je  ne  vous  parle  pas ,  car  vous  êtes  trop  sa§&. 

IiéONOR. 

Voyez-vous  Isabelle  avec  nous  à  regret? 

Oui  ;  vous  me  la  gâtez ,  puisqu'il  faut  parler  net. 

Vos  visites  ici  ne  font  que  me  déplaire  ; 

Et  vous  m'obligerez  de  ne  nous  en  plus  faire. 

tiipvoR. 
Voulez-vous  que  mon  ceeur  vous  parle  net  aussi? 
J'ignore  de  quel  œil  elle  voit  tout  ceci  ; 
Mais  je  sais  ce  qu'en  moi  feroit  la  défiance  : 
Et ,  quoiqu'un  même  sang  nous  ait  donné  naissance , 


ACTE  I,  SCÈNE  IL  107 

Noos  sommes  bien  peu  sœur»,  s'il  &tit  que  chaque  joor 
Vos  manières  d'agir  lui  doaneat  de  ramour. 

LI8BTTB. 
En  effet,  tous  ces  soins  sont  des. choses  infâmes  : 
Sommes-nous  chee  les  Turcs ,  pour  ren£snner  les  femmes? 
Car  on  dit  qu'on  les  tient  esclaves  en  ce  lieu , 
Et  que  c  est  pour  vdà  qu'ils  sont  maudits  de  Dieu. 
Notre  honneur  .est  ^  monsieur,  bien  sujet  i  foiblesse , 
S'il  &ut  qu^il  ait  besoin  qu'on  le  garde  sans  cesse. 
Peosez-Tous ,  après  tout ,  que  ces  précautions 
Servent  de  quelque  obstacle  à  nos  intentions? 
Et,  quand  nous  notts  mettons  quelque  chose  à  la'  tête , 
Que  rhomme  le  plus  fin  ne  soit  pas  une  bête? 
Toutes  ces  gardes-là  sont  visions  de  fous; 
Le  plus  sûr  est ,  ma  foi ,  de  se  fier  en  nous  : 
Qui  nous  gène  se  met  en  un  péril  extrême , 
Et  toujours  notre  honneur  veut  se  garder  lui-même. 
Cest  nous  inspirer  presque  un  désir  de  pécher, 
Que  montrer lant  de  soins  de  nous  en  empêcher. 
Et,  si  par  un  mari  je  me  veyob  contrainte, 
J'aurois  fort  grande  pente  à  confirmer  sa  crainte. 


SGAI^ARELLE,  à  Ariste. 


Voilà,  beau  précepteur,  votre  éducation. 
Et  vous  souffirea  cela  sans  nulle  émotion  ? 

ARISTE. 

Mon  frèrcf ,  so^i  discours  ne  doit  que  faire  rire  ;. 
Elle  a  quelque  raison  en  ce  qu'elle  veut  dire. 
Leur  sexe  aime  i  jouir  d'un  peu  de  liberté  : 


io8  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

On  le  retient  fort  mal  par  tant  d^austërité  ; 

Et  les  soins  défiants,  les  verrous  et  les  grilles, 

Ne  font  pas  la  vertu  des  femmes  ni  des  filles  : 

C'est  rhonneur  qui  les  doit  tenir  dans  le  devoir. 

Non  la  sévérité  que  nous  leur  faisons  voir. 

C'est  une  étrange  chose,  à  vous  parler  sans  feinte, 

Qu'une  femme  qui  n  est  sage  que  par  contrainte. 

En  vain  sur  tous  ses  pas  nous  prétendons  régner, 

Je  trouve  que  le  coem*  est  ce  qu'il. &ût  gagner; 

Et  je  ne  tiendrois,  moi,  quelque  soin  qu'on  se  donne, 

Mon  honneur  guèresâi*  aux  mains  d'une  personne 

A  qui ,  dans  les  désirs  qui  pouiroient  Tassaillir, 

Il  ne  manqueront  rien  qu'un  moyen  de  Êdllir. 

SG^ANARELLS. 

Chansons  que  tout  cela. 

ARISTE. 

Soit;  mais  je  tiens  sans  cesse 
Qu'il  nous  faut  en  riant  instruire  la  jeunesse, 
Reprendre  ses  défauts  avec  grande  douceur, 
Et  du  nom  de  vertu  ne  point  lui  faire  peur. 
Mes  soins  pour  Léonor  ont  suivi  ces  maximes^ 
Des  moindres  libertés  je  n'ai  point  Êiit  des  crimes  ; 
A  ses  jeunes  désirs  j'ai  toujours  consenti, 
Et  je  ne  m'en  suis  point,  grâce  au  ciel,  repenti. 
J'ai  souffert  qu'elle  ait  vu  les  belles  compagnies , 
Les  divertissements ,  les  bals ,  les  comédies  : 
Ce  sont  choses,  pour  moi,  que  je  tiens  de  tout  temps 
Fort  propres  à  former  l'esprit  des  jeunes  gens; 


ACTE  I,  SCÈNE  IL  109 

Et  l'école  du  monde  en  l'air  dont  il  Êiut  vivre 

Instruit  mieux,  à  mon  gré,  que  ne  fiiit  aucun  livre. 

Elle  aime  à  dépenser  en  habits ,  linge  et  nœuds  :  * 

Que  voulez-vous?  je  tâche  à  contenter  ses  vœux  ; 

Et  ce  sont  desplaisirs  qu'on  peut  dans  nos  familles , 

Lorsque  Ion  a  du  bien ,  perm^tre  aux  jeunes  filles. 

Un  ordre  paternel  Toblige  à  m/épouser  ; 

Mais  mon  dessein  n'est  pas  de  la  tyranniser. 

Je  sais  bien  que  nos  ans  ne  se  rapportent  guère, 

Et  je  laisse  à  son  choix  liberté  tont  entière. 

Si  quatre  mille  écus  de  rente  bien  venants , 

Une  grande  tendresse  et  des  soins  complaisants, 

Peuvent,  à  son  avis,  pour  un  tel  mariage. 

Réparer  entre  nous  l'inégalité  d'âge, 

Elle  peut  m'épouser;  sinon,  choisir  ailleurs. 

Je  consens  que  sans  moi  ses  destins  soient  meilleurs  ; 

Et  j'aime  mieux  la  voir  sous  un  autre  hyménée , 

Que  si  contre  son  gré  sa  main  m'étoit  donnée. 

SGANARELLE. 

Hé!  qu'il  est  doucereux  !  c'est  tout  sucre  et  tout  miel  1 

ARLSTE.. 

Enfin  c'est  mon  humeur,  et  j'en  rends  grâce  qu  ciel. 

Je  ne  suivrois  jamais  ces  maximes  sévères 

Qui  font  que  les  enfants  comptent  les  jours  des  pères.    . 


'  Les  femmes,  les  hommes  mêmes  portaient  alors  beaucoup 
^  rubans.  .>■...■ 


110  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

8GANARELLB. 

Mais  ce  qa  en  la  jeimesse  on  prend  de  liberté 
Ne  se  retKUûdbie  pas  avec  facilité  ; 
Et  tous  ces  sentiments  soi^^ront  mal  votre  es^yie. 
Quand  il  faudta  changer  sa  manière  de  vie. 

Et  pourquoi  la  changer! 

8GANARSLX.B. 

Pouaquoi  ? 

ARISTJE. 

Oui. 

Jenefsaî# 

ARISTE. 

Y  voit-on  quejque  chose  où  Thomieur  seÂt  blessé? 

saANAREi;iï.^. 
Quoi!  si  vous  l'épousez,  elle  pourra  préteindre 
Les  mêmes  libertés  qiie  fille  on  lui  voit  pipepdre? 

ARISXE^ 

Pourquoi  non.? 

SGANARELLE. 

Vos  désirs  lui  seront  complaisants 
Jusques  à  lui  laisser  et  mouches  et  rubans? 

ARISTE. 

Sans  doute. 

SGANARELLE. 

A  lui  souffrir,  en  cervelle  troublée, 

'    '   '     .        *•'•..  '  <   ••    ' 

De  courir  tous  les  bals  et  les  lieux  d'assemblée  ? 


f .  • .  > 


ACTE  I,  SCÊJtË  II.  fti 

ARXSTB. 

Oui  yraiment. 

SGÀKARËXLE. 

Et  chez  VOUS  ir<>iit  les  damoiseaux? 

àRISTE. 

Et  quoi  doue? 

Qoi  joÛTom^  donneront  des  cadeauic? 

ARISTE* 

Faccord. 

S^ANARfiLLE. 

Et  votre  femUié  entétiâra  les  fleurettes? 

ARISTE.  ' 

Fort  bien,  ^ 

SGANARELLE. 

Et  voué  verrez  ces  visites  muguettçs  >  ■'   ( 
D'un  œil  à  témoigner  de  n'en  être  point  soûl? 

ABISTE. 

Cela  s'entende 

SGANARELLE.  ■ 

Allez  y  vous  êtes  un  vieux  fi>u. 

fà  IsabeUe.  ) 

Rentrez  pour  n^onïr  point  cette  praticpiè  in£imet  ) 

"      ,     •        •  •         •     • 

>  Visites  muguettes,  yitites  glda»iCeft.    . 


>  '  <    ■  '  I 


11^  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

SCÈNE   IIL 

ARISTE,  SGANARELLE,  LÉONOR,  LISETTE. 

ARISTE. 

Je  yeux  m  abandonner  à  la  foi  .de  ma  femme , 
Et  prétends  toujours  vivre  ainsi  que  j'ai  vécu. 

SGANARELLE. 

Que  j'aurai  de  plaisir  quand  il  sera  cocu  ! 

ARISTE. 

J'ignore  pour  quel  sort  mon  astre  m'a  &it  naître  : 
Mais  je  sais  que,  pour  vous,  si  vous  manquez  de  Fêtre, 
On  ne  vous  en  doit  point  imputer  le  dé&ut; 
Car  vos  soins  pour  cela  font  bien  tout  ce  qu'il  Ëtut. 

SGANARELLE. 

Riez  donc,  beau  rieur.  Oh!  que  cela  doit  plaire 
De  voir  un  goguenard  presque  sexagénaire! 

LÉONOR. 

Du  sort  dont  vous  parlez  je  le  garantis,  moi, 
S'il  faut  que  par  l'hymen  il  reçoive  ma  loi  ; 
n  s'en  peut  assurer  :  mais  sachez  que  mon  âme 
Nerépondroit  de  rien^  si  j  etois  votre  femme. 

LISETTE. 

C'est  conscience  à  ceux  qui  s-assurent  ennous; 
Mais  c'est  pain  bénit,  certe^  â  des  gens  comme  vous. 

SGANARELLBt, 

Allez ,  langue  maudite  et  des  plus  mal  apprises. 

ARISTE. 

Vous  vous  êtes ,  mon  frère ,  attiré  ces  sottises- 


ACTE  I,  SCÈNE  III.  (ii3 

Adieu.  Changez  d'humeur,  et  soyez  ayerti 
Que  renfermer  sa  femme  est  un  mauvais  parti* 
Je  suis  votre  valet. 

SGA.NARELLE. 

Je  ne  suis  pas  le  vôtre. 

SCÈNE  IV. 

SGANARELLE. 

0  H  !  que  les  voilà  Bien  tous  formés  Fun  pour  lautre  I 

Quelle  belle  &mille!  un  vieillard  insensé 

Qui  fait  le  dameret  dans  un  corps  tout  cassé  I 

Une  fille  maîtresse  et  coquette  suprême  I 

Des  valets  impudents!  Non ,  la  sagesse  même 

N'en  viendroit  pas  à  bout,  perdroit  sens  et  raison 

A  vouloir  corriger  une  telle  maison. 

Isabelle  pourroit  perdre  dans  ses  hantises  ' 

Les  semences  d'honneur  qu'avec  nous  elle  a  prises; 

Et,  pour  l'en  empêcher,  dans  peu  nous  prétendons 

Lui  £ûre  aller  revoir  nos  choux  et  nos  dindons. 

SCÈNE  V. 

VALÈRE,  SGANARELLE,  ERGASTE. 

VA  LE  RE*,  dans  le  fond  dn  théâtre. 

Ergàste,  le  voilà  cet  Argus  que  j'abhorre, 
Le  sévère  tuteur  de  celle  que  j'adore. 


*  Dans  ses  hantises,  en  la  fréquentant. 
MoLxànE.  3.  8 


ai4  L'ÉCOLE  PES  MARIS. 

S<&ANAkELtË,  se-crojantlsenl. 

N'est-ce  pas  ^elqae  chose  èûfin  de  surpreftafil 
Que  la  corruption  des  mœurs  de  maintendAt? 

VAtÈRE. 

Je  Youdrois  l'accoster,  is'il  est  en  ma  puissance, 
Et  tâcher  de  lier  avec  lui  connoissance. 

SGANARELLB,  se  croyant  seul. 

AU  lieu  de  voir  régner  cette  sévérité 
Qui  composoit  si  bien  Tancienne  honaâteté^ 
La  jeunesse  en  ces  Heux,  libertine^  absolue^ 
Ne  prend... 

CYalère  salue  Sganarelle  de  loin.  ) 
VALÈRÊ, 

Il  ne  voit  pas  que  c'est  lui  qu'on  salue. 

ERGASTE. 

Son  mauvais  œil  peut-être  est  de  ce  côté-ci. 
Passons  du  côté  droit. 

SGANARELLE,  se  croyant  seul. 

Il  faut  sortir  d'ici. 
Le  séjour  de  la  ville  en  moi  ne  peut  produire 
Que  des. . . 

VA  LE  RE,  en  s'approchant  peu  à  pcu'. 

Il  faut  chez  lui  tâcher  de  mlntroduire. 

SGANAREX/LE,  entendanf  c[nel<pie  bruit. 

Hé  !.. .  j'ai  cru  ^'on  parloit. 

(  se  croyant  seul.  ) 

Aux  chan^ ,  grâcesaux  cieux , 
Les  sottises  du  temps  ne  blessent  point  mes  yeux. 


ACTE  I,  SCÈNE  V.  n5 

£RGAST£,  àYalèce. 
Âbordez4e. 

SGANARELXiEy  .enteoidant  encore  du  bruit. 

Plaît-a? 

(n'enteoid&iit  plus  rien.  ) 
(  se  crojaut  stv^,.  ) 

Là,  tous  les  passe-temps  de  nos  filles  se  bornent. . . 

(  Il  aperçoit  Y alère  qui  le  salue,  ) 

Est-ce  â  nous? 

Approchez. 

SGANARELliD,  sans  prendre  garde  à  Y  alère. 

Là,  nul  godelureau  ' 

(  Yalère  le  salue  encore.  ) 

Ne  yient. .  .Que  didUe. .  «? 

(Il  se  retourne ,  et  voit  Erg^sjte  qi^i  le  salue  de  l'autre  côté. J 

Encor  !  que  de  coups  de  chapeau  1 

VALÈRE. 

Monsieur,  un  tel  abord-yous interrompt  peut-être? 

SGANARELLE. 

Cela  se  peut. 

VAX  è  RE. 

Mais  quoi!  l'honneur  de  vous  connoître 

'  Godelureau,  suivant  Ménage,  vient  de  gaudere,  se  réjouir. 
On  l'emploie  dans  le  stjle  familier,  pour  exprimer  un  homme 
qui  fait  l'agréable  auprès  des  feiusnes. 


ii6  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

ATest  un  si  grand  bonheur,  m'est  un  si  doux  plaisir, 
Que  de  vous  saluer  j'avois  un  grand  désir. 

SGANARELLE. 

Soit. 

VALÈRJE. 

Et  de  TOUS  venir,  mais  sans  nul  artifice, 
Assurer  que  je  suis  tout  à  votre  service. 

S6ANARELLE. 

Je  le  croîs. 

VALÂRE. 

J'ai  le  bien  d'être  de  vos  voisins, 
Et  fen  dois  rendre  grâce  à  mes  heureux  destins. 

SGANARELLE. 

C'est  bien  &it. 

VA  LE  RE. 

Mais,  monsieur,  savez-vous  les  nouvelles 
Que  l'on  dit  à  la  cour,  et  qu'on  tient  pour  fidèles? 

SGANARELLE. 

Que  in'importe? 

VALÈRE. 

Il  est  vrai  ;  mais  pour  les  nouveautés 
On  peut  avoir  parfois  des  curiosités. 
Vous  irez  voir,  monsieur,  cette  magnificence 
Que  de  notre  dauphin  prépare  la  naissance? 

SGANARELLE. 

Si  je  veux. 

VALERE. 

Avouons  que  Paris  nous  £ait  part 


ACTE  I,  SCÈNE  V.  117 

De  cent  plaisirs  charmants  qu^on  n  a  point  autre  part. 
Les  provinces,  auprès,  sont  des  lieux  solitaires. 
A  quoi  donc  pass6z-Yous  le  temps? 

SGANARELLE. 

A  mes  affaires. 

VALÈRE. 

L'esprit  veut  du  relâche ,  et  succombe  parfois 
Par  trop  d'attachement  aux  sérieux  emplois. 
Que  faites-vous  les  soirs  avant  quW  se  retire? 

SGANARELLE. 

Ce  qui  me  plait. 

VALERE. 

Sans  doute  ;  on  ne  peut  pas  mieux  dire  ; 
Celte  réponse  est  juste,  et  le  bon  sens  paroit 
  ne  vouloir  jamais  &ire  que  ce  qui  plait. 
Si  je  ne  vous  croyob  l'âme  trop  occupée, 
rirois  parfois  chez  vous  passer  Taprès-çoupée. 

Serviteur. 

SCÈNE   VL 

VALÈRE,  ERGASTE. 

VALÈRE. 

Que  dis-tu  de  ce  bizarre  fou  ? 

E&OASTE. 

B  a  le  repart  brusque,  et  l'accueil  loup-garou^ 

VALÈRE. 

Ah!  j'enrage! 


XI»  LÉCOLE  DES  MAHlS. 

BA6ASTE. 

Etdecfnoî? 

talIré. 
De  qaoi?  Cest  que  j'enrage 
De  voir  celle  que  j'aime  au  pouvoir  d'un  sauvage, 
D'un  dragon  surveillant,.dont  U  sévérité 
Ne  lui  laisse  )otut  d  aiicune  tib^té. 

&A6A6TÈ. 

Cest  ce  qui  fait  pôui"  VOHsj  et  stnr  efeiJ  conséqilénciés 
'Votre  amour  doit  fondel*  de  grandes  espérances. 
Apprenez ,  pour  avoir  votre  esprit  affermi , 
.Qu'une  femme  qu'on  garde  est  gagnée  à  demi, 
Et  que  les  noirs  chagrins  des  maris  ou  des  pères 
Ont  toujours  du  galaÉit  avancé  lèi^  affairée. 
Je  coquette  fort  peu  >  c'est  tnon  èofôindre  fâknt  j 
Et  de  profession  je  ne  sui^  pt^int  galant  i  ' 
Mais  j  en  ai  servi  vingt  de  ces  chiçrehéurd  éë  proie, 
Qui  disoient  fort  souvent  que  leur  plus  grande  joie 
Ëtoit  de  rencontrer  de  ces  maris  fâcheux 
Qui  jamais  sans  gronder  ne  revieni^ent  chez  eux, 
De  ces  brutaux  Qeffés  qui,  sans  raison  ni  suite. 
De  leurs  femmes  en  tout  contrôlent  la  conduite, 
Et,  du  nom  de  maris  ûèréï&éM èê  parants, 
Leur  rompnt  en  vitiièr^  aux  yeux  des  souptmnts. 
On  en  sait ,  disent-ils ,  prend^fe  ms  avantages  ; 
Et  Faigreur  d^  la  dame^  k  c^'s  èetVds  dotittâges 
Dont  la  plaint  doucement  te  céài^laisant  témoin , 
Est  un  champ  à  pousser  les  choses  assez  loin. 


ACTE  I,  SCÈNE  Yl.  iig 

En  an  mot^  ce  vous  est  une  att^i^te  assez  belle 
Que  la  sévérité  du  Datais  d'Isabelle. 

Mais  depuis  quatre  mois  que  je  raime  ardeinment; 
Je  n'ai  pour  lui  parler  pu  trouver  un  moment. 

ERGASTE. 

L'amour  rend  inventif;  mais  vous  ne  Têtes  guère  : 
Et  si  î'avois  été. . . 

VALÈRE. 

Mais  qu^aurois-tu  pu  faire  ^ 
Puisque  sans  ce  brutal  on  ne  la  voit  jamais  j 
Et  qu'il  n'est  li-dedans  servantes  ni  valets 
Dont,  par  jappât  flatteur  de  quelque  récompense , 
Je  puisse  pour  mes  feux  ménager  l'assistance? 

ERGASTE. 

ËUe  ne  sait  donc  pas  encor  que  vous  Faimez? 

VALÈRE. 

Cest  uu  point  dont  mes  vœux  ne  sont  pas  informés. 
Partout  où  ce  farouche  a  conduit  cette  belle. 
Elle  m'a  toujours  vu  comme  une  ombre  après  elle; 

■ 

Et  mes  regards  aux  siens  ont  tâché  chaque  jour 
Qe  pouvoir  expliquer  l'excès  de  mon  amour. 
Mes  yeux  ont  fort  parlé  :  mais  qui  me  peut  apprendre 
Si  leur  langage  enfin  a  pu  se  faire  entendre? 

ERGASTE. 

Ce  langage ,  il  est  vrai ,  peut  être  obscur  parfois  y^ 
S'il  n'a  pour  truchement  l'écriture  ou  la  voix.. 


120  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

VALÈRE. 

Que  faire  pour  sortir  de  cette  peine  extrême, 
Et  savoir  si  la  belle  4  connu  que  je  l'aime? 
Dis-m'en  quelcpie  moyen. 

jBRGASTE* 

C'est  ce  qu^îl  faut  trouver. 
Entrons  un  peu  chez  vous,  afin  dy  mieux  râver. 


FIN   pu   PREMIER  ACT£« 


L'ÉCOLE  DES  MARIS.  lai 


^^^#i^^l^^»^^>t^  ^^^«^»^^»«»«i^i^^^»i^«^i^'^«i^'»««^«i 


ACTE  SECOND. 


SCÈNE   L 

ISABELLE,  SGANARELLE. 

SGANARELLE. 

Va,  je  sais  la  maisoB ,  et  connois  la  personne 
Aux  marcpies  seulement  que  ta  bouche  me  donne. 

ISABELLE,  à  part. 

0  ciel,  sois->moi  propice,  et  seconde  en  ce  jour 
Le  stratagème  adroit  d  un  innocent  amour! 

SGANARELLE. 

Dis-tu  pas  qu'on  t'a  dit  qu'il  s'appelle  Valère? 

ISABELLE. 

Oui. 

SGANARELLE. 

Va,  sois  en.repos,  rentre,  et  me  laisse  faire; 
Je  vais  parler  sur  Theure  à  ce  jeune  étourdi. 

ISABELLE,  en  s*ën  allant. 

Je  fais,  pour  une  fille,  un  projet  bien  hardi  : 
Mais  l'injuste  r^eur  dont  envers  moi  Ton  use 
Dans  tout  esprit  bien  fait  me  servira  d'excuse. 


laa  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

SCÈNE  IL 
SGANARELLE. 

(Il  frappe  à  sa  porte ,  crojant  ^ue  c*e8t  celle  de  Yalére. ) 

Ne  perdons  point  de  temps  :  c'est  ici.  Qui  va  là? 
Bon!  je  rêve.  Holà,  dis-je,  holà  quelqu'un,  holà. 
Je  ne  m'étonne  pas,  après  cette  lumière, 
S'il  y  yenoit  tantôt  d\B  si  douce  manière. 
Mais  je  yeux  me  hâter,  et  de  son  fol  espoir. . . 

SCÈNE  III. 

VALÊRE,  SGANARELLE,  ERG  ASIE. 

SGANARELLE,  à  Ergaste  qui  est  sorti  brasqûement. 

Peste  soit  du  gros  bœuf,  qui,  pour  me  faire  choir. 
Se  yient  deyant  mes  pas  planter  comme  une  perche! 

VALÈRE. 

Monsiaur,  j  ai  du  regret. . . 

SGANARELLE. 

Ah!  c'est  vous  que  je  cherche. 

VALÉRE. 

Moi,  monsieur? 

SGANARELLE. 

Vous.  Valère  est-il  pas  yotre  nom? 

yALÈRE.    ' 

Oui. 

SGANAREI.LE. 

Je  viens  vous  parler,  si  vous  le  trouvez  ton. 


ACTE  II,  SCÈNE  IIL  laS 

Puis-Je  être  assez  heureux  pour  vaas  rendre  service? 

SGA.NAR£I.I.B« 

Non.  Mais  je  ^élelids^  mm^  vous  rendre  un  bon  office; 
Et  c'est  ce  qui  chez  vous  prend  droit  de  m'amener. 

yALÈR£« 

Chez  moi,  monsieur?. 

SOANAlLELLE. 

Chez  vous»  Faut-il  tant  s  étonner? 

VALiSKX. 

J^en  ai  bien  du  sujet;  et  mon  âme  ravie 
De  l'honneur. . . 

Laissons  là  cet  honneur,  je  vous  prie. 

VALÈRE. 

Voulez-vous  pas  entrer? 

SGANARSLLE. 

Il  n  en  est  pas  besoin. 
Monsieur,  de  grâce! 

SGAKTARELLE. 

Non ,  je  n'irai  pas  plus  loin.    , 

.     VALÉRE. 

Tant  que  vous  setet  là,  je  ne  puis  vous  entendre. 

SOA17AREI.LE. 

Moi,  ]en^4n  veuis  bou^r. 

VALÈRE* 

Hé  bien!  il  faut  se  rendre. 


ia4  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

Vite,  puisque  monsieur  à  cela  se  résout, 
Donnez  un  siège  ici. 

SGANARELLE. 

Je  veux  parler  debout. 

VA  LE  RE. 

Vous  souifrir  de  la  sorte? 

SGANARELLE. 

Âhl  contrainte  ejBBx)yableI 

'^  VALÈRB. 

Cette  incivilité  seroit  trop  condamnable. 

SGANARELLE. 

C'en  est  une  que  rien  ne  sauroit  égaler, 

De  n^ouïr  pas  les  gens  qui  veulent  nous  parler. 

VALÈRE. 

Je  vous  obéis  donc. 

SGANARELLE. 

Vous  ne  sauriez  mieux  faire. 

(  Ils  font  de  gi'andes  cérémonies  pour  se  couvrir.  ) 

Tant  de  cérémonie  est  fort  peu  nécessaire. 
Voulez-vous  m'écouter? 

VALÈRE. 

Sans  doute,  et  de  grand  cœur. 

SGANARELLE. 

Savez-vous ,  dites-moi ,  que  je  suis  le  tuteur 
D*une  fille  assez  jeune  et  passablement  belle 
Qui  loge  en  ce  quartier,  et  qu'on  nomme  Isabelle? 

*   .      VALÈRE. 

Oui, 


\ 


ACTE  II,  SCÈNE  III.  laS 

SGANARELI.E. 

Si yoas  le  savez ,  je  ne  vous  lapprends  pas. 
Mais  savez-yous  aussi ,  lui  troayant  des  appas, 
Qu'autrement  qu'en  tuteur  sa  personne  me  touche, 
Et  qu'elle  est  destinée  à  l'honneur  de  ma  couche  ? 

VALÈRE. 

Non. 

SGAITARELLE. 

Je  vous  rapprends  donc,  et  qu'il  est  à  propos 
Que  vos  feux,  s'il  vous  plaît,  la  laissent  en  repos. 

VALÈRE. 

Qui  ?  moi ,  monsieur  ? 

SGANARELLE. 

Oui ,  VOUS.  Mettons  bas  toute  feinte. 

VALÈRE. 

Qui  vous  a  dit  que  j'ai  pour  elle  Fâme  atteinte? 

SGANARELLE. 

Des  gens  à  qui  l'on  peut  donner  quelque  crédit. 

VALÈRE. 

Mais  encore? 

SGArrARELLE. 

'    Elle-même. 

VALÈREo 

Elle  ? 

SGANARELLE. 

Elle.  Est-ce  assez  dit?, 
Comme  une  fille  honnête,  et  qui  m^aime  d'enfance. 
Elle  vient  de  m'en  faire  entière  conjBdence,  ^ 


ia6  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

Et,  de  pins 9  m^a  chai^^  Tans 4ioBner  avis 
Que,  depuis  fpae  par  voos  tons  ses  pas  6ont  «uvis, 
Son  cœur  y  qu'avec  «xoès  votre  poursuite  4Nilra^ , 
N'a  que  trop  de  vos  yeux  entendu  le  langa^  ; 
Que  vos  secrets  désirs  lui  sont  assez  ooiuuis, 
Et  que  c  est  tous  donner  des  soucis  superflus 
De  vouloir  davantage  expliquer  une  flamme 
Qui  choque  l'amitié  que  rae  garde  son  âme. 

VALÈRE. 

C  est  elle  y  dHes^oos,  qui  de  sa  part  vous  &iL .  « 

SGANARSLLE. 

Oui  y  vous  venir  donner  cet  avis  franc>et  aet; 

Et  qu'ayant  vu  Tardeur  dont  votre  âme  est  blessée  ; 

Elle  vous  eût  ]^ufi  tôt  fait  savoir  sa  pensée , 

Si  son  cœur  avoit  eu,  dans  son  émotion, 

A  qui  pouvoH*  donner  cette  commission  ; 

Mais  qu'enfin  la  douleur  dbnecontrainte  extrême 

L^a  réduite  à  vouloir  ^e  servir  de  moi-même 

Pour  vous  rendre  averti ,  comme  je  vous  ai  dit, 

Qu'à  tout  autre  que  moi  son  cœur  est  interdit. 

Que  vous  avez  assez  joué  de  la  prunelle, 

Et  que ,  si  vous  avez  tant  soit  peu  de  cervelle , 

Vous  prendrez  d'autres  soins.  Adieu,  jusqu'au  revoir; 

Voilà  ce  que  j'avois  à  vous  faire  savoir. 

VALÈRfi,  bas. 

Ergaste,  que  dis-tu  d'une  telle  aventure? 

s  G- AN  A  RE  L'IrE  ^  bas ,  a  part. 

Le  voilà  bien  surpris! 


ACTE  II,  SCÈNE  III.  137 

SROÂSTIB,  bat,  àTalère. 

Selon  na  conjectoie^ 
Je  tiens  qu  elle  n'a  rien  de  déplaisant  pour  vous, 
Qu'un  mystère  assez  fin  est  caché  là-dessous , 
Et  qu'enfin  cet  ayis  n'est  pas  d  une  personne 
Qui  veuille  voir  cesser  Famour  <|u'elle  vous  donne. 

SGANARELtE,  à  part. 

II  en  tient  comme  il  faut. 

VA  L  Ë  R  E  9  bas ,  à  Ergaste. 

Tu  crois  mystérieux. . . 


ERGASTE,  bas. 


Oui. . .  Mais  il  nous  ohserve ,  ôtons-nous  de  ses  yeux. 

SCÈNE   IV. 

SGANARELLE. 

Que  sax^onfusion  paroit  sur  son  visage! 

II  ne  s'attendoit  pas^,  sans  doute,  à  ce  message. 

Appelons  Isabelle  :  elle  montre  le  fruit 

Que  réducation  dans  une  âme  produit; 

La  vertu  fait  ses  soins ,  et  son  cœnr  s'y  consomme 

Jusques  à  s'offenser  des  seuls  regards  d'un  homme. 

SCÈNE    V. 

ISABELLE,  SGANARELLE. 

ISABELLE,  bas,  en  entrant. 

J'ai  peur  que  mon  amant,  plein  de  sa  passion, 
N  ait  pas  de  mon  avis  compris  l'intention  j 


Ta8  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

Et  j'en  yeux,  dans  les  fers  où  je  suis  prisonnière ^ 
Hasarder  un  qui  parle  avec  plus  de  lumière, 

SGANARELLE, 

Me  voilà  de  retour. 

ISABELLE. 

; 

Hé  bien? 

86ANARELLE. 

Un  plein  effet 
A  suivi  tes  discours,  et  ton  homme  a  son  fait. 
Il  me  vouloit  nier  que  son  cœur  fut  malade  : 
MaiS;  lorsque  de  ta  part  j'ai  maïqué  l'ambassade, 
n  est  resté  d'abord  et  muet  et  confus; 
Et  je  ne  pense  pas  qu'il  y  revienne  plus. 

ISABELLE. 

Ah  !  que  me  dites-vous?  J'ai  bien  peur  du  contraire, 
Et  qu'il  ne  nous  prépare  encor  plus  d'une  affaire. 

SGANARELLE. 

Et  sur  quoi  fondes-tu  cette  peur  que  tu  dis? 

ISABELLE. 

Vous  n'avez  pas  été  plus  tôt  hors  du  logis , 
Qu'ayant,  pour  prendre  l'air ,  la  tête  à  ma  fenêtre, 
J'ai  vu  dans  ce  détour  un  jeune  homme  paroître, 
.Qui  d'abord,  de  la  part  de  cet  impertinent, 
Est  venu  me  donner  un  bonjour  surprenant, 
Et  m'a,  droit  dan^ma  chambre,  une  boîte  jetée 


ACTE  II,  SCÈNE  V.  1A9 

Qu!  renferme  une  lettre  en  poulet  *  cachetée. 
Jai  voulu  safks  tarder  lui  rejeter  le  tout  ; 
Mais  ses  pas  de  la  rue  avoient  gagné  le  bout  ^ 
Et  je  m'en  sens  le  Cœur  tout  gros  de  fâcherie. 

Voyez  un  peu  la  cuse  et  la  friponnerie  I 

l'SABELLE. 

Il  est  de  mon  devoir  de  Êiire  promptement 
Reporter  boîte  et  lettre  à  ce  maudit  amant; 
Et  j'aurois  pour  cela  besoin  d'une  personne.  •  • 
Car  d'oser  à  vous-même. . . 

SGANARELIS. 

Au  contraire,  mignonne, 
C'est  me  Êare  mieux  voir  ton  amour  et  ta  foi  ; 
Et  mon  cœur  avec  joie  accepte  cet  emploi  : 
Tu  m'obliges  par-là  plus  que  je  ne  puis  dire. 

ISABELLE.  ^ 

Tenez  donc. 

SGANARELLE. 

Bon.  Voyons  ce  qu'il  a  pu  t'écrire. 

ISABELLE. 

Ah  ciel!  gardez-vous  bien  de  l'ouvrir, . . 


'  On  donne  plusieurs  étjmologies  au  mot  poutet,  pris  dans  ce 
sens.  Saumaise  le  fait  dériver  du  latin,  t)  autres  pensent  cpie  l'on 
a  donné  ce  nom  aux  billets  doux,  parce  qu'ils  étoient  plies  de 
manière  à  ce  qu'il  j  ayoit  deux  pointes  qui  formoient  comme  des 
ailes  de  poulet. 

MoLiii^aE.  2.  9 


i3d  L'ÊQOLÊ  DES  MARIS. 

S6ANARBLtE. 

Etpotinjùoi? 

ISABSLtE. 

Lui  voulez-vous  donuer  à  croire  que  c^est  moi? 
Une  filLe  d'honneur  doit  toujours  se  défendre 
De  lire  les  billets  qu  un  homme  lui  &it  rendre. 
La  curiosité  qu  on  fait  lors  éclater 
Marque  un  secret  plaisir  de  s'en  ouïr  conter^ 
Et  je  trouve  à  propos  qu9,  toute  cachetée, 
Cette  lettre  lui  soit  promptement  reportée  ^ 
Afin  que  d  autant  mieux  ill  conp.oisse  aujourd'hui 
Le  mépris  éclatant  que  mon  cœur  lait  de  lui. 
Que  ses  feux  désormais  perdent  toute  espérance, 
Et  n^entreprennent  plus  pareille  extravagance. 

SGANARELLE. 

Certes,  elle  a  raison  lorsqu'elle  parle  ainsi. 
Va ,  ta  vertu  me  charme,  et  ta  prudence  aussi  ; 
Je  vois  que  mes  leçons  ont  germé  dans  ton  âme  ; 
Et  tu  te  montres  digne  enfin  d'être  ma  femme. 

ISABELLE. 

Je  ne  veux  pas  pourtant  gêner  votre  désir. 

La  lettre  est  dans  vos  mains,  et  vous  pouvez  Touvrir. 

S6ANARELLE. 

Non,  je  n'ai  garde;  hélas!  tes  raisons  sont  trop  bonnes  ; 
Et  je  vais  m'acquitter  du  soin  que  tu  me  donnes, 
A  quatre  pas  de  là  dire  ensuite  deux  mots. 
Et  revenir  ici  te  remettre  en  repos. 


ACTE  II,  SCÈNE  VI.  i3i 

SCÈNE   VL 

SGANARELLE. 

Dans  quel  ravissement  est-ce  que  mon  cœur  nage. 

Lorsque  je  vois  en  elle  une  fille  si  sage  I 

C'est  un  trésor  dlionneur  qu^  j'ai  dans  ma  maison. 

Prendre  un  regard  d^amour  pour  une  trahison! 

Recevoir  un  poulet  comme  une  injure  extrême, 

Et  le  faire  au  galant  reporter  par  moi-même  ! 

Je  voudrois  bien  savoir,  en  voyant  tout  ceci, 

Si  celle  de  mon  frère  en  useroit  ainsi. 

Ma  foi,  les  filles  sont  ce  que  Ton  les  fait  être. 

Holà. 

(Il  firappe  à  la  porte  de  Val  ère.  ) 

SCÈNE  VIL 

SGANARELLE,  ERGASTE. 

ERGASTE. 

Qu'est-ce?  • 

sgaiïarelle. 
Tenez ,  dites  à  votre  maître 
Qu'il  ne  s'ingère  pas  d'oser  écrire  encor 
Des  lettres  qu'il  envoie  avec  des  boîtes  d'or, . 
Et  qulsabelle  en  est  puissamment  irritée. 
Voyez,  on  ne  Ta  pas  au  moins  décachetée, 
n  connoitra  l'état  que  l'on  fait  de  ses  feux. 
Et  quel  heureux  succès  il  doit  espérer  d'eux. 


i3à  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

SCÈNE  VIII. 

VALÈRE,  ERGASTE. 

TAtÈRE. 

Que  vient  de  te  donner  cette  farouche  bête? 

ERGASTE. 

Cette  lettre,  monsieur, qu'avecque  cette  boîte 
On  prétend  quaît  reçue  Isabelle  de  vous, 
Et  dont  elle  est,  dit-il,  en  un  fort  grand  courroux. 
C'est  sans  vouloir  l'ouvrir  qu'elle  vous  Fa  fait  rendre. 
Lisez  vite,  et  voyons  si  je  me  puis  méprendre. 

VALÈRE  lit. 

<c  Cette  lettre  vous  surprendra  sans  doute;  et  Ton  peut 
«  trouver  bien  hardi  pour  moi ,  et  le  dessein  de  vous  1^- 
cc  crire,  et  la  manière  de  vous  la  faire  tenir  :  mais  je  me 
a  vois  dans  un  état  à  ne  plus  garder  de  mesure.  La  juste 
ce  horreur  d  un  mariage  dont  je  suis  menacée  dans  six  jours 
«  me  fait  hasarder  toutes  choses;  et,  dans  la  résolution  de 
«  m'en  affranchir  par  quelque  voie  que  ce  soit,  j'ai  cru 
«  que  je  devois  plutôt  vous  choisir  que  le  désespoir.  Ne 
«  croyez  pas  pourtant  que  vous  soyez  redevable  de  tout  à 
c(  ma  mauvaise  destinée  :  ce  n'est  pas  la  contrainte  où  je 
«  me  trouve  qui  a  fait  naître  les  sentiments  que  j'ai  pour 
«  vous;  mais  c'est  elle  qui  en  précipite  le  témoignage,  et 
((  qui  me  fait  passer  sur  des  formalités  où  la  bienséance  du 
«  sexe  oblige.  Il  ne  tiendra  qu'à  vous  que  je  sois  à  vous 
ce  bientôt;  et  j'attends  seulement  que  vous  m^ayez  marqué 


ACTE  II,  SCÈNE  VIII.  |33 

R  les  intentions  de  votre  amour  pour  tous  £ure  savoir  la 
«  résolution  que  j  ai  prise  :  mais  surtout  songez  tpie  Je 
«  temps  presse,  et  que  deux  cœurs  qui  s'aiment  doivent 
«  s^entendre  à  demi-mot.  » 

ERGASTE. 

Hé  bien  !  monsieur,  le  tour  est-îï  original? 
Pour  une  jeune  fille ,  elle  n'en  sait  pas  mat. 
De  ces  ruses  d  amour  la  croiroit-on  capable  ? 

VALÈRE. 

Âh  !  je  la  trouve  là  tout-â-fait  adorable. 
Ce  trait  de  son  esprit  et  de  son  amitié 
Acaoit  pour  elle  encor  mon  amour  de  moitié  y 
Et  joint  aux  sentiments  que  sa  beauté  m'inspire. . . 

ERGASTE. 

La  dupe  vient  :  songez  à  ce  qu'il  vous  faut  dire. 

SCÈNE  IX. 

SGANARELLE,  VALÉRE,  ERGASTE. 

SGAl^ARELLE,  se  croyant  seul. 

0  TROIS  et  quatre  fois  béni  soit  cet  édit 
Par  qui  des  vêtements  le  luxe  est  interdit! 
Les  peines  des  maris  ne  seront  plus  si  grandes, 
Et  les  femmes  auront  un  frein  à  leurs  demandes. 
Oh  !  que  je  sais  au  roi  bon  gré  de  ces  décris  !  * 
Et  que ,  pour  le  repos  de  ces  mêmes  maris , 
Je  voudrois  bien  qu'on  fit  de  la  coquetterie 


*  On  appeloit  décri,  la  défense  par  cri  public  de  faire  une  chos^. 


i34  L'ÉCOLE  DES  »JARIS. 

Comme  de  la  guipure  '  et  de  la  broderiel 
J ai  voulu  lacbeter  Fédit  expressément 
Afin  que  d'Isabéllé  il  soit  lu  hautement; 
Et  ce  sera  tantôt,  n  étant  plus  occupée, 
Le  divertissement  de  notre  après-soupée. 

(  apcrccy^mt  Yalèw.  ) 

Envoîrez-vous  ^iK:of ,  monsieur  aux  blonds  cheveux  9 
Avec  des  boites  d^or  des  billets  amoureux? 
Vous  pensiez  bien  trouver  quelque  jeune  coquette , 
Friande  de  l'intrigue  et  tendre  à  la  fleiuretle  : 
Vous  voyez  de  quel  air  on  reçoit  vos  jejaux. 
Croyez-moi  y  c'est  tirer  votre  poudre  aux  moineaux  : 
Elle  est.sage,  elle  m'aime^  et  votre  a»mir  routrage. 
Prenez  visée  ailleurs,  et  troussez?<noi  bagage. 

VALÈKE. 

Oui,  oui,  votre  mérite,  à  qui  chacun  se  rend, 
Est  à  mes  vœux ,  monsieur,  un  obstacle  trop  grand  ; 
Et  c'est  folié  &  moi,  dans  mon  ardeur  fidèle^ 
De  prétendre  avec  vous  à  Tamour  dlsabelle. 

S^ANARELLE, 

11  est  vrai ,  c'est  folie, 

Ausçi  u'aurois-je  pas 
Abandonné  mon  coeur  à  suivre  ses  appas, . 
Si  j'avois  pu  prévoir  ^ue  ce  coeur  misérable 
Dût  trouver  un  rival  comme  vous  redoutable. . 


I  Guipure,  espèce  de  ^entelif. 


ACTE  II,  SCÈNE  IX.  i35 

SGANARELLE. 

Je  le  crois. 

Je  n'ai  garde  à  présent  d  espérer  : 
Je  vous  cède,  monsieur;  et  c'est  sans  murmurer. 

SGANAKBLIiE. 

Vous  Élites  bien. 

Le  drcit  de  la^sorte  Fordonne; 
Et  de  tant  de  vertus  brille  yotre  personne, 
Que  j^auroistort  de  voir  d'un  regard  de  courroux 
Les  tendres  sentiments  qulsabelle  a  pour  vous. 

SGÀNARELLE. 

Cela  s'entend. 

VALÈEE. 

Oui ,  oui  ^  je  vous  quitte  la  place  : 
Mais  je  vous  prie  au  moins,  et  c'est  la  seule  grâce, 
^  Monsieur,  que  vous  demande  un  misérable  amant 
Dont  vous  seul  aujourd'hui  causez  tout  le  tourment; 
Je  vous  conjure  donc  d'assurer  Isabelle 
Que ,  si  depuis  trois  mois  mon  cœur  brûle  pour  elle, 
Cet  amour  est  sans  tache,  et  n'a  jamais  pensé 
A  rien  dont  son  honneur  ait  lieu  d'être  offensé. 

SGANARELLE. 

Oui. 

<yALÉRE. 

Que^  ne  dépendant  que  du  choix  de  mon  âme. 
Tous  mes  desseins  étoiept  de  l'obtenir  pour  femmo^ 


i36  L'ÉCÔLÈ  DES  MARIS. 

Si  les  destins 9  en  vous  qui  captiyez  son  cœur, 
N'opposoient  un  obstacle  à  cette  juste  ardeur. 

SGANAREILE. 

Fort  bien.  : 

VAlÈièg. 
Que,  quoi  qu'on  fasse,  il  ne  lui  fiiut  pas  croire 
Que  jamais  ses  appas  sortent  de  ma  mémoire; 
Que,  quelque  arrêt  des  deux  qu'il  me  faille  subir, 
Mon  sort  est  de  Paimer  jusqu'au  demi»:'  soupir; 
Et  que,  si  quelque  cbose  étouffe  mes  poursuites, 
C'est  le  juste  respect  que  j'ai  pour  vos  mérites. 

SGAITARELLE. 

C  est  parler  sagement;  et  je  yais  de  ce  pas 
Lui  faire  ce  discours  qui  ne  la  choque  pas  : 
Mais,  si  vous  me  croyez ,  tâchez  de  faire  en  sorte 
Que  de  votre  cerveau  céttfe  passîoil  sorte: 
Adieu, 

ERGASTE,  à  Valèrç, 

La  dupe  est  boiinë. 

SCÈNE  ,X. 

sganarelLe. 

«  ■  T  '  *  • 

'  ''  '  .   .         ' 

Il  nie  fait  grand'pitié. 
Ce  pauvre  malheureux  tout  rempli  d'amitié  ; 
Mais  c'est  un  mal  pour  lui  de  ç'être  mis  en  tête 
De  vouloir  prendre  un  fort  qui  se  voit  ma  conquête. 

,(  Sganarelle  hçurte  à  sa  porte.  )   . 


ACTE  II,  SCÈNE  XL  t^ 

SCÈNE    XL 
SGANARELLE,  ISABELLE. 

t  • 

SGANARELLE. 

Jamais  amant  n'a  faît  tant  de  trouble  éclater , 

Au  poulet  renvoyé  sans  le  décacheter  : 

Il  perd  toute  espérance  enfin ,  et  se  retire. 

Mais  il  m'a  tendrement  conjuré  de  te  dire 

«  Que  du  moins  en  t'aimant  il  n'a  jamais  pensé 

«  A  riei;  dont  ton  honneur  ait  lieu  d^être  offensé; 

«  Et  que^  ne  dépendant  que  du  choix  de  son  âme, 

(c  Tous  ses  désirs  étoient  de  t'obtenir  pour  femme  ^ 

«  Si  les  destins,  en  moi  qui  captive  ton  cœur,  ^ 

«  N'opposoient  un  obstacle  à  cette  juste  ardeur; 

«  Que 5  quoi  qu'on  puisse  faire,  il  ne  te  faut  pas  croire 

«  Que  jamais  tes  appas  sortent  de  sa  mémoire; 

«  Que,  quelque  arrêt  des  cieux  qu'il  lui  faille  subir, 

«  Son  sort  est  de  f aimer  jusqu'au  dernier  soupir; 

«  Et  que,  si  quelque  chose  étouffe  sa  poursuite, 

«  C  est  le  juste  respect  qu'il  a  pour  mon  mérite.  » 

Ce  sont  ses  propres  mots;  et,  loin  de  le  blâmer, 

Je  le  trouve  honnête  homme,  et  le  plains  de  t'aimer. 

ISABELLE,  bas. 

Ses  feux  ne  trompent  point  ûia  secrète  croyance, 
Et  toujours  ses;  regards  m'en  ont  dit  l'innocence. 

SGANARBLLE. 

Que  dis-tu? 


i38  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

ISABELLE. 

Qu  il  m'est  dur  que  vous  plaigniez  si  fort 
Un  homme  que  je  hàxÈ  i  Fégal  dé  k  môrt^ 
Et  que,  si  vous  m'aimiez  autant  que  vous  le  dites ^ 
Vous  sentiriez  Fa&ont  que  me  font  ses  poursuites. 

SGANARELLE.       , 

Mais  il  ne  savoit  pas  tes  inclinations  ; 
Et ,  par  l'honnêteté  de  ses  intentions  J^ 
Son  amour  ne  mérite. . . 

ISABELLE, 

Est-ce  les  avoir  bôtines , 
Dites-moi,  de  vouloir  enlever  les  personnes? 
Est-ce  être  homme  d'honneur  de  fonaer  des  dessein» 
Pour  m'épouser  de  force  en  m'ôtant  de  vos  mains? 
Gomme  si  j'étois  fille  à  supporter  la  vie 
Après  qu'on  m'auroit  îàit  une  telle  infsimie. 

SGAKARELLE. 

Comment? 

ISABELLE. 

Oui,  oui;  j'ai  su  que  ce  traître  damant 
Parle  de  m'obtenir  par  un  enlèvement; 
Et  j'ignore,  pour  moi,  les  pratiques  secrètes 
Qui  l'ont  instruit  sitôt  du  dessein  que  vous  faites 
De  me  donner  la  main  dans  huit  jours  au  pins  tard, 
Puisque  ce  n'est  que  d'hier  que  vous  m'en  fltes  part  : 
Mais  il  veut  prévenir,  dit-on ,  cette  journée 
Qui  doit  à  votre  sort  unir  ma  destinée. 


ACTE  II,  SCÊME  XL  i3i) 

Voilà  qui  ne  vaut  rien. 

Oh  que  pardonnez^moi  ! 
Cest  on  fort  hùonéit  homme,  et  qui  ne  sent  pour  moi.  • . 

SGAMARSLLS. 

II  a  tort  ;  et  ceci  passe  la  raillerie. 

ISABELLE. 

Allez,  votre  douceur  entretient  sa  folie; 

S'il  TOUS  eût  vu  tantôt  lui  parler  vertement, 

II  craindroit  vos  transports  et  mon  ressentiment  ;= 

Car  c^est  encor  depuis  sa  lettre  méprisée 

Qu'il  a  dit  ce  dessein  qui  m^a  scandalisée; 

Et^on  amour  conserve,  ainsi  que  je  l'ai  su, 

La  croyance  qu'il'est  dans  mon  coeur  bien  reçu, 

Que  je  fuis  votre  hymen ,  quoi  que  le  monde  en  croi/e , 

Et  me  verrois  tirer  de  vos  mains  avec  joie.    • 

SGARARELLB. 

II  est  fou. 

ISABELLE. 

Devant  vous  il  sait  se  déguiser; 
Et  son  intention  est  de  vous  amuser. 
Croyez ,  par  ces  beaux  mots ,  que  le  traître  vous  joue. 
Je  suis  bien  malheureuse ,  il  £tttt  tpie  je  Favoue , 
Quavecque  tous  mes  soins  pour  vivre  dans  l'honneur, 
Et  rebuter  les  vœux  d  un  lâche  suborneur. 
Il  faille  être  exposée  aux  fâcheuses  surprises 
De  yoir  Êiire  sur  moi  d 'infilmes  entreprises  I 


1  / 


î4o  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

SGANAREtLB. 

Va ,  ne  redoute  rien. 

ISABELLE. 

Pour  moi,  je  vous  le  di , 
Si  vous  n'éclatez  fort  contre  un  trait  si  hardi, 
Et  ne  trouvez  bientôt  moyen  de  me  défaire 
Des  persécutions  d'un  pareil  téméraire , 
J'abandonnerai  tout,  et  renonce  i  lennui 
De  souffirir  les  affironts  que  je  reçois  de  lui. 

.  S6AKARELLE. 

Ne  t'afflige  point  tant;  va,  ma  petite  femme, 
Je  m'en  vais  le  trouver,  et  lui  chanter  sa  gamme. 

ISABELLE. 

Dites-lui  bien  au  moins  qu'il  le  niroit  en  vain, 
Que  c  est  de  bonne  part  qu'on  m'a  dit  son  dessein; 
Et  qu'après  cet  avis,  quoi  qu'il  puisse  entreprendre,. 
J  ose  le  défier  de  me  pouvoir  surprendre  ; 
Enfin  que,  sans  plus  perdre  et  soupirs  et  moments. 
Il  doit  savoir  pour  vous  quels  sont  mes  sentiments, 
Et  que,  si  d'un  mall^eur  il  ne  veut  être  cause, 
Il  ne  se  fasse  pas  deux  fois  dire  une  chose. 

SGAlNfARELLE. 

Je  dirai  ce  qu'il  faut. 

ISABELLE. 

I 

Mais  tout  cela  d  un  ton 
Qui  marque  que  mon  cœur  lui  parlé  tout  de  bon. 

SGANARELLE. 

Va,  je  n  oublîrai  rien,  je  t'en  donne  assurance. 


ACTE  II,  SCÈNE  XI.  i4i 

I  ISABELLE. 

^attends  votre  retour  avec  impatience; 
Hàtez-le 5  s'il  vous  plaît,  de  tout  votre  pouvoir  : 
Je  languis  cjuand  je  suis  un  moment  sans  vous  voir. 

SGANARELLE. 

Va ,  pouponne ,  mon  cœur,  je  reviens  tout  à  l'heure. 

SCÈNE  XII. 

SGANARELLE. 

EsT-iL  une  personne  et  plus  sage  et  meilleure? 

Ah!  que  je  suis  heureux!  et  que  j'ai  de  plaisir 

De  trouver  une  femme  au  gré  de  mon  désir! 

Oui,  voilà  comme  il  faut  que  les  femmes  soient  faites; 

Et  non,  comme  j'en  sais,  de  ces  franches  coquettes 

Qui  s'en  laissent  conter,  et  font  dans  tout  Paris 

Montrer  au  bout  du  doigt  leurs  honnêtes  maris. 

(  Il  frappe  à  la  porte  de  Valère.  ) 

Holà,  notre  galant  aux  belles  entreprises. 

SCÈNE    XIII. 

VALÈRE,  SGANARELLE,  ERGASTE. 

VALÉRE. 

Monsieur^  qui  vous  ramène  en  ces  lieux? 

SGANARELLE. 

Vos  sottise^* 

VALÈRE. 

Gomment? 


i4a  UÉCOLE  DES  MARIS. 

SaABrARELLE. 

Vons  sarez  bien  de  quoi  je  veux  parler. 
Je  vous  croyoifi  |Jiis  sage ,  a  ne  yons  rien  celer. 
Vous  venez  m'amnser  de  vos  belles  paroles , 
Et  conservez  sous  main  des  espérances  folles. 
Voyez-vous,  j^ai  voulu  doucement  vous  traiter; 
Mais  vous  m  obligerez  à  la  fin  d'éclater. 
N avez-vous  point  de  honte,  étant  ce  ^e  vous  êtes. 
De  faire  en  votre  esprit  les  projets  que  vous  faites, 
De  prétendre  enlever  une  fiUe  d'honneur, 
Et  troubler  un  hymen  qui  fait  tout  son  bonheur? 

VALÈRE. 

Qui  vous  a  dit,  monsieur,  cette  étrange  nouvelle? 

SGANARELLE. 

Ne  dissimulons  point,  je  la  tiens  d'Isabelle, 
Qui  vous  mande  par  moi,  pour  la  dernière  fois. 
Qu'elle  vous  a  fait  voir  assez  quel  est  son  choix; 
Que  son  cœur^  tout  à  moi,  d'un  tel  projet  s^offense; 
Qu  elle  mourroit  plutôt  qu'en  souffirir  l'insolence; 
Et  que  vous  causerez  de  terribles  éclats , 
Si  vous  ne  mettez  fin  à  tout  cet  embarras. 

VALÈRE. 

S'il  est  vrai  qu'elle  ait  dit  ce  que  je  viens  d'entendre, 
.  J'avoûrai  que  mes  feux  n'ont  plus  rien  à  prétendre  ; 
Par  ces  mots  assez  clairs  je  vois  tout  terminé, 
Et  je  dois  révérer  l'arrêt  qu'elle  a  donné. 

SGANARELLE. 

Si. . .  Vous  en  doutez  donc,  et  prenez  pour  des  feintes 


ACTE  II,  SCÈNE  XIII.  143 

Tout  ce  que  de  sa  part  je  wjoub  ai  fitU  de  plaintes? 
Voulez-ycras  <pi  elle-même  elle  explique  sob  cœur? 
Ty  consens  yolontiers  pour  vous  tirer  d'erreur. 
Suiyez-moi,  vous  verrez  s  il  est  rien  que  jWance^ 
Et  si  son  jeune  cœur  entre  nous  deux  balance. 

(  U  Ta  frapper  à  sa  porte»  ) 

SCÈPTE  XIV. 

ISABELLE,  SGANARELLE,  VALÈRE,  ERGASTE^ 

ISABBLI.E. 

Quoi!  vous  me  Famenez  !  quel  est  votre  dessein? 
Prenez-vous  contre  moi  ses  intérâts  en  main  ? 
Et  voulez-vous,  charmé  de  ses  rares  mérites , 
RTobliger  à  Faimer,  et  souffirir  ises  visites? 

/    :        S6AKARELIE. 

Non,  ma  mie,  et  ton  cœur  pour  cela  m  est  trop  cher  : 
Mais  il  prend  mes  avis  pour  des  contes  en  Fair , 
Croit  que  c'est  moi  qui  parle,  et  te  fais,  par  adresse, 
Pleine  pour  lui  de  haine,  et  pour  moi  de  tendresse; 
Et  par  toi-même  enfin  j'ai  voulu  sans  retour 
Le  tirer  d  une  erreur  qui  nourrit  4Son  amour. 

ISABELLE,  àYaUre. 

Quoi!  mon  âme  à  vos  yeux  ne  se  montre  pas  toute , 
Et  de  mes  vœux  encor  vous  pouvez  être  en  doute? 

VALiRE. 

Oii,  tout  ce  que  monsieur  de  votre  part  m'a  dit, 
Madame ,  a  Uen  pouvoir  de  surprendre  un  esprit  : 
J'ai  douté,  je  l'avoue,  et  cet  arrêt  suprême 


i44  L'ÉCOLE  DES  MARIS* 

Qui  décide  du  sort  de  mon  amour  extrême 
Doit  m*étre  assez  touchant  pour  ne  pas  sWenser 
Que  mon  cœur  par  deux  fois  le  fisse  prononcer^ 

ISA3ELLB. 

Non ,  non  y  un  tel  arrêt  ne  doit  pas  tous  surprendre  : 

Ce  sont  mes  sentiments  qu^il  vous  a  &it  entendre; 

Et  je  les  tiens  fondés  sur  assez  d'équité 

Pour  en  £dre  éclater  toute  la  vérité. 

Oui ,  je  yeux  bien  qu'on  sache ,  et  j  en  dois  être  crue, 

Que  le  sort  offire  ici  deux  objets  à  ma  rue , 

Qui,  m'inspirant  pour  eux  différents  sentiments, 

De  mon  cœur  agité  font  tous  les  mouvements. 

L^un,  par  un  juste  choix  où  Thonneur  m^intéresse, 

A  toute  mon  estime  et  foute  ma  tendresse; 

Et  l'autre,  pour  le  prix  de  son  affection, 

A  toute  ma  colère  et  mon  aversion. 

La  présence  de  lun  m'est  agréable  et  chère, 

J'en  reçois  dans  mon  âme  une  allégresse  entière; 

Et  lautre ,  par  sa  vue ,  inspire  dans  mon  cœur 

De  secrets  mouvements  et  de  haine  et  d^horreur. 

Me  voir  femme  de  lim  est  toute  mon  envie  ; 

Et,  plutôt  qu'être  k  l'autre ,  on.m'ôteroit  la  vie. 

Mais  c'est  assez  montrer  mes  justes  sentiments, 

Et  trop  long-temps  languir  dans  ces  rudes  tourments 

Il  faut  que  ce  que  j'aime,  usant  de  diligence. 

Fasse  à  ce  que  je  hais  perdre  toute  espérance, 

Et  qu'un  heureux  hymen  affiranchisse  mon  sort 

D^un  supphce  pour  moi  plus  affireux  que  la  morte 


ACTE  II,  SCÈNE  XIV.  i45 

SGANARELLB« 

Oui,  mignonne,  je  songe  à  remplir  ton^itt^te. 

ISABELLE. 

C'est  Panique  moyen  de  .me  rendre  contente. 

SGANARELLB. 

Tu  le  seras  dans  peu. 

ISABELLE. 

Je  sais  qu'il  est  honteux 
Aux  filles  d'expliquer  si  librement  leurs  yoeux. 

SGAyARELLE. 

Point,  point. 

ISABELLE. 

Mais,  en  Tétat  où  sont  mes  destinées, 
Be  telles  libertés  doivent  m*êtré  données  ; 
Et  je  puis  sans  rougir  faire  un  aveu  si  doux 
A  celui  que  déjà  je  regarde  en  époux. 

sganarëI^le. 

Oui,  ma  pauvre  &n&n ,  pouponi^e  de  mon  âme. 

ISABELLE. 

Qu'il  songe  donc,  de  grâce,  à  me  prouver  sa  flamme. 

SGANARELLE. 

Oui,  tiens^  baise  ma  main. 

ISABELLE. 

Que  sans  plus  de  soupirs 
Il  conclue  uti  hymen  qui- fait  tous  mies  désirs, 

Moi.iàiiB.  a.  ■  lo 


/ 


t46  L'ÉCOLE  DES  MARlâ. 

Et  reçoive  en  ce  liea  la  fin  que  je  loi  donne 
De  n^écooter  jainab  ks  vcettx  dPaidve  personiM* 

(Elle  £ut  semblant  d'embiasser  Sçanarelley  et  donne  m  main  à 

baiser  k  Yalère.  ) 

SGANAEELLE. 

Hai,  hai,  mon  petit  nez ,  panvre  petit  bonchon, 

Ta  ne  langniias  pas  long-temps,  je  t*en  répond. 

Va,  cbnt. 

(à^Valèw.)' 
YposleToyeK,  jenelni&ispasdire,   ' 

Ce  n'est  qn'après  moi  senl  cjne  son  âme  respire. 

YALÂRE. 

Hé  bien I  madame,  bë  bien!  c'est  s'expliquer  assez  : 
Je  vois  par  ce  discours  de  quoi  voos  me  juressez; 
Et  je  saurai  dfins  peu  vous  ôter  la  présence 
De  celui  qui  vous  fait  si  grande  violence.        . 

ISABELLE. 

Vous  ne  me  sauriez  faire  .un  plus  charmant  plaisir; 
Car  enfin  cette  vue  est  fâcheuse  à  souffrir. 
Elle  m'est  odieuse;  et  Thorréur  est  si  forte. . . 

SGANARELLE. 

Hé!  hé! 

ISABELLE. 

•  *  ' 

Vous  offensé- je  en  parlant  de  la  sorte  ? 
Fais-je, . .  ....:'. 

iî^  SOAKARELLE. 

Mon  Dieu  )  nenni ,  ijë  âe  dii»  pas  èeb  r 


i  .•  ' 


•  « 

.  Il 


ACTE  II,  SCÈNE  XIV.  [f/iy 

Mais  je  plains,  sans  mentH'^  FétatiMi  le  yoilà; 

Et  c'est  trop  haateménd  que  ta  baîxie.se)  montie^  )  :  -i  :u\ 

Je  n  en  puis  CMip  mantrec.ei^  parejlié  réi^èofitre;       .   .'.  ' 

'''>.',  j  .  VA  tiEiRB*.  . 

Oui ,  vous  serez  contente  ;  jet,  dans  trois  jours ,  vos  yeux 
Ne  verront  plus  l'objet  qi^  vous  est  odieux.    •  ..,  .  '  .  /ï 

A  la  bonne  heiàe»  Âdièuvi . :     ::   i..  .;.:  r   s  l 

.    .     ls>tA:BAA'fiLL£.'àValeffl.i:    '';'.,>    'T. 

. ':  :  '    Je  plaioâ.YQti'etiB&KtiiiiQ  : 

Mais...  .-M.ï^:.:  /.::. 

VAIÈRB. 

Non,  vous  n^eateOidreEjdB  noBcœur  plainteaucune  : 

I^dame  assaién)éol}  iJomi  îttslSb^  i 

Et  je  vais  travailler  ArCif  ntenter  ses  v«eux. 

Adieu.  !; . ,' 'j  1.1  'j>  r;  iii".  >>!  :;;  :  .•     ''•».' 

SGANARELLE. 

Pauvre  garçon!  sa  douleur  est  extrême. 
Venez,  embrassez-moi ,  c^est  un  autre  elle-même. 

SCÈNE   XV. 

ISABELLE,  SGANARELLE. 

SGAIÏAAELLE* 

Je  le  tiens  fort  à  plaindre. 

ISABELLE. 

I 

Allez,  il  ne  lest  point. 


i48  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

SGANARELLE. 

AU  reste  y  ton  amour  me  touche  au  dernier  point, 
Mignonnette ,  et  je  veux  qu  il  ait  sa  récompense  : 
C'est  trop  que  de  huit  jours  pour  ton  impatience; 
Dès  demain  je  t'épouse,  et  n'y  veux  appeler* .  • 

ISABELLE. 

Dès  demain? 

SGANA&SLLE. 

Par  pudeur  tu  feins  d'j  recaler  : 
Mais  je  sais  bien  la  joie  où  ce  discours  te  jette , 
Et  tu  youdrois  déji  que  la  chose  fût  fitite. 

ISABELLE. 

Mais. . .  f 

SGANARELLE* 

Pour  ce  mariage  allons  tout  préparer. 

ISABELLE,  àpart.. 

O  ciel,  inspirez-moi  ce  qui  peut  le  parer! 


FIN   DU  S£Ct)KD   ACtB. 


L'ÉCOLE  DES  MARIS.  149 


'■i»^*»«»^'>^i*^'^»i<i»^i^^*< 


ACTE  TROISIÈME. 


SCÈNE  I. 

ISABELLE. 

(jvtj  le  trépas  cent  fois  me  semble  moins  à  craindre 
Que  cet  hymen  fiital  où  l'on  veut  me  contraindre  ; 
Et  tout  ce  que  je  £aiis  pour  en  fuir  les  rigueurs 
Doit  trouver  quelque  grflce  auprès  de  mes  censeurs»     * 
Le  temps  presse,  il  £dt  nuit;  allons ,  sans  crainte  aucune , 
A  la  foi  d^un  amant  commettre  ma  fortune. 

SCÈNE   IL 

-• 

SGANARELLE,  ISABELLE. 

SGANA'RELLB^  parlante  ceux  ^ui  sont  dans  sa  maison. 

Je  reviens ,  et  Ton  va  pour  demain  de  ma  part. 

ISABELLE. 

Ociel! 

SGANAREiLLE. 

C'est  toi,  mignonne  1  Où  vas-tu  donc  si  lard? 
Tu  disois  qu  en  ta  chambre ,  étant  un  peu  lassée , 
Tu  t'allois  renfermer  lorsque  je  t'ai  laissée  ; 
Et  tu  m  avois  prié  même  que  mon  retour 
Ty  souffrit  en  repos  jusques  à  demain,  jour. 


i5o  UÊCOLE  DES  MAHIS, 

Il  est  vrai;  mais... 

SGAlîARBLtB.    ... 

Hé  quoi? 

ISABELLE. 

Vous  me  voyez  confuse, 
Et  je  ne  sais  comment  vous  en  dire  l'excuse. 

SGANARELLE. 

Quoi  donc?  que  pourroittoe  êtve? 

isabeli;e. 

Un  secret  surpvâiaiit  : 
G  est  ma  sœur  qui  m'obUge  k  sortir  maintenant  ^ 
Et  qiû^  pour  un  dosseiin  dont  je  Pai  fort  blâmée, 
M'a  demandé  mu  ckambro,  où  je  Fai  renfermée^  : 

SGANARELLE. 

Comment? 

ISABELLE. 

Ueût-on  pu  croire?  Elle  aim^ç  cet  ax^c^t 
Que  nous  ayons  ban^ui. 

SGARAHELLE. 

Valère. 

'  ISABELLE. 

ÉperdAment. 
C'est  un  transport  si  grand ,  qu'il  n^en  est  point  de  même; 
Et  vous  pouvez  juger  de  sa  puissance  extrême, 
Puisque  seule,  à  cette  heure,  elle  est  venue  ici 
Me  découvrir  i  mpi  son  amoureux  souci. 


ACTE  III,  3CÈNE  IL.  i&\ 

Me  dire  ahsotument  qu'elle  perdra  la  vie , 
Si  son  âme  n^'obtient  Feffet  de  son  envie; 
Que  depuis  plus  d'un  an  d  assez  vives  ardeurs 
Dans  un  secret  commerce  entretenoient  leurs  cœurs  ; 
Et  que  même  ils  s'ëtoient,  leur  flamme  étant  nouvelle, 
Donné  de  s'épouser  une  foi  mutuelle. . . 

SGAIÏARELLE. 

La  vilaine!. 

ISABBLL£.. 

Qu'ayant  appris  le  désespoir 
Où  j'ai  précipité  celui  qu'elle  aime  à  voir, 
Elle  vient  me  prier  de  soufirît  que  sa  flamme 
Puisse  rompre  un  départ  qui  lui  perceroit  Tâme; 
Entretenir  ce  soir  cet  amant^SQUs  mon  nom 
Par  la  petite  rue  où  ma  chambre  répond; 
Lui  peindre,  d'une  voix  qui  contrefait  la  mienne. 
Quelques  doux  sentiments  dont  lappât  le  retienne. 
Et  ménager  enfin  pour  elle  adroitement 
Ce  que  pour  moi  Ton  sait  qu'il  a  d'attachement. 

ÇGANARELLE. 

Et  tu  trouves  cela. . . 

4 

ISABELLE. 

Moi?  j'en  suis  courroucée. 
Quoi!  ma  sœur,  ai-je  dit,  êtes-vous  insensée? 
Ne  rougissez-vous  point  d'avoir  pris  tant  d'amour 
Pour  ces  sortes  de  gens  qui  changent  chaque  jour. 
D'oublier  votre  sexe,  et  tromper  l'espérance 
D  un  homme  dont  le  ciel  vous  clonnoit  lalliauce? 


i5a  L'ËCOLE  DES  MAR1& 

SGANARSLLE. 

Il  le  mérite  bien  ;  et  j'e^  suis  fort  ravi. 

ISABE)r.XE. 

Enfin  de  cent  raisons  mon  d^pit  s  est  servi 
Pour  lui  bien  reprocher  des  bassesses  si  grandes , 
Et  pouvoir  cette  nuit  rejeter  ses  demandes  : 
Maïs  elle  ma  fait  voir  de  si  pressants  désirs, 
  tant  versé  de  pleurs  y  tant  poussé  de  soupirs  y 
Tant  dit  qu^au  désespoir  je  porterois  son  âme , 
Si  je  lui  refusois  ce  qu'exige  sa  flammq, 
Qu  a  céder  malgré  moi  mon  cceur  s'est  vu  réduit; 
Et ,  pour  justifier  cette  intrigue  de  nuit , 
Oii  me  Ëiisoit  du  sang  relâcher  la  tendresse, 
Gallois  Élire  avec  moi  venir  coucher  Lucrèce, 
Dont  vous  me  vaqtez  tant  le»  vertus  chaque  jour  : 
Mais  vous  m'avez  surprise  avec  ce*prompt  retour. 

SGÀNÀKELi:.E, 

Non ,  non ,  je  ne  veux  point  chez  moi  tout  ce  mystère. 
J'y  pourrois  consentir  à  Tégard  de  mon  firère  : 
Mais  on  peut  être  vu  de  quelqu'un  du  dehors  ; 
lEt  celle  que  je  dois  honorer  de  mon  corps 
Non-seulement  doit  être  et  pudique  et  bien  née, 
11  ne  faut  pgs  que  même  elle  soit  soupçonnée. 
Allons  chasser  Tinfâme;  et  de  sa  passion. .  • 

Âh  !  vous  lui  dopnçriez  trop  de  confusion  ; 
Et  c'est  avec  raison  qu'elle  pourroît  se  plaindre 
Du  peu  de  retenue  où  j'ai  su  me  contraindre  ; 


ACTE  III,  SCÈNE  IL  |53 

Pulsqae  de  son  dessein  je  dois  me  départir, 
Attendez  que  du  moins  je  la  &sse -sortir.       . 

SGAirAREI.LE. 

Hé  bien  liais. 

ISABELLE. 

Mais  surtout  cachez- vous,  je  voQ5  prie, 
Et,  sans  lui  dire  rien ,  daignez  voir  sa  sortie. 

SOANARELLE. 

Oui,  ponr  Famour  de  toi  je  retiens  mes  transports  : 
Mais,  dès  le  même  instant  qu'elle  sera  dehors. 
Je  veux,  sans  difiGerer,  aller  trouver  mon  frère  : 
J'aurai  joie  à  courir  lui  dire  cette  afiaire. 

ISABELLE. 

Je  vous  conjure  donc  de  ne  me  point  nommer. 
Bonsoir;  car  tout  d'un  temp  je  vais  me  renfermer. 

S6ANARELLE,  senl. 

Jusqu'à  demain-,  ma  mie.  • .  En  quelle  impatience 
Suis-je  de  voir  mon  frère ,  et  lui  conter  sa  chance  ! 
II  en  tient,  le  bon  homme,  avec  tout  son  phébus. 
Et  je  n'en  voudrois  pas  tenir  cent  bons  écus. 

ISABELLE,  dans  la  maison. 

Oui,  de  vos  déplaisirs  l'atteinte  m'est  sensible  : 
Mais  ce  que  vous  voulez,  ma  sœur,  m'est  impossible; 
Mon  hpuneur,  qui  m'est  cher,  y  court  trop  de  hasard. 
Adieu.  Retirez-vous  avant  qu'il  soit  plus  tard. 

SGANARELLE. 

La  voilà  qui,  je  crois,  peste  de  belle  sorte  : 
De  peur  qu  elle  revint,  fermons  à  clef  la  porte. 


1^  L.'ÊCOL£  DES  MARIS. 

I S AB  E  LL E  y  en  sortant» 

O  ciel,  dans  mes  desseins  ne  m^abandiomeâ  pas  ! 

SGArUARSLLE,  àpart. 

Où  ponrra-t-elle  aUer?  Suivons  un  peu  ses  pas. 

ISABELLE,  àpart. 

Dans  mon  trouble  du  moins  la  nuit  me  favorise. 

SGANARBLLE,  à  part. 

Âu  logis  du  galant!  Quelle  est  son  entreprise? 

SCÈNE  III; 

VALÊRE,  ISABELLE,  SGANARELLE, 

VA  L  È  R  E ,  sortant  brusquement^ 

Oui,  oui,  je  veux  tenter  quelque  effort  cette  nuit 
Pour  parler.. .  Qui  va  là? 

ISABELLE,  àYalère. 

Ne  faites  point  de  bruit, 
Valère;  on  vous  prévient,  et  je  suis  Isabelle. 

SGANARELLE. 

Vous  en  avez  menti,  chienne^  ce  n^est  pas  eUe. 
De  l'honneur  que  tu  fuis  elle  suit  trop  les  lois  ; 
Et  tu  prends  £iussement  et  son  nom  et  sa  voix« 

ISABELLE,  àYalère. 

Mais  à  moins  de  vous  voir  par  un  saint  hyménée. . . 

VALERE. 

Oui,  cest  l'unique  but  ou  tend  ma  destinée; 
Et  je  vous  donne  ici  ma  foi  que  dès  demain 
Je  vais  où  vous  voudrez  recevoir  votre  main. 


ACTE  III,  SCÈNE  III.  i55 

8GANARELLB,2i  part.    " 

Pauvre  sot  qui  s'abasêî        ^    . 

VALlRBi 

Entrez  en  assurance  : 
De  votre  Argus  dupe  je  brave  la  puissance; 
Et,  devant  qu'il  vous  pût  ôter  â  mou  ardeur, 
Mon  bras  de  mille  coups  lui  percer  oit  le  cœur. 

SCÈNE   IV. 

SGANARELLE, 

Ah!  je  te  promets  bien  que  je  n'ai  pa$  CQvie 
De  te  Tôter ,  Finfâme  à  tes  feux  asservie , 
Que  du  don  de  ta  foi  je  ne  suis  point  jaloux, 
Et  que,  si  j^en  suis  cru,  tu  seras  son  époux. 
Oui,  faisons-le  surprendre  avec  cette  effrontée  5 
La  mémoire  du  père  à  bon  droit  respectée , 
Jointe  au  grand  intérêt  que  je  prends  à  la  sœur, 
Veut  que  du  moins  Ton  tâche  à  lui  rendre  l'honneur. 
Holà. 

(  Il  frappe  à  la  porte  d  un  commissaire.  ) 

SCÈNE  V. 

SGANARELLE,  UN  COMMISSAIRE,  UN  NOTAIRE. 
UN  LAQIJAiS  AVEC  UN  flambeau. 

le  commissaire. 
Qu'est-ce? 

sganarelle. 
Salut,  monsieur  le  commissaire. 


1^6  L'ËCOLEDES  MARIS. 

Votre  présence  en  robe  est  ici  nécessaire; 
Suiyez-moi,  s'il  vous  platt,  avec  votre  clarté. 

LJS   COMMISSAIRE^ 

Nous^  sortions... 

SGAKARSLLB. 

n  s'agit  d'un  £iit  assez  hâté. 

LE    COMMISSAIRE. 

Quoi? 

SGANÂRELLS, 

D^aller  là-dedans ,  et  d'y  surprendre  ensemble 
Deux  personnes  qu'il  &ut  quW  bon  hymen  assemble; 
C^est  une  fille  à  nous,  que,  sous  un  don  de  foi, 
Un  Valëre  a  séduite  et  fait  entrer  chez  soi. 
Elle  sort  de  &mille  et  noble  et  vertueuse, 
Mais. . . 

LE    COMMISSAIRE. 

Si  c'est  pour  cela ,  la  rencontre  est  heureuse , 
Puisqu'ici  nous  avons  un  notaire. 

SGANARELLE, 

Monsieur? 

LE   NOTAIRE. 

Oui,  notaire  royal, 

LE    COMMISSAIRE.' 

De  plus,  homme  d'honneur. 

SGANARELLE. 

Cela  S  en  va  sans  dire.  Entrez  dans  cette  porte, 
Et  sans  bruit  ayez  Fœil  que  personne  n'en  sorte  : 


ACTE  III,  SCÈNE  V.  167 

Vous  serez  pleinement  contentés  de  vos  soins; 
Mais  ne  vous  laissez  pas  graisser  la  pâte,  an  moins* 

LE    COMMISSAIRE. 

Comment!  Vous  crojez  donc  cpi'un  homme  de  justice. •  • 

SGAITARELLE. 

Ce  que  j'en  dis  n'est  pas  pour  taxer  votre  office. 
Je  vais  £àire  venir  mon  firère  promptement  : 
Faites  que  le  flambeau  m'éclaire  seulement. 

(  à  part.  ) 

Je  vais  le  réjouir  cet  homme  sans  colère. 
Holà. 

(  Il  frappe  à  la  porte  &*Ariste.  ) 

SCÈNE  VI. 

ARISTE,  SGANARELLE. 

ARISTE. 

Qui  frappe?  Ah!  ah!  que  voulez-vous,  mon  frère? 

SGAMARELLE. 

Venez ,  beau  directeur,  suranné  damoiseau, 
On  veut  vous  faire  voir  quelque  chose  de  beau. 

ARISTE. 

Comment? 

SGANARBLLE. 

Je  vous  apporte  une  bonne  nouvelle. 

ARISTE. 

Quoi? 

SGAKARELLE. 

Votre  Léonor,  où,  je  vous  prie ,  est-elle? 


*^  L'^ÇQtB  DES  MARIS. 

Pourqi»QÎ:celtç  (Jemand^?  Elle  est,  coIl^ae  je  ^pi , 

Au  bal  chez  son  amie,   . 

•      •    ■  '4         ■    »   .   ■ 

...m!  S^rXBïAREHrE. 

Hé  I  oui  5  oui  ;  suivez-moi , 
Vous  verrez  à  queljb^l  la  donzelle  est  allée. 

ARISTE, 

Que  voulez-vous  conter? 

SGANARELLE. 

Voug  lavez  bieii  Stylée  : 
11  n'est  pas  bon  de  vivre  en  sévère  censeur  ; 

On  gagne  les  espîts  pai*  beaucoup  de  douceur; 

Et  les  soins  défiante,  1^  verrous  et  les  grilles, 

Ne  font  pas  la  vertu  des  femmes  ni  des  filles; 

Nous  les  portons  au  ïnal  par  tâiït  d'aiistérité, 

Et  leur  sexe  demande  un  peu  de. liberté. 

Yrainiesit  elle  en  jbl  .pif i&  tout  3oîq  ftoAl ,'  la  rusée  ; 

Et  la  vertu  chez  elle  eatifort  humanisée. 

Où  veut  donc  ibtotJir.liiipai^e&tr^içii?    . 

SGA|r^I|fi$.LE. 

Allez ,  mon  frère  aîné ,  cela  vous  sied  fort  bien  ; 
Et  je  ne  voudroîs  pas.,,pQji|r:yingjt  bonnes  pistoles, 
Que  vous.iiensskZfCe  fruit  de  vos  m^2ËJl>iaQS  ailles  : 
On  voit  ce  qu'en  deux  sœurs  JlOi?  leçons  ont  produit;   , 
L'une  fuit  les  galants ,  et  l'autre  les  poursuit.  ' 

Si  vous  mAbe  rende?  cette  jénigude  plWfCicCireii'O'  f 


A CT'E  I II ,  S CÈNE^ V II  9S9 

L  énigme  est  ijii&sôii  bal  est  chez  monsleiir  Valèrèj   ' 
Que,  de  nuit,  je  Tai  vue  y  conduire  ses  pas, 
Et  qa  a  rbeurté  préseivte  elle  est  entre  ses  bras. 

AIIISTIS.   ' 

Qui? 

SO^ANAIl£LLË. 

Léonor. 

ARISTE. 

Cessons  de  railler,  je  vous  prie. 

SGAT?ARELXE. 

Je  raille. .  •  Il  est  fort-  bén  àvèc  sa  raillerie  ! 

<  •  •  •  • 

Pauvre  esprit!  Je  tous  dis,  et  vous  redis  eûcor 
Que  Valère  cfcei  hii  tient  votre  Léohpr, 
Et  ^'ils  s^étoiênt  promis  une  foi  muluelle 
Avant  qull  eût  songé  dèr  poursuivre  Isabelle. 

■  •  •  •*         -  AkiSISE. 

Ce  discours  d'appariencè  est  si  fiart  dépourvu. . . 

sganaréAle. 
n  ne  le  croira  pas  éùcore  en  Vayântvu  : 
J'enrage.  Par  ma  foi ,  Tâge  rie  sert  de  guère      .  '  •        ' 
Quand  on  n  a  pas  cela.    •  * 

(  Il  met  le  doigt  sur  son  front.  ) 

.  ARISTE. 

^  Qiioil  vouka-voasj  mpîï  frèw.'.-? 

SGANARELLE. 

Mon  Dieu!  je  ne  veux  rien.  Suivez-moi  seulement; 
Votre  esprit  tout  à  l'heure  aura  contentement; 


i«o  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

Vous  verrez  si  jlmpose,  et  si  leur  foi  donnfc 

N 'avoit  pas  joint  leurs  cœurs  depuis  j^us  d^une  année. 

A&ISTE. 

L'apparence  qu^ainsi,  sans  m'en  £iire  avertir, 

A  cet  engagement  elle  eût  pu  consentir? 

Moi  y  qui  dans  toute  chose  ai,  depuis  son  enfance, 

Montré  toujours  pour  elle  entière  complaisance, 

Et  qui  cent  fois  ai  fait  des  protestations 

De  ne  jamais  gêner  ses  inclioations! 

SGAICARELLE. 

Enfin  VOS  propres  yeux  jugeront  de  Tafiaire. 
J'ai  fait  venir  déjà  commissaire  et  notaire  : 
Nous  avons  intérêt  que  l'hymen  prétendu 
Répare  sur-le-champ  l'honneur  qu  elle  a  perdu; 
Car  je  ne  pense  pas  que  vous  soyez  si  lâche 
De  vouloir  l'épouser  avecque  cette  tache. 
Si  vous  n'avez  encor  quelques  raisonnements 
Pour  vous  mettre  au-dessus  de  tous  les  bemements. 

AKISTE. 

Moi?  Je  n'aurai  jamais  cette  foiblesse  extrême 
De  vouloir  posséder  un  cœur  malgré  lui-même. 
Mais  je  ne  saurois  croire  enfin. . . 

SGANAAELLE. 

Que  de  discours? 
Allons,  ce  prçcès-là  continûroit  toujours. 


J 


ACTE  III,  SCÈNE  VII.  i6i 

SCÈNE   VIL 

UN  COMMISSAIRE,  UN  NOTAIRE,  SGANARELLE, 

ARJSTE. 

LB   COMMISSAIRE. 

Il  ne  faut  mettre  ici  nulle  force  en  usage, 

Messieurs;  et,  si  vos  vœux  ne  vont  qu^au  mariage. 

Vos  transports  en  ce  lieu  se  peuvent  apaiser. 

Tous  deux  également  tendent  à  s^épouser} 

Et  Valère  déjà ,  sur  ce  qui  vous  regarde , 

A  signé  que  pour  femme  il  tient  celle  qu^il  garde. 

JLRISTE. 

La  fille...? 

LE   COMMISSAIRE. 

Est  renfermée ,  et  ne  veut  point  sortir 
Que  vos  désirs  aux  leurs  ne  veuillent  consentir. 

SCÈNE    VIII. 

VALÈRE,  UN  COMMISSAIRE,  UN  NOTAIRE, 

SGANARELLE,  ARISTE, 

VALi^RE,  à  la  fenêtre  de  sa  maison. 

Non,  messieurs;  et  personne  ici  n'aura  Tentrée 
Que  cette  volonté  ne  m^ait  été  montrée. 
Vous  savez  qui  je  suis,  et  j'ai  feit  mon  devoir 
En  vous  signant  l'aveu  qu'on  peut  vous  faire  voir. 
Si  c'est  votre  dessein  d'approuver  l'alliance, 
Votre  main  put  aussi  m'en  signer  l'assurance; 

MoLiàas.  a.  ii 


i6>  L'I^COLE  DES  MAHIS. 

Sinon  j  £iites  état  de  m'arracher  le  jour , 
Plutôt  que  de  m'ôter  lobjet  de  mon  amoor. 

SOAirAREI.LB«     • 

Non,  nous  ne  songeons  pas  k  yons  séparer  d^elle. 

(  bas ,  à  part } 

II  ne  s'est  point  encor  détrompé  d'Isabdle  : 
P)*ofitons  de  Terreur. 

ARISTE^àValète. 

Mais  est-<:e  Léonor? 

S<&AN  AaSLLE^  k  Ariste. 

Taisez-YOttS. 

ARISTE. 

Mais... 

SGAMARBLLE. 

Paix  donc^ 

ARISTE. 

Je  yeux  sayoir. .  • 

SGANARELLE. 

Encor? 
Vous  tairez-yous?  yous  dis- je. 

yALÈRE. 

Enfin,  quoi  qu'il  aviennc, 
Isabelle  a  ma  foi;  j^ai  de  même  la  sienne, 
Et  ne  suis  point  un  choix,  à  tout  examiner ;j 
Que  yous  soyez  reçus  à  faire  condamner. 

A  RI  s  X £  ,  k  SganareUe. 
Ce  qu'il  dit  là  n'ei$t  pa3.*. 


ACTE  III,  SCÈNE  VIII.  iG3 

S6ANAR£LL]&* 

Taise^-YOHS ,  et  pour  caase. 

(àValcre.) 

Vous  saurez  le  secret.  Oui,  sans  dire  autre  chose, 
Nous  con^ntoDS  tous  deux  que  vous  soyez  I  epouz 
De  celle  qu'à  présent  on  trouvera  chez  vous. 

LE    COMMISSAIRE. 

Cest  dans  ces  termes-là  que  la  chose  est  conçue , 
Et  le  nom  est  en  Uanc  pour  ne  lavoir  point  vue. 
Signez.  La  fille  après  vous  mettra  tous  d'accord. 

VALÈRE. 

Tj  consens  de  la  sorte. 

SGANARELLE. 

Et  moi  je  le  veux  fort. 

(  à  part.  )  (  haut.  ) 

Nous  rirons  bien  tantôt.  Là,  signez  donc,  mon  frère. 
L'honneur  vous  appartient. 

ARISTE. 

Mais  quoi!  tout  ce  mystère... 

SGANARELLE. 

Diantre!  que  de  façons!  Signez ,  pauvre  butor. 

ARISTE. 

Il  parle  dlsabelle,  et  vous  de  Léonor. 

SGANARELLE. 

N  êtes- vous  pas  d'accord  9  mon  frère ,  si  c'est  elle , 
De  les  laisser  tous  deux  à  leur  foi  mutuelle? 

ARISTB. 

Sans  doute. 


i64     L'ÉCOLE  DES  MARIS.^ 

SGANARELLE. 

Signez  donc;  j'en  fais  de  même  aussi. 

ARISTE. 

Soit.  Je  n'y  comprends  rien. 

SGANARBLLE. 

s  Vous  serez  éclairci. 

LE   COTteMISSAIRE. 

Nous  allons  revenir. 

SGANARELLE,  à  Ariste. 

Or  çà  y  je  vais  vous  dire 
La  fin  de  cette  intrigue. 

^Ils  se  retirent  dans  le  fond  du  théAtre.  ) 

SCÈNE  IX. 

LÉONOR,  SGANARELLE,  ARISTE,  LISETTE. 

LÉONOR. 

O  L  ÉTRANGE  martyre! 
Que  tous  ces  jeunes  fous  me  paroissent  fâcheux? 
Je  me  suis  dérobée  au  bal  pour  l'amour  d'eux. 

LISETTE. 

Chacun  d'eux  près  de  vous  veut  se  rendre  ag-iable. 

LÉONOR. 

Et  moi,  je  n'ai  rien  vu  de  plus  insupportable; 
Et  je  préférerois  le  plus  simple  entretien 
A  tous  les  contes  bleus  de  ces  diseurs  de  rien. 
Us  croient  que  tout  cède  à  leur  perruque  blonde, 
Et  pensent  avoir  dit  le  meilleur  mot  du  monde, 


\ 

k 


ACTE  III,  SCÈNE  IX.  i65 

Lorsqu'ils  Tiennent,  d'un  ton  de  mauvais  goguenard , 
Vous  railler  sottement  sur  Famour  d'un  vieillard  ; 
Et  moi,  d'un  tel  vieillard  je  prise  plus  le  zèle 
Que  tous  les  beaux  transports  d'une  jeune  cervelle. 
Mais  n'aperçois-je  pas. . .  ? 

5GAN ARELLE,  à  Ariste. 

Oui^  lafiaire  est  ainsi. 

(  Aper<;eyant  Léonor.  ) 

Ah  !  je  la  vois  paroitre ,  et  sa  suivante  aussi. 

ARISTE. 

Élénor,  sans  courroux,  j'ai  sujet  de  me  plaindre. 
Vous  savez  si  jamais  j'ai  voulu  vous  contraindre. 
Et  si  plus  de  cent  fois  je  n^ai  pas  protesté, 
De  laisser  à  vos  vœux  leur  pleine  liberté  ; 
Cependant  votre  cœur,  méprisant  mon  sujQBrage, 
De  foi  comme  d  amour  à  mon  insu  s*  ngage. 
Je  ne  me  repens  pas  de  mon  doux  traitement  : 
Mais  votre  procédé  me  touche  assurément; 
Et  c'est  une  action  que  n'a  pas  méritée 
Cette  tendre  amitié  que  je  vous  ai  portée. 

LÉONOR. 

Je  ne  sais  pas  sur  quoi  vous  tenez  ce  discours  : 
Biais  croyez  que  je  suis  la  même  que  toujours. 
Que  riep  ne  peut  pour  vous  altérer  mon  estime^ 
Que  toute  autre  amitié  me  paroitroit  un  crime, 
Et  que,  si  vous  voulez  satisfaire  mes  vœux, 
^n  saint  nœud  dès  demain  nous  unira  tous  deux. 


iGd  L'ÉCOLE  DES  MARIS. 

ÀRISTE. 

Dessus  quel  fondement  venez-votis  Jbtoc,  mon  frère...? 

SGANARELLE. 

Quoi!  vous  ne  sortez  pas  Ai  logis  de  Valère? 
Vous  n'avez  point  conté  vos  amours  aujourd'hui? 
£t  vous  ne  brûlez  pas  depuis  tn  an  pour  lui  ? 

I.£OMO<R. 

Qui  vous  a  fait  de  moi  de  si  belles  peintures  ^ 
Et  prend  soin  de  ferger  de  telles  impostures  ? 

SCÈNE  X. 

ISABELLE,  VALÈRE,  LÉONOR,  ARISTE, 
SGANARELLE,  UN  COMMISSAIRE,  US 
NOTAIRE,  LISETTE,  ERGASTE. 

t 

ISAB£IiL&. 

Ma  sœur,  je  vous  demande  un  généreux  pardon^. 
Si  de  mes  libertés  j'ai  taché  votre  nom* 
Le  pressant  embarras  d  une  surprise  extrême 
M'a  tantôt  inspiré  ce  honteux  stratagème  : 
Votre  exemple  cpndamnq  un  tel, emportement; 
Mais  le  sort  nous  traita  tous  dcui^  diversement, 

(à  Sganarelle. ) 

Pour  vous  5  5e  ne  veux  poîjit ,  mon5ieur ,  vous  faire  excuse  ; 

Je  vous  sers  beaucoup  plus  que  je  ne  vous  abuse. 

Le  ciel  pour  être  joints  ne  nous  fit  pas  tous  deux  : 

Je  me  suis  reconnue  indigne  de  vos  feux; 

Et  j'ai  bien  mieux  aime  me  voir  aux  mains  êî'xm  autre, 

Que  ne  pas  mériter  un  cœur  comme  le  vôtre,  ^ 


AGTE  Hf,  SCÈNE  X.  167 

VALÈIIE,  à  Sgdtiarelle. 

Pour  moi,  je  mets  ma  gloire  et  mon  bien  souverain 
A  la  pouvoir;  monsieur,  tenir  de  Votre  main. 

ÀRISTE. 

Mon  frère,  doucement  il  faut  boire  la  .chose  : 

D'nne  telle  action  vos  procédés  jçont  cau^  ; 

Et  je  vois  votre  sort  malheuretu;  à  ce  point , 

Que,  vous  sachant  dupé,  Ton  ne  vous  plaindra  point.   . . 

LISSTTS.  , 

Par  ma  foi ,  je  lui  «ais  bon  gré  de  cette  affaire  ; 
Et  ce  prix  de  ses  soins  est  un  trait  exemplaire. 

LÉONOR. 

Je  ne  sais  si  ce  trait  doit  se  faire  estimer. 

Mais  je  sais  bien  qu  au  moins  je  ne  le  puis  blâmer. 

ERGASTE. 

Au  sort  d'être  cocu  son  ascendant  l'eipose'; 

Et  ne  Têtre  qu'en  herbe  est  pour  lui  douce  chose. 

SGAMARELLE,  sortaQt  de  raccablement  dans  lequel  il  étoil 

plongé. 

Non,  je  ne  puis  sortir  de  mon  étonnement. 
Cette  ruse  d'enfer  confond  mon  jugement; 
Et  je  ne  pense  pas  que  Satan  en  personne 
Paisse  être  si  méchant  qu'une  telle  friponne. 
JTaorois  pour  elle  au  feu  mis  la  main  que  voilà. 
Malheureux  qui  se  fie  à  femme  après  cela  ! 
La  meilleure  est  toujours  en  malice  féconde; 
C  est  un  sexe  engendré  pour  damner  tout  le  monde* 


i63    L'ÉCOLE  DES  MARIS.  ACTE  m,  SCÈNE  X. 

Je  renonce  à  jamais  à  ce  sexe  trompeur, 
Et  je  le  donne  tout  au  diable  de  bon  cœur. 

ERGASTi;. 

Bon.   \ 

ARISTE. 

Allons  tous  chez  moi..  Venez,  seigneur  Valère; 
Kous  tâcherons  demain  d'apaiser,  sa  colère. 

LISETTE,  au  partei^e. 

Vous,  si  TOUS  connoissez  des  maris  Joups-garous, 
Envoyez-les  au  moins  à' l'école  chez  nous. 


FIN    DE    l'eCOLÈ    des    MARIS. 


RÉFLEXIONS 


'  STTR 


L'ÉCOLE  DES  MARIS. 


VjETTi^  pièce,  qu'on  peut  considërer  comme  l'un  des  chefs- 
d'œuvre  de  Molière,  est  une  de  celles  où  il  a  le  moins  inventé. 
Térence ,  dans  les  Adelphes,  avoît  don&é  l'idée  des  deux  sys- 
tèmes d'éducation ,  et  des  suites  qu'ils  peuvent  avoir  :  Bocace , 
dans  une  de  sesNouvelles,  '  avoît  parfaitement  indiqué  les  situa- 
tiens  du  second  acte  :  dans  une  comédie  espagnole  intitulée  : 
uDiscRETA  ENAMORADA',  Cette  sîtuatiou  étoit  devenue  plus 
théâtrale.  Enfin  une  mauvaise  pièce  de  Dorimon ,  la  Femme 
INDUSTRIEUSE,  avoit,  pour  la  première  fois,  ofifert  sur  la  scène 
françoîse  quelques  traces  de  cette  espèce  de  comique.  Mais  si 
Molière  n^  pas  imaginé  ces  situations  charmantes ,  quel  parti 
n'en  a-t-il  pas  tiré  !  Il  a  su  se  les  approprier  en  les  disposant 
d'une  manière  plus  naturelle  et  plus  morale ,  en  donnant  à  ces 
situations  trop  libres  une  décence  dont  il  n'y  avoit  pas  encore 
d'exemple  au  théâtre.  C'est  ce  que  nous  allons  montrer  par  là 
comparaison  entre  les  originaux  qui  viennent  d'être  cités ,  et 
la  pièce  de  Molière. , 

Les  Adelphes  n'ont  que  peu  de  rapports  Aveç  l'Ecole  des 
Makis.  Déméa  possède  deux  fils  t  il  eh  a  confié  un  a  son  frère 
Micion,  célibataire  riche  :  il  élève  l'autre  lui-môme.  Micion, 
qui  est  aussi  indulgent  qu'Àriste ,  ne  refuse  rien  à  son  pupille , 


I  Troisième  nouvcUe.de  la  troisième  jaurnée  du  Dccamëroo. 


170  RÉFLEXIONS 

et  cherche  âfgagiier^a  colifiâgfcé  :Pénféft.,  att.aDnCmîre,  exerce 
la  plus  grande  sëvëiité  sur  le  fils  ddnt  il  s'est  rëscrvé  l'éduca- 
tion; et,  comme  dans  la  pièce  de. Molière,  ce  dernier  fait  en- 
core plus  de  folies  que  son  frère.  Cette  première  combinaison 
est  la  seule  quîa^péxtienBé  k  T^sence  :  du  reste  ^  p9  qe  trouve 
dans  la  comédie  latine  aucune  situation  qui  ressemble  aux 
derniers  actes  de  l'Ëcoxe  des  Maris.  L'exposition  du  carac- 
tène  de  Micion  a  pu  fournir  à- Molière  l'idée  de  ses  deux  pre- 
mièrcs  scènes.  C'est  Micion-  qui  parle  : 

'  ((  Dès  ma  première  jeunesse ,  j'ai  mené  à  la  yille  une  yie 
«  tranquill.e  et  heureuse.  Je  n'ai  point  pris  de.  femme ,  ce  que 
«  dans  le  monde  on  regarde  comme  un  très-grand  bonkeur., 
((  Mon  frère  a  fait  toutle  contraire  :  il  s'est  .consacré  à  la  cul- 
«  ture.  dcses  terre»,  si  vécv  laborieusement ,  avec  la  plus  sévère 
(c  économie  :  il  s'est  m^rié»  et  sa  femme  lui  a  donne  deux  fils, 
(c  J'ai  adopté  l'aîné  ;  je  l'ai  élevé  dès  sa  plus  tendre  enfance,  et 
c<  je  l'ai  aimé  comqie  s'il  eût  été  imoi.  Je  mets  en  lui  vxon  bon- 
«  heur;  il  est  ce  que  j'ai  de  pjjis  cher  au  monde.  J'emploie 
((  tous  nacs  soins  pour  qu'il  par.ta|[e.  mes  sentiments.  Je.  lui 
«  donne  ce. qu'il  désire,  j'ai  pour  lui  beaucoup  d'indulgence^ 

'  Jam  indè  ab  adolescentià 

Ego  haac  clementem  vitam  xirbanam,  atque  otîum 

Secntus  suni  :  et ,  quod  fortunatum  isti  putant , 

Uxorem  nuDquàm  habui.  Ule  conUn  haec  tDnuita  : 

Ruri  agére  Vitàm ,  aemper  parce  ac  dnsiltr 

Se  bikfcere.  U»9rein  doxit  i  nt^  filU 

Dup.  Indè  çgo  hune  najorem  adoptavi  mihi  : 

Rduxi  2i  parvulo ,  babui ,  amavi  pro  meo  : 

In  eo  me  oblecto  :  solum  id  est  caruib  rnihi. 

lUe  ut  item  contra  me  babeat ,  (ado  sedulô. 

Do ,  prïetennitto,  non  ntcesse  babeo  omnia 


SUR  L'ÉCOLE  DES  MARIS.        tjt 

«et  je  iK  crois  Jias  nëcessaire  qu'il'  n'agisse  que  par  mc^ 
«  ordres.  Je  1^  habitué  i&  ne  pas  each^r  ces  petites*  fiiutes  dont 
«les  jenttes  gi^ë  feiit  mjstère  à  leiivs'p^è^tàs;  car  ceuxquf 
«  trompeirt  teurs  j^arents  doitent  atroir  une  bien  ^us  mauvaise 
«comfuîté^afis  la  société.  ïlvauftnîeui,  je- crois,  contenir 
a  les  jeiraes  gbn^  par  la  gënëi^o^skë  et  l'ainoiii^^propre  que  par 
«  la  craiirte.  €ètte  confite  n'èSt  pas  celle  de  mon  frère,  et  \\x\ 
«  dépliail  beaucoup.  Loi^^ejelevois,  ii  est  toujours  di;  raau« 
«  vaîse  humeur  :  Que  fàites»-vous,me  d^t^il,  B@cion7  Peur-' 
«  quoi  gâtez-vous  ainsi  ce  jeune  homme  ?  pcfuriqUoi-  a-^il  à!Qt 
«  maîtresses»?  pourquoi  aime -t- il  les  festrns?  pourquoi  lui 
tf  fourni95e2-Veus  de  rargéntpoiâr  toutes  oe^  foKes  ?  pourquoi 
«  pcrmfettè:&'^Vèùs  qif  il  se  m^tte  avec  tant  d'élégance  ?£n  vérité 
t(  vous  n'entendez  rien  à  l'éducation.  Selon  mot,  c'est  lui  qui 
«  est  trcrpââr^'r  il  é'ëfotgne  beaucoup  du  droit  chemin.  Celui- 
.  «  là  se  troffijte  qui  croit  obtenir  plus  par  la  îbtce  que  par 
«  l'amitié  et  la^ douceur.  Tels  sont  mes  principes,  et  f y  sou-«. 

Pro  mea  jure  agere.  Ppstremè ,  «lii  cbnculùqi 

Patres  qux  faciunt,  quee  fert  adolescenti9, 

Ea  ne  me  celet ,  CQosuefeci  filium  :  . 

]9am  qui  mentiri  aut  faHere  insuerït  patrein ,  aut 

Âudebît ,  tanto  inagis  àudebit  cœteros. 

Pudore  etUberalltate  Tibeiros 

Rednere,'  «èffinis'esse  credo,  quàm  meta. 

Haec  fi-atri  mecum  non  conTeniunt,  nequtf  plaicent. 

Venit  ad  me  sse'p^  clïimans  :  Quîd  agis ,  Micio  ? 

Car  perdis  adoléscetitem  liobis  ?  dur  ftmat  ? 

Car  potat?  car  tù  hîs  rébus  somptura  stijggcris? 

Yestitu  -nîtiii^tm  itidnlgis  :  tifmijim  ïaéptus  el 

Nimiùm  ipse  ei^t  duras ,  praeter'stqoiùiïqQe  et  bonum , 

Et  eirat  long(*,  meâ  qnidem  sententià,' 

Qui  imperium  credat  gravias  esse  (  aut  stabilius 


lya  RÉFLEXIONS 

«  mets  ma  conduite.  Celui  qui  fait  son  devoir  dans  la  crainte 
ic  du  châtiment  agit  avec  circonspection  tant*  qu'il  sait  qu'on 
«  Tobserve  :  s'il  peut  espërer  d'échapper  à  la  surveillance,  il 
«revient  à  son  mauvais  naturel.  Celui  au  contraire  qu'on 
u  mène  avec  douceur  fait  le  bien  sans  peine  et  sans  contrainte. 
4(  Il  cherche  a  vous  rendre  les  sentiments  que  vous  avez  ponr 
a  lui.  Que  vous  soyez  absent  ou  présent,  il  sera  toujours  le 
<c  même.  C'e«t  le  devoir  d'un  père  d'I^abituer  ses  enfants  à  se 
tt  bien  conduire  plutôt  de  leur  propre  mouvement  que  par  la 
(c  crainte  d'être  punis.  » 

Quel  parti  Molière  n'a-t-^il  pas  tiré  de  ces  principes  d'in- 
dulgence en  les  opposant  au  rigorisme  outré  de  Sganarelle  ! 
La  scène  de  Térencerest  froide  et  languissante;  celle  du  poète 
frauçois  est  pleine. dq  vivacité  et  de  force  comique.    - 

Bocace  a  le  premier  imaginé  la  situation  d'une  femme  qui 
se  sert  d'un  homme  dont  elle  doit  craindre  la  surveillance 
pour  entretenir  une  correspondance  avec  son' amant,  et  qui, 
sous  prétexte  de  se  plaindre  des  importunités  de  cet  amant,, 
l'instruit  de  tout  ce  qu'il  faut  faire  pour  parvenir  jusqu'à  elle. 
Cette  situation,  comme  on  le  sait,  fait  tout  le  comique  du  se- 
cond et  de  la  moitié  du  troisième  acte  de  l'Ëcole  des  Maris. 

Vi  quod  fit ,  quàm  illud  quod  amicitià  adjnngitiv; 
Mea  sic  est  ratio ,  et  sic  anixnuin  induco  meum  :. 
Malo  coactus  qui  suum  officium  facit , 
Dùm  id  rescitum  iri  crédit,  tantisper.çavet. 
Si  sperat  fore  cUim ,  ru^sùm  ad  ipgeiûiiin  redit.  « 

Quem  benefido  adj,^ogas ,  ille  ex  anima  facit  : 
Studet  par  referre ,  praesens  absenaque  idem .  evit. 
Hoc  patriuxn  est,  potiùs  consuefacere  filiupi 
Suâ  sponte  rectë  facere,  quàm  alieoo  metu. 

(Adelphes,  acte  J,  scène  h) 


j 


SDR  L'ÉCOLE  DES  MARIS.        i;3 

Dans  la  nouvelle  de  Bocace ,  c'est  une  femme  mariëe  qai  em- 
ploie son  confesseur  à  cette  intrigue.  Les  modifications  que 
Mollëre  a  faites  dans  cette  conception,  qui  auroit  été  scanda- 
leuse au  théâtre,  montrent  autant  de  gënie  que  s'il  l'eût  in- 
ventée. Pour  faire  sentir  tout  le  mérite  de  ce  grand  poète ,  on 
a  cru  nécessaire  de  traduire  toute  la  partie  dramatique  de  la 
nouvelle  de  Bocace  :  cette  suite  de  scènes  forme  un  ensemble 
piquant;  elles  retracent  avec  beaucoup  de  vérité  les  mœurs 
du  temps  ;  et  le  lecteur  pourra ,  en  les  comparant  au  second 
et  au  troisième  acte  de  l'Ëcole  des  Maris,  juger  la  manière 
dont  Molière  savoit  imiter. 

'  ((  Une  jeune  dame  de  Florence  av<Mt  épousé  un  marchand 
«  de  soie  fort  riche ,  et  qu'elle  u'aimoit  pas  :  quelque  temps 
«  après  elle  devint  amoureuse  d'un  gentilhomme.  Ne  trouvant 
«  aucun  moyen  de  lui  faire  connoître  son  amour,  et  craignant 
«  rindiscrétion  des  personnes  qu'elle  pourroit  lui  envoyer, 
«  elle  prit  le  parti  d'aller  se  confesser  à  un  bon  religieux ,  ami 
«du  gentilhomme;  elle  se  présenta  au  confessionnal  de  ce 
u  moine  : 

tt  Mon  père ,  dit-elle ,  j'ai  besoin  d'implorer  votre  appui  et 
«  vos  conseils  dans  une  affaire  très-délicate.  Je  sais  que  vous 
«  connoissez  ma  famille  et  mon  mari.  Il  me  chérit  :  je  ne  forme 
«  aucun  désir  sans  qu'il  ne  s'empresse  aussitôt  de  le  satisfaire. 
«  Il  emploie  pour  me  rendre  heureuse  les  immenses  richesses 
«  dont  il  jouit  :  aussi  je  l'aime  autant  qu'on  peut  aimer.  Si  je 
«  me  condui  soi  s  autrement,  si  j'imaginais  quelque  chose  contre 
«  son  honneur,  je  serois  la  plus  coupable  des  femmes;  et  les 


'  On  a  cru  inutile  de  joindre  ici  le  texte  de  Bocace,  parce  que  Molière 
n  a  {HÎs  dans  cette  scène  que  ^e  Ibnd  des  idées  et  de  la  situation ,  et  qu*il 
n'a  eu  l'intention  d^imiter  aucun  détail. 


r74  RÉFLEXIONS 

«  tourments  de  l'enfer  ne  seroient  pas  trop  rigoiiDeax  pour 
«  punir  mon  ingratitude. 

«Un  gentilhomme  dont  j'ignore ,ai£me  le  nom,  bien  fait, 
tt^e  mettant  avec  élégance,  et  qui,  si  je  ne  me  tronipe,  est 
a  fort  lié  avec  tous,  ignore  probablement  mes  véritaèles  sen- 
«  timents,  puisqu'il  m'obsèdjB  depuis  quelques  jours.  Je  ne 
<c  peux  paroître  à  ma  porte ,  à  ma  fenêtre ,  ou  sortir  de  la  mai- 
a  son,  qu'il  ne  s'offire  aussitôt  à  ma  vue;  et  je  suis  même 
a  étonnée  qu'il  ne  soit  pas  en  ce  moment  dans  l'église  pour 
«  m'épier.  Cette  poursuite  obstinée  m'afflige  beaucoup ,  parce 
a  qu'il  arrive  souvent  que  la  réputation  d'une  bonnête  femme 
«  souffire  de  pareilles  démarches  sans  qu'elle  ait  aucun  tort. 
«  J'ai  d'abord  eu  l'idée  de  lui  en  faire  faire  des  reproches  par 
«  mes  frères;  mais  j'ai  réfléchi  que,  quand  les  hommes  se 
a  chargent  de  ces  sortes  de  missions,  ils  y  mettent  de  l'aigreur, 
(I  et  qu'une  parole  insultante  peut  entraîner  de  grands  maux, 
a  Pour  éviter  ce  danger,  et  pour  prévenir  toute  espèce  de 
a  scandale ,  j'ai  pris  la  résolution  de  m'ouvrir  à  vous ,  parce 
«  que  vous  êtes  son  ami ,  et  que  c'est  à  son  ami  qu'il  appar- 
«  tient  de  lui  donner  de  bons  conseils.  Je  vous  conjure  donc, 
«  au  nom  de  Dieu,  de  vouloir  bien  lui  parler,  de  lui  faireles 
4fL  reproches  qu'il  mérite ,  et  de  l'engager  à  changer  de  con- 
<c  duite.  U  j  a  dans  cette  ville  assez  de  femmes  disposées  à 
<c  écouter  un  amant  tel  que  lui  :  elles  feront  leur  bonheur  d'eu 
«  être  recherchées  :  quant  à  moi ,  son  obstination  à  me  pour- 
ce  suivre  me  donne  le  plus  grand  chagrin  ;  et  mon  cœur  ne 
r«  rompra  jamais  les  doux  nœuds  qui  l'attachent 

«A  ces  mots,  la  jeune  dame  baissa  la  tête  et  fondit  en 
m  larmes.  Le  religieux  reconnut  trés-bi^n  le  gentilhomme 
«  qu'elle  lui  désignoit  :  il  l'exhorta  à  persister  dans  ses  bonnes 
«  dispositions,  et  lui  promit  de  faire  ce  qu'elle  désiroit.  La 


SDR  L'ÉCOLC  DES  MARIS.        Ï75 

«  dftiiie^  crai^Mut  quelque  odaleilteBdii,  lot  dit  encore  :  Je 
«  Yous  en  ecNDJurey  mon  père  ^  si  ce  gâitilhamme  nîoit  ce  qa» 
«  je  viens  de  v^ns  confier,  ditea*ltti  liardiment  que  c'est  de 
M  moi  que  voos  le  tenez,  et  que  je  vens  ai  adresse  mes  plaintes. 
«  Le  religieux  la  congédia  en  PinTitant  à  faire  quelques  au- 
«  mènes  pour  le  couvent  y  elle  ne  se  fit  pas  prier.  . 

«  Ce  bon  noîne  n'eut  rien  de  plus  presse  que  d'allertMmver 
«  le  gentillftomme.  Après  l'avoir  tire  à  part^  il  lui  fit  quelques 
V.  reproclies.  Celui-ci  s'ëtonna  d'autant  plus,  fu'dl  n'avoit  ja- 
^  mais  renu^qoë  la  dame ,  et  qu'il  ne  lui  dtoit  arrivé  que  très- 
ce  raremcoit  de  passer  devant  sa  maison  ;  mais  le  religieux ,  ne 
«  le  laissant  pas  achever,  poursuivit  ainsi  : 

a  N'^ez  pas  l'air  de  tous  ëionner,  et  ne  perdez  pas  voire 
«  temps  i  mer  une  chose  dont  je  suis  sûr.  Ce  n'est  point  par 
«les' voisins  (pe  j^ai  appris  votre  conduite  :  la  jernie  dame 
ic  elle-même  m'a  tout  raconté  en  se  plaignant  de  vous.  Ces 
«  galanteries  ne  von$  conviennent  pas;  elles  lui  conviemieni 
K  encore  bien  moins ,  car  si  jamais  j'ai  vu  une  femme  honnâte 
c  et  vertueuse,  c'est  celle-là.  Je  vous  prie  donc ,  au  nom  de 
«  votre  honneur,  et  par  les  égards  que  vous  devez  à  une  per*- 
ic  sonne  aussi  respectable ,  de  ne  pas  continuer  votre  poursuite. 

«Le  gentHhemme,  plus  fin  que  je  bon  religieux,  comprit 
«  alors  sans  peine  les  secrètes  intentions  de  la  dame  :  il  feignit 
«  de  se  repentir,  et  promit  de  se  corriger.  Prenant  airasitôt  un 
«  prétexte  pour  le  quitter,  il  courut  dans  la  rue  où  elle  de« 
Il  meuroit,  se  promena  devant  sa  maison;  et,  par  les  mines 
«  qu'elle  lui  fit,  il  vit  bientôt  qu'il  ne  s'étoit  pas  trompé  dans 
a  ses  conjectures.  Quelque  temps  après,  la  dame,  voulant  en- 
ce  fiammer  davantage  son  amant,  retourna  à  l'église,  et  se  pré- 
<c  senta  à  son  confissseur.  Le  moine  lui  demanda  s'il  lui  étott 
<t  arrivé  quelque  chose  de  nouveau. 


176  RÉFLEXIONS 

((  Mon  père ,  rëpondit-elle ,  je  n'ai  rien  à  vous  dire  de  non.'* 
«  veau,  si  ce  n'est  que  votre, méchant  ami  dont  je  me  plaignis 
«  à  vous  l'autre  jour,  persiste  dans  ses  poursuites.  Je  crois 
((  qu'il  est  ne  pour  le  tourment  de  ma  vie;  bientôt,  s'il  conti- 
«  nue ,  je  n'oserai  plus  mettre  les  pieds  hors  de  chez  moi.  — 
a  Comment  y  s'écria  le  moine ,  il  n'a  pas  cessé  de  vous  tour- 
te menter? —  Bien  au  contraire,  reprit  la  dame;  j'avois  eu 
«  peut-être  trop  de  scrupule  en  me  plaignant  de  ce  qu'il  pas- 
ce  soit  quelquefois  devant  chez  moi  :  à  présent  il  y  passe  sans 
«  cesse.  Mais  plût  à  Dieu  qu'il  se  contentât  d'y  passer  et  de 
«  me  regarder!  Il  a  été  assez  hardi  et  assez  insolent  pour  m'cn- 
K  voyer  hier  une  femme  chargée  de  me  parler  pour  lui ,  et  de 
«  me  donner  de  sa  part  une  bourse  et  une  ceinture ,  comme  si 
c(  j'avois  besoin  de  ses  présents.  J'avoue,  mon  père,  que  je  me 
«  suis  trouvée  si  offensée  de  cette  démarche,  que,  si  je  n'avois 
«  craint  de  pécher,  je  me  serois  livrée  à  tous  les  transports  de 
((  ma  colère.  Mais  je  me  suis  calmée,  -et  je  n'ai  voulu  prendre 
«  aucune  résolution  avant  de  vous  avoir  consulté.  Mon  pre- 
(c  mier  mouvement  âvoit  été  de  rendre  la  ceinture  et  la  bourse 
((  à  cette  femme  ;  mais ,  craignant  qu'elle  ne  les  gardctt  pour 
c(  elle,  en  disant  que  je  les  avois  reçues ,  je  l'^i  rappelée,  et  j'ai 
tt  arraché  de  ses  mains  qps  indignes  présents.  Je  vous  prie, 
(c  mon  père ,  de  les  rendre  vous-même  à  votre  ami  :  dites-lui 
«  bien  que  je  n'ai  pas  besoin  de  ses  largesses  :  grâce  à  Dieu  et 
((à  mon  excellent  mari,  je  ne  manque  de  rien.  A  ces  mots, 
«  fondant  en  larmes,  elle  jeta  sur  le»  genoux  du  moine  une 
((  jolie  bourse  et  une  superbe  ceinture.  Celui-ci,  croyant  pieu- 
ce  sèment  tout  ce  qu'elle  lui  disoit,  répondit  fort  troublé  : 

<(  Ma  fille ,  je  ne  suis  pas  étonné  que  vous  soyez  irritée  de 

'  «  cette  obstination,  et  je  ne  vous  en  fais  aucun  reproche.  Je 

a  vois  avec  plaisir  que  vous  ne  voulez  rien  faire  sans  mescon- 


SUR  L^ECOLE  DES  MARIS.       177 

(c  seîls.  Je  me  suis  trouve  l'autre  jour  avec  mou  ami  ;  je  Tai 
«  gronde  beaucoup  ;  et  il  a  bien  mal  tenu  la  promesse  qu'il 
(c  m'avoit  faite.  Je  compte  lui  laver  si  bien  îeÉ  oreilles  pour  les 
«nouvelles  entreprises  qu'il  vient  de  tenter,  que  vous  n'au- 
«  rez  plus  à  vous  en  plaindre.  Au  nom  de  Dieu  surtout ,  ne 
((  vous  laissez  pas  emporter  à  la  colère ,  et  gardez-vous  bieu 
«  d'instruire  votre  famille  de  ce  qui  se  passe  :  cela  pourroit 
«  avoir  des  suites  funestes.  Ne  craignez  point  d'encourir  au« 
«  cun  blâme  :  devant  Dieu  et  devant  les  hommes ,  j'attesterai 
«  toujours  que  vous  êtes  un  modèle  de  vertu.  La  dame  lit  scm- 
«  blant  de  se  remettre ,  et  donna  de  l'argent  au  moine  pour 
«  dire  des  messes.  Il  reçut  cette  offrande  avec  joie,  exhorta 
«  la  dame  à  persister  dans  sa  conduite  pieuse ,  lui  cita  plu- 
«  sieurs  exemples ,  et  la  congédia  avec  douceur. 

«  A  peine  fut-il  rentré  chez  lui ,  qu'il  envoya  chercher  le 
«  gentilhomme,  qui,  le  voyant  fort  troublé,  devina  qu'il  alloit 
«  avoir  des  nouvelles  de  sa  maîtresse ,  et  attendit  impatiem- 
«  ment  que  le  moine  prît  la  parole.  Le  bon  homme  lui  répéta 
«  fort  irrité  ce  que  venoit  de  lui  dire  la  dame ,  et  lui  fit  les 
«  remontrances  les  plus  fortes.  Le  gentilhomme,  qui  ne  voyoit 
.  «pas  encore  où  le  moine  en  vouloit  venir,  ne  se  défendoit 
«  que  foiblcment,  afin  que,  si  la  dame  lui  avoit  remis  la  bourse 
«  et  la  ceinture ,  il  ue  balançât  pas  à  les  lui  donner.  Le  moine, 
«  plus  irrité,  s'écria  :  Comment  pouvez-vous  nier  votre  faute', 
«  scélérat?  Voilà  ces  présents  qu'elle-même  m'a  rapportés  en 
«  pleurant.  Les  reconnoissez-vous  ? 

(c  Le  gentilhomme,  feignant  d'être  confondu  :  Je  les  recon-' 
«  nois ,  dit-il ,  et  j'avoue  ma  faute  ;  j'ai  les  plus  grands  torts  ; 
«  mais,  puisque  je  connois  les  dispositions  de  cette  dame,  je 
«  vous  jure  que  je  me  corrigerai ,  et  que  vous  n'entendrez  plus  ' 
«c  parler  de  cela. 

MOLliBE.  a«  la 


jyg  RÉFLEXIONS 

«  Ils  s*entretinrent  long-temps  :  enfiale  moiae ,  après  avoir 
«  bien  endoctrine  son. ami ,  lui  remit  la  bourse  et  la  ceinture , 
«  et  le  congédia.  Le  geatilhonune,  flatté  de  la  certitude  d'être 
fc  aimé,  ébloui  du  riche  présent  qu'il  venoit  de  recevoir ,  alla 
H  sur-le-champ  près  de  la  maison  de  la  dame ,  et  lui  fit  voir 
«  que  sa  commission  avoit  été  remplie  avec  exactitude.  La 
tt  dame  9  de  son  côté^  fut  très-contente  que  son  entreprise  eût 
et  tant  de  succès. 

((Elle  p'attendoit  plus  qu'une  chose  y  c'est  que  son  mari 
((  s'éloignât  pour  quelques  jours  de  la  ville,  afin  de  pouvoir 
((  mettre  fin  à  cette  aventure.  Il  arriva  que,  très-peu  de  temps 
((  après,  quelques  afiaires  l'appelèrent  à  Gênes., 

a  A  peine  Peut-elle  vu  monter  à  cheval  et  partir  de  grand 
«  matin ,  qu'elle  retourna  vers  le  saint  moine.  —  Mon  père , 
u  lui  dit-elle  en  pleurant ,  je  ne  puis  plus  souffi-ir  l'état  où  je 
((  suis.  Mais,  comme  je  vous  l'ai  promis  l'autre  jour,  je  ne 
((  veux  rien  faire  que  par  vos  conseils.  Pour  vous  prouver  que 
«  mes  plaintes  et  mes  gémissements  ne  sont  pas  sans  motif,  je 
((  veux  vous  raconter  l'outrage  que  votre  ami ,  ou  plutôt  ce 
a  monstre  digne  de  l'enfer,  m'a  fait  ce  matin.  Je  nje  sais  par 
((  quel  malheur  il  a  appris  que  mon  mari  étoit  parti  hier  pour 
((  Gênes  :  à  la  pointe  du  jour  il  s'est  introduit  chez  moi;  et, 
((  après  avoir  monté  sur  un  arbre ,  il  a  paru  à  ma  fenêtre  qui 
il.  donne  sur  le  jardin.  Déjà  il  l'avoit  ouverte ,  et  vouloit  entrer 
((;  chez  moi ,  lorsque  éveillée  en  sursaut ,  j'ai  sauté  à  bas  de 
((  mon  lit.  J'étoîs  prête  à  crier  et  à  appeler  du  secours;  mais 
((  lui ,  qui  n'étoit  pas  encore  entré,  m'a  demandé  grâce  au  nom 
((  de  Dieu,  m'a  parlé  de  vous,  et  s'est  fait  connoître.  Par  res- 
«  pcct  pour  vous,  j'ai  gardé  le  silence,  et  demi-nue ,  j'ai^ouru 
((  à  la  fenêtre,  et  je  la  lui  ai  fermée  au  visage.  Je  crois  qu'il  s'est 
a  retiré  aussitôt,  car  je  ne  l'ai  plus  entendu.  Maintenant,  mon 


SUR  rïrcè'LE  Ï)ES  MARIS.       179 

(C  père  9  voyez  si  je  dois  soufirir  une  telle  msolcnce  :  ma  pa- 
«  tiënce  e^  à  bout ,  et  je  croîs  en  avoir  eu  Icaùcoup  trop. 

((Le moine,  en  entendant  ce  r^cît^  fut  quelque  temps  dans 
«  le  |)Ius  grand  trouble  :  il  ne  savoit  que  répondre  ;  seulement 
«  il  demanda  à  la  dame  si  elle  ne  s'étoit  pas  trompée,  et  si  ce 
«  n'éloît  pas  un  aUlré  homme. — Dieu  soit  loué ,  dit-elle ,  je  le 
«  connoîs  parfaitement;' je  vous  rëpète  que  c'étoît  lui  :  s'il  ose  . 
«vous  le  hier,  gardez-vous  de  le  croire. — Ma  fille,  reprît 
a  tristement  le  moine ,  je  n'ai  rien  à  vous  dire,  si  ce  n'est  que 
«  cette  hardiesse  passe  toutes  les  bornes ,  et  que  vous  avez 
«  très-bien  fait  de  renvoyer  cet  insolent.  Mais  j'ose  vous  prier 
«  de  suivre  mes  conseils  comme  vous  les  avez  déjà  suivis  deux  • 
XI  fois.  Ne  vous  plaignez  point  à  vos  parents,  et  laissez-moi 
«tenter  encore  les  moyens  de  réprimer  ce  diable  déchaîné j 
«  que  j'avois  si  long-temps  pris  pour  un  saint.  Si  je  parviens 
<c  à  le  guérir  de  cette  passion  furieuse,  je  serai  trop  heureux  ^ 
^i  si  je  ne  réussis  pas,  alors  vous  pourrez  faire  tout  ce  que  votre 
«  vertu  vous  conseillera  :  je  ne  m'y  opposerai  plus. — Eh  bien, 
«  dit  la  dame,  je  consens  encore  à  vous  obéir  pour  cette  fois; 
a  mais  faites  en  sorte  qu'il  n'y  revienne  pas  :  isans  quoi  je  ne 
«  m'adresserai  plus  à  vous. 

«  A  peine  la  dame  étoit-elle  hors  de  l'église,  que  le  gentil- 
«  homme  y  arriva.  Le  mohie  l'ayant  appelé,  le  tira  à  part,  el 
«  lui  dit  tout  ce  que  son  indignation  put  lui  inspirer.  Le  gen- 
«  tîlhomme ,  habitué  aux  suites  de  ces  remontrances,  s'excusa 
«  foiblement,  fut  très-attentif,  et  s'attacha  a  faire  parler  le 
A  moine. — Enfin,  lui  dît- il,  pourquoi  tout  ce  bruit?  Ai -je 
«  donc  crucifié  notre  Seigneur? — Toyez  ce  perfide!  s'écria  le 
<c  mojne.  Ecoutez  ce  qu'il  dit  :  il  parle  comme  s'il  s'étoit  passé 
«  un  an  ou  deux  depuis  ses  folies,  et  que  cet  espace  de  temps 
(f  les  eût  lait  oublier.  Avez-vous  depuis,  ce  matin  perdii  le  sou- 


i8o  REFLEXIONS 

a  venir  de  l'injure  que  tous  ayez  faite  à  quelqu'un  ?  Oili  ëtiez* 
u  vous  un  peu  ayant  le  jour? — Je  ne  sais  où  je  suis  allé,  ré- 
«  pondit  le  gentilhomme  :  vous  avez  eu  bien  rapidement  cette 
Xi  nouvelle. — Il  est  vrai,  reprit  le  moine ,  que  je  viens  de  la 
«  recevoir.  Vous  avez  cru  y  parce  que  le  mari  de  cette  jeune 
«  dame  est  absent ,  qu'elle  vous  recevroît  aussitôt  dans  ses 
«  bras.  Voyez  cet  honnête  homme  !  il  est  devenu  coureur  de 
«  nuit;  il  a  forcé  les  portes  d'un  jardin,  il  est  monté  sur  un 
«  arbre.  Croyez- vous  vaincre  la  vertu  de  cette  dame  en  arri- 
<(  vaut  à  elle  par  le  moyen  des  arbres  qui  sont  sous  ses  fenêtres? 
a  Rien  ne  lui  déplaît  tant  au  monde  que  votre  conduite  ;  et  ce- 
«  pendant  vous  mettez  le  comble  à  vos  insolences.  Elle  vous  a 
«  déjà  plusieurs  fois  montré  son  «aversion,  et  vous  ne  tenez 
K  compte  ni  de  ses  répugnances,  ni  de  mes  reproches.  Mais 
c  voici  ce  qui  me  reste  à  vous  dire  :  jusqu'à  présent ,  par  égard 
«  pour  mes  prières,  et  non  par  intérêt  pour  vous,  elle  a  gardé 
«  le  silence;  mais  elle  ne  lézardera  plus;  et  si  vous  continuez, 
«  je  l'ai  autorisée  à  faire  ce  qu'elle  croira  convenable.  Que 
«  deviendrez-vous ,  si  elle  révèle  tout  à  ses  frères  ? 

«Le  gentilhomme,  ayant  parfaitement  deviné  l'intention  de 
ac  la  dame ,  apaisa  le  moine,  et  lui  fît  les  plus  belles  promesses. 
n  La  nuit  suivante,  à  l'approche- du  jour,  il  pénétra  dans  le 
H  jardin ,  monta  sur  l'arbre  ;  et,  ay  aut  trouvé  la  fenêtre  ouverte, 
((  il  entra  dans  la  chambre  de  la  dame ,  et  se  félicita  d'être 
«  enfin  parvenu  auprès  de  sa  belle  maîtresse.  La  damé,  qui 
«  l'avoit  attendu  très-iaapatiemment ,  le  reçut  avec  joie  : — Je 
«dois,  dit -elle,  beaucoup  de  remercîmeuts  à  notre  bon 
<(  moine  ;  il  vous  a  appris  les  moyens  de  venir  ici.  Tous  deux 
«  rirent  de  sa  simplicité,  etc.  » 

Ce  récit  est  très-comique  :  le  dialogie  en  est  ajissi  vrai  que 
piquant;  les  personnages  ne  disent  que  ce  qui  convient  à  leurs 


LES  FACHEUX, 

■ 

COMÉDIE-BALLET. 

EN  TROIS  ACTES  ET  EN  VERS, 

Représentée  à  la  fête  de  Vaux,  le  ao  août  1661';  et  à  Paris,  sur  le 
tbéâtre  du  Palais-Rojal ,  ie  4  noyembre  de  la  même  année. 


i 


AU  ROI. 


Sire, 

TxJovTE  Une  scène  à  la  comédie;  et  ç^est  une  espèce 

de  fâcheux  assez  insupportable  <]u'un  homme  qm  dédie 

• 

un  Ëvre.  Votre  majesté  en  sak  des  nouvelles  plus  que  per- 
ionne  de.  son  royau  me ,  et  ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  qu  elle 
se  voit  en  butte  à  la  furie  des  épttres  dédicatbires.  Mais, 
bien  que  je  suive  l'exemple  des  autres,  et  me  mette  moi- 
même  au  rang  de  ceux  que  j'ai  joués,  j'ose  dire  toutefois 
à  votre  majesté  que  ce  que  j'en  ai  fait  n'est  pas  tant  pour 
lui  présenter  un  livre  que  pour  avoir  lieu  de  lui  rendre 

m 

grâces  du  succès  de  cette  comédie.  Je  le  dois,  Sire,  ce 
succès  qui  a  passé  mon  attente,  non-seulement  à  cetle 
glorieuse  approbation  dont  votre  majesté  Jionora  d'abord 
la  pièce^  et  qui  a  entraîné  si  hautement  celle  de  tout  le 
monde,  mais  encore  à  l'ordre  qu'elle  me  donna  d'y  ajouter 
un  caractère  de  fâcheux  dont  elle  eut  la  bonté  de  m'ouvrir 
les  idées  elle-même,  et  qui  a  été  trouvé  partout  le  plus 
beau  morceau  de  l'ouvrage.  11  tàul  avouer,  Sire,  que  je 


i88  ÈPITRE  DÉDICATOIRE. 

n^ai  jamais  rien  Êiit  avec  tant  de  Ëicilité,  ni  si  prompte- 
ment,  que  cet  endroit  où  votre  majesté  me  commanda  de 
trayailler.  J'ayois  une  joie  à  lui  obéir  qui  me  valoit  bien 
mieux  qu^Apollon  et  toutes  les  muses  ;  et  je  conçois  par-là 
ce  que  je  serois  capable  d  exécuter  pour  tine  comédie  en- 
tière, si  j'étois  inspiré  par  de  pareils  commandements. 
Ceux  qui  sont  nés  en  un  rang  élevé  peuvent  se  proposer 
llionneur  de  sefirir  votre  majesté  dans  les  grands  emplois; 
mais  pour  moi^^oute  la  gloire  où  je  puis  aspirer,  cVst  de 
la  réjouii^.  Je  borne  là  Tambition  de  mes  souhaits  ;  et  je 
crois  qu'en  quelque  façon  ce  n'est  pas  êtte  inutile  ai  la 
France  que  de  contribuer  en  quelque  chose  au  divertisse* 
ment  de»spïi  roi.  Quand  je  ny  réussirai  pas,  ce  ne  s^â 
jamais  par  un  défaut  de  zèle  ni4l'étude,  mais  seulement 
par  un  mautais  destin  qui  suit  assez  souvent  les  meillenres 
intentions,  et  qui  sans  doute  affligeroit  sensiblement, 

•i 

Slft£, 

De  Vôtre  majesté 


le  très-humble ,  trés^béissant 
et  trés-Aièlei^serTiteiir, 

MOLIÈRE. 


SUR  L'ÉCOLE  DES  MARIS.        i8l 

tÈtAttèren  et  à  leurs  projets;  c'est  ua  des  premiers  modèles 
du  genre  dramatique  dans  les  temps  md&emes.  Maïs  un  tel 
sujet  pouvoit-il  convenir  à  un  théâtre  ^puré?  tlne  femme 
marië^  detoît-elle  jr'ètre  offerte  dans  cette  situation?  Ne  se 
dëgradoit-elle  pas  en  faisant  de  pareilles  avances  à  un  homme 
dont  elle  n'ëtoit  ni  aimëe,  ni  même  connue?  Lope  de  Vega ^  là 
pins  grand  poète  dramatique  de  l'Espagne,  fut  le  premier  qui, 
sentant  l'eicellent  fonds  de  cette  nouvelle,  chercha  les  moyens 
d'en  faire  une  comédie  que  les  honnêtes  gens  pussent  voir  sans 
scandale.  Yoidi  les  principales  conceptions  de  la  DiscretAi 
ENAifo&ADA,  qui  a  beaucoup  servi  à  Molière. 

Un  vieillard  a  la  igiblesse  d'aimer  une  jeune  personne  :  il 
ignore  que  soiftfils  la  connoit  depuis  long-lEemps,  lui  a  fait  Ta 
i^our  9  et  que  ses  hommages  ont  été  accueillis*  La  fortune  du 
vieillard  tente  les  parents  de  la  demoiselle,  qui  la  forcent  de 
consentir  à  l'épouser.  Les  deux  amants  sont  au  désespoir;  mais 
la  jeune  personne,  qui  a  beaucoup  d'esprit,  feint  de  céder,  se 
borne  à  demander  un  délai  d'un  mois,  et  se  flatte,  non  sans 
beaucoup  d'apparence ,  qu'elle  fera  de  son  vieîkamaut  toutce 
qu'elle  voudra.  Le  jeune  homme ,  qui  ne  connoît  pas  les  des- 
seins secrets  de  sa  maîtresse ,  voyant  qu'elle  va  épouser  sUn 
pèi^ ,  n'ose  plus  la  yoir  ni  lui  parler;  ce  n'est  pas  ce  que  veut 
la  jeune  personne* 

Elle  aborde  le  vieillard  en  pleurant,  lui  ^voue  que  son  fils 
est  amoureux  d'elle ,  lui  dit  que ,  devant  être  bientôt  sa  belles 
mère ,  elle  a  cette  passion  en  horreur,  et  désire  qu'il  mette  fin 
à  ses  Importunités.  La  commission  est  faite  avec  beaucoup 
d'exactitude  :  grandes  remontrances  du  père ,  confusion  ap- 
parente du  fils,  qui  devine  facilement  les  intentions  secrètes 
de  sa  maîtresse.  D'après  les  indications  que  lui  donne  son 
père,  il  continue  ses  relations  amoureuses.  Le  vieillard|  averti 


i6a  RÉFLEXIONS. 

de  nouveau 9  lui  fait  les  plus  sanglants  reproches,  et  le  force 
à  venir  faive  ses  excttees  à  sa  Lelle-mère  future.  Il  s'y  rend  avec 
joie  y  mais  feignant  d'y  être  contraint. 

^  En  prësence  de  son  père,  il  se  jette  aux  genoux  de  sa  maî- 
tresse y  qui  lui  donne  sa  main  à  baiser.  Le  jeune  homme,  animé 

par  cette  faveur,  lui  demande  tout  bas  s'il  ne  pourroit  trouver 

* 

les  moyens  de  l'embrasser  :  la  demoiselle ,  totjours  aussi 
adroite  que  hardie,  lui  répond  que  la  chose  sera  facile ,  et  que 
le  vieillard  en  est  réduit  à  tout  voir  sans  rien  croire.  Elle  feinS 
de  tomber,  son  amant  vole  à  son  secours ,  et  obt^nXâftns peine, 
sous  les  yeux  de  son  rival,  le  baiser  qu'il  avoit  désiré.  Après 
une  intrigue  assez  embrouillée,  le  vîeil^^*d  découvre  tout,  et 
permet  le  mariagé^e  son  fils.  4)        * 

Cette  pièce,  où  Ton  trouve  le  germe  du  second  acte  de 
L'ËcbLE  DES  Maris,  et  principalement  de  la  scène  charmante 
qui  le  termine,  manque  de  décence  dans  les  détails  :  Hutriglie 
est  obscure  et  compliquée ,  et  le  comique  n'est  pas  assez  fort. 

Au  commencement  de  l'année  où  Molière  donna  l'EcSle 
DBS  Maris,  il  narut  une  mauvaise  comédie  intitulée  :  laJPemme 
INDUSTRIEUSE,  OÙ  l'autcur  scmbloit  avoir  abandonné  les  con- 
oeptionf  heureuses  de  Lope  de  Vega  pour  retomber  dans  l'in- 
décence de  Bocace.  On  n'en  pari eroit  point,  s'il  u'ctoiipas 
probable  que  Molière  y  a  puisé  une  intention  comique. 

Une  femme  mariée,  devenue  amoureuse  d'un  écolier  dont 
elle  n'est  pas  même  oonnue ,  s'adresse  au  précepteur  de  ce 
jeune  homme ,  et  se  pi idnt  qu'il  est  venu  lui  parler  d'amour 
sous  ses  fenêtres.  L'écolier,  d'abord  étonn'^  bmû&  soiipçoiuiant 
les  intenfîons  de  la  dame,  vole  à  sa  ma'  ni  cl(>  mari 

l'empêche  d'entrer  :  ils  ont  une  scène  d.  le  itOw  t* 

homme,  présumant  que  la  dame  peut  -.  parle  dt^ 

manière  à  lui  faire  croire  qu'il  l'aime.  Cette  dame ,  enchantée 


SDR  L'ECOLE  DES  MARIS. 


)83 


da  son  succès ,  se  sert  du  même  moyen  qae  Phëroîne  de 
Bocace,  accuseVëcolier  d'avoir  voulu  pénëtrer  daus  sa  cham- 
bre, et  lui  en  fait  ainsi  connoître  les  moyens.  Le  rendez-vous 
a  lieu;  maïs  le  mari  surprend  les  amants;  etîa  dame^  qui  no 
perd  point  la  tête,  lui  fait  croire  que  c'est  un  revenant. 

La  seule  id^e  que  Molière  a  pu  puiser  dans  cettj^  farce ,  est 
celle  de  l'entretien  à  double  sens  de  Valère  et  d'Isabelle ,  qui 
n'y  est  que  bien  foiUement  indiqué» 

Maintenant,  après  avoir  examine  toutes  ees  sources  y  on  peut 
se  £iiie  nneidléc[du  gënie  de  Molière  par  le  parti  qu'il  en  a  tire. 

L'intervention  d'un  personnage  indifférent,  comme  dans 
Bocace  et  dans  Doriq^n,  ne  pouvoit  lui  convenir;  d'un  autre 
cote,  un f  ère  dope  et  bafoué  par  sou  fils,  comme  dans  Lope 
deTega,  lui  pâroissoit  peu  susceptible  de  comique  :  cette  cou- 
ception  ne  pouiboit  entrer  que  dans  le  sujiit  de  l'Avare.  Il  fai- 
loitdonc  un  caractère  comme  celui  de  Sganarefle,  un  tuteur 
Iherohant  à  profiter  injustement  d'ua  testament  pour  épouser 
une  jeune  fille  dont  il  est  détesté.  Ce  personnage  pouvoir  être 
tourné  en  ridicide  sans  blesser  les  bienséances. 

Mais  un  trait  de  génie  qu'on  ne  sau^oit  trop  admirer,  est 
d'avoir  joint  à  ce  sujet  la  belle  conception  des  Adelphes.  Quel 
(Joil^ste  entre  les  deux  frères  !  quels  beaux  développements! 
quelle  science  profonde  du  cœur  humain  ! 

Les  détails  ne  sont  pas  moins  admiraVle%  Le  personnage 
d'Ariste  est  le  modèle  de  ces  caractères  sages  et  modérés  que 
Molière  mit  souvent  en  opposition  avec  lès  rôles  passionnés , 
et  dont  la  philosophie  se  renferme  en  ces  mots  :  Ne  quid  nimU. 
Ce  fut  pour  la  première  fois  qu'il  développa  cette  philosophie 
qui  étoit  la  sienne. 

Isabelle  est  très-dépeute ,  quoique  sa  conduite  ne  soit  rien 
moins  que  régulière.  Elle  s'excuse  plusieurs  fois  sur  i'extrë- 


i84    RÉFLEXIONS  SUR  UÊCOLE  DES  MARIS. 

oiité  qui  la  force  â  fraochîr  les  bornes  de  la  réçerve  pre&erite  4 
son  sexe  ;  elle  ne  se  décide  à  faire  des  avances  à  Valère  que  parce 
qu'elle  sera  obligée  d'épouser  Sgan^reUe  dans  six  jours.  Toute 
redresse  et  toutl'espritique  la  captivité  et  la  contrainte  ppuvfiqt 
donner  à  une  jeune  fille  se  développent  dans  ce  rôle,  La  scène 
où  elle  remet  à  son  tuteur  le  paquet  cacheté  est  surtout  admi- 
rable; la  pudeur  qu'elle  affecte,  l'observation  qu'elle  fait  à 
Sganarelle  pour  l'empêcher  d'ouvrir  ce  paquet,  soutdans  soq 
caractère  et  dans  sa  situation  :  rien  n'est  plus  tbéàtralt 

Lèonor  forme  un  excellent  contraste  avec  Isabelle  :  elle  se 
iWre  aux  plaisirs  de  son  âge,  mais  sa  conduite  est  irrépro- 
chable :  autant  sa  sosur  a  d'horreur  pour  Sganarelle,  autant 
elle  chérit  un  tuteur  qui  l'a  élevée  avec  douceueet  irittulgenoe, 
et  qui  n'est  ennemi  ni  d'une  parure  décente,  ni  des  distractions 
honnêtes  qu'unie  jeune  personne  peut  se  permettre  ;  o'étoit 
l'unique  situation  au  théâtre  où  l'on  pût  se  permettre  die  pré- 
senter une  fille  de  cet  âge  recevant  les  soins  d'un  vieillard,  ci 
l'aimant  sincèrement» 

Ergaste,  dont  le  rôle  est  court,  mais  très- comique,  pré- 
tente un  valet  de  cis  siècle ,  qui ,  confident  des  amours  de  sod 
maître,  lui  donne  des  conseils  et  le  sert  dans  sou  intrigue. 
Lisette  est  peut-être  un  peu  libre;  mais  telles  étaient  les^u* 
brettes  prises  dans  la  classe  du  peuple  :  la  décence  étott  plus 
dans  leur  condi^te  ^ue  dans  leurs  paroles. 

Enfin  le  dénouement  de  ce  chef-d'œuvre  est  un  des  meilleurs 
gui  existent  dans  Ta  comédie  :  il  n'exige  point  d'explication, 
n'entraîne  point  de  longueurs  :  la  présence  seule  de  Léonor 
ei  dlsabelle  suffit  pour  montrer  à  Sganarelle  qu'il  est  trompé. 

Le  Prince  jaloux  avoit  répandu  quelques  nuages  sur  la  répu- 
dia naissante  de  Molière;  l'École  des  Maeis  les  dissipa  ;  et 
ee  grand  homme  reprit  dans  l'opinion  la  place  qu'il  mériloit. 


|i      »    I  mifm 


AVERTISSEMENT. 


J  AHAis  entreprise  au  théâtre  ne  fut  si  précipitée  que 
celle-ci  ;  et  c'est  une  chose,  je  crois,  toute  nouvelle ,  qu'une 
comédie  ait  été  conçue,  faite,  apprise  et  représentée  en 
quinze  jours.  Je  ne  dis  pas  cela  pour  me  piquer  de  T/m- 
promptUf  et  en  prétendre  de  la  gloire,  mais  seulement 
pour  prévenir  certaines  gens  qui  pourrolent  trouver  à 
redire  que  je  n'aie  pas  mis  toutes  les  espèces  de  fâcheux 
qui  se  trouvent.  Je  sais  que  le  nombre  en  est  grand  et  à  la 
cour  et  dans  la  ville,  et  que,  sans  épisodes,  j'eusse  bien 
pu  en  composer  une  comédie  de  cinq  actes  bien  fournis, 
et  avoir  encore  de  la  matière  de  reste.  Mais,  dans  le  peu 
de  temps  qui  me  lut  donné,  il  m'étoit  Impossible  de  faire 
un  grand  dessein,  et  de  rêver  beaucoup  sur  le  choix  de  mes 
prsonnages  et  sur  la  disposition  de  mon  sujet.  Je  me  ré- 
doisb  donc  à  ne  toucher  qu'un  petit  nombre  d'importuns  ; 
et  je  j»îs  ceux  qui  s'offrirent  d'abord  à  mon  esprit,  et  que 
je  crus  les  plus  propres  à  réjouir  les  augustes  personnes 
devant  qui  j'avois  à  paroître  :  et,  pour  lier  promptemènt 
toutes  ces  choses  ensemble,  je  me  servis  du  premier  nœud 
que  je  pus  trouver.  Ce  n'est  pas  mon  dessein  d'examiner 
maintenant  si  tout  cela  pouvoit  être  mieux ,  et  si  tous  ceux 
qui  s'y  sont  divertis  ont  ri  selon  les  règles.  Le  temps  vien- 
dra de  faire  imprimer  mes  remarqtles  sur  les  pièces  que 


190  AVERTI  S  S  E  M  EN  T. 

j^aurai  faites;  et  je  ne  désespère  pa5  de  faire  vt)ir  un  jour, 
en  grand  auteur,  que  je  puis  citer  "Afîstdte  et  Horace.  En 
attendant  cet  examen,  (jui  peut-être  ne  viendra  point,  je 
m'en  remets  assez  aux  décisions  de  la  multitude,  et  je 
tiens  aussi  difficile  de  combattre  un  ouvrage  que  le  public 
approuve  que  d'en  défendre  un  qu'il  condamne. 

Il  n'y  a  personne  qui  ne  sache  pour  quelle  réjouissance 
la  pièce  fut  composée  ;  et  cette  fête  a  fait  un  tel  éclat ,  qu  il 
n  est  pas  nécessaire  d'en  parler  :  mais  il  ne  sera  pas  tors 
de  propos  de  dire  deux  .paroles  des  ornements  quon  a 
mêlés  avec  la  comédie. 

Le  dessein  étoît  Je  donner  un  ballet  aussi  ;  et ,  comme  il 
ny  avoit  qu'un  petit  nombre  choisi  de  danseurs  excel- 
lents, on  fut  contraint  de  séparer  les  entrées  de  ce  ballet, 
et  lavis  fut  de  les  jeter  dans  les  entr'actes  de  la  comédie, 
afin  que  ces  intervalles  donnassent  temps  aux  mêmes 
baladins  de  venir  sous  d'autres  habits;  de  sorte  que, 
pour  ne  point  rompre  aussi  le  fil  de  la  pièce  par  ces  ma- 
nières d'intermèdes,  on  s'avisa  de  les  coudre  au  sujet  du 
mieux  que  l'on  put,  et  de  ne  faire  qn  une  seule  chose  du 
ballet  et  de  la  comédie  :  mais  comme  le  temps  étoit  fort 
précipité,  et  que  tout  cela  ne  fut  pas  réglé  entièrement 
par  une  même  tête,  on  trouvera  peut-être  quelques  en- 
droits du  ballet  qui  n  entrent  pas  dans  la  comédie  aussi 
naturellement  que  d'autres.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  un 
mélange  qui  est  nouveau  pour  nos  théâtres,  et  dont  on 
pourroit  chercher  quelques  autorités  dans  Tantiquité  ;  et 
comme  tout  le  monde  Fa  trouvé  agréable,  il  peut  servir 


AyOïlSSEMENT.  rgi 

d'idée  à  d'autres  choses  qui  pourroien  t  être  méditées  avec 
plus  de  loisir. 

D'abord  que  la  toile  fiit  levée,  un  des  acteurs,  comme 
vous  pourriez  dire  moi ,  parut  sur  le  théâtre  en  habit  de 
ville,  et,  s'adressant  au  roi  avec  le  visage  d'un  homme 
surpris,  fit  des  excuses  en  désordre  de  ce  qu'il  se  trouvoit 
là  seul ,  et  manquoit  de  temps  et  d'acteurs  pour  donner  â 
sa  majesté  le  divertissement  qu'elle  sembloit  attendre.  En 
même  temps,  au  milieu  de  vingt  jets  d'eau  naturels,  s'ou- 
vrit cette  coquille  que  tout  le  monde  a  vue;  et  l'agréable 
naïade  qui  parut  dedans  s'avança  aulxH^du  théâtre,  et 
d'un  air  héroïque  prononça  les  vers  que  M.  Pellisson  avoit 
faits,  et  qui  servent  de  prologue. 


3 


PROLOGUE. 

Le  théâtve  représente  un  jardin  orné  de  termes  et  de  plusieurs 

jets  d  ean. 

vieiE  HÀÎÀDE,  sortant  des  eaux  dans  une  coquille. 

ir  ouR  voir  en  ces  beaux  lieux  le  plus  grand  roi  du  monde , 

Mortels ,  je  viens  à  vous  de  ma  grotte  profonde. 

Faut-il ,  en  sa  faveur,  que  la  terre  ou  que  Teau 

Produisent  à  vos  yeux  un  spectacle  nouveau  ? 

Qu'il  parle,  ou  qu*il  souhaite,  il  n  est  rien  d'impossible. 

Lui-même  n*est-il  pas  un  miracle  visible  ? 

Son  règne ,  si  fertile  en  miracles  divers , 

N'en  demande-t-il  pas  à  tout  cet  univers?- 

Jeune,  victorieux,  sage,  vaillant,  auguste. 

Aussi  doux  que  sévère ,  aussi  puissant  que  juste; 

Régler  et  ses  États  et  ses  propres  désirs  ; 

Joindre  aux  nobles  travaux  les  plus  nobles  plaisirs  ; 

En  ses  justes  projets  jamais  ne  se  méprendre; 

Agir  incessamment ,  tout  voir  et  tout  entendre  ; 

Qui  peut  cela  peut  tout  :  il  n*a  qu'à  tout  oser ,  . 

Et  le  ciel  à  ses  vœux  ne  peut  rien  refuser. 

Ces  termes  marcheront ,  et ,  si  Louis  l'ordonne , 

Ces  arbres  parleront  mieux  que  ceux  de  Dodone. 

Hôtesses  de  leurs  troncs ,  moindres  divinités , 

C'est  Louis  qui  le  vent ,  sortez ,  njmphes ,  sortez  ; 

Je  vous  montre  l'exemple  :  il  s'agit  de  lui  plaire.' 

Quittez  pour  qilelque  temps  votre  forme  ordinaire , 

Et  paroissons  ensemble  aux  yeux  des  spectateurs 

Pour  ce  nouveau  théâtre  autant  de  vrais  acteurs. 

Plusieurs  drytides,  accompagnées  de  faunes  et  de  satyres,  sorteut  des 

arbres  et  des  termes. 


PROLOGUE.  Ï93 

Yons ,  soin  de  aeft  sujets ,  sa  plus  oharniaiite  ëtuâof 
Héroïque  souci ,  rojale  inquiétude , 
Laissez-le  respirer,  et  souffrez  qu*un  moment 
Son  grand  cœur  s'abandonne  au  divertissement. 
Vous  le  verrez  demain ,  d-'une  force  nouyéile , 
Sous  le  fardeau  pénible  où  votre  voix  Tappelle  ^ 
Faire  obéir  les  lois ,  partager  les  bienfaits , 
Par  ses  propres  conseils  prévenir  vos  souhaits , 
Maintenir  l'univers  dans  une  paix  profonde , 
Et  s'ôter  le  repos  pour  le  donner  au  monde* 
Qu'aujourd'hui  tout  lui  plaise ,  et  ëémblé  consentir 
A  l'unique  dessein  de  le  bien  divertir* 
Fâcheux,  retirez-vous;  ou,  s'il  faut  qu'il  vous  voie. 
Que  ce  soit  seulement  pour  exqiter  sa  joie. 

La  môade  emmène  avec  ellje,  pour  la  comédie,  une  partie  des  gens  qu'elle  a 
fait  paroitre,  pendant  que  le  reste  se  met  à  danser  aa  son  des  hautbois 
qui  se  joignezit  aux  violons. 


MoLikaE.  a.  i3 


t*i 


f 

( 


PERSONNAGES  DE  LA  COMÉDIE. 

DAMIS,  tuteur  d'Orphise. 
ORPHISE. 

ËRASTE,  amoureux  d'Orphise. 

ALCIDOR, 

LISANDRE, 

ALCANDRE, 

ALCIPPE, 

ORANTE, 

CLIMÈNE,     ^  ^''^®'*'^- 

DORANTE, 

CARITID£S, 

ORMIN, 

FILINTE, 

LA  MONTAGNE,  valet  d'Èrastè. 

L'ÉPINE,  valet  de  Daniis. 

LA  RIVIÈRE,  et  deux  autres  valets  d'Ëraste. 

PERSONNAGES  DU  BAtLET. 

Premier  acte.  P^^^^*^^=  ^^^^ 

CURIEUX. 

JOUEURS  DE  BOULE. 
_  _  ,   FRONDEURS. 

occond  acte,  i 

SAVETIERS  ET    SAVETIÈRES.  \ 


I 
UN  JARDINIER. 


SUISSES. 

Troisième  acte. ^  quatre  bergers. 

UNE   BERGÈRE. 

La  scène  est  \  Paris. 


LES  FACHEUX. 


^«<^»^»#«l^^i^»^i^'^'<^«^<^'^^'*S^'^'»»>^'«^*^«^«^»^l^^»^  ^«^  ^^>»^^  ^^^»^^»^ 


ACTE  PREMIER. 


SCÈNE  I. 

ÉRASTE,  LA  MONTAGNE. 

ÉRASTE. 

Sous  quel  astre,  bon  Dieu!  fautai  que  je  sois  né, 

Pour  être  de  fâcheux  toujours  assassiné! 

Il  semble  que  partout  le  sort  me  les  adresse^ 

Et  j'en  VOIS  chaque  jour  quelque  nouvelle  espèce. 

Mais  il  n'est  rien  d'égal  au  fâcheux  d'aujourd'hui  : 

J'ai  cru  n'être  jamais  débarrassé  de  lui; 

Et  cent  fois  j'ai  maudit  cette  innocente  envie 

Qui  m'a  pris,  à  dîner,  de  voir  la  comédie, 

Où,  pensant  m'égayer,  j'ai  misérablement 

Trouvé  de  mes  péchés  le  rude  châtiment 

Il  faut  que  je  te  fasse  un  récit  de  Taffaire , 

Car  je  m'en  sens  encor  tout  ému  de  colère. 

J'étois  sur  le  théâtre  en  humeur  d'écouter 

La  pièce,  qu'à  plusieurs  j'avois  ouï  vanter; 

Les  acteurs  commençoient,  chacun  prêtoit  silence 

Lorsque,  d'un  air  bruyant  et  plein  d'extravagance 

Un  homme  à  grands  canons  est  entré  brusquement 

En  criant.  Holà,  ho!  un  siège  promptement! 


7 


? 


tgg  LES  FACHEUX, 

Et,  de  son  grand  fracas  surprenant  FassemBIée, 

Dans  le  pins  bel  endroit  a  la  pièce  tronbiée. 

Hé  !  mon  Dieu  !  nos  François ,  si  souvent  redressés , 

Ne  prendront-ils  jamais  un  air  de  gens  sensés, 

Ài-je  dit,  et  faut-il,  sur  nos- défauts  extrêmes, 

Qu'en  théâtre  public  nous  nouj»  jouions  nous-mêmes, 

Et  confirmions  ainsi,  par  des  éclats  de  fous, 

Ce  que  chez  nos  Toisins  oa  dit  partout  de  nous  ! 

Tandis  que  là-dessus  je  haussois  les  épaules. 

Les  acteurs  ont  voulu  continuer  leurs  rôles  : 

Mais  l'homme,  pour  s'asseoir,  a  fait  nouveau  fracas  : 

ï!t  traversant  encor  le  théâtre  à  grands  pas. 

Bien  que  dans  les  cÂtés  il  pût  être  à  son  aise , 

Au  mUieu  du  devant  il  d  planté  sa  chaise, 

Et,  de  son  large  dos  nK)rguant  les  spectateurs  ^ 

Aux  trois  quarts  du  parterre  a  caché  les  acteurs. 

Un  bruit  s'est  élevé,  dont  un  autre  eût  en  honte  ; 

Mais  lui,  ferme  et  constant,  n  en  a  Êiit  aucun  compte 

El  se  seroit  tenu  comme  il  s'étoit  posé , 

Si,  pour  mon  infortune,  il  ne  m'eût  avisé. 

Ah!  marquis,  m'a-t-il  dit,  prenant  près  de  moi  place, 

Comment  te  portes-tu?  souffre  que  je  t  embrasse. 

Au  visage  sur  l'heure  un  rouge  m'est  monté 

Que  l'on  me  vît  connu  d'un  pareil  éventé. 

Je  l'étois  peu  pourtant;  mais  on  en  voit  paroître 

De  ces  gens  qui  de  rien  veulent  fort  vous  connoître, 

Dont  il  faut  au  salut  les  baisers  essuyer. 

Et  qui  sont  familiers  jmsqu  à  vous  tutoyer. 


) 


ACTE  I,  SCÈNE  L  197 

n  m^a  Élit  à  l'abord  cent  qiiestîoBs  fiiydids , 

Plus  haat  tpe  les  acteucs  élerànt  ses  paroks. 

Chacun  leinatuliasoit;  et  moi,  pour  rarréter,, 

Je  serois ,  ai- je  dil^^  Bîm  aise  d'écouter. 

Tu  n^as  poi st  tu  ceci ,  marq[uis  7  Ah  I  Dieu  me  danme  I 

Je  le  trouve  assez  dréle ,  et  je  n'y  âûs  pas  âne  ; 

Je  sais  par  ijàdles  lois  un  ôùyragè  est  parfait , 

Et  Comeille  ine  vient  lire  tout  ce  qu'il  fait 

Là-dessus ,  dé  la  pièce  il  ma  fait  un  Sommaire . 

Scène  à  scène  averti  de  ce  qui  s'alloît  faire, 

Et  jusque^  à  des  vers  quli  en  savoit  par  cœur. 

Il  me  les  récitoit  tout  haut  avant  Facteur. 

J'avois  beau  m^en  défendre,  il  â  poussé  isa  chance, 

Et  s'est  devers  la  fin  levé  long-temps  dWance  ; 

Car  les  gens  du  bel  air,  pour  agir  galamment , 

Se  gardent  bien  surtout  d'ouïr  le  dénoûment. 

Je  rendois  grftcé  au  ciel ,  et  croyois ,  de  justice , 

Qu'avec  la  comédie  eût  fini  mon  supplice  ;  ^ 

Mais ,  comme  si  c'en  eût  été  trop  bon  marché , 

Sur  nouveaux  frais  mon  homme  à  moi  s  est  attaché, 

M'a  conté  ses  expbits,  ses  vertus  non  communes, 

Parlé  de  ses  chevaux ,  de  ses  bonnes  fortunes , 

Et  de  ce  qu'à  la  cour  il  avoit  de  feveur, 

Disant  qu'à  m'y  servir  il  s'offi*oit-de  grand  cœur/ 

Je  le  remerciois  doucement  de  la  tété, 

Minutant  à  tous  coups  quelque  retraite  honnête  i 

Mais  lui ,  pour  le  quitter  me  voyant  ébrapJé ,. 

Sortons ,  ce  m'a-t-il  dit ,  le  monde  est  écoulée 


igS  LES  FACHEUX. 

Et,  sortis  de  ce  lieu,  me  la  donnant  plus  sèche,  ' 

Mafquis,  allons  au  cours  &ire  voir  ma  calèche  : 

Elle  est  bien  entendue ,  et  plus  d'un  duc  et  pair 

En  fait  à  mon  faiseur  Êilre  une  du  même  air. 

Moi  de  lui  rendre  grâce^  et,  pour  mieux  m'en  défendre, 

De  dire  que  j'avois  certain  repas  à  rendre. 

Ah  !  parbleu ,  j'en  yeux  être ,  étant  de  tes  amis , 

Et  manque  au  maréchal,  à  qui  fayois  promis. 

De  la  chère,  al- je  dit,  la  dose  est  trop  peu  forte 

Pour  oser  y  prier  des  gens  de  votre  sorte. 

Non,  m'a-t-il  répondu,  je  suis  sans  compliment. 

Et  j'y  vais  pour  causer  avec  toi  seulement; 

Je  suis  de  grands  repas  fatigué ,  je  te  jure. 

Mais  si  Ton  vous  attend,  ai- je  dit,  c^est  injure. 

Tu  te  moques,  marquis;  nous  nous  connoissons  tous, 

Et  je  trouve  avec  toi  des  passe-temps  plus  doux. 

Je  pestois  contre  moi ,  l'âme  triste  et  confuse 

Du  funeste  succès  qu  avoit  eu  mon  excuse , 

Et  ne  savois  à  quoi  je  devols  recourir 

Pour  sortir  d^une  peine  à  me  faire  mourir, 

Lorsqu'un  carrosse  &it  de  superbe  manière, 

Et  comblé  de  laquais  et  devant  et  derrière, 

S'est  avçc  un  grand  bruit  devant  nous  arrêté. 

D'où  sautant  un  jeune  homme  amplement  ajusté, 

Mon  importun  et  lui,  courant  à  1  embrassade, 


»  ■  <i' 


'  Ancienne  expression  proverbiale-  qui  signifioit ,  mtnilr  am 
impudence» 


ACTE  I,  SCÈNE  L  ^99 

Ont  surpris  les  passants  de  leur  brusque  incartade  : 
Et ,  tandis  que  tous  deux  étoient  précipités 
Dans  les  convulsions  de  leurs  civilités, 
Je  me  suis  doucement  esijuivé  sans  rien  dire  ; 
Non  sans  avoir  long-temps  gémi  d'un  tel  martyre, 
Et  maudit  le  fâcheux  dont  le  zèle  obstiné 
M'ôtoit  au  rendez-vous  qui  m'est  ici  donné. 

LÀ  M0NTAGI7E. 

Ce  sont  chagrins  mêlés  aux  plaisirs  de  la  vie. 
Tout  ne  va  pas,  monsieur,  au  gré  de  notre  envie. 
Le  ciel  veut  qu'ici  bas  chacun  ait  ses  fâcheux. 
Et  les  hommes  seroient  sans  cela  trop  heureux. 

J^RASTE. 

Mais  de  tous  mes  fâcheux  le  plus  fâcheux  encore. 
C'est  Damis ,  le  tuteur  de  celle  que  j'adore , 
Qui  rompt  ce  qu'à  mes  vœux  elle  donne  d'espoir, 
Et  malgré  ses  bontés  lui  défend  de  me  voir. 
Je  crains  d'avoir  déjà  passé  l'heure  promise; 
Et  c'est  dans  cette  allée  où  devoit  être  Orphise. 

LA    MONTAGNE. 

L'heure  d'un  rendez-vous  d'ordinaire  s'étend, 
Et  n'est  pas  resserrée  aux  bornes  d'un  instant. 

ÉRASTE. 

D  est  vrai  :  mais  je  tremble  ;  et  mon  amour  extrême 
D'un  rien  se  fiiit  un  crime  envers  celle  que  j'aime. 

LA   MONTAGNE. 

Si  ce  par&it  amour  que  vous  prouvez  si  bien 
Se  Élit  vers  votre  objet  un  grand  crime  de  rien , 


aoo  I^ES  FACHEUX. 

« 

Ce  que  ^  pœu^  pour  Yom  sent  de  feux  IdgitÎBivs 
En  revanche  l)ii  6it  un  rien  de  tpii^  vp§  crimes^ 

SRASTS.  - 

Mais  tout  Aq  bon  j  croû 4u  ^e  je  sois  d'elle  «une? 

cà  montagitx. 
Quoi!  TOUS  doutez  enccnr  d'un  avour  confirmé? 

ERASTE. 

lÂhl  c'est  malaisément  qu'en  pareille  matière 
Un  cœur  bien  ^iflammé  prend  assurance  entière  : 
Il  craint  de  se  flatter ,  et ,  dans  ses  divsrs  soins  y 
Ce  que  plus  il  souhaite  est  ce  qu'il  croit  le  moins. 
Mais  songeons  à  trouver  une  beauté  si  rare. 

LA   MONTAGNE. 

Monsieur,  votre  rabat  *  par  devant  se  sépare. 

ÉRASTE. 

N'importe. 

LA   MONTAGNE. 

Laissez-moi  l'ajuster,  sll  vous  platt. 

ÉRASTE. 

Ouf!  tu  m'étrangles;  fet,  laisse-le  comme  il  est. 

LA   MONTAGNE. 

Souffrez  qu'on  peigne  un  peu. . . 

ÉRASTE. 

Sottise  sans  pareille! 
Tu  m  as  d'un  coup  de  dent  presque  emporté  Foreille. 


^  Rabat  j  pièce  de  toile ,  de  mûtisielme  ou  de  dentelle ,  qoe  ^^ 
hommes  mettoient  Ru^ur  du  cou*. 


ACTE  I,  SCÈNE  I.  aoi 

LÀ   MONTAGNE. 

Vos  canons*.. 

Laisse-les;  tu  prends  trop  de  soucL 

LA   ICOVTAèNE. 

Ils  sont  tout  cliiffi)nnés. 

'  J«  yeux  qu  ils  soient  ainsi. 

LA   MOIÏTAÔNE. 

Accordez-moi  du  ïnoins,  par^râce  singulière, 

De  frotter  ce  chapeau  qu'on  volt  plein  de  poussière. 

ERASTE. 

Frotte  donc,  puisqu'il  faut  que  j'en  passe  p^-là. 

LA   MONTAGNE. 

Le  voulez-vous  porter  fait  comme  le  voilà? 

ÉRASTE. 

Mon  Dieu  !  dépêche-toi. 

LA    MONTAGNE. 

Ce  iieroit  conscience. 

É  R A STE I  ^près  avoir  attendu. 

C'est  assez. 

LA    I^ONTAONE. 

Donnez-vous  un  peu  de  patience. 

ËRASTE. 

Il  me  tue. 

LA   MONTAGNE. 

En  quel  lieu  vous  ête3*  vous  fourré? 


ao2  LES  FACHEUX. 

ÉRASTE. 

ï'es-tu  de  ce  chapeau  pour  toujours  emparé? 

LA   MOITTAGNB. 

C'est  &it. 

éRASTE. 

Donne-moi  donc 

LA  HONTAGITE^  laissant  ttomber  le  chapeau. 

Hail 

ÉRASTE.' 

Le  vo3à  par  terre! 
Je  suis  fort  avancé.  Que  la  fièvre  te  serre  I 

LA   MONTAGNE. 

Permettez  qu'en  deux  coups  j'ôte. . . 

ERASTE. 

Il  ne  me  plait  pas. 
Au  diantre  tout  valet  qui  vous  est  sur  les  bras , 
Qui  fatigue  son  maître,  et  ne  fait  que  déplaire 
A  force  de  vouloir  trancher  du  nécessaire! 

SCÈNE  IL 

ORPfflSE,  ALCroOR,  ÉRASTE,  LA  MONTAGNE. 

(Orphise  traverse  le  fond  du  théâtre;  Alcidor  lui  donne 

la  main.) 

ÉRASTE. 

Mais  vois-je  pas  Orphise?  Oui ,  c'est  elle  qui  vient. 
Oii  vâ-t-elle  si  vite?  et  quel  homme  la  tient? 

(Il  la  salue  comme  elle  passe;  et  elle,  en  passant,  détourne 

la  tête.) 


ACTE  I,  SCÈNE  IIL  ao3 

SCÈNE  IIL 

ÉRASTE,  LA  MONTAGNE. 

ÉRASTE. 

Quoi  !  me  voir  en  ces  lieux  devant  elle  paroître, 
Et  passer  en  feignant  de  ne  me  pas  connoitre  ! 
Que  croire?  Qu'en  dis-tu?  Parle  donc,  si  tu  veux. 

LA    MONTAGNE. 

Monsieur,  je  ne  dis  rien,  de  peur  d'être  fâcheux. 

ÉRASTE. 

Et  c'est  l'être  en  effet  que  de  ne  me  rien  dire 
Dans  les  extrémités  d'un  si  cruel  martyre. 
Fais  donc  quelque  réponse  à  mon  cœur  abattu  : 
Que  dois-je  présumer?  Parle,  qu'en  penses-tu? 
Dis-moi  ton  sentimenL 

LA   MONTAGNE. 

Monsieur,  je  veux  me  taire, 
Et  ne  désire  point  trancher  du  nécessaire. 

ÉRASTE. 

Peste  l'impertinent!  Va-t'en  suivre  leurs  pas; 
Vois  ce  qu'ils  deviendront ,  et  ne  les  quitte  pas. 

LA   MONTAGNE,  revenant  sur  ses  pas. 

Il  faut  suivre  de  loin  ? 

ÉRASTE. 

,Oui. 

LA  MONTAGNE,  revenant  sur  ses  pas. . 

Sans  que  Ton  me  voie , 
Ou  Élire  aucun  semblant  qu  après  eux  on  m  envoie? 


»o4  LES  FACHEUX. 

éraste; 

Non,  tu  feras  bien  mieux  de  leur  donner  ayls 
Que  par  mon  ordre  exprès  ils  sont  de  toi  suivis. 

LA   MONTA  Gif  E ,  revenant  sur  ses  pat. 

Vous  trotrveraî-je  ici? 

éRASTE. 

Que  le  cîei  te  confonde, 
Homme,  à  mon  sentiment,  le  plus  fâcheux  du  monde  1 

SCÈNE    IV. 

É  RAS  TE. 

Ah  !  que  je  sens  de  trouble!  et  qu'il  m'eût  été  doux 
Qu'on  me  leût  fait  manquer  ce  fatal  rendez-vous! 
Je  pensois  y  trouver  toutes  choses  propices , 
Et  mes  yeux  pour  mon  cœur  y  trouvent  des  supplices* 

SCÈNE   V. 

LISANDRÉ,  ÉRASTE. 

LISAITDRE. 

• 

Sous  ces  arbres  de  loin  mes  yeux  t'ont  reconnu, 

Cher  marquis,  et  d'abord  je  suis  à  toi  venu. 

Comme  à  de  mes  amis,  il  faut  que  je  te  chante 

Certain  air  que  j'ai  fait  de  petite  courante , 

Qui  de  toute  la  cour  contente  les  experts, 

Et  sur  qui  plus  de  vingt  ont  déjà  fait  des  vei*s. 

J'ai  le  bien,  la  naissance,  et  quelque  emploi  passable^ 


ACTE  I,  SCÈHE  V.  aoS^ 

Et  Êii^  figure  en  France  assez  considérable  : 
Mais  je  ne  voudrois  pas^  pour  tx)ut  ce  que  je  stlis  j 
N'avoir  point  fait  cet  air  <|u'ici  je  te  produis. 

(Il  prélude.) 

La ,  k. . .  Hem ,  hem ,  écoute  avec  soin ,  je  te  prie. 

(  Il  chante  sa  courante.  ) 

N'est-efle  pas  belle? 

ÉRASTE. 

Ah! 

IISANDRE. 

Cette  fin  est  jolie. 

(  II  rechante  la  fin  quatre  on  cinq  fois  de  ^ite.) 

Gomment  la  trouves- tu? 

ÉRASTE. 

Fort  belle  assurément. 

LISANDRE. 

Les  pas  que  j'en  ai  faits  n  ont  pas  moins  d^agrément, 
Et  surtout  la  figure  a  merveilleuse  grâce. 

(  Il  chante ,  parle  et  4ai^se  tout  ensemble. } 

Tiens,  lliomme  passe  ainsi,  puis  la  femme  repasse: 
Ensemble  ;  puis  on  quitte,  et  la  femme  vient  là. 
Vois-tu  ce  petit  trait  de  feinte  que  voilà? 
Ce  fleuret?  ces  coupés,  courant  après  la  belle? 
Dos  à  dos ,  face  à  face ,  en  se  pressant  sur  elle. 
Que  t'en  semble,  marquis? 

lêRASTE. 

Tous  ces  pas -là  sont  fins. 


aoô  LES  FACHEUX. 

LISANDRB. 

Je  me  moque,  pour  moi,  des  maîtres  baladins.' 

Mraste. 
On  le  voit. 

LISÀNDRE. 

Les  pas  donc? 

ERASTE. 

N'ont  rien  qui  ne  surprenne. 

LISAIfDRE. 

Veux-tu  par  amitié  que  je  te  les  apprenne? 

ÉRASTE. 

Ma  foi ,  pour  le  présent ,  j^ai  certain  embarras.  « . 

LISANDRE. 

Hé  bien  donc,  ce  sera  lorsque  tu  le  voudras.  . 

Si  j'avois  dessus  moi  ces  paroles  nouvelles, 

Nous  les  lirions  ensemble,  et  verrions  les  plus  belles. 

ÉRASTE. 

One  autre  fois. 

LISANDRE. 

Adieu.  Baptiste  le  très-cher 
N'a  point  vu  ma  courante,  et  je  le  vais  chercher  : 
Nous  avons  pour  les  airs  de  grandes  sympathies , 
Et  je  veux  le  prier  d'y  faire  des  parties. 

(  Il  s'en  ya  chantant  toujours.  ) 
J  Maîtres  baladins  ,  pour  maîtres  de  ballets. 


ACTE  I,  SCÈNE  VL  307 

SCÈNE   VL 

ÉRASTE. 

Ciel!  faut-il  que  le  rang^  dont  on  veut  tout  couvrir^ 
De  cent  sots  tous  les  jours  nous  oblige  à  souffirir, 
Et  nous  fasse  abaisser  jusques  aux  complaisances 
D applaudir  bien  souvent  à  leurs  impertinences! 

SCÈNE  Vil. 

ÉRASTE,  LA  MONTAGNE. 

LA   MONTAGNE. 

Monsieur,  Orpbise  est  seule,  et  vient  de  ce  c6të. 

ÉRASTE. 

Ah!  d'un  trouble  bien  grand  je  me  sens  agité  ! 
•Tai  de  Famour  encor  pour  la  belle  inhumaine , 
Et  ma  raison  voudroit  que  j'eusse  de  la  haine. 

LA   MONTAGNE. 

Monsieur,  votre  raison  ne  sait  ce  qu'elle  veut. 
Ni  ce  que  sur  un  cœur  une  maîtresse  peut. 
Bien  que  de  s'emporter  on  ait  de  justes  causes, 
Une  belle  d'un  mot  rajuste  bien  des  choses. 

ERASTE. 

Hélas!  je  te  Tavoue,  et  déjà  cet  aspect 
A  toute  ma  colère  imprime  le  respect* 


ao8  LES  FACHEUX. 

SCÈNE   VIII. 

ORPHISE,  ÉRASTE,  LA  MONTAGNE. 

ORI^HISE. 

Votre  front  à  mes  yeux  montre  peu  d'allégresse  ! 
Seroit-ce  ma  présence,  Eraste,  qui  vous  blesse? 
Qu'est-ce  donc?  qu'avez-vous?  et  sur  quels  déplaisirs, 
Lorsque  vous  me  voyez,  poussez-vous  des  soupirs? 

ÉRASTE. 

Hélas  !  pouvez-vous  bien  me  demander,  cruelle^ 
Ce  qui  fait  de  mon  cœur  la  tristesse  niortelle? 
Et  d'un  esprit  méchant  n'est-ce  pas  un  eSst , 
Que  feindre  d'ignorer  ce  que  vous  m'avez  fait? 
Celui  dont  l'entretien  vous  a  &it  à  ma  vue 
Passer. . . 

ORPHISE,  riant. 

C'est  de  cela  que  votre  âme  est  émue? 

ÉRASTE. 

Insultez ,  inhumaine ,  encore  à  mon  malheur  : 
Allez ,  il  VOUS  sied  mal  de  railler  ma  douleur, 
Et  d'abuser,  ingrate,  à  maltraiter  ma  flamme^ 
Du  foible  que  pour  vous  vous  savez  qu'a  mon  âme. 

ORPHISE. 

Certes,  il  en  faut  rire,  et  confesser  ici 
Que  vous  êtes  bien  fou  de  vous  troubler  ainsi. 
L^homme  dont  vous  parlez,  loin  qp'il  puisse  me  plaire, 
Est  un  homme  fâcheux  dont  j'ai  su  me  dé&ire. 


ACTE  I,  SCÈNE  VIII.  aog 

Un  de  ces  importuns  et  sots  officieux 

Qui  ne  pourroient  souffirir  qu'on  soit  seule  eii  des  lieuz^ 

Et  yiennent  aussitôt,  avec  un  doux  langage^ 

Vous  donner  une  main  contre  qui  Ton  enrage. 

J'ai  feint  de  m^en  aller  pour  cacher  mon  dessein , 

Et  jusqu'à  mon  carrosse  il  m'a  prêté  la  main. 

Je  m'en  suis  promptement  défaite  de  la  sorte  ; 

Et  j'ai,  pour  vous  trouver,  rentra  par  Fautre  porte» 

ÉRASTE. 

A  Vos  discours,  Orphise,  a  jouterai- je  foi? 
Et  votre  cœur  est-il  tout  sincère  pour  moi? 

ORPHISE. 

Je  vous  trouve  fort  bon  de  tenir  ces  paroleâ , 
Quand  je  me  justifie  à  vos  plaintes  frivoles. 
Je  suis  bien  simple  encore;  et  tn;a  sotte  bonté.  »  * 

ÉRASTE. 

Ah!  ne  vous  fâchez  pas,  trop  sévère  beauté.: 

Je  veux  croire  en  aveugle,  étant  sous  votre  empire , 

Tout  ce  qne  vous  aurez  la  bonté  de  me  dire. 

Trompez,  si  vous  voulez,  un  malheureux  amant; 

J'aurai  pour  vous.respect  jusques  au  monument. . .  ' 

Maltraitez  mon  amour,  refiisez-moi  le  vôtre ^ 

Exposez  à  mes  yeux  le  triomphe  d'un  autre  ; 

Oui ,  je  souffrirai  tout  de  ros  divins  appas. 

J^en  mourrai  :  mais  enfin  je  ne  m'en  plaindrai  pas. 

<  Monument^  pout  tom^eaK. 

MOLI^BE.   9.  k4 


210  LES  FACHEUX. 

ORPHISE. 

Quand  de  tels  sentiments  régneront  dans  votre  âme, 
Je  saurai  de  ma  part. . . 

•     SCÈNE  IX. 

ALCANDRE,  ORPfflSE,  ÉRASTE,  LA  MONTAGNE. 

▲  LGANDRE. 

(à  Orphisc.) 

Marquis,  un  mot.  Madame, 
De  grâce ,  pardonnez  si  ]e  suis  indiscret 
En  osant  devant  vous  lui  parler  en  secret. 

(  Orphise  sort.  )   . 

SCÈNE  X. 

ALCANDRE,  ÉRASTE,  LA  MONTAGNE. 

ÀLCAKDRE. 

Avec  peine,. marquis,  je  te  faisla  prière  : 
Mais  un  bomme  vient  là  de  me  rompre  en  visière, 
Et  je  souhaite  fort,  pour  ne  rien  reculer, 
Qu'à  rheure  de  ma  part  tu  l'ailles  appeler. 
Tu  sais  qu'en  pareil  cas  ce  seroit  avec  joie 
Que  je  te  le  rendrois  en  la  marne,  monnoie. 

ERASTE,  après  tftoir  été  qntàtpie  temps  «ans  parler. 

Je  ne  veux  point  ici  faire  le  capitan  : 
Mais  on  m'a  vu  sbldat:avant<jùef  courtisan -^ 
J'ai  servi  quat^ze  aa&y  et  je  croifrétre  «n  passe 
De  pouvoir  d'un  tel  pas  me  tirer  avec  grâce, 


ACTE  I,  SCÈNE  X.  su 

Et  de  ne  craindre  point  qu'à  quelque  lâdieté 
Le  refus  de  mon  bras  me  puisse  être  imputé.. 
Dn  duel  met  les  gens  en  mauvaise  posture; 
Et  notre  roi  n'est  pas  un  monarque  en  peinture. 
II  sait  faire  obéir  les  plus  grands  de  l'État, 
Et  je  trouve  qu'il  fait  en  digne  potentat. 
Quand  il  faut  le  servir,  j'ai  du  cœur  pour  le  faire  ; 
Mais  je  ne  m'en  sens  point  quand  il  faut  lui  déplaire. 
Je  me  fais  de  son  ordre  une  suprême  loi  : 
Pour  lui  désobéir  cherche  un  autre  que  moi. 
Je  te  parle,  vicomte,  avec  franchise  entière, 
Et  suis  ton  serviteur  en  toutte  autre  matière. 
Adieu. 

SCÈNE  XL 

ÈRASTE,  LA  MONTAGNE. 

ÉRASTE. 

Cinquante  fois  au  diable  les  fâcheux! 
Où  donc  s'est  retiré  cet  objet  de  mes  vœux? 

LA    MONTAGNE. 

Je  ne  sais. 

ÉRASTE. 

Pour  savoir  où  la  belle  est  allée , 
Va-t  en  chercher  partout  ;  j  attends  dans  cette  allée. 

FIN    DU   PREMIER    ACTB. 


•    I 


sia  LES  FACHEUX. 

BALLET  DU  PREMIER  ACTE. 

PREMIÈRE   ENTRÉE. 

Des  joaeurs  de  mail,  en  criant  gare,  obligent  Éraste  à 
se  retirer. 

SECONDE   ENTRÉE. 

Après  que  les  joueurs  de  mail  ont  fini,  Éraste  revient 
pour  attendre  Orphise.  Des  curieux  tournent  autour  de 
lui  pour  le  connoitre,  et  font  quil  se  retire  encore  pour 
tui  moment. 


LES  FACHEUX.  ai3 

« 

ACTE  SECOND. 


SCÈNE  L 

ÉRASTE. 

Lbs  fâcheux  à  la  fin  se  sont-ils  écartes? 

Je  pense  qu  il  en  pleut  ici  de  tous  côtés. 

Je  les  fiiis ,  et  les  trouve  ;  et ,  pour  second  martyre  j 

Je  ne  saorois  trouver  celle  que  je  désire. 

Le  tonnerre  et  la  pluie  ont  promptement  passé, 

Et  n'ont  point  de  ces  lieux  le  beau  monde  chassé  :    - 

Plût  au  ciel 9  dans  les  dons  que  ses  soins  y  prodiguent, 

Quils  en  eussent  chassé  tous  les  gens  qui  fatiguent! 

Le  soleil  baisse  fort,  et  je  suis  étonné 

Que  mon  valet  encor  ne  soit  point  retourné. 

SCÈNE   IL 

ALCIPPE,  ÉRASTE. 

ALCIPPE. 
BoNJOtJR. 

ÉRASTE)  à  part. 

Hé  quoil  toujours  ma  flamme  divertie! 

ALCIPPE. 

Console-moi,  marquis,  d'une  étrange  partie 
Qu'au  piquet  je  perdis  hier  contre  un  Saint  Bouvain 
A  qui  je  donneitois  quinze  points  et  la  main. 


2i4  LES  FACHEUX. 

Gesl  un  coup  enragé  qui  depuis  hier  m'dccable, 

Et  qui  feroit  donner  tous  les  joueurs  au  diable , 

Un  coup  assurément  à  se  pendre  en  public. 

Il  ne  m  en  faut  que  deux,  Fautre  a  besoin  d'un  pic  : 

Je  donne,  il  en  prend  six,  et  demande  à  refaire; 

Moi,  me  voyant  de  tout,  je  n'en  voulus  rien  &ire. 

Je  porte  l'as  de  trèfle  (admire  mon  malheur), 

L'as ,  le  roi ,  lé  valet ,  le  huit  et  dix  de  cœur; 

Et  quitte ,  comme  au  point  alloit  la  politique , 

Dame  et  coi  de  carreau,  dix  et  dame  de  pique. 

Sur  mes  cinq  cœurs  portés ,  la  dame  «rrive  eacor;, 

Qui  me  fait  justement  une  quinte  major. 

Mais*mon  homme  avec  lâs,  non  sans  surprise  extrême. 

Des  bas  carreaux  sur  table  étale  une  sixième  : 

J'en  avois  écarté  la  dame  avec  le  roi. 

Mais  lui  fallant  un  pic,  je  sorjis  hors  d'effiroi. 

Et  croyois  bien  du  moins  faire  deux  points  uniques. 

Avec  les  sept  carreaux  il  avoit  quatre  piques , 

Et,  jetant  le  dernier,  m'a  mis  dans  l'embarras 

De  ne  savoir  lequel  garder  de  mes  deux  as. 

J'ai  jeté  l'as  de  cœur,  avec  raison,  me  semble; 

Mais  il  avoit  quitté  quatre  trèfles  ensemble. 

Et  par  un  six  de  cœur  je  me  suis  vu  capbt, 

Sans  pouvoir,  de  dépit,  proférer  un  seul  mot. 

Morbleu  !  fais-moi  raison  de  ce  coup  effroyable  ; 

A  moins  que  l'avoir  vu,  peut-il  être  croyable? 

ÉRASTE. 

C'est  dans  le  jeu  qu'on  voit  les  plus  grands  coups  du  sort 


ACTE  II,  SCÈNE  II.  ai5 

ALCIPPE. 

Parbleu!  tu  jugeras  toi-*même  si  j'ai  tort, 
Et  si  c  est  sans  raison  que  ce  coup  me  transporte  ; 
Car  voici  nos  deux  jeux  (juHexprès  sur  moi  je  porte* 
Tiens,  c'est  ici  mon  port,  comme  je  te  lai  dit; 
Et  voici. .  • 

SRASTE. 

y  ai  compris  le  tout  par  ton  récit, 
Et  vois  de  la  justice  au  transport  qui  t^agite  : 
Mais  pour  certaine  affaire  il  faut  que  je  te  quitte. 
Adieu.  Console-toi  pourtant  de  ton  malheur. 

ALCIPPE. 

Qui,  moi?  j  aurai  toujours  ce  coup-là  sur  le  cœur; 
Et  c'est  pour  ma  raison  pis  qu'un  coup  de  tonnerre. 
Je  le  veux  faire ,  moi ,  voir  à  toute  la  terre.. 

Il  s'en  va ,  et  rentre  en  disant. 

Un  six  de  cœur!  Deux  points  ! 

ÉRASTE. 

En  quel  lieu  sommes-nous? 
De  quelque  part  qu'on  tourne,  on  ne  voit  que  des  fous. 

SCÈNE   III. 

ÉRASTE,  LA  MONTAGNE. 

.    ÉRASTE. 

Ah  !  que  tu  fais  languir  ma  juste  impatience  ! 

LA   MONTAGNE. 

Monsieur,  je  n^ai  pu  faire  une  autre  diligence. 


si6  LES  FACHEUX. 

Araste. 
Mais  me  rapportes-tu  quelque  nouyelle  enfin? 

LA.   MONTAGNE. 

Sans  doute,  et  de  l'objet  qui  fait  vptre  destin. 
JTai  par  son  ordre  exprès  quelque  chose  à  vous  dire. 

lÎRASTE. 

Et  quoi?  Déjà  mon  cœur  après  ce  mot  soupire. 
Parle, 

LA   MONTAGNE. 

Souhaitez-vous  de  savoir  ce  que  c^est? 

ÉRASTE. 

Oui,  dis  vite, 

LA   MONTAGNE. 

Monsieur,  attendez ,  s'il  vous  plaît  : 
Je  me  suis  à  courir  presque  mis  hors  d'haleine. 

ÉRASTE. 

Prends-tu  quelque  plaisir  à  me  tenir  en  peine? 

LA   MONTAGNE. 

Puisque  vous  désirez  de  savoir  premptement 
L'ordre  que  j'ai  reçu  de  cet  objet  charmant, 
Je  vous  dirai. . .  Ma  foi,  sans  vous  vanter  mon  zèle, 
J'ai  bien  fait  du  chemin  pour  trouver  cette  belle; 
Et  si. . . 

iRASTE. 

Peste  soit,  fat,  de  tes  digressions f 

LA  MONTAGNE. 

Âh !  il  faut  modérer  un  peu  ses  passions; 
Gt  Séftèque. . . 


ACTE  II,  SCÈNE  III.  217 

ÉRASTE. 

Sén^ue  est  un  sot  dans  ta  bouche, 
Puisqu'il  ne  me  dit  rien  de  tout  ce  qui  me  touche. 
Dis-moi  ton  ordre  tôt. 

LA   MONTAGNE.  ' 

Pour  contenter  vos  vœux, 
Votre  Orphise. . .  Une  bête  est  là  dans  vos  cheveux. 

ÉRASTE. 

Laisse. 

LA  MONTAGNE. 

Cette  beauté  de  sa  part  vous  fait  dire. . . 

ÉRASTE. 

Quoi? 

'    LA    MONTAGNE. 

Devinez. 

ÉRASTE. 

Sais-tu  que  je  ne  veux  pas  rire? 

Lis,  MONTAGNE. 

Son  ordre  est  qu'en  ce  Ueu  vous  devez  vous  tenir, 
Assuré  que  dans  peu  vous  Yy  verrez  venir. 
Lorsqu'elle  aura  quitté  quelques  provinciales. 
Aux  personnes  de  cour  fâcheuses  animales. 

ÉRASTE. 

Tenons-nous  donc  au  lieu  qu'elle  a  voulu  choisir. 
Mais,  puisque  l'ordre  ici  m'oflfre  quelque  loisir. 
Laisse-moi  méditer. 

(La  Montagne  sort.  ) 


ai8  LES  FACHEUX. 

J'ai  dessein  de  lui  faire 
Quelques  vers  sur  un  air  où  je  la  vois  se  plaire. 

(Il  rêve.) 

SCÈNE   IV. 

ORANTE,  CLIMÉNE;  ÉRASTE,  dans  un  coik 

DV  TaiA.T&£  SANS  ÊTRE  APERÇU. 
ORANTE. 

Tout  le  monde  sera  de  mon  opinion.' 

CLIMÈNE. 

Croyez-vous  remporter  par  obstination? 

ORANTE. 

Je  pense  mes  raisons  meilleures  que  les  vôtres. 

CLIMÈNE. 

Je  voudrois  qu  on  ouït  les  unes  et  les  autres.. 

ORANTE^  apercevant  Ëraste. 

J'avise  '  un  homme  ici  qui  n'est  pas  ignorant  : 

Il  pourra  nous  juger  sur  notre  diflërènt. 

Marquis  j  de  grâce,  un  mot;  soul&ez  qu^on  vous  appelle 

Pour  être  entre  nous  deux  juge  dupe  querelle, 

D'un  débat  qu'ont  ému  nos  divers  sentiments 

Sur  ce  qui  peut  marquer  les  plus  parfaits  amants. 

ÉRASTE. 

C'est  une  question  à  vider  difficile; 

Et  vous  devez  chercher  un  juge  plus  habile.  « 


*  J'avise,  pour  j'aperçois. 


ACTE  II,  SCÈNE  IV.  uiq 

ORANTE. 

Non ,  VOUS  nous  dites  là  d^inutiles  chansons. 

Votre  esprit  &it  du  bruit,  et  nous  yous  connoissons; 

Nous  savons  <pie  jchacun  yous  donne  à  juste  titre. . . 

^RASTE. 

Hé  !  de  grâce. . . 

ORANTE. 

En  un  mot,  yous  serez  notre  arbitre; 
Et  ce  sont  deux  moments  qu  il  yous  faut  nous  donner. 

CLIMÈNE,  à  Crante. 

Vous  retenez  ici  qui  doit  yous  condamner  : 
Car  enfin ,  s'il  est  yrai  ce  que  j'en  ose  croire, 
Monsieur  à  mes  raisons  donnera  la  yictoire. 

ÉRASTE,  à  part. 

Que  ne  puis-je  à  mon  traître  inspirer  le  souci 
D'inventer  quelque  chose  à  me  tirer  d'ici! 

ORANTE,  àClimène. 

Pour  moi,  de  son  esprit  j'ai  trop  bon  témoignage 
Pour  craindre  qu'il  prononce  à  mon  désavantage. 

(  à  Éraste.  ) 

Enfin ,  ce  grand  débat  qui  s'allume  entre  nous 
Est  de  savoir  s^il  faut  qu'un  amant  soit  jaloux. 

CLIMÈNE. 

Ou,  pour  mieux  expliquer  ma  pensée  et  la  vôtre. 
Lequel  doit  plaire  plus  d'un  jaloux  ou  d'un  autre. 

ORANTE. 

Pour  moi j  sans  contredit,  je  suis  pour  le  dernier. 


aao  LES  FACHEUX, 

GLIMÈNE. 

Et  dans  mon  sentiment  je  tiens  pour  le  premier. 

OAÀNTE. 

Je  crois  que  notre  cœur  doit  donner  son  suffrage 
A  qui  fait  éclater  du  respect  davantage. 

GLIMÈITE. 

Et  moi^  que,  si  nos  vœux  doivent  paroître  au  jour, 
C'est  pour  celui  qui  &it  éclater  plus  d'amour. 

ORÀNTE. 

Oui;  mais  on  voit  l'ardeur  dont  une  âme  est  saisie 
Bien  mieux  dans  les  respects  que  dans  la  jalousie. 

GLIMENE. 

Et  c^est  mon  sentiment  que  qui  s'attache  à  nous 
Nous  aime  d'autant  plus  qu^il  se  montre  jaloux. 

ORANTE. 

Fi!  ne  me  parlez  point  pour  être  amants,  Climène, 
De  ces  geus  dont  lamour  est  fait  comme  la  haine, 
Et  qui,  pour  tous  respects  et  toute  offre  de  vœux. 
Ne  s'appliquent  jamais  qu'à  se  rendre  fâcheux; 
Dont  Tâme,  que  sans  cesse  un  noir  transport  anime, 
Des  moindres  actions  cherche  à  nous  faire  un  crime, 
En  soumet  Finnocence  à  son  aveuglement. 
Et  veut  sur  un  coup-d  œil  un  éclaircissement; 
Qui,  de  quelque  chagrin  nous  voyant  Fapparence, 
Se  plaignent  aussitôt  qu'il  naît  de  leur  présence; 
Et,  lorsque  dans  nos  yeux  brille  un  peu  d'enjoûment, 
Veulent  que  leurs  rivaux  en  soieiit  le  fondement  ; 
Ëpfin  qui,  prenant  droit  des  fureurs  de  leur  zèle, 


ACTE  II,  SCÈNE  IV.  aai 

Ne  nous  parlent  jamais  ^e  pour  faire  qaerelle , 
Osent  défendre  à  tous  l'approche  de  nos  cœurs  ^ 
Et  se  font  les  tyrans  de  leurs  propres  yainqueuro. 
Moi^  je  yeux  des  amants  <jue  le  respect  inspire  ; 
Et  leur  soumission  marque  mieux  notre  empire. 

GLIHÈNB. 

Fi!  ne  me  parlez  point,  pour  être  vrais  amants, 

De  ces  gens  qui  pour  nous  n  ont  nuls  emportements , 

De  ces  tièdes  galants  de  qui  les  cœurs  paisibles 

Tiennent  déjà  pour  eux  les  choses  infaillibles, 

N'ont  point  peur  de  nous  perdre ,  et  laissent ,  chaque  jour, 

Sur  trop  de  confiance  endurcir  leur  amour; 

Sont  avec  leurs  rivaux  en  bonne  intelligence, 

Et  laissent  un  champ  libre  à  leur  persévérance. 

Un  amour  si  tranquille  excite  mon  courroux  : 

C'est  aimer  froidement  que  n'être  point  jaloux-, 

Et  je  veux  qu'un  amant,  pour  me  prouver  sa  flamme. 

Sur  d'étemels  soupçons  laisse  flotter  son  âme , 

Et,  par  de  prompts  transports,  donne  un  signe  éclatant 

De  lestime  qu'il  fait  de  celle  qu'il  prétend. 

On  s  applaudit  alors  de  son  inquiétude  ; 

Et,  s'il  nous  Élit  parfois  un  traitement  trop  rude, 

Le  plaisir  de  le  voir,  soumis  à  nos  genoux, 

S'excuser  de  l'éclat  qu'il  a  fait  contre  nous,  * 

Ses  pleurs,  son  désespoir  d'avoir  pu  nous  déplaire. 

Sont  un  charme  à  calmer  toute  notre  colère. 

ORANTE. 

Si,  pour  vous  plaire,  il  faut  beaucoup  d'emportement, 


5M  LES  FACHEUX. 

Je  sais  qui  vous  pourroit  donner  contentement;' 
Et  je  connois  des  gens  dans  Paris  phis  de  quatre , 
Qui,  comme  ils  le  font  voir,  aiment  jusques  à  battre. 

ctiMiruE. 

Si,  pour  vous  plaire,  il  faut  n'être  jamais  jaloux, 
Je  sais  certaines  gens  fort  commodes  pour  vous; 
Des  hommes  en  amour  dune  humeur  si  souffi*ante« 
Qu'ils  vous  verroient  sans  peine  entre  les  bras  de  trente. 

ORANTE. 

,  Enfin  par  votre  arrêt  vous  devez  déclarer 
Celui  de  qui  l'amour  vous  semble  à  préférer. 

(  Orphise  paroît  dans  le  fond  du  théâtre ,  et  voit  Éraste  entre 

Orante  et  Glimène.  ) 

ÉRASTE. 

Puisqu'à  moins  d'un  arrêt  je  ne  m  en  puis  défaire. 
Toutes  deux  à  la  fois  je  veux  vous  satisfaire; 
Et,  pour  ne  point  blâmer  ce  qui  plaît  à  vos  yeux. 
Le  jaloux  aime  plus ,  et  l'autre  aime  bien  mieux. 

CLIMENE. 

L'arrêt  est  plein  d'esprit;  mais. .. 

JÊRASTB. 

SuflSt.  Ten  suis  quitte. 
Après  ce  que  j'ai  dit,  soutirez  que  je  vous  quitte. 


ACTE  II,  SCÈNE  V.  aa3 

SCÈNE  V. 

ORPHISE,  ÊRASTE. 

ÉRASTE^  apercevant  Drphise,  et  allant  au-devant  d'elle. 

Que  vous  tardez,  madame!  et  que  j'éprouve  bien. . .  ! 

ORPHISE. 

Non,  non,  ne  quittez  pas  un  si  doux  entretien. 
A  tort  vous  m'accusez  d'être  trop  tard  venue; 

(montrant  Orant^  et  Glimène  qui  viennent  de  sortir.  ) 

Et  VOUS  avez  de  quoi  vous  passer  de  ma  vue. 

éRASTE. 

Sans  sujet  contre  moi  voulez-vous  vous  aigrir? 
Et  me  reprochez-vous  ce  qu'on  me  fait  souffrir? 
Ah  !  de  grâce ,  attendez. 

ORPHISE. 

Laissez-moi,  je  vous  prie; 
Et  courez  vous  rejoindre  à  votre  compagnie^ 

SCÈNE    VI. 

ÉRASTE. 

Ciel!  faut-il  qu'aujourd'hui  fâcheuses  et  fâcheux 
Conspirent  à  troubler  les  plus  chers  de  mes  vœux! 
Mais  allons  sur  ses  pas  malgré  sa  résistance, 
Et  Élisons  à  ses  yeux  briller  notre  innocence. 


a^  LES  FACHEUX. 

SCÈNE    VIL 
DORANTE,  ÉRASTE. 

DORANTE. 

Ah  !  marquis ,  que  Ton  voit  de  fâcheux  tous  les  jours 
Venir  de  nos  plaisirs  interrompre  le  cours! 
Tu  me  Yois  enragé  d'une  assez  belle  chasse 
Qu'un  fat. . .  C  est  un  récit  qu'il  faut  que  je  te  fasse. 

ÉRASTE. 

Je  cherche  ici  quelqu'un  et  ne  puis  m'arréter« 

DORANTE. 

Parbleu!  chemin  faisant,  je  te  le  yeux  conter. 

Nous  étions  une  troupe  assez  bien  assortie, 

Qui  pour  courir  un  cerf  avions  hier  fait  partie  ; 

Et  nous  fûmes  coucher  sur  le  pays  exprès , 

C^est-à-dire,  mon  cher,  en  fin  fond  de  forêts. 

Comme  cet  exercice  est  mon  plaisir  suprême, 

Je  voulus,  pour  bien  faire,  aller  au  bois  moi-même. 

Et  nous  conclûmes  tous  d'attacher  nos  efforts 

Sur  un  cerf  que  chacun  nous  disoit  cerf  dix-cors; 

Mais  moi,  mon  jugement,  sans  qu'aux  marques  j'arrête, 

Fut  qu'il  n'étoit  que  cerf  à  sa  seconde  tête. 

Nous  avions  comme  il  faut  séparé  nos  relais. 

Et  déjeunions  en  hâte  avec  quelques  œufs  frais. 

Lorsqu'un  franc  campagnard  avec  longue  rapière, 

Montant  superbement  sa  jument  poulinière. 

Qu'il  honoroit  dii  nom  de  sa  bonne  jument, 

S'en  est  Venu  nous  faire  un  mauvais  compliment, 


ACTE  II,  SCÈNE  VIL  aaS 

Nous  présentant  aussi,  pour  surcroît  de  colère, 
Un  grand  benêt  de  fils  aussi  sot  que  son  père, 
n  s^est  dit  grand  chasseur,  et  nous  a  priés  tous 
Qu^îl  pût  avoir  le  bien  de  courir  avec  nous. 
Dieu  préserve,  en  chassant,  toute  sage  personne 
DW  porteur  de  huchet  ^  qui  mal  à  propos  sonne; 
De  ces  gens  qui,  suivis  de  dix  hourets  '  galeux. 
Disent,  ma  meute,  et  font  les  chasseurs  merveilleux! 
Sa  demande  reçue ,  et  ses  vertus  prisées , 
Nous  avons  tous  été  frapper  à  nos  brisées. 
A  trois  longueurs  de  trait,  tayaut,  voilà  d^abord 
Le  cerf  donné  aux  chiens.  J  appuie  et  sonne  fort. 
Mon  cerf  débuche ,  et  passe  une  assez  longue  plaine  ; 
Et  mes  chiens  après  lui,  mais  si  bien  en  haleine , 
Qu'on  les  auroit  couverts  tous  d^un  seul  justaucorps, 
n  vient  à  la  forêt.  Nous  lui  donnons  alors 
La  vieille  meute;  et  moi,  je  prends  en  diligence 
Mon  cheval  alezan.  Tu  las  vu? 

iRASTB. 

Non,  je  pense. ' 

DORAITTB. 

Comment  î  c  est  un  cheval  aussi  bon  qu'il  est  beau , 
Et  que  ces  jours  passés  j'achetai  de  Gavean.  ^ 
Je  te  laisse  à  penser  si ,  sur  cette  matière , 
Il  voudroit  me  tromper  j  lui  qui  me  considèreti^ 

^■^^^  III  I  II  I  ■  M       I  —— — i—  i<1^—  I  I   1   I  I     I    < 

*  Huchet,  petit  cor  que  portent  les  chasseuri/  us 
»  Hourets ,  mauvais  chiens  de  chasse.  — 

'  Fameux  piqneur. 

MoLiinE.  a«  i5 


«6  LES  FACHEUX. 

Aussi  je  m  en  coatente;  et  jamab^  en  effet, 

Il  n'a  vendu  cheval  ni  meilleur  ni  mieux  fait. . 

Une  tête  de  barbe ,  avec  FétoUe  nette  ; 

Uencolure  d'un  cygne^effilée  et  bîan  droite  ; 

Point  d'épaules  non  plus  ({u'un  lièvre-;  court-joinlé, 

Et  qui  Élit  dans  son  port  voir  sa  vivacité  ; 

Des  pieds ,  morbleu ,  des  pieds  !  le  rein  double  :  à  vrai  dire, 

J'ai  trouvé  le  moyen  y  moi  seul ,  de  le  rédtlîre  ; 

Et  sur  lui  j  quoîqumix  yeux  il  montrât  beau  semblant, 

Petit-Jean  de  Gaveau  ne  montoit  quçn  tremblant. 

Une  croupe  en  largeur  à  nulle  autre  pareille , 

Et  des  gigots,  Dieu  sait!  Bref,  c'est.une  merveille; 

Et  j'en  ai  refusé  cent  pistoles ,  crois-moi , 

Au  retour  d'un  cheval  amené  pour,  le  roi. 

Je  monte  donc  dessus ,  et  ma  jdie .  étoit  pleine 

De  voir  filer  de  loin: les  coupeurs  dans  la  plakie; 

Je  pousse,  et  je  me  trouve  en  uhfortà  Tècârt, 

A  la  queue  de  nos  chiens ,  tnoi  seul  avec  Drécart  :  ' 

Une  heure  là-dedans  notre  .cerf  se  fait  battre. 

J'appuie  alors  mes  chiens,  .et  fais  le  diable  à  quatre; 

Enfin  jamais  chasseur  ne  se  vit  plus  joyeux. 

Je  le  relance  seul  ;  et  tout  alloit  des  mieux ,  ^    ' 

Lorsque  d'un  jeune  cerf  s  accompagne  le  nàtffè  : 

Une  part  de  mes  chiens  se  sépare  de latttre ,  ; 

Et  je  les  voi«, 'marquis y  cobotme  tu  pe^x  penser, 

Chasser  tou^véc  crante ,  et  FInaut  balancer  ; 

^— ^■^■— — — ^■-— ■  «■     Il    ■  Il         ■■  Il I        ■    n 

'  Fameux  marchand  de  ehevaux. 


•  ACTE  II,  SCÈÎIE  VII,  u^y 

tl  se  rabat  soudain ,  dotit  j  eus  Time  ravie  ^ 

n  empaume  la  voie  ;  et  moi^  je  sonne  et  cÂe ,  .  j\ 

A  Finaut  !  à  FiaautlJ'en  revois  à  plaisir 

Sur  une  taupimère ,  et  r^onne  à  loisir. 

Quelques  chiens  revenoient  à  moi ^  quand,  pour  disgrAce, 

Le  jeune  cerf ,  marquis  ^  à  mou  campagnard  passe. 

Mon  étourdi  se  met  à  sonner  comme  il  faut ,.  ;  ' 

Et  crie  à  pleine  voix ,  tayaut!  tayaut  !  tayaut  ! 

Mes  chiens  me  quittent  tous ,  et  vont  à  ma  pécore  : 

jy  pousse^  et  j^en  revois  dans  le  chemin  encore  ; 

Mais  à  terre,  mon  cher /je  n'eus  pas  jeté  Vœil, 

Que  je  connus  le  chaiigie ,  et  sentis  un  grand  deuil. 

Xai  beau  lui  faire  voir  toutes  les  différences 

Des  pinces  de  mon  cerf  et  de  ses  connoissances,  ' 

D  me  soutient  toujours,  en  chasseur  igniorant, 

Que  c'est  le  cerf  de  meute  ;  et  par  ce  diflercQt 

0  donne  temps  aux  chiens  d'aller  loin.  J'en  enrage; 

Et  pestant  de  bon  cœur  contre  le  personnage, 

Je  poussé  mon  cheval  et  par  haut  et  par  bas , 

Qui  plioit  des  gaulis  ^  aussi  gros  que  le  bras  : 

Je  ramène  les  chiens  à  ma  première  voie^ 

Qui  vont  en  me  donnant  une  excessive  joie, 

Requérir  notre  cerf,  comme  s'ils  l'eussent  vu. 


■Pi»«*« 


i^iM. 


«  Connousances ,  en  terme  de  clias»3*  signifie  les  indices,  les 
vesii^gs  du  gibier  « 

*  Gaulis,  terme  de  vénerie.  On  appelle  gaulis  les  branches 
d'arbres  qu'il  faut  que  le  chasseur  pdie  ou  détourne  lorsqu'il  perce 
dans  le  fort  du  bois. 


saS  LES  FACHEUX. 

Us  le  relancent  :  mais  ce  coup  est-il  prévu? 

Aie  dire  le  vrai,  cher  marquis,  il  m'assomme  : 

Notre  cerf  relaûcé  va  passer  à  notre  homme , 

Qui,  croyant  faire  un  coup  de  dtasseur  fort  vanté, 

D'un  pistolet  d'arçon  qu*il  avoit  apporté 

Lui  donne  justement  au  milieu  de  la  tête, 

Et  de  fort  loin  me  crie,  Ah!  j'ai  mis  bas  la  béte. 

A-t-on  jamais  parlé  de  pistolets ,  bon  Dieu  I 

Pour  courre  un  cerf!  Pour  moi,  venant  dessus  le  lieu, 

Jai  trouvé  Faction  tellement  hors  d'usage , 

Que  j'ai  donné  des  deux  à  mon  cheval ,  de  rage , 

Et  m  en  suis  revenu  chez  moi  toujours  courant, 

Sans  vouloir  dire  un  mot  à  ce  sot  ignorant. 

ERASTE. 

Tu  ne  pouvois  mieux  faire,  et  ta  prudence  est  rare  : 
C'est  ainsi  des  fâcheux  ^'il  faut  <}u'on  se  sépare. 
Adieu» 

DORANTE. 

Quand  tu  voudras ,  nous  irons  quelque  part 
Où  nous  ne  craindrons  point  de  chasseur  campagnard. 

ÉRASTE. 
(seul.) 

Fort  bien.  Je  crois  qu'enfin  je  perdrai  patience. 
Cherchons  à  m'excuser  aveoque  diligence. 


YIV   DU   SECOND    ACTE. 


LES  FÂCHEUX.  aa9 


BALLET  DU  SECOND  ACTE. 

PREMIÈRE    ENTREE. 

Des  joueurs  de  boule  arrêtent  Eraste  pour  mesurer  un 
coup  sur  lequel  Us  sont  en  dispute.  11  se  défait  d  eux  avec 
peine,  et  leur  laisse  danser  un  pas  composé  de  toutes  les 
postures  qui  sont  ordinaires  à  ce  jeu. 

SECONDE    ENTRÉE. 

De  petits  frondeurs  le  viennent  interrompre,  qui  sont 
chassés  ensuite. 

*  » 

TROISIEME    ENTRÉE. 

Des  savetiers  et  des  savetières,  leurs  pères,  et  autres, 
sont  aussi  chassés  à  leur  tour. 

QUATRIÈME    ENTRÉE. 

Un  jardinier  danse  seul,  et  se  retire  pour  faire  place  au 
troisième  acte. 


a3o  LES  FÂCHEUX. 


^»^>^>^»^»^'^^S^«i^»^'^>«^>^  ^■^*^»^i^»^*^<»«i^>^s^s^i^»i^ir^^wi^<^»i^ii^i^>^i^«^i^<^^^^^>»»»#>^ 


ACTE  TROISIÈME. 


SCÈNE  I. 

ÉRASTE,  LA  MONTAGNE. 

ÉRÀST£. 

Il  est  vrai,  d'un  côté  mes  soins  ont  réussi , 

Cet  adorable  objet  enfin  s'est  adouci; 

Mais  d'un  autre  on  m'accable,  et  les  astres  sévères 

Ont  contre  mon  amour  redoublé  leurs  colères. 

Oui,  Damis  son  tuteur,  mon  plus  rude  fâcheux, 

Tout  de  nouveau  s'oppose  au  plus  doux  de  mes  vœux, 

A  son  aimable  nièce  a  défendu  ma  vue, 

Et  veut  d'un  autre  époux  la  voir  dein'ain  pourvue. 

Orphise  toutefois,  malgré  son  désaveu, 

Daigne  accorder  ce  soir  une  grâce  à  mon  feu; 

Et  j'ai  fait  consentir  l'esprit  de  cette  belle 

A  soufirix  qu'en  secret  je  la  visse  chez  elle. 

L'amour  aime  surtout  les  secrètes  faveurs; 

Dans  l'obstacle  qu^on  force  il  trouve  des  douceurs; 

Et  le  moindre  entretien  de  la  beauté  qu'on  aime, 

Lorsqu'il  est  défendu,  devient  grâce  suprême. 

Je  vais 'au  rendez-vous,  c'en  est  l'heure  à  peu  près; 

Puis ,  je  veux  m'y  trouver  plutôt  avant  qu'après. 


» . 


ACTE  m,  bCÈNE  I.  a3i 

LA    MONTAGNE. 

Suivrai-je  VOS  pas? 

ERASTE. 

Non.  Je  craindrois  que  peut-être       • 
A  quelques  yeux  suspects  ta  me  fisses  counoître. 

tA   MONTAGNE. 

Mais.  .'• 

ÉRASTE. 

Je  ne  le  veux  pas. 

LA   MONTAGNE. 

Je  dois  suivre  vos  lois  : 
Mais  au  moins  si  de  loin. . . 

ÉRASTE. 

Te  tairas-tu,  vingt  fois? 
Et  ne  veux-tu  jamais  quitter  cette  méthode 
De  te  rendre  à  toute  heure  un  valet  incommode? 

SCÈNE   IL 

CARITIDÉS,  ÉRASTE. 

CARITIDÈS. 

Monsieur,  le  temps  répugne  '  à  l'honneur  de  vous  voir; 
Le  matin  est  plus  propre  à  rendre  un  tel  devoir  : 
Mais  de  vous  rencontrer  il  n'est  pas  bien  facile; 
Car  vous  dormez  toujours,  ou  vous  ête^  en  ville  : 
Au  moins  messieurs  vos  gens  me  l'assurent  ainsi  -, 
Et  j'ai,  pour  vous  trouver,  pris  l'heure  que  voici. 

# 

*  Le  temps  répugne,  le  moment  n'est  pas  favorable. 


a39  LES  FÂCHEUX. 

Encore  est-ce  un  grand  heur  dont  le  destin  mlionore; 
Car ,  deux  moments  plus  tard  y  je  vous  manqnois  encore. 

ÉRASTE. 

Monsieur,  souhaitez-YOus  quelque  chose  de  moi? 

CARITIDÈS. 

Je  m'acquitte,  monsieur,  de  ce  que  je  tous  doi, 
Et  vous  yiens.  •  .Excusez  l'audace  qui  minspire. 
Si. . . 

ÉRASTE. 

Sans  tant  de  façons ,  qu^ayez-vous  à  me  dire? 

CÀi^iTinis. 
Comme  le  rang,  l'esprit,  la  générosité. 
Que  chacun  vante  en  vous. .  • 

Mrasts. 

Oui,  je  suis  fort  vanté. 
Passons,  monsieur. 

CARITIDÈS. 

Monsieur ,  c  est  une  peine  extrême 
Lorsqu^il  &Ut  à  quelquW  se  produire  soi-même  j 
Et  toujours  près  des  grands  on  doit  être  introduit 
Par  des  gens  qui  de  nous  Eussent  un  peu  de  bruit, 
Dont  la  bouche  écoutée  avecque  poids  débite 
Ce  qui  peut  faire  voir  notre  petit  mérite. 
Pour  moi,  j^aurois  voulu  que  des  gens  bien  instruits 
Vous  eussent  pu,  monsieur,  dire  ce  que  je  suis. 

ÉRASTE. 

Je  vois  assez,  monsieur^  ce  que  vous  pouvez  être, 
Et  votre  seul  abord  le  peut  Êiire  connoitre. 


ACTE  III,    SCÈNE  II.  aSS 

CARITIDÈS. 

Oui ,  je  snis  an  sayant  charmé  de  yos  vertus  : 
Non  pas  de  ces  savants  dont  le  nom  n'est  qu'en  us, 
D  n'est  rien  si  commun  qu'un  nom  à  la  latine  : 
Ceux  qu'on  habille  en  grec  ont  bien  meilleure  mine^ 
Et  pour  en  avoir  un  qui  se  termine  en  es, 
Je  me  ùis  appeler  monsieur  Caritidës. 

iRASTE. 

Monsieur  Caritidès  soit  Qu'ayez-vous  à  dire  ? 

CARITJDÈS. 

t 

C'est  un  placet,  monsieur,  que  je  voudrois  vous  lire, 
Et  que ,  dans  la  posture  où  vous  met  votre  emploi , 
J'ose  vous  conjurer  de  présenter  au  roi. 

iaASTE. 

Hé!  monsieur,  vous  pouvez  le  présenter  vous-même. 

CARITIDES. 

Il  est  vrai  que  le  roi  fait  cette  grâce  extrême  ; 

Mais,  par  ce  même  excès  de  ses  rares  bontés, 

Tant  de  méchants  placets,  monsieur,  sont  présentés 

Qu  ils  étouffent  les  bons;  et  Fespoir  où  je  fonde, 

Est  qu  on  donne  le  mien  quand  le  prince  est  sans  mohue. 

iRASTE. 

Hé  bien  !  vous  le  pouvez ,  et  prendre  votre  temps. 

CARITinis. 

Àh!  monsieur,  les  huissiers  sont  de  terribles  gens! 
Ils  traitent  les  savants  de  faquins  à  nasardes, 
Et  je  n'en  puis  venir  qu'à  la  salle  des  gardes. 


û34  LES  FACHEUX. 

Les  mauvais  traitements  qu'il  me  &ut  endurer 
Pour  jamais  de  la  cour  me  feroient  reti^r, 
Si  je  n'ayois  conçu  1  espérance  certainei 
Qu'auprès  de^  notre  roi  vous  serez  mon  Mécène. 
Oui ,  votre  crédit  m^est  un  moyen  assuré.  « . 

ÉRASTE. 

Hé  bien^  donnez-moi  donc;  je  le  présenterai. 

GARITIDis. 

Le  voici.  Mais  au  moins  oyez-en  la  lecture. 

^  ÉRASTE. 

Non. . .     , 

CARITIDÈS. 

C'est  pour  être  instruit,  monsieur  :  je  vous  conjure. 

PLACET  AU  ROI. 

Sire, 

«  Votre  très-humble,  très-obéissant,  très-fidèle  et  très- 
(c  savant  sujet  et  serviteur  Caritidès,  François  de  nation, 
ce  Grec  de  profession,  ayant  considéré  les  grands  et  no- 
ce tables  abus  qui  se  commettent  aux  inscriptions  des  en- 
ce  seignes  des  maisons,  boutiques,  cabarets,  jeux  de  boule, 
ce  et  autres  lieux  de  votre  bonne  ville  de  Paris,  en  ce  que 
ce  certains  ignorants,  compositeurs  desdites  inscriptions, 
ce  renversent  par  une  barbare  ,  pernicieuse  et  détestable 
ce  orthographe,  toute  sorte  de  sens  et  déraison,  sans  au- 
fc  cun  égard  d'étymologie,  analogie,  énerçie,  ni  allégorie 
<c  quelconque,  au  grand  scandale  de  la  république  des 


ACTE  m,  SCÈNE  IL  a35 

«  lettres,  et  de^  la  lïâtiob  iiançoise,  qui  se  décrie  et  se 
ce  déshonore  par  lesâitis  abus  et  fautes  groissières  envers  les 
«  étrangers,  notaminent  enYers  les  Âllémancîs,  curieux 
«  lecteurs  et  S|)e|jtateiiii9  desditë»  Inscription^. . . 

ÉRASTE. 

Ce  placet  est  fort  long,  et  pourroit  bien  fâcher. 

•      CARITIDÉS. 

»  •   •    •         -   » 

Âh  !  moAsidur,  pas  4n.  mot  ne  s'«n  peut  retrancher. 

(  Il  continue.  ) 

supplie  humblemei|t  votre  majesté^  de  créer,  pour  le 
bien  de  son  Etat  et  la  gloire  de  son  empire,  une  charge 
de  contrôleur,* intendant,  correcteur,  réviseur  et  res- 
taurateur général  desdites  inscriptions,  et  d'icelle  hono- 
rer le  suppliant,  tant  en  considération  de  son  rare  et 
éminent  savoir,  que  des  grands  et  signalés  services  qu'il 
a  rendus  à  ITEtat  et  à  votre  majesté ,  en  faisant  Fana- 
gramme  de  votredite  majesté,  en  firançois,  latin,  grec, 
hébreu^  syriaque ,  chaldéen ,  arabe. . .  » 

ÉRASTE,  rinterrompant. 

Fort  bien.  Donnez-le  vite ,  et  faites  la  retraite. 
Il  sera  vu  du  roi;  c'est  une  afiaire  faite. 

CARITIDÉS. 

Hélas!  monsieur,  c^est  tout  que  montrer  mon  placet. 
Si  le  roi  le  peut  voir j  je  suis  sûr  de  mon  fait; 
Car ,  comme  sa  justice  en  toute  chose  est  grande, 
n  ne  pourra  jamais  refuser  ma  demande. 


a36  LES  FACHEUX. 

Âtt  reste ,  pour  porter  au  ciel  votre  renom , 
Donnez-moi  par  écrit  votre  nom  et  surnom  ; 
J^en  veux  &ire  un  poëme  en  forme  d'acïostiche 
Dans  les  deux  bouts  du  vers  et  dans  cha^e  hémîstidio. 

JRASTE. 

Oui,  vous  l'aurez  demain,  monsieur  Caritidès. 

(seul.) 

Ma  foi,  de  tels  savants  sont  des  flnes  bien  foits. 
Jaurois  dans  d^autres  temps  bien  ri  de  sa  sottise. 

SCÈNE  III. 

ORMIN,  ÉRASTE. 

ORMIN. 

Bien  qu^une  grande  affaire  en  ce  lieu  me  conduise, 
J'ai  voulu  qu'il  sortît  avant  que  vous  parler.  . 

ÉRAST£« 

Fort  bien.  Mais  dépéchons;  car  je  veux  m  en  aller. 

ORMIN. 

Je  me  doute  à  peu  près  que  l'homme  qui  vous  quitte 
Vous  a  fort  ennuyé,  monsieur,  par  sa  visite. 
C'est  un  vieux  importun  qui  na  pas  l'esprit  sain, 
Et  pour  qui  j'ai  toujours  quelque  défaite  en  main. 
Au  Mail,  au  Luxembourg,  et  dans  les  Tuileries, 
Il  fatigue  le  monde  avec  ses  rêveries  ; 
Et  des  gens  comme  vous  doivent  fuir  l'entretien 
De  tous  ces  savantas  qui  ne  sont  bons  à  rien. 


ACTE  m,  SCÈNE  IIL  u3y 

Pour  moi^  je  ne  crains  paà  que  je  tous  importune, 
Puisque  je  viens,  monsieur,  faire  votre  fortune.    * 

iRASTE,  bas,  à  part. 

Voici  quelque  souffleur,  de  ces  gens  qui  n'ont  rien , 
Et  nous  viennent  toujours  promettre  tant  de  bien. 

(  haut.  ) 

Vous  avez  &it,  monsieur,  cette  bénite  pierre 
Qui  peut  seule  enrichir  tous  les  rois  de  la  terre? 

ORMIN. 

La  plaisante  pensée ,  hélas  !  où  vous  voilà  ! 

t)ieu  me  garde,  monsieur,  d'être  de  ces  fous-là! 

Je  ne  me  repais  point  de  visions  frivoles. 

Et  je  vous  porte  ici  lès  solides  paroles 

D'un  avis  que  par  vous  je  veux  donner  au  roi , 

Et  que  tout  cacheté  je  conserve  sur  moi  : 

Non  de  ces  sots  projets,  de  ces  chimères  vaines. 

Dont  les  surintendants  ont  les  oreilles  pleines  ; 

Non  de  ces  gueux  d'avis  dont  les  prétentions 

Ne  parlent  que  de  vingt  ou  trente  millions; 

Mais  un  qui ,  tous  les  ans,  à  si  peu  qu'on  le  monte , 

En  peut  donner  au  roi  quatre  cent$  de  bon  compte. 

Avec  facilité,  sans  risque  ni  soupçon, . 

Et  sans  fouler  le  peuple  en  aucune  &çon  ; 

Enfin  c'est  un  avis  d'un  gain  inconcevable, 

Et  que  du  premier  mot  on  trouvera  faisable. 

Oui ,  pourvu  que  par  vous  je  puisse  être  poussé. . . 

éRASTE.     ' 

Soit,  nous  en  parlerons.  Je  suis  un  peu  pressé. 


a38  LES  FACHEUX 

0RMI1!(. 

SI  vous'  me  promettiez  de  garder  le  silence , 
Je  vous  âécoayricçis  cet  ayis  dimportance. 

^RASTE. 

Non,  non ,  je  ne  veux  point  savoir  votre  secret. 

ORMIW. 

Monsieur^  pour  le  trahir  je  vous  crois  trop  discret, 
Et  veux  avec  franchise  en  deux  mots  vous  l'apprendre. 
Il  faut  voir  si  quelqu'un  ue  peut  point  nous  entendre. 

(  Après  avoir  regardé  si  personne  ne  leçoute,  il  s'approche  de 

ToreiUe  d'Éraste.  ) 

Cet  avis  merveilleux  dont  je  suis  l'inventeur 
Est  que. . . 

ÉRASTE. 

D'nn  peu  pliis  loin,  et  p6»r  catfôè,  monsieur. 

ORsriir. 

Vous  voyez  le  grand  gain,  sans  qu'il  faille  le  dire, 
Que  de  ses  ports  de  mer  le  roi  tous  les  ans  tire  : 
Or  l'avis,  dont  encor  nul  ne  s'est  avisé, 
Est  qu'il  faut  de  la  France,  et  c'est  un.  coup  aisé. 
En  fameux  ports  de  mer  mettre  toutes  les  côtes. 
Ce  seroit  pour  monter  à  des  sommes  irès-hau tes; 
Et  si. . . 

ÉRASTE. 

LWis  est  bon,  et  plaira  fort  au  roi. 
Adieu.  Nous  nous  verrons. 


ACTE  III,  «GÈNE  III.  aSg 

ORMIN. 

Au  moins  appuyez-moi 
Pour  en  avoir  ouvert  les  premières  paroles. 

EJIASTE, 

Oui,  oui. 

^  ORMIN. 

Si  vous  vouliez  me  prêter  deux  pistoles. 
Que  VOUS  reprendriez  sur  le  droit  de  Tavis, 
Monsieur... 

ERASTE. 
(Il  donne  deux  louis  à  Ormin. )  (seul. ) 

Oui,  volontiers.  Plût  à  Dieu  qu'à  ce  prix 
De  tous  les  importuns  je  pusse  me  voir  quitte  ! 
Voyez  quel  contre-temps  prend  ici  leur  visité  ! 
Je  pense  qu'à  la  fin  je  pourrai  bien  sortir. 
Viendra-t-il  point  quelqu'un  encor  me  divertir? 

SCÈNE  IV. 

FILINTE,  ÉRASTE. 

FILINTE. 

Marquis,  je  viens  d'apprendre  une  étrange  nouvelle. 

ÏRASTB. 

Quoi? 

FILINTE. 

Qu^un  homme  tantôt  t'a  fait  une  querelle. 

Chaste. 
A  mol? 


Mo  LES  FACHEUX. 

FILIITTB. 

Que  te  sert-il  de  le  dissimuler? 
Je  sais  de  bonne  part  quon  t'a  &it  appeler; 
Et  y  comme  ton  ami,  quoi  qu'il  en  réussisse, 
Je  te  viens  contre  tous  fiiire  offire  de  service. 

XRASTE. 

Je  te  suis  obligé  ;  mais  crois  que  tu  me  &is. . . 

FILINTE. 

Tu  ne  lavoûras  pas,  mais  tu  sors  sans  valets. 
Demeure  dans  la  ville,  ou  gagne  la  campagne, 
Tu  n'iras  nuUe  part  que  je  ne  f  accompgne. 

^RASTE,  à  part. 

Ah  !  j'enrage  ! 

FILINTE. 

A  quoi  bon  de  te  cacher  de  moi? 

ÉRASTE. 

Je  te  jure,  marquis,  qu'on  s'est  moqué  de  toi. 

FILINTE. 

En  vain  tu  t'en  défends. 

ERASTE. 

Que  le  ciel  me  foudroie. 
Si  d^aucun  démêlé. . . 

FILINTE. 

Tu  penses  qu'on  te  croie? 

^BASTE. 

Hé!  mon  Dieu!  je  te  dis  et  ne  déguise  point 
Que. . . 


<  ■' 


ACTE  III,  SCÈNE  IV.  a4i 

FILINTE. 

Ne  me  crois  pas  dupe  et  crédule  à  ce  point. 

ÉAÀSTE* 

Veux-tu  m'obliger? 

FILINTÉ. 

Non. 

KRASTE. 

Laissé-moi,  je  te  prie. 

FILINTE. 

Point  â^siSkirCj  marquis. 

ÉRÀSTE. 

Une  galanterie 
En  certain  lieu,  ce  soir... 

FILtNTE. - 

Je  ne  te  quitte  pas  j 
En  quel  lieu  qiic  ce  soit  je  veux  suivre  tes  pas. 

ÉRASTE. 

Parbleu,  puisque  tu  veux  que  j'aie  une  querelle, 
Je  consens  à  Tavoir  pour  contenter  ton  zèle. 
Ce  sera  contre  toi,  qui  me  fais  enrager, 
Et  dont  je  ne  me  puis  par  douceur  dégager. 

FILINTE* 

C'est  fort  mal  d'un  ami  recevoir  le  service. 
Mais  puisque  je  vous  rends  un  si  mauvais  office. 
Adieu.  Videz  '  «ans  moi  tout  ce  que  vous  aurez. 


'  Videz  ou  terminez  toutes  ces  affaires,  etc. 

MOLIÙBE.  2. 


242  LES  FACHEUX. 

ÉRÂ5TE. 

Vous  serez  mon  ami  quand  vous  me  quitterez. 

(  seul.  ] 

Mais  voyez  quels  malheurs  suivent  ma  destinée! 
Ils  m^auront  fait  passer  l'heure  qu'on  ma  donnée. 

SCÈNE   V. 

DAMIS,  L'ÉPINE,  ÉRASTE,  LA  RIVIÈRE 

ET   SES    COMPAGNONS. 
DAMIS,  à  part. 

Quoi!  malgré  moi  le  traître  espère  Fobtenir! 
Ah!  mon  juste  courroux  le  saura  prévenir. 

ÉRASTE,  à  part. 

J'entrevois  là  quelqu'un  sur  la  porte  d'Orphise! 

Quoi!  toujours  quelque  obstacle  aux  feux  qu  eUe  autorise! 

DAMIS,  àTÊpine. 

Oui ,  j'ai  SU  que  ma  nièce ,  en  dépit  de  mes  soins , 
Doit  voir  ce  soir  chez  elle  Eraste  sans  témoins. 

LA   RIVIÈRE  2  à  ses  compagnons. 

Qu'entends-je  à  ces  gens-là  dire  de  notre  maître? 
Approchons  doucement  sans  nous  faire  connoitre. 

DAMIS,  à  l'Épine. 

Mais  avant  qa'iji  ait  lieu  d'achever  son  dessein, 
Il  faut  de  mille  coups  percer  son  traître  sein. 
Va-t'en  faire  venir  ceux  que  je  viens  de  dire, 
Pour  les  mettre  en  embûche  aux  lieux  que  je  désire, 
Afin  qu'au  nom  d'Eraste  on  soit  prêt  à  venger 


i 


ACTE  III,  SCÈNE  V.  a43 

Mon  honneur  que  ses  feax  ont  l'orgueil  d  outrager, 
A  rompre  un  rénâez-Tou$  qui  dans  ce  lien  l'appelle , 
Et  noyer  dans  son  sang  sa  flamme  criminelle. 

LA  RIVIÈftE,  attàiJttAnt  Damis  ayec  MS  compagnonSé 

Avant  qu  a  tes  fureurs  on  puisse  Fimmoier) 
Traître ,  tu  trouveras  en  nous  à  qui  parler. 

ÉRASTÉ. 

Bien  qu'il  m'ait  voulu  perdre ,  un  point  d'honneur  me  pressa 
De  secourir  ici  l'oncle  de  ma  maîtresse. 

(  à  Damis.  ) 

Je  suis  à  vous,  monsieur. 

(  Il  met  répée  à  la  main  contre  La  Riyière  et  ses  compagnons , 

qn'il  met  en  fuite. 

DAMIS. 

O  ciell  par  quel  secoui^s 
D'un  trépas  assuré  vois- je  sauver  mes  jours? 
A  qui  suis-je  oblige  d'un  si  rare  service? 

ERASTB,  revenant. 

Je  n'ai  fait,  vous  servant,  qu'un  acte  de  justice. 

DAMIS« 

CielJ  puis- je  à  mon  oreille  ajouter  quelque  foi? 
Est-ce  la  main  d'Eraste.  • .  ? 

étlASTB. 

Oui,  oui,  monsieur,  c'est  moi- 
Trop  heureux  que  ma  main  vous  ait  tiré  de  peine , 
Trop  malheureux  d  avoir  mérité  votre  haine. 

DAMIS. 

Quoi!  celui  dont  j'avois  résolu  le  trëpaâ 


a44  LES  FACHEUX. 

Est  celui  qui  pour  moi  vient  dVmpIoyer  son  bras! 

Âh !  c'en  est  trop;  mon  cœur  est  contraint  de  se  rendre; 

Et,  quoi  que  votre  amour  ce  soir  ait  pu  prétendrei 

Ce  trait  si  surprenant  de  générosité 

Doit  étouffer  en  moi  toute  animosité. 

Je  rougis  de  ma  faute  y  et  blâme  mon  caprice. 

Ma  haine  trop  long-temps  vous  a  fait  injustice; 

Et,  pour  la  condamner  par  un  éclat  fameux, 

Je  vous  joins  dès  ce  soir  à  Tobjet  de  vos  vœux. 

SCÈNE  VI. 

ORPHISE,  DÀMIS,  ÉRASTE. 

ORPHISE,  sortant  de  ohiez  elle  ayec  un  flambeau. 

Monsieur,  quelle  aventure  a  d'un  trouble  eflSroyable... 

DAMIS. 

Ma  nièce,  elle  na  rien  que  de  très-agréable, 
Puisque  après  tant  de  vœux  que  j'ai  blâmés  en  vous, 
C'est  elle  qui  vous  donne  Eraste  pour  époux. 
S«n  bras  a  repoussé  le  trépas  que  j'évite, 
Et  je  veux  envers  lui  que  votre  main  m'acquitte. 

ORPHISE. 

Si  c  est  pour  lui  payer  ce  que  vous  lui  devez  ) 
J*y  consens,  devant  tout  aux  jours  qu'il  a  sauvés» 

ÉRASTE. 

Mon  cœur  est  si  surpris  d'une  telle  merveille, 
Qu'en  ce  ravissement  je  doute  Jsi  je  veille. 


ACTE  m,  SCÈNE  VL  '  a45 

DÀMI& 

Célébrons  llieureux  sort  dont  vous  allez  jouir , 
Et  ^e  nos  violons  viennent  nous  réjouir. 

(  On  frappe  À  la  porte  de  Damis. } 

^RASTE. 

Qui  frappe  là  si  fort? 

SCÈNE   VIL 

DAMIS,  ORPfllSE,  ÉRASTE,  L'ÉPINE. 

l'épine. 

Monsieur,  ce  sont  des  masques 
Qui  portent  des  crincrins  *  et  des  tambours  de  Basques. 

(  Les  masques  entrent,  qui  occupent  toute  la  placc«) 

ÉRASTE. 

Quoi!  toujours  des  fâcheux?  Holà!  Suisses,  ici; 
Qu'on  me  fasse  sortir  ces  gredins  que  voici. 

I——      ■  Il  lll.!!»!  I  llll  I  I        — — ^» 

BALLET  DU  TROISIÈME  ACTE. 

PREMIERE    ENTRÉE. 

Des  Suisses  avec  des  hallebardes  chassent  tous  «les 
piasques  fâcheux^et  seretirent  ensuite  pour  laisser  danser. 

SECONDE   ENTRÉE. 

Quatre  bergers  et  une  bergère  ferment  le  divertissement. 


■«• 


I  Le  mot  crincrins,  pour  violons,  ne  se  trouye  dans  aucun  dic- 
tionnaire. 


FIN  DES    FACHEUX. 


«  I  »   ■   ■  ■     « 


RÉFLEXIONS 

SUR 

LES  FACHEUX. 


On  peut  regarder  cette  pièce  comme  un  tour  de  force  :  l'au- 
teur fut  averti  trop  tard  par  M.  Fouquet ,  qui ,  dans  la  fête 
célèbre  qu'il  douna  à  Louis  XI Y*,  n'eut  pas  d'abord  le  projet 
de  faire  entrer  un  spectacle  dramatique.  Cette  comëdie ,  comme 
le  dit  Molière^  fui  conçue,  faite,  apprise  et  représentée  en  quinze 
jour$^  Si  l'on  eon-sidère  con^bien  de  portraits  elle  renferme,  si 
l'on  réfléchit  qu'elle  est  écrite  en  vers ,  pn  se  fera  une  idée  de 
rétonnante  facilité  de  l'auteur. 

La  première  conception  des  Fâcheux  est  puisée  dans  la 
neuvième  satire  d'Horace  et  daiis  la  huitième  de  Régnier,  qui , 
quoiqu'elle  ne  soit  qu'une  imitation  de  la  pièce  latine,  pré- 
sente des  développements  nouveaux  dont  Molière  a  proGté. 
Le  récit  que  fait  Ëraste  dans  la  première  scène  embrasse 
presque  tout  le  plan  de  la  satire  d'Horace. 

'  ((  Je  passois  ^  dit  Horace ,  dans  la  voie  Sacrée ,  rêvant , 
((  selon  ma  coutume ,  à  des  bagatelles  dont  j'étoîs  tout  occupé. 
'c(  Un  certain  personnage,  que  je  connois  à  peine,  m'aborde,  et 
<(  me  prenant  la  main  :  Comment  vpus  portez-vous,  mon  cher? 
t<  me  dit-il.  -^Très-bîen ,  pJcêt  à  vous  servir.  Voyant  qu'il  me 

*  Iham  foctè  via  Sacra ,  sicut  ïaieua  est  mos , 

lïescio  qiiid  meditans  nugarum,  totus  in  ilHs  :  ■ 

Accurrit  quidam  notus  mihi  Domine  tantùm  ; 

Arreptâque  manu  :  Quid  «gis,  dulcissime  reiiun? 


REFLEXIONS  SUR  LES  FACHEUX.   «47 

«  suivoît  :  Que  voulez-yous?  lui  dis-jc.  —Je  veux  cultivei 
«  votre  connoissance  :  je  ne  suis  pas  étranger  aux  lettres. — 
Yc  Tant  mieux ,  j'en  ai  plus  de  considëration  pour  vous  ;  et  je 
«  cherche  à  m'esquiver.  Tantôt  je, presse  le  pas,  tantôt  je  la 
«  ralentis  ;  quelquefois  je.  dis  un  mot  à  mon  valet  :  la  sueuc 
((  inonde  mes  memhres. .  •  Le  bourreau  m'accable  de  son  hAf 
«  vardage  :  il  loue  la  ville  et  la  campagne  de  Rome.  Comme  je 
ce  ne  lui  réponds  pas  un  mot  :  Je  vois  bien ,  dit-il ,  que  vout 
«  voulez  m'ëchapper;  mais  ce)a  ne  vous  sera  pas  facile  :  je  ne 
w  vous  quitte  pas,  et  je  vous  suivrai  partout  où  vous  irez. — ; 
'((  Epargnez-vous  cette  peine  :  je  vais  chez  un  de  mes  amis  quj 
«  ne  vous  est  pas  connu  :  il  demeure  fort  {pin  d'i,ci,  au-d<elà 
.<(  du  Tibre,  près  des  jardins  de  César. — Je  n'ai  rien  à  faire, 
«  rëplique  le  traître;  je  marche  bien,  et  je  vous  suivrai,  etc.  » 
CeFiMieux  tojirmente  encore  Horace  :  il  a  un  procès  ;  mais , 
an  lieu  d'aller  s'en  occuper,  il  aime  mieux  continuer  ses  im- 
poi^unités.  Enfin,  par  bonheur,  il  rencontre  sa  partie  adverse 

Suaviter  ut  nunc  est ,  inquam  ;  et  cupio  oznnia  quœ  vis. 

Quiun  assectaretur  :  Numquid  vis  ?  occupo.  Al  ille  : 

Nôris  nos ,  inquit  ;  docti  suxnus.  Hîc  ego  :  Pluris 

Hoc,  inquam,  mihi  eris.  Miserè  discedere  quaerens, 

Ire  modo  ociùs ,  interdiim  consistere ,  in  aurem 

t)icere  nescio  quid  puero.  Quùm  sudor  ad  îmos  « 

JVf  anaret  talos.  ..'...... 

,  .  Quùm  qui^libet  ille 

Garriret,  vicos,  urbem  laudaret;  ut  illi 
Nil  respondcbam  :  Miserè  cupis ,  inquit ,  abire  : 
Jamdudùm  video  {  sed  nil  agis  ;  usquè  tenebo: 
Persequar.  Hinc,  quo  nunc  iter  e«t  tibi?  Nil  opus  est  te 
Circumagi  :  qaemdam  volo  visefre  non  tibi  notum  ; 
Tran»  Tiberîm  longà.cubat  is ,  propè  Caesari«  hortos. 
•  Nil  habeo  quod  agam ,  et  non  suro  piger  ;  usquè  sequar  te 


î48  RÉFLEXIONS 

qui  Parrête  en  criant  ;  et  le  poète  profite  de  la  dispute  pour 
s'échapper. 

'  Molière  délivre  Ëraste  d'une  manièpe  qui  se  rapproche 
beaucoup  de  celle-ci  :  du  reste ,  la  peinture  d'un  Fâcheux  qui 
accable  eu  plein  théâtre  un  honnête  homme  de  ses  importu- 
nités,  et  qui  lui  fait  partager  le  ridicule  dont  il  se  couvre,  est 
d'une  force  comique  qu'on  ne  trouve  pas  au  même  degré  dans 
le  badiuago  élégant  d'Horace. 

Régnier,  en  suivant  l'idée  du  poëtc  latin ,  y  a  joint  un  épi- 
sode qui  paroît  avoir  fourni  à  Molière  le  nœud  de  sa  pièce.  II 
suppose  qu'un  Fâcheux  le  suit  jusque  chez  sa  maîtresse ,  étale 
toute  sa  fatuité  dsms  cette  maison ,  et  ne  lui  laisse  pas  un  mo- 
ment pour  parler  de  son  amour  : 

Ce  fan&ron  chez  elle  eut  do  moi  cognoissanoe  ; 
Et  pe  fut  de  parler  jamais  en  ma  puissance, 
Lui  voyant  ce  jour-là  son  chapeau  de  velours , 
Bire  d*un  fascheax  conte,  et  &ire  un  sot  discours  ; 
Bien  qu'il  m'eût  â  Tabord  doucement  fait  entendre 
Çn^\  ëtoit  mon  valet  k  vendre  et  à  despendre  ; 
Et,  détournant  les  jeux  :  Celle,  à  ce  que  j*eii tends, 
Comment  !  vous  gouvernez  les  beaux  esprits  du  temps  I 
Et ,  faisant  le  doucet  de  parole  et  de  geste , 
Il  se  met  sur  un  lit,  lui  disant  :  Je  proteste 
Çue  je  me  meurs  d'amour  quand  je  suis  près  de  vous  ; 
Je  vous  aime  si  fort,  que  j'en  suis  tout  jaloux. 
Puis ,  recbangeant  de  note ,  il  montre  sa  rotonde  : 
Cet  ouvrage  est-il  beau  ?  Que  vous  semble  du  monde  ? 
L'homme  que  vous  savez  m*a  dit  qu*il  n'aime  rien. 
Madame,  à  votre  avis,  cejourdTiui  suis-je  bien? 
Suis<je  pas  hien  chaussé  ?  Ma  jambe  est-elle  belle  ? 
Voyez  ce  tafiètas ,  la  mode  en  est  nouvelle  ; 
C'est  œuvre  de  la  Chine.  A  propos ,  on  m*a  dcct 
Qu«  contre  les  clinquants  le  roi  fait  un  cdic^ 


1 


SDR  LES  FACHEUX.  S149 

Sur  le  ooudo  U  m  met ,  troii  boutont  ae  dëlace. 

Ma'dame ,  bauec^mei  :  u*ai-je  pas  bonne  grAoe  ? 

Que  vous  êtes  jOtoheuse  ?  A  la  fin  on  Terra , 

Rosette ,  le  premier  qui  s*en  repentira.  ' 

Eiccobpni  prétend  mal  à  propos  que  l'idëe  des  Fâcheux 
fut  donnée  à  Molière  par  une  farce  italienne,  intitulée  :  gli 
(NTEKHOMnMENTi  Di  Pantàlone,  dout  Yoici  le  sujet.  Le  viQ.ux 
Pantalon  est  amoureux  d'une  jeune  fille  qu'il  tourmente  sans 
cesse.  Un  valet  de  cette  fille ,  dans  le  dessein  de  la  débarrasser 
des  poursuites  du  vieillard ,  imagine  de  faire  venir  successi- 
vement plusieurs  personnages  qui ,  sous  différents  prétextes , 
entretiennent  Pantalon ,  et  lui  font  manquer  le  rendez -vous 
que  la  jeune  personne  avoit  été  obligée  de  lui  accorder.  On 
voit  que  Pantalon  n'a  aucun  rapport  avec  Ëraste  :  d'ailleurs , 
les  Fâcheux  qui  importunent  ce  vieillard  ridicule  ne  sont  que 
de  misérables  farceurs ,  tandis  que  Moîière  a  profité  de  l'oc- 
casion pour  mettre  en  scène  des  caractères  extrêmement 
variés. 

Il  paroit  que  l'auteur,  en  traçant  deux  de  ces  caractères  ; 
s'est  rappelé  une  des  plus  jolies  nouvelles  de  Cervantes.  Le  dia- 
logue DE  DEUX  CHIENS  cst  ccllc  OÙ  l'autcur  espagnol  a  le  mieux 
peint  les  mœurs  de  son  temps ,  et  relevé  les  travers  de  toutes 
les  classes  de  la  société.  On  voyoit  déjà  au  commencement  du 
dix-septième  siècle  de  grands  seigneurs  s'occuper  d'arts  fri- 
voles, et  s'en  glorifier  plus  que  s'ils  avoient  fait  des  actions 
dignes  de  leur  rang.  Cervantes  les  attaqlie  avec  beaucoup  de 
raison  et  de  finesse.  Un  des  interlocuteurs,  après  avoir  parlé 
de  la  fable  de  l'Ane  et  du  petit  Chien,  continue  ainsi  : 

'  a  II  me  semble  que  cette  fable  nous  donne  à  entendre  que 

>  Parcceme  que  esta  fabula  nos  da  a  entcuder  que  cl  donayre  y. 


a5o  RÉFLEXIONS 

a  les  grâces  et  les  gentillesses  qui  conTienoent  aux  uns  seroient 
<(  dëplacj^es  dans  d'autres.  Le  baladin  peut  dire  des  folies, 
«  l'histrion  dëclamer  et  gesticuler ,  le  charlatan  amuser  le 
«  peuple  en  contrefaisant  le  chant  des  oiseaux  ou  les  cris  des 
«  animaux  :  tout  cela  convient  à  des  hommes  du  peuple  ;  mais 
a  tju^un  gentilhomme,  un  grave  magistrat  s'exerce  à  ces  tours 
«  d'adresse,  plus  il  excellera,  plus  il  sera  mëprisë.  Plût  à  Dieu 
«  (jue  tous  ceux  que  je  vietas  de  designer  pussent  m'entendre! 
<f  Je  ne  sais  quel  instinct  naturel  me  fak  trouver  ridicule 
((  qu'un  gentilhomjne  se  pique  d'être  un  excellent  escàmo- 
Cl  teur ,  et  qu'il  se  glorifie  de  n'avoir  pas  son  pareil  pour  la 
c(  danse.» 

Le  gentilhomme  qui  interrompt  Ëraste  pour  lui  chanter  une 
courante  de  sa  composition ,  dont  la  tête  n'est  remplie  qu^  de 
semblables  bagatelles,  paroît  calque  sur  les  personnages  atta- 
qués par  l'auteur  espagnol. 

L'homme  à  projets  qui  veut  convertir  toutes  les  sôtes  de 
France  en  ports  do  mer,  parce  que  les  ports  enrichissent  un 
Etat,  a  des  rapports  marques  avec  un  personnage  de  Cervantes, 
qui  a  aussi  la  manie  des  projets.  Tous  deux  annoncent  qu'ils 
ne  sont  pas  des  charlatans,  et  qu'ils  s'occupent  de  choses  se- 

garbo  de  alganos ,  no  estan  bien  en.  otros  :  apode  el  truhan ,  juegoe  d< 
manos  y  voltos  el  histrion ,  réhuzne.el  picaro,  imite  el  cjuito  de  los  paxaroSi 
y  los  diverso^  ges|09  y  accio^es  de  lo^  ^animales  y  los  hoinibres  el  hombrs 
baxO)  que  se  huyiere  dadp  a  ello,  y  no  lo  quiera  hacer  el  hombre  {«iqcipal 
a  quien  nînguna  babilidad  destas  le  puede  darcredito  ni  nombre  honnosci. 
Oxala ,  que  como  tu  me  entiendes ,  me  entendiesen  aquellos  por  quien  lo 
digo!  Que  no  se  que  leugo  de  buen  natural,  que  me  pesa  infinito ,  quaodo 
Veo  que  un  cabidlero  se  bace  chocarrero,  y  se  precia  que  sabc  jugar  los 
cubiletes ,  y  las  agallas ,  y  que  no  hay  quien  como  cl  scpa  baylar  la  oha- 
Oona.  (  Coîoquio  de  los  Perros.  ) 


SUR  LES  FACHEUX.  a5i 

rieuse^  9tf  îiiiiportailtes  :  rhomme  à  projets  de  Molière  com- 


mence ainsi  : 


J0  n€  mé  repais  point  de  visions  IjiToles , 
Et  je  rm»  porte  ici  de  solides  paroles. 

Celui  de  Cervantes  n^a  pas  moms  bonne  opinion  de  lui-même  : 
son  projet  est  au  moins  aussi  comique  queles  spëculations  d'Or- 
min  :  il  feutconsidéi^erque  ce  grand  économiste  est  k  l'hôpital  : 
"  •«  Pour  moi ,  dit-îl ,  je  n'aime  point  les  travaux  qui  ne  nour- 
<t  rissent  pas  leurs  maîtres.  Je  m'occupe ,  messieurs ,  d'écono- 
«  mie  politique ,  et  j'ai  soumis  en  difFérents  temps  à  sa  majesté 
«  plusieurs  projets  utiles  pour  elle,  sans  qu'ils  fussent  nuisibles 
«  au  peuple.  J*ai  dans  ce  moment  un  mémoire  par  lequel  je  la 
<c  supplie  de  faire  examiner  un  de  mes  projets  qui  me  semble 
a  propre  à  acquitter  en  peu  de  temps  toutes  les  dettes  de 
«  FÊtat  :  mais  le  sort  de  mes  autres  mémoires  ne  me  fait  pas 
ce  beaucoup  espérer  pour  celui-là.  Cependant,  afin  que  vos 
«  seigneuries  ne  me  regardent  pas  comme  un  insensé ,  je  veux! 
«  le  leur  soumettre.  Il  consiste  à  proposer  que  tous  les  sujets 
«  de  sa  majesté,  depuis  l'âge  de  quatorze  ans  jusqu'à  soixante, 


»  Reniego  yo  de  oficios  y  exercicios  que  ni  entrctieneni  ni  dan  de  corner 

a  sus  'duenos  i  yo  senores,  soi  arbitrista,  y  be  dado  à  su  magestad  en  Jife- 

rcntes  tiempos  muçbos  y  difeientes  arbitrios  lodos  en  provecho  sayo ,  y 

sin  dano  del  reyno^  y  abora  tengo  becho  un  memorial.dcnde  le  suplico 

nie  scuale  persona  coq  ^wen  comunique  un  auevo  arbi^o  que  tengo^  tal 

que  ba  de  ser  la  total  restauracion  de  sus  empenos  ;  peA>  ppr  lo  que  me 

ha  sucedido  ton  los  otros  memoriales ,  entiendo  que  este  tambien  ba  de 

par-ar  en  el  carnero.  Tdas  porque  vuesas  meroedes  no  me  tengan  por  mente* 

cato,  aùnqUemi  arbitrio  quede  desde  este  punto  publico,lesquiero  deeir- 

que  es  este.  Consiste  â  proponer,  que  todps  los  vasallos  de  suinagestad 

desde  edad  de  catorce  a  scsenta  anos  sean  obligados  a  ayunar  una  vez  en  e) 

mes  a  pan  y  agua,  y  eslo  ha  de  ser  el  dia  que  se  escogiere  y  saûalare,  y 


/ 

aSa  RÉFLEXIONS 

«c  soient  obligésde  jeûner  une  fols  par  mois  au  pain  et  à  Peau, 
xc  et  que  ce  qu'ils  dëpenseroient  en  vin,  en  viande,  en  pois- 
ce  son,  en  œufs  ou  en  lëgumes,  soit  versé  dans  les  caisses 
c<  royales ,  avec  serment  de  n'en  rien  retrancher.  Par  cet  impôt 
((  d'une  espèce  nouvelle ,  l'Ëtat  au  bout  de  vingt  ans  seroit  dé* 
((  chargé  de  toutes  ses  dettes.  En  voici  la  preuve  que  j'ai  ac- 
cc  quise  par  mes  calculs  :  Il  y  a  en  Espagne  plus  de  trois  millions 
tt  de  personnes  qui  ont  l'âge  requis  ;  je  ne  compte  pas  les 
«  vieillards,  les  enfants  et  les  malades.  La  dépense  d'un  jour 
«  ne  peut  être  évaluée  à  moins  d'un  féal  et  demi  :  ce  seroit 
«c  donc  plus  de  trois  millions  de  réaux  qui  entreroient  chaque 
Ai  mois  dans  les  coffres  du  roi.  Les  Espagnols,  ainsi  imposés, 
«  gagneroient  plus  qu'ils  ne  perdroient  :  ils  auroient  le  double 
«  avantage  de  plaire  à  Dieu  et  de  servir  le  roi  :  tel  d'entre  eux 
<c  obtiendroit  son  salut  par  cette  pénitence.  Voila  mon  projet; 
«  il  ne*présente  aucun  des  inconvénients  des  autres  contribu- 
«  tiens.  Cet  impôt  pourroit  se  lever  dans  les  paroisses ,  sans 
u  qu'on  eût  besoin  de  cette  armée  de  collecteurs  et  de  commis 
<(  qui  ruinent  r£tat.  » 

que  todo  el  gasto  que  en  olros  conduxnios  de  fruta,  carne,  y  pescado, 
vîno ,  huevos  y  legunibres  que  se  han  de  gastar  aquel  dia ,  se  reduzga  i 
dinero ,  y  se  xle  â  su  niagestad  sin  defraudarle  un  xnarayedi ,  y  con  esto 
-  en  veinte  auos  queda  el  e  tado  libre  y  desempenadcf  :  porqne  si  se  hace 
la  cuenta  como  yo  la  tengo  beçha ,  bien  bay  en  Espana  mas  de  très  mil-" 
lones  de  personas  de  la  dicba  edad,  fuera  de  los  enfermos,  mas  viejos 
o  mas  mucbachos  :  y  ningnno  destos  dexara  de  gastar*  y  esto  contado  al 
menorete ,  cada  dia  real  y  medio ,  y  yo  quiero  que  no  sea  mas  de  un  real 
que  no  puedc  ser  menos,  aunque  coma  albolvas.  Y  esto  antes  séria  provecha 
qiie  danod  los  ayunantes  ;  porque  con  el  ayuno  agradarian  aï  cielo,  y  ser- 
virian  a  su  rey ,  y  tal  podria  ayunar  que  le  fucse  conveniente  para  su 
saUid.  Este  es  el  arbitrio  limpio  de  polvo  y  de  paja ,  y  prodriase  cojer  por 
parroquias  siu  costa  de  comisarios ,  que  dcstruycn  la  r>  publica. 


SUR  LES  FACHEUX,  a53 

Cette  idée  de  faire  jeûner  toute  l'Espagne  estt  anssî  singu- 
lière et  aussi  coïnique  que  celle  des  ports  de  mer  :  mais  ce  qui 
rend  la  scène  de  Molière  plus  piquante ,  c'est  que  cet  Ormin  y 
qui  ne  parle  que  de  millions,  et  qui  veut  faire  la  fortune 
d'Ëraste  y  finit  par  lui  emprunter  deux  pistoles. 

Molière  y  dans  cette  pièce  y  combattit  d'autres  travers  plus 
importants.  On  a  vu ,  dans  le  Discours  préliminaire ,  qu'il  eut 
la  noble  hardiesse  de  s'ëlevcr  contre  la  manie  des  duels,  alors 
très-répandue,  malgré  les  édits  les  plus  sévères. 

Aux  premières  repsésentations ,  la  scène  du  chasseur 
n'existoit  pas.  Louis  XIY,  ayant  fait  jouer  la  pièce  à  Ver- 
sailles, parla  de  ce  ridicule  à  l'auteur,  et  lui  donna  pour  mo- 
dèle son  grand-veneur,  M.  de  Soyecour,  qui  portoit  le  goût 
de  la  chasse  jusqu'à  la  folie.  Si  l'on  en  croit  madame  de  Sévi- 
gné ,  cet  ofBcier  avoit  peu  d'esprit  :  sa  manie  l'absorboit  en- 
tièrement, et  la  course  moquoîtde  lui.  M.  de  Yivonne,  général 
des  galères,  plein  de  cet  esprit  des  Mortemarts,  qui  avoit  alors 
tant  de  succès,  '  s'amusoit  souvent  à  le  déconcerter.  Un  jour 
Soyecour,  assez  sujet  aux  distractions,  lui  demanda  :  Quand 
le  roi  ira-t'H  à  la  chasse?  Vivonne,  étonné  qu'un  grand -veneur 

fit    cette    question  ,   lui   répondit  :    Quand  tes  galères  parti- 
ront-elles ? 

La  scène  d'Orante  et  de  Climène  rappelle  les  questions  fri- 
voles qu'on  agitoit  à  l'hôtel  de  Rambouillet,  et  qui  donnoient 
lieu  à  des  discussions  très-longues.  Un  amant  jaloux  aime-t-il 
mieux  que  celui  qui  s'abandonne  à  la  fidélité  de  sa  maîtresse  ? 
Cette  question  est  approfondie  devant  Ëraste,  qui  brûle  d'aller 
à  un  rendez-vous;  et  son  impatience  rend  encore  plus  comique 

-  -  - r 

>  Madame  de  Montespan,  sa  aœnr,  ëtoit  en  faTeur. 


a54     RÉFLEXIONS  SUR  LES  FACHEUX. 

la  sulitilité  et  la  fausse  délicatessd^es  précieuses.  Maigre  son 
humeur,  il  tranche  très-hien  U  questîou  : 

Le  jaioux  aûn/e  phu ,  et  Tautre  aime  biea  mîeaz. 

Cette  décision  est  digne  de  Molière  ^  et  très- conforme  à  son 
caractère. 

Le  dénouement  des  Fâcheux  a  ëté  critique  de  nos  jours  : 
mais  on  n'a  pas  remarque  qu'il  est  conforme  aux  mœurs  du 
temps.  A  cette  ëpoque ,  on  se  faisoit  accompagner  aux  rendez- 
vous  par  des  hommes  armés  ;  on  ëtoit  toujours  prêt  à  mettre 

r 

l'ëpëe  à  la  main  ;  et  les  aventures  du  genre  de  celle  d'Eraste  et 
de  Damis  n'ëtoient  pas  rares.  Notre  police ,  plus  régulière 
aujourd'hui,  ne  doit  pas  nous  faire  trouver  des  défauts  dans 
une  comédie  ancienne. 


LECOLE 


DES  FEMMES, 


COMÉDIE 

EN  CINQ  ACTES  ET  EN  VERS, 

Repréfrentëe  à  Paris  ,  sur  le  théâtre  du  Palais -Rojal ,  le  a6 

décembre  i66a. 


-.-' 


^ 


A  MADAME 


Madame, 


Je  suis  le  plus  embarrassé  homme  du  monde  lorsqu'il 
me  faut  dédier  un  livre  ;  et  je  me  trouve  si  peu  &it  au  style 
d  epître  dédicatoire,  que  je  ne  sais  par  od  sortir  de  celle- 
ci.  Un  autre  auteur  qui  seroit  à  ma  place  trouveroit  d^abord 
cent  belles  choses  à  dire  de  votre  altesse  royale  sur  ce  titre 
de  VEcole  des  Femmes/ei  l'offre  qu^il  vous  en  feroit.  Mais, 
pour  moi  y  Madame,  je  vous  avoue  mon  foible  rje  ne  sais 
pomt  cet  art  de  trouver  des  rapports  entre  des  choses  si 
peu  proportionnées;  et  quelque  belles  lumières  que  mes 
confrères  les  auteurs  me  donnent  tous  les  jours  sur  de 
pareils  sujets,  je  ne  vois  point  ce  que  votre  altesse  royale 
pourroit  avoir  à  démêler  avec  la  comédie  que  je  lui  pré- 
sente. On  n'est  pas  en  peine,  sans  doute,  comme  il  faut 
faire  pour  vous  louer  :  la  matière ,  Madame ,  ne  saute  que 
trop  aux  yeux;  et  de  quelque  côté  qu'on  vous  regarde,  on 
rencontre  gloire  sur  gloire  et  quahtés  sur  qualités.  Vous 
en  avez,  Madame,  du  côté  du  rang  et  de  la  naissance,  qui 
vous  font  respecter  de  toute  la  terre.  Vous  en  avez  du  côté 
des  grâces  et  de  Pesprit  et  du  corps,  qui  vous  font  admirer 
de  toutes  les  personnes  qui  vous  voient*  Vous  en  avez  du 


ÉPITRE*£)ÉDICATOIRE.  257 

côté  de  rflme,  qui,  si  l'on  ose  parler  ainsi,  vous  font  aimer 
de  tons  ceux  qui  ont  l'honneur  d  approcher  de  vous  :  je 
veux  dire  cette  douceur  pleine  de  charmes  dont  vous  dai- 
gnez tempérer  la  fierté  des  grands  titres  que  vous  portez , 
cette  bonté  tout  obligeante,  cette  affabilité  généreuse  que 
vous  faites  paroitre  pour  tout  le  monde.  Et  ce  sont  parti- 
culièrement ces  dernières  pour  qui  je  suis,  et  dont  je  sens 
fort  bien  que  je  ne  me  pourrai  taire  quelque  jour.  Mais 
encore  une  fois,  Madame,  le  ne  sais  point  le  biais  de  faire 
entrer  ici  des  vérités  si  éclatantes;  et  ce  sont  choses,  à  mon 
avis ,  et  d'une  trop  vaste  étendue  ^  et  d  un  mérite  trop  relevé, 
pour  hft  vouloir  renfermer  dans  une  épitre  et  les  mêler 
avec  dés  bagatelles.  Tout  bien  considéré,  Madame,  je  ne 
vois  rien  à  faire  ici  pour  moi  que  de  vous  dédier  simple- 
ment ma  comédie,  et  de  vous  assurer,  avec  tout  le  respect 
qu'il  m'est  possible ,  que  je  suis , 


Madame, 


de  votre  altesse  royale 


le  trés-humble,  très^béistUnt 
^    et  très-obligé  servitear, 

MOLIÈRE. 
MoLiiRk.  a.  17 


PRÉFACE. 


Bien  âes  gens  ont  firondé  d'abord  cette  comédie  :  mais 
les  rieurs^oBt  été  pour  elle;  et  tout  le  mal  qu'on  en  a  pu 
dire  n'a  pu  faire  (Ju  eUe  n'ait  eu  un  snccës  dont  je  me  coa- 
tente.  Je  sais quoo  attend  defià<)i  dans  cette  impression 
quel(}ue  préface  qui  réponde  anx  censeurs,  et  rende  raison 
de  mon  ouTrage  ^  et  sans  doute  que  je  suis  assez  redevable 
à  toutes  les^personnes  qui  lui  ont  donn^  leur  approbation 
pour  me  croire  obligé  de  déf^idre  leur  jugemeii^ontre 
celui  des  autres  :  mais  il  se  ttouye  qu'une  grande  partie 
des  choses  que  j'aurois  à  dire  sur  ce  sujet  est  déjà  dans  une 
dissertation  que  j'ai  &îte  en  dialogue,,  et  dont  je  ne  sais 
encore  ce  que  je  ferai.  L'idée  de  ce  dialogue,  ou,  si  Ton 
V(^ut,  de  cette  petite  comédie,  me  vint  après  les  deux  ou 
trois  premières  représentations  de  ma  pièce.  Je  la  dis, 
cette  idée^  dans  une  maison  où  je  me  trouvai  un  soir  :  et 
d'abord  une  personne  de  qualité ,  dont  Tesprit  est  assez 
connu  dans  le  monde,  et  qui  me  fait  Thonneur  de  m^aimer. 
trouva  le  projet  assez  à  son  gré ,  non-seulem,ent  pour  me 
solliciter  dy  mettre  la  main ^  mais  encore  pour  l'y  mettre 
lui-même;  et  je  fus  étonné  que,  deux  jours  après,  il  me 
montra  toute  l'affaire  exécutée  d'une  manière,  à  la  vérité, 
beaucoup  plus  galante  et  plus  spirituelle  que  je  ne  puiâ 
faire ,  mais  où  je  trouvai  des  choses  trop  avantageuse* 
pour  moi;  et  j'eus  peur  que,  si  je  produisois  cet  ouvrage 


tSfirËFÂCE.  ^ 

sur  iu>tre  théâtre ,  on'  ne  nCaççasâjt  d'aToir  mendié  les 
louanges  qu'on  m  y  donnolt.  Cependant  cela  m'empêcha  ^ 
par  qaelqiie  considération  ^d'ache^r  ee  que  j'atvqU  Qp^p^ 
mencé.  Mais  tant  de  gens  me  pressât  tous  les  jonr$^  de  U 
faire,  que  je  ne  sais  ce  qui  en  sdra;  et  cette. incertitaik 
est  cause  que  je  ne  mets  point. dans  ceCte  prâ^  ce  qu'on 
verra iUms  la  critique,  en  cas  que  je  m& résolve  à  la  bkû 
paroître.  S^il  faut  que  cela  soit,  je  te  dis  encore,  ce  sera 
seulement  pour  venger  le  public  du  chagrin  déHcai  de  cei^* 
taines  gens;  car,  poinr  moi,  je  m'en  tiens  assez  vengé  par 
la  réussite  de  ma  comédie;  et  je  souhaite  cpie  toutes  ceHeii 
que  je  pourrai  Étire  soient  traitées  par  eux  comme  celle-ci, 
pourvu  que  le  reste  soit  de  même. 


**■■*■ 


PERSONNAGES. 

ARNOLPHE  ott  LA  SOUCHE. 

AGNES,  fille  d'Enrique. 

HORACE ,  amant  d'Agnès ,  fils  d'Oronte. 

CHRYSALDE ,  ami  d'Arnolphe. 

ENRIQIJEy  beau-frère  de  Chrysalde  et  père  d'Agnès. 

ORONTE,  père  d'Horace  et  ami  d'Arnolphe. 

tALAINy  paysan  y  valet  d'Arnolphe.' 

GEORGE! TE,  pajia^ne,  scirviinte  d'Arnolphe. 

UN  NOTAIRE. 


La  scène  est  à  Paris,  dans  une  place  dun  faubourg. 


LECOLE 

DES  FEMMES. 


10»^* 


AGTE  PREMIER. 


•       SCÈNE'  I. 

;  CQRYSÂLOE,  ARNOLPflE. 

^  '*■  •  • .  •        •  •     .  • 

GHRTSALDE. 

V  ous  venez,  dites-vous,  pour  lui  donner  la  main? 

,    ARNOLPHB. 

Oui.  Je  veux  terminer  la  chos^  dan3  demiain. 

Nous  sommes  ici  seuls;  et  Ton  peut,  ee  me  semble,-  . 
Sans  craindre  d^étre  ouïs ,  y  discourir  ensemble. 
Voulez-vous  qja-en  ami  je  vous  ouvre  mon  cœfur  ? 
Votre  dessein  pour  vous  me  fait  trembler  de  peur-: 
Et,  de  quelqne Êiçonque yous  tourniez  l'affaire. 
Prendre  femme  est  à  vous  un  coup  bien  téméraire. 

.  ARNO.LPHJS. 

II  est  vrai ,  notre  ami  ,,p€Ut-^tre  cpe  chez  vous 
Vous  trouvez  des  sujets  de  ciaindre  pour  chez  nous; 
Et  votre  front,  je  crois,  veut  que  du  mariags 
Les  cornes  soient  partout  linfaillible  apanage^ 


i. .  • 

•  r 


a6a  L'ÉCOtB  DÇS  FEMMES. 

CHRTSALDE. 

Ce  sont  (^]b$4u1)Asard)  doftt  çt  n^eàt  peÛÉt^ant; 
Et  bien  sot,  ce  me  senû)lé,  est  le  soin  qii'dîf  en'pPend. 
Mais  quand  jexrains  ponr  yoiîs^,  t:^  oette  raillerie 
Dont  cent  pauvres  maris  ont  souffert  la  furie  : 
Car  enfin  voùi  saVèz  tpiA  û^si  gra^lds  m^tits 
Que  de  yotre  critique  on  ait  vus  garantis; 
Que  vos  plus  grands  plaisirs  sont,  partout  où  vous  êtes, 
Pe  faire  cent  éclats  dés  iirtrittkès  sej^ètes. . . 

•  »         •  o       •     .  » 

ARNOLPHE. 

Fort  bien.  Est-il aU  inolK^  uHe^tttfe  vïUè  è[«iisi 

Où  Ton  ait  des  maris  si  patients  qu'ici? 

Est-ce  qu'on  n'en  voit  pas  de  toutes  les  espèces, 

Qui  sont  accommodés  chez  eiixâe  tbùtèà  pièces? 

L'un  amasse  du  bien,  dotit  Sa  femme  fait  part 

A  ceux  qui  prennéûi  Ébiïi  3é  lè  felrè  c6 Aiârd  : 

L'autre ,  un  peu  plus  heureux ,  màisïion  pas  moins  infâme, 

Voit  faire  tous  M  J'ô'ilr^  desftèseMs  à  fe'fëihtiîè, 

Et  d'aucun  soin  jaloux  n'a  l'espfit  combattu, 

Parce  qu'elle  lui  dit  qilé  c  est  pour  kâ  Verttt. 

L'un  fait  bëiiûcoiip  dé  Ibtûit  qui  liè  îui  Isert  de  guètfes  : 

L'autre  éri  toute  (toucéur laissé  âHè'rles  affaires, 

■  ■  •  ■     •   •  ...  . .  ,  '  • 

Et ,  voyant  arriver  chez  lui  le  dâmôiseâti ,  * 

Prend  fort  honnêtement  ses  gants  et  son  manteau. 

L'une  de  son  galant,  en  aâroïté  jfenieB'e , 

Fait  fausse  confidence  à  son  épô'ux  fidèle ,  ' 

Qui  dort  en  suretë  sur  un  pareil  âppàs,     * 

Et  le  plaint ,  <:è  galant ,  des  Soihè'  qtt'îï  ité  peïd  pas  : 


.      ACTE  I,  SXÈTÎE  I.  m3 

L^autre ,  pour  se  purger  de  sa  magnificence ,    ;  , . 

Dit  qu'elle  gagne  ad  jeu  Taigent  «juelle  dépense;    .    . 

Et  le  mari  benêt,  sans  spnger  à  quel  jeu, 

Sur  les.  gains  qu^dUe;  fait  rend  des  grâceâ  à  Dieu.     : 

Enfin  ce  sont  partout  des  sujets  de  satire;    . 

Et ,  comme  Spedtatem^/ne  pni^-jp  pas  eÉi  rire?. 

Puis-je  pas  de  ÛIN5  sots. . .?  : 

GHRYSALDEi.       . 

Oui  :  mais  qui  rit  d'autrui. .  •  [ 
Doit  craindre  qu'en  revanche  on  rie  aussi  de  lui. 
Jeùtênds  parier  le  monde  '^et  des  gens  se!  délassent 
A  venir  débifier  lep  choses  qui  âe  passent  : 
Mais ,  quoi  que  l'on  divulgue  aux  «endroits  oà  je  suis ,     .  ' 
Jamais  on  ne  m'a  vu  triompher  de  ces  bruits. 
J'y  suis  assez  modeste  :  et  bien  qu'aux  ofcourreaces 
Je  puisse  condamner  certaînies  tqlér^nces,  '    :  r 
Que  mon  dessein  ne  soit  de  souiMr  naileméirt  ..  t 

Ce  que  quelques  maris  sonffî^nt  pàisibiement, 
Pourtant  je  n'ai  jamais  a^bcté  de  le  dire; 
Car  enfin  il  Êiut  craindre  un  revers  desitire,    ? 
Et  l'on  ne  doit  jamais  jurer  sur  de  tels  cas 
De  ce  qu'on  pourra  faire,  ou  bien  ne  foire  pas. 
Ainsi ,  quand  à  mon  &ont ,  par  un  sort  qui  tout  ipàsac^j  . 
Il  seroit  a^rrivéqi^eique  disgrâx:ie  humailie^ 
Après  mon  procédé,  je'sods  presque  certain^ 
Qu  on  se  contenteiiia  de  s'en  rire  sous  main  : 
Et  peut-être  qu'efiioor  j^akrai  cet  avantage  • 
Que  quelques  b0ïi:n«^  gens  diront  que  ç'fcstdiaaipiage» 


f  % 


*♦_ 

,1 


a64  L'ËCOLË  DES  FEMMES. 

Mais  de  vous ,  cher  compèœ ,  il  en  est  aatremeat  ; 
Je  T0U3  le  dis  eiicor,  vops  risquez  diablement. 
Gomme  sur  les  maris  accusés  de  sou£Srancé 
De  tout  temps  votre  langue  a  daubé  d'importance , 
Qu  on  vous  a  vu  contre  eux  un  diable  déchatiné, 
Vous  dp yez.marcher  droit  pour  n'être  point  bemé ; 
Et,  s'il  £iut  que  sur  vous  on  ait  la. moindre  prise 9 
tjrare  qu'aux  carrefours  on  ne  vous  tympanise, 
£t«  «  • 

ARNOEPHE. 

Mon  Dieu!  notre  ami,  ne  vous  tourmentez  point. 
Biçn  rusé  qui  pourra  m  attraper  sur  ce  poinlu 
Je  s^is  les  tours  rusés  et  les  subtiles  trames 
Dont  pour  nous  en  planter  savent  user  les  femmes; 
Et^  comme  on  est  dupé  par  leurs  dextérités^ 
Contre  cet  accident  |'ai  pris  mes  sûretés  ; 
^  Et  celle  que  j'épouse  a  toute  Tinnocence 
Qui  peut  sauver  mon  front  de  maligne  influence. 

GH&YSALDS. 

Hé  I  que  prétendezrvous  ?  qu  une  sotte  en  un  viot. 

ARIfOLPHE. 

{Ipouscr  une  sotte,  est  pour  n'être  point  sot, 
Je  crois,  en  bon  chrétien,  votre  moitié  fort  $age: 
Mais  une  femme  habile  est  un  mauvais  présage; 
Et  je  sais  ce  qu  il  coûte  à  de  certaines  gens 
Pour  avoir  pris  les  leurs:  avec  trop  de  talents. 
Moi,  j'irois  me  charger  d'une  spirituelle  . 
Qui  ne  parlerait  rien  que  cercle  et  que  ruelle , 


1 


ACTE  I,  SCÈNE  r,  a65 

Qui  de  prose  et  de irers  feroit'de  doux  écrits, 
Et  que  y isiteroient  maixjùis  et  beaux;  es|Hits  j 
Tandis  que  ^  sous  le  nom  de  mari  de  madame , 
Je  serois  comme  un  ^aînt  que  pas  un  ne  réclame  ? 
Non,  non ,  je  ne  yeux  point  d'un  esprit ^i  soit  baut^ 
Et  femme  qui  compose  en  sait  plus  qu'il  ne  fiint. 
Je  prétends  que  la  mienne^  eii  clstftés  peu  subliine , 
Même  ne  sache  pais  ce  que  c^est  qu  une  nme; 
Et  s  il  Ëiut  qu'ayec  elle  on  JoHe  àù  corbilk^, 
Et  qu'on  yienne  à  lui  dire  à  son  tour,.  Qu'y  met-on  ? 
Je  yeux  qu'elle  réponde ,  Une  tarte  â  la  cfèmè  ; 
En  un  mot,  quVBe  soit  d^ùné  ignotiance  éxtrèitie  : 
Et  c'est  assez  pour  eSfte ,  à  yous  en  bien  parler, 
De  sayoir  prier  Dieu,tn'^iriier,  coudre  et  filer. 

CHRYSALDE. 

Une  femn^e  stupide  est  donc  yotare  marotte? 

ARNOtPHE. 

Tant,  que  j^aimefois  mieux  une  laide  bien  sotte, 
Qu^une  femme  fort  belle  ayec  beaucoup -d^êsprit. 

CHRYSALliS.  < 

Uesprit  et  la  beauté.  • . 

ABKOLPHE. 

Uhdnnèteté  suffit^ 

CHRTSALDE.     '    :       ' 

Mais  comment  youlez-rôus^  après  tout ,  qu'une  béfe 
Puisse  jamais  sayoir  ce  que  c'est  qu'être  honnête? 
Outre  qu'il  est  assez  ennuyeux,  que  je  croi, 
D  ayoir  toute  ^  yie  une  bète  ayec  soi,  ' 


aS6  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

Pensez-vous  le  Hen  prdadte,  et  que  sur  yotre  idée 
La  sûreté  d^un  femt  puisse  ^tre  bîw  fondée? 
Une  femme  d'es^t  petit  trahir  squ.  deToir^  - . 
Mais  il  &ut  pour  le  moias.^'^Q  ose  le  vouloir  î  * 
Et  la  stupîde  aja  wtk  peM  rVtiaiiqiier  d^or^aaii^. 
Sans  en  avoir  Teiivie)  e*t  ^saafi  pens^  la  faii;e; 

:iuKiroi.P9s. 
  ce  bel  argument,  à. ce  discours  ptiofoncl, 
Ce  que  Pantagruel  &  Paqurge  répQi^d  : 
Pressezrmoi  de  me  joindre  à  fen^ae  autre  que  spite, 
Prêchez,  patrocinez  '  jusqu'à  la  Peatecôtfs^. 
Vous  serez  ébahi,  quand  Vonis  s^rez^aubout.,. 
Que  vous  ne  m'aurez  rien  persuadé  jdu  itou(. 

C;H|lT8AtÔE. 

Je  ne  vous  dis  plus  mc^«   . 

A.IIN1»LPHE« 

.   Chacun  a  sa  méthode. 
En  femme,  comme  eÀ  tout,  je  veux  suivre  £ftâ  mode  : 
Je  me  vois  riche  assez  pour  pouvoir,  que  je  croi , 
Choisir  une  moitié  qui  tisane  tout  de  moi , 
Et  de  qui  la  soumise  et  pleine  dépeo'dauce 
N'ait  à  me  reprocher  aucun  bien  ni  naissance. 
Un  air  doux  et  posé,  paitoi  d'autres  enfants, 
M^inspira  de  Famour  pour  elle  déis  quatre  ans  : 
Sa  mère  se  trouvant  de  pauvi^té  pressée , 


»  Palrociner,  du  latin  pittrpcînari,  protégé*,  prendre  U  défense. 
On  en  a  fait  palrociner,  plai«lfr,  .parler  iopgiifip«nt. .. 


ACTE  I,  SCÈNE  I.  967 

De  la  lui  demander  il  me  i^kA  ^n  pensée; 

Et  la  bonne  paysantie,  appndoaht  mon  dé$ir, 

A  s'ôler  cette  charge  eut  beaucoup  de  plaisir.   — 

Dans  un  petit  couvent,  l<^iti  âe  tMte  pratique^ 

Je  la  fis  élever  selon  ïna  politiqïi^ , 

C'est-à-dire ,  orâ6ïitiam  xftëlë  «^s  Àà  emplotmit 

Pour  la  rendre  idiote  aUltet  (jill'$e^6«ift*k*- 

Dieu  merci ,  le  succès  a  Stiii  ËMk^ien«e  ;  r 

Etgrande,jeM^è'àtèipdintÎH*oi©^»,  ' 

Que  j'ai  béni  le  qiel  d^iiNîiir  trouvé  moft  &i€ 

Pour  me  faire  utie  '^tn^e  âû  gré  de  iXiitù  B^xàiwÀ^  '■'"'. 

Je  Tai  donc  retirée;  et,  (k>fl^me  âia demeure 

A  cent  sortes  de  gens  est  Mverte  â  4^te  heui^e  ^ .   •    ^ 

Je  l'ai  mise  à  l'écart,  cotrime  il  faut  tout  prévoir, 

Dans  cette  autre  maison  où  nul  ne  me  vient  voir; 

Et ,  pour  ne  point  gâter  sa  boute  ttiatt|**Éiîe , 

Je  n'y  tiens  que  fles  gens  tout  âùsÈi  simples  qu'elle. 

Vous  me  du^ ,  î^ourqûoi  cette  liârratio$  ? 

C  est  pour  vous  Te^ttAwî  iwstruil  de  ina  prtcâ«itipn. 

Le  résultat  de  tout  est  ^u'^ù  ^ini  fidèle  •         ■  ' 

Ce  soir  je  vous  invite  à  souper  ayec  elle  ;  • 

Je  veux  que  vous  puissiez  lin  peu  l'examiner, 

Et  voir  si  tic  mon  choix  on  doît  mé  ct^damner,  •    • 

CHRYSALDfe. 

Jy  consens. 

>  • 

Vous  pomtei, dans  cette  conférence, 
Juger  de  sa  personne  et  de  son  innocence.. 


a68     ^      L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

CHRTftALDB. 

Pour  cet  anide-Ià,  ce  que  voos  m^ayez  dit 
Ne  peut. . . 

▲HNOLPHE. 

La  vérité  passe  encor  mon  récit. 
Dans  ses  simplicités  à  toùs^ups  je  Tadmire, 
Et  parfois  elle  en  dit  dp^nt  je  pâme  de  rire; 
L'autre  jour,  pouxroit-on  se  le  persuader? 
Elle  étoit  fort  en  peine,  el  me  vint  demander, 
Avec  une  innocence  à  tiulle  autre  pareille. 
Si  les  enfants  qu  on  &it  se  Êdsoient  par  l'oreille. 

CHRTSALnS. 

Je  me  réjouis  fort,  seigneur  Arnolphe. . . 

AUNOLPHS. 

Bon! 
Me  vou'ez-yous  toujours  appeler  de  ce  nom? 

GHRT8ALDE. 

Âh  !  malgré  que  j'en  aie ,  il  me  vient  à  la  bouche, 
Et  jamais  je  ne  songe  à  monsieur  de  La  Souche. 
Qui  diable  vous  a  £3iit  aussi  vous  aviser 
  quarante-^eux  ans  de  vous  débaptiser. 
Et  d'un  vieux  tronc  pourri  de  votre  métairie 
Vous  faire  dans  le  monde  un  nom  de  seigneurie? 

N 

.ARNOLPHE. 

Outre  que  la  maison  par  ce  nom  se  connoit, 
La  Souche  plus  qu'Ârnolphe  à  mes  oreilles  plait 

CHRYSALDE. 

Quel  abus  de  quitter  le  vrai  nom  de  ses  pères. 


ACTE  I^  SCÈNE  L  aSg 

Pour  en  youloir  prendre  un  bâti  sur  des  chimères  ! 

De  la  plupart  des  gens  c'est  la  démangeaison  ; 

Et,  sans  vous  embrasser  dans  la  comparaison, 

Je  sais  un  paysan  qu^on  appeloit  Gros-Pierre, 

Qui,  n'ayant  pour  tout  bien  q[uunseul  quartier  de  terre, 

Y  fit  tout  alentour  Ëiire  un  fossé  bourbeux , 

Et  de  monsieur  de  l'Isle  en  prit  le  nom  pompeux. 

A.RNOLPHE. 

Vous  pourriez  vous  passer  d'exemple  de  la  sorte. 
Mais  enfin  de  La  Souche  est  le  nom  que  je  porte  :^ 
J'y  vois  de  la  raison ,  j y  trouve  des  appas; 
Et  m'appeler  de  Fautre.est  ne  m  obliger  pas. 

CHRYSALDE. 

Cependant  la  plupart  ont  peine  à  s'y  soumettre, 
Et  je  vois  même  encor  des  adresses  de  lettre. . . 

ARNOlPHE. 

iJe  le  souffire  aisément  de  qui  n'est  pas  instruit; 
Mais  vous. . . 

CHRTSALDE. 

Soit  :  là-dessus  nous  n'aurons  point  de  bruit  ; 
Et  je  prendrai  le  soin  d'accoutumer  ma  bouche 
A  ne  vous  plus  nommer  que  monsieur  de  La  Souche. 

ARNOLPHE. 

Adieu.  Je  frappe  ici  pour.donner  le  bonjour. 
Et  dire  seulement  que  je  suis  de  retour. 

CHRTSALDE,  à  part  ^  en  8*en  allant. 

Ma  foi ,  je  le  tiens  fou  de  toutes  les  manières. 


370  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

ARNOLPHE^ieol. 

n  est  un  peu  hksaé  de  certaines  matières. 
Chose  étrange  de  yoir  conutte  arec  passk» 
Un  chacun  est  chauMe  de  son  opinion! 

(Il  frappe  à  sa  porte*  ) 

Holà! 

SCÈNE    IL 
ARNOLPHE;  ALAIN  et  GEORGETTE  dans  u  mai^n. 

ALAIK. 

Qui  heurte? 

AH£?0£PRB. 

(impart.) 

Ouvrez.  On  aura ,  que  je  pemf , 
Grande  joie  à  me  voir  après  dix  jour$  d'absence* 

ALAIN. 

Qui  va  là? 

ARNOLPHE. 

Moi. 

ALAIN. 

Georg^tte! 

GEORGETTE. 

Hé  bien? 

ALAIN. 

Ouvre  là-bas. 

CÏEQRGETXE* 

Vas-y,  toi. 


ACTE  I,  SCÈNE  It  ayi 

I  ALAIN. 

Vas-y,  toi. 

asandBfTB. 

AJI4  fjpi^  je.  n,'iraî  pa5. 

Je  n'irai  pas  aussi. 

Belle  cérémonie. 
Pour  me  laisser  dehors  !  Holà  ho  !  je  vous  prie. 

XÏEORGÇTTE. 

Qui  frappe? 

ARNOI^PHE. 

Votre  maître. 

GEORGETTE. 

Alain! 

ALAIN. 

Quoi? 

GEORGETTE. 

C'est  monsieu. 
Ouvre  vite. 

ALAIN. 

Ouvre  j  toi.     . 

GEORGETTE. 

Je  souffle  notre  feu. 

ALAIN. 

J'empêche,  peur  du  chat,  que  mon  moineau  ne  sorte. 

ARNOLPHE. 

Quiconque  de  vous  deux  n'ouvrira  pas  la  porte 


aya  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

N'aura  point  i  manger  de  plos  de  quatre  ioun. 
Ah! 

6E01L6BTTB, 

Par  qaelle  raison  y  venir ,  ^and  j'y  cours? 

ALAIlf. 

Pourquoi  plutôt  que  moi?  Le  plaisant  stratagème! 

GEORGETTE. 

Ote-toi  donc  de  lâ. 

ALAIN. 

Non ,  ôte-toi ,  toi-même. 

GEORGETTE. 

Je  veux  ouvrir  la  porté. 

ALAIN. 

Et  je  veux  Touvrir,  moi. 

georgbtte;. 
Tu  ne  l'ouvriras  pas. 

ALAIN, 

Ni  toi  non  plus, 

GEORGETTE. 

Ni  toi. 

ARNOLPHE. 

Il  faut  que  j  aie  ici  Fâme  bien  patiente! 

A  LA  I N  ^  en  entrant. 

Au  moins,  c'est  moi,  monsieur, 

GEORG£TTS|  en  entrant. 

Je  suis  votre  servante; 
C  est  moi« 


ACTE  1/ SCÈNE  IL  073 

ALAIN. 

Sans  le  respect  de  mqnsieùr  ^e  voilà, 
Jeté... 

ARNOLPHE  j  recevant  on  coop  d* Alain. 

Peste! 

ALAIN.  ^ 

,  Pardon. 

ARNOLPHE. 

Voyez  ce  lourdaud-là  I-  , 

ALAIN. 

C'est  elle  aussi,  monsieur. 

ARNOLPHE* 

Que  tous  deux  on  se  taise. 
Songez  à  me  répondre,  et  laissons  la  fiidaise. 
Hé  bien!  Alain,  comment  se  porte-t-on  ici? 

ALAIN. 

Monsieur,  nous  nous. . . 

(Arnolphe  ôte  le  chapeau  de  dessus  la  tête  d'Alain.) 

Monsieur,  nous  nous  por. . . 

(  Arnolphe  Tôtfl  eneore.  ) 

Dieu  merci, 

Nous  nous... 

ARNOLPHE,  ôtànt  le'chapcau  d'Alain  pour  la  troisième  fois, 

et  le  jetant  par  terre. 

Qui  vous  apprend,  impertinente  bête, 
A  parler  devant  moi  le  chapeau  sur  la  tête  7 

MoLièaE.  a.  i^ 


%;{  L'£ÈOLÊ  t)ËS  Ï'ËMMES. 

AtÀiir. 
Vous  Eûtes  bien,  fal  tort. 

▲RNOLPHEjà  Alain. 

Faites  clescenâi^  Agnès. 

SCÈNE  III. 

ARNOLPHE,  GEORGETTE. 

ARNOLPHE. 

* 

Lorsque  je  m'en  allai,  fut-elle  triste  après? 

GEORGETTE. 

Triste?  Non. 

ARNOLPHE. 

Non! 

GEORGETTE. 

Si&it. 

ARNOLPHE. 

Poun^uoi  donc. . .  ? 

GEORGETTE. 

Ouï,  je  meure. 

Elle  vous  croyoit  voir  de  retour  à  toute  heure; 
Et  nous  n^oyions  jamais  passer  deyaxit  chez  nous 
Cheval,  âne,  ou  mulet,  quelle  ne  prit  pour  vous.' 


ACTE  I,  SCÈNE  IV.  ^yS 

SCÈNE    IV. 
ARNOLPHE,  AGNÈS,  ALAIN,  GEORGETTE. 

AENOLPHE. 

La  besogne  à  la  main!  c'est  un  bon  témoignage. 
Hé  bien ,  Agnès ,  je  suis  de  retour  du  voyage  : 
En  étes-YOus  bien  aise  ? 

AGNÈS. 

Oui,  monsieur,  Dieu  merci. 

ARNOLPHE. 

Et  moi  de  vous  revoir  je  suis  bien  aise  aussi. 

Vous  vous  êtes  toujours,  comme  on  voit,  bien  portée? 

AGNÈS. 

Hors  les  puces,  qui  mont  la  nuit  inquiétée. 

ARNOLPHE. 

Ah!  vous  aurez  dans  peu  quelqu'un  pour  les  chasser. 

A     NÉS. 

Vous  me  ferez  plaisir. 

ARNOLPHE. 

Je  le  puis  bien  penser. 
Que  faites-vous  donc  là? 

AGNÈS. 

Je  me  fais  des  cornettes. 
Vos  chemises  de  nuit  et  vos  coiSss  sont  &ites. 

ARNOLPHE. 

Ah  !  voilà  qui  va  bien  I  Allez  y  montez  là-haut  : 
-Ne  votts  ennuyez  point,  je  reviendrai  tantôt. 
Et  je  vous  parlerai  d'affaires  importantes. 


3y6  L'ÉCOLE  DSS, FEMMES. 

S  GÈNE  V. 

« 

ARNOLPHE.  • 

Héroïres  du  temps^  mesdames  les  savantes, 

ê  ^ 

Pousseuses  de  tendresse  et  de  beaux  sentiments; 
Je  défie  à  la  fois  tous  vos  vers ,  vos  romans . 
Vos  lettres,  billets  doux,  toute  v(Àe  science, 
De  valoir  cette.honnête  et  padique  ignorance. 
Ce  n'est  point  par  le  bien  qu'il  faut  être  ébloui; 
Et  pourvu  que  Ilionneur  soit...  • 

SCÈNE   VI. 

HORACE,  ARNOLPHE. 

ÂKNOLPHE. 

Que  vois-je  !  Est-ce. . .  ?  Oui. 
Je  me  trompe.  Nenni.  Si  fait  Non,  c'est  lui-même, 
Hor... 

HORACE. 

Seigneur  Ar... 

ARNOLPHE. 

Horace. 

HORACE. 

Arnolpte. 

ARirOLPHE. 

Ahl  joie  extrême! 
Et  depuis  quand  ici  7 


ACTE  J,  SCÈNE  VL  ^77 

no~R£CE. 

Depuis  neuf  jours. 

▲  RNOLPHE. 

Vraiment? 

HORJkCEé 

Je  fus  d'abord  chez  yous^  mais  inutilement 

ARNOLPHE. 

J'étois  à  la  campagne. 

HORACE. 

Oui,  depuis  dix  jouvnées. 

ARNOLPHE. 

Oh!  coiùme  les  enfants  croiissent  en  peu  d'années  ! 
J'admire  de  le  voir  au  point  où  le  voilà , 
Après  que.  je  lai  vu  pas  plus  grand  gue  celai 

HORACE. 

Vous  voyez. 

ARWOL^BE. 

Mais  de  grâce,  Oronte  vôtre  père  j 
Mon  bon  et  cher  ami  que  j'estime  et  révère , 
Que  fidt-il  à  présent?  Est-il  toujours  gaillard? 
A  tout  ce  qui  le  louche  il  sait  que  je  prends  part  : 
Nous  ne  nous  sommes  vus  depuis  quatre  ans  ensemble , 
Ni ,  qui  plus  est ,  écrit  l'un  à  l'autre ,  me  semble. 

HORACE. 

Il  est,  seigneur  Amolphe,  encor  plus  gai  que  nous: 
Et  j'avois  de  sa  part  une  lettre  pour  vous; 
Mais  depuis  par  une  autre  il  m'apprend  sa  venue, 
Et  la  raison  encor  ne  m^en  ^st  pas  connue; 


2178  L'ÉCOLE  DES  PEMMES. 

Sayez-yons  qui  peut  être  on  de  tos  citoyens 
Qui  retourne  en  ces  lieux  avec  beaticoup  de  biens 
Qu'il  s'est  en  quatorze  ans  acquis  dans  l'Amérique? 

ARNOLPHÉ. 

Non.  Mais  vous  a-t-on  dit  comme  on  le  nomme? 

HORACE. 

Enriqae. 

ARNOLPHE. 

Non. 

t^^r  HORACE. 

"'> 

^y      Mon  père  m'en  parle,  et  qu'il  est  revenu , 
Comme  s^  devoit  m*èCre  entièrement  connu, 
Et  m'écrit  qu'en  chemin  ensemble  ils  se  vont  mettre 
Pour  un  Eut  important  que  ne  dit  pas  sa  lettre. 

(  Horace  remet  la  lettre  d'Oronte  à  Arnolphe. } 

ARirOLPHË. 

Jaurai  certainement  grande  joie  à  le  voir, 
Et  pour  le  r^kr  je  ferai  mon  pouvoir. 

(après  Skvpit  lu  la  l^ttife.) 

11  faut  pour  les  amis  des.  lettres  moins  civiles , 
Et  tous  ces  compliments  sont  chçses  inutiles. 
Sans  qu'il  prît  le  souci  de  m'en  écrire  rien ,  ^ 
Vous  pouvez  librement  disposer  de  mop  bien. 

HORACE. 

Je  suis  homme  à  saisir  les  gens  par  leurs  paroles, 
Et  j'ai  présentement  besoin  de  cent  pistqles. 

ARNOLPHE.       . 

Ma  foi,  c'est  m'obliger  que  d'en  user  ainsi,. 


ACTE  I,  3CÊHE  VL  ^ly». 

Et  je  me  réjouis  de  les  avoir  ici* 
Gardez  aussi  la  bourse. 

HORACS. 

IlËlUt.. 

AB.NOLPHE. 

Laissons  ce  style. 
Hé  bien  I  comment  encor  trouvez-vous  cette  yille? 

HORACE.^ 

Nombreuse  en  citoyens,  superbe  en  bâtiments; 
Et  j'en  croîs  merveilleux  lesdivertissemei^ts. 

ARNOI.PHE. 

Chacun  a  ses  plaisirs  qu'il  se  ^it  à  sa  guise  : 
Mais  pour  ceux  que  du  nom  de  galant$;pu  bciptise, 
Ils  ont  en  ce  pays  de  quoi  se  contenter,  ' 
C§r  les  femmes  y  sont  faites  à  coqueter  : 
On  trouve  d^bumeur  douce  et  la  brune  et  la  blonde , 
Et  les  maris  aussi  les  plus  bénins  du  m0ude  ; 
C'est  un  plaisir  de  prince ,  et  des  tours  que  je  vol 
Je  me  donne  souvent  la  comédie  à  mc4. 
Peut-être  en  avez-vous  déjà  féru  *  quelqu'une. 
Vous  est-il  point  encore  arrivé  de  fortune  ? 
Les  gens  faits  comme  vous  font  pluâ  que  les  écus, 
Et  TOUS  êtes  de  taille  à  faire  des  cocu;S. 

HORACE. 

A  ne  VOUS  rien  c£tcber  de  la  vérité  pure , 


<^ 


■*-*<- 


*  Féru,  du  yer}>e  férir,  frapper,  blesser.  Au  iiguré,  inspirer  de, 
tamour. 


a8o  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

JTai  d'amour  en  ces  lieux  eo  certaine  aventare, 
Et  Tamitié  m'oblige  à  vous  en  &ire  part. 

ARNOLPHB,  à  part. 

Bon!  Voici  de  nouveau  quekjue  conte  gaillard; 
Et  ce  sera  de  quoi  mettre  sur  mes  tablettes. 

HORACE. 

Mais,  de  grAce,  qu'au  moins  ces  choses  soient  secrètes. 

ARNOLPffE. 

Oh! 

■ 

HORACE. 

Vous  n'ignorez  pas  qu  en  ces  occasions 
Un  secret  éventé  rompt  nos  prétentions. 
Je  vous  avQÛrai  donc  avec  pleine  franchise 
Qu'ici  dWe  beauté  mon  âme  s'est  éprise. 
Mes  petits  soins  d'abord  ont  eu  tant  de  succès,  » 

Que  je  me  suis  chez  elle  ouvert  un  doux  accès, 
Et,  sans  trop  me  vanter  ni  lui  faire  une  injure, 
M^s  afiaires  y  sont  en  fort  bonne  posture. 

ARNOLPHE,  en  riant. 

Eté  est? 

* 

HORACE,  lui  montrant  le  logis  d'Agné». 

t  Un  jeune  objet  qui  loge  en  ce  logis 
Dont  vous  voyez  d'ici  que  les  murs  sont  rougis  ; 
Simple,  à  la  vérité,  par  l'erreur  sans  seconde 
D'un  homme  qui  la  cache  au  commerce  du  monde  j 
Mais  qui ,  dans  l'ignoFanco  où  l'on  veut  l'asservir , 
Fait  briller  des  attraits  capables  de  ravir  ^ 
Un  air  tout  engageant,  je  ne  sais  quoi  de  tendre 


ACTE  I,  SCÈNE  VI.  281 

Dont  il  n'est  point  de  cœur  ^m  se  puisse  défendre. 
Mais  peut-être  il  nVst  pas  que  vous  n'ayez  bien  vu 
Ce  jeune  astre  d  amour  de  tant  d  attraits  pourvu  : 
C'est  Agnès  qu'on  lappelle. 

ARNOLPHEj  à  part. 

Ahlje  crève  ! 

HORACE. 

Pourllionime, 
C'est ,  je  crois ,  de  La  Zousse  y  ou  Source^  iqu  on  le  nomme  ; 
Je  ne  me  suis  pas  fort  arrêté  sur  le  nom  : 
Riche,  à  ce  qu'on  m^a  dit;  mais  des  plus  sensés,  non  : 
Et  l'on  m'en  a  parlé  conune  d'un  ridicule. 
Le  connoissez-vous  point? 

ARNOLPHE,  à  pan. 

La  fâcheuse  pilule! 

HORACE. 

Hé!  vous  ne  dites  mot? 

ARNOLPHE. 

Et  oui,  jeleconnoi. 

HORACE. 

C  est  un  fou ,  n  est-ce  pas  ? 

ARNOLPHE. 

Hé. .  • 

HORACE. 

Qu'en  dites-vous?  Quoi: 
Hé,  c'est-à-dire ,  oui.  Jaloux  à  faire  rire 7 


28a  L'ÉCOLE  DES  É^EMMES. 

Sot?  Je  vois  qu'il  en  est  ce  que  Ton  m^a  pu  dire. 

Enfin  l'aimable  Agnès  a  sa  m^assujettir. 

C'est  un  joli  bijou,  pour  ne  vous  point  mentir; 

Et  ce  seroit  péché  qu'une  beauté  si  rare 

Fût  laissée  au  pouvoir  de  cet  homme  bizarre. 

Pour  moi ,  tous  mes  efforts,  tous  mes  vœux  les  plus  doux 

Vont  à  m'en  rendre  maître  en  dépit  des  jaloux; 

Et  l'argent  que  de  vous  j'emprunte  avec  franchise 

N'est  que  pour  mettre  à  bout  cette  juste  entreprise. 

Vous  savez  mieux  que  moi,  quels  que  soient  nos  efforts, 

Que  Targent  est  la  clef  de  tous  les  grands  ressorts, 

Et  que  ce  doux  métal  qui  frappe  tant  de  têtes, 

En  amour  comme  en  guerre,  avance  les  conquêtes. 

Vous  me  semblez  chagrin!  Seroit-ce  qu'en  effet 

Vous  désapprouveriez  le  dessein  que  j'ai  fait? 

▲  RNOLPHE. 

Non ,  c'est  que  je  songeois. .  • 

HORACE. 

Cet  entretien  vous  lasfc 
Adieu.  J'irai  chez  vous  tantôt  vous  rendre  grâce. 

ARNOLFHE,    se  croyant  seul. 

Ah  !  faut-il.  ^ .  ! 

HORACE,  revenante 

Derechef,  veuillez  être  discret; 
Et  n'allez  pas,  de  grâce,  éventer  mon  secret. 

ARNOLPHE,  se  croyant  seul.  '    ' 

Que  je  sens  dans  mon  âme.  r  •  I 


J 


ACTE  I,  SCÈNE  VL  a83 

H  OR  ACE  j  revenant. 

Et  surtout  à  mon  père, 
Qui  s^en  feroit  peut-^tre  un  sujet  de  colère. 

ARNOLPHE,.  croyant  qn'Horace  revient  encore.. 

Oh!... 

SCÈNE    VII. 

■ 

ARNOLPHE. 

Oh  !  que  j  ai  soufTert  durant  cet  entretien  ! 
Jamais  trouble  d'esprit  ne  fiit  égal  au  mien. 
Avec  quelle  imprudence  et  quelle  hâte  extrême 
n  m'est  venu  conter  cette  aSaire  à  moi-même  ! 
Bien  que  mon  autre  nom  le  tienne  dans  Terreur , 
Étourdi  montra-t-il  jamais  tant  de  Aireur? 
Mais,  ayant  tant  souffert,  je  devois  me  contraindre 
Jusques  à  m'éclaircir  de  ce  que  je  dois  craindre, 
A  pousser  jusqu'au  bout  son  caquet  indiscret, 
Et  savoir  pleinement  leur  commerce  secret. 
Tâchons  de  le  rejoindre;  il  n'est  pas  loin,  je  pense  : 
Tirons-en  de  ce  fait  l'entière  confidence. 
Je  tremble  du  malheur  qui  m  en  peut  arriver. 
Et  l'on  cherche  souvent  plus  qu'on  ne  veut  trouver. 


FIN    DU   PREMIER   ACTE. 


1 


a84 


L'ËCOLÈ  DES  FEMMES. 


ACTE  SECOND. 


SCÈNE    I. 


ARNOLPHE. 

Il  m'est,  lorsque  j'y  pense,  avantageux  sans  doute 
D'avoir  perdu  uies  pas,  et  pu  manquer  sa  route  : 
Car  enfin  de  mon  cœur  le  trouble  impérieux 
N^eùt  pu  se  renfermer,  tout  entier  à  ses  yeux; 
Il  eût  fait  éclater  Fenuui  qui  me  dévore, 
Et  je  ne  voudrois  pas  qu'il  sût  ce  qu'il  ignore. 
Mais  je  ne  suis  pas  homme  à  gober  le  morceau, 
Et  laisser  un  champ  libre  aux  yeux  d'un  damoiseau; 
J'en  veux  rompre  le  cours,  et,  sans  tarder,  apprendre 
Jusqu'où  rintelligence  entre  eux  a  pu  s'étendre  : 
J'y  prends  pour  mon  honneur  un  notable  intérêt; 
Je  la  regarde  en  femme  aux  termes  qu'elle  en  est; 
Elle  n'a  pu  faillir  sans  me  couvrir  de  honte , 
Et  tout  ce  qu'elle  fait  enfin  est  sur  mon  compte. 
Eloignement  fatal!  voyage  malheureux! 

(  Il  frappe  à  sa  porte.  ) 


ACTE  II,  SCÈNE  II.  ^95 

SCÈNE  IL 

ARNOLPHE,  ALAIN,  GEORGETTE. 

ALAIN. 

Ah!  monsieur,  cette  fois. . • 

ARNOLPHE. 

Paix.  Venez  çà  y  tons  deux. 
Passez  là ,  passez  là.  Venez  là ,  venez ,  dis-je. 

GEORGETTE. 

Âh  I  vous  me  faites  peur,  et  tout  mon  sang  se  fige. 

ARNOLPHE. 

C'est  donc  ainsi  qu  absent  vous  m'avez  obéi? 
Et  tous  deux  de  concert  vous  m'avez  donc  trahi? 

G  £  O  R  G  ETT  E  ^  tombant  aux  genoux  d'ArnolpIîe. 

Hé,  ne  me  mangez  pas,  monsieur,  je  vous  conjure. 

ALAIN,  à  part. 

Quelque  chien  enragé  l'a  mordu,  je  m'assure. 

ARNOLPHE,  à  part. 

Ouf!  Je  ne  puis  parler,  tant  je  suis  prévenu;  * 
Je  suffoque,  et  voudrois  me  pouvoir  mettre  nu. 

(  à  Alain  et  à  Georgette.) 

Vous  avez  donc  souffert,  ô  canaille  maudite  I 

l  &  Alain  qui  veut  s'enfuir.  ) 

Qu'un  homme  soit  venu. . .  ?  Tu  veux  prendre  la  foite  ! 


'  Prévenu  a  agité. 

1 


a86  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

(  à  Georgette.  ) 

Il  £iat  que  sur-le-champ.  • .  Si  tu  bouges.  •  •  Je  veux 

(à  Alain.) 
Que  vous  me  disiez. . .  Hé  !  oui ,  je  yeux  que  tous  deux.  .< 

(  Alain  et  Georgette  se  lèvent  et  renient  encore  s  enfiiir.  ] 

Quiconque  remûra,  par  la  morti  je  Fassomme. 
Comme  estrce  que  chez  moi  s'est  introduit  cet  homme? 
Hé  I  parlez.  Dépêchez,  vite,  promptement,  tôt. 
Sans  rêver.  Veut-cm  dire? 

ALAIN   et   GEORGETTE. 

Âhlahl 

GEORGETTE,  retombant  aux  genoux  d'Arnolphe. . 

Lecœur  me/aut. 

ALAIN,  retombant  aux  genoux  d'Arnolphe. 

Je  meurs. 

ARNOLPHE,  àpart. 

Je  suis  en  eau  :  prenons  un  peu  d'haleme; 
n  faut  que  je  m'évente  et  que  je  me  promène. 
Aurois-je  deviné,  quand  je  Tai  vu  petit. 
Qu'il  croîtroit  pour  cela?  Ciel!  que  mon  cœur  pâtit! 
Je  pense  qu'il  vaut  mieux  que  de  sa  propre  bouche 
Je  tire  avec  douceur  l'affaire  qui  me  touche. 
Tâchons  à  modérer  notre  ressentiment. 
Patience,  mon  cœur,  doucement,  doucement.' 

(à  Alain  et  à  Georgette, ) 

Levez-vous,  et,  rentrant,  faites  qu'Agnès  descende. 

(àpart.) 

Arrêtez.  Sa  surprise  en  deviendroit  moins  grande: 


ACTE  II,  SCÈNE  IL  287 

Du  chagrin  ^  me  trouble  ils  iroient  l'avertir, 
Et  moi-même  je  yeux  l'aller  fiiire  sortir. 

(  à  Alain  dt  à  Georg;ette. } 

Que  ron  m'attende  ici. 

SCÈNE  III. 

ALAIN,  GEORGETTE. 

GEORGETTE. 

Mon  Dieu!  qu'il  est  terrible I 
Ses  regards  m'ont  fait  peur,  mais  une  peur  horrible; 
Et  jamais  je  ne  vis  un  plus  hideux  chrétien. 

ALAIN. 

Ce  monsieur  Fa  fâché:  je  te  le  disois  bien. 

OEORGETTE. 

Mais  que  diantre  est-ce  là,  qu  avec  tant  de  rudesse 
11  nous  fait  au  logis  garder  notre  maîtresse? 
D'oii  vient  qu'à  tout  le  monde  il  veut  tant  la  cacher, 
Et  qu'il  ne  sauroit  voir  personne  en  approcher? 

ALAIN. 

C'est  que  cette  action  le  met  en  jalousie. 

'    GiEORGETTE. 

Mais  d'où  vient  qu'il  est  pris  de  cette  fantaisie? 

ALAIN. 

Cela  vient. . .  Cela  vient  de  ce  qu'il  est  jaloux. 

GEORGETTE. 

Oui  :  mais  pourquoi  l'est-il?  et  pourquoi  ce  courroux? 


a88  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

ALAIN. 

C'est  que  la  jalousie. .  •  eutends-tu  bien  y  Georgette? 
Est  une  chose.  • .  là. . .  ^  Êit  qvi!pn  s'in^ète. .  • 
£t  qui  chasse  les  gens  d'autour  d'une  maison. 
Je  m'en  vais  te  bailler  une  comparaison , 
Afin  de  conceyoir  la  chose  dayantage  : 
Dis-moi  9  nW-il  pas  yrai,  quand  tu  tiens  ton  potage , 
Que  y  si  quelque  affamé  venoit  pour  en  manger, 
Tu  serois  en  colère ,  et  voudrois  le  charger? 

GEORGETTE. 

Oui,  je  comprends  cela. 

ALAIN. 

C  est  justement  tout  comme. 
La  femme  est  en  effet  lepotage  de  Thomme; 
£t  quand  un  homme  voit  d'autres  hommes  parfois 
Qui  veulent  dans  sa  soupe  aller  tremper  leurs  doigts, 
Il  en  montre  aussitôt  une  colère  extrême. 

GEORGETTE. 

Oui  :  mais  pourquoi  chacun  n'en  fait-il  pas  de  même, 
Et  que  nous  en  voyons  qui  paroissent  joyeui 
Lorsque  leurs  femmes  sont  avec  les  beauz.monsieuz? 

ALAIN. 

G^est  que  chacun  n'a  pas  cette  amitié  goulue 
Qui  n'en  veut  que  pour  soi. 

GEORGETTE. 

,  Si  je  n'ai  la  berlue, 

Je  le  vois  qui  revient. 


ACTE  II,  SCÈNE  ML  289 

ALAIN. 

Tes  yeux  sont  bons,  c'est  lui. 

GÂORGBTTB. 

Vois  comme  il  est  chagrin.  •     ^ 

ALAIN. 

C  est  qull  a  de  l'entaau 

SCÈNE  IV. 

ARNOLPHE,  ALAIN,  GEORGETTE. 

ARNOLPHE,  à  part. 

Un  certain  Grec  disoit  à  Fempereur  Auguste, 
Comme  une  instruction  utile  autant  que  juste , 
Que,  lorsqu'une  aventure  en  colère  nous  met. 
Nous  devons,  avant  tout,  dire  notre  alphabet, 
Afin  que  dans  ce  temps  la  bile  se  tempère, 
Et  qu'on  ne  fasse  rien  que  l'on  ne  doive  faire, 
f  ai  suivi  sa  leçon  sur  le  sujet  d'Agnès, 
Et  je  la  Élis  venir  dans  ce  Heu  tout  exprès. 
Sous  prétexte  dy  faire  un  tour  de  promenade, 
Afin  que  les  soupçons  de  mon  esprit  malade 
Puissent  sur  le  discours  la  mettre  adroitement. 
Et,  lui  sondant  le  cœur,  s'éclaircir  doucement. 

SCÈNE   V. 

ARNOLPHE,  AGNÈS,  ALAIN,  GEORGETTE. 

ARNOLPHE. 

Venez,  Agnès. 

(  k  Alain  et  à  Georgette.) 

Rentrez.  ' 

MoLikai.  9.,  19 


990  L'ÉCOLE  OÊSPEMïtfES. 

SCÈNE   VI. 

ARNOLPHE,  AGNÈS. 

ARNOLPRE. 

r  Li.  promenade  est  belle. 

AGNÈS. 

Fort  belle. 

A.RNOLPËE* 

Lebeaa  j€furl 

AGNÂS. 

Fort  beâtt. 

JLRNOLPHE. 

QueHe  nouvelle? 

AGNÈS. 

Le  petit  chat  est  mort. 

ARNOLPHE. 

C'est  dommage;  mais  (juoi! 
Nous  sommes  tous  mortels,  et  chacun  est  pour  soi. 
Lorsque  j^étols  aux  champs,  n'a-t-il  point  fait  de  pluie? 

AGNÈS. 

Non. 

ARNOLPHK. 

Vous  ennuyoit-il? 

AGNÈS. 

Jamais  je  ne  m'ennuie. 

ARNOLFHE. 

Qu'avez-vous  fait  encor  ces  neuf  ou  àix  jours-cil 


.  ACTE  II;  SCÈNE  VI.  991 

Six  chemises,  je  pense,  et  six  coi£^  aussi. 

ARNOLPHEy  aprii  aroir rm  peu  tété. 

Le  monde ,  chère  Agnès ,  est  une  étrange  cho^  I 
Voyez  la  atédisanae,  eC  comme  chacad  cause  ! 
Quelcpies  voisins  m'ont  dit  qu'oQ  jeitne  h^mime  incon4U 
Étoit  en  mou  absence  à  U  maison  Tenti;. 
Que  vous  aviez  souffert  sa  vue  el  âes.  harangue^  :; 
Mais  je  n^ai  point  pria  foi  sur  ces  méchatites  langues'^ 
Et  j'ai  voulu  gagel*  que  c'étoîi  &ussiAnenf k  •  •  * 

Mon  Dieu!  ne  gagez  pas,  vous  perfidies  vraiment. 

Quoi  !  c'est  la  vérité  qu  un  homme. . .  ? 

Chose  sûre. 
II  n^a  presque  bougé  de  chez  nous  j  je  vous  jure. 

▲RNOli^HS,  bas,  à  part. 

Cet  aveu  qu  elle  fait  aVep  sincérité 

Me  marque  pour  le  moins  $tm  ingénuité. 

(  haut.  ) 

Mais  il  me  semble ,  Agnès ,  si  ma  mémoire  est  bonne , 
Que  j'avois  défendu  que  vous  vissiez  personne. 

AGNÈS. 

Oui  :  mais  quand  je  Tai  vu,  vous  ignoriez  poiu'quoi; 
Et  vous  en  auriez  fait  sans  doute  autant  que  moi. 

ARNOLPH£. 

Peut-être.  Mais  enfin  contez^moi  cette  histoire* 


\ 


ig^  L'ÊGOLE  DES  FEMMES. 

AGNÈS. 

Elle  est  fort  étonnante,  et  difficile  à  croire. 

J'étois  sur  le  balcon  à  travailler  au  frais. 

Lorsque  je  vis  passer  sous  les  arbres  d'auprès 

Un  jeune  homme  bien  fait,  qui,  rencontrant  ma  vue^ 

D'une  humUe  révérence  aussitôt  me  salue  : 

Moi ,  pour  ne  point  manquer  à  la  civilité , 

Je  fis  la  i^Vërence  aussi  de  mon  cdté. 

Soudain  il  me  refait  une  autre  révérence; 

Moi  j  j'en  refais  de  même  une  autre  en  diligence  : 

Et  lui  d'une  troisième  aussitôt  repartant. 

D'une  troisième  aussi  j'y  repars  à  l'instante 

Il  passe ,  vient ,  repasse ,  et  toujours ,  da  plus  belle , 

Me  &it  à  chaque  fois  révérence  nouvelle; 

Et  moi,  qui  tous  ses  tours  fixement  regardois, 

Nouvelle  révérence  aussi  je  lui  rendois  : 

Tant  que,  si  sur  ce  point  la  liuit  ne  fât  venue, 

Toujours  comme  cela  je  me  serois  tenue. 

Né  voulant  point  céder,  ni  recevoir  Pennui 

Qu^il  me  pût  estimer  moins  civile  que  lui. 

ARNOLPHE. 

*  "  *  * 

Fort  bien. 

AGNÈS. 

Le  lendemain ,  étant  sur  notre  porte , 
Une  vieille  m'aborde,  en  parlant  de  la  sorte  : 
«  Mon  enfant,  le  bon  Dieu  puisse-t-U  vous  bénir, 
«  Et  dans  tous  vos  attiaits  long-temp  vous  maintenir  1 
«  Il  ne  vous  a  pas  £dte  une  belle  personne 


A€TE  II,  SCÈNE  VI.  agS 

«  Afin  de  mal  use?  des  choses  qu'il  Yous  donne;  . 

«  Et  TOUS  devez  savoir  que  vous  avez  blessé 

«  Un  cœur  qui  de  s  en  plaindre  est  aujourdhui  forcé.  » 

ARNOLPSE.,  àpart. 

Ah  l  suppôt  de  Satan  !  exécrable  damnée  I 

AGNES. 

Moi  j  j'ai  blessé  quelqu'un  !  £s-je  tout  étonnée. 

m  Oui;  dit-elle ,  blessé,  mais  blessé  tout  de  bon; 

«  Et  c'est  rhomme  qu'hier  vous' vîtes  du  balcon.  »  • 

Hélas  !  qui  pourroit ,  dis- je ,  en  avoir  été  cause  ?    . 

Sur  lui,  sans  y  penser,  fis- je  choir  quelque  chose? 

«  Non ,  dit-elle  ;  vos  yeux  ont  fait  ce  coup  fatal , 

«  Et  c'est  de  leurs  regards  qu'est  venu  tout  son  mal.  » 

Hé!  mon  Dieul  ma  surprise  est,  fis- je,  sans  seconde; 

Mes  yeux  ont-ils  du  mal  pour  en  donner  au  monde? 

«  Oui,  fit-elle,  vos  yeux  pour  causer  le  trépas, 

flc  Ma  fille,  ont  un  venin  que  vous  ne  savez  pas. 

«  En  un  mot,  il  languit,  le  pauvre  misérable  ; 

ce  Et,  s'il  faut,  poursuivit  la  vieille  charitable, 

«  Que  votre  cruauté  lui  refuse  un  secours , 

«  C'est  un  homme  à  porter  en  terre  dans  deux  jours.  » 

Mon  Dieu!  j'en  âurois,^dis-je,  une  douleur  bien  grande. 

Mais  potu*  le  secourir  qu'est-ce  qu  il  me  demande? 

«  Mon  enfant,  me  dit-elle,  il  ne  veut  obtenir 

fc  Que  le  bien  de  vous  voir  et  vous  entretenir  ; 

fc  Vos  yeux  peuvent  eux  seuls  empêcher  sa  ruine , 

%  Et  du  mal  qu'ils  ont  fait  être  la  médecine,  n. 


394  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

Hélas  !  volontiers ,  dis-je  ;  et  pnisop'il  est  ainsi , 
Il  peut ,  tant  qu'il  youdra ,  me  vepir  yoir  ici. 

AttjWOLPHE,  àpmrt. 

Âh I  sorcière  maudite,  emppisonoçuse  d'âmes, 
Puisse  Fenfer  payer  tes  charitables  trames! 

AGNÈS. 

Voilà  comme  il  me  vit ,  et  reçut  guérison. 
Vous-même,  à  votre  avis,  n'ai- je  pas  eu  raison? 
Et  pouvois- je ,  après  tout ,  avoir  la  conscience 
De  le  laisser  mourir  faute  d'une  assistance? 
Moi  qui  compatis  tant  aux  gens  qu^on  &it  souffrir, 
Et  ne  puis ,  sans  pleurer  ^  voir  un  poulet  mourir  ! 

ARNOLPHE,  ba»,  àpart. 

_  # 

Tout  cela  n'est  parti  que  dWe  âme  innocente; 
Et  j^en,  dois  accuser  inon  absence  imprudente , 
Qui  sans  guide  a  laissé  cette  bonté  de  mœjors 
Exposée  aux  aguets  des  rusés  séducteurs. 
Je  crains  que  le  pendard,  dans  ses  veux  téméraires^ 
Un  peu  plus  fort  que  jeu  n'ait  poussé  les  affaires. 

AGirjks. 

Qu'avez-vous?Vous  grondez,  ce  me  semble,  un  petit?  ' 
Est-ce  que  c^est  mal  fait  ce  que  je  vous  ai  dit? . 

ARNOLPHE, 

Non.  Mais  de  cette  vue  apprenez-moi  les  suites, 
Et  comme  le  jeune  homme  a  passé  ses  visités. 

'  Un  petit,  pour  an  peui 


ACTE  II,  SCÈNE  VI.  agS 

AGNÈS. 

Hélas!  si  vous  saviez  comme  il  étoit  ravi , 
Comme  il  perdit  son  mal  sitôt  que  je  le  vi, 
Le  présent  qu'il  m'a  fait  d'une  belle  eassette, 
Efc  Faiçent  qu'en  ont  eu  notre  Alain  et  Georgette  y 
Vbus  Faimeriez  sans  doute ,  et  diriez  comme  nous. 

ARNfOLPHE. 

Oui.  Mais  que  faisoit-il  étant  seul  avec  vous? 

A6NÈS.. 

H  dîsoit  qu'il  m'aitnoit  d*une  amour  sans  seconde,, 
Et  me  disoit  des  mots  les  plus  gentils  du  monde , 
Des  choses  (pie  jamais  rien  ne  peut  égaler, 
Et  dont,  toutes  les  fois  que  je  T'entends  parler, 
La  dQuceur,me  chatouille,  et  là-dedans  remue 
Certain  Je  ne  sais  quoi,  dont  je  suis  tout  émue. 

ARNOLPHE,  Bas,  àparU 

O  fâcheux  examen  d'un  mystère  fatal, 
^Où. l'examinateur  souffire  seul  tout  le  mal! 

4haut.  ) 

Outre  tous  ces  discours,,  toutes  ces  gentillesses,. 
Ne  vous  faisoit-il  point  aussi  quelques  caresses? 

AGNÈS. 

Oh  tant!  il  me  prenoit  et  les  mains  et  les  bras , 
Et  de  me  les  baiser  il  n'étoit  jamais  las. 

ARNOLPHE. 

Ne  vous  a-t-il  point  pris,  Agnès,  quelque  autre  chose^ 

()a  Yojant  intecdite,».} 

Oufl 


âge  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

AGNES. 

Hé!  a  m'a.,. 

ARNOLPHE. 

Quoî? 

AGNÈS. 

pris. .  • 

ARNOLPHE. 

Hé! 
AGNÈS. 

le... 

ARNOLBHE. 

Plaît-a? 

AGNÈS. 

Jen'ose^ 
Et  vous  vous  fâcherez  put-Stre  contre  moî. 

ARNOLPHE. 

Non. 

AGNÈS, 

Si  fait« 

ARNOLPHE, 

Mon  Dieu!  non. 

AGNÈS. 

Jurez  donc  votre  foi 

ARNOLPHE. 

Ma  foi,  soit. 

AGNÈS. 

Il  3i'a  pris.  • .  Vous  sere7  en  colère. 


ACTE  II,  SGËNE  VI.  297 

ARNOtPHB. 

Non. 
Si. 

ARVOLPHE. 

Non,  non 9  non,  non.  Diantre!  qae  de  mystère! 
Qu'est-ce  <ju*il  vous  a  pris? 

AGNis. 

n... 

ARNOLPHEj  àpart. 

Je  souffire  en  damné. 

AOI7ÊS. 

Il  ma  pris  le  ruban  que  vous  m^ayiez  donné. 
A  vous  dire  le  vrai,  je  n'ai  pu  m'çn  défendre. 

ARNOLPHB,  repFenant  haleine. 

Passe  pour  le  ruban.  Mais  je  voulois  apprendre 
S  il  ne  vous  a  rien  Ëiit  que  vous  baiser  les  bras. 

AGNÈS. 

Comment!  est-ce  qu'on  fait  d'autres  choses? 

ARNOLPHE. 

Non  pas. 
IVIais  y  pour  guérir  du  mal  qu'il  dit  qui  le  possède , 
Na-t-il  pas  exigé  de  vous  d'autre  remède? 

AGNÈS. 

Non.  Vous  pouvez  juger,  s'il  en  eût  demandé , 
Que  pour  le  secourir  j  aurois  tout  accordé. 


a9«  L'tCOLE  t)ES  FEMBfES. 

Grâce  aux  bontés  du  ciel,  j'en  suis  quitte  à  bon  compte  : 
Si  j^y  retombe  plus,  je  vçaX  bifixi  qu  on  m'ajQBnontie.  ' 

(hant.) 

Chût.  De  votre  innocenc|e;|  Agnès,  c'est  un  effet; 
Je  ne  vous  en  dia  |iiot.  C^  (|ui  s'est  fait  est  ait. 
Je  sais  qu'en  vous  flattant  le  galant  ne  désire 
Que  de  vont  abuser,  et  puis  après  s'en  rire. 

AGNÈS. 

Oh!  point.  Il  me  la  dit  plus  de  vingt  fois  à  moi. 

ARNOLPHE. 

Ah  !  VOUS  ne  savez  pas  ce  que  c'est  que  sa.  foi. 
Mais  enfin  apprenez  qu'accepter  des  cassettes 
Et  de  ces  beaux  blondins  écouter  les  sornettes, 
Que  se  laisser  par  eux,  à  force  de  langueur. 
Baiser  ainsi  les  mains  et  chatouiller  le  cœur, 
Est  un  péché  mortel  des  plus  gros  qu'il  se  hsse, 

AGNÈS. 

Un  péché,  dites-vous?  Et  la  raison,  de  grâce? 

ARNOLPHE. 

La  raison?  La  raison  est  Pàrrêt  prononcé 
Que  par  ces  actions  le  ciel  est  courroucé. 

AGNÈS. 

Courroucé!  Mais  pourquoi  faut-il  qull  s'en  courrouce? 
C'est  une  chose,  hélas!  si  plaisante  et  si  douce! 

«  Affronte^  poUï  faire  affront. 


ACTE  lU  frCÈNE  VI  «99 

Tadmire  quelle  joie  on  goitff  &  tout  cela , 
Et  je  ne  sayois  point  fiscor.  c$s  cbQse^lâ* 

« 

Oui,  c'est  un  grand  ^isir  <pie  toutes  ces  tendreiaes^ 
Ces  propos  si  gentils,  et  çe$  douces  caresses; 
Mais  il  &nt  le  goûter  en  toute  honnêteté , 
Et  ^'en  se  mariant  le  crime  en  soit  été. 

ITest-K^e  plus  un  péché,  loiâipi*  l'on  se  marie? 

ARNOLFBE. 

Non. 

Mariez-moi  donc  promptenient,  je  vous  prie. 

ARÏTOLPHE. 

Si  vous  le  souhait^^  9  p  ^  souhaite  aussi  ; 
Et  pour  vous  marier  on  ne  revoit  ici. 

AGNÈS. 

Est-il  possible  ? 

ARNOLPHJE. 

Oui.   . 

.    AGNÂS. . 

Que  TOUS  me  ferez  aise  ! 
aunolphe. 
Oui,  je  ne  doute  point  que  l'hymen  ne  vous  plaise. 

AGNÂS. 

Vous  nous  voulez  nous  deux. . .  ? 

ARlSrOLPHE. 

Rien,  ds  pkis  assuré. 


3oo  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

Que,  si  cela  se  &it,  je  vous  caresseraif 

ARKOLPHB. 

Hé  !  la  chose  i$era  de  ma  paît  réciproque. 

Je  ne  reconnois  point,  pour  moi,  quand  on  se  moque; 
Parlez-Yous  tout  de  bon  ? 

ARNOLPHE. 

Oui,  vous  le  pourrez  Toir. 

AGNES. 

Nous  serons  mariés  ? 

ARNOLPHE. 

Oui. 

AGNiS. 

Mais  quand? - 

^  ARNOLPHE. 

Dès  ce  soir. 

AGNÈS,  riant. 

Dès  ce  soir? 

ARNOLPHE» 

Dès  ce  soir.  Cela  tous  fait  donc  rire? 

AGNÈS. 

Oui. 

ARNOLPHE. 

Vous  voir  bien  contente  est  ce  que  je  désire, 

AGNÈS. 

Hélas!  que  je  vous  ai  grande  obligation. 
Et  qu'avec  lui  j'aurai  de  satisfaction  I 


/ 


ACTE  II,  SCÈNE  VL  ?oi 

ARNOLPHE.  \ 

Avec  qui? 

AGNË». 

Avec. .  •  Là. . . 

Là, . .  là  n'est  pas  mon  compte. 
A  cboisir  un  mari  vous  êtes  un  peu  prompte. 
Gest  un  autre,  en  un  mot^  que  je  vous  tiens  tout  prêt. 
Et  quant  au  monsieur  Là,  je  prétends,  s'il  vous  plaît, 
Dût  le  mettre  au  tombeau  le  mal  dont  il  vous  herce , 
Qu^avec  lui  désormais  vous  rompiez  tout  commerce, 
Que,  venant  au  logis,  pour  votre  compliment, 
Vous  lui  fermiez  au  nez  la  porte  honnêtement,    . 
Et ,  lui  jetant ,  s  il  heurte ,  un  grès  par  la  fenêtre , 
L'obligiez  tout  de  bon  à  ne  plus  y  paroître. 
ATen tendez-vous,  Agnès? Moi,  caché  dans  un  coin, 
De  votre  procédé  je  serai  le  témoin. 

Las  !  il  est  si  bien  &it  !  C^est. .  • 

ARNOLPHE. 

Ahl  que  de  langage! 

A6I7ÂS. 

Je  n'aurai  pas  le  cœtîr. . . 

ARNOLPHE. 

Point  de  bruit  davantage.  . 
Montez  là-haut. 


3oa  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

agktès. 
Mais  ^oi  !  voulez-vous. . . 

ARirOLfltE. 

Cest  assez. 
Je  suis  maître,  je  parle}  allez ,  obéissez. 


FIN   ]>Tf   SECOND    ACTE. 


L'ËCOLE  DES  FEMItlBS.  3o& 


ACTE  TROISIÈME. 


SCÊNÈ  t. 

ARNOLPHÉ,  AGNÈS,  ALAIN,  GEORGETTE. 

ARNOLPHE. 

\Jvi,  tonf  a  bien  été,  ma  |oi4  est  sans  pareille  : 

Vous  avez  là  suivi  mes  ordres  à  merveille, 

Confondu  de  tout  point  le  Uondin  séducteur; 

Et  voilà  de  quoi  sert  un  sage  directeur. 

Votre  innocence,  Agnès,  avoit  été  surprise  :^ 

Voyez,  sans  y  penser,  où  tous  vous  étiez  mise. 

Vous  enfiliez  tout  droit,  sans  mon  instruction , 

Le  grand  chemin  d'enfer  et  de  perdition. 

De  tous  ces  damoiseaux  on  sait  trop  les  coiittimes  : 

Ils  ont  de  beaux  canons,  force  rubans  et  plumes, 

Grands  cheveux,  belles  dents,  et  des  propos  fort  doux  ; 

Mais,  comme  je  vous  dis,  la  griffe  est  là-dessous. 

Et  ce  sont  vrais  satans,  dont  la  gueuk  altérée 

De  Fhonneur  féminin  cherche  à  faire  curée. 

Mais  encore  une  fois,  grâce  au  soin  apporté, 

Vous  en  êtes  sortie  avec  honnêteté. 

L'air  dont  je  vdûs  ai  vu  lui  jeter  cette  pîerw. 

Qui  de  tous  ses  desseins  a  piis  l'espoir  pai'  terre, 


3o4  UÊCOLE  DES  FEMMES. 

Me  confirme  encor  mieux  à  ne  point  diffîrer 
Les  noces  où  j'ai  dit  qaHl  yous  &at  préparer. 
Mais  j  arvant  toute  chose ,  il  est  bon  de  vous  Êiire 
Quelque  petit  discours  qui  vous  soit  salutaire. 

(  à  G'eorgette  et  à  Alain .  ) 

Un  siège  au  fiais  ici.  Vous,  si  jamais  en  rien. . . 

GE0R6ETTS. 

De  toutes  vos  leçons  nous  ik>us  souviendrons  bien. 
Cet  autre  monsieur-là  nous  en  faisoi^accroire. 
Mais. . . 

ALAIN. 

S'il  entre  jamais,  je  veux  jamais  ne  boire. 
Aussi-bien  est-ce  un  sot,  il  nous  a  l'autre  fois 
Donné  deux  écus  d'or  qui  n'ètoient  pas  de  poids. 

ARNOI^HE. 

Ayez  donc  pour  souper  tout  ce  que  je  désire; 
Et  pour  notre  contrat,  comme  je  viens  de  dire, 
Faites  venir  ici,  Fun  ou  l'autre,  au  retour, 
Le  notfiire  qui  loge  au  coin  du  carrefour. 

SCÈNE   IL 

âRNOLPHE,  AGNÈS. 

\ARKOLPHE,  assis. 

Agnès,  pour  m^écouter,  laissez  là  votre  ouvrage  : 
Levez  un  peu  la  tète,  et  tournez  le  visage  : 

(mettant  le  doigt  sur  son  front. } 

Là,  regardez-moi  là  durant  cet  entretien  : 

Rt,  jusqu'au  moindre  mot,  imprimez-le-vous  bien. 


ACTE  m,  SCÈNE  II.  3o5 

Je  TOUS  épouse ,  Apië^  ;  et ^  cent  fbia  la  jouruée , 
Vous  devez  bénir  lliéur  de  Totre destinée, 
Contempler  la  bassesse  0Û  vèuâ  àirez  £té, 
Et  dans  le  même  tempâ  admirer  ilia  bonté, 
Qui  de  ce  vîl'^t  de  pauvre  VîIIàgfebîsé. 
Vous  fiiît  nkéittèr  au  rang  d'hoàorable  botirgeoîsè, 
Et  jouir  de  la  couche  et  des  eâibrassemént^ 
D  un  homme  qui  fuybit  tèùs  ces  engagements, 
Et  dont,  à  vingt  partis  fort  capable  de  plaire, 
Le  cœiu*  a  refusé  Fhonneur  qu'il  vous  veut  faire. 
Vors  devez  toujours ,  dis-je ,  avoir  devant  les  yeux 
Le  peu  quevoUs  étiez  sans  ce  nœud  glorieux, 
Afin  que  cet  objet  d*autant  mieux  vous  instruise 
  mériter  Tétat  où  je  vous  aurai  mise, 
  toujours  vous  connoftre,  et  fiiire  qu'à  jamais 
Je  puisse  me  louer  de  l'acte  que  je  fais. 
Le  mariage,  Agnès,  n'est  pas  un  badinage  : 
  d^austëres  devoirs  le  rang  de  fetàme  engage; 
Et  vous  n'y  montez  pas,  à  ce  que  je  prétends , 
Pour  être  libertine  et  prendre  du  bon  temps. 
Votre  sexe  n  est  là  que  pour  la  dépendance  : 
Du  côté  de  la  barbe  est  la  toute-puissance. 
Bien  qu'on  soit  deux  moitiés  de  la  société , 
Ces  deux  moitiés  pourtant  n'oïit  point  d'égàlîté  :  ' 
L'une  est  moitié  suprême ,  et  Tantre  subalterne  ; 

L'une  en  tbut  est  soumise  à  l'autre  qui  gouverne; 

.  .  •'    '  '  .     .  ■  . 

Et  ce  ^e  le  soldat  dans  son  devoir  instruit 
Montre  d^obëissance  au  chef  qui  fe  conduit , 

MoxiiBE.  a.  ao 


M  L'ïlC  Q  iE  D.E.5  F  E.ftI  Hï  E  S. 

Le  valet  à  son  mailxte  ^im  enÊint  k  son  père  ^ 

A  son  sapérieur  le  moindre  petit  firère^ 

N'approche  point  ençor  de  la  docilité, 

Et  de  l'obéissance,  et  de  rhumilité, 

Et  du  profond  respect  ok  4a  femoie  doit  être 

Pouf  son  mari,  son  chef,  son  seigneur  et  son  mattre. 

Lorsqu^il  jette  sur  elle  un  regard  sérieux, 

Son  devoir  aussitôt  est  de  hausser  les  yeux, 

Et  de  n'oser  jamais  le  regarder  en  face, 

Que  quand  d^un  doux  regard  il  lui  veut  Êâre  grâce. 

C'est  ce  ({n'entendent  mal  les  femmes  d  aujourd'hui  : 

Mais  ne  vous  gâtez  pas  sur  Texemple  d'i^utrui. 

Gardez-vous  d'imiter  ces  cocpettes  vilaines 

Dont  par  toute  la  ville  on  chante  les  fredaines, 

> 

Et  de  vous  laisser  prendre  aux  assauts  du  qialio, 
Cest-â-dire  d'ouïr  anqon  jeune  blondin«     , 
Songez  qu'en,  vous  ^isanf  moitié  de  ma.  personne, 
C'est  mon  honneur,  Agnès,  que  je  vous  abandonne; 
Que  cet  honneuj[  est  tendre,  et  se  blesse  de  peu; 
Que  sur  un  tel  sujet  il  ne  faut  point  de  jeu , 
Et  qu'il  est  aux  enfers  des  chaudières  bouillantes    . 
Qù  l'on  plonge  à  jamais  le^  JCe^mes  mal  vivantes. 
Ce  que  je  vous  dis  là  ce  sont  pas  des  chansons; 
Et  vous  devez  du  cœur  dévoref  ces  leçons. 
Si  votre  âme  le^  suit ,  et  fuit  ^êtro  coqujstte , 
Elle  sera  toujours,  conune  un  lis,  blanche  et  nette  : 
Mais  s'il  faut  qu'à  l'honneur,  elle  fasse,  un  i^ux  bond 
Elle  deviendra  lors .npi^e  (fOmso^, un  charbon} . 


(  •: 


ACTE  m,  SCÈNE  II.  Zoj 

Vous  paroîtrez  à  tous  un  objet  effiroyable , 

Et  vous  irez  un  jour  ^  Trai  partage  du  diable, 

Bouillir  dans  les  enfers  à  toute  éternité, 

Dont  vous  veuille  garder  la  céleste  bonté! 

Faites  la  réyérence.  Ainsi  qu'une  novice 

Par  cœur  dans  le  couvent  doilt  savoir  son  oiSice, 

Entrant  au  mariage.il  en  faut  faire  autant; 

£t  voici  dans  ma  poche  un  écrit  important 

Qui  vous  enseignera  l'office  de  la  femme. 

J'en  ignore  l'auteur,  mais  c'est  quelque  bonne  flme; 

Et  je  veux  que  ce  soit  votre  unique  entretien. 

(  Il  se  lève.  ) 

Tenez.  Voyons  un  peu  si  vous  le  lirez  bien.    • 

ilGNiiS  lit. 

LES  MAXIMES  DU  MARIAGE, 

OU 

LES  DEYOIKS  DE  LA  FEMME  MARIÉE, 

avec  spn.  exercice  journalier. 

•  •'        •  i  '  '     ',  " .    • 

PREMIÈRE    MAXIME. 

J.  ■  ..  .       '     •     . 

Celle  qu^uu  lien  bonnéte 
Fait  entrer  au  lit  d  autrui 
Doit  se  mettre  dans  la  tête, 
Malgré  le  train  d'aujourd'hui , 
Que  lliomme  qui  la  prend  ne  la  prend  que  pour  lui. 

ARNOLPHE.        ,    . 

Je  vous  expliquerai  ce  que  cela  veut  dire  : 

Mais  pour  l'heure  présente  il  ne  faut  rien  que  lire. 


3o8  UÊCOLE  DES  FEMMES. 

AGNÈS  y  ponnuit. 
BlfTlXIÈMB  MAllITE. 

Elle  b^  se  doit  parer 
Qu'autant  ^e  peut  désirer 
Le  mari  ^  la  possède  : . 
C  est  lui  que  touche  seul  le  soin  de  sia  beauté  ; 
Et  pour  rien  doijt  être  compté 
Que  les  autres  la  trouvent  laide. 

TROISIÈME  MAXIME. 

Loin  ces  études  d'oeillades, 
Ces  eaux,  ces  blancs,  ces  pommades,^ 
Et  mille  ingrédients  qui  fojit'4es  teints  lieuris  : 
A  l'honneur,  tous  les  jour$,  cç  sont  drogues  mortelles, 
Et  les  soins  de  paroître  belles 
Se  prennent  peu  pour  les  maris.  ^ 

QUATRIÈME    MAXIME. 

Sous  sa  coiffe  en  sortant,  comme  llionneur  rordonQ^? 
Il  faut  que  de  ses  yeux  elle  étouâe  les  coups  ; 

Car ,  pour  bien  plaire  à  son  époux , 

Elle  ne  doit  plaire  à  personne. 

« 

CINQUIÈME   MAXIME. 

Hois  ceux  dont  au  mari  la  visite  se  rend , 
La  bonne  règle  défend 
De  recevoir  aucune  âme  : 
Ceux  qui  de  galante  humeur 
N  ont  affaire  qu'à  madame 
N'accommodent  pas  mon5teun 


ACTE  III,  SCÈNE  II.  Sag 

5IXriMB    MAXIME. 

Il  faut  des  présents  des^  hommes 
QuVUe  se  défende  btedi  ; 
Car,  dans  le  siècle  où  nous  sommes, 
On  ne  donne  rien  pour  rien. 

SEPTIÈME   MAXIllE. 

Dans  ses  meubles,  dût-elle  en  avoir  de  l'ennui. 
Il  ne  faut  écritoire,  encre,  papier,  ni  plumes  : 

Le  mari  doit,  dans  les  bonnes  coutumes. 

Écrire  tout  ce  <jui  siéent  chez  lui. 

HUITI&ME   MAXIME. 

Ces  sociétés  déréglées 
Qu'on  nomme  belles  assemblées, 
Des  femmes  tous  les  jours  corrompent  les  esprits  : 
En  bonne  politique  on  les  doit  interdire. 
Car  c  est  là  que  Ton  conspire 
Contre  les  pauvres  maris. 

NEUVIÈME   MAXIME. 

Toute  femme  qui  veut  à  Fhonneur  se  vouer 
Doit  se  défendre  de  puer, 
Comme  d'une  chose  funeste  : 

Car  le  jeu,  fort  décevant. 

Pousse  une  femme  souvent 

A  jouer  de  tout  son  reste. 

DIXIÈME   MAXIME* 

Des  promenades  du' temps, 

Ou  repas  quon  donne  aux  champs. 


3io  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

Il  ne  faut  point  qu'elle  essaie. 
Selon  les  prudents  cerveaux, 
Le  mari  dans  ces  cadeaux 
Est  toujours  celui  qui  paie, 

ONZXiHE  MAXIMK. 
ARNOLPHE. 

Vous  achèverez  seule;  et,  pas  à  pas,  tantôt 

Je  vous  expliqu^ai  ces  choses  comme  il  faut. 

Je  me  suis  souvenu  d^une  petite  affaire  : 

Je  n^ai  qu^un  mot  à  dire,  et  ne  tarderai  guère. 

Rentrez,  et  conservez  ce  livre  chèrement. 

Si  le  notaire  vient,  qu'il  m'attende  un  moment. 

scène;  III, 

ARNÔLPHE. 

Je  ne  puis  faire  mieux  que  d  en  faire  ma  femme. 
Ainsi  que  je  voudrai,  je  tournerai  cette  âme; 
Comme  un  morceau  de  cire  entre  mes  mains  elle  est, 
Et  je  lui  puis  donner  la  forme  qui  me  plaît. 
Il  s'en  est  peu  fallu  que,  durant  mon  absence. 
On  ne  m'ait  attrapé  par  son  trop  d^înnocence; 
Mais  il  vaut  beaucoup  mieux,  à  dire  vérité. 
Que  la  femme  qu'on  a  pèche  de  ce  côté. 
De  ces  sortes  d'erreurs  le  remède  est  facile. 
Toute  personne  simple  aux  leçons  est  docile; 
Et,  si  du  bon  chemin  on  la  fait  écarter, 
Deux  mots  incontinent  l'y  peuvent  rejeter. 


ACTE  in,  séENE'ÎH.'^  8ii 

Mais  une  femme  habile  est  bien  uaeiiMtre  béte  : 

Notre  sort  ne  dépend  gue  de  sa  geule  tête^ 

De  ce  gu'eDe  s'y  met  rien  ne  la  fait  gauchir,  ' 

Et  nos  enseignements  ne  font  1&  que  blanchir  : 

Son  bel  esprit  lui  sert  à  railler  nos  maximes^ 

A  se  faire  souvient  des  vertus  de  ses  crimes , 

Et  trouver,  pour  venir  à  ses  coupables  fins , 

Des  détours  à  duper  Fadresse  des  plus  fins. 

Pour  se  parer  du  coup  en  vain  on  se  Ëttigue  : 

Une  femme  d'esprit  est  un  diable  en  intrigue; 

Et,  dès  que  son  caprice  a  prononcé  tout  bas 

L'arrôt  de  notre  honneur,  il  faut  passer  le  pas  : 

Beaucoup  d'honnêtes  gens  en  pourroient  bien  que  dire. 

Enfin  mon  étourdi  n'aura  pas  lieu  d'en  rire; 

Par  son  trop  de  caquet  il  a  ce  qu'il  lui  faut. 

Voilà  de  no;5  François  Pordinaire  défaut  : 

Dans  la  possession  dune  bonne  fortune, 

Le  secret  est  toujours  ce  qui  les  importune  ; 

Et  la  vanité  sotte  a  pour  eux  tant  d'appas , 

Qu'ils  se  pendroient  plutôt  que  de  ne  causer  pas; 

Oh  !  que  les  femmes  sont  du  diable  bien  tentées , 

Lorsqu'elles  vont  choisir  ces  têtes  éventées  !• 

Et  que. . .  Mais  le  voici.  Cachons-nous  toujours  bien  ,- 

Et  découvrons  un  peu  quel  chagrin  est  le  sien. 


I  Gauchir,  vieux  mot  qui  signifie  détourner, 


3i4         L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

SCÈNE  IV- 

HORACE,  ARNOLPHE. 

HORACE.     . 

Je  reviens  de  chez  tqus,  et  le  destiit  me  BApiHre 
Qu'il  n'a  pas  résolu  ^e  je  vous  y  rencontDOw 
Mais  j'irai  tant  de  fois ,  qu  ei^  quelcpie  moment.  •  • 

ARNOLPHE. 

Hé  !  mon  Dieu  !  n^entrons  poitit  dans  ce  vain  complim^l  : 
Rien  ne  me  fâche  tant  que  ces  cérémonies; 
Et,  si  l'on  m'en  croyoit,  elles  seroient  bannies. 
C'est  un  maudit  usage  ;  et  la  plupart  des  gens 
Y  perdent  sottement  les  deux  tiers  de  leur  temps. 

(  Il  se  couvre.  ) 

Mettons  donc  sans  façon.  Hé  bien!  vos  amourettes? 
Puis-je^  seigneur  Horace,  apprendre  où  vous  en  êtes? 
J'étois  tantôt  distrait  par  quelque  vision; 
Mais  depuis  là-dessus  j'ai  Eût  réflexion. 
De  vos  premiers  progrès  j'admire  la  vitesse, 
Et  dans  l'événen^ent  mon  âme  s  intéresse. 

aORACE. 

Ma  foi,  depuis  qu'à  vous  s'est  découvert  mon  cœur^ 
n  est  à  mon  amour  airivé  du  malheur. 

ARNOLFHE. 

Oh!  oh  !  comment  cela? 

HORACE. 

La  fortune  crueDe 
A  ramené  des  champs  le  patron  de  la  belle. 


ACTE  ni,  SCÈNE  IV.  3j3 

ARNOLPR^. 

'QuelniaUieur! 

HORACC. 

Et  de  plofi ,  à  moQ:  tréâ-grand  regret , 
Il  a  su  de  nous  decu^  le  commerce  secret. 

ARNOliPHE. 

DVù  diantre  a-t-U  sitôt  appris  cette  aventure? 

HORACE. 

Je  ne  sais  :  mais  enfin  c^est  une  chose  sûre. 

Je  pcnsois  aller  rendre ,  à  mon  heure  à  peu  près, 

Ma  petite  visite  à  ses  jeunes  attraits , 

Lorsque,  changeant  pour  moi  de  ton  et  de  visage, 

Et  servante  et  valet  m'ont  bouché  le  passage, 

Et  d'un,  Retirez-if ous ,  vous  nous  importuna^ 

M'ont  assez  rudement  fermé  la  porte  au  nez. 

ARXOLPHE. 

La  porte  au  nez  I 

HORACE« 

Au  nez. 

ARIfOI^PHE. 

La  chos^  est  uil  peu  forte. 

HORACE. 

j'ai  voulu  leur  parler  au  travers  de  la  porte  ; 
Mais  à  tous  mes  propos  ce  quils  ont  répondu  9 
C'est,  Vous  n^entrerez  point,  monsieur  l'a  défendu. 

ARNOLPHE* 

Ils  n'ont  donc  point  ouvert? 


3i4  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

HORACE. 

Non.  Et  de  la  fenêtre 
Agnès  m^a  confirmé  le  retour  de  ce  maître, 
En  me  chassant  de  là  d'un  ton  plein  de  fierté, 
Accompagné  d'un  grès  que  sa  main  a  jeté. 

A.RNOI.PHE. 

Comment!  dW  grès! 

HORACE. 

D^un  grès  de  taille  non  pçtite, 
Dont  on  a  par  ses  mains  régalé  ma  yiâte, 

▲RNQLP.1PIE. 

Diantre  !  ce  ne  sont  pas  des  prunes  que  cela  I 
Et  je  trouve  fâcheux  l'état  où  vous  voilà. 

HORACE. 

11  est  vrai,  je  suis  mal  par  ce  retour  funeste. 

ARI^OLPHE. 

m 

Certes,  j'en  suis  fâché  pour  vous,  je  vous  proteste. 

HORACE. 

Cet  homme  me  rompt  tout. 

ARNOLPHE. 

Oui  ;  mais  cela  n  est  rien , 
Et  de  vous  raccrocher  vous  trouverez  moyen. 

HORACE. 

Il  faut  bien  essayer,  par  quelque  intelligence , 
De  vaincre  du  jaloux  Fexacte  vigilance. 

ARNOLPHE. 

Cela  VOUS  est  facile;  et  la  fille,  après  tout, 
Vous  aime. 


ACTE  III,  SCENE  ÏV.  tiS 

T 

HORACE. 

'  Assurément. 

jIRNOLPHE. 

Voiis  en  viendrez  à  bout. 

HORACE. 

/  ... 

Je  Tespèrc. 

ARNOLPHE. 

Le  grès  TOUS  a  mis  en  déroute; 
Mais  cela  ne  doit  pas  vous  étonner. 

HORACE. 

Sans  doute; 
.Et  j'ai  compris  d'abord  c[ue  mon  homme  étoit  là , 
Qui ,  sans  se  faire  voir,  conduisoit  tout  cela. 
Mais  ce  qui  m'a  surpris ,  et  qui  va  vous  surprendre , 
C'est  un  autre  incident  que  vous  allez  entendre; 
Un  trait  hardi  qu'a  fiiit  cette  jeume  beauté, 
Et  qu'on  n'attendroit  pint  de  sa  simplicité. 
11  le  faut  avouer,  l'amour  est  un  grand  maître  : 
Ce  qu'on  ne  fut  jamais ,  il  nous  enseigne  à  l'être  ; 
Et  souvent  de  nos  mœurs  l'absolu  changement 
Devient  par  ses  leçons  l'ouvrage  d'un  moment. 
De  la  nature  en  nous  il  force  le?  obstacles ,  ' 

Et  ses  eflFets  soudains  ont  de  Tair  des  miracles. 
D'un  avare  à  Finstant  il  fait  un  libéral, 
Un  vaillant  d'un  poltron ,  un  civil  d'un  brutal  : 
Il  rend  agile  à  tout  l'âme  la  plus  psante , 
Et  donne  de  l'esprit  à  la  plus  innocente. 
Oui ,  ce  dernier  miracle  éclate  dans  Agnès  ; 


3i6  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

Car  tranchant  ayec  mol  par  ces  termes  exprès, 
a  Retirez-yons,  mon  âme  aux  ^iskes  renonce, 
«  Je  sais  tous  vos  discours,  et  Toilà.ma  réponse ,  » 
Cette  pîienre  ou  ce  grès  dont  tous  vous  étonniez 
Ayec  un  mot  de  lettre  est  tombée^  à  mes  pieds; 
Et  j  admire  de  yoir  cette  lettre  ajustée 
Ayec  le  sens  des  mots  et  la  pierre  j/atée. 
D'une  telle  action  n  efes-yous  pas  surpris? 
L'amour  sait-il  pas  l'art  d'aiguiser  les  esprits? 
Et  peut-on  me  nier  que  ses  flammes  puissantes 
Ne  Êssent  dans  un  cœur  des  choses  étonnantes? 
Que  dites-*yous  du  tour  et  de  ce  mot  d'écrit? 
Hél  nadmirez-TOus  point  cette  adresse,  d'esprit? 
Trouyez-yous  pas*  plaisant  de  yoir  quel  perstpaskige 
A  joué  mon  jaloux  dans  tout  ce  badisage? 
Dites. 

AR50LPHE. 

Oui ,  fort  plaisant.    . 

HORAGB. 

Riez-en  donc  un  peu. 

(Amolphe  rît  d'un  air  forcé.) 

Cet  homme  gendarmé  d'abord  contre  mon  feu, 
Qui  chez  lui  se  retranche,  et  de  grès  fait  parade, 
Comme  si  j'y  youlois  entrer  par  escalade^ 
Qui,  pour  me  repousser,  dans  son  bizarre  effiroi. 
Anime  du  dedans  tous  ses  gens  contre  moi  ; 
Et  qu'abuse  à  ses  yeux,  par  sa  machine  même, 
Celle  qu'il  yeut  tenir  dan^  Tignorance  extrême  I 


ACTE  IIljj  SCÈNE  IV.  3i7 

Poiar  moi  j  je  yons  Favoue ,  encor  que  son  retour 
En  on  grand  embarras  jette  ici  mon  amour. 
Je  tiens  cela  plaisant  autant  qu'on  sauroit  dire  : 
Je  ne  puis  y  songer  sans  de  bon  cœur  en  rire  ; 
Et  TOUS  n'en  riez  pas  assez,  à  mon  aids. 

▲RNOLPRB,  arec  un  ni  Airee. 

Pardonnez-moi,  j'en  ris  tout  autaiit  que  je  puis. 

HOkÀCE. 

Mais  il  fiiut  qu'en  ami  je  vous  montre  sa  lettre. 
Tout  ce  que  son  cœul*  setit ,  sa  main  a  su  1^  mettre  j 
Mais  en  termes  touchants  et  tout  pleins  de  bonté , 
De  tendresse  innocente  et  d'ingénuité, 
De  la  manière  enfin  que  la  pure  nature 
Exprime  de  Tamour  la  première  blessure* 

ARNOLPHE,  bas,  à  part. 

Voilà,  friponne,  à  quoi  l'écriture  te  sert; 

Et,  contre  mon  dessein,  Fart  t'en  fut  décoihrert. 

HORAGS  lii. 

«  Je  yeux  tous  écrire,  et  je  suis  bien  en  peine  par  où 
«  je  m'y  prendrai.  J'ai  des  pensées  que  je  désirerois  que 
«  vous  sussiez;  mais  je  ne  sais  comment  ùive  pour  vous 
K  les  dire,  et  je  me  défie  de  mes  paroles.  Comme  je  com- 
«  mence  i.  connoitre  qu'on  ma  toujours  tenue  dans  Figno- 
.<c  rance ,  j'ai  peur  de  mettre  quelque  chose  qui  ne  soit  pas 
«  bien,  et  d'en  dire  plus  que  je  ne  devrois.  En  vérité,  je 
«  ne  sais  ce  que  vous  m'avez  fait;  mais  je  sefUs  que  je  suis 
«  ftchée  A  mourir  de  ce  qu  on  me  feit  feire  contre  vous, 
«  que  j'aurai  toutes  les  peines  du  monde  à  me  passer  de 


3i8  L'ËCOLE  DES  FEMMES. 

«  VOUS,  et  que  je  serois  bien  aise  d'être  à  yous.  Penl-iétte 
«  ^'U  y  a  du  mal  à  dire  cela;;  mais  enfin'  ^  aepuû  mW 
a  pêcher  de  le  dire,  et  je  ypodrois  (jue  cela  se  pût  £tire 
«  sans  qu'il  y  en  eût.  On  me  dit  fort  que  tous  les  jeunes 
ce  hommes  sont  des  trpmpeprs,  qu'il  ue  les  &ut  point  éçou- 
€(  ter,  et  que  tout  ce  que  vous  me  dites  n'est  que  pour 
a  m'abuser  :  mais  je  tous  assure  que  je  n'ai,  pu  encore  me 
ce  figurer  cela  de  yous;  et  je  suis  si  touchée  de  vos  paroles, 
«  que  je  ne  saurois  croire  qu'elles  soient  mÊoteuses.  Dites- 
ce  moi  firanchement  ce  qui  en  est  s  car  enfin ,  comme  je  suis 
f<  sans  malice,  vons  auriez  le  plus  grand  tort  du  monde  si 
ce  yous  me  trompiez,  et  je  pense  que  j'en  miouxrois  de  dé- 
«  plaisir.  » 

A&NOLPâS,  à  part.. 

Hon  !  chienne  I 

.    ,       .  HOEACJS. 

Qu'âvezryou§?  ... 

,      Moi  ?  rient.  C'^st  qi^.  je  tousse. 

HOftACS. 

I. 
Âyez^yous  jamais. yu.  d  expression  pliis  d^uce?   <.    .  . 

Malgré  IciS:  soins  maiudits  d'up  injuste  pouyx>ir , . 

Un  plus  heau  naturel  se  pput-ilfaire  yp^?     , . ,. 

Et  n'est-ce  pas  sansi  doute  un,  crime  punissable 

De.  gâter  n^échammet^tiCfe  Sunds  d'Orne  a4mira})le, 

D'avoir  da^as  lignorançe  et  la  stupidité ^ 

You^u  de  cet  esprit  étoufier  la  clarté?    .  .  i  , 

JU'an^our,  a  .cçmmcncé  d'en  déchirer  le  yoile  ; 


ACTE  III,  SCÈNE  IV.  Siq 

Et  si,  par  la  faveur  de  <jael^e  bonne  étoile, 
Je  puis,  comme  j^esp^re,  à  ce  franc  animal, 
Ce  traître ,  ce  bourreau  ^  ce  faqoin ,'  ce  brutal. . . 

▲RNOi^ptf  e: 
Adieu.  ,.         •     • 

HORACE. 

Comment  I  si  vite  ? 

II.  m'est  d^ns  la  pensée  : 
Venu  tout  n^isûntenant  une  affaire  pressée^ 

HORACE.  '  , 

Mais  ne  sauriez-vous  point,  comme  on  la  tient  de  {ffès. 
Qui  dans  cette  maison  pourroit  avoir  accès? 
J'en  use  sans  scrupule;  et  ce  n'est  pas  merveille 
Qu'on  se  puisse,  entre  amis,  servir  à  la  pareille. 
Je  n'ai  plus  là-dedans  que  gens  pour  m'observer  ; 
Etservanteet  valet,  que  je  viens  de  trouver,  t 

N'ont  jamais,  de  quelque  air  que  je  ia'y  sois  pii  prendrey. 
Adouci  leur  rudesse  à  me  vouloir..ëntendre. 
J'avois  pour  de  tels  coups  certaine  vieille  en  inain, 
D  un  génie ,  à  vrai  dire  ^  au-dessus  de.  Thumain  : 
Elle  m'a  dans  Tabord  servi  de  bonne  sorte  ; 
Mais ,  depuis  quatre  jours  ^  la  pauvre  femme  ejst  môrtOi 
Ne  me  ppurrie^-vous  point  ouvrir  quelque  mojèù? 

ARNOLPHÇ^ 

V 

Non ,  vraiment',  et  sfips  moi  vous  en  trouvère^  b}en« 

BORACK. 

Adieu  donc.  Vous  vpyeiç.ce^que  je  vous  confie, 


lÀo  L'ËCÔLE  DES  FEMMES. 

.;    .SCÈNE  V.     ■ 

ARNOLPHÇ. 

Comme  41  faut  devant  lui  ^e  je  m^e  mortifie  ! 
Q[aelle  peine  à  cacher  mon  déplaisir  cuisant! 
Quoi  !  pour  une  tstttocentç'  AA  îesprit  si  présent! 
Elle  a  feint  d^étre^lelle  à  mes  yeux^la  traîtresse  j 
Qli  le  diable  à  son  âme  àéèûfflé  ^étte  adresse, 
fàifin  mê  ToiU  mott  par  ce  fiineste  écrit. 
Je  Yois  fu'il  a ,  k  tiaitre^  enpamné  Sdn  esprit  ^ 
Qu^à  ma  oppression  il  s'eM'an<efé  chez  elle; 
£{  cVst  mon  désespoir  «t  m»  p^e  pioitelle'. 
Je  souf&é  doùUement  daiis  ie^vol  de^smi  câeùr; 
Et  Famour  y  pÀtit  aussî-bien  que  l'faônneiir. 
Jenrage  de  trouYerlcetto place  usurpée^  < 
Et  f  enrage  de  vôir^ma  prudem;e  trompée. 
Je  sais  que ,  pour  pdnir  son  amour  li|>eEtin , 
Je  n^ai  qu'à  laisi^er  faire^à  son  mauvais  destli^i , 
Que  je  serai  vengé  d'elle  par  elle-môme  : 
Mais  il^  est  bien  fâcheux  de  pcitlre  ce  qu^on  aime. 
Ciel!  puisque  pc^ur  un  ehoix  j ai  tant  philosophé ^ 
Faut-il  de  ses  4ppa$:  mi^tpe-  si  fort  coiffî  ! 
Elle  ii\  ni  pserents  ^  ni  supf  ort<^  ni  r{chè$se; 
Elle  trahit  m<es  soins,  mes  bontés-,  vbA  tendresse  : 
Et  cependant  je  l'aime  après  ^  Méhe  tour , 
Jusqu'à  ne  me  pouvoir  passer  de  cet  amour. 
Sot!  n as-tu  point  de  honte?  Ahî  je  crève,  j'enrage, 
Et  je  soufflëtterois  miUe.foi^  mon  visage. 


ACTE  III,  SCÈNE  V.  3n 

Je  yeux  entrer  un  peu^  mais  seulement  pour  voir 
Quelle  est  sa  contenance  après  un  trait  si  noir. 
Ciel,  Élites  que  mon  front  soit  exempt  de  disgrâce; 
Ou  bien  s'il  est  écrit  qu  il  Êdlle  que  j  y  passe , 
Donnez-moi  tout  au  moins,  pour  de  tels  accidents, 
La  constance  qu'on  voit  à  de  certaines  gens  ! 


•     • 


FIN   DU  TROISIÈME   ACTE. 


MotiàiE.  s.  ai 


3m       l'ëcole  des  femmes. 
ACTE  QUATRIÈME. 


SCÈNE   I. 

ARNOLPHE. 

J'ai  peine ,  je  Tavone ,  à  demeurer  en  place , 
Et  de  mille  soucis  mon  esprit  s^emLarrasse, 
Pour  pouvoir  mettre  un  ordre  et  dedans  et  dehors 
Qui  du  godelureau  rompe  tous  les  efforts. 
De  quel  œil  la  traîtresse  a  soutenu  ma  vue  ! 
.  De  tout  ce  qu'elle  a  fait  elle  n'est  point  émue; 
Et,  bien  qu'elle  me  mette  A  deux  doigts  du  trépas, 
On  diroit,  à  la  voir,  qu'elle  ny  touche  pas. 
Plus,  en  la  regardant,  je  la  voyois  tranquille. 
Plus  je  sentois  en  moi  s'échauffer  une  bile  5 
Et  ces  bouillants  transports  dont  s'enflammoit  son  cœur 
Y  sëmbloient  redoubler  mon.  amoureuse  ardeur. 
J'étois  aigri,  fâché ,  désespéré  contre  elle; 
Et  cependant  jamais  je  ne  la  vis  si  belle. 
Jamais  ses  yeux  aux  miens  n'ont  paru  si  perçants, 
Jamais  je  n'eus  pour  eux  des  désirs  si  pressants  ; 
Et  je  sens  là-dedans  qu'il  faudra  que  je  crève. 
Si  de  mon  triste  sort  la  disgrâce  s'achève. 
Quoi!  j'aurai  dirigé  son  éducation 
Avec  tant  de  tendresse  et  de  précaution, 


ACTE  IV,  S€ÈNE  I..  3^3 

Je  l'aurai  fait  passer  cb^;  moi  4^5  son  enfance, 
Et  j  en  aurai  çbéri  la  plus  tendre  espérance^ 
Mon  cœur  aura  bS^û  ^ur  ^e$  attraits  naissauts. 
Et  cru  la  mito&n^  pqur  mqi  durant  treize  ans. 
Afin'  (ju'un  jeune  fou  dont  elle  sVmQuracI^e 
Me  la  vienne  enlieyer  jusque  3ur  1^  moustapbe^ 
Lorsqu'elle  est  avec  moi  mariée  à  demi  ! 
Non,  parbleu!  non,  parbleu!  Petit  sot,  mon  ami. 
Vous  aurez  beau  tourner,  ou  j  y  perdrai  mes  peines, 
Ou  je  rendrai,  ma  fqi!  vos  espérances  vaines. 
Et  de  moi  tout-â-fait  vous  ne. vous  rirez  point. 

SCÈNE   IL 

> 

UN  NOTAIRE,  ARNOLPHE.     -    . 

L£   NOTAIRE. 

Ânlle  voilà!  Bonjour.  Me  voici  tout  à  point 
Pour  dresser  le  contrat  que  vous  souhaitez  faire. 
ARNOLPHE ,  se  crojant  seul,  et  sans  voir  ni  entendre  le  notaire.  ' 

Comment  faire? 

lE   NOTAIRE. 

Il  le  faut  dans  la  forme  ordinaire. 

ARNOLPHE,  se crojant seul. 

A  mes  précautions  je  veux  songer  de  près. 

LE    NOTAIRE. 

Je  ne  passerai  rien  contre  vos  intérêts. 

ARNOLPHE,  se  crojant  seul. 

Il  se  faut  garantir  de  toutes  les  surprises. 


1 
I 


M  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

LE   NOTAIRE. 

Suffit  qu^entre  mes  mains  vos  affaires  soient  mises. 
Il  ne  vous  Êtudra  point,  de  peur  d^étre  déçu,  . 
Quittancer  le  contrat,  que  vous  n'ayez  reçu. 

ARNOLPHE,  se  crojant  seul. 

J'ai  peur,  si  je  vais  faire  éclater  quelque  chose, 
Que  de  cet  incident  par  la  ville  on  ne  cause. 

LE  notair:e. 
Hé  bien!  il  est  aîsé  d'empêcher  cet  éclat, 
Et  l'on  peut  en  secret  faire  votre  contrat. 

ARirOLPHE^  se  crojrant  seul. 

Mais  comment  faudra-t-il  (pi  avec  elle  j  en  sorte? 

LE    NOTAIRE. 

Le  douaire  se  règle  au  bien  qu'on  vous  apporte. 

ARNOLPHE,  se  crojant  seul. 

Je  l'aime,  et  cet  amour  est  mon  grand  embarras. 

LE    NOTAIRE. 

On  peut  avantager  une  femme  en  ce  cas. 

ARNOLPHE,  se  crojant  seul. 

Quel  traitement  lui  faire  en  pareille  aventure? 

LE   NOTAIRE. 

L'ordre  est  que  le  futur  doit  douer  la  future 

Du  tiers  de  dot  qu^elle  a;  mais  cet  ordre  n'est  rien, 

Et  Ton  va  plus  avant  lorsque  Ton  le  veut  bien. 

ARNOLP HE,  se  crojant  seul. 
(  11  aperçoit  le  notaire.  ) 


ÀGTE  ly-,  SCÈNE  11^  3a5 

LE  NOTAIRE. 

Pour  le  précîpul,  il  les  regarde  ensemble. 
|e  dis  que  le  futur  peut,  comme  bon  lui  semble , 
Douer  la  future. 

ARNOLPHE. 

•  •  •  ' 

Hé! 

t 

LE   NOTAIRE. 

B  peut  l'avantager 
Lorsqu'il  Fàithe  beaucoup  et  qu'il  Veut  l'obliger;      . 
Et  cela  par  douaire ,  OU  préfix ,  qu'on  appelle , 
Qui  demeure  perdu  par  le  trépas  d'icelle  ; 
Ou  sans  retour,,  qui  va  de  ladite  à  ses  hoirs  ; 
Ou  coutumîidp^  selon  les  difiërents  vouloirs; 
Ou  par  donation  dans  le  contrat  formelle, 
Qu'on  fait  ou  pure  ou  simple,  ou  qu'on  fait  mutuelle. 
Pourquoi  bauaserle  dos?  Est-ce  qu'qn  parle  en  fat ,.  . 
Et  que  l'on  ne  sait  pas  les  formes  dW  contrat? 
Qui  me  lès  apprendra?  personne ,  je  présume.  ' 
Sais-je  pas  qu'étant  joints,  on  est  pai'la  doutume    '  ' 
Communs  en  meubles,  biens,  immeubles  et  conquéts, 
A  moins  que  par  un  acte  on  n'y  renonce  exprès? 
Sais-je  pas  que  le  tiers  du  bien  de  la  future 
Entre  en  communauté  poiir. .Si 

ARNOIPHE. 

•  *  ■ 

.  Oui,  c'est  chose  sûre ^ 
Vous  savez  tout  cela  f.i^a^squi  vous  en  dit  mot? 


3a6  UÉCOLÉ  DÈS' FEMMES. 

LÉ  'itÔtAlRE. 

Vous,  qui  me  prétendez  faiçQ  f)ai$ser  poyr  sot', 
En  me  haussant  T^ps^v^^^  ^^  faisant  la  ^ii^ape^^ 

ARNOLPHE. 

La  peste  soit  de  Thomme,  et  sa  chienne  de  face! 
Adieu.  C'est  le  moyen  de  vous  £aire  finir. 

LE   NOTAIRE. 

Pour  dresser  un  contrât  iA'à-^mïb  pas  Ml  venir? 

Oui,  je  vou^  ai  mai^Jé  :  mai^  lfiic}iose  est  ri^ffiisç, 
Et  l'on  vous  qiand^i^  «{uand  i'tif^^rQ  <s^^  pri#9- 
Voyez  quel  diable  d'JiOmxQe  avoc  fm  fiHU^n  I 

LE  i^otAiiB'y  atih  , 
Je  pense  qu'il  en  li^it,  et  jeei^^wdr  biea.^. 


<    I 


SCÈNE  in. 

•     ' 

LE  NOTAIRE;  ALAIN,  OEORGfiTTE. 


.)5 


LE  N'O TAIRE,  allant  au-devant  d'Alain  et  de  Georeette* 

M'ÊTEs-vous  pas  yenu  quérir  pour  votre  luaître? 

'.  A'LA^W^.: 

Oui. 

I4E    NOTAIRE. 

J  ignore  pour  qui  ;  vous  le  pouvez  cpnnoitrc, 
Mîais  allez  de  ma  part  lui  dire  de  ce  pas 
Que  c'est  un  fou  fiefie. 

•     GEORGETTE. 

Nous  n'y  Manquerons  ps. 


ACTE  IVi  SCÈNE  iV,  Zv] 

SCÊN.E.  iv. 

ARNOLPHE,  ALAIN,  GEOHGEXTE.  ; 

.jLiAlsr; 
Monsieur... 

arnolphe. 
Approches-VoUs;  vous  êtes  mes  fidèles, 
Mes  bons,  iiiés  mis  siiziis^  et  j'en  sais  des  nouvelles. 

Le  notaire. . . 

ARNOLPHE. 

Laissons,  cW  pour  quelque  autre  jour. 
On  veut  à  mon  honneur  jouer  d'un  mauvais  tour; 
Et  <]uel  aSrolit  {^6tir  t^ùs  ^  tues  «nfants ,  pourroit-ce  être, 
Si  Ton  av<>it  été  i^^hOfltiéuk'  à  vbtt«  tiiaîtî*e  ! 
Vous  n'oseriez  après  parohre  en  nul  endroit; 
Et  chacun ,  vous  voyant ,  vous  montrerait  au  dnigt; 
Donc,  puisque  autant  que  moi  l'affaire  vous  regarde, 
Il  faut  de  Vottè  part  faire  une  telle  garde, 
Que  ce  galaiit  tie  jmis^  en  aucune  façon, . . 

Vous  nous  avez  tantôt  montré  nôtre  leçon. 

ARKOLPHE. 

Mais  à  ses  beaux  discoi;ir$  gdjrdeÉ[  bien  de  vous  rendre. 

ALAIir. 

Oh  vraiment!  i 

/  ... 

GEOROETTE. 

îîous  savons  comme  il  faut  s  en  défendre. 


3a8  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

ARNOIiPHE. 

S'il  venoit  doucement  :  Alain,  mon  pauvre  cœur, 
Par  un  peu  de  secours  soulage  ma  langueur. . . 

ALAIN. 

Vous  êtes  un  sot. 

ARKOLÎFHE. 

(àGeorgette.  ) 

Bon.  Georgette ,  ma  mignonne, 
Tu  me  parois  si  douce  et  si  boime  personne.  • . 

GEORGETTE. 

■ 

Vous  âtes  un  nigaud. 

ARIfOLPHE. 
(à  Alain.) 

.  Boa.  Quel  mal  trouves-tu 
Dans  un  dessein  honnête  et  tout  plein  de  vertu? 

ALAIN. 

Vous  êtes  un  fripon. 

ARNOLFHB. 

(àGeorgette.} 

.  Fort  bien.  Ma  mort  est  sûre, 
Si  tu  ne  prends  pitié  des  peines  que  j'endure. 

GEORGETTE. 

Vous  êtes  un  benêt,  un  impudent. 

ARNOLPHE. 

Fort  bien. 

(à  Alain.) 

Je  ne  suis  pas  un  homme  à  vouloir  rien  pour  rien; 
Je  sais,  quand  on  me  sert,  en  garder  la  mémoire; 


ACTE  IV,  SCÈNE  IV.  Sag 

.Cependant,  par  avance ,,Âlam,  yoilà  pour  boire; 
Et  voilà  pour  t'avoir,  Georgette,  un  cotillon. 

(  Ib  tendent  tons  denx  la  main ,  et  prennent  l'aigent.  ) 

Ce  n*est  de  mes  bien!&its  qu'un  simple  échantillon. 
Toute  la  courtoisie  enfin  (ïont  je  vous  presse, 
C'est  que  je  puisse  voir  votre  belle  maîtresse. 

GEORGETTE,  le  poussant. 

À  d'autres. 

ARNOLPHE. 

Bon  cela. 

^  L  A I N ,  le  poussant. 

Hors  d'ici. 

ARNOLPHE. 

Bon. 

GEORGETTE,  le  poussant: 

Mais  tôt. 

ARNOLPHE. 

Bon.  Holà;  c'est  assez. 

GEORGETTE. 

Fais*je  pas  comme  il  faut? 

ALAIN. 

Est-ce  de  la  façon  que  vous  voulez  l'en  tendre? 

ARITOLPHE. 

Oui ,  fort  bien ,  hors  Targent ,  qu'il  ne  falloit  pas  prendre. 

GEORGETTE. 

Nous  ne  nous  sommes  pas  souvenus  de  ce  point. 

ALAIN. 

Voulez-vous  qu'à  Tinstant  nous  recommencions  ? 


33o  LÉCOLË  DES  FEMMES. 

AUKOLPHE* 

Point  : 
Suftt.  Rentrée  tons  denz. 

Vous  n'avez  rien  cju^à  dire. 

AkNbLPHE. 

Non ,  vous  dis- je  ;  rentrez ,  puisse  je  le  désire. 
Je  vous  laisse  l'argent.  Allez  :  je  vous  rejoins. 
Ayez  bien  l'œil  à  tout,  et  secondez  mes  soins. 

SCÈNE  V. 

ARNOLPHR 

Je  veux  pour  espion  c[tti  soit  d'exacte  vue 
Prendre  le  savetier  du  coin  de  notre  me; 
Dans  la  maison  toujours  je  prétends  la  tenir, 
Y  faire  bonne  garde,  et  surtou;t  en  bannir 
Vendeuses  de  rubans,  perruquières,  coi&uses, 
Faiseuses  de  mouchpirs,  gantières,  revendeuses, 
Tous  ces  gens  qui  sous  înain  travaillent  chaque  jour 
A  Ëdre  réussir  les  mystères  d'amour. 
Enfin  j'ai  vu  le  monde  ^  et  j  en  sais  les  finesses. 
Il  faudra  que  mon  homme  ait  de  grandes  adresses, 
Si  message  ou  poulet  de  sa  part  peut  entrer. 


ACTE  IV,    SCtNÊ  VI.  83» 

•   *  <  «,^«  ■ 

SCÈNE  VI. 

HORACE,  ARNOtPHE. 

bORACfi. 

La  place  m'est  heureuse  à  tous  j  rencontrer. 

•  •  • 

Je  viens  de  l'ëchappcr  bien  belle  ^  je  tous  jure. 
Au  sortir  d'avec  vous,  sans  prévoir  ravefiture, 
Seule  dans-tiô  balcOn  j'ai  vu  |)arottre  Agnès, 
Qui  des  arbres  prochains  prenoit  uu  peu  le  frais. 
Après  m'avoir  fait  signe,  elle  a  su  Ëiire  en  sorte, 
Descendant  au  jardin,  de  m^n  ouvtîr  la  porte  : 
Mais  â  peine  tons  deux  dans  sa  chambre  étions^nous, 
Qu'eUe  a  sur  les  degrés  entendu  son  jaloux  ; 
Et  tout  ce  Kjti  elle  a  pu  dans  tin  tel  accessoire. 
C'est  de  me  renfermer  dans  une  grande  armoire. 
D  est  entré  d'abord  :  je  ne  le  voyois  pas, 
Mais  je  Foyois  marcher,  sans  rien  dire,  à  grands  pas; 
Poussant  de  temps  en  temps  des  soupirs  pitoyables, 
Et  donnant  quelquefois  de  grands  coups  sur  les  tables, 
Frappant  un  petit  chien  qui  pour  lui  s'émouvoit. 
Et  jetant  brusquement  les  bardes  qu'il  trouvoit* 
Il  a  même  cassé,  d'uBe  main  mutinée. 
Des  vases  doxit  la  belk  (mioit  sa  cheminée  ; 
Et  sans  doute  il  faut  bien  qu'à  ce  becque-ComU  ' 
Du  trait  qu'elle  a  joué  quelque  jour  soit  venu. 

Enfin ,  après  vingt  tours ,  ayant  de  la  manière 

- 

'  Le  iQot  ùecque  ne  se  trouve  dans  aucun  dictionnaire.. 


33a  L'ÉCOLE^>ES  FEMMES. 

Sur  ce  qui  n'en  peat  mais  déchargé  sa  colère , 

Mon  jaloux  inquiet,  sans  dire  son  ennui, 

Est  sorti  de  la  chambre,  et  nioi  de  mon  étui. 

Nous  nWons  point  voulu,  de  peur  du  personnage, 

Risquer  à  nous  tenir  ensemble  davantage; 

C'étoit  trop  hasarder  :  mais  je  dois  cette  nuit 

Dans  3a  chambre  un  peu  tard  m'introduire  sans  bruit. 

En  toussant  par  trois  fois  je  me  ferai  connoître  y 

Et  je  dois  au  signal  voir  ouvrir  la  fenêtre , 

Dont ,  avec  une  échelle ,  ejt  secondé  d'Agnès, 

Mon  amour  tâchera  de  me  gagner  l'accès. 

Comme  à  mon  seul  ami,  je  veux  bien  vous  l'apprendre^ 

L'allégresse  du  cœur  s'augmente  à  la  répandre; 

Et,  goûtât-on  cent  fois  un  bonheur  tout  parfait, 

On  n  en  est  pas  content,  si  quelqu^un  ne  le  sait.   . 

Vous  prendrez  part,  je  pense,  à  l'heur  de  mes  affaires, 

Adieu.  Je  vais  songer  aux  choses  nécessaires. 

SCÈNE    VIL 

ARNOLPHE. 

.Quoi!  l'astre  qui  s'obstine  à  me  désespérer 
Ne  me  donnera  pas  le  temps  de  respirer! 
Coup  sur  coup  je  verrai,  par  leur  intelligence, 
De  mes  soins  vigilants  confondre  la  prudence  !    - 
Et  je  serai  la  dupe ,  en  ma  maturité ,  * 
D'une  jeune  innocente  .et  d'un  jeune  éventé  ! 


•*■ 


^  Eh  ma  maturité ,  pour  dans  l'âge  mdr. 


ACTE  IV,  SCÈNE  VII.  333 

En  sage  philosophe  on  m'a  vu ,  vingt  années, 

Contempler  des  maris  les  tristes  destinées^, 

Et  m'instniire  avec  soin  de  tous  les  accidents 

Qui  font  dans  le  malheur  tomher  les  plus  prudents; 

Des  disgrâces  d autrui  profitant  dans  mon  âme, 

J'ai  cherché  les  mojens,  voulant  prendre  u!ne  femme, 

De  pouvoir  garantir  mon  front  de  tou3  afiront32 

Et  le  tirer  du  pair  d  avec  les  autres  fronts;, 

Pom*  ce  noble  dessein ,  j'ai  cru  mettre  en  pratique 

Tout  ce  que  peut  trouver  l'humaine  politique  : 

Et,  comme  si  du  sort  il  étoit  arrêté 

Que  nul  homme  ici-bas  n'en  seroit  exempté, 

Après  l'expérience  et  testes  les  lumières 

Que  j'ai  pu  m'acquérir  sur  de  telles  matières. 

Après  vingt  ans  et  plus  de  méditation 

Pour  me  conduire  en  tout  avec  précaution , 

De  tant  d'autres  maris  j'aurois  quitté  la  trace 

Pour  me  trouver  après  dans  la  même  dbgrâce! 

Ah!  bourreau  de  destin,  vous  en  aurez  menti. 

De  l'objet  qu'on  poursuit  je  suis  encor  nanti; 

Si  son  cœilr  m'est  volé  par  ce  blondin  ftmeste, 

J'empêcherai  du  moins  qu'on  s'empare  du  reste; 

Et  cette  nuit  qu'on  prend  pour  ce  galant  exploit 

Ne  se  passera  pas  si  doucement  qu'on  croit. 

Ge  m'est  quelque  plaisir,  parmi  tant  de  tristesse , 

Que  l'oi^  me  dpnne  avis  du  piège  qu'on  me  dresse  ;, 

Et  que  cet  étourdi ,  qui  veut  m'êtrè  fatal , 

Passe  son  confident  de  son  propre  rival. 


334  L'ËCOLE  DES  FEMMES. 

SCÈNE  VIIL 

CHRYSALDE,  ARNO|<PHE. 

CHRTSAtDE. 

Hé  bien!  souperons-nous  avant  la  promenade? 

s 

AKNOLPHE. 

Non.  Je  jeûne  ce  soir. 

CHRTSAtDE. 

D'où  vient  cette  boutade? 

▲  RNOLPHE.  ) 

De  grâce,  excusez-moi,  j'ai  quelque  autre  embarras. 

CHRYSALDE. 

Votre  hymen  résolu  ne  se  fera-t-il  pas? 

ARNOLPHE. 

C  est  trop  s'inquiéter  des  affaires  des  autres. 

GHRYSALDE. 

Oh!  ohl  si  brusquement!  quels  chagrins  sont  les  vôtres? 

Seroit-il  point,  compère,  à  votre  passion 

Arrivé  quelque  peu  de  tribulation? 

Je  le  jurerois  presque,  à  voir  votre  visage. 

ARNOLPHE. 

Quoi  qu'il  m'arrive,  au  moins  aurai-je  l'avantage 

De  ne  pas  ressembler  k  de  certaines  gens 

Qui  souffrent  doucement  lapproche  des  galants. 

CHRYSALDE. 

C'est  un  étrar^e  feit,  qu'avec  tant  de  lumières 
Vous  vous  effarouchiez  toujours  sur  ces  matières, 


ACTE  rV;  SCÈNE  VI IL  335 

Qu'en  cela  vous  metliex  le  ^uyerâîn  bbnhoiur, 

Et  ne  conceviez  point  au  monde  d^autre  honneur  ! 

Être  avarQ^  bmtal^  foiirbe,  méchant  d  lâche. 

N'est  rien,  k  YOtre  avis,  auprès  de  cette  tache, 

Et ,  de  quelque  façoQ  qu'on  puisse  avoir  vécu , 

On  est  homme  d  honneur  quand  on  n  est  point  cocu. 

A  le  bien  prendre  au  fond,  pourquoi  voulez-vous  croire 

Que  de  ce  cas  fortuit  dépende  notre  gloire, 

Et  qu  une  âme  bien  née  ait  à  se  reprocher 

L'injustice  dun  mal  qu'on  ne  peut  empêcher? 

Pourquoi  voulez-vous,  dis- je,  en  prenant  une  fenuoe, 

Qu'on  soit  digne,  à  son  choix,  de  louange  ou  de  blime, 

Et  qu'on  s'aille  former  un  monstre  plein  d'eifreâ 

De  Taffiront  que  nous  fait  son  manquement  de  lbi.7 

Mettez-vous  dans  lesprit  qu'on  peut  du  cpcuage 

Se  faire  en  galant  homme  une  plus  douce  image  ; 

Que ,  des  coups  du  hasard  aucun  n'étant  garant , 

Cet  accident  de  soi  doit  être  indiffèrent , 

Et  qu'enfin  tout  le  mal,  quoique  le  monde  glose , 

N'est  que  dans  la  façon  de  recevoir  la  chose  : 

Et,  pour  se  bien  conduire  en  ces  dij£caltés , 

Il  y  faut,  comme  en  tout,  fuir  les  extrémités. 

N'imiter  pas  ces  gens  un  peu  trop  débonnaires 

Qui  tirent  vanité  de  ces  sortes  d'affaires, 

De  leurs  femmes  toujours  vont  citant  les  galants , 

En  font  partout  l'éloge ,  et  prônent  leurs  talents, 

Témoignent  avec  eux  d'étroites  sympathies , 

Sont  de  tous  leurs  cadeaux,  de  toutes  leurs  parties, 


336  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

Et  font  qu'avec  raison  les  gens  sont  étonnés 
De  voir  leur  hardiesse  à  montrer  là  leur  nez. 
Ce  procédé  sans  doute  est  tout-â-fait  blâmable  : 
Mais  l'autre  extrémité  n'est  pas  moins  condamnable. 
Si  je  n'approuve  pas  ces  amis  des  galants, 
Je  ne  suis  pas  aussi  pour  ces  gens  turbulents 
Dont  Timpriident  chagrin,  qui  tempête  et  qui  gronde^ 
Attire  au  bruit  qull  fait  les  yeux  de  tout  le  monde, 
Et  qui,  par  cet  éclat,  semblent  ne  pasi  voidoir 
Qu'aucun  puisse  ignorer  ce  qu'ils  peuvent  avoir. 
Entre  ces  deux  partis  il  en  est  un  honnête. 
Où,  dans  Foccasion,  Thomme  prudent  s'arrête; 
Et  quand  on  le  sait  prendre,  on  n'a  point  à  rougir 
Du  pis  dont  une  femme  avec  nous  puisse  agir. 
Quoi  qu'on  en  puisse  dire  enfin ,  le  cocuage 
Souâ  des  traits  moins  affireux  aisément  s  envisage; 
Et  comme  je  vous  dis,  toute  Fhabileté 
Ne  va  qu'à  le  savoir  tourner  du  bon  côté. 

ARNOLPHE. 

Après  ce  beau  discours,  toute ia  confrérie. 
Doit  un  remerciment  à  votre  seigneurie  : 
Et  quiconque  voudra  vous  entendre  parler" 
Montrera  de  la  joie  à  s'y  voir  enrôler. 

CHRTSALDB. 

Je  ne  dis  pas  cela  ;  car  c'est  ce  que  je  blàime  : 
Mais,  comme  c'est  le  sort  qui  nous  donne  une  femme, 
Je  dis  que  Ion  doit  faire  ainsi  qu'au  jeu  de  dés. 
Où,  s  il  ne  vous  vient  pas  ce  que  vous  demandez | 

r 


ACTE  IV,  SCÈNE  VIÎI.  33; 

n  Êtut  jouer  d'adresse,  et  d^une  âme  réduite 
Corriger  le  hasard  par  la  boane  conduite. 

ARNOLPHE. 

C'est-à-dire ,  dormir  et  manger  toujours  bien , 
Et  se  persuader  que  tout  cela  n'est  rien» 

chrysàLde. 
Vous  pensez  tous  moquer  :  mais^  à  ne  vous  rien  feindre, 
Dans  le  monde  je  vois  cent  choses  plus  à  craindre, 
Et  dont  je  me  ferois  un  bien  plus  grand  malheur 
Que  de  cet  accident  qui  vous  fait  tant  de  peur. 
Pensez-vous  qu'à  choisir  de  deux  choses  prescrites, 
Je  n'aimasse  pas  mieux  être  ce  que  vous  dites, 
Que  de  me  voir  mari  de  ces  femmes  de  bien 
Dont  la  mauvaise  humeur  fait  un  proeès  sur  riefi , 
Ces  dragons  de  vertu,  ces  honnêtes  diablessesi, 
Se  retranchant  toujours  sur  leurs  sages  prouesses ,    ' 
Qui,  pour  un  petit  tort  qu'elles  ne  nous  font  'pas , 
Prennent  droit  de  traiter  les  gens  du  haut  en  bas, 
Et  veulent,  sur  le  pied  de  nous  être  fidèles. 
Que  nous  soyons  tenus  à  tout  endurer  d'elles? 
Encore  un  coup,  compère,  apprenez  qu'en  effet 
Le  cocuage  n'est  que  ce  que  Ton  le  Êiit  ; 
Qu'on  peut  le  souhaiter  pour  de  certaines  causes, 
Et  qu  il  a  ses  plaisirs  commer  les  autres  choses. 

ARNOLPHE. 

SI  vous  êtes  d'humeur  à  vous  en  contenter, 
Quant  à  moi ,  ce  n'est  pas  la  mienne  d'en  tâfer;  . 

Et  plutôt  que  subir  une  telle  aventure. .  • 

MoLikRS.  a.  ^* 


338  UÉCOLE  DES  FEMMES. 

CHK.Y5ALDE, 

Mon  Dieu!  ne  jurez  point,  de  peur  d'être  parjure. 
Si  le  sort  Ta  réglé,  vos  soins  sont  superflus, 
Et  l'on  ne  prendra  pas  votre  avis  làrdessus. 

ARNOLPHE. 

Moi,  je  seroîs  cocu! 

CHRTSAIDE. 

Vous  voilà  bien  malade! 
Mille  gens  le  sont  bien ,  sans  vous  faire  bravade , 
Qui  de  mine,  de  cœur,  de  biens  et  de  maison ^ 
Ne  feroient  avec  vous  nulle  compraison. 

ARNOLPHE. 

Et  moi,  je  n'en  voudrois  avec  eux  faire  aucune. 
Mais  cette  raillerie,  en  un  mot,  m'importune; 
Brisons  là ,  s^il  vous  plait. 

CHRYSALDE. 

Vous  êtes  en  courroux  I 
Nous  en  saurons  la  cause.  Adieu.  Souvenez-vous, 
Quoi  que  sur  ce  sujet  votre  honneur  vous  inspire, 
Que  c'est  être  à  demi  ce  que  Ion  vient  de  dire , 
Que  de  vouloir  jurer  qu'on  ne  le  sera  pas. 

ARNOLPHE. 

Moi,  je  le  jure  encore,  et  je  vais  de  ce  pas 
Contre  cet  accident  trouver  un  bon  remède. 

(Il  court  heurter  à  sa  porte.  ) 


ACTE  IV,  SCÈNE  IX.  3Bg 

SCÈNE  IX. 

ARNOLPHE,  ALAIN,  GEORGETTË. 

AillN;OLPHE. 

r 

Mes  amis,  c'est  ici  que  )impIof«  yfitref  i^/e. 
Je  suis  édifié  de  votre  affectiop  : 
Mais  il  faut  qu  elle  éclate  en  cette  occasion  \ 
Et,  si  vous  m'y  servez  selon  ma  confiance, 
Vous  êtes  assurés  de  votre  récompense. 
L'homme  que  vous  savez,  n'en  Êiites  point  de  bruit, 
Veut,  comme  je  l'ai  su,  m'attraper  cette  nuit, 
Dans  la  chambre  d'Agnès  entrer  pat  escalade  -y 
Mais  il  lui  &ut,  nous  trois^  dresser  une  embuscade. 
Je  veux  que  vous  preniez  chacun  un  bon  bâton. 
Et,  quand  il  sera  près  du  dernier  échelon, 
Car  dans  le  temps  qu'il  &ut  j'ouvrirai  la  fenêtre , 
Que  tous  deux  à  l'envi  vous  me  chargiez  ce  traître. 
Mais  d  un  air  dont  son  dos  garde  le  souvenir. 
Et  qui  lui  puisse  apprendre  à  n  y  plus  revenir; 
Sans  me  nommer  pourtant  en  aucune  manière. 
Ni  faire  aucun  semblant  que  je  serai  derrière. 
Auriez-vous  bien  l'esprit  de  servir  mon  courroux? 

ALAIN. 

S'il  ne  tient  qu'à  firapper,  mon  Dieu!  tout  est  à  nous  : 
Vous  verrez ^  quand  je  bats,  si  j'y  vais  de  main  morte. 

GEORGETTË. 

La  mienne,  quoiqu'aux  yeux  elle  semble  moins  forte, 
N'en  quitte  pas  sa  part  à  le  bien  étriller. 


34Ô 


L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 


ARirOLPHE. 

Reintrez  donc;  et  surtout  gardez  de  babiller. 

(seul.) 

Voilà  pour  le  prochain  une  leçon  utile  ; 
Et ,  si  tous  les  maris  qui  sont  en  cette  ville 
De  leurs  femmes  ainsi  recevoient  le  galant^ 
Le  nombre  des  cocus  tie  seroit  pas  si  grand. 


FIN   DIT    QUATRIÈME    ACTE. 


L'ÉCOLE  DÇS.  FEMMES.  341 

ACTE  ÇINOUIÈME. 


SCÈNE  I. 

ARNOLPHE,  ALAIN,  GEOHGETTE, 

▲  RNOIPHE. 

T&AiTRSS,  qn'ayez-Yous  Ëiit  par  cette  violence  J 

ALAIN. 

Nous  vous  ayons  rendu,  monsieur,  obéissance. 

ARNOLPHE. 

De  cette  excuse  en  vain  you5  voulez  vous  armer, 
LWdre  étoit  de  le  battre,  et  non  de  l'as^oijimer» 
Et  c'étoit  sur  le  idos,  et  nojn  p^s  sur  la^  tête, 
Que  j  Wois  commancë  qu'on  fit  choir  la  tempête, 
Ciell  dans  quel  açcideint  o^e  jette  ici  le  sort  ! 
Et  que  puis- je  résoudre  à  voir  cet  homme  mort? 
Rentrez  daos  la  maison  ^^  et  gardez  de  rien  dire 
De  cet  ordre  innocent  que  j*ai  pu  vous  prescrire. 

(seul.') 

Le  jour  s'en  va  paroître,  et  je  vais  consulter 
Comment  dans  ce  malheur  je  me  dois  comporter. 
Hélas!  que  deviendrai-je?  et  que  dira  le  père, 
|^Qrs(jue  inopinément  il  saura  cette  affaire? 


3^^  L'ECOLE  DÈS  FEMMES 

SCÈNE   IL 
HORACE^  A'RNOLPHE. 

HORilCSy  àpart. 

Il  fiiat  ^e  j'aille  on  peu  reconnoitre  qui  c'est, 

ÀRS70LPHB,  se  CTOjant  seul. 

Eùt-on  j^mMos  ptém.  • .  7 

(Ihenrté  par  Horace ,  qu'il  ne  Veconnait  pas.  J 

Qui  va  là,  sll  vous  plaît? 

HORACE. 

C'est  vous ,  seigneur  Aiu^lphe]? 

ARNOLPHE. 

Oui.  Mais  vous.  • .  ? 

âORACE. 

C'est  Horace. 
Je  m'en  allois  chez  vous  vous  prier  dHlne  grâce. 
Vous  sortez  bîeii  matin  I 

ARNOLPHE,  bas,  àpart. 

Quelle  confusion  I 
Est-ce  un  enchantement?  est-ce  une  illusion? 

HORACE. 

J'étois ,  à  dire  vrai ,  dans  une  grande  peine  ; 

Et  je  bénis  du  ciel  la  bonté  souveraine 

iQui  fait  gu^à  point  nommé  je  vous  rencontre  ainsi. 

Je  viens  vous  avertir  que  tout  a  réussi , 

Et  même  beaucoup  plus  que  je  n  eusse  osé  dire^ 

Et  par  un  incident  qui  devoit  tout  détruire. 


ACTE  V,  SCÈNE  IL  343 

Je  ne  sais  point  par  où  l'on  a  pu  soupçonner 
Cette  assignation  quW  mWoit  su  donner  : 
Mais ,  étant  sur  le  point  d'atteindre  à  la  fenêtre , 
Jai ,  contre  mon  espoir ,  vu  quelq[ues  gens  paroitre , 
Qui  y  sur  moi  brusquement  levant  chacun  le  bras  y 
IVTont  fait  manquer  le  pied  et  tomber  jusqu'en  bas  ; 
Et  ma  chute,  aux  dépens  de  quelque  meurtrissure, 
De  vingt  coups  de  bâton  m^a  sauvé  Faventure. 
Ces  gens-là ,  dont  étoit ,  je  pense ,  mon  jaloux , 
Ont  imputé  ma  chute  à  l'eiSbrt  de  leurs  caups; 
Et,  comme  la  douleur,  un  assez  long  espace, 
M^a  fait  sans  remuer  demeurer  sur  la  place. 
Ils  ont  cru  tout  de  bon  qu'ils  m'avoieut  assommé, 
Et  chacun  d'eux  s'eu  est  aussitôt  alarmé. 
J'entendois  tout  le  bruit  dans  le  profond  silence  : 
L^un  lautre  ils  s  accusoient  de  cette  violence  ; 
Et ,  sans  lumière  aucune ,  en  querellant  le  sort , 
Sont  venus  doucement  tâter  si  j'étois  mort 
Je  vous  laisse  à  penser  si,  dans  la  nuit  obscure,, 
J'ai  d'un  vrai  trépassé  su  tenir  la  figure^ 
Bs  se  sont  retirés  avec  beaucoup  d  effîoi; 
Et,  comme  je  songeois  à  me  retirer,  moi. 
De  cette  feinte  mort  la  jeune  Agnès  émue 
Avec  empressement  est  devers  moi  venue  : 
Car  les  discours  qu'entre  eux  ces  gens  avoient  tenus 
Jusques  à  son  oreille  étoient  d'abord  venus , 
Et  pendant  tout  ce  trouble  étant  moins  observée. 
Du  logis  aisément  elle  s'étoit  sauvée; 


344  L'ÉCOLE  DES  FEMMES.* 

Mais,  me  trouyant  saiis  mal,  efle  a  £aât  éclater 
Vu  transport  difficile  à  bien  représenter. 
Que  vous  dirai-je  enfin?  Cette  aimable  personne 
A  suivi  les  conseils  que  son  amour  lui  donne , 
PTa  plus  voulu  songer  à  retourner  chez  soi, 
Et  de  tout  son  destin  s'est  commise  à  ma  foi. 
Considérez  un  peu,  par  ce  frait  dlnnocence, 
Oà  l'expose  d'un  fou  la  haute  impertinence , 
Et  quels  fâcheux  périls  elle  pourroit  courir, 
Si  j'étois  maintenant  homme  à  la  moins  chérir^ 
Mais  d'un  trop  pur  amour  mon  âme  est  embrasée; 
^  Jaimerois  mieux  mourir  que  la  voir  abusée  : 
Je  lui  vois  des  appas  dignes  d'un  autre  sort, 
Et  rien  ne  m'en  sauroit  séparer  que  la  mort. 
Je  prévois  là-dessus  l'emportement  dun  père; 
Mais  nous  prendrons  le  temps  d'apaiser  sa  colère. 
A  des  charmes  si  doux  je  me  laisse  emporter, 
EH  dans  la  vie  enfin  il  se  Ëiut  contenter. 
Ce  que  je  veux  de  vous  sous  un  secret  fidèle. 
C'est  que  je  puisse  mettre  en  vos  mains  cette  belle  ; 
Que  dans  votre  maison ,  en  faveur  de  mes  feux, 
Vous  lui  donniez  retraite  au  moins  un  jour  ou  dçux. 
Outre  qu'aux  yeux  du  monde  il  faut  cacher  sa  fuite , 
Et  qu'on  en  pourroit  faire  une  exacte  poursuite, 
Vous  savez  qu'une  fille  aussi  de  sa  façon 
Donne  avec  un  jeune  homme  un  étrange  soupçon  ; 
Et  comme  c'est  à  vous,  sûr  de  votre  prudence, 
Que  j'ai  fait  de  mes  feux  entière  confidence , 


.    ACTE  V,  SCÈNE  IL  345 

C'est  à  Yoafl  seul  amsi ^  comme  ami  généreux, 
Que  je  puis  confia:  ce  dépôt  amoureux. 

ARNOLPHB. 

Je  suis,  n'en  douter  point,  tout  à  votre  service. 

fiORÀCE. 

Vous.youlez.bien  me  rendre  un  si  charmant  office? 

▲  RNOLPHE. 

Très-yolontiers,  vOUs  dis- je;  et  je  me  sens  ravir 
De  cette  occasion  que  j'ai  de  voUs  servir. 
Je  rends  grâces  au  ciel  de  ce  qu'il  me  l'envoie , 
Et  n'ai  jamais  rien  fait  avec  si  grande  joie. 

HORACE. 

Que  je  suis  redevable  à  toutes  vos  bontés! 

J'avois  de  votre  part  craint  des  difficultés  : 

Mais  vous  êtes  du  monde  ;  '  eV,  dans  votre  sagesse , 

Vous  savez  excuser  le  feu  de  la  jeunesse. 

Un  de  mes  gens  la  garde  au  coin  de  ce  détour. 

ARNOLPHE. 

Mais  comment  ferons-nous?  car  il  fait  un  peu  jour. 
Si  je  la  prends  ici ,  l'on  me  verra  peut-être  ; 
Et  s'il  faut  que  chez  moi  vous  veniez  à  paroitre, 
Des  valets  causeront.  Pour  jouer  au  plus  sûr, 
Il  faut  me  l'amener  dans  un  lieu  plus  obscur.    . 
Mon  allée  est  commode ,  et  je  l'y  vais  attendre. 

HORACE. 

Ce  sont  précautions  qu'il  est  fort  bon  de  prendre. 


J-  Vous  êUs  du  monde,  pour  vous  connoisse%  U  monde. 


346  L'ÉCOLE  DES  FEMME& 

Pour  moi,  je  ne  ferai  qae  yoiu  la  mettre  en  main. 
Et  chez  moi^  sans  éclat,  je  retourne  soudain. 

ARirOLPHE,seta. 

Ah!  fortune,  ce  trait  d'aventure  propice 
Répare  tous  les  maux  que  m'a  faits  ton  caprice. 

[  Il  s'enveloppe  le  nez  de  9on  manteau.  ) 

SCÈNE  III. 

AGNÈS,  HORACE,  ARNOLPHE. 

1 

HORACE,  à  Agnès. 

Ne  soyez  point  en  peine  où  je  vais  vous  mener; 
C  est  un  logement  sûr  que  je  vous  fais  donner. 
Vous  loger  avec  moi,  ce  setoit  tout  détruire  :  ^ 
Entrez  dans  cette  porte,  et  laissez-vous  conduire. 

(  Arnolpbe  lui  prend  la  main  sans  qu'elle  le  connoisse.) 

A6KÈS;  à  Borace. 
Pourquoi  me  quittez-vous  ? 

HORACE. 

Chère  Agnès,  il  le  faut. 

AG'NÂS. 

Songez  donc ,  je  vous  prie ,  à  revenir  bientôt. 

HORACE. 

J'en  suis  assez  pressé  par  ma  flamme  amoureuse. 

AGNÈS. 

Quand  je  ne  vous  vois  point,  je  ne  suis  point  joyeuse. 

HORACE. 

Hors  de  votre  présence,  on  me  voit  triste  aussi. 


ACTE  V,  SCÈNE  ni.  34^ 

Hélas!  s  il  ëtoit  yraî^  vous  resteriez  ici. 

HORACE 

Quoi  !  vous  pourriez  douter  de  mon  amour  extrême! 

AGNÈS. 

tion  y  vous  ne  m'aimez  pas  autant  que  je  vous  aime, 

(  Arnolphe  la  tire.  )  ^ 

Âb  !  l'on  me  tire  trop. 

HORACE. 

C'est  qu'il  est  dangereux , 
Chêà-é  ApïkÉy  qu'en  ce  lieu  nous  sojrons  vus  tous  deux; 
Et  ce  par&it  ami  de  qui  la  main  vous  presse 
Sait  le  zèle  prudent  qui  pour  nous  l'intéresse. 

AGNÈS. 

Mais  suivre  un  inconnu  que. . . 

HORACE. 

N'appréhendez  rien  : 
Entre  de  telles  mains  vous  ne  serez  que  bien. 

AGNÈS. 

Je  me  trouverois  mieux  en&e  cfsUes  d'Horace, 
Et  j'aurois... 

(  à  Amolphe  t{ui  la  tire  encore.  ] 

Attendez. 

'     HORACE. 

Adieu.  Le  jour  kne  chasse. 

AGNÈS. 

Quand  vous  verrai- je  donc? 


348  L'ÉCOLE  DE&  FEMMES. 

HORA.CE. 

Bientôt  assurément. 
.  Agiras. 
Que  je  vais  m^ennuyer  jusqnes  à  ce  moment! 

0 

HORACE^en  s'en  allant. ' 

Grâce  au  ciel,  mon  bonheur  n^est  plus  en  concurrence'^ 
Et  je  puis  maintenant  dormir  en  assurance. 

SCÈNE   IV. 

ARNOLPHE,  AGNÈS. 

ARNOLPHE,  caché  dans  «on  manteau^  et  déguisant  sa  Toi& 

Venez,  ce  n'est  pas  là  que  je  vous  logerai, 
Et  votre  gîte  ailleurs  est  par  moi  préparé. 
Je  prétends  en  lieu  sûr  mettre  votre  personne. 

(se  faisant  connoître.] 

Me  connoissez-vous  ? 

AGNÈS.  * 

Hai! 

ARNOLPHE. 

Mon  visage,  friponne, 
Dans  cette  occasion  rend  vos  sens  efBnajés, 
Et  c'est  à  contre-cœur  c[u'ici  vous,  me  voyez  ; 
Je  trouble  en  ses  projets  l'amour  qui  vous  possède. 

(Agnès  regarde  si  elle  ne  verra  point  Horace.  ) 

N'appelez  point  des  yeux  le  galant  à  votre  aide  ; 
Il  est  trop  éloigné  pour  vous  donner  secours. 
Àh!  ah!  si  jeune  encor,  vous  jouez  de  ces  tours  1 
Votre  simplicité,  qui  semble  sans  pareille, 


.  ACTE  V,  SCÈNE  IV.  349 

Demande  si  l'on  fait  les  enÉints  par  Toreille; 
Et  TOUS  savez  donner  des  rendez-yons  la  nuit, 
Et  pour  suivre  un  galant  vous  évader  sans  bruit! 
Tu-dieu  !  comme  avec  lui  votre  langue  cajole  ! 
Il  faut  qu^on  vous  ait  mise  à  quelque  bonne  école  ! 
Qui  diantre  tout  d'un  coup  vous  en  à  tant  appris  ? 
Vous  ne  craignez  donc  plus  de  trouver  des  esprits? 
Et  ce  galant ,  la  nuit ,  vous  a  donc  enhardie  ? 
Âh!  coquine,  en  venir  à  cette  perfidie! 
Malgré  tous  mes  bienfaits,  former  un  tel  dessein  ! 
Petit  serpent  que  j'ai  réchauffé  dans  mon  sein. 
Et  qui ,  dès  qu'il  se  sent,  par  une  humeur  ingrate , 
Cherche  à  faire  du  m^d  à  celui  qui  le  flatte  ! 

AGNÈS. 

Pourquoi  me  crijez^ôus? 

.A,RN0LPHE. 

J'ai  grand  tort!  en  effet  ! 

JLGNÈS. 

Je  n^entends  point  de  mal  dans  tout  ce  que  j^ai  fait. 

ARNOLPHE. 

Suivre  un  galant  n'est  pas  une  action  infîbne? 

.     AGNÈS. 

C'est  un, homme  qui  dit  qu'il  me  veutpour  sa  femme  ; 
J'ai  suivi  vos  leçons ,  et  vous  m'avez  prêché 
Qu'il  se  faut  marier  pour  ôter  le  péché. 

AKNOLPHE. 

Oui.  Mais  pou/r  femme,  moi,  je  prétendois  vous  prendre; 
Et  je  vous  l'a  vois  fait,  me  semble,  assez  entendre. 


I 


\ 


35o  L'ÉCOLE  DES  FEUAIES. 

Oui.  Mais^  à  vous  parler  firanchemenl  entre  nous, 
Il  est  plus  pour  cela  selon  mon  goût  ^e  vous. 
Chez  vous  le  mariage  est  fâcheux  et  pénible; 
Et  vos  disconrs  en  font  une  image  terrijble; 
Mais,  las!  il  le  ^t,  lui,  si  rempli  de  plaisirs, 
Que  de  se  marier  il  donne  des  dJésirs. 

ARNOLPHB. 

Ah  !  c'est  que  youâ  Taimez^  traîtresse  ! 

AGITES. 

Oui,  jeFaime. 

A&lrOLP^B« 

Et  vous  ayez  le  front  de  le  dire  à'nioi'-mêmel  : 

AGNÈS. 

Et  pourquoi ,  s'il  est  vrai ,  ne  le  dkoisr  je  pas  ? 

AILNOLFnB.. 

Le  deviez-YOus  aimer,  impertinente? 

AGNÈS. 

.  Hélas! 
Est-ce  que  j^en  puis  mais?  '  Lui  seul  en  est  la  cause, 
Et  je  n^y  songeois  pas  lorsque  se  fit  la  chiMe. 

ARNOLPHE. 

Mais  il  &lloit  diasçer  cet  amoureux  désir. 

.  ■  AGNÈS.'  ' 

Le  moyen  de  chasser  ce  qui  fait  du  plaisir? 


*  Mais,  de  mas,  espagnol,  qui  signifie  mais  et  plus,  (Vojr*  *' 
note  page  a^,  vol.  I.  ) 


ACTE  V,  SCÈNE  IV.  35i 

ARKOLPHE. 

Et  ne  savez-vous  pas  que  c'étoît  me  déplaire? 

AGNÈS. 

Moi?  point  du  tout.  Quel  mal  cela  vous  peut-il  faire? 

AB.NOLPHE. 

Il  est  vrai ,  j  ai  sujet  d'en  être  réjoui  ! 
Vous  ne  m'aimez  donc  pas ,  à  ce  compte  ? 

AGNÈS. 


Vous? 


ARNOliPHE. 


AGNÈS. 


Oui, 


Hélas  I  non. 


*  ARNOtPâE. 

Comment,  non!  ' 

AGNÈS. 

voulez-vous  que  je  mente? 

ARNOLPHE. 

Pourquoi  ne  m'aimer  pas,  madame  Timpudente? 

A.GNÈIS- 

Mon  Dieu  !  ce  n'est  pas  moi  que  vous  devez  blâmer  : 
Que  ne  vous  êtes-vous ,  comme  lui ,  fait  aimer? 
3e  ne  vous  en  ai  pas  empêché,  que  je  pense. 

ARNOLPHE. 

}e  m'y  suis  efToroé  de  toute  ma  puissance  ; 
Mais  les  soins  que  j'ai  pris ,  je  les  ai  perdus  tous. 


35i  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

.     AGNÈS. 

Vraiment  il  en  sait  donc  là-dessus  plus  que  vous; 
iCar  à  se  faire  aimer  il  n'a  point  eu  de  peine. 

ARNOLPHE;  kpart. 

Voyez  comme  raisonne  et  répond  la  vilaine  I 
Peste!  une  précieuse  en  diroit-elle  plus? 
Âh  !  je  l'ai  mal  connue  ;  ou ,  ma  foi ,  là-dessus 
Une  sotte  en  sait  plus  que  le  plus  habile  homme. 

(k  Agnès.) 

Puiscpi  en  raisonnements  votre  esprit  se  consomme, 
La  belle  raisonneuse ,  est-ce  qu  un  si  long  temps 
Je  vous  aurai  pour  lui  nourrie  à  mes  dépens? 

jlgjxès. 
Non.  Il  vous  rendra  tout  jusques  au  dernier  double. 

ARNOLPHE,  bas,  à  part. 

Elle  a  de  certains  mots  où  mon  dépt  redouble. 

(  haut.  ) 

Me  rendra-t-il,  coquine,  avec  tout  son  pouvoir, 
Les  obligations  que  vous  pouvez  mWoIr  ? 

AGNÈS. 

Je  ne  vous  en  ai  pas  de  si  grandes  cpi'on  pense. 

ARNOLPHE. 

N'est-ce  rien  que  les  soins  d'élever  votre  enfonce? 

AGNÈS. 

Vous  avez  là-dedans  bien  opéré  vraiment, 
Et  m'avez  fait  en  tout  instruire  joliment! 
Croit-on  que  je  me  flatte,  et  qu'enfin  dans  ma  tète 
Je  ne  juge  pas  bien  que  je  suis  une  bête? 


ACTE  V,  SCÈNE  IV.  353 

Moi-même  j'en  ai  honte;  6t,  dans  l'âge  où  je  suis. 
Je  ne  yeux  plus  passer  pour  sotte  j  si  je  puis. 

▲  RNOLPHE. 

Vous  fuyez  l'ignorance,  et  voulez,  quoi  qu'il  coûte, 
Apprendre  du  blondin  quelque  chose  ?  ^ 

▲  GNÉS. 

Sans  doute; 
C'est  de  lui  que  je  sais  ce  que  je  peux  savoir; 
Et  beaucoup  plus  qu'à  vous  je  pense  lui  devoir. 

ARNOLPHE. 

Je  ne  sais  qui  me  tient  qu'avec  une  gourmade 
Ma  main  de  ce  discours  ne  venge  la  bravade* 
J'enrage  quand  je  vois  sa  piquante  froideur^ 
Et  quelques  coups  de  poing  satisferoient  mon  cœur. 

AGNÈS. 

Hélas  !  vous  le  pouvez ,  si  cela  vous  peut  plaire. 

ARNOLPHE,  à  part. 

Ce  mot,  et  ce  regard  désarme  ma  colère, 
Et  produit  un  retour  de  tendresse  de  Cœur 
Qui  de  son  action  efface  la  noirceur. 
Chose  étrange  d'aimer,  et  que  pour  ces  traîtresses 
Les  hommes  soient  sujets  à  de  telles  foiblesses  ! 
Tout  le  monde  connoit  leur  imperfection  ; 
Ce  n'est  qu'extravagance  et  qu'indiscrétion  ; 
Leur  esprit  est  méchant ,  et  leur  âme  fragile  ; 
Il  n'est  rien  de  plus  foiMe  et  de  plus  imbécillc , 
Rien  de  plu5  infidèle  :  et  malgré  tout  cela , 
Dans  le  monde  on  fait  tout  pour  ces  animaux-là. 

MoLikac.  A.  23 


354  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

(à  Agnès.) 

Hé  bien  !  faisons  la  paix.  Va ,  petite  traîtresse , 
Je  te  pardonne  tout,  et  te  rends  ma  tendresse  ; 
Considère  par-là  l'amour  que  j^ai  pour  toi , 
Et,  me  voyant  si  bon ,  en  revanche  âime-moi. 

AGNÈS. 

Du  meilleur  de  mon  ooeur  je  voudrois  vous  complaire  : 
Que  me  coûteroii-il,  si  je  le  pouvois  faire? 

ÀKNOLPHE. 

Mon  pauvre  pet^t  cœur,  tù  le  peux,  si  tu  veux. 

Écoute  seulement  ce  soupir  amoureux^ 

Vois  ce  regard  mourant,  contemple  ma  personne, 

Et  quitte  ce  morveux  et  Tamour  qu'il  te  donne. 

C'est  quelque  sort  qu'il  faut  qu'il  ait  jeté  sur  toi, 

Et  tu  seras  cent  fois  plus  heureuse  avec  moi. 

Ta  forte  passion  est  d'être  brave  et  leste, 

Tu  le  seras  toujours,  va,  je  te  le  proteste  ; 

Sans  cesse,  nuit  et  jour,  je  te  caresserai, 

Je  te  bouchonnerai,  '  baiserai,  mangerai; 

Tout  comme  tu  voudras,  tu  pourras  te  conduire  : 

Je  ne  m'explique  point,  et  cela,  c'est  tout  dire. 
(  bas  ,à  part.  ) 

Jusqu'où  la  passion  peut-elle  feire  aller  ! 

(haut.) 

Enfin  à  mon  am^^ur  rien  ne  peut  s'égaler  : 

Quelle  preuve  veuX-tu  que  je  t'en  donne,  ingrate? 

i       ■  ..,  ■    ■  ■■.■■,.  — — 

<  Bouchonner,  de  bouchon,  diminutif .  de  bouche.  Bcuchtmtf 
<éCoit  ua  terme  de  mignardise. 


ACTE  V,  SCÈNE  IV.  355 

Me  veux-tu  voir  pleurer?  Veux-tu  que  je  me  batte? 
Veux-tu  que  je  m^arrache  uu  côté  de  cheveux? 
Veux-tu  que  je  me  tue  ?  Oui ,  dis  si  tu  le  veui^j 
Je  suis  tout  prêt)  cruelle,  A  të  pumver  ma  flamme. 

AGNÈS. 

Tenez,  tous  vos  discours  ne  me  touchent  point  Fâme  : 
Horace  avec  deux  mots  en  feroit  plus  que  vous. 

ÂRITOLPHE. 

Ah  !  c^est  trop  me  braver,  trop  pousser  mon  courroux.   / 
Je  suivrai  mon  dessein ,  bête  trop  indocile, 
Et  vous  dénicherez  à  Imstant  de  la  ville. 
Vous  rebutez  mes  vœux  et  me  mettez  à  bout', 
Mais  un  cul  de  couvent  me  vengera  de  touU 

SCÈNE   V. 

ARNOLPHE,  AGNÈS,  ALAIN. 

.ALAIN. 

Je  ne  sais  ce  que  c^est ,  monsieur;  mais  il  m6  semble 
Qu  Agnès  et  le  corps  n(ort  s^ensoùt  allés  ensemble. 

ARNOLPHE. 

La  voici.  Dans  ma  chambre  allez  nie  la  nicher. 

(à  part.) 

Ce  ne  sera  pas  là  qu'il  la  Viendra  chercher; 
,Et  puis,  c'est  seulement  pour  une  demi-heure. 
Je  vais ,  pour  lui  donner  une  sûre  demeure, 

(à  Alain.)  » 

Trouver  une  voîtui^.  Enfermez^vous  âes  mieux, 


-356  L'ÉCOLE  DES  FEMMES* 

£t  surtout  gardez-vous  de  la  quitter  des  yeux^ 

(seul.) 

Peut-être  que  son  flme^  étant  dépaysée, 
Pourra  de  cet  amour  étif  désabusée. 

SCÈNE   VI. 

HORACE,  ARNOLPHE. 

HORACE. 

Ah  !  je  viens  vous  trouver,  accablé  de  douleur. 

Le  ciel,  seigneur  Amolphe,  a  conclu  mon  malheur;.' 

Et,  par  un  trait  Êital  d'une  injustice  extrême. 

On  me  veut  arracher  de  la  beauté  que  j'aime. 

Pour  arriver  ici  mon  père  a  pris  le  frais; 

J'ai  trouvé  qu'il  mettoit  pied  à  terre  ici  près  : 

Et  la  cause,  en  un  mot,  d^une  telle  venue 

Qui,  comme  je  disois,  ne  m'étoit  pas  connue, 

C'est  qu'il  m'a  marié  sans  m'en  écrire  rien. 

Et  qu'il  vient  en  ces  lieux  célébrer  ce  lien. 

Jugez,  en  prenant  part  à  mon  inquiétude. 

S'il  pouvoit  m'arriver  un  contre-temps  plus  rude. 

Cet  Enrique  dont  hier  je  m'informois  à  vous 

Cause  tout  le  malheur  dont  je  ressens  les  coups  : 

Il  vient  avec  mon  pèrfe  achever  ma  rume^ 

Et  c'est  sa  fille  unique  à  qui  l'on  me  destine. 

Pai  dès  leurs  premiers  mots  pensé  m'évanouir  : 

Et  d'abord,  sans  vouloir  plus  long-temps  les  ouïr. 

Mon  père  ayant  parlé  de  vous  rendre  visite. 


ACTE  V,  SCÊïfË  VI.    .  3^ 

L'esprit  plein  de  fiayerur,  je  l'ai  devancé  vite. 
De  grâce  9  gardez-yous  de  lui  rien  découvrir 
De  mon  engagement  <jui  le  pourroit  aigrir;  v 

Et  tâchez,  comme  en  vous  il  prend  grande  créance, 
De  le  dissuader  de  cette  autre  alliance. 

ÂRNOLPHE. 

Oui-dà. 

HOllÂCE. 

Conseillez-lui  de  différer  un  peu, 
Et  rendez  en  ami  ce  service  à  mon  feu. 

Â&NaLPQS. 

Je  n'y  ma&<{uerai  pas, 

HORACE^ 

C'est  en  vous  <jue  j  espère. 

ÀRNOLPHE. 

Fort  bien. 

HORACE. 

Et  je  vous  tiens  mon  véritable  père. 
Dites-lui  que  mon  âge. . .  Ahl  je  le  vois  venir! 
Écoutez  les  raisons  que  je  vous  puis  fourçir. 


358  L'ÉCOLE  DBS  FEMMES. 

SCÈNE  yii. 

-  r         - 

ENWQUE,  ORONTE,  CHRYSALDE,  HORACE, 

ARNOLfHE. 

(Horace  et  Amolpbe  m  teiûeat'.dans  ilii  coin  du  tbéâtre ,  «t 

parlent  bas  ensemble.) 

ENB.IQUE,  à  Chrysalde. 

Aussitôt  qu^à  mes  yeu?  je  vqvws  ai  vu  paroître, 

Quand  ou  ne  mVût  lien  d^t,  j  ^uroi^  su  tous  c^itnoître. 

JTai  reconnu  les  traits  dje  cette  .aimable  sœur 

Dont  rhymen  autrefois  m'c^voit  &it  possesseur; 

Et  je  serois  heureux ,  si  la  Parque  cruelle   , 

M'eût  laissé  ramener  cette  épouse  fidèle, 

Pour  jouir  avec  moi  des  sensibles  douceurs 

De  revoir  tous  les  siens  après  nos  longs  malheurs. 

Mais ,  puisque  du  destin  la  fatale  puissance 

Nous  prive  pour  jamais  de  sa  chère  présence , 

Tâchons  de  nous  résoudre ,  et  de  nous  contenter 

Du  seul  fruit  amoureux  qui  m'en  ait  pu  rester. 

Il  vous  touche  dé  prés,  et  sans  vôtre  sulTrâge 

J'aurois  tort  de  Vouloir  disposer  de  ce  gage. 

Le  choix  du  fils  d^Oronte  est  glorieux  de  soi  ; 

Mais  il  ËLut  que  ce  choix  vous  plaise  comme  à  moi. 

)CHRTSALD£. 

C'est  de  mon  jugement  avoir  mauvaise  estime, 
Que  doigter  si  j'approuve  un  choix  si  légitime. 

ARNOLPHE,  k  part,  à  Horace. 

Qui,  je  veux  vous  servir  de  la  bonne  façon. 


ACTE  V,  SCflNE  VU.  dSg 

HORACE,àpart,àAniolpli«. 

Gardez  encore  un  coup, 

ARNOLPHE,  à  Horace. 

N  ayez  aucun  soupçon, 

(  Arnolphe  quitte  Horace  pour  aller  embrasser  Oronte.) 

ORONTE^  à  Arnolphe. 

Ah!  que  cette  embrassade  est  pleine  de  tendresse! 

▲RN.OLPHE. 

Que  je  sens  à  vous  voir  une  grande  allégresse! 

ORONTE. 

Je*suis  ici  venu. . . 

ARNOLPHE. 

Sans  m^en  £aui:e  récit, 
Je  sais  ce  cpi  vous  mène.  ,,      . 

ORONTE< 

On  VOUS  l'a  déjà  ditZ 

ARNOLPHE. 


Oui. 


ORONXE< 


Tant  mxeux.- 


ARNOLPHE. 

Votre  fils  à  cet  hymen  résiste, 
Et  son  cœur  prévenu  n'y  voit  rien  que  de  triste  : 
Il  m'a  même  prié  de  vous  en  détourner. 
Et  moi,  tout  le  conseil  que  je  vous  puis  donner, 
C'est  de  ne  pas  soufirir  que  ce  nœud  se  diffère  j^ 
Et  de  &ire  valoir  lautorité  de  père.. 


36o  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

Il  faut  ayec  vigueur  ranger  les  jeunes  gens, 

Et  nous  faisons  contre  eux  à  leur  être  indulgents. 

HORACE,  à  part, 

Ahltraitrel 

CHRYSALDB» 

Si  son  cœur  a  quelque  répugnance, 
Je  tiens  qu'on  ne  doit  pas  lui  Êiire  résistance. 
Mon  frère,  que  je  crois,  sera  de  mon  avis. 

ARNOLPHE, 

Quoi!  se  laissera-t-il  gouverner  par  son  fils? 

Est-ce  que  vous  voulez  qu'un  père  ait  la  mollesse 

De  ne  savoir  pas  faire  obéir  la  jeunesse? 

Il  seroit  beau  vraiment  qu'on  le  vît  aujourd'hui 

Prendre  loi  de  qui  doit  la  l'ecevoir  de  lui! 

Non,  non  :  c'est  mon  intime,  et  sa  gloire  est  la  mienne  : 

Sa  parole  est  donnée,  il  faut  qu'il  la  maintienne; 

Qu  il  fasse  voir  ici  de  fermes  sentiments. 

Et  forcç  de  son  fils  tous  les  attachements. 

ORONTE.' 

C'est  parler  comme  il  faut;  et  dans  cette  alliance 
C  est  moi  qui  vous  réponds  de  son  obéissance. 

CHRYSAIiDE,  à  Arnolphe. 

Je  suis  surpris ,  pour  moi ,  du  grand  empressement 
Que  vous  me  faites  voir  pour  cet  engagement. 
Et  ne  puis  deviner  quel  motif  vous  inspire. .  • 

ARNOLPHE, 

Je  sais  ce  que  je  fais,  et  dis  ce  qu'il  faut  dire. 


ACTE  V,  SCÈNE  VII.  36i 

ORONTE. 

Ouï  2  oui  5  seigneur  Arnolphe ,  il  est. . . 

GHRYSÀIDE. 

Cenoinraigrit; 
C^est  monsieur  de  La  Souche;  on  vous  l'a  déjà  dit. 

ARNOLPHE. 

Il  n'importe. 

HORACE,  à  part. 

Qu'entends-je! 

ARNOLPHE,  se  retournant  vers  Horace^ 

Oui ,  c'est  là  le  mystère  ; 
Et  vous  pouvez  juger  ce  que  je  deyois  faire. 

HORACE,  à  part. 

En  quel  trouble. . . 

SCÈNE    Vin. 

ENRIQUE,  ORONTE,  CHRYSALDE,  HORACE, 
ARNOLPHE,  GEORjGETTE. 

GEORGETTE. 

Monsieur,  si  vous  n'êtes  auprès, 
Nous  aurons  de  la  peine  à  retenir  Agnès  ; 
Elle  veut  à  tous  coups  s^échapper,  et  peut-être 
Qu'elle  se  pourroit  bien  jeter  par  la  fenêtre. 

arnolphe. 
Faites-la-moi  venir;  aussi-bien  de  ce  pas 

(  à  Horace.  ) 

Prétends- je  Femmener.  Ne  vous  en  fâchez  pas  : 


362  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

Un  honheur  continu  rendroit  Thomme  superbe. 
Et  chacun  a  son  tour,  comme  dit  le  proverbe. 

HORA.CE,  à  part. 

Quels  maux  peuvent,  ô  ciel!  égaler  mes  ennuis?. 
Et  s'est-on  jamais  vu  dans  l«ibime  où  je  suis? 

ARNOLPHE,  kOronte. 

Pressez  vite  le  jour  de  la  cérémonie, 

Ty  prends  part,  et  déjà  moi-même  [e  m'en  prie. 

ORONTE. 

C'est  bien  là  mon  dessein. 

SCÈNE  IX. 

AGNÈS,  ORONTE,  ENRIQUE,  ARNOLPHE, 
HORACE,  CHRYSALDE,  ALAIN,  GEORGETIE. 

ARNOLPHE,  à  Agnès. 

Venez,  belle,  venez, 
Qu'on  ne  sauroit  tenir,  et  <jui  vous  mutinez. 
Voici  votre  galant,  à  qui  pour  récompense. 
Vous  pouvez  faire  une  humble  et  douce  révérence. 

(à  Horace.) 

Adieu.  L'événement  trompe  un  peu  vos  souhaits; 
Mais  tous  les  amoureux  ne  sont  pas  satisfaits. 

AGNÈS. 

Me  laissez-vous ,  .Horace ,  emmener  de  la  sorte  ? 

HORACE. 

Je  De  sais  oii  feu  smsj  tant  ma  douleur  est  forte. 


I 


ACTE  V,  SCÈNE  IX.  36a 

AAICOLPHE. 

Allons ,  pausense ,  allons.  .   . 

Je  ypax  rester  ici. 

Dites-nous  ce  que  c^ést  .^e  të  mj^stère-ci  : 

Nous  nous  regardons  tç^ussans  }e  pouvoir  comprendre. 

Avec  plus  de  loisir  jepOâh'ài  rotns  rapprendre. 
Jusqu^au  revoir. 

Où  donc  prétende2!-vpU3  aller  ? 
Vous  ne  nous  parlez  poi^t  comme  il  nous  faut  parier. 

Je  vous  ai  conseiHé,  mal^ 'tout  son  murmure , 
D  achever  Thymënée.     . 

OROIf.TE. 

.  Oui  imàis  pous  lé. conclure, 
Si  Ton  vous  a  dit  tout  ^^oe  you^  a-t-on  pas  dit 
Que  vous  avez  chez  vo^  celle  dont  il  s^agit , 
La  fille  qu'aulTjeibis  de  l'aimable  Angélique 
Sous  des  liens  secrets  eut  le  seigneur  Enrique? 
Sur  quoi  votre  discours  étoit-U  donc  fondé? 

GHRYSALDE. 

Je  m'étonnois  aussi  de  voir  son  procédé. 

ARNOIiPHZ. 

Quoi?  » 


364  UÉCOLE  DES  FEMMES- 

CHRTSÀLDE. 

D'un  hymen  secret  ma  sœur  eut  une  fille 
Dont  on  cacha  le  sort  à  toute  la  famille. 

ORONTE. 

Et  qui;  sous  de  feints  noms,  pour  ne  rien  découyrir^ 
Par  son  époux  aux  champs  fiit  donnée  à  nourrir. 

CHRTSÀLDE. 

Et,  dans  ce  temps,  le  sort,  lui  déclarant  la  guerre, 
L'obligea  de  sortir  de  sa  natale  terre. 

ORONTE. 

Et  d^aller  essuyer  mille  périls  divers 

Dans  ces  lieux  séparés  de  nous  par  tant  de  mers. 

CHRTSALDE. 

Où  ses  soins  ont  gagné  ce  que  dans  sa  patrie 
Âyoient  pu  lui  ravir  l'imposture  et  Fenvie. 

ORONTE. 

Et ,  de  retour  en  France ,'  il  a  cherché  d'abord 
Celle  à  qui  de  sa  fille  il  confia  le  sort. 

CHRTSALDE. 

Et  cette  paysanne  a  dit  avec  franchise 

Qu  en  vos  mains  à  quatre  ans  elle  Favoit  remisé. 

ORONTE. 

Et  qu'elle  Favoit  fait,  sur  votre  charité, 
Par  un  accablement  d'extrême  pauvreté. 

CHRTSALDE. 

Et  lui,  plein  de  transport,  et  Fallégresse  en  Fâme, 
A  fait  jusqu'en  ces  lieux  conduire  cette  femme. 


ACTE  V,  SCÈNE  IX.  365 

OEOKTB. 

Et  TOUS  allez  enfin  la  voir  venir  ici , 

Pour  rendre  aux  yeux  de  tous  ce  mystère  éclairci, 

CHRYSALDE,  à  Ârnolplie. 

Je  devine  à  peu  près  ^el  est  votre  supplice  : 
Mais  le  sort  en  cela  ne  vous  est  que  propice. 
Si  n*être  point  cocu  vous  semble  un  si  grand  bien^ 
Ne  vous  point  marier  en  est  le  vrai  moyen. 

ARNOLPHB  y  8*eii  aUant  tout  transporté ,  et  ne  pouvant  parler. 

Ouf! 

SCÈNE  X. 

ENRIQCE,  ORONTE,  CHRYSALDE,  AGNÈS, 

HORACE. 

ORORTEt 

D*otr  vient  qu'il  s'enfuit  sans  rien  dire? 

HORACE. 

Ah  !  mon  père  j 
Vous  saurez  pleinement  cesurprenant  mystère. 
Le  hasard  en  ces  lieux  avoit  exécuté 
Ce  que  votre  sagesse  avoit  prémédité. 
Tétois,  par  les  doux  nœuds  dune  amour  mutuelle^ 
Engagé  de  parole  avecque  cette  belle  3 
Et  c'est  elle  en  un  mot  que  vous  venez  chercher, 
Et  pour  qui  mon  refus  a  pensé  vous  fâcher. 

ENRIQXJE. 

Je  n'en  ai  point  douté  d'abord  que  je  l'ai  vue, 


366  L'ÉCOLE  DES  FEMMES,  ACTE  V,  SCÈNE  X. 

Et  mon  âme  depuis  n  a  cessé  d^étre  émue. 
Ab !  ma  fille,  je  cède  à  des  transports  si  doux. 

CHRTSAL0£^ 

Jen  ferois  de  bon  cœur,  mon  firère,  autant  que  vous; 
Mais  ces  lieux  et  cela  ne  s'accommodent  guères. 
Allons  dans  la  mafson  débrouiller  ces  mystères, 
Payer  à  notre  ami  ses  soins  officieux, 
Et  rendre  grâce  au  ciel,  (pii  fait  tout  pour  le  mieux« 


FIT7    DE    L'icOLE    DES    FEMMES. 


RÉFLEXIONS 


SUR 


L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 


L'ËGOLE  DES  Femmes  est,  comme  l'Ëcole  des  Maeis, 
puisée  dans  un  grand  nombre  de  sources  ;  et  Molière,  avec  1q 
même  gëuie ,  s'est  approprie  ces  difTërentes  conceptions.  Cer- 
vantes, dans  sa  nouvelle  du  Jaloux,  Scarron,  dans  celle  de 
LA  Précaution  inutile,  l'auteur  d'un  mauvais  roman  intitulé, 
LES  Nuits  fameuses  de  Straparolle,  avoient  offert  les  prin- 
cipales situations  de  cette  comédie. 

Cervantes  est  le  premier  qui  ait  peint  la  singulière  folio 
d'un  homme  âgé ,  plein  d'expérience ,  qui  veut  prendre  pour 
femme  une  jeune  personne  simple,  et  qui  croit  pouvoir  s'as- 
surer d'elle  en  l'enfermant. 

Philippe  de  Carrizales,  après  s'être  ruiné  avec  les  femmes, 
part  pour  l'Amérique,  où  il  s'enrichit.  De  retour  en  Espagne , 
à  plus  de  soixante  ans,  il  devient  amoureux  d'une  jeune  fille 
qui  a  toujours  vécu  dans  la  retraite ,  et  dont  les  parents  sont 
pauvres.  «  Elle  est  charmante  (  dit-il  au  moment  où  il  la  voit 
(€  pour  la  première  fois.  )  Les  dehors  de  la  maison  qu'elle  ha- 
((  bitè  n'annoncent  pas  qu'elle  soit  riche  :  c'est  un  enfant.  Son 
«  inexpérience  suffît  pour  prévenir  mes  soupçons.  Je  l'épou- 
«  serai,  je  l'enfermerai,  je  ne  la  perdrai  pas  un  moment  de 
«  vue  :  ainsi  elle  n'aura  d'autre  genre  de  vie  que  celui  que  je 


368  RÉFLEXIONS 

«  voudrai.  Je  ne  suis  pas  sî  vieux  que  je  ne  puisse  encore  avoir 
«  des  héritiers.  Qu'elle  ait  une  dot  ou  non ,  peu  m'importe;  le 
a  ciel  m'a  donne  assez  de  bien  pour  nous  deux.  Les  riches 
«  doivent  plutôt  consulter  leur  goût  que  toute  antre  chose  ^ 
«  quand  ils  veulent  se  marier.  C'est  cela  qui  fait  le  charme  de 
(c  lavie,  tandis  que  ceux  qui  ne  se  marient  que  par  intérêt  sont 
«toujours  malheureux.  Allons,  le  sort  en  est  jeté  t  voilà  la 
«  femme  que  le  ciel  me  destinoit.  '   » 

Il  est  curieux  de  voir  dans  l'auteur  espagnol  les  précautions 
de  Carrizales  :  elles  sont  encore  plus  minutieuses  que  celles 
d'Arnolphe.  II  ne  veut  pas  qu'un  tailleur  prenne  la  mesure  de 
l'habit  de  noces  de  sa  maîtresse  :  nue  jeune  £lle  de  la  même 
taille  est  choisie  pour  la  suppléer.  Quand  il  a  la  jeune  per- 
sonne en  son  pouvoir,  c'est  bien  autre  chose  :  il  fait  élever  les 
murs  des  terrasses  de  manière  que  dans  l'intérieur  on  ne  puisse 
plus  voir  que  le  ciel  :  toutes  les  fenêtres  extérieures  sont  mu- 
rées ;  et  la  règle  d'un  couvent  est  établie  dans  cette  maison. 
Si\  femmes  sont  préposées  à  la  garde  deLéonor;  et  Carrizales, 
comme  Amorphe,  fait  un  long  discours  sur  les  devoirs  du 
mariage.  Mais  ces  précautions  ne  suffisent  pas  pour  le  ras- 
surer. 

*  Esta  muchacna  es  Lermosà,  y  a  Iq  que  miiestra  la  presencia  desta 
casa  no  debe  de  ser  rica ,  y  ella  es  nina ,  sus  pocos  aîios  pueden  asegurar 
mis  sospechas  :  casannehe  cou  ella,  encerrarela,  harela  a  mis  manaft,  y  fcoa 
esto  no  tendra  otra  oondicion  que  aqueUa  que  yo  le  ensenare  ;  yo  no  soj 
tan  vieio  que  pueda  perder  la  esperanza  de  tencr  hijos  que  me  hereden  :  de 
que  tenga  dote  o  no,  no  liay  paraque  hacer  caso,  pues  el  cielo  me  diô  para 
todo,  y  los  ricos  no  han  de  buscar  en  sus  matrinikonios  hacienda,  sino  gubto 
que  el  gusto  alarga  la  vida ,  y  los  disgustos  entre  los  casados  la  acortan  : 
alto  pues ,  cchada  esta  la  suerte  y  esta  es  la  que  el  cidlo  quiere  que  yo  tenga. 

(El  ZelosoEstubmeho.) 


SUR  L'ÉCOLE  DES  FEMMES.     869 

'  «  n  ne  vouloît  pas,  dit  Cervantes ,  qu'il  se  trouvât  dans  sa 
€(  maison  des  animaux  mâles.  Jamais  chat  n'j  poursuîvoit  des 
«  souris;  jamais  on  n'y  entendoit  les  aboiements  d'un  chien  : 
<f  tout  ëtoit  du  genre  féminin.  Garrizales  veilloît  jour  et  nuit 
<c  sur  son  trésor  :  sans  cesse  il  faîsoit  sentinelle  chez  lui ,  et  ne 
«  parloit  à  ses  amis  que  dans  la  rue.  Les  tapisseries  et  les  ta- 
«  bleaux  qui  ornoient  ses  appartements  ne  représentoient  que 
(c  des  femmes ,  des  fleurs  et  des  bois.  On  respîroit  dans  cette 
«  maison  une  odeur  de  chastetë.  Pendant  les  longues  soirées 
«  d'hiver,  quand,  autour  du  feu,  les  esclaves  racont oient  des 
<c  histoires  et  des  contes,  comme  le  vieillard  étoit  présent,  on 
«  ne  parloit  jamais  d'amour.  » 

Il  est  aise  de  présumer  que  les  précautions  de  Garrizales 
ne  lui  réussissent  pas  mieux  que  celles  d'Arnolphe.  L'igno- 
rance do  Léonor  ne  Tempéche  pas  de  devenir  très-éclairée 
et  très^adroîte  quand  il  s'agit  d'une  intrigue  amoureuse. 

n  paroît  que  cette  nouvelle,  l'une  des  plus  agréables  de 
celles  de  Cervantes,  fournit  à  Scarron  l'idée  de  la  Précaution 
inutile;  mais,  selon  sa  coutume,  cet  auteur,  poussant  trop 
loin  le  comique,  tomba  dans  l'invraisemblance  et  dans  l'exa" 
.^»— ^— -^^i— ^— — — ^— ^—     I  ■  ■  I  II  I 

'  Pues  aun  no  queria  que  dentro  de  su  casa  buvîese  aTgiin  animal 
que  fuese  varoo.  A  los  ratones  deila  jaroas  los  persiguio  gato,  ni  en  ella 
se  oyo  ladrido  de  perro,  todos  eran  del  genero  femenino  :  de  dia  peosaba, 
de  noche  no  dormia.  El  era  la  ronda  y  centinela  de  sn  casa ,  y  el  argos  de 
lo  que  bien  queria.  Con  sus  amigos  negociaba  en  la  calle,  las  figuras  de 
los  panos  que  sus  salas  y  quadras  adomàhan,  todas  eran  bembras,  flores, 
boscages  :  toda  su  casa  olia  a  Loncstidad)  reoogîmiento  y  recaf o ,  aun  hasta 
en  las  consejas  que  en  las  largas  noches  del  înviemo  en  la  cbinieriea  sus 
criadas  contaban,  por  estar  el  présente  en  ningnna  ningun  genero  de  las* 
civia  se  descubria. 

(El  Zsloso  Esthemeêîo.) 
MoLiàas.  a.  24 


r 


370  RÉFLEXION^ 

gëration.  Cependant  Molière  a  pris  dans  cette  Nouvelle  plu- 
sieurs traits  essentiels  de  sa  comédie. 

Dans  LA.  Précaution  inutile,  don  Pèdre  ayant *«té  trompé 
par  un  grand  nombre  de  femmes  d'esprit,  en  prend  une  qui  en 
est  entièrement  dépourvue.  Il  choisit  les  valets  les  plus  sots  et 
les  servantes  les  plus  innocentes.  Lorsque  les  deux  époux  sont 
seuls  y  don  Pèdre  se  met  gravement  dans  un  fauteuil ,  fait  tenir 
sa  femme  debout,  et  lui  parle  ainsi  :  «  Vous  êtes  ma  femme, 
<c  dont  j'espère  que  j'aurai  sujet  de  louer  Dieu  tant  que  nous 
ce  vivrons  ensemble.  Mettez-vous  bien  dans  l'esprit  ce  que  je 
«  m'en  vais  vous  dire,  et  l'observez  exactement  tant  que  vous 
«  existerez ,  de  peur  d'offenser  Dieu  et  de  me  déplaire.  A 
<c  toutes  ces  paroles,  poursuit  Scarron,  l'innocente  Laure  fai- 
«  soit  de  grandes  révérences  à  propos  ou  non ,  et  regardoit 
«  son  mari  entre  deux  yeux  aussi  timidement  qu'un  écolier 
«  nouveau  fait  à  un  pédant  impérieux.  Savez-vous,  continua 
(c  don  Pèdre,  la  vie  que  doivent  mener  les  personnes  mariées? 
M  Je  ne  le  sais  pas ,  lui  répondit  Laure ,  faisant  une  révérence 
<(  plus  basse  que  toutes  les  autres  ;  mais  apprenez-le-moi ,  et 
(c  je  le  retiendrai  comme  Ave,  Maria;  et  puis  autre  révérence. 
((  Don  Pèdre  étoit  le  plus  satisfait  des  hommes  de  trouver  on- 
ce corc  plus  de  simplicité  en  sa  femme  qu'il  n'^eût  osé  en  es- 
«  pérer.  » 

Molière  a  développé  cette  excellente  scène  dans  le  com- 
mencement du  troisième  acte  de  l'Ëcole  des  Femmes.  Scarron 
cependant  ne  reste  pas  long-temps  dans  la  bonne  route  :  son 
principal  pcrsonipge  a  l'idée  singulière  d'exiger  que  pendant 
la  nuit  sa  femme  soit  armée  de  pied  en  cap,  et  veille  comme 
une  sentinelle  devant  le  lit  nuptial  :  il  lui  persuade  que  c'est  le 
devoir  des  femmes.  Laure  s'y  soumet.  Son  mari  entreprend  on 
voyage ,  et  les  premiers  jours  elle  fait  exactement  les  factions. 


SUR  L'ÉCOLE  DES  JPEMMES.     371 

IJd  jeune  homme  la  remarque  à  sa  fenêtre  |  il  est  sëduit  par  sa 
beauté  y  et  bientôt  une  vieille  entremetteuse  se  mêle  de  cette 
aifaire. 

Elle  aborde  Lanre  sous  le  prétexte  de  lui  vendre  des  rubans, 
la  recommande  à  Dieu,  la  loue  de  sa  beauté ^  et  lui  parle  du 
beau  gentilhomme  qui  désire  de  lai  servir.  '  a  Je  lui  suis  fort 
«  obligée ,  répond  l'innocente ,  et  j'aurai  son  service  fort 
tt  agréable,  n  La  vieille  cherche  à  lui  faire  comprendre  quelle 
espèce  de  service  on  veut  lui  rendre,  et  Laure  accorde/ un 
rendez-vous  pour  la  nuit  suivante.  «La  vieille  damnée,  pour- 
ce  suit  Scarron,  prit  ses  mains,  et  les  lui  baisa  cent  fois,  lui 
Il  disant  qu'elle  alloit  redonner  la  vie  à  ce  pauvre  gentilhomme 
a  qu'elle  avoit  laissé  demi-mort.  Et  pourquoi?  s'écria  Laure 
(c  tout  ef&ayée.  Cest  vous  qui  l'avez  tué ,  dit  alors  la  vieille. 
<i  Laure  devint  pâle  comme  si  on  l'eût  convaincue  d'un*meurtre , 
«  et  elle  allait  protester  de  son  innocence ,  si  la  méchante 
(c  femme ,  qui  ne  jugea  pas  à  propos  d'éprouver  davantage  son 
(c  innocence,  ne  se  fût  séparée  d'elle,  lui  jetant  les  bras  au 
t(  cou,  et  l'assurant  que  le  malade  n'en  mourroit  pas.»  Lorsque 
le  mari  revient,  il  a  une  explication  avec  Laure;  et  cette  scène 
est  indécente  sans  ctre  comique  i 

Molière  s'est  emparé  de  cette  scène  de  la  vieille  ;  il  en  a 
mis  très-adroitement  le  récit  dans  la  bouche  d'Agnès. 

'  Dans  une  situation  pareille,  Régnier  fait  dire  à  une  vieille'  : 

Ma  fille ,  Dieu  vous  garde  et  vous  veuille  bénir  : 
Si  je  vous  veux  du  mal ,  qu'il  n^'en  puisse  advenir. 

Molière  a  imité  ce  tour  : 

Mon  en&nt ,  le  bon  Dieu  puuBe'>t4i  von»  béèir, 

Et  dans  tous  vos  attraits  Ipn^texî^  voua  maintenir  I 


37a  RÉFLEXIONS 

Le  même  Dorimon  j  qui  avoit  traité  le  sajet  de  l'École  de9 
Maus  ,  traita  aussi  celui  de  l'Ecole  des  Feu  mes  avant  Mo- 
lière, n  est  ëtonnant  qu'avec  assez  de  goût  pour  choisir  aussi 
bien  y  cet  auteur  ne  fit  que  de  mauvaises  pièces.  Il  se  traîne 
péniblement  sur  les  pas  de  Scarron  j  et  suppose ,  comme  lui , 
^ue  l'ëpoux  exige  de  sa  femme  qu'elle  soit  armée  .pendant  la 
nuit.  Dans  l'absence  de  cet  ^poux ,  un  jeune  homme  donne 
à  la  dame  les  lumières  qui  lui  manquent  ;  et  l'explication 
qui  a  lieu  ensuite  est  un  des  meilleiu^s  morceaux  de  la 
pièce.  Qoris  répond  à  son  mari ,  qui  la  trouve  la  nuit  sans 
armes  : 

Cet  étranger  courtois ,  civil  et  plein  de  charmes, 

Me  lés  a  fait  quitter,  et  m^a  dit ,  ébahis , 

Çut  Ton  n'exerçoit  peint  fces  lois  en  son  pa  js , 

Que  les  fiemniet  avoient  après  le  manage 

Des  «mes  à  la  main  qui  faiK>icait  moins  d'outrage  ^ 

Qu'elles  avoient  des  lois  plus  douces  qa*en  ces  lieux. 

Aussitôt  mon  esprit  s'est  montré  curieux  : 

J'ai  brûlé  du  désir  de  les  pouvoir  apprendre  ; 

Et  lui-même  a  voulu  me  les  faire  comprendt«. 

La  première  idée  des  scènes  charmantes  d'Horace  et  d'Arr  < 
nolphe  se  trouve  dans  un  roman  aujourd'hui  inconnu,  les 
Nuits  fameuses  du  seigneur  St&apa&olle.  Dans  cette  histoire 
bouffonne,  un  amant,  ignorant  qu'un  de  ses  amis  est  son  rival, 
vient  tous  les  jours  lui  faire  confidence  des  faveurs  qu'il  ob- 
tient de  sa  maîtresse.  Mais  ce  roman,  qui  n'ofire  que  cette  idée 
heureuse,  n'a  qu'un  comique  plus  forcé  et  plus  trivial  que  celui 
de  Scarron. 

Voilà  les  principales  sources  dans  lesquelles  Molière  a 
puisé  les  différentes  situations  de  l'Ëcole  des  Femmes.  Mais 
quel  ensemble  n'a-t-il  pas  su  donner  à  ces  combinaisons  vagues 


SUR  L'ÉCQLE  DES  FEMMES.      378 

et  sans  intérêt,  si  l'on  en  excepte  celles  de  Cervantes!  Peut- 
être  y  a-t-îl  autant  de  mërîte  à  tirer  ainsi  parti  de  matériaux 
informes  qu'à  crëer  des  sujets.  Molière ,  lorsqu'il  n'inventoit 
pas  y  donnoit  aux  objets  une  nouvelle  couleiiret  u,ne  nouvelle 
forme  :  ce  qu'il  preuoit  sembloit  ne  plus  appartenir  aux  auteurs 
qu'il  avoit  mis  à  contribution. 

Il  s'imposa  dans  cette  pièce  la  même  loi  que  dans  l'Ecole 
DES  Maris  ;  ce  fut  de  ne  pas  faire  jouer  le  principal  rôle  à  une 
femme  mariée.  Agnès  inspire  de  la  compassion  et  de  l'intérêt; 
elle  a  du  bon  sens  et  de  l'esprit  naturel  ;  son  ignorance  seule , 
qui  ne  doit  être  imputée  qu'à  Arnolphe ,  l'a  empêchée  de  faire 
usage  de  ces  heureuses  dispositions  :  elle  n'a  d'autre  but  que 
de  se  marief'  à  l'homme  qu'elle  aime.  Quelle  différence  entre 
cette  jeune  personne  et  les  femmes  qui  figurent  dans  Cervantes  9 
Scarron  et  Dorimon  !  Une  femme  mariée  qui  manqué  à  son 
devoir  cesse  au  théâtre  d'intéresser,  quels  que  sçieut  ses  mor 
ti£5  dç  plainte  contre  son  époux. 

Le  rôle  d' Arnolphe  étpit  absolument;  neuf  :  sa«pa3Sit>n  est 
naturelle  et  pleiiie  d'impëiuoské.  Cette  chaleur  ajoute  à  l'effet 
du  rôle.  Il  a  tous  les  mouyements  d'un  caractère  tragique;  et, 
par  une  combinaison  qui  ne  pouvoit  appartenir  qu'à  un  homme 
de  génie ,  ce  personnage  fait  rire  par  les  mômes  sentiments 
qui  attcndriroient  dans  une  tragédie.  Qu'on  se  représente  en 
effet  un  homme  qui  a  tout  sacrifié  pour  une  orpheline,  qui  l'a 
tirée  d'un  état  malheureux  afin  de  l'élever  jusqu'à  lui ,  et  qui 
n'est  payé  de  ses  bienfaits  que  par  une  trahison.  Sans  doute  ce 
personnage  touchera  :  c'est  cependant  celui  d'Arnolphe , 
contre  lequel  tout  le  monde  se  déclare  dans  la  comédie.  Il  est 
à  remarquer  aussi  que  Molière  a  mis  dans  ce  caractère  touto 
l'adresse  et  toute  la  prévoyance  qu'on  pouvoit  désirer  :  C€ 
n'est  point  un  tutei^r  de  comédie  ;  il  connoît  mieux  ^u'Horaea 


3;4  RÉFLEXIONS 

le  monde  et  les  femmes;  et  cependant  il  est  toujours  dupe  : 
voilà  le  vrai  comique. 

Molière  a  imité  quelques  détails  de  Térence ,  de  Rabelais 
et  de  Brantôme  :  les  derniers  ëtoient  ses  auteur»  favoris. 

AmoTphe, -pressé  par  Ghrjsalde  sur  sa  folie,  ne  peut  que 
lui  dire  : 

A  ce  bel  argument ,  h  ce  discours  profond, 
Ce  que  Pantagruel  à  Panurge  répond  : 
Fressez^'moi  de  me  joindre  à  femme  autre  que  aotte  ; 
I^rèchez ,  patrodnex  jusqu'à  la  Pentecôte, 
Voua. serez  ébahi,  quand  vous  serez  au  Bout, 
Que  TOUS  ne  in'aurez  rien  persuade  du  tout. 

Panurge  soutient  que  dans  un  Ëtat  il  est  très -bon  qu'il  j  ait 
des  débiteurs  et  des  créanciers.  «  J'entends,  répond  Panta- 
agruel,  et  me  semblez  bon  topicqueur,  et  affecté  à  votre 
«  cause  :  mais  prêchez  et  patrocinoz  d'ici  à  la  Pentecôte  ;  et 
<(  enfin  vous  serez  ébahi  comment  rien  ne  m'aurez  per- 
«  suadë.  '  » 

Alain  explique  à  Georgette  ce  ^ue  c'est  que  la  jalousie  : 

Dis-moi ,  n*est-il  pas  vrai ,  quand  tu  tiens  ton  potage , 
Que ,  si  quelque  aflàmé  venoit  pour  en  manger,  etc. 

C'est  une  plaisanterie  de  Rabelais.  Pantagruel,  ayant  consulté 
sur  son  mariage,  poursuit  ainsi  :  «  Ce  sort  dénote  que  ma 
a  femme  sera  preude ,  pudicque  et  loyale ,  non  mie  armée , 
«  rcbousse,  n'écervelée  et  extraite  de  cervelle  comme  Pallas, 
«  et  ne  me  sera  corrival  ce  beau  Jupin,  et  jà  ne  saulcera  son 
«c  pain  en  ma  soupe  quand  ensemble  serions  à  table.  '  » 
L'idée  du  long  sermon  d'Arnolphe  paroît,  comme  on  l'a 

*■'■■■'  I     I  ,  I  I  I  I     ■■!      ■       ■  .1      ■     I  >  I..  'J« 

»  Tome  III ,  chapitn»  V.  —  »  Tome  III ,  chapitre  XII. 


SUR  UÉCOLE  DES  FEMMES.      3-5 

vil  y  être  prise  dans  Scarron  :  peut-être  aussi  Molière  l'a-t-il 
puisse  dans  Rabelais. 

«Sur  SCS  vieux  ans^  dit  cet  auteur,  Hanscarvel  ëpousa  la 
«fille  du  bailli  Concordant,  jeune,  belle  et  fresque.  Donc 
«  advint,  en  succession  de  quelques  hcbdomades,  qu'en  devint 
«  jaloux  comme  un  tigre ,  et  etitra  en  soupçon  qu'elle  ne  lui 
«  ëtoit  pas  fidèle.  '  Pour  à  laquelle  chose  obvier,  lui  faisoit 
«  tout  plein  de  beaux  contes  touchant  les  désolations  advenues 
«  par  adultère ,  lui  lisoit  souvent  les  légendes  des  preudes 
a  femmes,  la  preschoitde  pudicité,  lui  fit  un  livre  de  louanges 
c(  de  fidëlitë  conjugale ,  détestant  fort  et  ferme  les  ribaudes 
«  mariées,  etc.  ^  » 

Chrjsalde ,  pour  consoler  Arnolphe ,  lui  peint  des  prudes 
qui  fout  le  désespoir  de  leurs  maris. 

De  CCS  femmes  de  bien 
Dont  la  niauvaise  humeur  fait  un  procès  sur  rien , 
Ces  dragons  de  vertu,  ces  honnêtes  diablesses, 
Se  retranchant  toujours  sur  leurs  sages  prouesses , 
Qui ,  pour  UQ  petit  tort  qu'elles  ne- tous  font  pas , 
Prennent  droit  de  traiter  les  gens  du  haut  en  batf # 

Cette  peinture  est  puisée  dans  Brantôme  :  «  A  aulcuns  J'ai 
a  ouï  dire  que  quelquefois  pour  les  maris ,  il  n'est  si  besoin 
ce  aussi  qu'ils  aient  leurs  femmes  si  chastes  ;  car  elles  en  sont  si 
<c  glorieuses,  je  dis  celles  qui  ont  ce  don  si  rare,  que  quasi 
a  vous  diriez  qu'elles  veulent  dominer,  non  leurs  maris  seule- 
ce  ment,  mais  le  ciel  et  les  astres  :  voire  qu'il  leur  semble, 
«  par  telle  orgueilleuse  chasteté  que  Dieu  leur  doive  du  re- 


«  tour.  ^  » 


'  L'expression  de  Rahelais  ne  peut  se  conserver, 
a  Tome  III,  chapitre  XXVIII. 
3  Dames  galantes,  diseoun  I*', 


376  RÉFLEXIONS 

Molière  a  encore  employé  cette  idée  dans  AmphitiyoB  : 

Mercure  dit  à  la  prude  CHëanthis  : 

Jft  8018  pas  81  femme  de  bien , 

Et  me  rcxmps  on  peu  moinf  k  tête. 

Chry  saldc ,  pour  pousser  Amolphe  à  bout  y  et  pour  se  mo- 
quer de  lui  y  soutient  une  opinion  singulière  : 

Encore  nn  oonp ,  compère ,  apprenez  qi^'en  efièt 
Le  oocnage  n'est  que  ce  que  1  on  le  fait  ; 
Qu'on  peut  le  souhaiter  pour  de  certaines  causes, 
Et  qu'il  a  ses  plaisirs  comme  les  autres  choses. 

Rabelais  et  Brantôme  s'ctoient  permis  cette  plaisanterie  ha- 
sardée, mais  qui  devient  très -dramatique  dans  la  situation 
d'Ârnolphe  et  de  Ghrjsalde.  «II  n'est  pas,  dit  Rabelais,  coquu 
tt  qui  veut.  Si  tu  es  coquu ,  ergo  ta  femme  sera  belle  ;  ergo  ta 
Il  seras  bien  traite  d'elle;  ergo  tu  aurasdes  amis  beaucoup;  ergo 
fc  tu  seras  sauvé.  '  »  Brantôme  développe  cette  pensée  : 
a  Quand  une  femme,  dit-il,  est  un  peu  g^lai^te,  elle  se  rend 
f(  plus  aisée,  plus  subjecte,  plus  docile ,. craintive ,  et  de  plus 
a  douce  et  agréable  humeur,  plus  humble  et  plus  prompte  à 
m  faire  tout  ce  que  le  mari  veult,  et  lui  condescend  en  tout, 
a  comme  j'en  ai  vu  plusieurs  telles  qui  n'osent  gronder,  ni 
«  crier,  ni  faire  des  acariâtres ,  de  peur  qi^e  leurs  maris  ne  les 
«  meni^cent  de  leurs  fautes.  Bref ,  elles  font  ce  que  leurs  maris 
«  veulent,  *  » 
.  Chrysalde  dit  à  Amolphe  : 

Mais ,  comme  c'est  le  sort  qui  nous  donne  une  femme , 
Je  dis  que  l'on  doit  faire  ainsi  qu'au  jeu  de  dés ,  etc. 

«  livre  III,  chap.  XX VIL 
■  Dames  galantes,  discourt  T'. 


SUR  L'ÉCOLE  DES  FEMMES.     377 

Cést  une  imitation  de  Térence  dans  les  Adelphes  .  '  <c  Dans 
ft.la  vie ,  dit  Micion  y  il  faut  se  conduire  comme  au  jeu  de  des  : 
ce  si  le  point  qui  tous  ëtoit  nécessaire  ne  tombe  pas ,  il  faut  par 
«  Totre  adresse  corriger  celui  que  le  sort  vous  a  envoyé . 

Âmolphe,  dans  son  désespoir,  imagine  un  singulier  mojen 
de  se  calmer  : 

Un  certain  Grec  disoit  à  Tempereur  Auguste,  etc. 

Ce  trait  comique  est  tiré  d'une  vieille  comédie  italienne  de 
Pino  di  Gagli ,  intitulée  :  gli  Ingiusti  sdegni.  «J'ai  déjà  (dit 
n  un  des  personnages)  répété  une  fois  Palphabet  grec  pour 
<(  apaiser  ma  colère.  ^  » 

Jean  Bouchet,  vieux  poète  françois,  avoit  exprimé  l'impa- 
tience d'une  jeune  fiancée  de  la  manière  suivante  : 

Et  m'est  avis ,  quand  j*ois  quelque  cheval 
Qui  roarcbe  fier,  qui  fait  les  sauts  et  rue^. 
Que  c'est  le  vôtre;  alors  je  sors  en  rue, 
Hâtivement,  cuidant  que  ce  soit  vous.  ^ 

Molière  a  tiré  de  cette  idée  naïve  une  excellente  plaisan- 
terie :  Georgette ,  en  parlant  d'Agnès ,  dit  à  Arnolphe  : 

EQe  vous  croyoit  voir  de  retour  h  toute  heure  ; 
Et  nous  n'oyions  jamais  passer  devant  chez  nous 
Cheval ,  âne  ou  mulet  qu'elle  ne  prît  pour  vous.  / 

C'étoit  ainsi  qu'il  s'approprioit  les  idées  des  anciens  auteurs. 

*  nia  vita  hominum  est,  quasi  cùm  ludas  tesaeris  : 
Si  illud  quod  maxumè  opus  est  jactu ,  non  cadit , 
Illud  quod  cecidit  forte ,  id  arte  ut  corrîgas. 

(Adelphes,  acte  IV,  scène  VII.) 
^  Ho  detto  gia  una  volta  Talfabeto  greco  per  temperar  Tira,  (^(fo  III , 
icen.  V.) 

3  Épitre  IV  de  Boacfaet.    ' 


378  RÉFLEXIONS  SUR  L'ÉCOLE  DES  FEMBIES. 

Les  critiques  contemporains,  et  même  ceux  de  nos  jours ^ 
ont  blâmé  le  dénouement  de  l'Ecole  des  Femmes.  U  est  vrai 
qu'il  est  inférieur  à  celui  de  1'£cole  des  Maus  ,  l'un  des  meil- 
leurs qui  existent  au  théâtre.  Mais,  avant  de  juger  si  sévère- 
ment un  des  chcis-d'œuvre  de  Molière  y  il  faudroit  peut-être 
réfléchir  un  peu  sur  la  nature  du  poème  comique,  et  sur  ce 
qui  le  distingue  du  drame  et  de  la  tragédie.  Dans  ces  deux  der- 
niers genres ,  l'intérêt  doit  dominer  :  il  faut  que  de  scène  en 
scène ,  d'acte  en  acte,  cet  intérêt  augmente ,  et  qu'avec  vrai- 
semblance on  arrive  à  une  catastrophe  qui  déchire  le  cœur  ou 
calme  ses  agitations.  L^objet  de  la  comédie  n'est  pas  le  même  : 
elle  se  borne  à  peindre  les  ridicules  et  les  travers,  A  faire  rire 
aux  dépens  de  ceux  qui  en  ont  ;  et  les  préparations  nécessaires 
pour  amener  un  dénouement  savamment  combiné  étouffe- 
roient  souvent  le  comique ,  et  nuiroieut  aux  développements 
où  les  mœurs  sont  retracées.  C'est  pourquoi  Molière  n'a  géné- 
ralement admis  que  des  intrigues  très  -  simples ,  et  s'est  peu 
inquiété  de  ses  dénouements ,  quand  il  a  eu  la  certitude  de 
remplir  son  véritable  objet.  Le  dénouement  de  l'École  des 
Maris  étoit  indiqué  par  la  fable  :  au  lieu  que  celui  de  l'Ëcole 
des  Femmes  auroit  eu  besoin,  pour  être  mieux  amené,  de  plu- 
sieurs préparations  qui,  jetées  dans  diverses  parties  de  l'ou- 
vrage, en  auroient  retardé  la  marche,  et  auroicnt  affoibli  le 
comique  des  scènes  charmantes  d'Horace  et  d'Arnolphe. 

Au  reste,  aucune  pièce  ne  fut  plus  critiquée  et  plusJouëe 
que  celle-ci  :  nous  y  reviendrons  dans  les  réflexions  sur  les 
deux  comédies  suivantes.  ♦ 


LA  CRITIQUE 


DE 


L'ÉCOLE  DES  FEMMES, 

COMÉDIE 

EN  UN  ACTE  ET  EN  PROSE, 

Reprcsentée  II  Paris  ,   sur  le  théâtre  du  Palais  -  Rojal , 

le  I*'  juin  x663. 


A  LA  REINE  MÈRE. 


Madame, 

Je  sais  bien  que  votre  majesté  n*a  que  Êdre  de  tontes 
nos  dédicaces,  et  que  ces  prétendus  devoirs  dont  on  lui 
dit  élégamment  qu  on  s  acquitte  envers  elle  sont  des  hom- 
mages, à  dire  vrai,  dont  elle  nous  dispenseroit  très-volon- 
tiers :  mais  je  ne  laisse  pas  dWoir  Faudace  de  lui  dédier 
la  Critique  de  l'Ecole  des  Femmes,  et  je  n'ai  pu  refuser 
cette  petite  occasion  de  pouvoir  témoigner  ma  joie  à  votre 
majesté  sur  cette  heureuse  convalescence  qui  redonne  a 
nos  vœux  la  plus  grande  et  la  meilleure  princesse  du 
monde,  et  nous  promet  en  elle  de  Ipngues  années  dune 
santé  vigoureuse.  Comme  chacun  regarde  les  choses  du 
côté  de  ce  qui  le  touche,  je  me  réjouis,  dans  cette  allé- 
gresse générale ,  de  pouvoir  encore  avoir  Thonneur  de  di- 
vertir votre  majesté;  elle.  Madame,  qui  prouve  si  bien 
que  la  véritable  dévotion  n'est  point  contraire  aux  hon- 
nêtes divertissements  j  qui ,  de  s^s  hautes  pensées  et  de  ses 


ÉPITRE  DÉDICATOIRE.  38i 

importantes  occupations,  descend  si  hamainement  dans 
le  plaisir  de  nos  spectacles,  et  ne  dédaigne  pas  de  rire  de 
cette  même  bouche  dont  elle  prie  si  bien  Dieu  :  je  flatte, 
dis-je,  mon  esprit  de  lespërance  de  cette  gloire;  j'en  at* 
tends  le  moment  avec  toutes  les  impatiences  du  monde; 
et,  quand  je  jouirai  de  ce  bonheur,  ce  sera  la  plus  grande 
joie  que  puisse  recevoir, 


Madame, 


De  votre  majesté 


le  très-humble ,  très^obéissant 
et  très-fidèle  servi teur, 

MOLIÈRE. 


wmmmm^imm 


PERSONNAGES. 

URANIE. 

ÉLISE. 

CLIMÈNE. 

LE  MARQUIS. 

DORANTE  ou  LE  CHEVALIER. 

LYSIDAS,  poète. 

GALOPIN,  laquais. 


La  scène  est  à  Paris ,  dans  la  maison  dllranie* 


LA  CRITIQUE 


DE 


L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 


^^^^  ^^«^  ^^||^»'^^'«■^»^«^^^i^>^«^^^«^»^s^^>^F<.^», 


"«•^r» 


SCÈNE  ï. 

URANIE,. ÉLISE. 

VRANIE. 

V^uoi!  cousine,  personne  ne  t'est  venu  rendre  visite? 

ÉLISE. 

Personne  du  monde. 

URANIE. 

Vraiment!  voilà  qui  m'étonne ,  que  nous  ayons  été 
seules  l'une  et  l'autre  tout  aujourd'hui. 

ÉLISE. 

Cela  m'étonne  aussi  :  car  ce  n  est  guère  notre  coutume; 
et  votre  maison,  Dieu  merci^  est  le  reftige  ordinaire  de 
tous  les  fainéants  de  la  cour. 

URANIE. 

L'après-dînée,  à  dire  vrai,  m'a  semblé  fort  longue. 

ÉLISE. 

Et  moi  je  Tai  trouvée  fort  courte. 

VRAME. 

C'est  que  les  beaux  esprits,  cousine,  aiment  la  solitude. 


384  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

ÉLISE. 

Âh  !  très-humble  servante  au  bel  esprit  I  vous  savez  que 
ce  n  est  pas  là  que  je  vise. 

URANIE. 

Pour  moi;  j  aime  la  compagnie ,  je  lavoue. 

ELISE. 

Je  l'aime  aussi,  mais  je  Faime  choisie;  et  la  quantité  des 
sottes  visites  qu'il  vous  faut  essuyer  parmi  les  autres  est 
cause  bien  souvent  que  je  prends  plabir  d'être  seule. 

URANIE. 

La  délicatesse  est  trop  grande  de  ne  pouvoir  souISrii 
que  des  gens  triés. 

ELISE. 

Et  la  complaisance  est  trop  générale  de  souffirir  indilTér 
remment  toutes  sortes  de  personnes. 

XJRANIE. 

Je  goûte  ceux  qui  sont  raisonnables,  et  me  divertis  des 
extravagants. 

ELISE. 

Ma  foi,  les  extravagants  ne  vont  guère  loin  sans  vous 
ennuyer,  et  la  plupart  de  ces  gens-là  ne  sont  plus  plaisants 
dès  la  seconde  visite.  Mais,  à  propos  d'extravagants,  ne 
voulez-vous  pas  me  défaire  de  votre  marquis  incommode? 
Pensez-vous  me  le  laisser  toujours  sur  les  bras,  et  que  je 
puisse  durer  à  ses  turlupinades  '  perpétuelles? 
— 

Turlupinades,  mauvaises  plaisanteries,  pointes.  Voyez  la  note 
page  38g, 


SCÈNE  I.  385 

VRAKIS. 

Ce  langage  esta  la  mode^  et  Ion  le  tourne  en  plaisan- 
terie à  la  cour. 

'  •  £  lé  I  s  £• 

Tant  pis  pour  ceux  qui  le  font,  et  qui  se  tuent  tout  le 
jour  à  parler  ce  jargon  obscur.  La  belle  chose  de  faire  en* 
trer  aux  conversations  du  Louvi'e  de  vieilles  équivoques 
ramassées  parmi  les  boues  des  halles  et  de  la  place  Mau- 
bert  !  La  jolie  façon  de  plaisanter  pour  des  courtisans!  et 
qu  un  homme  montre  d^esprit  lorsqu'il  vient  vous  dire  : 
Madame,  vous  êtes  dans  la  Plapç-^Royale ,  et  tout  le  monde 
vous  voit  de  trois  lieues  de  Paris,  car  chacun  vous  voit  de 
bon  œil  !  à  cause  que  Bonneuil  est  un  village  à  trois  lieues 
.  d^icî.  Cela  nVst-il  pas  bien  galant  et  bien  spirituel?  et  ceux 
qui  trouvent  ces  belles  rencontres  n'ont-ils  pas  lieu  de  s'en 
glorifier? 

XJRANÎEé 

( 

On  ne  dit  pas  cela  aussi  cpI^^lç  une  chose  spirituelle; 
et  la  plupart  de  ceux  qui  affectent  ce  langage  savent  bien 
eux-mêmes  qu^il  est  ridicule^ 

ELISE.» 

Tant  pis  encore  de  prendre  peine  à  dire  des  J^ottises, 
et  d'être  mauvais  plaisauts  dç  dessein  formé.  Je  les  en  tiens 
moins  excusables;  etsi  jVi  é)d}s  jij^e ,  je  sais  bien! quoi 
jecondamneroistouscas;0i«i9siei]rslés^ttrlupins.  .    ;    . 

'     Lâisiionf  cette  matièref  qui  féchauflë  un  peu  trop, 


386  LA  CRITIQUE  DE  L'ÊœiE  DES  FEMMES. 

'     disons  gue  Dorante  vient  bien  tard,  à  mon  ayis,  pour  la 
sou{>eT  que  nous  devons  faire  ensemble.: 

ÉLISE. 

Peut-être  la-t-il  oublié,  et  que... 

SCÈNE  IL 

URANIE,  ÉLISE,  GALOPIN. 

GAtOPIIT. 

r 

Voila  Climène ,  madame ,  qui  vient  ieî  pour  vous  voir. 

TTRANIE, 

Hé!  mon  Dieu!  quelle  visite! 

ÉLISE. 

Vous  vous  plaignez  d'être  seule;  aussi  le  ciel  vous  en 
punit. 

URANIE. 

Vite ,  qu^oQ  aille  dire  que  je  n'y  suis  pas. 

GALOPIN. 

On  a  déjà  dît  qne  vous  y  étiez. 

URANtE.  '. 

Et  qui  est  le  sot  qui  Fa  dit? 

GALOPIN. 

Moi,  madàttie. 

trkANffe: 
Diantire  soit  lé  petit  vilain  {  Je  Vdus  apprendrai  bien  à 
faire  vos  réponses  de  vôiw-mêmie^)    ..  ;  -       • 

.QAi<eFm. 
Je  vais  lui4i^^e,  ifta^mer,  que  vou^  vQuJç^^tBB  sortie- 


SCÊKE  II.  38^ 

Airdtez^  atunial ,  et  la  laissez  monter,  poisse  la  sottîae 
est&ite*  ^ 

CALOPIN. 

Elle  parle  encore  à  un  homme  dans  la  rue. 

Ah!  cousine,  que  cette  visite  m'embarrasse  à  Fheure 
qu^il  est! 

ÉLISE. 

11  est  vrai  (jue  la  dame  est  un  peu  embarrassante  de  son 
naturel  :  j'ai  toujours  eu  pour  elle  une  furieuse  aversion; 
et,  nen  déplaise  à  sa  qualité p  c'est  la  plus  sotte  béte  qui 
se  soit  jamais  mêlée  de  raisonner* 

.IJRANIE*  •    • 

L'ëpithëte  est  un  peu  forte. 

ÂUe^  ^  allçz ,  elle  oiéiâte  bien  cela ,  et  quelque  chose  de 
plus  si  on  lui  &isoit  justice»  EsVçequ'ily  aune  personne  qui 
soit  plus  véritablement  qu'elle  ce  qu'on  appelle  précieusq, 
k  j^ndire  le  mot  daxis  sa  plus  mauv^ûse  signification.?. 

urakie; 
Elle  se  défaid  bien  de  ce  nom  pourtant^ 

ÉLISE. 

n  est  vrai,  elle  se  défend  du  tiom,  mais  non  pas  de  la 
chose  :  car  enfin  elle  lest  depuis  les  pieds  jusqu'à  la  lé  te, 
et  la  plus  grande  façonniére  du.monde.  Il  semble  que  tout 
son  corps  soit  démonté,:  et  que  les.  mouvements  de  ses 


388  LA  CRITIQUE  DE  LtGOLE  DES  FEMMES. 

hàncheSyde  ses  épaules  et  de  sa  léte,  n  aillent  que  par  les- 
sorts.  EDe  afifecte  toujours  un  ton  de  roiz  languissant  et 
niais,  Êiit  la  moue  pour  montrer  une  petite  bouche,  et 
roule  les  yeux  pour  les  £ûre  paroître  grands. 

URAITIE. 

Doucement  donc.  Si  elle  yenoit  à  entendre. . . 

ÉLISE. 

Point,  point;  elle  ne  monte  pas  encore.  Je  me'souvieiu 
toujours  du  soir  qu'elle  eut  envie  de  voir  Damon,  sur  la 
réputation  qu^on  lui  donne  et  les  choses  que  le  public  a 
vues  de  lui.  Vous  connoissez  Thomme  et  sa  naturelle  pa- 
resse à  soutenir  la  conversation.  Elle  Tavoit  invité  à  sou- 
per  comme  bel-esprit,  et  jamais  il  ne  parut  si  sot  parmi 
une  demi-douzaine  de  g^ns  à  qui  elle  avoit  Êiit  fête  de  lui, 
et  qui  le  regardoient  avec  de  grands  yeùx^  comme  udc 
personne  qui  ne  devoit  pas  être  faite  comme  les  autres. 
Ils  pensoient  tous  qu^il^toit  là  potu-  "défrayer  la  compa- 
gnie  de  bons  mots';  que  cba^ë 'paille  qui  sôrtoit  db  sa 
bouche  devoit  être  extraordinaire;  qu'il  devoit  faire  des 
impromptu  sûr  tout  ce  qu'on  disoit,  et  ne  Jéniânderâ 
boire  quWec  une  pointe.  Mais  il  les  trompa  fort  par  son 
silence;  et  la  dame  fut  aussi  mal  satisfaite  de  lui  que  je  le 
fus  d'elle. 

URANIE. 

Tais- toi.  Je  vais  la  recevoir  à' la  porte  de  la  chambre. 

ÉLISE.' 

Ehcore  un  mot.  Je  voudrois  bien  la  voir  mariée  avec 


SCÈNE  II.  389 

le  marquis  dont,  nous  ayons  parlé  :  le  bel  assemblage  que 
ce  seroit  d  une  précieuse  et  d'un  turlupîn  !  * 

VRAiriE. 

Veux-tu  te  taire  ?  La  voici. 

SCÈNE   IIL 

CLIMÈNE,  URANIE,  ÉLISE,  GALOPIN, 

VRANIE. 

Vraiment,  c'est  bien  tard  que. . . 

CLIMÈNE. 

Hé!  de  grâce,  ma  chère,  faites-moi  vite  donner  un 
siège. 

tJRANIE,  k  Galopin» 

Un  fiiuteuil  promptement. 

CLIMÈNE. 

Ahl  mon  Dieu  I 

VRANIB. 

Qu'est-ce  donc? 

CLIMÈNE. 

Je  n'en  puis  plus. 

URANIE. 

QuWez-vous? 

P 

'  Turlupin,  Il  j  ayoit  à  l'hôtel  de  Bourgogne  un  célèbre  farceur  « 
qui  se  faisoit  appeler  BelleviUe  pour  le  comique ,  et  Turtupia  pou|r 
la  farce.  On  a  donné  le  nom  de  Turlupins  aux  mauvais  plaisants , 
aux  faiseurs  de  pointes. 


3go  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES 

GLWftHX. 

Le  cœur  me  manque. 

Sont-ce  vapeurs  qui  tous  ont  piii  ? 

CLIHÂICE, 

Non. 

UEAICIB. 

Voulez-vous  qu'on  vous  délace? 

CLIMilTB. 

Mon  Dieu  I  non'.  Âh! 

Quel  est  dope  votre  mal?  et  depuis  quand  vous  a*t-il 
pris? 

CLIHtKB. 

Il  y  a  plus  de  t^ois  heures,  et  je  l'ai  apporté  du  Palais- 
Royal. 

'  PRAICIE. 

Comment? 

CLIMÂNB. 

Je  viens  de  voir  pour  mes  péchés  cette  méchante  rap- 
sodie  de  l'Ecole  des  Femmes.  Je  suis  encore  en  déÊtilIance 
du  mal  de  cœur  que  cela  m'a  donné  ;  et  je  pense  que  je  n'en 
reviendrai  de  plus  de  quinze  jours. 

iLISE. 

Voyez  un  peu  comme  les  maladies  arrivent  sans  qu'on 
y  songe! 

URANIE. 

Je  ne  sais  pas  de  quel  tempérament  nous  sommes  m« 


SCÈNE  III.  3gi 

cousine  et  moi;  mais  nous  filmes  avant-hier  à  la  même 
pièce ,  et  nous  en  revînmes  toutes  deux  saines  et[  gaillardes* 

Quoi I  TOUS  lavez  vue 7 

URANIE. 

Oui ,  et  écoutée  d^un  bout  à  Fautre. 

GLIMÈNE. 

Et  vous  n'en  avez  pas  été  jusques  aux  convulsions,  ma 
cbère? 

.  Je  ne  sub  pas  si  délicate,  Dieu  merci;  et  je  trouve, 
pour  moi,  que  cette  comédie  seroit  plutôt  capable  de 
guérir  les  gens  que  de  les  rendre  malades. 

CLIMÈNE. 

Àb!  mon  Dieu!  que  dites-vous  là?  Cette  proposition 
peut-elle  être  avancée  par  une  personne  qui  ait  du  revenu 
en  sens  commun?  Peut- on  impunément,  comme  vous 
faiites,  rompre  en  visière  à  la  raison?  Et,  dans  le  vrai  de 
*  la  chose ,  est-il  un  esprit  si  affamé  de  la  plaisanterie,  qu'il 
puisse  tâter  des  fadaises  dont  cette  comédie  est  assaisonnée? 
Pour  moi ,  je  vous  avoue  que  je  n'ai  pas  trouvé  le  moindre 
grain  de  sel  dans  tout  cela.  Les  enfants  par  V oreille  m'ont 
paru  d'un  goût  détestable,  la  tarte  à  la  crème  m^a  affadi 
le  cœur;  et  j'ai  pensé  vomir  au  potage. 

ÉLISE. 

Mon  Dieu!  que  tout  cela  est  dit  élégamment!  rauroîs 
cru  que  cette  pièce  étoit  bonne  :  mais  madame  a  une 
éloquence  si  persuasive,  elle  tourne  les  choses  d'une  ma- 


Sga  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

nière  si  agréable,  qu'il  &ut  être  de  son  sentiment  malgré 
qu'on  en  ait. 

Pour  moi ,  je  n'ai  pas  tant  de  compkisance;  et  pour 
dire  ma  pensée,  je  tiens  oette  comédie  une  des  plus  plai- 
santes que  Fauteur  ait  produites. 

ClIMÈNÉ. 

Ah  !  vous  me  faites  pitié  de  parler  ainsi ,  et  je  ne  saurois 
vous  soul&ir  cette  obscurité  de  discernement.  Peut -on, 
ayant  de  la  vertu,  trouver  de  Tagrément  dans  une  pièce 
qui  tient  sans  cesse  la  pudeur  en  alarme ,  et  salit  à  tout 
moment  l'imagination? 

izisz. 

Les  jolies  façons  de  parler  que  voilà!  Que  vous  êtes, 
madame ,  une  rude  joueuse  en  critique  !  et  que  je  plains 
le  pauvre  Molière  de  vous  avoir  pour  ennemie  I 

CLIMÈ^E. 

Croyez-moi,  ma  chère,  corrigez  de  bonne  foi  votre 
jugement;  et,  pour  votre  honneur,  n  allez  point  dire  par 
le  monde  que  cette  comédie  vous  ait  plu. 

URANIE. 

Moi ,  je  ne  sais  pas  ce  que  vous  y  avez  trouvé  qui 
Liesse  la  pudeur. 

CLIMÈIT£. 

Hélas!  tout;  et  je  mets  en  fait  qu'une  honnête  femme 
ne  la  sauroit  voir  sans  confusion ,  tant  j'y  ai  découvert 
d'ordures  et  de  saletés. 


SCÈNE  III.  SgS 

URANIE.  • 

Il  faut  donc  que  pour  les  ondures  vous  ayez  des  lu- 
mières que  les  autres  nont  pas;  car,  pour  moi,  je  n'y  en 
ai  point  vu. 

CLIMÈI^E. 

C'est  que  vous  ne  voulez  pas  y  en  avoir  vu,  assuré* 
ment;  car  enfin  toutes  ces  ordures,  Dieu  merci,  y  sont  à 
visage  découvert.  EUes  n'ont  pas  la  moindre  enveloppe 
qui  les  couvre,  et  les  yeux  les  plus  hardis  sont  effrayés  de 
leur  nudité. 

SLISE. 

Âhl 

CLIMÂNE.  • 

Hai,liai,hai. 

tJRAIÎIE. 

Mais  encore,  s  il  vous  plait,  marquez-moi  mie  de  ces 
ordures  que  vous  dites. 

CLIMENE. 

Hélas  I  est-il  nécessaire  de  vous  les  marquer  ? 

XJRANIE. 

Oui,  Je  vous  demande  seulement  ui^  endroit  qui  vous 
mt  fort  choquée. 

CLIMÈNE. 

En  faut-il  d'autres  que  la  scène  de  cette  Agnès  j  lors- 
qu'elle dit  ce  qu'on  lui  a  pris  ? 

Et  que  trouvez-vous  là  de  sale? 


Zgi  LÀ  CRITIQUE  DE  U£COLE  DES  FEMMES. 

CLIMJSNBi 


Àhl 


De  grâce. 


Fil 


Mab  encore? 


U&ANIE. 


CLIMENE. 


URAVIE. 


CLIniKE. 

Je  n^ai  rien  à  vous  dire. 

VRAVIE. 

Pour  moi,  je  n'y  entends  point  de  mal. 

ÇLIMÂNE»    ' 

Tant  pis  pour  vous. 

Tant  mieux  plutôt  y  ce  me  semble  :  je  regarde  les  choses 
du  côté  qu  on  me  les  montre,  et  ne  les  tourne  point  pour 
y  chercher  ce  qu'il  ne  &ut  pas  voir. 

GLIMÈNE. 

I 

^honnêteté  d'une  femme. . . 

URANIE. 

L'honnêteté  d'une  femme  n'est  pas  dans  les  grimaces. 
Il  sied  mal  de  vouloir  être  plus  sage  que  celles  qui  sont 
sages.  L'affectation  en  cette  matière  est  pire  qu'en  toute 
autre;  et  je  ne  vois  rien  de  si  ridicule  que  cette  délicatesse 
d  honneur  qui  prend  tout  en  mauvaise  part ,  donne  un 
sens  criminel  aux  plus  innocentes  paroles,  et  s'offense  de 
J'ombre  des  choses.  CrOyez-moi  ;  celles  qui  font  tant  de 


SCÈTÎE  in.  390 

fiiço'm  n'en  saot  pas  dstîméës  plus  fiempes  de  bien;  au 
çontraiire,  leur  sévérité  my^tërfense  et  ieof s  grimacei  af- 
(eQtie$  irriient  la  Censure  de  tout  le  mondç  contre  les; 
actions  de  leur  vie.  On  est  ravi  de  découvrir  ce  qu'il  y 
peut  avoir  à  redire  :  et,  pour  tomber  dans  l'ôxemple,  il  y 
avoit  l'autre  jour  des  femmes  à  cette  comédie  /vis-à-vis  de 
la  loge  où  nous  étions/  qui,  par  les  mines  qu'elles  afiec- 
tèrent  durant  toute  la  pièce,  leurs  détournements  de  tête, 
et  leurs  cachements  de  visage ,  firent  dire  de  tous  côtés 
cent  sottises  de  leur  conduite;  que  Ion  nauroit  pas  dites 
sans  cela:  et  quelquW  même  des  laquais  cria  tout  haut 
flpi'élles  étoient  pluscbai^tesdesoreilles  que  de  tout  le  reste 
du  corps. 

GLIMÊKE. 

Enfin  il  faut  être  aveugle  dans  cette,  pièce,  et  ne  pas 
faire  semblant  d'y  voir  les  choses.         \ 

UAAKIE. 

n  ne  faut  pas  y  vouloir  voir  ce  qui  n'y  est  pas. 

GLIMÈNE.. 

Ah!  je  soutiens,  encore  un  coup,  que  les  saletés  y 
crèvent  les  yeux. 

URANIE. 

Et  moi ,  je  ne  demeuré  pas  d'accord  de  cela. 

CLlMilTE. 

Quoi  !  la  pudeur  n  est  pas  visiblement  blessée  par  ce 
que  dit  Agnès  dans  l'endroit  dont  nous  parlons? 

Non ,  vraiment.  Elle  ne  dit  pas  un  mot  qui  de  soi  ne  soit 


3^  LA  CRITIQUE  DE  LtCOLE  DES 

finrt  honnête  ;  et ,  si  yoos  yonlez  entendre  dessous  qœlqiitt 
aatiechose,  c'est  vous  qni  fiâtes  Fordore,  ètnonpaselley 
puisqu'elle  paile  seulement  ^'un  ruban  qu'on  lui  a  pris. 

CLIKÈNE. 

Ahl  ruban  tant  qu'3  tous  p!aira;:niais  ce  le  où  die 
s'arrête  n'est  pas  mis  pour  des  prunes.  Il  ^ént  sur  ce  le 
d'étranges  pensées  :  ce  le  scandalise  furieusement;  et, 
quoi  que  vous  puissiez  dire,  vous  ne  sauriez  défendre 
l'insolence  de  ce  /e. 

ÉLISE. 

« 
Il  est  vrai,  ma  cousine,  je  suis  pou^  madame  .contre  ce 

le.  Ce  le  est  insolent  au  dernier  point,  et  vous  avez  tort 

de  défendre  ce  le. 

n  a  une  obscénité  qui  n*est  pas  supportable. 

ÉLISE. 

Coniment  dites-yous  ce  mot-là,  madame? 

CLIMÉKE. 

Obscénité,  madame. 

ELISE. 

Ah  !  mon  Dieu  !  obscénité.  Je  ne  sais  ce  que  ce  mot  yeat 
dire;  mais  je  le  trouve  le. plus  joli  du  monde. 

CLIMÉITE. 

Enfin  vous  voyez  comme  voire  sang  prend  mon  parti. 

URANIE. 

Hé!  mon  Dieu!  cest  une  causeuse  qui  ne  dit  pas  ce 
quelle  pense.  Ne  vous  y  fiez  pas  beaucoup,  si  vous  m'en 
youlez  croire. 


SCÈNE  III.  Sg; 

ÉLISE. 

Ah  !  que  vous  êtes  mécEante  de  me  vouloir  rendre  sus* 
pacte  à  madame!  Voyez  un  peu  où  j  en  serois ,  si  elle  alloit 
croire  cequeyous  dites.  Serois-je  si  malheureuse,  madapie, 
que  vous  eussiez  de  moi  cette  pensée? 

clih£i7E. 

Non,  non;  je  ne  mWêtepas  à  ses  paroles ,  et  je  vous 
crois  plus  sincère  qu^elle  ne  dit. 

ÉLISE. 

Ah!  que  vous  ayez  bien  raison ,  madame  !  et  que  vou» 
me  rendrez  justice,  quand  vous  croirez  que  je  vous 
trouve  la  plus  engageante  personne  du  monde,  que  j  entra 
dans  tous  vos  sentiments,  et  suis  charmée  de  toutes  les 
expressions  qui  sortent  de  votre  bouche . 

CLIMENE. 

Hélas!  je  parle  .sans  àSBèciMUm.       . 

.     ÉLISE. 

* 

On  le  voit  bien,  mad^inic^  et  quei  tout  est  naturel  en 
vous.  Vos  paroles,  le  ton  de  votre,  voix,  vos  regards, .vos 
pas ,  votre  action ,  et  votre  ajustement,  ont  je  ne  sais  quel 
air  de  qualité  qui  enchante  les  gens.  Je  vous  étudie  des 
yeux  et  dçà  oreillers-,  et.  je  suis  isi  remplie; de  vous,  que  je 
tâche  d'être  votre  singe'et  de  voué  contre&tre  en  tout. 

CLIMÉNE. 

Vous  vous  moquez  de  moi ,  madame. 

ELISE. 

Pardonnez-moi,  madame.  Qiîi  voudroit  se  moquer  de 
vous? 


3^  LÀ  CRITIQUE  DE  L'ECOLE  DES 

CLIHSHB. 

Je  ne  sois  pas  vu  bon  modèie,  madame. 

ÉLISX. 

Oh  qoe  si ,  madame! 
Vous  me  flattez,  madame. 

ÉLISE. 

Point  du  tout,  madame. 

CLIMENE. 

Epargnez-moi,  s'il  tous  plait,  madame. 

ÉLISE. 

Je  vous  épargne  aussi,  madame^  et  je  ne  dis  pas  la 
moitié  de  ce  que  je  pense,  madame. 

CLIM&NE. 

Ah  !  mon  Dieu  !  brisons  là,  de  grftce.  Vous  me  jetteriez 
dans  une  concision  épouyan table.  Enfin  (à  Uranie)  nous 
Toilà  deux  contre  tous  ;  et  Fopbiiâtreté  sied  si  mal  aux 
personnes  spirituelles. . .  ' 

SCÈNE  IV. 

LE  MARQOIS,  CLIMÈNB,  CRANIE,  ÉLISE, 

GALOPIN. 

GALOPINj  à  la  porte  de  la  chambre. 

r 

Arrêtez,  sll  tous  plaît  ^  monsieur. 

LE   MARQUIS. 

Tu  ne  me  connois  pas ,  sans  doute  ! 


SCÈNE  IV.  399 

OÀLOPIK. 

Si  Êdt;  je  vous  connois;  mais  vous  n'entrdvz  pas. 

XE   UA&QUI5. 

Ah  î  que  de  bruit ,  petit  laquais! 

GÂLOPIir. 

Gela  nVst  pas  bien  de  .vouloir  entrer  malgré  les  gens. 

LE   MA,RQUIS. 

Je  veux  voir  ta  maîtresse. 

6A.L0PIN. 
Elle  n'y  est  pas,  vous  dis-je. 

LE    MARQUIS. 

La  voilà  dans  sa  chambre. 

GALOPIN. 

II  est  vrai,  la  voilà  :  mais  elle  n'y  est  pas. 

URANIE. 

Qu'est-ce  donc  qull  y  a  là? 

LE   MARQUIS. 

Cest  votre  laquais,  madame ,  qui  Eût  le  sot. 

CALOPIN. 

'Je  lux  dis  que  vouar  n'y  êtes  pas,  madame;  et  il  ne  veut 
pas  laisser  d'entrer. 

TJRANIE. 

Et  pourquoi  dire  à  monsieur  que  je  n'y  suis  pas? 

•    GALOPIN. 

Vous  me  grondâtes  l'autre  jour  de  lui  avoîrdîtque  vous 

•       •    «  » 

jetiez.  '  ^ 

tîRANIE. 

Voyez  cet  insolent  !  Je  vous  prie ,  i46ûsieur ,  de  ne  pas 


4do  LA  CRirrQDE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

croire  ce  ^*il  dit.  C^est  na  petit  éceryelé  (pi  vous  a  pris 
pour  on  autre. 

LE   MARQUIS. 

Je  Tai  bien  yu,  madame;  et,  sans  votre  respect,  je  lui 
aurois  appris  à  connoître  les  gens  de  qualité. 

ÉLISE. 

Ma  cousine  vous  est  fort  obligée  de  cette  déférence. 

URANIE,  à  Galopin. 

Un  siège  donc,  impertinent  ? 

GALOPIK. 

N  en  voilà-t-il  pas  un  ? 

URANIE. 

Approchez-le. 

(  Galopin  pousse  le  siège  rudement ,  et  soit.  ) 

SCÈNE    V.      .; 

LE  MAUQDIS,  CLIMÈNE,  URANIE,  ÉLISE. 

LE   HAR(2UI3. 

Votre  petit  Urquais,  madap[ie^  ^  4u  mépris  pour*  ma 
personne. 

ÉLISE, 

* 

Il  auroit  tort,  sans  doute. 

LE  MARQUAIS. 

C'est  pei^t^être  que  je  paye  Tiptérêt  de  m^  iBau\;ms« 
mine  :  (  il  rit  )  hai ,  hai,  hai. 

élis;. 
L'âge  le  rendw^iilus  édairé  en  lïonnêtds;gen^. 


SCÈNE  V.  4oi 

LE  MARQXJIS. 

Sur  qaoi  en  étiez-vous,  mesdames,  lorsijue  je  vous  ai 
interrompues? 

1 

ÙRAKIE. 

Sur  la  comédie  de  l'Ecole  des  t'einâieSé 

L£    MARQUIS. 

Je  ne  ùàs  que  d'en  sortir. 

GtlMÉNË. 

Hébien!  monsieur,  comment  la  trouVéz-voUs,  s  il  vous 
plaît? 

LÉ   MAliQUiSa 

ïôut-à-fait  impertinente. 

CLIMÈNÉ. 

Ah  !  que  j  en  suis  ravie  !  ^ 

LE   MAAQUIS. 

C'est  la  plus  méchante  chose  du  monie.  Comment 
diable!  k  peine  ai-je  pu  trouver  place.  J'ai  pensé  être 
étouffé  à  la  porte ,  et  jamais  on  ne  m'^  tant  marché  surles 
pieds.  Voyez  comme  mes  canons  et  mes  rubans  en  sont 
a  justes  9  de  grâce. 

lÉLISE. 

tl  est  vrai  que  cela  crie  vengeance  contre  TÉcole  des 
Femmes,  et  que  vous  la  condamnez  avec  justice. 

LE   MARQUIS. 

tl  ne  s  est  jamais  fait,  je  pense,  une  si  méchante 
comédie. 

URANIÉ. 

Ah!  votci  Dorante  que  nous  attendions. 

MoLiimE..  a.  a^ 


4oa  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

SCÈNE  YL 

DORANTE,  CLIMÈNE,  DRANIE,  ÉLISE, 

LE  MARQUIS. 

DORANTE. 

Ne  bougez,  de  grâce,  et  n'interrompez  point  votre 
discours.  Vous  êtes  là  sui  une  matière  (jui ,  depuis  ^atie 
jours ,  fait  presque  l'entretien  de  toutes  les  maisons  dç 
Paris;  et  jamais  on  n  a  rien  vu  de  si  plaisant  que  la  diver- 
sité des  jugements  qui  se  font  là-dessus  :  car  enfin  j'ai  ouï 
condamner  cette  comédie  à  certaines  gens  par  les  mêmes 
choses  que  j'ai^.ii  d'autres  estimer  le  plus. 

URA.N1E. 

Voilà  monsieur  .le  marquUi  qui  en  dit  {qtûù  qtàl. 

tE  AARQUIS. 

n  estTrai.  Je  la  troute  dét«6table,  morUea  t  détestable, 
du  dernier  détestable,  ce  qu'on  appelle  détestable. 

DORA.NTE. 

Et  jnoi,  mon  cher  marquis,  je  trouve  le  jugement  dé- 
testable. 

LE   MARQUIS. 

Qnoil  chevalier,  est-ce  que  tu  prétends  soutenir  cette 
pièce? 

DORANTE. 

Oui,  je  prétends  la  soutenir. 


SCÈNE  VI.  4o3 

LS  MARQUIS. 

ParUeal  je  ta  garantis  détestable. 

DORANTS. 

La  caution  n'est  pas  bourgeoise.  Mais,  marquis,  par 
quelle  raison,  de  grâce;  cette  comédie  est-elle  ce  que 
tudb? 

l£   MARQUIS. 

Pourquoi  elle  est  détestable  ? 

nORANTÈ. 

Ouï. 

LE   MARQUIS. 

Elle  est  détestable,  parce  qu'elle  est  détestable, 

DORANTE. 

Après  cela  il  n  y  a  plus  rien  à  dire  j  voilà  son  procès  fait. 
Mais  encore,  instruis-nous,  et  nous  dis  les  défauts  qui  y 
sont. 

LE   MARQUIS. 

Que  sais-je,  moi?  Je  ne  mè  suis  pas  seulement  donné  la 
peine  de  l'écouter.  Mais  enfin  je  sais  bien  que  je  n'ai  jamais 
rien  vu  de  si  méchant,  Dieu  me  sauve!  et  Dorilas,  éontre 
qui  j'étois,  a  été  de  mon  avis.  •* 

« 

DORANTE. 

L^autorité  est  belle,  et  le  voilà  bien  appuyé! 

LE    MARQUIS. 

Il  ne  faut  que  voir  les  continuels  éclats  de  rire  que 
le  parterre  y  fait.  Je  ne  veux  point  d  autre  chose  pour  té- 
moigner qu'elle  ne  vaut  rien. 


4o4  LA  CRITIQUE  DE  LtCOLE  DES  FEMMES. 

.    DORANTS; 

Tu  es  donc 9  marquis,  de  ces  messieurs  du  bel  airiqui 
ne  veulent  pas  que  le  parterre  ait  du  sens  commiiti ,  et  qui 
seroient  fâchés  davoir  ri  avec  lui,  fut-ce  Ide  la  meilleure 
chose  du  monde?  Je  vis  l'autre  jour  sur  le  théâQreun  de  nos 
amis  qui  se  rendit  ridicule  par-là.  Il  écouta  toute  la  pièce 
avec  un  sérieux  le  plus  sombre  du  monde;  et  tout  ce  qui 
égayoït  les  autres  ridoit  son  front.  Â  tous  les  éclats  de 
risée,  il  haussoit  les  épaules,  et  regardoit  le  parterre  en 
pitié;  et  quelquefois  aussi ,  le  regardant  avec  dépit  j  il  lui 
disoit  tout  haut:Bw  donc,  parterre,  ris  donc.  Ce  fut 
une  seconde  comédie  que  le  chagrin  de  notre  ami  :  il  la 
doDna  en  galant  homme  à  toute  l'assemblée,  et  chacun 
demeura  d'accord  qu'on  ne  pouvoit  pas  mieux  jouer  qu'il 
fit»  Apprends ,  marquis ,  je  te  prie ,  et  les  autres  aussi ,  que 
le  bon  sens  n'a  point  de  place  déterminée  à  la  comédie;  que 
la  différence  du  demi-louis  d"or  *  et  de  la  pièce  de  quinze 
sous  ne  fait  rien  du  tout  au  bon  goût  ;  que  debout  ou  assis 
on  peut  donner  un  mauvais  jugement;  et  qu'enfin,  à  le 
prendre  en  général,  je  me  fierois  assez  à  l'approbation  du 
parterre,  par  la  raison  qu'entre  ceux  qui  le  composent  il 
y  en  a  plusieurs  qui  sont  capables  de  juger  d'une  pièce 
selon  les  règles,  et  que  les  autres  en  jugent  par  la  bonne 


'  Le  louis  ou  lifs  d'or  valoit  à  cette  époque  7  livres  tournois.  -Le 
marc  étoit  à  4^3  livres  xo  sous  1 1  deniers ,  à  vingt-trois  karats  un 
qnait  du  titre.  Le  Jjirfx  des  premières  plaôes'au  spectacle  étoit 
donc  de  trois  livres  dix  sous. 


/ 


SCÊTïE  VI.  '       4o5 

&çon  d'en  juger,  qui  est  de  se  laisser  prendre  aux  choses , 
et  de  n'avoir  ni  prévention  aveugle,  ni  complaisance 
affectée ,  ni  délicatesse  ridicule. 

LE   MARQUIS. 

Te  voilà  donc,  chevalier,  le  défenseur  du  parterre! 
Parbleu!  je  m'en  réjouis,  et  je  ne  manquerai  pas  de  l'avertir 
que  tu  es  de  ses  amis.  Hai ,  hai. . . 

DORANTE. 

Ris  tant  que  tu  voudras.  Je  suis  pour  le  bon  sens ,  let  ne 
saurois  soupir  les  ébullitions  de  cerveau  de  nos  n^arquis 
de  Mascarille.  J'enrage  de  voir  de  ces  gens  qui  se  tra- 
duisent en  ridicules  malgré  leur  qualité',  de  ces  gens  qui 
décident  toujours,  et  parlent  hardiment  de  toutes  choses 
sans  s'y  connoitre;  qui,  dans  une  comédie,  se  récrieront 
aux  méchants  endroits,  et  ne  branleront  pas  à  ceax  qui 
sont  bons;  qui,  voyant  un  tableau,  ou  écoutant  un  con- 
cert de  musique,  blâment  de  même,  et  louent  tout  à 
contre-sens,  prennent  par  où  ils  peuvent  les  termes  de 
Tart  qu'ils  attrapent,  et  ne  manquent  jamais  de  les  estro- 
pier et  de  les  mettre  hors  déplace.  Hé!  morbleu!  messieurs, 
tciisez-vous*  Quand  Dieu  ne  vous  a  pas  donné  la  connols- 
sance  d'une  chose,  n'apprêtez  point  à  rire  à  ceux  qui  vous 
entendent  parler;  et  songez  qu'en  ne  disant  mot  on  c]:oira 
peut-être  que  vous  êtes  d'habiles  gens. 

LE  MARQUIS. 

Parbleu!  chevalier,  tu  le  prends  là. . . 

DORANTE. 

Mon  Dieu!  marquis,  ce  n'est  pas  à  toi  que  je  parle; 


4o6  LA  CRITIQUE  HE  L'ECOLE  DES  FEMMES. 

c  est  1  une  douzaine  de  inessieurs  qjoi  dëshonoient  la 
gens  de  coor  par  lésais  manières  extravagantes,  et  font 
croire  parmi  le  people  qne  noos  nous  ressemUons  tous. 
Pour  moi,  je  m'en  yenx  jostifier  le  pins  qa^û  me  sera  po&- 
nble;  et  je  les  danberai  taiit  en  tontes  rencontres,  ^*à  la 
fin  ils  se  rendront  sages« 

LE  MAllQVIS. 

IKsrmoi  nn  peu,  chevalier  :  orois*tu  que  Ly sandre  ait 
de  l'esprit? 

Oui ,  sans  doute ,  et  beaucoup. 

URANIE. 

C'est  une  chose  qu'on  ne  peut  pas  nier. 

LE   MARQUIS. 

Demande-lui  ce  quHI  lui  semble  de  lEcole  des  Femmes, 
tu  verras  qu'il  te  dira  qu'elle  ne  lui  plaît  pas. 

DORANTE. 

Hé!  mon  Dieu!  il  y  en  a  beaucoup  que  le  trop  d'esprit 
gâte,  qui  voient  mal  les  choses  à  force  de  lumières,  et 
même  qui  seroient  bien  fâchés  d'être  de  Tayi^  des  autres, 
pour  avoir  la  gloire  de  décider. 

.  URANIE, 

n  est  vrai.  Notre  ami  est  de  ces  gensrlâ ,  sans  doute.  U 
veut  être  le  premier  de  son  opinion,  et  qu'on  attende  par 
respect  son  jugement.  Toute  approbation  qui  marche 
avant  la  sienne  est  un  attentat  sur  ses  lumières,  et  dont  il 
se  venge  hautement  en  prenant  le  contraire  parti.  II  vent 
qu'on  le  consulte  sur  toutes  les  afiaires  d'esprit  ;  et  je  suis 


SCÈNE  VI. 

sAre  que,  si  l'auteur  luieftl  nootré  sa  comédie  ayant  que 
de  la  &ire  yoir  au  pubUc^  il  l'eût  ûrouvée  la  pbu  belle  du 
monde. 

LE   MARQUIS. 

Et  que  dire8*yoiis  de  la  masquise  Àraminte,  qui  la  pu- 
blie partout  pour  épouvantable ,  et  dit  qu  elle  n'a  pu  ja- 
mais souffiir  les  ordures  dont  elle  est  pleine  7 

DORANTE. 

Je  dirai  que  cela  est  digne  du  caractères  qu'elle  a  pris, 
et  qu^il  y  a  des  personnes  qui  se  rendent  ridicules  pour 
vouloir  avoir  trop  d'honneur.  Bien  qu'elle  ait  de  l'esprit, 
elle  a  suivi  le  mauvais  exemple  de  celles  qui,  étant  sur  le 
retour  de  Tâge,  veulent  remplacer  de  quelque  chose  ce 
qu'elles  voient  qu'elles  peident,  et  prétendent  que  les 
grimace^  d'une  pruderie  scrupuleuse  leur  tiendront  lieu 
de  jeunesse  et  de  beauté.  GeUe-ci  pousse  Tafiaire  'plus  avant 
qu'aucune  ;  et  l'habileté  de  son  scrupule  découvre  des 
saletés  où  jamais  personne  n'en  avoit  vu.  On  tient  qu'il 
va,  ce  scrupule,  jusques  à  défigurer  notre  langue,  et  qu'il 
n'y  a  presque  point  de  mots  dont  la  sévérité  de  cette  dame 
ne  veuille  retrancher  ou  la  tête  ou  la  queue  pour  les  syl- 
labes déshonnétes  qu'elle  y  trouve. 

URANIE. 

Vous  êtes  bien  fou ,  chevalier^ 

LE    MARQUIS. 

Enfin,  chevalier,  tu  crois  défendre  ta  comédie  en  fiàir 
sant  la  satire  de  ceux  qui  la  condamnent. 


4/0»  LA  CRITIQDE  DE  L'ÉCOLE  DES 

Non  pas;  mais  je  tiens  qae  cette  dame  se  scandalise  à 
tort... 

ÉLISE. 

Tont  beau ,  monsieur  le  chevalier  !  il  pouiroity  en  ayoir 
d'aiitres  qu'elle  qqi  seroient  dans  les  mêmes  sentiments. 

nORAHTE. 

Je  sais  bien  que  ce  nest  pas  vous,' au  moins;  et  que 
lorsque  vous  av^z  vu  cette  représentation. . . 

ÉLISE. 

n  est  vrai ,  mais  j  ai  changé  4  avis  ;  et  madame  (  montrant 
€limène)  sait  appuyer  le  sien  par  des  raisons  si  convain- 
cantes, qu'elle  m'a  entraînée  de  son  côté, 

DORANTE,  à  Climènei 

Ah!  madame,  je  vous  demande  pardon;  et,  si  vous  le 
voulez,  je  me  dédirai,  pour  l'amour  de  vous,  de  tout  ce 
que  j'ai  dit. 

CLIMÈKE, 

Je  ne  veux  pas  que  ce  soit  pour  l'amour  de  moi,  mais 
pour  l'amour  de  la  raison  :  car  enfin  cette  pièce ,  à  le  bien 
prendre,  est  tout-à-fait  indéfendable,  et  je  ne  conçois 
pas. . . 

TJRANIE. 

Ah  !  voici  Pauteur  monsieur  Lysidas.  Il  vient  tout  à 
propos  pour  cette  matière.  Monsieur  Lysidas,  prenez  un 
siège  vous-même ,  et  vous  mettez  là. 


SCÈNE  VII.  409 

SCÈNE    VIL 

LYSIDAS,  CLIMÈNE,  URANIE,  ÉLISE,  DORANTE, 

LE  MARQUIS. 

LTSIDAS'. 

Madame,  je  viens  un  peu  tard  :  mais  il  m'a  fallu  lire 
ma  pièce  chez  madame  la  manjuise  dont  je  vous  avois 
parlé  ;  et  les  louanges  qui  lui  ont  été  données  m'ont  retenu 
une  heure  de  plus  que  je  ne  croyois. 

ELISE. 

C'est  un  grand  charme  que  les  louanges  pour  arrêter 
un  auteur. 

URANIE. 

Asseyez-vous  donc,  monsieur  Lysidas;  nous  lirons 
votre  pièce  après  souper. 

LY8IDAS. 
Tous  ceux  qui  étoient  là  doivent  venir  à  sa  première 
représentation ,  et  m'ont  promis  de  faire  leur  devoir  comme 
il  faut. 

URANIE. 

Je  le  crois.  Mais,  encore  une  fois,  asseyez-vous,  s'il 
yous  plaît.  Nous  sommes  ici  sur  une  matière  que  je  serai 
hien  aise  que  nous  poussions. 

LYSIDAS. 

Je  pense,  madame,  que  vous  retiendrez  aussi  une  loge 
pour  ce  jour-là. 


4io  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMEF. 

URAiriE. 

Nous  Terrons.  Poursuivons ,  de  grâce ,  notre  discours. 

LTSIDAS. 

Je  TOUS  donne  avis,  madame,  qu'elles  sont  pres(]iie 
toutes  retenues. 

VRÂNIE. 

Voilà  qui  est  bien.  Enfin  j'ayois  besoin  de  vous,  lors- 
que vous  êtes  yenu^  et  tout  le  monde  étoit  ici  contre  moi. 

ÉLISE,  à  Uranie. 

(montrant iDorante.)  H  s'est  mis  d'abord  de  Yotre  côté  : 
mais  maintenant  qu'il  sait  que  madame  (  montrant  Glimène  ) 
est  à  la  tête  du  parti  contraire,  je  pense  que  vous  n^z 
qu'à  chercher  un  autre  secours.  ' 

CLIMÈNE. 

Non,  non ,  je  ne  voudrois  pas  qu'il  fit  mal  sa  cour  au- 
près de  madame  yotre  cousine,  et  je  permets  à  son  esprit 
.  d'être  du  parti  de  son  cœur. 

DORANTE. 

Avec  cette  permission,  madame,  je  prendrai  la  har- 
diesse de  me  défendre. 

URANIE. 

Mais ,  auparavant ,  sachons  un  peu  les  sentiments  de 
.Jiïonsieur  Lysidas. 

LTSIDAS. 

Sur  quoi,  madame? 

URANIE. 

Sur  le  sujet  de  lEcole  des  Femmes. 


SCÈNE  VIL  4ii 

ITSIDAS. 

Ahlahl 

DORANTE. 

Que  vous  en  semble  ? 

LirSIDA9. 

Je  n'ai  rien  à  dire  là-dessus;  et  vous  savez  qu'entre  nous 
autres  auteurs  nous  devons  parler  des  ouvrages  les  uns 
des  autres  avec  beaucoup  de  circonspection. 

DORANTE. 

Mais  encore,  entre  nous,  que  pensez-vous  de  cette 
comédie? 

LTSIDAS. 

Moi,  monsieur? 

TJRANIE. 

De  bonne  foi,  dites-nous  votre  avis. 

LTSIDAS. 

Je  la  trouve  fort  belle  ^ 

DORANTE. 

Assurément? 

LTSIDAS. 

Assurément.  Pourquoi  non!  n'est-elle  pas  en  effet  la 
plus  belle  du  monde? 

DORANTE. 

Hon,  bon,  vous  êtes  un  méchant  diable,  monsieur 
Lysidas;  vops  ne  dites  pas  ce  que  vous  pensez. 

LTSIDAS.  I 

P^rdoQpez-moî, 


4i2  LA  CWTIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FJ 

DORANTE. 

Mon  Di€u!  je  vous  connob.  Ne  dissimulons  pdmt. 

LYSIDAS. 

Moi,  monsieur? 

DOUANTE. 

Je  vois  bien  que  le  bien  que  vous  dites  de  cette  pièce 
n'est  que  par  honnêteté,  et  que,  dans  le  fond  du  cœoi', 
vous  êtes  de  l'avis  de  beaucoup  de  gens  qui  la  trouvent 
mauvaise. 

LTSIDAS. 

Hai,  hai,hai. 

DORANTE. 

Avouez ,  ma  foi ,  que  c'est  une  méchante  chose  que 
cette  comédie. 

LTSIDAS. 

Il  est  vrai  qu'elle  n'est  pas  approuvée  par  les  connois- 
seurs. 

LE   MARQUIS. 

Ma  foi,  chevalier,  tu  en  tiens;  çt  te  voilà  payé  de  U 
raillerie.  Ah,  ah,  ah,  ah,  ah. 

DORANTE. 

Pousse,  mon  cher  marquis,  pousse. 

LE   MARQUIS. 

Tu  vois  que  nous  avons  les  savants  de  notre  côté. 

DORANTE. 

Il  est  vrai,  le  jugement  de  monsieur  Lysidas  est  quel- 
que chose  de  considérable  :  mais  monsieur  Lysidas  veut 
bien  que  je  ne  me  rende  pas  pour  cela  ;  et  puisque  j'aîbien 


SCÈNE  VIL  4i3 

t 

Taudace  de  me  défendre  contre  les  sentiments  de  madame 
(  Montrant  Glimène),  il  ne  trouvera  pas  mauvais  que  je  com- 
batte les  siens. 

4 

ELISE. 

Quoi!  vous  voyez  contre  vous  madame;,  monsieur  le 
marquis  et  monsieur  Lysidas^  et  vous  osez  résister  encore! 
Fi  !  que  cela  est  de  mauvaise  grâce! 

CLIMÈNE. 

Voilà. qui  me  confond,  pour  moi,  que  des  personnes 
raisonnables  se  puissent  mettre  en  tête  de  donner  protec- 
tion aux  sottises  de  cette  pièce. 

LE   MARQUIS. 

Dieu  me  damne!  madame,  elle  est  misérable  depuis  le 
commencement  jusqu^à  la  fin. 

DORAITTE. 

Cela  est  bientôt  dit ,  marquis.  Il  n'est  rien  plus  aisé  que 
de  trancher  ainsi;  et  jç  ne  vois  aucune  chose  qui  puisse 
être  à  couvert  delà  souveraineté  de  tes  décisions. 

LE   MARQUIS. 

Parbleu!  tous  les  autres  comédiens  qui  étoient  là  pour 
la  voir  en  ont  dit  tous  les  maux  du  monde. 

DORANTE. 

Ah  !  je  ne  dis  plus  mol;  tu  as  raison ,  marquis.  Puisque 
les  autres  comédiens  en  disent  du  mal ,  il  faut  les  en  croire 
assurément  :  ce  sont  tous  gens  éclairés  et  qui  parlent  sans 
intérêt.  Il  ny  a  plus  rien  à  dire,  je  me  rends. 

CLIMENE. 

Rendez-vous,  ou  ne  vous  rendez  pas,  je  sais  fort  bien 


4i4  LA  CRITIQUE  DR  LTÊCOIE  DES  FEMMES, 
qae  vous  ne  me  péxsQSLà&ez  point  de  sonflinr  les  buno* 
desties  de  cette  pièce,  non  plo»  que  Les  «satires  dé^li* 
géantes  c[u'on  y  voit  contre  les  fenimes. 

URÂNIB. 

Pour  moi,  je  me  garderai  bien  de  m'en  ofl^ser,  et  de 
prendre  rien  sur  mon  compte  de  tout  ce  qui  s'y  dit*  Ces 
sortes  de  satires  tombent  directement  sur  les  mœurs ,  et 
ne  frappent  les  personnes  que  par  réflexion.  N'allons  point 
nous  appliquer  k  nous-mêmes  les  traits  d'une  censure  gé* 
nérale;  et  profitons  de  la  leçon,  si  nous  pouvons,  sans 
faire  semblant  qu'on  parle  à  nous.  Toutes  les  peintures 
ridicules  qu'on  expose  sur  les  théâtres  doivent  être  regar- 
dées sans  chagrin  de  tout  le  monde.  Ce  sont  miroirs  pu- 
blics où  il  ne  faut  jamais  témoigner  qu  on  se  voie;  et  c'est 
se  taxer  hautement  d'un  défaut  que  se  scandaliser  qu'on 
le  reprenne. 

CLIMÈNE. 

Pour  moi,  je  ne  parle  pas  de  ces  choses  pr  la  part  que 
j'y  puisse  avoir,  et  je  pense  que  je  vis  d'un  air  dans  le 
monde  à  ne  pas  craindre  d'être  cherchée  dans  les  pein* 
tures  qu'on  fait  là  des  femmes  qui  se  gouvernent  mal. 

ELISE. 

Assurément,  madame,  on  ne  vous  y  cherchera  point. 
Votre  conduite  est  assez  connue,  et  ce  sont  de  ces  sortes 
de  choses  qui  ne  sont  contestées  par  personne. 

URANIE,  à  Climéne. 

Aussi,  madame,  n'ai-je riep 4i.t qui^iU^  &  Y^^^; ^^ ^^^ 


SCÈNE  VIL  4ï5 

pordies,  Gomme  les  satires  de  la  congédie,  demeurent  dans 
la  thèse  générale. 

GLIMÉNE. 

Je  n'en  doute  pas,  madame.  Mais  enfin  passons  sur  ce 
chapitre.  Je  ne  sais  pas  de  quelle  Êiçon  vous  recevez  les 
injures  qu'on  dit  à  notre  sexe  dans  un  certain  endroit  de 
la  pièce;  et  pour  moi,  je  vous  avotie  que  je  suis  dans  une 
colère  épouvantable  de.  voir  que  cet  auteur  impertinent 
nous  appelle  Je^  animaux. 

TJRAT^IE. 

Ne  voyez-vous  pas  que  c'est  un  ridicule  qu  il  fait  parler? 

DORANTE. 

Et  puis,  madame,  ne  savez -vous  pas  que  les  injures 
des  amants  n'offensent  jamais;  qu'il  est  des  amours  em- 
portés aussi-bien  que  des  doucereux;  et  qu'en  de  pareille» 
occasions  les  paroles  les  plus  étranges^  et  quelque  chose 
de  pis  encore ,  se  "prennent  bien  souvent  pour  des  marques 
d'affection  par  celles  mêmes  qùî  les  i^eçoivent? 

ELISE. 

Dites  tout  ce  que  vous  voudrez ,  je  ne  saurois  digérer 
cela,  non  plus  que  le  potage  et  la  tarie  à  la  crème  dont 
madame  a  parié- tantôt. 

LE    MARQUIS. 

Ah  !  ma  foi ,  oui ,  tarte  à  la  crème  !  Voilà  ce  que  j'avoi» 
remarqué  tantôt;  tarte  à  la  crème!  Que  je  vous  suis 
obligé ,  madame ,  de  m'avoir  fait  souvenir  de  tarte  à  la 


4iG  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

crème  !  T  a-t-il  assez  de  pommes  en  Normandie  '  pour 
mrte  à  la  crème?  Tarte  à  la  crème!  morbleu ,  tarte  à  la 


crème! 


DORANTE.' 

Hé  bien!  ^e  veux-tu  dire?  tarte  à  la  crème! 

LE  MARQUIS. 

Parbleu l  tarte  à  la  crème,  chevalier. 

DORANTE. 

Mais  encore? 

LE  MARQUIS. 

Tarte  à  la  crème. 

DORANTE. 

Dis-nous  un  peu  tes  raisons. 

LE   HAR^^UIS. 

Tarte  à  la  crème. 

URANIE. 

Mais  il  faut  expliquer  sa  pensée,  ce  me  semble. 

LE   MARQUIS. 

Tarte  à  la  crème,  madame. 

URANIE. 

Que  trouvezHVous  là  à  redire? 


^Ê,m^m 


>  Autrefois  on  jetoit  des  pommes  aux  acteurs  lorsqu'on  étoit 
mécontent  de  leur  jeu  ou  de  la  pièce.  On  connoît  l'épigramme  de 
Racine  sur  l'origine  des  sifflets  i 

Quant  K  Pradon ,  si  j'ai  bonne  mémoire , 
Pommes  sur  lui  volèrent  largement. 


SCÈNE  VIL  417 

LE   MARQUIS.    '. 

Moi?  rien.  Tarte  à  la  crème. 

URANIE. 

Âh!  je  le  quitte. 

/  ÉLISB« 

Monsieur  le  marquis  s'y  prend  bien ,  et  vous  bourre  de 
la  belle  manière.  Mais  je  youdrois  bien  que  monsieur  Ly- 
sidas  voulût  les  achever  ^  et  leur  donner  quelques  petits 
coups  de  sa  façon. 

LtSIDA^. 

Ce  ti'est  pas  ma  coutume  de  rien  blâmer,  et  je  suis  as- 
sez indulgent  pour  les  ouvrages  des  autres.  Mais  enfin , 
sans  choquer  Tamitié  que  monsieur  le  chevalier  témoigne 
pour  l'auteur ,  on  m'avouera  que  ces  sortes  de  comédies  ne 
sont  pas  proprement  des  comédies,  et  qu'il  y  a  une  grande 
différence  de  toutes  ces  bagatelles  à  la  beauté  des  pièces 
sérieuses.  Cependant  tout  le  monde  donne  là-dedans  au- 
jourd'hui; on  ne  court  plus  qu'à  cela;  et  Ton  voit  une 
solitude  effroyable  aux  grands  ouvrages,  lorsque  des  sot- 
tises ont  tout  Paris.  Je  vous  avoue  que  le  cœur  m'en  siaigne 
quelquefois ,  et  cela  est  honteux  pour  la  France. 

CLIMÊNÈ. 

11  est  vrai  que  le  goût  des  gens  est  étrangement  gilté 
la-dessus ,  et  que  le  siècle  s'encanaille  furieusement. 

ÉLISE. 

Celui-là  est  joli  encore,  s'encanaille!  Est-ce  vous  qui 
l'avez  inventé,  madame? 


4i8  LA  CRITIQUE  DE  UÉCOLE  DES  FEMMES. 

CLIHÈNE. 

Hé! 

iSlise. 
Je  m'en  suis  bien  doutée. 

DORANTE. 

Vous  croyez  donc ,  monsieur  Lysîdas  y  que  tout  l'esprit 
«t  toute  la  beauté  sont  dans  les  poèmes  sérieux ,  et  que  les 
pièces  comiques  sont  des  niaiseries  qui  ne^  méritent  au- 
cune louange? 

URANIS'. 

Ce  n'est  pas  mon  sentiment,  pour  moi.  La  tragédie, 
sans  doute ,  est  quelque  cho^e  de  beau  quand  elle  est  bien 
touchée;  mais  la  comédie  a  ses  charmes,  et  je  tiens  que 
Tune  n'est  pas  moins  difficile  que  Fautre. 

DORANTE. 

Assurément,  madame;  et  quand,  pour  la  difficulté, 
TOUS  mettriez  un  peu  plus  du  côté  de  la  comédie,  peut- 
être  que  vous  ne  vous  abuseriez  pas  :  car  enfin  je  trouve 
qu'il  est  bien  plus  aisé  de  se  guinder  sur  de  grands  senti- 
ments, de  braver  en  vers  la  fortune,  accuser  les  destins, 
et  dire  des  injures  aux  dieux,  que  d entrer  comme  il  &ut 
dans  le  ridicule  des  honames,  et  de  rendre  agréablement 
sur  le  théâtre  les  défauts  de  tout  le  monde.  Lorsque  vous 
peignez  des  héros,  vous  Êiites  ce  que  vous  voulez  ;  ce  sont 
des  portraits  à  plaisir,  où  l'on  ne  cherche  point  de  ressem- 
blance, et  vous  n'avez  qu'à  suivre  les  traits  dWe  imagi- 
nation qui  se  donne  Tessor,  et  qui  souvent  laisse  le  vrai 
pour  attraper  le  merveilleux.  Mais,  lorsque  vous  peignez 


SCÈNE  VIL  4i9 

les  hommes ,  il  fiiut  peitidre  d'après  nature  ;  on  veut  que 
ces  portraits  ressemblent;  et  vous  n^àyez  rien  fait,  si  vous 
n  y  Élites  reconnoître  les  gens  de  votre  siècle.  En  un  mot) 
dans  les  pièces  sérieuses,  il  suffit ,  pour  n'être  point  blâmé , 
de  dire  des<3faûses  qui  soient  de  bon  sens  et  bien  écrites  : 
mais  ce  n'est  pas  asisez  dans  les  autres ,  il  y  &vâ,  plaisanter  ; 
et  c'est  une  étrange  entreprise  que  celle  de  fitirë  rire  les 
lK>niiétes  gens. 

CttlftÈNÉ.' 

Je  crois  être  du  nombre  des  honnêtes  geili^;  et  cepen- 
dant  je  n'ai  pas  trouvé  le  mot  pour  rire  dans  tout  ce  que 
j'ai  vu. 

LE   MA&QUIS»  * 

Ma  foi,  ni  moi  non  plus» 

DORAir^B. 

Pour  toi ,  marquis ,  je  ne  m'en  étonne  pas  :  c'est  que  tu 
n'y  as  point  trouvé  de  turlupinades. 

LTSIDAS. 

Ma  foi,  monsieur,  ce  qu'on  y  rencontre  ne  vaut  guère 
mieux;  et  toutes  les  plaisanteries  y  sont  assez  froides,  à 
mon  avisk 

DORANTE. 

La  cour  n'a  pas  trouvé  cela. . . 

LTSIDAS. 

Âh  !  monsieur ,  la  cour I 

DORANTE. 

Achevez,  monsieur  Lysidas.  Je  vois  bien  que  vous 
voulez  dire  que  la  cour  ne  se  connbit  pas  à  ces  choses;  et 


42M)  LA  CRmQUE  DE  LTÈCOLE  DES  FEMMES. 

c  est  le  refuge  ordinaire  de  vous  autres  messieurs  les  au- 
teurs, dans  le  mauvais  succès  de  vos  ouvragés,  que  d'ac- 
cuser rinjusiice  du  siècle,  et  le  peu  de  lumières  des  cour- 
tisans. Sachez,  s'il  vous  plait,  monsieur  Lysidas,'que  lés 
courtisans  ont  d'aussi  bons  yeux  que  d'autres;  qu^on  peut 
être  habile  avec  un  point  de  Venise  et  des  plumes  aussi- 
bien  qu'avec  une  perruque  courte  et  un  petit  rabat  uni; 
que  la  grande  épreuve  de  toutes  vos  comédies,  cest  le  ju- 
gement de  la  cour;  que  c'est  son  goût  qu'il  faut  étudier 
pour  trouver  l'art  de  réussir;  qu'il  n'y  a  point  de  lieu  où 
les  décisions  soient  si  justes;  et,  sans  mettre  en  ligne 
de  compte  tous  les  gens  savants  qui  y  sont,  que,  du  sim- 
ple bon  sens  naturel  et  du  commerce  de  tout  le  beau 
monde,  on  s'y  fait  une  manière  d'esprit  qui,  sans  comp- 
raison,  juge  plus  finement  des  choses  que  tout  le  savoir 
eurouillé  des  pédants. 

.URAins. 
Il  est  vrai  que,  pour  peu  qu'on  y  demeure,  il  vous 
passe  là  tous  les  jours  assez  de  choses  devant  les  yeux  pour 
acquérir  quelque  habitude  de  les  connoitre,  et  surtout 
pour  ce  qui  est  de  la  bonne  ou  mauvaise  plaisanterie. 

DORANTE. 

La  cour  a  quelques  ridicules ,  j'en  demeure  d'accord  ;  et 
je  suis,  comme  on  voit,  le  premier  à  les  fix>nder  :  mais, 
ma  foi ,  il  y  en  a  un  grand  nombre  parmi  les  beaux  esprits 
de  profession;  et,  si  Ton  joue  quelques  marquis,  je  trouve 
qu'il  y  a  bien  plus  de  quoi  jouer  les  auteurs,  et  que  ce 
seroit  une  chose  plaisante  à  mettre  sur  le  théâtre,  que 


«SCÈNE  VII.  ^  ^     421 

leurs  grimaces  savantes  et  leurs  raffinements  ridicules, 
leur  vicieuse  coutume  d'assassiner  les  gens  de  leurs  ou- 
vrages ,  leur  friandise  de  louanges,  leurs  ménagements  de 
pensées,  leur  trafic  de  réputation,  et  leurs  ligues  offensives 
et  défensives,  aussi-bien  que  leurs  guerres  d'esprit  et 
leurs  combats  de  prose  et  de  vers. 

LYSIDAS. 

Molière  est  bien  heureux ,  monsieur ,  d'avoir  un  prolec- 
teur aussi  chaud  que  vous.  Mais  enfin ,  pour  venir  au  fait , 
il  est  question  de  savoir  si  sa  pièce  est  bonne;  et  je  m'of- 
fre d'y  montrer  partout  cent  défauts  visibles. 

URANIE.        • 

C'est  une  étranger  chose  de  vous  autres  messieurs  les 
poètes,  que  vous  condamniez  toujours  les  pièces  où  tout 
le  monde  court,  et  ne  disiez  jamais  du  bien  que  de  celles 
où  personne  ne  va  !  Vous  montrez  pour  les  unes  une  haine 
invincible,  et  pour  les  autres  une  tendresse  qui  n'est  pas 
concevable. 

DORANTE. 

C'est  qu'il  est  généreux  de  se  ranger  du  côté  des  affligés. 

URANIE. 

Mais,  de  grâce,  monsieur Lysidas,  faites-nous  voir  ces 
défauts  dont  je  ne  me  suis  point  aperçue. 

LYSIDAS. 

Ceux  qui  possèdent  AriJstote  et  Horace  voient  d'abord, 
madame,  que  cette  comédie  pèche  contre  toutes  les  règles 
de  l'art. 


4aa  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

URAKIE. 

Je  VOUS  avoue  que  je  n'ai  aucune  habitude  avec  ces 
messieqr&rlà)  et  que  je  ne  sais  point  les  règles  de  Fart. 

DQRAirTIS. 

Vous  êtes  de  plaisantes  gens  j  avec  vos  règles  dont  tous 
embarrassez  les  ignorants  et  nous  étourdissez  tous  les 
jours  I  II  semble ,  à  vous  ouïr  parler ,  que  ces  règles  de  Fart 
soient  les  plus  grands  mystères  du  monde;  et  cependant 
ce  ne  sont  qup  quelques  observations  aisées  que  le  bon 
sens  a  Ëiites  sur  ce  qui  peut  ôter  le  plaisir  que  Ion  prend 
à  ces  sortes  de  poëmes  ;  et  le  même  bon  sens  qui  a  Êiit  au- 
trefois ces  observations  les  fait  fort  aisément  tous  les 
jours  sans  le  secours  d'Horace  et  d'Aristote.  Je  voudrois 
bien  savoir  si  la  grande  règle  de  toutes  les  règles  n  est  pas 
de  plaire,  et  si  une  pièce  de  théâtre  qui  a  attrapé  son  but 
n'a  pas  suivi  un  bon  chemin.  Veut-on  que  tout  un  public 
s'abuse  sur  ces  sortes  de  choses,  et  que  chacun  n'y  soit 
pas  juge  du  plaisir  qu'il  y  prend  ? 

URANIE. 

J'ai  remarqué  une  chose  de  ces  messieurs -là ,  c'est  que 
ceux  qui  parlent  le  plus  des  règles,  et  qui  les  savent  mieujs 
que  les  autres  ^  font  des  comédies  que  personne  ne  trouve 
belles. 

dorante: 
Et  cest  ce  qui  marque,  madame,  comme  on  doit  s'ar- 
rêter peu  à  leurs  disputes  embarrassées.  Car  enfin,  si  les 
pièces  qui  sont  selon  les  règles  ne  plaisent  pas,  et  que 
celles  qui  plaisent  ne  soient  pas  selon  les  règles,  il  faudfoit^ 


SCÈ>ÎE  VH.  4a3 

de  nécessite,  (jue  les  règles.eussent  été  mal  Ëiites.  Moquons- 
nous  donc  de  cette  chicane  où  ils  veulent  assujettir  le  goAt 
du  public,  et  ne  consultons  dans  une  comédie  que  leffet 
qu^elle  fait  sur  nous.  Laissons-nous  aller  de  bonne  foi  aux 
choses  qui  nous  prennent  par  les  entrailles,  et  ne  cher- 
chonspointde raisonnements  pour  nous  empêcher  d'avoir 
du  plaisir. 

URANIE. 

Pour  moi,  quand  je  vois  une  comédie,  je  regarde  seu- 
lement si  les  choses  me  touchent;  et,  lorsque  je  me  suis 
bien  divertie,  je  ne  vais  point  demander  si  j'ai  eu  tort,  et 
si  les  règles  d'Âristote  me  défendoient  de  rire. 

DORANTE. 

C^est  justement  comme  un  homme  qui  auroit  trouvé 
une  sauce  excellente,  et  qui  voudroit  examiner  si  elle  est  ^-'Z'CT} 
bonne ,  sur  les  préceptes  du  Cuisinier  françois,  ,  ^^  '^\ 

'    URANIE.  \*  "^l 

Il  est  vrai  ;  et  j'admire  les  raflinements  de  certaines  gens  ^^'^o  *"  'V 
sur  des  choses  que  nous  devons  sentir  nous-mêmes. 

DORANTE. 

Vous  avez  raison,  madame,  de  les  trouver  étranges, 
tous  ces  raffinements  mystérieux.  Car  enfin,  s'ils  ont  lieu, 
nous  voilà  réduits  à  ne  nous  plus  croire;  nos  propres  sens 
seront  esclaves  en  toutes  choses;  et,  jusqu^au  manger  et 
au  boire,  nous  n'oserons  plus  trouver  rien  de  bon  sans  Iq 
congé  de  messieurs  le3  experts. 

LYSIDAS. 

Enfin ,  monsieur ,  toute  votre  raison ,  c'est  que  l'Ecoh 


4a4  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

des  Femmes  a  plu;  et  vous  ne  vohs  souciez  point  qu^elIe 
ne  soit  pas  dans  les  règles  j  pourvu. . . 

DORANTE. 

Tout  beau,  monsieur  Lysidas;  je  ne  vous  accorde  pas 
cela.  Je  dis  bien  que  le  grand  art  est  de  plaire,  et  que,  cette 
comédie  ayant  plu  à  ceux  pour  qui  elle  est  faite,  je  trouve 
que  c  est  assez  pour  elle,  et  qu'elle  doit  peu  se  soucier  du 
reste.  Mais,  avec  cela,  je  soutiens  qu^elle  ne  pèche  contre 
aucune  des  règles  dont  vous  parlez  :  je  les  ai  lues,  Dieu 
merci,  autant  qu'un  autre,  et  je  ferois  voir  aisément  ^e 
peut-être  n'avons-nous  point  de  pièce  au  théâtre  plus  ré- 
gulière que  celle-là. 

ÉLISE. 

Courage ,  monsieur  Lysidas  !  nous  sommes  perdus  si 
vous  reculez. 

LYSIDAS. 

Quoi!  monsieur,  la  protase,  l'épitase,  et  la  péripétie... 

DORANTE. 

Âh!  monsieur  Lysidas,  vous  nous  assommez  avec  vos 
grands  mots.  Ne  paroissez  point  si  savant,  de  grâce;  hu- 
manisez votre  discours ,  et  parlez  pour  être  entendu.  Pen- 
sez-vous qu'un  nom  grec  donne  plus  de  poids  à  vos  raisons? 
Et  ne  trouveriez-vous  pas  qu'il  fût  aussi  beau  de  dire  Tex- 
posidon  du  sujet  que  la  protase;  le  nœud,  que  Tépitase; 
et  le  dénoûment,  que  la  péripétie? 

LYSIDAS. 

Ce  sont  termes  de  Fart  dont  il  est  permis  de  se  servir. 
Mais^  puisque  ces  mots  blessent  vos  oreilles,  je  m'cxph- 


SCÈNE  VIL  4a5 

querai  d'une  autre  façon,  et  je  vous  prie  de  répondre  po- 
sitivement à  trois  ou  quatre  choses  que  je  vais  dire. 
Peut-on  souffi'ir  une  pièce  qui  pèche  contre  le  nom  propre 
des  pièces  de  théâtre?  Car  enfin  le  nom  de  poème  drama- 
tique yient  d'un  mot  grec  qui  signifie  agir,  pour  montrer 
que  la  nature  de  ce  poëme  consiste  dans  Faction  ;  et ,  dans 
cette  comédie-ci,  il  ne  se  passe  point  d'actions,  et  tout 
consiste  en  des  récits  que  vient  faire  ou  Agnès  ou  Horace. 

LE   MARQUIS. 

Ah!  ah!  chevalier. 

CLIMÈNE. 

Voilà  qui  est  spirituelleipent  remarqué ,  et  c  est  prendre 
le  fin  des  choses. 

LYSIDÀS. 

Est-il  rien  de  si  peu  spirituel,  ou,  pour  mieux  dire ^ 
rien  de  si  bas,  que  quelques  mots  où  tout  le  monde  rit,  et 
surtout  celui  des  enfants  par  ï oreille? 

.    CLIMÈNE. 

Fort  bien. 

ÉLISE. 

Ah! 

LTSIDAS. 

La  scène  du  valet  et  de  la  servante  au-dedans  de  la 
maison  n'est-elle  pas  d'une  longueur  ennuyeuse  et  tout-à- 
fait  impertinente? 

LE    MARQUIS. 

Cela  est  vrai. 


4^6  LÀ  CRITIQUE  DE  L1ËC0LE  DES  FEMMES. 

GLIBliN£. 

Assurément. 

ELISE. 

n  a  raison. 

i 

LtSiBAS. 

Amolphe  ne  donne-t-il  pas  trop  librement  son  aident 
Il  Horace?  Et  puisque  c'est  le  personnage  ridicule  de  la 
pièce ,  Mloit-il  lui  £dre  faire  Faction  d'un  honnête  homme  ? 

XE  MARQUIS. 

Bon.  La  remarque  est  encore  bonne. 

CLÎMÈNE. 

Admirable. 

ÉLISE. 

Merveilleuse. 

LTSIDAS. 

Le  sermon  et  les  maximes  ne  sont-elles  pas  des  choses 
ridicules,  et  qui  choquent  même  le  respect  que  l'on  doit 
à  nos  mystères? 

LE   MARQUIS. 

C'est  bien  dit. 

CLIMENE. 

Voilà  parler  comme  il  faut. 

lÎLISB. 

Il  ne  se  peut  rien  de  mieux. 

LTSIDAS. 

Et  ce  monsieur  de  La  S^ouche,  enfin,  qu'on  nous  fait 
un  homme  d  esprit,  et  qui  paroit  si  sérieux  en  tant  d'en- 
droits, ne  descend-il  point  dans  quelque  chose  de  trop 


SCÈNE  VIL  4^7 

comique  et  de  trop  outré  au  cinquième  acte^  lorsqu^il  ex- 
plique à  Agnès  la  violence  de  sou  amour  ayec  ces  roule< 
ments  d^yeux  extrayagauts ,  ces  soupirs  ridicules,  et  ces 
larmes  niaises  qui  font  rire  tout  le  monde? 

LE   MARQUIS. 

Morbleu  I  merveille  I 

CLIUiNE. 

Miracle  ! 

él.lSE. 

Vii^at  monsieur  Lysîdas  I  \ 

LTSIDAS. 

Je  laisse  cent  mille  autres  choses,  de  peur  d'être  en* 
nuyeux. 

LE   MARQUIS. 

Parbleu,  chevalier^  te  voilà  mal  ajusté. 

DURANTE. 

Il  j&ut  voir. 

LE   MARQUIS. 

Tu  as  trouvé  ton  homme. 

DORAIfTE. 

Peut-être. 

LE   MARQUIS. 

Répôi^ds,  réponds ,  réponds,  réponds. 

DORANTE. 

Volontiers.  IL . . 

LE    MARQUIS. 

Réponds  donc  2  je  te  prie. 


428  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 

DORANTE. 

Laisse-moi  donc  faire.  Si. . . 

LE    MARQUIS. 

Parbleu!  je  te  défie  de  répondre. 

DORANTE. 

Oui,  si  tu  parles  toujours. 

CLIMÈNE. 

De  grâce,  écoutons  ses  raisons. 

DORANTE. 

Premièrement,  il  n'est  pas  vrai  de  dire  que  toute  la 
pièce  n'est  qu'en  récits.  On  y  voit  beaucoup  d  actions  qui 
86  passent  sur  la  scène  :  et  les  récits  eux-mêmes  y  sont  des 
actions,  suivant  la  constitution  du  sujet;  d'autant  qu'ils 
sont  tous  faits  innocemment,  ces  récits,  à  la  personne  in- 
téressée, qui,  par-là,  entre  à  tous  coup  dans  une  con- 
fusion à  réjouir  les  spectateurs,  et  prend,  à  chaque  nouvelle, 
toutes  le^  mesures  quHl  peut  pour  se  parer  du  malheur 
qu'il  craint. 

URANIE. 

Pour  moi ,  je  trouve  que  la  beauté  du  sujet  de  l'École 
des  Femmes  consiste  dans  cette  confidence'  perpétuelle; 
et  ce  qui  me  paroît  assez  plaisant,  c'est  qu'un  homme  qui 
a  de  l'esprit,  et  qui  est  averti  de  tout  par  une  innoceutc 
qui  est  sa  maîtresse,  et  par  un  étourdi  qui  est  son  rival, 
ne  puisse  avec  cela  éviter  ce  qui  lui  arrive. 

LE    MARQUIS. 

Bagatelle,  bagatelle. 


SCÈNE  VII.  42g 

CLtSfiNE. 

Foible  réponse. 

ÉLISE. 

Mauvaises  raisons. 

DORANTE. 

Pour  ce  qui  est  des  enfants  par  Voreille,  ils  ne  sont 
plaisants  que  par  réflexion  à  Arnolphe;  et  Fauteur  n^a  pas 
mis  cela  pour  être  de  soi  un  bon  mot ,  mais  seulement  pour 
une  chose  qui  caractérise  l'homme,  et  peint  d'autant 
mieux  son  extravagance,  puisqu'il  rapporte  une  sottise 
triviale  qu'a  dite  Agnès  ^  comme  la  chose  la  plus  belle  du 
monde  et  qui  lui  donne  une  joie  inconcevable. 

LE   MARQUIS. 

Cest  mal  répondre. 

GLIMÈNE. 

Cela  ne  èatisfatit  point. 

ÉLISE. 

C'est  ne  rien  dire. 

DORANTE. 

Quant  à  l'argent  qu'il  donne  librement,  outre  que  la 
lettre  de  son  meilleur  ami  lui  est  une  cautioai  suffisante, 
il  n'est  pas  incompatible  qu'une  personne  soit  ridicule  en 
de  certaines  choses  et  honnête  homme  en  d^aûtres.  Et, 
pour  la  scène  d'Alain  et  de  Georgette  dans  le  logis,  que 
quelques-uns  ont  trouvée  longue  et  âroide,.il  est  certain 
qu'elle  n'est  pas  sans  raison;  et  de  même  qù' Arnolphe  se 
trouve  attrapé  pendant  son  voyage  par  la  pure  innocence 
de  sa  maîtresse,  il  demeure  au  retour  long -temps  ù.  sa 


43o  LA  CRITIQUE  DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES 

porte  par  l'innocence  de  ses  valets,  afin  qu'il  soit  partout 
puni  par  les  choses  cpi^il  a  cru  Ëiire  la  sûreté  de  ses  pré- 
cautions. 

LE   MARQUIS. 

Voilà  des  raisons  qui  ne  valent  rien. 
Tout  cela  ne  £iit  que  blanchir. 

ÉLISB. 

Cela  fart  pitié. 

DORAKTS. 

Pour  le  discours  moral  que  youâ  appeler  un  sermon, 
il  est  certain  que  de  vrais  dévots  qui  l'ont  puï  n'ont  pas 
trouvé  qu'il  choquât  ce  que  vous  dîtes;  et  sans  doute  que 
ces  paroles  d^enfer  et  de  chaudières  bouillantes  sont  assez 
justifiées  par  Textravagance  d'Ârnolphe  et  par  l'innocence 
de  celle  à  qui  il  parle.  Et  quant  au  trans{)ort  amoureux 
du  cinquième  acte ,  qu'on  accuse  d'être  trop  outré  et  trop 
comique^  je  voudrois  bien  savoir  si  ce  n'est  pas  &ire  la  sa- 
tire des  amants  9  et  si  les  honnêtes  gens  mêmes  et  les  plus 
sérieux 9  en  de  pareilles  occasions,  ne  fi)nt  pas  des 
choses. .  • 

LE   KARQVIS. 

Ma  foi ,  chevalier,  tu  ferois  mieux  de  te  tak«. 

PORAKTE. 

Fort  bien.  Mais  enfin^  si  nous  nous  regardions  nous^ 
mêmes  quand  nous  sommes  bien  amoureux. 

LX   MARQUIS. 

Je  ne  veux  pas  seulement  t'écouter. 


M  •  • 


SCÈNE  va  43i 

DORANTE. 

Écoute-moi  si  tu  veux.  Est-ce  que  dans  la  violence  de 
la  passion...? 

LB  MARQtJIS. 

La,  la,  la,  la,  lare,  la,  la,  la,  la^  la. 

(  Il  chante.  ) 
PORAKTE. 

Quoi!... 

hZ  MARQUIS. 

La,  la,  la,  lare,  la,  l£(,  la,  la,  la,  la. 
Je  ne  sais  pas  si. . . 

LE   MARQUIS. 

La,  la,  la,  la,  lare,  la,  la,  la,  la,  la,  k. 

URANIE. 

Il  me  semble  que. . . 

LE   MARQUIS. 

La,  la,  la,  lare,  la,  la,  la,  la,  la,  la,  la^  la,  la. 

URAME. 

n  se  passe  des  choses  assez  plaisantes  dans  notre  dis- 
pute. Je  trouve  qu'on  en  pourroit  bien  faire  une  petite 
comédie,  et  que  cela  ne  seroit  pas  trop  mal  à  la  queue  de 
l'École  des  Femmes^ 

DORANTE. 

Vous  avez  raison. 

LE    MARQUIS. 

Parbleu!  chevalier,  tu  jouerois  là-dedans  un  rôle  qui 
ne  te  seroit  pas  avantageux. 


43a  LA  CRITIQUE  DE  L  ÉCOLE  DES  FEMMES. 

DOEANTE. 

11  est  vrai  y  marquis. 

CLIMÈNE. 

Pour  mol,  je  souhaiteroîsque  cela  se  fit,  pourvu  qu'on 
traitât  Fafiaire  comme  elle  s'est  passée. 

ÉLISE. 

Et  moi,  je  fournirois  de  bon  cœur  mon  personnage. 

LTSIDAS. 

Je  ne  refuserois  pas  le  mien ,  que  je  pense. 

uranie; 

Puisque  chacun  en  seroit  content,  chevalier,  faites  an 
mémoire  de  tout,  et  le  donnez  &  Molière,  que  vous  con- 
noissez,  pour  le  mettre  en  comédie. 

CLIMÈNE. 

Il  n^auroit  garde,  sans  doute,  et  ce  ne  seroit. pas  des  vers 
à  sa  louange. 

VRANIE. 

Point,  point  :  je  connois  son  humeur;  il  ne  se  soucie 
pas  qu'on  fronde  ses  pièces ,  pourvu  qu'il  y  vienne  du 
monde. 

DORANTE. 

Oui.  Mais  quel  dénoûment  pourroit-il  trouver  à  ceci? 
car  il  ne  sauroit  y  avoir  ni  mariage  ni  reconnoissance,  el 
je  ne  sais  point  par  où  l'on  pourroit  Êiire  finir  la  dispute. 

URANIE. 

Il  faudroit  rêver  à  quelque  incident  peur  cela. 


SCÈNE  VlII.  433 

SCÈNE   VIII. 

CLIMÈNEjURANIE,  ÉLISE,  DORANTE, 
LE  MARQUIS,  LYSIDAS,  GALOPIN. 

i 

GALOPIlTi 

Madame,  on  a  servi  sur  tablç* 

DORANTE. 

Âh!  yoilâ  justement  ce  qu'il  faut  pour  le  dénoûment 
l^e  nous  cherchions  y  et  Ton  ne  peut  rieb  ti^ouVet  de  plus 
naturel.  On  disputera  fort  et  ferme  de  part  et  d'autre , 
comme  nous  ayons  fait,  sans  que  personne  se  rende;  un 
petit  laquais  viendra  dire  qu'on  a  servi,  on  se  lèvera ,  et 
chacun  ira  soupet*. 

URANIÈ. 

La  comédie  ne  peut  pas  mieux  finir,  et  nous  fqrond 
bien  d'en  demeurer  là« 


Flîf  Dfi  tA  GRiTtQUE  DÉ  l'£G01.E  DSS  FEMMES. 


MoLikAE.1  a«  ^8 


i*  «  fc  .^ 


RÉFLEXIONS 

SUR 

LA  CRITIQUE 

D» 

L'ÉCOLE  DES  FEMMES. 


JVLolière,  dans  cette  pièce,  ne  se  borna  pas  à  humilier  ses 
ennemis  :  il  prc^senta  sous  les  traits  les  plus  vrais  et  les  plus 
comiques  les  sociétés  qui  exîstoient  alors,  et  donna  l'esquisse, 
de  quelques  caractères  qu'il  approfondit  par  la  suite.  C'est  und 
chose  admirable  que ,  dans  une  simple  défense  qui  devoit  peu 
intéresser  le  public,  l'auteur  ait  pu  faire  entrer  tant  de  scènes 
agréables,  et  que,  sans  nœud,  sans  intrigue,  il  soit  parvenu  à 
composer  une  pièce  qu'on  verroit  encore  avec  plaisir  si  elle 
étoit  remise' ati  théâtre.  Ce  n'est  point  l'apologie  de  l'École 
DES  Femmes  qu'on  j  cherche;  l'agrément  de  cette  comédie 
n'est  plus  contesté.  Mais  le4ecteur,  qui  aime  à  suivre  les  pro- 
grès d'un  homme  de  génie ,  remarque  dans  cette  critique  les 
germes  de  plusieurs  conceptions  que  Molière  m^ditoit  alors, 
et  qu'il  fit  entrer  dans  ses  cheifs-d'œuvre. 

Les  gens  trop  scrupuleux ,  et  principalement  les  hypo- 
crites, avoient  trouvé  de  l'indécence  dans  le  sermon  d'Ar- 


RÉFLEXIONS  SUR  LA  CRITIQUE,  etc.  435 

nolphe  :  les  derniers  soutenoient  que  Fauteur,  en  parlant  des 
chaudières  bouillantes,  avoît  voulu  tourner  en  ridicule  les  peines 
de  l'enfer.  Ce  fUt  la  première  dispute  que  Molière  eut  avec  les 
faux  dëvotS;;  iï  leur  répondit  par&itement  dans  cette  pièce; 
mats  ils  étoient  loin  de  s'attendre  qu'il  leur  prëparoit  la  comé- 
die foudroyante  du  Tartuffe.  Il  paroît  en  effet  qu'il  s'en  oc- 
cupa dès  cette  époque. 

Les  dames  de  l'hôtel  de  Rambouillet,  qui  avoient  souffert 
assez  patiemment  les  Précieuses  ridicules,  parce  que  l'au- 
teur avoît  eu  l'adresse  de  leur  faire  croire  qu'il  n'avoit  voulu 
attaquer  que  les  sociétés  de  province ,  s'étoient  récriées  contre 
quelques  passages  de  l'Ëcole  di:s  Fehmës.  Les  naïvetés  d'Agnès 
les  avoient  choquées  ;  et  leur  imagination  travaillant  sur  des 
expressions  qui  offroîent  à  la  vérité  plus  d'un  sens,  elles  y 
avoient  trouvé  la  plus  horrible  indécence.  Molière,  qui  ne 
pouvoit  les  soufirîr,  entrevit  le  parti  qu'il  étoit  possible  de  tirer 
de  leur  pruderie  et  de  leur  prétendue  spiritualité.  Dès-lors  il 
résolut  de  compléter  le  tableau  de  Thôtel  de  Rambouillet ,  qui 
n'étoit  qu'esquissé  dans  les  Précieuses,  |et  de  mettre  sur  le 
théâtre  l'abus  du  purisme  et  du  néologisme  que  ces  dames 
portoient  très-loin. 

Glimène  offre  la  première  idée  du  rôle  de  Philaminte  dans 
la  comédie  des  Femmes  savantes  :  même  enthousiasme  pour 
un  mauvais  poëte ,  même  aversion  pour  ce  qui  tient  aux  idées 
généralement  reçues,  même  affectation  de  déprimer  tout  ce 
qui  n'est  pas  pointe  ou  jeux  de  mots. 

On  trouve  aussi  dans  cette  pièce  le  croquis  de  la  prude 
Ârsinoé  du  Misanthrope  «  Une  femme  cherche  ridiculement  ce 


436    RÉFLEXIONS  SUR  LA  CRITIQUE 

qui  peut  blesser  la  pudeur  dans  la  comëdie  qu'elle  critique; 
elle  le  commente,  et  paroît  prendre  plaisir  à  donner  les  expli- 
cations les  plus  singulières.  Cependant  elle  frémit  de  tant 
d^indëcence;  et  Pun  des  personnages,  fatigué  de  toutes  ces 
grimaces,  lui  fait  observer  qu'on  dit  d'elle  ffue  ses  oreiUes  sont 
plus  chastes  que  tout  le  reste  de  son  corps.  N'est-ce  pas  la  même 
idée  que  Célimcne  exprime  dans  le  Misanthrope? 

file  &it  des  tableaux  coQTrir  les  nudités  ; 
Mais  elle  a  du  penchant  pour  ies  réalités. 

Molière,  dans  cette  comédie  du  premier  ordre,  n'oçapa» 
exprimer  la  fausse  délicatesse  de  certaines  femmes  qui  trou- 
volent  la  langue  indécente  parce  que  quelques  syllabes  au- 
roient  pu  l'être  si  on  les  eût  isolées.  Il  transporta  cette  idée 
comique  dans  la  Comtesse  d'Esc arbagn as.  '  On  observe  qu'il 
Tavoit  indiquée  dans  la  Critique  de  l'Ëcole  des  Femmes  :  le 
scrupule  de  cette  dame,  dit  un  homme  raisonnable,  va  jusqu^àdé' 
figurer  la  langue;  il  n'y  a  point  de  mots  dont  sa  sévérité  ne  veuille  re- 
trancher  ou  la  tête  ou  la  queue  pour  les  syllabes  déshonnêtes  qu'elle  if 
trouve. 

L'auteur,  de  son  vivant,  ne  fut  bien  apprécié  qu'à  la  cour; 
aussi ,  dans  les  Femmes  savantes  ,  il  peignit  l'homme  aimable 


■  Cette  idée  est  au«si  déyeloppee,  mais  d'une  manière  plus  décente, 
dans  LES  Femmes  savantes.  Pbilaminte  dit  qu'elles  ont  : 

Un  dessein  plein  de  gloiiie,  et  qui  sera  vanté 

Chez  tous  les  beaux  esprits  de  la  postëiité  ; 

C'est  le  retranchement  de  ces  syllabes  sales 

Çui  dans  les  plus  beaux  mots  produisent  des  scandales 


DE  L'ÉCOLE  DES  FEMMES.         437 

dans  le  personnage  du  courtisan  Clitandre.  La  Critique  de 
l'Ëcole  i5es  Femmes  présente  l'esquisse  de  ce  rôle,  porante 
s'emporte  contre  le  pédant  Ljsidas  sur  ce  qu'il  a  l'air  de  mé- 
priser les  suffrages  de  la  cour  ;  «  Il  n'j  a  point  de  lieu,  dit-il, 
((  où  les  décisions  spient  si  justes;  et  sans  mettre  en  ligne  de 
«  compte  tous  les  gens  savants  qui  y  sont,  du  simple  bon  sens 
<(  naturel  et  du  commerce  de  tout  le  beau  monde,  on  s'y  fait 
c(  une  manière  d'esprit  qui,  sans  comparaison,  juge  plus  (liic- 
«  ment  des  choses  que  tout  le  savoir  enrouillé  des  pédants.  » 
Clitandre ,  dans  les  Femmes  savantes  ,  développe  cette  idée 
en  attaquant  Trissotîn. 

Vous  en  voules  beaucoup  à  cette  pauvre  cour,  etc. 

Les  précieuses  cherchoient  toujours  à  faire  l'analyse  de 
leurs  sentiments;  et  ces  subtilités  produisoient  un  jargon  sou- 
vent inintelligible.  On  parloit  beaucoup  de  la  différence  de 
Tesprit  et  du  cœur;  et  cette  distinction  frivole^,  qu'on  retrouve 
souvent  dans  les  écrivains  du  dix-huitième  siècle  «  est  ici  atta- 
quée  par  Molière'.  «Je  ne  voudrois  pas,  dit  une  précieuse,  que 
«  Dorante  fit  mal  sa  cour  à  madame  vôtre  cousine ,  et  je  per- 
H  mets  à  son  esprit  d'être  du  parti  de  son  coswr,  » 

Ces  dames  étoient  fort  empressées  d'accueillir  les  nouveaux 
mots,  et  surtout  ceux  qui  s'accordoient  avec  leurs  idées  :  leur 
prétention  à  la  pudeur  rendit  très- facile  l'admission  du  mot 
obscénité;  elles  le  répétoieut  chaque  fois  que  leur  délicatesse 
étoit  blessée;  et  celaarrivoit  souvent.  Le  désir  qu'elles  avoicnt 
de  conserver  le  bon  ton,  et  de  ne  pas  descendre  à  des  sociétés 
indignes  d'elles,  les  rendit  aussi  indulgentes -pour  le  mqt 


438   REFLEXIONS  SUR  LA  CRITIQUE 

encanaUier,  qui  commençoît  alors  à  se  rëpandre.  Ces  deux 
mots  y  dont  Molière  se  moque  y  sont  restés  dans  notre 
langue. 

Cette  pièce,  comme  on  le  voit,  est  un  tableau  très-piquant 
de  quelques  sociétés  du  dix-septième  siècle.  On  j  trouve  la 
critique  de  l'espèce  de  plaisanteries  qui  étoient  à  la  mode. 
Cétoient  des  turlujpinades  f  expression  qui  vient  du  nom  de  l'in- 
venteur de  ces  spttises,  Turlupin,  acteur  du  théâtre  de  Bour- 
gogne. Ce  farceur,  ainsi  qu'on  en  a  vu  dans  tous  les  temps, 
jouoit  sans  cesse  sur  les  mots  ;  et  la  n^eilleure  compagnie  pre- 
noît  plaisir  à  l'entendre.  Ses  pointes  étoient  répétées  dans  la 
société  y  où  il  ne  manquoit  p^s  d'imitateurs.  On  disoit  à  une 
dame  qui  demeuroit  à  la  Place-Rpyale  y  qu'on  la  votfoit  de  bon  oàl, 
parce  que  de  Bonneuil  y  village  voisin  de  Paris,  on  apercevoit 
cette  place.  Les  turtupinades  étQÎent  ce  que  nous  appelons  des 
catembourgs.  Nous  en  faisons  peut-être  autant  de  cas  que  du 
temps  de  Molière,  et  nouç  nous  excusons  de  même  qu'alors, 
en  disant  que  ce  sont  des  sottises  dont  nous  sentons  le  ridicule. 
Tant  pis  pour  vous,  répondroit  Molière ,  .comme  il  le  fait  dire 
dans  sa  pièce ,  tant  pis  de  prendre  peine  à  dire  des  sottises,  et  d*iir 
mauvais  plaisants  de  dessein  formé. 

On  s'étonnera  peut-être  de  trouver  dans  cette  pièce  une  ti- 
rade contre  la  tragédie,  où  elle  est  réduite  à  se  guinder  sur  de 
grands  sentiments ,  à  braver  en  vers  la  fortune,  et  à  dire  des  injuret 
aux  dieux.  Sans  doute  Molière  ne  pensoît  pas  ainsi.  Mais  il  faut 
remarquer  que  Racine  n'avoit  encore  rien  donné,  et  que, 
comme  il  a  été  dit  dans  la  vie  de  Molière ,  Corneille  s'étoit  mis 
au  nombre  des  détracteurs  de  l'Ecole  des  Femmes.  L'auteur 


DE  L'ÉCOLE  DES  f^EMMES.         4% 

vottlat  M  vtoBtf^^.HÏMi  i«il  ^pit  larre^gc^noe  é$t  toujours 

aveugle. 

II  n'est  pas  probable  que  Molière  ait  eu  d'abord  le  projet 
de  peindre  le  poète  Boursgult  dans  le  rgle  de  Lysidas  :  il  con- 
noissoit  et  apprëcioit  son  mërite.  Mais  les  comédiens  de  l'hôtel 
de  Bourgogne,  voulant  lui  faire  un  ennemi  de  plus,  persua- 
dèrent à  Boursault  que  c'ëtoit  lui  qu'on  avoit  joué  :  il  répliqua 
par  une  satire;  Molière  s'oublia  jusqu'à  le  nommer  sur  la 
siçène  ;  et  ces  deux  hommes  ^  dignes  de  fi'estlmor ,  furent  irré- 
concilififale^.  On  doit  observa  que  ce  rôle  de  Ljsîdas  n'est 
nullement  chargé  :  ce  poète  a/Qli^e  bea^oup. de. mesure;  et 
ses  arguments  contre  l'Ëcole  des  Femmes  ont  quelque  chose 
de  spécieux.  Les  successeurs  de  Molière  qui  ont  peint  dea 
poètes  n'ont  pas  imité  sa  retenue  ;  ils  n'ont  présenté  que  des 
caricatures. 

Un  original  plus  singulier  est  peint  dans  cette  pièce  :  mais 
on  n'a  pas  sur  lui  la  même  incertitude  que  sur  Boursault.  Pla- 
pisson,  ayant  beaucoup  de  prétention  à  la  philosophie ,  livré 
à  la  société  où  Molière  étoit  mal  vu,  s'emporta  contre  le  suc- 
cès de  l'Ëcole  des  Femmes.  Il  alloit  sur  le  théâtre  avec  l'air  le 
plus  sombre  :  tout  ce  qui  égayoit  le  parterre  l'attristoit.  A  tous 
les  éclats  de  rire  il  haussoit  les  épaules ,  eC  regardoit  le  public 
avec  mépris  :  Ris  donc,  parterre,  disoit-il  tout  haut,  ris  donc! 

Des  hommes  plus  importants  se  déclarèrent  contre  la  pièce  : 
ou  remarque  parmi  eux  le  commandeur  de  Souvray  et  le  vi- 
comte du  Broussin  :  ce  dernier  sortit  un  jour  au  second  acte, 
en  criant  qu'il  ne  concevoif  pas  comment  on  pouvoit  avoir  la. 


44o   RÉFLEXIONS  SUR  LA  CRITIQUE,  etc. 

patience  d'aller  ju9q[tt'au  bout.  BoSeau  fit  allusion  à  oetfe  folie 
dans  sa  septième  ëpitre  : 

Le  commandeur  vouloit  la  scène  plus  exacte  j: 
Le  vicomte  indigné  sonoit  an  second  acte. 

Molière  n'osa  parler  dans  sa  comédie  de  la  conduite  de  ces 
deux  seigneurs. 

La  Critique  de  l'Ecole  des  Femmes  est  la  première  comé^ 
die  qui  n'ait  pour  objet  que  la  défense  d'une  autre  pièce.  Elle 
est  une  de  celles  oà  Molière  a  le  mieux  peint  les  petits  ridi- 
cules de  la  société.  Quelques  auteurs  ont  voulu  travailler  dans 
le  même  genre,  aucun  n'a  réussi. 


L'IMPROMPTU 

DE  VERSAILLES, 

COMÉDIE 

EN  UN  ACTE  EN  EN  PROSE, 

tteprésentée  à  Venaîlles  le  i4  octobre  i663;  et  à  Paris,  sur  le 
théâtre  da  Palais-Rojal ,  le  4  noyembre  de  la  même  année. 


^■^É»— I  I    ■        ^— ^W— — MOMt      »    I      <       I  l<      <»       lin    I  >i^^— ^— — 1^.1^ 


RËMERGIMENT 


AU  ROI. 


V  OTEE  paresse  enlm  me  tcandâlise , 
Ma  muse ,  obéissez^oioi  : 
Il  faat  ce  matin ,  sans  xeaise. 
Aller  au  lever  du  toi  s 

Vous  saviex  faîeii  pote^aoi  ; 
Et  ce  TOUS  est  une  Jionte 
De  n'ayoir  pas  été  pfais  prompte 
A  le  remercier  de  ses  frmeux  bSenfaits» 
Mais  il  yant  mieni  tard. que  jamais  s 
Faites  donc  T4>tre  compte 
D'aller  au  Louvre  accomplir  mes  souhaits* 
Gardez^YOus  bien  d'4tre  en  muse  bâtie;  • 
Un  air  de  muse  est  choquant  .dans  ces  lieux: 
On  y  veut  des  objets  ii  réjouir  les  jeux; 
Vous  en  devez  étve  avertie  ; 
Et  vous  ferez  votre  cour  faeanooop  jnieux 
Lorsqn'en  marquis  vous  serez  travestie. 
Vous  savez  ce  qu'il  faut  pour  piaroître  marquis  ; 

N'oubliez  rien  de  l'air  ni  des  habits; 
Arborez  un  chapeau  chargé  de  trente  phimes 
Sur  une  perruque  de  prix  ; 
Que  le  rabat  seit  des  plus  grands  volumes , 
Et  le  pourpoint  des  plus  petits  : 
Mais  surtout  je  vous  recommande 
Le  manteau  d'un  ruban  sur  le  dos  retroussé , 

La  galanterie  en  est  grande  ; 
Et  parmi  les  marquis  de  la  plus  hante  bande 
G'est'peur  être  placé. 
Avec  vos  brillantes  hardes 
Et  votre  ajustement , 
Faites  tout  le  trajet  de  la  salle  des  gardes  i 


444  REMERGIMENT  AU  ROI. 

Et,  vous  peignant  galamment, 
Portez  de  tons  côtés  yos  regards  brusquement  ; 
Et  ceux  que  vous  pourrez  connoitre , 

Ne  manquez  pas ,  d'un  haut  ton , 
De  les  saluer  par  leur  nom , 
De  quelque  rang  qu'ils  puissent  être. 
Cette  familiarité 
Donne  à  quiconque  en  use  un  air  de  qualité. 
Grattez  du  peigne  à  la  porte 

De  la  chambre  du  roi  ; 
Ou  si ,  comme  je  préyoi , 
La  presse  s  j  trouve  forte , 
Montrez  de  loin  votre  chapeau , 
Ou  montez  sur  quelque  chose 
Pour  faire  voir  votre  museau  ; 
Et  criez ,  sans  aucune  pause , 
D'un  ton  rien  moins  que  naturel  : 
Monsieur  l'huissier,  pour  le  marquis  un  tel. 
Jetez-vous  dans  la  foule ,  et  tranchez  du  notable  ; 
Coudoyez  un  chacun ,  point  du  tout  de  quartier. 
Pressez ,  poussez ,  faites  le  diable 
Pour  vous  mettre  le  premier  ; 
Et  quand  même  l'huissier, 
A  vos  déftirs  inexorable , 
Vous  trouveroit  en  face  un  marquis  repoussable , 
Ne  démordez  point  pour  cela , 
Tenez  toujours  ferme  là  t 
A  déboucher  la  porte  il  iroit  trop  du  vôtre  ; 

Faites  qu'aucun  n'y  puisse  pénétrer, 
Et  qu'on  soit  obligé  de  yous  laisser  entrer 

Pour  faire  entrer  quelque  autre. 
Quand  vous  serez  entré ,  ne  vous  relâchez  pas  ; 
Pour  assiéger  la  chaise  il  faut  d'autres  combats  : 
Tâchez  d'en  être  dessins  proches. 
En  y  gagnant  le  terrain  pas  à  pas  ; 
Et ,  si  des  assiégeants  le  prévenant  amas 
En  bouche  toutes  les  approchéis, 
Prenez  le  parti  doucement 
D  attendre  le  prince  au  palsage. 


REMERCIMENT  AU  ROI.  445 

Il  connoîtra  votre  yisage 
Malgré  votre  déguisement  ; 
Et  lors ,  sans  tarder  davantage , 
Faites-lui  votre  compliment. 
Vous  pourriez  aisément  l'étendre , 
Et  parler  des  transports  qu'en  vous,  font  éclater 
Les  surprenants  bienfaits  que ,  sans  les  mériter, 
Sa  libérale  main  sur  vous  daigne  répandre , 
Et  des  nouveaux  efforts  où  s'en  va  vous  porter 
L'excès  de  cet  honneur  où  vous  n'osiez  prétendre  :. 

Lui  dire  comme  vos  désirs 
Sont ,  après  ses  bontés  qui  n'ont  point  de  pareilles , 
D'emplojer  à  sa  gloire ,  ainsi  qu'à  ses  plaisirs , 
Tout  votre  art  et  toutes  vos  veilles , 
Et  là-dessus  lui  promettre  merveilles.  ' 
Sur  ce  chapitre  on  n'est  jamais  à  sec  : 
Les  muses  sont  de  grandes  prometteuses  ; 
Et ,  comme  vos  sœurs  les  causeuses , 
Vous  ne  manquerez  pas ,  sans  doute ,  par  le  bec. 
Mais  les  grands  princes  n'aiment  guères 
Que  les  compliments  qui  sont  courts  \ 
Et  le  nôtre  surtout  a  bien  d'autres  affaires 

Que  d'écouter  tous  vos  discours. 
La  louange  et  l'encens  n'est  pas  ce  qui  le  touche  : 
Dès  que  vous  ouvrirez  la  bouche 
Pour  lui  parler  de  grâce  et  de  bienfait ,  '     / 
Il  comprendra  d'abord  ce  que  vous  voulez  dire; 

Et ,  se  mettant  doucement  à  sourire 
D'un  air  qui  sur  les  cœurs  fait  un  charmant  effet , 
Il  passera  comme  un  trait , 
Et  cela  vous  doit  suffire. 
Voilà  votre  compliment  fait. 


^•■111      I  ■   nm  iii»i 


PERSONNAGES. 

MOLIÈRE 9  marquis  ridicule. 
BRËGOURT,  homme  de  cpialitë. 
LÀ  GRANGE  y  marquis  ridicule. 
DU  CROISY,  poète. 

Mademoiselle  BU  PARC;  marquise  façonnière. 
Mademoiselle  BËJART,  prude. 
Mademoiselle  DE  BRIE,  sa^e  coquette. 
Mademoiselle  MOLIÈRE ,  satirique  spirituelle. 
Mademoiselle  DU  CROISY,  peste  doucereuse* 
Mademoiselle  HERYË,  servante  prëciemse. 
LA  THORILLIËRE,  marquis  fâcheux. 
BËJART,  homme  qui  fait  le  nécessaiia» 
QUATRE  NÉCESSAIRES. 


La  scène  est  à  YersaUles»  àam$  lantichambre  da  roL 


riMPROMPTU 

DE  VERSAILLES. 


SCENE  I. 

MOLIÈRE,  BRÉCOURT,  LA  GRANGE,  DU  CROISY; 
MESDEMOISELLES  DUPARC,  BÉJART,  DE  BRIE^ 
MOLIÈRE,  DU  CROÏSY,  HERVÉ. 

MOLIÈRE}  seul ,  parlant  à  ses  camarades  qai  sont  derrièrt 

le  théâtre. 

Allons  donc,  messieurs  et  mesdames ^  vous  moquez- 
vous  avec  votre  longueur?  et  ne  voulez-vous  pas  tous 
venir  ici?  La  peste  soit  des  gensi  Holà^  ho,  monsieur  de 
Brécourt. 

BRicoURT,  derrière  le  théâtre. 

Quoi? 

MOLIÈRE. 

Monsieur  de  La  Grange. 

LA   GRANGE,  derrière  le  théâtve. 

Qu'est-ce? 

MOLIÈRE. 

Monsieur  du  Croisy. 

DU  CROIST,  derrière  le  théâtre. 

Plaît-a? 

MOLIÈRE. 

Mademoiselle  du  Parc. 


448    LIMPROMPTD  DE  VER&AII/LE& 

MADEMOISELLE   DU  PARC,  derrière  le  théâtre. 

Hé  bien? 

MOLIÈRE. 

MademoiseUe  Béjart. 

MADEMOISELLE  BÉ J ART,  derrière  le  théitie. 

Quya-til? 

MOLIERE. 

Mademoiselle  de  Brie. 

MADEMOISELLE   DE  BRIE,  derrière  le  théâtre. 

Que  veut-on? 

MOLIÈRE. 

Mademoiselle  du  Groisy. 

MADEMOISELLE  DU  GROIST,  derrière  le  théâtre. 

Qu*est-ce-que  c'est? 

MOLIÈRE. 

Mademoiselle  Hervé. 

MADEMOISELLE   H  ERvé,  derrière  le  théâtre. 

On  y  va. 

MOLIÈRE.  , 

Je  crois  que  je  deviendrai  fou  avec  tous  ces  gens-ci.  Hé! 

(Brécourt,  La  Grange,  Da  Groîsj,  entrent.)  . 

Tétebleu!  messieurs,  me  voulez-vous  faire ebrager  au- 
jourd'huî? 

BRECOURT; 

Que  voulez-vous  qu  on  fasse?  Nous  ne  savons  pas  nos 
rôles;  et  c^est  nous  &ire  enrager  vous-même  que  de  nous 
obliger  à  jouer  de  la  sorte. 


SCÈNRI.  449 

MOlilÈRE. 

Ah!  les  étranges  animaux  à  conduire  que  des  co- 
médiens! 

^  MesdemoîseUes  Béjart ,  du  Parc ,  de  Brie ,  Molière ,  du  Cvoiêj 

et  Herré ,  arrivent.  ) 

MADEMOISELLE   BÉJART. 

Hé  bieni  nous  voilà.  Que  prétendez'^yous  faire? 

MADEMOISELLE    DU   PARC. 

Quelle  est  votre  pensée  7 

MADEMOISELLE  DE   BRIE^ 

De  quoi  est-il  question? 

MOLIÈRE. 

De  grâce,  mettons-nous  ici;  et  puisque  nous  voilà  tous 
habillés,  et  que  le  roi  ne  doit  venir  de  deux  heures,  em- 
ployons ce  temps  à  répéter  notre  afiaîre^  et  voir  la  manière 
dont  il  faut  jouer  les  choses^ 

LA   GRANGE. 

Le  moyen  de  jouer  ce  qu'on  ne  sait  pas? 

MADEMOISELLE   DU   PARC. 

Pour  moi,  je' vous  àéclare  que  je  ne  me  souviens  pa^ 
d'un  mot  de  mon  personnage. 

MADEMOISELLE   DÉ   BRIE. 

Je  sais  bien  qu'il  me  faudra  souffler  le  mien  d'un  bout 
à  lautre. 

MADEMOISELLE  BÉJART. 

Et  moi,  je  me  prépare  fort  à  tenir  mon  rôie  à  la  main. 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

£t  moi  aussi. 

MoLiànz.  a.  ^9 


45a     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

MÂDEM0I8BI.LE    HERVÉ. 

Pour  moi^  je  n'ai  pas  grand'chose  à  dire. 

MADEMOISELLE   DU   GROI»Y. 

Ni  moi  non  plus;  mais,  avec  cela ,  je  ne  répondrois  pas 
de  ne  point  manquer.  ^ 

DU    CROISY. 

J'en  voudrois  être  quitte  pour  dix  pistoles. 

BRÉCOURT. 

Et  moi,  pour  vingt  bons  coups  de  fouet,  je  vous  assure. 

MOLIÈRE. 

Vous  voilà  tous  bien  malades  d  avoir  un  méchant  rôle 
à  jouer!  Et  que  feriez-vous  donc  si  vous  étiez  à  ma  place? 

MADEMOISELLE  BEJART. 

Qui?  vous?  Vous  n  êtes  pas  à  plaindre;  car  ayant  fcit 
la  pièce,  vous  n'avez  pas  peur  d'y  manqua. 

MOLIÈRE. 

Et  n'ai-je  à  craindre  que  le  manquement  de  mémoire? 
Ne  comptez-vous  potir  rien  rinquiétudé  d'un  succès  qui 
ne  regarde  que  moi  teul?  Et  pensez-vous  que  ce  soit  une 
petite  affaire  que  d'exposer  quelque  chose  de  comique  de- 
vaut  une  assemblée  comme  celle-ci,  que  d'entreprendre 
de  faire  rire  des  personnes  qui  nous  impriment  le  respct, 
et  ne  rient  que  quand  elles  veulent?  Est-ïl  auteur  qui  ne 
doive  trembler  lorsqu'il  en  vient  à  cette  épreuve?  Et 
n  est-ce  pas  à  moi  de  dire  que  je  voudrois  en  être  quitte 
pour  toutes  les  choses  du  monde? 

MADEMOISELLE   BEJàRT. 

Si  cela  vous  faisoit  trembler,  vous  prendriez  mieux 


SCÈNE  I.  45i 

I 

VOS  précautions,  et  n^auriea  pas  entrepris  en  huit  jours  ce 
que  vous  ayez  fitit 

MOtiliRE. 

Le  moyen  de  men  défendre  quand  un  roi  me  Fa  com- 
mandé? 

MADEMOISELLE  BEJAIlT* 

Le  moyen?  une  respectueuse  excuse  fondée  sur  l'im- 
possibilité de  la  chose  dans  le  peu  de  temps  qu'on  vous 
donne;  et  tout  autre  à  votre  place  ménageroit  mieux  sa 
réputation  ^  et  se  seroit  bien  gardé  de  se  commettre 
comme  vous  faites.  Où  en  serez-vous ,  je  vous  prie,  si 
l'affaire  réussit  mal?  et  quel  avantage  pensez-vous  qu'en 
prendront  tous  vos  ennemis? 

MADEMOISELLE   DE   BRIE. 

En  effet,  il  falloit  s'excuser  avec  respect  envers  le  roi, 
ou  demander  du  temps  davantage. 

MOLIÈRE. 

Mon  Dieu!  mademoiselle,  les  rois  n'aiment  rien  tant 
qu'une  prompte  obéissance ,  et  ne  se  plaisent  point  du 
tout  à  trouver  des  obstacles.  Les  choses  ne  sont  bonnes 
que  dans  le  temps  qu'ils  les  scftihaiteni;  et  leur  en  Vouloir 
reculer  le  divertissement ,  est  en  ôter  pour  eux  toute  la 
grâce.  Ils  veulent  des  plaisirs  qui  ne  se  fassent  point  at- 
tendre, et  ks  moins  préparés  leur  sont  toujours  les  plus 
agréables.  Nous  ne  devons  jamais  nous  regartler  dans  ce 
quils  désirent  de  nous;  nous  lic?  sommes  que  pôiii*  leur 
plaire;  et  lorsqu'ils  nous  ordonnent  quelque  chose,  cest 
à  nous  à  profiter  vite  de  Tenvie  où  ils  sont.  Il  vaut  mieux 


45a     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

s'acquitter  mal  de  ce  qu'ils  nous  demandent,  que  de  ne 
s'en  acquitter  pas  assez  tôt;  et,  si  Ton  à  la  honte  de  n'a- 
voir pas  bien  réussi,  on  a  toujours  la  gloire  d'avoir  obéi 
vite  à  leurs  commandements.  Mais  songeons  à  répéter, 
s'il  vous  plait. 

MADEMOISELLE   BSJART. 

Comment  prétendez -vous  que  nous  fassions,  si  nous 
ne  savons  pas  nos  rftles? 

MOLIÈRE, 

Vous  les  saurez,  vous  dis-je;  et,  quand  même  vous  ne 
les  sauriez  pas  tout-à-fait,  pouvez-vous  pas  y  suppléer  de 
votre  esprit,  puisque  c'est  de  la  prose,  et  que  vous  savez 
votre  sujet? 

MADEMOISELLE   BÂJART. 

Je  suis  votre  servante  :  la  prose  est  pis  encore  que  les 
vers. 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

Voulez -vous  2ue  je  vous  dise?  vous  deviez  faire  une 
comédie  où  vous  auriez  joué  tout  seul. 

MOLIÈRE. 

Taisez-vous,  ma  femme,  vous  êtes  une  béte. 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

Grand  merci,  monsieur  mon  mari.  Voilà  ce  que  c'est! 
Le  mariage  change  bien  les  gens;  et  vous  ne  m'auriez  pas 
dit  cela  il  y  a  dix-huit  mois. 

MOLIÈRE.       i 

Taisez-vous,  je  vous  prie 


SCÈNE  I.  453 

MADEMOISELLE  •MOI.IÉRE. 

Cest  use  chose  étrange,  qu'une  petite  cérémonie  soit 
capable  de  nous  ôter  toutes  nos  belles  qualités,  et  qi^W 
mari  et  un  galant  regardent  la  même  prsonne  avec  des 
yeux  si  différents  ! 

MOLIÈRE. 

Que  de  discours  I 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

» 

Ma  foi,  si  je  faisois  une  comédie,  je  la  ferois  sur  ce  su- 
jet. Je  justifierois  les' femmes  de  bien  des  choses  dont  on 
les"^ accuse;  et  je  ferois  craindre  aux  maris  la  différence 
qu  il  y  a  de  leurs  manières  brusques  aux  civilités  des  ga- 
lants. 

MOLIÈRE. 

Ah!  laissons  cela.  Il  n'est  pas  question  de  causer  main<« 
tenant,  nous  avons  autre  chose  à  Êiire. 

MADEMOISELLE  BÉJART. 

Mais,  puisqu'on  vous  a  commandé  de  travailler  sur  le 
sujet  de  la  critique  qu  on  a  faite  contre  vous,  que  n'avez- 
vous  fait  cette  comédie  des  comédiens  dont  vous  nous 
avez  parlé  il  y  a  long-temps?  C'étoit  une  affaire  toute 
trouvée,  et  qui  venoit  fort  bien  à  la  chose;  et  d'autant 
mieux,  qu'ayant  entrepris  de  vous  peindre ,  ils  vous  ou- 
vroiont  Foccasion  de  les  peindre  aussi,  et  que  cela  auroit 
pu  s'appeler  leur  portrait,  à  bien  plus  juste  titre  que  tout 
ce  qu'ils  ont  fait  ne  put  être  appelé  le  vôtre  :  car  vouloir 
contrefaire  un  comédien  dans  un  rôle  comique ,  ce  n  est 
23as  le  peindre  lui-même,  c'est  peindre  d'après  lui  lesperr 


454     L'IMPROMPTU  Dt  VERSAILLES. 

sonnages  qu^il  représente ,  et  se  servir  des  mSmes  traits  et 
des  mêmes  couleurs  qu'il  est  obligé  d  employer  aux  diffé- 
reols  tableaux  des  caractères  ridicules  qu'il  imite  d'après 
nature  ;  mais  coiitreÊiire  uu  comédien  dans  des  rôles  sé- 
rieux 9  c'est  le  peindre  par  des  défauts  qui  scmt  entière- 
ment de  lui ,  puisque  ces  sortes  de  personnages  ne  veulent 
ni  les  gestes  ni  les  tons  de  voix  ridicules  dans  lesquels  on 
le  reconnoît, 

MOLIÈRB. 

n  est  vrai  :  mais  j'ai  mes  raisons  pour  ne  le  pas  &ire; 
çt  je  n'ai  pas  cru^  entre  nous,  que  la  chose  en  valût  la 
peine.  Et  puis ,  il  falloit  plus  de  temps  pour  exécuter  cette 
idée.  Comme  leurs  jours  de  comédie  sont  les  mêmes  qae 
les  nôtres,  à  peine  ai-je  été  les  voir  trois  ou  quatre  fois 
depuis  que  nous  sommes  à  Paris  :  je  n'ai  attrapé  de  leur 
manière  de  réciter  que  ce  qui  m'a  d'abord  sauté  aiux  yeux; 
et  j  aurois  eu  besoin  de  les  étudier  davantage  pour  &ire 
des  portraits  bien  ressemblants. 

ITADEMOISBLLB    DU   PARC. 

Pour  moi,  j'en  ai  reconnu  quelques-uns  dans  votre 
bouche. 

MADEMOISELLE    DE   BRIE. 

Je  n'ai  jamais  ouï  parler  de  cela. 

MOLIÈRE. 

C^est  une  idée  qui  m'avôit  passé  une  fois  par  la  tête ,  et 
que  j'ai  laissée  là  comme  une  bagatelle ,  une  badinerie ,  qui 
peut-être  n^auroit  pas  fait  rire. 


SCÈNE  I.  455 

.MADEMOISELLE   DE  BEIE. 

Dites-la-moi  un  peu,  puisque  Vous  l'avez  dite  aux  autres^ 

MOLIÈRE. 

Nous  n'avons  pas  le  temps  maintenant. 

MADEMOISELLE    DE   BRIE.. 

Seulement  deux  mots. 

MOLIÈRE. 

J'avoîs  songé  une  comédie  où  il  y  auroit  eu  un  poëte, 
que  j'aurois  représenté  moi-même,  qui  seroit  venu  pour 
offrir  une  pièce  à  une  troupe  de  comédiens  nouvellement 
arrivés  de  campagne.  Avez-voùs,  auroit-il  dit,  des  acteurs 
et  des  actrices  qui  soient  capables  de  bien  faire  valoir  un 
ouvrage?  car  ma  pièce  est  une  pièce. . .  Hé  !  monsieur,  au- 
roient  répondu  les  comédiens,  nous  avons  des  hommes  él 
des  femmes  qui  ont  été  trouvés  raisonnables  partout  ou 
nous  avons  passé.  Et  qui  fait  les  rois  parmi  vous?  Voilà 
un  acteur  qui  s  en  démêle  parfois.  Qui?  ce  jeune  homme 
bien  fait?  Vous  moquez-vous?  il  faut  un  roi  qui  soit  gros 
et  gras  comme  quatre;  un  roi,  morbleu!  qui  soit  entri- 
paillé  comme  il  faut;  un  roi  d'une  vaste  circonférence,  et 
qui  puisse  remplir  un  trône  de  la  belle  manière.  La  belle 
chose  quun  roi  dWe  taille  galante!  Voilà  déjà  un  grand 
défaut.  Mais  que  je  l'entende  un  peu  réciter  une  douzaine 
de  vers.  Là-dessus  le  comédien  auroit  récité,  par  exemple, 
quelques  vers  du  roi  de  Nîcomède, 

Te  le  dirai>je ,  Araspe  ?  il  m'a  trop  bien  serTi , 
Augmentant  mon  pooToic. .  < 


456    L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

le  plus  natureUement  qa'il  lui  auroit  été  possible.  Et  le 
poète  :  Gomment!  vous  appelez  cela  réciter?  C'est  se  rail- 
ler; il  &ut  dire  les  choses  avec  emphase.  Ecoutez-moi. 

(Il  contrefait  Mqptfleiirj,  comédien  de  l'hôtel  de  Bourgogne.) 
Te  le  dirai-je ,  Araspe. . .  ?etc. 

Voyez-vous  cette  posture?  Remarquez  bien  cela.  Là,  ap- 
puyez comme  il  faut  le  dernier  vers.  Voilà  ce  qui  attire 
Fapprobation  et  &it  faire  le  brouhaha.  Mais,  monsieur, 
auroit  répondu  le  comédien,  il  me  semble  qu'un  roi  qui 
s'entretient  tout  seul  avec  sou  capitaine  des  gardes  parle 
un  peu  plus  humc^inement,  et  ne  prend  guère  ce  ton  dé- 
moniaque. Vous  ne  savez  ce  que  c'est  :  allez-vous-en  réci- 
ter comme  vous  faites,  vous  verrez  si  vous  ferez  feire 
siucun  ah  I  Voyons  un  peu  une  sc^ne  d'amant  et  d^amante. 
Là-dessus  une  comédienne  et  un  comédien  auroient  £iit 
une  scène  ensemble,  qui  est  celle  de  Camille  et  de  Curiace, 

Iras-tu ,  ma  chère  âme  ?  et  ce  funeste  honneur 
Te  plait-il  aux  dépens  de  tout  notre  honheur  ? 
Hélas  !  je  vois  trop  bien. . .  etc. 

tout  de  même  que  l'autre,  et  le  plus  naturellement  quils 
auroient  pu.  Et  le  poëte  aussitôt  :  Vous  vous  moquez, 
vous  ne  faites  ri^n  qui  vaille;  et  voici  comme  il  faut  réci- 
ter cela. 

(Il  imite  mademoiselle  'de  Beauchàteau,  comédienne  de  l'hôtel 

de  Bourgogne.  ) 

Iras-tu ,  ma  chère  âme .... 
Non ,  je  te  cqnnois  mieux. . .  etc. 

Voyez-vous  comme  cela  est  naturel  et  passionné?  Admirez 


SCÈNE  1  457 

ce  visage  riant  qu'elle  conserve  dans  les  plus  grandes  afflic- 
tions. Enfin  voilà  l'idée^  Et  il  anroit  parcouru  de  même 
tous  les  acteurs  et  toutes  les  actrices. 

ItfADEMOISELLB   DE   BRIE. 

Je  trouve  cette  idée  assez  plaisante,  et  j'en  ai  reconnu 
là  dès  le  premier  vers.  Continuez,  je  vous  prie. 

M  0  L I ËR  £ ,  imitant  Beauchâteau ,  comcdien  de  l'hôtel  de 
Boargogne ,  dans  les  stances  dn  Gid« 

Perce  jusques  au  fond  du  cœur,  etc. 

Et  celui-ci,  le  reconnoitrez-vous  bien,  dans  Pompée  de 
Sertorius? 

(  Il  contrefait  Hauteroche ,  comédien  de  Thôtel  de  Bourgogne.  ) 

L'inimitié  qui  règne  entre  les  deux  partis 
19  j  rend  pas  de  rhonneur,  etc. 

MADEMOISELLE    DE   BRIE. 

Je  le  reconnois  un  peu,  je  pense. 

MOLIÈRE. 

Et  celui-ci? 

(  Imitant  de  Yilliers ,  comédien  de  l'hôtel  de  Bourgogne.  ) 

I 

Seigneur,  Poljrbe  est  mort ,  etc. 

MADEMOISELLE    DE   BRIE. 

Oui,  je  sais  qui  c'est. Mais  il  y  en  a  quelques-uns  d'entre 
eux ,  je  crois ,  que  vous  auriez  peine  à  contrefaire. 

MOLIÈRE. 

Mon  Dieu!  il  ny  en  a  point  qu'on  ne  pût  attraper  par 


458     L'IMPROMPTD  DE  VERSAILLES. 

quelque  endroit,  si  je  les  avois  bien  étudiés.  Mais  vous  me 
faites  perdre  un  temps  qui  nous  est  cher  :  songeons  à  nous, 
de  grâce,  et  ne  nous  amusons  pas  davantage  à  discourir. 
Vous  (à  La  Graage) ,  prenez  garde  à  bien  représenter  avec 
moi  votre  rôle  de  marquis. 

HADEHOIS]Çia.S   MOLliRE. 

Toujours  des  marquis! 

KOLliRE. 

Oui,  toujours  des  marquis.  Que  diable  voulez-vous 
qu'on  prenne  pour  un  caractère  agréable  de  théâtre?  Le 
marquis  aujourd'hui  est  le  plaisant  de  la  comédie  :  et 
comme,  dans  toutes  les  comédies  anciennes,  on  voit  tou- 
jours un  ballet  bouffon  qui  fait  rire  les  auditeurs,  de 
même ,  dans  toutes  nos  pièces  de  maintenant ,  il  faut 
toujours  un  marquis  ridicule  qui  divertisse  la  compagnie. 

MADEMOISELLB   BijART. 

Il  est  vrai ,  on  ne  s'en  sauroit  passer. 

MOLIÈRE. 

Pour  vous ,  mademoiselle. . . 

MADEMOISELLE   DV   PARC. 

Mon  Dieu!  pour  moi,  je  m'acquitterai  fort  mal  de  mon 
personnage,  et  je  ne  sais  pas  pourquoi  vous  m'avez  donné 
ce  rôle  de  façonnière. 

MOLIÈRE. 

Mon  Dieu!  mademoiselle,  voilà  comme  vous  disiez 
lorsque  Ion  vous  donna  celui  de  la  Critique  de  l'Ecole  des 
Femmes  :  cependant  vous  vous  en  êtes  acquittée  à  mer- 


SCÈNE  I.  459 

veille-,  et  toat  le  monde  est  demeuré  d'accord  qu'on  ne 
peut  pas  mieux  faire  que  vous  avez  feit.  Croyez -moi, 
celui-ci  sera  de  même,  et  vous  le  jouerez  mieux  que  vous 
ne  pensez. 

MADEMOISELLE   DU  PARC. 

Comment  cela  se  pourroit-il  Étire?  car  il  n'y  a  point  de 
personne  au  monde  qui  soit  moins  façonuière  que  moi. 

MOLIÈRE. 

Cela  est  vrai  ;  et  c'est  en  quoi  vous  £iites  .tnieux  voir 
que  vous  êtes  une  excellente  comédienne,  de  bien  repré- 
senter un  personnage  qui  est  si  contraire  à  votre  humeur. 
Tâchez  donc  de  bien  prendre,  tous,  le  caractère  de  vos 
rôles,  et  de  vous  figurer  que  vous  êtes  ce  que  vous  repré- 
sentez. 

•  (  à  du  Croisy .  ) 

Vous  faites  le  poète,  vous;  et  vous  devez  vous  remplir  de 
ce  personnage,  marquer  cet  air  pédant  qui  se  conserve 
parmi  le  commerce  du  beau  monde,  ce  ton  de  voix  sen- 
tencieux, et  cette  exactitude  de  prononciation  qui  appuie 
sur  toutes  les  syllabes  et  ne  laisse  échapper  aucune  lettre 
de  la  plus  sévère  orthographe. 

(  à  Brécourt. } 

Pourvous, VOUS  faites  un  honnête  homme  de  cour,  comme 
vous  avez  déjà  fait  dans  la  Critique  de  FEcoledes  Femmes  ; 
c'est-à-dire  que  vous  devez  prendre  un  air  posé,  un  ton 
de  voix  naturel,  et  gesticuler  le  moins  qail  vous  sera 
possible. 


46o     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

(  à  La  Grange. } 

Pour  vous  y  je  n'ai  rien  à  vous  dire. 

(  à  mademoiselle  Béjart.  ) 

VoQS)  V0U5  représentez  une  de  ces  femmes  qui,  poorvu 
qu'elles  ne  fassent  point  Famour,  croient  ^e  tout  le  reste 
•  leur  est  permis  ;  de  ces  femmes  qui  se  retranchent  toujours 
.  fièrement  sur  leur  pruderie  ^  regardent  un  chacun  de  haut 
en  bas,  et  veulent  que  toutes  les  plus  belles  qualités  que 
possèdent  les  autres  ne  soient  rien  en  comparaison  dW 
misérable  honneur  dont  personne  ne  se  soucie.  Ayez  tou- 
jours ce  caractère  devant  les-yeux  pour  en  bien  Ëiireies 
grimaces.  ' 

(  à  mademoiselle  de  Brie.  ) 

Pour  vous ,  vous  faites  une  de  ces  femmes  qui  pensent  être 
les  plus  vertueuses  personnes  du  monde,  pourvu  quelles 
sauvent  les  apparences;  de  ces  femmes  qui  croient  que  le 
péché  n^est  que  dans  le  scandale,  qui  veulent  conduire 
doucement  les  affaires  qu'elles  ont  sur  le  pied  d'attache- 
ment honnête,  et  appellent  amis  ce  que  les  autres  nom- 
ment galants.  Entrez  b|en  dans  ce  caractère. 

{  à  mademoiselle  Molière.  ) 

Vous,  VOUS  faites  le  même  personnage  que  dans  la  Cri- 
tique, et  je  n'ai  rien  à  vous  dire,  non  plus  qu'à  mademoi- 
selle du  Parc. 

(  à  mademoiselle  du  Groisy .  ) 

Pour  vous,  vous  représentez  une  de  ces  personnes  qui 
prêtent  doucétnent  des  charités  'à  tout  le  monde ,  de  ces 
femmes  qui  donnent  toujours  le  petit  coup  de  langue  en 


SCÈNE  I.  46i 

passant,  et  seroient  bien  fâchées  devoir  soufFei't  qu'on  eût 
dit  du  bien  du  prochain.  Je  crois  que  vous  ne  vous  acquit- 
terez pas  mal  de  ce  rôle. 

(à  mademoiselle  Hervé.,) 

Et  pour  vous,  vous  êtes  la  soubrette  de  la  précieuse,  qui 
se  mêle  de  temps  en  temps  dans  la  conversation ,  et  at- 
trape comme  elle  peut  tous  les  termes  de  sa  maîtresse. 
Je  vous  dis  tous  vos  caractères,  afin  que  vous  vous  les 
imprimiez  fortement  dans  l'esprit.  Commençons  mainte- 
nant à  répéter,  et  voyons  comme  cela  ira.  Ah!  voici  jus- 
tement un  fâcheux!  11  ne  nous  falloit  plus  que  .cela. 

SCÈNE  II. 

LA  THORILLIÈRE,  MOLIÈRE,  BRÉCOURT, 
LA  GRANGE,  DD  CROISY;  mesdemoiselles 
DU  PARC ,  BÉJART ,  DE  BRIE ,  MOLIÈRE , 
DU  CROISY,  HERVÉ. 

LA  THORILLiiRE. 

Bonjour,  monsieur  Molière. 

MOLIÈRE. 

Monsieur,  votre  serviteur,  (à part.)  La  peste  soit  de 
l'homme  I 

LA  THORILLIÈRE. 

Comment  vous  en  va  ? 

« 

MOLIÈRE. 

Fort  bien ^  pour  vous  servir,  (aux  actrice»,)  Mesdemoi- 
selles, ne... 


46a     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

LA  THOUILLIÈRE. 

Je  viens  d'un  lieu  où  j^ai  bien  dit  du  bien  de  Vous. . . 

MOLIÈRE. 

Je  vous  suis  obligé,  (à  part.)  Que  lé  diable  t'emporte! 
(aux  acteurs.)  Ayez  uu  peu  de.soin. . . 

LA   THORILLIÈRE. 

Vous  jouez  une  pièce  nouvelle  aujourd'hui? 

MOLIERE. 

Oui  y  monsieur,  (amx  actrices.  )  N'oubliez  pas. . . 

LA   THORILLIERE. 

C'est  le  roi  qui  vous  la  fait  faire? 

MOLIERE. 

Oui,  monsieur,  (aux acteurs.)  Dç  grâce,  songez... 

LA   Tnt)RILLliRE. 

Comment  lappelez-vous? 

MOLIÈRE. 

Oui,  monsieur. 

LA  THORILLIERE. 

Je  vous  demande  comment  vous  là  àommez. 

MOLIÈRE. 

Ah!  ma  foi,  je  ne  sais,  (aux actrices.)  Il  faut,  s'il  vous 
plaît,  que  vous... 

LA   THORILLIERE. 

Comment  serez-vous  habillés? 

MOLIÈRE. 

Comme  vous  voyez,  (aux  acteurs.)  Je  vous  prie. .  • 

LA  THORILLIERE. 

Quand  commcncerez-vous? 


SCÈNE  IL  463 

MOLIÈRE. 

Quand  le  roi  sera  yenn.  (à  part.)  Au  diantre  le  ques- 
tionneur J  • 

LA  THORILLIÈRE. 

Quand  croyez-vous  qu'il  vienne? 

MOLIERE. 

La  peste  m'étouffe,  monsieur,  si  je  le  sais  ! 

LA  THORILLIÈRE. 

Savez-vous  point. . .  ? 

MOLIÈRE. 

Tenez,  monsieur,  je  suis  le  plus  ignorant  homme  du 
monde.  Je  ne  sais  rien  de  tout  ce  que  vous  pourrez  me  de- 
mander, je  vous  jure.  (  à  part.  )  J'enrage  !  Ce  bourreau  vient 
avec  un  air  tranquille  vous  faire  des  questions,  et  ne  se 
soucie  pas  qu  on  ait  en  tête  d'autres  affaires. 

LA   THORILLIÈRE. 

Mesdemoiselles,  votre  serviteur. 

MOLIÈRE. 

Ah!  bon!  le  voilà  d'un  autre  côté. 

LA  THORILLIÈRE,  à  mademoiselle  du  Croisj. 

Vous  voilà  belle  comme  un  petit  ange.  Jouez-vous 

toutes  deux  aujourd'hui?  (en  regardant  mademoiselle  Heryé.  ) 
MADEMOISELLE   DU   GROJSY. 

Oui,  monsieur. 

LA  THORILLIÈRE. 

Sans  vous  la  comédie  ne  vaudroit  pas  grand  chose. 

MOLIÈRE,  bas ,  aux  actrices. 

Vous  ne  voulez  pas  faire  en  aller  cet  homme-là  7 


464     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

MADEMOISELLE  DE  BRIS,  àLaThorillîèie. 

Monsieur,  nous  avons  ici  quelque  chose  â  répéter  en- 
semble. * 

LA  THOaiLLi&RE. 

Âhl  parbleu!  je  ne  veux  pas  vous  empêcher;  yoas 
n  avez  qu'à  pour^ivre. 

MADEMOISELLE   DE  BRIE. 

Mais. . . 

LA   THORILLIÈRE. 

iNon,  non;  je  serois  fâché  d^incommoder  personne. 
Faites  librement  ce  que  vous  avez  â  faire. 

MADEMOISELLE    DE   BRIE. 

Oui;  mais... 

LA  THOBILLIÈRE. 

Je  suis  homme  sans  cérémonie,  vous  dis-je;  et  vous 
pouvez  répéter  ce  qu'il  vous  plaira. 

MOLIÈRE. 

Monsieur, ces  demoiselles  ont  peine  à  vous  dire  qu'elles 
souhaiteroient  fort  que  personne  ne  fût  ici  pendant  cette 
répétition. 

LA  THORILLIÈRR. 

Pourquoi?  il  n'y  a  point  de  danger  pour  moi. 

MOLIÈRE. 

Monsieur,  c'est  une  coutume  qu'elles  observent,  et 
vous  aurez  plus  de  plaisir  quand  les  choses  vous  sur- 
prendront. 


SCÈNE  II.  465 

£▲  THORILLIÂRE. 

Je  m'en  vais  donc  dir«  c[ue  vous  êtes  prêts, 

MOLIÈRE. 

Point  du  tout 9  monsieur 3  ne;  vous  hfltez  pas,  de  grâce. 

SCÈNE  III. 

« 

MOLIÈRE,  BRÉCOURT,  LA  GRANGE,  DD 
CROISY;  MESDEMOISELLES  DD  PARC,  BÉJART, 
DE  BRIE,  MOLIÈRE,  DU  CROISY,  HERVÉ. 

«  MOLIÈRE. 

Ah!  que  le  monde  est  plein  d^iropertinents!  Or  sus 
commençons.  Figurez-vous  donc  premièrement  que  la 
scène  est  dans  Fantichambre  du  roi  ;  car  c^est  un  lieu  où  il 
se  passe  tous  les  jours  des  choses  assez  plaisantes.  Il  est 
aisé  de  faire  venir  là  toutes  les  personnes  qu  on  veut,  et  on 
peut  trouver  des  raisons  même  pour  y  autoriser  la  venue 

des  femmes  que  j'introduis*  La  comédie  s'ouvre  par  deux 

« 

marquis  qui  se  rencontrent. 

(  k  La  Grange.  ) 

Souvenez-vous  bien ,  vous ,  de  venir,  comme  je  vous  ai 
dit,  là,  avec  cet  air  qu  on  nomme  le  bel  air,  peignant  votre 
perruque,  et  grondant  une  petite  chanson  entre  vos  dents. 
La,  la,  la,  la,  la,  la,  la^  Rangez-vous  donc ^ vous  autres; 
car  il  faut  du  terrain  à  deux  marquis,  et  ils  ne  sont  pas 
gens  à  tenir  leur  personne  dans  un  petit  espace. 

(à  La  Grange.) 

Allons,  parlez. 

(Mo  Liions,  a.  3o 


466     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

LA   CHANGE. 

«  Bonjour,  marquis.  » 

MOLIÈRE. 

'  Mon  Dieu!  ce  n'est  point  là  le  ton  dW  marquis  :  il  faut 
le  prendre  un  peu  plus  haut;  et  la  plupart  de  ces  messieurs 
affectent  une  manière  de  parler  particulière  pour  se  dis- 
tinguer du  commun.  «  Bonjour,  marquis.  »  Recommen- 
cez donc. 

LA   GRAN6B. 

ce  Bonjour,  marquis.  » 

MOLIÈRE. 

fc  Âh!  maitjuis,  ton  serviteur.  » 

LA   GRANGE. 

«  Que  fais- tu  là?  » 

MOLIÈRE. 

a  Parbleu!  tu  vois;  j'attends  que  tous  ces  messieurs 
fc  aient  débouché  la  porte  pour  présenter  là  mon  visage.  » 

LA    GRANGE. 

ce  Tétebleu  !  quelle  foule  I  Je  n  ai  garde  de  m'y  aller 
(c  frotter,  et  j'aime  bien  mieux  entrer  des  derniers.  » 

MOLIÈRE.     • 

ce  n  y  a  là  vingt  gens  qui  sont  fort  assurés  de  n'entrer 
«e  point,  et  qui  no  laissent  pas  4p  se  presser  et  d'occuper 
te  toutes  les  avenuQS  de  la  porte.  » 

LA   GRANGE. 

K  Crions  nos  deux  noms  à  Fhuissier,  afin  qu'il  nous 
«  appelle.  » 


i 


SCEJSE  III.  467 

«  Cela  est  bon  pour  toi;  mais,  pouf  moi,  je  ne  yeux 
«  pas  être  joué  par  Molière.  » 

LA   ORANGÉ. 

«  Je  pense  pourtant,  marquis ',  qiie  c  est  toi  qu'il  joue 
ce  dans  la  Critique.  » 

MOLIÈRE. 

«  Moi?  Je  suis  ton  valet;  c'est  toi-môme  en  propre  per- 
«  sonne.  » 

LA    GRAN(Ï£. 

«  Ah  I  ma  foi ,  tu  es  bon  de  m'appliquer  ton  prson- 
«  nage.  » 

MOLIÈRE. 

«  Parbleu!  je  te  trouve  plaisant  de  me  donner  ce  qui 
c(  t'appartient.  ^ 

LA  GRANGE,  riant. 

(c  Âh,  ah,  ah!  Cela  est  drôle.  » 

MOLIÈRE,  riant. 

«  Âh,  ah,  ahl  Cela  est  bouffon.  » 

LA   GRANGE. 

«  Quoi!  tu  veux  soutenir  que  ce  n  est  pas  toi  qu'on 
c(  joue  dans  le  marquis  de  la  Critique?  » 

MOLIÈRE. 

«  Il  est  vrai  :  c'est  moi.  Détestable ,  morbleu  !  détes^ 
«  table;  tarte  à  la  crème.  C'est  moi,  c'est  moi,  assuré- 
ce  ment,  cest  moi.  » 

LA   GRANGE. 

te  Oui,  parbleu!  c'est  toi^  t)u  n'as  que  faire  de  railler; 


468    L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

«  et)  si  ta Tcuzy  nous  g^geronSy  et  veuuus  qm  a  raison 
K  des  deux.  » 

«  Et  que  venx-ta  gager  encore  ?  » 

LA   GmAKGE. 

«  Je  gage  cent  pistoles  que  c^esi  toL  s 

MOLiiaE. 
«  Et  moi,  cent  pbtoles  qoe  c  est  toL  4 

LA  GRANGE. 

«  Cent  pistoles  comptant  » 

MOLIÈRE. 

fl(  Comptant.  Qnatre-yingt-dîx  pïstotes  sur  Amyntas, 
«  et  dix  pistoles  comptant  » 

LA  GRANGE. 

«  Je  le  yetix.  » 

MOLIÈRE. 

a  Cela  est  fait.  » 

LA   GRANGE. 

«  Ton  argent  court  grand  riscpe.  vH 

m 

MOLIÈRE. 

«  Letien  est  bien  aventuré.  » 

LA   GRANGE. 

c<  À  qui  nous  en  rapporter?  » 

MOLIÈRE. 

((  Voici  un  homme  qui  nous  jugera,  (à  Brécourt.)  CUe- 
«  valier.  » 

BRlfcOURT. 

«  Quoi?  » 


SCÈNE  III.  469 

MOLIÈRE. 

Bon  I  voilà  Tautre  qui  prend  le  ton  de  marquis!  Vous 
ai-je  pas  dit  que  vous  faites  un  rôle  où  l'on  doit  parler  nar 
turellement?  • 

BRÉCOURT. 

II  est  vrai. 

MOLIÂRE. 

Allons  donc.  «  Chevalier.  » 

BRÉCOURT. 

I 

«Quoi?» 

MOLIÈRE. 

ce  Juge -nous  un  peu  sur  une  gageure  que  nous  avons 
ce  £dte.  » 

BRÉCOURT. 

«  Et  quelle?  » 

MOLIÈRE. 

ce  Nous  disputons  qui  est  le  marquis  de  la  Critique  do . 
c<  Molière  :  il  gage  que  c'est  moi;  et  moi  je  gage  que  c^est 
«  luL  » 

BRÉCOURT* 

((.  Et  moi,  je  juge  que  ce  n'est  ni  Pun  ni  l'autre.  Vous 
ce  êtes  fous  tous  deux  de  vouloir  vous  appliquer  ces  sortes 
!cc  de  choses;  et  voilà  de  quoi  j'ouïs  Fautre  jour  se  plaindre 
te  Molière,  paelânt  à  des  personnes  qui  le  chargeoient  de 
ce  même  chose  que  vous.  Il  disoit  que  rien  ne  lui  donnoif 
ce  du  déplaisir  comme  d'être  accusé  de  regarder  quelqu'un 
iccdans  les  portraits  qu'il  fait;  que  son  dessein  est  de 
:^  peindre  les  mœurs  sans  vouloir  toucher  aux  personnes, 


470    L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

c(  et  qae  tous  les  personnages  ^^il  représente  sont  des 
c(  personnages  en  l'air ^  et  des  Êintômes proprement,  qu'il 
«  habillç  à  sa  fantaisie  pour  réjouir  les  spectateurs;  qu'il 
<(  seroit  bien  £^hé  d'y  avoir  jamais  marqué  qui  que  ce 
ce  soit;  et  que,  si  quelque  chose  étoit  capable  de  le  dé- 
ce  goûter  de  faire  des  comédies,  c^étoit  les  ressen^ances 
ce  qu'on  y  youloit  toujours  trouver,  et  dont  ses  ennemis 
c<  tâchoient  malicieusement  d'appuyer  la  pensée  pouhr  loi 
«  rendre  de  ^iauyab  offices  auprès  de  certaines  personnes 
ce  à  qui  il  n^a  jamais  pensé.  En  effet,  je  trouve  quil  a  rai- 
«  son  ;  car  pourquoi  vouloir,  je  vous  prie ,  appliquer  tous 
«  ses  gestes  et  toutes  ses  paroles,  et  chercher  à  lui  faire  des 
n  affaires  en  disant  hautement.  Il  joue  un  tel,  lorsque  ce 
ce  sont  des  choses  <]ui  peuvent  convenir  à  cent  personnes? 
ce  Comnie  l'c^ffiiire  de  la  comédie  est  de  représenter  en,  gé- 
cc  néral  tous  les  défauts  des  hommes ,  et  principalement 
ce  d^s  hommyes  de  notre  siècle ,  il  est  impossible  i  Molière 
ce  de  Élire  aucun  caractère quinerencontre  quelqu'un  4dn^ 
ce  le  monde;  et,  s'il  Êiut  qu'on  l'accuse  d'avoir  songé  â 
ce  toutes  les  personnes  où  l'on  peut  trouver  les  défauts 
ce  qu'il  peint,  il  Êiut,  s^ns  doute,  qu'il  ne  i^se  plu$  de 
ce  comédies*  n 

ce  Ma  foi,  chevalier,  tu  veux  justifier  Molière,  et  épar- 
ce  gner  notre  ami  que  voilà.  » 

LA   GRAN6B. 

c<  Point  du  tout,  c'est  toi  qu'il  épargna;  et  nous  trou- 
ée verons  d'autres  juges.  » 


SCÈNE  III.  4jf, 

MOLIÈRE. 

«  Soit.  Mais  dis-moi,  cfaeyalier ,  crois-tu  pas  que  ton 
«  Molière  est  épuisé  inaintenant;  et  qu'il  ne  trouyers^  plus. 
«  de  matière  pour. . .  ?  » 

ce  Plus  de  matière I  Hé!  mon  pauvre  marquis,  nous  lui 
c<  en  fournirons  toujours  assez;  et  nous  ne  prenons  guère 
«  le  chemin  de  nous  rendre  sages,  pour  tout  ce  qu'il  &it 
ce  et  tout  ce  qu'il  dit.  » 

*     MOLIERE. 

Attend^,  n  faut  {marquer  davantage  tout  cet  endroit. 
Éicoutez-le-moi  dire  un  peu. . .  «  et  qu'il  ne  trouvera  plus 
«  de  matière  pour...  Plus  de  matière I  Hé!  mon  pauvre 
«  marquis ,  nous  lui  en  fournirons  toujours  assez  ;  et  nous 
<(  ne  prenons  guère  le  chemin  de  nous  rendre  sages,  pour 
«  tout  ce  qu'il  feit  et  tout  ce  qu'il  dit.  Croîs-tu  qu'il  ait 
<c  épuisé  dans  ses  comédies  tout  le  ridicule  des  hommes  ? 
ce  Eh!  sans  sortir  de  la  cour,  n'a-l-il  pas  encore  vingt  ca- 
«  ractères  de  gens  où  il  n  a  point  touché?  NVt-il  pas,  pr 
ce  exemple,  ceux  qui  se  font  les  plus  grandes  amitiés  du 
u  monde,  et  qui,  le  dos  tourné,  font  galanterie  de  se  dé- 
«  chirer  l'un  l'autre?  N'a-t-il  pas  ces  adulateurs  à  outrance, 
c(  ces  flatteurs  insipides  qui  n'assaisonnent  d'aucun  sel  les 
c<  louanges  qu'ils  donnent,  et  dont  toutes  les  flatteries  ont 
c(  une  douceur  &de  qui  &it  mal  au  cœur  à  ceux  qui  les 
«  écoutent?  N'a-t-il  pas  ces  lâches  courtisans  de  la  faveur, 
ce  ces  perfides  adorateurs  de  la  fortune  qui  vous  encensent 
(t  dans  la  prospérité^  et  vous  accablent  dans  la  disgrâce? 


• 
\ 


473     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

ce  NVt-il  pas  ceux  ^i  sont  toujours  mécontents  de  la 
a  cour,  ces  suivants  inutiles,  ces  incommodes  assidus, ces 
«  gens ,  dis-je,qui,  pour  services,  ne  peuvent  compter  que 
ce  des  importunités,  et  qui  veulent  g[uon  les  récompense 
ce  d'avoir  obsédé  le  prince  dix  ans  durant?N'a-t.a  pas  ceux 
ce  qui  caressent  également  tout  le  monde,  qui  promènent 
ce  leurs  civilités  à  droite  et  à  gauche,  et  courent  à  tous 
ce  ceux  qu'ils  voient  avec  les  mêmes  embrassades  et  les 
ce  mêmes  protestatiotos  d'amitiés?  Monsieur,  votre  très- 
ce  humble  serviteur.  Monsieur,  je  suis  tout  à  votre  service. 
ce  Tenez-moi  des  vôtres,  mon  cher.  Faites  élat  de  moi, 
ce  monsieur ,  comme  du  plus  chaud  de  vos  amiis.  Monsieur, 
ee  je  suis  ravi  de  vous  embrasser.  Ah  I  monsieur ,  je  ne  vous 
ce  voyois  pas.  Faites-moi  la  grâce  de  m'employer;  soyez 
ce  persuadé  que  je  suis  entièrement  â  vous.  Vous  êtes 
a  l'homme  du  monde  que  je  révère  le  plus.  Il  n^  a  per- 
ce sonne  que  j'honore  i  l'égal  de  vous.  Je  vous  conjure  de 
ce  le  croire.  Je  vous  supplie  de  n'en  point  douter.  Serviteur, 
ce  Très-humble  vajet.  Va,  va,  marquis,  Molière  aura  tou- 
te jours  plus  dé  sujets  qu'il  n'en  voudra;  et  tout  ce  qu'il  a 
ce  touché  jusqu'ici  n'est  rien  que  bagatelle  au  prix  de  ce 
ec  qui  reste,  mi 

Voilà  à  peu  près  comme  cela  doit  être  joué. 

BRicOURT. 

Cest  assez, 

MOLlâ|lE« 

Poursuivez. 


SCÈNE  111.  473 

BRÉCOURT* 

«  Voici  Glimène  tt  Elise.  >> 

MOtlÂRE. 
(  à  mesdemoiselles  dv  Parc  et  MoiUière,  ) 

Là-dessus,  TOUS  arriverez  toutes  deux. 

(  à  mademoiselle  du  Paro.  ) 

Prenez  bien  garde,  vous,  à  vous  déhancher  comme  il  &ut 
et  à  faire  bien  des  façons.  Cela  vous  contraindra  un  peu; 
mais  qu'y  &ire7'Il  &ut  parfois  se  &ire  violence. 

MADEMOIS£Li:.E  UOLIÂRE. 

«  Certes,  madame,  je  vous  ai  reconnue  de  loin;  et  j'ai 
<c  bien  vu,  à  votre  air^  que  ce  ne  pouvoit  être  une  autr« 
is  que  vous.  » 

MADEMOISELLE   DU   PARC. 

«Vous  voyez,  je  viens  attendre  ici  la  sortie  dVui 
«  homme  avec  qui  j'ai  une  affaire  à  démêler.  » 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

(c  Et  moi  dé  même.  » 

MOLIÈRE. 

Mesdames,  voilà  des  coffires  qui  vous  serviront  de  &a* 
teuils. 

MADEMOISELLE   DU  PARC. 

ce  Allons^  madame^  prenez  place,  s'il  vousplait.  » 

MADEMOISELLE    MOLIÈRE. 

«  Après  vous^  madamjs.  » 

MOLIÈRE. 

Bon.  Après  ces  petites  cérémonies  muettes,  chacun 
prendra  place,  et  parlera  assis,  hors  les  marquis,  qui 


474    L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

tantôt  se  lèveront)  et  tantôt  s'asseoiront,  suivant  leur  m- 
quiétode  naturelle.  «  ParblenI  chevalier,  tu  devrois  &ire 
«  prendre  médecine  à  tes  canons.  » 

BRÉCOURT. 

«  Comment?  » 

MOLIÈRE. 

«  Ils  se  portent  fort  mal.  » 

BRÉCOURT. 

ce  Serviteur  i  la  turlupinade.*» 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

(c  Mon  Dieu  !  madame,  que  je  vous  trouve  le  teint  d'une 
îR  blancheur  éblouissante,  et  les  lèvres  d'une  couleur  de 
ce  feu  surprenante  I  » 

MADEMOISELLE   DU   PARC. 

«Âhl  que  dites-vous  là,  madame?  ne  me  regardez 
«  point,  je  suis  du  dernier  laid  aujourd'hui.  v> 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

«  Hé!  madame,  levez  un  peu  votre  coi£fe.  » 

MADEMOISELLE    DU' PARC. 

«  Fi!  je  suis  épouvantable,  vous  dis-je,  et  je  me  fais 
«  peur  à  moi-même.  » 

MADEMOISELLE  MOLIÈRE. 

c(  Vous  êtes  si  belle  !  » 

MADEMOISELLE   DU  PARC. 

■ 

«  Point,  point.  » 

MADEMOXSELtLE   MOLIÈRE. 

«  Montrez  vous.  » 


SCÈNE  III.  475 

MADEMOISELLE  DU   PAUG. 

«  Ahl  fi  donc,  je  vous  priel  » 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE, 

((  De  grâce.  » 

MADEMOISELLE   DU  PARC. 

€(  Mon  Dieu!  Hon.  » 

MADEMOISELIS   MOLlÊRE. 

a  Si  fait.  » 

MADEMOISELLE   DU   PARC. 

«  Vous  me  désespérez.  » 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

«  Un  moment.  »  ' 

MADEMOISELLE   DU   PARC. 

ce  Hai.  » 

MADEMOISELLE  MOLIÈRE.       • 

c<  Résolument ,  vous  vous  montrerez.  On  ne  peut  point 
<c  se  passer  de  vous  voir,  w 

MADEMOISELLE   DU  PARC. 

«Mon  Dieul  que  vous  êtes  une  étrange  personne! 
«  Vous  voulez  fiurieuspment  ce  que  vous  voulez.  » 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

(c  Ah!  madame,  vous  n-avez  aucun  désavantage  à  pa- 
«  roître  au  grand  jour,  je  vous  jure.  Les  méchantes  gensj^ 
c<  qui  assuroient  que  vous  mettiez;  qudiquê  chose  !  Vrai- 
ce  ment!  je  les  démentirai  bien  maintenant*  » 

MADEMOISELLE   DU  PARC 

ccH^IasI  je  ne  sais  pas  seulement  ce  qu'on  appelle 
«  mettre  quelque  chose.  Mais  où  vont  ces  dames?  »        > 


476    L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

SCADEBIOISBLLE   DE  BRIE. 

«  Vous  voulez  bien,  mesdames,  que  nous  tous  don* 
«  nions  en  passant  la  plus  agréable  nouvelle  du  monde, 
ft  Voilà  monsieur  Lysidas  <jui  vient  de  nous  avertir  qu'on 
(c  a  Ëdt  une  pièce  contre  Molière,  que  les  grands  corné-* 
ce  diens  vont  jouer.  » 

MOLli&l^ 

«  Il  est  vrai  ;  on  me  Fa  voulu  lire.  C'est  un  nommé  Br. . . 
€<  Brou...  Brossant gtii Ta  &ite.  » 

DU  CROISY. 

«  Monsieur,  elle  est  affichée  sous  le  nom  de  Boursaut; 
(c  mais,  à  vous  dire  le  secret,  bien  des  gens  ont  mis  la 
ce  main  à  cet  ouvrage,  et  l'on  en  doit  concevoir  une  assez 
ce  haute  attente.  Gonune  tous  les  auteurs  et  tous  les  comè- 
te diens  regardent  Molièrp  comme  leur  plus  grand  ennemi , 
«  nous  nous  sommes  tous  unis  pour  le  desservir.  Chacun 
c<  de  nous  a  donné  un  coup  de  pinceau  à  son  portrait; 
<c.  mais  nous  nous  sommes  bien  gardés  d'y  mettre  nos 
^  noms  :  il  Iv^  auroit  été  trop  glorieux  de  succomber,  aux 
tK  yeux  du  monde,  sous  les  efforts  de  tout  le  Parnasse;  et, 
XK  pour  rendre  sa  dé&ite  plus  ignominieuse,  nous  avons 
t(  voulu  choisir  tout  exprès  un  auteur  sans  réputation.  » 

I^ADEMOISELLE   DU  PARC. 

ce  Pour  moi,  je  vous  avoue  que  j'en  ai  toutes  les  joies 
ce  imaginables.  s> 

UQLliRE. 

«  Et  moi  aussi.  Parla  sambleu  Ile  railleur  sera  raillé^ 
a  il  aura  sur  les  doigts,  ma  foi.  » 


SCÈNE  m.  477 

MADEMOISELLE   DU  PARG4 

ce  Cela  lui  apprendra  à  vouloir  satiriser  tout.  Corn- 
«  menti  cet  impertinent  ne  veut  pas  que  les  femmes  aient 
«  de  Fesprit!  Il  condamne  toutes  nos  expressions  élevées, 
ce  et  prétend  que  nous  parlions  toujours  terre  à  terre  I  » 

MADEMOISELLE   DE  BRIE. 

a  Le  langage  n'est  rien  :  mais  il  censure  tous  nos  atta- 
K  chements,  quelque  innocents  qu'ils  puissent  être  ;  et,  de 
«  la  façon  qu'il  en  parle,  c'est  être  criminelle  que  d'avoir 
«  du  mérite.  » 

MADEMOISELLE   DU   CROIST. 

ce  Cela  est  insupportable.  Il  n^  a  pas  une  femme  qui 
«  puisse  plus  rien  ^ke.  Que  ne  laisse»t-il  en  repos  nos 
ce  maris,  sans  leur  ouvrir  les  yeux,  et  leur  faire  prendre 
ce  garde  à  des  choses  dont  ils  ne  s'avisent  pas?  » 

MADEMOISELLE   BÉJART. 

«  Passe  pour  tout  cela  ;  mais  il  satirise  même  les  femme? 
c<  de  bien ,  et  ce  méchant  plaisant  leur  donne  le  titre  d'hon* 
ce  nâtes  diablesses.  » 

,     MADEMOISELLE   MOLIERE. 

«  C'est  un  impertinent.  Il  faut  qu'il  en  ait  tout  le 
c<  soûl.  » 

DU   GROISY. 

ce  La  représentation  de  cette  comédie,  madame,  aura 
«  besoin  d'être  appuyée  ;  et  les  comédiiens  d^'hôtel. .  •  » 

MADEMOISELLE   DU   PARC. 

ce  Mon  Dieu!  qu'ils  n'appréhendent  rien;  je  leur  ga- 
fc  rantis  le  succès  de  leur  pièce,  corps  pour  corps.  » 


47»     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

«  Vous  avez  raison,  madame.  Trop  de  gens  sont  in- 
«  téressés  à  la  trouyer  belle.  Je  tous  laisse  à  penser  si  tons 
cct;enx  qui  se  croient  satirisés  par  Molière  ne  prendront 
«  point  loccasion  de  se  venger  de  lui  en  applaudissant  à 
«  cette  comédie.  » 

BRECOURT 9  iromtpiement. 

«  Sans  doute;  et  pour  moi  je  réponds  de  douze  mar- 
H  quis ,  de  six  précieuses ,  de  vingt  coquettes ,  et  de  trente 
«  cocus,  qui  ne  manqueront  pas  dy  battre  des  mains.  » 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

ce  En  effet ,  pourquoi  aller  offenser  toutes  ces  per- 
ce sonnes-là,  et  particulièrement  les  cocus,  qui  sont  les 
«  meilleures  genSs  du  monde?  » 

MOLIÈRE. 

«  Par  la  sambleu  !  on  m'a  dit  qu'on  va  le  dauber ,  lui 
ce  et  toutes  ses  comédies,  de  la  belle  manière,  et  que  les 
ce  comédiens  et  les  auteurs,  depuis  le  cèdre  jusqu'à  lliy- 
«  sope,  sont  diablement  animés  contre  lui.  » 

MADEMOISELLE   IfOLIÈRE.     . 

«  Cela  lui  sied  fort  bien.  Pourquoi  fait-il  de  méchantes 
«  pièces  que  tout  Paris  va  voir,  et  où  il  peint  si  bien  les 
«  gens,  que  chacun  s'y  connoît?  Que  ne  fait -il  des  co- 
cc  médies  comme  celles  de  monsieur  Lysidas  ?  Il  n  auroit 
c(  personne  contre  lui,  et  tous  les  auteurs  en  diroient  dû 
c(  bien.  Il  est  vrai  que  de  ^emblaUes  comédies  n'ont  pas 
ce  ce  grand  concours  de  monde  :  mais,  en  revanche,  elles 
«  sont  toujours  bien  écrites;  personne  n'écrit  contre  elles, 


SCÈNE  III.  479 

«r  et  tous  ceox  qui  les  voient  meurent  dVnvie  de  les  trou- 
n  ver  belles.  » 

DU   CROIST. 

«  Il  est  vrai  que  j  ai  l'avantage  de  ne  me  point  &ire 
c<  d'ennemis,  et  que  tous  mes  ouvrages  ont  lapprobation 
ce  des  savants.  » 

MADEMOISELLE   MOLIÈHE. 

c(  Vous  Élites  bien  d^être  content  de  vous  :  cela  vaut 
«c  inieux  que  tous  les  applaudissements  du  public,  et  que 
«  tout  l'argent  qu'on  sauroit  gagner  aux  pièces  de  Molière. 
«  Quevous  importe  qu'il  vienne  du  monde  à  vos  comédies, 
ce  pourvu  qu'elles  soient  approuvées  par  messieurs  vos 
ce  confrères?  » 


LA   GRANGE. 


c(  Mais  quand  jouera*t-on  le  Portrait  du  Peintre? 

DU   GROISY. 

c(  Je  ne  sais;  mais  je  me  prépare  fort  à  paroître  des 
ce  premiers  sur  les  rangs ,  ppur  crier,  Voilà  qui  est  beau  I  » 

MOLIÈRE. 

ce  Et  moi  de  même,  parbleu I  » 

LA   GRANGE. 

(c  Et  moi  aussi ,  Dieu  me  sauve  !  » 

MADEMOISELLE  DU   PARC. 

c<  Pour  moi,  j'y  paierai  de  ma  personne  comme  il  faut; 
«  et  je  réponds  d'une  bravoure  d'approbation  qui  mettra 
ce  en  déroute  tous  les  jugements  ennemis.  C'est  bien  la 
ce  moindre  chose  que  nous  devions  faire ,  que  d'épauler  de 
ce  nos  louanges  le  vengeur  de  nos  intérêts.  » 


48o    L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

MADEMOISELLE  MOLIERE. 

«  C'est  fort  bien  dit.  » 

MADEMOISELLE  D'E  BRIE. 

«  Et  ce  qa^il  nous  &ut  taire  toutes.  » 

MADEMOISELLE   b£jART. 

<c  Assurément.  » 

MADEMOISELLE   DU   GROIST. 

«  Sans  doute*  » 

MADEMOISELLE    HBRVIS. 

«  Point  de  quartier  à  ce  contre&iseur  de  gens.  » 

MOLIÈRE. 

«  Ma  foi,  chevalier  moii  ami,  il&udra  que  ton  Molière 
K  se  cache.  » 

BRÉCOURT. 

ft  Qui?  lui?  Je  te  promets,  marquis,  qu'il  fait  dessein 
<^  d'aller  sur  le  théâtre  rire,  avec  tous  les  autres,  du  por- 
«  trait  qu'on  a  Ëiit  de  lui.  » 

MOLIÈRE. 

«  Parbleu  !  ce  sera  donc  du  bout  des  dents  qu'il  y  rira.  » 

BRÉCOURT. 

«  Va,  va,  peut-être  qu'il  y  trouvera  plus  de  sujets  de 
«  rire  que  tu  ne  penses.  On  m'a  montré  la  pièce  -,  et  comme 
c<  tout  ce  qu'il  y  a  d  agréable  sont  effectivement  les  idées 
«  qui  ont  été  prises  de  Molière,  la  joie  que  cela  pourra 
flc  donner  n^aura  pas  lieu  de  lui  déplaire ,  sans  doute  ;  car, 
«ipour  l'endroit  où  Ton  s'efforce  de  le  noircir,  je-  suis  le 
«  plus  trompé  du  monde ,  si  cela  est  approuvé  de  per- 
<  sonne.  Et  quant  à  tous  les  gens  qulls  ont  tâché  d'animer 


' 


SCÈNE  III.  48i 

«  contre  lui,  sur  ce  qu'il  &it,  idit-on,  des  portraits  trop 
ce  ressemblaiits,  outre  que  cela  est  de  fort  mauvaise  grâce  ^ 
ce  je  ne  vois  rien  de  plus  ridicule  et  de  plus  mal  pris;  et  je 
ce  n'avois  pas  cru  jusqu'ici  que  ce  fût  un  sujet  de  blâme 
ce  pour  un  comédien ,  que  de  peindre  trop  bien  les 
ce  hommes.  » 

LA    ÛRANGË. 

c(  Les  comédiens  m'ont  dit  qu*ils  lattendûient  sur  la 
ce  réponse ,  et  que. . .  » 

BREGOUiRt. 

ce  Sur  la  réponse?  Ma  foi,  je  le  ti'otiverois  un  grand  fou 
ce  s'il  se  mettoit  en  peine  de  répondre  à  leurs  invectives, 
ce  Tout  le  monde  âait  assez  de  quel  motif  elles  peuvent 
ce  partir  ;  et  la  meilleure  réponse  qu'il  leur  puisse  faire  ^ 
ce  c  est  une  comédie  qui  réussisse  comme  toutes  ses  autres  : 
«  voilà  le  vrai  moyen  de  se  venger  d^eux  comme  il  faut, 
ce  Et  de  l'humeur  dont  je  les  connois,  je  suis  fort  assuré 
ce  qu'une  pièce  nouvelle  qui  leur  enlèvera  le  monde  les 
ce  fâchera  bien  plus  que  toutes  les  satires  qu'on  pourroit 
cr  faire  def  leurs  personnes.  » 

MOtlÉKE. 

Il  Mais ,  chevalier. . .  ?  « 

,     MADEMOISELLE   BEJART. 

Souffrez  que  j'interrompe  pour  un  peu  la  répétition. 
(  à  Molière.)  Voulez-vous  que  je  vous  die?  Si  j'avois  été  en 
votre  place,  j'aufois  poussé  les  choses  autrement.  Tout  le 
monde  attend  de  vous  une  réponse  vigoureuse;  et,  après 
la  manière  dont  on  m'a  dit  que  vous  étiez  traité  dans  cette 

MoLiànt.  a.  3i       ,      • 


48a     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

comédie,  vous  étiez  en  droit  de  tout  dire  contre  les  corné* 
diens,  et  vous  deviez  u  en  épargner  aucun. 

MOLIÈRE. 

.  Jenrage  de  vous  ouïr  parler  de  la  sorte.  Et  voil4  votre 
manie  à  vous  autres  femmes  :  vous  voudriez  qne  je  prisse 
feu  d'abord  contre  eux,  et  qu'à  leur  exemple  j'allasse 
éclater  promptement  en  invectives  et  en  injures.  Le  bel 
honneur  que  j'en  pourrois  tirer!  et  le  grand  dépit  (jue  je 
leur  ferois!  Ne  se  sont-ils  pas  préparés  de  bonne  volonté 
à  ces  sortes  de  choses  7  et ,  lorsqu'ils  ont  délibéré  s'ils 
joueroient  le  Portrait  du  Peintre,  sur  la  crainte  d^une  ri- 
poste, quelques-uns  d'entre  eux  n  ont-ils  pas  répondu, 
Qu'il  nous  rende  toutes  le^  injures  qu^il  voudra,  pourvu 
que  nous  gagnions  de  l'argent?  N'est-ce  pas  là  la  marque 
d'une  âme  fortseQsibje  à  la  honte?  et  ne  me  vengerois-je 
pas  bien  d'eux  en  leur  donnant  ce  qu'ils  veulent  bien  re- 
cevoir? 

MADEMOISELLE   DE  BBilE. 

Ils  se  sont  fort  plaints  toutefois  de  trois  ou  quatre  mots 
que  vous  avez  dits  d'eux  dans  la  Critique  et  dans  vos 
Précieuses. 

MOLIERE. 

•  i 

n  est  vrai ,  ces  trois  ou  quatre  mots  sont  fort  offensants, 
et  ils  ont  grande  raison  de  les  citer  !  Allez ,  allez ,  ce  n'est 
pas  cela.  Le  plus  grapd  mal  que  je  leur  aie  fait,  c'est  que 
j'ai  eu  le  bonheur  de  plaire  un  peu  plus  qu'ils  n'auroient 
voulu;  et  tout  leur  procédé^  depuis  que  nous  sommes 
venus  à  Paris,  a  trop  marqué  ce  qui  les  touche.  Mais 


SCÈNE  III.  483 

A 

laissons-les  faire  tant  qu^fls  voudront;  toutes  leurs  entre- 
prises ne  doivent  point  m'inquiéter.  Ils  critiquent  mes 
pièces ,  tant  mieux  ;  et  Dieu  me  garde  d'en  faire  jamais  qui 
leur. plaisent!  ce  seroit  une  mauvaise  affaire  pour  moi.  - 

MADEMOISELLE  DE   BRIE. 

Il  ny  a  pas  grand  plaisir  pourtant  à  voir  déchirer  ses 
oavrages. 

MOLIÈRE. 

Et  qu'est-ce.  que  cela  me  feit?  N  ai*je  pas  obtenu  de  ma 
comé&e  tout  ce  que  jWvoulois  obtenir,  puisqu'elle  a  eu 
le  bonheur  d'agréer  aux  augustes  personnes  à  qui  par- 
ticuli^emént  je  moi&e  de  plaire?- N'ai- je  pas  lieu  d'être 
satisfait  de  sa  destinée?  et  toutes  leurs  censures  ne  vien- 
nent-'clles  pas  trop  tard?  Est-ce  moi ,  je  vous  prie,  que 
cela  rè^rde  maintenant?  et  lorsqu'on  attaque  une  pièce 
qui  à  eu  du  succès ,  n  est-ce  pas  attaquer  plutôt  le  juge- 
ment de  ceux  qui  Tout  approuvée  que  l'art  de  celui  qui 
l'a  Élite? 

MADEMOISELLE   PE   BRIE. 

Ma  foi,  j'aurois  joué  ce  petit  monsieur  l'auteur  qui  se 
môle!  d'écrire  contre  des  gens  qui  ne  songent  pas  à  lui. 

MOLIÈRE.  •■ 

Vous  ête3  folle.  Le  beau  sujet  à  divertir  la  cour  que 
monsieur  BoursautI  Je  voudxois  bien  savoir  de  quelle 
façoifon  pourroit  l'ajuster  pour  le  rendre  plaisantî,  et  si, 
quand  on  le  berneroit  sui  le  théâtre,il  seroit  assez  heureux 
pour  faire  rire  le  monde.  Ce  lui  seroit  trop  d'honneur  <jue 
d'être  joué  devant  une  auguste  assemblée^  il  ne  deman- 


484     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

deroit  pas  mieux  ;  et  îl  m'attaque  de  gaieté  de  coeur  pour 
se  faire  connoître  de  quelque  façon  que  ce  soit.  C'est  un 
homme  qui  n'a  rien  à  perdre  ;  et  les  comédiens  ne  me  ront 
déchaîné  que  pour  m'engager  à  une  sotte  guerre,  et  me 
détourner,  par  cet  artifice,  des  autres  ouvrages  que  j'ai  a 
faire  :  et  cependant  vous  êtes  assez  simples  pour  donner 
toutes  dans  ce  panneau  !  Mais  enfin  j'en  ferai  ma  déclara- 
tion publiquement  :  je  ne  prétends  faire  aucune  réponse 
à  toutes  leurs  critiques  et  leurs  contre-critiques.  Qu'ils 
disent  tous  les  maux  du  monde  de  mes  pièces,  j'en  suis 
d'accord.  Qu'ils  s'en  saisissent  après,  nous  ;  qu'ils  les  re- 
tournent comme  un  habit  pour  les  mettre  sur  leur  théâtre, 
et  tâchent  à  profiter  de  quelque  agrément  qu'on  y  trouve 
et  d'un  peu  de  bonheur  que  j'ai,  j^y  consens,  ils  en  ont 
besoin;  et  je  serai  bien  aise  de  contribuer  à  les  faire  sub- 
sister, pourvu  qu'ils  sfe  contentent  de  ce  que  je  puis  leur 
accorder  avec  bienséance.  La  courtoisie  doit  avoir  des 
bornes  ;  et  il  y  a  des  choses  qui  ne  font  rire  ni  les  specta- 
teurs ni  celui  dont  oii  parle.  J<f  leur  abandonne  de  bon 
cœur  mes  ouvrages,  ma  figure,  mes  gestes,  mes  paroles, 
mon  ton  de  voix  et  ma  façon  de  réciter,  pour  en  faire  et 
dire  tout  ce  qu'il  leur  plaira ,  s'ils  en  peuvent  tirer  quel- 
que avantage.  Je  ne  m'oppose  point  à  toutes  ces  choses, 
et  je  serai  ravi  que  cela  puisse  réjouir  le  monde;  mais  ea 
leur  abandonnant  tout  cela,  ils  me  doivent  faire  la  grâce 
de  me  laisser  le  reste ,  et  de  ne  point  toucher  à  des  ma- 
licïes  de  la  nature  de  celles  sur  lesquelles  on  m*a  dit  qu'ils 
to'attaquoient  dans  leurs  comédies.  C'est  de  quoi  je  prierai 


SCÈNE  m,  485, 

civilement  cet  honnête  monsieur  qui  se  mêle  d  écrire  pour 
eux;  et  voilà  toute  la  réponse  qu'ils  auront  de  moi. 

MADEMOISBLLE   BJÉJART. 

Mais  enfin. . . 

MOLIÈRE. 

Mais  enfin  vous  me  feriez  devenir  fou.  Ne  parlons  point 
de  cela  davantage  ;  nous  nous  amusons  à  faire  des  discours 
au  lieu  de  répéter  notre  comédie.  Où  en  étions-nous?  je  ne 
m'en  souviens  plus. 

MAnEMOISELLE   DE   BRIE. 

Vous  en  étiez  à  lendroit. . . 

MOLIÈRE. 

Mon  Dieu!  j'entends  du  bruit  :  c'est  le  roi  qui  arrive, 
assurément;  et  je  vois  bien  que  nous  n'aurons  pas  le  temps 
de  passer  outre.  Voilà  ce  que  c'est  de  s'amuser.  Oh  bien  I 
faites  donc,  pour  le  reste,  du  mieux  qu'il  vous  sera  possible. 

MADEMOISELLE  BEJART. 

Par  ma  foi!  la  frayeur  me  prend;  et  je  ne  saurois  aller 
jouer  mon  rôle,  si  je  ne  le  répète  tout  entier. 

MOLIERE. 

Gomment!  vous  ne  sauriez  aller  jouer  votre  lôle? 

MADEMOISELLE  BEJART. 

Tïon.  t 

MADEMOISELLE    DU   PARC. 

Ni  moi  le  mien. 

MADEMOISELLE    DE   BRIE. 

Ni  moi  non  plus. 


486     LIMPROMPTD  PE  VERSAILLES, 

MADEMOISELLE   MOLIÈRE. 

Ni  moi. 

MADEMOISELLE    HERVÉ. 

Ni  mqi. 

MADEMOISELLE    DU    CROIST. 

Ni  moi. 

MOLI&BE. 

Que  pensez-vous  donc  faire?  Vous  moquez-vous  tontes 
de  moi? 

SCÈNE  IV. 

BÉJART ,  MOLIÈRE ,  LAGRANGE ,  DU  CROISY  ; 
MESDEMOISELLES  DU  PARC,  BÉ JART ,  DE  BRIE, 
MOLIÈRE,  DU  CROISY,  HERVÉ. 

BÉJTART. 

Messieurs,  |e  viens  vous  avertir  que  le  roi  est  venu, 
et  qu'il  attend  que  vous  commenciez. 

MOLIÈRE. 

Ah!  monsieur,  vous  me  voyez  dans  la  plus  grande 
peine  du  inonde;  je  suis  désespéré  à  Theure  que  je  vous 
parle.  Voici  des  femmes  qui  s  effiraient  et  qui  disent  qu'il 
leur  faut  répéter  leurs  rôles  avant  que  d'aller  commencer. 
Nous  demandons,  de  grâce,  encore  un  moment.  Le  roi  a 
de  la  bonté,  et  il  sait  bien  que  la  chose  a  été  précipitée. 


SCÈNE  V.  487 

SCÈNE   V. 

MOLIERE,  ET  LES  MÊBfES  ACTEURS,   A  l'eXCEPTIOK 

DE   BEJART. 

MOLIÈRE. 

HéI  de  grâce,  tâchez  de  vous  remettre;  prenez  cou* 
rage,  je  vous  prie. 

MADEMOISELLE   DU  PABLC. 

Vous  devez  vous  aller  excuser. 

MOLIÈRE. 

Comment  m'excuser? 

SCÈNE   VL 

MOLIÈRE,  ET  LES  MÊMES  ACTEURS;  UN  NECESSAJRE. 

LE   NECESSAIRE. 

Messieurs,  commencez  donc. 

MOLIÈRE, 

Tout  à  l'heure,  monsieur.  Je  crois  que  je  perdrai  l'es- 
prit de  cette  affaire-ci ,  e|. . . 

s<:ène  VII. 

MOLIÈRE,  ET  LES  MÊMES  ACTEURS;  UN  SECOND 

NÉCESSAIRE. 

LE   SECOND   NÉCESSAIRE. 

Messieurs,  commencez  donc. 

MOLIÈRE. 

Dans  un  moment,  monsieur.  (&  tes  camarades.)  Hé  quoi- 
donc!  voulez-vous  que  j'aie  l'affront. . .7 


488     L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 

SCÈNE    Vin, 

MOLIÈRE,  ET  LES  HÊHES  ACTEURS;   UN  TROISIEME 

NÉCESSAIRE. 

LE  TROISIÈME   NÉCESSAIRE. 

Messieurs,  commencez  donc. 

MOLIÈRE. 

Oui,  monsieur,  nous  y  allons.  Hé!  que  dfi  gens  se  font 
fête,  *  et  viennent  dire.  Commencez  donc,  à  qui  le  roi 
ne  Ta  pas  commandé  ! 

SCÈNE  IX. 

MOLIÈRE,  ET  LES  MÊMES  ACTEURS;  UN  QUATRIÈME 

NÉCESSAIRE. 

LE   QUATRIÈME   NÉCESSAIRE. 

Messieurs,  commencez  donc. 

MOLIÈRE. 

Voilà  qui  est  fait,  monsieur,  (à  ses  camarades.)  Quoi 
donc!  recevrai- je  la  confusion. . .? 

SCÈNE  X.     • 

BÉJART,  MOLIÈRE,  et  les  mêmes  acteurs. 

MOLIÈRE. 

Monsieur^  VOUS  venez  pour  nous  dire  de  commencer, 
mais. . . 

■ ■  -M  ■  ■     IJ       _ll  .1       I     I     ^1  ■         I  t 

'  Il  &lloit  se  font^de  f^te.  Cette  esptemon.  veut  dire  :  s'entremettre 
de  quelqae  affiiire,  et  Touloir  s'y  rendre  nécessaire  sans  j  avoir  été 
appelé.  , 


SCÈNE  X  48g 

BlfjART. 

Non ,  messieurs  ;  je  viens  pour  vous  dire  qu'on  a  dit  au 
roi  l'embarras  où  vous  vous  trouviez ,  et  que ,  par  une 
bonté  toute  particulière,  il  remet  votre  nouvelle  comédie 
à  une  autre  fois,  et  se  contente,  pour  aujourd'hui,  de  la 
première  que  vous  pourrez  donner. 

MOLIÈRE. 

Ahl  monsieur,  vous  me  redonnez  la  vie.  Le  roi  nous 
fait  la  plus  grande  grâce  du  monde  de  nous  donner  du 
temps  pour  ce  qu'il  a  souhaité;  et  nous  allons  tous  le  rtè* 
mercier  des  extrêmes  bontés  qu^il  nous  fait  paroître. 


FIN   DE   l'impromptu   DE   VERSAILLES. 


RÉFLEXIONS 


SUR 


LIMPROMPTU  DE  VERSAILLES. 


On  a  VU,  dans  la  YÎe  de  Molière^  que  Boursattlt,  ayant  cru 
se  reconnoître  dans  le  personnage  du  poète  Lysîdas,  composa 
LE  PoBlTEAit  dtj  Peintre  ,  pièce  où  H  chercha  à  toomer  en  ri- 
dicule quelques  vers  de  l'École  des  Femmes.  Cette  comédie, 
écrite  avec  assez  d'élégance ,  mais  dont  l'ironie  est  foible  et  la 
plaisanterie  sans  sel ,  affligea  beaucoup  Molière ,  parce  qu'elle 
servit  en  quelque  sorte  de  point  de  ralliement  à  tous  ses  enne- 
mis, qui  étoient  nombreux.  Ses  protecteurs  et  ses  partisans, 
parmi  lesquels  on  pouvoil  compter  les  hommes  les  plus  distin- 
gues de  la  cour,  en  parlèrent  au  roi,  qui  permit  verbalement 
que  Fauteur  répondît  à  ses  adversaires  dans  une  comédie  qui 
seroit  jouée  à  la  cour. 

Molière,  enhardi  par  cette  marque  inouïe  de  bienveillance, 
céda  au  désir  de  se  venger,  et  nomma  Boursault  avec  le  plus 
grand  mépris ,  quoique  la  pièce  de  ce  dernier  n'oârît  aucune 
personnalité.  L'Impromptu  de  Versailles  fut  très-goûté  : 
c'étoit  une  affaire  de  parti.  Toute  la  jeunesse  de  la  cour,  ex- 
cepté quelques  marquis,  voyoit  avec  plaisir  qu'on  attaquât  les 
prudes ,  les  précieuses  et  l'hôtel  de  Rambouillet ,  qu'elle  re- 
gardoit  comme  la  vieille  cour.  Cependant  l'auteur,  plus  juste 
que  ses  partisans,  retira  sa  pièce  après  le  cours  des  premières 


RÉFLEX.  SUR  LIMPR.  DE  VERSAILLES,    4gi 

représentations  :  il  reconnut  qu'il  avoit  eu  tort  de  renouveler  la 
licence  du  théâtre  d'Athènes,  dont  on  pouvoit  se  servir  contre 
lui ,  ce  qui  ne  manqua  pas  d'arriver.  *  L'Impromptu  de  Ver- 
sailles ne  parut  donc  plus,  et  ne  fut  iuLprimë  qu'après  ^a; 
mort. 

Cette  pièce  offire^  comme  la  Critique  de  l'j&cole  des 
Femmes,  l'indication  de  plusieurs  caractères  que  l'auteur  se 
proposoitde  peindre.  On  peut  considérer  ces  esquisses  légères 
comme  un  trésor  précieux  ;  rien  ne  plait  tant  aux  amateurs  et 
ne  sert  mieux  à  les  instruire  que  les  premières  ébauches  d'un 
homme  de  génie.  On  trouve  aussi  daiM|  cette  pièce  des.  détails 
qui  ne  sont  pas  moins  curieux.  Molière  s^  présente  au  milieu 
de  sa  troupe,  gourmandant  les  uns,  encourageant  les  autres, 
la  tête>  remplie  de  soins  minutieux ,  et  cependant  rêvant  tou- 
jours à  de  grandes  conceptions.  Quand  cette  pièce  n'offriroit 
que  ce  tableau  singulier,  elle  seroit  digne  de  toute  l'attention 
des  connoisseurs. 

Parmi  les  caractères  indiqués,  il  en  est  quelques-uns  qu'il 
a  traités  par  la  suite ,  d'autres  qu'il  a  laissés  à  ses  successeurs. 
Le  rôle  de  l'homme  de  cour,  à  peu  près  pareil  à  celui  de  la 
Critique  de  l'École  des  Femmes,  fut  développé  dans  les 
Femmes  savantes.  La  femme  qui  se  croit  tout  permis,  parce 
qu'elle  est  fidèle  à  son  époux,  servit  de  modèle  à  Cléanthîs 
i' Amphitryon  ;  et  la  prude  qui,  se  bornant  à  sauver  les  appa- 
rences, fait  passer  des  galants  pour  des  amis,  trouva  sa  place 
dans  LE  Misanthrope. 

Les  autres  caractères  indiqués  doivent  être  étudiés  avec 


l  Voyez ,  dans  la  Vie  de  Molière,  ce  qui  est  dit  de  VJmpromptu  de 
VKôtel  de  Condé^  que  Montflenrj  composa  pour  répondre  à  VImprofnptu 
de  Vei'saillei, 


4^2  RÉFLEXIONS 

soin  par  ceux  qui  Teulent  faire  des  comédies.  Quelques-nus 
ont  ëté  traités  :  le  Flatteuk  n'a  pas  réussi  à  J.  B.  Rousseau  : 
Destouches  n'a  pas  tiré  meilleur  parti  de  l'Amutieux  ;  mais  il 
a  eu  plus  de  succès  lorsque,  dans  le  Dissipàicur^  il  a  peint 
ces  perfides  adorateurs  de  ta  fbrtume  qui  vous  encensent  dans  la 
prospérité,  et  vous  accablent  dans  la  disqrâea.  Il  reste  plusieurs 
caractères  qui  attendent  qu'un  auteur  comique  les  mette  en 
œuyre.  Pourquoi,  jusqu'à  présent,  n'en  a-t-on  pas  profité?. 
Cest  peut-être  parce  qu'il  faudioit  le  génie  de  Molière  pour 
les  placer  avantageusement  sur  la  scène.  Depuis  cette  époque, 
on  a  souvent  peint  des  poètes  ridicules  :  mais  on  n'a  jamais 
gardé  la  juste  mesure  ;  et  leurs  rôles  n'ont  pu  passer  que  poui* 
des  charges.  En  effet,  quel  poète  ressemble  à  M.  Desmazures?  ^ 
Peut-on  espérer  que  ceux  qui  ont  des  travers  très-opposés  à 
ceux  de  ces  personnages  se  corrigent  eu  les  voyant  ?  L'indica- 
tion donnée  par  Molière  est  de  tous  les  temps  :  fout  auteur  à 
prétention  aura  les  défauts  de  son  poète  :  U  faut,  dit-il„ 
manfuer  cet  air  pédant  qui  se  conserve  parmi  le  commerce  du  beau 
monde,  ce  ton  de  voix  sentencieux,  et  cette  exactitude  de  prononcia^ 
tion  qui  appuie  sur  toutes  les  syllabes,  et  ne  laisse  échapper  aucum^ 
lettre  de  la  plus  sévère  orthographe. 

On  remarque  dans  cette  pièce  la  prétention  qu'avoit  Mo- 
lière à  bien  jouer  la  tragédie.  Il  contrefait  les  principaux  ac*- 
teurs  du  théâtre  de  l'hôtel  de  Bourgogne ,  et  se  moque  de  leur 
jeu  maniéré.  On  ne  peut  savoir  aujourd'hui  jusqu'à  quel  point 
sa  critique  étoit  juste  :  ce  dont  on  est  sûr,  c'est  que  sa 
troupe  étoit  hors  d'état  de  lutter  avec  sa  rivale  dans  le  genre 
sérieux.  Il  ne  tarda  pas  à  sentir  les  conséquences  de  la  satire 
personnelle  qu'il  s'étoit  permise  :  comme  il  prêtoit  le  flanc  par 

"■'"'■"■-       '  ■  «■-■  I     '        .11.-  - ■    I  n 

*  Fausse  Agnès. 


SUR  L'IMPROMPTU  DE  VERSAILLES.  493 

une  prëtention  mal  fondée ,  on  ne  manqua  pas  de  se  moquer 
de  la  manière  dont  il  jouoit  Nicomède,  rôle  dans  lequel  il  se 
flattoit  d'exceller.  '  Au  reste,  la  vëritable  cause  de  la  haine 
qui  exiàtoit  entre  les  deux  troupes  venoit  de  leur  rivalité.  Dès 
le  moment  où  Molière  s'établit  à  Paris ,  Thôtel  de  Bourgogne 
en  conçut  de  l'ombrage  ;  et  les  succès  toujours  croissants  du 
nouveau  théâtre  ne  servirent  pas  à  dissiper  cette  crainte,  ils 
critiquent  mes  pièces,  dit  Molière  avec  beaucoup  de  finesse; 
et  Dieu  me  garde  d'en  faire  jamais  qui  leur  plaisent  ':  ce  serait  une 
mauvaise  affaire  pour  moi. 

On  trouve  dans  cette  comédie  un  passage  assez  singulier; 
c'est  un  petit  dialogue  eotre  Molière  et  sa  femme.  Il  étoit 
marié  depuis  un  an  et  demi  ;  et  sans  doute  il  n'avoit  plus  pour 
cette  jeune  personne  les  empressements  et  les  soins  d'un 
amant.  Mais  devoit-il  se  représenter  la  traitant  assez  m^ ,  et 
ifaire  entrevoir  dans  sa  réponse  qu'elle  pourroit  se  venger?  Je 
n'ose  affirmer  que  ce  passage  ne  soit  pas  de  Molière ,  quoiqu'il 
me  semble  contraire  à  son  caractère  jaloux  et  réservé.  Mais 
ne  pourroit-on  pas  former  une  conjecture  vraisemblable?  La 
pièce  ne  fut  imprimée  qu'après  sa  mort  :  on  étoit  alors  indigné, 
de  la  conduite  que  sa  femme  avoit  tenue  avec  lui  ;  on  exagé- 
roit  ses  torts  ;  on  faisoit  courir  des  libelles  contre  elle  ;  son 
second  mariage  alloit  augmenter  cette  rumeur.  II  seroit  permis 
de  soupçonner  que  cette  femme,  voulant  se  justifier,  fit  insérer 

s 

ce  passage  dans  l'Impromptu  de  YsasAiLLES ,  afin  de  montrer 
que  son  premier  mari  la  traitoit  diu-ement,  et  la  mettoit  dans 
le  cas  de  lui  faire  craindre  la  difféPence  qu'il  y  avoit  de  ses  ma- 
nières aux  civilités  des  qalants.  Cette  conjecture,  à  laquelle  ce- 


'  Voyez  Vie  de  Molière. 


494   RÉnJK.SimLlMPR.  m;  VERSAILLES. 

pendant  on  n'attache  aucnne  importance  ^  servîroit  à  expliquer 
la  raison  d'une  disconvenance  qu'on  a  peine  à  imputer  à  uni 
homme  tel  que  Molière,  et  s'accorderoit  avec  le  caractère  de 
sa  femme,  qni,  comme  on  le  sait,  ne  manquoit  ni  de  fiœsse 
ni  d'esprit. 


FIN    DU    SECOND    VOLUME. 


TABLE 


DES  EIÈCES  CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


Don  Garcie  de  Nàyârhe,  ou  le  Prince  ïaloux.  .  ,  *>age  ^ 

Héflexions  sur  don  Garcie  de  Navarre .        91 

L''ÉcoLE  DES  Maris.  ...'*• • , gS 

Réflexions  sur  TÉcole  des  Maris ^    169 


Les  Fâcheux i85 

Réflexions  snr  les  Fâcheux. • 246 

ti'ÉcoLE  DES  Femmes.  . .' \ \  .  ,^  ,  255 

w 

Réflexions  sur  VËcole  âes  Feinm^ « 3£k^ 

L*A  Gritiqqe  oe  l'Écolb  DEt  Femmes..  . ^.  ^79 

Réflexions  sur  la  Critique  de  l'École  des  Femmes 4^4 

* 

L'Impromptu  de  V^rsailies.  «  y. ....  '. 44 < 

Réflexions  sur  Tlmpromptu  de  Versailles « .  .  490' 


Fin  de  la  Table. 


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