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Full text of "Oeuvres de Théodore de Banville : odes funambulesques ; suivies d'un commentaire"

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OE  U  V  R  E  S 


DE 


THÉODORE  DE  BANVILLE 


ODES    FUsKiAiMcBULESQUES 
Suivies  d'un  Commentaire 


PARIS 
LIBRAIRIE     ALPHONSE     LE  M  ERRE 

23-33,     PASSAGE     CHOISEUL,     23-33 


rè  13 

SM-i 


t^oi 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/oeuvresdethodo01banv 


OE  U  V  R  E  S 


DE 


THÉODORE  DE  BANVILLE 


OT>ES    FU-Xt^lSCBLLESQUES 
Suivies  d'un  Commentaire 


PARIS 
LIBRAIRIE     ALPHONSE     LE M ERRE 

23-33,      PASSAGE     CHOISEUL,      23-33 


ODES    FVNAMBVLESQVES 


1S45-1859 


VSÛλ 


*-<\ 


Q41)ET{criSSEmE\\T 

de  la  deuxième  édition. 
-  1S59  - 


n  écrivant  à  ses  heures  perdues  les 
Odes  funambulesques,  l'auteur  n'a- 
vait pas  cette  fois  essayé  de  créer 
une  manifestation  de  sa  pensée;  il 
cherchait  seulement  une  forme  nouvelle.  Aussi 
pensait-il  que  sa  signature  ne  devait  pas  être 
attachée  à  ce  petit  livre.  La  critique  en  a  décidé 
autrement,  et  l'auteur  accepte  son  arrêt.  Avec  une 
merveilleuse  intuition,  ses  juges  ont  tout  d'abord 
deviné  ses  intentions  les  plus  secrètes  ;  et,  deve- 
nus maîtres  de  sa  pensée  intime,  ils  l'ont  révélée 
et  expliquée  au  public  avec  une  conscience  et  une 
habileté  rares.  L'auteur  leur  témoigne  sa  sou- 
mission et  sa  reconnaissance  en  n'effaçant  pas  le 


A  V  T.  R  T  I  SS  F.  M  F.  NT. 


nom  qu'il  leur  a  plu  de  replacer  sur  le  titre  des 
Odes  funambulesques. 

Aujourd'hui,  que  pourrait-il  dire  sur  le  sens 
de  cet  opuscule  qui  n'ait  été  déjà  dit  et  cent  fois 
mieux  qu'il  ne  pourrait  le  faire?  La  langue 
comique  de  Molière  étant  et  devant  rester  inimi- 
table, l'auteur  a  pensé,  en  relisant  les  poêles 
du  xvie  siècle  d'abord,  puis  Les  Plaideurs,  le 
quatrième  acte  de  Ruv  Blas  et  l'admirable  pre- 
mier acte  de  L'Ecole  des  Journalistes,  qu'il  ne 
serait  pas  impossible  d'imaginer  une  nouvelle 
langue  comique  versifiée,  appropriée  à  nos  mœurs 
et  à  notre  poésie  actuelle,  et  qui  procéderait  du 
véritable  génie  de  la  versification  française  en 
cherchant  dans  la  rime  elle-même  ses  principaux 
moyens  comiques. 

De  plus  il  s'est  souvenu  que  les  genres  litté- 
raires arrivés  à  leur  apogée  ne  sauraient  mieux 
s'affirmer  que  par  leur  propre  parodie,  et  il  lui  a 
s:mblé  que  cet  essais  de  raillerie,  même  inhabiles, 
serviraient  peut-être  à  mesurer  les  vigoureuses 
et  puissantes  ressources  de  notre  poésie  lyrique. 
N'est-ce  pas  parce  que  Les  Orientales  sont  des 
chefs-d'œuvre  qu'elles  donnent  même  à  leurs  cari- 


catures  un  fugitif  reflet  de  beauté?  Et7  s'il  était 
permis  d'invoquer  ici  l'exemple  de  celui  que  nous 
devons  toujours  nommer  à  genoux,  la  Batracho- 
myomachie  ne  fait-elle  pas  voir  mieux  que  tous 
les  commentaires  possibles  le  rayonnement  inouî 
et  les  aveuglantes  splendeurs  de  /'Iliade  ? 


Bellevue,  jaimer   1859. 


w 


;o 


PREFACE 


—   I8ï7   — 


Eh  quoi  !  s'écria-t-il ,  ce  pont  n'était-il 
donc  pas  assez  beau  lorsqu'il  paraissait 
avoir  été  construit  en  jaspe  ?  Xe  doit-on 
pas  craindre  d'y  poser  les  pieds,  mainte- 
nant qu'il  nous  apparaît  comme  un  char- 
mant et  précieux  assemblage  d'émeraudes, 
de  chrysoprases  et  de  chrysolithes  ? 

Goethe,  L'Homme  à  la  Lampe. 


'<T*N.^r^|  ES  Editeurs  des  Odes  funambulesques 
\JgJ  \?r  ont-ils  eu  raison  de  rassembler  en  un 
volume  ces  feuilles  volantes  que  le 
■=é\  poëte  avait  abandonnées  comme  un 
jouet  pour  la  récréation  des  premières  brises?  Voilà 
assurément  des  fantaisies  plus  que  frivoles;  elles 
ne  changeront  en  rien  la  face  de  la  société,  et 
elles  ne  se  font  même  pas  excuser,  comme  d?autres 
poëmes  de  ce  temps,  par  le  génie.  Bien  plus,  la 
borne  idéale  qui  marque  les  limites  du  bon  goût 
y   est  à   chaque    instant  franchie,    et,    comme   le 


6  TRI.  FACE. 

remarque  judicieusement  M.  Ponsard  dans  un  vers 
qui  survivrait  à  ses  œuvres,  si  ses  œuvres  elles- 
mêmes  ne  devaient  demeurer  immortelles, 

Quand  la  borne  est  franchie,  il  n'est  plus  de  limite. 

Plus  de  limite,  en  effet,  c'est  le  pays  des  fleuves 
aurifères,  des  neiges  éternelles,  des  forêts  de  fleurs. 
Voici  Théliante,  l'asclépias,  la  mauve  écarlate,  la 
mousse  blanche  d'Espagne,  les  oiseaux-mouches, 
les  troupeaux  de  buffalos  et  d'antilopes.  Dans  ces 
prairies  ondulées,  dans  ces  océans  de  verdure, 
habités  aussi  par  des  dindons,  parcourus  en  touo 
sens  par  des  Indiens  coloriés  d'une  manière  bizarre, 
notre  homme,  vêtu  d'une  bonne  blouse  de  peau  de 
daim  et  chaussé  de  mocassins  aux  semelles  épaisses, 
chasse  aux  chevelures.  Pourquoi  la  prairie  pari- 
sienne n'aurait-elle  pas  son  Henri  Haller  et  son 
capitaine  Mayne-Reid  ?  11  y  a  bien  la  question  du 
sang  humain;  rassurez-vous,  toutefois  :  dans  le 
grand  désert  dont  la  Banque  de  France  et  la  Mon- 
naie sont  les  oasis,  tout  le  monde  est  chauve,  et 
ce  seront  des  perruques  seulement  que  l'ennemi 
de  Navajoes  en  frac  suspendra  à  sa  ceinture.  La 
balle  de  son  rifle  ne  tuera  que  des  mannequins  à 


PREFACE.  7 

épouvanter  les  oiseaux,  s'il  reste  même  de  ces 
mannequins-là  !  car  les  oiseaux  sont  devenus  très- 
malins.  Ils  ont  lu  les  chasses  de  M.  Elzéar  Blaze 
et  celles  de  M.  Viardot.  Ils  ont  lu  par  la  même 
occasion  d'autres  chasses  et  aussi  quelques  recueils 
d'ana;  si  par  hasard  on  les  en  priait  bien  fort,  ils 
feraient  leurs  Echos  de  Paris  et  leur  Courrier  de 
Paris  tout  comme  M.  Edmond  Texkr  ou  M.  Yil- 
lemot. 

«  D'autres  temps,  d'autres  oiseaux!  d'autres 
«  oiseaux,  d'autres  chansons!  »  murmure  le  divin 
Henri  Heine,  et  il  ajoute  : 

«  Quel  piaillement!  on  dirait  des  oies  qui  ont 
«  sauvé  le  Capitole  ! 

«  Quel  ramage!  Ce  sont  des  moineaux  avec  des 
«  allumettes  chimiques  dans  les  serres  qui  se  don- 
ci  nent  des  airs  d'aigles  portant  la  foudre  de  Ju- 
«  piter.  » 

Eh  bien,  que  ferez-vous,  Argiens  aux  cnémides 
élégantes.'  Attaquerez-vous  ces  moineaux  et  ces  oies 
à  grands  coups  de  lance?  N'est-ce  pas  assez  d'une 
sarbacane  pour  mettre  en  fuite  une  couvée  de  pier- 
rots, et,  quant  aux  volatiles  plus  graves,  à  ceux 
qui  servent  de  point  de  comparaison  pour  exprimer 


3  PREFACE. 

la  majesté  de  Hèra  aux  bras  de  neige,  il  suffit 
sans  doute  de  leur  arracher  de  l'aile  une  plume 
pour  écrire  un  mot.  Un  mot  !  n'est-ce  pas  beau- 
coup déjà,  lorsque  tant  de  messieurs  affairés  font 
un  métier  de  cheval,  et,  les  yeux  crevés,  tournent 
du  matin  au  soir  la  roue  d'un  pressoir  qui  n'écrase 
rien? 

rément  ce  temps-ci  est  un  autre  temps;  ce 
qu'il  appelle  à  grands  cris,  ce  sont  les  oiseaux 
joyeux  et  libres;  c'est  la  chanson  bouffonne  et  la 
chanson  lyrique.  Lyrique,  parce  qu'on  mourra  d^ 
dégoût  si  l'on  ne  prend  pas.  de-ci  de-là,  un  grand 
bain  d'azur,  et  si  l'on  ne  peut  quelquefois,  pour 
se  consoler  de  tant  de  médiocrités,  «  rouler  éche- 
velés  dans  les  étoiles  »  ;  bouffonne...  tout  simple- 
ment, mon  Dieu  !  parce  qu'il  se  passe  autour  de 
nous  des  choses  très-drôles.  De  temps  en  temps 
Aristophane  refait  bien  sa  comédie  de  Ploutos,  qu'il 
intitule  Mercadet,  ou  une  autre  de  ses  comédies, 
qu'il  intitule  Vautrin,  ou  Les  Saltimbanques,  ou 
autrement;  mais  toutes  sortes  d'obstacles  arrêtent 
le  cours  des  représentations,  car  enfin  l'art  dra- 
matique est  dans  le  marasme.  Et  puis,  à  ces 
satires  refaites  après  coup,   il  manque  toujours  la 


PREFACE.  9 

parabase  des  Oiseaux;  il  manque  les  chœurs,  ces 
Odes  vivantes  qui  font  passer  des  personnages 
aux  spectateurs  du  drame  la  même  coupe  remplie 
jusqu'aux  bords  d'un  vin  réparateur.  En  quelle 
langue  peut-on  s'écrier  aujourdnui  sur  un  théâtre  : 
«  Faibles  humains,  semblables  à  la  feuille  légère, 
»  impuissantes  créatures  pétries  de  limon  et  pri- 
u  vées  d'ailes,  pauvres  mortels  condamnés  à  une 
«  vie  éphémère  et  fugitive  comme  l'ombre  ou 
«  comme  un  songe  léger,  écoutez  les  oiseaux,  êtres 
«  immortels,  aériens,  exempts  de  vieillesse,  occu- 
«  pés  d'éternelles  pensées  *  !  »  En  quelle  langue 
pourrions-nous  dire  aux  boursiers,  qui  lisent  dans 
leur  stalle  le  cours  de  la  Bourse  :  «  L'Amour  s'unis- 
«  sant  aux  ténèbres  du  Chaos  ailé  engendra  notre 
«  race  au  sein  du  vaste  Tartare,  et  la  mit  au  jour 
«  la  première.  Avant  que  l'Amour  eût  tout  mêlé, 
«  la  race  des  Immortels  n'existait  pas  encore  ; 
«  mais  quand  le  mélange  de  toutes  choses  fut 
«  accompli,  alors  parut  le  ciel,  l'océan,  la  terre  et 
«  la  race  immortelle  des  Dieux.  Ainsi  nous  sommes 
«  beaucoup  plus  anciens  que  tous  les  Dieux.  Nous 

i.   Parabase  des  Oiseaux,  traduction  de  M.  Artaud. 


10  PREFACE. 

«  sommes    fils    de    l'Amour,    mille    preuves    l'at- 
«  testent  l.  » 

J'entre  dans  un  théâtre  de  genre  à  l'instant  pré- 
cis où  la  salle  croule  sous  les  bravos.  En  effet,  le 
rideau  s'est  levé  sur  un  décor  aussi  hideux  qu'un 
véritable  salon  bourgeois.  Aux  fenêtres,  de  vrais 
rideaux  en  damas  laine  et  soie  attachés  avec  de 
vraies  torsades  de  passementerie  à  de  vraies  pa- 
tères  en  cuivre  estampé.  Sur  la  cheminée,  une 
vraie  pendule  de  Richond.  Puis  de  vrais  meubles 
et  une  vraie  lampe  avec  un  vrai  abat-jour  rose  en 
papier  gaufré.  Voici  un  vrai  comédien  qui  met  ses 
vraies  mains  dans  ses  vraies  poches  ;  il  fume  un 
vrai  cigare;  il  dit  :  Qu'est-ce  que  t'as?  comme  un 
vrai  commis  de  nouveautés;  les  applaudissements 
roulent  comme  un  tonnerre,  et  la  foule  ne  se  sent 
pas  d'aise.  —  «  Avez-vous  vu?  Il  fume  un  vrai 
«  cigare!  Il  a  une  vraie  culotte;  regardez  comme 
«  il  prend  bien  son  chapeau  !  Il  a  dit  :  J'aime  Adèle, 
u  tout  à  fait  comme  M.  Edouard  que  nous  con- 
«  naissons,  lorsqu'il  allait  épouser  Adèle!  »  Tu  as 
raison,  bon   public.  Tout   cela  est   réel   comme  le 

i.  Parabase  des  Oiseaux,  traduction  de  M.  Artaud. 


PREFACE.  II 

papier  timbré,  le  rhume  de  cerveau  et  le  maca- 
dam. Les  gens  qui  se  promènent  sur  ce  tréteau 
encombré  de  poufs,  de  fauteuils  capitonnés  et  de 
chaises  en  laque,  semblent  en  erfet  s'occuper  de 
leurs  affaires  ;  mais  est-ce  que  je  les  connais,  moi 
sp'ectateur?  Est-c;  que  leurs  affaires  m'intéressent? 
Je  c  muais  Hamlet,  je  connais  Roméo,  je  connais 
Ruy  Blas,  parce  qu"ils  sont  exaltés  par  l'amour, 
mordus  par  la  jalousie,  transfigurés  par  la  passion, 
poursuivis  par  la  fatalité,  broyés  par  le  destin.  Ils 
sont  des  hommes,  comme  je  suis  un  homme. 
Comme  moi  ils  ont  vu  des  lacs,  des  forêts,  des 
grands  chemins,  des  cieux  constellés,  des  clairières 
argentées  par  la  lune.  Comme  moi  ils  ont  adoré, 
ils  ont  prié,  ils  ont  subi  mille  agonies,  la  souf- 
france a  enfoncé  dans  leurs  cœurs  les  pointes  de 
mille  glaives.  Mais  comment  connaîtrais -je  ces 
bourgeois  nés  dans  une  boîte?  Ils  ont,  me  direz- 
vous,  les  mêmes  tracas  que  moi,  de  l'argent  à 
gagner  et  a  placer,  des  termes  a  payer,  des  remèdes 
à  acheter  chez  le  pharmacien.  Mais  justement  c'est 
pour  oublier  tous  ces  ennuis  que  je  suis  venu  dans 
un  théâtre  !  Que  ces  gens-là  me  soient  étrangers, 
cela  ne   serait  encore   rien  ;   ce  qu'il    y  a   de  pis, 


12  PREFACE. 

c'est  que  je  leur  suis,  moi,  profondément  étranger. 
Ils  ne  savent  rien  de  moi,  ils  ne  m'aiment  pas.  ils 
ne  me  plaignent  pas  quand  je  suis  désolé,  ils  ne  me 
consolent  pas  quand  je  pleure,  ils  ne  souriraient 
guère  de  ce  qui  me  fait  rire  aux  éclats. 

A  chaque  instant  le  chœur  antique  disait  au 
spectateur  :  «  Nous  avons  toi  et  moi  la  même 
«  patrie,  les  mêmes  Dieux,  la  même  destinée  ;  c'est 
«  ta  pensée  qui  acère  ma  raillerie,  c'est  ton  iro- 
«  nie  qui  a  fait  éclater  mon  rire  en  notes  d'or.  » 
A  défaut  de  chœur,  Racine  et  Shakspeare  disent 
cela  eux-mêmes.  Us  le  disent  à  chaque  vers,  à 
chaque  ligne,  à  chaque  mot,  tant  leur  âme  indivi- 
duelle est  pénétrée,  envahie  et  submergée  par  l'âme 
humaine.  Mais  aujourd'hui,  même  dans  les  œuvres 
où  par  hasard  le  génie  comique  éclate  en  liberté, 
l'auteur  a  toujours  l'air  de  faire  tous  ces  mots-là 
pour  lui  et  de  s'amuser  tout  seul.  Il  manque  tou- 
jours le  chœur,  ou  du  moins  ce  mot,  ce  cri,  ce 
signe  qui  invite  à  la  communion  fraternelle.  Si  le 
poëte  des  Odes  funambulesques  pouvait  avouer  un 
instant  cette  fatuité,  nous  dirions  qu'il  a  voulu 
tenter  comme  des  essais  de  chœurs  pour  Vautrin, 
pour   Les  Saltimbanques ,  pour   Jean  Hiroux,  la 


tri:  face.  13 

plus  haute  tragédie  moderne,  encore  à  faire.  II  se 
serait  efforcé  de  rompre  la  glace  qui  sépare  de  la 
foule  quelques-unes  des  célébrités  contemporaines, 
et  de  montrer  violemment  dans  une  ombre  déchi- 
rée par  un  ravon  de  lumière  leur  ectj  humain  et 
familier.  En  un  mot,  il  aurait  tâché  de  faire  avec 
la  Poésie,  cet  art  qui  contient  tous  les  arts  et  qui 
a  les  ressources  de  tous  les  arts,  ce  que  se  pro- 
pose la  Caricature  quand  elle  est  autre  chose  qu'un 
barbouillage.  Hâtons-nous  de  dire  qu'il  n'a  bio- 
graphie personne.  Il  n'a  pas  même  vu  extérieure- 
ment et  de  très-loin  le  mur  qui  environne  la  vie 
privée.  Ceci  est  utile  à  constater,  à  un  moment  où, 
si  cela  continue,  nous  finirons  par  être  dégoûtés 
même  de  Plutarque. 

Ici  la  critique  reprend  la  parole.  —  «  Vous  vou- 
«  liez  peindre  votre  temps,  à  la  bonne  heure. 
«  Était-ce  une  raison  pour  marcher  sur  la  tête  et 
«  pour  vous  vêtir  d'oripeaux  désordonnés  et  bi- 
«  zarres?  Est-ce  pour  peindre  quelque  chose,  s'il 
«  vous  plaît,  que  vous  affectez  ces  mètres  extra- 
«  vagants,  ces  césures  effrontées,  ces  rimes  d'une 
«sauvagerie  enfantine?  »  Peut-être  bien.  Un 
homme  qui  est  très-spirituel  malgré  sa  réputation 


1 4  PREFACE. 

d'homme  d'esprit.  M.  Nestor  Roqueplan,  a  défini 
notre  époque  par  un  seul  mot  très-éloquent  :  le 
Paroxysme.  Selon  lui,  le  grand  caractère  de  notre 
âge  complexe  était  celui-ci,  que  tout  s'est  élevé  à 
un  degré  extrême  d'intensité.  Pour  éclairer  ce  qu'é- 
clairait autrefois  la  chandelle  classique,  il  faut  des 
orgies  de  gaz,  des  incendies,  des  fournaises  et  des 
comètes.  On  était  riche  avec  dix  mille  livres  de 
rente,  et  maintenant,  si  un  banquier  ne  possède 
que  dix  millions  de  francs,  chacun  dit  de  lui  :  «  Ce 
pauvre  un  tel  n'est  guère  à  son  aise  !  ::  Où  il  y 
avait  du  gris,  nous  mettons  du  vermillon  pur,  et 
nous  trouvons  que  cela  est  encore  bien  gris.  Nos 
écrivains  sont  si  spirituels  que  leurs  cheveux  en 
tombent,  nos  femmes  si  éclatantes  qu'elles  font 
peur  aux  bœufs,  nos  voitures  si  fines  qu'elles  se 
cassent  en  mille  miettes. 

Lorsque  le  chroniqueur  des  Nouvelles  à  la  main 
a  imaginé  sa  définition,  il  ne  se  trompait  certes 
pas  et  il  y  avait  là  quelque  chose  de  bien  observé. 
Il  faut  désormais  faire  un  pas  de  plus.  Nous  en 
sommes  toujours  au  paroxysme,  mais  au  paroxysme 
de  l'absurde.  Bien  entendu,  nous  parlons  seule- 
ment   ici    du    côté    extérieur   et    pittoresque  des 


PREFACE.  15 

mœurs.  Rien  n'empêche  et  ne  saurait  empêcher 
l'essor  d^  la  Science,  de  la  Poésie,  du  Génie  dans 
toutes  ses  manifestations,  enfin  de  ce  qui  est  la  vie 
même  de  la  France.  Mais  l'existence  dans  la  rue, 
le  côté  des  choses  qui  sollicite  l'observation  super- 
ficielle est  devenu  essentiellement  absurde  et  cari- 
catural. Nous  ressemblons  tous  à  ces  baladins 
qui,  aux  derniers  jours  du  carnaval,  jouent  Lés 
Rende^-i'ous  bourgeois  travestis,  chacun  portant 
un  costume  opposé  à  l'esprit  de  son  rôle.  Vous 
entrez  dans  le  bureau  d'un  petit  journal,  vous  y 
trouvez  des  vieillards  qui  regrettent  le  bon  vieux 
temps  ;  vous  allez  chez  un  acteur,  vous  le  voyez  en 
train  de  faire  des  chiffres;  vous  montez  chez  une 
courtisane,  elle  est  abonnée  au  Siècle.  Ce  jeune 
homme  adorable,  fatal  comme  Lara  et  habillé  comme 
Brummel,  est  un  usurier.  Ce  monsieur  qui  tient  ses 
livres  de  maison  en  partie  double ,  et  qui  sert 
d'intermédiaire  pour  trouver  de  l'argent,  c'est  un 
poëte.  Mon  domestique  ne  se  contente  plus  d'être 
mis  dans  lu  galette  ;  il  fait  bâtir  des  maisr 
ce  pauvre  homme  en  habit  râpé  qui  monte  dans 
un  omnibus  est  un  duc  plus  ancien  que  les  La 
Trimouille. 


I  6  PRÉFACE. 

Il  reste  un  descendant  de  Godefroy  de  Bouillon, 
il  chante  dans  les  chœurs  de  l'Opéra  ;  et  le  der- 
nier des  comtes  de  Foix,  M.  Eugène  Grailly,  était 
acteur  à  la  Porte-Saint-Martin.  Un  saltimbanque  a 
récemment  attaché  son  trapèze  sous  le  pont  sus- 
pendu qui  domine  la  cataracte  du  Niagara,  et,  dans 
les  variations  du  Carnaval  de  Venise,  M",e  Carvalho 
a  montré  qu'avec  son  gosier  elle  jouait  du  violon 
mieux  que  Paganini  :  après  cela  venez  dire  que  la 
versification  des  Odes  funambulesques  est  exces- 
sive ou  imprudente!  Sans  parler  des  élus  qui  ont 
fait  Les  Feuilles  d'Automne,  La  Comédie  de  la 
Mort.  Les  Méditations,  Rolla,  Les  ïambes,  Eloa, 
Les  Ternaires.  Les  Fleurs  du  Mal,  et  d'autres 
beaux  livres,  il  y  a  ici  deux  écrivains  qui  pos- 
sèdent des  natures  essentiellement  poétiques,  ce 
sont  MM.  Louis  Veuillot  et  Proudhon,  les  deux 
implacables  adversaires  de  la  poésie  et  des  poètes. 
Dans  un  morceau  merveilleux  d'inspiration  lyrique, 
M.  Proudhon,  qui  n'a  jamais  lu  un  vers,  s'est 
rencontré,  presque  idée  pour  idée,  avec  Les  Lita- 
nies de  Satan,  de  M.  Charles  Baudelaire.  Da::s 
Corbin  et  d'Aubecourt,  M.  Louis  Veuillot  a  donné 
une  page  digne  de   Burns  :  c'est  la  description  de 


PREFACE.  17 

la  cour  d'une  vieille  maison  dans  le  faubourg 
Saint-Germain,  avec  son  puits  à  la  serrurerie  ouvra- 
gée et  son  lilas  délicieusement  fleuri  sur  un  tronc 
antique. 

Les  cordonniers  font  des  romans,  les  notaires 
et  les  maîtres  d'écriture  ventrus  se  moquent  de 
M.  Prudhomme,  les  vices  d'Herpiilis,  de  Léontion, 
de  Danaé  et  d'Archeanassa  sont  tombés  aux  cuisi- 
nières, et  après  avoir  très-spirituellement  égayé  Le 
Charivari,  Le  Corsaire,  Le  Figaro  et  Le  Tinta- 
marre, les  plaisanteries  contre  la  tragédie  ont  été 
accaparées  par  des  imbéciles.  S'il  plaît  donc  à 
Daumier,  en  ses  figures  énergiques  et  puissantes, 
de  tracer  un  pan  d'habit  un  peu  trop  tordu  par  le 
vent  du  nord  ou  une  main  qui  ait  presque  six 
doigts,  il  n'y  a  vraiment  pas  là  de  quoi  fouetter  un 
chat.  Les  enthousiastes  du  comique  rimé,  qui 
regrettent  amèrement  de  l'avoir  vu  disparaître  de 
notre  poésie  après  Les  Plaideurs,  savent  quelles 
difficultés  surhumaines  notre  versification  oppose 
à  l'artiste  qui  veut  faire  vibrer  la  corde  bouffonne. 
Si  l'on  nous  permet  de  retourner  ici  un  mot 
célèbre,  ils  savent  combien  il  est  inouï  de  pouvoir 
rester  fougueux  sur  un  cheval  calme.  Le  problème 


l8  PRÉFACE. 

assurément  n'est  pas  résolu  dans  le  pauvre  petit 
bouquin  étrange  que  voici,  improvisé  au  hasard  et 
bribe  par  bribe  à  vingt  époques  différentes.  Mais, 
tel  qu'il  est,  il  pourra  sans  doute  distraire  pendant 
dix  minutes  les  amateurs  de  poésie  et  d'art  :  il  y  a 
eu  dans  tous  les  siècles  beaucoup  de  livres  dont  on 
n'en  pourrait  pas  dire  autant,  et  qui  ne  valent  pas 
une  cigarette. 

Pour  ce  qui  regarde  les  formes  spéciales  imitées 
dans  quelques  pièces,  est-il  nécessaire  de  rappeler 
encore  une  fois  que  la  parodie  a  toujours  été  un 
hommage  rendu  à  la  popularité  et  au  génie?  Nous 
croirions  faire  injure  à  nos  lecteurs  en  supposant 
qu'il  pût  se  trouver  parmi  eux  une  âme  assez  mé- 
chante pour  voir  dans  ces  jeux  où  un  poëte  obscur 
raille  sa  propre  poésie,  une  odieuse  attaque  contre 
le  père  de  la  nouvelle  poésie  lyrique,  contre  le 
demi-dieu  qui  a  façonné  la  littérature  contempo- 
raine à  l'image  de  son  cerveau,  contre  l'illustre  et 
glorieux  ciseleur  des  Orientales.  Quant  aux  per- 
sonnalités éparses  dans  ces  pages  éphémères,  qui 
pourraient-elles  raisonnablement  courroucer?  Nous 
le  répétons  de  nouveau,  ce  ne  sont  et  ce  ne  pou- 
vaient être  que  des  caricatures  absolument  fantas- 


PREFACE.  ip 

tiques.  Or  nous  ne  savons  pas  que  ni  M.  Thiers, 
ni  M.  de  Falloux,  ni  M.  Louis  Blanc,  ni  M.  de 
Montalembert,  ni  M.  Proudhon,  ni  tant  d'hommes 
d'Etat  et  d'écrivains  éminents  se  soient  jamais  fâ- 
chés à  propos  des  singuliers  profils  que  leur  ont 
prêtés  les  dessinateurs  humoristes.  Il  nous  reste 
seulement  le  regret  d'avoir  cru  à  la  lettre  apo- 
cryphe signée  Thomas  Couture  ;  mais  notre  jave- 
lot perdu  n'aura  même  pas  égratigné  cette  jeune 
gloire. 

Un  mot  encore  :  les  Odes  funambulesques  n'ont 
pas  été  signées,  tout  bonnement  parce  qu'elles  ne 
valaient  pas  la  peine  de  l'être.  Et  d'ailleurs,  si  l'on 
devait  les  restituer  à  leur  véritable  auteur,  toutes 
les  satires  parisiennes,  quelles  qu'elles  soient,  ne 
porteraient-elles  pas  le  nom  du  facétieux  inconnu 
qui  s'appelle  tout  le  monde?  Enfin,  ennemi  lec- 
teur, avant  de  condamner  ce  fragile  essai  de  pam- 
phlet en  rhythmes,  et  de  le  jeter  dédaigneusement 
à  la  corbeille  avec  le  dernier  numéro  du  Réalis?ne, 
songe  que  la  Satire  magistrale  de  Boileau  ne  peut 
plus  servir  en  1857,  ni  même  plus  tard,  comme 
arme  du  moins.  Heureux  celui  qui  pourrait  non 
pas  trouver,   non  pas   compléter,   mais  seulement 


PREFACE. 


fixer  pour  quelques  jours  au  point  où  elle  est  par- 
venue la  formule  rimée  de  notre  esprit  comique  ! 
Sommes-nous  sûrs  que  les  chevaux  indomptés  ne 
viendront  plus  jamais  mordre  l'écorce  de  nos  jeunes 
arbres?  Eh  bien,  le  jour  où  cette  fatalité  planerait 
sur  nous,  le  jour  où  se  lèvera  haletant,  courroucé 
et  terrible,  le  chanteur  d"Odes  qui  sera  le  Tyrtée 
de  la  France  ou  son  fougueux  Théodore  Kerner, 
s"il  cherche  la  langue  de  Flambe  armé  de  clous 
dans  Le  Ménage  Parisien  ou  dans  L'Honneur  et 
l'Argent,  il  ne  l'y  trouvera  pas  ;  ce  n'est  pas  dans 
le  sang  du  lapin  ou  du  pigeon  gris  que  le  guerrier 
libre  du  pays  des  neuves  empoisonne  ses  flèches 
vengeresses. 


Février   iS ^7. 


W 


ODES 


FVNAMBVLESQVES 


GAIETES 


La  Corde  roide. 


1_)  u  temps  que  j'en  étais  épris, 
Les  iauriers  valaient  bien  leur  prix. 
A  coup  sûr  on  n'est  pas  un  rustre 
Le  jour  où  l'on  voit  imprimés 
Les  poëmes  qu'on  a  rimes  : 
Heureux  qui  peut  se  dire  illustre  ! 


ODES     rVNAMBVLES  Ç^Y  E  S. 


Moi-même  un  instant  je  le  fus. 
J'ai  comme  un  souvenir  confus 
D'avoir  embrassé  la  Chimère. 
J'ai  mangé  du  sucre  candi 
Dans  les  feuilletons  du  lundi  : 
Ma  bouche  en  est  encore  amère. 


Quittons  nos  lyres,  Érato! 
On  n'entend  plus  que  le  râteau 
De  la  roulette  et  de  la  banque  ; 
Viens  devant  ce  peuple  qui  bout 
Jouer  du  violon  debout 
Sur  l'échelle  du  saltimbanque  ! 


Car.  si  jamais  ses  yeux  vermeils 
Ne  sont  las  de  voir  les  soleils 
Sans  baisser  leurs  fauves  paupières, 
Le  poète  n'est  pas  toujours 
En  train  de  réjouir  les  ours 
Et  de  civiliser  les  pierres. 


ODE  5     FVN  AMBVLESQVES.  23 

En  vain  les  accords  de  sa  voix 
Ont  charmé  les  monstres;  parfois 
Loin  des  flots  sacrés  il  émigré. 
Las,  sinon  guéri  de  prêcher 
L'amour  aux  côtes  du  rocher 
Et  la  douceur  aux  dents  du  tigre. 


Il  se  demande  s'il  n'est  plus, 
Sous  les  vieux  arbres  chevelus 
De  cette  France  que  nous  sommes, 
De  l'Océan  au  pont  de  Kehl, 
Un  déguisement  sous  lequel 
On  puisse  parler  à  des  hommes  ; 


Et,  voulant  protester  du  moins 
Devant  les  immortels  témoins 
En  faveur  des  Dieux  qu'on  renie, 
Quoique  son  âme  soit  ailleurs, 
Il  te  prend  tes  masques  railleurs 
Et  ton  rire,  ô  sainte  Ironie! 


24  ODES     F  VH  A  M  B  V  L  ES  o  v  E  5. 

Alors,  sur  son  triste  haillon 
Il  coad  des  morceaux  de  paillon, 
Pour  que  dans  ce  siècle  profane, 
Fût-ce  en  manière  de  jouet, 
On  lui  permette  encor  le  fouet 
De  son  aïeul  Aristophane. 


Et  d'une  lieue  on  l'aperçoit 
En  souliers  rouges  !  Mais  qu'il  soit 
Un  héros  sublime  ou  grotesque  ; 
O  Muse  !  qu'il  chasse  aux  vautours, 
Ou  qu'il  daigne  faire  des  tours 
Sur  la  corde  funambulesque, 


Tribun,  prophète  ou  baladin, 
Toujours  fuyant  avec  dédain 
Ces  pavés  que  le  passant  foule, 
Il  marche  sur  les  fiers  sommets 
Ou  sur  la  corde  ignoble,  mais 
Au-dessus  des  fronts  de  la  foule. 

Septembre  1S56. 


ODES     F  V  H  A  M  B  V I.  E  S  QV  E  S.  25 


La  Ville   enchantée. 


Il  est  de  par  le  monde  une  cité  bizarre, 

Où  Plutus  en  gants  blancs,  drapé  dans  son  manteau. 

Offre  une  cigarette  à  son  ami  Lazare, 

Et  l'emmène  souper  dans  un  parc  de  Wateau. 

Les  centaures  fougueux  y  portent  des  badines; 
Et  les  dragons,  au  lieu  de  garder  leur  trésor, 
S'en  vont  sur  le  minuit,  avec  des  baladincs, 
Faire  un  maigre  dîner  dans  une  maison  d'or. 

C'est  là  que  parle  et  chante  avec  des  voix  si  douces, 
Un  essaim  de  beautés  plus  nombreuses  cent  fois, 
En  habit  de  satin,  brunes,  blondes  et  rousses, 
Que  le  nombre  infini  des  feuilles  dans  les  bois  ! 


l6  ODES     FVN  A  M  B  V  LES  Q^V  E  S. 

O  pourpres  et  blancheurs  !  neiges  et  rosiers  !  L'une, 
En  découvrant  son  sein  plus  blanc  que  la  Jung-Frau, 
Cause  avec  Cyrano,  qui  revient  de  la  lune, 
L'autre  prend  une  glace  avec  Cagliostro. 

C'est  le  pays  de  fange  et  de  nacre  de  perle; 
Un  tréteau  sur  les  fûts  du  cabaret  prochain, 
Spectacle  où  les  décors  sont  peints  par  Diéterle, 
Cambon,  Thierry,  Séchan,  Philastre  et  Despléchin; 

Un  théâtre  en  plein  vent,  où,  le  long  de  la  rue, 
Passe,  tantôt  de  face  et  tantôt  de  profil, 
Un  mimodrame  avec  des  changements  à  vue, 
Comme  ceux  de  Gringore  et  du  céleste  Will. 

Là,  depuis  Idalie,  où  Cypris  court  sur  l'onde 
Dans  un  coupé  de  nacre  attelé  d'un  dauphin, 
Vous  voyez  défiler  tous  les  pays  du  monde 
Avec  un  air  connu,  comme  chez  Séraphin. 

La  Belle  au.  bois  dormant,  sur  la  moire  fleurie 
De  la  molle  ottomane  où  rêve  le  chat  Murr, 
Parmi  l'air  rose  et  bleu  des  feux  de  la  féerie 
S'éveille  après  cent  ans  sous  un  baiser  d'amour. 


ODES     FVN  AMBVLESQVES.  27 

La  Chinoise  rêveuse,  assise  dans  sa  jonque, 
Les  yeux  peints  et  les  bras  ceints  de  perles  d'Ophir, 
D'un  ongle  de  rubis  rose  comme  une  conque 
Agace  sur  son  front  un  oiseau  de  saphir. 

Sous  le  ciel  étoile,  trempant  leurs  pieds  dans  l'onde 
Que  parfument  la  brise  et  le  gazon  fleuri, 
Et  d'un  bois  de  senteur  couvrant  leur  gorge  blonde, 
Dansent  à  s'enivrer  les  bibiaderi. 

Là.  belles  des  blancheurs  de  la  pâle  chlorose, 
Et  confiant  au  soir  les  rougeurs  des  aveux, 
Les  vierges  de  Lesbos  vont  sous  le  laurier-rose 
S'accroupir  dans  le  sable  et  causer  deux  à  deux-. 

La  reine  Cléopâtre,  en  sa  peine  secrète, 
Fière  de  la  morsure  attachée  à  son  flanc, 
Laisse  tomber  sa  perle  au  fond  du  vin  de  Crète, 
Et  sa  pourpre  et  sa  lèvre  ont  des  lueurs  de  sang. 

Voici  les  beaux  palais  où  sont  les  hétaïres, 

Sveltes  lys  de  Corinthe  et  roses  de  Milet, 

Qui,  dans  des  bains  de  marbre,  au  chant  divin  des  lyres, 

Lavent  leurs  corps  sans  tache  avec  un  flot  de  lait. 


28  ODts     F  V  N  A  M  B  Y  L  E  S(^Y  ES. 

Au  fond  de  ces  séjours  à  pompe  triomphale, 
Où  brillent  aux  flambeaux  les  cheveux  de  maïs. 
Hercule  enrubanné  file  aux  genoux  d'Omphale, 
Et  Diogéne  dort  sur  le  sein  de  Lais. 

Salut,  jardin  antique,  ô  Tempe  familière 
Où  le  grand  Arouet  a  chanté  Pompadour, 
Où  passaient  avant  eux  Louis  et  La  Vallière, 
La  lèvre  humide  encor  de  cent  baisers  d'amour! 

C'est  là  que  soupiraient  aux  pieds  de  la  dryade, 
Dans  la  nuit  bleue,  à  l'heure  où  sonne  l'angelus, 
Et  le  jeune  Lauzun,  fier  comme  Alcibiade, 
Et  le  vieux  Richelieu,  beau  comme  Antinous. 

Mais  ce  qui  me  séduit  et  ce  qui  me  ramène 
Dans  la  verdure,  où  j'aime  à  soupirer  le  soir, 
Ce  n'est  pas  seulement  Phyllis  et  Dorimène, 
Avec  sa  robe  d'or  que  porte  un  page  noir. 

C'cbt  là  que  vit  encor  le  peuple  des  statues 
Sous  ses  palais  taillés  dans  les  mélèzes  verts, 
Et  que  le  chœur  charmant  des  Nymphes  demi-nues 
Pleure  et  gémit  avec  la  brise  des  hivers. 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  LE  5Q_VES.  29 

Les  Naïades  sans  yeux  regardent  le  grand  arbre 
Pousser  de  longs  rameaux  qui  blessent  leurs  beaux  seins, 
Et.  sur  ces  seins  meurtris  croisant  leurs  bras  de  marbre, 
Augmentent  d'un  ruisseau  les  larmes  des  bassins. 

Aujourd'hui  les  wagons,  dans  ces  steppes  fleuries, 
Devancent  l'hirondelle  en  prenant  leur  essor, 
Et  coupent  dans  leur  vol  ces  suaves  prairies, 
Sur  un  ruban  de  fer  qui  borde  un  chemin  d'or. 

Ailleurs,  c"est  le  palais  où  Diane  se  dresse 
Ayant  sur  son  front  pur  la  blancheur  des  lotus, 
Pour  lequel  Titien  a  donné  sa  maîtresse, 
Où  Phidias  a  mis  les  siennes,  ses  Vénus  ! 

Et  maintenant,  voici  la  coupole  féerique 

Où,  près  des  flots  d'argent,  sous  les  lauriers  en  fleurs, 

Le  grand  Orphée  apporte  à  la  Grèce  lyrique 

La  lyre  que  Sappho  baignera  dans  les  pleurs. 

O  ville  où  le  flambeau  de  l'univers  s'allume  ! 
Aurore  dont  l'œil  bleu,  rempli  d'illusions, 
Tourné  vers  l'Orient,  voit  passer  dans  sa  brume 
Des  foyers  de  splendeur  étoiles  de  rayons  ! 


30  ODES     FUXAMBVIES^VES. 

Ce  théâtre  en  plein  vent  bâti  dans  les  étoiles, 
Où  passent  à  la  fois  Cléopâtre  et  Lola, 
Où  défile  en  dansant,  devant  les  mêmes  toiles, 
Un  peuple  chimérique  en  habit  de  gala; 

Ce  pays  de  soleil,  d?or  et  de  terre  glaise,   . 
C'est  la  mélodieuse  Athènes,  c'est  Paris, 
Eldorado  du  monde,  où  la  fashion  anglaise 
Importe  deux  fois  l'an  ses  tweeds  et  ses  paris. 

Pour  moi,  c'est  dans  un  coin  du  salon  d'Aspasie, 
Sur  l'album  éclectique  où,  parmi  nos  refrains, 
Phidias  et  Diaz  ont  mis  leur  fantaisie, 
Que  je  rime  cette  ode  en  vers  alexandrins. 

Septembre  1845. 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QJV  ES.  J I 


La  belle  Véronique. 


Cje    fut  un  beau  souper,  ruisselant  de  surprises. 
Les  rôtis,  cuits  à  point,  n'arrivèrent  pas  froids  ; 
Par  ce  beau  soir  d'hiver,  on  avait  des  cerises 
Et  du  johannisberg,  ainsi  que  chez  les  rois. 

Tous  ces  amis  joyeux,  ivres,  fiers  de  leurs  vices, 
Se  renvoyaient  les  mots  comme  un  clair  tambourin  : 
Les  dames,  cependant,  suçaient  des  écrevisses 
Et  se  lavaient  les  doigts  avec  le  vin  du  Rhin. 


32  ODE  5     F  VN  A  M  B  VLESQ.V  ES. 

Apres  avoir  posé  son  verre  encore  humide, 
Un  tout  jeune  homme,  épris  de  songes  fabuleux, 
Beau  comme  Antinous,  mais  quelque  peu  timide, 
Suppliait  dans  un  coin  sa  voisine  aux  yeux  bleus. 

Ce  fut  un  grand  régal  pour  la  troupe  savante 
Que  cette  bergerie,  et  les  meilleurs  plaisants 
Se  délectaient  de  voir  un  fou  croire  vivante 
Véronique  aux  yeux  bleus,  ce  joujou  de  quinze  ans. 

Mais  l'heureux  couple  avait,  parmi  ce  monde  étrange, 
L'impassibilité  des  Olympiens  ;  lui, 
Savourant  la  démence  et  versant  la  louange, 
Elle,  avalant  sa  perle  avec  un  noble  ennui. 

L'ardente  causerie  agitait  ses  crécelles 
Sur  leurs  tètes;  pourtant,  quoi  qu'il  en  pût  coûter, 
Ils  avaient  les  regards  si  chargés  d'étincelles 
Que  chacun  à  la  fin  se  tut  pour  écouter. 

—  «  Vraiment?  jusqu'à  mourir!  »  s'écriait  Véronique, 
En  laissant  flamboyer  dans  la  lumière  d'or 
Ses  dents  couleur  de  perle  et  sa  lèvre  ironique; 
«  Et  si  je  vous  disais  :  «  Je  veux  le  Koh-innor  ?  » 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q^V  ES.  33 

(Elle  jetait  au  vent  sa  tête  fulgurante, 
Pareille  à  la  toison  d'une  angélique  miss 
Dont  l'aile  des  steam-boats  à  la  mer  de  Sorrente 
Emporte  avec  fierté  les  cargaisons  de  lys  !  ) 

—  «  Chère  âme,  »  répondit  le  rêveur  sacrilège, 

ce  J'irais  la  nuit,  tremblant  d'horreur  sous  un  manteau, 
Blême  et  pieds  nus,  voler  ce  talisman,  dussé-je 
Ensuite  dans  le  cœur  m'enfoncer  un  couteau.  » 

Cette  fois,  par  exemple,  on  éclata.  Le  rire, 
Sonore  et  convulsif,  orageux  et  profond, 
Joyeux  jusqu'à  l'extase  et  gai  jusqu'au  délire, 
Comme  un  flot  de  cristal  montait  jusqu'au  plafond. 

C'est  un  hôte  ébloui,  qui  toujours  nous  invite. 
La  fille  d'Eve  eut  seule  un  éclair  de  pitié; 
Elle  baisa  les  yeux  de  l'enfant,  et  bien  vite 
Lui  dit,  en  se  penchant  dans  ses  bras  à  moitié  : 

—  «  Ami,  n'emporte  plus  ton  cœur  dans  une  orgie. 
Ne  bois  que  du  vin  rouge,  et  surtout  lis  Balzac. 

Il  fut  supérieur  en  physiologie 

Pour  avoir  bien  connu  le  fond  de  notre  sac. 


34  O  D  E  5     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q_  V  E  S . 


Ici.  comme  partout,  l'expérience  est  chère. 

Crois-moi,  je  ne  vaux  pas  la  bague  de  laiton 

Si  brillante  jadis  à  mon  doigt  de  vachère, 

Dans  le  bon  temps  des  gars  qui  m'appelaient  Gothon  !  » 

Novembre  i8,8i. 


?& 


51 


ODE?     FVN  AMBVXESQVES.  35 


Mascarades. 


Le  Carnaval  s'amuse  ! 
Viens  le  chanter,  ma  Muse, 
En  suivant  au  hasard 
Le  bon  Ronsard  ! 

Et  d'abord,  sur  ta  nuque, 
En  dépit  de  l'eunuque, 
Fais  flotter  tes  cheveux 
Libres  de  nœuds! 

Chante  ton  dithyrambe 

En  laissant  voir  ta  jambe 
Et  ton  sein  arrosé 
D'un  feu  rosé. 


$6  ODES     F  V  N  A  M  B  VI  E  S  Q,V  ES. 

Laisse  même,  ô  Déesse, 
Avec  ta  blonde  tresse, 
Le  maillot  des  Keller 
Voler  en  l'air  ! 

Puisque  je  congédie 
Les  vers  de  tragédie, 
Laisse  le  décorum 
Du  blanc  péplum, 

La  tunique  et  les  voiles 
Semés  d'un  ciel  d'étoiles, 
Et  les  manteaux  épars 
A  Saint-Ybars  ! 

Que  ses  vierges  plaintives, 
Catholiques  ou  juives, 
Tiennent  des  sanhédrins 
D'alexandrins  ! 

Mais  toi,  sans  autre  insigne 
Que  la  feuille  de  vigne 
Et  les  souples  accords 
De  ton  beau  corps, 


ODES     PVNAMB  VLESQVES.  37 

Laisse  ton  sein  de  neige 
Chanter  tout  le  solfège 
De  ses  accords  pourprés, 
Mieux  que  Duprez  ! 

Ou  bien,  mon  adore'e, 
Prends  la  veste  dorée 
Et  le  soulier  verni 
De  Gavarni  ! 

Mets  ta  ceinture,  et  plaque 
Sur  le  velours  d'un  claque 
Les  rubans  querelleurs 
Jonchés  de  fleurs  ! 

Fais,  sur  plus  de  richesses 
Que  n'en  ont  les  duchesses, 
Coller  jusqu'au  talon 
Le  pantalon  ! 

Dans  tes  lèvres  écloses 
Mets  les  cris  et  les  poses 
Et  les  folles  ardeurs 
Des  débardeurs  ! 


38  O  D  E  £     F  V  H  A  M  B  V  X.  E  S  QV  E  S. 

Puis,  sans  peur  ni  réserve, 
Réchauffant  de  ta  verve 
Le  mollet  engourdi 
De  Brididi, 

Sur  tes  pas  fiers  et  souples 
Traînant  cent  mille  couples, 
Montre-leur  jusqu'où  va 
La  redowa, 

Et  dans  le  bal  féerique, 
Hurle  un  rhythme  lyrique 
Dont  tu  feras  cadeau 
A  Pilodo  ! 

Tapez,  pierrots  et  masques, 
Sur  vos  tambours  de  basques  ! 
Faites  de  vos  grelots 
Chanter  les  flots  ! 

Formidables  orgies, 
Suivez  sous  les  bougies 
Les  sax  aux  voix  de  fer 
Jusqu'en  enfer  ! 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QJ/  E  S.  39 

Sous  le  gaz  de  Labeaume, 
Hurrah  !  suivez  le  heaume 
Et  la  cuirasse  d'or 
De  Mogador  ! 

Et  madame  Panache, 
Dont  le  front  se  harnache 
De  douze  ou  quinze  bouts 
De  marabouts  ! 

Au  son  de  la  musette 
Suivez  Ange  et  Frisette, 
Et  ce  joli  poupon, 
Rose  Pompon  ! 

Et  Blanche  aux  belles  formes, 
Dont  les  cheveux  énormes 
Ont  été  peints,  je  crois, 
Par  Delacroix  ! 

De  même  que  la  Loire 
Se  promène  avec  gloire 
Dans  son  grand  corridor 
D'argent  et  d'or. 


40  ODES     F  VU  AMB  V  L  E  S  Ç>  V  E  S. 

Sa  chevelure  rousse 
Coule,  orgueilleuse  et  douce  ; 
Elle  épouvanterait 
Une  forêt. 

Chantez,  Musique  et  Danse! 
Que  le  doux  vin  de  France 
Tombe  dans  le  cristal 
Oriental  ! 

Pas  de  pudeur  bégueule  ! 
Amis  !  la  France  seule 
Est  l'aimable  et  divin 
Pays  du  vin  ! 

Laissons  à  l'Angleterre 
Ses  brouillards  et  sa  bière  ! 
Laissons-la  dans  le  gin 
Boire  le  spleen  ! 

Que  la  pâle  Ophélie, 
En  sa  mélancolie, 
Cueille  dans  les  roseaux 
Les  fleurs  des  eaux  ! 


ODES     F  V  H  A  M  B  V  L  E  S  <VV  F.  S.  4. 1 

Que,  sensitive  humaine, 
Desdémone  promène 
Sous  le  saule  pleureur 
Sa  triste  erreur  ! 

Qu'Hamlet,  terrible  et  sombre 
Sous  les  plaintes  de  l'ombre, 
Dise,  accablé  de  maux  : 
«  Des  mots  !  des  mots  !  » 

Mais  nous,  dans  la  patrie 
De  la  galanterie, 
Gardons  les  folles  mœurs 
Des  gais  rimeurs  ! 

Fronts  couronnés  de  lierre, 
Gardons  l'or  de  Molière, 
Sans  prendre  le  billon 
De  Crébillon  ! 

C'est  dans  notre  campagne 
Que  le  pâle  Champagne 
Sur  les  coteaux  d'Aï 
Mousse  ébloui  ! 


4.2  ODES     FVHAMBVLES  Q^V  E  S. 

C'est  sur  nos  tapis  d'herbe 
Que  le  soleil  superbe 
Pourpre,  frais  et  brûlants, 
Nos  vins  sanglants  ! 

C'est  chez  nous  que  l'on  aime 
Les  verres  de  Bohême 
Qu'emplit  d'or  et  de  feu 
Le  sang  d'un  Dieu  ! 

Donc,  ô  lèvres  vermeilles, 
Buvez  à  pleines  treilles 
Sur  ces  coteaux  penchants, 
Pères  des  chants  ! 

Poésie  et  Musique, 
Chantez  l'amour  physique 
Et  les  cœurs  embrasés 
Par  les  baisers  ! 

Chantons  ces  jeunes  femmes 
Dont  les  épithalames 
Attirent  vers  Paris 
Tous  les  esprits  ! 


ODES     FVNAMBVLES  Q^V  ES.  + } 

Chantons  leur  air  bravache 
Et  leur  corset  sans  tache 
Dont  le  souple  basin 
Moule  un  beau  sein; 

Leur  col  qui  se  chiffonne 
Sur  leur  robe  de  nonne, 
Leurs  doigts  collés  aux  gants 
Extravagants  ; 

Leur  chapeau  dont  la  grâce 
Pour  toujours  embarrasse, 
Avec  son  air  malin, 
Vienne  et  Berlin; 

Leurs  peignoirs  de  barège 
Et  leurs  jupes  de  neige 
Plus  blanches  que  les  lys 
D'Amaryllis; 

Leurs  épaules  glacées, 
Leurs  bottines  lacées 
Et  leurs  jupons  tremblants 
Sur  leurs  bas  blancs  ! 


4.4  ODES     FVNAMBVLT  5  QJV  E  S. 

Chantons  leur  courtoisie! 
Car  ni  l'Andalousie, 
Ni  Venise,  les  yeux 
Dans  ses  flots  bleus, 

Ni  la  belle  Florence 
Où,  dans  sa  transparence, 
L'Arno  prend  les  reflets 
De  cent  palais, 

Ni  l'odorante  Asie, 
Qui,  dans  sa  fantaisie, 
Tient  d'un  doigt  effilé 
Le  narghilé, 

Ni  l'Allemagne  blonde 
Qui,  sur  le  bord  de  l'onde, 
Ceint  des  vignes  du  Rhin 
S:>n  front  serein, 

N'ont  dans  leurs  rêveries 
Vu  ces  lèvres  fleuries, 
Ces  croupes  de  coursier, 
Ces  bras  d'acier, 


ODES     F  VN  A  MB  VLESQ^V  ES.  4.5 

Ces  dents  de  bête  fauve, 
Ces  bras  faits  pour  l'alcôve, 
Ces  grands  ongles  couleur 
De  rose  en  fleur, 

Et  ces  amours  de  race 
Qu'Anacréon,  Horace 
Et  Marot  enchantés, 
Eussent  chantés  ! 

Janvier  1846. 


4-6  ODES     FVx  AMB  VLESQJVES. 


Premier  Soleil. 


Italie,  Italie,  ô  terre  où  toutes  choses 
Frissonnent  de  soleil,  hormis  tes  méchants  -sins  ! 
Paradis  où  l'on  trouve  avec  des  lauriers-roses 
Des  sorbets  à  la  neige  et  des  ballets  divins  ! 

Terre  où  le  doux  langage  est  rempli  de  diphthongues  ! 
Voici  qu'on  pense  à  toi,  car  voici  venir  mai, 
Et  nous  ne  verrons  plus  les  redingotes  longues 
Où  tout  parfait  dandy  se  tenait  enfermé 

Sourire- du  printemps,  je  t'offre  en  holocauste 
Les  manchons,  les  albums  et  le  pesant  castor. 
Hurrah!  gais  postillons,  que  les  chaises  de  poste 
Volent,  en  agitant  une  poussière  d'or  ! 


ODES     F  V  N  A  MB  VLESQ.V  ES.  4.7 

Les  lilas  vont  fleurir,  et  Ninon  me  querelle, 
Et  ce  matin  j'ai  vu  mademoiselle  Ozy 
Près  des  Panoramas  déployer  son  ombrelle  : 
C'est  que  le  triste  hiver  est  bien  mort,  songez-y! 

Voici  dans  le  gazon  les  corolles  ouvertes. 
Le  parfum  de  la  sève  embaumera  les  soirs, 
Et  devant  les  cafés,  des  rangs  de  tables  vertes 
Ont  par  enchantement  poussé  sur  les  trottoirs. 

Adieu  donc,  nuits  en  flamme  où  le  bal  s'extasie! 
Adieu,  concerts,  scotishs,  glaces  à  l'ananas; 
Fleurissez  maintenant,  fleurs  de  la  fantaisie, 
Sur  la  toile  imprimée  et  sur  le  jaconas  ! 

Et  vous,  pour  qui  naîtra  la  saison  des  pervenches, 
Rendez  à  ces  zéphyrs  que  voilà  revenus, 
Les  légers  mantelets  avec  les  robes  blanches, 
Et  dans  un  mois  d'ici  vous  sortirez  bras  nus! 

Bientôt,  sous  les  forêts  qu'argentera  la  lune, 
S'envolera  gaîment  la  nouvelle  chanson  ; 
Nous  y  verrons  courir  la  rousse  avec  la  brune, 
Et  Musette  et  Nichette  avec  Mimi  Pinson  ! 


48  ODES     FV  N  A  MB  VL  E  S  QV  ES. 

Bientôt  tu  t'enfuiras,  ange  Mélancolie, 

Et  dans  le  Bas-Meudon  les  bosquets  seront  verts. 

Débouchez  de  ce  vin  que  j'aime  à  la  folie, 

Et  donnez-moi  Ronsard,  je  veux  lire  des  vers. 

Par  ces  premiers  beaux  jours  la  campagne  est  en  fête 
Ainsi  qu'une  épousée,  et  Paris  est  charmant. 
Chantez,  petits  oiseaux  du  ciel,  et  toi,  poëte, 
Parle  !  nous  t'écoutons  avec  ravissement. 

C'est  le  temps  où  l'on  mène  une  jeune  maîtresse 
Cueillir  la  violette  avec  ses  petits  doigts, 
Et  toute  créature  a  le  cœur  plein  d'ivresse, 
Excepté  les  pervers  et  les  marchands  de  bois! 

Avril   1854. 


W 


O  D  E  S    F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  ÇTV  E  S .  49 


La  Voyageuse. 


Masques  et  visages... 

G  A  V  A  R  K  I. 


A     CAROLINE     IETESSIER 


/\u  temps  des  pastels  de  Latour, 
Quand  Tenfant-dieu  régnait  au  monde 
Par  la  grâce  de  Pompadour, 
Au  temps  des  beautés  sans  seconde; 


S°  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  T.  S  ÇTV  E  ? . 

Au  temps  féerique  où,  sans  mouchoir, 
Sur  les  lys  que  Lancret  dessine 
Le  collier  de  taffetas  noir 
Lutte  avec  la  mouche  assassine  ; 

Au  temps  où  la  Nymphe  du  vin 
Sourit  sous  la  peau  de  panthère, 
Au  temps  où  "Wateau  le  divin 
Frète  sa  barque  pour  Cythère; 

En  ce  temps  fait  pour  les  jupons, 
Les  plumes,  les  rubans,  les  ganses, 
Les  falbalas  et  les  pompons  ; 
En  ce  beau  temps  des  élégances, 

Enfant  blanche  comme  le  lait, 
Beauté  mignarde,  fleur  exquise, 
Vous  aviez  tout  ce  qu'il  fallait 
Pour  être  danseuse  ou  marquise. 

Ces  bras  purs  et  ce  petit  corps, 
Noyés  dans  un  frou-frou  d'étoffes, 
Eussent  damné  par  leurs  accords 
Les  abbés  et  les  philosophes. 


ODES     F  V  X  A  M  B  V  L  E  5  Q^V  E  S.  5  I 


Vous  eussiez  aimé  ces  bichons 
Noirs  et  feu,  de  race  irlandaise, 
Que  l'on  porte  dans  les  manchons 
Et  que  l'on  peigne  et  que  l'on  baise. 

La  neige  au  sein,  la  rose  aux  doigts, 
Boucher  vous  eût  peinte  en  Diane 
Montrant  sa  cuisse  au  fond  du  bois 
Et  pliant  comme  une  liane, 

Et  Clodion  eût  fait  de  vous 
Une  provocante  faunesse 
Laissant  mûrir  au  soleil  roux 
Les  fruits  pourprés  de  sa  jeunesse  ! 

Car  sur  les  lèvres  vous  avez 
La  malicieuse  ambroisie 
De  tous  ces  paradis  rêvés 
Au  siècle  de  la  fantaisie, 

Et,  nonchalante  Dalila, 
Vous  plaisez  par  la  morbidesse 
D'une  nymphe  de  ce  temps-là, 
Moitié  nonne  et  moitié  déesse. 


52  ODES     FVXAMBVLES^VES. 

Vos  cheveux  aux  bandeaux  ondes 
Récitent  de  leur  onde  noire 
Des  madrigaux  dévergondés 
A  votre  visage  d'ivoire, 

Et,  ravis  de  ce  front  si  beau, 
Comme  de  vertes  demoiselles, 
Tous  les  enfants  porte-flambeau 
Vous  suivent  en  battant  des  ailes. 

Tous  ces  petits  culs-nus  d'Amours, 
Groupés  sur  vos  pas,  Caroline, 
Ont  soin  d'embellir  vos  atours 
Et  d'enfler  votre  crinoline, 

Et  l'essaim  des  Jeux  et  des  Ris, 
Doux  vol  qui  folâtre  et  se  joue, 
Niche  sous  la  poudre  de  riz 
Dans  les  roses  de  votre  joue. 

Vos  sourcils  touffus,  noirs,  épais, 
Ont  des  courbes  délicieuses 
Qui  nous  font  songer  à  la  paix 
Sous  les  forêts  silencieuses, 


ODES     F  V  X  A  M  B  VL  ES  CM,' ES.  53 

Et  les  écharpes  de  vos  cils 
Semblent  avoir  volé  leurs  franges 
A  la  terre  des  alguazils, 
Des  manolas  et  des  oranges. 


ÏI 


Au  fait,  vous  avez  donc  été, 
Loin  de  nos  boulevards  moroses, 
Pendant  tout  ce  dernier  été, 
Sous  les  buissons  de  lauriers-roses  ? 

Le  fier  soleil  du  Portugal 
Vous  tendait  sa  lèvre  obstinée 
Et  faisait  son  meilleur  régal 
Avec  votre  peau  satinée. 

Mais  vous,  tordant  sur  l'éventail 
Vos  petits  doigts  aux  blancheurs  mates 
Vous  découpiez  Scribe  en  détail 
Pour  les  rois  et  les  diplomates; 


54  ODES     FVX  A  M  B  VLESQ_VES. 

Et,  digne  d'un  art  sans  rivaux. 
Pour  charmer  les  chancelleries, 
Vous  avez  traduit  Marivaux 
En  mignonnes  espiègleries. 

C'est  au  mieux  !  L'astre  des  cieux  clairs 
Qui  fait  grandir  le  sycomore 
Vous  a  donné  des  jolis  airs 
De  Bohémienne  et  de  More. 

Vous  avez  pris,  toujours  riant, 
Dans  cet  éternel  jeu  de  barres, 
La  volupté  de  l'Orient 
Et  le  goût  des  bijoux  barbares, 

Et  vous  rapportez  à  Paris, 
Ville  de  toutes  les  décences, 
Les  molles  grâces  des  houris 
Ivres  de  parfums  et  d'essences. 

C'est  bien  encor!  même  à  Turin 
Menez  Clairville,  puisqu'on  daigne 
Nous  demander  un  tambourin 
Là-bas,  chez  le  roi  de  Sardaigne. 


ODES     FVNAMBVLES  ÇMf  ES.  S  5 


Mais  pourtant  ne  nous  laissez  pas 
Nous  consumer  dans  les  attentes! 
Arrêtez  une  fois  vos  pas 
Chez  nous,  et  plantez-y  vos  tentes. 

Tout  franc,  pourquoi  mettre  aux  abois 
Cet  Eden,  où  le  lion  dîne 
Chaque  jour  de  la  biche  au  bois 
Et  soupe  de  la  musardine? 

Valets  de  cœur  et  de  carreau 

Et  boyards  aux  fourrures  d'ourses, 

Loin  de  vous,  sachez-le,  Caro, 

Tout  s'ennuie,  au  bal  comme  aux  courses. 

Vous  nous  disputez  les  rayons 
Avec  des  haines  enfantines. 
Et  jamais  plus  nous  ne  voyons 
Que  les  talons  de  vos  bottines. 

Songez-y  !  Vous  cherchez  pourquoi 
Ma  muse,  qui  n'est  pas  méchante, 
M'ordonne  de  me  tenir  coi 
Et  ne  veut  plus  que  je  vous  chante  r 


5  6  ODES     FVNAMBVIESQ^VES. 


C'est  que  vos  regards  inhumains 
Ont  partout  des  intelligences, 
Et  tout  le  long  des  grands  chemins 
Vont  arrêter  les  diligences. 

-Février  i S > S . 


&^o^fl; 


o%£5^a< 


ÉVOHÉ 


NEMESI3      INTERIMAIRE 


Éveil. 


iuisque  la  Némésis,  cette  vieille  portière, 
Court  en  poste  et  regarde  à  travers  la  portière 
Des  arbres  fabuleux  faits  comme  ceux  de  Cham, 
Laissons  Chandernagor,  Pékin,  Bagdad  ou  Siam 
Posséder  ses  appas,  vieux  comme  sainte  Thècle, 
Et  désabonnons-nous  le  plus  possible  au  Siècle. 
Ne  pleure  pas,  public  qui  lis  encor  des  vers. 
Je  ne  te  dirai  pas  :  Les  raisins  sont  trop  verts  : 


S  8  ODES     FVNAMBVLESQVES. 


Et.  quant  à  s'en  passer,  je  sais  ce  qu'on  y  risque  ; 
J'ai  fait  pour  toi  l'achat  d'une  jeune  odalisque. 
Celle  qui  part  était  infirme  à  force  d'.ins  : 
Elle  boitait  ;  la  mienne  a  ses  trente-deux  dents. 
L'œil  vif,  le  jarret  souple  :  elle  est  blanche,  elle  est  nue, 
Charmante,  bonne  fille.,  et  de  plus  inconnue. 

Elle  a  le  col  de  cygne  et  les  trente  beautés 
Que  la  Grèce  exigeait  de  ses  divinités, 
Et  ce  ne  sont  partout,  sous  sa  robe  qui  pouffe, 
Que  cheveux  d'or,  que  lys  et  que  roses  en  touffe. 
La  voilà  présentée,  et,  mon  bras  sous  le  sien, 
Nous  allons  tous  les  deux,  pareils  au  groupe  ancien 
D'une  jeune  bacchante  agaçant  un  satyre, 
Du  mieux  que  nous  pourrons  jouer  à  la  satire. 
Nous  savons,  aussi  bien  que  feu  Barthélémy, 
Sur  sa  lyre  à  dix  voix  trouver  Vîit  et  le  mi. 
Puisqu'il  a  pris  enfin  la  poudre  d'escampette, 
O  ma  folle,  ô  ma  Muse,  embouche  ta  trompette 
Qui  fouette  les  carreaux  comme  un  clairon  de  Sax; 
Sur  ton  front  chevelu  mets  le  casque  d'Ajax; 
Galope  et  fais  claquer  sur  les  peaux  les  plus  chères 
Ton  fouet  et  son  pommeau  ciselé  par  Feucht-res  ! 

Lesbienne  rêveuse,  éprise  de  Phyllis, 
Tu  n'as  pas,  il  est  vrai,  célébré  S .., 


ODES     F  V  N  A  M  B  VL  ES  Q.V  ES.  59 

Ni  fait  de  Giraudeau  ton  souteneur  en  titre; 
Ni  dans  des  vers  gazés,  qui  font  rougir  un  pitre, 
Fait  éclore,  en  prenant  la  flûte  et  le  tambour, 
Un  édit  paternel  pour  les  filles  d'amour; 
Ni,  comme  l'Amphion  de  ces  pignons  godiches, 
Fait  surgir  à  ta  voix  les  colonnes-affiches. 

Mais  enfin,  c'est  pp.v  toi  qu'un  jour  le  Triolet 
Ressuscita  des  morts  et  resta  ce  qu'il  est, 
Et,  pour  mieux  mettre  à  vif  nos  modernes  Linière, 
Devint  une  épigramme  aiguisée  en  lanière  ; 
On  a  su  par  toi  seule,  en  ce  Paris  élu, 
Ce  que  valent  Néraut.  Tassin  et  Grédelu; 
Sur  ton  Rondeau  tel  barde,  imprimé  vif  chez  Gave, 
S'est  vu  traîner  vivant  comme  sur  une  claie, 
Et  par  toi  ce  bel  âge  apprit,  en  même  temps, 
Qu'un  nouvel  Archiloque  est  âgé  de  huit  ans. 
Vois,  le  siècle  est  superbe  et  s'offre  au  satirique  : 
Géronte  dans  le  sac  attend  les  coups  de  trique, 
Et  sera  trop  heureux,  Muse  aux  regards  sereins. 
Si  tu  lui  fais  l'honneur  de  lui  casser  les  reins. 

Regarde  autour  de  toi  ces  mille  nids  d'insectes 
Qui  fourmillent  en  paix  dans  des  fanges  suspectes. 
Et  que  tu  vas  fouler  aux  pieds  de  ton  coursier! 
Messaline,  ta  sœur,  l'amante  aux  bras  d'acier, 


60  ODES     FVN  AMB  VI  ESQJVES. 

De  qui  trois  cents  Romains  composaient  l'ordinaire, 
Ne  serait  aujourd'hui  qu'une  pensionnaire, 
Et  pourrait  concourir  pour  le  prix  de  vertu. 
Les  nôtres  ont  un  Claude  imbécile  et  tortu, 
Qui.  toujours  généreux  au  degré  nécessaire, 
Pour  les  faire  oublier  donne  tant  par  ulcère. 

Quelle  est  la  Cléopâtre  à  trois  cents  francs  par  mois, 
Dont  l'Antoine  en  gants  blancs,  venu  de  l'Angoumois, 
Ne  prenne  pas  plaisir  à  voir  fondre  sa  perle? 
Dès  qu'Antoine  est  à  sec,  plus  joyeuse  qu'un  merle, 
Cléopâtre  s'enfuit  sur  l'aile  d'un  steamer, 
Et,  de  "Waterloo-Road  affrontant  la  rumeur, 
Puise  à  ces  fonds  secrets  que,  pour  ses  amourettes, 
La  perfide  Albion  avance  à  nos  lorettes. 

Demande  au  soleil  d'or,  qui  mûrit  les  cotons, 
Combien  notre  Opéra,  refuge  de  gothons, 
En  dévore  en  un  soir  pour  un  ballet  féerique, 
Et  demande  à  Sappho,  la  Lélia  lyrique, 
Dont  la  lèvre  du  vent  rougit  les  froids  appas, 
Si,  par  quelque  hasard,  elle  ne  saurait  pas 
Quels  timides  aveux  et  quelles  confidences, 
Au  mépris  de  l'archet  enragé  pour  les  danses, 
Nos  petites  Lais,  dans  les  coins  hasardeux, 
Au  bal  Valentino  chuchotent  deux  à  deux? 


ODES     F  VN  AMB  Vt  E  S  Ç^V  E  S  .  6\ 

Alcippe  a  le  renom  d'un  homme  littéraire. 
11  gagne  peu  d'argent.  Est-il  pauvre?  Au  contraire. 
Sa  femme,  une  poupée  aux  petits  airs  souffrants, 
En  cailloux  de  princesse  a  deux  cent  mille  francs. 
Et,  dès  le  grand  matin,  porte  pour  ses  sorties 
Des  bottines  de  soie  en  couleurs  assorties 
A  la  robe  du  jour.  Alcippe  a  deux  landaus 
Et  de  petits  habits  qui  plissent  sur  le  dos; 
Madame  a  son  lundi;  c'est  un  groom  en  livrée 
Qui  porte  à  la  Revue,  à  bon  droit  enivrée, 
Les  tartines  d'Alcippe,  et  ces  époux  profonds 
Ont  leur  loge  au  Gymnase  et  leur  loge  aux  Bouffons. 

Alcippe,  homme  de  goût,  poète  et  dramatiste, 
Est  un  original  extrêmement  artiste; 
11  croit  sincèrement  devoir  à  son  travail 
Les  dollars  que  madame  a  trouvés  en  détail 
Sous  les  petits  coussins  d'une  amie  un  peu  mûre,  ~ 
Dont  pour  aucun  de  nous  le  boudoir  ne  se  mure. 
Si  pourtant  le  mari,  que  favorise  un  dieu, 
Veut  s'étonner,  madame,  en  souriant  un  peu, 
Répond  qu'elle  a  gagné  cet  argent  à  la  Bourse. 

En  peut-on  à  ce  point  méconnaître  la  source! 
L'ange  des  actions,  que  chacun  invoquait, 
Manque  à  présent  de  tout,  ainsi  que  Bilboquet; 


62  ODES     F  VN  A  M  B  VIF.  SQ^V  ES. 

Et  la  bourse  où  madame  a  gagné,  c'est  la  nôtre  : 
C'est  la  maigreur  des  uns  qui  fait  un  ventre  à  l'autre. 

Dam  on...  Mais  à  quoi  bon  fatiguer  votre  voix? 
Muse,  n'essayons  pas  de  peindre  en  une  fois 
Les  immoralités  de  ce  siècle  bizarre. 
Nous  en  avons  de  reste  au  quartier  Saint-Lazare, 
Pour  remplir  largement  trois  mille  feuilletons. 
Tant  de  taureaux  de  Crète  et  de  serpents  Pythons 
Se  dressent  à  l'envi  dans  ce  grand  marécage, 
Que  nous  demanderons  du  temps  pour  mettre  en  cage 
Ces  monstres  de  féerie,  et  pour  bien  copier 
Leurs  langues  de  drap  rouge  et  leurs  yeux  de  papier. 

Voyez  les  Auvergnats,  les  pairs,  les  gens  de  lettres, 
Les  Tom-Pouces  âgés  de  quatre  centimètres, 
Le  lézard-violon,  le  hanneton-verrier, 
Le  café  de  maïs,  l'annonce  Duveyrier, 
Le  journal  vertueux,  Aymé,  dentiste  équestre, 
Et  là-bas  Mirliton  qui  s'érige  en  orchestre! 
Hilbev!  Carolina!  Toussenel  !  le  guano  ! 
Et  Mangin  !  et  Clairville!  et  maître  Chicoisneau  ! 
Et  la  Bourse!  et  Madrid  !  et  l'Odéon!  et  Rolle  ! 
Et  le  nez  de  Guttiere  !  et  Buloz  !  et  l'Ecole 
Du  Bon-Sens!  et  le  Bal  des  Chiens!  et  le  Journal 
Des  C/usseurs!  Janin  même,  aidé  de  Juvénal, 


ODES     F  V  \*  A  M  B  V  L  F.  S  O^V  E  S. 


<5* 


Y  perdrait  son  latin.  Voyez,  mademoiselle, 
Ce  qui  vous  reste  à  faire,  et  déployez  du  zèle. 
Quand,  rouge  de  plaisir  et  les  yeux  étoiles, 
Ton  cheval  et  ton  casque  au  vent  échevelés, 
On  te  verra  courir,  ô  Muse  jeune  et  folle  ! 
Les  critiques  eux-même,    et  les  plus  vieux,  et  Rolle, 
Te  suivront  d'un  regard  lascif,  ô  mes  amours! 
Oubliant  qu'ils  sont  vieux  et  le  furent  toujours! 

Novembre  1845. 


6+  ODES     FVNAMBV1ESQ_VES. 


Les  Théâtres  d'enfants. 


Ijonsoir,  chère  Évohé.  Comment  vous  portez-vous? 
Vous  arrivez  bien  tard  !  Comme  vos  yeux  sont  doux 
Ce  soir!  deux  lacs  du  ciel!  et  la  robe  est  divine. 
Quel  écrin  !  vous  aimez  Diaz,  on  le  devine. 
Vos  poignets  amincis  sortent  comme  des  fleurs 
De  cette  mousseline  aux  replis  querelleurs; 
Ce  col  simple  est  charmant,  ce  chapeau  de  peluche 
Blanche,  ce  tour  de  tête  avec  son  humble  ruche, 
Vous  donnent,  ma  déesse,  un  air  tout  virginal, 
Et  chez  vous  Gavarni  complète  Juvénal. 

Vous  marcheriez  sans  bruit  parmi  les  feuilles  sèches, 
Et  si  jamais  l'enfant  Eros  manque  de  flèches, 
Il  vous  demandera  les  cils  de  cet  œil  noir. 
Quel  dommage  qu'il  soit  déià  samedi  soir, 


ODES     FVN  A.M  BVLESQVES.  (>% 

Et  qu'il  faille  chanter,  ô  ma  Muse  folâtre  ! 

Car  je  vous  aurais  dit  :   «  Le  feu  brille  dans  l'âlre, 

La  verte  salamandre  y  sautille  en  rêvant; 

Laissons  tomber  la  pluie  et  soupirer  le  vent, 

Car  les  sophas  sont  doux  loin  des  regards  moro-.  \ 

Et  nos  verres  de  vin  sont  pleins  de  rayons  roses.  » 

Mais  Karr  peut  seul  flâner  aux  grèves  d'Etretat. 
Un  dieu  ne  nous  fit  pas  ces  loisirs  :  notre  état, 
C'est  de  fouetter  au  sang,  comme  Croquemitaine, 
Tous  les  petits  vauriens,  d'une  façon  hautaine. 
Nous  leur  faisons  bien  peur!  Heureusement  je  vois 
Que  mon  Croquemitaine,  avec  sa  grosse  voix, 
Avale  à  belles  dents  les  bonbons  aux  pistaches, 
Porte  des  bas  à  jour  et  n'a  pas  de  moustaches. 
La  moustache  irait  mal  avec  sa  douce  peau. 

Mais  nous  perdons  du  temps  !  Jetez  là  ce  chapeau, 
La  robe,  les  jupons  ;  tirez  cette  baleine. 
Ce  bas  de  cachemire  avec  sa  blanche  laine; 
Otez  ce  joyau  d'or  et  ce  petit  collier. 
Il  faut,  ma  chère  enfant,  vous  mettre  en  cavalier. 
Nous  allons  dans  un  bouge  où, tout  le  longdu  drame, 
L'on  est  fort  exposée  en  costume  de  femme. 
Passez  ce  pantalon  et  ces  bottines,  qui 
Viennent  de  chez  Renard  et  de  chez  Sakoski  ; 


66  ODES     FVNAMB  VLESQ.VES. 

Cachez  votre  beau  sein  dans  un  gilet  bien  juste. 

Ce  frac  va  déguiser  tous  les  trésors  du  buste. 

Bien.  Maintenant,  prenez,  comme  les  plus  ardents. 

Le  twine  sur  le  bras  et  le  cigare  aux  dents; 

Faites  mordre  à  propos  par  l'épingle  inhumaine 

Vos  cheveux  d'or.  C'est  tout.  Venez,  et  Dieu  nous  mène! 

Le  Tartare  des  Grecs,  où  le  cruel  Typhon 
Les  cent  gueules  en  feu  paraît  encor  bouffon  ; 
Tobolsk,  la  rue  aux  Ours,  qui  n'a  pas  de  Philistes, 
L'enfer,  où  pleureront  les  matérialistes. 
La  Thrace  aux  vents  glacés,  les  monts  Hymalaïa, 
L'hôtel  des  Haricots.  Saint-Cloud,  Batavia, 
Mourzouk,  où  l'on  rôtit  l'homme  comme  une  dinde. 
Les  mines  de  Norwège  et  les  grands  puits  de  l'Inde, 
Asiles  du  serpent  et  du  caméléon, 
L'Etna,  Botany-Bav.  l'Islande  et  l'Odé-on 
Sont  des  Edens  charmants  et  des  pays  du  Tendre, 
A  côté  de  l'endroit  où  nous  allons  nous  rendre. 

Nulle  part,  fût-ce  même  au  fond  de  la  Cité. 
L'Impudeur,  la  Débauche  et  la  Lubricité, 
La  Luxure  au  front  blanc  creusé  de  cicatrices, 
Et  le  Libertinage  avec  ses  mille  vices, 
Ne  dansèrent  en  chœur  ballets  plus  triomphants  ! 
C'est  ce  que  l'on  appelle  un  Théâtre  d'enfants. 


ODES    FVNAMEVLES^VES.  07 

Figure-toi,  lecteur,  une  boîte  malsaine  ; 
Des  lauriers  de  papier  couronnent  l'avant-scène, 
Et  vous  voyez  se  tordre  avec  un  air  moqueur 
Des  camaïeus  bleu  tendre  à  soulever  le  cœur. 
Quatre  violons  faux  grincent  avec  la  flûte, 
La. clarinette  beugle,  et  dans  leur  triste  lutte 
Le  cornet  à  piston  survient  tout  essoufflé, 
Comme  un  cheval  boiteux  pris  dans  un  champ  de  blé, 
Et  qui,  les  yeux  hagards,  s'enfuit  avec  démence- 
Mais  le  rideau  se  lève  et  la  pièce  commence. 
Des  petits  malheureux  affublés  d'oripeaux, 
Infirmes,  rabougris,  et  suant  dans  leurs  peaux, 
Récitent  une  prose  à  crier  :  «  A  la  garde  !  » 
Et  brament  des  couplets  d'une  voix  nasillarde. 
La  scrofule  a  détruit  les  ailes  de  leur  nez; 
Leur  joue  est  molle  et  tombe  en  plis  désordonnés  ; 
Les  yeux  tout  chassieux  prennent  des  tons  d'absinthe, 
Et  l'épine  dorsale  a  l'air  d'un  labyrinthe. 
Ils  sautent  au  hasard  comme  de  petits  faons. 
Vous,  homme  simple  et  bon,  rien  qu'à  voir  ces  enfante, 
Estropiés  sans  doute  et  battus  par  leurs  maîtres, 
Vous  les  plaignez  déjà,  ces  pauvres  petits  êtres! 

Mais  un  monsieur  bien  mis,  un  abonné  du  lieu, 
Qui  hante  la  coulisse  et  fait  le  Richelieu, 


68  ODES     FV  N  A  M  B  VLE  SQ.V  ES. 

Vous  apprend  que  ces  nains,  dont  la  race  fourmille> 
Ont  cinquante  ans  et  sont  des  pères  de  famille. 
Ils  grisonnent  ;  ils  sont  comme  vous,  chers  lecteurs, 
Gardes  nationaux,  poètes,  électeurs, 
Et  portent  des  faux  cols  ;  c"est  le  vice  précoce 
Qui  les  a  desséchés  comme  un  pois  dans  sa  cosse; 
Leur  femme,  déjà  vieille,  élevé  un  rossignol, 
Et  l'un  d'eux  est  orné  de  quelque  ordre  espagnol. 

A  ces  mots,  voyant  clair  dans  ce  honteux  arcane, 
Honnête  citadin,  vous  prenez  votre  canne, 
Et  le  sage  parti,  trois  fois  sage  en  effet, 
De  fuir  en  maudissant  le  maire  et  le  préfet, 
A  moins  que,  comme  nous,  aimant  l'allégorie, 
Vous  ne  restiez  pour  voir  la  fantasmagorie. 
C'est  un  spectacle  heureux  et  d'un  effet  hardi. 
Il  ne  vous  montre  pas  la  lune  en  plein  midi, 
Mais  il  donne  le  droit  d'éteindre  les  chandelles. 
L'amour  est  libre  alors  et  vole  à  tire-d'ailes, 
Et  l'on  peut  souhaiter  un  endroit  écarté 
Où  de  n'être  pas  chaise  on  ait  la  liberté. 

Serrez-vous  contre  moi,  chère  Evohé,  ma  muse  ! 
Voici  l'heure  où  bientôt  l'habit  qui  les  abuse 
Va  devenir  utile,  abominablement. 
Trois  fois  heureux  encor  si  ce  déguisement, 


ODES     FVNAMBVLESQ//ES.  ÔQ 

A  dessein  médité  pour  ce  moment  critique. 
Peut  éloigner  de  vous  ce  public  éclectique! 
Donc,  à  ces  cris  que  pousse  en  mourant  la  vertu3 
Honteuse  de  mourir  sans  avoir  combattu, 
Au  bruit  de  ces  soupirs  qu'un  faible  écho  répète, 
Sauvons-nous  au  hasard  sans  tambour  ni  trompette  ! 
Allons  chez  nous,  ma  mie,  ô  ma  Muse  à  l'œil  bleu  ! 
Et,  la  main  dans  la  main,  lisons  au  coin  du  feu, 
Cependant  qu'au  dehors  le  vent  siffle  et  détonne, 
Les  Chants  du  crépuscule  et  Les  Feuilles  d'automne. 
Car,  tandis  que  là-bas    l'enfance,  sous  le  fouet, 
A  de  honteux  vieillards  sert  de  honteux  jouet, 
Il  est  doux  de  revoir,  dans  les  odes  écloses, 
Les  beaux  petits  enfants  sourire  avec  les  roses, 
Et  la  mère  au  beau  front  pour  ce  charmant  essaim 
Répandre  sans  compter  les  perles  de  son  sein  ; 
Et  d'écouter  en  soi  chanter  avec  les  heures 
L'harmonieux  concert  des  voix  intérieures! 

Décembre  1845. 

sue 


73  ODF.  ?     F  V  N  AMR  VIESQ.VES. 


L'Opéra  turc, 


C^hère  Évohé,  voici  le  carnaval  qui  vient, 
Et  l'on  danse  à  la  fin  du  mois,  s'il  m'en  souvient. 
Je  voulais  vous  montrer  une  chose  divine, 
Un  domino  charmant  que  Gavarni  dessine, 
Une  surprise,  enfin!  Pourquoi  venir  le  soir?* 
Nous  n'avons  même  pas  le  temps  de  nous  asseoir, 
Quand  j"aurais,  pour  rester  sur  ces  divans  sublimes, 
Encor  plus  de  raisons  que  vous  n'avez  de  rimes! 

Il  faut  partir.  Prenez  votre  châle,  Evohé. 
Si  je  ne  vous  savais  un  cœur  très  dévoué, 
Et  de  l'esprit  à  Mots,  si  vous  étiez  bégueule, 
Je  vous  engagerais  à  rester  toute  seule  ; 
Car  je  crois  qu'il  s'agit  d'aller,  à  pas  de  loup, 
Attaquer  un  défaut  que  vous  avez  beaucoup. 


ODES     FVN  A  M  B  UI  ES  Q^V  ES.  J\ 

Vous  voyez  trop  souvent  votre  amie  au  inng's-Charles.. 
Mais  je  ne  veux  savoir  que  ce  dont  tu  me  parles! 

Tortille  tes  cheveux  avec  des  tresses  d'or, 
O  ma  Muse,  et  volons  sur  l'aile  d'un  condor 
Jusqu'au  pays  féerique  où  les  blanches  sultanes 
Baignent  leurs  corps  polis  à  l'ombre  des  platanes, 
Et  s'enivrent  le  cœur  aux  chansons  du  harem 
Sous  les  rosiers  de  Perse  et  de  Jérusalem, 
Tandis  qu'en  souriant,  les  esclaves  tartares 
Arrachent  des  soupirs  à  l'âme  des  guitares. 

Il  était  à  Stamboul  un  théâtre  enchanteur, 
Dont  le  sultan  lui-même  était  le  directeur  : 
La  Musique  et  ses  voix,  l'altière  Poésie, 
Les  danses  de  l'Espagne  et  de  la  molle  Asie 
Enchantaient,  par  l"accord des rhythmes  bondissants, 
Ce  palais  ébloui  de  feux  resplendissants. 
Or,  le  sultan,  naguère,  en  ses  jours  d'allégresse, 
Avait  dormi  longtemps  chez  les  filles  de  Grèce, 
Et,  versant  des  parfums  sous  le  ciel  embaumé, 
Ainsi  que  Magdeleine  avait  beaucoup  aimé. 

Mais  quand  l'âge  eut  glacé  tristement  cette  lave, 
Il  fut,  à  son  hiver,  l'esclave  d'une  esclave 
Qui  lui  chantait  le  soir  de  doux  airs  espagnols, 
D'une  voix  douce  à  faire  envie  aux  rossignols. 


72  ODES     F  V  .V  A  M  B  V  L  E  S  Q.V  E  S . 

Elle  avait  les  langueurs  des  filles  de  la  Gaule, 
Soit  qu'elle  soupirât  la  romance  du  Saule, 
Ou  quelque  chant  d'amour  plaintif  ou  singulier, 
Sous  l'habit  provocant  d'un  jeune  cavalier. 
Mais  sa  pourpre,  fatale  aux  amours  des  captives, 
Buvait  le  sang  vermeil  des  blanches  et  des  Juives, 
Et  ses  regards,  emplis  de  force  et  de  douceur, 
Demandaient  chaque  mois  la  tête  d'un  danseur. 

Lorsque  la  Favorite,  avec  ses  airs  de  reine, 
Apparaissait,  portant  la  couronne  sereine 
Dont  les  lys  enflammés  ruisselaient  en  marchant, 
Tout  le  peuple  ébloui  du  ballet  et  du  chant 
Tremblait  devant  son  doigt  noyé  dans  la  dentelle. 
Un  seul  avait  trouvé  sa  grâce  devant  elle, 
Ardent  comme  un  lion  ou  comme  le  simoun. 
Un  habile  chanteur  qu'on  appelait  JMedjnoun. 
Or,  ce  jeune  homme  avait  la  perle  des  maîtresses, 
Une  blanche  houri  qui,  par  ses  longues  tresses, 
Jetait  aux  quatre  vents  tous  les  parfums  d'Ophir, 
Paupière  aux  sourcils  noirs,  prunelles  de  saphir, 
Gazelle  pour  la  grâce  indolente  des  poses, 
Nourmahal,  dont  la  lèvre  énamourait  les  roses. 

Medjnoun  se  demandait  quel  ange  au  firmament 
Avait  fondu  pour  lui  des  cœurs  de  diamant, 


ODES     F  V  N  A  M  B  VLESÇVV  ES.  73 

Lorsque,  par  une  nuit  claire  d'astres  sans  nombre, 
Errant  par  les  sentiers  du  jardin  comme  une  ombre, 
Près  d'un  kiosque  doré,  que  les  pâles  jasmins 
Et  les  lys  aux  yeux  d'or  entouraient  de  leurs  mains, 
Et'sur  lequel  aussi  dormaient  dans  la  nuit  brune 
Les  blancs  rosiers  baignés  des  blancs  rayons  de  lune, 
Par  la  fenêtre  ouverte  il  entendit  deux  voix. 

L'une  disait  (c'était  la  Favorite)  :  «  Oh  !  vois, 
Ma  Nourmahal  !  jamais  le  cœur  des  jeunes  hommes 
Ne  s'attendrit  ;  mais  nous,  ma  chère  âme,  nous  sommes 
Douces;  nos  longs  cheveux  sur  nos  seins  endormis 
Ont  l'air  en  se  mêlant  de  deux  fleuves  amis  ; 
Les  rayons  de  la  nuit  argentent  nos  pensées, 
Lorsque,  dans  un  hamac  mollement  balancées, 
Entrelaçant  nos  bras,  nous  chantons  deux  à  deux, 
Ou  que,  nous  confiant  à  des  flots  hasardeux, 
Et  laissant  l'eau  d'azur  baiser  nos  gorges  blondes, 
Nous  en  dérobons  l'or  sous  la  moire  des  ondes.  » 

La  Favorite  alors,  les  yeux  noyés  de  pleurs, 
Voyait  à  chaque  mot  éclore  mille  fleurs 
Sur  le  sein  de  l'enfant  rougissante  et  sans  voiles, 
Et,  le  regard  perdu  dans  ses  yeux  pleins  d'étoiles 
Comme  les  océans  du  ciel  oriental, 
Etait  agenouillée  aux  pieds  de  Nourmahal, 


74-  ODES     F  VN  AMBVLESÇ^VES. 

Et  Nourmahai  honteuse,  au  bout  de  chaque  phrase, 

Ramenait  sur  son  cou  sa  tunique  de  gaze. 

—  «  Permettez,  dit  Medjnoun,  entrant  à  la  Talma, 

Qu'ici  je  vous  salue,  et  que  j'emmène  ma 

Maîtresse;  il  se  fait  tard,  et  notre  chambre  est  prête.  » 

Medjnoun  fut  le  jour  même  admis  à  la  retraite. 

O  frères  de  don  Juan  !  dompteurs  des  hots  amers, 
Qui  dérobez  la  perle  au  sein  meurtri  des  mers, 
Vous  dont  l'ardente  lèvre  eût  bu  jusqu'à  la  lie 
Les  mvstères  sacrés  de  Gnide  et  d'Idalie, 
Avec  vos  doigts  sanglants  fouillez  l'œuvre  de  Dieu, 
Et  vous  ne  trouverez  jamais,  sous  le  ciel  bleu, 
Si  chaste  lèvre,  encor  pleine  de  fleurs  mi-closes, 
Dont  la  pâle  Amitié  n'ait  effeuillé  les  roses! 

Toi  qui,  depuis  longtemps,  avec  ton  pied  vainqueur, 
As  foulé  pas  à  pas  les  replis  de  mon  cœur, 
Blonde  Evohé  !  tu  sais  si  j'aime  le  théâtre. 
Polichinelle  seul  peut  me  rendre  idolâtre, 
Et,  lorsque  nous  prenons  des  billets  au  bureau, 
C'est  pour  voir,  par  hasard,   Giselle  ou  Deburau. 
Pour  la  grande  musique,  elle  est  notre  ennemie; 
Les  Lauriers  sont  coupés  et  J'aime  mieux  ma  mie, 
Avec  la  Kradoudja,  suffisent  à  nos  vœux, 
Et  le  moindre  trio  fait  dresser  nos  cheveux. 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q^V  E  S .  75 

Eh  bien  !  ma  pauvre  fille,  il  faut  parler  musique  ! 
La  basse  foudroyante  et  le  ténor  phthisique 
Xous  font  l'œil  en  coulisse  et  demandent  nos  vers  ; 
Duègne  au  nez  de  rubis,  ingénue  aux  bras  verts, 
Ciel  rouge,  galonné  de  quinquets  pour  la  frange, 
Il  faut  décrire  tout,  jusqu'aux  arbres  orange. 
La  clarinette  aspire  à  des  canards  écrits, 
Et  le  bugle  naissant  nous  réclame  à  grands  cris. 

Donc,  samedi  prochain  nous  dirons  à  l'Europe 
Comme  tombe  le  cèdre  au  niveau  de  l'hysope, 
Et  comment,  et  par  quels  joueurs  d'accordéon, 
L'Opéra,  devenu  pareil  à  l'Odéon, 
A  vu,  depuis  trois  ans,  aux  stalles  dédaignées, 
S'empiler  en  monceau  les  toiles  d'araignées; 
Et  comment  il  a  fait,  pour  trouver  un  ténor, 
Des  voyages  plus  longs  que  tous  ceux  d'Anténor. 

Après  tous  nos  malheurs  et  ton  frac  mis  en  loques, 
Tu  dois  haïr  Thalie  et  toutes  ses  breloques  ; 
Mais  si  tu  peux  encor  me  suivre  sans  frémir, 
Je  te  promets  ce  soir  ce  bijou  de  Kashmir 
Qu'un  faible  vent  d'été  ride  comme  les  vagues, 
Et  qui  passe  au  travers  des  plus  petites  bagues. 

Décembre  1S45. 


76  ODES     F  VN  A  M  B  VLES  Q^V  E  S. 


Académie  royale  de   musiaue. 


\_J  Parnasse  lyrique!  Opéra!  palais  d?or! 

Salut  !  L'antique  Muse,  en  prenant  son  essor, 

Fait  traîner  sur  ton  front  ses  robes  sidérales 

Et  défiler  en  chœur  les  danses  sculpturales. 

Peinture  !  Poésie  !  arts  encore  éblouis 

Des  rayons  frissonnants  du  soleil  de  Louis  ! 

Musique,  voix  divine  et  pour  les  cieux  élue, 

O  groupe  harmonieux,  Beaux-Arts,  je  vous  salue! 

O  souvenirs  !  c'est  là  le  théâtre  enchanté 
Où  Molière  et  Corneille  et  Mozart  ont  chanté. 
C'est  là  qu'en  soupirant  la  Mort  a  pris  Alceste  ; 
Là,  Psvché,  tout  en  pleurs  pour  son  amant  céleste, 
A  croisé  ses  beaux  bras  sur  le  rocher  fatal; 
Là,  naïade  orgueilleuse  aux  palais  de  cristal, 


ODES     F  Y  N  A  M  B  V  L  E  S  <^V  ES.  77 

Versailles,  reine  encore,  a  chanté  son  églogue  ; 
Là,  parmi  les  détours  d'un  charmant  dialogue, 
Angélique  et  Renaud,  Cybèle  avec  Atys 
Ont  cueilli  la  pervenche  et  le  myosotis, 
Et  la  Muse  a  suivi  d'un  long  regard  humide 
Le^  amours  d'Amadis  et  les  amours  d'Armide. 
Là.  Gluck  avec  Quinault,  Quinault  avec  Lulli 
Ont  chanté  leurs  beaux  airs  pour  un  siècle  poli  : 
Là,  Rossini,  vainqueur  des  lyres  constellées, 
Fit  tonner  les  clairons  de  ses  grandes  mêlées, 
Et  lit  naître  à  sa  voix  ces  immortels  d'hier, 
Ces  vieux  maîtres  :  Auber,  Halévy,  Meyerbeer. 

C'est  là  qu'Esméralda,  la  danseuse  bohème, 
Par  la  voix  de  Falcon  nous  a  dit  son  poëme, 
Et  que  chantait  aussi  le  cygne  abandonné 
Dont  le  suprême  chant  ne  nous  fut  pas  donné. 
Ici  Taglioni,  la  fille  des  sylphides. 
A  fait  trembler  son  aile  au  bord  des  eaux  perfides, 
Puis  la  Danse  fantasque  auprès  des  mêmes  flots 
A  fait  carillonner  ses  grappes  de  grelots. 
O  féerie  et  musique  !  ô  nappes  embaumées 
Qu'argentent  les  wilis  et  les  pâles  aimées! 
O  temple!  clair  séjour  que  Phébus  même  élut, 
Parnasse!  palais  d'er  !  grand  Opéra,  salut! 


78  ODES     FVN  AMB  VLESQ_VES. 


Le  cocher  s'est  trompé.  Nous  sommes  au  Gymnase. 
Un  peuple  de  bourgeois,  nez  rouge  et  tête  rase, 
Étale  des  habits  de  Quimper-Corentin. 
Un  notaire  ventru  saute  comme  un  pantin. 
Auprès  d'un  avoué  chauve,  une  cataracte 
D'éloquence  ;  sa  femme  est  verte  et  lit  VEntr'acte. 
Elle  arbore  de  l"or  et  du  strass  à  foison, 
Et  renifle,  et  sa  gorge  a  l'air  d'une  maison. 
Auprès  de  ce  sujet,  dont  la  face  verdoie, 
S'étalent  des  cous  nus,  pelés  comme  un  cou  d'oie 
Plumée  ;  et,  pêle-mêle,  au  long  de  tous  ces  bancs 
Traînent  toute  l'hermine  et  tous  les  vieux  turbans 
Qui,  du  Rhin  à  l'Indus,  aient  vieilli  sur  la  terre. 
J'apprends  que  l'un  des  cous  est  fille  du  notaire. 

O  ciel  !  voici,  parmi  ces  gens  à  favoris, 
Un  vieux  monsieur  qui  porte  un  habit  de  Paris. 
Il  a  l'air  fort  honnête  et  reste  bouche  close  ; 
Adressons-nous  à  lui  pour  savoir  quelque  chose. 
C'est  une  occasion  qu'il  est  bon  de  saisir. 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  1  E  S  q_V  E  S . 


Moi. 

Monsieur,  voudriez-vous  me  faire  le  plaisir 

De  me  dire  quels  sont  ces  cous  d'oie  et  ces  hommes 

Jaunes,  et  dans  quel  lieu  de  la  terre  nous  sommes? 

Je  me  suis  égaré,  cette  dame  est  ma  sœur. 

Où  suis-je? 

Le  monsieur  qui  a  l'air  honnête. 
A  l'Opéra. 

Moi. 

Vous  êtes  un  farceur! 

Le  notaire  ventru. 

Oui,  biche,  le  rideau  que  tu  vois  représente 
Le  roi  Louis  Quatorze  en  seize  cent  soixante- 
Douze.  Il  portait,  ainsi  que  l'histoire  en  fait  foi, 
Une  perruque  avec  des  rubans.  Le  grand  roi, 
Entouré  des  seigneurs  qui  forment  son  cortège, 
Donne  à  Lulli,  devant  sa  cour,  le  privilège 
De  l'Opéra,  qu'avait  auparavant  l'abbé 
Perrin. 


80  Û  D  F.  3     F  V  N  A  M  B  V  X.  E  SQV  E  S. 

Un  des  cous. 
Papa,  je  crois  que  mon  gant  est  tombe. 

Le  notaire  ventru. 
Case  nettoie  avec  de  la  gomme  élastique. 

L'avoué. 
Oui.  madame,  j'assigne  et  voilà  ma  tactique. 

Un  avocat. 

On  l'appelait  au  Mans  maître  Pichu  minor. 
Et  moi  maître  Pichu  major. 

M.  Josse. 

Le  Koh-innor... 
Un  lampiste  à   lunettes  d'or. 
Silence! 

Le  bâton  du  régisseur. 
Pan  '   :an  !  pan  ! 

L'avoué. 

Je  ne  suis  pas  leur  dupe 


ODES     F  V  N  A  M  B  VL  E  S  QV  ES.  8l 

Second  cou. 
Maman,  ce  gros  monsieur  veut  s'asseoir  sur  ma  jupe. 

La  dame  verte. 

Pincc-le. 

Le  notaire  ventru. 

Je  ne  sais  où  sera  le  nouvel 
Opéra.  C'est,  dit-on,  à  l'ancien  que  Louvel... 

L'orchestre. 
Tra,  la,  la,  la,  la;  ta,  la,  la,  la,  lère. 

Moi. 

Qu'est-ce 
Que  ce  bruit-là,  monsieur? qu'a  donc  la  grosse  caisse 
Contre  ces  violons  enrhumés  du  cerveau  ? 
Et  pourquoi  préluder  à  l'opéra  nouveau 
Par  J'ai  du  bon  tabac? 

Le  monsieur  qui  a  l'air  honnête. 

Monsieur,  c'est  l'ouverture 
De  Guillaume  Tell. 

Moi. 
Ah! 


8^  O  D  F.  S    FVN  A  MB  VI.ESQVES. 

L'avocat. 

Madame,  la  nature 
De  la  pomme  de  terre  est  d'aimer  les  vallons. 
Elle  atteint  dans  le  Puy  la  grosseur  des  melons. 

Premier  cou. 
Mon  corset  me  fait  mal. 

M.  Canaple  sur   la  scène. 

«  Ir.  chante  et  l'Helvétie 
Pleure  sa  liberté  !  » 

L'avocat. 

Que  la  démocratie 
S'organise,  on  verra  tous  les  partis  haineux 
Fondre  leurs  intérêts. 

Choeur  général  sur  la  scène. 

«  CÉLÉBRONS  LES  DOU.X  NOEUDS  !  )> 

Second  cou. 
Mon  cothurne  est  cassé. 


OD  E>    F  V  N  A  M  B  VLESQ_VES.  8} 

M.  don  Juan  dans  la  loge  infernale. 

Veux-tu  nous  aimer,  Gothe? 
Soupons-nous  à  Y  Anglais? 

3/lle  Gothe  sur  la  scène. 

Non,  c'est  une  gargote. 

Chœur  des  Suisses  sur  la  scène. 
a  Courons  armer  nos  bras  !  » 

Un  triangle  égaré, 

Ktsin  ! 

Une  clarinette  retardataire. 

Trum  ! 

Chœur  de  femmes  sur  la  scène. 

«Toi  que  l'oiseau 

Ne  suivrait  pas  !  » 

L'avoué. 

Monsieur,  ma  femme  est  un  roseau 
Pour  la  douceur. 


84.  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  (W  E  S. 

Un  violon  méchant. 
Vzrumz  !  vzrumz! 

M.  Arnoux  sur  le  théâtre. 

Hou  !  hou! 

M.  Obin  sur  le  théâtre. 

Tra,  tra. 
Premier  cou. 

Til 

Le  monsieur  met  son  pied  le  long  de  ma  bottine. 

M.  Arnoux  sur  le  théâtre. 

LA  HOU,  LA  HOU,  LA  HA, 

M.  Obin  sur  le  théâtre. 

Tra  trou,  trou  trAj  trou,  trou  ! 

Le  notaire  ventru. 
Monsieur,  que  pensez-vous  du  Genest  de  Rotrou  ? 

Chœur  des  Suisses  sur  la  scène. 
«  Le  glaive  arme  nos  bras  !  » 


ODES      FVNAMBVLES  QJV  ES.  85 

L'aVOllé. 

Mais  !  la  pièce  est  baroque. 
Ce  n'est  pas  tout  à  fait  dans  les  mœurs  de  l'époque- 
Elle  aurait  eu  besoin  d'un  bon  coup  de  ciseau. 

Le  notaire  ventru. 
Hum  !  c'est  selon. 

M.  Arnoux  sur  le  théâtre. 
Hou  !  hou  ! 

M.  Obin  sur  le  théâtre. 

Tra  !  TRA  ! 

Chœur  de  femmes  sur  la  scène. 

«Toi  qui:  l'oiseau  !...  » 

C/uvur  de  femmes  sur  la  scène. 
«  Toi  qui  n'es  pas...  » 

M.  Arnoux  sur  le  théâtre. 
Hou  !  hou  ! 

M.  Obin  sur  le  théâtre. 

Tra  !  tra  ! 


86  ODE?     F  V  X  A  M  B  V  L  E  ?  QV  E  S . 

La  dame  verte. 

J'ai  chaud  aux  joues. 

Le  triangle  égaré. 
Ktsih  ! 

La    clarinette  retardataire. 

Tri'm  ! 

Le  notaire  ventru. 
Bibiche,  c'est  le  morceau  que  tu  joues 
Sur  ton  piano. 

Premier  cou. 
Ça! 

L'avoué. 

J'ai  dit  à  Ducluzeau 
Ce  que  c'est  que  l'affaire. 

M.  Arnoux  sur  le  théâtre. 

Hou  !  hou! 

Chœur  de  femmes  sur  la  scène. 

«  Toi  que  l'oiseau  !. 


ODES     FVNAMBVLESQVES.  87 


\J  ma  blonde  Évohé,  ma  muse  au  chant  de  cygne, 
Regarde  ce  qu'ils  font  de  ce  théâtre  insigne. 
O  pudeur  !  autrefois,  dans  ces  décors  vivants 
Où  l'œil  voyait  courir  le  souffle  ailé  des  vents. 
L'eau  coulait  en  ruisseau  dans  les  conques  de  marbre, 
Et  le  doigt  du  zéphyr  pliait  les  feuilles  d'arbre. 

L'orchestre  frémissant  envoyait  à  la  fois 
Son  harmonie  à  l'air  comme  une  seule  voix; 
Tout  le  corps  de  ballet  marchait  comme  une  armée  : 
Les  déesses  du  chant,  troupe  jeune  et  charmée, 
Belles  comme  Ophélie  et  comme  Alaciel, 
Avaient  dans  le  gos^r  tous  les  oiseaux  du  ciel; 
La  danse  laissait  voir  tous  les  trésors  de  Flore 
Sous  les  plis  de  maillots,  vermeils  comme  l'aurore  ; 
C'était  la  vive  Elssler,  ce  volcan  adouci, 
Lucile  et  Carlotta,  celle  qui  marche  aussi 


88  ODES    fvhahbvi.es  q_v  e  s. 

Avec  ses  pieds  charmants,  armés  d'ailes  hautaines, 
Sur  la  cime  des  blés  et  l'azur  des  fontaines. 
L'audace  d'une  femme,  arrêtant  ce  concours, 
A  remis  une  bande  au  bas  des  jupons  courts 
Et  plongé  les  ténors  au  sein  de  la  banlieue. 

Cruelle  Eris,  déesse  à  chevelure  bleue, 
Déesse  au  dard  sanglant,  déesse  au  fouet  vainqueur, 
Change  mon  encre  en  fiel  ;  mets  autour  de  mon  cœur 
L'armure  adamantine,  et  dans  mon  front  évoque, 
Mètre  de  clous  armé,  l'ïambe  d'Archiloque  ! 
L'ïambe  est  de  saison,  l'ïambe  et  sa  fureur. 
Pour  peindre  dignement  ces  spectacles  d"horreur 
Et  les  sombres  détails  de  ce  cloaque  immense. 
Vous,  mesdames,  prenez  vos  flacons,  je  commence. 

Un  fantôme  d'Habneck,  honteux  de  son  déchet, 
Agite  tristement  un  fantôme  d'archet; 
L"harmonieux  vieillard  est  quinteux  et  morose  : 
Il  est  devenu  gai  comme  Louis  Monrose. 
Ses  violons  fameux  que  l'on  voyait,  dit-on, 
Pleins  d'une  ardeur  si  noble,  obéir  au  bâton, 
L'archet  morne  à  présent  et  la  corde  lâchée, 
Semblent  se  conformer  à  sa  mine  fâchée; 
Et  tout  l'orchestre,  avec  ses  cuivres  en  chaudrons, 
Ainsi  qu'un  vieux  banquier  poursuivant  les  tendrons 


ODES     FVNAMBVLESQVES.  89 

Ou  qu'un  vers  enjambant  de  césure  en  césure, 
Lui-même  se  poursuit  de  mesure  en  mesure. 

La  musique  sauvage  et  le  drôle  de  cor 
Qui  guide  au  premier  mai  la  famille  Bouthor; 
Chez  notre  Deburau,  les  trois  vieillards  épiques 
Qui  font  grincer  des  airs  pointus  comme  des  piques; 
Le  concert  souterrain  des  aveugles;  enfin 
L'antique  piano  qui  grogne  à  Séraphin 
Et  l'orchestre  des  chiens  qu'on  montre  dans  les  foires, 
Auprès  de  celui-là  charment  leurs  auditoires. 
Mais  si  rempli  qu'il  soit  de  grincements  de  dents, 
Quels  que  soient  les  canards  qui  barbotent  dedans, 
Si  féroce  qu'il  semble  à  toute  oreille  tendre^ 
Il  vaut  mieux  que  le  chant  qu'il  empêche  d'entendre. 

Les  choristes,  rangés  en  affreux  bataillons, 
Marchent  ad  libitum  en  traînant  des  haillons; 
Les  femmes,  effrayant  le  dandy  qu'elles  visent, 
Chantent  faux  des  vers  faux  ;  même,  elles  improvisent  ! 
O  ruines  !  leurs  dents  croulent  comme  un  vieux  mur, 
Et  ces  divinités,  toutes  d'un  âge  mûr, 
Dont  la  plus  séduisante  est  horriblement  laide, 
Font  rêver  par  leurs  os  aux  dagues  de  Tolède. 
Leurs  jupons  évidés  marchent  à  grands  frous-frous, 
Et  leur  visage  bleu,  percé  de  mille  trous, 


ÇO  ODES     PVNAMBVI.ES  Q_V  E  S . 

S'étale  avec  orgueil  comme  une  vieille  cible. 
Les  hommes  sont  plus  laids  encor,  si  c'est  possible. 
Triste  fin  !  si  Ton  songe,  en  voyant  ces  objets, 
Que  ce  chœur  endurci  vaut  les  premiers  sujets  ! 

Plus  de  ténors!  Leur  si  demande  un  cataplasme, 
Et  Yut.  le  fameux  ut,  tombe  dans  le  marasme. 
En  vain  Pillet  tremblant  envoya  ses  zélés 
Parcourir  l'Italie  avec  leurs  pieds  ailés; 
En  vain  ils  ont  fouillé  Rome,  ville  papale, 
Naples.  où  la  princesse  à  la  pâleur  fatale 
Donne  des  rendez-vous  aux  jeunes  cavaliers, 
Et,  courtisane  avec  des  palais  en  colliers, 
Venise,  où  lord  Bvron,  deux  fois  vainqueur  des  ondes, 
Poussait  son  noir  coursier  le  long  des  vagues  blondes, 
Et  Florence,  où  l'Arno.  parmi  ses  flots  tremblants, 
Mêle  l'azur  du  ciel  avec  les  marbres  blancs  ; 
Jusqu'au  golfe  enchanteur  qu'un  paradis  limite, 
Vut  ne  veut  plus  lutter,  le  ténor  est  un  mythe. 

Seul,  ô  Duprez  !  toujours  plus  grand,  toujours  vainqueur. 
Toujours  lançant  au  ciel  ton  chant  qui  sort  du  cœur, 
Fièrement  appuyé  sur  ta  large  méthode, 
Qui  reste,  comme  l'art,  au-dessus  de  la  mode, 
O  Duprez!  ô  Robert!  Arnold!  Eléazar! 
En  voyant  les  cailloux  qu'on  met  devant  ton  char, 


ODES     F  V  N  A  MB  VLESQVES.  01 

Et  les  rivaux  honteux  que  la  haine  te  donne 
Lorsque  ta  voix  sublime  à  la  fin  t'abandonne. 
Toujours  maître  de  toi,  tu  luttes  en  héros, 
Toujours  roi,  toujours  fort,  tandis  que  tes  bourreaux 
Inventent  vingt  ténors  devant  qui  l'on  s'incline, 
Et  qui  durent  un  an,  comme  la  crinoline. 

Ah  !  du  moins  nous  avons  la  Danse,  un  art  divin! 
Et  l'homme  le  plus  fait  pour  être  un  écrivain, 
Célébrât-il  Louis  et  portât-il  perruque, 
Fût-il  Caton,  fût-il  Boileau,  fût-il  eunuque, 
Ne  pourrait  découvrir  l'ombre  d'un  iota 
Pour  défendre  à  ses  vers  d'admirer  Carlotta. 
Son  corps  souple  et  nerveux  a  de  suaves  lignes; 
Vive  comme  le  vent,  douce  comme  les  cvgnes, 
L'aile  d'un  jeune  oiseau  soutient  ses  pieds  charmants, 
Ses  yeux  ont  des  reflets  comme  des  diamants, 
Ses  lèvres  à  l'Eden  auraient  servi  de  portes; 
Le  jardin  de  Ronsard,  de  Belleau,  de  Desportes, 
Devant  Cypre  et  Chloris  toujours  extasiés, 
A,  pour  les  embellir,  donné  tous  ses  rosiers. 

Elle  va  dans  l'azur,  laissant  flotter  ses  voiles, 
Conduire  en  souriant  la  danse  des  étoiles, 
Poursuivre  les  oiseaux  et  prendre  les  rayons; 
Et,  par  les  belles  nuits,  d'en  bas  nous  la  voyons, 


92  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  5  Q_V  E  5 . 

Dans  les  plaines  du  ciel  d'ombre  diminuées, 
Jouer,  entrelacée  à  ses  sœurs  les  nuées, 
Ouvrir  son  éventail  et  se  mirer  dans  l'eau. 

Qu'auriez-vous  pu  trouver  à  redire,  ô  Boileau? 
Une  chose  bien  simple,  hélas  !  La  jalousie 
Nous  cache  tout  ce  luxe  et  cette  poésie, 
De  même  qu'autrefois,  par  un  crime  impuni, 
Les  mêmes  envieux  cachaient  Taglioni, 
Cet  autre  ange  charmant  des  cieux  imaginaires. 
Sombre  Junon  !  Les  Dieux  ont-ils  de  ces  colères? 

Aimez-vous  les  décors?  On  n'en  met  nulle  part. 
Les  vieux  servent  toujours,  percés  de  part  en  part, 
Et,  par  la  main  du  Temps  noircis  comme  des  forges, 
Ils  pendent  en  lambeaux  comme  de  vieilles  gorges. 
Les  arbres  sont  orange,  et,  dans  Guillaume  Tell, 
La  montagne  est  percée  à  jour  comme  un  tunnel. 
Le  temple  de  Robert,  ses  colonnes  en  loques, 
S'agite  aux  quatre  vents  comme  des  pendeloques, 
Et  le  couvent  a  l'air  de  s'être  bien  battu. 
Dans  La  Muette  enfin,  mirabile  dictu! 
L'éruption  se  fait  avec  du  papier  rouge 
Derrière  lequel  brille  un  lampion  qui  bouge. 

Le  machiniste,  un  sage,  ennemi  des  succès, 
Imite  à  tour  de  bras  le  Théâtre-Français. 


ODE>     FVN  AMBVLESQ_VES.  93 

Les  travestissements,  les  changements  à  vue, 
Les  transformations  sont  comme  une  revue 
De  la  garde  civique  :  on  les  manque  toujours. 
Les  Français,  l'Odéon,  sont  les  seules  amours 
Du  machiniste  en  chef;  il  a  cette  coutume 
D'étrangler  les  acteurs  en  tirant  leur  costume. 
Quelques-uns  sont  vivants  ;  s'ils  en   ont  réchappé, 
C"est  que  le  machiniste  une  fois  s'est  trompé, 
Et  rè-ait  d'Abufar,  qu'il  voit  chaque  dimanche. 
C'est  un  homme  d'esprit  qui  prendra  sa  revanche. 

Enfin,  on  voit  maigrir,  comme  un  corps  de  ballet, 
Des  marcheuses,  des  rats,  peuple  jaune  et  fort  laid, 
Qui  n'ont  jamais  dansé  qu'à  la  Grande-Chartreuse, 
Et  qui,  réjouissant  de  leur  maigreur  affreuse 
Les  lions  estompés  au  cosmétique  noir, 
Prennent  des  rendez-vous  pour  le  souper  du  soir. 

Nous  qui  ne  sommes  pas  danseurs,  prenons  la  fuite. 
Allons  souper  aussi,  mon  cœur,  mais  tout  de  suite, 
Et  tâchons  d'oublier,  en  buvant  de  bons  vins, 
Cet  hospice  fameux,  rival  des  Quinze-Vingts. 

Décembre   1845. 


94:  ODES     FVNAMBVI.ES  Q_V  E  ; 


L'Amour  à  Pari?. 


.Tille  du  grand  Daumier  ou  du  sublime  Cham, 
Toi  qui  portesdureps  el  du  madapolam, 
O  Muse  de  Paris!  toi  par  qui  l'on  admire 
Les  peignoirs  érudits  qui  naissent  chez  Palmvre, 
Toi  pour  qui  notre  siècle  inventa  les  corsets 
A  la  minute,  amour  du  puff  et  du  succès! 
Toi  qui  chez  la  comtesse  et  chez  la  chambrière 
Colportes  Marivaux  retouché  par  Barrière, 
Précieuse  Evohé  !  chante,  après  Gavarni, 
L'amour  et  la  constance  en  brodequin  verni. 
Dans  ces  pays  lointains  situés  à  dix  lieues, 
Où  TOise  dans  la  Seine  épanche  ses  eaux  bleues, 
Parmi  ces  Saharas  récemment  découverts, 
Quand  l'indigène  ému  voit  passer  dans  nos  vers 


ODES     FVNAMBVLESQVES.  0  $ 

0 

Ces  mots  déjà  caducs  :  rat,  grisette  ou  lorette, 
Il  se  cabre,  on  l'entend  fredonner  :  Turlurette ! 
Et,  l'oeil  dans  le  ciel  bleu,  ce  naturel  naïf 
Evacue  un  sonnet  imité  de  Baïf. 
11  voit  dans  le  verger  qu'il  eut  en  patrimoine 
Tourbillonner  en  chœur  les  cauchemars  d'Antoine  ; 
Le  voilà  frémissant  et  rouge  comme  un  coq  ; 
Il  rêve,  il  doute,  il  songe,  et  tout  son  Paul  de  Kock 
Lui  revient  en  mémoire,  et,  pendant  trois  semaines, 
Fait  partir  à  ses  yeux  des  chandelles  romaines 
Et  dans  son  cœur  troublé  met  tout  en  désarroi, 
Comme  un  feu  d'artifice  à  la  fête  du  roi. 

La  grisette!  Il  revoit  la  petite  fenêtre. 
Les  rayons  souriants  du  jour  qui  vient  de  naître, 
A  leur  premier  réveil,  comme  un  cadre  enchanteur, 
Dorent  les  liserons  et  les  pois  de  senteur. 
Une  tête  charmante,  un  ange,  une  vignette 
De  ce  gai  reposoir  agace  la  lorgnette. 
En  voyant  de  la  rue  un  rire  triomphant 
Ouvrir  des  dents  de  perle,  on  dirait  qu'un  enfant 
Ou  quelque  sylphe,  épris  de  leurs  touffes  écloses, 
A  fait  choir,  en  jouant,  du  lait  parmi  les  roses. 

Elle  va  se  lacer  en  chantant  sa  chanson, 
Lisette  ou  L'Andalouse  ou  bien  Mimi  Pinson. 


ç6  ODES     F  V  H  A  M  B  V  L  E  S  <^V  E  S 

» 1 


Puis  tendre  son  bas  blanc  sur  sa  jambe  plus  blanche  ; 
Les  plis  du  frais  jupon  vont  embrasser  sa  hanche 
Et  cacher  cent  trésors,  et  du  cachot  de  grès 
La  naïade  aux  yeux  bleus  glissera  sans  regrets 
Sur  sa  folle  poitrine  et  sur  son  col,  que  baigne 
Un  doux  or  délivré  des  morsures  du  peigne. 

Ce  poëme  fini,  dans  un  grossier  réseau 
Elle  va  becqueter  son  déjeuner  d"oiseau, 
Puis,  son  ouvrage  en  main,  sur  sa  chaise  de  paille, 
La  folle  va  laisser,  tandis  qu'elle  travaille, 
L'aiguille  aux  dents  d'acier  mordre  ses  petits  doigts 
Et,  comme  un  frais  méandre  égaré  dans  les  bois, 
Elle  entrelacera,  modeste  poésie, 
Les  fleurs  de  son  caprice  et  de  sa  fantaisie. 

C'est    ce  que  l'on  appelle  une  brodeuse.  Hélas  ! 
Depuis  qu'en  ses  romans,  faits  pour  le  doux  Hylas, 
Paul  de  Kock  embellit,  d'une  main  paternelle, 
Cette  fleur  d'amourette  en  soulier  de  prunelle, 
Combien  ces  frais  croquis,  plus  faux  que  des  jetons, 
Ont  fait  dans  notre  ciel  errer  de  Phaétons  ! 
La  grisette,  doux  rêve  !  Elle  avait  ses  apôtres, 
B-ilzac  et  Gavarni  mentaient  comme  les  autres; 
Mais,  un  jour,  Roqueplan,  s'étant  mis  à  l'affût, 
Dit  un  mot  de  génie,  et  la  Lorette  fut! 


ODES     FVNAHBVIES^VES.  Ç7 

Hurrah!  les  Aglaé  !  les  Ida,  les  charmantes, 
En  avant  !  Le  Champagne  a  baptisé  les  mantes  ! 
Déchirons  nos  gants  blancs  au  seuil  de  l'Opéra  ! 
Après,  la  Maison-d'Or  !  Corinne  chantera, 
Et  puis,  nous  ferons  tous,  comme  c'est  nécessaire. 
Des  mots  qui  paraîtront  demain  dans  Le  Corsaire  ! 
Des  mots  tout  neufs,  si  bien  arrachés  au  trépas, 
Qu'ils  se  rendent  parfois,  mais  qu'ils  ne  meurent  pas  ! 

Ecoutez  Pomaré,  reine  de  la  folie, 
Qui  chante  :  Un  général  de  l'armée  d'Italie! 
Ah  !  bravo  !  c'est  épique,  on  ne  peut  le  nier. 
Quel  aplomb!  je  l'avais  entendu  l'an  dernier. 
Vive  Laïs  !  Corinthe  existe  au  sein  des  Gaules  ! 
Ah  !  nous  avons  vraiment  les  femmes  les  plus  drôles 
De  Paris!  Périclès  vit  chez  nous  en  exil, 
Et  nous  nous  amusons  beaucoup.  Quelle  heure  est-il? 

Evohé  !  toi  qui  sais  le  fond  de  ces  arcanes, 
Depuis  la  Maison-d'Or  jusqu'au  bureau  des  cannes, 
Toi  qui  portas  naguère  avec  assez  d'ardeur 
Le  claque  enrubanné  du  fameux  débardeur, 
Apparais!  Montre-nous,  ô  femme  sibylline, 
La  pâle  Vérité  nue  et  sans  crinoline, 
Et  convaincs  une  fois  les  faiseurs  de  journaux 
De  complicité  vile  avec  les  Oudinots. 


98  ODES     rVXAMBVLESQ_VES. 

Descends  jusques  au  fond  de  ces  hontes  immenses 
Qui  sont  le  paradis  des  auteurs  de  romances, 
Dis-nous  tous  les  détours  de  ces  gouffres  amers, 
Et  si  la  perle  en  feu  rayonne  au  fond  des  mers. 
Et  quels  monstres,  avec  leurs  cent  gueules  ouvertes, 
Attendent  le  nageur  tombé  dans  les  eaux  vertes. 

Mène-nous  par  la  main  au  fond  de  ces  tombeaux  ! 
Montre  ces  jeunes  corps  si  pâles  et  si  beaux 
D'où  la  beauté  s'enfuit,  désespérée  et  lasse! 
Fais-nous  voir  la  misère  et  l'impudeur  sans  grâce! 
Parcours,  en  exhalant  tes  regrets  superflus, 
Ces  beaux  temples  de  l'âme  où  le  dieu  ne  vit  plus, 
Sans  craindre  d'y  salir  ta  cheville  nacrée. 
Tu  peux  entrer  partout,  car  la  Muse  est  sacrée. 

Mais  du  moins.  Evohé,  si  la  jeune  Lais, 
Avec  ses  cheveux  d'or,  blonds  comme  le  maïs, 
N'enchaîne  déjà  plus  son  amant  Diogène; 
Dans  ces  murs,  d'où  s'enfuit  l'esprit  avec  la  gène, 
Si  leur  Alcibiade  et  leur  sage  Phryné 
Abandonnent  déjà  ce  siècle  nouveau-né  ; 
Si  dans  notre  Paris  Athènes  est  bien  morte, 
Dans  les  salons  dorés  où  se  tient  à  la  porte 
La  noble  Courtoisie,  il  est  plus  d'un  grand  nom 
Qui  dérobe  la  grâce  et  l'esprit  de  Ninon. 


ODES     FV  N  AMB  VLESQ^V  ES.  99 

Là,  l'amour  est  un  art  comme  la  poésie  : 

Le  Caprice  aux  yeux  verts,  la  rose  Fantaisie 

Poussent  la  blanche  nef  que  guident  sur  son  lac 

Anacréon.  Ovide  et  le  divin  Balzac, 

Et  mènent  sur  ces  flots,  où  le  doux  zéphyr  passe, 

La  Volupté  plus  belle  encore  que  la  Grâce  ! 

O  doux  mensonge  !  Avec  tes  ongles  déjà  longs, 
Tâche  d'égratigner  la  porte  des  salons, 
Et  peins-nous,  s'il  se  peut,  en  paroles  courtoises, 
Les  amours  de  duchesse  et  les  amours  bourgeoises! 
Dis  l'enfant  Chérubin  tenant  sur  ses  genoux 
Sa  marraine  aujourd'hui  moins  sévère;  dis-nous 
La  nouvelle  Phryné,  lascive  et  dédaigneuse, 
Instruisant  les  d'Espard  après  les  Maufrigneuse  ; 
Dis-nous  les  nobles  seins  que  froissent  les  talons 
Des  superbes  chasseurs  choisis  pour  étalons; 
Et-comment  Messaline,  encore  extasiée, 
Au  matin  rentre  lasse  et  non  rassasiée, 
Pâle,  essoufflée,  en  eau,  suivant  l'ombre  du  mur, 
Tandis  que  son  époux,  orateur  déjà  mûr, 
Dans  son  boudoir  de  pair  désinfecté  par  l'ambre, 
Interpelle  un  miroir  en  attendant  la  Chambre! 

Ah  !  posons  nos  deux  mains  sur  notre  cœur  sanglant  ! 
Ce  n'est  pas  sans  gémir  qu'on  cherche,  en  se  troublant, 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q_V  E  S . 


Quelle  plaie  ouvre  encor,  dans  l'éternelle  Troie, 
L'implacable  Cypris  attachée  à  sa  proie  ! 
Quand  il  parle  d'amour  sans  pleurer  et  crier, 
Le  plus  heureux  de  nous,  quel  que  soit  le  laurier 
Ou  le  myrte  charmant  dont  sa  tête  se  ceigne, 
Sent  grincer  à  son  flanc  la  blessure  qui  saigne, 
Et  se  plaindre  et  frémir,  avec  un  ris  moqueur, 
L'ouragan  du  passé  dans  les  flots  de  son  cœur! 


Janvier  1846. 


ODES     F  VN  AMBVLESQ^V  F  S.  IOI 


Une  Vieille  Lune. 


Moi. 

Chère  infidèle  !  eh  bien,  qu'êtes-vous  devenue? 
Depuis  quinze  grands  jours  vous  n'êtes  pas  venue  ! 
Chaque  nuit,  à  l'abri  du  rideau  de  satin. 
Ma  bougie  en  pleurant  brûle  jusqu'au  matin; 
Je  m'endors  sans  tenir  votre  main  adorée, 
Et  lorsque  vient  l'Aurore  en  voiture  dorée, 
Je  cherche  vainement  dans  les  plis  des  coussins 
Les  deux  nids  parfumés  où  s'endorment  vos  seins, 
Comme  de  doux  oiseaux  sur  le  marbre  des  tombes. 
Qu'en  faisiez-vous  là-bas  de  ces  blanches  colombes? 
Et  tu  ne  m'aimes  plus. 

Evohé. 

Je  vous  aime  toujours. 


102  ODC-    PVNAMBV1ESQVES. 

Moi. 
Que  faisais-tu,  rivale  en  fleur  des  Pompadours? 
Un  corset  un  peu  juste,  une  étroite  chaussure 
Ont-ils  égratigné  d'une  rose  blessure 
Tes  beaux  pieds  frissonnants  comme  des  lys  pâlis? 
Un  drap  trop  dur,  froissé  par  tes  ongles  polis, 
A-t-il  enfin  meurtri,  dans  ses  neiges  tramées, 
Ces  bijoux  rougissants,  pareils  à  des  camées? 
As-tu  brisé  ta  lyre  en  chantant  Kradoudja? 
Ou  bien,  dans  ces  doux  vers  que  l'on  aimait  déjà, 
Ta  soubrette  Cypris  a-t-elle,  d'aventure, 
En  te  frisant  le  soir,  plié  ta  chevelure? 
•\s-tu  perdu  ta  voix  et  ton  gazouillement? 

Êvohé. 

Je  suis  harmonieuse  et  belle,  ô  mon  amant  ! 
Le  drap  tissu  de  neige  et  la  chaussure  noire 
N'a  pas  mordu  mes  pieds  ni  mes  ongles  d'ivoire  ; 
Ma  soubrette  Cypris,  qui  m'aime  quand  je  veux. 
N'a  pas  coupé  nos  vers  pour  plier  mes  cheveux  ; 
On  admire  toujours  les  cent  perles  féeriques 
Et  les  purs  diamants  de  mes  écrins  lyriques  : 
Les  Eros  voletants  me  servent  d'échansons, 
Et  ma  lyre  d'argent  est  pleine  de  chansons. 


ODES     F  V  N  A  M  B  VLESQVZS.  IOJ 

Moi. 

Pourquoi  donc  as-tu  fui  la  guerre,  qui  s'aggrave? 
On  reprend  Abufar  et  Lucrèce,  on  te  brave! 
Pends-toi,  grillon!  Lucrèce,  enfin  deux  Abufar! 
Et  ce  Bâche  espagnol  ivre  de  nénuphar, 
Damon,  ce  grand  auteur  dont  la  muse  civile 
Enchanta  si  longtemps  et  Lecourt  et  Clairville, 
Est  photographié  pour  ses  talents  divers. 
Le  Tarn  au  loin  gémit  et  demande  tes  vers. 

Evohè. 

N'as-tu  donc  point  appris  la  fameuse  nouvelle 
Que  l'aveugle  Déesse,  en  enflant  sa  grande  aile, 
Emporte  aux  quatre  coins  de  l'univers  connu? 

Moi. 

Non. 

Evohè. 

Tremblez,  terre  et  cieux!  Le  maître  est  revenu. 
Némésis-Astronome  assemble  ses  vieux  braves, 
Barberousse  s'abat  au  milieu  des  burgraves, 
Barthélémy  rayonne,  allumant  son  fanal, 
Cl  >ué,  dernier  pamphlet,  à  son  dernier  journal! 


104  OD  E  S     F  V  H  A  M  E  V  L  E  S  QV  E  S. 

Sa  musc  a,  réveillant  la  satire  latine, 

Comme  un  Titan  vaincu  foudroyé  Lamartine; 

Pareille  aux  grands  parleurs  d'Homère  et  de  Hugo; 

Des  rocs  du  feuilleton,  la  dure  virago 

Sur  ce  cygne  plus  doux  que  les  cygnes  d'Athènes 

Fait  couler  à  grand  bruit  ces  paroles  hautaines  : 

«  Rimeur.  que  viens-tu  faire  au  milieu  du  forum  ? 

Cet  acte  audacieux  blesse  le  décorum. 

Reste  avec  tes  pareils  !  Les  gens  de  ta  séquelle 

Ne  sont  bons  qu'à  rimer  une  ode,  telle  quelle! 

Tu  chantes  l'avenir!  le  présent  est  meilleur. 

Ce  qui  te  convenait,  ô  divin  rimailleur, 

C'était,  ambitieux  du  laurier  de  Pindare, 

D'aller  au  mont  Horeb  pincer  de  la  guitare 

Pour  ton  roi  légitime,  ou  plutôt  d'arranger 

Des  vers  de  confiseur  au  Fidèle-Berger. 

Mais  ta  loi  sociale  est  une  rocambole, 

Et  Fourier  n'est  qu'un  âne  à  côté  de  Chambolle. 

Tombe  !  et,  le  front  meurtri  par  mon  divin  talon, 

Souviens-toi  désormais  d'admirer  Odilon.  » 

Ainsi  par  ses  gros  vers,  Némésis-Astronome, 

Du  poëte  sacré,  déjà  plus  grand  qu'un  homme, 

A  brisé  fièrement  les  efforts  superflus. 


ODES     FVNAM  B  VIE  SQJVES.  105 

Moi. 
Tiens  !  je  n'en  savais  rien. 

Êvohé. 

Lamartine  non  plus. 
Bois,  ô  mon  jeune  amant  !  les  larmes  que  je  pleure. 
Si  Némésis  renaît,  il  faut  donc  que  je  meure? 

Moi. 

Ta  lèvre  a  le  parfum  du  rosier  d'Orient 

Où  l'Aurore  a  caché  ses  perles  en  riant  ; 

Cette  bouche  folâtre  est  pleine  de  féeries, 

Et,  comme  un  voyageur  dans  des  plaines  fleuries, 

Mon  cœur  s'est  égaré  parmi  ses  purs  contours. 

Evohé. 
Si  je  chantais  encor,  m'aimeriez-vous  toujours? 

Moi. 

Eh!  que  nous  fait  à  nous  Némésis-Astronome? 
Nous,  et  Barthélémy  que  le  siècle  renomme, 
Nous  avons  deux  tréteaux  dressés  sous  le  ciel  bleu, 
Deux  magasins  d'esprit  :  le  sien  ressemble  à  feu 
Le  Théâtre-Français  ;  une  loque  de  toile 
Y  représente  Rome  ou  bien  l'Arc-de-1'Étoile, 


1 06  O  D  F.  >      F  Y  N  A  M  B  V  LES  Q^V  F.  S . 

Au  choix.  Sur  le  devant,  de  lourds  alexandrins, 
Portant  tout  le  harnois  classique  sur  les  reins, 
Casaques  abricot,  casques  de  tragédie, 
Déclament,  et  s'en  vont  quand  on  les  congédie  : 
Ce  genre  sérieux  n'a  pas  un  grand  succès; 
On  y  bâille  parfois,  mais  c'est  l'esprit  français; 
Cela  craque  partout,  mais  c'est  la  bonne  école, 
Et  cela  tient  toujours  avec  un  peu  de  colle. 
Si  quelque  spectateur  pourtant  semble  fâché, 
On  lui  répond  :  Voltaire  !  et  le  mot  est  lâché. 

Mais  nous,  nous  travaillons  pour  un  peuple  folâtre. 
En  haillons  !  En  plein  vent  !  Nous  sommes  le  théâtre 
A  quatre  sous,  un  bouge.  Aux  regards  des  titis 
Nous  offrons  éléphants,  diables  et  ouistitis  : 
Dans  notre  drame  bleu,  la  svelte  Colombine 
A  cent  mille  oripeaux  pour  cacher  sa  débine. 
Ses  paillettes  d'argent  et  son  vieux  casaquin 
Eblouissent  encor  ce  filou  d'Arlequin  ; 
On  y  mord,  et  parfois  la  gorge  peu  sévère 
Sort  de  la  robe,  et  luit  sous  les  colliers  de  verre. 

Sur  ce  petit  théâtre  où  le  bon  goût  n'est  pas, 
L'invincible  Pierrot  se  démène  à  grands  pas; 
Et  quand  le  vieux  Cassandre  y  passe  à  l'étourdie, 
Au  lieu  de  feindre  un  peu,  comme  la  Tragédie, 


ODES     F  VN  AMBVLESQ.VES.  107 

De  percer  d'un  poignard  ce  farouche  barbon, 
Il  lui  donne  des  coups  de  trique,  pour  de  bon  ! 
Sur  cette  heureuse  scène,  on  voit  le  saut  de  carpe 
Après  le  saut  du  sourd  ;  et  Rose,  sans  écharpe, 
S'y  montre  à  ce  public  trois  fois  intelligent, 
Faisant  la  crapaudine  au  fond  d'un  plat  d'argent. 
La  fée  Azur,  tenant  le  diable  par  les  cornes, 
Y  court  sur  son  char  d'or  attelé  de  licornes; 
L'ange  y  dévore  en  scène  un  cervelas  ;  des  feux 
De  Bengale,  des  feux  charmants,  roses  et  bleus, 
Embrasent  de  rayons  cette  aimable  folie, 
Et  l'on  y  voit  passer  Rosalinde  et  Célie! 

Évohé. 

Eh  bien  !  donc,  à  vos  rangs,  Guignols  et  Bilboquets  ! 
Ouvrons  la  grande  porte!  allumons  les  quinquets  ! 
Mets  ton  collier  de  strass,  reine  de  Trébizonde! 
Entrez,  entrez,  messieurs  !  Entrez  !  suivez  le  monde  ! 
Hurrah,  la  grosse  caisse,  en  avant!  Patapoum  ! 
Zizi,  boumboum  !  Zizi,  boumboum  !  Zizi  boumboum  ! 
Venez  voir  Colombine  et  le  Génie,  ou  l'Hydre 
En  mal  d'enfant!  Orgeat,  de  la  bière,  du  cidre! 

Février  184e. 


^  V  ^^\ 


ES   FOLIES-NOUVELLES. 


Préface. 

tlite  du  monde  élégant, 

Qui  fuis  le  boulevard  de  Gand, 

O  troupe  élue. 
Pour  nous  suivre  sur  ce  tréteau 
Où  plane  l'esprit  de  Wateau, 

Je  te  salue  ! 


Te  voilà  !  Nous  pouvoirs  encor 
Te  dévider  tout  le  fil  d'or 

De  la  bobine  ! 
En  un  rêve  matériel, 
Nous  te  montrerons  Ariel 

Et  Colombine. 


ODES     F  V  N  AMB  VLESQ^V  ES.  IC>9 

Dans  notre  parc  aérien 
S'agite  un  monde  qui  n'a  rien 

Su  de  morose  : 
Bouffons  que  l'Amour,  pour  son  jeu, 
Vêtit  de  satin  rayé,  feu, 

Bleu-ciel  et  rose  ! 


Notre  poëme  fanfaron, 
Qui  dans  le  pays  d'Obéron 

Toujours  s'égare, 
N'est  pas  plus  compliqué  vraiment 
Que  ce  que  l'on  songe  en  fumant 

Un  bon  cigare. 


Tu  jugeras  notre  savoir 

Tout  à  l'heure,  quand  tu  vas  voir 

La  pantomime. 
Je  suis  sûr  que  l'Eldorado 
Où  te  conduira  Durandeau 

Sera  sublime. 


ODE?     F  V  K  A  M  B  V  t  E  S  Q.V  E  : 


Car  notre  Thalie  aux  yeux  verts, 
Qui  ne  se  donne  pas  des  airs 

De  pédagogue, 
A  tout  Golconde  en  ses  écrins  : 
Seulement,  cher  public,  je  crains 

Pour  son  prologue! 


Oui!  moi  qui  rêve  sous  les  ci^ux, 
Je  fus  sans  doute  audacieux 

En  mon  délire, 
D'oser  dire  à  l'ami  Pierrot  : 
Tu  seras  valet  de  Marot, 

Porte  ma  Ivre  ! 


Mais,  excusant    ma  privauté, 
N'ai-je  pas  là,  pour  le  côté 

Métaphysique, 
Paul,  que  Molière  eût  observe  ? 
Puis  voici  Kelm,  et  puis  Hervé 

Fait  la  musique! 


ODES     FVnAMBVLEGQVEi 


Berthe,  Lebreton,  Mélina, 
Avec  Suzanne  Senn,  qui  n'a 

Rien  de  terrestre. 
Dansent  au  fond  de  mon  jardin 
Parmi  les  fleurs,  et  Bernardin 

Conduit  l'orchestre! 


Écoute  Louisa  Melvil! 
N'est-ce  pas  un  ange  en  exil 

Que  l'on  devine 
Sous  les  plis  du  crêpe  flottant, 
Lorsqu'elle  chante  et  qu'on  entcnc! 

Sa  voix  divine? 


Ravit-elle  pas,  front  vermeil, 
Avec  ses  cheveux  de  soleil 

Lissés  en  onde, 
Le  paysage  triomphant, 
Belle  comme  Diane  enfant, 

Et  blanche  !  et  blonde! 


112  ODES     F  V  X  AM  BVLESQ^V  ES. 

Pour  ces  accords  et  pour  ces  voix, 
Pour  ces  fillettes  que  tu  vois, 

Foule  choisie, 
Briller  en  leur  verte  saveur, 
Daigne  accueillir  avec  faveur 

Ma  poésie  ! 


Car,  sinon  mes  vers,  peu  vantés  ! 
Du  moins  tous  ces  fronts  inventée 

Avec  finesse, 
Comme  en  un  miroir  vif  et  clair, 
Te  feront  entrevoir  l'éclair 

De  la  jeunesse  ! 

Octobre  1854. 


ODES     FVNAMBVLES^VES.  IIJ 


La  scène  est  au  petit  spectacle  de  mon  ami  Pierrot, 
41,  boulevard  du  Temple,  le  samedi  21  octobre  1854, 
jour  de  l'ouverture.  Le  théâtre  représente  un  décor  : 
un  jardin  de  Wateau,  peint  par  Cambon.  Au  lever  du 
rideau,  la  scène  est  vide.  On  entend  dans  la  coulisse 
le  bruit  d'un  corps  qui  tombe  par  terre,  puis  des  cris 
de  détresse.  Arrive  un  homme  chiffonné,  aveuglé, 
couvert  de  plâtre,  avec  un  chapeau  bossue  :  c'est  le 
Bourgeois. 


Scène  première, 

VU^Q  <BOVTlGEOIS. 


z\  u  meurtre  !  épargnez  un  bourgeois  ! 

Voyant  que  personne  ne  le  poursuit,  il  se  rassure  un 
peu,  se  tâte,  examine  ses  vêtements  d'un  air  piteux, 
et  continue. 

J'ai  donné  contre 
Un  mur,  et  j'ai  cassé  le  verre  de  ma  montre  ! 


114  ODES     FV  N  A  M  B  VI  E  S  QJV  ES. 

Mon  chapeau  défonce  s'est  tout  aplati  sur 

Ma  tête.  C'en  est  fait,  je  suis  mort,  à  coup  sûr  ! 

Non,  je  ne  suis  pas  mort,  mais  je  suis  plein  de  plâtre. 

Où  suis-je?  C'est  l'enfer,  ou  bien  c'est  un  théâtre  ! 

Oui,  voilà  des  décors.  Que  c'est  vilain  de  près! 

Un  ancien  a  raison  de  dire  en  mots  exprès 

Que,  même  à  soixante  ans,  un  homme  n'est  pas  sage  ! 

Au  public,  conSdentiellement. 

Je  crois  sans  plus  d'atfaire  enfiler  un  passage 
(Je  venais  de  dîner  au  prochain  restaurant); 
J'entre,  je  m'aplatis  le  nez  contre  un  torrent! 
Je  crève  une  forêt,  et  ma  jambe,  qu'attrape 
Un  câble,  s'engloutit  dans  le  trou  d'une  trappe! 
Mon  père  l'exprimait  judicieusement  : 
«  Quoiqu'on  y  voie,  avec  leur  sourire  charmant. 
Des  femmes  aux  regards  célestes,  aux  cous  lisses, 
On  ne  se  saurait  trop  méfier  des  coulisses  : 
On  peut  trop  aisément  s'y  faire  estropier!  » 

Apercevant  la  salle. 

Mais  je  n'avais  pas  vu  cela  !  Sac  à  papier  ! 
Le  bel  endroit  !  Quelle  est  cette  superbe  salle  ? 
Quel  luxe  !  Ma  surprise  est  vraiment  colossale  ! 
Je  ne  reconnais  rien  du  tout;  pourtant  je  sais 


ODES     FVNAMBVLESQ^VES.  11$ 

Qu'ici  je  ne  suis  pas  au  Théâtre-Français  ! 

S'il  passait  dans  ces  lieux,  où  le  hasard  m'amène, 

En  Prudhomme. 
Quelque  acteur,  un  suppôt  de  l'art  de  Melpomène, 
Je  saurais  si  ces  murs,  qui  n'  ont  rien  de  mesquin, 
Abritent  le  cothurne  ou  bien  le  brodequin! 
Et  je  lui  parlerais  sans  terreur,  d'un  ton  mâle  ! 
Apercevant  Pierrot,  qui  parait  au  fond. 

Justement,  j'en  vois  un  qui  vient.  Comme  il  est  pâle  ! 
On  dirait  un  malade,  avec  son  blanc  sarrot  ! 


Scène   II. 

LE  rBOVeKGEOIS,    T IE  T^O  T. 

Le  Bourgeois,  à  Pierrot,  qui  s'est  avancé,  avec  intérêt. 
Monsieur  est  souffrant  ? 

Pierrot  exprime  que  non. 

Non  !  tant  mieux. 

Pierrot  montre  au  bourgeois  un  écriteau  avec  ces  mots  : 
Je  suis  Pierrot. 


11(5  ODES     F  VN  A  M  B  V  L  E5q_V  F  S. 

Le  Bourgeois,  lisant  l'écriteau. 

«  Je  suis  Pierrot  !  » 
Avec  admiration. 
Il  est  Pierrot  !  Dieux  !  c'est  ici  que  Pierrot  loge  ! 
Il  est  Pierrot  ! 

A  Pierrot. 

Monsieur,  cela  fait  votre  éloge. 
Monsieur,   mime  Pierrot,  vols  êtes  trop  bon',   et  vous 

ÊTES  MÊME  JOLI,  POLR   UN   BIRBE  ACCABLÉ  DE  CADUCITE. 

Vous  dites  que  je  suis  joli  pour  un  barbon, 
Et  que  je  suis  trop  bon!  Je  ne  suis  pas  trop  bon, 
Car  votre  accueil  m'enchante,  et,  depuis  ma  naissance, 
Je  désirais  l'honneur  de  votre  connaissance  ! 

Pierrot  s'incline  et  exprime  qu'il  est  flatté 
de  ce  compliment. 

Et . . .  vous  ne  parlez  pas  ? 

Pierrot  fait  signe  que  non. 

Non.-  Les  gens  bienséants 
Parlent  fort  peu  ! 

Changeant  la  conversation. 

Quelle  est  la  muse  de  céans  ? 
Pierrot  exprime  que  c'est  la  Folie. 


ODES    FVXAMEVLESQ_VES.  117 

La  Folie?  Ah!  vraiment!  Votre  salle  est  divine! 
Son  aspect  est  gai  comme  un  pinson  ! 

Pierrot  exprime  qu'elle  dépasse  toutes  les  merveilles  du 
monde,  et  que  Louis  XIV  lui-même,  bien  qu'il  res- 
semblât au  Soleil,  n'en  avait  pas  de  plus  splendide. 

Je  devine. 
Vous  me  dites  que,  même  au  temps  du  roi  Louis, 
Rien  d'aussi  magnifique    aux  regard  éblouis 
Ne  parut  ! 

Pierrot  exprime  qu'il  a  fallu  dépenser  des  capitaux  con- 
sidérables pour  arriver  à  construire  un  pareil  édirice. 

Ah  !  fort  bien  !  Je  vous  entends.  Nous  sommes 
D'accord.  Il  a  fallu  donner  de  fortes  sommes 
Pour  la  faire,  éventrer  d'énormes  galions, 
Et  mettre  des  ducats  dessus  des  millions! 

Pierrot  exprime   que  c'est  bien  cela  et  que    le  Bourgeois 
ne   se  trompe  pas. 

Quel  genre  voulez-vous  jouer?  La  tragédie? 
C'est  un  genre  français,  excellent  quoi  qu'on  die  ! 

Pierrot  fait  la  parodie  d'un  acteur  tragique,  puis  il  dit 
que,  malgré  toute  sa  sympathie  pour  la  haute  littéra- 
ture, il  ne  croit  pas  devoir  s'y  consacrer. 

Non  !  le  drame  ? 

Pierrot  fait  la  parodie  d'un   acteur  de  drame.  Il  se  pro- 


I  I  8  ODE~     F  VN  A  M  BVL  ES  (IV  ES. 

mène  à  grands  pas  O  ciel  !  dit-il,  où  peut  être  ma 
filie!  A  ce  moment  le  Bourgeois  tire  sa  tabatière 
pour  prendre  une  prise.  Pierrot  lui  prend  sa  tabatière. 
Oh  !  dit-il,  cette  petite  croix  d'or  !    Mais  alors  tu 

ES  MA    FILLE!     1e  SUIS    TA    MÈRE  !    C'EST    SUPERBE,     ajoute 

Pierrot,  mais  je   ne  veux   pas  de  cela   non  plus,  je 

PRÉFÈRE   DES    COMEDIES   PLUS   GAIES. 

Non  plus? 
Ma  foi  xov,  dit  Pierrot. 

Ah  !  vous  ne  voulez  pas 
Marcher  toujours  en  deux,  fendu  comme  un  compas, 
Et  faire  trembler  tout,  jusques  à  la  Bastille. 
Pour  crier  à  la  fin  :  «  Ciel  !  ma  mère!  ma  fille  !  » 

Ma  foi  hon,  dit  Pierrot. 

Le  vaudeville? 

Pierrot  en  riant  fait  signe  que  non. 

Non  !  vous  avez  trop  d'esprit. 

A  Pierrot,  avec  les  ménagements  qu'on  emploie  auprès 
d'une  personne  à  qui  l'on  veut  dire  quelque  chose  de 
désagréable. 

Cher  monsieur  Pierrot,  nul  jamais  ne  vous  comprit 
Aussi  bien  que  je  fais,  grâce  au  style,  sublime 


ODES     F  V  H  A  M  E  V  !  E  S  QV  E  S .  I  I  0 

Et  touchant  à  la  fois,  de  votre  pantomime. 
Mais, 

Avec  hésitation. 

quoiqu'elle    me  rende  extrêmement  content, 
Ne  pourrais-je  causer  avec  quelque  habitant 
De  ce  petit  endroit  cher  à  la  fantaisie. 
En  simple  prose,  ou  même  en  simple  poésie? 

Ah  !  dit  Pierrot,  c'est  très  facile,  j'ai  votre  affaire. 
Il  va  à  une  coulisse  et  semble  appeler  familièrement 
quelqu'un.  Aussitôt  parait  le  Lutin  des  Folies-Nou- 
velles, cheveux  au  vent  couleur  d'or,  regard  et  sou- 
rire extasiés,  personnification  de  ce  qu'ont  de  plus  ado- 
rable le  Caprice  et  la  Fantaisie. 

Le  Bourgeois,  apercevant  le  Lutin. 

Mais  quel  est  cet  éclair  en  habit  de  gala? 
Comme  je  clorais  bien  avec  ce  démon-là 
Le  chapitre  éternel  de  mes  mélancolies  ! 
Oui,  qu'est-il? 


ODES     FVXAMBVIE5Q_VE5, 


Scène    III. 

LE   "BOVTiGEOIS,   TIETiTiOT, 
LE  LT'T/lV. 

Le  Lutin. 
Moi?  Je  suis  le  Lutin  des  Folies 
Nouvelles!   m:  voilà  !  tâchons  de  vivre  encor  ! 
Vovez  mes  grands  cheveux  faits  de  lumière  et  d'or  ! 
Et  mes  veux  !  des  tisons  d'enfer  !  Voyez  mes  lèvres 
Où  l'amour  et  la  lyre  ont  mis  toutes  leurs  fièvres  ! 
Mes  joyaux!  mes  habits  où  ruissellent  des  fleurs! 
Pleurez-vous,  cher  monsieur?  je  viens  sécher  les  pleurs  ! 
Ecoutez  mes  chansons  de  danseuse  bohème  ! 
Et,  surtout,  aimez-moi  d'abord  :  je  veux  qu'on  m'aime  ! 
Laissez-moi  folâtrer,  bacchante,  avec  mes  sœurs, 
Et  je  vous  verserai  ce  vin,  cher  aux  penseurs 
Saintement  couronnés  de  raisins  et  de  lierre, 
Dont  s'enivrait  Lesage  et  que  goûtait  Molière  ! 

C'est  use  idée,  dit  Pierrot.  Et  il  va  chercher  au  fond 
du  théâtre  une  table  sur  laquelle  sont  placés  un  broc 
et  des  verres. 


ODES     FVNAMBVLES  <VV  E  S. 


Le  Bourgeois. 
Buvons-en!  buvons-en  beaucoup! 

Le  Llitill,   élevant  son  verre  plein  de   vin. 

A  ta  santé. 
O  Bourgeois,  cher  public,  d'un  sourire  enchanté! 
Toi  qui  de  me  comprendre  es  encore  seul  digne  ! 
Toi  qui  rêves,  poëte,  accoudé  sous  ma  vigne! 
Préfère  mes  rosiers  à  la  blancheur  des  lys  ! 
J'ai  réjoui  ton  père  et  je  berce  ton  fils  ! 
Aime-moi  chancelante,  et  pourtant  sérieuse! 
Je  suis  la  Farce  antique,  immortelle  et  joyeuse! 
Et  tous  mes  serviteurs  furent  tes  échansons. 
Trinquons!  Au  vin  de  France  ! 

Le  Bourgeois. 

Au  franc  rire  ! 

Le  Lutin. 

Aux  chansons  ! 

Elle  chante,  en  tendant  son   .-erre  à  Pierrot, 
qui  lui  verse  du    vin. 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q_V  E  S. 


CHANSON. 


Au  fond  du  vin  se  cache  une  âme! 
Pierrot,  dans  le  cristal  vermeil 
Verse-moi  la  liqueur  de  flamme  : 
C'est  le  printemps,  c'est  le  soleil! 
Elle  enivre  notre  souffrance 
Sur  cette  terre  où  nous  passons! 
Amis!  vivent  les  vins  de  France 
Et  le  délire  des  chansons  ! 


II 


Avec  leur  parure  choisie, 
Avec  leurs  beaux  fronts  empourprés, 
La  Musique  et  la  Poésie 
Sortiront  de  ces  flots  sacrés. 
La  Joie  et  la  blonde  Espérance 
Les  versent  à  leurs  nourrissons  ! 
Amis  !  vivent  les  vins  de  France 
Et  le  délire  des  chansons  ! 


ODF.  S     FVNAMBVLES  QJV  ES.  I  2  3 

Aprèj  le  premier  couplet  ,  le  Bourgeois  transporté  a 
tendu  son  verre  à  Pierrot;  mais  celui-ci,  trop  occupé 
à  écouter,  a  oublié  d'y  rien  verser.  Après  le  second 
couplet,  le  Bourgeois  tend  encore  son  verre.  Cette  fois 
Pierrot  le  remplit  de  vin  avec  empressement  ;  mais, 
dans  son  enthousiasme,  il  le  vide  lui-même,  au  grand 
désappointement  du   Bourgeois. 

Le  Bourgeois,  au  Lutin. 

Lutin,  je  vous  adore! 

A  Pierrot. 

Allons,  je  suis  fou  d'elle  ! 

Cherchant  à  rassembler  ses  souvenirs,  au  Lutin. 

Pourtant,  si  ma  mémoire  est  encore  fidèle, 

Vous  n'aviez  pas  jadis  cet  habit  provocant  ! 

Je  vous  voyais,  c'était...  non,  je  ne  sais  plus  quand, 

Dans  de  grands  corridors,  mais  longs  de  plusieurs  aunes 

Votre  robe  était  verte,  avec  des  rubans  jaunes  ! 

Et  puis  vos  matelas  n'étaient  pas  bien  cardés! 

Le  Lutin y   souriant. 

Ah  !  ma  mère!  la  salle  ancienne!  Regardez. 

On  voit  entrer  une  grande  femme,  dont  le  costume  de 
Folie,  vert  et  jaune,  rappelle  l'ancienne  décoration  des 
Folies-Concertantes. 


12+  ODES     FVN  AMB  VLESQVES. 


Scène  IV. 

LE   "BOVTiGEOIS,    TIETi%OT, 

LE  LVTI\\. 

L'zl\\CIE!\?^E   SziLLE. 

c  ha::  son. 
L'Ancienne  Salle. 


I 

Non,  messieurs,  sur  ma  parole, 
Je  n'étais  pas  belle,  mais 
Aussi  comme  j'étais  folle! 
Le  jupon  troussé,  j'aimais 
Le  rire  et  la  gaudriole  ! 
Je  chantais  Sancho  Pança! 


ODES      FVN'AMBVLES  Q^V  F.  S .  I  2  5 

Le  Bourgeois. 
Oui,  je  me  souviens  de  ça! 

L'Ancienne  Salle, 

Avec  une  gaieté  rare 
Alors  je  vous  amusais, 
Puis  je  grattais  ma  guitare 
Et  je  disais...  je  disais...  : 

Digue,  digue,  don. 
Refrain  dont  l'acteur  Kelm  a  le  secret. 

II 

L'Ancienne  Salle. 

J'avais  encor  la  voix  nette, 
Les  yeux  d'étincelles  pleins; 
Et  je  jetais  ma  cornette 
Par-dessus  tous  les  moulins, 
Et  jamais  marionnette 
Plus  haut  ne  se  trémoussa  ! 

Le  Bourgeois. 
Oui,  je  me  souviens  de  ça  ! 


ODES     F  V  X  A  M  B  V  L  E  S  Q^V  E  S . 


L'Ancienne  Salle. 

Avec  une  gaieté  rare 
Alors  je  vous  amusais, 
Puis  je  grattais  ma  guitare, 
Et  je  disais...  je  disais  : 
Digue,  digue,  don. 

Refrain  de  Kelm. 

Le  Lutin,   au  Bourgeois. 
Eh  bien,  que  dites-vous  de  sa  voix? 

Le  Bourgeois. 

Fort  touchante. 
Pour  moi.  sac  à  papier!  j'aime  ce  qu'elle  chante! 
Oui,  cette  ancienne  salle  a  vraiment  l'air  ouvert! 
Mais,  ma  foi  !  son  costume  est  trop  jaune  et  trop  vert  ! 

Avec  galanterie  au  Lutin. 

Quoiqu'elle  vaille  moins  que  ce  qu'elle  dérobe, 
Mon  cher  petit  démon,  j'aime  mieux  votre  robe  ! 

Le  Lutin,    montrant  l'Ancienne  Salle. 
Eh!  qu'importe?  elle  a  su  venir  au  bon  moment! 


ODES      FVKAMBVlE5q_VE5.  127 

Mais  je  parais,  et  d'elle  il  reste  seulement, 
Voyez!  cet  art  bouffon  qui  fit  sa  jeune  gloire! 

Sur  le  mot  voyez,  un  changement  de  costume  s'exécute 
à  vue.  Le  personnage  représentant  l'ancienne  salle 
des  Folies-Concertantes  disparaît,  et  laisse  voir  à  sa 
place  un  comédien  vêtu  d'un  splendide  costume  bouf- 
fon. 

Le  Comédien  bouffon. 

Oui,  c'est  moi,  me  voilà!  Vous  savez  mon  histoire. 

Je  naquis  près  des  Dieux  antiques,  mes  voisins, 

Sur  un  lourd  chariot  couronné  de  raisins  ! 

Puis,  sur  tous  les  tréteaux  et  sur  toutes  les  planches 

J'ai  fustigé  le  vent  de  mon  rire  aux  dents  blanches! 

En  lançant  comme  dit  Hamlet  :  «  des  mots,  des  mots  !  » 

J'ai  distrait  quelquefois  le  passant  de  ses  maux! 

Polichinelle  et  clown,  j'ai  su,  qu'on  s'en  souvienne, 

Joindre  à  l'humour  anglais  la  verve  italienne! 

J'aurai  fini  ma  tâche  et  rempli  mon  devoir, 

Si  vous  voulez  aussi  vous  égayer  à  voir, 

Au  bruit  de  la  crécelle  et  du  tambour  de  basque, 

Frissonner  ma  crinière  et  grimacer  mon  masque  ! 

Cherchez-vous  la  maison  de  Scapin?  c'est  ici! 

Et  les  enfants  seront  les  bienvenus  aussi  ! 

O  gaieté!  dans  ce  temple  heureux  où  tu  t'installes, 


ODES     FVNAMBVLES  QJV  E  S. 


Nous  avons  peint  des  fleurs  et  rembourré  des  stalles  ! 

Au  public,  avec  conviction. 

Messieurs,  sur  ces  dossiers  vraiment  miraculeux, 
Vous  pourrez  à  loisir  rêver  des  pays  bleus  ! 
Ces  frêles  ornements,  ces  riches  arabesques, 
Où  court  la  fantaisie  en  dessins  pittoresques, 
Trahissent  le  cachet  de  leur  peintre,  qu'en  bon 
Français  il  faut  nommer... 

Le  Bourgeois. 

Il  faut  nommer... 

Le  Comédien  bouffon. 

Cambon  ! 
Craignez-vous  que  jamais  le  bon  goût  ne  rature 
Ces  chefs-d'œuvre  ? 

Le   Bourgeois. 

Parlons  un  peu  littérature. 

Le  Comédien  bouffon. 

Nos  acteurs? 

Chacun  des  personnages    qu'il    nomme  tour  à  tour  entre 
en  scène   à   mesure    que  son  nom    est  prononcé  ;  puis 


ODES     FVXAMB'.  lE^VES.  I2p 

tous  finissent  par  former  un  tableau  d'un  aspect  bouf- 
fon et  poétique. 

Ils  mettront  la  critique  aux  abois. 
Quoiqu'ils  soient  si  jolis,  ils  ne  sont  pas  de  bois! 
Voyez  !  c'est  Arlequin  avec  sa  Colombine, 
Ce  joli  couple  en  qui  le  poëte  combine 
L'âme  avec  le  bonheur  se  cherchant  tour  à  tour, 
Et  l'idéal  avide,  en  quête  de  l'amour! 
Voici  Léandre  encor,  voici  Polichinelle, 
Un  gaillard  vicieux  comme  la  Tour  de  Nesle! 
Et  le  plus  grand  de  tous,  calme  comme  un  Romain, 
Le  plus  spirituel,  le  plus  vraiment  humain, 
Formidable,  et  toujours  plus  grand  que  sa  fortune, 
Mon  cher  ami  Pierrot,  le  cousin  de  la  lune  ! 
Isabelle  !  oiseau  bleu  qui  chante  en  sa  prison  ! 
Et  Cassandre  tremblant,  sot  comme  la  raison! 

Le  Bourgeois. 
Et  que  racontent-ils? 

Le  Lutin. 

Une  histoire  profonde, 
Toujours  vieille  et  toujours  jeune,  comme  le  mond:  ! 
Colombine,  cet  ange  au  souple  casaquin, 


I3O  CD  ES      FVN  AMB  VL  E  S  Q^V  ES. 

A  laissé  ramasser  son  cœur  par  Arlequin, 
Un  don  Juan  de  hasard,  qui,  gracieux  et  leste. 
Fait  chatover  sur  lui  tout  l'arc-en-ciel  céleste  ! 
Restez,  dit  la  Raison;  fuyez,  leur  dit  l'Amour! 
Parles  champs  d'épis  mûrs,  baignés  des  feux  du  jour, 
Par  les  noires  forêts,  par  l'azur  des  grands  fleuves, 
Ils  vont!  Mais  soutenus  dans  toutes  ces  épreuves. 
Le  feuillage  s'éclaire  au  bruit  de  leurs  chansons; 
Un  repas  sort  pour  eux  du  milieu  des  buissons; 
Sur  leurs  pas,  que  dans  l'air  suivent  des  harmonies, 
Des  barques  et  des  chars,  poussés  par  les  génies, 
Leur  offrent  un  abri  sous  des  voiles  flottants, 
Et  tout  leur  réussit,  parce  qu'ils  ont  vingt  ans  ! 


CHANSON. 


Ce  roman-là.  c'est  la  vie! 
Que,  sous  le  manteau  des  bois, 
L'âme  et  la  lèvre  ravie 
Vont  épcler  à  la  fois  ! 
Dans  leur  humeur  vagabonde, 


ODE?    F  V  X  A  M  B  \  L  E  S  Q,V  EJ.  1 3  I 

Barbe  grise  et  tête  blonde 
Le  poursuivent  tour  à  tour! 
Il  n'est  qu'une  histoire  au  monde, 
C'est  l'histoire  de  l'amour. 


II 


Beau  pays  de  la  féerie. 
Que  nul  encor  n'a  trouvé, 
Doux  Eden,  terre  fleurie, 
Au  moins  nous  t'avons  rê\  é  '. 
O  mes  sœurs,  ô  filles  d"Eve, 
Lorsqu'en  mai  frémit  la  sève, 
Quand  le  ciel  sourit  au  jour, 
Pour  nous  il  n'est  qu'un  beau  rêve, 
C'est  le  rêve  de  l'amour! 

III 

L'un  sur  sa  lyre  d'ivoire^ 
Sous  les  feux  de  l'Orient, 
Dit  en  vers  sacrés  la  gloire 
Et  son  laurier  verdoyant. 
Sous  la  pourpre  ou  la  dentelle, 


132  ODES     F  V  N  A  M  B  VLESQ_V  ES. 

L'autre  chante,  ô  Praxitèle, 
Ta  déesse  au  fier  contour; 
Mais  la  chanson  immortelle, 
C'est  la  chanson  de  l'amour. 

Le  Bourgeois. 
C'est  parfait  ! 

Le  Comédien  bouffon. 

Cependant  Cassandre  avec  Léandre 
Les  poursuivent.  Mais  quoi  !  le  beau-père  et  le  gendre 
Se  déchirent  la  jambe  à  tous  les  traquenards  ! 
Tantôt  on  les  fusille  ainsi  que  des  renards  : 
Ils  se  battent  entre  eux.  L'un  crie  :  On  m'assassine  ! 
Pour  l'autre,  le  bon  vin  se  change  en  médecine. 
Cent  mille  soufflets,  l'un  sur  l'autre  copiés, 
Alternent  sans  relâche  avec  les  coups  de  pieds. 
Veulent-ils  lire  ?  on  voit  se  hausser  la  chandelle, 
Qui  revient,  si  plus  tard  on  n'a  plus  besoin  d'elle. 
Et.  tandis  que  Léandre  a  gâté  son  pourpoint. 
Et  que  le  vieux  barbon,  toujours  plus  mal  en  point, 
Est  rossé  par  le  diable  et  par  son  domestique, 
Les  amoureux,  ravis  au  pays  fantastique, 


ODES      F  V  X  A  M  B  VL  ESQ^Y  ES.  I33 

S'enivrent  dans  les  bois  des  senteurs  du  printemps, 
Et  tout  leur  réussit,  parce  qu'ils  ont  vingt  ans! 

Le  Lutin. 

Grâce  à  la  Fée,  un  jour,  après  tous  ces  longs  jeûnes, 
Les  voilà  mariés!  ils  sont  beaux,  ils  sont  jeunes! 
Sous  un  soleil  tournant  qui  brille  à  ciel  ouvert, 
Dans  un  palais  orné  de  paillon  rouge  et  vert, 
On  les  unit,  et  l'air,  rempli  d'apothéoses, 
Se  teint  de  fleur  de  soufre,  et  d'azur,  et  de  roses! 

Le  Comédien  bouffon. 

Peadant  tout  ce  temps-là,  doux,  pensif  et  railleur, 
Dérobant  tout,  mangeant  et  buvant  du  meilleur, 
Et  ne  s'intéressant  à  rien,  comme  les  sages, 
Pierrot  s'est  promené  parmi  les  paysages, 
Sans  même  seulement  vouloir  tourner  les  yeux 
Vers  la  Fée  au  char  d'or,  qui  s'enfuit  dans  les  cieux! 
Paresseux  et  gourmand,  voilà  dans  quelle  étoffe 
Le  gaillard  est  taillé  ! 

Le  Bourgeois. 

C'est  un  grand  philosophe  ! 
Et  j'aime  le  roman  que  vous  m'avez  conté. 


Ij^.  ODE»     FVNAMBVLES  Q^V  E  S . 

Le  Comédien  bouffon,  au  Lutin. 
C'est  le  plus  beau  de  tous,  il  n'est  pas  dégoûté! 
Au  Bourgeois,  en  lui  montrant  le  groupe   des  danseuses. 
Voulez-vous  voir  aussi  nos  nymphes  bocagères 
Et  le  chœur  bondissant  de  nos  danses  légères? 
Vous  avouerez  qu'auprès  de  nous  Vestris  marchait  ! 

Aux  danseuses,  avec  l'intonation  consacrée. 
Que  la  fête  commence  ! 

Aux  musiciens  de  l'orchestre. 

Hé  !  messieurs  de  l'archet  ! 
Ce  petit  monde-là  n'attend  qu'une  cadence; 

Au  Bourgeois  et  au  public. 

Car  pour  vous  réjouir  tout  cela  chante  et  danse. 
Nous  possédons  au  moins  soixante-treize  Elssler. 

Le  Bourgeois. 
Soixante-treize? 

Le  Comédien  bouffon. 

Au  moins  !  vous  les  verrez  en  l'air. 

Le  Bourgeois. 
Devant  mes  yeux  charmés  quand  vont-elles  s'ébattre  ? 


ODES   FVN  AMBVLESQV  ES.  I35 

Le  Comédien  bouffon. 
Demain!  En  attendant,  en  voici  toujours  quatre! 

Le  Bourgeois. 

Voyons. 

Les  danseuses  exécutent  un  pas  éblouissant  de  délire 
et  de   u  réalisme  ». 

Le  Bourgeois,  au  Comédien  bouffon. 

Sac  à  papier  !  je  crois  qu'une  Péri, 
A  vouloir  devancer  leurs  ailes,  eût  péri  ! 
C'est  divin!  fougue  ardente  et  grâce  printanière! 

A  Pierrot. 
Mais  que  faisiez-vous  donc  à  la  saison  dernière, 
Mon  ami?  Tâchiez-vous  d'instruire  en  badinant? 
Pierrot  exprime   qu'il    n'.i   jamais   songé  à    cela.    Ce   o_ue 

NOUS  FAISIONS  ?    dit-il,    NOUS    DANSIONS. 

Le  Bourgeois. 
J 'en  suis  fort  aise  !  Eh  bien,  chantez  donc,  maintenant  ! 

Le  Comédien  bouffon. 

Demandez,  faites-vous  servir  !  musette  ou  lyre! 
Romance  tendre  ou  bien  séguedille  en  délire  ! 


I J  6  ODE?     FTNAMBVLESqTES. 

La  ballade  allemande  ou  les  airs  espagnols, 

A  votre  choix  ! 

Montrant  le  Lutin. 

Voilà  le  nid  des  rossignols! 

Le  Bourgeois  emprunte  à  son  tour  le  langage  de  la  mi- 
mique, et  exprime  que,  comme  toujours,  il  sera  fort 
heureux  de  se  contenter  avec  ce  qu'on  lui  donner.-.. 


CHANSON. 

Le  Lutin. 

C'est  ici  que  Ton  oublie 
La  pâle  Mélancolie  : 
Nous  nous  appelons  Folie, 
C'est  ici  qu'on  rit  encor! 
Accueillez  nos  babioles, 
Laissez  nos  danses  frivoles 
Eveiller  les  chansons  folles 
Avec  leurs  clochettes  d'or! 

Le  Comédien  bouffon. 

Ah  !  souriez-nous  !  Le  cuivre 
N'empêchera  pas  de  suivre 


ODES     F  V  N  A  Y.  B  7  L  ESQJV'ES.  I]7 


Notre  chant  de  bonheur  ivre  ! 
Nos  habits  sont  tout  luisants; 
Suivant  la  façon  commune, 
Nos  poètes  sans  fortune 
Rêvent  au  clair  de  la  lune, 
Nos  danseuses  ont  seize  an&  ! 

Tous  les  personnages  et  funambules  forment  des  groupes, 
autour  desquels  court  une  danse  ivre  de  joie.  La  farce 
est  jouée. 


w 


t2^<^(r^/^A^^^ 


AUTRES   GUITARES. 


L'Ombre  d'Éric. 

Si  Limayrac  devenait  fleur, 
Il  boirait  les  pleurs  de  l'Aurore, 
Et,  penché  sur  le  sein  de  Flore, 
Il  renaîtrait  à  ce  doux  pleur. 
Son  faux  col  serait  sa  corolle, 
Et  d'un  lys  aurait  la  couleur; 
J'en  ferais  des  bouquets  à  Rolle, 
Si  Limavrae  devenait  fleur. 


ODES     FVN  AMB  VIESQVES.  1 39 


Si  Limayrac  devenait  fleur, 
Ducuing  pourrait,  à  la  Chaumière, 
L'attacher  à  sa  boutonnière 
Et  s'en  faire  une  croix  d'honneur. 
Sur  les  coteaux  et  dans  les  landes, 
Voltigeant  comme  un  oiseleur, 
Buloz  en  ferait  des  guirlandes, 
Si  Limavrac  devenait  fleur. 


Si  Limayrac  devenait  fleur, 
J'en  ornerais,  près  d'une  haie, 
La  houlette  d'Arsène  Houssaye 
Je  l'arracherais  sans  douleur. 
A  côté  d'une  cucurbite, 
Il  sourirait,  en  sa  pâleur, 
A  l'éditeur  Jules  Labitte, 
Si  Limavrac  devenait  fleur 


Si  Limayrac  devenait  fleur, 
Je  le  mettrais  dedans  un  vase, 
Et  quelquefois  avec  extase 
Je  l'aplatirais  sur  mon  cœur. 


I-jO  ODES    FVSAMBVIES^VF.S. 

Séduit  par  son  pistil  attique, 
Peut-être  un  jeune  parfumeur 
Nous  en  ferait  de  l'huile  antique, 
Si  Limavrac  devenait  Heur. 


Hélas!  Limavrac  n'est  pas  fleur, 
Et  ne  peut  de  parfums  de  menthe 
Enivrer  un  corset  d'amante 
Ni  l'habit  noir  d'un  enjôleur. 
Quoique  sa  voix,  flûte  en  démence, 
Ait  charmé  le  merle  siffleur, 
Jetons  au  feu  cette  romance, 
Hélas  !  Limavrac  n'est  pas  fleur! 

Novembre  1845. 


ODES     F  Y  N  A  M  E  V  L  E  S  QV  ES.  I4I 


Le  Mirecourt. 


LJ  n  jour  Dumas  passait  :  les  divers  gens  de  lettres 
Devant  son  gousset  plein  s'inclinaient  à  deux  mètres, 

En  murmurant  :  «  Ils  sont  trop  verts  !  » 
Un  Mirecourt  co  idain,  fait  comme  un  vilain  masque, 
Fendit  la  foule,  prit  son  twine  par  la  basque, 

Et  lui  fit  ce  discours  en  vers  : 


«  Alexandre  Dumas,  compresse  de  la  presse, 
Emplâtre  qui  toujours  guéris  cette  Lucrèce, 

Moxa  qu'elle  se  met  partout, 
Ecoute-moi,  pacha  de  ces  Maquets  sans  nombre, 
Ombre  de  Scudéry,  qui  de  Gigogne  est  l'ombre, 
Tu  n*es  qu'un  Pitre  et  qu"un  Berthoud! 


1 42  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q.V  E  S. 


Tu  gâtes  le  papier  de  quatre  Lamartines. 

Comme  un  Augu  trop  plein  tu  répands  tes  tartines 

Sur  Carpentras  et  Draguignan  ; 
Ta  machine  à  vapeur  fait  marcher  trois  cents  plumes, 
Et  tu  fais  un  gâchis  en  trente-deux  volumes 

Des  mémoires  de  d'Artagnan. 


Mais  ton  jour  vient.  Il  faut  dans  Le  Siècle,  qui  tombe, 
Que  le  premier-Paris  sous  lui  creuse  ta  tombe  ! 

Dieu  te  garde  un  carcan  de  bois 
Dans  La  Démocratie,  un  journal  de  dentiste, 
Dans  les  entre-filets  du  Globe,  et  dans  L'Artiste, 

Feuille  qui  paraît  quelquefois  ! 


Porcher  te  dira  :  BastelEn  des  recueils  intimes, 
Tes  vieux  ours  écriront  les  noms  de  tes  victimes; 

Tu  les  entendras  te  crier  : 
Mort  et  damnation  !  et  te  traiter  de  cancre, 
Tous  ces  fœtus  caducs,  ces  vieux  ours  teints  de  l'encre 

Qui  n'est  plus  dans  ton  encrier  ! 


ODES     F  VN  A  M  BV  L  E  S  <^Y  ES.  I  +  } 

Ceci  doit  t'arriver,  Yacoub,  sans  que  Chambo'le, 
Solar  ni  Girardin  te  soldent  une  obole 

Sur  le  dernier  trimestre  échu  ; 
Lors  même  que  Dumas,  ainsi  qu'Abdolonyme,' 
Vieux  et  plantant  ses  choux,  prendrait  le  pseudonyme 

D'Ahnanzor  ou  de  Barbanchu  !  » 


Dumas  avait  un  jonc  en  bois  de  sycomore, 
Et  ce  poing  de  Titan  qui  sur  la  tête  more 

Fait  cinq  cent  vingt  pour  son  écot  : 
Docile  au  Mirecourt,  il  lui  laissa  tout  dirj. 
Pencha  son  front  rêveur,  puis  avec  un  sourire 

Fit  :  «  As-tu  déjeuné,  Jacquot?  » 

Octobre   1846. 


o^£^ 


I4-4-  ODES     FVNAMBVLESC^YES. 


V....  le  baigneur, 


V tout  plein  d'insolence, 

Se  balance, 
Aussi  ventru  qu'un  tonneau, 
Au-dessus  d'un  bain  de  siège, 

O  Barège, 
Plein  jusqu'au  bord  de  ton  eau! 


Et  comme  Io,  pâle  et  nue 

Sous  la  nue., 
Fuyait  un  époux  vanté. 
Le  flot  réfléchit  sa  face, 

Puis  l'efface 
Et  recule,  épouvanté. 


ODE?     FVN  A  M  B  VI  ES  Ç^VES.  I4.5 

Chaque  fois  que  la  courroie, 

Qui  poudroie, 
Passe  à  fleur  d'eau  dans  son  vol, 
On  voit  de  l'eau  qui  l'évite 

Sortir  vite 
Son  pied  bot  et  son  faux  col. 


Reste  ici  caché,  demeure! 

Dans  une  heure, 
Comme  le  chasseur  cornu 
En  écartant  la  liane 

Vit  Diane, 
Tu  verras  V...  tout  nu! 


On  voit  tout  ce  que  calfate 

La  cravate, 
Et  son  regard  libertin 
Appelle  comme  remède 

A  son  aide 
Héloïse  Florentin! 


JO 


I  -j-6  ODES     FVNAMBVI.ES  Q^V  E  s. 


Mais  un  songe  le  visite! 

Il  hésite 
A  finir  ses  doux  ébats  ; 
Toujours  V —  se  balance 

En  silence, 
Et  va  murmurant  tout  bas: 


«  Ah!  si  j'étais  en  décembre 

A  la  Chambre, 
Je  grandirais  d'un  bon  tiers, 
Et  je  pourrais  de  mon  ombre 

Faire  nombre 
A  côté  de  monsieur  Thiers! 


Je  pourrais  sur  mon  pupitre 

Faire,  en  pitre, 
Le  bruit  traditionnel, 
Et,  commençant  une  autre  ère, 

Ne  plus  traire 
Le  Constitutionnel! 


O  D  ES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QV  ES.  I  \7 


A  mes  festins  que  le  Scythe 

Même  cite, 
On  boirait  de  l'hypocras  ! 
J'obtiendrais  des  croix  valaques 

Et  des  plaques  : 
Je  les  ferais  faire  en  strass!  » 


Plus  brillant  qu'une  cymbale, 

Tel  s'emballe 
Et  se  voit  légiférant, 
Ce  matassin  crucifère 

Qui  sut  faire 
Éclore  Le  Juif  errant  ! 


Et  cependant  des  coulisses 

Ses  complices 
Vont  tous  prenant  le  chemin. 
Voici  leur  troupe  frivole 

Qui  s'envole, 
Cigare  aux  dents,  stick  en  main. 


1*8 


ODES     F  V  X  A  M  B  V  L  E  S  Q_V  E  S. 


En  passant  chacun  s"étonne 

Et  chantonne, 
Et  lui  dit  sur  l'air  du  Tra  : 
«  Oh  !  la  vilaine  chenille 

Qui  s'habille 
Si  tard  un  ooir  d'Opéra!   » 

Avril  1846. 


45~ 


ODES    F  VN  A  MB  VI  Es(lVES-  I4.9 


La   Tristesse   d'Oscar0 

Jadis  le  bel  Oscar,  ce  rival  de  Lauzun, 

Du  temps  que  son  habit  vert  pomme  était  dans  un 

État  difficile  à  décrire, 
Et  qu'enfin  ses  souliers,  vainqueurs  du  pantalon, 
Laissant  à  chaque  pas  des  morceaux  de  talon, 

Poussaient  de  grands  éclats  de  rire  ; 


Du  temps  que  son  coachman,  pâle  comme  un  navet, 
Se  recourbait  en  plis  tortueux,  et  n'avait 

Plus  de  collet  d'aucune  sorte, 
Aucun  collet,  pas  même  un  collet...  né  Iiévoil, 
Et  que  son  vieux  chapeau,  tout  dépourvu  de  poil. 

Prenait  des  tons  de  colle-forte  ; 


I5O  ODES     F  VN  A  M  B  V  LES  Q_V  E  S. 

O  misère  !  du  temps  que,  tournant  au  lasting, 
Son  pantalon,  pareil  aux  tableaux  de  Drolling, 

Avait  ce  vernis  dont  tu  lustres 
Le  gilet  fabuleux  de  Fontbonne  et  son  frac, 
Le  bel  Oscar  disait  à  Paulin  Limayrac, 

Publiciste  âgé  de  deux  lustres  : 


«  Dieu  !  que  ne  suis-ie  assis  dans  le  Palais-Bourbon  ! 
Quand  pourrai-je  appeler  Ledru-Rollin  :  Mon  bon  ! 

Et  dire  en  vovant  Buloz  :  Qu'est-ce? 
Et  puis  n'entendre  plus  dans  quelque  affreux  recoin 
Ce  monstre  me  crier  :  Tu  n'iras  pas  plus  loin! 

Quand  je  veux  passer  à  la  caisse. 


Paulin  !  si  je  payais  le  cens,  ah  !  tu  le  sens, 
Je  connaîtrais  aussi  ces  billets  de  cinq  cents 

Qui  sont  les  pommes  de  nos  Eves, 
J'aurais  le  rameau  d'or  qui  dompte  les  tailleurs, 
Et  je  verrais  enfin  des  chemises  ailleurs 

Que  parmi  l'azur  de  mes  rêves  ! 


ODES     FVN  AMBVLESQ^VES.  I  5  I 


Oui  !  je  ferais  remettre  un  verre  à  mon  lorgnon  ! 
■  Paulin,  j'échangerais  ma  panne  et  mon  guignon 

Contre  l'aisance  fantastique 
Du  baron  de  Rothschild,  et,  gagnant  à  ce  troc, 
Je  peignerais  alors  mes  moustaches  en  croc 

Et  j'y  mettrais  du  cosmétique! 


Je  dînerais  chez  Douix!  J'aurais  des  gants  serins 
Pour  poser  au  balcon  des  théâtres  forains, 

Et,  profitant  de  son  extase. 
J'abreuverais  de  luxe  et  de  verres  de  rhum 
Une  divinité,  reine  des  Délass-Com, 

De  Montmartre  ou  du  Petit-La\e  !  » 


Ainsi  parlait  Oscar,  l'âme  et  les  sens  aigris, 
Du  temps  qu'il  arborait  ces  vastes  chapeaux  gris 

Empruntés  à  d'anciens  fumistes, 
Et  que,  plein  d'amertume,  il  nettoyait  ses  gants 
Avec  ces  procédés  beaux,  mais  extravagants, 

Qui  sont  la  gloire  des  chimistes. 


152  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  (VV  E  S . 

Il  parlait,  et  ses  yeux  imitaient  des  poignards. 
Aujourd'hui,  grâce  aux  voix  de  cinq  cents  montagnards, 

Le  voilà  sorti  de  l'ornière 
Et  Bignan  le  célèbre  en  d'officiels  chants; 
C'est  la  rosette  rouge  et  non  la  fleur  des  champs 

Qui  fleurit  à  sa  boutonnière. 


Il  rayonne,  il  est  mis  comme  un  notaire  en  deuil. 
Et  cependant  toujours  parmi  l'or  de  son  œil 

Brille  une  perle  lacrymale; 
11  erre,  les  regards  cloués  sur  les  frontons, 
Triste  comme  un  bonnet,  ou  comme  ces  croûtons 

De  pain  que  nous  cache  une  malle  ! 


Quel  rêve  peut  troubler  ce  moderne  Samson, 
Qui  sur  le  nez  des  siens  pose,  comme  l'ourson, 

Des  discours  carrés  par  la  base, 
Qui  d'un  pantalon  vert  couvre  ses  tibias, 
Et  qui  dans  les  divers  patois  charabias 

Eclipse  Charamaule  et  Baze? 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q_V  E  S.  153 

Ah  !  quelque  fiel  toujours  gâte  notre  hydromel  ! 
Oui,  quelque  chose  encore  attriste  ce  Brummel 

Qui,  mettant  chaque  Amour  en  cage, 
Effaçait  les  exploits  du  chevalier  d'Eon  ! 
Voilà  ce  qui  l'agace  :  hier  à  l'Odéon 

Un  voyou  l'a  pris  pour  Bocage  ! 

Juin  1848. 


154  O  D  F.  S     rVXAMBVLES  Q^V  E  î . 


Le  Flan   dans   l'Odéon. 


/\vant  que  la  brise  adultère 
Qui  fait  le  charme  des  hivers. 
N'émaille  de  recueils  de  vers 
Les  parapets  du  quai  Voltaire  ; 
Avant  que  Chaumier  Siméon 
N'ait  publié  ses  hexamètres, 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  l'Odéon! 


Des  journaux  qui  mettent  leur  liste 
Dans  l'Annuaire  officiel, 
11  n'en  est  pas  qui  sous  le  ciel 
Soit  plus  mordoré  que  L'Artiste. 


ODES     F  VN  A  M  B  V  L  ESQ^VES.  1$$ 

Messieurs  Paul,  Arthur  et  Léon 
En  sont  les  rédacteurs  champêtres... 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  l'Odéon! 


Il  n'est  pas  de  revue  alpestre, 
Pas  de  recueil  ni  de  journal, 
Soit  chez  Bertin  ou  Jubinal, 
Où  viennent,  vers  la  Saint-Sylvestre, 
Plus  de  ces  chevaliers  d:Éon, 
Moitié  lorettes,  moitié  reîtres... 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  l'Odéon  ! 


Nulle  part,  dans  le  ciel  sans  brise, 
Les  jeunes  gens  au  cœur  de  feu 
Ne  regardent  d'un  œil  plus  bleu 
La  lune  changer  de  chemise. 
Ainsi  la  voyait  Actéon 
Faire  la  planche  sous  les  hêtres... 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  l'Odéon  ! 


j  c  6  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q_V  E  S. 

A  L'A  rtiste,  la  grande  actrice 
Fut  Asphodèle  Carabas, 
Carabas.  qu'avec  son  cabas 
Buloz  guignait  pour  rédactrice. 
Hélas  !  changeant  caméléon, 
L'Artiste  lui  tourne  les  guêtres.. 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  TOdéon! 


Un  étranger  vint  à  L'Artiste, 
Jeune,  avec  un  air  ahuri. 
Etait-ce  un  du  Charivari, 
Du  Furet,  du  Feuilletoniste? 
Etait-il  le  Timoléon 
Des  Saint-Almes  et  des  Virmaîtres. 
Allez,  ailez.  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  l'Odéon! 


On  ne  savait.  L'ange  Asphodèle 
Fit  avec  lui  deux  mille  vers. 
Les  Vermots  et  les  Mantz  divers 
Derrière  eux  tenaient  la  chandelle. 


ODES     FVXAMBV1ESQ_VES,  I$7 


lis  jouaient  de  l'accordéon 
Pour  mieux  accompagner  ces  mètres. 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  TOdéon  ! 


La  lune  était  à  la  fin  nue, 
Et  ses  rayons,  doux  aux  rimeurs, 
Parmi  le  gaz  des  allumeurs 
Découpaient  en  blanc  sur  la  nue 
Les  chapiteaux  du  Panthéon, 
Pareils  à  de  grands  baromètres... 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  l'Odéon! 


Mais  contre  Asphodèle  rageuses, 
Des  bas-bleus,  confits  par  Gannal, 
Dans  le  salon  bleu  du  journal 
Dansaient  des  polkas  orageuses. 
Les  élèves  de  l'Orphéon 
Leur  chantaient  Les  Bœufs  aux  fenêtres. 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  tlan  dans  i'Odéon  ! 


I  $  8  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QJV  E  S. 

On  voit  dormir  au  nid  la  caille 
Qu'un  vautour  fauve  lorgne  en  bas  : 
Telle  s'endormait  Carabas. 
Le  jeune  homme  au  lorgnon  d'écaillé. 
C'était  le  doux  Napoléon 
Citrouillard,  l'un  de  nos  vieux  maîtres. 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  l'Odéon! 


Et,  fougueux  comme  un  Transtamare, 
Citrouillard,  ce  dandy  sans  foi, 
La  fit  un  jour,  de  par  le  Roi, 
Rédactrice  du  Tintamarre! 
Elle  y  traduit  Anacréon 
En  vers  de  quatre  centimètres... 
Allez,  allez,  ô  gens  de  lettres, 
Manger  du  flan  dans  l'Odéon  ! 


Septembre  1846. 


ODES     FVNAMBVLE9Q_VES.  I  5  O 


L'Odéon. 


.Le  mur  lui-même  semble  enrhumé  du  cerveau. 
Bocage  a  passé  là.  L'Odéon,  noir  caveau, 

Dans  ses  vastes  dodécaèdres 
Voit  verdoyer  la  mousse.  Aux  fentes  des  pignons 
Pourrissent  les  lichens  et  les  grands  champignons 

Bien  plus  robustes  que  des  cèdres. 


Tout  est  désert.  Mais  non,  suspendu,  sans  clocher, 
Le  grand  nez  de  Lucas  fend  l'air  comme  un  clocher. 

Trop  passionné  pour  Racine, 
Un  pompier,  dont  le  dos  servait  de  point  d'appui 
A  ce  nez  immoral,  sans  doute  comme  lui 

Dans  le  sol  avait  pris  racine. 


ODES     FVNAMBVLES  Q^V  E  S . 


<(   Ah!  dit  Mauzin,  voyant  sa  pâleur  de  lotus, 
Poe  te,  pour  calmer  ces  affreux  hiatus 

En  un  lieu  que  la  foule  évite, 
Et  pour  te  voir  tordu  par  ce  rire  usité 
Chez  les  hommes  qu'afflige  une  gibbosité, 

Parle,  que  veux-tu?  Dis-le  vite! 


Que  faut-il  pour  te  voir  plus  gai  que  Limayrac? 
Veux-tu  que  je  Rapporte  une  cruche  de  rack? 

Dis,  que  te  faut-il  pour  que  rie 
Ta  prunelle  d'azur,  pareille  à  des  saphirs, 
Et  pour  voir  tes  cheveux  s'envoler  aux  zéphyrs 

Comme  les  crins  de  Vacquerie  ! 


Qui  pourrait  dissiper  ton  noir  abattement? 

Te  faut-il  les  gants  bleus  de  monsieur  Nettement, 

Ou  ce  chapeau  de  roi  de  Garbe, 
Le  chapeau  de  Thoré,  cet  homme  si  barbu 
Qu'un  barbier  ne  pourrait,  sans  devenir  fourbu, 

En  quatre  ans  lui  faire  la  barbe  ! 


ODES     FVNAMBVIES  QV  ES.  I  6 I 

Pour  sourire  veux-tu  le  casque  du  pompier, 
Qui  consume  ses  nuits  à  voir  estropier 

La  tragédie  ou  l'atellane? 
Que  veux-tu,  rack,  gants,  feutre  ou  le  beau  casque  d'or' 
■ — Ce  que  je  veux?  dit  l'homme  au  profil  decondcr, 

C'est  un  nez  à  la  Roxelane  !  » 

Juin  1848. 


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l62  ODES     FVXAMBV1ESQ.VE3. 


Bonjour,    Monsieur   Courbet. 


12  h  octobre  dernier  j'errais  dans  la  campagne. 
Jugez  l'impression  que  je  dus  en  avoir  : 
Telle  qu'une  négresse  âgée  avec  son  pagne, 
Ce  jour-là  la  Nature  était  horrible  à  voir. 

Vainement  fleurissaient  le  myrte  et  l'hyacinthe  ; 
Car  au  ciel,  écrasant  les  astres  rabougris, 
Le  profil  de  Grassot  et  le  nez  d'Hyacinthe 
Se  dessinaient  partout  dans  les  nuages  gris. 

Des  bâillements  affreux,  défiguraient  les  antres. 
Et  les  saules  montraient,  pareils  à  des  tritons, 
Tant  de  gibbosités,  de  goitres  et  de  ventres. 
Que  je  les  prenais  tous  pour  d'anciens  barytons. 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  LE  S  Q_V  ES.  1 63 

Les  fleurs  de  la  prairie,  espoir  des  herboristes  ! 
—  Car  ce  siècle  sans  foi  ne  veut  plus  qu'acheter.  — 
Semblables  aux  tableaux  des  gens  trop  coloristes. 
Arboraient  des  tons  crus  Je  pains  à  cacheter. 

Et.  comme  un  paysage  arrangé  pour  des  Kurdes, 
Les  ormes  se  montraient  en  bonnets  d'hospodar  ; 
C'étaient  dans  les  ruisseaux  des  murmures  absurdes, 
Et  l'on  eût  dit  les  rocs  esquissés  par  Nadar  ! 

Moi.  saisi  de  douleur,  je  m'écriai  :  «  Cybèle! 
Ouvrière  qui  fais  la  farine  et  le  vin  ! 
Toi  que  j'ai  vue  hier  si  puissante  et  si  belle. 
Qui  t'a  tordue  ainsi,  Nourrice  au  flanc  divin?  » 

Et  je  disais  :  «  C  nuit  qui  rafraîchis  les  ondes, 
Aurores,  clairs  rayons,  astres  purs  dont  le  cours 
Vivifiait  son  cœur  et  ses  lèvres  fécondes, 
Etoiles  et  soleils,  venez  à  mon  secours  !  » 

La  Dcesse,  entendant  que  je  criais  à  l'aide. 
Fut  touchée,  et  voici  comme  elle  me  parla  : 
«  Ami,  si  tu  me  vois  à  ce  point  triste  et  laide. 
C'est  que  Monsieur  Courbet  vient  de  passer  par  ià  !  » 


1 6+  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  s  Q^V  E  S. 

Et  le  sombre  feuillage  évidé  comme  un  cintre, 
Les  gazons,  le  rameau   qu"un  fruit  pansu  courbait, 
Chantaient  :  «  Bonjour,  monsieur  Courbet  le  maître  peintre' 
Monsieur  Courbet,  salut  !  Bonjour,  monsieur  Courbet  !  » 

Et  les  saules  bossus,  plus  mornes  et  plus  graves 

Que  feu  les  écrivains  du  Journal  de  Trévoux, 

Chantaient  en  chœur  avec  des  gestes  de  burgraves  : 

«  Bonjour,  monsieur  Courbet  !  Comment  vous  portez-vous? 

Une  voix  au  lointain,  de  joie  et  d'orgueil  pleine, 
Faisait  pleurer  le  cerf,  ce  paisible  animal, 
Et  répondait,  mêlée  aux  brises  de  la  plaine  : 
«Merci!  Bien  le  bonjour.  Cela  ne  va  pas  mal.  » 

Tournant  de  ce  côté  mes  yeux,  — en  diligence, 
Je  vis  à  l'horizon  ce  groupe  essentiel  : 
Courbet  qui  remontait    dans  une  diligence, 
Et  sa  barbe  pointue  escaladant  le  ciel! 

Octobre  18^. 


ODES    F  VN  A  M  BVL  E  S  QJV  ES.  I  65 


Nadar. 


Les  soirs  qu'au  Vaudeville,  en  ce  moment  sauvé, 

On  donne  une  première 
Représentation  ;  quand  le  gaz  relevé 

Couvre  tout  de  lumière  ; 

Et}  pour  mieux  éblouir  de  feux  les  vils  troupeaux 

Aux  faces  inconnues, 
Quand,  les  littérateurs  déposant  leurs  chapeaux, 

On  voit  leurs  têtes  nues; 

Chez  tous  ces  rois  à  qui  la  notoriété 

Enseigne  ses  allures, 
Oh  !  quel  spectacle  étrange  en  sa  variété 

Offrent  les  chevelures  ! 


\6'>  ODES     FVNAMBVLES  Q^V  E  S. 


Les  unes  ont  l'aspect  de  l'ébène;  voici 

Les  châtaines,  les  fauves 
Et  les  beaux  fronts  de  neige,  et  l'on  remarque  aussi 

Le  bataillon  des  chauves. 

C'est  le  brun  Lherminier,  Sasonotf  et  Murger, 

Et  Lemer,  doux  lévite. 
Leurs  cheveux  peuvent  dire  en  chœur  avec  Burger  : 

((  Hurrah  !  les  morts  vont  vite  !  » 

Louis  Boyer.  qui  prit  plus  d'une  Alaciel 

A  plus  d'un  roi  de  Garbe, 
Dissimule  son  nez,  organe  essentiel, 

Sous  de  grands  flots  de  barbe- 
Son  visage  pourtant  n'est  pas  seul  envahi 

Comme  celui  d'un  Serbe, 
Et  de  Goy,  dont  les  mots  ont  un  parfum  d'Aï, 

N'est  pas  non  plus  imberbe! 

Car  le  Temps,  qui  sourit  de  se  voir  encensé 

Par  ceux  dont  il  se  joue, 
Met,  comme  un  lierre  épars,  ce  feuillage  insensé 

Autour  de  notre  joue! 


ODES     FVN  A  MBVLE  S  Q^V  F.  &  167 

Louis  Lurine,  habile  à  bien  lancer  les  dards, 

En  a  les  tempes  bleues. 
Asselineau  pourrait  fournir  des  étendards 

Aux  pachas  à  trois  queues. 

Méry,  chêne  au  milieu  d'arbustes  rabougris, 

A  vaincu  les  épreuves; 
Il  est  majestueux  et  fort  sous  son  poil  gris 

Comme  les  dieux  des  fleuves. 

Dumas,  qui  pourrait  seul,  mage  éthiopien, 

Chanter  la  sage  Hélène, 
Abrite  des  éclairs  son  crâne  olympien 

Sous  des  touffes  de  laine. 

Mirecourt  dans  son  ombre,  antre  de  noirs  projets, 

Tente  de  noyer  Planche, 
Et  René  Lordereau  dans  ses  boucles  de  jais 

Garde  une  mèche  blanche. 

Villemessant,  mêlé,  comme  les  vieux  railleurs, 

De  faune  et  de  satyre, 
Se  coiffe  en  brosse.  Et  puis  j'en  passe,  et  des  meilleurs  ! 

Mais  qui  pourrait  tout  dire? 


168  ODES     FVNAMBVIESQ^VES. 

Théo,  roi  de  l'azur  où  ia  Muse  le  suit, 

Amant  de  la  Chimère, 
En  secouant  sa  tête,  à  l'entour  fait  la  nuit, 

Comme  un  héros  d'Homère, 

Et  Barrière,  qui  va  cherchant  la  vérité 

Sans  songer  à  sa  gloire, 
Montre  pleins  d'ouragans  des  yeus:  d'aigle  irritJ 

Sous  une  forêt  noire. 

A  côté  d'eux  on  voit  les  blonds  :  c'est  Dumas  fils, 

Dont  l'ample  toison  frise  ; 
C'est  Gaiffe,  dont  la  joue  est  neige,  ivoire  et  lys, 

Et  la  lèvre  cerise. 

C  est  Castille  aux  anneaux  crêpés  ;  ses  yeux  ont  lui 

Pour  quelque  étrange  rêve, 
Et  son  chef  lumineux  brille  comme  celui 

De  notre  grand'mère  Eve. 

Voillemot  resplendit  comme  un  jeune  Apollon. 

Fabuleux  météore, 
Si  tête  radieuse  au  milieu  d'un  salon 

Fait  l'effet  d'une  aurore. 


ODES     FVNAMBVLES  QV  ES.  1 6ç 


Arsène  Houssaye,  à  qui  souvent,  le  cœur  troublé, 

Rêvent  les  jeunes  filles, 
A  des  cheveux  pareils  à  ceux  des  champs  de  blé 

Tombant  sous  les  faucilles. 

Ils  sont  d'ot  pâle;  ceux  du  poëte  nouveau 

Qui,  dans  des  vers  bizarres, 
A  nommé  le  public  :  u  Bête  à  tête  de  veau,  » 

Sont  jaunes,  fins  et  rares. 

La  Madelène  est  rose,  et  Marchai  est  vermeil 

D'une  façon  hardie, 
Mais  Nadar  sur  son  front  aux  comètes  pareil 

Arbore  l'incendie! 

Décembre  1858, 


ïyO  ODES     FVNAMEV1E>Q_VE5, 


Reprise  de  La  Dame. 


JVlourir  de  la  poitrine 
Quand  j'ai  ces  bras  de  lys, 
La  lèvre  purpurine, 
Les  cheveux  de  maïs 
Et  cette  gorge  rose, 
Ah!  la  vilaine  chose! 
Quel  poëte  morose 
Est  donc  ce  Dumas  fils  ! 


ODES     F  VX  A  M  B  VLESQ_V  ES.  171 


Je  fus,  pauvre  colombe. 
Triste,  blessée  au  flanc; 
Déjà  le  soir  qui  tombe 
Glace  mon  jeune  sang, 
Et,  j'en  ai  fait  le  pacte, 
Il  faut  qu'en  femme  exacte, 
Au  bout  du  cinquième  acte 
J'expire  en  peignoir  blanc  ! 


Pourtant,  j'aime  une  vie 
Qu'un  immortel  trésor 
Poétise,  ravie, 
Dans  un  si  beau  décor; 
J'aime  pour  mes  extases 
Les  feux  des  chrysoprases, 
Les  rubis,  les  topazes, 
Les  tas  d'argent  et  d'or! 


Paris  est  une  ville 
Où  mille  voyageurs 
Cherchent  au  Vaudeville 
De  pudiques  rougeurs. 


172  ODES     FVN  AMB  VL  ES  Q^V  ES. 

Où  toute  jeune  fille 
Aux  façons  de  torpille 
Peut  avoir  ce  qui  brille 
Aux  vitres  des  changeurs! 


J'aime  cette  lumière 
Qui,  des  lustres  fleuris, 
Tombe  aux  soirs  de  première 
Sur  ma  poudre  de  riz, 
Quand,  aux  loges  de  face, 
Ma  petite  grimace, 
Malgré  leur  pose,  efface 
Cerisette  et  Souris. 


J'aime  qu'en  ma  fournaise 

Un  lingot  fonde  entier, 

Et  que,  pour  me  rendre  aise, 

Avec  un  luxe  altier 

De  jeune  Sulamite 

Qui  ne  soit  pas  un  mythe, 

Plus  d'un  caissier  imite 

Grellet  et  Carpentier  ! 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  SQ_V  E  S.  173 


J'aime  que  le  vieux  comte 
Soit  réduit  aux  abois 
En  refaisant  le  compte 
Des  perles  que  je  bois, 
Enfin,  cela  m'allèche 
De  sentir  ma  calèche 
Voler  comme  une  flèche 
Par  les  détours  du  bois  ! 


J'aime  que  l'on  me  bouge 
Un  grand  miroir  princier, 
Pour  me  poser  ce  rouge 
Qui  plaît  à  mon  boursier, 
Tandis  que  ma  compagne, 
Brune  fille  d'Espagne, 
Sur  l'orgue  m'accompagne 
Des  chansons  de  Darcier  ! 


Mais  surtout,  quand,  dès  l'aube, 
S'éloigne  mon  sous-chef 
Natif  d'Arcis-sur-Aube, 
Renvoyé  d'un  ton  bref. 


174  ODES     FVN  A  M  C  V  L  E  S  Q_V  ES. 


Dans  ma  main  conquérante 
.Taime  à  tenir  quarante 
Nouveaux  coupons  de  rente, 
Et  du  papier  Joseph! 

Janvier   1S57. 


ODES     t  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QV  ES.  17$ 


Marchands  de  crayons. 


ivosc  pleurait  :  Un  bon  jeune  homme 
La  consola,  veillant  au  grain. 
« — Ah!  de  quelque  nom  qu'on  vous  nomme, 
Dit-elle,  vous  allez  voir  comme 
J'ai  raison  d'avoir  du  chagrin! 

Pour  Meaux,  ayant  plié  ma  tente, 
En  avril  dernier  je  partis. 
J'allais  hériter  de  ma  tante. 
Dont  la  dépouille  aujourd'hui  tente 
Une  foule  de  bons  partis. 


\jC  ODES     FVNAMBVLES  QV  E  S . 

Mais  ce  n'est  pas  dans  la  province 
Que  resplendit  mon  firmament  : 
C'est  ici  que  loge  mon  prince. 
L'homme  pour  qui  mon  cœur  se  pince, 
Mon  Arthur,  mon  tout,  mon  amant  ! 

Loin  de  lui  mon  âme  est  funèbre; 
A  sa  voix,  qui  me  fait  rêver, 
J'étais  docile  comme  un  zèbre? 
C'est  un  individu  célèbre  : 
Où  pourrais-je  le  retrouver? 

Car  en  vain  mon  regard  se  dresse! 
Comme  Arthur  ne  m*a  pas  écrit, 
J'ignore  en  tout  point  son  adresse. 
Comment  donc  faire  avec  adresse 
Ce  que  mon  désir  me  prescrit? 

O  tristesse!  jusqu'à  la  lie 

Je  te  savoure  et  je  te  bois! 

Sa  rue,  hélas!  est  démolie  : 

Je  vois  avec  mélancolie 

Que  l'on  y  pose  un  mur  de  bois  !  » 


ODES     FVN  AMBVIE5Q.VE>.  177 


«  —  Ne  pleurez  pas,  mademoiselle, 
Dit  le  bon  jeune  homme  éperdu 
A  Rose,  en  se  penchant  vers  elle; 
Vous  allez  voir  avec  quel  zèle 
Nous  chercherons  l'Arthur  perdu! 

Puisqu'il  s'agit  d'un  homme  illustre, 
Venez  au  bal  de  l'Opéra. 
Vous  le  trouverez  sous  le  lustre , 
Appuyé  sur  quelque  balustre  ! 
Pour  l'entrée,  on  vous  la  paiera. 

Les  voici  tous  deux  à  la  fête, 
Dans  cet  endroit  prestigieux, 
Depais  les  tapis  jusqu'au  faîte, 
Où  la  réunion  est  faite 
De  ce  que  Paris  a  de  mieux. 

Tout  est  couleur,  lumière,  flamme, 
Et  l'on  s'étouffe  à  trépasser. 
Le  bon  jeune  homme,  exempt  de  blâme, 
D\l  :  —  «  Cherchez  l'ami  de  votre  âme 
Parmi  les  gens  qui  vont  passer! 


1 78  ODES    fvnambvi.es  qjv  E  5. 

A-t-il  quelque  prééminence 
Sur  l'élite  de  ces  lions 
Du  report  et  de  la  finance, 
Chez  qui  la  moindre  lieutenance 
Vaut  au  moins  quinze  millions? 

Voici  le  maître  de  Marseille, 
Lireux,  Solar,  grave  et  pensif. 
Millaud,  à  qui  Phébus  conseille 
La  bienfaisance,  et  qui  s'éveille 
Dans  une  maison  d'or  massif! 

Puis  voici  la  cohorte  insigne 
Des  artistes,  cerveaux  en  rîeur  ; 
Hamon,  gracieux  comme  un  cygne, 
Galimard  qui  cherche  la  ligne, 
Préault  qui  trouve  la  couleur! 

Puis  Masson,  fort  de  ses  magies. 
Et  Couture,  épris  des  hasards  : 
Tous  deux  à  travers  les  orgies 
Ont  vu  passer,  de  sang  rougies, 
Les  ombres  pâles  des  Césars. 


ODES     FVNAMBVLESQVES.  179 

Voici  Millet,  voici  Christophe, 
Et  tous  les  fils  de  Phidias, 
Et  Chenavard,  ce  philosophe, 
Aveuglé  par  un  bout  d'étoffe 
Que  chiffonne  en  causant  Diaz. 

Voici  des  acteurs,  Hyacinthe. 
Frederick,  Fechter;  admirons 
Grassot,  qu'on  abreuve  d'absinthe, 
Et  Gueymard,quidans  cette  enceinte 
Assourdit  la  voix  des  clairons! 

Puis  voici  les  porteurs  de  lyre, 
Les  meilleurs  Homères  du  jour. 
Ceux  que  vers  son  calvaire  attire 
Encore  le  double  martyre 
Fait  de  poésie  et  d'amour  ! 

Voici  Musset,  dieu  de  la  ville, 
Et  Dupont,  maître  de  son  pré, 
Et  Sainte-Beuve,  et  Théophile, 
Chanteur  pour  qui  la  muse  file 
Des  jours  tissus  d'un  fil  pourpré. 


l80  ODES     F  Y  N  AMB  VL  ESQVE3. 

Voici  Bouilhet,  que  tu  conseilles, 
Naïade  antique  au  front  de  lys. 
Philoxène,  amant  de  merveilles, 
Qui,  tout  enfant,  vit  les  abeilles 
Baiser  les  lèvres  de  Myrtis. 

Puis,  dans  ce  torrent  qui  s'épanche, 
Voici  les  frères  de  Goncourt  ; 
Mirecourt,  acharné  sur  Planche, 
Et  Monselet  à  la  main  blanche, 
Vers  qui  la  Renommée  accourt. 

Orgueil  des  nouvelles  déesses, 
Voici  les  trois  frères  Lévy, 
Tous  si  ruisselants  de  richesses 
Que  les  banquiers  et  les  duchesses 
Les  accostent  d*un  air  ravi. 

Connais-tu  l'homme  plein  d'audace 
Devant  ces  hardis  triumvirs, 
Qui  les  regarde  face  à  face, 
Et  dont  la  jeune  presse  etface 
L'ancien  blason  des  Elzévirsr 


ODES     FVNAMBV1ESQVES.  l^l 


C'est  un  fils  d'Apollon  et  d'Eve, 
Le  typographe  Malassis. 
Que  tout  bas  invoque  sans  trêve 
Le  poëte  inédit  qui  rêve, 
Triste,  et  sur  une  malle  assis. 

Voici  Vitu.  chez  qui  s'allie 
A  l'esprit  l'or  d'un  podesta; 
Fauchery,  venu  d'Australie 
Avec  cette  douce  folie 
Que  de  Bohême  il  emporta; 

PuisLherminier  des  Amériques! 
Mùrger,  aux  pompons  éclatants, 
Vide  tous  ses  écrins  féeriques. 
Gozlan  jure  que  les  lyriques 
Dureront  au  plus  cinquante  ans  ! 

O  sœur  de  l'aube  orientale, 
Regardez  bien  tous  ces  héros! 
Car  ils  sont  le  luxe  qu'étale 
Notre  immortelle  capitale  : 
Après  eux  tout  n'est  que  zéros.  » 


l82  O  D  E  î     F  V  N  AM  B  VI.  ES  QV  ES. 

Il  dit.  La  malheureuse  fille, 
Ignorante  de  son  destin 
Et  rapide  comme  une  anguille, 
Vers  le  flot  confus  qui  fourmille 
Leva  ses  deux  pieds  de  satin. 

Sa  vue  à  travers  une  houle 
Plongea  dans  les  rangs  espacés 
Des  gens  fameux  ;  puis  dans  la  foule 
Elle  tomba,  lys  que  l'on  foule!...  — 
Ces  timbaliers  étaient  passés. 

«  —  Mais,  hasarda  tout  bas  son  guide, 
Elle  ouvrait  ses  yeux  languissants, 
Quel  peut  donc  être,  enfant  candide, 
L'homme  célèbre,  mais  perfide, 
Qui  n'est  pas  parmi  ces  passants? 

Il  n'est  pas  peintre?  C'est  étrange. 
Alors,  quel  succès  est  le  sien  ? 
Il  n'est  donc  pas,  non  plus,  mon  ange, 
Poëte,  ou  bien  agent  de  change? 
Ni  boursier?  ni  musicien? 


ODES     F  VN  A  MB  VLESQ^VES.  1  83 

—  Si,  répondit-elle,  il  se  pique 
D'être  un  merveilleux  baryton, 
Et,  malgré  son  joli  physique, 
Il  fait  souvent  de  la  musique 
Avec  son  cornet  à  piston  ! 

Son  bonnet  brille  comme  un  phare 
Sur  son  costume  officiel, 
Lorsque,  aux  éclats  de  sa  fanfare, 
Le  moineau  franc  tremble  et  s'effare 
Et  s'enfuit  vers  l'azur  du  ciel! 

Il  aimait  à  faire  tapage 

Par  les  beaux  jours  pleins  de  rayons, 

Assis  en  vêtement  de  page 

Sur  le  sommet  d'un  équipage, 

Derrière  un  marchand  de  crayons! 

Que  de  fois  j'ai  voulu  les  suivre, 
Mêlant  mon  cœur  à  l'instrument 
Qui  répand  les  notes  de  cuivre, 
Comme  la  gargouille  et  la  guivre 
Se  mêlent  au  noir  monument  ! 


184-  ODES     F  VN  AMBVLESQ^VES. 


Car  leurs  coussins  étaient  deux  trônes, 
Quand  mon  Arthur  sonnait  du  cor 
Près  de  Mangin  en  galons  jaunes, 
Qui  sent  des  plumets  de  deux  aunes 
Frissonner  sur  son  casque  d'or  !  ;> 

Janvier  1857. 


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O  D  F.  ?     F  V  N  A  M  B  VL  E3(VVES.  185 


Nommons   Couture! 


J'ai  l'amour-propre  de  me  croire  le 
seul  artiste  véritablement  sérieux 
de  notre  époque  (  vous  voyez 
que  j'ai  le  courage  de  mes  opi- 
nions) . 

Thomas  Couture,  lettre  à  M.  de 
Villemessant,  Figaro  du  28  jan- 
vier 1857. 


JTuisq_ue?  hormis  Couture, 

Les  professeurs 
Qui  font  de  la  peinture 

Sont  des  farceurs  ; 

Puisque  ce  dogmatiste 

Mystérieux 
Reste  le  seul  artiste 

Bien  sérieux; 


l8<5  ODES     F  V  N  A  M  B  VL  E  >Q_VE3. 

Puisque  seuls  les  gens  pingres 

Ont  le  dessein 
D'admirer  encore  Ingres 

Et  son  dessin  ; 

Puisque  tout  ce  qui  cause 

Dit  que  la  croix 
Fut  offerte  sans  cause 

A  Delacroix; 

Puisque  toute  la  Souabe 
Sait  que  Decamps 

N'a  jamais  vu  d'Arabe 
Ni  peint  de  camps  ; 

Puisque,  même  au  Bosphore, 

Chacun  saura 
Que  Fromentin  ignore 

Le  Sahara; 

Puisque,  sous  les  étoiles, 

L'univers  n'est 
Pas  encombré  des  toiles 

Que  fait  Vernet 


ODF.  S      FV  N  A  M  BVT.  E  S  QV  E  S.  187 

Puisque  l'homme  féroce 

Nommé  Troyon 
Ne  connaît  ni  la  brosse 

Ni  le  crayon  ; 

Puisque  dans  nul  ouvrage 

Rosa  Bonheur 
Ne  rend  le  labourage 

Avec  bonheur; 

Puisqu'on  doit  sans  alarme 

Croiser  le  fer 
Contre  tous  ceux  que  charme 
Ary  Scheffer; 

Puisqu'en  vain  les  Osages 

Ont  par  lazzi 
Loué  les  paysages 

De  Palizzi; 

Puisque  sans  argutie, 

On  peut  nier 
L'exacte  minutie 

De  Meissonier; 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QV  ES. 


Puisque  à  moins  qu'on  soit  ivre 

De  très  bon  vin, 
On  ne  saurait  pas  vivre 

Près  d'un  Bonvin  ; 

Puisque  l'on  ne  réserve 

Ni  Daumier,  ni 
L'élincelante  verve 

De  Gavarni; 

Puisqu'il  faut  les  astuces 

D'un  Esclavon 
Pour  célébrer  les  Russes 

D'Adolphe  Yvon  ; 

Foin  des  gens  qui  travaillent 

Pour  nous  berner! 
Que  tous  les  peintres  aillent 

Se  promener  ! 

Puisque  seul  il  s'excepte, 

Et  j'y  consens, 
Ah!  que  Couture  accepte 

Tout  notre  encens! 


ODES     FVN  A  MB  VIES  C^VES.  l8ç 

Qu'il  règne  en  sa  chapelle  ! 

Que  Camoëns 
Ressuscité,  l'appelle 

Aussi  Rubens  î 

Qu'il  parle  à  ses  apôtres 

En  Iroquois  ! 
On  ira  dire  aux  autres 

De  rester  cois! 

Pose  ton  manteau  sombre 

Sur  ce  qu'ils  font; 
Couvre-les  de  ton  ombre, 

Oubli  profond  ! 

Et  poursuis  comme  Oreste, 

Fatalité, 
Ce  chœur  dont  rien  ne  reste, 

Couture  ôté  ! 

Janvier   î  S  37. 


1Ç0  ODE-      F  VN  A.MB  YLEStVVES. 


Le  Critique  en   mal   d'enfant. 


V_>  e  critique  célèbre  est  mort  en  mal  d'enfant. 
Quel  critique  !  Il  était  fort  comme  un  éléphant, 

Vif  et  souple  comme  une  anguille. 
S  "il  étirait  un  peu  ses  membres  avec  soin, 
Il  enjambait  la  mer,  et  savait  au  besoin 

Passer  par  le  trou  d'une  aiguille. 


Au  spectacle  c'était  charmant.  Comme  il  jasait! 
L'article  Frederick,  l'article  Déjaret 

Pour  lui  ne  gardaient  pas  d'arcanes. 
Quant  à  ce  qu"on  appelle  en  ce  temps-ci  :  des   ?nots, 
Il  en  laissait  toujours  au  milieu  des  marmots 

Sept  ou  huit  au  bureau  des  cannes. 


ODES      FVNAMBVLESQVES.  IÇII 

Il  avait  de  l'esprit  comme  Jules  Janin 

Et  comme  Beaumarchais;  le  sourcil  léonin 

De  ce  Jupiter  de  la  rampe 
Faisait  tout  tressaillir,  Achilles,  Arlequins 
Et  Gilles;  devant  lui  ces  porte-brodequins 

Etaient  comme  le  ver  qui  rampe. 


Ce  n'était  qu'or  et  pourpre  à  tous  ses  dévidoirs. 
Des  myrtes  qu'il  avait  cueillis  dans  les  boudoirs 

On  eût  chargé  vingt  dromadaires. 
Certes  il  s'en  fallait  peu  qu'il  ne  mît  à  bas 
La  Presse,  La  Patrie  et  même  Les  Débats 

Par  ses  succès  hebdomadaires! 


On  disait  :  «  Prémaray,  ce  divin  bijoutier, 
A  pourtant  le  ciseau  moins  agile,  et  Gautier 

La  touche  moins  fine  et  moins  grasse; 
Saint-Victor  et  Méry,  coloristes  vermeils, 
Ne  peignent  pas  si  bien  les  cheveux  des  soleils 

Janin  lui-même  a  moins  de  grâce.  » 


192  ODE?     FVN  AMBVLF.  SQ^VE-;. 

Il  n'était  pas  heureux  pourtant.  Devant  son  feu 
Où  parfois  en  silence  il  voyait  d'un  œil  bleu 

Mourir  en  cendre  un  demi-stère, 
Des  spectres  noirs,  sortis  du  fond  de  l'encrier, 
Le  talonnaient.  C'est  bien  le  cas  de  s*écrier 

Ici  :  «  Quel  est  donc  ce  mystère  ?  » 


Ou  bien  il  était  triste  en  même  temps  que  gai, 
Mêlant  De  Profundis  avec  Ma  mie,   6  gué  ! 

Telle  en  ces  paysages  qu'orne 
Une  blanche  fontaine  aux  paillettes  d'argent, 
La  lune,  astre  des  nuits,  folâtre  mais  changeant, 

Montre  ensemble  et  cache  une  corne. 


Tel  vous  pouvez  le  voir  gravé  par  Henriquel  ; 
Et  voici  le  fin  mot  :  le  malheur  pour  lequel, 

Poussant  des  plaintes  étouffées, 
11  laissait  tant  languir  son  âme  en  désarroi, 
C'était  de  n'avoir  pas  d'enfants,  comme  ce  roi 

Qu'on  voit  dans  les  contes  de  fées. 


ODES     FVNAMBVIES^VES.  I ÇJ 


Parfois  contemplant  seul,  le  front  chargé  d'ennuis, 
Les  clous  de  diamants  sur  le  plafond  des  nuits, 

Il  invoquait  les  Muses,  l'une 
Ou  l'autre,  et  leur  disait  :  «  Erato,  mon  trésor! 
Thalie  !  ô  Melpomène  à  la  chaussure  d'or  !  » 
Il  disait  à  la  Lune  :  «  O  Lune! 


Ne  m'inspirerez-vous  aucun  ouvrage?  rien? 
Quoi  !  pas  même  un  nouveau  système  aérien  ? 

Un  livre  sur  l'architecture? 
Un  vaudeville,  grand  de  toute  ma  hauteur? 
Ne  deviendrai-je  point  ce  qu'on  nomme  un  auteur 

Dans  les  cabinets  de  lecture? 


Oui,  la  gloire  est  a  moi,  j'ai  su  m'en  emparer; 
Et,  ne  produisant  rien,  je  puis  me  comparer 

Aux  filles  qu'on  marie  honnêtes; 
Je  reste  magnifique  autant  que  paresseux, 
Oui,  mais  ne  pouvoir  être  à  mon  tour  un  de  ceu: 

Qui  montrent  les  marionnettes! 


I  94  ODE5     F  V  N  A  MB  VL  ES  Q^V  E  S. 

Ni  ce  Lesage,  hélas  !  ni  cet  abbé  Prévost  ! 
Ni  ce  vieux  Poquelin  sur  qui  rien  ne  prévaut  ! 

Xi  ce  Ronsard,  ni  ce  Malherbe! 
Danser  toujours,  pareil  à  Madame  Saqui  ! 
Sachez-le  donc,  ô  Lune,  ô  Muses,  c'est  ça  qui 

Me  fait  verdir  comme  de  l'herbe  ! 


Oh  !  que  ne  puis-je,  enflant  cette  bouche,  hardi, 
Hurler  ces  drames  noirs  que  signe  Bouchardy, 

Ou  bien  par  un  grand  élan  d'aile, 
Faire  enfin,  n'étant  plus  un  eunuque  au  sérail, 
Des  romans  comme  ceux  de  Ponson  du  Terrail 

Ou  du  ténébreux  La  Landelle  !  » 


Il  le  faut,  tôt  ou  tard  un  dénouement  a  lieu. 

Or.  la  nymphe  d'une  eau  thermale,  ou  quelque  dieu 

Mettant  le  nez  à  la  fenêtre, 
Voulut  prendre  en  pitié  l'illustre  paria. 
Xotre  homme  devint  gros,  et  chacun  s'écria  : 

«  Quelque  chose  de  fort  va  naître.  » 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  5  Q^V  ES.  I  9  $ 

Lui  se  tordait  avec  mille  contorsions 
De  gésine.  Ebloui  par  les  proportions 

Vertigineuses  de  sa  taille, 
Le  prenant  pour  un  mont,  Préault  disait  :  «  Oh  !  ça, 
C'est  Pélion,  ou  bien  son  camarade  Ossa  : 

Allez-vous-en,  que  je  le  taille!  » 


Et  l'attente  dura  dix  ans.  Les  médisants, 
Comme  un  chœur  de  vieillards,  répétèrent  dix  ans 

A  la  foule,  en  s'approchant  d'elle  : 
«  Tu  prépares  ton  clair  lorgnon,  mais  vainement. 
Va  plutôt  voir  Guignol  que  cet  événement  : 

Le  jeu  n'en  vaut  pas  la  chandelle  !  » 


Enfin,  pour  accoucher  la  moderne  Pança, 

On  prit  tout  bonnement  une  épingle  :  on  pensa 

Le  vider  comme  un  œuf  d'autruche. 
Il  ne  sortit  pas  même,  ô  rage  !  une  souris 
De  ce  ventre  dont  l'orbe  excita  nos  souris  : 

Le  critique  était  en  baudruche  ! 

Janvier  iS,7. 


RONDEAUX. 


Rolle   n'est   plus  vertueux. 


vJue  l'Aurore  ait  à  son  corsage 
Cent  mille  fleurs  pour  entourage 
Et  teigne  de  rose  le  ciel, 
Rolle  dort  comme  un  immortel, 
Sans  s'inquiéter  davantage. 


Mais  que,  sur  sa  lointaine  plage, 
L'O.iéon  donne  un  grand  ouvrage, 
Rolle  s'y  rend,  plus  solennel 
Que  l'Aurore. 


ODES     FVN  AM  BVLESQJfES.  I97 

Ce  capricieux  personnage, 
Dont,  par  un  heureux  assemblage, 
Le  patois  traditionnel 
Plaît  au  Constitutionnel, 
Aime  mieux  voir  lever  Bocage 
Que  l'Aurore. 

Janvier  1S46. 


IÇ8  ODES     FVNAMBVLESÇ^VES. 


Mademoiselle   Page. 


r  âge  blanche,  allons,  étincelle  ! 
Car.  ce  rondeau,  je  le  cisèle 
Pour  la  reine  de  la  chanson, 
Qui  rit  du  céleste  Enfançon 
Et  doucement  vous  le  muscle. 

Zéphvre  l'éventé  avec  zèle, 
Et,  pour  ne  pas  vivre  sans  elle, 
Titania  donnerait  son 
Page. 


ODES     FVN  A  M  B  V L E S QV  ES.  IÇO 

Le  bataillon  de  la  Moselle 
A  sa  démarche  de  gazelle 
Eût  tout  entier  payé  rançon. 
Cette  reine  sans  écusson, 
C'est  Cypris,  ou  Mademoiselle 
Page. 

Août  1858. 


w 


O  D  F.  S     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  O  V  E  S . 


Brohan. 


ja  mère  fut  quarante  ans  belle. 
Dans  ses  yeux  la  même  étincelle 
D'amour,  d'esprit  et  de  désir, 
Quarante  ans  pour  notre  plaisir 
Brilla  d'une  grâce  nouvelle. 

Le  même  éclat  paraît  en  elle; 
C'est  par  cela  qu'elle  rappelle 
Notre  plus  charmant  souvenir. 
Sa  mère. 


ODES     FVN  AMBVfcESQVES.  201 

Elle  a  les  traits  d'une  immortelle. 
C'est  Cypris  dont  la  main  attelle 
A  son  chariot  de  saphir 
Les  colombes  et  le  zéphyr  ; 
Aussi  l'Enfant  au  dard  l'appelle 
Sa  mère. 

Juin  i8;>. 


w@ 


"V 


ODES     FVN  AMBVLESQ_VES. 


Arsène. 


\_)  ù  sait-on  mieux  s'égarer  deux,  parmi 
Les  myrtes  verts,  qu'aux  rives  de  la  Seine? 
Séduit  un  jour  par  l'Enfant  ennemi, 
Arsène,  hélas!  pour  lui  quitta  la  saine 
Littérature,  et  l'art  en  a  gémi. 

Trop  attiré  par  les  jeux  de  la  scène, 
Il  soupira  pour  les  yeux  de  Climène, 
Comme  un  Tircis  en  veste  de  Lami- 

Housset- 


ODE?     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q.V  E  S.  20} 

Oh  !  que  de  fois,  œil  morne  et  front  blêmi, 
Il  cherche,  auprès  de  la  claire  fontaine, 
Sous  quels  buissons  Amour  s'est  endormi! 
Houlette  en  main,  souriante  à  demi, 
Plus  d'une  encor  fait  voir  au  blond  Arsène 
Où  c'est. 

Juillet  1849. 


2O4.  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QV  E  S . 


Madame   Keller. 


K)  uel  air  divin  caressa  l'amalgame 

De  ces  lys  purs  qui  nous  chantent  leur  gamme? 

Plus  patient  que  les  doigts  du  Sommeil, 

Quel  blond  génie  avec  son  doigt  vermeil 

De  cette  neige  a  su  faire  une  trame  ? 

Ses  dents  pourraient  couper  comme  une  lame 
Les  dents  du  tigre  et  de  l'hippopotame, 
Et  son  col  fier  à  du  marbre  est  pareil. 
Quel  air! 


ODES     F  V  N  A  MB  VI  ESQV  F .S.  20$ 

Ovide  seul,  dans  un  épithalame, 
Eût  pu  monter  son  vers  que  rien  n'entame 
A  la  hauteur  de  ce  corps  de  soleil  ; 
Junon,  Pallas.  Vénus  au  bel  orteil, 
Même  Betti,  le  cèdent  à  madame 
Relier. 

Janvier  1846. 


ODES     FVNAMBVLES  Q^V  E  S . 


Adieu,    Paniers, 


Lyre  d'argent,  gagne-pain  trop  précaire. 
Dont  les  chansons  n'ont  qu'un  maigre  salaire. 
Je  vous  délaisse  et  je  vous  dis  adieu. 
Mieux  vaut  cent  fois  jeter  nos  vers  au  feu 
Et  fuir  bien  loin  ce  métier  de  galère. 

En  vain,  ma  lyre,  à  tous  vous  saviez  plaire  ; 
Vous  déplaisez  à  ce  folliculaire 
De  qui  s'enflamme  et  gronde  pour  un  jeu 

L'ire. 


ODES     FVNAMBVLESQ^VES.  lOJ 

Vous  n'avez  pas,  hélas  !  de  caudataire. 
Vous  n'enseignez  au  fond  d'aucune  chaire 
Le  japonais,  le  sanscrit  et  l'hébreu. 
Cédez,  ma  mie,  à  ce  critique  en  feu 
Dont  les  arrêts  ne  peuvent  pas  se  faire 

Lire. 

Novembre  1845. 


208  ODES     F  V  N  AMB  VL  ESQJVES. 


A  Désirée   Rondeau. 


Ivondeau  frivole,  où  ma  rime  dorée 

Vient  célébrer  une  femme  adorée, 

Dis  ses  attraits  dont  s'affole  chacun, 

Et  ses  cheveux  pleins  d'un  si  doux  parfum, 

Qu'eût  enviés  la  Grèce  au  temps  de  Rhée. 

Dis  les  Amours  qui  forment  sa  chambrée; 
Et  dis  surtout  à  notre  muse  ambrée 
Que  son  éloge  aurait  mieux  valu  qu'un 
Rondeau  ! 


ODES     F  V  N  A  M  B  VI  E  S  ÇJ^V  ES.  2Cp 


Dis  ou'en  son  nid,  si  cher  à  Cythércc, 
Notre  misère  est  souvent  préférée 
Au  sac  d'écus  d'un  Mondor  importun, 
Et  que  toujours,  pour  le  poëte  à  jeun 
S'ouvrent  les  bras  charmants  de  Désirée 
Rondeau. 

Novembre  1845. 


H 


*!£%*! 


TRIOLETS 


Mort    de   Shakspere. 

LJucuing,  cet  ami  de  Ponsard. 
A  bien  dit  son  fait  à  Shakspere. 
Ils  étaient,  avec  le  hussard 
Ducuing.  sept  amis  de  Ponsard  : 
Ils  ont  tous  égorgé  Ronsard, 
Et  sous  leurs  coups  Shakspere  expire. 
Ducuing,  cet  ami  de  Ponsard, 
A  bien  dit  son  fait  à  Shakspere. 


Janvier  1844. 


«P 


ODES     FVNAMBVLES  QV  E  S . 


Néraut,    Tassin   et    Grédelu. 


INéraut,  Tassin  et  Grédelu 
Maintiennent  l'art  fougueux  et  chaste. 
Je  j.r.f.r.  a  Tancrède  lu 
Néraut,  Tassin  et  Grédelu. 
Comme  Quimper,  Honolulu 
Célèbre  ces  Talmas  sans  faste. 
Néraut,  Tassin  et  Grédelu 
Maintiennent  l'art  fougueux  et  chaste. 

Décembre  1845. 


<& 


F  V  N-  A  M  B  V  L  E  ? QV  E  S. 


Grédelu. 


IS  aguères  j'ai  vu  Grédelu 
Représenter  un  jeune  singe. 
Au  fond  du  grand  bois  chevelu 
Naguères  j'ai  vu  Grédelu. 
Ce  soir-là,  certes,  il  a  plu 
Sans  l'éclat  trompeur  du  beau  linge. 
Naguères  j'ai  vu  Grédelu 
Représenter  un  jeune  singe. 

Décembre  1845. 


W 


ODtS     FÏMAMBVIES  Q_V  ES.  -I  I  3 


Tassin. 


Le  beau  Tassin,  en  matassin, 
Parfois  a  fait  rêver  Labiche. 
On  n'habille  pas  sans  dessein 
Le  beau  Tassin  en  matassin. 
On  eût  pris  pour  un  faon,  Tassin 
Quand  il  figurait  dans  La  Biche. 
Le  beau  Tassin,  en  matassin, 
Parfois  a  fait  rêver  Labiche. 

Décembre  1845. 


w 


21+  ODES     FVX  A  MB  VI  ESÇTVES. 


Néraut. 


vJuand  ils  sont  joués  par  Xéraut, 
Tous  les  rôles  portent  leur  homme. 
Les  rôles  ont  tous  un  air  haut 
Quand  ils  sont  joués  par  Néraut. 
A  Ncrac,  Néraut,  en  héraut, 
Fut  pareil  à  Néro  dans  Rome. 
Quand  ils  sont  joués  par  Néraut, 
Tous  les  rôles  portent  leur  homme. 

Décembre  1845. 


W 


ODES     FVN  AMBVLESQVES.  21$ 


Feu    de    Bengale. 


IN  éraut,  Tassin  et  Grédelu 
Sont  l'honneur  des  apothéoses. 
Roscius  n'a  jamais  valu 
Nér.;ut,  Tassin  et  Grédelu. 
Ces  noms,  par  un  charme  absolu, 
Voltigent  sur  des  lèvres  roses. 
Néraut,  Tassin  et  Grédelu 
Sont  l'honneur  des  apothéoses. 

Décembre   1S45. 


W 


2l6  ODES     F  V  N  A  M  B  VI  ESQ_VE  S. 


Leçon   de    chant. 


JVloi,  je  regardais  ce  cou-là. 
Maintenant  chantez,  me  dit  Paule. 
Avec  des  mines  d'Attila, 
Moi.  je  regardais  ce  cou-là. 
Puis,  un  peu  de  temps  s'écoula... 
Qu'elle  était  blanche,  son  épaule  ! 
Moi,  je  regardais  ce  cou-là; 
Maintenant  chantez,  me  dit  Paule. 

Août  1845. 


W 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QV  E  S.  217 


Académie   royale    de    Mus, 


Voulez-vous  des  Jeux  et  des  Ris? 
On  en  tient  chez  Monsieur  Guillaume. 
Il  fabrique  rats  et  souris. 
Voulez-vous  des  Jeux  et  des  Ris? 
Il  fournit  le  Bal  de  Paris. 
Le  Château-Rouge  et  THippodrome. 
Voulez-vous  des  Jeux  et  des  Ris  ? 
On  en  tient  chez  Monsieur  Guillaume. 

Juillet  1S46. 


<w 


21 8  ODE?     FVN  AMBVLESQVES. 


Du    temps 

Q^U  E     LE     MARÉCHAL     BCGEAïD 
POURSUIVAIT     VAINEMENT    A  B  D  -  E  L  -  K  A  D  E  R 

IJugeaud  veut  prendre  Abd-el-Kader  : 

A  ce  plan  le  public  adhère. 

Dans  tout  ce  que  l'Afrique  a  d'air. 

Bugeaud  veut  prendre  Abd-el-Kader. 

Il  voudrait  que  cet  Iskander, 

Cet  aigle  au  grand  vol  manquât  d'aire  ! 

Bugeaud  veut  prendre  Abd-el-Kader  : 

A  ce  plan  le  public  adhère. 

Mai  1846. 


<w 


O  D  F  ?     i  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QV  E  à .  2  I  9 


Age  de   M.    Paulin    Limayrac, 


Le  jeune  Paulin  Limayrac 
Est  âgé  de  huit  ans  à  peine. 
Il  est  englouti  dans  son  frac, 
Le  jeune  Paulin  Limayrac. 
Il  a  beau  boire  de  l'arack 
Et  prendre  une  mine  hautaine, 
Le  jeune  Paulin  Limayrac 
Est  âgé  de  huit  ans  à  peine. 

Mai  1846. 


%$> 


O  3  E  ?     F  V  N  A  MBVLES  Q^V  E  S. 


Bilboquet. 


Voltaire  et  l'École  normale! 
Figaro  du  30  décembre  i8>i 

V_>ette  malle  doit  être  à  nous, 
Car  c'est  la  malle  de  Voltaire. 
Mettons-la  sens  dessus  dessous  : 
Cette  malle  doit  être  à  nous! 
Voltaire  a  légué  ses  bijoux 
A  Lhomond,  par-devant  notaire. 
Cette  malle  doit  être  à  nous, 
Car  c'est  la  malle  de  Voltaire. 


Janvier  1859. 


^r 


ODhS     FVNAMBVIESQ_VE5. 


Élève   de   Voltaire! 


As-tu  lu  Voltaire?  Non  pas; 
Jamais,  jamais,  pas  même  en  rêve. 
Allons,  dis  si  tu  nous  trompas  : 
As-tu  lu  Voltaire  ?  Non  pas. 
Il  suffit  :  je  vais  de  ce  pas 
T'annoncer  comme  son  élève  ! 
As-tu  lu  Voltaire  ?  Non  pas  ; 
Jamais,  jamais,  pas  même  en  rêve. 

Janvier  1859. 


%$ 


222  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E3Q.VE  S- 


Monsieur    Homais. 

Lisez  Voltaire,  disait  l'un... 
Gustave  Flaubert,  Madame  Bovary, 

IN  on,  Homais  ne  mourra  jamais  ! 
Il  revient  en  Croquemitaine. 
Ce  faux  Arouet,  c'est  Homais  : 
Non,  Homais  ne  mourra  jamais. 
Il  prend  peu  de  mitaines  ;  mais 
On  dit  qu'il  a  pour  ami  Taine. 
Non,  Homais  ne  mourra  jamais! 
Il  revient  en  Croquemitaine. 

janvier  1859. 


«P 


ODES     FVN  AMBVLESQ^V  ES.  223 


Polichinelle    Vampire. 


V^et  académicien  blanc 
Hurle  sous  sa  perruque  verte. 
Voici  venir,  le  glaive  au  flanc, 
Cet  académicien  blanc. 
Muse,  il  se  gorge  de  ton  sang, 
Il  le  boit  par  la  plaie  ouverte. 
Cet  académicien  blanc 
Hurle  sous  sa  perruque  verte. 

Janvier  1846. 


w 


224-  ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QJV  E  S. 


Opinion  sur  Henry  de  La  Madelène. 


J  'adore  assez  le  grand  Lama, 
Mais  j'aime  mieux  La  Madelène. 
Avec  sa  robe  qu'on  lama 
J'adore  assez  le  grand  Lama. 
Mais  La  Madelène  en  l'âme  a 
Bien  mieux  que  ce  damas  de  laine. 
J'adore  assez  le  grand  Lama, 
Mais  j'aime  mieux  La  Madelène. 


Août  1850. 


«F 


ODES     FVNAMBVLESCVVES.  225 


Note    rose. 


Hier  j'ai  vu  Mélite  au  bois 
Avec  une  tignasse  rose. 
Près  de  l'Hippocrène  où  je  bois, 
Hier  j'ai  vu  Mélite  au  bois. 
Ses  beaux  airs  de  biche  aux  abois 
Ont  fort  indigné  Monsieur  Chose. 
Hier  j'ai  vu  Mélite  au  bois 
Avec  une  tignasse  rose. 

Décembre  185;. 


w 


^5 


226 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  <VV  E  S. 


Monsieur   Jaspin, 


V^onnaissez-vous  monsieur  Jaspin 
De  l'Estaminet  Je  l'Europe? 
Il  a  !a  barbe  d'un  rapin, 
Connaissez-vous  monsieur  Jaspin? 
Chevelu  comme  un  vieux  sapin, 
Il  aime  la  brune  et  la  chope. 
Connaissez-vous  monsieur  Jaspin 
De  V Estaminet  de  l'Europe? 


ODES     FVNAMBVLES  QV  E  5 . 


Il  donne  ses  coups  de  boutoir 
A  l'Estaminet  Je  l'Europe. 
Souvent  jusque  sur  le  trottoir 
Il  donne  ses  coups  de  boutoir. 
Pourtant  la  nymphe  du  comptoir 
Assouplit  ce  dur  misanthrope. 
Il  donne  ses  coups  de  boutoir 
A  Y  Estaminet  de  l'Europe. 


Novembre  1846. 


O  D  F  5     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Ç>_V  E  ? . 


Le    divan    Le    Peletier. 


V_>e  fameux  divan  est  un  van 
Où  l'on  vanne  l'esprit  moderne. 
Plus  absolutiste  qu'Y  van. 
Ce  fameux  divan  est  un  van. 
Des  farceurs  venus  du  Morvan 
Y  terrassent  l'hydre  de  Lerne. 
Ce  fameux  divan  est  un  van 
Où  l'on  vanne  l'esprit  moderne. 

Là,  Guichardet,  pareil  aux  Dieux. 
Montre  son  nez  vermeil  et  digne. 
Ici,  des  nains  qui  n'ont  pas  d'yeux  ; 
Là,  Guichardet,  pareil  aux  Dieux. 


ODES    FVN  AMBVLESQVES.  220 


Mùrger,  c'est  fort  dispendieux, 
Fait  des  mots  à  cent  sous  la  ligne. 
Là,  Guichardet,  pareil  aux  Dieux, 
Montre  son  nez  vermeil  et  digne. 


On  voit  le  doux  Asselineau 
Près  du  farouche  Baudelaire. 
Comme  un  Moscovite  en  traîneau, 
On  voit  le  doux  Asselineau. 
Plus  aigre  qu'un  jeune  cerneau. 
L'autre  est  comme  un  Goethe  en  colère. 
On  voit  le  doux  Asselineau 
Près  du  farouche  Baudelaire. 


On  y  rencontre  aussi  Babou 
Qui  fait  de  ce  lieu  sa  Capoue. 
Avec  sa  plume  pour  bambou, 
On  y  rencontre  aussi  Babou. 
A  sa  gauche,  un  topinambou 
Trousse  une  ode  topinamboue. 
On  y  rencontre  aussi  Babou 
Qui  de  ce  lieu  fait  sa  Capoue. 


2}0  ODES     FVN  A  M  B  VI  E5Q_V  E  5. 

Près  de  l'harmonieux  Stadler, 
Flamboie  encor  La  Madelène. 
Emmanuel  regarde  en  l'air, 
Près  de  l'harmonieux  Stadler. 
Voillemot  voit  dans  un  éclair 
Passer  le  fantôme  d'Hélène. 
Près  de  l'harmonieux  Stadler 
Flamboie  encor  La  Madelène. 


Le  divan  près  de  TOpéra 

Est  un  orchestre  de  voix  fausses. 

On  ne  sait  quel  mage  opéra 

Le  divan  près  de  l'Opéra. 

Ces  immortels  morts,  on  paiera 

Pour  contempler  encor  leurs  fosses. 

Le  divan  près  de  l'Opéra 

Est  un  orchestre  de  voix  fausses. 

Septembre.  1S52. 


5^e 


^^^<n^/^A^\v?D  wzsssL 


VARIATIONS   LYRIQUES. 


Ma   biographie. 

A      HENRI      D'iDEVILLE. 

Le  torrent  que  baise  l'éclair 
Sous  les  bois  qui  lui  font  des  voiles, 
Murmure,  ivre  d'un  rhythme  clair, 
Et  boit  les  lueurs  des  étoiles. 


Il  roule  en  caressant  son  lit 
Où  se  mirent  les  météores. 
Et,  plein  de  fraîcheur,  il  polit 
Des  cailloux  sous  ses  flots  sonores. 


2$2  ODES     FVN  AMBVLESQJVES. 

Tel,  je  polissais,  cher  Henri, 
Des  vers  que  vous  aimez  à  lire, 
Depuis  le  jour  où  m'a  souri 
Le  chœur  des  joueuses  de  lyre. 


J'ai  voulu  des  amours  constants 
Et.  sans  me  ranger  à  la  mode, 
J 'ai  chéri  les  cris  éclatants 
Et  les  belles  fureurs  de  l'Ode. 


Quand,  tout  jeune,  j'allais  rêvant 
Avec  ma  libre  et  fière  allure, 
Ce  fut  le  caprice  du  vent 
Qui  me  peignait  la  chevelure. 


C'est  au  fond  du  détroit  d'Hellé 
Que  j'ai  voulu  chercher  mes  rentes. 
Et  je  n'ai  jamais  plus  filé 
Qu'un  lys  au  bord  des  eaux  courantes. 


ODES     F  V  X  A  M  B  V  L  E  S  Ç^V  ES.  2j  J 

Mais  parfois,  lorsque,  triomphant, 
J'enfourchai  mes  hardis  Pégases, 
Tombaient  de  mes  lèvres  d'enfant 
Les  diamants  et  les  topazes. 


J'ai  touché  les  crins  des  soleils 
Dans  les  infinis  grandioses, 
Et  j'ai  trouvé  des  mots  vermeils 
Qui  peignent  la  couleur  des  roses. 


Je  vins,  chanteur  mélodieux, 
Et  j'ouvris  ma  lèvre  enchantée, 
Et  sur  les  épaules  des  Dieux 
Jrai  remis  la  pourpre  insultée. 


Un  instant,  le  long  du  chemin 
Où  des  fous  m'en  ont  fait  un  crime. 
J'ai  tenu  bien  haut  dans  ma  main 
Le  glaive  éclatant  delà  Rime. 


3  + 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  F.  S  Q/.'  E  S . 


Sans  repos  je  me  suis  voué 
Au  destin  d'embraser  lésâmes  : 
Peut-être  ai-je  encor    secoué 
Trop  peu  de  rayons  et  de  flammes. 


Qu'un  plus  grand  fasse  encore  un  pas, 
Chercheur  de  la  lumière  blonde  ! 
Ami,  je  ne  suis  même  pas 
La  plus  belle  fille  du  monde. 


Juin  1858. 


TS 


^ 


ODES     FVN  AMB  VL  ESQ^VES.  23  5 


A    un    ami 


POUR     LUI     RECLAMER     LE     PRIX 
d'un     TRAVAIL     LITTÉRAIRE. 


JVlon  ami,  n'allez  pas  surtout  vous  soucier 
De  la  lettre  qu'on  vous  apporte  ; 

Ce  n'est  qu'une  facture,  et  c'est  un  créancier 
Qui  vient  de  sonner  à  la  porte. 


Parcourant  sans  repos,  dernier  des  voyageurs. 

Les  Hélicons  et  les  Permesses, 
Pour  payer  mes  wagons,  j'ai  dû  chez  les  changeurs 

Escompter  l'or  de  vos  promesses. 


23  6  ODES    FVX  AMBVLF.  SQV  ES. 

Vérité  sans  envers,  que  Ton  nierait  en  vain, 
Car  elle  est  des  plus  apparentes, 

L'artiste  ne  peut  guère,  avec  son  luth  divin, 
Réaliser  assez  de  rentes. 


Ainsi  que  la  marmotte,  il  se  sent  mal  au  doigt 
A  force  de  porter  sa  chaîne  : 

Toujours  il  a  mangé  le  matin  ce  qu'il  doit 
Toucher  la  semaine  prochaine. 


A  moins  qu'il  soit  chasseur  de  dots,  et  fait  au  tour, 
Dieu  sait  quelle  intrigue  il  étale 

Pour  ne  pas  déjeuner,  plus  souvent  qu'à  son  tour, 
Au  restaurant  de  feu  Tantale! 


Moi  qui  n'ai  pas  les  traits  de  Bacchos,  je  ne  puis 
Compter  sur  ma  beauté  physique. 

Je  suis  comme  la  Nymphe  auguste  dans  son  puits  ; 
Je  irai  que  ma  boîte  à  musique  ! 


ODES     FVNAMBVIESQVES.  237 

Ainsi,  j'ai  beau  nommer  l'Amour  «  my  dear  child». 
Etre  un  Cyrus  en  nos  escrimes, 

Et  faire  encor  pâlir  le  luxe  de  Rothschild 
Par  la  richesse  de  mes  rimes, 


Je  ne  saurais  avec  tous  ces  vers  que  paiera 
Buloz.  s'il  survit  aux  bagarres, 

D'avance  entretenir  des  filles  d'Opéra, 
Ni  même  acheter  des  cigares, 


Oui,  moi  que  l'univers  prendrait  pour  un  richard, 
Tant  je  prodigue  les  tons  roses, 

Je  suis,  pour  parler  net.  semblable  à  Cabochard, 
Je  manque  de  diverses  choses. 


Le  cabaret  prétend  que  Crédit  est  ni,yé, 
Et,  si  ce  n'est  chez  les  Osages, 

Je  m'aperçois  enfin  que  l'argent  monnoyé 
S'applique  à  dilférents  usages. 


238  ODES     FVNAM3VLESQVES. 

Je  sais  bien  que  toujours  les  cygnes  aux  doux  chants, 

Près  des  Lédas  archiduchesses, 
Ont  fait  de  jolis  mots  sur  les  filles  des  champs 

Et  sur  le  mépris  des  richesses; 


Monsieur  Scribe  lui-même  enseigne  qu'un  trésor 
Cause  mille  angoisses  amères; 

Mais  je  suis  intrépide  :  envoyez-moi  de  l'or, 
Je  n'ai  souci  que  des  chimères  ! 

Mars  i8;6. 


ODES     FV  N  AMB  V L E S QV  ES.  239 


Vi lia n elle   de    Buloz. 


J  'ai  perdu  mon  Liraayrac; 
Ce  coup-là  me  bouleverse. 
Je  veux  me  vêtir  d'un  sac.' 

Il  va  mener,  en  cornac, 
La  Galette  du  Commerce. 
J'ai  perdu  mon  Limayrac. 

Mon  Limayrac  sur  Balzac 
Savait  seul  pleuvoir  à  verse. 
Je  veux  me  vêtir  d'un  sac. 

Pour  ses  bons  mots  d'almanach 
On  tombait  à  la  renverse. 
J'ai  perdu  mon  Limayrac. 


2+0  ODES     FVNAMBVLESQVES. 


Sans  son  habile  micmac, 
Sainte-Beuve  tergiverse. 
Je  veux  me  vêtir  d'un  sac. 

Il  a  pris  son  havresac, 
Et  j'ai  pris  la  fièvre  tierce. 
J'ai  perdu  mon  Limayrac. 

A  fumer,  sans  nul  tabac  ! 
Depuis  ce  jour  je  m'exerce. 
Je  veux  me  vêtir  d'un  sac. 

Pleurons,  et  vous  de  cognac 
Mettez  une  pièce  en  perce  ! 
J'ai  perdu  mon  Limayrac, 
Je  veux  me  vêtir  d'un  sac! 

Octobre  1S45 . 


% 


ODES      FVN  A  MBVL  E  SQ.V  ES.  24I 


Ecrit 


!UR     UII     EXEMPLAIRE     DES    ODELETTE! 


v^uand  j'ai  fait  ceci, 
Moi  que  nul  souci 

Ne  ronge, 
La  fièvre  de  l'or 
ÎTous  tenait  encor  ; 

J'y  songe  ! 

Pendant  ces  moments, 
Comme  les  romans 

Que  fonde 
Le  joyeux  About, 
Elle  avait  pris  tout 

Le  monde  ! 

16 


24-2  ODES    FVK  AMBVLESQVCS. 

Vous  rappelez-vous 
Les  efforts  jaloux, 

Les  brigues, 
Les  peurs,  les  succès? 
Le  combat  eut  ses 

Rodrigues  ! 

Oh  !  qu'il  fut  ardent, 
Hélas  !  Moi, pendant 

La  lutte 
Et  son  bruit  d'enfer, 
J'essayais  un  air 

De  flûte! 

Juin  1858. 


ODT.  ?     FVN  A  M  B  VI  E5Q_VES.  24.J 


Couplet 


SUR    LAIR    DES    HIRONDELLES,    DE    FELICIEN    DAVID 


/\cteurs  chez  qui  Mérops 
Hurle  comme  un  beffroi, 
Pour  enchanter  l'Europe, 
Jouez  Le  Misanthrope 
Sans  Geffroy  ! 

Août  1847. 


5^ 


!44  ODES     FVN  AM  BVIESQVES. 


Villanelle 


DES     PAUVRES     HOUSSEUI.  S 

En  avant,   mes  amis  !  sus  au  romantisme  i 
Voltaire  et  TEcole  normale! 

Figaro  du   50  décembre  1858. 


LJ  n  tout  petit  pamphlétaire 
Voudrait  se  tenir  debout 
Sur  le  fauteuil  de  Voltaire. 

Je  vois  sous  ce  mousquetaire, 
Dont  le  manteau  se  découd, 
Un  tout  petit  pamphlétaire. 


Renvoyez  au  Finistère 

Le  grain  frelaté  qu'il  moud 

Sur  le  fauteuil  de  Voltaire. 


ODES     FVNAMBV1ESQ_VES.  24.5 


Il  sera  le  caudataire 

Du  fameux  Taine,  et,  par  goût, 

Un  tout  petit  pamphlétaire. 


Prud'homme  universitaire, 
I!  a  l'air  d'un  marabout 
Sur  le  fauteuil  de  Voltaire. 


Tirez,  tirez-le  par  terre, 
Car  il  a...  pleuré  partout 
Sur  le  fauteuil  de  Voltaire. 


Ah!  le  mauvais  locataire! 
Bah  !  l'on  raille  et  l'on  absout 
Un  tout  petit  pamphlétaire. 


Bornons  là  ce  commentaire; 
Mais  il  a  manqué...  de  tout 
Sur  le  fauteuil  de  Voltaire, 


24.6 


ODES     F  V  X  A  M  B  V  L  E  S  Q^V  E  5 . 


Le  célèbre  phalanstère 
Nous  a  donné  pour  ragoût 
Un  tout  petit  pamphlétaire. 


Mons  Purgon,  vite  un  clystère  ! 

Le  pauvre  homme  écume  et  bout 
Sur  le  fauteuil  de  Voltaire. 


Qui  veut,  dans  son  monastère, 
Jeter  Pindare  à  l'égout? 
Un  tout  petit  pamphlétaire. 


De  Ferney  jusqu'à  Cythère, 
On  rit  de  voir  jusqu'au  bout 
Un  tout  petit  pamphlétaire 
Sur  le  fauteuil  de  Voltaire. 


Décembre  185S. 


ODES     FVNAMBVLESÇTVES.  24.7 


Chanson 


sur   l'air    des   landriry 


V  oici  l'automne  revenu. 
Nos  anges,  sur  un  air  connu, 

Landrirette, 
Arrivent  toutes  à  Paris, 

Landriry. 


Ces  dames,  au  retour  des  champs, 
Auront  les  yeux  clairs  et  méchants, 

Landrirette, 
Le  sein  rose  et  le  teint  fleuri, 

Landriry. 


O  D  F.  s    fvnambvi.es  qv  E  s. 


Mais  celles  qui  n'ont  pas  quitté 
La  capitale  pour  l'été, 

Landrirette, 
Ont  l'air  bien  triste  et  bien  marri, 

Landriry. 

Kos  Aspasie  et  nos  Sontag 
Se  promènent  au  Ranelagh, 

Landrirette, 
Tristes  comme  un  bonnet  de  nuit, 

Landriry. 

Elles  ont  vu  fort  tristement 
La  clôture  du  parlement, 

Landrirette, 
Leurs  roses  tournent  en  soucis, 

Landriry. 


Il  est  temps  que  plus  d'un  banquier 
Quitte  le  Havre  ou  Villequier, 

Landrirette, 
Car  notre  Pactole  est  tari, 

Landriry. 


ODES     F  V  X  A  M  B  VI  E  S  QV  ES.  2^9 

Frison,  Nais  et  Brancador 
Ont  engagé  leurs  colliers  d'or, 

Landrirette, 
Et  Souris  n'a  plus  de  mari, 

Landriry. 

Mais  voici  le  temps  des  moineaux; 
Les  vacances  des  tribunaux, 

Landrirette, 
Vont  ramener  l'argent  ici, 

Landriry. 

Car  déjà,  sur  le  boulevard, 

On  voit  des  habits  de  Stuttgard, 

Landrirette, 
Et  des  vestes  de  Clamecv, 
Landriry. 

Tout  cela  vient  avec  l'espoir 
Daller  à  Mabille  et  de  voir, 

Landrirette, 
Page  et  Mademoiselle  Ozy, 

Landriry. 


250 


ODES     FVN  AM  B  VLESQ^V  F.  S. 


Le  matin,  avec  bonne  foi, 
Ils  tombent  au  café  de  Foy, 

Landrirette, 
Pour  lire  Le  Charivari, 

Landriry. 

Puis  ils  s'en  vont,  à  leur  grand  dam, 
Acquérir  sur  la  foi  de  Cham, 

Landrirette, 
Des  jaquettes  gris  de  souris, 

Landriry. 

Un  Moulinois  de  mes  cousins 
Contemple  tous  les  magasins, 

Landrirette, 
Avec  un  sourire  ébahi, 

Landriry. 


Et  déjà    ce  nouvel  Hassan 
Guigne  un  cachemire  au  Persan, 

Landrirette, 
C'est  pour  charmer  quelque  péri, 

Landriry. 


ODES     FVN  A  M  B  VLESÇ^VES.  25  I 

Il  ira  ce  soir  à  Feydeau. 
Avant  le  lever  du  rideau, 

Landrirette, 
Il  s'écriera  :  «  C'est  du  Grétry, 

Landriry  !  » 

Courage,  Amours,  souvent  frôlés! 
Demain,  les  bijoux  contrôlés, 

Landrirette, 
Se  placeront  à  juste  prix, 

Landriry. 

Bon  appétit,  jeunes  beautés, 
Qu'adorent  les  prêtres  bottés, 

Landrirette, 
De  Cypris  et  de  Brididi, 

Landriry. 

Vous  allez  guérir  derechef 
Par  l'or  et  le  papier  Joseph, 

Landrirette, 
Vos  roses  et  vos  lys  flétris, 

Landriry 


2  5  2  ODES     F  V  X  A  M  B  V  L  E  S  QV  E  S. 

Si  vous  savez  d'un  air  vainqueur 
Mettre  sur  votre  bouche  en  cœur. 

Landrirette, 
Les  jeux,  les  ris  et  les  souris, 

Landriry. 

Si  vous  savez,  à  chaque  pas. 
Murmurer  :  «  je  ne  polke  pas,  » 

Landrirette, 
Vous  allez  gagner  vos  paris, 

Landriry. 

Vous  allez  avoir  des  pompons, 
Des  fleurettes  et  des  jupons, 

Landrirette, 
Comme  en  portait  la  Dubarry, 

Landriry. 

Vous  aurez,  comme  en  un  sérail. 
Plus  de  perles  et  de  corail, 

Landrirette, 
Qu'un  marchand  de  Pondichéry, 

Landriry» 


O  D  E  5     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  QV  E  S.  253 

Plus  d'étoiles  en  diamant 

Qu'il  ne  s'en  trouve  au  firmament, 

Landrirette, 
Ou  dans  un  roman  de  Méry, 

Landriry. 

Et  cet  hiver  à  l'Opéra, 

Où  quelque  Amadis  vous  paiera, 

Landrirette, 
Vous  poserez  pour  Gavarni, 

Landriry. 

Septembre  1846. 


w@ 


"V 


25-i-  ODES     F  Y  H  A  ME  VIESQ_V  E  S. 


Ballade 


DES     CELEBRITES      DU     TEMPS     JADIS, 


i_yites-moi  sur  quel  Sinaï 
Ou  dans  quelle  manufacture 
Est  le  critique  Dufaï? 
Où?  sur  quelle  maculature 
Lalanne  met-il  sa  rature? 
Où  sont  les  plâtrée  de  Dantan, 
Le  Globe  et  La  Caricature? 
Mais  où  sont  les  neiges  d'antan! 

Où  Venet,  par  le  sort  trahi, 
A-t-il  trouvé  sa  sépulture? 
Mirecourt  s'est-il  fait  spahi? 
Mantz  a-t-il  une  préfecture? 


on  *•  s    rvxAMBVLE^VES.  255 

Où  sont  les  habits  sans  couture. 
Et  Malitourne  et  Pelletan? 
Où  sont  Clesinger  et  Couture? 
Mais  où  sont  les  neiges  d'antan! 

Où  sont  Rolle  des  Dieux  haï, 
Bataille,  plus  beau  que  nature, 
Cochinat,  qui  fut  envahi, 
Tout  vif,  par  la  même  teinture 
Que  jadis  Toussaint-Louverture, 
Et  ce  Rhéal  qui  mit  Dante  en 
Français  de  maître  d'écriture? 
Mais  où  sont  les  neiges  d'antan  ! 

ENVOI. 

Ami,  quelle  déconfiture  ! 
Tout  s'en  va,  marchands  d'orviétan 
Et  marchands  de  littérature: 
Mais  où  sont  les  neiges  d'antan! 

Novembre  1856. 


i$6  ODES     F  V  X  A  M  B  VLE5  Q_VtS. 


Virelai 

A     MES      ÉDITEURS. 

lJarbanchu  nargue  la  rime! 
Je  défends  que  l'on  m'imprim:  ! 

La  gloire  n'était  que  frime; 
Vainement  pour  elle  on  trime, 
Car  ce  point  est  résolu. 
11  faut  bien  qu'on  nous  supprima 
Barbanchu  nargue  la  rime  ! 

Le  cas  enfin  s'envenime. 
Le  prosateur  chevelu 


ODES     FVNAMBVLESQVES.  25/ 


Trop  longtemps  fut  magnanime. 

Contre  la  lyre  il  s'anime, 

Et  traite  d'hurluberlu 

Ou  d'un  terme  synonyme 

Quiconque  ne  l'a  pas  lu. 

Je  défends  que  l'on  m'imprime. 

Fou,  tremble  qu'on  ne  t'abîme! 
Rimer,  ce  temps  révolu. 
C'est  courir  vers  un  abîme, 
Barbanchu  nargue  la  rime  ! 

Tu  ne  vaux  plus  un  décime  ! 
Car  l'ennemi  nous  décime, 
Sur  nous  pose  un  doigt  veiu. 
Et,  dans  son  chenil  intime, 
Rit  en  vrai  patte-pelu 
De  nous  voir  pris  à  sa  glu. 
Malgré  le  monde  unanime, 
Tout  prodige  est  superflu. 
Le  vulgaire  dissolu 
Tient  les  métrés  en  estime  : 
Il  y  mord  en  vrai  goulu  ! 
Bah  !  pour  mériter  la  prime. 


T<;8  ODES     FVN  AMBVLESQVES. 

Tu  lui  diras  :  Lanturlu  ! 

Je  défends  que  l'on  m'imprime. 

Molière  au  hasard  s'escrime, 
C'est  un  bouffon  qui  se  grime; 
Dante  vieilli  se  périme. 
Et  Shakspere  nous  opprime! 
Que  leur  art  jadis  ait  plu, 
Sur  la  récolte  il  a  plu. 
Et  la  foudre  pour  victime 
Choisit  leur  toit  vermoulu. 
C'était  un  régal  minime 
Que  Juliette  ou  Monime  ! 
Descends  de  ta  double  cime, 
Et,  sous  quelque  pseudonyme, 
Fabrique  une  pantomime; 
Il  le  faut,  il  l'a  fallu. 
Mais  plus  de  retour  sublime 
Vers  Corinthe  ou  vers  Solyme  ! 
Ciseleur,  brise  ta  lime, 
Barbanchu  nargue  la  rime  ! 

Seul  un  réaliste  exprime 
Le  Beau  rèche  et  mamelu  : 


ODES     F  \  N  A  M  B  V  L  E  S  (VV  E  S.  2  5  </ 

En  douter  serait  un  crime. 
Barbanchu  nargue  la  rime! 
Je  défends  que  l'on  m'imprime. 

Novembre  1856. 


^^f^- 


2<^0  ODES     FVNAMBVLESQ_VES. 


ballade 


DES     TRAV^T.:      DE     CE     TEMPS 


Pn 


"udhomme,  fier  de  montrer  son  bon  goût. 
Quand  il  écrit  des  lettres,  les  cacheté 
D'un  casque  d'or  où  flotte  un  marabout; 
Camellia  prend  des  airs  de  Nichette, 
Et  le  docteur  arbore  une  brochette. 
Dès  l'an  passé,  Montjoye  eut  ce  travers 
D'aller  au  bal  en  bottes  à  revers; 
Sur  votre  front  Courbet  met  des  verrues, 
Nymphe  aux  yeux  d'or,  Sirène  aux  cheveux  verts 
Voici  le  temps  pour  les  coquecigrues. 


ODES    fvnambvlesqves.  261 

Anges  bouffis  et  vermeils,  que  partout 
L'humble  passant  peut  appeler  :  «  Bichette,  » 
Dès  que  Plutus  dresse  quelque  ragoût, 
Cent  Dalilas  apportent  leur  fourchette. 
Amour  les  guide  au  bruit  de  sa  pochette. 
Par  le  marteau  forgé  tout  de  travers, 
C'est  un  jupon  d'acier  qui  sert  d'envers 
Aux  fiers  appas  de  ces  femmes  ventrues, 
Et  ce  rempart  terrasse  les  pervers  : 
Voici  le  temps  pour  les  coquecigrues. 


On  n'a  plus  d'or  que  pour  Edmond  About 
Au  Moniteur  ainsi  que  chez  Hachette; 
C'est  pour  lui  seul  que  la  marmite  bout 
Chez  Désiré  comme  au  café  Vachette; 
C'est  lui  qu'on  prise  et  c'est  lui  qu'on  achète. 
Pourtant  Venet  écrit  à  l'Univers; 
Machin  (du  Tarn)  dans  des  recueils  divers 
Offre  au  public  des  lignes  incongrues, 
Et  Champfleury  veut  supprimer  les  vers  : 
Voici  le  temps  pour  les  coquecigrues. 


262  ODES     FV  N  A  MB  VLES  (VVES. 


ENVOI 

Mon  cher  François,  vers  la  Touraine  et  vers 
Vos  lvs,  mes  chants  volent  aux  bosquets  verts. 
Je  sais  qu'ils  ont  des  rimes  un  peu  crues  : 
C'est  que  depuis  ces  dix  ou  douze  hivers, 
Voici  le  temps  pour  les  coquecigrues. 

Juillet  1856. 


m 


ODES     FVNAMBVLESQVES.  2(jj 


Monsieur  Coquardeau. 


CHANT      ROYAL 


l\oi  des  Crétins,  qu'avec  terreur  on  nomme, 

Grand  Coquardeau,  non.  tu  ne  mourras  pas. 

Lépidoptère  en  habit  de  Prudhomme, 

Ta  majesté  t'affranchit  du  trépas, 

Car  tu  naquis  aux  premiers  jours  du  monde, 

Avant  les  cieux  et  les  terres  et  l'onde. 

Quand  le  métal  entrait  en  fusion, 

Titan,  instruit  par  une  vision 

Que  son  travail  durerait  la  semaine. 

Fondit  d'abord,  et  par  provision. 

Le  front  serein  de  la  Bêtise  humaine. 


2Û4.  ODES     FVNAM  SVIESQ_VCS, 

On  t'a  connu  dans  Corinthe  et  dans  Rome, 

Et  sous  Colbert,  comme  sous  Maurepas. 

Mais  sur  tes  yeux  de  vautour  économe 

Se  courbait  l'arc  d'un,  sourcil  plein  d'appas, 

Et  le  sommet  de  ta  tête  profonde 

A  resplendi  sous  la  crinière  blonde. 

Que  Gavarni  tourne  en  dérision 

Tes  six  cheveux.'  Avec  décision 

Le  démêloir  en  toupet  les  ramène  : 

Un  Dieu  scalpa,  comme  l'Occasion, 

Le  front  serein  de  la  Bêtise  humaine. 


Tu  te  rêvais  député  de  la  Somme 

Dans  les  discours  que  tu  développas, 

Et,  beau  parleur  grâce  à  ton  majordome, 

On  te  voit  fier  de  tes  quatre  repas. 

Lorsqu'en  s'ouvrant  ta  bouche  rubiconde 

Verse  au  hasard  les  trésors  de  Golcond^, 

On  cause  bas,  à  ton  exclusion, 

Ou  chacun  rêve  à  son  évasion. 

Tu  n'as  jamais  connu  ce  phénomène; 

Mais  l'ouvrier  doubla  d'illusion 

Le  front  serein  de  la  Bêtise  humaine. 


ODES     FVNAMBVLESQ^VES. 


Comme  Paris  tu  tiens  toujours  la  pomme. 

Dans  ton  salon,  qu'ornent  des  Ma\eppas. 

On  boit  du  lait  et  du  sirop  de  gomme, 

Et  tu  n'y  peux,  selon  toi,  faire  un  pas 

Sans  qu"à  ta  flamme  une  flamme  réponde. 

Dans  tes  miroirs  tu  te  vois  en  Joconde. 

Jamais  pourtant,  cœur  plein  d'effusion, 

Tu  n'oublias  ta  chère  infusion 

Pour  les  rigueurs  d'Iris  ou  de  Climène. 

L'espoir  fleurit  avec  profusion 

Le  front  serein  de  la  Bêtise  humaine. 


A  ton  café,  tu  te  dis  brave  comme 

Un  Perceval,  et  toi  même  écharpas 

Le  rude  Arpin  ;   ta  chiquenaude  assomme. 

Lorsque  tu  vas,  les  jambec  en  compas, 

On  croirait  voir  un  héros  de  la  Fronde, 

Ou  quelque  preux,  vainqueur  de  Trébizonde. 

Mais,  évitant  avec  précision 

L'éclat  fatal  d'une  collision, 

Tu  vis  dodu  comme  un  chapon  du  Maine, 

Pour  sauver  mieux  de  toute  lésion 

Le  front  serein  de  la  Bêtise  humaine. 


UÔ6  ODES     FVWAMBVLESQVES. 


ENVOI. 

Prince  des  sots,  un  système  qu'on  fonde 

A  son  aurore  a  soif  de  ta  faconde. 

Toi.  tu  vivais  dans  la  prévision 

Et  dans  l'espoir  de  cette  invasion  : 

Le  Réalisme  est  ton  meilleur  domaine. 

Car  il  charma  dès  son  éclosion 

Le  front  serein  de  la  Bêtise  humaine. 

Novembre  1S36. 


ODES     F  VX  AMBVL  ESQJ/ES.  2f>> 


Monselet  d'automne. 

P  A  N  T  O  U  M  . 

L'automne  est  doux;  adieu,  libraires! 
L'oiseau  chante  dans  le  sillon. 
Monselet  dit  à  ses  confrères  : 
«  Etes-vous  or  pur  ou  billon  ?  » 

L'oiseau  chante  dans  le  sillon. 
Le  ciel  dans  les  vapeurs  s'allume. 
«  Etes-vous  or  pur  ou  billon  ? 
Répondez,  soldats  de  la  plume.  » 

Le  ciel  dans  les  vapeurs  s'allume  : 
Ma  mie.,  il  faut  aller  au  bois. 
«  Répondez,  soldats  de  la  plume, 
Ne  parlez  pas  tous  à  la  fois.  » 


268  ODE;     FVNAMBVLESQVE:*. 

Ma  mie,  il  faut  aller  au  bois, 
Là-bas  où  la  brise  soupire. 
«  Ne  parlez  pas  tous  à  la  fois  : 
Lequel  de  vous  est  un  Shakspere  ?  n 

Là-bas  où  la  brise  soupire, 
Il  fait  bon  pour  les  cœurs  souffrants  : 
u  Lequel  de  vous  est  un  Shakspere? 
Lequel  est  Balzac  ?  Soyez  francs.  » 

Il  fait  bon  pour  les  cœurs  souffrants. 
Sur  la  mousse  je  veux  qu'on  m'aime. 
«  Lequel  est  Balzac?  Soyez  francs. 

—  «Balzac?  dit  chacun,  c'est  moi-même.  » 

Sur  la  mousse  je  veux  qu'on  m'aime. 
De  la  seule  étoile  aperçu. 

—  «  Balzac?  dit  chacun,  c'est  moi-même.  » 
Monselet  rit  comme  un  bossr 

De  la  seule  étoile  aperçu, 
Qu'un  baiser  de  feu  .ne  dévore! 
Monselet  rit  comme  un  bossu. 
Bon  biographe,  ris  encore! 


ODES     F  V  X  A  M  B  V  L  E  S  Q.V  E  0.  o 6$ 

Qu'un  baiser  de  feu  me  dévore  ! 
Hélas  !  le  bonheur  est  si  court  ! 
Bon  biographe,  ris  encore, 
On  n'entendra  plus  Mirecourt, 

Hélas  !  le  bonheur  est  si  court  ! 
O  désirs  vains  et  téméraires  ! 
On  n'entendra  plus  Mirecourt, 
L'automne  est  doux:  Adieu, libraires! 

Septembre  1836. 


2/0  ODES     FVX  A  M  B  VL  ESÇrVL  s. 


R  éalisme. 


V_j  races,  ô  vous  que  suit  des  yeux  dans  la  nuit  brune 
Le  pâtre  qui  vous  voit,  par  les  ravons  de  lune,' 
Bondir  sur  le  tapis  folâtre  des  gazons, 
Dans  votre  vêtement  de  toutes  les  saisons  ! 

Et  toi  qui  fais  pâmer  lez  fleurs  quand  tu  respires, 
Fleur  de  neige,  ô  Cypris  !  toi.  mère  des  sourires, 
Dont  le  costume  ancien,  même  après  fructidor, 
Se  compose  de  lys  avec  des  frisons  d'or! 
Et  toi,  rouge  Apollon,  dieu  !  lumière  !  épouvante  ! 
Toi  que  Délos  révère  et  que  Ténédos  vante, 
Toi  qui,  dans  ta  fureur,  lances  au  loin  des  traits 
Et  qu*à  présent  on  force  à  faire  des  portraits, 
Partisan  des  linons  et  des  minces  barèges, 
Patron  des  fabricants  d"ombrelles,  qui  protèges 


ODES     FV  N  AMBVLESQ^V  ES.  2JI 

Chryse,  et  qui  ceins  de  feux  la  divine  Cilla, 
Regardez  ce  que  font  ces  imbéciles-là! 

Regardez  ces  farceurs  en  costume  sylvestre  ! 
Ils  agitent  leurs  bras  comme  des  chefs  d'orchestre; 
Ils  sa  sont  tous  grisés  de  bière  chez  Andler, 
Et  les  voici  qui  vont  graves,  les  yeux  en  l'air, 
Rouges  pourpres,  dirait  Mathieu,  quant  au  visage, 
Et  curieux  de  voir  un  bout  de  paysage. 
Ils  plantent  en  cerceaux  des  manches  à  balais, 
Et  se  disent  :  «  Voilà  des  arbres,  touchez-les  !  » 
Sur  le  bord  d*un  trottoir  ils  vident  leur  cuvette 
En  s'écriant  :  «  La  mer  !  je  vois  une  corvette  !  » 
Un  singe  passe  au  dos  d'un  petit  Savoyard, 
Ils  murmurent  :  «  Ami,  saluons  ce  boyard!  » 

Embusqués  en  troupeaux  à  l'angle  de  trois  rues, 
Sur  les  fronts  des  passants  ils  collent  des  verrues, 
Puis,  abordant  leur  homme  avec  un  air  poli  : 
«  Monsieur,  demandent-ils,  ce  nez  est-il  joli? 
Vous  aimez  les  nez  grecs,  c'est  là  ce  qui  vous  trompe! 
Oh  !  laissez-moi  vous  coudre  à  la  place  une  trompe  !   » 
Celui-ci  rencontrant  Marinette  ou  Marton, 
Lui  met  sur  le  visage  un  masque  de  carton  ; 
Celui-là  vous  arrête  et  vous  souffle  la  panse. 
Et  répète  :  «  Le  beau  n'est  pas  ce  que  l'on  pense  !  j 


372  ODES     FVX  AM  BVLESQV  ES. 

Bientôt,  grâce  à  leurs  soins  d'artistes,  autour  d'eux 
La  foule  a  pris  l'aspect  d'un  cauchemar  hideux  : 
Ce  ne  sont  qu'oriflans,     caprimulges,    squelettes, 
Stryges  entrechoquant  leurs  gueules  violettes, 
Mandragores,  dragons,  origes,  loups-garcus, 
Tarasques  ;  c'est  alors  que  le  plus  fort  d'eux  tous 
Hurle,  en  s'échevelant  comme  un  Ange  rebelle  : 
«  Par  Ornans  et  le  Doubs  !  que  la  nature  est  belle  !  » 

Extasiés  alors  des  sourcils  à  l'orteil, 
Effarés,  éblouis,  prenant  pour  le  soleil 
La  chandelle  à  deux  sous  que  Margot  leur  allume, 
Ils  cherchent  l'ébauchoir,  les  brosses  ou  la  plume, 
Et,  comme  Bilboquet  pour  le  maire  de  Meaux, 
Au  lieu  d'êtres  humains,  ils  font  des  animaux 
Encore  non  classés  par  les  naturalistes  : 
Excusez-les,  Seigneur,  ce  sont  des  réalistes! 
Mais,  puisque  au  lieu  de  lire  un  livre  de  crétin, 
J'aime  à  sentir  au  bois  les  muguets  et  le  thym; 
Puisque  la  foi  nouvelle  a  des  argyraspides 
Qui  heurtent  leur  fer-blanc;  puisque  les  moins  stupides 
De  ce  temps  sont  encor  ceux  qui  tressent  des  lys, 
O  Sminthée  aux  cheveux  de  flamme,  et  toi,  Cypris  ! 
Puisque  je  ne  suis  pas,  moi  charmé  dans  vos  fêtes, 
De  l'avis  de  Gozlan,  sur  ce  nue  les  poètes 


ODES     F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q.V  E  S  .  273 

Durent  un  demi-siècle  à  peine;  puisque  j'ai 
Pour  maîtres  de  bon  sens  Phyllis  et  Lalagé  ; 
Puisque  j'aime  bien  mieux  faire  voler  des  bulles 
De  savon,  que  d'écrire  une  œuvre  aux  Funambules 
Et  puisque,  même  en  grec,  sans  le  père  Brumoy, 
Les  Grecs  valaient  monsieur  Chose,  permettez-moi. 
Au  lieu  de  voir  courir  tous  ces  porteurs  de  chaînes, 
De  me  coucher  pensif  sous  l'ombrage  des  chênes  '. 

Permettez-moi  d'y  vivre  inutile,  étendu 
Sur  l'herbe,  m'enivrant  d'un  frisson  entendu 
Et  d'admirer  aussi  la  rose  coccinelle, 
Et  d'aider  seulement  de  ma  voix  fraternelle. 
Cependant  que  rugit  cette  meute  aux  abois, 
Le  champignon  sauvage  à  pousser  dans  les  bois! 

Janvier  1837. 


j8 


274  ODES     F  V  X  A  M  B  V  LE  s  QV  ES. 


Méditation 

POÉTIQUE     ET     LITTÉRAIRE. 

V_yx  écrivait  encore,  en  ces  temps  romantiques 
Où  les  chants  de  Ducis  étaient  des  émétiques, 
Où,  sans  pourpoint  cinabre,  on  se  voyait  banni, 
Où  Prudhomme,  ravi  de  tomber  avec  grâce, 
Etait  jeté  vivant  dans  une  contre-basse 
Pour  avoir  contesté  les  vers  de  Hernani. 

On  écrivait,  tandis  que  maintenant  on  gèle. 

Où  sont  les  Antony.  les  Ruy-Blas,  les  Angèle, 

Et  ces  jours,  morts,  hélas  ! 
Où  Frederick,  faisant  revivre  Aristophane, 
Sous  le  mépris  des  sots  et  la  robe  d"un  âne 

Cachait  Traaaldabas  ? 


ODKS     FVN  AMB  VLE  SQ_VES.  275 

On  écrivait,  au  sein  de  l'antique  Bohème 
Où  le  chat  de  Mimi  brillait  sur  le  poëme, 
Où  Schaunard  éperdu,  dédaignant  tout  poncif, 
Si  quelqu'un  devant  lui  vantait  sa  pipe  blonde. 
Lui  répondait  :  «  J'en  ai  pour  aller  dans  le  monde 
Une  plus  belle  encore,  »  et  devenait  pensif. 


Aujourd'hui  Weill  possède  un  bouchon  de  carafe, 
Arsène  a  des  maisons,  Nadar  est  photographe, 

Véron  maître-saigneur, 
Fournier  construit  des  bricks  de  papier,  et  les  mate, 
Henri  La  Madelène  a  fait  du  carton-pàte  : 

Lequel  vaut  mieux,  Seigneur? 

Décembre   185e. 


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27 '6  ODES     FVNAMBVLESQVES. 


A  Augustine   Brohan. 


1  halie,  amante  des  grands  cœurs, 
Voix  éloquente  et  vengeresse, 
J'ai  bu  les  amères  liqueurs  : 
Prends  mes  chansons,  bonne  Déesse. 

Berce-les  au  bruit  des  grelots! 
Muse  au  beau  front,  nymphe  homérique, 
De  ta  lèvre  coule  à  grands  flots 
Notre  inspiration  lyrique. 

Ton  rire,  comme  un  clair  soleil, 
Epanouit  les  gaîtés  franches, 
Pourpre  vive,  rosier  vermeil, 
Éblouissement  de  dents  blanches  ! 


ODES     FV  \  A  MBVLE  SQVES.  .177 

Que  de  fois,  chancelant  encor 
Sous  le  mal  dont  je  suis  la  proie, 
Tes  accents  de  cristal  et  d'or 
M'ont  rendu  la  force  et  la  joie  ! 

Oh  !  que  de  fois  j'ai  mendié 
L'enthousiasme  et  l'ironie 
Sur  le  théâtre  incendié 
Par  les  éclairs  de  ton  génie  ! 

C'est  pourquoi,  ne  dédaigne  pas 
Le  pur  diamant  de  mes  rimes, 
Nymphe,  dont  j'ai  baisé  les  pas 
Sur  la  neige  des  grandes  cimes. 

Car  sur  ton  front  céleste  a  lui 
L'ardent  rayon  qui  me  déchire, 
Et  nous  nous  aimons  en  Celui 
Qui  nous  a  légué  son  martyre. 

O  spectacle  trois  fois  divin 
De  voir  une  telle  écolière 
Tremper  sa  bouche  dans  le  vin 
Dont  s'enivra  le  grand  Molière  ! 


278  ODES     FVN  AMBVL  E  S  Q_V  E  S. 

Toi  qui  le  charmes  au  tombeau, 
Thalie,  Augustine,  âme  élue 
Pour  ce  délire  encor  si  beau, 
L'Ode  est  ta  sœur,  et  te  salue. 

Septembre  185S. 


gètf 


ODES     FVNAMBVLE3ÇTVES,  279 


La   Sainte   Bohème. 


.  .  .  Il  chanta  d'une  voix  tonnante 
à  laquelle  nous  répondîmes  en  choeur  : 
Vive  la  Zohème  ! 

George  Sand,  La  dernière  Alà'ini. 


far  le  chemin  des  vers  luisants. 
De  gais  amis  à  l'âme  fière 
Passent  aux  bords  de  la  rivière 
Avec  des  filles  de  seize  ans. 
Beaux  de  tournure  et  de  visage, 
Ils  ravissent  le  pavsage 
De  leurs  vêtements  irisés 
Comme  de  vertes  demoiselles, 
Et  ce  refrain,  qui  bat  des  ailes, 
Se  mêle  au  vol  de  leurs  baisers  : 


280  ODES     FVN  AMB  VLESQVES. 

Avec  nous  l'on  chante  et  l'on  aime, 
Nous  sommes  frères  des  oiseaux. 
Croissez,  grands  lys,  chantez,  ruisseaux, 
Et  vive  la  sainte  Bohème! 


Fronts  hâlés  par  l'été  vermeil, 
Salut,  bohèmes  en  délire  ! 
Fils  du  ciseau,  fils  de  la  lyre, 
Prunelles  pleines  de  soleil  ! 
L'aîné  de  notre  race  antique 
C'est  toi,  vagabond  de  l'Attique, 
Fou  qui  vécus  sans  feu  ni  lieu, 
Ivre  de  vin  et  de  génie, 
Le  front  tout  barbouillé  de  lie 
Et  parfumé  du  sang  d'un  dieu! 


Avec  nous  l'on  chante  et  l'on  aime, 
Nous  sommes  frères  des  oiseaux. 
Croissez,  grands  lys,  chantez,  ruisseaux, 
Et  vive  la  sainte  Bohème! 


ODES    FVNAMBVI.ESQVES. 


Pour  orner  les  fouillis  charmants 
De  vos  tresses  aventureuses, 
Dites,  les  pâles  amoureuses, 
Faut-il  des  lys  de  diamants, 
Si  nous  manquons  de  pierreries 
Pour  parer  de  flammes  fleuries 
Ces  flots  couleur  d'or  et  de  miel, 
Nous  irons,  voyageurs  étranges, 
Jusque  sous  les  talons  des  anges 
Décrocher  les  astres  du  ciel! 


Avec  nous  l'on,  chante  et  l'on  aime, 
Nous  sommes  frères  des  oiseaux. 
Croissez,  grands  lys,  chantez,  ruisseaux, 
Et  vive  la  sainte  Bohème! 


Buvons  au  problème  inconnu 
Et  buvons  à  la  beauté  blonde, 
Et,  comme  les  jardins  du  monde, 
Donnons  tout  au  premier  venu! 


>82  ODES     FVN  AM  B  V  L  E  S  (VV  E  S. 

Un  jour  nous  verrons  les  esclaves 
Sourire  à  leurs  vieilles  entraves, 
Et,  les  bras  enfin  déliés, 
L'univers  couronné  de  roses, 
Dans  la  sérénité  des  choses 
Boire  aux  Dieux  réconciliés! 


Avec  nous  l'on  chante  ei  l'on  aime, 
Nous  sommes  frères  des  oiseaux. 
Croissez,  grands  lys,  chantez,  ruisseaux, 
Et  vive  la  sainte  Bohème.' 


Nous  qui  n'avons  pas  peur  de  Dieu 
Comme  l'égoïste  en  démence, 
Au-dessus  de  la  ville  immense 
Regardons  gaîment  le  ciel  bleu! 
Nous  mourrons!  mais,  ô  souveraine! 
O  mère!  ô  Nature  sereine! 
Que  glorifiaient  tous  nos  sens, 
Tu  prendras  nos  cendres  inertes 


ODFS     FÏX  A  MBVLESQ.VES.  8} 

Pour  en  faire  des  forêts  vertes 
Et  des  bouquets  resplendissants! 


Avec  nous  l'on  chante  et  l'on  aime, 
Nous  sommes  frères  des  oiseaux. 
Croissez,  grands  lys,  chantez,  ruisseaux, 
Et  vive  la  sainte  Bohème! 

Juin  1847. 


S 


284.  ODES     TVNAMBVLESQ^VES. 


Ballade 


DE     LA    VRAIE     SAGESSE. 


1Y1  on  bon  ami,  poëte  aux  longs  cheveux, 
Joueur  de  flûte  à  l'humeur  vagabonde, 
Pour  l"an  qui  vient  je  t'adresse  mes  vœux: 
Enivre-toi,  dans  une  paix  profonde, 
Du  vin  sanglant  et  de  la  beauté  blonde. 
Comme  à  Noël,  pour  faire  réveillon 
Près  du  foyer  en  flamme,  où  le  grillon 
Chante  à  mi-voix  pour  charmer  ta  paresse, 
Toi,  vieux  Gaulois  et  fils  du  bon  Villon, 
Vide  ton  verre  et  baise  ta  maîtresse. 


ODES     FVNAMBVLESQVES.  28$ 

Chante,  rimeur,  ta  Jeanne  et  ses  grands  yeux 
Et  cette  lèvre  où  le  sourire  abonde; 
Et  que  tes  vers  à  nos  derniers  neveux, 
Sous  la  toison  dont  l'or  sacré  l'inonde, 
La  fassent  voir  plus  belle  que  Joconde. 
Les  Amours  nus,  presses'  en  bataillon, 
Ont  des  rosiers  broyé  le  vermillon 
Sur  le  beau  sein  de  cette  enchanteresse. 
Ivre  déjà  de  voir  son  cotillon, 
Vide  ton  verre  et  baise  ta  maîtresse. 

Une  bacchante,  aux  bras  fins  et  nerveux, 
Sur  les  coteaux  de  la  chaude  Gironde, 
Avec  ses  sœurs,  dans  l'ardeur  de  ses  jeux, 
Pressa  les  flancs  de  sa  grappe  féconde 
D'où  ce  vin  clair  a  coulé  comme  une  onde. 
Si  le  désir,  aux  yeux  d'émerillon, 
T'enfonce  au  cœur  son  divin  aiguillon, 
Profites-en  ;  l'Ame,  disait  la  Grèce, 
A  pour  nous  fuir  l'aile  d'un  papillon  : 
Vide  ton  verre  et  baise  ta  maîtresse. 


>86  ODES      F  V  N  A  M  B  V  L  E  S  Q_V  F.  S . 


ENVOI. 

Ma  muse,  ami,  garde  le  pavillon. 

S'il  est  de  pourpre,  elle  aime  son  haillon. 

Et  me  répète  à  travers  son  ivresse, 

En  secouant  son  léger  carillon  : 

Vide  ton  verre  et  baise  la  maîtresse. 

Décembre  1856, 


ODES     F  V  N  AMB  V  LESQ_V  ES.  287 


Le   Saut  du   Tremplin, 


L/lown  admirable,  en  vérité  ! 
Je  crois  que  la  postérité, 
Dont  sans  cesse  l'horizon  bouge, 
Le  reverra,  sa  plaie  au  flanc. 
Il  était  barbouillé  de  blanc, 
De  jaune,  de  vert  et  de  rouge. 

Même  jusqu'à  Madagascar 
Son  nom  était  parvenu,  car 
C'était  selon  tous  les  principes 
Qu'après  les  cercles  de  papier. 
Sans  jamais  les  estropier 
Il  traversait  le  rond  des  pipes. 


*m 


ODF.  5   fvntambvlesqvi:s. 


De  la  pesanteur  affranchi, 
Sans  y  voir  clair  il  eût  franchi, 
Les  escaliers  de  Piranèse. 
La  lumière  qui  le  frappait 
Faisait  resplendir  son  toupet 
Comme  un  brasier  dans  la  fournaise. 


Il  s'élevait  à  des  hauteurs 
Telles,  que  les  autres  sauteurs 
Se  consumaient  en  luttes  vaines. 
Ils  le  trouvaient  décourageant, 
Et  murmuraient  :  «  Quel  vif-argent 
Ce  démon  a-t-il  dans  les  veines?» 


Tout  le  peuple  criait  :  «  Bravo  !  » 
Mais  lui,  par  un  effort  nouveau, 
Semblait  roidir  sa  jambe  nue, 
Et,  sans  que  l'on  sût  avec  qui, 
Cet  émule  de  la  Saqui 
Parlait  bas  en  langue  inconnue. 


ODES     F  V  N  A  M  B  VI  E  S  Q_V  ES. 


C'était  avec  son  cher  tremplin, 
Il  lui  disait  :  «  Théâtre,  plein 
D"inspiration  fantastique, 
Tremplin  qui  tressailles  d'émoi 
Quand  je  prends  un  élan,  fais-moi 
Bondir  plus  haut,  planche  élastique! 


«  Frêle  machine  aux  reins  puissants, 
Fais-moi  bondir,  moi  qui  me  sens 
Plus  agile  que  les  panthères, 
Si  haut  que  je  ne  puisse  voir 
Avec  leur  cruel  habit  noir 
Ces  épiciers  et  ces  notaires! 


«  Par  quelque  prodige  pompeux, 
Fais-moi  monter,  si  tu  le  peux, 
Jusqu'à  ces  sommets  où,  sans  règles, 
Embrouillant  les  cheveux  vermeils 
Des  planètes  et  des  soleils, 
Se  croisent  la  foudre  et  les  aigles. 


i9 


29O  ODES     F  V  H  A  M  B  VI  ES  QV  E 


«  jusqu'à  ces  éthers  pleins  de  bruit, 
Où,  mêlant  dans  l'affreuse  nuit 
Leurs  haleines  exténuées, 
Les  autans  ivres  de  courroux 
Dorment,  écbevelés  et  fous, 
Sur  les  seins  pâles  des  nuées. 


«  Plus  haut  encor.  jusqu'au  ciel  pur  ! 
Jusqu'à  ce  lapis  dont  l'azur 
Couvre  notre  prison  mouvante  ! 
Jusqu'à  ces  rouges  Orients 
Où  marchent  des  Dieux  flamboyants, 
Fous  de  colère  et  d'épouvante. 


«  Plus  loin  !  plus  haut  !  je  vois  encor 

Des  boursiers  à  lunettes  d'or, 

Des  critiques,  des  demoiselles 

Et  des  réalistes  en  feu. 

Plus  haut  !  plus  loin  !  de  l'air  !  du  bleu 

Des  ailes  !  des  ailes  !  des  ailes  !  » 


o  d  r.  >  :  v  n  A  m  e  v  i.  r.  -  n  ••  i  - . 


2yi 


Enfin,  de  son  vil  échafaud, 
Le  clown  sauta  si  haut,  si  haut, 
Qu'il  creva  le  plafond  de  toiles 
Au  son  du  cor  et  du  tambour, 
Et,  le  cœur  dévoré  d'amour, 
Alla  rouler  dans  les  étoiles. 

Février  1837. 


<£^®& 


&1  cALTHO^KSE  LE£ME%%E 


LJans  mon  travail  me  voilà  comme  entré. 
Moi  le  rhythmeur,  le  dompteur  de  Chimère, 
Je  prends  la  plnme  &  je  commenterai, 
Fût-ce,  an  besoin,  devant  monfieur  le  maire. 
Vous  le  voulez,  c'ejl  bien,  mon  cher  Lemerre. 
J'ai  tel  défir  de  cajfer  congruement 
Ces  durs  cailloux,  que  j'y  Jonge  en  dormant; 
Et,  fi  je  fors  vainqueur  de  cette  lutte, 
On  pourra  mettre  au  bas  du  monument  : 
Cailloux  cajfés  par  un  joueur  de  jlûte. 

Septembre  i8j} 


®r 


^r^^m 


COMMENTAIRE 


—  Ï873  — 


r   'ai     écrit     ce    mot     redoutable     Le 
dernier   comme    le    premier   éditeur 


des  Odes  funambulesques ,  mes  amis 
A. -P.  Malassis  et  Alphonse  Lemerre, 
ligués  contre  moi,  veulent  éviter  de  trop  cruelles 
tortures  aux  Saumaises  futurs,  ce  qui  ne  serait 
encore  rien  ;  mais  il  est  à  craindre  en  outre  que 
ces  Saumaises  ne  parviennent  pas,  en  effet,  à 
deviner  les  allusions,  si  claires  autrefois  et  deve- 
nues déjà. un  peu  obscures,  que  contient  mon  petit 
livre.  Je  m'exécute  donc,  quoiqu'il  soit  bien  dur 
pour  un  vieillard  de  se  faire  le  commentateur  d'un 
enfant  ;  car,  en  vérité,  qu'y  a-t-il  de  commun 
entre  le  moi  que  je  suis  maintenant  et  ce  jeune  fou 


294 


CO  M   M  E  N  T  A  I  R  F.. 


qui,  abandonnant  au  vent  sa  blonde  chevelure, 
brandissait  contre  les  moulins  sa  lance  romantique  ? 
Pour  l'intelligence  générale  du  livre,  je  dois  dire 
que,  bien  que  né  le  1 4.  mars  1823  et  ayant  publié 
les  cinq  mille  vers  de  mon  premier  recueil  Les 
Cariatides  en  184.2,  j'ai  tout  à  fait  appartenu  par 
mes  sympathies  et  par  mes  idolâtries  à  la  race 
de  1830.  J'ai  été  et  je  suis  encore  de  ceux  pour 
qui  l'Art  est  une  religion  intolérante  et  jalouse;  je 
pense  encore  que,  la  France  étant  surtout  et  avant 
tout  une  nation  de  chevaliers,  de  poètes  et  d'ar- 
tistes, celui-là  est  chez  nous  le  plus  patriote  qui 
exalte  le  plus  ardemment  la  poésie  élevée  et  les 
sentiments  héroïques.  Je  partage  avec  les  hommes 
de  i83o  la  haine  invétérée  et  irréconciliable  de  ce 
que  l'on  appela  alors  les  bourgeois,  mot  qu'il  ne 
faut  pas  prendre  dans  sa  signification  politique  et 
historique,  et  comme  signifiant  le  tiers -état; 
car,  en  langage  romantique,  bourgeois  signifiait 
l'homme  qui  n'a  d'autre  culte  que  celui  de  la  pièce 
de  cent  sous,  d'autre  idéal  que  la  conservation  de 
sa  peau,  et  qui  en  poésie  aime  la  romance  senti- 
mentale, et  dans  les  arts  plastiques  la  lithographie 
coloriée.  Aussi  ne  devra-t-on  pas  s'étonner  de  voir 


COMMENTAIRE.  20  5 

que  j'ai  traité  comme  des  scélérats  des  hommes 
fort  honnêtes  d'ailleurs,  qui  n'avaient  que  le  tort 
(et  il  suffit  !)  d'exécrer  le  génie  et  d'appartenir  à  ce 
que  Henri  Monnier  a  justement  nommé  :  la  reli- 
gion des  imbéciles  ! 

Pour  faire  avec  ordre  le  petit  travail  qui  va 
suivre,  j'adopterai  naturellement  les  divisions 
mêmes  du  livre,  et  je  dirai  au  fur  et  à  mesure 
quelles  furent  les  victimes  (à  peine  égratignées 
heureusement)  de  mes  boutades  juvéniles.  Toute- 
fois, cette  clef,  puisque  clef'û  y  a,  ne  saurait  être 
complète  dès  aujourd'hui  ;  car  il  y  a  encore  parmi 
les  modèles  de  mes  figures  comiques  des  person- 
nages vivants  qu'il  m'est  impossible  de  nommer 
ici.  Ces  dernières  omissions  seront  complétées 
après  moi  par  quelque  jeune  poète,  qui  sera  dans 
le  secret  de  Polichinelle,  si  cependant  les  Odes 
funambulesques  et  leur  Commentaire  n'ont  pas 
disparu  dans  l'abîme  redoutable...  où  est  la  tres- 
sage Héloïs  ! 


:c 


Gaietés. 


a  Corde  roide,  page  21. —  Cette  ode 
n'est  que  la  mise  en  scène  lyrique  du 
titre  même  du  livre  :  Odes  funambu- 
lesques. A  propos  de  ce  titre  qui  a  eu 
une  si  heureuse  fortune,  je  dois  raconter  qu'il  m'a 
été  donné  d'une  manière  tout  à  fait  surnaturelle. 
J'avais  écrit  la  plupart  des  odes  comiques  dont  se 
compose  le  livre,  uniquement  dans  le  désir  de  cher- 
cher un  genre  nouveau,  et  sans  songer  du  tout  à  les 
réunir.  Ce  fut  P.  Malassis  qui  audacieusement  entre- 
prit d'en  faire  un  livre,  et  comme  il  arrangeait  déjà 
sa  charmante  édition  imprimée  en  rouge  et  en  noir, 
un  camarade  quelconque,  un  indifférent  que  je  ren- 
contrai me  demanda  à  brûle-pourpoint  :  «  Eh  bien  ! 
quand  paraissent  vos...  Odes  funambulesques  ?  »  Je 
tressaillis  et  réprimai  l'expression  de  ma  joie,  car 


COMMENTAIRE.  297 


à  l'instant  même  j'avais  compris  que  le  vrai  titre 
définitif  de  mon  livre  était  trouvé. 

La  Ville  enchantée,  page  25.  —  Personne 
n'est  aussi  romantique  qu'il  se  flatte  de  l'être.  Dans 
ce  petit  guide  de  l'étranger  dans  Paris,  n'y  a-t-il 
pas  un  peu  trop  de  périphrases  à  la  Delille?  La 
deuxième  strophe  de  la  page  28,  Salut,  jardin 
antique,  etc.,  et  les  cinq  strophes  suivantes  font 
allusion  aux  jardins  de  Versailles,  comme  la  troi- 
sième strophe  de  la  page  29,  Ailleurs,  c'est  le 
palais  où  Diane  se  dresse,  aux  musées  du  Louvre, 
et  comme  la  quatrième  strophe  de  la  même  page, 
Et  maintenant  voici  la  coupole  féerique,  à  la  cou« 
pôle  de  la  bibliothèque  du  Luxembourg,  peinte  par 
Delacroix  et  représentant  l'apothéose  des  poëtes. 

La  belle  Véronique,  page  3s.  —  Ainsi  qu'on 
le  voit,  l'héroïne  de  cette  ode  était  une  personne 
essentiellement  pratique;  aussi  a-t-elle  été  épou- 
sée par  un  pair  d'Angleterre  !  René  Lordereau 
avait  inventé  cet  axiome,  qu'il  faut  être  très- 
indulgent  pour  tout  ce  qui  relève  de  la  galanterie, 
A  ce  compte,  j'avais  connu  la  belle  Véronique  dans 


29'^  COMMENTAIRE. 


une  situation  qui  réclamait  la  suprême  indulgence; 
je  la  retrouvai  à  Londres  grande  dame,  faisant 
partie  d'une  famille  illustre,  et  elle  ne  me  punit  en 
aucune  façon  des  fautes  du  hasard;  mais  c'était 
une  femme  de  génie  ! 

Mascarades,  page  35.  —  Le  maillot  des  Keller, 
dont  il  est  parlé  à  la  page  36,  est  le  maillot  de  Ma- 
dame Keller.  femme  admirablement  belle,  qui  avait 
importé  ici  les  tableaux  vivants,  et  naturellement  le 
maillot  des  femmes  de  sa  troupe.  Très  pudiquement 
et  avec  un  grand  sentiment  de  l'art,  Madame  Keller 
reproduisait  les  plus  beaux  groupes  antiques.  Dans 
les  salons,  lorsqu'on  l'y  appelait,  elle  laissait,  en 
effet,  le  maillot  voler  en  l'air;  elle  montrait  ses 
tableaux  vivants  réellement  nus.  L'Art  y  gagnait, 
et  la  pudeur  n'y  perdait  rien,  au  contraire;  mais 
le  théâtre  n'a  pas  le  droit  d'être  si  artiste  que  cela, 
et,  comme  on  se  le  rappelle,  Talma.  après  un  pre- 
mier essai,  dut  renoncer  à  jouer  Achille  avec  les 
jambes  réellement  nues.  —  Brididi ,  page  38, 
strophe  1 ,  avait  succédé  à  Chicard  comme  roi  de 
la  Danse  excessive  et  vertigineuse,  et  il  fut  d;i::s 
cet  art  fantasque  un  véritable  créateur.  11  excellait 


COMMENTAIRE.  299 

à  improviser  séance  tenante  un  quadrille  dont 
toutes  les  figures  formaient  dans  leur  ensemble  une 
épopée  symbolique.  Je  me  rappelle  qu'une  fois,  au 
bal  masqué  du  premier  Théâtre  Lyrique,  ayant 
déjà  pris  au  vestiaire  son  paletot  qui  était  gris,  et 
l'ayant  endossé,  il  trouva  une  fillette  qui  lui  plut, 
et  se  décida  à  danser  le  dernier  quadrille.  Alors 
il  entra  son  pantalon  dans  ses  bottes,  chiffonna 
son  chapeau  de  façon  à  lui  donner  l'aspect  du  petit 
chapeau  historique,  et,  par  une  grimace  subite,  se 
donna  étonnamment  le  visage  de  Napoléon  Pre- 
mier; puis  le  quadrille  qu'il  dansa  représenta,  de 
Toulon  à  Sainte-Hélène,  toute  la  légende  impé- 
riale, et  le  galop  final  était  l'apothéose!  En  ce 
temps-là  le  dévergondage  même  était  artiste  ;  les 
générations  nouvelles  ont  retourné  cela  comme 
un  gant. 

Pilodo,  page  38,  strophe  3,  chef  d'orchestre 
des  bals  du  Vauxhall,  très  habile  à  susciter  la  bac- 
chanale furieuse,  avait,  avec  ses  lunettes  bleues 
(comme  Hugo  le  dit  de  Mirabeau),  une  tête  hor- 
rible de  laideur  et  de  génie. —  Labeaume,  page  3g, 
strophe  i ,  fut  alors  un  célèbre  entrepreneur  de  bals 
masqués.  —  Mogador,  ibidem .  plus  tard  comtesse 


300  COMMENTAIRE. 

de  Chabrillan,  a  porté  en  effet  le  costume  de 
guerrière  victorieuse  que  j'indique.  Elle  a  aussi, 
vêtue  à  la  grecque,  fait  à  l'Hippodrome  la  course 
des  chars  avec  Louise  Mesgny  et  une  Joséphine 
qui  semblait  un  bloc  de  granit  taillé  par  un  Her- 
cule statuaire.  —  Madame  Panache,  Ange,  Fri- 
sette, Rose  Pompon  et  Blanche,  que  nomment  les 
strophes  suivantes,  ne  méritent  pas  de  biographie 
particulière  ;  elles  ont  été  jolies  et  elles  ont  eu 
lieu.  Il  leur  a  manqué  des  visées  supérieures  et 
un  trône  en  Egypte  pour  atteindre  à  la  renommée 
de  Cléopûtre. 

Premier  Soleil, page  46.  —  3/lle  Oy,  page  4-, 
strophe  1 ,  dont  le  prénom  était  Alice,  a  été  l'amie 
de  tous  les  hommes  d'esprit  de  son  temps.  Retirée 
à  Enghien,  dans  une  charmante  villa,  elle  y  devint 
dévote,  allait  à  la  messe  avec  un  gros  livre  et 
offrait  à  l'église  de  grands  tableaux  de  sainteté. 
Aux  heures  de  sa  folle  jeunesse,  Roger  de  Beau- 
voir, dans  un  amusant  croquis,  l'avait  représentée 
vêtue  de  la  nébride,  tenant  d'une  main  un  thyrse 
de-  bacchante,  et  de  l'autre  une  coupe  pleine,  avec 
cette  épigraphe  :    0\y  noçant   les  mains  pleines. 


COMMENTAIRE.  30I 

Victor  Hugo  avait  daigné  lui  adresser  quelques 
vers.  Et  moi-même,  si  parva  licet.  &c. ..  préten- 
dant, à  tort  peut-être,  que  sa  vie  abandonnée  au 
caprice  n'était  pas  d'un  bon  exemple  pour  les 
demoiselles  à  marier,  j'avais  écrit,  à  propos  d'elle, 
ce  quatrain  qui  fit  fortune  : 

Les  demoiselles  che\  Oy 

Menées, 
Ne  doivent  plus  songer  aux  hy- 

Menées  ! 

Page  47,  strophe  5.  —  Tout  le  monde  sait 
que  Musette  est  la  joyeuse  infidèle  de  La  Vie  de 
Bohème ,  Nîchette  la  grisette  vertueuse  de  La 
Dame  aux  Camélias,  et  Mimi  Pinson  l'héroïne 
d'une  immortelle  chanson  d'Alfred  de  Musset. 
Mais  je  suis  ici  pour  mettre  sur  tous  les  I  tous 
les  points,  même  inutiles. 

La  Voyageuse, page  49.  —  Mademoiselle  Caro- 
line Letessier,  à  qui  est  adressée  cette  ode,  charme 
les  premières  représentations  par  son  élégance  et 
par  ses  longs  yeux  expressifs.  Comme  toutes  les 


3  02  CO  M  M  F.  N  TAIRE. 

jolies  Parisiennes,  elle  a  un  peu  joué  la  comédie. 
Elle  est  la  nièce  de  cette  adorable  Marthe,  qui  créa 
le  rôle  de  Laïs  dans  le  Diogène  de  Félix  Pyat,  à 
TOdéon,  et  dont  la  mort  sanglante  a  été  un  dec 
drames  les  plus  épouvantables  de  l'Empire.  Mêlée 
à  une  histoire  dangereuse,  elle  s'était  réfugiée  à 
Londres.  Elle  revint  à  Paris  pour  chercher  des 
papiers,  et  on  la  trouva  morte  dans  son  ancien 
logement.  On  n"a  jamais  su  si  sa  mort  avait  été  le 
résultat  d'un  assassinat  ou  d'un  suicide. 


3S^ 


*-c\ 


Évohé, 


N  E  M  E  S  I  3     INTERIMAIRE. 


propos  des  six  satires  réunies  sous 
ce  titre,  les  deux  premières  éditions 
dos  Odes  funambulesques  contenaient 
la  note  que  voici  : 
Rien  de  plus  difficile  que  de  faire  comprendre 
après  dix  ans  une  plaisanterie  parisienne.  Autant 
vouloir  transvaser  cette  essence  de  roses  que  Stnyrne 
enfermait  dans  des  Jlacons  bariolés  d'or.  Ici  ce 
sont  les  vivants  qui  vont  le  plus  vite!  On  ne  l'a 
point  oublié,  en  1846,  l'illustre  collaborateur  de 
notre  Méry  donnait  au  public  une  nouvelle  Ne- 
mésis,  accueillie  par  Le  Siècle,  qui  publiait  régu- 
lièrement chaque  dimanche  une  de  ces  belles  satires . 
Après  avoir  accompli  pendant  longtemps  son  tra- 


J  O-fc  COMMENTAIRE. 

vail  surhumain,  M.  Barthélémy,  fatigué  et  souf- 
frant, obtint  un  congé  de  quelques  semaines.  C'est 
alors  qu'un  petit  journal  de  ce  temps-là,  La 
Silhouette  (il  est  allé  où  va  la  feuille  de  laurier,) 
inventa  cette  ironique  et  frivole  Évohé,  pour 
remplir,  prétendait-il,  l'intérim  de  Némésis.  Mais 
tout  cela  semble  aujourd'hui  s'être  passé  avant  la 
guerre  de  Troie.  O  neiges  d'antan! 

j'écrivais  cette  note  eu  1857;  que  dirai-je  au- 
jourd'hui, en  1873?  Cependant,  je  vais  essayer 
d'expliquer  de  mon  mieux  mes  petites  satires,  car 
on  ne  manquerait  jamais  de  bonnes  raisons  pour 
ne  pas  remplir  la  tâche  qu'on  s'est  donnée.  Elles 
ont  ce  caractère  très  essentiel  que,  tout  le  long  de 
ces  poëmes,  l'élan  et  l'enthousiasme  lyrique  sont 
rendus  à  la  Satire.  On  l'avait  fait  marcher  à  pieds, 
et  de  nouveau  je  l'ai  assise  sur  le  divin  cheval  ailé, 
et  j'ai  éparpillé  au  vent  sa  chevelure.  Tout  ce  qui 
est  poésie  est  chant,  tel  est  l'axiome  que  j'ai  voulu 
faire  triompher,  là  comme  dans  tout  ce  que  j'ai 
écrit.  Et  dire  qu'il  y  a  eu  un  long  moment  où  pro- 
férer une  telle  naïveté  a  pu  passer  pour  un  coup 
d'audace  ! 


COMMENTAIRE.  305 


Eveil,  page  $7»  —  La  création  fantastique 
d'Evohé,  cette  confusion  entre  la  muse  et  la  femme, 
qui  commence  à  cette  première  satire  pour  ne  finir 
qu'à  la  dernière,  n'est  pas  si  arbitraire  qu'elle 
semble  l'être,  car  elle  peint  l'âme  et  l'esprit  de 
toute  une  époque.  En  1830  (c'est  toujours  à  cette 
date  qu'il  faut  remonter.)  les  poètes  voulurent 
comme  Byron,  amalgamer  leur  vie  idéale  et  leur 
vie  réelle,  être  vraiment  dans  la  vie  ce  qu'ils 
étaient  dans  le  livre,  et,  dans  la  double  extase  de 
leur  inspiration  et  de  leurs  amours,  la  femme 
pour  eux  devint  muse,  et  la  muse  femme.  On  voit 
dans  mes  satires  (18^.5-184.6)  le  dernier  reflet  de 
cette  tradition,  morte  déjà. 

Comme  un  clairon  de  Sax,  page  $8,  vers  ig, 
—  Sax,  à  qui  un  peuple  hellène  eût  élevé  des  sta- 
tues s'il  ne  l'eût  divinisé,  a  inventé  des  familles 
d'instruments  à  vent  en  cuivre,  tout  un  orchestre 
que  la  voix  des  ouragans  ne  peut  faire  taire,  et  il 
a  fait  des  réalités  de  toutes  les  métaphores  inven- 
tées par  les  épopées  et  par  les  apocalypses  à  propos 
des  trompettes  d'airain.  —  Feuchères,  page  58, 
vers  22,  a  été  un  de    ces    Benvenuto  de  1830  qui 


20 


3  D<5  C  O  M  M  EXTAIRE. 


exprimaient  à  la  fois  leur  pensée  et  leur  caprice 
par  la  statuaire,  par  la  peinture,  par  la  ciselure, 
par  la  gravure  ;  encore  une  race  morte!  Plus  tard, 
non  seulement  les  peintres  ne  furent  plus  que 
peintres,  mais  il  y  en  eut  même  qui,  pendant 
toute  leur  vie,  ne  peignaient  qu'un  seul  pot,  tou- 
jours le  même,  ou  que  des  fromages  blancs. 

Page  58,  vers  24  : 

Tu  nas  pas,  il  est  vrai,  célébré  S 


On  voit  assez,  par  la  rime  précédente,   de  quel 

mot  ii  s'agit.  S est  un  poL:me  de  Barthélémy, 

moitié  didactique,  moitié  humoristique,  auquel  le 
docteur  Giraudeau  de  Saint-Gervais  avait  cousu 
son  poème  en  prose.  Passons  vite.  —  Ni  comme 
l'Amphion,  te,  page  5  g,  vers  5.  Cet  Amphion 
fut  M.  de  Rambuteau.  Mais  ceci  est  encore  un 
sujet  mauvais  à  commenter,  même  pour  un  Com- 
mentaire. 

Page  5g,  vers  7  : 

Mais  enfin,  c'est  par  toi  qu'un  jour  le  Triolet,  te. 


COMMENTAIRE.  307 

On  trouvera  plus  loin,  quand  nous  en  serons 
aux  Triolets,  tout  ce  qui  se  rapporte  à  ce  vers 
au  morceau  qui  le  suit,  à  Néraut,  Tassin  et  Gré- 
delu,  et  à  VArchiloque  âgé  Je  huit  ans,  qui  était 
Paulin  Limayrac.  —  A  propos  de  lui,  comme  à 
propos  de  plusieurs  écrivains  nommés  dans  la 
note  suivante,  je  dois  rappeler,  comme  je  l'ai  dit 
en  commençant,  que  mes  haines  (si  ce  n'est  pas 
un  trop  gros  mot)  ont  été  exclusivement  littéraires. 
La  personne  réelle  de  mes  adversaires  n'a  jamais 
été  en  jeu,  et  toutes  mes  innocentes  escarmouches 
ont  eu  lieu  dans  le  pays  de  la  fantaisie  et  de  la 
fiction. 

Voye\  les  Auvergnats,  les  pairs...,  Sic, page  62 , 
vers  1 3  et  suivants.  —  Ce  rapprochement  entre 
les  Auvergnats  et  les  pairs  de  France  n'est  pas 
arbitraire  :  il  fait  allusion  à  la  fameuse  historiette 
sur  les  pairs  de  France  et  les  marchands  de  peaux 
de  lapin,  écrite  en  quiproquo  par  Henry  Monnier, 
dans  La  Famille  improvisée. —  De  ce  vers  jusqu'au 
dernier  vers  de  la  page,  c'est  une  véritable  ava- 
lanche de  noms  propres.  Si  j'ai  mis  dans  la  même 
nasse  le  nain  Tom  Pouce,  qu'on  exhibait   vêtu  en 


3  08  C  O  M  M  E  N  T  A  I  R  E. 

empereur,  le  lézard  qui  jouait  du  violon  et 
le  hanneton  qui  faisait  du  verre  filé,  au  dire  des 
réclames,  le  café  de  maïs,  qui  n'était  ni  du  café  ni 
du  maïs,  l'annonce  Duveyrier ,  par  laquelle  les 
écrivains  devinrent  les  esclaves  de  l'annoncier, 
ht.  Aymé  de  Xevers,  dentiste,  un  chef  d'orchestre 
qui  tirait  des  coups  de  pistolet,  le  guano,  M.  Cons- 
tant Hilbey ,  qui  écrivait  des  brochures  contre 
Jules  Janin,  au  milieu  de  tout  cela  l'ami  des  ani- 
maux, le  spirituel  et  charmant  Toussenel,  et  le 
marchand  de  crayons  Mangin,  qui  parcourait  les 
rues  sur  un  char,  vêtu  d'une  dalmatique  et  coiffé 
d'un  casque  d'or,  et  M.  Clairville,  et  l'avocat  Chi- 
coisneau,  qui  n'était  pas  plus  bavard  qu'un  autre 
avocat,  et  M.  Hippolyte  Lucas  (que  je  désignais 
sous  le  nom  de  Gutliere,  héros  d'une  de  ses  pièces 
espagnoles,)  et  Af.  Bulo\,  et  M,  Rolle,  qui  n'avait 
à  mes  yeux  que  le  tort  d'être  un  faux  classique  et 
de  préconiser  l'imitation  de  l'imitation,  c'est  que 
tous,  hommes  et  choses,  ils  me  semblaient,  soit 
par  les  théories  qu'ils  prêchaient,  soit  par  le  bruit 
qu'ils  faisaient  indûment,  opprimer  la  Muse  et 
jeter  des  bâtons  ou  d'autres  embarras  dans  les 
roues  de   son  char.    —   Mais   il  faut  donner  une 


COMMENTAIRE.  309 


mention  spéciale  à  Carolina,  nommée  au  dix-neu- 
viètne  vers  de  cette  page  62. 

Carolina,  Laponne,  comme  disaient  les  affiches, 
était  une  actrice  de  deux  pieds  de  haut,  mais  avec 
une  terrible  gorge  à  la  Rubens,  qui  voyageait  à 
travers  les  petits  théâtres,  de  Saqui  et  des  Délasse- 
ments aux  Funambules,  où  elle  créa  le  rôle  de  la 
reine  des  Carottes  dans  une  pantomime  de  Champ- 
fleury,  qui,  bien  longtemps  avant  M.  Sardou,  avait 
pensé  à  mettre  à  la  scène  le  conte  d'Hoffmann, 
et  qui,  lai,  s'était  acquitté  de  cette  besogne  en 
artiste.  Elle  y  joua  aussi  d'une  manière  très-éton- 
nante  le  rôle  d'un  grognard  de  l'Empire,  avec  des 
cheveux  blancs  !  Pareille  à  beaucoup  d'autres 
femmes,  Carolina,  Laponne,  n'estimait  absolument 
chez  les  hommes  que  la  haute  taille,  et  elle  n'au- 
rait pas  donné  un  fétu  d'un  César  qui  n'aurait  pas 
eu  au  moins  six  pieds.  Elle  était  l'amie  d'un  comé- 
dien nommé  Ameline,  qui,  après  avoir  été  réelle- 
ment tambour-major,  jouait  les  tambours-majors 
dans  les  mélodrames  du  Cirque,  et  qui  créa  aussi 
le  rôle  du  Cosaque  colossal,  que  Paulin  Ménier 
tuait  dans  Les  Cosaques,  de  MM.  Arnault  et  Ju- 
dicis,   à  la  Gaieté.  Ameline  obéissait  à  Carolina, 


3  I  O  COMMENTAIRE. 


Laponne,  avec  une  docilité  enfantine.  Lorsqu'ils 
avaient  quelque  querelle.  Carolina  lui  disait  : 
«  Mets-moi  sur  la  table  pour  que  je  te  donne  une 
gifle.  »  Ameline  la  prenait  dans  ses  bras,  la  posait 
sur  la  table,  s'approchait,  recevait  la  gifle  qu'elle 
lui  donnait  à  tour  de  bras,  puis  remettait  Carolina 
à  terre  avec  une  terreur  respectueuse.  Cette  vul- 
gaire parodie  de  l'histoire  de  la  reine  Omphale 
aurait  pu  être  rangée  sous  la  rubrique  inventée 
par  Courbet  :  Allégorie  réelle/ 

Les  Théâtres  d'enfant-,  page  64.  —  Ces 
théâtres  étaient  :  le  Théâtre  des  jeunes  élèves  de 
M.  Comte,  au  passage  Choiseul,  remplacé  aujour- 
d'hui par  les  Bouffes-Parisiens,  et  le  Théâtre  Joly 
ou  Gymnase  enfantin ,  au  passage  de  l'Opéra. 
M.  Comte,  physicien  du  roi,  prestidigitateur,  avait 
voulu,  par  une  pensée  philanthropique,  donner  de 
l'instruction  et  une  bonne  éducation  à  des  enfants 
qu'il  élevait  en  même  temps  pour  être  comédiens. 
Ils  allaient  à  la  classe  le  matin,  jouaient  le  soir 
pour  le  public,  et  répétaient  dans  l'intervalle.  Cela 
était  admirable  comme  théorie  ;  mais  M.  Comte, 
tout  sorcier  qu'il  était,  n'avait  pas  prévu  ce  qu'on 


COMMENTAIRE.  3  I  I 


obtiendrait  nécessairement  en  enfermant  ensemble, 
dans  un  endroit  aussi  isolé  qu'un  navire  en  pleine 
mer.  des  enfants,  garçons  et  tilles,  qui  déjà  avaient 
croqué  dans  les  loges  de  portier,  où  avait  com- 
mencé leur  enfance  parisienne,  toutes  les  pommes 
vertes  de  Tarbre  de  la  Science.  A  ce  régime,  les 
petites  filles  résistèrent,  et  même  devinrent  des 
femmes  grandes  et  robustes,  comme  Hippolyte, 
reine  des  Amazones  ;  mais  les  petits  garçons  furent 
la  proie  du  rachitisme,  de  la  phthisie,  et  les  plus 
heureux  d"entre  eux  furent  ceux  qui  restèrent  nains 
ou  devinrent  bossus.  Tout  le  monde  a  vu  Alfred, 
le  Bouffé  du  Théâtre  Comte,  qui  n'avait  jamais  pu 
grandir,  et  qui,  après  avoir  pris  sa  retraite,  fut 
nommé  inspecteur  du  balayage  ;  on  le  rencontrait 
avec  un  manteau  de  caoutchouc  grand  comme  un 
mouchoir  de  poche  de  fillette  !  Et  Poulet  qui,  après 
avoir  été  un  enfant  beau  comme  le  jour,  est  mort 
Tan  dernier,  vieux  souffleur  de  l'Odéon.  n'étant 
plus  qu'une  longue  barbe  blanche  et  une  bosse. 

Il  y  a  eu  aussi  ce  spirituel  et  charmant  Colbrun, 
si  délicat,  si  frêle,  à  qui  la  barbe  n'était  jamais 
venue,  qui,  de  son  séjour  au  Théâtre  Comte,  avait 
gardé  la  taille  et   le  visage  d'un   enfant,  et  qui,  à 


3  ï  2  COMMENTAIRE. 


quarante  ans,  jouait  encore  les  rôles  de  gamin 
dans  les  grands  drames  d'Alexandre  Damas.  Parmi 
les  acteurs  de  cette  génération,  un  seul  a  persisté  : 
:  .  I  M.  Rubel,  qu'on  retrouve  dans  les  petits 
théâtres.  Plus  heureux  que  ses  confrères^  la  barbe 
lui  a  poussé,  et  il  n'a  jamais  été  bossu;  mais  il 
ressemble  un  peu  à  un  casse-noisette  ! 

La  fantasmagorie,  page  68,  vers  14.  —  Pour 
ce  spectacle,  que  Robin  et  Robert-Houdin  ont 
renouvelé  depuis  M.  Comte,  on  éteignait  en  effet 
le  lustre,  la  rampe  et  tout,  dans  un  théâtre  peuplé 
de  bonnes  d'enfants  !  Aussi  les  soirées  de  fantas- 
magorie ont-elles  fait  parmi  ces  villageoises  cré- 
djL-s  et  à  demi  civilisées  des  ravages  dont  l'his- 
toire demanderait  un  Paul  de  Kock  ! 

L'Opéra  turc,  page  70.  —  Ici,  malgré  les 
années  écoulées ,  je  marche  sur  des  charbons 
ardents.  Des  quatre  personnages  mis  en  scène  dans 
cette  historiette,  le  seul  que  je  puisse  nommer  est 
le  ténor,  qui  était  en  réalité  le  baryton  Massol. 

Académie   royale   de   Musique,  page  j6.  — 


COMMENTAIRE.  3  I  3 


Je  n'ai  pas  besoin  d'indiquer  au  lecteur  tout  ce 
qu'il  y  a  d'exagération,  de  parti  pris  et  d'injustice 
dans  cette  satire  contre  l'Opéra.  Jeune  homme,  je 
croyais  avec  tous  les  romantiques  de  mon  temps 
que  le  genre  dramatique  appelé  Opéra  a  tué  et 
tuera  encore  chez  nous  la  tragédie,  le  drame  his- 
torique et  tout  ce  qui  a  été  le  grand  art  et  la 
poésie  au  théâtre.  Je  le  crois  encore  aujourd'hui  ; 
mais ,  fût-ce  pour  l'amour  de  Corneille  et  de 
Shakspere,  je  ne  veux  plus  affliger  personne,  et 
je  me  suis  appris  la  résignation.  Il  est  très-vrai 
qu'à  l'époque  où  j'ai  écrit  cette  satire,  les  décora- 
tions, les  chœurs  et  même  la  troupe  de  l'Opéra 
étaient  dans  un  état  assez  piteux.  Néanmoins  j'en 
parlais  avec  passion,  comme  un  poète  admirateur 
de  Quinault  et  de  Gluck,  jusqu'au  point  de  ne  pas 
pouvoir  tolérer  la  poésie  lyrique  de  M.  Scribe. 

C'est  en  cela  surtout  que  j'avais  tort;  car,  livrés 
aux  exigences  des  musiciens  modernes,  tous  les 
poètes  font  les  vers  aussi  mal  les  uns  que  les 
autres,  et  entre  un  savetier  et  Pindarc,  une  fois 
qu'ils  sont  pris  dans  cette  tenaille,  il  n'y  a  aucune 
différence. 


31+  COMMENTAIRE, 


Elssler,  page  S  7,  vers  r5.  —  Lucile  et  Car- 
lotta,  page  S  7,  vers  1 6.  —  Ce  sont  Fanny  Elssler, 
Lucile  Grahn  et  la  grande  danseuse  qui  créa  le 
rôle  de  Giselle,  Carlotta  Grisi. 

Page  87,  vers  18  : 

Il  est  devenu  gai  comme  Louis  Monrose 

Il  est  tout  à  fait  vrai  qu'à  partir  d'un  certain 
m  v.nent  M.  Louis  Monrose  est  devenu  un  acteur 
extrêmement  peu  gai  ;  mais  cette  transfiguration 
n'a  ea  lieu  qu'à  la  Comédie-Française.  A  l'Odéon, 
il  avait  joué  Le  Capitaine  Fracasse,  Falstaff  et  le 
prologue  que  Théophile  Gautier  écrivit  pour  cette 
comédie,  La  Ciguë,  d'Emile  Augier,  Les  Ressources 
Je  Quinola.  de  Balzac,  et  trente  autres  pièces, 
avec  une  verve  et  une  flamme  qui  faisaient  songer 
au  grand  Monrose  père.  —  Il  n'est  pas  le  premier 
homme  qui  soit  devenu  effroyablement  sérieux 
dans  la  maison  si  solennelle,  hélas  !  de  Molière, 
où  les  garçons  de  bureau  eux-mêmes  et  les  em- 
ployés à  tête  d'ibis  ressemblent  à  des  dieux  égyp- 
tiens. 


COMMENTAIRE,  3  I  5 


La  Famille  Botithor.  page  8g,  vers  4.  — 
Quiconque  a  habité  ou  parcouru  la  province  con- 
naît la  famille  Bouthor.  Elle  forme  à  elle  seule, 
toujours  augmentée  ou  rein  nivelée  par  des  alliances, 
car  c'est  toute  une  tribu  nomade,  la  troupe  équestre 
d'un  cirque  ambulant  où  on  montre,  comme  à  celui 
des  Champs-Elysées,  les  mêmes  pas  des  écharpes, 
les  mêmes  clowneries  et  les  mêmes  sauts  à  travers 
les  ronds  de  papier;  ce  qui  n'empêche  pas  nos 
écuyers  parisiens  de  traiter  la  famille  Bouthor 
comme  les  grands  comédiens  de  l'hôtel  de  Bour- 
gogne traitaient  la  troupe  de  Molière.  J'ai  eu  tort 
de  railler  leurs  musiciens,  et  spécialement  celui  qui 
joue  du  cor;  ils  valent  ceux  que  nous  entendons 
tous  les  jours,  si  ce  n'est  qu'ils  sont  vêtus  en  lan- 
ciers polonais  avec  des  uniformes  bleu  de  ciel, 
comme  Poniatowski  ;  mais  peut-on  dire  que  cela 
constitue  une  infériorité  ? 

Seul,  6  Dupre\!...  fre,  page  go,  vers  ig.  — 
Sur  les  démêles  du  grand  ténor  avec  l'administra- 
tion de  l'Opéra  et  sur  les  circonstances  auxquelles 
font  allusion  les  vers  suivants,  on  trouvera  dans 
plus  d'un  livre  les  détails  que  je  ne  puis  donner  ici. 


3  l6  COMMENTAIRE. 

—  Taglioni,  page  g2,  vers  8.  —  C'est  la  grande 
Marie  Taglioni,  la  créatrice  de  la  Sylphide,  celle 
qui  fut  chez  nous  la  plus  parfaite  incarnation  de 
la  danse  correcte,  chaste  et  poétique. 

La  Grande-Chartreuse,  page  ç3,  vers  i3.  — 
C'est  le  premier  nom  que  porta  le  bal  public  fondé 
par  M.  Bullier,  près  de  la  sortie  du  jardin  du 
Luxembourg  qui  regarde  l'Observatoire.  Il  s'est 
appelé  ensuite  la  Closerie  des  Lilas  (nom  trouvé 
et  donné  à  M.  Bullier  par  Privât  d'Anglemont,)  et 
en  dernier  lieu,  lorsqu'on  démolit  l'ancien  Prado 
situi  en  face  du  Palais  de  Justice,  il  hérita  de  ce 
nom  légendaire  parmi  les  étudiants,  qu'il  conserve 
encore  aujourd'hui.  Béranger  s'e-st  montré  une  fois 
à  la  Closerie  des  Lilas,  et  il  y  a  été  porté  en 
triomphe,  car  il  était  dit  qu'il  ne  lui  manquerait  de 
son  vivant  aucune  apothéose  ! 

L'Amour  a  Paris,  page  g4.  —  Palmyre , 
vers  4,  a  été  une  modiste  dont  la  renommée 
emplissait  les  deux  mondes;  aujourd'hui,  je  crois 
qu'on  ne  retrouverait  même  plus  les  ruines...  de 
Palmyre!  — Les  corsets  à  la  minute,  vers  5  et  6, 


COMMENTAIRE.  317 


c'est-à-dire  les  corsets  qu'on  détache  en  tirant  une 
baleine,  passaient,  en  1846,  pour  des  engins  per- 
nicieux, réservés  seulement  aux  belles  et  hon- 
nestes  dames  qui  ne  sont  jamais  sans  amours, 
comme  le  samedi  n'est  jamais  sans  soleil.  Aujour- 
d'hui, il  n'y  a  plus  d'autres  corsets  que  ceux-là  ; 
aussi  faut-il  une  explication  historique  au  joli  des- 
sin de  Gavarni,  dans  lequel  un  mari  délaçant  sa 
femme  murmure  avec  inquiétude  :  «  C'est  drôle,  ce 
matin  j'ai  fait  un  nœud  à  ce  lacet-là,  et  ce  soir  il 
y  a  une  rosette  !  » 

Ces  mots  déjà  caducs,  &c,  page  g5,  vers  1 .  — 
Le  rat  est  la  danseuse  de  l'Opéra  enfant,  tvpe 
très-curieux,  et  qui  ne  ressemble  à  aucun  autre  ; 
car,  accaparées  en  naissant  par  la  Danse,  qui  exige 
un  formidable  travail  quotidien  de  beaucoup 
d'heures,  et  par  l'amour  des  riches  vieillards  pari- 
siens, elles  savent  débattre  leurs  intérêts,  causer 
affaires  et  finances  avec  l'habileté  d'un  notaire,  et 
d  autre  part,  n'ayant  rien  vu,  elles  se  proposent 
pendant  des  années  d'aller  visiter  par  partie  de 
plaisir  l'église  Notre-Dame  et  le  jardin  des  Tuile- 
ries, quand  elles  auront  le  temps.  —  La  grisette 


3  I  8  COMMENTAIRE. 


est  aussi  difficile  à  reconstituer  que  la  femme  phé- 
nicienne ou  carthaginoise  ;  avec  beaucoup  de  pa- 
tience et  d'intuition,  on  la  retrouvera  passim  dans 
les  œuvres  de  Balzac ,  de  Gavarni,  de  Henrv 
Monnier  et  de  Paul  de  Kock.  —  La  lorette  (mot 
inventé  par  Roqueplan  pour  signifier  la  femme  qui 
habite  les  rues  avoisinant  l'église  Notre-Dame-de- 
Lorette)  a  absorbé,  détrôné  et  anéanti  ce  qui  fut 
la  femme  entretenue;  car,  par  un  sentiment  anti- 
cipé du  socialisme  futur,  elle  remplaça  l'entrete- 
neur  par  une  compagnie  anonyme  dont  les  actions 
font  prime  ou  se  vendent  au  rabais,  suivant  les 
fluctuations  de  la  politique  européenne  et  quelques 
autres  circonstances. 

Page  07. —  Aglaè,  Ida  et  Corinne,  vers  1  et 
suivants.  —  Aglaé,  Ida  et  Corinne  se  passeront 
de  biographies  qui  n'intéresseraient  plus  personne, 
car  tous  ceux  qui  les  ont  aimées  sont  aujourd'hui 
morts  ou  académiciens.  Mais  Pomare,  page  gj, 
vers  g,  a  droit  à  une  mention  spéciale.  C'est  elle 
que  célébrait  la  fameuse  chanson  : 

Pomarè,  Maria, 
Mogador  et  Clara, 


COMMENTAIRE.  319 


où   le  culte  de   la  rime  eût  exigé  impérieusement 
que  Nadaud  écrivît  Mogador  et...  Claria.  — 

Pomaré,  qui  se  nommait  en  réalité  Elise  Sergent, 
fut  une  des  figures  les  plus  étranges  du  temps  où 
nous  étions  jeunes.  A  tous  les  hais  masqués  de 
l'Opéra ,  on  la  voyait  invariablement  vêtue  en 
homme,  avec  un  costume  très-correct  de  gentle- 
man, habit,  pantalon  et  gilet  noirs,  cravate  blanche 
et  paletot  blanc  qu'au  moment  de  la  sortie  elle 
reprenait  au  vestiaire,  avec  une  badine  qu'elle  tenait 
avec  le  sans-façon  le  plus  gracieux  dans  sa  main 
gantée  de  blanc.  A  ces  bals  elle  passait  toute  la 
nuit  à  causer  avec  des  écrivains  ou  des  artistes,  ne 
les  quittant  pas,  ayant  autant  d'esprit  qu'eux, 
allant  souper  avec  eux  lorsque  l'heure  était  venue, 
et  ne  jouant  en  aucune  façon  le  personnage  de 
femme.  Elle  et  ses  amis  allaient  habituellement 
chez  Vachette  (remplacé  aujourd'hui  par  Brébant,) 
non  dans  les  cabinets  particuliers  dont  elle  avait 
horreur,  mais  dans  la  salle  commune.  Elle  s'y 
tenait  comme  un  homme  du  meilleur  monde,  mais 
pourvu  qu'il  n'y  eût  pas  là  de  bourgeoise, car  Pomaré 
nourrissait  contre  les  bourgeoises  une  haine  in- 
stinctive   et    frivole»    Si  le   malheur  voulait  qu'en 


3  20  COMMENTAIRE. 


entrant  dans  la  salle  de  Vachette  elle  aperçût  une 
notairesse  en  bonne  fortune  avec  son  mari,  rien 
alors  ne  pouvait  l'empêcher  d'entonner  d'une  for- 
midable voix  de  contralto  sa  chanson  favorite  : 
Un  général  de  l'année  d'Italie.'  —  Cette  chanson, 
je  me  la  rappelle  encore  jusqu'à  la  dernière  syllabe  ; 
mais  trop  de  dames  aujourd'hui  savent  le  latin 
pour  que,  même  transcrite  en  latin,  je  puisse  la 
donner  ici.  D'ailleurs,  aimable,  bonne  enfant,  spi- 
rituelle, comme  je  l'ai  dit,  très-grande  et  svelte 
sans  maigreur,  avec  la  poitrine  plate  comme  celle 
d'un  homme,  elle  était  exactement,  selon  la  cu- 
rieuse expression  de  Baudelaire,  tin  ami -avec  des 
hanches.  —  A  propos  de  Baudelaire,  Pomaré  en 
grande  toilette,  cherchant  des  appartements,  entre 
un  jour,  guidée  par  la  portière,  dans  le  joli  loge- 
ment que  le  poète  occupait  à  l'hôtel  Pimodan, 
quai  d'Anjou,  et  qu'il  devait  alors  quitter.  Charmce 
par  une  installation  d'artiste  qui  ne  ressemblait  à 
rien  de  ce  qu'elle  avait  vu,  Pomaré  admira  lon- 
guement le  papier  à  grands  ramages  rouges  et 
noirs,  la  tête  peinte  par  Delacroix,  la  grande  table 
de  noyer  façonnée  si  artistement  avec  d'insensibles 
contours  que ,  lorsqu'on   s'asseyait  pour  lire ,   le 


C  O  M  MERTAIRE.  3  2  I 

corps  trouvait  partout  à  s'y  insérer  commodément, 
les  livres  magnifiquement  ornés  de  reliures  pleines, 
les  larges  fauteuils  de  chanoine  ou  de  douairière, 
et  dans  l'armoire  les  flacons  de  vin  du  Rhin  entou- 
rés de  verres  couleur  d'émeraude.  Bref,  elle  ne 
voulut  pas  s'en  aller,  adopta  un  petit  divan  turc 
suf^  lequel  elle  dormait  la  nuit,  et  le  jour  lisait  les 
ouvrages  classiques;  et  je  crois  qu'elle  y  serait 
encore,  si  l'architecte  du  propriétaire  n'était  venu 
un  beau  matin  diriger  des  réparations  devant  les- 
quelles il  n'y  avait  pas  de  bravoure  possible,  car 
elles  commencèrent  par  la  démolition  d'un  gros 
mur!  —  Peu  de  temps  après,  rentrée  dans  le  tour- 
billon de  sa  vie,  Pomaré  s'habillait  pour  aller  au 
bal  Mabille  quand  son  amant,  un  jeune  homme 
beau  comme  le  jour  et  jaloux  comme  un  tigre,  lui 
défendit  de  sortir.  Comme  elle  s'obstinait,  il  posa 
son  cigare  allumé  et  rouge  sur  le  petit  pied  nu  de 
la  belle  danseuse  et  le  brûla  cruellement.  Au  lieu  de 
crier,  elle  se  jeta  au  cou  de  son  amant  et,  tout  en 
boitant,  le  couvrit  de  baisers;  on  voit  qu'elle  était 
singulière.  —  Elle  est  morte  jeune,  repentie,  et 
dans  une  excessive  misère,  et  Fiorentino  écrivit  dans 
Le  Corsaire  un  article  très-ému  sur  la  pauvre  Elise 


21 


3  22  COMMENTAIRE. 


Sergent  qui,  aux  dernières  heures  de  sa  vie,  avait 
courageusement  expié  ses  turbulentes  étourderies 
de  pécheresse.  —  Gustave  Bourdin,  le  gendre  de 
Vilmessant,  mort  aujourd'hui ,  avait  consacré  à 
Pomaré  tout  un  petit  livre,  qui  parut  orné  d'un 
excellent  portrait  et  qui  est  devenu  rarissime. 

Page  ioo.  vers  8.  —  A  ce  vers  correspond, 
dans  la  première  et  dans  la  seconde  édition  des 
Odes  funambulesques,  une  note  dont  voici  le 
texte   : 

«  Evohé  n'a  pas  écrit  la  terrible  satire  qu'elle 
annonçait  ici  :  c'était  déjà  trop  de  la  rêver.  Elle 
n'a  pas  tenu  cette  promesse-là,  ni  aucune  de  ses 
promesses  ;  c'est  ce  qui  fait  sa  force.  La  pauvrette 
n'a  jamais  touché  que  par  jeu  à  la  lyre  d'airain. 
Oh  aurait-elle  trouvé  asse^  de  fureur  et  asse^  de 
haine  pour  mener  à  bout  sans  faiblir  la  farouche 
Parodie  humaine?  » 

A  plus  forte  raison,  l'auteur  n'a  tenu  aucun  des 
engagements  qu'il  ava't  pris  dans  la  dernière  de 
ses  satires  intitulée  Une  vieille  Lune,  page  toi. 
—  Une  plaisanterie  ne  peut  survivre  à  la  circon- 
stance qui  lui  a  servi  de  prétexte,  et  cette  dernière 


COMMENTAIRE.  323 


satire  elle-même  n'eût  jamais  été  faite  si  Barthé- 
lémy n'avait  attaqué  Lamartine  dans  les  premiers 
vers  qu'il  publia  au  Siècle  lors  de  sa  rentrée. 
Attaque  si  peu  sérieuse,  qu'elle  nous  sembla  méri- 
ter et  appeler  naturellement  une  réponse.. ;  funam- 
bulesque; mais,  passé  cela,  ces  caprices  n'avaient 
plus  leur  raison  d'être.  Aussi  Evohé  s'empressa-t-elle 
de  jeter  là  sa  défroque  de  Muse,  et  de  reprendre 
ses  petites  pantoufles  de  soie  et  son  peignoir  de 
jeune  demoiselle. 


■^r 

•3JP- 


Les    Folies-Nouvelles. 


eux  chanteurs  de  chansonnettes,  les 
frères  Mayer,  je  crois,  avaient  obtenu 
l'autorisation  de  construire  au  boule- 
vard du  Temple,  dans  un  grand  ter- 
rain qui  se  trouve  derrière  la  maison  portant  le 
numéro  4.1,  une  salle  assez  semblable  à  un  han- 
gar et  d'y  donner  des  concerts.  L'entreprise  ne 
réussit  ni  dans  leurs,  mains,  ni  dans  celles  d'un 
chanteur  comique  nommé  Clément,  qui  vainement 
changea  les  Folies  Mayer  en  Folies  Concertantes. 
Les  Folies  Concertantes  furent  alors  transfor- 
mées en  une  sorte  de  théâtre,  dans  lequel  Hervé, 
qui  devint  plus  tard  le  maestro  de  L'Œil  crevé,  de 
ChilpériCf  du  Petit  Faust  et  de  La  Veuve  du 
Malabar,  vint  exploiter  un  privilège  qu'il  venait 
d'obtenir.    Rien   n'était    en  ce  temps-là  plus  dilïi- 


COMMENTAIRE.  325 

cile  ;  mais  Hervé,  chef  d'orchestre  au  théâtre  du 
Palais-Royal  et  maître  de  chapelle  à  l'église  Saint- 
Eustache,  avait  donné  quelques  leçons  de  musique 
à  l'impératrice.  Il  sollicita  directement  sa  protec- 
tion, et  elle  obtint  pour  lui,  avec  beaucoup  de 
peine,  le  privilège  d'un  petit  théâtre,  sur  lequel  il 
pourrait  donner  des  pantomimes  et  des  saynètes 
(le  mot  fut  renouvelé  à  cette  occasion)  à  deux  per- 
sonnages seulement.  Auteur,  compositeur  et  comé- 
dien, Hervé  imagina  et  joua  des  scènes  d'opéra 
fou,  débordantes  d'inouïsme,  comme  Le  Compo- 
siteur toqué,  où,  représentant  un  Listz  éperdu  qui, 
après  une  crise  de  piano,  s'éveille  échevelé  sur  le 
clavier,  il  s'écriait,  à  l'imitation  des  grands  vir- 
tuoses :  «  Où  suis-je?  Des  femmes!  des  fleurs!  de 
l'encens  dans  les  colidors  !  » 

Mais  il  n'avait  pas  assez  d'argent  et  il  n'était 
pas  assez  administrateur  pour  fonder  un  théâtre 
véritable,  et  il  céda  son  privilège.  MM.  Altaroche 
et  Louis  Huart,  qui  venaient  de  quitter  la  direc- 
tion de  l'Odéon,  se  substituèrent  à  lui,  tout  en 
s'assurant  son  concours  sous  toutes  les  formes  bi- 
zarres et  infiniment  diverses  que  pouvait  revêtir  ce 
talent  protée.  Pour  la  pantomime,  ils  engagèrent 


3  2^>  COMMENTAIRE. 


Paul  Legrand,  qui  du  grand  Deburau  avait  hérité 
la  finesse  du  jeu  et  la  pensée,  comme  Deburau  fils 
avait  hérité  l'agilité  et  la  grâce,  si  bien  que  chacun 
d'eux  est  la  moitié  excellente  d'un  Pierrot! 

Les  nouveaux  directeurs  dénichèrent  en  outre 
un  confiseur  de  génie,  qui  inventa  pour  eux  une 
nouveauté  à  sensation,  le  sucre  d'orge  à  l'ab- 
sinthe, avec  lequel,  pendant  plus  de  deux  années, 
les  cocottes  en  renom  devaient  régulièrement  salir 
leurs  gants  clairs  à  tous  les  entr'actes;  puis  ils 
firent  reconstruire  la  salle,  qui  fut  décorée  par 
Cambon,  et  pour  afficher  clairement  leurs  intentions 
poétiques,  ils  me  demandèrent  le  prologue  joué  le 
21  octobre  1854.,  sous  ce  titre  :  Les  Foiies-Xou- 
velles,  qui  donna  son  nom  au  nouveau  théâtre. 

La  représentation  se  composait  de  ce  prologue, 
d'une  pantomime  curieuse  et  amusante  d'Emile 
Durandeau,  intitulée  L'Hôtellerie  de  Gautier-Gar- 
guille,  et  d'une  saynète  d'Hervé,  pour  la  musique 
et  pour  les  paroles,  La  Fine  Fleur  de  l'Anda- 
lousie, dans  laquelle  on  remarquait  les  vers  sui- 
vants : 

Séville 
Est  la  belle  ville.'  (bis) 


COMMENTAIRE.  327 

Les  trottoirs  sont  grands 
Et  l'on  pass'  dessous! 
Les  légum's  n'y  coût'  pas  grand'  chose  ;  (bis) 
Et  quant  à  la  volaille, 
Gn  l'a  presque  pour  rien! 

C'e^i  de  cet  œuf  que  devait  sortir  l'Opérette, 
dont  l'abominable  race  a  pullulé,  envahi  le  monde; 
si  bien  que  je  me  trouve,  ô  remords  !  avoir  été  en 
quelque  sorte  complice  de  la  naissance  de  ce 
monstre,  auquel  mes  vers  ont  souhaité  la  bien- 
venue. Ce  que  c'est  que  de  nous  !  —  Voici  comment 
le  petit  prologue  était  distribué.  Personnages  par- 
lants et  chantants  :  Le  Lutin  des  Folies-Nouvelles, 
Mllc  Louisa  Melvil  ;  un  Bourgeois,  M.  Delaquis  ; 
L'Ancienne  Salle  des  Folies  Concertantes  et  Le  Co- 
médien Bouffon,  M.  Joseph  Kelm.  —  Mimes  :  Pier- 
rot. M.  Paul  Legrand;  Arlequin,  M.  Charltonn; 
Cassandre,  M.  Cossart;  Léandre,  M.  Laurent; 
Polichinelle,  M.  Emile  ;  Colombine,  M"c  Suzanne 
Senn  ;  Isabelle,  M"e  Mélina  ;  deux  danseuses, 
Mlle  Lebreton  et  MUe  Berthe. 

Cossart  et  Laurent  avaient  eu  quelque  célébrité 
aux  Funambules,  où  ils  avaient  tous  les  deux  joué 


328  C  O  M  M  ENTAIHE. 


les  Arlequins.  Joseph  Kelm,  vieillard  chauve,  israé- 
lite,  à  la  face  de  satyre,  qui  semblait  taillée  à 
coups  de  sabre,  datait  de  la  première  Renaissance 
d'Anténor  Joly.  Acteur  d'opéra,  chanteur  de  chan- 
sonnettes, argentier  et  joaillier  par  occasion,  mar- 
chand d'huile  de  Provence  et  modiste  sous  le  nom 
de  sa  femme,  cet  homme  prodigieux  eût  réalisé  des 
bénéfices  dans  les  déserts  de  la  Libye  et  gagné  de 
l'argent  sur  le  radeau  de  la  Méduse.  Il  avait  reçu  le 
don,  qu'Hervé  exploita  souvent,  de  produire  avec 
sa  langue  un  bruit  analogue  à  ceux  de  la  crécelle 
et  des  castagnettes.  C'est  ce  que  j'appelle,  page  1  '25, 
refrain  dont  l'acteur  Kelm  a  le  secret. 

Hervé  trouvait  en  lui  un  admirable  compère,  et 
il  se  plaisait,  comme  repoussoir,  à  le  costumer 
grotesquement  en  temme  ;  tandis  que  lui,  Hervé, 
qui  a  toujours  aimé  à  être  joli  sur  la  scène,  il  se  mon- 
trait, par  exemple,  dans  un  ajustement  dont  toutes 
les  parties,  y  compris  les  souliers  et  le  chapeau, 
étaient  faites  de  satin  rose.  Une  légende  (empirique, 
je  irai  pas  besoin  de  le  dire,)  prétendait  même 
qu'une  grande  dame  s'était  éprise  d'Hervé,  comme 
la  marquise  de  George  Sand  du  comédien  Lilio, 
et  l'avait  fait  venir  chez  elle  dans   ce    costume  de 


COMMENTAIRE.  }  20 

marionnette  couleur  de  rose.  Heureusement  per- 
sonne n'a  pris  au  sérieux  ce  conte  à  dormir  debout, 
car  c'eût  été  là  un  commencement  bizarre  pour  le 
compositeur  inépuisable  qui  peut  et  doit  devenir 
un  jour  membre  de  l'Institut  ! 

Quant  à  Louisa  Melvil,  c'était  une  de  ces  jeunes 
filles  d'une  beauté  délicate,  suave,  idéalement  par- 
faite, que  le  Théâtre  nous  montre  quelquefois 
comme  dans  un  rêve.  Elle  avait  pour  la  parole 
comme  pour  le  chant  une  voix  adorable,  des  lèvres 
rouges  comme  une  fleur,  des  cheveux  réellement 
blonds,  comme  ceux  d'Amédine  Luther,  aussi  clairs 
mais  plus  fins,  et  d'une  nuance  un  peu  plus  chaude, 
avec  des  sourcils  bruns.  C'était  la  gaieté  ingénue, 
un  sourire  de  rose  et  de  lumière,  une  grâce  de 
femme,  des  formes  sveltes  et  accomplies,  avec  une 
jeunesse  enfantine.  Elle  est  morte  à  dix-neuf  ans, 
d'une  mort  tragique.  Ces  divines  figures  de  Juliettes, 
que  nous  entrevoyons,  ne  sont  pas  faites  pour 
subir  les  outrages  de  la  vieillesse ,  et  elles  ne 
peuvent  que  passer  parmi  nous,  comme  des  appa- 
ritions mvstérieuses.  I 
- 

Hervé  fut  emporté  par  la  fatalité  de  sa  gloire, 
et  son  théâtre  devint  le  Théâtre  Dèja\et,  où  l'ac- 


330  COMMENTAIRE. 

trice  illustre  passa  en  revue  son  répertoire  de 
bambins,  ses  Voltaire,  ses  Figaro,  ses  Napoléon 
et  ses  Richelieu.  Mais  sa  diction  fine  et  mordante, 
son  chant,  dont  Auber  admirait  la  justesse,  ne 
pouvaient  plus  rien  sur  une  foule  qui  désormais 
préfère  le  poivre  rouge  au  sel  attique,  et  à  qui  il 
faut  des  cascades  plus  échevelées  que  la  chute  du 
:  a.  Après  elle,  il  y  eut  à  son  théâtre  des 
directions  fantasques  et  éphémères  ;  on  y  vit 
M.  Manasse  et  M.  Daiglemont.  Le  pauvre  Gui- 
chard  du  Théâtre-Français ,  aujourd'hui  atteint  de 
paralvsie,  y  fit  représenter  une  comédie  moderne 
en  vers,  dans  le  genre  de  Ponsard  ;  et  on  nous  y 
a  même  montré  Y Andromaqae  de  Racine,  jouée 
par  M11*-'  Duguéret.  Toutes  les  actualités  à  propos 
desquelles  nous  écrivons  s'en  vont  tour  à  tour  dans 
le  pavs  des  vieilles  lunes,  et  c'est  pourquoi  les  lec- 
teurs des  Odes  funambulesques  ne  devront  pas  plus 
aller  chercher  les  Folies -Nouvelles  au  boulevard 
du  Temple,  que  les  lecteurs  de  La  Comédie  hu- 
maine ne  trouveraient  sur  la  place  du  Carrousel 
cette  fameuse  impasse  du  Doyenné,  où  commen- 
cèrent les  amours  de  MmC  Marneffe! 


Autres   Guitares. 


es  odes  réunies  sous  ce  titre,  que  j'ai 
emprunté  par  jeu  à  Victor  Hugo  (Autre 
Guitare,  les  Rayons  et  les  Ombres, 
XXIII,)  sont  celles  qui,  à  proprement 
parler,  constituent  le  genre  connu  aujourd'hui  sous 
le  nom  d'odes  funambulesques  ;  en  un  mot,  ce 
sont  des  pommes  rigoureusement  écrits  en  forme 
d'odes,  dans  lesquels  l'élément  bouffon  est  étroite- 
ment uni  à  l'élément  lyrique,  et  où,  comme  dans 
le  genre  lyrique  pur ,  l'impression  comique  ou 
autre  que  l'ouvrier  a  voulu  produire  est  toujours 
obtenue  par  des  combinaisons  de  rime,  par  des 
effets  harmoniques  et  par  des  sonorités  particu- 
lières. 

En  créant  (ou  renouvelant)  ce  genre,  j'ai  com- 
mencé   par   parodier    des  odes  de  Victor   Hugo, 


332  COMMENTAIRE. 

}our  partir  d'un  thème  connu  et  pour  montrer 
clairement  et  nettement  ce  que  je  voulais  faire.  Ce 
résultat  une  fois  atteint,  j'ai  peu  à  peu  écrit  les 
odes  funambulesques  sur  des  sujets  originaux  inven- 
tés de  toutes  pièces,  et,  dans  le  volume  des  Occi- 
dentales, qui  fait  suite  à  celui-ci,  on  ne  trouvera 
plus  une  seule  parodie  de  Victor  Hugo. 

En  effet,  dès  l'origine  de  ces  essais,  je  rêvais 
quelque  chose  d'infiniment  plus  compliqué  et  plus 
délicat  que  de  tourner  au  bouffon  une  ode  sérieuse, 
et  j'imaginais  déjà  des  poëmes  comiques  et  lvriques, 
où  l'ironie  et  l'allusion  parodique  seraient  partout 
éparses,  prendraient  mille  formes.  Mais,  je  le 
répète,  il  fallait  faire  comprendre  par  des  exemples 
les  conditions  du  genre  que  je  voulais  acclimater 
chez  nous,  et  montrer  qu'un  emploi  différent  d'un 
même  procédé  peut  exciter  la  joie  comme  l'émo- 
tion, dans  les  mêmes  conditions  d'enthousiasme  et 
de  beauté. 

Pour  établir  ma  démonstration,  j'ai  parodié  des 
odes  de  Hugo,  ce  que  l'on  avait  fait  avant  moi. 
Pourquoi  l'ai-je  fait  ?  Précisément  parce  qu'on 
l'avait  fait  avant  moi,  mais  parce  qu'on  l'avait  fait 
en  cherchant  à  traduire  le  comique,  non  par  des 


COMMENTAIRE.  333 

harmonies,  par  la  virtualité  des  mots,  par  la  magie 
toute-puissante  de  la  Rime,  mais  par  l'idée  seule- 
ment, c'est-à-dire  en  employant  un  procédé  diamé- 
tralement opposé  à  celui  que  Victor  Hugo  avait 
employé  pour  exprimer  le  lyrisme.  Moi  j'ai  voulu 
montrer  que  l'art  de  ce  grand  rhythmeur,  tel  qu'il 
l'a  agrandi  et  perfectionné,  peut  produire  tout  ce 
qu'il  a  voulu  lui  faire  produire,  et  plus  encore  ; 
que,  comme  elle  éveille  tout  ce  qu'elle  veut  dans 
notre  âme,  la  musique  du  vers  peut,  par  sa  qua- 
lité propre,  éveiller  aussi  tout  ce  qu'elle  veut  dans 
notre  esprit,  et  créer  même  cette  chose  surnatu- 
relle et  divine,  le  rire  !  —  Ceci  dit,  avec  le  regret 
d'avoir  infiniment  trop  parlé  de  moi,  (mais  dans  le 
cas  dont  il  s'agit  cela  était  inévitable,)  je  vais  pas- 
ser rapidement  en  revue  les  odes  funambulesques 
réunies  sous  ce  titre  :  Autres  Guitares,  en  indi- 
quant les  allusions  qu'elles  contiennent  et  les  mor- 
ceaux célèbres  qui  y  sont  parodiés. 

L'Ombre  d'Ekic,  page  i38.  —  L'Ombre 
d'Éric,  c'est  le  titre  d'un  roman  de  Paulin  Limay- 
rac,  tout  à  fait  oublié  aujourd'hui,  et  qui  d'ailleurs 
fut  toujours  oublié,  et   cela  dès  le  moment  où  il 


334  COMMENTAIRE. 

parut.  Je  trouvai  amusant  de  donner  ce  titre  à 
un  poëme  composé  sur  Paulin  Limayrac  lui- 
même. 

Littérairement,  ces  six  couplets  sont  une  paro- 
die de  la  romance  en  général,  de  ce  genre  faux  et 
absurde  où  des  êtres  parfaitement  classés  comme 
mammifères  font  toujours  semblant  de  croire 
qu'ils  sont  oiseaux  ou  fleurs,  ou  quïls  pourraient, 
dans  certaines  occurrences,  le  devenir. 

Au  point  de  vue  polémique,  c'est  autre  chose. 
Paulin  Limayrac  attaquait  violemment,  dans  la 
Revue,  les  grands  écrivains  de  la  génération  qui 
nous  a  précédés.  Je  pensai  qu'en  donnant  de 
bonnes  raisons  je  n'aurais  pas  raison  de  lui,  qu'il 
fallait  détourner  les  chiens,  et  j'inventai  cette  folle 
hypothèse  de  Limayrac  changé  en  fleur.  Ma  chan- 
son eut  mille  fois  plus  de  succès  que  je  ne  l'espé- 
rais et  que  je  ne  l'aurais  voulu;  en  quelques  jours 
tout  Paris  la  sut  par  cœurs 

La  chose  même  tourna  au  tragique.  Une  nuit, 
au  bal  masqué  de  l'Opéra,  Limayrac  parut  sur 
l'escalier  de  l'amphithéâtre  ;  aussitôt  le  grand 
galop  de  Musard,  qu'un  dieu  n'eût  pas  arrêté  ! 
s'arrêta   un    instant;    dix    mille    paires    d'yeux  se 


COMMENTAIRE.  335 


fixèrent  sur  l'auteur  de  L'Ombre  d'Eric,  et  chi- 
cards,  pierrots,  caciques,  masques  aux  guenilles 
furieuses,  débardeurs  aux  culottes  de  soie,  tail- 
lés à  la  Rubens,  dix  mille  voix  lui  hurlèrent 
dans  un  terrifiant  unisson  :  Si  Limayrac  devenait 
fleur!  Ceci  prouve  que  quelquefois  la  meilleure 
manière  de  répondre  est  de  ne  pas  répondre,  et 
que,  dans  certaines  occasions,  on  peut  couper 
avec  succès  non  seulement  la  queue  de  son  chien, 
mais  les  queues  des  chiens  des  autres.  Et  c'est 
ainsi  que  fut  trompé,  mais  pour  cette  fois  seule- 
ment !  l'espoir  que  j'avais  toujours  nourri  de  ne 
jamais  voir  un  de  mes  ouvrages  obtenir  de  popu= 
hrité, 

Ducuing,  page  i3<),  strophe  i,  vers  2,  — 
M.  François  Ducuing,  le  député,  le  publiciste  et 
le  financier  qu'on  connaît,  élevait  à  la  gloire  de 
Ponsard,  dans  les  journaux  et  dans  les  Revues, 
un  tas  de  petits  autels,  sur  lesquels  il  égorgeait 
quotidiennement...  Shakspere  !  La  plupart  des 
hommes  politiques,  en  art  et  en  poésie,  sont  de 
cette  force  ;  voilà  pourquoi  la  France  est  toujours 
si  mal  gouvernée. 


HG  COMMENTAIRE. 


yhe  i,  vers  7.  —  Tout 
a  été  dit  sur  cet  homme  historique.  Ce  n'est  pas 
une  poutre  qu'il  a  dans  l'œil,  mais  une  catapulte, 
car  il  se  figure  sincèrement  qu'il  a  fait  la  gloire 
d'Alfred  de  Musset,  de  Henri  Heine  et  de  George 
Sand. 

La    houlette    à' Arsène    H  i3g, 

te  2,  vers  3.  —  C'est  de  la  plaisanterie  en- 
fantine et  par  trop  initiale.  On  s'amusait  à  faire 
d  Arsène  Houssayc  un  berger,  parce  qu'il  s'était 
occupé  amoureusement  du  \vme  siècle;  mais  il  a 
bien  prouve,  depuis  lors,  que  son  xvnic  siècle, 
à  lui.  est   celui    de    Beaumarchais    et    de   Diderot. 

—  Jules   Labitte,   page    i3g,  strophe  2.  vers  7. 

—  l  .tait  un  libraire  du  quai  Voltaire,  très-proche 
parent,  à  ce  que  je  crois,  du  Labitte  qui  écrivait 
dans  la  Revue.  Il  a  eu  le  mérite  de  croire,  avant 
tout  le  monde,  au  génie  poétique  de  Victor  de 
Laprade  et  à  celui  de  Pierre  Dupont. 

Le  Mirecourt,  page  141.  —  Cette  ode  est 
la  parodie  du  poëme  de  Victor  Hugo  intitulé 
Le  Derviche  [Orientales,  au.)  Le  trait  final  de 


COMMENTAIRE.  337 

s 

mon  ode  funambulesque  est  tiré  de  la  nature  même 
des  choses,  car  le  biographe  oublié,  que  j'ai  pris 
à  partie,  s'appelle  en  effet  Eugène  Jacquot,  et  il 
porte  le  nom  de  Mirecourt,  parce  qu'il  est  né 
à  Mirecourt  (Vosges.)  11  a  donné,  à  propos 
d'Alexandre  Dumas,  une  édition  modernisée  de  la 
célèbre  fable  de  La  Fontaine  Le  Serpent  et  la 
Lime;  peine  perdue,  personne  ne  se  souvient  de 
ses  attaques  féroces  contre  l'auteur  d'Antony.  — 
Pitre,  page  141,  strophe  2,  vers  6,  est  le  roman- 
cier breton  Pitre-Chevalier,  dont  je  voulais  non 
pas  railler,  mais  constater  la  fécondité  prodigieuse. 
La  Démocratie,  page  142,  strophe  2,  vers  4, 
est  le  journal  intitulé  La  Démocratie  pacifique; 
c'était  un  organe  fouriériste,  qui  a  disparu  comme 
tant  de  choses. 

Page  142,  strophe  2,  vers  5  et  6  . 

Dans  les  entrefilets  du  Globe  et  dans  L'Artiste, 
Feuille  qui  paraît  quelque/ois  ! 

Loin  de  ne   paraître  que  quelquefois,  le  journal 
d'Arsène  Houssaye  paraît  au  contraire  très-régu- 


23 


33^  COMMENTAIRE. 


lièrement  tous  les  quinze  jours,  depuis  plus  , de 
trente  ans  ;  mais,  comme  tous  les  écrivains  con- 
temporains ont  passé  par  L'Artiste,  comme  cette 
maison  d'un  ami  a  toujours  été  une  de  leurs  mai- 
sons, ils  s'amusaient  souvent  à  la  railler  eux- 
mêmes,  comme  ils  font  de  tout  ce  qui  leur  appar- 
tient. Sachant  que  les  bourgeois  diront  toujours 
d'eux  pis  que  pendre,  les  poëtes,  par  une  ironie 
très-raffinée  et  très-délicate,  leur  jouent  souvent  le 
mauvais  tour  de  prendre  les  devants,  et  d'user  par 
avance  les  plaisanteries  que  les  bourgeois  feront 
plus  tard.  L'Artiste,  très-aimé  et  très-apprécié 
des  écrivains,  a  toujours  été  pour  ce  motif  le 
prétexte  d'une  innombrable  quantité  de  fantaisies 
satiriques ,  de  charges  et  de  scies  d'atelier. 
La  plus  célèbre  de  toutes  a  été  imaginée  par 
Alphonse  Daudet.  C'est  la  Prosopopée  du  fils  du 
Bourreau,  devenu  rédacteur  de  L'Artiste,  dont 
voici  le  texte  : 

Fils  de  bourreau,  bourreau  moi-même, 
Je  me  suis  vu  réduit,  hélas! 
A  quitter  un  état  que  j'aime, 
Car  les  affaires  n'allaient  pas. 


COMMENTAIRE.  J39 

Et,  chose  terriblement  triste! 
(Plaigne^  mon  sort  infortuné!) 
Je  fais  des  cirticl'   à   l'Artiste, 
Moi  qu'en  ai  tant  guillotiné! 

Tant  d'artistes,  bien  entendu. 

Porcher  te  dira  :  Baste  !  page    1 42,    strophe  3, 
vers   1.   —  Lïlistoire  de  M.  Porcher  a  été  mille 
fois  racontée.  Il  commença  à  fonder,  rien  qu'avec 
les   billets  d'Alexandre   Dumas  père,  la   vente  des 
billets  d'auteur,  puis  il  devint  le  général  en  chef  de 
la  claque  des   théâtres   parisiens,  ne   commandant 
que    dans   les    très -grandes   occasions,   aux    pre- 
mières représentations  des  hommes  de  génie  ;    et 
en  môme  temps,  aidé  par  sa  femme,  dont  l'intelli- 
gence et  les  belles  mains  sont  célèbres,  il  fit  prospé- 
rer  une  maison  de   commerce  pour  la  vente   des 
billets,  où  on  vendait  et  où  on  achetait  même  des 
sujets  de  pièces,  et  où  les  auteurs   obtenaient  des 
avances  sur  leurs    droits  futurs.    Porcher,   c'était 
le  crédit   sur  les  productions  de  l'esprit;  on  com- 
prend combien  c'était  grave  pour  un  écrivain  dra- 
matique  quand    Porcher  venait  à  lui   dire  Baste  ! 
Inutile  d'expliquer,  on  le   devine,  qu'il  n"a  jamais 


3  J.O  COMMENTAIRE. 


dit  B JSte  !  à  Alexandre  Dumas,  si  ce  n'est  dans  la 
chimérique  prophétie  que  je  prête  à  Mirecourt. 
—  Yacoub,  page  143,  strophe  1,  vers  1 .  —  Le 
biographe  donne  ici  au  grand  inventeur  le  nom 
d'un  des  personnages  fictifs  qu'il  a  créés  :  Yacoub 
est  le  héros  de  la  tragédie  intitulée  Charles  VII 
che^  ses  grands  vassaux. 

V...  le  baigneur,  page  144.  —  Parodie  très- 
résumée,  comme  le  bon  goût  le  demandait  impé- 
rieusement, du  poëme  de  Victor  Hugo  intitulé  : 
Sara  la  baigneuse  (Orientales,  xix.)  Il  serait 
inutile  de  nier  qu'il  s'agit  du  docteur  Véron  :  c'était 
un  homme  d'esprit,  et  un  aimable  homme,  malgré 
ses  ridicules;  mais  n'appartenait-il  pas  de  droit  à 
la  caricature,  lui  qui,  plus  informe  que  le  Mino- 
taure,  avait  dévoré  les  plus  belles  filles  d'Athènes? 
Et  combien  ne  souffrira  pas  l'Histoire,  forcée 
d'accoupler  à  son  médaillon  faunesque  celui  d'une 
Muse  adorable,  au  pur  profil  de  médaille  syracu- 
saine  !  —  Hèloïse  Florentin,  page  14s,  strophe  3, 
vers  6.  —  Elle  était  née  avec  du  génie,  car  une 
légende  parisienne  raconte  que,  petite  fille  âgée  de 
dix  ans,  en  compagnie  de  sa  sœur  ou  d'une  petite 


COMMENTAIRE.  34.I 


amie,  elle  se  laissait  aborder  par  les  passants  cos- 
sus, dans  la  rue  Royale  ou  sur  la  place  Ven- 
dôme, et  leur  montrait,  pour  dix  sous,  un  sourire 
particulier  qu'elle  avait  inventé. 

Page  i4~,  strophe  i,  vers  4  et  5  : 

J'obtiendrai  des  croix  vainques 
Et  des  plaques. 

Il  en  obtint.  —  Le  docteur  Véron  était  un 
homme  d'ordre,  et  très-pratique.  On  le  vit  un 
jour  avec  les  divers  cordons  de  commandeur  de 
tous  les  ordres  :  il  les  avait  reçus  tous  en  une  fois, 
simultanément,  et  sans  retard  il  avait  obtenu  de  la 
Chancellerie  le  droit  de  les  porter.  11  aimait  les 
choses  bien  faites,  et  vite  faites. 

La  Tristesse  d;Oscar.  page  14g. —  Cette  ode 
ne  parodie  rien,  quoiqu'elle  ait  vaguement  le  mou- 
vement du  poëme  de  Hugo,  La  Douleur  du  Pacha 
{Orientales,  vu,)  si  souvent  parodié.  Le  publi- 
ciste  d'un  très-grand  talent,  déguisé  ici  sous  le 
nom  du  bel  Oscar,  est  Xavier  Durrieu,  qui  débu- 
tait   alors  avec  beaucoup    d'éclat  à  la  Revue  des 


3  f2  C  O  M  M  E  N  T  A  I  R  F.. 


Deux  Mondes,  et  en  effet,  ce  remarquable  écrivain 
avait  l'enfantillage  singulier  de  craindre  que  sa 
fabuleuse  ressemblance  avec  l'acteur  Bocage  ne 
nuisît  à  sa  carrière  politique.  Lorsque  cette  ode 
parut  pour  la  première  fois,  dans  un  journal  inti- 
tule Le  Pamphlet,  qu'avait  fondé  Polydore  Millaud, 
le  nom  de  Durrieu  y  était  en  toutes  lettres.  Mais, 
avant  la  publication  des  Oies  funambulesques, 
Durrieu,  fidèle  à  ses  opinions,  avait  subi  les 
rigueurs  de  l'Empire  ;  je  dus  effacer  son  nom,  car 
ma  plaisanterie,  innocente  quand  je  l'avais  écrite^ 
eût  été  alors  dirigée  contre  un  vaincu. 

Page  14g,  strophe  2,  vers  4  : 

Aucun  collet,  pas  même  un  collet...  né  Révoil. 

J'avoue  que  cette  phrase  est  d'une  audacieuse 
extravagance;  elle  a  cependant  son  excuse.  En  ce 
temps-là,  les  œuvres  poétiques,  d'ailleurs  fort 
belles,  de  Mmc  Louise  Colet,  paraissaient  éner- 
mément,  et  dans  tous  les  formats,  et  toujours  son 
nom  était  écrit  ainsi  :  Mmc  Louise  Colet,  née 
Révoil.  A  force  de  lire  sans  cesse  cette  phrase  sur 


COMMENTAIRE.  3.J.3 

les  couvertures  des  livres,  dans  les  journaux,  sur 
les  affiches  des  cabinets  de  lecture,  tous  les  Pari- 
siens en  avaient  subi  l'obsession,  si  bien  qu'il  était 
impossible  d'entendre  le  mot  collet,  écrit  avec 
n'importe  quelle  orthographe,  sans  songer  immé- 
diatement à  née  Révoil.  Cela  en  vint  à  ce  point  que 
voici  comment  Grassot  chantait  le  couplet  si  connu 
de  Béranger  : 

Momus  a  pris  pour  adjoints 

Des  rimeurs  d'école  : 
Des  chansons  en  quatre  points 

Le  froid  7ious  désole. 
Mirliton  s'en  est  allé. 
Ah!  la  Muse  de  Collé, 

Parlé  :  né  Révoil, 

C'est  la  gaudriole 

O  gué, 
C'est  la  gaudriole. 

Auss:,  comme  nous  plaisantions  souvent  Dur- 
rieu  sur  des   négligences  de   costume  que  presque 


3  44  COMMENTAIRE 

tous  les  grands  travailleurs  ont  à  se  reorocher, 
lorsque  par  une  furieuse  hyperbole  je  prétendis 
que  son  habit  n'avait  pas  de  collet,  la  phrase  fatale 
s'écrivit  d'elle-même  et  pour  ainsi  dire  sans  ma 
participation  :  vas  même  un  collet...  né  Révoil  ! 
—  Pour  résister  à  cette  suggestion  impérieuse, 
il  aurait  fallu  la  vertu  d'un  chrétien  des  premiers 
âges. 

Le  gilet  fabuleux  de  Fontbonne,  page  i5o, 
Strophe  i ,  vers  4.  —  Fontbonne  était  un  conscien- 
cieux et  obscur  comédien,  dont  on  a  vu  le  nom 
pendant  trente  années  sur  les  affiches  de  la  Gaîté 
et  de  la  Porte-Saint-Martin.  Il  avait  un  gilet  qui 
n'était  pas  fort  beau  et  un  frac  pareil,  parce  que 
le  Drame,  qui  a  ses  héros,  a  aussi  ses  martyrs, 
et  les  acteurs  qui  jouent  les  utilités  manquent  des 
objets  les  plus  utiles.  Monselet,  dans  un  de  ses 
jolis  pamphlets,  prétend  que  j'avais  la  vénération 
du  tréteau,  et  que  sur  le  boulevard  ie  suivais  avec 
recueillement  l'acteur  Machanette.  Cela  n'est  pas 
tout  à  fait  exact  ;  mais  je  n'ai  jamais  su  me  dé- 
fendre d'une  sorte  de  pitié  attendrie  pour  ces 
pauvres  comédiens  des    derniers  plans   qui  n'ont 


COMMENTAIRE.  34J 

jamais  que  l'envers  de  l'argent  et  l'envers  de  la 
gloire,  que  personne  n'a  jamais  vus,  et  dont  ce- 
pendant on  sait  les  noms,  pour  les  avoir  lus  im- 
primés tous  les  jours  pendant  un  demi-siècle 

Page  i5i,  strophe  2,  vers  5  et  6.  —  Les 
Délass-Com  et  le  Petit-La\e  désignent,  par  une 
contraction  de  l'argot  parisien  connue  de  tout  le 
monde,  les  théâtres,  tous  les  deux  détruits,  des 
Délassements-Comiques  et  du  Petit-Lazari.  Voir, 
dans  la  collection  publiée  par  Lorédan  Larchey  : 
Documents  pour  servir  à  l'histoire  de  nos  mœurs, 
la  très-curieuse  brochure  intitulée  Les  Grands  jours 
du  Petit-La\ari,  par  un  de  ses  artistes,  avec  une 
préface  inédite.  —  A  la  librairie  Frédéric  Henry, 
galerie  d'Orléans,  12.  Octobre  1871. 

Le  Plan  dans  \.,Ov>i.o^,page  1S4.  —  Parodie 
du  poëme  de  Victor  Hugo  intitulé  les  Bleuets 
(Orientales,  xxxn.  )  —  Chauniier  Sirîiéon, 
page  1S4,  strophe  1 ,  vers  5.  Siméon  Chaumier 
était  un  vieux  poëte,  vêtu  à  peu  près  enSaint- 
Simonien,  avec  des  chapeaux  pointus  et  des  gilets 
à  la  Robespierre,  qui,  après  avoir  été  pauvre,  était 


3  .j.6  COMMENTAIRE. 

devenu  riche,  et  qui  en  profitait  pour  faire  impri- 
mer des  recueils  où  abondaient  les  vers  de  deux 
cyllabes,  et  des  romans  d'un  moyen  âge  macabre  et 
truculent.  J'ai  quelquefois  causé  avec  lui  dans  le 
Luxembourg,  il  tenait  des  discours  palingénésiques 
qui  n'étaient  dépourvus  ni  de  portée  ni  de  grandeur  ; 
mais  il  avait  trop  d'idées  pour  être  un  ouvrier  en 
n'importe  quoi,  fût-ce  en  poésie.  —  Asphodèle  Ca- 
rabas,  page  i56,  strophe  i,  vers  2,  n'est  qu'un 
être  de  raison  ou  de  déraison,  une  caricature  du 
bas-bleu  ,  mais  je  ne  me  serais  permis  contre  aucune 
femme  la  plus  innocente  plaisanterie,  car  sur  ce 
point-là  je  pense  comme  don  César  de  Bazan. 

Page  r56,  strophe  2,  vers  5  et  6  : 

Etait-il  le  Timolèon 

Des  Saint- Aime  s  et  des  Virmaitres? 

M.  Lepoitevin  Saint -Aime  et  M.  Virmaître 
étaient  les  deux  rédacteurs  en  chef  de  l'ancien 
Corsaire  où  écrivaient,  de  184.5  à  1848,  Champ- 
fleury.  Miirger,  Fauchery,  Plouvier,  La  Rounat, 
Marc  Fournier.   On  sait  que,  vers  l'an  ^^i  avant 


C  Û  M  M  ENIAIRE.  3  4-7 

Jésus-Christ,  Timoléon  était  le  général  que  Co- 
rinthe  employait  à  toute  chose  difficile,  à  délivrer 
les  Syracusains.  à  battre  les  Carthaginois,  et  même 
à  tuer  son  frère  Timophane.  Le  Timoléon  des 
Saint- Aimes  et  Jes  Vîrmaîtres  veut  dire  :  le 
premier  sujet,  le  grand  ténor.  le  général  à  tout 
faire  de  M.  Saint -Aime  et  de  M.  Virmaître. 
Certes  le  trope  est  violent  ;  mais  on  n'est  pas 
trop  sévère  pour  les  poëmes  à  refrains,  comme 
celui  dans  lequel  Hugo  a  écrit,  sans  consulter 
Burïon  : 

On  voit  des  biches  qui  remplacent 
Leurs  beaux  cerfs  par  des  sangliers.  — 
Enfants,  voici  des  bœufs  qui  passent, 
Cachet  vos  rouges  tabliers. 

L'Odéon,  page  r5g.  —  Parodie  du  poème 
de  Victor  Hugo  intitulé  L'Enfant  (Orientales, 
xvni.)  Il  serait  horrible  de  railler  une  infirmité 
réelle,  un  nez  camard  par  exemple;  mais  le  grand 
nez  est  héroïque,  impérieux,  et  affirme  toutes  les 
bravoures.  Cyrano  de  Bergerac  était  fier  de  son 
grand  nez,  et  tuait  même  à  coups  d'épée,  avec  une 


348  COMMENTAIRE. 


certaine  justice,  les  gens  qui  avaient  l'impertinence 
de  se  montrer  avec  un  nez  trop  petit.  —  Certes, 
il  n'a  jamais  été  bien  original  et  bien  nouveau  de 
rire  de  l'Odéon  désert  et  du  nez  de  M.  Hippolytc 
Lucas;  mais  le  poëte  doit  accepter,  coûte  que 
coûte,  tous  les  sujets  traditionnels,  et  il  faut  qu'il 
n'hésite  pas  à  affronter  les  plus  redoutables  de 
tous  les  monstres,  c'est-à-dire  la  Banalité  et  la 
Platitude.  Il  doit  ressembler  au  «  matin,  ce  do- 
reur »,  qui  dore  tout  ce  qu'il  trouve  sur  son  che- 
min, y  compris  les  écorces  de  melon  et  les  vieilles 
savates. 

Page  160,  strophe  3,  vers  3  et  suivants  : 

Ou  ce  chapeau  de  roi  de  Garbe, 
Le  chapeau  de  Thoré,  cet  homme  si  barbu 
Qu'un  barbier  ne  pourrait,  sans  devenir  fourbu, 

En  quatre  ans  lui  faire  la  barbe  ! 

Boccace  dit.  en  sa  Deuxième  Journée,  Septième 

Nouvelle,  où  il  raconte    l'histoire  d'Alaciel  :  «  Le 

ie  Garbe  feit  grand'feste  de  ces  nouvelles,  et 

l'ayant  honorablement  envoyée  quérir,  la  receut 


COMMENTAIRE.  34.9 

avec  grand'joie,  et  elle  qui  avoit  couché  par  ad- 
venture  dix  mille  fois  avec  huit  nommes,  se  cou- 
cha avec  luy  pour  pucelle,  et  lui  feit  accroire  qu'il 
estoit  ainsi.  »  Pour  ne  pas  s'apercevoir,  en 
voyant  Alaciel,  qu'elle  avait  croqué  autant  de 
pommes  qu'en  peut  fournir  dans  la  saison  un  bon 
clos  normand,  il  fallait  que  le  roi  de  Garbe,  à  ce 
que  j'ai  pensé,  eût  un  chapeau  à  bien  larges  bords 
et  qui  lui  gênait  singulièrement  la  vision.  — 
Théophile  Thoré,  l'éminent  critique  d'art,  avait 
un  chapeau  comme  celui-là,  qui  ne  l'empêchait  pas 
de  bien  voir  la  peinture;  mais  il  se  trompait  par- 
fois à  l'expression  des  physionomies.  —  A  ce  que 
disent  les  historiettes,  il  devint  amoureux  d'une 
dame,  et  jura  que  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  pris  son 
martyre  en  pitié,  il  ne  se  ferait  pas  couper  la 
barbe.  La  dame  fut  d'abord  étonnée;  mais,  le  dos 
tourné,  elle  ne  pensa  pas  plus  à  cela  qu'à  ses 
vieilles  pantoufles,  et  Thoré  en  fut  quitte  pour 
porter  une  barbe  qui  lui  tombait  jusqu'aux  ge- 
noux. 

Bonjour,  Monsieur  Courbet,  page  162.    — 
Cette  ode  n'est  que  la  répétition  du  tableau  connu 


3  $  O  COMMENTAIRE. 

qui  porte  le  même  titre.  —  Si  je  l'ai  trans- 
porté dans  la  poésie ,  c'est  parce  que  la  pein- 
ture à  l'huile  ne  dure  que  quatre  cents  ans,  du 
moins  à  ce  que  le  baron  Gros  affirmait  à  Napo- 
léon, qui,  aprèà  avoir  posé  pour  La  Bataille 
d'Eylau,  s'écria  alors  d'un  ton  dédaigneux  : 
«   C'était  bien  la  peine!  » 

Xadar.  page  iG5.  —  Parodie  du  poëmc  de 
Victor  Hugo  intitulé  Canaris  [Orientales,  n.) 
Personne  n'a  eu  les  cheveux  plus  rouges  que 
Nadar;  mais,  petit  à  petit,  il  est  devenu  blond 
comme  Ophélia,  car  on  ne  peut  compter  sur  rien  ! 
Tous  les  personnages  nommés  dans  cette  ode  sont 
surabondamment  connus;  j'indique  cependant  à  la 
volée  :  Lherminier.  —  C'est  lui  que  Balzac  a  pris 
pour  modèle  de  son  La  Palférine  II  avait  fondé 
Le  Portefeuille,  revue  diplomatique.  Il  a  été  le  seul 
homme  qui  ait  su  jouer,  après  don  Juan,  la 
scirne  avec  M.  Dimanche,  et  quoique  Balzac  les 
ait  écrémées,  les  belles  histoires  parisiennes  dont 
il  a  été  le  héros  rempliraient  encore  un  volume. 
—  Sasonoff,  page  166,  strophe  2,  vers  1,  était 
un  Russe   de  bonne    noblesse. .aimable  homme  et 


COMMENTAIRE.  3$I 

charmant  écrivain  qui ,  pendant  les  dernières 
années  de  sa  vie,  qu'il  passa  ici  à  Pari*,  tut  l'ami 
de  tous  les  hommes  d'esprit,  et  leur  faisait  manger 
des  salades  russes  qu'on  n'a  pas  réussi  à  imiter. 
—  Louis  Boyer,  page  166,  strophe  S,  vers  i .  — 
Cet  ancien  directeur  du  Vaudeville  était  né  presque 
chauve,  et  en  même  temps  il  était  affligé  d'une 
barbe  qui  poussait  à  vue  d'œil.  —  René  Lorde- 
reau,  page  167.  strophe  4,  vers  3.  —  Le  roi  de 
l'esprit  parlé,  à  ce  qu'a  dit  Roqueplan.  qui  s'y 
connaissait.  Pour  payer  cinquante  mille  francs  de 
dettes  qu'il  avait.  René  Lordereau  a  fait  en  Amé- 
rique, pendant  la  guerre,  un  métier  de  héros  et  de 
fou;  il  est  mort  à  la  peine,  sans  qu'un  de  Sv. 
créanciers  ait  dit  :  «  Pauvre  garçon  !  » 

Page  16g,  strophe  2,  vers  1  et  suivants  : 

Ils  sont  d'or  pale;  ceux  du  poète  nouveau 
Qui,  dans  des  vers  bigarres. 

A  nommé  le  public  :  u  Bête  à  tête  de  veau,  » 
Sont  jaunes,  Jins  ei  rares. 

C'est  le  poëte  Fernand  Desnoyers,  qui  est  mort 


352  COMMENTAIRE. 


jeune.  Il  y  a  de  très-belles  choses  dans  ses  poëmes 
intitulés  Le  Vin,  la  Campagne,  Vers  fantasques. 
Il  ne  faut  pas  le  juger  d'après  les  coups  de  pis- 
tolet qu'il  tirait  parfois  pour  étonner  les  sots) 
mais  qui  faisaient  trop  de  bruit,  car  c'est  un  jeu 
dangereux  Tout  le  monde  connaît  sa  fameuse 
Proclamation  : 

Habitants  du  Havre,  Havrais! 

J'arrive  de  Paris  exprès 

Pour  mettre  en  pièces  la  statue 

De  Delavigne  (Casimir.) 

Il  est  des  morts  qu'il  faut  qu'on  tue...  &c. 

Le  La  Madelène  qui  est  rose,  pjge  îGg,  slro' 
phe  3,  vers  /.  c'est  Henri  de  La  Madelène,  et 
le  Marchai  qui  est  vermeil  d'une  fiçon  hardie, 
ibidem,  c'est  Charles  Marchai,  le  peintre  des 
tableaux  alsaciens,  et  de  Pénélope  et  Phryiiè.  — 
Il  est  un  assez  grand  peintre  pour  savoir  que  la 
poésie  a  le  droit  de  se  servir  de  ces  tons  nets  et 
crus  qui  ne  représentent  pas  la  couleur  d'un  objet, 
mais  la  font  voir,  et  l'évoquent  dans  l'esprit  du 
lecteur. 


COMMENTAIRE.  J  $  J 


Reprise  de  la  Dame,  page  ijo.  —  Parodie 
du  poëme  de  Victor  Hugo,  intitulé  tx  Captive 
(Orientales,  ix.)  Au  théâtre,  par  une  abréviation 
qui  est  passée  dans  le  langage  usuel,  la  Dame 
signifie  la  Dame  aux  Camélias.  Ce  drame  heu- 
reux a  eu  tant  de  succès  sur  tous  les  théâtres  du 
monde,  et  les  directeurs,  régisseurs  et  acteurs  ont 
si  souvent  à  en  prononcer  le  nom,  qu'ils  l'ont 
abrégé,  par  économie. 

Marchands  de  crayons,  page  i  j5.  —  Cette 
ode  offre  une  singularité  assez  curieuse  :  c'est 
que,  commencée  sur  un  sujet  qui  lui  appartient  en 
propre,  elle  parodie  ensuite  en  chemin  le  poëme  de 
Victor  Hugo  intitulé  La  Fiancée  du  Timbalier 
(Odes  et  Ballades,  ballade  sixième.)  Mais  du 
dénouement  de  la  ballade,  elle  ne  fait  qu'une  péri- 
pétie préparant  un  autre  dénouement,  assez  im- 
prévu, a  ce  que  je  crois.  — Le  maître  de  Marseille, 
page  1  yS,  strophe  2,  vers  1  —  C'est  Mirés,  qui 
avait  fait  dans  la  vieille  ville  une  ville  neuve. 

Page  181 ,  strophe  2,  vers  3,  4  et  5  : 
Faucher  y,  venu  d'Australie 


2  3 


3S+  COMMENTAIRE. 

Avec  cette  douce  folie 
Que  de  Bohème  il  emporta. 

Antoine  Fauchery,  un  beau  garçon,  spirituel  et 
charmant,  que  Mùrger  a  essayé  de  peindre  dans 
son  Marcel  de  La  Vie  de  Bohème,  était  le  plus  gai 
parmi  les  amis  de  notre  jeunesse.  11  avait  quitté  le 
métier  de  graveur  sur  bois  pour  écrire  avec  nous 
au  Corsaire;  mais  la  fortune  ne  venait  pas  assez 
vite  à  son  gré,  car  il  s'était  marié  par  amour.  Ses 
Lettres  d'un  Mineur  en  Australie  (Paris,  Poulet- 
Malassis  et  de  Broise,  1857)  racontent  les  extraor- 
dinaires métiers  qu'il  dut  faire  au  pays  de  l'or, 
pour  y  gagner  un  peu  d'argent. 

Après  avoir  touché  barres,  à  Paris,  il  repartit 
pour  la  Chine  et  pour  le  Japon,  avec  une  mission 
du  gouvernement.  Il  faisait,  pour  le  ministère,  des 
dessins  et  des  photographies  d'après  les  monu- 
ments et  les  paysages,  et  en  même  temps  il  en- 
voyait au  Moniteur  des  articles  dans  lesquels  la 
nature  et  la  civilisation  orientales,  vues  par  un 
peintre,  étaient  racontées  par  un  Parisien  humo- 
riste sachant  écrire.  Il  nous  adressa  aussi,  lors 
de   la  guerre  de   Chine,  des  lettres  étonnamment 


COMMENTAIRE.  355 


vivantes  et  pleines  de  révélations  curieuses,  qui 
n'ont  pas  été  publiées.  Le  succès  venait,  tout  ve- 
nait, quand  les  terribles  fièvres  du  Japon  empor- 
tèrent Antoine  Fauctaery,  après  sa  chère  femme. 
Je  ne  me  rappelle  personne  qui  ait  eu,  à  un  plus 
haut  degré  que  lui,  l'abord  élégant  et  sympathique, 
la  compréhension  rapide  et  la  grâce  souveraine  de 
la  chevelure. 

Page  iS'4,  strophe  i ,  vers  2  et  3  : 

Quand  mon  Arthur  sonnait  du  cor 
Près  de  Mangin  en  galons  jaunes, 

Mangin,  homme  qui  a  bien  connu  ses  Athé 
mens,  a  fait  sa  fortune  par  le  procédé  le  plus 
simple,  en  vendant  d'assez  bons  crayons  de  mine 
de  plomb,  enveloppés  d'une  feuille  d'or.  Mais, 
pour  les  vendre,  il  montait  sur  une  calèche  décou- 
verte, endossait  une  dalmatique  férocement  galon- 
née d'or,  et  se  couvrait  le  chef  d'un  casque  à 
plumet  rouge,  flamboyant  comme  celui  d'Hector  : 
sans  cela,  pourquoi  eût-on  acheté  ses  crayons 
plutôt  que  d'autres?  Il  improvisait  des  discours 


3  $6  COMMENTAIRE. 

d'une  amusante  insolence ,  et  avec  un  de  ses 
crayons,  faisait,  comme  Mélingue,  un  portrait 
ressemblant,  sous  l'oeil  du  public.  Derrière  lui, 
un  être  silencieux  et  triste,  vêtu  comme  lui,  si  ce 
n'est  que  sa  dalmatique  était  misérable  et  que  son 
casque  était  bosselé,  jouait  tantôt  de  l'orgue  de 
Barbarie  et  tantôt  du  cornet  à  piston,  et  rien  ne 
prouve  que  ce  confident  modeste  ne  s'appelait  pas 
Arthur.  Mangin  a  été  volontairement  le  symbole 
vivant  de  la  Réclame  moderne,  ayant  transporté 
dans  la  réalité  visible  ce  que  ses  confrères  exé- 
cutent d'une  manière  abstraite  et  figurée.  Les  soirs, 
Mangin,  trop  rigoureusement  ganté  de  blanc,  car 
le  saltimbanque  se  trahit  toujours  de  quelque  ma- 
nière, assistait  aux  premières  représentations,  avec 
les  allures  et  la  froideur  britannique  d'un  parfait 
gentleman. 

Nommons  Couture!  page  i85.  —  Parodie  du 
poëme  de  Victor  Hugo  (Les  Voix  intérieures,  xi) 
qui  commence  par  cette  strophe  : 

Puisque  ici-bas  toute  âme 
Donne  à  quelqu'un 


COMMENTAIRE.  357 

Sa  musique,  sa  flamme 
Ou  son  parfum; 

Le  sujet  de  cette  ode  est  clairement  expliqué 
par  le  fragment  de  lettre  qui  lui  sert  d'épigraphe. 
M.  Thomas  Couture,  dont  j'admire  infiniment 
le  talent  magistral  et  même  l'orgueil,  a  à  peu 
près  désavoué  ce  morceau  fameux,  et  il  va  sans 
dire  que,  s'il  retire  sa  lettre,  je  retire  mon 
ode. 


Le  Critique  en  mal  d'enfant,  page  igo.  — 
De  même  que  Figaro  dit  qu'on  est  toujours  fils 
de  quelqu'un,  tous  les  critiques  sont  faits  en 
quelque  chose  de  plus  solide  que  la  baudruche. 
Mon  ode  ne  vise  personne  ;  mon  personnage 
bouffon  n'a  pas  eu  de  modèle  dans  la  vie  réelle, 
et  doit  être  considéré  comme  une  création  de  la 
pure  fantaisie.  Cependant,  si  quelqu'un  désire  avoir 
la  clef  de  ce  morceau,  qu'il  se  rappelle  un  procédé 
très-familier  à  l'auteur  de  La  Comédie  Humaine, 
et  que  par  exemple  il  voie  passim,  à  propos  de 
Camille    Maupin,    le    roman    de     Balzac    intitulé 


3  S,CÎ  COMMENTAIRE, 


Béatrix.  [Comédie  Humaine,  édition  Michel  Lévy, 
tome  III,  Scènes  de  la  Vie  privée.) 

Page  i ç5,  strophe  i ,  vers  3  et  suivants  : 

Le  prenant  pour  un  mont,  Préault  disait  :  «  Oh  !  ça, 
C'est  Pélion,  ou  bien  son  camarade  Ossa . 
Alle^-vous-en,  que  je  le  taille!» 

Auguste  Préault  est  le  seul  statuaire  roman- 
tique de  l'époque  moderne.  Son  médaillon  de 
La  Douleur,  son  Marceau,  son  Paria,  son  Ophè- 
lia,  ses  deux  Christs  ont.  chose  étrange!  autant 
contribué  à  le  rendre  célèbre  que  les  stupides 
refus  des  jurys  de  1830,  qu'il  subissait  en  même 
temps  que  Delacroix  et  Rousseau.  Il  savait  que  les 
sonnets  de  Michel-Ange  étaient  d'une  beauté  égale 
à  celle  de  ses  colosses  ;  mais,  en  ce  temps  scep- 
tique, ceci  demandait  à  être  transposé.  Le  dernier 
des  Prométhées  a  pris  le  modeste  parti  d'être  tout 
bonnement  spirituel  comme  Champfort,  et  de  ma- 
nifester sa  faculté  poétique  par  des  mots  qui, 
pareils  à  des  fers  rouges,  font  grésiller  la  chair 
vive.    Toutes   les  Nouvelles   à   la   main    que    les 


COMMENTAIRE.  359 

journaux  ont  publiées  depuis  trente  ans  sont  de 
Préault;  peut-être  pourrait-il  réclamer,  comme 
étant  au  fond  sa  propriété,  l'hôtel  que  le  Figaro 
vient  de  se  faire  construire,  et  qu'il  a  payé  sur 
ses  bénéfices? 


S^ 


&dSfr^SAÎK! 


<?v&mmi 


Rondeaux. 


partir  de  ce  moment,  les  poèmes  à 
forme  fixe,  Rondeaux,  Triolets,  Vil- 
lanelles.  Ballades,  Virelai,  Chant 
Royal,  Pantoum,  vont  se  succéder 
dans  le  livre.  —  J'ai  voulu,  autant  qu'il  était  en 
moi,  ressusciter  et  remettre  en  lumière  ces  formes 
de  poèmes,  parce  que  j'accepte  dans  son  intégrité 
la  succession  de  mes  aïeux;  mais  ce  n'est  pas  ici 
le  lieu  d'en  décrire  la  contexture  et  d'en  indiquer 
les  règles.  Ceux  qu'intéressent  ces  détails  tech- 
niques les  trouveront  partout,  et  même  dans 
mon  livre  intitulé  Petit  Traité  de  Poésie  fran- 
çaise (IX,  les  Poèmes  traditionnels  à  forme 
fixe.)  Sur  le  rondeau  spécialement,  il  n'y  a  qu'un 
mot  à  dire  :  c'est  que  l'excellent  poète  Voiture  Ta 
poussé  à   sa   dernière    perfection.   11  suffit  de  lire 


COMMENTAIRE.  }6ï 

Voiture  pour  connaître  le  fort  et  le  faible  du 
Rondeau,  et  pour  savoir  de  quelles  ressources 
infinies  dispose  ce  charmant  poëme  qui  a  succédé 
(comme  le  roi  Louis  succède  à  Pharamond  )  au 
Rondel  de  Charles  d'Orléans. 

Rolle  n'est  plus  vertueux,  page  196.  — 
Aime  mieux  voir  lever  Bocage  —  Que  l'Aurore, 
page  ig7,  vers  5  et  6.  —  On  ne  pourra  jamais 
empêcher  le  poëte  de  s'éprendre  d'une  phrase  rien 
que  pour  sa  sonorité  ;  car,  si  les  musiciens  n'ai- 
maient pas  la  musique  des  sons,  qui  l'aimerait?  Il  y 
avait  autrefois  une  célèbre  romance  qui  commençait 
ainsi  :  Bocage,  que  l'Aurore...  —  Quand  l'acteur 
Bocage  débuta  à  la  Porte-Saint-Martin,  de  mau- 
vais plaisants  du  paradis  la  lui  chantèrent,  et  mei, 
ce  bout  de  phrase  me  semblait  si  amusant  et  m'a 
si  souvent  obsédé ,  qu'en  ma  folle  jeunesse  je 
n'ai  pu  résister  au  bonheur  de  le  transcrire- 

Mademoiselle  Page,  page  ig8.  —  Sourire  et 
chanson  de  la  Comédie  légère,  elle  a  personnifié 
divinement   la    Musette   de    La   Vie    de   Bohème. 


3^2  COMMENTAIRE. 

Page  igç,  vers  1 ,  2  et  3: 

Le  bataillon  de  la  Moselle 
A  sa  démarche  de  gabelle 
Eût  tout  entier  payé  rançon. 

C'est  un  rappel  du  motif  connu  de  la  fameuse 
chanson  populaire  : 

Sicut  Madam'  de  la  Trèmouille 

Parent'  des  Andouillettes. 
Qui  a  usé  plus  de  patrouilles 
Que  l'armée  d1  Sambre-et-Meuse 
De  pair' s  de  souliers  ! 

Brohan,  page  200.  —  C'est  Augustine  Bro- 
han, dont  la  mère,  Mme  Suzanne  Brohan,  a  été, 
à  l'ancien  Vaudeville,  une  actrice  d'un  talent  exquis 
et  d'une  rare  distinction.  —  Après  elles  deux,  si 
l'on  voulait  chanter  la  plus  belle  des  trois  Bro- 
h  .n ,  qui  est  Madeleine ,  il  faudrait  regarder  ce 
portrait,  lithographie  par  Lassalle,  où  le  peintre 
l'a  représentée  le  sein  nu,  comme  une  déesse. 


COMMENTAIRE.  3<Jj 


A  Désirée  Rondeau,  page  208.  —  Bonne  et 
très-jolie  avec  beaucoup  de  finesse,  Désirée  Ron- 
deau appartenait  à  la  race  de  ces  Lisettes  dédai- 
gneuses de  l'argent,  qui  ont  pu  exister,  quoiqu'on 
en  dise,  quand  il  n'en  coûtait  pas  encore  un  louis 
pour  passer  devant  chez  Bignon  :  aussi  a-t-elle 
été  fêtée  par  les  rimeurs.  —  D'ailleurs,  son  nom 
créait  ici  une  nécessité  absolue.  Si  une  des  con- 
temporaines de  celles  que  Voiture  nommait  Ram- 
bouillet et  Bourbon  tout  court  se  fût  appelée 
Rondeau,  il  est  incontestable  qu'il  lui  eût  adressé 
un  rondeau,  et  comme  Voiture  n'était  plus  là,  il 
fallait  bien  que  ce  fût  moi. 


Triolets, 


omme  dit  Nisus.  Me,  me,  adsitm  qui 
feci  !  —  C'est  moi  qui  ai  ressuscité 
le  vieux  Triolet,  petit  poëme  bon- 
^f"^?l  dissant  et  souriant,  qui  est  tantôt 
madrigal  et  tantôt  épigramme,  et  mon  idée  a  eu 
tant  de  succès  que  le  genre  est  redevenu  popu- 
laire ,  on  a  fait  des  Triolets  aussi  nombreux  que 
les  étoiles  du  ciel.  Mais  pas  toujours  comme  il 
aurait  fallu  les  faire,  car  le  bon  Triolet  doit  de 
toute  nécessité  offrir  une  étrangeté,  une  surprise 
d'assonnances  répétées,  sans  jamais  rien  perdre  de 
sa  légèreté  et  de  sa  grâce.  —  Mais,  me  direz- 
vous...  — Assurément;  il  est  facile  de  donner  de 
bons  conseils,  après  quoi 

Chacun  fait  ici-bas  la  figure  qu'il  peut. 


COMMENTAIRE. 


3^S 


De  tout  temps  les  Triolets  se  sont  chantés,  et 
La  Clef  du  Caveau  donne  l'ancien  Air  des  Trio- 
lets (3e  édition ,  Janet  et  Cotelle ,  non  datée, 
page  153,  n°  732.)  Mais  voici  pour  les  chanter  un 
air  moderne  de  Charles  Delioux,  d'une  fantaisie  en- 
traînante et  qui  sonne  triomphalement  sa  fanfare. 


MUSIQUE    DE    CHARLES    DELIOUX 


POUR     LES     TRIOLETS. 


m 


m 


Né  -    raut.  Tas  -  sin      et 


m 


iŒ: 


K=Z£ZZ?ï: 


-/- 


Gré  -  de  -  lu 


Main  -  tien-nent 


h         N        N                                       N 

J ['     J  7   r U b \-tr-xr-e — e— 

— * * ^— ]}-  -I 8-*^ 1 U- 

l'art     fou-gueux  et      chas 


Je    pré- 


re  à    Tan-crè-de    -    lu 


iGG 


COMMENTAIRE. 


± 


i^L*=r=A 


raut,Tas-sin    et         Gré -de  -lu. 


~ZT*1 


Com  -    me Quim-per, 


_^   î  ■  f-^  €_i3v»=r— 


ï>— i — /^^\* — •< 


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"V — ^   V   r 
Ho- no-lu-lu.       Ce-  lè-bre  ces  Tal-mas  sans 


-* — s- 


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1 17- 


fas     -     te 


Né    -    raut,  Tas  -  sin      et 


U,'_f    J^^^^EÊ^ 


Gré-de  -  lu 


Main-tien-nent 


ÉêÈ 


^ 


V    #        '-'1 


p — ___._ 

l'art  fou-gueux  et        chas 


te. 


Néraut,    Tassin    et    Grédblu,    pages    2iit 

212,  2i3.  214  et  2i5.  —  C'étaient  de  fort 
honnêtes  comédiens,  qui  jouaient  des  rôles  secon- 
daires à  la     Porte-Saint-Martin,   du  temps   de  la 


COMMENTAIRE.  367 

féerie  et  des  frères  Cogniard.  —  Mais  comme  la 
liste  des  acteurs  énumérés  sur  l'affiche  se  termi- 
nait tous  les  jours  invariablement  par  leurs  trois 
noms,  toujours  placés  dans  cet  ordre,  cette  phrase 
vraiment  musicale  et  naturellement  si  bien  scan- 
dée :  Nèraut,  Tassin  et  Grédelu,  charma  un  beau 
jour  les  Parisiens  ;  on  la  récita,  on  la  déclama, 
on  la  chanta  ;  par  extension,  elle  finit  par  expri- 
mer le  théâtre  et  les  comédiens  en  général,  y 
compris  Mélingue,  Frederick.  Talma,  Roscius  et 
le  vendangeur  Thespis  !  Et,  comme  le  Triolet  ve- 
nait de  renaître,  on  improvisa  et  j'improvisai 
moi-même,  par  jeu,  des  Triolets  dont  Nèraat, 
Tassin  et  Grédelu  étaient  le  texte  et  le  prétexte, 
et  qui  s'envolaient  avec  la  fumée  des  cigarettes. 
J'ai  choisi  ceux-là  au  hasard,  comme  j'en  aurais 
choisi  d'autres  ;  le  seul  objectif  de  leur  innocente 
raillerie  est  l'enjouement  français  pour  tout  être 
qui  porte  un  travestissement  de  couleurs  bario- 
lées, que  ce  soit  Gengis-Khan  ou  Polichinelle. 

Leçon  de  chant,  page  216.  —  Ceci  est  une 
légende  écrite  pour  un  dessin  original  de  Tony 
Johannot,  et  pas  du  tout,  comme  on    pourrait  le 


368  COMMENTAIRE. 

craindre,  un  chapitre  des  mémoires  de  l'auteur, 
qui,  même  en  184.5,  ne  se  fut  pas  permis  ces 
allures  de  Chérubin  ! 

AcADhMIE      ROYALE     DE     MUS  ,     page      2I~.     

Cette  abréviation,  alors  en  usage  pour  désigner 
l'Académie  royale  de  Musique,  dans  les  journaux 
qui  donnaient  le  programme  des  spectacles,  devait, 
par  un  jeu  de  mots  qui  s'imposait  de  lui-même, 
servir  d'enseigne  à  la  maison  du  fameux  M.  Guil- 
laume ;  car  les  seuls  académiciens  de  sa  bizarre 
Académie  étaient  en  effet  les  plus  petits  Rats  de 
l'Opéra.  11  les  prenait  en  sevrage,  les  préparant  à 
leurs  hautes  destinées,  et,  tout  en  complétant  leur 
éducation  chorégraphique,  les  renseignait  sur  la 
vie.  leur  procurait  des  amitiés  utiles,  les  nourris- 
sait de  bisque  et  d'ortolans,  et  leur  achetait  des 
bijoux  en  topaze  brûlée  et  des  bas  de  fil  d'Ecosse. 
Appelé  chez  M.  Guillaume  par  quelque  affaire, 
lors  de  son  arrivée  à  Paris,  Pierre  Dupont,  en 
entrant  dans  le  salon,  ne  fut  pas  peu  étonné  d'y 
voir  deux  Rats,  qui,  nus  comme  les  discours  de 
deux  académiciens,  prenaient  deux  bains,  dans 
deux  baignoires  ! 


COMMENTAIRE.  369 


Du  TEMPS  QUE  LE  MARECHAL  BuGEAUD  POUR- 
SUIVAIT    VAINEMENT     ABD-EL-K.ADER,   page      2lS. 

—  Il  faut  avoir  vécu  sous  Louis-Philippe  pour  se 
rappeler  à  quel  point,  chaque  jour,  le  maréchal 
Bugeaud  prenait  peu  Abd-el-Kader  !  Cela  avait 
fini  par  ressembler  à  une  poursuite  de  féerie. 

Age  de  M.  Paulin  Limayrac,  page  21  g.  — 
M.  Paulin  Limayrac  avait  beaucoup  plus  de  huit 
ans,  mais  il  semblait  avoir  huit  ans  à  cause  de  sa 
petite  taille,  pareille  à  celle  de  M.  Louis  Blanc, 
et  de  son  visage  rasé.  Je  me  souviens  de  l'avoir 
vu  attaché  à  son  cordon  de  commandeur  de 
l'ordre  des  Saints  Maurice  et  Lazare,  certainement 
plus  grand  que  lui. 

Bilboquet,  page  220.  —  Elève  de  Vol- 
taire! page  221.  —  Dans  la  seule  farce  mo- 
derne, je  veux  dire  dans  Les  Saltimbanques  de 
Dumersan  et  Varin,  Bilboquet  et  le  jeune  Sos- 
thènes  échangent  le  dialogue  suivant  :  «  Quel 
talent  as-tu?...  —  Je  joue  un  peu  du  violon  !  — 
Un  peu,  ce  n'est  guère.  Es- tu  de  la  force  de 
Paganini  ?  —  Je  ne  sais  pas  où  il  demeure.  — 


24 


37°  COMMENTAIRE. 

Ça  suffit,  je    t'annoncerai    comme   son   élève  !,» 
(Acte  I,  scène  vu.) 

Plus  loin,  au  moment  où  les  saltimbanques  dé 
ménagent  à  la  hâte.  Gringalet,  avisant  une  malle, 
demande  à  son  maître  ;  «  Cette  malle  est-elle  à 
nous?  »  Et  Bilboquet,  sans  la  regarder,  répond  : 
«  Elle  doit  être  à  nous.'  »  (Acte  I,  scène  xi.) 

Ces  phrases  immortelles  me  sont  revenues  en 
mémoire  lors  de  l'invasion  des  Normaliens  dans 
la  littérature.  Ils  avaient  déménagé  si  vite  qu'ils 
avaient  pris  la  malle  de  Voltaire  pour  la  leur,  d'où 
les  houppelandes  bizarres  dont  ils  se  montrèrent 
affublés  ;  et  plus  d'un  s'annonça  comme  l'élève  du 
patriarche  de  Ferney,  sans  être  encore  de  la  force 
de  Paganini. 

Monsieur  Homais.  page  222.  —  C'est  le  Pru- 
dhomme  étonnant  et  grandiose  de  Madame  Bo- 
vary. Flaubert  a  amalgamé  les  créations  de  Mon- 
nier  et  de  Daumier,  et  il  en  a  fait  un  bonhomme 
à  la  Michel-Ange.  On  pense  bien  que  ce  philosophe 
ne  pouvait  pas  rester  complètement  étranger  à  la 
littérature  de  l'Ecole  normale. 


COMMENTAIRE  371 

Polichinelle  Vampire,  page  223.  —  Ne  les 
nommons  pas,  ils  vivent  encore,  sa  perruque  et 
lui.  —  Comme  on  jugeait  à  l'Académie  le  dernier 
concours  poétique,  et  comme  M.  Ernest  Legouvé 
recommandait  un  poëme,  l'académicien  que  j'ai  vu 
si  fougueux  en  184.6,  s'éveilla  comme  Barherousse 
et  murmura  d'une  voix  qui  semblait  sortir  des 
ruines  de  Ninive  :  «  Non!..    Il  y  a  un  rejet!  » 

Opinion  sur  Henry  de  la  Madelène, 
page  224.  —  Cette  phrase  sonore  et  insensée  qui 
voltige  sur  l'harmonica,  cette  fantasque  série  de 
délirantes  onomatopées,  ne  méritait  pas  sans  doute 
d'être  imprimée;  mais  fallait-il  imprimer  les  Odes 
funambulesques? 

Note  rose,  page  2  25.  —  Il  est  trop  vrai  que 
la  première  apparition  au  bois  d'une  chevelure 
rose  fut  l'occasion  d'un  premier-Paris  indigné  et 
apocalyptique.  J'aurais  encore  compris  l'indigna- 
tion d'un  coloriste  !  mais  où  la  vertu  va-t-elle  se 
nicher? 

Monsieur ]Asrix}pages  226  et  227.  — L'Esta- 


}  72  COMMENTAIRE. 


minet  Je  l'Europe  était  situé  au  coin  du  carrefour 
de  l'Odéon  et  de  la  rue  de  l'Ecole-de-Médecine, 
dans  un  local  où  il  vient  detre  remplacé  par  les 
magasins  de  bonneterie  de  M.  Poirier  jeune.  Le 
propriétaire  faisait,  dit -on,  crédit  aux  fils  de 
famille  jusqu'à  leur  mariage,  de  sorte  que  lorsqu'ils 
étaient  mariés,  ils  avaient  à  payer  beaucoup  de 
chopes.  Monsieur  Jaspin  (dont  le  nom  est  ici  fort 
peu  changé,  de  deux  lettres  seulement)  était  un  de 
nos  amis,  petit  et  trapu,  aux  larges  épaules,  dont 
nous  admirions  la  longue  barbe  en  éventail  et  les 
discours  révolutionnaires.  Devenu  sous-préfet  en 
i8^8.  je  suppose  qu'il  doit  être  parvenu  aujour- 
d'hui aux  plus  grands  honneurs. 

Le  divan  Le  Peletier.  page  22 S.  —  Conti- 
nuons la  topographie  des  cafés.  Celui-là,  véritable 
cercle  de  la  littérature  française,  était  orné  d'un  joli 
petit  jardin.  Il  était  situé  en  face  de  l'Opéra,  dans 
la  maison  qu'occupe  l'hôtel  Victoria,  et  c'est  là 
que  j'ai  vu  pour  la  première  fois  Alfred  de  Musset. 
On  l'a  démoli,  on  n'a  pas  semé  de  chanvre  sur  la 
place;  mais,  ce  qui  est  plus  fructueux,  on  a  rem- 
placé le  jardin  par  des  boutiques  de  bronzes  et  de 


COMMENTAIRE.  3  7  j 


tableaux.  Le  divan  Le  Peletier  ne  ressemblait  à 
rien  autre  chose  au  monde;  on  y  causait  quelque- 
fois très-bien,  mais  il  n'y  a  pas  d'endroit  où  l'on 
ait  causé  plus  et  bu  moins  de  breuvages.  — 
Vieux  et  très-pauvre,  Guichardet,  qui  avait  été 
l'ami  de  Musset  et  des  hommes  illustres  de  183c, 
était  resté  distingué,  bien  élevé  et  discret,  en  deve- 
nant bohème.  Il  a  appartenu  à  l'absinthe;  mais 
elle  n'était  pas  parvenue  à  lui  ôter  ses  allures  de 
parfait  gentleman. 

Stadler,  page  2S0,  Triolet  1,  vers  1,  poëte 
raffiné  et  délicat,  est  l'auteur  d'une  comédie  tout 
à  fait  exquise,  intitulée  Le  Bois  de  Daphn:.  — 
Emmanuel,  page  23o,  Triolet  1 ,  vers  3,  a  fait 
en  astronomie  des  découvertes  qui  révolutionnent 
tout,  et  qui  ont  bien  l'air  d'avoir  raison.  Il  a  été 
question  de  le  traiter  comme  Galilée  et  de  lui 
faire  faire  amende  honorable  ;  mais  les  change- 
ments de  gouvernement  qui,  si  rapidement,  se  sont 
succédé,  n'ont  pas  permis  d'en  trouver  le  mo- 
ment, et  la  chemise  qui  devait  servir  à  la  cérémo- 
nie est  restée  pour  compte. 


^z^fy  f^sî^*si£\  vrs  vr 


Variations  lyriques. 


ÎY9^  "\}     °"  AMI     P0UR  LUI  RÉCLAMER  LE   PRIX 

d'un  travail  littéraire,  page  235. 
—  Cabochard,  page  23  ~,  strophe  3, 
vers  3.  —  C'est,  dans  Les  Saltimban- 
ques, l'ami  et  le  rival  de  Bilboquet,  dont  on  parle, 
mais  qu'on  ne  voit  pas.  A  un  certain  moment, 
comme  on  annonce  qu'il  a  fait  faillite,  Atala  de- 
mande .  <(  De  combien  manque-t-il?  »  Et  Bilboquet 
lui  répond  ce  mot  d'une  incroyable  profondeur  : 
«  77  manque  de  tout!  »   (Acte  II,  scène  m.) 

Ecrit  sur  du  exemplaire  des  Odelettes.  — 

Page  24.1,  strophe  1  : 

Quand  j'ai  fa.it  ceci, 
Moi  que  nul  souci 


COMMENTAIRE  375 

Ne  ronge, 
La  fièvre  de  l'or 
Nous  tenait  encor: 

J'y  songe! 

C'est  le  moment  du  grand  remue-ménage  finan- 
cier, où  on  fit  des  fortunes  si  rapides,  où  l'on  vit 
de  si  étranges  transformations,  et  où  de  simples 
hommes  de  lettres  (pas  des  poètes,  bien  entendu  !) 
devinrent  banquiers  et  millionnaires.  Il  y  en  eut 
qui  se  firent  bâtir  des  hôtels  en  jade,  et  d'autres 
qui  eurent  des  livres  grecs  tirés  sur  papier  de 
Hollande,  avec  grandes  marges,  On  dit  même 
que  l'un  d'entre  eux  voulut  acquérir  en  toute 
propriété  une  actrice  vierge  encore,  et  l'acheta  à 
sa  mère,  pardevant  notaire.  Ce  rapide  ballet  des 
hommes  de  lettres  enrichis  n'a  pas  été  un  des 
tableaux  les  moins  curieux  de  l'immense  féerie 
parisienne. 

Coutlet  sur  l'air  des  Hirondelles,  de  Féli- 
cien David.  —  Sans  Geffroy,  page  243,  vers  5 
—  Au  contraire,  il  faut,  toutes   les  fois  qu'on   le 
peut,  jouer  Le  Misanthrope,  non  pas  sans,  mais 


37<5  COMMENTAIRE. 

avec  Geffroy;  ceci  n'est  qu'un  jeu  tout  à  fait  fri- 
vole ,  et  j'ai  été  séduit  par  l'exactitude  avec 
laquelle  Sans  Geffroy  parodiait  le  Sans  effroi  du 
couplet  des  Hirondelles  : 

Voltige^,  hirondelles, 
Voltige^  près  de  moi, 
Et  repose^  vos  ailes 
Au  faîte  des  tourelles, 
Sans  effroi! 

VlLLANELLE  DES  PAUVRES  HOUSSEURS,  page  244. 

—  Dans  sa  Ballade  des  povres  housseurs  (édition 
Jannet,  1867,  page  119,)  Villon  plaint  de  tout  son 
cœur  ces  batteurs  de  tapis,  On  parle,  dit-il, 

De  ceulx  qui  vont  les  bleds  semer 
Et  de  ceiluy  qui  l'asne  maine, 
Mais  à  trestout  considérer, 
Povres  housseurs  ont  asse^  peine. 

Les  Normaliens  m'ont  fait  penser  à  ces  pauvres 
housseurs.  Ils  s'étaient  presque  aveuglés,  à  force 
de  se  faire  voler  de  la  poussière  dans  les  yeux,  et 


COMMENTAIRE.  377 

les  tapis  qu'ils  secouaient  notaient  pas  beaucoup 
plus  propres  qu'auparavant. 

Chanson  sur  l'air  des  Landriry,  page  24-. 
—  La  rime  par  à  peu  près  y  est  de  tradition  ; 
voyez  Voiture  [Autre  à  Madame  la  Princesse,  sur 
l'air  des  Landriry  —  Édition  de  1677,  tome  II, 
page  55.)  Ici,  le  fin  du  fin  et  la  suprême  habileté, 
c'est  d'imiter  la  négligence  et  le  sans-façon  de  la 
rime  populaire,  de  faire  rimer  les  mots  terminés 
par  un  S  avec  ceux  qui  sont  terminés  par  un  T, 
et  d'éviter,  au  lieu  de  la  rechercher,  la  confor- 
mité de  la  consonne  d'appui.  C'est  ainsi  que  l'art 
lyrique  a  des  lois  d'une  diversité  infinie,  qui  varient 
avec  chaque  genre,  et  presque  avec  chaque  poëme  ; 
le  malheur,  c'est  que  quand  on  commence  à  les 
apprendre,  la  vie  est  finie. 

Ballade  des  célébrités  du  temps  jadis, 
page  254.  —  C"est  la  parodie  du  poëme  de  Vil- 
lon, intitulé  Ballade  desdames  du  temps  jadis. 
(Édition  Pierre  Jannet,  1867,  page  34.)  J'ai  con- 
servé tel  qu'il  est  le  célèbre  refrain  de  Villon  : 
Mais  où  sont  les  neiges  d'autan!  et  j'ai  tâché  de 


378  COMMENTAIRE. 


mettre  mon  art  à  amener  ce  refrain  par  un  jeu 
de  rimes  tout  différent  de  celui  que  le  maître  avait 
employé. 

Du/aï,  page  -^4,  strophe  1,  vers  3.  — 
Alexandre  Dufaï.  critique  très-laid  et  très-sévère, 
est  mort  dans  une  misère  qui  aurait  désarmé  ses 
ennemis,  s'il  en  avait  eu;  mais  c'est  lui  qui  était 
l'ennemi  des  autres. 

Les  plâtres  de  Danta'n,  page  254,  strophe  I, 
vers  6.  —  Dantan  faisait  en  plâtre  des  caricatures 
d'hommes  célèbres  et  de  comédiens,  dont  il  écri- 
vait les  noms  en  rébus  sur  le  soc  de  la  sta- 
tuette. Exposée  chez  Susse,  aux  Panoramas,  cette 
galerie  de  grotesques  était,  de  1830  à  184.0,  la 
grande  joie  et  la  grande  ressource  des  flâneurs 
parisiens. 

Le  Globe  et  La  Caricature,  page  2^4.  strophe  1, 
vers  7.  —  Littérairement,  Le  Globe  était  une  sorte 
de  moniteur  du  romantisme,  et  c'est  là  que  Granier 
de  Cassagnac  fit  ses  premières  armes.  —  La  Cari- 
cature, où  dessinaient  Grandville,  Daumier,  Tra- 


c  o  m  m  r  n t A i R e.  379 

vies ,  Decamps  lui-même  ,  publiait  de  grandes 
planches  lithographiées,  dont  la  plus  célèbre 
est  La  Rue  Transnonain ,  ce  chef-d'œuvre  de 
Daumier. 

Venet.  page  254.  strophe  2,  vers  1 .  —  Avant 
d'écrire  à  L'Univers  et  d'y  faire  un  feuilleton  de 
théâtres  pour  dire  qu'il  ne  faut  pas  aller  au 
théâtre,  M.  Venet  avait  été  le  secrétaire  de  la 
rédaction  du  Paris,  ce  journal  de  M.  de  Ville- 
deuil,  rédigé  par  Alphonse  Karr,  Méry,  Edmond 
et  Jules  de  Goncourt,  Murger,  Xavier  Aubryet. 
Gatayes ,  Dumas  fils,  Gozlan  ,  pour  lequel 
Gavarni  dessinait  tous  les  jours  une  lithographie, 
et  où  il  publia  toutes  ses  Œuvres  nouvelles.  C'est 
là  aussi  que  M.  Venet  a  rédigé  les  Mémoires  de 
3/me  Saqui ,  sous  la  direction  de  cette  grande 
funambule. 

Bataille,  page  255 ,  strophe  2,  vers  2.  — 
C'est  Charles  Bataille,  l'ami  et  le  collaborateur 
d'Amédée  Rolland  et  de  Jean  du  Boys.  —  Ces 
trois  enfants,  enfermés  à  Batignolles  dans  une 
maisonnette  à   jardin,   avaient  rêvé  de  mettre    la 


380  COMMENTAIRE. 

poésie  en  coupe  réglée  et  de  s'en  faire  des  rentes. 
Ils  composaient  et  faisaient  représenter  des  pièces 
en  cinq  actes,  chacun  d'eux  écrivant  son  acte  en 
vers  le  matin  avant  déjeuner.  Après  avoir  fait 
d'extraordinaires  dépenses  de  talent  et  d'invention, 
tous  les  trois  sont  morts  à  la  peine,  car  les  poètes 
ne  doivent  pas  gagner  de  l'argent. 

Ballade  des  travers  de  ce  temts.  —  Le  doc- 
teur, page  260,  strophe  1,  vers  5.  —  C'est  le 
docteur  Louis  Véron.  —  Montjoye,  page  260, 
strophe  i,  vers  6.  —  Peintre  et  auteur  drama- 
tique d'un  très-grand  talent,  Montjoye  avait  reçu 
tous  les  dons,  sans  en  excepter  l'esprit  et  même 
\i  beauté  —  Mais  il  ignorait  que  l'artiste  n'a 
pas  le  temps  de  vivre,  et  doit  se  cloîtrer  comme 
un  cénobite.  Il  se  jeta  à  cœur  perdu  dans  des 
amours  romanesques  et,  quand  vinrent  les  désillu- 
sions, se  consola  avec  l'absinthe  :  on  devine  le 
reste!  —  Machin  (du  Tarn,)  page  261, 
strophe  2,  vers  7.  —  Je  crois  bien  que  c'était 
M.  Pages  (du  Tarn  )  On  le  trouvait  excentrique, 
parce  qu'il  refaisait  à  la  moderne  les  tragédies  de 
Racine  et  les  costumait  en  habit  noir;  on  ne  devi- 


COMMENTAIRE.  381 


nait  pas  alors  que  plus  tard  nous  devions  revoir 
cela  couramment,  avec  M.  Touroude.  —  Champ- 
fleur  y,  page  261,  strophe  2,  vers  g.  —  Nous 
avons  été,  Champfleury  et  moi,  des  adversaires 
littéraires;  mais,  lui  et  moi,  nous  aimions  l'art 
trop  sincèrement  pour  ne  pas  nous  trouver  d'ac- 
cord lorsque  les  querelles  d'école  se  sont  effacées 
devant  la  préoccupation  unique  de  sauver  la  mai- 
son qui  brûle  ! 

Monsieur  Coquardeau,  page  2 63.  —  J'ai  osé 
m'emparer  d'un  type  créé  par  Gavarni,  et  le  trans- 
porter dans  la  poésie;  mais,  voulant  composer  un 
Chant  Royal,  j'avais  besoin  d'"un  roi  incontesté,  et 
le  choix  n'était  pas  facile. 

Page  265,  strophe  1 }  vers  2. 

Dans  ton  salon,  qu'ornent  des  Mazeppas. 

Il  serait  bien  malaisé  de  se  figurer  Coquardeau 
n'ayant  pas  dans  son  salon  des  Mazeppas  à  la 
manière  noire.  S'il  ne  prenait  le  soin  d'acheter  ceo 
gravures,  de  les  faire  encadrer  et  de  les  clouer  sur 


302  COMMENTAIRE. 


son  mur,  elles  y  écloraient  d'elles-mêmes,  comme 
les  vioiettes  dans  les  bois.  —  Arpin.  page  2  65, 
strophe  2,  vers  3.  —  C'est  un  lutteur  de  la 
troupe  de  Rossignol-Rollin.  qui,  en  d'autres  âges, 
aurait  combattu  les  Dieux,  ou.  comme  dit  Racine, 
purgé  la  terre  de  ses  monstres.  De  nos  jours,  il  a 
dû  se  contenter  de  terrasser,  à  la  salle  Montes- 
quieu, des  athlètes  en  caleçon.  Avec  un  biceps  ter- 
rible, il  est  infiniment  doux,  et  sa  voix  est  cares- 
sante comme  un  chant  de  flûte. 

Monjelet  d'automne,  Pantoum,  page  267. 
—  La  première  révélation  du  Pantoum  nous  fut 
donnée,  en  France,  parles  traductions  de  pantoums 
malais  que  Victor  Hugo  a  publiées  dans  les  notes 
des  Orientales.  D'après  ces  modèles,  M.  Charles 
Asselineau  écrivit  un  pantoum  qu'il  publia  dans 
une  Revue  belge,  et  celui-ci  est  le  second  qui  ait 
été  écrit  en  français.  Ces  deux  chants  divers,  qui 
sont  tressés  ensemble  par  le  lien  d'or  de  la  rime, 
formeraient,  sous  la  main  d'un  grand  artiste,  un 
poëme  original  et  d'une  nouveauté  délicieuse. 

Réalisme.  —  Page  2-2 ,  vers  23  et  suivants  : 


COMMENTAIRE.  383 

Puisque  je  ne  suis  pas,  moi  charmé  dans  vos  fêtes, 
De  l'avis  de  Go\lan,  sur  ce  que  les  poètes 
Durent  un  demi-siècle  à  peine... 

C'est  dans  un  article  de  Revue  que  Gozlan  avait 
écrit,  à  propos  des  poètes  modernes,  la  funeste 
prédiction  que  je  lui  reproche  plusieurs  fois  dans 
le  cours  de  ce  livre.  Peut-être  était-ce  moi  qui 
avais  tort,  car  c'est  déjà  bien  joli  de  durer  cin- 
quante ans;  «  il  y  a  cependant  à  Paris,  comme  dit 
Fortunio  à  la  fin  de  sa  lettre  à  Radin-Mantri,  un 
poëte  dont  le  nom  finit  en  go,  qui  m'a  paru  faire 
des  choses  assez  congruement  troussées  ». 

MÉDITATION  POÉTIQUE  ET  LITTÉRAIRE,  page  2  ~4. 

—  C'est  la  parodie  du  poème  de  Victor  Hugo 
(les  Rayons  et  les  Ombres,  v  )  qui  commence  par 
ce  vers  : 

On  croyait  dans  ces  temps  oit  le  pâtre  nocturne... 

Fournier,  page  2-5,  strophe  2,  vers  4.  — 
C'est  Marc  Fournier,  qui  alors  dirigeait  la  Porte- 
Saint-Martin,  et  équipait  le  brick  du  Fils  de  la 
Nuit. 


384  COMMENTAIRE. 

Page  2j5,  strophe  2,  vers  5  : 

Henri  La  Madelène  a  fait  du  carton-pâte  : 

Ce  charmant  écrivain  s'était,  en  effet,  rendu 
acquéreur  d'une  fabrique  de  carton-pâte  ou  pierre, 
comme  on  voudra,  qu'il  dirigea  lui-même  pendant 
quelque  temps.  Comme  Balzac,  il  a  toujours  été 
féru  de  l'idée  de  réaliser  une  fortune  rapide,  en 
trouvant  des  trésors  caches,  en  fondant  des  casi- 
nos dans  les  déserts,  ou  en  cultivant  des  ananas  à 
la  barrière  Montparnasse  ;  et.  comme  Balzac  aussi, 
il  n'a  jamais  gagné  d'argent  qu'en  écrivant  sur  du 
papier  On  part  comme  cela  avec  confiance  pour 
le  pays  des  Philistins;  mais  les  poètes  français  n'y 
arrivent  jamais,  parce  qu'ils  ignorent  trop  con- 
sciencieusement la  géographie. 

La  Sainte  Bohème,  page  2~g.  —  En  compo- 
sant cette  chanson,  je  me  suis  armé  de  tout  mon 
courage  pour  écrire  le  mot  :  Bohème,  que 
j'exècre  ;  cependant  j'ai  voulu  le  délivrer  des  hail- 
lons et  des  viles  guenilles  dont  on  l'avait  affublé, 
et  le  débarbouiller  avec  l'ambroisie  à  laquelle  il  a 


COMMENTAIRE. 


ï8S 


droit.  —  Mais  qu'il  faut  d'humilité  et  de  résigna- 
tion pour  toucher  à  des  sujets  où  les  poncifs 
abondent,  comme  les  grandes  herbes  dans  les  eaux 
de  la  Seine  ! 

Le  Saut  du  Tremplin,  page  28-.  —  Dans  ce 
poëme  final,  jrai  essayé  d'exprimer  ce  que  je  sens 
le  mieux  :  l'attrait  du  gouffre  d'en  haut.  Et  puis 
une  des  superstitions  que  je  chéris  le  plus  est  celle 
qui  me  pousse  à  terminer  un  livre,  quand  je  le  puis, 
par  le  mot  qui  termine  La  Divine  Comédie  du 
Dante,  par  le  divin  mol,  écrit  ainsi  au  pluriel  : 
Étoiles. 


Paris,  août  1873. 


25 


o/^*>£};< 


oVCs^ofô 


LE   FT^O^tlSTICE 

DE     VOILLEMOT 

1  ar  les  galons  d'une  heureufe  Tempe, 
Sur  le/quels  flotte  un  rideau  de  théâtre. 
Heurtant  le  fol  en  cadence  frappé, 
Des  Satyreaux,  effroi  du  jeune  pâtre, 
Bondiffent  nus.  comme  un  troupeau  folâCrc; 
Et  fur  un  tertre  affls,  dans  ce  vallon 
Où  fi  fouvent  la  flûte  d'Apollon 
Nous  attirait  en  nos  folles  jeune ff es, 
Gille  attentif,  avec  f on  violon, 
Guide  le  chœur  des  petites  FaunejTes 

Septembre  1873. 


;c 


VÎCHE'VÉ   D'I^lT'RjaiET^ 
1873 

i   endant  ce  trijle  Octobre  pluvieux, 

Que  le  ciel  mouille  &  que  le  vent  balaie, 

Mon  livre,  ieune  en  même  temps  que  vieux, 

Où  notre  fiecle  a  vu  faigner  fa  plaie, 

Comme  il  convient,  fut  imprimé  che^  Claye. 

Il  ne  contient  ni  fiel,  ni  lâchetés. 

Dvje  it  rugir  les  tigres  tachetés, 

Et  les  ferpents  mordre,  &  les  ânes  braire, 

Il  n'en  a  cure,  &,  si  vous  l'acheté^, 

Il  se  vendra  che;  Lemerre,  libraire. 

20  octobre  i8jf.  — /.   Claye,   imprimeur, 
•j,  rue  Saint-Benoit,  Paris. 


5Cff£ 


£5^ 


ToA'BLE 


Pages. 

AVERTISSEMENT      DE      LA      DEUXIÈME 

ÉDITION „ 

PRÉFACE g 


Gaietés. 

La  Corde  roide •     -     .  21 

La  Ville  enchantée •     .  25 

La  belle  Véronique t  31 

Mascarades 3  S 

Premier  Soleil 46 

La  Voyageuse,  /l  Caroline  Letessier,     .     .  49 


39° 


Évohé. 

NÉMÉSIS    intérimaire. 

Pages. 

Eveil.      ............  57 

Les  Théâtres    d"enfants.     ......  64. 

L'Opéra  turc .     .     .     -  70 

Académie  royale    de  musique.      ....  76 

L'Amour  à  Paris.     .     .     .     .     .     c     ..     .  94 

Une    vieille  Lune.     ........  loi 


Les    Folies-Nouvelles. 


PREFAC E 


io3 


Les  Folies-Nouvelles.     .     ,     „     =,     «     .  113 

Autres   Guitares. 

L'Ombre    d'Eric 138 

Le  Mirecourt t  I4.1 

V le  baigneur 14.4. 


59* 


Pages. 

La  Tristesse  d'Oscar i+9 

Le    Flan   dans   l'Odéon i5  + 

L'Odéon 159 

Bonjour,  Monsieur   Courbet 162 

Nadar         ,     .                165 

Reprise  de  La  Dame.     .......  170 

Marchands  de  crayons  .......  175 

Nommons  Couture! ,  185 

Le    Critique   en   mal  d'enfant.     .  190 


Rondeaux» 

Rolle  n'est    plus    vertueux 196 

Mademoiselle  Page .  198 

Brohan ,.     .  200 

Arsène 202 

Madame  Keller ,  204. 

Adieu,  Paniers.     .                ,  206 

A  Désirée  Rondeau ,  208 


392 


Triolets. 

Pages. 

Mort  de  Shakspere 210 

Néraut,  Tassin  et  Grédclu.     .....  211 

Grédelu 212 

Tassin    ............  213 

Néraut.      . 214. 

Feu  de  Bengale .     .     .  215 

Leçon  de  chant 216 

Académie  royale  de  Mus 217 

Du  temps  que  le  maréchal  Bugeaud  pour- 
suivait   vainement   Abd-el-Kader  .     .     .  218 

Age  de  M.  Paulin  Limayrac 219 

Bilboquet 220 

Elève  de  Voltaire! 221 

Monsieur  Homais 222 

Polichinelle  Vampire 223 

Opinion  sur  Henry  de  La  Madelène.     .     .  224. 

Note  rose 225 

Monsieur  Jaspin 226 

Le  divan  Le  Peletier 228 


393 


Variations   lyriques. 

Pages. 

Ma  biographie.  A  Henri  d'Ideville.     .     .  231 
A   un  ami,  pour  lui   réclamer  le  prix  d'un 

travail  littéraire     ........  23$ 

Villanelle  de  Buloz     . 239 

Écrit  sur  un  exemplaire  des  Odelettes.     .  24.1 
Couplet  sur  l'air  des  Hirondelles,  de  Féli- 
cien David 243 

Villanelle  des  pauvres  housseurs  ....  244 

Chanson  sur  l'air  des  Landriry  ....  247 

Ballade  des  célébrités  du  temps  jadis.     .     .  254, 

Virelai,  à  mes  éditeurs 256 

Ballade  des  Travers  de  ce  temps  ....  260 

Monsieur  Coquardeau,  Chant  Royal.     .     .  263 

Monselet  d'automne,  Pantoum     ....  267 

Réalisme 270 

Méditation  poétique  et  littéraire.     „     .     .  274, 

A  Augustine  Brohan 276 

La  Sainte  Bohème o  279 

Ballade  de  la  vraie  sagesse .  284, 


26 


394 


Pages. 

Le  Saut  du  Tremplin.  .     ,  287 

A     ALPHONSE     LEMERRE       .       .        .       .       .  2Ç2 

Commentaire. 

COMMENTAIRE.    1873 293 

Gaietés.     .  ,     .  296 

Evohé,  Némésis  intérimaire 303 

Les  Folies-Nouvel L  s 324. 

Autres  Guitares  .........  331 

Rondeaux 360 

Triolets 364. 

Variations  lyriques .  374, 

LE     FRONTISPICE     DE     VOILLEMOT.        .  386 

Achevé  d'imprimer,  1873 387 


Paris.  —  Inipr.  A.  Le  m  erre,  6,  rue  des  Bergers. 


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Les   Cariatides.  —  Roses  de  Noël,   i  v.     12  fr. 

Les   Stalactites.  —  Odelettes.  — 

Améthystes.  —  Le  Forgeron,    i  vol.     12  fr. 

Le    Sang  de  la    Coupe.    —   Trente-six 

Ballades  joyevses.    —   Le  Baiser. 

i  vol. 12  fr. 

Les  Exilés.  —  Les  Princesses,    i    vol.     .     12  fr. 

Idylles    prussiennes.     —    Riquet    a    la 

Houppe,   i    vol 12  fr. 

Odes   funambulesques,    i  vol 12  fr. 

Occidentales.   —   Rimes  dorées.  — 

Rondels.  —  La  Perle,    i    vol..     .     .     12  fr. 

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4. -6072.  —  Inipr.  A.  Lemerre,  6,  rue  des  Bergers.  —  Paris.