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Full text of "oeuvres de walter scott"

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\ 



^ #» 



w. 



OEUVRES 



DE 



WALTER SCOTT 



TOME XXIV. 



X 



lUPBlUBRIE D8 II. FOURMëR, 






THADlCTIOy 

DK A.J.B. DKFArCOM'UET. 



FURNK.CH.COSSELIN.PERROTIN, 

ÉDITEURS, 

185."). 



OEUVRES 



DE 



^^ALTER SCOTT 



TRADUITES 



PAR A. J. B. DEFAUCONPRET, 

AVEC LES INTRODUCTIONS ET LES NOTES NOUTELLES 

Dl LA DERHlKtl AoiTlOlt D'ioiytOORC* 



»«••« 



TOME VINGT-QUATRIÈME. 



ROBERT, COMTE DE PARIS. 



PARIS , 



FURNE, CHARLES GOSSELIN, PERROTIN, 

ÉDITIURS. 

M DCCC XXXVI. 



/ 



INTRODUCTION 

A LA QUATRIÈME ET DERNIÈRE SÉRIE 



ou 



CONTES DE MON HOTE, 

RECDEILUS ET POULliS 

PAR JEDEDIÂH CLEISHBOTHAM, 

1IAÎTK.Z D'ioOUI ST SACmiSTAIV DE LA PAROISSK DK OAVOnLCLlUOH , 

ST BZVFBaMAlTT : 

ROBERT DE PARIS— LE CHATEAU PÉRILLEUX. 



JEDEDIAH CLEISHBOTHAM, M. A. 

SOUHAITE 

AU BIENVEILLANT LECTEUR 

SAMT^ ET PROSPl^RITlI. 



INTRODUCTION. 



Il me conviendrait mal à moi, dont le nom s'est fait connaître à 
l'étranger à la iàyear des premiers recueils portant le titre de 
CotUesdem&n MUte^ et^swsdîapoaéàisrare^ gt*âeèttiucassa- 
nmces eaAdidesd'ime fenle^ m omtare tt se <de iaelBWPi , qmje mérile 
ttOB-seidnMEiit4iM>WHiefloire> iMisansal iM^résèmpensei {dvs 
{ractueiises èa sérier d'éoririliB loraipiU' est coUreAkié par 4e 
««ooàs$ il me eon^tiidraît mal, dis*je| debdsiarientfto dans le 
«mmdele plus jemeeafastide ma {^me> etcBméme tdapa ceU 
npi sera pFQblableBMit*4e dernier de ma milkssei.aftas offrir 
i^pielqaes madestee^ ap a h ig i as de «es 4é£wila, onwme o'était mon 
habitude dans de semblaUes ecoasioM% «Le mbniea Aé snfifisam* 
ment inatmil de oetté yéviléy qne je ne «snift jpasî 1» peraonae i 
lafoelle on doit atteamet yinTeit ti — l on le éesaîn des plans sur Imp 
fBdbi ces eentés, qœ le keWorvm trouvée eix«gréaMw,: forait 
fHfimiti vMii ttt constroits » ps^s pfais.l|M{eiiesuftU^ameractMl 
ifaà^ pourra >par an habile andiiteete-A'aB plan exact eu étaient 
^oompriset des éléyations'et des directions taÉtgénéndeeqœ par* 
ticnÛères, a travaillé depmis à> conqiléter la fiinne'et les propor- . 
tiens de chaque division de Tédifice ^% Néanmoins je sais ineonte^ 
iablement celai qui, en plaçant son nom en téta de rentreprisa^ 
Vest rendu principalemant responsable de een succès général. 
Lorsqu^un vaisseau de gverre part pour le combat chargé d'un 
"équipage 4e nombreux matelots et d'officiers de différons grades, 
on ne dit pas que ces individus sriNNrdonnés à d'autres ont perdu 
on gagné le vaisseau qu'ils défendaient ou qu'ils attaquaient (bien 
que chacun d'entre eux fàt aesez aùtif dans ses diverses attribu- 
tions); mais on répand partout le I^uit , sans y ajouter d'autres 
phrases y que le capitaine Jedediah Glmhbotham a perdu tel 
soixani€^fttaiarze , ou gagné celui qui , gr&ce aux ^orts réunia 

I. Le lectMb doit ranirqner qae Walter S oott fiùt'pnlèr ici J«d«diih dsithbotiiain, qui attribae 
les CnUis dt mon Uâtt à Peter Pattieson. 

I. 



4 INTRODUCTION* 

de tous, a été pris sur rennemi. Ce serait de la même manière une 
honte, si moi, le capitaine volontaire et le fondateur de ces ou- 
vrages , m'étant en trois différentes occasions attribué les émola* 
mens et la réputation qui en étaient le résultat, je voulais esquiver 
les périls de cette quatrième et dernière entreprise. NonI je 
m'adresserai plutôt à mes associés avec le courage constant de 
l'héroïne de Mathieu Prior : 

« T'ai<je senlement propoM de m'embirqaer «▼«: toi snr la sarface unie d'une mer d'été, et 
d'abandonner tes ondes pour retonmer sur le ringe lorsque les Tents souffleront et que les vagues 
seront agitées * f » 

- Il conviendrait aussi peu à mon âge et à ma position de ne 
point reconnaître sans chicane certaines erreurs qu'on pourra 
trouver avec justice dans cette quatrième série des Conies de mon 
Hôte. — Ce dernier ouvrage ne fut jamab revu ni corrigé par 
M. Peter Pattieson, puisque celui-ci n'existe plus; —«c'est le même 
et digne jeune homme dont le nom fut si souvent répété dans ces 
introductions, et jamais sans ces éloges sur son hou sens, ses 
talens et même son génie, que l'aide qu'il prêtait à mon entreprise 
lui donnait le droit de réclamer de l'ami et du patron qui lui survit; 
•— ^ces pages, je l'ai dit, furent VuUimus labor de mon ingénieux 
ami : nuiis je ne dis pas, comme le grand docteur Pitcairn de son 
héros : ultimus atque opUmus* Hélas! l'étourdissement qu'on 
éproute sur la route de fer de Manchester n'est pas aussi dange- 
reux pour les nerfs que des voyages trop fr équens dans les chars 
rapides. du 'monde: idéal; ils tendent à rendre l'imagination confuse 
et à frapper le jugement d'inertie; c'est une remarque qui a été 
{edte dans tous les siècles ^ non-seulement par les érudits, mais 
encore par beaucoup d'Offelis} eux-mêmes, à l'esprit épais. La 
marché rapide de rimagination dans de tels exercices, où les 
souhaits de l'écrivain sont pour lui comme la tapisserie du prince 
Hussein dans les Contes orientaux^ est-elle la cause principale du 
danger? ou , sans nous arrêter à la fatigue de ce mouvement, 
l'habitation continuelle dans ces régions de l'iinagination est-elle 
aussi peu convenable pour l'intelligence de l'homme qu'il l'est pour 
sa construction physique de respirer pendant trop long-temps 
« — Pair subtil du sommet des montagnes? » — c'est une question 
qui ne m'appartient pas ; mais il est certain que nous découvrons 

j. Bdlade de la Belle Bronst 



INTRODUCTION. * 5 

souyent dans les ouvrages de cette première dasse d'hommes, des 
signes d'égarement et de confasion qa'on n'aperçoit pas aussi 
fréquemment dans ceux des personnes auxquelles la nature a 
doimé une ima^oation dont les ailes sont plus faibles ou le toI 
moins ambitieux. 

n est pénible de yoir te grand Michel Geryantes lid-méme , 
semblable aux fils d'hommes plus simples , se défendre contre les 
critiques de l'époque, qui Tattaquaient sur quelques, petites con- 
tradictions et inexactitudes qui sont sujettes i obscurcir les pro- 
grès d'on esprit même aussi supérieur que le sien , lorsque les 
ombres du soir commencent à Fenyelopper • 

« — C'est une chose fort ordinaire , dit Don Quichotte, que les 
hommes qui ont obtenu une grande réputation par leurs ouvrages 
avant qu'ils aient été imprimés, la perdent entièrement, ou du 
moins en grande partie, après. — La raison en est bien simple, 
répondit le bachelier Carrasco ; leurs fautes sont plus' facilement 
découvertes lorsque les livres sont imprimés et plus soigneusement 
examinés ; et surtoitt si Fauteur a été beaucoup vanté auparavant, 
la sévérité de Texamen en est d'autant plus grande. Ceux qui se 
sont créé un nom par leur propre génie, les grands poètes et les 
historiens célèbres, sont or^airement, sinon toujours, enviés par 
mie classe d'hommes qui trouvent leurs délices à censurer les 
ouvrages des autres, bien qu'ils ne soientcapables de rien produire 
eQx-mèmes. — Cela n'est pas surjH'enant,, reprit Don Quichotte; ' 
il 7 a beaucoup de théologiens qui feraient de fort mauvais prédi- 
cateurs, et cependant qui sont assez prompts à trouver des défauts 
et des paroles superflues dans les sermons des autres. — Tout cela 
est vrai, dit Carrasco, et je désirerais que de pareils censeurs 
fiissent plus miséiicordieux, eussent moins de scrupules et ne 
s'attachassent pas avec si peu de générosité à de petites taches qui 
ne sont que des atomes sur la surface d'un brillant soleil. Si 
oliqaando darmiat Homerasyqa'ÛB pensent combien de nuits il se 
tint éveillé pour présenter ses nobles ouvrages à la lumière, aussi 
peu obscurcis de défauts que possible. Et il arrive souvent que ce 
qni est critiqué comme une faute est plutôt un ornement, de même : 
que des signes ajoutent souvent à la beauté d'un visage. Quand ^ 
tout est dit, celui qui publie un livre court de grands risques ; car 
il n'est pas {nrobable qu'il en ait c<miposé un capable d'obtenir, 
l'approbation de toutes les classes de lecteurs. — Il est sûr, repartit ; 
Don Quichott», que celui qui park de moi ne peut avoir plu qu'à 



\ 



fr itwn0»iîcaioir.i[ 

nja petit «oiriMre» *^ C? «si tout le con«ram> vépiofidit GarrAMo; 
car comme m/îtuiiu est namems stviiorum, de même un nombre- 
hi&m 9l admiré yolre histoire. Qaelqiie6*aQ6;seakment ont aecnaéi 
l^EiQteqir d'an mai^pie de mémoire o«i de sinoérité) parce qu'il 
oublia de donner dés détails sur la manière dont Tâne de Saneho 
f qit volé. Cette pavtpcidsdrîlié ik'est pa9 mjentionnée ; on voit seule- 
ment, par l'histoire, qu'il fat pris., et eefwàMty plus tard , noua.: 
Y4>y<ms l'écuyv mente surlemi^ne ânci, sans çi'aucune lumière) 
soît jetée sur cette affaire^ Puis on dit eacove que 1' a»tear oublie 
d'apprendre au tectenrce que Sancho fit des cent pièces d'or qu'il 
trouva dans le porte-maateandevla SierranMoimMi^ caron n'en dit 
pas un mot non plus; baancoupde gène désireatis^eir ce ^'il en 
fit et comment il les dépensa. C'est im des pvincipaox. points sm^ 
lesquels Pouvrage est jugé défectueux. -^ » 

Aucun kétémr ne peut avonr od»lié combien Sancfao est amusant < 
lorsqu'il éclaircit lea obscurités ai»qiielles le badielier Carrasce 
fait alluMon ; mais ii reste enccNre assez de semblables lacanœ ,. * 
i9advi«tancea et méprises^ pour exercer le géai» de ces critique» 
espagnols qui s'estimaient trop dans leur sagesse pour profiter desi 
aimsd>les et modestes excuses de cet iuHnortel auteur. 

& Cervantes fefit voulu, il n^j a pas de doute qu^il aurait pu. 
(^excuser sur sa mauvaise santé et les souffrances qu'il prouvai*; 
est finissant la seconde partie de Don Quichotte. Il est évident que « 
les intervalle^ que la maladie laissait à Cervantes n'étaient pas 
bien favorableapour revoir desc(»qpositionsi^ères et corriger au; 
moins les erreurs les plus grossières et les impeiièctions que 
chaque auteur devrait, quand cela ne semt que par amour- 
propre , effacer de ses cubages avant de lea «(poser à la Imnière. 
du grand jour, où en pourvu les apercevoir distinetemoit , et où il' 
ne manquerait pas d^ailleurs de personnes offieiensca qm se char<* 
géraient de .les> faire renar^pier w 

Il est temps maintenant 'd'el|pliqu^r danequel àeaaein noua avwa^ 
rappelé les légères erreursde Vi»UDitable Cervantes i et ces paa- 
sages dans lesquels il a plâtôt défiéseaadversairesiqu'il n'a plaidé 
se propre cause) car je suppose qu'on reconnaîtra fiaeilement qafi^> 
la ^stance est ivof immense entnre le ^ énie de l'Espagne et nouan 
mêmes, pour noua permeltre de^ mms sièrvir d'iun bpudier qei; 
n^était formidalDile que par la osain peureuse âsasdefudile ilétait^ 
placé. 

I/bistoire>de mea.pmMirea pdblipètiensiastjeyumet>Jen' tjih ai i < i 



mmxfvotto». 7 

fliiiwpas BOd {du» le desieiiide tenmner ces ConUs de mon BStM 
fBont 0« une n bettrauft fortune; mais la m^t qaiVapproohe 
ie^BOQs tons d'u jm» aileameK re UT awailam >a flem» ria^ëmeiui 
jenehoMiiie à la mémaiie'diMtaél j^i eoiiipo«é*ati6 épkapbe et 
éngéy à mm propree fea»^ wwenMaBat^ pareiége ses «estes an 
bsrdde la vifièfe Gander, ^fîl A^eeMribttAèirendreiflMiiiMteilei 
dauvi lieii'de8oiipff<qm'eMxetpeaék»gfté:^ 

^ona direoiioD. Ea na aer,' M. Pattiasonoie ftil rairi'poiir iu 



Jem bornai pas «seal a r a e in m a a tsome à* eene'gléiie peelhiiiiie , 
iBiia.je£» Ym^aStàsob des elhis qa'd lama > efr je les 'censertaî ^ 
priiifittiemcu t iui»petitegaideNrrt)e> qmlfMSJivres imprimëai 
tfaaftplBêfraade iny a m aa s» , aûi8i^[«eeertabis4BMnmsc»it8 tachés 
^ejedéeemriadanaeen armoires Ebleepareavraiity jeTisqn^ 
leaieaniiaieiit deux eenlM ; a^^paléa, f un- JMm^, ^amte de Paris^^ 
YbMxb^ le ChiiHm fMUemx^ maiyje >ftis. singttlièyfa»o» t >déBapN' 
psinlé eain?aperceyaiit faSIs» Pf^étaigiH' m iiismwit^iâitis oelétat'de 
oorrectioncpii aurait parlé toatepersemeespérâsieiitëvà s'éerier, 
dsns lelaBgage tecluûqiiede lâlibraîrie i « 116a à metti^ sous 
prssae. » 11 y a^ait nen-^seiilemeiit iiaiae ^aUede/bndip mds de 
gcatea machvomsnies et amrasin^Mîaës, ^^snmii effeteés nne 
lérâkm fidtoàplaisiry si H. I^ittîeseB ami« ea le temps de la 
AptàaaTSÎrpareoiira aitmtivemeiir «es mattsseriM^, je me flattai 
qofi^ oMlgrélaws débats^ ilacometiaieiitçàet là'des passages qtûà 
fnmmmsA^qai^ de péuibliBS soalliratticea n'aiakni paa ^té capables 
dVkaadi^cetae îmagHMtiOB briUameqiie lemoiide Btt^ 
phà reoonnailre dans les eréatÎQiisdëe AHttem^ iPEoasse, de la 
Fianeée detLammermoor^ et autres osniesé Mais je itjjetai cepen- 
dant le mnanserit dans un tirmr, résolu de ne pemt le^sonmettre à 
l'ijprarre BaHaatymenne ^, jnsfa^à ce qM je pusse obtenir Fassie- 
uakOB^ie- qçaeique personne eapdile de siq^sléer à ce qui monqnei 
de corriger les errenrsi afin qu'ils pussent être offerts au pnblii'y 
ea^ipeue-âtre qmdes oeeupotiofis sérieuses nm permissent d'em- 
ph^er moHuèttie montempsà cette tftehe. 

Tanfia que j'ëtms dms cette ineertitudey je reçus la^Tîsite d'un 
franger; il mefnt ananoneié comme un jeune komme déàirsnt me 
pttbt pcvrafitfreparticuIiàre.JepeniaiauBsi^pi^ était questii)!! 

dWanarvel eoelîar^ nmireelie idée fut tout à ^coup r^rimée en 



8 INTRODUCTION. 

observant que Textédear de l'étranger était , au degré le plus re« 
marquable, ce que mon hôte de l'aoberge de sir.Williiim Wallace 
appelle grenu dans sa phraséologie. Son habit noir avait da* ser- 
vice , son gilet d'étoffe grise attestait par des signes plas visibles 
encore qu'il avait assisté à plus d'une campagne , et la troisième 
pièce de sa toilette avait encore plus de droits que les deux antres 
aux invalides. Ses souliers » chargés de boue, attestaient que son 
voyage avait été pédestre, et .un fnawd de couleur grise, maptaid 
de berger, qui flottait autour de sa taille amaigrie, complétait un 
équipement qui , depuis le temps de Jnvénal , a toiy ours été la livrée 
d'un pauvre savant. Je conclus donc que je voyais, un candidat 
pour la pkce vacante de spus-maître« et je me préparai à écouter 
ses propositions fivec la dignité qtû convenait à ma position.- Mais 
quelle fut ma surprise lorsqu'il se trouva que j'avais devant les 
yeux, dans la personne de ce rustique étudiant, Paul, le frère de 
Peter Pattieson, venu pour rec^ieillir la succession de son f^^re, et 
qui semblait n'avoir pas une mince idée de la valeur delà partie de 
pette succession qiii consistait en productions de sa plume ! 

Par le rapide examen de sa personne , je m'aperçus que ce Paul 
était un garçon rusé, ayant quelque teinture des lettres, comme 
son frère si regretté ,^ mais totalement dépourvu de ces qualités 
aimables qui m'avaient souvent porté.à me dire intérieurement que 
Peter était, comme le fameux John Gay,-^« un homme pour l'es- 
prit , un enfant pour la simplicité. — » Il attachait peu d'importance 
à la garde-robe de mon défunt ami ; les livres n'avaient pas beau- 
coup pins de valeur à ses yeux : mais il demanda d'un ton péremp- 
toire d'être mis en possession des manuscrits, alléguant, avec oh- 
stination, qu'aucun marché positif n'avait été terminé entre. son 
défunt frère et moi, et enfin produisant à ce sujet Fopinion d'un 
greffier ou d'un homme d'affaires , sorte de personnes avec les- 
quelles j'ai toujours eu soin d'avoir aussi peu de chose à démêler 
que possible. 

Mais une défense m'était laissée ; elle vint à mon aide , tanqaam 
deus ex machina. Ce rapace Pattl Pattieson ne pouvait prétendre 
à m'enlever les manuscrits disputés, à moins de me payer une 
somme d'argent considérable, que j'avais avancée à différentes 
'époques au défunt Peter, particulièrement pour acheta une petite 
jrente à sa vieille mère. Ces avances, les frais de funéraiUes et 
autres dépenses, montaient à une somme assez forte, que le pauvre 
étudiant ainsi que son conseiller prévoyaient avoir une grande 



iRinoDucnoN. 9 

diCSeiiIté à payer. Ledit M. Paal Pattieson écouta ànmc une pro- 
position qae je laissai tomber comme par accident. Je loi dis que, 
s'il se sentait capable de remplir la place de son frère et de rendre 
son ouvrage digne de l'imprelsion , je loi accorderais dans ma 
maison la table et le logement, tandis qjofû serait ainsi occapé, 
requérant seulement son assistante, dans Toccasioni poorfidreré-i 
péter les plus aTancés de mes écoliers. Gela semblait promettre à 
nos dbpntes ani terme également satisfaisant pour tons les partis ^ 
et le premier acte de Panl fat de tirer snr moi, pour nne somme 
assez r<mde, sons prétexte qne sa garde«r6be devait être renou- 
velée. Je ne fis aucune objection , bien que certainement il fît 
predve de yanité en se &isant habiller à la dernière mode, lorsque 
non-seulement une grande partie des vêtemens du défunt pou- 
vaient encore se porter une année ; mais , en outre , comme je ve- 
nais de me^ donner un habillement complet de drap noir, M. Pat- 
tieson aarait été le bien venu aux vêtemens que je Tenais de 
quitter, ainsi que cela arrivait toujours à son défunt frère. 

L'école y je suis obligé de le dire , allait bien. Mon jeune homme 
était fort sévère; il remplissait son devoir de sous-midtre avec 
tant d'activité qu'il outrepassait ses attributions 9 si je puis m-ex» 
primer ainsi, et que je commençai à me sentir un 2^ro dans ma 
preuve école. ' 

Je me consolais en pensant que les corrections du manuscrit 
avançaient autant que je pouvais le désirer; Paul Pattieson sur 
ce sQJet f comme le vieux Pistol S parlait « kanUmenedu pana , » 
non-seulement dans notre maison , mfds dans la société de nos Yoi- 
ans, parmi lesquels , loin d^miter la vie retirée et monastique de 
son frère 9 il devint un gai visiteur et même un si bon vivant que 
dans la suite nous observâmes qu'il méprisait les modestes nspas 
qni avaient paru d'abord des banquets splendides à son appétit 
dévorant. De cette manière 9 il déplut grandement à ma femme, 
^i s'applaudissait avec justice des mets abondahs, propres et 
^8, dont elle nourrissait nos sous-midtres et nos écoliers. 

Enfin ^ j'avais plutôt l'espérance- que je n'avais la conviction 
«ncère que tout allait bien : et je me trouvais dans cet état d'es- 
prit désagréable qui précède une rupture ouverte entre deux asso- 
ciés qui ont été ïong>temps jaloux l'un de l'autrci et qui, ayant 
d^en veinr à se séparer , scmi^ encore retenus par le sentiment de 
lenr intérêt mutuel. 



10 

La pimaicM ii)fii!ine.iiie te ocoanenée pap.nlmil qui oanmt 
dans le village que Panl Pattieson^ aTait Tinteatioiii soas peu de 
lempa» d'eatrepreadre un vef âge snrleecmliileot. Il préteadaia 
qpB c^étaît à.caoia de sa saaté.; mab le même (rapport assarait q«e 
Grêlait .plntAt ponr satîsfaÎFe la cariaalté qm la leetore des cla^^. 
aîqnes lai aTaitocoaaionée ipie daas tent «misemotiL Je tes donc 
on pan abrméà ce sasanus , etceniBMiieai.àTâkfiebir qae râûi« 
gacunent de M* PaUiesQii> à mama qoeje aeipavriiisiBÙ tonpa à 
lemplaoer ce jeaae homme » ponvrait étraieiuil à rétabHaiement ; 
eav^ poar dire la yârilé, ee^Pand- amt ^pàxptt dkose d^attrayast 
ponr ses ^ooliei»9 parëcafiërement pearioaiix do«t le caraetère 
était doux; etf aTone qae je âe«iais»fli je ponnrais le roi^dacer 
BMi^mâme sous certains rapperis^ aveetoatemoa aiatoiitéetmoii 
ejqpérienoe. liafeiiuiie> inÂléei^ emuDOiil Im^eoaTeiiaît de rètre-, 
des inteations deM^ Pattiesoa , me ceaseiUa de terminer 8ar*le*> 
champcefcte afiUreetdarapprofaniwtoBld'aiiooapf et, eneftst^ 
j'avais Ieiqeiins4rii0er7é;qiie.oeito.métlifdttcéiissi8saft^ le mieux 
avec mes écpliers* 

Misftresa Gleishhatliatt ti^était pas longtemps sans reprendre ce 
sqel; car, seBELtAableà celks qui eempeaent laxace de Xantippe 
( qaeîfae nm oempagna soît àne feamie bien éfevée)» elle aime à 
emporter par la yiolence ce qu'elle n'a pu obtenir par lapersiiaaioia. 
-*yo«s êtes «H (homme <lrèsBpkslneUmiattsiear Gleîshbothanvob- 
serraîtreUe^nn; homme -savûst, mottsiear €leisUbotham, — et le 
Bviiti«4'écoledeGanderclëQgh > n^onsiencGIeishhotham, ceqmdit 
teatea on ami: ; mais beaucoup d'homaies presqne.aassi grands qae 
▼oaaoDt>étéd^r);oaaési parce qu'ils on! sonfcrt qa'nn inférieur 
laentâten ^roape derrière eux, etquoiqmfedajae lemande, moasieur 
ÇlriislAothaTO» TousayeBla>réputaiîondet0nl<faîre,i8aitdaBS laidi- 
realâoadei'éoale» saÂtdanscenonTaauefepiK^fitaUb commerce de 
lôrres qma Tonaavea entrepris , eependasit onoammeace à dire ou- 
ferteoMmtàGaaftdercleagby desdeaabcdliésideil'ean^que lessM- 
maîtrAéerilkalivresdaimagister.eiitticai^l'é^ole. DeamndeEr ai^ 
fiUeSy a«x feaunesy aax yeuvea : elles/ yous: diràvt qu^ le. plue 
petit éeelioD Ytent à Paul Pattteaoïb paar répifter» aa.kçon aussi 
aaaacelkttienl.'qiii'ii vient i. npm «pour f son goftlept; ils ne pensent 
jaBlaia»à'S'adr^•s0r à vouflipouoinnmi^idàCeolsieaa&ottpanr tonle 
aaitBeuoliaae^ à tnflsnsafaAjaa aei^scst tpaat mntfanaa/^ii^péoff.taîtt^ 
une vieille plume. 
Cette tempête m'assaillit pax nutaaiK H^^ itaaidia^tquaî'em- 



liBKrmiMtfC'noifi ii 

phfwaaeahéBvee de labir à fiuner imepipey mà.caÊOBfitimaA 
dans les douces pensées qoe Tfaerbe niootiane a l'habitodede pro». 
dnke, phisi particnlièrenientche:^ les persouieB slndieiuès, éim 
Toaées msuis sêverioribus* Je qiÀttei à cent po ^c aw g moQ ehscim 
snemaire^ et j'essayai de véduire aa silenee les clameurs delà. 
langue de mistresa Cleishbotham qui a^ait quelque ciMaede par» 
tienlimment aigu et de pénétraal. -^ FemoM, di»ije avec un tou' 
f aittiDrilédoiDfistî^pieconTeiiaUeà l'ocoasieiiy rts iamsàgas; mè^ 
lefrTons de Toasftfomiages > de votre coiaiiie, de vos médaeiBe» 
et de tout ce cpi concerne physiqueiaent les éeeUfiors, et kôsseas 
tent œ qui a rapport à leuivédtiêalîonà mon soi}s-«udterePaul Pal», 
tieiouetàmok • ^ 

-* Je suis fort aise, ajenia la maiidite isoiaie ( ai*je pu parler 
amail ) que vous ay«z la iNNité de le nommer avuat t^us» car il n'y 
a pas de doute qu'il tient le premier rang ; tous, ponmez entendrez 
Ifls voisiBa le dii^ei ou le murmurer «tout bas> 

-** Que 'murmurent-ils, véritable sœur dea Enménides? m'é- 
cnai-|e, VirtitaaAtMlmméd la r^rimande de:ee|te femme l'em* 
partant sur las effets sédatifs de la |»pe et de la Mère. 

-*- Uanuurent I r^riâ-eUe du ton le plus aigu ; ils murmurent 
asfioshantpour qneje les entende, moi, que le maître d'éeole de 
Ganderdeugh est devenu une vieille femme qui radote etpaase; 
tontseuitempaà baireaveole maitredu cabaret , et laisserécôle, 
les livres>et tout le reete-aux soinsi de son sous-maître^ Les com« 
mères de Gandecclengli disent aussi que voos avQz engagé Paul 
I^attieson à écrire on.livre qui vaudrai QÛenx que tpm^ ce que voua 
avesd^à isit;,et| pour prouueo eovdUieu veuaivoua en oeoiipez 
pea^ ou aîoufteifne^veiasne savea pa& même sou titre» nou! pas 
niêiaa>8s*run y doit parler de quelque pitiieii gree>ou de Douglas- 
leJïoir* 

Ces paiHiles: f oveitf , pi^Muoéesi d'au ton. si amer qn'eUea me pi» 
qaèreut au vif^ etje|elai mu paavrevieftUe pipe, ooBuue une dea 
hacead^flamere, uonpa»au visage .de ma provocante conqpAgna^ 
lâm que j'en eusse imu forte teutafiÎ0» , maiadans la rivière G«u« 
dir, qni^cela esft^JÉainteuaut «oeaufi dilSI voyageocs de presque. 
tûQteales parties dada lenre) poursuit fseancourapailible sur la itî*« 
^aga eà llâidie.esà agréableaeeat située ; puia>^ me levant^ j'eu^i 
fai^iamt, mm tânmicfk çhtifmok reiiMis^ ( l'oifaeil du magaaitt de { 
Mm. Grieve et Scott) , je me plongeai dans la vallée du ruisseau, 
et poursoivis moi) chmia i k voix de mMtrpsji Cl^ûdUwtbaBi «i'aa* 



12 INTRODUCTION, 

ccnnpagnait dans ma retraite et ressemblait en q«el(iae sorte aux 
eris de colère et de triomphé d'ane troupe d'oies poursuivant un 
ehien hargneux ou un enfant tàijnin qui s'^t introduit sur son ter- 
rain y et qui s^enfiiit devant elle. En vérité , ce ton de mépris et de 
colère, tandb qu'il résonnait à mes oreilles , avait une si grande 
influence sur moi , que , par im mouvement instinctif, je plaçai les > 
pans de mon habit noir sous mes bras comme si j'avais couru le 
danger de les voir saisir par rennemi qm me poursuivait. Ce ne 
fat que lorsque j'eus atteint le lieu bien connu sur lequel Peter 
Pattieson avait rencontré le personnage célèbre connu sous le nom 
de OU Mortality ^, que je fis halte afin de recouvrer mes esprits 
et de réfléchir à cêt/me je devais faire. Ma tête était agitée par un 
chaos de passions parmi lesquelles la colère dondnait; et pour 
qudle raison ou contre qui éprouvais-je un si violent déplaisir ? il 
ne m'était pas facile de le démêler. 

Néanmoins, ayant assujetti mon chapeau retroussé, avec un soin 
cx>nvenable, sur ma perruque bien poudrée, et après lavoir sou- 
levé un instant pour rafraîchir mon cerveau embrasé , ayant sur- 
tout rajusté et rabattu les pans de mon habit noir, je me trouvai 
en état de répondre à mes propres questions ; car, avant que toutes 
ces manœuvres eussent été strictement accomplies, je l'aurais 
tenté en vain. 

En premier lieu, pour me servir de la v phrase de M. Docket, 
qui est le Wnler ( c'est-à-dire le procureur ) dans notre village de - 
Gandercleugh , je me sentis satisfedt que ma colère f&t dirigée 
contre touis, ou, en latin, contm omnes mortales , et plus particn-^ 
lièrement contre le voisinage de Gandercleugh pour les rapports' 
qui circulaient au préjudice de mes talens littéraires, aussi bien 
que de mes succès comme pédagogue, et qui en accordaient la 
gloire à mon sous-maître : secondement, contre mon épouse, Do- 
rothea Cleishbotham , .pour avoir rapporté lesdits caquets calom- 
nieux à mes oreilles d'une manière irrévérencieuse et inconve- 
nante, et sans le reâpect voulu, dans le langage dont elle s'était 
servie, pour la personne à laquelle elle s'adressait; traitant des 
affaires dans lesquelles j'étais concerné si intimement, comme si 
elles eussent été des sujets de commérage à une soirée de Noël , où 
les femmes réclament le privilège de servir la Bana Dea , suivant 
leurs rites secrets féminins. Troisièmement , il devint elair que je 

I. Le Tiefflord des tombeoux. Voye» l'introdaction des Pm'tmnt âBéo$s§, 



INTRODUCTION- 18 

pouYâis répondre à toos ceux qui s'en infonnendent i qoe ma co* 
lèie était allumée contre Paul Pattiesoiii mon aona-maitre, paret 
qa'il avait donné occasion anx roisins de Gandercleogh d'entrete* 
jiir de semblid^les opinions, et àmistress Cleishbotham de malea 
xapporter irreàpectnenseiaent en face, puisque ancon de ces mal? 
beors n'aurait existé s'il n'avait pas mis en avant de faux rap- 
ports de transactions privées et confidentielles dont je m'étais eur 
tièrement abstenu de parbsr devant un tiers. 

Cet arrangement de me» idées ayant contribué à adoucir l'at» 
jDOsphère orageuse qui leur avait donné naissance, laissa à la 
raison le temps de prédominer et de me demander de sa voûl claire 
et nette si, an milieu de tontes ces circonstances, je faisais 
Uen de nourrir une aussi violente indignation. Enfin, après un 
fhiB mûr examen , les diverses pensées splàiéjdques qui m'indi* 
gnaient contre les autres se confondirent dîuis le ressentiment que 
j'éprouvais contre mon perfide sou^nndtre ; et, comme le serpent 
de Hoïse , ce ressentiment absorba totitaiUro sujet de méccmtente* 
ment. Me mettre en guerre ouverte ayec tous mes voisins , à moins 
d'être certain de quelque moyen de m'^n vengfr,.eût été nne^en* 
treprise au-dessus de mes forces, et qui eàt probajdomeiït occa« 
noué ma mine. Faire une querelle pid>lique à ma fenmie , au sujet 
de son opinion sur m^s talens littéraires , eût été ridicule.; et ontro 
cela , mistress Ckisbl^tbam était sûred'ayoir toutes les commères 
de son côté, qui l'auraient représentée comme une femme perse* 
CQtée par son mari pour lui avoir offert de bons conseils. et leslm 
ayûir présentés avec une sincérité trop enthousiaste. 

n restait Paul Pattieson , le véritable objet de m<m indignation, 
et je pouvais dire qu'il était en nion pouvoir , et que je pourrais le 
punir en le renvoyant suivant mon bon plaisir. Cependant des{Mro» 
cédés vin^catjfs à l'égard dndit Paul , bien qu'il fût facile de m'en 
passeï^ l'envie , pouvaient produire de sérieuses conséquences pour 
ma propre bourse ; et je commençais àréfléchir avec anxiété que, 
dans ce monde, satisfaire nos passions s'accorde peu souvent avec 
nos intérêts, et que l'homme sage, le verê sapiens, hésite rare- 
ment lorsqu'il s'agit de préférer l'un à l'autre. . 

Je réfléchis aussi que j'étais tout^à-fait incertain jusqu'à quel 
point on avait eu raison d'accuser le nouveau sons-maîl^e de tant 
de fautes à la fois. 

En un mot, je commençai à m'apercevoir que ce ne serait pas 
mie petite affaire qne de rompre tout d'un coup et sans conseils on 



iii«rdië> eutiiiie' Bèdffté , -tùmmeûHrèlKm. 'toft^jittiMHiBidtcwy friv' 
il die éfeidt'preikable anditi^Kiil / promerunt 4e l'être niwuiâtt 
fNHtriiioi , Hpri y ptr men ^, nHmmtéîrMeft aut r^nitaftioD> étrô 
àan tti faAttt>4éB»é-s« pA kw y àbii. Tbv^riié far ces cmMée^m» 
îoiiiie»à ëfu^àXtèBi je réw^s deinfooAter atw pn^eaee dam^eette 
iN^easioB, de peer/ en' pettant trop prottiptekneot mes plamtes, 
d-oeearioBer une Tiqiiiire peBÎtiTe''pKyttr ce qui n'étadt^peats^tre 
qu'un malentendu qot B^e3cpliq|iiepaiil et^ «^t^nmsemt ieuoilMieBt^ 
rihifti qn'ime Tde d^nti aar iiii»vaiÉMM'neaf , «^i, étant an» fois 
déoouTcnrte et aoigneoMinent arrèfiée,- A'e& rend' le tamean^qoe 
f h» pro{)ire à tenir la aiOT. 

Lorsque ^ j'eas adopté cette véeolutâon edaeiliame, j'aumignfis 
Tendroit où une montagne presque perpendîeuMte aeuiMait termt 
ner la TuHée^ou dunionis ladiiriser eftdenx'taliDtts, «erMMft Pnn 
et l'autre eomme de boreeau à un terreat, 'le Grtiif*Qaack ^et le 
Chisednb , moins prèf and , 'rnnk plus ^njem^ Éar la ^aelte , qui 
àlenr jonclionfôTiiientla rivière Gaùder* Gltaeune'deoesJjpetitea 
tallëesa un sentier conduisant jdsquedans'leàr» retraites lea plos 
profondes , et rendu pks laoile parles* tt^ainaiix des pauwss pen- 
dant la dernière saison ri^nreuse* Un des deux^ poite le nom de 
Sentier Pattieson, tandU que l'autre a: été oonsttcTé d'une mnirilère 
ttmid>le à ma mteoire par le titre de Domiaie'a BakUttag^bii; ^« 
]Là j'étai» certain de rencontrer mon aiSoeiii'Fii^ PMiieson, 4» 
il avait l'habitude det^ironôr leeoir i la'ttMàsottpar IHute M PaatM 
de ces roches, après ees ^^oorses sans fiii% 

U ne se passa pat beaucoup de t0Mips'avaiit''qne je ne Icnsen 
èMeendre le Gusedak par oe< tortaemi sentier «qui « si fortnineiilt le 
oaraetère d'un Talion éeoesais. il était laeile de le reoonnattrs de 
quelque «tiatanceà sa démarche fanfaronne, présentant le plat de 
ia jamiie) comme le brave tapageur des olubt » et , aiuTaut toute 
apparence , . parfaitement aatîsfait mm^^senimnent de sa janAe et 
desa botte, mais de tout son extérieur, delà mode de sea habits» 
et^même Fon aurait pu croire y du>eo»tenu de ees poches. 

Avec ces mamèiNm, qui lui étaienthabittiellesi il s'approcha de 
moi, tandis que j'étais assis à la jonction ■ dès <torrenS| et Je pas 
m'ap«rceToir que son premier mouvement était de passer après 
m^avoir fait un simple salut* Mais comme cela n'aurait pas été 
convenable , vu les termes où nous étions ensemble, il parut avoir 

' X. Dominiê est le titre q[a'oo donne en général w% magisters chei les Ecodsiis. 



dHuitd» noimeoim^ir te fîTaetté, je paiii mAm-qMter d'itt^ 
podence , et abordant tout d'un coup les affaires impettaiites'qtte 
pandSià diioiiter^ «nais dfmie-BMalèm plos coa t e na Me à leur gra- 
]jiéi>..^esiifii biettaifl»4leii«tmtair9iiiMaieitf GMAhed^ dii^l 
anecim mëiavge inittitiMe de eoidhnieti et d^èJBpemerie. On ttt^ 
mÊâe les plus s m p f eaaul es iioiiiFenes qvi'oii ait entendaes dans le 
monde Uttéraire de mon' teaips. Tout Gandergteaoh s^en -étonne ; 
SB ne parle fMtfiA^aatfeidMse) dopais la pins jennè des apprelitiea 
it nds» >BiiskJMy jnofB^ain ministre InMiAme f et l'en sedemandn 
avec snrprîoe si le» noeyeHes sont Traies oatfiBins8es..II est cer^ 
tsin fa^dles scAtdteie ringnlière aatare, sanont pour Yoas'et 
pour met. 

«^ Monsjaor Patiiesoa ^ idis^je, il m'est impoesOde de deirtaier ee 
qae Tone voaleir*dii«o. Bmmi imm, non OBd^ms; je sais Jodéhiàlk 
CleisUMitham, maître d^éeole de la paiv>isse de Ganderclen^h : jt 
ne sais point soroielr ni ^ofin, 'et je «e sais point «jt^Kqoer les 
énigmes* 

— ^ Eb bkla i r^pondit^Fteal I^ertriesoiii mopsicw lèdèliidi€Mah^ 
kodmm, makradrëôole de la paBfoissede G«iderelen|B^ , f ai i 
foas ûdomisr qaa notre 'espérance est entièrement détraite. Leé 
Contes snr la pnblication desquels nous comptions ayec tànt'de 
seafiaiioe ont été déjàtii^rifliiés. On les conailt i l^étranger, par 
tente r^mériqaef jieppqrietsanglàis%a font lepVns^fftanèbrait. 

Je reçus cette arimadie aveo la'iaéme'sérérité'4'ame arec la^ 
quelle j'aurais accepté un coup daos Festomac, asséné par un mo- 
derne gladiateur y de toute l^ergie de son poing. — Si cette 
information est exacte , monsieur Pattieson, je me vois dans la 
fiécesdté de Toueeoapçonner d'agir fourni à la presse étrangère 
la copie dont kahnpmnenrs ont usé sans scrupule et sans respect 
pour les drioits incsntest&Mes des propriétaires' da manuscrit; et 
je désirerais satêir si eette production américaine contient les 
sorreciîoBs qaenoas atons jegéesnécessaires ayant quéPonyràge 
pût être offert au public— Mon jeune homme vit qu'il étsdt néces- 
saire de réponApe'à cette demande d^me manière potitîye, car tna 
-mai était' ^presslye et mon ton décidé. Son audace naturelle le 
ssatint néanmoins, et il répondit avec fermeté : 

— D'abord I monsieur deishbotbam, ces manuscrits sur les- 
quels yous réclamez un droit fort douteux ne furent jamais donnés 
par moi ; et il faut qn^ils aient ébi enyoyés en Amérique , soit par 



16 INTRODUCTlOPr. 

vons-mèmey soit ^ar cpelcp'ane des différeatos porsoimes aux* 
qaelles tous ayez procuré l'oceasion de jmrcoinrir les ouvrages que 
mon ff are a laissés. 

— Monsieur Patdesony répondis-je, je vous prie de yws rap- 
]»éler que je ne pouvais pas avoir l'intention , soit par moi-mén^, 
5oit par d'autres I de faire publier ces manuscrits , avant que, par 
les chaogemens que j'avais médités et que vous vous étiez chargé 
de faire^ nous les eussions rendus dignes du puUic. 

M. Pattieson me répondit avec beaucoup de chaleur : — Mon* 
sieur, il est bon que vous sachiez que, lorsque j 'acceptai vos misé» 
râbles propositions , c'était moins pour elles-mêmes que. pour 
l'honneur . et la gloire littéraire de mon d^mt liràre. Je prévis 
que, si je les refiisais, vous n'hésiteriez pas à confier celte tâche à 
des mains indignes; ou peut-âtre l'auriez-vous entreprise vous- 
même , vous l'homme Ie|>Ius incapable de toucher aux ouvrages 
d'un génie qui n'est plus : ce que, avec la grfice de Dieu, j'étais 
déterminé à. empêcher* Mais la justice du ciel a pris cette affidre 
dans ses propres mains. Les travaux de .Peter Pattieson iront 
maintenant à la postérité sans être déchiquetés pat* le ciseau de 
la censure tenu ;par les mains d'un faux ami. Honte à celui qui a 
pu pens^ que l'arme coupable pourrait être tenue par celles d'un 
frère! 

J'écoutai ce discours avec uoe espèce de vertige et d'embarras 
dans la tête qui m'aurait probablement renversé mort à ses pieds, 
si une pensée comme celle de cette vieille balladci 

Le comte Perej Toit ma diote, 

n'eût rappelé à mon souvenir que j'augmenterais le triomphe de 
mon adversaire en donnant carrière à mes passions en la présence 
de M. Pattieson, qui, il n'y avait aucun doute, était plus ou moins 
directement coupsd>le de cette publication transatlantique, et qui 
avait d'une manière ou d'une autre trouvé son intérêt dans cette 
infidélité à nos conventions ^. 

Pour échapper à son odieuse présence , je lui souhaitai le bon- 
soir sans cérémonie, et me dirigeai vers le vallon, avec l'air non 
pas d'un homme qui quitte un ami, mais qui vient de congédier un 
compagnon désagréable. Le long de la route je pesai toute cette 

X. L'aateur fait ici allusion à la publication d'un fragment de Robert i* Patit . qui a clé vendu 
k un journal américain, malgré les conventions faites avecréditeur d'Edimbourg. 



INTRODUCTION. 17 

affiiire tCfec une anxiété qui ne tendit pas à mer«nettre. Si je m'en 
étais senti la force» j'aurais pn supplanter cette édition bâtiurde, de 
laqnelie les gazettes littéraires ont déjà donné de nombreux échan- 
tillons, en présentant, dans une copie publiée immédiatement à 
Edimbourg, des corrections proportionnées aux errenrsauxcpieUes 
j'ai déjà fiiit allusion. 

Je me rappelai la facile Tictoire de la véritable seconde partie 
des Conies de mon Hâte, publiée par un inuHope sous le même 
titre ^. Pourquoi n'aurais-je pu obtenir le même triomphe ? Il y 
aurait eu enfin, à me venger ainsi, un amoup|>ropre de talent qui 
eût été excusable pour un honmie outragé; maisPétat de ma santé 
avait été si faible, qu'une tentative de cette nature ^ût, depuis 
quelque temps, été imprudente. 

C'est sous de semblables circonstances que les restes ^ de Peter 
Pattieson doivent être acceptés comme ik forent laissés dans son 
secrétaire ; et je prends humblement congé du lecteur, dans l'espé- 
rance que , teLs qu'ils sont , ils obtiendront l'indulgence de ceux 
qui ont toujours été trop bons pour les productions de lui plume, 
et sous tous les rapports envers l'obligé serviteur du courtois 
lecteur. 

J. C. 

OancUrdengh , i5 octobre x83i* 

X. £• CkâtHm d» Pmttëfrwt , Coitt* dt mon ffâtê» Un libnitn de Londres imagina de pablier loat 
M titre on roman arnes otédiocre. et il fit répandre le brait que Walter Scott en était l'anteor. Ca 
ronum, tradoit en français, a été publié à Pans aTec le nom de Scott, qae le libraire loi a conaerré, 
■algré toutes les réclamatiou de l'éditeor des ouTrages de Walter Scott. 

a« Rtmmu, 



Goiifta||ti«Qpl« as8tfe aux confins des deux moffdffpf 
t>tt bosquet» dé cypr^ tes retraites proAtudoB ; 
Sur les bords opp)aés cefiroot aajeattieax 
Qaele divin Olympe élève jtâqa'auzcienxi 
Cas danse îlea mt i'onde éciilMit Imw waiiimi 
Inimitable aspect, ravissante peinture, 
l>oat k b«Ue Mute «aTrair aas rag arda. 



AVERTISSEMENT 



ox 



ROBERT, COMTE DE PARIS 



fim WiLimR Scùn euwoju dt Naffles, dans U »0Ûi de Unim 
1932, une introduetÎMi pour b Château périlUa^f maif s'il w 
famt «Bft (Nnir ime açQOiiiifl édfilioQ ds Aaltfr/^ 
Aé trourée dans se$ ptpMM. 

QaelfMt motts «xtraitas {MneqMdimait das livrai qu'an Ta vip 
«tnsudiar lavffu'jl dîejtaîi; oa romaii, aom jmtaa à «atia oM^alla 
tHàfoOé Pour ajouter à ea qœ r^nilaar a préwtf^ ffMw la l^naa 
d^afja biifeQriqvea vabtiTcnaat au p«raaiiiiaga» ài^tmfos^ ^'îl 
ayait introduits dans le roman , on ofiEre ici an lectenr qidqws 
passages faifanuMeroBt prebableQMnt ; ilsaonttîréa iàVJUxUde^ 
danalaqariia Anne Caanme décrit; Fiac^ qui aitfii sans afleui 
dsatia délariBiné air Walter Seatt an dboix de son bénM» 

eMai, eu D^ lA97»QaaAt AU Mnnbi» de eau qni s'at wfiiÎMt 
"^CÊ^lk gmniê wiUe ^ il sattra de dire qu'il rassandUaftaœ^ étoiles 
davîel^asanarisledBsrivafasdalaaiarç ilétak, suivant las paroles 
d'HauMpe, iinMiisi? €mmÊU hs. fmilUê U U$JUm$ éipfinUmf». 
Maïs qaa&^pM las nons 4as ckèfs asiem: aucora pséaens àmn âé- 
Moin, leur «mèra seul me éîssaadeRak d'eutraprendte de las 
enaiiter» iersuaèoie qae usa bague aie fofcinnrait les BK^fanad^Arlii- 
qderlMMasMi baribans % fautquai 4'uiUeuiu alBJgefais-îeaaas.lee- 
teors de la longue <éauKiétjgiian dai aauss deeaiKK diNnt la yc é sea ce 
«auBMt «aait d'àetraur aMUqui ies oaaseDuplaieaitf » 

« AnssMt iqa'iis appeaebèrait de la grande vîlie^ils aMapèrènt 
dus «Mioua^ leur avaieBM; été iadiqiiéas fiar reuD^^ 
MMetoatdaCaaBiîèiaB.«ai8«0ite Mwdtimda «a ni i s a r i i i t Mtfas 

a. 



20 AVERTISSEMENT, 

anx Hellènes d'autrefois, qui pouvaient être gotitérnéi par la Toiz 
de neuf hérauts. Il était besoin de yaillans soldats pour les sur- 
veiller continuellement et les empêcher de viider les ordres de 
Tempereur. Ce dernier travaillait pendant ce temps pour obtenir 
des autres chefs qu'ils reconnussent son autorité suprême, ce q'ua. 
vait déjà fait Godefiroy, FovToçpe, lui-même. Mais, malgré la 
bonne volonté qu'avaient quelques-uns de consentir à cette pro- 
position, et leur assistance à Tégard de leurs confrères, les projets 
de l'empereur obtinrent peu de succès, car la majorité attendait 
l'arrivée de Bohemond, BaipvTo;^ dans lequel elle plaçait toute 
sa confiance. Les croisés employaient donc tonte l'adresse possible 
pour gagner du temps. L'empereur, qu'il n'était pas facile de 
tromper, pénétra leurs desseins ; et, en accordant à quelques chefs 
puissans des grâces au-delà de leurs espérances, ainsi qu'en usant 
de divers autres moyens, il l'emporta enfin, et gagna l'assentiment 
général :' les chefs suivirent Texemple de Godefroy , qui fut person- 
nellement d'un grand secours dans cette affaire. 

« Les chefs étant assemblés, et Godefroy parmi eux, le serment 
fut prononcé; mais lorsque tout fiit terminé, un certain noble, 
parmi ces comtes, eut l'audace de s'asseoir sur le trdne de l'em- 
pereur. Tok^LT^ctç Ttç aiTO TcavTCûv Twv xo(iLY)T(it>v ÉuyevYio' ei; tov 
<rxi(iL?co^a Tou BaeriXecoç 8xa6i<rev. L'empereur se contint et ne dit 
pas un mot; car il connaissait depuis long'temps le caractère des 
Latins. 

<r Mais le comte Baudouin, $aX^oi»tvoçy s'avançant, le saisit par le 
bras, Tarracha du trdne, et, après lui avoir fait beaucoup de re- 
proches, ajouta : — Il ne vous convient pas de faire de semblables 
choses, surtout après avoir prêté le serment de fidélité, ^ouXeiov 
ÛTroeT^ofiLEVfi). Ce n'est pas l'habitude des empereurs romains de 
permettre que leurs inférieurs s'asseoient près d'eux, pas même 
ceux qui sont nés dans leur empire, et l'on doit respecter les usages 
des pays où l'on se trouve. Mais l'audacieux, ne répondant rien à 
Baudouin , regarda fixement l'empereur, et murmura quelque 
chose dans son dialecte. On nous le traduisit, et cela voulait dire : 
a Contemplez ce rustre, xcopirviç, assis sur un trftne, tandis que 
de si grands chefs sont debout autour de lui 1 » 

a Le mouvement de ses lèvres n'échappa point à l'empereuri il 
appela un Grec qui comprenait le dialecte latin, et lui demanda 
ce que cet homme venait de dire. Lorsque l'empereur l'eut en- 
tendu f tI neditri^n aux antres chefs , et renferma son mécontente- 



AVERTISSEMENT. 21 

ment en Ini^mâme. Lorsque la cérémonie fdt teraiinéei il appela 
en particalier ce Latin orgaeilleiix et grossier , u^Xof pova èxeivcyy 
xal avai^Ti 9 ^^ loi demanda qoi il était, de qnel lignage , et de 
quelle région il sortait. « Je suis Franc, dit-il , da plas por sang des 
nobles. Ce que je sais, c'est qae dans l'endroit où trois routes se 
rencontrent dans le pays d'où je idens, il y a une église ancienne 
dans laquelle quiconque a le désir de se mesurer dans un combat 
singulier prie Dieu de l'assister dans ce dessein , et attend l'arriTée 
d'un adversaire. J'ai attendu long-temps dans ce Uea , mais je n'ai 
pas encore trouvé d^omme assez hardi pour se mesurer contre 
moi. » L'empereur, après avoir écouté ces paroles, répondit: « Si 
jusqu'ici tf as vainement cherché à te battre, le temps est venu 
qui t'en fournira d'abondantes occasions. Et je te conseille de ne 
te placer, ni à la tête ni à l'extrémité de la phalange, mais au 
milieu de tes compatriotes , car depuis long-temps je suis habitué 
à la manière de combattre des Turcs. » Après cet avisi il congédia 
non-seulement cet honmie, mais encore ceux qui allaient partir 
pour cette expédition. » ( Alpxiade , livre X , pages 237, 238. ) 

Ducainge , ainsi qu'il en est fait mention dans la nouvelle, iden- 
tifie l'église décrite par le croisé avec celle de Noirt^Dame de 
Soissons, de laquelle un poète du temps de Louis VU a dit r 

Veiller y Tont encore li pèlerin. 

Cil qui bfeUille Teolent fere et fournir. ^ 

DvoAvoB* AkxUd» , p. 86. 

On doit obsenrer que la princesse Anne Comnène était née le 
i'^ décembre, A. D. 1083 , et qu'elleétait par conséquent dans sa 
quinzième année lorsque les che£s de la première croisade firent 
leur apparition à la cour de son père. Cependant il n'est pas in- 
Traisânblable de la montrer déjà conmie les femmes de Nicéphore 
Brienne, dont, plusieurs années après la mort de ce prince, elle 
parle dans son histoire , comme tov e[iLou xaierapa , et dans d'antres 
termes non moins affectueux. L'amertume avec laquelle elle traite 
continuellement Bohémond, comte de Tarente, et ensuite comte 
d'Antioche, peut être attribuée à un désappointement en amour ; 
et dans une occasion remarquable , la princesse exprime certaine- 
ment un grand mépris pour son mari. Je ne puis citer aucune 
antre autorité pour les libertés prises avec le caractère conjugal de 
cette dame dans Robert de Pans, 

SoQ mari , Nicéphore Brienne , était le petit-fib du personnage 



22 AVERTISSEMENT. 

«ta iftâiic «pii» fttî figura dan» l'hiytoire eoame le nyal de Nice- 
phore BoloiiUrtoil aa irôneimpérial. Il fiit , à son mariage ayee Anne 
CoHmène» inyeili dn rang de PanigpersebasU , o« omnimn augw 
êiêsinmif mm Akxi$ Toffenaa profondément dans la abite, en ne 
hi reeennasssaiit qae la dignité de sébaste. Ses éminoites qna- 
litésy soit d«|is la paix, soit dans la gaerre, sont recomines par 
Giblxtt » et il a laiwi qnatre yolnmes de mémoire» relatifs aux 
premicra temps dn règne de son bean-père; ils acquièrent de la 
Yalemr en ee^n'ils sont Fonvrage d'un homme qm aété témoin oen- 
hire de» éfènemens qn'il raconte. Il pardt qu'Anne Gomnène 
eonsâdéra eomme on deyoir de terminer la tâche qne son mari 
n^ayait pu adieyer $ de là yient i'Aksiadê ^ et certes , malgré ses 
déCants , e'eot encore le premier oayrage historique sorti de la 
main d'une femme. 

« La yie de l'empereur Alexis» dit Gibbon , a été tracée par la 
plume d'une fille chérie , inspirée par son amour filial et le louable 
ièle de perpétuer le souyenir des yertus de son père; craignant 
d'être acctisée de partialité , la prinoetise })roteate constamment que 
ttOB-seuIement elle raconte ce qit'elle a yu, mais qu'elle a pris 
eoBMÎi dei ëdtretieos et des écrits des personnes les plus respec- 
tables ^ et qu'À|>rès un interyalle de trente ans, oubliée par ses an- 
ciennes connaissances , et oubliant elle-même le monde , sa triste 
solitude n'était accessible tii à la Cfaittté, ni à l'espérance , et que 
la yérité sans fard Im était enoere plus chère que la mémoire de 
son père. Cependant , au lieu de la simplicité de style et de nar- 
ration qtà aurait gagné nôtre eonfianoe , une affaetation étudiée et 
une prétention continuelle à la science trahissent à chaque page la 
tainté d'un auteur iéminin . Le caractère naturel d'Alexis est perdu 
dans une nomenclature de yertus , et le ton perpétuel de pané- 
gyrique et d'apologie éyeille nos soupçons sur la yéradté de l'his- 
toire et le mérite de son héros* Nous ne penyons pas oq[^endant lui 
refias«r cette juficiense et importante remarque^ que les désordres 
des temps firent les infortunes et la gloire d^Alexis^ et que tontes 
les cabmités qui peuyent affliger un empire à son déchu s'accu- 
mulèrent pendant son règne^ par la justice dn ciel et les yices de 
ses prédécesseurs. Dans l'est, les Turcs yictorieux sayaient étendre 
delà Perse à l'HellespOnt le règne du croissant et dn Goran ; l'ouest 
était enyahi par la yaleur ayentnrense des Normands ; et dans les 
momens de paix» le Danube enyoyait de ilottyeatt& essaims qui 
àtaient gagné dans la science de la guelre ce qu^ils ay«dent 



AVSRTiSSBIlBNT. t3 

ho0lilo que la terrg, el ton^ qae ks frontlàrw étiient «MaiHfes 
par im «imim euTort ^ le palais était «n pn^ à das oonspiratioiis 
aeerètes* 

« Tottt à eo«p kbaimièredelacfoix ftit tépk^yëepair ksLtttiiia; 
PEitrope se préelpha sur F Asie , et Constantbieple fct enrahie par 
60t impëtmaz déloge* Dans la tempête ^ Alekis eonddisit le ^rais- 
ièaii impérial ayee autiMit de deitérité q«e de eamrage; à la tête 
de ses «nnéesy il mentra mie graiide hardiesse dans ses aétienS , 
beaneenp d'adresse dans fies stratagèmes et de pstieiiee dans les 
fatigues; il était prempt à profiter de ses sTantages, et se relevait 
de ses déikiites a^vw nne inecmeevable vipieiir. La disei|diiie du 
camp fut totalement changée, et unenoQtellegénérttiottdnKmuttes 
et de sokUits fat ^éée par les préceptes et Fexemple dft chef. Dans 
ses rdatioBs ayec les Latins , Alexis motitra beancdnp de patiente 
et Cadrasse ; son œil clakToya&t pénétra le nentean système d'nm 
monde inconnu. 

< Ses nembreniL desoenékns des demt sexes ornaient sa Cùûr et 
assoraient sa snecession ; mais lenr lue et leur fietté offènsalttit 
les noldes, épaisaient ks r^enns de FEtat, et insultaient à la mi- 
sère dn penple« Annettot le témoin fidèle des fatigaes qne insèrent 
à son père les soins de l'empire ; la santé d'Alexis en fat altérée , 
et son bonheur détroit. La patience dn peaple se lassa de la lon- 
gaear et de la sévérité de son règne, et il perdit ayant sa mort 
Famonr et le respect de ses sujets. Le clergé n'oublia jamais qu'il 
avait appliqué les richesses de l'Eglise aux besoins de l'Etat, mais 
il applaudissait à ses connaissances en théologie, à son zèle ardent 
pour la foi erthedoxe, qu'il défendit en paroles comme avec sa 
plume et son épée« Cependant la sévérité de sa morale fut sonp- 
çonnée par les personnes qui passèrent leur vie dans son intimité. 
A ses derniers momens, lorsque, pressé par l'impératrice Irène de 
changer l'ordre de succession, il souleva la tête, et fit entendre 
one pieuse éjaculation sur les vanités du monde, la réponse 
qae lui fit alors l'impératrice indignée peut servir d'épitaphe sur 
sa tombe : « Vous mourrez ainsi que vous avez vécu, comme un 
hypocrite. » 

a Le plus grand désir de l'impératrice frêne était de voir sa fille, 
la princesse Anne , occuper le trône au détriment de son fils aîné. 
La philosophie de la princesse n'aurait pas refusé le poids d'un 
diaj^e ^ mais Tordre de succession fut maintenu par les amis de 



24 AVERTISSEMENT. 

la patrie ; l'héritier légitiine prit le soean royal des mains de son 
père expirant 9 soit qae ce dernier iÛt insensible , soit qn'il eût en- 
core sa connaissance , et le peuple obéit an maître du palab. Anne 
Comnène , poussée par Tambition et la yengeance , conspira contre 
la vie de son frère^ et lorsque ses projets furent anéantis par les 
craintes ou les scrupules de son marii elle s'écria avec colère qae 
la nature s'était trompée , et qu'elle avait donné à Brienneune ame 
de fomme. Lorsque la trahison de la princesse Anne fut décoa- 
yertCi sa fortune fiit confisquée , et son existence compromise ; la 
clémence dé l'empereur lui sauva la vie; mais il s'appropria les 
trésors du palais de sa sœur, et répandit cette riche confiscation 
sur les plus zélés de ses serviteurs. » [Histoire de la décadence e$ 
de la chute de P empire romain , chapitre XLYIIL) ^ 

On ignore l'année dans laquelle Anne Comnène mourut. Il pa- 
raît qu'elle écrivit son AUxiade dans un couvent , et qu'elle passa 
environ trente ans dans cette solitude avant que son ouvrage ne 
fût publié. 

Quant à l'exactitude des évènemens publics dont il est fait men^ 
tion dans Robert de Paris ^ nous renvoyons le lecteur aux auteurs 
cités ci-dessus I chapitres XLYIII, XUX et L, ainsi qu'an pre- 
mier volume de Y Histoire des Croisades , de AliUs. 

J. G. L« 



Londres y i*^ mars x833. 



ROBERT, 

COMTE DE PARIS. 



**~ > T>i i ">"»'irir»i> fli'>nr»i< ir%wifi i »'»'» »<ii » i » i m i n «iwi Mn.wi> i »mn i>»i » i ■ nn ini>i <>n iBiifin«(»^i i i ni )>i ^ 



CHAPITRE PREMIER. 



MÀoMrnnt 

Ce fooToir bienfaiunt, qui» bien avant l'orage» 
Toile le firmament sons an sombre nuage, 
Ponr avertir l'oiseau de cbereber un abri , 
Vît la Grèce expirer sans en être attendri. 
Quel prodige a prédit notre destin fiinaata 7 

BBwiTBIVS. 

Maints présages affreux l'ont rendu manifeste : 
Un goaTemement faible et des lois sans pouToiri 
Un peuple aux factions immolant son devoir; 
Les grands lirrés an luxe , et ce* maux inBombrabla». 
Des Etats chancelans fléaux inévitables. 
Quand la corruption , montrant un front d'airain , 
0|M de notre perte un présage certain, 
PouTes-Tons demander qn'aujourd'bui la natore» 
Brave Léontius , enfante on antre augure. 
Expliqué par le fourbe , et du fou redouté ? 

Irim$, aet« I**. 



Les observateurs attentifs de la nature , dans le règne yégétal , 
oat remarqué qne^ lorsqa'on prend une greffe sar nn Tieîl arbre» 
oette greffe qni^ dans la forme extérienre, a Papparence d'nne 
jenneponsse, est » dans le fait, parvenue an même point de matu- 
rité, ou même de dépérissement , que le tronc qui lui donne nais- 
8ance« De là vient, dit-on, qu'on voit souvent, à peu près a la 
même époque, certains arbres d'une espèce particulière se dessé- 
cher et mourir, parce que^ devant toutes leurs forces vitales à la 
même souche, ils ne peuvent prolonger leur existence au-delà de la 
nenné. 

De la même manière, les puissances de la terre, par un grand 
et soudain effort y ont cherché à transplanter des viUeSi des Etats 



26 ROBERT , 

et des peuples f eroyant assurer à lenr nouvelle capitale la richesse, 
la majesté, la magnificence et l'étendae sans bornes de Fancienne 
cité qu'ils Yonlaient ngeonir. Ils espéfaient recommencer nne nou- 
velle suite de siècles , à partir de la date de la fondation de leur 
nouvelle ville, qui devait avoir, du moins ils se l'imaginaient, au- 
tant de durée et non moins de renommée que l'aiicienne, que le 
fondateul* se flattait de voir remplacée par sa noitvelle métropole 
dans toute la gloire de sa jeunesse. Mais la nature a ses lois , et 
elles semblent s'appliquer au système social comme à l'ordre vé- 
gétal, n paraît que c'est nne règle générale que ce qui doit durer 
long-temps doit être mûri lentement et perfectionné par degrés ; 
tandis que tout effort soudain, quelque gigantesque qu'il soit, pour 
amener tout à coup l'exécution d'un plan combiné pour durer des 
siècles, offre nécessairement, dès le principe même, des symp- 
tômes de ruine et de mort. Ainsi , dans un beau conte oriental , un 
derviche explique au sultan de quelle manière il a vu croître les 
arbres magnifiques sous lesquels il se promène, en cultivant les 
graines qu'il avait semées ; et l'orgueil du prince est humilié en son- 
geant que ces plantations, venues d'une manière si simple, acqué- 
raient une nouvelle vigueur à chaque retour du soleil , tandis qu'il 
voyait se dessécher, dans la valle d'Orez, la tête majestueuse des 
cèdres épuisés qu'il y avait ^ait transplanter par un violent effort ^ . 
Je crois que tous les hommes de goût, et il en est beaucoup qui 
ont été voif fééemmetlt Cônstantilople, ont été d'accord que, s'il 
était possible de trouver sût t<mte la surface du globe un endroit 
digne de devenir le siège d'un empire universel, ceux qui seraient 
appelés à faire un pareil choix accorderaient la préférence à la 
ville de Constantin , comme réunissant à là fois la beauté, la ri- 
ehesseï la sâreté et la grandemr* Cependant, aveo tons ces avan- 
tages de la situation et du climat, avec toute la splendeur archi- 
tecturale de B^ églises et de ses palais, avec ses carrières de 
marbre et ses trésors immenses , Tempereur qui fonda eette viUe 
doit avoir reconnu lui-même que, quoiqu'il pût employer tous ces 
riches, matériaux au gré de sa volonté, c'était l'ame de l'bomiiie, 
c'étaient ses facultés intellectuelles , portées par les anciens au plus 
haut dc^ré , qui avaient produit ces chefs-d'oduvre de talent , les- 
quels, comme ouvrages de l'art ou du travail moral, frappaient 
de stupeur et d'admiration ceux qui les voyaient. Le pouvoir de 



COMTE ]>S PARIS. ST 

V$mpanm poavait dépoiûlkr 4'iiilr«e yilleft de ktnrt stalaes 
•t de iMTfl eheM'œnyre poitr m dé^ortr c«Ue dont il wfvà 
fait aa noavdle MiâuUe; nrâ 1m boBUQM qui %Tai«it iidt de 
gnxtim aetien»^ et wmx-t pretqse anaai estisiés, foi avaiest 
qélébré leun baata faîta à l'aide de la peMe, de la peinture et 
de la mmsàqoe, ayaient ceifié d'eaiater. La iiation» ^iQÎqHe 
éleat encore la plue pelicée da noiidey aTalt pueé oette épeqne 
de la ei^ilisatien où le désir d'ime juste renoBOoée faraie la 
aealeaii lapriBc^paleréoonqmiaedeitrayaaxdeFhisterieiiente 
poète, du peintre om da stataaire. La ooeatitotion [deepotifae et 
arbitraire introduite dans Tempire ayait entièraneiit détrait de- 
puis loBg^teeape qet esprit public qid ayait animé las hiatoriens 
lifares de Bioaie, et n'ayait laiaaé que de faîUea aonyeiûra qui ne 
prodHiaaMNit anonae émnlation* 

Fonr parler eenune a^il e'agisaaitjd^ime anbalaxioeaBiMée, quand 
même Constantin aurait pa régénérer aa nenyelle métropele par 
h tranafttsien dea principes yitanx de Taneienne Romey ees prin- 
cipes n'existaient pins» ponr que Gonstantineple pût les empnm- 
ter^ etReme les transmettre. 

Sons on point deyne très important , Tétatde la capitale de 
Constantin ayait été totalement changé^ et ce changement ayait 
été pins ayantagens^ à oette yille qu'on nesanrait le dbre« Le monde 
était alors cbrétiony et en renonçant au code du paganisme^ il 
f'étnt déMyré du poids d'nne hontense superstition ) et il n'y a pas 
le tuoindre dente que oette foi ploi pure n'ait produit ponr la so« 
délé lesréaidtats. naturels qui étaient à dénrer, en finaant entrer 
gradurilement dans les oœnrs de meillenrs prinoipes ^ et en appre- 
nant an peuple à dompter ses passions* Mais tandis qu'un grand 
nottbra de néophytes adoptaient ayeo dooiUté leur nonyetk 
oroyanoei il en était quidquas^uns qui ^ dans l'arrogance de lenr 
jogement 9 interprétaient les Ecritures comme bon leur semblait, 
et d'autres ne manquent pas de se seryir de leur caraotèra rali- 
gîeux et de lenr rang dans la hiérarobie spirituelle^ ponr s'éleyer 
an pouyoir temporal. Il arriya ainsi, à oette époque critique, que 
les eCFeu du grand changement surrenn dans la religion du pays, 
tout en produisant sur Je*champ une inoisson abondante, et en ré- 
pondant beaueotip de bon gtain qui dey ait fractifier par la suite, ne 
8e fir^t pas sentir dans le quatrième siècle de maniera à exercer 
sur-Ie^champ cette influence décidée qu'on était en droit d'en at- 
tendra. 



28 ROBERT, 

La splendeiir empruntée dont Constantin orna sa ville était elle» 
même en quelque sorte un indice de décadence prématurée. L'em- 
pereur, en s'emparant des statues, des tableaux , des obélisques et 
des chefs-d'ceuyre des arts des siècles passés, reconnaissait qu'il 
lui était impossible de les remplacer par les productions d'un génie 
plus moderne ; et lorsqu'on pilla le monde, et particulièrement 
Rome, pour embellir Constantinople, l'empereur qui ordonnait 
cette œuvre de spoliation pouvait se comparer à un jeun# prodigue 
qui dépouille une vieille mère des omemens de sa jeunesse, pour 
en parer une maîtresse fastueuse, sur le front de laqueUe chacun 
doit les considérer comme déplacés. 

Quand on vit donc , en 324 , Constantinople, revêtue de la ma- 
jesté impériale, s'élever sur le site de l'humble Byzance, cette 
ville, à l'instant mâme de sa naissance et au milieu de sa splen- 
deur d'emprunt, montra , comme nous l'avons déjà dit, quelques 
signes de cette décadence ^prochaine vers laquelle tendait imper- 
ceptiblement l'intérieur du monde civilisé, qui était alors compris 
dans les limites de l'empire romain , et il ne fallut qu'un bien petit 
nombre de siècles pour que ces pronostics se véri&issent complè- 
tement. 

En 1080, Alexis Comnène ^ monta sur le trftne impérial, c'est- 
à-dire, fut déclaré souverain de Constantinople, de sa banlieue et 
de ses dépendances; et en le supposant disposé à vivre dans la 
mollesse, les incursions barbares des Scythes et des Hongrois ne 
devaient pas souvent troubler le sommeil de l'empereur, s'il se 
bornait à le goûter dans sa capitale. On peut croire que cette sé- 
curité ne s'étendait pas beaucoup plus loin, car on dit que l'impé- 
ratrice Pnlchérie avait fsdt construire une église à la Vierge Marie 
aussi loin qu'il était possible de la porte de la ville, afin de ne pas 
courir le risque d'être interrompue dans ses.exercices de religion 
par les hurlemens hostiles des Barbares; et l'empereur régnant 
s'était fait bâtir un palais près du même heu, pour la même raison. 

Alexis Comnène était dans la situation d'un monarque qui tire 
son importance de la grandeur et de la puissance de ses prédéces- 
seurs, et de la vaste étendue de leurs anciens domaines, plutôt 
que des restes de fortune qu'il en a recueillis. A l'exception du nom 
d'empereur qu'il portait , ce prince n'avait pas plus de pouvoir sur 
les provinces démembrées de son empire que n'en a un cheval à 

X. Vo7«i( QibboAi d^ap, XIYUI, su roxi^na «t l'hirtoire primitiTe de la maûoa (bt^ComahiN. 



COMTE DE PARIS. Î9 

déni mort sur les parties de son corps» sur lesquelles le eorbean 
et le vautour ont déjà commencé à s'abattre pour en faire leur- 
pâture. 

Dans diverses parties de son territoire, on vit s'élever diff&^na 
(mnemisy qni firent la gnerre à l'empereory tantôt avec on avan- 
tage prononcéi tantôt avec one fortune dontense. Parmi les na« 
tions nombreuses avec lesquelles il fut en état d'hostilité, telles 
qne : — ^les Francs du c5té de l'Ouest , les Turcs venant de FOrient, 
les Hongrois et les Scythes amenant du Nord leurs hordes barbares 
et innombrables et faisant pleuvoir une grêle de flèches ; et les Stfr- 
rasinsy ou les tribus qui composaient ce peuple, accourant du 
Midi; — il n'y en avait pas une seule à qui Tempire grec n'oflbit 
Fappat d'un festin. Chacun de ces ennemis avait sa manière parti- 
eoîière de faire la guerre, et dans les combats un système d'évo- 
lutions qui lui était propre. Mais les Romains, comme on appelait 
encore les malheureux sujets de l'empire grec , étaient de beaucoup 
les hommes les plus faibles, les plus ignorans et les plus timides 
qu'on pût traîner sur le champ de bataille. L'empereur s'applaudit 
donc de pouvoir soutenir une guerre défensive en armant successi- 
vement ses ennemis les uns contre les autres : se servant du Scythe 
pour repousser le Turc , et opposant ces deux peuples sauvage^ au 
Franc impétueux, dont Pierre l'Ermite, du temps d'Alexis, avait 
allumé la fureur par l'influence puissante des croisades. 

Si donc Alexis Comnène, pendant qu'il occupa le trône chan- 
celant de l'empire d'Orient, fut réduit à adopter un système de po- 
litique bas et honteux; s'il montra quelquefois de la répugnance 
à combattre, quand il avait lieu de douter de la .valeur de ses 
troupes ; s'il employa communément la ruse et la dissimulation au 
lieu de la sagesse, et la perfidie au lien du courage, ces expédient 
sont la honte de son siècle plutôt que la sienne. 

On peut encore blâmer l'empereur Alexis d'avoir affecté un de- 
gré de pompe qui semblait annoncer une grande faiblesse d'esprit, 
n était fier d'étaler sur sa personne les marques distinctives de di- 
vers ordres de noblesse, et de les conférer à d'autres, même à 
une époque où le rang que pouvait accorder le prince était devenu 
dans Fesprit du barbare libre une raison déplus pour mépriser ce- 
lai que l'empereur j avait élevé. Mais si la cour grecque était en- 
combrée d'un cérémonial insignifiant, pour suppléer à l'absence 
de ce respect qu'auraient dû inspirer un mérite réel et un pouvoir 



30 llOffiKRt> 

Térkabby ce n'était pas vue Atnte particnlièra k ee pfinèe, o'étdt 
odk da ^stèHM et goaTemement adopté à GonstantiiK^le depuis 
des siècles. Avec son absurde étiquette qui prescriyait desrèglei 
de condaite pour toute la Joiiniée dans les poinuks moins inipor- 
«ana, l'empire grec » dans ses folies minutieuses , ne ressemblait à 
anoone pnissuice eiistante, si ce n'est à l'empire de Példn; IHu 
et l'antre ayant la ridicule prétention de donner un air d'impor» 
taneeàdes objets que leur futilité ne rend pas susceptibles de oetit 
dÎBtinotion. 

Tfoui devons donc justifier Alexis Jusqu'à un certain point, en 
disant que, quelque humbles que fussent les ezpédiens auxquels il 
eut reoourst ils firent pins utiles à son empire que ne rauraient 
peut-être été, dans les mêmes circonstances, les mesures qu'aurail 
pu prendre un prince dont Fesprit aurait été plus fier et plus âevé. 
Go n'était pas un champion à rompre une lance contre la cuirussu 
du Frane son rival, le célèbre Bohémond d'Antioche ^ ;. mais, dans 
plttsieuM oocasions, il hasarda hardiment sa vie; et, autant que 
MUS pouvons en jug^ après^voir lu attentivement Ifhistoire de 
ses exploits , ^empereur de la Grèce n'était jamais si dangereux, 
sous lé bouclier, qne lorsque quelque ennemi voulait l'arrêter dans 
sa retraite, après une batîdlle qu'il avait perdue. 

Mais indépendamment de ce qu'il n'hésitait pas, sidvut lu 
coutume de ce temps, à exposer, parfois du moins, sa personne 
aux périls d'une mêlée, Alexis possédait aussi les connaissances 
de l'art de la guerre qu'on exige de nos jours d'un général. Il savût 
idioisir les positions militaires les plus avantageuses ; et U couvrit 
souvent des défoités, et tira parti de combats douteux, de manière 
à tromper l'iAtente de ceux qui s'imaginaient que l'œuvre de la 
gMrre ne se faisait que sur le thamp de bataille. 

Si Alexis Gomnèneeonnaissait ainsi les manœuvresde la guerre^ 
fl raiteadmt encore mieux «elles de la politique. Yisant toujours 
a!u4dà du Ittt uVotté de k négociation qui l'occupait , l'emperemr 
"était sftr dl'^obtemt quelque avantage important et durable ; 6t 
)Mi«[*Mit 9 finissait souvent par être d^oné par la légèreté sans 
l'OdeiA' ou la trahison ouverte des Barbares, comme les Grecs 

• 

;i/]MiélM)iia,in8<Aa6beM<SaîfMri, Itwaqtii^ÊiA iMhmiiia^M^àpvS^ isItCdal^eA 4e te Si- 
cile, éuk, à l'époque qù la première croisade commença, comte de Tarente. Quoiqve déjà avancé en 
H*, fl se jfti^on arebiÂle i l*ex|Aiditlon des Itftins^et derint prince d'ibrtiDdie ; ^uant MVt éêtaSs 
9or ses aTentiuts, §m mort etson oaractàve «stcaordUkain, il faa^ QoiwaltarXUhboB» «bap. UX, «t Je 
'VrédillfrYAliifd^ del'&itftoix'b deh croisades de Vffls. 



COMTE DB PARIS. 31 

MBaBiMPt en général twrtisletaatrisiia^ 
leiciibiu (ear on peat à peine leur donnor le nomd^Ecat ) qoi en* 
TOomudent leur empire. 

Noos poii¥onfl terminer eeeoort pevMil de Goattène en diiant 
qie, •*!! n'avait été appelé à remplir la pgate d'mi monarque qai 
était dans la néeemité de eefidreeraiatdrei eomme étant expoaéà 
des conspirations de toute espèce, tant de la part d'étrangers que 
dans aa propre fimodUe, il aurait pu, suivant toutes les probabilités, 
être regardé comme un prinee honnête et l^umain* Il montra cer- 
tainement de la bonté, et il fit tomber moins de têtes, priva de 
leurs yeux moins de personnes que ne Pavaient fait ses prédéces- 
senrs, qtii avaient ordinaijrement rei^ours à de tels moyens pour 
réprimer les desseins ambitieux de leurs compétiteurs. 

Il nous reste à dire qu'Alexis avait sa bonne part de l'esprit 
superstitieux de son siècle, quoiqu'il le cachât avec soin. On dit 
même qu'Irène, son épouse, qui naturellement devait le mieux 
connaître le caractère de l'empereur, accusa son mari mourant 
d'avoir recours, en ses derniers momens, à cette dissimulation qui 
l'aTsit accompagné pendant toute sa vie ^. Il prenait aussi un vif 
intérêt à toutes les a£faires de l'Eglise, poursuivant l'hérésie, que 
Feaiperenr avait ou aSeotait d'avoir en grande horrenri partout 
oà die lai paraissait se glisser pour tencbe des (Méges^ Dana la 
Banièredont il traita les Maniehéens eu Panlieiena , on ne voit 
pas eette pitié pour des erreurs db jugeaaent que las temps mo- 
dernea auraient one Uen méritée par l'étendue dés services tem** 
pofela de .ces infortunée seetaires. Alexis n'avait pas d'âadulgenee 
pour ceux qui donnaient une fausse interprétation aux mystères 
de l'Eglise ou de sa dOotrine; et, dans son opinion» le devoir de 
défendre la religion Oontre leasohisniatiques loi était aussi rigon* 
reosanaent imposé que cduî de protéger l'emplie eontre les in- 
lunalwahlea tribus barbares qui empiétaient de tous tôtéa sur aea 
fironiiàves. 

C'est ee mélange de bon.sena et de jhiUesseï de bassesse et de 
dignité» de discrétion prudente et de manque d'énefgîe ( défaut 
qui, suivant la mamàre dea Buropdens d'envisager les choses, 
apfreohait de la lâcheté), qld formait les prinéipaux traits du ca- 
ractère d'Alexis Gomnène, à une époque oà le destin de la Grèoe, 
fit de tout ae qui restait oli ce pays des arts et de la 



82 ROBERT, 

était snspenda dans la balance, et paraissait devoir être sauvé on 
perdu, suivant le talent qu'aurait l'empereur pour jouer le rôle si 
difficile dont il se trouvait chargé. 

Ce peu de détails principaux rappelleront, à quiconque connaît 
passablement l'histoire, les circonstances particuhères de l'époque 
que nous avons choisie pour s6rvir de base à cet ouvrage. 



CHAPITRE II. 



Cette cité si fidre. 
De la reine da monde orgneillease héritière. 
Gomme ta Tanité le prétend, en ce lien , 
Au sein de l'Océan , aussi bien qu'an milieu 
Des siècles écoulés et futurs, parait Atre 
Le dernier des fragmens d'un grand pays, p0at*ètre 
Echappé par hasard à la convulsion. 
Qui Tona tout le reste ft la destruction. 
De ses rochers la cime encor majestueuse 
S'élère Ters le ciel , et leur tête orgneillease 
Règne sur le désert. 

Gvjufcniln PaUohgmÊ , loène I**. 



La scène de notre histoire dans la capitale de l'empire d'Orient 
commence à ce qu'on appelle la Porte d'Or de Constantinople ; et 
l'on peut dire, en passant, que cette ^ithète splendide n'est pas 
aussi légèrement accordée qu'on pourrait s'y attendre d'après le 
langage ampoulé des Greca* qui jette une telle apparence d'exa- 
gération sur tout ce qu'ils disent de leurs édifices et de leurs mo- 
numens. 

Les muraiUes massives et en apparence imprenables dont Con- 
stantin entoura cette ville, furent considérablement augmentées 
et fortifiées par Théodose surnommé le Grand. Un aro-de*triomphe, 
monument de l'architecture d'un siècle meilleur, quoique d^à 
dégénéré, et servant en même temps de porte, introduisait l'é- 
tranger ^ns la ville. Sur le sommet, une statue de bronze repré- 
sentait la Victoire, déesse qui, dans les batailles, avait bit pen- 
cher la balance en faveur de Théodose; et comme l'artiste avait 
résolu d'étaler de la magnificence à défont de goût , les omemens 
dorés qui accompagnaient les inscriptions ûrent bientôt donner à 
la porte un nom qui devint populaire. Des statues , sculptées à une 
époque éloignée et plus fertile en talens, décoraient les murs, sans 
être heureusement assorties au style dans lequel ils étaient con« 



COMTE DE PARIS. 33 

stndts. Les omemens plas modernes de la Porte d'Or, à Pëpoqne 
de notre histoire, ayaient un aspect toat différent de celai qa'of* 
fraient la Victoire ramenée dans la Tille, et la Paix étemelle, bien* 
bits que des inscriptions flatteases annonçaient comme étant dns 
aa glaive de Théodose. Quatre à cinq macÛnes de goerre, servant 
à lancer des traits de la pins grande dimension, étaient placées sur 
le haut de Taro-de-triomphe, et ce qui avait été destiné dans l'ori* 
gineà être on ornement d'architecture était alors ehangé'en un 
instrument de défense. 

La soirée commençait, et la brise douce et rafraîchissante qui 
venait de la mer invitait les pateans dont les ai&dres n'étaient pas 
très urgentes, à marcher lentement, et à jeter un coup d'œil sur 
eette porte pittoresque et sur les divers prodiges de la nature et de 
l'art que la ville dé Constantinople présentait à ses habitans aussi 
bien qu'aux étrangers ^. 

Un individu semblait pourtant montrer plus d'admiration et de 
coriosité qu'on n'aurait dû en attendre d'un homme né dans la 
Tille, n jetait sur toutes les beautés qui l'entouraient un coup d'œil 
rapide et surpris qui indiquait une imagination excitée par la vue 
d'objets nouveaux pour lui. Son extérieur annonçait un étranger 
et nn militaire ; et, d'après son teint, il semblait avoir reçu le jour 
Uen loin de la métropole de l'empire grec , quel que fÙt le hasard 
qui ramenât en ce moment à la Porte d'Or, on quelle que fût la 
place qu^il occupât au service de l'empereur. 

C'était un jeune honune d'environ vingt-deux ans. Il était bien 
iait, et montrait la vigueur d'un athlète, qualités que savaient ap- 
précier les habitans de Constantinople, à qui l'habitude de fré- 
quenter les jeux publics avait appris du moins à savoir juger de la 
forme de l'homme, puisqu'ils y voyaient, dans l'élite de leurs 
propres concitoyens, les plus beaux échantillons de la race hu- 
maine. 




nous pâmes à notre aise contempler cette TÏUe ; c'était dans ce lien que le» Taisseaux et les gaïàirs 
Jetaient l'ancre, et ceux qui n'étaient pas encore Tenus dans ce pays furent saisis de surprise. Us ue 
pouvaient conceroir qu'il existât une ville sembbble dans le monde, et ils ne pouvaient pas se lassf r 
ie contempler les hautes murailles et les tours qui l'encaissaient, les riches palais, les églises élevées 
qoi étaient en si grand nombre qu'on n'auraft pas pu le croire, si l'on n'avait tu cette ville, le reine 
«• villes. Et il n'y eut pas un cœur assez hardi pour ne pas ressentir nne secrète terreur à la tu« 
des forces de Constantinople. m (Chap. LXVI.) 

« Alors plusieurs personnages de l'année allèrent Toir l'intérieur de Constantinople, TisitOT 
Iss riches palais et les magnifiques églises , ainsi que les autres curiosités de la Tille qui ne pas- 
▼eut être égalées : je ne parle pas des couvens , qui sont aussi nombreux que ceux du monde entier 
-" • ..(Chap.C.) 

3 



H ROBERT, 

^vfétmmt loeitftiit ptts w géntoJ ifavan grand* taille ipie 
Fémgiger qaà se tarottrait à la Porte d'Or, et dont les yeux bkiie 
etperçana, aûn foelesdieveoxbloiidsipnattrtaieiikdedeaBonseii 
oafqoeUger^élégaHiBeDlreyâtadWiieiiieiiaeiiar^ et samMmté 

annonçaient qm'il avaàl reça le jeor dani le Nord, ce que ecmfir- 
UMÔI anMÎ Peitréme blanekeur de Êoa teint* Hais quoiqu'il <At nn 
eitérievr et dee traite éminemment dktingnés, sa baaolé ne hii 
donnait pas an air efféminé; an contraire , il n'était pas meina 
vnnarfoÂble par sa foroe fae par Fair de coi^iance et de calme 
ttvec leipMl il semblait considérer lee merveiUee qni l'entouraient. 
Son regard n-indicpaît pas la atnpidîté impuissante d'ime ame 
ign<»ante et ineapable de s'inetrnire^ mais exprimait cette in- 
telUgenee pempte qni eemprend la pins grande partie des in- 
formations qu'elle reçoit , et qui commande à Fesprit de faire dee 
eflbrta poor pénétrer ce qu'il n'a pas «More compris, ou ee qu'il 
peoit eraindre d'avoir mal- J^gé* Ce regard de yive attention et 
d'intelligence fixait l'intérêt général snr ce jeune Baiiiare; et 
tandis que lee spectateurs de cette scène étaient sorpria qu'un san- 
Tage arrivé d» çMlque coin inoonna eu âoigné de l'univers efit 
un aspect plein de noUesse qui annonçait mie ame ai élerée, ile 
étaient saisis de respect en voyant le sang-froid avec lequel il 
CEfiamlnait tant de choses dont la forme, la splmidenr et IHisage 
devaient être une nouveauté peur lui. 

L'équqKmait de ce jeune homme offirmt nn singulier mâbnge 
de magnifieenee et de mollesse , qni permit à ceux des spectateurs 
qmi avaient qndque expérience de découvrir quelle était sa dation, 
et en quelle qualité il servait. Nous avons déjà parlé dn cimier 
âmtasqoe qni distinguait le calque de l'étranger; û faut que l'ima- 
gination du lecteur y ajoute une petite cuirasse en argent, mais ai 
étroite, qu'elle ne protégeait que très imparfaitement la large 
poitrine pour laquelle elle semblait plutôt nn ornement qu'une 
armure défensive ; et si un dard lancé avec force, ou une flèche 
biien acérée,- eàt frappé ee riche boncHer, il y aurait eu peu d'es- 
poir cpi'il f ûft une protection suffisante pour le sein qu'il ne couvrait 
qu^en partie» 

Entreles deux épaules, il lui tombait sur le dos ce qui paraissait 
une peau d'ours ; m^ia w l'exaniinanl; de plus près, on voyait que 
cen'étmt qu'une fattitatioin trè$ adroite des dépouilles qtte procure 
la chasse de cet animal. Dans le fait, c'était nn surcot en 9(At 



COMTE DE PARIS. U 

trèsfeitt, dont le tissa pottaélMiipaTaiBé de a—JèreàpfJMnler» 
TU à quelque distance, la ressemblance assez ecude àfnam fom 
fours* Un léger sabre à lame courbe, e« eknelorrei doatle foer- 
lean était d'or et d^voire^ était sespcadi «i oAlégaadie de fé- 
trufier , et la poignée licbcment <Miiée en peraîsittS beaMovp 
trop petite pour la large main de jeune Heroele qvi portak eetie 
arme élégante. Un Téteaiieiit de co«leer pQwpre foi M deoMMÎt 
la taiBe loi deseendait eepenai^deesowadeige non gi^ geséÉsdei 
ans ainsi qnele kant de ses jambes. See sandales étsîoit reieesNi 
par des mbane qui remontaient en se ermsant àm eende-piedîn» 
qa'an bas dn mollet, où ils étaient attachés par nne pîèee dfor ae 
«rin de l'emperenr régnant, et qn^on avait transiMméeàeeiefiet 
on nne serte d*agrafe. 

Mais ime ar aie qnl paraissait pks particnMireBMnt adquée à la 
taifie dn jenne Barbare» et dont n^anrait pu se serrir vn h omme 
dont les membres enraient été moins robnstes , était «m haehe 
d'armes , dmit k asanehe , de Porme le pies dmr, était garni et 
iacmsté d'acitf et de enivre, et entouré de plaqnea el de cercles 
de far pour serrer et maintemr ensemUe les d^i^rentee partieede 
bois et de métal. Cette hache était armée de denx kmee, dont les 
tranchans étaient opposés Fnn à Fanire , et entre dlee s'avaaçak 
nne pointe de piqne lôen aignisée. Leader, tant de la pîqoe q«e 
des denx lames , était parftdtement traVailié, et bfSlait cem^ on 
mirior. La longueur de cette arme pesante Paundt rendue pénftle 
àporter pour un homme moins Tigoureux, mais le jeone soldat fea 
maniait avec la même insouciance que si c'eût été une plmue^ Il 
est Trai qu'elle avait été faite aTec tantd^art , et queles^fléventes 
parties en aTsient été si bien eomlânées, qn'eHe était beanoenp 
plus légère, soit pour frapper m coup, soit poor se relever ensmte, 
que n'aurait pu le crmre celui qui la TOT-ait entre les mainS'dNni 
autre. 

Le fidt qu'il portait des armes aurait suiB peur preorer qae ce 
militaire était étranger, car les Grecs avaient cette- marqué de 
dvilisalion , qu'ils ne portaimit jamais d'armes en tempe de paix , 
à l'exception dé ceux qui suivaient Vétat militaire, et dont les 
fonctions exigeaient qu'Us fussent toujours armés. Ces soldats de 
profession âè diàtinguaient aisément des citoyens paisibles; et ce 
fdt avec des marques évidentes de crainte et presque d'aversion 
que lee passans se dnrœt les uns au autres que eet étranger était 

3. 



36 ROBEiit, 

Qn Varangien > expression qui signifiait un Barbare de la garde dn 

corps de Temperenr. 

Pour suppléer à la Talenr qui manquait à leurs sujets » et pour 
se procurer des soldats qui fussent sous leurs ordres personnels , 
les empereurs grecs avaient coutume, depuis bien des années, 
de prendre à leur solde un certain nombre de soldats d'élite, qui 
fusaient leur service ausçi près de la personne de leur maître 
qu'il était possible, en qualité de gardes-du-corps. Gomme ils joi- 
gnaient à une discipline et à une fidélité infl^ûbles la force du 
corps et un courage indomptable, ils étaient assez nombreux, 
non-seulement pour résister à toute. t«itatiye de trahison contre 
l'empereur, mais pour réprimer des rébellions ouvertes , à moins 
qu'elles ne fussent appuyées par une grande partie de la force 
militaire. Ils recevaient donc une paie libérale; leur rang et la 
réputation de prouesse qu'ils avaient acquise leur donnaient une 
grande considération chez un peuple dont la renommée, en fait de 
bravoure , ne s'était pas élevée bien haut depuis quelques siècles ; 
«t si, comme étrangers, et comme membres d'un corps privilégié, 
les Yarangiens étaient quelquefois chargés d'exécuter des ordres 
arbitraires qui excitaient contre eux l'animadversion publique, les. 
Grecs étaient si portés à les craindre, quoiqu'ils les vissent de 
mauvais œil, que ces vaillans étrangers se mettaient fort peu en 
peine de ce que pensaient d'eux les habitans de Gonstantinople. 
Leur costume, leur.équipeinent, quand ils étaient dans la ville, 
avait quelque chose de riche ou plutôt de fastueux, semblable à ce 
que nous venons de décrire, et n'avait qu'un rapport éloigné avec 
la mise des Yarangiens dans les forêts qui les avaient vus naître. 
jMais quand les soldats composant ce corps d'élite étaient requis 
pour bire leur service hors de la ville, on leur fournissait des 
armes et des armures plus semblables à celles qu'ik étaient habi- 
tués à porter dans leur propre pays, moins brillantes, mais plus 
terribles ; et c'était ainsi qu'ils recevaient l'ordre de se mettre en 
campagne. 

Ce corps de Yarangiens S nom qui, d'après une interprétation 

I. yillehardoain , en d^crÏTant lo siège de ConsUntmople, A. D. xao3 , dit: « Li mnn fa moult 
garnis d'AngloM et de Danois. » De U la dissertation de Ducange iel citée, et plnsiears antres ar- 
ticles en outre dans son Glossaire, tels que F'arangit Varengangi, etc. L'ëtymologie dn nom est restée 
incertaine» quoique le mot allemand /or/-^i>ger, c'est-à-dire aller en avant, errer exilé , semble le 
pluA probable. On retrouve ce mot dans plusieurs documens de Sicile et d'Italie, antérienra à Téta- 
bllssement de la garde Tarangieune à Gonstantinople et réunis par Muratori. Par exemple , dans an 
«dit d'ao des rois lombards i « Omnes ^arengangi, qoi de extaris finibns in regni noatti finibot 



COMTE D£ PARIS. il 

qa'on en donne , s'appliquait en général anx Barbares^ atait été 
formé, dans un siècle plus éloigné, d'hommes errans et de pirates 
da Nord » qu'un amour pour les aventures , le plus vif peut-être 
qa'on ait jamais conçu , et un m^ris pour le danger, sans égal 
dans Phistoire de la race humaine, portaient à s'ouvrir des routes 
nouvelles sur l'Océan. « La piraterie, dit Gibbon avec son énergie 
ordinaire, était l'exercice, le métier, la gloire et la vertu des 
jeunes Scandinaves. Las d'un climat glacé et des limites étroites 
qui les resserraient, ils se levaient à la fin d'un banquet, saisis- 
saient leurs armes y sonnaient de leur cor, montaient sur leurs 
navires, et allaient visiter toutes les côtes qui leur prometuient 
des dépouilles ou un établissement ^. » 

Les conquêtes que firent en France ces sauvages rois de la mer^ 
comme on les appelait, ont effacé le souvenir d'autres héros d« 
Nord qui , long-temps avant le règne de Gomnène, firent des ex- 
cursions jusqu'à Constantmople, et virent de leurs propres yeux 
l'opulence et la faiblesse de l'empire grec. Un grand nombre tra* 
Tersèrent , pour s'y rendre, les déserts de la Russie ; d'autres y 
arrivèrent par la Méditerranée sur leurs serpens marins, nom que 
ces pirates donnaient à leurs navires. Les empereurs grecs, effrayés 
à l'aspect de ces audacieux habitans de la zone glaciale, eurent 
recours au système politique qu'adopte ordinairement ua peuple 
riche et peu belliqueux : ils achetèrent à prix d'or le service de 
leurs armes. Ainsi se forma un corps de satellites plua distingué par 
sa valeur que les fameuses cohortes prétoriennes de Rome ; et, peut- 
être parce qu'ils étaient moins nombreux, ils furent constamment 
fidèles à leurs nouveaux princes. 

Hais à une époque plus rapprochée; il commença à dev^r plus 

■dTcncriiit aeqae tob seato potetUtis nostroc subdidorint , ùgibos nostris Longobardorum vif are 
^Mwant. » Et autre part «ncore t « De Vareograngis, nobilibua, mediocribus, et roaticis boiiiillibiia» 
V^ uque nnnc in terra Teatra façiti sunt habeatia eos. » (Maratori, vot XI, p. a6i.) 
^ RelatiTement à l'origine de la garde varangienne» le témoignage le pins certain est celui d'Orde- 
licu Vitalia qui ditt Lorsque lea iloglais earent perdu leur liberté, ila cbercbèrent arec sèle les 
moyens de secouer un joug auquel ils ne pouvaient pas s'habituer. Quelques-uns se réunirent h 




par lespoir d acqnenr des ncbesses qui 
poar reconquérir leur liberté. Quelques-uns de ces derniers, dans la fleur de la jeunesse, pénétrèrent 
joiqa'à un climat éloigné, et s'offrirent à remplir un senrice militaire près de l'empereur de Constan- 
tinople, ce prince sage, contre lequel Robert Guiscard , duc d'Apulie, déployait tontes ses forces. 
I« exilés anglais furent faromblement accueillis, et on les opposa aux Normands , contre lesquela 
les Grecs senla eussent été trop faibles, illexis fit construire une rille pour les Anglais, un peu aa- 
^SQS de Gonstantinople, dans un lieu appelé CheTclot, npais les désordres des Normands de Sicile 
iogmentant, il lea rappela promptement dans la capitale, et confia k lenr garde le principal palaia 
STee tous les trésors qui y étaient enfermés. Ce fut de cette manière aae les Anglo-Saxona trou- 
vèrent leur chemin en lonie, oit ila sont encore hautement estimés de l empereur et du peuple. » 
LivrelY, p. So8* ^ 

I. Uutoln 4ê la di w d nM «r 4* ta, ekut* df rtmpirt , chap. LV . 



S9 ROBERT, 

diffioilaaiix^mpereiir» de se procurer des recmes pour leurs corps 
d'élitei las peiples da Nord ayant renoncé en grande partie à leurs 
liabitodes da piraterie vagabonde , qui avaient amené leurs ancê- 
tres du détroit d'Elsenenr à celui de Sestos et d'Abydos. Le corps 
des Varangiaos se 'serait donc éteint bientftt , ou il aurait dégénéré 
nécessaûrement , si les oonijpiêtes faites bien loin dans rOecidant 
par les Normands n'eussent envoyé au secours de Gomnène un ren- 
fort nombreux d'individus qui avaient été dépouillés de leurs biens 
dans ks U^ da la Grande-Bretagne, et particulièrement en Angle- 
terre, et qui servirent, à recruter sa garde favorite. C'étaienti par 
le fsilLi des Anglo-Saxons ; mais^ dans la confusion des idées géo- 
graphiques de la cour de Gonstantinople, on les nomma assez nata- 
reUemmt Anglo^'Danois» leur pays natal étant confondu avec la 
Thulé des. anciens, expression par laquelle on doit entendre, à 
p|t)prepient^rler, Parcbipeld^ îles de Shetland et des Orcades, 
mais quit.suivani; l'idée des Grecs, s'appliquait aussi, soit au 
Danemarck, soit à la QranderBretagne. Au surplus, ces émigrcms 
parlaient une langue qui ne différait pas essentiellenient de celle 
des premi^s Yarangiens, et ils en adoptèrent le nom d'autant plus 
aisém^t qn'il semblait lenr rappder leur malheureux destin, 
puisqne.cf.piatpouvail aussi s'interpréter comme signifiant des 
exilés* A rexcèptt(m de deux ou trois commandans en chef, que 
l'empereur jugeait dign^ de cette marque d'une haute confiante , 
les YarangiiNq^ avaient pour officiers des hommes de leur propre 
nation. Grâce à tantide privil^e», et à l'arrivée successive d'un 
certain nombre de leurs concitoyens, suivant que les croisades, les 
pèlerinages, ou le mécontentement dans leur pays, amenaient dAUS 
VOrietit.de nouveaux essauns d' Anglo-Saxons on Anglo-Danois, 
les Yarangiens subsistèrent jusqu'aux derniers jours de l'empire 
grec, conservant leur ancienne langue, ainsi que la fidélité irré^ 
procbable et Tespdt martial qui avaient caractéfi$é leurs pères* 

Les détails que nous venons de donner sur h g^He yarangienne 
sont striètement historiques ; ce' qui pourrait ae prouver en citant 
les historiens bvzantins, dont la plupart, ainsi (jueYillehardoain 
dans sa relation de la conquête de Gonstantinople par les francs et 
les Yénitiens» font mention , à plusieurs reprises, dfi cette célèbre 
et singulière troupe d'Anglais formant une gatdi$ dt| CQtp$ SOU^ 
doyée, au service deè empereurs grecs ^ 



.1 



• Dacange a déployé lie^nconp d'érudition rar ce sijet curieux, comme on peut le totr dâue tes 



COMTE DE PARIS. 19 

Nms fsa awvrafl dit «asez pour aKpU<pier eonment il arriva 
qH^nii YaraBgien «e trouvât près de l^ PiMte d'Or. Hainftoiaiit 
noof pouvons continuer lïûstoire que nous ayons oommenoée. 

On ne d<nt pas trouTer extraordinaire que ee soldat de la garde 
dn corps fût regardé par les passans ayee un certain degré de 
eoriosité» On doit supposer qoe, d'qprès leurs devoirs partionliers, 
ils avaient pea de rapp<»ts ou de communications avec les habî- 
tans. Usavaient en outre à exercer de temps «1 temps parmi ewL 
des fonctions de police qui les. rendaient en général des olqets de 
crainte plutôt que d'affection ç et ils savaient en même temps que 
leur haute paie, leur brillante tenue, et le service qu'ils faisaient 
près de la personne de Fempereuri étaient un sujet d'envie pour 
les autres troupes. lisse tenaient donc presque constamment dans 
les environs de leurs casernes , et ils s'en écartaient rarement, à 
moins qu'ils ne fassent chargés de quelque mission par le gouver- 
nement. 

Dans cette situation de choses, il semblait naturel qu'un peiq>le 
aussi curieux que Tétaient les Grecs s'occupât à cousîdérer cet 
étranger, qui tantôt s'arrêtait dans un endroit, tantôt marchait en 
liMg et en lai^ comme un homme qui ne pouvait trouver un lieu 
qu'il cherchait, ou qui avait manqué quelqu'un avec qui il avait un 
rendez-vous. L'esprit des passans trouvait mille maniàres diffé- 
rentes et contradictoires d'expliquer sa conduite. -^ C'est tti 
Varangien, dit un citoyen à un autre, et un Yarangien qui a 
quelque missûm à remplir. -^ Nbml — Je crois donc pouvoir vous 
dire à l'oreille. •• 

— Quelle mission croyez- vous qu'il ait ? demmida celui à qui le 
premier avait adressé la parole. 

— Dieux et déesses 1 répondit le nonvelUste de Gonstantînople, 
vous imaginez- vous que je puisse vous le dire? Mais Supposes qu'il 
Mt ici à rôder pour entendre ce qu'on dit de l'empereur. 

— Gela n'est pas vraisemblable. GesVarangiens ne parlent pas 
notre langue, et ils ne sont nullement propres à jouer le rôle d'es- 
pions, puisqu'il en est très peu qui puissent prétendre à une légère 
connaissance de la langue grecque. Je pense donc qu'il n'est pas 
probable que l'empereur emploie comme espion un homme qui ne 
comprend pas le langage du pays. 

-^ Mais si , parmi ces soldats barbares, répliqua le politique ^ il 

notes SUT V Histoire de Constantinople sous les empereurs Jraftçais, "pax Vi)IehardoQin. Paris, 2637, 
«•feUai. f» xgi6. On ptat «Mi oowalter l'hi^toin» d« Oibbon. 



40 ROBERT, 

86 troate > comme tout le monde le croit, des gens qui savent 
parler presque tontes les langnes, tous conviendrez que ceux-là 
sont tont-à-Êdt propres à ce métier, puisqu'ils possèdent le talent 
nécessaire pour voir, et pour faire rapport de ce qu'ils ont -vu, 
tandis que personne n'a la moindre idée de les soupçonner. 

— Gela est possible , dit son compagnon : mais puisque nous 
voyons si clairement le pied et les griffes du renard sortir de des- 
sous la toison de la prétendue brebis, ou pour mieux dire, si voas 
le permettez, de dessous la peau d'ours, ne ferions-nous pas mieux 
de retourner chez nous , avant qu'on ne prétende que nous avons 
insulté un garde varangien ? 

La crainte du danger auquel faisait allusion le dernier interlo- 
cuteur, qui était un politique beaucoup plus âgé et plus expéri- 
menté que son ami, les détermina tous deux à faire une prompte 
retraite. Us ajustèrent leurs manteaux, se prirent par .le bras, et 
parlant avec volubilité et à voix basise en élevant de nouveaux 
motib de soupçon, ils prirent, serrés l'un contre l'autre, le chemin 
de leurs demeures, qui étaient situées dans un quartier différent de 
Gonstantinople. 

Pédant ce temps le soleil s'était presque couché , et l'ombre 
prolongée des murs , des boulevarts et de l'arc-de-triomphe, s'a- 
Tançait vers l'orient, et répandait une obscurité plus profonde. Le 
Varangien sembla fatigué du cercle étroit dans lequel il s'était 
alors promené plus d'une heure, et où il restait encore, comme un 
esprit captif qui ne peut quitter le lieu où il se trouve avant que 
le charme qui l'y a appelé ait été levé. Jetant un regard d'impa- 
tience vers l'occident, où le soleil se couchait dans une masse de 
lumière, derrière un beau bouquet de cyprès, le Barbare chercha 
à s'arranger de son mieux sur un des bancs de pierre qui étaient 
placés sons l'ombre de l'arc-de-triomphe de Théodose, posa contre 
lui sa hache qui était sa principale arme, s'enveloppa de son man- 
teau , et , quoique son costume ne fût pas celui qui était le plus con- 
venable pour dormir, ni le lieu celui qu'on aurait dû choisir pour 
se livrer au repos, en moins de trois minutes il était endormi. 
L'impulsion irrésistible qui le portait à chercher du repos dans un 
endroit si peu propre à lui en procurer pouvait être la fatigue ré- 
sultant du service qui l'avait obligé à veiller toute la nuit précé- 
dente. Mais en s'abandonnant à cet accès passager d'oubli de tout 
ce qui l'entourait, son esprit restait tellement actif qu'il semblait 
veiller les yeux fermés; et jamais limier ne dormit d'un sommeil 



COMTE DE PARIS. 41 

pbu l^[er qae notre Aiiglo*Saxon à la Porte d'Or de Constan- 
tinople. 

L'ëtrangeTi pendant son sommeil , devint un snjet d'observa- 
tions pour les passans qne le hasard amenait , comme il l'avait été 
pendant sa promenade. Deox hommes s'avancèrent en même 
temps sons Farc-de-triomphe. L'on, dont l'extérieur annonçait plus 
d'af^té iqne de vignenr, se nommait Lysimaque, et était dessina- 
teur de profession. Un rouleau de papier qti'il tenait en main, et 
im petit sao contenant ses couleurs ou ses crayons , formaient tout 
le fonds de son commerce, et la connaissance qu'il avait des restes 
des cheb-d'œnvre de l'art des anciens lui donnait malheureuse- 
ment plu)s de facilité pour en parler qu'il n'avait de talent pour 
Fezécution. Soa compagnon , homme dont les formes étaient ad- 
mirablesy et qui, à cet égard» ressemblait au jeune Barbare, mais 
à qui l'expression de ses traits donnait l'air d'un rustre et d'un 
paysan, était le lutteur Stéphanos, bien connu dans la palestre. 

-'Arrêtons-nous ici I mon ami, dit. l'artiste en prenant ses 
crayons, jusqu'à ce que j'aie fait l'esquisse de ce jeune Hercule. 

— Je croyais qu'Hercule était Grec, répondit le lutteur ; 42et 
animal endormi est un Barbare. 

Son ton indiquait qu'il était offensé, et le dessinateur s'empressa 
d'apaiser le mécontentement qu'il avait excité sans y penser. Sté- 
phanos, <M>nna sous le nom de Castor, et très distingué dans les 
exercices gymnastiqnes, était , pour le petit artiste, une sorte de 
patron ; et la réputation dont il jouissait pouvait contribuer à faire 
connaître les talens de son ami. 

— La beauté et la force, dit Fadroit dessinateur, n'appartien- 
nent exclusivement à aucune nation ; et puisse notre muse ne m^ac- 
corder jamais ses faveurs , si mon plus grand plaisir n'est de com- 
parer ces deux quaUtés telles que les possède le sauvage ignorant du 
Nord, et telles qu'on les trouve dans le fiivori d'un peuple éclairé, 
qoi a ajouté la science gymnastique, portée au plus haut degré, 
anx dons naturels les plus distingués, réunicm que nous ne pop 
Tons trouver que dans les che&«d'œuvre de Phidias et de Prain* 
tèle, ou dans le modèle vivant des champions de l'ancien gym- 
nase. 

—Je cimvienB que ce Yarangien est un bel homme, répliqua l'a- 
thlète d'un ton adouci; mais le pauvre sauvage, pendant toute sa 
vie, n'a peut-être jamais eu une seule goutte d'huile répandue sur 
sa poitrine. Hercule institua les jeux isthmiques. 



42 BOBERT» 

— Blaifl qaVt*>il donc si près de loi en doruuuit » et sous sa peau 
d*oiirs? s'écria l'artiste. N'es^oe pas une massue ? 

-— Partons , partons, mon ami, dit Stéphanos, tandis qn'ils re- 
gardaient de pins près le dormeur. Ne savez-Toni pas que c^est 
l'arme ordinaire de ces Barbares ? Ils ne Sont pas la guerre ay4)c 
des sabres ou des lances ^ conune pour attaquer des créatures de 
chair et de sang ; ik se serrent de massues et de haches, comme 
si leurs ennemis avaient des membres de pierre et des muscles |de 
chêne. Je gagerais ma couronne (de persil £ané ) qu'il est ici pour 
arrêter quelque chef distingué qui a offensé le gouYemement; 
sans cela il ne serait pas armé d'une manière si formidable» Mar- 
chons, mon bon Lysimaqne, marchons, et respectons le spBuneil 
de l'ours. 

A ces mots le champion de la palestre passa son chemin, ayant 
l'air d'avoir moins de confiance en lui-même que sa taille ^ sa 
force n'auraient dû lui en inspirer. 

D'autres passans arrivèrent , mais le nombre en diminua à me- 
sure que la nuit avançait et que l'ombre des cyprès se prolon- 
geait. Deux femmes de la classe inférieure jetèrent un coup d'œil 
sur le dormeur. — Sainte Marie I dit l'une, ce jeune homme me 
rappelle ce conte oriental, d^ans lequel un génie enlève un brave 
et jeune prince de sa chambre nuptiale en Egypte, et le dépose 
tout endormi à la porte de Damas. Je vais éveiller ce panrre 
agneau , de crainte que le serein de la nuit ne lui fasse mal. 

-^ Mal I répéta sa compagne qui était plus âgée et qui avait «m 
air bourru ; allez, allez , il ne lui fera pas plus de mal que n*e& fait 
au cygne sauvage l'eau froide du Cydnus, -** Un agneau, vraiment 1 
Sur ma foi I c'est un loup ou un ours , on tout an moins un Yaran- 
gien ; et pas une matrone modeste ne voudrait adresser un mot à 
un Barbare si incivilisé. Je vous dirai ce que m'a fait un de ee^ 
Angla*Danois... 

Tout en parlant ainsi , elle entraîna sa compagne, qui la suivit on 

«u à contre-cœur^ et qui semblait écouter son babil, tandis qu'elle 
retournait pour regarder l'étranger endormi. 
La disparition toule du soleil , et presque en même temps celle 
du crépuscule, qui dure si peu dans ce pays voisin du tropique, car 
la plus longue durée de cette lumière douce et tranquille est un 
des plus grands avantages que possède un climat plus tempéré, 
servit de signal aux gardes de la ville pour venir former les deux 
battans de la Porte^d'Or . Us laissèrent cependant un petit gniehet 



COMTE DE PARIS. 4S 

fennépar im seul verroii, pour «dbnettre ceu que des afEùret 
poayaient avoir retenus tard hor&des mura , et , dana le fait , qqi- 
conqae était disposé à déposer une petite, pièce de momiide* La po« 
v/iQjk du y ariingien , et le sommeil aaquel il paraissait lÎTié^ n'é- 
chappèrent pas aux regards de ceux qni étaient chargés d« la gardo 
de cette porte , et qui faisaient partie des troapes grecques ordi^ 
oaires , dont il j avait un poste près de là. 

-^ Par Castor et PoUux I dit le centurion ; *~ car les Grecs jii< 
raient par les anciennes divimtés , quoiqu'ils ne les adorassent plus, 
et oonseryaient les noms des grades militaires avec lesquels « les 
yaleoreux Romains avaient ébranlé le monde, » quelque dégéné* 
rés qu'ils fassent , quant aux mœurs ; — par Castor et Pollux 1 ca* 
maFades , nous ne pouvons récolter de l'or à cette porte, suivant 
ce que nous en dit la légende ; mais ce sera notre faute si nous 
n'y gagnons pas une bonne moisson d'argent : quoique Tâge d'or 
Kut le plus anoiea et le plus honorabloi c'est beaucoup d^ns ce 
Aède dégénéré quand on peut voir briller le métal inférieur, 

— Mous serions indignes de marcher à la suite du brave oentu* 
non Harpax 1 répondit un soldat de la garde, que sa tâte rasée , à 
l'exception d'une touffe de cheveux, annonçait pour âtre musul* 
mtn^ si nous ne regardions pas l'argent oomme une oausejNififi* 
santé pour se mettre en mouvement, quand il n'y a pas moyen de 
M procurer de L'or. E!t par la foi d'un honnête homme I je crois que 
noDs pourrions à peine en dire la couleur, car voilà bien des lunes 
qne nous n'en avonii vu sortir du trésor impérial, ou que nous 
n'en avons dHenu aux dépoas des particuliers. 

-^ Mais l'argent dont je parle, tu le verras de tes propres yeux^ 
st tu l'entendras sonner dans la bourse qui oontient notrç trésor 
eofluaun. 

•^ Qni le contenait, voulez-vous dire, vaillant commandant ? 
Hais je ne saurais dire ce qu'elle contient aujourd'hui , si ce n'est 
quelques misérables oboles , pour acheter certaines herbes conser< 
Tëes et du poisson salé, afin de faire passer notre, vin frelaté. J^ 
donne volontiers au diable ma part de ce qui s'y trouve, si notre 
bourse ou notre gamelle offre quelque trace d'un âge plua riche 
que l'âge d'airain. 

— Je remplirai notre trésor, reprit le centurion , quand il serait 
encore plus à sec qu'il ne l'est. Placez<vôus près du guichet, mes 

X. Les musulmans conserrent une touffe de clieTeax sar l6ar tête rasée, afin qaé l'ange paisse It 
«Kir ^«r les conduire en parad». 



U ROBERT, 

midtres ; songez que nous sommes la garde impériale, on la garde 
de la cité impériale, ce qui est la même chose ; et ne laissoits pas- 
ser trop vite personne devant nous. — Et à présent que nous voilà 
sur nos gardes , je vais vous développer, . • Mais un instant , ajouta 
le vaillant centurion. Sommes-nous tous ici de vrais frères? con- 
naissez-vous bien toutes I^s anciennes et louables coutumes de 
notre corps : -— gardant le secret sur tout ce qui est pour le profit 
et l'avantage de notre compagnie, aidant et favorisant la cause 
commune, sans délation et sans trahison ? 

— Vous êtes étrangement soupçonneux, cette nuit , répondit le 
même garde. Il me semble que nous vous avons soutenu , sans 
jouer le rôle de rapporteurs , dans des affaires beaucoup plus in^- 
portantes. — - Avez-vous oublié celle du joaillier? Ce n^était ni 
rage d'or, ni celui d'argent, mais s^il y en a jamiais eu de dia- 
mans... 

— Paix ! bon Ismaël Tinfidèle ; — car, grâce an ciel , nous avons 
ici toutes les religions , et par conséquent nous pouvons espérer 
que la véritable se trouve parmi nous. Paix ! te dis-je ; tu n'as pas 
besoin de divulguer d'anciens secrets pour prouver que tu es en 
état d'en garder de nouveaux. Viens ici; regarde, à travers le 
guichet , sur le banc de pierre à l'ombre de la grande porte. — Dis- 
moi, mon vieux camarade : qu'y vois-tu 7 

— Un homme endormi. -^ De par le ciel I à ce que je puis voir 
au clair de lune , je crois que c'est un de ces Barbares , un de ces 
chiens d'insulaires en qui l'empereur mettant de confiance. 

— Et dans sa situation, ton cerveau fertile ne trouve-t-il rien 
qui puisse tendre à notre avantage? 

— Si vraiment. Rs ont une forte paie , quoiqu'ils ne soient que 
des Barbares , des chiens de païens , en comparaison de nous antres 
musulmans et nazaréens. Ce drôle s'est enivré et il n'a pu retrou- 
ver à. temps le chemin de la caserne. Il sera sévèrement puni, à 
moins que nous ne consentions à le laisser rentrer ; et pour nous 
y déterminer, il jEaut qu'il vide entre nos mains ce que contient sa 
ceinture. 

— Tout au moins! tout au moins 1 s'écrièrent les soldats de la 
garde urbaine d'un ton animé, mais en ayant soin de retenir leur 
voix. ' 

— Et c'est là tout le profit que vous voudriez tirer d'une telle oc- 
casion 2 ditHarpax avec dédain. Non, non , camarades. Si cet ani- 
mal étranger nous échappé, il faut du moins qu'il nous laisse sa 



COMTE DE PARIS. 45 

toùon. Ne Yoyez^ous, pas briller son ci^ae et 9a durasse? il me 
semble qae cela annonce du bel et bon argent 1 quoiqu'il soit pos- 
sible qne la lame soit mt pen mince. Voilà la mine d'argent dont je 
TOUS parlais, et qui est prête à emchir les mains adroites qoi san- 
ront l'exploiter. 

— Mais, dit avec timidité on jeune Grec faisant partie de la 
garde, et qui, récemment enrâlé dans ce^corps, n'en connaissait 
pas encore l'esprit, ce Barbare, comme tous Fappelez, n'en est 
pas moins un soldat de l'empereur, et si nous sommes convaincus 
de l'avoir iprivé de ses armes , nous serons justement .punis de ce 
déUt militaire. 

— Ecoutez un nouveau Lycurgue arrivé pour nous apprendra 
nos devoirs] dit le centurion. Sachez d'abord, jeune honmie, que 
la cohorte métropolitaine ne peut jamais commettre un délit, et 
apprenez ensuite que par conséquent elle ne peut jamais en être 
convaincue. Supposez que nous trouvions rôdant un Barbare, un 
Ysrangien , comme ce dormeur, un Franc peut-être, on quelque 
autre de ces étrangers ayant des noms impossibles à prononcer, 
tandis qu'ils nous déshonorent en portant le costume et les armes 
des vrais soldats romains , devons-nous, nous qui sonimes char- 
gés de la défense d'un poste important, laisser passer par notrp 
poterne un homme sijsnspect, an risque de trahir en même temps la 
Porte d'Or et les cœurs d'or qui la gardent, et de voir la porte 
liyrée, et nos cous proprement coupés ? 

—- En ce cas , laissez-le de Fautre côté de la porte , répliqua le 
soldat de nouvelle recrue, si Vous le trouvez si dangereux. Quant 
à moi , je ne le craindrais pas, s'il était dépouillé de cette hache à 
double tranchant qu'on aperçoit sous son manteau , et qui brille 
d'nn éclat de plus mauvais augure que la comète dont les astrologues 
prédisent tant de choses étranges. 

— Npus sommes parfaitement d'accord, répondit Harpax. Vous 
parlez en jeune homme qui a de la modestie et du bon sens ^ et je 
▼00s promets qu'en dépouillant ce Barbare , nous ne ferons rien 
perdre à TEtat. Chacun de ces sauvages a un double assortiment 
d'armes : 1^ unes sont^damasquinées et incrustées d'or, d'argent 
et d'ivoire, attendu le service qu'ils ont à faire dans le palais du 
prince; les antres sont garnies d'un triple airain, lourdes, mas- 
sives et irrésistibles. Or, en prenant à ce drôle suspect son casque 
et sa cuirasse d'argent, vous ne faites que le réduire à sesarmes 



46 ROBERT, 

ordkairM» et iraiis ne lai on yeirezpas mpins eelles qid lui aont 
néeefsaires pour remplir see deroirs. 

-^ Fort bien , mais je ne vois pas que ce raiaonnemént aille plus 
loin que de nous antoriser à déponiller ee Varangien de son armure, 
pour la loi rendre ayec soin demain matin , s'il arriye qu'il n'y ait 
rien à alléguer contre lui. Cependant je m'étais figuré , je ne sais 
trop commet y que nçus devions la confisquer à notre profit. 

•-*• Sans contredit ; et telle a été la règle de notre corps depuis 
le temps de l'excellent centurion Sisyphe ; car ce fut alors qu'il fut 
déddé pour la première fois que toutes marchandisea de contre* 
bande, toutes armes suspectes, etc., qu'on introduirait dans la 
yille pendant la nuit ^ seraient confisquées an profit des soldats de 
garde 9 el si l'empereur trouye que les marchandises ou les armes 
ont été saisies injustement, j'espère qu'il est assez riche pour in* 
demniser la partie lésée. 

— Mais pourtant... mais pourtant , ditSébastès de Mitylène, le 
jeune Grec denouTcUe recrue , si l'empereur découvrait... 

. — Ane que tu es I répliqua Harpax , fl ne pourrait le découTrir, 
quand il aurait tous les yeux d'Argus. Nous Toici douze , tenus par 
serment , d'après les règles du corps , de faire tous le même récit ; 
Toilà un Barbare qui , s'il conserve quelque souvenir de l'affiûre, 
ee dont je doute fort, car le logement qu'il a choisi pour la nuit 
prouTO qu'il a usé largement de la cruche à tin , ne pourra ra- 
conter que quelque sotte histoire sur ce qu'il a perdu son armure. 
Et nous, mes maîtres, ajonta-t-il en jetant un coup d'oeil à la 
ronde sur tous ses compagnons , nous le démentirons fortement; 
j'espère que nous avons -assez de courage pourra. Qui cnnra- 
t-on F les cavaliers de la garde de la ville , assurément. 

— Tout au contraire, dit Sébastès , je suis né bien loin d'ici ; et 
cependant, même dans l'île de Mytilène , j'ai entendu dire que les 
cavaliers de la gardé urbaine de Gonstantinople étaient des men- 
teurs si accomplis que le serment d'un seul Barbare aurait plus de 
poids que celui de tout ce corps chrétien, s'il s'y trouve quelques 
chrétiens; ce dont il ne faudrait pas jurer, à en juger d'après cet 
homme à teint basané qui n'a sur la tête qu'une' touffe de cheveux. 

— Et quand cela serait , répliqua le centurion d'un air sombre et 
sinistre, il y a un moyen pour que l'affaire ne nous laisse aucune 
inquiétude. 

Sébastès, fixant les yeux sur son commandant, mit la main 
sur la poignée d'un poignard oriental qu'il portait; coipme pour 



COMTE DE PARIS. 47 

demaidM'afiil'fcnk lien compris. Leoentnrionfit un aignefctête 
afinMrtîf. 

•^ Tm* jemie qve je snis, dit SAtstè», j'ai déjà été pirate 
pendain oinq aas sur les mera; j'en ai passé trais sur les mentagnes 
oouMe "viiefÊtf et c'est la presiière lois que j'ai ya en entendu , 
dans un cas semblable , nn homme hériter à prendre le seal parti 
90 oonTienne à mi braye dans nne affidre nrgente. 

Harpaxfirappa dans la main dn jenne soldat, en signe qa'il par- 
tageait une opinion si tranchante ; mais , qnand il reprit la parole, 
sa Toix tremblait. 

.^ Gomment noos y prendrons-nons? demanda*t-il i Sébastès , 
qu'en sa qualité de recrue il ayait d'abord regardé comme le der- 
nier soldat dn corps , mais qui yenait de s'éleyer tout à coup à la 
pins haute j^ce dans son estime. 

—•N'importe comment , répondit FSnsnIaire ; je yois ici des arcs 
etéesilèches; etsinul autre ne sait s'en senir... 

— Cie ne sont pas les armes régulières de notre corps , dit te 
osnturion* 

— Yous^ n'en êtes que plus propres à garder les portes d'une 
yjSk y dit le jeune soldat ayec un éclat de rire qd ayait quelque 
chose d^insnhant. Eh bien, soit 1 je sais tirer comme un Scythe. 
Faites^moi seulement un signe de tète i une flèche lui brisera le 
erfine et lui trayersera la cerveOe^ et la seconde le frappera droit 
an cœur. 

«— Brayo I mon noble camarade , dit Rarpa^ ayec niie joie affec- 
tée, mais toujours à yoix basse, comme par respect pomr le som- 
meil du Tarangien : — tels étaient les bandits des anciens temps , 
ksDiomède, les Gorynète, les Sinius, lesScyron, lesProcnste* 
n fkUut des demi-dieux pour en faire ce qtc'on appelait mal à propos 
justice ; et leurs successeurs, leurs égaux , resteront maîtres dn 
c<«tinent et des fies delà Grèce jusqu'à ce qu^ercule et Thésée 
rqmraissent de nouyean sur la terre. Ck^endant , ne tirez point, 
mon yaiUant Sébastès ; ne bandez pas cet arc, mon estimable Mi- 
tylénien : — yous pourriez blesser au lietl de tuer. 

— Cest à quoi je suis peu habitué, dit Sébastès en Êdsant en- 
tendre une seconde fois ce rire disciordant et ricaneur qui déchira 
les oreilles dû centurion , quoiqu'il eût eu peine à dire pourquoi il 
le trouyait si particulièrement désagréable. 

— Si je he prends garde à moi , se dit Harpax , nous aurons deux 
centurions de la garde au lieu^d^un. II faut que j'aie l'œil sur ce 



48 ROBERT f 

Mytilénien. Prenant alors un ton d'antorité il lui dit tpnt hant t ««-^ 
Ecoutez y jeune homme ; il est dar de déconrager un commençant. 
Si Yoas ayez yécn sur la mer e|L dans, les bois de la manière qae 
TOUS nous le dites , tous devez savoir jouer le rôle de sicaû*e ; Yoflà 
votre homme ivre ou endormi, nous ne savons lequel. — Dans un 
cas comme dans l'autre , vous aurez soin de lui. . 

-^ Et que me reviendra-t-il de poignarder un homme ivre oa 
endormi , noble centurion ? demanda le Grec. — Mais vous aiioieriez 
peut-être à vous charger vous-même de cette besogne, ajouta-t<^il 
d'un ton un peu ironique. 

— Faites ce qui vous est commandé , l'ami, répondit Harpax, 
lui montrant l'escalier de la tourelle qui conduisait du haut des nia- 
railles jusqu'à l'entrée cintrée sons le porche. 

— Il a vraiment le pas fnrtif du chat , murmura le centurion pen- 
dant que la sentinelle descendait pour commettre un crime que son 
devoir aurait été de prévenir. — Il faut couper la tête de ce jeune 
coq, ou il deviendra le roi du juchoir. Mais voyons s'il a la main 
aussi résolue que la langue , et ensuite nous réfléchirons sur la 
tournure à donner à cette affaire. 

Tandis qu'Harpax parlait ainsi entre ses dents, en s'adressant 
à lui-même plutôt qu'à aucun de ses compagnons, le Mytilénien 
sortit de dessous la porte cintrée , marchant sur la pointe des pieds, 
mais fort vite et dans le plus profond silence* — Son poignard, 
qu'il avait tiré en descendant, brillait dans sa main, qu'il tenait 
un peu derrière lui, comme pour le cacher. L'assassin restamoins 
d'une seconde penché sur le dormeur, comme pour bien 'recon.- 
naître ^intervalle qui existait entre la cuirasse d'argent et le corps 
qu'elle protégeait à peine ; mais, à l'instant où le coup descendait, le 
Varangien se releva subitement, détourna le bras armé du meur- 
trier en le frappant du manche de sa hache , et , tandis qu'il parait 
ainsi le coup qui lui était destiné , il en porta au Grec un si ter- 
rible que celui-ci n'avait jamais appris au pamcration à en asséner 
de semblables. Sébastès eut à peine le temps d'appeler à son se- 
cours ses camarades, qui étaient sur les murailles^ Us avaient été 
témoins de ce qui s'était passé, et ils virent alors le Varangien 
appuyer un pied sur leur. compagnon renversé, et brandir en l'air 
son arme formidable, dont le sifflement fit retentir la voûte d'un 
son sinistre,, tandis qu'il s'arrêtait un instant, la hache levée ^vant 
de porter le dernier coup à son ennemi. U se fit un mouvement 
parmi les gardes, comme si quelqnes-uns d'entre eux eussent eu 



GQMTE DE PARIS. 49 

dessein de descendre pour aeconrir Sébastès,' qaoiqn'ils ne pa* 
rossent pas y mettre beanconp d'empressement; mais Harpax se 
hâta de îenr ordonner à demi-Toix de n'en rien Cèdre. 

— Qae chaenn resté à son poète, qnoi qn'il puisse arriYer, leur 
dit^il. JeTois' venir nn capitaine de la garde. Le secret n'est conna 
qaedenons, si lesantagea tnéleMytilénieni comme je le croîs 
fort y car il ne remue ni pied ni main. Mais , s^il TÎt encore, cama- 
rades , faites-Tons un front d'airain. Il est seol| et nons sommes 
douze. Tout ce qne noas savons de son projet , c'est qa'il est des- 
cenda pour Toir ponrqnoi ce Barbaredormait si près dn poste. 

Tandis que le centurion s'empressait de faire connaître ainsi à 
demi-mot ses intentionsi à ses Compagnons de garde, on vit paraître 
m militaire d'une taille imposante , richement armé , et couvert 
d'an casque dont le haut cimier brillait au clair de la lune , pendant 
cp'il entrait dans l'ombre de la voûte. Les gardes qui étaient sur 
le Iiaot de la porte se dirent quelques mots à l'oreille. 

— Tirez Le vèrron ; fermez la porte ; que le Mitylénièn devienne 
ce qu'il voudra, dit le centurion; nous sommes perdus, si noils 
rayouons pour être des nôtres. Voici le chef des Yarangiens, l'aco- 
loathos lui-même. 

-^ Eh bien , Herëward , dit l'officier qui arrivait le dernier sur 
la scène, pariant une espèce de langue franque généralement en 
mage parmi les Barbares de la garde , as-tu pris un faucon de nuit? 

— Oui, par Saint -George! répondit le soldat; et cependant, 
dans mon pays , nous ne l'appellerions qu'un épervier. 

— Qui est-il? 

— 11 'vous le dira lui«même quand j'aurai levé le pied qui lui 
presse le gosieré 

-•Lève-le donc. 

L'Anglais fit ce quilui était ordonné; mais, dès quele Mitylénièn 
se sentit en liberté, s'échappant avec une légèreté qu'on aurait à 
peine pu prévoir, il sortit à la hâte de dessons le porche , et , pro- 
fitant des omemens compliqués qui avaient , dans l'origine , décoré 
l'extérieur delà porte, il colimt autour des arcs-boutans et des 
ttiUies , poursuivi de près par le Y arangien , qui , chargé du poids 
de son armure , était k peine en état de suivre le Grec au pied 
l^er, qui le conduisait d'obstacle en obstacle. L'officier riait de 
tout son cœur en voyant ces deux figures paraître et disparaître 
avecla mênîé rap^idité en courant autour de l'aro-de-triomphe de 
Tliéodose. 

4 



^^ Par Hsncvkljdil'il» c'est Hector p omsu îf i p«r Acbifleantonr 
des murs de Troie ; maïs mon Pelidès amra peine à atteindre le fils 
de Priam. Hél fils d'une déesse] fils de Thëtis ank pwds blancs! 
liais le Barhwe n'enteûd pas Tallosioii. H<da , Hereward I arrête ! 
Entends da mrâis ton nom barbare* Ces derniers mots forent pro* 
nonces à demi*Toix ; mais, élevant ensuite le ton, il ajonta : -*- 
Ne t'essouffle pas ainsi, bon Hereward; réserve ton haleine : ta 
MBX en avsoir encore besoin cette nuit. 

. -«- Si c'eût été la volonté de mon chef; répondit le Varang^ien 
en revenant avec on air d'hnmenr, et respirant en homme dont la 
eoiirse a épnisé les forces , je Faurais tenn aussi serré ^e le lé- 
vrier tint Jamais nn havre avant de renoncer à la chasse* Saûs 
celte sotte armnre , qm encombre on honune sans le protéger, je 
n'aurais en qâedenx bonds à faire pour le saisir à la. gorge. 

«^- Autant vaut que ta n'y aies pas rénsri, dit l'officier qniétail 
réellement l'acOlonthos i c'e3t*à-dire le Suivani, nom qn'il portait 
parce que le devoir du chef des Yarangiens était dé suivre con- 
stamnientlapersOTme de l'emperent. Mais voyons de quelle ma- 
nière noiù rentrerons dans la ville ; car n, comme je le soupçonne, 
c'est un de ces gardes qui a voula te jouer un mauvais toar, ses 
eompagnons peuvent ne pas être disposés à nous laisser entrer. 

-T- Et n'est-il pas du devoir de Votre Valeor de punir ce manque 
de discipline? x 

, r— Tais«toi , mon simple sauvage ! Je t'ai dit soavmt, très igno- 
rant Hereward , que les crânes des gens qui viennent de votre 
froide et boueuse Béotie du nord sont plus propres à recevoir vingt 
conpsde martean d'enclume qu'à prêdoireùne idée spirituelle ou 
ingénieuse. Mais suis-moi , Hereward , et quoique je sache que 
montrer les fils déUés de là politique grecque à l'œil grossier d'un 
Barbare inexpérimentéeomme toi , c'est à peu près jeter des perles 
aux pourceaux I ce qui est défendu par le saint Bvangiie; cepen*^ 
danty comme tu as un bon cœur, bon et fidèle , dont il s^ait diffi- 
cile d(a .trouver le semblable , même parmi mes Yarangiens, je 
veux bien, pendant que tu me suis, chercher à t'endoctriner sur 
^elques points de cette politique. Moi-même, l'acdouthos, le 
cbef des Yarangiens, élevé par leurs hadies au grade du plus brave 
des. braves 9 je consens à me gméer par ses principes ; et cepoi- 
danl je ^ais en émt , sous tous les rapports » de me diriger à ira- 
vers les conrans-opposés de la eonr à force de rames et de voiles. 
C'est donc une condescendance de ma part d'avoir recours à la pc* 



i 



COMTE DE PARIS. «t 

poar fidre ce que, dans eette eo«r imqpémle^ fl me sertk 
ri facile d'acoomplir de force ouverte.-— Qoepaued^ta de edai bon 
sauvage? 

^ Je pen^ i répondit le Varangieny qu narehait à-^viron un 
pas ei demi derrière wm chef , cosmie un soldat d'ordonnance de 
nos jemrs derrière l'épaale de son officier, je pense que je serais 
fiché de me miabler la tète de ce que je pourrais iidre tout d'an 
coap avec mes bras. 

— N'est-ce pas ce qne je èisaisfditracoloathoft, qm, depnis 
quelques minutes , s'âoignait de la Porte d'Or , et marchait an dair 
de lune le long des murs r comme s'il eftt cherché me autre entrée. 
Telle est l'étoffe dont est &it ce que -vous appelez votre tête. Vos 
mains et yos bras sont des Achitophel parfaits en comparaison* 
Ecoote-moi, le «plus, ignorant de tous les animaux ; mais, par cette 
raison même, le plus sûr des confidens et le plus ImiYe des sol- 
dats , je t'expliquerai le Secret de cette besogne noctame : et ce- 
pendant je doute que tu puisses me comprendre , même après mon 
€sq>lication. 

— Mônderoir, en ce moment , est de tâcher de comprendre 
Votre Valeur, dit le Varangien ; je toux dire , de comprendre votre 
politique , puisque tous voulez bien me l'expliquer. Quant à Votre 
Valeur, ajouta-t-il , je serais bien malhem^ux si je ne croyais pas 
déjà en connaître le fort et le faible. 

Le général grec rougit un peu , mais il répondit sans changer de 
voix : -^ Gela est vrai , mon bon Hereward ; nous nous sonmies vus 
l'on l'antre sur le champ de bataille. 

Hereward ne put retenir une lé^re toux ; ce que les grammai- 
riens du temps, qui âaient habiles dans F'art d'employer les ac» 
cens, auraient interprété comme un éloge assez équivoque de la 
bravoure militaire ^e cet officier. Dans le fait , pendant tout leur 
entretien , la conversation du général , en dépit de son ton affecté 
iPimportance et de supériorité, annonçait un respect évident pour 
son compagnon ^ comme pour nu homme qui, mis à l'épreuve, 
pouvait sous bien des rapports se montrer, dans une action , meil- 
leur soldat que lui-même. D'une autre part, quand le vigoureux 
guerrier normand lui répondait, quoique ce fût sans s'écarter des 
i^gles du devoir et de la discipline , la discussion ressemblait quel- 
quefois à celle qui pouvait avoir lien, avant la réforme introduite 
dans l'armée anglaise par le duc d'York , entre un officier , petit- 
maître ignorant, et un sergent expérimenté du régiment dans 

4. 



U ROBERT, 

lequel ils servaient tons deux. Il se cachait, sous une apparence de 
respect , un sentiment intime de supériorité , que le général recon- 
naissait à demi. 

— Tu conyiendras , mon simple ami , continua le chef du même 
ton qu'auparavant 9 afin de te conduire par un court chemin au 
principe le plus profond de la politique qui règne à la cour de 
Gonstantinople, que la faveur de l'empereur. ••.. (ici Tof&cier leva 
son casque , et le soldat fit semblant d'en faire autant) , qui, — 
que le lieu où il pose le pied soit sacré ! —est le principe vivifiant 
de la sphère dans laquelle qous respirons, de même que le soleil 
^t celui de rhumanité.*..., 

— - J'ai entendu nos tribuns dire quelque chose de semblable, dit 
le Yaraugien. 

— C'est leur devoir de vous instruire, répliqua le chef, et 
j'espère que les prêtres aussi, en ce qui les concerne, n'oublient 
pas d'apprendre à mes Yarangiens la fidélité qu'ils doivent à l'em- 
pereur, 

— Ils n'y manquent pas , répondit le soldat , quoique , nous 
autres exilés, nous connaissions noi^ devoirs. 

— A Dieu ne plaise que j'ei^ doute I dit le commandant des haches 
d'armes. Mais ce que je désire te faire comprendre , mon cher 
Herewàrd, c'est qu'il existe, quoique peut-être elle ne se trouve 
pas dans ton climat sombre et lugubre, une race dHnsectes qui 
naissent au premier rayon du jour, et qui expirent quand le soleil 
«e couche ; ce qui leur a fsit donner le nom d'éphémères , c^est-à- 
dire, qui ne durent qu'un seul jour. Tel est le cas d'un favori à la 
£Our, tant qu'il jouit des bonnes grâces de Sa Majesté très sacrée. 
Heureux celui dont la faveur, s'élevant lorsque la personne du sou- 
verain s'élève elle-même au-dessus du niveau qi;i s'étend autour 
du trône, se développe ^ans la première splendeur de la gloire 
impériale , et qui , conservant son poste pendant l'éclat que jette la 
couronne à son midi , a le privilège de ne disparaître et de ne mou- 
rir qu'ayec le dernier rayon du soleil impérial, 

— Yotre Yaleur, dit l'insulaire , parle un langage trop relevé 
vpour que mon intelligence du Nordr puisse le comprendre. Il me 
semble pourtant qiie , plutôt que de mourir au coucher du soleil, 
4e voudrais , puisqu'il faut que je sois insecte^ devenir teigne pen- 
dant deux ou trois heures de ténèbres* 

— Tel est le sordide désir du vulgaire, Herewàrd, répondit l'a« 
colouthos en prenant un ton de supériorité ; il se contente de jouir 



i 



COMTE DE PARIS. 5S 

de la Tie I suisjobtoiùr de distinctioiis. Noos i an eontraire, notis, 
êtres d'élite, qui formons le cercle intérieur le plus ^roche^de Pem* 
perear Alexis , qni en est lai*méme le point c^ottral, nons snryeil- 
lonsy avec la jalonsi0 d'une famme, la distribution de ses faveors, 
et, nous liguant avec ceux-d ou contre ceux-là, nous ne laissons 
échapper aucune occasion de nous placer personnellement devant 
ses yeux sous le jour le plus favorable. 

— Je crois comprendre ce que vous voulez dire» Cependant, 
^nf à mener une pareille vie d'intrigue. •••• Mais n'importe. 

— En effet, cela ne t'importe guère, mon bon Hereward, et 
ta es heureux de ne pas avoir de goût pour la vie que je viens de 
décrire. J'ai pourtant vu des Barliares s'élever très haut dans Tem- 
pire; et s'ik n'ont pas tout-à*fait la flexibilité, la maUéabilitë , 
comme on Fappelle, cette heureuse ductilité qui sait céder aux 
drconstaiices , j'ai connu des individus issus de tribus barbares, 
surtout s'ils avaient respiré l'air de la cour depuis leur jeunesse, 
qui joignaient à une certaine portion de cet esprit flexible une opi- 
niâtreté de caractère qui , sans exceller à savoir profiter des oc* 
casions , a un talent pour en faire naître qi4 n'est nullement à mé- 
priser. Mais , sans nous arrêter à des comparaisons, il résulte de 
cette énralatipn pour la gloire , c'est-à-dire pour la faveur impé- 
riale , qui règne parmi les serviteurs de la cour de Sa Majesté très 
sacrée , que chacun désire se distinguer en prouvant au souverain 
non-seulement qu'il entend parfaitement les devoirs de l'emploi 
dont fl est chargé , mais qu'il est même , en cas de besoin , en état 
de remplir ceux des autres. 

— Je comprends, dit le Saxon ; et de là il arrive que les sons- 
ministres , les soldats, les assistans des grands-officiers de la, cou- 
ronne sont continuellement occupés, non à s'aider les uns les autres, 
mais à éspiimner mutuellement leurs actions. 

— Précisément , et il n'y a que peu de jours que j'en ai eu ime 
preuve désagréable. Chacun , quelque bornée que puisse être son 
intellig^ice, sait parfaitement que le grànd-protospatbaire S titra 
qui, conune tu dois le savoir , signifie le général en chef des 
forces de l'empire, a conçu de la haine contre moi, parce que je 
suis chef de ces redoutables Varangiens , qui jouissent > comme ils 
le méritent , de privil^es qui les dispensent d'être soumis à l'auto- 
rité absolue qu'il possède sur tous les autres corps de l'armée : 

• * 1 

>• lîtUnleiflent le premier homme d'épée. 



-r- autorité qù GoaiàeBt à Nicaqor , malgré k son mOWJBKt de 
fioa nom , à pou près comme la saUe dW di»^ de bataille ow 
'tiendrait à on bœuf. 

— GommenJ;] s^éerialeVarangient le.pffotoipatbaii»p(rAend41 
à quelque autocité sur les nobles exilés? Par le Dragon rouge sona 
lequel nous viTrona et. nous, mourrons > nous n'obéirons à ame qui 
Tive qu'à Alexis Gomnène en personne et à nos offiders. 

•-«•Bien et brayement résolu , mon bon Hereward; mais que ta 
juste indignation ne t'emporte pas jusqu'àprononoer ienomde 
Sa Majesté très saoréesans poister la main à ton casque, et sans y 
jQOUter les épithètes qui. conyieanent à son rang éleyé. 

**- Je lèverai la main assez haut et assez souvent, quand le ser* 
Tiee de Tem^terenr Texigera , répondit Thabitant du Nord. 

— Et j'en serais le garant , dit Acbillès Tatiua , commandant 
de la garde du corps impériale des Yarangiens^^ qui ingea que le, 
moment n'était pas favorâble pour insister sur la stricte obserya». 
tion des lois de l'étiquette ; ee qui serait une de ses grandes pré* 
tentions an nom du soldat. Cependant, cantinua»t*iLy sans lavigi* 
lance (Constante de Totre cbef^ mon enfanU las nobles Varangiéna 
seraient confondus dans la masse générale de l'araé^ avec les eo^ 
bortes païenne» des Hnnsv des Scythes et de ces ii^dèles à tor^ 
ban, les renégats turcs; si nidme TOtre commandant court ici 
quelque danger, c'est parce qu'i^ maintient la supériorité dis ses. 
bacbes sur les misérables traits des tribus orientales, ^ sur- las 
javeUnei^ des Mamres, qui ne sont propnas qu'à serrir de jouets aux 
enians. 

^ Vous n'êtes ei^esé à ascnn4an9er dent pm baebes nâ.pnis- 
-iMBt Yousprésemr, dit le soldat en s'appfocbant d'Achillès aveo 
un air de confiance* 

— Ne le sais-je pas ? Mais o^est à ton braaseul que l'acirtoutboa 
de Sa Majesté ttès sacrée confie maintm^ant sa sâreté.. 

•^ Faites T0U8«méme le calcul de tout oe qne peut {aire un adlr- 
âat> et alors comptez ce bras seul comme en valant deux contr» 
tant homme an service de l'empereur qui ne fait point partie de 
notre corps* 

^-^ Eçoutez-moi , mon brave ami : ce Nicanor a été assez auda» 

'^ifuax, pour accuser notre noble corps de pillage sur le champ de. 

bataille , et , dieux et déesses 1 du crime encore plus sàerfl^ dV 

voir bu le vin précieux qui était destiné pour la bouche auguste 

de Sa Majesté très sacrée. Cette accusation étant faite en pré- 



COMTE Zffi PARIS. M 

flncede la peraouM. tiès saerie'dA r— ipa r—r , ta «rtovM aiaé^ 
ouBfltqae je««« 

— Ô^ yous avez dit à cet inacAent q«'il «n tTiak mmti par I* 
gorge, s'éct^ia le Yaranc^eii ; que tovs lui avez dowii rcndea^ova 
fielque part dans ces enviroiiBi et ^e rett ayez d<miié ordre de 
jom acoompagiier à votre paayre soldat Hèreivwd d'Hamp tmi i 
qœ rhanaevr qae tous loi avez tait rend votre esclave pe«r 
toote sa< vie» J'aurais sealement dénré que vous m'eussiez cÛt de 
prendre mes ly^mes ordinairee ; mais, quoi ^'il en soit » j'ai ma 
baebe, et.é. 

Son compagnon saisit le mcAn^t de Fînlenrempre » car il était 
00 pen con&is da ton d'enthoosiasme do jeune soUat. 

— Silence , mon fils 1 loi dit«il ; parle ploslMis » mon bmve Hère* 
ward. Ta comprends mal cette afiaire. Avec toi à mon c6te , je 
n'hésiterais certainement pas à coid»attre dnq hommes comme 
Sicanor ; mrâ ee n'est pas la loi de ce tiès saint enqnre ; ce ne 
801^ pas les seutîmens dn prince trois fais iUastreqni le gonveme 
anjonrd'hui. Tu t'es laissé gâter , moa bon soldait , par les fimla» 
«mnadesdes Francs, dont nons entendons diaqne jour perler da- 
i^^ge. 

T-Je senôsbien f&ché derien empmnter à ceox qoe vons nom» 
iSfizFrancs, et qne nons appelons Nimnands, répeadk le Varans 
^0Q avec on eûr d'humeur et df un tén bourru. 

•^Ecoate«ntoi doue, kû ditrolicier tandis qu'ils continuaient 
àaiAreher. Ecoute les motifs de notre conduite , et réflédûs si une 
coatume comme celle qu'ils ajq^ellent le^od peut avoir lieu àamm 
un pays honnâte, civilisé , dans un pays enfin qui est assez ben» 
raix pour être sous la domination d'un prince anssi rare qu'Altfzie 
Gctekène. Deux seigneurs, deux grands-officiers ont une querelle 
à la cour en présence de la personne révérée de l'empereur. La* 
dispute roule sur un peint de fait. Supposez ^^au lieu de sjMiSenir 
cbacnn , lemr opinion par des faits et des raisonnnnenS) ils adoptent 
Iscoutnme de ces Francs barbares: — Tu mens par la gorge ^ dit 
l'on ; — Tu mens jusqu'au fond de tes poumons , réplique l'autre i 
-«-et ik vont se battre eax champ«clos sur la prairie voisine. Cba* 
ou d'eux jure qu'il défend la bonne cause , ^poique probaUMsent 
n» Tun. ni Fantre ne connaisse bien pvémteentle fait. Vie» dea 
dsuz, peni-ètre le plus brave 9 le plus vertueux 9 celui qui a raison» 
l'acolouthos de l'emperemr f le père des Yarangietts,— ear la mwt 
tféfaTtne personne, mon fidèle soldat, — reste stir la place, «t 



56 ROBERT, 

l'antre revient exercer 8on ascendant à la coor : tandis qne » si 
Fafiaire eût été décidée d'après les règles dn bon sens* et de la rai- 
son > le vainqaear y comme on l'appelle , anrait été envoyé à Fé- 
ehafand. Et cependant telle est la loi des armes , comme votre ima» 
gination se platt à l'appeler ^Fami Héreward I 

, —-Plaise à Votre Yalenr, répondit le Barbare^ il y a nne appa- 
rence de bon sens dans ce qne Yous dites; maisvons me feriez 
plntôt croire que ce bean clair de Inné est aussi noirqne la gnenle 
d'un lonp f qne de me convaincre qne je dois m'éi^tendre appeler 
menteur sans faire rentrer cette* épithète avec la pique de mm, 
hache dans la gorge de celui qui me l'aurait appliquée. Un démenti 
est pour un homme la même chose qu'un coup, et un coup dégrade 
Phomîne an rang de l'esclave et de la bête de somme, s'il le reçoit 
sans en tirer vengeance. • 

' — Oui, voilà ce que c^est ! dit Achillès Tatius. Si je pouvais vous 
apprendre à secouer cette barbarie innée qui vous pousse, vous qui 
êtes d'ailleurs les soldats les mieux disciplinés qui servent Sa Ma* 
jesté très sacrée, à vous livrer descombats àmott... 

— Sire capitaine, dit lé Varangien d'un ton sombre, suivez 
mon avis, et prenez les Yarangiens tels qu'ils sont. Car, croyez- 
en ma parole, si vous pouviez leur apprendre à souffirir les re- 
proches, à pardonner les démentis et à endurer les coups, vous 
verriez, après les avoir ainsi disciplinés, qu'ils vaudraient à peine 
la ration de sel qu'ils coûtent par jour à Sa Sainteté, si tel est son 
titre. «Je dois vous dire en outre, valeureux semeur, que les Ya- 
rangiens ne diraient pas grand merci à leur chef, s'il les entendait 
appeler maraudeurs, ivrognes, et je ne sais quoi, sans repousser 
cette accusation à l'instant même. 

' — Si je ne connaissais pas^l'humeur de mes Barbares, pensa 
Taiius en lui-même, je me ferais une querelle avec ces' insulaires 
indomptés que Fempêreur croit qu'il est si facile de soumettre an 
joug de la discipline. Mais j'arrangerai bientôt cette affaire. — 
En conséquence, il adressa la parole au Saxon avec un ton de 
douceur : « 

- -^ Mon fidèle soldat, lui dit^il, nous autres Romains, nous nous 
fjûsons autant de gloire, suivs^nt la coutume de nos ancêtres, dédire 
la vérité, que vous vous en faites de vous venger d'une imputation 
de mensonge. Je ne pouvais honorablement en accuser Nicanc»*, 
puisque ce qu'il disait était vrai en substance. 
-T< Quoi 1 nous autres Yarangiens nous sommes des 



COMTE 1>É PARIS. 67 

des itrogneSy et je ne sais quoi encore? s'écria Hereward avec plos 
d'impatience qn'ànparaTant, 

— Non y certainement; non, paâ dans nn sens si étendn. Et ce- 
pendant son accnsation n'était qne troj) fondée. 

— Quand? où? demanda FAnglo-Saxon. 

— Vous Tons rappelez la longae marche près de Laodicée/ 
pendant laquelle les Y arangiens mirent en déroute une nuée de 
Tarcsi et reprirent un convoi de bagage impérial ; vous savez ce 
qù eut lieu en cette occasion , — je veux dire comment vous apai- 
sâtes votre soif. 

— J'ai quelque raison pour m'en souvenir , dit Hereward 
d'Hampton : car nous étions étouffés de poussière , à demi morts 
de fatigue, et, ce qui était le pire, combattant constamment la tête 
tournée en arrière, quand nous trouvâmes quelques barils de vin 
sur des chariots qui étaient rompus ; et ce vin nous passa par le 
gosier, comme si c'eût été la meilleure aie de Southampton. 

— ^^ Ah ! malheureux! ne vîtes-vous pas que ces barils étaient 
enprelnts du sceau inviolable du trois fois excellent grand-somme» 
lier, et qu'ils étaient réservés pour les lèvres très sacrées de Sa 
Majesté Impériale ? 

— Par le bon saint George de la joyeuse Angleterre, qui vaut 
une douzaine de vos saint George de Cappadocel je n'y ai nuUe-^ 
ment pensé. Votre Valeur. Et je sais que vous en avez bu vous- 
même un bon coup dans mon casque, — non pas ce joujou d'ar- 
gent, mais mon casque d'acier, qui tient deux fois davantage. "^ 
Et je me souviens aussi qne, lorsque vous eûtes chassé la poussière 
de votre gosier, vous fûtes un tout autre homme; et tandis que 
TOUS nous donniez auparavant Tordre de battre en retraite, vous 
vous mîtes à crier : -^ Encore une autre charge, mes braves et vi- 
gooreux Bretons l 

—Oui, je sais que je ne suis que trop porté à la témérité pendant 
mie action. Mais vous vous méprenez, bon Hereward ; le vin dont 
j'ai goûté, dans la fatigue extrême du combat, n'était pas celui 
qpi avait été mis à part pour l'usage personnel de Sa Majesté très 
saerée. C'en était d'une qualité inférieure, destinée au grand-som- 
melier ; et comme étant un des grands officiers de la maison impé» 
riale, je pouvais légalement en prendre ma part. — Ce n'en fut 
pas moins iine malheureuse Cstute. * 

^ Sur mon amel je ne vois pas que ce soit un grand maBienr 
déboire quand on meurt de soif* 



Se^ aOBBRT, 

«allais nsforeaHYOïifty monnobte camarade^ dit AchSlèft a{irà0 
s'être disculpé à la hâte, et sans faire attention au peu d'ittipav^ 
tance que le- Yarangien attachait à cette faute ^ Sa Blajesté împé- 
riale, dans sa bonté ineffable , ne fût un crime à aucun de youa 
d'ayoir commis cette erreur malayisée. L'encreur réfriaotauda 
le protoi^tboire d'aroir été chercher ce motif d'accusation^ et 
dit, après ayoir rappelé le tumulte et la confusion dé cette jo^urnée 
laborieuse: — Je me trouvai heureux moi-mêaaiei au n^en de 
cette fournaise sept fois échauffée, de pouToir obtenir une coupe 
du yin d'orge que boivent mes pauvres Yarangiens : et je hua à leur 
santé , non sans raison; car, sans leurs fidèles services, mon der- 
nier coup eût été bu. Et puiss^t-ik prospérer, quoiqu'ils, aient ba 
mon vin en retour! — Etaprès avoir parlé ainsi, il se tourna d^in 
antre côté , comme* s'il eût voulu dire : -^ En voilà bien assez 1 — 
Ce ne sont que de sottes histoires et de vaincs accusatioiis cOQtfe 
Achillès Tatius et ses braves Yarangiens. 

«-— Que Dieu le bénisse d'avoir parlé ainsi I dit Hereward avec 
plus de franchise que de respect. Je boirai à sa santé la preimàre 
fois que j'approcherai de mes lèvres ce qjoi peut étancfaw ^a. soi^ 
soit aie, soit vin, soit de l'eau d'un fossé. 

— C'est bien dit, mais ne parle pas si haut; et sevriens^aai de 
porter la main à ton front, tontes, les fois que tu nommes Fempe* 
reur, ou même que tu penses à..lui. — Eh bien | tu sais, honnâle 
Hereward, qu'ayant ainsi obtenu l'avantage, je n'i|^oraispaafaa 
le moment où Ton a repoussé une attaque est toujours Csy^raUe 
pour faire une charge; J'ai donc reproché an protospathaire Nie»» 
nor les brigiandages qui ont été commis à la Porte d'Or et à d'autiea 
entrées de la ville, où oh marchand, porteur de joyanx aiq[MUrte*> 
nant au patriarche, a été tout récemment arrêté et assassiné. 

— Yraiment! Et que dit Alex..., je veux dire Sa Majesté trèa> 
sacrée, en appreosait que les gardes de la viUe se conduisaient 
ainsi? — quoique ce sok lui*méme qui, comme nous le disons daaa 
notre île, ait chargé le renard de garder les caea. 

-^ Cela est très possible ; mais c'est un aouveram dont ta poK- 
tique est prcrfonde, et il a résolu de ne point procéder ocsitie 
tr^tres de gardes, ni eooire leur général le jHrotoqmthaire, 
avoir des preuves décisives. Sa Majesté très saeiée m'a donc ohai|^ 
d'en fournir d'irrécusables par ton moyen. 

*-r Et je voas en aurais fourni «i deux nnniites, si vous ne mou- 
viez pas rappelé , quand je poursuivais ce vagabond de 099fm^ 



COMTE DE PARIS. 59 

jarret. Mais Sa Majesté sait ce qae yant la parole d'un Varangieii, 
et je pois l'assurer qae Tenvie de s'emparer de mon pourpoint 
d'argent 9 très mal nomm^ cuirasse i on la haine qu'ils portent à 
notre corps, suffirait pour engager le premier yenu de ces scélérats 
à couper la gorge à un Yarangien qui paraîtrait endormi. Ainsi, 
capitaine, je présume que nous allûns rendre compte à Tempereur 
de la besogne de cette nuit ? 

— Non, , mon actif soldat. Si même tu eusses arrêté ce misérable 
fuyard/ mon premier soin aurait dû être de lui rendre la liberté ; 
et l'ordre que je te donne en ce moment est d'oublier que cette 
ayeature ait eu lieu. 

— Ah ! c'est yéritablement un changement de politique? 

— Mais oui, braye Hereward. Ayant que je sortisse du palais ce 
uir^ le patriarche m'a fait des oayertures. de réconciliation ayec 
le protospathaire ; et comme il est important pour l'Etat que noua 
viiions en bonne intelligence^ je ne pouyais guèr&m'y refuser, ni 
comme bon soldat, ni comme bon chrétien. Tout ce qui pouyait 
offenser mon honneur sfera çom{dètement réparé; j'en ai la ga- 
rantie du patriarche. L'empereur, qui aime mieux fermer les yeux, 
^e de yoir la discorde, préfère que l'affaire s'arrange ainau 

—Et les repvocheftiaîls aux Yarangiens^ 

— Seront pleinement rétractés; et, à titre d'indemnité, une 
danation en or sera faite au corps des haches «ngb-danoises. Ta 
leurras en être le; distributeur, mon bon Hereward; el si tu t'en, 
acquittes ayec esprit, tu pourras incruster d'or. ta hadie d'armes. 

—Je la préfère telle qu'elle est» dit le Yarangien. Mon père la 
portait à la bataille d'Hastiogs contre les brigands nomands» — 
Da fer an lieu d'or,, yoilà ma monnaie. 

— Tu peux choisir, Hereward, répondit son of&cier. Seulement,», 
a ta es panyre, tu ne pourras en accuser que toi-même. 

En ce moment, e^ tandis qu'ils tournaient autour des murs de 
GoBstantinople, l'of&cier et le soldat arriyèrent deyant un trè& 
petit guichet, ou porte de sortie, qui donnait dans l'intérieur d'uL 
grand et masstf ouyrage ayancé, qui se terminait à une entrée de 
la yille. Là .l'officier s'arrêta, ayec les mêmes marques de respect 
^'an déyot quî ya entrer dans une chapelle , objet d'une yé^ra?. 
tion particulier». 



CHAPITRE III. 



Qaitte en ce lien» jeane homme » et bonnet et chaassnre t 
Au seail de cette porte ett dà tribut d'honoear. 
Marche da pas forlif qu'apprend de la nature 
Le daim épouvanté par le cor du chasseur. 

La Cmr, 



Avant d'entrer» Achillès Tatias fit diffërens gestes, qae le Ya- 
rangien sans expérience imita ayec maladresse et gaat)herie. H 
avait presque toujours été de service avec son corps à Tarmée, et 
ce n'était ^e tout récemment qn'U avait été appelé, à tour de rôle, 
à faire partie de la garnison de Gonstantinople. Il ne connaissait 
donc pas le cérémonial minutieux que les Grecs , qui étaient les 
soldats et le^ courtisans les plus formalistes et les plus cérémonieux 
du monde, observaient, non-seulement à l'égard de la personne de 
Pempereur, mais dans toute la sphère sur laquelle son influence 
s'étendait particulièrement. 

Après avoir gesticulé à sa manière, l'officier frappa enfin à la 
porte, d'une manière modeste, quoique distincte. U répéta trois 
fois cosignai, et dit'a l'Anglo-Saxpn qui l'accompagnait : L'inté« 
rieur I — sur ta vie, fais tout ce que tu me verras Ëdre. Au même 
instant, il recula, baissa, la tète sur sa poitrine, se couvrit les yeux 
des deux mains, comme pour ne pas être ébloui par l'éclat trop 
vif d'une lumière subite, et attendit qu'on lui répondît. Le soldat^ 
voulant obéir à son chef, l'imita aussi bien qu'il le put, et resta à 
sou cdté dans une' attitude d'humilité orientale. La petite porte 
s'ouvrit en tledans, sahs qu'on vît aucun] éclat de lumière; mais 
quatre Varangiens parurent à l'entrée, chacun d'eux tenant sa 
hache levée, comme pour en frapper les intrus qui avaient troublé 
le silence de leur corps-de- garde. 

— Acolouthos, dit l'officier par forme de mot d'ordre. 

— Tatius et Acolouthos, dirent à demi- voix les gardes, comme 
par réponse au mot d'ordre. Et chacun d'eux baissa son arme. 

Achillès releva alors la tête avec l'air de dignité d'un homme qui 
aimait à déployer aux yeux de ses soldats l'influence dont il jouis- 
sait à la cour. Hereward conserva une gravité imperturbable, à la 
grande surprise de son officier, qui était émerveillé que son soldat 



ROBERT, COMTE DE PARIS. 61 

jA% être assez barbare poar yoîr ayec apatlûe une scène qui, 
suivant lai , deyait inspirer an respect toat particalier. Il attribua 
cette indifférence à l'insensibilité stnpide de son compagn<m, Ib 
passèrent entre les sentinelles ,■ qui se rangèrent en file de chaqae 
côté de la porte, et permirent aux (Aox étrangers de s'ayancer 
snr nne planche longae et étroite ,t jetée sor le fossé de la yille, et 
qu'on retirait dans l'enclos d'an rempart extérieur, «yançant au* 
delà da principal mur de la cité. 

— C'est ce qu'on appelle le Pont du Péril , dit^Tatias tout bas à 
Hereward, et Ton dit qu'on y a quelquefois répandu de l'huile ou 
des pois secs, et que les corps d'hommes connus pour ayoir été en 
compagnie ayec la personne très sacrée de l'empereur ont été re- 
tirés de la Corne d'or ^ où se jettent les eaux du fossé. 

— Je n'aurais pas cm, dit l'insulaire, éleyant la yoix à son toit 
accoutumé, qu'Alexis Comnène. • • 

— Silence , imprudent, si tu fais cas de ta yiel Eyeiller la fille 
de l'arche impériale ^, c'est, dans tous les cas, s'exposer à un châ- 
timent terrible ; mais quand un délinquant téméraire en trouble le 
repos par des réflexions sur son altesse très sacrée l'empereur, la 
mort est une punition beaucoup trop légère de l'insolence qui en a 
interrompule som];aeil. C'est mon mauvais destin qui a voulu que je 
reçusse l'ordre positif qui m'a enjoint de condtdre dans l'enceinte 
sacrée un être qui n'a en lui du sel de la civilisation que ce qu'il en 
faut pour préserver de la corruption son corps mortel, puisqu'il 
est complètement incapable de toute culture mentale. Porte les 
yeux sur toi-même, Hereward, et songe à ce que tu es. Pauvre 
Barbare par nature, tu n'as à te vanter que d'avoir tué quelques 
musulmans pour la querelle de ton maître très sacré, et te voilà 
admis dans l'enceinte inviolable du Blaquemal, et pouvant être 
entendu non-seulement de la fille royale de l'arche impériale, ce 
qui signifie l'écho des voûtes sublimes, mais (le ciel nous prot^e ! ) 
à portée, autant que je puis le savoir, de l'oreille très sacrée elle- 
même I 

^- Eh bien ! mon capitaine, je ne puis me permettre de dire ce 
que je pense de tout ceci, répondit le Yarangien; mais je puis 
aisément supposer que je ne suis pas propre à converser en pré- 
sence de la cour, et par conséquent j'ai dessein de ne pas dire un 
mot, à moins qu'on ne me parle, si ce n'est quand nous ne serons 

T. Le port de Constantinople. 

1. La fille de rarcbe êtaït le nom <{u'& la conr on donnait ^ V«^0| comme noos le Terrons es- 
puqae par l'Acolontliot liii>mlme. 



•62 ROBERT , 

-pas en meiHetire compagnie que noas-mémes. En deirjL.inots» ]& 
tronvè difficile de donner à ma voix on ton pins bas que celai qa'eÛe 
a reçu de la nature. Ainsi, mon brave capitaine, je suis muet à 
compter de ce moment, à jnoins que vous ne me fassiez signe de 
parler. 

— Ce sera le parti le plus sage. H y a ici des personnes de haat 
rang, quelques-unes même qui sont nées dans la pourpre, qui 
Tondront ('prends garde à tpi , Hereward I ) sonder, avec leur es- 
prit de cour, la profondeur de ton intelligence bornée et barbare. 
Si tu les Tois sourire gracieusement , ne va pas y joindre un de tes 
sauvages éclats de rire dont le bruit est semblaJ)le à celui du ton- 
nerre, quand tu fais chorus avec tes camarades. 

— Je vous dis que je garderai le silence , dit le Varangien avec 
un peu plus d'impatience que de coutume. Si vous vous fiez à ma 
pai*ole, à la bonne heure ; si vous me regardez comme un geai pour 
qui c'est un besoin de parler, je suis prêt à m^en retourner, et tout 
finira là. 

Achillès, sentant peut-être que le meilleur parti qu'il pût prendre 
était de ne pas pousser à bout le soldat, baissa un peu le ton en 
répondant à un propos qui se ressentait si peu de l'atmosphère de 
la cour, comme s'il eût voulu avoir quelque indulgence pour les 
manières grossières d'un homme dont il croyait qu'il serait difficile 
de trouver l'égal, même parmi les Yarangiens, ^oit pour la force, 
soit pour la valeur : qualités que, en dépit du peu de politesse 
d'Hereward, Tatius, au fond du cœur, trouvait plus soUdes et plus 
précieuses que toutes ces grâces inexprimables que pouvait pos- 
séder un soldat, courtisan plus accompli. 

L'expert navigateur des détours de la résidence impériale con- 
duisit le Varangien à travets deux ou trois petites cours formant 
une sorte de labyrinthe, et faisant partie du grand palais de Bla- 
quemal ^. Os entrèrent dans cet édifice par une porte latérale, qui 
était aussi gardée par une sentinelle de la garde varangienne, qui 
les laissa passer après les avoir reconnus. La pièce voisine était le 
dorps-de-garde où l>lusieurs soldats du même corps s'amusaient à 
différens jeux ressemblant assez aux jeux modernes des dés et des 
dames, assaisonnant leur passe-temps de fréquentes libations d'ale, 
qu'on leur fournissait pour les aider à passer leurs heures de fac- 
tion. Quelques coups d'oeil s'échangèrent entre H^eward et ses 

X. Ce palais prit Kon nom da roisioage de la porte et do pont BUwhtfiiMli» 



œMTE BB PARIS. «S 

esmianide», elTolcvtiersUseflOTutîomtàevXiOBdlimoiiisleiir 
aurait parlé ; car, d^nis FaTentare da liitylémen , Hereward 
Vétak trouvé plus ennuyé qi^lMmoFé de sa promenade an clair de 
lone avec son commandant , en en exceptant tooftefois le court et 
intéressant intervalle pendant lequel il avait cru qu'ils étaient en 
diemin po«r aller sie battre en duel* Mais, quoique négligens 
observateurs du strict cérémonial du palais impérial , les Varanp 
giens avaient y à leqr manière, des idées rigides sur les devoirs 
nuUtaires ; et par conséquent Hereward, sans parler à ses compa* 
gnons, traversa, à la suite de son chef, le corps-de-garde et une on 
deux antichambres, meuMéesaveeun loxequileeonvainquitqn'ilne 
pouvait être que dans la résidence sacrée de son maître l'empereur. 

Enfin , après qu'ils eurent passé par pfaisieurs corridors et dans 
divers appartemens que le capitaine semblait cdmiaître parfaite* 
ment, et qu'il traversa d'un pas furtif et silencieux, qui annonçait 
le respect (comme si, pour me servir de son style ampoulé, ileât 
craint d^é veiller les échos de ces salles élevées et monumentales), 
ane autre espèce d'habitans commença à se montrer. A différentes 
portes et dans plusieurs appartemens , le soldat du Nord vit ces 
i]if<>rtunés esclaves, la plupart d^origine africaine, qui furent 
quelquefois comblés d'honneurs et élevés à un grand pouvoir par 
les empereurs grecs , qui imitaient en cela un des traits les plus 
barbares du despotisme oriental. Ces esclave^ étaient différem- 
ment occupés : les uns étaient debout, près des portes ou dans les 
corridors, le sabre à la main , comme s'ils eussent été en faction ; 
les autres étaient assis , à la manière orientale , sur des tapis, se 
reposant ou jouant à différons jeux, mais tous dans le plus profond 
silence. Pas un mot ne fut prononcé, ni par le guide d'Hereward, 
ni par les êtres flétris qu'ils rencontraient ainsi. Un regard échangé 
ayec l'àcolouthos semblait tout ce qui était nécessaire pour lui 
assurer le droit de passer avec son compagnon. 

Après avoir encore traversé plusieurs appartemens vides ou 
occupés de la même manière, ils entrèrent enfin dans une salle 
pavée soif en marbre noir, soit en quelque antre pierre de couleur 
sombre, beaucoup plus élevée et plus longue que tontes les autres. 
Ses passages latéraux y communiquaieùt , et , autant que l'insu- 
laire put le voir, ils aboutissaient à différentes portes percées dans 
la muraille; mais conmie l'huile et les gommes qui alimentaient 
les lampes éclairant ces passages répandaient une vapeur épaisse, 
il était dilfieile de distinguer la forme de cette chambre et le style 



64 ROBERT, 

de son archkeeiore. Aux deux 'extrémités i la lumière était plos 
forte et plas viye. Loi^sqa'iis farent an miliea de cette grande et 
longue salle, Achillès Tatios dit an soldat, fscvee cette voix étouffée 
qa'il semblait avoir substituée à celle qui lui était naturelle, depuis 
qu'ils avaient passé le pont du Péril. 

^— Reste ici jusqu'à ce que je revieiine , et ne sors de cette salle 
pour quelque raison que ce soit, 

— Entendre est obéir, répondit leVarangien; expression d'o- 
béissance que l'empire, qui s'arrogeait encore le nom de romain , 
avait empruntée des Barbares de TOrient, comme beaucoupd'autres 
phrases et coutumes. Achillès monta alors à la hâte les degrés 
qui conduisaient à une des portçs latérales de cet appartement, et 
Tayaut poussée légèrement, elle tourna sana bruit sur ses gonds 
pour le laisser passer. 

Resté seul , le Yarangien , pour passer le temps de son mieux 
dans Tenceinte qu'il lui était prescrit de ne pas quitter, se rendit 
tour à tour aux deux bouts de cette salle, où les d>jets étuent plus 
visibles qu'ailleurs. An centre de l'extrémité inférieure était une 
petite porte en fer, cintrée et très basse. Au-dessus on voyait le 
crucifix grec en bronze; et .tout autour, et de tons côtés, des fers, 
des chênes et autres objets semblables, pareillement exécutés en 
bronze, semblaient être les ornemens convenables de cçtte entrée. 
La porte de ce sombre passage, voûté était entr'ouverte, et Hère* 
ward y jeta naturellement un coup d'œil , les ordres de son chef ne 
lui défendant pas de satisfaire sa curiosité à cet égard* Une lueur 
«d'un rouge terne, qui semblait produite par une étincelle éloignée 
plutôt que par une lampe attachée au mur dp ce qui lui parut un 
escalier tournant très étroit , assez semblable pour la forme et la 
grandeur à un puits profond , dont le haut s'ouvrait sur le même 
palier que la porte de fer, lui montra une descente qui semblait con- 
duire aux régions infernales. Le Yarangien, quelque obtus qu'il 
pût paraître à l'esprit plus délié des Greqs, n'eut pas de peine à 
comprendre qu'un escalier d'un aspect si sombre, et auquel on ar« 
rivait par une porte décorée dans un style d'architecture si lugubre, 
ne pouvait conduire qu'aux cachots du palais, qui par leur forme 
et leur nombre n'étaient ni la moins remarquable ni la moins re- 
doutable partie de l'édifice sacré. Il crut même, en écoutant avec 
attention, entendre des accens teb qu'en exhalent ces tombeaux 
des vivans , un faible écho de soupirs et de gémissemens parais- 
sant sortir du pro&nd al»me qui était en dessous. Mais à cet égard 



COMTE DE PARIS. 65 

son imagmation acheva sans doate l'esquisse qae traçaient ses con- 
jectores. 

— Je n'ai rien tait , pensa-t-il , poor mériter d'être claquemoré 
dans one de ces cavernes soaterraines. A coup sûr, quoique mon 
capitaine Achillès Tatius ne vaille, sauf respect , guère mieux qu' un 
âne, il ne peut être assez traître pour me traîner en prison sous de 
faux prétextes^ Mais, si tel doit être son amusement ce soir, je me 
flatte qu'il verra auparavant , pour la dernière fois , ce que peut 
faire la hache anglaise. — Mais allons voir l'autre bout de cette 
salle immense; peut-être y trouverons-nous de meilleurs présages. 

Tout en faisant ces réflexions, et sans songer beaucoup à régler 
le bruit de ses pas sur le cérémonial du palais, le colosse saxon 
s'avança vers l'extrémité supérieure de la salle pavée en marbre 
noir. L'ornement de cette partie dé l'appartement était un petit 
antel, semblable à ceux des temples des divinités du paganisme, 
et il s'élevait au-dessus du centre de la porte voûtée. Sur cet au- 
tel brûlait une sorte d'encens, dont la famée, s'éleyant en spirale 
jusqu'au plafond, formait un lége^ nuage qui s'étendait dans toute 
la salle, et dont les colonnes enveloppaient une image symbolique 
à laquelle le Yarangien ne put rien comprendre : c'était la repré- 
sentation de deux mains et dé deux bras d'hommes qui semblaient 
sortir du mur, et ces mains étaient ouvertes et étendues, comme si 
elles allaient accorder quelque faveur à ceux qui s'approchaient de 
l'autel. Geabrasétaientde bronze, et étant placés plus en arrière que 
Tàutel sur lequel brûlait l'encens , on les voyait à travers la famée 
qoi s'élevait, à la clarté de deux lampes placées de manière à 
éckiirer tout le dessons de la porte. — J'expliquerais assez bien ce 
qae signifie ce symbole, pensa le simple Barbare, si ces poings 
étaient serrés, et si cette salle était consacrée au pancmtion, 
c'est-à-dire à ce que nous appelons boxer ; mais comme ces pauvres 
Grecs eux-mêmes ne se servent pas de leurs mains sans fermer 
les doigts , par saint George I je ne puis i^comprendre ce que cela 
vent dire. 

En ce moment Achillès rentra dans la salle de marbre par la 
même, porte qu'il en était sorti , et il s'avança vers sou néophyte, 
conune on aurait pu appeler le Yarangien. 

— Suis-moi maintenant, Hereward , car voici le moment le plus 
chaud de l'action. Fais preuve maintenant de tout le courage dont 
ta peux t'armer; car, orois-moi, ton honneur et ta réputation eut 
dépendent. 

5 



6$ R0BWT, 

— Ne craignes m pour roninpevr L'autre» f^^pendit Hectward, 
si le cœur et le bras d'an homme peayeiit le sontenîr dans sne 
aTentnre, si Taid^ d'an joDJoa imnine cdowâ. 

— Parle d'un ton plus bas ^ plus seomû, je ta l'aï d^ dit yingt 
fois» et baisse tabache. — Je crois «âme que ta fecaia nîeDx. d^ la 
laisser dans Tappartement extériaor* 

— Avec votre permiasioa, noble cafilaine^je ne me sonde paa 
de me séparer de mon gagne-pain* Je sois on de ces gens ganchee 
qai ne peaTeoit se comporter coavenabhment» s'ils n'ont qoelqne 
chose poar occuper lenrs mains» et ma hacbo fidèle est ce qu'il y 
a de pins natocel ponr les miennes. 

— Garde-la donc ; mais souvirais^toi de ne pas la brandir, ani- 
Tant ton usage» et de ne pas crier» beugler» hurler» comme si tut 
étais sur le champ de bataille. Songe au caractère sacré de coli«^» 
qui fait ^e tout bruit y devient un blasphème-; "pense anx per- 
sonnes qu'ilpent t'arriver de voir. Il en est quelques-unes qu'on ne 
peut ofEènser sana commettro un aussi grand crimeque de bUsphé* 
mer contre le c&el même. V 

Cette exhortation conduisit le maître et le disciple jusqu^à la 
porte latérale. De là ils entrèrent dans une sorte d'antichambre 
oà Achillès Tatius conduisit s<m Vamngien ycts une perte battante 
qui donnait dans un des principaux appartemens du palais» et qiu^ 
en s'ouvrant ». offrit aux yeux de l'habiteat grossier du Necd un 
spectacle aussi nouyeau que surprenant. 

C'était un aj^partement du palais de Blaquemal » consacré au 
service spécial de la fille chérie de ren^remr Alexis» la pviaeesse 
Anne Qomnène» connue de notre temps par ses taleas littéraires» 
et qui nous a laissé Thistoire du règne de son père. EUeétaît aa^ 
sise» reine et souveraine d'un cercle littéraire» tel que pouvait le 
rassembla alors une princesse impériale» porphyregénète» c'ast- 
àidire née dans la chambre pourpre; et un coup d'ooil jilé à la 
ronde nous suffira pour nous former une idée des hâtes ou de la 
compagnie qui y était rassemblée. 

La princesse antear avait des jeas briUans » des traits régn- 
liers » et des manières agréables et faites pour plaire» avantage que 
tout le monde aurait accordé à la fille de Tempereur» quand même 
on n'aurait pu dire avec une stricte vérité qu'elle les possédât. Elle 
était assise sur un petit banc» ou sofa» car il n'était pas permis au 
beau sexe à Gonstantinople de se coucher» comme ^'était l'usage 
des dames romaines. Une table placée devant elle était CMVi^e 



COMTE DE PARIS. BT 

jelin^s , de plantes , d'herbes et de dessins; eUe était sar une 
^te-iorme un pen âeyée, et ceux qui jouissaient de l'intimité de 
h princesse» on à qm elle désirait parter en particalier, avaient la 
pemission » pendant ces entretiens sublimes, d^appayer leurs ge* 
BOQx sur le bord de la plaie>fonne sur laquelle était son siège , et 
ie rester ainsi mcntié debout , moitié à graonx. Trois autres sièges, 
de différâtes hauteurs , étaient placés sur la même estrade, et 
««s le même dais d'apparat qui couvrait celui de la princesse Anne. 

Le pranier, 9ai^ressemblait exactement an sien tant pour la 
grandeur que pimr la commodité, était destiné à son époux , Nice- 
j^ore Brienne. On disait qu^il avait on qu'il aflhctait d'avoir la plus 
grande vénération pour l'érudition de sa Cemme, quc^ue lés cour* 
lisans pensassent qu'il amaic aimé à s'absenter de ces assemblées 
dn soir plm souifent que ne l'auraient voulu la princesse Anne et 
les augustes parons. Les caquets de la cour expliquaient ce fait en 
assurant que la princesse Anne CSomnène était plus belle à une 
époque où elle était moins Savante, et que , quoiqu'elle lût encore 
Ûen, elle aurait perdu quelle chose de ses attraits en acquérant 
tant de connaissances. 

Le siège de Nicéphore Brienne avait été placé par les chambel*^ 
lans aussi pves que possible de celui de la princesse, de manière 
'^'eUe pât ne pas perdre un regard de son bel époux, et qu'il ne 
percfit pas la moindre parcelle de la sagesse^ pourrait découler 
des le vree de sa savante épouse . 

Deaxaotressiég^d'faonneur, ou, pour mieux dire, deux trênes 
{car ils avaient des tabourets ponr recevoir les pieds, des bras pour 
soutenir les coudes, et des coussin» brodés pour fonmir un appui, 
sans parler du dais glorieux qui les couvrait ) étaient destinés à 
1-emperenr et à son auguste épouse, car ils assistaient fréquem- 
ment aux études de leur fille, qui s'y livrait en public, comme nous; 
venons de le dire. Dans ces occasions, l'impératrice Irène jouis- 
sait du triomphe qui appartient à la mère d'une fille accomplie; 
tandis <pi' Alexis , suivant l'occasion, tantôt èconti^it avec complai* 
sance le récit de ses proprés exploits , écrit dans le style ainpoulé 
deh pmcesse, umtôt feisait des signes de satisfaction au patriarche 
Zozûne et anx antres sages, en écoutant les dialogues qu'elle ré- 
citait sue les mystères^de la philosophie. 

Tous ces sièges distingués, destinés aux menlbres de la famille 
impériale, étaient occupés aii moment que nous venons de décrire, 
excepté oelot qui aurait dû être rempK par Nic^hore Brienne^ 

5. 



68 ROBERT , 

époax de la belle Anne Gomnène. C'était peut-être à sa négligence 
et à son absence qa'était dû le nnage qui obscurcissait le front de 
sa belle épouse. Derrière elle, sur la plate-forme , étaient deux 
nymphes de sa maison , en robe blanche, deux esclayes , en un mot, 
qui étaient à genoux sur des coussins quand leur midtresse n'ayait 
pas besoin de leur aide pour lui servir de pupitres vivans » afin de 
dérouler et de soutenir les rouleaux de parchemin sur lesquels la 
princesse consignait les trésors de sa science, ou transcrivait celle 
des autres. Une de ces jeunes filles , nommée Astarté , était si dis- 
tinguée conune calligraphe, c'est-à-dire par la beauté de son écri* 
ture en divers alphabets et en différentes langues , qu'elle avait été 
sur le point d'être envoyée en présent au calife, — qui ne savait 
ni lire ni écrire, — dans un moment où il était nécessaire de le 
gagner pour lui inspirer des idées de paix. L'autre suivante de la 
princesse, Yiolanta, communément surnommée la Muse, possédait 
dans la plus grande perfection la musique vocale et instrumen- 
tale, et avait été réellement envoyée en présent à Robert Guis* 
card, archiduc d'Apulie. Mais comme ce prince était vieux et 
sourd, et que Yiolanta n'avait pas encore dix ans à cette époque, 
il renvoya à l'empereur ce présent auquel un grand prix était atta- 
ché ; et , avec cet égoïsme qui était un des signes caractéristiques 
de ce fin Normand, il l'invita à lui envoyer quelque personne qui 
pût contribuer à ses plaisirs, au lieu d'un enfant criard. 

Plus bas que ces sièges élevés, les faVoris qui étaient admis, 
étaient assis ou reposaient sur le plancher dé la salle. Le patriarche 
Zozime et quelques vieillards avaient la permission de s'asseoir 
sur certains tabourets fort bas, seuls sièges qui fussent préparés 
pour les savans qui assistaient aux soirées de la princesse, conune 
"Qu aurait appelé de nos jours ces réunions. Quant aux magnats 
plus jeunes , Thonneur de pouvoir prendre part à la conversation 
impériale était regardé comme devant les dispenser d'avoir besoin 
d'un malheureux tabouret. Cinq à six courtisans, d'âgeet decostnme 
différons, pouvaient composer la partie de la société qui restait de* 
bout, on qui se délassait de cette attitude en s'agenouillant sur le 
bord d'une fontaine, qui répandait l'eau par des tuyaux si minces , 
qu'elle formait une pluie qui se dissipait presque insensiblement , 
en rafraîchissant les fleurs et les arbustes embaumés , disposés de 
manière à disperser leurs parfums dans toute la salle. Un vieillard, 
nommé Michel Agélastès , gros , gras et replet , et vêtu en ancien 
philosophe cynique, se distinguait en prenant, en grande partie. 



COMTE DE PARIS. 69 

k costume d^nenillé et l'impadence da stoïcien, et en s'acqnit- 
tant strictement du cérémonial exigé pour la famille impériale. Il 
s'était fait connaître par son affectation à adopter les principes et 
le langage des cyniques et des philosophes républicains , ce que 
contredisait étrangement sa déférence pratique pour les grands. U 
était étonnant de voir cet homme, alors âgé de plas de soixante 
ans y dédaigner de profiter da privilège ordinaire de s'appuyer pour 
soutenir ses membres , et rester constamment debout ou à genoux. 
Hais la première attitude lui était tellement habituelle que ses amis 
de cour lui avaient donné le snmom A* Elephas, c'est-à-dire l'Elé- 
phant, parce que les anciens s'imaginaient que cet animal à demi 
raisonnant, comme on l'appelle, a les jointures des jambes hors 
d'état de plier. 

— J'en ai pourtant vu s'agenouiller , quand j'étais dans le paya 
des gymnosophistes, dit quelqu'un qui faisait partie de la compa- 
gnie lé soir où Hereward y fut introduit. 

— Pour prendre son maître sur ses épaules? Le nôtre en fera 
autant , dit le patriarche Zozime avec an léger sourire qui appro- 
chait da sarcasme autant que le permettait l'étiquette de la cour 
grecque; car, dans toutes les occasions ordinaires, on n'aurait 
pas commis an plus grand crime de lèse-cérémonial en tirant an 
poignard qu'en se permettant une repartie piquante dans le cercle 
impérial. Ce sarcasme même, quelque léger qu'il f&t, aurait été 
jugé digne de censure par cette cour cérémonieuse , dans la bouche 
de tout autre que le patriarche , au haut rang duquel on. accordait 
quelque licence. 

A l'instant oii Zozime venait de blesser ainsi le décorum, Achillès 
.Tatias et son soldat Hereward entrèrent dans l'appartement. Le 
premier s'avança en prenant, à an degré peu ordinaire , l'air et 
les manières d'un courtisan, comme s'il eût voulu faire contraster 
son savoir-vivre avec la gaucherie de son compagnon inexpéri- 
menté. Son amour-propre était pourtant secrètement flatté d'avoir 
à présenter , comme étant sous ses ordres immédiats , un homme 
qu'il était habitué à regarder comme un des soldats les plus dis- 
tingués de l'armée d'Alexis , soit pour l'apparence extérieure, soit 
pour les qualités réelles. 

L'entrée subite de ces deux nouveaux venus produisit quelque 
surprise. Achillès s'avança avec une assurance calme et respec- 
tueuse qui indiquait qu'il n'était pas étranger dans cette région ; 
mais Hereward tressailUt en entrant; et voyant qu'il était en pré- 



N 



70 ROBERT, 

-aence de tonte la cour , il chercha à la hâte à calmer soii agitation. 
Son commandant, jetant autour de lui un coup d'œil à peine tî^ 
eiUe» comme pour demander de Ifindulgence pour son soldat , fit 
on signe confidentiel à Hereward , pour Tayertir ^e ce qu'il devait 
faire. Il youlait lui faire entendre qu^il devait ôter son casque et 
ee prosterner le front à terre. L'ÀDglo-Saxon, peu accoutumé à 
ânterpréter des ordres obscurs donnés par signes, pensa naturel- 
lement au devoir ordinaire de sa profession , et s'avança en face âe 
•l'empereur pour lui rendre les honneurs militaires. Il le salua en 
•pliant un genou, porta la main à son casque, et se relevant sur» 
le^hamp, il appuya sa hache sur son épaule, et resta devant le 
trône impérial comme une sentinelle en faction. 

Tout le cercle fit un léger sourire de surprise en voyant l'air 
mâle et martial , quoique peu cérémonieux, du soldat du Nord. Les 
-divers spectateurs de cette scène consultaient la physionomie de 
l'empereur , ne sachant s'ils devaient regarder la brusque entrée 
du Yarangien comme un défaut de savoir-vivre, et en mani- 
fester leur horreur, ou considérer les manières du gafrde-du-corp& 
oomme indiquant un zèle franc et hardi , qui avait droit à des ap« 
plaudissemens. 

n se passa quelques instans avant que l'empereur revînt suffi» 
eamment à lui pour donner le ton à ses courtisans, comme c'étak 
l'usage en pareilles occasions. Alexis Gomnène avait été plongé 
im moment dans une sorte de léger sommeil, ou du moins d'ab» 
straction. A son réveil, il tressaillit en voyant tout à coup devaiit 
lui le Yarangien ; car, quoiqu'il eût coutume de charger ce corps 
de confiance de la garde extérieure du palais, le service de l'inté- 
rieur se faisait ordinairement par les noirs difbrmes dont nous 
avons parlé, et qui s'élevaient quelquefois jusqu'au rang de mi*- 
nistres d'Etat et de commandans des armées. 

Alexis, en s'évéiUant de cette sorte de sommeil, Toreille encore 
remplie du style pompeux» de sa fille, qui loi lisait une description 
dans le grand ouvrage historique où elle rapportait les batailles 
liwées sous son règne, se trouvait donc peu préparré à l'arrivée ^t 
an salut militaire d'un soldat de sa garde saxonne, dont l'idée ne 
se présentait à son esprit qu'accompagnée-de scènes de combats, 
de dangers et de mort. 

Afprès «voir jeté un regard troublé aiiioor de lui, ses yeux ee 
lièrent sur Aohillès Tatius. — Pourquoies-tu ici, mon fidèleaco» 
louthos? lui dît^U; peorquei ee soldat s'y treave^-ftà^cetteheore 



COMTE DE PARIS. 71 

de la nuit ? — C'était naturellement , poor tous les visages de la 
cour, le moment de se modeler régis ad exemplat; mais, avant 
que le patriarche eût eu le temps de donner à ses traits une expres- 
sion de dévote appréhension de quelque danger, Achillès Tatius 
avait prononcé quelques mots qui avaient rappelé à Tempereur 
que c'était d'après son ordre spécial qu'il avait amené ce soldat 
devant lui. — Oh ! cela est vrai, mes braves, dit Alexis, tandis que 
la sérénité reparaissait sur son front ; les soins de TEtat nous 
avaient fait oublier cet ordre* Il parla alors au Yarangien avec 
un air plus ouvert et un accent plus cordial qu'il n'avait coutume 
de le faire avec ses courtisans; car, pour un despote , un fidèle 
garde-da*corps est un homme de confiance, tandis qu'un officier 
de haut rang est toujours , jusqu'à un certain point, un objet de 
méfiance. — Eh bien! dit-U, comment va notre digne Anglo- 
Danois ? Cette question , faite sans aucun égard au cérémonial., 
surprit tous ceux qui l'entendirent, à l'exception de celui à qui elle 
était adressée. Hereward y répondit, en joignant a ses paroles un 
salut militaire qui montrait plus de cordialité que de respect , 
d'une voix haute et hardie qui fit tressaillir tous les auditeurs , 
d'autant plus qu'il parlait en saxon, langue dont se servaient par- 
fois ces étrangers : — Waes hael^ Kaisar mirrig und machtighl 
c^est-à-dire : Portez-vous bien, fort et puissant empereur. Alexis, 
avec un sourira d'intelligence, destiné à montrer qu'il était en état 
de parler à ses gardes en leur propre langue, lui répondit par ces 
mots bien connus : — Drink hael! 

A l'instant même, un page apporta une coupe d'argent pleine 
de vin. L'empereur y trempa ses lèvres, quoiqu'en goûtant à 
peine la liqueur qui s'y trouvait , la fit porter li Hereward, et lui 
ordonna de Ixnre. Le Saxon ne se fit pas répéter cet ordre , et il 
vida la coupe sans hésiter. Toute l'assemblée laissa échapper un 
léger sourire , sans s'écarter du décorum exigé par la présence de 
l%mpereur, à la vue d'un exploit qui, quoiqu'il n'eût rien d'éton- 
nant dans un Hyperboréen, semblait prodigieux aux Grecs, habi- 
tués à la sobriété. Alexis lui-même rit plus haut que ses courti- 
sans ne crurent pouvoir se le permettre, et appelant à son aide le 
peu de mots varangiens qu'il connaissait et qu'il liait ensemble par 
quelques mots grecs, il dit à son garde-du-corps : — Eh bien] mon 
brave Breton Edouard, comme on t'appelle, connais- tu la saveur 
decevin? 



n ROBERT, 

— Oaiy répondit le Yarangien, sans changer de yisage; j'en ai 
déjà goûté une fois à Laodicée. 

Ici Achillès Tatias sentit qne son soldat approchait d'an terrain 
glissant > et il s'efforça inutilement d'attirer son attention en lui 
faisant signe de garder le silence, on du moins de prendre garde 
à ce qu'il disait dans une si auguste assemblée. Mais le soldat, 
qui, avec la précision de la discipline militaire, continuait à avoir 
les yeux fixés sur Fempereur, et à lui donner toute son attention, 
comme étant tenu de lui obéir et de lui répondre, ne remarqua au- 
cun des signes d'Àchillès, qui les fit enfin si ouvertement que Zo- 
zime et le protospathaire se lancèrent mutuellement des coups 
d'œil d'intelligence, comme pour se faire remarquer réciproque- 
ment le jeu muet du chef des Yarangiens. 

Pendant ce temps , le dialogue entre l'empereur et son soldat 
continuait : — Comment as-tu trouvé ce vin, en le comparant à 
l'autre ? demanda Alexis. 

— Il y a ici , Votre Majesté , meilleure compagnie que celle des 
archers arabes , répondit Hereward en saluant à la ronde avec on 
instinct de politesse. Cependant il manque à la saveur de ce vin 
celle que la chaleur du soleil, la poussière du combat, et la 
fatigue de porter une arme comme celle-ci ( mettant sa hache en 
avant) pendant huit heures de suite, peuvent donner à une coupe 
de bon vin. 

— n peut y manquer encore autre chose , dit Agélastès-l'Elé- 
phant, dont nous avons déjà parlé , s'il m'est permis d'y faire allu- 
sion , ajouta-il en levant les yeux vers le trône. Cette coupe est 
peut-être plus petite que celle dont tu te servis à Laodicée. 

— Par Taranis, c'est la vérité, répondit le garde-du-corps; car, 
a Laodicée, ce fut mon casque qui me servit de coupe. 

. — Comparons les deux coupes ensemble, Tami, dit Agélastès 
du même ton de raillerie , afin que nous soyons sûrs que tu n'as 
pas avalé la dernière , car, à la manière dont je t'ai vu boire, je 
craignais qu'elle ne passât par ton gosier avec ce qu'elle contenait. 

— Il y a des choses que je n'avale pas aisément, répondit le Va- 
rangien d'un ton calme et indifférent ; mais il faut qu'elles viennent 
d'un homme plus jeune et plus actif que vous ne l'êtes. 

La conipagnie sourit de nouveau, et l'on semblait se dire des 
yeux l'un à l'autre , que le philosophe, quoique bel esprit de pro- 
fession, n'avait pas eu l'avantage dans cette rencontre. 



COMTE DE PARIS. 73 

L'empereur interrint en même temps : — Et je ne t'ai pas fait 
Tenir ici> mon braye, dit-il, ponr y être en batte à de sottes 
railleries. 

Agélastès se retira derrière le cercle, comme un chien châtié 
par le chassenr pour avoir aboyé mal à propos. La princesse Anne 
Comnène , dont les beaux traits avaient déjà exprimé quelque im- 
patience, prit enfin la parole : — Tous plaira-t-il donc. Sire, et 
mon père très chéri, dit-elle, d'apprendre à ceux qui ont eu le 
bonheur d'être admis dans le temple des muses, pourquoi tous 
ayez ordonné que ce soldat fftt admis ce soir dans un lieu si fort au- 
dessas de son rang dans le monde? Permettez-moi de dire que nous 
ne devons pas vous faire perdre en plaisanteries vaines et frivoles 
nn temps qui est consacré au bien de l'empire , comme doit l'être 
chaque instant de votre loisir. 

— Notre fille parle avec sagesse, dit l'impératrice Irène, qui , 
comme la plupart des mères , ne possédant pas beaucoup de talens 
elles-mêffles , et peu capables de les apprécier dans les autres , était 
cependant grande admiratrice de ceux de sa fille favorite , et tou- 
jours prête à les faire briller en toute occasion. Permettez-moi de 
iaire remarquer que, dans ce palais divin et favorisé des muses, 
consacré aus: études savantes de notre chère fille, dont la plume 
fera Ti^re notre renommée, notre cher et impérial époux, jusqu'à 
la destruction de l'univers, et qui est l'ame et le charme de cette 
société, la fleur du génie de notre sublime cour; permettez-moi, 
dis-je f de faire remarquer que , en recevant seulement ici un simple 
garde-du-corps , nous avons donné à notre conversation le ca- 
ractère qui distingue celle d'une caserne. 

L'empereur Alexis Comnène éprouva alors ce qu'éprouve plus 
d'nn honnête homme dans les rangs ordinaires de la vie , quand sa 
femme commence un long discours ; d'autant plus que l'impératrice 
Irène ne se renfermait pas toujours dans les règles exactes du cé- 
rémonial prescrit par la suprématie de son auguste époux. Ainsi, 
^oiqn'il n'eût pas été fâché d'obtenir un court répit à la lecture 
laonotone de l'histoire de la princesse, il sentit alors la nécessité 
delà reprendre , ou d'écouter l'éloquence matrimoniale de l'impé- 
ratrice. Il soupira donc, et dit : — Je vous demande pardon, notre 
lionne et impériale épouse, et à vous aussi, nôtre Ûle, née dans 
la chambre pourpre. Je me souviens, notre fille très aimable et 
très accomplie , que hier soir vous désiriez connaître les détails de 
la bataille de Laodicée, livrée aux païens arabes (que Dieu cou- 



74 ROBERT, 

fonde I ) ; et par suite de certaines considérations qui nous portent 
à ajouter d'autres témoignages à notre propre souvenir, Achillès 
Tatius, notre très fidèle acolouthos, reçut ordre d'amener ici xm 
des soldats qui sont sous son commandement, et de choisir celui 
que son courage et sa présence d'esprit rendaient le piqs en état 
de remarquer ce qui se passait autour de lui dans cette journée re- 
marquable et sanglante. Et je. suppose queyoilà le soldat qu^il 
amène en exécution de mes ordres. 

— . S'il m'est permis de parler et de vivre , dit l'acolouthos , Votre 
Majesté impériale , et ces princesses divines , dont le nom est pour 
nous comme ceux des bienheureux saints, ont en leur présence la 
fleur de mes ÀnglooDanois, soit qu'on les appelle ainsi , ou de tout 
autre nom antichrétien. C'est , je puis le dire , un Barbare des Bar* 
bares; mais quoique, par sa naissance et son éducation, il ne 
soit pas digne de toucher de ses pieds le tapis de cette enceinte de 
talens et d'éloquence , il est si brave , si fidèle , si dévoué, si zélé , 
si prêt à tout... 

— Suffit, bon acolouthos ! dit l'empereur; dites-nous seulement 
qu'il est de sang-JEroid et bon observateur pendant la mêlée, et 
qu'alors il n'est pas troublé et agité, comme nous avons quel- 
quefois remarqué que vous Pétiez, vous et d'autres grands géné- 
raux , et, pour dire la vérité, comme nous avons senti que nous 
Pétions nous-même dans des occasions extraordinaires. Cette dif- 
férence dans la constitution des hommes n'est pas la suite d'une in- 
fériorité de courage ; elle vient en nous d'un sentiment intime de 
Pimportance de notre sûreté pour le bien de PEtat, et du nombre 
de devoirs qui nous sont imposés en même temps. Parle donc, et 
parle en peu de mots, Tatius; car je vois que notr^ très chère 
épouse, et notre fille trois fois heureuse, née dans la chambre 
pourpre impériale, semblent montrer un peu d'impatience. 

— Hereward, répondit Achillès, est aussi calme et aussi bon 
observateur dans une bataille qu'un autre le serait dans une danse 
joyeuse. La poussière des combats est le souffle de ses narines; et 
n proitfvera sa valeur en combattant quatre de ceux qui, les Vat- 
rangiens exceptés, se diront les plus braves serviteurs de Votre 
Majesté impériale. 

— Acolouthos , dit Pempereur avec un air et un ton de mécon- 
tentement, au lieu de donner à ces pauvres et ignorans Barbares 
des leçons de civilisation , et de leur apprendre les lois de cet em- 
pire éclairé, vous alimentez par de tels propos pleins de jactance 



COMTE DE 1>ARIS. T5 

leur Tain orgueil et leur impétnosité naturelle qni les portent à 
aYoir des querelles arec les légions d'antres pays étrangers , et qui 
en suscitent même entre eux. 

— Si ma bouche peut s'ouTrir pour faire entendre la plus humble 
excuse, dit AchiUès Tatius , je prendrai la liberté de répondre 
qu'il n'y a qu'une heure, je parlais à ce pauTre ignorant Anglo« 
Danois du soin paternel de Yotre Majesté impériale pour le main- 
tien deoette concorde qni mrit tous ceux qui suivent votre étendard» 
et je loi disais combien vous désirez encourager cette harmonie , 
et plus particulièrement encore entre les diverses nations qui ont 
le bonheur de tous servir , en dépit des querelles sanglantes des 
Francs et des autres habitans du Nord , qui ne sont jamais sans 
dissensions intestines. Je crois que Tintelligence du pauvre jeune 
homme est suffisante pour rendre ce témoignage en ma ikTeur. k 
ces mots il jeta un coup d'œil sur Hereward , qui baissa gravement 
la tète y comme pour confirmer ce que son capitaine venait de dire» 
Voyant son excuse ainsi appuyée, Achillès continua son apologie 
avec plus de fermeté. — Quant à ce que j'ai dit tout à llheure à 
Votre Majesté , j'ai parlé sans réflexion. Au lieu de prétendre que 
Hereward ferait face à quatre des serviteurs de Votre Altesse im« 
périale , j'aurais dû dire qu'il était disposé à défier six des ennemis 
de Votre Majesté, et à leur laisser le choix du temps ^ du lieu et 
des armes. 

— Cida sonne mieux , dit l'empereur ; et dans le fait, je dind 
pour l'infèrmation de ma très chère fille , qui a pieusement entre- 
pris d'éorire l'histoire de ce que le ciel m'a permis de faire pour le 
bien de cet empire, que je désire vivement qu'elle se souvienne 
que, quoique l'épée d'Alexis ne se soit pas rouiilée dans le foui^ 
reau, cependant il n'a jamais chercîhé à acquérir de la rèn(«nmée 
an prix du sang de ses sujets. 

-^ Je me flatte , dit Anne Conmène , que , dans mon humble es*- 
qniase de la vie db noble prince à qui je dois rexistence, je n'ai 
pas oobliéde mentionner son amour pour la paix , ses égards pour 
la vie de ses soMats, et son 'horreur pour ks usages sanguinaires 
i^ francs, comme étant un des traits les plus distingués qui le 
CBractérisent* 

Prêtant alors une attitude plus imposante, comme allant ré- 
elamerl'attention delà compifgnî'e, la princesse fit une légère in- 
clination de la tête à larondcà son auÂtoire , et prenant un rott» 
hau de parchemin des mains de ht belle esdlave qui lui servait de 



76 ROBERT. 

secrétaire , et qai ayait écrit soas la dictée de sa maîtresse , en ca- 
ractères de la plas grande beauté , Anne Comnène se prépara à 
faire la lecture de ce qui y était tracé. 

En ce moment, les yeux de la princesse se fixèrent un instant 
sur Hereward , et elle daigna lui adresser la parole en ces termes : 
— Vaillant Barbare que mon imagination se rappelle confusément, 
comme si c'était la suite d'un rêve , tu Tas maintenant entendre la 
lecture d'un ouvrage qui , si Ton met l'auteur en comparaison ayec 
le sujet, pourrait être assimilé au portrait d'Alexandre exécuté par 
quelque barbouilleur qui aurait usurpé les pinceaux. d'Apelles. 
Mais cet essai , quelque indigne qu'il puisse paraître du sujet aux 
yeux de bien des gens, doit pourtant exciter quelque envie dans 
l'esprit de ceux qui en examinent impartialement le contenu, et 
^qui songent à la difficulté de bien représenter le grand personnage 
qui en est l'objet. Je te prie donc de donner toute ton attention à ce 
que je vais lire ; car cette relation de la bataille de Laodicée , dont 
les détails m'ont été principalement transmis par Sa Majesté impé- 
riale mon noble père, par son invincible général le vaillant pro- 
tospathaire, et par Achillès Tatiusie fidèle acolouthosde notre vie- 
torieux empereur, peut cependant être inexacte dans quelques 
détails ; on doit croire en effet que les bautes fonctions de ces 
grands commandans les retinrent à quelque distance du plus fort 
de la mêlée, afin qu'ils eussent les moyens de juger avec plus de 
sang-froid et d'exactitude l'ensemble de Faction , et de transmettre 
leurs ordres sans être troublés par aucune pensée de sûreté person- 
nelle. Il en est de même de l'art de la broderie, brave Barbare ; 
et ne sois pas surpris que nous cultivions cet art mécanique, puis- 
qu'il a pour protecteur Minerve, qui préside à nos études; nous 
nous réservons la surintendance de l'ensemble de l'ouvrage, et 
nous confions à nos femmes et à d'autres l'exécution des parties de 
détail. Ainsi, et de la même manière , vaillant Yarangien , ayant 
pris part au plus fort du combat livré devant Laodicée, tu peux 
nous indiquer, à nous indigne historienne d'une guerre si renom- 
mée, les incidens qui peuvent être arrivés quand on combattait 
corps à corps , et quand le destin de la bataille fut décidé par le 
tranchant du glaive. Ne crains donc pas, toi le plus brave des 
Anglo-Danois auxquels nous devons cette victoire, et tant d'autres, 
de relever les méprises et les erreurs que nous avons pu commettre 
relativement aux détails de ce glorieux événement. 

— Madame , répondit le Yarangien , j'écouterai avec attention 



COMTE DE PARIS. 77 

ce qn'il plaira à Votre Altesse de me lire ; mai» pour me permettre 
de critiqiier ane histoire écrite par mie princesse née dans la 
ponrpre , loin de moi une telle présonkption. Il conviendrait encore 
moins à nnliarbare Yarangien de Yonloir juger de la conduite mi- 
litaire de l'emperenr, qui le paie libéralement , ou du commandant- 
par lequel il est bien traité. Si notre ayis est demandé avant une 
action, nous le donnons toujours avec franchise; mais, suivant 
mon intelligence bornée , notre critique > après que le combat a été 
livré, serait plus odieuse qu'utile. Quant 'au protospathaire^ si 
c'est le devoir d'un général de ne pas se trouver dans la mêlée, je 
puis dire, et même jurer, en toute sûreté de conscience, s'il était 
nécessaire, que je n'ai jamais vu notre invincible commandant à 
moins d'une portée de javeliiie d'aucun endroit où il parût y avoir 
quelque danger. 

Ce discours , prononcé avec un ton de hardiesse et de franchise, 
produisit un grand effet sur toute la compagnie. L'empereur lui-^ 
même et Achillès Tattus ressemblaient à des hommes qui s'étaient 
tirés d'an danger mieux qu^ils ne s'y attendaient. JLe protospathaire 
fit tous ses efforts pour cacher un mouvement de ressentiment. 
Agélastès , qui était placé près du patriarche , lui dit à Toreille t- 
— La hache du Nord ne manque ni de pointe ni de tranchant. 

— Silence ! dit Zozime, voyons comment tout ceci finira. La 
princesse va parler. 



CHAPITRE IV. 



On entendit alors le tecbir; c'est ainsi 
Qne l'Arabe appelait l'épouvantable cri 
Qu'il pousse vers le ciel sur les champs de la gloire* 
Comme pour demander l'honneur de la rictoire. 
Le combat se livra. — Combat et paradis 1 
De la horde barbare alors furent les cris. 
Lt Si^ «k Dumas, 



La voix du soldat du Nord, quoique modérée par un sentiment 
de respect pour l'empereur et même d'attachement pour son capi- 
taine, avait pourtant ce ton de sincérité brusque que n'entendaient 
pas ordinairement les échos sacrés du palais impérial; et quoique 
la princesse Anne Gomnène commençât à penser qu'elle avait de* 
ttandé l'opinion d'un juge sévère, elle sentait en même temps , à 



78 ROBERT, 

Bon ton de déCévence p qae mm, respect scfMk faekjtie ehosede pias 
réel, et qae son approbation, ai elle Tobtenait, serait pins Téri* 
tablement flatteuse poar elle qne les cemplÎBieBfr dorés dfe tonte la 
conr de son père. Elle regarda aTeesorprise et attention Hereward, 
que nous ayons déjà dépeint coaune nn très bean jeune homme, et 
elle éprouva ce désir naturel de plaire que fait naître aisément dans 
l'esprit Taspect d'une beUb persomua d'un sexe différent. Son at- 
titude ayait de l'aisance et de la hardiesse , mais n'était ni gandie 
niinciyile. Son titre de Barbare Taffrafiehissàit des formes de la 
yie ciyilisée et des règles d'une pditesse artificielle. Mais sa répn. 
tation de yaleur, et son air de noble confiance en lui-même, iai* 
saient prendre à lui plus d'intérêt qu'il n'en auiarit obtenu par des 
discours plus étudiés et plus soignés « on par des» démonstrations 
excessiyes de respect. 

En un mot, la princesse Anne Comnàne> quelque éleyé que f&t 
son rang , et quoique née dans la pourpre impériale , ce qu'elle re- 
gardait elle-même comme le premier de tous tes avantages , s«itit 
néanmoins, en se préparant à r^rendre la leetare de son histoire, 
qu'elle désirait <d>tenir les applaudissemens de ce soldat baiiiare, 
plus que ceux de tout Tauditoire de eourtisaus dont eUe était en» 
toxkT&d. Il est yrai qu'dle les comuâssait parfaitement , et elle s'in- 
quiétait fort peu des éloges que la fille de l'^npereur était sââre de 
recevoir à pleines mains des courtisans grecs à qm il pouvait kd 
plaire de communiquer ses productions ; mais elle était en ce mo- 
ment devant nn juge dont le caractère était nouveau pour elle , et 
dont les applaudissemens , s'il les ascordait» devaient partir d'un 
sentiment profond et vrai, puisqu'ils ne pouvaient s'obtenir qu'en 
touchant son esprit ou son cœur. 

Ce fut peut-^re l'influeme de ces sentimens qui fit que la prin- 
cesse fut un peu plus long-temps que de coutume à trouver dans 
le rouleau de son histoire le passage par lequel elle avait dessein 
de commencer sa lecture. On remarqua aussi qu'elle lut d'abord 
avec un embarras et une timidité dont ses nobles auditeurs furent 
surpris, car ils l'avaient vue bien souvent conserver toute sa pré- 
sence d'esprit devant ce qu'ils regardaient comme un auditoire 
plus distingué , et où il se trouvait même des critiques plus sévères. 

Les circonstances dans lesquelles se trouyait le Yarangien 
étaient de nature à ne pas lui inspirer de l'indifférence pour cette 
scène. A la vérité, Anne Gomnène avait atteint 8<m cinquième 
lustre , et c'est une époque après laquelle la beauté des femmes 



COMTE DB PARIS. 79 

grecques coBUMBce à déoboîr. Depuis qwnd araifrdk passé cette 
ère critique ? c'était un secret pour tem le moBde» exceplié pour 
les femmes initiées dans les mystères de la chambe poivpre. Il 
nous sofGit de dire que la iraix dm peapk prétendait qu'elle était 
entrée depuis un au eadeuudans sou sijdème lustre ; €»qiie parais*» 
sait cou&rmer ce pmchaut à la philosepUs et à la littérature , 
qa'onne suppose pas naturel à la beauté dans sou ancore. Elle 
poayak avoir yingt-septans* 

' Cependant Anne Ccnnnàne était f ou avait été , très peu de temps 
auparavant y une beauté du premier ordre, et Ton doit siq[>po8er 
qu'elle conservait enccpre assez d'attraits pour captiver un Barbare 
duNordy s'il n'avait soin de bien se cappdor la dîstauoe incom* 
laensurable qui le séparait d'elle» Ce souvenir aurait mâme à peine 
suffi pour rendre Hereward invidnérable aux charmes de cette ei^ 
cbaateresse , hardi, libre» et intrépide comme il était; car, 
pendant ces scènes de révolutions étraugèces, il y avait bien des. 
exemyles de génâraux heureux qui avaient partagé la eou<^ de 
princesses du sang impérial, qu'ils avaient peut4tare eux-mêmes 
rendues veuves, afin de frayer uu chemin à leurs prétentiens* 
Hais indépendamment de l'influence d'autres souvenirs^ comme le 
lecteur l'apprmidrabientdtyHçreward, quoique flattédudegréex* 
tnu>rdixuiire d'attention que lui accordait la princesse.» u» vofate. 
en elle que la fille de s<m eu^^eur,. du seigneur su^reia qu'il 
aiait adopté » et l'épouse, d'un noUe priMu; et sa raison oomum 
son devoir lui défendaient de penser à elle sous aueu» autre lappovt. 
Cane fiit qu-'après ipielqnes effort» préliminamB ^ue la prin- 
cesse Anne commença su feaure d'une voix presquar tremblante^ 
mais qui prit de la force et de l'énergie à mesure qu'elle avançait 
dans la relation suivante.,, tirée d'une pairtie bien connue de l'hie* 
toire d'Alexis Gomnène, mais, qui malheureusemenl} n'a pas été 
comprise dans l'édition des historiens byzantins* Ce morceau ne 
peut donc qu'être agréable aux antiquaires ^ et l'auteur espère re- 
coToir les remerciemens du monde savant pour avoir recouvré wv 
fragment curieux^ qui, sans seaeCforts, seraii probablement tombé 

dans^le gouffre de reubli« 

LA RETRAITE D£ LAODICÉE, 

Tndnita |MMwr UjnnîAiv fiik 4a fne» et faiMot ptrti* d« rffittoise d'AlaBUConoèse. 

par la princesse sa fille. 

« Le soleil s'était couché dans son lit de l'Océan , honteux» 



80 ROBERT ; 

comme on pourrait le croire, de voir l'armée immortelle de notre 
empereur très sacré Alexis entoarée par ces hordes sauvages de 
Barbares infidèles , qui , comme nous l'ayons dit dans notre cha- 
pitre précédent , ayaient occupé les divers défilés tant en ayant 
qu'en arrière des Romains S les rusés Barbares s'en étant empa- 
rés la nuit précédente. Quoiqu'une marche triomphante nous eût 
conduits jusqu'à ce point , ce deyint alors une question sérieuse et 
un sujet de doute , de sayoir si nos aigles yictorieuses pourraient 
pénétrer plus ayant dans le pays des ennemis , ou même retourner 
en sûreté dans le leur. 

« La science profonde de l'empereur dans l'art militaire, science 
bien au-dessus de celle de tous les princes yiyans , Tayait engage , 
le soir précédent, à faire reconnaître, ayec une exactitude et une 
prévoyance meryeilleuses, la position précise de l'ennemi. 11 ayait 
employé à ce service très nécessaire certains Barbares légèrement 
armés, qui avaient puisé leurs habitudes et leur discipline dans 
les déserts de la Syrie; et si je dois écrire d'après ce que me dicte 
la vérité, qui doit toujours guider la plume de l'historieu , il faut 
que j'ajoute qu'ils étaient infidèles comme leurs ennemis, sincère- 
ment attachés pourtant an service des Romains, et, comme je le 
crois , esclaves dévoués de l'empereur , à qui ils communiquèrent 
les renseignemens qu'il désirait avoir sur la position de son ennemi 
redoutable lezdegerd. Ces soldats n'apportèrent leurs informations 
que long^temps après l'heure à laqudle l'empereur se livrait ordi- 
lumrement au repos. 

« Malgré ce dérangement dans Pemploi de son temps très sacré, 
Tempereur notre père, qui avait retûrdé la cérémonie de se dés- 
habiller ( tant était grande l'urgence du moment) , continua , jus- 
que bien avant dans la nuit, à tenir un conseil avec ses chefs les 
plus sages : hommes dont le jugement profond aurait pu soutenir 
un monde prêt à s'écrouler, et qui délibérèrent alors sur ce qu'il 
convenait de faire dans les circonstances difficiles où Ton se trou- 
vait. L'urgence était telle qu'elle fit oublier tout le cérémonial or- 
dinaire de la maison impériale; car j'ai appris de témoins oculaires 
que le ht de ^empereur fut placé dans la chambre même où le 
conseil s'assembla , et que la lampe sacrée , appelée la lumière du 
conseil, qui est toujours allumée quand l'empereur présid&en per- 
sonne les délibérations de ses serviteurs , fut alimentée cette nuit 

I. Nous devrions plutôt dire des Grecs, mats noos tradaisons l'expression de la belle bis* 
torienne. 



COMTE DE PARIS. • 81 

(chose iaontedans nos annales) avec de Thoile non parfàmée! » 
Id la belle lectrice prit une attitude indiquantnne sainte hor- 
reur, et ses auditeurs témoignèrent , par divers signes d'intérêt 
semblables, qu'ils éprouyaient le même sentiment. Nous nous bor- 
nerons à dire que le soupir d'Achillès Tatius fut le plus pathé- 
tique , et que le gémissement d' Agélastès-PÉléphant fut si profond 
qu'on l'eût dit poussé par le plus terrible des animaux. Hereward 
ne montra que peu d'émotion, car il n'était jsurpris que def^oir l'é- 
tonnement des autres. La princesse ayant laissé à ses auditeurs le 
temps d'exprimer leur consternation , continua sa lecture ain^i 
qu'il suit : 

a Dans cette fâcheuse situation , dans un moment où les rites 
les Biieux établis et les plus sacrés de la maison impériale cédaient 
à la nécessité d'adopter à la hâte des mesures pour le lendemain , 
les opinions des conseillers furent différentes suivant leur carac- 
tare et leurs habitudes ; ce qu'on peut remarquer , en passant, 
comme pouvant arriver aux plus habiles dans de semblables occa- 
sions de doute et de danger. 

a Je n'inscrirai pas ici les noms et les opinions de ceux dont les 
avis forent tour à tour proposés et rejetés , donnant ainsi une 
preuve de respect pour le secret et la liberté qui régnent juste- 
ment dans les discussions du cabinet impérial. Il me suffira de 
dire que qnelques*uns conseillèrent d'attaquer promptement l'en- 
nemi en continuant à avancer. D'autres pensèrent qu'il était plus 
sûr etqu'il pouvait être facile de nous ouvrir un chemin en arrière, 
et de nous retirer par la même route qui nous avait amenés jusque- 
là. Je ne dois pas même dissimuler qu'il se trouva des personnes , 
d'une fidélité incontestable, qui proposèrent un troisième parti, 
qui offrait à la vérité plus de sûreté que les deux autres , mais to- 
talement contraire à l'esprit de magnanimité de notre auguste 
père. C'était d'envoyer un esclave de confiance , accompagné d'un 
nûnistrede l'intérieur de notre palais impérial, à la teàte de lez- 
degerd, pour demandera quelles conditions le Barbare voudrait 
permettre à notre père triomphant de se retirer en sûreté à la tête 
de son armée victorieuse. A cette proposition , on entendit notre 
uiguste père s'écrier : Sancta Sophia ! expression la plus voisine 
d'un jurement qu'il se soit jamais permise ; et il paraissait sur le 
point de s'emporter violemment contre un avis si honteux et contre 
la lâcheté de ceux qui le donnaient, quand , se rappelant l'instabi* 
Uté des choses humaines et les infortunes de plusieurs de ses pré- 

6 



. f 

ii ROBEBflf, 

iécmÊÊdrs , dont qtielqveBpans ayaient été fardés dans k laâme 
(Mtyg de rendre Isav personne sacvëe anx in^dèles , Sa Majesté im- 
périale retint rexprestion 4e ses seniimens généreux , et ne les fit 
connaître aux conseillers qui l^avaient suivie à l^armée que par on 
disooqrs di|ns lequel elle déclara qu^nne fnesure si désespérée et si 
déshonorante serait la dernière qu'elle adopterait, même dans le 
danger le plus extrême. Ainsi le jugement de ce puissant prince 
rejeta sar4e*c)iamp up conieil qui semblait honteux pour ses 
arnies , et encouragea ainsi (e zèie de se^ troupes , tandis qu'il gar- 
dait secrètement cette porte de réserve , qui , à la dernière extré* 
mité y pouvait lui servir pour faire sa retraite sans danger ^ quoi- 
qu'elle ft'eût pas été toutrà-fail honorable dans des circonstances 
moins urgentes, 

a Au moment où la discussion était parvenue à cette crise mé- 
lanceliquey ie renommé Achillès Tatius arriva arec l'heureuse 
nouvelle qu'il avait, accompagné de quelques soldats de son 
corps, découvert une ouverture sur le flanc gauche de notre camp, 
par où , en faisant à la vérité un circuit considérable et en gagnant 
la ville de Laodicéepar une marche forcée ,nous pourrions, en nous 
r^iant sur nos réserves, être Jusqu'à un certain point à l'abri 
de tOQt danger de la part de l'ennemi. 

« Dès que l'esprit agité de notre auguste père vit briller ce 
rayon d'espérance , il fit les arrangemens nécessaires pour nous 
assurer pleinement cet avantage. Son Altesse impériale ne voulut 
pas permettre aux braves Varangiens , qu'il regardait comme la 
fleur de son armée , de se mettre en cette occasion au premier 
rang. Il réprima l'amour des batailles qui a distingué en tout temps 
ces généreux étrangers, et voulut que les forces syriennes de l'ar- 
mée, dont noiis avons déjà parlé, s'assemblassent avec le moins 
de bruit possible dans les environs du défilé que les ennemis n'a- 
vaient pas occupé, et cherchassent à s'en emparer. Le bon génie 
de l'empire lui suggéra que , comme ils ressemblaient aux enne- 
mis par leur langue , leurs armes et tout leur extérieur, on souf- 
frirait sans opposition que ces soldats, légèrement armés, se por- 
tàss^it dans ce défilé, et y assurassent ainsi le passage du reste de 
Farmée, dont il proposa que les Varangiens, si immédiatement 
auachés à sa persionne sacrée, formassent Tavant-garde. Les ba- 
taillons bien connus nommés les Immortels , marchaient ensuite, 
eemprenant tout ie jgros de l'aniiée , et formant le centre et ji'ar- 
rière-garde. Achillès Tatius^ le fidèle acolôuthos de son maître 



COMTE DE PARIS « 6S 

impérial^ qaaiqne mprtifië qn'il ne lai eût pu été ffsnm^ iiè prendre 
le commandement de l'arrière-garde où il s'était proposé de se pla- 
cer avec ses Taillantes troupes y comme étant alors Imposte le plus 
dangereux y adopta pourtant rarrangement proposé par Sa Ma- 
jesté , comme étant le plus propre à gar%ntir la s&reté de Tempe- 
Tcor et celle de Tannée. 

« Les ordres de Son Altesse Impériale furent donntj^ siM*-le* 
champ, et ils furent exécutés de même, avec une ponctualité 
d'-autant plus stricte , qu'ils annonçaient un moyen de salut dont 
avaient presque désespéré même les plus vieux soldats. Durant 
cet espace de temps ténébreux, pendant lequel , comme le dit le 
divin Homère» les dieux et les hommes sont également endormis^ 
il se trouva que la vigilance et la prudence d'un seul individu 
avaient pourvu à la sftreté de toute Tarmée romaine. Les premiers 
rayons du soleil frappaient à peine le sommet dès montagnes qui< 
bordaient le défilé , qu'ils furent réfléchis par les casques d'airain 
et les javelines des Syriens, commandés par un capitaine nommé 
Honastras, qui s'était attaché à l'empire avec sa tribu. L'empe- 
reur, à la tête de ses fidèles Yarangiens, traversa le défilé, afin d» 
prendre sur la route de Laodicée assez d'avance pour éviter toute 
collision avec les Barbares. 

« C'était un beau spectacle que de voir la' masse de ces guer- 
riers du Nord, formant alors l'avant-garde de l'armée, marcher 
lentement et avec fermeté à travers les défilés des montagnes, 
toamer autour des rochers isolés et des précipices, et gravir les 
hauteurs moins escarpées , comme les eaux d'un fleuve grand et 
puissant, tandis que des troupes détachées de soldats armés d'arcs 
et de javelines/ à la manière de l'Orient, étaient dispersées sur les 
collines, et pouvaient se comparer à la légère écume qui se forme 
sur les bords du tprrent. Au milieu des escadrons de la garde du 
corps, on pouvait voir le fier cheval de bataille de Sa Majesté im- 
pérjalç, trépignant d'impatience, coname s'il eût été indigné du 
délai qui le séparait de son auguste fardeau. L'empereur Alexis 
voyageait dans une litière portée par huit vigoureux esclaves afri- 
cains, afin qu^il pût en sortir sans être épuisé de fatigue, si l'epnemi 
venait à atteindre l'armée. Le vaillant Achillès Tatius était à 
cheval près de la )itière de son me^ître, afin qu'aucune de ces idées 
hmineuses par lesquelles notre auguste père a si souvent décidé 
le sort des batailles, ne fût perdue, f^ute de pouvoir être comm^- 
tàqaée Sur-le-champ à ceux dont le devoir était de les exécuter. 

6. 



84 , ROBERT/ 

Je doU dire aussi que piès de la litière de l'empereur il y en âTait 
trois oa quatre antres; l'une préparée pour la Lune de l'Univers^ 
comme oa peut appeler Taqgnste impératrice Irène. Parmi les 
autres qu'on pourrait meutioimer, se trouTait celle qui contenait 
l'auteur de cette histoire , tout indigne qu'elle pût être d'aucune 
distinction y si ce n'est comme fille des personnages éminens et 
saciés que cette relation concerne particulièrement. Ce fut de 
cette manière que Uarmée impériale s'avança dans ces dangereux 
défilés , où sa marche pouvait être interrompue par les Barbares, 
et qu'elle traversa pourtant sans opposition. Quand on fut arrivé 
à k descente du défilé , d'où l'on voit la ville de Laodicée, la saga- 
cité de l'empereur commanda à l'avant-garde, qui avait marché 
jusqu'alors extrêmement vite , quoique les soldats qui la compo- 
saient fassent pesamment armés ^ de faire halte , tant pour se ra- 
fraîchir et se reposer, que pour donner à l'arrière-garde le temps 
d'arriver, et de remplir les divers intervalles que le mouvement 
rapide de ceux qui étaient en avant avait occasionés dans la ligne 
de marche. 

« Le lieu choisi pour cette halte était de la plus grande beaaté. 
On n'y voysdtplus qu'une chaîne de petites montagnes, compara- 
tivement à celles qui bordaient le défilé , et elles descendaient irré- 
gulièrement dans la plaine qui s'étendait depuis ce défilé jusqu'à 
Laodicée. Cette ville était à environ cent stades de distance, et 
quelques-uns de nos guerriers les plus ardens prétendaient qu'ils 
pouvaient déjà en distinguer les tours et les pinacles , brillant des 
premiers rayons du soleil , qui n'était pas encore bien élevé sur 
Thorizon. Un torrent des montagnes, qui trouvait sa source au 
pied^'un éoorme rocher, fendu pour lui donner naissance, comme 
s'il eût été frappé de la verge du prophète Moïse, portait ses tré- 
sors liquides dans un pays plus uni , et alimentait dans sa course 
une belle verdure et même de grands arbres. Enfin, à quatre ou 
cinq milles plus loin, ses eaux, du moins pendant la sécheresse, se 
perdaient au milieu de sables et de pierres amoncelées, qui, dans 
la saison des pluies, marquaient la force et l'impétuosité de son 
cours. 

« C'était un plaisir de voir avec quelle attention l'empereur 
veillait à tous les besoins des compagnons et des protecteurs de sa 
marche. De temps en temps, les trompettes donnaient à divers 
corps des Varangiens le signal de déposer leurs armes pour prendre 
la nourriture qui leur était distribuée, et se désfdtérer au ruisseau 



COMTE DE PARIS. 8fi 

qui ronlait san onde pore an pied de la montagne» et on les TOyait 
étendre leurs membres robustes snr le gazon qni était tout antoar. 
On servait aussi le déjeuner de Fempereur, de son épouse séré- 
nissimey des princesses et des dames , sur le bord et la fontaine 
qui donnait ni^ssance au ruisseau » et dont le respect des soldats 
s'était abstenu de souiller l'eau par un attouchement profane, la 
réservant pour Tusage de cette fomille^ qu'on dit énergiquement 
née dans la pourpre. Notre époux chéri était aussi présent en cette 
occasion, et il fut un des premiers à découvrir un des désastres de 
cette journée. Quoique tout le reste du déjeuner eût été , par les 
soins des officiers de la bouche impériale, préparé, même dans une 
semblable occasion , à peu près de la même manière qu'il l'était 
ordinairement, cependant, quand Sa Majesté impériale demanda 
da vin, non-seulement la liqueur sacrée destinée à son usage par- 
ticulier était épuisée, ou avait été laissée en arrière, mais^ on ne 
pat même se procurer, pour nous servir des expressions d'Horace, 
le plus ignoble produit des vignobles sabins ; de sorte que Sa Ma» 
jesté fut charmée d'accepter l'offre que lui fit un barbare Varan- 
gien de sa décoction d'orge, que ces sauvages préfèrent au jus de la 
vigne. L'empereur agréa pourtant ce tribut grossier. » 

— Ajoutez, dit Alexis qui avait été plongé jusqu'alors dans de 
profondes réflexions, ou qui commençait à s'endormir; ajoutez, 
TOUS dis-je, lés mots suivans : — Et attendu la chaleur de la ma- 
tinée et la fatigue d'une marche rapide, ayant en arrière des enne- 
mis nombreux, l'empereur était si altéré, que jamais, daùs toute sa 
Tie, il ne trouva breuvage plus délicieux . 

Obéissant aux ordres de son père, la princesse remit le manu- 
scrit à la belle esclave qui l'avait écrit , en lui ordonnant d'y faire 
l'addition désirée et d'y joindre une note pour indiquer qu'elle était 
&ite par l'ordre exprès et sacré de l'empereur. — J'avais dit ici 
quelques mots de plus, reprit-elle, sur la liqueur favorite des 
fidèles Yarangiens de Votre Altesse impériale ; mais une fois que 
Votre Majesté a daigné dire un mot elle-même à son éloge, cet 
ail, comme ils l'appellent, sans doute parce qu'il guérit toutes les 
maladies, qu'ils nomment ailments, devient un sujet trop élevé 
poar la discussion de personnes d'un rang inférieur. « Qu'il me 
suffise de dire que nous étions tous ainsi agréableYnent occupés : 
ks dames et les esclaves, cherchant à trouver quelque amusement 
poar les. oreilles impériales; les soldats formant une longue ligne 
fpr les )K>rdd dv ^tîh» se montrant en différentes attitudes, les 



66 ROBERT, 

4 

UBB se promenanl; le loDg da ruisseaa, les autres g;ardant les armes 
de leurs oompagnons, service dans lequel ils se relevaient à tour dé 
rôle» tandis que les différens corps des autres troupes , sous les 
ordres du pretospathaire, et particulièrement ceux qu'on nomme 
les Immortels S arrivaient successivement pour rejoindre l^armée. 
On permit à ces soldats, qui étaient 4^jà épuisés de fatigue, dé 
prendre quelques ii^stans de repos ; après quoi iîs^ se mirent en 
marche vers Laodicée , et Ton chargea leur chef, dès ^u'il pour- 
rait s'ouvrir une lihre communication avec cette ville, d'y envoyer 
demander des renforts et des rafraîchissemens , sans oublier une 
provision considérable de vin sacré pour la bôucfiè impériale. Ëa 
conséquence, les cohortes romaines des Immortels et autres troupes 
s'étaient remises en marche, et elles étaient déjà à quelque di- 
Étance, le bon plaisir de l'empereur ayant été que les Yarangiens, 
qui composaient d'abord l'avant-garde, formassent alors l'arrière- 
garde de toute l'armée, afin de ramener en sûreté les troupes lé- 
gères syriennes, qui occupaient encore le défilé que bous venions 
de traverser sans obstacle , quand nous entendîmes, de l'adtre cdté 
de <ie défilé , le son redoutable des le lies, ëomme les Arabes nom- 
ment leur cri d'attaque , quoiqu'il soit difficile de dire de quelle 
langue sont les mots qui le composent. » — Peut-êtrb quelqu'un 
dans cet auditoire pourrait-il éclairer mon ignorance a ce sujet? 

. — Puis-je parler et vivre? dit l'acoloutbos Achillés, fier de ses 
connaissances littéraires ; les mots sont : Alla illa alla Mohamed 
rtsoul alla* Ces mots, ou quelque chose d'approcHant, contien- 
nent la profession de foi des Arabes; et c'est le cri du ils poussent 
toujours quand ik sont sur le point de combattre. Je l'ai entendu 
Uen des fois, 

— Et moi aussi > dit l'empereur ; et , de même que toi , j'en ré- 
ponds, j'ai quelquefois désiré être partout ailleurs qu'a portée de 
l'entendre. 

Tout le cercle mourait d'impatience d'entendre la réponse de 
Tatins; mais il était trop bon courtisan pour faire une réplique 
impmdenteé — ^ Il est de mon devoir, répondit-il, de désirer être 
toujours aussi près de Votre Majesté impériale que doit Têtre votre 
fidèle aeolouthos, en quelque lieu que vous puissiez déMrer vous- 
milne vous trouver pour le moment. 



X. Les ImmorteU de l'année de Coostantinople étaient un corps choisi, ainsi nommés eu imitation 
été mtitm PtrMs, Ui furent rboali etf corps, auif «nt DacAuf e» par tlicbel Plieas* 



COMTE DE PARIS. if 

I 

Agâastès et Zozime échangèrent un regard i pi Ut pme êaie 
Anne Comnène reprit sa, lecture. 

a La cause de ce bnut sinistre qui se faisait entendre ttmfé&é^ 
ment du côté du défilé nous fut bientôt expliquée par mie desÈAiiiè 
de cavaliers à qui ayait été confiée la mission de nous apporter 
des nouvelles. 

« Ils nous informèrent que les Barbares , dont les forées avaiiBtifi 
été dispersées autour de la position où nous avions campé Id veillé^ 
n'avaient pu rassembler leurs troupes qu'à l'instant où n4tre in* 
£mterie légère évAcuait le poste qu'elle avait occupé pour assurer 
la retraite de notre armée. Les Syriens descendaient alera du haut 
des montagnes dans, le défilé , quand , en dépit du terrain rocail' 
leoxy lezdegerd fit contre eux une charge terrible à la tête d'an 
corps nombreux de ses soldats, qu'il avait enfin amenési après des 
efforts répétés, pour attaquer leur arrière*garde. Quoique le défilé 
fut un terrain défavorable pour la cavalerie, les efforts perstanelé 
da chef des Infidèles firent avancer ses soldats avée ud degl^ de 
résolution inconnu aux Syriens de Tarmée romaine, qui| se voyant 
éloignés de leurs compagnons, conçurent l'idée injurieuse <]M 
noos avions voulu les sacrifier en les laissant en ce lieu ; et ila 
songèrent à fuir de toutes paru plutôt qu'à opposer une réris«AiIols 
Of^iniâtre. La situation des affaires à l'extrémité du défilé ëtdit don6 
moins favorable que nous ne l'aurions voulu ; et ceux qui auraieilt 
pu être curieux de contempler ce qui pouvait pasier pour la Aé* 
rente d'une arrière-garde virent du haut des montagnes leé Syriené 
poursuivis, écrasés , taillés en pièces, et faits prisonniers par des 
bandes d'infidèles musulmans. 

« Sa Majesté impériale considéra cette scène quelques mihutcs ; 
et, fort ému de ce qu'il voyait> Tempereur se hâta uli peu trop do 
donner ordre aux Yarangiens de repretidre leurs armes et dèmaf^ 
cher à pas précipités vers Laodicée ; sur quoi un de eea guerriers 
du Nord dit hardiment, quoique en opposition aux ordies de Sa 
Majesté : — Si nous essayons de descendre cette montagne à la 
hâte, notre arrière-garde sefà mise en déroute, non^séulement 
par sa propre précipitation ^ mais par ces fuyards syriens, qlûi 
dans leur retraite insensée, ne manqueront pas devenir se jeter 
dans nos rangs. Que deux cents Yarangiens , disposés à vivre en 
à mourir pour Thonneur dé l'Angleterre i restent avec moi danA 
la gorgede ce défilé, tandis que les autres eâCortèront Temperëur 
àLaodioëe, ai c'est le nom qu'<m donne à celte ville. N^ua poiiTenÉ 



88 ROBERT , 

périr en noos dëfendanti mais nous monrrons en faisant notre de- 
voir ; et je ne doute pas que nous ne remplissions Festomac de ces 
limiers que nons entendons aboyer, de manière à leur ôter Tenyie 
de faire anjoard'hni un antre banquet . 

é Mon auguste père reconnut sur-leH;hamp l'importance de cet 
avisy et il versa presque des larmes en voyant la fidélité inébran* 
lable avec laquelle ces pauvres Barbares s'empressèrent de com- 
pléter le nombre de ceux qui devaient entreprendre cette tâche 
désespérée 9 la cordialité avec laquelle ils prirent congé de leu|*8 
camarades, et les cris de joie qu'ils poussèrent en suivant des yeux 
leur souverain, tandis qu'il descendait de la montagne, les laissant 
derrière lui pour combattre et périr. Les yeax de l'empereur se 
remplirent de larmes; et je ne rougis pas d'avouer que, dans la 
terreur du moment, l'impératrice et moi-même, ouMiant notre 
rang, nous payâmes un semblable tribut à ces hommes vaillans et 
dévoués 4 

« Nous laissâmes leur chef occupé à ranger sa poignée de soldats 
de manière à pouvoir défendre le défilé. Leur centre occupa le 
milieu du chemin, et leurs ailes, de chaque côté, furent disposées 
pour pouvoir agir contre les flancs de l'ennemi s'il attaquait 
témérairement ceux qui seraient rangés en face de lui sur la route. 
Nous n'étions pas à moitié chemin de la plaine quand nous enten» 
dîmes un bruit terrible produit par les hurlemens des Arabes , et 
par ce cri plus ferme et plus régulier que ces étrangers ont coutume 
de pousser trois fois quand ils saluent leurs commandans et leurs 
princes, et quand ils sont prêts à livrer un combat. Leurs cama- 
rades jetèrent plus d'un regard en arrière ; et le ciseau d'un sculp- 
teur eût trouvé plus d'un noble sujet d'étude dans ces poses si 
variées, tandis que le soldat hésitait s'il suivrait la Ugne que lui 
prescrivait son devoir, ou l'impulsion qui le portait à courir vers 
ses compagnons. La discipUne l'emporta pourtant, et le corps 
d'armée continua sa marche. 

« Une heure s'était passée, et nons avions entendu de temps en 
temps le bruit du combat, quand un Varangien à cheval s'approcha 
de la litière de l'empereur. Son coursier était couvert d'écume, et, 
à en juger par ses harnais, par la beauté de ses membres et par la 
souplesse de ses articulations , il avait appartenu à quelque chef 
du désert , et était tombé en la possession du guerrier du Nord par 
la chance du combat. La hache que portait ce Varangien était|teinte 
de sang^ «t la pâleur de la mort siégeait sur son vi/Mige. Ces mar- 



COMTE DE PARIS. 89 

ijnes d'un combat récent forent regardées comme une excuse suffi-' 
saDte pour l'irrégnkrité dn salut qa'il fit à Pemperenr en s'écriant r 
— Noble prince, les Arabes sont défiôts, et yons pouvez continuer 
TOtre marche plus à loisir. 

a — Où est lezdegerd ? demanda Fempereury qui avait bien des 
raisons pour craindre ce chef célèbre. 

c — lezdegerd, dit le Yarangien, est où sont les hommes braves 
qui succombent en faisant leur devoir. 

€ • — C'est-à-dire , reprit Tempereur impatient d'apprendre 
poritivement le destin d'un ennemi si formidable, qu'il est... 

« — Où je vais maintenant, répondit le fidèle soldat, qui tomba 
de cheval en prononçant ces mots, et qui expira aux pie&de» 
porteurs de la litière impériale. 

a L'empereur chargea ses serviteurs de veiller à ce que le corps 
de ce fidèle soldat, à qui il destinait une sépulture honorable, ne 
f&tpas abandonné au chakal et au vautour; et quelques-uns de ses 
compagnons les Anglo-Danois prirent le corps sur leurs épaules t 
et se remirent en marche chargés de ce poids , ajouté à celui de 
Icars armes, et prêts à combattre pour ce précieux fardeau, 
comme le vaillant Ménélas pour le corps de Patrocle. b 

La princesse Anne Comnène fit naturellement une pause en cet 
endroit; car, étant arrivée à ce qu'elle regardait probablement 
comme la fin, d'une période bien arrondie, elle désirait se faire une 
idée de la sensation qu'elle avait produite sur son auditoire. Mais 
si eUe n'eût pas donné ton^ son attention à son manuscrit, l'émo- 
tion dn soldat étranger aurait frappé ses regards beaucoup plus 
tôt. Lorsqu'elle avait commencé à lire, il avait conservé la même 
attitude qu'il avait prise en entrant , droit et raide comme une 
sentinelle en faction , et paraissant ne se souvenir de rien , si ce 
n'était qu'il était de service en présence de la cour impériale. 
Cependant, à mesure que la lecture avançait, il parut prendre 
pins d'intérêt à ce qu'il entendait. Il écouta avec un sourire de 
mépris comprimé le récit des craintes et des inquiétudes des diffé- 
rens chefs assemblés en conseil pendant la nuit, et il eut peinç à 
s'empêcher de rire des éloges donnés au chef de son propre corps, 
Achillès Tatius. Le nom même de l'empereur,' quoique écouté avec 
respect, ne lui arracha pas ces applandissemens que la princesse 
Anne avait cherché à obtenir au prix de tant d'exagérations. 

Jusqu'alors la physionomie du Yarangien n'avait annoncé 



90 {lOBËRT j 

qu'une émotion intérieure très légère ; mais son esprit parut agité 
de sensations plus profondes quand la princesse en Tibt à la des* 
eription de la halte après la sortie de l'armée du défilé; à l'att^ue 
inattendue des Arabea, à la retraite de ta colonne qiii eseortait 
/ remperenri et à la relation du combat qu'on entendait dans le 

lointain. Au récit de ces évènemensi il perdit l'air raide et eon*» 
traint d'un soldat qui écoutait Thistoire de son empereur avee le 
même sang-froid qu'il aurait monté la garde à la porte *de son 
palais. Il rougit et pâlit tour à tour; ses yeux eommeôcèrent à 
devenir humides et étiiieelèrent; l'agitation de ses membres aug«< 
mènta à un degré dont il sembla^ n'être pas le maître^ et lout son 
extérieur annonçait un auditeur prenant un intérêt prdfmd à kl 
lecture qu'il entendait, insensible à toute autre ohose^ et oubliant 
tout ce qui se passait devant lui , aussi bien que la qualité de feeux 
devant lesquels il se trouvait^ 

Plus la relation avançait ^ moins H^eward était en ét«t de 
cacher son émotion, et^ au moment où la priûces&e jeta un regard 
adtoui* d'elle, son agitation devint si vive^ qu'oubliant où il était^ 
il laissa tomber sa lourde hache sur le plancher, et s'éoria en joi^ 
gnant les mains : — Mon infortuné frère ! 

Le bruit de cette arme en tombant fit tressaillir toute lii comfia- 
gnie, et plusieurs personnes prirent la parole en même temps jpùnr 
chercher à expliqiter un incident si extraordinaire* Abhillèë Tatiua 
oontn^nça un discours destiné à excuser la manière brusqtie avèo 
laquelle Hereward* avait exprimé son affliction i en asdufant les 
pertonnages alignâtes auxquels il s'adressait que le pauvi^ Bafbaré 
était réellement le frère cadet de celui qui commandait et qui avait 
trouvé la mort dans cette mémorable affaire du défilé. La princesse 
ne dit rien, mais elle était évidemment touchée^ et n'était peat** 
être pas fâchée d'avoir fait naître une émotion si flatteuse pohr 
elle comme auteur. Les autres, chaetin suivant son caractère , 
adressèrent à l'Anglo-Saxon quelques paroles incohérentes ayant 
pour but de le consoler ; car l'affliction produite par une cau^e 
naturelle excité en général la compassion , même de ceux en qui 
tout est artificiel. La voix d* Alexis imposa silence à tous ces pré- 
tendus orateurs. — Ah 1 mon brave soldat Edouard I dit l'eihpereur^ 
il faut que j'aie été aveugle pour ne pas te recénnaîtrè^lus tôt; car 
je crois qti'il se trouve quelque part une note relativement à eiqq 
cents pièces d'oi* que je dois au Yarangiw Edouard. Nohë l'avons 



COMTE Ï)E PARIS. »i 

' * * ' • 

inscrit dans le registre privé des libéralités qae nous devons faire 
à nos serviteurs y et le paiement n'en sera pas plus long-temps 
différé. 

— Plaise à Votre Majesté, Sire, répondit l'Ângto-Saxon» dont 
les traits reprirent sur-le-champ lear caractère de brnsque gravité) 
ce n'est point à moi qu'il doit se faire, car il serait &it à un homme 
qai n'a aucun droit à votre munificence impériale. Mon nom est 
Hereward; celui d'Edouard est porté par trois de mes camarades^ 
et chacun d'eux peut aussi bien que moi avoir mérite une réecnn- 
pense de Votre Majesté pour s'être fidèlement acquitté de ses 
devoirs. 

latins fit à son soldat force signes pour le mettre en garde contre 
la folie de refuser les n^arques de libéralité de l'empereur. Agé-, 
lastès parla plus clairement, — Jeune homme 9 lui dit-il , réjouis- 
toi d'un honneur si inattendu, et ne réponds désormais à aucUtt 
autre nom que celui d'Edouard j par lequel il a plu à la ^umièr^ 
da Monde , en laissant tomber sur toi un de ses rayons^ de te dis- 
ÛDgner des Barbares tes compagnons. Qu'importe qu'un prêtre, 
sur les fonts de baptême t'ait donné un nom différent de celui. par 
lequel il a plu à Sa Majesté de te distinguer de la masse générale de 
rbumanité? C'est par ce nom glorieux que tu aa }e droit d'étiré 
connu désormais. 

— Hereward était le nom de mon père, dit le Varangien qui 
avait alors repris tout son sang-froid. Je ne puis y renoncer tant 
que j'honorerai la mémoire de sa mort, Edouard est celui de mon 
camaradey et je ne aois pas risquer d'usurper âes droits* 

— Silence y vous tous 1 s'écria l'empereur. Si nous avoits Eait uHé 
méprise, nous sommes assez riche pour la réparer. Et s'il se trouve 
un Edouard qui mérite ma libéralité^ Hereward n'ea sera pas phia 
pauvre. . 

— Votre Majesté peut confier ce soin à son époilse affeetibnnée^ 
dit l'impératrice Irène. 

— Sa Majesté très sacrée, dit la princesse Aune, se réserve 
avec tant d'avarice le plaisir de faire des actes de bienfaisance et 
de bontéi qu'elle ne laisse aucune occasion^ méitie à ses plus pro- 
ches parens, de déployer leur munificence et leur générosité: 
cependant ^ et autant que je le puis^ je témoignerai ma réconnais-. 
sauce à. ce brave homme; car, dans le passage où il est parlé de 
ses hauts faits dans cette histoire, je ferai aioutèr : « G0t exploit 
fot aeeomplî pitf l' Anglo-Dànôis ifereward^ qa'il a pin à Sa Ma|faslé 



92 ROBERT, 

impériale de nommer Edouard. » Gardez ceci, jeane homme, 
ajonta-t-elle en Ini donnant en même temps nne bagne d'an grand 
prix, comme nn gage qne nous n'oublierons pas notre promesse. 

Hereward accepta ce présent en saluant profondément, et avec 
une sorte de confusion qui, dans sa situation , n'avait rien de dé- 
placé, n fut évident pour la plupart des spectateurs qne la grati- 
tude de la belle princesse s'était manifestée d'une manière plus 
agréable au jeune garde-du-corps que celle de l'empereur. H reçut 
la bague avec de grandes démonstrations de reconnaissance. — 
Précieuse relique! s'écria-t-il en approchant de ses lèvres ce gage 
d'estime I il est possible que nous ne restions pas long-temps en- 
semble. Mais soyez assurée, ajouta-t-il en saluant respectueuse- 
ment la princesse, que la mort seule m'en séparera. 

— *• Continuez votre lecture, notre auguste fille, dit l'impératrice 
Irène ; vous en avez fait assez pour prouver combien la valeur, soit 
dans un Romain, soit dans un Barbare, a de prix aux yeux de celle 
qui peut conférer la renonunée. 

La princesse continua sa lecture avec une légère nuance d'em- 
barras. 

< Nous continuâmes alors notre mouvement vers Laodicée, et 
tous ceux qui étuent en marche se livrèrent à l'espérance. Cepen- 
dant, et par une sorte d'instinct, nous ne pouvions nous empêcher 
de jeter souvent les yeux en arrière, du côté par où nous avions 
craint si long-temps d'être attaqués. Enfin, à notre grande surprise, 
un nuage épais de poussière s'éleva sur la rampe de la montagne , 
à mi-chemin entre l'endroit où nous avions fait une halte et celui 
où nous étions alors. Quelques-uns des soldats qui composaient 
notre corps en retraite, et particulièrement ceux qui étaient en 
arrière, se mirent à crier: — Les Arabes! les Arabes! et^ se 
croyant poursuivis par les ennemis, ils commencèrent à marcher 
avec plus de précipitation. Mais les Yarangiens assurèrent d'une 
voix unanime que c'étaient les restes du détachement de leurs 
compatriotes qui faisaient lever cette poussière, et qu'ils étaient 
en marche pour nous rejoindre, après avoir si bien défendn le 
poste qui leur avait été confié. Ils appuyèrent leur opinion sur des 
remarques suggérées par leur expérience ; ils dirent que le nuage 
de poussière était plus concentré que lorsqu'il était occasioi^é par 
la cavalerie arabe; et ils prétendirent même, d'après les connais- 
sances qu'ils avaient. acquises en de semblables occasions, que le 

nombi« de leiu^ ooQupagQQAs dey«ii être (^miMÀ^mmt di- 



COMTE DE PARIS. 9S 

minné. Qaelqneii cayaliers syriens, chargés d'aller reconnaître le 
corps qui s'avançait , firent un rapport qui confirmait complète- 
ment Fopinion deà Varangiens. Le détachement de la garde da 
coq>s avait battu et mis en fuite les Arabes ; leur vaillant comman- 
dant avait tué leur chef lezdegerd, et avait été mortellement blessé 
dans le combat^ comme nous Tavons déjà rapporté dans cette his- 
toire. Ceux qui avaient survécu à cette action , réduits à la moitié 
de leur nombre, étaient alors en marche pour rejoindre l'empereur, 
et arrivaient aussi vite que le permettait la nécessité où ils étaient 
de porter leurs blessés pour les mettre en lieu de sûreté. 

a L'empereur Ale^ds, par une de ces brillantes idées de bienveil- 
lance qui prouvent son amour paternel pour ses soldats, ordonna 
^e toutes les Utières, même celle destinée à sa personne très 
sacrée, fussent envoyées sur-le-champ à ce détachement, pour 
dispenser les braves Varangiens de la tâche pénible de porter 
lears blessés. Il est plus facile de se figurer les acclamations de 
reconnaissance des Varangiens que de les décrire, quand ils virent 
Fempereur lui-même descendre de sa litière, et monter sur son 
cheval de bataille, comme un simple cavalier. En même temps 
l'impératrice très sacrée, Fauteur de cette histoire, et les autres 
princesses nées dans la pourpre, montèrent sur des mules pour 
continuer la marche, et abandonnèrent sans hésiter leurs litières 
pour le service des blessés. C'était une marque de prudence aussi 
bien que d'humanité, car le soulagement accordé ainsi à ceux qui 
portaient les blessés permit à ce qui restait des défenseurs du dé- 
filé, près de la fontaine, de nous rejoindre plus tôt qu'ils n'auraient 
pu le faire sans cela. 

« C'était un spectacle imposant' que de voir ces hommes, qui 
nous avaient quittés dans toute la splendeur que le costume mili- 
taire donne à la jeunesse et à la force, r^araître devant nous ré- 
duits à la moitié de leur nombre, leurs armures brisées, leurs 
boucliers hérissés de flèches, leurs armes offensives teintes de sang, 
et tout leur extérieur portant les marques d'un combat désespéré 
et tout récent. Il n'était pas moins intéressant de remarquer l'ac- 
cueil mutuel que se faisaient lés soldats qui venaient de combattre 
et les compagnons qu'ils rejoignaient. L'empereur, à la demande 
du fidèle acolouthos , leur permit de quitter leurs rangs , et de s'ap- 
prendre les uns aux autres l'événement du combat. 

« Lorsque les deux troupes se mêlèrent ensemble, leur réunion 
sembla ofErir l'image d'une lutte entre la joie et la douleur. Le plus 



94 ROBERT, 

incivilisé de ces Barbares (et moi qui l'ai vn , je puis pendre té- 
moignage dû fait), en serrant dans ses mains nerVenses celle de 
qnelqaé camarade qn'il ne comptait plus revoir, avait ses grands 
yenx biens remplis de larmes, en apprenant la mort d'un autre 
quHl espérait trouver parmi les snrvi vans. D'autres vétérans exa- 
minaient les étendards sous lesquels leurs compagnons avaient 
combattu . s^assnraient qu^ils étaient tous revenus en s&reté et 
avec honneur, et comptiaiient combien de nouvelles flèches les 
avaient percés ^ en addiùon aux anciennes cicatrices qu'y avaient 
laissées d'autres combats. Tons donnaient de grands éloges an 
brave et jeune chef qu'ils avaient perdu , et ils n'accordaient pas 
moins de louanges à celui qui lui avait succédé dans le commande- 
ment , et qui avait ramené le détachement à la place de son frère 
décédé. — ^"Et c'est lui, ajouta la princesse, — et cette phrase sem- 
blait nne interpolation faite à l'instant même à son histoire, — que 
?assure en ce moment de l'estime honorable qui lui est accordée 
par l'auteur de cette relation , et je devrais plutôt dire par tous les 
inembres de la famille impériale , pour ses loyaux services dans 
naé crise si importante. » 

Ayant ainsi payé à son ami le Yarangien son tribut d'éloges, 
auquel se mêlaient des émotions qn'on n'exprime pas volontiers 
devant tant de témoins, Anne Comnène passa à la partie de .son 
liistoire qui avai^ nn rapport moins direct avec lui. 

a Nous n'e(li)ies pas beaucoup de temps pour faire pins d'obser- 
vations sur ce qui se passa entre ces braves soldats; car, après 
qu'on leur eut laissé quelques minutes pour se livrer à leurs sen- 
)imens mutuels, les trompettes donnèrent l'ordre de se mettre en 
marche vers Laodicée, et nous \îmes bientôt cette ville à environ 
trente stades de distance, au milieu de champs eh grande partie 
couverts d'arbres. Il paraît que la garnison avait déjà reçu avis 
de notre prochaine arrivée ; car nous vîmes sortir des portes des 
Chariotf de toute espèce chargés de rafraîchissemens , que la cha- 
leur du jour, la longueur de la marche, les colonises de poussière 
et le man(|ue d'eau, nous avaient rendus très nécessaires. Le^ sol- 
dats doublèrent le pas ayec joie, pour rencontrer plus tôt les se- 
cours dont ils avaient un si grand besoin. Mais, con^me la coupe 
ne porte pas toujours ses trésors liquides aux lèvres pour lesquelles 
ils sont destiné^, quelque désir qu'elles puissent en avoir, cruelle 
fut notf e moftifica^on en voyant une nuée d'Arabes sprtif au grand 
galop de la plaine boisée qui était entre l'armée romaine et la ville, 



COMTE BB PARIS. 15 

le |ifécipit«» SOT les efaariots , tntr les eonda6tein*8 el frire son ba« 
tin de Umt le eoniroil G^étaity comme nions l'apprtmes ensnile^ na 
déucbement commandé par Varanèsy frère de lezdegerd, qui ve- 
Baitd^être tné, et qiii ne lui cédait pas en repommée militaire parmi 
eei infidèles. Qnand cci chef avait vn qn^il était probable que les 
Varangiens réussiraient dans lenr défense opiniâtre du défilé , il 
8-éuit mis à la tète d'un corps noqibrenx de cavalerie ; et comme 
ces infidèles montent des chevânx qni n^ont pas d'égal ponr la vi- 
tesse et V%rdenr, il avait fait nn Ipng circuit , avait traversé la 
diatae de montagnes par nn défité sitné plus an nord , et s'était 
placé en embuscade dans la plaine boisée dont j'ai parlé, dans Fes- 
poir d'attaquer à Pimproviste l^emperenr et son armée, à l'instant 
même où l'on pouvait supposer que les Arabes étaient en pleine 
retraite. Cette snrprise aurait certainement réussi , et il n'est pas 
tadle 4e dire quelles en auraient été les suites , si la vue inattèn- 
due du eonvoi de provisions n*eât éveillé la rapacité effrénée des 
Arabes y en dépit de laî prudence de leur chef et des efforts qu'A 
fit pour les retenir. Ce fat de cette manière que l'embuscade fut 
découverte. 

« Mais Varanès, espérant encore gagiier quelque avantage par 
la rapidité de ses mouvemens, réunit autant de cavaliers qu'il put 
en arracher à l'ardeur du butin, et marcha en avant contre les 
Romains, qui avaient fait halte à cette apparition imprévue. Il y 
eut dans nos premiers rangs nn air d'incertitude et d'indécision 
qui fit connaître leur hésitation, même à nn aussi pauvre juge en 
bât de tactique militaire que je le suis. Au contraire, les Yaran- 
giens s'écrièrent unanimement : Les biUs ' ( ce qni dans leur langue 
si^fie les haches d'armes), les bills en avant I Et l'empereur 
ayant gracieusement consenti à ce que désirait leur valeur, ils pas- 
sèrent à la h&te de l'arrière-garde au premier rang. Je puis à peine 
dire comment cette manœuvre s'exécuta ; mais ce fat, sans aucun 
doQte, par les ordres pleins de sagesse du sérénissime empereur 
mon perle, distingué par sa présence d'esprit dans des circonstances 
difficiles de cette nature. Elle fat sans contredit grandement facili- 
tée par la bonne volonté des troupes, les cohortes ^romaines nom* 
niées les immortels montrant , à ce qu'il me parut , pour se placer 
à l'arrière-garde ^ le méine empressement qu'avaient les Varan- 
giens pour occuper les places que les Immortels laiss^iei^t vacantes 

1- Villehardonia dît : « Lm Anglois «t les Danois» mooU bien eombattoîeat me leurs A«eA«A » 



96 ROBERT/ 

en ayant. Cette manœayre fdt si heureiiâemeiif eKécntée qtfei 
lorsipie Yaranès et ses Arabes arrivèrent poar attaquer notre 
avaot-garde, ils y trouvèrent les rangs impénétrables de nos sol- 
dats du Nord. J'aurais pu tout voir de mes propres yeux et les in- 
voquer comme témoins fidèles de tout ce qui se passa en cette oc- 
casion ; mais ^ pour avouer la vérité, mes yeux étaient peu habitués 
à un pareil spectacle. Tout ce que j'aperçus de la charge de Yara- 
nès fut un nuage épais de poussière, poussé rapidement en avant, 
à travers lequel on voyait imparfaitement briller des pointes de 
lances , et flotter les panaches de cavaliers en turban. Le tecbir 
fut crié si haut que j'entendis à peine le son des tambours et des 
cymbales qui retentissaient en même temps. Mais ces flots tumul- 
tueux et sauvages se brisèrent comme s'ils eussent rencontré on 
rocher. 

« Les Yarang^ens, sans se laisser ébranler par la charge ter- 
rible des Arabes, accueillirent les chevaux et les cavaliers avec 
«ne grêle de coups de leurs pesantes haches d'armes^ auxquels les 
|dus braves des ennemis n'osaient faire face, et que les plus vigou- 
reux ne pouvaient supporter impunément. Les gardes fortifièrent 
aussi leurs rangs à la manière des anciens Macédoniens ; les der- 
nières lignes pressant de si près les premières , que les beaux et 
légers coursiers des Iduméens ne purent faille la moindre tron^ 
dans la phalange du Nord. Les plus braves Arabes, les chevaux 
les plus ardens , tombèrent au premier rang ; les courtes et lourdes 
javeUnes que lançaient les dernières Ugnes des braves Yarangiens 
avec autant de force que d'adresse, complétèrent la confusion des 
ennemis, qui tournèrent le dos avec effroi, et prirent la faite en 
désordre. 

a L'ennemi ayant été ainsi repoussé, nous continuâmes notre 
marche, et nous ne fîmes halte que lorsque nous trouvâmes nos 
chariots à demi pillés. Là, quelques remarques, inspirées par la 
malveillance, furent faites par certains officiers de la maison impé- 
riale, qui , ayant été chargés de veiller à la sihreté du convoii s'^' 
taient enfuis à l'approche des Infidèles , et n'étaient revenus à leur 
poste qu'aprèis les avoir vus en déroute. Ces hommes, aussi 
prompts en maUce que lents dans un service dangereux , rappor- 
tèrent qu'en cette occasion les Yarangiens avaient oublié leur de- 
voir au point de boire une partie du vin sacré, réservé exclusive- 
ment pour les lèvres de Sa Majesté impériale. Il serait criminel de 
nier que c'était une grande faute et une erreur coupable ; cepen- 



COMTE DE PARIS. 97 

dant notre héros impérial la regarda comme une offeuse pardon* 
nablei et dit , en plaisantant , cpie, puisqu'il avait bn l'as/ (comme 
ils nomment cette boisson) de sa fidèle garde', les Yarangiens 
avaient acquis le droit d'étancher la soif et de soulager la fatigue 
qu'ib devaieitt au courage avec lequel ils l'avaient défendu en 
cette jouméei même aux dépens du contenu sacré de la cave im- 
périale. 

« Cependant la cavalerie de l'armée ayant été chargée de pour- 
floivre les Arabes en fuite» réussit à les repousser au-delà de la 
chaîne des montagnes qui les avait si récemment séparés des Ro- 
mains. On peut donc dire justement que les armes impériales rem- 
portèrent en cette joum^ une victoire complète et glorieuse. 

K Nous avons maintenant à parler de la joie des citoyens de Lao- 
dicée> qm , ayant vu du haut de leurs remparts » avec des alterna- 
tives de crainte et d'espérance» les fluctuations de la bataille» en 
descendirent alors pour féliciter le vainqueur. > 

En ce moment la belle lectrice fut interrompue. La principale 
porte de l'appartement s'ouvrit» sans bruit à la vérité; mais les 
deux battons en furent ouverts en même temps» non pas comme 
pour donner entrée à quelque courtisan ordinaire» en cherchant à 
causer le moins de dérangement possible» mais comme si l'on allait 
voir arriver quelqu'un d'un rang assez élevé pour qu'il s'inquiétât 
peu d'attirer l'attenti(»i sur sesmouveinens. Ce ne pouvait être 
qa'une personne née dans la pourpre ou qui y touchât de bien près 
qui pût se permettre une tdle liberté» et la plupart de ceux qui se 
trouvaient dans ce temple des nlnses» sachant quels étaient les in- 
dividus qui pouvaient y paraître» prévirent» à l'empressement 
qa'on mit à ouvrir»- qu'ils allaient voir arriver Micéphore Brienne» 
gendre d'Alexis Comnène» époux de la belle historienne» et ayant 
le rang de César» rang qui n'indiquait pourtant pas» comme dans 
les siècles antérieurs» la seconde personne de l'empire. lia poli- 
tique d'Alexis avait placé plus d'une personne de condition entre 
le César et ces droits originaires qui» plus anciennement» pla- 
çaient cette dignité immédiatement après celle dé l'empereur. 



mAPiTM y. 



La temfiéte x^^^t, fvanov «rec iarevr. 
Ce n'est point an orage, entouré de fraîchenr. 
Que font naître d'aTril les entrailles humides, - 
Qui mQuille de .l'été les lèvres- trop arides* 
i«s édoses du HdL a'eBtr'«nvnait à la taie , 
L'abîme fait entendre à l'abîme sa voix. 
li'oAde avance', mngit; 4 sa rage éeomante 
Q\^9l bf ft9 pçwf opposer Carrière assez pniasai^e ? 



Ik pinmuQAgcdiitiBgaé (pd ndtmtenee mom^it ^tait oit mUe 
Gt^i ayiuift l'air majeiiTnwT ^ et ^oQt les yétamens âaient ornés 
des marques de tontes lesdignités y à l'exception de eeltesxpi'Alezii 
avait i&dajtà C0ii|afirées à la personne de Femperenr et à celle 
ds Sébast^ralOTy qn'il ayait placé an premier rang ^près le «lief 
de l'empû». Nîcépbore Brienne, qni étak dans la tour de ia jes- 
nesse^ e<mscnrait tontes les marques de cettfe beanté mâle qni avait 
rendu cemartageiia^ëableàA^tieGpBMiÀQey tandis que des con- 
aîdàrations poljpiqiies et le désir de s'assurer l'ainitié d'une maisoii 
puissante et de Fattadier au trône avaient été les motifs qpû 
avaient décidé Alexis^ 

Nous avons d^ dit que la {nrincesse avait sur son éppux Vavaa- 
tage assez équivofue des années'. Nous avons vu des preuves de 
ses talens Uttéraires. Cependant , ceux qui étaient le mieux in- 
s^tmitsne croyai^it pas qu'avee' tous ses droits au respe<^9 Anne 
Gomnene dbx réussi à posséder Rattachement exclusif de son bel 
^poux. Elle tenaU: de trc^ près à la couronne pour qu'il flàt pos- 
ante à fficé{diorede paraître la négliger ; mais^ d'une autre part , 
la familie et Nicéphore était trop puissante pour que Fempo^^eur 
mêqoie p&t lui imposer des lois. Il possédait , croyak-on y des ta- 
lens ^ pouvaient être également utiles en paix comme «9 
guefre. On écoutait donc ses avis^ et l'on demandait l'aide de 
ses conseils, de sorte qu'il réclamait une liberté complète quant 
à la disposition de son temj^s. Il se rendait quelquefois moins ré- 
gulièrement au temple des muses que la déesse qui y présidait ne 
croyait avoir droit de Ty voir^ ou que l'impératrice Irène n'était 



ROBERT, COMTE DE PARIS. 99 

disposée àl'exiger de lui , par égard pour sa fille. Uemperenr Alexii 
oiWyait une sorte de neutralité dans celte aOiîre^ et i^herehak , 
autant que possible, kh déroba anxyeiuidnpiiUiç, «IfihaAtqB'U 
Im &llait la force réunie de tonte safoniU^ pour «0 mainie^ anr 
te ^ône dW9 ^a empire ai agité. 

n serra la nu^n de son gendre, lorsque Nicéphore, pasaant 
lavant le trène de fon b^n-pèi», iéchil on genou en signe 
i'hanuBago. Les manières coptraintos do rimpéraArio^ indifuè* 
sent un accueil plus froid ; et la belle muso eUe-mAme daigna ù 
peine faire attention à l'arriyée de son bel éponx , quand il s*aaait 
près d'elle snr le s^e (fû Ipi était réserré , comni^ now PaV«tis 
déjà dit. 

Il y eut quelques instans de silence embarraasànt , pendant les- 
fpals le gondre de l'empereur, reçu froidement , quand il s'atten- 
dait à être bi^n accueilli , chercha à en^imer une eonyersatipn 
légère a¥ec la belle esdaye Astarté , qoi était ^ genoux derrière sa 
maitrfsae. ]!^a princesse l'interrompit , en ordonnant à sa suivante 
d'enfermor le pauuscrit dans 1% c^setfe l'on il avait été tiré, et 
de le reporter elle-même dans le cabinet d'Apollon, scène ordinaire 
des études de la piioce^sse, comme le temple des muses é^t ordi- 
aajrement eoiisacré à ses lectures. 

L^empereur fut le premier à rompre ce silence désagréable. — 
Be^ gendb^e, dit4r, quoique la nuit soit déjà un peu avaneée, 
TOBs voua ferez tort à vous-même si vous souffrez que notre Anne 
i^vme ce volume qui a procuré un si grand plaièir à cette compa- 
pâe , qu'on peut dire que ie dés«pt a. produit des roses , et que le 
lait et \e mid ont découlé des rochers arides, tant est agréablp la 
relation 4'nne campagne pénible et dangereuse , lorsqu'elle est re- 
Têtue du style de notre iÛle. 

— Le G^ar, dit l'impératrice, semUe avoir peu de goût pour 
lssmet§ délicats de cette espace que sa famille peut produire. A s'est 
i^^eemoMut absenté plusieurs ic^s de ce tçmple des muses, et il a 
sans doute trouvé ailleurs une conversation et un amusement plus 
agréables. 

— Je me flatte. Madame, dit Micéphore , que mon goâf peut 
ma justifier de cette accusation* Ifftis il est tout naturel que notre 
père très sacré soit enchanté du lait et du piel qui sont produits 
pour son usage spécial. 

I^t princesse répondit du ton d'une femme jeupe et beUe, qui 



100 ROBERT, 

est offensée par son amant , qoi ressent cette offense , et qui ce* 
pendant n'est pas éloignée d'une réconciliation. 

— Si les hants fait» de Nicéphore Brienne , dit-elle > sont moins 
fréquemment célébrés dans ce pauvre rouleau de parchemin que 
ceux de mon iUnstre père, il4oit me rendre la justice de se sou- 
▼eoir que c'est à sa demande expresse , soit que cette demande lui 
ait été inspirée par cette modestie qu'on lui attribue justement , et 
qui sert à orner et à relever ses autres qualités , soit qu'il se méfie 
avec raison des talens de son épouse pour en faire l'éloge. 

— Nous rappellerons donc Astarté, dit l'impératrice. Elle ne 
peut avoir encore porté son offrande dans le cabinet d'Apollon. 

— SoUs votre bon plaisir impérial , dit Nicéphore, Apollon Py- 
tbien pourrait s'offenser qu'on lui retirât un dépdt dont Û peut seul 
dignement apprécier le prix. Je suis venu ici pour parler à l'em- 
pereur d'afEaires urgentes d'état, et non pour avoir une conversa- 
tion littéraire avec une compagnie qui, je dois le dire, me paraît 
stnguIièremeQt mélangée , puisque je vois un simple garde du corps 
dans le cercle impérial. 

— De par la croix ! mon gendre , s'écria Alexis , vous faites tort 
à ce brave soldat. C'est le frère de ce vaillant Anglo-Danois qui 
assura la victoire à Laodicée par sa conduite intrépide et par sa 
mort glorieuse. C'est cet Edmond, ou Edouard, ouHereward,à 
qui nous aurons toujours de l'obligation pour avoir assuré notre 
succès en ce jour de victoire. Il a été mandé en notre présence , 
notre gendre, car il est important que vous le sachiez , afin de 
rappeler à la méimoire de notre acolouthos, aussi bien qu'à la 
mienne , quelques inçidens de cette journée , qui auraient pu échap- 
per à notre souvenir. 

^ Véritablement , Sire , répondit Brienne , je regrette que mon 
arrivée au milieu de ces recherches importantes ait intercepté une 
partie de cette lumière qui doit éclairer les siècles futurs. H me 
semble que, dans une bataille livrée sous vos ordres impériaux 
et ceux de vos grands capitaines, votre témoignage peut permettre 
de se passer de celui d'un homme semblable. — Dis-moi, ajouta- 
t-il en se tournant vers le Varangien d'un air de hauteur, quels dé- 
tails peux*tu ajouter qui ne se trouvent pas dans la relation de la 
princesse? 

Hereward répondit sur-le-champ : — Aucun, si ce n'est que, 
lorsque nous fîmes une halte près de la fontaine, la musique qu'y 



COMTE DE PARIS. 101 

firent les dames de la maison impériale, et notamment les deux 
qae je vois en ce moment , était la plos exquise qne mes oreilles 
aient jamais entendue. 

— Ah i s'écria Nicéphore , oses-tu proférer une opinion si auda- 
cieuse ? Appartient-il à un homme comme toi de supposer un in- 
stant que la musique que pouvait daigner faire Pépouse et la fille 
de l'empereur pût être destinée à devenir un sujet de plaisir et de 
critique pour le premier Barbare plâiéien qui pourrait les en- 
tendre 7 Sors d'ici , et garde-toi , sous aucun prétexte i de paraître 
jamais devant mes yeux, — toujours sous le bon plaisir de notre 
beau-père impérial. 

Le Yarangien tourna les yeux sur Achillès Tatius, comme sur 
l'individu de qui il devait recevoir l'ordre de rester ou de se reti-. 
rer. Mais l'empereur évoqua l'affaire devant lui-même avec beau- 
coup de dignité. 

— Mon' fils y dit-il à Nicéphore , nous lie pouvons tolérer cette 
conduite. Par suite , à ce qu'il paraît , de quelque querelle d'époux 
entre vous et notre fille , vous vous permettez étrangement d'ou- 
blier notre rang impérial , en voulant renvoyer de notre présence 
ceux qu'il nous a plu d'appeler devant nous. Cela n'est ni juste ni 
décent ; et notre bon plaisir est que ledit Hereward , ou Edouard, 
on quel que soit son nom, ne nous quitte pas en ce moment, et 
qu'il ne suive en aucun temps d'autres ordres que les nôtres, ou 
ceux de notre àcolouthos AchUlès Tatius. Et maintenant , laissant 
cette sotte discussion qu'un mauvais vent a, je crois, soulevée 
parmi nous , nous désirons savoir quelles sont les importantes af* 
ladres d'Etat qui vous ont amené en notre présence à une heure si 
avancée. Vous regardez encore ce Yarangien l Que sa présence ne 
vous empêche pas de parler, . j^ vous prie; car il est placé à un 
point aussi élevé de notr^ confiance qu'aucun des conseillers qui 
ont pu prêter serment comme nos serviteurs privés. 

— Entendre est obéir , répondit le gendre de l'empereur , qui 
vit qu'Alexis était un peu ému, et qui savait qu'en pareil cas il 
n'était ni sûr ni prudent de le pousser à bout. Ce que j'ai à dire , 
continua-t-il , doit être public dans si peu dé temptf que peu importe 
qui l'entende. Et cependant l'Occident, si plein d'étranges chan- 
gemens, n'a jauiais, envoyé dans l'hémisphère oriental du globe 
des nouvelles aussi alarmantes que celles que je viçns annoncer à 
Votre Majesté impériale. L'Europe , pour emprunter une expres- 
sion à la dame qui m'honore du nom de son époux , semble ébran^ 



102 IiOBERT> 

M dans aes fdnderaens/etsiir le point de se précipiter sur TAsie* 

— C'est ainsi que je me suis exprimée >. dit li^ princesse Anne 
CiolBnènei ètj comme je m'en flatte , non sans qnelqne énergie, 
quand le brait yint jusqu'à nous que l'homenr inquiète et sanVage 
dé ees BarlMures d'Eardpe ayait jeté.des flots de nations snr notre 
frontièï^oceideBtàlei dans le dessein extrayagant de s'emparer 
de la Syrie I des lieux saints marqués comme étant les sépulcres 
des prophètes^ et la scène du martyre des saints et déis grands 
éyànemens détaillés dans TEyangile. Mais^ d'après le bruit com- 
mun 9 cet orage a éclaté et s'est dissipé , et nous espérions que le 
danger était passé en ifiéine temps. Nous serions bien affligés d'ap- 
prendre qu'il «t est autrement. 

— Et c'est pourtant ce à quoi nous deyons nous attendre, dit 
son époux. Il est très yrai, (^omme on nous Ta dit, qu'une foule 
immense d'hommes de bas rang et de peu d'intelligence prirent les 
armei à l'instigation d'un ermite en démence i et se rendirent 
d'Allemagne en Hongrie ^ dans l'espoir que des miracles s'opère^ 
rai«it en leur fayeur , eom^le lorsque Israël fut guidé dans le dé- 
sert par tine colonne de feu et par un nuage,^ Mais ils ne yjrent 
plenyoir ni m^nne ni cailles pour les proclamer le peuple, d'élite 
de Dieu > et l'eau ne sortit pas d'un rocher pour les désaltérer. 
Leurs soûflraiioes les mirenten fureur, et ils cherchèrent à peur- 
yoir à leurs besoins en pillant le p^ys. Les Hongrois et d'autres 
nàtiohs sur nos frontières occidentales > quoique chrétiennes 
comme eux , n'hésitèrent pas à tomber sur cette populace en dés- 
ordre { et des tas immenses d'ossemens , accumulés dans les défilés 
sauyages et dans les déserts arides ^ attestent les défaites san- 
glantes qui détridsirent ces horderde pèlerins profanes. 

-r-Nolis sayions d^à tout cela^ dit l'empereur. Mais quel nou- 
yeau fléau nous menace aujourd'hui $ puisque nous ayons déjà 
échappé à un d^lhger si imminent ? 

— Nous le savions déjà 1 répondit le prince NioépfaQre. Nous ne 
sayions rieii de notre yéritabîe danger f si ce n'est qu'une trpupe 
d'animaux férocesi aussi brutaux et aussi furienl que des taureaux 
sauyages 9 menaient de s'ouyrir litt chemin yers des pâturages 
qui excitident leur enrie^ et qu'ils inondaient^ en passant» l'em** 
pire grec et ses enyirons, espérant que la Palestine, ayeo ses 
fleuyes de lait et de miel, les attendait encore une fois, comme Ifi 
peuple prédestiné de Diéu^ Mais une inyasion de sauyages indisci- 
plinés ne pouyait inspirer de terreur à une nation ciyilisée cosune 

1 



COMTE DE PARIS* tOS 

les Hemams. Ce fronpeaa dé brutes fat époirranté p»r mAitf lett 
gréais ; il tomba dans les pièges et sons lès traits des nMiôils 
barbares qui , en prétendant à Findépebdanee ^ contrem tiOê fron- 
tières cenusie ta rempart protectéor. Cette Tile mnltitiide fut dé- 
truite par la qualité même des TiTres qui loi farent tùutiàë ^ sàgé 
moyen de résistance qui fat sàggéré par le scnn paternel de l'ènh^ 
lereùr et par sa politique infaillible^ Cest ainsi qne sa iajfesse â 
]oné son rôle , et la bid*qae'$nr laquelle le tonnerre avait, grondé 
a échappé malgré la yiolence de l'ora|;e. Mais la seconde tetupéte, 
qai snit de si près la première , est produite par one noûTellé iii- 
Tasion de ces nations occîdentidesi et elle est pins fofmidable qtf tu* 
cane de celles que nous oii ifds pères nous ajoiis jalnais taes« Ce 
ne sont pins des ignorant et des fanatiques ^ des hdmmes de basse 
naissance 9 sans fortune et satis prévoyahoCé Tout ce que la j(rande 
Enrope.possède de sagesse et de talens^ de bralronre et de no- 
blesse , est maintenant uni par les Tœn± les plus saci^ polir le 
même dessein. 

— Et quel tàt ce dessein ? demanda Aleodé. PaJrlez «Umrement. 
S'agit-il de détruire notre empire romain , et de rayer le Éom dé 
son chef de la liste des princes delà terre'» parmi lesquels il^ a si 
lohg4eni^s occupé Ie{)remier rung? Nul Antre uiotifn'ftpiisntBre 
polir ocdasioner une confédération ccttAme cseUe dont tous parlée. 

— Un tel dessem n'est pas â¥oné f répondit Nicéphore ; et tant 
de princes, tant d'hommes sages; tant de ministres d'Etat du prB' 
mier rang^ n'oiit d'antre bdt> à ee qu'on p ré t end, que le projet 
extriÉvagant qu'ayait cbii^n cette multitude iminensé db brhteé qtti 
pamt la première fois dans bes ednttées. Voici, ttès ^adéut eÂ- 
pereur I un parchemin sur lequel irons tronyèrez la liste des dilM^ 
rentes atinées qui, par diverses routés^ s'approchent deé fh^t^ 
tièrèà de l'empiré. Voyez t Hugues dfe Vetnnuiidois-, sdrttOifittlé 
d'après son raiig Hogues-le»6i^and j a niis à la Toite des litesd'Ifc 
tàlie. Vingt chevaliers, coùveitsd'aritiunisfaoier incrustées d'cff» 
ont d^ annoncé leur arrivée^ et s<mt portenrsde cet avis kttUi^ 
gant :^ « On lait tevoir à Tebipèreuf de la Grèeeet à ses lietitenafi» 
qœ Hugues j comte de Vern^andois, approdie de ses tefïfteir^S. 
n est frère dti roi dès roisj ^ du rbi de Firalioe e^èsi^à-dife % 6t 11 



, _ • • ... * • - 

I. Dacaoge cite nne multitude d'autorités |>oar prouTfr qu'A cette époque le roi de Frai|çt «Tait 
ft titre de m fùûipifonftt son éùùloenattyofM ses ntotes Bid^l'Alinéadë» knae CoAnShé dini «6b 
' histoire fait prendre à Hugues de Vermandois des titres qui, malgré tout l'enthouslasmfe d'un Fran* 
Çùs» ne poaTai«nt être rédtmés qoe par son frère lôné, le monarque régnant. 



104 ROBERT, 

est snivi par la flear de la noblesse française. Il porte la bienhea- 
rease bannière de saint Pierre , confiée à ses soins yictorienx par 
le saint snccesseor de cet apôtre , et il te donne cet avis afin ^e ta 
paisse«( lai préparer on accaeil convenable à son rang.» 

— - Ce sont des mots bien ronflans , dit Pemperear , mais le vent 
qoi siffle le plos fort n'est pas toujours le plas dangereux poac le 
navire. Nous connaissons quelque chose de cette nation de France, 
et nous en avons entendu parler encore davantage. C'est un peuple 
au moins aussi pétulant que brave. Nous flatterons sa vanité jus- 
qu'à ce que nous trouvions le moment et l'occasion d'opposer une 
résistiemce plus efficace. Allez , allez ; si les paroles peuvent payer 
les dettes, il n'y apas dedanger que notre trésor Soit jamais à sec. 
— Et qu'y a-t-il ensuite, Nioéphore? C'est sans doute la liste de 
ceux qui marchent à la suite de ce grand comte? 

-^Non, Sire, répondit Nieéphore Brienne. Les noms que Votre 
Majesté impériale voit sur ce parchemin sont ceux d'autant de 
chefs indépendans, d'autant d'armées européennes indépen- 
dantes qui s'avancent vers l'Orient par différentes routes, et qui 
annoncent que leur but commun est de conquérir la Palestine sur 
les infidèles. 

— Le catalogue en est effrayant , dit l'empereur en lisant la 
liste; et cependant c'est un bonheur qu'il soit si long. Cette cir- 
constance nous garantit qu'il est impos^le qu'un si grand nombre 
de princes soient sérieusement et fermeiiient unis pour un projet 
si étrange. Mes yeux tombent déjà sur le nom d'un ancien ami, 
aujourd'hui notre ennemi ; — car telles sont les chances et les vi- 
cissitudes de la paix et de la guerre : — Bohémond d'Antioche. — 
N'est-il pas le fils du célèbre Robert d'Apulie, si renommé parmi 
ses concitoyens , qui , de simple chevalier qu'il était , s'éleva au 
rang de grand-duc , et devint souverain de sa nation belliqueuse , 
tant en Sicile qu'en Italie? Les bannières de l'empereur d'Alle- 
magne et du pontife romain , et même nos étendards impériaux, 
ne reculèrent-ils pas devant lui ? Enfin, homme d'Etat aussi habile 
que brave guerrier y ne devint-il pas la terreur de l'Europe, après 
avoir été un simple chevalier dont le château en Normandie n'au- 
rait eu besoin , pour avoir une garnison coiAplète , que de six ar- 
quebuses et d'autant de lances? C'est une famille redoutable, une 
race aussi astucieuse que puissante. Mais Bohémond, fils du vieux 
Robert, suivra la même politique que son père. Il peut parler de 
la Palestine et des intérêts de la chrétienté ; mais si je parviens à 



COMTE DE PARIS. 105 

unir ses intérêts aux miens ^ il n'est pas probable qu'il se laisse 
guider par ancone antre considération. Ainsi ' donc , avec la con- 
naissance qne je possède déjà de ses projets et de ses désirs, il peut 
se faire que le ciel nous envoie nn alUé sons l'apparence d'an en- 
nemi. — Qni avons-nons ensuite?* Godefiroy^ dnc de Bouillon, 
conduisant , à ce que je vois , une armée très formidable levée ëur 
les bords d'un grand fleuve nommé le Rhin. Quel est le caractère 
de ce personnage? 

— A ce que nous avons appris, dit Nicéphore, ce Godefrpy est 
on des plus sages , des plus nobles et des plus braves chefs qui se 
sont mis ainsi en mouvement d'une manière si étrange; et dans 
cette liste de princes indépendans , aussi nombreux que ceux qui 
s'assemblèrent pour le si^e de Troie , et la plupart suivis par des 
troupes dix fois plus considérables , ce Godéfroy peut en être rer 
gardé conune l'Agamemnon. Les princes et les comtes l'estiment 
parce qu'il est au premier rang de ceux auxquels ils donnent le 
nom fantasque de chevaliers, et aussi à cause de la bonne foi et de 
la générosité qu'il montre d^ns toute sa conduite. Le clergé vante 
son zèle pour la religion , son respect pour l'Eglise et ses digni- 
taires. Sa justice , sa libéralité et sa franchise ont également atta- 
ché à ce Godefroy de Bouillon les classes inférieures du peuple. 
L'attention qu'il apporte en général à s'acquitter des devoirs de 
la morale leur est une garantie qu'il est animé d'un véritable es- 
prit de religion ; enfin tant de qualités excellentes dont il est doué, 
quoiqu'il soit inférieur en rang, en naissance et eà pouvoir à beau- 
coap de princes de la croisade, le font justement regarder comme 
on des principaux chefs. 

— C'est dommage, dit l'empereur, qu'uh prince d'un caractère 
tel que vous venez de le décrire soit soumis'à l'influence d'un fana- 
tisme à peine digne de Pierre-l'Ermite , ou de la populace gros- 
sière qu'il conduisait, ou même de l'âne qu'il montait. Et je crois 
que cet âne éfait l'être le plus sage de la première troupe que nous 
avons vue , car il se mit à fuir vers l'Europe aussitôt que l'eau et 
l'orge commencèrent à manquer. . 

— S'il m'était permis de parler et de vivre, dit Agélastès, je 
voudrais faire remarquer que le .patriarche lui-même fit une re- 
traite semblable quand il vit qu'il pleuvait des coups et que les vivres 
devenaient rares. 

i. Godafroy de Bqailloa, doc de La Baue-Lorniùe, le pliu grand capitaine de la première croisade, 
eteosnite roi de Jérusalem. Voyez Gibbon» on Milli. 



106 ROBERT, 

— C'est une remarqve^Ieine dtf jastesaey dit l'empereur^ tins 
la question mwateiiaiit est de savoir si l'on ne pourrait former mis 
principanté honorable et importantes d'une partie dee proyinéés de 
l'Asie-Mi|iettre , mMntenafit déf astées par les Tnros. Il iùe savUe 
qu'une telle prineipâutéi avee tous les avantages du sol et du étbiat, 
avec d^s hslbitans imdtt$trienx et une almetephère saltlbre^ tsa^ 
drait bien les marécages de Bouillon. Elle pourrait être regardée 
comme dépendance dâ ^nt empire remaini et| défendue par Go- 
defroy et ses Franes victorieiis , ce serait; sur ée point un kndérart 
pour no^e personne sacrée» Eh faient très saint pàtrisrefae, une 
telle perspective n'ébranleraivelle pas fattaohenient du plus d^îtft 
eroisépour les sablefs briUans de là Palestine? 

— Surtout , répondit le patriarche ^ si Le^prinCe r ddbt un t/ième ^ 
si riche deviendrait Tapanage féodal pétait présLiabloment con- 
verti à la vraie foi î comme Y otre Altesâe impéiiale l'eiitend sans 
contredit. , t 

. — Cert&ineinettt^ sans le moindre doute , répondit l'empèreot 
avec une ^ffeetiition convenable de gravité ^ qîÉoiqu'il sut, iufondi 
combien de fois des rluteons d'Etat l'Avaient forcé à admettre an 
nombre de ses sujets non-seulement des chrétiens Ifttlntf / mais dèi 
manichéens et autres hérétiques ^ et même des barbares mafaoïiié- 
tans I. sans rencontrer aucune oppoiation dans les scrupules du pa^ 
triarche. Je trouve ici i continua l'empereur, une. liste si nom* 
breuse de princes et de peuples s'approchant de nos frdiitières, 
qu'on pourrait les comparer à ces anciennes années qu'od disait 
avoir desséché des rivières, épuisé des royaumes ^ et renversé des 
forêts y dans leur marche dévastatrice. — A ces mots , une nuance 
de pâleur seréfMmdit sûr le front impérial ^ semblable à ceUe <iai 
couvrait déjà d'un vdle lugubre le visage de la pluf^art de ^es oon^ 
seillers. 

— La guerre de ces nations , reprit Nicéphbre ^ offre aussi des 
circonstances qui la distin^ent de todte autre ^ à rexeeption de 
celle que Votre Majesté impériale a faite autrefois centre ces peuplée 
que nous somntes accoutumés à appeler Francs, Nous devons mar- 
cher contte des hoinmèS pour qui le tumulte des combats est comme 
le Bonffle de leurs narines ; qui , plutôt que de ne pas téité la guerrei 
combattront leurs plus proches voisins , et se défieront les uns Us 

autres au combat à mort avec autant de gaieté que nous défierions 

• , • ' 

X* Les proTinces s'appéUient tkim»t' 



COMTE DE PARIS; 107 

sn camarade à une covrse de char». Ils sont covrerls d^iiiie ar- 
mare d^ider impénétrable » qui les oset à l'abri déi coups de liiice 
etde tobte» et que la- force extraordinaire de lëttrs cfateiraax letr 
met en état de porter, tandis que les nôtres soatiendVaiënt plolSit 
sur leors reins le mont Olympe. Lear infanteHe poite une ariii^i 
pour làBcer des traits, qoi nous est inconnue. Ils l'apjpelletit arblast^ 
dQ arbalète. On en tire, non en se serrant de la main droite, 
comme pour l'arc d'antres nations, mais en plaçant le pied sur 
rarme même, et en appuyAnit de tonte la force du corps. Cette 
armelanee des traits qu'ils appellent bolts^ £&its d'on boià trèk 
dur, et ffamis 4'nne pointe en fer, et ilà sont décochés avec nnë 
kce qui fait qu'ils perdent les cnira&s^ les pins solides , et inêmè 
les mmrs construits en pierres , à moins qU'ils ne soient d'une é|iaiè<* 
sear extraordinaire. 

— Suffit I dit Tempereur. Nons avons vu de nos propres yeux 
les lauces des cheyaliers francs et les arbalètéft de leur infaiiterié: 
Si le ciel leur a accordé un degré de bravoute qui semble presque 
sornaturelle aux autres nations, la Providence divine a donUë 
aux co&seils des Grecs cette prndeUcé tpi'elle a refusée aux fifti^^ 
bareS) — * l'art de faire des conquêtes par la sagesse, plutêt que 
parla force brutale , — le moyen d'obtenir par nette sagacité, ëtl 
tûsaut on traité, des avantages que la victoire inéme n'aurait pitt 
noas procurer. Si nous ne connaissons pas. l'usage de cette arme 
redoQtable que notre gendre appelle arbalète , le ciel^ qui noUi far> 
vorise, a isaché à ces Barbares de l'Occident la composition dufeti 
Si^âis^ et la manière de s'en seryir. Et ce n'est pas sans raison 
fa'on loi a dônué ce nom , puisqu'il n'est préparé que pai* la main 
des Grées, et que ce n'est que par eux qu'il peut lancer seâi foudreâ 
^ l'ennemi consterné. — L'eniperenr èe tut un instant , et jeta 
^ regard autouf de lui ) et ^ quoique le visage de ses ebnseiQeri 
^ encore couvert de pâleuTi il coutinua hardiâient : — Mais pour 
en revenir à cette liste fatale , coUtenant les noms deë hâtions qui 
rapprochent de tios frontières, nous ^i trouvoils plus d'nn^^é 
^treyieille mémoire devrait nous rendre familier, quoiqi^elle ne 
Qoas offire que des souvenirs éloignés et 4^nfn^. Il convient qtie 
sachions quel9 sont tous ces peuples, afin ^na nous profitiohs 

^erelles et dissensions qui peuvent exister entre eux , et qu'at- 
^ant parmi eux le feu de^ la discorde, nous puissions être assez 
ûeurcox pour les détourner de continuer l'entreprise extraordi- 
iiairepoor laquelle ils sont maintenant unis. --*yoici^ par exemple 



108 ROBERT, 

un Roberti dit duc de Normandie, qui commande nne troupe nom- 
breuse de comtes, tiire que nous ne connaissons que trop bien; 
à*earls^ mot qui nous est tout-à*fait étranger, maitf qui est sans 
doute nn.titre d'honneur parmi ces Barbares ; et de knights ^, nom 
qui principalement, àce que nous croyons, est tiré delà langue 
frasque, et ^ qtièlqne autre jargon que nous ne comprenons pas. 
C'est à TOUS , très révérend et très docte patriarche , que je dois 
m'adresser de préféroice, pour obtenir des inf animations sur 
ce sujet; • . . 

-— Les devoirs de mon poste, répondit le patriarche Zozime, 
m'ont empêché , depuis que j'ai atteint l'âge mur, d^étudier l'his- 
toii;e4e8 royaumes éloignés. Mais le sage Agélastès, qui a lu autant 
de volumes qu'il en aurait fallu pour remplir tous les rayons de la 
célèbre bibÛothèque d'Alexandrie, peut sans doute répondre aux 
questions de Votre Majesté impériale. 

AgéUstès se redressa sur ces jambes infatigables qtii lui avaient 
valu le surnom d'Eléphant, et commença sur*leM^hamp une ré- 
ponse plus remarquable par sa promptitude que par l'exactitnde 
' des iienseign^mens qn'eUe contenait, -r- J'ai lu, dit-il, dans ce 
brillant miroir qui réfléchit les temps de nos pères, dans les vo- 
lumes du savant Procope, que les peuples qu'on nomme séparé- 
ment Normands et Anglais sont véritablment la même race, et 
que ce qu'on appelle quelquefois la Normandie fait partie, dans le 
fait, d'un district des Gaules. Au-delà , et presque en &ce, quoique 
en étant séparée par un bras de mer, est située une sombre région, 
séjoulr des tempêtes, et couverte d'étemels nnag^; région Uen 
connue de ses voisins du continent, comme. étant le pays oii sont 
envoyés les esprits après leur séparation du corps. D'un côté da 
détroit demeurent quelques pécheurs qui possèdent une étrange 
charte, et qui jouis|eptde singuliers privilèges, en considération 
de ce qu'ils remplissent pendant leur vie les fonctions que le paga- 
nisme attribuait à Garon, et qu'ils transportent les esprits des dé- 
funts dans l'île qui est leur résidence après leur mort^ An nsilieti 
de la nuit ^ ces pécheurs sont avertis , à tour de rôle , de remplir le 
devoir à l'accomplissement duquel est attachée la penmssion w 
^ résider sur cette côte étrange. On entend frapper à la porte de 
celui dont c'est le tour de s'acquitter de ce ungidier service ; mais 

X. Wots anglais signifiant; le premier, c(niite,et le second, cheralier. 

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COMTE DE PARIS. 109 

ce n^est point une main mortelle qniy frappe. Un léger bruit, 
comme celui d'une brise expirante » appelle le batelier à son de- 
Toir. Il coort à sa barque sur le riyage , et il ne Fa paa plutôt mise 
en mer, que la quille s'enfonce dans l'eau , indiquant ainsi le poMs 
des merts dont elle est remplie. Nulle fidrme ne se &it voir ; et 
quoiqu'on entende des voix , les accens en sont indistincts , comme 
ceox d'an homme qui parle en dormant. Il traverse ainsi le détroit 
qui sépare le continent de l'île ^ avec la terreur mystérieuse qui 
^empare des Tivans , quand ils savent qu'ils sont en présence des 
morts. Darriyesnr la cdte opposée, oùdesrochersde pierre blanche 
font m étrange contraste avec les ténèbres étemelles de l'atmo- 
sphère. Les mariniers s'arrêtent à l'endroit fixé' pour le débar« 
quementy mais ilsnequitte&tpas leur barque, car jamais un mortel 
ne met le pied sur cette terre. Là, la barque s'allège gradnelle- 
aent par le départ des êtres n'appartenant plus à ce monde, qui la 
chargeaient y et qui s'avancent par le chemin qui leur est fixé, 
tandis que les mariniers retournent de l'autre côté du détroit, 
après s'être acquittés de ce singulier service , auquel ils doivent la 
joaissaace de leurs huttes pour la pêche et de leurs possessions sur 
eettecôte mystérieuse. — Ici Agélastès se tut, et l'empereur prit 
la parole. 

— Si cette légende nous est réellement Racontée par Procope, 
très docte Agélastès, il paraît que ce célèbre historien partageait 
la croyance des païens plutôt que celle des chrétiens relativement 
à notre état futur. Dans le fait, cette histoire n'est guère antre 
chose que l'ancienne fable du Styx des enfers. Procope, à ce que 
nous croyons , vivait avant la chute du paganisme , et comme nous 
serions très charmé de ne pas croire bien des choses qu'il a dites 
deJnstinien, un de nos ancêtres et de nos prédécesseurs, nous ne 
loi accorderons pas beaucoup de foi à l'avenir quant aux connais- 
sances géographiques. — £h bien! Achillès Tatins, qu'as-tu 
donc ? Pourquoi parles-tu à l'oreille de ce soldat ? 

— Ma tête est, à la disposition de Votre Majesté , répondit 
Achillès , et elle peut payer la faute que ma langue a commise en 
manquant aux convenances. Je demandais à Hereward s'il savait 
quelque chose sur le sujet dont il s'agit ; car j'ai entendu souvent 
i&es Varangiens se donner les noms d'Anglo*Saxons , de Nor- 
inands, de Bretons, ou quelque autre également barbare; et je 
sois sûr que l'un ou l'autre de ces noms sert en différons temps à 



110 ROBERT, 

IMgner le liea de uaiësance de ces exilés» qui sont trop heureux 
4'4tr« bannis dias ténèbres de la barbarie , en se tronvaiit dans le 
voisinage laminsox de vofre présence impériale. 

— ^ Parlf-do|ie , Varangien i au nom dn ciel f dit l'ejupereor, et 
apprpnds*noos si nous derOns chercher des amis on de9 rânemis 
dwia oesliommef de Normandie qni s'approchent en ce moment de 
nos frontières. Parle hardiment, et si ta crains quelipie dang^, 
soaTiens«toi qne tn sers nn prince qni est en état de te protéger. 

'-- Poisqne j'ai la permission de parler, répondit Herewardi 
fnoiqne je p'aie qu'une connaissance bien légère de la langue 
grecque, que vous nommez romaine, jeme flatte que j'en sais asses 
foxa demander à Votre Majesté impériale qn'au heu de toat« paie, 
donation, gratification , pidsqu'il tous a plu de dire que tous m'en 
destiniez une , vous vouliez bien me placer au premier rang lors 
de la première bataille qui sera livrée à ces Normands et à leur 
.duc Robert. Et s'il plaît à Votre Majesté de m'accorder Vaide de 
ceux des Varangiens que leur affection pour moi ou la haine contre 
leurs andens tyrans pourront disposer à joindre leurs armes aux 
miennes, je ne doute guère que nous ne régUohs notre long compte 
avec eux de telle manière, que les aigles et les loups delà Grèce 
n'auront plps quii leur rendre les derniers devoirs en arrachant 
leur chair de leurs os. 

-r- Et quelle est donc , mon brave , demanda l'empereur, la que- 
relle mortelle qui, après le laps de tant d'années , t^inspir e encore 
un tel degré de foreur rien qu'en entendant prononcer le nom de 
Normandie? 

— Votre Majesté impériale en sera jnge , répondit le Varangien. 
Mes pères et ceax sinon de tous , du moins de la plupart des soldats 
du corps auquel j'appartiens, descendent d'une race vaillante qm 
demeurait dans la Germanie, et qu'on appelle les Anglo-Saxons. 
Nul autre qu'un prêtre expert dans l'art de déchiffrer les anciennes 
chroniques ne saurait dire depuis combien de temps ils sont ar- 
rivés dans la Grande-Bretagne , alors déchirée par des guerres ci- 
viles. Mais 6e qui est certain ; c'est qu'ils y arrivèrent à la requête 
des naturels du pays, car lés habitans dn sud de cette tle les ap- 
pelèrent à leur secours. Des provinces leur furent accordées pour 
prix des services qu'ils avaient ainsi libéralement rendus, et la 
plus grande partie de l'île devint peu'à peu la propriété des Anglo- 
Saxons , qui la divisèrent d'abord en plusieurs principautés. Ces 
principautés se réunirent enfin en un seul royaume dont les kàki^ 



COMTE DE PARIS. 111 

tans parlaient la même langue et obaèiTaient les mêmes lois qae 
]$. fiMfÊtt de eeax foi composent aiijpwd'faai YOtre garde impé- 
riale dee VarangienSy on ^xités. Atcc le tempSi les N^rAmé^ ^. 
forent connus des peuples des dimeti «tnés phis an ifidi. On les 
nofUnaà-riafli, parée cpi'ik ▼ênaieiit des régions éloignées, sitnées 
sur les bordsde la mer Baltique , -^ âakmense Ociféan qui est qu^- 
fVfrfns eouvert d'une f^aee. aussi dure que les roebeiv du mont 
Caucase. Ils Tenaient diercher un climat plus doux que celui que 
la nature leur aTait accordé chez m& ; et comme celui delà France 
était délicieux, et que les babitans n'en étaient pas portés à ta 
tpuTféf i|e arrachèrent à ce peuple la c<meession d^une grande 
prowice qu'on appela Normand , d'après leur nom , quoique ^aie 
entendndire àmon père que ce n'était pas le nom véritable de cette 
eontrée. Ils s'y étaÛireat sous un duc , qui reconnaissait l'autorité 
sapérieure du roi de Fnauce , ce qm veut dire qu^fl lui obéissait 
qaaad cela lui convenait. 

Or il lurriva, bien des aimées après , tandis que ces deux nations 
de Nonnafidset d'Anglo-saxons résidaient tranquillement des deux 
fifttés du bras de là mer qui sépare la France de I^Angleterre , que 
GaiUanine^ ducde Normandie y leva tout à coup une grande armée, 
it une descente dans le comté de Kent , de Tantre c6té du détroit, 
et y vaonquît , dans une grande bataille , Harold, qui était roi des 
Ângje-Saxons. Ce n'est qu'avec une profonde affliction que Je puis 
parler de ce qui smvit. On a livré Jadis bien des bataiHes qui ont 
ea des résultats terribles , mais que le temps a pourtant pu réparer ; 
mais hélas ! a Hastings la bannière de mon pays tomba pour ne se 
nlever jamais. L'oppression fit passer son diar sur nous. Tout 
ce qu'il y avait de vailTéiû; parmi nous a quitté le pays, et il ne reste 
ca Angleterre Vautres Anglais, car tel est notre nom véritable, 
— qae les esclaves des cenquérans. Nombre d'babitans. Danois 
i'eiigÎHe, qui s'étaient établis en Angleterre en diiférentes oèca? 
ÂolM, Ihrent Irappés de la même calamité. Tout le paysrfnt dé« 
▼asté par ordre des vainqueurs. La maison de mon père n'est 
Budntsiiant qu'un amaS de ruines au mSieu d'une vaste forêt , qui 
Si été formée aux dépens de ce qui était autrefois de beaux champs 
tt 4e riches pâturages , ou une noUe r ac|e pourvoyait à ses besoins 
A eidiivant un sot fertile. Le feu a dévoré PégKse où reposent mes 
>B£dtres; et moi, le dernier de leurs descendans, je suis errant 

» 

t. HoameB Au hotA. Cest de là qae TÏent le nom de Nonntnd. 



112 [ROBERt» 

dana d'antres climats , — je combats pour Tintérét d'un antre 
pBLySf — je sers im maître étranger, qiu>iquelK>n;«— 'enon.mot, 
je sois on banm , — on Yarangien. 

— Et plus heureux dans cette situation , dit Achillès Tatios , que 
dans tonte la simplicité barbare dont tes ancêtres fflûsaient tant de 
cas» poisqae tn es sons l'infloenceenconrageante de ce sourire (joi 
est la vie du monde. 

— Il est inutile de parler de cela, dit le Yarangien avec un air 
de froideur. 

. — Ces Normands y dit l'empereur , sont donc le peuple qui a 
conquis l^e célèbre de la Grande-Bretagne , et qui la gouverne au- 
jourd'hui? 

— Gela n'est que trop Yrai, répondit Hereward. 

— C'est donc un peuple brave et belliqueux? dit Alexis. 

— Il serait bas et faux de parler autrement de ses ennemis , ré- 
pondit, le Yarangien. lis m'ont fait une injure, et une injure qui 
ne peut jamais être .réparée ; mais les calomnies ne seraient que la 
vengeance d'une fenmie. Quoiqu'ils soient mes ennemis mortelsi 
quoiqu'ils so mêlent à tous mes souvenirs comme ce qu'il y a de 
plus odieux et de plus haïssable» cependant, quand toutes les 
troupes de l'Europe se seraient rassemblées , commeil parait vrai- 
semblable qu'elles le sont, nulle nation, nulle tribu n'oserait pré- 
tendre l'emporter en courage sur le fier Normand. 

— Et ce duc Robert, qui est-il? 

— C'est ce que je ne saurais expliquer aussi bien. Il est fils , — 
fils aîné , dit-on , — du tyran Guillaume, qui subjugua l'Angleterre 
quand j'existais encore à peine, on que j'étais un enfant au bep 
ceau. Que Guillaume, le vainqueur d'Hastings, soit mort à pré- 
sent , c'est ce dont nous sommes assurés par dès rapports unanimes ; 
mais il paraît que , tandis que son fils aîné Robert a hérité du duché 
de Normandie , quelqu'un de ses enfans a été assez heureux pour le 
remplacer sur le trône d'Angleterre; -r- à moihsque, comme la 
petite ferme d'un cultivateur obscur, ce beau royaume, n'ait été 
divisé entre les descendans du tyran. 

— À cet égard, dit l'empereur,, nous avons entendu dire des 
choses que nous tâcherons à loisir de concilier avec le récit de ce 
soldat ; et en attendant nous regarderons comme positif tout ce que 
cet honnête Yarangien nous a dit d'après sa connaissance person- 
nelle. — Et maintenant , mes graves et dignes ^conseillers, il bat 
que nous terminions notre séance de ce soir dans le temple des 



COMTE DE PARIS. 113 

muses; la nouvelle fachieose qae vient de nous apporter notre très 
cher gendre le César nous ayant fait prolonger Iç calte de ces sa- 
vantes dëesses pins avant dans la nnit qa^l ne convient à la santé de 
notre chère épouse et de notre bien-aimée fille , tandis qu'dle noas 
fournit à noas»même nn sujet de grave délibération. 

Les conrtisaiis. épuisèrent leor esprit à faire les prières les plus 
iDgénienses pour que le ciel détonmat les suites fâcheuses que 
pourrait avoir cette veille prolongée. 

Nîcéphore et sa belle épouse se parlèrent avec une tendresse qui 
prouvait qu'ik désiraient également une réconciliation après leur 
querelle momentanée. — En rendant compte de cette nouvelle 
inquiétante, mon César, dit la princesse, tu as dit certaiues choses 
aussi éléganmient tournées que si les neuf déesses auxquelles ce 
temple est consacré t'avaient inspiré le sujet et l'expression. 

—•Je n'ai pas besoin de leur aide, répondit Nicéphore, puisque 
je possède une muse dont l'esprit est orné de tous les attributs que 
les païens accordaient vainement aux neuf divinités du Parnasse. 

— Fort bien, dit la belle historienne en se retirant appuyée sur 
le bras de son époux; mais si vous accablez votre épouse d'éloges 
qui sont bien au-delà de son mérite, il faut lui prêter l'aide de votre 
bras pour l'aider à se soutenir sous le pesant fardeau dont il vous 
plaît de la charger. — Le conseil se sépara après le départ de la 
famille impériale, et la plupart des conseillers cherchèrent à se 
dédonunager, dans des cercles înoins brillans, mais plus libres, de 
la contrainte qu'ils avaient été obligés de s'imposer dans le temple 
des muses. 



CHAPITRE VL 



Quelle est ta Tanitél 
Amoncelé à ton gré l'éloge et l'hyperbole 
Pour louer la beanté dont ton esprit raffole; 
Dis qae de ses attraits le charme sédactear 
Le cède encore en elle aux qualités dm <jœars 
Fort bien i mais garde-toi de dire avec jactance 
Qu'elle a sur tout son sexe «n droit de préséance» 
Tant qy^e rim l'objet qui me tient tous ses lois. 

jinswmtotmidù. 



ÂcHuxÈs TatiuSi avec son fidèle Yarangien à un pas derrière 
lai, di^arut silencieusement etjpresqué imperceptiblement de 

8 



11* ROBERT, 

rassemblée qni se dispersait, camaie la iiirige<qm se dissoil awrlsS' 
montagnes, au retour de la chalear» Ni le bmk de fem» araies^. 
nicelaid'anpaSpiiésoni^ptaeux, n'annonoèrcoit la retraite diasdenaL 
militaires. Bien ne devait troubler le silence de la demeure impé? 
riale. On cherchait même à dissimnler la présenee des gartoy: 
parce que , si près de l'cnq^ereur, il semblait que l'émanatioD né- 
pandne autour de la divinité du sottteraîn dn monde suffisait ponr 
mettre sa personne en sûreté et à Pabti de tonte attaqne. Ainsi 
les plus vieux et les plus habiles courtisans ( et il ne feut pas ou- 
blier parmi ce nombre notre ami AgélaiHàs ) pensaient que, quoique 
Pempweur employât les services des Y arangiens et d'antres gardes, 
c'éliftit plntât pour* la forme que dans bi crainte: qu'on ne commit 
un crime teUemeot odieux, qu'il était d'usage de le regarder comme 
presque impossible. Et cette doctrine de l'impossibilité d'un tel 
crime se répétait de bouche en bonehe dans les mêmes appaïte- 
mens qui l'avaient vu commettre bibn souvent, et était même 
prêchée par des gms qui ne passaient pas un mois sans former des 
projets pour mettre à exécution quelque noire conspiration contre 
l'empereur régnant. 

Enfin le capitaine des gardes-dureorpa et son fidèle soldat se 
trouvèrent hors du palms de Blàquemal. Le passage qn'Achilles 
choisit pour en sortit- était barré par une porte, qu'un seul Varan» 
gien forma après eux, m tirant les verrous , et^en plaçant les. 
barres de fer avec un bruit discordant et de mauvais auguré. 
Jetant un regard en arrière sur la masse de tours, de fortifications 
et de olochets qu'ils laissaient derrière eux, Herewaj:d i](e pat 
s'empêcher de se trouver soulagé d'un grand poids en se voyant 
sous la voûte d'azur du ciel de la Grèce, où les astres brillaient 
d'un éclat inaccoutumé. Il respira plus librement , comme un 
homme à qui la liberté a été nouvellement rendue, et se frotta les 

«ri 

mains de plaisir. Il parla même le premier à s(m chef,, quoiqn u 
ne le fît ordinairement que lorsque celui-ci lui adressait la parole. 

— Il me semble > vaillant capitaine , lui dit-il , que l'air qu on 
respire daas les salles que nous quittons porte avec lui unparfam 
qui f quelque doiix qu'on puisse le dire avec raison, est si suffocant 
qu'il convient mieux à des chambres sépulcrales qu'à Fhabitation 
des hommes. Je me trouve heureux d'être, comme je l'espère, 
délivré de son influence. 

— Sens donc heureux^ dit AchiUès Tatius, puisque ton esprit T^ 
et terrestre;se. trouve suffo^é^ au lieu d'^re rafiraîchi, pa^ ^* 



GOMT^ DE FARIS. U& 

léfhpB^^i Uaaioin de causer la mon,, ptncraiaiit tsppekt lea 
défantftinénes à la vie. Cepoidaal: je dkai en ta fayem*, Hereward» 
(fOBf ipioîcpie tu sois Barbare de naissance, qoe ta ne connaissea 
^e- le cercle étroit des plaisirii d'un sanvage, et qœ tu n'aies 
d'antre idée de la Tie ^ne e^e qne ta tires de liens si tUs et ai 
m^ffisafaleSy cq^endant laaaUtre t'a destiné à de meiUeares chpses, 
et qœ ta ae soatena anjoardluii nae épreti^e dont je crois fort 
^'ancoa des hommes de mon corps» qoi ne sont qae des masses 
de chair pétrifiées par la barbarie, n'anrait pn se r^irer anssi 
Imm. Et parle-moi en conadmice maintwuuit; n'en as-ta pas été 
bien récompensé? 

—Je ne le nierai jamais; le plaisir d'apprendre, Tingt-qaatre 
hearespent^étre, avant mes camarades, qoe les Normands Tiennent 
icipoor noas founor roccasûm de nons Teng«r de la joornée san- 
glante. d'Hastings, est one récompense digne d'an prince, et an 
dédommagement bien suffisant d'avoir passé quelques heures à 
éesoler les longs caques d'one dame qoi a écrit sor un sujet 
qu^dle ne counalt pas, et les commentaires des flatteurs qui l'en* 
tonraîent, et qui prétendaient lui faire le récit de choses qu'ils 
n'avaient pas vues, parce qu'ils n'étaient pas restés pour les voir. 

— Herewjffd, mon bon jeune hommie, tu extràvagues, et je 
crois que je devrais te mettre entre 1^ mains de «pid^pie homme 
habile. & était naturel que la situation dans laqueHe .tu viens de 
te trouver t'inspirât une fierté décente ; mais si elle te donne de la 
yamté, tu en perdras presque la tété. Sur ma foil tu as regardé 
hardiment en face une princesse née dans lapourpre^ devant 
laiçpMdle mes yeux, quoique habitués à de pareils spectacles, ne se 
lèipeat jamai8.«a-dçlà des plis de son voile. 

— Ainsi soit41, au nom du ciell dit Hereward. Cependant une 
joiie figure est faite pour être regardée, et lés7eux>des jeunes gens 
oiK été faits pour vdr. 

— Si telle est leur destination, je conviendrai franchement que 
jaukàis les tiens n'ont eu une meilleure excusé pour la licence un 
peo trop forte que tu t'es permise ce soir en regardant la priiicesse. 

— Mon bon chef , ou Suivant, ou quel que s<Ht votre titre 
tvvori, ne poussez pas à bout un homme simple et franc qui 
désire remplir^ses devoirs en tout honneur envers la famille im» 
périale. La princesse, épouse du César, et née, à ce que vous me 
dites, d'une conteur pourpre, n'en a pas moins hérité des traits 
d'one femme trè» aimable. Elle à composé une histoire sur laqueUe 

8. 



lie ROBERT, 

je ne me permets pas de porter un jagementi puisque je ne puis la 
comprendre; elle chante comme m ange, et, ponr terminer à la 
manière des chevaliers de ce joar,-^quoiqae je ne parle pas ordi- 
nairement leur langage, — ^je dirai cordialement qne je sais prêt à 
paraître dans la lice contre quiconque osera rabaisser les charmes 
personnels de la princesse impériale Anne Gomnène ou les qualités 
de àon esprit. Après tous avoir parlé ainsi, mon noble capitaine, 
j'ai dit tout ce que vous ayez droit de me demander, et tout ce que 
j'ai à TOUS répondre. D'ailleurs, qu'il y ait des femmes plus belles 
que la princesse, c'est ce qui est indubitable, et j 'en doute d'autant 
moins que j'ai tu moi-même une personne que je lui trouVe infini- 
ment supérieure ; et finissons là cette couTersation. 

— Fou sans égal , dit Tatius> ta beauté ne peut être que la fille 
de quelque gros paysan du Nord, demeurant porte à porte aTec 
l'âne que la nature a maudit en lui donnant si peu de jugement. 

— Vous pourrez dire tout ce qu'il tous plaira, capitaine, ré- 
pliqua Hereward, parce qne, heureusement pour tous deux , tous 
ne pouyez m'offenser en parlant d'un tel sujet; d'abord parce que 
je ne fais pas plus de cas de totre jugement que tqus n'en faites 
du mien, et ensuite parce que tous ne pquTez rien dire qui tende à 
dégrader une personne que tous n'aTez jamais Tue» Mais, si tous 
la connaissiez, je ne souffrirai^ peut-être pas aussi patiemment dès 
sarcasmes contre elfe, même de la part d'un officier supérieur. 

Achillès Tatius aTait beaucoup de cette pénétration qui est 
nécessaire dans la situation où il se trouTSit. Jamais il ne poussait 
à l'extrémité les esprits audacieux qu'il commandait, et il ne se 
permettait jamais aucune liberté s^Teç eux au-delà deeeiqu'il sàTait 
que leur patience pourrait endurer. De son côté, Hereward était 
un soldat accompli, et il aTait, du moins à ce titre, une a^ection 
et un respect sincères pour son commandant. Quand donc l'aco- 
louthos, au lieu de lui témoigner du ressentiment de sa hardiesse, 
lui eut témoigné, d'un ton cordial, le regret d'aToir blessé sa sen- 
sibilité, le mouTement de colère d'Hereward s'apaisa aussitôt; 
l'officier tSeprit de suite sa supériorité , et le soldat^ marchant un 
pas en arrière, poussa un profond soupir arraché par quelque 
ancien souvenir, et reprit son* silence et sa réserTe ordinaires. 
D'ailleurs l'acoloutho^. aTait sur Hereward d'autres desseins sur 
lesquels il allait aToir à le sonder. 

Après un long intenràlle de silence, pendant lequel ils s'appro- 
chèrent des caéernes, sombre bâtiment fortifié, quiàTaitété con- 



COMTE DE PARIS. 117 

strnit pour la résidence de leur corps , le capitaine fit signe à ^n 
soldat de se rapprocher de lui , et loi dit d'an ton confidentiel : *- 
Mon ami Hereward, «jnoiqn'il soit à peine à supposer qu'en pré- 
sence de là fomiUe impériale ta aies remarqué ancan individu dans 
les veines duquel ne coule pas le sang de cette auguste maison, ou 
platôt ce divin icàorqvd, comme le dit Homère, remplace dans 
leurs personnes sacrées ce fluide vulgaire, cependant, durant une 
si longue audience, tu peux, à un extérieur et à un costume qui 
n'annoncent pas un courtisan, avoir distingué AgélaOstès, que nous 
ayons surnommé à la cour l'Eléphant, à cause de la rigidité avec 
laquelle il observe l'étiquette, qui ne permet à personne de s'as- 
seoir ou de se reposer en présence de l'empereur. 

—Je crois avoir remarqué l'honmie que vous voulez dire. Il 
peat avoir soixante-dix ans et plus , il a beaucoup d'embonpoint, et, 
s'il est chauve jusque sur le haut de la tête^ il a en revanche une 
barbe blanche d'une longueur prodigieuse, qui toinbe sur sa poi- 
trine et qui descend jusqu'à la toile grossière dont il se ceint les 
reins au lieu de la ceinture de soie que portent les autres personnes 
de la cour. 

. -^ Rien lie peut être plus exact, mon Yarangien. Et qu'as-tu 
lemarqué de plus en cet individu ? 

— Ses vêtemens étaient d'une étoffe aussi grossière que ceux 
que porte la dernière classe du peuple, mais de la plus grande 
propreté, conmie s'il eût voulu afficher la pauvreté, l'insouciance, 
on le mépris pour la parure, en évitant en même temps tout ce qui 
aorait un air de négÛg^ice et de malpropreté capable d'inspirer 
ledégoût. 

— Par sainte Sophie, . tu m'étonnes, Hereward I le prophète 
Balaam ne fut pas plus surprii» quand son âne tourna la tête et lui 
parla. Et quelles autres remarques as-tu encore faites sur lui? Je 
Tois que ceux ayèc qui tù te trouves doivent se méfier de tes .re- 
gards obseryatQurs, aussi bien que de ta hache d'armes* 

— Plaise à Votre Valeur, nous autres Anglais nous avons des 
yeux aussi bien que des bras ; mais ce n'est que pour nous acquitter 
de notre devoir que nous permettons à niotre langue de répéter ce 
qne nous. avons observé. Je n'ai fait que peu d'attention aux dis- 
cours de cet homme ; mais, d'après ce que j'ai entendu, il m'a para 
qu'il était assez disposé à jouer dans la conversation le rôle de 
plaisant, de ce que nous appelons/ai?^ paadding; et d'^pi'ès soq 
âge et sa pbysiooôjaaie, je serais tenté de dire que ce rôle ne lui est 



118 nOBBRT, 

pas natiurel , ^t qse c'ait im masque qu'il prend pear cac^ker-qnel- 
que projet plos important. 

— Hereveard , s'écria Toffider, ta as poilë comme vm ange en- 
wvfi par le del pe«r sonder le cœur des hommes'. Cet Agélastès 
est on tissa de oontradictionsy tel qoe la terre en a rarement Ta« 
Possédant tonte cdtte science qai , dans les anciens tonps , nnissail 
les sages de cette naAionayec les^dieox mêmes , Agélastès «st aussi 
malin qae le premier Bratas , qoi déguisait ses talens sons le Toite 
de la boaffonnerie. H ne paraît désirer ancane place; il né t^ 
cherche pas la considératioa , il ne tait sa coar an palais ^e lofs» 
qa'il en est expressément requis ; et cependant y qoe dirai-je, mon 
brave soldat , de la caose d'âne infloence qa'il obtient ^sans effenrt 
apparent y et ^pii s'étend presque sar les prisées des hommes tpd 
semblent agircomme il ledéidre, même sans qu'il les sollicite i 
cet efSet? On rapporte des dioses étranges de ses c um m oni catieps 
rvec d'autres êtres anuquels nos pères offraient des prières et des 
sacrifices. Je suis pourtant èéferminé à oonnaStre la rooae psar la* 
quelle il s'élève si haut et si aisément vers le point fuquel elm* 
Gun aspire à la cour, et il &adra qu'il partage son édidle urvee 
Bioi f <m je 1^ précipiterai en la retirant de dessous ses pieds. 
C'est [toi y Hereward, que j'cj^ choisi pour m'aider dans ôette af» 
frire, de même que les chevaliers , parmi ces infidèles nommés 
Francs, choisissent, quand ils entrepr^neiit quelque aveatm, 
un valeurem écuyer, c'est-à'-^ife un homme de leur suite , pour 
partager avec eux les dangors et ce qui doit en être la récompense; 
et j'y suis dëddétant par la perspicacité que tu as montrée -cette 
nuit, que par le courage que ta peux te vanter de posséder en 
connnun avec tes conipagnons, ou, pour mieux dire, à un degré 
^encra^ plus éminent. 

— Jeranercie Votre Valeur, répondit le Varangien , pkis froi- 
dement peut-être que son officier ne s'y attendait; je suis prêt, 
comme c'est mon devoir, à vous servir en tout ce qui peut être 
d'accord avec ce que je dois à Dieu et à rempereur. J'ajouterai 
seulement qu'ayant prêté serment comme soldat , quoique dans 
on ranginférieur, et qn'étant chrétien sincère, quoique ignorant , 
Je ne veux avoir rien à démêler avec les dieux des païens, si ce 
n'est de les défier au n<nn et avec le secours des saints. 

— Idiot I dit Achillès Tatius , t'imagines-tû qu'étant dép investi 
d'une des premières £giiités de l'empire je pourrais méditer 
que^e projet contraire aux intérêts d'Alexis Gomnène, ou que 



CORfVE DG «"ARIS. 1t» 

BMÎ, oe ;4iài Mcak àjieme plus croyable, moi Taitii de choix tt 
TaUié da révépeài fÉtriarcîie Zonme, je ^foudraîs m'immîscer 
dans quoi qm ot'AtîfA toacUÉl le moins du monde à l'hérësie ou 
al'i^olatrior 

--^ CfitumeBÊmtt f iiéponditleYaratigien, personne ii?én sénat 
pins surpris, on pins afBîgé que moi. Mais, qaand nous sommes 
dans «a labyrinthe 9 nous devons déclarer et annoncer qae nous 
avançons vers notre bot an^ franclûse et fermeté, ce qm est da 
noins an moyen de marcher droit. Les habitons de ce pays ont tant 
demamèree dédire la même clvose, qu'il est difieile de savoir qœl 
est le véritable sens de leal« paroles. Noos antres Anglais, an con- 
mûre, Boos m'av^ms qnf imetMde manière d'arramger les mots ponr 
•osas exprimer, et tout Pesprit da monde ne pourrait en tirOr 
tan double sens. 

• ~Fort lâen , dit l'offirihrr ; nous repnmdrons demain plus am- 
fknient oette '4smiver8ation, et , à cet effet, tu viendras me troti» 
ver un ptev^ràs fe toucher du solril. Et éooulé-moi : demain , 
«urt que lé ialeil sera sur (horizon, je te ladsise la disposition de 
4an tempB) et tu pourras Femployer à Vanmser ou à te reposer. Je 
Iseoaseille ïde prendre ce dernier parti, car la nuit prochaine 
fsnrra &mes voir veUer ensemUe comme celle-ci* 

Us CHtraînat fliors dans les e»iGmes, et ils se séparèrent , le 
ésmmaBduit des gardiss du corps prenant le 'chemin 4hm bel ap* 
fancment qu'il occupait mi cette qualité, et FAnglo-Saxon regia- 
filant son logement plus hmsdile, comme ofieîer siAaiteme da 
mèaieeorps* 



V-, 



CHAPITRE Vn. 



Dans an si >V|iste ehatip àm trempes si iiomlnMpK 
Ne se montrèrent pas , quand on vit /kgrican ^v 
Entraîner tnnt le Nord, eooiim dit le rakan ;^ 
Attaquer Albraccart assiéger Gallaplnne, 
■Ponr arracher enân sa fitle à rinfmrtnne, 
A la «aptivité; beauté que Tingtgfnerrlers, 
Fameax par lenrs exploits , tout eonrerts delanrien». 
Infidèles , païens , et pairs de Charlemagae, 
Désiraient de Sqn père obtenir pour compagne. 

^LêPmrmlU'rKonqmf, 



Dx bonne heure, dans la matinée du jour qui suivit celui dont 



120 ROBERT, 

nous venons de parler, le conseil impérial fdt assemblé ; le grand 
nombre d'officiers généraux qui portaient des titres imposans cou- 
vrait d'an voile transparent la faiblesse de l'empire grec. Les 
chefs étaient nombreux , les distinctions de rang entre eux très 
munitieuses; mais les soldats étaient, comparativement, en très 
petit nombre* 

Les fonctions que remplissaient autrefois les préfets, les pré- 
teurs et les questeurs étaient alors exercées par des individus qoi 
s'étaient graduellement élevés aq pouvoir de ces officiers i^ et qui, 
devant leurs titres aux devoirs domestiques qu'ils remplissaient 
près de la personne de Tempereur, possédaient, d'après la nature 
même de leurs fonctions, l'influence la plus étendue daus cette 
cour despotique. Une longue suite d'officiers entra dans le vesti- 
bule du palais de Blaquernal, et ils s'avancèrent tous ensemble 

. aussi loin que le permettait la différence dé leurs grades, un cer- 
tain nombre de ceux à qui leur rang ne doiinait pas le droit d'aller 
plus avant , s'arrêtant derrière les autres dans chacune des salles 

. qu'ils traversaient successivement. Ainsi, en arrivant: dans le ca- 
binet, intérieur d'audience, ce qui n'eut lieu qu'après .avoir passé 
par dix antichambres, cinq personnes seulement «e trouvèrent 
devant l'empereur, dans ce sanctuaire très sacré de la majesté im- 
périale, qui était décoré avec toute la splendeur de ce temps. 
L'empereur Alexis était assis sur un trône magnifique enrichi 

^d'or et de pierres précieuses. Aux deux cfttés, probablement en 
imitation de la magnificence de Salomon , était la figure d'un lion 
accroupi , du même métal. Pour ne donner qu'un exemple de tont 
ce que ce sanctuaire renfermait de riche et de merveilleux , un 
arbre, dont le tronc paraissait aussi être d'or, s'élevait derrière le 
trône, que ses branches couvraient comme un dais. Sur ses ra- 
meaux étaient perchés des oiseaux de différentes espèces, d'un 
travail curieux , et des fruits formés de pierres précieuses brillaient 
à tr|ters les feuilles. Cinq officiers , les plus élevés en rang dans 
l'ËtiK avaient seuls le droit d'entrer dans le cabinet où Tempe- 
reur tenait son conseil. C'étaient le grand-domestique, qu'on peut 
regarder comme occupant le même rang qu'un premier ministre 
de nos jours; le logotîkète, ou chancelier; le prostopathaire, ôa 
général en chef de l'armée; l'acolouthos, ou commandant des 
gardes du corps ; le patriarche. 

Les portes de cet appartement secret , et celles de Pantichambre 
qui le précédait, étaient gardées par six esclaves nubiens contre* 



COMTE DE PARIS. 121 

bits f dont les traits ridés et flétris formaieiit on contraste hideux 
avec les Yétemens blancs conune la neige et les omemens splen- 
dides qa'ils portaient. C'étaient des maets^ être dégradés, em- 
pruntés an despotisme oriental, afin qu'ils ne pussent révéler les 
actes d'une tyrannie dont ils se rendaient les intrumens passifs. On 
les regardait en général avec horreur plutôt qu'avec compassion , 
car on croyait que des esclaves de cette espèce trouvaient un malin 
plaisir à se venger sur les autres des outrages irréparables qui 
les avaient séparés de Thumanité. 

11 était d'usage {et, comme beaucoup d'autres coutumes des 
Grecs , cet usage passerait pour puéril dans nos temps modernes ) 
que, par le moyen d'un mécanisme facile à concevoir, les lions , à 
l'entrée d'un étranger, se levassent et rugissent. Le v^nt semblait 
ensnite agiter les feuilles de l'arbre ; les oiseaux sautaient de 
branche en branche, becquetaient les fruits, et semblaient rempUr 
la chambre de leurs accens. Ce spectacle avait alarmé plus d'un 
ambassadeur étranger,, et l'étiquette voulait que les conseillers 
grecs eux-mêmes montrassent les mêmes symptômes de crainte 
et de surprise en entendant le rugissement des lions et le gazouil- 
lemeiit des oiseaux , quoique ce fiit peut-être pour la cinquantième 
fois. Mais en cette occasion, à cause de l'urgence des. circonstances 
qui avaient fait assembler le conseil, on avait omis ce cérémonial» 

Le discours de l'empereur parut, d'après l'exorde, devoir sup- 
pléer au rugissement des lions; mais il se termina sur un tô^ qui 
ressemblait davantage au concert des oiseaux. . . 

Dans ses premières phrases, il parla de la hardiesse et de l'au- 
dace inouïe des milliers de Francs qui, sous prétexte d'arracher la 
Palestine aux infidèles, avaient osé envahir le territoire sacré de 
l'empire. Il les menaça d'un châtiment que ^es forces innombrables 
et ses officiers trouveraient, dit-il, fort aisé de le^r infliger. A 
cette déclaration, tout l'auditoire, et surtout les officiers mili- 
taires, répondirent par des signes d'assentiment. 

Cependant Alexis ne persista pas long-temps dans les intentions 
belliqueuses qu'il avait d'abord .manifestées, Il paru^ enfinréflé- 
chir que les Francs se présentaient comme les chan^pions du chris- 
tianisme. Il était.possible qu'ils eussent conçu sérieusement le pro- 
jet d'une croisade, et, en ce cas, le motif qui les attirait réclamait 
on certain degré d'indulgence, et niême quelque Respect, tout 
erroné qu'il pût être. D'une autre part, leur nombre. était consi- 
dérable^ et l'on ne pouvait mépriser leur yaleur quand on les 



hs ROBERT, 

araît tus combattre à Dnrazzo ^ et aîUenrs. Ib pimTaietit aossi , 
par la permission de la ProYidence divine , devenir, à la longue, 
des instrnmens utiles pour 'Pempire très sacré , cpioiqn'ils s'^en 
fassent approchés avec si pen de cérémonie. Hélant donc les ver» 
tas de pradence , d^liipnanité et de générosité, à cette valeur qpi 
doit topjoars animer le cœur d'nn empereur, il avait formé un 
plan qa'il allait soumettre à leur examen , afin dé l'décuter sur- 
le-cliamp ; et avant tout , il demandait an grand-domestique de lu 
faire connaître sur quelles forces il pouvait compter sur la rive 
•occidentale du Bosphore. 

— Les forces de l'empire , répondit le grand-dome^que , sont 
aussi innombrables que les étoiles dans le ciel ou les grains de 
sable dans la, mer. 

*— Ce serait une etcellente réponse , dit l'empereur» si des 
étrangers assistaient à cette conférence; mais puisque nous 
sommes. en conseil privé, il est nécessaire que je sache précisé- 
ment à quel nombre monte Tarmée sur laquelle je dois compter. 
Héservez donc votre éloquence pour un moment plus convenable, 
et dites-moi en ce moment ce que vous entendez parle mot iimanh 
imble. 

Le grand-domestique garda le silence, et hésita quelques in- 
stans ; mais comme il s'aperçut que c'était un de ces knomens dans 
lesquels il ne fallait pas badiner avec l'empereur, ce qui était 
quelquefois dangereux , il réponditnon sans hésitatten : 

— Mon maître et seigneur impérial sait mieux que peramne 
qu'on ne peut répondre à la hâte à une telle question, si Fou veut 
être exact dans la réponse. Le nombre des troupes impériales 
entre cette ville et les frontières occidentales de Fempire » en eu 
dâmsànt ceux qui sont absens par congé , i^e peut être regardé 
^eomme s^élevant au-delà dé vingt-cinq à trente mille hommes 
au plus. 

Alexis se frappa le front de la main , et les conseillers, le voyant 
s'abandonner à une si violente expression de chagrin et de sur- 
prise, commencèrent une discussion qu'ils auraient réservée sans 
cela pour un temps et un lieu plus opportuns. 

— Par la confiance qae m'accorde Votre Majesté, dit le logo- 
Ihète, il a été tiré des coffres de Votre Altesse impériale, pendant 
le cours de l'année dernière, assez d'or pour )payer un nombre 



T. La bttaiUedc IhiraBO mit lien «n oetobrexoVo; Aleseis y fot défsH, «t «et trottp«s ma 
par Robart Gaiscard; il ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheral. Voyec Gibbon , dup. LVI. 



COMTE DE 1»ARIS. 158 

feMidats floidAe Ae celui que le çrand-domesfîcitie Tient de men- 
tioiiii0r« 

— Totre Më^eaté impériale, 'décria le ministte accnsé, d'il!! 
tam assez animéy se rappâlera snr-le-diamp les garnisons séden* 
tne9 <pA sant indépendantes des troupes mobiles , et auxquelles 
ee^profcttid calealateiir ne fait ancnne attention. 

— fiileiioe y l'an et ravtrèl'ffit Alexis reprenant à Tinstant tont 
MU eahne.ll esttrès Trai qne le nolmlnre effectif de notre armée 
fÊt moindre qne nonsnenons y attendions; mais n'augmentons 
peint par des querelles les dii&caltés du moment. Qu'on disperse 
tees fintes dans les Tullées, dans les dâSlës, derrière les chaînes 
et montagnes y *et dans tous les endrràts ffifBdles oà , à l'aide d'une 
(oMoa ehoisie ayec ait ^ une poignée d%ommes peut présenter 
PappàMuee d'une troiipè nombreuse. Tandis qu'on fera ces dispo- 
siisons, nevs nous t)Ccirperon8 de ^er avec ces croisés-, comme 
ib se aHnnmetfty les confiions auxquelles nous leur -permettrons 
As'trayersér nos domaines; et nous ne sonnnes pas sans espoir et 
^gner, en négociant avec eux, de grands avantages p6nr notre 
tepii«« IfonsindRonerens 'pour qu'ib tie 'traversent notre léni» 
Ulié- qtoepar arméecto^oinquasitemiBe hommes a ht fins, quenoos 
tnawporterons sueoesnvenient en Asie; de sorte que, n'étant 
îmais ea phis grandnôafbre sons nos mtèn^les, ils ne puissent 
sompronieitipe la sû<iBÉ6'de'1a'métf^fpdlêdurmonde« 

VBndfs'qn^^e rendrenett stÉr les rivés dnBosidiDirei nous leér 
hwnàraùs des vivres i^ih'marohentpaisiUeraent^t en bon ordre; 
«ts^ j'en trouve qai s^fearteni^ de leurs étendards on <pàmttamït 
ta pays en nmjmateit , 'venit'snpposonaqae nos vrilass paysans 
afhéatanroatpin'à j pé piîme r leurs ^excès , sans qae nous leur deti* 
niias'à oet <Mtt des-erdres -poskiii; oar^noos ne voodriims pas 
fo^on pût«e«s oeciMsr de quoi que ee fiBft qrt ed« Fair ^ime vie* 
htiea de ttos «s gog s oMon s^ Ndos siqafpesonsausnqiaejes Seyâies » 
les Arabes , ies Syriens et iamres ixeopes soudoyées à notre wr* 
lioe, ae souffifkiDBft pas qne nos sujets eoieat opprimés en pour* 
voyam à leur légitime défense. Et comme 41 n^st pas juste dé AS* 
peaSier notre pays de ses npprovisionn^nens peur nonrrir dea 
étrangère , nous ne serons ni sm^ris , ni souverainenient méoon* 
tetis / si I daas^le nombre des'sacs de farine qu'on oora à leur foûr^ 
aîr^ils^en glisse quelques-uns rempl» de OTaie, de chaux ^oa 
d^tres «abstaiiees euaMaAiles ; eâr on a véritablemmit peine k 
concevoir tout ce que Téstomac d'un Franc peut digérer aisément. 



124 ROBERT, 

Leurs gnidqs aussi , et yous veillerez à leur en choisir qui soiem 
en état de s'acquitter de ce devoir , aoroat soin de les conduire par 
des routes difficiles et détournées ; ce qui sera leur rendre on yéri* 
table service en lc9 habiUjiai^ au. fatigues du pays et du climat, 
qu'ils seraient obligés sans cela de supporter sans y être endnrGÛ. 
En même temps , dans vos relations avec leurs chefs , qu'ils ap- 
pellent comtes « et dont il n'est aucun qui ne se croie aussi grand 
qu'un empereur , vous, prendrez garde de ne donneur aucun jsojet 
d'offense à leur présomption naturelle , et vous ne laisserez échap- 
per aucune occasion de les informer de la richesse et de la muni- 
ficence de notre gouvernement. On peut même distribuer des 
sommes d'argent aux hommes d'importance , des largesses moins 
considérabjles à ceux qui seront sous leurs. ordres. Vous, noble 
logothète, vous veillerez à ce dernier objet: et vous, notre grand- 
domestique , vous aurez soin que ceux de nos soldats qui pourront 
intercepter des partis détachés de Francs se présenjteût toojoars, 
autant qu'il sera possU)le , en costume de Barbares , et sons Fap- 
paronce d'Infidèles.. En reconunandant à votre zèlo^reiécûtionde 
ces ordres, mon but est que les croisés reconnaissent lé prix de 
notre amitié , et , jusqu'à un certain point; le danger de nons avoir 
pour ennemis > et que ceux que noils aurons transpoitjés en sûreté 
en Asie forment une troupe isolée , encore inunense à la véri^i 
mais pourtant moins nombreuse, et à Tégard de laquelle nous 
puissions agir suivant toutes les règles de la prudence chrétienne. 
Ainsi i en prodiguant de belliss paroles à l'un, des menacera 
l'autre, de Tor à l'homnie intéressé, des distinctions à l'ambi- 
tieux, et en parlant raison à ceux qui seront en état de l'étendre , 
nous ne doutons pas que nous déterminions ces Francs , partis de 
mille points différons, et ennemis les uns des antres, à nous re- 
connaître pour leur maître commun , plutôt quO.de choisir un chef 
parmi eux , quand ils seront instruits du, fait important que chaque 
village de la Palestine, depuis Dan jusqu'à Bersabée, est l'an- 
cienne propriété de l'empire romain, et que tout chrétien qm 
prend part à une guerre pour recouvrer ce pays doit le faire comme 
notre sujet , et conserver, .à titre de vassal de notre couronne, les 
conquêtes qu'il peut faire. Le vice et la vertu, la folie et le bon 
sens , l'ambition et le désintéressement, feront également une loi 
à ceux de ces honimes singuliers qui survivront a leurs compa* 
gnons , de devenir les feudataires de l'empirci le bouclifir de Tem- 



COMTE DE PARIS. 125 

peretir votre père y plaiAt que ses ennemis. Tons les conrtisans 
incliaèiént la tête en poussant Fexdamation orientale : — Five 
T empereur! •' 

Qaand le brait de ces acclamation^ se fat calmé, Alexis reprit 
la parole. — Je répéterai encore ane fois qae mon fidèle grand-do- 
mestique et ses sa)»ordonnés devront confier rexécntion de ceox 
de ces ordres qai peuvent avoffan idr d'agression , à des tronjpea 
qai parlent une langtte étrangère et qui offrent Textérieur de 
Barbares ; et je regrette de dire qu'il s'en trouve dans notre ar- 
mée impériale un plas grand nombre que de nos sajets naturels 
et orthodoxes. ~ . 

Ici le patriarche mtervint pour doàner son opinion. 

-C'est ane consolation , ^it^il, de penser qu'il ne se trouve 
dans Tannée impériale qae peu de véritables Romains ; car il est 
convenable qu'une profession aussi sanglante que la guerre soit 
sniTie parceax dontla doctrine aussi bien que la conduite méritent 
nne éieraelle danmation dans Tautre monde. 

— Révérend patriarche, dit l'emperear, nous sommes loin de 
prétendre, avec les Barbares infidèles , qae le paradis doit se ga- 
^er par lë sabre ; cependant nous aimons à espérer qu'an Ro- 
inain mourant en cojpubattant pour sa religion et pour son empe- 
nnr peut avoir autant d'espoir de salut, après que l'agonie mor- 
telle est passée , que Phomme qai meurt eiïpaix sans avoir la main 
ensanglantée. '■<.... 

—11 me suffit de dire , reprit le patriarche,' que la doctrine de^ 
l'Eglise n'est 'pas si indulgente. L'Eglise est pacifique, et ses pro- , 
messes de faveurs sont pour les hommes de paix. Ne croyez pour- 
tant pas que je ferme les portes du ciel au soldat, parce qu'il est 
loldat, si du reste il croit à toutes les doctrines de notre église , et 
s'il en suit tous les préceptes. Je condamne encore bien moins les 
Kigesmesares de Votre Majesté pour affaiblir la puissance et di- 
i&inner le nombre de ces hérétiques latins , qui viennent ici pour 
noQsdépoailler et peut-être pour piller l'Eglise et le temple , soas 
^ Tain prétexte que le ciel' leur permettra , à eux souillés de tant 
l'bérésies, de reconquérir cette Terre-Sainte que les ptédéces- 
seors de Votre Majesté très sacrée» véritables chrétiens ortho- 
doxes , n'ont pu empêcher de tomber sous le joug des Infidèles. Et 
j espère bien que Votre Majesté ne permettra aux Latins de former 
ftocan établissement, sans qa^n y voie ériger une croix dont les 



qoAtre parties Boiwr de h mâme loiigoe^Cf ^«^ 

funeste et damnable qui, dans Véglise Ofi^identalOjii pfdfiBgvla. 

partie inférieure de ce très saint emblème. 

— fiéférend patriarche , répmdit ïkmffamLVfjm^véjfii^f^ipQ 
noms attachions peu d'iaiportaiice à tos sçmpnles: ikont d^pwis» 
sanà doute, mais la qoestion maint«naal est de aa'vo^yJKttpasft 
nous pourrons conyertir à la Traie toi cesLalins hérélîçiflSi Jiiftii 
comment noua pourrons éviter d'être écrasés par l^ors anaées i&* 
nombrables , qui ressemblent à ces nuées de ^uteraUes qpûkfto&t 
précédées et qui en ont été le pronostic* 

— Votre Majesté agira ayec sa prudence ordinair^i dit le pa* 
triarche. Quant à inoi , ^e ne &is qu'dqHnaser mesdositfiSy sfiode 
sauver mon ame. 

— Nous ne faisons aucun tort à vos sentimeaa.en leaiiKerpré' 
tant, très révérend patriarche, dit FeoqporeHr* Etvo9is,.coiit^ 
nua-^il en s'adressant à ses autres conseiUçrSx'veiilezi chaiçim en 
ce qui vous concerne, à ce que toutes les mesures soient pnse^: 
pour l'exécution des ordres que nous vous avons donnés ^ géné- 
ral.^ Ils sont écrits en encre sacrée, et notre ^gnature est dupent 
marquée des teintes de. vert et de pourp^* Qu'on y oMisse'donc 
strictement. Nous prendrons noas«>mâme lo conmiaiidw^t^ 
celles des cohortesdes Immortels qui restent 4an%)avill<^,st naos 
les joindrons à celles de nos fidèles Yarangians* A la tête de ces 
troupes, nous attendrons Tarrivée de ces étrangers S09S les mon 
de notre capitale f et évitant le combat aussi long-tWf^qii»e aotre 
politique pourra le retarder,, nous serons prêts à sphir/toatss l<s 
chances qu'il plaira au Tout*Puissant de nous envo^yer. . 

Le conseil se sépara , et les difEéreos ehefe q^m^jptmcèreiài a 
s'occuper avec activité de l'exécati<^n des di^rse^ instractioBS) 
civiles et militaires, secrètes pu publiques, pisu^ifiques ou hostiles^ 
qu'ils avaient reçues rdativement aux croisési» Le génie partica- 
lier du peuple grec se fit remarque!: en cette occasion. Son osteuta- 
tion et sa jactance répondaient aux idées que rempereur désirait 
faire concevoir .aux croisés- de l'étendue de son pouvoir et de ses 
ressources. Et noua ne devons pas d^piser que l'^oïsme astuoieu^ 
de la plupart des serviteurs d'Alexis ch^rcha^ à trouvi^ qnelqaft 
moy;en indirect d'exécuter les <nrdres de.lsnr.ma^re de la manior^ 
la plus convenable à leui^ intérêt privé. 

Cependant la nouvelle, s'était répandue dans Constwtiaopl^ ^ 



GOWTfi DE PfBIS. m 

ruTLTée d'iine immenae armée, composée de toutes les nationsde 
rOcddént, snr les frontières de l'empire, ^ec, dans le dessein de 
passer dans la Palestine. Mille broits différons exagéraient encore^, 
s'il était possible, nn événement si merveilleux. Les uns disaient 
qoe le but des croisés était de conquérir l'Arabie, de détruire le 
tombeaa dn prophète, et de faire de sa bannière verte une housse 
pour le cheval du frère du roi de France. D'autres supposaient que 
la rnme et le sac de Gonstantixiople étaient le véritable objet de la 
gnerre. Une troisième classe pensait qn'dle était entr^rise pour 
forcer le patriarche à reconnaître la suprématie du pape, à adopter 
U ferme de la croix latine et à mettre fin au schisme. 

Cette nouvelle étonnante était racontée partout avec des va« 
riantes conformes au goût et aux préjugés particuliers de ceux qui 
l'apprenaient ; et les Yarsmgiens y ajoutèrent aussi leurs coni- 
mentaires. Us l'apprirent d'abord par notre ami Hereward, qui 
^tnnde leurs officiers subalternes nommés connétables, ou 
lergens., et qui laissa transpirer quelque chose de ce qu'il avait 
entenda la soirée précédente ; songeant que le &it devait bientôt 
être de notoriété publique, il n'avait' pas hésité à donner à en- 
tendre à ses camarades qu'ils aillaient voir arriver une armée de 
Normands sous les ordres dn duc Robert, fils du célèbre Guil- 
lanme-le-Gonquérant, et avec des intentions hostiles , particnliè- 
lement contre eux, à ce qu'il concluait. Comme tous les autre» 
bommesquise trouvent dans des circonstances particulières, les 
Varangiens admirent une explication qui s'adaptsdt à leur situa- 
tion. Ils supposèrent que ces Normands, qui haïssaient les Saxons, 
et qni avaient travaillé avec tant d'ardeur à les déshonorer et à les 
opprimer, les poursuivaient alors jusque dans la capitale étran- 
gère où ils aTuient trouvé un refuge, et avaient le dessein de faire 
^ gaerre au prince généreux qui les protégeait. Dans cette 
croyance, ils jurèrent à plusieurs reprises en noxse et en ançlo-* 
saxon que leurs bonnes haches prendraient leur revanche de la dé- 
^ d'Hastings ; et en buvant à longs traits le vin et l'aie, ils se 
défièrent à qui montrerait Je ressentiment le plus profond, et ti- 
^t la vengeance la plus signalée de tontes les injures que lea 
^QgloSaxons avaient reçues de leurs opjHresseurs . . 

Hereward, qui avait répandu cette nouvc^lle parmi ses cania» 
rades, ne tarda pas à se repentir de l'avoir laissé échapper de ses 
lèvres, tant ils l'assaillirent de questions pour obtenir de bûdes déf 



128 ROBERT, 

tails précis à ce sujet ; mais il se cmt obUgé de leur cacher Payen- 

tàre qui lui était arrivée la Yeûle, et le lien où il avait obtenu ses 

informations. 

Vers mi^ , à l'instant où il était fatigué de faire la même ré- 
{>onse aux mêmes questions , et d'en éluder d'autres semblables 
qui se renouvelaient à chaque instant, le son des trompettes an- 
nonça la présence de l'àcolouthos Achillès Tatius, qui venait di- 
rectetiient, se disait-on tout bas, de l'intérieur sacré du palais, 
pour apporter la nouvelle de l'approche immédiate de la guerre. 

L'àcolouthos leur apprit que les'^Yarangiens et les cohortes ro- 
maines appelées les Immortels , devaient former un cam^ sous les 
murs de la ville, afin d'être prêts à la défendre au premier signal. 
Cette nouvelle mit tout en mouvement dans les casernes , chacun 
faisant ses préparatifs pour la campagne qui approchait. C'était 
un tel chaos d'acclamatiobs bruyantes et de cris tumultueux, 
qu'Hereward, à qui son grade peïmettait de laisser le soin d'ap- 
prêter ses équipages à un page ou à un écuyer, saisit cette occa- 
sion pour quitter les casernes, 4Bt pour chercher, à quelque distance 
de ses compagnons , un endroit solitaire où il pût se livrer à ses 
réflexions sur l'enchaînement singulier d'évènemens qui l'avait 
mis en communication directe avec la famille impériale. 

Passant à travers des rues étroites^ alors désertes à cause de la 
chaleur du soleil, il arriva enfin à une de ces grandes terrasses 
qui, descendant en quelque sorte en escalier sur les bords du Bos- 
phore, formaient une des plus belles promenades de l'univers; 
terrasse que nous croyons être encore aujourd'hui une promenade 
publique destinée aux plaisirs des Turcs , comme elle l'était jadis 
à ceux 4es'chrétiens. Ceà terrasses, en forme de gradins , étaient 
plantées d'un grand nombre d'arbres > parmi lesquels le cyprès, 
suivant l'usage, était.le plus généralement cultivé. On y voyait dif- 
férens groupes d'habitatis de la ville, les uns allant et valant d'un 
air inquiet et affairé, les antres debout et arrêtés comme pour dis- 
cuter la nouvelle étrange et importante du jour ; plusieurs , avec 
rinsoucianté indolence d*un climat oriental, prenant à l'ombre 
leurs rafraîchissemens du midi, et passant leur temps comme s'ils 
n'eussent eu qu'^à jouir du présent, laissant au lendemain le soin 
des soucis ^'ii pourrait aniener. 

Tandis que le Varaâgien , craignant de trouver quelque figure 
de connaissance dans ce concours de peuple, ce qui ne convenait 
pas au désir de solitude qui l'y avait amené, descen^t on passait 



« 



œMTE DE PARIS. 12» 

d'nne terrasse à l'autre, chacun le re(;ardait d'un air de curiosité 
qai annonçait l'envie de l'interroger ; car, d'après les armes qu'il 
portait et le poste qa'il occupait à la cour, on le regardait comme 
on homme qui devait nécessairement être mieux instruit que les 
autres de la nouvelle du jour : — Tinvasion singulière de nom- 
breux ennemis qui arrivaient de différens côtés. Personne n'eut 
pourtant la hardiesse d'adresser une question au soldat de lagarde^ 
^oiqae tout le monde le regardât avec un intérêt peu commun. Il 
sortit des allées découvertes pour entrer dans de plus sombres , ^ 
quitta les terrasses les plus fréquentées pour passer sur celles qui 
étaientplus soUtaires, et cependant il sentait qu'il ne devait pas 
se considérer comme-étant seul. 

Le désir qu'il éprouvait d'être dans la solitude fit enfin qu'il re- 
garda davantage autour de lui, et il s'aperçut bientôt qu'il était 
suivi j)ar un esclave noir, pers<mnage qui n'était pas- assez rare 
dans les rues de Gonstantinople pour exdter une attention parti- 
culière. Ses regards s'étant pourtant fixés sur cet individu , il 
commença à désirer d'échapper à sa survjBillance» Il avait d'abord 
changé de place pour éviter la société en^général, et il eut alors 
recours au même expédient pour se débarrasser d'un honame qui 
semblait épier de loin tous ses pas. Grâce à cette manœuvre, il le 
revit de nouveau , trop loin de lui pour passer pour un compagnon 
de promenade, niais assez près pour jouer le rôle d'«spion. Mécon- 
tent de cette obstination, le Varangien changea tout à coup de 
marche, et se trouvant dans un endroit où personne n'était en vue 
que Tobjet de son ressentiment, il marcha droit à lui, et lui de- 
inanda pourquoi et par quel ordre il se permettait- de suivre aea 
pas. Le nègre, dans un jargon aussi mauvais que celui dans lequel 
ïeVarangien lui parlait, quoique d'un autre genre, lui répondit 
qu^il avait ordre de s'assurer où il allait. - 

— Qui a donné cet ordre ? demanda le Yarangien. 

— Mon maître et le vôtre, répondit hardiment le nègre. 

. — Misérable infidèle ! s'écria Hereward courroucé, quand avons- 
nons été compagnons de service, et qui est celui que tu oses appe» 
1er mon maître? 

-- Un honmie qui est maître du. monde, puisqu'il commande à 
ses passions. , . 

— J'aurai peine à commander aux miennes, si tu réponds à 
mes questions sérieuses par des. quolibets .philosophiques. En«^ 

9 



KD ROBERT, 

core ane fo» ^ que Teiifi4a ? Penrqaoi as-ts k hardieaise de 

mMpier? 

— Je TOUS ai déjà dit que j'axéeate les ordres de mon maitre. 

— Mais il faut qae je sache quel est ton maître. 

— Il faat donc qa'ii tous réponde hii-mème : il ne confie pas 
à VH panure esolare cnnraie moi le motif des ordres qa'il Id 
doiine« 

— Il t'a laissé ime latofiie cependant y ayantage que Tondraient 
ayoir qiielqoes*mis de tes concitoyens* Ne me ponsse pas à t'en 
pmeoTy en refusant de m'apprendre ce qne j'ai le droit de te de- 
nuBider-. 

A la grimace qne fit le nègre, il était aisé de Tdr qn'il méditait 
qwdqne nonrean sobterfage ; mais Hereward y coupa court en le* 
YSvt sur lui lemanche de sa hadhe. 

— Neme farce pas, s'écria*t«il/à me déshonorer en te frappant 
^'nne arme destinée à on usage bien plus noble. 

-T" Je n'en ai paa^enrie^ Taillant guerrier, dit le nègre quittant 
letoHmoitié impudent , moitié plaisant qu41 aTait pris jusqu'alors, 
el manifestant par -ses manières ht crainte qu'il ^rouyait. SiTons 
tuez le pauvre esdaye, tous n'en saurez pas plus que ce qne son 
nmître \xà a défendu de dire. Quelques pas peuTOnt tous éviterla 
pane de battneoa homme qui ne peut résister, préserrer TOtrs 
homiewr de toute souilhrre, et.m'épargner le démgrément d'aToir 
à ttdaaTBT ce qne jeue puis ni rendre ni ériter. 

•^ C!ondiiîs«nioi donc, dit le Varangien , et sois sûr que tu ne 
m'abuBeras <poiiA p^de belles paroles. Je saurai qnel est l'homme 
assez impudent po^ s'arroger le droit de faire épier mes actions. 

Le nègre marcha en arant aTee une sorte de sourire particnUer 
à sa pliysiononne, et qu'on aurait pu regarder également comme 
une. expression dé malice, ou de simple gaieté. Le Varangien le 
sniTit, non sans quelque méfiance; car le hasard Toulait qu'il 
n'eût .eaque très peu de rapports aTec la malheureuse /ace des 
Africains y et il n'était pas encore totalement reTenu de l'impres- 
skmiâcheuse qu'il SToil ^ronrée en les Toyant pour la première 
fois, quand il était arriTé du Nord. Cet homme se retourna si 
sôuTent pour le i^egarder pendant qu'ils marchaient ainsi , et il 
fixait sur lui des yeux si pénétrans et si observateurs, qu'Here- 
ward sentit renaître inTolpntairement dans son esprit les préjuges 
anglais qui attribuaient aux démons la couleur noire et les traits 



COlttTÈ DE PAMS. 18! 

dilbrmes de son compagnon. Il était assez naturel qve ces idées se 
présentassent d'elles-mêmes à Fignorant et belliqueux insulaire^ et 
Pendroit où il fîlt conduit servit encore à Vj confirmer. 

Des belles promenades en terrasses dont nous avons fait la des» 
cription, le nègre le conduisit parxtn sentier en pente vers le bord 
de la mer, dans un lieu qui , bien loin d'avoir été, comme les autres 
parties de la côte, arrangé en promenades et en terrasses , sem- 
blait au con^'aire entièrement négligé, et était encombré de ruines 
antiques , couvertes en partie par des^herbes qui attestaient la force 
de la végétation dans ce climat. Ces débris d'anciens bâtimens , 
t>ccupant une sorte de renfoncement dans la baie, étaient cachés 
de chaque c6té par une élévation du terrain ; de sorte qu'on ne 
pouvait voir cet endroit d'aucune partie de la ville, quoiqu'il {At 
compris dans son enceinte ; de même, on n'apercevait de là aucun 
des palais, aucune des églises, des tours ^et des fortifications que 
pr&entait la capitale. Le site de ce lieu solitaire, encombré de 
mines, couvert de cyprès et d'autres arbres, et placé au milieu 
d'une ville populeuse, avait quelque chose d'imposant et de propre 
à faire impression sur l'imagination. Ces mines étaient d'une date 
très ancienne, et le style de l'architecture annonçait l'ouvrage 
f im peuple étranger. Les restes gigantesques d'tm portique, les 
firagmens mutilés de statues d'une taille colossale, mais exécutées 
dans nn goût et des attitudes si baii>ares qù^âles offraient un con- 
trsiste complet avec les ouvrages des statuaires grecs, et les hié- 
roglyphes à demi effacés qu'on pouvait encore remarquer sur 
quelques débris des sculptures, conftrlnaient ee que la tradition 
populaire racontait de leur origine. 

Suivant cette tradition , ces ruines étaient celles d'un temple dé- 
dié à la déesse égyptienne Cybèle, temple qui avait été construit 
dans le temps où l'empire romain était encore païen, et où Cons- 
tantinople portait encore le nom de Byzance. On sait que les su- 
perstitions des Egyptiens, aussi grossières dans leur sens littéral 
qne dans leur interprétation mystique, et fondement d'une foule de 
doctrines absurdes , n'étaient ni admises, ni reconnues, mêmepiu* 
les principes de tolérance générale, )et par le système de poly- 
théisme adopté à Rome; et que des lois, plusieurs fois renouve- 
lées, défendaient de leur rendre le respect qu'obtenaient dans 
l'empire presque toutes les autres religions, quelque absurdes et 
extravagantes qu'elles fussent . Ces rites égyptiens avaient pourtant 
des charmes pour les esprits curieux et superstitieux, et, après 



1 



132 ROBERT, 

une longue opposition ^ ils parrinrent à s'introduire dans l'empire. 

Cependant, quoique tolérés, les prêtres égyptiens étaient plutôt 
considérés comme des sorciers que comme des pontifes , et dans 
Fopinion populaire leurs rites avaient plus de rapport à la magie 
qu'à aucun système régulier de dévotion. 

Flétri d'une telle imputation, même parmi les païens, le cnlte 
égyptien inspirait aux chrétiens une horreur encore plus mortelle 
qu'aucun autre. 

Le culte brutal d'Apis et de Gybèle était regardé non-sealement 
conune un prétexte pour se livrer à des plaisirs obscènes et hon- 
teux, mais comme tendant à ouvrir et à favoriser un dangereux 
commerce avec les mauvais esprits qu'on supposait prendre, sur 
ces autels profanesi le nom et le caractère de ces infiunes divinités. 
Ainsi doncj lorsque l'empire fut converti au christianisme, non- 
seulement le ten^ple de Gybèle,.avec son portique gigantesque, ses 
statues colossales sans élégance, et ses hiéroglyphes fitntasques, 
fut abattu et détruit , mais le sol même sur lequel il avait existé fat 
«regardé comme profané, et aucun empereur n'y ayant encore fait 
ériger d'église chrétienne, cet endroit restait dans l'état d'abandon 
que nous avons décrit. 

Le Yarangien cSnnaissait parfaitement la mauvaise renommée 
de ce lieu ; et quand le nègre parut disposé à avancer au milieu de 
ces rmnes, il hésita à le suivre, et dit à son guide : — Ecoute-tnoi, 
mon ami noir ; ces énormes et bizarres statues , les unes sans tête, 
les autres à tête de chien ou de vache, n'inspirent pas une grande 
vénération au peuple de ce pays. En même temps, la coulenr de 
ta peau, mon camarade, ressemble trop à celle de Satan pour qu'on 
puisse t'accompagner sans méfiance au milieu de ces ruines, qui 
sont , dit-on, hantées tous les jours par l'esprit de mensonge. On 
assure que minuit ejt midi sont les instans de ses apparitions. Je 
n'irai donc pas plus loin avec toi, à moins que tu ne me donnes une 
vaison suffisante pour m'y déterminer. 

— En me faisant un aven si puéril, répondit le nègre, vous 
m'ôtez véritablement tout désir de vous conduire près de mon 
maître. Je croyais parler à un homme d'un courage invincible, et 
doué de ce bon sens qui est le meilleur fondement du vrai courage. 
Mais votre valeur ne vous donne de la hardiesse que pour battre 
un esclave noir, qui n'a ni la force ni le droit de vous résister ; et 
votre oouragç ne va pas jusqu'à regarder une muraille du côté de 
l'ombre, même pendimt que le soleil est sur l'horizon. , 



COMTÉ DE PARIS. ISS 

— Ta es nn insolent, dit Hereward en levant sa hache. 

— Et TOQS êtes fon de vonloir prouver votre valeur et votre 
sagesse par les moyens qui sont précisément propres à en faire 
douter. Je vous^ai déjà dit qu'il y a peu de bravoure à battre un 
malheureux esclave comme moi; et un homme de bon sens, qui 
veut connaître son chemin /ne commence point par chasser son 
guide en le battant. 

— Je te suis , dit le Yarangien , piqué de ce reproche de poltron- 
nerie ; mais si tu me conduis dans un piège , tes beaux discours ne 
sauveront pas tes os, quand même un millier d'êtres de ta couleur, 
de la terre ou de l'enfer^ seraient prêts à prendre ta défense. 

— Vous en voulez cruellement à la couleur de ma peau. Gom- 
ment savez-vous si c'est une chose qu'on peut regarder comme 
réelle et constante? vos yeux vous apprennent que la couleur da 
ciel change tous les jours , et s'obscurcit après avoir hrillé, et ce» 
pendant vous savez que ce changement n'est pas dû à une couleur 
Téritable du firmament. Ce phénomène qu'on remarque sur la 
voûte céleste, a lieu aussi sur la surface de la mer. Comment donc 
pouvéz-vous savoir si la différence de ma couleur à la vôtre n'est 
pas causée par quelque changement trompeur de ma nature , et s! 
ce n'est pas une apparence an lien d'être une réalité ? 

— Tu peux t'être peint, dit le Yarangien après un instant de 
réflexion , et par conséquent la noirceur de ta peau peut n^être 
qa^apparente. Mais je pense que ton vieil ami, le diable lui-même, 
pourrait à pdne reproduire d'une mianière aussi parfaite ces 
grosses lèvres, ce sourire sardonique, ces dents blanches et ce 
nez aplati, si cet ensemble particulier de physionomie nubienne; 
comme* on l'appelle, n'existait réellement pas; e|ponr t'épargner 
quelque embarras, je te dirai, mon ami noir, que, quoique tu 
parles à un Yarangien sans éducation, je né suis pas tout-à-fait sans 
expérience dans l'art qu'ont les Grecs de faire passer dans l'esprit 
de ceux qui les écoutent des paroles mielleuses et bien arrangées 
pour de bpns raisonnemens. 

— Oai-dà l dit le nègre avec un air de doute et de surprise. Et 
l'esdave Diogènes, — car tel est le nom que m'a donné mon 
maître, — peut-il vous demander comment vous avez appris un 
talent si extraordinaire? ^ 

— Cela sera bientôt dit. Mon compatriote Wîtikind,^ un des 
connétables de notre corps, s'étant retiré du service, passa le reste 
d'une longue vie dans cette ville de Gonstantinople. N'étant plus 



134 ROBEHT, COMTE DB PARIS. 

occupé des travaiix de la gaerre, soit sur le champ de bataille, 
soit dans la pompe fatigante de l'exercice et de la parade, le pauvre 
^millardy ne sachant que faire pour passer. le temps, suivit les 
cours des jdiilosophes. 

— Et qu'y a-t-il appris? Un Barbare, blanchi sous le casque, ne 
devait pas être, ce me semUe, un élève brillant dans nos écoles. 

— Mais tout aussi brillant, ce me semble, qu'un vil esclave. Du 
reste, }'ai appris de lui que les maîtres da cette science frivole se 
creusent la tête pour substitnisr les mots aux idées dans leurs rai» 
sonnemens; et, comme ils ne sont jamais d'accord sur la signifi» 
cation des mots, leurs argumentations ne peuvent; jamais arriver 
à une conclusion juste et satisfaisante, puisqu'ils ne peuvent s'ac» 
eorder sur la manière d'exprimer leurs opinions. Leurs théorieai» 
comme ils les appellent, sont bâties sur le sable , et le vent et la 
marée les renverseront*. 

— Dites cela à mon maître, dit le nègre d'un ton sérieux. 

— Je le lui dirai, répondit le Yarangien, et il verra en moi ce 
que je suis, un soldat ignorant, n'ayant que peu d'idées, et ne 
connaissant que sa religion et son devoir comme militaire : mais 
en ne me fera renoncer à ces opinions , ni par une batterie de sa* 
pbismes, ni par les artifices où les erreurs du paganisme, de ce 
monde ou de l'autre. 

— Vous pouvez lui dire vou8«même votre façon de penser, dit 
Diogènés. — Il fit un pas de côté, comme pour faire place au Ya- 
rangien, et lui fit signe d'aller en avant. 

Hereward avança par un sentier presque imperceptible et a 
peine .frayé, à travers de longues herbes, et tournant autour d'un 
autel à demi démoli, où l'on voyait les débris du bœuf ou du dieu 
Apis, il^ trouva tout à coup en foceduphiloaophaAgélastèsi» assis 
mr le gaxon, au milieu des ruines. 



CHAPITRE VIII. 



▲. tiMMis em WÊàm M» qai «NiTtnl' «mhinMMnt 
Le sophiste en ses argameps , 
La raison » le simple bon sens , 

Par va chemin aisé «ans difficulté passenL 

Ainsi l'on Toit tombcfr les images errans 
Snr le sommet de U montagne. 
Lorsque de ses rayons naissana 

lêUaowtMa téiA<é» roae édaire l««aaptgMk 

Watts. 



Le vieillard f e leva avec vÎTaoUé en rayant appi^ocher Hene- 
ward. — Mon braye Yarangien, lui dit«il, toi qui apprédas las 
hommes et les choses, non suivant la bosse valeur qu'on lenr 
altribne en ce monde , mais d'après leur importance réelle et lenr 
véritable prix, tn es le bienvenu, qœl qne soit le motif qni t'a 
amené ici* — Ta es le bienvenn dans nn lien bà règne ce prin- 
cipe, qne le pronier devoir de la philosophie est de déponiUsr 
l'homme de ses omemens empruntés , et de le rédoîre à la joate 
Tsleur de ses p(DOfires attribntside coi^s etd'espidt , cmsidâr^ en 
eaXfméBies* 

— Vous âtes un courtisan, Monueur, répendit le Saxon; et 
ayant le privilège d'être admis dans k compagnie de Sa Majesté 
impériale, vous savcE qu'il y a vingt Cois plus de cérémonial qu'an 
homme comme moi n'en peut connaStre , pour régler la oondiute 
des divers rangs^de la société ; et l'on pourrait exempter un homme 
aimple comme je le suis de paraîtredëvsantcenx qui sont au-dessus 
de loi, et eoà, ptésenee deapekilnesait pas exactement commMit 
il doit jse comporter. 

— C'est; la vérité, répondit le philosophe; mms un homme 
somme vous,' noble Hereward, mérite plus de considénition aux 
yeux d'un vrai philosophe. qu'un millier de ce» insectes qne les 
soQrires d'une eonr appeUoit à la vis, et qu'un eainise &it ren- 
trer dans le néant. 

— Mais vQua-mâme, Monsieur» vois êtes uneonrësMi» 
-—Et un courtisan très ponotoeL Je me &itte qu'il laVxiste pas 
m seul sujet de Fetti{nre qui connaisee mieux leë dix miae points 
de cérémonial que doivent observer les divers rangs à l'^g^d^des 



136 ROBERT, 

diltérentes antorilës. H est encore à nattre l'homme qui peut dire 
m'ayoir va dans ane attitude plas commode que deboat sur mes 
jambes, en présence de la famille impériale. Mais, qaoiqae je 
prenne cet extérieur dans la société , et que je me conforme en 
cela à ses erreurs, mon caractère est plus graye, et mon jugement 
plus digne de l'homme, fait, comme on le dit, à Fimage de son 
créateur* 

— Vous ne pourez avoir que peu d'occasions d'exercer votre 
jugement en ce qui me concerne, et je ne désire pas que personne 
me prenne pour un autre que je ne suis, un pauvre exilé, cherchant 
à élever sa foi vers le ciel, et à remplir ses devoirs, tant envers le 
monde dans lequel il vit qu'à l'égard du prince qu'il sert. —Et 
maintenant. Monsieur, permettez-moi de vous demander si vons 
avez désiré cette entrevue, et quel en est le motif? Un esclaTe 
africain, que j'ai rencontré sur la promenade publique, et qui pré* 
tend se nommer Diogènes, m'a dit que vous désiriez me parler. II 
a assez Tair d'un vieux goguenard , et il peut se faire qu'il ne m'ait 
pas dit'ta vérité. Si cela est, je lui ferai même grâce de la baston- 
nade que je doisl son impudence, et je vous ferai en même temps 
mes excuses de vous avoir dérangé dans votre solitude, que je ne 
suis nullement disposé à partager. 

— Diogènes ne vous a pas tronipé. Il aime à plaisanter, comme 
vous venez de le remarquer; mais il joint à cela quelques qualités 
qui le mettent de niveau avec ceux dont le teint est plas blanc , et 
qui ont des traits plus avantageux. 

— Et pourquoi l'avez-vous chargé de cette mission? Votre sa- 
gesse peut-elle avoir en le désir de converser avec moi? 

— Je suis un observateur de la nature et de l'humanité. N'est- 
il pas naturel que je sois las de ces êtres qui doivent tout à l'art, et 
que je désire voir quelque chose qui soit plus firaichement sorti des 
mains de la nature. 

— Vous ne verrez pas cela en moi. La rigueur de la discipline 
militaire, — les camps , — le ceinturon , — l'armure, — forment 
les sentimens et les membres d'un homme, comme l'éorevîsseae 
mer est formée pour son écaille. Voyez un de nous , et vous nous 
voyez tous. 

— Permettez-moi d'en douter, et dé supposer que dans Herc- 
vrard, fils de Wallheoff, je vois tfn homme extraordinaire, quoique 
sa modestie puisse lui laisser ignorer le prix de ses bonnes et rares 
qualités. 



k 



œMTE DE PARIS. 137 

—Fils de Wakheoff ï répéu le Yarangien ayec qnelqoe surprise. 
Vons connaissez le nom de mon père ? 

— Ne soyez pas étonné que je sois instruit d'âne chose si simple, 
répondit le philosophe. Il m'en a coûté bien pea de peine pour l'ap- 
prendre : cependant je serais charmé de pouvoir espârer que ce 
pen de peine que j'ai dû prendre p(^t vous convaincre de mon désir 
sincèredevons appeler mon ami. 

•—Il est en effet extraordinaire qii'ui honune de votre rang et 
doué de tant de connaissances se donne la peine de prendre des 
informations parmi les soldats des cohortes varangiennes sar la 
famille d'an de leurs compaùiotes; et je doute fort que mon com- 
mandanty Tacolouthos ïni-méme, en eût jamais fait autant. - 

— De plus grands hommes que lui ne s'en inquiétwaient pas 
davantage. «^ Vous connaissez un homme élevé à un haut rang, 
^ pense que les noms de ses plus fidèles soldats ont moins d'im- 
portance que ceux de ses chiens de chasse et de ses faucons : et il 
s'épargnerait volontiers la peine de les appeler autrement que par 
on coap de sifBet. 

-^ Je né puis entendre ce langage , dit le Yarangien. 

—Je ne voudrais pas vous offenser ; je ne Voudrais pas même 
ébranler la bonne opinion que vous pouvez avoir conçue de celui 
auquel je fais allusion. Cependant je suis surpris qu'un~homnie doué 
de vos grandes qualités ne vpie pas... 

— Trêve à tout ceci. Monsieur; vos discours ont quelle ciiose 
de trop léger pour un homme de votre âge et de votre caractère. 
Je sois comme les rochers de mon pays : les vents impétueux ne 
peavnit m'ébranler; le» douces pluies ne peuvent mé fondre. Les 
flatteries et lès menaces sont en pure perte avec moi. 

— Et b'est à cause de cette inflexibilité d'ittue, de ce mépris con- 
stant pour tout ce qui voué entoure et qui n'est pas dans le cercle 
de vos devoirs, que je vous demande , presque comme un men- 
diant, cette amitié que vous me refusez durement. 

— Pardon si j'en doute y Monsieur. Quelles que soient les his- 
toires que vous ayez pu irecueillir sur mon compte , et qui sans 
doQte lie sont pas sans exagératioti, car Içs Grecs n'ont pas le 
privilège exclusif des rodomontades , pour que les Yarangiéns ne 
prissent en avoir leur petite part, — vous ne pouvez avoir appris 
de moi rien qui vous autorise à me parler comme vous le faites , 
si ce n'est en plaisantant. ' . 

■^ Vous vous méprenez/ mon fils, dit Agélastès. Ne me croyez 



lae ROBBRT» 

p^bamnie à bmi mêler parmi' tob oamarideB dans ttn cabaret 
pour les faire jaser sar votre compte. Tel que Tons me yoyez, je 
pmis frapper cette image brisée d'Annbis, — et en parlant ainsi 
fl toaohar da doigt à m fragment d'oue staftne colossale qui éudt 
à côté de loi, -*- et ordomier a Tesimt qui a jadis rmda des 
idraoleSy de yeav de.noaveap animer cette Bumse tremblante. 
Moas antres initiés , nons joniaaons de grands pri^éges. Noos 
{rapp<»is sar cesToAtes>en mnes^ et l'éclio qai les haUte répond 
à nos demandes. Qaoiqne je sollicite ton 'amitié » ne t^imagbe pas 
qae j'aie hssoin d'obtenin ée ta bonohe dasinfonni^oa» sar toi on 
anr d'antres. 

— .Vos paroles sont mer¥eiUsQsee>9 dit F Anelo^Saxon ; mais j'ai 
appris qne c'est par des parofes^semblables qae tant d- âmes ont été 
détoamées da chemin qni cendaic an ciel. Mon grand-père Ke- 
nelm avait contamede dîrerqneles balles pa«oles4e la philosophie 
païenne étaient pins fiineitei à Ja. im.ahnkienBe qne ks^moDaces 
des tyrans païens. 

— Je l'ai connn , reprit Agélastès , — qn'impecte ai ce fat en 
corps on en esprit] il professait la foi da Wodan ; il fat converti 
par an noble SMine, et moacnt prêtre danann BMmastère de Saint- 
Angnslin à Cantori)éry.. 

— Tont cela est vraiy dit Hereward; tout oda est certain. Et à 
présent qn'il est mort, c'est nne obligation de ph» ponr moi de me 
lappder ses paroles. Qaand je ponvais à peine le comprendre, ii 
m'ordonnait de me défier de la doctrine qni mène à l'erreari et 
^l'enseignent de fanx prophètes qai.cherdimit à la confirmer par 
de pvétendns miraeles. 

~ Ceci est para snpersUtion^ dit lepfadosqibe* Ton aïeol était 
nn digne et ezceUent honaie ; mais, comme d'antres prêtres» il 
avait l'equvt étroit. Trompé par leur ûKemplcy il voalot a'oafrir 
qu'on gnkhetdanalagrandepmstede la vérité^ et ne laisser eotiier 
personne qne pav^Mte étaoîta oavertai«« yrois4tt9 Hmeward; tsn 
àïenl, et.h>Qwronp d'iioaunea neligienxi.voadiaient borner notte 
intelligence à' la' eoneidàration dea parties da numde immatériel 
qai sont assenliallea à notrévoondoiter meaale. en oa manda, «ta 
natra sdlat dans l'antne; mais il nte est pat moins vrai f«e 
fihaamiaa^Ja liberté. panrvn. qu'il ait da^la ss^easA etdn ooaragei 
de; sa mettva en> camnMHiisatiiw intima avec das^âtres ptos poisj 
sans qne Ini, qni peuvent défier les bornes de l'espace dans 1^^ 
iLestçÎM!amsrit«,atanrniontar,.par leur ponvoic méasfifj^^^ 



COMTE BB PARIS. U9 

des difSenltés qai semblent impoflsiUe» à Taincre à des Imnbiibm 
tûnides et ignorons. 

— Vous pariez d'onô folie qui fait bâiller l'enfance et aourire 
râ^ mûr. 

— An contraire, je parle du désir ardent foe chaque bomme 
sent an fond de son cœar d'entrer en communication ayec de» 
2tres plos puissans qne lui , et qui ne sont pas naturellement ae* 
eessibîes à nos organes* Crois-moi , Hereward , un désir si ardent» 
si mÛTersel, n'existerait pas dans notre sein s'il n'existait aussi 
des moyens de le satisfaire, à Taide de la sagesse et de la con* 
stance. J'en appellerai à ton propre cœur, et je n'aurai besoin que 
d'un seul mot pour te prouTer que ce que je te dis est la "vérité» 
Même en ce montent, tes pensées sont occupées d'un être mort on 
absent d^uis long-temps, et au seul nom de Buit^x tu sens sç pré» 
(âpiter yers ton cœur mille émotions que,. dans ton ignorance, ta 
avais crues desséchées pour toujours, comme les dépouilles des 
morts sur un tombeau. Je te voi^ tressaillir et changer de visage» 
Je snis charme de reconnaître, à ces signes, que la fermeté et le 
coorage indomptable qn'on t'attribue ont laissé les ayenues de ton 
cœnr aussi ouvertes que jamais aux affections douces et gêné* 
reoses, en les fermant à la crainte, à l'hésitation, et à toute cette 
misérable tourbe de viles sensations. Je. t'ai dit que je t'estime, 
et je sais prêt à te le pr<iuver. Je te di^ai, si tu le^ désires, quel est 
k destin de cette Bertbe, dont le souvenir s'est conservé dans ton 
oœor, en dépit de toi-mâme, au milieu des fatigues du jour et du 
^^eposdela ntiit, sur le champ de bataille et pendant la paix, 
tuidis que tu te délassais avec tes compagnons à des exercices 
maies, ou qne tu chcaxhais à faire des progrès dans l'étude des 
sciences grecques, étude vers laquelle, situ veux t'y perfection- 
^^i je puis te diriger par un court chemin. 

Tandis qu'Agéla^stàs. parlait ainsi , l'agitation du Varagien se 
<^ait pe^ à peu ; ce fut pourtantd'une voix tremblante qu'il lui 
répondit: 

—Je ne sais qui tu es, je ne^puiadire ce cpie tume veux, jeneme 
lais pas une idée des moyens par lesquels, tu. as appris descbôses^ 
^ ont tant d'importance pour moi^, et si peu pour tout autre. 
Hais ce que je sais, c'est que,,par hasard ou avçc intention, tu. as 
prononcé un nom qui s^ite.mon cœur jusque dans ses replis les 
plu secrets. Cependant je suis chrétien et Yarangien, et jejie 
^^^^luselleraipa^ dans h, foi qaeîe doi&À mon Dieu et à mon prmipe 



140 ROBERT, 

adqptif. Toat ce qui doit être Êiit par le moyen des idoles et des 
fausses divinités est nn acte de trahison contre le vrai Dieu. Et 3 
n'est pas moins certain que ta as fait briller à mies yeux quelques 
flèches décochées contre l'emperenr lui-même , qaoiqne la fidélité 
que tu loi dois le défendit. Je renonce donc à Tayenir à tonte corn* 
mnnication avec toi, qu'elle doive m'être funeste ou avantageuse. 
Je suis soldat à la solde de l'empereur, et quoique je n'observe pas 
bien strictement le cérémonial qui est prescrit en tant de cas dif- 
férens , et par tant de réglemens divers , cependant je suis son 
garde-dn-corps , et ma hache d'armes .est sa défense. 

— Personne n'en doute , dit le philosophe; mais n'es-tu pas 
sous la dépendance plus immédiate du grand acolouthos , Achillès 
Tatius? 

— Non, répondit le Yarangien. Il est mon général, d'après les 
règles de notre service; il m'a toujours montré de l'affection et de 
la bonté ; et je puis dire que, laissant à part les droits que lui donne 
iBon rang > il s'est comporté envers moi en ami plutôt qu'en com- 
mandant. Cependant il est, aussi b^en que moi, le serviteur de 
mon maître ; et je né regarde pas conmie bien considérable la dis* 
tinction qu'un honune peut créer ou anéantir d'un seul mot. 

— C'est parler noblement, dit AgélaStès, et tu as sûrement le 
droit de marcher toi-même la tête haute devant un homme auquel 
tu es supérieur en courage et en connaissances militaires. 

— Pardon si je rejette, comme ne m'étant pas dû, le^mpU- 
ment que vous prétendez me faire. L'empereur choisit ses offi- 
ciers d'après les moyens qu'ils ont de le servir comme il le désire. 
n est probable que , sous ce rapport, je ne remplirais pas ses in- 
tentions. Je vous ai déjà dit que je dois à mon empereur, service, 
obéissance et fidélité, et il me semble inutile de prolonger cette ex- 
pliçation. 

— Homme étrange ! s'écria Agélastès, n'y a-t-il donc rien qu 
puisse t'émouvoir, que des choses qui te sont étrangères? Les noms 
de ton empereur et de ton commandant n'opèrent pas sur toi 
comme un charme; et même celui de l'objet qtie tu as aimé..* 

Hereward l'interrompit. 

— J'ai pensé aux paroles que tu as prononcées, dit*iL Tuas 
trouvé le moyen de mettre en mouvement les ressorts de mon 
cœur, mais non d'ébranler mes principes; je n'aurai pins de con- 
versation avec toi sur ce qui ne peut t'inspirer aucun intérêt. Les 
nécromanciens , dit-on, opèrent leurs charmes en se servant des 



COMTE DE PARIS. 141 

^ithètesdnes au Très-Saint ; il n'est dcmc pas étonnant qu'ils em-^ 
ploient le nom de ce qu'il y a de plus par dans la création ponr ac- 
complir leurs desseins impies. Je ne Teux point de ces arts mépri-^ 
sables; déshonorans pour les morts peut-être autant que pour les 
Tivans. Qaels qu'aient été tes projets , yieillard, car ne t'imagine 
pas que tes discours étranges aient été entendus sans réflexion , 
sois bien sûr que je porte en mon cœur des principes qui défient 
paiement la séduction des hommes et celle des démons. 

A ces mots 9 le Yarangien tourna le dos au philosophe, en lui 
faisant une légère inclination de tête, et sortit des ruines du 
temple. 

Après le départ du soldat , Agélastès resta seul, semblant ab- 
sorbé dans ses réflexions. Il en fut tiré tout à coup par l'arrivée 
d'Achillès Tatius dans les ruines. Le chef des Yarangiens ne parla 
qu'après avoir pris le temps de consulter les traits du philo« 
sophe , pour en tirer quelques conclusions. — Sage Agélastès , dit-il 
alors, tu persistes avec confiance dans le projet dont nous noua 
(ommes entretenus récemment? 

—J'y persiste, répondit Agélastès d'un ton grave et ferme. 

^Mais tu n'as pas gagné à notre parti ce prosélyte dont le cou* 
rage cahne nous servirait mieux, au moment du besoin, qu'un 
^er de tièdes esclaves? ^ 

— Je n'ai pas réussi. 

-^ Et.tu ne rougb pas de l'avouer I toi, le plus sage de ceux 
{à ont encore des prétentions à la sagesse des Grecs ; toi , le plua 
Posant de ceux qui, par leur adenoe en paroles , en signes , en 
>t<n&8, en périaptes et en charmes , prétendent encore s'élever au-^ 
^^ de la sphère à laquelle tes facultés appartiennent , tu as 
^booé dans tes moyens de persuasion , comme un enfant qui a le 
Cessons dans une discussion avec son précepteur ! Fi ! ne penx-ta 
^Qtenir par tes argumens le caractère que tu désires tant t'at* 
îribaer? 

"^ Paix! dit le philosophe. Il est vrai , Achillès Tatius, que je 
Au encore rien gagné sur cet homme obstiné et inflexible; mais 
^Qt n'est pas perdu. Nous sommes tous deux dans la situation oà 
Muselions hier; et j'ai éveillé en lui un sujet d'intérêt qu'il ne 
pourra bannir de son esprit , et qui le portera à avoir recours à 
^01 pour obtenir de nouvelles informations à cet égard. — ^Et main- 
^ant,. qu'il ne soit plas question de cet être singulier d'ici à quel- 
le temps ; mais fiez- vous à moi ; si la flatterie , la cupidité , l'am- 



142 HOBERT, 

])itioii| ne peuvent rien sur lai , il reste an antre appSt <im l*atti- 
rera dans notre parti aassi complètement qn'ancan de ceux qai 
sont engagés dans notre pacte mystiqne et inviolable. Dites-moi 
donc à présent comment vont les affaires de l'empire. Ce flax de 
soldats latins, qai a pris un conrs si étrange, continae*t-il à se 
précipiter sar les rives da Bosphore? Alexis nonrrit-il encore l'es- 
pérance de diminner le nombre et de diviser les farces de ces guer- 
riers qu'il se flatterait en vain de braver? 

— Il n'y a qae peu d'heures qu'on a obtenu de nouveaux ren- 
seignemens, répondit Achillès Tarins. BohémoAd est venu à Con- 
stantinople avec sept ou huit cavaliers , et dans une sorte dVn- 
cognito. Ayant été si souvent l'ennemi de l'empereur /ce projet 
était hasardeux. Mais ces Francs reculent-ils jamais devant le dan- 
ger? L'empereur devina sur-le-champ que le comte était venu pour 
voir ce qu'il pourrait obtenir en se présentant le premier à sa li- 
béralité, et en offrant d'agir comme médiateur à l'égard deGode- 
froy de Bouillon et des antres princes de la croisade. 

— C'est un genrede service qui ne sera nullement repoussé par 
l'empereur. 

— Le comte Bohémond parut devanft la coiir impériale , et il 
reçut^e plus brillant accueil, avec fies marques de feiveur telles que 
personne n'avait jamais cru qu'on dût en accorder à un franc. 11 
ne fut plus question de la longue rivalité et des anciennes guerres. 
On ne vit pas en Bcfhémond l'nsurpateùr d'^Atitioche et d'autres 
parties de l'empire. Au contraire, on rendit Betoutes parts des 
actions de grâces au ciel , qui avait envoytS tm'fiddle allié à l'aide 
dé l'empereur dans un moment de danger srimminent. 

— Et que dit Bohémond ? 

— Peu de chose ou rien, jusque ce qu'on lui eût fiait présent 
d'une somme d'or considérable, comme je Fai appris de Narsès, 
esclave du palais. On consentit ensuite à lui céder plusieurs dis- 
tricts, et on lui accorda d'autres avantages, à condition qu'il se 
montrerait en cette occasion ami constant de Terapire et de Vem- 
peretfr. Telle fut la munificence d'Alexis envers ce Barbare avide, 
qu'on lui montra , comme par hasard , une chambre du palais rem- 
plie de soieries, d'ouvrages de joaillerie en or et en argent, et 
autres objets d'une grande valeur. Enflammé de cupidité , le Franc 
ne pt|t retenir quelques expressions d'admiration. On lui dit alors 
que les trésors contenus dans cette chambre étaient à lui , pourvu 
qu'il les regardât comme des preuves de la sincérité et de la viva- 



cosmE; DE PARIS. m 

dtS de P«fF6Ctio& de Sa Majesté impériale pour ses «lliés; et en 
conséquence toas ces objets précieux fiireiit enVojés dans la tente 
dnchefnonnand. Par de tdies mesures , Temperenr doit avoir 
Bobéfflondy corps et ame, à sa disposition; car les Francs enx* 
mêmes d&ent qnHl est étrange de voir an liomme d^ine bra- 
TDore si indomptable , d'one ambition si effrénée, dominé à nn 
tel point par la onpidité, qn'ils regardent comme nn vice bas et 
contre natnre. 

— Bohémond , dit Agélastès ^est donc à Pemperenr à la vie et 
à la mort; — c'est<à*dire jusqu'à ee que le souvenir de la généro« 
âté impériale soit eflicé par une munificence supérieure. Alexis , 
fier d'avoir su s'attacher oe chef important , se flattera sans doute 
â'obte&fTy par son entremise et par ses conseils , de la plupart des 
antres croisés et de€todefroy de Bouflbn lui-même, un serment de 
sonmission et de fidélité à l'empereur ; serm^t auquel , sans la 
natnre sacrée de leur entreprise , le dernier de leurs chefs refuse- 
rait de se soumettre , quand on lui ofbirait une province. — Attend 
dons ; quelques jours détermmeront ce quenous avons àiaire.Nous 
montrer plus tdt, ce serait courir à notre perte. 

^ Nous ne nous verrons donc pas ce soir? dit Pacohmthos. 

— Non I répondit le sage , à moins que nous ne soyons avertis de 
noQs rendre à cette insipide représentation théâtrale , ou lecture ; ^ 
^) en ce cas, noua serons autant de jouets entre les mains d'une 
sotte femme , ettfbit gtté d'un père inÂécille. 

Tatins prit alors congé du pîdlosopfae ; et , comme -s'ils eussent 
<!ni&t d'être vm ensemUe , !ls quittèrent le lieu solitaire de leur 
reDde&vous par des dieminsdif^rens. Bientôt après, le Varangien 
Hereward reçut ordre de se rendre près de son officier supérieur , 
<iai l'informa qu'il n'aurait pas -besoin de ses services la nuit sui^ 
^ante, comme il l'en avait prévenu. 

Achillès se tut un instant, et ajouta ensuite-: — Tu as sur les 
lèvres quelque chose quetu voudrsîis me dire , et qui hésite à sortir 
de ta bouche. 

— C'est seulement , répondit le Varangien , que j'ai eu une en- 
trevne avec cet homme nommé Agélastès , et il semble si différent 
^e ce qu'il me paraissait quand nous avons parlé de lui , que je ne 
pQis m'empêcher de vous faire part de ce que j'ai vu. Ce n'est pas 
Qnmauyais plaisant dont le but est de faire rire à ses dépens ou à 
cenx des autres. C'est un homme d'un jugement profond , d'un 
esprit pénétrant, et qui, pour une raison ou pour une autre. 



144 ROBERT , COMTE DE PARIS, 

cherche à s'attacher des amis età se Cadre an parti. Votre sagesse 

Yous apprendra à tous méfier de lai. 

— Ta es an brave et digne homme , répondit Achillès avec nne 
affectation de bonté méprisante. Leç hommes tels qâ'Agélastès 
font soavent lears railleries les plas piquantes avec an extérieur 
de gravité imperturbable. — Ils prétendront posséder on pouvoir 
sans bornes sur les élémens ; — ils auront soin de recueillir des 
anecdotes et des noms bien connus de celui aux dépens de qui ils 
veulent s'amuser , et quiconque les écoutera ne fera que s'exposer, 
comme le dit le divin Homère , aux flots d'un rire inextinguible. 
Je l'ai vu souvent choisir un des hommes les plus novices et les 
plus ignorans qui étaient en sa compagnie , et, pour Tamasement 
du reste de la société , prétendre faire paraître devant lui des per- 
sonnes absentes et bien éloignées, et évoquer même les morts da 
sein du tombeau. Prends garde , Hereward, qi^e ses artifices ne 
fuissent tort à la réputation d'un de mes plus braves Yarangiens. 

• — Il n'y a nul dangw, répondit Hereward. Je n'ai aucune envie 
de me trouver souvent avec cet homme. S'il s'avise de plaisanter 
sur un sujet dont il m'a parlé , il n'est que^trop probable que je lai 
apprendrai, d'une manière un peu rude, à conserver sa gravité. 
Et si c'est sérieusement qu'il prétend avoir des connaissances mys- 
%tiques , mon grand-père Kenelm m'a appris à croire que c'est ou- 
trager les morts que de laisser profaner leurs noms par la bouche 
d'un devin on d'un e[nehanteur impie. Je- ne m'approcherai dono 
plus de cet Agélastès , qu'il soit sorcier ou imposteur. 

— Tu ne me comprends pas , dit vivement l'acolouthos. Tu le 
méprends sur ce que je veux dire. S'il lui plaît de converser avec 
toi, c'est un homme de qui tu peux tirer de grandes connais- 
sances , en te mettant toujours en garde contre ces prétendus arts 
mystiques^ dont il ne se servira que. pour s'amuser à tes dépens. 

A ces mots, qu'il aurait pu lui-même trouver difficile de conci* 
lier ensemblci Achillès Tatius quitta le Yarangien. 



CHAPITRE IX. 



Dn torrent indompté dans la gorge écnmante 
L'habile artiste âeVe un mont andacienx, 
A. l'aide de niveanx subdivisant la pente. 
Il dérobe les eenz i leur lit rocailleux. - 
Diminuant leur force, il la rend moins à craindre; 
Oorre au reste un chemin , qu'il lui faut adopter , 
Chemin fadie à suiYre» et pénible k quitter • * 

Qui conduit Ters le but qu'il désirait atteindre. 



. ' f 

En avonant ouTertement ses soupçons, on en ne calculant pas 
ayec adresse la manière dont il devait recevoir les nations earo- 
péennes qui faisaient cette invasion tamoltaense dans ses Etats , 
Alexis pouvait aisément réveiller dans Famé des croisé le ressen- 
timent mal assoupi que leur avaient inspiré de nombreux griefs. 
U en eût été de même s'il eût entièrement renoncé à toute idée de 
résistance, et qu'il eût cru ne pouvoir espérer de salut qu'en accor- 
dant à cette foule venue de l'Occident tout ce que convoiterait son 
ambition. L'empereur se tint dans un juste milieu; et, sans con- 
tredit, dans l'état de faiblesse de l'empire grec, c'était le seul parti 
cpn pût en mêmetemps garantir sa sûreté, etlui donner une grande , 
importance aux yeux des Francs qui envahissaient ses Etats, et à 
ceux de ses propres sujets; malheureusement, dans les mesures 
qu'il adopta, il montra souvent , par politique plutôt que par incli- 
nation , de la bassesse et de la fausseté, imitant en cela l'astuce dn 
serpent, qui, replié sur lui-même, se cache dans l'herbe, pour at- 
taquer insidieusement ceux qu'il craint d'aborder hardiment. Mais 
nous n'écrivons pas l'histoire des croisades , et ce que nous avons 
dit des précautions que prit l'empereur, à la première apparition 
de Godefroy de Bouillon et de ses compagnons d'armes, peut suf- 
fire pour répandre la clarté nécessaire sur notre récit. 

Environ quatre semaines s'étaient écoulées, et elles avaient été 
marquées tour à tour par des querelles et par des réconciliations 
entre les croisés et les Grecs. Les croisés, d'après les mesures 
suggérées par la politique d'Alexis, étaient quelquefois reçus in- 
dividuellement avec les plus grands honneurs ; on les comblait de 
marques de faveur et de démonstrations de respect, mais de temps 

lO 



146 ROBERT, 

en temps > ceux de leurs détachemens qai , encore éloignés de la 
capitale, cherchaient à y anÎTer par des rentes détournées , étaient 
interceptés et taillés en pièces par des troupes légères, qae leurs 
adyersaires ignorans prenaient aisément pour des Tares, des 
Scythes, on d'antres Barbares, et qm quelquefois l'étaient réelle- 
ment , mais à la solde de l'empereur grec. Souyent aussi il arrivait 
que, tandis qae l'amperenr et ses ministres faisaient servir aux 
chefs les plot poissans des croisés les festins les plus somptueux, 
et apaisaient lenr soif avec des vins rafraîchis dans la glace, on 
avait soin de fournir à leurs soldats, restés à quelque distance, de 
la farine mêlée de substances malfaisantes , des proyisions gâtées 
let de 'mauTaise eau. Il en résulta des maladies qui en enlevèrent 
un grand nombre avant qu'ils eussent mis le pied dans la Terre- 
Sainte, dont ik rêvaient la conquête, rêve qui leur avait fait aban- 
donperleur pays natal etla vie douce et tranquille qu'ils y menaient. 
Ces actes d'agression n'eurent pas lieu sans exciter des plaintes. 
Un grand nombre de chefs des croisés accusèrent leurs alliés de 
leur manquer de fidélité, et imputèrent les pertes que faisaient leurs 
armées aux maux que leur infligeaient volontairement les Grecs; 
de sorte qu'en plus d'une occasion les deux nations se trouvèrent 
animées Tune contre l'autre de sentimens opposés qui semblaient 
rendre inévitable une guerre générale. 

Cependant Alexis , quoique obligé d'avoir recours à des ruses et 
à des subterfuges de tout genre, sut garder sa position, et il par- 
vint à se réconcilier avec les chefs les plus puissans des croisés, 
en repoussant adroitement les reproches qui lui étaient adressés. 
Les pertes que le glaive taisait essuyer à leurs troupes , il les at- 
tribuait à leur propre négligence; s'ils étaient conduits par des 
guides infidèles , cet accident était l'effet du hasard ou de leur opi- 
niâtreté : et si la mauvaise qualité des vivres leur causait des ma- 
ladies , il en accusait leur goût pour lés fruits verts et pour le vin 
nouveau. En nn mot, nul désastre, de quelque genre que ce fût, 
ne pouvait arriver à ces malheureux pèlerins, que l'empereur ne 
tùx prêt à prouver que c'était la conséquence naturelle de leur ca- 
ractère ardent , de leur conduite obstinée, ou de leur précipitation 
hostile. 

Les chefs des croisés, qui connaissaient )eur force, n'auraient 
probablement pas souffert impunément les insultes d'une puissance 
si inférieure à la lenr, s'ils ne se fassent fait une idée exagérée des 
richesses de l'empire d'Orient, richesses qu'Alexis semblait dis- 



COMTE DE PARIS. 141 

pMë à partager ayec eux avec une munificence qui n'était pa« 
noins agréable ponr les chefs qne les riches prodncUons de VO0 
rient n'étaient attrayantes ponr leors soldats. 

Les chevaliers firançais auraient peut-être été ceux qu'il eût été 
le plus difficile de contenir , lorsqu'il s'éleya des altercations ; mais 
im accident imprévu » que l'empereur aurait pu nommer un coup 
de la providence, livra entre ses mains le fier comte de Yerman* 
dois I qui , s' attendant à n'avoir que des ordres adonner, se vit ré« 
doit à l'hnnal>le râle de suppliant. Le comte venait de mettre à la 
voile des cÀtes de l'Italie, lorsque sa flotte fut surprise par une vio- 
lente tempête, et poussée par le vent sur les côtes de la Grèce, Il 
perdit un grand nombre de ses vaisseaux , et les troupes avec les- 
foelles il parvint à gagner la terre étaient dans un^tel dénuement, 
qu'elles furent obligées de se rendre aux lieutenans d^Alexis. Le 
comte de Yermandois , si hautain à l'instant de son embarque- 
ment , fut donc envoyé à la cour de Gonstantinople, non en prince» 
mais en prisonnier. L'empereur lui rendit sur-le-champ la liberté 
ainsi qu'à ses soldats , et les combla tous de présens ^ • 

Sensible aux attentions qu'Alexis lui prodiguait sans relâche, le 
comte Hugues, par gratitude aussi bien que par intérêt , se sentit 
disposé à partager l'opinion de ceux qui, pour d'autres raisons , 
désiraient le maintien de )a paix entre les croisés et l'empire grec. 
Un principe plus louable détermina Godefroy de Bouillon , Ray- 
mond de Toulouse et quelques autres en qui la dévotion était 
quelque chose de plus qu'un simple élan de fanatisme. Ces princes 
songèrent au scandale qu'ils donneraient, et dont la honte rejail- 
lirait sur toute leur entreprise, si le premier de leurs exploits était 
une guerre contre l'empire d'Orient , qu'on pouvait justement ap- 
peler la barrière de la chrétienté. Si cet empire était faible et 
riche tout à la fois, s'il invitait à la rapine en même temps qu'il 
était incapable de s'en préserver, il n'en était que plus encore de 
lenr intérêt et de leur devoir, comme soldats et comme chrétiens, 
de protéger un Etat qui professait la même foi, et dont l'existence 
était si importante pour la cause commune, même quoiqu'il fiU; 
hors d'état de pourvoir à sa défense. Le désir de ces hommes 
francs et ouverts était donc de répondre par un dévouement sinp 
eère aux protestations d'amitié de l'empereur, et de pay^ assez 
cher sa bienveillance pour le convaincre qu'ils n'avaient que des 

t. ytffu V mutin dti Oùittidts » 4« UïïU p praaior fol., p« 96. 

10. 



H8 ROBERt, 

projets jnstes et honorables-, et qu'il était de son intérêt de s'abste^ 
nir de tout traitement iDJnrieax qm pourrait les engager oa les 
forcer de changer de conduite à son égard. 

Ce fat dans cet esprit de conciliation , esprit qui, quoique par 
des motifs différens y animait la plupart des chefs des croisés, qœ 
ceux-ci consentirent à une mesure qu'en toute antre occasion ils 
auraient probablement rejetée ; d'abord , parce que les Grecs n'a< 
Taient aucun droit de Texiger, ensuite parce qu'elle était désho- 
norante pour eux-mêmes. C'était la fameuse résolution portant 
qu'ayant de traverser le Bosphore pour aller chercher cette Pa- 
lestine qu'ils avaient fait tœu de reconquérir, chaque chef de 
croisés reconnaîtrait individuellement comme seigneur suzerain 
l'empereur grec, qui était originairement maître de ces contrées. 

L'empereur Alexis fut transporté de joie en voyant les croisés 
arriver d'eux-mêmes au but auquel il désirait les amener. Lear in- 
térêt les y poussa sans doute plus quç tous les raisonnemens, 
quoiqu'on pût alléguer bien des motifo pour que des provinces re- 
conquises sur les Turcs ou les Sarrasins fussent réunies à l'empire 
grec, dont elles avaient été démembrées sans t^autre prétexte que 
la violence. 

' Bien qu'il eût peu d'espoir de parvenir à gouverner des soldats 
grossiers et peu d'accord entre eux , et des chefs hautains qni 
étaient entièrement indépendans les uns des autres , Alexis ne 
manqua pas de profiter, avec autant d'empressement que d'a- 
dresse, de la déclaratio^faite par Godefroy et ses compagnons, qne 
l'empereur grec avait droit à l'allégeance de totis ceux qui porte- 
raient la guerre en Palestine, et qu'il était seigneur suzerain na- 
turel de toutes les provinces qui seraient conquises pendant le cours 
dé cette expédition. Il résolut de rendre cette cérémonie tellement 
publique, et d'y déployer tant de pompe et de magnificence, 
qu'elle ne pût manquer de faire une vive et durable impression sur 
les esprits. 

Ce fut une des grandes terrasses qni s^étendent le long de la 
Propontide qui fut choisie pour la scène de cette superbe cérémo- 
nie. On y éleva un trône magnifique, destiné à la personne de 
l'empereur. En cette occasion les Grecs, en ne plaçant aucun siège 
dans Tenceinte, s'efforcèrent d'assurer l'exécution du point d'éti- 
quette auquel leur vanité attachait une importance particulière; 
c'était que personne ne fût assis que l'empereur. Autour du trône 
d'Alexis Gomnène étaient rangés en ordre, mais debout , les divers 



COMTE DE PARIS. 149 

digfliitaires de sa cour brillante, chacnn saiTant leur rang , depuis 
leprotosébaste et le César jasqa'aa patriarche et à Agélastès, qui» 
reyêtn de son costame simple, assistait aussi à cette cérémonie* 
Derrière l'emperear, et aatoar de sa cour brillante, étaient plu- 
sieurs lignes des Anglo-Saxons expatriés. Ils avaient demandé, en 
ce jour mémorable, à ne pas porter leurs cuirasses d'arg^it , et ib 
étaient couverts de cottes de mailles et de plaques d'acier. Ils dé« 
siraient, avaient-ils dit, se faire connaître à des guerriers, cpmme 
étant des guerriers eux*mémes. On leur avait accordé cette de- 
mande d'autant plus volontiers, qu'on ne pouvait être certain que 
quelque incident futile ne vînt pas troubler l'harmonie entre des 
esprits aussi inflammables que ceux qui étaient alors assemblés. 

Derrière les Varangiens, et en beaucoup plus grand nombre, 
étaient rangées les cohortes grecques et romaines, nommées les 
Immortels , titre que les Romains avaient originairement emprunté 
de l'empire de Perse. La taille imposante, les cimiers élevés et le 
riche costume des gardes, auraient donné aux princes étrangers 
qni étaient présens une plus haute idée de leur courage, si l'on 
n'avait remarqué qu'ib étaient toujours prêts à quitter leurs rangs 
et à causer entre eux, ce qui faisait un contraste frappant avec 
l'attitude ferme et immobile et le silence imperturbable des Ya- 
rang^ens bien disciplinés, qui semblaient être autant de statues 
de fer. 

Que le lecteur se r^résente donc ce. trône élevé avec tonte la 
pompe de la grandeur orientale, entouré dès troupes étrangères et 
nationales de l'empire, et derrière lequel se mouvaient des flots de 
cavalerie légère qui changeaient de place continuellement, de 
manière à donner l'idée d'une^multitnde considérable, sans laisser 
le moyen d'en évaluer exactement le nombre. A travers la pous- 
sière que soulevaient leurs évolutions, envoyait des bannières et 
des étendards , parmi lesquels on pouvait distinguer 'par inter- 
valles le célèbre LabarumS gage de victoire pour les années im« 



X. Dacange remplît vne demi-colonne de ses énormes pages da nom des aatenrs qni ont écrit sur 
le Laiarum. C'était une lance on pien d'argent ou peut-être plaquée de ce métal, k laquelle était sus- 
pendu à un des bras d'une croix , au dessous des deux trayerses , un petit étendard carré, en soie, 
orné des portraits de la famille régnante , et ayant au-dessus ce fameux monogramme qui repré- 
seote en même temps la iigure de la Croix et les lettres initiales du nom du Christ. Lo porteur 
da Labarum était un officier de haut rang » jusqu'aux derniers jours de l'empire Byzantin. (Voyes 
Ci*4oii,ehapitreXX.) 

Docanere semble avoir prouvé par l'éyidence des coins et des arcs-de- triomphe qu'un étendard de 
, f j . 1 /."^.^ "^ i !■«•' . ^ 1 I I \ ..À»* M^in /.*.. 



150 ROBERT, 

fiériaiesi qaoiqne depnii nu certain temps Q e&t perdn qiiel<|Qe 
ehose de son eificacitë première. Les soldats grossiers de l'Ocd^ 
dent, qtà voyaient l'armée grecque, prétendaient qne les étendards 
déployés sur le front de lenrs rangs auraient suffi pour dix fois av- 
tant de soldats. 

Dans le lointain , sur la droite, la rue d'un corp? nombreux de 
caTalerie européenne, rangé sur le bord de la mer, indiquait la 
présence des croisés. Tel était le désir dp sulyre l'exemple des prin* 
cipaux princes, ducs et comtes, en prêtant le serment de foi et 
hommage , que le nombre des cheyaliers et des nobles îndépendans 
qui se réunirent pour accomplir ce cérémonial , fut très considé- 
rable. Tout croisé qui possédait une tour, et quijayait six lances à 
sa suite , aurait regardé comme un outrage de n'être pas appelé â 
reconnaître la suzeraineté de l'empereur grec , et à tenir de sa coa* 
ronne les terres dont il ferait la conquête, aussi bien qne Godefroj 
de Bouillon ou Hugues-le*Grand , comte de Vermandois. Et cepen- 
dant, par une étrange inconséquence, quoiqu'ils fussent empressés 
de rendre à Alexis un hommage que lui rendaient des prinoesplos 
pnissans qu'eux, ils semblaient en même temps désirer de trooTcr 
quelque moyen de faire sentir qu'ils regardaient cette prestation 
d'hommage comme dérisoire, et que cette cérémonie n'était à tenrs 
yeux qu'une yaine parade. 

IL'ordre du cortège avait été réglé ainsi qu'il suit : Les croisés, 
Ou, comme les Grecs lès appelaient , les comtes (ce titre de dignité 
étant le plus commun parmi eux), devaient s'avancer de la ganche 
de leurs corps, passer devant l'empereur Tun après l'autre, et ré- 
péter chacun à leur tour la formule d'hommage qui avait été 
préalablement convenue. Godefrôy de Bouillon , son frère Bat- 
doin , Bohémoiid d^Antioche et divers antres croisés de distinction, 
furent les premiers à accomplir ce cérémonial. Descendant de 
cheval aussitôt après, ils restèrent près du trône de l'empereur, 
pour que le respect inspiré par leur présence empêchât qu'aucun 
de leurs nombreux compagnons ne conàmît quelque acted'^insolence 
ou de dérision pendant cette solennité. D'antres croisés de moindre 
importance restèrent aussi près deTempereur, après avoir passé 
devant lui, soit par curiosité , soit pour prouver qu'ils avaient le 



tnvfliMM hmgw, et Lab-hair 4aM Ui tÊOanâm, «f urt pi^enérarat U ip4iB« ligniaoïtios i lé irf^ 
4f t armée. 

On pMt tnfeora Moonnif tre la fofOM 4a bbanua rar WQtat Ifi hmùAfm fOrlMi «a ffOMM*"* 
MM tOM loi ptjt MthoUqiMt. 



COMTE DE PARIS, 151 

droit d'agir ainsi aussi bien qne les chefs d^an rang ptns élevé (fm, 
s'en étaient arrogé le privilège. 

Ainsi denx grands corps de troupes grecques et enropéennes 
étaient à qnelqne distance Vxm de l'autre sor les bords du Bosphore, 
différant complètement par leur langage, leurs armes et leur exté* 
rieur. Les détachèiiiens de cavalerie qui, de temps en temps , sor* 
taient de ces corps ressemblaient à ces éclairs que deux nuages 
chargés de tonnerre se lancent réciproquement , se communiquant 
ainsi, par le moyen de ces émissaires, les élémens de foudre dont 
ils sont chaînés. Après une balte sur les bords du Bosphore, ceux 
des Francs qui avaient rendu hommage s'avancèrent , sans garder 
beancoup d'ordre, vers un quai sur le rivage, où d'innombrables 
galères et de plus petits navires avaient été rassemblés pour trans- 
porter les pèlerins belliqueux de l'autre côté du détroit , et les dé- 
poser dans cette Asie, où ils désiraient si vivement d'arriver et 
d'où il était probable qu*un si petit nombre d'entre eux reviendrait. 
L'élégance des bâtimens qui devaient les recevoir sur leurs bords, 
la promptitude avec laquelle on leur servit des rafraîchissemens, 
le peu de largeur du détroit qu'ils avaient à traverser, la perspec- 
tive prochaine de ce service actif dont ils avaient fait vceu de s'ac- 
quitter, vœu qu'ils désiraient ardemment de remplir, tout con- 
tribua à inspirer de la gaieté à ces guerriers, et les chants et le 
son des instrumens de musique se mariaient au bruit des rames qui 
annonçaient le départ. 

Cependant, de son côté, l'empereur grec, assis sur son trône, 
faisait de son mieux pour donner à cette multitude armée la plus 
bante idée de sa propre grandeur, et de l'importance delà céré- 
monie qui les avait rassemblés. Les principaux chefs se prêtèrent 
sans répugnance aux désirs d'Alexis , les uns parce que leur va- 
nité avait été flattée , les autres parce que leur cupidité avait été 
satisfaite, plusieurs parce qu'on avait enflammé leur ambition; 
enfin, quelques-uns, et c'était le très petit nombre, parce que 
Pamitié d'Alexis était le moyen le plus probable de réussir dans 
leur entreprise. En conséquence les principaux chefs , d'après ces 
divers motifs, montrèrent une humilité qui était peut-être bien loin 
de leur cœur, et s'abstinrent avec soin de tout ce qui, dans cette 
fête solennelle , aurait pu blesser les Grecs. Mais il s'en trouva 
d'autres qui eurent moins de patience. 

Parmi le grand nombre de comtes, de seigneurs et de chevaliers, 
sous les diverses bannières desquels les croisés étaient venus à 



162 ROBERT, 

Gonstantiiioplei il y enayait beaaconp dont Finflaence était trop 
secondaire poor qn'on eût cm devoir prendre les moyens d'adoucir 
la répapiance que cette cérémonie avili^ssanté inspirait à tons; et 
quoiqu'ils jugeassent dangereux de s'y refuser, ils se jpermirenttant 
de risées et de sarcasmes, et yiolèrent si ouyertement toutes les 
bienséances, qu'il était clair que la démarche qu'ils faisaient ne 
lôur inspirait que du ressentiment et du mépris. C'était, suivant 
eux, se déclarer les vassaux d'un prince hérétique, dont la pnis* 
sance si vantée était resserrée dans des bornes étroites, qui était 
leur ennemi quand il l'osait, qui n'était Tami que de ceux d'entre 
eux qui étaient assez puissans pour Ty contraindre, et qui, quoique 
allié Complaisant de ceux-ci, n'était pour les autres, quand Toc- 
casion s'en présentait, qu'un ennemi perfide et dangereux. 

Ceux des nobles qui étaient Francs d'origine et de naissance se 
faisaient principalement remarquer par leur dédain présomptueux 
pour toutes les autres nations qui avaient pris part à la croisade, 
aussi bien que par leur bravoure indomptable , et par le mépris 
qu'ils avaient conçu pour la puissance et l'autorité de l'empire grec. 
Il était passé en proverbe parmi eux que, si le ciel tombait , les 
croisés français seuls seraient en état de le soutenir sur leurs lances. 
Le même caractère de hardiesse et d'arrogance se manifestait dans 
les querelles qu'ils avaient de temps en temps avec ceux qui étai/ent 
involontairement leurs hôtes; querelles dans lesquellesjes Grecs, 
en dépit de tous leurs artifices , avaient souvent le dessous. Alexis 
était donc déterminé à se débarrasser à tout prix de ces alliés im- 
pétueux et intraitables , en les faisant passer, le plus promptemenl 
possible , de l'antre côté du Bosphore ; et il prqfita de la présence 
du conite de Yermandois , de Godefroy de Bouillon et d'autres cheb 
inâuens, pour maintenir l'ordre parmi les chevaliers francs, 
d'ordre inférieur, qui étaient aussi indociles que nombreux. 

Luttant contre un sentiment intérieur d'orgueil offensé, mais 
]fetenu par une sage prudence , l'empereur s'efforça de recevoir 
d'un air satisfait un hommage, qui ne lui était rendu qu'avec nne 
sorte de moquerie. Un incident qui ne tarda pas à se présenter 
servit à faire vivement ressortir la différence de caractère et de 
séntimens des deux nations qui se trouvaient en contact d'une ma- 
nière si extraordinaire. Plusieurs troupes de Français avaient 
passé successivement devant le trône de l'empereur, et avaient 
accompli la cérémonie ordinaire de prestation d'hommage avec 
quelque apparence de gravité. Agenouillés devant Alexis* ib 



COMTE DE PARIS. 15S 

ayaient placé leurs mains dans les siennes et s'étaient ainsi alcqnittés 
da cérémonial oonTenn. Mais quand Tint le tonr de Bohémond 
d'ÂQtioche, dont nons ayons déjà parlé , l'empereur Yonlantté* 
moigner des égards particuliers à ce prince astucieux, son ancien 
ami et maintenant son ami apparent, avança de quelques pas en 
le reconduisant rers la mer i du c6té où les bâtimens semblaient 
attendre les croisés. 

La distance que parcourut l'empereur était fort peu considé- 
rable , et l'on regarda ce mouTcment comme une marque de défé- 
rence qu'il Toulait donner à Bohémond ; mais il s'exposa par là à 
un affront sanglant, que ses gardes et ses sujets ressentirent d'au- 
tant plus profondément qu'ils le regardèrent comme une insulte 
hnmâiante faite avec intention. Une dizaine de cayaliers , formant 
la suite d'un comte français qui devait rendre hommage après 
Bohémond , et ayant leur seigneur à leur tête , partirent au grand 
galop du flanc droit des escadrons français , et s'arrêtèrenf devant 
le trftne , qui n'était pas occupé en ce moment. Le chef de cette 
petite troupe était un homme d'une taille colossale , ayant de très 
beaux traits, quoique des cheveux noirs et épais donnassent à sa 
physionomie un air grave et décidé. Il avait sur la tête une bar- 
rette : ses pieds , ses mains et tous ses membres étaient couverts 
de peau de chamiois, et il portait ordinairement l'armure pesante 
et complète de son pays : mais il l'avait quittée en cette occasion 
pour être plus à l'aise , quoique ce fût manquer complètement au 
cérémonial qui était observé dans une circonstance si importante, 
n n'attendit pas le retour de l'empereur, et, sans s'inquiéter s'il 
blessait le décorum en obligeant Alexis de doubler le pas pour venir 
reprendre sa place , il sauta à bas de son coursier gigantesque , et 
en lâcha les rênes que prit sur-le-champ un des pages qui le sui- 
vaient. Sans hésiter un instant , le comte français s'assit sur le 
trône vacant de l'empereur, et appuyant son corps robuste sur les 
riches coussins destinés à Alexis , il se mit à caresser indolemn^jent 
un grand chien-loup qui l'avait suivi, et qui, se mettant aussi à 
l^aise que son maître, se coucha sur les tapis de soie et de damas 
brodés en or qui étaient étendus au pied de l'estrade. Le chien s'y 
étala d'un air d'insolence et de férocité , comme s'il voulait faire 
entendre qu'il ne respectait personne au monde que son maître. 
L'empereur revenant de la courte excursion qu'il avait faite pour 

accompagner Bohémond et pour lui donner une nmrqne spéciale 
de faveur» vit avec surprise son trône occupé par cet audacieux 



154 ROËERT» 

Françaif^ Let tohwte» des Varangiens à demi sattTages, qui étaient 
rangées par derrière en demi-eerele , n^anraient pas hésité nu 
instant à pnnir cette insolte, en renversant dn tr&ne de leur mahre 
oeloi qoi l'avait si insolemment nsnrpé, s'ils n'eussent été retenns 
par Achillès Tatins et d'antres offiders, qni ne savaient qnel parti 
l'emperear vendrait prendre, et qni n'osaient se permettre d'avoir 
nn avis sur nn point anssi délicat. 

Cependant le chevalier pen cérémonienx prit la parole tont hant, 
et qooiqn'il s'exprimât avec nn accent provincial , Son discours pnt 
Atre compris par tons eenx qni savaient la langue française; et 
eeni même qni ne la connaissaient pas purent ^Interpréter d'après 
le ton dont il était prononcé et les gestes qni l'accompagnaient.— 
Qael est le mstre, s'écria-t-il, qui est resté tranquillement assis 
eonune nn bloc de bois ou nn fragment de rocher^ tandis que tant 
de nobles chevaliers, la fleur de la chevalerie, le modèle de la 
bravonre, restent découverts et debout, au mihen des Varatlgiens 
trois fois vaincus ? 

Une voix forte et sonore, qui semblait sortir des entrailles de la 
terre, et dont on aurait dit que les aecens étaient ceux de quelqae 
être appartenant à l'autre monde, lui répondit : — Si les Normands 
désirent combattre contre les Yarangiens, ils peuvent les rencon- 
trer dans la lice, homme contre homme, sans se permettre la 
panvre rodomontade d'insulter Tempereor de la Grèce, qni, 
comme on sait, ne se bat que par les haches d'armes de ses gardes. 

L'étonnement fut si grand quand on entendit cette réponse/ qu^il 
se communiqua même au chevalier qui l'avait occasionée par sa 
eonduite outrageante à l'égard de l'empereur; et an milieu des 
efforts d' Achillès Tatius pour contenir ses soldats dans les bornes 
de la subordination et du silence, les murmures qui se faisaient 
entendre as^ez haut dans leurs rangs semblaient annoncer qu'il n'y 
réussirait pas long»temps. Bohémond fendit la presse avec une 
rapidité qui ne convenait pas aussi bien à la dignité d'Alexis, et 
prenant le croisé par le bras, il employa tont à la fois la force et 
là douceur pour l'obliger à quitter le trône de l'empereur, sor 
lequel il s'était assis si audaciensement. 

— Quoi! noble comte de Paris ! s'écria Bohémofnd, y a-t-ilqoel" 
qu'un dans cette grande assemblée qui puisse souffrir patiemment 
que votre nom, illustré en tant d'occasions par votre valeur, se 
trouve compromis dans une sotte querelle avec des. soldats iOQ' 
ioféêf dont tout le ipérite est de porter mit hache mercenaire dans 



. œUTE DE PARIS. tU 

les rangs dés gardes de l'empereur? Fi dene I fi i ne déshonores 
pas la cheyalerie normande en agissant ainsi. 

—Je ne sais trop, répondit le croisé en se levant à contre- 
cœur ; je ne sois pas très scmpnlenx sur les degrés de noblesse de 
mon jsdyersairei pourvu qu'il se comporte dans le combat en 
homme brave et déterminé. Je vous dis que je ne suis pas dif&ciley 
comte Bohémond. Turc, Tartare ou Anglo-Saxon errant^ qui n'a 
échappé aux chaînes des Normands que pour devenir esclave des 
GrecSi est égialement bienvenu à aiguiser sa lame sur mon armure, 
s'il désire se charger de cet emploi honorable. 

Alexis avait entendu tout ce qui s'était passé, et il l'avait entendu 
avec un mélange d'indignation et de crainte; car il s'imaginait que 
tous ses plans politiques allaient être renversés tout à coup par 
mite d'un complot prémédité pour lui faire un affront direct i et 
probablement pour attaquer sa personne. Il était sur le point 
d'appeler ses soldats aux armes, quand, en jetant les yeux sur ]# 
flanc droit des croisés , il vit que tout y était resté tranquille de* 
pois le départ du comte français. Il résolut donc sur-le-champ de 
ièrmer les yeux sur cette insulte, puisque aucune troupen'indiquaît 
en avançant qu'il y eût un projet formé d'attaquCâ 

Ayant pris,, avec la rapidité de la pensée, sa résolution sur oo 
qu'il devait faire, il retourna sous son dais, et resta debout devant 
son trône, ne se souciant pas de l'occuper 9ur-le-champ , de peur 
de faire naître de nouveau dans l'esprit de cet insolent étranger la 
fantaisie de lui en disputer la possession. 

-^Quel est ce hardi vavasseur ^, demanda-t*il au comte Bau- 
doin, qu'il paraît, à son air de dignité, que j'aurais dft recevoir 
assis sur mon trône , et qui jugé à propoflle faire valoir ainsi son 
rang? 

— Il passe pour un des hommes les plus braves de notre armée, 
répondit Baudoin, quoique les braves y soient aussi nombreux que 
les grains de sable sur le bord de la mer. Il vous apprendra lui» 
même son nom et son rang. 

Alexis jeta un coup d'œil sur le comte françail. Dans ses traits 
nobles et fiers» animés d'une teinte d'enthousiasme qui étineelafc 
dans ses yeux pleins de vivacité, il ne remarqua rien qui indiquât 
unç insulte préipéditée, et il fut porté à supposer que ce qui venait 
de se passer, quoique contraire à toutes les formes tt à tous les 

I. Vassal qui a liû*mém« des TasMoa. 



156 ROBERT, 

asages de la cour greoqae, n'était ni an affront &it arec intention, 
ni nne rase concertée pour amener nne ^erelle. Il parla donc à 
cet étianger ayec nne sorte d'aisance : — Nons ne savons, dit-il, 
quel titre de dignité nons deyons tous donner, mais nons ayons 
appris dn comte Baudoin que nons-sommes honoré de la présence 
d'an des pins brayes cheyaliers que le sentiment des outrages 
soafferts par la Terre-Sainte a amenés jusqu'ici pour passer en 
Palestine, afin de la tirer d'esclayage. 

^-Si c'est mon nom que yous me demandez, répondit le cheya* 
lier européen, il n'y a pas un de ces pèlerins qui ne puisse aisément 
TOUS satisfaire, et de meilleure grâce que je ne pourrais le faire j 
moi-même ; car nous ayons coutume de dire dans notre pays qu'on | 
nom prononcé mal à propos a empêché de yider bien des querelles, | 
attendu que des hommes qui auraient combattu ayec la crainte de 
Dieu deyant les yeux se reconnaissent , quand leurs noms sont 
prononcés I comme étant unis par les liens d'une parenté spiri- 
taelle, comme parrains, filleuk, compères, ou par quelque antre 
nœud également indissoluble ; au lien que, s'ils s'étaient d'abord 
battus, et qu'ils se fassent dit leurs noms ensuite, ils auraient pa 
ayoir quelque assurance de leur yaleur réciproque, et regarder le 
lien qui les unit comme un honneur pour l'un et pour l'autre. 

— Cependant, dit l'empereur, il me semble que j'aimerais à 
savoir si yous , qui semblez réclamer un droit de préséance an 
milieu de ce nombre extraordinaire de cheyaliers , yous portez le 
titre de roi ou de prince. 

— Gomment dites-vous cela? demanda le Français le front 
convert d'un nuage. Trouvez-vous que je vous aie provoqué en 
avançant vers vos escflWons ? 

Alexis se hfita de répondre qu'il n'avait aucune envie d'accuser 
le comte de lui avoir fait un affront on une offense, et ajouta que, 
dans la situation critique de l'empire, ce n'était pas, pour celai 
qui tenait le gouvernail de l'Etat, le moment de s'engager dans des 
querelles frivoles ou inutiles. 

Le chevalier français l'écouta, et lui répondit d'un ton sec : — 
Si tels sont vos sentimens, je suis surpris que vous ayez résidé assez 
long-temps dans un pays où vous avez entendu la langue française 
jpour la parler comme vous le faites. Puisque vous n'êtes ni moine 
ni femme, j'aurais pensé que quelques-uns des sentimens de cheva- 
lerie de cette nation se seraient inculqués dans votre cœur, comme 
les mots de sa langue dans votre mémoire. 



COMTE DE PARIS. • 15T 

--> Silence , sire comte y dit Bohémond , qui était resté près de 
Pemperenr pour détourner la querelle dont on était menacé. Vous 
devez répondre à l'empereur avec civilité ; et ceux qui sont impa- 
tiens de se battre trouveront asser d'Infidèles pour se satisfaire. Il 
ne vous a demandé que TOtre nom et votre lipiage, et vous ayez 
moins de raisons que personne pour en faire un mystère. 

—Je ne sais quel intérêt y pourra prendre ce prince ou cet 
emperenry comme vous Tappelez ; mais tout le compte que je puis 
rendre de moi-même, le voici : — Au milieu d'une des vastes forêts 
qni occupent le centre de la France, mon pays natal, il y a une 
chapelle, enfoncée si profondément dans la terre qu'elle semble 
décrépite de vieillesse. L'image de la sainte Vierge qui en décore 
Tantel s'appelle Notre-Dame des Lances Rompues. Ce lien est 
regardé dans toute la France comme le plus célèbre pour les aven« 
tnres militaires. Quatre grandes routes se croisent devant la prin« 
dpale porte de cette chapelle ; et toutes les fois qu'un bon chevalier 
passe par cet endroit^ il entre dans la chapelle pour y faire ses 
dévotions, après avoir sonné trois fois du cor, de manière à ébranler 
et à faire résonner tous les arbres de la forêt. Il se met ensuite à 
genoux pour faire ses prières; et à peine a-t-il entendu la messe 
de Notre-Dame des Lances Rompues, qu'il se trouve quelque aven- 
tureux chevalier prêt à satisfaire son désir de combattre. J'ai tenu 
ce poste, un mois et plus contre tous venans, et tous se sont lobés 
delà manière noble et courtoise dont je me suis comporté envers 
eux; — tous, excepté un, qui eut le malheur de tomber de cheval 
et de se casser le cou, et un autre qui fut percé de part en part, à 
tel point que ma lance toute sanglante lui sortait du dos de la lon- 
gueur de trois pieds; sauf ces accidens, qu'il n'est pas toujours 
facile d'éviter, mes adversaires ne me quittèrent jamais sans me 
remercier de la courtoisie que je leur avais montrée. 

— Je conçois, sire chevalier, dit l'empereur, qu'un homme de 
votre stature et de votre courage doive trouver peu d'égaux parmi 
vos aventureux concitoyens, et encore moins parmi des honunes 
qni ont appris à penser que risquer sa vie dans des querelles sans 
raison, c'est se jouer en enfant d'un don fait par la Providence. 

--* Vous êtes libre de penser ainsi , dit le Français d'un ton un 
peu méprisant; cependant je vous assure que vous nous faites la 
plus grande injustice, si vous supposez qu'il y avait dans nos com- 
bats le moindre mélange d'humeur et de colère. Nous n'avions pas 
le cœur plus joyeux en chassant i pendant la soirée^ le cerf ou le 



IM ROBERT, 

iânglMri fB^cn unu «fiquittant le matm dt nos jeroim Ai ohera- 

krJA dtfTAiU ie portail de la chapelle» 

. «^ Voiu ne jouirez paa» # veo les Turcs» de cet échange amiable 

de eemoîsie, répondit Aleais. G^est ponrqnoi je tous eonseille de 

M pas Tona écarter beaucoup da centre de l'armée , mais de tous 

tenir près de ▼otre étendard, qui est le bat des efforts des plus 

Taillans Infidèles» et où les mmlleurs chevaliers doivent se trouyer 

pour les repousser. 

-^ Par Notrt»Oame des Lances Rompues , s'écria le croisé, je 
■a Tondrais pas que les Turcs fassent plus courtois qu'ils ne sont 
ehrétiens( et je suis charmé que le nom d'infidèle et de chien de 
païen soit celui qui convienne aux meilleurs d'entre eux, comme 
étant également traîtres à Dieu et aux lois de la chevalerie. Je 
me flatte que je les rencontrerai au premier rang de notre armée, 
à câté de notre étendard on partout ailleurs, et qoe j'aurai I9 
champ libre pour combattre ces ennemis de Notre-Dame et de9 
Uenheureux saints, eux qui, par leurs coutumes perverses, sont 
emsore plus particulièrement les miens. — Cependant, vous avez 
le temps de vous asseoir et de recevoir mon hommage, et je voos 
awai obligé d'expédier cette sotte cérémonie, le plus vite qu'il sera 
possible. 

L'empereur se remit à la hâte sur son trône, et reçut les mains 
ne/veuses du croisé dans les siennes. Après que l'étranger eut pro- 
noncé la formide d'hommage, le comte Baudouin l'accompagna 
Vers les vaisseaux, et paraissant charmé de le voir en chemin ponr 
ae rendre à bord, il retourna près de l'empereur. 
' —Quel est le nom de cet homme singulier et présomptueux? 
loi demanda Alexis. 

— C'est Robert, comte de Paris , regardé comme un des pairs 
les plus braves qui entourent le trftne de France, rendit Bau' 
douin. 

Après un moment de réflexion, Alexis donna ordre que la céré* 
monie à laquelle cette journée avait été consacrée fût interrom- 
pue , craignant peat^tre que l'humeur brusque et insouciante de 
ces étrangers n'occasionât quelque nouvelle querdle. Lès croisés 
ne furent pas très fâchés d'être recondnito dans le palais où ils 
avaient déjà été accueillis avec hospitalité, et ils continuèrent le 
festin qui avait été interrompu quand ils avaient été appelés pour 
la prestation d'hommage. Les trompettes des différons cheCi son- 
nèrent le rappel du peu de soldauqui étaient à leur suite, ainsi 



COMTE DB PABIS. m 

que des chevaliers et aatres seigneors , qui, Mtiifiûude Faoaoiil 
(fd lepr ayait été préparé^ et ayant un Tagoe presseatiaieiilqvela 
passage da Bosphore serait le commencemeat de kars apnfliraneep 
yérixàblesy se réjouissaient d'être retenus sur la rive. 

On n'en avait probablement pas l'inteation^ mais le héros» 
comme on pourrait rappeler, ^ cette journée de tomult% Robert» 
comte de Paris» qui était déjà en chemin pour s'embarquer sur )a 
détroit» changea de dessein en entendant le son du rappel qui re- 
tentissait de toutes parts. Ni Bohémond» ni Godefiroy» ni aucun 
de ceux qni prirent sur eux de lui expliquer ce signal» ne purent 
le faire renoncer à la résolution de retourner à Constantinople* U 
soorit dédaigneusement en s'entendant menacer du mécontente- 
ment de l'empereur; et son visage exprimait qu'il éprouvait un 
plaisir particulier à braver Alexis à sa propre table i ou du moins 
qae rien ne pouvait lui être plus indifférent que d'ofiEsnser pu non 
ce monarque. 

Quoiqu'il montrât en général quelque respect à Godefroy de 
Bouillon f il fut loin d'avoir de la déférence pour lui en cette occa- 
sion; ce prince sage» après avoir épuisé tons les argoinens qui 
ponvaient le dissuader de retourner dans la ville impériale» an point 
de se frire avec lui une querelle personnelle» l'abandonna enfin II 
sa propre discrétion. Il le montra en passant au comte de ToU" 
loose, et lui en parla comme du chevalier errant le plus fantasque» 
qui était incapable de suivre d'autres conseils queceux de son 
imagination bizarre. — U n'amène pas cinq cents hommes à la 
croisade, ajouta-t-il, et je ferais serment que, même en ce moment» 
à l'instant où notre expédition va réellement commencer» il ne sait 
ni où sont ces cinq cents hommes^ ni comment on pourvoit à leurs 
besoins* U a dans Foreille une trompette étemelle qui sonne la 
charge» et dans aucun temps , ni dans aucun lien, il ne peut en- 
tendre un appel plus pacifique et plus raisonnable! Voyez-le mar- 
eher là»basl ne dirait»on pas un franc écolier s'élançant de l'en- 
ceinte de son école un jour de congé» et animé moitié par la curio- 
sité, moitié par Penvie de faire quelque espièglerie î 

— Et pourtant, dit Raymond» comte de Toulouse» il a assez de 
résolution pour soutenir seul notre hasardeuse entreprise. Néan- 
moins le comte Robert est un rodomont si prononcé, qu'il compro- 
niettrait le succès de toute l'expédition plutôt que de sacrifier une 
occasion de rencontrer en champ clos un digne antagoniste, ou de 
perdre» comme il le dit» une chance de rendre hommage à Notre- 



160 ROBERT, COMTE DE PARIS. 

Dame des Lances Rompues. Alais qnelle est la personne qu'il vient 
ée rencontrer, et qni marche on plutôt qui erre avec lui en se ren- 
dant du côté de Gonstantinople ? 

— C'est un cheyalier armé de tontes pièces, mais dont la taille 
n'est pas tout4i-fait cheyaleresque, répondit Grodçfroy. Je suppose 
que c'e^l la dame célèbre qni gagna le cœur de Robert dans un 
tournoi par une bravoure égale à la sienne ; et la pèlerine en 
longue robe, qui les accompagne, peut être leur .fille ou leur nièce. 

— Cest un singulier spectacle que notre temps nous présente, 
digne chevalier , reprit le comte de Toulouse ; et Ton n'a rien va 
de semblable depuis Gaita^ , femme de Robert Guiscard, qui sut 
se distinguer par des exploits de valeur dignes d'un homme, et te- 
nir tête à son époux sur le premier rang du champ de bataille aussi 
bien que dans la salle de bal ou de banquet. 

— Il en est de même de ce couple , noble chevalier, dit nn antre 
croisé qui venait de les joindre ; mais que Dieu prenne pitié da 
pauvre homme qui n'a pas le moyen de maintenir la paix domes- 
tique en se montrant le plus fort I 

— Eh bien ! répondit Raymond , si c'est une réflexion nn pea 
mortifiante de songer que là dame de nos pensées a perdu depuis 
long-temps la fraîcheur de la jeunesse, c'est une consolation de 
savoir qu'elle ne pourra pas du moins nous battre quand nous re- 
porterons près d'elle le peu de j eunesse ou d'âge mûr que nous aara 
laissé une longue croisade. Hais allons, suivons la route de Gon- 
stantinople derrière ce vaillant chevalier. 

t. Cetta amaxone joae an rAle remarqaable dans les écrits d'Anne Comnène, sur les campagnes^ 
•on père contre Robot Guiscard. Dans une occasion (Alexiade» lÎTre IV, p. 9}) elle la représente np- 
pelant ainsi les soldats fugitifo de son mari à leur devoir: — 

'H /l yt TtLtTA n«îXX«t( «iXXJf , xâv yuM *A6hii , xat* êLurSiv juf^<V<r«y dpttfd. ^m, 
/«orov ov TO 'O/um^Uh 2toc tv i^U J'tùL\i^^rt» 'Kiynv Idiui. Mixpt véffQu fêv(t^ti 
o-TMTf y Àvifits ia-rt: 'Ac /^ ïri ptôyoyrtLc <roi/TOvc téfdt^ /o/>t/ juuQifot Uaytut'Ktv^fiii^t 
oXot/f pur n pat îv/ot)'0'«t uttrÀ rétï ^tvyornretv tir as, 

C'est4idire les exhortant dans nn langage qui n'a rien d'homérique , et de toute la force de m 
Toix ; ses discours n'ayant aucun succès, elle braùdit une longue lance en courant ^ur les fogitifs ds 
toute la vitesse de eon cheval. 

Cette dame héroîqne, suivant la chronique scandaleuse de cette époque, fut ensuite sédoite pu 
des promesses adroites de l'empereur grec, et elle empoisonna son mari, dans l'espoir de parvenir su 
trône de Gonstantinople. Kéuimoia* Oncanger^ette cette hÂstoiret ainsi que Gibbon* 



CHM>ITREX. 



Cénft an temps étrange , — antipode da n^lre. 
»en des damas alors se plaisÉienti se roir 
Dans l'ader d'un écn plntdt ^'en nn miroir . 
ftisaient un ennemi résistant à leurs armes 
Plus ^*un amant soumis se rendant k leun charmes. 
M nature par U se rojait outrsger. 
Mais la nature aussi serait bien s'en Teoger. 
Ut SUcksféodmux. 



Bhdooida, comtesse de Paris, était une de ces Amazones qœ, 
pendant la première croisade, on vit, par nn travers anssi géné- 
ral qae pouvait Fétre nn nsage contre nature, se hasarder volon- 
tiirement dans les premiers rangs des combattans ; modèles vi vans 
de ces Marphise et de ces Bradamante , que les romanciers se plai- 
saient à décrire, en les armant quelquefois ou d'une cuirasse im- 
pénétrable, ou d'une lance aux coups de laquelle rien ne pouvait 
résister, afinde rendre moins invraisemblable la victoire qu'ils ac- 
cordaient souvent au sexe le plus faible sur la portion mascuUne 
da genre humain. 

Mais le talisman de Brenhilda était plus simple, et n'était autre 
chose que sa grande beauté. 

Depuis sa première jeunesse , elle avait dédaigné les occupa- 
tioas ordinaires de son sexe, et ceux qui se hasardèrent à pré- 
tendre à la main de la jeune dame d'Aspramont , nom d'un fief mi- 
litaire dont elle avait hérité, et qui entretenait peut-être ses goûts 
belliqueux, reçurent pour réponse qu'ib devaient d'abord la méri- 
ter en champ clos. Le père de Brenhilda était mort , et sa mère 
était d'un caractère si facile que la jeune dame en faisait aisément 
tout ce qu'elle voulait. 

Les nombreux amans de Brenhilda consentirent volontiers à une 
condition qui était trop d'accord avec les mœurs du siècle pour 
être refusée. Un tournoi eut lieu au château d'Aspramont, et k 
ïûoitié des braves champions mordirent la poussière sons iescoups 
de leurs rivaux plus heureux, et sortirent de la lice confiis et dés- 
espérés. Les vainqueurs s'attendaient à être appelés à jouter les 
^ contre les autres ; mais ib furent bien surpris qumd dn les 

II 



9 

I 



162 ROBERT, 

informa des Tolontés ultérieures de la jeune dame. EQe aspirait 
ette-même à porter nne armure , à manier une lance , et à monter 
nn coursier y et elle pria les chevaliers dé permettre à une dame 
pour laquelle ils professaient les seatfaiens si honorables , de 
prendre part à leurs jeux chevaleresques. Les chevaliers reçurent 
courtoisement leur jeune maîtresse dans l'arène , et sourirent à Ti- 
dée de lui \oit tenir tâte à tant âe braves champions de leur sexe. 
Mais les Tassau et les IrleUX serviteurs du comte son père se re- 
gardèrent aussi en souriant , et se promirent un résultat tont dif- 
férent d» eelid qu'attendaient les galans. Les chevaliers qoi cou- 
rurent contre la belle Brenhilda furent désarçonnés les uns après 
les autres ; et Ton ne peut nier que jouter contre nne des plus belles 
femmes de ce temps ne Sït une situation fort embarrassante. Chacpe 
chevalifir craignait dé faire usage de toute sa fmrceenlafrtppint 
desa lance, n'osait donner pleine carrière à son coursier^ en on 
mot ne voulait pas faire tout ce qui aurait été nécessake pour s'ai* 
surer lavictoirei de peur delà remporter aux dépens de la vie de 
•a belle antagoniste* Mais la dame d'Aspramont ii'était pas. ime 
femme qu'on pilt vaincre sans mettre en œuvre toutes ses forces 
ettoussestalens. Les amans vaincus se retirèrent delà UMi d'an- 
tant plus confus de leur défEÛte, que vers le soir Robert de Paris 
arriva , et , ayant appris ce.qui se passait , il envoya son nom au 
barrièresde la lice, en annonçant qu^il ne prétendait pas au prix ds 
tournoi si la fortune le lui açccHndait , attendu qu'il n'y était amené 
ni par l'envie de posséder des terres ni par les charmes d'une 
femme. Brenhilda i piquée et mortifiée, prit nne nouvelle lanee, 
monta sur son meilleur oonrsieri et s'avança dans la lice en femme 
déterminée à punir ce nouvel assaillant du m^ris qu'il semblait 
foire de ses charmes* Mais soit que soa mécontentement naittta 
son adresse ordinair6| soitque y comme beanooupd'autres iémmes» 
elle sentît nn faible pour un hMome qui ne montrait pu un désir 
particulier de gagner son cœur, soit enfin, comme on le dit soa* 
vent en pareilles occasions, que son heure fatale fût arrivée» k 
comte Robert joûia contre die avec son bonheur ordinaire. Bren- 
hilda d'Aspramont fut désarçonnée^ son casque tomba» elleresu 
étendue par terre, et ses beaux traits, naguère si v«rmeilSf et 
maintenant couverts d'une pâleur mortelle, étant exposés aux 7^°^ 
du vainqueur, produisirent leur efiet naturel M rehaussant daitf 
sen esprit le prix de la victoire. Fidèle à la résolution qu'à avait 
«WMmeée» il allaîl quitter k flliâleaa » lorsqiie k w 



G0MT8 DS PARIS. in 

feBAl ÉUttiffell à pfi6|)A§^ 0t ÉfétsM âstttféd ^Illè kl jéQM MiIttèlV 
ir'iTdi ro^ âiwaiie MeMm âérienaé, eUe St «M fèHMfaifliMHft 
à rétftiigir é'atdr jomié âne lèçou à m flltei f«ij ft «è qt^dkf 
fq)ériit| fte FonMierÉit pas aisément. Engagé par Mie à Mré ce 
^'il désifate 6e^ètefD«&t j te comte Robert prêu foi^tHe tmt sm> 
tfmsfis ^ai loi oonselllalent toat bas de ne pa# se presser do pttrtlr^« 

IlétiitdasaiigdeGharlemag&e^ et^ ee qoi était encore ph» i» 
pc^rtsatattyeiEJtdels jeimedame^ c'était nn des e h em ltet a wftr* 
MA&ls les plas renommés. Après atoir passé dit jottrs an cbftteatt 
ffAspfamont , le comte Robert en partit atec BrenhiUa et nn CON 
t^ contenable pour aller célébrer leur mariage à la chapelle de 
Ifotr<^Dattie'des«Lances«Rompues 9 car telle était la Yolomé de 
Robert< Dmk chetaliers, qni, sÛTant la contnme de ce Hes y 
itoidaicnt des assaillsns , éprouTèrent on moment dlmmeor, en 
Toyant arrirer anecaTalcadeqai semblait aroir tonte antre chose 
àbirs que de se mesnrtf ateoeni. Mais ils fhrent bien snrprfeen 
mefTânt nn eartri des denx ftitnrs époni, qni se télidtèretit de 
domaiencer lenr yie matrimoniale d'nne manière âl conforme à 
Mlle qu'ils avaient menée jasqn'alors. Ils forent victorieux y stti« 
tant lenr «sage , et les senls individus qtà entent Ken de regretter 
la conplaisance de comte et de sa fatnre épouse furent les ieat 
Arangers, dont l'un eut nn bras cassé, et l'antre là chvlcnle Aa^ 
^aéa dans cette rencontre. 

Le mariage du comte Robert ne parut pas interrompre le mefaia 
Al monde sa vie de ehevàHer errant. An contraire, lôrs^ll était 
appelé à soHtenir sa réputation , sa iemme ne se distlngnaii paa 
t&oiat par ses exploits belliqnenx, et eHe atait une soif de rehotth 
tt^égate à celle de son mari. Ils prirent tous deux la croix en 
feime tempe , cette folie étant celle qui dominait àlort en Bttn>pe. 

La comtesse Brenfailda avait alors vingt^six ans passée^ et eHë 
possédait antant de beauté que peut en avoir une Amaisane. EIIb 
Aait de la plus grande tailte de femme , et see traits^ noHes, mal- 
pi le nombre de ses travaux guerriers , étaient légèrement hfiés 
par le seleU , ce qui foieali ressortir encore ta blancheur écla* 
tinfte des parties de sra visage qui n'étalent paa or£naiMiient dé- 
couvertes* 

Kndonnant des ordres pour qne son cort^ retournlt à Cièin- 
iteilnoplei Alexis dit quelques mota en particulier à Pao^OttAos 
AthillèsTatida. Le satrape y répondit en inclinant la téce tvee Mt* 
"VMNQBjf et ae retufti scparooietf) avec quelques aoMata* im pvn* 

II. 



tM ROBERT, 

dpale rontecandaisant à la ville était , comme on doit le penser , 
couverte de troapes et d'une fonle nombreuse de spectateurs, <iai 
tons soufliraieAt plus ou moins de la chaleur et de la poussière* 
. Robert , comte de Paris, avait fait embarquer ses chevaux et 
toute sa suite, à l'exception d'un vieil écuyer , d'un valet, et d'une 
suivante de sa femme. U éprouva dans cette foule plus de gêne qu'il 
ne l'aurait voulu , d'autant plus que sa femme la partageait avec 
lui. n commença donc à regarder du côté des arbres épars qui bor< 
daient la, côte à une grande distance, pour tâcher de découvrir 
quelque sentier moins direct qui pût les conduire à la ville par m 
plus long détour, mais d'une manière jdus agréable , et leur offirir 
en même temps, ce qu'ils venaient surtout chercher dans l'Orient, 
quelques spectacles étranges, ou des aventures de chevalerie. Un 
chemin large et battu parut leur promettre toutes les jouissances 
que l'ombre peut; procurer dans un climat chaud. Quoiqu'il fît plu- 
sieurs détours , le terrain était agréablement diversifié par des 
temples , des églises , des kiosques , et , çà et là , une fontaine dis- 
jtribuait son tribut argentin , comme un être bienveillant qui se re- 
fuse à lui-même ce dont il est libéral pour tous ceux qui sont dans 
le besoin. Les sons éloignés d'une musique martiale , qui arrivaient 
jusqu'à eux, les charmèrent encore en chemin, d'autant plos 
qu'en retenant la populace sur la grande route, ils mettaient les 
deux étrangers à l'abri de Tinconvénient d'avoir de nombreux com- 
pagnons de voyage. 

Ravis de la diminution de la chaleur du jour, regardant avec 
surprise les divers genres d'architecture, les acddens, nouveaux 
pour eux , du paysage , et les tableaux de mœurs qu'offraient à 
leurs yeux ceux qu^ils rencontraient , ils continuèrent à avancer 
#ans obstacle* Un hoomie attira particulièrement l'attention delà 
comtesse Brenhilda. C'était un vieillard de grande taille, parais- 
sant si profondément occupé d'un rouleau de parchemin qu'il te- 
nait à la main, qu'il ne faisait aucune attention aux objets qui 
l'entouraient. Des pensées profondes semblaient siéger sur son 
front ; et son œil avait ce regard perçant qui semble destiné à dé- 
couvrir et à séparer, dans toute discussion humaine, ce qni est 
grave et instructif de ce qui est firivole , pour s'en occuper exclu- 
sivement. Levant lentement les yeux du parchemin sur lequel ils 
étaient fixés, le regard d'Agélastès, car c'était le sage lui-même ^ 
rencontra ceux du comte Robert et de son épouse; et leur adres- 
.sant la parole en employant l'épithète anûcalci « mes eofiWi ' ^ 



COMTE DE PARIS- 165 

leur demanda s'ils s'étaient égarés , et s'il pouvait fai]f6 qnelque 
chose poar leur rendre service. 

— Nous sommes étrangers, mon père, répondit le comte , nous 
Tenons d'un pays lointain , et nous faisons partie de l'armée de 
pèlerins qui a passé par ici. Un seul motif nous a amenés, et il 
nous est commun , comme nous l'espérons , avec toute cette ar- 
mée. Nous désirons hous acquitter de nos dévotions sur les lieux 
où la grande rançon a été payée pour nous, et délivrer, à Taide 
de DOS bonnes épées, la Palestine asservie, de l'usurpation et de 
la tyrannie des Infidèles. En vous parlant ainsi, nous vous dési- 
rons le mobile le plus puissant de notre entreprise. Cependant 
Robert de Paris et son épouse ne mettraient pas volontiers le pied 
sur un sol qui ne retentirait pas du bruit de leurs pas , et ils achè- 
teraient une vie éternelle de renommée , fût-ce au prix de leur 
existence mortelle. 

—Vous seriez donc prêt à risquer vos jours pour de la gloire , 
qnand même la mort devrait être le résultat de vos nobles efforts? 

—Assurément ; et quiconque porte une ceinture comme celle- 
ci n'est pas étranger à ce désir. 

— Et, à ce que je comprends, votre épouse partage cette résolu* 

tion intrépide? 

— Vous pouvez, si telle est votre fantaisie, faire peu de cas du 
courage d'une femme, mon père, dit la comtesse; mais je parle en 
présence d'un témoin qui peut attester que je dis la vérité, quand 
je proteste qu'un homme qui n'aurait que la moitié de votre fige 
n'aurait pas exprimé ce doute impunément. < 

—Quel le ciel me protège contre l'éclair que la colère ou lé 
mépris a allumé dans vos yeux I dit Agélastès. Je porte sur moi 
une égide qui me garantit de ce que j'aurais craint sans cela ; maïs 
Page, avec ses infirmités, a aussi ses avantages. C'est peut-être un 
homme comme moi que vous désirez trouver ; et^ en ce cas, je se- 
rais heureux de vous rendre tous les services qu'il est de mon 
devoir d'offrir à tout digne chevalier. 

—J'ai déjà dit qu'après Faccomplissemcnt de mon vœu, répondit 
le comte Robert en levant les yeux au ciel , et en faisant le signe 
de la croix, il n'est rien sur la terre que j'aie plus à cœur que de 
rendre mon nom célèbre par les exploits qui conviennent à un 
vaillant chevalier. L'homme qui meurt obscur meurt pour tou- 
jours. Si Charles, un de mes ancêtres, n'eût jamais quitté les 
misérables bords de la Saale, il n'aurait été guère plus connu 



comporta en braTe, et son nom est immorteldaïui la mémoire dei 
liûnunes« 

-r^ Jewie lM>a^o^f dit lo Tienx Grec» est rare qœ des homim 
Ui$ que tpu9, gœ jeiiw à mémp de servir et d'apprécier, yisitcat 
«op^kjri»; mai« il n'en e$t pm mwis rrai goe je sois en eut d^Yom 
i^tre utile dans l'affoire qoe tous aTeac tant à çœnr. Mes rektiom 
UTee la nature ro^ été 91 tongoip^ et si intimes, qne, pendant qa'ellsi 
daraient, elle 9, dépara à mes yeux, et j'ai yn s'ouvrir devant moi 
m wtre monde nvec lequel elle n'a qu^ bien peu de chos^ 4i 
pQmmonf Le» trésors cnrieux ^jue j'ai ainsi amassés ne peuTent 
être découvena par le» recbercbes des autres bommes, et ne doi* 
yent paa être exposé» aux yeux do ceux dont les pronesseï soat 
concentrées dans leeercle des probabilités ordinaires ie la simpls 
nature. Nul romancier, dans votre pays romantique, n'a jdUMil 
trouvé dans son imagination des aventures aussi extraordinaires, 
et wasi propre» à exciter l'étonnemmt stupide de ceux qui les 
éiçQuteaU qYie celles que je sais, qui ne sont pas de frivoles inven- 
tions, mais qui sont fondées sur la réalité On même temps q»^ j^ 
pew fournir te» moyens de les mettre à fin. 

— Si vous parlez sincèrement , dit le comte français, voos ares 
trouvé un de cpux que von» dénrez; et mou épouse et moi nous 
A'ATUJMserpu» pointd'un »eul pa» sur cette route avant que vooi M 
I9PIM 9jt^ infU^ié quelqu'une de ce» av^jiture» qu'il est du devoir 
do» cbevidier» errans de cbercber par ton» le» moyens possibto* 

A ces mots, il s^assit à côté du vieillard; et son épouse, avsa m 
d^gré de respect qui avait en soi quelque chose de comique» vint 
êoxk exemnle. 

- -T^ Voilà une heureuse re^icontre, Brenhilda, dit le comte Bo» 
hor( ; notre ang^ gardien a veillé sur nous avec soin, ffous somma 
vunu» ici un milien d'une cohue de pédan» ignoran», bavardaot 
dan» uni} l^gue absurde, et attachant plus d'importance s» 
moindre regard que daigne accorder un empereur poHron qu'as 
wâlleur coup d4^ lance qu'un bon chevalier puisse porter. Sur ma 
{pi I j'étais sur le point de croire que nous avions eu tort de prendre 
la croix, 1^ Dieu me pardonne cette pensée impie I Bt cq^danti 
^ rin»tant même où nons désespérions de trouver la routé de h 
renommée, nous rencontrons ici nn de ces digne» homme» 4^^ 
}e» ebfvalier» errans d'autrefoi» avaient coutume de trouver 
Wsi» près de» ftmtiUuo»! de» eroix, de» autel», et qwL ét»îeut d^ 



COMTE DE PARIS. iVI 

poiét à Iwr «i^iMidre o& ih pouvaient aoqoArir d^ 
•r Ne le trouble pus^ Bmahildaç laiflse>*l«i le temps de se rappeler 
cet aadens temps , et tu Terras qu'il noui «DrioUra du tréaer jes 
fioimaiisaiiees qu'il a aequises* 

—Si je suis resté sur la terre» dit ÀgéUstès^après quelques 
mamens de sUenoe, au-delà du terme fixé eommunément à la fie 
hamaiBe , j'en serai plus que rëoompeusé en eonsaorant ee qui me 
rmte d'exiat^ce au service d'un couple si dévoué à la eheraleiie. 
— La soènede l'histoire qui se présente la première à mon esprit 
ett notre Grâce» contrée si flnrtile en aventures; et je vais vous la 
nconter brièvement : 

€ Bien loin d'ici» dans notre célèbre archipel greo» au milieu de 
tempêtes et d'ouragans» de rochers qui» suspendus sur des abtmes» 
lemblent se précipiter les uns contre les autres» et de flots qui ne 
lont jamais en paix» se trouve l'tle opulente de Zuliohium. Elle ne 
compte » malgré sa richesse» qu'un très petit nombre d'habitans» 
qui ne demeurent que sur les bords de la mer. L^térienr de cette 
fie est ane immense montagne » ou plutôt une pile de montagnes » 
an milieu desquelles ceux qui en osent approcher peuvent distin- 
gaer les tours antiques couvertes de mousse et les pinacles d'un 
oMtean magnifique» mais tombant en ruinés » résidence de la sou* 
Teraine» qui y est retenue depuis bien des années par un enchan- 
tement. 

c Un intr^ide chevaUer» qui était en pèlerinage à Jérusalem » 
fit vœu de délivrer cette malheureuse victime de la soroellme et 
4e la cruauté. Il s'indignait avec raison que les puissances des 
ténèbres pussent avoir quelque autorité si près de la Terre*Sainte» 
qu'en ponrraitappeler la source de la lumière. Deux des plus vieux 
habitans de l'île entreprirent de le conduire aussi près qu'ils Tose- 
rtient de la porte principale du château » et ils n'en approchèrent 
qu'à la distance de la portée d'une flèche. Abandonné ainsi à hri- 
méme» le brave Franc continua sa route avec un cœur intrépide» 
et sans autre appui que le deL L'édifice dont il approehait anneQ- 
çsit » par sa masse colossale et par la richesse de son architecture» 
le pouvoir et l'opulence du potentat qui l'avait fait construire. Les 
portes d'airain s'ouvrirent d'elles-mêmes» comme si c'eût été 
d'espoir et de plaisir» et des voix aériennes se firent entendre 
autour des clochers et des tours» félicitant peut-être le génie de ce 
lieu de l'arrivée prochaine d'un libérateur. 

« Le chevalier avança» non sans émotion et surprise» mais sans 



168 ROBERT, 

nncan mélange de crainte; et la splendeur gothique qn^il YO]fait 
partoat était de nature à loi donner une hante idée de la beauté de 
la souTeraine pour laquelle une prison avait été si richement 
décorée. Des gardes, portant le costume et les armes de l'Orient , 
étaient sur les* remparts et les fortifications, paraissant prêts à 
bander leurs arcs ; mais ces guerriers étaient immobiles et silen- 
cieux ; et ils ne firent pas plus d'attention à l'arrivée du chevalier 
armé de toutes pièces que si un moine ou un ermite se fût approché 
de leur poste. Ils vivaient, et pourtant, privés de la jouissance de 
leurs forces et de leurs sens , Us pouvaient être considérés comme 
morts. Si l'ancienne tradition est vraie , : le soleil et la pinie 
étaient tombés sur eux pendant plus de quatre cents changemens 
de saison, sans qu'ils sentissent le froid de l'une et la douce cha- 
leur de l'autre. Gomme il était arrivé aux Israélites dans le désert, 
leurs sottUers ne .s'étaient point usés> et leurs vêtemens n'avaient 
point vieilli. Le temps devait les retrouver comme il les avait 
laissés, sans aucun changement. » 

Alors le philosophe conunença à leur raconter ce qu'il ayait 
appris de la cause de cet enchantement. 

« Le sage à qui ce charme puissant est attribué était un des 
mages qui suivaient les dogmes de Zoroastre. Il était venu à la 
cour de cette jeune princesse, qui lui prodigua tontes les attentions 
que pouvait lui inspirer la vanité satisfaite ; et bientôt elle perdit 
le respect qu'elle avait d'abord eu pour ce grave personnage, en 
reconnaissant Tascendant que sa beauté lui donnait sur lui. Ce 
n'était pas une chose difficile, — c'est un fait qu'on voit arriver 
tous les jours; —car une belle feoune entraine aisément l'homme 
sage dans ce qu'on appelle assez convenablement le paradis des 
fous. Le philosophe voulut se permettre des ampsemens déjeune 
homme que son âge rendait ridicules. Il pouvait commander anx 
élémens, mais le cours ordinaire de la nature était hors de son 
pouvoir. Quand donc il exerçait sa puissance magique , les monta- 
gnes se courbaient et la mer reculait ; mais quand le sage vonlot 
essayer de briller à la danse comme les jeunes princes de Zulichiom, 
lés jeunes gens des deux sexes détournèrent la tête, de peor de 
montrer trop ouvertement ce qu'ils pensaient du ridicule de sa 
conduite. 

« Malheureusement si les vieillards, et même les pins sages 
d'entre eux, peuvent s'oublier, les jeunes gens, de leur côté, s'O' 
ni^sent naturellement pour épier leurs faibles, et s'amuser de 



COMTE DE PARIS. 1S9 

lenrs ridicnks. La princesse jeta bien des regards à kdérdbée sur 
les personnes de sa snite, pour indiquer k natare de l'amosement 
qa'eUe tronyait dans les attentions de son amant formidable. Peu 
à pen elle prit moins de précautions, et le rieillard surprit un coup 
d'oeil qui lui fit reconnaître qu^il n'était qu'un objet de ridicule et 
de mépris pour celle à qui il avait donné toute son aifection. La 
terre ne connaît pas de passion plus cruelle que l'amour changé en 
haine, et tandis qu'il regrettait rivemoit sa faiblesse, il n'en était 
pas moins enflanuné de ressentiment de k conduite folle et légère 
de k princesse. 

« liais s'il était embrasé de courroux, il eut Tart de le cacher. 
Pas un mot, pas un regard n'exprima le cruel désappointement 
qa'il éprouvait. Un nuage sombre , répandu sur son front , fut le 
seul présage de la tempête qui se préparait. La princesse fut un 
peu alarmée ; d'ailleurs elle avait un excellent naturel , et Si die 
s'était amusée aux dépens du vieillard, c'était involontairement 
plutôt que par un acte de malke prémédité. Elle vit la mortifica- 
tion qu'il éprouvait , et elle espéra l'apaiser en s'approchant de 
loi, quand on fut sur le point de se séparer, et en lui disant « bon- 
soir » d'un ton plein de bonté. 

« — Vous parlez bien, ma fille, répondit le sage; — bonsoir! 
— Mais de tons ceux qui m'entendent, qui dira bonjour ? 

« On fit peu d'attention à ces mots. Cependant deux ou trois 
personnes qui connaissaient le caractère du sage , s'enfuirent de 
nie pendant la nuit , et leur rapport fit ccmnaître les circonstances 
qui avaient immédiatement précédé le charme extraordinaire qui 
iiit jeté sur tons ceux qui étaient restés dans le château. Un som- 
meil semblable à celui de la mort s'empara d'eux et ne les quitta 
plus, La plupart des habitans abandonnèrent Pile, et ceux qui y 
restèrent n'eurent garde de s'approcher du château, et attendi- 
rent que quelque -chevalier hardi et aventureux occasionât cet 
heureux réveil que le discours du magiei^i paraissait , jusqu'à im 
certain point, annoncer. 

« Jamais il n'y eut plus de sujet d'espérer que ce réveil aurait 
lieu, que lorsque Artavaii de Hautheu porta un pied hardi dans la 
cour du château enchanté. A sa gauche étaient le palais et la tour*; 
mais la droite, plus attrayante, semblait inviter à entrer dans les 
appartemens des fournies. Près d'une porte latérale, et appuyés 
sur un lit de repos, deux gardes du harem , dont la main serrait 
la poignée de leur sabre nu , ^t dont les traits défigurés annon- 



fMMU miààl Je fMmeil, moîtii 1» non, teiMaiaiii iMiMer 
quooBiIw ceorait approcher d'eux. Cet air de meiiaee a'effraji 
point Artavui de Handim. Il s'aTaiiça Tort h porte, qui s'ouvrit 
d'aU^mAiBe, eomne oellede lagranido eatréedackâteau. n entit 
aloro dasi sa eorps^do-garde où il troora de Miiiblabloo aoUa^ 
l'exaflMii le plaa attentif ne pat Un faire déeoainrir li c'était le som- 
meil on la mort qai glaçât lears yeux fixes et menayai. Sans 
nFinqviéter de eei ientineiles Isgnbres , Artayan entra dans an ap- 
partement où pluMBM esolaveii remarqnaUeipar lenrs oharmM; 
étaient dans l'attitnde de jennes béantes qni avaient déjà pris leur 
OOiMnede mut. U y anrait en dans oette seène de qeoi arrêter 
mpèlerin ansoi jeme (pTAftafan de Haatlien; mais il nepeniait 
qnCi mettre fin à raventnre qn'il aTait otfrepriie ponr reâdre h 
liberté à U boUe prineesao, et il ne se laitaa distraire de oe but pur 
ewano antre eonsidération. U s'aTança donc vers une petite porte 
d'iroire* qm, aprèo «n moment d'hésitatioB» comme par one mo- 
deatif virginale, i^onvrit de même qne les antjres » et loi pemit 
d'entrer dana la ebambre à concber de la princeaso eUe^-aieme. 
Une douée lumière, semblable à odle dn soir , pénétrait «hnseflt 
appartement , où semblait réuni tout ce qui pondait procaver oa 
^^mmeil déUeienx. Les oonaaina amoncela , formant nne eonehe 
magnificpie^ awpblaient tonebéa plotftt que preaaéa par la inriBe 
d'nne nymphe de qninxe ana t c'était la belle et célèbre pimcesse 
de Zoliebinm. » 

*m iSena voua interrompre, boa père, dit la oomtosse Braihilda, 
il me amnble qve noua pouTona noua fignrer uîie femme endonnie, 
aana qne vona ayez beaoin d'entrer dana tant de détaila, et qu'on 
UÀ anjet ne conyient gnère ni à votre fige ni an nôtre. 

•*^ Pardon, noble dame, dit AgéUstès ; mais ee passage de biop 
lûateiva a tonjonra été cebd qu'on a le plnagoùté;et ai joie mp- 
l^me, par déferenee pour voa ordres, faitea attention, je voas pne^ 
qM je von» faia leaaerifiee dn plna beau passage de ma narration. 

— Brenhilda, dit le comte, je suis surpris qie voua fongiesa 
ùiterrompre une histoire dont le récit a été si animé josqa^ici- 
Quelques mots de plus ou de moina doivent noua être assez indii- 
fiévena» et ila peuvent être néceaaaires à PinteUigenee de l'histoire. 

^ Comme il voua plaira, répondit aon éponae en se rejetant 
nonohalaminent en arrière ; maia il me aemble que le digne père 
prolonge aon r^à nn tel point, qu'il devient plna futile qn'int^- 
laaaant. 



GOMTB D6 PARIS. tTt 

-ir BraUiilcU^ dît le comte, wwA U praiùtet loi^ 400 f «i fo* ' 
margné en roua la faibleiae d'am femme. 

— Comte Robert y répliqua Brenhilda, je pois dire aoiei Uet 
qne o^eat la praire foia qve TOOi n^airea monivé rîMonslaiiGe 

deTOtresexe, . 

— DieQx et déeaiet I f 'écria le pbîloiophe, a-M» jamait Y« qpie- 
relle ploa absurde! La comteise est jalooie dHme femme qpie soft 
mari ne verra probablement jamais} et il n^est pat mmns pro- 
bable qoe la princeMe de Zulicbium est perdue pour le nrade» 
comme*» la tombe s'était d^jà refermée sur elle, 

•^ CoQdniiez , dit Robert; si aire ArtayaB de Havdieo a^a paa 
accompli la délivrance de la prineesae d« Zaliebiam» jefcis veeaa 
No^qpDamç des Lanoes ronq>i|«e» « « « f 

-^ $ouvene»voiis , dit son époase en TinteBievqMmt» qne ve«s 
ayexdéjà fait vcen de délivrer le sainieépolere i et il me semble 
ijae c'est un engagement anqiel dmt «^édîer lent antre vow d'oM 
oatore pins l^èr^» 

— Fort bien » Madamei fort bieni dit leeomte Robert» fni n'é« 
tait qn'à demi satisfait de c^te intermption. Vons ponvea étie 
hJm saaorée qne je ne m'engagerai dans avcnae entreprise qvA 
poiaae nae faire négliger la çonqnéte 4n saint^pnlc»^» à bqndle 
nons devons travailler avant tont. 

-~ Hélas I d^ Agélastàs , la distante de Znliebinm à la tenta la 
plas oonrte dn saint*aépnlerei est si pen de obose qne..^ 

-^ Digne père, dit la comtesse» nons entendrons, s'il vons plaîta 
TOtreLhistoîre jnsqn'à la fin » et nons verrons alors ee qne nent 
avons à faire. Nons antres dames normandes > oomme descendant 
de» anci^is G^naains, nons réolamons de nos seignenrs et 
naitres d'a?4^ir voi^: dans le conseil qui précède la bataille » et 
notre assistance dans ]» wmb^ n'a pas tonjenrs ét4 regardée 
mune inntile» 

Le ton dont elle prononça ces ^aots fot nn avis indù«et pea 
apréaUe an philosophe , qni commença à prévoir qn'il Ini serait 
plas difficile qn'il ne l'avait snpposé d'exercer de l'inflaence sar la 
ahsTaliar tant qn'il anrait sa femme à son edté. Il beissa donc oa 
pea son ton oratDÛre t ^ évita ces descriptions trop vives qni 
aTsimit offensé la comtesse Rrenhilda. 

« Sire Artavan de Hantlien , dit l'histoire , réfléchit à la ma« 

)aèred<mt il accosterait la priaeesee endormjei et an moyen qn'il 
4^vait 9wbv«r i^nr réauir à remim tofil^nm qpi avait été 



172 ROBERT, 

jeté sur elle. C'est à Yoas à jager, belle dame , s'il ent tort de 
croire que ce moyen devait être vm. baiser sar les lèTires de la 
princesse, » 

La conlemr des jones de Brenhilda devint plus yiye, mais elle ne 
crat pas qae cette observation méritât nne réponse. 

« Jamais action si innocente, continua le philosophe , ne pro- 
dfdsit on effet pins horrible. La clarté déliciense d'une soirée d'été 
se changea tont à conp en nne étrange et sombre Inenr, fortement 
imprégnée de sonfre , à tel point qn'il était presque impossible de 
respirer dans l'appartement; Les riches tapisseries , le sjflendide 
ameublement et les murs même de cette chambre se changèrent 
en pierres énormes amoncelées au hasard comme l'intérieur de 
l'antre de quelque animal sauvage^ et cet antre n'était pas sans 
habitant. Les belles et innoisentes lèvres dont sire Artavan de 
Hautlieu avait approché les siennes prirent la forme hideuse et 
bizarre et l'aspect afErenx d'un dragon vomissant le feu. Gedragon 
agita un moment ses ailes , et l'on dit que si sire Artavan eût en 
le courage de répéter trois fois Son premier salut » il serait resté 
maître de toutes les richesses et de la personne de la princesse; 
mais l'occasion était perdue > et le dragon déployant ses larges 
ailesy s'envola par une fenêtre de côté en poussant de grands cris de 
désappointement. » 

Là finit l'histoire d'Agélastès. — On suppose, ajouta-t-il, que 
la princesse subit encore son destin dans l'île de Zulichinm^ et 
plusieurs chevahers ont tenté cette aventure. Je ne sais si la timi- 
dité les empêcha de prendre un baiser sur la bouche de la princesse 
endormie y ou s'ils craignirent d'approcher d'elle après sa méu< 
morphose en dragon ; mais le fait est que le charme n'a pas encore 
été rompu. Je connais le chemin; et si vous dites un mot, vous 
pouvez être demain sur la route de ce château enchanté. 

La comtesse entendit cette proposition avec la plus vive inquié- 
tude , car elle savait qu'en s'y opposant elle pouvait déterminer 
irrévocabletnent son mari à entreprendre cette aventure. Elle 
resta donc l'air timide et embarrassé , chose étrange dans nne 
femme dont le maintien était ordinairement si intrépide ; et, sans 
chercher à exercer quelque influence sur le comte Robert, elle lu 
laissa prudemment le soin de prendre la résolution qu'il jugerait 
convenable. 

— Brenbilda, dit-il en lui prenant la main, il n'est point* 
chevalier à qui la renommée et l'honneur soient plus chers qn a 



COMTE DE PARIS. 17S 

tmi.^ioinc. Ta as bit pour moi, jepuîs le dire, oe que j'annds en 
Tain attenda d'antres dames de ta condition , et par conséquent ta 
as droit de t'attendre à avoir une Yoix prépondérante dans nne 
pareille dâibération. Ponrqnoiefrin à errer snr les cAtesd'mi pays 
étranger et malsain , an lien d'être snr les bords aimables de la 
Seine? Pourquoi portes-tu un costume si peu ordinaireà tonsexe ? 
Pourquoi brayes^u la mort et la c<nnptes4n pour peu de chose en 
eomparaison delà honte? N'estce pas pour que le comte de Paris 
ait nne épouse digne de lui? Gn»s-tu que cette affection soit mal 
placée? Non, de par tons les saints! Ton chevalier y r^nd 
comme il le doit, et il te sacrifie d'avance toutes les pensées que 
ton affection pourrait ne pas approuver entièrement. 

La pauvre Brenhilda, dont l'esprit était en désordre par suite 
des diverses émotions qui l'agitaient, cherdia alors en vain à con- 
server le maintien héroïque qu'exigeait d'elle le caractère d'ama- 
zone. EUe voulut prendre l'air fier e^ majestueux que la nature 
loi avait donné ; mais , échouant dans cet effort , elle se jeta entre 
les bras du comte, pencha la tête snr la poitrine de son époux, et 
pleora comme une jeune vi^ageoise dont l'amant est forcé de 
partir pour la guerre. Son mari, un peu honteux, qu<Hque ému 
par cet élan d'affection de la part d'une femme dont le caractère 
ne semblait pas devoir en être ordinairement susceptible, fut en 
même temps charmé et même fier d'avoir éveillé une tendresse si 
donoe et si véritable dans une ame si magnanime et si Intrépide. 

-- Allons, ma Brenhilda 1 lui-dit-il, je ne voudrais te voir ainsi, 
ni pour toi ni pour moi. Ne laisse pas ce sage vieillard supposer 
qne ton cœur est formé du métal malléable qui compose celui des 
antres femmesj^ et fais-lui tes excuses, en termes dignes de toi, de 
m'avoir empêché de tenter l'aventure de Znlichium, comme il m'y 
engage. 

n ne fut pas facile à Brenhilda de reprendre son sang-froid 
après avoir donné un exemple si frappant de la manière dont la 
nature sait faire valoir ses droits, quelle que soit la rigueur avec 
laqnelle elle ait été méprisée. EUe se détacha de son mari en lui 
jetant un regard d'affection ineffable, et, lui tenant encore la main, 
elle tourna vers le vieillard un visage sur lequel les larmes à demi 
essuyées avaient fait place à un sourire de plaisir et de modestie, 
et parla à Agélastès comme à un homme qu'elle respectait et a 
l'égard duquel elle avait quelque tort à réparer. 



ITt ROHIRT, 

^ MmI pèro» lai di»eUe atic nipactfMMrftopail&^diictaM 
■m ti j'ai mis obitada à oe qa'mi des Bieilkittrs chtraliera qui 
AÎMit jaliiftit manli vu ooorsier tmte de déliTTs^ rotra pria* 
Mite 0iMhAiltée| mais la yérité ast qaei dana notre fwya» cpq U 
ahataleria el la religion a'aooordent pour ne pennettro qa'nna 
leok maîlresaef qu'une seule épouse ^ nous ne voyons pàa uTeô 
beauooupdeplaiflîrnosttaria s'exposer auzdangttrs, surtout quand 
il s'a|[it de secourir des damoisellesi et que«..« et que la rançon à 
payer pour elles consiste en baisers. J'ai autant de confiance en la 
fidélité de mon Robert qu'une famme peut en accorder an chctaliar 
qui Faimei mais cependant* • . 

— Aimable, dame» dit Agélastèsi qui» malgré son earaetèifie froid 
et stoïque» ne put s'empêcher d'être touché de l'ailbction simple et 
sincère de ce jeune et beau couple » vous n'uToa eu aucun tert^ Lt 
situation de U princesse n'est pas pire qu'elle n'était^ et Ton m 
peut douter que le cheralier qui doit la délirrer ne paraisse à l'é- 
poque fix.ée par le destin* 

La comtesse laissa échapper un sourire mélancolique et secoua 
la tête s -*- Vous ne saTea pas, dit*elle , de quelle aide puissante j'ai 
malheureusement privé cette infortunée princessCi par une indigne 
et injuste jalonsicy comme je le sens à présent. Tel est mon regret, 
que je pourrais trouTor dans mon cœur assez de force pour ré- 
tracter Topposîtion que j'ai mise à ce que le comte Robert tentât 
cette areitlure. Elle regarda son mari aTOC quelque inquiétudCi en 
&mme qui aurait fait une offre qu'elle ne voudrait pas voir accep- 
ter; et elle ne reprit courage que lorsque le comte eut dit d'un ton 
décidé : -— Brenfailda, cela ne peut être. 

— Et en ce cas» demanda la comtesse» pourquoi Breidiilda ne 
pourrail^e pas elle-même tenter cette entreprise? BUe ne pest 
craindre ni les charmes de la princesse» ni les flammes du dragon. 

-^ Madame» répondit Agélastès» la princesse doit être éveillée 
par un baiaer d'amour et non d'amitié. 

^ C'est une raison sufiBsante» dit la comtesse en sourianti poar 
^la'une femme ne se soucie pas que son mari entreprenne une aven- 
ture qui ne peut être mise à fin qu'à une telle condition^ 

«^ NoUe ménestrel» on héraut» ou quel que soit le nom qu'on 
vous donne en ee pays» dit le comte Robert» acceptez une fiûUe 
marque de reconnmssance pour noua avinr fait passer une heure 
si agréable, quoique malheureusement sans utilité* Je dffrais voas 



GOMXa 0B PARIS. ITS 

jsittr i^mMÊttt le pefe do Talewr dtt bmné offnaie, aMÛi ks tào» 

yaliers français, vous poayez le savoir, ont fkude yanoMiifa^ii 
^riehfisst* 

— Ce n'est pas cette raison qui me iait refuser cettd maûtqm di 
votre munificetice, noble seigneur, répondit Agélastès. Un seul 
besant, reçu de TOtre digne main ou de celle de Totre magnanime 
épouse, tirerait on prix infini à mes yeux de Téminence des per- 
sonnes qoi me l'aoraient donné. Je le suspendrais à mon cou par 
une chaîne de perles, et lorsque je serais en présence de chevaliers 
et de dames , je proclamerais que ce présent m'a été fait par le ce* 
lèbre Robert, comte de Paris, et par son épouse incomparable. « 

Le chevalier et la comtesse se regardèrent l'un l'autre, et la 
dame, ftiant de son doigt «ne bague d'or, pria le vieillard de 
l'accepter comme une marque de son estime et de celle de son 
époux. 

— Ce sera à une condition, dit le philosophe, et j'espère que 
TOUS ne la trouverez pas toouà^ait £âcheose« Sur le ehemin le plus 
agréable qui conduise d'ici à Gonstantinople, j'ai m petit Idosque^ 
OQ ermitage , lieu de retraite où je reçus quelquefois mes amis^ 
et j'ose dire que ce sont les personnes les plus respectables de eel 
empire. Deux on trois d'entre eux honoreront probablement aii« 
joordluii ma demeure de leur présence et partageront les rafraS* 
chissemens que je pms leur ofirir • Si je pouvais y joindre la oom* 
pagnie des nobles comte et comtesse de Paris, je regarderais HMm 
bomble habitation oonmie hcmorée pour tonjours. 

— Qu'en dites-vous, ma noble épouse? dit le comte. La crnupa*^ 
gnie d'an ménestrel convient à la plus haute naissance, honore hi 
plus haut rang, et ajoute à la splendeur des plus grands exploîtSé 
Cette invitation nous fait trop d'honneur ponr être rejetée» 

'—Il se fait tard, répondit la comtesse, mais noue ne sommée 
p>s venus ici pour fuir le soleil couchant ou un ftinamant Ttam^ 
bnnn; et }e regarde comme un devoir et vb pkisîr pour moi de 
6^^, autant qu'il m'est possible, à tous les déairs Îbl bon pèrv^ 
pour qu'il me pardonne d'avoir été eanse que vous n'ayez pas suivi 
soaavis. 

~- La distance est si courte, dit Agélastès, que noue foons 
ttieBx de laire le chemin à pied, à moitis que madame ne ddrire 
■achevai, 

'—Point de cheval pour moi I s^éeria la comtesse Brenhilda* Ma 
solyantC; Agathe, est chargée de tout ce qui m'est né eesewif ? «t> 



n 



176 ROBERT, 

qaaat au restCi jamais cheyalier n'a voyagé encombré de aipeQ 

de bagage que mon époux. 

Agélastès leur montra le chemin à traVers le bois, etaeshôtei 
le surirent» 



CHAPITRE XI. 



En dehors t ee s'étaient qne mines , débris t 
En dedens, on trouTait nn petit paradis. 
Temple où piégeait le Goût ; séjotur qne la scalptnre, 
Le premier-né des arts enfans de la nature, 
AYidt orné partout d'ooTrages admirés, 
En disant aox mortels i « Regardes I adores! » 



Le comte de Paris et son épouse accompagnèrent le yieillard. 
La perfection ayec laquelle Agélastès parhdt la langue française^ 
et sqrtout Fheureux usage qu'il en fidsait pour parler ce qu'on ap- 
pelait alors histoire et littérature, lui yalurent de grands applan- 
dissemens de la part de ses nobles auditeurs: c'était un tribat 
qn' Agélastès avait rarement eu la yanité de considérer cooune loi 
étant dû, et que Robert de Paris et son épouse n'aYaientpas très 
souYent payé. 

Ils ayaient suiri quelque temps un sentier qui tantôt semblait se 
cacher dans les bois qui descendaient jusque sur lacdtede laPro- 
pontide, tantôt se montrait à découyert en suivant les rives dn dé- 
troit , et qui , dans tous ses détours, .paraissait n'avoir d'antre dé- 
sir que de chercher de nouvelles beautés et d'admirables con- 
trastes : c'était un spectacle intéressant par sa nouveauté pour les 
deux pèlerins. Sur le rivage de la mer, on voyait des nymphesdan- 
ser et des bergers jouer de la flûte ou battre du tambourin en ca- 
dence, comme on les voit représentés dans des groupes d'anoienne 
sculpture. Les personnages même contribuaient à entretenir Fil* 
lusion. A voir les longues robes des vieillards , leurs attitudes , 
leurs têtes magnifiques, on se croyait reporté au temps des pro- 
phètes et des saints ; tandis qu'en même temps les traits des jeones 
gens rappelaient ou les physionomies expressives des héros de 
l'antiquité, ou les charmes d^ femmes aimables qui avaient inspire 
leurs exploits* 



COMTE DE PARIS. 177 

Hais lance des Grées, même dans leorpays natal, nesemon* 

trait plus sans mélange et dans tonte sa poretë. An oontranre, on 

Toyait des groupes de personnes dont les traits annonçaient nae 

origine différente. 

Dana nn enfoncement du rivage que le sentier traversait , les 
rochers, s'écartant delà mer, entouraient et enismiaient en qudqoe 
fiorte une vaste plaine de sable. Une troupe de Scythes païens, 
qaenos voyageurs y virent, présentaient les traits diffdrmes des 
démons qu'on disait qu'ils adoraient. Ds avaient le nez plat , avec 
des narines larges et ouvertes qui semblaient permettre à la vue 
de pénétrer jusqu'à leur cerveau ; la tête plus large qu'elle n'était 
loDgae, des yeux étranges, sans intelligence, et placés sons les 
deux extrémités de leur front; une taille de nain , mais avec des 
jambes et des bras nerveux d'une force étonnante, et diqnropor- 
tionnés à leurs corps. Au moment où les voyageurs passaient , ces 
«anvages s'occupaient d'une espèce de tournoi, suivant le terme 
dont se servit le comte. Os s'exerçaient en se jetant les uns aux 
autres de longs roseaux ou b&tons, qu'ils brandissaient et qu'ib 
lançaient avec une telle force, dans ce divertissement grossiier, 
qu'ils se faisaient assez souvent tond>er de cheval et recevaient 
des blessures sérieuses. Quelques-uns d'entre eux , qui n'étaient 
pas engagés pour le moment dans ce combat simulé, dévoraient 
des yeux les charmes de la comtesse, et la regardaient de telle 
sorte qu'elle dit au comte son mari : — Je n'ai jamais connu la 
crainte, Robert , et il ne me convient pas«d'avouer que j'en éprouve 
maintenant; mais si le dégoût fait partie de ce sentiment, ces 
bmtes diffokmes sont ce qu'il y a de mieux bit pour l'inspirer. 

— Holà 1 ho 1 sire chevalier I s'écria un de ces infidèles, votre 
femme ou votre maîtresse a commis une infraction aux privilèges 
des Scythes impériaux, et lé diâtiment qu'elle a encouru ne sera 
pas léger. Vous pouvez continuer votre chemin aussi vite que 
vous le voudrez , et quitter ce lieu , qui est , pour le présent , notre 
hippodrome, notre atmeidan (donnez-lui le nom que vous Voudrez, 
suivant que vous préférez la langue des Romains on celle des Sar» 
rasins) ; mais quant à votre femme, si le sacrement vous a unis 
e&semhle, croyez-en ma parole, elle ne nous quittera pas si tôt ni 
si aisément. 

— Misérable païen I dit le chevalier chrétien , oses*tn parler 
ainsi à nn pair de France ? 

Agélastès intervint dans cette querelle, et prenant le ton imp<Ki 



:iir8 :ROBEa»r, ^ 

ide Vmmfinf à oe qa'il paraiflaail , 'qoe l^cîapcr^iir lirait striote- 
■leiit défendu y 89W peina de mort , tout aelede TMenee^win 
les pèlerins européens. 

, — Je suis mieux instruit que cela, dit te«auv«ge4'uii tin de 
•(lldDnqplieeneeoouaiUaneissoplB^ejaTetineSy amséescle grandes 
foinles^'aeiar et garnies deptumes d'aigle «nsanglanlées. •— fie- 
àsandez aux ^{Anmes de auifa^^tine de' quel ooeur est sorti le 
«aag dont>eBea sont teintes : «Hes 'tous répondront que, si Alesis 
fionmène est d'amibes pèlerine européens i «'est sealansient cpumd 
il €St en leur pvésenee; et nous sommes des ^soldats trop dévosés 
pour aerrir notre ea^wreur autronent qu'il ne le désire. 

— Siienoe^ToKaitisl dit le philosophe; tu ealomnies tonitm- 
«pereurl 

— - Silenoe toi*mâiDe I sTéeria Toxartie; on tu mefenseras àfaîre 
ce qui ne eouTient pas à un soldat , et je dâÎTrerai le monded'an 
irienx radoteur. 

A oes mots il étendit le bras pour saisir le voile de la comtease. 
Avec la promptitude que l'usage fréquent des armes avait bit ac- 
quérir à oettfi dame belliqueuse, elle te dér<d)a!à la main da Bar* 
•bare,^9 d'un seul coup de son sabre bien Aflilé, l'éftendit mortsar 
la plûne. Le comte sauta sur le cheval dn chef qui venait de suc- 
4M^mbery et poussant son cri de guerre, •<— Fils de Gharlem^e, 
an seooursl — il se jeta au milieu des Scythes , armé d'une hache 
'd^armes qu'il trouva^suspendue à l'arçon de k selle da coursier. II 
s'en-servit si bien , et avec si peu de scrupule, qu'il tua , blessa oa 
mit en laite les di>jetsde son courroux; et pas un d'entre eux ne 
eongea un instant à exécuter la menace qu'ils avaient laite. 

«^ Les méprisables manans ! dit la comtesse ; je ^regrette qa'une 
jeule goutte du sang de ces lâches souille les mains d'un nobleebe- 
valier. Ik appellent icet exercice un tournoi, quoique, en s^y li- 
vrant, ik ne portent aucun coup qu'en tournant le dos; et pas on 
seul n'a le courage delaneer son fétu de paille'quand il voit celai 
«d'un antre dirigé contre lui. 

•^Tri est kurusage quandiks'nercent devant Sa Majesté Ip- 
pénale, dit Agékstès; et c^est pent^âtre moins par lâdbetéqae 
par habitude. J'ai vu ceToxartis tourner littéralement k dos an 
Jhnt enV^ignant au grand gakp , baidar^aon arc» et percer le 
hut d'une flèche en plein milieu. 

-* Une armée «omposée4o tek soldais^ dît kfioaftteAobertqaî 



* GQM7S VB PARIS. t79 

anit alors irqoiitt tes anus, ae peut être Uem. fonnidaUe, ceme 
itemble«vILii'7 aTiût pas im<mcedeTraicoiiKme {Mgmitovs oesias- 

.«•--. GepoidAiityTepâtAgélaAi^, atançons Ter» mon kio(B4ve , 
de peor que jces Idyard» ne trouvent des asûs qni lei enoonragent 
i4iB8|irojel6de ^engean^e. 

— .Unie oemUq, ditle comte Bobtrt , tpa ces inadms pajtens 
ne deisaient tmayer d'amisidans ancnn pap qui ^e idit chrétien. 
SijesnnisÀla conqaétednaaint^aépalcre^Aion premier soin aéra 
de m'infinnaer de qoel droit votre empereur g^uide i aon sernce 
oae bande de coiipe*jarreta païens et iapertînens, qai osent in- 
sulter de noblesjdames et des pèlerins paisibles sor la grande roi0«, 
où doit régner la paix,dn roi etde Dîea* Cette question est snr la 
liste de plusieurs antves que, mon vœu une foisaeoomplii je ne 
manquerai pas de lui faire ; oui , et j'attendrai de lui une réponse, 
comme on dit, prompte et catégorique. 

— Ce n'est pas de moi que tous l'obtiendrez y^nsa Agélastès ; 
Tos questions , sire idievaliery sont an peu trop positives , et elles 
sont £Bdtes à des conditions trop rigides pour que ceux qui peuvent 
les éluder veuillent y répondre. 

11 changea donc-de conversati<m avec beaucoup d'aisance et de 
dextérité, «t il ne tarda pas à les^conduire dans un endroit dont les 
beautés naturelles excitèrent l'admiration des étrangers qui l'ac- 
compagnaûent. Un grand ruisseau, sortant du bois, s'avançait vers 
la mer à grand bruit; et, comme s'il eût dédaigné un cours plus 
tranquille, qu'il aurait pu obtenir en faisant un léger détour sur la 
•droite, il se précipitait en lijpie directe vers le rivage, et, du haut 
d'un rocher escarpé et aride snspmidn sur la mer, jetait son tribut 
dans les^ean de l'Hellespont avec autant de fracas que si c'eût 
été celui df on grand fleuve. 

Ce rocher, comme nous l'avons dit, étaitrnu et aride, si ce n'^st 
qu?il était covrcrt par les eaux écamantes de la cataracte. Mais, 
des deux eûtes, les boris de la mer étaient garnis de platanes, de 
^ noyers, de cyprès et d'antres grai^ds^irbres particuliers à l'Orient. 
La chute d'eau, toujours agréable dans les climats chauds, et qo^on 
j psodnit soulventà l'aide de l'art, était ici l'ouvrage de la nature. 
tCettendmit avait été choisi, à peu près comme le temple de la 
Sibylle à Tivoli, pour mi faire le séjour dlune déesse à qui les 
mensonges du polythéisme avaient auribaé la sonverainetéde tous 
>40s skaitours>i l^'édifice était petîf^et de forme oîreulaîre, conune la 

12. 



180 ROBERT, 

plupart des temples de second ordre des diyinités champêtres , et 
il était entouré d'une cour extérieure , fermée par une muraille. 
Aprèsla chute du paganisme, Agélastès, on quelque autre philoso* 
phe épicurien, en avait probablement Cdt une arable habitation 
d'été. Le bâtiment, d'une construction légère et presque aérienne, 
se laissait à peine apercevoir sur le penchant du rocher, au miliea 
des branches et du feuillage; et, à travers les vapeurs qui s'éle* 
vaient de la cascade, on ne voyait pas d'abord le chemin qni y 
conduisait. Un sentier, qu'une végétation forte cachait en grande 
partie, j montait par une rampe douce, et avait été prolongé par 
l'architecte au moyen de quelques marches en marbre qui condoi* 
tirent nos voyageurs sur le velours d'une charmante pelouse, en 
face de la tourelle ou du temple que nous venons de décrire, et 
dont la partie de derrière dominait la cataracte. 



CHAPITRE XU. 



... Ij«s partis sont «nfin en piÀeoce. 
Da Grec astacienz la Terbeuse éloquence 
Pesant chaque syllabe et comptant chaque mot, 
D'argumens spédenz se oonapose en aiyot t 
Le Franc, plus décidé, preoa son sabre et sa IsDce» 
Qni, mis dans nn plateau, font pencher la balsnèe. 

La Palêsant' 



A un signal que fit Agélastès , la porte de cette retraite romin- 
tique fut ouverte par Diogènes, l'esclave noir avec lequel nos 
lecteurs ont déjà Êdt connaissance ; et le malin vieillard ne manqfoa 
pas de remarquer que le comte et son épouse montrèrent qaelqns 
surprise en voyant la couleur et les traits de l'Africain, qui était 
peut-être le premier individu de cette race qu'ik eussent jarn^^ 
vu de si près. Le philosophe ne laissa pas échapper cette occasion 
de faire impression sur leur esprit , en déployant la supériorité>de 
ses connaissances . 

— Cette pauvre créature , dit-il ^ est de k race de Cham , qm 
manqua de respect à Noé son père , et qui, pour cette faute, va 
banni dans les sables d'Afrique et condamné à être père d'une race 
destinée à servir les descendans de ses frères plus respectueux. 

Le comte et la comtesse regardèrent avec étonnement Tetre 



COMTE DE PARIS. 181 

étrange qui était deyant lears yeux , et ne songèrent pas , comme 
on peut le croire^ à revoter en donte la yérité de ce qu'ils Ye« 
naient d'entendre, et que lenrs préjugés confirmaient d'ayance* 
An contraire y la hante idée qu'ils ayaient conçue de leur hôte 
s'angmenta encore par l'étendue qu'ils supposèrent à ses connais* 
sances. 

— C'est un plaisir pour un homme humain, continua Agélastès, 
(pand, dans la vieillesse on dans les maladies, il f&ut qu'il ait re- 
cours aux services des autres (ce qui, entoute autre circonstance, 
est à peine légitime ), de choisir ces aides parmi une race d'êtres 
sdenrs de bois et porteurs d'eau, destinés à la servitude dès l'in- 
stant de leur naissance, et à qui , par conséquent, nous ne faisons 
ancnne injustice en les employant comme esclaves, puisque nous 
remplissons ainsi , jusqu'à un certain point, les intentions du grand 
Etre qui nous a créés tous. 

—Cette race dont le destin est si singulièrement malheureux 
est-elle nombreuse ? demanda la comtesse. J'avais cru jusqu'ici 
pelés histoires d'hommes noirs n'avaient pas plus de fondemens 
{ne celles de fées et d'esprits que les ménestreb nous racontent. 

*- N'en croyez rien , répondit le philosophe ; leur race est aussi 
nombreuse que les sables de la mer ; et ils ne sont pas complète- 
ment nudheureux en s'acquittant des devoirs que leur destin leur 
impose. Ceux qui sont abandonnés au vice souffrent, même dans 
cette vie, le châtiment dû à leurs crimes; ils deviennent esclaves 
d^hommes cruels et tyrans , et sont mal nourris, battus et mutilés.^ 
Cenx dont le caractère moral est plus louable obtiennent de meît^ 
lenrs maîtres, qui partagent avec leurs esclaves comme avec leurs 
enfans, la nourriture, le vêtement et tous les avantages dont ils 
jouissent. Lé ciel accorde à quelques-uns la faveur des rois et des 
eoncpiérans, et il assigne à un plus petit nombre, mais qu'il favorise 
spécialement, une place^dans les demeures de la philosophie, où, ^ 
en profitant des lumières que peuvent leur donner leurs maîtres,^ 
ils parviennent à entrevoir ce monde qui est la résidence du vrai 
bonheur. 

—Je crois vous comprendre, reprit la comtesse; et, en ce cas, 
je devrais porter envie à notre ami noir au lieu de le plaindre, puis- 
tne, dans la répartition de sa race, il lui a été accordé d'avoir son 
naître actuel, qui lui a sans doute fait acquérir les connaissancea 
désirables dont Vous parlez. 
"* U apprend du moins ce que je suis en état de lui enseigner» 



185^ KÔBÉRt, 

ditiAgâtastès avec modestie , et, par-dessus toat, a être content 
de son sort. — DiogèneSi mon fils, ajonta-t-il en s'adressant à 
Fesclaye, ta Tois que j'ai compagnie. Qa'y a-t-il dans le garde- 
manger du panyre ermite qa'il paisse offirir àses honorables hStes? 
Ds n'étaient encore entrés qae dans ane première pièce, espèce 
de Yestiboley meablée sans plas de recherche qae n'en aorait pa 
meftre on honmie qai aorait Toala ne faire qne des frais de ([oftt 
pour disposer cet ancien édifice à devenir la simple demeure d'an 
particulier. Les chaises et les sofas étaient couverts de nattes tra- 
vaillées en Orient , et étaient de la forme la plus simple et la plus 
primitive. Hais en touchant un ressort, le sage ouvrit les portes de 
l'appartement intérieur, qui avait de grandes prétentions à la 
splendeur et à la magnificence. 

L'ameublement et les tentures de cet appartement étaient de 
«oie couleur de paille, produit des méders de la Perse, et les bro- 
deries qui les décoraient produisaient un effet aussi riche que 
simple. Le plafond était sculpté en arabesques, et aux qnatre 
coins de la chambre étaient des niches où se trouvaient des statnes 
faites dans un temps où Fart de la sculpture était plus florissant 
qu'à l'époque de notre histoire. Dans l'une, un berger semblait se 
cadier, comme s'il eût rou^ de montrer ses membres à demi cou- 
verts, et semblait prêt à faire entendre à la compagnie les sons de 
la fiûte de Pan, qu'il tenait à la main. Trois nymphes, ressemblant 
aux Grâces par les belles proportions de leurs membres et par le 
peu de vêtemens qu'elles portaient, occupaient les trob antres 
niches, chacune dans une attitude AtTérente , et elles semblaient 
n'attendre que les premiers sons de la musique pour s'en élancer 
et commencer une danse joyeuse. Le sujet était beau, mais un pen 
frivole pour orner le dondcilë d'un sage tel qu'Agélastès prétendait 
l'être. 

n jparut sentir que cette réflexion pouvait se présenter à l'esprit 
de ses h&tes. — Ces statues, dit-il, sculptées dans un temps où 
l'ait des Grecs était au plus haut point de perfection, étaient 
-autrefois considérées comme formant un chœur de nymphes i 
.assemblées pour adorer la déesse de ce lieu , et n'attendant qne le 
signal de la musique pour commencer les cérémonies de son culte. 
Et, véritablement, les honmiés les plus sages peuvent voir avec 
quelque mtérêt comment le génie <lë ces artistes adtûirables ft 
presque donné la vie au marbre insensible. Oubliez seulement 
rab#ence du souffle diviii , et un païen ignorant pourrait supposer 



COMTE' fine: PARIS. létt 

I V • 

qHë le miracte déPromëthée est sur te poiht de se rëftHser. — 
Mais non y ajoata-t-il en levant les yeux vers le ciel ; nous avctosi 
appris à distingaer pins sainement ce qne Yhùmme peut Caire des 
pilpdnctions de la Divinité. 

Qael^es sujets d'histoire naturelle étaient peints smr les mil» 
raiHes , et le philosophe attira Tattention de ses hôtes snr l'élé» 
pbanty animal presque raisonnable, et il lenr en cita diverses miecK 
dotes qn'ils écornèrent avec grande attention. 

Des sons de musique , qui semblaient venir du bois, se firent en* 
teoAre dans le lointain. Ils remportaient paor intervalles snr le 
bnnt sourd de la cataracte qui tombait prédséknent sous tes fe- 
nêtres, et dont la voix rauque remplissait l'appartement. 

— Il paraît que les amis que j'attends s'approchent , dit Agé-* 
lastès, et qu'ils apportent avec eux les moyens d'enchanter uft 
utre sens. Ils ont bien fait ; car la sagesse nous apprend qu'on ne 
peat nûeux honorer la Divinité qu'en jouissant des dons qu^elIe 
nous a faits. 

Ces mots attirèrent l'attention des deux Francs , hdtes du phi- 
losophe , sur les préparatifs qui avaient été faits dâjis» ce salon dé- 
coré avec.goût. Ces apprêts étaient ceux d'un festin à la manière 
te anciens Romains , et des couches, rangées près d'une table 
d^ servie y annonçaient que les hommes du moins assisteraient 
an festin dans Tattitude ordinaire de ce peuple, tandis que des 
Â^y placés entre ces couches , semblaient dire qu'on s'attendait 
à voiries dames se conformer aux usages grecs, en s'assejant pour 
prendre leur repas. Les plats qui figuraient sur la table n'étaient 
pas nombreux, mais, sous le rapport de la qualité , ils le cédaient 
à peine aux mets splendides qui avaient autrefois orné le banquet 
de Trimalcion , ou aux recherches délicates de la cuisine grecque , 
OQ aux ragoûts succulens et épicés des nations orientales , quel que 
l&t celoideces arts culinaires auquel on pût donner la préférence. 
Ce ne fat pas sans un certain air de vanité qu' Agélastès invita ses 
laites à partager le repas d'un pauvre anachorète. 

— Nous nous soucions fort peu de mets délicats , répondit le 
c<^te; et la vie que nous menons à présent, comme pèlerins, ne 
nous permet pas d'être fort difficiles à cet égard. La nourriture 
desainiples soldats nous suffit, à la comtesse et à moi; car notre 
volonté serait d'être à chaque instant prêts à livrer bauille, et. 
nioinai nous employons de temps pour nous préparer au coinbat^ 
pltis nous en sommes charmés. Cependant, asseyons^noos , Bren* 



184 HOBERT, 

hilda y pnisqae notre bon hôte le vent ainsi , et prenons à la Mte 
quelques rab'aîchissemens , de peur de perdre un temps qui de- 
Trait être autrement employé. 

— Pardon , dit Agélastès , mais je tous demande d'attendre un 
instant jusqu'à l'arrivée de mes autres amis. Les sons de leur mu* 
sique tous apprennent qu'ik ne sont pas bien loin , et je pais tous 
garantir qu'ils ne retarderont pas long-temps le moment de yotre 
repas* 

— Quant à cela , rien ne nous presse , répondit le comte ; et puis- 
que c'est un acte de politesse , selon tous, Brenhilda et moi nous 
pouTons bien aisément différer notre repas , à moins que tous ne 
nous permettiez y ce qui , je l'ayoue> nous serait plus agréable, de 
prendre sur-le-champ une bouchée de pain et uue coupe d'eaa> pour 
qu'ensuite nous fassions place à des hôtes dont le palais est plas 
délicat et les liaisons aTec tous plus intimes. 

— A Dieu ne plaise I dit Agélastès. Jamais des hôtes si respec- 
tés ne se sont placés sur ces coussins ; et je ne me trouverais pas 
plu4 honoré, quand même la famille très sacrée del'empereor 
Alexis serait en ce moment à ma porte. 

A peine aTait-il prononcé ces mots , que les sons d'une trom- 
pette 9 dix fob plus bruy ans que les accens de musique qu'ils avaient 
déjà entendus, et dont on sonnait en face du temple, pénétrant 
dans l'intérieur à traTers le bruit de la cataracte , comme une lame 
de Damas pénètre à travers une armure, parvinrent à leurs oreilles, 
comme le tranchant du sabre se &it jour jusqu'à la chair de celai 
qui porte la cuirasse. 

— Vous paraissez surpris ou alarmé, mon père, dit le comte 
Robert; avez- vous quelque danger à craindre? doutez-vous qn^ 
nous ne puissions vous protéger ? 

— Non, répondit Agélastès, votre présence m'inspirerait de la 
confiance dans tous les périls. Les sons que tous entendez excitent 
le respect et non la crainte. Ils annoncent que quelques membres 
de la famille impériale youX être mes hôtes. Mais ne craignez rien» 
mes nobles amis : ceux dont le regard est la Tie sont prêts à ré- 
pandre leurs faTeurs avec profusion sur des étrangers aussi dignes 
d'être honorés que ceux qu'ils trouveront ici. Cependant mon front 
doit toucher le seuil de ma porte, pour leur faire l'accueil que je 
leur dois. A ces mots, il marcha à la hâte vers la porte extérieure 
du bâtiment. 

— Chaque pays a ses usages , dit le comte en suivant son hôte; 



COMTE DE PARIS. 185 

tandis que Brenhilda s'appuyait sur son bras, et ils sont si dilGS- 
rens, qa'il n'est pas étonnant que chaqne pays trouTO étranges les 
contâmes des antres. Cependant, par déférence pour notre hôte, 
je baisserai mon cimier de la manière qni semble être exigée. 

A ces mots y ils suivirent Agélastès dans Pantichambre , où nna 
nouvelle scène les attendait. 



CHAPITRE XIIL 



Agélastès arriva à la porte avant le comte de Paris et son épouse, 
n eut donc le temps de faire ses prostrations devant un énorme 
animal , alors inconnu aux contrées de l'Occident , mais que tout le 
monde connaît aujourd'hui sous le nom d'éléphant. Sur son dos 
était un pavillon ou palanquin , contenant les personnes augustes 
de l'impératrice Irène et d'Anne Comnène, sa fille. Nicéphore 
Brienne suivait les princesses à la tête d'un détachement de cava« 
lerie légère , dont les brillantes armures auraient plu jilavantage au 
croisé, si elles eussent eu moins un air de richesse inutile et de 
magnificence efféminée. Les officiers de ce corps suivirent seuls 
Nicéphore jusqu'à la plate-forme , se prosternèrent tandis que les 
princesses de la maison impériale descendaient , et ne se relevèrent 
sons an nuage de panaches flottans et de lances étincelantes, que 
lorsqu'elles furent sous la plate-forme , en face du bâtiment. Là, la 
taille imposante de l'impératrice, quoique déjà d'un certain âge, 
^ les formes gracieuses de la belle historienne se dessinèrent avea 
avantage. Sur le devant, au-dessus d'une forêt de javelines et de 
cuniers, paraissait le musicien qui sonnait de la trompette sacrée : 
^ s'était posté sur un rocher au-dessus de l'escalier de pierre , et, 
par quelques sons de son instrument, il avertissait les escadrons 
placés au-dessous d'arrêter leur marche, et de faire attention aux 
monvemens de l'impératrice et de l'épouse du César. 

I^a beauté de la comtesse Brenhilda, et son costume bizarre et à 
nemi masculin, attirèrent l'attention des dames de la famille d'A- 
lexis ; mais il s'y trouvait quelque chose de trop extraordinaire pour 
obtenir leur admiration. Agélaslès sentit qu'il fallait qu'il présen- 
^t ses hôtes les uns aux autres, s'il voulait que l'harmonie régnât 
*«is cette entrevue. 



186 ROBERT, 



-je^pajrkr «t vivre ? ditidl. Les étxtaggt^ acynis ^e vous 
Toj^es. «reo mai «ont de dignes compagnons de. eçs myriades de pè» 
lerins qpe le désir de mettre un terme aux soaffraoees des halntaos 
de la Palestine a amenés de Pexirémilé oocidmtale. de FEprope^ 
pour jooir de la protection d'Alexis Commàne, Tiiid^Rt pnii^qa'iUui 
plaît d'accepter leor aide , à chasser les païens des limites dn Saint- 
Empire , et occuper en lenr place cette contrée > comme vassaux 
de Sa Majesté impériale. 

— Nous sommes charmées, digne AgélastièSy dit l'impératrice, 
que vous ayez des bontés pour ceux qui sont disposés à respecter 
ainsi l'empereur, et nous sommes assez portées à nons entretenir 
iions*mê|nes avec eox-, afiii qoe notre fille , qu'ApoUon. a 4oi|é< di 
rare talent de consiseer par écrit ce qu'elle voit ^ puisse .connaître 
nne de ces guerrières de l'Ooest, dont la renommée nQOa aidit tant 
de choses, et que noos connaissons si peu. 

-f*- Madame,, dit 1^ comte , ^e ne puis que vous exprimer fran* 
chement ce que je trouve à redbre dans l'explication^ue'Ce vieillaid 
viept de vous faire des motifs qui nous ont amenés ici« Il est cer» 
tain que nous ne sommes pas feudataircs d' Alexis , et nous n avions 
nulle envie de le devenir quand nous avons fait le vœu qfd nous a 
amenés en Asie. Nous y sommes venus pasee que dass avions a{' 
pri^ que la Terre-Sainte avait été démembrée de l'empire grec par 
lea païens^ les Turcs, les Sarrasins et autres infidèles, «sur lesquels 
nous avons dessein de la reconquérir. Les chefs les plus sages et 
les. plus prudens* parmi nous ont jugé nécessiaire de ra^nnaître 
Taittorité de l'empereur , parce que le seul moyen de nous acquit* 
ter agrément de notre vœu était de lui prêter . le. serpient d'allé- 
geance , pour éviter tonte querelle entre des états chrétiens. Noos 
autrea, quoique, ne dépendant d'aucun monarque, sur la terre, 
noiui ne prétendons.p^ être plus élevés qu'ils ne le sont , et par 
con^^ent nous avons bien voulu consentir à rendre le même 
hommage*^. / 

L'impératrice rougjit plusieurs fois d'indignation pendant ce dis- 
cou^a, dont bien des passages étaient «a oppp^ition directe avec 
les maximes si fières etsi arroganles de. là ç.our impériale, et dont 
le mx général t^dait qi déprécier U pouvoir de Tempereur. Mais 
Irène avak vécu de scm auguste époux ravertiss^ment seer^^^'^ 
vit^ de fai]E[e naîjtre pu de saisir des ocq^o^a de querelle^ av^ 
les croisés, qui, quoique prenant l'apparence de ç^î^s^étaifiQ^ <^ 
pendant trop pointilleux et trop prompts à s'enflammer pour 



ÇOMTB DE PARIS.. 187 

qpfdn^pSi iàiis danger entrer ayec eux dans des discoBiions déli- 
caféi sar diés jQfférences d'opinion. Elle se borna donc à faire nne 
référencé graciense^ comme si elle eût à peine compris ce fae le 
comte de Paris Tenait d'expliqner avec nne si bmsqae firanchise. 

En^të moment Fattititde des principaux personnages cpû se 
tronyaient si. inopinément rassemblés indiquait qu'il existait 
parmi eux mi désir égal de faire ensemble nne plos ample con- 
naissance y quoiqu'ils semblassent hésiter à qui prendrait le pie- 
mier la parole. 

ÀgélastèSy pour commencer par le maître de la maison^ s'était 
à là vérité relevé de terre , mais sans oser redresser la taille, et il 
restait devant les princesses de la maison impériale , le corps 
courbé, la tête baissée, et une main placée entre ses yeux et les 
leiurSy conune un bôinme qui voudrait garantir sa vue des ra jona. 
du solèit qu^ aurait en face. Il attendait ainsi en silence les 
ordreu de celles à qui il semblait croire qu'il aurait manqué de res- 
pect en leur proposant d'avancer , se bornant à leur témoigner 
en général que sa maison et ses esclaves étaient à leurs cidres 
absolus. 

f)e leur cftté , la comtesse de Paris et son ^ux belliqueux 
étaient les objeta de la curiosité particulière de l'impératrice 
Irène et de sa docte fille Anne Comnène. Ces deux princesses 
peauerent qu'elles n'avaient jamais vu deux échantillons plus re- 
marquables de la force et de la beauté humaine; mais » par un in- 
stinct fort naturel,. eUes préférèrent le port mâle du mari aux, atf- 
traits de la femme, qui , aux yeux de son sexe, avaient quelqjae 
chose de trop fier et de trop mâle pour être tout-à-fait agréaUes* , 

Le' comte et là comtesse avaient aussi leur pb[et particulier, 
d'attention dans le groupe qui venait d'arriver ; et , pour dire la 
vérité , cet objet n'était autre que l'animal monstrueux qu'jk 
voyaient pour la première fois, et qui servait de monture à l'im- 
pératrice et à sa fille. La dignité et la magnificence d'Irène , la 
gr&e et là vivacité de la princesse , ne firent aucune impression. 
801^ eux ^ et Brenhflda ne songea qu'à profiter de toutes les occa- 
sions pour faire des questions sur l'éléphant, et sur l'usage. qu'il 
iaisait de sa trompe , de ses défenses et de ses grandes oreilles» 

Une antre personne qui saisit plus à la dérobée l'occasion de r^, 
garder Brenhilda avec un degré d^térêt; profond fut Iç César 
Nidéphore. Ce prince avait les yeux fixés sur la cpmtesisç fr^- 
çaiàe aui^i êdnstamment qu'il le pouvait sans attirer l'att^tion de 



188 ROBERT, 

son épouse et de sa belle «mare /et sans exciter peut-être leurs 
soupçons. Il chercha donc à rompre le premier un silence qai 
commençait à deyenir embarrassant. — U est possible, belle corn* 
tesse, dit-ily coDune c'est la première fois qae tous Toyez la reine 
da monde, que tous n'ayez jamais connu jusqu'ici l'animal singu* 
lièrement enyieux qu'ion appelle éléphant. 

— Pardonnez-moi, répondit Brenhilda; ce savant vieillard m'a 
montré la représentation de cette étonnante créature, et m'a donné 
quelques détails à ce sujet. 

Tous ceux qui entendirent cette réponse supposèrent que la 
comtesse décochait un trait de satire contre le philosophe lai- 
même, à qui l'on ayait coutume de donner à la cour le surnom de 
l'Eléphant. 

— Personne ne pouvait décrire cet animal avec plus d'exacti- 
tude qu'Agélastès, dit la princesse avec un sourire d'intelligence 
qui se propagea parmi toute sa suite. 

— U sait qu'il est docile , dévoué et fidèle , dit Agélastès d'on 
ton respectueux. 

— Sans doute, bon Agélastès, dit la princesse, et nous ne de- 
vons pas critiquer l'animal qui s'agenouille pour nous recevoir sur 
son dos. — Venez, belle étrangère, et vous aussi son vaillant 
^M>ux, ajonta-t-elle en se tournant vers les deux Francs. — Qaand 
vous serez de retour dans votre pays natal, vous pourrez dire qae 
vous avez vu les membres de la famille impériale prendre leur 
repas, et reconnaître qu'en cela du moins ils sont de la même ar- 
gile que le reste des mortels, éprouvant leurs plus humbles besoinSy 
et les satisfaisant de la même manière. 

— Cest ce que je puis croire fort aisément, dit le comte Ro- 
bert; mais je serais plus curieux de voir cet animal étrange 
prendre sa nourriture. 

— Vous verrez plus à votre aise l'éléphant se repidtre dans sa 
loge, dit la princesse en jetant un coup d'œil sur Agélastès. 

— Madame, dit BrenMlda, je serais Êchée de refuser une inTÎ- 
tation faite avec bienveillance ; mais, sans que nous nous en soyons 
aperçu^, le soleil est considérablement descendu vers l'occident ; 
et il faut que nous retournions à Constantînople. 

— N'ayez aucune crainte, dit la belle historienne ; vous aurez 
la protection de notre escorte en vous en retournant. 

— Crainte! — escorte I — protection 1 Ce sont des moto qae je 
ne connais pas, Madame. Sachez que mon noble époux, le comte 



COMTE DE PARIS. 189 

« 

de Paris, est pour moi une escorte saffisantei et que, quand même 
il ne serait pas avec moi , Brenhilda d'Àspramont ne craint rien, 
et sait se défendre elle-même. 

— Ha fille I s'écria Agélastès , s'il m'est permis de parler , je 
Tons dirai que tous tovs méprenez sur les intentions obligeantes 
de la princesse, qni s'est exprimée comme si elle eftt parlé à une 
dame de son propre pays. Ce qu'elle désire, c'est d'apprendre de 
Yons qnelques-unes des coutumes et des manières des Francs, dont 
Tons offrez en votre personne un si beau modèle; en échange de 
ces informations, l'illustre princesse se ferait un plaisir de tous 
proenrer l'entrée de ces immenses ménageries oà les animaux de 
tomes les parties du monde habité ont été rassemblés par les ordres 
de notre empereur Alexis , comme pour satisfaire la docte curio- 
sité de ces philosophes à qui toute la création est connue, depuis 
le daim de si petite taille qu'il est moins grand qu'un rat ordi- 
naire, jusqu'à cet énorme et singulier habitant de l'Afrique, qui 
pent brouter la cime d'arbres s'élevant à quarante pieds, quoique 
la longueur de ses jambes de derrière ne soit pas de la moitié de 
cette hauteur. 

— Cela suffit , dit la comtesse d'un ton assez animé. Mais 
Agélastès avait entamé un sujet de discussion qui convenait à 
ses Tues. 

-- Vous y verrez aussi, continua-t-il, cet énorme lézard qui , 
quoiqu'il ait la même forme que les reptiles qui habitent les maré- 
cages des autres pays , et qui n'ont rien de dangereux , est en 
%pte un monstre de trente pieds de longueur , qui est revêtu 
d'écaillés impénétrables, et qui pleure sur sa proie quand il la 
tient, dans l'espoir d'en attirer qttelqne autre, en imitant les ac- 
cens plaintifs de l'humanité. 

— N'en dites pas davantage, mon père, s'écria la comtesse. -^ 
Robert, nous irons , n'est-ce pas , dans l'endroit où l'on peut voir 
dételles choses. 

— Il s'y trouve aussi, dit Agélastès, qui vit qu'il arriverait à son 
bnt en mettant en jeu la curiosité des deux étrangers, cet animal 
monstrueux que la nature a couvert d'une armure qui le rend in- 
^Inérable, qui a sur le nez une corne et quelquefois deux , dont 
la peau a des replis d'une épaisseur immense, et que nul chevalier 
li'a jamais pu blesser. 

— Nous irons , Robert , n'est-ce pas ? répéta la comtesse. 

— Oui, répondit le comte, et nous apprendrons à ces Orientaux 



^'. 



a ■ înflifti' An sftbre il'jiii x]M¥alier nar "« iAiil ^**w«*vfc^ 
Tranchefer*. ' . ,- - -^ .-.••■ rr,t..::^ .. . . »: i 

— Et qui sait , ajouta Brenhilda ,. ptûsque mm jmmstskimm 
ipayji d^ançhanteman»^ .ai cpidcpie individg,, laiiguiaiiiDtiiOQs une 
ïcuoDoe ^ A'«ift^pa» la aieiloQ ,. w verra fm )i&d»wiiiQ jaottps tpat 
àcoiip par im Miop.da cette boiuie. aciii«7 

•^.N'eniîytes |^ davantagey iiu^i.pèi^j.s'iâcriç^ Je^SH&: noos 
..joiTTi^iis -êm/t jppmee^:, piâsgoe teji est.&on titj^i jqpaainârne 
aoateseuescojct&¥piidraita'qppi9eer à notrepaasag^ anUead^ 
Mtre garde, comme. elle jun99 le proittett Car i{n« jumixauiip 
m'entendent ^ppomient qoe tel.e$t le càrac^tèce ^ftmoA, fie, 
leraqnVin lenr iparle. de daagera.et Âé dii&onlté^i m Iwr is^ttre 
autant de désir :âe^rendre la. redite qui peut .eii.préMnter.,.fie 
d'autres honimesfinxxiiti suivi» Jbscliemin gui pettdcs^i^ 
plaisirouàlaibitune. i 

En p«»«n9«t i*. «0^. le oo^^pte fr^p» «le kJ«d»«rla 

peignéede sonTrancbcifer» 0O9nme popr.indîquef la jnaniè«id0ut 
il saurait , au besoin, ,se £ra;^ on pai$aag^« l«e cerde da» oooirti' 
sans tressaillit en entendant le bruit retentissant jdel'^r^^ en 
yoyant Tair ip fierté du beUiqneux comte Robert Uîiii|^^^ 
céda à son alarme, ib^ entrant dan» T^ipar^epi^ ûD^jâu^Q 
pavillon. > ' 

Par une distinction rarement accoidée à qnicanjsue n^^tait pas 

allié de très près à la famille impériale^, Anue iCopm^F^'^ 
br2)3 du noble comUi. —Je voisi dit-elle, ipe l'impéraAicejo)^ 
. mère a honoré la maison du aavant Agélastès^ eut si(m iffdi^t 
le cbemin pour y entrer. C'est donc à moi.à vo«amoxMreRle^TOi^ 
vivre des Grecs. £t en parlant ainsi, elle le conduisît nfsm^tï^ 
appartement. 

— Ne craignez rien pour votre fiemme , sgonta^t^e-en voyant 
le comte regarder autrar de lui ; de même qqe •uûna,.ie prioce {ii* 
céphore se fait un plaisir de montrer des égards janx^iétraos^i^i ^^ 
il conduira la j^incesse.à table. Ce n'est pas l'naage de la bjsi^ 
impériale de manger avec des étrangersi, mais.iiansjcemeroiopfl ^^ 
ciel de nous avoir donnécette civilité qui nis oroil paftsed^^^^ 
en s'écartaot des règles ordinaires ponr fake honneur *à.aa'fii^^^' 
lier dont le mérite est, aussi distingué quelle yôtrf. Je, sai^^'^ 
désir de ma mère sera que vous preniez plAfiOcà' table.saa^ ^^, 
monie.^ et , cpoîque ce aoit une iaveur VH|te piurUeulièl^ > j^ f ^^ 

jMkeJ^'eUe cÀ)tiendraanfisil^j[ii;x»];iA^^ è^ll&w^fixtKins>^^^' 



COAQV.D£.^AIUS. .,49t 

-^ n en sensuco ^'il tous plaira^ lladwiey dit jb comte Robert. 
H y a pea d'hommes à qui je céderais ma place à table, si Je ne 
kft aYaispas TUS en aVant de moi. sur le champ de bataillé. Mai» 
àuie damé, dt sortbnt à une dame si belle, je cède Volontiers.|iia 
place, et je fléchis le genon déyaateUe; quand j^ai Je boQheor.deila 
rencontrer. . 

La princesse Anne, an lieu d'éprouver qudque embarras en 
s^acqùittant dé U fonction extraordinaire, et, comme elle aurait 
pa le croire, d^adante, d^introduire un chef barbare dans la salle 
du banquet, se sentit flattée au jcontraire d'avoir pu faire fléchir nn 
esprit aussi obstiné que le comte Robert; et peut-être mâme éprçu» 
yait-elle un mouvement de vanité satjjsfaite, en se trouvant momen- 
tanément.sous sa protection. 

L'impératrice Irène était déjà assise an hant bout de la table ; 
elle montra quelque étonnement quand sa Me et son gendr^ s*é- 
tant placés à sa droite et à sa gauche, invitèrent le comte et la 
comiesseà prendre place. à leur côté, l'un sur une couche, l'autre 
sor un^ chaise; mais elle avait reçu de son époux Tordre le plus 
strict d'avoir, à tous égards, de la déférence pour les étrangers , 
et par conséquent elle crut que ce n'était pas le moment d'être très 
scrupuleuse sur le cérémonial. 

La comtesse s'assit près du César, comme il Py avait engagée, 
et le comte, au lieu.de prendre sur une couche la posture qui était 
ordinaire avL Romains, s'assit ans% àla manière européenne, près 
de la prim^esse. 

— Je ne resterai pas étendu, dit-il en riant, à moins qu'uQ I^on 
horion ne m'yiorçe; encore faudrait-il 91e je ne pusseme releyer 
pour le rendre. 

On commença alors à s'occuper du repas, et, pour dire la vérité, 
il parttt faire une partie importante de Tordre du j.our. Les oîfloî^rs 
q^i étaient vernis pour remplir leurs diverses fonctions de spnime- 
liers, échaasoni^, écuyers tranchans.et dégustateurs de la famille 
impériale, remplîisaientla salle du banquet, et semblaient dif puj;er 
d'activité en demandanjt à A|;élastès des épices, ies assaisonne- 
moni , des sauces et des vms de tonte espèce^ On aurait dit que 
la variété et la multiplicité de leura demandes avaient^ pour, bat de 
mettre à l'éprenve la. patience du philosophe^ Mais Agéjiastès^^qui 
avait prév^ la plupart de ces èxigonces , qndlqne inusitées qif 'elles 
lussent, y satisfit complètement, bu du moins en très grajade partie, 
grâce à l'activité de son esclave T>iog^nx»p sur leijuel ei^même 



192 ROBERT, 

temps il s'arrangeait de manière à rejeter tont le blâme qaand il ne 
;poaYait fournir quelqu'un des objets demandés. 

— J'en prends à témoin Homère « dit-il , l'accompli Virgile et 
.l'ingénieux Horace, quelque mesquin que soit ce repas, quelque 
indigne qu'il soit d'être ofiert à de pareils h6tes, les instructions 
par écrit que j'ai données à ce trois fois misérable esclaye conte- 
naient l'ordre de tenir prêts tous les ingrédiens nécessaires pour 
donner à chaque mets la saveur qu'il doit avoir. — Charogne de 
mauvais augure, pourquoi as-tu placé les cornichons si loin de la 
hure de sanglier? Pourquoi ces beaux congres ne sont-ils pas en- 
tourés d'une quantité suffisante de fenouil? Le divorce que ta as 
établi entre les écrevisses et le vin de Chio devrait en occasioner 
nn entre ton ame et ton corps , ou tont au moins te fsdre passer le 
reste de tes jours dans le pistrinum ^ . 

Tandis que le philosophe se répandait ainsi en invectives, en 
imprécations et en menaces contre son esclave, ce que les mœors 
du temps ne regardaient pas conmie un manque de savoir-viyre, 
les étrangers pouvaient trouver l'occasion de comparer le petit 
torrent de son éloquence domestique avec les flots plus nombreux 
et plus profonds d'adulation dont il inondait ses hôtes. Tout cela se 
mêlait comme l'huile, le vinaigre et les cornichons dont Diogènes 
préparait une sauce. Ainsi le comte et la comtesse eurent le moyen 
d'apprécier le bonheur et la félicité réservés à ces esclaves, que 
le tout-puissant Jupiter, dans la plénitude de sa compassion ponr 
eux, et en récompense de leurs bonnes mœurs, avait destinés à 
servir un philosophe. Ils prirent leur part du banquet , mais ils 
eurent fini avec une rapidité qui surprit non-seulement le philo- 
sophe, mais ses hdtes de la famille impériale. 

Le comte se servit nonchalamment du plat qui se trouvait près 
de lui, et but une coupe de vin sans s'inquiéter s'il était de l'espèce 
que les Grecs se faisaient nn cas de conscience de boire avec ce 
mets particulier. Il déclara ensuite qu'il ne prendrait plus rien, 
et les instances obligeantes de sa voisine Anne Conmène ne purent 
le déterminer à toucher à aucun des mets qu'elle lui offrait, comme 
^tant rares et délicats. La comtesse mangea encore plus modéré- 
ment, d'un seul plat, celui qui lui parut apprêté le plus simple- 
ment, et qui était devant elle , et prit , dans une coupe de cristal^ 
de l'eau , qu'elle colora de vin , à la prière réitérée du César. Ils 

t. Itea oà les ctclafcSf chM4et Romaînt, étaient omi^^ ï moudre da blé* 



i 



œMTE DE PARIS. IMÎ 

cessèrent alors tons deux de prendre part an festin, et, le dos ap- 
puyé sur leur chaise , ils s'occopèrent à regarder les antres conh 
mes, qoi faisaient libéralement honneur an repas. 

Un synode moderne de gourmands aurait à peine égalé la famille 
impériale de Constantinople, assistant à un banquet philosophique, 
soit pour les connaissances profondes qu'elle déployaît dans la 
sdeuce gastrononûqne dans toutes ses branches, soit pour le zèle . 
pratique qu'elle mettait à en analyser les résultats. A la vérité;. 
les dames ne mangèrent beaucoup d'aucun mets, mais elles goû» 
tèreat de chacun de ceux qui leur furent offerts , « et leur nom 
était Légion. » Cependant en assez peu de temps, comme le dit 
Homère, la rage de la soif et de la faim se tronya apaisée, ou, plus 
probablement, la princesse Anne se lassa d'attirer si peu l'attention 
deson voisin, qui, joignant une haute renommée à un extérieur très 
prévenant, était un honune par lequel très peu de dames auraient 
Toola être négligées. Il n'y a, dit notre père Chaucer, aucune nou-^ 
Telle mode qui ne ressemble à une ancienne; et les efforts que fit- 
Anne Gomnène pour entrer en conversation avec le comte franc 
pourraient se coiliparer aux tentatives d'une dame à la mode de 
nos jours pour entamer un entretien avec le merveilleux assis à 
son côté, et paraissant plongé dans un accès de distraction. — 
Nous vous avons fait entendre les sons de la musique, lui dit la 
princesse, et vous n'avez pas dansé I Nous avons chanté le chœur 
SEvoéi Eveil et vous ne voulez honorer ni Comus ni Bacchus 1 
Deyons-noiis vous regarder comme un adorateur des Muses, an 
cnlte desquelles, conmie à celui de Phoebus, nous avons nous-même 
la prétention d'être dévouée? 

—Belle dame, répondit le Franc, ne soyez pas offensée si je 
TOUS dis> une fois pour toutes, et en termes très dairs, que je suis 
chrétien; que je crache à la figure d'Apollon, de Comus et de 
Baechos, et de toutes les autres divinités païennes, et que je les 
défie. 

— Quelle cruelle interprétation de qudques mots inconsidérés I 
dit la princesse. Je n'ai parlé des dieux de la musique, de la poésie 
et de l'éloquence , que comme portant des noms honorés par nos 
diyins philosophes, et qui servent encore à distinguer les sciences 
et les arts auxquels ils présidaient : et le comte y trouve sérieuse*^ 
ment une violation du second commandement! Que Notre-Dame 
Qoas protège I II faut que nous prenions garde à nos paroles, puis^ 
qu'elles sont interprétées si sévèrement I 

i3 



«eiiide v«v ^Beotat^ |iftdraie« loidîl^ât» etje namodraîspuioiiiwr 
à T08 expressioM an atiui qw ne aenûl pas Crée kaaUe «t «rès 
îonocwl. ie jon^o^arai dmc qa« votre jÎMOiira n» eonieBak rien 
qu'on pniaM orkiqaw on Uânkor, Vous dtM» à œ que j'û i^m, 
Miii0 4i9 o4« MnoDoes qpu y comiiie notre digne hftte » mettent p«r 
éorit rimtoire et les ink» dee le«96 belUqnenx deas lesqads You 
yivez, et qui UfaWMeettent à )a postérité qoî nons rempUcsra la 
Q(ianaisflan«e des ex|doite qu'on}; en lien de ao§îeavt. Je reqieets 
Ut tâche fi laquelle ¥on8 tous êtes cenaaevée , <et je ne sais pas es 
qn'une dame ponrrak iaice de mieux ponr mérkeF la raramaia- 
#wce des aièdes faturs, è moins que, comme mon épouse Broi- 
kiUoL, elle n'eût accompli eUe^méme les hanta fiiîts qu'elle déciMt, 
-^Btj soit dit en passant, Brenhilda regarde w«e moment an 
iKum de lahle comme si die vonlait se la?ev et le quitter^ Il M 
turde 4a ae rendre à Gonstantinople , et, a^eo irotre pewnînrim, 
.Madame, te ne pnia aaaffrv qu'eue 7 aUle seule» 

«w C'est ee que Toua ne ferez ni l'un ni l'autre,, gépsaditAam 
Gemaèae, puîsqnanoas allmia incossammont retiMnrner tous dam 
la capitale, pow ^oaa frâe toît eea mevreillea de la nalarffd 
ont été raésflmUéea en grand nombre pfur les amna et la mnnifi* 
cenee de Vempavaur notre fèT%^-^8i mon époux senMa aw 
oSenaé la eomteseet ne ovojwz pas que c<e scit a^ae intaniîaB.l« 
(comvaire» mieax.Kaos le eonnaitraa, phu tous Tenroaqu^it ait m 
de cea hommas sîmpba qui sont si malhemsanx en Tonkat 4^at> 
^mtter des daYOÎis de la politeaae, que eenx à qui la adraissBt 
ieura civilités les reçoivent fréquemment dans un aeas Mt 
s>ppeséi. 

CapciidiMtt la eamtesse de Pans s'était leviéa de taUa» ei sBi 
Toiasa de s'y rasseoir. AgAastèa et ses hâtes de la faniUa impj* 
riale se idi«nt donc dans la nécessité ou de permettre aux étraagm 
de partir, ce qu'ils ne semblaient pas disposés à faire, ou d'esi* 
ployer la force pour lea retenir, ce qui n'aurait peut-ièlra ^ ni 
agréable ni prudent; on enfin dfouUier l'étâj^eUe du rang et de 
partir avec eux , en ayaitt soin de sauver leur dignité en ptensnt 
Tmitiative du départ, quoiqu'il eût lieu par suite de ]|i volonté dos 
étrangers ohatinés, Toat fut en monvemeat surJoi^amp, et l'on 
n'entendit plus que tumulte , cria et querelles parmi les soldats et 
les officiers, qui se trouvèrent forcés d'interrompre laiff repa^ ** 
moins deux heures plus tôt que le plus âgé d'oitre eux ne se soa- 



COSrrE DE PARIS. 1^5 

tenait de favoii' jamais fait en pareille occasioç. Un nonvel arrail» 
gementda cortège impérial senà)la aussi se £aire d'an coosentement 
motod. 

Nicéphore Brienne monta snr Félépliant, et y resta à côté de 
son anguste belle-mère. Agélasiès, snr un palefroi dont l^allnre 
tranquille loi permettait de prolonger à son gré les barangncs 
philosophiqaeSy marcha à c5té de la comtesse Brenhilda, qu'il prit 
poor le principal but de son éloquence. La belle historienne» 
qaoiqu^ette Toyageftt ordinairement en litière , préféra , en cette 
occasion, un coursier plein d'ardeur! qui lui permît dé marcher 
.du même pas que le comte Robert de Paris, dont elle semblait 
toaloir frapper sinon le cœur, du moins ^imagination. La oonyer- 
sation entre ^Impératrice et son gendre ne mérite pas un compte 
détaillé. Ce fttt un tissu de critiques sur le6 manières et la conduite 
des Francs, 0l P^pression du désir qu^ls tussent bientôt trans- 
portés hors de l'empire grec , et qu'ils n*f reyinssent jainais. Tel 
èit du moins le ton que prit l'impératrice; et le César ne tronya 
pas à propos de montrer plus de tolérance pour ces étrangers. De 
son côté, Agélastès Et un long détour avant d'arrihrer au sujet sur 
leqael il désirait faire tomber la conversation, tl parla de la ména- 
gerie de l'empereur comme d^me superbe collection d'histoi^ 
naturelle, et donna des louanges à diverses personnes de la cour^ 
tpà avaient entretenu dans Alexis Comnène ce goût sage et philo- 
sophique* Mais enfin il abandonna l'éloge de tous les autres pour 
tppuyer snr celui deMcéphore Brienne, à qui, dit-îl, la ménagerie 
de Constantinople était redevable des principaux trésors qu'elle 
contenait. 

— J'en suis charmée, fit la hautaine comtesse sans bsusser la 
voix et sans lAecter aucun changement de manières; je suis 
charmée qu'il soit en état de fadre quelque chose de mieux que de 
chuchoter aux oreilles déjeunes femmes étrangères., Croyez-moi : 
s'il donne tant de licence à sa langue avec les tînmes de mon pays 
qne les circonstances peuvent amener ici, il en trouvera quel- 
qu'une qui le jettera dans la cataracte qu'on voit ici près • 

— Pardon, belle dame, dit Agélastès; il n'y a pas une femme 
dont le cœur puisse méditer une action aussi atroce contre un anssi 
bel homme que le césar Micéphore Brienne. 

— N'y comptez pas trop, mon père, répondit la comtesse of- 
fensée; car, par ma sainte pàtrone Notre-Dame des Lances-Rom* 
pnes! si ce n'eût été en considération de ces deux dames, qui ont 

i3. 



196 ROBffilT, 

para Tonloir montrer qaelqaes égards pour mon mari et pour moi, 
ce Nicéphore aurait été seigneur des Os Rompns, aussi bien 
qu'aucun César qui ait porté ce titre depuis le grand Jules. 

D'après une déclaration si explicite^ le philosophe commença à 
coBceroir quelque crainte personnelle pour lui-même. Il se hâta 
de détourner la conversation, ce qu'il fit avec beaucoup de deitë* 
rite ; et il raconta à l'amazone lliistoire d'Héro et de Léandre, pour 
lui faire oublier Faffront qu'elle avait reçu. 

Pendant ce temps, le comte Robert de Paris était accaparé, s'il 
est permis de se servir de cette expression, par la belle Anne 
Gomnène. Elle lui parla sur. tous les sujets possibles, sans doute 
plus ou moins bien, mais se croyaift fort en état de les disenter 
tous avec la même habileté. Le bon comte aurait secrètement 
désiré que sa compagne fftt couchée tranquillement à cftté de la 
princesse enchantée de Zulichium. Anne Gonmène joua, tant bien 
que mal, le r6Ie de panégyriste des Normands; jusqu'à ce que le 
comte, las de l'entendre caqueter de ce qu'elle connaissait à peine, 
l'interrompit brusquement : 

— Madame, ^t-û, quoiqu'on nous appelle quelquefois ainsi, mes 
soldats et moi, cependant nous ne sommes pas Normands. Les 
Normands sont venus id, formant un corps nombreux et séparé 
de pèlerins, sous les ordres de leur duc Robert, homme plein de 
valeur, quoique d'un esprit faible, extravagant et inconsidéré. Je 
n'ai rien à dire contre leur réputation de bravoure. Ils conqnirenti 
du temps de nos pères, un état beaucoup plus considérable qne le 
leur, et qu'on appelle Angleterre. Je vois que vous avez à votre 
solde quelques naturels de ce pays, sons le nom de Varangiens. 
Quoique vaincus par les Normands, conime je viens de vons le 
dire , ils forment cependant une race intrépide, et nous ne regar* 
dorions pas comme un déshonneur de combattre dans les mêmes 
rangs. Quant à nous, nous sommes ces vaillans Francs qui avaient 
leur demeure sur les rives orientales du Rhin et de laSaale, et 
qui furent convertis à la foi chrétienne par le célèbre CIotIs. 
Nous sommes assez nombreux et assez braves pour reconquérir la 
Terr&>Sâmte, quand même tout le reste de TEurope resterait 
neutre dans cette querelle. 

Rien peut-âtre n'est plus mortifiant pour la vanité d'une per- 
sonne comme la princesse, que d'être convaincue d'une erreur 
insigne au moment où elle s'applaudit d'être particulièrement 
bien informée. 



COUTTE de paris. 197 

'Un misérable esclave, qui, je sappose» ne savait ce qa'il 
disait, dit Anne Gomnènci m'a fait croire que les Varangiens 
étaient ennemis naturels des Normands. Je le vois marcher en 
ce moment à côté d'AchiUès Tatins, chef de son corps.— OlfiderSy 
&ites-Ie Tenir ici I — Je venx dire cet homme de grande taille, qui 
appuie sa hache sur son épaule. 

Hereward, facile à distinguer par la place qu'il occupait à la 
têtedn détachement des gardes, fut averti de se rendre en pré- 
sence de la princesse. Il lui fit le salut militaire , non sans froncer 
on peu les sourcils , quand il vit l'air hautain du Français , qui était 
à cheval près d'Anne Comnènp. 

~ On je t'ai mal conoipris, soldat, dit Anne Gomnène , ou tu 
m'as dit, il y a environ un mois , que les Normands et les Francs 
étaient le même peuple, et également ennemis de la race dont 
tnsors. 

— Les Normands sont nos ennemis , Madame, répondit Hère» 
wardy et ce sont eux qui nous ont chassés de notre pays natal. Les 
Francs sont soumis au même seigneur suzerain que les Normands, 
et par conséquent ils ne peuvent ni aimer les Yarangiens ni en 
être aimés. 

— Brave honmie, dit le comte, vous faites injure aux Francs , 
et vous attribuez, quoique assez naturellement, aux Yarangiens 
mi degcë d'importance qui ne leur appartient pas , quand vous sup- 
posez qu'une race qui a cessé , depuis plus d'une génération , d'e^- 
ter conune nation indépendante , peut être un objet d'intérêt ou de 
ressentiment pour des hommes comme nous. 

— Je connais parfaitement l'orgueil qui vous remplit le cœur, 
répondit le Yarangien, et la préséance que vous vous attribuez sur 
cenx qui n'ont pas été aussi fortunés que vous dans la guerre. 
Mais c'est Dieu qui nous abat et qui nous élève, et le monde n'offre 
pas nue perspective qui serait plus agréable aux Yarangiens, 
^e de se voir aux prises, cent contre cent^ contre les Normands 
oppresseurs, ou contre leurs modernes compatriotes, les pré- 
somptueux Français; etqueDieu jugequelpartiméritelavictoirel 

— Yous vous prévalez insolemment du hasard qui vous fournit 
une occasion imprévue de braver un homme de mon rang. 

— Mon chagrin et ma honte sont que cette Occasion ne soit pas 
complète, et que je sois chargé d'une chaîne qui ne me permet pas 
de vous dire : Tue-moi , ou je te tuerai avant que nous quittions 
cette place I 



198 ROBERT, - 

— <- Fon à tête chaude I quel droit peux*tn avoir à l'honneurde 
mourir de ma main ? Tu as perdu Fespriti ou tu t^es gorgé d'ale 
au point de ne plus savoir à quoi tu penses , ni ce que tu dis! 

—Tu mens ! s'écria le Yarangien,, quoiqu'un, tel reproché soit. 
la plus grande injure pour ta race. 

Le Français y avec un mouv^nent aussi rapide que la peusée^ 
porta la main sur son sabre , mais il l'en retira su]>le*Gh^p,.et 
dit avec un air de dignité : — Tu ne peux m'offenser. 

•—Mais tu m'as offensé» répliqua l'exilé ^ et d'unei manière <gie 
tu ne peux réparer que les armes à la main. 

— Où? — comment? demanda le comte. Mais il est inutile le 
fEÛre des quiestioQ^ auxquelles tu n'eâ pas en état de r^ondve rai* 
sonnablement. 

— Tu as aujourd'hui fidt un aflront mortel à un girand prince» 
que ton maître appelle son aDié, et qui t'avait reçu avec toutes les 
marques de l'hospitalité. Tu l'as insulté comme un paysaa en insul^ 
ferait un autre dans une foire ; et tu lui as fait cette honte en pré> 
sence de ses princes et de ses che£sj^ et des noblea de toutes le» 
cours de l'Europe^ 

— Si ton maître a regardé ma conduite comme un affiront, cM* 
tait à lui d'en montrer son ressentiment. 

— Mais les mœurs de son pays ne le permettaient pas.D'aiUenn,. 
nous autres fidèles Varangîens, nous nous regardons comme tenss» 
par notre serment» tant que nous serons au service de l'empereur 
grec y de défendre son honneur ponce à pouce » comme son terri- 
toire pied à pied. Je te dis donc» sire chevalier», sire comte» on 
quel que soit le titre que tu te donnes, qu'il y a une querelle à 
mort entre toi et la garde impériale varan^enne » jusqu'à ce que 
tu aies loyalement combattu corps à corps un desdits gardes va- 
rangiens» quand le devoir et l'occasion le permettront ;. — et alors,, 
que Dieu montre le bon droit ! 

Comme cette conversation avait lieu en français» les officiers 
impériaux » qui étaient à portée de l'entendre , ne la comprirent 
pas» et la princesse» qui attendait avec quelque surprise la fin de 
cette conférence» dit enfin an comte avec un ton d'intérêt : — J'es- 
père que vous sentez que la condition de ce pauvre homme le place 
à une trop grande distance de vous pour que vous l^dmetUez^à ce 
qi^n appelle un combat chevaleresque ? 

—Sur une telle question , répondit Robert» ie tt'ai <jn^«nia ré- 
ponse à &dre à toute dame qui ne se couvire pas d'un boacUet 



COMTE DE rARIS. 199 

CéBSié AaBrêtiUlift^ qui ne porte pas nii sdbré à ëon cdté, et 
qai ifa pesdaiiB Mm seiii le tcëiir d'iMk chêyalier. 

«^ fit ea4tf)poM|iit y p<rar on iattant , que j'eaMede tela dreits à 
yOtie eonfiuMe, qaB tœ tépondriez^TOiis ? 

«^ Je ne poii ayoir de frands moûb pomf h eacher* Ge Varan- 
gien eit tin hdmtoe braye , et n» viattfae pas de TÎgaeiiri II est 
contraire à mon vœn de refuser son défi ; tel je dérogerai pcQt*âira 
à mon rang en l'àeœptant^ Mais le nondè est grand, et l'on y 
chordicrat en Taîn «i homme qni ak m Robert de Paris 'étiMr 
larowoBtrad'tiiiaiilagairistet Je chereheraî fttelqne braine offia 
àet àasfBctéêM de Feaiperëwr grèo ponr frâre savoir à ee pa«?re 
diable, quBO«mt«ie«iéirattgeaiidâtidli>qi»ses désire ser^ 

^fitidemif 

*^ Bt alors^ eoaiAe leè bMire homme Tient de lé dhrë hit4Àêniè » 
qieDian montre le bon drÉlt I 

*^Gecpn yeot dire 4|ne si mon père a nn ofScit^ de ses gardey^ 
asReplefai de nèle pour faverisér m dessein si pietfs: et si raison^^ 
nable, il iant qne l'emperear perde nn allié , en la loi duqnel il & 
toM sonfiaBee, on nn brare et fidèSe soldat de sa garde dn c(frpêf 
qû É^est dielingaé personnellelhent en plosienrs oeeasiokis ? 

-^ Je sais obarmé d^apprendre <|ue cet h<mtme joait d'miè têlte 
r^mtadon^ Dsois le fait, son ambition de^it aTOir «|nelqne fotide^ 
ms&t Hna j'y réfléchis, plus je pense qu'an lië« de déroger à mon 
raag, js ferai on aotede génértmf é en aoeoi^mt à ah panyre etilê^ 
dont tes aentimens sont si éLêris et st nobles, tonales priyiléged 
i'm homme de hante naissanee, pritiléges ^ oenaines gens, 
nés daae le ramg le pias éminent , sont trop Iftehes pour les faite' 
valoir emt-mdmes^ Ne eraigifex ponrtatft rien , noidé princesse i 
le défi n'est pas* encore acceplé; etqaatkl il le serait, Pérèneitteiit 
est eatar# les mains de Dien^ Qnatiit à àvoi , dent le métier eSf Ut 
pKtTHf Fidée que j'ai une affaires si sérieuse à Vid^ àtet cet 
boaMnerésoln^nm-détonmera d'ancres qneretteifmoîns honorables, 
dan»lesfâelhale manqae d'occupation pourrait m'ètitfâîtter. 

La pifhioesse neifit ancne obsenratioti ^ avant vésela^ de fairéeli 
pvtsôdierxfee recommandations à AebiHès Taéna, potii^ Fétigà^' 
S^F àpeéyeair nne renetontre qui ponyaie èt#è faeale à Vûtt otf ii 
l'|Mite des deaadbFÎP^pes cbaiipîons^ L'obsenrioé eathrtàt ators M 
"^ille devant laquelle ils se trouvaient, mais on la voyait en mêMî^' 
teuçsaovtiÀdes^ ténèbre»^ gltflceanai hiiaières» ^ni éslftiMiehi les 



200 ROBERT, 

maisons des habitans- La eayalcade y entra par la Porte 3'Or, où 

le digne centurion mit sa garde sous les armes ponr la recevoir. 

— Il iant maintenant qae nous tous quittions, bcUes dames, 
dit le comte qnand les deux princesses et le César, ayant mis pied 
à terre, farent deyant la petite porte du palais de Blaqnemal, et 
qae noos tronrions, conune nous le pourrons, le logement que 
noas avons occupé la nuit dernière. 

— ÀTec Totre permission , il n'en sera rien , dit rimpératrice ; 
il faut que tous consentiez à prendre TOtre souper , et le repos dont 
TOUS ayez besoin, dans un appartement plus digne de votre rang. 
Et vous aurez même pour . quartier-maître un membre de la fa- 
mille impériale , qui a été votre compagnon de voyage. 

Le comte entendit l'invitation de Timpératrice avec un désir 
prononcé d'accepter l'hospitalité qui lui était si cordialement of* 
ferte* Quoiqu'il fiit aussi épris que possible des charmes de sa Bren- 
hilda, et que l'idée de lui préférer une autre beauté ne fiit jamais 
entrée dans sa tête , cependant il s'était naturellement trouvé flatté 
des attentions d'une femme d'une beauté distinguée et d'un très 
haut rang, et les louanges dont la princesse l'avait accablé n'a- 
vaient pas^té entièrement perdues. Il n'était plus dans la même 
liumeur où le matin l'avait trouvé , disposé à outrager la sensibi- 
lité de l'empereur, et à insulter à sa dignité. Il s'était laissé ga- 
gner par l'adresse insinuante dont Agélastès avait pris des leçons 
dans les écoles de philosophie , et que la belle princesse devait à la 
nature. Il accepta donc l'offre de l'impératrice d'autant plos vo- 
lontiers, que l'obscurité ne lui permit pas de remarquer le nuage 
4e mécontentement qui se manifesta sur le firont de Brenhilda. 
Quelle qu'en fût la cause , elle ne se soucia pas de l'exprimer, et 
les deux époux étaient à peine entrés dans ce labyrinthe de cham- 
bres et de corridors qu'Hereward ayait parcouru quelque temps 
auparavant , quand un chambellan et une dame d'atours richement 
' vêtus s'agenouillèrent devant eux, et les invitèrent à les anivre 
^vdans un autre appartement pour mettre ordre à leur toilette avant 
^.de paraître devant l'empereur. Brenhilda jeta un coup d'oeil snr 
sa .robe et sur ses armes qui étaient tachées du sang du Scythe in* 
-vsolent; et*, tout amazone qu'elle était, elle sentit quelque honte 
^'un costume si négligé et si peu convenable à la circonstanee. 
L'armure du chevalier était également ensanglantée et en dés- 
ordre. 

r- 9^'on disç à Agathe , la jeune fille qui me sert d'écnyer, de 



<4 



COMTE DE PARIS. 201 

venir metroorer, dit la comtesse. Elle seule est habhiiée à m'aider 
i me dësamer et à me déshabiller. 

^ Qae Dieu soit loaël pensa la dame d'atours de la cour 
grecqae; je n'aurai pas à m'oceaper d une toilette pour laquelle les 
instromens les plus nëoessaires seraient des marteaux et des te* 
nailles de. forgeron. 

— Qu'on dise à Marcioui mon écuyer, dit le comte , de m'ap» 
porter ma cotte de mailles argent et bleu , que j'ai gagnée au comte 
de Toulouse ^ dans une gageure* 

— Ne pourrai-je aToir l'honneur de détacher votre armure? dit 
un courtisan superbement vêtu, qui portait sur lui quelques 
marques des fonctions qu'il exerçait conune écuyer armurier ; c'est 
moi qui mets celle de l'empereur lui-même, que son nom soit sacré I 

— Et combien de clous as-tu jamais rivés au besoin avec cette 
mam qui semble n'avoir jamais été lavée qu'avec du lait de roses, 
et avec ce jouet d'enfant? lui demanda le comte en lui saisissant 
une main» et en lui montrant un marteau à manche d'ivoire et à 
tête d'argent, passé dans un tablier de peau de chevreuil d'une 
blancheur éclatante, et qui était le signe officiel de ses fonctions. 
Le Grec recula aTec quelque confusion. Sa inain serre comme des 
tenailles , dit-il a un antre officier du palais. 

Pendant que cettepetite scène se passait à l'écart, l'impératrice, 
>ft fille et son gendre avaient quitté leurs hôtes, sous prétexte 
f aller changer de 'costume. Un instant après, Agélastès reçut 
orire de se rendre en présence de l'empereur ; et les deux époux 
foreot conduits dans deux appartemens séparés , mais donnant l'un 
^s l'autre , somptueusement meublés , et qui étaient destinés à 
W usage. Nous les y laisserons quelques instans, prenant, à Faide 
de leurs propres domestiques , le costume que leurs idées leur re- 
plantaient comme le plus convenable pour une grande occasion; 
lesoffîciers de la cour grecque s'abstenant avec grand plaisir d'une 
tache qu'ils regardaient comme presque aussi formidable que d'as- 
''^ter au coucher d'un tigre royal on de son épouse. 

Agélastès trouva l'empereur arrangeant avec soin son habit de 
^tir le plus magnifique ; car, de même qu'à la cour de Pékin , le 
changement de costume formait une grande partie du cérémonial 
observé à celle de Gonstantinople. 

*• «•ymond, comte de Tonlotiaé et de Saint^Oilles, due de Carbone, et marqais de Provence , était 

fuerner araneé en Ace , qni avait acquit une grande renommée pendant les guerres des Sar* 

ins «n Espagne. 11 était chef des croises du sud de la Francf ^ Son titre de Saint>OiIles est changé 

i^eii'? ^^B^* w cd^ àt SwfUtsi e'Mt toajoon par ce nom qall est pneotioBiié dm 



2W lOBMtTv 5 

-^ T«ai»pttrlikfteeiit réussi, safe Agjékstèâydift^iJMsIillB- 
losopiiey tandis que celui-ci s'approobait at^e kapte^émSÊoàom^ 
prottralions y pavfidtament réussi^ dis-jè; il n« ial^ riemboms 
q«e ton esprit et ton adresse po«r séparer de reetede l^ttrûofbM 
ce taersan indomplé, et cette génisse qui né eomùât pâaeHoaréte 
joug. Si nons obtenons de Tinflaence sur eux, nottsettrmiSi d'apfis 
to«t ce fe'oB dBt> iMi fort parti ea Mire kvesr pareai eeiik ^ les 
rsfgardent eeennelas plus bravée deabnrres^ 

— Mon humble intelligence , dit Agéiaaiàs , eeiVk étéMI^ifiént 
ani^essone des moyeas d'esfeéetition d'œ plaft eee^e svet tant de 
pradenoe et db sagacité, s^il ne mfeAt été flosggétftf et tneé par Ift 
sagesse de Votre Majealé îaipénAte et tr^ 8a«Pés« 

^ Mees saTOBs, reprit iUcKi») 411e wiMmrémlmmétimé^eiflàf 
cmçtL leprojetde noee asserar de ces deas îndMdleiyicdCeiMme 
alKés Tolontaîree, aeit cemate etage»ééiaa«»de iôiceé Lmn laàb, 
atant de s'aq^ereeveir de hmt absemie 1 esMat océq»âi ds leur 
giserre eontre lafe Tore», «t il neleor eatapeepeariMe» siledialfe 
leer en aaggérait Fidée, ée i^ettire leeenneeeeMne le Saint-Eaf» 
pive* Aia0Î àonto^ Agélastès, nma a«rme ebtem de» ottgeiM 
mcins anssi impertaee'etaasai pfëciee3t4iiel*M«iikrikéIe<:^Bftl^ 
de Termandois, si le terriUeGodeilrviy deBesHlM néu^eAloM^ 
à lei rendrela libevté enme menaçant dfane gomre êmèâH^ 

•^ Pardo», dit AgélaetèSi ri j^ajotiteime aeit^ raismi^à iscfletf 
qvà se pràentMt si henreaseeieiift àl'appni de Yotr^ auguste réBS" 
lutîett. n est pessiMe qtt'en ebëerrani les pte g¥aiiie»prfeaBt20iis 
et les plae gimade égards eamrs^ees étranger», aoiisfiicMMi^P^ 
neos les aftafcber ^véritableraeiit» 

^^ Je Yoes coBiprenJto, je -v^otis eentpiMde , dil IfempeMir' Cfe^ 
soir mette BOBS nooa m(mtreron« à ee» deoit éHB H wgergdanffnqW 
salle faodieacé kepériale, sona le eostitis» U piae bifitet qtf^ 
poorr a nooa io«»ir notre garA^iri^e. Lee lioa» éê SalaittMK ntgi* 
roBt, l'arims) d'or ie^ GoAUvèees déploiera ses aserreiH^^ ^^^ 
faibles yenx de ces^ Fraaes seront éUobi» de ta splendetir denc^ 
empire^ Un^eel specisrole nepeen que feke^eiie*pî-élDH{de^i«ipit!^^ 
sur lear- ^iprit , et les dispeseeè devenir les alllés*ei les sertifeok^ 
d'«Mi matàmi^ Me» phia pttîssaate , plBs baAiieee* ples^ritke^ 4^^ 
leur. — Tu as quelque chose à dire^ Agélasiè9«^Leè etftiëfs^^ * 
longues étndea t'ont donné de la sagesse» QaQiifae nous 9f^ 
énettoé notre epinioift, tn'penx dire. la tienne et iri/vye. 

'Areis'foie de aaite> et à traie repriser diSârenteSi àgS^H 



COMTE DB PMUS. 20t 

mil baissé le front j,ii6<i«'aiix pans dts Téteamâ de Pemperei», 
et il semblait fort embarrassé pour tronyér des ezjpressîoiit.qvi 
indiquassent une opinion différente de celle de son •oaTeraîn^ âen» 
pourtant avoir Pair de le contredire formeUenent. 

*- Les mots sacrés par lesqpieU Votre M ayisté "rient d'eneacec 
son opinion trèa joste et très exacte» ne peuYent être niés ni cmi- 
tredits^ si qaelqn'nn avait asse^i de yanité pour essayer à^jté* 
pondre. Qu'il me soit pourtant permis de loi Cure observer fi^oa 
emploie inutilement k& plus sagesiargunensqoaiid on parleà eeiUL 
;ai sont iocapables d'entendre la raison , oomme il serait iawlito 
de montrer à on aveugle un morceau précieux de peinture , ou^' 
coBune le dit récriture, de chercher à gagner une truie en lui 
offirant une pierre précieuse. La faute» en pareil cat» doit dene 
être attribuée , non au défaut d'cx^otitude de votre nàsennewent 
sacrë^Biaisau caractère obtus et pervera des Barharea«n»fpwii»il 
s'adresse. 

-- Parle plus clairement» dit L'empereur*. Cemhien de tûiê.im* 
dra-t-il te dire que» dans les circonstances oà nous avons réeUement 
kwin de conaeib, nous savons que noua devoufrcoasenlir à sap 
crifier le cérémonial l 

— En ce cas » reprit Agélastès , je vous dirai,, en termes^hién 
clairs» que ces Barbares d^Ëurope ne reasemUent à aucun autre 
peaple de Tunivers ,. soit relativement anx choses qu'ils regardent» 
d'an œil de convoitise ; soit par rapp<M!t à celles qû devraient leur 
cinser un salutaire effroi. Les trésors de ce noble^ empire, fsut 
^tant leur cupidité ,, neleur infirmaient que le désir de faire la 
S^erre à une nation qui possède tant de ncbesaBS» etqui, suivait 
les calculs de leur amour-propre excessif, a mems de fcMrce pour sa 
défendre, qu'ils ne s'en croient pour l'attaquer* Tel eat,. pav 
^<ttnple> Bohémond d'Àntioche, et. tels sont bien des orokés 
n^ins habiles et moins adroits- qu'il nel^est. Car je n'avais pasba^ 
soin de dire à votre divinité impériale qu'A regardason intéiétpeff- 
>onnel comme devant être le seul guide de sa conduite dans celte 
S^erre extraordinaire » et par conséquent vous ponvea calculer sa 
loarche avec certitude quand voua saves. uaa lois précisément da 
ïuel poiut de l'horizen part le vaut d'éigsuma et da capiditércpi 
souffle sur lui*. Mais il ae trouve parmi les Francs deaespritsd'uoa 
^ve bien difEërentUi et sur lesquels il faut faire agir l'influeBna 
de naotifg d'une touta.utre eq^èce» sil'on vrat dicigier leursaatms 
^i&aitriaerlesprkcii|>eaqmlesg<HiveE»ei^^ Si^ettaUbertém^éaait 



S04 ROBERT, 

permise I je prierai! Votre Majesté de réfléchir à la manière dont 
mi jonglear de votre coar en impose aox yenx des spectateurs, et 
cependant déguise avec soin les moyens qu'il emploie ponr pro- 
duire illnsion. Ces gens — je veux dire ceux de ces croisés qui 
ont l'esprit plus élevé , et qui agissent d'après les principes de la 
doctrine qu'ils appellent chevalerie; — ces gens-là, dis-je, mé- 
prisent la soif de Por, et regardent ce métal en lui-même comme 
inutile et méprisable , à moins qu'il ne serve à orner la poignée de 
leur épée, on à fournir à des dépenses indispensables. Ils dé- 
daignent , raillent et méprisent Phomme qui peut se laisser émou- 
voir par la cupidité, et ils le comparent, dans la bassesse de ses 
désirs , au plus vil serf qui ait jamais suivi la charrue ou manié la 
l)êche. En même temps , s'il arrive qu'ils aient véritablement besoin 
d'or, ils ne font pas beaucoup de cérémonie pour en prendre par- 
tout où ils peuvent en trouver. Ainsi , il n'est fisicile ni de les ga- 
gner en leur prodiguant des sommes d'or, ni de les forcer à la com- 
plaisance en leur refusant ce que les circonstances peuvent leur 
rendre nécessaire* Dans le premier cas , ils n'attachent aucun prix 
au don qui leur est fait d'un vil métal jaune; dans le second, ils 
sont habitués à prendre ce dont ils ont besoin. 

— Un vil métal jaune! répéta Alexis : donnent-ils ce nom inja- 
rienx à ce noble métal, également respecté par les Romains et par 
les Barbares, par le riche et le pauvre, le grand et le petit, le 
prêtre et le laïque ; pour la possession duquel tout le genre humain 
intrigue, cabale, complote,- combat, et se damne corps et ame? ils 
sont fous, Agélastès, complètement fous. Les périb, les dangers, 
les peines et les chatimens sont les seuls argumens auxquels pois- 
sent être accessibles les hommes qui sont an-dessus de Tinflaence 
universelle qui domine tous les autres. 

— Et ils ne sont pas plus accessibles à la crainte qu'à l'intérêt, 
ajouta Agélastès. Ils sont, dès l'enfance, habitués à maîtriser ces 
passions qui ont tant d'influence sur les âmes ordinaires : la cupi- 
dité qui pousse en avant, et la crainte qui retient en arrière. Cela 
est si vrai que ce qui serait attrayant ponr d'antres hommes, & 
besoin, pour les intéresser, d'être relevé par l'assaisonnement d'ofl 
extrême danger. Par exemple, j'ai raconté au héros même de notre 
entretien une l^ende d'une princesse de Zulichium, endonniopai* 
enchantement, belle comme un ange, et attendant le chevalier 
fortuné qui, en rompant le charme et en l'éveillant, doit devenif 
sàihre de sa personne, de son royaume de Zulichium et de ses 



COMTE DE PARIS. 2&4 

iinmeiues trésors; et, Votre Majesté impériale vondra-t-elle me 
croire? je pas à peine lui faire écouter mon histoire, et lui faire 
prendre quelque intérêt à cette ayéntiire» ayant de l'aTW assuré 
qa'il aurait à combattre un dragon ailé, en comparaison duquel 
tons ceux dont il est question dans les romans des Francs ne sont 
gae des mouches. 

— Et cette circonstance émut*elle notre héros ? demanda Fem» 
pereor. 

-- Elle rémut tellement, répondit le philosophe, que, si je 
n'eusse malheureusement, par une description un peu vive, éveillé 
la jalousie de sa Penthésilée de comtesse, il aurait oublié la croL*^ 
sade et tout ce qui s'ensuit pour aller chercher Zulichium et sa 
soayeraine endormie. 

— Eu ce cas, dit l'empereur, nous avons dans notre empire, — 
et ta m'en fais comprendre l'avantage I — un nombre immense de 
conteurs d'histoire qui ne partagent nullement ce noble mépris de 
Tor, qui est le propre des Francs, mais qui, pour une couple i,t 
besans, mentiraient au diable et le battraient par-dessus le marché. 
Si par ce moyen nous pouvions, comme disent les marins , gaguer 
l'avantage du yent sur les Francs I 

—La discrétion est nécessaire au plus haut degré, reprit Agé- 
lutès. Mentir tout simplement n'est pas une chose bien difficile, 
c'est oniquement s'écarter de la vérité, ce qui est à peu près la 
même chose que de manquer le but en tirant de l'arc quand tout 
l'horizon, un seul point excepta, est également ouvert à la flèche 
do tireur. Mais pour faire agir le Franc comme on le désire, il faut 
connaître parfaitement son caractère et ses dispositions, avoir une 
grande prudence, beaucoup de présence d'esprit, et la versatilité 
la plos adroite pour passer d'un sujet à un autre. Si je n'avais été 
moi-même sur le qui-yive , j'aurais pu payer cher le moindre faux 
P^sfait pour le service de Votre Majesté, et être jeté dans ma ca-^ 
^acte par la virago que j'avais offensée. 

— Une vraie Thalestris l dit l'empereur. J'aurai soin de ne pas 
loi donner de sujet d'offense. 

^ Si je puis parler et vivre, ajouta le philosophe, le césar Nice» 
phore Brienne ferait bien de prendre la même précaution. 

--Nicéphore, dit l'empereur, doit arranger cette affaire avec 
ûotre fille, je lui ai toujours dit qu'elle lui lit un peu trop de cette 
histoire dont une couple de pages suffiraient pour amuser un mo*^ 
lueut : mais il faut en convenir, Agâastès, n'entendre que cela 



SM BOBiAT, 

tflfis. les JM»! eAtit de ^pioi Cutter la puiSaiioe 4^ui srintl— 
Oublie qse ta mVit «rtendu parler ainsi, bon Agélastès ; st snrtbot 
1M t'eii soQ^ieiis pas e» préseiièaée BMre époase et de notre flDe. 

«-^ De mste» dit Agékstàsy les libertés qate se permit le César 
n'excédaient pas les bornes d'une galanterie innocente. Mais quant 
à la comtesseï je dois le dite, c'est une femme dangerense. Elle a 
ané anjourd^hni le Scythe Toxartis d'an seol eoop snr la tête, et ce 
Gonp ne semblait qu'âne chiquenaude. 

-^ Ah I s'écria r«BipersnPy faieemnieeToïatiiSytgt il est assez 
probable ^il a mérhé son sort , «ar c'était nu maraudeur auda- 
cieux et sans scropole. Cependant garde note de cet événement, de 
la manière dont il est arrîréi des noms des témoinsy etc. , afin que, 
si cela est nécessaire, nous puissions représenter ce fait i Fassem- 
èlée des creisési ooôaine vsû ae«e d'agression de la part du conte 
«I de la ceoDHesse de Paris. 

•^J'espère , dit AgAastès, tpe To«re Dlsjesté ImpAriale ne re- 
Mneçra pas ai èémout à l'occasion d'attirer sons son étendard des 
porsowies d'une si hant» renommée dans la cSieralerie.ll ne tous 
en coûterait que bien peu de kar dimner quelque tle grecque, 
▼alant cent fois leur misérable comté de Paris. Et si vous la leor 
doanieE sous la condition d'en cbasser les Infidèles ou les itjbelles 
foi peayent en aiFok'ebtenii la possession temporaire, cettedo- 
nation ne leor en serak que plus agréable. Je n'ai pas besoin de 
dire qa0 teiK; ee que 9e pauvre Agélastfts peut aroik de connais- 
sancesi 4e sagesse et ^expérience; est fi la diisposition de Yotre 
Ifojesté Impériale. 

L'empereor garda le saenee «n Instaiit, et ^ ensdte comme 
«près avoir Umi léBMai t —Digne AgAa^ès, j'ose me fier au» 
dans cette afiaire <diiBolle et on peu dangerense , mais j'exécoterai 
mon projet de leur faire ym les lions de Salomon, et l'arbre d'or de 
notre maison inqiériale. 

— On ne peut y faire atteane dindon. Seulement que T0t3|e 
Majesté se sou^nne de ne ieor montrer qu'un petit nombre de 
gardes y car ces Francs ressemblent àtm coursier plein d'ardeur' 
Quand il est tranqoffle , en peut le conduire avec un fil de soie> 
mais une- bride d'acier ne pourrait le retenir quand il a P^ 
l'<«ibrage ou conçu des soupçons , ce que les Francs neman<ia^' 
raient pas de faire s'ils voyaient autour d'eux beaucoiq» d'honni 
armés. 

— Je serai prudent sur ce point, aussi bien qtw sur dfatttre»* -" 



.-^cK)iewatotiMiidta»qae]ioiiii9iiuiiaoa^ YoiTOMâjerti 
Inifémle vewtNella Me «oa£br U 41^^ de 

k ^allBitiao d'aBimavs extraoMînaîrM ? 

<-^JI)« «M.pvéviettiydilFemiMreiiren |B«nant«icacbetporUiii 
Fl^trMtocl'iiii Ika» ayee b légende : Vïcii ko ex irOm Juim.^f^ 
GMi^iyoatM>tly te donnera le commaiidemeiit de notre ménagerie* 
Et nualeBant aaia ime Cois atncère aT«c ton maitn; ear troniMr 
Mttoffi Aémrat, ttêise ayec moi. — Qael Ghaime emplo i e ra i t a 
p^or ttd) ogner «es âanyages indeaiptéi ? 

^ JbepaBTeir da menaongey répcmttt Agtflaatèa m tdaaotppa- 
fcntownu 

^Jecrittaq«etaea|MttaéBMitre> dit Alexis, «t k^palde lear 
bible comptes-tn attaquer ? 

«-Leur «nuiarpoHrla renommée» •tépmliÊ, le philosophe en 
Mtaati reolâoBa de rappartcment, à l'instanit eà les officiers de la 
lMfi«^be y entraient penr rerétir Alttcis dn «naatean iiqpérial. 



€HAWTR:E XIV. 



J'atirai p9«r anditenn l'^aiice irréflochie , 
^ dSin «M cLb iricux Imm U «akocka ■wW^ •>♦ 
1?V ^ perçant me ble8|« «t me devient saspeict. 
Son ftmbitlaB raiA BiKkinyhmi eiicompcct . 



Lmis^iLs se forent séparés , Vemperear et le philosophe se li- 
^i^reat l'un et l'antre à de profondes réflexions occasionées par 
l'eatrevne qu'ils Tenaient d'avoir; réflexions qif ils exprimèrent 
parles iexdamations et quelques phrases entrecoupées. Mais, pour 
bire nâèux comprendre le degré de vénération qu'ils avaient Vxol 
P^vr Fa'utre , nous leur donnerons une forme plus régulière et jAus 

«««IKeftle. 

-^ Ainsi donc , dit ou murmura Alexis, mais assez bas pour ne 
Pw être compris parles officiers de la garde-robe qui remplissaient 
Wt8 fonctions y ainsi donc ce ver de livre, ce reste de la vîeiHe 
pmlosophie païenne, qui croit à peine. Dieu me pardonne , à la 



208 ROBERT; 

Tenté du ohristiaiiismei a si bien jopé son lAle <pi*û forée son em* 
pereur à dissimaler en sa présmce 1 Après ayoir commencé par 
être le bouffon de la coar, il en a pénétré tons les secrets , s'y est 
renda maître de tontes les intrigues , a cMispîré arec mon gendre 
contre moi, a débauché mes gardes i et enfin a si bien om'disoQ 
tissu d'impostures » que ma yie n'est en s&reté qu^autant qu'il me 
croit l'idiot couronné que j'ai affecté d'être, afin de le tromperf 
trop heureux si je puis ainsi l'empêcher de prévoir prudemment 
mon déplaisir futur , et de précipiter ses mesures de violence! llllais 
laissons passer cette tempête soudaine de croisade, et l'ingrat 
César , le lâche fanfaron AchiUès Tatius , et le serpent Agâastès 
que j'ai réchauffé dans mon sein, sauront si Alexis Gomnène est 
né pour être leur dupe. A ces mots, il s'abandonna aux soins des 
o&ciers de sa garde-robe , qui le couvrirent de tous les ornemens 
qu'exigeait unei grande solennité. 

— Je ne me fie pas à lui , se dit Agélastès, car nous nous per- 
mettrons également de ràidre d'une manière suivie le sens de ses 
gestes et ses exclamations. Je ne puis ni ne veux me fi^ à lui ; il a 
un peu outré son rôle. En d'autres occasions , il s'est comporté 
avec toute l'intelligence de la famille Gomnène, et cependant il 
compte aujourd'hui sur l'effet que ses misérables lions mécaniques 
prodairont sur des gens aussi intelligens que les Francs et les Nor- 
mands; et il semble s'en rapporter à moi pour juger du caraclèie 
de peuples avec lesquels il a eu des relations , soit en paix , soit en 
guerre, depuis tant d'années. Ce ne peut être que pour gagner 
ma confiance; car quelques regards détournés, quelques mots en- 
trecoupés semblaient me dire : — Agélastès, l'empereur te con- 
naît et se méfie de toi. Cependant le complot marche bien , et n'est 
pas découvert, autant que j'en puis juger; et si maintenant je you* 
lais reculer, je serais perdu pour toujours. Encore un peu de temps 
pour conduire mon intrigue avec ce Franc, et peut-être , à l'aide 
dece fier-à-bras, Alexis échangera son trône contre un cloître on 
contre une demeure encore plus étroite. Alors,, Agélastès, ta mé- 
rites d'être rayé de la liste des philosophes si tu ne peux renverser 
du trône ce fat débauché , ce César , et y monter à sa place ; antre 
Marc-Aurèle , dont le gouvernement sage , long-temps inconnu an 
monde, qui a été gouverné par des tyrans voluptueux, f^abien- 
tôt oublier la manière dont tu auras acquis ton pouvoir. A l'ouvrage 
donc I sois actif et prudent I le moment l'exige, et le prix aoqad 
tu aspires en est digne. 



COMTE DE PARIS. 209 

Tandis ^e ces pensées se saccédaient dans son esprit , il mit, à 
f aide de DiogèneSi les vêtemens grossiers , mais propres, sous 
lesquels il se montrait toujours à la coar ; costume qoi ne ressem* 
blait guère à celui d'un prétendant à une couronne , et qui faisait 
contraste avec les ornemens magnifiques dont on couTrait Alexis 
aa même instant. " 

Dans leurs appartemens séparés, le comte de Paris et son épouse 
prirent le beau costume qu'ils avaient apporté, en cas qu'il leur 
arrivât quelque événement semblable pendant leur voyage. Môme 
«u France, Robert se montrait rarement avec le bonnet pacifique 
et le manteau flottant, dont le haut panache et les amples replis 
étiûent le costume des chevaliers en temps de paix ; il revêtit une 
armure complète, mais sa tète n'était couverte que de ses beaux 
cheveux bondés. Le reste de son corps était enveloppé d'une cotte 
démailles de ce temps , richement incrustée en argent, qni faisait 
contraste avec Paznr dont l'ader était damasquiné. Il avait des 
éperons anx talons^ son sabre à son côté, et portait suspendu à 
son cou son boudier triangulaire sur lequel on avait peint nombre 
de ces flemrs de lis qui , réduites à trois par la suite , furent la ter* 
rear de TEurope , jusqu'au moment où elles éprouvèrent tant de 
revers de notre temps. 

La grande taille du comte Robert était parfaitement adaptée à 
on costume qui tendait à faire panutre comme des nains grotesques 
les hommes de petite stature , quand ils étaient armés de pied en 
cap. Son visage, dont les traits exprimaient une grande tranquil- 
lité et un noble mépris pour tout ce qui aurait pu étonner ou 
â>ranler un esprit ordinaire, formait un excellent chapiteau anx 
membres vigoureux et parfaitement proportionnés qu'il terminait. 
La parure de la comtesse avait quelque chose de plus pacifique, 
mais sa robe était courte comme celled'une femme qui, d'un mpment 
à l'autre, peut avoir à faire de l'exerdce.La partie supérieure de 
sesvétemens se composait de plusieurs tuniques qui lui serraient 
1a taille ) et dont les pans , descendant de la ceinture aux chevilles, 
formaient un ajustement qu'une dame aurait pu porter dans un 
temps plus moderne. Ses cheveux étaient couverts d'un léger 
^^Bqae d'ader, d'où s'échappaient quelques tresses qni ornaient 
soii visage, et faisaient valoir de beaux traits, qui auraient pu 
avoir quelque chose de trop grave s'ils avaient été entièrement en- 
tourés de fer. Sur ses vêtemens de dessous était jeté un riche man- 
teau de velours d'un vert foncé , montant jusqu'au oou » et ayant 

i4 



une sotte de eft]Mehmi nég^igenonenc ajvtté ma le beaMw; ce 
ttanleftii était cevpert i'one large broderie sor-toiai les boids et 
enr toates les ooatilrei , et la queue en éuit si longoe qu'elle ba- 
layait la terre. Un poignard i riche poignée ornait une oemlm, 
on^rage très enrienx d'orfèvrerie. Malgré sa profession niliuirei 
c'était la seule arme offensive qu'elle portât en celte OBcasmi. 

La toilette de la eonMase , cosune en le dirait de nos joan » ne 
fàt pas terminée aussi promptement ^oe oelle dn onâte Robert, 
-qui employa son loisir, oomme les maris de tous les temps ont coih 
tnme et le ftiiroy à de petites plaintes jôgres-donoes, moitié lé- 
lîenses, moitié badines , sur la lentenr des femmes, et série 
temps qu'elles perdent à mettre et à âler leurs vétemens. Hais 
4pmnd Brttdnlda sortit , dans Péclat de toute sa beanté , de la 
^Âambre dans laquelle elle s'était habillée » son ëponx , q« était 
enomre son amant , la serra^^contre son cceur , et prouva qu'il con- 
naissait ses privilèges, en prenant, oomme de droit, un baisera 
«ne créature si charmante. Le grondant de sa foUe, presque es 
lui rendant le baiser qu'elle recevait, Brenhilda commença à de- 
mander comment ils trouveraient leur chemin pour se rendre de- 
vant l'empereur. 

Cette question fut bientôt résolue , car un coup légèrement 
frappé à la porte annonça l'arrivée d'Âgélastès. L'empereor Ta- 
Tait chafigé, comme connaissant les usages des Francs, delm 
«mener les deux nobles étrangers. Un brait éloigné, semblable ao 
rugissement d'un lion, on an retentissement d'nn gong ^ de nos 
tenq» modernes, annonça le commencement du cérémonial. Les 
esclaves noirs de garde, coisme nous l'avons déjà dit, étaieiit 
rangés avec leur oostume blanc et or, portant d'une main un sabic 
ain, et de l'antre une torohe allumée pour éelairer le comte et la 
comtesse dans les eorridors qai conduisaient dans l'întériearda 
]»alais, et à la stlle d'audience secrète* . 

I^a psfrte de ce sanctam séMCtomm était plus basse que de coa- 
tnme ; Mratngème tort simple , inventé ,par quelque officier do pi* 
lais pour forcer le Franc aider à baisser le corps «i se fréseamt 
devant l'empereur. R<^rt, quand la poite sViuvrit, et qu'il dé- 
couvrit dans le fond de la salle l'empwenr asrié sur son trôaeca 
mitien des flots d'unepumière éolatnnte , miHe fois réflédbie par ta 
joyaux dont ses vétemensétaieni!:eonverts, s'aivètaMr4e-chasip 



COMTE DC PARIS. ;il 

rtîlniiniil» ftoMyoi on le faisait eatrw par une poiteaibaflae. 
A^éhflèsi pmur ae débarrasaw d'une queation à laquelle il n'aA- 
raic pa répondre, lui montra l'emporeur. Un esdaiwiioiri pour 
s'excuser dé garder le ailaiiCB» ouvrit la bouche et &t yoir qaU 
«Tiit perdu la langue. 

— SaÎDie Vierge I décria la oomteiae , que peuvent ayoir &ît 
ces malhemiBux Africaîni peur avoir mérité une aentenee qui les 
cendamne à un si cruel destin ? 

— L'heure de la rétnbutâon est peut-être arrivée i dit le comte 
avec uh'ton de méoonlfflitement, tandis qu'Agélasièsy avec autant 
de promptitude que le permettait le cérémonial du temps et du 
lieu, entrait en faisant force génuflexions et prostratiimS) ne dou- 
tant pas qae le Franc ne lesuiyit^etqu'ilne ttt obligé pour cela 
de s'indiner devant rempereur • Hais le comte, courroucé du tour 
qa'il vit qu'on avait voulu lui jouer, tourna sur ses talons, et entra 
dans la salle d'audience le dos tourné à l'empereur. Il ne fit face à 
Alexis qu'en arrivantau milieu de l'appartement, où il fut rejoint 
par la comtesse qui avait fait son entrée d'une manière plus con- 
venaUe. L'empereur , qui s'étmt pr^Muré à rendre de la manière 
la plus gracieuse le salut qu'il attendait du comte, se trouva ainsi 
placé dans une situation encore plus désagréable que lorsque ce 
Franc audacieux avait usorpé le trftne impérial diuis le cours de 
lamèmejoamée. 

Les officiers et les nobles qui entouraient le trône, quoique 
formant l'élite de la oour, étaient plus nombreux que de coutume ; 
car il ne s'agissait pas de tenir conseil , mais de déployer une 
{rande porape« Leur physioneurie prit l'air de déplaisir et de con- 
fasion qui pouvait le mieux s'accorder avec l'embarras qu'Alexis 
éprouvait. Le Normand-Italien Bohémond d'Antioche était aussi 
présent à cette audienoe, et ses traits astucieux offraient un singu- 
lier mélange de plaisir et de dérision. Le malheur du plus faible , 
sa du moins du pins timide, en parmUes occasions, est d'être obligé 
ie prendre le parti honteux de fermer les yeux, pour avoir l'air 
de ne pas voir ce dont il ne peut se venger. 

Alexis donna le signal pour que le cérémonial de la grande ré- 
ception commençât sur-le-champ. Aussitôt les lions de Salomon , 
^i avaient été UM, récemment firarlns , levèrent la tête, hérissè- 
rent leur crinière, se battirent les flancs de leur queue, et exalte- 
nt Vimaginatien àa comte Robert , dëgà en feu par suite de la 
<^i^()^utanoe qui avait précédé son entrée, et il se figura que ies 

14. 



212 ROBERT, 

mg:i88eiiien8 de ces automates étaient Fannoiice d'une attaque im- 
médiate. Les lions qa'il voyait étaient-ils véritablement des rois de 
la forêt 9 — des hommes qni avaient subi une métamorphose, — 
l'ouvrage de qaelqne jonglenr halûle on d'nn naturaliste profond? 
C'était ce qae le comte n'aurait pu dire, et ce dont il s'inquiétait 
fort peu. Tout ce qu'il pensa, ce fut que le danger était digne de 
son courage, et son cœur n'admit pas un instant d'irrésolation. Il 
s'avança vers le lion dont il était le plus près, et qui semblait sor 
le point de s'élancer, et lui dit d'une voix aussi rauqne et aussi 
formidable que le cri de cet animal ; — Comment donc! chien I 
En même temps il le frappa de son poing serré, et couvert d'an 
gantelet d-acier, avec une telle force, que le tapis et les degrés 
conduisant au trône furent couverts de rouages, de ressorts, et 
d'autres débris du mécanisme qui avait fourni le moyen de 
produire une terreur imaginaire. 

En découvrant la nature véritable de ce qui avait enflammé son 
courroux, le comte Robert ne put s'empêcher de se sentir un péa 
confus d'avoir cédé à son emportement dans une telle occasion. U 
le fut encore davantage quand Bohémond, quittant la place qu'il 
occupait près de l'empereur, s'avança vers lui, et lui dit en fran- 
çais : — En vérité , comte Robert , vous avez fait un brillant 
exploit en délivrant la cour de Byzance d'un objet qni avait 
servi long-temps à effrayer des enfiins hargneux et des Barbares 
sauvages. 

L'enthousiasme n'a pas de plus grand ennemi que le ridicule. 
— Et pourquoi donc, dit le comte en rougissant profondément en 
même temps, — pourquoi me montrer cet objet de terreur ima- 
^^ginaire? Je ne suis ni un enfant ni un Barbare. 

^— Adressez-vous donc à l'empereur en homme raisonnable, dit 
Bohémond. Dites-lui quelques mots en excuse de votre conduite, 
et prouvez-lui que la bravoure ne vous a pas fait perdre ^tière* 
ment le sens commun. — Et pendant que j'ai un instant pour vous 
parler, écoutez-moi bien. -^ Ayez bien soin, vous et votre femme, 
d'imiter mon exemple pendant le souper; Ces mots furent pro- 
noncés d'un ton expressif et accompagnés d'un coup d'œil qui ^^ 
l'était pas moins. 

L'opinion de Bohémond, d'après les longues rations cpu 
avait eues avec l'empereur grec, tant en paix qu'en guerre, avait 
beaucoup d'influence sur les antres croisés , et le comté Robert 
céda à son avis« Il se tourna vers l'empereur, et lui fit une sorte de 



œMTE DE PARIS. 21S 

saint avec pins de déférence qu'il n'en avait encore montré. — Je 
TOUS, demande pardon, ditpil, d'ay<Hr brisé cet ouvrage doré de mé- 
canique ; maisy sar ma foi , les merveilljes de la sorcellerie y et les 
œavres étonnantes des jongleurs habiles et adroits sont si nom- 
breases en ce pays , qu'il n'est pas facile de distinguer ce qui est 
Trai ou faux , réel ou illusoire. 

L'empereur, quoique doué d'une présence d'esprit remarquable, 
et malgré le courage dont ses concitoyens ne le croyaient pas dé- 
pourvu , accueillit cette explication assez gauchement. Peut-êtice 
Tair forcé de complaisance avec lequel il reçut les excuses du 
comte pourrait-il se comparer à celui d'une dame de nos jours , 
quand un convive maladroit a cassé une pièce d'un beau service 
de porcelaine. Il murmura quelques mots sur ce que ces ouvrages 
de mécanique avaient été long-temps conservés dans la famille 
impériale , comme étant exécutés sur le modèle des lions qui gar- 
daient le trône du sage roi d'Israël. Le comte répondit, avec une 
brasque franchise, qu'il doutait que le plus sage des monarques 
do monde eût jamais daigné songer à effrayer ses sujets ou ses 
botes par les rngissemens contrefaits d'un lion de bois. — Si je 
me sois trop hâté, ajouta4-il, de croire que c'était une créature vi- 
Tante, j'en ai été bien puni, puisque j'ai gâté un excellent gante- 
let, en brisant cette tête de bois. ' 

L'empereur, après qu'on eut dit encore quelques mots, prin- 
cipalement sur le même sujet, proposa de passer dans la salle du 
Wqnet. Conduits par le grand*écuyer tranchant de la table , et 
suivis par tous les Grecs qui étaient présens, à l'exception de l'em^ 
pereor et des membres de sa famille, les deux Francs traversèrent 
^ labyrinthe d'appartemens, dont chacun était rempli de mer- 
Teilles de la nature et de l'art, faites pour ajouter à l'opinion qu'ils 
pouvaient avoir déjà de la richesse et de la grandieur de ceux qui 
avaient rassemblé tant de. choses surprenantes. Leur marche,^ 
^tant nécessairement lente et interrompue, donna à l'empereur 
le temps de changer de costume, suivant l'étiquette de sa courj. 
Tû ne permettait pas qu'il se montrât deux fois aux mêmes spec- 
^tenrs sous les mêmes vétemens. Il prit cette occasion pour 
appeler près de lui Agélastès ; et , pour que leur conférence fût 
secrète, il employa^ pour faire sa toilette, le ministère de quelques- 
^ des muets destinés au service de l'intérieur dupalais. 

Alexis Gomnèae était alors agité par une forte émotion , quoique 
^e des particdarités de sa situation fftt d'être toujours dans la. 



214 AOfiERT, 

nécessité de déguiser ses sentiaiens , et d'affisoter, en pi^senee cfe 
ses sujets y d'être ao-dessnsde toates les passions hvmaines, ce 
qni était bien loin d'être la vérité. Ce ftit donc avec on ton de 
gravité, et même de réprimande^ qn^il demanda : -^ Ciommeat se 
foit-il qne cet astneienx Bohémondy à demi Italien» à demi Asiati' 
qne, ait été présent à cette entrevue ? Qni a commis cette erreor? 
Sûrement si , dans tonte l'imnée des croisés , il se' treore an iadi- 
yldn qu'on pût sonpçontier de vonldr apprendre à ce jeune &m et 
à sa femme le mystère du spectacle par lequel nous obérions lear 
imposer , le prince d'Antioché est cet homme. 

— Si je puis parler et Tivre, répondit Agélastè», e^est ee tieS- 
lard y Michel Gantacnzène, qui a pensé que la présence de Bohë* 
mond était particulièrement désÂrée. Mais il retourne au camp 
cette nuit même. 

— Oniy dit Alexis, pour informer Godef roy et le reste des ermés 
qu'un des plus estimés de leurs compagnons est resté en otage arec 
sa femme dans notre cité impériale, et pour nous rapporter Yél* 
tematiTe d'une guerre soudaine ou de lemr délivrance. 

^ Si la volonté de Votre Majesté impériale est de penser ainsi, 
vous pouvez permettre au ceute Robert età sarfiomme de retourner 
au camp avec lltalien^Normand. 

— Quoi ! s'écria l'empereur, et perdre ainsi tous les firuifs d^one 
entreprise dont les prép a ratih nous ont déjà coûté tant d'argent, 
et qui nous auraient causé encore bien plus d^inquiétude etie 
vexation, si notre cœur était fiûtdu même métal queeehndes 
mortels ordinaires? Non, non ! Qu'on fasse savoir aux cràtséstfâ 
sont encore sur cette rive , qu'ils sont dispensés de toute prestation 
d'hommage , et qu'ils aient à se rendre sur les bords du Bosphore 
demain matin au point du jour. Que notre ancrai, s^il atuehe 
quelque prix à sa tête, les tnansporte sur Faotro rive, tons jns* 

» qu'an dernier, avant midi. Qu'on leur y distribue des largesses, et 
qu'on leur y serve un banquet splendide. Tout cela pourra ang^ 
monter leur empressement pour faire cette traversée. Alors , Age- 
lastès , nous compterons sur nous-mêmes pour combattre ce non» 
veau danger, soit en gagnant l'esprit vénal de Bohémond, scHten 
bravant les croisés. Leurs forces sont éparses ; cdui qui est à leor 
tête et leurs principaux chefs sont maintenant tous, ou^umMns 
le plus grand nombre, sur la rive orientale du Bosphore. — wis 
à présent , songeons au banquet ; car nous avons suffisammeat 
changé de costume pour satisfaire aux statuts de notre maison» 



GOMTS DB PiAIS. 2|fr 

pn^ila iifaiàiiMaBoilreide {tir^desr^llttiDmsMirlaaMuiière 
doDl 1MII6 ésmms ama BiOBtrer à nos ^jeu, comiae ks prêure» 
mMtrait lea iiMgea de» saints dans Icwra égUses. 

— S^il m'est permis de perler et de -vivre» dit A^élastès, i)s 
n W pas agi inconsidéféiiieiit* Us <mt ^oala que l'emperear , étant 
tsejeors aonmis au mêmes loisy de père en fils , fût toogoars re» 
gudé eemme an être élevé au-dessna des hns communea de l'hn* 
mamté, eoinme l'image divine d'an saint, pluti&t que comme on 
simple mertel. 

— Noasaavmiaoelfty bon.Âgélastèa, dit l'empwear eiv souriant ; 
el aoas savons anas» fae plusieurs de nos snjietSji comme les adora* 
temrs de Bel dam TEcritur^Samte, noua traitem comme une 
ûaagey en ctt qu'ils nous aident à dévorer lesrevenns qni sont levés 
pour nous et en notre nom dans nos provinces* Mais nous ne 
iiûsoQs allnsion à œ si^et (ja'en passant ^ ce n'est pas le moment 
d'en parler. 

Maiis mit fin a« conseil secret après qne l'ordre poor l'embar* 
peaient dea croisés eot été écrit et signé en due forme avec l'encre 
saorée de la elMnceUerie impériale. 

Pendant ce tempe , le reste delà compagnie ét^itarrivé dans une 
s^ qni» comme tons les autres appartemenadi]^ palais , était meU'* 
blée avec autant de richesse qne 4b go&t. Si quelque chose pouvait 
pTÂter à la eiitâqne sous ce dernier rapport, c'étaient les plats qm, 
remarquables du reste par l'éclat du métal qui les composait , et 
par Uredierche des mets qu'ils contenaàientr étaient soutenus par 
das pieds» de manièreà setrouver auniveau deafemmeaqui étaient 
amises devant la taUei et dea lumimes qui étaient éten^sur dea 
couches. 

îout autour étatent des esclaves noirs richement costumés. L«t 
P^jnû. écuyer tranchant» Michel Cantaouzène» indiqua avec sa 
^arge d'or à chacun des convives la place qu'il devait occuper» et 
lear fit entendre par signes qu'ils devaient tous rester debout prèa 
ia la table , jusqu'à ce qu'il leur donnait le signal de s'y placer. 

Lehaut bout de la table était caché par un rideau de mousseline 
^ de soie qui tombait du haut d'un cintre sous lequel cette partie 
as la tdl4e semblait passer. L'écuyer-tranchant avait toujours lea 
y^ax fixés avec attention sur ce rideau; et quand il le vit re* 
nmer, il agita sa baguette» et chaciin i^ttendit,en silence ce qpk 
^t se passer, 

I^ rideau mystérieux $e leva c<Hnme de lui-même » et l'o^ vit 



216 BOBIQIT, 

par-derrière un trône élevé de hmt marches aa^Jtessns da nifetn 

du bout de la table, décoré avec la pins grande magnific^ce, et 

devant lequel était une petite taUe d'ivoire , incru&tée en argent, 

près de laquelle était assis Alexis Comnène. Ce prince avait un 

costame entièrement différent de ceux qn'il avait portés dans le 

coiv*s de la joornée, encore pins riche qne tons les antres, et si 

brillant qn'il semblait assez naturel que ses sujets se prosternassent 

devant un être si éblouissant. Son épouse, sa fille et son gendre le 

césar étaient debout derrière lui , la tête penchée vers la terre; et 

ce fut avec un air d'humilité profonde qne , descendant, sur l'ordre 

de l'empereur, de la plate-forme sur laquelle était lej trône , ils 

allèrent se mêler aux hôtes réunis autour de la table inférieure, 

et s'y placèrent , malgré leur rang élevé , au signal que donna le 

grand-écuyer tranchant. On ne pouvait donc dire que les convives 

partageassent le repas de Tempereur, ni qu'ils fussent placés à la 

même table; cependant ils soupaient en sa présence, et il leur 

adressait fréquemment la parole pour les engager à faire honneur 

an festin. Nul plat servi sur la table inférieure ne fut présenté sur 

celle de l'empereur ; mais les vins et les mets plus délicats qui s'éle- 

vaient devant lui comme par magie étaient souvent envoyés par 

son ordre spécial à ceux des convives qu'Alexis voulait honorer, et 

les Francs reçurent particulièrement cette mafque de distinction» 

La conduite de Bohémond en cette occasion fat siogulièreaieDt 
remarquable. 

Le comte Robert , qui avait les yeux fixés sur lai , tant à cause 
de l'avis qu'il en avait reçu, que parce qu'il l'avait vu lui lancer 
une ou deux fois un regard expressif, remarqua que ce prince 
circonspect ne toucha ni aux mets ni aux vins qui étaient sur 
la table , ni même à rien de ce qui lui fut envoyé de celle de 
l'empereur. Un morceau de pain qu'il prit au hasard dans la cor- 
beille^ et une coupe d'eau pure, furent les seuls rafraîchissemens 
qu'il se permit. L'excuse qu'il allégua fut le respect qui était dû a 
la fête de l'Avent, qui arrivait précisément cette nuit, et qni^^* 
regardée comme également sacrée par les Grecs et par les Latins. 

— Je ne m'attendais pas , sire Bohémond, dit l'empereur, à vous 
voir refuser à ma propre table l'hospitalité , le jour même où vous 
m'avez fait honneur en entrant à mon service comme mon vassal 
pour la principauté 4'Antioche. 

— Aniioche n'est pas encore.r conquise , Sire, dit Bohémond ; ^ 
la conscience, cette souveraine fière et jalouse , doit toujours avoir 



COMTE DE PARIS. ' 2Ï7 

ses exc^tioBSy qadqiies obl^ations temporelles qae nous pnissioiia 
contracter. 

—Allons y comte! reprit l'empereur qni regardait éyidemmeilt 
l'abstinence de Bohémond comme produite par la méfiance plutôt. 
qne par la dévotion , quoique ce ne soit pas notre usage y nous in- 
citons nos enfans , nos nobles hôtes , et nos principaux officiers û» 
présens à boire tous à la ronde. Qu'on emplisse les coupes appelées 
les Nenf-Musesy et qu'on y verse le vin qu'on dit consacré aux lèvres 
impériales. 

Diaprés l'ordre de l'empereur^ les coupes furent remplies. Elles 
étaient d'or pur, et sur chacune d'elles était ciselée l'image de la 
mose à laquelle elle était dédiée. 

— Vous y du moins y bon comte Robert , dit l'empereur» vous et 
votre aimable épouse , vous ne vous ferez pas scrupule de feire rai-^ 
son, la coupe à la main, à l'empereur votre hôte? 

~ Si ce scrupule part d'un sentiment de méfiance de ce qu'on 
nons sert ici » répondit le comte de Paris, je ne descends pas à de 
telsâonpçons. Si c'est un péché que je commets en prenant du viil 
ce soir, c'en est un véniel , et mon fardeau n'en sera guère plos^ 
lourd quand je le porterai au confiessionnal avec mes autres fautes. 

— Ëhbien! prince Bohémond, dit Alexis 9 ne vous laisserez^ 
vous pas persuader par l'exemple de votre ami ? 

--* n me semble , répondit le Ncnrmand-Italien , que mon ami au* 
rait mieux fait de se laisser persuader par le mien. Au surplus , 
^'il fasse ce que sa sagesse lui inspirera; pour moi 9 l'odorat me 
suffit pour juger d'un vin si exquis. 

A ces mots , il vida la coUpe dans une autre , et sembla admiret 
siternativement la ciselure de la coupe et le bouquet du vin qu'elle 
avait contenu. 

•^ Vous avez raison , sire Bohémond , dit l'empereur ; le travail 
de cette coupe est parfisdt , et elle est sortie des mains d'un des an> 
ciens ciseleurs de la Grèce. La fameuse coupe de Nestor, dont 
Homère nous a laissé la description , était peut-être beaucoup plus 
^^ty mais elle n'égalait celle-ci ni par le prix de la matière ni 
P^i* l'exquise beauté du travail. Que les nobles étrangers qui sont 
ICI acceptent donc la coupe dans laquelle ils ont bu ou auraient pu 
*>oire , et qu'ils la gardent en souvenir de notre personne ; et puisse 
^eur expécUtion contre les Infidèles être aussi heureuse que le bié* 
^^t leur c<mfiance et leur courage I 

"^Si j'accepte ce présent^ puissant empereur, dit Bohéntond,. 



2tS HOBBIIT» 

cfeftt vuqnamsnl en ripHratiimde ce qai a p» patiâtre WimmqÊd 
de coartoisie , quand ma dévotion m'a forcé à refuser Finidtttiâa 
d0 Votie Majesté, et pour ihnu pvoaTer que nous nou» sét^roas 
arec les aentioMiui de Famkié k plue iatine. 

A ces mots, il salua profondéMenl l'empereur» qui lui répwdit 
par on sourire, dans lequel ^il entrait une assez forte nuance de 
sàrcasaie. 

'•^«^Quanft à moi, dit le comte de Pans, ayant pris sutf ma eon* 
Bcieii^ d'accepter l'invitation de Votre Majesté, je puis êtredispoué 
d'encourir le blâme d^aidw à dégarnir votre takled'nnede ces keHcs 
cospes. Je l'ai vidée à votare santé, mais je ne puis en< profiter teiiB 
aucun autre rapport. 

-^Mais le prince Bohémond le peut, dit l'eBq>ereurreCelle 
seta portéeseus sa teste, ennoblie par l'usage que vous en avea Uu 
Nous en avons, pour vous et pour votfe ainidUe épouse, un antre 
asMrtiment égal en nombre aux Grâces , quoiqu'il ne le sait plus 
aux nymphes du Parnasse. La doohe di» soir sonne, et new avertit 
de nous rappeler l'heure du repos , afin quenoos soyons enétat de 
soutenir les travaux dv lendiemain. 

La compagnie se sépara ; Bd^énond qnitta le palais, sans oublier 
lee Muses, quoiqu'il n'en l&t paa en général un adorafieiff bien fa^ 
vent. Il en résulta, commex^'était le dessein du rusé monarque grtCf 
qn^S avait fiât naître entre Bohémond et le comte de Paris, non 
pas à la vérité une queretley mais une sorte de diflérenee d'opiaion ; 
Bohémond sentant que» le comte de Paris devait regarder sa con* 
duite comme basse et intéressée, et le comte Robert étantmoioB 
porté que jamais à le prendre po«r 



CITx^PITRE XV, 



Ls comte de Paris et son épouse passèrent la unit dans le psleis 
impérial de Blaquernal. Leurs appartemens étaient cmitigns» mais 
la porte de communication en était fermée et barricadée. Us fiirsBt 
suirpHe de cette précaution. On fit , de ^observation de la fête de 
l'Avent, une excuse admissible et assez naturelle de celte cirooft' 
etonce. Inaccessibles à la mainte, le comte ni la comtesse, comBMs 



GOMTB DE PàAIS. 2W 

on peat bien le croirei n'en conçurent aucone alarme. Ifiaireion et 
Agathe, après ayoir rempli leurs fonctions ordinaires , les quittè- 
rent pour aller chercher le lien de repos qui leur aTait été assigné 
dans le quartier occupé par les officiers inférieurs du palais. 

Le jour précédent avait été nn joor d'agitation , de tumvlle, 
dlntérét. Peut-être aussi le vin consacré aux lètres impériale^ 
dont à la vérité le comte' Robert n'avait bu qu'une seide coupe^ 
vm remplie bord à bord, était plus capiteux que le jus délicat et 
satonreux des raisins de Gascogne^ auquel il était accoutumé s 
dans tons les cas, il lui sembla, en s'éveillant, qu'il avait dormi' 
assez long-temps pour qu^il dût faire grand jour dans sa cbanfare, * 
et cependant il y régnait encore une obscmité presque palpable* 
Il i^arda autour de lui avec quelque surprise , mds il ne put rien 
distingaer que deux points ronds de lumière rougeâtre, brillant an 
milieu des ténèbres avec un éclat semblable à celui des yeux d'un 
ammal sauvage qui les fixe sur sa proie. Le comte se mit sur son- 
séant pour se lever et endosser son armure, précaution néoessairoy 
si ce qu'il voyait était réellement une bête féroee, etqu^eUe fite. 
en liberté. Mais à l'instant où il fit ce mouvement , ses oreillee 
forent frappées d'un rugissement profond, tel qu'il n*«i a'Wdt 
jamaÎB entenda, et comme si un millier de monstres l'eussent 
poossé en même temps. Ce bruit effrayant fut accompagné d'un 
i^ntissement de chaînes de fer, et d'un bond que fit Fanimd en 
^'^Itnçant yersr le lit. Il parut cependant qu'il était attaché de ma- 
lùère à ne pouvoir y atteindre. Ses rugissemens continuèrent sana 
interruption. Ils étaient effrayans , et devaient se faire entendre 
^toQt le palais. A en juger par ses yeux étincelans, le monstre 
8«ûblait s'être accroupi à quelques pas plus près du lit que dsoB- 
^ première position , et le comte ne pouvait savoir quel mouve» 
nient il pouvait fairesans se placer à sa portée. Il entendait le bruit 
^e sa respiration, et il lai semblait même en sentir la cliaietnr; 
tandis que ses membres sans défense n'étaient peut-être pas à' ux; 
pitds des dents qu'il entendait grincer, et dès griffes qm arrachaient 
^es fragment du plancher de chêne. Le comte de Vwm était m 
des hommes les plus braves qui vécussent dans ce temps où la bra-* 
^otre était l'apanage universel de quiconque avait me goutte de 
^ noble, et le comte descendait de Charlemagne. Cependant il 
tAit homme, et par conséquent it ne pouvait envisager sansim - 
^^n effroi un danger si imprévu et si extraordinaire. Msâace 
^ <tait ni une alarme soudaine» ni une fi*ayeur pamque i e^étaH le 



280 ROBERT, 

calcul, fait avec calane, d'an péril extrême , joint à la résohtioa 
de faire les derniers efforts poor sauver sa yie, s'il était possible. 
Il se recala dans son lit, qui n'était plas poar lai an lieu de repos, et 
s'éloigna ainsi de quelques pieds des yeux étincelans fixés sur loi 
si constamment, que, en dépit de son courage, la nature peignit 
à son imagination ses membres déchirés, palpitans et ensanglantés 
dans la gueule de quelque animal féroce et monstrueux. Une seule 
pensée rassurante se présenta à son esprit : c'était peut-être une 
épreuve faite par le philosophe Agélastès ou par rempereor son 
maître, pour juger de ce courage que les chrétiens affichaient, et 
pour punir l'insulte que le comte avait été assez inconsidéré poor 
faire la veille à ce prince. 

— On a raison de dire, réfléchit-il dans son agonie, qu'il ne fant 
pas braver le lion dans son antre. Peut-être en ce moment quelle 
vil esclave calcule-t-il si j'ai assez souffert les tortures prélimi* 
naires de la mort, et s'il lâchera la chaîne qui empêche cette bête 
sauvage d'achever son œuvre sanglante* Uais que la mort vienne 
quand elle voudra, il ne sera jamais dit q|i'on aura entenda le 
comte Robert faire une demande de merci, ou pousser un cri de 
douleur ou de crainte. Il tourna la tête du côté de la muraillci et, 
faisant un violent effort sur lui-même, il attendit une mort qu'il 
croyait très prochaine. 

Ses premières idées s'étaient naturellement portées sur loi' 
même. Le danger était trop urgent et d'une nature trop horrible 
pour qu'il pût envisager, cette calamité sous un point de vae plus 
étendu. Toutes réflexions d'un genre plus éloigné disparurent donc 
devant la pensée d'une mort immédiate qui l'occupait exclusive- 
ment. Mais aussitôt que ses idées devinrent plus claires, la sûreté 
de la comtesse fut l'objet qui frappa tout à coup âon imagination. 
— Que ne pouvait*elle pas souffrir aussi en ce moment? Tandis 
qu'il était soumis à une épreuve si extraordinaire , à quoi réser- 
vait-on le courage moins mâle et les membres plus faibles d'une 
femnie? Etait-elle encore à quelques pas de lui, comme lorsqu'ib 
s'étaient couchés la nuit précédente ? ou les barbares qui avaient 
inventé pour lui une scène si cruelle avaient-ils profité de sa con- 
fiance imprudente pour exercer contre elle quelque atrocité sem- 
blable , ou même encore plus perfide ? Dormait-elle ou était-elle 
éveillée? Etait-il possible qu'elle dormît, à portée d'entendre ces 
rugissemens affreux qui devaient percer toutes les murailles? H 
résolut de l'appeler, de l'avertir, s'il était possible, de se mettre 



COMTE DE PARIS. 2U 

snr ses ga^esj et de lai dire de lai répondre , sans se hasarder à 
entrer tém&airement dans ane chambre où se trouvait on hôte, si 
horriblement dangereux. 

Il prononça donc le nom de sa femme , mais d'one Toix trem- 
blante, conmie s'il eût craint qne l'animal féroce ne l'entendit. 

— Brenhildal Brenhilda I — H y a du danger. — Eveillez-yonSi 
parlez*moiy mais ne vons levez pas! — Point de réponse. — Qae 
sois-je donc devenu? se demanda-t-il à lui-même ; j'appelle Bren- 
hilda d'Aspramont du même ton qu'un enfant appellerait sa nour- 
rice, et tout cela parce qu'il y a un chat sauvage dans ma chambre I 
Fi! comte de Paris, fi I II faut qu'on déchire tes armoiries, et qu'oii 
brise tes étriers sur tes talons! — Holà ! ho ! s'écria-t*il d'une voix 
pins haute, mais encore tremblante; Brenhilda! nous sommes 
entourés de dangers! Le danger iious menace! — Répondez^noi, 
mais ne bougez pas ! 

Il n'obtint d'autre réponse qu'un nouveau rugissement du 
monstre qui était en garnison dans sa chambre. Ce rugissement 
semblait dire : — Ta n'as plus d'espoir I Et ces mots pénétrèrent 
dans le cœur du chevalier comme lui amioncant véritablement la 
perte de toute espérance. 

— Pe9t-étre pourtant parlé-je encore trop bas pour lui &ire 
connaître mon danger. — Ohé ! ohé ! — Mon amour ! — Bren- 
hilda I 

Une voix creuse et lamentable , comme aurait pu l'être celle 
d'an habitant du tombeau , lai répondit à une certaine distance : 
— Qael est le malheureux qui croit que les vivans peuvent lui ré- 
pondre dans les habitations des morts ? 

— Je suis un chrétien, un homme libre, nn noble du royaume 
de France, répondit le comte. Hier j'étais à la tête de cinq cents 
hommes^ les plus braves de toute la France, — c'est-à-dire du 
inonde entier. — Et maintenant je suis ici sans le moindre rayon 
de lumière pour m'apprendre comment je puis éviter le coin où 
se trouve un chat-tigre sauvage, prêt à s'élancer sur moi et à me 
dévorer. 

— Ta es un exemple des vicissitudes de la fortune, et cet exemple 
ne sera pas long-temps le dernier, répondit la même voix. Moi, qui 
suis dans ma troisième année de souf&ance, j'étais ce paissant 
Ursel qui disputa à Alexis Comnène la couronne impériale. Je fos 
trahi par mes confédérés, et ayant été privé de la vue, le plus 
{rand des bienfaits de la nature ; j'habite sona ces vpâtes , assez 



2Î2 ROBERT, 

procbe Toisia des attimaux sanvages gailes eecnpeat foçkpiefo», 
et dont j'entends les cris de joie qnand des Tictimes infortauétt, 
comme toi, sont livrées à leur fareur. 

*— £n ce caSi n'aB«tu pas entendu hier sur conduire ici on guer- 
rier et son époBse , anx sons d'une musique semblaUe à celle d'an 
fmc de noces ? — O BrenhSdal — si jeune , -* si belle , -— latra* 
iiisott t'a-t*elle mise à mort pw dts moyens doi^ l'faorreor ne pent 
s'exprimer 1 

•— Ne crois pas , dit Ursel , comme s'était nommé ce nouvel in- 
terlocuteur, que les Grecs accordent à leurs bétes sauvages des 
mets si délicats. Pour leurs ennemis , — terme qui comprend non- 
seulement tous ceux qui le sont véritablement, mais quiconque 
est l'objet de leur crainte ou de leur haine , — ib ont des cachots 
dont les portes, une fois femtées , ne s^ouVrent plus; des instra* 
mens de fer ronge pour détruire les organes de la vue; des lions 
et des tigres quand U leur plaît de se débarrasser promptementde 
leurs prisonniers; maisteisont ies hommes qu% leur réser?ent. 
Quant aux femmes , A eSlés «mt jeunes et belles , — ib ont des 
places pour elles dans knrs palais et dans leur couche; •— et aa 
lieu d'être employées , comme les captives de l'armée d'Aga- 
memnon , à pmser de l'eau dans une foiitaine d'Argos, elles sont 
admirées et adorées par ceux que le sort a readas maîtres de lesr 
destinée. 

— Tel ne sera jamais te destin de Breidiilda 1 s'écria le comte 
Aobert : son nunri vit encore pour la secourir ; et s'il périt, elle 
saura le suivre sans laisser une tache sur l'épit^he de l'on ni 
de l'autre. 

Ursel ne répondît rien. Un court intervalle de silence suivit, et 
ce fut lui qui le rompit en s'écriant : — ^ Etranger I qpel broit 
vieDSǤe d'entendre? 

-«- Je n^entends rien« 

-^ Mais moi, j'entends. La cru^e privBtkti d'un sens donse 
plus d'activité aux autres* 

— Ne t'en mets pas en peine , mon compagnon de [prison, ci 
attends l'iévwementen silence. 

Tout à:ooup use iumiàre sombre et rongeâlfe accompagD^c^^ 
fumée s'éleva dans l'af^ artement. Le comte avait songé a un hti- 
ifptst qu'il porlait ordinaîrement sur lui, et, avec aussi peu delirflit 
qu'il était possible, il ^mâ latorche^ui était près déconfit, et 
l'ayant ^ipprochéedeandeank, qui énûent de mousseline dàire, ils 



COMTE DE PARIS. SSS 

hrak en flanme m tm instant. Il smita en mâme temps à bas de 
son lit. Le tigre , car c'en était on , — Cuvante par la flamme 
fit an bond en arrière, et s'éloigna antant ijne sa cbatne le lui per- 
mit. Le comte saisit alors nne massive escabeUe de bois , senle 
arme sltensrf e sar laquelle il pût mettre la main^ et prenant pour 
bat cesyeuK qui réfléchissaient alors l'éclat du feli, et qui, quelques 
insuns auparavant, avaient paru si menaçaas, il lança vers^se 
point ce fragment pesant de chêne avec Mie force qui semblait 
moins partir d'un bras humain que d'une bnliste qui décharge une 
pierre. Il avait si bien choisi son moment et si bien pris son point 
de mire, que ce trait d'un nouveau genre alla droit an but, et avec 
nne forée incroyable. Le tigre, que nous ne pourrions, sans exagé- 
ration, décrire comme étant de la plus grande taille, eut le crâne 
brisé du coup ; et, à l'aide de son poignard , qui lui avait été heu- 
reusement laissé, le comte français acheva le monstre, et ent la sa- 
tishction de le voir grincer des dents pour la dernière fois , et 
roder , dans l'agonie de la mort , ces yeux qui naguère avaient 
paru si formidables. 

Regardant autour de kn , il reconnut, à l'aide du feu qu'il avait 
allamé , que la pièce où il se trouvait n'était pas l'appartement 
dans lequel il s'était couché la nuit précédente. L'ameublement 
des deux chambres offraifnn contraste frappant, car il ne se trou- 
ât, dans l'espèce de cachot qu*il occupait alors , que les restes , 
brûlant encore, des rideaux de mousseline, des murailles nues, et 
h très utile escabelle dont il avait fait si bon usage. 

Le chevalier n'eut pas le loisir de tirer des condnsions de œ 
qui venait de se passer. Il éteigmt à la hâte le feu, qui, dans le fait, 
ne pouvait trouver aucun aliment, et , à la clarté de la torche, il 
examina son appartement, et les moyens d'^itrée qu'il offrait. Il 
<%t presque inutile dédire qu'il ne trouva plus la porte de commu- 
nication avec la chambre de Brenhilda, ce qui le convainquit qu'on 
^ les avait séphrés la veille, sons prétexte de scrupules religieux, 
^'afin d'accomphr quelque dessein perfide contre lui, peut*être 
<^Qtre tous deux. Nous avons déjà vu la part qu'il eut dans les 
ft^ntnres de cette «mit, «t 4e succès qu'il avait obtenu dans une 
^e si terrible lui donna l'espoir «-^^espoir auquel il ne se livra 
fii'eii iremUant *^ que Brenhilda , par son courage et sa valeur , 
serait en état de se défendre elle-même contre toute attaque dirigée 
^ntre elle , ide vif« force o» par trahison , jusqu'à ce qu'il pût 
^vter le faoyen d'aikr à loa ^oeonrs^ «-- J'amrais dA, pensa44[ , 



22i ROBERT, 

faire plus d'attoition à l'avis que me donna Bokémond la nmt der- 
nière ; car il me fit entendre , je crois , aussi clairement que s'il me 
l'eût dit en termes positiCB, que cette coupe de vin était une potion 
préparée et dangereuse. Mais fil quelle basse stupidité I Gomment 
pouvais-je croire qu'il avait de tels soupçons, quand il ne les expri- 
mait pas franchement , et que , par indifférence ou dans des ynes 
lâchement intéressées , il me laissait courir le risque d'être assas- 
siné par un despote astucieux? 

En ce moment la même voix se fit entendre du même côté 
^'auparavant. — Holàl hol étranger! vivez-vous encore, on 
avez- vous été assassiné ? Que signifie cette odeur étouffante de 
fumée ? Pour l'amour de Dieu , répondez à un homme à qui ses 
yeux ne peuvent rien apprendre , puisqu'ils sont fermés pour 
toujours. 

— Je suis en liberté , dit le comte , et le monstre destiné à me 
dévorer n'existe plus. Je voudrais , mon ami Ursel, puisque tel 
est ton nom, que tu eusses l'usage de tesyeuxy et que tu eusses pa 
être témoin de ce combat. Il en aurait valu la peine, quand même 
tu aurais àd les perdre le moment d'après , et tu aurais pn 
Tendre un grand service à quiconque aura la tâche d'écrire mon 
histoire. 

Tandis qu'il, cédait un moment à l'impulsion de cette vanité qû 
le doininait fortement, il cherchait^ sans perdre un seul instant, 
quelque moyen de s'échapper de sa prison, sans quoi il ne pondait 
avoir aucun espoir de retrouver son épouse. Enfin il sentit une 
porte dans la muraille , mais elle était garnie de forts verrons fer- 
mant à clé. — J'ai trouvé le passage, s'écria*t-il ; il est du côté d'où 
vient ta voix; mais conunent ouvrirai*je la porte ? 

— Je t'apprendrai ce secret, dit Ursel. Je voudrais pouvoir 
aussi aisément ouvrir tous les verrous qui s'opposent à ce que 
nous puissions respirer un air libre. Mais quant au cachot ou ta 
te trouves , emploie toutes tes forces pour, en soulever la porte et 
et lever les gonds jusqu'à un endroit où ils trouveront une rainnre 
pratiquée dans la muraille, et alors, avec un léger effort, la porte 
s'ouvrira. Plût à Dieu que je pusse te voir! non-seulement parce 
que, étant un brave, tu dois être bon à voir, mais encore parce 
que je saurais par là que je ne suis pas condamné à d'éternelles 
ténèbres I 

Pendant qu'il parlait ainsi, le comte fit un paquet de sonar« 
HHijrei à laquelle rien ne manquait, excepté son sabre Tranchefef' 



COMTE DE PARIS. 22* 

II Toolat ensuite essayer d'ouvrir la porte de sa prison , en suivant 
les instnictions de Piafortané Ursel. Il reconnut bientôt qu'il ne. 
servait à rien de chercher à l'enfoncer ; mais quand il eut employé 
sa force colossale pour la soulever autant qu'il était possible , il- 
eut la satisfaction de sentir que les verrous cédai^ity quoique avec 
peine. Une rainure avait été taillée dans le mur, de manière à leur 
permettre de sortir de la coulisse dans laquelle ils entraient ; et, 
sans avoir besoin de clef , mais en poussant fortement en avant , 
le chevalier s'ouvrit un étroit passage par lequel il entra^ tenant 
son armure à la main. 

— Je t'entends y étranger ^ dit Ursel , et je sais que tu es ^tré 
dans le lieu de ma captivité. J'ai passé trois ans à tailler ces rai- 
nures répondant aux coulisses dans lesquelles entrent ces verrous 
de fer > et les gardiens de la prison n'ont jamais découvert ce. se- 
cret. Mais peut-être vingt autres verrous exigeraient le même 
trayait avant quemés.pas pussent s'approcher de l'air libre. Quelle 
apparence que j'aie assez de force d'esprit pour continuer cette 
tache? Cependant y crois-moi , noble étranger, je me réjouis d'a- 
Yoir contribué de cette manière à ta délivrance y car si le ciel n'ac- 
corde pas plus de succès à nos efforts pour regagner notre liberté» 
nous pourrons du moins être une consolation l'un pour l'autre, 
tant que la tyrannie nous permettra de vivre. 

Le comte Robert regarda autour de lui, et frémit en entendant 
une créature parler de consolation , quand elle était enfermée dans 
ce qui semblait un tombeau. Le cachot d'Ursel n'avait pas plus de 
douze pieds carrés , le toit en était voûté ^ et les murs étaient con- 
struits de grosses pierres jointes en mortaises par le ciseau. Un lit. 
Que lourde escabelle , semblable à celle dont le comte s'était servi 
pour briser la tête du tigre , et une table également grossière , en 
formaient tout l'ameublement. Sur une pierre de forme longue , 
au-dessus du lit, était gravée cette inscription courte , mais ter- 
nble : a Zedekias Ursel , emprisonné ici les ides de mars l'an de 
S^âce... ; mort et enterré dans le même lieu le... o Un espaceblanc 
^vait été laissé pour remplir la date. A peine pouvait*on distinguer 
les traits du prisonnier dans l'état déplorable où il était réduit. Ses 
cheveox, qui n'avaient été ni coupés ni peignés depuis trois ans , 
tombaient en longues mèches autour de sa tête, et se mêlaient à 
QQe barbe d'une longueur étonnante. 

^Regarde-moi y dit le prisonnier, et réjouis*toi de pouvoir con- 
^^pler la situation misérable à laquelle un tyran farouche peut 

i5 



22B ROBERT , 

réiotre «t de scs' MiilUabks , en le frappant àsam son exialtmm 
actaelle et dans œtf eapéranccs fiiiares. 

«— Et cf €91 toiy. dit te oawte Robert , dont le sang se glangait dais 

seSTeineSy c'estcoifiiiasealecoiiragedepasserto&teBipsàciNi- 

per ces blocs de pierre dans lesqueb entrent ces verrons? 

é ^ Hélas! répondit Ursel , que pouvait Caire un aveugle? il fid^ 

lait m'oecaper, si je ne voalais pas perdre Pesprit . CTétait nn grand 

travail , et celle tâche ne fat finie qa'eor trois ans. Tn ne peux être 

snfpris qne j'y aie eoneacré tout mon temps , quand je n'avais pas 

d'antre moyen de l'employer. Peut-être , ek j<e suis porté à te 

croire 9 mea cachot ne permet-it pas de distinguer le jour de la 

nuit , mais l^oiiege d'une cathédrale éloignée m'apprenait qn'tiiie 

hettre venait d'en suivre nue antre , et me retrouvait toujours oc- 

cupé à frotter pierre centre pierre. Mais quand la porte céda, je 

reecnnus que je n'avais fait qne m'oihvrîr un accès à une prisoa 

:pltts forte encore que la mienne. Je me réjonis pourtant Savoir 

fim cev owrage , puisqu'il nous a réunis , qu'il t'a permis d'^entrer 

dans ment cachot , et qull m'a donné un compagnon de misère. 

-^Aicde pltis hautes pensées , dit le comte Robert. Songea k 
liberté , songe* à hf vengeance. Je ne puis croire qu^nne si iniSme 
trahison rénssisse complètement ; autrement , je le déclare , le àA 
serait moins juste que les prêtres ne nous le disent. — «Et coimneiitf 
te fournit-on ta nourriture dans ton cachot? 

-^ ITh gHrdOy qtà , je crois , ne eonnatt pas ht langne grecque^ 
car jamais ii ne me répaai ni ne me parle, m'apporte tous ks 
deux jomrs ce qui est indispensable pomr soutenir ma misérable 
existence : m paki et une cruche d'eau. Il faut donc que je vous 
prie de vous rethrer dans la prison voisine jusqu'à ce qu^il soit 
venu, afin qtill ne pinsse savoir que nous avons le moyen denoiur 
.parler. , 

— Je ne vois pascomment ce Barbare, si c'en est un, peut entrer 
'^ans mon cachot sans passer par le tien. Quoi qu'il en soit , je! vais 
rentrer dans Fautre chambre ; mais sois bien assuré qne ce garde 
aura affaire à moi avant qu'il ait fini sa besogne aujourd'hui. Ea 
attendant y regarde-toi comme muet aussi bien qu'aveugle, et sois 
sûr que même Poflre de la liberté' ne pourrait me déterminer à 
abandonner la cause d'an compagnon d'infortune. 

— Hélas ! j'écoute tes promesses^ comme celle du vent du matin 
qui me dit que le soleil va se lever , quoique je sache que, moi du 
moins , je ne le verrai plus. Tti es un de ces chevaliers fougueux et 



COMTE >$ FAIMS. 22T 

tant d'aiuiée« pour teAter des. cbfiisw împoflflîblM, et par coaaé* 
^PH»t ja na poia a«p(irar de» u>i qaedfl» projeta de secours sem- 
bUblesau baUaSf da ssToo qw aojsffla W: e^ 

•r- Pensa miam; da Qava , YieiUavd» dil la oomie Robert m.sa 
retiwit« Du moinst IwweinQi maiimdaMil'ardeiir de l'espâranoe» 
et m rc^rdant cohum. possihla vm rànnoa à firenhiUa. 

▲ ees nota, il raMva daw soa aachot et replafa. la porte , pour 
qae le garda^ quand U arriv^ndt» aftpAt remarquer ks^opéra^oiia 
d'Ursel, qui n'étaient que af^qu'avaiaut pu faire' troia ans de soli- 
tBd$. Il asti inalbeureuxv,. peu8a*t41 quand il se ratrouTa dima sa 
piisoa (car il çmAU netw^aUeiaent que la obambre daua laquelle 
le tigre avait é|é plaaélui afvaitjété deatifide), ii est aataUieureux 
qpfi je n'aie paa trouvé ua jeune et ijgoureui^ eonfiagaoïi de oap- 
tivàé» au lieu d'un bompe Mfoibli par un bn^eiupnsonnmnent, 
aveagle, et hors d'état de faire aucun effort. Mais que la volfonté 
de Dieu soit faite I je ne laisserai pas derrière moi le pauyre diable 
qae j'ai trouvé dans une telle situation. En attendant , examinons 
bien les murailles , avap^d'étaindrela tarcfa^y afin de voir si nous 
ydécourrirons quelque autre porte que celle qui conduit à la pri- 
son de l'ayeiigle. Si je n'en trouve pas , je serai tenté de croire 
qu'on m'a descendu par lateit» Cette coupe , cette Muse, comme 
on l'app^e , la liqueur qu'elle contenait avait un goût qui res- 
semblait à une médecina plntiii^i; qu'à ua vin destiné à porter une 
santé joyeuse. 

11 commença Fexamen attentif des murailles , déterminé à 
éteindre ensuite la torche , afin de pouvoir attaquer Tindividu qui 
entrerait dans son cachot , dans l'obscurilé et par surprise. Pour 
lamême raisan, fl traîna le corps dn tigre dans le Oain la plufe 
sombre 9 et le couvrit des débris des couvertures brûlées, jurant 
eu même lemps qn^nn d«ni*tigre serait son cimier à Favenir , s'il 
avait le bonheur d'éahap^per au danger dans lequel il se» trouvait , 
ce dont son intrépidité ne lui permettait pas de douter. -*t^ Mais > 
ajciata-t<il , si ces néeromanciens, ces vassaux da l'enfer» lâchent 
le diable contre moi , que £erai*je en ce cas P Et la ebance est si 
grande» que je ferais peutrêtre mieux de^ne pas étàindrela torche* 
^pendant c'est une puérilité pour un chevalier qui a été armé 
dans bi cbapdAerde Notve-Daïae d^a Lances-Ronqf^ues > de redou-» 
ter les ténèhres. Qu'ils arrivent 1 Qu^il vienne autant de diables 
que oe cachot peut an contenir I et noua verrons ai je ne les regoia 

i5. 



228 ROBERT, 

pas comme il convient à un chevalier chrétien. Et sûrement Notre* 
Dame , qne j'ai lonjoars fidèlement honorée , régardera comme im 
sacrifice méritoire l'effort que j'ai fait en m'arrachant, même pour 
on seul instant > à ma chère Brenhilda; par égard pour la fête de 
FAvent, ce qui a causé noire fatale séparation. Oui, démons i je 
vons défie , en corps comme en esprit , et je garde le reste de cette 
torche pour quelque occasion plus convenaUe. A ces mots, il la 
lança contre la muraille pour l'éteindre ; et s'assit ensuite tran- 
quillement dans un coin , pour attendre ce qui pourrait arriver. 

Les pensées se succédaient rapidement dans son esprit. Sa con- 
fiance dans la fidélité de la comtesse , et dans sa force et son acti- 
vité peu communes, était sa plus grande consolation, et à qaelqae 
danger, même sous la forme la plus terrible, qu'il se la figurit 
exposée , il en puisait une autre dans cette réflexion : — Elle est 
pure comme la rosée du ciel, et le ciel n'abandonnera pas ce qui 
lui appartient. 



CHAPITRE XVI. 



Etrange imiufear des actions de l'hofiiiiiie,' 
EfFronté satirique, ou bien mauvais plaisant, 
Qui ne peux inspirer qu'nn dégoût méprisant; 
Pour voir avec plaisir ta grotesque figure 
Exprimer notre orgueil, nos traits , notre toarnore, 
D'an singulier caprice il faut être enticbé, 

jinonjrn 



Le comte Robert s'était caché derrière les ruines du lit , de sorte 
qu'il ne pouvait guère être aperçu , à moins qu'une forte lumière 
n'éclairât tout à coup le lieu de retraite qu'il avait choisi, et il 
était impatient de savoir comment et par quelle entrée le gardien 
de la prison, chargé de porter leur nourriture aux prisonniers, 
se montrerait à lui. Il n'eut pas bien long-temps à attendre poor 
être averti de l'approche de cet homme. 

Une lumière , qui semblait partir d'une trappe pratiquée dans le 
plafond , pénétra dans le cachot , et une voix prononça ces mots 
en anglo-saxon : — Saute , drôle; allons , point de délai ; sftute, 
mon brave Sylvain^ montre ton àgifité. Une voix ranqiie lui ré* 
pondit par des accens inarticulés auxquels le comté de Paris ne pat 



COMTÉ DE PARIS. 229 

rien comprendre , mais qui loi parurent indiquer peu d'envie d*o- 
bSr à Tordre qui avait été donné. 

— Eh bien 1 Monsieur , reprit la première voix , est-ce que vous 
avez eiivie de faire le mutin ? Si vous êtes si paresseux , il faudra 
que je vous donne une échelle y et probablement un bon coup de 
pied , pour accélérer le voyage de Votre Honneur. En ce moment , 
un être d'une taille gigantesque , ayant plus de sept pieds , et ayant 
la forme humaine , sauta par la trappe , quoiqu'elle fiit à une hau- 
teur d'environ quatorze pieds. Il tenait de la main gauche une 
torche allumée , et de sa droite un écheveau de soie très fine , dont 
le fil se dévidant y tandis qu'il descendait , ne se cassa point , quoi- 
qu'il soit aisé de comprendre qu'il ne pouvait soutenir un être de 
celte taille en descendant d'une telle hauteur. U tomba sur ses 
pieds avec beaucoup d'agilité et sans se faire aucun mal , et , comme 
m eût rd>ondi sur le plancher, il sauta en l'air de manière à tou- 
cher presque au plafond. Dans cette dernière gambade, la torche 
qu'il portait s'éteignit ; mais ce geôlier extraordinaire la fit aussi- 
tôt tourner autour de sa tête avec un telle rapidité, qu'elle se ral- 
luma. U parut du moins que c'était son dessein, car il chercha à 
s'assurer qu'il était parvenu à son but, en approchant sa main 
gauche de la flamme avec une aorte de précaution. Cette expé- 
rience pratique eut des suites auxquelles il ne s'attendait probable- 
ment pas , car il poussa un cri de douleur, secoua la main qu'il 
s'était brûlée, et murmura une sorte de plainte. 

— Prends garde , Sylvain 1 dit la même voix en anglo-saxon , 
et d'un ton de réprimande. Allons , songe à ton devoir, Sylvain; 
porte sa nourriture à l'aveugle , et ne reste pas là à t'amuser , ou 
je ne te permettrai plus de faire seul cette commission. 

Cet être singulier, car ce serait une témérité de lui donner le 
&om d'homme , leva les yeux vers l'endroit d'où venait la voix , et 
y répondit par une grimace épouvantable , et en montrant le 
poing. Il commença pourtant sur-le-champ à défaire un paqijet et 
à fouiller dans les poches d'une sorte de justaucorps et des panta- 
lons qu'il portait, cherchant, à ce qu'il parut, un trousseau de 
dés , qu'il trouva enfin , et il prit alors un pain dans le paquet. 
Echauffant une pierre de la muraille , il y attacha sa torche, à l'aide 
d'un morceau de cire, et ouvrit ensuite la porte du cach<^ de l'a- 
veugle , à l'aide d'une clé qu'il choisit dans le trousseau. Il parut 
chercher dans le passage une pompe, oii il remplit une cruche 
^'û avait apportée. Il revint avec les restes du pain de l'avant- 



MO HOBERT, 

yeiUe et Tantre cradfae , mangea nue boQofaée , comaiefoiir sV 
mnser y et , faisant nne grimace hideose» il jeta par terre lesfng» 
mena éa pain qfÊÎ restaient* 

Pendant ce temps, le comte de Paris suivait des yeox avec at- 
tentien tons les montvmens de cet animal inamna. Sa preimère 
pensée fat qn^nne créature , dont la taille s'élevait tellement an- 
dessns de ceUe de Phomme, dont les grioMoes étaient ai effrayantes, 
et dont PagiKté paraissait snrnatnrelley ne pouvait être que Satan 
«n personne, on quelqu'un des diables qui loi sont subordonnés^ 
et dont la situation et les fonctions dans ces régions tënânreinés 
ne semblaient pas difficiles à deviner. Cependant ia voix qu'il avait 
entendue était moins celle d'un nécromancien conjurant un -démon 
que celle d'un homme donnant désordres à un animal sauvags, 
sur lequel il avait acquis une grande supériorité en le domptant. 

^* Fi I dit le comte , fil soufiEpirai^je qu'un misérable singe, car 
je crois quecette créature semblable au diable n'est pas^aatre disse, 
quoique je n'en aie jamais vu qui eussent la moitié de sa taille, 
•mette obstacleà ce que je retrouve la lumière dujoifr et la liberté? 
Soyons attentif, et j'espère que ce sire le Velu me servira degoide 
pour regagner les régions supérieures. 

Cepcmdant cet être étrange, qui furetait 4ans tons les aaiB, 
^écouTrit enfin le corpsdu tigre ; il le toncba , le remua., en faisaac 
ides mouvemens étranges , et il parut s'étonner et gânir de^ 
mort. Tont-à-coup il sembla frappé de l'idée que quelqu'un èeimt 
l'avoir tué, et le comte RoWteut la mortification de le voir choisir 
nne seconde fois la dé de la porte du cachot de l'aveugle, et faire 
im haad si rapide de ee cèté, que s'il avait en Pintenûon de l'é- 
trangler, ilaurait exécuté son desseinnvantqne lecomteeûtenle 
temps de s'opposer à cet acte de vengeance. Il parait pourtant qu'il 
réfléchit que, peur des raisons qui lui semblèrent satisfaisantes, la 
mort du tigre ne pouvait pas étite Pouvrage^du mafiteureux Ursel, 
maia qu'elle avait été ocoasionée par quelque autre personne ca- 
chée dans le pranier cachot. 

Murmurant d'une voix ranqoe, cet étre^étrange , 8i'semblabte& 
la forme humaine, et pourtant si différent de Phomme , fit le toor 
êes murailles , remuant tout ce qui lui paraissBit pouvoir cacM* 
quelqu'un. Il Msaitde grands pa» /avançait ses longs iiras; et sss 
yeux perçana,aax aguets pour découvrir l'objet de sa recherche, 
«xamiuaient soigneusement tous lesuBoins , ù Paidet^ la lomière>te 
ia^tovche. 



œMTE DB PARIS. 281 

Eb «e rappelant le voisûiage de la ooUectâan d'ammaiix de Fem- 
perev Ale^ûs, le lecteur ne peut guère douter maintenant qpe 
l'être en question » dont la nature avait paru ei proUématique au 
«omte de Pasis, ne fût un individu de cette eapèce gigantesque de 
singes y — si iMHitefois ce n'est pas quelque aniaial allié de plus 
près à notre espèce, *^ awupiels les naturalistes ont donné, je 
crois, le nom d'orang-outang. Cet animal ^dîffîne du reste de isa 
canlrérie, en ce qu'il est , comparativement, plus docilieet ,plas 
intelligent; et quoiqu'il possède le génie de l'imitation, qui est 
commun à toute sa race , il exerœ cette faculté moiaspar dérision 
que par nn désir d'amélioration et d'inatrndiim qui est inconnu à 
ses frères. L'aptitude qu'il possède à s'instmure est si:grande qu'elle 
snrprend ; et probablement , s'il était placé dans une situation favo- 
ndUe, on pourrait pan^emr àlni donner, en.grande partie, les ha- 
faitodes de la domesticité : mais Tardeur de la curiosité sdenti- 
fiqne ne lui a jamais donné ces anantagos. Le .dernier dont nous 
ayons entendu parler a été vu, .à ce que nous croyons, dans i%le 
èd Sumatnu II était de grande taille, ayant plus de >sept pieds. de 
hauteur, et avait une £>rce prodigieuse. Il mourut en déiendant 
cpiniâtrément sa vie contre une troupe d'Européens. Nous ne pou- 
vons nons^empêolier de crDir&qa'ils.auraient)pUimietts employer la 
supériorité que leur .donnaient leurs connaiasances sur le jpanvre 
habitant des forêts. £!e fut probablement eetletcrréature qu'on voyait 
•rarement, mais qu'on n'oubliait jamais quand on l!avait vue, gui 
£t naître l'ancienne croyance au dieu Pan> auic sylvains et aux 
sa^rres. Si ce n'était leJon de la parole , .que nous ne pouvons sup- 
poser qu'aucun membre de .cette &mille ait jamais obtenu, nous 
aurionscm que le satyre vu par.-saint Antoine dans le désort appar- 
tenait à cette race. 

Il nottsiest donc beaucoup plus facile d'ajouter loi aux annales 
qui atlestent.que la ménagerie d'Al^is Gomnène contenait ua*de 
ces animaux dont le naturel sauvage avait été dompté à un degré 
sarprenant , letqui montrait une iutelUgei^ce qui n'avait jusquCalors 
été le partage d'aucune créature de cette espèces Ayant donné 
cette explication, nous reprenons le til de notpe (hiatoire. 

L'orang-outang s'avançait à pasatongés et sans b£uit,'et la^oinshe 
qu'il tenait à la main , dessinant son ombre sur la muraille , y offrait 
la représentation de sa taille colossale et de ses membres mal pro- 
portionnés. Le comte Aobert Testait toujours caché, n'étant pas 
é de commencer une lutte dont il était impossible de préjpoir 



232 ROBERT, 

le résultat. Cependant Fliomme des bois approchait, et, àchacpie 
pas qu'il faisait, l'idée d'an danger d'une espèce si nouvelle et si 
étraijge faisait tressaillir le cœur du comte au point qa'on aurait pu 
en entendre les battemens. Enfin l'animal arriva près du lit; ses 
yeux hideux se fixèrent sur ceux du comte , et , aussi surpris de le 
voir que Robert l'était lui-même d'une telle rencontre , l'instinct 
loi fit pousser un cri de terreur, et d'un seul bond il recula d'nne 
quinzaine de pas. Il s'avança alors sur la pointe des pieds, tenant 
sa torche en avant entre lui et l'objet de sa frayeur, comme pour 
l'examiner d'aussi loin qu'il était possible, et sans se mettre en 
danger. Le comte Robert saisit un fragment du bois de.lit, assez 
pesant pour servir de massue , et le leva en en menaçant l'habitant 
des bois. 

L'éducation du pauvre animal , comme la plupart des éducations, 
avait probablement été faite à l'aide des coups, et il en conservait 
sans doute le souvenir aussi bien que celui des leçons qui loi avaient 
été inculquées de cette manière. Le comte de Paris, s'apercevant 
qu'il possédait un ascendant dont il ne se doutait pas, n'était pas 
homme à manquer d'eQ profiter. Il redressa sa taille belliquense, 
- s'avança d'un pas aussi triomphant que s'il eût été dans la lice, et 
menaça l'orang*outang de sa massue comme il aurait menacé de son 
redoutable Tranchefer un ennemi dans une rencontre. De son coté, 
rhomme des bois montrait de la prudence , et il recula avec la ofiême 
précaution qu'il avait avancé. Cependant il semblait n'avoir pas 

• renoncé à tout projet de résistance ; il faisait entendre un marmore 
sourd, annonçant le^nrroux et l'hostilité , brandissant sa torche, 
et avait l'air de vouloir en frapper le croisé. Le comte Robert ré- 
solut alors de profiter de l'avantage que lui offrait la crainte évi- 
dente de son ennemi , et de le priver de la supériorité naturelle qne 
devaient nécessairement lui donner sur l'espèce humaine sa taille» 
sa force et son agilité extraordinaires. Blaniant parfaitement son 
arme , le comte menaça de frapper son antagoniste sur le côté droit 
de la tête , mais, par une feinte subite , il fit tomber le coup sur le 
côté gauche avec une telle force qu'il le renversa, et au même 
instant, lui appuyant un genou sur la poitrine, il tira son poignard 
dans l'intention de lui ôter la vie. 

L'orang-outang , ignorant la nature de la nouvelle arme dont il 

'^taît menacé y essaya en même temps de se relever, de renverser 
son antagoniste, et de lui arracher son poignard. Il aurait pro- 
iiftblement réussi dans la première tentative ; déjà même il s'était 



COMTE D% PARIS. . 2S3 

placé snr ses genoux , et il semblait devoir l'emporter dans cette 
latte I quand il sentit que le chevaliery en retirant le poignard qae 
ranimai ayait saisi par la lame^ loi avait fait une coupure à la 
main; et le voyant lui en appuyer la pointe sur la gorge , il re- 
connut probablement que son ennemi était maître de sa vie. Il se 
laissa alors renverser de nouveau, sans opposer aucune résistance, 
et poussa un cri triste et plaintif ayant quelque chose d'humain et 
qui excitait la compassion. En même temps il se couvrit les yeux de 
la main qui n'était pas blessée, comme s'il eût voulu dérober à sa 
yne la mort dont il était menacé. 

Le comte Robert , malgré sa passion pour les combats , était en 
général un homme d'un, caractère calme et doux , et plein de bien* 
Teillance pour les classes inférieures de la création. Ces réflexions 
sesnccédèrent rapidement dans son esprit : — Pourquoi ôterais*je 
la vie à ce malheureux animal, qui ne peut en espérer une antre ? 
Ëtn'est-il pas possible que ce soit quelque prince on quelque che- 
valier à qui la magie a donné cette forme étrange pour qu'il aide à 
garder ces prisons , et à mettre à fin les aventures extraordinaires 
qui s'y passent? Ne serais-je donc pas coupable d'un crime en le 
tuant, quand il s'est rendu à discrétion , ce qu'il a fait aussi com- 
plètement que le permet sa métamorphose ? Et si ce n'est réelle- 
ment qu'un animal , ne peut-il avoir quelque idée de reconnais- 
sance? J'ai entendu les ménestrels chanter le laid'Androclès et du 
Lion. — Je serai sur mes gardes avec lui. 

Après avoir ainsi raisonné, il se releva, et permit à Thomme 
des bois d'en faire autant. Celui-ci parut sensible à cet acte de 
clémence, car il murmura quelques cris d'un ton bas et suppliant, 
qni semblait en même temps implorer merci et rendre grâce de 
celle qu'il avait déjà obtenue. Il pleura en voyant le sang couler 
de sa blessure, et, avec une physionomie qui lui donnait plus de 
ressemblance avec Thomme, maintenant qu'elle portait une ex- 
pression de souffrance et de tristesse, il parut attendre avec 
terreur la sentence d'un être plus puissant qu'il ne Tétait. 

La poche que le chevalier portait sons son armure ne pouvait 
contenir que bien peu de chose. Il s'y trouvait pourtant nue fiole 
de baume vulnéraire, dont le comte avait souvent besoin , un peu 
de charpie, et un petit rouleau de linge. Il y prit tous ces objets, et 
fit signe à l'animal d'avancer sa main blessée. L'honmie des bois 
obéit en hésitant et avec une sorte de répugnance. Le comte versa 
<pielques gouttes de baume sur la blessure et la pansa, disant au 



.334 ROfBERT, 

)patient|dHmtw aévàre» qa'il B.vmt peauêtretoit A*eai|il6yerpoDr 
Ini un baume préoienXy composé pomr servir mx plus Bobles ch«- 
"vaUerSy et l'«v«itisaiit en même temps que, sHI faisait va matrais 
«sage en bontés qa'îl avait pour lui , il loi enfoncerait dans le 
ioorpty josfi^à la garde, le poignard dent il «yak d^à senti le 
tpmchaiit* 

L'onmg'Oiilang avant les yeux fiaés sar leeomle Robert» près- 
qjaB ooBsmie s'il eût coBapris les parties qui lui étaient a Aisées, 
et smvmaraiiC quelques aeoens à sa manière, dl se baissa, baisa les 
pieds du chevalier, loi embrassâmes genevx et 'semMa lai jurer 
nconnaîssanoe étemelle et fidélité. Bn conséquence, !lor$qne le 
looaste se iat retiré vers le lit, et qa*fl eaft mis son armare pour 
«ttendre que la trappe se rouvrît, l'animal s'assit auprès de loi, 
«dirigeant ses yeux du même c6té, «t paraissant aftendre eemo* 
nent avec patience. 

Après avoir «passé ainsi près d'une heure, un léger brait se fit 
snienâre au-dessus de leurs têtes, et iPhomme des bois tira le 
Vraaacipar Thabit, comme peur l'avertir de faiire attention à ce 
qm allait arriver. On entendit quelques coups de sifSet, et la iah& 
voix qui avait déjà parlé s'écria : — Syhrain ! Sylvain ! que bim 
4one làP Viens sur-le-champ I ou, ée par la croix^ tu seras fvjéi^ 
taparesse* 

Lepauvremonstre, comme Trinculo'^ aurait pu l'appeler» T*^* 
comprendre cette menace, et il le parouva «en «e rapprochant do 
comte Bobert le plus près possible, et en poussant en même temps 
des accens plaintife , commesHl eût imploré la protection da che- 
valier. 'Oubliant combien il était invraisemblable , même dans-sa 
propre ophnon , que cet animal pût l'entendre, le courte de Pan* 
ilui'dit.- — Quoi , Fami ? as-tn déjà appris la'.principale prièrete 
courtisans de ce pays, qui demandent qu'il 'leur ooit permis ^ 
parler et de vivre? Ne crains rien, pauvre créature ■: je ^^ *^" 
protetilenr. 

— Qooil Sylvain, reprit la voix d<en »haut, qui as-tn wnc 
trouvé pour compagnon? Est-ce un «afble? est-ce Fesprit don 
homme assassiné? On dittquïl en revient souvent -dans c»» «|°' 
terrains. T'amuses-tu à écouter le bavardage du vieux ^ ^^ 
Ou bien est-il vrai, comme on le dit , que tu 'es en état de 
parler quand tu le- veux, et que, si tu ne^fais entendre qae de» 

'1. 9inMiiii«B«']Mniff#», dans 1$ JK/w/rêg* , eiin«fi»d»8halapMi» 



COMTE BE 1»ARIS. SSB 

imitidftlës et ininteUigibles» e'est de peur ^ja'on ne le force à tra- 
TaiHer? Allons , mandit paressenx , je vais te donner l'aide d'ane 
échelle l 'qmqoB ta n'en aies pas pîos besolii qn'fl n'en fiindrait 
i an goii ponr monter an liant du clocher de la cathédrale de 
&Hiite*Sopine« Allonsi monte, ajonta4Hil en descendant nne échelle 
parla trappe, et ne me donne pas la peine de descendre pour 
t'dkr cherohery sans qntn , par saint Swithin ! ta t'en trcayeras 
mal* Alfons âone, monte sor^le^champ, comme nn bon garçon , et 
]K>iir cette fois je te ferai gr&ée^ mon fonet. 

Cette menace pamt iietire' impression sar l'homme des bois. Il 
sembla iaire ses adienr an comte Robert, en jetant sor lai nn 
regard lamentable qne le cheyalier remàrqaa à la Inéor de la 
torche prête à s'éteindre , et il s'avança k/itement vers l'échelle, 
atec l'air d'un condamné à mort qoi Mt la même évolation. Mais 
dès que le comte prit nn air conrrooeé et loi montra son formi- 
dable poignard, l'animal intelligent prit sur-le-champ sa résolu- 
tion, et serrant fortement les poings, comme qnelqu'an qni a pris 
ton parti, il revint dn pied de l'édielle et se plaça derrière le 
^omte de Paris, mais arv^c l'air d'an désertear qai ne se sent pas 
toat-à*Êdt à son aise lorsqu'il se voit appelé à se mettre en cam- 
l^gnecontrte son ahcien commandant. 

Au bout de quelques instans , la patience dn^rde de la prison 
fat épubée , et , désespérant qne Sylvain revînt volontairement , il 
lofait de descendre pour aller le chercher. Il mit le pied sur 
l'éehelle, tenant d'nne main on tronssean de clés , et portant une 
^ne de lanterne sourde dont le fond était arrangé de manière 
^OQ pouvait ia 'porter snr la tête comme un chapeau. A peine 
ivait^ii mis nn^ied sur le plancher qu'il fat entouré par les bras 
s^erreux du comte de Paris. Sa première idée fut qu'ïl était saisi de 
<*ttc manière par le singe rebelie. 

^ Gomment, misérable I s'écria*t-il; Ifiohe-moi, ou tu es mort. 

"^Tu cs'ittort toi-même! répliqna le comte, qui sentait loat 
«^avantage que lui donnait en ce moment son talent ponr la latte et 
* aorprisé de son adversaire. 

•^Trahison I trahison I s^écria le garde, à qui ces motsnppii- 
'^ qi^il était attaqué pnr an étranger. An eeconrs là-hant , au 
'^^nrsl Hereward, Varaagien, Anglo-Saaon! on quel que soit le 
^"•«dit'nom que tu te donnes. 

-^cnAmt quUl mait ainsi , la nrain de fèr du comte de 'Paris le 

^^^' k^^gctt^yetUeuqiêoiwd'en^dÉradavaniage.'Itetom 



i3C ROBERT, 

loardement tons deux, 1« garde en dessous, snr le {ilàneherda 
CAchot ; et le comte, se regardant comme excusé par la nécessité, 
lui plongea son poignard dans la gorge. En cet instant, le brait 
d'une armure se fit entendre, et Hereward, descendant précipi- 
tamment par le moyen de l'échelle, arriva dans la prison. La 
lanterne était tombée de la tête du garde; mais sans s'éteindre, et 
la clarté qu'elle rendait le montra an Varangien couvert de sang, 
et encore fortement tenu par un étranger. Hereward n'hésita pas 
à courir à son secours , et , prenant sur le comte de Paris le mêioe 
avantage que ce chevalier avait obtenu sur son adversaire on 
moment auparavant, il se précipita sur lui, et le tint étenda, le 
visage tourné vers la terre. 

Le comte Robert était un des hommes les plus forts de ce siècle 
guerrier, mais l'Àngfo-Saxon ne lui cédait point à cet égard; et si 
ce dernier n'avait pas eu un avantage décidé en tenant sou antago- 
niste sous lui, il aurait certainement été impossible de prévoir le 
résultat de ce combat. 

— Rends-toi , rescousse ou non rescousse, pour me serviras ton 
jargon , s'écria le Varangien ; ou la pointe de mon poignard n te 
donner la moru 

— Un comte français ne se rend jamais, répondit Robert , qui 
commença à conjecturer à quel nouvel ennemi il avait atfairei et 
surtout à un esclave vagabond comme toi. En parlant ainsi, il fit 
un effort pour se relever, si soudain^ ù vigoureux et si pnifisant, 
q;u'il se serait tiré des mains du Varangien , si celui-ci^ déployant 
toutes ses forces, n'eût réussi a conserver l'avantage qu'il avait 
obtenu. Il leva alors son poignard pour mettre fin d'un seul cottpa 
la querelle. Mais au même instant, une sorte de rire raoqueet 
sauvage se fit entendre, une main vigoureuse lui saisit le bras, et 
un bras nerveux lui entoura le cou, l'étendit sur le dos, et le comte 
en profita pour se relever. 

— ; C'est donc toi qui mourras, misérable! s'écria le Varangien, 
sachant à peine qui il menaçait ainsi. Mais l'homme des bois con- 
servait sans doute un souvenir terrible de la prouesse humaine. Il 
s'enfint rapidement, monta l'échelle» et laissa le chevalier auqael 
il venait de sauver la vie et l'Anglo-Saxon se battre avec telle 
chance de succès qu'ils pourraient avoir . 

Les circonstances semblaient annoncer un combat désespère. 
Les deux champions étaient de grande taille» vigoureuxet intré- 
pides. Tous deux portaient une armure défensive, et ils n'avaient 



COMTE DE PAMS. 237 

d'antre arme offensive qae le fatal et daugerenx poignard. Ils 
restèrent quelques instans immoUies, en face l'un de l'antre , 
eiaminant avec soin leors moyens respectifs de défense , ayant de 
se résoudre à frapper un coup qui , s'il n'arrivait pas au but, devait 
fournir à l'autre l'occasion d'en porter un plus fatal. Pendant cette 
pause inquiétante, un rayon de lumière partit de la trappe, et l'on 
y ?it paraître les traits étranges et alarmés de Thomme des bois^ 
tenaut en main une nouvelle torche 9 et étendant les bras pour la 
baisser autant que possible dans le cachot* 

—Combattez bravement, camarade, dit le comte Robert; car 
nous ne nods battons plus seul à seul : il a plù à ce respectable 
personnage de se constituer juge du champ^îlos. 

Qaeiqoe hasardeuse que fiitsa situation, leVarangien leva les 
yeax, et il fut si frappé de l'expression étrange des traits grotesques 
de cet animal , qui exprimaient à la fois Tépouvante et la curio- 
sité, qa'ii ne put retenir un éclat de rire. 

— SyWain , dit-il , est da nonibre de ceux qui aimeraient mieux 
tenir la chanddie pendant une danse si formidable que d'y prendre ^ 
part cnx-mémes. 

—Y a-t-il donc , demanda le comte Robert , nécessité absolue ^e 
toi et moi nous y fignriQus? 

--•Rien que notre bon plaisir, répondit Hereward, car je ne 
vois pasqn'il y ait entre nous une cause de querelle suffisante pour 
1Q6 nous devions la vider en un tel lieu , et devant un tel specta- 
teur* Si je ne me trompe , ta es ce Franc intrépide qui fut emprl* 
^QQé la nuit dernière dans ce cachot avec un tigre enchaîné à 
queiqaes pieds de son lit ? 

—Oui, c'est moi. 

— Et 011 est l'animal auquel tu as été exposé ? 

-- Le voilà . Il n'inspirera jamais plus de terreur que le daim qu'il 
^pn dévorer dans ses forêts. En parlant ainsi, il lui montra le 
corps du tigre , et Hereward l'examina àFaide de la lanterne sourde 
dont nous avons déjà parlé* 

— Et ceciest l'œuvre de ta main ? demanda l'Anglo-Saxon avec 
surprise. 

^Comme tu le dis , répondit le comte avec indifférence. 

^ Et tu as tué mon compagnon de garde ? 

^Ou du moins mortellement blessé. 

^ Si tu y consens, je te demanderai un moment de trêve pour 
examiner sa blessure. 



239 : ftOJWaiT, 

^ Bi0D Yotentiemi Paia9e s^fléirir la bim ifé {MBterate^WMii^ 
en trahttûa à ua emieiiii honoraUe I. 

Sans demftiidfiff d'amre ganonie» Ift Yarangie» fakta. aaa.«lti* 
tnde défensive el j^denle ; et » à Vakle deia lanterne» mmiL ïe» 
miner la Uessnreda premier championqui avait pamaur le champ 
de bataille» ejLqai.i porKant Tuni&riieirQinAin» paraissait êtr^ as 
soldat des cohortes appelées les lomnartels. Il le troitfadsiiarago» 
nie de la mort » mais encore ea état de parler*, 

— Ainsi donc, Varangien» te voilà enfin? C'est à ta paressaos 
à ta trahison qne je dois imputer mon deatin*.Me me réponds pas! 
L'étranger m'a frai^ an-dessiis de la clavicule. Si neiis.aiâow 
vécu long-temps y on qne nous noasfussioi^reaecmtréssoiEfeiiti 
je f en aurais fait autant, pour faire sortir de ^ mémoire certans 
évènemenaqnise sont passés à la Porte ^'Or- Jo eennais. tropbieii 
le maniement du poignard pour douter de l'effet d'un coup frifp^ 
an-dessus de la clavicule par un bras aussi vigoureux* Je sens k 
moment approcher. Celui qui était de la ooherte des Immertsbfi 
devenir véritablement immortel» si ce que le» {urètres nous disent 
est vrai. L'arc de Sébastès de Mytilène est brisé avant que son ou^ 
quais soit à moitié vide. 

Le bandit grec retomba dans les bras d'Hei^ewavd» et anûos 
sa vie en poussant un profond gémissmwsiU». ^uifut le dernier «ifi 
qu'il fit entendre. LeYarangien déposa sou c^rps sur lepbmoberé 

-.- L'afEaire devient embarrassante » se^ dit^il à. Im^mtea» Js ns 
sui& owtainement pas obligé de mettre à mart un homme bosTS» 
quoique mon ennemi national» parce qu'il a tue u»; méeréaBl 4^ 
projetait secrètement de m^assassiner moîrnwtei, et eenfoiAtt 
dans un pareil lieu » ni sous un pareil jour qne.ddâvexit se battre 
les champions de àexxx nations* Ajournons doue, cette quer^ poor 
le moment. Quendiiespvoua» Mbleoomite? NepourriouMiaas^' 
tendre» po«r,la vider» que nous vens ayons tiré des prisons 
Blaquamal» et qne nons vous ajrwarend» à veaanws età vos 
dats? Si un pauvre Varangien pouvait vonasetwen cetlesfbir^» 
refuseriezi-vous. ensuite de k r^neontrer en oembal^gtdîer» vos 
armes ou les siennes à la main ? 

— Si tu veux» soit eemme ami» soit comme annemi» asssinto 
aussi tes secours à mon épouse» qui est également emprieoiuu!^ 
quelque part dans ce palais inhospitali^» sois bien assméqa^' 
quels qne soient ton rang » tmi pays » ta condition » i^bart dePsns 
sera prêt» suivant ton propre choix » à te tendre la main sa 9iS^ 



COMTE, I»I PARIS. 23» 

Smàéf en à la Ie«er.c«B«re toi en eondwt égaU Bt ce sera «nt 
coittbaty non debane, mais d^honaeor e^ d^ealime. J'en fiiis serw 
ment piff l'amëde Gharkauiguey on de nos ancêtres/ ci par h 
chapelle de ma patrone Notre-Dame des Lances-Rompues I 

— Suffit I quoique pauvre exilé , j'éprouve le besoin de secourir 
la comtesse votre épouse autant que si j'étais le premier dans leâ 
rangs de la chevalerie ; car si quek[iie ehose- peut rendre plus sa- 
crée Tobligation de prendre la cause du mérite et de la bravoure , 
c'est lorsque ces qualités se trouvent réunies en la personne d'une 
femme persécutée et sans défense. 

— Je devrais maintenant garder le silence, sans fatiguer ta gé- 
nérosité par de neavelies demandes. Mais, si la fortune n'a pas 
souri à ta naisattoee en te fnsant naître dans les rangs de la no- 
blesse et de la ehevalerie , la Providence t'a rendu plus que justice 
en l'accordant on cœur où il se trouve plus d'honneur que n'en 
possèdent toujours, à ce que je crains, ceux qui sont enrôlés dans 
les noble» rangs de la èbevalerie. Dans^ces cackots végète , car je 
nejMustdife qa'il y vk , un vieillard avengte , pour qui , depuis troik 
an», tout ce qm s'est passé hivs de sa prnon n'a ébè qa^nnpeûit 
noir. Le pain et l'eau font toute sa nourritiEre ; il n'a de eomoMb 
nicaftioB qu'avee un sombre gedlier ; et si le trépas peut jamais avb. 
riTtreomHe un iibéralemr , ce dcdt êtsue pear^cel infiMOHé.^ Qu'en 
^^î krmé aui^ de l'iafostone, nepFoûtoa^tJl fws de là seoie 
occasion qu'il puisse jamus trouver de recouvrer sa libertë? 

-^ P^ snnt Dmtan f ta fUe plos <pie ganior le senacnl que 
tnas prêté eemrne TedrsSMiO' des toits t Ta sileiilie» est presqne 
^ése^uée^ et to-veox Pa^vavev eneore e» preunt fidtetcanse 
poar diaque infêrtulié que le hasard jette sur to& chemia I 

^ Has neasolMrGheraB» à soolager de misères hamaiaes^ plus 
lions obtiendrons de bénédictions des bienheareni saioU et de 
iVoire*ikuQie des Lances4ftenpues v 9& vioit avee tant d'sifflictieii 
^Qtes tes espèces de souffrances et de calamités , sàaf les aeeidene 
qni peuvent arriver es eham^-dos. Mais , altons ^ brave Anglo- 
S^xon^ réponds à aoa demande aussi promptement qae ta le p<kiiw 
i^s. Il y a dans ta physionomie quelque chose qui annonce la fran^ 
<^hifieausM bien que le bon sens ; et c'est avec une entière eealianee 
^^ je partirai avec toi poor me mettre à laredierche de liia cbèse 
<^omtesse , qui ^ tme fois- en liberté , nous sera d'om grand secours 
ponp BOQs^aider à la rendre à d'autres* 

--En ce cas, dit le Yarangien , partons pour chercher la eom- 



240 ROBERT, 

tesse; et si, après l'ayoir délivrée , noas nous troayons assez 
forts poar rendre la liberté à ce vieillard aveugle , ce ne seront 
ni ma lâcheté ni mon manqae de compassion qui y mettront 
(^stacle. 



CHAPITRE XVIL 



Vo jes'Toui cette mine obscare et taUureme 
Où de l'ambition l'astnce industrieoie 
Da tonnerre endormi place les élémeu , 
Qui doivent éclater, mais mûris par le temps? 
Chose étrange, l'àmoar, d'une main obstinée, 
Prend sa petite torche, allume la traînée, 
Et le mineur tarpri« entend l'esplosioB. 



Le même jour i vers midi, Agélastès eat un entretien avec 
Achillès TatinSy commandant de la garde varang^enne, dans les 
mines du temple égyptien où avait eu lien l'entrevue d'Hereward 
avec le philosophe y que nous avons rapportée plus haot.Ghacon 
d'eux paraissait d'une humeur très différente. Tatius était sombre, 
mélancolique et abattu , tandis que le sage conservait l'indifférence 
calme qui lui avait valu» et en quelque sorte mérité^ le somom 
d'Eléphant. 

— Tu hésites , Achillès Tatius , dit le philosophe , à présent qae 
tu t'es exposé à tous les dangers qui se trouvaient entre toi et la 
grandeur. Tu es conune i'enfont insensé qui ouvrit l'édose pour 
livrer passage à l'eau vers la roue du moulin , et qui, an liea d'en 
£drc l'usage convenable , fut saisi de frayeur quand il vit le méca- 
sûsme en mouvement. 

— Tu es injuste à mon égard , Agélastès , répondit l'aeoloo- 
thos , souverainement injuste. Je ne suis que comme le oianni 
qui 9 quoique déterminé à partir , ne peut s'empêcher de jeter on 
regard de tristesse sur la rive qu'il va quitter , peut-être pour ne 
jamais la revoir. 

— Tu peux avoir raison de penser ainsi ; mais pardonne-moi , 
vaillant Tatius , si je te dis qu'U aurait fallu faire ces réflexion» 
plus tôt. Le petit-fils d'Alguric-le-Hun aurait dû calculer leschances 
et les conséquences avant d'étendre la main vers le diadème de son 
maître. 



COBITE DE PARIS. 211 

— Ghutl pour ramoar du ciell s'écria Tatios en regardant au- 
tour de lai ; ta sais qae c'est an secret qai ne doit être conna que 
de nous deux; car si Nicéphore y le césar , venait à l'apprendre , 
où en serions-nous , nous et notre conspiration? 

—Nos corps seraient probablement sur le gibet; nos amcs en 
seraient séparées 9 et seraient en route pour découyrirdes secrets 
qae tu as jusqu'à présent soigneusement cachés. 

— Eh bien , la connaissance de cette possibilité ne doit-elle pas 
nous rendre prudens ? 

— Prudens comme des hommes y si tu le yeux ; mais non pas ti- 
mides comme des enfans. 

— Les murs penyent entendre y ditAchillès en baissant la Toix. 
J'ai la qae Denis-le-Tyran avait une oreille ^ qui lui faisait con- 
naître tous les secrets dont on parlait dans sa prison d'état à Sy- 
racase. 

— Et cette oreille est encore à Syracuse. Dis-moi , mon très 
simple ami , crains-tu qu'elle n'ait été transportée ici en une seule 
nuit, comme les Latins le disent de la chapelle de Notre-Dame à 
Loretie? 

— Non , mais dans une affaire si importante on ne peut prendre 
trop de précautions. 

— Eh bien > toi le plas circonspect des candidats à l'empire , toi 
le plus flegmatique des chefs militaires , apprends que le césar , 
supposant y je crois , qu'il est impossible que le sceptre tombe ea 
d'antres mains que les siennes , s'est mis dans la tête de penser 
^'il succédera naturellement à Alexis quand le moment de nom- 
mer un nouvel empereur sera arrivé. En conséquence > comme on 
prend ordinairement peu de soin pour amener un événement qui 
semble dans l'ordre naturel des choses , il nous a confié à tous deux 
ses intérêts dans une affaire si importante» et le fou voluptueux a 
perdu la tête. — Pour qui , selon vous ? — Pour un être qui tient le 
milieu entre l'homme et la femme. — Femme dans ses traits, dans 
ses membres , dans une partie de ses vêtemens. — Mais , par saint 
George, homme et très homme dans le reste de son costume , dans 
^ goûts y et dans sa manière d'être. 

"~ Tu veux parler de l'amazone , femme de ce Franc à*main de 
^^^i qui mit en pièces la nuit dernière le lion d'or de Salomon d*un 



€ipêt^" ^°"°a>t ce nom à une prison que Denyi-Ie-Tyran avait fait eonttniire d'après de lels prin- 
(j^f^**f^*»«iq««.^e d'an ■pptrtement de son palais il ponvait entendre tout ce qui »'y disait. 

16 



f"t D'est pa» bien constaté. 



242 ROBEïrr, 

seal conp de poing. P^r saint George t la moindre chose qui pnuse 
résulter d^]n tel amour sont des os brisés. 

— Cela n'est pas toot-à-fait aussi invraiseniblable que de Yoir 
l'oreille de Denys venir de Syracuse ici en une seule nuit. Vbii les 
succès que la prétendue beauté du césar lui a fait obtenir auprès 
des dames grecques , liii a inspiré de la présomption. 

— Et je suppose que cette présopption l'a empêché d^attrilraer 
ses succès à son rang de césar , et à la perspective qu'iFa de deve* 
nir empereur. 

— En attendant, je lui ai promis de lui procurer une entrevue 
avec sa Bradamante , qui répondra peut>étre à ses tendres épi- 
thètes de Zoé kai Psuché^ en établissant un divorce entre soname 
amoureuse et sa personne sans égale. 

^- Cependant » je présume que tu as obtenu les ordres que le 
césar peut donner pour faire réussir notre complot? 

— Assurément ; c'est une occasion qu'il ne faut pas perdre. Cet 
accès d'amour ou de folie l'a aveuglé, etsansercitertropd'attentioo 
sur la marche de notre complot, sans nous exposer aux remarques 
de la malveillance, nous pouvons nous en servir pour mènera 
bien notre entreprise. Je sens que cette conduite ne convient pas 
tont-à-fait à mon âge et à mon caractère, mais mon but étant de 
transformer en empereur un digne acolonthos , je ne rougis pas de 
ménager une entrevue amoureuse que le césar, comme on l'appelle, 
désire si vivement. — Cependant quel succès^as-tn obtemiprèsdes 
Yarangiens, qui , quant aux moyens d'exécution, sont le bras droit 
de notre entreprise? 

— Pas tout-à-fàit autant de succès que je l'aurais désiré. Je me 
suis pourtant assuré d'une soixantaine de ceux que j'aitrouyésles^ 
plus maniables ; et je ne doute pas que le césar une fois mis de côté, 
leur cri universel ne soit Achillès Tatius. 

— Et le brave qtd a assisté à nos lectures? — Cet Edouard, 
comme Alexis Rappelle ? 

— Je n'ai fait aucune impression sur lui , et j'en suis fSché, car 
c'est un homme que ses camarades estiment , et dont ils suivraient 
volontieqs l'exemple. Cependant je l'ai placé comme garde supplé- 
mentaire auprès de la personne de ce comte de Paris à tête de fer > 
et comme ils ont tous deux une rage invétérée de se battre, il '^ 
tuera probablement. Si les croisés considèrent ensuite sa mo^^ 

X. Ma rie et mon ame. 



COMTE DE PAMS. 24^ 

comme iiii#e«tts« èé gtterre, nous n'anr (ms besoin quede leur Hyrer 
l»VaiM^eti> eATepTésentant eette <»tastrophe comme Feffet d'une 
hftioepenemeUei Tout oek étant préparéd'avaneey quand et com- 
ment aigiro»9*notta à Pégard d'Alexis? 

-^ Soir ce point , il fiiot consulter le césar. Quoique le bonhew 
ànqu^ il s'attend aujourd'hai n'ait rien^ de plus certain que l'élé^ 
yatUm qu'il espère povr demain , et quoique son* esprit soit beau^ 
cenp phs oocupé été moyen» de réussir auprès de cette^comtesse 
qaedësapromotieiià Fempire, il doit néftnmoins être truite comm^ 
le chef de FettCreprise eonçoe pour accélérer le moment où il 
compte porter la couronne. Maitf , pour vous dire e0 que je pense, 
Taillant Tatfam , je^crois que demain sera le dernier jour qi^ Alexis^ 
tieadiu tes rênes de Fempire. 

-^Denne-mr'enla certitude aussitôt que tu le pourras, afin que 
j'atertiftse nos confédérés , qui doifent préparer ^insurrection deiP 
ckoyeas, et cenx des Immortete qui s'entendent avec nous, et 
qm soat prêts à agir, et surtout pour que je puisse £sperser' 
dms des poètes éloigné» censt des Yaraugiens sur lesquels je ne 
pns compter. 

" Rfq)OBe4oi sur moi f dit Agiâastès , tu auras les instruction* 
les plus exactes dès que j'aurai tu Nicépbore Briemie. Un mot dcr 
pfas : de quelle manière diBposer»t-ou de la femme du césar? 

-^ On la plaeera , reprit l'acelouthos, dans quelque endroit où 
je n'aurai plus à craindre d'être obligé d'écouter son histoire. Sans 
ses lectures 9 que je redoute plus que la peste , j'anrais assez de 
bonté d'ame pour me charger moi-même de son destin, et lui ap« 
F^a^e quelle fifiéfence il y a' entre un Téritable empereur et ce 
^Mttane y qui a une si haute opinion de lui-même; A ces- mets , ils 
^ séparèrent, Tatius ayant l'air beancoup plus triomphait et les 
Btftnières ^«s assurées que» lorsqu'il était arriTé. 

Agélastès le^saiTiidea yeux airec un sourire méprisant. — Veilè, 
At>il, un fou dont le manque de bon sens Pempéche de voir lu 
tordie qui uepeutnmufier de le consumer. Un misérable q»i n'a 
reçuqu'miedeHii-édneation , qui ne sait prendre que de» demi-me** 
snresy qui neréfiéchit et qui n'ose qu'à demi> dont lesplu^anvres 
pensées, — et celles qui méritent ce nom doivent être en vérité 
^ pauvMs-, -^ ne sont pas le produit de son propre cerreau. Il 
se flatte de troQipeF Fimpétueux, le hautain, Forgueitleux Nice* 
phore Brienne ! S'il le &it , ce nesera p0mt pai^ sa pelitiqae , encore 
moins par sa valeur. AnneCkNunèue, Faaae du géme , ne s€rci pas 

i6. 



244 ROBERT, 

enchaînée à une sondie aussi stupide qae ce demi -barbare. — Non ! 
elle aara un époux de pure extraction grecque » et possédant les 
trésors des sciences qu'on étudiait quand Rome était grande, et la 
Grèce illustre. Et ce ne sera pas le moindre charme du trône im- 
périal 9 d'être partagé avec une épouse à qui ses éludes personnelles 
auront appris à apprécier et à estimer le mérite de l'empereur. H 
fit un pas ou deux d^uii air de fierté , et ajouta ensuite, d'un ton 
plus bas, comme frappé d'un remords de conscience : — Mais si 
Anne est destinée à être impératrice , il s'ensuit naturellement cpie 
la mort d'Alexis devient nécessaire. On ne peut compter sur son 
consentement : eh I qu'importe ? La mort d'nnhonune ordinaire de- 
vient indifférente, quand elle place sur le trêne un philosophe et 
une historienne. A quelle époque les maîtres de l'empire ont-ils 
cherché à savoir quand et de quelle manière leurs prédécessears 
étaient morts ? — Diogènesl holà, Diogènesl L'esclave ne vint 
pas sur-le-champ, et Agélastès, entièrement. livré à lajouissanoe 
anticipée de sa grandeur, eut le temps d'ajouter quelques mots.— 
Folie ! Je dois avoir un long compte à régler avec le ciel , disent les 
prêtres ; eh bien , ce sera un article de plus. La mort d'Alexis peut 
avoir lieu de vingt manières sans-que j'en supporte le blâme. Le 
sang que nous aurons versé pourra tacher notre main , si on la re- 
garde^ de bien près, mais il ne teindra pas notre front. Diogèoes 
entra en ce moment. — Eh bien , la dame française a-t-elle été 
amenée ici? 

L'esclave fit un signe affirmatif. 

— Comment a-t-elle supporté cette translation? 

— Assez bien, en apprenant que c'était par votre ordre. Sa sé- 
paration d'avec son mari et sa détention dans le palais l'avaient 
courroucée, et elle ^'é tait portée à quelques actes de violence contre 
les esclaves , dont on disait<[ue plusieurs avaient été tués , quoique 
nous devions peut-être croire qu'ils n'ont été que cruellement 
effrayés. Elle m'a reconnu sur-le-champ , et quand je lui ai dit qoe 
je venais lui offrir une retraite chez vous pour un jour, jusqu'à ce 
que vous ayez pu obtenir la délivrance de son mari , elle a consenii 
sur-le-c])amp à me suivre , e t je l'ai conduite dans vos j ardins secrets 
de Cythère. 

— Admirablement exécuté, mon fidèle Diogènes ; tu es comvi^^ 
les génies soumis aux talismans orientaux ; je n'ai qu'à te bire con* 
naître ma volonté , et elle est accomplie. 

Diogènes salua profondément, et se retira. 



COMTE DE PARIS. 245 

— Soaviens-toi pourtant , esclave , dit Agélastès se parlant à loi* 
même , qu'il y a du danger à être trop instruit. — Si jamais le 
voile qui couvre mon caractère venait à être soulevé , un trop grand 
nombre de mes secrets sont au pouvoir de Diogènes. 

En ce moment, un coup , répété trois fois, fut frappé sur une 
des statues renversées, qui avait été construite de manière à rendre 
un son retentissant; ce qui, du moins à cet égard , justifiait Topi- 
thète de vocale qu-on lui avait donnée. Cet incident interrompit 
son monologue. 

— C'est un de nos alliés qui frappe ainsi , dit-il ; qui peut venir 
si tard ? Il toucha de son bâton la statue d'Isis , et le césar Nice* 
phoreBrienne entra en grand costume grec, costume charmant, 
qu'il avait pris les plus grandes peines pour arranger de manière 
à faire ressortir les grâces de sa personne. 

— Qu'il me soit permis d'espérer, dit Agélastès en recevant le 
césar d'un air grave et réservé, du moins en apparence , que Votre 
Altesse vient m'annoncer qu'après de mûres réflexions elle a changé 
de dessein, et que, quelle que soit la nature de la conférence 
qu'elle désire avoir avec cette dame française , elle pourra du 
moins la retarder jusqu'à ce que le point capital de notre conspi- 
ration ait réussi. 

— Non , philosophe , répondit le césar, non ; ma résolution , une 
fois prise , n'est pas le jouet des circonstances. Crois-moi, je n'ai 
pas accompli tant de travaux sans être prêt à en entreprendre 
d'autres. Les feveurs de Vénus sont la récompense des exploits de 
l^Iars, et je crois que je ne prendrais pas la peine de me consacrer 
an dieu des armes, avec les fatigues et les dangers auxquels son 
culte expose, si je n'avais auparavant obtenu la couronne de myrte 
qui doit parer le front de Tamant heureux d'une belle maîtresse. 

— Je vous demande pardon de ma hardiesse; mais Votre Altesse 
impériale a-i-elle réfléchi qu'elle joue , avec la témérité la plus im- 
prudente , un empire, sa propre vie, la mienne^ celle «de tous les 
amis qui ont pris part à un projet si hardi? Et pourquoi courez- 
vous un tel risque? Pour obtenir les bonnes grâces très précaires 
d'une personne dont la nature tient également du démon et de la 
femme , et qui, quelle qu'elle soit, doit probablement devenir fu- 
neste à nos projets, soit par affection , soit par ressentiment. Si 
elle est ce que vous désirez qu'elle soit , elle voudra garder sion 
amant à son côté, et lui éviter le risque de s'engager dans une con- 
spiration dangereuse; et si elle reste ce que le monde la croit ^ 



:34$ AOBCEIT, 

4^esi*à«diiw canuMiaâte à sMommet fMèle aax «««m» 4pielle a 

ytononoés^u pied^da^'autelp irobs pouvez jiigfir ooBibiaii eUeiafioa 

accueillie. 

r— Alions 4oiio» idatlkiil! t« tovamanom à ortdo&ery et, an 
milieu de tant de canntiiMoeea» qii» tu poaeèdee^avrtttit d'anties 
-choses, ta asooUié.Qdleup]i.eftiU>plttspi)éG»eiise,-^la«oiu(i«i- 
Miioe de U plus belle pertk de la oréatiea. «-^ Songe à Viminnei- 
sion que doit faire un amant dont le rang n'est certaineiiteiit fis 
jfnobie y et .dout rextérieor n'a nm de défiafréablB.,«iir une femme 
.(|uldoit oraindre losmiies d'un refna* -«-Alloiia, Agélaalèst&ii- 
UMtt grâce de ton croassement ; il #st d'aussi mauvais augure que 
toelui de la oorneille perehée sur un «cbâne oresoi du o&té gauche; 
mais déclame aussi bien que iule pourras pour pfovv^or qu'un eœsr 
•timide n'a jamais ^réussi près d'une belle dame, et que eetui quimé- 
i»te/le mieux l'efl^ûne est mhà qui sait eirtrelaeur lesimyrtssde 
Vénus avec les lauriars de Jklars.— Allons » ownie«moi lafoote 
«eorète qui join^ ees ruîues jAagiqaesÀ4es bosfuels qui 9mm ' 
«Uent à eeuK de Cythère et détaxe». 

— Il faut faire oe.que vwma voulea> ditle f hil«0ai^ie.ffli vow- 
sant un profond soupir un peu affecté. 

— Holà, Di^gènes i «'éaiia 4oait Jiaut le ^seiu Quand tu es éso* 
igué, l'espiit^u mal n'<est pas ibien Im, -«- Alluo^j mou hm^ 
^hffp^f ouwe<moi l'entrée secrète. l4e diable n'est pas assez k»n 
.^our Jie pas «épendrotau premier bniit que {enw^ lies piecras. 

Le nègre jeta d'abord un regard jhut apu maître» «qui lui fit sig»e 
.4'obéir au oésar, Diogèàesa'^^jtfochaulca^Ml'un endroit du marsn 
ruines qui était couvert de ^pid^ues arbustes grîmpaus qu'U éoaita 
.4tirec soin. Il déooumt ainsi une pétille porta irrégulièrement lar- 
^mée, et bouchée, dans toute aa.hauteuri par de grandes pierres car- 
, rées. L'esclajve les retira les -unes apoès tes autres , et les empils à 
>4^Dté oomme pour les replacer .^aauita. Je te change 4u soin de nar- 
rer cette porte, lui dit Agébe^tès , et ^e personne n'y passe saps 
laire le signal oonv^u> a« péril de m via. 11 serait dangei^euxqae 
^ette porte restât ouverte à ceue heure du jour. 

L'obéissant Diogènes porta lamaia à son sabre et à sa tels» sign^ 
par lequel les esclaves répondaient ordinairement aux ordres de 
leur maître pour indiquer qu'ils seraient fidèles jusqu'à la loo^* 
. AbrsPiogènes allnmaune petite IwDerne, {vit une cléj ouvi^t ope 
P09te intérieure en bois » et se dt^sa à outrer. 



COMTE SJE JEliUEUS. j}i7 

. «-r Jiake ]à, i'«mi PuM A net. 1 dit le- césar : tu n?«s pw besAÎa de 
ialanterne poncdisiingaer ua honnête hûmm^ et, si tn en cherches 
m, il faut ^oe ja te dise que ta ne t'adresses pas au bon endroit. 
JUtacheces arhostes grioqpans devant l'entrée, et reste là» comnie 
jtn en as déjà reçn l'ordre, jusqa^à notre jetonri afin de déjouer la 
xoriasité de quiconque pourrail; être attivé p^r la ¥ue de cette porte 
seerète. 

Le Bcigre donna la lajnpe an oésar et se retira* Agélastès suivit 
lËcéphore dans nn passage long, étroit et Yoûté, dans lequel des 
«avertures étaient pratiquées de distance en distani^e pour y laisser 
pénétrer Tair. 

— Je n'entreiai pas avec tous dans les jardins ou bosquets de 
Cfthère, dit Agélastès ; je suis trop vieuiL pour brûler de l'encens 
me cet autel. Je crois d'ailleurs que Votre Altesse impériale con- 
A^par&itement la route, l'ayant déjà faite plusieurs fois, et, si 
je ne ne tr<nnpe, pour les plus belles raisons. 

-^ Je n'en dojs que plus deremerdemens à mon digne ami Agé- 
lastès , népondîtle césar, puisqu'il oubUe son âge pour rendre ser- 
we à ses jeunesamis. 



CHAPITRE XVm. 



Il faut maintenant que nons retournions dans les cacihots du pa- 
lais de Blaquerual, ou les circonstances avaient formé une union, 
du moins temporaire , entre le vigoureux Yarangien et le comte 
Rd)ert de Paris. Leur caractère offrait plus de ressemblance 
qu'aucun d'eux n'aurait probablement voulu en convenir. Les ver- 
tus du Yarangien, simples et primitives , étaient celles que la na- 
ture elle-même inspire à un homme braVe qui , pendant toute sa 
■vie, n'a jamais connu la crainte, et a toujours été prêt à braver tous 
les dangers. Le comte, de son côté, avait la bravoure, la généro- 
sité, l'enthousiasme du soldat, et les qualités , en partie réelles et 
en partie de convention , que les hommes de son rang et de son 
pays puisaient dans l'esprit de la chevalerie. On aurait pu compa- 
rer le premier au diamant sortant de la mine avatit d'avoir été tra- 
vaillé par la main de l'ouvrier; le second à la pierre richement 



248 ROBERT, 

ornée, qui, taillée en facettes et artistement enchftssée, a peut-être 
perdu quelque chose de sa première substance, et cependant , aox 
yeux d'un connaisseur, a plus d'éclat et de splendeur que lorsqu'elle 
était > en termes de lapidaire^ en brut. Dans ce dernier cas , la va- 
leur était plus artificielle ; daiw l'autre, elle était plus naturelle et 
plus véritable. Le hasard donc avait réuni momentanément dans le 
jnêmeintérétdenxhommes dont les caractères, presqueseihblables 
quant an fond, avaient été modifiés par l'in^ùence d'une éducation 
qui leur avait laissé de violens préjugés à tous deuic, préjugés qui, 
en se trouvant en contact , pouvaient produire une explosion. Le 
Yarangien entra en conversation avec le comte sur uii ton de fami< 
liarité qui allait presque à son insu jusqu'à la grossièreté, et il loi 
dit, quoique très innocemment, bien des choses qoi pouvaient être 
mal prises par son nouveau frère d'armes. Cependant ce qui poa- 
vait blesser le plus dans ses manières , c'était un manque total d'é- 
gards pour le titre que portaient ceux à qui il parlait , suivant en 
cela l'usage des Saxons , de qui il descendait; cette omission devait 
être au moins aussi désagréable aux Français qu'aux Normands, 
car ils tenaient déjà fortement aux privilèges du système féodal, 
aux tnomeries de l'art héraldique, et aux distinctions que les che- 
valiers réclamaient comme appartenant exclusivement à leur 
ordre. 

Hereward , il faxA en convenir, était porté à s'inquiéter peu de 
ces distinctions, et, en même temps, il avait tout au moins un cer- 
tain penchant à se faire une haute idée du pouvoir et de la richesse 
de l'empire grec qu'il servait , et du respect qu'il devait an rang 
d'Alexis Comnène, respect qu'il était également disposé à accorder 
aux officiers grecs qui, sous les ordres de l'empereur, commandaient 
le corps des Yarangiens , et notamment à Achillès Tatius. Here- 
ward savait que ce dernier était un lâche, et il le soupçonnait d'être 
un homme sans principes* Cependant l'acolouthos était toujours 
le dispensateur des faveurs impériales accordées aux Yarangiens en 
général , et à Hereward lui-même, et il avait toujours la politique 
de représenter ces faveurs comme étant la suite plus ou moins di- 
recte de son intercession. On supposait qu'il épousait avec chaleur 
la cause des Yarangiens dans toutes leurs querelles avec les autres 
corps. Il était généreux et libéral, donnait à chaque soldat ce qw 
lui était dû, et, sauf le courage, qui n'était pas son fort, il aurait 
été difficile à ces étrangers de demander un chef qui leur plût da- 
vantage. D'ailleurs notre ami Hereward était admis dans sa so- 



COMTE DE PARIS, 21» 

délé; il le^ suivait, comme nons l'avons Ta, dans des expéditions 
secrètes, et par conséquent il partageait l'affection servile qit'a- 
yaient conçue pour ce nouvel Achille la plupart de ces myrmidons. 

Cet attachement pour leur commandant était aussi vif qu'il pou- 
yait l'être pour un homme qu'ils ne pouvaient ni honorer ni esti> 
mer. Dans le pirojet formé par Hereward de rendre la liberté au 
comte de Paris , il entrait autant de fidélité pour l'empereur et son 
représentant l'acolouthos 9 que pouvait en comporter le désir de 
rendre justice au Franc persécuté. 

Ponr exécuter ce plan, il fit sortir le comte Robert des cachots 
souterrains du palais deBlaquemal, dont il connaissait parfaite- 
ment tous les détours , Tatius l'y ayant souvent placé en sentinelle 
depuis quelque temps , dans la vue de lui faire acquérir une expé- 
rience dont il se promettait de tirer parti lorsque la conspiration 
éclaterait. Quand ils furent en plein air, et à quelque distance des 
sombres tours du palais, il demanda tout à coup au comté s'il 
connaissait le philosophe Agélastès ; le comte lui répondit négati- 
vement. 

—Prenez garde, sire chevalier; vous vous nuisez à vous-même 
en cherchant à m'en imposer. Vous devez le connaître, car je vous 
ai vu dîner chez lui hier. 

—Ah! tu parles de ce savant vieillard? Je ne sais rien de lui 
qni doive me faire désirer d'avouer ou de nier que je le cionnàis, 
deyant toi ou devant tout autre. Cest un homme ingénieux, 
moitié héraut, moitié ménestrel. 

— Moitié pourvoyeur des plaisirs du prince, et scélérat tout-à- 
&it. Sous lé masque d'une bonne humeur apparente, il cache l'en- 
couragement qu'il donne aux vices des autres ; à l'aide du jargon 
spécieux de la philosophie, il a secoué toute croyance religieuse et 
tout principe de morale ; et avec l'air de la fidélité , il réussira , si 
l'onn'y met pas obstacle à temps, àpriver du trône'et de la vie son 
lûaître trop confiant, ou, s'il n'y peut parvenir, il conduira ses 
lûsensés complices à la misère et à la mort. 

^Et toi qui sais tout cela , tu souffres que cet homme marche 
tranquillement à son but? 

— Un instant de patience! Je ne puis encore former aucun 
projet qu'Agélastès ne soit en état de contreminer. Maïs le temps 
viendra , il n'est pas même bien éloigné, où rempererar sera forcé 
we donner son attention à la conduite de cet homme ; et alors , que 
le philosophe se tienne bien, ou, par saint Dunstan , le Barbare le 



r ■ 

»4i0 ROBBIIX, 

jEWivetteia I Je yoadnw senlMient arcacber Jeaaftcrifls «iiaM 

. iMcnsé qui .a prÂté l'oreiBeii ses pernieieiix ooosails* 

•«- Mais qa'ai'jede Gommian ayee cet homme et ses ^conplots? 

•^ Beaucoup plus que vous cie le pensez. Le prijusipal aoittiea de 
.aaeoaspiration .n'est amKe que le eésar lui-même, fuide^ndt ètce 
le plus fidèle sujet de l'empereur. Maisdepuisqu'Alexis a nomménn 
.aéhastocrator, .officier d'un rang aii>4essns du oésai?, e^ idns vomi 
4u trAne» Nicéphore Biienae a été mécontent et coucroocéi quoi- 
qu'il soit plus difficile de dire depuis quel temps il a trempé dsnsles 
«eomplots de l'astidaux Agélastès* Ce que je sais, c^est que^ dqtuis 
lilDsieurs mois , le philosophe a Aouip Ubéralem/ent., IMune^sa 
lîcfaesse le lui permet, les vices et la prodigalité du césar. U l'a 
encouragé à manquer d'égards pour son épouse, quoiqu'elle sait 
fiUe de l'empereur, et il a semé la zizanie entre loi et la Nfiunille 
impériale. Et si Brienne n'a phis la réputation d'un homme ni- 
' ■ y iflonnahle, s'il a perdu le renom d'un chef hrave, il »'en mt dé- 
pouillé lui-même ea suivant les avis de ce sycophante «rtificieai:* 

-— Et que m'importe tout cela ? Que m'importe qu' Agélasiès mi 
Mf^ fidèle» ou esclave des^circonalaiices? Mmoi m les mieus nous 
.aa'a.vons de rotations assez intimes avec son maître ^.AkiWfCoQ- 
nène, pour que je me mêle des intrigues de sa couir. 

— Vous pouvez vous tromper ea ceb, ai.œs intr^goescompro* 
mettent le bonheur et la verinde... 

•^Mort de mille martyrs! s'écria Je comte., de.miséraUes in- 
trigues d'esclaves peuvent-elles impliquer l'cmibre.d'un soopjon 
Mtttre la nohle .comtesse.de Paris ? Les-sermens de toul» ta raee 
ne suffiraient pas pour prouver ^^n aenl de ses .cbiKveux ait 
changé de couleur 1 

— A merveille, Taillant chevalier I Vous êtes ujt mari tel qn'il 
en faut pour l'atmosphàre deiConstaatinople, qui exige peu de 
vîgilanee et noe* croyance ferme. Voua troAvarez.dans cette conr 
heaoconp de gens ù^ Totre .avis. 

— - Ecoute, l'ami ; ne .parlons pas da^anUige, et n'allons pssph|s 
.loin que le coin le plus solitaire .de cette étrange ville ; nous y fini* 
rons l'œuvre que nous avons interrompue tout à l'heure* 

•^ Quand vous seriez un duc, sire comte, vous ne pourriez 

. a]^ler an combat un homme qni y soit plus disposé. Réflédiisaei 

.^dépendant que .les chances ne sont pas égales. Si je succombe, je 

. . ,im laisse personne pour uike regretter* ïlais ma mort rendrart-die 

la liberté à votre femmey «i elle est retenue? R4parerart-elle 



MR rbomieiHV 9Ï1 A ilé tenu? fei»4^«Ik aatse tkom fqa de iittEe 
.aortir de co moud» ie^enl individu ^qui sût ài&poêé.k Tons aider» 
«tqni eMfère T.oqs réunir à vôtre feonnep et ww riaplaeer Ua tdte 
je Yos soldats? 

^Usi eu tort, dit lexfmiU de Pans; f ai «a f^saad tort. Mais 
frendsgarde , mon bcave ami, d'aceoujpler le nom de Brenhilda 
d?jUpramoiatan mot déshoanenr : et an lien de œspn^pos ^ew , 
disfjdioi où nous aUonsiouâiiteQant* 

•-Aux jardins de Cytbàre d'Agélastès, et nnns n'en.«emmes 
jKis bien loin- Cependant il y a nn chemin pins court pour s'y 
rendre, sans quoi je ne saurais 4»nuaeDl «impliquer le court espace 
'detejDps qu'il lui faut pour aller jouir des obarmes de «es jardins 
mfiiuant les sombres mines du palais d'Isisjot le palais ixnpéiial 
deBlaquemal, 

^Et pourquoi» et depuis quand crois^a^que la 4»mtesse ;soit 
^Qoe dans .ces jacdina. 

"^Depuis hier. Je surreillaÎB atteutiisement le oésar .et Totre 
^Qse, et plusieurs de mes camarades en &iseient autant à ma 
fàk^. Nous remarquâmes des «ignés évidens d'admiration dans 
flic^bore, et ce qui nous parjit des indices de courroux, dans Ja 
comtesse; et j'en conclus qu'il était probaUe qn'icélasiàstétant 
Im du césar, fiiTotiserajJt ses projets suivant eon usage, en 
^Qs Séparant tous deux de Tarmée des croisés,, afia que TOtre 
JpoQse, conuneplus d'une matrone ayant elle, pût avoir le pbûsir 
i^ lésider dans Jes jardins de ce digne philosephe , tandis que 
TODs habiteriez à jamais ks cacbots du. palais de Sbiguecnal» 

*-HiséraUel Pourquoi nem'en avoir j)as ayerti hier? 

"^ Effectiyement, il est fort probable que je me serais permis de 
^tir des rangs pour aller donner «et ayis à un bomme^que je 
^^ardais idqr^.non comme uA-am^ mais^omme un ennemi per- 
^oonel I U m» semble qu'au lieu de tenir un paneil langage,, yeps 
dcTriez remercier le ciel du hasard et des circonstances qui m'ont 
*ttQné pour yous secourir et yons.aider* 

Le comte Robert sentait la yérité de ce que disait Hereward, 
V^oicpe^n même temps son caractère longueux désirât, suivant sa 
^tmne, &iro tomber sa yoogeance sur l'indi^pda qui ^taît le plus 
**aiK»lée. 

Mais ils arrivaient en ce moment à .ce que les citoyens de Gon- 
^^^'^aple ^pelaient les^ Jardins du Philosophe. Herewwrd esfié- 
^ «a obtenir Jl'enlcée, car, depuis sa joremière eutrevue aiaec 



252 ROBERT, 

Agélastès dans les mines du temple d'Isis, il ayait appris, dn moins 
en partie , qnels étaient les signaux particuliers convenus entre le 
sage et Achiliès. A la vérité ils ne lui avaient pas confié tous leurs 
secrets, mais> par suite de ses liaisons avec Tacolouthos , ils n'a* 
vaient pas cherché à lui cacher certaines choses qui, une fois 
connues d'un homme doué par la nature d'autant de bon sens et de 
pénétration que l'Anglo-Sazon, ne pouvaient manquer de luitoat 
apprendre avec le temps. — Le comte Robert et son compagnon 
s'arrêtèrent devant une porte cintrée, seule ouverture qui existât 
dans une très haute muraille , et le Yarangien allait y frapper 
quand il s'écria, comme frappé d'une idée subite : 

— Et si c'est ce misérable Diogènes qui nous ouvre la porte? il 
faut que nous le tuions , avant qu'il puisse s'enfuir et nous trahir. 
Ma foi 1 c'est une nécessité, et d'ailleurs le scélérat a mérité la mort 
par cent crimes horribles. 

— Tue-le donc toi-même ; sa condition se rapproche plus de la 
tienne ; et assurément je ne souillerai pas le nom de Gharlemagne 
du sang d'un esclave noir. 

— Merci de Dieul reprit le Saxon: il Baïut pourtant que vous 
preniez part à l'action > s'il lui vient du secours et que je sois 
accablé par le nombre. 

— Le nombre rendra l'action plus semblable à une mêlée on à 
une bataille générale ; et sois bien sûr que je ne resterai pas les 
bras croisés quand je pourrai m'en servir honorablement. 

— Je n'en doute pas, mais cette distinction me paraît fort 
étrange ; comme si, avant qu'il soit permis à un homme de se dé- 
fendre contre un ennemi, ou de l'attaquer, il fallait lui demander 
le rang de ses ancêtres. 

— Ne crains rien à cet égard. Les règles de la chevalerie sont telles 
que je viens de l'établir; mais quand la question est de savoirs 
l'on combattra ou non , il y a une grande latitude pour la décider 
affirmativement. 

— Frappons donc en exorciste, dit Hereward , et voyons quel 
sera le démon qui nous répondra. 

A ces mots , il frappa d'une manière particulière , et la porte 
s'ouvrit en dedans. Une négresse naine s'y montra; ses cheveni 
blancs faisaient un contraste sbgulier avec la noirceur de sa peau et 
avec le sourire sardonique particulier à ces esclaves. Elle avait dans 
la physionomie une expression qui , sévèrement interprétée, aurait 
paru annoncer un malin plaisir à voir les souBrances humaines. 



COMTE DE PARIS 253 

— Agélastès est-il. •• Mais leVarangien n'avait pas fini la phrase 
^'elle loi répondit en lui montrant une avenue ombragée. 

L'Anglo-Saxon et le Franc prirent le chemin qu'elle indiquait, 
tandis que la sorcière disait ou plutôt murmurait indistinctement: 
—Vous êtes un des initiés ^ Yarangien; mais prenez garde qui 
TOUS amenez avec vons , lorsqu'il peut se faire que vous ne soyez 
pas le bienvenu^ quand même vous arriveriez seul. 

Hereward lui fit signe qu'il l'avait entendue, et eh un instant 
ils furent hors de la portée de sa vue. L'avenue où ils étaient dé- 
crivait divers détours dans un beau jardin oriental , où des groupes 
de fleurs , des arbrisseaux plantés en labyrinthe , et même les 
grands arbres de la forêt , rendaient le souffle du vent de midi frais 
et agréable. 

— Il faut agir avec la plus grande prudence , dit Hereward en 
parlant à voix basse, car c'est trop probablement ici que la biche 
que nous cherchons a trouvé nn refuge. Il vaut mieux que vous 
me laissiez marcher devant vous ; vous êtes trop agité pour avoir 
le sang-froid nécessaire à une vedette. Cachez-vous derrière ce 
chêne, et qu'un faux point d'honneur ne vous empêche pas de 
vous enfoncer sous les broussailles et même sous la terre , si vons 
entendez seulement le bruit d'un pied« — Si les amans sont d'ac- 
cord, Agélastès fait vraisemblablement sa ronde pour empêcher 
l'arrivée de tout intrus. 

— Mort et furies 1 impossible! s'écria l'ioapétueux Français. — 
Notre-Dame des Lances Rompues, prends ma vie, avant de per- 
mettre que je sois tourmenté d'une telle agonie. 

11 reconnut pourtant la nécessité de s'imposer nne forte con- 
trainte ^ et il souffrit, sans autre remontrance, que le Yarangien 
continuât son chemin, le suivant pourtant des yeux avec atten- 
tion. En avançant lui-même un peu , il put voir Hereward s'ap- 
procher d'un pavillon qui n'était qu'à peu de distance de l'endroit 
où ils s'étaient séparés. Il remarqua qu'il appliqua d'abord les 
jeux., puis l'oreille à une des croisées, qui était en grande partie 
couverte et cachée par des arbustes en fleurs. Il crut même voir 
nn air d'intérêt grave se peindre sur la physionomie du.Yaran- 
^en , et il lui tarda d'avoir sa part des informations qu'il avait sans 
doule obtenues. 

Il s'avança donc sans bruit à travers le labyrinthe d'arbrisseaux 
qui avait couvert la marche d'Hereward, et ses mouvemens se 



254 IlÔBtaiT, 

firent dans an tel siTence , qtPit toucha TAngltl-SEitoii potirPavertIr 
qxi'il étaiVIà avatit que celui-d s'en Fût aperçu, 

Hereward , ne sachant d'abord qui â'était appro^ché^ ainsi, sere» 
tourna d'un air courroucé et menaçant ; mais reconnaissanf son 
compa^ou^ il haussa les épaules , comme par pitié d'une impa- 
tience qui n'avait pu être réprimée, et, se retirant en arrière, il 
accorda au comte le privilège d'occuper line place d'où il pOQTâit 
voir, à travers les bàrreausi d'une jalousie , ce qui se payait dans 
l'intérieur du pavillon, sans qu'il courût risqtte d'hêtre déconf en. 
La lumière qui pénétrait dans ce fieu de plaisance était ce dettâ- 
jour convenable au genre de pensées qu'on supposait pouvoir être 
inspirées par un temple de Cythère.^Ott y voyait aussi des po^ 
traits, des groupes et des statues du genre de celles qui se troa-' 
valent dans le kiosque de la cataracte, mais qui présentaient à 
l'^esprit des images un peu plus libres que ces dernières. Un mo- 
ment après, là porte dit pavillon s'ouvrit, et la comtesse y entra 
avec sa suivante Agathe. EHe se jeta sur un sofa, et la suivante, 
qui était une jeune et jolie femme , se tint modestement eu ar- 
rière , de sorte que le comte pouvait à peine l'apercevoir. 

— Que penses- tu, demanda la comtesse à A^be» d'un ami 
aussi suspect qu' Agélastès , et d'un aussi galant eunemi qnece 
césar, comme on l'appelle f 

— Qu'en pourrais-je penser , répondit là suîvame, si ce n'est 
que ce que le vieillard appelle amitié est de la haine ; et que ce qne 
le césar nomme un amour patriotique pour son pays , qai ne M 
permet pas de mettre ses ennemis en liberté , est dans te iaic nue 
affection trop forte pour sa belle^ captive ? 

— n sera payé de cette affection , dit ïa comtesse, comme si c^é* 
tait Phostilité dont il voudrait lui donner Papparence. —Mon nobte 
et digne époux ! si fu te faisais une idée des calamités au&quelfes 
je suis exposée, comme tu triompherais promptememt de toa^l^ 
obstacles pour accourir ^ mo& secours f 

— Es-tu un homme ? die te comte Robert à sxm compa^on ; 
peux -tu entendre de telles parole , et me conseilTer de rester en 
repos?* 

— Je suitf un homme , répxmdit TAnglb-Saxon ; vous eu êtes tffl 
autre; mais toute notre arithmétique n'en fera pas dte nous phsïte 
deux j et, en cet endroit, il est probable qu'un coup dte âiffet da 
césar outm- cri d'^Agélaœtès nous ferait tomber sur les bras an m* 



COMTE DE PARIS. 2«S* 

lier dliommes , qai nous donneraient fort à foire , qnand nous se- 
rions amst hardis que Béris.d'Hampton. -^ Restez traxiqnffleet 
gardezle silence. Si je vous donne ce oons^, ce n'est point par 
crainte ponr ma panrre yie ; j'ar prouvé qne j'y attachais peu de 
prix, en commençant nne entreprise si extravagsmte avec na si 
étrange compagnon : c'est par intérêt ponr TOtre sûreté et pour 
celle de la comtesse yotre époase , qui pronve qu'elle est anssÎTer* 
tnense que belle. 

— J'ai été trompée d'abord > reprit la comtesse BrenUId»/ 
s'adressant toujours à Agathe. Ce méchant vieillard /en affectant 
des mœurs sévères , une science profonde et une droiture austère» 
m'a fait croire qu'il était en partie tout ce qu'il prétendait être. 
Mais le vernis s'est usé depuis qu'il m'a laissé voir qu'il est ligué 
ayec cet indigne césar , et l'atFréux tableau n'inspire plus que le dé- 
goût qa'ii mérite. Mais si je puis, par supercherie on par subti- 
lité , tromper ce maître fourbe, comme il m'a privée, en grande 
partie, de toute autre espèce de secours , je ne me ferai pas scru- 
pule de montrer une adresse qu'il trouvera peut-être égalé à là 
sienne. 

— Entendez-vous cela? dit le Varangien au comte de Paris ; 
n'allez pas par votre impatience briser le fil des mesures prudentes 
de TOtre épouse. Je mettrais volontiers dans la balance l'esprit 
d'une iemme contre la valeur d'un homme , quand il y a quelque 
chose à faire. N'offrons donc notre secours que lorsque le temps 
nous aura démontré qu'il est nécessaire à sa sûreté et à notre 
succès. 

— Amenl répondit le comte de Paris. Mais n'espère pas^ sire 
Saxon^ me décider, avec ta prudence, à quitter ces jardins avant 
T^e je me sois complètement vengé de cet indigne césar et de ce 
prétendu philosophe, s'il est vrai que sa philosophie ne soit qu'un* 
Disque.,. Ici le comte commençait à élever la voix , et le Saxon , 
sans cérémonie, lui mit la main sur la bouche. — Tu prends bien 
de la liberté , dit le comte , mais cependant en baissant le ton. 

— Oui , sans doute , dit Hereward. Quand la maison est en fèu , 
je ne m'inquiète pas de savoir si l'eau que j'y jette est parfumée 
ou non. 

Ces mots remirent sous les yeux du comtéle tableau de sa situa- 
^^^ ; et, s'il ne fbt pas content de la manière dont TAnglo-Saxonf 
^^aitde se justifier, du moins il garda le silence. On entendit ivL 
brait à quelque distance; la comtesse écouta et changea de C01^ 



'^ 



2£6 ROBERT, 

leur. —Agathe, dit-elle, noua sommes comme des champions 
dans la lice, etyoici notre antagoniste qui avance. Retirons*noas 
dans cette autre salle, et retardons ainsi de quelques instans une 
rencontre si alarmante. A ces mots, elles passèrent toutes 4eiix 
dans, une chambre qui donnait dans le principal appartement , et 
dont la porte était derrière le sofa que Brenhilda avait occupé. 

A peine étaient-elles sorties, que, comme on le dit dans les 
pièces de théâtre, le césar et Agélastès entrèrent du côté opposé. 
Ils avaient peut-être entendu les dernières paroles de Brenhilda , 
car le césar dit à voix basse : 

Miliut omnU aaians, «t b'bet «na castra Capido. 

— Quoi ! notre belle ennemie s'est retirée à la tête de ses forces ? 
N'importe I cela prouve qu'elle pense à la guerre , même quand 
l'ennemi n'est pas en présence. Eh bien I Agélastès , tu n'auras 
pas à me reprocher cette fois de vouloir emporter la place par un 
coup de main , et de me priver ainsi du plaisir de la forcer à capi- 
tuler. De par le ciel I j'en ferai le siège avec autant de régularité 
que si je portais sur mes épaules tout le poids des années qui éta- 
blissent une différence entre nous ; car j'ai de violens soupçons 
que c'est cet envieux coquin, le Temps, qui t'a ôté les ailes de 
Gupidon. 

— Ne parlez pas ainsi , puissant césar, répondit le philosophe. 
C'est la main de la Providence qui , en retirant à l'aile de Cupidon 
quelques plumes superflues, lui en a laissé assez pour maintenir an 
vol ferme et soutenu. 

— Ton vol était pourtant devenu moins assuré , Agélastès, quand 
tu t'avisas de rassembler cet arsenal, ce magasin d'armes de Ga> 
pidon , parmi lesquelles ton affection vient de me permettre de 
m'armer ou plutôt de compléter mon équipement. 

En parlant ainsi , le césar jeta un coup d'œil sur toute sa per- 
sonne, resplendissante de pierres précieuses et ornée d'une chaîne 
d'or, de bracelets, de bagnes et d'autres joyaux , qui, joints aux 
riches yêtemens qu'il avait mis depuis son arrivée dans les jardins 
deCythère, tendaient à faire valoir son bel extérieur. 

— Je suis charmé, répondit Agélastès, que vous ayez trouvé 
parmi ces bagatelles que je ne porte jamais à présent, et dont je 
faisais peu d'usage, même quand j'étais plus jeune, quelque chose 
qui puisse rehausser vos avantages naturels. Rappelez-vous seule* 



COMTE DE PARIS. 257 

ment cette petite condition , que celles de ces babioles qôi font partie 
de Totre parure en ce grand jour ne peuvent plus rentrer en la 
possession d'un homme d'un rang bien inférieur^ et qu'elles doivent 
contiouer à appartenir à cette grandeur qu'elles ont une foi» con- 
tribué à orner» 

— C'est à quoi je ne puis consentir, mon digne ami, dit Nice- 
phore Brienne. Je sais que tu n'attaches à ces joyaux d'autre prix 
^e celui qu'un philosophe doit y mettre, c'est-à-dire que tu ne les 
estimes que par le souvenir qu'ils rappellent. Ce grand anneau à 
cachet, par exemple > je t'ai entendu dire qu'il a appartenu à So- 
craie, et tu ne peux le regarder sans remercier le ciel de ce que ta 
philosophie n'a jamais été mise à l'épreuve par une Xantippe. pes 
agrafes, dans un temps plus ancien, serraient le sein de l'aimable 
Phryné , et elles appartiennent à présent à un homme qui ne saurait 
rendre hommage aux charmes qu'elles cachaient ou qu'elle^ dé- 
coayraient, mieux que le cynique Diogène. Ces bouoles... 

— Je puis l'épargner cette dépense d'esprit , jeune homme, on 
plutôt, noble césar, dit Agélastès : conserve-la précieusement, tu 
eir auras grand besoin. 

— Ne crains rien , reprit le césar ; et occupons-nous maintenant 
à faire usage , puisque tu le veux ainsi, des dons qqe nous de- 
vons soit à la nature , soit à l'affection d'un cher et respectable ami. 
Ah ! s'écria-t-il en vayant la porte s'ouvrir et la comtesse entrer 
dans l'appartement , nos désirs sont, prévenus. 

11 salua la comtesse Brenhilda avec un air de profond respect. 
£IIe avait fait quelques changemens à sa toilette , pour la rendre 
plus brillante. 

-— Salut, noble dame J dit le césar. Je viens vous rendre visite 
dans le dessein de m'excuser de vous retenir, jusqu'à un certain 
point, contre votre volonté , dans ces régions étranges oii vous 
vous trouvez inopinément. 

^ Non pas jusqu'à un certain point, répondit la comtesse , mais 
tout-à-fait contre mon désir, qui est d'être réuni à mon époux , et 
^ux hommes braves qui ont pris la croix sous sa bannière. 

^ Telles étaient sans doute vos pensées, quand vous avez quitté 
f Occident, dit Agélastès. Mais, belle comtesse, n'ont-elles subi 
^^cuQ changement? Vous avezlabséun pays où le sang humain 
coule à la moindre provocation , et vous êtes arrivée dans une con- 
We où la principale maxime est de chercher à reculer les bornes 

ï7 



258 ROBERT, 

de la félicité humaine par tous les moyens qu'on pent ima^ner. 
Dans votre Occident, Fêtre qu'on respecte davantage est celui qui 
sait le mieux exercer sa force lyrannique en rendant les autres mi- 
sérables ; dans cet empire plus pacifique , nous réservonsi nos guir* 
Iande& pour l'ingénieux jeune homme ou pour l'aimable dame 
qui sait le mieux faire le bonheur de la personne qui lui a donné son 
affection. 

• — Mais, révérend philosophe^ dit la comtesse, vous qui tra- 
vaillez avec tant d'art à recommander le joug du plaisir, savez- 
vous bien que vous confondez toutes les idées qui m'ont été données 
depuis mon enfance ? Dans le pays où j'ai été élevée , nous sommes 
si loin d'adopter vos maximes , que nous ne nous marions que comme 
lé lion et la lionne , c'est-à-dire lorsque l'homme a forcé la femme 
à reconnaître la supériorité de son mérite et de sa valeur. C'est si 
bien notre règle, qu'une damoiselle, même d'un rang inférieur, 
croirait se dégrader si elle épousait un amant qui n'aurait pas 
encore obtenu de renom par ses hauts faits. 

— Mais , noble dame , dit le césar, un homme qui se meurtpeut 
encore conserver quelque Ëiiblè espérance. S'il y avait quelque 
chance qu'un haut renom militaire pût gagner cette affection qui 
^ été dérobée plutôt que volontairement accordée, combien de 
gens entreraient avec empressement dans la lice pour obtenir mi 
si beau prix! Quelle serait l'aventure trop hardie pour qu'on ne 
brûlât pas de l'entreprendre à une telle condition? Quel est celui 
dont le cœur ne sentirait que tirer son épée du fourreau pour rem- 
porter an tel prix , ce serait faire le vœu de ne jamais l'y îaire ren- 
trer avant de pouvoir se dire avec fierté : Ce que je n'ai pas encore 
obtenu, je l'ai mérité « 

r— Vous voyez, belle dame , dit Agélastès, qui , croyant que les 
dernières paroles deNicéphore avaient fait quelque impression sur 
la comtesse, se hâta de renchérir sur ce qu'il avait dit; vous voyez 
que le feu de U chevalerie brûle dans le sein des Grecs aussi vive- 
ment que dans celui des nations occidentales. 

— Oui, répondit Brenhilda, et j'ai entendu parler du fameux 
siège de Troie , et du lâche coquin qui , ayant enlevé Tépouse d'un 
fera ve. guerrier, évita toute occasion de rencontre avec le mariqn^il 
avait offensé, fut enfin la cause de la mort de tous ses frères, de 
la destruction de sa ville natale , et de la perte de toutes les ri- 
chesses qu'elle contetnait, et qui mourut lui-même de la mort d'un 



COMTE DR PARIS. 25 S 

misérable poltron , et ne fat regretté qae de son indigne maîtresse. 
Ce trait prouve combien vos ancêtres connaissaient les règles delà 
chevalerie. 

— Vous vous méprenez y noble comtesse f, dit le césar; le cou- 
pable Paris était un Asiatique efféminé > et ce fut le courage des 
Grecs qui le punit, 

—Vous êtes savant I Monsieur, réponditBrenbilda; mais ne vous 
imaginez pas que je vous eu croie sur parole avant que vous ne 
m'ayez fait voir un chevalier grec assez brave pour regarder sans 
trembler le cimier du casque de.mon mari. , 

— Il me semble que ce ne serait pas une chose très difficile , ré- 
pondit Nicéphore Brienne. Si l'on ne m'a. pas flatté , on me re- 
garde moi-même conuue en état de faire face à des hommes beau- 
coup plus dangereux que celui qui se trouve d^une manière si 
étrange l'époux de la comtesse Brenhilda. 

— C'est une épreuve qui sera bientôt faite , dit la comtesse. Je 
crois que vous aurez peine à nier que mon époux , dont j'ai été 
séparée par quelque indigne artifice, ne soit encore en voti» pou- 
voir, et que tous ne puissiez le faire paraître quand bon vous semr 
blera. Je ne demande d'autre armure pour lui que celle qu'il porte^ 
d'autres armes que son sabre Tranchefer. Alors placez-le dans 
cette chambre, ou dans telle autre lice également étroite, et s'0 
recule d'an pas, s'il demande quartier, ou s'il périt sous son bou- 
clier, que Breidiilda soit le prix du vainqueur I -- Ciel miséricor- 
dieux^ ajpnta-t-eUe, pardonne-moi de supposer impossible une telle 
issue du combat ; c'est presque douter de tes jugemens infailliblea ! 

— En attendant, reprit le césar, permettez-moi de relever ces 
précieuses paroles avant qu'elles ne tombent à terre. — permette^^ 
ou)i d'espérer que celui à qui le ciel donnera la forcé et le pouvoir 
de vaincre ce renonmié c<^nte de Paris lui succédera dans l'affec- 
tioa de Brenhilda; et croyez-moi, le soleil ne se précipite pas du 
<^el vers son lieu de repos avec autant de célérité que j'en mettrai 
à me présenter à cette rencontre. . 

— De par le Qiel I dit le comte Robert à Hereward à voix basse, 
inais avec force, c'est trop exiger de moiypie de vouloir que j'é- 
coiti;e tranquillement un misérable Grec, ^i n'entendrait pas sans 
crabte lé bruit que fait Tranchefer en prenant congé de son fonr- 
l'^u , me braver en ma présence, et faille l'amour à ma femme I 
St Brenhilda 1 il me semble qu'elle laisse prendre plus çle licence 

'7- - 



260 ROBERT , 

qu'elle ne le devrait à ce frelaquet bayard. De par la croix ! j'en- 
trerai dans cet appartement y et je répondrai à ce fanfaron de ma* 
nière à ce qu'il s'en souvienne. 

. — Sauf votre bon plaisir, dit le Varangien qui entendait seul ce 
discours prononcé avec violence, vous vous laisserez gouverner 
par la froide raison , tant que je serai avec vous. Quand nous se- 
rons séparés , que le diable de la chevalerie errante, qui a pris pos- 
session de vous , vous prenne sur ses épaules et vous emporte où 
bon lui semblera! 

— Tu es une brute, dit le cemte en le regardant avec un air de 
mépris conforme à l'expression qu'il employait ; une brute non- 
seulement sans humanité, mais dépourvue de tout sentiment d'hon- 
neur et de honte. Le plus méprisable des animaux ne voit pas 
tranquillement son semblable s'approcher de sa compagne. Le tan 
reau présente ses cornes à son rival, — le mâtin lui montre les 
dents, — le cerf timide lui-même devient furieux et le perce de 
son bois. 

— Parce que ce sont des bêtes , répondit le Varangien, et que 
leurs femelles sont des créatures sans pudeur et sans raison, qoi 
ne savent ce que c'est que la sainteté d'un choix. Mais toi , comte, 
peux-tu ne pas voir l'intention évidente de cette pauvre dame, 
abandonnée du monde entier, de te conserver la foi qu'elle t'a ja- 
rée? Par l'ame de mon père ! j'ai le cœur tellement touché de voir 
tant d'achresse jmnte à tant d'honneur et de vertu, qu'à défaut 
d'un meilleur champion je lèverais moi-même ma hache pour la 
défendre. 

— Je te remercie, mon brave ami, dit le comte; je te remercie 
aussi cordialement que si tu devais rester seul pour rendre ce ser- 
vice à Brenhilda; à Brenhilda qui a été aimée de tant de nobles 
seigneurs, qui a sous ses ordres tant de puissans vassaux. Oui, 
je te remercie ; et ce quiestbien plus encore, je te demande par- 
don du tort que je viens d'avoir envers toi. 

— Vous ne pouvez avoir besoin de mon pardon , dit le Varan- 
gien , car je ne m'offense jamais de ce qui est dit sans intention sé- 
rieuse. -;- Silence I jef^ entends parler. 

— Cela est fort étrange, dit le cé^ar en se promenant dans l'ap- 
partement ; mais il me semble, je suis même presque certain , Agë- 
lastès, que j'ai entendu parler dans le voisinage de ce pavillon 
secret* 



COMTE DE PARIS. 261 

— Cela est impossible, répondit le philosophe, mais je vais y 
voir. 

Entendant Agélastès sortir de l'appartement , Hereward fit si^e 
au comte qa'il fallait qu'ils s'accroupissent an milieu d^un épais 
Inisson d'arbustes yerts , qui les cacha complètement. Le philo- 
sophe fit sa ronde à pas lents et l'œil aux aguets, et les deux com« 
pagnons furent obligés de garder le pins profond silence, et de 
s'abstenir de faire le moindre mouvement jusqu'à ce qu'il eût fini 
sa reconnaissance Inutile et qu'il f&t rentré dans le pavillon . 

— Sar ma foi Tmon brave, dit le comte, il faut que je te dise à 
Toreille, avant que nous allions reprendre notre poste d'observa- 
tion, que jamais , dans toute ma vie, je n'ai été assailli d'une aussi 
torle tentation que celle qui me portait à briser le crâne de ce vieil 
hypocrite, si j'eusse pu concilier une telle action avec mon hon- 
nenr. Je voudrais de tout mon cœur que toi, à qui ton honneur 
n'imposé pas la même retenue, tu eusses éprouvé quelque impul- 
sion semblable, et que tu y eusses cédé. 

~- Quelques idées de ce jgenre m'ont passé par l'esprit , répon- 
dit le Varangien; mais je ne veux pas m'y abandonner, tant qu'elles 
ne seront pas compatibles avec notre sûreté, et plus particulière- 
ment avec celle de la comtesse. 

— Je te remercie de nouveau de talonne volonté pour elle, dit 
le comte Robert; et, de par le ciell s'il faut enfin que nous com- 
battions l'un contre l'autre, comme cela paraît assez probable, tu 
troayeras en moi un honorable antagoniste, qui ne te. refusera pas 
Cartier, si l'événement du combat ne t''est pas favorable. , 

— Je t'en remercie, répliqua Hereward ; seulement , pour l'a- 
monr du ciel , garde le silence en ce moment , et fais ensuite tout 
ce que tu voudras. 

Avant que le comte et le Varangien eussent répris leur pre- 
îûière position près de la fenêtre, pour écouter ce qui se passait 
dans le pavillon, les individus qui s'y trouvaient, ne se croyant 
P^s épiés, avaient recommencé leur conversation ,. à voix plus 
basse, mais d'un ton fort animé. 

^ C'est en vain que vous voudriez me persuadât*, dit la com- 
tesse, que vous ignorez où mon époux est -détenu, et que vous 
^'êtes pas le maître absolu de faire cesser sa captivité. Quel autre 
pourrait avoir intérêt à éloigner ou à faire périr le mari , si ce 
^ est celui qui prétend séduire la femme? 



2B2 ROBERT, 

— Vous êtesinjaste à mon égard , belle damey répondit le césar ; 
Tons oubliez qu'on ne peut, sons aucun rapport, me regarder 
comme le pivot de cet empire ; qu'Alexis Gomnène, mon beau* 
père, en est le souverain , et que la femme qui s'appelle mon épouse 
épie mes moindi'es mouvemens àyec la jalousie d'une tigresse. 
Quelle possibilité y a-t*il que j'aie ordonné la captivité de votre 
mari ou la vôtre? Le comte de Paris a outragé publiquement l'em- 
pereur, et c'était une insulte dont il était probable qu'Alexis ven- 
drait se venger en employant la ruse ou la force ouverte. Je n'y ai 
pris intérêt que comme Thumble esclave de vos charmes ; et c'est 
grâce à la prudence et à l'adresse du sage Agélastès qu'il m'a été 
possible de vous tirer du gouffre où, sans cela , vous auriez infail- 
liblement péri. Ne pleurez pas , belle comtesse, nous ne savons pas 
encore quel a été le destin du comte Robert; mais, croyez-moi, 
vous agiriez sagement en le considérant comme n'existant plus, 
et en faisant choix d'un meilleur protecteur. 

— Un meilleur protecteur I répéta Brenhilda. Je ne pourrais le 
trouver quand j'aurais à choisir dans toute la chevalerie du monde 
entier! 

— Ce bras , dit Nicéphore en se redressant pour prendre une 
attitude martiale, déciderait la question si l'homme dont vous avez 
une si haute idée se trouvait encore sur la face de la terré et était 
en liberté. 

— 'Tues, s'écria Brenhilda fixant sur lui des yeux animés, 
comme tous ses traits , du feu de l'imagination ; tu es... Mais il est 
inutile de te dire ce que tu es. Crois-moi : le monde en retentira 
' un jour, et t^appréciera à ta juste valeur. Fais bien attention à ce 
que je vais te dire : Robert de Paris est mort, ou enfermé je ne sais 
où. Il ne peut donc te livrer le combat que tu as l'air de désirer si 
vivement. Mais tu vois ici Brenhilda, née dame d'Aspramont, et 
^ouse légitime du brave comte de Paris. Nul homme, ei^cepté le 
vaillant comte Robert , ne l'a jamais vaincue en champ clos ; et 
puisque tu as tant de regret de ne pouvoir combattre son mari, ta 
n'auras sans doute aucune objection a faire si elle te. propose de 
combattre en sa place? 

— Comment , Madame I s'écria le césar avec surprise;^ vous vou- 
driez entrer en lice contre moi? 

— Contre toi , oui ! et contre quiconque dans tout Tempire grec 



COMTE DE PARIS. 263 

soutiendra que Robert de Paris a été traité avec justice et légale- 
ment emprisonné. 

— Et les conditions s^ont*elIes les înênaes que si le comte Ro- 
bert eût combattu en personne? le Tainca doit être à la disposition 
absolae du vainquenr. 

— Gela paraît juste, et je ne refuse pas de courir cette chance. 
Mais si c'est Tautre champion qui mord lapoussière, le noble comte 
Robert sera mis en liberté et pourra partir sans obstacle. 

■^ J'y consens» répondit le césar» ponryu que cela soit en mon 
pouvoir. 

Un bruit sourd» semblable 4 celui que produirait un gong mo- 
derne, interrompit en ce moment la conversation. 



CHAPITRE XIX. 



Atj risque d'être découverts, le Varangîen et le comte de Paris 
Ment restés assez près pour comprendre le sujet de la conversa- 
tion, quoiqu'ils ne pussent l'entendre en entier. 

— Il a accepté son défi ? dit le comte Robert. 

— Et en apparence» fort volontiers» répondit Herewarid. 

— Oh» sans doute, sans doute I mais il ne sait pas jusqu'à quel 
point une femme peut apprendre à manier les armes. Quant à 
^oi , Dieu sait que le risque que je cours à l'événement de ce 
combat est déjà bien assez grand : cependant telle est ma con- 
fiance, que je i^oudrais qu'il le fût encore davantage. Je prends 
a témoin Notre-Dame des Lances Rompues que je voudrais que 
chaque pied de terre que je possède» chaque distinction que je puis 
dire m'appartenir, depuis le comté de Paris jusqu'à la courroie 
ÇQi attache nHon éperon, dépendissent du résultat de ce combat 
^sassxt votre nouveau césar» comme on l'appelle» et Brenhilda 
i'Aspramont. 

*— C'est une noble confiance» et je n'ose dire qu'elle soit indis- 
^ète; seulement» je ne puis oublier que le césar est aussi vigou- 
reux quiB bien fait» qu'il connaît parfaitement le maniement des 
^ïTûes, et surtout qu'il est moins esclave des règles de Phonneur 



264 ROBERT, 

qae voas ne le croyez peut-être. It y a bien des manières d'accorder 
on de se procarer an avantage, qai 9 dans l'opinion de Nicéphore 
Brienne, n^empêchera pas le combat d'être égal, quoique le 
chevaleresque comte de Paris et même le pauvre Yarangien pus- 
sent penser différemment. Mais d^abord, permettez-moi de vous 
conduire en quelq^e lieu de sûreté ; car votre évasion sera bientôt 
connue y si elle ne l'est déjà. Le bruit que nous venons d'en- 
tendre annonce que quelques-uns des complices de la conspiration 
sont arrivés dans ces jardins pour des affaires qui n'ont rien de 
commun avec l'amour. Je vous ferai passer par une avenue diff^ 
rente de celle que nous avons suivie en entrant. Cependant jedoate 
qu'il vous plaise de prendre le parti le plus sage, 

— Quel est ce parti? 

— De donner votre bourse, quand ce serait, tout ce que vous 
possédez au monde , à quelque pauvre batelier^ pour vous faire 
transporter de Tautre côté de l'Hèllespont; de vous hâter d'aller 
porter vos plaintes à Godefroy de Bouillon , et aux amis que vous 
pouvez avoir parmi les croisés ; de déterminer, ce qui vous sera 
facile, un nombre suffisant d'entre eux à revenir ici , et à menacer 
d'attaquer la ville sur-le-champ , si l'empereur ne vous rend votre 
épouse, trèç injustement détenue, et n'empêche, par son autorité, 
ce combat absurde et contre nature. 

— Quoi I tu voudrais que j'engageasse les croisés à mettre 
obstacle à un combat qui a été légalement proposé et accepté? 
Crois-tu que Godefroy de Bouillon se détournât de son pèlerinage 
dans un aussi indigne dessein? Crois-tu que la comtesse de Paris 
regardât comme un service une démarche qui souillerait à jamais 
son honneur, en rompant un engagement qui a été pris d'après 
son propre défi ? Jamais. 

— En ce cas, mon jugement est en défaut : car je ne puis ima- 
giner aucun expédient qui ne soit , d'une manière ou d'une autre, 
repoussé par vos idées folles et extragantes. Voici un homme que 
l'astuce la plus basse a fait tomber entre les mains de ses ennemis ; 
sa femme est victime d'un stratagème semblable, qui met en danger 
sa vie et son honneur; et cependant il croit nécessaire d'agir à 
l'égard de ces empoisonneurs nocturnes d'après les mêmes principes 
qui dirigeraient sa conduite envers les hommes les plus honorables? 

— Tu dis une pénible vérité, Yarangien. Mais ma parole est 
l'emblème de ma foi. Si je la donne à un ennemi sans foi et sans 



COMTE DE PARIS. 265 

honneoTy je commets nne imprudence ; mais si j'y manque après 
l'avoir donnée, c'est une action déshonorante et nne tache qui ne 
pourrait jamais s'effacer de mon écn. 

— Yonlez-Tons donc que l'honneur de votre Cemme soit exposé 
aux chances d'un combat inégal ? 

— Que Dieu et tons les saints te pardonnent nne telle pensée I 
J'assisterai à ce combat, sinon avec autant de joie, du moins avec 
autant de confiance que j'en eus jamais en voyant rompre nne 
lance. Si Brenhilda est vaincue par suite de quelque accident ou 
d'une trahison , car Brenhilda d' Aspramont ne peut l'être autre* 
ment par un tel adversaire, j'avance dans la lice , je proclame le 
césar ce qu'il est : un scélérat; je démontre l'infamie de sa con- 
duite depuis le commencement jusqu'à la fin : j'en appelle à tous 
les nobles cœurs qui m'entendront; et alors, que Dieu protège le 
bon droit I 

Hereward resta un instant sans répondre, et secoua la tête. — 
Tout cela , dit-il alors, serait praticable , si le combat se livrait en 
présence de vos compatriotes, et même, par la messe 1 si les Ya- 
rangiens avaient la garde de la lice ; mais les trahisons de toute 
espèce sont si familières aux Grecs, que je doute qu'ils considéras- 
sent la conduite de leur césar sous un autre point de vue que comme 
un stratagème d'amour tout naturel, très pardonnable, et qui ne 
mérite ni honte ni châtiment, 

--Puisse le ciel refuser sa compassion, dansle moment du besoin 
le plus urgent, à une nation qui peut rire d'une telle infamie, quand 
le glaive sera brisé dans la main de ses guerriers, et que leurs 
femmes et leurs filles , saisies par dés ennemis barbares et sans 
pitié, pousseront des cris d'effroi I 

Hereward leva les yeux sur son compagnon, dont les joues ani- 
mées et les yeux étincelans prouvaient l'enthousiasme qui le 
transportait. 

— Je vois que votre parti est pris, dit-il ; et si c'est un acte de 
folie, On ne peut nier du moins que ce ne soit une folie héroïque ; 
mais n'importe I il y a long-temps que la vie n'offre à l'exilé varan- 
gien qu'une coupe remplie d'amertume. Le matin le voit quitter 
tristement le lit où il s'est couché le soir, las de porter une arme 
mercenaire au service d'étrangers. Il a désiré bien des fois perdre 
la vie poqr une causehonorable; et celle qui se présente aujourd'hui 
touche à l'honneur dans ce qu'il a dé plus sacré. Elle s'accord^ 



266 ROBERT, 

d'aillenrs avec mon projet de saaver remperear, ce qae la diate 
de son gendre ingrat contribuera beancoop à faciliter. Eh bien I 
sire comte I continaa*t-il en se tournant vers le croisé, comme 
TOUS êtes le pins intéressé dans cette affaire, je suis disposé à céder 
à Tos raiflonnemens; mais j'e^ère que <?ous me permettrez de 
tempérer YOtre ardeur par quelques avis d'une nature plus simple 
et moins fantastique. Par exemple, YOtre évasion des cachots de 
Blaquemal ne peut manquer d'être bientôt connue. Je dois même, 
par prudence, êtiele premier à en donner ayis, car autrement les 
soupçons tomberaient sur moi. Où arez-YOUs dessein de vous ca- 
cher ? car bien certainement on tous cherchera partout et ayec 
grand soin* 

— Quant à eela , répondit le comte de Paris , il faut que je me 
repose sur tes avis , et je te remercie de chaque mensonge que m 
pourras te trouver obligé d'imaginer pour moi , te priant seulement 
d'en faire le mûns que tu pourras , attendu que c'est une monnsâe 
gne je ne fabrique jamais moi-même. 

— Sire comte, répliqua Hereward , p^mets-moi de commencer 
f9TXe dire qu'il n'est point de chevalier plus esclave de la vérité, 
quand on est vrai avec lui , que le pauvre soldat qui te parle. Mais 
^uand le succès de la partie dépend non déjouer franc jeu, mais 
d'endormir la prudence par la ruse et d'engourdir les nerfs par 
quelque narcotique , ceux qui ne se feraient aucun scrupule d'em- 
ployer tous les moyens pour me tromper ne. peuvent guère espérer 
que^ tandis qu'ils me paient ainsi en fausse monnaie, je ne leur en 
donnerai que debonne. Pour le moment, il faut que tu restes caché 
dans mon humble appartement. à la caserne des Yarangiens, qui 
est, je crois, le dernier endroit où l'on s'avisera de te chercher. 
Couvre-toi de ton.manteau, et suis-moi. Maintenant que nous allons 
quitter ces jardins, tu peux m'accompagner, sans être suspect, 
ioomme un soldat à la -suite de sou officier; car apprends, noble 
comte, que nous autres Yarangiens , nous sommes une sorte de 
gens que les Grecs ne se soucient de rçgaf der ni long-temps ni 
£x«)ient. 

Ils arrivèrent alors à la porte que la négresse leur avait ouverte, 
et Hereward, à qui on avait, à ce qu'il paraît, confié les moyens de 
sortir des jardins du philosopha, quoiqu'il ne pût y entrer sans le 
secoursde la portière, prit une clé qui ouvrit la serrure du côté de 
l'intérieur, et ils se trouvèrent bientôt en liberté ; ils traversèrent 



COMTE DE PARIS. 267 

alors la ville » en prenant des chemins détoamés, Herewàrd mar- 
chant en avant 9 et le c(Hnte le suivant en silence et sans faire 
ancone remontrance. Ils ne s'arrêtèrent que devant la porte de la 
caserne des Yarangiens. 

— Bépêchez-vonSy dit la sentinelle qui était en faction ; le dîner, 
est déjà commencé. Cet avis fat entendu avec plaisir par Here-^ 
ward, qui craignait beaucoup que son compagnon ne fût arrêté et 
interrogé. II le conduisit, par un escalier dérobé , dans son appar- 
tement , et le fit entret* dans une petite chambre où couchait son 
écuyer. Il lui fit alors ses excuses de le laisser seul pour quelque 
temps, et en sortant il ferma la porte à double tour, de crainte, 
dit-il y qu'il ne prît fantaisie à quelqu'un d'^trer sans y être invité.: 
Le comte Robert avait trop de franchise pour que le démon de 
la méfiance pût aisément entrer dans son cœur ; cependant là pré» 
caution prise par le Varangien ne laissa pas de lui inspirer quel- 
ques réflexions pénibles. 

— J'ai besoin que cet homme me soit fidèle, pensa-t-il; car je 
lui su accordé une grande confiance , et peu de soldats soudoyés, à 
sa place, y répondraient honorablement. Qui peut l'empêcher 
d'aller annoncer au principal officier de garde, que Iç prisonnier, 
français, Robert, comte de Paris, dont l'épouse a promis de se 
battre en champ clos contre le césar , s'est échappé ce matin des 
prisons de Blaquemal , mais s'est laissé surprendre à midi , et est 
denouveau captif dans la caserne de la garde varangienne? — Quels 
sont mes moyens de défense, si je suis découvert par ces merce- 
naires? — Avec la faveur de Notre-Dame des Lances Rompues , 
tout ce qu'un homme peut faire , je n'ai jamais manqué de l'accom- 
plir. J'ai assommé un tigre en combat singulier. J'ai tué un garde 
delà prison. J'ai dompté une créature gigantesque qui le défen- 
dait. J'ai trouvé assez d'éloquence pour mettre dans mes intérêts, 
du moins en apparence, ce Varangien; mais tout cela ne suffit pas 
pour mè faire espérer que je pusse résister long-temps à dix ou 
douze gaillards tels que semblent être ces mangeurs de bœuf, 
amenés contre moi par un drôle ayant des nerfs et des muscles 
comme mon ci-devant compagnon. — Fil Robert: dételles pen- 
sées sont indignes d'un descendant de Gharlemagne. Quand as-ta 
jamais eu coutume de compter tes ennemis ? Depuis quand t'es-ta 
habitué à la méfiance? Celui qui peut se vanter d'avoir un coeur 
incapable de tromper, doit, par honneur, être le dernier à soup- 



268 ROBERT, 

çonner les autres. Ce Yarangien a la physionomie onverte ; il 
montre dans le danger nn sang-froid remarquable ; il parle avec 
plus de franchise et de liberté qne ne l'a jamais fait un traître. 
S'il me trompe I il ne faat plas se fier à la main de la nature , car 
elle a imprimé. sur son front un cat^ctère de vérité , de droiture et 
de courage. 

Tandis que le comte Robert réfléchissait ainsi sur sa situation , 
et combattait les soupçons que faisait naître l'état d'incertitude où 
il se trouvait, il commença à s'apercevoir qu'il n'avait rien pris 
depuis bien des heures ; et , au milieu de craintes d'une nature plus 
héroïque , il commença à soupçonner qu'on avait dessein d'at- 
tendre que la faim eût miné ses forces, pour entrer dans l'apparte- 
ment, avec le projet de l'attaquer. 

Le meilleur moyen poumons de voir si ces soupçons étaient in- 
justes on mérités, c'est de suivre Hereward dans ses courses, 
après qu'il fut sorti de l'appartement qu'il occupait dans la ca- 
serne. Ayant dîné à la hâte, en affectant un grand appétit, afin 
que l'attention qu'il donnait à son repas fût un prétexte qui le dis- 
pensât d'avoir à répondre à des questions désagréables^ ou d'en- 
trer en conversation avec ses camarades, il les quitta sur-le- 
champ, en alléguant un devoir qu'il avait à remplir, et se rendit 
au logement d'Achillès Tatius, qui était également situé dans l'en- 
ceinte des casernes. Un esclave syrien qui ouvrit la porte, après 
avoir salué profondément Hereward, qu'il savait être un favori 
de l'acolouthos, lui annonça qne son maître était sorti , mais qu'il 
l'avait chargé de lui dire que, s'il avait besoin de lui parler, il le 
trouverait aux jardins du iPhilosophe, ainsi nommés parce qu'ils 
appartenaient au sage Agélastès. 

Hereward, connaissant parfaitement Constantinople, prit le 
chemin te plus court , et ne tarda pas à se trouver seul devant la 
porte des jardins par laquelle il était entré avec le comte de Paris 
dans le cours de la matinée. Il y frappa comme il avait fait alors , 
et la mêpfie négresse parut sur-le-champ. Lorsqu'il demanda 
Achillès Tatius , elle lui répondit d'un ton un peu aigre : —Puisque 
vous étiez ici ce matin , je suis surprise que vous ne l'ayez pas vu , 
ou qu'ayant affaire avec lui vous ne l'ayez pas attendu. Je suis 
sûre que , peu de temps après votre arrivée , l'acolouthos vous a 
demandé. 

— Que t'importe, vieille femme? dit le Yarangien. Je' rends 



comit; de paris. 26? 

compte de mes actions à mon commandant, mais non pas à toi. It 
entra dans le jardin , sans passer par TaTenae ombragée qni con- 
duisait au pavillon d'Amour, comme on nommait le petit édifice 
près duquel il avait entendu la conversation du césar avec la com- 
tesse de Paris , et arriva devant un bâtiment simple et modeste , 
dont l'humble façade semblait annoncer que c'était le séjour de la 
philosophie et de la science. Là, en passant devant les fenêtres,, 
il fit quelque bruit , s'attendant à attirer l'attention d'AchillèsTa- 
tius ou de son complice Agélastès , suivant que le hasard en déci* 
derait. Ce fut le premier qui l'entendit, et qui lui répondit. Un 
grand panache se baissa , pour que celui qui le portait pût passer 
sons la petite porte d'entrée , et la taille imposante de l'acolouthos 
se montra dans le jardin. — Eh bien, notre fidèle sentinelle, lui 
dit-il , quel rapport as-tu à nous faire à une pareille heure de la 
journée ? Tu es notre ami , le plus estimé de nos soldats , et il faut 
que ton message soit important , puisque tu rapportes toi-même 
et à une heure si peu ordinaire. 

— Fasse le ciel, répondit Hereward , que la nouvelle que je viens 
vous apprendre mérite vos remerciemens I 

— Bonne ou mauvaise , apprends-la-moi à l'instant ; tu parles 
à un honmie à qui la crainte est inconnue, dit l'acolouthos. Mais 
son œil, qui osait à peine regarder le soldat en £ice, — la cou- 
leur dç ses joues , qui changeait à chaque instant , — ses mains 
occupées assez maladroitement à ajuster le ceinturon de son sabré, 
tout indiquait une situation d'esprit très différente de celle que son 
tonde bravoure semblait annoncer.— Courage, mon fidèle soldat î 
continua-t-il ; quelle est ta nouvelle ? tu ne peux avoir à m'en ap- 
prendre d'assez fâcheuse pour que je ne sois pas en état de la 
supporter. , 

— En un mot donc, reprit le Yarangien, Votre Valeur m'a 
chargé ce matin de remplir les fonctions de maître des rondes près 
des cachots du palab de Blaquernal , ou est emprisonné ce vieux 
traître aveugle Ursd , et où l'impétueux comte de Paris a été éga- 
lement jeté. *^ 

— ^ Je me le rappelle fort bien* — Ensuite? 

— Gomme je me reposais dans une chambre au-dessus des 
cachots, j'ai entendu au-dessous de moi des cris singuliers, qui 
ont excité mon attention. Je me suis hâté d^en reconnaître la cause, 
et ma surprise a été extrême quand, en regardant dans le cachot. 



370 ROBERT, 

quoique l'obscurité m'empêchât de rien voir distinctement , les 
cris plaintifs que j'entendais me donnèrent lien de croire cpe 
l'homme des bois i l'animal nommé Sylvain i anqnel nos soldats 
ont trouvé le moyen de faire entendre notre langae saxonne, aa 
point de le rendre utile au service des prisons > gémissait comme 
fl'il eût reçu quelque blessure grave. Etant descendu avec mie 
torche , j'ai trouvé le lit sur lequel le prisonnier avait été placé b 
nuit dernière réduit en cendres, le tigre qui avait été enchadné à 
quelques pieds du lit , mort , la tête fracassée ; et l'animal nommé 
Sylvain étendu par terre et poussant des cris de souffrance et de 
terreur. Quant au prisonnier, il n'y était plus. Je reconnus qae 
tous les verrous avaient été tirés par un soldat de Mytilène, qm 
était de garde à ce poste, quand il était descendu dans ce cachot 
à l'heure ordinaire; et comme, à force de recherches, je Tai 
trouvé mort, tué d'un coup de poignard dans la gorge, j'ai été 
obligé de croire que, pendant que j'examinais la prison, ce comte 
Robert, dont le caractère audacieux n'explique que trop nue pa- 
reille aventure, s'est évadé par la trappe, en profitant de l'échelle 
à l'aide de laquelle j'étais descendu. 
— Et pourquoi n'as-tu pas crié sur-le-champ à la trahison et au 



eecours? 



— Je n'ai pas osé le fidre sans avoir reçu les ordres de Votre 
Valeur. Le cri alarmaiit de trahison et les divers bruits aaiq;aeb 
il donneraitprobablement lieu en ce moment auraient pu occaiio- 
ner des recherches assez exactes pour mettre an grand jomr des 
choses qui auraient peut-être fait tomber des soupçons sur Faoo- 
iouthos lui-même. 

— Tu as raison, dit Achillès Tatius en baissant la voix; et ce- 
piendant il est nécessaire que nous ne cherchions pas plas long* 
temps à cacher l'évasion de cet important prisonnier, si nons ne 
Toulons en passer pour complices. — Ou crois-tu que ce malheo- 
reux puisse s'être réfugié ? 

— C'est ce que j'étais dans l'espoir d'apprendr&de votre sagesse, 
plus profonde que la mienne. 

— Ne penses-tu pas qu'il peut avoir passé THellespont foat 
aller rejoindre ses soldats et ses concitoyens ? 

— CeU est fort à craindre. Si le comte écoutait les avis de quel- 
qu'un qui connût bien le pays, ce serait infailliblement le conseil 
qu'il recevrait. 



COMTE DE PARIS. 271 

i— Le danger qxi'il reyienne poar se veDger, à la tête d'un corps 
de Francs , n'est donc pas aussi immédiat qae je l'appréhendais 
d'abord; car Fempereair a donné des ordres positifs poor que les 
bâtimens et les galères qni ont transporté hier les croisés sur le 
bord de l'Asie repassassent le détroit , et n'en ramenassent pas mi 
seul dn point où il les a aidés à se rendre. — D'ailleurs tons les 
croisésy — leurs chefs c'est-à-dire, — ont fait roeu, avant leur tra- 
Tersée, de ne pas reculer d'un pied, maintenant qu'ils sont tout de 
bon sur la route dé la Palestine. 

— En ce cas, dit Heréward, une de ces deux propositions est 
incontestable : ou le comte Robert est sur la rire occidentale in 
détroit, n'ayant aucun moyen d'en revenir avec des compagnons 
pour se venger de la manière dont il a été traité, et par conséquent 
on peut le braver impunément ; ou il est caché quelque part dans 
Constantinople, sans un ami, sans personne pour prendre son parti, 
ou pour l'encourager à proclamer ouvertement ses griefs préten* 
dus. Dans un cas comme dans l'autre, il me semble qu'il ne serait 
pas prudent d'ébruiter dans le palais la nouvelle de son évasion ; 
car elle ne servirait qu'à alarmer la cour, et pourrait donner à 
l'empereur bien des motifis de soupçons. Mais il n'appartient pas 
à un ignorant Barbare comme moi d'indiquer à votre valeur et à 
votre sagesse la marche que vous devez suivre, et il me semble que 
le sage Agélastès serait un meilleur guide à consulter. 

— Non, non, non ! dit l'acolouthos parlant à voix basse, mais 
d'un ton animé ; le philosophe et moi nous sommes très bons amiS) 
amis dévoués et liés ensemble par des engagemens réciproques ; 
mais si les choses en venaient au point que l'un de nous dût jeter 
devant le marche-pied du trdne de l'empereur' la tête de l'autre, 
je crois que ton avis ne serait pas que, moi dont les cheveux n'ont 
pas encore la moindre teinte d'argent, je fusse le dernier à faire 
cette offrande. Cest pourquoi nous ne dh'ons rien de cet accident, 
mais nous te donnons plein pouvoir et nous t'ordonnons mêùie 
spécialement de chercher à découvrir le comte de Paris, mort on 
vif, de l'enfermer dans la prison militaire de notre corps, et quand 
tu y auras réussi , de m'en donner avis. J'ai bien dés moyens dé 
m'en faire un ami en tirant sa femme de danger à l'aidé des haches 
dé mes Yarangiens. Qu'y a-t-il dans cette capitale qu'on puisse 
leur opposer? 

— Rien, quand elles sont levées pour une cause juste. 



272 ROBERT, 

— Ah ! — qxie dis-ta là? — qae veax-ttt dire ? ^- Mais je te 
comprends. Ta désires aroir des ordres spéciaux et officiels de ton 
commandant poor toutes les parties da serrice dont tu es chargé. 
Cette manière de penser est celle d'an soldat prudent; et, comme 
ton chef| je sens qu'il est de mon devoir de satisfaire tes scrupules. 
Tu auras donc un mandat spécial, avec plein pouToir de chercher 
et d'emprisonner ce comte étranger dont nous Tenons de parler. 
— Et écoute-moi, mon excellent ami, ajouta l'acolouthos non sans 
un peu d'hésitation , — je crois que tu feras bien de te retirer, et 
de commencer ou plutôt de continuer tes perquisitions* Il est inutile 
d'informer notre ami Agélastès de ce qui est arrivé, jusqu'à ce qae 
ses avis nous deviennent plus nécessaires qu'ils ne le sont en ce 
moment. — Retourne, retourne aux casernes. S'il est curieux de 
savoir pourquoi tu es venu ici, ce qui est assez vraisemblable de la 
part d'un vieillard soupçonneux, je lui ferai quelque histoire. Re- 
tourne aux casernes, te dis-je, et agis conmie si tu avais le mandat 
le plus ample et le plus complet. J'aurai soin de t'en donner un dès 
que je serai de retour. 

Le Yarangien reprit sur-le-champ le chemin des casernes. 

— N'est-U pas bien étrange, se dit-il à lui-même, et n'y a-t-il 
pas de quoi rendre un homme coquin pour toute la vie, de voir 
conmie le diable encourage un jeune débutant dans la carrière de 
la fausseté ! J'ai fait un plus gros mensonge, ou du moins je me sois 
plus écarté de la vérité qu'en aucune antre occasion dans tonte ma 
yie : et quel en est le résultat? mon coounandant me jette presque 
à la tête un mandat qui me servira de garantie et de sauvegarde 
pour tout ce que j'ai fait et pour tout ce que je me propose de 
faire 1 Si le diable protégeait toujours aussi bien ceux qui le ser- 
yent, il me semble qu'ils auraient peu de raisons de se plaindre de 
loi, et les honnêtes gens ne pourraient être surpris que le nombre 
en soit si grand. Mais un temps vient, dit-on, où il manque rare- 
ment de les abandonner. Ainsi donc,^ en arrière, Satan I Si j'ai en 
l'air de te servir un moment, c'est avec des intentions honnêtes et 
chrétiennes. 

Gomme il se livrait à ses pensées, il jeta un regard en arrière, 
et vit avec surprise l'apparition d'un être ayant la forme humaine, 
mais de jJus grande taille, et tout couvert de poils d'un brun rons- 
sâtre , à l'exception de la figure. Sa laideur n'empêchait pas qae 
ses traits n'eussent une expression de mélancolie. Il avait upe main 



COMTE DE PARIS. 27S 

enydoppëe de lingCi «t son air triste et langaissstnt annonçait qu'il 
soafirait. Hereward était tellement préoccnpé de 6es réflexions 
^'il crat d'abord qne son imagination arait i'éellement évoqné 
le diable. Cependant, après nn tressaillement soudain'de surprise, 
il reconnut son ancienne connaissance Sylvain. — Ah ! mon vieil 
ami! dit-il, je suis charmé qu'en t'échappant tu sois venu dans un 
endroit oii tu trouveras abondance de fruits pour te nourrir. — 
Hais, crois-moi, ne te laisse pas découvrir I —Suis le conseil 
d'un ami I 

L'homme des bois répondit à ee discours par. quelques sons i|)- 
articulés. 

^Je te comprends, dit Hereward. Tu veux dire que tu ne 
joaeras pas le rôle de rapporteur ; et, sur ma foi ! j'ai plus de con- 
fiance en toi qu'en la plus grande partie de ma propre race de bi- 
pèdes, qui sont éternellement occupés à se tromper ou à se détruire 
les nns les autres. 

Un moment après qu'il eut perdu de vue l'orang-outang, Here- 
ward entendit un cri de terreur, et la voix d'une femme qui appe- 
lait du secours. Cette voix devait avoir un intérêt tout particulier 
pour le Yarangien , car, oubliant sa situation dangereuse, il re- 
tourna sur-le-champ sur ses pas, et courut au. secours de celle qui 
semblait en avoir un pressant besoin. 



CHAPITRE XX. 



Elle arrÎTel elle airire I et son charmant minois 
Offre jeanesse, amour et constance à ia fois. 



Hereward ne courut que quelques instans à travers les bosquets, 
tlans la direction des cris qu'il entendait ; car une femme se pré- 
cipita dans ses bras, alarmée^ à ce qu'il paraissait, de voir Sylvain 
qni la poursuivait de très près. La vue d'Hereward , tenant sa 
hache levée, arrêta sur-le-champ la course de l'homme des bois ; 
et, poussant un cri sauvage de terreur, il disparut an milieu des 
baissons les plus épais* 

i8 



2U iUMSERT, 

DéliTT^ de sa présence , Hereward eat»le tetips de jeter tin 
regard sur la femme qu'il Tenait de secourir. Elle portait des Té- 
temens de différentes couleurs , parmi lesquelles le jaune psâe 
dominait* Sa tunique était de cette nuance > et elle lui serrait la 
taille comme une robe moderne. Elle était grande et bien faite. 
L'espèce de capuchon attaché à la mante , ou habillement de des- 
sous, de drap très fin, qui l'euTcloppait entièrement, étant tenbé 
en arrière par suite de la rapidité de sa faite , laissait Toir des che* 
Teux artistement tressés. Sous cette coiffure paraissait une JBgure 
pale comme la mort, mais qui, même au milieu de sa terreur, con- 
serTait encore une beauté remarquable. 

Cette apparition fut. pour Hereward. co9ime un coup de ton- 
nerre. Le costume n'était ni grec, ni italien, ni franc; il était 
saxon, et se rattachait par mille tendres souvenirs à l'enfance et 
à la jeunesse d^Hereward. C'était une circonstance fort extraordi- 
naire. A la Térité , il se trouTait à Constantinople des femmes 
saxonnes qui aTaient suItI la fortune des Varangiens, et elles pré- 
féraient souTent porter dans cette Tille leur costume nationali 
parce que le caractère et la conduite de leurs maris leur assuraient 
un degré de respect qu'elles auraient pu ne pas obtenir, soit 
comme Grecques, soit cconme étrangères; mais Hereward léis 
connaissait personnellement presque toutes. Ce n'était pourtant 
pas le moment de se liTrer à des rêTories; — il était lui-même 
compromis ; — la situation de la jeune Saxonne pouTait n'être pas 
sans danger ; — elle s'était éTanouie. — Dans tous les cas, il était 
à propos de quitter la partie la plus fréquentée des jardins. 11 ne 
perdit donc pas un moment pour porter la jeune femme dans ane 
retraite qu'il connaissait heureusement. Un sentier couTert et 
dérobé aux yeux par des arbustes de grande taille le conduisit, à 
traTcrs une espèce de labyrinthe, dans une grotte artificielle, 
parée de coquillages , de mousse et de spath , au fond de laquelle 
était étendue la statue gigantesque d^une naïade, aTec ses attri- 
buts ordinaires , c'est-à-dire le front couronné de nénuphar et de 
glaïeul, et la main appuyée sur une urne Tide. L'attitude delà 
statue couTenait parfaitement à l'in&cripûon : — J£ nous;— ke 

H'éTEOLE PASi 

— Maudit reste du paganisme, dit Hereward, qui était, en{>ro- 
portion de ses connaissances , un dirétien zélé f je t'éTeîllerai de 
bonne sorte , miséraUe bloc de bois ou de pierre qi|e ta €8 ] A cfiB 



C01MTE £HS PARIS. -275 

mots, il abattit d'an coup de sa hache la tête 4e la déesse, et dé- 
rangea tellement le jeu de la fontaine que l'eaa commença à tomber 
dans Tanie. 

— Ta es nn bon diable de bloc , après tant, dit le Yarangien , 
poisqûe ta envoies si à propos du secours à ma pauvre coiiiii- 
toyexme. Mais ^ avec ta permissi<»i $ je lui donnerai aussi une partie 
de ta couche. £n parlantainsî , il déposa la jeune iUe, qui n'avait 
pas encore recouvré Fusage de ses sens, sur le large piédestal qtd 
servait de lit à la déesse. Pendant œ temps » son atteniMii se p<Ma 
sar les traits de la Saxonne, «t il éprouva une ai vive émotion mêAée 
d'espoir et de crainte, qa'ônn'aurait pu la comparer qu'à la la- 
inière vacillante d'une torche , dont on ne «aurait dire ai elle va ee 
raliomer on s'éteindre tout-à-fait. Geiut avec une sorted'atteaiion 
parement machinale qu'il continua à faire tous les efforts qu'il 
pot imaginer pour rendre l'usage de ses sens- à sa bdle c<mci- 
toyemie. Il éprouvait les mêmes smsations que le sage aslronome 
à qui le lever de la lune permet de contempler de nouveau ce cîd , 
qui est en même temps l'espoir de son bonheut comme cbréticu , 
et la source de ses connaissances comme philosophe» Le sang its- 
yiot enfin ranimer les jouesr de la jeune Saxonne , et elle recouvra 
même la mémoire plus prompt^nent que le Yarangien frappé de 
stapenr. 

-- Sainte Marie 1 s'écria-t-elle , ai*je donc véritablement vidé la 
dernière coupe d'amertume , et est-ce ici que tu réunis après leur 
mort ceux qui t'ont honoré pendant leur vie ? — Parle y Hereward ? 
— si tu es autre chose qu'un fantôme créé par mon imagination y 
parle» et dis-m(n si j^ai fait un rêve en croyaait vmr un ogre 
monstrueux? 

--* Galm^toi/ ma chère Berthe, jtitl'Anglo-Saxon rappelé à lui- 
même par le son de sa voix , et prépare- toi à endurer ce qaeaums 
^vons y toi pour le voir, et^moi pour te le« raconter. — Cet êcreiii- 
deçiK existe; — msfis ne tressaille pas /ne cherche pas un endroit 
pour te cacher : ta main si douce» armée seulemenc d'-uneihoussine» 
^ffîrait pour glaeer son courage. — B'aâlleurs ne suis^je pas avec 
toi , Berthe? Désârerais-tu un autre défenseur? 

-^ Non , nùa I s'écria-t-elle en saittssant le bras de l'amant qu'eUe 
'Venait de retrouver. Ne te reconnais-je pas à présent ? 

— £tn'est«cerqa^à présent que tu me reoonniâs» Berthe? 

"^ fc le.soopço|(inais auparavant » répondit^aUe en baisiaut l^s 

i8. 



276 ROBERT, 

yeux ; mais je reconnais a^ec certitade cette mar(jae des défenses 
du sanglier. 

Hereward attendit que son imagination se fût remise dn choc 
qu'elle avait éprooTé si sondainement, avant de loi parler des 
évènemens présens, qui semblaient être un nouveau sujet de doutes 
et de craiiites déchirantes. Il lui permit donc de rappeler à sa mé- 
moire toutes les circonstances de la chasse de cet animal féroce 
par leurs tribus réunies. Elle décrivit , en mots entrecoupés , le vol 
des flèches décochées contre le sanglier par tous les chasseurs des 
deux sexes, et la blessure qu'elle lui fit elle-même avec un trait 
bien ajusté, mais lancé d'une main feible. Elle n'oublia pas la farenr 
avec laquelle le monstre s'était précipité vers celle qui Tavait 
blessé , avait tué son palefroi, et l'aurait immolée elle-même, si 
Hereward, ne pouvant faire avancer son cheval, ne s'était jeté à 
terre, et ne se fût placé entre Berthe et le sanglier. Le comlMit ne 
fut terminé qu'après des efforts désespérés. L'animal furieux resta 
sur la place , mais Hereward reçut au front un coup de ses défenses, 
et c'était ce coup dont la dcatrice avait aidé la jeune Saxonne à 
le reconnaître. — Hélas! dit*elle, qu'avons-nous été depuis ce 
temps , et que sommes-nous encore l'un pour l'autre , dans ce pays 
étranger? 

— Réponds pour toi , si tu le peux , ma chère Berthe , dit le Ya- 
rangien ; et , si tu le peux , dis avec vérité que tu es toujours cette 
Berthe qui a fait vœu d'affection pour Hereward. Crois-moi : ce se- 
rait un péché que de supposer que les saints nous ont réunis pour 
nous séparer encore. 

— Hereward, répondit Berthe, tu n'as pas conservé l'amour 
dans ton sein avec plus de soin que je ne l'ai fait moi-même. Dans 
mon pays ou chez l'étranger, libre ou esclave, dans la joie comme 
dans le chagrin, dans l'abondance et dans le besoin, je n'ai jamais 
oublié la foi que j'avais jurée à Hereward devant la pierre d'Odin. 

— Ne parle plus de cela , dit Hereward; c'était un rit impie, 
«t rien de bon ne pouvait en résulter. 

— Etait-il donc si impie ? demanda-t-elle, tandis qu'une larme in- 
volontaire mouillait son grand œil bleu. Hélas ! c'était un plaisir 
pour moi de songer qu'Hereward m'appartenait par cet engagement 
solennel. 

— Ecoute-moi, ma Berthe, dit Hereward en lui prenant la main. 
Nous étions alors presque enfans , et quoique notre vœu fût inno- 



COMTE DE PARIS. 277 

cent en lai-même , il était impie en ce qu'il était prononcé derant 
ane idole muette, repréisentant un homme qui ayait été, pendant 
M vie, un magicien cruel et sanguinaire. Mais dès que l'occasion s'en 
présentera, nous renouvellerons ce vœu devant un autel véritable- ^ 
ment sacré , en promettant de faire une pénitence convenable pour 
avoir reconnu Odin par ignorance, et afin de nous rendre propice 
le vrai Dieu, qui peut nous soutenir au milieu des tempêtes d'ad- 
versité auxquelles nous pouvons encore être exposés. 

Les laissant pour le moment continuer leur conversation âmou- 
rease avec une simplicité si naïve et si pure , nous raconterons en 
pende mots tout ce que le lecteur a besoin de savoir de l'histoire 
de chacun d'eux , depuis le moment de la chasse du sanglier jusqu'à 
celui de leur rencontre dans les jardins d^A^gélastès. 

Dans cette situation incertaine où se trouvent des proscrits, 
Waltheoff , père d'Hereward , et Ëngelred , père de Berthe, avaient 
coDtnme d'assembler leurs tribus indomptées , tantôt dans les fer- 
tiles r^ons du Devonshire , tantôt dans les sombres forêts du 
Hampshire , mais toujours , auUnt qu'il était possible , à une dis- 
tance qui leur permît d'entendre Tappel du cor du fameux Edriç- . 
le-Forestier, si long-temps chef des insurgés saxons. Les chefs que 
nons venons de nommer étaient au nombre de ces braves qui main- 
tmrent Findépendance de la race saxonne en Angleterre; et, , 
comme leur capitaine Edric , ils étaient généralement connus sous 
le nom de Forestiers , parce qu'ils vivaient du produit de là chasse, 
quand ils étaient arrêtés ou répoussés dans leurs excursions. Cette 
circonstance leur fit faire un pas rétrograde dans la civilisation , 
et ils en revinrent à ressembler à leurs ancêtres d'origine germa- 
mqne plas que la génératiim précédente,, qui, avant la bataille 
f Hastings , uvait fait des progrès considérables dans la vie ci- 
vilisée. . . 

I^ anciennes superstitions avaient commencé à renaître parmi 
euXi et de là était venue la coutume des amans des deux sexes de 
^ donner leur foi dans ces cercles de pierres énormes qu'on sup- 
posait consacrées à Odin , quoiqu'ils eussent depuis long-tenips 
cessé d'avoir en lui la même croyance que leurs ancêtres païens* 

Sous un autre rapport, ces proscrits reprirent aussi très prompte» 
ïûentun usage particulier aux anciens Germains. Les circon- 
stances dans lesquelles ils se trouvaient faisaient que les jeanea 
E^Qs des deux çexes se trouvaient très souvent ensemble ; et des^ 



278' ROBBiiT, 

mariages trop préooteB , oa dets> Uaûona d'une nature pins passa- 
gère , auraient aagmeaté la population à on tel point , qn'il n'aurait 
plus été possible de pourrar à sa subsistance. Les lois des Fores- 
tiers défûidaient donc strictement qu'aucun homme se mariât avant 
d^a^mr accompli sa 'ringt-unième année. A la vérité les jeunes gens 
formaient plus tôt des projets-de mariage, et leurs parens n'y ap- 
portaient aucun obstacle , pourvu qu'ik attendissent , pour les 
réaliser, que le fatnr époux eât atteint l'âge prescrit. Les jeunes 
gens qui contrevenaient à cette règle étaient flétris par Fépithète 
ignominieuse de tUdering ^ on indignes; épithète si insultante 
qu'on vit des honuMes se donner la mort , plutôt que de supporter 
une vie souillée d'un tel joj^robre. Mais les coupables étaient en 
petit nombre au milieu d'une^racehabituéeà modérer et à réprimer 
tous ses désirs, fl en résultait que la femme qui avait été regardée 
pendant tant d'années comme quelque cbose de sacré , était , quand 
elle se plaçait à la tâte d'une famille, reçue avec transport dans 
les bras et le coeur d'un époux qui l'avait attendue depuis si long- 
temps, était Pobjet d'^n sentiment plus exalté que la simple idole 
du moment ,- et sentant le prix qu'on attachait à eUe, s'efforçait 
d^7 faire corresp<mdre toutes les actions de sa vie. 

Après l'aventure delà chasse au sanglier, Hereward et Berthe 
furent regardés par toute la population de ces tribus aussi bien 
que par leurs parens > comme des amans dont l'union était indi- 
quée par le ciel,^etilsfiirent- encouragés à se^voir aussi fréquem- 
laent qu^ils le désiraient mntuellement eux-mêmes. Les jeupes 
gens de la tribu éritaient de demander la main de Berthe pour 
danser, et les jeunes filles n^employaient ni prières ni artifices 
pour retenir Hereward auprès d^èlIes, si Berthe était présente à 
laféte. Ils se donnèrent la main à travers. la pierre percée qu'on 
appelait l'autel d'Odin , quoique les siècles postérieurs aientattri* 
bué ee monument aux Druides; et ils demandèrent que, s'ils se 
manquaient de foi l'un à l'autre, cette faute f(it punie par les 
douze glaives nus que tenaient autant de jeunes gens pendant 
celte cérémonie, et par autant d'infortunes que pourraient en 
raeonter , en vers ou en prose , les deux jeunes filles qui les en- 
couraient. 

CSe flambeau du Cupidon saxon brilla quelques ann^ avec le 
même éclat que lorsqu'il s'était allumé. Mais le temps arriva où 
il^evait être soumis aux épreuves de l'adversité, quoique sans 



GOMTB De «IRIS. 2T0' 

l'avoir mérité. QuttpwB aimées s'étaient écoolée», elHereward' 
cemptut avec impatience le nombre des mois et des semaines* 
qa'il devait encore tout se passer avant son union avec sa maî« 
tmes; Berthe commençait à éeontei) avec moins de timidité lés 
eipressions de tendresse d'an homme qui devait , dans si pea de 
temps 9 la regarder comme étant entièrement à lui. Mais Goil» 
laiH&e-le*Roax avait conça le projet de détruire complètement les 
ForeetierSy dont la haine implacable et l'amour inquiet pour la 
liberté avaient si souvent troublé la U'anquiUité de son royaume 
etniéprisé les dispositionsde ses lois sur les forêts. Il assembla 
ses troupes normandes , ^t y joignit un corps de Saxons qui s'é- 
taient soumis à son pouvoir. Il mit ainsi en campagne une force 
irrésistible contre les tribus de Wahheoff et d'Engelred, qui ne 
Tirent d'autre ressource que de placer leurafemmes, et tous ceux 
fii étaient hora d'état de porter les armes» dans un couvent dédié 
à saint Augustin , dont Kenelm , leur pavent y était prieur* Atta- 
^wt alors leurs ennemis , ils prouvèrent qu'ils avaient encore 
leur ancienne valeur , en combattant jusqu'à la dernière extré^ 
mité. Les deux chefs perdirei^ la vie dans cette .bataille ; et Hère* 
ward uusi que son frère auraient eu le mâme destin, n quelque» 
babils saxons du voisinage, qui se hasardèrent sur le ohampde 
l)>toiUe où les vainqueurs n'avai^at laissé que ce qui pouvait as^ 
MUTir la voracité des ép«nriers et des corbeaux, n'y eussent 
^roQvé les deux jeunes gens respirant encore. Gonune ils étaient 
généralement connus et fort aimés, ils furent soignés par ces 
brades gMis jusqu'au moment où leurs blessures commencèrent à 
^gaèrir , et leurs forces à se^r^arer. Hereward apprit alors la 
^te nouvelle de la mort de son père et d'Bngelred. Ses questions 
«vreutensidte pour objet le ctestin de sa chère Berthe, et de colla 
9^ devait être sa.belle*mère. Les pauvres habitans qu'il interro* 
S^t ne purent lui donner que des renseignemens peu satis&isàns. 
Les chevaliers et les seigneurs normands avaientonméné comme 
octaves une partie des femmes qui avaient cherché un asile dans 
Is couvent , en avaient chassé les autres, ainsi que les moines qui 
^^7 avaient reçus, et le monastère avait été Livré aux flmunea 
et au pillage. 

A demi-mort lui-même en apprenant oesnouvelles, Hereward 
partit, et, au.risque de sa vie, — caries Forestiers étaient traitée- 
^ pvoscriisji, il se mit à cherober oalka qui lui étaient si eàèrasv 



280 ROBERT, 

Il demanda particnlièremeiit qael a^ait été le sort de Berihe et de 
sa mère à qaelqaes miâérables créatnres qui erraient encore dans 
les enyirons comme des abeilles à demi enfumées qui se traînent 
antonr de leur mche dépooillée. Mais, an milieu de sa prq>re ter» 
reor , personne n'avait eu des yeux pour ses voisins, et tout ce 
qu'on put lui dire fut que la femme et la fille d'Engelred avaient 
ceruinement perdu la vie. Ceux qui lui parlaient ainsi ajoutèrent 
à cette conclusion tant de détails déchirans, puisés dans leur 
imagination , qu'Hereward renonça à continuer des recherches 
qui paraissaient devoir se terminer d'une manière si inutile et si 
horrible. 

Le jeune Saxon avait été toute sa vie élevé dans une haine pa- 
triotique des Normands, et il n'était pas naturd que la victoire 
qu'ils venaient de remporter lui inspirât des dispositions plus fsvo" 
râbles à leur égard. II songea d'abord à traverser le détroit et à 
^ire la guerre à ses ennemis dans leur propre pays ; mais une 
idée si extravagante ne put se maintenir long-temps dans son es- 
prit. Son destin fut décidé par la rencontre qu'il fit d'un vieux pè- 
lerin qui avait connu son père, ou d|i moins qui prétendait l'avoir 
connu, et être né en Angleterre. Cet homme était un Yarangien 
d^isé , choisi à cet effet. Il avait de l'adresse, de la dextérité, et 
ne manquait pas d'argent. 11 ne lui fut pas difficile de déterminer 
Hereward , dans son désespoir et sa désolation , à s'engager dans 
la garde varangienne, qui faisait alors la guerre aux Normands; 
car, pour flatter lesi, préventions d'Hereward, ce fut ainsi qu'il loi 
représenta les guerres de l'empereur grec contre Robert Guis- 
card , son fils Bbhémond, et d'antres aventuriers , en Italie, en 
Grèce et en Sicile. Un voyage dans l'Orient était en même temps 
an pèlerinage, et donnait à Hereward l'occasion d'obtenir le par- 
don de ses péchés en visitant la Terre-Sainte. En gagnant Here- 
ward , le recruteur s'assnra aussi les services de son frère aîné, 
qui avait fait vcen de ne pas se séparer de lui. 

La haute réputation de courage des deux frères fit que cet agent 
itisé les regarda comme une acquisition importante, et ce fot dans 
les notes qu'il avait prises sur l'histoire et le caractère de ses re- 
crues, d'après les renseignemens que lui avait donnés le frère 
aîné , qn'Agélastès avait recueilli des détails sur la famille et les 
sentimens d'Hereward , détails dont il avait profité lors de sa pre^ 
mière entrevue avec le Yarangien pour tâcdier de le pénétrer de 



COMTE DE PARIS. 281 

ridée qu'il ayait des connaissances sornatnreUes. Plusieurs de se» 
compagnons d'armes forent gagnés de cette manière ; car on de^i- . 
nera aisément que ces notes étaiei^t confiées à la garde d'Acbillès 
Tatins; que celui-ci» pour £ei¥onser leurs projets communs, les. 
communiquait au philosophe» qui obtint de cette manière parmi ces 
hommes ignorans la réputation d'avoir des connaissances au-dessus. 
de la portée de la nature humaine. Mais la foi ferme et ^honnêteté. 
d'Hereward le mirent en état d'éviter ce pîége. 

Telles étaient les aventures d'Hereward ; celles de Berthe forent. 
le sDJet d'un entretien passionné entre les deux amans , — d'ua 
entretien aussi variable qu'une journée d'avril , et qui fut inter- 
rompu bien des fois par ces tendres caresses que la pudeur per- 
met à des amans qui se retrouvent inopinément après une sépa- 
ration qui menaçait d'être étemelle. Mais cette histoire peut se 
réduire à peu de mots. Pendant le sac du couvent» un vieux che- 
Talier normand prit Berthe pour sa part du butin. Frappé de sa. 
beauté, il la destina à devenir la suivante de sa fille» qui venait de 
sortir de l'enfance et qui était la prunelle de ses yeux» car c'était 
le seul enfant qu'il eût jamais eu de son épouse » et il avait déjà 
on certain âge quand il avait plu au ciel de bénir leur lit nuptial» 
U était donc dans l'ordre naturel des choses que la dame ^As-^ 
pramont » qui était beaucoup plus jeune que le chevalier » gouver- 
nât son mari » et que Brenhilda » leur fiUe » gouvernât son père et 
sa mère. 

Le chevalier d'Aspramont aurait pourtant voulu inspirer à s^ 
jeune fille le goût d'amusemens plus convenables à son sexe» que 
ceux qui déjà commençaient à mettre souvent sa vie en danger» 
Le bon vieux chevalier savait par expérience qu'il était inutile de 
songer à la contrarier. L'influence et l'exemple d'une compagne 
^ peu plus âgée qu'elte pouvaient seconder ses intentions» et ce 
nit dans cette vue que, dans la confiision générale du pillage » il 
s^empara de la jeune Berthe. Epouvantée au plus haut degré» 
^he saisit le bras de sa mère » et le chevalier d' Aspram^ont» qui 
&^ait un cœur plus tendre qu'on n'en trouvait ordinairement sous 
une cuirasse d'acier» fut touché de l'affliction de la mère et de la. 
nlle. Il songea que la première pourrait aussi se rendre utile à son 
épouse ; et les prenant toutes deux sous sa protection» il les fit sortir 
i^ la foule » et paya quelques soldats qui osaient lui disputer soa 



283^ HOBHW-, 

butin f les ai» paar quelques pièees de monnaie , les autres par' jb 

Inms coups du revers de sa lance. 

Le bon chevalitt' reprit biaitdt après le chemin àb Stf n difieeau ; 
«t comme c'était un homme vertueux et de bonnes mœurs, la 
beauté naissante de la jeune Saxonne et les charmes plus miÛârs de 
aa mère ne les empêchèrent pas de voyager en tout hontieur comme 
en sûreté jusqu'au château d'Aspramont, demeure ordinaire de-Ia 
famille du chevalier. Là, les meilleurs maîtres qu'on put se pro- 
curer furent chargés d'orner Berthe dé tous les talens qu^pn don- 
nait alors aux femmes , dans l'espoir que sa maîtressTe Brenhitda 
concevrait le désir de recevoir les mêmes leçons. Ce jdan ne réus- 
sit qu'à demi. La captive Saxonne devint très habile en musique, 
en oovrages d'aignille, et dans tous les talens qui étaient alors 
l'apanage des dames; mais sa jeune maîtresse BrenhiMa conserva 
pour les amusemens guerriers ce goût que son père voyait avec 
tant de déplaisir, mais qui obtenait la sanction de sa mère, qui, 
4aiis sa jeunesse, avait eu elle-même dépareilles &ntaisies. 

Quoi qu'il en soit , les deux captives furent traitées avec bonté. 
Brenhilda s'attacha de plus en plus à la jeune Anglo-Saxonne, 
qu'elle aûnait moins à cause de ses talens que pour l'activité qu'elle 
déployait dans tous les jeux d'exercice, activité que Berthe devait 
à l'état d'indépendance dans lequel elle avait passé ses premières 
années. 

La dame d'Aspramont était aussi pleine de bonté pour les dedx 
captives, et cependant , dans une occasion , elle commit à leur 
^jurdun trait de tyrannie. Elle s'était figuré (et un confesseur 
ignorant l'avait confirmée dans cette idée) que les Saxons étaient 
païens y ou du moins hérétiques , et elle insista auprès de son mari 
pour que la mère et la fille, qui devaient être à son service et àïse' 
lui de Brenhilda, avant de remplir ces fonctions , fussent admises, 
par le baptême, dans le giron de l'Eglise chrétienne. 

Quoique sentantl'injusticeetla ftusseté de cette imputation , la 
mère eut assez de bon sens pour se soumettre à la nécessité ; et elle 
reçut dans toutes les formes, à l'autel, le nom de Marthe; au^d 
elle répondit tout le reste de sa vie. 

Mais Berthe montra en cette occasion un caractère qui ne s'ac- 
cordait pas avec sa docilité et sa déuceur naturelles'. Elle refiisa 
hardiment d'être admise une seconde fois dans le séln de l'Eglise, 



COMTE'DB PliRIS* 28$ 

sa conscienocf liid disant qn'tite en était déjà membre^ et die 
ne^onlat pas changer contre «m autre nom etàm qn^eUe-ayait reça 
snr les fonts de baptêmOé ' Ge fat en Tarn que le vkwc ebeTiîIier 
ordonna , qne là dAme d' Afipramont menaça , et que aa mère em- 
ploya lea sappiiéations et kscottadls. Pressée de plus en pks in* 
stannneiit-par cdlle*ci ,'eUe finit par avoaer son moiif , qn^on n'a- 
Tait pas soupçonné anpara'^tant . -^ Je sais , ^«elle en varaant im 
torrent de larmes , qne monp^ serait moipt ayant de me voir ex- 
posée à nne telle insutte ; et ensmte, qni m'assnrapa que les ser* 
mens qni ont été faits à une Berthe saxonne eonserTerontlonte leur 
force si nne Atgatfîe firança&aelai'est snbstitiiée? Ib peavent me 
bannir^ ajoata-t-elle, me tuer, sr bon lenr semble; mais si le filftde 
WaltheoCTreTcnt jamais la Mïé d%Qgelred , il retronyera^n elle la 
Borthe-qnHla connue dans les *forèts4'fiampt. 

TV>ns les raisontiemens farenft inutiles : la jeune Saxonne tmt 
bon ; et , pour essayer d^ébranlèr sa résolution , là damed'Aspra- 
mont paria enfin de la congédier et de la renvoyer du château. 
B^rthe avait aussi pris sonrparti snr ce point , et elle répondit avec 
autant de fermeté que de respect , que ce serait avec le pluscrud' 
chagrin qu^elle se séparerait de sa jeune mattresse; mais que, du 
reste, elle aimait mieux mendier sons son propre nom qno'de re* 
mer la foi de ses pères, etde la condamna comme une hérésie en 
prenant un nom d'origine françuse. Cependant Brenhilda entra 
dansPappartement oèea mèreallait prononcer la sratenee de ban» 
mssement dont eHfe-aYaitmeiiaeé la Saxonne. — Que ma préscoiee 
noTOUs retienne^pas, Ittadame, dit l'intrépide jeune fille; jestô^ 
aussi intéressée que Berthe à la sentence que vous* allez pronon- 
cer. Si elle passe le poat-levis du château d'Aspramont comme bail- 
nie, j^en fârai autant' quand elle anraessuyé des larmes que ma 
pétulance ntdme n'a^jàmais pu féirccoulerde ses yeux. BUe^me* 
senrira d'éeuyer et de garde du corps, et le barde Lanodot me* 
saivra avec ma lance et mon bouclier. 

— Et TOUS -reviendrez de celte foHe eapédiftiona^ant qUe le so* 
leil se couche, loi dit sa mère* 

— Que- le del me favorise "dans mon projet, Madame, répondît 
la jeune héritière ; le soleil qm nous verra revenir ne selèvera ni 
ne se couchera avant que le nom de^Berthe et celui dO'Brenhilda' 
soient connus ansai loin qae'la'tfompettede^la renemmée pourra- 
lesfidre entendre. Rassure-toi , ma chère Berthe, ajouta-t*die en 



28 1 ROBERT, 

prenant sa siÛTante par la main. Si le ciel t'a arrachée à ton pays 
et à l'amant qui a reçn ta foi , il t'41 donné une sœnr et one amie, 
et ta renommée vivra toujours avec la sienne. 

. La dame d'Aspramont fut attérée. Elle savait que sa fille était 
capable de prendre le parti étrange qu'elle venait d'annoncer> et 
que ni elle, ni même son mari, ne seraient en état de Ten empé> 
cher. Elle garda donc le silence , tandis que la matrone saxonne, 
ci-devant Ulrique, et maintenant Marthe, adressait la parole à sa 
fille. — Ma fille, dit-elle, si vous faites cas de l'honneur, de la 
reconnaissance et de votre propre sûreté , n'endurcissez pas votre 
cœur contre votre maître et votre maîtresse, et suivez les a^is 
d'une mère qui a plus d'expérience et de jugement que vous, r- £t 
vous , ma chère jeune dame , ne souffrez pas que votre mère puisse 
croire que votre passion pour des exercices dans lesquels vous ex- 
cellez a détruit dans votre cœur la tendresse filiale et les sentimens 
de délicatesse naturels à votre sexe. Puisqu'elles semblent per> 
sister l'une et l'autre dans leurs résolutions. Madame, continaa- 
t-elle après avoir attendu quelquesinstanspour voir quelle influence 
ses avis auraient sur l'esprit des deux jeunes filles, peut-être, si 
vous me le permettiez, pourrais-je vous proposer une alternative 
qui satisferait vos désirs, dissiperait les scrupules de ma fille opi« 
niâtre, et répondrait aux intentions bienveillantes de sa géné- 
reuse maîtresse. La dame d'Aspramont fit signe à la matrone 
saxonne de continuer, et celle-ci reprit ïk parole. — Les Saxons 
d'aujourd'hui , ma chère dame , ne sont ni païens ni hérétiques ; ils 
obéissent humblement au pape de Rome quant au temps de célé- 
brer la Pâque, et sur tons les autres points de doctrine qui sont 
contestés , et ce bon évêque le sait fort bien, puisqu'il a réprimandé 
quelques domestiques qui me nommaient une vieille païesime. Ce- 
pendant nos noms sonnent mal aux oreilles des Francs, et ils ont 
peut-être un air païen. Si l'on n'exige pas de ma fille qu'e]le.se 
souïnette à la cérémonie d'un nouveau baptême , elle consentira à 
quitter son nom de Berthe, tant qu'elle restera dans votre hono- 
rable maison. Cela mettra fin à un débat qui , si j'ose le dire, ne 
me paraît pas avoir assez d'importance pour devoir troubler la 
paix de votre château. En reconnaissance de cette indulgence pour 
un scrupule frivole, ma fille redoublera, s'il est possible, de zèle 
et d'activité pour le service de sa jeune maîtresse. 
La dame d'Aspramont saisit avec plaisir le moyen que cette ofire 



COMÏE DE PARIS. 285 

lai procnrait de se tirer d'embarras en compromettant sa dignité 
le moins possible. Si monseigneur Pévêqne approuvait un tel ar- 
rangement, dit-elle, elle ne s'y opposerait pas. Le prélat y donna 
son approbation d'autant plus volontiers qu'il savait que la jeune 
héritière désirait vivement que l'affaire se terminât ainsi. La paix 
fat donc rétablie dans le château , et Berthe prit le nom d'Agathe, 
comme nom de service, mais non de baptême. 

Cette querelle produisit un effet certain ; ce fut de porter jusqu'à 
l'enthousiasme l'attachement de Berthe pour sa jeune maîtresse. 
Avec cette attention délicate qui caractérise le domestique affec- 
taeux et l'humble ami, elle s'efforça de la servir conmie elle savait 
qae Brénhilda aimait à être servie , et par conséquent elle se prêtait 
à toutes ses fantaisies chevaleresques qui la rendaient singulière 
même dans le siècle où elle vivait, et qui, dans le nôtre, en au- 
raient fait un Don Quichotte femelle. A la vérité , la frénésie de sa 
jeune maîtresse ne fdt pas contagieuse pour Berthe; mais comme 
elle désirait lui plaire , et qu'elle était vigoureuse et fortement 
constituée, elle se mit bientôt. en état de remplir les fonctions 
d'écnyer de la dame aventurière. Habituée dès sOn enfance à voir 
le sang couler dans les combats , elle pouvait contempler sans trop 
d'épouvante les périls auxquels Brénhilda s'exposait ; et, à moins 
qu'ils ne fussent vraiment extraordinaires, elle la fatiguait rare- 
ment de remontrances. La complaisance presque uniforme qu'elle 
montrait à cet égard lui donnait le droit d'émettre son avis en cer- 
taines occasions ; eteommeellelefaisaittoujonrsavecles meilleures 
intentions et en temps convenable, cette conduite augmentait son 
influence sur sa maîtresse , influence qu'elle aurait certainement 
perdue si elle avait en l'air de vouloir se mettre en opposition di- 
recte avec elle. 

Quelques mots de plus suffirent pour apprendre à Hereward la 
mort du chevalier d'Aspramont , le mariage romanesque de Brén- 
hilda avec le comte de Paris , leur départ pour la croisade , et les 
divers évènemens que le lecteur connaît déjà. 

Hereward ne comprit pas exactement quelques-uns des derniers 
inddens de cette histoire, par suite d'un léger débat qui s'éleva 
entre Berthe et lui pendant le cours de ce récit< Quand elle avoua 
la simplicité presque puérile avec laquelle elle avait opiniâtrement 
refusé de changer de nom, parce qu'elle craignait que ce change- 
inent ne pût porter atteinte au serment d'amour qu'elle avait 



3»9 ReBEBT^ 

échangé aTMAonataiant,!! fiitimp&38ibleèIbFemLi«l4e]iepas4a 
remercier de^ceite praiive«de«Ui)dresfie^ en la senaat cooire son 
cœar, et en imprijuaut sac les lèvres desa maîtresse les^marçies 
de sa reconnaissaaoe. Néanmotiiis elle sedégagiea sar-l^chaiiipie 
ses bras,, et y les joues rooges de piideur plutât que de colère; elle 
Ini dit d'un ton graite:: «-Assez» HerewardI assez! Ceci peut se 
pardonner après une reacionlre si impr^vae : mais nous devons à 
l'avenir noos rappeler 4iiiefnoQ8 sommes prob^lemiNitlej» derniers 
'de.notre race^ et il ne fiiat pasqn'<Mii.puis8!^dire.^Here\vardet 
Bertheont dégénéré des UMnursde l^iiraajQiQêtres^.Peniiezqoe, 
qaoîqae nous soyons senla» les «est^its-de nps.-pjèces ne sont pas 
loin, et qu'ik nous surveillent .pour voîr.qnel usage nous ferons 
d'une entvevne qne leur intercession nous a p9njt'jétare:prociirée» 

— yous.me&ûtes tort, Eertbe» r^iqn^t Herewar4r û y^nsine 
«apposez capable d'oublier mo» deiroiriet le vâtre» dans on mometit 
où nous devons, rendre grâce au eîel y et lai témmgnernatre reeoa- 
naissance tout autrement qu^en contrevenant à se&oommandcmens 
«t aux préceptes 4e noa pères. ■ La qisestimi majnienaat est de 
savoir-eonmentnons nônsffBtnmv«ronsqaaodpoasAeronas^ré3; 
car je erains bien que nous ne devions l'être en^^oriBn 

— Et f>ourfaoi.donc noasa^^Murer, Herewavd ? Pow^iipioilns pas 
m'mder à dé^w^rmaimaitrasse? 

— Ta^maitrasse ! Fl^Benhel Pfnicstiidan9ai^Ge.naBxàqBelqiie 
lémma 'que* oe -sait l 

— • Mais elleest ma maiiresse, Herewairi; ^et je lui suis sttachée 
papiuttle-nosads d'afEMiîaai.fui ne peuirast fe>rooq^ra tant.qnela 
reconnaiseanee seia 1» téoampenaa.de hi bonté» . 

_^Bt^pMl danger aawt-eUe? de quai ltrt«ellabesaî|^ cetta^daaie 
si accomplie que tu appelles ta maîtresse ? 

— Son b(mnettr et sa vie saut également en péffil* Elle^a con- 
senti à .un combat siagi^ar.aiiec le césar» ç|i» aomme un vil mé- 
créant, il a'^^énteca pas à profiter de tous les ayanlages qu'il 
pourra avoir dans cetaetsaneoBlrei^fw p9(d)fd>lismettft^ bêlas 1 sera 
fatale à ma maîtresse.^ 

— £t pauR^aai danc-? Getia dMaa» «eistte eoaitesae 4e Paris, à 
moins .que. ce .qa'onan.dit ne* aoît IsaK, a remporté la victoire, 
< danabttn des enmbals» jsv des aiitanaiistas plm isfmidables ^ae 
ie4sésar^ 

_ Maîa-tn ya»!^ idâi combatSiaoaiBnaa dan^^ «n ,pif s ^bian Mé* 



COMTfK filE PARIS. ' 907 

jeaâf oàia boniie M et rhomeur ne sait pus dta mets "vides de 
8eii«y .comm&je eraioftiùen, hâafll qn^iU ne le soient ici. Greis- 
moiî, c^ n'est. pas on^ vaine frayeur d'enfant qoi m'oblige à sortii^ 
dégoîsëe'Sop^ le eQ9taiae de.notrepays, qm^ dit-on, est respectéà 
Çkui$tanti«9ple » pour infonner les cbefo des croisés du péril dans 
kqad se t];paTç cette noble dama, et pour obtenir de leur huma- 
iutéy de leur i^Ugion» de leur honneur, de leur crainte de la honte, 
le secours dont elle a un si pressant besoin en ce moment* — Et 
maûatçaaLUt qn^ j'iti eu le bonheur de te retrouver, tout le reste ira 
him. -^ Oui, tout ira bien , et je vais retourner près de ma maî- 
tresse |K>ur lui direqui jf al rencQiusré. 

. r^sAtteoda -un ^moment^ ^'ésor précieux qui viens de, m'étce 
rendu |.e);laisseT)Vioi réfléchir avec attention sur cette affaire, -^r- 
Gette 4^0B|te8se. çst Normande, «t. elle ne iait pas plus de i^as des 
SapLons qaede la.poussière que tu^ecoues4es plis de ses vétemens. 
— £Ue r^arde.et elle traite les Saxons comme des païens et des 
hérétiques. — Elle a osé t'imposer des travaux serviles , à toi née 
lilnre. — Le sabre de son. père s'est plongé jusqu'à, la poignée dans 
le sang, des Ang^o-Sa^ms. — G^lui de Waltheoff et d'Engelred l'a 
peut-être souiÛé.plus encore. — D'ailleurs, c'est une folle pré- 
somptueuse, fui /^spîre à.usuqpier les trophées et le renom militaire 
qi|i A'aftpiu:^tieni»eut:qu'sMlx hommes^ — Enfin il sera difficile de 
tcouver uni cbempion j^ur combaAtre à^sa place, puiscpie tous l^ 
cr«iaés.sont ttaiatenant en Asie ^pajs. où ils disent qu'ils sontyenns 
pour faire la {pierre,, et ^ue les ondrea de l'empereur ne laisseut 
pas à un aeul d'entre eux «le moyen de revenir sur cette rive. 

— Hélaal héle^I iKMmme le muide nous changel J'ai comm 
anirefbia le as de WakheolE, brave, intrépide, généreux, et tou- 
jours prêt à'Souhiger l'kilsnnne. C'était 90^ ces traits que je me 
le,r^l^cései»tais{>eBdant 8eaM>Miice. Je le revois, et je le retrouve 
ir^ timides égeï^ei . 

•r- $Ue|iq^ Berthe>l et ^^fpreviA à .commître celui dont tu parlés, 
avant de le juger. — La comitiçase de Pans est tout ce que je viens 
dédire^ et pourtant ^'elle se f^ésente hardiment dans laKce. 
Quand la^on^tte^aura sonné trois fois, une autre lui répondra, 
et suin4m^^a l'arri^ée^de son^noUe ^ux, qui combattra pcàir 
eUe. -r Ou a'il n(B^y»faissait|M|s,y Berthe, eli biehil je paierai k 
comtease de ses .bêiit^. pour toi» en combattant moi-même à la 



288 ROBERT, 

— Le feras-ta? le feras^ta réellement? s'écria Berthe. C'est 
parler comme le fils de Waltheoff ; — ce sera agir en vrai descen- 
dant de sa race I — Je Tais retourner près de ma maîtresse et la 
consoler; car bien sûrement, si le jugement de Dieu a jamais dé- 
terminé réyènement d'un combat judiciaire , son influence se fera 
connaître en cette occasion. — - Mais tu me donnes à entendre que 
le comte est dans cette Tille, — qu'il est en liberté. — Elle me 
lera des questions sur ce sujet. 

— 11 but qu'elle se contente, répondit Hereward, de savoir que 
son époux est sous la direction d'un ami , qui s'efforcera de le 
défendre contre sa propre folie et son extravagance , ou du mmos 
•4'un homme qui» si l'on ne peut tout-à-fait lui donner le nom 
-d'ami, n'a certainement pas joué et ne jouera pas à son égard le 
rftle d'un ennemi. — Et , maintenant , adieu , chère Berthe , — si 
long-temps perdue, — si long-temps aimée I Avant qu'il en pût dire 
davantage, la jeune Saxonne, après avoir inutilement essayé deux 
ou trois fois de lui exprimer sa reconnaissance, se jeta entre les 
bras de son amant, et, malgré la réserve qu'elle avait montrée 
quelques instans auparavant, lui imprima sur les lèvres lesre- 
merciemens que sa bouche ne pouvait prononcer/ 

Ils se séparèrent. Berthe alla rejoindre sa maîtresse dans le 
pavillon, dont elle était sortie non sans peine et sans danger, et 
jlereward sortit des jardins par la porte que gardait la négresse, 
•qui fit compliment au beau Varangien de ses succès auprès des 
^lles, lui donnant à entendre qu'elle avait été ténuun de son 
entrevue avec la belle Saxonne. Elle ajouta que de tels rendez- 
TOUS dans cette grotte n'étaient pas une chose fort extraordinaire. 
Une pièce d'or, faisant partie d'une distribution d'argent faite 
' técemment aux fidèles Varangiens, suffit pour lui brider la langue; 
«et Hereward, sortant des jardins du Philosophe, retourna aux 
casernes aussi vite qu'il le put, jugeant qju'il était grand temps de 
songer à pourvoir aux besoins du comte Robert, qui avait passé 
toute la journée sans prendre de nourriture. 

C'est un dicton populaire, que la sensationde la faim ne se 
rattache à aucune émotion douce et agréable, et qu'au contraire 
^e aiguise et irrite les mouvemens de colère et d'impatience. O 
n'est donc pas bien étonnant que le comte Robert , qui était à jenn 
depuis si long-temps, reçût Hereward d'un air de mauvaise humenr 
et d'irritation, que ne méritait certainement pas PhounêteTaran- 



COMTE DE PARIS. 289 

gien> qui, dans le cours dç cette journée, ayait plasienrs fois 
exposé sa vie pour rendre service à la comtesse et aa comte lui- 
même. 

— Eh bien> Monsieur, dit-il avec cet accent de contrainte affec- 
tée par lequel un supérieur modifie son mécontentement en lui 
donnant une expression froide et dédaigneuse > vous agissez envers 
nous en hôte vraiment libéral 1 Ce n'est pas que cela soit de la 
moindre importance : mais il me semble qu'un comte du royaume 
le plus chrétien ne dîne pas tous les jours avec un soldat soudoyé , 
fX qu'il ayait droit d'attendre , sinon un luxe d'hospitalité, du 
moins le nécessaire. 

— Et il me semble , comte très chrétien, répondit le Varan- 
gien , que les hommes de votre rang, que leur choix ou leur des- 
tin oblige à recevoir l'hospitalité d'hommes de ma condition, 
peuvent se trouver satisfaits, et accuser non la parcimoniede leur 
hôte, mais la difficulté des circonstances où il se trouve , si le dîner 
n'est pas servi plus d'une fDis en vingt*quatre heures. A ces mots, 
il frappa des. mains, et Edric, son domestique, entra. Le comte 
parut surpris de l'arrivée d'un tiers dans son lieu de retraite. — 
Je réponds de cet homme , dit Hereward ; et s'adi^ssant à lui : — 
Eh bien ! loi demanda-t-il , quels vivres as-tu à présenter à l'ho- 
norable comte ? . 

— Rien que le pâté froid, répondit le soldat domestique, et 
Votre Honneur y a fait une terrible brèche ce matin en déjeunant. 

Edric, comme il venait de le dire , apporta un énonne pâté ; 
.mais il avait déjà subi une attaque si furieuse que le comte Robert , 
qui, comme tous les seigneurs normands , était assez difficile sur 
cet article, douu si ses scrupules ne devaient pas l'emporter sur son 
appétit. Cependant, en le regardant de plus près, la vue, l'odo- 
rat; et un jeûne de vingt heures, se réunirent pour le convaincre 
que le pâté jStait excellent ; et voyant que le plat sur lequel il était 
servi offrait des coins auxquels il n'avait pas été touché , il résolut 
de Tattaquer de ce côté. Il s'interrompit bientôt pour prendre une 
coupe de très bon vin rouge, dont un flacon , placé près de lui, 
semblait l'inviter à y faire honneur; un grand coup qu'il en but 
lui rendit tonte sa bonne humeur et fit disparaître le déplaisir 
qu'il avait d'abord montré à Hereward. . 

— De par le ciel I dit-il enfin , je devrais être honteux de man- 
. quer moi-même de la courtoisie que je recommande aux autres» 

19 



MO ' IMMBRT, 

Me ymt oomme u manaiit flamand^ dëv<Mrant les inro<djN0ii8 M 
BMm brave h6le » «ao» nAne rengager à «^asseoir à sa propre taUe 
et à prendre sa part de sa bonne chère! 

-^ À Oit égardt je ne ierai pas de eérémoniey répondit Here- 
ward. Et enfoofaot ditts le pâtésa main , qu'il en retira bien ren^ 
plie y il en afttaqna à son tonr le eontenil avec autant de zèle que 
de dextérité» Le eomie se leva biemAt de table , un peu dégoûté de 
la wanîène barbare dont l'Anglo-Saxon mangeait. Bt eq>endaiit 
Herevrardy en appelant alors Edric pour qu'il contribpiit à la dé^ 
aM>Ution d« pAlé , prouva qu'il sf était «icore imposé quelque eon- 
trainte par égard pour son hôte ; et, grâce à l'aide du soldat qm 
le seeendail» il eut bientôt débarrassé le plat de tout ce qui j rea- 
tait. Le comte Robert se décida enfin à lui faire une question qd 
était sur ses lèvres depuis Tinstantdu retour d'Hereward. 

-<- Tes recherches y mon brave ami, t^ont*elles appris quelqne 
chose do plus relativement à ma malheureuse femme , ma fidèk 
Brariiilda? 

— J'ai des nouvelies à vous apprendre : mais vous seront-ellei 
agréables ? c^est ce d<mt vous devez vous-même être jnge. Vmci ce 
que j'ai appris : — Vous savez dëgà qu'elle a consenti à oombattri 
le césar dans la lice; nwis c'est à des conditions que vous trouvs- 
rez peut-être étranges, et cependant elle les a aeeepiées sa» 
'Ocmpuies* 

-— Quelles sont ces condhionsF BHes paraîtront probabkmeBt 
«noîus étranges à mes yeux qu'aux tiens. 

Mais taadis qn41 affectait de parler avec le plus grand sang- 
Aroidy les yeux étincdans de Pépoux et ses joues écarhtes annoi- 
^ient la révdutkm qui s'était opérée dans son esprit. 

— La coBBrtesse Brenhilda et le césar, ditleYarangieny doivoit 
«battre «a ohamp«clos, comme vous l'avez en paittie entends 
TOus4nême. Si la coatesseest victorieuse , elle continue, de droit, 
à être l'épouse du noble comte de Paris; si elle est vunoue, ék 
devient la maîtresse du césar Nieéphore Brienne. 

— A Dieu ne plaise, maux saints, ni aux anges! s'écria le comte 
Robert. Slls permettaient qu'une telle trahison tri(Hnphlt, il se* 
rait pardonnable de douter de leur puissance. 

— Il me semble pourtant que ce ne serait point une précaulisD 
iMmteuse, si vous, moi, et d'autres amis, dans le cas où noos 
pourrions en trouver, noue nous montrions dans la lice , le bov- 



COMTE DE PARIS. 291 

«lier an bras , le joar du eombat. La yicloire on la défaite soivt 
entre les mains du destin ; mais ce qae nous ne ponvons manquer 
de Toir y c'est si la comtesse est traitée avec cette impartialité à 
laquelle a droit toat honorable cooibatltanl;, et à laqueUe, conune 
TOUS l'avez tu vous-même , on peut quelquefois bassement déroger 
dans cet empire grec. 

— A cette condition , et en protestant que , quand même je ver- 
rais mon épouse dans un ^Ltràme danger , je ne violerai pas les 
règles d*ain combat honorable , je mis rendrai, certainement dans 
la lice, brave Saxon, si tu peux m'en procurer les moyens. — Un 
moment, pourtant, içontinna le comte après un instant de ré- 
flexion ; il faut que tu me promettes de ne pas l'informer que son 
époux sera présent au combat, et surtout de bien te garder de me 
désigner à elle, parmi la foule de guerriers qui j assisteront. 
Tu ne sais pas que la vue d'un objet aimé nous dérobe qudquefois 
notre courage, même quand nous en avons le plus grcûid besoin. 

— Nous tacherons, répondit le Yarangien, d'arranger les choses 
comme vous le désirez, pourvu que vous ne me suscitiez plus de 
difficultés romanesques; car, sur ma foi! une affaire si compli- 
qnée par elle-même n'a pas besoin d'être embarrassée das subti- 
lités bizarres de votre bravoure nationale, ^a attendant, j'ai bien 
des choses à faire ce soir, et tandis que je vais 91'en occuper, 
vous ferez bien , sire chevalier, de rester ici déguisé sons les vêb&- 
mens qu'Edric vous procurera , et de vous contenter des yvnof» 
qa*il pourra vous fotimir. Ne craignez pas de vintes importunes 
de la fart de vos voisins : nous autres Tarangiens, nous respec- 
tons mutuellement nos secrets, quelle qu'en puijMe être la natur^.. 



19 



CHAPITRE XXI. 



Quant à notre bean-frère , et cet indigne abbé» 
Et qniconqne soutient lenr inftme entreprise « 
De lear destin commun ce moment est la crise. *» 
Bel oncle, pour Oxford fais panir des soldats; 
Qu'ils suivent en tous lieux la piste de leurs pasl 
J'en ai fait le serment : ib périront, les traitict. 



SiAurBAas. 



En prononçant lesdemiersmots rapportés dans le chapitre pré- 
cédent, Hereward laissa le comte dans son appartement ^ et se diri- 
gea vers le palab dé Blaqnemal. Npns avons rendu compte dé sa 
première entrée à la cour ; mais depuis ce temps il y avait été 
mandé fréquemment^ non-seulement par ordre de la princesse 
Anne Gomnène, qui aimait à lui faire des questions sur les mœurs 
de son pays natal , et qui rédigeait avec son style ampoulé les ré- 
ponses qu'elle en recevait, mais aussi par le commandement 
exprès de l'empereur lui-même, qui, comme tant d'autres princes, 
désirait obtenir des renseigneméns directs de personnes qui occu- 
paient à sa cour un rang très inférieur. La bague que la princesse 
avait donnée à Hereward lui avait servi plus d'une fois de passe- 
port , et elle était si bien connue des esclaves du palais qu^il n'eut 
qu'à la glisser dans la main de leur chef pour être introduit dans 
une petite chambre voisine du salon dédié aux Muses, dont nous 
avons déjà parlé. L'empereur , son épouse Irène , et leur docte fille 
Anne Comnène, étaient assis dans ce petit appartement, couverts 
de vêtemens simples ; et , dans le fait , tout l'ameublement de ce 
cabinet n'avait rien de plus somptueux que celui d'un simple pan 
ticulier, si ce n'est que des portières rembourrées d'édredon étaient 
suspendues devant chaque porte , pour déjouer la curiosité de cenx 
qui seraient tentés d'y écouter. 

— Notre fidèle Yarangien , dit Timpératrice. . 

— Mon guide et mon maître, dit la princesse Anne Comnènei 



ROBERT, COMTE DE PARIS. 293 

en ce qni concerne les mœurs de ces hommes conTcrts d'acier, dont 
il est si nécessaire que je me fasse nne idée exacte. 

— J'espère, dit Irène, qne Votre Majesté Impériale ne pensera 
pas qae son éponse et sa fille, inspirée par les moses, soient de trop 
ponr apprendre les nouvelles que tous apporte cet homme aussi 
brave que loyal. 

— Mon éponse chérie, ma fille bien-aimée, répondit Fempe- 
renr, je vons ai épargné jusqu'ici le fardeau dNm secret pénÛ>le 
qne j'ai renfermé dans mon propre sein, quoi qu'il m'en ait coûté. 
— Ma noble fille, c'est vous surtout qui sentirez tout le poids de 
cette calamité, en apprenant, comme il but que vous l'appreniez, 
à ne penser qu'avec horreur à l'homlne dont votre devoir vous a 
obligée jusqu'à présent à avoir une opinion toute différente. 

— Sainte Marie ! s'écria la princesse. 

— Revenez à vous, ma fille, dit l'empereur. Souvenez-vous que 
vous êtes la fille de la chambre pourpre ; — que vous êtes née, non 
pour pleurer sur les injures faites à votre père, mais pour les ven- 
ger ; — que vous ne devez pas attacher la moitié autant d'impor- 
tance, même à l'homme qui a partagé votre couche, qu'à la gran- 
deur impériale et sacrée à laquelle vous participez vous-même. 

— Où peut tendre un pareil discours ? demanda Anne Comnène 
avec agitation. 

— On dit , répondit l'empereur, que le céèar paie d'ingratitude 
tontes mes* bontés, même celle qui l'a fait entrer dans ma famille 
et qui l'a rendu mon fils d'adoption. Il s'est lié avec une bande 
de traîtres dont les noms seuls suffiraient pour évoquer le malin 
esprit. 

^ Est-il possible que Nicéphore ait agi ainsi ? s'écria la prin- 
cesse surprise et consternée; Nicéphore, qui a si souvent appelé 
mes yeux les.lumières qui éclairaient le sentier qu'il suivait. A-t-il 
pu se conduire de la sorte à l'égard de mon père, dont il écoutait 
les exploits jour par jour, protestant qu'il ne savait si c'était la 
beauté du style ou l'héroïsme des actions rapportées qui l'enchan- 
taient davantage? Il partage toutes mes pensées, voit avec les 
mêmes yeux, aime avec le même cœur. — mon -père ! il est im- 
possible qu'il ait eu tant de fausseté 1 Songez au temple des Muses, 
dont nous sommes si près. 

— Si j'y songeais, murmura Alexis au fond de son cœur, je 
songerais à la seule excuse qu'on puisse trouver à sa trahison. Un 



39é aOBERT, 

paa de miel peal taire plaiair, nuis on s'mi dégeûle qaunà ûtak 
avaler le gâteau tout entier. — Ma fille, dît-il afert en parlant to«t 
hant, consolex^Tona ; il noad ai a eoAté à noot-même poar «Itmar 
foi à cette triste et herrible Térité. lifaîs le fait est qne noa g»dea 
ont été débanefaésy que lenr commandanl, l'ingrat Achillès Tatins, 
et Agélastès, non moins traître , se sont laissé sédoireeft deyaient 
c<|aitribaer à assurer notre eaa{>risonmment otiv notre assassinat» 
Hélas I malhenrense Grèoe i a'est ait moment où tu as le pins graiiA 
besoin des tendres soins d'nn.père , que tn devais en étro privée par 
nn coup, soudain et impitoyaJi>Ie< 

Ici remperear versa des larmes* — U serait difficMe de dire si 
elles étaient oecasionées par la perte qfu'anraient p« fidve ses soj^ 
ou par celle de sa propre vie qai se troavait menacée* 

— Il me semble, dit Irène^ que Votre Majesté Impérialemet bien 
de la lentemr à prendre des meitoes contre oe danger. 

— Avec votre permission , ma mère, dit la princesse, je dirais 
platftt que mon père a été bien prompt à y croire, fl me semble qae 
le témoignage d'un YaraDgimiy quoique je renés jnstke à sa vakar, 
est une bien faible preuve contre Thonnenr de votre gendre ; -^ 
contre la vaillance et la fidélité éprouvée du oommandtat de votie 
garde, — et contre le jugement, la vertu et la profonde sagesse da 
plus grand de vos philosophes. 

— Ajoutez, dit l'empereur, et oonire Tamour^propre aveugle 
d'une fille trop savante, qui ne Veut pas permettre à son père de 
juger ce qui le touche de si près. Je vous dis, Anne, que je ks 
connais tons, et que je sais quel degré de confiance.onpeut accorder 
à chacun d'eux. — Oui, je connais l'honneur de votre Nicéphore, 
— la vaillance et la fidélité de l'acolonthos , -^ la vertu et la sa- 
gesse d'Agélastès. ^ Ne les ai-je pas eus tous suspendus aux cor^ 
dons de ma bourse? Et ai elle avait dondnué à éire bien remplie, 
si mon bras était resté aussi fort qu'il l'était naguëre» ils seraient 
encore ce qu'ils étaient autrefois. Alais les papiUons s'éloignent 
quand le temps se refroidit, et il faut que je réisiisie à la tempêta 
sans leur secours. -^ Vous dites <pie je n'ai pas de preuves ? J'ea 
ai suffisanunent quand je vois le danger, et eiH honnâte soldat m'a 
communiqué des indices qui sont d'accord avec les remarquas 
particulières que j'ai faites avec soin. — Il sera le Varangien des 
Yarangiens. • — Il> sera nommé aïooloathos, en place du tralcra qui 
oceupe oette.plaoe* Et ^ui sait «e que la bonté deson aaiu?e peot 
encore faire pour lui I 



COMTE DE PARIS. tU 

-^ S^il plaît à Votre Majesté, dit Hereward, qui ayait jasqn'alom 
gai de le sileace, Uen des gens, dans cet empire^ doiTent leor élé* 
TatioB à la ciMte de leurs anckaa protecteurs ; mais o'est ime 
route à la grandeur qui ne pent se concilier avec ma coDscience» 
D'ailleurs }e yiens de retrouver une personne à qui je suit atta- 
éké, et dont j'étais sépan^ depuis bien long*tenips; et ayant peu j« 
compte demander à Votre Majesté Impériale la permission de 
quitter un pays où je laisserai derrière moi des nîUiersd'ennemiB^ 
et d'aller passer ma vie, comme un grand nombre de meacompa*- 
triotea, sous les bannières de GkiillaunM, roi d'Ecosse. 

— Te séparer de moi, le plus admirable des hommes I s'écrit 
Alexis avec empkase. Et oà pourraîs-je treater un ami, -^ un fil» 
aussi fidèle? 

— Noble empereur, répondit l'AngIo*Saxon , je suis sensible, 
sous tous les rapports, à votre. bonté et à voire munificence; nuis 
perBiettez*moi de vous supplier de m'appeler par mon propre nom^ 
et de ne me promettre que de me pardonner d'avoir été la cause 
d'une telle révolution parmi les serviteurs de Votre Majesté Impé* 
riale. Non-seulement il me sera pénible de voir le destin dont sont 
menacés Achillès Tatius, mon bienfoiteur, le césar qui , je croia, 
me voulait du bien, et même Agélastès, et de pcniser que j'y aurai 
contribué; mais j'ai vu aussi ceux à qui Votre Majesté prodigue 
anjourd'hui les expressions les plus flatteuses de son contente* 
ment, destinés le lendemain à servir de pâture aux corneilles et 
aux corbeaux ; et je ne nie soucierais pas qu'on eût à dire qtie j'ai 
a^^rté pour cela mes membres anglais sur les côtes de la Grèce« 

— Que je t'appelle par ton propre nom , mon Edouard ! dit l'em*^ 
pereur. — Et il ajouta tout bas en même temps : Par le ciell j'ai 
encore oublié le nom de ce Barbare! — Oui certainement ^ je 
t'appellerai par ton propre nom, qaant à présent, et jusqu'à ce que 
j'aie trouvé un titre plus digne de la confiance que je t'accorde. 
En attendant, jette les yeux sur ce parchemin. Il contient, je crois^ 
tous les détails que nous avons pu apprendre sur cette conspira* 
tion; doune«le ensuite à ces femmes incrédules, qui refusent de 
croire qu'an empereur soie en danger, jusqu'à ce qu'elles entendent 
les poignards des conspirateurs frapper sur ses côtes. 

Herewaord fit ce qui lui était ordonné^ et ayant parcouru cet 
écrit, et indiqué, en baissant la tête, qu'il en approuvait le con- 
tenu , il le présenta à l'impératrice» Irène ne fut pas long*iemps à 



296 ROBERT, 

le lire, et le remettant à sa fille d'an air si conrroncé qu'elle eat 
peine à lui indiquer le passage qui causait son indignation : — Lia 
cela, luidit-elle, lis, et juge de la reconnaissance et de Taffection 
de ton césar 1 

La princesse Anne Gonmène sortit d'un état de méluicolie pro- 
fonde et accablante, et jeta un coup d'œil sur le passage qui lai 
ayait été -désigné, d'abord ayec un air de curiosité languissante, 
mais qui fit bientôt place au plas yif intérêt. Son œil s'enflamma 
d'indignation, ses mains tenaient le parchemin, comme les serres 
d'an faucon tiennent sa proie, et ce fat d'une voix semblable au cri' 
de cet oiseau qu^nd il est en fureur qu'elle s'écria : — Traître 
faux et sanguinaire! que youlais-tu donc de plus? -- Non , mon 
père, dit-elle en se leyant ayec courroux, une princesse trompée 
n'intercédera plus auprès de yous pour épargner au traître Nicé- 
phore le destin qu'il a si bien mérité. — Croit-il pouyoir congédier 
une éponse née dans la pourpre, — l'assassiner peut-être, et ayec 
la yaine formule des Romains : — Rends-moi les clés, ne sois plus 
chargée des trayaux intérieurs de ma maison ^ ? — Une fille de la 
race des Comnènes est-elle faite pour être exposée à des insultes 
que le plus yil des simples citoyens se permettrait à peine enyers la 
femme qui a soin de sa maison ! 

A ces mots , elle essuya les pleurs qui lui tombaient des yeux, et 
ses traits, qui ayaient ordinairement autant de douceur que de 
beauté, s'animèrent au point d'offrir l'expression d'une furie. He- 
reward la regarda ayec un mélange de crainte, de dégoût et de 
pitié. Elle éclata de nouyeàu; car la nature^ qui Payait douée 
de grands talens, lui ayait donné en même temps des passions 
énergiques , bien supérieures à la froide ambition d'Irène , ainsi 
qu'à*la dupUcité et à la politique rusée et astucieuse de l'emperear 
lui-même. 

— Il en sera puni 1 s'écria la princesse; séyèrement puni! — 
Le traître, ayec ses sourires et ses caresses perfides! Et cela pour 
une Barbare qui a abjuré son sexe! — J'en ayais quelque soupçon 
lors du repas que nous prîmes chez ce yieax fou. Et cependant, si 
cet iucligne césar s'expose à la chance des armes , il a moins de 
prudence que je n'ayais de bonnes raisons pour lui en supposer. 
-^ Groyez-yous qu'il aura la folie de nous faire une insulte si pu- 

I. Formule laconiqne da dîTorce chez les Romains. 



COMITE DE PARIS. 297 

blique , mon père ? — Ne tronyerez-TOiu pas quelque moyen d^as- 
sorer notre yengeance? 

~0h 1 oh I pensa l'empereur ; voilà une difficulté de lerëe. Ella 
prendra le mors aux dents pour courir à la yengeance, et elle aura 
besoin de frein et de bride plutôt que d'éperons. Si toutes les 
femmes jalouses de Constantinople se livraient à une telle fureur^ 
nos lois sur le divorce seraient écrites avec du sang» comme celles 
de Dracon. — Ecoutez-moi maintenant , dit-il tout haut , vous ma 
femme , vous ma fille ^ et toi aussi , mon cher Edouard ; et je vous 
apprendrai, et à vous seuls, la manière dont je prétends conduire 
le yaisseau de l'Etat à travers tous ces écueils. 

—Reconnaissonsdistinctement, continua Alexis, lesmoyens qu'ils 
se proposent d'employer, et ils nous upprendront ce que nous de- 
Tons y opposer. Un certain nombre de Yarangiens ont été séduits, 
sons prétexte de griefs que leur perfide général a mis adroitement 
en ayant pour les animer ; une portion d'entre eux doit être placée 
auprès de notre personne. Le traître-Ursel est mort, à ce que pen- 
sent quelques-uns ; mais, quand il en serait ainsi, son nom suffit 
pour réunir tous ses anciens complices. J'ai le moyen de les satis- 
faire sur ce point; mais je ne m'explique pas à cet égard pour le 
moment. — Un corps nombreux des Immortels s'est aussi laissé 
séduire, et il doit être placé de n^anière à soutenir la poignée de 
Varangiens qui sont entrés dans le complot contre notre personne. 
— Or, un léger changement dans la distribution des postes, — 
et toi, mon fidèle Edouard... ou... ou... n^importe ton nom... tu 
auras plein pouvoir pour le faire, — dérangera les plans des 
conspirateurs, et placera nos fidèles soldats dans une position qui 
leur permettra de les entourer, et de les tailler en pièces sans grand 
eiûbarras. 

^ Et le ccHubat, sire? demanda l'Anglo-Saxon. 

— Tu ne serais pas un vrai Yarangien, si tu ne m'avais pas fait 
cette question , répondit Alexis d^un air de bonne humeur. Eh 
i>ien ! ce combat, c'est le césar qui Ta imaginé, et nous aurons 
8om qu'il ne se dérobe pas aux dlaugers qui peuvent en résulter. 
u ne peut, par honneur, refuser de combattre cette femme, qud- 
^e étrange que soit le combat; et, de quelque manière qu'il se 
termine , la conspiration éclatera ; et comme ce sera contre des 
gens bien préparés et bien armés, elle sera étouffée dans le sang 
*C8 conspirateurs. • 



299 ROBERT, • 

^ Ma Tmgeance n'eiige pas ce combat , dit la priitcease , et 
d'une antre part, yotre honneur impérial est inléreaaë à ce qne 
«ette comtesse soit protégé. 

-*-Gda ne m'importe gaère, répondit l'empereor ; elle arrive 
ici atec son mari, sans y être invitée; il se conduit insolemment 
«n ma présence, et il mérite tout se qui pent résnlter, ponr lui et 
poor sa femme, de lénr IbHe entreprise. An fond, je ne voulais 
guère que PeflRrayer par l« vue de ces animaux que son ignorance 
croyait enchantés , et donner à sa femme une idée alarmante de 
l'impétuosité d'un amant grec. Mais à présent que j'ai joui de 
cette petite vengeance, il est possible que je prenne cette comtesse 
0tms ma protection. 

— Quelle pitoyable vengeant! dk Timpéfatrice. Vous, arrivé 
à Pige mûr, et ayant une éponse qui peut mériter quelque atten- 
tien , vouloir donner des alarmes jalouses à un aussi bel homme 
que le comte Robert, et des inquiétudes à sa femme I 

— Non pas , dame Irène , non pas, si vous le permettez, dit 
iilezis ; j'ai confié ce rôle , dans la comédie que je voulais me don- 
ner , à mon gendre le césar. 

Haisy enfermant ^insi, en quelque sorte, une écluse, le pauvre 
empereur ne fit qu'en onvrir une autre encore plus terrible. 

^ Gela est encore plus indigne de votre sagesse impériale, mon 
père, s'éeria la princesse Anne Gonmène. N'est-il pas honteux 
qu'avec une prudence et une barbe comme la vôtre , vous vous 
mêliez de fofies indécentes, qui troublent l'intérieur des femilles 
et même celle de votre propre fille? Qui peut dire que le césar Ni- 
céphoreBrienne ait jamais jeté les yeux sur une-antre fenmie que 
son épouse avant que l'empereur lui eût appris à le fkire, et l'eût 
enveloppé ainsi dans un tissu d'intrigues et de trahisons qui finis- 
sent par mettre en danger la vie de son beau-père? 

— Ma fille I ma fille 1 s'écrivl'impératrice, il font être fifle d'mie 
lonve^ je crois, pour charger son père de tels reprodies dans on 
si malheureux moment, quand tout le loisir qu'il pent avoir loi 
suffit à peine pour défendre sa vie. 

—-Silence, toutes deux, femmes! dit Alexis, et finissez '^os 
dameuitt insensées I Laissez-moi du moins nager pour sauver ma 
vie, sans m'étourdir par votre sottise! Dieu sait si je sids homme 
à encourager, je ne dirai pas le mal, mais seulement ce* qui en a 
l'apparence. 



COUTIS DE PARIS. 29» 

n prononça ces mota en faîsamlB signe de le cfeU et «feceii. 
dévot gémissement. En ce moment, son épouse Irène s'eTUfa de» 
Ymt lidi et lui dit, avec nne amertume daBsIe regard et daae 
Ymxmtf qiâne penvait prei^enir qoe d'eee haine oonîiigale len^. 
temps cMioentréei qak rompaît enfin tontes les dignes : -** Alexifl^ 
tenDiiie;& cette affsire comme il tous plaira ; Toea «fes ^éen en 
k}{KMHrite, et Yoes nemanqncreE pas de moniir de m£nw4 À cee 
mots, eOe sortit de Taf^partement d'nn air Jimdignalianyet e»* 
ntena sa fille ayec elle. 

L'smpereiur la regarda partir ayeeqnd^ confnsieay mais il 
recoaYra bîentfttsa présence d'esprit ; et, se tonniant vers le Ya"» 
nngien avec on air de majesté blessée , il lai dit : — Ah I mea 
cher Edouard ( car ce nom s'était enraMsiné dans ses esprit an Heis 
de celai meina Qonlant.d'H«neward ), tn yeis ce qai arrive même 
anxplas grands de la terre! ta rois que Famperearloft-mâmey' 
dans des monsens de difficnlié, est exposé à voir ses sentimena mal 
iBterprétés, aussi bien que le dernier bourgeois de Constantinople» 
Cependant, nM>n affection ponr toi eaft si grande, Edouard, que je 
désire que ta sois conyaînon qne le caractère de ma fille Anne 
Comnène reasemble non à celui de sa mère, mais-piatdt au mien* 
Ta vois arec quelle fidâité religieuse elle respecte les indignée 
liens dont elle est chavgée ; mais j'espère qu'ils seront bientôt 
briflés , et que Gtqndon lui imposera d'autres chatnes qui seront 
plas légères à porter. Edonasd , tonte ma confiance est en toi* Le 
hasard nous présente une occasion^ heureuse entre toutes si noua 
saTons en profiter, d'ayoir tons las trattres rassemblés deyant 
&0Q8 sur le même terrain. Pense donc , ce jour^la, comme le diaem 
ks F/ancs dan* leurs tournois, qne de befutt yeux te regardent. 
Ta ne saurais t'tmaginer un don qu'il soit en mon pouyoir de te 
^ûre que je ne te Vaecorde avec plaisir» 

^ M'importe^ dit le Varangien ayec quelque froideur; nwrplns 
haate ambition est de mériter qu'on Use cette ^itaphe sur mes 
^^iBbeau : HenâwofdJafJUêk, Je yais pourtant demander à Yoire 
lllajesté Impériale une preuve de confiance» preuye que yous tioiif* 
Teraz peut-être un peu trop fortew 

*-** Vraiment ! dit l'empereor. Eh bien! yopns; en un nMy 
9>^e est dane tu demande? 

*^La permnaion d'aller aU' camp de Gedefroy de Bouillon, 



300 ROBERT, 

et de re^érir sa présence dans la lice pour être témoin de ce 
combat extraordinaire. 

— Poor qu'il revienne avec ses fous de croisés , et qu'il fasse le 
siac de Ck>nstàntinople sous prétexte de yenger ses confédérés ? Ya- 
rangien , c'est du moins faire connaître tes intentions ouyertement. 

— Nonl de par le dell s'écria précipitamment Hereward. Le 
duc de Bouillon ne viendra qu'avec un .nombre suffisant de cheva- 
liers pour former une garde raisonnable , dans le cas où l'on userait 
de trahison à l'égard de la comtesse de Paris. 

— Eh bien > je t'accorderai même cette demande. Mais si tu 
trahis ma confiance , Edouard , songe Inen que tu perds tout ce que 
mon amitié t'a promis , et que tu encours la damnation due an 
perfide qui trahit par un baiser « 

— Quant à la récompense dont vous m'avez parlé, noble em- 
pereur, je renonce formellement à toute prétention à cet égard. 
Quand le diadème sera plus fermement établi sur votre tête , et que 
le sceptre sera plus assuré en votre main , si je vis encore, et que 
mes faibles services puissent le mériter, je ne démanderai de votre 
bonté que les^ moyens de quitter cette cour, et de retourner dans 
rîle éloignée qui m'a vu naître. En attendant, ne croyez pas que 
je puisse vous manquer dé fidélité , quoique j^en aie les moyens ponr 
le moment. Votre Majesté Impériade apprendra qu'Hereward loi 
est aussi fidèle que votre main droite Test à la gauche. 

A ces mots, il prit congé de l'empereur en le saluant profon- 
dément. 

L'empereur le suivit des yeux d'un air qui annonçait une admi- 
ration mêlée de doute. , 

— Je lui ai accordé tout ce qu'il a voulu , se dit*il à lui-même , 
et je lui ai donné les moyens de me perdre entièrement , s'il en a 
l'intention. Il n'a qu'à dire un mot , et toute cette bande de croisa 
extravagans , que j 'ai su me concilier au prix de tant de fausseté et 
de plus.d'argent encore , reviendra mettre Constantinople à feu et 
à «ang, et sèmera du sel sur le terrain que cette ville occupe au- 
jourd'hui. J'ai fait ce que j'avais résolu de ne jamais faire : j'ai ha- 
sardé mon. empire et ma vie en me confiant à la foi du fils d'une 
fe^nme. . Combien de fois me suis-je dit et juré que je ne me met- 
trais jamais dans un tel péril ! Et cependant je m'y suis laissé en- 
traîner pas à pas. Je ne saurais dire comment cda se fait, înais 



COMTE DE PARIS. 3dl 

il y a dans les regards et dans les paroles de cet homme un air de 
bonne foi qui l'emporte sur. ma méfiance ; et , ce qui est le plus in- 
croyable, c'est que ma confiance en loi a augmenté en proportion 
de l'indépendance et de l'aodace qu'il me montrait. Comme le rusé 
pêchear, je lai ai présenté toos les appâts que j'ai pu imaginer, et 
qaelqnes-uns de nature à ne pas être dédaignés par un roi , et il ne 
s'est laissé prendre à aucun : et cependant il ayale, si je puis parler 
ainsi, l'hameçon non amorcé , et il entreprend de me serrir sans 
one ombre d'intérêt personnel. Est-il possible que ce soit un raf» 
finement de trahbpn ? Serait-ce ce qu'on appelle désintéressement? 
Si je le croyais perfide^ il n'est pas encore trop tard ; il n'a pas 
encore passé le pont; il n'est pas hors de la portée des gardes 4a 
palais , qui ne savent ni hésiter ni désobéir. Mais non , je me trou- 
Terais seul alors : il ne me resterait ni un ami ni un confident. J'en»^ 
tends oayrir la porte extérieure du palais : le sentiment intime 
da danger me rend certainement l'oreille meilleure que de coutume. 
La porte se ferme. Le dé est jeté : il est en liberté ; et Alexis doit 
régner ou périr, suivant la foi incertaine d'un Yarangien à sa solde. 

11 frappa des mains ; un esclave parut ; il lui demanda du vin. il 
^^9 et son courage se ranima. — J'y suis décidé , dit-il , et j'atten- 
drai avec fermeté le résultat de ce coup de dé, qu'il soit heureux 
on malheureux. 

A ces mots, il se retira dans son appartement, et on ne le revit 
plus de la soirée. 



CHAPITRE XXII. 



Le son d'ane trompette ! est-ce un signal de mort t 

Cajipbslxi. 



Le Yarangien , l'esprit agité par les affaires importantes dont 
il était chargé , s'arrêtait de temps en temps en traversant au clair 
de lone les rues de Constantinople , pour méditer les pensées qui 
se présentaient tout à coup à son imagination , et les considéra: 



m moBERT, 

mfûù esaclkiide êuêb ionfeoB les faces. Elles étaient de aatnvelaiilftt 
à «cker senanarage, tantAi à Talarnier, et ckaeune d'dies était 
hamie à sen tour par des Téflexions opposées. II se troirrsitdaBs 
«M de ces conjoaclSHres où Tayie d'sn bomme ordimire se sent 
«incapable do siipp<»«er le poids d'iiii fardeau soadam qui loi est 
empesé, et oui jmi eonlraire, eeHe d'un bomiae doué d^one énergie 
^pea eonunaM , et do ce don dn cid le pins précieQXy le bon sens, 
cent ses taleas s'ëyeiUer et prendre l'ossor qui eonyient, td 
qpi'im bon Goaursier nonlé par nn caTalior plein de eonrage et ^€1- 
pirienee. 

GûBune il était dans onde ces œcès de vèverie <qm, pendant 
eettenait , avaioat suspenda pins d'ane fois sa-marchefière etbd- 
tiqneiiae , Hereward cmt oToir entendn de loin le brait d'nne tnm- 
pette. LosondecetinstramentàaaepansiUetienre, dans lès nu» 

tous les moaTemeiis des tnwpes étant véglés par des ordres spé- 
«ianxi on n'avait pa inSameofireleattenoe sdietmel de hnnitssDS 
wi motif important. Mais ^êA «était ce motîfP c'était ce qn'il ne 
powait deviner. 

La conspiration a!mt^e éclaté inepinémeaft oc par suite de 
«Msores dÛérentes de collas ^pne les eoMpiraftoars avaient adop- 
tées ? En ce cas , sa rencontre , après tant d'annéesd^absenoe, avec 
«die dont k aMum loi Avait été psamisey n'étadt qve le prëhide 
trompeor d'nne séparatio^ étemelle. Les croisés, godent il 
âait difficile de calculer les mon vemens , avaient-ils pris les armeSi 
et étaient-ik revenus tout à coup des côtes de l'Asie pour sor- 
préhdre la ville ? Cette supposition n'avait rien d'impossible : on 
avait donné aux croisés tant de sujets difEârens de plainte , qae, 
maintenant qu'ils étaient pour la première fois réunis en un seul 
corps, et qu'ils avaient entendn les récits qu'ils pouvaient réci* 
proquement se &ire de la perfidie des Grecs , il était naturel et 
peut-être même excusable qu'ils se livrassent à des idées de 
vengeance. 

Mais le son qu'il entendait ressemblait à un appel régulier. Ce 
n'était |K>int ce tumulte confus de trompettes et de clairons qoi 
accompagne et <qid«nnoiioe la prise d'ane ville, qomidles kor- 
Tenrs de l'assaut n'ont pas encore fiât placeàia paix sévère qaebs 
vainqueurs , iatigués de carnage et gorgés de iMàn^ acoordeat 
enfin aux malheureux habitans. Quel fue pût être ie iwMif de ce 



GOBITE BB PARIS. 8W 

tig^ mmiÊéfûMànéceiuaire f ^ler c wT d en Cftt infomé. H 
avaiiça donc dans une ^ande rue voisine des casernes , d'où le son 
fftra^sait partir; et, éansle Aiity il ayak encore â'aatreB raisons 
pour prendre œ chemin. 

Les habitans de ce quartier de la TÎUe ne paraissaient pas tris 
Igllés iiair ce signal gnerrier. La inné éclairait la rme» qne traver- 
niit l'ombite gigantesque des' tonrs de l'église de Sainte-Sophie | 
iani les infidèles ont £Eiit lear principale mos^iée depuis qu'ils 
tout en possession èe cette viHe. Personne ne se montrait dans 
lea mes, et si quelqu'un se mettait à sa porte ou à sa fenêtre , sa 
ciuriosîté seœUait promptemen t satisfaite , car il se retirait sur-le* 
champ et se renfermait dans sa maison. 

Hereward ne put s'empêcher de se rappeler les IraditieBs que 
meontaient les Tiei^Urds de sa tribu dans les épaûsea forêts du 
Hampshire , et qui parlaient de chasseurs inyisihles poursniTaut, 
avec des chiens et des dievaux également invisibles , m gSiier 
qu'eux seuls pouvaient voir, dans la profondeur des bois de la Gei> 
oumie. Il lui seartdait que c'étaient les mêmes sons qui devaient 
laire retentir ces bois pendant cette chasse étrange , et port» la 
terreur dans l'ame de ceux qui les entendaient. 

«^Fil sedit>il en répnmant nn certain peiichant à biîBiême 
«rainte snperstiliease ; des idées puériles doivent-eUes m présentMr 
a ridée d'un homme qui a obtenu tant de preuves de eonfianœ» et 
de qui Ton pavait attenlve tant de dioses PII continua donc nniar- 
eher^ aa hache appnjée ear son ^^ptuAe , ^ aoeosjtant la imnîèap 
pononne qi^il vit se hasard à semnt^eà sa porte 3 Inidenaq^ 
la cause de c^ie monqne nuuHiale à nne heure ai extraor- 
dinaire. 

'^ Jene, smnais vusnale^direy népondit le eitoyea^ qui ne pnrais- 
siit disposé ni à ««ster en plein air, ni à «nftendre , de nenmllas 
^pestions. C'était i'habilant politique de GoiialantinO|de qne nons 
avons vu égarer aa eommeneement de cette Ustoire ; et il se hâta 
-de ren^ner «àez loi penr éviter un plus long eatmiea. 

iiC lutteur Stéphânos était ddiout à la forte suivantef qui élnit 
décorée d'nne guirlande de chêne et 4e lierre, en fkanneurée 
iquelqne viet0ire qu'il avak ^^éeemoMi^ remporlée. M ne songea 
foîat à faire retraite, emcoaragé en partie par la force ph^aifne 
•qu'il se connaissait , en partie par on caractère sombre et bearm, 
que les gens de cette espèce prennent souvent poar un véritable 



304 ROBERT , 

courage. Son flatteur et son admirateur Lysimaqae se tenait à dena 
caché derrière ses larges épaules. 

Hereward lui fit , en passant , la même question qu'il avait adres- 
sée à l'autre citoyen : ^ Sayez-yous ce que signifie le son de ces 
trompettes à une pareille heure ? 

— A en juger par votre hache et votre casque, répondît Sté- 
phanos d'un ton nrusquci vous devriez le savoir mieux que per- 
sonne ; car ce sont tos trompettes , et non lés nfttres , qoi tronUent 
les honnêtes gens dans leur premier sonuneil. 

— Dr&le I s'écria le Yarangien d'un ton qui fit tressaillir le ht- 
teur*. Mais ce n'est pas quand cette trompette sonne qu'on soldat a 
le temps de punir l'insolence comme elle le méritCé . 

Le Grée rentra à la hâte dans sa maison , et , dans sa précipita* 
tion , reuTersa presque l'artiste Lysimaque, qui écoutait ce qoi se 
passait. 

Hereward arriva aux casernes. La musique semblait avoir fait 
une panse. Mais, à l'intant où il passait le seuil de la porte pou 
entrer dans l^ cour, le son des trompettes éclata de nouveau , ayec 
une telle force qu'il en fut presque étourdi , quelque habitué qu'il 
y fût. 

— Que signifiegtoutcela, Engelbrech ? demanda-t-il au faction* 
naire varangien qui se promenait devant la porte, la bacbea la 
main. 

-^ C'est la proclamation d*undéfi et d'un combat, répondit Efr 
gelbrech. Il se prépare d'étranges choses, camarade; ces enragés 
croisés ont mordu les Grecs, et ils les ont infectés de lenrforeor 
pour les combats singuliers , comme on dit que les chiens se ooni* 
muniquent h rage. 

Hereward ne r^ondit point à la sentinelle, mais il continua a 
avancer pour aller rejoindre un groupe de ses compagnons qu 
étaient dans la cour, à demi armés, . on , pour mieux dire, sans 
armes , s'étant levés pour se rassembler auteur des trompettes» ^ 
étaient rangés en bon. ordre et en grand uniforme. Celui qui por* 
tait l'instrument gigantesque destiné à annoncer les ordres exprès 
de l'empereur était à sa place, et les musiciens étaient suivis d'oa 
détachement de Yarangiens armés , à la tête desquels Achilles 
Tatius se trouvait lui-même. Hereward, dont les compagnons se 
rangèrent pour lui faire place, remarqua aussi , en approchant, 
que six des hérauts de l'empereur étaient de service en cette oc* 



COMTE DE PARIS. 305 

casîoa; Deux d'entre eux avaient déjà &it la proclamation , qtd , 
répétée ensuite par deux autres , deTfût l'être une troisième fois . 
par les deux derniers , comme c'était l'usage à Constantinople 
qaand il s'agissait de publier un mandat impérial de grande im- 
portance. Dès qu' Achillès Tatius eut aperçu son confident » il lui 
& un signe, et Hereward comprit que son chef voulait lui parler 
après la' proclamation. Les hérauts la firent'dans les termes ci- 
après', quand les trompettes eurent terminé leur fanfare. 

— De par l'autorité du resplendissant et divin prince Alexis 
ComnènOi empereur du très-saint empire romain I La volonté de 
Sa Majesté impériale est de bdre connaître ce qui suit à tous et à 
chacan de ses sujets, de quelque race qu'ils soient descendus, et 
devant quelque autel qu'ils fléchissent le genou. — Sachez donc , 
dit-il , que le second jour après la date des présentes , notre gendre 
bien-aimé le très estimé césar s'est chargé de combattre notre 
ennemi juré Robert, comte de Paris, pour s'être permis insolem- 
ment d'occuper notre siège impérial, comme aussi de briser, en 
notre présence sacrée, ces chefs-d'œuvre précieux qui ornaient 
notre trône , et qu'on nommait par tradition les Lions de Salomon. 
£t pdur qu'il ne puisse rester un seul homme en Europe qui ose 
dire que, les Grecs sont en arrière des antres parties du monde , 
dans aucun des exercices guerriers usités parmi les nations chré- 
tiennes, lesdits nobles ennemis i renonçant à tout secours tiré de 
k trahison , des talismans et de la magie, videront cette querelle 
en trois courses avec des lances émoulues, et en trois passes 
d'armes avec des sabres bien affilés; sa très honorable Majesté 
rempereur devant être juge du champ de bataille, et en décider 
SQiyant son bon plaisir très gracieux et infailliUe. Et qu'ainsi 
Dieu prouve le bon droit I 

Une antre fanfare termina là cérémonie. Achillès congédia alors 
ses sol4ats, les hérauts et les musiciens, qui se retirèrent chacun 
de leur c&té , eit Hereward s'étant approché de lui , il lui demanda 
s il avait appris quelque chose du prisonnier Robert, comte de 
Paris, 

— Rien que ce que contient votre proclamation, répondit le 
Varangien. - 

"^ Tu crois donc qu'elle se fait de l'aveu du comte? 

A jDoup sûr. Je ne connais que lui qui puisse répondre qu'il 
^ P^entera duns k lice. 

ao 



909 JROWRT, 

— Çwrmafoiy mon bra^eH^rewardl taas le e^rftaa un yen 
obtps. Il faut que tp sftohe&qiie ce fou ineffoUe, noire oéaar , a tm 
l'extrayagance de croire qne «a chéU^e inteUigenee étsàtWBL niyeaB 
de celle d'ÂchUlès Tatins. U se montre délicat sur le point d'hoii- 
neor ; il ne pept supporter qu'on suppose qu'il ak appelé m» 
femme au oombat. Il a donc, substitué le nom du mari à oelui de la 
femme. Si le.oomténe se présotte pas dans la licOi le césar 40 
donnera ^ avo die triomphe. à bon masclié,i puis^il n'ancà pas 
t^rpuTé d'antagQitisle , et ildenumdeBa que la comtesse Jim soit li- ' 
iFvée. comme captiye de son arc et de sa lance redoutaUes. Ce sera 
le signal d'un rtumul(e gteéral» au milieu duquel , Alexis.» s'il n'est 
pap tQéaiv la plaoe , sera jeté dans ses propres cachots du Bla- 
quemaU fwc y subir le deatin que sa cruauté a infligé à tsmi 
d'Antres. 

*-«- ftlais..* 

— Mais... mais... mais.... Tu es an fou. Ne penx«tn Toir que 
qe vaillant césar veut éviter le risque d'une rencontre avec la 
femme» tandis qu'il désire ^ôimment qu'on le croie disposé à oom* 
battre le mari ? Ce que nous avons à faire» c'est de disposer ks 
apprêts de ce combat, de manière à réunir sous les armes toitf 
ceux qui sont préparés à l'in^rreotion » afin qu'ils paisseat joaer 
le«r rôle. YeiUe sovlement a i^cer près de la pers(»me de l'ouïe- 
reur les aims dpnt nous sommes«&rs , et à en écarter cette portion 
des gardes domt l'empressement officieux pourrait âtre déposé à le 
secourir ; et» soit que .le césar combatte un comte on une comtesse» 
soit qu'il y ait w oombat on -non^ la révohiti<m sera aoeoraplie, 
et les Tatitts repo^lac^ontlesComnènes surle tr&ne de Gonstafl- 
tinople. — Va, mon fidèle Hereward. Ta n'odilieras pas .que le 
mot de ralliement des insurgés est UrseL II vit cnoere -dans Vti' 
fection du peuple » qmique son corps^ Att-ion» sott entenaé depuis 
longotempa dans les cachots 4» Slaquernal^ 

*— ]^ qqi éijait loet Ursel> dont j'entends parler de ;tast de ma» 
niières 4î6^rontes ? 

— Un homme qui disputa la couronne à Alexis Gomnène; m 
hofoime brave » honnête , verjtaeux » et ^ai fiit renvemé par l'as- 
tuce de son ennemi , plutôt que par sa bravoure. Je crois qu'il est 
mort dans les cachots de Blaqu^nal» maïs quand eteommeet» 
c^est ce )pe peu de gens pourraient dire. Mms» alUms » mon U^re- 
ward» de l'activité ! Encourage nos Yaraitgianff ^ «ngagee^a 



, COMTE TÏE PAiRlS. 3(>t 

dan8lî)iftre|>ani'«ii aussi ^and n<H&bre qtie tu le pourras. Qaant 
attlfliBioFtebvCbmme' on les appelle y et aox citoyens mécontensy 
nous en oamptons assez qni sont préparés à pousser le cri de Fin- 
sorreetion , et à saîyre l'exemple de ceux sur qui nous devons 
compter pooir commencer Fentreprise. L'astuce d'Alexis, et le s^iji 
qu'il prend d'éviter foutes «les assemblées publiques, ne le proté* 
geront pas plus long^tempo. Son honneur ne lui permet pas de se 
dispenerd'assieter à un combat qui doit livoir lieu sous ses propres 
yeux; et béni soit Mercure , ^ni m'a accordé assez d'éloquence pour 
le détermitter , après quelque hésitation , à ordoniner cette procla- 
mation 1 

^ Vous av«K donc vu Alexis ce soir ? 

— Si je l'ai vu? sans contredit. Aurais>je fait sonner ces trom- 
pettes sans son autorisation 1 Ce soh aurait suffi pour faire tomber 
ma tête de dessus mes épaules. 

— J'ai oonc été sur le point de vous rencontrer au palais , dit 
Hereward, dont le cœur battait comme s'il eût réellement fait 
cette rencontre dangereuse. 

-— J'en ai appris quelque chose , dit Achillès ; je sais que tu as 
été prendre les derniers ordres de celui qui joue encore le rôle de 
souverain. Si je t'y avais vu avec cet air intrépide, et en appa- 
wsioe si ouvert et si honnête, occupé à tromper ce Grec rusé à 
fop(je de {franchise, à coup éûr je n'aurais pu m'empêcher de rire 
^ oofBtraMfedé ta phy^onomie avec tes secrètes pensées. 

'^ Dieu seul connt^t le fond de nos cœurs , répondit Hereward ; 
miis je te prends à témoin que je serai fidèle à mes promesses , et 
^ je m'aeqttîtterai de la tâche qui m'a été confiée. 

*-*-8wivo, lîion honnête Anglo-Saxon! Dis, je te prie, à mes 
esclaves^ venir me désarmer ; et quand tu quitteras toi*-méme ces 
annes de simple garde-dn-corps, dis-leur qu'elles ne seront plus 
?Qe deax jours entre les mains d'un homme à qui le destin réserve 
un posie fl«s di^ de lui. 

Hereward n'osà se fier à sa voi^ pour répondre à ce discours 
^s un moment «i critique, et saluant profondément son chef , il 
^^<^gua son appattetnent dans les casernes. 

Dès qtfa y «ntra , te cofmte Robert le salua d'un ton joyeux , et 
à hântè vjoix, comme s*il we craignait pas d'être entendu , quoique 
la prudence eût dû lui Taire sentir la nécessité d*être circonspect. 

— L'as-tu entendu 9 mon cher Hereward I s'écria-t-il ; as-tu en- 

ao. 



308 ROBERT, 

tenda le prodamation par laquelle cet antilope grec me défie an 
combat à lances émonlaes , et à trois passes d'armes aTCC des 
sabres bien affilés? Cependant il est assez étrange qa'il ne juge pas 
plus sûr de combattre la comtesse. Il croit peut-être que les croir 
ses ne permettraient pas un tel combat ; mais , par Notre-Dame 
des Lances-Rompues I il ne sait pas que les hommes de FOcddent 
sont aussi jaloux de la réputation de courage de Irars femmes que 
de la leur. J'ai passé toute la soirée à réfléchir quelle armure je 
prendrai, comment je me procurerai un coursier , et si je ne lui 
ferai pas assez d'honneur en n'opposant que Tranchefer à tontes 
ses armes ofEensiyes et défensives. 

— J'aurai soin , néanmoins , dit Hereward , qu'en cas de besoin 
TOUS ne soyez pas pris au dépourvu. — Vous ne connaissez pas les 
Grecs. 



CHAPITRE XXin. 



Le Varangien ne quitta le comte de Paris qu'après que celui-ci 
lui eut remis son cachet , sanèy pour nous servir du langage du bla- 
son, de lances brisées^ et portant cette fière devise : a La mienne 
est encore intacte. » Muni de ce symbole de c<mfiancei il loi bllait 
alors prendre des mesures pour informer le chef des croisés de la 
solennité qui se préparait^ et lui demander , au nom du comte 
Robert de Paris et de la comtesse Brenhilda , un détachement^^ 
cavaliers assez considérable pour assurer la stricte observation 
des règles du tournoi dans l'arrangement de la lice et pendant la 
durée du combat. Les devoirs qu'Hereward avait à rempUr étaient 
de nature à le mettre dans l'impossibilité de se rendre personnelle- 
ment au camp de Grodefroy ; et quoiqu'il y eût un grand nombre 
de Yarangiens sur la fidélité desquels il eût pu compter, il n'^ 
connaissait point, parmi ceux qui se trouvaient immédiatement 
sons ses ordres, à l'intelligence desquds il pût entièr^nent se fier, 
dans une circonstance aussi nouvelle. Dans cette perplexité, il^^ 
-dirigea, sans trop savoir ce qu'il faisait, vers les jardins d'Age- 
lastès, où le hasard lui fit de nouveau rencontrer Berthe. 



COMTE DE PARIS. 309 

A peine Hereward loi eut-il fait connaître l^embarras où il se 
trcayait, que la fidèle Berthe ent pris son parti, 
. — Je Yois, dit^llei qne c'est à moi deconrir le risque de cette 
ayentore* Et pourquoi ne le ferais-je pas ? Ma maîtresse ^ au sein 
de la prospérité, Toulut quitter pour moi la maison paternelle ; 
j'irai pour elle an camp de ce seigneur franc. C'est un homme 
d'honneur^ un chrétien plein de piété ; ses soldats sont des soldats 
pleins de zèle pour la religion : une femme chargée d'un tel mes- 
sage ne peut ayoir rien à craindre au milieu de pareils hommes. 

Le Yarangimi connaissait trop bien les mœurs des camps pour 
permettre à Berthe d'entreprendre seule un pareil Toyage. Il choi- 
sit donc pour l'accompagner un vieux soldat dont le déyouement 
lui était acquis par de longs services et de nombreux actes de 
bienveillance; et après avoir répété à Berthe dans tous ses dé- 
tails le message qu'elle allait porter, il lui recommanda de se tenir 
prête au lever de l'aurore , et il reprit le chemin des casernes. 
• A la. pointe du jour, Hereward était de retour, et il trouva 
Berthe à l'endroit même où il l'avait quittée la veille. Il était ac- 
compagné du fidèle soldat aux soins duquel il voulait la confier* 
En peu d'instans , il les vit à bord d'une barque qui était amarrée 
dans le port. Le midtre de ce petit bâtiment les admit sans diffi* 
cuké, après aroir examiné un instant leur permission de passer à 
Scutari, qui était donnée au nom de Facolouthos, comme s'ils 
étaient autonsés à cette traversée par cet infâme conspirateur, et 
elle contenait un signalement qui convenait au vieil Osmond et à 
sa compagne. 

La matinée était siqperbe; et la ville de Scutari ne tarda pas à 
s'offrir aux regards des voyageurs, étalant, comme aujourd'hui, 
cette architecture variée qui, bien que fantastique et bizarre , a 
des droits incontestables à l'admiration. Les édifices s'élevaient 
hardiment du sein d'un bois touffu de cyprès , et d'autres arbres 
de dimensions colossales , qu'ils devaient sans doute an respect 
qu'ils inspiraient comme ornant les cimetières et étant les gardiens 
des morts.. 

A l'époque dont nous parlons, une autre circonstance noimnoins 
frappantequ'admirable donnait un nouvel intérêt à cette cité. Une 
grande partie de cette belle armée, composée de tant de nations 
diverses, qui était venue pour reconquérir sur les Infidèles les 
saints lieux dans la Palestine et le saint sépulcre lui-même , avait 



s. 



m RDBBRar, 

d'autres tentes qn» lef pi^iUpn9i.dQqiifd4ii»Glie& dehÂmrmig;; 
vfm^ lessoUUtft.s'éi«ii«P((t om^trivii: 4e». bniiM tomporansh qui 
offraieAt op coup di'ceil i^gvéabte^ dAoméM de ff uillagoiiel de 
ÛWTBf el surmmt^ d^ipenAOnatiett de hanniàre^ ofErapt Ayems 
d^vise^ : elle^ i^pnoi^çai^nt q«ç la 4enr de Ffiwope a» troHraifeeii 
qet endroit». Un boordonm^vieat varié» ei TftBMtnûblvBA à. cdiii 
d'une ruche prête à,esMtaiw> parlait d« camp desrivttiaéfr etam- 
vait jusqu'à la \iUedeS<^pUirî ; et de teoqis en tsmpê ce bmk senid 
^lait couvert par|deai^aens plus^gusi parle son deainatrumens 
de musique» ei pai* Ic^ cvriatooeare. plus ëlevéafae huarainte ouït 
gaieté arrachait aux femme» e^ aux enlua^ 

Berthe débarqua enfin; el comme «lie ap{M*odiaît'd^aiiedit8 pe* 
tites portes dw camp 9 sii^compacttéet du viens soldât et.du maitie 
delà barque , elte^^^ii vit sortir une troap^'briU^nte^dfr^avalian^ 
dopages. et d'écuyersi» qmpromenaknt: les ebevmade lova nMi- 
Mres ou lesil^urs» jys^vè& le bruit qu^Us liîiaient e» conversant, 
m crian^^eNL galopant eik en fidsanft pirouetter et eabreekan 
quirsiers» c^^Miratedit'qaeiesdQveirsdAservieefleAaveienfk 
a^rtirdu campavaAt:.qai»Jerepo8eût entààremem^dîisîpé lesiamte 
dp vin qu'il» avaient bu la > veille» Dès qu'ils, i^pcrçarenl; Beiftbe «t 
ses deux QpBip^j^na, ibe?en»a|i|MNichèient eaipeBsaantgieMrii 
qui annonçaient ^'ils étaient Italiena» 

— AlPertaiall'evtaJ -irxeba degnadagna» cameradi^ 

flsentouy»rei»rAp|jeiJSa T ei WM Ngt ses oe mpa gno asyenc e n th i n am 
leurs cris de manière à la flaire trembler. Que venait*eU9 fairedam 
le camp ? de m and è r wttjls tons .eu mime, temps*. 

-^Je voiidffais parler augénénalen chef» répondit B^ethe^fW 
on a9a949g9 ^eeretipoar «on oueiUe. 

*Tr Pour l'o^eiUe de quî ? demanda wi des pneipeim ecvalier») 
b^au, jeune fa^omme d'environ dix4uHt an», qui paraissait aveîries 
i^ées plussaines que ses.cempagneas; <[ueleatiJeelui de nea.chsii 
qi9» vous désires voir? 

— Godefroy de Bouillon , répondit Bertbe. 

-mOni-dà{ reprit le^page qui avait parlé le prmniert jRlBa^ 
n^ins ne peat-il vous suffire ? Jetez un cmip d'oeil panai neoSi 
rfoas sommes, jeunes et passablement riches^ Mmiseigpflnr di 



comte: BK paris. $ft 

fidviUm est yimx>,j ei sSil a cpwtqtifet amfpimy il n'est pas^ db 
ItMBDifr à les^dépen8er de «Ite ttnlm^e^ • 

— J'ai an ^age de ma missiea à hû meittrer, fépondlt'BertlMy 
4tn gejipe qii^M reconnaitra, et'il nc( sanra pas très^bon gré à 4|meon- 
^pie m'empèciiera d'arriver libreami; jusqu'à kû. Et^lintiMnfmiit 
ma pelit éerin dans Jeqnel éûâl^nfanÉée la bagne du osmte; cUe 
4$ovta •: Je Toarle-oenfierai y si tous me promettez de ne pas Foa- 
vrbt, et de me faire parler an noble chef des croisés. 

-^^ J'y omsena^ dit lejeonehorame;.etySi teLest lebonplcdslr 
du dncy Tons serez admise en sa présence. 

— » Bmest d'Apnlie, s'écria nn de ses conpifgnons ,• ton e^rit 
finûœd si'est laissé prendre an trébochet^ 

— Ta es un fon nltramontain^ Polydore» rendit Bmest; il 
psnt y aTOtr dans cette affinre pins d^porUflfce qne ton esprit et 
le mien ne aéat en état d'en déooQTrir. Cette jeme fenaiey et 
un de» bommes q» l'accompagnent» portent on costume qui ap- 
partient à kf ^de impériale Tarangienne. Us sont peat*ètpe 
eluurgés d'ut mesMge de l'empereor, et le choix depateîls messa- 
gMspem Coït bien se concilier avec lapoiiiiqae d'Alexis. Gondoi- 
acBM^ks'done en to«t«bonnear à la tente dn géaéraL 

— De tont mon cœnr, dit Polydore. Une drâlesse anx yensL 
Uen* est Un- morceau frirad; nMds je v/ama» pa» la sifnee dn 
graiMttpréfdty ni la manièrtr dontil habille cent qui cèdent à la 
tentation ^« Cependant^ ayant de me montrer aussi Isa qne mon 
camarade y je Tondrais bien saToir quelle est cette jriie fille qui 
lient ici ponr rappeler à de n^iiles ptinces et à de vieux pèlerins 
qn'ils ont en , dans leur temps» leurs passions comme le reste dés 
anttes hommesi 

Berthes^aTM»^cft4itqaelqtiesmots<iForeflled^Ernest« Cepen- 
dant Polydore et lé reste delà bande joyeuse se liirrèrent à une 
fonle de plaisanteries bruyantes et grossières» qvA, quoique caraè- 
térisaut ksintèrlocuteorsy ne sont pas de nattréà être transcrites 
îei^ L'efièC ips'elles prodnisireM fut d'ébranler jusqu'à tria 'certain 
peint le courage de la jeune SaKtane» qui eut quelque peine à 
reprendre assez, deprésence d'esprit pour leur adresser la parole» 
— Si TOUS ayez des mères» Messieurs» leur dit-elle» si tous a?yez 
des sœurs» <pe vous' voudriez protéger au prix dû plàs pur de 

X. Les croués qui étaient reconnus coupables de ^certaines oflenses étaient endaits de poix et de 
fifUÊm p<m» en mn péaitMce, <iQoiquo ce chàtimeat patte pour ètra «M int^tioii BM>d«iM. 



312 ROBERT, 

votre sang 9 si voiu aimez et honorez les lieux samts que yons ayez 
juré de délivrer des mains des Infidèles, ayez compassion de moi, 
afin d'obtenir gloire et succès dans votre entreprise. 

^- Ne craignez rien, jeune fille , dit Ernest ; je voos servirai de 
protectenr. Et vonsi mes camarades, laissez-vous guider par mon 
avis. Pendant que vous étiez à tapager, j'ai jeté un coup d'œil, im 
peu contre ma promesse, sur le gage de sa mission qu'dle vient de 
me remettre ; et si celle à qui il a été confié est insultée ou mal- 
traitée, soyez sûrs que Godefroy de Bouillon en tirera une ven- 
geance sévère. 

— Si tu peux nous donner une telle garantie , camarade , dit 
Polydore, je m'empresserai moi-même de conduire cette jeane 
fenmie^en tout honneur à la tente du duc de Bouillon. 

— Les princes doivent être sur le point d'y tenir un conseil, dil 
Ernest. Ce que j'ai dit, je le garantirai et le soutien^ai de mon 
hrais et de ma vie. Je pourrais porter plus loin mes conjectures, 
. mais je dois laisser cette jeune fille parler elle-même. 

— Que le ciel vous récompense, digne écuyerl dit Berthe; et 
ptiisse-t-il vous accorder autant de bonheur que de bravoure! Ne 
vous inquiétez de moi que pour me conduire en sûreté devant votre 
chef Godefiroy. . 

— Nous perdons le temps, dit Ernest en se jetant à bas de son 
cheval. Vous n'êtes pas une Orientale efféminée, aimable fille, et 
je présume que vous ne trouverez pas de difiBiculté à condoire m 
cheval dodle. 

— Pas la moindre, répondit Berthe. Et, s'enveloppant de sa 
mante , elle sauta sur le coursier plein d'ardeur aussi légèrement 
qu'une linote se perche sur un rosier. Et maintenant. Monsieur, 
ajonta-t-elle, comme ma mission n'admet rédlement pas de délai, 
je vous serai obligée de me conduire sur-le-champ à la tente de 
Godefroy de Bouilton. 

En profitant de la politesse du jeune écuyer, Berthe commit 
l'imprudence de se séparer du vieux Yarangien ; mais Ernest nV 
vait que des intentions honorables, et il la conduisit, à traversa 
tentes et les huttes, au paviUon du célèbre général en chef des 
croisés. 

— Il faut que vous m'attendiez ici quelques instans , sous la 
garde de mes compagnons, dit Ernest ( car deux ou trois pages les 
avaient accompagnés par curiosité pour voir comment finirait cette 



COMTE DE PARIS. Zti 

a^entiire), pendant que je Tais prendre les ordres dn dac de 
Bonfllon. 

Berthe ne poayait s'opposer à cette proposition > et elle n^eat 
rien de mieox à faire qn'à admirer l'extérieur dn payillon. C'était 
on présent qae l'emperear Alexis » dans nn de ses accès de mtmi- 
ficence et de générosité , a^ait &it an chef des Francs. Il était 
soatenn par de grands pieux, taillés en forme de lances , et qui 
semblaient d'or massif. Les rideanx étaient d'une étoffe épaisse^ 
traTaillëe en soie, en coton et en fil d'or. IjOS gardes qui l'enton^ 
raient étaient, dn moins pendant la tenue dn conseil ^ de graTet 
vieillards 9 la plupart écuyers au service personnel des souverains 
qui ayaient pris la croix, et à qui , par conséquent, on pouvait con* 
fier la garde de cette assemblée sans avoir à craindre qu'ils ne 
vinssent à jaser de ce qu'ils pourraient entendre. Ils avaient l'air 
sérieux et réfléchi, et paraissaient des hommes qui s'étaient en* 
rôles non par une envie frivole de courir les aventures, inais pour 
le motif le plus grave et le plus solennel. Un d'eux arrêta le jeune 
Italioft et lui demanda quelle afEaire l'autorisait à se présenter dans 
le conseil des croisés, dont la séance était déjà ouverte. Le page 
répondit en disant son nom : — [Ernest d'Otrante, page du prince 
Tancrède. Et il ajouta qu'il venait annoncer une jeune femme 
chargée d'un message pour le duc de Bouillon, et qui avait à pré* 
senter un gage de sa mission* 

Pendant ce temps , Berthe quitta sa mante et arrangea le reste 
de son costume à la manière des Anglo*Saxons* A peine avai^elle 
fini cette sorte de toilette, que le page du prince Tancrède revint 
pour la e<mduire devant le conseil de la croisade. Elle le suivit au 
signal qu'il lui fit , tandis que les autres jeunes gens qui l'avaient 
accompagnée, surpris de la facilité avec laquelle elle avait été 
admise , se retirèrent à une distance respectueuse du pavillon , et 
se mirent à discuter sur la singularité de cette aventure. 

Cependant Tambassadrice entra dans la salle du conseil; sa 
physionomie, animée par une expression aimaUe de timidité et de 
modestie, annonçait en même temps une détemûnation bien arrêtée 
de fubre son devoir, quoi qu'il pût en arriver. Le conseil était com« 
posé d'une quinzaine des principaux croisés, présidés par Godefroy*. 
C'était un personnage robuste et de grande taille, arrivé à cette 
époque de la vie où l'homme est regardé comme n'ayant rien perdu 
de sa résolution I tandis qu'il a acquis une sagesse et une circon- 



Ui: R0]SRT>3 

flpection mcomiiies à Mtfpi«ndè]ses«mtéeft^ L'^s^MMlondesitcttte 
de Godefroy annonçait tout à la fois k pradence et la hardîMey^dt 
ressemblait à ses chevenxy parmi' lesquels qpielq|M8»fil»d}afgent 
commençaient à se mêler, à des tresses noires^ . 

Apea de distance de lai^étadent assis Taneràde,' «lefjlaa^nftUe des 
cbeyaliers chrétiens ; Hugues^ joeratede Veimandoîs, gUnécdsmetH 
appelé le Grand Comte} l'égoïste etasMicieiui Bohémoiid;ilepui> 
aant1R.a7mond, comte de ProveDce^ et plusieurs autres des piinei' 
faux croisés, tous pins pu moins complètemieBt armée» 

Berthe ne souffrit paS'^ue son covagetai manq^a4*.S'a?i«B^ 
a^ec une grâce timide, vers Godefroy, elle lui remit en .mains la 
bague que lui avait renduele jeune page ,. et», 9qprès4tt*ff?oir iùx 
une profonde réyérenoe , elle lui adressa la^ parole en cas 
termes: 

— Godefroy, duc de Bouilkm , comte de la Bas^erbornÔBe^ ohsf 
delà saiLte entreprise appelée lacroisade; et Yoostoas, ses cami- 
rades,.pâirs et compagpônsi quel quesoitle titre qp^vousestdà; 
moi, humble fille d'Angleterre, fille d'£agelred, ori|piiaireiiiedt 
iranklin dans leiiampshire, et dq^uis cbieCdes^Eorestievs^iiAiiglo- 
Saxons libres, sous le coDunandement du «éltinre Edtie, jerédame 
la. croyance due au porteur de la bagne qa» j^ vtens^d^'vwis te- 
mettre de la part d'un seigoettr qui n'oocape-paa leidenuttia^^ 
parmi vous, Robert, comte de Paris. 

— Notre très hAnerablecoofiédéréiidittGedefipoyjenireBvi^ 
laJbague. Jecroîs, MessîeuiB, qïielaplui«wt>deyo«»doiYeBft^ 
naître ce cachet : un champ semé defragmeua de lanoes ba- 
sées. — La bague fut passéedemaiià en^mnâu, etn ^éralwwtf 
recxMume» 

Quand . Godefrey Ut'eu . eut^ informée, . elieeoiutinaa4ÛiH'9''l 
suit: 

— C'est doncÀ.toii&iea'vrais4Sxoisés,.auXfeem|iaggioasdsXi0di' 

froy de Bouillon, .et spécideskont im^dueJkiH»NUe,q9e4f^xi&* 
dresse; à toas^ disîi^;kl'exeefi|joa defiebéflBKmd d'Aii^ieebe^/4F 
le fiiM&te Robert reg$Lrde.commeiadtg6Mtde sen^tenlienr* 

-r-Ahl indignée de son attention! s'écria Bohém<»id44^^^ 
kz-Tous dire, jeune fiUef Maia.c'estle c^nte de PaciSi^iB^ 
rendra raison, 

— Avec votare.pMnnissieai il n'enserarien , dit Gedefreyf H^ 
ré^emens nous déSmdent de nous, envoyer des»cartelata^a>^^ 



GOMXS : DR imRIS. 3 tS 

Mûo$iMf siione nShm ne pcntétro arrangée à Pinmabte entre 
llfi fartie^il doit en êtie référé ka&t konemble comeiL 

— Je crois deyiner à pnâMBtw^iit ilis^^ reprit Bohémcttul. 
l^omfte-de^Parô eal eonrrenoé cemre mcâ^Mdroe que^ lé sdrqoi 
4i procédé notrei d^mrt de OoMUntinepte, jèioi ai donné on bon 
cmeUf donttil A négligé de profiter. 

-«^Gela s'^plMpieraplaS'aiaMSinenl qnmd nous aurons entendu 
SMiinessag^ty ditjGoi^Iroy.Pariezj jenneélle; ditee^nons ^cèdent 
TOBs a chargée Ii». comte Robert , afintqne nous passions dîscmer 
a^nsc ordre nnia afEure qni^ jusqu'à présent, nons paraît assce; 
otiMQre. 

Bsithe reinrit la parole; et^ iqjorès «rabr raconté en pen de mois 
kséYàaeniens qvî Youdent^de s* passer, eUe termina ainsi': -*• 
Uconbat doit se.Un*er demain' maptin, denx, benres après» le lèTsr 
d» scdeS; et le^somies prierle mMe duc de Bomllon de permettre 
à une cinquantaine de lances de Franccrd^sister'àce&âtid'amieey 
«tdfûbtenir par linrrpvééeaeer que le coniiiafti ak Ken aTSA cette 
%«atéfraneb« et. honorable qn'il a qnelqve raison de dooterde 
vmoairer. dans. sm. adTersanre. Si quel^nes jennes' et' tuUmb 
^aUers désirent être piéiensàice combat, lé comrte Tcgardera 
l^ir piEéseneoccommenn hraneor; mais il désire posîtiTeoRut qat 
iMisin&deieeftelieiraUi^ftaeîieni: comiités smgnensenient^ et que le 
iMmbredes croisés» amésqni se rendront dans'laU^e ne s^élèire 
pMi«n)toni>à}ite^de.etnfnasite laneesi Qe nombre saifir a ponraë* 
H«erUp«ol:eoti«siJ»«aBBet; et^ s^jétaitiplosconsîdévaUe^ ileeEsait 
rq^ardé comme nn acheminoiint à desagressionsjeontfe lesGrees, 
^ ocoaaionierast le risMinTellemenSide ^^iwellas-^ maiiDtmant 
soM heareneement termmées» . 

Dèssqne Bectbje»>eot fini deïproneitcerrson mamfeste^iebq^eUe 
W^sfduéavec^lirfuceJo cooiseil, nnesorlede cowrersation à dnni- 
^entlîradansjl!aM«mb]ée; maÎA rfeiy^elisnnrtaida pasràdie- 
^rpbiswiiQé. 

Qa«lqne8>-nns!dea plna -naoK dievaliéissiinconaeU firwkïvdeîr 
bnwint lo! TGBn'.qn'ils avaiNit fsil'de ne^pas toaomw le dos & la 
f^^tàne» nakitenant ^'îls aTaienitnnS'Ia mani à la. charme^ et 
^ fofont appuyés par dèu on trois prélaïa^ini venaient d^yanîTer 
P^^PimdtepartalULdélibérations« D'une a«tre> part, les jeunes 
^^ers iforâii enflimmés' dfindigiiAtion ea iqipreaanft anc 
V^perfidie Icw^wplkgnoniaTaàt été i^tenn^ et peu d'aitreeus 



S16 ROBERT, 

auraient tooIu perdre l'occasion d'être témoins d'un combat en 
champ clos dans nn pays où nn tel spectacle était si rare, et lort* 
qn'il devait avoir lien à si pen de distance. 

Godefroy appnya son (iront dans sa main et pamt âtredans une 
grande perplexité* Rompre avec les Grecsi après avoir endnré tant 
d'injures pour se procurer l'avantage de maintenir la paix atee 
enx, semblait une mesure pen poUtique, un sacrifice de tout ce 
qu'il avait obtenu par une patience longue et pénible à l'égard 
d'Alexis Gomnène. D'un autre c6té| son honneur l'obligeait à 
prendre fiût et cause pour le comte de Paris , que son caractère 
bouillant et chevaleresque avait rendu le fevori de toute l'armée. 
Il s'agissait aussi de la cause d'une belle dan^, d'une dame intré- 
pide; chaque chevalier de l'armée se croirait obligé par son vœn 
de voler à sa défense. Quand Godefiroy prit la parole, ce fiot pour 
se plaindre de la difficulté de prendre un parti et du peu de tempi 
qu'on avait pour y réfléchir. 

. — Avec tonte soumission pour monseigneur le duc de BonilloD, 
dit Tancrède , j'étais chevalier avant d'être croisé , et j'avais pro- 
noncé les vœux dé la chevalerie avant de placer cet emblème sacré 
. sur mon épaule. Le premier vo&u qui a été &it doit être accompli 
le premier. Je ferai donc pénitence pour avoir n^ligé Un moment 
d'exécuter le second, et j'observerai celui quime rappelle an devoir 
le plus sacré de la chevalerie, qui est de secourir une dame en dé- 
tresse, qui se trouve entre les mains de gens que lenr conduite 
envers elle et envers cette armée me donne le droit, sons tons l«i 
rapports, d'appeler traîtres et perfides. 

— Si mon parent Tancrède veut réprimer son impétuosité, dit 
Bohémond, et que vous, Messeigneurs, vous soyez disposés à 
écouter mon avis , comme vous avez quelquefois daigné le lûre , 
je crois pouvoir vous proposer un moyen qui vous permettra de 
^secouxir nos compagnons de pèlerinage dans lenr danger urgent, 
sans violer en rien le vœu que vous avez feit. Je vois se diriger 
vers moi quelques regards de soupçon; ce qui est probablement 
occasioné par la manière grossière dont ce guerrier fougueux, et 
je pourrais dire ce jeune insensé, a déclaré qu'il ne voulait pas de 
mon assistance. Tout mon' crime est de l'avoir averti, tant par 
mes paroles que par mon exemple, de la trahison qn'on méditait 
contre lui, et de lui avoir consefllé la circonspection et la tempe* 
rance. U a inéprisé mes avis , il a négligé^de suivre mon exemple 



GOBfTE DB PARIS. S17 

et il est tombé dans le pié([e qni était tenda pour ainsi dire devant 
ses jeux. Cependant le comte de Paris, en m'insnltant imprudem- 
ment , n'a (Eût que céder à nn caractère aigri par l'infortnne et le 
désappointement. Je suis si loin d'en conceToir dn ressentimenti 
çn'ayec la permission dn duc de Bouillon et dn conseil, je me ren- 
drai en toute hâte sur le lien du combat ayec cinquante lances, 
dutcnncayan^ à sa suite an moins dix hommes, ce qui portera cette 
troupe auxiliaire à cinq cents hommes, à Taide desquels je ne 
doute guère que je ne puisse efficacement secourir le comte et 
son épouse. 

— C'est parler noblement, dit le duc de Bouillon, et c'est par- 
donner charitablement une injure, ce qui convient à notre expédi- 
tion chrétienne. Mais notre firère Bohémond a oublié la principale 
difàcnlté, le serment que nous avons prêté de ne jamais tourner le 
dos à la Palestine dans notre saint voyage. 

— Si nous pouvons, en cette occasion, éluder ce serment, reprit 
Bohémond, il est de notre devoir de le faire. Sommes-nous assez 
mauvais cavaliers, ou nos chevaux sont-ils assez mal dressés, pour 
que nous ne puissions les conduire à reculons jusqu'au lieu de rem- 
barquement à Scutari? Nous pouvons les faire arriver à bord du 
batiment.du même pas rétrograde ; et, une fois en Europe, où nous 
ne sommes pas liés par le même serment, nous tirons de tout dan- 
ger le comte et la comtesse de Paris, et notre vœu reste enregistré 
sans rature dans la chancellerie du ciel. 

— lime semble, dit Godèfiroy, que c'est éluder la question plntêt 
que la résoudre. Cependant de pareils subterfuges ont été admis 
par les clercs les plus savans et les plus scrupuleux , et je n'hésite 
pas plus à adopter l'expédient proposé par Bohémond que si l'en- 
nemi, attaquant notre arrière-garde, rendait une contre-marche 
une manœuvre de nécessité absolue. 

Un cri général s'éleva : — Longue vie au brave Bohémond I 
Quelle honte pour nous si nous ne volions pas au secours d'un si 
vaillant chevalier et d'une dame si aimable, quand nous pouvons 
le faire sans violer notre vœu I 

Il se trouva dans l'assemblée, surtout parmi le clergé, quelques 
individus qui pensèrent que le serment par lequel les croisés s'é- 
taient solennellement liés devait être littéralement exécuté. Mais 
Pierre l'Ermitei qui faisait partie du conseil, et qui jouissait d'une 
grande influence, déclara que son opinion était que, puisque l'ob- 



318 ....»».^ 

soTTalidii ^enacte de leir yasa tendait à dfauimiMr fos {cated'de)ft 
crokade, il serait absurde de a'y aEStMÎiidre et âei'exécmer Utté* 
ralementy si l'on pouvait l'éluder aa -moyen* d^imeiiitdrprétiAkfB 
Uiiérale. 

. Il offirit de &ire marcher lni-»même à reculons 'Fanimal qu'il 
montait 9 c'esl-à*dire6onâne« Il fdt cependant détourné de ce pro- 
jet par les nnnontrances de Godefroy de Bouillon , qui craâgmt 
qu'il ne derint un sujet de scandale. aux yeux des païmis ; mais il 
argumentai bien, que les cbevaliers, bien loin de se>fidre im 
scrupule de cette contre-marche, se disputèrent à qui aurait l'hon- 
neur de faire partie du détacliement qm allait retourner à €ods* 
tantinople, pour être témoin du combati et ramener à Farmëete 
brBYe comte de Paris^ vietorieuK, comme personne n'en dottait, 
et l'amazone son épouse. 

L'autorité de Godefroy mt fin à ces débats, il choisit im-^méifie 
les cinquante chevaliers qui devaient composer le détacheaMmt. Il 
les pritdedifférentes nations, et lemr donna powr chef le jeaieTan' 
oràde d'Otrante. Godefroy veimt.prèa de lui Boiiémond , msAgré 
ses réclamations ^ sons prétexte que la eonnaissaiice qn^l awt da 
pays et des babitans était absolument nécessaire poar mettre le 
conseil en état d'arrêter le plan de la campagne -en-Syrie. Au {(md> 
il craignait l'égoïsme d'un homme qui avmt autant de resswca 
dan» l'esprit que de talens militaires^ et qui, se trouvant «hargé 
d'un commandement séparé, pourrait se laisser tenter par les di« 
v.0r8es occasions qui se présenteraient d'augmenter son poavdirtt 
ses domaines au préjudice de la croisade. Les jeanes^gfins (jà 
devaient faire partie de l'oxpédition s'empresrtreaft snrtont de se 
procurer des coursiers bien dressés , et en état de pratiquer avec 
aisance et dooilité la manœuvre d'«qincation à laquelle On devait 
avoir recours pour rendre légitône on mouvaient rétrograde. Tons 
les préparatifs étant enfin terapânés^ le détadwmeat ïtsçnt Ofdre de 
se former en lamèarey c^est>À-idire'snr la^hg^ie orientale éa cttnsp des 
croi8és% 

Pendant ce temps , Godefroy donna à Berthe un meswigd potir 
le t)mate4e PsFis. Après l'avoir légèrement bt&mé denepasatt^ir 
mis plus de circonspeotion dans ses relations avec iestîneçs , il Vi^ 
foimait^'ilenvoyaitàsonaide^mdétaehementdecÉMpHMrtehace^ 

avec k nmabre ordinaired'écuyers^ de pages^ d^bonmaoi^'^^^^^ 
d'sBrhaiétisera, le tottt Jusant un corps de cinq centtkoBttne8;«(^ 



COMTE M PARIS. St» 

las ordres da^rilllant Tancrède. Le dac loi appreneSt irassi qn^H 
loi enToyftit en outre nne armure de l'aciérie mieux trempé que 
Milan -pftt fonrmr, ^ nn excellent cheval de bataille^ dont il l'en- 
gageait a se servir k jour dn combat ; car Berthe Payait informé 
mparticnlier que le comte manquait de l'équipement nécessaire à 
on chevalier. On amena donc devant le pavillcm le cheval complè- 
tement bardé, c'eat^-dire couvert de caparaçons en acier, et 
chargé de y aramio destinée an comte: Godefroy en niit Ini-mème 
k briAe entre les mains de Berthe. 

— Ne crains pas de le monter, lui dit-il , il est aussi doux et aussi 
dodle que brave et léger. Mets-toi en selle^hardiment , et ne quitte 
pas lecdtédu noble prince d'Otrante, qui protégera fidèlement une 
jeune £ffile qui a fût preuve aujourd'hm d'autant d'adresse que de 
oonrage et dé fidélité. 

Beithe s'incMna profondément, et ses joues se chargèrent de 
vives eouleurs ea, reeevant cet éloge de la bouche d'un homme 
dont le viérîteet les tailens étaient si généralement estimés qu'ils 
l'avaieDtéle!vé au peateémment de chef d'une armée qui comptait 
les eiqâtakiesJfla plus braves et les plus dis^gués de toute la chré- 
tienté. 

— Qods sont ces deux hoaunes? demanda Godefroy éh mon- 
trant les deux compagnoi» de Berthe, qu'il voyait à quelque 
distance de son pavillon • 

— L'un , itépondit l'Anglo^Saxonne, est le mahre de la barque 
qui m'a amenée ici ; l'autre est un vieux Yarangien qui m'a accom- 
pagnée pour ne serm de protecteur. 

— CSomme ils peuvent être venus pour exercer leurs yeux ici et 
leur langue sur l'auire rive, reprît le gàiéral des croisés, je ne 
juge pas prudent de leur permettre devons suivre. Ils ne partiront 
qu'un peu de temps après vous. Les habitans de Semari ne corn- 
prendrcmt pas snr-le-chanap quelles sont nos intentions, et je dé- 
sire que le prince Tasksrède et sa suite soient les premiers à annon- 
cer leur arrivée. 

Berthe fit connaître à ses compagnons la volonté du général des 
creiaés, sans leur en expliquer le motif. Ils commencèrent tous 
deuxàseplninâre vivement; le batelier, de l'interruption apportée 
à ses travaux journaliers ; Osmond, du retard que souffrirait son 
service. Mais Berthe les quitta , par ordre de Godefroy, en les as- 
surant qii% ne seraienit pas retenus lonp-tenq)s à Scutari. Se 



S20 ROBERT, 

trouvant ainsi abandonnés ^ chacun d'eux s'occupa de son amuse- 
ment favori. Le batelier passa son temps à examiner tout ce qui 
était nouveau pour lui ; etOsmond, ayant accqpté un déjeuner que 
lui offrirent quelques domestiques i se trouva bientôt en face d'an 
ai bon flacon de vin rouge que cette compagnie lui aurait fait sup- 
porter patiemment un destin plus fâcheux que celui qu'il éprouvait. 

Le détachement de Tancrède» composé de cinquante lances et 
de leur suite ordinaire , formant cinq cents hommes bien armés, 
fit un léger repas à la hâte, prit ses armes > et monta à cheval 
avant la chaleur de midi. Après quelques manœuvres dont les 
Grecs de Scutari ne putent comprendre le motif, quoique leur cu- 
riosité eût été excitée par la vue des préparatifs de ce corps d'é- 
lite, les croisés , sur le point de partir, se formèrent en une seole 
colonne sur quatre de front. Quand les chevaux furent rangés en 
cette position , tous les cavaliers commencèrent à les fidre reculer : 
c'était un mouvement auquel ils étaient accoutumés anssi bien 
que leurs chevaux ; mais , quand on vit la même évolution rétro- 
grade se continuer et ce détachement de croisés sur le point d'en- 
trer dans la ville de Scutari d'une manière si étrange, les citoyens 
commencèrent à soupçonner la vérité. Enfin le cri devint général 
quand on vit Tancrèdè et quelques autres ^ dont les coursiers 
étaient supérieurement dressés, arriver au port , s'emparer d'une 
galère dans laquelle ils firent passer leurs chevaux , sans égard à 
l'opposition des officiers impériaux chargés de la garde du port, 
et s'éloigner du rivage. 

D'autres croisés n'accomplirent pas leur dessein si facilement. 
Les cavaliers ou les chevaux étant moins habitués à conserver si 
long-temps une allure si gênante, plusieurs chevaliers, après avoir 
fait trois ou quatre cents pas à reculons , crurent avoir suffisam- 
ment accompli leur vœu ; et , entrant dans la ville au pas ordinaire, 
ils s'emparèrent de quelques bitimens, qui , malgré les ordres de 
l'empereur grec, étaient restés sur la rive asiatique du détroit. 
Quelques cavaliers moins habiles éprouvèrent divers acddens; 
car, quoique ce fût un proverbe du temps que rien n'est si hardi 
qu'un cheval aveugle, cependant ce mode d'équitation, d'après 
lequel ni le cheval ni le cavalier ne pouvaient voir où ils allaient , 
fit que quelques chevaux tombèrent: d'autres rencontrèrent, en 
reculant, des obstacles dangereux, et les cavaliers eux-mêmes 
eurent beaucoup plus à souffrir que dans une marche ordinaire* 



COMTE DE PARIS- ZH 

Les cavaliers qui tombèrent de cheval auraient coom risqae 
d'être tués par les Grecs, si Godefiroy, surmontant ses scrupules 
religieux, n'eût envoyé un escadron pour les tirer d'embarras. La 
plas grande partie de la suite de Tancrède réussit à s'embarquer, 
et il n'y eut que vin^ à trente hommes qui restèrent en arrière. 
Cependant, pour faire la traversée, le prince d'Otrante lui-même, 
et la plupart de ses compagnons , furent obligés de se charger de 
labeâogne peu chevaleresque de mianier la rame. Us n'y trouvé- 
rent pas peu de difficultés , tant à cause du vent et de la marée 
qne faute de pratique dans cet exercice. Godefiroy lui-même, placé 
sur une hauteur voisine, suivait des yeux, leur marche avec in- 
quiétude, et voyait à regret la peine qu'ils avaient à avancer, 
peine qu'augmentait la nécessité de navigper de conserve et d'at- 
tendre les bâtimens montés par de plus mauvais rameurs , ce qui 
retardait considérablement la marche de la petite flottille. Gepen- 
dantils foisaient quelques progrès, et le^ général en chef ne douta 
pas qu'aviint'le coucher du soleil ils n'arrivassent sans accident 
rarTantre rive du détroit. v 

II. quitta enfin son. poste d'observation, en y laissant une senti- 
nelle de: confiance, avec ordre de venir l'avertir dès que le déta- 
chement toucherait la rive opposée. Le soldat pourrait aisément 
distinguer les bâtimens à. l'aide des yeux seuls, sHl faisait jour 
alora ; etai , au contraire, la nuit tombait avant qu'ils arrivassent, 
le prince d'Otrante avait ordre d'allumer des feux, qui djsvaient 
être disposés d'une manière particulière, comme un signal de dan- 
ger, si les Grecs leur opposaient quelque résistimce. 

Godefroy fit alors venir devant lui le& autorités grecques de 
Scmari /et leur annonça qu'il se trouvait dans la nécessité de gar- 
der les bâtimens qui étaient dans lé port; car , en cas de besoin, 
il était déterminé.à envoyer une forte division de son armée pour 
soutenir .eeux de ses compagnons qui étaient déjà partis. Il re- 
toama ensuite à son camp» dont le bruit confus, augmenté par les 
diverses discussions qui avaient lieu sur les évènemens de la jour- 
née, se mêlait aux sons rauques des flots de l'HeUesponU 



ai 



CHAWt^E XXIV. 



• :.•••.«.•« Bâte la wànÊSÊÊt pfÉMl 
De la jpoudre qui dort insensible, mnette , 
' Qi^UM «enle «UneelIvappredM... «n 
^Sll&s'aoioMra , tcnibU, flMmçaato. 

Malhenr, aailhenr I llmpnident 
•Q«i JaséfeiUMnl mi'il tNnbtod'^annto: 
Car poar lui son réveil n'est pas moins danferrax , 



LoHBQVBte'ekAv^cAnBOPcit toot «Pou ««qi «ei qno 
« âtM BitBg q ufa'i H T'mie leiDde«t ^pnse «kmoapliàMy liBrdaiii? 
inférieures de la création manifestent an inatinotpiéBaraesrie 
iatempèle': las ^eiscanLBe^pëlagîeiitdAiBiaa bois» iesiiè^ 
TegapientSeuTB tnniàresy et «les hhibuok donietftqneB ^ténieigagat 
leur appréhension de l^pproèhe de Ponge par ^àesmonnnaptr 
wigidierey qili devient le tronble^^ la fi* ayeiif* 

llsemble qne la nature 'linmainey quand ^es pê n e l i in ( »»fip i wu w B 
sont cnltivës;avec soin , possède aussi , dansles mènnesiOManaD», 
quelque dbose de >c0Cte 'pUMcîenee instinetife qui ^vémèk /SBk 
créatures inférieures fapproete de la tempête. Lansultan demis 
ieicidtéB ittteHectncines ne dovruit pem^Atve pw^aUer josqnSi «loas 
faire entièranenft né^Iigeti» «u^riscr ces >8entineii8 aàtawk.» 
'^ne la Providence a placés en nous comme dcB ^senftmeleBAflSli- 
' nées à nous«vertir desdaii^gers qui ^nous menacent. 

Toutefois cet iniAînet n'est poiutoomplètenent effiusë dans ses 
âmes ; et les^iressentimensy qui nous préparent à 4e tnstss oaà 
IPeffirayantes nouvelles , sont en «quelque sorte, -nanme te fto- j 
phéties des Parques , des nuages ^pvéuuiusiarB d'une <tenq>âie dans 
le mondp morjd. 

Pendant le jour fatal qui devait être la veiUe du combat da 
césar avec le comte de Paris , il courut dans la ville de Gonstaati- 
nople les bruits à la fois les plus contradictoires et les plus sinistres. 
Une conspiration secrète était , disait-on , sur le point d'éclater : 



ROBERT, GOMIS DE PARIS. «^3 

ritenclard,^ b svene., BoÎTant d!autte9 noareUistes, ialkdt être 
.déployé dans la malbenreuse cité ; mais ilsne pouvaient ni en asai* 
,gnerîaçaiise.|iû,9oi|pçûimcar à .quel ^wi^ d'eimwis im jamnpiit 
^sMsârfi. QnelgUQSrQjQs assan^içnjt gqe 4^ Sairbaiw^ ^ws» des ejL- 
Urémités de 1» TJturace > des Hpngix^ , oopmie cm les appel«it , vet 
4f» Comajjien^s'aTaaçaÂent.poar siyppendgeX^flrwtanfinople, JSpi- 
"iiuit ime autre Tersiou^ les Twrcs , .alogrs .é^ahUs.eu Aaie, aTaifspt 
résQlijL de prévepir les fUiaquf^s dont Iqs oroîséa mejn^gmxkt la Pa- 
J^aiim,.eii éci»aanjt à la fbj^ et les pèlerias^dX)c^^de^t H las (dmé- 
^tifinad'QQeiit par uue deLoes:iuvasîpAs ai (réqn^Mtteaf^pi^ javain^t 
leffeauer AYic up^ proiuptitude iucro;aI>le, 

Saiyaffiid'autvea^.eufin^ qui étai^tplqspr^S ^ ^ ^lité, c'é- 
taient les çrxiisés.euxrmêmes, qqi» ayant .déPWIW^'tOfa^.les ^- 
néea d^Alfixis GomnèQej ayaint résolu «de ^mmi^ l^m» fosoes 
^combinées aiir h fi^g^Uiie pour h détrduer on «popr Ire^paber ; «t 
lea J^aWtans axai^t tput ^ redouter ,di^ ,M9sentûwut de >oes 
l^mqies^;^ jj^o^^cbes 4ajPiS leprs balutivlies^.ai éU^angos dans.tenrs 
mauiièrea. £n m^uot., quoiqu'on ne lût (pas d'ar^qrd sfur la .cause 
jurécîse.dv.daiigif^ir^ il élait généralement jrecKum^^u'op était ine- 
jiapé d&q^lque t^gariable évènexieiit : appr^^pfi^on que juatifiai^t 
jusqu'à un certain point les mouvemens qu'^e^ép^^gi^les troiipes. 
Les Vaprangiens^ les Igtwortels se rassemblais gimduelleinent, 
m oetfog^ffB^le^fpQffi!^^ les ..pins {bictesd/e,|a cfpital^, lorsqu'pn 
;vi|: i,d(li^ .le lojntw» les galè^ 

4ai^ ^m tTQvp^, jfnrix i^ d^Mos 

le détroit une ppaMion q«i ^ur pi^ismît, m W^(W^ 4e la marée, de 
>a^ ttainfiporter en tm inatwt daps le jp(vrt de ppnstantinople, 

.4Ji^sds Cqmnèpe fut Im^ême .frappé de cette démflpstration.,in- 
attendue de la part des croisés ; toutefois, après «naTOir conféré 
aTec Herewardy en qui il ayait placé sa confiance , et il était trop 
tard pour la loi retirer , il ae rassura, sortout jen songeant à la fai- 
blesse du détacfaeme^t qui semblait méditer un j>rojet aussi bardi 
que l'attaque de la capitale. Il dit tranquillement à ceux qui-l'en- 
touraien^, qu'il était difficile de supposer qu'une trompette pût 
donner le signal du combat, à si peu de distance du camp des croi- 
sés, sans que, parmi tant de braves cbevaliers, il ne sfen trouvât 
point qui fussent curieux de connaître la cause de ce bruit. 

Les conspirateurs* aussi éprouvèrent un secret elEraî quand ils 
aperçurent sur te détroit la petite flotte de Tancrède. Agélastès, 

ai. 



324 ROBERT, 

monté snr une mule, se rendit sur les bords de la m6r, à l'endroit 
qa'on nomme anjourd'hni Galata. Il y rencontra le vieux batelier 
de Bertbe, qne Godefroy avait relâché, peut-être par mépris, peut- 
être pour amuser les conspirateurs de la cité par les récits que le 
vieillard ne manquerait pas de faire. Les questions pressantes 
d'Agélastès lui firent avouer que Tescadre qui était en vue était 
envoyée, autant du moins qu'il pouvait le comprendre, à la prière 
de Bohémond, et qu'elle avait pour chef son parent Tancrèdé, 
dont la bannière renommée flottait sur le vaisseau commandant» 
Cette nouvelle rassura Agélastès, qui dans le cours de ses intrigaes, 
avait en des intelligences secràtes avec le vénal et astucieux 
prince d'Autioche. Le but du philosophé avait été d'obtenir de 
Bohémond un détachement de ses partisans pour coopérer à la 
conspiration projetée et renforcer le parti des insurgés. Il est vrai 
que Bohémond n'avait fait aucune réponse ; mais le rapport da 
vieux batelier et la vue de la bannière de Tancrède , parent de 
Bohémond, déployée sur le détroit, semblaient annoncer assez 
clairement aa philosophe que ses offres , ses présens et ses pro- 
messes avaient gagné à son parti l'avare Italien, et que cette 
troupe avait été formée par Bohémond d'hommes sûrs , qui de- 
vaient a^r en sa faveur. 

Agélastès, en se retournant pour rentrer dans la ville, £ullit 
heurter une personne , qui , cachée comme le philosophe soas 
d'épais vêtemens, semblait désirer autant que lui de gardisr l'in- 
cognito. Toutefois Alexis Gonmène, car c'était lui, reconnut Agé- 
lastès à sa taille et à son attitude, plntftt qu'à ses traits; et il ne 
put s'empêcher en passant de murmurer à son oreille ces versa 
connus, qui faisaient une heureuse allusion aux talens divers do 
prétendu sage : ' 

Gramnuiticii*, rhetor, géomètres, pîctor, alipa , 
Aagor , tcbœnobatcs , medicas , magus; omnia noTÎt 
Gnecnlna esoricns; in cœlnzn jnsMiif , ibit ^ 

Agélastès tressaillit d'abord au son inattendu de la voix de l'em* 
ppreur ; son premier mouvement fut de se croire trahi. Hais il re- 



•• 



I. , Peintre, grammairien* pliilosophe* cooiewr» 

Angure, médecin, géomètre ou danseur; 
Il n'ett point de talent qu'au Grec la faim n'inspire, 
Même ao ciel , s'il le faut , il pourra tous conduire. 



COMTE DE PARIS. 325 

couTra suivleHîhamp sa présence d'esprit, et, sans s'inquiéter du 
rang de la personne à laquelle il s'adressait» il ne craignit point de 
répondre par une citation qui devait rendre à l'empereur la frayeur 
qu'il.lni ayait causée. Les paroles qui se présentèrent à sa mé- 
moire étaient celles que le feintôme de Gléonice fit rete&tir aux 
oreilles du tyran son meurtrier : 

. Ta oolfl jvslitiam; teqw atqa* allof muet «Itor '. 

Cette sentence et les souvenirs qu'elle réveillait firent une pro- 
fonde impression sur le cœur de l'empereur, qui toutefois poursui- 
vit son chemin^ sans prononcer un seul mot. 

— Le.til conspirateur, se disait Alezisf, a ses associés près de 
lai : autrement il n'eût osé hasarder pareille menace. Ou peut- 
être mon malheur est-il plus grand encore : peut-être Agélastès 
loi-inême, au déclin de la vie, est-il doué de cette singulière pré- 
vision de l'avenir qui appartient quelquefois à cette période so- 
lennelle de l'existence, et parle-t-il moins d'après ses propres ré- 
flexions que d'après un étrange instinct de prescience , qui dicte 
ses paroles. Est-il donc possible que j'aie manqué assez gravement 
à mes devoirs d'empereur pour mériter qu'on m'applique les me- 
naces que proférait la malheureuse Cléonice contre son ravisseur 
et son meurtrier? Non, je ne le crois pas; non. Si je n'avais 
point déjdoyé une juste sévérité, je n'aurais pu me maintenir dans 
la hante position où il a plu à la Providence de me placer, et où 
mon devoir m'oblige de défendre les intérêts qu'elle m'a confiés. 
Non : le nombre de ceux qui ont éprouvé ma clémence n'est point 
inférieur à. celui des coupables qui ont reçu le juste châtiment de 
leur 0rime« — Mais cette vengeance^ quoique méritée, a-t-elle 
toujours été exercée par des voies justes et légales? Ma con- 
science, je le crains, peut difficilement répondre à une question 
aussi délicate; et quel est l'homme, eût-il la vertu d'Antonin, qui 
pourrait avoir la responsabilité d'une place aussi éminente, sans 
trembler devant le redoutable examen auquel m'appelle l'avertis- 
sement que j'ai reçu de ce traître? — Tu cole justitiam. — Nous 
somn^es tous obligés d'être justes envers autrui. — Teqae alque 
.aUosmanetjaUor. — Nous sommes tous sous l'empire d'un Dieu 

'' • ; Soi«jiiittt.iin]>ieaT«Dg«v^TeiU«aanitQr.lMro>t> 



32é' ROBERT, 

Téngenr. — Je verfa le patrfaithe; — otâ, jeTClïile^'ttW àTto»- 
stant; et, en ihe confessant de mes péchés èf l'EgKse, àpi^ aY^fiSr 
obtena nue indal^nce plénière, j'acquerrai le droit de passer les 
derniers jonrs de mon règne dans un état d'innocence, on daltKttns* 
de i^ardo&, angnef penVént rarement^ ast)inèr ccai qtkfr le sort a 
placés dans nne position si élevée. 

En faisant ces réflexions, il se rendit au palais da patriarche 
Zozime, celui auqneî il pcfnvaît se fief le jJlns patte qu'il ayait 
long-temps regardé Agélastès comme l'ennemi particulier de l'E- 
glise, comme un 6om)ne atuel^ anr Micâennes^ doc^ritf^ du 
paganitaie. Dàmfi? les conseils dé l'cihpîrte, »« étatalt iMjoffi» 
d'ayis contraire, et l'empereat se croyait certain,. eûcomtÊOtà* 
qmat au patriarche le seetét de la conspiration, dis «ort^er €li lui 
un ferme et loyal apptiî pour le système de défense qti^il a^t ei» 
yoë* Il donna done un sigttaï en sifflant ; aussitôt M dfiiAet pivé, 
à cheval et hfeh équipé, s'approcha el! le svM^fmsÉOb^SUlÙmh 
quelque distance. 

Ge fût ainsi qi/Alexis Comtiène s'avança tèrft le paJate dit f»» 
triatche, avec mmn de promptilMe qu'il poil«^it 1er fldMl* san*^^ 
cbnrir le risque d'attirer ralttentîoti des Ji^ssatts. Ptoîftttt tout 1» 
diemin, les pronostics d'Agâiastès se repi*éseiif aient sttoÉ cesse à^ 
son esprit, et sa conscience Im rappelait beaucoup d'aetes de so» 
règne qui n'avaient d'autre è&cuse que la nécessité, eetw éleraellef 
apologie des tyràAs; actes qui suffisaient po^ lui mérita hrtesilbto 
vengeance qui s'amassait depuis long-feinps sur sia tété* 

Arrivé devant les tonrs magnifiques qui orwaîtettl la feçade è» 
palais patriarcal, an liteu de se diriger Vers la grunde encrée, il se 
rendit dans une petite cour, et , dontffflit la bride *' MiÉtoMfire h 
Tofilcier qui l'accoiôpagiïait, a s'arrêta ùévMt iJÉe^potem^^si basâ» 
et si étroite, qu'î! sembkit îtapossîfole qu'elfe (mOltMt àttn ftsu â« 
qtielqne importance. Cépeiitert, dès* qt/il eut fe«]Mf>^* ^ F***^ 
d'un rang inférieur vint ouvrir ht pWrt» ; ell'«Wiï>e*feW #réta«t «* 
connaître , il te reçw aif« de grandes démenhiràtésn» ^ respoty 
et f introduisît d^ns Phrtérienr de pfaWss. Àfeito tffW» «« qif» 
vtrtilâiravofir ttft etttr€?eîen secret avec lé pâfCr}arehe;fiif ciottifcft^M* 
si Kblioiïiè^e, 0* le viea* prStre PâtkîtféîBît atw fcd fÊiié gmi^ 
é^sttésf ^âttetf&nt petf aux COiftraiinieaâott» qniâffiKieMrhiêev 
fedtes et qui devaient le remplir d'étonnement et d'horreur. 
Quoique les sentiMfigtts f^igieuBt é» rempe ge tfr j p ia i& assent p0or 



GOUnOBT.]» RàRIS. I8X 

i» FbypooiJBie aux 3Feiix d^mgrandiumilire dieaeftQaiirtiansyet 
Mtmmeni^âe planeur» des «enfares d» sa AuniMis , ces rigmôsic» 
é mi t iat iajaste» w ler ftÉtrisaint d'un nom amsi odieux. Saohanb 
fiirii' appi» seyde il Mwivif dans bubieiiTOilano.e da clergé» il n^eiii 
Âiitisanadcyale qne plus disposé à Uhe leamorifioes» fva semUaîft 
lédamepPanmiicistgeda f ^^ae^oa tHntërit paartîoiiUer des- prélats 
fuse mentraieiit dé^foaés à sa penonneç mns », dfua edté». ilr 
Attft rare qveeeasaanfiœB m ftissentpas esinniandéaà Alexis pa«' 
deaeoDsidéralioBS' teraporettes f de Pastre*, il se plaisaità lesFe^ 
garder en même «empseeiame ii^pirés parscasenlMneaa rdigteosTii' 
e&ift al!lrSMiail à «iiepié«é siacèi» de s» part des eMeeBsieiis.et des 
aofin» qui, yns soas œn aatre* aspect» fmv&kmm d'une politiqneil 
tM«9 Biondaibek Sa maaiire A^'eamsag^ oes^ masures éluit oeHe* 
df an ftemiae dont le regard est toache» et qui- Toit les choses df tmet 
maniera dHiéranta mAmt le pomt êfcA fl se place* pour tes apep^ 
cevoir. 

L'eîBperear» Aaiasci»hamble ceaffession, étala> de^ravt' le pa- 
trindie tontes kcrfiiiifea de son adaainîstsratmi , faisant ressortir 
aFfcoferee les occasions oA les loisdela raerale avaientétéonlvagen** 
sèment violée»» âma recoorir aux faox-ftqrans et ans palliadfe pai? 
lesifueb^il araiteherehédans le moment à s^étowdtpki^méme. Le. 
pafriard&ene- pompsA revcnnr dl^ sa* swpris» en déco«frant \m 
TérftdiIefildepfaiBieiffsinlrigïieadacoar» sar lesqoeUes il »wt 
porté an jagcmait biea dMérent ararat qoe le rédt de l^émperemr 
eftkov jasdfié sa ecnjhnte» om montré qv^eUe^n^adeoêttaii aMcane» 
SMOse. A toat prenAre» la balance était certainement pins 9W 
tiTerar df Alexis qae k patriarche u'arait pa- le croire enehaerrant 
do'kMift les iatrignes de la œar» loraqae» sûyant Fnsage» les minis^ 
trea et les courtisans cherchaicoit à s» défcmmager des applapdîs* 
scmemqae» dans le eonseS» ib auraient prcdignés b/êo. mesore» 
Isa plaa hlffimaUes êa raonarqve dbsola» es itapntaat aiUears à s» 
oanAaiCe èes motflb pins' odSeax qae ceax qai Payaient feit réeUs^. 
aune agir. Msanconp d%emmes qa'bn supposait avoir été TÎciimea 
it l%BHBAié ov de la jaloasie persomirife de Femperenr i/a^aieat 
éfé'eftctiTement i^rréi Aarla Tie ov delà SH^erté qae parce qa^ 
te pensaient h c on ae ryer sans caa yr c n n a ftre le lepca de Kétat on 
k^aafal; dkrmmifflrqiie. 

Tmme apprft àasn» ceqae peat4%Fe 3 sonpçonnaii dép» qu^a 
■flfcu da prefimd aîlmee que te dieapetîania aeadklaâ; imposer Â. 



328 ROBERT, 

l'enipire grec, cet empire était {récpiemmttit agité de monveniieiig 
conTttki&y qui trahissaieiit l'existence d'nn.Tolcan caché sona sa 
surface. Ainsi, tandis qae les fautes légères, que les mormsres 
proférés onTerten^ent contre le gonvemement impérial étaient 
rares , et étaient séyèrement pnnis dès qu'ils se manifestaient / les 
conspirations les plus noires et les pins profondes contre la per- 
sonne et Fantorité de l'emperenr se tramaient par cenx-là mêmes 
qoi. l'approchaient de pins près ; et quoicpie souvent il fût lui-même 
instruit de ces complots, ce n'était qu'au moment de l'explosion 
qu'il osait agir en conséquence et punir les conspirateurs. • 

Tons les détails de la trahison du césar et de ses comphees, 
Agélastès et Achillès Tatins, remplirent le patriarche de surprise; 
mais ce qui l'étonnait le plus, c'était l'adresse avec laquelle l'em- 
pereur, connaissant, l'exbtence d'une conspiration aussi terrible 
au. sein même de ses Etats, avait su détourner le danger dont 
l'arrivée des croisés l'avait menacé au même moment. 

— Sous ce rapport, dit l'empereur, à qui le patriarche n'avait 
point caché son étonnement, je me suis trouvé dans la position la 
plus malheureuse. Si j'avais été sûr de mes troupes, j'aurais pn 
choisir entre deux partis également francs et honorables à l'égard 
de ces fougueux guerriers de l'Occident. J'aurais pu, mon réyérend 
père, consacrer les sommes payées à Bohémond et à qaelqoes 
antres des plus. avides des croisés, à prêter un appui sincère et 
cordial aux troupes chrétiennes de l'Occident, et à les transporter 
sûrement en Palestine, sans les exposer aux grandes pertes qae 
leur lutte contre les infidèles leur fera probablement souffrir ; leurs 
succès auraient été mon ouvrage, et un royaume latin fondé en 
Palestine, et défendu par ses propres guerriers, aurait été pour 
l'empire une barrière inexpugnable contre les Sarrasins, ou bien, 
ai le salut.de l'empire et celui de la sainte Eglise, sur laquelle vous 
avez tout« pouvoir, le faisait juger plus convenahle, noua auri<m8 
pu tout d'abord, et par. la force ouverte, défendre les frontières de 
nos Etats contre une armée commandée par tant de chefs diffârens 
et si peu d'accord, et s'avançant vers nous dans des intentions si 
équivoques. Si le premier, essaim de ces sauterelles, sous la con- 
duite de celoi qu'ils appelaient Gauthier Sans-Maille, affaibli 
d'abord par les Hongrois , fut ensuite totalement détruit par Jes 
Turcs, comme l'atteste encore la pyramide d'ossemens élevée ^ 
les frontières du pays, certes les forces combinées. de l'empire 



COMTE DE PARIS. 329 

grec auraient éprooré peti de difficulté à disperser également cette 
seconde nnée, bien qu'elle ait ponr cheb leurs Godefroy, leurs 
Bohémond et leurs Tancrède. 

Le patriarche garda le silence; car, quoiqu'il n'aimât pas les 
croisés, et même qu'il les dét^tât comme membres de l'Eglise la- 
tine > il ne ponyait s'empêcher de douter que les troupes grecques 
eussent eu contre eux l'avantage sur un champ de bataille. 

— Après tout, dit Alexis comprenant son silence, Taincu, je 
serais tombé sous mon bouclier, comme il convient à un empereur 
grec, et je n'aurais pas été*forcé de recourir à ces vils moyens 
d'attaquer de&guerriers furtivement et par surprise, et de déguiser 
mes soldats en Infidèles ; tandis que les braves défenseurs de l'em- 
pire, qui ont succombé dans d'obscures escarmouches, seraient 
morts plus honorablement et pour eux et pour moi, en combattant 
à leurs rangs «i bataille rangée pour leur empereur et pour leur 
pays. Maintenant, dans la position actuelle des choses, mon nom 
sera transmis à la postérité comme celui d'un tyran astucieux qui 
a entraîné ses sujets dans de fatales querelles pour la sûreté de sa 
misérable existence. Patriarche! ces crimes ne sont point mon 
ouvrage , mais bien celui des rebelles, dont les intrigues m'ont 
réduit à de telles extrémités 1 — Quel sera , mon révârend père, 
mon destin après cette vie? — et sous quel jour ma conduite sera- 
t-elle présentée à la postérité , moi l'auteur de tant de désastres 7 

— Ponr l'avenir, dit le patriarche. Votre Majesté s'en est ré- 
féré à la sainte EgUse, qui a le pouvoir de li^ et de délier ; les 
moyens que vous avez de vous la rendre propice sont immenses, 
et je vous ai déjà indiqué ceux qu'elle doit raisonnablement at- 
tendre que vous emploierez, en songeant à votre repentir et à votre 
pardon. 

— Ils seront employés dans toute leur étendue, répondit l'em- 
pereur, et je ne vous ferai pas l'injure de douter de leur efficacité 
dans l'autre monde. Mais, dès à présent et dans cette vie, l'opinion 
favorable de l'Eglise peut faire beaucoup pour moi pendant cette 
crise importante. Si nous nous entendons bien, mon bon Zozime, 
ses docteurs et ses évêques doivent tourner en ma laveur, n'est- 
ce pas ? et l'avantage que je dois retirer de son pardon ne sera paâ 
différé jusqu'à ce que la pierre funéraire soit retombée sur moi ? 

— ' Assurément non , dit Zozime, du moment que les conditions 
que j'ai déjà stipulées sont scrnpuleus^nent remplies. 



SRI neBBETy 

— Il mttmtOÊéintêÊm laiMaiénti, dk:AltaBtSt db^^ilnlfrBmr 
aîèn dflil^« se pearptf twr? 

•— Pour cela , répondit le patriardw , Ytlre Mqesié Mi m tck 
ywef fov 1» |Hétt ilkde et s» lAtdtaw lîw^^ 
oompUer Anw CiMHièMv 

L'cnpenqr MO0«a. 1» tÈÊ^^^Ge auAmiroax eéMnt» Atffl, w 
sans doute* êtro 1» cawejfqae fw ofei ite entre awwy eir fteiicif' 
ftnle qM je puÂmne à cer iegne» à ce^Nbelle^ parée qiieiBa ffle 
hi en aciaeiiée aifeo iMt'ledtf^eiienmit dfttnefinHBew El?p«is^]»«& 
ahwhne y j0 ne eato ar le lém o îg ue ge'yiBrhiglbrkp trf yie maffle 
eet bien' edhi qei peut a'veir m grand pdds anprèna^elh peaiâitf ^ 
liîi Piroeepe, «I èsdaTe pKheopitey mevfflHV diafk^ 
léer, eepermet d*éBnre lar tie^df m e uip er t i e p^dtoat il n^eeail appre-' 
cher; et, qaeiqiie le pmie^al mérite A m» ev^rage 8oi« <fe tm^ 
tÊitàt diee détails que personne nf iimiai i owéf peUler èm ^mant dir 
prittee^ eqiendssit ponenne-m^ébite'a {es^aduietire'eennfi astfasi^ 
ii^i w fly apr è s » sst aaoft* 

— (Tmv, dk Zecunev m se jtt s w teqtet je^ntf pu ettrârè Totre 
MajODOé- inqpériale-ni' eoeeelaiSons ni seeénrs. NéaunieiBs^y si yiMt 
laÂnwre est kqnsfemenC attaqeée sur lai t^re, ee sera» nife^c&oas 
ioêtnitmiXe peorTetre Ahease^v <pà aler» jeeum^ je Pespàre, ëfim 
état de> béatitaâè qw» de wnes calommes' ne peenent tredkhr. 
£e sent neyen érpvé^erâr ce nadj^enr serait que Tetra Biajescé 
éMyttf Mefitièmm- ses Mémoires pendsnt'qi/'eue*eslr eneorrêuis ce 
nende; Ùnt je anir eoer^ainev q/x'îi. hâ serait fkâle ^insigner des 
eoEenses' Kgiiinies à eriles denses aetiens qur^ sans eeltia précandoity 
pesrrwMH€ paraSErv dignes cte onnie* 

^■** vtbsngco&a ue SHjeiy cnl FaBapersnr ^et paseque^ M^ctasigsrcMr 
imminent, occnpons-nons dn présent, et laissons les âge» firtofs 
pewiiouuei' ett^ucnsesi ^veis Mttf , sensn ^v^oiis,, ivfCTeon père, las 
glAÊÊÊ dbnt ees eef ns pw a t meiif rftippaienf pe«F0Ber&ire'«fr appelsl 
a ai seieitt ir la pep«ku!e es amr wridats grce»?* 
' "^^ Gei'Rss, répendit fe patriureuey Fineidenir Ai rèlgne dta'TWtiv 
flis)esae ^na jeté'le^jAHB dfifviftiisieR Ams hBvespiAsf, c%sala mof^ 
d^Vrsel^ qai ^éasft sonnis, dlt-etr, par eapienlatnm, sons promesse 
dtar la Tie ef 4e îmWMfîêy er qa^es Mena pénr dé fiân, par tor 
ordi^, 4a8S kwpriseas^ée Bhqaenaf . Son eoesage, sa JflWratft^ 
sn^ teriae- peptAttres, dirent eneeiv dana^fe^ seuveutr dsarlud^ifans 
de cette capitale-et#Basoid'aCsr tfs la gaiih appeMe tauBUBfeBe* ■. 



COMTE DE PARIS. 331 

— Et c'est là f dit Pempereur en fixant ses regards snr son con- 
fessenr, c'est là , selon tous , la cause la plus dangereuse de Peffer- 
fescence populaire? 

— Sans aucun doute; dit le patriarche, et son nom prononcé 
hardiment y et habilement répété , serait à l'instant même le mot 
d'ordre et liMsigHal d'iur hûrrH>le tnmohe* 

— Grâce an <id[> dit l'empereur, à œt égard , je serai sur mes 
gardes. Bonsoir, mon père I Soyez bien persuadé que tout ce qui 
est contenu dans cet écrit, auquel j'ai apposé ma signature, sera 
fidèlement accompli. Seulement ne montrez point trop d'impatience 
dans cette affaire; — un tel déluge de bienfaits, tombant à la fois 
sarffli^V piNii»iérfnperaau{iipmi»f que k» pvAatsettai^ai- 
oiittes^agiaieat p«r mile dfun mar^é coiielv entre^i'flaqMreur eft 
le[iabiav9iM^ pintdt fÉ^li nedmiMM 0^^ 
f»p8rau.pécluMV€ii cspiatMii de sas ermcM. CeilevqfqoeaMon^ 
nuniipètf^.ssiaitiniwiMfl»^ moi. 

-^Vmimlm Ma» fégid^evs serost ace^^déa an hsn: plainr de 
Vitoe lisjavté, dirla^paMisrche ;' et nms'eqpérons que -veut v'eW 
UKnzpavqo0l«ma«dié, sionpeM^WdmneFoefnQat, ni^aéfti' 
cenda fi&TOtn»dttmaQadev et que liw «insntagos que PEgliserdeit 
en retirer sont le résultat du pardon et de l'appui qtf eUe pfWMl h- 
Ilote tbjeaté. . . 

-^CéitTOiti^ Hêc rcupflrtMr, e'est trè» vrai, ei jer ai'eA (Ml« 
wibai. Adies^ eniiem une fois^ et i/mkAktz paa cecpie je sauvai. 
^Viattà tnte Aui^ Zsdne, pendue laqndle rMrpereur doittra^ 
^^lîBar edUMS s» esekw, s'ft mt ^est pas redo^^«iiir FfauiMe 
Ab» Ci oMBiiws ,^at^ÉlMowdol»ft'«■pai^ilpas^ reposer aatête^ 

Eu#Ban«a68«mt»râpvi^«oi^dapB^rârak».GriuM eharani 
^ atiet^ges^^iHI fffain ^enus pow l'Eglise,. «?anta|fea que plu- 
siears de ses prédécesseurs avaient fait as Ysâttv effort» poW Itt- 
^'Mmv «ih(dttrd#i(Hifemr le Aisie«AB«r AkedB snrsm frôm. 



CHAPITRE XXV. 



Le ei«l oonntft ton temps. La bille a son destin. 
Et le flèche son but qui n'est pas moins certain. 
Même les animaux sentent cette influence , 
Kt d'an instioct céleste éprourent la puissance. 

^neitiine comédie. 



AoiLASTÈSy après avoir rencontré Femperenr de la manière dont 
nous venons de le décrire y et avoir pris les mesures qoi se pré- 
sentèrent à son esprit pour assurer le succès de la conspiration^ 
sretonma dans le pavillon construit dans son jardin, où était encore 
la comtesse de Paris, n'ayant pour compagne qu'une vieille fonme, 
nommée Vexhelia , épouse du soldat qui avait accompagné Berthe 
an camp des croisés ; cette bonne fille ayant stipulé que , pendant 
son absence, sa maîtresse ne serait pas labsée sans une femme pour 
la servir, et que cette femme tiendrait de quelque manière à la 
garde varangienne. 

Pendant toute la journée , il avait joué le rôle de politique am- 
bitieux, d'esclave égoïste des cî^rçonstances, de profond et subtil 
coiispirateur; et maintenant il semblait, comme pour épuiser la 
liste dé ses différons rôles dans le drame de la vie, vouloir afficher 
le caractère de sophiste astucieux, et justifier ou paraître justifier 
les artifices auxc^uds il devait son rang dans le monde et sa ri* 
chesse, et par lesquels il espérait s'élever même jusqu'au trône. 

— Belle comtesse, dit-il, pourquoi ce voile de mélancolie oouvre- 
t^l des traits si aimables? 

^-He supposez-vous, répondit Brenhilda, un cœur de rocheTf 
une créature dénuée de la sensibilité de tout être animé, pour que 
j'endure la mortification, les dangers, la détresse, sans montrer 
les sentimens naturels à l'humanité? Vous imaginez- vous que 
vous puissiez outrager, en la retenant captive, une dame comme 
moi, libre comme le faucon sauvage, sans qu'elle ressente cet on- 
trage , et qn'eUe conçoive du courroux contre ceux qui en sont 
les auteurs? — Et crois-tu que ce soit de toi que je veuille rece- 
voir des consolations? — - de toi| un de ceux qui ont travaillé le plus 



ROBERT, COMTE DE PARIS. âJ3 

activement à ce ti^sa de trahisons dont j'ai été si indignement en- 
veloppée? 

— Ce n'est certain^nent pas moi qae vons devez en accuser , 
répondit Agéiastès. Battez des mains , demandez ce qu'il vons 
plaira, et Fesclave qui reftisera de vons obéir à Finstant aura à 
regretter d'être né. Si je n'avais consenti, par égard pour votre 
sûreté et pour votre honneur, à être momentanément votre 
gardien , le césar aurait usurpé cette fonction, et comme vous savez; 
quel objet il aen vue, vous pouvez à peu près deviner quels moyens 
il aurait pris pour réussir dans ses desseins. Pourquoi vous livrer 
à une douleur puérile, parce que vous êtes , pour un temps bien 
court, dans un état de contrainte honorable , auquel le hras re» 
nommé de votre époux aura probablement mis fin demain avant 
midi ? . 

— ^Tu as plus de paroles que de pensées honorables, répliqua la 
comtesse : ne peux-tu donc comprendre qu'un cœur comme le 
mien doit nécessairement éprouver un sentiment de honte , en se 
trouvant obligé d'être redevable, même au bras d'un époux , d'une 
sûreté que je voudrais ne devoir qu'à moi-même ? 

— ^Yotre orgueil vous trompe, comtesse, — cet orgueil , défaut 
dominant des femmes. Croyez-vous n'avoir pas cédé à un mouve- 
ment de présomption coupable, en vous dépouillant du caractère 
d'épouse et de mère, pour jouer le rôle d'une de ces folles écerve- 
lées qui , comme les spadassins de l'autre sexe, sacrifient tout ce 
qui est utile et honorable à une affectation insensée et frénétique 
de courage? Croyez-moi, belle dame : le vrai mérite d'une femme 
est d'occuper avec grficè sa place dans la société, d'élever ses en* 
£ans, et de faire les déUces de notre sexe. Tout ce que vous ferez 
au-delà peut vous rendre haïssable ou terrible , mais ne peut rien 
ajouter à vos qualités aimables. 

— Tu prétends être un philosophe I il me semble que tu devrai^ 
savoir que la renommée, qui suspend ses guirlandes sur le tom- 
beau d'un héros on d'une héroïne , vaut toutes ces futiles occupa- 
tions auxquelles les personnes vulgaires emploient toute leur exis- 
tence. Une heure de vie , remplie de glorieuses actions et de 
nobles dangers , vaut des années entières de ce vil respect pour un 
misérable décorum , dans lequel tant de gens traînent leur exis- 
tence , comme des eaux stagnantes dans un marécage , sans être 
honorés , sans être même aperçus. 



m «(WERT, 

peine ^e je vous vois égarée dans des erreurs qa'nn fm fl f-iffl iljiif 

et d« réfloûoa poncwt diisipi^. Iîooa fOVJj^w nom flauer,. — et 

la Taaîté bnmaîne.ad flatte ordixiaîreaieDt, — gaie di^^êtf)^ jojBia. 

inent plps pniaaana jae cepx (pi apiiarUenn^Dj^^ 

,wiés'wcvffeal tonale» jionra àinefloriur le l^c» fsjt .1^ jqi^ 4^ 

; jDuxade, le anccèa 4fis «oinbats <)t ledcsitiA 4«s c^^pire» > dVipiàs 

Jenrs propres idées de.ce foi «st juste i>u ii^m/^f,ùa^ip(m^jmaa 

dire , snÎYant ee Que xions regardons uons-même. comiAfi/teL l<es 

.j^a£ens,gr»Qs^ renommés par lenr tf^f^s^ eH ^u^ert^ As fhir^ par 

Isors actions • exnlicnijèjnBnX à des Jiommes dsiiés H^hn» în toiiigannA 

ordjmaice l'existence aapiposée de Ji^piter. et de ^qn Q^pooff^f^çà 

. diTerses déit^ présidaien t imhç Tertns et ^ns^.yjiaç^^ jsj; rj^^jaieat 

la fortnne temporelle et le bonheur fntnr de ceux qui pratifiifiieiit 

jkaa IVM» ou qjA ae.U^wmt «ox emces» l4eajpliis jif^gese^ lopins 
int^tiwts desanqens rc^îeMùent petteini^rprët^ttioii yu]|(9ii)e^ 
gnoi^'en publie ils.afi^tasswt.de h d^férenç^ Jpoiir la crqynpee 
..générale , ils niaient en particplier^ deyaitf ieurs discjy^^ ks 
impostures groasièresdn Tactare et de l'Olyi^pe^ 1^ y^^ii^A»^- 
.tomes snr Jes dieux en^-juâmes, et l'attente .e]^aTaj;a]|]^^nçne 
, par le Tnlgaire d'une inunort^Jité .attribuée iide^ ci:éàti|resjgMr- 
telles sous tous les jiyiports, tant dans jla çonformiktioA ^ jjeurs 
isoips que dans la croyance intéiiieui^ de leurs ame^ fwm ees 
.bommes sages et Tenneux» quelques-uns a.dmettaû^t l'ea^îstfNii^ 
de.oes divinités prét end u e s ., mais jls srateutû^t qu'oIiesjaejKDe- 
naient pas plus d'intériêt anx .antians 4es Jhomm^ *f^% celles ^ 
. animanx d'me classe inférienre. Une yie^iQreu^ et jnsouetauxp , 
.semblable à la vie des disciples d'£|picurea étmt jcelle {pu'ils siyyo- 
jBÛentà ces divinités* D'antres» plus h9xi&» sm j^sHiffiBé^pg^f 
niaient entièrement Texistence des diTiuitéis fpu .paraissaient n'a- 
voir ni but4ii olget déteraninén» eticvoyaient gue deaêtreaisinia- 
* turels, dont llexistence et lesMtributs ne uons^laieot pe3 prouiés 
c .jpàr des apparences jromatnrelles >^'«xistaient pas en réatité. 
. . -^ Arrête^ .misérable I ^'écôa la comtesse » et si^cbe que tu jie 
.j^arles pas à un de ces païens .aveugles dwt pu me 4é|aiUes les 
,. doctrines abonunables etieurs jéaultats^Siie me suis 4S4^ 9P^^' 
/.quefois, apprends que je n'en suis pas moins, pne fille aîncère de 
rl'Eglise^ et cette .croixy.bEodée sur mon ^i^nle^ est uu emblème 
suffisant des vœux que j'ai fait^pio^ sa pause. Sois donc aussi.pira' 



faire que les paroles me manquent pour te réfiiter ; mais jette ^sft- 
fMdvai» siiM» Irfwlnr» .a!veefta>poinli»4e nw feigoacdU 

mÉin^[e4e6iMmhilda:,qiK4^û>pMfei^^ ]K>iie- 

tnr vêtue Aosoeiir à<enidLÔ[f^ teleqpoaMiift. JUms âme smIi»- 
aaider àÀeiiidîDe4A ees pnisiieni!! siipéiâ^nBS'etlnflvmiiaBiiB 
snyfmlleft ;f<ns atlnitMeeie^geiTOsnflin^ ia mmÛA, jtjm imm 
offenierai sûrement pas en vous parlant de ces vîl^^tjupBgwtîtwffTfiJt 
qui ont été aAoftée9i44m.aBfjgixeaààùài^ 

h WÊmm frino^e. AdMa jenais 'admis, àÊim aiicaiie^>4e8 
croyances humaines 9 nn être aussi baA» •--« je^dkais pnsqoetvanî 
ndk»dfl^ — i- ^fseJeSatiai dès cboétieiis 7 LiKMlhi etiesmendures 
ttwhmiCf des4mtefB0«MiIiie^ laita^peure^ 
kl pins lUiestaUeBi» im.degBé^ pomeîr.àipeiBe^mttrieiir àmW 
de.la.&hnîlé I «el ea miam temps, un jaksntfàpmne égà, à(Ochdie 
fétre le^^lw eiaigiidede la deimàrotclame'dfli Jumnag»? Qi^eeMa 
9n^Miilg% qûeestaiirnmnfileisatoiiâiafUlseeeiise^^ 
lnttrâifii'«i^oe Btetiuaeqpffkiiimmi^9<i^fiMftMma 
risM» iéfjMÂ^WB, ivâeSBacd mndioaiif ^eutd^wm^Weilte famme? : 
AffiflafliihB fitTiat Mundim paBse ^dana cBMe moitiBideiSfiB dis- 
coors. Un miroir de grande dimension était placé dans ^^^yffp*^ 

#ioîjpi'«Ub JM9,fiàt détoônuie de ini ^piMr diipAt posr Jea doctnnBB 
V'il jn)»SeaMit • ikgélaaiès MfsàlJMjttmlikmam ,1m ^mk ifixéi^anr 
>€e.iiiirgîr9 let JSIotconfiuidii wi ^^pant lOMt&twi^ jiEBSQKdiaamiie 
•<•?«« dfiidfiBrme «Hombire dtonJDÎdflMa, •enleiiregaadfriaMc Kainet 
J- wiawiito» ffl'cen Jittrihie lau $«AaÀ dftJaiiiqltlmlogieAesimôb^ 
"^^Q aa fa^^iin ienips des fttïena. 

- <2!aoiti r6'<éeiiiaBreiihiUiw di>nt.UalUBtMi «ot 6flnlf mwit a tt i- 
'«^per.K^paidlioB >itttni«rdfaMiire;de ce tqa'ieUeHQiralxâlnemntéé- 
'i&M^ tes parcdss impies», «ttes peasées enoore .phmc ogm i nwltw ^ 
ont^Ues émgné ledîable'eiiceiien.? fiitekvest, Q0i^[iidie4e«ur- 
leKihamp; osL^pariKolseAflnmide lansesJiempwiftt je teifienû 
^nwiitnBfnebMt leMaaetàreideJa^emme à'«i Ki»m, ifwuidtelle 
^ tEaove en pvéseaoekdn>diaUeMHBême»et de«eiut qm^mltle pen- 
^îrde l!éwqpMnr. Je Ae.AUm4pas'iBOmmena0r:anetete.rà ntoms 



SS6 ROBERT I 

qae je n'y S5is forcée ; mais si je sais obligée de coubatM vu ktt 
si horrible^ crois*moi , personne ne dira qa,t Brenhilda en ait été 
effrayée. 

Agélastèi » après avoir examiné avec an air de surprise et d'hor»* 
rear la réflexion des traits hideux qae lai offrait le miroir , tourna 
la tête pour voir l'objet qui avait occasioné cet effet étrange , mais 
il avait déjà dispara derrière le rideau à Fabri duquel il âait pro- 
bablement caché. Cependant 9 quelques instans après, sa 6garé, 
moitié grimaçante > moitié menaçante i se montra encore réfléchie 
dans le miroir. 

— Par tous les dieux.. • I s'écria Agélastès. 

— A l'existence desquels vous venez de déclarer que vous ne 
croyez pas , dit la comtesse. 

— Par tous les dieux 1 répéta Agélastès , revenant à lui en par* 
tie 9 c'est Sylvain ; c'est cette singulière caricature de l'humanité, 
qu'on dit avoir été amenée de Taprobane. C'est une créature dont 
la vue inspire la terreur aux ignorans , mais qui fuit devant le phi- 
losophe , comme l'ignorance devant le savoir. A ces mots, il leva 
d'une main le rideau derrière lequel l'animal s'était caché en en- 
trant dans le pavillon par la fenêtre donnant sur le jardin; atte- 
nant de l'autre un bfiton levé , comme poc^r le châtier, il s'écria : 
— Eh bien, Sylvain! quelle est cette insolence? — Retoome à 
taplacel 

En pariant ainsi , il frappa l'animal. Le coup tomba malheorense- 
ment sur sa main blessée , et rendit plus aigaë la douleur qu'il sonf- 
frait encore. Son caractère sauvage reprit sur-le-champ tonte sa 
force ; la crainte de l'homme ne le retint plus , et , poussant un ori 
féroce et étouffé , il s'élança sur le philosophe , et lui entoura le cou 
de ses bras robustes et nerveitx avec un air de fureur sans égale. Le 
vieillard lutta de toutes ses forces pour se tirer des mains de cette 
créature furieuse , mais inutilement. Sylvain ne lâcha pas prise , et 
continua à lui serrer le gosier jusqu'à ce que le philosophe eot 
rendu le dernier soupir. Deux autres cris affreux de l'animal, mie 
grimace annonçant une détermination désespérée, et ses mains 
serrées autour du cou d' Agélastès, annoncèrent au bout de moins 
de cinq minutes que cette lutte terrible était terminée. 

Le philosophe mort resta étendu par terre ; et Sylvain , son as- 
sassin , faisant un saut pour s'éloigner du corps , conmie s'il eût été 
épouvanté de ce qu'il venait de fidre , s'échappa par la croisée. Ia 



COMTE DE PARIS. 337 

comtesse resta immobile de surprise , ne sachant trop si elle avait 
Tn an exemple somatarel des jogemens da ciel , on s'il avait exercé 
sa vengeance par des moyens humains. Sa nouvelle stiivaute» 
Vexhelia, ne fut pas moins étonnée, quoiqu'elle connût beaucoup 
mieux cet animal. 

— Madame, dit-elle, cette créature gigantesque est un animal 
d'une grande force , dont la forme ressemble à celle de l'homme , 
mais d'une taille beaucoup plus grande, et que la vigueur immense 
qu'il se connaît rend quelquefob mal&isant.. J'ai entendu souvent 
les Yarangiens en parler, et dire qu'il appartenait à la ménagerie de 
l'empereur. Mais il faut que nous retirions d'ici le corps de ce mal- 
heureux vieillard, et que nous le cachions dans les bosquets du 
jardin. U n'est pas probable qu'on s'aperçoive ce soir de son ab- 
sence , et demain il se passera des choses qui empêcheront qu'on 
ne songe beaucoup à lui. La comtesse Brenhilda y consentit, car 
elle n'était pas de ces femmes timides pour qui les traits d'un mort 
sont un objet de terreur. 

Se fiant à la parole qu'elle avait donnée , Agélastès avait accordé 
à la comtesse , ainsi qu'à sa suivante , la permission de se promener . 
librement dans le jardin, du moins dans la partie qui était voisine 
du pavillon. Elles ne couraient donc que peu de risque d'être inter- 
rompues en portant ensemble le corps du philosophe, et elles le 
déposèrent dans la partie la plus épaisse desbosquetsdont le jardin 
était rempli. 

Tandis qu'elle retournait vers le lieu de sa demeure ou de son 
emprisonnement , la comtesse dit , se parlant moitié à elle-même , 
moitié à Yexhelia : — J'en suis fichée : non que cet infâme misé- 
rable n'ait bien mérité que la punition du ciel tombât sur lui an 
moment même où il proférait des blasphèmes, mais parce qu'on 
peut soupçonner le courage et la bonne foi de la malheureuse Bren- 
hilda, puisque la mort de cet infidèle a eu lieu quand il était seul 
avec moi et ma suivante, et que personne n'a été témoin de la ma- 
nière étrange dont ce vieux blasphémateur a subi son destin. — 
Tu sais, ajouta-telle en levan^t les yeux au ciel, tu sais, Notre- 
Dame des Lances-Rompues, protectrice de Brenhilda et de son 
époux, que, quelles que pui£>sent être mes fautes, nul soupçon de 
trahison ne peut s'attacher h moi : et je remets ma cause entre tes 
mains, avec une parfaite co nfiance en ta sagesse et en ta bonté , 
pour rendre témoignage en ima faveur. 

22, 



}Sa ROBERT I 

EUea rentrerait daiis k jia^on sans q;iio persomie kft ^ 
(iies,etlaeoinlB88e ternina cette toa»iBe «oirée p«r me prière 
ploim de pUié et de rfa ign a ti on# 



CHAPITRE XXVI, 



AMiMkM^oM pour enteodn Thistoin 
ïfvom BnMg«9l« , éftme 4'oa iH|Uis. 
nie était jeune , elle atait des attraits , 
Tow 8« «iavs f'tlaieiit oout^ 40 glaire, 
Et la fortune e^nfait set souhaits^ 

jùieieitm baSadt 



Nous avons laissé Alexis Gomnène aa moment où il venait de dé- 
charger sa conscience auprès du patriarche , et de recevoir de Im 
r assurance du pardon et de la protection de l'Eglise nationale. D 
prit congé de ce dignitaire avec quelques exclamations de triompha; 
msas dans lesquelles il régnait tant d'obscurité qu'il n'était pas 
fadle de comprendre ce qu'il voulait dire. En arrivant aa palais 
de Blaquemaly s(m premier soin fut de demander sa fille. Oa lui 
dit qu'il la trouverait dans cette chambre incrustée en marbre ma- 
gnifiquement sculpté , d'où Anne Comnène , ainsi que plusieurs in- 
dividus de sa race y tirait le noble surnom de Porphyrogéuete, 
Vest-à-dire née dans la pourpre. Les traits de la princesse aunoii- 
^ent Tinquiétude ; et , à la vue de son père , elje s'abandonna ofl- 
vertement à on chagrin irrésistible. 

— . Ma £aie, dit l'empereur d'un ton dur qui tai était peu 9^' 
nair^y et avec un air sérieux qu'il conserva rigoureusement, aa 
lieu de s'attendrir en voyant l'affliction de sa fiUe , — si voas vome* 
empêcher le sot imbécile auquel vous êtes unie de paraître a toB^ 
les yeux un monstre d^ingratitude et. un traître , vous ne mançi^'^ 
pas de l'exhorter à implorer son pardon avec la soumission cf^' 
venable, en faisant Taveu complet de ses crimes : sans quoi, P«f 
mon sceptre et ma couronne, il mourra! Et je ne pardonn^ai 
aucun de ceux qui courent à leur |>erM ' ^ »^ bravant om^ttm^ 



COMTB DE PARIS. «M 

loii Félwdftird de 1« fébelUon qiM mon gendro ingmi a déployét 

-^ Qn'oxîgw^om d« moi , mon père P dit la (rincoMe. PoaTo«i 
vous attendre que je trempe mes marna dans le aangde cet îh&mt* 
Umé) on çIierdierea«YOiia ane yengeance encore plua langlante 
que d^e qu'^Xjarçaknt ka dieax de Tantiquité contre les oriminel» 
qd offenaaieni leur ponYoir dîTin ? 

-^Na penaeapaaainiiy ma fille; crojrea platfttqnemMiafEQCflîoii 
patenielle vona offre la dernière occasion de sanver peut-être de 
la mmrtœ misérable f on y TOtremari» qm Fa si bien méritée. 

-« IHeo aait » mon père , qne je ne voudrais pas yoos faire oonrir 
k moindre risqne ponr racheter les jonrs de Micéphore ; mais il a 
été le pare de mes enians , quoiqu'ils n'existent plus, et nulle femme 
ne peut oublier un tel lien, même après que le destin l'a rmnpq. 
Permattaz^moi seulement d'espérer que ce malheureux coupable 
aura une oeoasion de réparer ses erreurs ; et croyez que ce ne sera 
pat ma faute a'il reprend jamais ces projets dénaturés de trahison 
qm en ce moment mettent sa vie en danger. 

»^ SaiTez<4noî donc , ma fille , et sachez que c'est à tous seule que 
ja Tais confier m secret dont dépend la sûreté de ma vie et de ma 
Gonronne, et dont il peut se ftdre que dépende aussi la -vie de 
Yotramari. 

Alexis prit alen à la hâte le costume d'un esclave du sérail ^^at 
ordonna à sa fille de serrn* aa robe autour d'elle et de prendre en 
nttin une lampe allumée. 

•^Où allons-nous doue, mon père? 

*-< Pau importe y ma fille. Mon destin m'appelle, et le vdlreTeut 
qnavoua m'édainec. Groyez-moi , et faites-en mention dans votre 
bistrare, si tous Foaez s. Alexis Comnène ne descend pas sans 
darmes dans ces cachots tenibles construits par ses prédéces- 
*^ers, même quand ses Intentions sont bonnes et louables. Gardez 
le silence $ et si n<Mis re ncontrons quelque habitant de ces régions 
*^taninesy ne prononcez pas un mot , et ne fEdtes aucune 'obser* 
^etiwi sur son apparilûm. 

Ayant trsrversé le bjyyrinthe des appartemens, ils airrfvèient 
*a»» ce grand vestibu^le par où Hereward avait passé le soir de sa 
I*«n»ière introduetiœa dans la saBe où Anne Comnène faisait ses 
lectures, et qu'on appelait le temple des muses. Il était, comme 
"ïoas Pavons dît , co nstmit en marbre noir et faiblement éclairé. 
A f eactfé^téde œ ifestibidaétait uir jietit autel sur lequel de Ite- 



840 ROBERT, 

cens brûlait ; et aa^dessns de la famée qtà s'en élevait, semtUaient 
sortir da mnr deqx imitations de têtes et de bras d'hommes , qa^ou 
ne voyait qn'imparfadtement. 

A l'antre bout, nne petite porte de fer conduisait à nn escalier 
étroit en spirale, ressemblant par sa forme et son dialnètire à on 
puits en poulie, et dont les marches étaient extrêmement raides. 
L'empereur, après avoir £Edt signe à sa fille, d'an air solennel^ de 
l'accompagner, commença à descendre, à l'aide de la lumière im- 
parfaite que donnait la lampe, les degrés étroits et difficiles sor 
lesquels ceux qui étaient conduits dans les cachots souterrains da 
palais de Blaqnernal semblaient dire adieu à la lumière du jour. En 
descendant, ils passèrent devant différentes portes conduisant 
probablement à divers étages de prisons^ d'où l'on entendait sortir 
ce bruit confus de soupirs et de gémissemens qui avait attiré l'at- 
tention d'Hereward dans une autre occasion. Alexis ne fit aucune 
attention à ces signes de misères humaines, et ils avaient déjà 
passé trois étages de cachots quand le père et la fille arrivèrent 
au bas de l'escalier, dans les fondations mêmes du bâtiment, dont 
la base était un rocher grossièrement taillé, sur lequelVélevaient 
les murs de séparation construits en marbre brut. 

— C'est ici , dit Alexis Gomnène, que s'éteignent tout espoir et 
tout avenir, lorsque le gond crie et que le verrou se ferme : ce qui 
ne sera pourtant pas toujours sans exception. -^ Les morts reota- 
tront et reprendront lears droits ; et les. habitons de ces régions, 
qui ont été privés de leurs biens, reparaîtront dans le monde poor 
faire valoir leurs prétentions. Si mes prières ne peuvent obtenir 
l'assistance du ciel , soyez bien sûre, ma fille, que, plutôt que d'être 
réellement Têtre stnpide pour lequel je me suis abaissé à passer et 
même à être peint dans votre histoire, je braverai tous les dangers 
dont me menace la multitude qui s'élève cm ce moment contre moi. 
Rien n'est encore résolu, si ce n'est que je vivrai et mourrai eni- 
pereur; et soyez assurée, Anne, que si cette beauté et ces talons 
qui ont reçu tant d'éloges ont quelque pouvoir, ce pouvoir sera 
exercé ce soir pour l'avantage de votre père , qui en est la source. 

— Que voulez-vous dire , mon père? — iT^ainte Vierge 1 est-ce là 
la promesse que vous m'avez faite de sauvi^.r la vie de l'infortuné 
Nieéphore? 

— Je la lui puverai , et je m'occupe en Ci 3 moment de cet acte 
de bienveillance. Alais ne ,voiis imaginez pa&t que je l'échauffenv 



COMTE DE PARIS. 341 

encore nne fois dans mon sein le serpent domestiqne qui a été sur 
le point de me donner la mort. Non, ma fille ; je vous destine un 
éponx en état de soutenir et de défendre les droits de l'empereur 
votre père. — Et prenez garde d'opposer un obstacle à ce qui est 
mon bon plaisir] — Voyez ces murs; ils sont de marbre , quoique 
de marbre brut : et sonvenez-Yous qu'il est aussi possible de mourir 
entre des murs de marbre que d'y être née. 

La princesse Anne Conmène fut effrayée en voyant son père dans 
une disposition d'esprit si contraire à son caractère habituel. — 
del 1 que ma mère n'es>elle ici ! s'écria-t*elle> saisie d'uue terreur 
dont elle connaissait à peine l'objet. 

— Anne> dit l'empereur, vos craintes et vos cris sont également 
inutiles. Je suis un de ces hommes qui , dans les occasions ordi- 
naires, ont à peine un désir à eux; et je suis obligé à ceux qui, 
comme ma femme et ma fille > prennent soin de m'éviter la peine 
d'exercer mon jugement. Mais quand le vaisseau est au milieu des 
écueils , et que le maître est appelé au gouvernail, ne croyez pas 
qu'il permette à une autre main que la sienne d'y toucher. Je ne 
souffrirai pas que ma fenmie et ma fille, auxquelles j'ai tout accordé 
dans la prospérité , contrarient ma volonté tant que je pourrai en 
avoir une. H est difficile que vous n'ayez pas compris que j'étais 
presque préparé à donner votre main, comme marque de ma sin^ 
cérité, à cet obscur Yarangien, sans lui faire une question sur son 
rang et sa naissance. Vous pourrez m'entendre tout à l'heure la 
promettre à un honmie qui a passé trois ans sous ces voûtés, et qui 
sera césar en place de^j^Brienne , si je puis le décider à accepter une 
princesse pour épouse, et une couronne impériale pour héritage/ 
au lieu d'un cachot froid et humide. 

— Vos paroles me font trembler, mon père .' Gomment pouvez- 
vous^vous fier à un homme qui a éprouvé votre cruauté ? — Corn* 
ment pouvez-vons imaginer que rien puisse vous concilier sincère- 
ment celui que vous avez privé de la vue. 

-- Ne t'en inquiète pas. Il sera à moi , ou il ne saura jamais ce 
que c'est que d'être encore à soi. Quant à toi , ma fille, sois assurée 
qne, si je le veux, tu seras demain l'épouse de celui qui est mainte- 
nant mon prisonnier, ou que tu te retireras dans le couvent le plus 
austère, pour ne jamais rentrer dans le monde. Garde donc le 
silence, attends ton destin, quel qu'il puisse être ; et n'espère pas 
qoQ tous tes eQortis puissent en détourner le cours. 



343 ROBERT, 

Après œ BingoUer dialogue » dans leqndi Teuiperedr ayait pria 
un ton que sa fillo n'atait jamais entendu » il paasti par plus d'miA 
porte fermée par de gros Terroos, tandis que la princesse Anoei 
d'an pas chancelant , l'édairait snr œtte rente ténébreuse. Enfin» 
il entra, par un autre passage, dnna le eachot où Urael était en» 
fermé , et il le trouya étendu sur son grabat, eroyant n'uTOir plus 
rien à attendre de ce monde ; car il a^ait perdu ks espérances tfan 
la yaleur indomptable du comte de Paris awt iait naître un instant 
dans son cœur. Ursel tourna ses yeux privés de lumière yers l'en« 
droit où il entendit des Terrons se mouroir, et des pas s'approcber* 

— Voilà un nouvel incident dans ma captivité, dit^il» <^ La 
marche ferme et assurée d'un homme, et le pas léger d'une Semme 
ou d'un enfont dont le pied touche à peine la terre» -^ Est«ce la 
mort que vous m'apportez ? -^ Groyeinnioi, j^i vécu assea long» 
temps dans ce cachot pour subir mon destin sans regret» 

— « Ce n'est point la mort, noble Urael , dit l'empereur en dégni* 
sant un peu sa voix; c'est la vie, la liberté, tout ce que le monde 
peut offrir, que l'empereur Alexis met aux pieds de son noble 
ennemi ; et il espère que de nomlnreuses années é& bonheor et de 
puissance, avec le commandement d'une partie considérable de 
l'empire, effaceront bientôt le souvenir des cachots de BlaqnemaL 

— Gela est impossible , répondit Und en soupirant ; celui aax 
yeux duquel le soleil est couché, même à midi , ne peut avoir riea 
à espérer du Rangement de fortune même le plus avantageux* 

"^ Vou» n'en êtes pas bien sûr, reprit l'empereur. PMMttes- 
tKms de vous convaincre que les intentions de l'empereur à votre 
^ard sont vraiment libérales , et j'espère que vous serex récott*- 
pensé de vos souffrances, en voyant qu'elles admettent plus de 
eoulagtmênt que vous n'êtes porté à le croire en ce moment. — 
Faiterun effort, essayez si vos yeux n'apercevront pas la daxé 
d'iltaéfknipe* 

— Faites de moi ce qntl vous plaira » dit Uftel ; Je n*ai ni Uttik 
de force de corps powt vous £iire des remontrantes, ni assez de 
courage d'esprit pour bmver votre cruautés Oui, je v<ois quelque 
chose comme la fueur d'une lampe; mais est-ce une réalité ou une 
illusion ? c^est ce qtie je ne saurais dire« Si vous venez me délivftr 
de ce sépulcre vivant, je prie Dieu de vous récompenser ^ ai votre 
dessein, sous ce prétesdië ttompéur, est de m'ôier la vie, je ne puis 
que recommanda Hsdij àmeau del» et làfeser IttVMgaanOêdettB 



COMTE DE PARIS. Hi 

ttiort entre les mains de cdtii àta yeux doquêl les ténèbrM im 
cachots les plus obscurs ne peoyent oacher les crimes. 

Le choc qu'avait éprouvé son esprit ne lai permit de donner 
ancttn autre signe d'existence. Il retomba sur son grabat, et ne 
prononça pas un seul mot pendant qu'Alexis le déchargeait du poids 
de ces chaînes qu'il avait portées si long»temps qu'elles semblaient 
presque s'être identifiées avec lui. 

— (7 est une affaire dans laquelle votre aide peut à pdne me 
suffire» Anne, dit l'empereur ; il eût été à désirer que vous et mol j 
en réunissant nos forces, nous eussions pu le porter en plein air; 
car il serait peu sage d'apprendre les mystères de ce cachet à eettx 
qui ne les connaissent pas encore. Au surplus, ma fille, reloutnez 
Bor vos pas ; à peu de distance au haut de l'escalier, vous trouverez 
Edouard , le brave et fidèle Varangien ; vous lui ferez paît de mes 
ordres, et il viendra ici pour m'aider . Ayez soin aussi de m^envoyer 
le médecin expérimenté Douban. 

Epouvantée, respirant à peine, et à demi saisie d'hoiteor, là 
princesse trouva quelque soulagement dans le ton un peu plua 
doux dont son père lui parlait. D'un pas chancelant > quoique un 
peu encouragée par la teneur de ses instructions, elle Temonla 
l'escalier qui conduisait dans ces .régions infernales. Gomme elle 
approchait des dernières marches, un corps opaque jeta son ombre 
entre elle et la lampe. Saisie d*une hrayeur presque mortelle à 
l'idée de devenir l'épouse d'un malheureux dans la situation eft se 
trouvait Ursel , un moment de kiblesse s'empara de l'esprit de lu 
princesse, et, en songeant à la triste alternative que son pkre avait 
placée devant ses yeux , elle ne put s'empêcher de penser que le 
vaillant et beau Varangien qui avait déjà sauvé la famifle royale 
d'un danger si pressant, lui conviendrait mieux pour époux, si elle 
était forcée à foire un second choix, que l'être nugulier et dégoàtaat 
<p^ la politique de son père était allée chercher dans le fciid daa 
ctcfaots du jÂlaisde Blaquernal. 

Je ne dirai pas que la pauvre Anne Gomnène, qui était «ne 
Asmme timide, mais non inseusible, eût accq>té cette prc^sitien, 
â la vie de son mari actuel, Nicéphore Brienne, n'eût été dans le 
plus grand danger ; mais l'empereur avait évidemment réscte, sPil 
épargnait ses jours, que ce ne serait qu'à eondition que la maiB^ki 
sa fille deviendrait libre , et qu'il pourrait la donner à qwfilqii'un 



344 ROBERT , 

grand désir de se montrer un gendre affectueux. Le plan de prendre 
le Yarangien pour second éponx n'entrait pas non pins précisé- 
ment dans l'esprit de la princesse. Elle se trouvait dans un moment 
de ci^se. Pour en sortir, il fallait une résolution prompte ; et peut- 
être ensuite trouverait-elle le moyen de se débarrasser d'Ursél et 
du Yarangien, sans priver son père des secours de l'un ni de 
l'autre, et sans se perdre elle-même. Dans tous les cas, le moyen 
de salut le plus certain était de s'assurer, s'il était possible, le jeune 
soldat, dont les traits et tout l'extérieur étaient de nature à ne 
pas rendre cette tâche désagréable à une belle femme. Les projets 
de conquête sont si naturels au beau sexe, que cette idée, qui ne 
s'était présoitée pour la première fois à l'esprit d'Anne Gonmène 
qu'à l'instant où l'ombre du jeune soldat s'était trouvée entre elle 
et la lampe, occupait entièrement son imagination vive, quand le 
.Yarangien, fort surpris de la voir paraître tout au haut des degrés 
conduisant à l'Achéron, s'avança avec un air de profond respect, 
fléchit un genou, et lui présenta le bras pour l'aider à sortir de ce 
sombre escalier. 

— Mon cher Hereward, dit la princesse avec un ton d'intimité 
qui semblait extraordinaire^ combien je me réjouis, dans cette 
soirée épouvantable, de m^ trouver sous votre protection ! Je viens 
d'entrer dans des lieux que les esprits infernaux semblent avoir 
construits eux-mêmes pour la race humaine. — Les alarmes de la 
princesse, le ton familier naturel à une belle femme, qui, frappée 
d'une frayeur mortelle, cherche, comme la colombe etErayée, un 
refuge dans le sein d'un être fort et courageux, doivent servir 
d'excuse à l'épithète un peu tendre qu'Anne Comnène adressa an 
Yarangien. Et, pour dire toute la vérité , s'il lui eût répondu sur 
le même ton, — ce qui, tout fidèle qu'il était, aurait pu lui arriver 
si cette entrevue avait eu lieu avant sa rencontre avec Berthe, — 
la fille d'Alexis n'en aurait pas été mortellement offensée. Se trou- 
vant épuisée de fatigue , elle laissa reposer sa tête sur la large 
poitrine et sur l'épaule de l'Anglo-Saxon ; et elle ne fit aucune 
tentative pour changer de position , quoique le respect dû à son 
sexe et à son rang semblât exiger d'elle cet effort. Hereward fat 
obligé de lui demander, avec le ton calme et respectueux d'un 
soldat parlant à une princesse, s'il n'appellerait pas ses femmes. 
. — Non, non I lui répondit-elle d'ane voix fedhle. Mon père m'a 
donné des devoirs à remplir, il faut que je m'en acquitte, et je dois 



œHTE DE PARIS. 34« 

le faire sans témoins. — Il sait que je snis en sûreté, Hereward,. 
puisqu'il sait que je sois avec vous* Mais» si je snis nn ferdean ponr 
TOUS, dans mon état de faiblesse » placez-moi sur les marches de 
marbre de cet escalier, et je reidendrai bientôt à moi. 

— : A IMea ne plaise, Madame, dit Hereward, que je néglige ainsi 
la santé précieuse de Votre Altesse. Je vois vos deux jeunes dames 
Aatarté et Violante qui vous cherchent. Permettez-moi de les ap- 
peler, et je veillerai sur Tons, si tous êtes hors d'état de vous re- 
tirer dans TOtre appartement, où je crois que vous recevriez plus 
aisément les soins qu'exige l'agitation de vos nerfs. 

—Fais ce que tn voudras, Barbare, dit la princesse avec nn 
certain, degré de dépit , venant peut-être de ce qu'elle pensait que 
la soène ne demandait pas nn plus grand nombre de personnages 
que les deux qui occupaient déjà le théâtre. Semblant alors se rap- 
peler ponr la première fois la. mission qu'elle avait reçue de son 
père, elle ordonna an Varangien d'aller 1 e trouver sur*le-champ. 

£q de semblables occasions, les moindres circonstances pro- 
duisent de l'effet sur les acteurs. L' Anglo-Saxon sentit que la prin- 
cesse était un peu piquée; mais étaitn^e parce qu'elle se trouvait 
positivement dans les bras d'Hereward, on parce que la cause de sa 
colère était sur le point d'être découverte par les deux jeunes 
fiUes? c'est sur quoi il n'eut pas la présomption de hasarder une 
conjecture. Il partit pour aller joindre Alexis sons les voûtes té- 
nébreosesy sa hache fidèle, &tale à bien des Turcs, brillant sur son 
épaule. 

Astarté et sa compagne avaient été chargées par l'impératrice 
Irène de chercher Anne Comnène dans les appartemens du palais 
qu'elle avait coutume d'habiter. Elles n'y trouvèrent pas la fille 
d'Alexis ; et pourtant l'impératrice leur avait dit que l'affaire pour 
laquelle elle la faisait chercher était de la nature la plus urgente. 
Mais conune rien n'échappe entièrement aux observations dans un 
Palais, les messagères de l'impératrice apprirent enfin qu'on avait 
TU leur maîtresse descendre avec l'empereur ce sombre escalier 
cottdaisantaux cachots, que, par une allusion classique aux régions 
infernales, on appelait le puits de l'Achéron. Elles en prirent donc 
le chemin, et nous avons déjà rapporté ce qui çuivit. Hereward 
crut devoir leur dire que Son Altesse Impériale s'était évanouie en 
respirant subitement le grand air. De son côté, la princesse se 
débarrassa bientôt de ses jeunes suivantes en leur disant qu'elle 



Ht ROBERT, 

allait to MndM dans rftppunemeiil de êa mèreé Le salat (^'eUe 
fli i Hertward en le quittant ayait qnelqne ohose de haatain, qaoir 
qn'il Ait éyidemamit adond par on regard d'affection et de bonté. 
En traversant une chambre dans laquelle se trouTaiebt quelques 
«iolaTaa de l'empereur, attendant ses ordres, elle s'adressa à l'un 
d'eu, vieillard vënérablè, instruit en médecine, et lui donna, à 
voix basse et à la hdte, l'ordre de se rendre près de son pèrei qnll 
trouverait au bas de Tesealier appelé le puits de l^Achéron, et de 
prendre avec lui son cimeterre. Suivant l'usage, entendre était 
obéir ; et Donban , oar tel était son nom » ne lui répondit que par 
ee signe expressif qui annonce l'obéissance immédiate. Anne Gom- 
nène se hfita alors de gagner les appartemens de sa mère, oùeSe 
trouva l'impératrice seule. 

««-Sortez, Mesdames, dit Irène, et ne laissez entrer ioi personne, 
quand l'empereur lui-même le commanderait. Fermes la porte, 
Anne Gomnèoe» ajouta-t-elle. Si la jalousie du sexe qui est leplos 
fcrt ne nous accorde pas le privilège, que se réservent les hommes, 
d'avoir des verrous et des barres de fer pour nous enfermer dans 
^intérieur de nos appartemens, profitons aussi prompiementqnil 
est possible des occasions que nous pouvons trouver. Sonvenet 
vous, ma fille, que, quelque impérieux que soient vos devoirs i 
l'égard de votre père, ils le sont encore plus envers moi, qui sois 
du même sexe que vous , et qui puis vous appeler avec vérité, et 
•même à la lettre , le sang de mon sang et les os de mes os. Soyez 
sûre que votre père, en ce moment , ne connaît rien aux sentimens 
<f une femme. Mi lui ni aucun homme au monde ne peuTentse&ire 
«le idée juste des angoisses du cœur qui bat sous les vétemens de 
notre sexe. Ces hommes, ma fille > rompraient sans scmpul^^^ 
plus tendres nœuds de l'affection, et renverseraient sans pitié toat 
l'édifice du bonheur domestique, dans lequel se trouvent concen- 
trées toutes les sensations d^une femme, sa joie, sa douleur) son 
amour, son désespoir. Fiez-vous done à moi, ma fille ; et, croy»- 
moi, je sauverai la couronne de votre père , en même temps qw 
j'assurerai votre bonheur. Votre époux a eu des torts , des torts 
épouvantables; mais il est homme, Anne, et, en lui donnant ce 
nom , je lui impute , comme des défauu inhérens à sa nature, nnc 
trahison inconsidérée, une folle inconstance, toutes les espèces de 
sottises et d'inconséquences auxquelles sa race est sujette. Voos i>^ 
devejfc done pas songer à ses fentes, àmoins que eeneswtpwff^ 
lui pardonner. 



GOMTB DE PARIS. <4T 

--Ifadaiiie) r^ondit Anne Coninène f exentè^moi si jb ymis 
rappelle qne Yons recommande! à aneprmcesienéeduislàpoarpra 
m genre de oondnite qm siérait à peine à la femme qni porte la 
crache pour aller ohèroher à la fontaine dn village l'eau dont elle 
a besoin pour sa famille. Tout œ qnim'entovre a appris à mepor« 
ter le re^iect dû à ma naissance; et quand ce Nieéphore Brienne 
nunpMt snr ses genonx pour prendre b main de yotre fille, qne 
TOUS Ini présentiez y il recevait le jong d'une maîtresse plutôt qu'il 
te coatraotait une alliance domestique aveo une épousOè II s'est 
«xposë à son destin» sans avoir l'ombre même de ces excuses que 
des criminels d'un rang inttrienr pourraient alléguer en leur fe« 
Tenr. Si la volonté de mon père est qu'il subisse la mort, l'exil ou 
l^uaprisoimemmity oe n'est point a Anne Gomnène à intervaiir, 
puisque; de toute la ftimille id^ériale» c'est elle qui a reçu le plue 
d'injoresy et qui a» sous tant d'indignes n^orts, le plus de Âroit 
dese pfaûâdre de sa busseté. 

^ Ala fille» rqnrit l'impératrice, je conviens avec vous que là 
trahison de Nieéphore envers votre père et envers moi est im» 
l^oanable, et je ne vois pas d'après quel principe» si ce n'est 
odai de la générosité» sa vie poutrait être épargnée. Mais vous êtes 
^ ans positioii difiMrente de la miMine, et vous pouvez, comme 
épouse tendre et afifectuense, comparer l'intimité de vos anciennes 
'^ons avec lui» avec le changement sanglant qui doit être si 
pnNnptement la suite et la conclusion de ses crimes. 11 possède cet 
tttérieor et ces traits dont les femmes cimservent aisément le sou* 
mirp^da&tb vie et après la mort de celuiqu'ellesont aimé. Son^ 
gez à ce qu'il vous en coûtera quand vous vous rappellerez qu'un 
^exécuteur a reçu ses derniers adieux; qu'un bloc dur a été le 
'^■^'ÛBr lien de repos d'une si belle tâte ; que sa langue» dont le son 
tous semblait préférable à celui des plus doux instrumens de mu« 
^^e» à jamais muette» « roulé dans la poussière. 

^e» qni n'était nullement insensible aux grâces extérieures 
^ son époux » fat vivement émue par cet appel à son cœur. -^ 
^oarquoi me désoler ainsi» ma mère ? répondit<-elle presque eu 
plearanù Si je ne sentaû pas aussi vivement que vous le désirez » 
^ moment» quelque cruel qu'il soit» me semblerait facile à suppor- 
ter. Je n'aurais qu'à penser à ce qu'il est^ à comparer ses dons 
P^tounds avec les vioes de son cœur» qui l'ettiponent de htm^ 



348 ROBERT, 

coup dans la balanoe, et je me résignerais à son soit mérité ayec 
nne entîète sonmissicm aux Yolontés de mon père. 

— Et par ce seul fait vous vous troayeriez liée aa destin de 
qnelqne obscor parrenn, à qui ses halntndes d'intrigoes et ses mas- 
œnyres auraient , par un malheareax hasard, fourni l'occasion 
de se rendre important anx yeux de l'emperenr, et qni par consé- 
quent devrait en être récompensé par le don de la main d'Anne 
Gomnène. 

— Ne me croyez pas des sentimens si bas, Madame. Je sais, anssi 
bien que le sut jamais ancone Grecque, le moyen de me soustraire 
au déshonneur. Vous pouvez vous fier à moi: vous n'aurez jamais 
à rougir de votre fille. 

— Ne me parlez pas^ ainsi , Anne ; car je ne rougirais pas moins 
de la cruauté implacable qui abandonnerait à une mort ignomi- 
nieuse un époux autrefois chéri, que de la passion monstmense qui 
voudrait le remplacer par un Barbare obscur venu de l'extrémité 
de Thulé, ou par quelque misérable échappé des cachots dn pa- 
lais de Blaquernal. 

La princesse fut surprise de voir que sa mère connût les projets, 
même les plus secrets, que son père avait formés en cette occa- 
âoUé Elle ignorait qu'Alexis et Irène, vivant ensonble, sons d'antres 
rapports, avec une harmonie toujours exemplaire dans des per- 
sonnes de leur rang , avaient quelquefois , dans des occasions im- 
portantes, des querelles domestiques dans lesquelles le mari, provo- 
qué par l'incrédulité apparente de l'épouse, était tenté de Ini lais- 
ser deviner une plus grande partie de ses desseins réels qu'il n'ar 
rait voulu le faire s'il eût été de sang-froid. 

Anne Gomnène était vivement émue par le tableau qui avait été 
mis sous ses yeux de la mort prochaine de son époux , et il était 
difficile qu'il en fût autrement ; mais elle fut encore plus piqnéeet 
pins mortifiée que sa mère pût regarder comme une chose sure 
qu'elle eût dessein de remplacer sur-le-champ le césar par nn suc* 
cesseur dont le choix était encore incertain , et ^ dans tons les cas, 
indigne^ d'elle. Quelles que fassent les considérations qui dans le 
premier moment l'avaient décidée à faire d'Hereward l'objet de ce 
choix, l'effet en fut perdu quand cetteunion fut placée sous ce point 
de vue odieux et dégradant. D'ailleurs , il faut se rappeler qn'm 
sorte d'instinct porte les femmes à nier les premières pensées 



COMTE DE PARIS. 349 

qa^eUes donneiit à on amant , et que rarement elles les Térhleat de 
leur plein gré y à moins que le temps et les circonstances ne con- 
courent à les favoriser. Elle prit donc Tivement le ciel à témoin , 
tandis qa'elle repoussait cette accosation. 

— Soyez-moi tànoin» Notre-DamOi reine dn ciel, s-écria-t-elle; 
soyez-moi témoins , saints et martyrs , et vous tons » bienhemrenx, 
qui êtes , plas qae nons-mémes , les gardiens de notre pureté men- 
tale, que je ne connais aucune passion que je n'osasse avouer ; et 
tpe, si la vie de Nicéphore dépendait de mes prières au Dieu des 
hommes y toates les injures que j'ai reçues de lui seraient méprisées 
et oubliées : cette vie serait aussi longue que celle que le ciel a ac- 
cordée à ceux de ses serviteurs qu'il a enlevés de la terre sans leur 
faire souffrir les angoisses de la mort. 

— Vous aveâs fait un vœu hardi ^ dit Irène; songez à tenir 
Totre parole, Anne Gomnène; car, croyez-moi , elle sera mise à 
répreuve. 

— A l'épreuve y ma mère 1 — - Comment ! Est-ce à moi de pro- 
noncer sur le sort du césar, qui n'est pas soumis à mon pouvoir? 

— Je vais vous le faire savoir, répondit l'impératrice d'un ton 
^ave, et, la conduisant vers une espèce de garde-robe formant un 
cabinet dans l'épaisseur du mur, elle tira un rideau qui en couvrait 
l'entrée, et lui montra son malheureux, époux Nicéphore Brienne , 
à demi vêtu et tenant en main un sabre nu. Le regardant comme 
on ennemi, tandis que sa conscience lui rappelait quelques pro- 
jets qu'elle avait formés contre lui pendant le cours de ces troubles, 
la princesse poussa un faible cri en le voyant si près d^elle , une 
^nne à la main. 

— - Soyez plus calme, dit l'impératrice, ou ce malheureux , s'il 
est découvert, sera victime de vos craintes frivoles aussi bien que 
de votre cruelle vengeance. 

Ce discours parut avoir appris à Nicéphore ce qu'il avait à faire ; 
car, baissant la pointe de son sabre, il se mit à genoux devant [la 
princesse, et joignit les mains en implorant sa merci. 

'- Qu'as-tu à me demander ? dit Anne, naturellement s^urée, 
par Fhumiliation de son époux, que la force était de son côté; 
Vi'as-tu à me demander que la reconnaissance outragée, l'affec» 
^on trahie, les vœux les plus solennels violés» et les plus tendres 
liens de la nature brisés comme la faible toile de l'araignée, puis» 
s^t te permettre d'exprimer sans honte ? 



«10 ROmSRT» 

-^ Us MqqjiOae point» Ahm» répoojdit le céatr «q^ilMAt» qii'«i 
ce mometti oritique de ma vie je veeiUe jouer le rdle â'hypoovite 
pour BMiTer le misérable reste d'une existenoa dédioiVHrée i moa 
aeal déiir est de me séparer de toi sans être l'objet de U baine, 4e 
{ûre ma paix avec le eiel et de nourrir le dernier espoir de poa- 
Toir ma rendre» qooiqae chargé de bien des orimes» dans ces con* 
trées qui sont les seules où je poisse trouTer ta beauté et tes ta* 
lens égalés du moins , sinon surpassés. 

-^ Vous l'entendez» ma fille» dit Irène s votre situatioii as rap* 
proche de celle de la Divinité» puisque vous pouvea i^outer la lù* 
reté de sa vie au pardon de ses fieiutes. 

•^ Vous vous trompez, ma mère ; il ne m'appartient pas de Im 
pardonner son crime, encore moins de lui en remettre la peine. 
Tous m'avea apprise m'envisager comme les siècles futurs me con- 
nattront i que diront»ilsdemoi » quand je serai r^résentée comme 
une fille insensible» ayant pardonné à celui qui avait dessein d'être 
le meurtrier de son père» parce qu'elle V03^t en lui un époux in* 
fidèle? 

-i* Voyez t s'écria le césar, voyez, sérénissime impératrice 1 
n'est-ce pas le comble du désespoir? N'ai-je pas inutilement offert 
tout mon sang pour eCEacer la tache du parricide et de l'ingrati- 
tude? Ne me suis-je pas justifié de la partie la plus impardonnable 
de l'accusation , celle qui m'imputait d'avoir conspiré contre les 
jours du divin empereur ? M'ai-je pas fait serment , par tout ce qu'il 
jr a de plus sacré pour f homme» que mon projet n'allait pas plus 
loin que de délivrer Alexis, pour quelque temps, des fatigues de 
l'empire, et de le placer dans un lieu où il pourrait se livrer au re- 
pos et à la tranqmliité, tandis qu'il n'en continuerait pas moins à 
gouverner imj^itement ses Etats , ses ordres sacrés étant trans- 
mis par moi , comme |^ils l'ont toujours été en tout temps et à tous 
égaidsP 

«-" Homme insensé i dit la princesse» toi qui ^es aj^rodié de fi 
près du pied du trône d' Alezis Comnène » as4u osé concevoir de loi 
ime assez fimsse idée pour croire qu'il fikt possible qu'il consentît à 
n'être qu'une marionnette, à l'aide de laquelle tu réduirais son am- 
pire à la soumission? Sache que le sang des Gomnèi» n^est pas ai 
vil : mon père aurait résisté à la trahison , les armesàk main, et 
•ee n'eût été que par la mort de ton Inenfûteur que tu aurais pu 
satisfaire les désirs de ton amUtion criminelle. 



GOMTK m PARIS. Stt 

r^A'Tiraapennigde le «roûre» répMdîl U céMor; î-waidit 
assez pojur une yie à laquelle je n^attache et ne dois altMhffr aaoïm 
prii« Appelez ¥08 gardes, el oidoiiMaf»lear d'ftier Itioarà Vinior- 
toné Brienne I puisqu'il est démena odiwx à kaarn Gamuàne qu'il 
a taat cbérie. Ife eraignei p«i que î'eppoie une résiatanea qui 
rendedouteuse ou &tale mon arrestation. NioéphAru Brienne n'eal 
plus césar» et il dépose ainsi aux pieds de se prineesso» de son 
épouse» le s^ul et faible moyen qui lui reste pour résister à 
rexécntion de la juste sentenee qu'eUe Tendra prononeer eantrt 
lui. 

11 plaça son sabre aux piedi de la princesse» tandis qu'trènes'é» 
cria en pleurant ou en feignant de pleurer smèroneni: ^ J'ai lu 
de pareilles scènes , mais aurais«je pu jamais croire que ma propre 
fille aurait joué le principal rôle dana une tragédie semblable? 
A^oraisjo pu jamais penser que son ame» que cbaoun admire 
comme un temple digne d'être hakité par ÂpoUcm et les Muses, 
n'aurait pas offert une |dace pour y admettre les Tertns plus 
hombles , mais plus aimables dans une fenmie, de la compassion 
et de la charité , vertus qui trouvent un asile dans le sein de la 
plus pauvre paysanne? Ta science , tes talens , tes connaissances , 
en polissant ton esprit » ont-elles done endurci ton cœur? Si cela 
est, il vaudrait cent fois mieux renoncer à tous ces avantages , et 
ooQser?er à la place ces vertus douces et domestiques qui sont les 
plus honorables pour le cœur d'une femme, La femme sans pitié 
est on monstre pure que celle à qui toute autre passion bit oublier 
son sexe« 

-*Que voulez-vous que je fasse? s'écria Anne. Vous devez sa> 
Toir mieux quamoi, ma mère, que la viede mon père est àpeine 
compatible avec l'existence de cet bomme audacieux et cruel* 
Oh 1 je suis stfre qu'il médite encore son projet de conspbnh 
tioQ l Celui qui a pu tromper une femme de la manière qu^il m'a 
trompée ne renoncera pas à un plan fende sur la mort de son 
bienfaiteur. 

-^Yous êtes injuste enveramoî y Anne, dit Brîemiey se relevant 
i^'uqaement, en lui inqurimant «i bwer sur les lèvres avant 
qu'elle eût le tempe de s'apercevoir de son intention. Par ce bai* 
^9 le dernier peut-être que je vous aurai dimné, je jure qv^ 
V^lqoea folies que je puisse avoir c^é dans ma vie , je n'ai ja« 
i>^ été aoupaUe datrabiscitt de ecmir envov mM femme aussi s«- 



352 ROBERT, 

périeore à tontes les antres par ses connaissaiices et ses talcmsqae 

par sa beaaté. 

— Ah I Nicéphore 1 répondit la princesse en secouant la tète , 
mais d'nn ton fort adonci ; telles étaient jadis yos paroles ; telles 
étaient pent-ôtre alors vos pensées ; mais qui m'en garantira an- 
jonrd'hni la sincérité ? 

— Ces talens mêmes , cette beauté môme » dit Nicéphore. 

/ — Et, si ce n'est pas assez ^ ajouta Irène , votre mère loi ser- 
Tira de caution. Et ne croyez pas cette caution insuffisante ims 
cette affaire ; je suis TOtre mère, je suis épouse d'Alexis Gomnène, 
et j'ai plus d'intérêt que qui que ce soit à l'accroissement du pon- 
Yoir et de la dignité de mon époux et de ma fille ; mais je Tois ici 
l'occasion d'exercer un acte de générosité , de cicatriser toutes les 
blessures de la maison impériale , et de placer l'édifice du gouTer- 
nement sur une base désormais inébranlable , s'il existe dans 
l'homme de la bonne foi et de la reconnaissance. 

— n faut donc , dit la princesse > que nous accordions une con- 
fiance implicite à cette bonne foi et à cette reconnaissance , puis- 
que telle est yotre volonté , ma nière y qmuque les connaissances 
^e m'ont données » sur ce sujet , l'étude et l'expérience du monde 
ni'aient portée à vous faire remarquer l'imprudence de cette con- 
duite. Mais y quoique nous puissions pardonner à Nicéphore ses 
erreurs , ce n'est pourtant qu'à l'empereur qu'il appartient défini- 
tiv^neni d'accorder pardon et grâce. 

— Ne craignez rien d'Alexis ^ répliqua sa mère. Il parlera d'an 
ton ferme etdécidé; mais^ s'il n'agit pas à l'instant même où il prend 
sarésolutioui on ne doit pas compter sur lui plus que sur un flocon 
de neige pendant le dégel. Apprenez-moi ^ si vous le pouvez , ce 
que fait en ce moment l'enq>ereur , et je vous promets que je trou- 
verai le moyen de le ramener à notre opinion. 

' — Dois-je donc trahir des secrets que mon père m'a confiés? 
demanda la princesse , et en présence de celui qui était naguère 
son ennemi déclaré ? 

-— N'appelez pas cela traMson , dit Irène , pubqu'il est écrit , 
Tu ne trahiras personne , à plus forte raison» ton père et le père 
de tout l'empire. Cependant on^ trouve aussi écrit dans saint Lac 
que les hommes seront trahis par leurs pères et leurs frères, par 
leurs parens et leurs amis » et> par conséquent , sans doute aussi 
par leurs filles. Mais je veux seulement dire par là que vous ne 



COMTE DE PARIS. ^58 

déoMinirez des secrets de YOtre père qae ce qu'il faut qae nous en 
connaissions ponr pouvoir sanyer la vie de votre mari. La néces^^ 
shé excnse ici ce qui, dans d'antres drconstancesi pourrait être re- 
gardé oomme irrégulier. 

— Soit, ma mère. Ayant consenti , peut-être trop aisément , à 
dérober un malCûteur à la justice de mon père , je sens que je dois 
pourvoir à sa sûreté par toua les moyens qui sont en mon pouvoir. 
-^ J'ai laissé mon père au bas de Tescalier qu'on nomme le puits 
de l'Achérim, dans le cachot d'un aveugle qu'il a nommé Ursel. 

— Sainte Marie i s'écria l'impératrice, vous avez nommé un 
homme dont le nom n'a pas été prononcé en puMic depuis bien 
long-temps. 

— La crainte des dangers ^'il court de la part des vivans , dit 
le césar, a-t-elle porté l'empereur à évoquer les morts? — 11 y a 
trois ans qu'Ursel a cessé d'exister. 

— N'importe , reprit Anne Comnène , je vous dis la vérités Mon 
père , il n'y a qu'un instant , était en conférence avec un misérable 
prisonnier qu'il nommait ainsi. 

— C'est un* danger déplus, dit Nicéphore. Ursel ne peut avoir 
oublié le zèle avec lequel j'ai embrassé la cause de l'empereur ac* 
tuel contre la sienne; et, dès qu'il sera en liberté, son premier 
soin sera de s'en venger. II faut tâcher de prendre des précautions 
à cet égard , quoique cette circonstance ajoute à nos diffioultés« — 
Asseyez-vous donc, ma bonne et bienfaisante mère; et toi, ma 
chère Anne , qui as écouté ton amour pour un indigné mari , de 
préférence aux conseils de la jalousie et de la vengeance, assieds- 
toi, et voyons de quelle manière il peut être en notre pouvoir , 
sans manquer à ce que vous devez à l'empereur, de faire entrer 
en sûreté dans le port notre navire avarié. 

Ce fut avec toute la grâce qui lui était naturelle qu'il conduisit 
la mère et la fiUe à leurs sièges , et , se plaçant entre elles avec un 
air de confiance, ils furent bientôt occupés tous trois à concerter 
les mesures qu'il faudrait prendre pour le lendemain, n'oubliant 
pas celles qui auraient en même temps pour but de sauver la vie 
du césar, et de mettre l'empire grec à l'abri de la conspiration dont 
il avait été le principal instigateur. Brienne ce hasarda à donner 
à entoidre que le mieux serait peut-être dé laisser marcher la con- 
spiration suivant le premier projet qui en avait été formé, s'obli- 
geant sur son honneur à regarder les droits d'Alexis comme sacrés 

a3 



$ki ROBEOT . eows^: m i&^s. 

IMiidiUKi; €#ttf ]moi wm «ouûifliwDfif «KT l'iow^r^t^ilA'^fwr;» 
fille q'alla pa# jofqii'^ cm aVtwûr iim «9i^fiMea «i ^too^nfi* EUof 
I9Î reftuèr«i^ poçvUîvemeiit b pmniww 4e qi^mx te^prim» «I 

de prendre la moindre part aux scènes 4^ qonfîm^i^ 4mt h-i^ 

fmj9n% deyait eertainenumt dtr» témm» 

. ^ Vous oubliez , nobles JMuae^ > dî( 1^ césar, que laoq. H^^f^r 

MigQ q«9 je me irooye faoe à &ce ayeo U 6omi# 4e Pftiis^ 

rr-^ ffe me parlez pas do voire beoftCW» Bmnwi 4U Afllie.Gam- 
lihw. Ne sai^je pas <{ue, si Tbomuiiir do €«9 «b^v^liors da^POép 
ddimt est mie espèce de Moloeh , un dâmteiv qm se Tepml de chair 
hnmaioe et qii s'abrenye de saof 1 celid dfnt .1^^ gia^mer» d^ 
l'Orient sont esclayes , quoique aussi bruyant dans ujift uÙWp sA 
beaucoup meîas impbu^able sur le cba»p da bs^t^e i Ne y^faima- 
giuQ) pas qu'après ayoir pardonné tant d^f^jur^ et d'ipçulie^,]^ 
consente à prendre en paiement une fau43e m<HUiai^ c<Mnme Pknt 
niVTs Votre esprit eat bien pauvre si ye«a ne poaye^ trouver qpëlque 
eascoee qui puisse satisfaire l^s Grecik. .I>e boime toi « Pçiequç»^ 
ce soit pour votre bien ou pour votr.e waI » vous n'irez pa^ à œ ^Sim- 
bat. Ne croyez pas que je coài^^te à ce que voas ay^ une rencontre 
«veo comte on comtesse > soit par mi combat , seit^i^ W^ en- 
trevue amoureuse. Ainsi, et en vu mi^> vous pouvez vQpsiiag^lPitor 
comme prisonaiw ici jusqu'à ce que Tbioure fiiL^ftptonruue t^ 
lolie soit pQSsée. 

M oésar^ au fpud du cceur, n'était peutrétre pas fâché ^(^ 9^ 
femme exprimât sou boa plaisir d'une manière si feiimo* fttseprQ- 
fonçât si poaitivemm)t contre le combat projeté» — Si vou&^w 
j'ésolu , lui dit*il > de vous charger du soin de mou houneur » je.sais 
ici eu ce moment votre pri^onmw, et j^ n'ai pas le mayea 4c coq* 
trevenir à votre volonté» Quand jeserai uuefoii eu liberté» j^ferai 
de mu lance et de ma valeur rusefe que je Droûras euuvciMlbie» 

T^ Soit, sire paladiu, répendit lapriueasse d'uu doK fert c$^; 
i'ai grande espérance que ni Tùne ni l'autre ue v#us entraîu^wt 
dauA une quereUe aveu c^êfi^i^àfbmf de Paris , seîk meia «ait k- 
ineUe, et que nous apprécierons le degré devetre cew^pd d'après 
les priaci^ de la philosophie grecque et fe jugemmt du Netars- 
Dame de merci , et non des JLauoes»Biomf ues. 

Un coup, fra]^àlaporte4nceuimncBfta'»QeiMrîté,;«teW 

4e «ésur et les duux dames ail milieu du kw cttflAliati^ 



i 



( 






CHAPITRE XXVn. 



"W ^fi%V^ ronflawmait di^ «'test «mo^ 
tfais II n'est pAsencoK de toat danget iùità ; 
Pries-le de rentrer ; et que rien ne l'agite 
Jusqu'à ce qoe l'on Toie au transport qui rifrite 

SaAKSPBABS. 



t 

Nopi» ayons laissé rempereor Alexis Comaène ^a fond d'au ça- 
çhox 90iitç;craui, avec ui^e lampe sur le point d'expirer , et à côté 
d'un prisonnier qui semblait lui-même arrivé an terme de son exis- 
tence* — Pendant les d^nx ou tipoiç premiers momei^j^ Alexis 
écouta le bruit de^ |»as de s^ fille qui s'éloignait. Il dennt impa* 
tient, et il commença à désirer son retour avant qu'il fût possible 
qu'elle eût tranrersé l'espace qui se trouvait entre lui et le liaut dç 
l'escaUer ténébreiu. Pendant une couple de mûpiutes il endura avec 
patience ^absence des^ secours qu'il l'avait envoyée chercher. 
D'étranges soupçons commencèrent alors à ^ présenter à son 
imagina^on. Avai^elle changé de dessein à cause do la divreté 
avec laquelle il lui savait parlé? Avait-elle résolu d'abandonner 
^on.pçre ^ son destin »^ au moment de la. plus grande détresse? Ne 
devaivil plçi^ con^ipter sur les secours qu'il l'ayait chargée, de l^i 
procurer? 

(•es inatsuAs ^ue la princesse perdît ea se livrant 91 une sorte de 
coquetterie avec le Yarangien Hereward parurent à l'impatience 
de l'eiop^eur dix fois plus longs qu'ils ne Tétaient ,, et il commença 
à pens^ qu'elle était Ml^e chercher les coi^pUces du césar pour 
att^^e^ leur Aoqyer^i^ tandis qu'il ^ pouvait sfUà& défense , et 
faire réussir ainsi ^e\ir cosispirs^tion. 

^près un temps assez considérable, qui fut rempli par C9 sen- 

tunçnt ^'incffftitu^e déi^espé^^ntCi il commej^ça enfin à reprendre 

quelque calme , et à songer combien il était peu probable ^e la 

. pni;icesi|fB> mêmep^r égard pour elle ^^ tout entière au ressentiment 

tp^ç \ij^ ûpi/spir^t l^ o^auYaise conduite dç sçamari^ vouHât un^r 1^ 

a3. 



356 ROBERT, 

efforts à ceax da césar pour assurer la perte d'un prince qpi ayait 
toujours été pour elle un père affectueux et indulgent. Quant il eut 
adopté cette &çon de^ penser plus raisonnable, des pas se firent 
entendre sur l'escalier, et après en avoir descendu les marches 
nombreuses, Hereward, avec sa lourde armure, arriva enfin au 
bas des degrés. Derrière lui marchait Douban , Tesclaye savant 
en médecine, haletant, et tremblant de froid aussi bien qae de 
terreur. 

— Tu es le bienvenu , brave Edouard , dit Alexis ; et toi aasd , 
Douban , dont la science en médecine est en état de contre-balancer 
le fardeau des années qui pèsent sur toi. 

— Votre Altesse a beaucoup de bonté , dit Douban , — mais ce 
qu'il voulait ajouter fut interrompu par un violent accès de toux, 
suite de son âge, d'une constitution faible^ de l'humidité du 
cachot, et de la fatigue qu'il avait eue à descendre un long escalier 
escarpé. 

— Tu n'es pas accoutumé à visiter des malades dans un pareil 
séjour, dit Alexis, et pourtant Mes raisons d'Etat nous obligent à 
renfermer dans ces sombres cachots des gens qui ne sont pas moins 
en réalité que de nom nos sujets chéris. 

Le médecin continua à tousser, et peut-être était-ce pour se dis- 
penser de donner un assentiment que sa conscience ne lui permet- 
tait pas aisément d'accorder à une observation qui , quoique par- 
tant d'un honune qui devait parler avec connaissance de cause, ne 
paraissait pas en elle-même tout- à-fait vraisemblable. 

— Oui , Douban , reprit l'empereur, c'est dans ces mnrs solides 
de marbre et de fer que nous avons trouvé nécessaire d'enfermer 
le redoutable Ursel, dont la renommée a fait connaître an monde 
entier la science militaire, la sagesse politique, la bravoare per^ 
sonnelle, et d'autres nobles qualités que nous avons été obligé d'en- 
sevelir quelque temps dans les ténèbres , afin de les remontrer an 
grand jour dans tout leur lustre en temps convenable; et le mo- 
ment en est arrivé. — Tâte-lui donc le pouls, Douban , et traite-le 
comme un homme qui a subi nne détention rigoureuse avec tontes 
les privations qui en sont la suite, et qui est sur le point d'être 
rendn tout à coup à la pleine jouissance de la vie et de tout ce qni 
peut la rendre précieuse. 

— Je. ferai de mpn mieux ; répondit Douban; mais Votre Ma- 
jesté doit faire aUention que uous ayons à travailler sur un sujet 



COMTE DE PAWS. 357 

faible et épuisé , dont la santé paraît presque absolument délabrée, 
et qui par conséquent peut s'éteindre en un moment, comme cette 
lumière pâle et tremblante, dont la clarté précaire ressemble beau- 
coup au souffle de yie qui reste à ce malheureux. 

•^ Fais donc Tenir, Donban , quelques-uns des muets qui servent 
dans l'intérieur du palais , et qui t'ont plusieurs fois aidé dans des 
circonstances semblables. — Attends I -— Edouard , tu auras les 
mouTemens plus prompts ; va chercher les muets. Dis-leur d'ap- 
porter une litière pour transporter le malade. — Douban y tu 
veilleras sur lui. — Fais-le placer sur-le-champ dans un apparte- 
ment convenable , mais en secret. Fais-le mettre au bain; donne- 
lui tous les secours qui peuvent ranimer ses forces , n'oubliant pas 
qu'il faut , s'il est possible , qu'il paraisse demain en public. 

— Cela sera difficile. Sire, après le régime et le traitement 
qu'il a subis , et que la faiblesse de sop pouls n'indique que trop 
clairement. 

— C'est une méprise du gardien de la prison , un monstre d'in- 
humanité qui en aurait reçu le châtiment, si le ciel même n'y eût 
déjà pourvu par l'entremise étrange d'un homme des bois , Sylvain, 
qui a mis à mort hier ce geôlier à l'instant où il voulait massacrer 
son 'prisonnier. — Oui, mon cher Douban, une sentinelle de nos 
gardes a failli renverser hier cette tige précieuse , que nous étions 
forcé de garder dans un lieu secret pendant un certain temps. C'eût 
été un marteau grossier qui eût mis en poudre un brillant sans 
égal ; mais le destin a prévenu un tel malheur. 

Les muets étant arrivés , le médecin, qui semblait plus habitué 
à agir qu'à parler, fit préparer un bain avec des herbes médici- 
nales , et prononça que le malade ne devait pas être troublé jusqu'à 
ce que le soleil se montrât sur l'horizon. Ursel fut mis dans le bain ^ 
préparé suivant les ordres du médecin , mais sans paraître s'en 
trouver beaucoup mieux. De là on le porta dans une belle chambre 
à coucher, ayant une grande porte vitrée s'ouvrant sur une des 
terrasses du palais , d'où l'on avait une vue fort étendue. Tou$ ces 
soins étaient donnés à^ un corps tellement anéanti par ,les souf- 
frances, tellement mort aux sensations ordinaires de l'existenije, 
que ce ne fut que lorsqu'tkne sorte de sensibilité physiipie se fut ré- 
tablie peu à peu à l'aide de frictions sur ses membres engoturdis , 
et d'autres moyens, tpie le médecin commença à espérer que l'in- 
tellig^ice pourrait aussi reprendre son pouvoir. 



8*8 HÔftÉRÏ, ) 

Doiil^ii iiè iShtifgeti ttAxftéàété ^fékéMtér h» ordrsft de l'tBttpé- 
rptnry cft ^ rester près Aa lit d« mâbAft jusqu'au laver da aokB, 
' prêt à sontenii^ la nataté 'âéàuffiatite> mtant qae le poavait fart 
qu'il professait. 

Parmi les timcftà , beaMoap ptai aeceatioiiis à ei^kMfter les 
ordres dôtméii par le i^sseatimeiit de l'eaq^erenr qae oèaiL dieiés 
par son htimanhëy Doubaii ^ crholsittiB d'an caraetère ^«s dans, 
et lui fit comprendre qn^tn secret piirféttd devak être ^rè sor 
la tâche dont il afiait être obargé; et ce ne fat pas saM sarpriie 
qne Tesclà^ 'endurei apprit qa'il deTak observer xm plas giand 
mystère snr les sobis qu'il rendait à an malade > qne sar lâfe wr- 
tares et la mort qail tftait qnelqoefela diargé ^'inflifer^ 

Ursel reçut passivement et en sUence tes «sitm qn'i>n Im prodi- 
gnaity et qnoiqne ses sens loi en donnassent qnelqae eontuâssuice, 
dn moins il ne comprenait pas distîneteniént <fa^il en <iiait«rd))et. 
Après lai avoir fait prendre an bain émollient et ravoir ]daoé su 
nne couche dn davet le pins doux^ an Heu de la fniite flare et 
humide snr laqaelle il avait c€«dvé pendant «rais muR ^ on loi fit 
prendre tine peitien eaUnante dans laqawQe il aatti»"^ ifuetfaes 
gouttes d'opinm. Ainsi évoqné, le sommeH, baotaieponr In najtore 
épuisée, ibé tarda pas àaniver, et le prisonnier tgcéaa «n repos 
délicieux qui lui avaot été leDg<-iaiip* étraxigw^, «t q«i para» s'em- 
parer dé iM fàeiiliés inenfeales ansèi bien que de «m ^^otps. Ses 
traits perdirent leur raidehr ; êtes membres , Àndns avn aènoite, 
ne furent plus tourmentés pat dès aoeie danlaliriific de crampe, 
et tin état de tranqiâllité paisible settUa aaaaédef à «ea aoof- 
frances aiguës. 

L'aurore co9oràft d^ llloriiEon ^ et la ftatckwar de la brisa da 
matin s^nsinnait dans leë satles élevées da palais dé Btacpmmsl, 
quand un coup frappé donoement à la porte de la iriiàmbtetfvaVa 
Boviban , qui^, Toyant le Calme doàt j^aiSiiàkisfA aMdafle^ 'frétait 
pennis quelques coarts instants de K^ejies. La pèvaaf a'^nrvrit > et il 
Vit paraître un homme poHant le oostattie ^'«m éfilMer ^ palais, 
et cadhant sous tmelengne ba^bebtiititàièfwatelleleé ^traits de 
l^tenipereur tni-riiême. 

— Douban , demanda Alexis , 'ceimment *va «6n midade , dont h 
santé e aujourd'hui si importante à Pânpli^ *grae? 

-^^fiien^Sire, répondhlemédei^ypariyuifflieaitblei^'^ | 

ne le trouble pas en ce tnomént, Je lnA|^onde4sltfto*p^pf4aapittfee 



coMTjg m i^ÀRis. est 

triomphera de l'hami^é ^ de IW itupar dlm et^ot Màkâili^ 
Milii :^ye2 procfeftV ; âiir « » et qu'aide hftte ptédpitte M mette 
ftkfi bel t)r§el eu eômt»m aYee I« monde àirabt qti'il ak p« rél«« 
Mit 4e l'c^éte tlàiM Éëê idées déf togée» > é€ qtk'il ait ireeotm^ i 
JÊéqafk im oertâxà poiilt, raastidté de Mil esprit et lés fofeës de 

«^ Jet ^iiiSMPfti mon impatience, Dotabàti \ m plàtôc j«tti«lAii« 
Mnndi gôHTemer pai- toi. Croisât» qn^jl soit ëvetUé ? " 

— Je sois porté à le croire ; piais il n'onvre pas les fmSi ^ et 
tf semMks WêbAt aiMK>blmettt résister tkn mowrfit^sat nàtntel qui 
devrait i» portif]^ à Mre un effort sur liâ-mème et à rtgirder an^ 
fota*4eltti. t 

: .^'Pai4e«laiy et sàebons ce qni se passe dans son esprit* 
^^CAnt sera pas sans quelque risqne , répo&dit le médeenif 
msis t^ms setee ohéi« -^ Uml Idit^l en s'approctiant da lit de sêû 
ualidef; et il répéta dNem ton plus haut : Ursel t Ursël I 

— Paix I silence I murmura le malade ; ne troublez pas les bi^l' 
hraynx danS'leàr eittase* «^ Ne -venez pas Ibreer le plus misé- 
lÎÉkble des msiteis à aM^ever de tidér la eoupe plèind d'amenttmé 
è laquelle le destin Fa ebndamné. 

'- i^'lShcore! encore S dit l^nupereur à pan à Douban| eueort 
Qnë^fsuye! Il m'est importait de satolr jusqu'à quet degré U 
posfède sei sêiiSy ou jusqu'à quel po^t ife Pont abandonné* 

— Je ne voudrais pourtant pas, répondit le médecin, être asseï 
înqBriiâent, ussesK criininel^ pour preduire en lui, en insistantmal 
à propos, UM aliénatim totale ^'esprit, qui le ferait tomber dans 
une démence absolue ou dans un état destnpeixf où il pourrsiit 
ï^ter iong^temps* 

^ Gertaimcment non, dit Alexis. Mes ordres sont cent d'un 
chrétien à un autre, etje n'exige pas que vous portieK Fobéissauci 
au-àslà de ce que permettent les Ibis divines et humaines. ' - 
' Il ie tut quelques instans après avoir fait cette déelaration^ 
mais bien peu de minutes s'écoulèrent avant qu^il pressfift de 
nouTeau le médedn de continuer à interroger Tobjët de ses 
soii»« 

'. r^ Si vous cti^Zf dit Douban, un peu fi^ de la confiance que 
la nécessité forçait Tempereur à lui aecorderi que je ne sois'pas ea 
état de juger du traitepnent qui convient à mon malade^ il fàm 



360 ROBERT , 

qae Votre Majesté Impâiale prenne la peine de le qmsltemer 

eUe-mAmey et se charge dé tons les risqnes. 

— Sw ma foi, c'est ce qne je ferai, répliqva Tempereor ; il ne 
fant pas écouter les scmpnles des médecins » quand le destiil des 
empires et la rie des monarques sont dans la balance. — Lève* 
toi , noble Ursel ; «itends une voix que tes oreilles ont bien con- 
nue autrefois , et qui t'annonce que tu vas retrouver la gloire et 
la puissance. Regarde autour de toi , et vois comme le monde te 
sourit quand tu sors de Temprisomiement pour faire un pas vers 
Tempire. 

— Astucieux démon , répondit Ursel , ta ruse emploie un appât 
trompeur pour ajouter à la misère d'un infortuné. Apprends, 
tentateur, que je connais le vide des images séductrices quêta 
m'as offertes la nuit dernière : ^ ton bain, ton lit de duvet, nu 
séjour de bonheur. — Mais tu feras naître un sourire sur les joues 
de saint Antoine l'ermite, plus aisémient que tu ne forcerais mes 
lèvres à en laisser échq)per un , à la manière des voluptueux de 
ce monde. 

— Essaie, insensé, rejvitrempereur^ et. crois au témoignage 
de tes sens, qui t'assureront de la réalité du bonheur qui t'en^- 
ronne à présent. On, si tu persistes dans ton obstination, reste on 
moment comme tn es , et je t'amènerai une créature dont rama- 
bilité sans égale vendrait que tu reisouvrasses la vue , ne lût-ce 
que pour la regarder un instant. A ces mots, il sortit de l'appar« 
tement. 

— Traître vieilli dans le mensonge, dit Ursel, n'amène ici per- 
sonne. Ne cherche point, à Taide d'une ombre et de formes idéales 
de beauté , à augmenter l'illusion qui dore un instant ma prison» 
afin, sans doute, d'éteindre l'étincelle de raison qui me reste, et de 
me faire passer ensuite de ce cachot terrestre dans un donjon des 
régions infernales. 

— Son esprit est un peu égaré, se dit le médecin à lui-même, et 
c'est souvent la suite d'un long emprisonnement solitaire. Je se- 
rais fort surpris, penisa-t-il ensuite, que l'empereur pût tirer quel- 
que chose de raisonnable de cet homme après une si longue dé* 
tention dans un si horrible cachot. — Tu crois donc , continna•^iI 
en s'adressant à Ursel, que ta sortie apparente de la prison, la 
nuit dernière, ce bain, ces rafrsdchissemens, tout cela n'est 
qu'an songe trompeur sans aucune réalité ? 



OOMTE DE PARIS. 361 

--• Saiis ooiiti«dU. Ce lie peiit èti« antre chose/ 

— Et qa'en omrraat tes paupières , comme nous t'y engageons, 
ta ne ferais qne céder à niie vaine tentation , ponr te retronyer 
plus malhenrenx qu'auparavant ? 

— Prédsém^it. 

— Qne penaes-tn di»e de l'empereor, par l'ordre de qoi tu 
ëpronres on traitement si sévère ? 

Donban regretta pent^tre d'avoir fnt cette qaeationy car pen- 
dant qin'il parlait, la porte de la chambre s'ouvrit , et l'emperenr 
j entra , donnant le bras à sa fiUie y qui était vêtne avec simpli- 
cité, qaoiqne avec la splendeur convenable. Û paraît qu'dle avait 
trouvé le temps de' changer de costnme pour prendre one robe 
blanche, pale emblème de demi, et dont le principal ornement 
était une guirlande de diamans, d'un prix inestimable, qui entou- 
rait et serrait ses cheveux noirs qui tombaient en longues tresses 
sur sa cemtnré. Saisie d'une frayeur presque mortelle , elle avait 
été trouvée par Alexis avec sa mère et le césar; et l'empereur, 
d^un ton foudroyant, avait placé Brienne, comme étant plus qne 
suspect de trahison , sous la garde d'un fort détachement de Ya- 
rangîens, et lui avait ordonné à elle-même de le suivre dans la 
chaAbre où était Ursel. Elle lui avait obéi, mais bien déterminée 
à rester attachée à la fortune chancelante de son époux , même 
jusqu'à la dernière extrémité , quoique aussi résolue à ne pas le* 
courir aux prières et aux remontrances, jusqu'à ce qu'elle vît si 
les ordres de son père seraient encore aussi positifs. Quoique les 
plans d'Alexis eussent été formés à la hftte , et que le hasard les 
e&t déconcerta aussi promptement, il n'était guère probable qu'il 
pût être ramené à ce que sa femme et sa fille avaient à coenr, 
c'est-à-dire à pardonner au coupable Nicéphore Brienne. 11 fat 
fort surpris, et peut-être peu satisfait d'entendre le malade et le 
médecin occupés d'une conversation dont il était l'objet. 

— Ne croyez pas, répondit Ursel à Douban, quoique je sois 
enfermé dans ce cachot , et traité avec plus de barbarie que ne le 
serait le dernier des proscrits , quoiqu'on m'ait privé de la vue , le 
don le plus précieux du ciel , et que je souffre tous ces maux par 
la volonté cruelle d'Alexis Gomnène; ne croyez pas, dis-je, que 
je le regarde ponr cela comme mon ennemi. Au contraire, c'est 
grâce à lui que le misérable prisonnier aveugle a appris à cher- 
cher une liborté bi^n plus entière que celle dont on peut jouir sur 



m , ROBUT, :^ ) 

cette malhenreivw^MTey etÂ^ttbDuser nau^Tttf'lritiiq^ 

qne oell«iqii9'p«vtofiUv.fti]c\iiimoiit Piagab0aro»baBA«ié{Fftble 

4ii.<)oaiheaiU' Pe«vqiioi d«M eoaqpt«rni*jo^ l'<eÉiqie9e9r iHoatii'BiM 

ennemis, loi qui m'a appris la\tinité :îes' ch^sts- teryéàtit^ 

néant des jouissances sar la terre , la pare espéranee é^iui mèiUeor 

VDQdOy échaÉga .'certfiii et tomes Us aisères éB^celni^^ neiis 

Tivons? — NonI *' . •."■• \' * ■ - ^ • *. • ^r *. ; • 

Le ooDUttenoeiiient sde ce lisiBocM avsii im^f en ^eonoeiiiél'ein- 
pereor ; nais quand il tVmttfndit'se tevininep d'oh^ miMD^tf é ù nÉb 
tetadue, et^ comme it bit disposé & le sufqxilei<,tniBFOra)ikifnnii; 
liÉi, il prit l' attitude d'itaà kemne mddeste qài enlmd fBire,soD 
psispro' éloge I et qui en nème tfteipi est-Tivement fniî>péfd6tf 
kmaiiges qtw lut donné un généreiK àdvisrsaîrè^ — 
' »^«4-Mon' noilfle ami,. fait dit^tf ^ oomaevods a¥e^ bîeirpéiitoé 
mes'desseins, en.sii|qMMattl( quele bien qm dès hasiinea de-Tdtts 
Oàractètfe petivent eBUraive dumàliëftà&t^^tént tfarrantoge qoe 
jp déikw tous- lairet pÉîser dans une capirtité qof dès ciiMi« 
atances'fêshenses onèpix>longite Bieii phisli>qg«te»pl^^'3«'nBl6 
Teolaièl Laisse2>*mifi embtvesisr Fhomihegénéreuxqiii saitisiliisB 
îdterplréler les "^Os d'ut» ami inqmet'i Inaisfidiie. r. , ^ 
• Leprisdliaiértemàtdsmrsôttsésmt^ - • » 

> »^.UAi>»ltatSditHil| illneeetnbie^ue^misidéeft.eemmemaai 
àree dasacTw -^iJkd, d'est, la toîs tràilresse qui m'a d'ii)ôMac{ 
éueilli coifime un ami, et cpûa cHMuiiletcriMdliBsiam ordonnérqy ^ 
mA primât ^de lu iumàârèdeseien. '•»«^ Bedouide derigoenir, sitd 
Tebii ( CSottmèM; -^ ajolite , si to le fém » aux louràieki^l'de nia 
ASteniioB; mais pittsqûeje ne puis Toir tes traita liailiaseaet hypCH 
çi a tes '^ dqpargno^moi , par pitiés Ib aott d'une yoSx ^ns ojUetasé i 
Alèabreille qtie les serpcns» les ompanda^ et tout ce que la bsp 
Muiea'dcJldvsféTOkaut* . 

Ce discouns lut pitotionoéayeo tant d'énergxe qtie ce fat en vain 
qnf Aktxis cbercl^t à l'imeFrdn^re , quoique, le langage nsitf d'an 
rtseentimeut nalarel vetentSt à ses oreilles 0t à oeUe» de Donbu 
el dosa i^o beaUiooup plus daitement qu'il n'y liTsit c<mipt]é* 

«^ Lève 1» tâte, ioiparud^nfc» lui ^t-il, et eaêbaîne i^ leingw 
avanX qu'elle continue à prononcer des paroles ^i pouiraient u 
coûter cher* Regarde^noi» et vois si je ne t'ai pas vé^rré une ré* 
compose capable d» ripuûr toiis Ica maitt dcttf ta foUe peut 
«k'aetesêf» 



COMTE Dte *ARIS. ^ 

rferfflëed y regariant lèisativisnit Êonfasdes éhèsi» <}ii^ aVâdl ^itMb 
tepatlsâtement fe trait prëèédente , comme une fflttsiôii de Wk 

jttiligtealfoit , 4&9M tMtt'A^^lalrle^ii YfA)j[ avttt^ttf préMntil ^ 

Hltli^€[iiè *^{^ft iéanettttr. IKAs en «é iàcftàtiit , iftttàà ««s jfMic teSr 
contrèrent la taille majestnense de l'empereur et les traits -^ItiitÉ 
'dfe grttee dè*ôti fimèMe filte , éclaiféé pair tes jffeiiïi^îH ïa^om de 
Fà«i¥ore, fl é'géWà Vitoè Voix *îWe": -- Je tois! -^ Je wwl E^, 

^'Oés mots , il i^fctotttM stth iori' oteiïtei* *att« tièflnrfssanbe^ ^ 
qaî «oxina aà teédecin nné noarriHé ocWlbWion pour le l'àj^pék*: 

— C'^*iè wH-eïnîratrfctisfe î «t'Dtmbati , €t\t cdmbte èéinm 
ae*ry sè^éttt^éte fMMwiHet ce seci^ mertefllëttx. * 

— lÉ'W i ffltfèteiJéiièifr , fié peta-tti cottté>Mhf tjfde * ^tf en tt'^ 
jamris 6t€ peirf se Tendre sans ailficnMf — «t "MpMà \k tel* > 
il ajôttlu î — ' Oh M ^ fait sabir tme opêtàtitmflottlotlteii^q*!!!* 

-Il fait <5tx>iâhè iptè les otganës 4è te* *Vae Paient dftftiî^ éh W-, ift 
tsolèimie'faL hftttièiie ii'fetifraât jmii *ihs soïi céwftot Wt tf y -péiiétWft 
>fîtiqièrcepfiHemcrft, ks téiSftres'pî^sîqaeS t* AtenVales ipA 
renvkOîttiateW; Vbnt empêc*^ flfc sl'^afpei'cetdit ^fe ï'eîristttfcte * 
-^t%fec!Jilé ^r^iënsfe , *)ht ft ^^imii^aît *tre ^prJfê. -^Téme 
demanderas peut-être quelle a été ma raison pour le tromper d'une 
manière si étrange ? C'était simplement pour que, étant par ce 
moyen jugé incapable de régner , son souvei^r s'effaçât de l'esprit 
du peuple , tandis '^'^n methe^t^mps je lui ^nservais la Tue afin 
que , si quelque circonstance l'exigeait , je pusse le tirer de son 
cachot, etcji^^yer Btm ^fcdoifage et ses'talens, comme je me pro- 
pose de le 'ïafare eh t» moment , >a!u sertice de Tempire pour l'op- 
poser aux desseins d'autres conspirateurs. 

— Et Votre Majesté croit-elle avoir acquis l'affection et la fidé- 
lité de cet homme par la conduite qu'elle a suivie à son égard? 

^ Jefie ^âunétleaireLll eh aeta ce^BCtFaveiiiir>déteilmiCfera. 
ToBt«il;q«d je saîS'^ c'est que ce ne «cra pas ma lantem Urselrae 
pi^fèire pas la lihei*té» 4e Imtgs jouw de gloire et 4e tpmnmm, 
aaMirés pdat>é<flr« p»r une atttamt avec ««a» inropre smS'» ^ ** 
conservation de la jouissance des organes précieux de la yb6^ d<l»t 
ou ^rinoèmoiiiB«cMipcieMl'awr«t privé» àénettriaWuBfettiînée 
dans les ténèbres d'un cachot. 

— Pdsiïtietël est Tàtis et là aàemi»àUim4etoi» JOiM^ 



BU ROBERT, 

mon âepr&it est de voiu aider, et non de contredire* Permettez- 
moi donc de toos prier de tous retirer, ainsi que la princesse , 
afin que je poisse enq^loyer les moyens nécessaires ponr rétablir 
les forces d'nn esprit qui a été si Tiolemment ébranlé , et pour loi 
rendre complètement l'osage des yeoz , dont il a été si long-temps 
priyé. 

— J'y consens, Douban; mais fais attention qn'Ursel ne sera 
complètement en liberté que lorsqu'il a^ra exprimé la résolation 
de s'attacher Téritablement à moi. U peat être à propos qa'il sache, 
ainsi que toi , qne , qnoiqne je n'aie pas dessein de le renyoyer dans 
les cachots du palais de Blaqaemal, cependant, si loi on qael- 
qu'on en son nom Toolait se mettre à la tête d'un parti dans ce 
moment dangereux — sur l'honneur d'un gentilhomme ! — penr 
employer un serment des Francs , -—il s'apei:ceTTa qu'il n'est pas 
hors de la portée des haches de mesYarangiens. Je m'en rapporte 
à toi pour lui faire part de ce. fait, qui le concerne ainsi qne toiis 
ceux qui prennent intérêt à lui. — Venez, ma fille, nous nous reti- 
rerons, et nous laisserons le médecin ayee son malade. ^— Fais 
attention, Douban, de ne pas oublier de m'ayertir dès qu'Ursel 
sera en état d'entrer en conversation raisonnable avec moi. 

A ces mots, Alexis et sa docte fille sortirent de l'appartement. 



CHAPITRE XXVIIL 



L'adTenité, sonblable an enpaod raùmBax , 

Qui porte dans sa tète un joyau précieux S 

Peut à rhomise aonvent rendre éa grands ferrices. 

■; S*ÀMS9MAMM. 



Du haut d'une terrasse du palais de Blaquemal , sur laquelle 
on entrait par une porte Titrée qui donnait dans la chambre où se 
trouTait Ursel, on ayait une des -vues les plus belles et les pins 
imposantes qu'offrissent les enyirons pittoresques de Constan- 
tinople. 

Après lui avoir laissé le temps nécessaire pour se ireposer et 

t 

«-■ 

i.^ Un ancien préjugé raçpouit qu'il exfstfât ^9 la tât« da enpaod on« pierre ï laqneUa on 
attrilmait des Tortvs B^eireiUenset. 



COMTE DE PkmS. 365 

poar calmer son esprit agité , ce fat là que le médecin conduisit 
l'objet de ses soins ; car, dès qa'il s'était trouvé un peu plus tran- 
quille , Ursel avait demandé de lui-même à pouvoir s'assurer qu'il 
avait réellement recouvré la vue, en considérant encore une fois 
la face majestueuse de la nature. 

D'un côté, la scène qu'il voyait était un chef-d'œuvre de Fart 
des hommes. La ville orgueilleuse, décorée des superbes édifices 
qui convenaient à la capitale du monde, offrait une suite de clochers 
brillans et d'ordres d'architecture, les uns purs et simples, comme 
ceux dont les chapiteaux étaient formés sur le modèle de paniers 
pleins d^acanthe, les autres empruntant le flûte de leurs colonnes 
à des appuis qui avaient dans l'origine soutenu les lances des pre- 
miers Grecs ; formes simples, mais ayant plus de grâce dans leur 
simplicité que toutes celles que l'esprit humain a été capable d'in- 
venter depuis ce temps. A ces brillans échantillons que pouvait 
offrir Part des anciens , à ces modèles strictement classiques , se 
joignaient ceux d'un siècle moins reculé, où un goût plus moderne, 
cherchant le perfectiounement, avait mêlé les différons ordres, et 
produit celui qu'on appela composite, et d'autres qui ne suivaient 
aucane règle. Cependant la grandeur des bâtimens où ils étaient 
employés leur assurait le respect , et le meilleur juge en architec- 
ture ne pouvait s'empêcher d'être frappé de leur vaste étendue et 
de l'effet qu'ils produisaient, quoiqu'il fût blessé du goût peu cor- 
rect dans lequel ils avaient été construits. Des arcs-de-triomphe, 
des tours , des obélisques , des flèches de clochers , le tout destiné à 
divers usages, s'élevaient dans les airs avec confusion, mais avec 
magnificence. Plus bas, on apercevait les rues de la ville, et les 
demeures des habitans, formant de longues allées étroites, de 
chaque côté desquelles les maisons s'élevaient à des hauteurs in- 
égales ; mais comme elles se terminaient en général par une ter- 
rasse couverte de plantes, de fleurs et de fontaines» elles offraient, 
vues d'une éminence, un aspect plus noble et plus intéressant que 
celni que peuvent présenter les toits inclinés et uniformes des rues 
des capitales du nord de l'Europe. 

Il nous a fallu quelque temps pour décrire par des paroles l'idée 
qu'un seul coup d'œil'fit naître dans l'esprit d'Ursel, et ce spectacle 
d'abord lui fut pénible. Ses yeux depuis long-temps avaient perdu 
l'habitude de cet exercice journalier qui nous accoutume à subor- 
donner les scènes qui se présentent à notre vue, aux connaissances 



4oiit nous son^mes ledevaUei^ à nos autresi senç. Sesidé^.delii^ 
distapce étaient devenuea si coivbsesj^ qu'il lui semblait que les 
clochers I les tours et )e^ minarets qu'il Toyait étaient ras^mblés 

Î~ rè3 de lui « et le touchaient presque. Poussant un cri ^rfiorrear, 
Jrsel se tourna d'un au\re côté, et fixa ses yeux sur une scène diifé* 
feule, n y aperçut aussi des, tours. dq& flèches de clochers et des 
tourelles;^ mais c'étaient celles des églises et 4^^ 4^îfi<^6s poblicfi 
'qui étaieat sous ses pieds , et que réfléchissait U belle étendae 
d'eau qui formait le port de Cofistantinople, et qu'on a^ait nommée 
ayec raison la Corne«d'Or^ à cause de^ immenses richesç^s qu'elle 
faisait entrer 4ans la yille. D'un côté, ce superbe bassin était bordé 
de quais où de grands nayires déchargeaient leurs cargaisoDS pré* 
pieuses , tandis que , sur les bords du havre , des galères ^ des fe- 
louques et d'autres petits b^imens, déployaient les toiles îfla^ches 
comme la neige, et de forqoe singulière, qu\ leur seryaieutdç 
Toiles. £n 4'autres endroits^ la Corne d'Or était ombragée par on 
manteau vert formé par des arbres ; et les jardins de^ hommes 
friches et des personnages distingués , ainsi que les lieux de diver* 
tissement public^ s'avançaient jusqu'à l'eau, qui leur servait de 
limites. 

Sur le Bosphore;, qu'on pouvait voir d^ns le lointaii^i, la petite 
^otte de Tancrède étai( à l'ancre dans le même endroit oii elle était 
arrivée pendant la nuit, et qui commandait le lieu, de déki^n^- 
ment. Tancrède avait préféré y rester, plutôt que d'abordeir pen- 
dant la nuit ^ Constant^nople, ne sachant pas sî, à son arrivée» il 
serait reçu en ami ou en ennemi. Cependant ce délai avait donne 
aux Grecs' l'occasion d'y Jaire venir, soit paç les çrdres d*AlexiS; 
soit par ceux non moins puissans de quelques-uns des conspirateurs, 
si^ bâtimens de guerre, montés par des hommes armés, et bien 
"pourvus des armes offensives maritimes particulières aux Grecs a 
cette époqu^; et ces bâtimens s'étaient placés de maiiière à couvrir 
Tendroit ou les troupes de Tancrède devaient nécessairemientde' 
barquer. 

Ces préparatifs causèrent quelque surprise à Tancrède, ^^^^ 
savait pas que ces vaisseaux étaient arrivés de Lenuao^ dans le port 
la nuit préôédepte. Cependant le courage indomptable dp ce prince 
^'en fut nullement ébranlé^ quel que fût le degré i^ danger inat- 
tendu qui paraissait alors devoir accompagner son expédition* 

Cette vue splendide, dont la description nous a ei^tra^és d^ 



GOMTS DU. JRMUS. $m 

mû P^ «4^ de |iR vUki MM icrMflie élaii bevoAt ptr n^ mv 

^éi?)%tm dii mif< iira» fpe rân^ éteinrtl k yw qnNM frtiMb 
^ft9fff^ «#4?9.wi»vMWiL(pi^ ip 9ioli»igfiftiililfL0^4vtpw4 
dominait sar on profond précipice. ' . i 

. ^ A^m limk ^«l«il t$Prt^ ks >9W ér «^ oiéé» i|M> qttûqu'il 

rempereur. . / ., 

.9Pr4<*^^ qw i'jù. re^ps da )jâ «mt d.'ft(dbeiY49 totr ^ fnéri^pii^ ei non 

— G^id^^H^cfi ifft^ QQAtTQ BQioirméotQ^ i^prtii Urodlf fH «fBi?re»' 
juçi 4«i dé^ir Ir^t^ique-fA Hpenié^iip yéf^m^e de me précipiter 
da]^^ V'«Mni9 mv l0 bfffd dnf »el t^hi «i'»y^ .(wdnit^ c 

-^ Q^ttfB t^Àt^tiôn 4%9g0r#ttift y «^ipmdit. Jk o^M» * ^«i «cw- 
ini|U)o à tom* «irw qaiio«t ^ lQiig»t«mp» «M» â)(^ kuvi |ieM dp 
.baiu 4'vi« «fmi^noe ftur le foitid d'w pvéii»i^ft> Ql^^li^«T«y|4: 
:tout à c9«v 44pia ^it^ ^ii9^kA«,lA «jiliRi^i <mt9 bH^wbwaw^ 

j^'eU# iB^^i |i'4i^ P4U» peitryii, % ^ qi|f) Mw.pRiMÎom f#tnNiver s»!»- 

IcK^i^Pv 44^ lûnt^ leur i^rfMtMmji ie» fi^^^dpnfl l'^Miguti 
.ét^ imeiTOU^^ pendant d^9 «miéi^fi, Un iai^ii«U9 » i^hM^oQ mmi^ 

kpgr d^ii iiitffnr^ei^ir. Pte'p^i:ivcizr¥P9i» wm tpeii^/m ^^t^ ««r 
. oeift^ tifijrnm^ qvwKl vf^i^ ^H;eB wi90 1^ 
. ^ Fv4pimfiiK*mM, dit Mm^i iwi* pwiwittww«i 4«f déicwwer 
,1^ "fmsfSi yevfi ^e muF 4^ IÂ^«» <w je »Q puÎA «nppaiHer U yoe di^ 
.ç(9i mvTfigi fraigiile en Q^dA toîltfiii « fi^le tonrif re qui «e iroaye 
.ei^E^ ni^ii ^1 ^ pvé^iiNim^ '— U p^rliait nji^si^ dis 1a buluM^de m 
, lumvi^, ay^M fijf^ pi#d9 de^ bast^r» et i«i$LW^e è. pret^orliooi fbi 
piRoji^A^I ç9% m>t», et ^QNMAI i^te«i^ k kra^ df^ I>Mbaii, quoi- 
.q^'U £^t id94 i^mie et jptfi» fort que le inMeMU» ili^^ tremi^Uîl» et 
^'vao^.tif^nt^QifiAt s«6 |M^. «Mme ii'â» emusent été de pkiinh. 
i]gQfif9i 4lafi>iTft à h pemeyitnée,. fvès de leqn^le était weeepèâs 
;d^,}>0M sur toiii9lU a'ai^ti^ -T J^ ir<«tfv^ii0i^.dî^^ 

rrSSt ç'^^ ui^ did 0<inh«i|> ^^q jei^Miiaa dirtt».4e la part ^e 



â<S ROBERT, 

prêt à Im répondre. Yons remarquerez qu'il tous laisse le chmx 
entre la liberté et la capivritér; mais il met pour condition à la pre- 
mière, qne tous renonciez à ce plaisir doux , mais criminel, qa'on 
appelle Tei^ancc, plaisir, je ne dois pas vous le cacher, qae la | 
fortone semble disposée à vons procni^r» Vous savez que Fempe* 
renr yons a regardé d'an œil jaloux ; tous savez qoels sont les 
maux que tous avez soufferts par son ordre ; pou vez-vous pardonner 
tout ce qui s'est passé ? 

— Permettez que je m'enveloppe la tête de mon manteau, ré- 
pondit Ursel, pour dissiper le vertige qui agite encore mon pauTre 
cerveau; et aussitôt qne j'aurai recouvré le pouvoir du soayenir, 
je vous ferai connaître mes sentimens. 

Il se pencha sur son siège , la tâte enveloppée comme 3 venait 
de le dire ; et^ après quelques minutes de réflexion, avec un trem- 
blement qui prouvait qne ses nerfs étaient encore agités d'horrear 
et d'épouvante , il adressa la parole à Donban ainsi qu'il suit : 

— L'effet de l'injustice et de la cruauté , dans le prender mo- 
ment qu'on le$ éprouve, est nécessairement d'inspirer le plus vif 
ressentiment à celui qui en est victime > et il n'y a peut-être pas de 
passion qui vive plus long-temps dans son cœur que le désir naturel 
de la vengeance. Si donc , pttidant le premier mois que j'ai passé 
sur mon lit de privations et de misère, on m'eût otEert une occasion 
de me venger de mon cruel oppresseur, j'aurais sacrifié bien to- 
lontiers le reste de ma misérable vie pour l'acheter. HaisVeffet 
produit par les souffirances de quelques semaines, ou même de cpel* 
ques mois , ne peut se comparer à celui qui résulte de manx qm 
ont duré des années. Pendant les premiers temps de souffrances, le 
corps et l'ame conservent cette vigueur qui attache encore le pn- 
sonnier à la vie, et qui lui apprend à frémir en songeant à la chaîne, 
depuis long-temps oubliée y d'espérances, de désirs, dedésappom* 
temens et de mortifications, qui ont marqué sa première eidstence. 
Mais les blessures se cicatrisent avec le temps , et des sentimeos 
bien différons et plus louables prennent la place des premiers, <pu 
finissent par s'éteindre dans l'oubli. Les jouissances et les anrn^ 
•mens du monde n'occupent aucune partie du temps de celui snr qm 
les portes du désespoir ont été fermées. Je vous dirai, mon bon 
médecin, que pendant un certain temps, par une tentative insensée 
pour me remettre en liberté, j'ai pensé une portion considérable 
4e ce roc vit Um le ciel m'a guéri d- ime i^ si folle; et, A je v!&^ 



COMTE DE PARIS. 399 

suis pas venu aa point d'aimer Alexis Comnèney ce qui n'était 
pas possible en conservant l'usage de ma raison , cependant i plus 
je reconnus mes propres erreurs,. mes fautes , mes folies , plus je 
me persua,dai,c[u' Alexis, n'avait été que l'instrument dont le ciel 
s'étaii servi pour exercer, le droit qu'il avait de me punir de mes 
offenses et de mes péchés, et que, par conséquent, je, ne devais 
pas prendre l'empereur pour l'objet de mon ressentiment. Et 
maintenant je puis vous dire, autant qu'un homme qui a éprouVé 
une révolution .aussi terrible peut être supposé connaître ses 
propres sentimens, que je n'éprouve]aiicun désir deredevenir le rival 
d'Alexis pour l'empire , ou de profiter des différentes offres qu'il 
peut me faire pour prix de ma renonciation à mes prétentions. Qu'il 
garde la couronne sans l'acheter ; il l'a payée, suivant moi, un prix 
qu^elle ne vaut pas. 

— C'eJt un stoïcisme extraordinaire, noble Ursd, répondit 
Doubàn. Dois;je donc en conclure que vous rejetez les offres ava&« 
tageuses d'Alexis , et que vous désirez , au lieu de tout ce qu'il a 
rintention et même le désir de vous accorder, d'être renvoyé dans 
votre sombre cachot du Blaquernal , afin de pouvoir y continuer à 
Imsir ces méditations ascétiques qui vous ont déjà conduit à une 
conclusion si extravagante ? 

— Médecin , dit Ursel tandis qu'un frissonnement de tout son 
corps annonçait l'alarme que lui causait cette alternative, on croi- 
rait que ta profession aurait dû t'apprendre qu'il n'existe pas un 
honune, à moins qu'il ne soit prédestiné à être un saint glorieu:|[ , 
qui puisse préférer les ténèbres à la lumière du jour, la cé- 
cité à la jouissance du sens de la vue, les tourmens de la faim à ce 
qui est nécessaire à Texistence, et l'humidité d'un cachot à la firai- 
chenr que Dieu a donnée à Tair. Non I ce peut être une vertu 
d'agir ainsi; mais la mienne n'atteint pas si haut. Tout ce que je 
demande à l'empereur pour le soutenir de tout le pouvoir que mon 
nom pent lui prêter en ce moment de crise, c'est de me faire rece- 
voir, comme moine, dans quelqu'un de ces beaux monastères ri- 
chement dotés, élevés par sa piété ou par ses craintes. Que je ne 
sois plus l'objet. de ses soupçons, dont l'effet est plus terrible que 
celui de sa haine. Oublié par le pouvoir, comme /'aioublié moi- 
même le souvenir de ceux qui en étaient investis; qu'il me laisse 
marcher vers le tombeau, obscur, ignoré, mais en liberté,'en pos- 

■ ■.. a4 



jéimM wSës mpm^fbiM^^ vm, aftdblh bute ifttsàgti, i* , pài^te* 

^ Si ttiest sérieifBtttteiit TOitte flë^, noble Ursel , ftest si pietlx 
^éfBi modéré/qne je A'hésitepas à Yotië en promettre l'entierlit- 
''ijôttiplissément. MÎtis sbngez-ybien : vons'habititezutriréfols latHntf ; 
Vons pbtiirtiz ftltfîetiit anjottrcfhm tbnt ce i}nHl v(mg plaii^ , laoïifis 
't^e'demain , iri Vdttttirotts repentie^ de votre indifférence , Il petot 
^ feii^'qtie tome» vos [Mères n^oiitiennent pas qu'on ajoute la 
^^ittoindre ehiose'ii'oet tune tons tenez de demander. 

-^•S<iit ! m^Ks , ^n ce t^as , je 'rà(itilerai nue antre c(onditioa ;tt 
'^Ae n%tttm rlBtppoi^ qu'à la journée qni cbmtt«nce. 'le demafidls, 
^li'fec fotÉterhnmflité, qneSaMtfjeSté^Impériale ai'ëpargne Pangoisie 
^t cbnolnre en personne 'nn traité entre elle et moi ; qn'elle se coa- 
tente de l'assurance solennelle que je snis disposé à faire poor^ 
'loift ce qu'imite Vottdra m'ordonner; et qne, d'one atttre part, je ne 
flésire qnel'exécntidn des conditions modérées , ponr monexistenee 
^^nne, dont je rons ai déjà informé. 

«allais ponrqnoi craindriez-vons d'annoncer Tons^même à Teai- 

*p ère tfr ftnte consentement à im arrangemeiît dont les conditions 

^e pentent qne parattroeïtrètnement modérées de votre part ? le 

crains véritablement que l'empereur n'insiste ponr avoir nne comte 

' MïOiiférence avec vons. 

— Jeim rongirai'pas de votes avouer la mérité. 11 est vrai qne 

'j'ai renonéé à ce qne TEcriture appelle l'orteil de la vie, on da 

' meins j« te crois ; mais le vieil Adam vit toojoars en nous , et fait 

'Aone* guerre éternelle à ce qu'ilyade mienx dans ^notre natore, 

'qu'il est feened*évdner de aon sommeil, mais qo'il'est aussi diffi* 

'^eUede repftacer en paix sur sa couche. Tandlrqùe je neicompretitts 

«qn'à demi , la nttifdemière, qnemonemienti'étah^nniia'préaeBei?, 

•W que mes^cdltés ne faisaient qne la moitié de teorr^ievoir, en me 

'^yappelattt^esaceetistrormpeurs^ détestés, mon cceurne 'pa'lpi* 

^tait-il pits^4Aasa men sein , comme un 'oiseau dans la main de Fei- 

'aeleuf !%t fMidMk*'l41 que j^ieencore^à conclure "persMneUeuMt 

ma tfuiié a!vec l^omme qni , quelle que aoH' sa conduite générale, 

a été pkyor hmî, sans provocation, la eatise eonstaiited'nne misère 

sans égale»? «*^ Non , Douban I ^Entendre encore îsa^oix , cesserait 

^mteurtreVa^sMlie d^ilarme ^omittdt l'éveil à tbmes les passions 

'Viokmies et ^rjtadioatives de mon ceeur ; et , quotqueje prenne le 

ciel à t^kuoin que je ne nourris aucune mauvaise intention contre 



COMTE DE PAAiS. ,£71 

iair^I «Ttil iopJMsSib d'écMtBT •«$ i>r«tfliUtioBB moa danger 
.yoiir lai'<m f9«r inaii 

-^ Si taHe e«t y«m «en^riotian'^ je me boBnerai à loi ùdre xon- 
4Mikse vos «cmditioiiSy et il fiuidra ({«e i^aslni prêtiez jermeat de 
lea^KÀmtee. Sans eela il^serait difficiie-et peat^iêtre impossible de 
ccKiekH^e klsflité foe ;iRaus4ésîf«xl«iia deox. 

^^ Amenai ]^peadil«UfiMl« Btaumnemeaia tentions sont pores 
>et ^ge. je sms r ré eo im •« 4ie]|Nie «en changer, imisae le ciel éloigner 
desioi tonte idée de ^engeanoe^ tont sonvenir dUmcien ressenti- 
jneBt'Ot 4eiit sojat de asmreUes <pier«[lesil 

Oa^ntendit akNn«n<eonpfrq|[iéavecantoiitéàla]K>rtedela 
chambre» et XJrsei^ sasentaat le cerveau dégagédn vertige dont il 
s'était plaint,, gvfice «m aensalâoas pins .pnissames qui l'occn- 
(aient,! rentra d^an^pas ferme dans ^appartement» et s'y étant as- 
eÎB^ il attendityrles jj^eo&détiHnraés^ l'entrée deia.personne qui Te- 
nait desAsnaenoeF, et.qnin^'était autre qu'Aleiis Gomnèoe. 

'L'«n|perenr parutà iaf>erte.en costume juilitairey vêtu en prince 
fuiaUah<présiderà Bn«oiabat«B4diamp-ÛQlo8, livréen sa présence. 

— Sage Doubaa» dit-âi, Je (prisonnier |Mmr lequel nous «vont 
«Besi^aate estim»a4*il fût son choix entre notre affecti<met 
notre inimitié? 

— Oui i Sire» il irent jparti^ger rie ;sort de cette heureuse partie 
deamortelB ^«ont déiKmé <lenr>e<Bnr.et leur vie au senrioe du 
igdnvenienieiit de ^arerHaîesté» 

••^Jliiie rendru/done uqoiipd'dKii le service 4e réprimer tous 
ceux qui peuventiftMileir «aciter UBeânsurrection ea se servant de 
MuwJte», ift-eonS'pvéteaflleNdea iqjuetices ^p'il a essayées? 

^--- il eatéiMieia à SaJetl>e|iSîre> 'tans 'les xurdres que voua lui don^ 



-*— ^rdecquelletinaniève» demanda l'empereur en prenant son 
«toa^ vaix<laplàs^imeieaXr, tietve^dèle Ursel désire-t*il que de 
«airàUlles Beip9«sieeSjy^reBdas dans aamoment d'urgence extrême, 
'aoietot'iMoaaua?pairJ'ieo^rear7 

— Uniquement en ne lui en parlant pas , Sire. Il désire seule- 
ment que toute inimitié entre vous et lui soit désormais oubliée, et 
qu'il lui soit permis d'entrer dans une des maisons religieuses fou-' 
dées par Votre Majesté, pour y consacrer le reste de sa vie an culte 
de Dieu et de ses saints. 

-—En es- tu bien certain, Douban? ditFempereurchangeaiUde 

M. 



372 ROBERT, COMTE DE PARIS. 

ton et parlant plas bas. Par le ciel! quand je songe de quel cadbot 
il Tient d'être tiré et de qaelle manière il y a été traité, je ne puis 
croire à des dispositions si pacifiques. Il fieiut du moins qu'il me 
parle lui-même avant que je puisse croire , jusqu'à un certain 
point, que l'impétueux Ursel a été métamorphosé en un être d 
peu capable d'éprouver les impulsions ordinaireé derhûmanité. 

— Ecoute-moi , Alexis Gomnène, dit le prisonnier, et puissent les 
prières que tu adresseras an ciel en être exaucées en proportion de 
la foi que tu ajouteras aux paroles que je t'adresse dans la simpli- 
cité de mon cœur. Quand ton empire de* Grèce serait d'or monnayé, 
il ne m'offrirait pas un appât suffisant pour me porter à l'accepter ; 
et , grâce au ciel , les injustices mêmes que j'ai éprouvées de toi , 
quelque cruelles , quelque étendues qu'elles aient été, ne m'ont pas 
"inspiré le moindre désir de me venger de la trahison par la tnJû- 
son. Pense de moi ce qu'il te plaira, pourvu que tu ne cheivhes 
plus à entrer en conversation avec moi; et crois que lorsque ta 
m'auras placé dans le plus austère des monastères que tu as fon- 
dés , la discipline, le jeûne et les veilles me paraîtront de beaucoup 
préférables à l'existence de ceux que le roi se plaît à honorer, et 
qui par conséquent doivent se trouver dans la société du roi tontes 
les fois qu'ils en sont requis. 

— Il me sied à peine, dit le médecin, d'intervenir dans nne 

affaire d'une si haute importance ; cependant, comme honoré de la 

confiance du noble Ursel et de celle de Son Altestfe l'empereur, j'ai 

fait un court extrait des conditions qui doivent être exécutées par 

i les deux parties contractantes, sub crimineJalsL 

L'empereur prolongea pourtant sa conférence avec Ursel jusqu'à 
ce qu'il lui eût pleinement expliqué de quelle manière il anrait 
besoin de ses services dans la journée même. Quand ils se s^rè- 
rent , Alexis embrassa son ci-devant prisonnier avec de grandes 
démonstrations d'affection; et il fallut tout le stoïcisme d^rsel, et 
l'empire qu'il avait sur lui-même , pour l'empêcher d'exprimer 
ouvertement l'horreur que lui inspirait celui qui lui donnait cet 
embrassement. 



CHAPITRE XXIX. 



O e on spl wnton t ■'M-ts donc |im ds kontA 

De montrer à la naît nn front si dangereux , 

Temps oà sont déchaînés les maux les plus hideiiz ^ 

Où trouveraS'ta donc nn antft assez sauvage 

Pour montrer au solôl ton monstmeoz Tisagtf 

Garde-toi d'en chercher « orne ta fausseté 

D*nn sonrire trompenr et d'affabilité ; 

Car* sona, tes propres traits si l'on te voit paraître». 

Lé Tartare lni>méme à peine pourrait être 

Anes noir pour cacher ton aspect Mvoltant* 



On yit^ enfin. paraître GeUemadnée importante , où , d'après la 
proclamation impériale, le combat, entre le césar etRobert, comte 
de Paris.» devait. afoir lien. C'était mie circonstance , en grande 
partiey étrangère aux mœurs grecqaes; et par conséquent le 
peuple y attachait des id^ toutes différentes de celles des nations 
de l!Occident, qui regardaient ce combat comme un jugement 
solennel de Dieu, ainsi que les Latins le nommaient. Il en résulta 
une agitation vague , mais excessive , parmi les habitans de Cou* 
stantinopley qui rattachaient la scène extraordinaire dont ils- 
allaient, être témoins, aux causes^ diverses qui, comme un bruit 
sourd en courait, paraissaient devoir ocçasioner quelque révolu- 
tion générale d'upe natmre vaste, et terrible. 

Par ordre de l'enipereur, on avait préparé une lice régulière 
avec des portes ou entrées aux deux bouts pour y admettre les 
deux champions ; et il fut entendu que chacun d'eux devait faire un 
appel .à. la Divinité suivant les formes prescrites par l'Eglise dont 
il était membre. Cette lice était située sur le bord du rivage, du 
côté de rpuest du continent, A peu de distance, on voyait les murs 
de la ville d'architecture variée , construits en pierre et à la chaux , 
et n'ayant pas moins de vingt-quatre portes ou poternes : cinq du 
côté de la terre, et dix-i^euf du côté de l'eau. Tout cela offrait un 
aspect magnifique, qui subsiste en grande partie aujourd'hui. La 
ville a environ dix-neuf milles de circonférence; et comme elle est 
entourée de toutesparts de grands cyprès, on dirait qu'elle s'élève 



374 ROBERT, 

da sein d'on bois majestaeax, rempli de ces arbres magnifiqaes 
qui cachent en partie les clochers , les obélisques et les minarets 
qoi marquaient alors^ l^^mpluMiiiiKk de* beaucoup de nobles 
temples chrétiens, et qui maintenant, en général, indiquent la place 
d'un pareil nombre de mosquées musulmanes. 

Cette lio»élak epftoiérdftSMÉcs piarts de gradins destinés aox 
speet at — ra « Aam^im da (»a(SiiigM9. et précisément en face du 
centre de hklicci« était no tr^n^étev^^ préparé pour remperenr, 
et qui était séparé déa gslerm destinéss au peuplepar un entourage 
de barricades en bois^ svseeptâ^les d'aire défendues en cas de be- 
soin , comttie'iRi «9 espérimealé pestait le remarquer. 

La lice avait cent quatre-vingts pieds de longueur, sur une lar- 
geur d'environ cent vingt, ce qui offrait un espace suffisant pour le 
combat , soit à cheval , soit à pied. Dès le point du jour, des troupes 
nombreuses d'habitans commencèrent à sortir de la ville pour exa- 
mmer, non sans* surprise*, la manière dènf lai Bea awt^^éié oea- 
slndt», tee)ttterqqeii6>pettv»»étyel*itttait4*ss di i W î leiit eapafftifl> 
qm la compoaaieiit, etretenr lears^plaee» p e u r voi r te spectacles 
Bientftt après atfiva' un détacbemeut mùuAvtWL à» ce» solÉrts 
qu'on appcfaft'lesimmQirletsfomnni». nsentrèrenftsaimeérélBeBi^ 
et se placèrept des deux cètés d& la bd f rfeai lp en beîs«qrô entourai» 
la galerie destiliée à l^smperesr. Qnriques^un» prirent même nae 
I^ns gnmde Hberiét car, affeetaa» JPgtt» pr e a s éa poreena quiiet 
soîvaiMit , ils s^approehèrait mnfire eette* barrière^ et s«niMèreut 
projeter dé sttUMr paivdesSus etd'te^wr^dâniePittiecinte résenrfe 
à f empereiv. Quelques^^ieux esetavee 4e^ la maisoD> im^iiale se 
montrèrent alors pour éooaelpver cet espaee-sacré pour Aksis el 
pour sa cour, et ts noml«*e des défenseurs d^ Penceinie prohftée 
parut s^accroîtrei mesure que^ lèS' Immortels devenaient jim 
hardis et plusturboletts. 

IiidépendamoranI de la gtande porCe.qui donnait'entrée dàBstl 
galerie impériale en dehors de là Ifee , il s'en trouvait sur te tM, 
quoiqu'il eût été JKffietle de le rema r quer^ une plus petite, mais très 
forte , par où difMreutes personnes furent introduites, et se phoè» 
raH sous là plate-fënne sur laquelle étaient les siégeséfescittés àla 
cour. Ces individus , à leur grande taille , à leurs larges épaules , à 
leurs manteaux garnis de fourrure, et surtout aux redoutriiles 
^haches d'armes qu'ils portaient, paraissaient être des YarangieBs; 
•et quoiqu'ils ne portassent ni leur costume d'apparat, ntlenr ar* 



l^mmes,, ^«rmèpei^ pur p<4Ulff»<u;aoB^MB9r^»;9p^ 
aili^eid^i(«s,dariiiténffwr do. ptLii» ponp «toppow; à, rinv^frâb 
jfoj^iée par lee bniMctekdf PcopBiitfe g<i^y¥ét4 li'mwjpiawm 
et deux on trois de ceux-ci ayant enfin escaladé les barric^dus^ IpUt 

1«W robustes; et nerreoi. des. YaaDfl^6i»a^ll^ r^fi^Km^ WW^câfioé* 
QUHii&de l'aMlre^çAté» 

Les habitans qoi remplissaient les galeries voisines , et dODj^ ïil% 
pinp an avaiimt L'air de ciiojfwi'^Q bal]|iUi|4e tlfi^» jQmM^ doi longs 
cpmoMBntaiiVM.aav ceu procédé^. c^tils^^OrâAfplMiQmil djsposés>èf 
janeqdre le parti des Immortels». -^ Cétaitwi&bQitfe à Temper^oir^ 
disait-on , de permettre à ces barbares Bretons d'employer mfi^ 
U Tîoleoct^ pour se ph^cer enlce :sa persoDJue et> to.onb»r^gg.dyi Ijn* 
i90i:te)&de la TiU«,, Relaient en quebnme sorte «e^piyipires enfai^s^, 

Siépbanos Uatblète • ane sa. force i>f Hli gi /fw e ai sa taille irieamt 
tesQDa £iîaaMiit» nanappier parmi cenx.qpi parliiîeiit aiosi^ s'éçrM^ 
sans bésiter : — S'il y a ici une couple de braves gens qoi v^enilieiU^ 
se. joindre à nioi».ponr dire qq^.les ImmortelAr flQQt injustement 
{pdyés du, d^oit qufils ont de garder ln^pei^emoer de. L'empetenic^ 
vc^ci le bras. qui. les. placées, à côté da trdne inipériel' 

^^- Non f non 1 dit un centurion des Immortels , qfo^ nous avonsi 
d^préseKtéàrnesJecteorsieiiiileAaiQdeBacpa^; non^Stepli^nes: 
qfitt hanma^ moment peut acri^Ker«, mai^.il n'est pas> em^ore veni»i, 
mon joyau du eûrque. Tu sais qn'aujrârd^hui Cfest un de ee^.eomJteSfr 
^m^Franos de l'Occident» qui dpit Ûvrer un ooiolH^f^t or les Varan- 
gîena, qui les appellent leurs.ennemis» ontqjuelqne^roit à réclamer 
Is; préséance pour garder la liée» et.ilpourrait'aefas êtreà propop^ 
4'aYoir une querelle avee eux eu ce momeiU* Si tu avaiaseplemeiA 
U moitié autant d'eaforit que de taUle,, lu-seutirAÎaq^'unibon chee^ 
sens ne pousse des cria pour effrayer le gibier fine lorsqu'il le veit. 
Iv portée des filets qni lui sent tend^us* 

Tandis q«e l'utblète roulait ses eroa yew gris* cciQune ppivçi 
cbcsroben le sena de ceue pasabole , son petit ami Lysim^que ^ l'ar-, 
lîsle^ fitun' effort pour s'élever sur la pointe des pieds,, et dit» avea. 
ua air d'intelligence » en sfapprocbant aujtant qu'il le pouvait de 
Foireille de Harpax : — Tu peux, conipter sur ma piwrole », brave 
eentarieu : cet bomnie robnate et vigoureux ne oeurr^ pa9 ». comme. 
W cbÂea maldressé » sur upefirnsse piste jet.ne.reBter^f asrdma 1^ 



376 ROBERT, ^^ 

silence et Pinaction quand le 8ig:nal -génëral sera dbnné. Mais , dis» 

moi , ajoata*t*iI en baitoant la Toiz et en montant snr un banc qd 

mit sa bouche de niveau avec l'oreille de Harpax^ n'aurait-il pas 

mieux yalu qu'une forte garde des Tàillàns Imtnortdts eût été 

placée dans cette citadelle de bois , pour assurer Pobjet qu'on se 

propose? 

— Sans contredit > répondit le ceûturion; c'était le projet r 
mais ces Tagabonds de Y arangiens ont pris ce poste de leur propre 
autorité. 

— Et croyez-YOus , continua l'artiste, que tous ne feriez pas 
bien , vous autres qui êtes en beaucoup plus grand nombre que ces 
Barbares, d'entamer une querelle ayéc eux , ava&t qu'il &x arrive 
davantage P 

^ Soyez tranquille, l'ami, répliqua le centurion; nous savons 
ce que nous avons à 6ire. Une attaque commencée trop tdt serait 
plus qu'inutile, et nous perdrions l'occasioii d'exécuter nos projets 
en temps convenable « si nous donnions préînatnrément l'alarme en 
ce moment. 

A ces mots, il se retira avec un air de dignité au milieu de sa 
troupe, afin de ne donner Heu à aucun soupçon en s'entretenant 
plus long-temps avec ceux des conspirateurs qui faisaient partie de 
la bourgeoisie. 

A mesure que la matinée avançait et que le soleil s'éleyait sur 
Fhorizon , on voyait accoigrir de toutes lés parties de la ville les di- 
vers individus que la curiosité ou quelque motif plus décidé 
amenaient sur le lien du conibat ; et tons s'empressaient d'occuper 
les places qui étaient encore vacantes sur les gradins. Pour se 
rendre à l'endroit où l'on avait iait les préparatifs du combat, ils 
avaient à gravir une sorte de petit promontoire qui s'avançait dans 
l'Hellespont , et dont la partie qui le rattachait au rivage s'élevait 
à une hauteur assez considérable, et par conséquent commandait 
la vue du détroit séparant l'Europe de l'Asie, beaucoup mieux qne 
le vmsinage immédiat de la ville^ et surtout que le terrain encore 
plus bas sur lequel était placée la lice. En passant snr cette hautear, 
lès premiers qui arrivèrent ne s'y arrêtèrent pas , ou n'y restèrent 
qu'un instant : mais au bout d'un certain temps, quand on vit qae 
ceux qui s'étaient pressés pour arriver au champ-clos demeuraient 
en cet endroit sans motif apparent et sans occupation , ceux qui 
suivaient le même chemin s'arrêtèrent aussi par suite d'une en- 






COMTE DE f AWS. 377 

riôsîté* naturelle , payèrent nn tiîbat à la beanté de la vue , et cher- 
chèrent à deyiner si Ton ponrait trouver sur Fean quelque indioe- 
qui parût annoncer quel serait le résultat des éyènemens qui 
allaient sepasser. Quelques marins fiurent les premiers à remar- 
quer qu'une flottille — celle de Tancrède -défait arrivée de TAsie, 
et menaçait de faire une descente à Constantinople. 

— Il est étrange, dit un personnage qui avait le rang dé capitaine 
de galère , que ces petits batimens, qui avaient ordre de révenir à^ 
Constiàitinople dès qu'ib auraient débarqué des Latins, soient 
restés si long-temps à Scutari, et ne soient revenus à la «^ille im- 
périale que le second jour après leur départ. 

— Je prie le ciel, dit nn autre individu de la même profession , 
que ces bâtimens soient revenus à vide. Il me semble que leurs- 
mâts et leurs agrès portent à peu près les mêmes enseignes qu'on 
y voyait déployées quand les Latins ont été transportés veiB la Pa- 
lestine par ordre de l'empereur. On dirait que leur retour res- 
semble à celui d'une flotte de navires marchands à qui il n'a pas été 
permis de décharger leur cargaison au Uen de leur destination. 

-^ n n'y a jamais grand profit, ajouta un: des politiques dont 
nous avons déjà parlé , à trafiquer de pareilleis marehandièes, soit 
qu'on les importe ou qu'on les exporte. Cette grande bannière qui. 
est déployée sur la première de ces galères annonce la présence da 
quelque chef qui n'occupe pas un rang de peu d'importance parmi 
ces comtes , soit qu'il la doive à sa valeur ou bien à sa noUesse. 

Le capitaine ajouta du ton d'un homme qui veut donner à en- 
tendre qu'il y a quelque sujet d'alarme : — Ils semblent s'être, 
avancés dans ce détroit de manière à pouvoir profiter de la marée 
pourdoubler le cap smr lequel noussommes ; mais pourquoi|)euvent-^ 
ils débarquer si près des murs de la ville ? c'est ce que je laisse à 
décider à un homme plus habile que moi. 

— Ce n'est certainement pas dans de bonnes intentions , reprit, 
son camarade. Les richesses de la ville sont une tentation pour un 
peuple pauvre , qui n'estime le fer qu'il possède que parce qu'il lui 
fournit les moyens de se procurer l'or dont il est avide. ' 

— Sans doute, frère, répliqua Démétrins le politique,- — mais- 
ne voyez-vous pas six bons vaisseaux à l'ancre dans la baie qui est 
formée par ce cap , précisément à l'endroit où il est probable que 
la marée portera ces hérétiques; et n'<mt-ils pas sous leurs ponts 
creux les moyens de faire pleuvoir sur eux une grêle non-seulement 






G«iit«iDptriz loperuia^ s«T«qiie avidifSma c«diS| 



nw i ttr wB hieatOlr Unm^im jPgn o — Wt plw eiiteMrifMi — ktint 
« M* aimMcé par la grakb^ tg omyH a de9^ Vanngi«B0* SI ^pm» 
mte €foyes» a aoe yo psHWW» ici mi mn mmi , ei ^lyww^goB iMCf 
cette afEedre finira. 

w— 47601 vieexeeHeBte pfopofltUMi'y nen^mâuMs asA» ^tm 
a&lM eiNiyeii nemméLaBoaim. Mai» cifojea*imi8 q«e bmb aoroM 
Ui hofB Aa la perté^des tvaiia pav leefiietis cea aïklMÎenDB Latibs w 
nmnqveroiit paa^e véponéva a« feu grdgeoia^siy ocmieie imv'te 
ooqectnreE , la lotie inpérialalelance'oaHtPeewBp 

•— Gi n^eai pas ahmA mtonner, reprit DéatAtrios i awto ae w fc a a' - 
qae TOUS ayez aCftireài» hoenae^i ft^t é(^à trevré^en parallte 
eUvrimilé.. Si te Lstiiia en venûettl à 6mre une leHt éé^kargede 
leara lèdiesy je yeas proposerais ^reealer^'eiiTinon treniieteîMs^ 
et depheer amsi la eioMda cap eatreeoxetaoas, m» enfant abia' 
penmit les braver sana aneone ahnrme. 

— Yoin êtes un homme sage, Yoism, dULascarls, et-yowafaa 
le mélange de yalenr et dé oonnaksanceaqiii confient à un àeuu ne> 
arec lequel un ami ai m e r a i t à risquer sa yie en tente sAreté. By 
a des gens , parêxemple , qni ne penTentTona fhite yolr la molndM^ 
partie de oe qui se passe sans toqs mettre en danger de^mort; an 
lien qne toos , mon digne ami Bémétrias , grkee à yota^ expérienos' 
en affidres miKtaires et à tos égards ponr tos amis, yonsb êtes ste' 
de leur montrer tont ce qni* peut mvériter d^être y«r , sans fe meindM' 
danger ponr leor personne, qnhasez n a t nrdfe m e nt ife ne se son* 
dent pas d^exposer à ancnn risqne. — Mais, sainte Vfergef qœ 
sijgnifie ee pavillon rouge , que Pamiral grée vient d^rborerf 

— Vous le voyez , voisin , répondit IMmétrins; ees hérétiqoes 
de rOccidenc continuent à avancer, sans s%iquiéterdesdiflërens 
signaux que leur a faits notre amiral de né pas approcher dft* 

Vioiente.... 

Ott»» 



œMTE iHi'fitus. sm 

dttMf^m ialmitHMi incmley je^lënd œei etedâ. 

-«• Far Samte^S^phie I dh ËaMftrifl , c'ea^ Aammt «i k» a^i». 
IftA ^«i-ce q«e: iMliv mmral se^ prépare-à fitiref 

— Coorezy courez , l'ami LascarisI s'écria Démétrioaî matr^tm' 
€P irqrwg pcuinitga 'ptea qiie tw» Battes- cwieuy ^ba^ Tofc^. 

Bl po«r joindre as. précepte k force- de Pexemple, Dënéirito' 
te- eaignit les reine et se retira aYCck iriÉcaee k{Âii8'é€Ëfiaiileé» 
l'atre.efllé éi> la citée da pr ome n lrire» suvi parla plaa granit 
partie des curîewc qv? s^étaiest airêléa en œt endroit pour foir le 
ce Hit ait qne te noaveHiste «rail prenns^, et qm avaient résoln àê^ 
s^mt rapportera Ini ponr se mettre en sAreté. Lebrmt qui avaft 
alarméDéniétrina dlait la dédhi«rge d^one quantité considérdble de 
févgrégeeUy que peut-être on^ ne pent miens comparer qn^tUM* 
d^eee iimneDsea firsée» à la Olongrèrede nos jours , qm enlèTe avee 
seâ nn grappin on une ancre, et qai fend l*àren sifflant , comnift' 
Uk* 'flonim ebar^geiMa erdres de quelque magiciMi iaexoraUe* t* cffiBt'^ 
de ce fea était si terrible , que l'équipage d'un nayiire attaqué par- 
cet étrange instrumoit de mort renonçait fréquem m e nt à tons 
moyens de défense, et faismt échouer le bâtiment. On snjqpeae 
qn^nn des pmdpanz m g r é d i ens de ce fev épourantable était le 
naphte, bitume qu'oa recueille sur les bord» de la Her^Noire;^ et 
léraqv^l était unefins aHumé , Sr ne ponrait s'éteindre que par une 
oompesitien singaKère, qu'H nVtait pas probable qu'on trwKrttt' 
sens la main. 11 produisait une Année épaisse et une forte expie» 
siott; et il était capabfe, ditGiMon, de communiquer la flamme 
sait en descendant , soit latéralement ^ • Dans les sièges , on le foi*^ 
sait tomber du haut des remparts, ou on le lan^^t, comme nest 
bombes, dan» des boules de Cêr on de pierre roiq;ies au feu, ouà 
Fànlede flèches ou de javelines "entouaées de chanvre. La oompo» 
sitfon en était regardée comme un secret d^tat de la plus grande 
importance ; et pendant près de quatre siècles elle fot inconnue aux 
Mahométans. Mais enfin les Ssarrasins la découvrirent, et ils s^en 
servirent pour repousser les croisés et pour vaincre lés Grecs , 
dont il avait étélong-tempsie plus formidable instrument dedéfense. 
On peut s u p poser quelque exagération à l'époque de ce siècle bar* 

^. Pùor dé fitkit amplet détaiill sur U fëo grégeoft , Toyei GMm , dttp* Un. 



380 aOBBKT» 

bare; mib il ne paraît pas doaleiaqiieU dcmariptioB qo'eii faille 

croisé Joinville ne doive être admise comme généralement exacte. 

Ce lèa I dit le bon chevalier, traversait l'air comme nn dragon ailé 

de la grosseur d'an moid, avec le bmit du tonnerre et la vitesse 

de Péclair, et F^bscarité de la nuit était dissipée par cette horrible 

iUominathm. 

Non-sç«iement le brave Démétrins et son ami Lascaris s'en- 
fiiirent à tontes jambes à la première décharge de l'amiral grec , 
mais tonte la vÛle ; sur laquelle leur exemple eut beaucoup d'in- 
fluence, se hâta de les imiter. Quand les autres vaisseaux.de l'es- 
cadre suivirent l'exemple de l'amiral, Tair fut rempli d'un bruit 
terrible et inusité, et le firmament fut obscurci par une fiunée 
épaisse. Tandis que les fuyards passaient sur la cime du promon- 
toire, ib virent le marin dont nous avons déjà parlé conune fai- 
sant partie des spectateurs, assis tranquillement au fond d'un fossé 
sans eau, où il s'était adroitement pkcé de manière à étre> autant 
que possible, à Tabri de tout accident; il ne put cependant 
s'empêcher de Ificher une plaisanterie aux dépens des deux poli- 
tiques. 

— Quoi donc? mes bons amis I s^écria-t-il sans élever la tête an- 
dessus de la contrescarpe de son fossé, ne resterez-vous pas à 
votre poste assez long-temps pour finir cette dissertation sur les 
combats par terre et par mer que vous avez en une si bonne occa- 
sion de commencer? Croyez-moi, ce bruit fait plus de peur quej^ 
mal; le feu est lancé dans une direction opposée , et si quelqu'un 
de ces drag<ms enflammés que vous voyez vient du cdté de la ville 
au lieu d'aller vers la mer, ce ne sera que par la méprise de quel- 
que mousse qui aura allumé la mèche avec plus de bonne volonté 
que d'adresse. 

Démétrins et Lascaris n'entendirent de la harangue du héros 
naval que ce qu'il ea fallait pour les informer du nouveau danger 
dont pouvait les menacer une fausse direction donnée au feu gré- 
geois. A la tête de la foule éperdue de frayeur, ib se précipitèrent 
vers la lice, et répandirent bientôt la nouvelle alarmante que les 
Latins revenaient de l'Asie dans le dessein de débarquer à main 
armée , de piller la ville et de l'incendier. 

Le bruit inattendu qu'on entendait retentir dans les airs était 
fait pour confirmer cette nouvelle, quelque exagérée qu'elle f&t. 
Le tonnene du feu grégeois se fit entendre successivement, cha- 



COMTE DE PARIS. 381 

qae navire faisant sa décharge à pea d'faitfirvaUe Fan de l'autre; 
et y à cbaqae coup, un nuage de famée noire ae répandait, sur le 
paysage ; et s'épaisrâsamt à mesure qa'il en survenait un autre , ce 
nuage finit par ressembler à celui que soulève un feu bien soutenu 
d'artillerie moderne^ et qui couvre tout l'borizons 

La petite escadre de Tancrède était complètement dérobée à la 
vue par les tourbillons de fumée que répandaient autour d'elle les 
masses de feu lancées par Tennemi ; et il parut, par une lueur 
Tougeâtre qui commença à se montrer dans le plus ^ais des té- 
nèbres, qu'un, des'bâtimens de sa flottille au moins était en 
flammes. Cependant les I^atips résistèrent avec une obstination 
digne de leur courage et de la renommée de leur illustre chef ; ils 
trouvaient quelque avantage dans la petitesse de leurs bâtimiens , 
dans leur peu d'élévation , qui les laissait presque à fleur d'eau , 
et même dans la fumée qui les enveloppait ; circonstances qui les 
empêchaient d'être des points de mire exacts pour le feu des Grecs. 

Pour profiter de ces circonstances favorables, Tancrède,'par le 
moyen des barques, et à l'aide de signaux grossiers connus à cette 
époque, donna ordre à tous les batimens d'avancer chacun sépa- 
rément, sans s'inquiéter de ce que deviendraient Içs autres^ et de dé- 
barquer les soldats qu'il portait en quelque endroit de la côte qu'il 
pourrait atteindre, et de quelque manière que cotte inanœuvre 
pût être exécutée. Tancrède en donna lui-même le noble exemple. 
Il était à bord d'un bon navire, garanti jusqu'à un. certain point 
de l'effet duieu grégeois., parce qu'il était presque entièrement 
couvert de cuir écru , récemment mouillé. Ce bâtiment portait 
plus de; cent guerriers pleins de bravoure, dont plusieurs apparte- 
naient à l'ordre des chevaliers. ; et cependant tous s'étaient livrés 
toute la nuit à l'humble travail de la rame, et tenaient alors dans 
leurs mains chevaleresques l'arc et l'arbalète, armes qu'on regar- 
dait en général comme ne convenant qu'à des hommes d'un rang 
subalterne* Ainsi prépa^ré , le prince Tancrède dpnns^ à son hâti- 
ment toute la vélocité que pouvaient lui prociurer la inarée, le vent 
et la rame, et.le plaçant de manière à profiter de ce triple^ secours 
autant que ses connaisssances navales le lui permettaient, il 
tomba avec.larapidite.de l'éclair au milieu des vaisseaux de Lem- 
nos, lançant 4e toutes parts des flèches , des dards , des javelines 
et des traita de toute espèce, avec d'autant plus d'avantage que 
les Grecs , se fiant sur leur feu artificiel , avaient, négligé de se 



^toât tfêxntêê >émmi* Attiti> lon^s le ^ MJ i m wé M € f ri ? i wu 
Mx^Mi tMit'de êxrBÊtf wwl à mm tour f ^poinrante inu Ums 
niBgt parwM grèle^e iàclm et des tnits non «ems fonmkMn, 
oIsMflumioèrtiit'à smiir qae leur a^mîtme ^laitcmiidre qa% 
ne TaTaient ilipp»i8é, et qa*il ea ^étaît de leur la» rtmimt et h 
phipatt "des dangers^ fû ceaseut d'être vedeëlablea fdand an y 
lait thee arvtw imrépidiaé» Lea marina greea , qwmd Ua weat 
•«tiliearai prèa leabâciifteaa eeMBiia, nen^ilîa de Ladas oea^erts 
• JPader » «ii i'B M ia ieèraBrtA t edei e r tm 'coarfbîat oerp a à oorpey fiHl 
Aulèraitaoaieiiir^îotttre il6 euetoi ai redoetable. 

i]^Mi4 pee la •améeeeaaaieii^ à sortir da flano do grand navire 
:){nCy et ia'ttiaK de Vanerède «non^ à ses soldaia qne le vaiiataa 
. aMind enneni était en Im, f» snitede qnelqnenégliBenee eosh 
' fldae par leaGreea en a^^aer^aat dca mojrsna de deairaeticfti qi^ib 
possédaient , et -^e to«t ee ^Vl feaar restait à ftâre éiaît de s*en 
wair Msea Âoigoéa peifr'ne)M»nt pednt {lartager le même sort. On 
«dt don daa éttoeeUes «t desianf^ ^ jfen ^s^élaneer èe plaoe en 
^Iflce à bord de »ee ^gfnnd fattiment^ iODUSie « >oet élément eftt 
^onln Yépandre dai^antage la eomnernatian, et4raqg|ier de^aMpear 
le iMtit nofldEire de marins ^ fEttsaîent enoere attention «ox 
ordrea de l'unirai^ et ipA ehei\)h«ent à teindre le fcn. Coanae 
lia eonnaissaittit^a natnre^es matièraseadiènscibles qn'ibawent 
à bofdi le dése^ir ae joignit à la tenenr, et on ^titha iafinrtanés 
se piMpiier dn liant dea niAia, desTorgnea, dca.agràa, la pliqpsrt 
{leur tronter dansFean la mort ^i lem- yamiaiait ploa redoo- 
uMe ànmâien dea flammea. Les sdidnta de ISanarède» eesaait , 
^pior ordre de '4»a|irfoeetgénéreiix, de laneerdestniin oontredes 
"WHeods ^ ia enacéa da 4Mdde danger 4e tkmà et dn ten-» %tmi 
éf&oner levrMiimerit fvès <de ladAte, ét^nanaant danaQamer, 
^pen'praliMidewi'eet^sndrèit > tts^agnèrent'h Imresana difficaltë; 
et on graâil wiabre de hnrs eenrsiers) gvftoesAut mMarta de Isan 
MuâtMs eràila dodtUié4e eesméffianKytlnwt^aMnés en mène 
temps SOT 4e vidage. Lenrichëf ne perdit peainn iuatant poor^br- 
merime (AdhuBge swrée 4e kuiees. Léttr>ndttibFe éceit d'4sbsrd 
pen eon8idénd>]e , mais ^11 «n^Dsenta gradoeUement a mesore 
qne -ehaqne MMment de la fiottttle ^arrl^t oamme le preaisr, 
^on qiie.ypefonm tooéher leri¥afe|41y^éinit«nia^ 
eens qni'éiàient*^ boM ^iâbâ'qaaient^ «et sdUent mgÂidre Isa» 
^oempmimis* 



coKie vm ¥jjas. 113 

-ittniifé fttr le i^ent , «t le détiroit n'effilait pkni'qaecitielqties'tvi* 
1^1» dtt eentbat. Chi aper e er â it tur les flott tes *^débrjb 'épÊn^ès 
ûetoL bâiiiiieiie de^Liiiiii» ^i ft^itieiit ëié brAh^4iti oettmeiieeiiMlie 
de Faction y qiMiq[ne1étifi^(Iiiip&ge8 eussent diéy en grande jnar» 
lie , mvvés «par >lés eMnris de leurs camaraêes. Ph» bas^'dans^ 
ddcr^ky en voyait les cinq vaisseaux qui irestdent de Pescadre le 
Iietnnos, itisaiitleur i«itruite'en4és<nfdre etutee difficulté, ditts 
le tiesaek 4e gifgtter le poit Hit Cionstatttinople. A Peudiioit i|id 
vtsnait d^re la scène du ^sombirt^^tt^t amarré le vaisseau anânS, 
brâlë«'ilanr d'eau, «t dont lespoutn^^et les-plancshes envoyaieiit 
enotire vers le ciel une noire Atmée. La flottiHede Tanerède, 
^œcapée à dâmrquer ses troupes, était 'épai'se irrégulièremetftle 
4ongcte la baie , les soldats gaguântla terre couune ils le pouvaieift, 
et eourant se runger sous l'étendard de leur chef. A diverses cBs-* 
tances du rivage , îles objets noirâtt*es flotuient sur la aurCsoe de 
Feau ; iféiaieitt ouïes débris des Mtiniens qtà avident été br&lél, 
M , plus malhettreuseuient, les corps des marins qui avaient pari 
-dans le-eendNtt. 

L'étendard avait été porté à terre ^ar le page fitvori du prineiB^ 
Ernest d' Apnlie , aussitdt que la quille du bfttimetit qui portait f aii* 
^^OPède avait loucbé le sable. 11 futalors arboréau baut de ce pro- 
montolrei, situé éntre^Consiatitinople et la lice, où Lascaris, B^ 
ttëtriuB et d'autres Aéscsavrés avaient pris leur poste au comnftli^ 
ecMient'de l^crion , uras qu% avaient abandonné par suite de3a 
double fiwjfWr 4ue teuruvdetft causéele feu des Grecs etles traita 
oieaLaliiia. 



CHAPITRE XXX. 



4baaBBde.4Matttflap,^et teBaut'de'laiuai& droite 4'i(«aHdaHl<de 

'8ea«Mêtraa, TaneràderTOitaevue'sa po%née»de guerviémoaUBie 

^iitantde «MMs^delnuna», s^uatendantà une attaque de'Ia^Mrt 

dea6i«iafui occaj^aieitttalien, «0tt4e gml ^uofMîebtenlMde 



S84 ROBERT, 

Jits portes de la ynOe, les mu aoldau, les autres citoyens i et 
presque tooi équipés comme pour combattre. Ces individos , alar- 
més par les divers bruits qui avaient couru sur l'action navale et 
sur ses suites, se précipitèrent vers Tétendard du prince Tancrède, 
Jans rintentioE de l'abattre et de disperser les gardes qui lui de- 
vaient hommage et défense. Mais s'il est jamais arrivé au lecteur 
4e parcourir tm pays de pâturages suivi d'un chien de bonne race, 
il doit avoir remarqué , dans la déférence que le chien du berger 
finit par avoir pour le noble animal tandis qu'il traversé la vallée 
«solitaire dont le premier se croit seigneur et gardien, quelque 
xhose d'assez semblable à la conduite des Grecs courroucés , quand 
ils s'approchèrent de la petite troupe de Francs. Au premier symp- 
tôme de l'arrivée d'un intrus, le chien de berger s'éveille en sur- 
.saut, et s'élance vers le noble étranger avec une bruyante décla- 
ration de guerre ; mais quand la diminution de la distance qui les 
sépare montre à l'agresseur la taille et la force de son adversaire, 
il revient comme un croiseur qui, dans une chasse, s'aperçoit qu'il 
a affaire à deux étages de canons au lieu d'un seul. Il fait halte, 
il suspend ses aboiemens bruyans, et enfin il bat lâchement en re- 
traite vers son maître, en donnant les preuves les plus honteuses 
qu'il refuse positivement le combat. 

Ce fut de cette manière que les troupes tumultueuses des Grecs, 
avec de grands cris et beaucoup de jactance, se précipitèrent de 
la ville et de la lice, dans l'intention apparente de chasser de leur 
{M)ste les compagnons peu nombreux de Tancrède. *Mais à mesure 
qu'ils avancèrent, et qu'ils purent remarquer le calme et le bon 
ordre des hommes qui venaient de débarquer, et qui s'étaient ran- 
gés sous la bannière de leur noble chef, leur résolution d'en venir 
sur-le-champ au combat changea totalement ; leur course devint 
une marche incertaine et chancelante ; ils tournèrent la tête plus 
souvent du côté d'où ils venaient que vers l'ennemi ; et leur désir 
de provoquer une querelle à l'instant même s'évanouit quand ils 
ne virent pas le moindre indice qu9 leurs adversaires s*en in* 
quiétassent. 

Ce qui ajoutait à l'extrême confiance avec laquelle les Latins 
maintenaient leur position, c'étaient les fréquens renforts qu'ils re- 
cevaient de leurs camarades qui débarquaient par détachemens le 
long de la oôte, et en. moins d'une heure ils se trouvèrent à peu 
près eu même nombre , tant à ,pied qu'à cheval, qu'ils éuient 



COMTE DE PARIS. 385 

partis de Scatari , n'ayant perdu qae qadqaes hommes dans le 
combat. 

Une autre raison 4^ empêcha les Latins d'être attaqués fat 
qu'aucun des deux principaux partis qui se trouyaient en armes 
près de Gonstantinople n'était disposé à entrer en querelle ayec 
eux« Ceux dés gardes, de toute espèce, qui étaient fidèles à l'em- 
pereur, et plus particulièrement les Yarangiens, ayaient ordre de 
rester à leur poste ; les uns dans 1^ Uce, les autres à différens 
points de rassemblement dans Constantinople, où leur présence 
était nécessaire pour prévenir les suites de l'insurrection soudaine 
qu'Alexis savait être méditée contre lui. Ceux-ci ne firent donc 
aucune démonstration hostile contre les Latins, et l'intention de 
l'empereur n'était pas qu'ils en fissent. 

D'un antre côté, la plus grande partie des Immortels et des ci- 
toyens qui étaient disposés à jouer un rôle dans la. conspiration , 
avaient ét^ persuadés par les stgens d' Agélastès que cette troupe 
de Latins, commandés parTancrède^ parent de Bohémond , avait 
été e9voyée par celui-ci pour les aider; de sorte qu'ils ne firent 
aucune tentative pour guider ou diriger les efforts du peuple , qui 
était tenté d'attaquer ces hôtes inattendus. Ce projet ne trouva 
donc pas un très grand nombre de partisans^ et la plupart ne de- 
mandaient pas mieux que de trouver une excuse pour rester tran- 
quilles*. 

Cependant Tempereur, de son palais de Blaquemal, observait 
ce qui se passait sur le détroit , et il vit son escadre de Lemnos 
complètement échouer dans la tentative d'empêcher, par le moyen 
du feu grégeois, le débarquement de Tancrède et de ses compa- 
gnons^ H n'eut pas plus tôt vu le principal vaisseau de cette flotte 
commencer à dissiper les ténèbres par l'incendie allumé sur son 
propre bord, qu'il prit secrètement la résolution de désavouer le 
malheureux amiral, et de faire sa paix avec les Latins, en leur 
envoyant la tête de cet officier, si cela était absolument nécessaire. 
A peine eut-il donc vu lés flammes éclater, et les cinq autres na- 
vires battre en retraite , que la mort de l'infortuné Phraortès, car 
tel était le nom de l'amiral, fut décidée dans son esprit. 

En ce moment, Acbillès.Tatius, déterminé à avoir les yeux ou- 
verts sur l'empereur, dans cette crise importante , entra précipi- 
tamment dans le palais d'un air fort alarmé. 

— Sircj mon maître 1 s'écria-t-il, je suis malheureux d'être por- 



3d8 nOBERT, 

tdor de A manraîses nouvelles ; mais les Latins ont rëassi l reve- 
nir en grand nombre de Scntari. L'escadre de Lemnos a cherché à 
les arrêter^ eomme Pavait décidé la nvH dernière le conseil impé- 
rial de guerre. Une forte décharge de fen grégeois a br&lé qadqaes 
bâtimens des croisés , mais le plus grand nombre d'entre eox ont 
continué leid* eonrse , et brûlé le vaissean amiral, et Ton assure 
que Pinfortoiié Phraortès a péri avec presque tont son éqidpage; 
les antrea navires ont oonpé lenrs câbles , et ont abandonné la dé- 
fense da passage de l'HelIespont. 

— Et TOUS f Achillès Tatitts , dit Pemperenr , dans qàel dessein 
Tenez-voas m'ânnoncer cette fichense nouvelle, quand il est trop 
tard pour que je puisse en détourner les suites? 

— Avec votre permission, très gracieux empereur, réponffît 
le oonspiratenr , non sans rougir et sans bégayer, ce n'était pas ce 
que je pensais* J'avais espéré tous soumettre un plan par lequd 
j'aurais pu préparer les ycries pour réparer eet échec* < 

— Eh bien! quel est ce plan , Monsieur? demanda Fmpereor 
drun ton see* 

— Avec la permissioii de Yotre Hajesté très sacrée , répondit 
Tacolouthos , je me serais chargé moi-même de conduire contre 
ce T ancrède et ses Italiens les haches des fidèles Varangiens , qui 
ne s'inqmèteront pas plus du petit nombre de Francs qui ont dé- 
barqué, que le fermier ne se soucie des rats, des souris, et de 
toute autre vermine malfaisante, qui infestent ses greniers* 

^ Et qu'avez-vous dessein que je fasse , tandis que mes Anglo- 
Saxons combattront pour moi ? 

-*- Votre Majesté, r^ondit Achillès , qui n'était pas tout-à-firit 
satisfait du ton see et caustique que prenait l'empereur eu lui par- 
lant , peut se mettre à la tête des cohortes des Immortels de Con- 
stântinople; et je vous garantis que vous rendrez complète la fie- 
toire sur les Latins , ou du moins que vous écarterez la plus légère 
chance d'une défûte, en avançant à la tête de ce corps d'élite de 
troupes nationales , si l'éTènement de la journée paraissait 
douteux. 

— Mais vous, Achillès Tatius, vous-même, vous nous avez 
plusieurs fois assuré que ces Immortels conserrent un attachement 
pervers pour le rebelle Ursd* Gomment donc voudriez-TOUS que 
notre confiance chargeât cette troupe du soin de notre défense,' 
quand nos vaillans Tarangiens seront occupés du combat que tous 



COMTE DET PARIS. 387 

proposez contre la flenr dé Farmée d19ccid6nt ? Ayez-yons songé 
à ce ris<iae, acolonthos? 

Achillès Tatins , très alarmé d'an £scoars (pà semblait loi don- 
ner à entendre <iaè ses projets étaient connus, répondit qae, dans 
sa précipitation y il ayait été plas empressé de proposer le plan qui 
I^exposait lui-même an plus grand danger, qae celai qai peut-être 
promettait plus de sûreté personnelle à Fempereur son maître. 

— Je yons remercie d'ayoir agi ainsi , répondit l'empereur ; yous 
ayez préyenu mes désirs , ^oiqu'il ne soit pas en mon pouyoir en 
ce moment de suiyre Payis qne yous me donnez. J*anrais été, sans 
contredit y très content qae ces Latins eussent repassé le détroit , 
comme on me Payait suggéré dans le conseil de la nuit dernière : 
mais puisqu'ils sont arriyés, et qu'ils sont les armes à la main sur 
nos cdtes, il yaut mieux les gorger d'argent et de butin que de sa- 
4crffîer la yie de nos brayes sujets. Après tout , nous ne pouyons 
croire qu'ils soient yenus ayec une sérieuse intention d'exécuter 
des projets hostiles ; ce ne peut être que le désir insensé de yoir des 
feitsde braypure et un conô>at singulier, ce qui est pour eux conuné 
le souffle de leurs narines , qui les ait portés à cette contre4Darclie 
partielle. Je yous ordonne donc , Achillès Tatius, et je donne le 
même ordre an protospathaire, de yous rendre près de cet |éten- 
dard, et d'apprendre du chef de ces Latins, le prince Tancrède, 
— s'il s'y trouye en personne, — la cause de son retour ici , et dé 
son combat ayec Phraortès et Pescadire de Lemnos. Si Ton nous 
offre quètqne excuse raisonnable, nous ne réfliserons pas de nous 
en contenter, car nous n'ayons pas fait tant de sacrifices dans la 
yne du ntaintien de la paix , pour faire éclater la guerre, et , après 
tout , un si grand malheur peut s'éyiter. Vous receyrez donc ayec 
calme et complaisance les apologies qu'ils pourront être disposés 
à faire ; et soyez bien sûrs que la yue de ce combat singulier, de 
ce spectacle de marionnettes , suffira potir bannir tonte autre con- 
sidération de l'esprit de ces éceryelés de croisés. 

Quelqu'un frappa en ce moment à la porte de l'appartement, et 
l'empereur ayant dit qu'on pouyait entrer, le protospathaire se 
présenta. H était couyert d'une armure splendide, à la manière 
des anciens Romains ; son casque était sans yisière, et la pâleur 
et l'inquiétude qu'on yoyait empreintes sur sa physionomie n'é- 
taient pas trop d'accord ayec son cimier martial et legrand panache 
qui le décorait. II reçut l'ordre dont il a déjà été parlé, ayec d'au- 

25. 



388 ROBERT, 

tant moins d'empressement que Facolouthos lai était adjoint comme 
collègue ; car, comme le lecteur peut selerappeler, ces deux offi- 
ciers étaient chefs de deux factions différentes dans l'armée, et ne 
vivaient pas dans la meilleure intelligence. L'acolouthos lui-même 
ne regarda pas l'adjonction du protospathaire comme une preuve 
de la confiance de Fempereur, ou comme une garantie de sa propre 
sûreté* Cependant il était dans le Blaquernal, où les esclaves da 
palais n'hésitaient jamais à exécuter un officier de la couronne 
quand ils en recevaient l'ordre. Les deux généraux n'eurent donc 
d'autre alternative que d'obéir, comme deux lévriers qu'on attache 
malgré eux à la même laisse. Achillès Tatius espéra qu'il pourrait 
se tirer d'affaire à l'aide de sa mission auprès de Tancrède; après 
quoi il pensa que l'explosion de la conspiration pourriait avoir lieu 
et réussir sans obstacle, soit que ce f&t une révolution désirée et 
appuyée par les Latins , ou un événement auquel ils étaient com» 
plètement indifférens. 

Le dernier ordre que leur donna Alexis fut de monter à cHèval 
quand la grande trompette des Yarangiens leur en donnerait le si- 
gnal, de se mettre à la tète des Anglo-Saxons qui étaient rangés 
dans la cour de leurs casernes, et d'attendre les ordres ultérieurs 
de l'empereur. 

Il y avait dans cet arrangement quelque chose qui pesait sur la 
conscience d' Achillès Tatius; et cependant il ne pouvait se justi- 
fier ses craintes que par la connaissance qu'il avait de ses trames 
criminelles. Il sentit pourtant qu'étant retenu, sous prétexte d'uie 
mission honorable, à la tête des Yarangiens, il était privé de la li- 
berté d'agir et de s'entendre avec le césar et Herewàrd, qu'il re- 
gardait comme ses complices les plus actifs ; ne sachant pas que le 
premier était en ce moment prisonnier dans le Blaquemal> où 
Alexis l'avait fait arrêter dans l'appartement de l'impératrice, et 
que le second était l'appui le plus solide de Gomnène pendant cette 
journée importante. 

Quand l'énorme trompette des Yarangiens fit entendre son si- 
gnal dans toute la ville, le prostopatliaire entraîna Achillès avec 
lui au rendez-vous des Yarangiens. Chemin faisant, il lui dit d'un 
ton d'indifférence : — Gomme l'empereur est aujourd'hui en cam- 
pagne en personne, il est entendu que vous , qui êtes son repré- 
sentant , son acolouthos , vous ne donnerez aucun ordre à la garde> 
à moins qu'il ne vous ait été envoyé directement par Sa Majesté f 



COMtE DE PARIS. âSd 

^e sorte que tous devez r^arder votre autorité comme saspen^ 
doe pour anjourd'hai. 

— Je regrette, dit AcbiUès , qu'on ait em avoir des motifs pour 
de telles précautions. Je m'étais flatté que ma loyauté , ma fidé* 
lité.*.;. Mais j'obéis en toutes choses au bon plaisir de l'em- 
pereur* 

-^- Tels sont ses ordres , dit le protospathaire , et vous savez 
sous quelle peine l'obéissance est exigée. 

— Si je l'avais oublié, répondit Acbillès, la composition de cette 
troupe me le rappellerait, puisque j'y vois non-seulement une 
grande partie de ces Yarangiens , qui sont les défenseurs immé- 
diats du trône de Fempereur, mais ces esclaves du palais qui sont 
les exécuteurs de ses volontés. 

Le prptospathaire ne lui répondit rien ; et plus Facolouthos exa- 
minait avec attention le détachement qui le suivait , et qui montait 
au nomlnre peu ordinaire de trois mille hommes , plus il avait lien 
de croire qu'il pourrait se regarder comme fort heureux s'il par- 
venait, par le moyen d' Agélastès, du césar ou d'Hereward, à trans- 
mettre aux conspirateurs un signal pour leur recommander de 
suspendre l'explosion projetée, contre laquelle l'empereur semblait 
avoir pris ses précautions avec une prudence extraordinaire. Il au- 
rait abandonné tous les rêves d'empire dont il s'était bercé si peu de 
temps auparavant pour entrevoir le panache d'azur de Nicéphore, 
le manteau blanc d' Agélastès , ou même pour voir briller la hache 
d'armes d'Hereward. Nulle part il ne pouvait apercevoir aucun de 
ces objets ; et le perfide acolouthos ne fut pas médiocrement em« 
barrasse, en remarquant que, de quelque câté qu!il portât les 
yeux, ceux du prostopathaire^ et surtout des fidèles esclaves du pa-^ 
lais, les suivaient et semblaient épier leurs mouvemens. 

Parmi les nombreux soldats qu'il voyait de toutes parts , il Iw 
fut impossible de reconnaître un seul homme aveclequelil pût échan- 
ger un coup d'oeil d'amitié ou de confiance : et il resta dans cette 
agonie de terreur, qui est d'autant plus désespérante que le traître 
sait que, oitouré de divers ennemis, ses propres craintes sont ce qui 
doit le plus probablement le trahir. A mesure que le danger lui parut 
s'augmenter et que son imagination alarmée chercha à découvrir 
de nouvelles raisons pour trembler, il conclut en lui-même qu'un 
des trois principaux conspirateurs, ou du moins qu'un de leurs 
instrumens subalternes, s'était rendu délateur; et il délibéra s'il 



390 ROBERT, 

ne chercherait pas, à obtenir le pardon de la part qu'il avait prise 
un- complot y en se jetant anx pieds de Femperear, et en lai fidsant 
nn ayeu complet. Mais la crainte de trop se presser en ayant r^ 
cours à on si tÎI moyen poor se sanTer, et Pabsence j^Alexis, se 
Téonirent pour retenir snr ses lèvres nn secret d'où dépendait non- 
seulement sa fortune future, mais même son existence. Il était 
donc comme plongé dans une mer de troubles et d'incertitudes , 
tandis que les pointes de terre qui semblaient lui promettre nn re» 
fnge ne se montraient que dans l'éloignement ^ dans l'obscurité, et 
semblaient très difficiles à atteindre. 



CHAPITRE XXXL 



DmMÎB.'— Oh! c'flct iMontAt, épugaei^k, de grAcc 1 
Il o'ett point à U mort préparé. 



rvi 



' Perdant qu'Achfflès Tatins, au comMe de Pinquiétude pour sa 
sûreté personnelle, attendait que les fik si compliqués de la poE- 
tiqne d'État se dâ>rouillassent , un conseil pmé de la famille impé^ 
riole se tenait dans la salle appelée le temple des Bfusesy qui, 
comme nous l-avonsdéjà dit plusieurs fois , était Pappartement où 
la princesse Anne Gomnène avait coutume de foire, dans la soiréct 
la lecture de ses ouyràges à ceux qu'elle admettait à cet honneur. 
iSe conseil se composait de Pempereur, de l'impératrice Irène, et 
de la princesse Anne; et le patriarche de PEglise grecqifey assis- 
tait , comme une sorte de médiateur entre une séyétité excessif 
;etun degré dangereux d'indulgence. 

' ' 7^ Me me -parlez ^as, Irène , dit Pempereur, des belles choses 
qu'on peut dire en foyeur de la pitié. J'ai renoncé à ma juste Yca* 
geance à l'égard du rebelle Ursel, et quelayantage en ài-je tiréf 
Ce vieillard obstiné, au Heu dese montrer traitâble, et sendble àh 
gAiérosité ayec laquelle je lui ai laissé la yie et les yeux , peut à 
peine se résoudre à foire quelques efforts en foreur dHm prince à 
^ui il en est redevable. J^avais coutume de penser que la vue et Ip 



COMTE DS PARIS. Ml 

souffle de U Tie étaient des choses pour la conseryntion desqveUfs 
on ferait tons les sacrifices possibles t loais je crois nifunteiiai^t 
fn'on ne les regarde qpie comme des joneuu Ne me parlez donc pas 
de la reconnaissance dont je serais payi en épargnant cet ingrat. 
-^ Et croyez-moi^ ma fiUe , a^nta*t-il en se toomant Ters AnM» 
non-seolonent tons mes snyjets» si je suivais irotre avis., riraieiii à 
mes dépens en me voyant épargna un liomma qui avait si déter- 
minément jnré ma pertet mais vonspmâme seriez la prcBDosàre à me 
reprocher Facte de folle indulgence qae vous faites en ce moment 
tant d'eflDrts ponr m'arracher. 

— Le bon plaisir de Votre Slajestér dit le palriarcbai est donc 
biaK décidément cpe votre nulheareax gendre soit pnni^^demort 
poor avoir été entraîné dans ce complot par leaartifices da ce mi- 
sérahle pai'en Agélastès et par le traître AchiUès Tatins ? 

•^Telle est ma résolution , rendit l'enq^ereur* Et pour preuve 
5pe je n'ai pas dessein de faire snivre ma sentence par nne apyt- 
rvnce d'exécution senlement, comme j'ai fait à Tégard d'Uraeî, se 
perfidci cet ingrat sera conduit du haut 4e l'escalier du puits de 
TAchéron, dans la grande chambre appelée la laUe de jugement* à 
Tesitrémité de laqneU» tous les préparaUbdarcKécntien sont d^jà 
fûta;etjejnre«M 

*— Ne jurez pas, a'écna le patriarchef je vous le défends an 
nom du ciel, qjai parle par ma voix, tout indigne qu'elle est. N'é- 
teignez pas le chanvre ^ ni fbme encore l Ne détruisez pas le foiUe 
espoir qui peut rester, que vous vous laisserez persuader de chan- 
ger de dessein à l'égard de votre gendre égaoré, dans TintervaUe 
qui lui re^te pour implorer votre merci» Souveuez^viimi des re- 
mords de Constantin 1 

-— Que vent dire Votre Révérence? demanda Irène^ 

-^ Une bagatelle, ditl'empeopenr; une chose qui n'est pas cUgue 
de sortir d- une bouche comme celle du patriarche, puisque c-esl , 
suivant toutes les porobalbilités, un débris du paganisme* 

-^ Qu^esUse que c'est? s'écrièrent les deu:( dames avec empves- 
sement , dans l'espoir d*enlendre qud(|ae chose qui pourrait venir 
à l'appui de leurs argumens , ^ peut*étre aussi par un mouvement 
de curiosité, iontweat qui sommeille rarement dans le cœur 
d'allié If^mme , mtee quand de phia fortes passions sont sous les 
s* 
Ls'paJariarche vous le dira> répondit Alexis, puisqu^il bM que 



S92 ROBERT, 

Toos le sachiez ; maû je voas garantis que vos argamens ne pmse- 

ront aucnne aide dans cette sotte légende. 

— EcoutezJa pourtant, dit le patriarche; car, quoiqu'elle soit 
ancienne, et qu'on suppose quelquefois qu'elle se reporte au temps 
où le paganisme dominait encore, il n'en est pas moins vrai qu'il 
s'agit d'un vœu fait, et enregistré dans la chancellerie du vrai 
Dieu, par un empereur de la Grèce. 

L'histoire que je vais vous conter, continua-t-il , a rapport, non- 
seulement à un empereur chrétien, mais à cet empereur qui rendit 
chrétien tout son empire, à ce Constantin qui fut aussi le premier 
qui en déclara Byzance la métropole. 

Ce héros , également remarquable par son zèle pour la religion 
et par ses exploits guerriers, vit le cid lui accorder des victoires 
répétées et tous les bien&its possibles , excepté cette union dans 
sa famille, objet des vœux des hommes les plus sages. Non-seule- 
ment là bénédiction de la concorde entre les firères fut refusée à la 
fiunille de cet empereur, au milieu de ses triomphes, mais un fils, 
plein de mérite et d'un âge mûr, qui avait été accusé d'aspirer à 
partager le trône de son père^ fut, tout à coup et à minuit, sommé 
de répondre à une accusation capitale de trahison. Vous me dispen* 
serez aisément de vous rapporter les artifices à l'aide desqueb le 
fils fut présenté comme coupable aux yeux du père. Il me su£Sra 
de vous dire que le malheureux prince succomba, victime du crime 
de sa belle-mère Fausta ! et qu'il dédaigna de se justifier d'une 
accusation si fausse et si monstrueuse. On dit que le courroux de 
Constantin contre son fils fut entretenu par des flatteurs , qui hd 
firent observer que Crispus n'avait pas même daigné implorer sa 
merci ou cherché à se justifier d'un crime si horrible. 

Mais la mort n'eut pas plus t6t frappé ce prince innocent , que 

son père obtint la preuve qu'il avait agi avec trop de précipitation. 

n était alors occupé à faire constiuire les parties souterraines de 

ce palais de Blaqnemal , et il voulut y placer un monument de son 

chagrin paternel et de ses remords. Au haut de l'escalier appelé 

'4e puits de l'Achéron, il fit construire une grande salle, qu'on 

■' nomme encore la salle de jugement , et où se font les exécutions. 

•On passe sous une porte voûtée pour entrer dans ce lieu de misère, 

où se trouvent la hache et les autres instrumens pour l'exécution 

des grands criminels d'État. Au-dessus de cette porte fut placée une 

^espèce d'autel en marbre , surmontée de la statue de l'infortuné 



COMTE DE PARIS. 393 

Crispns. Cette statue était d'or, et on lisait au-dessous cette inscrip» 
tion mémorable : A wm fils> que j'ai gondamiiiE ingonsidiEr£ii£nt , 

ET QUE j'ai VAIt EXléCUTER ATEC TllOI» DE PAtfCIPITATIOlf . En COnStlni- 

sant cet antd , Constantin fit vœu, tant pour loi qae pour sa posté» 
rite, que Pempereur régnant se tiendrait près de la statue de 
Oispus tontes les fois qu'un membre de sa famille serait conduit à 
l'exécution , et ayant de le laisser passer de ta salle de jugement 
dans la chambre de la mort , pour qu'il pût se convaincre person- 
nellement de la Térité de l'accusation qui l'avait fait condamner au 
trépas. 

Le temps 8*est écoulé. — On se souvient de Constantin presque 
eomrae d'un saint , et le respect qu'on a pour sa mémoire laisse 
dans l'ombre l'anecdote de la mort de son fils. Les besoins de l'Etat 
ont rendu impossible de conserver une statue d'une valeur im* 
mense , et qui rappelait le souvenir désagréable de la faute d'un si 
grand homme. Les prédécesseurs de Votre Majesté impériale ont 
employé lé métal qui la formait à fournir aux frais des guerres 
contre les Turcs, et la mémoire des remords de Constantin ne s'est 
perpétuée que par une tradition obscure conservée dans l'Eglise 
ou dans le palais. Cependant, à moins que Votre Majesté n'ait de 
fortes raisons à y opposer, mon opinion serait que vous manqueriez 
presque aux ^ards dus à la mémoire du plus grand de vos prédé- 
cesseurs si vous ne donniez à ce malheureux criminel , votre si 
proche parent, l'occasion de plaider sa cause en passant devant 
l'autel de refuge, nom communément donné au monument de l'in- 
fortuné Grispus, fils de Constantin, quoique maintenant il soit 
dépouillé des lettres d'or qui composaient l'inscription, et de la 
statue de même métal qui représentait ce jeune prince. — 

En ce moment une musique funèbre se fit entendre sur l'escalier 
dont il a été si souvent parlé. — S'il fout que j'entende le càar 
Micéphore Brienne avant qu'il ait passé l'autel de refuge, dit 
Alexis, il n'y a pas de temps à perdre; car ces sons lugubres 
annoncent qu'il approche déjà de la salle de jugement. 

L'impératrice et sa fille commencèrent à l'instant , avec les plus 
vives instances, à supplier Alexis de rétoquer la sentence qu'il 
avait prononcée contre le césar, et à le conjurer, s'il désirait 
maintenir la paix dans sa familte et acquérir des droits étemels à 
la reconnaissance de sa femme et de sa fille, d'écouter leurs prières 



39* ROWIRT, 

en Eayeor d'un infortaué qui »yait été eatr«^ âma^na ckîhib 

aa^el 909 ço&qx n'ayait pri» aucune paru 

— Da nu)in9| jç le y^rai , iix remp^eniCâ Qt te safaHi vœu de 
Constantin sera strictement observé dans ceu^ occasion. Mais 
souyene^-yçu&i fwime^ inconsidérées » qu'il j a autant de diffé- 
rence entre Crispas et le césari qu'entre rinwcence et le crîma; 
et que par conséquent leur deo^tin peut i^tre décidé ayec jjustîQe 
par des principes opposés et ayeç de& résultat» difiSéreos. Mais je 
yerrai le criminel en &ee^ PaArJwcbep^ yeuapouyez m'«ccompagner 

pour rendre à un mourant les «eryices qui sont en yotre pouyoir* 

Quant à ypu3« feamie etbeUe-mère du criminel, je crois que yoas 
fere^ n4eux de ypus retirer d^ns une église pour prier Dieu pour 
Tame du défuuit, quç de trmUf^ 9e9 deruier» m^meua par des 
lamentations inutiles^ 

-T. Ale^, ài% Ixèmt jp. wus prie d'être bien conyaincu que nous 
W Tau3 quitterow pas en vous yoyam cett^ yolenté opiniâtre de 
r^;)audre le wfg % de peur ^e y^w w Içtis^ea^ 1 pour écrire yotre 
bi^Jtoirei des m^t^i«.ux pWdigM9^d0.Mmp9^âeNéroo^pB» de celoi 
ip Cpnstantiu^ 

yemperem?, sm^rieu répondre 1 se mit en mardie yers I^'saUe 
de juçementf Une lumière plus yiye qut> d'ordinaire brillait d^à 
sur Tescalier du puita de l'Jkcbéron, et l'o» entendait en sortir, a 
intenrall^^ égani;, le son des psaumes d^ la pénitence» que l'flgUse 
^ecque ordonne de cbanter lors de l'exécution des criminels* Yin^ 
esdayes muets 1 portant des» turbans dont la couleur pale donnait 
nn sûr lugubre k lemrs traits ridés et w, éclat étincelant au bU»c 
de leurs yeu^s;, montaient i^n a deu^i^ et semblaient sertir des 
entrailles de la terre ; chacun d'eux tenait d'une nmin un sabre m, 
et de l'antre UvM torebe allnmée^ Après ew^. yfmait rinfortuné 
Nicépbore» H ayai); l'air d'un bomx»e déjà à demi mort de la ter 
reor quç bii inspirait un trépas si prod^ain; et le peu d'aitentisQ 
dont il était çapjJ>Ie était donnée k deux moines en robfrnoirca fà 
lui répéuient alterBatiyemeut de^ passages tirés de l'Scriturei en 
grec, suiyant lai^orme de déTOtîon adopté» par la, cour de Constan- 
tinople^ l^e costume dn^éswr répondait à sa, tri^stefortunet Ilayait 
les jambes et l^ bras nysi et nue simple tunique blanche, dent le 
collet 4tait déjà ra^aUn». prouTait qu'^ ayait pris les, yêlemens $0 
dey^ent H servir dans a§9 demiej» mmnensi^ Vu g^rmd et robust<^ 



CtoMTE DE PAWS- 395 

esdave niAfien, qpi se regardait évidemment comipe le personnage 
le pins important du cortège, portait sur son épaule nne grande et 
loiôrde hache d'exécntenr, et, comme nn démon <jai soit nn aorcior, 
marchait pas à pas après sa victime. Venaient ensuite <jnatre pré* 
très qni chantaient tour à tour, à hante YQix> un verset des psaumes 
usités en pareille occasion ; et le cortège était fermé par une troupe 
d'esdayes arm& de carquois, de flèches et de lances, pour résister 
à tonte tentative qu'on pourrait faire pour délivrer le prisonnier. 

H aurait feUu un cçeur plus dur ({ne celui de la malheureuse 
princesse pour résister à la vue du somJ>re appareil qui environnait 
un objet chéri, l'amant de sa jeunesse, l'époux qui avait reposé sur 
son sein, à Pinstant de terminer sa carrière mort^e. 

Gomme ce cortège lugubre approchait de l'autel de refagè» Vl 
demi entouré par les deux grands bra^ étendus qui sortaient du 
mur, l'empereur, qui était direçteinent sur son passage, jeta si|r 
la flamme de l'autel quelques firagmens de bois aromatiques tremp& 
dans de l'esprit de vin, et la flamme qui s'en éleva aussitôt jeta une 
forte lumière sur la procession fui^èbre, sur le visage de celui qui 
en était le principal personnage et sur les traits des esclaves, dont 
la plupart avaient éteint les flambeaux qui le^r avaient servi en 
montant l'escalier ténébreux. 

lia lueur soudaine qui jaillit de l'autel ne manqua pas de rendre 
Pempereur et les prinijesses visibles au triste groupe qui s'avançait 
dans la salle. — Tous s'arrêtèrent , tous, gardèrent le silence. 
L'hymne de contrition cessa même de se faire entendre. C'était 
une rencontre, comme le dit la princesse Anne dans son hi3tQire, 
semblable à celle qui eut lieu entre Ulysse et les habitai^s de l'autre 
monde, qui, lorsqu'ils eurent goûté du sang de ses sacrifices^ te 
reconnurent à la vérité , mais avec de vaines lamentations et des 
gestes {a3>Ies et obscurs. Pe tout le groupe , la sçule figure rendue 
pfais distincte était celle de l'exécuteur gigantesque , dont le front 
élevé et sillonné de rides, et la grande hac]he, recevaient et réflé- 
chissaient Féclat brillant de Is^ fiamme qui brûlait sur l'autel. 
Alexis vit la nécessité de; rompre le silence, de crainte de laisser à 
ceux qui intercédaient en &veur du prisonnier l'occasion de renou- 
Teler leurs instances. 

— Nicéphore Brieune , dît-îj d'une vqîx qui , quoique ordinaire- 
ment interrompue par une légère hésitation, qui lui avait fait don- 
ner par ses çnnemis le sobriqi^^t de bègue, était pourtant; dans les 



396 ROBERT, 

occasions importantes , comme celle dont il s'agissait, si habile- 
ment conduite , si parfaitement cadencée , qu'on ne s'apercevait 
nullement de ce défaut; Nicéphore Brienne, ci-deyant césar, une 
juste sentence a été prononcée , portant qu'ayant conspiré contre 
la vie de ton souverain légitime et de ton père affectionné Alexis 
Comnène, ta subiras la peine de mort, en ayant la tête séparée de 
ton corps. Je viens donc ici , devant ce dernier autel de refuge, 
suivant le Vœu de l'immortel Constantin, te demander si tu as 
quelque motif à alléguer contre l'exécution de cette sentence.- 
Même à cette onzième heure, ta langue est déliée, et tu peux parler 
avec liberté pour défendre ta vie. Tout est préparé dans ce monde 
et dans l'autre. Jette un coup d'oeil au-delà de cette porte voûtée ; 
le bloc est prêt ; regarde derrière toi , la hache est aiguisée. Ta 
place dans l'antre monde, bonne ou mauvaise, est déjà déterminée. 
he temps s'enfuit, et l'éternité s'approche. Si tu as quelque chose 
a dire , parle librement ; sinon, reconnais la justice de ta sentence, 
et marche à la mort. 

L'empereur conmiença cette harangue avec ce regard décrit par 
sa fille comme aussi perçant que Téclair qui sillonne la nne, et, si 
ses discours ne coulaient pas précisément comme la lave brûlante, 
c'étaient cependant les accens d'un homme ayant le pouvoirabsoln 
de commander; aussi produisirent-ils nn effet sensible, non-seule* 
ment sur le criminel , mais sur l'empereur lui-même, dont les yeux 
humides et la voix prête à lui manquer annonçaient qu'il sentait et 
qu'il appréciait l'importance futaie de ce moment. 

Faisant un effort pour en revenir à la conclusion du discours qu'il 
avait commencé, Alexis demanda de nouveau si le prisonnier avait 
quelque chose à dire pour sa défense. 

Nicéphore n^était pas nn de ces criminels endurcis qu'on peut 
appeler les prodiges de l'histoire, d'après le sang-froid avec leqoel 
ils ont contemplé le résultat de levars crimes, soit dans leur propre 
châtiment, soit dans les infortunes des antres* — J'ai été tenté, 
dit-il en tombant à genoux, et j'ai succombé. Je n'ai rien à alléguer 
en excuse de ma folie et de mon ingratitude; mais je sois prêta 
mourir pour expier mon crime. Un profond soupir, presque un cri 
d'efEroi, se fit entendre derrière l'empereur; et la cause en fut ré- 
vélée sur-le-champ par Irène, qui s'écria : — Sire ! sire I votre fille 
est morte I Et, dans le fait, ^Anne Gonmène était tombée sans mou- 
vement dans les bras de sa mère. Sur-le-champ, le père ne songea 



COMTE DE PARIS. 397 

plus qu'à soutenir sa fille évanouie, et le malheareox Nicëphore 
lutta contre ses gardes pour qu'il lui fût permis d'aller donner des 
secours à son épouse. — Accordez-moi seulement cinq minutes de 
cette yie que la loi a abrégée, s'écria-t-il , et que mes efforts puis» 
sent du moins contribuer à la rappeler à une vie qui devrait être 
aussi longue que le méritent ses vertus et ses talens; et que je 
meure alors à ses pieds, car je me soucie peu d'aller un pas plus- 
loin f 

Alexis , qui , dans le fait , avait été plus surpris de la hardiesse 
et de la témérité de Nicéphore qu'alarmé de sa tentative de révolte, 
le considérait comme un homme plutôt égaré qu'égarant les 
autres ; aussi cette dernière entrevue fit-elle sur lui une forte im» 
pression. D'ailleurs, il n'était pas naturellement cruel, quand les 
actes de rigueur devaient s'exécuter sous ses propres yeux. 

^- Je suis persuadé, dit-il, que le divin et immortel Constantin 
n'a pas soumis ses descendans à cette sévère épreuve^ uniquement 
pour qu'ils cherchassent à s'assurer de l'innocence des criminels, 
mais plutôt pour fournir à ceux qui viendraient après lui une oc- 
casion de pardonner un crime qui ne pourrait échapper ari châti- 
ment sans le pardon , l'exprès pardon du prince. — Je me réjouis 
d'être né du saule plutôt que du chêne, et je réconnais ma fai- 
blesse ; j'avoue que les larmes de mon épouse et l'évanouissement de 
ma fille me touchait de plus presque la sûreté même de ma propre 
Tie, et font sur moi plus d'effet que le ressentiment des manœuvres 
perfides de ce mij^ieureux. — Lève-toi, Nicéphore Brienne ! je te 
pardonne, et je te rends même le rang de césar. — Nous ordonne- 
rons au grand logothète d'expédier ton pardon, et de le sceller 
de la bulle d'or. Tu es prisonnier pour vingt-quatre heures, jus- 
qu'à ce qu'on ait pris des mesures pour le maintien de la tranquillité 
publique. En' attendant, tu resteras sous la garde du patriarche, 
qui répondra de ta personne. — Ma femme , ma fille , retirez-vous 
dans votre appartem^t. Le temps viendra où vous aurez tout le 
loisir de pleurer et de vous embrlasser^ de sangloter et de vous ré- 
jouir. Priez le ciel que moi , qui me suis laissé aller à sacrifier la 
justice et la saine politique à ma compassion conjugale et à ma 
tendresse paternelle, je n'aie pas lieu de déplorer sérieusement tous 
les évènemens de ce drame étrange. 

Le césar, ayant reçu son pardon , chercha à réunir ses idées^ 
bouleversées par ce changement inattendu; mais il trouva aussi 



398 ROBERT, 

difficfle de se convaincre de la réalité de sa situation qu^il PaTait 
été pour Ursel de s'habituer de noayeau à la yae de la nature, après 
en avoir été si long-temps privé : tant la confusion d'idées et le 
vertige occasionés par des causes morales et physiques de sur- 
prise et de terreur se ressemblent par leurs effets sur Fesprit f 

Enfin il bégaya la demande qu'il lui fiit permis d'accompagner 
Tempereur dans la lice, afin de le préserver, en le couvrant de son 
corps > des Coups que la trahison de quelque homme désespéré 
pourrait diriger contre sa vie, pendant une journée qtd ne parais- 
sait que trop probablement devoir être un jour de péril et de sang. 

-— Halte-là I dit Alexis. Nous venons de t'àccorder la vie, et nous 
ne commencerons pas déjà par concevoir de nouveaux doutes sur 
ta fidélité : cependant il est à propos de te rappeler que tu es en- 
core le chef ostensible de ceux qui ont dessein de prendre part à 
Pinsurrection d'aujourd'hui. Le plus sûr pour toi est donc de 
laisser à d'autres le soin de la pacification. Ta converser aTec le 
^triarche, et mérite ton pardon en lui confessant toutes les 
trames perfides de cette infâme conspiration, que nous ne connais- 
sons pas encore. — Ma femme, ma fille, adieu 1 II faut à présent 
que je me rende dans la lice, oii j'aurai à parler au traître Achillès 
Tatius, et à cet infidèle , ce païen , Agélastès, s'il vit encore; car 
un bruit, qui se confirme > m'a appris que la Providence s'est 
chargée de le punir. 

— VPj allez pas, mon père, dit la princesse; permettfeMnm 
plutôt d'aller moi-même encourager ceux de vos sujets qïd vous 
sont fidèles. L'indulgence extrême que vous avez eue pour mon 
coupable époux me prouve toute l'iftendue de vDtre affection pour 
votre indigne fille, et la grandeur du sacrifice que vous avez bit i 
son affection presque puérile pour un ingrat qui a mis votre vie en 
danger. 

•^Ce qui veut dire, ma fiHe, dit Alexis en sotiriant, que te pardon 
que j'ai prononcé en faveur de votre mari est une fayeur qui a 
perdu son prix après avoir été accordée. Suivez mon avis^ Anne, 
et pensez autrement. Les maris et les femmes doivent, par pru- 
dence, oublier leurs torts Tun envers Fautre aussitôt que Ta nature 
humaine le leur permet. La vie est trop courte, et la tranquilSté 
conjugale trop incertaine, pour insister long-temps sur de pareils 
Sujets. Rentrez dans vos appartemens, princesses, et préparez les 
brodequins écarlates, et les broderies du collet et des manches de 



COMTE BE PARIS. 399 

la robe da césàTf qui indiquent son haut rang : il ne tant pas qu'on 
le ypie demain sans qu'il en soit décoré. — Révérend père, je vous 
rappelle encore une fois que le césar est sous votre garde person- 
nelle jusqu'à demain à pareille heure. 

Ils se séparèrent : l'empereur pour aller se mettre à la tête de 
sa garde varangienne ; le césar, sous la surveillance du patriarche, 
rentrant dans l'intérieur du palais de Blaquenud, où Nicéphore 
Brienne se trouva dans la nécessité de mettre à nu la trame de 
la rébellion , et de donner tous les détails qui étaient en son pou- 
voir sur les progrès de la conspiration. 

— Agélastès , Achillès Tatius et le Y arangien Hereward , dit-il , 
étaient les individus principalement chargés de la faire marcher. 
Mais il ne prétendait pas savoir s'ils avaient tous été également 
fidèles à leurs engagemens. 

Dans Pappartement des princesses il y eut une violente discus- 

non entre Timpératrice et sa fille. Les idées et les sentimens 

d'Aimé Comnène avaient si souvent changé pendant le cours de 

cette journée, que, quoique tout se fât réuni pour lui inspirer à la 

fin nn vif intérêt en faveur de son époux, ette n'eut pas plus tât 

perdtt toute crainte de le voir punir, que le ressentiment de son 

ingratitude comniença à renaître en elle. Elle sentit aussi qu^tme 

femme douée des talens extraordinaires qu'elle possédait, et qu'une 

adulation universelle avait disposée à concevoir une opinion très 

flatteuse de son importance» allait jouer un triste rftie, après avoir 

été le jouet passif d^une longue iuite dlntrigues , et soumise aux 

caprices d'une troupe de c<mspirateurs sidialtemes , qui s'étaient 

arrogé Id droit de disposer d'ette à lent gré , et qui n'avaient 

même jamais songé à la regarder comme un être capable de former 

un dé^ , ni même d'accorder ou de refuser un consentement. 

L'autorité de son père sur elle, et le droit qu^ avait de disposer 

Se sa personne, étaient plus incontestables ; mais il y avait encore 

quelque chose qui dérogeait à la dignité d'une princesse née dans 

la pourpre , d'une femme dont la plume donnait l'immortalité , 

dans l'idée de se voir , sans son consentement , jetée, en quelque 

sorte, à la tête tantAt d*un homme, tantôt dW autre, quelque bas 

que flit son rang , quelque repoussant que parût son extérieur , 

pourvu que cette alBance fiit pour le moment utile à l'empereur. 

Le résultat de ces tristes réflexions fut qu'Anne Comnène se 

mit l'esprit à la torture pour troaver quelques moyens de rele- 



400 ROBERT , 

ver sa dignité abattae, et elle imagina tkiTers expédiens ponr ; 

réossir. 



CHAPITRE XXXn. 



Mais la main da destin soulève le rideao. 
Et net la soèiHi en me. 

, Don Séba§twu 



La grande trompette des Yarangiens donna le signal du départ ; 
les escadrons de ces gardes fidèles^ complètement couyerts de lenrs 
armures de cottes de mailles^ et ayant à leur centre la. pmspnne 
de leur maître , traversèrent en bon ordre les rues de Gonstanti- 
nople. Alexis, sous son armure splendide, ne paraissait pas^ indigne 
d'être le point central des forces d'un empire; et tandis ipie les 
citoyens se pressaient en foule pour le suiTre, lui et sqn escorte, 
on pouvait remarquer une différence visible entre ceux qui arri- 
.vaienj; avec une intention préméditée de tumulte , et la plus 
grande partie qui , comme la multitude de toute grande ville > se 
coudoyaient les uns les autres,, et pou^s^ent de grands cris, si^s 
trop savoir pourquoi. Le grand espoir des conspirateur^ était dans 
les lomiortelsy soldats principalement chargés de la défense de 
Gonstantinople, partageant les préjugés généraux des dtoyenSj et 
qui étaient soumis à Tinfluence des partisans d'Urseli qui, avant 
son emprisonnement, avait eu le commandement de cette garde. 
Les conspirateurs avaient décidé que ceux de ces soldats qu'on 
regardait comme les plus mécontens prendraient possession, le 
matin de bonne heure, des portes de la lice qui étaient les jdos 
ËLvorables à leur projet d'attaquer la personne de l'em{iereur. 
Mais, en dépit de tous les efforts qu'ils purent faire sans en venir 
à la force ouverte avant le moment convenable , ils se trouvèrent 
trompés dans leur attente; car , avant leur arrivée, des détache- 
mens de Yarangiens , distribués de différens côtés sans affecta* 
tion, mais avec une habileté parfaite , déjouèrent leur entreprise. 
Un peu confondus en voyant des difificultâ» et des obstacles a'éle- 



COMTE DE PARIS. 401 

vnr dstMtes parts à Pexéculjon d'on projet dont ib.]ie poUTÛont 
supposer qa'on eût le moindre soupçon, les conspirateurs commen* 
cèrent à chercher des yeux les principaux personnages de leur 
parti, sur les ordres desquels ib comptaient dans cet embarras ; 
mais ils ne Tirent ni le césar , ni Âgélastès / soit dans la lice , soit 
pendant leur marche en s'y rendant de Gonstantindple. Achillès 
Tatiusy à la yérité, se montra ; mais il était facile de remarquer qu'il 
semblait à la suite du protospathaire , au lien d^àvoir cet air d'in- 
dépmdance que, comme officier, il aimait à afiecter. 

De cette manière, quand l'empereur , ayec sa troupe brillante, 
s'avança vers la phalange formée par Tancrède et ses compa- 
gnons, qui, comme on doit se le rappeler, s'étaient postés sur lé 
promontoire élevé, placé entre la ville et la lice, le principal corps 
de l'escorte impériale se détourna un peu de la route directe, afin 
de continuer son chemin sans interruption ; tandis que le {pp<bto* 
àpathaire , et l'acolouti>os , avec une escouade de Yarangiens , 
marchèrent en avant pour aller demander an prince Tancrède, 
de la part de l'empereur, le motif de son retour en Europe avec sa 
troupe. Cette courte distance fut bientôt franchie. — Le trom- 
pette qui accompagnait l'es deux officier» sonna un pourparler ; 
et Tancrède lui-même, remarquable par ce bel extérieur que. le 
Tasse a préféré à celui de tous les autres xroisés, à l'exception de 
Renault d'Est , créature de son imagination poétique , s'avança 
pour entrer en conférence. 

— L'empereur de la Grèce , dit le protospathaire à Tancrède , 
prie. le prince d'Otrante de lui faire savoir par les deux grands* 
officiers chargés de cette mission, dans quel desse;in il est revenu, 
contre son serment, sur la rive droite de ce détroit. 11 prie en même 
temps le prince de Tancrède d'être persuadé que rien ne fera tant 
de plaisir à Fempereur que de recevoir une réponse qui ne soit 
pas contraire à son traité avec le duc de Bouillon et au serment 
fait par les nobles croisés et leurs soldats , puisque en ce cas il lui 
serait permis, comme il le désire, de recevoir amicalement le 
prince Tancrède et ses compagnons^ afin de prouver sa haute es* 
time pour la dignité de l'un et pour la bravoure de tous. — Nous 
attendons une réponse. 

Le ton de ce message n'avait en soi rien de bien alarmant, et le 
prince Tancrède ne fut pas embarrassé pour y répondre. — La 
cause de Tarrivée en ce lieu du prince d'Otrante à la tête de cia- 

26 



4SA . laewT,. 

wtM Nieépluim BfÎHHM, appciH b céM»» hMMn» de bMiiw?' 
dMSft ool «|pn% eft qndigqaokeTalkpéafnuida ««BMimAe^'eoKh 
ppifnaB 4m pàkwat qm ont pns la crokj par taka dn^sakit^ipœii^ 
qii*îla aei Mt da- délivre» la Balead^a éoi jouy dM iafidèkft s <a 
chaaalMT aat la radontahle Aoheia da Bfurit. Celait doue uiia drik 
gêtàçm ia^MpMitalila poar les laiato pàlcidna àê jb omisada dha« 
-vaf or aa da lanra chfJaaaac an ddtaqheiaent d^baninea d^wmnUf'. 
en nombre satttaat , pona waiUep à ea qae ka ^Mpeet ItaMiavl 
/jgileg entrais ooaihattanf . On paat jugea «pi'ik aAMut^pai d^aaftre 
inlfBtioa ^ pnîtqa^lB la sont boôraés à «nvojwr cHKpiaBta kaet» 
aveo kpa tnita ovdinaira ; tandis qa'illeav eÂt été &GÎlad^ea §m>^ 
pUMir di:^ fois natanl , ft^ls eosseat ea lemoin^ia desieia d^»iar^ 
^fanÎBdaiMroeoa de traDÛev le cemhat à aFmeaég aies qnivaaiMMr 
liea. M piiiiee d'Otraaia et aea eaiapagnoas te p&acevont doac à 
la èiqj^eilîon da la oanv impMale, el sçvant ténuâns de ce aamiml: 
aTaa la plaa parfiiita ceafianee que ks règles da l'îaiparlîaiili f 
aaroat pon^ademeat ohsaPTéeB. 

Les deax effidieia grées transBÙreat eelta réponae à Peaipafenvy 
qsà l%^leBdit avee {dakûr, et qui^ agâssant snr*la»qlia]Bp à'apràs le 
ptriaeipaqaHl s'était ftdt da mainteDia, sHl était pcdsiblay la^^an 
airee la^ ereisés , aamna k prince Tancrède et k pralo^lliaîre 
mavéekan^ d% la Ijca, en k«r dannaat plein peuveir y sons ke 
ordres de Temperenry de régler tontes .conditions dn canhat^saiif 
% an réféîea à Akxi^ loiiméaiey s'il amirait qu'ils ne fassent pas 
d^eoofd. On fit eoan^Hsa eet arrangement à tous le&speçtatQan, 
foifaveist ainsi psépavés à voir entrer dans la lice, |u?més dapkd 
an aap, l'oiftfkr gveeet le prinoe itabenf et niiepinielaBUttioaso*' 
leaaelk annonça à tenta 1 WemUée les fonetiens qaHla att^iaat 
aemplir. J^ nrfwm temps l^ardte fat dai^é d^Y^onér uns pif^lit 
dae gradins qatsataon^akat d'an eôté de k Uoe, afind^f pkosf 
ks eompagnaaadfi pnqiça I^snerède* 

AekiÛèa Talins, qoî ebsevyail aiac attcntka lon^ ea qaî sa pas- 
sait ^^aa vit paaaan^aknnaqaa^ par snite de ees Ahpotitfqns» kg 
iiialinsbian annés sa tvanweni placés entre ks {mmovtel^ etles 
citoyens méoontens , ce qoi rendait très probabk qaa k ooDspîaa- 
Ûotk était décaavatta, et qa'Akxk croyait peavf»r eempler sar 
Maideda Taaoràd^ at dq sas cempagnaaf pour k réprimer. Get^ 
aJifeantaara» jokta à k maniera {osièe et eaastiqaa dont Pem- 



Tnnnftéff fiift iKififtfit suift ki mflÎBdr^ tOTitatiTiit iruyr 4tMmlrff \% trftnit 

imaîfiBL friidninMinniiinti da bIoa ta Blnâ crài .. dA^^niii à cbAOïMi 
^siy^llMÎfiii ^'iilir ^t^ cU«Vv^t4r4ii départi 1a plmfiMU« 4» v^twodf^i:* 
84^ y^itfAri^ iKMpé4i|L{e df'^oliÂUte aeqpyMaiMt W tignilsr wcoi:^ 

cnrcis par l'idée terrible) d!«v<W bimtdllà 4iire qdi^lljàlokljiiwècf 

^«9M^è «OF^H^Ç W I«i0iaffe»9«e pi^dfaMii^iQiié^fil^%,.8Qi 

Uriilafc d' w4iraqwi4ifc 4 < i>W f WW»t duquel èépmdMtkfleiÔA, «iQÛiiKi 

lilt,^tl% wâlM^ft JMétpair dfaoliw aMewi.. Pa^ 

4Ùf fW'^Mt» l'MMwU^ifttlffiid&kiiB aifnftl qK.p«noiiiiMi'éliâl 

p[4ltà,4Mmff^ 

ImpmHi m tiwiak A^UUm 'S^tiM.^ sMaair 9ÊBmM^ fl^Uê^n^ 

«n'^k Wêimt «mstt». Clq^anteit kaawofof^ dsi gana dia betaiif 
mt^wmM^ttÊWfmnt fnpieft 8ftwi4papPnhia»aitèd^qi nwif 
pWTMiJifldNt.pMV'kiia py^pjftpwwnnailMi Miitiid?aiiiUiaMili% al 
ik Éitwnmte é^tÊUai»^ Vmfhk àm» iraabbi qw aasublaûik diapaa^à 

Ihi HMiarMa MH4«a it laUBJam, n 

d6. 



m ROBERT, 

dés cris. — Justioe I justice I Ursel 1 Ursel I Les droits des cohortes 
immortelles 1 etc. — Alors la grande trompette des Yàrangiens 
sonna , et ses sons redoutés retentirent dans tonte l'assemblée 
comme la Yoix d'une divinité qni y eût présidé. Un morne silence 
se rétablit dans la foule , et la Yoix d'un héraut fit connaître le bon 
plaisir et la rolonté souveraine d'Alexis Gomnène. 

—Citoyens de Pempire romain, vos plaintes, excitées par dâ&c> 
tienx, ont atteint l'oreille de votre empereur, et vous serez té- 
moins du pouvoir qu'il a de satisfaire son peuple. A rotre requête, 
et en votre présence, le rayon visuel qui avait été éteint sera ral- 
lumé, — l'esprit dont les efforts se bornaient à poqrvoir impar- 
faitement aux besoins de la nature emploiera de nouveau ses 
moyens, s'il en a la volonté, au gouvernement d'un grand thème 
de l'empire. La jalousie politique, qu'il est plus difficile defidre 
taire que de rendre le jour à l'aveugle, sera vaincue par l'amour 
paternel de l'empereur pour son peuple et par son désir de loi 
donner toute satisfaction. — Votre favori , l'objet de vos désirs, 
Ursel, qu'on supposait mort depuis long-temps, ou qu'on croyait 
du moins frappé d'aveuglement et dans une prison , ya tous être 
rendu , en bonne santé , jouissant de l'usage de ses yeux , et possé- 
dant toutes les facultés nécessaires pour recevoir les âivenrs de 
l'cmperenr et mériter l'affection du peuple. 
- Tandis que le héraut parlait "ainsi , un homme qui jusqu'alors 
s'était tenu caché derrière quelques officiers du palais, s'avança , 
et , se débarrassaift d'un manteau de couleur sombre qui Penvdop* 
pait , se montra paré d'un riche vêtement écarlate. Les ornemens 
qui couvraient ses manches, ainsi que les brodequins qu'il por- 
tait , indiquaient un rang qui ne le cédait qu'à cdni de l'empereur 
lui-même. 11 tenait en main un bâton d'argent, symbole du corn* 
mandement des cohortes des Immortels , et, s'agenouillant devant 
Alexis , il le lui présenta , comme pour remettre entre ses mains le 
pouvoir dont il était l'emblème. Toute l'assemblée fut électrisée en 
voyant paraître un homme qu'on croyait mort, ou rendu inca* 
pable, par des moyens cruels, d'exercer aucunes fonctions pu* 
bliques. Quelques-uns reconnurent celui dont l'extérieur et les 
traits ne pouraient aisément s'oublier, et ils le félicitèrent d'être 
rendu si inopinément au service de son pays. D'autres restaient 
saisis de surprise , ne sachant s'ils devaient en croire leurs yeuxf 
et quelques malveillans déterminés s'empressèrent de fiure circuler 



COMTE DE PARIS. 405 

le brait que le prétendu Ursel n'était qu'on impostenri et qne 
c'était nn toor que lear joaait l'empereur. 

— • Parle-lenr, noble Ursel , dit Alexis. Dis-lear qne si j'ai péché 
contre toi y c'est parce que j'ai été trompé ; et que ma disposition à 
t'en dédommager est aussi forte que Ta jamais été mon intention 
de te noire. 

— Amis et concitoyens , dit Ursel en se tournant vers rassem- 
blée , Sa Majesté Impériale me permet de voos assurer qoe si , dans 
mié partie antérieure de ma yie, j'ai souffert quelqoe injustice, 
elle est plos que réparée parce que j'éprouve dans un moment si 
glorieux; et que je suis déterminé , à compter de cet instant, à 
consacrer ce qui me reste de yie au serrice du plus généreux et du 
plos bienCsisant des souverains , ou à le passer, avec, sa permission, 
à me préparer, par des pratiques de dévotion, à cette immortalité 
précieuse qui sera accompagnée de la société dessaints et des anges. 
Quelque alternative que je choisisse , je me flatte que vou&, mes 
chers concitoyens, voos qui avez si obligeamment conservé mon 
souvenir pendant les années que j'ai passées dans les ténèbres et 
la captivité, vous ne manquerez pas de m'accorder le secours de 
Tos prières. 

L'apparition soudaine de cet Ursel, perdu depuis si long-temps^ 
avait quelque chose de trop étonnant , de trop surnaturel, pour ne 
pas captiver la multitude ; et elle scella sa réconciliation avec l'em- 
pereur par trois acclamations si bruyantes qu'on dit qu'elles ébran- 
lèrent les airs, et que les oiseaux , hors d'état de se soutenir sur 
leurs ailes, tombèrent hors de leur élément hatureL 



CHÀPiTRfi xxxni. 



n faut Y renoncer, on bien au SUgyrite 
BàU»aei-en une auti», oujoaea «n pUon oluop. 



Porx. 



teotttftgnes et lèè Ibrèt^ , Jtisqa^Ax riine^ AôigtitSè» du Bty^pbiore , et 

-ittuit enfin èipfert, reflété |>a¥ tes lidiOitlans te telntàin. L«5ti 

tôyenSy penAantfe sitenc* qui snivit» semblaient se Aetn^ndeir ks 

ms ani antttes qoeUe sûèttte allait orntr une panse \à tcItèltïïàXtt et 

Ito tliéttire A angnste. Cet intervalle aurait pït>bàl>leni«ht Jté 

MentAt snivi denonVeltes tlaiinta)rs , têt tinte mnlttMde^ ï^assMbbkSe 

n'importe pour quelte canse, reste rarement long-tetàpis ëiléh- 

tjense , si un âSigtÂl de la trotepèttè des yaran^èuli n^e&t èiinidDcé 

te nnnTèan modt tfàttention. Les sons avaient en tnème tèttps 

iqnelqine diose ^nimé et de mélancolique ; Us off^îent te taracl^ 

iTtin thant giterrier et te tonlngnbre qn'on pouïf ait chtAaSrpoir 

Mwmoer liné eiéôntion pÀrtienlièrement solennelle. Itè étaient ^ 

élevés y sonores y fetentissans, et seprolongeatenttoininB st k ' 

bouche de bronze les avait fait entendre par quelque impulsion 

plus puissante que celle des poumons d'un simple mortel. 

La foule parut reconnaître ces sons imposans , qui ^ dans le fait, 
étaient ceux qui sollicitaient ordinairement l'attention du peuples 
la promulgation des édita impériaux d'une nature grave , comme 
ceux qui annonçaient aux habitans de Gonstantinople des rébel- 
lions, des sentences rendues pour cause de trahison, et d'autres 
nouvelles de grande et sérieuse importance. Quand la trompette 
eut cessé à son tour d'agiter cette immense assemblée par ses sons 
inqniétans et mélancoliques, la voix du héraut se fit entendre de 
nouveau. 

Il déclara d'un ton grave et imposant qu'il arrivait qnelquefob 
que te peuple mipiquait à ce qu'il devait à un souverain qui était 



ROBERT , CÙMÉ de PARIS. 40^ 

"pà^it hi toiùtAé tlh pèt^'é , et qa^dor» ië déVDiîr ^Âlbl6 dtt ]^c% 
Aaît â^èiiiployèr là Vei»g'e cle correction ^Wtftt ^tiê ïfe teëptaft d^ôttv 
'tifet de la iherti. 

^ -^On ésthéUrèût, tohtûàa te yk*àtti, q^abdlà di^^âitté 8li^ 
prêth'e, ké charglsatit de là côh^ervatiôkk <i\ih tr&uë ^ ré&sêiliilblë 
àâ âteû par la bietifaiisailée et la jhstlcb , remplit la t&bbtela ^lift 
péttible iVnposë'e à ^ôtx fëpré&entaht 'sur la téH^ , celle de pM)r lé^ 
homtne^ qaé 6oh jtigemisnt iufaîllibie à déclarés totkj^àbtes , làiflr- 
iBÀt à «ton substitut le soin pltkà àg^ble dé pai^tthtèi' & cëiÀ qiiè 
des 'artifices x>àï égarés > et 4tie là tràhisbn a ftlt tômbisr dMs Mè 
pi^eè. — 1\àl étant le éàà pr&'ent , la Grèce «t teâ thètAtfeU ((fà eh 
'font partie ^oht invités k Ai^éc6atel-/potti'àpp)^nd1hB <)tl^ttii Hiisét- 
rablé , nommé Agélasièà, qd s*éuit insiAtië dàn^ Us» bôtitttè^ glr&eAfa 
de l^emperénr eh affectant de profondes ôt)niiaiss^m(e^À^ ûht^ yMA 
anstère , avait formé tin plan perfide , tendant à l'aà^'àà6iibat itt 
l'emperear A^lexis Comnène et à une révolntiolà dàné PEtat. C!èt 
tiominé qni , ^6as une prétendre Sagesse ^ éàichait bffi$ IdùttlAtiés d^nn 
)iërëtiqtte et les vices d'un voluptnetak , àVàlt tl^otivé dtô prbëé^ 
lyteè nïèmé dàn» la màisoh de l^ëmpeneùr et paï^tài ttstti ^tii tôtr- 
cblsût de pltis près à sa p'ei^^nhe , de même ^tilî datis léi^ lôlà^&eâ 
ihilérieuries , parmi lesquelles, pour lea èjcciter klA t^Vtltë, t^ 
lEiVàit fait cir^ctilér ttne Ifbûle de bruits ttétlsoù^erâ s^âd)lab)«ft à 
tèlhl àe là thôrt et d)è l'àVéugtehlent d'Util, dôlit Vt^^ pl^ApiM 
yeui bïà vu la fausseté . 

Le peuplé, qui avait jusqu'alors écouté eh làilétib^, j^bd^M dé 
grands cris en signe d'as3etitt'inéht. l)ès que ié àlléntie àti (ht réta- 
bli, la Voix sonore du bérkût côhtlhua la prôclamati'ôh. 

— Côré, Dathan et Àbirôn, dit-il, n'ont pà^ subi là ^'éhtè^èô 
)Pun Dieu offensé plus jùstemeht et a^éc plus de proiiiptittidë bÙé 
ce scélérat Agélastès. La terre s'est entr'ouverte pour dévorèi^ léS 
èûfan)^ apostats d^Isï-aël; mais la mort de te misèrabte a teu lieu, 
Ûtitknt qu'il est permis de le croire , par l^etitremise A^ûh ëspHt éé 
ténèbres qu'il avait lui-même évoqué par seà artifices. Cet el^prit , 
tommè bn Ta appris par le témoignage d'tinè noble dame et d'àù- 
tt'es personnes de son ^eie, tém'oiàs d6 cette catastropbé, aétï^àU- 
^lé Agéla&tès t destin bien digne de ses crimes ddieùk. TJhë telle 
mort, infligée même à un homme si 'éoiipable, fi^a pu ihââqûél^ 
fi'afHi^r jnroJEbndéhieUt l^émpërèiir, pàhiè qU^èïte impÛqUë Ses 
S^ffl^aiièes MAêk éd té M>tAe. mk éiëttë pyuitttfli umklt "fSM 



408 ROBERT, 

avec elle cette consolation , qu'elle dispense remperear deponaaer 
pliis loin une vengeance que le ciel môme semble avoir bornée an 
châtiment exemplaire da principal conspiratenr. Quelques chan- 
geraens de places et d'emplois auront Uaii par égard pour le bon 
ordre et la sûreté publique. Mais quels sont ceux qui Ont ou qui 
n'ont pas pris part à ce crime épouvantable 7 c'est un secret qui 
doimira dans le sein des coupables eux-mêmes, Tempereur ayant 
résolu de bannir leur faute de sa mémoire , comme étant l'effet 
d'une illusion momentanée. Que tous ceux qui m'entendent , quel- 
que part qu'ils puissent avoir prise à ce qui devait s'exécuter au- 
jourd'hui, retournent donc chez eux , bien assurés que leurs pro- 
pres pensées seront leur seule punition. Qu'ils se réjouissent de ce 
que la bonté du Tout-Puissant les a sauvés des projets médités 
dans leur cœur ; et, suivant le langage touchant de l'Ecriture, qu'ils 
se repentent et ne pèchent plus, de peur qu'il ne leur arrive quel- 
que chose de pire. 

Le h^aut cessa de parler, et les acclamations de l'auditoire lui 
répondirent de nouveau. Elles furent unanimes, car toutes les 
circonstances contribuaient à convaincre les mécontens qu'ils 
étaient à la merci de leur souverain ; et comme la proclamation 
qu'ils venaient d'entendre prouvait qu'il connaissait leur crime, 
il dépendait de son bon plaisir d'employer contre eux les haches 
des Varangiens ; tandis que, d'après la manière dont il loi avait 
plu de recevoir Tancrède , il était probable que les forces que ce- 
lui-ci avait amenées étaient aussi à la disposition d'Alexis. 

Les voix du géant Stéphanos , du centurion Harpax , et d'autres 
rebelles , tant du camp que de la ville , furent les premières à 
exprimer par de grands cris leur reconnaissance de la clémence 
de l'empereur, et leurs actions de grâces au ciel pour sa con- 
servation. 

Cependant le peuple , une fois bien pénétré de l'idée que la con- 
spiration était découverte et déjouée , commença , suivant sa cou- 
tume , à tourner ses pensées sur l'objet qui avait été le prétexte de 
son rassemblement en ce lieu. Les chuchotemens se changèrent 
bientôt en murmures, et exprimèrent le mécontentement des ci- 
toyens, de rester si long-temps assemblés , sans qu'on dit un seul 
mot du but de leur réunion. 

Alex s ne fut pas long-temps sans s'apercevoir de la direction 
que prenaient leurs pensées , et, à im si^al de sa main , les trom- 



COMTE DE PARIS. 409 

pettes firent entendre on air gaerrier , bien plos vif qae celai qui 
avaitservi de prélude à la proclamation impériale. — Robert, comte 
de Paris , cria alors an héraat , êtes-Toas ici en personne , ou re« 
présenté par quelque antre chevalier pour répondre an défi qui 
TOUS a été fait par Son Altesse Impériale NicéphoreBrienne , césar 
de cet empire ? 

L'empereur croyait avoir pris de bonnes mesures pour qu'aucun 
des deux champions qui venaient d'être nommés pût répondre à 
cet appel, et il avait préparé un spectacle d'une autre espèce : des 
animaux sauvages enfermés dans des cages de fer, qu'on devait 
lâcher et faire combattre les uns contre les autres pour amuser 
l'assemblée. Sa surprise et sa confusion furent donc à leur comble, 
quand , après que l'écho eut répété le dernier mot de la proclama* 
tion , le comte Robert se présenta, armé de pied en cap , sortant 
d'une enceinte fermée par des rideaux , ayant derrière lui son cour- 
sier , couvert d'une armure défensive , — comme s'il était prêt à 
monter à cheval au premier signal du maréchal. 

L'alarme et la honte qui se manifestèrent dans les traits de tpus 
ceux qui étaient auprès de la personne de l'empereur, quand on 
Tit que le césar ne se présentait pas de la même manière pour 
faire face au formidable Franc , ne furent pas de longue durée. 
A peine les hérauts avaient-ils proclamé le nom et le titre du 
comte de Paris , et fait à son antagoniste leur seconde sommation 
en bonne forme, qu'un homme portant l'uniforme des Varangiens 
s'élança dans la lice , et déclara qu'il était prêt à combattre au 
nom et à la place du césar Nicéphore Brienne et pour l'honneur de 
l'empire. 

Alexis vit ce secours inattendu avecla plus grande jpie, et 
donna volontiers son consentement au soldat hardi qui se mettait 
ainsi en avant au moment du plus grand besoin , et qui se char- 
geait des fonctions dangereuses de champioi^. Il y consentit d'au- 
tant plus volontiers qu'à la taille , à l'extérieur et à l'air de bra- 
Tonre du soldat, il crut le reconnaître, et qu'il avait pleine con- 
fiance en sa valeur. Mais le prince Tancrède intervint pour s'y 
opposer. 

— La lice, dit-il, n'était ouverte qu'aux chevaliers et ao2ç 
nobles; ou du moins les rencontres n'y étaient permises qu'entre 
ceax qui avaient quelque égalité de sang et de naissance. Il ne pou- 



4it rdôKrï, 

^t dbtac Hë tlure en YÔ'/ànl mécônâaitf e îî cet éj^rè les lois àe )k 

— Qâé le ebnàtè àe t^àhs regarde mes traits , ciit le VkràDgieiiy 
M ((jùHt diâè si sa promesse n'a pas écarté toutle objection à notre 
t^Ût^tft 4ai jpôùf râit èirè fondée sur iHnégalité de Condition. QaSl 
jnge loi-même si , en me combattant dans ce champ-clos , il lèrà 
àtilMs âibâfc ^è lënii* ftiië j^àrôlë par ia'(|nehe il est lié àepiiis long- 

A éél ip^él , të isèlble nbbert s'ài anca , et ré'conhal , sàh^ pins 
ve âtftbtti^si'dh, ^tie, ih&lfré là ^tfé'rence de leur raik^, il se regardait 
èôittittie é&gâ^ ^àf sa ][>airôlë âoléânelle à combattre ce yaillanl 
ibtdàt en éhàdijp-clôs. h regrettait, dit-fl, attendu les qualités 
iSlolâlieiitèb (ié tôt liofnmé et lessei^ces importans qn'i! eh ayalt 
l^^tiâ y ffji)^ àé tirôliiyàssënt sur le point de répandre le sah^ l'un 
lîë loutre ; biàiÀ , puisque lien h^était plus toominun que de voir le 
ftoït Âe là gu'èi^lrè fbrcer des amis à se livrer un combat a mobt , il 
ne rétracterait ^s l'ëbg'àçemé'nt qu'il avait contracté \ et il né 
tii^by&it ilttttë&ëiît déroger a sa qualité èh coml)a1:Unt un guerrier 
fii biëû tohnli et de si bonne réputation que lé Varangied Hère- 
MM. Il )Si]'ô)ita quHl cbhsèhiàit que le cotnbàt eûl lieu à pied,, et 
AVle^ m li'athé dWiiiés , arme ordinaire de la garde vàrangienné. 

Itët^w'àill ét'^t i^ëst^ immobile, jpresque comme iine sta^é, 
l^tôttdidit iSé dtëûôûf^. !bès que Ite comté eut fini de parler, il s'in- 
tlinà pbtiV lé éàlnér avec grâce, et se déclara honoré et satisfait Âe 
fel nlàhHHâ iAYAé et ffanclié dont le comté ^^acquittait de ià pro- 

— Ce que nous avons à faire, dit le comte Robert avec un soupir 
^è \iikx sôh àinour pour les combats ne put réprimer, faisons-le 
bfbtttptéïhéhk ; lé 'cœûi^ peut être ému, mais le bras doit faire son 

^ ÉlértWâïtl ttt kn signe àWentimént , et iajoutà : — We perdons 
|tkà lé létiif^s, car il s^ëcoùtè rapi^ieméht '\ et isàisissant sa hache , il 
iè tint prtk k cotnbâhré, ; 

— ië stiià également prêt, décria lé comté dé ï*àris en prenant 
la hache d'un soldat varangien qui était près de la lice. Tous d'èoi 
ik \Atéi\, !àûf -te-chkmp sidr lèùt's giairdés , bt àûcdné ^of malîté , 
ifa6tih« dï^bli^tkhôë tië réki^cBi pW)^ le <k)hil)àt. 
' Leâ "ptettàm «bU^â ^iom. t^bi^t^ «t "^tii ^vëë 1)ëàùb5û)i dé 



fl^CàTniôây %t lé ][^ratcè itiAtrecte *èï prasltittre iAitféK pHMMit 

fûskgè, à â^t%mè1^ a^ bVtil AeS àtHù^, et )!»à)' l&VdtC ti \k HûtàëiSr 

>âtH9 aYtec bea>itôû^ àe ivûreûlt, >a¥ê$ &V)$é p^tAi ditfitîdté , %t 
ïiôÏÏ ^âséî èôA^lfetelààetot ^ôU^ crtïle le sàn^ iiéi d^etiï t&hàiâ|>io&i tte 
e^mm^ttçh bôiMi cOùlér. Lèà.G)^éel feg'àirâàièm àt^'é ^bhiitâfii^ôVit 
Ibti <x)tn)^t mgïÛiêr tel qûHk en àVM'eût Vânettieïit VA, et i& ¥%té- 
ïiàîént \éà)r Wèiùe èh Voyant teé (Cbttbâ thrièok ^it6 Se pol^tSiliàët 
tes Aéiui cômbàttàttà, à^ttèûdkut, Il chàdtrè tcmp, I Vû^t tbûlbïr 
fûYi à^ àev& pLétnevÈ, pdût hè )^\\A Se ttlèV^^r. Létiî' tôlNce «t të'ûr 
agilité semblaient encore met égklCSs^, be^f^bli'dkht tèûl déâ aà^h- 
tSûi^ qAi t^r^tehiiâiébt te tniëïa %^y mUiÈlttté p&MHehi pté le 
iotiàe ïloiblstt ^'àli^tebàît âè tàit-é Xistkigé dé tô^të là Sctenisè ttln- 
tâi^e qui Pà\^it Yénciû cêlèllhfe. Ob lf^mtif4\i& gilh^V^tetti^nt , kit ttk 
èohViht dtt^l àVàit f enbncék û)k glraïiti àV&hm^, èH hMhiiifttftht^âs 
làu^ sTôn diiott âé èômb&Ute à tbièVàl. D^ùh ànttè tV^, 11 'étâti éfl- 
âèHt titre te VatUàM Vaîfâtogiéù avàtt ^^igiê de ^)^bfiteï* de ^âëli^és 
iV^htàgei qûè iùl àt^alt fonthtà rim'pëtm)àii:i$ dû éôïntiè ftdbeî^t: , t^i 
Aâit é^tdëmtûé'nt éoûlr)rdaté dé là lôhgtt^uf* de Ce côVbl)at . 

tTto accident pattït eH&ft àï^i^ te poibt àè l£&iî% ^^énellèi^ tebàtebcfe 
')ii!l^(iU^àl5râ ègllle. Lé Jointe fttWt, fàU^^t ùlùeteibte d^bft tèté de 
s6tt àhtâ^ôlàiSttè, te fï'àppà d« l'SinlYè/qût étbit d*ébt)\iV^t, db tVàft- 
éfaiàût dé son amé , dé sbti^ ^e te Ta^atij^îéïi tl^àAtelà et «éUbia 
âlir te péiht àô loffibét. \jè èX>n ôrdinàllrê qtié ^rodùt^ht tes ^ptsctà- 
tétit^S ï te Vûë âé ^délqVlé ëtèheiùéht péYiible et déi&àgfékblë, èh 
i\tMÏ teùf h&lËtnè éiltï*é tefiiis détitË setiréé^, âë Ht tbiénâfé Ibttt à 
' éottp dans toute l^a^seblbléè, ëi te Vbii d'une iéfàWà âh^éfte A^in tdb 
TÎtet animé : — Robert, comte de Paris I n'oublie pas anjt^tifd^^ 
qûé ta dôià ûné vie et att t\â et à VnM t ~ Lé çtmté éteil éUr te pbint 
de pôtf'tër lili ^cbhd l^bdp, et Vbii bé ààUfidï ûltt quel eb ààMl ^té 
l'effet , quand ôe eri &tteigl^t iéi bréllles , et psihit Ihi %\ër tbutè 
diàpôsittôû à comihiùél' lé ëbmbat. 

— h "te^oiitkth 1^ dette, &^éti4â-t'-d ëii balâsàfat ^à llàete, et % 
t^ûteùt II âëût py dé bOh àdVet^&il'e. riféï^^al^i feSt& ti^pj^é )te 

IdttiH^e, \ p^t i^\A^ de l^^tàbtdlsâéMeiit itàid pkt lé téttb ;^tti 
l^V^t "pÂ^sqàé MVé^. 11 lyal&âà m itm* ^ \sbtàmt «b Ute^ft- 



412 ROBERT,. 

msit, et parât attendre arec incertitude comment allait se terminer 
le combat. — Je reconnais ma dette^ répéta le vaillant comte de 
Parisy tant envers Berthe la Bretonne, qu'envers le Tout-Puissant, 
qui m'a préservé de répandre le sang avec ingratitude. — ^Vousavez 
été témoins du combat, Messieurs, dit-il en s'adressant à Tancrède 
et aux autres chevaliers, et vous pouvez certifier sur votre hon- 
neur qu'il a élé bien soutenu de part et d'autre , et sans avantage 
pour personne. Je présume que mon honorable antagoniste a main- 
tenant satisfait le désir qui l'a porté à m'adresser ce cartel, qui ne 
résultait certainement d'aucune querelle personnelle ou privée. 
Quant à moi, j'ai un sentiment si vif des obligations que je loi ai 
personnellement, que je regarderais la continuation de ce combat 
comme une action honteuse et criminelle , à moins que le soin de 
ma défense personnelle ne m'y forçat. 

Alexis profila avec empressement d'une proposition de paix à 
laquelle il était loin de s'attendre, et il jeta dans la lice son bâton 
de commandement, pour annoncer que le duel était terminé. Tan- 
crède, quoique un peu surpris , et peut-être même scandaUsé qu'on 
soldat de la garde de l'empereur eût résisté si long-temps à tous les 
efforts d'un chevalier si renommé, ne put s'empêcher de convenir 
que le combat avait eu lieu avec loyauté et avec égalité d'armes, 
et qu'il s'était terminé honorablement pour les deux parties. La 
réputation du comte étant bien connue et bien établie parmi les 
croisés, ils furent obligés de croire que quelque motif d'une na- 
ture très puissante l'avait engagé, contre son usage ordinaire, à 
proposer la cessation du combat avant que la mort ou la défaite 
de son adversaire y eût mis fin naturellement. Le bon plaisir de 
l'empereur en cette occasion fut donc regardé comme une loi sanc- 
tionnée par Tasseittiment de tous les chefs présens , et c<mfirmée 
par les acclamations et les applandissemens de tous les spec- 
tateurs. 

Mais la physionomie la plus intéressante de toute l'assemblée 
était peut-être celle du brave Yarangien , arrivé si soudainement 
à un point de renommée militaire que l'extrême difficulté qu'il 
ayait trouvée à soutenir la lutte contre le comte Robert l'avait 
empêché de prévoir, sans que sa modestie eût diminué le courage 
indomptable avec lequel il avait combattu. Il était debout an mi- 
lieu de la Uce, le visage animé par le feu du combat , par le senti- 
ment de modestie appartenant à la franchise et à la simplicité de 



COMTE DE PARIS. 413 

soB caractère y et par rembarras qu'il éprourait en se Toyant le 
point central de tous les regards. 

— ParIe*moi ^ mon soldat, dit Alexis d'an ton fortement animé 
par la reconnaissance qu'il sentait deyoir à Hereward, dans nne 
circonstance si singulière ; — parle à ton empereur comme son 
supérieur, car tu l'es en ce moment , et dis*lui de quelle manière il 
peut y fût-ce au prix de la moitié de son empire, te récompenser de 
lui avoir sauyé la vie, et, ce qui lui est encore plus précieux, 
d'avoir si bravement défendu l'honneur de son pays. 

— Sire, répondit Hereward, Votre Altesse Impériale apprécie 
trop haut mes humbles services, et doit en fiiire honneur an noble 
comte de Paris, d'abord pour avoir daigné consentir à se mesurer 
avec un antagoniste d'un rang si inférieur au sien, et ensuite pour 
avoir généreusement renoncé à la victoire , quand il n'avait plus 
qu'un coup à frapper pour se l'assurer; car, je l'avoue en présence 
de Votre Majesté, de mes compagnons et des Grecs assemblés , je 
n'avais plus d'espoir de prolonger le combat, quand la générosité 
du vaillant comte y a mis fin. 

— Ne sois pas si injuste envers toi-même, mon brave, dit le 
comte Robert. — Je fais serment , par Notre-Dame des Lances- 
Rompues, que le combat était encore subordonné à la décision de 
la Providence, quand la vivacité de mes sentimens me mit hors 
d'état de le continuer sans courir le risque de faire quelque bles- 
sure grave on peut-être de donner la mort à un antagoniste de qui 
j'ai reçu tant de services. Choisis donc la récompense que la géné- 
rosité de ton empereur t'offre avec tant de justice et de reconnais- 
sance , et ne crains pas que personne dise qu'elle n'a pas été bien 
méritée, quand Robert de Paris déclarera , l'épée à la main, qu'elle 
a été gagnée sur son propre cimier. 

— Vous êtes d'un rang trop noble et trop élevé, sire comte, ré- 
pondit rAnglo*Saxon, pour qu'nn homme comme moi puisse com- 
battre votre opinion ; je ne veux pas éveiller une nouvelle querelle 
entre nous, en contestant ce que vous dites sur les circonstances 
qui ont mis fin si subitement à notre combat , et il ne serait ni sage 
ni prudent à moi de vous contredire davantage. Mon noble empereur 
m'offre généreusement le choix de ce qu'il appelle ma récompense ; 
mais que sa générosité ne soit pas offensée, si c'est de vous, sire 
comte, et non de Sa Majesté Impériale, que je vais solliciter une 
faveur, la plus précieuse pour moi que ma voix puisse demander. 



â.é.t. BAnBBn 

fpmine? dit le comte de Paris. 

probation de sqi^ wkk ^(^«^d^ ¥S«>#rfHA<iQ»4iAIJtB «HW^ 

4'llWteF p\m WA t«K ^ Tet««da n)Qti4«, 

a0éahki& auo ceux d'im GûmtA daf naisaanco ; tt il n'euitfiEa. im& 

|ilVÙ«TfKg(fpdmmd'Ait«;Ht«fr«; w^aj^fù q^«lqi|4 m^woi 

% m «omw }% r«ni^iev«i \çm «mièç« pfnw Vi^mt^ ^ ton wfi 

natal, auquel tu es ai attaché. 

ci»l(9»«W)Usiwr^«M4»c«l(94çt,wiU«9t A«i^<^<4P9qMfÀ» 

Tancrède, yoos et tos principaux. (;^e{i, y<)m «quptfVQ;! avf^ font 
fii)foir, ^4«p^iim^ Y«fa T91H cedteiu^^ ff«r^« BftW^otre 

9«9)Hli(tMIIII9W«<31iPi49<^l »Wi ^ p^«ur 4% ]«« I^^MPiMi 7" 
%m^:«rt l«W* r!WSI« P«W- r«qiKr«iw 4t99 lift 1^ 

\a inniirwtviwt m wi*^ H A^if?^ 4« k %ii«) «^^lew qMib 



GOMT^m Bàms. . m 

femmes , et même beaucoap d'hommes , qai n'étaient paa habitjié| 
Wk VÊ9itê ^V^m H k L'air MtfprjUK d'w ^sàê^Û A «moidi- 

%9int im^^f^vtt de t§lA cm i^ t^nrwr» v^'ik oftnjm^ smi( 
l'ét^^Wfi ^^%tm^ v^ m étm ^ «msi. Fmèon te mk» ^Waiii 
&'#wl ^e^RRi IWf^^MDi te mw 4« )iiéit 4'Ag<lftÉtti^ aii«i4 m» 
fià)ài \m vsmmi^ ^ !& yiU§, #% n^viit. nmié uisvm dUfiMlié 
i ^ (»9bw à9m la li(^^ii'«9 ftcb«iiv«îl49 (i^ulbniicf^ «^ sAoklMiiit 
4m 9««IeV» mu abft9«f «om k# i^dÎM d«siii^s «u nifiiii» 
ym^t liw f(iLimb|iblffiif li èélagé iw h tami twrakiiMi vit 

i^blk^ § l$i|«l$^^ mil Ht 4éiir«î( )^ «oîm; à peu ptèsDPwme k 
%é^lï(f ppliçbiiieU^ w iéiimtmettt te a»» àç^m» % t|wnA ii «fOQ» 
mm<i% 1^ cQiAba( à mort omtre k dîabk \waiiâ|iiA ) h^m fni me» 
fi^ à p^klt pkft âe terrcnr pamsi iMQAfaKs fu kioîant, ^pi» 
l'ftppmlîm iiifttiQadiie de fijslYaii^ m'tm i\ x^aàat pvmk kaspfior 
tii|$q;ni do ownbai singnliei». Les çsUats ks plus krsi'wa k^iqdteeitf 
knr^ «ras ^ tt dirigèireni les pointca da k«r« îanebufs cm^m us 
MÎmil d^ann f spèce ù éqoiveqae». et qw as. t«ilk «stii«oi^w« 
9t ittft iPfâta hidûiK {MMent k plugai^i dft fou qni k T^^aie^it à 
considérer comme le diable oa quelqu'une de ces divinitéa kffiRi 
IMi^ q w lea paJwnf atakai adavéei ai|tMlaia« Sy^kaktà^ail M|nis 
if %f f;4'«tpé9ieMe pow oo^ipmtj^ fn^ IHiU^udo que p|««»kiil 
t»i|jit 4a sojdata k oMa^çait 4W danger iauaiiiam^ al il ab^ivclift f 
f§ m»^Ven ï l- «t^ri w oûorant aa rangw kaua la ptoièQtkii i'l|^»?4l' 
watdy avec qui il s'était familiarisé jns^'à u^oeftak poillt* tt k 
iiikit pai^ l'^akt) «t par kjea Usànnâft sqii iratia étfàogwa, a«ssi 
k«o qi^Q par das mia aani^gaa aft mal avliQuléa , il a'aKorf a da M 
^p¥i«if()r m «f ainle, aft de kf damandqr* aa pBoiaaimv HtvawfiHl 
ia apaipiil fort kan » et, sa toaniapt Tava k trèaa da l'^mpaifiHiv 
Il dît lcp%Iia«t t *is» Pamrsaca^VuBaaffioayée» acbau^iaidMaaadab 
tes gestes et tes cris à celui qui , après ayair pai4oané a«îi|iiQd'')ai 
4ap| d^ «iwnea yoki^ialt^ A méckaosmeitt p«i4«ka> a* veksera 
•aa^lainamant paak paviaM daa fantea qokm ènacp i paka dôad d^q|- 
alkal atppi flQO(mattra) 

L'animal y comme c'est l'iiaagaide aou aq^wa, imfta inrik- 
•dl^iâp ka gasiea d'Havei^ard^ af paaat adressa* aaa anppUca- 
Ikipa à t^mpfsraary d'ima maifiiàva ù famdesqoey cpi^Aks^ kî- 
mÊmBh, uaigeé k seèna. aémnae çû TaMîl da sa paUMar^ ae 



416 ROBERT, 

put ^empâcber de tire da tridt comique que ce dernier incident 
j ajoutait. 

— Mon fidèle Hereward , Ini dit-il , — et il ajouta en Im-même : 
je ne l'appellerai plus Edouard, ai je le puis, — tu es le refuge des 
affligéSi hommes ou bétes ; et tant que tu seras à notre service, qui- 
conque nous fera une demande par ton intercession, ne la fera ja- 
mais en Tain. Charge-toi, bon Hereward, — car ce nom nommençait 
alors à se graver dans sa mémoire impériale, — avec ceux de tes 
compagnons qui connaissent lesbabitudes.de cet animal^ de le 
reconduirez son ancien logement dans le Blaquemal. Et cela fait, 
mon digne ami, n'oublie pas que nous requérons ta compagnie et 
celle de ta fidèle amie Berthe, pour souper à notre cour avec notre 
épouse et notre fille, et ceux de nos serviteurs et de nos alliés que 
nous invitjlrons a partager le mâme honneur. Sois assuré que, tant 
que tu resteras avec nous, toutes les distinctions possibles te seront 
volontiers accordées. Approche, Achillès Tatius \ tu conserves les 
bonnes grâces de ton empereur, connue tu en jouissais hier. S*il 
a été porté quelque accusation contre toi, elle n'a été entendue 
que par une oreille amie qui ne s'en souviendra point , à moins 
que, ce qu'à Dieu ne plaise, quelque nouvelie faute n'en réveille le 
souvenir. 

Achillès Tatius s'inclina jusqu'à toucher du panache qui ornait 
son casque la crinière de son coursier ; mais il crut que le parti le 
plus sage était de ne foire aucune réponse, laissant son crime et 
son pardon reposer à l'ombre des termes généraux dontl'empereor 
s'était servi en lui parlant. 

La foule de tous rangs se remit une seconde fois en marche pour 
retourner dans la ville, et aucun nouvel incident ne causa d'inter- 
ruption. Sylvain , accompagné de quelques Yarangiens qui sem- 
blaient le conduire comme un prisonnier, se rendit dans les son- 
t^rains du palais de Blaquemal , qui étaient , dans le fidt , l'habi- 
tation qui lui convenait. 

Tout en retournant à Gonstantinople, Harpax, le centurion des 
gardes Immortels , bien connu de nos lecteurs, eut une conversa- 
tion avec une couple de ses soldats et quelques citoyens qui étaient 
entrés dans la conspiration avortée. 

T- Eh bien I dit l'athlète Stéphanos , nous avons fiât de belle be- 
sogne, après tout 1 Nous laisser prévenir et trahir par un stupide 
Varangienl Toutes les chances ont tourné contre nous, comme 



COMTE DE PARIS. ' 417, 

elles toumeraieiit contre le satetier Corydon » s'il osaU me défier 
dans le cirque i Ursel , dont la mort avait fait tant de tapage, 1* 
Toilà qui n'est pas mort, et, ce qui est eoisore pire, noos ne gi^* 
gnoDS rien à ce qu'il vive. Ce coquin d'Hereward, qui \km pe va- 
lait pas mieux que moi... que dis-je I ne valait pas mieuJS., il était 
fort au-dessous : un être inconnu sous tous les rapports, et le voilà 
maintenant gorgé d'honneurs, de louanges et de présens , en atten* 
dant qu'on lui fasse rendre à peu près tout ce'qu'on li|i a donné. — 
Le césar, l'acolouthos, qui étaient nos associés, ont perdu la coo« 
fiance et l'amitié de Tempereur, et s'ils ont la vie sauve en ce mo» 
ment, il en est d'eux comme des volailles de nos bassesKsoucs , que 
nous «ngraitôons aujourd'hui, et auxquelles nous tordons le coi| 
demain pour les mettre à la broche ou dans le pot. 

• — Stéphanos , répondit le centurion , ta force de c^ps te rend 
propre à la palestre; mais ton esprit n'est pas assez fin pour dis- 
tinguer ce qui est réel de ce qui n'est que probable, dans le monda 
politique, que tu te, permets de juger à présent. Bn considérant le 
risque que l'on court à prêter Toreille à une conspiration , tu de- 
vrais songer que c'est un bonheur d'y échapper la vie et la réputa^ 
tion sauves. C'est ce qui est arrivé à Achillès Tatius et au césar ; 
ils ont même conservé leurs hautes dignités, et ils peuvent €on^>f 
ter que l'empereur ne se hasardera pas aisément à les en priver 
par la suite, puisqu'il n'a pas osé le faire en ce moment, ayant 
pleine connaissance de leur crime. Le pouvoir qui leur est ainsi 
laissé nous appartient par le fait , et Ton ne peut supposer une cir- 
constance qui puisse les engager à frahir Icfurs confédérés en lea 
faisant connaître au gouvernement : il est plus probable q;u'ils s^ 
souviendront d'eux, quand il se présentera quelque occasion , dans 
Qn temps plua opportun , de renouveler l'alliance qui les unit en* 
Semble. Maintiens donc ta noble résolution , mon prince du cirque» 
et songe que tu n'en conserveras pas moins cette influence prédo* 
minante que les favoris de l'ampÛthéâtre sont sûrs d'exercer sur 
les habitans de Cionstantinopl^. 

— Je ne saurais que dire , répondit ^Ifiphanos ; mais cela me; 
ronge le cœur, comme le ver qui ne meurt point, de voir ce me^r 
dîant étranger trahir ainsi le sang le plus nable dn p^ys, pour ne 
rien dire du meilleur athlète de la palestre, et rentrer che? Ini, non' 
seulement sans être puni de sa trahison, m/ais avec de^ élogfs, des 
honneurs et de l'avancement. 

27 



418 ROBERT, 

— Ta a& raison ; mais Ceds attention , mon cher ami , qa'il nous 
oède la placoi comme nous devons le désirer. H abandonne le pays, 
et il qnitte le corps , où il aurait pn prétendre à de TaTancement 
et à quelques vains honneurs , qu'on apprécie ce que valent de 
semblables bagatelles. Hereward, d'ici à quelques jours, ne vaudra 
guère mieux qu'un soldat licencié , vivant du pauvre pain qu'il 
pourra gagner à la suite de ce mendiant de comte, ou plutôt qu'il 
sera obligé de disputer aux Infidèles, en opposant sa hache d'armes 
aux cimeterres des Turcs. A quoi lui servira, en Palestine, au 
milieu des désastres, des massacres et de la famine, d'avoir été 
admis une fois à souper avec Fempereur ? Nous connaissons Alexis 
Gomnène; il aime à s'accquitter, coûte que coûte, des. obligations 
qu'il croit avoir à des gens comme cet Hereward; mais> crois-moi, 
je m'imagine déjà voir ce despote rusé se frotter les épaules d'ua 
air de dérision, quand il apprendra la nouvelle d'une bataille perdue 
en Palestine par les croisés, et dans laquelle son ancienne con- 
naissance aura laissé ses os. Je ne t'insulterai pas en te disant 
combien il serait aisé d'obtenir les bonnes grâces de la servante 
d'une dame de qualité; et je crois qu'il ne serait pas bien difficile, 
ai on athlète pouvait avoir cette fantaisie , d'acquérir la propriété 
d'un grand bd^onin comme Sylvain, qui pourrait fournir le moyen 
de s'établir comme jongleur, à tout Franc qui aurait Tesprit assez 
vil pour vouloir gagner son pain de cette manière, à l'aide des au- 
mônes de la chevalerie affamée d'Europe. Mais celui qui peut s'a- 
baisser à envier le sort d'un pareil être né doit pas être l'homme 
que ses distinctions personnelles suffisent pour élever au premier 
rang parmi les favoris de l'amphithéâtre. 

Il y avait dans ce raisonnement, ou ce sophisme, qudque chose 
qui n'était qu'à demi satisfaisant pour Tesprit obtus de l'athlète 
auquel il était adressé ; cependant Stephanos se contenta de dire 
pour toute réponse : 

'x- Sans doute, noble centurion ; mais vous oubliez qu'outre de 
vains honneurs, il a été promis à ce Yaraugien, Hereward, 
Edouard, n'importe quel soit son nom, un présent considérable 
en or, 

— Ah I pour le coup , vous avez raison , dit le centurion ; et 
quand vous me direz que la promesse a été remplie, je conviendrai 
que l'Anglo-Saxim a obtenu une faveur qui mérite d'être enviée. 
Mais, tant que ce présent restera sous la forme d'une pr(»neBsei 



COMTE DE PARIS. 419 

VOQS mè pardonnerez, digne Stephanos, si je n'en &is pas plus de 
cas qae de celles qa'on nous fait tons les jours, ainsi qa'anx Varan* 
giens f en. noas laissant entrevoir, dans l'avenir, des monceaux 
d'ai^ent, que nous recevrons vraisemblablement avec les neiges 
de l'année dernière. Prenez donc courage, noble Stephanos; et 
ne croyez pas que vos affaires en aillent plus mal, parce que la 
besogne de cette journée n'a pas réussi. Ne laissez pas refroidir 
votre courage; et, ayant toujours en vue les principes qui lui ont 
donné Fessor, croyez que vos projets n'en sont pas moins sûrs> 
parce que le sort en a remis l'accomplissement à un jour plut 
éloigné. 

C'était ainsi que Harpax, en conspirateur habile et expérimenté, 
cherchait à rassurer Tesprit chancelant de Stephanos, pour le 
mettre en état de prendre part à quelque nouvelle entreprise dans 
un temps plus reculé. 

L'absence de la comtesse Brenhilda , pendant cette journée fer» 
tileen évènemens, ne c^usa pas peu de surprise à Temperenr et à 
ceux qui étaient dans sa confiance intime; car on connaissait son 
caractère entreprenant, et l'intérêt qu'elle devait prendre à l'évé- 
nement du combat. Berthe avait, de bonne heure, informé le comte 
que son épouse, agitée par suite de toutes les inquiétudes auxquelles 
elle avait été livrée depuis quelques jours , n'était pas en état dé 
quitter son appartement. Le vaillant chevalier s'empressa d'aller 
apprendre à la fidèle comtesse l'heureux résultat du combat , et 
alla joindre ensuite ceux qui étaient invités au souper de l'empe- 
reur; il s'y comporta comme s'il ne lui fût pas resté le moindre 
souvenir de la conduite perfide de^e prince à la fin du banquet slxê^ 
quel il l'avidt invité précédemment, n est vrai qu'il savait que les 
chevaliers de Tancrède, non*seulement avaient placé une bonne 
garde autour de la maison où se trouvait la comtesse Brenhilda, 
niais faisaient surveiller strictement les environs du palais de Bla- 
qaemal, pour la sûreté du héros qui étaitieur chef, aussi bien que 
jpour celle du comte Robert, compagnon respecté de leur pèleri- 
nage militaire. 

Le principe général de la chevalerie européenne était de per^ 
mettre rarement à la méfiance de survivre à une querelle; et tout 
ce qui était pardonné s'effaçait du souvenir, comme ne devant plus 
arriver : mais, dans l'occasion dont il s'agit, les évènemens de la 
journée avaient causé un rassemblement de troupes plus nombreux 



420 .ROBERT, COMTE DE PARIS. 

que d'ordmaire , de sorte que les croiséa f arent éblîgés d^ex^cer 
«ne vigilance pardcnlière. 

On pent croire que la soirée se passa sana aacune tentatiye pour 
renouveler le cérémonial de la chambre des Lions , qni , dans une 
antre occasion^ avait donné lien à nne telle mésintelligence. H eût 
été henrenx qu'une explication entre le puissant empereur de la 
Grèce et le chevaleresque comte de Paris eût pu avoir lien un pea 
plus tôt ; car la réflexion sur ce qui s'était passé avait oonvai&ca 
l'empereur que les Francs n'étaient pas un peuple qu'il fût facile 
d'intimider par des ouvrages de mécanique , ou de semblables ba- 
gatelles; et que ce qu'ils ne comprenaient pas, au lien d'exciter 
leur admiration ou leur surprise, ne faisait que provoquer lear 
oourroux et leur courage; et, de son côté, le comte Robert n'avait 
pas laissé de remarquer que les nneurs des Orientaux étaient toutes 
différentes de celles auxquelles il avait été accoutumé, qu'ils n'é- 
taient pas aussi profondément imbus de l'esprit de la cbevalerie, 
et que, pour employer son propre langage, le culte de Notre-Dame 
ào6 Lances-Rompues n'était pas pour eux un objet si nature) ds 
vénération. Le c<mite Robert avait pu observer ea outre qu'Alexis 
Comnèlie était un prince sage et politique, et que, s'il se mêlait 
un peu trop d'astuce à sa sagesse, c'était peut*être à cette adroite 
combinaison qu'il devait d'exercer sur l'esprit de ses sujets cet em- 
fure qui lui était nécessaire, tant pour leur bien que pour le sou- 
tien de sa propre autorité. Il résolut donc d'écouter avec calme 
tout ce que l'empereur pourrait dire, soit par civilité, soit par 
pbâsattterie, et de pe pas troubler de nouveau une bonne intelli- 
genee qui pouvait âtre utile à la chrétienté, en donnant lieu à 
quelque querelle^ soit en interprétant mal quelques mots, soit 
faute de bien connaître les usages du pays. Le comte de Paris 
persista dans cette prudente résolution pendant toute la soirée, 
non sans quelque difficulté pourtant, car elle s'accordait mal avec 
son caractère ardent et ombrageux , qui voulait savoir ce que si- 
gnifiait précisément chaque mot qui lui était adressé, et qui était 
prêt à prendre feu s'il y trouvait la moindre trace d'offense, que ce 
fût aveo ou sans intention . 



CHAPITRE XXXIV. 



Ce ne £at qu'après la eo&qnête de Jérusalem 91e le comte Ro- 
bert de Paris revint à Gonstantinopley d'où il partit, avec sou 
épouse Brenhilda et ceux de ses soldats que le gkdYe et la peste 
avaient épargnés dans cette guerre sanglante, pour retourner dans 
son pays natal. En arrivant en Italie, le premier soin du comte et 
de la comtesse fut de âdre célébrer avec magùficence le mariage 
4'Hereward et de sa fidèle Berthe, qui ajoutaient à leurs autres 
4roits à Faffection de kur maître ceux qu'ik avaient acquis , He- 
reward par ses bous services en Palestine , et Bertbe par les soins 
afiectuenx qu'elle avait pris de la comtesse à Gonstantinople. 

On peut voir dans l'histoire écrite par. la princesse Anne Gom- 
nène quel fut le destin de Tenipereur Alexis. Elle l'y représMifo 
comme le héros de maintes victoires remportées , dit l'historiemne 
née dans la pourpre, auchap< 3 du liv* xv deson histoire, tantôt 
par ses armes , tantôt par sa prudence. — Sa hardiesse seule a 
gagné quelques batailles ; d'autres fois il a dû ses succès au strata- 
gème. Il a élevé les plus illustres de ses trophées en faisant face 
aux dangers, en combattant comme un simple soldat, et en se je- 
tant tête nue dans le plus fort de la mêlée ; mais il a su trouver 
l'occasion d'en ériger d'autres en m<mtrant l'apparence de la ter- 
reiir, et même en feignant une retraite. En un mot, il savait 
également triompher en fayant et en poursuivant, et il res- 
tait debout devant l'ennemi qui semblait l'avoir renversé ; aem- 
blable à cet instrument de guerre qu'on appelle chausse-trappe, 
qui reste toujours la pointe en haut , de quelque manière qu'on le 
jette sur la terre. 

Il serait injuste de priver la princesse de la défense qu'elle op- 
pose à l'accusation assez naturelle de partialité. 

— « Il faut que je repousse encore une fois les reproches que me 
font certaines personnes , comme si je n'avais composé mon histoire 
que d'après l'inspiration de l'amour que la nature grave dans le 
cœur des en&ns pour leurs pwpens. La vérité est que c'est, non 



422 ROBERT, 

raffection que j'ai pour les miens , mais Févidence des &its , qai 
m'a portée à écrire comme je l'ai fait. M'est-il pas possible qu'on 
ait en même temps de raffection pour la mémoire d'an père et ponr 
layérité? Quant à moi, je ne me sais jamais laissé guider, dans 
ma tentative pour écrire l'histoire, que d'après l'assurance de la 
Térité des faits. Dans ce dessein , j'ai pris pour sujet l'histoire d'un 
homme de mérite. Est-il juste que , parce que le hasard veut qn'ii 
-soit en même temps l'auteur de ma naissance, on trouve dans la 
circonstance qu'il est mon père un motif pour concevoir contre m(k 
nne prévention qui me priverait de tout crédit sur l'esprit de mes 
lecteurs? En d'auires occasions, j'aidonnié des preuves assez fortes 
de mon ardeur à défendre les intérêts de mon père , et ceux qui me 
connaissent n'en ont jamais douté; mais dans celle-ci, je me sois 
senfermée dans les bornes que me prescrivait l'inviolable fidélité 
avec laquelle je respecte la -vérité, et je me serais fait conscience 
'de la voiler sous prétexte de servir la renommée de mon père. » -^ 
(Chap. 3;liv. XV.) 

Nous avons cru devoir faire cette citation par un sentiment de 
justice pour la belle historienne. Nous donnerons aussi un extrait 
de la. description qu'elle fait de la mort de l'empereur, et nous ne 
faisons pas difficulté de convenir que ce que Gibbon dit de cette 
princesse est plein de justice et de vérité. 

Malgré les protestations réitérées que fait la princesse de sacrifier 
àl'exactitudedelavéritéab8olue,pIntôtqu'àlamémoiredésonpère, 
Gibbon remarque avec vérité qu'au lieu de la simplicité destyleet de 
narration qui gagne la croyance, une affectation élaborée de rhéto- 
rique et de science trahit à chaque page la vanité d'une femme au- 
teur, a Le véritable caractère d'Alexis se perd dans nne vague 
constellation de vertus; an ton perpétuel de panégyrique et d'apo- 
logie éveille notre méfiance , et nous fait douter de la véracité de 
l'historienne et du mérite de son héros. Nous ne pouvons pourtant 
contester la justesse et l'importance de cette remarque , faite par 
Anne Comnène , que les désordres du temps firent l'infortune et là 
gloire d'Alexis , et que toutes les calamités qui peuvent affliger un 
empire dans son déclin ^ furent accumulées sur son règne par là 
justice dû (del, et par suite des vices de ses prédécesseurs. » 
(Tom. IX , pag. 83 , note. ) 

Anne Comnène ne doutedonc nullement que les signesnombrenx 
qui parurent dans les cieux et sar la terre, ue hissât, suivant 



COMTE DE PARIS. 423 

l'interprétation des devins da temps , des pronostics certains 
de la mort de l!emperear. Gf était pour elle on moyen de faicB 
ressortir Timportance de son père, puisque sa mort était accom-r 
pagnée de ces circonstances que d'anciens historiens repréien^ 
tent comme des preuves tiécessaires. de l'iotërét que prend la 
nature à la mort des grands personnages; mais elle ne manque 
pas d'informer le lecteur chrétien que son père n'attacha aucune 
croyance à ces pronostics , et qu'il conserva même son incrédulité 
dans une occasion remarquable , que voici: -- Une statue magni« 
fique, qu'on regardait généralement comme un débris du paga- 
nisme , tenant en main un sceptre d'or^ et placée sur un piédestal 
de porphyre , fut renversée par un ouragan , ce qui fut interprété 
comme un signe de la mort prochaine de Tempereur. iUais il re«^ 
poussa généreusement cette idée. Il dit que Phidias et d'autrea 
grands sculpteurs de l'antiquité avaient le talent d'imiter le corps 
humain avec une exactitude surprenante ; mais que prétendre ^ue 
ces chefs-d'œuvre de l'art fussent doués, du pouvoir de prédire l'ave^^ 
nir, ce serait supposer à ceux qui les ont faits les facultés que Dieu 
se réserve à lui-même , quand il dit : « C'est moi qui tue et qui fais 
vivre. » Pendant ses derniers jours , l'empereur fut tourmenté de 
la goutte , maladie dont la nature a exercé l'esprit 4o bien des sa- 
vans y aussi bien que celui d'Anne Gomnènë. Le pauvre malade 
était tellement épuisé , que, tandis que l'impératrice parlait des 
hommes les plus éloquens qui aideraient à composer son histoire , 
il dit avec un mépris naturel pour de telles vanités : — L'histoire 
de ma malheureuse vie demande des larmes et des lamentations^, 
p Intftt que les éloges dont vous parlez. , 

. Une espèce d'astljme étant venu se joindre à la goutte ^ les re* 
mèdes des médecins devinrent aussi inutiles que l'intercession des 
moines et du clergé , aussi bien que les aumônes qui furent prodi« 
guées indistinctement. Deux ou trois profonds évanouissemenssuc* 
cessifs furent les sinistres avant-coureurs du coup qui s'approchait ; 
et enfin se terminèrent le règne et la vie d'Alexis Comnène , prince 
qui y malgré tous les défauts qu'on peut lui imputer, a pourtant un 
droit réel , attendu la pureté de ses intentions en général , à être 
regardé comme un des meilleurs souverains du Bas-Empire. 

Pendant quelque temps , l'historienne oublia l'orgueil de son 
rang littéraire , et , comme une femme ordinaire , poussa des cris, 
versa des larmes ; s'arracha les cheveux et se défigura les traits. 



AU ROBERT, . • ' 

L'impératrice Irène, qmtta le oestame impériidy se eonpa les c1ie« 
y^at, éch^gea ses brodequins de pomrpre contre des souliers 
iMHÎrs; et sa fiUe Marie, qoi elle-même arait été venve, prit une 
robtt noire dans une de ses gardes-robes , et la présenta à sa 
BKre. « A l'instant même où elle la mit , dit Anne Gonmène , rem- 
perenr rendit le dernier soupir ; et en ce moment le soleil de ma -de 
se coucha* » 

Nous ne la suiTtons pas plus avant dans ses lamentations. Elle 
se &it nn reproche de ce que , après la mort de son père , cette lu* 
mière du monde, elle avait aussi survécu à Irène, également les 
délices de l'Orient et de l'Occident, et même à son époux. — « Je 
suis indignée, dit-elle, que mon ame, abreuvée de tels torrens 
d^fortune, daigne encore animer mon corps. N'ai-jepas été plus 
dure et plus insensible que les rochers, et n'est-il pas juste que 
eelle qm a pu survivre à nn tel père , à une telle mère et à un tel 
époux, soit soumise à l'influence de tant de calamités? Mais finis- 
sons cette histoire, plutôt que de fatiguer plus long-temps mes lec- 
teurs de mes inutiles et tragiques lamentations. » 

Ayant ainsi conclu son histoire, elle a}o nte les deux yws sni vans : 

la savante Coamènoenflii cesse d'écrire, 

Qnaod son injet lui manqnA , el qae son pèee expire ^ 

Ces citations donneront probablement an lecteur toute l'idée 
qu'il désire avoir du caractère réel de l'historienne impériale. Peu 
de mots suffiront pour rendre compte des autres persdtanages qui 
ontété chojsis dans ses écrits.pour figurer dans ledramequiprécède. 

* 



COMTÉ DE» PARIS. 425 



il est h peu près certain qneRobèrti comte *de Paris^ rendu par- 
ticnlièrement oélètil'e par l'audace qu'il montra en s'asseyant sàr 
le trône de l'empereur, était , dans le fait, un homme du pto haÂt 
xangy et rien moins , comme le conjecture le savant Ducange , 
qu'un des ancêtres de la maison de Bourbon , qui a donné si long- 
ten^ps des rois à la France. Il descendait , à ce qu'il pajcaît, des 
comtes de Parisi par qui cette ville fut y aillanunent défendue contre 
les Norm^idsy et d'un des ancêtres de Hugues Gapet. Il y a »ir ce 
sujet différentes hypothèses qui font descendre le célèbre sir Hugues 
Capety 1^ de la fanalledeSaxe; 2^desaint Arnould, ensuite évéque 
d'Altex ; 3^ de Nibilong ; i"" du duc de Bavière ; et 5^ d'un fils na- 
turel de Gharlemagne* Dans toutes ces généalogies contestées on 
trouve, quoique placé de différentes manières^ ce Robert, sur- 
nommé le Fort , qui était comte du district dont Paris était la ca- 
pitale, plus particulièrement nommé le Comté, ou l'Ue-de-France. 
Anne Crainène, qui nous a transmis les détails de l'audience dans 
laquelle ce chef hautain s'assit sur le trône de l'empereur, nous à 
aussi informés qu'il reçut une blessure sérieuse, sinon mortelle., 
à la bataille de Dorylaeum, faute d'avoir fsit attention auax instruc- 
tions que son père lui avait données relativement aux guerres 
contre les Turcs. L'antiquaire disposé à faire des récherches sur 
cet objet peut consulter la Généalogie de la maison royale^ de 
France^ par feu Lord Ashburnham , et une note de Ducange sur 
l'histoire de la princesse, page 362, qui tend à prouver l'identité 
du Rober-t de Paris, d'Anne Comnène, avec le Robert surnommé 
le Fort, mentionné. comme un des ancêtres de Hugues Capet ; il 
{)eut aussi consulter Gibbon (vol. XI, p. &2). L'antiquaire fran- 
çais et l'historien anglais semblent également disposés à trouver 
l'église appdée dans cette histoire Notre-Dame des Lances-Rom- 
pues dans celle dédiée à saint Drusas ou Drosin-de-Doissins , qu'on 
^supposait avoir une influence particulière sur l'issue des combats, 
et êj^re dans l'habitude de les décider en &veur de celui des deux 
champions qui, la veille de la rencontre, passait la nuit dans sa 
chapelle. 

En considération du sexe,d'une des parties intéressées , l'auteur 
a .choisi Notre-Dame des Lances-Rompues comme une patrone 
pl^s convenable que saint Drusas, pour les amazones, qui n'é- 

28 



ne * ROBERT, 

taient pas très rares en ce siècle. Par exemple » GceUi femme de 
Roberl Goiscard , héros formidable , père d'one race de héros, 
était elle-même uê amazmie; elle eombatlit dans les premiers 
nings des Normands, et notre hiatorienn^ iiApériale Anne Gom- 
flpe en fiiit mention plusieurs fois. 

Le lecteur pent aisément se figurer qiw le comte de Paris se dis- 
tingua parmi ses frères d'armes et ses compagnons de croisade. 
Sa renommée retentit du haut des murs d* Antiocbe ; mais à la ba- 
taille de I>M7l8ram il fut si cruellement blessé, qu'il fut hors d'é- 
tat de prendre part à la plus grande scène de tonte Vexpéfition. 
L'héroïne , son épouse , eut pourtant la satisfaction infinie d'esca- 
lader les murs de Jérusalem, et d'acquitter mnsi ses propres vœnx 
et ceux de son mari. Gela lut d'autant pins heureux que les mé- 
decins avaient prononcé que les blessures du comte avaient été 
faites par des armes empoisonnées, et qu'il ne pouvait espérer une 
guérison complète qu'en ayant i^cours à l'air natal. Après avoir 
passé quelque temps dans le vain espoir de pouvoir se soustraire 
par la patience à cette alternative désagréable, le comte se soumit 
à la nécessité, ou à ce qui lui fiit présenté comme tel ; et avec sa 
fennne , le fidèle Hereward et tous ceux de ses soldats qui avaient , 
comme hà, été mis hors de combat, il reprit ^ par mer, le chemin 
de PEurope. 

Une légère galère, qu'ils se procurèrent à grands fîrais, les con- 
duiât sakis aeddeift à Venise; et de cette ville glorieuse , la por- 
tion modérée dé butin qui avait formé la part du comte parmi 
les conquérans de la Palestine, lui fournit les moyens de retom^ 
ner dans ses propres domaines qui , plus heureux que ceux de 
la plupart de ses compagnons de pèlerinage , n'avaient pas été 
envahis par ses voisins pendant le temps de son absence pour la 
croisade. 

Le bruit que le comte avait perdu la santé et les forces néces- 
saires potff continuer à rendre hommage à Notre-Dame *de8 
Lances-Rompues', l'exposa pourtant aoxliostilîtés d'une couple de 
voisins ambitieux ou jaloux , mais que la résistance de la conra- 
^use comtesse et da brave Hereward suffit pour réprimer. En 
moins d'un an , le comte de Paris recouvra tontes ses forces , et il 
redevint, comme autrefois, le protecteur assuré de ses vassaux, et 
le sujet à qui les possesseurs du trône de France accordaient lapins 
grande confiance. Cette dernière circonstance mit le comte Ro- 






COMTE DE PARIS. .427 

bert en état de s'acquitter de sa dette envers Hereward^* aussi am- 
plement qu'il pouvait le désirer, fiespecté pour sa prudence et sa 
sagacitéy autant qu'il l'avait toujoiirs été pour son intrépidité e^ 
son courage dans la croisade, il fut plusieurs fois 'employé par la 
cour de France pour suivre les négociations embarrassantes et 
délicates dans lesquelles les possessions de la couronne d'Angle- 
terre en Normandie entraînaient les deux nations rivales.^ Guil- 
laome-le-Roux ne fut pas insensible à son mérite, et il sentit de 
quelle importance il était pour lui de gagner sa bienveillance. 
Voyant le désir qu'avait le comte de voir Hereward rétabli dans le 
pays de ses pères, il saisit ou fit naîtro^Foccasion de la confiscation 
des biens de quelque seigneur rebelle, pour accorder«à notre Ya- 
rangien un domaine considérable tenant à la nouvelle forêt , dans 
les lieux mêmes que son père avait principalement firéquentés, et 
où l'on dit que les descendans du vaillant écuyer et de sa fidèle 
Berthe ont existé pendant de longues années, survivant à toutes 
les révolutions du temps et du hasard, qui sont, en genénA, fu- 
nestes à la continuation des familles ks plus distinguées. 



FIN DE ROBBET, COMTE DE PARIS. 



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