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BOOK 208. 1.L1 19 v.3 c. 1
LACORDAIRE # OEUVRES DU R P H D
LACORDAIRE
3 T153 DOOhSm? 0
ŒUVRES
P. H.-D. LACORDAIRE
TOME III
CONFERENCES DE NOTRE-DAME DE PARIS
TOME DEUXIÈME
PARIS
LIBRAIRIE V^« CH. POU^^SIEL/iL R
RUE CASSETTE, i 5
OEUVRES
DU
P. HENRI-DOMINIOUE LACORDAIRE
DE L ORDRE DES FRERES PRECHEURS
TOME III
PROPRIETE DE
^^^ û^è^c^i^^'^e^
CONFÉRENCES
DE
NOTRE-DAME DE PARIS
LE P. HENRI-DOMINIQUE LACORDAIRE
DSS FRÈRES PnÊn HEURS
MEMBRE DE l'aCADÉMIE FRANCAISK
TOME DEUXIEME
A^^NÉES 1844-1843
PARIS
LIBRAIRIE V^« CH. POUSSIELGUE
RUE CASSETTE, 15
1907
CONFÉRENCES
NOTRE-DAME DE PARIS
ANNÉE 1844
DES EFFETS DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE
SUR l'AME
m. — 1
VINGT ET UNIEME CONFERENCE
DE LHU MILITE PRODUITE DANS LA ME
PAR LA DOCTRINE CATHOLIQUE
Monseigneur (1),
Messieurs ,
Toute doctrine peut être considérée dans le corps
enseignant qui la possède et la propage ; dans les
sources c|ui la contiennent, dans les effets qu'elle
produit, dans son fondateur, et enfin dans son es-
sence même. C'est pourquoi, Messieurs, appelé à
vous exposer dans cette chaire la doctrine catholique,
j'ai d'abord traité de l'Église, de ses caractères, de
sa constitution, de son autorité, de ses rapports avec
l'ordre temporel ; puis des sources, telles que la
(1 ) M&r Affre , archevêque de Pans.
— 4 —
Tradition, l'Écriture, la Raison, la Foi, où l'Église
puise sa doctrine; et enfin, l'année dernière, j'ai
abordé les effets que cette doctrine produit sur l'es-
prit. Et vous avez vu qu'elle y produit la certitude
rationnelle, c'est-à-dire une conviction réfléchie,
souveraine, immuable, et en outre une certitude su-
pra-rationnelle, c'est-à-dire une conviction illettrée,
translumineuse, et qui exclut le doute; puis une
connaissance qui, par son étendue, sa profondeur,
sa clarté, surpasse la connaissance humaine. Enfin,
j'ai établi qu'entre la raison humaine et la raison ca-
tholique il existe des rapports d'harmonie, d'intelli-
gibilité, d'analogie , de confirmation réciproque, et
cependant de suprématie en faveur de la raison ca-
thohque.
Aujourd'hui, Messieurs, nous irons plus loin sur
cette route que nous avons ouverte devant vous; car
les conclusions de l'esprit ne sont pas les conclusions
dernières de l'homme. Quand l'homme a vu quelque
chose, quand, par cette lumière qui brfile en lui, il
a découvert, si loin que ce soit, un objet, on voit
apparaître une autre face de son être, une autre
puissance, qui est la sensibilité. Il est porté vers cet
objet par un sentiment quelconque, jusqu'à ce qu'une
troisième faculté, qui est le siège de la force, s'em-
pare de ce sentiment, commande, dirige, produise
des actes intérieurs et extérieurs, et mette en branle
toute la vie.
C'est pourquoi, Messieurs, il s'agit de savoir,
après que la doctrine catholique a produit dans l'in-
telligence une certitude, une connaissance, une rai-
— 5 —
son , il s'agit de savoir ce qu'elle produit dans le sen-
timent et dans la volonté, ou, si vous l'aimez mieux,
quels sont ses effets sur l'âme. Tel sera l'objet de nos
Conférences de cette année. Je les commencerai sans
aucun préambule, après vous avoir avertis cependant
que la parole de l'homme n'est rien par elle seule ,
et que toute l'éloquence est un vain son, si l'esprit
de Dieu ne la féconde. Je prie donc ceux d'entre vous
qui sont chrétiens d'élever leurs cœurs vers Dieu ,
afm que sa bénédiction descende d'en haut sur nous,
et je prie ceux qui n'ont pas le bonheur d'être chré-
tiens de compatir du moins à l'élat de leur âme, el
de coopérer par un mouvement de bonne volonté aux
efforts de cette parole qu'ils vont entendre , et aux dé-
sirs fraternels de tous ces cœurs amis qui vont assis-
ter la parole pour qu'elle les pénètre et les ravisse
jusqu'à la vérité.
Le premier et le plus naturel objet de la connais-
sance de l'homme , c'est lui-même. C'est sur lui que
tombe son premier regard, et sur lui qu'il revient
toujours. Il peut se détacher de toute autre pensée,
même de celle de Dieu , même de celle de l'univers ;
mais encore qu'il voulût fermer les yeux de son es-
prit par un acte de sa toute-puissance souveraine, il
ne pourrait pas se séparer de soi. Et c'est pourquoi,
Messieurs, le sentiment que l'homme a delui-i^iême,
le sentiment qui naît dans l'homme à propos de la
vue qu'il a de lui , est assurément de la plus haute
importance. Car tout autre sentiment, si dominateur
qu'il soit, il le maîtrisera, parce qu'il pourra se sé-
parer des objets qui le produisent ; mais le sentiment
— 6 —
qu'il a de lui-même , le sentiment correspondant au
regard qu'il plonge incessamment sur lui , il ne s'en
débarrassera pas un seul jour, un seul instant. Et
comme le sentiment touche à la volonté, et que la
volonté est le ressort de l'action, vous concevez que
cette question du sentiment que nous avons de nous
est une question capitale.
J'ouvre donc en tremblant le cœur de l'homme, et
je n'ai pas besoin d'aller bien loin; hélas! je n'ai
qu'à ouvrir le mien pour découvrir ce qui se passe
dans celui de mes semblables. J'ouvre le cœur de
l'homme, et je connais qu'il s'aime. 11 s'aime, et je
ne l'en blâme pas : pourquoi se haïrait-il? Mais il ne
fait pas que s'aimer, il s'aime plus que tout, il s'aime
par-dessus tout, il s'aime d'une manière exclusive,
il s'aime jusqu'à l'orgueil, jusqu'à vouloir être le pre-
mier, et seul le premier. Descendons en nous-mêmes :
que nous soyons nés sur un trône ou dans l'échoppe
d'un ouvrier, au fond, depuis le moment où la vie
morale s'est éveillée en nous, nous n'avons cessé
d'aspirer à l'exaltation delà primauté. César, dit-on,
passant dans je ne sais quel village des Alpes, et
s'apercevant sur ce petit forum d'une agitation pour
le choix d'un chef, s'arrêta un moment devant ce
spectacle. Ses capitaines, qui étaient autour de luij
s'étonnaient : Est-ce qu'il y a aussi en ce lieu des
disputes sur la prééminence ? et César, en grand
homme qu'il était, leur dit : « J'aimerais mieux être
(( le premier dans cette bicoque que le second dans
« Rome. )) C'est là le vrai cri de la nature. Quelque
part que nous soyons, nous voulons être les pre-
— 7 —
miers. Artistes prédestinés à reproduire les choses
par le pinceau ou le burin , orateurs sachant créer
[les pensées dans l'esprit de la multitude, général
commandant des bataillons et leur promettant la fuite
de l'ennemi, ministres conduisant des empires, rois
agités sous la pourpre, nous n'aspirons tous qu'à la
primauté, et à la primauté solitaire. Nous ne sommes
contents que quand , mesurant d'un regard tout ce
qui nous entoure, nous trouvons le vide, et au delà
de ce vide, le plus loin possible, un monde à genoux
pour nous adorer.
Un jeune homme a reçu de la nature une phy-
sionomie heureuse : il a des cheveux blonds, des
yeux bleus , un front noble , un sourire aimable ;
créature légère , vous croyez qu'il n'aspire qu'à
la destinée d'une fleur. Vous vous trompez , il rêve ,
lui aussi, la primauté et la domination; avec ces
faibles attaches qui lient les cœurs , il cherche à se
faire un objet éphémère d'admiration sur ces lèvres
du monde où se racontent tous les prestiges et toutes
les gloires qui se flétrissent dans l'instant où elles
naissent.
Bref, Messieurs, nous aspirons à la primauté,
même par la puissance du rien. Je n'insisterai pas
davantage sur cette vérité ; car c'est un lieu com-
mun, et, par la grâce de Dieu, j'ai horreur du lieu
commun.
Mais voici ce qui arrive. Quand l'homme, ainsi
enivré de lui-même, regarde autour de lui, trouve-
t-il un spectacle correspondant aux illusions de son
orgueil? Non, il trouve tout le contraire ; il trouve
— 8 —
des rangs formés où il n'a point sa place : hiérarchie
de la naissance , souvenirs d'une vieille gloire qui a
traversé les siècles, et qui, sur le front de l'homme
sans mérite, resplendit encore parla puissance de
l'histoire ; hiérarchie du talent que la nature a dis-
tribué dans ses caprices , et qui , malgré toutes nos
protestations, se pose plus haut que nous, et fait à
notre amour-propre de magnifiques insultes ; hiérar-
chie de la fortune venue de la vertu, du vice ou de
l'habileté ; hiérarchie de toute forme et de tout nom,
reposant sur des lois, des traditions, sur des néces-
sités, sur des abîmes toujours près de s'entr'ouvrir
quand on attaque ce que le temps a bâti. Et envoyant
cela , l'homme tomxbé du néant au milieu de tous ces
trônes qui le bravent , l'homme s'indigne ; il réagit
de toute la force de cette puissance de commande-
ment qui est en lui et qui peut s'attaquer jusqu'à la
nature ; comme Ajax prêt à mourir menaçait du tron-
çon de l'épée la majesté des dieux, son orgueil irrité
porte à tout le défi ; la haine de la supériorité qu'il
subit s'unit dans son cœur à la haine de l'égalité
qu'il repousse. N'est-ce pas Mahomet qui a dit quel-
que part :
Des égaux! dès longtemps Mahomet n'en a plus?
Et ne savez-vous pas que le César moderne , rece-
vant en Egypte une lettre d'un membre de l'Institut
qui commençait par ces mots : «Mon cher collègue,»
et froissant le papier dans la main qui avait l'habi-
tude de contre-signer la victoire, répétait avec dé-
- 9 —
dain : « Mon cher collègue , quel style ! » Nous avons
beau, Messieurs, décréter l'égalité dans les chartes,
l'orgueil n'en ratifie la proclamation que pour abais-
ser ceux qui sont plus haut que nous , mais non pour
élever ceux qui sont plus bas. La haine de la supé-
riorité ne fait qu'appeler à soi la haine de l'égalité et
le mépris de l'infériorité. Ce sont là les trois enfants
légitimes de l'orgueil. Si du moins , dans ce cœur
fasciné par le besoin de la primauté , régnait une vé-
ritable élévation ! Mais l'orgueil s'allie trop bien avec
la bassesse; une bassesse sourde vit dans l'orgueil,
et se fait des gémonies que les plus cruels tyrans
n'auraient pas inventées. Cette conscience, si déli-
cate à l'endroit du trône où elle se place, cette con-
science se vend et s'achète ; elle s'humilie pour gran-
dir; elle mendie à genoux la pourpre qui couvrira sa
nudité ; elle accepte le mépris pour obtenir le droit
de le rendre.
Voilà, Messieurs, l'homme tel qu'il est, le senti-
ment qu'il a de lui-même , et les conséquences nor-
males de ce sentiment. Or je dis qu'évidemment et
sans grand effort de logique , c'est là un sentiment
faux, inhumain, infortuné. C'est un sentiment faux :
car il est impossible que tout le monde soit le pre-
mier, et par conséquent le vœu de la nature ou delà
Providence, quelque nom que vous lui donniez, n'a
pu être de nous appeler à la primauté. Si la primauté
était notre but et notre vocation , un seul être exis-
terait, et encore ne serait- il pas le premier, parce
que, pour qu'il y ait un premier, il faut qu'il y ait
des derniers. C'est un sentiment inhumain : car il
-- 10 —
conclut à l'avilissement de tout ce qui n'arrive pas à
être le premier, au mépris de tout ce qui n'est pas
assez heureux ou assez fort pour se faire une situa-
tion élevée. Enfin c'est un sentiment infortuné : car
il est en contradiction avec toutes les réalités de la
vie. L'orgueil demande infiniment, et la vie ne donne
que peu, d'autant plus cruelle qu'elle favorise quel-
ques-uns, et qu'elle montre de loin à l'ambition ha- ^
letante ses rares parvenus. L'orgueil dit à un artisan I
qu'il est souverain, et le malheureux s'en va, l'es^
prit plein de cette souveraineté, tendre dans la rue
la main à un travail qui ne lui vient pas toujours, et
qu'il déshonore d'avance par ses vices. Gomment
voulez-vous que le bonheur habite dans une contra-
diction si poignante entre ce que nous sentons et ce
qui est réellement ?
La doctrine catholique, Messieurs, s'est proposé
de changer de fond en comble le sentiment que nous
avons naturellement de nous-même. Elle s'est atta-
quée à ce sentiment qui semblait indestructible, et
n'être pas différent de notre essence ; elle a espéré
nous en former un autre tout contraire; et j'admire
cette espérance et cette singulière sécurité. J'admire
une doctrine qui ne craint pas de renverser l'homme
par sa base, qui non-seulement veut extirper en lui
un sentiment radical, mais qui crée un sentiment op-
posé à l'ancien , et se promet d'en faire l'inaugura-
tion au plus profond de son cœur. L'homme vivait
d'orgueil, il vivra d'humilité. Et qu'est-ce que l'hu-
mihté? L'humilité est une acceptation volontaire de
la place qui nous a été marquée dans la hiérarchie
I
— 11 -
des êtres , une possession de soi-même avec une mo-
dération égale à ce que l'on vaut, et qui nous porte
à descendre vers ce qui ne nous vaut pas. L'orguci'.
tendait à monter : l'humilité cherche à descendre.
L'orgueil impliquait la haine de la supériorité, la
haine de l'égalité, le mépris de l'infériorité : l'humi-
lité renferme en soi l'amour et le respect de la supé-
riorité dans ceux que la Providence a faits nos supé-
rieurs, l'amour et le respect de l'égalité dans ceux
que la Providence a faits nos égaux , l'amour et le
respect de l'infériorité non-seulement dans ceux que
la Providence a faits nos inférieurs , mais encore pour
nous-même et d'une manière absolue. L'orgueil as-
pirait à être le premier, l'humilité aspire au dernier
rang. L'orgueil voulait être roi , l'humilité veut être
serviteur. Sentiment incroyable, qui n'avait pas
même de nom dans la langue des hommes, et qui
s'est fait un nom, une histoire et une gloire !
Je dis une gloire, car ne croyez pas que l'humilité
eût pour but de vous abaisser ; elle avait pour but
devons relever; aucune autre doctrine, Messieurs,
n'a prétendu exalter l'âme humaine autant que la
doctrine catholique ; aucune autre ne lui a proposé
une ambition plus grande et plus extraordinaire. Elle
ne lui parle que de ses origines et de ses fins di-
vines ; elle substitue pour elle l'éternité à l'immor-
talité ; elle lui donne Dieu pour frère et le ciel pour
patrie ; elle lui inspire d'elle-même un si profond res-
pect, que les moindres obscurcissements de la droi-
ture et de la conscience lui causent de l'horreur, et
qu'elle essaierait en vain de vivre tranquille quand
— 12 -
la plus légère souillure a compromis la splendeur de
sa dignité personnelle. Ainsi la plus haute exaltation
de l'âme doit s'allier et s'allie, dans la doctrine ca-
tholique, à la plus profonde humilité. Comment cela?
Gomment une ambition sans mesure est-elle compa-
tible avec une aspiration toute contraire?
Je pourrais. Messieurs, ne pas aborder cette expli-
cation, puisque je traite seulement des phénomènes
de la doctrine; cependant il n'est pas inutile de temps
en temps que nous touchions au secret intérieur des
choses. Levons donc la contradiction apparente qui
nous préoccupe, et pénétrons jusqu'à l'essence de
l'humilité. Sachez-le, Messieurs, la véritable éléva-
tion n'est pas dans l'élévation de nature, dans la hié-
rarchie matérielle ou extérieure des êtres. La véri-
table élévation, l'élévation essentielle et éternelle,
c'est l'élévation de mérite, l'élévation de la vertu. La
naissance, la fortune, le génie ne sont rien devant
Dieu. Car qu'est-ce que la naissance devant Dieu,
qui n'est pas né? Qu'est-ce que la fortune devant
Dieu, qui a fait le monde? Qu'est-ce que le génie de-
vant Dieu, qui est l'esprit infini, et de qui nous vient
cette petite flamme extraordinaire que nous appelons
de ce beau nom? Évidemment ce n'est là rien. Ce
qui est quelque chose devant Dieu , ce qui nous ap-
proche de lui, c'est l'élévation personnelle due à l'ef-
fort d'une vertu qui , en quelque rang de nature que
nous ayons été placés, reproduit dans l'âme une
image sérieuse de la Divinité. Or, plus la vertu s'élève
d'un lieu bas. plus son mérite est grand. Imiter Dieu,
quand on touche aux premiers degrés de son trône,
— 13 —
quand on le voit presque face à face, c'est un mérite
facile; mais qu'une créature placée dans un rang
"inférieur, qu'un simple homme sans naissance, sans
fortune, sans génie, courbé sous les outils d'une
boutique, et appliqué à la plus vile instrumentation,
que cet homme, par un mouvement de son cœur,
s'élève jusqu'à Dieu, qu'il tire de son âme des flots
d'un amour sans tache, qu'il offre à Dieu, quoique
si loin de lui, une image de lui-même, assurément
son abaissement dans la hiérarchie de nature aug-
mentera son élévation dans la hiérarchie de mérite.
L'humilité n'exclut donc pas l'exaltation; elle la sert,
et, bien mieux encore, elle la produit. Car, qu'est-ce
que la vertu qui constitue la hiérarchie de mérite?
La vertu, évidemment, n'est pas autre chose que
le dévouement de soi aux autres : or, peut on se
dévouer sans abnégation de soi-même? Peut-on se
sacrifier sans que le premier sacrifice soit celui de
l'orgueil? Car, qu'est-ce que l'orgueil, sinon soi,
toujours soi, soi plus que tout autre, soi plus que
l'univers, soi plus que l'humanité, soit plus que Dieu ?
Qu'est-ce que l'orgueil, sinon l'égoïsme même? Et
comme l'égoïsme et la vertu sont deux mots qui s'ex-
cluent, il s'ensuit que l'orgueil et la vertu s'excluent
aussi, pour laisser voir clairement que la vertu et
l'humilité n'ont qu'une même définition , et qu'ainsi
s'abaisser, c'est s'élever. L'orgueil n'est que la forme
de l'égoïsme, la passion du néant qui se ramasse en
soi et qui veut opprimer tout le reste; l'humilité est
la forme de l'amour, la passion de l'être vraiment
grand, qui veut se faire petit pour se mieux donner.
— 14 —
Aussi Dieu est-il le plus humble des êtres ; lui qui
est sans égal, a des égaux dans la triplicité de la per-
sonnalité divine ; lui qui est la hauteur sans mesure,
s'est abaissé vers le néant, pour créer l'être; vers
l'homme, pour prendre sa nature. C'est de lui, bien
plus que de cet empereur romain , que le poëte aurait
dû dire :
Et, monté sur le faîte, il aspire à descendre.
. Tel est, Messieurs, le sentiment que la doctrine
catholique a prétendu imposer à l'homme à l'égard
de lui-même. Y a-t-elle réussi? Je vous en fais les
juges. A-t-elle réellement créé l'humilité dans
l'homme? A-t-elle porté l'homme à descendre vo-
lontairement ? Vous le savez tous ; l'histoire du
catholicisme vous est connue ; vous savez quel sen-
timent animait les saints, quel sentiment l'Église
vous inspire à vous-mêmes. C'est la doctrine ca-
tholique qui a inauguré dans le monde l'amour sin-
cère de la supériorité; c'est elle qui a produit le
sentiment de l'égalité et de la fraternité, selon cette
expression de l'Apôtre : Diligite caritatem fraterni-
tatis , — Aimez l'amour de la fraternité. Enfin,
c'est elle qui nous a donné le goût de nous faire
petits, de descendre du rang, de la naissance, de
la fortune, de l'éclat du génie; exemples célèbres
que les rois eux-mêmes ont donnés et que don-
nent encore obscurément tous les jours des âmes
sans nombre , imitatrices de l'humilité du Calvaire
au milieu de cet effroyable orgueil qui règne en-
— 15 —
core dans l'humanité, quoique non plus sur l'hu-
manité.
Maintenant, Messieurs, qu'en conclure ? c'est ce
qu'il nous faut voir.
L'humilité est une vertu. J'ai besoin de le montrer
pour les conséquences ultérieures auxquelles je veux
aboutir. L'humilité, dis-je, est une vertu; car la
vertu est une force de l'âme qui résiste au mal et qui
accomplit le bien, et l'humihté porte avec elle tous
ces caractères. Elle est une force, puisqu'elle sur-
monte le penchant de notre nature à l'égoïsme de la
primauté; elle résiste au mal et accomplit le bien,
car le mal est une relation fausse, et le bien une re-
lation vraie des sentiments et des actes avec les
êtres. Toutes les fois que nous sommes avec les
êtres dans une relation exacte, juste, harmonieuse,
non pas par l'esprit, ce serait le phénomène de la
connaissance, mais par le cœur et les actes, nous
sommes dans le bien. Or, l'orgueil étant un sentiment
faux , inhumain , malheureux , un sentiment qui dé-
nature toutes nos relations avec la hiérarchie des
êtres, il s'ensuit manifestement que l'humilité, qui
nous replace à l'égard des êtres dans un rapport vrai,
humain et heureux, est une vertu. L'orgueil trouble
tous les êtres , à commencer par lui-même ; l'humi-
lité apaise tous les êtres, à commencer par elle-
même : elle est la vertu-principe, comme l'orgueil
est le vice-principe.
Gela posé, je dis que la vérité seule peut produire
la vertu , et que l'erreur en est absolument inca-
pable. En eiïet , l'erreur met notre esprit dans une
— 16 —
relation fausse avec les êtres ; elle nous les présente
tels qu'ils ne sont pas, et sollicite par conséquent
notre cœur à faux. Le cœur étant sollicité à faux par
des êtres qui lui sont présentés sous un jour qui
n'est pas le leur, comment voulez-vous que le cœur
conclue à un sentiment vrai , et la volonté à des
actes justes? Cela n'est pas possible. Vous savez
très-bien , Messieurs , que le sentiment suit la vue
de l'esprit, et que les actes suivent l'impulsion du
sentiment. Ainsi est constituée la hiérarchie de notre
activité intérieure et extérieure. L'homme voit d'a-
bord , et, selon qu'il voit, il éprouve dans la sensibi-
lité une sympathie ou une répulsion; et, selon qu'il
éprouve une sympathie ou une répulsion, il com-
mande au dedans de lui parla volonté, et ensuite il
agit à l'extérieur. Mais si le point de départ, dans
cette série des actes de l'organisation active , est
vicieux; si, par exemple, je vois comme mauvais ce
qui est réellement bon , si je vois Dieu comme un
tyran au lieu de le voir comme un père, n'est-il pas
vrai que mon sentiment, solUcité par cette idée
fausse de Dieu, sera porté à le haïr; tandis que si
j'ai l'idée véritable de Dieu , si j'entends la pre-
mière parole du chrétien qui prie, le Notre Père qui
êtes au deux, n'est- il pas vrai que mon sentiment
gravitera vers lui sous la forme d'une filiale affec-
tion?
Vous vous étonnez sans cesse de rencontrer des
âmes bonnes et bien douées dont les sentiments et
les actes, en certaines matières , vous frappent d'une
stupeur douloureuse; vous vous dites : Comment ces
— 17 —
hommes, qui semblent droits , sont-ils capables d'é-
crire ou de faire de si odieuses choses ? Eh ! Mes-
sieurs , c'est que ces hommes voient mal. Est-ce que
vous croyez que le cœur soit toujours devant Dieu
aussi coupable qu'il nous le paraît? Est-ce que vous
pensez qu'en vivant au milieu d'une société où l'es-
prit est sans cesse assiégé par l'erreur, la respon-
sabilité des sentiments et des actes soit la même
qu'aux époques où la vérité seule instruisait et gou-
vernait le monde? De temps en temps, chrétiens,
on persécute votre honneur par des calomnies pu-
bliques, et vous dites : Il n'y a qu'une plume scélé-
rate qui ait pu tracer de telles injures. Détrompez-
vous ; c'est peut-être la bonne foi qui vous attaque ,
et presque certainement c'est l'erreur, erreur plus
ou moins coupable, selon le malheur des temps et la
multiplicité des causes qui ont faussé l'esprit. Ce que
vous appelez un coup de poignard est souvent un
coup d'épée pour celui qui vous frappe; il ne connaît
pas l'Église, la cité des saints; il la découvre, à tra-
vers les tempêtes du siècle, comme un obstacle à ce
qui lui paraît être la régénération des idées, l'avenir
du monde, le développement de la civilisation; il
voit le contraire de ce que vous voyez , et fait par
conséquent le contraire de ce que vous faites. L'er-
reur I Messieurs , l'erreur! voilà la source la plus fé-
conde du mal , et, dans tous les cas, une source d'où
ne peut sortir aucun bien, aucune vertu. Je l'ai dé-
montré.
Voulons -nous donc connaître si une doctrine est
la vérité, nous n'avons qu'à voir les sentiments et les
- 18 —
actes qui en sont la conséquence. Toute doctrine qui
produit la vertu est nécessairement vraie ; la vertu
est le fruit inimitable de la vérité.
Eh bien! l'humilité est une vertu; une vertu sub-
stituée au pire de tous les vices; une vertu capitale
qui crée l'autorité , la fraternité , l'amour sacré du
pauvre , qui met les hommes chacun à leur place ,
même à la dernière, avec leur propre consentement :
donc, la doctrine cathoUque, dont elle est l'effet, est
une grande vérité, une grande, une première, une
capitale vérité.
Mais, Messieurs, ce n'est pas tout : il ne suffit pas
de la vérité toute seule pour produire une vertu; la
vérité peut être inefficace à ce grand ouvrage, quoi-
qu'elle y soit nécessaire. La vérité, en nous ensei-
gnant les vrais rapports des êtres, est sans doute le
germe premier de la vertu ; mais ce germe peut avor-
ter, s'il ne développe dans le cœur un sentiment, et
ce n'est pas la même chose de donner des senti-
ments ou de donner des idées. Je sais comment on
donne des idées. L'homme ouvre ses lèvres que Dieu
a bénies; il parle, il expose une série de proposi-
tions qui contiennent de la lumière; la lumière
passe de son esprit à l'esprit qui l'écoute. Mais voir
n'est pas sentir; passer de l'acte de la vision à l'acte
du sentiment, c'est passer d'une région à une autre.
La lumière ne suffit plus pour expliquer ce nouveau
phénomène. Tous les jours on voit, et l'on reste in-
sensible. Je descends dans la rue, je rencontre un
pauvre qui me tend la main. Je vois bien sa misère ,
mais mes entrailles peuvent rester fermées. Je vois
— 19 —
bien que la relation de cet homme à moi est une rela-
tion de pauvreté à richesse, de solliciteur à qui peut
compatir et soulager ; cependant je passe sans le bé-
nir ni du regard, ni du cœur, ni de la main. J'ai la
vérité à l'égard de ce pauvre ; mais je n'ai pas la
charité. Qui me donnera la charité? Évidemment,
une autre puissance que la vérité ; mais une puis-
sance pourtant qui sera unie à la vérité , comme la
chaleur l'est à la lumière, une puissance capable de
me remuer, de me toucher, de me ravir. Ainsi, vous
me nommerez la patrie. Tout le monde sait ce que
c'est que la patrie. Mais quand l'ennemi est là,
quand il s'agit de donner son sang pour la défendre,
et souvent un sang que l'on croit inutile , parce que
la faiblesse du cœur nous représente volontiers le
sacrifice comme une chose qui ne réussira pas : eh
bien ! alors que faudra-t-il pour nous décider ? Il fau-
dra qu'une inspiration sympathique à l'égard de la
patrie tombe de quelque part et vienne animer ce
cœur glacé , pour en tirer le sang qu'il veut conser-
ver. L'inspiration sympathique est nécessaire pour
faire passer la vérité à l'état de sentiment; tant que
cette inspiration sympathique n'agit pas, il est impos-
sible que le sentiment soit produit. De là vient si sou-
vent l'impuissance de la parole : elle éclaire sans
échauffer, parce que l'orateur est froid lui-même,
parce qu'il n'est pas suffisamment chargé d'électri-
cité sympathique, et que nul ne communique ce qu'il
n'a pas lui-même.
Une doctrine qui ne contient pas d'inspiration
sympathique au cœur de l'homme est donc une doc-
— 20 —
trine stérile pour la vertu , quelle que soit la quantité
de vérité qu'elle renferme d'ailleurs ; et toutes les
fois, au contraire, qu'une doctrine remue et trans-
forme le cœur de l'homme, il est manifeste qu'elle
lui est sympathique au plus haut degré, et que par
conséquent elle est vraie, non -seulement pour l'es-
prit, mais pour le cœur. Or la doctrine catholique a
fait naître dans l'homme le sentiment inconnu de
l'humilité; elle a frappé, comme Moïse, le roc de
son orgueil, et l'a rendu doux, simple, obéissant,
content de la dernière place ; elle a fait un miracle
qui a exigé la plus étonnante inspiration sympathi-
que : donc elle est vraie pour le cœur comme pour
l'esprit.
Ce n'est pas tout encore : il y a dans la vertu autre
chose que la vérité connue et sentie, il s'y trouve
encore la force qui agit. On peut voir la vérité , on
peut la goûter, et manquer toutefois de l'énergie
suffisante pour la vouloir et la mettre en pratique.
C'est même le cas le plus fréquent. Ce qui nous fait
le plus défaut à tous, c'est la force, c'est le vir, c'est
qu'on ne peut pas écrire au bas de notre statue ,
comme on l'a fait au bas de la statue d'un homme
célèbre, celte simple inscription : Vir. La faiblesse
est le malheur de notre nature le plus difficile à
guérir. Nous voyons encore assez vite la vérité ; nous
l'aimons sans trop de peine; mais sa transfiguration
définitive en vertu , mais l'acte dernier sans lequel
l'homme manque à son nom même , voilà l'effort
rare autant qu'il est suprême. Eh bien ! la doctrine
catholique, qui a mis au monde l'idée et le sentiment
— 21 —
de riiumilité, en a aussi créé la force. Elle a fait
réellement des'hommes humbles parles actes autant
que par les idées et par les sentiments; elle a pro-
duit la vertu d'humilité dans sa substance totale. Et
puisque nul ne donne ce qu'il n'a pas, il est au-des-
sus de toute controverse que la doctrine catholique
possède la force qui fait des humbles. Mais quelle
force, et de quel genre? Évidemment une force qui
n'est pas dans la nature, qui est supérieure à la na-
ture, puisque l'orgueil détrôné par l'humilité est
naturel à l'homme, et qu'amsi l'humilité ne lui élant
pas naturelle , il a bien fallu , pour que l'homme la
reçût et la pratiquât, une force qui ne venait pas de
sa nature , une force divine par conséquent, puisque
nous ne connaissons que deux genres de force, la
nature et Dieu. Donc la doctrine catholique, qui est
déjà prouvée une vérité d'esprit et une vérité de
cœur, est aussi une vérité divine.
Je confirmerai ce résultat en constatant l'impuis-
sance de toutes les autres doctrines pour produire
dans l'homme la vertu de rhumihté.
En dehors de la doctrine catholique, il n'existe
que trois doctrines : le rationalisme, le protestan-
tisme et les cultes non chrétiens. Je pourrais ne pas
parler des cultes non chrétiens, parce que désormais
dans le monde leur temps est achevé, et que la lutte
finale n'est plus évidemment qu'entre la doctrine
catholique, le rationalisme et le protestantisme. C'est
pourquoi , si le temps nous presse , nous n'en dirons
qu'un mot.
Le rationalisme est l'effort de l'intelligence pour
— 22 —
s'expliquer le mystère des destinées , à elle toute
seule, sans le secours d'aucune révélation, d'aucune
tradition, d'aucune autorité. Ce mot, Messieurs, est
un mot moderne. Ce sont les catholiques du xix^ siè-
cle qui l'ont créé ; et c'est un mot de la création la
plus heureuse, parce que c'est un mot plein d'équité.
Quand le rationalisme, c'est-à-dire cette abstraction
de toute révélation, de toute tradition, de toute auto-
rité , s'établit dans le monde, les catholiques se trou-
vèrent embarrassés; ils ne pouvaient pas appeler cet
effort de l'intelligence du nom de philosophie, car
eux-mêmes ils ont une philosophie, il existe une
philosophie chrétienne, une philosophie catholique.
Donner au rationaUsme le nom de philosophie, c'était
lui donner un nom qui, aux yeux des catholiques,
était devenu sacré , et le transporter à un genre de
spéculation tout à fait opposé à leur doctrine et à
leur méthode. Quelques apologistes appelèrent la
philosophie moderne du nom de xjhilo sophisme;
mais cette expression , hasardée çà et là , ne put ob-
tenir la généralité ni la stabilité, précisément parce
quelle renferme une injure. Qui dit i^liilo sophisme
dit un amour du sophisme ; or on peut être rationa-
liste par éducation, par tournure d'esprit, par un
malheur quelconque ; on peut chercher en soi-même,
dans son intelligence, l'explication du mystère des
destinées, et n'être pas nécessairement un cœur dé-
voué au sophisme. Le mot était donc malheureux.
Les catholiques du xix^ siècle ont créé celui du ra-
tionalisme, qui a cours aujourd'hui dans toutes les
langues de l'Europe, ce qui est le signe inévitable
— 23 —
d'un mot bien fait. Et le mot est bien fait, parce qu'il
exprime sans injure ce qu'il veut dire.
Le rationalisme n'a pas même la prétention d'in-
spirer l'humilité. 11 voit la plaie de l'orgueil, je crois
qu'il la voit; il cherche dans la modestie un contre-
poids à ce mauvais sentiment de notre nature; mais
la modestie n'est que l'imitation artistique de l'hu-
milité ; elle cache l'orgueil sans le détruire , elle le
cache, parce que l'orgueil est un vice tellement en-
nemi de l'humanité, qu'il est impossible à l'homme
de le montrer. Soyez le plus grand génie du monde,
ayez sur le front toute la gloire imaginable : si l'or-
gueil apparaît par-dessus , vous êtes un homme haï
et déshonoré. Le monde ne donne la gloire qu'à la
condition qu'on la portera sans être ébloui, et en pa-
raissant encore plus grand qu'elle. C'est pourquoi la
modestie est un art du premier ordre, que le ratio-
nalisme apprécie de toute nécessité. Il fait même
plus.
Je reconnais qu'il n'existe pas seulement une
fausse modestie , qui n'est qu'un voile pour couvrir
l'orgueil, mais qu'il existe aussi une modestie sin-
cère, un certain calme , une possession de soi-même
modérée , qui fait que l'homme parvenu à un rang
honorable finit par s'en contenter. Mais ce n'est là
qu'une vertu de sage privilégié, une vertu de cabinet
et de salon , qui ne pénètre pas jusqu'aux entrailles
de l'homme, et n'est que l'apaisement d'un orgueil
satisfait qui mesure par la prudence l'inanité des
vœux ultérieurs. Le rationalisme n'a même aucune
part à ce léger sommeil de l'orgueil ; il est l'œuvre
— 24 —
d'une nature tempérée, et non l'œuvre de cette doc-
trine qui, en faisant de l'intelligence individuelle le
principe et la règle exclusifs de la vérité, est la créa-
trice d'un orgueil particulier, le plus fort de tous.
Le vulgaire des hommes n'aspire qu'à la primauté
de naissance, de fortune, de génie, de gloire, de
puissance; le rationalisme, capable de dédaigner
tout cela, place son trône plus haut encore, et verra
sans étonnement le jour où, par une conclusion logi-
que, il s'estimera Dieu ou ï absolu.
Le protestantisme est l'effort de l'intelligence pour
se mettre en possession de la révélation sans le se-
cours d'aucune autorité. Par où vous voyez tout
d'abord que le protestantisme n'est autre chose qu'un
rationalisme mitigé. Le rationalisme se pose comme
indépendance de la pensée , comme voulant tirer de
lui la vérité; le protestantisme, en acceptant la révé-
lation , veut cependant entrer en commerce avec la
parole divine par l'effort individuel de Fâme. Il ne
veut pas de l'homme entre lui et Dieu , parce que
l'homme abaisse l'homme : orgueil religieux qui
ruine la société spirituelle, comme l'orgueil ordinaire
ruine la société hunii'ne. Aussi les hommes et les
œuvres d'humilité, si fréquents dans l'ÉgUse catho-
lique, n'ont -ils jamais apparu dans le protestan-
tisme, et, de plus, le caractère chrétien, sous ce
rapport, a visiblement été altéré chez les peuples
protestants. Si vous vous êtes approchés quelquefois
d'une population formée par cette doctrine, vous
aurez discerné facilement , au langage et à la phy-
sionomie, que vous quittiez la frontière de l'humilité
— 25 —
pour entrer clans une nuance de l'orgueil. Rien n'est
plus célèbre , par exemple, que la morgue héréditaire
de la capitale du calvinisme.
L'Angleterre, ce pays pour lequel nous devons
tous prier, parce que, bien qu'il soit éloigné depuis
trois siècles de la vérité catholique et qu'il ait versé
le sang de beaucoup de nos frères , cependant le cré-
puscule d'un jour plus pur se lève pour lui, l'Angle-
terre nous présente aussi , dés le premier regard , la
chute sensible de l'humilité chrétienne. Je ne le dis
point avec amertume; il est permis à la charité
même de regarder quelquefois le front de l'ange dé-
chu, afm de mieux connaître le signe de la vérité
dans son obscurcissement même ou sa disparition.
Voulez -vous donc voir les effets d'une fausse doc-
trine dans un grand pays? remarquez l'état delà do-
mesticité en Angleterre. Rien de plus sec, de plus dur,
de moins humain peut-il se voir, que le commerce
de l'Anglais avec son serviteur? La divinité du do-
mestique n'y est plus connue; on n'y sait plus que
Jésus-Christ a été le premier domestique du monde.
Le mépris de l'homme a reparu avec l'altération de
la doctrine catholique, et le spectacle en est encore
plus instructif lorsque , reportant notre pensée dans
les beaux souvenirs de notre pays , nous nous rappe-
lons ce qu'étaient chez nous les domestiques, les
hommes de la maison, le vieillard qui nous avait
autrefois tenus sur ses genoux, la nourrice qui nous
avait allaités , quel soutien et quel honneur ils trou-
vaient dans les vieux châteaux de la féodahté et
dans toutes les saintes maisons du royaume très-
1*
— 26 —
chrétien. Ces mœurs sans doute ne sont plus les
nôtres, du moins au môme degré; mais qui lésa
changées, sinon l'affaiblissement de la foi, sinon
l'invasion du rationalisme et de toutes ces doctrines
qui repoussent l'homme vers l'orgueil, tout en lui
parlant de fraternité? La parole humaine, quelle
qu'elle soit, ne suffit pas pour substituer dans l'orga-
nisation de l'homme l'artère de l'humilité à l'artère
de l'orgueil. On peut bien vouloir, ne fût-ce que par
pudeur, im.iter les idées et les sentiments du vrai
christianisme; mais cette imitation même, par son
impuissance , révèle dans la doctrine catholique une
semence qui seule a reçu le don de l'efficacité, et y
avec lui, le signe inaliénable de la divinité.
Quant aux cultes non chrétiens , je n'en dirai rien
décidément. Ce sont des corps morts sur le champ
de bataille où l'erreur et la vérité se disputent le
monde. Que voulez -vous que je parle de Jupiter, de
Mercure? La Grèce, Rome, Mahomet lui-même,
étaient des flatteurs des passions de l'homme. Que
voulez-vous que j'en dise de plus, à propos de l'hu-
milité? Quand la victoire a enseveli par -dessous le
sang et les ruines ceux qu'elle a balayés, voulez-
vous qu'un orateur vienne un jour sur ces tumuhis
entonner un chant de triomphe et prouver que ces
gens morts n'avaient ni la vérité ni la vertu ? Toute
doctrine autre que la doctrine catholique flatte l'or-
gueil et les penchants corrompus de l'homme par un
point ou par un autre, Zenon aussi bien qu'Épicure ;
et s'il se rencontrait une doctrine de main d'homme
qui eût toute l'architecture de la vérité, elle prouve-
— 27 —
rait encore, par son impuissance, que la vérité ne
suffit pas quand il s'agit de vertus plus fortes que
l'homme.
Votre premier trésor, jeunes gens chrétiens, c'est
donc celui de l'humilité, trésor qui vous a procuré la
paix, trésor à qui vous devez des frères et des amis
que l'orgueil ne vous aurait jamais donnés. C'est là ,
dis-je , votre premier et votre plus grand trésor per-
sonnel ; mais c'est aussi votre trésor pour l'humanité
tout entière et pour notre commune et chère patrie.
Vous l'ouvrirez sur l'une et l'autre; vous réappren-
drez à ces générations troublées par des ambitions
qui ne seront pas satisfaites, ce qu'un homme d'É-
tat vivant a appelé la sainte école du respect, et j'a-
joute : la sainte école du respect dans l'amour, et do
l'amour dans le respect. Vous leur réapprendrez le
respect et l'amour de la supériorité, le respect et
l'amour de l'égalité, le respect et l'amour de l'infé-
riorité. Vous réconcilierez entre eux les rangs et les
sorts, non par de vaines phrases, mais par des sen-
timents profonds , par des actes où le pauvre recon-
naîtra sa grandeur, et qui, en le rapprochant de
l'homme, le rapprocheront aussi de Dieu. AppUqués
à cette glorieuse tâche qui n'appartient qu'à vous ,
vous ne vous laisserez point émouvoir par les cla-
meurs qui vous accuseront de forfaire à Dieu et aux
hommes; vous leur opposerez ce même trésor de
rhumihté, vous y puiserez pour vous la joie de l'in-
jure pardonnée. Tôt ou tard le monde aura besoin
de vous; l'expérience des doctrines qui ne sont pas
les vôtres s'achèvera sous les yeux ouverts du genre
— 28 —
humain. Vous n'avez besoin que d'attendre, et la
patience est aussi un fruit de l'humilité ! Fils uni-
ques de cette vertu, sacrés patriotes du temps, parce
que vous êtes de l'éternité, montez au Gapitole, et
là, tenant en main le sceptre de roseau, le front cou-
ronné d'épines, les épaules chargées de la pourpre
sanglante, demeurez debout devant l'outrage, et at-
tendez en paix l'avenir qui vous cherche et qui vous
trouvera, non pas un avenir de repos, mais un ave-
nir où s'accroîtra le nombre de ceux qui croiront,
qui aimeront et souffriront avec vous ; car, tant que
le royaume de Dieu sera le royaume de l'humilité, la
gloire n'y sera pas sans l'humiliation, la victoire
sans la défaite, la joie sans la douleur. Vous êtes
semblables à l'Océan , dont l'ambition légitime est
d'agrandir ses rivages, mais qui sait aussi qu'en les
agrandissant il agrandit ses tempêtes.
VINGT-DEUXIEME CONFERENCE
DE LA CHASTETE PRODUITE DANS L AME
PAR LA DOCTRINE CATHOLIQUE
Monseigneur,
Messieurs,
Vous avez compris la puissance et la fécondité du
terrain sur lequel nous sommes à présent descendus.
Nous avons quitté la région spéculative des idées pour
entrer dans la région pratique des sentiments et des
vertus, et par conséquent, entre le terrain où nous
étions et celui où nous nous trouvons , il y a la diffé-
rence de ce qui ne se vérifie que par l'esprit avec ce
qui se vérifie par les plus accessibles réalités ; et si
vous avez bien saisi ma pensée, vous avez encore com-
pris qu'il est des vertus réservées comme signe de la
doctrine divine. Car, Messieurs, vous le sentez très-
bien, s'il existe une doctrine divine, s'il est vrai que
— 30 —
Dieu ait daigné établir sur la terre un enseignement
tombé de ses lèvres , si depuis qu'il est au monde ,
c'est-à-dire depuis qu'il a fait le monde, il parle, il
parle tout haut et tout bas, il parle à l'univers entier
et à chaque âme qu'il a créée ; si cela est vrai, vous
voyez qu'il est absolument nécessaire que la doctrine
divine produise quelque chose que jamais la parole
humaine ne puisse produire à son tour, quelque en-
vie qu'elle ait de contrefaire ces signes tout-puissants.
Dieu, Messieurs, s'est donc réservé des vérités, il
s'est réservé des vertus , il s'est réservé des institu-
tions : et la grande preuve du christianisme, sa
preuve populaire, le pain quotidien de sa démon-
stration, ce n'est pas le miracle qui passe, même en
ressuscitant les morts, ce n'est pas la prophétie,
quoique plus permanente que le miracle; non, la
preuve perpétuelle et vivante du christianisme, c'est
que tout œil , un peu plus tôt ou un peu plus tard ,
découvre en lui des vérités, des vertus et des institu-
tions réservées ; c'est que Dieu a fait comme un grand
roi, qui, outre les magnificences extérieures de ses
palais, possède au dedans, en des lieux plus secrets,
un trésor de choses privées dont il ne révèle le sanc-
tuaire qu'à ses plus chers amis.
La première des vertus réservées, nous l'avons
dit, c'est l'humilité. Dieu seul, par la doctrine ca-
tholique, fait les humbles; toutes les doctrines hu-
maines, sans exception, depuis Platon jusqu'à Kant,
toutes enfantent l'orgueil. Vous les reconnaîtrez à
cet infaillible critérium. Quand l'orgueil montera
dans votre cœur en lisant un livre ou en écoutant
— 31 —
une parole, dites-vous : Il est possible que la vérité
soit là, mais c'est une vérité que l'homme a dite. Et
toutes les fois, au contraire, qu'en lisant un livre ou
en écoutant une parole, vous sentirez l'humilité des-
cendre dans votre âme , fût-ce le dernier des men-
diants qui ait signé ce livre ou prononcé cette parole,
dites-vous : C'est Dieu qui communique avec moi.
Cette règle n'a pas d'exception. Et remarquez-le
bien, Messieurs, l'humilité, pas plus qu'aucune au-
tre vertu réservée, n'est une vertu mystique, bonne
seulement pour le cénobite caché dans un cloître
sous une austérité que le monde appellera chimé-
rique. Non , Dieu , quand il veut faire des signes, s'y
prend plus habilement. L'humilité , ainsi que toutes
les autres vertus réservées , est une vertu de la terre,
une vertu morale, une vertu sociale, une vertu dont
l'homme a besoin , dont il est en quête , qui lui man-
que à toute heure, et du manque de laquelle il souf-
fre cruellement.
Sans l'humilité, toute hiérarchie est impossible :
car la hiérarchie se compose d'échelons subordonnés
dont les uns sont les premiers , d'autres les derniers,
où tous dépendent, et ont besoin réciproquement
d'humilité, soit pour accepter leur place, en tant
qu'elle est inférieure , soit pour la faire accepter, en
tant qu'elle est supérieure ; aucune combinaison ne
saurait remplacer, dans cette position , l'huile frater-
nelle de l'humilité, et, sans son concours, la hiérar-
chie n'est plus que tyrannie par le haut , révolte par
le bas , une haine qui remonte et qui redescend sous
la protection de la nécessité.
^^ 32 —
Je n'ajoute que ce peu de mots à ma dernière Con-
férence, et je passe à une seconde vertu réservée.
Cette seconde vertu réservée, c'est la chasteté. Je
vous montrerai que Thomme n'a pas pu la produire,
et comment la doctrine catholique y a réussi. J'es- .
père, Messieurs, de l'assistance divine, que je res- i
teraî dans la mesure de mon ministère, et que vous
aussi vous élèverez votre cœur à la pureté qui est de
droit dans de semblables entretiens. A l'âge où nous
sommes tous, il nous est permis de voir, à la lueur
d'un langage sévère, les choses ensevelies le plus
loin dans les entrailles de l'humanité.
L'âme n'est pas seule dans l'homme; elle est unie
à un corps , et le corps de l'homme n'est pas comme
celui de l'animal, il n'est pas réglé par des instincts .,
immuables qui le maintiennent dans la limite conve- |
nable aux fins de sa destination. Tout notre corps
est plus ou moins révolté contre l'âme qui doit le
régir. Cependant l'âme gouverne assez bien certahis
de ces ressorts que nous appelons les sens; elle peut,
par la force de la nature, à l'aide d'une philosophie
honnête et spiritualisle, tenir assez souverainement
les rênes d'une très-grande partie de son adminis-
tration. Mais il est un sens singulier, le seul qui ne
soit point nécessaire à l'entretien de la vie, et qui de-
meure privé de ses fonctions, même légitimes, sans
nuire au jeu ni au développement de notre organisa-
tion; et ce sens, qui devrait être naturellement le
plus facile à gouverner, puisqu'il est libre d'accom-
plir ou de ne pas accomplir son ministère, c'est celui-
là même qui est en révolte permanente contre l'âme ,
— es-
par un mystère que je ne puis pas expliquer présen-
tement , que j'ignore , si vous le voulez , mais qui est
le plus grand mystère de notre nature, parce qu'il
touche au plus profond de la question du bien et du
mal.
Le sens dont je parle n'est pas seulement révolté ,
il est dépravé.
J'appelle un sens dépravé celui qui ne s'inquiète
pas de ses fonctions vraies, mais qui agit par un in-
stinct d'égoïsme étranger à toute destination. Il est
manifeste que c'est là une dépravation de l'ordre na-
turel, parce que la nature va toujours aune fin juste,
déterminée et efficace. Or le sens dont je parle ne
s'inquiète pas de sa fin; sa fin lui est complètement
étrangère. Ce qu'il cherche, c'est lui-même, c'est
une satisfaction indépendante de tout bien qui le
couvre de son utilité et de sa sainteté. Au lieu que
tous les autres sens opèrent dans la direction de la
vie, alors même qu'ils abusent d'eux; au lieu que le
sommeil nous repose, que la nourriture nous répare,
que nos oreilles écoutent la parole, que notre verbe
la profère; en un mot, au lieu que tous nos sens,
même dans leurs excès , accomplisseni qutlque chose
devrai, celui-là ne cesse de conspirer contre notre
vie. Il use sans fruit nos plus précieux organes, il
dévore sans but nos plus admirables facultés. N'avez-
vous pas rencontré de ces hommes qui, à la fleur
de l'âge, à peine honorés des signes de la virilité,
portent déjà les flétrissures du temps; qui, dégé-
nérés avant d'avoir atteint la naissance totale de
l'être, le front chargé de rides précoces, les yeux
— 34 —
vagues et caves, les lèvres impuissantes à peindre
la bonté, trament sous un soleil tout jeune une exis-
tence caduque? Qui a fait ces cadavres? Qui a touché
cet enfant? Qui lui a ôté la fraîcheur de ses années?
qui a mis sur sa face des siècles honteux? N'est-ce
pas ce sens ennemi de la vie des hommes? Victime
de sa dépravation, le malheureux a vécu solitaire;
il n'a aspiré qu'à des secousses égoïstes, qu'à ces
effroyables pulsations que l'homme et le ciel se dé-
tournent pour ne pas voir, et le voilà! il s'en va, pris
du vin de la mort, et d'un pied méprisé, porter
son corps au tombeau où ses vices dormiront avec
lui et déshonoreront sa cendre jusqu'au dernier des
jours.
Ah! si ce n'était pas là un sens dépravé, quel nom
lui donner? Un nom plus dur encore. Messieurs,
car j'ajoute que c'est un sens abject. C'est un sens
abject, parce qu'il tue le cœur, parce qu'il substitue
l'émotion du sang à l'émotion de l'âme. J'ai déjà vu
dans ma vie bien des jeunes gens, et je vous le dé-
clare, je n'ai jamais rencontré de tendresse de cœur
dans un jeune homme débauché ; je n'ai jamais ren-
contré d'âmes aimantes que les âmes qui ignoraient
le mal ou qui luttaient contre lui. Une fois, en effet,
qu'on s'habitue aux émotions violentes, comment
voulez-vous que le cœur, une plante si délicate, qui
se nourrit de quelques gouttes de rosée tombant çà
et là du ciel pour lui ; qui s'ébranle par de légers
souffles ; qui est heureux pour des jours par le sou-
venir d'une parole qui a été dite, d'un regard qui a
été jeté, d'un encouragement que la bouche d'une
— 3b —
mère ou la main d'un ami a donné ; le cœur, dont le
battement est si calme dans sa vraie nature, presque
insensible, à cause de sa sensibilité même, et do
peur qu'il n'eût été brisé par une seule goutte d'a^
mour, si Dieu l'avait fait moins profond ; comment ,
dis-je, voulez-vous que le cœur oppose ses douces et
frêles jouissances aux jouissances grossières et exa-
gérées du sens dépravé? L'un est égoïste, l'autre
généreux; l'un vit de soi, l'autre hors de soi : entre
ces deux tendances, l'une doit prévaloir. Si le sens
dépravé l'emporte , le cœur se flétrit peu à peu , il ne
sent plus la force des joies simples; il ne va plus vers
autrui ; il fmit par ne plus battre que pour donner
son cours au sang, et marquer les heures de ce temps
honteux dont la débauche précipite la fuite. Mais
quoi de plus abject que de tuer le cœur dans l'homme?
Que reste-t-il de l'homme quand son cœur ne vit
plus? Pourtant, le sens dépravé fait davantage en-
core : aucun vice, comme aucune vertu, n'arrête ses
effets à l'homme seul ; l'un et l'autre ont dans la so-
ciété le contre-coup de leur action. Et, sous ce rap-
port, le sens dépravé est l'oppression et la ruine du
monde.
On parle beaucoup de liberté, et, pour ma part,
j'en parle aussi fièrement qu'un autre. Car, grâce à
Dieu , il y a une liberté juste et sainte, et aucun mot
n'existe dans le langage humain qui n'ait sa légitime
application. Dieu et le démon se servent des mêmes
mots, et le démon ne peut pas en maudire un seul,
pas plus qu'il ne peut maudire une seule idée en en
abusant. Dieu est le père de la liberté ; il l'a bénie en
— 36 —
la donnant à l'homme ; il en tient, devant nous, par
les mains de son Église, l'étendard toujours debout
et toujours honorable. Je parle donc de la liberté, et
je vous dénonce un de ses ennemis; je vous le dé-
nonce du haut de la grande tribune de l'humanité,
là où ses devoirs et ses droits , se soutenant l'un par
l'autre, ont constamment trouvé des orateurs et des
martyrs. Je vous dénonce un despotisme atroce et
ignoble, celui du sens dépravé contre toute une
portion de la race humaine : car l'infâme ne se
borne pas à lui , quoiqu'il ne vive que de lui ; il sort
de lui, mais pour faire des victimes; et quelles vic-
times !
Ah ! Messieurs , en quittant cette assemblée, cher-
chez une de ces rues où la misère s'abrite; vous
n'aurez pas à chercher bien loin. Montez ces tristes
rampes ; vous voici devant un grand spectacle. Ces
visages flétris si jeunes, ils ont été beaux ; ces mem-
bres qui n'inspirent plus que la tentation de l'hor-
reur, ils ont été vivants ; ces êtres déshonorés, ils
avaient des frères et des sœurs. Ils n'en ont plus , ils
n'ont plus rien, pas même des remords. Qui les a dé-
pouillés, meurtris, livrés à la misère, à l'opprobre,
à l'ignorance même de leur malheur? Qui? vous le
savez bien. Lâche autant qu'égoïste , le sens dépravé
ne s'attaque pas à l'homme dans sa force, mais dans
sa faiblesse ; il n'ira pas tenter l'homme qui peut le
regarder en face ; il va bassement, com-me le ver de
terre , se glisser au sein des fleurs que le printemps
vient d'ouvrir et qui n'ont qu'un jour. Il va solliciter -
ce qui ne peut pas se défendre ; il se présente à un
— 37 -
être faible et trop facile à séduire parce qu'il a autre-
fois séduit le premier, il se présente à lui sous les
dehors d'un cœur touché. L'hypocrite ose mettre la
main sur cette région de l'àme, il cache la débauche
et la trahison sous le geste de l'amour et de la fidé-
lité; puis, l'heure passée, après qu'il a détruit ce
qui ne se réédifîe jamais, il abandonne, il s'en va,
déserteur du mal qu'il a fait, se consoler du dégoût
qu'il éprouve par un dégoût qui n'est encore qu'à
venir. Quelle oppression y aura-t-il dans le monde,
si ce n'est pas là de l'oppression, et quelles rui-
nes, si ce que je vais dire no compte pas pour des
ruines ?
Quand vous regardez dans l'histoire de notre pays
et que vous y voyez tous ces noms illustres qui en
étaient la couronne , couronne de baron , couronne de
comte, couronne de marquis, couronne de duc,
toutes ces vieilles couronnes qui formaient la cou-
ronne totale du pays, et qu'ensuite, regardant ces
races dans le présent, vous en trouvez qui plient
sous le fardeau de leur antiquité , enfants dont l'épée
maniée par leurs pères avait étendu les frontières do
la patrie et de la vérité , et qui ne peuvent plus rien
ni pour l'une ni pour l'autre , il ne vous est pas diffi-
cile d'en connaître la cause. Le vice a passé dans
€es races et en a rongé les fibres vives. Il n'épargne
pas même les nations. Un temps vient, et pour quel
peuple n'est-il pas venu tôt ou tard? un temps vient
où l'histoire civilisée succède à l'histoire héroïque ;
les caractères tombent, les corps diminuent, la force
physique et morale s'en va d'un même pas, et l'on
III. ~ 2
— 38 — ■
entend de loin le bruit du barbare qui s'approche et
qui regarde si l'heure est venue d'enlever du monde
ce vieillard de peuple. Quand cette heure a sonné,
quand un pays se sent trembler devant la destinée,
qui a passé sur lui? quel souffle a tari sa vie? Tou-
jours le même, Messieurs, la mort n'a jamais qu'un
i^rand complice. Ce peuple s'est abâtardi dans les
homicides joies de la volupté , il a versé son sang
goutte à goutte , et non plus par flots , sur les champs
féconds du dévouement; or il y a du sang versé de
la sorte une vengeance inévitable, celles que subis-
sent dans la servitude et la ruine toutes les nalions
finies.
Pardonnez-moi, Messieurs, si je ne suis pas ma
pensée; qu'importe? Mais je vois bien des jeunes
gens ici ; qu'ils songent donc, chaque fois que le ten-
tateur s'attaque à eux, que c'est l'ennemi de la vie,
de la beauté, de la bonté, de la force, de la gloire,
que c'est l'ennemi universel et national. Eh ! Mes-
sieurs, si un Tartare venait frapper à votre porte et
vous demander une trahison contre la France , quelle
ne serait pas votre horreur! Pourtant le sens dépravé
ne fait pas autre chose ; le sang qu'il vous demande,
ne fût-il pas celui de l'éternité , serait encore le sang
de la patrie et de l'avenir.
Mon Dieu! que fera l'âme devant cet ennemi? A-
t-elle reçu quelque force, en a-t-elïe exercé quel-
qu'une contre lui? Nous n'avons qu'à prendre l'his-
toire. C'est elle qui va nous répondre.
Eh bien! l'âme s'est trouvée faible. Elle a pu quel-
que chose pour la justice, pour la prudence, pour la
— 39 —
tempérance, même pour la force; elle a faitAnnibal,
Scipion, Caton cl'Utique, et tant de grands hommes
qui ont eu le courage de vivre et de mourir dans des
circonstances difficiles ; elle a fait des héros, elle n'a
pas fait de chastes. Et se voyant ainsi impuissante,
comme il faut vivre avec honneur, parce que c'est
son instinct, elle a poussé le délire jusqu'à vouloir
l'honneur du sens dépravé. Elle ne s'est pas con-
tentée de la hberté, elle n'a pas demandé au monde
seulement que le sens dépravé fût libre , elle lui a de-
mandé qu'il fût en honneur, et le monde y a consenti.
Présentement encore, Messieurs, malgré le chris-
tianisme , le monde s'efforce de maintenir l'honneur
du sens dépravé. Un homicide est réprouvé par le
monde ; le profanateur des serments les plus saints ,
le violateur du sanctuaire domestique, l'adultère y
passe le front levé. C'est pour cela surtout que le
monde et l'Évangile ne peuvent pas s'entendre : l'É-
vangile n'accable rien tant que le sens dépravé ; le
monde le soutient encore, et honore jusqu'à la fm le
déshonneur lui-même.
L'honneur du sens dépravé n'a pas satisfait l'âme ;
elle en a voulu la pubhcité, l'état pubUc. Car, Mes-
sieurs , il n'y a de véritablement grand que ce qui
arrive à l'état public. Tant qu'une chose ne soutient
pas la publicité , elle n'est pas à sa plus haute puis-
sance. Le croiriez-vous , le sens dépravé a aspiré à
la publicité, et, grâce à la connivence de l'âme, il
l'a obtenue! Je ne puis pas aller plus loin, Mes-
sieurs... : la parole chrétienne se refuse à la simple
indication des réalités que le soleil voyait autrefois ;
— 40 —
mais Dieu a permis que Tacile et Suétone en écri-
vissent des pages qui, jusqu'au jour du jugement
dernier, porteront à la connaissance de l'homme
l'histoire sanglante de sa propre dépravation. Ne
vous rappelez-vous pas le spectacle de l'empire ro-
main dans sa décadence? Ne vous rappelez-vous pas
Néron se montrant à l'empire romain, aux descen-
dants de la grande république: Néron, le maître de
tant d'hommes , chargé dans sa seule tête de repré-
senter ce qu'un orateur anglais appelait divinement
bien la majesté d'un peuple; Néron, l'héritier des
Fabius, des Scipion, de toutes les familles consu-
laires, couvert de toutes les pourpres amassées par
tant de vertus et tant de siècles; Néron paraissant
devant les tombeaux de la patrie, devant ses tem-
ples, au Forum, environné... Comment pourrais-je
le peindre? Et tout un peuple le voyait, mais un
peuple préparé par les plus affreux spectacles à ce
dernier spectacle.
Personne ne viendra- t-il au secours de l'âme? per-
sonne ne se Icvcra-t-il pour lui rendre un peu de
courage et d'honneur? Est-ce qu'il n'y avait pas de
philosophes en ces temps-là? Oh ! il y avait des phi-
losophes, je ne le dis pas avec sarcasme, il y avait de
puissants génies qui savaient découvrir de grandes
vérités, encore qu'ils ne découvrissent pas la vérité
tout entière. Mais les philosophes n'ont rien pu; le!
sens dépravé a même eu sa philosophie , on lui a fait
une philosophie! Non-seulement, Messieurs, il a eu
sa philosophie, mais encore il a eu son sacerdoce, il
a eu ses prêtres.
— 41 —
Le prôlre! ce nom nous représente un homme
blanchi dans l'âge et dans la tradition, qui a visité
les royaumes de la vérité et couru sur tous les ri-
vages de l'erreur, d'où il a rapporté, en faveur des
hommes, une sagesse plus haute que celle du temps,
un regard que les peuples viennent consulter pour
y lire des pensées vénérables. Eh bien ! le sens dé-
pravé a eu des prêtres ; il a eu des prêtres chargés
d'exercer comme un ministère de sainteté cet effroya-
ble ministère de la dépravation.
Que dis-je? des prêtres! il a eu des temples!
Des temples! mon Dieu! Quand l'homme es^fatigué,
quand il est las du jour et n'en peut plus de la vie ,
il se met en chemin, il va frapper à la porte d'un
temple; il tombe à genoux, il prie, il monte vers
Dieu dans ces murailles qui en sont la demeure; son
âme y respire l'espérance et le parfum d'une vie
meilleure : voilà le temple. Et la volupté l'a souillé !
A l'homme qui venait s'y reposer des songes cruels
de la vie, la volupté se montrait sur l'autel et lui di-
sait : Je suis le dernier dieu !
Le genre humain, pourtant, Messieurs, ne lui
faites pas l'injure de croire qu'il ne fût pas honteux
et qu'il n'aspirât pas à secouer le joug. Il y aspirait.
11 avait des vestales, il connaissait le mot de chas-
teté, il en avait quelques illustres exemples, tels que
la continence d'un Scipion dans une occasion fa-
meuse. Mais ce n'étaient là que des lueurs, des
désirs, des apparitions du bien: le bien était vaincu.
L'homme, pendant quatre mille ans, est resté sous
la domination du sens dépravé, jusqu'à ce qu'enfin
— 42 —
l'horloge de l'éternité sonna une heure, et cette
heure disait : « Un Sauveur vous est né aujourd'hui,
« gloire à Dieu au plus haut du ciel, et paix sur la
« terre aux hommes de bonne volonté ! »
Il nous reste à voir l'effet de cette simple parole sur
le monde, et comment elle y a engendré la vertu ré-
servée de la chasteté.
Rome était la tranquille maîtresse du monde; elle
avait rassemblé dans son sein tous les vices des gé-
nérations qu'elle avait conquises, et, voulant mar-
quer par un monument la plénitude de sa gloire et
de sa religion, elle avait élevé au milieu d'elle un
temple à tous les dieux, son Panthéon, où le dieu de
la dépravation avait aussi son image , ses prêtres et
son encens. Unjour donc quelques paysans partis des
vallées d'un pays sans renom vinrent et s'arrêtèrent
sur cette place où tous les dieux de Rome étaient ren-
fermés sous la triple protection du temps , de la vic-
toire et de la religion. Ils vinrent; ils regardèrent
autour d'eux toutes ces puissances qui étaient là
pour défendre la honte et la volupté divinisées, et,
après avoir fait sur eux un signe sacré, ils allèren'
frapper de leur bâton de voyageur la porte du Pan-
théon. Elle s'ouvrit devant eux. Là tous les dieux
anciens étaient rangés, toutes les erreurs passées
tous les crimes fameux, tous y régnaient en marbre,
en or et en ivoire. Nos paysans n'apportaient là contre
tous qu'un cœur pur. Il fut le plus fort enfin. La
chasteté planta au Panthéon son double signe , la
croix d'abord , la chair de l'homme souffrant par
une immolation volontaire, et à côté l'image de la
— 43 —
Vierge sans tache : tous les deux annonçant au genre
humain que le père du monde ce n'était pas le sang
versé dans la volupté, mais le sang versé dans la
douleur; tous les deux lui apprenant que la mère
du monde ce n'était pas la fécondité, même légitime,
mais la virginité; la virginité sœur delà jeunesse, de
la beauté, de la bonté, du génie, de la force, sœur
et mère de toutes les vertus, et avec elles du monde
entier.
Le triomphe était grand et nouveau. L'honneur et
la publicité de la dépravation étaient remplacés par
l'honneur et la publicité de la chasteté. Mais un sa-
cerdoce est nécessaire au maintien comme à la pro-
pagation de toute sainte doctrine : quel devait être
le sacerdoce de la chasteté , sinon un sacerdoce de
vierges? La doctrine catholique l'osa, non pas pour
une portion choisie, destinée, comme les vestales, à
offrir au monde un rare échantillon de la vertu; mais
pour tous sans exception, pour tous, en tous temps,
en tous lieux, sous tous les soleils. Elle osa compter
à ce point sur elle-même, que d'exiger pour condi-
tion suprême du sacerdoce la continence absolue, et
de ne vouloir se confier qu'à l'innocence à jamais
conservée ou à jamais recouvrée par le repentir.
Nul, en effet, ne peut donner ce qu'il n'a pas, et la
chasteté seule devait avoir le privilège d'engendrer la
chasteté.
Eh bien! Messieurs, qu'en dites-vous? Telle était
la prétention de la doctrine catholique; l'a- 1- elle
réaUsée? A-t-elle créé par toute la terre, chez tous
les peuples, une race de prêtres chastes, renonçant
— 44 —
à ce qui avait paru, pendant quatre mille ans, à
l'humanité l'indispensable condiment de la vie?
L'a-t-ellefait? Et, remarquez-le, ce ne sont pas des
vieillards réduits par les glaces de l'âge à l'impuis-
sance du mal que la doctrine catholique choisit pour
ses prêtres; non, ce sont des jeunesgens, c'estl'homme
dans la sève et la fleur de la vie ; c'est saint Jean cou-
ché sur la poitrine de son maître; c'est saint Paul
courant vers Damas à bride abattue; c'est saint An-
toine emportant tout son printemps au désert de
Kolsim. Voilà le prêtre catholique, selon la règle
générale. L'Église prend par les cheveux la jeunesse
toute vive, dévouée par son cœur, séduite par son
imagination; elle la purifie dans la prière et dans la
pénitence, l'élève par la méditation, l'assouplit par
l'obéissance, la transfigure par l'humilité, et, le jour
venu, elle la jette par terre dans ses basiliques, elle
verse sur elle une parole et une goutte d'huile : la
voilà chaste! Ils iront, ces jeunes gens , ils iront par
toute la terre , sous la garde de leur vertu ; ils péné-
treront dans le sanctuaire des sanctuaires, celui des
âmes; ils écouleront des confidences terribles; ils
verront tout; ils sauront tout; mille tempêtes passe-
ront sur leur cœur. Ce cœur restera de feu par la
charité, de granit par la chasteté. C'est à ce signe
toujours que les peuples reconnaîtront le prêtre. Le
prêtre pourra être avare, ogueilleux , pharisien ; son
caractère sou fîrira, sans doute, de ces vices honteux;
mais néanmoins, tant que le signe de la chasteté res-
tera sur son front. Dieu et les hommes lui pardon-
neront beaucoup : ce que ces derniers ne lui pardon-
— 45 —
neront jamais, ce sera une faute, quelquefois l'ombre
d'une faute de fragilité: tant, aux yeux de tous, le
sacerdoce et la chasteté seront une seule et même
dignité , une seule et même expression du Dieu qui a
sauvé le monde sur la croix !
Grâce à Dieu , Messieurs, le sacerdoce catholique
a subi cette épreuve; il la subit depuis bientôt vingt
siècles. Ses ennemis l'ont regardé sans cesse dans le
présent et dans l'histoire; ils ont signalé des scan-
dales partiels ; mais ie corps entier est demeuré sauf.
La foi des générations attentives ne s'y méprend
pas : elle croit à une vertu qu'elle a trop éprouvée;
elle amène à nos pieds des enfants de seize ans, des
cœurs de seize ans , des aveux de seize ans; elle les
y amène à la face de l'univers et à l'étonnement de
l'impie; elle y amène la mère avec la fille, les cha-
grins précoces avec les chagrins vieillis , ce que l'o-
reille de l'époux n'entend pas , ce que l'oreille du
frère ne sait pas, ce que l'oreille de l'ami n'a jamais
soupçonné. L'humanité proclame par cette confiance
miraculeuse la sainteté du sacerdoce catholique, et
la fureur de ses ennemis viendra se briser toujours
contre cette arche qu'il porte avec lui. Ils la poursui-
vront, comme l'armée de Pharaon, jusque dans les
eaux profondes; mais le mur, le cristal de la chas-
teté, s'élèvera toujours entre eux et nous ; ils maudi-
ront ce fruit divin qui naît en nous et qui nous pro-
tège ; ils le maudiront vainement , parce que la malé-
diction qui tombe sur la vertu est comme celle qui
tombait sur la croix de Jésus - Christ l'avant-veille
de la résurrection.
— 46 —
La doctrine catholique a fait un sacerdoce chaste.
Ce n'était pas encore sa plus grande merveille. Après
tout , le prêtre est choisi , il est préparé et consacré ;
mais le cœur le moins prêt et le moins préservé, le
cœur de la femme, la doctrine catholique le purifiera
aussi. Elle créera de saintes générations de chré-
tiennes, vivant libres au miheu du monde, confiées
à elles-mêmes, gardiennes avec leurs mœurs des
mœurs générales, prenant dans la société un empire
nouveau , et faisant naître du respect un amour que
l'antiquité n'avait pas connu.
Je me presse, Messieurs; j'ai hâte d'arriver jus-
qu'à vous, vous, le fruit dernier et le plus divin de
la chasteté. Car, moins que la femme encore, vous
êtes gardés par la nature et la société; une liberté
aussi grande que vos désirs vous a été laissée. Vous
pouvez tout contre vous-mêmes, et tout avec une
longue impunité. Pourtant la croix vous a touchés
aussi ; la Vierge sans tache est apparue à votre cœur
enivré de vie; tous deux ont appris à beaucoup
d'entre vous le supplice heureux de la continence, et
la religion s'est entourée de vous comme d'une il-
lustre pépinière, comme d'une jeune garde d'hon-
neur, qui la défend mieux que la poitrine de ses
martyrs et l'épée de ses docteurs. Tous, vous n'avez
pas atteint dès le premier jour de Dieu dans votre
âme cette splendeur virginale; beaucoup en avaient
perdu la rooe primitive; déchus du saint baptême,
ils avaient passé sous la verge des passions: la jeu-
nesse leur a rendu ce que l'enfance leur avait ôté.
D'autres luttent encore contre le poison mêlé à leurs
— 47 —
veines; ils lèvent vers Dieu des désirs suppliants; ils
apprennent dans le combat même, en connaissant
mieux l'infirmité de la nature , à discerner dans la
vertu le doigt qui seul guérit et seul fait renaître.
Ainsi , Messieurs, sacerdoce chaste, femmes chas-
tes , jeunesse chaste , tel est l'ouvrage de la doctrine
catholique au milieu d'un monde qui n'a pas cessé
sans doute d'être corrompu, mais qui, même dans sa
partie révoltée contre le joug de la sainteté, en reçoit
encore l'influence, et ne permet à aucun homme
sensé de confondre l'état général de la société chré-
tienne sous ce rapport avec les mœurs de la société
païenne.
Je ne rechercherai pas aujourd'hui les consé-
quences logiques d'une si grande transformation;
vous les prévoyez déjà. Vous pressentez quel compte
je demanderai aux doctrines humaines, au nom de la
chasteté, non pas seulement aux doctrines passées,
mais aux doctrines vivantes. Nos conclusions seront
plus victorieuses encore que celles que nous tirions
de l'humilité; car l'humilité est une vertu qui ne se
manifeste pas autant que la chasteté, et l'orgueil
non plus n'a pas de plaies aussi visibles que la dé-
pravation des sens.
Je terminerai par quelques paroles destinées à la
partie chrétienne de la jeunesse qui m'écoute.
Vous vivez, ^Messieurs, dans un pays où la morale
et la religion furent toujours plus étroitement unies
que partout ailleurs. D'autres peuples ont reçu
d'autres dons; le nôtre est celui d'une logique in-
flexible qui conclut dans les actes ce qu'elle a conclu
— 48 —
dans pensées. La France n'aura jamais qu'une reli-
gion exprimée et défendue par de grandes mœurs.
C'est son instinct, et l'un de ses titres de gloire.
Soyez -y fidèles, Messieurs , et pesez bien les consé-
quences de vos vertus : le siècle dernier n'a vu périr
la religion en France qu'après y avoir vu périr la pu-
deur; le sacerdoce n'y a succombé qu'après la dispa-
rition de toute jeunesse dévouée à la chasteté. Le
jour où ce bataillon sacré fut dissous, c'en était fait
du vieil et saint royaume. Vous l'avez ressuscitée ,
Messieurs, cette jeune et sacrée garde de la vérité;
c'est notre meilleur augure, le plus assuré fondement
de notre espérance, le plus glorieux drapeau qui
(lotte pour nous. La religion vous conjure, au nom
du monde chancelant, d'en conserver et d'en ac-
croître l'honneur.
VINGT-TROISIEME CONFERENCE
DE L IMPUISSANCE DES AUTRES DOCTRINES
A PRODUIRE LA CHASTETÉ
Monseigneur ,
I\Iessieurs,
La chasteté est une vertu qui a été mise au monde
par la doctrine catholique, et qui a succédé à la plus
générale et à la plus horrible dépravation, non pas
en ce sens que le monde même chrétien ne soit cor-
rompu, mais en ce sens qu'il lutte contre la corrup-
tion, et que la doctrine catholique y a créé un sacer-
doce chaste, des femmes chastes, une jeunesse
chaste. Et, après vous l'avoir montré à la lumière
mcontestée de l'histoire, il semble, Messieurs, que
je devrais immédiatement passer aux conclusions
qui découlent de cet établissement si extraordinaire
— 50 -^
de la chasteté. Mais, à la suite de la doctrine catho-
lique , d'autres doctrines se sont pressées pour lui
disputer l'empire, et elles l'ont plus ou moins, dans
des circonstances diverses, heureusement combat-
tue. 11 est utile, il est nécessaire, il est curieux de
voir ce que ces doctrines auront fait à l'endroit de la
chasteté; il est instructif , une fois la vertu posée,
révélée, établie, de considérer ce que les doctrines
étrangères auront fait pour soutenir le parallèle sous
ce rapport. C'est sur quoi j'appelle aujourd'hui,
Messieurs, votre attention. Je toucherai à des cho-
ses plus ou moins présentes ; j'y toucherai avec
hardiesse, avec énergie, mais néanmoins avec une
bonté aussi grande que la doctrine à laquelle j'ai
donné ma foi et que j'ai l'honneur de défendre de-
vant vous.
Je ne puis pas. Messieurs, suivre, Tune après
l'autre, toutes les théories que l'histoire nous montre
sur la scène de l'esprit humain depuis dix- huit
siècles. Ce serait se perdre dans un labyrinthe ; ce
serait convoquer devant vous toutes les idées qui ont
traversé l'intelligence de l'homme avec un succès
diversement remarquable, ou même sans succès :
travail énorme autant qu'inutile. Car il arrive tou-
jours que quelques doctrines l'emportent, qu'elles
apparaissent par-dessus les autres avec une gran-
deur qui force de s'y arrêter, et qui révèle suffisam-
ment ce qui se passe dans une région moins haute
que la leur. Or, depuis l'avènement défmitif de la
doctrine catholique, nousn'avons vu se formeràcôLé
d'elle que trois grands établissements doctrinaux :
— 51 —
l'islamisme, le protestantisme et le rationalisme. Je
ne nomme pas le schisme grec, bien qu'il ait dans le
monde une place considérable , parce que le schisme
grec, étranger à tout mouvement réel, n'est autre
chose que la doctrine catholique à l'état de pétrifica-
tion.
Six siècles s'étaient écoulés depuis la prédication
de l'Evangile. A ce moment, dans un coin du globe
séparé de tout le reste par des solitudes de sable,
entre l'Egypte et la Palestine, au sein d'une race qui
descendait d'Abraham et qui en avait conservé la
glorieuse tradition, à l'ombre du nom le plus gra-
cieux qui ait jamais désigné à l'oreille de l'homme
une patrie, dans l'Arabie enfin, un homme naquit.
11 venait tard pour fonder une doctrine ; car il venait
a[)rès le Christ, lorsque déjà tout l'empire romain
obéissait à la croix, et que les branches de cet arbre
vigoureux se croisaient de la Syrie à l'Egypte et à
TAbyssinie. Il n'eut pas peur cependant; il connut
l'ICvangile; il jugea, en le lisant, l'infériorité morale
de son pays, partagé entre l'idolâtrie et les souve-
nirs abrahamiques, et, sans accepter le joug du
Christ, dédaignant le rôle d'hérésiarque aussi bien
que celui de fidèle, il se posa entre le monde ancien
qui expirait et le nouveau monde qui surgissait de
toutes parts, espérant les écraser tous les deux, et
se faire, sur leur double ruine , le précepteur dernier
et le dominateur unique du genre humain. 11 fonda
l'islam, que l'on a bien pu appeler une hérésie, à
cause de certaines ressemblances manifestes avec le
système chrétien , mais qui s'en sépare par la néga-
— 52 ---
tion absolue de la Trinité et de la divinité de Jésus-
Christ, et qui n'est au fond qu'un déisme traditionnel
ayant pour type plus ou moins exact les croyances
et les mœurs de l'époque patriarcale. Le nom d'A-
braham remplit le Coran tout entier; il est la vie de
l'islam. C'est Abraham que Mahomet a voulu substi-
tuer à Jésus-Christ ; c'est par Abraham qu'il a es-
péré renverser à la fois le christianisme et l'idolâtrie ;
Abraham a été pour lui ce que les premiers siècles
chrétiens ont été plus tard pour Luther, Mahomet
s'était retourné vers le passé, et y avait choisi un point
qu'il estimait le vrai point du temps et de la vérité.
Il réussit, Messieurs; il fonda sa doctrine, et,
après douze cents ans, plusieurs peuples datent en-
core leur histoire par son hégire victorieuse. Mais
qu'en est-il résulté pour les mœurs? Quel a été, sous
le rapport de la chasteté , le fruit de cette mémorable
fondation? Je n'ai pas besoin de vous le dire, Mes-
sieurs ; vous connaissez l'affreuse dépravation des
peuples mahométans, tombés au-dessous des mœurs
de la Grèce et de Rome , vivant , en vertu de leur loi ,
dans la polygamie la plus effrénée, ayant abaissé la
femme dans une servitude et une honte plus grandes
que ne les leur avait faites la société païenne, et affi-
chant des excès qu'aucune parole ne saurait retra-
cer. Et ne croyez pas que Mahomet l'aitvoulu. Non,
Messieurs, Mahomet ne l'a pas voulu : Mahomet,
comme tout fondateur, a voulu élever son peuple, et
il y a réussi sous certains rapports. Il est manifeste
que son intention et son orgueil étaient de rappeler à
la vie la civilisation transitoire des patriarches , et la
f . - '' ~
" polygamie en est une démonstration, aussi bien que
l'esprit d'iiospitalité qui respire dans le Coran. Maho-
met n'a pas voulu corrompre l'Arabie, mais la régé-
nérer, la ramener au temps de ses .célèbres et pieux
ancêtres. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait en réalité?
Parce qu'il ne l'a pas pu. Ni son cœur n'a été assez
pur, ni sa main assez forte pour imposer aux popu-
lations qu'il prétendait régir, la sainteté et la chas-
teté. L'Arabe, comme un cheval indompté, a bien
obéi à son maître quand ce maître l'a lancé par le
monde avec un coup d'éperon qui lui promettait la
victoire ; il s'est bien jeté , la tête ardente , les jarrets
souples, le poil hérissé, pour niveler les peuples sous
son puissant passage ; mais quand il a fallu lui mettre
à la bouche le frein de la pureté, il en a broyé les
anneaux d'acier, et il s'est trouvé que la doctrine qui
le poussait à la conquête du monde était une doc-
trine moins fortement trempée que ses muscles et
son poitrail.
Je ne dis que ce peu de mots. Voyez le Coran,
vous n'y découvrirez pas le signe d'une dépravation
volontaire et calculée. La polygamie était une tradi-
tion patriarcale , et quant aux viles récompenses que
Mahomet, dit-on, promet dans l'autre vie à ses •
fidèles sectateurs, si tel est le sens qu'il faut leur
donner, c'est un sens trop enseveli dans l'islam, pour
croire que la corruption ait été le but réel et même
le moyen avoué du fondateur. La corruption est venue
par la force des choses, comme elle viendra tou-
jours, en forme d'écume, par-dessus toute doctrine
humaine. Nous-mêmes chrétiens, malgré le sang de
— 54 —
l'Évangile infiltré dans nos veines, quelle énergie ne
nous a-t-il pas fallu contre les mœurs musulmanes ,
bien plus encore que contre leurs armées ! Plus d'un
chevalier croisé , en rapportant ses armoiries de l'O-
rient, en rapporta aussi des mœurs altérées; et
quand Frédéric II , dans les tourments de son ambi-
tion, laissait échapper ces paroles : « Saladin est
« bien heureux, il n'a pas de pape pour l'empêcher
a de faire ce qu'il veut; » c'était le cri de l'Arabe et
du Turc, le cri de l'islamisme qui sortait de sa gorge
impériale en faveur des mœurs qu'il avait vues et
qu'il convoitait.
Enfin nous nous en tirâmes, quoique malaisé-
ment, et, quelques siècles après, la société catho-
lique, toujours plus ou moins tourmentée, fut en
face d'un autre moment célèbre et fatal. Je ne vous
ferai pas la peinture des maux de l'Église en ces
temps-là. Nos pères font fait avec courage et sim-
plicité. L'Église n'a aucun intérêt à cacher, je ne
dirai pas ses fautes , mais les fautes de ses enfants.
Elle est assez forte pour avouer leurs faiblesses à
tout l'univers. C'est pourquoi j'accepte à cet égard,
pour le siècle dont je parle, tout ce que vous vou-
drez, comme l'athlète malade et couché sur un lit
accepte volontiers l'injure de ses adversaires venus
pour regarder ses mains languissantes et y chercher
les signes de la mort : sûr de sa force , il laisse à leur
curiosité la joie de l'insulte ; les battements profonds
de son cœur lui suffisent contre eux, et lui disent la
réponse qu'il fera, au nom de la vie, à cette mort
qu'on espère de lui.
— 55 —
Quoi qu'il en soit, il y eut un homme qui voulut
nous réformer, et pourquoi pas? Nous ne parlons
nous-mêmes au monde que de réformation. Dans
]es cloîtres, sur les sièges épiscopaux, dans la chaire
apostolique, au premier rang des saints, je vois
assis des réformateurs; et partout où se rencon-
trent des hommes, un jour ou l'autre, il est néces-
saire que cette puissance de la réformation traverse
et se montre, comme dans l'Océan, quand il a été
longtemps paisible et ne révèle plus aux vaisseaux
qui s'y promènent sa force et leur témérité, tout à
coup un vent se lève à l'horizon, qui avertit l'équi-
page de lutter par la science et l'énergie contre cet
ennemi, qui n'est au fond qu'un réformateur de leur
mollesse endormie.
Grâces à Dieu ! la réformation est donc une chose
de l'Église, et le titre de réformateur, le plus beau
qu'elle accorde à ses enfants après celui de fonda-
teur. Quelquefois même l'un ne le cède pas à l'autre,
et saint Bernard se tient sans peine à côté de saint
Benoît.
Or au xvi^ siècle, dans un coin de la Saxe, il se
trouva un homme qui eut la pensée de nous réfor-
mer ; et, certes, il en avait le droit plus qu'homme
de son temps; car il avait reçu de Dieu une éloquence
qui jaillissait de ses lèvres ou qui tombait de sa
plume avec une égale fécondité : âme ardente , ca-
pable de retenir par l'amour autant que de subju-
guer par la doctrine, et à qui rien ne manquait dans
le caractère pour assurer la puissance de son esprit.
Ajoutez que c'était un cénobite. L'Eglise l'avait pris
— se-
au siècle, couvert d'un froc, jeté sous le cilice et la
rendre; il avait senti la verge heureuse de l'obéis-
sance, les joies de l'humilité, et ce mélange d'une
belle nature avec une forte grâce l'avait merveilleu-
sement préparé pour rendre aux autres tous les dons
du ciel, devenus plus grands pour avoir passé par
son cœur. Quoi de plus! un homme de génie, un
o*^ateur, un écrivain, un moine, toutes les puissances
et toutes les gloires dans cctle jeune main ! Laissons-
le faire son œuvre.
Il a fmi, Messieurs... ; mais où est-ce que je le re-
trouve? non plus au foyer sacré de la tente cénobi-
tique, mais à l'âtre d'une maison vulgaire, les pieds
étendus vers un feu domestique, une femme à côté
de lui ! Lui, deux fois consacré vierge par l'onction
du sacerdoce et les serments du cloître; lui qui avait
été fait Christ par l'Église, et qui n'avait pas trouvé
l'Eglise assez pure pour lui , le voilà marié! et non
pas seul. Sa parole a brisé la porte des vieux cou-
vents de la Germanie ; elle a troublé la chasteté sé-
culaire du vieillard et celle plus pure encore du jeune
homme ; elle a tiré de la tombe toutes les convoitises
de la chair. Dieu , par la doctrine catholique, n'avait
pas seulement élevé ses prêtres à la continence abso-
lue; il en avait inspiré le goût et fait le don à mille
autres. 11 avait préparé pour chaque misère du
monde une virginité qui devait en être la mère et
la sœur : cet homme a tout détruit. Il a desséché
le sacerdoce dans sa racine même, en lui ôtant
les stigmates de Jésus -Christ, qu'il doit, par la
chasteté, porter dans sa chair crucifiée. Il a rendu
— o7 —
au siècle les âmes privilégiées que l'Évangile lui
avait ravies , dépeuplé les solitudes où la prière
veillait sous la garde de la mortification. Tout ce
cœur, tout ce génie, toute cette éloquence, toute
cette force d'âme, tous ces plans de réformation,
ont abouti, non pas au déluge, mais au mariage
universel !
Le mot n'est pas de moi, Messieurs, il est d'É-
rasme. Vous connaissez tous Erasme. C'était, en ce
temps-là, le premier académicien du monde. A la
veille des tempêtes qui devaient ébranler l'Europe
et l'Église, il faisait delà prose avec l'élasticité la
plus consommée. On se disputait dans l'univers un
de ses billets. Les princes lui écrivaient avec orgueil.
Mais quand la foudre eut grondé, quand il fallut se
dévouer à l'erreur ou à la vérité, donner à l'une ou
à l'autre sa parole, sa gloire et son sang, ce bon-
homme eut le courage de demeurer académicien, et
s'éteignit dans Rotterdam, au bout d'une phrase
éloquente encore, mais méprisée. Il vit avant de
mourir les fruits de la réforme, bien inattendus de
lui, et se vengea d'elle par le mot qui vient de m'c-
chapper.
Mais pensez-vous que les réformateurs avaient
voulu en venir là? Non, Messieurs, ils ne l'avaient
pas voulu. Croyez-vous qu'ils le veulent encore au-
jourd'hui? croyez-vous que les Églises protestantes,
quelque nom qu'elles portent, n'aspirent pas, si elles
le pouvaient, à avoir un sacerdoce qui pût lutter par
la chasteté contre le sacerdoce catholique? Ah! Mes-
sieurs, l'Angleterre, à elle toute seule, donne vingt-
— 58 —
cinq millions par an pour envoyer des missionnaires
mariés clans tout l'univers : eh bien ! sachez-le, elle
donnerait ces vingt-cinq millions pour créer un
prêtre chaste ! Mais vingt-cinq millions protestants
ne suffisent pas pour une œuvre qui ne coûte à l'É-
glise catholique qu'une goutte d'huile. A chacun sa
part. Tout à côté de l'Église anglicane, la plus riche
du monde, s'élève l'Église d'Irlande, la plus pauvre
de toutes, qui va demander son pain de chaque jour
à la porte de ses fidèles : mais l'Église d'Irlande a
des enfants qui la vénèrent, des prêtres qui parta-
gent et consolent la misère commune, des apôtres
qui portent sa foi jusqu'aux extrémités du monde;
et l'Église anglicane, coalisée avec l'ÉgUse évangé-
lique de Prusse , n'a pu envoyer naguère à Jérusa-
lem , pour la représenter au tombeau du Sauveur des
hommes, qu'un évêque marié.
Mahomet avait fondé, Luther avait réformé; le
xviii° siècle aspira à une œuvre plus complète en-
core, plus neuve, et, s'il est permis de le dire, la
plus magnifique qui eût été tentée par les hommes :
il aspira à la transformation de l'humanité. Jusque-
là, l'humanité avait vécu appuyée sur la religion; le
xviii® siècle voulut briser leur alliance, et établirpar
toute la terre le règne de la raison pure. N'avons-
nous pas reçu de Dieu, disait-il, une raison qui
émane de la sienne? N'avons-nous pas reçu de lui
une conscience qui est un reflet de sa justice éter-
nelle? L'homme, en tant qu'être intelligent et mo-
ral, n'est-il pas un être complet, libre, doué de vé-
rité, connaissant le bien et le mal, pouvant se diri-
- 59 —
ger dans ses voies? Et s'il en est ainsi réellement, si
l'homme a une conscience droite , une raison vraie ,
la même dans tous les siècles et dans tous les pays ,
pourquoi ces religions diverses qui se disputent
l'hunneur de le conduire à une vérité qu'elles ana-
thématisent réciproquement? Tandis que la raison
est une, universelle, pacifique, les religions, fruits
d'inexplicables rêves, grossissent à chaque siècle la
longue liste de leurs variétés, et font du monde un
champ de bataille, païens contre chrétiens , protes-
tants contre catholiques, luthériens contre calvinis-
tes, Grecs, Arméniens, mahométans, Hindous, ra-
ces sans nombre, qui tiraillent l'humanité dans des
langes sanglants. N'est-il pas temps de lui rendre ou
de lui donner l'unité, soit qu'elle l'ait perdue, soit
qu'elle ait eu besoin d'une longue éducation pour
la mériter? Telle était, Messieurs, la pensée du
xviiie siècle; et, par une fortune très-rare, il se ren-
contra, pour l'exécuter, une pléiade d'esprits supé-
rieurs, poètes, historiens, moralistes, romanciers,
jurisconsultes, hommes éminents dans tous les gen-
res de créations littéraires et scientifiques, capables
de détruire et d'édifier. Jamais on n'avait vu tant,
d'esprits rassemblés dans une même pensée, et le
siècle heureux qui les avait produits pouvait, en
voyant leur concours et leur ardeur, se dire qu'en
effet un ouvrage véritablement providentiel lui avait
été confié, et qu'il en verrait bientôt le fastique ac-
comphssement.
Saluez , Messieurs , saluez ces espérances de l'es-
prit humain , ces promesses hardies , cette naviga-
— 60 —
lion au long cours dans les régions inconnues de la
vérité ; saluez ces Argonautes qui vont franchir à
pleines voiles les colonnes d'Hercule de l'humanité,
et qui voient se lever devant eux les îles fortunées de
l'avenir.
Que fait cependant l'Église? L'Église semble pâlir.
Bossuet ne rend plus d'oracles; Fénelon dort dans sa
mémoire harmonieuse; Pascal a brisé au tombeau sa
plume géométrique; Bourdaloue ne parle plus en
présence des rois; Massillon a jeté au vent du siècle
les derniers sons de l'éloquence chrétienne. Espagne,
Italie, France, par tout le monde catholique, j'é-
coute : aucune voix puissante ne répond aux gémis-
sements du Christ outragé. Ses ennemis grandissent
chaque jour. Les trônes se mêlent à leurs conjura-
tions. Catherine II , du miUeu des steppes de la Gri-
mée, au sortir d'une conquête sur la mer ou sur la
solitude, écrit des billets tendres à ces heureux gé-
nies du moment ; Frédéric II leur donne une poignée
de main entre deux victoires; Joseph II vient les vi-
siter, et dépose la majesté du saint empire romain au
seuil de leurs académies. Qu'en dites-vous? Que
dites-vous du silence de Dieu? Qu'est-ce qu'il fait?
Déjà le siècle a marqué le jour de sa chute ; attendez :
une heure, deux heures, trois heures..., demain ma-
tin, ils enterreront le Christ. Ah! ils lui feront de
belles funérailles ; ils ont préparé une procession mr-
gnifiquc ; les cathédrales en seront, elles se mettront
en route et s'en iront deux à deux , comme les fleuves
qui vont à l'Océan, pour disparaître avec un dernier
bruit. Qu'en dites-vous encore une fois, Messieurs?
— 61 —
C'est vrai, Dieu se taisait, il se faisait petit. Il avait
tout ôté à son Église, tout, excepté lui; tout, excepté
le triomphe de l'erreur contre l'erreur même. Jamais
Dieu, jusque-là, n'avait laissé à l'erreur son déve-
loppement total ; il lui avait toujours rompu la gorge
un moment ou l'autre, avant qu'elle fût reine. Cette
fois, il laissait faire jusqu'au bout. Attendons à
notre tour, et, avant même la fm, regardons dans
les mœurs quels étaient les effets d«u triomphe de la
raison pure.
Que faisait dans le monde la chasteté, cette vierge
évoquée du tombeau par la doctrine catholique? Qu'y
faisait-elle? Voici le palais des rois très-chrétiens :
dans la chambre où avait dormi saint Louis, Sarda-
napale était couché. Stamboul avait visité Versailles,
et s'y trouvait à l'aise. Des femmes enlevées aux der-
nières boues du monde jouaient avec la couronne de
France; des descendants des croisés peuplaient de
leur adulation des antichambres déshonorées, et
baisaient, en passant, la robe régnante d'une cour-
tisane, rapportant du trône dans leurs maisons les
vices qu'ils avaient adorés, le mépris des saintes lois
du mariage, l'imitation des saturnales de Rome,
assaisonnées d'une impiété que les familiers de Né-
ron n'avaient pas connue. Au heu du soc et de l'é-
pée, une jeunesse immonde ne sachant plus ma-
nier que le sarcasme contre Dieu et l'impudeur
contre l'homme. Au-dessous d'elle se traînait la
bourgeoisie, plus ou moins imitatrice de cette royale
corruption, et lançant à sa suite ses fils perdus,
comme on voit derrière les puissants rois de la soli-
2*
— 62 —
tude, les lions et leurs pareils, des animaux plus pc-
liLs et vils qui les suivent pour lécher leur part du
sang répandu.
Un jour enfin, le jour de Dieu se leva. Le vieux-
peuple franc s'émut de tant d'ignominie; il étendiL
sa droite, il secoua cette société tombée dans l'apos-
tasie de la vertu et la jeta par terre d'un coup, à Té-
tonnement puéril de tous ces rois qui flattaient la
raison pure! L'échafaud succéda au trône, moisson-
nant avec inditïérence tout ce qu'on lui apportait,
roi, reine, vieillards, enfants , jeunes filles, prêtres,
philosophes, innocents et coupables, tous enveloppés
dans la solidarité de leur siècle el dans son triomphe
sur Jésus-Christ. Une dernière scène acheva les re-
présailles de Dieu. La raison pure voulut célébrer
ses noces, car elle n'avait célébré sur l'échafaud que
ses fiançailles; elle v^oulut aller plus loin et pousser
jusqu'à ses noces. Les portes de cette métropole
s'ouvrirent par ses ordres tout-puissants; une foule
innombrable inonda le parvis, menant au maître-
autel la divinité qu'on lui avait préparée pendant
soixante ans. En dirai-je le nom? L'antiquité avait
eu des images qui exposaient la dépravation au culte
des peuples ; ici c'était la réalité, le marbre vivant
d'une chair pubUque. Je me tais. Messieurs, je laisse
ce grand peuple adorer la divinité dernière du monde,
et célébrer sans mystère les noces immortelles de la
raison pure.
Fondation, réformation, transformation ; MahomiCt,
Luther et Voltaire, tout avait abouti au même résul-
tat , au renversement plus ou moins complet de la
— 63 —
chaslelé. Quiconque a touché à la doctrine catho-
lique, quels qu'aient été ses vœux et ses intentions,
a touché par cela même à l'arche sacrée de la vertu.
Je n'en veux pas d'autres preuves, pour terminer,
que votre expérience personnelle. Je vous adjure
tous, Messieurs, le poison du mal ne s'est- il pas
glissé en vous avec le poison de l'incrédulité? L'ap-
parition de ce double phénomène n'est- elle pas con-
temporaine dans l'histoire de votre âme? Le ratio-
nahsme vous a-t-il jamais servi contre vos passions?
N'en a-t-il pas été l'excuse et le flatteur? C'est la
doctrine catholique qui vous a faits chastes; c'est
son abandon qui a signalé votre chute ; et toutes les
fois que, touchés de votre état, vous aspirez vers un
jour plus pur, je vous le demande encore et je vous
adjure de nouveau, à qui s'adressent votre espérance
et votre recours ? Vous tournez les yeux vers les ta-
bernacles où vous avez laissé des souvenirs de paix
et d'honneur; vous retournez à la doctrine catho-
lique, à ses prêtres, à ses religieux , à sa confession ,
à sa table sainte, à tous ses pieux mystères, dont
vous avez éprouvé l'efficacité. Je n'en veux pas da-
vantage; je confie à votre cœur cette dernière obser-
vation, et je me hâte vers les conclusions de ma
thèse.
La doctrine catholique produit seule dans l'âme, à
l'exclusion de toute autre doctrine, le phénomène
complet de la chasteté. Et la chasteté n'est pas une
vertu mystique, une vertu de cloître et d'initiés; c'est
une vertu morale et sociale , une vertu nécessaire à
la vie du genre humain. Sans elle la vie se flétrit
— G4 —
dans ses sources, la beauté s'efface du visage, la
bonté se retire du cœur, les familles s'épuisent et
disparaissent, les nations perdent graduellement
leur principe de résistance et d'expansion, le respect
de la hiérarchie s'éteint dans les scandales ; tous les
maux enfin entrent par cette porte , toutes les servi-
tudes et toutes les ruines y ont passé. C'est leur
grande voie. Mais je veux vous montrer encore, quoi-
que brièvement, la nécessité de cette vertu sous un
autre point de vue , et vous ne vous étonnerez pas de
mon insistance, puisc|ue mes conclusions doivent
reposer sur ces deux points , que la chasteté est une
vertu nécessaire, et cependant une vertu réservée
par Dieu à l'action de la doctrine catholique.
Il est. Messieurs, dans l'économie politique ou so-
ciale, une question première, celle du développement
régulier de la population. Je ne la veux point traiter
à fond , et je n'en ai pas besoin. Je vous rappellerai
seulement que les ressources de la nature, dans leur
développement le plus ingénieux par l'art et le tra-
vail, ne sont pas en proportion avec l'accroissement
de la population abandonnée à ses seuls instincts.
L'Écriture nous dit qu'une des malédictions de Dieu
sur l'homme, après sa chute, fut celle-ci : Je multi-
■plierai tes enfantements; et la réalité nous prouve
qu'en effet il existe sous ce rapport un défaut d'équi-
libre qui a besoin d'être corrigé. La servitude et la
guerre de dévastation y pourvoyaient chez les an-
ciens; la doctrine catholique y avait pourvu en ins-
spirant aux familles l'estime, le respect et la pratique
de la chasteté. Elle avait réussi sans doute , puisque
— 65 —
les économistes du dernier siècle lui reprochaient de
maintenir .a population dans un niveau destructeur
de son vrai développement, et que c'était là l'une des
armes avec lesquelles on sapait l'existence des nom-
breuses communautés vouées au célibat. Aujour-
d'hui , INIessieurs , cette arme s'est retournée contre
ses auteurs. Le flot croissant de la population , de la
concurrence et de la misère, avertit assez les hommes
sérieux d'une grande difficulté sociale , difficulté ac-
crue par les bienfaits mêmes de la civilisation. La paix
s'assied chaque jour dans le monde; elle tend, comme
le prophète Isaïe l'annonçait longtemps d'avance, à
devenir encore plus stable et plus générale. En
même temps la salubrité publique fait des progrès ;
une administration plus savante écarte de nous non-
seulement la peste et la famine, mais ces influences
sourdes qui minent lentement la santé des nations.
Tout concourt à augmenter la durée, moyenne de la
vie des hommes, et déjà , en cinquante ans , malgré
de longues guerres, la France a vu sa population
suivre avec rapidité ce mouvement ascendant. La
division des propriétés en est une autre cause sen-
sible ; en portant l'aisance et la sécurité à un plus
grand nombre, elle les pousse à une plus confiante
paternité. Je me borneà ce coup d'œilgénéral, et je me
demande où sera le remède d'un excès qui semble
prévu de tous. 11 en est un déjà trop connu, trop pra-
tiqué, qui, par peur de la vie, l'attaque dans sa
source, et substitue à la chasteté un remède qui sa-
tisfait l'égoïsme et n'épouvante que la vertu. Mais
nous ne pouvons pas compter le crime parmi les
— 66 —
moyens de résoudre logiquement et moralement les
problèmes de l'humanité.
Ailleurs on croit entrevoir le désir de mettre des
conditions à la liberté du mariage, et d'en rendre le
sanctuaire moins accessible au pauvre. Mais le pau-
vre ! qui a plus besoin que lui du secours et des af-
fections de la famille? Il est seul au monde; il n'a
rien pour les sens et la vanité ; il habite un trou hu-
mide et misérable, où l'amour pourtant peut encore
pénétrer, parce qu'il pénètre partout. Quand il a
froid . il prend ses enfants sur ses genoux , il sent
qu'il est encore homme, puisqu'il est père. Lui ra-
vira-t-on cette seule joie au nom de l'économie poli-
tique? Lui fera-t-on comme le chasseur, qui arrache
à la louve ses petits? La religion seul a le droit , non
pas d'imposer, mais de demander à l'homme le sa-
crifice de la famille, parce que Dieu, qui seul donne
cette vocation, rend à l'homme qui y consent un
père, une mère, des frères, des sœurs, des filles et
des fils.
La question reste tout entière. Il est manifeste que,
le crime mis de côté, la guerre, la servitude et tous
les fléaux mis de côté , le genre humain reste avec
une surabondance de vie dont on ne peut pas même
se faire une idée, puisqu'il perd dans la débauche
une immense quantité de cette vie , dont le surplus
le gêne encore. Faut-il donc que l'économie sociale
appelle à son secours le vice et le crime, et les dé-
clare protecteurs- nés du genre humain, sa provi-
dence nécessaire, et le moyen normal de la réduction
d3 son sang aux limites du possible et du vrai? Chose
— 67 —
étonnante! la vie nous embarrasse, et si quelque
pauvre fille, lasse du monde, et méprisée de lui,
porte sa virginité dans un cloître ; si par son choix ,
par son goût, parce que Dieu lui a fait un cœur ca-
pable de vivre de lui seul , elle va cacher dans le
travail et l'obéissance volontaires la fleur de sa jeu-
nesse, comme la colombe prend ses petits sous son
aile et s'envole dans les bois , il se trouvera une opi-
nion assez dénaturée pour taxer d'hérésie politique ,
de confiscation d'une tête au détriment de la société,
cette fuite d'une pauvre fille qui n'a rien, qui ne de-
mande rien aux hommes que de demeurer chaste et
de gagner son pain dans une communauté de cœurs
pareils au sien. La vie nous embarrasse, on voudrait
en régler l'essor; on soufl're qu'elle se perde dans la
débauche, on la jette au vent par le crime : mais
la concentrer par la chasteté, la condenser dans
la force de la vertu, pour qu'elle s'écoule sur le
monde par des canaux réguliers, pleins et mesu-
rés , c'est là l'impardonnable prétention d'une doc-
trine qui envahit tout. On veut le résultat maté-
riel de la chasteté , parce qu'il est nécessaire à
la rotation de la machine sociale; on ne veut pas
de la vertu , parce que la vertu vient de Dieu, parce
qu'elle est le signe de Dieu, et que le monde met
au premier rang de ses besoins que Dieu ne soit pas
trop clair.
Je me résume enfin, et je conclus. La chasteté est
une vertu nécessaire au mouvement général du
monde, qui ne peut en remplacer l'effet, pour la dis-
tribution de la vie, que par la misère, la servitude,
— G8 —
le crime et l'immoralité. Relirez toutes ces causes,
qui maintiennent tant bien que mal un certain niveau
dans le développement de la population; retirez -les
par la pensée , pour établir ensuite à leur place un
cours bon et honnête des choses, et vous arriverez
à cette conclusion, que le tiers du monde est appelé
à la continence absolue, et les deux autres tiers à la
continence modérée. C'est la loi. Tôt ou tard , Mes-
sieurs , la chasteté reprendra sa place au milieu du
monde ; elle y ressaisira ses droits. On redressera, on
honorera ses autels; on reconnaîtra qu'on ne peut pas
vivre en sont absence, et ces paroles que je prononce
aujourd'hui peut-être y contribueront. Magistrats,
législateurs, écrivains, quoi que vous deveniez un
jour sur la scène ébranlée du monde, l'occasion se
présentera de servir la cause du genre humain en
servant la cause de la chasteté volontaire et dévouée.
Vous y serez fidèles, Messieurs, vous répudierez
l'héritage du xvi^ et du xviii® siècle; comme Gélon,
dans un traité fameux, vous stipulerez pour l'huma-
nité, non pas en abolissant, mais en rétablissant le
libre sacrifice du sang.
La chasteté est une vertu nécessaire à l'humanité;
je pars de ce fait. Or l'humanité ne possède pas cette
vertu : elle l'a foulée aux pieds jusqu'à l'avènement
de Jésus- Christ, et toutes les fois qu'elle a voulu
toucher à l'œuvre du Christ par le mahométisme, le
protestantisme ou le rationalisme, elle n'a réussi
qu'à détruire plus ou moins la chasteté, et même à
renouveler les spectacles honteux des mœurs du pa-
ganisme. Que s'ensuit-il? Il s'ensuit, INlessieurs, que
— 69 —
riiomme n'est pas dans son état vrai, dans son état
naturel; car rien de nécessaire ne saurait manquer
à un être qui est dans la vérité de sa nature. Si
l'homme n'est pas dans la vérité de sa nature, il en
est tombé; car s'il n'en était pas tombé, il serait né
hors de la vérité de sa nature, hors de sa nature
même, ce qui n'a pas de sens. L'homme est donc à
l'état de déchéance, comme la doctrine catholique le
lui enseigne, en effet, et rien ne saurait mieux lui
en donner la démonstration que ce qu'il éprouve
chaque jour de ce côté avili et tyrannique de son
être.
Mais de plus, et c'est ma seconde conclusion, puis-
que la doctrine catholique restitue à l'homme la
chasteté, non- seulement relative, mais absoke, il
s'ensuit que la doctrine catholique est réparatrice de
rhumanite déchue, et réparatrice par une force sur-
humaine ; car si c'était en vertu d'une force humaine
qu'elle eût cette efBcacité, elle ne serait pas seule à
l'avoir. Ce qui est humain est du domainedel'homme.
Pourquoi l'homme, par aucune autre doctrine, n'ob-
tiendrait-il pas le même résultat? Ce n'est pas seule-
ment la doctrine catholique qui dit à l'homme d'être
chaste; toutes les doctrines spirituelles, et elles sont
en grand nombre, lui donnent le même ordre et
le même conseil. Pourquoi la doctrine catholique
ajoute-t-elle seule à sa parole une efficacité, une ac-
tion transformatrice, qui ne se passe pas seulement
dans la région de l'âme, mais qui atteint le sens le
plus rebelle de tous , et lui fait subir une obéissance
qu'il repousse en l'acceptant? Quelque chose qui n'est
pas de l'homme est évidemment au fond de cette
doctrine unique dans ses effets, et ce quelque chose
qui n'est pas de l'homme, je ne lui connais qu'un
nom : Dieul
VINGT-QUATRIEME CONFERENCE
DE LA CHARITE D APOSTOLAT PRODUITE DANS LAME
PAR LA DOCTRINE CATHOLIQUE
^îonseigneur,
Messieurs ,
La troisième vertu réservée par Dieu à la doctrine
catholique est la charité. La charité, prise dans son
sens le plus général, est le don de soi. Lorsqu'elle
regarde Dieu, c'est le don de soi à Dieu; lorsqu'elle
regarde l'homme, c'est le don de soi à l'humanité.
Mon intention n'est pas de traiter aujourd'hui de la
charité envers Dieu , mais seulement de la charité
envers l'homme; et, même sous ce rapport, je la dé-
clare réservée à la doctrine catholique, non pas en
ce sens que l'homme, abandonné à l'impulsion de la
nature, ne se donne jamais; je le nie : il se donne à
- 72 —
sa famille, il se donne à ses amis, il se donne à sa
patrie, il se donne, enfin, dans une certaine me-
sure. Car si Dieu, en dehors de toute doctrine di-
vine, ne lui avait pas permis le don de soi, l'huma-
nité ne subsisterait pas un seul moment. Mais, bien
que cet élément soit de première nécessité pour la
vie humaine, cependant, afin que le triomphe de la
doctrine divine fût assuré jusque-là , Dieu a réservé
l'expansion et la donation totale de l'homme à l'ac-
tion de sa doctrine sur les âmes.
L'homme est complexe; il a beaucoup à donner;
par conséquent je ne puis pas embrasser d'un seul
coup cette histoire de la donation de soi. C'est un
embarras pour l'orateur, mais un embarras dont il a
le droit et le devoir de se féliciter, puisqu'il honore
la grandeur de ses semblables.
L'homme peut se donner en tant qu'il est intelli-
gence, en tant qu'il est sentiment, en tant qu'il est
vie extérieure , et par conséquent la charité embrasse
le don de soi sous ce triple point de vue. En tant que
l'homme est inteUigence, il est une doctrine, et le
don de soi , sous ce rapport , n'est autre chose que le
don de la doctrine qui fait la vie de notre esprit. Or
je dis que la charité de la doctrine, que le don de
soi, quant à la doctrine, est une vertu réservée à la
doctrine catholique. Je dis que la doctrine catholique
est la première qui ait aimé l'humanité, la seule en-
core aujourd'hui qui aime l'humanité, qui cherche
l'humanité , qui se donne à l'humanité , qui se dévoue
à l'humanité. Je dis qu'en dehors d'elle, malgré l'or-
gueil qui pousse les inventeurs de doctrine à répan-
— 73 —
cire et à faire adorer leurs pensées, ils sont condam-
nés à une expansion pauvre, stérile et sans dévoue-
ment, au sein de l'humanité. La première et la seule,
la doctrine catholique est douée de la force de dona-
tion ; la première et la seule , elle a inspirée l'homme
le don de soi, quant à l'intelligence et à la vérité.
C'est ce que je vais vous faire voir, s'il plaît à
Dieu.
Que l'homme donne son bien , la terre qu'il tient
sous ses pieds, c'est beaucoup ; pourtant c'est le don
d'une chose étrangère à lui. Qu'il donne son cœur,
c'est davantage; mais ce cœur, tout précieux qu'il
est, c'est le don d'une chose changeante et mortelle;
un temps viendra qu'il ne pourra plus faire même le
mouvement qui est nécessaire pour se donner. Or il
y a dans l'homme quelque chose qui, tout en étant
lui-même, est plus que lui, qui ne passe, ni ne
change, ni ne meurt : que dis-je! qui est plus qu'im-
mortel, qui est éternel. Car, Leibnitz l'a dit, l'homme
est un composé de temps et d'éternité, et c'est par la
vérité que l'éternité entre dans son composé. Fille
de l'éternité, éternelle elle-même, la vérité est tom-
bée dans le temps en tombant dans Tintelligence de
l'homme, et, exposée par cette cohabitation à souf-
frir de notre nature, elle nous communique aussi les
droits de la sienne. Tandis que tout s'altère en nous,
même les sentiments du cœur et les facultés de l'âme,
la vérité y conserve son immuable vie , et, en la don-
nant aux autres , nous leur donnons quelque chose
qui nous survit à nous-mêmes, qui survit à toute
mort, qui fleurit dans les tombeaux, qui se pare des
m. — 3
- 74 —
siècles comme de grâces survenues à la jeunesse de
son éternité.
C'est pourquoi, Messieurs, le don de cette partie
de nous-mêmes est le don de soi par excellence, et-
la charité de la doctrine est la première charité. Cha-
rité d'autant plus nécessaire que l'homme n'aime pas
la vérité, qu'il en méconnaît le bien, et lui oppose
constamment l'inertie de l'ignorance et l'activité de
l'erreur. Semblable à un malade qui refuse ou déna-
ture le dictame de la vie, l'humanité, ce grand ma-
lade, repousse d'une main persévérante le breuvage
éternel de la vérité que Dieu lui envoie du ciel. Et
c'est pourquoi il faut à la doctrine non-seulement la
volonté de se donner, mais l'amour, le courage, la
patience, l'héroïsme du don poussé jusqu'au martyre
même.
Et s'il existe vraiment une doctrine divine, si Dieu
a parlé aux hommes , ne sentez-vous pas que la cha-
rité de cette doctrine, venue de Dieu, doit être hors
de toute comparaison? Car si Dieu a donné son Verbe
au monde, comme évidemment il ne l'a donné que
par amour, il a dû mettre au fond de ce Verbe des-
tiné au genre humain un art, un dévouement, une
force de donation qu'aucune autre doctrine ne sût
imiter, et qui fît qu'en présence de celle-là toute do-
nation doctrinale fût languissante, inerte, morte; il
a dû vouloir que le verbe humain ne fût qu'un tor-
rent desséché, tandis que le Verbe divin , tout palpi-
tant d'amour et de vie, courrait à pleins bords dans
rhumanité, comme les flots de toutes les sources et
de tous les fleuves, divisés , mais unis , courent sans
— yo —
relâche à la surface et dans les entrailles de la terre
pour la vivifier.
Je me fais fort de vous démontrer qu'il en est
ainsi : que toute doctrine humaine, au point de vue
de l'expansion, n'est qu'un cadavre, et qu'au con-
traire la doctrine catholique, sous le même rapport,
est une doctrine vivante, qui est perpétuellement
pour l'humanité ce qu'est pour son époux une jeune
vierge qui aborde l'autel et y fait ses premiers et
joyeux serments.
Commençons la comparaison par l'antiquité.
La Chine, l'Inde, la Perse, l'Egypte, la Grèce et
Rome : voilà , si je ne me trompe , l'antiquité tout en-
tière. Eh bien! dans cette antiquité multiple, vaste,
longue, semée d'événements, où tant de peuples ont
joué un rôle connu de nous, avez-vous jamais senti
la palpitation de la doctrine? y avez-vous rencontré
l'apostolat, et un apostolat qui eût le genre humain
pour but?
Qu'a fait la Chine pour la vérité? Quels vaisseaux
a-t-elle, de ses côtes, jetés vers le monde pour y
porter une parole au nom de l'homme et au nom de
Dieu? Où sont ses mandarins? Qui les a rencontrés
hors de chez eux? qui les a ouïs? où est quelque part
le témoignage de leur sang? Il a fallu, pour les con-
naître, leur députer, des extrémités de la terre, des
hommes que leur orgueil a repoussés, refusant leur
oreille au genre humain, après lui avoir refusé leurs
lèvres, également incapables d'instruire et d'être in-
siruits.
Qu'a fait l'Inde pour la vérité ? Plice et repliée
— 76 —
dans les langes de ses castes, elle a fait comme un
enfant qui crie assez haut pour être entendu de sa
nourrice. J'entends sa voix entre l'Immaûs et la mer,
par delà même encore, mais toujours dans un cer-
cle rétréci; ses brahmes, ses philosophes, ses schis-
mes et ses hérésies, célèbres parce que nous les élu-
dions, ne lui ont créé qu'un mouvement local, de-
meuré en gloire et en effets au-dessous de leur bruit
même.
La Perse, avec son Zoroastre, n'a fait ni mieux
ni plus. Pour l'Egypte, vieux sanctuaire, terre cé-
lèbre entre toutes, quand j'y pénètre à la suite de la
science contemporaine, qu'est-ce que j'y trouve? des
momies dans des souterrains, des pyramides qui
cachent une poussière sans nom, des sphinx au
bord des temples, des hiéroglyphes mystérieux, le
secret partout, au fond des monuments les plus gi-
gantesques comme au fond des tombeaux. Ce peuple
avait peur de dire, et quand un savant meurt après
avoir déchiffré trois lignes de son écriture , il meurt
fameux.
]Mais voici la Grèce, elle parlera du moins, celle-
là ; le monde entendra sa voix. N'est-elle pas la pa-
trie d'Homère, d'Hésiode, d'Orphée, d'Euripide et
de tant d'autres? La muse, comme dit un poëte,
ne lui a-t-elle pas donné le génie et l'éloquence?
Il est vrai, sa bouche et sa plume ont tout célébré.
Nous en tirons encore des marbres élégants, nous
allons mesurer les frontons de ses temples, nous
apportons dans nos musées les pierres qu'elle a tou-
chées de son doigt inspiré ^ sa mémoire nous pour-
— 77 —
suit : et pourtant, avec des dons si rares et cet
immortel succès, qu'a-t-elle fait pour la vérité?
Où sont les traces de son apostolat? où sont ses
missionnaires et ses martyrs? Elle nomme Socrate,
c'est son chef-d'œuvre, Socrate, qui affirme Dieu
à quelques disciples chéris, et qui meurt en leur
léguant pour dernier soupir un sacrifice aux faux
dieux !
Voilà toute l'histoire de l'expansion des doctrines
dans l'antiquité , en y ajoutant Rome, qui n'eut rien
d'universel que son ambition. Cette histoire est
courte, et ne vous en étonnez pas : l'erreur et la vé-
rité n'ont besoin que d'un regard pour être recon-
nues ; c'est Dieu qui a donné leur signe à l'une et à
l'autre, el, mieux que Tacite, Dieu abrège tout.
Vous avez vu la mort ; voulez-vous voir la vie ?
Vous avez vu l'égoïsme ; voulez-vous voir la charité?
Jésus-Christ est au moment de quitter ses disciples
et le monde; il va leur dire sa dernière parole, son
suprême testament. Écoutons-le, il est court aussi :
Allez et enseignez toutes les nations. Allez, n'atten-
dez pas l'humanité, mais marchez au-devant d'elle;
enseignez , non pas en philosophe qui discute et qui
démontre, mais avec l'autorité qui se pose et qui
s'affirme; parlez, non à un peuple, non à une ré-
gion, non à un siècle, mais aux quatre vents du ciel
et de l'avenir, mais jusqu'aux extrémités les plus re-
culées de l'espace et du temps, et, à mesure que la
hardiesse ou le bonheur de l'homme découvriront
des terres nouvelles, allez aussi vite que son courage
et que sa fortune : prévenez même l'un et l'autre , et
— 78 —
que la doctrine dont vous êtes les hérauts soit par-
tout la première et la dernière. Quel testament, Mes-
sieurs! Ce ne sont que trois mots; mais nul homme
ne les avait dits. Cherchez où vous voudrez, jamais
vous ne rencontrerez ces trois mots : Allez et ensei-
gnez toutes les nations. Il n'y a qu'un homme qui
les ait dits; il n'y a qu'un homme qui pouvait les
dire, un homme sûr de refficacité de sa parole. Car
vous concevez bien que, lorsqu'on meurt en voulant
laisser quelque chose après soi, on pèse ses ordres
derniers, et qu'on n'en donne pas de ceux que l'évé-
nement peut convaincre de mensonge ou de vanité.
Une parole aussi absolue que celle-ci : Allez et en-
seignez toutes les nations, suppose une certitude
sans bornes, le coup d'œil d'un prophète qui, prêt à
se coucher, regarde sur sa tombe l'humanité à jamais
attentive et obéissante. Or cette parole a été dite par
Jésus-Christ : le premier il l'a dite, le dernier il Ta
dite, le seul il l'a dite. Toutefois, j'en conviens, ce
n'est encore qu'une parole; il faut voir si l'accom-
plissement y a répondu.
Quelque temps après qu'elle eut été prononcée, il
se passait dans l'univers un phénomène singulier.
L'univers, ce quelque chose qui fuit et qui demeure,
qui soufïre et qui rit, fait la paix et la guerre, qui
renverse et qui sacre les rois , qui s'agite sans savoir
d'où il vient ni où il va, ce chaos enfin , écoute avec
stupeur un bruit dont il n'avait pas l'idée et qu'il ne
se représente pas bien. Comme dans la nuit, quand
tout est tranquille, et qu'on entend autour de soi je
ne sais quel être qui marche, l'univers pour la pre-
— 79 —
niière fois entend une parole qui vit, qui se meut,
qui est à Jérusalem, à Antioche, à Corinthc, à
Ephèse, à Athènes, à Alexandrie, à Rome, dans les
Gaules, du Danube à l'Euphrate et par delà; une
parole qui a été plus loin que Crassus et ses batail-
lons, plus loin que César; qui s'adresse aux Scythes
comme aux Grecs ; qui ne connaît pas d'étrangers ni
d'ennemis; une parole qui ne se vend pas, qui ne
s'achète pas, qui n'a ni crainte ni orgueil; une pa-
role toute simple, qui dit: Je suis la vérité, et il n'y
a que moi. Saint Paul a déjà paru devant l'Aréo-
page , et étonné par sa nouveauté ces chercheurs sé-
culaires de nouveautés; ils ont créé un mot pour
peindre leur surprise , mot heureux et qui caractérise
le phénomène dont l'univers commencée soupçonner
la puissance : Que nous veut, disent-ils, ce semeur
de paroles? Ces philosophes avaient vu disserter,
diviser, analyser, démonlrer, faire sa fortune et sa
gloire avec la rhétorique et la philosophie; ils n'a-
vaient pas encore vu semer la vérité dans le genre
humain comme une graine efficace qui germe en son
temps, et qui n'a besoin que de sa propre nature
pour fleurir et porter des fruits.
La chose était faite. L'empire rom.ain ne pouvait
plus se dissimuler l'apparition d'une réalité nouvelle
qui ne venait pas de lui, qui s'était installée chez
lui, sans lui, et qui déjà s'étendait plus loin que lui.
Il se consulta. Les politiques, les gens qui voient de
haut et de loin, qui savent les destinées des peuples
et leur ont marqué leurs siècles et leur quart d'heure,
tout ce monde s'assembla sur le Palatin , devant Ce-
— 80 —
sar, pour aviser à bien voir ce que c'était que celte
chose qui, sans la permission du préfet du prétoire,
se permettait de courir de l'Inde et de Tlbérie jus-
qu'en des lieux où les ordres de César n'allaient pas.
Soyons justes, ils virent très-bien sa force et leur
faiblesse : ils connurent que l'humanité ne possédait
aucune parole capable de lutter contre la parole qui
se révélait, et ils n'eurent plus que le choix de l'ac-
cepter comme un fait entré dans les destinées du
genre humain, ou d'essayer contre elle, en désespoir
de cause, la puissance du bourreau. Ils choisirent ce
dernier parti; car, pour adopter l'autre, il eût fallu
plus que du génie, ils eussent eu besoin d'humilité.
Les Césars ne s'en piquaient pas. Ils espéraient de
la force ce qu'ils n'espéraient pas de la sève doctri-
nale amassée depuis quarante siècles dans les grands
vaisseaux de l'humanité. Il ne s'agissait plus pour la
doctrine catholique de se donner par la simple effu-
sion de l'enseignement; l'empire se levait pour étouf-
fer le Verbe dans la gorge de l'apostolat. Il fallait se
taire ou mourir; il fallait mourir en croyant que le
sang parle mieux que la parole en faveur de la vé-
rité. Il se présentait même une question préalable :
fallait-il aimer l'humanité ingrate et homicide jus-
qu'à mourir pour elle? Ne pouvait-on se retirer d'elle,
et, paisibles possesseurs delà vérité pour soi, laisser
le monde où il était?
Mais la vérité est charité, et la charité n'est pas le
don de soi à ses amis, à ses parents, à ses concitoyens;
e]|p est le ^iQu-i^le soi aux étrangers et aux ennemis ,
à tous sans distinction. L'Évangile avait prévu le
— 81 —
cas et y avait pourvu, il avait dit : Bienheureux ceux
qui souffrent "persécution pour la justice. Il avait
ajouté : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux
qui vous haïssent y priez pour ceux qui vous persé-
cutent et qui vous calomnient; ainsi serez-vous les
fils de votre Père qui est au ciel, lequel fait luire son
soleil sur les bons et sur les méchants (l). Et quant
à l'efficacité du sang répandu en témoignage pour
la vérité, le Christ y avait aussi pourvu. N'avait-il
pas, au moment suprême et par son dernier soupir,
converti le centurion qui gardait son supplice, et,
après sa mort même, le coup de lance qui perça son
côté n'avait-il pas fait du soldat parricide un croyant
et un samt? C'étaient là des avis prophétiques, c'é-
tait la fraternité de l'apostolat et du martyre élo-
quemment révélée. On y fut fidèle. Quand l'empire
demanda leur sang aux apôtres pour étouffer leur
parole, ils savaient que le sang est la parole à sa
plus haute puissance; ils mouraient pour mieux par-
ler morts que vivants. Ce fut presque une loi qu'au-
cune terre ne remontait à Dieu , qu'arrosée du sang
des martyrs.
Maintenant, Messieurs, ma tâche est trop aisée;
nous n'avons pas de temps à perdre dans de faciles
énumérations. L'empire romain devint chrétien par
l'apostolat; les barbares le devinrent à leur tour par
la même voie. Et quand un monde nouveau s'ouvrit
à Vasco de Gama et à Christophe Colomb, des lé-
gions de missionnaires se précipitèrent sur leurs
(1) Sainl Matthieu , chap. v , vers. 44 et 45.
pas ; l'Inde, la Chine, le Japon, des îles et des royau-
mes sans nombre furent évangélisés. Des lacs du
Canada aux rives du Paraguay, l'Amérique fut visi-
tée par la parole du Christ; elle habita dans les
forêts, sur les fleuves, aux creux des rochers; elle
séduisit le Caraïbe et l'Iroquois; elle aima et tut
aimée d'un amour unique par mille races perdues
dans ces vastes continents. Et encore aujourd'hui,
malgré les malheurs qui l'ont décimée en Europe,
et qui semblaient avoir tari le lait de ses mamelles ,
elle poursuit l'œuvre lointaine de sa propagation.
L'Océanie , monde éparpillé dans la mer, reçoit sur
les récifs de ses îlots la doctrine qui a converti les
grandes terres; les anciennes missions refleurissent,
de nouvelles commencent, et le sang coule encore
pour la vérité comme au temps de Galère et de Dio-
clétien. Vous avez ce spectacle sous les yeux, Mes-
sieurs ; la charité de la doctrine catholique n'est pas
une antiquité de musée ; elle vit parmi vous , elle
sort de vous; vos frères de patrie et de famille, au
moment où je parle, couvrent de leurs voix et de leurs
vertus tous les points du globe. Les Annales de la
Propagalion de la Foi font suite aux Lettres édi-
fiantes et curieuses, celles-ci aux légendes du moyen
âge, et les légendes aux Actes des Apôtres. Chaque
jour, pour la même cause, des hommes sont empri-
sonnés, meurtris, déchirés, mourants de chaleur, de
faim, de soif, d'oubli de tout le monde, mais iné-
branlables et contents, parce qu'ils ont été choisis
pour accomplir le testament de Jésus-Christ : Allez
et enseignez toutes les nations!
- 83 —
Je n'ai pas besoin d'insister davantage ; il est trop
clair que la doctrine catholique a été la première
qui ait porté l'homme à la donation de soi quant à
l'intelligence, la première en qui la vérité ait été cha-
rité. J'ajoute que, seule encore aujourd'hui, elle
possède ce privilège, privilège devenu bien plus re-
marquable dans le monde nouveau que dans le
m.onde ancien. Car autrefois on pouvait penser que
le secret de l'apostolat n'était pas révélé; mais au-
jourd'hui qu'il est manifeste, sa possession toujours
réservée à la doctrine catholique, par la exclusion
de toute autre , est assurément un phénomène aussi
curieux que démonstratif.
Je reprends ma division de l'autre jour. Il n'est ,
avons-nous dit, que trois grandes doctrines qui aient
tenté de disputer le terrain à la doctrine catholique :
le mahométisme, le protestantisme et le rationa-
lisme. J'ajoute, cette fois, le schisme grée.
Le mahométisme, venu six cents ans après Jésus-
Christ, avait vu la doctrine catholique dans toute la
magnificence de son prosélytisme expansif. C'était
un fait subsistant, un fait dont Mahomet était témoin
en personne. Mahomet s'étant posé comme fonda-
teur, devait à son tour prononcer le fiai de la fonda-
tion ; il devait dire aussi : Allez et enseignez toutes
les nations. Et, en effet. Messieurs, il faut lui rendre
justice, ce fia t, il l'a prononcé autant qu'il est donné
à l'homme de le prononcer. Ce fiat de la donation
doctrinale, de l'expansion de la vérité, Mahomet a
osé le prononcer, mais avec une variation qui révèle
tout de suite l'homme à la place de Dieu. Mahomet a
— 84 -'
bien dit: Allez/ c'était beaucoup, mais écoutez la
suite : Allez et subjuguez toutes les nations. 11 fait
appel non à la parole , mais au cimeterre ! Et pour-
quoi? Pourquoi cet homme n'a-t-il pas trouvé douze
apôtres? Pourquoi, non pas mourant, mais dans le
prestige de sa domination , n'a-t-il pas osé confier
son verbe à des verbes qui devaient survivre au
sien? Eh! Messieurs, c'était du génie. Mahomet,
comme les Césars tout à l'heure, voyait très-bien que,
lui mort, son éloquence aurait péri; il voyait bien
que, lui mort, le prestige de son œil d'aigle serait
éteint, et que quand on viendrait le regarder dans
son sépulcre , on n'y trouverait dans les ossements
du crâne que ces orbes inanimés qui ne disent plus
rien, qui ne promettent plus rien à personne. Il savait
tout cela. 11 ne comptait pas sur son tombeau. Et
encore une fois c'était du génie et de la force. Mais
comme d'un autre côté il voulait se survivre , pesant
dans ses ardentes mains l'avenir du monde, il avait
compris qu'il ne fallait pas faire comme les Césars,
qui avaient tué stérilement , et en qui l'épée n'avait
été qu'une négation. Il tira la sienne comme une af-
firmation. Il unit sa doctrine à la destinée d'une
guerre immense , et chargea ses légions , en enfon-
çant leurs traits, de graver le Coran dans le cœur de
l'humanité. Il fit du fer ce qu'on n'en avait pas fait
jusque-là ; il en fit une doctrine vivante , un aposto-
lat. L'homme, quand il veut persuader, ouvre ses
lèvres et son âme. Mahomet les avait ouvertes une
fois pour toutes; son verbe désormais proféré, il le
jetait au monde comme un ordre irrévocable; il ne
— 85 —
disait pas : Va ! il le faisait porter par des escadrons ;
et comme l'univers avait fait silence pour entendre
le pas profond de la vérité , il fît silence une seconde
fois au bruit de Mahomet, mais un silence d'esclave,
un silence de vaincu, un silence qui le déshonorait.
Car, Messieurs, recevoir une doctrine au bout
d'un sabre, qu'est-ce autre chose qu'abdiquer son
âme? J'estime encore l'erreur qui se propose, et qui
croit assez en elle pour essayer sa force et me per-
suader; mais ce vil gladiateur qui me présente d'une
main le Coran et de l'autre la mort, je n'ai que du
mépris pour lui, et, si j'ai la bassesse de lui obéir,
un mépris plus profond pour moi.
Ce fut cependant , Messieurs , l'oeuvre de Maho-
met ; ainsi propagea-t-il sa doctrine , ainsi imita-t-il
la grande parole : Allez et enseignez toutes les na-
tions.
Je passe au schisme grec. Celui-ci n'est pas un
conquérant ; académicien subtil, séparé, à force d'es-
prit, de l'unité doctrinale; il vient s'établir dans le
monde sur la bonne opinion qu'il a de lui-même.
Qu'a-t-il fait depuis lors dans l'ordre de l'apostolat?
Qu'a fait cette terre autrefois si féconde en éloquence,
qui avait produit saint Jean Chrysostome, saint Ba-
sile , saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de
Nysse, et qui avait envoyé auparavant sa gloire jus-
qu'à nous par saint Irénée , l'un de nos premiers an-
cêtres dans la foi? Qu'a-t-elle fait depuis le xi° siècle,
époque finale de son schisme, pour justifier sa sé-
paration par ses succès et pour étendre le règne de
Dieu, dont ellevenait d'arracher un précieux rameau?
— 86 -
Hélas ! ce qu'elle a fait : rien. Voilà sept cents ans pas-
sés, et cette branche éloignée de la vérité languit sans
rejetons, assez forte pour conserver de sa vieille sève,
trop faible pour la communiquer. Elle a rompu avec
l'unité, et à l'instant, par un miracle de la sagesse
divine, elle a perdu, avec le secret de la charité, la
grâce de l'expansion. Plût à Dieu môme qu'elle se
fut arrêtée là, et qu'elle eût accepté le châtiment de
la stérilité! Mais, houleuse enfin de sa longue inac-
tion , l'Église grecque a été saisie dans ces derniers
temps de l'ambition du prosélytisme. Et savez-vous
comme elle l'entend, ou plutôt qui ne le sait pas?
Elle dépouille les catholiques tombés dans sa dépen-
dance par le sort des armes ; elle confisque leurs
églises et leurs couvents; elle envoie leurs prêtres
en exil; elle arrache les enfants des bras de leurs
mères, afin de les enlever à l'erreur, et de s'épar-
gner plus tard la peine de les convertir; elle contre-
fait, à l'insu des peuples, sa propre liturgie, demeu-
rée encore trop catholique; elle envoie des janissaires
solliciter l'aposlasie avec des verres de vin, des ru-
bans et des coups de bâton, et, la chose faite, elle
immatricule avec joie ses nouveaux enfants avec dé-
fense de sortir désormais de son aimable giron , sous
peine d'être traités comme des renégats. Elle torture
enfin la vérité dans ses serres , comme un oiseau do
proie devenu le maître d'un aigle qui par hasard
avait l'aile rompue ; il le tient, le retourne, et, n'ayant
pas la force d'enfoncer dans son flanc un bec puis-
sant, il lui arrache une à une les plumes, il le déchi-
quette plutôt qu'il ne le dévore.
N'ai-je pas nomme l'Église de Pologne, Messieurs,
tout à rheure? Il me semble que je l'ai nommée...
et, si je l'ai lait, croyez- vous que je pourrais passer
à côté d'elle sans la saluer? Chère et illustre sœur,
autrefois le soutien de la chrétienté , aujourd'hui
offerte en holocauste, j'aurais pu prononcer ton nom
sans le bénir, sans supplier Dieu, moi l'apôtre du
Christ, d'avoir pitié de toi! Ah! je l'en supplie, je l'en
conjure, j'en appelle à lui pour toi, et à toute âme
en qui l'humanité n'est pas tarie. Nous ignorons
l'avenir et ce qu'il te prépare ; mais si tu succombes
à la fin , la postérité te fera un berceau où tu renaî-
tras toujours, et quand on voudra s'animer à de
grands dévouements dans de grands malheurs , on
méditera tes souvenirs, on baisera tes rumes. Si
nous ne te rendons pas la vie du temps, nous te con-
serverons la vie de la mémoire , nous te donnerons
rendez-vous dans l'éternité, et si d'autres embrasse-
menls ne nous sont plus permis , celui-là , du moins ,
la persécution ne le rompra jamais !
Voilà l'Église grecque, Messieurs! et môme ai-jc
tout dit? Ai -je raconté tout le sort de cette doctrine
faite cadavre? Non, Messieurs; mais il faut être bref
dans l'histoire de l'erreur, comme nous l'avons été
dans celle de la vérité. Encore un mot seulement.
Par une loi qui régit maintenant toute l'Église grec-
que, sous les diverses dominations qu'elle subit,
le prosélytisme est défendu. Néron l'avait rêvé peut-
être dans un mauvais songe du Palatin ; mais l'avoir
écrit dans une loi, avoir décrété solennellement, et
dans trois empires, que la doctrine devait être sans
charité, qu'elle ne devait pas chercher l'homme et
même le poursuivre, qu'elle devait habiter son coin ,
s'y tenir heureuse sous la protection et la garde d'un
maître , et que si par hasard, comme la colombe de
l'arche, elle ouvrait la fenêtre pour voir si elle pou-
vait s'envoler quelque part, c'était là un crime de
lèse-majesté : avoir dit, écrit, décrété une semblable
loi, c'est assurément le prodige d'une double peur,
la peur de sa propre impuissance et de la puissance
de la vérité. Et encore , il faut le remarquer, ce n'est
pas seulement dans des États despotiques que celte
fabuleuse disposition a été consacrée, mais à Athènes,
dans une charte, et dans une charte qui proclame la
liberté de conscience! C'est au nom de la liberté de
conscience que le prosélytisme y est défendu.
Je suis heureux. Messieurs, de vous signaler ail-
leurs , dans le sein même du protestantisme , une
législation d'un caractère bien différent, à laquelle il
me serait impossible de ne pas rendre un hommage
public. Quand on a mission de parler contre l'erreur,
c'est un bonheur comme c'est un devoir de rendre
justice à ce qu'elle fait de bien. Notre siècle a vu ,
Messieurs, une magnifique réparation de l'erreur
envers la vérité, d'autant plus remarquable qu'elle
avait été précédée d'une longue persécution. L'An-
gleterre, après trois cents ans d'une législation im-
pitoyable contre les catholiques, a brisé de son pro-
pre mouvement les chaînes de notre servitude, et
proclamé, sous le nom d'émancipation, la pleine et
entière liberté de conscience sur le sol de ses vastes
États. Elle reçoit nos prêtres, nos évêques, nos rcU-
— 89 —
gieux, même ceux qui n'ont pas chez elle le droit de
nationalité; elle le fait sans crainte et sans souvenirs,
avec le plus haut libéralisme qui soit au monde, et
je croirais trahir la sainteté de l'apostolat cathoHque,
si du haut de cette chaire de Notre-Dame , avant de
commencer ce que je dois dire du protestantisme , je
ne rendais pas à cet acte nouveau dans l'histoire des
hommes l'honneur éternel qui lui est dû.
Le protestantisme n'est pas, comme le schisme
grec, dénué de tout prosélytisme; il écrit, il imprime,
il répand ses livres à profusion. Il envoie même des
missionnaires, non pas, il est vrai , en Chine ou au
Japon , partout où il y a du sang à répandre; mais
enfin , là où ses consuls peuvent parvenir et le pro-
téger de la majesté britannique, le protestantisme
hasarde ses gens. C'est une action réelle, mais une
action qui ne constitue pas un apostolat. Le prosé-
lytisme de l'écriture n'entraîne aucun dévouement
difficile et sérieux. La parole marche, l'écriture ne
marche pas ; la parole est le don de l'homme tout
entier, l'écriture n'est que le don de son esprit. Mille
sacrifices, sans compter celui du sang, découlent du
sacrifice de la parole, très-peu du sacrifice de l'écri-
ture. Au coin de son feu, toutes les mesures du con-
fortable étant parfaitement prises, les portes bien
fermées , les fenêtres exactement closes , un gentle-
man prend sa plume, il réfléchit à son aise entre son
repas du matin et son repas du soir ; il écrit des
pages dont il paie l'impression , mais avec la réserve
d'être payé de son libraire, lequel paie à son tour le
colporteur, qui est le seul, définitivement , à jouer le
— 00 —
rôle apostolique. La comparaison, Messieurs, n'est
pas soutenable sous le rapport du dévouement;
elle ne Test pas davantage sous un autre point de
vue.
Le prosélytisme de l'écriture n'exige aucune vertu
de la part de celui qui l'exerce. Le dernier des misé-
rables, sans se nommer ou même en se nommant,
peut tenir une plume puissante, quoique déshonorée.
Pour peu que l'écrivain soit d'honnêtes mœurs, cela
suffit à sa dignité. Il n'en est pas de même de
l'homme qui se consacre au ministère de la parole,
et surtout de la parole religieuse. Pour paraître dans
une assemblée au nom de Dieu , il y faut porter la
physionomie et l'histoire d'une vie élevée. Gicéron,
quoique païen et ne parlant que de l'éloquence ci-
vile, ne définissait-il pas forateur un homme de bien
habile dayis l'art de dire? Ce titre d'homme de bien
ne suffit plus à l'homme de TÉvangile ; la sainteté lui
est nécessaire , une sainteté indiquée par le sacrifice
permanent de la chasteté, par le désintéressement,
par la fatigue, par l'éloignement de la patrie, par
un rejaillissement sensible de la vérité dans l'accent
et dans tout fôlre. Les sauvages mêmes ne se mé-
prennent pas à ces signes. Ils discernent à la pre-
mière vue et au premier son le véritable apôtre.
Portez-leur donc des livres, ou même une parole
mariée à une femme !
Savez-vous, Messieurs, ce qu'il y a de plus singu-
lier dans votre siècle? C'est précisément que, pour
la première fois depuis le commencement du monde ^
le prosélytisme de l'écriture, agrandi démesurément
- 91 —
par la presse, a acquis une puissance qui le dispute
au prosélytisme de la parole ; c'est que le prosély-
tisme qui n'exige aucun dévouement, ni vertus, ni
même un nom, aspire à détrôner le prosélytisme qui
exige le nom, la vertu et le dévouement. Nous ne
repoussons pas cette puissance nouvelle -née dans
l'humanité, nous nous en servons; auxiliaire utile,
elle est venue au secours de la parole menacée par-
tout d'oppression, et encore qu'elle batte en brèche
la vérité, elle travaille cependant pour nous, pour
cette parole dont elle convoite l'empire. C'est pour-
quoi, tout en signalant le danger qui tient à l'imper-
sonnalité de l'écriture, je vous en signale aussi l'a-
vantage. Quand une grande puissance fait son appa-
rition dans le monde, elle y arrive poussée par une
grande raison, et cette grande raison , c'est toujours
quelque besoin de la vérité. Rien n'arrive que par
la providence de Dieu, et Dieu fait tout pour ses élus :
Omnia propter electos. Soit donc qu'un empire se
fonde ou s'écroule, qu'un soleil s'éteigne ou s'allume,
que le vent souffle de l'orient ou de l'occident, atten-
dez toujours Dieu, c'est toujours Dieu qui arrive,
encore que la poussière soulevée par son passage
nous dérobe longtemps sa figure et son secret.
Je ne dirai qu'un mot du rationalisme sur la ques-
tion qui nous occupe; je n'ai jamais ouï parler d'un
rationaliste qui ait reçu des coups de bâton à la Go-
chinchine. Ces esprits-là sont trop polis et trop ingé-
nieux pour se hasarder dans une semblable gloire,
au profit de la vérité. Il sera toujours temps de
s'occuper d'eux lors de la prochaine place vacante
— 92 —
à l'Académie. Nous sommes trop bien élevés pour
leur offrir autre chose qu'une branche do laurier, et
ils la méritent sans contestation.
J'ai fini, Messieurs. Tout ce que j'ai dit m'autorise
à conclure que la charité de la doctrine, manifestée
par l'apostolat, appartient exclusivement à la doc-
trine cathohque. Et si vous me demandez pourquoi ,
quelle est la cause secrète dece phénomène, je vous
répondrai que la vérité seule est charité, et que
seuls possédant la vérité, seuls aussi nous en possé-
dons l'incommunicable chaleur. Nous venons du sein
large et universel de Dieu ; nous venons de la région
où la lumière et l'amour se tiennent éternellement em-
brassés. Le fleuve qui descend des hautes montagnes
couvre naturellement la plaine de ses mille canaux.
Toute autre doctrine vient d'en bas ; elle vient de
l'homme, de son cœur étroit, de son esprit plus étroit
encore, de son orgueil, plus étroit que l'un et que
l'autre; elle vient de l'égoïsme et retourne à l'é-
goïsme. Elle ne va pas au monde, elle appelle le
monde à soi. Pour nous, enfants de Dieu , nés dans
l'éternité d'un mot de son âme, la charité nous presse
toujours, elle ne nous laisse que le repos du sacri-
fice qui a été notre berceau.
Saint Paul, étant sur les ruines de Troie, vit en
songe un Macédonien qui se tenait debout, et qui le
priait : Passe, lui disait-il, passe, et viens à nous (1).
Ce Macédonien, Messieurs, c'est l'humanité tout
entière, suppliante de Dieu, lui demandant la vé-
(1) Actes des Apôtres , chap. xvi, vers. 9.
— 93 —
rite; et saint Paul, c'est nous tous qui' croyons
comme lui , qui avons reçu comme lui les prémices
de l'esprit de vie et d'amour. Aujourd'hui comme
alors couché sur les ruines de Troie, cette image de
la désolation du monde, le Macédonien se dresse de-
vant nous; il nous prie debout, car il est pressé :
Passe, nous dit-il, passe, et viens à nous. Et si la
crainte du dévouement nous retient, si les labeurs,
les voyages, la faim, la soif, les supplices nous
effraient, Dieu nous dit comme à saint Paul, dans
un autre songe, dans le songe de Gorinthe : N'aie
pas peur, parle et ne te tais pas, car j'ai un grand
peuple à moi dans cette ville (1). Comment nous tai-
rions-nous? Comment la main de l'homme fermerait-
elle nos lèvres? Dieu nous pousse toujours, un grand
peuple nous attend toujours. Vous en avez ici. Mes-
sieurs, le spectacle et la preuve, et encore cette as-
semblée, si vaste et profonde qu'elle soit, ce n'est
pas tout mon auditoire : mon auditoire, c'est l'hu-
manité. Ma parole, dite à vous, rejaillit sur lui comme
ces cailloux lancés sur la surface des mers qui, de
bonds en bonds et portés par les flots, vont atteindre
au loin leur but.
(i] Actes des Apôlres, chap. xviii, vers. 9 et 10
VINGT -CINQUIEME CONFERENCE
DE LA CHARITE DE FRATERNITE PRODUITE DANS L AME
PAR LA DOCTRINE CATHOLIQUE
Monseigneur,
Messieurs,
La doctrine catholique est la seule qui ait produit
et qui produise la charité de l'apostolat ; je l'ai
prouvé dans ma dernière Conférence. J'ajoute qu'elle
seule produit la charité de la fraternité. La frater-
nité est le partage réciproque du cœur, du travail
et des biens; et il semble, Messieurs, que cette vertu
devrait couler en nous par une source aussi simple
et aussi naturelle que notre vie. Car, enfm, qu'est-«
ce que nous sommes ? Ne sommes-nous pas les
membres d'une môme famille, les enfants d'un même
père et d'une seule maison? En vain nous voudrions
— 96 —
détruire les pages de notre généalogie; tous, sans
exception, nous sortons du même lieu, et tandis que
l'orgueil se fabrique en dehors du genre humain d'il-
lustres et particulières antiquités , le sang d'Adam
parle en nous plus haut que tous les titres , et nous
couche par terre aux pieds du même patriarche
comme aux pieds du même Dieu. Cependant, mal-
gré cette évidente communauté d'origine et cette fra-
ternité que la nature a mise en nous , quel spectacle
nous présente l'histoire si nous la considérons en
dehors de la doctrine catholique! Des races ennemies,
des familles qui se séparent le plus qu'elles peuvent
les unes des autres par le rang , la puissance et la
tradition ; des hommes âpres à la curée de ce monde,
et traitant la terre non comme le patrimoine réel de
tous, mais comme le patrimoine privilégié des plus
forts, des plus habiles et des plus heureux; partout
la guerre, la jalousie, la convoitise, la spoliation,
l'élévation d'un petit nombre et la misère de beau-
coup.
Toutefois , Messieurs , il n'en est pas de la frater-
nité comme de l'humilité, de la chasteté et de l'apo-
stolat. Le monde, qui repousse celles-ci, même après
la révélation qui en a eu lieu , ne repousse pas éga-
lement celle-là ; un grand nombre l'apprécie aujour-
d'hui, même en dehors de la doctrine cathoUque, et
s'il est un songe caressé parles âmes élevées, s'il est
une idée qui remue lopmion, qui inspire de belles
pages et consacre de grands travaux, c'est assuré-
ment l'idée de la fraternité. Tandis que le monde in-
sulte l'humilité comme une vertu qui l'importune,
— 97 —
rejette la chasteté comme un intolérable fardeau,
incrimine l'apostolat comme un envahissement de la
vérité ou de ce qui se donne pour elle, la fraternité a
dans son sein des amis chauds et généreux , qui exa-
gèrent même ses droits , se trompent sur les moyens
de l'établir, mais qui la proclament comme la fin
dernière de toute l'histoire et de tout le mouvement
de l'humanité. Le spectacle auquel nous vous con-
vions n'en sera que plus instructif et que plus cu-
rieux. Il sera beau de voir le monde poursuivant la
même pensée que nous, impuissant à la réaliser
malgré ses efforts; et la doctrine catholique attei-
gnant chaque jour son but fraternel par le simple
épanchement de sa parole et de son ordinaire effica-
cité.
L'an 680 de Rome, sous le consulat de Marcus
Terentius Varro LucuUus et de Gains Cassius Va-
rus , au pied du mont Vésuve et en face de la mer
de Naples, deux à trois cents hommes étaient ras-
semblés. Ils portaient bien sur eux les traces de
notre dignité commune , et cependant il n'était pas
besoin de les regarder longtemps pour découvrir aussi
dans tout leur être des marques trop sensibles d'une
cruelle dégradation. Au milieu du silence de tous ,
l'un d'eux se leva et leur adressa ce discours : « Chers
et misérables compagnons d'infortune, avons-nous
résolu de porter jusqu'au bout les injures du sort qui
nous a été fait? L'humanité n'existe pas pour nous;
rebut du monde, saisis dès nos premiers jours par
la main de fer de la destinée , nous n'avons servi jus-
qu'à présent qu'à récréer nos maîtres par des specta-
3*
— 98 —
clés barbares, ou à nourrir par nos travaux leur faste,
leur mollesse et leur volupté. Il est vrai, nous avons
fui, nous sommes libres, mais vous comprenez bien
que cetLe liberté n'est encore que la servitude; tout
l'empire, toute la terre est contre nous : nous n'avons
pas d'amis, pas de patrie ^ pas d'asile. Mais avons-
nous besoin d'autres amis, d'autre patrie, d'autre
asile que nous-mêmes? Considérons qui nous som-
mes, et comptons-nous d'abord. Ne sommes-nous
pas le plus grand nombre? Qu'est-ce que nos maî-
tres? Une poignée de patriciens dont nous peuplons
les maisons, qui ne respirent que parce que nous
n'avons pas le courage de poser la main sur leur poi-
trine pour les étouffer. Et si la chose est comme je le
dis, si nous avons la force du plus grand nombre, si
c'est l'humanité presque entière qui est esclave d'une
horde jouissant de tout et abusant de tout, qui est-ce
qui nous empêche de nous lever, d'étendre nos bras
une fois en ce monde, et de demander aux dieux
qu'ils décident entre nous et nos oppresseurs? Nous
n'avons pas seulement le nombre, nous avons l'in-
teUigence aussi ; beaucoup d'entre nous ont enseigné
à leurs maîtres ou enseignent à leurs enfants des
lettres humaines ; nous savons ce qu'ils savent, et ce
qu'ils savent ils le tiennent de nous ; c'est nous qui
sommes leurs grammairiens, leurs philosophes, et
qui leur avons appris cette éloquence qu'ils portent
au forum, pour y opprimer tout l'univers. Enfm,
nous avons plus que le nombre et que l'intelligence,
nous avons le droit : car, qui nous a faits esclaves?
qui a décidé que nous n'étions pas leurs égaux? où
— 99 —
est le titre de notre servitude et de leur souveraineté?
Si c'est la guerre, faisons la guerre à notre tour ; es-
sayons une fois la destinée, et méritons par notre
courage qu'elle se prononce pour nous. » Ayant dit
cela , Spartacus étendit la main vers le ciel et vers la
mer; son geste acheva sa parole; la foule qui l'avait
écouté se leva, sentant qu'elle avait un capitaine, et,
huit jours après, quarante mille esclaves rangés en
bataille faisaient tourner le dos aux généraux romains,
remuaient de fond en comble l'Italie , et se voyaient
sur le point, comme Annibal, de regarder en vain-
queurs la fumée de Rome.
Ils furent vaincus pourtant, malgré le nombre et
le courage, et Pompée, venant mettre le sceau à
leur défaite, n'eut qu'à écrire quelques lignes au
sénat pour lui apprendre que ces vils esclaves, un
moment sa terreur, étaient rentrés dans leur légitime
néant.
Tel était l'état du monde quelques années avant
la venue de Jésus-Christ. Une grande portion de
l'humanité n'avait ni patrie, ni famille, ni droits;
elle était inscrite dans la loi sous la rubrique des
choses et non des hommes. On la traitait comme
une race d'animaux plus intelligents, plus forts,
mais qui n'avaient d'autre distinction que d'êtrci
plus aptes à une servitude profitable. Je pourrais,
pour ma thèse, me borner au fait, et vous dire :
Voilà ce que l'homme avait fait de l'homme en quatre
mille ans ; voilà où en était, avant Jésus-Christ, la
fraternité. Mais il ne sera pas inutile qu'après avoir
vu le fait nous en cherchions la cause , afin de
— 100 -
mieux comprendre la grandeur et la difficulté de la
révolution opérée sous ce rapport par la doctrine
catholique.
C'est donc , Messieurs , puisque vous voulez savoir
la cause de la servitude, c'est que l'homme n'aime
pas l'homme, que l'homme n'aime pas le travail,
que l'homme n'aime pas le partage de son bien, que
l'homme enfin n'aime rien naturellement de ce qui
constitue la fraternité.
L'homme n'aime pas l'homme; car l'amour, ce
charme inexprimable qui nous pousse vers un objet,
et nous pousse moins à nous donner qu'à nous fondre
en lui ; l'amour, cette merveille la plus incompré-
hensible de notre nature, à quoi nous passons toute
notre vie, jusqu'à ce que nous ayons désespéré de
nous assez pour ne plus chercher à en réaliser le
mystère; l'amour n'a qu'une cause unique, cause
rare et passagère dans l'humanité. Je voudrais en
cacher le nom : je me reproche jusqu'à un certain
point de le nommer dans cette chaire ; mais il m'est
impossible de ne pas le prononcer. L'amour n'a
qu'une cause, et cette cause c'est la beauté. Que
l'homme soit mis en présence d'une nature où res-
plendit ce don terrible, à moins qu'il ne soit couvert
d'un bouclier divin, il en ressentira les coups : si re-
belle, si orgueilleux qu'il soit, il viendra comme un
enfant se courber aux pieds de ce quelque chose qu'il
a vu et qui l'a subjugué par un regard , par un che-
veu de son cou , in uno crine colli sui, dit admirable-
ment l'Écriture. Mais cette beauté, cause unique de
l'amour, elle est rare et passagère en nous. Ellen'ap-
r
— 101-
partient qu'à un très-petit nombre, et les êtres qui
en sont le plus doués ne jouissent qu'un moment de
leur couronne. Adorés un jour de leur vie, ils sen- "
tent bientôt la fragilité du don qui leur a été fait ;
les adulateurs fuient à mesure que les années des-
cendent, et quelquefois il n'est pas besoin des
années. Le cœur épris violemment se détache avec
rapidité, et, d'expérience en expérience, ces êtres
qu'on a tant chéris arrivent à ne plus posséder d'eux-
mêmes et des autres que les reliques d'un songe.
La beauté, qui est la source de l'amour, l'est aussi
des plus grandes désolations qui soient ici -bas,
comme si la Providence et la nature se repentaient
d'avoir fait à quelques-uns de nous un si ri:he et si
rare présent.
Si telle est la cause de l'amour, comment l'huma-
nité serait-elle aimée? A part le petit nombre qui la •
possède, et avec tant d'imperfections, qu'est-ce que
le reste ? Que voit l'homme autour de soi ? Des
hommes non pas seulement dépourvus de la grâce et
delà majesté de leur nature, mais défigurés parle
travail, avilis par des maux sans nombre, en qui
l'œil ne découvre plus rien qu'une sorte de machine
qui se meut. Et si du corps on pénétre jusqu'à l'âme,
la misère et la honte s'y révèlent sous des aspects
plus profonds encore, qui n'arrêtent plus le mépris
par la pitié. L'orgueil sans cause, l'ambition, l'é-
goïsme, la haine, la volupté , tous les vices se dispu-
tent ce visage intérieur de l'homme, et aspirent à le
déshonorer. Que reste-t-il pour l'amour? A quel
vestige de la beauté se prendra l'homme pour aimer
— 102 —
l'homme et partager fraternellement avec lui les
peines du travail et la joie des biens ?
L'homme n'aime pas le travail. Il aime seulement
une activité qui flatte l'orgueil et trompe l'ennui.
Pascal en a fait la remarque. Un homme, dit-il à peu
près , se juge malheureux parce qu'une disgrâce le
jette dans un château magnifique, où, entouré de
toutes les jouissances et de toutes les distinctions , il
ne lui manque qu'une multitude de solliciteurs et
d'importuns qui l'empêchent de penser à soi. Cela
est vrai, nous aimons l'activité, mais une activité
commode et honorée, qui, selon l'expression de
M"^^ de Staël, ajoute l'intérêt au repos, et nous donne
sans fatigue la satisfaction de tenir et de remuer les
fils de ce monde. C'est l'activité paresseuse du com-
mandement qui nous séduit ; mais dès qu'il y a fa-
ligue réelle d'esprit ou de. corps, nous cherchons à
la rejeter sur les autres autant que nous le pouvons.
Le travail est une peine. Il a été imposé à l'homme
quand Dieu le chassa du paradis terrestre avec cette
sentence : Tu mangeras Ion pain à la sueur de ion
front; en le repoussant, nous ne faisons que re-
pousser un châtiment, et pour l'accepter, quand l'a-
mour nous manque, il ne nous faut pas moins que
toute la force de la nécessité. Or l'homme manque
d'amour à l'égard de l'homme, et l'horreur du tra-
vail, combinée avec sa nécessité, lui inspire sans
cesse l'idée et la tentation de la servitude pour autrui.
Combien donc est-il loin de la fraternité, qui est le
partage réciproque du cœur, du travail et des biens !
On serait porté à croire que l'homme, parvenu à
— 103 —
un certain degré de richesse et rassasié de superflu,
n'éprouve aucune peine à donner ce qui est inutile
même à la surabondance du luxe; c'est une erreur.
L'homme ne donne jamais volontiers. Quand il ne
sait plus que faire de son or, il achète la terre qui le
produit. Dénué souvent de postérité, ou réduit à des
neveux qu'il déteste , il achète encore , et si la terre
manque à son ardeur de la posséder, il ensevelira
dans des cofl'res profonds cet or doublement inutile,
se donnant quelquefois le plaisir de le regarder, de
le compter, et de savoir au juste de combien d'écus
sa félicité s'est accrue. Quelle joie y a-t-il là? Vous
et moi nous l'ignorons également, on ne se rend
compte que des passions dont on fut soi-même vic-
time. Le pauvre ne comprend pas l'état de l'homme
riche, qui aime mieux enfouir que donner; mais il
en est ainsi. Il arrive même que le riche s'ennuie de
l'être, qu'il n'en peut plus de sa fortune, qu'un im-
mense dégoût le saisit. Il pourrait, ce semble, s'ou-
vrir une veine nouvelle de joie en rappelant de la
misèie une famille ruinée, en mariant de pauvres
jeunes gens qui s'aiment loyalement. Il n'aurait pas
même besoin d'aller chercher le malheur : le malheur
monterait son escalier de lui-même ; il y monte atout
quart d'heure sans qu'on l'attende; il frappe, il ap-
porte à ce misérable un bien qu'il ne connaît plus.
Mais la satiété poussée jusqu'à la douleur n'apprend
pas encore à l'homme le secret de se dépouiller. Il
estime que l'honneur d'être plus riche que personne
mérite bien d'être acheté par la souffrance. Encore
une fois, nous ne comprenons rien à tout cela; mais
— 104 —
tout cela est , et nous révèle une troisième source de
la servitude substituée dans le monde ancien à la
fraternité.
En effet, si l'homme n'aime pas l'homme, s'il hait
le travail et abhorre tout partage de son bien , qui
ne voit au bout de ces dispositions de son âme,
comme une conséquence inévitable, l'étabUssement
de la servitude? Pourquoi n'abuserais-je pas de la
force contre l'homme que je méprise, pour l'assu-
jettir à un travail dont je me délivre, et qui sert à la
fois ma fortune et mon orgueil? Pourquoi n'attache-
rais-je pas le plus d'hommes possible, au moindre
prix possible, à la satisfaction de tous mes sens?
Pourquoi, si je le peux, n'aurais-je pas, comme
dans l'Inde, des gens pour chasser de mon visage
les animaux importuns, d'autres pour me porter en
palanquin, d'autres pour me tenir un verre d'eau
tout prêt, quand j'aurai soif, d'autres pour m'ac-
compagner et me faire honneur? Peut-être sera-ce
l'occasion qui me manquera pour m'assujeltir mes
semblables ; mais l'occasion a-t-elle jamais manqué
dans le monde aux oppresseurs? Une fois les causes
de la servitude posées dans le cœur de l'homme, qui
s'y opposera? où sera le point d'appui des faibles
contre les forts? qui parlera pourl'homme, si l'homme
le méprise? Par l'effet même du manque d'amour et
de la passion de s'agrandir, il se formera nécessai-
rement des générations déshéritées ; ces générations
s'agiteront, elles feront peur aux heureux du monde;
il faudra bien créer une force qui leur ôte l'idée de
se révolter, et qui permette à l'égoïsme un sommeil
— 105 —
tranquille. Quel plus naturel moyen que de les ré-
duire à une servitude qui les avilisse à leurs propres
yeux, et ne leur permette pas môme de songer à se
revendiquer?
Ce ne sont pas là, Messieurs, de chimériques in-
terprétations des sentiments de l'homme. Dieu a
permis que la servitude subsistât jusqu'à présont
pour vous révéler sans cesse à vous-mêmes ce que
vous êtes en dehors de la charité qui vient de lui.
Vous auriez pu croire que vous aimiez l'humanité
par vous-mêmes, et que la philanthropie suffisait à
l'établissement de la fraternité universelle. Dieu a
pris soin devons détromper. Que des Européens,
des Français , descendent quelques degrés de latitude
et soient transportés sous un soleil plus chaud, leur
philanthropie expire aux portes d'une fabrique de
sucre. Devenus possesseurs d'esclaves, ils découvri-
ront les plus puissantes raisons du monde en faveur
de la servitude : celles-là mêmes que je disais tout à
l'heure, la nécessité du travail, l'impossibilité de
l'accomplir par eux-mêmes, le devoir de s'enrichir,
l'infériorité de la race assujettie; l'on ira au loin cher-
cher cette race privilégiée, et si elle n'est pas encore
assez proche de la bêle, on aura soin, en la mal-
traitant et en la privant d'éducation , de l'amener au
niveau de bassesse et d'abrutissement désirable pour
que tous la jugent incapable et indigne de la liberté.
Voilà l'homme, Messieurs, et quels obstacles la doc-
trine catholique devait trouver en lui pour l'établis-
sement de la fraternité. Voyons comment clic a fait
pour être la plus forte.
— 106 —
Quand Jésus-Christ avait voulu fonder l'apostolat,
il avait prononcé cette parole : Allez et enseignez
toutes les natioyis. Il lui en coûta davantage pour
fonder la fraternité. Il s'y reprit à plusieurs fois, el
posa trois textes fameux.
Je vous donne, dit-il une fois, je vous donne un
commandement nouveau : c'est que vous vous aimiei
les uns les autres comme je vous ai aimés moi-
même; le monde connaîtra que vous êtes mes disci-
ples si vous vous aimez les uns les autres (1). Re-
marquez d'abord, Messieurs, cette expression : Je
vous donne un commandemeyit nouveau. Jésus-
Christ ne s'en est servi que dans cette occasion , du
moins d'une manière aussi expresse. L'humilité, la
chasteté, l'apostolat, quoique des choses nouvelles,
l'étaient moins pourtant que ce précepte : Aimez-vous
les uns les autres. Et Jésus-Christ ajoute que ce sera
le signe auquel on reconnaîtra ses disciples ; non que
l'humilité, la chasteté, l'apostolat, ne soient aussi
des signes très-évidents et très-certains de la pro-
fession chrétienne, mais parce que la charité est l'o^
céan où commencent et aboutissent toutes les autres
vertus. C'est la charité qui rend humble, chaste,
apôtre ; c'est elle qui est le principe et la fm , et par
conséquent le signe capital de la transfiguration de
l'âme.
Faites une seconde remarque, Messieurs : la doc-
trine catholique , apparaissant au monde , ne dit pas
comme Spartacus : Levez-vous, armez-vous, reven-
(1) Saint Jean, chap. xiii, vers. 34 et 3o.
— 107 —
diquez vos droits ; elle dit avec calme et simplicité :
Aimez-vous les uns les autres; s'il y en a un parmi
vous qui se plaigne de n'être pas aimé, qu'il aime le
premier; l'amour produit l'amour. Quand deux s'ai-
meront et qu'on aura vu la joie dans leur cœur, un
troisième viendra qui désirera être aimé aussi en
donnant son amour; ensuite un quatrième. Ce qui
vous manque, ce n'est pas un droit, c'est une vertu.
Or aucune loi ne peut vous donner une vertu, aucune
victoire ne peut vous la créer. Spartacus aurait
vaincu, que le monde eût été le lendemain ce qu'il
était la veille : les esclaves seraient devenus maîtres ,
les maîtres esclaves ; et encore tous ces victorieux ,
enivrés des dépouilles de Rome, se seraient égorgés
les uns les autres au nom de la fraternité. Une vertu
ne naît pas sur les champs de bataille; l'âme est la
seule terre où Dieu la sème et la récolte. Que faites-
vous quand une plante nécessaire et désirable man-
que à votre industrie? Vous la cherchez au loin, sous
le soleil qui la mûrit; vous la semez et la cultivez
avec d'autant plus de soin que le sol à qui vous la
confiez n'est pas son sol natal. Eh ! Messieurs , la
génération de la vertu ne diffère pas de celle-là; elle
n'en diffère que parce qu'il est inutile d'aller si loin;
le royaume de Dieu est au dedans devons; la terre,
c'est votre âme , et la semence , vous venez de la re-
cevoir, elle est dans ces mots : Aimez -vous les uns
les autres.
Elle est aussi dans cette seconde parole : Si quel-
qu'un d'entre vous veut être le premier, qu'il soit le
dernier; et qui veut être le plus grand, qu'il soit
- 108 —
voire serviteur, à Vexempfe du Fils de Vliomme, qm
n'est pas venu pour cire servi, mais pour servir (1).
Vous vous plaignez d'être esclaves, vous ne savez
pas ce que vous dites : on est esclave quand on sert
malgré soi; servez de votre propre gré, l'esclavage
sera détruit. On vous a dit que le plus grand mal-
heur et la plus grande honte c'étaiHa servitude, et
moi je vous dis : Faites de la servitude un acte d'a-
mour, ce qui était ignominie deviendra gloire, ce qui
était esclavage deviendra dévouement, ce qui élait la
dernière chose deviendra la première, ce qui était le
comble de l'infortune deviendra l'extase. Ne savez-
vous pas qu'il n'y a rien de plus doux que d'aimer?
Et quand on aime on se donne, quand on se donne
on sert, et quand on sert par amour on est heureux.
Servez donc en aimant : que vous manquera-t-il? 11
est vrai que l'ordre a été interverti, parce que c'est
l'amour qui précède le service, et qu'ici le service a
précédé l'amour : mais que vous importe? Rétablis-
sez l'ordre en aimant; pourvu que le service et l'a-
mour soient ensemble, le mystère de la béatitude
est accompli. Vous donc, ô vous tous, mes frères
les esclaves , faites une sainte république d'amour,
aimez -vous les uns les autres, et aimez vos maîtres
dans l'amour commun que vous vous porterez; vous
Unirez par les désarmer, par leur persuader de vous
aimer aussi et de s'aimer entre eux. Rien n'est con-
tagieux comme la vertu arrivée à l'état d'amour. Vos
maîtres vous tenaient pour des ennemis, ils avaient
(1) Saint Mallhieu, chap. xx, vers. 26, 27, 23.
i
— 109 —
encore plus de peur que de haine à votre égard;
quand ils verront que vous les aimez et que vous les
servez librement, leurs yeux s'ouvriront, votre liberté
naîtra d'elle-même comme un fruit naît de son arbre
et tombe de soi quand il est mûr.
Reste une troisième parole, nécessaire encore à
l'œuvre de la fraternité : Bienheureux les pauvres
en esprit, parce que le royaume du ciel est à eux.
Vous vous plaignez de l'insensibilité du riche; ne
faites pas comme lui; aimez la pauvreté, et donnez
du peu que vous avez à ceux qui ont encore moins.
Ne dites pas que vous ne pouvez vous priver de
votre part si d'autres n'en font autant; donnez d'a-
bord la vôtre, d'autres donneront aussi la leur; votre
part vous sera rendue au centuple, et l'esprit de
pauvreté, sans lois, sans violence, sans dissoudre la
société dans un partage toujours à refaire et toujours
impuissant, détruira l'inimitié du pauvre et du riche,
fera de celui-ci un économe, et de celui-là un protégé
de la Providence.
Sans doute. Messieurs, toute cette doctrine est
aussi simple que profonde; cependant personne ne
l'avait trouvée. Il en est d'elle comme de la décou-
verte de l'Amérique par Christophe Colomb : chimé-
rique avant le succès, tout le monde fut surpris de
n'en avoir pas eu l'idée : il ne s'agissait que de mon-
ter sur un vaisseau et d'aller tout droit devant soi.
Cependant ici nous avons une merveille de plus : la
doctrine conçue et publiée n'est que peu de chose
encore; il faut qu'elle arrive à l'efficacité par elle-
même, sans le secours d'aucune victoire et d'aucune
UI. — 4
— 110 —
législation, il faut qu'elle soit acceptée librement, pra-
tiquée librement, et cela contrairement à tous les in-
stincts de l'humanité. On disait à l'homme d'aimer
l'homme, lui qui ne l'aimait pas; on lui disait de ser-
vir, lui qui n'aime qu'à être servi; on lui disait de
donner son bien , lui qui avait horreur de se dépouil-
ler. Évidemment la fin et les moyens n'avaient au-
cune proportion. Et pourtant que n'a pas été le suc-
cès! Je tourne quelques pages de l'Évangile, et je
lis : La multitude des croyants n'avait qu'un cœur
et qu'une âme; nul d'entre eux n'appelait sien ce
qu'il possédait , mais tout leur était commun. On ne
voyait jooint d'indigents parmi eux. Quiconque avait
des champs et des maisons les vendait et en appor-
tait le prix , qu'il mettait aux pieds des apôtres, et
l'on en faisait la distribution à chacun selon ses
besoins (1). I^a répubhque chrétienne était formée;
république nouvelle inconnue, où tout le monde n'a-
vait qu'un nom , celui de frère.
Mais cette république ne devait pas être bornée à
un coin du monde, et y demeurer comme une secte
heureuse donnant de loin aux hommes l'exemple de
la fraternité. La terre avait été mise devant elle
comme la seule limite de sa réaUsation; elle était
appelée à provoquer et à rétablir partout le partage
réciproque du cœur, du travail et des biens. Elle
avait besoin , pour cette grande œuvre , d'un sacer-
doce fonde lui-même sur le principe de la fraternité ;
•elle le créa. Elle destina aux fonctions du gouverne
(1) Actes des Apôtres, chap. 4 vers. 32 et sir'v
— 111 —
ment et de la parole , non les princes et les savants,
mais ceux des frères, quelle que fût leur naissance,
en qui la charité brillait davantage; elle choisit l'en-
fant du paire et le fils de l'esclave, elle mit sur leur
tête la couronne du prêtre, la mitre de l'évêque, la
tiare du pontife, et dit tout haut aux princes de ce
monde : Voilà aux genoux de qui vous viendrez
chercher la lumière et la bénédiction. Vous, Césars,
vous dépouillerez votre orgueil un jour, vous vous
abaisserez devant le fils de votre serviteur caché
autrefois dans les basses-fosses de votre palais ; c'est
à lui que vous confesserez vos fautes , c'est lui qui
étendra la main sur vous et qui vous dira : Au
nom de Dieu, César, tes péchés te sont remis; va
et ne fais plus ce que tu as fait. Le résultat était fa-
cile à prévoir. Dès que le pauvre et le petit était
élevé par le mérite même de l'humilité au trône de
la parole et au tribunal de la conscience, la nature
humaine prenait une dignité tirée de son fond et
d'une vertu possible à tous : ce n'était plus la nais-
sance et la guerre, le hasard et l'habileté, sources
diverses d'exclusion et d'oppression; ce n'était plus
l'égoïsme , mais la charité qui tenait le sceptre des
destinées de l'humanité. L'esclavage perdait toute
signification , et cela sans luttes entre les maîtres et
les esclaves, sans révolution précipitée et sanglante,
par le seul cours des choses. Comme les fers d'un
prisonnier s'usent avec le temps et parle frottement,
et que le geôlier n'a plus besoin de les détacher
quand l'heure légale de la liberté est venue : ainsi
la religion n'eut pas même besoin de secouer les
— 112 —
chaînes de l'esclave pour les faire tomber, elles s'é-
taient usées par le temps et par le frottement de la
doctrine.
Mais l'esclavage à détruire n'était pas toute l'œu-
vre de la fraternité, il fallait encore pourvoir au ser-
vice des misères humaines. La doctrine catholique
créa pour elle le service gratuit , c'est-à-dire un ser-
vice de dévouement, sans autre récompense que le
strict nécessaire de l'être dévoué. Ce service en-
traînait nécessairement la chasteté absolue ; il sub-
stituait à la famille le genre humain tout entier. Je
n'en ferai pas l'histoire , Messieurs : qui ne la con-
naît? Qui ne sait avec quelle ingénieuse fécondité
la doctrine catholique a pourvu de pères et de mères
tous les malheurs? Épiant dans chaque siècle la mi-
sère qui lui était propre, elle lui a suscité chaque
fois des serviteurs nouveaux. Elle a fait la sœur de
Charité aussi facilement qu'elle avait fait le chevaUer
de Malte, le frère des Écoles chrétiennes aussi bien
que le frère de la Merci , l'ami du fou comme l'ami
du lépreux. Chaque jour encore vous avez scus les
yeux l'exemple de ses créations, où la puissance de
la charité prend corps à corps la puissance de la mi-
sère, et ne lui permet pas de toucher le point le plus
obscur de l'humanité sans y porter la main après la
sienne; ainsi s'est établi le règne de la fraternité
parmi les hommes , œuvre incroyable , même à qui
la voit, et dont il faut que je vous demande l'expli-
cation.
Je vous demande quelle est la cause d'un si
étrange phénomène , après tant d'autres que nous
— 113 -
avons déjà vus. Pourquoi et comment la doctrine
catholique a-t-elle été seule efficace pour abolir la
servitude, pour transformer le cœur du riche et celui
du pauvre, pour organiser ce service volontaire et
gratuit qui couvre encore l'Europe, malgré la con-
spiration de tant d'hommes qui s'efforcent de l'a-
néantir? Je vous demande comment cela s'est fait?
comment se fait-il que cette doctrine catholique, qui
seule déjà produit l'humilité, la chasteté, l'apostolat,
soit la seule £iussi qui produise la fraternité? la seule
et toujours la seule , les autres ne faisant que dé-
truire, ou, si elles conservent quelque chose de la
force qu'elles ont reçue primitivement de la doctrine
catholique, ne faisant qu'altérer son ouvrage et ses
dons.
J'ai déjà répondu, Messieurs, qu'évidemment cette
efficacité de la doctrine catholique est divine , puis-
que, si elle était humaine, toute autre doctrine en
déroberait le secret tôt ou tard. Pourquoi l'homme
aime-t-il l'homme aujourd'hui , si la doctrine catho-
lique a laissé l'homme tel qu'il était, avec sa seule
nature et son seul attrait ? La beauté, disons-nous,
est la cause unique de l'amour ; il faut donc que la
rehgion catholique ait revêtu l'homme d'une beauté
qu'il n'avait pas auparavant. Mais laquelle? Si je
vous regarde au dehors, vous n'êtes pas changés,
votre visage est celui de l'antiquité, et même vous
avez perdu quelque chose dans la rectitude des li-
gnes de la physionomie. Quelle beauté nouvelle
avez -vous donc reçue? Ah! une beauté qui vous
laisse hommes, et qui est pourtant divine! Jésus-
— 114 —
Christ a mis sur vous s'a propre figure , il a touché
votre âme avec la sienne, il a fait de vous et de lui
un seul être moral. Ce n'est plus vous, c'est lui qui
vit en vous. Une sainte disait : « Si on pouvait voir
la beauté d'une âme, on ne pourrait plus rien regar-
der. » Cette beauté que le monde ne voit pas, nous
chrétiens, nous l'entrevoyons; elle perce à travers
l'humanité déshonorée, nous la sentons, nous la
cherchons; elle nous séduit, non pour un jour,
comme la beauté humaine, mais avec l'indélébile
magie de l'éternité. Si je vous aime, si je suis forcé
de vous parler, si je donnerais ma vie pour le salut
d'un seul d'entre vous, ce n'est pas que je sois plus
qu'un homme; mais je vois en vous une inexprima-
ble lueur qui vous enveloppe, vous pénètre, et me
ravit au dedans de vous. Je l'ai moi-même aussi à
votre œil, si vous êtes chrétiens. Un jour, et bientôt
même , cette parole qui vous annonce la doctrine se
ternira ; la décadence s'approche de l'homme avec
rapidité, et avec elle la solitude et l'oubli. Ce temps
venu , il ne me restera dans votre âme que le sou-
venir d'un écho ; mais à -moi , comme à vous , dans la
vie et dans la mort, il nous restera la beauté qui
vient du Christ, son visage qui est sur nous, et l'a-
mour qui en jaillit pour nous réjouir vivants et nous
embaumer au tombeau.
Vous avez déjà quelque expérience de la vie, vous
avez heurté à plus d'une porte : eh bien ! dites-moi ,
n'avez -vous pas senti la différence de l'homme qui
vous accueille en homme , d'avec l'homme qui vous
accueille en chrétien .'' A part vos mères , vos sœurs ,
-^ 115 —
et un polit nombre d'amis, quel homme indiffe'rent,
si philanthrope qu'il soit, vous a serrés sur son
cœur? Dans quel cabinet au fond duquel un philo-
sophe cache ses glorieuses veilles, avez -vous été
reçus avec amour? LCn qui avez -vous reconnu la
poitrine de la fraternité? Pour moi, à part ceux que
je nommais tout à l'heure, je ne l'ai trouvée que dans
des chrétiens, dans des âmes animées de la vertu du
Christ, dans des prêtres à qui je confessais mes
fautes, dans quelques jeunes gens qui m'apportaient
l'aveu des leurs et qui se jetaient de joie dans mes
bras : âmes fraternelles, embrasées déjà de la com-
munion des saints, et me révélant de loin l'extase
éternelle de l'unité.
Et vous, hommes qui n'êtes que des hommes,
souffrez que je vous le demande : Où en ctes-vous
de la fraternité et de l'amour humain? Hélas! après
des illusions rapides, vous ne croyez déjà plus à l'a-
mour ; vous êtes devenus incrédules même à la beauté,
et la source des joies mystérieuses ne donne plus
d'eau dans le fond de votre cœur. Vous avez ôté de
l'homme le Dieu qui y habite , et vous vous êtes
étonnés du néant qui s'y est fait. Qu'ai-je besoin de
citer de nouveau à mon tribunal le mahométisme, le
protestantisme et le rationalisme? On peut considé-
rer le monde en bloc aussi bien que par l'analyse. Eh
bien ! depuis que la raison humaine, sous diverses cou-
leurs , a combattu et affaibli la doctrine catholique
dans le monde, quel chemin y a fait la fraternité?
Son nom est dans toutes les bouches , il fait le fonds
des systèmes et des désirs; on n'entend parler que
— 116 —
d'esprit d'association et de communauté; on se tend
la main de partout : et cependant un gémissement
sourd, une plainte unanime dénonce à toute la terre
le refroidissement des cœurs. Que j'écoute l'homme
qui porte le faix du service militaire , le magistrat
appliqué aux fonctions de la justice, le professeur
démêlant dans l'àme du jeune homme le secret de ses
penchants, l'homme politique étudiant de près les
grands ressorts du monde; que j'écoute enfin la voix
de la société partons les pores d'où elle s'échappe,
je n'entends qu'un mot tomber dans mon oreille :
L'égoïsme, le froid et le vide se font dans l'humanité.
On sent jusque dans les ardeurs politiques un souf-
fle morne , une respiration fatiguée , qui annonce au
dehors la misère du dedans. Ainsi, quand le soleil
décline vers l'horizon, la sève de la nature s'arrête
et se glace; elle attendrait la mort, si elle n'espérait
toujours la résurrection.
La résurrection viendra , chrétiens , et viendra par
nous. Puisque le monde qui ne veut pas de l'humi-
lité, qui ne veut pas de la chasteté , qui ne veut pas
de l'apostolat, veut de la fraternité; puisqu'il est
obligé d'en vouloir, et que tous les jours il s'ingénie
à en faire , voilà un terrain commun où nous nous
rencontrons avec lui. Profitons-en; entre lui et nous,
c'est à qui répandra le plus d'amour véritable , à qui
donnera le plus en recevant moins. Personne, dans
ce conflit, ne pourra nous incriminer. Jetons-nous-y
à cœur rempli nous avons tant reçu d'amour qu'il
nous coûte peu d'en rendre. Gagnons nos frères à
force de bienfaits , et puisque de moment en moment
— 117 —
le froid augmente dans le monde, que de moment en
moment la chaleur augmente en nous pour passer
jusqu'à lui ; afin que ce Lazare étant au tombeau ,
s'il devait y descendre , nous eussions assez de vit.
pour lui et pour nous, assez de larmes pour le pleu-
rer, assez de puissance pour jeter ce grand cri : La-
zare, quoique mort, entends la voix qui ressuscite,
et sors du tombeau I
VINGT-SIXIEME CONFERENCE
DE LA RELIGION COMME PASSION ET VERTU DE L HUMANITE
Monseigneur ,
Messieurs ,
L'humilité, la chasteté, la charité, sont les trois
vertus cardinales introduites dans le monde par la
doctrine catholique. Je les appelle cardinales non-
seulement à cause de leur importance propre, mais
parce qu'elles entraînent à leur suite d'autres ver-
tus, telles, par exemple, que l'obéissance, la péni-
tence, la pauvreté, vertus nouvelles aussi qui, toutes
ensemble, transforment le cœur du chrétien, et qui,
atteignant jusqu'aux vertus purement morales, leur
donnent dans son âme une plus heureuse et plus
forte expression. Mais ces trois vertus, mères et maî-
tresses , ne sont pas pourtant à la première place ;
— 120 —
elles découlent elles-mêmes d'une autre qui est leur
principe, et dont il est nécessaire que je vous entre-
tienne maintenant, sous peine de vous cacher la
cause active de tous les effets produits dans l'âme
parla doctrine catholique. Cette cause active, cette
vertu primordiale, c'est la religion.
La religion est le commerce positif et efficace de
l'homme avec Dieu. A la différence de l'humilité, de
la chasteté et de la charité , qui ne sont que des ver-
tus , la religion est tout ensemble une passion et une
vertu , la plus grande passion et la plus grande vertu
de l'humanité , passion que la doctrine catholique
seule satisfait, vertu que la doctrine catholique seule
produit. Cet énoncé , Messieurs , en vous révélant le
profond et spacieux sujet qui nous reste à traiter
cette année, pourra vous étonner, car il me semble
contradictoire dans les termes. Qui dit passion dit
faiblesse , qui dit vertu dit force : soutenir que la re-
ligion est la première passion de l'humanité, et qu'elle
en est la première vertu , n'est-ce pas soutenir deux
choses qui s'excluent par une manifeste contradic-
tion? Et pourtant cela est. Non-seulement cela est,
mais c'est le nœud de toute l'histoire de la religion
dans le monde. Quiconque ne la considérera que
comme une passion, ou ne la considérera que comme
une vertu , ne démêlera pas le fil des destins de l'hu-
manité.
J'établirai donc avant tout cette duplicité de na-
ture de la religion , savoir, qu'elle est une passion et
une vertu. Plus tard je montrerai qu'elle est une
vertu réservée à la doctrine catholique, et je tirerai
— 121 —
les conclusions dont je vais poser les premières pré-
misses.
L'homme naît entre trois foyers de vie : la nature,
l'humanité, Dieu. Sa naissance n'est que l'acte par
lequel il est plongé dans cette triple atmosphère res-
pirable, l'atmosphère de la nature, l'atmosphère
de l'humanité, l'atmosphère de Dieu. Sa naissance
l'y plonge, son développement l'y baptise, et cela-,
dans tous les lieux et dans tous les temps, soit qu'il
tombe sous le règne de la plus pure révélation ou
sous la nuit de la superstition la plus corrompue.
Dès qu'il naît et se développe, il est en rapport né-
cessaire avec ce triple foyer par son intelligence,
par son cœur et par ses sens. Il est en rapport
avec la nature par son intelligence, en y puisant
la connaissance des faits et des lois qui constituent
les sciences physiques; par son cœur, en subis-
sant les attraits qu'elle contient; par ses sens, en
aspirant et en s'identifiant toutes ses émanations.
Il est, sous tous ces mêmes aspects, mais d'une
manière plus élevée, en rapport avec l'humanité;
car l'humanité lui donne la science morale et sociale,
lui inspire un amour de dévouement pour des êtres
semblables à lui, et, par un travail aussi perma-
nent qu'universel, nourrit, fortifie et embeUit son
corps.
Il en est de même de Dieu : il saisit l'homme par
une certitude et une action auxquelles il ne saurait
pas plus échapper qu'à l'humanité et à la nature. La
certitude de Dieu, de l'humanité et de la nature,
sont pour l'homme trois fois contemporains et égaux.
— 122 -
Il n'a pas plus besoin de se démontrer l'existence de
Dieu , qu'il n'a besoin de se démontrer l'existence de
la nature et de l'humanité, et tout raisonnement qui
met Dieu en doute, a la même valeur scientifique
contre la nature et Thumanité. Seulement, on con-
naît plus ou moins bien Dieu , comme on connaît plus
ou moins bien la nature et l'humanité. Ce n'est pas
sous le rapport de la certitude que les temps diffè-
rent, mais sous le rapport de la connaissance; et
quand Dieu se révèle mieux qu'auparavant, ce n'est
pas une certitude plus haute de lui qu'il apporte,
mais une manifestation plus étendue de sa nature,
de ses œuvres et de sa personnalité. Si nous n'avions
pas la certitude primitive de Dieu , de la nature et de
l'humanité, inséparablement liés entre eux, nous ne
nous y élèverions jamais, parce que toute réalité
manquerait à la fois sous nos pieds. Le raisonnement
peut bien défendre et confirmer cette certitude triple
et une, il ne la crée pas. Dans tous les cas, quelle
que soit la mauvaise volonté de l'homme, il est en rap-
port nécessaire avec l'idée de Dieu ; qu'il fasse ce
qu'il voudra, l'idée de Dieu lui apparaît malgré lui.
Elle est au monde; le spectre en est dressé devant
lui, il a des yeux, des mains, une bouche; on peut
bien lui dire : Non ; on peut bien lui dire : Va-t'en ;
mais en lui disant : Non, on répond à sa parole; en
lui disant : Va-t'en, on répond à sa présence. La né-
gation affirme , et la répulsion atteste. On ne prend
la peine de nier qu'une chose qui vit ; on ne repousse
que ce qui ouvre notre porte à pleins battants ou à
demi-battants , et qui trouble notre repos par un vi-
— 123 —
sage importun. On ne chasse que ce qui est entré.
Et si l'on nie Dieu, c'est qu'il vit dans le monde; si
on le repousse, c'est qu'il est présent; si on le chasse,
c'est qu'il est entré. Et cette vie, cette présence,
cette entrée de Dieu dans l'humanité prouvent qu'il
est; car s'il n'était pas, d'où viendrait cette posses-
sion de l'humanité par son idée? Je dis possession :
car il n'en est pas de cette idée comme de tant d'au-
tres qui apparaissent pour s'évanouir, qu'un homme
introduit dans le monde et qu'un autre en bannit,
idées éphémères qui ont leur berceau dans un livr^
et leur tombeau dans une bibliothèque. L'idée de
Dieu n'a ni commencement ni fin ; quand on la chasse
par l'orient, elle revient par l'occident, ou plutôt
elle ne cesse d'habiter à la fois tous les points du
temps et de l'espace ; aussi puissante par la négation
que par l'affirmation , vivant de ses ennemis comme
de ses adorateurs, plus active même, plus servie,
plus triomphante quand elle est combattue, qu'aux
jours où, paisible maîtresse des esprits, sœur et con-
citoyenne de tous, elle jouit d'un empire qui n'est
pas contesté.
Le rapport idéal n'est pas le seul que l'homme ait
nécessairement avec Dieu ; nous touchons à lui par
le cœur comme par l'intelligence; nous l'aimons,
nous le haïssons. Car Dieu a encore ce privilège,
c'est qu'on n'est guère à demi à son égard : il suscite
la haine quand il ne suscite pas l'amour. Vous vous
étonnez quelquefois , chrétiens , d'être haïs ; vous
n'avez donc jamais songé à ce que vaut pour Dieu
le témoignage de la haine? Car quelle peut être la
— 124 —
raison de haïr Dieu? Qu'y a-t-il de haïssable dans
l'idée de Dieu? Qu'y a-t-il de haïssable dans l'idée
de quelques hommes qui se réunissent pour le prier?
Qu'y a-t-il de haïssable dans un temple qu'on a
bâti sur cette idée? Qu'y a-t-il de haïssable dans
tout ce qui nomme, prouve et honore Dieu? Rien,
assurément, si ce n'est la crainte, et par conséquent
la certitude qu'on a de lui ; si ce n'est l'importunité
de cette impuissance qui ne nous laisse pas d'asile
contre elle, et nous poursuit jusque dans la con-
science par un reproche dont nous sommes le com-
plice.
J'ajoute que nous sommes en rapport avec Dieu
même par nos sens. Quand nous souffrons, à qui
demandons-nous secours ? Qui rafraîchit la poitrine
du pauvre? qui essuie ses sueurs? Qui soutient
et console l'humanité dans ses infinies misères?
C'est l'idée de Dieu. Le pauvre, au coin de la rue,
dans les pays où il n'est pas chassé de la rue, de-
mande, au nom de Dieu, le pain qui lui manque. Il
sait que le Dieu qui nourrit son intelligence et son
cœur, est aussi le Dieu qui fait mûrir les moissons
et qui donne leur pâture aux oiseaux du ciel. Son
nom prononcé a une efficacité pour obtenir, et
une efficacité plus mystérieuse encore pour désar-
mer intérieurement le besoin d'une partie de son
aiguillon. Dieu est visiblement , sous tous les
points de vue, la grande puissance et la grande ri-
chesse de l'humanité, et c'est pourquoi la passion de
l'humanité est de se mettre avec lui dans un rapport
positif et efficace, rapport qui constitue la religion.
— 125 —
Mais vous me demanderez, Messieurs, ce que
j'entends par un rapport positif et efficace avec Dieu,
et il est nécessaire, en effet, qu'avant d'aller plus
loin, je définisse ces expressions.
Un rapport avec un foyer de vie est positif lorsque
nous en tirons réellement la vie. Ainsi, nos rapports
avec la nature et l'humanité sont positifs , parce que
nous en tirons réellement la vie de l'intelligence,
du cœur et du corps. Un rapport avec un foyer de
vie est efficace , lorsque notre vie personnelle , en-
tretenue à cette source , s'élève au niveau du foyer
où nous la puisons. Ainsi, pour que nos rapports
avec la nature soient efficaces, il faut que notre vie
se naturalise, c'est-à-dire s'élève à la hauteur des
forces et des lois qui constituent la nature; et, de
même, pour que nos rapports avec l'homme soient
efficaces, il faut que notre vie s'humanise, qu'elle
échappe à l'égoïsme de la solitude, et ne fasse plus,
avec la vie de nos semblables, qu'une seule unité.
En appliquant cette définition au commerce de
l'homme avec Dieu, ce commerce sera positif si
l'homme tire réellement de Dieu la vie de son intel-
ligence, de son cœur et de ses sens; il sera efficace,
si la vie propre de l'homme s'élève par ce com-
merce jusqu'à se diviniser. Et par conséquent la re-
ligion n'est autre chose qu'une communion de vie
avec Dieu.
La chose ainsi définie, j'affirme que l'humanité a
la passion de la rehgion , la passion d'un commerce
positif et efficace avec Dieu. Je sais que plusieurs me
le nieront ; plusieurs croiront faire une phrase spiri-
- 126 —
tuelle en disant qu'ils n'usent pas de Dieu. C'est un
langage connu. Mais je remarque d'abord que c'est
un hngage moderne. L'antiquité ne nous présente
rien de semblable; cette phrase est d'une époque où
Dieu est devenu plus manifeste et plus puissant que
jamais, et l'antiquité, qui avait la certitude de Dieu
sans en avoir une connaissance claire et exacte ,
l'antiquité n'a pas dit ce mot-là. Elle n'avait pas
assez vu Dieu pour le mépriser; elle n'en jouissait
pas assez pour qu'il lui fût devenu importun. Elle
le cherchait comme une chose encore éloignée, et
quand on cherche ce qui manque, on ne le maudit
pas, on ne le flétrit pas. Mais le jour vint où Dieu
se donna, où il s'épancha comme l'eau, où il dit
à l'humanité : Viens et touche-moi, mets ta main
dans mon côté et ton doigt dans mes plaies ; me
voici petit, pour que tu me manies; caché, pour
que tu me voies. Quand Dieu eut dit cela, quand
il se fut proportionné à l'humanité, et qu'il eut
coulé à pleins bords dans tout son être, alors quel-
ques hommes épars se sont estimés plus grands
que lui. Mais qu'est-ce que la parole d'un homme,
et d'un homme blasé sur Dieu? C'est un caprice,
plus souvent encore un sommeil de l'âme voisin de
l'idiotisme. Un homme naît dans un métier; attaché
à cette glèbe dès l'enfance, il a le malheur de ne pas
recevoir la révélation d'une plus haute vie; il arrive
à grandeur d'homme toujours absorbé dans une mo-
notone et vile ambition, sans s'apercevoir que quel-
que chose lui manque, et sans que la société lui
jette de Dieu, à travers sa porte, un bruit assez vio-
- 127 —
lent pour l'ébranler. C'est un malheur, il faut le
plaindre, mais n'en rien conclure qui retombe sur
l'humanité.
L'humanité a la passion de s'unir à Dieu par un
rapport positif et efficace; car une passion n'est autre
chose qu'un besoin vivement senti, qu'un attrait in-
vincible qui nous pousse vers un objet, pour faire de
notre vie la sienne et de sa vie la nôtre. Or tel est le
penchant de l'humanité vers Dieu , penchant si visi-
ble, qu'il remplit toute l'histoire, et que la religion
partout et toujours désigne la principale et la plus
auguste activité des nations. Que ne font-elles pas
pour Dieu? Elles lui bâtissent des temples pour qu'il
vienne y habiter, elles lui font des sacerdoces pour
le représenter, elles s'assemblent pour l'honorer par
des sacrifices, elles lui adressent des prières publi-
ques et solennelles, elles se placent sous sa protec-
tion par des décrets, elles le mettent en part de tous
les événements heureux et malheureux. Quelle
étrange et perpétuelle fraternité entre l'homme et
Dieu, non pas l'homme privé seulement, mais
l'homme arrivé au nom et à la puissance de nation !
Écoutez bien, Messieurs, les pas de l'humanité dans
le monde : migration de peuples, fondation d'em-
pires, dynasties naissantes, guerre et paix, révolu-
tions sociales, chutes et avènements, quoi qu'il ar-
rive, Dieu y est ostensiblement. Il part, il s'arrête,
il monte et redescend avec l'humanité, inséparable
compagnon de ses destinées , soldat et convive , vain-
queur et vaincu, toujours récherché, toujours es-
péré, toujours présent. Que pouvions-nous de plus
— 128 —
pour lui? Quelles adorations et quel sang lui avons-
nous refusés? Aujourd'hui même encore, après un
siècle d'efforts pour chasser cet hôte de soixante
siècles, que faisons-nous? Nous redressons ces au-
tels abattus ; nos plus grands hommes lui deman-
dent leurs victoires, et nos plus grands écrivains lui
consacrent leur génie. Il y a trente ans, quand les
princes du monde se partageaient l'Europe, ils ne
tenaient aucun compte de Dieu dans leurs traités de
paix, ils le croyaient banni pour toujours des hautes
transactions de la souveraineté : et voici que, d'un
bout de l'Europe à l'autre, le bruit des questions re-
ligieuses les avertit que l'humanité n'est pas chan-
gée, et que Dieu est toujours sa première, sa plus
haute et sa plus vaste passion.
Si vous voulez sortir de cette considération géné-
rale et regarder l'homme de plus près encore dans
ses rapports avec Dieu , je le veux bien. Quelles sont,
vous demanderai-je , les trois races qui représentent
le mieux l'humanité, l'une au point de vue de l'in-
telligence, l'autre au point de vue du cœur, la troi-
sième au point de vue des sens? Quelles sont-elles ?
Évidemment, pour l'intelligence, c'est le philoso-
phe; pour le cœur, c'est la femme ; et pour les sens,
c'est le peuple.
Le philosophe , de quoi s'occupe-t-il ? Ce n'est pas
de sciences, d'arts, de politique, toutes choses se-
condaires et petites pour lui ; le philosophe a un
objet unique et constant de sa pensée, à quoi il rap-
porte tout, et c'est l'infini, c'est-à-dire Dieu sous un
nom abstrait et général. Il en recherche assidûment
— 129 —
la nature et les lois, et alors même qu'il torture l'in-
fmi pour en tirer quelque chose qui ne soit pas Dieu,
encore n'est-ce qu'un déguisement sous lequel il le
cache, sans pouvoir empêcher que sa vie intellec-
tuelle ne soit un rapport permanent avec ce monde
invisible et suprême que toute la terre appelle Dieu.
Ce rapport est faux peut-être; le philosophe ne veut
pas de Dieu comme tout le monde , et il s'égare en
se séparant de la tradition pour se fier à son esprit ;
il donne à Dieu un vêtement de fantaisie ; mais c'est
toujours Dieu qui fait le fond de ses spéculations.
Qu'il taille et qu'il rogne l'infmi comme il voudra, sa
passion ne le porte pas moins à s'élever plus haut
que la nature visible, et à chercher l'aliment vital de
son génie dans ce lointain mystérieux qui n'a de réa-
lité que par le nom et l'idée de Dieu. Quand Phidias
sculptait son Jupiter Olympien, c'était sans doute
une idole impuissante et mensongère qui sortait de
ses mains, et pourtant l'idée de Dieu perçait dans le
marbre et y répandait une majesté qui appelait les
adorations de l'univers. Ainsi, le philosophe, même
quand il substitue au Dieu véritable une idole de sa
création, rend témoignage encore au mouvement qui
porte l'intelligence vers les régions qu'habite la Di-
vinité.
Quant à la race qui représente le cœur de l'huma-
nité , nul ne conteste sa tendance naturelle vers la
religion. On se sert même de cette observation pour
porter l'homme à s'éloigner de Dieu ; on lui dit avec
un faux respect : Cela est bon pour des femmes. Oui,
cela est bon pour des femmes, j'accepte l'expression,
— 130 —
je m'en réjouis. Car la femme étant le cœur de
l'homme à son plus haut degré de délicatesse et de
sensibilité, son témoignage est celui de l'homme
même, en tant qu'il est capable d'amour et de dé-
vouement. Et s'il fallait choisir entre le témoignage
du philosophe et celui de la femme , quelque grande
que soit la révélation du génie , je mettrais plus haut
encore la révélation du cœur ; et s'il fallait dresser
des autels à quelque chose d'humain, j'aimerais
mieux adorer la poussière du cœur que la poussière
du génie. La femme religieuse, Messieurs, ne l'ou-
blions jamais, elle a reçu le don de croire et d'aimer,
et en appliquant à Dieu sa foi et son amour, elle
prouve que votre propre cœur, qui est né du sien,
qui fait partie du sien, est aussi naturellement reli-
gieux.
C'est ce qu'affirme à son tour le peuple, ce grand
représentant de l'humanité sous le rapport des sens.
Le peuple est religieux ; non pas comme ses maîtres
voudraient qu'il le fût, en prenant la religion comme
un frein que l'on met à un coursier indompté ; il en
rougirait! Il prend la religion comme un besoin,
comme une honorable passion de sa nature; et en-
core que l'on cherche à déshonorer sa foi , en disant
que c'est la foi du peuple, il la protège de sa pau-
vreté, de son travail et de sa majesté. 11 se dit : Moi
pauvre, moi peuple, je ne suis pas déshérité du
grand, je ne suis pas déshérité du sublime. Lon-
gin..., il ne connaît pas le nom de Longin, mais moi
je parle pour lui et je connais Longin. Longin a dit :
Le sublime, c'est le son que rend une grande âme;
— 131 —
et le peuple, Messieurs, n'a pas renoncé à rendre ce
£oii-là, il n'a pas renoncé à la joie du sublime, et
comme il ne peut pas l'être par le monde, comme le
monde refuse à son intelligence et à son cœur les
occasions de l'être, il se dilate d'autant plus pour
proclamer le Dieu qui l'élève, qui le bénit, qui lui
dit : Moi, je suis ton frère et ton égal, n'aie pas
peur.
Ainsi donc, philosophe, femme, peuple, l'intelli-
gence à son plus haut degré, le cœur à son plus haut
degré, les sens à leur plus haut degré , tous les trois
cherchent Dieu, veulent Dieu, sont passionnés pour
Dieu. Et pourquoi? Vous me demandez pourquoi,
n'est-il pas vrai? Ah ! pourquoi? c'est que votre âme
est plus grande que la nature, c'est qu'elle est plus
grande que l'humanité, c'est qu'elle épuise en quel-
ques quarts d'heure de vie tout le monde qui n'est
pas Dieu; et, comme l'âme a horreur du vide, quand
le vide se fait en elle , quand un jour ou l'autre l'es-
prit du savant s'ennuie de ramasser des coquillages
pour en faire des systèmes, quand la femme se lasse
d'infidélités, quand le peuple regarde ses bras flétris
dans un travail qui périt chaque soir, quand pour
tous le néant de l'univers est à l'état palpable, quand
l'âme enfin n'est plus qu'un océan sans eau, son hôte
naturel y vient, et c'est Dieu. Notre grandeur fait en
nous le vide , et le vide nous donne la faim de Dieu,
de la même manière que , par le mouvement de la
vie , nos entrailles étant arrivées à ce même senti-
ment que nous appelons le vide, elles ont besoin
d'un commerce positif et efficace avec la nature , qui
— 132 —
répare leur inanité. C'est le même phénomène, mais
clans une région plus haute; et, en définitive, de
même que nous communiquons avec la nature et
l'humanité par la faim et par la soif, de môme nous
communiquons avec Dieu par une faim et une soif
sacrées , non pas , comme l'a dit Virgile , auri sacra
famés , mais Dei sacra famés!
Toutefois, Messieurs, par un autre côté, la reli-
gion, qui est une passion de l'humanité, en est aussi
une vertu; je dois vous expliquer comment.
La vertu, nous l'avons déjà dit, est une force de
l'âme qui accompli le bien. Or si pour désirer Dieu
il n'est pas besoin de force ; si pour sentir notre vide
et y appeler quelque chose de plus puissant que la
nature et que l'humanité , il n'est besoin que de se
laisser aller; si Dieu, qui est le plus riche des êtres,
nous cause aisément une passion , cependant , sous
un autre point de vue , en tant que notre commerce
avec Dieu doit être efficace, en tant qu'il est néces-
saire que nous divinisions notre vie pour être réel-
lement en communion avec Dieu, là, Messieurs,
notre infirmité se déclare et nous trahit. Tant que
nous ne faisons que tendre la main à Dieu , cela va
bien ; mais Dieu est pesant à porter. Souvenez-vous
de l'histoire de saint Christophe. Saint Christophe
avait voué sa vie à passer au bord d'un torrent les
voyageurs. Par une nuit d'orage, il entend frapper
à sa porte, il ouvre, il voit un enfant nu et transi qui
demande à passer. Le géant le presse d'achever la
nuit dans sa cabane, lui représente le vent, la tem-
pête, l'obscurité; l'enfant insiste, il veut passer.
— 133 —
Christophe; fidèle à son vœu, le prend sur ses épau-
les et se hasarde à travers les flots et les rochers ;
mais , à mesure qu'il s'avance , son fardeau semble
s'accroître ; il devient intolérable ; le géant s'arrête
et dit à l'enfant : « Mais sais-tu bien que tu es de-
venu pesant comme un monde? — Ne t'étonne pas,
répond l'enfant, car tu portes Celui qui a fait le
monde. »
Ainsi, Messieurs, en est-il de Dieu quand il s'agit
d'unir notre vie à la sienne, non plus seulement par
un besoin et un désir, mais par une efficace réalité .
par une transformation de notre être à la splendeur
du sien. Il est facile à Prométhée d'aspirer au ciel'
et de porter la main sur le feu sacré ; mais prends
garde, Prométhée, le feu brûle quand on y touche.
Dieu est la lumière et la sainteté infinies ; ce n'est
pas peu de chose de s'en approcher avec une intelli-
gence faible , un cœur corrompu , une chair stigma-
tisée par les passions. Ce n'est pas peu de chose de
recevoir Dieu dans son intelligence, dans son cœur
et dans ses sens, et de mêler deux natures aussi dis-
proportionnées dans une réelle communion. Cette
œuvre appelle une force énergique, une vertu tout
à fait sublime , qui sache soumettre l'esprit de
l'homme à l'esprit de Dieu , sans que l'esprit de
l'homme perde sa personnalité et sa liberté; qui
transporte le cœur jusqu'à l'amour de l'invisible, et
l'y retienne dans une joie sans substance et sans
corps ; qui abaisse les sens , les châtie et les immole,
afin que leur poids n'incommode pas l'ascension de
l'âme vers les inaccessibles hauteurs de la Divinité.
4*
— 134 —
Quel prodige! et ce prodige, il faut qu'il s'accom-
plisse : plongé que nous somraes dans la nature et
l'humanité, garrottés et souillés par leur contact, il
fautque nous marchions, Dieu dans notre maindroite,
et le monde dans notre main gauche, sacrifiant
sans cesse le monde et le portant toujours. Certes ,
cela est difficile, c'est exiger de l'homme quelque
chose de plus qu'humain; et pourtant le commerce
efficace avec Dieu est à ce prix. Sans cette transfi-
guration douloureuse, la religion n'est qu'une affaire
de mendiant qui demande l'aumône, et qui la laisse
tomber parce que sa main est trop lâche pour en
soutenir le poids.
J'entends tous les jours des gens qui disent : Si la
rehgion est si manifeste et si bien étabUe, pourquoi
ne suis-je pas religieux? Pourquoi ne vois-je pas la
vérité de la religion? Écoutez la réponse : Vous
n'êtes pas religieux par la même raison que vous
n'êtes pas chaste : vous n'êtes pas chaste, parce que
la chasteté est une vertu, et vous n'êtes pas reli-
gieux, parce que la religion est une vertu. Vous
imaginez-vous que la religion soit une science qu'on
apprend et qu'on exerce comme les mathématiques?
Eh ! Messieurs, si la religion n'était qu'une science,
il suffirait pour être religieux d'avoir dans sa cham-
bre un tableau noir et un morceau de craie blanche
pour barbouiller des équations algébriques. La reli-
gion, il est vrai, est une équation à résoudre, mais
une équation entre l'homme et Dieu, entre la misère
et la richesse, entre les ténèbres et la lumière, entre
la sainteté et la corruption, entre le fini et l'infini,
— 135 —
entre le néant et l'être absolu. Et cette équation ter-
rible, on ne la résout pas avec l'esprit; on ne la ré-
sout qu'avec la vertu, non pas même avec la vertu
qui fait les sages et les héros du monde, mais avec
la vertu de Dieu , acceptée de nous , fruit de notre
coeur et du sien, incompréhensible hyménée qui est
sous vos yeux, qui vous parle, et que vous n'enten-
dez pas dans l'inexprimable recherche qu'il fait de
vous, parce que vous êtes arrêtés par une trible fai-
blesse qui vous enivre de vous-mêmes : faiblesse
d'esprit , faiblesse de cœur, faiblesse des sens.
Faiblesse d'esprit , qu'est-ce que c'est? Un homme
est frappé contre Dieu du premier phénomène venu ;
il voit, par exemple, plusieurs cultes dans le monde,
et il se dit : S'il y avait une vraie religion sur la
terre, il n'y en aurait évidemment qu'une seule.
Cette pensée lui suffit; il a barre contre Dieu, il
n'en reviendra jamais. L'infortuné ne comprend pas
que la multitude même des cultes démontre à satiété
la nature et le but religieux de l'homme, et que
l'homme ne saurait être né religieux sans que cet
acte de naissance soit l'acte authentique de la divi-
nité même de la religion. Il ne comprend pas que
l'homme, à la fois libre et religieux, poussé vers
Dieu par un besoin qui est une passion , éloigné de
lui par une sorte d'horreur de sa perfection, partagé
entre ces deux sentiments contraires et cherchant à
les unir, se créé de Dieu des idées et des cultes à sa
portée, l'adore et le meurtrisse tout ensemble, lui
dise : Reste et va-t'en. Les faux cultes , Messieurs,
ne sont qu'une transaction entre ces deux mouve-
— 136 —
menls de l'homme à l'égard de Dieu , et rien peut-
être ne prouve davantage l'indispensable vérité de la
religion, que ce spectacle de l'humanité aimant mieux
déshonorer Dieu que de se passer de commerce avec
lui. Eh bien! un homme raisonnable, un savant, un
profond politique passera sa vie, cette vie grosse de
l'éternité , il la passera sans religion, sous la sauve-
garde de cette misérable idée que je viens de dire, et
que je suis forcé d'appeler un idiotisme, plus qu'un
idiotisme, puisqu'elle prouve justement ce qu'il veut
nier, la nécessité et la vérité de la religion. 11 tom-
bera de là un jour, avec ce seul appui, dans la lu-
mière divine, où ce qui l'étonncra le plus sera
d'avoir péri par une démonstration qui devait le
sauver.
Faiblesse de cœur, autre cause qui arrête l'homme
et l'empêche d'entrer dans un rapport positif et effi-
cace avec Dieu. Il est dans un de ces deux états : il
aime encore, ou il n'aime plus. Quand il aime, il est
séduit par cette légère flamme qui sort de son cœur,
comme on voit, dans les cimetières, une lueur qui
brille un moment sur la tombe des morts. Il croit à
cet amour fragile, et il lui sacrifie l'amour éternel,
sans se douter que Dieu communique à nos affec-
tions , quand elles sont réglées et pénétrées par son
amour, un charme qui les épure et les fait durer. Ou
bien il n'aime plus , et le désenchantement de la
créature, au lieu de le tourner vers Dieu, étend jus-
qu'à lui les causes qui ont desséché son cœur. Il
n'entend plus la langue qu'il a parlée ; quand on lui
dit que Dieu nous a aimés jusqu'à souffrir pour
— 137 —
nous , ce lui paraît un songe d'enfant ; ces nouvelles
de l'amour, venues de l'étranger, le trouvent sans
souvenir et le laissent sans espoir; la persuasion n'a
plus lieu chez les morts.
Reste dans la faiblesse des sens une troisième et
plus puissante cause de notre incapacité religieuse.
Je n'en dirai qu'un mot, tant il vous est facile de
suppléer à ce que je ne dirai pas. Qui croirait que
l'homme s'éloigne de Dieu pour épargner à ses sens,
je ne dis pas les grands sacrifices, mais de légères
privations? Qui croirait que le jeûne et l'abstinence
sont des raisons contre Dieu? Il en est ainsi pour-
tant, Messieurs; et cette simple observation doit
vous faire comprendre quelle force il faut à l'homme
pour entrer en communion avec Dieu , puisque de
semblables misères sont pour lui déjà une difficulté.
Autant donc il est vrai que l'humanité tend vers
Dieu par un besoin réel et profond , par une passion
qui remplit le monde de ses efforts, autant il est vrai
que cette passion n'arrive à l'efficacité que par la
vertu.
La religion est tout à la fois passion et vertu , la
plus haute passion de l'humanité et sa plus haute
vertu, également, remarquable quoique diversement,
soit qu'elle subjugue l'âme sans la transfigurer, soit
qu'elle la transfigure et la divinise en effet. Et par
là il vous est découvert pourquoi elle est tant aimée
et tant haïe, dénaturée souvent, et détruite jamais.
Si elle n'était qu'une vertu, elle périrait aisément
avec la vertu ; si elle n'était qu'une passion , elle
succomberait dans l'impuissance du bien. Elle se
— 138 —
sauve et se maintient par ces deux forces, Dieu
ayant voulu que l'humanité ne pût en aucun temps
et en aucun lieu rompre totalement avec lui. Com-
bien sont donc vains et dignes de pitié ceux qui s'en
font les ennemis! Les insensés! ils croient n'avoir à
combattre qu'une vertu, ils trouvent une passion ; ils
croient n'avoir à combattre qu'une passion , ils trou-
vent une vertu ; ils croient les séparer du moins , et
les deux têtes de l'hydre divine se dressent ensemble
pour leur révéler qu'entre Dieu et l'humanité c'est à
jamais.
VINGT-SEPTIEME CONFERENCE
DE L IMPUISSANCE DES AUTRES DOCTRINES
A PRODUIRE LA RELIGION
Monseigneur ,
Messieurs ,
La religion, avons -nous dit, est le commerce po-
sitif et efficace de l'homme avec Dieu , et elle est
tout ensemble une passion et une vertu de l'huma-
nité : une passion , en tant que l'humanité est entraî-
née vers Dieu par une attraction constante et uni-
verselle; une vertu, en tant que, malgré cette
attraction, il en coûte à l'humanité de grands efforts
pour entrer dans ce commerce positif et efficace
avec Dieu. J'ajoute aujourd'hui que la doctrine ca-
tholique seule produit ce commerce positif et efficace
avec Dieu , que nous appelons du nom de religion ;
— 140 —
toute autre doctrine aboutit nécessairement à l'une
de ces deux catastrophes : à la catastrophe de la su-
perstition ou à la catastrophe de l'incrédulité. La su-
perstition est un commerce de l'homme avec Dieu
entaché d'inefficacité , d'immoralité et de déraison ;
l'incrédulité est une rupture désespérée de tout com-
merce de l'homme avec Dieu. Quand l'homme veut
faire de la religion sans le secours de la raison , il
tombe immédiatement dans la superstition, et s'il
veut faire de la religion avec la raison , il tombe iné-
vitablement dans l'abîme de l'incrédulité. En sorte
que Dieu, le fondateur de la religion unique et véri-
table, s'est placé et a placé l'homme dans ses rap-
ports avec lui entre Gharybde et Scylla,unCharybde
divin et un Scylla divin , et quiconque ne navigue
pas sur le vaisseau dont Dieu est le capitaine et le
pilote , celui-là sombre par un triste naufrage à l'un
de ces deux écueils. C'est là. Messieurs, mon thème
d'aujourd'hui.
Quand nous regardons les cultes divers disséminés
dans le monde , il en est plusieurs qui ne nous pa-
raissent liés à la doctrine cathoUque par aucune re-
lation, bien qu'en réalité, à une époque plus ou moins
éloignée, ils soient sortis de ce tronc commun; car
l'erreur n'est qu'une feuille tombée de l'arbre de la
vérité et emportée par le vent ; et l'homme est telle^
ment incapable de commercer par lui-même avec
Dieu , que ses inspirations religieuses les plus per-
sonnelles se rattachent toujours à un fonds primitif,
encore que notre œil, dans le sombre jour de l'his-
toire, ne discerne pas bien l'heure où le rameau s'est
— 141 —
f.élaché du tronc, ni la cause de cette séparation.
Quand donc, regardant l'ensemble des cultes reli-
gieux, nous mettons à part , pour les observer, ceux
qui n'ont aucune liaison de parenté visible et recon-
naissable avec la doctrine catholique, nous sommes
frappés d'une chose, c'est qu'à l'extérieur rien ne
paraît les distinguer de nous. Je vois des temples
qui essaient de porter jusqu'à Dieu une magnifique
invitation de l'homme à descendre vers lui; des au-
tels ornés d'images et baignés du sang de l'holo^
causte; des prêtres, des cérémonies, des ablutions,
des processions, mille formes qui ont une apparence
de famille, et semblent confondre tous ces cultes
entre eux, et avec le nôtre, dans une commune ma-
jesté.
Mais quand on ouvre le sanctuaire et que l'on re-
garde au dedans, de la même manière qu'on ouvre
un fruit pour s'assurer si sa saveur répond à sa
beauté; quand, dis-je, on ouvre l'intérieur des
cultes tout à fait étrangers à la doctrine catholique,
qu'est-ce qu'on y trouve? Premièrement, rien. On
n'y trouve rien; car j'appelle rien que de communi-
quer avec Dieu pour rester ce que l'on est, que de
bâtir des temples, d'immoler des victimes, de créer
des sacerdoces, de fonder au sein des nations un
immense appareil, et puis quoi? arriver à rester des
hommes, à n'avoir dans l'intelligence et dans le cœur
rien de surhumain, rien qui annonce autre chose
que la plus vulgaire humanité. Eh! Messieurs, un
simple commerce avec une âme élevée modifie la
nôtre, il nous élève; on ne peut s'approcher des
— 142 —
grands cœurs sans qu'il s'exhale d'eux quelque chose
qui pénètre jusqu'à nous et nous rend plus dignes
de leur contact , et vous voudriez que le commerce
avec Dieu fût inefficace , tout en étant réel ! A quoi
bon alors communiquer avec lui? Qu'est-ce qu'un
but si sublime pour un résultat si nul ? Si l'homme
n'est qu'un homme avec Dieu , qu'a-t-il besoin de le
chercher ? L'effet répond à la cause , et là où je trouve
le rien pour effet, je ne puis conclure à la présence
et au concours de la Divinité, puisque Dieu et le rien
sont parfaitement la négation l'un de l'autre. La
grandeur de l'appareil rehgieux ne fait qu'en rendre
plus sensible le vide intérieur, et l'homme se trahit
d'autant plus qu'il couvre sa misère du nom et des
attributs de Dieu.
Qu'il en soit ainsi, Messieurs, des cultes dont je
parle, que leur inefficacité divine soit un fait avéré
et palpable, je n'ai pas besoin de le démontrer; il
suffit d'en rappeler les noms à votre esprit. En de-
hors de la doctrine cathohque, des affluents et des
rameaux détachés de ce grand fleuve, que reste-
t-il? le brahmisme, le polythéisme, l'islamisme :
noms célèbres à la vérité; mais qui ne désignent
à votre conscience aucune action qui ait élevé le
genre humain plus haut que sa propre nature. En-
core ce défaut d'efficacité n'est-il pas leur premier
malheur.
Par une loi dont il n'est pas difficile de comprendre
la raison, tout culte qui n'élève pas l'homme le dé-
grade ; le commerce avec Dieu est un instrument
trop puissant pour qu'il s'arrête à un résultat néga-
— 143 —
lif. Si Dieu n*attire pas l'homme jusqu'à sa sainteté,
l'homme le fera descendre jusqu'à partager et sanc-
tionner ses plus vils penchants. De là cet étonnant
scandale de cultes employés à la dépravation de
l'homme , scandale sur lequel on ne peut pas se faire
illusion, parce qu'il n'en est pas de l'ordre moral
comme de l'ordre intellectuel. Celui-ci est relatif à
l'infini , sur lequel la discussion est toujours plus ou
moins admissible ; l'autre n'embrasse directement
que nos rapports avec nous-mêmes ou avec nos sem-
blables, rapports simples, sur lesquels l'intérêt nous
éclaire à défaut du sentiment. Eh bien! en exami-
nant le brahmisme , le polythéisme et l'islamisme à
cette lumière de l'ordre moral, que voyons-nous?
Non pas seulement l'homme resté dans sa faiblesse
native, mais l'homme sollicité à la corruption par le
culte même destiné à mêler sa vie avec celle de Dieu,
l'homme trouvant en Dieu un secours infâme pour
tomber plus bas que son esprit et sa chair, ou du
moins pour consacrer toutes les folies de son enten-
dement et tous les délires de ses sens. L'islamisme
même, quoique postérieur à Jésus-Christ, a préci-
pité les mœurs des nations musulmanes, sous cer-
tains rapports, au-dessous des mœurs de l'antiquité.
Tant il est impossible à un culte faux, en quelque
temps qu'il se forme , de ne pas subir cette loi de
l'immoralité , par où Dieu signale tous ceux qui abu-
sent sur les peuples de la force de son nom !
La déraison est le troisième caractère de la super-
stition. Et ici. Messieurs, vous serez peut-être ten-
tés de rétorquer contre moi ce que je disais tout à
— 144 —
l'heure, que, dans l'ordre intellectuel, la discussion
est toujours plus ou moins possible : d'où il suivrait
que le manque de raison serait un signe très-con-
testable de la superstition. Je ne rétracte point ma
pensée, Messieurs; car, bien que partout où l'infini
se trouve présent et engagé, il y ait un champ ou-
vert à la discussion , néanmoins il est une certaine
limite où la déraison devient reconnaissable au pre-
mier coup d'œil. L'esprit qui s'égare dans les nuances
subtiles de la métaphysique n'hésitera pas devant
l'absurde à l'état parfait de nudité. Or c'est cette dé-
raison palpable et bravant l'intelligence, qui est le
troisième caractère de la superstition, et qui saute
aux yeux dans le brahmisme , le polythéisme et l'is-
lamisme. Toutefois, Messieurs , je ne veux pas pren-
dre un à un les livres et les dogmes de ces divers
cultes pour en montrer l'évidente irrationabilité ; cette
marche serait trop longue, et, comme je l'ai déjà
dit, dans le débat entre l'erreur et la vérité religieu-
ses. Dieu a tout abrégé. J'abandonne donc la ques-
tion de la déraison positive; je consens à respecter
l'absurde, d'autant que l'absurde est nécessaire
à trop de gens. Il est un plus grand malheur que
l'absurde peut-être, un plus triste signe que la
déraison positive, c'est la déraison négative, c'est-
à-dire l'impuissance absolue d'une doctrine à se
créer des fondements capables de soutenir une
discussion. Or ce défaut de fondement, cet état de
choses sous lequel on place la main en ne rencon-
trant rien qui le porte, c'est le caractère propre et
manifeste de tous les cultes qui n'ont aucune espèce
— 145 —
de connexion avec la doctrine catholique. Je vous
propose, Messieurs, un curieux et salutaire exer-
cice de la pensée : c'est , en réfléchissant au brah-
misme , au polythéisme, à l'islamisme, de faire
un effort consciencieux pour leur donner une base
quelconque : vous n'en viendrez certainement pas à
bout.
Quand le christianisme se trouva face à face avec
le polythéisme, doctrine contre doctrine, peuple
contre peuple , dans ce drame si sérieux , si terrible
et sanglant, toutes les fois qu'il s'agissait de discu-
ter, le christianisme était dans l'impuissance de faire
autre chose que de rire. Nos apôtres et nos apolo-
gistes passaient en riant à côté de cet établissement,
si prodigieux par sa force matérielle , entré dans le
sang des nations, et devenu partie intégrante de
leurs lois, de leurs mœurs, de leurs arts, de leur
gloire et de tous leurs souvenirs. Malgré cette for-
midable existence, la discussion était impossible, et
le raisonnement ne s'élevait jamais plus haut que la
pitié. On vit clairement cette privation absolue de la
substance logique, lorsque l'empereur Julien, homme
d'esprit s'il en fut jamais, voulut à toute force res-
susciter le polythéisme expirant. Certes, l'œuvre
était grande, l'homme puissant : on allait voir enfin
la doctrine païenne se soutenir et se raviver par le
génie : que fît Julien, pourtant? Pour sa part per-
sonnelle , il se présentait fréquemment dans les tem-
ples; il offrait des sacrifices, remuait des encensoirs,
rangeait en procession des prêtres qu'il avait dotés
plus richement : il replâtrait des autels , redorait des
III. — 5
— 146 —
statues; et quelquefois, arrivé avec toute la pompe
de sa cour dans une ville célèbre par le culte des
dieux, attendant un spectacle digne de sa pensée et
de la religion dont il apportait avec lui les dernières
ressources, il trouvait, comme il s'en est plaint lui-
même dans une de ses lettres, un sacrificateur ap-
portant modestement aux autels abandonnés une
oie! Ce pauvre et spirituel homme, à part une per-
sécution déguisée et une invitaticn stérile à imiter
les vertus des chrétiens, n'imaginait rien de mieux
que des cérémonies contre une doctrine propagée
par des légions d'apôtres, d'écrivains et de martyrs.
La part de ses amis, les rhéteurs et les philosophes,
était plus triste encore que la sienne, parce qu'ils
n'avaient pas même l'audace de sa foi. Ils ne disaient
pas : Oui , nous croyons à Jupiter ; oui , nous croyons
à Mars, à Mercure, à Apollon; que demeurent éter-
nellement sur le sol du monde, par la seule force
d'eux-mêmes , ces divinités de nos aïeux ; nous les
reconnaissons, nous les vénérons, nous nous incli-
nons devant la foi des nations qui les ont adorées
depuis le commencement ! Ils ne disaient pas ainsi ;
ils n'osaient aller franchement et courageusement à
rencontre de l'absurde, et l'appuyer à tout le moins
de la magnanimité de leur adhésion. Ils n'osaient
faire ce que nous faisons aujourd'hui, nous autres
chrétiens, qui sommes, à notre tour, accusés d'ab-
surdité ; nous ne renions pas le Dieu trois fois saint
tombé du ciel pour nous, et tombé plus bas que ja-
mais ni Jupiter, ni Apollon, ni Mercure, puisqu'il
est tombé sur la croix. Nous le reconnaissons comme
— 147 —
cela, nous le vénérons comme cela, nous l'aimons
comme cela ; nous nous chargeons volontiers pour
lui de tout le mépris de l'univers, et le défendons
contre ses ennemis, depuis dix-huit cents ans, par
la constance de notre inexorable adoration.
Voilà la force, voilà comment se soutient ou se re-
lève un culte, et non, comme faisaient du polythéisme
les philosophes alexandrins, par une philosophie qui
en désavouait l'existence et la nature. Vous médirez
peut-être que moi-même j'appelle la philosophie au
secours delà rehgion; mais c'est une philosophie
qui accepte toute la vérité du dogme , qui l'affirme ,
qui n'en répudie rien et qui n'en élude rien. Et même.
Messieurs, ce n'est pas une philosophie. Je ne pose
pas la religion sur un système éclos dans la tête d'un
homme, et qui passera plus vite encore que lui; je
la pose sur le sens commun et sur les réalités palpa-
bles de ce monde. C'est là toute mon armure, en y
ajoutant le cri de la foi. Devant vous, qui ne croyez
pas , mortels nés d'hier et promis à la mort pour de-
main, feuilles emportées sur tous les rivages des mers,
incertains de vous-mêmes et de tout , je me pose avec
une hardiesse qui n'a pas même besoin de courage.
Je sais d"où je viens et où je vais. J'ai ma foi contre
vos doutes , et ce qui vous paraît absurde , indigne ,
flétri, mort, cette cendre même, au delà de cette
cendre, s'il est possible, je le prends, je le mets sur
l'autel, je vous commande d'y venir, et nul de vous
n'est assez fort pour être certain au dedans de lui
qu'il ne viendra pas.
Encore une fois c'est ainsi qu'un culte se défend
- 148 —
et s'édifie, quand il sent la vérité derrière soi.
Mais qu'Alexandrie lève le ban et l'arrière-ban de
ses rhéteurs pour transformer Jupiter en je ne
sais quelle puissance abstraite, et Apollon en telle
autre personnification de la métaphysique ou de la
nature, les gens d'esprit pourront bien reconnaître
de l'invention dans ces jeux d'une foi qui a honte
d'elle-même; mais l'humanité, tranquille, les
oreilles un moment charmées parce bruit ingénieux,
se couchera le soir, eL le lendemain, en s'éveillant,
elle demandera ce que sont devenus ces artistes
d'hier.
L'islamisme , sans doute , diffère du polythéisme
par une substance moins vide ; il se sent du christia-
nisme qui entourait son berceau. Mais encore vous
chercherez vainement à Mahomet un fondement dont
la raison la plus humble ou la plus hardie accepte la
responsabilité. Cet homme est tout seul, avant et
après ; rien de lui ne s'entremêle aux nerfs et aux
muscles de l'humanité; ôtez-le, c'est un chapitre de
moins dans l'histoire du monde, mais un chapitre
qui ne détruit pas le fil de la narration. Mahomet est
une anecdote. De là vient. Messieurs, l'horreur du
monde civilisé pour le renégat. Avez-vous jamais
réfléchi 'à ce que c'est que le renégat? Vous croyez
peut-être que c'est l'homme qui change de religion?
Eh! Messieurs, mais nous ne faisons pas autre chose
qu'appeler les hommes des autres religions à em-
brasser la nôtre. Nos missionnaires parcourent le
monde entier dans ce seul but , et assurément per-
sonne ne les accuse du métier honteux de faire des
— 149 —
renégats. Qu'est-ce donc que le rene'gat, et quelle
est la cause de l'inexprimable mépris qui s'attache à
ce nom? Le renégat, Messieurs, c'est l'homme qui
passe d'un culte ayant des fondements dans l'intel-
ligence, le cœur et l'histoire de l'humanité, à un
culte vide, évidemment incapable d'opérer aucune
persuasion. Le renégat, c'est l'homme qui aban-
donne le terrain où la discussion est possible entre
des êtres raisonnables, pour se perdre dans une
région où la parole même manque à l'erreur; c'est
l'homme qui passe d'une clarté incertaine, si l'on
veut , à des ténèbres plus que certaines ; c'est ,
dans l'ordre de la vérité, le déserteur, le trans-
fuge, le traître, l'homme qui foule aux pieds la pa-
trie. Jésus- Christ est désormais la seule patrie de
l'homme baptisé dans sa lumière ; on pardonne à
qui doute de lui, on ne pardonnera pas à qui le dé-
laisse pour un autre ; car comment aurait-on foi dans
Brahma ou dans Mahomet, quand on n'a pas foi
dans Jésus-Christ?
La misère rationnelle des cultes étrangers à la doc-
trine catholique se révèle tout entière par l'impuis-
sance où ils sont de résister à l'action prosélytique
des peuples chrétiens. Je vois bien que Mahomet
protège son œuvre en déclarant passible de mort
quiconque convertira un musulman ; Rome et la Grèce
avaient employé les mêmes armes ; la Chine et les
pays adjacents ne se confient même pas aux lois qui,
en les séparant de l'étranger, les séparent aussi de
tout contact avec le christianisme ; l'Inde, matériel-
lement ouverte aux chrétiens, oppose le mur d'airain
— 150 —
de ses castes à leurs communications ; nulle parties
cultes que le signe de la croix ne fortifie pas n'osent
se mesurer avec la religion émanée du Christ, sem-
blables à ces hordes des steppes qui reculent devant
la civilisation à mesure qu'elle s'avance, ou à ces an-
ciens Parthes dont la force était dans la fuite et dans
le désert. Ainsi, devant la stratégie catholique, au-
cun culte étranger ne tient ses étendards debout et
déployés; la persécution, l'éloignement, le silence,
voilà toutes leurs ressources, ressources que le temps,
d'accord avec la vérité , détruit chaque jour, et qui,
à la fin épuisées , le laisseront sans défense et sans
refuge contre le contact souverain de notre persua-
sion.
Si vous me demandez. Messieurs, d'où sont donc
issues ces superstitions dénuées d'efficacité, de mo-
ralité et de raison, je vous le dirai d'un mot : elles
sont nées de la passion religieuse combinant, par
une inspiration privée et populaire, les éléments di-
vins répandus dans le monde, les attirant, les coor-
donnant, les semant à son gré. L'homme a devant
lui toujours, à tout le moins, des débris de vérités,
des traditions flottantes; il remue cette poussière,
comme l'alchimiste ; il mêle l'or et le plomb , le ciel
et la terre, soufflant dessus avec une bouche corrom-
pue, jusqu'à ce qu'il ait produit une mixture qui ait
à la fois le charme de l'erreur et quelques vestiges
delà vérité.
Je vous convie maintenant à un autre spectacle.
La superstition fatigue l'homme ; il en recherche
le remède dans sa raison , et aussitôt s'ouvre devant
— loi —
lui un abîme plus profond encore, l'abîme de l'incrc-
dulité.
Un jeune homme est parvenu à l'âge de quinze
ans, sa raison s'est éveillée; il a vécu quelques jours
dans l'antiquité, et lu quelques pages du monde pré-
sent. Il ne lui a pas été difficile de s'apercevoir que
la superstition tenait une grande place dans l'his-
toire de ses semblables; mais ses yeux, mal ouverts
encore, n'ont pas distingué la vérité de l'erreur,
l'apparence de la réalité : il commence par un grand
acte : il nie, et comme le propre de la jeunesse est
de n'avoir pas de mesure, d'être infinie dans ses con-
ceptions et dans ses désirs , il nie tout : il nie son
père et sa mère dans leur foi , sa patrie dans son
passé, tout ce qu'a fait l'humanité jusqu'à lui, tout
le mouvement qui l'a porté vers Dieu , et, seul , indé-
pendant, monarque absolu de sa personne., il regarde
avec satisfaction ce grand empire ; il est le maître
enfin , et il va édifier.
Mais il n'édifiera pas, il ne se sent pas même le
besoin d'édifier, son incrédulité est acceptée. C'est
le premier et le plus haut degré de l'incrédulité ;
son incrédulité est acceptée, il est content. Dieu Ta
mis au monde ; Dieu lui a versé cette goutte de lait
et d'absinthe qui est la vie ; Dieu lui a donné un père
et une mère, des frères et des sœurs, une patrie,
une destinée, son esprit, tout ce qu'il est, tout: mais
il ne croit pas lui rien devoir et être autre chose pour
Dieu qu'un étranger. Et s'il considère toute cette
fermentation religieuse de l'humanité, qui ne ces^e
de chercher Dieu, qui pense fermement l'avoir trouvé,
— 152 -
qui a mis en lui ses plus chères espérances et ses
plus sacrés devoirs, il ne laisse pas d'être heureux
de ce spectacle, parce que, s'en étant mis à part, il
s'estime plus grand que toutes les nations puérile-
ment inféodées à de si pauvres besoins et à une si
vile reconnaissance envers Dieu , Dieu qui est si peu
de chose, qui n'a fait que le monde, en voulant bien
accorder qu'il l'ait fait! Je ne combats point, Mes-
sieurs, cette incrédulité; je ne lui dis rien; mais
j'en tire cette conclusion, c'est que toutes les fois que
l'homme se pose avec sa raison toute pure et person-
nelle devant Dieu , cette raison se retire de Dieu , ne
peut plus communiquer avec Dieu. Je ne dis pas
autre chose; j'accepte en ce moment l'incrédulité
comme elle s'accepte elle-même ; Dieu l'a mise dans
ma main pour m'en servir en faveur de ma foi , pour
être une preuve de l'origine surhumaine de la reli-
gion. Oui, mon fils de quinze ans, sois incrédule,
l'humanité a besoin de ta révolte pour se confirmer
dans son obéissance, et en attendant le jour où tu
reconnaîtras ton erreur , elle te regardera , pour
s'assurer que la raison est incapable de créer la reli-
gion.
Toutefois, Messieurs, l'incrédulité ne s'arrête pas
longtemps à cet état d'acceptation où elle est dans
une âme de quinze à vingt ans. Quand on vieillit,
on découvre dans la vie des besoins plus profonds ;
les années , en se retirant, nous laissent voir en nous
des rivages inconnus, et l'incrédulité, d'abord si
joyeuse, commence à se résoudre en une sorte de
tourment semblable à celui que cause l'absence du
— 153 —
pRys. On se retourne sur le lit du doute ; c'est l'in-
crédulité à son second état, que j'appellerai l'in-
crédulité inacceptée. Que voulez-vous , on est né à
une époque sceptique, on n'a autour de soi que des
livres et des paroles qui traitent Dieu comme un
petit garçon ! Mais Dieu n'a pas besoin de l'homme ,
il grandit tout seul dans l'âme, par une végétation
sourde et sublime qui n'est qu'à lui ; ses racines en
aspirent la plus pure substance , et un jour l'homme
inquiet se penche vers cet hôte douloureux, s'efîor-
çant de renouer avec lui par sa raison des relations
privées.
Ce phénomène, Messieurs, s'est fait voir, dès la fin
du siècle dernier, dans de grandes proportions. As-
surément nul siècle n'avait joui d'une incrédulité
plus parfaitement acceptée ; cependant, voyez ce que
c'est que l'homme ! A peine la révolution eut-elle fait
de la société française un champ de bataille décou-
vert, que ceux-là mêmes qui avaient tout détruit, les
plus ardents d'entre eux, furent effrayés de l'absence
de Dieu. Un homme dont je tairai le nom ramassa
dans le sang un crayon , il le prit dans sa main dés-
honorée, et, montant sur une échelle pour s'élever
jusqu'au fronton d'un temple, il y grava cette con-
fession : Le peuiole français reconnaît Vexistence de
VEtre suprême. Dieu voulut que ce fût cette main
froide et sanglante qui lui rendît, au moment le plus
impie de toute l'histoire, un irrécusable témoignage.
L'exemple donné, d'autres hommes s'efforcèrent de
fonder un culte national. La théophilanthropie na-
quit. Je vous demande pardon de prononcer ce nom
— lo4 —
barbare ; Dieu condamne à des noms sauvages ,
comme à des œuvres vaines, les hommes qui rejet-
tent la vérité. La théophilanthropie essaya donc de
fonder un culte rationnel, et lorsque Dieu eut pré-
senté à la France le jeune consul qui devait la réor-
ganiser, cette secte philosophique et religieuse
vint, comme tout le monde, s'offrir à lui. Le jeune
homme ne leur dit que ce mot : « Messieurs, vous
n'êtes que quatre cents; comment voulez-vous que
je fasse une religion pvec quatre cents hommes ? »
Ainsi, dans un moment aussi grave, la rehgion ra-
tionnelle n'avait pu réunir que quatre cents secta-
teurs, et il ne fallut qu'un mot pour la réduire à
néant, et pour que jamais depuis on n'en entendît
parler.
D'autres événements suivirent : notre temps se
pressa aux portes de l'aurore. Nous naquîmes, et,
avec notre génération, une foule d'âmes qui ne vou-
laient pas non plus de l'incrédulité acceptée. Elles
se réunirent pour reprendre l'œuvre d'une religion
fondée sur la seule raison. Vous en avez vu l'essai ;
on l'a tenté sous vos yeux une ou deux fois. Je dis
une ou deux fois, je pourrais dire davantage sans
craindre de me tromper; mais il ne faut tenir compte
que des expériences qui ont eu quelque étendue et
quelque solennité. Vous avez donc vu des savants
et des hommes d'esprit rassemblés dans cette capi-
tale , planant sur elle , et appelant à eux , sans res-
pect humain, les âmes jeunes et ardentes qui se
débattaient contre l'incrédulité; vous les avez vus
sacrifier leur temps, leur fortune, leur avenir, à la
- 155 —
réalisation d'un culte digne, pensaient- ils, d'un siè-
cle ému de Dieu, mais ne voulant le recevoir que des
mains de la science et du génie. Eh bien! vous
l'avez tous présent, combien d'années a-t-il fallu
pour que les édificateurs , désespérés de leur ou-
vrage, reprissent le niveau social , et allassent peu-
pler toutes les administrations civiles de leur apos-
tolat fmi et de leur paternité dissoute?
Ces essais, aussi solennels qu'infructueux, n'ont
pas encore persuadé notre âge de son impuissance à
créer la religion, tant l'homme a besoin de Dieu,
alors même que son orgueil en repousse la foi. Cha-
que jour, on nous annonce la religion future de l'hu-
manité; si on ne peut pas la faire, on la prophétise
du moins. On transforme l'impuissance en espé-
rance. Mais l'humanité n'a pas le temps d'attendre ;
elle veut Dieu pour aujourd'hui , et non pour de-
main. Elle a faim et soif de Dieu depuis six mille
ans, et vous, venus si tard, quand vous vous mettez
à l'œuvre pour subvenir à des besoins si profonds, à
des aspirations que les siècles n'ont pas fatiguées,
vous en êtes réduits encore à des prophéties ! Pour
moi , tout ce qui ne donne pas à l'humanité son pain
de chaque jour, je n'y crois pas. Je crois que Dieu a
été père dès l'origine pour l'âme comme pour le
corps ; je crois que les moissons sont toutes venues,
que la pluie est toute tombée; que, dans l'ordre de
la vérité comme dans l'ordre de la nature , l'homme
n'est pas seulement affamé, mais qu'il est rassasié
quand il le veut. Le pain est tout prêt. Dieu l'a pétri
de ses mains ; ce qui manque , c'est la volonté de le
— 156 —
prendre tel que Dieu l'a fait. On préfère le préparer
selon son goût; on demande à la raison ce qu'elle ne
peut pas donner. La Pologne avait plus de sens
quand elle fut partagée; elle disait : « Dieu est trop
haut, et la France trop loin. » C'est là, Messieurs, le
mot final qui explique toute cette impuissance de
l'homme de se mettre par lui-même dans un com-
merce positif avec Dieu : Dieu est trop haut et la rai-
son trop loin.
Je terminerai par une considération sur le pro-
testantisme , autre effort humain pour échapper à
rincréduhté en constituant un commerce rationnel
de l'homme avec Dieu.
Assurément, rien n'était plus naturel et plus simple
que l'idée de Luther. Luther se disait implicitement
ou explicitement , car peu importe qu'un homme sa-
che ou ne sache pas ce qu'il fait, Luther se disait :
La raison toute seule ne peut pas communiquer avec
Dieu; il lui faut un élément divin, transnaturel,
étranger à sa propre conception, parce qu'avant
toute chose, pour étahlir un rapport, il est néces-
saire d'être deux. L'humanité doit donc présenter à
Dieu son intelligence et son cœur; mais il est évi-
dent que si Dieu n'y a pas mis de son côté son in-
telligence et son cœur, la religion est de toutes les
chimères la plus manifestement absurde. Qui dit
rapport dit concours , qui dit concours dit rencontre
réciproque; la religion est la rencontre réciproque
de l'homme et de Dieu , Dieu ayant nécessairement
commencé le premier, parce qu'il est le plus ancien,
le plus fort et le plus instruit. La religion doit donc
— 157 —
renfermer quelque chose de l'homme, mais aussi
quelque chose de Dieu. Or s'il y a dans le monde
quelque chose de Dieu, c'est évidemment l'Évangile.
L'Évangile est la parole la plus pure , la plus aima-
ble, la plus efficace qui soit au monde; Dieu est là ,
ou bien il est absent de tout. Prenons donc l'Évangile
pour la part de Dieu dans la religion; l'homme, de
son côté, y mettra son cœur et sa raison. Que faut-il
de plus? L'Évangile et la raison, l'Évangile parlant
à la raison , la raison répondant à l-Évangiie ; quelle
plus simple, plus douce et plus magnifique corres-
pondance? Le rapport, la vie, la réahté,tout est
fait. Nul intermédiaire entre Dieu et vous , plus de
papauté ni de sacerdoce, aucune question entre
l'État et l'Éghse , et cependant un ressort réel et
saint , qui mène l'homme à Dieu , et ramène Dieu à
l'homme. Quel chef-d'œuvre, Messieurs ! quelle plus
merveilleuse solution du problème d'un culte ration-
nel! un simple hyménée de l'Evangile et de la rai-
son ! Aussi le succès tut-ii grand; toute l'Europe
s'émut, et il ne faut pas expliquer par des causes
secondaires ces larges mouvements du monde , ils
ont toujours pour levier quelque élément extraordi-
naire et fécond qui y fait son avènement. La combi-
naison de Luther, en satisfaisant la passion religieuse
de l'homme , flattait sa raison , son orgueil et sa li-
berté : elle devait remuer l'univers.
Mais arrivons au bout. Le temps a passé sur cette
riche conception; elle a subi, dans le mouvement gé-
néral des choses et des esprits, l'épreuve décisive
qui manifeste où est la vie et où est la mort. Qu'est-
— 158 -
ce que le protestantisme aujourd'hui? N'a-t-il som-
bré à aucun des deux écueils préparés par Dieu à
l'erreur religieuse? A-t-il évité à la fois la supersti-
tion et l'incrédulité? Je m'en remets de la réponse
à quiconque connaît l'histoire dogmatique des trois
derniers siècles et l'état présent des choses humai-
nes. D'un côté, le protestantisme, en vertu de son
principe même, parce qu'il a rejeté toute autorité
entre l'homme et Dieu, a abouti à la dissolution doc-
trinale la plus épouvantable dont il y ait souvenir.
Tout a été nié au nom du protestantisme, non- seu-
lement les dogmes et les sacrements chrétiens, la
Trinité, l'Incarnation, la divinité du Verbe, le péché
originel, mais jusqu'aux vérités de l'ordre naturel
qui regardent Dieu et nos immxortelles destinées.
Après avoir commencé par des confessions de foi
contradictoires, on a fini par ne pouvoir plus même
arborer pour symbole la contradiction , tant l'incré-
duhté a fait de progrès et ronge tout dogmatisme
jusqu'aux os. Tous pourtant n'ont pas suivi cette
pente; d'autres , essayant de s'y retenir, mais man-
quant d'une autorité qui réglât leur foi, ont abouti,
par l'inspiration privée et populaire, au mysticisme
le plus extravagant et le plus superstitieux. Vous
connaissez les scènes de l'Amérique, ces hommes et
ces femmes réunis dans des assemblées apocalypti-
ques, prophétisant, parlant toutes les langues, mon-
trant enfin au monde étonné le délire des âmes qui
cherchent Dieu sans Dieu.
Je ne prétends pas. Messieurs, qu'en dehors de
ces deux classes il n'existe pas des protestants de-
— 159 —
meures fidèles à beaucoup de vérités évangéliques ,
et également préservés de la superstition et de l'ir.-
crédulité. Cela doit être , et cela est. Mais il ne faut
pas juger une doctrine par des résultats individuels ;
il faut la juger par ses effets généraux, par les
grands courants de son influence et de son action. Il
est des protestants qui suivent, sans le savoir, un
tout autre principe que le principe dissolvant du pro-
testantisme, qui acceptent par voie d'autorité une
partie des vérités de la foi ; qui , protégés par une
nature heureuse et une ignorance plus heureuse
encore, nourris de l'Évangile, accoutumés à de
bonnes œuvres, se soutiennent à la surface de cet
océan agité, et, grâce à leur bonne foi, pourront un
jour présenter à Dieu une conscience demeurée pure
et catholique romaine à leur insu. Ce sont là des
exceptions auxquelles sont sujettes les plus miséra-
bles erreurs; comme Dieu fait descendre la rosée
dans le calice empoisonné d'une fleur, il fait aussi
descendre le bien et le vrai jusque dans la corrup-
tion de la vérité. Il y a chez les protestants des ca-
tholiques, comme il y a chez les catholiques des
protestants, c'est-à-dire, de part et d'autre, des
hommes qui suivent un principe contradictoire à
celui de leur foi extérieure et avouée. Mais le protes-
tantisme n'en est pas moins la grande route de l'in-
crédulité et de la superstition, comme le cathohcisme
demeure la grande route d'une foi aussi raisonnable
que profonde.
J'étabhrai, dimanche prochain, ce dernier point,
qui nous reste encore à constater. Je vous montrerai
— 160 -
la doctrine catholique aussi forte contre la supersti-
tion que contre l'incrédulité, assurant notre esprit
contre le doute, le délivrant du délire, appelant à elle
les âmes de ces deux côtés de l'horizon , et dans cet
équihbre serein et majestueux, supérieure à la rai-
son, qui ne l'a pas fondée et qui ne la peut détruire,
lui rendant compte sans accepter son joug, l'éclai-
rant et l'élevant sans en changer la nature, mère,
sœur et fille de toute vérité, Dieu et homme tout
ensemble, poussant enfin d'un pas égal les généra-
tions à leur avenir humain et à leur avenir éternel.
VINGT-HUITIEME CONFERENCE
DE LA RELIGION PRODUITE DANS LAME PAR LA DOCTRINE
CATHOLIQUE
Monseigneur,
Messieurs ,
J'avais , en dernier lieu , à établir trois choses :
premièrement, que la religion est une passion et une
vertu de l'humanité; deuxièmement, que, en dehors
de la doctrine catholique , nulle autre doctrine n'a
produit cette vertu de la religion ; et tel a été l'objet
des deux Conférences qui ont précédé celle-ci. Il me
reste à établir un troisième point , savoir : que la
doctrine catholique produit ce commerce positif et
efficace avec Dieu que nous appelons du nom de re-
ligion , et à montrer par conséquent que cette doc-
trine évite les deux écueils où échouent toutes les
— 162 —
autres, la superstition et l'incrédulité. Or j'atteindrai
ce terme de ma pensée en vous prouvant que la doc-
trine catholique jouit d'une efficacité surhumaine de
mœurs et d'une efficacité surhumaine de raison, qui
est le fruit du commerce qu'elle établit entre l'homme
et Dieu.
Je ne commence pas , Messieurs , sans éprouver
au dedans de moi une certaine tristesse. Car c'est la
dernière fois de cette année que nous sommes réu-
nis, et votre attention, votre zèle, l'unanimité de
votre assentiment m'ont trop consolé, pour ne pas
voir avec regret l'heure qui nous séparera. Mais ,
grâce à Dieu, le temps passe vite, et, en nous em-
portant vers l'éternité, il nous ramène, dès ici-bas,
les uns aux autres: Je vous donne donc, comme pour
demain, un rendez-vous nouveau au pied de cette
chaire que vous avez tant de fois, depuis dix ans,
honorée de votre assiduité.
Que la doctrine catholique jouisse d'une efficacité
surhumaine de mœurs, en vertu même du commerce
qu'elle entretient de l'homme à Dieu, la démonstra-
tion m'en est facile, après tout ce que j'aidit. Car, n'ai-
je pas prouvé que l'humilité, la chasteté, la charité
de l'apostolat et celle de la fraternité sont dans l'âme
des effets exclusifs de la doctrine catholique? Or en
vertu de quoi la doctrine catholique opère-t-elle
cette transformation surhumaine de l'âme? Est-ce
directement? Est-ce simplement parce qu'elle nous
a dit : Soyez humbles, soyez chastes, soyez apôtres,
soyez frères? Eh! Messieurs, tout le monde nous le
dit plus ou moins vivement. Il n'est pas d'homme
— 163 —
enivré d'orgueil qui n'ait appelé l'humilité des au-
tres ; pas d'homme abruti dans la volupté qui n'ait
appelé la pureté de ses victimes; pas d'homme qui
n'ait appelé l'apostolat pour propager ses pensées, et
la fraternité pour fonder son empire. Mais l'oreille
de l'homme demeure fermée à ces invitations de
l'égoïsme ou à ces rêves de la raison ; elle les écoute
sans entendre, et les entend sans obéir. La doctrine
catholique n'eût pas fait davantage , si elle n'eût
parlé à l'homme que de l'homme, si elle ne lui eût
proposé pour mobile que son intérêt, son devoir
même et sa dignité. Pour le rendre humble, chaste,
apôtre, frère, elle a pris son point d'appui en dehors
de lui-même, elle l'a pris en Dieu. C'est au nom de
Dieu, par la force des rapports qu'elle a créés entre
lui et nous, par l'efficacité de ses dogmes, de son
culte et de ses sacrements, qu'elle change en nous
ce cadavre rebelle à la vertu , qu'elle le ranime , le
ressuscite , le purifie , le transforme , le revêt de la
gloire du Thabor, et que, l'ayant ainsi armé de pied
en cap, elle le jette comme un homme nouveau dans
la mêlée du monde, faible encore par sa nature, mais
fortifiée par Dieu , vers qui monte son incessante in-
spiration. C'est ainsi. Messieurs, que s'accomplit
dans la doctrine catholique le miracle de notre trans-
figuration; l'humilité, la chasteté, la charité et
toutes les élévations intérieures qui résultent de
celles-là, ne sont que l'effet d'une vertu plus haute
donnant le branle à tout le reste. Sans la religion,
sans le commerce de l'âme avec Dieu, tout Tédifice
chrétien périt, et par conséquent ce commerce, qui
— 164 —
est la clef de voûte, est surhumainement efficace,
puisqu'il porte l'homme plus haut que l'humanité.
Dès à présent, Messieurs, je pourrais regarder ma
thèse comme achevée , et conclure fermement que la
doctrine catholique jouit d'une efficacité surhumaine
de mœurs, qui est le fruit du commerce qu'elle éta-
blit entre nous et Dieu. Mais l'humilité, la chasteté,
la charité de l'apostolat et de la fraternité, l'obéis-
sance, la pénitence, la pauvreté volontaire, toutes
ces vertus dont j'ai parlé, ne sont que des rameaux
d'un fleuve unique. En vous conduisant le long de
leur cours , j'ai agi comme ces navigateurs qui ex-
plorent un pays inconnu et en remontent les rivières,
jusqu'à ce que , satisfaits de ces travaux et de ces
découvertes de détail, ils descendent enfin la voie
large et grande qui conduit à l'Océan.
Il est donc un fleuve où aboutissent toutes ces ver-
tus éparses que j'ai nommées , et ce fleuve, c'est la
sainteté. Je ne veux pas dire la sainteté commune,
qui consiste dans l'observance des commandements
divins , et dans cette conformité de notre vie à l'É-
vangile qui suffît pour être sauvé. Je parle de la
grande sainteté, de celle qui est reconnue et vénérée
dès ici-bas, qui a des autels, et dont la magnifique
histoire est contenue dans ce livre mystérieux que
nous appelons la Vie des Saints. La vie des saints !
Avez-vous jamais songé. Messieurs, à ce phéno-
mène de la vie des saints? Nous avons bien entendu
parler des héros et des sages de l'antiquité; nous
lisons dans Plutarque la vie des hommes illustres;
nous voyons autour de nous des gens de bien : mais
— 165 —
les saints, où découvrons- nous rien qui leur res-
semble? Où sont les saints du brahmisme, du po-
lythéisme, de l'islamisme, du protestantisme, du
rationalisme? J'en cherche vainement dans ces doc-
trines le nom , l'apparence ou la contrefaçon. Depuis
trois siècles que le protestantisme s'efforce de dé-
truire la véritable Église et d'en usurper le carac-
tère, il a compté parmi les siens d'honnêtes gens et
même des gens pieux; mais il n'a pas encore osé
écrire ses légendes de saints. Pour le rationalisme,
il ne faut pas lui en parler; il se contente d'avoir des
gens d'esprit, et n'aspire pas à ce qu'on dise jamais,
par exemple, saint Helvétius ou saint Diderot.
Qu'est-ce donc que les saints, ce nouveau privi-
lège à nous? Qu'est-ce que la sainteté? La sainteté,
Messieurs, n'est pas uniquement, comme je semblais
l'insinuer tout à l'heure, le confluent de toutes les
vertus chrétiennes dans une même âme ; ce n'est là
que la sainteté commune, celle qui est nécessaire à
tout chrétien pour être sauvé, et dont je n'entends
point parler ici. Il n'est point de chrétien , lorsqu'il
est à l'état d'union avec Dieu , en qui ne se rencon-
trent, à un degré plus ou moins parfait, l'humilité, la
chasteté, la charité; nous les appelons alors des
hommes pieux; nous pourrions même, àjargement
parler, les appeler des saints ; mais enfin ce n'est pas
ce que nous entendons par cette grande expression :
les saints! Qu'est-ce donc que les saints? Qu'est-ce
que la sainteté ainsi entendue?
La sainteté, c'est l'amour de Dieu et des hommes
poussé jusqu'à une sublime extravagance. Et vous
— 166 —
concevez très-bien , Messieurs , que , si réellement il
y a communion de l'infini avec le iîni , si le cœur de
Dieu se fait une habitation et une vie dans le cœur
de l'homme, il est impossible qu'au moins, dans cer-
taines âmes plus ardentes, la présence d'un élément
aussi prodigieux ne déborde pas, et ne produise pas
des effets extraordinaires, que l'infirmité de notre
nature et de notre langage nous contraindra d'appe-
ler extravagants. Car, que veut dire ce mot? Il veut
dire ce qui va en dehors, ce qui est excentrique , pour
user d'une expression moderne, sauf que le mot ex-
travagant est un mot bien fait, tandis que le mot
excentrique est un mot mal fait. L'un peint l'action
que l'autre définit géométriquement; or un mot doit
être peintre et non géomètre. C'est pourquoi je pré-
fère me servir du premier; et en cela je reste encore
bien au-dessous de Ténergie de saint Paul, qui a dit,
sans précautions oratoires , que le monde n'ayant
pas voulu connaître Dieu par la sagesse, il a plu
à Dieu de le sauver par la folie de la prédication. Je
n'oserais pas dire que la sainteté est une folie, même
après saint Paul, parce que je craindrais que vous
ne m'imputassiez d'aller trop loin, et je suis bien
aise de vous montrer aujourd'hui que je sais unir la
prudence du serpenta la simplicité delà colombe,
quoique, à ne vous rien déguiser, je suis tout à fait
du sentiment de saint François de Sales lorsqu'il
disait: « Ma chère Philothée, je donnerais vingt ser-
pents pour une colombe. »
11 y a donc dans la sainteté un phénomène d'ex-
travagance un amour de Dieu et des hommes qui
^ 167 —
blesse le sens humain. Mais ce ne peut être là, Mes-
sieurs, le caractère unique de la sainteté; l'extra-
vagance toute seule ne serait que de la bizarrerie, et
la bizarrerie ne prouve rien en faveur de l'homme
qui la met dans ses actes, si ce n'est peut-être beau-
coup de vanité et un peu de mauvaise éducation.
L'extravagance doit donc être corrigée dans la sain-
teté par un autre élément, et elle l'est, en effet, par le
sublime, c'est-à-dire par la beauté morale à son
plus haut degré, par cette beauté qui cause le ravis-
sement du sens humain , en sorte qu'il y a tout en-
semble dans la sainteté quelque chose qui blesse le
sens humain et quelque chose qui le ravit , quelque
chose qui produit la stupeur et quelque chose qui
produit l'admiration. Et ces deux choses n'y sont
pas séparées comme deux fleuves qui coulent l'un à
côté de l'autre; mais l'extravagant et le sublime, ce
qui blesse le sens humain et ce qui le ravit, mêlés
et fondus l'un avec l'autre, ne font de la sainteté
qu'un seul tissu où il est impossible à l'esprit d'ana-
lyse le plus vif, au moment où il voit le saint agir, de
démêler ce qui est extravagant de ce qui est sublime,
ce qui est sublime de ce qui est extravagant, ce qui
terrasse l'homme de ce qui l'enlève jusqu'à Dieu.
Voilà la sainteté.
Je vous citerai un exemple, afin que vous me com-
preniez mieux.
Sainte Elisabeth de Hongrie, ayant abandonné le
palais de ses pères et le palais de son époux, s'était
confinée dans un hôpital pour y servir de ses mains
les pauvres de Dieu. Un lépreux s'y présenta. Sainte
— 168 —
Elisabeth le reçut et se mit à laver elle-même ses
etïroyables plaies. Quand elle eut fmi, elle prit le vase
où elle "avait exprimé ce que la parole humaine ne
peut pas même peindre , et l'avala d'un trait. Voilà ,
Messieurs, qui est parfaitement extravagant. Mais
remarquez d'abord une chose que vous ne pouvez
pas mépriser : la force. La force, Messieurs, c'est la
vertu qui fait les héros, c'est la racine la plus vigou-
reuse du sublime en même temps que la plus rare
Rien ne manque autant à l'homme que la force, et
rien n'attire davantage son respect. Vous n'êtes pas
des êtres méchants; mais vous êtes des êtres faibles,
et c'est pourquoi l'exemple de la force est le plus
salutaire qu'on puisse vous donner, comme aussi
l'un de ceux qui attirent le plus votre admiration.
Sainte Elisabeth, en avalant l'eau du lépreux, avait
donc fait un grand acte , parce qu'elle avait fait un
acte fort. Mais il y avait là mieux que la force, il y
avait la charité. Dans la sainteté , l'amour de Dieu
étant inséparable de celui des hommes , puisqu'elle
n'est autre chose que l'excès de ce double amour, il
s'ensuit que, dans tout acte des saints, là où se trouve
le sacrifice pour Dieu, ce sacrifice rejaillit inévita-
blement sur l'homme. Et quel était le bénéfice de
l'homme dans l'action de sainte Elisabeth? Quel
était- il? Me le demandez -vous bien? Sainte Eli-
sabeth faisait à cet abandonné, à cet objet d'una-
nime répulsion , même au milieu des siècles de foi ,
elle lui faisait une inexprimable révélation de sa
grandeur ; elle lui disait : « Cher petit frère du bon
Dieu, si, après avoir lavé tes plaies, jeté prenais
— 169 -
dans mesbras pour te montrer que tues bien mon frère
royal en Jésus-Christ, ce serait déjà un signe d'amour
et de fraternité, mais un signe ordinaire dont je te
restituerais seulement le bénéfice , à toi qui depuis
ton enfance en as été privé, à toi qui sur ta poitrine
n'as jamais senti la poitrine d'une âme vivante ; mais,
cher petit frère, je veux faire pour toi ce que l'on n'a ja-
mais fait pour aucun roi du monde, pour aucun homme
aimé et adoré. Ce qui est sorti de toi , ce qui n'est
plus toi, ce qui n'a été à toi que pour être transformé
en une vile pourriture par son contact avec ta misère,
je le boirai comme je bois le sang du Seigneur dans
le saint calice de nos autels. » Voilà le sublime. Mes-
sieurs, et malheur à qui ne l'entend pas! Grâce à
sainte Elisabeth, pendant toute l'éternité il sera
connu qu'un lépreux a obtenu d'une fille des rois
plus d'amour que la beauté n'en a jamais conquis sur
la terre.
Après cela, qu'un homme d'esprit traite d'extra-
vagante cette action, nous le lui concédons; nous l'a-
vons dit nous-même, nous sommes persuadé qu'il
est beaucoup plus naturel de boire avec ses amis du
vin de Château-Margaux. Mais cet homme d'esprit
mourra probablement un jour; ses écrits, peut-être,
ne lui survivront guère ; on oubliera ses joies et ses
douleurs : et quand sainte Elisabeth sera morte , les
rois avec les pauvres se disputeront ses vêtements et
sa mémoire ; on mettra un peu de sa chair au-dessus
de tous les trésors ; on enchâssera ses restes dans
l'or et les pierreries ; on convoquera les artistes les
plus fameux du monde pour lui faire une habitation
— 170 -
de la mort digne de sa vie; et, de siècle en siècle,
des princes, des savants, des poètes, des mendiants,
des lépreux , des pèlerins de tout rang se presseront
à son tombeau et y laisseront , par le fragile attou-
chement de leurs lèvres, d'éternels stigmates d'a-
mour. Ils lui parleront comme à un être vivant, ils
lui diront : « Chère petite sœur du bon Dieu, tu avais
des palais, tu les as quittés pour nous; tu avais des
enfants , tu nous as pris pour les tiens ; tu étais
grande dame, tu t'es faite notre servante; tu as aimé
les pauvres, les petits, les misérables; tu as mis ta
joie dans le cœur de ceux qui n'en avaient pas : et
maintenant nous te rendons la gloire que tu nous as
donnée, nous te restituons l'amour que tu avais
perdu pour nous. 0 chère petite sœur! prie pour
ceux de tes amis qui n'étaient pas nés quand tu étais
au monde, et qui te sont venus depuis ! »
Ainsi en est-il de toutes les extravagances des
saints. Toutes profitent à l'humanité, au moins par
l'exemple. Si le saint jeûne, l'humanité jeûne aussi;
s'il se condamne à d'absurdes abstinences, une partie
de l'humanité est aussi affamée jusqu'à l'absurde ;
s'il torture son corps par des inventions bizarres , il
y a aussi dans vos prisons, il y a dans vos bagnes,
il y a dans vos colonies, des corps humains torturés
par de cruelles inventions. Si le saint, en un mot,
s'impose volontairement la souffrance , hélas ! qui
est-ce qui ne souffre pas sur la terre , et qui n'a be-
soin d'apprendre que Dieu a caché dans la souffrance
même un baume réparateur et mystérieux? Est-ce
un vain service rendu au genre humain que de lui
— 171 —
révéler toutes ses ressources contre le malheur, que
de lui prouver, dans d'étranges actions , si l'on veut,
que, quelque sort qui lui soit fait, quelque déshon-
neur qu'on lui crée, quelques cachots qu'on lui
creuse, il n'est aucun supplice, aucune honte, au-
cune abjection qui ne puisse être transfigurée par
l'idée de Dieu, et devenir un trône où tout homme
s'en ira vénérer et prier.
Cette vie des saints, Messieurs, ce n'est pas un
phénomène rare, réservé à un temps ou à un pays ;
c'est un phénomène général et constant. Partout où
la doctrine catholique prend racine; là même où elle
n'est déposée que comme une graine entre des ro-
chers , la sainteté y prend naissance et s'y manifeste
en quelques âmes par des fruits qui défient l'estime
et le mépris de la raison. Cette extravagance sublime
date d'une folie plus haute encore et plus inénarra-
ble, de la folie d'un Dieu mourant sur une croix, la
tête couronnée d'épines, les pieds et les mains per-
cés, le corps tout meurtri. Depuis ce jour-là cette
contagion n'a cessé de choisir des victimes dans l'u-
nivers; mais, par une préférence singulière et ja-
louse, elle ne les choisit qu'au sein de l'Église ca-
tholique, apostolique, romaine. A nous seuls est
"esté l'héritage de la croix, la tradition vivante du
martyre volontaire, la dignité de l'extravagance et
ia gloire du sublime. Et encore que nous ne buvions
pas tous à longs traits de ce vin généreux, tous nous
y trempons nos 'lèvres, et en rapportons dans la vie
quelque chose du divin empoisonnement. Nul ne s'y
trompe, tout le monde nous reconnaît à cette mar-
— 172 —
que : la croix n'a jamais subi d'imitation ni de con-
tre façon.
Eh! Messieurs, le monde ne s'en tait pas, il n'es-
saie pas de nous ravir ce privilège; il essaie seule-
ment d'en faire contre nous une raison et un instru-
ment d'oppression. Que dit-il aujourd'hui quand,
pour toutes nos œuvres, nous réclamons le droit
commun ? Quelles armes nous oppose-t-il ? Il ne
nous conteste pas le droit, il ne nie pas que la liberté
ne soit écrite dans la nature et dans la constitution du
pays. Mais il nous dit : Nous ne pouvons pas lutter
avec vous de vertus et de dévouement; vous avez
dans votre essence d'incroyables ressources dont
nous ne possédons pas le secret; et par conséquent,
l'égalité n'existant pas entre vous et nous, la liberté
doit vous être refusée comme une compensation en
notre faveur. Il faut vous enchaîner pour établir l'é-
quilibre des forces humaines, et encore, vos mains
liées au mur, nous ne sommes par certains qu'elles
ne seront pas plus longues que les nôtres. Tel est,
Messieurs, vous le savez, le langage présent du
monde; et à quel autre s'est-il adressé qu'à nous?
Quel autre peut s'enorgueillir d'une servitude qui a
pour justification la grandeur même de la vertu? Le
monde a raison : nous sommes les fils uniques du
Christ. Comme on lui cloua les mains et les pieds
pour l'empêcher de sauver le monde, il est juste
qu'on attache à la croix sa véritable postérité. Et en-
core nous ne voyons pas la fin. Quoi qu'il arrive de
ce temps passager où nous vivons , ne croyez pas que
la persécution de l'incréduHté contre la foi s'arrête à
— 173 —
ce qui s'est vu et à ce qui s'est fait jusqu'ici. Comme
il est dans la nature des choses et dans le mouvement
général du monde que tous les principes qui y sont
contenus se développent désormais à pleines voiles ,
de jour en jour l'inégalité de mœurs entre l'Église et
ce qui n'est pas elle se manifestera davantage, et la
suprématie surhumaine de l'Éghse devenant déplus
en plus intolérable, lui attirera de ses ennemis une
plus parfaite et plus glorieuse persécution. L'Ecri-
ture nous l'a prédit, et une seule ligne de l'Écriture
ne passera pas. On ne se contentera pas un jour de
nous nier un droit, on nous les niera tous ; le monde,
fatigué de nous obéir malgré lui et de nous respecter
malgré lui, tentera un dernier effort pour secouer de
sa peau la lèpre de la divinité. Mais alors comme
aujourd'hui, la vertu de Dieu nous assistera; liés,
impuissants, immobiles, cette vertu sortira de nous
comme elle sortait de la robe du Christ, sans que
nous parlions, sans que nous bougions, par l'effet
même de notre servitude, semblable au parfum qu'on
a voulu renfermer, et qui, condensé par l'obstacle,
s'échappe par tous les pores plus suave et plus vio-
lent; semblable encore à une source qu'on a scellée,
et dont les eaux jaillissent jusqu'au ciel. Ainsi, quand
le monde entier se sera coalisé pour mettre le sceau
à la fontaine divine de la sainteté, comme il l'avait
autrefois mis au tombeau du Sauveur, le troisième
jour, l'eau se fera un nouveau passage, et les races
humaines détrompées viendront s'abreuver dans son
cours plus long, plus large et plus inextinguible.
De même. Messieurs,. que le cœur de Dieu s'épa-
- 174 —
nouissant dans le cœur de l'homme, y produit la
sainteté, mélange d'extravagance et de sublime, de
même, quand l'intelligence de Dieu tombe dans l'in-
telligence de l'homme, elle doit nécessairement y
jeter quelque chose qui ne peut être ni créé ni dé-
montré par la raison. Or ce qui ne peut être ni créé
ni démontré par la raison, a évidemment un carac-
tère d'extravagance, caractère qu'on ne saurait con-
tester à la doctrine catholique. Que nous enseigne-
t-elle, en effet? Un Dieu en trois personnes, un Dieu
qui a fait le monde de rien, un homme qui a perdu
toute sa race par une faute personnelle , un Dieu qui
s'est fait homme, qui a été crucifié pour expier des
r.rimes dont il n'avait pas la responsabilité, un Dieu
présent sous les apparences du pain et du vin. Quels
dogmes , Messieurs ! et c'est là pourtant toute l'ar-
chitecture de la doctrine catholique. Il est trop évi-
dent que la raison n'a créé aucun de ces dogmes, et
ne saurait par ses propres forces en démontrer au-
cun. Et cela doit être ; car si la doctrine catholique
était une œuvre de la raison, elle ne serait pas une
œuvre surhumaine; si elle était une philosophie,
elle ne serait pas une religion. Au lieu de dogmes,
vous auriez des théorèmes de mathématiques, et, au
lieu d'être ici , vous seriez chez vous , parce que vous
ne trouveriez rien ici qui ne fût chez vous. Vous êtes
ici parce que votre raison n'a pas fait les dogmes,
parce qu'elle ne peut ni les faire ni les démontrer,
parce qu'ils sont supérieurs à toute raison ; vous êtes
ici précisément parce que j'ai à vous dire des choses
extravagantes.
— 175 —
Nos adversaires pensent nous effrayer beaucoup
par ce seul mot : Mais ce que vous avancez là est
extravagant. Je le crois bien, et qu'aurais-je à vous
dire si je n'avais à vous dire rien d'extravagant? A
quoi bon cet appareil religieux, si je n'avais à vous
apprendre que ce que l'homme, en secouant ses ti-
sons au coin de son feu, peut savoir par lui-même?
Qu'est-ce que la religion , qu'est-ce que le commerce
avec Dieu, s'il laissait notre esprit juste au point où
il était auparavant? Dieu se serait mis en rapport
avec nous , et nous avec lui , pour avoir la satisfaction
réciproque, l'un de ne rien donner, l'autre de ne rien
recevoir. Vous voyez , Messieurs , que la supposition
n'a pas de sens, et qu'il faut en revenir à ce mot fa-
meux d'un docteur : Credo, quia absurclum. — Je le
crois, parce que cela est absurde. L'expression est
trop forte; mais il est facile d'en réduire l'exagéra-
tion, et de comprendre qu'en effet, s'il n'y avait rien
d'extravagant dans la doctrine, on ne croirait pas,
on verrait tout simplement. Il faut, pour croire,
quelque chose qui surpasse la raison, et ce qui sur-
passera la raison a évidemment pour elle un carac-
tère d'extravagance. C'est pourquoi saint Paul disait :
Si quelqu'un de vous paraît sage à ce siècle, qu'il
se fasse fou pour se faire sage (1).
Eh bien ! me direz-vous ? voilà un beau mérite ;
c'est justement le mérite de la superstition que vous
combattiez naguère en la notant de déraison. Je vais,
Messieurs, vous dire la différence.
(1) I" Épître aux Corinthiens , chap. m , vers. 18.
— 176 —
Premièrement, nous croyons aux dogmes. Tandi?
que vous, savants et philosophes, vous ne croyez
pas aux propres inventions de votre esprit, et que le
doute les mine sans cesse par une sourde infiltration,
nous, prêtres de Jésus-Christ, fidèles de l'Église ca-
tholique , nous croyons sincèrement ces dogmes que
notre raison n'a pas faits et qu'elle ne se démontre
pas. Nous les croyons depuis dix-huit siècles passés,
jusqu'à donner notre sang pour eux. C'est assuré-
ment là une grande merveille : le doute de la raison
à l'égard de ses propres œuvres , la foi de la raison
envers des œuvres qui ne sont pas les siennes ! Mais
il y a plus : non-seulement nous croyons nos dogmes,
mais nous vous les proposons et nous vous les fai-
sons croire à vous, hommes de raison, hommes d'or-
gueil, hommes indignés de notre extravagance. Un
jour ou l'autre, vous y venez; un jour ou l'autre,
vous nous apportez à genoux l'adoration volontaire
de ce que vous aviez haï et méprisé. Nul ne vous
contraint. Et ce phénomène inimaginable de la con-
version de la raison à l'extravagance, il ne se passe
pas obscurément dans quelques âmes perdues, il se
passe chaque jour, à la face du soleil, dans une mul-
titude d'esprits. Il n'est pas une heure de l'Église où
elle ne reçoive des embrassements longtemps rebel-
les, où elle n'enfante à la foi et à l'amour ses propres
ennemis ; mère heureuse qui est reconnue de ceux
qu'elle n'a point allaités, qui est serrée dans les bras
de ceux qui la meurtrissaient. On lui naît par le
blasphème comme on lui naît par la bénédiction. On
lui naît dans la force de l'âge mûr, comme un effet
— 177 —
des longues veilles de l'intelligence, des expériences
de l'homme d'État, des illuminations de l'hommo
de génie. On lui naît, comme un vaisseau entre
dans le port après les tempêtes d'une longue navi-
gation. On lui donne la dernière vue de l'esprit,
le dernier mouvement du cœur, la ferme et inébran-
lable palpitation de l'âme qui a trouvé et qui se re-
pose. Tel est son sort depuis saint Paul jusqu'à Bos-
suet.
Qu'en dites-vous. Messieurs? n'est-ce pas là une
efficacité surhumaine? Car, enfin, qui peut vous
faire croire? Quelles armes ou quel art possède la
doctrine cathoHque pour s'emparer de vous, qui ne
voulez pas d'elle, pour vous persuader des dogmes
inaccessibles à la raison ? Quel maléfice a-t-elle jeté
sur vous? Qui a mis dans sa main le ressort invisible
dont elle dispose, et par où elle vous pousse, comme
l'effort suprême de votre destinée, à adorer l'extra-
vagance?
Il est vrai que sa prétention n'est pas seulement
de vous faire croire ses dogmes, mais aussi d'en
rendre compte à votre raison ,. tout supérieurs qu'ils
lui sont. Car, de même que, dans l'ordre des mœurs,
l'extravagance doit être unie au sublime, il est né-
cessaire que, dans l'ordre de la vérité, l'extrava-
gance ne soit pas séparée de la plus haute lumière.
C'est pourquoi la doctrine catholique, qui n'a pas
créé ses dogmes et qui ne les démontre pas, les pré-
sente pourtant à la raison, une fois acceptés d'elle,
comme la science suprême de la nature et de l'hu-
manité, comme le nœud de tous les mystères, la clef
— 178 -
de toute explication, le lien de toute coordination de
la pensée, le chef-d'œuvre de l'entendement, en
dehors de quoi la lumière même luit dans les ténè-
hres, selon l'expression de l'apôtre saint Jean.
Gomme l'astre du jour illumine tout sans être illu-
miné par rien, ainsi la doctrine catholique, flambeau
premier du monde, répand sur quiconque ne ferme
pas les yeux une irradiation souveraine qui le ravit,
et lui découvre, avec l'horizon de l'éternité, l'horizon
non moins mystérieux du temps. De là une sorte
d'hommes aussi nouveaux que les saints, mêlant
ensemble la plus profonde philosophie à la plus ar-
dente foi, tels que saint Augustin, saint Anselme,
saint Thomas , saint Bonaventure, et tous leurs pa-
reils, hommes hardis comme le philosophe et sim-
ples comme l'enfant, ne reculant devant aucune
question, n'ayant peur d'aucun doute, entendant
tout et répondant à tout, bâtissant par l'affirmation
le grand édifice de la vérité, le défendant par une
polémique quotidienne contre tout venant et tout as-
saillant. La doctrine catholique est la seule qui ait
produit cette race d'homm^es ; avant elle et en dehors
d'elle, il n'y a pas plus de théologiens qu'il n'y a de
saints. Les théologiens sont dans l'ordre de la vérité
ce que les saints sont dans l'ordre des mœurs; ils
sont destinés à établir la suprématie de raison qui
est dans la doctrine catholique , comme les saints sont
destinés à en manifester la suprématie morale. A
mesure que le monde enfante d'illustres lettrés pour
combattre la doctrine de Dieu , l'Église enfante d'il-
lustres théologiens pour les tenir en échec, pour op-
- 179 —
poser génie à génie , science à science , raison à rai-
son, et assurer à tout le moins à nos dogmes l'honneur
d'un combat qui ne finit jamais.
Ainsi passons-nous, de siècles en siècles , à tra-
vers les nations les plus civilisées, affirmant et dis-
cutant : affirmant nos dogmes comme venant de
Dieu, les discutant comme s'ils n'en venaient pas ,
enlevant la raison plus haut qu'elle-même , nous ra-
baissant jusqu'à elle pour lui faire plaisir, également
forts par l'extravagance et par le raisonnement, re-
butés pour l'une, craints pour l'autre, respectés par
tous deux. Si Terreur nous serre de trop près, si quel-
quefois, dans la suit^ des âges, une vacillation se fait
sentir dans le trop-plein de notre vie , nous assem-
blons un concile , autre phénomène encore qui n'est
qu'à nous , dont nulle doctrine ne supporterait l'essai.
Pendant que vous disputez, nous délibérons. Nos
vieillards, chefs et juges de la doctrine, s'assoient en
cercle sur des fauteuils, ploient le genou devant Dieu,
invoquent l'Esprit -Saint, écoutent une discussion
solennelle en présence de l'univers , qui les regarde
et se levant une dernière fois , sûrs d'eux-mêmes et
de Dieu , magistrats de la vérité , ils prononcent
l'arrêt qui unit tous les esprits , et posent une pierre
contre laquelle nul ne se heurtera plus sans s'y briser
la tête.
Je me résume, Messieurs. J'avais à montrer que
la doctrine catholique, dans le commerce qu'elle éta-
blit entre l'homme et Dieu , évite à la fois l'écueil de
la superstition et celui de l'incrédulité. Je l'ai fait.
Car la superstition est un commerce inefficace de
— 180 —
l'homme avec Dieu, inefficace quant aux mœurs et
quant à la raison ; or j'ai prouvé que la doctrine ca-
tholique jouit d'une efficacité surhumaine de mœurs
et d'une efficacité surhumaine de raison, démonstra-
tion d'où résulte aussi sa puissance contre l'incrédu-
lité, puisqu'elle fait croire aux nations les plus civi-
lisées des dogmes qui surpassent l'esprit humain, et
cela tout en leur permettant une discussion dentelle
se charge la première.
Reste à tirer les conséquences générales de ces
longues prémisses. Les voici :
La religion est une passion de l'humanité ; donc
elle est vraie. Elle est vraie, parce qu'il n'y a rien de
naturel à l'humanité qui ne soit vrai. Sans doute,
l'homme et l'humanité même sont sujets à exagérer
leurs passions, à les vicier par l'excès ; mais une pas-
sion n'étant qu'un mouvement de la nature vers un
objet, elle serait impossible si l'objet n'existait pas,
et impossible encore si l'objet n'était à notre portée ;
par cela seul qu'elle est, l'objet en est certain, et notre
relation avec lui est certaine aussi. Il ne faut plus
que s'assurer si cette relation n'est pas viciée. Or
dans la passion religieuse, comme dans toute autre,
l'homme a introduit l'excès, le faux, le puéril, le
honteux : comment discerner donc la vraie religion?
Évidemment à ses fruits, à son efficacité. La reli-
gion, qui est le commerce de l'homme avec Dieu,
ne saurait, si ce commerce est réel, ne rien pro-
duire de grand et de singulier dans le genre hu-
main. Or la religion catholique seule est douée d'une
efficacité surhumaine de mœurs et de raison ; seule
— 181 —
elle élève l'homme à tout ce qu'il peut être et à quel-
que chose de plus; toutes les autres religions tom-
bent dans la superstition ou se décomposent dans
l'incrédulité : donc la religion catholique est la seule
véritable. Cette déduction est simple et à la portée
de tous les esprits, comme le sont aussi les faits
qui lui servent de base et de corps. Il suffît de deux
demandes et de deux réponses. La rehgion est-elle
un besoin, une passion de l'humanité? Oui: donc
elle est vraie. La religion catholique seule est-elle
douée d'une efficacité digne de Dieu et digne de
l'homme? Oui : donc elle est la seule vraie. Les au-
tres n'en sont qu'une dégénération due à la liberté de
l'homme, qui n'a pu renoncer à tout commerce avec
Dieu, et qui n'a pu se tenir à la hauteur de ce com-
merce.
Vous en êtes témoins, Messieurs, à chaque pas
que nous faisons dans l'étude la doctrine catholique,
nous sommes toujours forcés de conclure qu'elle pos-
sède des caractères qui lui sont propres et que nulle
autre n'a su se donner. Chacune de nos Conférences,
depuis déjà bien des années, vous en apporte une
nouvelle preuve. Là, dis-je chaque fois, là est un
signe qui n'est qu'à nous. D'où vient cela. Messieurs?
Pourquoi une seule doctrine réunit-elle sur sa tête
une auréole si riche, si variée, à laquelle aucune
autre n'a le talent de dérober un seul de ses rayons?
C'est, Messieurs, que la vérité est tout, et que l'er-
reur n'est rien. La vérité est un puits profond : plus
on y creuse, plus l'eau jaillit^ tandis que l'erreur
n'est qu'une citerne perdue, comme l'a dit l'Écriture,
m. — 6
— 182 —
cisternœ dissipalœ. Creusez un peu , vous ne trou-
verez plus d'eau, et l'eau même qui est à la surface
est une eau corrompue. Mais la religion véritable, la
religion que Dieu a faite, il l'a assise profondément
au centre de l'humanité, comme les roches primitives
de granit qui supportent le monde ; il y a caché un
feu divin et une eau divine, un feu auquel il a dit de
brûler sans se consumer, une eau à laquelle il a dit
de couler sans jamais tarir. A mesure que nous creu-
sons dans ces abîmes de sagesse et d'amour, nous
découvrons des filons nouveaux, des fleuves incon-
nus, des réservoirs sans limites, jusqu'à ce que,
perçant au centre, ayant donné le dernier coup, l'eau
jaillisse jusqu'au ciel , et, rassasiant notre soif sans
l'éteindre, nous emporte vers ce Dieu qui a béni
notre âme et qui l'attend.
CONFÉRENCES
DE
NOTRE-DAME DE PARIS
ANNEE 1845
DES EFFETS DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE
SUR LA SOCIÉTÉ
VINGT-NEUVIEME CONFERENCE
DE LA SOCIETE INTELLECTUELLE PUBLIQUE FONDEE
PAR LA DOCTRINE CATHOLIQUE
]\Iesseigneurs (1) ,
]\Iessieurs .
Jusqu'ici nous avons considéré les effets de la doc-
trine catholique sur l'esprit et sur l'âme de l'homme,
sur son esprit , par une certitude et une connaissance
supérieures à la certitude et à la connaissance pure-
ment humaines ; sur son âme , par des vertus qui no
sortent point de sa nature, et qu'à cause de cela nous
avons appelées des vertus réservées.
Mais, si graads que soient ces deux théâtres, où
se produit l'action de la doctrine cathohque, ce n'est
(1) Messeigneurs l'archevêque de Chalcédoine eL les évêques
de la Rochelle et de Montpellier.
- 186 —
pas pourtant la scène dernière où elle manifeste sa
prépondérance. Il est un autre terrain plus vaste ,
plus profond, plus éclatant, plus solennel, plus in-
contestable, où tout aboutit, et qui décide de tout;
c'est la société. Car l'homme n'est pas un être soli-
taire, il n'est pas semé au hasard pour vivre et mou-
rir à l'ombre ignorée d'un rocher ou d'une forêt ; il
naît au milieu delà société, qui le reçoit, qui le
nourrit, qui l'élève, qui lui communique ses idées,
ses passions, ses vices, ses vertus, et à laquelle il
laisse, avec ses cendres et sa mémoire, l'influence
de sa vie. D'où il suit qu'avoir considéré l'homme au
foyer secret de son intelligence et de son cœur, ce
n'est pas encore le connaître tout entier, ni surtout
connaître la doctrine qui a été le principe de son ac-
tivité. Il faut, pour achever l'épreuve, passer du
dedans au dehors, de l'être solitaire à l'être social.
La société est le confluent de toutes les pensées et
de tous les mouvements de l'homme, la manifesta-
tion publique de ce qu'il vaut et de ce que valent
les enseignements où il a puisé son développement
intérieur. C'est pourquoi, Messieurs, il nous faut
voir ce que la doctrine catholique a produit par rap-
port à l'ordre social. Et je dis que là comme ailleurs
elle a fait des choses qu'aucune autre doctrine n'a
faites; je dis que, non-seulement elle a modifié,
transformé les sociétés naturelles, telles que la so-
ciété domestique et la société politique , mais que ,
de plus, elle a créé une société qui est son œuvre
propre, inimitable, inimitée, qui subsiste envers et
contre tous, et que j'appellerai pour cette raison une
— 187 —
société réservée. Ce sera l'objet de nos nouveaux en-
tretiens. Vous verrez tout d'abord quelle est cette
société réservée à l'action de la doctrine catholique ;
vous verrez ensuite l'influence que cette société ré-
servée , se mêlant aux sociétés naturelles , a exercée
sur leur constitution et leur sort, et comment enfin
elle a transfiguré tous les éléments de la sociabilité
humaine.
Je ne vous exhorte pas, Messieurs, à m'accorder
votre attention ; vous m'y avez accoutumé dès
longtemps. Soutenu dans cette chaire par celui
qui brise les cèdres et qui aide l'hysope à fleurir,
votre sympathie n'a été qu'une traduction heureuse
de sa miséricorde envers moi, et je m'y confie comme
à quelque chose qui vient encore plus de lui que
de votre cœur. Puisse-t-il bénir les dispositions
que vous apportez dans cette assemblée! Et nous,
croyants, serviteurs de la vérité et de l'amour, puis-
sions-nous bientôt compter })armi vous quelques
frères de plus !
La doctrine cathoKque engendrant dans l'esprit
de l'homme une certitude et une connaissance supé-
rieures à la certitude et à la connaissance purement
humaines, il s'ensuit inévitablement qu'elle doit éta-
blir entre les esprits, dont elle est la règle et le sou-
tien, une société d'un ordre plus parfait que celle
qui rapproche les intelligences privées de cette cer-
titude et de cette connaissance surnaturelles. Mais
cette première conclusion reste bien au-dessous de
la vérité. Car la doctrine catholique n'a pas seulement
fondé une société intellectuelle meilleure , elle a fondé
— 188 —
la seule société intellectuelle publique qui soit ici-
bas, la seule vraie république des esprits.
Il est bien entendu , Messieurs , que vous ne me
permettrez pas d'aller plus avant sans expliquer ma
pensée; car n'est-il pas manifeste qu'il existe natu-
rellement entre les hommes une société intellectuelle
et primitive sans laquelle les hommes ne pouri aient
pas s'entendre, et par laquelle, d'un bout du monde
à l'autre, ils comprennent leurs pensées à l'aide du
discours? Cela est vrai , Messieurs ; je ne le nie pas ,
cette société existe ; c'est la société du sens commun,
qui unit tous les êtres intelligents, et dont le fonds
social se compose des premiers principes de la lo-
gique et de la morale, des vérités mathématiques et
des phénomènes vulgaires de la nature. Je n'en con-
teste pas l'exislence; tous les hommes lui appartien-
nent, catholiques ou non ; mais faites une remarque:
cette société des esprits par le sens commun, elle
n'est pas libre, elle n'est pas le produit de notre ac-
tivité volontaire; l'homme y est fatalement soumis ;
il naît dans le sens commun sans aucun acte de force
ni de choix, et n'a d'autre porte pour y échapper que
la folie. Cette porte seule lui reste ouverte contre le
sens commun. Car, bien que Dieu ait jugé à propos
de mettre une borne à notre liberté dans les principes
fondamentaux de notre raison , il a permis cependant
qu'à part même la lésion de l'organe qui sert à la
pensée, l'homme pût, en certains cas, se condamner
à mort sous le rapport intellectuel. La folie, quand
elle n'est pas le résultat d'un accident physique , n'est
pas autre chose qu'un suicide de l'esprit, suicide pro-
~ 189 —
roqué trop souvent par l'orgueil, ainsi qu'il est écrit
de ce fameux roi de Babylone qui , se promenant sur
les terrasses de son palais, et découvrant autour de
lui toutes les splendeurs de sa capitale , se prit à se
dire en lui-même : N'est-ce pas là cette grande Ba-
bylone que je me suis bâtie dans ma puissance et
dans ma gloire? Et à l'instant même, son orgueil
faisant une dernière éruption, il tomba frappé de la
foudre de la démence. Quoi qu'il en soit, du reste,
de la nature intime de la folie, il est certain qu'aux
époques d'une extrême bberté de pensée, comme
celle où nous vivons , cette terrible catastrophe de
rinlelligence.se manifeste dans des cas incompara-
blement plus nombreux. Semblables à des barques
détachées du rivage et n'ayant plus de pilote sur une
mer sans horizon, les esprits vont à l'aventure; la
réalité disparaît devant le rêve, et, les plus faibles
n'étant pas les moins présomptueux , beaucoup finis-
sent par porter les tristes débris de leur ambition
entre les quatre murs d'un hôpital de fous.
Pardonnez-moi, Messieurs, cette rapide digres-
sion. Vous ne m'avez jamais ordonné de me tenir
inflexiblement dans un cadre inexorable, et plus
d'une fois vous m'avez vu sans peine cueillir sous
vos yeux des vérités qui m'écartaient de mon che-
min. Je reviens à la société des esprits dans le sens
commun.
Cette société existe donc, je ne le conteste pas;
mais , par cela seul que ce n'est pas une société in-
tellectuelle née de notre liberté, de notre activité
propre, son existence ne contredit en rien la propo-
— 190 -
sition que j'ai avancée, savoir: que la doctrine ca-
tholique seule a fondé sur la terre une société intel-
lectuelle publique, société qui commence précisément
où le sens commun fmit avec la nécessité, et où la
division devient possible avec la liberté.
Et tout de suite , Messieurs , vous saisissez l'im-
portance de cette seconde société intellectuelle, dont
j'attribue l'honneur exclusif à la doctrine catholique.
Car le sens commun, qui nous unit tous, nous unit
dans de bien étroites limites ; nous n'avons pas à
porter notre esprit bien loin pour qu'il se sente affran-
chi des liens de la communauté; le iious est borné,
le moi est infini, et les questions sur lesquelles
s'exerce la liberté sont elles-mêmes sans rivages et
sans fond. Au delà du sens commun, il s'agit entre
les hommes non pas de quelques extrémités des cho-
ses, mais des choses les premières et les dernières,
du principe, du but, de la fonction de notre vie, du
systèm^e général du monde, des plans du Créateur,
du Créateur lui-même, de tout enfin , et d'un tout où
chaque parcelle est un abîme , et où chaque abîme
contient la destinée. Ne vous étonnez donc pas.
Messieurs , si dès l'antiquité la plus obscure toutes
les grandes âmes aspiraient à fonder la république
des esprits. Quand Pythagore, dans la paix des val-
lées dQ la Grande-Grèce, appelait de rares disci-
ples au silence et à la méditation ; quand Socrate se
préparait par une longue sagesse à boire la ciguë des
mains de sa légère patrie; quand Platon se prome-
nait, escorté d'auditeurs, le long des escarpements
du cap Sunium, ou qu'il gravait sa pensée dans des
— 191 -
pages qui ne pouvaient plus périr ; quand Confucius,
à l'extrémité de l'Orient, élevait une voix dont l'Oc-
cident devait entendre l'écho : que cherchaient, que
voulaient Pythagore, Socrate, Platon, Confucius,
ces premiers génies du monde profane , si toutefois
on peut l'appeler ainsi en nommant de tels hommes?
Que voulaient-ils? Ils voulaient non pas créer des
empires tracés avec l'épée, constructions toujours
fragiles autant qu'étroites ; mais ils voulaient édifier
la basilique des esprits, fonder l'unité intellectuelle,
rallier le présent et l'avenir dans la paix profonde
d'une commune pensée , afin que désormais la course
de l'homme fût semblable à celle d'un navire qui,
détaché du port par une main puissante, vogue souj
cette main assurée, ne craignant pas plus de l'Océan
qu'il ne craignait du rivage. Tels étaient leurs vœux;
tels sont encore les vœux de quiconque aime assez
l'homme pour souffrir de ses peines et s'occuper de
son sort.
Oui, môme à cette heure où je parle, quel est le
penseur, à quelque école qu'il appartienne, qui,
ayant une fois senti le bonheur de la lumière, ayant
entrevu l'horizon immuable où siège la vérité, n'ait
désiré léguer à ses semblables de si beaux moments,
fixer l'éclair, et en faire un jour plein et inaltérable?
Quel est en Europe le philosophe ou le législateur
vraiment digne de ce nom qui n'ait songé à l'unité des
esprits, qui n'ait regardé en tremblant le sol où nous
vivons , et ne se doit demandé s'il ne se présentera
pas enfin une solution équitable autour de laquelle
toute l'humanité viendrait se reposer et s'embrasser ?
— 192 —
Bien des puissances, Messieurs, se sont offertes
pour accomplir cette œuvre. J'en distingue trois, où
toutes les autres ne forment que des nuances. La
première est la puissance, ou, si vous l'aimez mieux,
la philosophie rationaliste.
Cette philosophie raisonne ainsi : Puisque nous
possédons des premiers principes certains; puisque,
dans l'ordre logique, dans l'ordre moral, dans l'or-
dre mathématique, dans l'ordre physique, nous
avons des points de départ vivants, c'est-à-dire qui
renferment des conséquences ultérieures et illimi-
tées , pourquoi n'en tirerions-nous pas toute la vérité,
comme on tire d'une mine tout l'or qui y est caché ?
Si les principes n'étaient pas féconds, s'ils ne conte-
naient qu'eux-mêmes et rien au delà, tout serait dit,
toute espérance de conquêtes futures serait une vaine
illusion. Mais, puisque le contraire est manifeste,
pourquoi ne pas penser que Dieu nous a donné, dans
le trésor primitif de notre entendement, le germe de
toute science et de toute vérité? Sans doute, il faut
du temps, de la patience, le travail et l'expérience
des siècles; mais les siècles ne nous manqueront
pas, le travail non plus, le génie pas davantage, et
enfin le jour viendra où la dernière pierre sera po-
sée , le temple illuminé jusqu'au faîte, et le règne de
l'unité fondé pour jamais. Logiquement, Messieurs,
c'est-à-dire en ne consultant que l'ordre des idées ,
on ne voit pas clairement pourquoi il n'en serait pas
ainsi. Mais voyons les faits : car, vous le savez, c'est
la réalité qui décide de tout. Voyons donc si la phi-
losophie rationaliste, et j'entends la bonne philoso-
— 193 —
phie rationaliste, celle qui cherche sincèrement à
affirmer et à édifier, la philosophie des grands
hommes que je nommais tout à l'heure, Pythagore,
Socrate, Platon, Confucius; voyons, dis-je, si elle
a fondé une société intellectuelle publique, l'unité
publique des esprits. Et, pour le mieux découvrir,
recherchons d'abord quelles sont les conditions né-
cessaires à l'existence d'une semblable société.
Sans idées communes point d'unité des esprits, et,
par conséquent, point de société intellectuelle. Mais
des idées communes ne suffisent pas encore à cette
fin : il faut, de plus, qu'elles soient immuables. Car
si les idées communes sont passagères, mobiles, va-
riables, iC ciment des esprits sera lui-même passa-
ger, mobile, variable; il cédera au moindre souffle ,
au premier accident, et l'unité ne sera qu'une union
superficielle et trompeuse, telle qu'on la trouve dans
les factions et les partis. L'immutabilité des idées est
à la fois la racine et l'instrument de l'unité.
Il est, en outre, nécessaire que les idées communes
soient des idées fondamentales. Car, établir l'unité
des esprits sur leur accord en des points de peu d'im-
portance tandis qu'ils seront divisés sur les choses
capitales , c'est ce moquer du sens commun. Or il
n'y a d'idées fondamentales que celles d'où dérive
l'activité de l'homme, et les idées d'où dérive l'acti-
vité de l'homme sont celles qu'il se fait sur le prin-
cipe, le but et la fonction de sa vie. Tant que l'homme
n'est pas d'accord avec l'homme sur cette triple base,
ils ne se rencontreront jamais dans une môme pensée
et dans une même action, si ce n'est en des matières
- 194 —
qui n'ont aucune valeur, et où leur alliance d'un
moment ne saurait faire d'eux un seul esprit.
Enfin , les idées constitutives de l'unité intellec-
tuelle doivent être reconnues et acceptées librement
de l'intelligence ; car, si ce n'est pas l'inlelligencG
qui les reconnaît et les accepte librement, leur pré-
sence dans l'entendement est un phénomène étran-
ger à l'ordre rationnel, un résultat de violence, d'ha^
bitude aveugle ou de fatalité, caractères qui excluent
toute apparence de société intellectuelle entre des
êtres soumis seulement à la misère d'une même op-
pression.
Amsi, pour qu'il y ait unité des esprits, il faut
qu'il y ait entre eux des idées communes , immua-
bles , fondamentales, librement reconnues et accep-
tées de l'intelligence ; et, pour que cette unité con-
stitue une société intellectuelle publique, il faut en
dernier lieu que les idées qui en forment la base ne
soient pas le privilège de quelques-uns, mais que
tous les éléments vivants de l'humanité y prennent
part, y soient réellement associés, depuis l'enfant
jusqu'au vieillard, depuis le pauvre jusqu'au prince,
depuis le plus ignorant jusqu'au plus savant. Dans
le cas contraire, la société perdrait son caractère
public pour ne plus être qu'une caste ou une aca-
démie.
Maintenant, Messieurs, j'en appelle à vous. La
philosophie rationaliste la plus parfaite et la plus
respectable a -t- elle fondé un dogme public? Le
dogme public est ce que je définissais tout à l'heure,
c'est-à-dire un ensemble d'idées immuables, fonda-
— 195 —
mentales , librement reconnues et acceptées par des
intelligences de tout rang. Je vous répète la ques-
tion : la philosophie rationaliste a-t-elle fondé quel-
que part, au lieu et au temps que vous voudrez , un
dogme public? Non, non , mille fois non. La philo-
sophie ralionaliste a créé des écoles, voilà tout; et
qu'est-ce qu'une école? L'assemblage de quelques
disciples autour des opinions d'un maître. Et qu'est-
ce qu'un disciple? Un homme qui adopte quelques
idées, quelques procédés d'un autre homme, à la
condition de les quitter quand il le voudra , et
même avec l'espérance formelle de les quitter, ne
fût-ce que pour le plaisir légitime de devenir maître
à son tour. De quinze à vingt ans , peut-être, le dis-
ciple est plus humble et plus sérieux. A cet âge, où
la raison s'éveille et où la simphcité du cœur n'est
pas encore perdue, on vient entendre un homme élo-
quent, on se laisse aller au courant ingénieux de sa
parole, on s'abandonne au vent de son inspiration,
on croit en lui. Mais vienne l'âge de la propriété de
soi , l'âge de la maturité , l'âge où l'on a pesé soi-
même et les autres, alors, adieu le maître, adieu
l'obéissance, adieu cette chère et noble amitié des
jeunes ans, qui faisait que notre pensée était la pen-
sée des grands hommes , ou du moins de ceux que
nous appelions généreusement de ce nom -là. Aris"
tote ne jurera plus par Platon, il jurera par lui-
même ; et celui qui n'aura pas la hardiesse ou la
fantaisie de jurer par lui-même, -ne jurera par per-
sonne. A quarante ans, quel que soit l'homme,
l'homme n'est plus le disciple de l'homme. Certes.
— 196 —
Messieurs , cette capitale est grande, elle contient,
je le crois, beaucoup d'esprits éminents : eh bien 1 si
vous en rencontrez jamais un qui soit le disciple d'un
autre, je vous conjure de venir me l'apprendre; j'irai
voir ce prodige, que je n'ai point encore eu l'occasion
, d'admirer, et je pourrai me dire avant de quitter ce
monde : J'ai vu un homme qui avait un disciple!
Admettons, si vous voulez, que les écoles philoso-
phiques, malgré l'inconstance de leurs doctrines,
aient temporairement quelque ombre d'unité , elles
ne formeront point encore une unité intellectuelle
publique rassemblant dans son sein tous les élé-
ments vivants de l'humanité, mais bien une aca-
démie d'esprits privilégiés , conservant loin du vul-
gaire la mémoire et les idées d'un homme ignoré de
la foule. La philosophie rationaliste ne s'en cache
point. Récemment, un de ses jeunes adeptes, tout
en revendiquant pour elle , par une expression ingé-
génieuse autant que hardie, l'honneur et la puis-
sance du ministère spirituel, déclarait résolument
qu'elle n'était pas capable encore de l'exercer, si ce
n'est à l'égard des esprits cultivés. Le reste, c'est-à-
dire quand on connaît le monde, presque tout le
monde, le reste appartenait de droit, et bien heureu-
sement, à l'action plus générale et plus maternelle
delà doctrine catholique. Qu'est-ce, Messieurs,
qu'une inslilution, si c'est une institution, qui,
après six mille ans de travaux, puisqu'on faisait
déjà de la philosophie avant le déluge, ne craint pas
de s'avouer incapable du ministère spirituel à l'é-
gard de presque toute l'humanité!
— 197 —
Aussi, Messieurs, une autre pensée s'est fait jour
et place dans le monde; une autre puissance s'est
présentée pour fonder la république des esprits : je
l'appellerai la philosophie autocratique. La philoso-
phie autocratique procède comme je vais dire : l'u-
nité des esprits est nécessaire au genre humain; en
dehors d'elle il n'existe que de viles associations
d'intérêts, incapables de soutenir le choc même des
besoins et des cupidités. Tant qu'un peuple n'est
pas un par la pensée, ce n'est pas un peuple, mais
un carrefour de marchands, un ramas de corps cl
de convoitises. L'unité des esprits est la sociéié
même, et par conséquent il faut la créer parmi les
hommes à tout prix. Or le raisonnement et la li-
berté désunissent les intelligences au lieu de les
associer; il faut donc sacrifier le raisonnement et
la libcrlé, et imposer aux nations l'unité intellec-
tuelle par telle voie que l'on pourra. Trouver une
de ces voies, c'est l'œuvre du grand homme par
excellence, l'œuvre du conquérant, du fondateur,
du législateur. Telle est , Messieurs , la pensée au-
tocratique; elle a joué, elle joue encore un grand
rôle dans le monde; c'est d'elle que ressortent le
brahmanisme, le mahométisme, le paganisme. Les
brahmes ont posé sous la protection de castes im-
muables certaines idées sur les fondements de nos
devoirs et de notre activité , et ils les tiennent de-
puis des siècles à l'abri de leur confédération poli-
tique et intellectuelle. Mahomet a fait l'unité par
le glaive, sans prendre la peine de le déguiser
dans un fourreau. Le paganisme y avait réussi en
— 198 — 1
confondant d'une manière absolue la société civile cl
la société religieuse.
Faut-il, Messieurs, blâmer les brahmes, blâmer
Mahomet, Minos , Lycurgue, Numa, tous ces fa-
meux législateurs de l'antiquité? Il m'appartiendrait
peut-être de le faire, à moi, fils d'une unité meil-
leure, d'une unité qui sauve la raison et la liberté
de l'homme , tout en fondant la liberté des esprits ,
et pourtant je comprends la pensée et les travaux de
ces hommes, qui, en l'absence d'une lumière divine,
ont fait ce qu'ils ont pu pour créer des nations avec
des idées, seule vraie manière de les créer. Et vous,
hommes de ce temps, qui n'avez appris qu'à défaire
des idées et des peuples, je m'imagine que vous ne
vous avancerez pas beaucoup en accordant aux
vieux édifices de l'autocratie quelque estime et quel-
que considération.
Toutefois , Messieurs , n'allons pas trop loin par
représailles. Pas plus que la philosophie rationa-
liste , la philosophie autocratique n'a mis au monde
un véritable dogme public. Je vois bien dans ses
ceuvres l'immobilité des idées , mais non l'immuta-
bilité. L'une n'est pas l'autre, il s'en faut. L'immo-
bilité est une immutabilité morte, tandis que l'im-
mutabilité est une immobilité vivante. L'une procède
d'une activité libre, l'autre d'une servitude inerte et
invétérée. Loin qu'elles soient sœurs, elles marquent
les deux extrémités des choses. Dieu est immuable,
le néant est immobile; le néant ne fait rien, Dieu est
l'auteur suprême. Gardons-nous donc de confondre
l'œuvre de l'immobilité des idées avec l'œuvre de leur
— 199 —
imaïutabilité! La première est le produit d'un point
d'arrêt forcé infligé à l'esprit humain , d'une raison
enchaînée par la violence et l'artifice des institutions.
Il manque aux idées fixes qui en sont le résultat , la
libre acceptation de l'intelligence ; il leur manque
l'air, la lumière et la marche. Sortez-les de l'indigne
cachot où les retient la main de fer de l'autocratie ,
elles chancelleront à la porte, et, au premier contact
de la discussion, elles tomberont évanouies, comme
des cadavres qui paraissent intacts à l'ouverture du
cercueil, et que le moindre souffle d'une bouche
vivante résout en une poussière sans forme et sans
souvenir.
Entre la philosophie rationaliste et la philosophie
autocratique, toutes les deux impuissantes au grand
œuvre de l'unité des esprits , se place , comme inter-
termédiaire, la philosophie hérétique, empruntant,
d'une part, au rationalisme l'élément de la raison et
de la liberté, et à l'autocratie un élément surnaturel ,
ou prétendu surnaturel. Les tentatives de cette phi-
losophie de juste milieu ont été nombreuses dans le
monde, depuis le boudhisme indien, qui a cherché à
modifier le brahmanisme originaire, jusqu'au pro-
testantisme moderne, qui s'est attaché aux flancs
du cathoUcisme pour le dévorer. Je m'arrête à ce
dernier exemple, parce qu'il est plus le récent, et
peut-être le plus complet.
Au xvi^ siècle, l'Europe vivait tout entière sous
l'empire de la doctrine catholique. Un moine vint ,
qui trouva mal l'unité dont il était spectateur. Il lui
plut de la briser pour en reconstituer une autre , et,
=- 200 —
sortant du corps vivant dont il avait été le membre ,
il emporta dans ses mains le livre de la loi, l'Évan-
gile du Christ, pour en faire la pierre angulaire de la
nouvelle unité. Le plan était simple. Le livre ne con-
tenait-il pas des idées communes, fondamentales,
immuables, reconnues et acceptées librement par
toute l'Europe? Quelle peine y aurait-il, en les pla-
çant sous la garde désintéressée de la raison et de la
liberté, à en conserver toute la force pour l'avenir?
Cependant, Messieurs, vous savez le succès, et ce
qu'est devenue l'unité des esprits entre les mains de
Luther et de sa postérité. Aujourd'hui même, après
trois siècles, on va s'assemblera Berlin, on s'assem-
blait hier à Paris, avant-hier à Londres, pour cher-
cher, dans le plus épouvantable désarroi qu'on ait
jamais vu , la pierre philosophale de l'unilé.
Triple et terrible épreuve ! Ni avec la raison pure ,
ni avec l'autocratie, ni avec la demi-mesure de l'hé-
résie, personne n'a touché le but. Aussi , Messieurs ,
le désespoir a-t-il commencé, et nous avons entendu
dans notre siècle des intelligences , lasses de toute
unité, proclamer leur situation dans cette phrase
aussi franche qu'énergique : La division des esprits,
c'est notre bien. Oui, être à soi seul, et à soi tout
seul, son principe d'activité intellectuelle, penser
pour soi et par soi, renverser le soir l'idée du matin ,
vivre sans maître et sans disciples, sans passé et
sans avenir, oui, c'est là notre force, notre gloire,
notre vie. Arrière qui veut constituer une société des
. esprits! Toute unité est un lien, tout lien un fardeau,
tout fardeau une servitude, toute servitude le c.^m-
— 20i —
ble de l'opprobre et du malheur. La dwi$on des es-
prits, c'est notre bien. Vous connaissez ce langage,
Messieurs, il a été votre berceau, il est peut-être
encore votre aliment quotidien. S'il en était ainsi ,
jouissez à votre aise de l'état qu'il vous a fait. Jouis-
sez de l'unité perdue, du plaisir de commencer et de
finir en vous, du bonheur de rire de vos pères et
d'être moqué de vos enfants , de n'avoir en com.mun
que le doute et l'anarchie, en perspective que le per-
fectionnement de ce sublime état. Jouissez-en, Mes-
sieurs; mais toutefois, prenez garde, vous avez un
ennemi. Pendant que vous vous abandonnez à la
joie et à la sécurité de votre civilisation, l'autocratie,
ce minotaure immortel qui tend à la porte des socié-
tés sa tête hideuse et attentive , l'autocratie veille
sur vous; elle épie d'un œil avide le progrès de votre
félicité, et, l'heure venue, quand vous ne serez plus
que des corps , elle prendra le fouet du Cosaque à la
main , et chassera devant elle ces esprits pulvérisés
qui auront mangé leur dernier ciment, et qui, inca-
pables de résister à la première unité soldatesque
ramassée par un heureux capitaine, livreront leur
orgueil à toutes les ignominies d'une obéissance sans
limites, et leur intelligence à toutes les brutalités
d'un dogme né dans des ateliers de police ou dans
les saturnales d'un camp de prétoriens.
N'y a-t-il donc aucune puissance, aucune doctrine
qui soit assez divine et assez humaine pour fonder la
société des esprits sans sacrifier la liberté delà raison
et les droits de la liberté? n'y a-t-il dans le monde
aucun dogme pubUc librement reconnu et accepté du
— 202 —
pauvre, du riche, de l'ignorant, du sage et du savant?
Ah! faites silence ! j'entends au loin et tout proche ,
du sein de ces murailles, du fond des siècles et des
générations , j'entends des voix qui n'en font qu'une,
la voix des enfants, des vierges, des jeunes hommes,
des vieillards , des artistes , des poètes , des philoso-
phes , la voix des princes et des nations , la voix du
temps et de l'espace, la voix profonde et musicale de
l'unité! Je l'entends! Elle chante le cantique de la
seule société des esprits qui soit ici -bas ; elle redit,
sans avoir jamais cessé, cette parole, la seule stable
et la seule consolante : Credo in unam , sanctam,
catholicani , apostolicam , Ecdesiam. Et moi , dont
c'est aussi la fête, moi le fils de cette unilé sans ri-
vages et sans tache , je chante avec tous les autres et
je redis à vous : Credo m unam, sanctam, catholi-
cam, apostolicam, Ecdesiam. — Ah ! oui , j'y crois !
Recueillons-nous, Messieurs, et voyons si en réa-
lité la doctrine catholique a fondé sur la terre l'unité
publique des esprits : car il ne faut pas , par lassi-
tude , tomber en des mains trompeuses, fortes à pro-
mettre et faibles à tenir.
La doctrine catholique , plus heureuse que le ra-
tionahsme, l'autocratie et l'hérésie, a-t-elle mis au
monde des idées immuables , fondamentales , accep-
tées et reconnues librement par des intelligences de
toutes conditions ou de tout rang? voilà la question.
J'ai dépouillé de ces caractères l'œuvre de la philo-
sophie rationaliste, de la philosophie autocratique
et de la philosophie hérétique , et , vous m'en êtes
témoins, je l'ai fait sans fiel et sans amertume, en
— 203 —
vous donnant des preuves palpables pour quiconque
a étudié l'histoire pendant vingt -quatre heures.
Maintenant je ne nie plus, j'affirme; la position n'est
plus la même, car il est facile de nier, et difficile
d'affirmer. Serrez-moi donc de près, et ne laissez
rien passer.
J'affirme d'abord que la doctrine catholique a
fondé des idées immuables, c'est-à-dire, chose mer-
veilleuse! des idées qui, malgré la mobihté des
temps, malgré l'instabilité de l'esprit humain, ont
subsisté toujours, et dans lesquelles on sent une
racine de persévérance et d'immortalité , une racine
granitique autant qu'elle est féconde , en sorte que
tout ce qu'il y a de plus dur, le diamant, nous repré-
sente ces idées immuables, qu'a fondées la doctrine
catholique, sans que leur opiniâtre dureté exclue
leur mouvement et leur floraison dans l'univers ! Eh
bien ! cela est-il vrai? Est-il vrai que l'immutabiUté,
sans laquelle l'unité des esprits est une chimère ,
soit un don ou un effet de la doctrine catholique?
Quoi ! depuis dix-huit cents ans tous les docteurs et
tous les fidèles catholiques, tant d'hommes si divers
de facultés , de naissance , de passions , de préjugés
nationaux, tous ces évoques, tous ces papes, tous ces
conciles , tous ces livres, tous ces millions d'hommes
et d'écrits, quoi ! tous ont pensé et ont dit la même
chose, et toujours! Cela est-il possible? Mais que
pensent-ils donc , que disent-ils donc ? Écoutez , ils
disent qu'il y a un Dieu en trois personnes , qui a
fait le ciel et la terre ; que l'homme a manqué à la
loi de la création ; qu'il est déchu et corrompu jus-
— 204 —
qu'à la moelle des os; que Dieu, ayant eu pitié de
cette corruption , a envoyé la seconde personne de
lui-même sur la terre ; et que celte personne s'est
faite homme, a vécu parmi nous, et est morte sur une
croix; que, par le sang de cette croix volontairement
offert en sacrifice, le Dieu -Homme nous a sauvés,
qu'il a établi une Eglise , à laquelle il a confié , avec
sa parole, des sacrements qui sont une source de
lumière, de pureté et de charité, où tous les hom-
mes peuvent boire la vie; que quiconque s'y abreuve
vivra éternellement, et que quiconque s'en sépare,
en repoussant l'Église et le Christ, périra éternelle-
ment. Voilà la doctrine catholique, ce que disent
aujourd'hui comme hier, au nord et au midi, à
l'orient et à l'occident, ses papes, ses évoques, ses
docteurs, ses prêtres, ses fidèles, ses néophytes;
idées fondamentales aussi bien qu'immuables, parce
qu'elles décident de toute la direction active des
inteUigences qui en font profession. Trouvez -moi,
maintenant , une éclipse à cette immutabihté ; trou-
vez-moi une page catholique où ce dogme soit nié
en tout ou en partie; trouvez -moi un homme qui,
s'en étant écarté , n'ait pas été à l'instant chassé de
l'Église, eût -il été le plus éloquent des écrivains,
comme Tertulhen , ou le plus élevé des évêques ,
comme Nestorius, ou le plus puissant des empe-
reurs , comme Constance et Valens. Trouvez-moi
un homme à qui la pourpre, ou le génie, ou la sain-
teté ait servi contre les anathèmes de l'Église, une
fois qu'il a eu touché par l'hérésie à la robe sans^
couture du Christ?
— 205 —
Certes, le désir n'a pas manqué de nous prendre
ou de nous mettre en faute contre l'immutabilité.
Car, quel privilège pesant à tous ceux qui ne l'ont
pas? Une doctrine immuable, quand tout change
sur la terre ; une doctrine que les hommes tiennent
dans leurs mains, que de pauvres vieillards, dans un
endroit qu'on appelle le Vatican , gardent sous la clef
de leur cabinet, et qui, sans autre défense, résiste au
cours du temps, aux rêves des sages, aux plans des
rois, à la chute des empires, toujours une, con-
stante, identique à elle-même. Quel prodige à dé-
mentir ! Quelle accusation à faire taire! Aussi tous
les siècles , jaloux d'une gloire qui dédaigne la leur,
s'y sont- ils essayés. Ils sont venus tour à tour à la
porte du Vatican , ils ont frappé du cothurne ou de
la botte ; la doctrine est sortie sous la forme frêle
et usée de quelque septuagénaire , elle a dit :
« Que me voulez-vous? — Du changement. — Je
ne change pas. — Mais tout est changé dans le
monde : l'astronomie a changé ; la chimie a changé ;
la philosophie a changé ; l'empire a changé ; pour-
quoi êtes-vous toujours la même? — Parce que je
viens de Dieu, et que Dieu est toujours le même. —
Mais sachez que nous sommes les maîtres, nous
avons un million d'hommes sous les armes, nous
tirerons l'épée; l'épée qui brise les trônes pourra
bien couper la tête d'un vieillard et déchirer les
feuillets d'un livre. — Faites , le sang est l'arôme où
je me suis toujours rajeuni. — Eh bien, voici la moi-
tié de ma pourpre, accorde un sacrifice à la paix, et
partageons. — Garde ta pourpre, ô César, demain
6*
— 206 —
on t'enterrera dedans, et nous chanterons sur toi
V Alléluia et le De lorofundis , qui ne changent ja-
mais. ))
J'en appelle à vos souvenirs, Messieurs, ne sont-
ce pas là les faits? Aujourd'hui encore, après tant
d'essais infructueux pour obtenir de nous la mutila-
tion du dogme public qui fait notre unité, qu'est-ce
que l'on nous dit? Qu'est-ce que toutes les feuilles
spirituelles et non spirituelles qui s'impriment en Eu-
rope ne cessent de nous reprocher? « Mais ne chan-
gerez-vous donc jamais, race de granit! ne ferez-
vous jamais à l'union et à la paix quelques conces-
sions? Ne pouvez-vous nous sacrifier quelque chose,
par exemple, l'éternité des peines, le sacrement de
l'Eucharistie, la divinité de Jésus-Christ? ou bien
encore la Papauté, seulement la Papauté? Dorez au
moins le bout de ce gibet que vous appelez une
croix! )) Us disent ainsi : la croix les regarde, elle
sourit, elle pleure, elle les attend : Siat crux dum
volvitur orbis. Comment changerions-nous? L'im-
mutabilité est la racine sacrée de l'unité; elle est
notre couronne, le fait impossible à expliquer, im-
possible à détruire ; la perle qu'il faut acheter à tout
prix, sans laquelle rien n'est qu'ombre et passage,
par laquelle le temps touche à l'éternité. Ni la vie ni
la mort ne l'ôteronL de mes mains ; empires de ce
monde, prenez-em votre parti ! Stai crux dum volvi-
tur orbis.
Ne soyons pas encore si fiers. Messieurs, il reste
une difficulté. A la bonne heure, dit-on, vous êtes '
immuables ; mais vous l'êtes d'une immutabihté au-
— 207 —
tocratiqiie, d'une immulabililé à la brahmane, à la
mahométane, à la païenne; voilà bien de quoi vous
enorgueillir! Le bralime aussi est immuable, lema-
bométan de même; le païen l'a été. Qu'avez-vous de
plus qu'eux? Ce que nous avons de plus qu'eux,
c'est que nous acceptons librement, par un acte d'in-
telligence, le dogme public qui constitue notre unité.
Nous ne sommes pas les enfants de la violence, de
la crainte, ni d'aucune servitude. Voyez d'abord
comment nous sommes nés. Si j'ai bonne mémoire,
nous ne sommes pas nés sous cet escabeau qu'on
appelle un trône; nous ne nous sommes pas réveillés
un jour sous la robe des prétoriens, au pied du Pa-
latin. Nous étions bien sous le Palatin, mais par-
dessous ses caves, dans les catacombes. Nous étions
là , traqués comme des bêtes fauves d'un bout du
monde à l'autre, et voici comment nous faisions des
prosélytes à notre foi. Un homme arrivait de je ne
sais où , avec un langage étranger ; il entrait dans
une grande ville, se présentait dans une boutique,
s'asseyait pour qu'on réparât sa chaussure, et pen-
dant que l'ouvrier travaillait à ce vil ouvrage, l'é-
tranger ouvrait la bouche; il annonçait à l'artisan
qu'un Dieu était venu apporter sur la terre une doc-
trine de souffrance et de crucifiement volontaire,
une doctrine qui humiliait l'orgueil et flagellait les
sens. « Camarade, lui disait-il, quitte là ton outil,
viens avec nous ; nous avons les Césars contre nous ,
on nous tue par milliers, mais nous avons des trous
par-dessous terre où tu trouveras un lit, un autel et
un tombeau. Nous y dormons, nous y prions, nous
— 208 —
y chantons, nous y mourons, et puis l'on nous met
entre trois tuiles, dans le roc, en attendant le jour
de la résurrection , où nos restes paraîtront en hon-
neur et en gloire. Camarade, descends avec nous
aux catacombes, viens apprendre à vivre et à mou-
rir! » L'artisan se levait, il descendait aux catacom-
bes, et il n'en sortait plus, car il avait trouvé sous
terre la lumière et l'amour.
Était-ce là une conquête faite par voie d'autocra-
tie? Ah! quand, après trois siècles de tortures, du
haut du Monte Mario, Constantin vit dans l'air le
Laharum, c'était le sang des chrétiens qui avait
germé dans l'ombre, qui était monté comme une ro-
sée jusqu'au ciel, et qui s'y déployait sous la forme
de la croix triomphante. Notre liberté publique était
le fruit d'une liberté morale sans exemple. Notre en-
trée au forum des princes était le fruit d'un empire
que nous avions exercé sur nous-mêmes jusqu'à la
mort. On pouvait régner après un pareil apprentis-
sage du commandement; on pouvait couvrir la doc-
trine de pourpre après tout le sang qu'elle avait
porté. Le règne ne fut pas long d'ailleurs, à suppo-
ser qu'on puisse appeler de ce nom le temps qui s'é-
coula entre Constantin et les barbares, temps si
plein de comJDats, où la doctrine catholique ne quitta
jamais un seul jour la plume et la parole. Les bar-
bares vinrent donc , et avec eux une nouvelle société
à convertir. Le fut-elle par voie d'autocratie ? Saint
Rémi, sans doute, disait à Clovis : « Courbe la tête ! »
Mais quel était l'agneau, de l'évêque ou du guerrier?
Quel était l'agneau, de Clotilde ou de Clovis ? •
— 209 -'
Il est vrai, au moyen âge la doctrine catholique
sembla revêtir des apparences d'autocratie. Je di&
des apparences : car elle avait ses preuves ; elle pou-
vait se croire le droit de protéger l'unité spirituelle
parle concours de l'unité civile, et, de plus, elle ne
cessa jamais d'écrire et de parler, ni d'avoir des en-
nemis puissants jusque sous la couronne de l'Em-
pire. Saint Anselme, saint Thomas, saint Bonaven-
lure, expliquaient et défendaient alors le dogme
public de la catholicité. Il n'y avait donc pas conspi-
ration poiir éteindre la lumière et étouiïer la liberté
du choix moral. D'ailleurs, ce second règne, plus
complet que le premier, fut court aussi; le xvi^ siècle
se leva bientôt, et lexviii^ après lui. Vous savez le
reste : toute la terre conjurée contre la liberté de la
doctrine catholique, ses biens spohés, ses prêtres
meurtris, son autorité civile anéantie partout, une
guerre à mort que lui ont déclarée les lettres, les
sciences et les arts. Et pourtant elle vit, elle se sou-
tient, elle gagne des âmes, elle maintient avec le
même cœur et le même succès l'immutabilité de
son dogme public. Je dis de son dogme public;
car déjà , vous l'avez remarqué , il n'est pas le
partage d'une seule classe d'hommes; il appelle à
lui tous les éléments vivants de l'humanité. Autre
n'est pas la foi du pauvre , autre la foi du sa-
vant. Tous croient et prient le môme Dieu, avec
la môme obligation d'humilier leur orgueil et de
connaître leur néant. La science et l'ignorance de-
viennent, dans la commune lumière, des nuances
imperceptibles qui colorent l'unité sans la corrom-
— 210 —
pre , et rendent plus sensible son inaltérable splen-
deur.
Je me résume , Messieurs : il n'y a de véritable so-
ciété que la société des esprits , et cette société n'est
constituée que par des idées communes, fondamen-
tales, immuables, librement reconnues et acceptées
des intelligences de tout rang. L'homme, pressé par
le besoin de cette unité des esprits , a tenté plusieurs
voies pour rétablir. Il a créé dans ce but la philoso-
phie rationaliste, la philosophie autocratique, la
philosophie hérétique, trois tentatives fondées sur
des procédés divers , toutes trois remplissant le
monde de leurs efforts , toutes trois impuissantes
à y organiser la république des esprits. La doc-
trine catholique seule l'a pu. Pourquoi? Quelle
est la cause de son succès ? quelle est la raison qui
l'a fait réussir là où toutes les autres doctrines ont
échoué? Nous devons vous l'expliquer, Messieurs,
et il sera temps de tirer les conclusions de tout ce
que vous venez d'entendre, conclusions que vous
souhaitez sans doute , et qui n'en seront que plus
fortes par votre patience à ne pas les exiger au-
jourd'hui.
TRENTIEME CONFERENCE
POURQUOI LA DOCTRINE CATHOLIQUE SEULE A FONDE UNE SOCIETE
INTELLECTUELLE PUBLIQUE
Monseigneur (1),
Messieurs ,
C'est sans doute un merveilleux spectacle que celui
de la division des esprits sur la terre , et que les ef-
forts inouïs tentés par l'homme pour la détruire , sans
que jamais aucune autre doctrine que la doctrine ca-
tholique ait pu réussir à cet ouvrage de l'unilé. De
cela seul, et sans aller plus loin, nous serions en
droit de conclure que la doctrine catholique possède
une force surhumaine, puisqu'elle a fait ce qu'aucune
autre doctrine n'est venue à bout de réaliser. Assu-
(1) Msrr Affre, archevêque de Paris.
— 212 -
rément, rien n'a manqué à ces doctrines, ni le génie,
ni la science, ni la puissance publique, ni le pres-
tige de tant de choses qui se pressent sous l'homme
pour le porter au-dessus de lui-même, comme on
voit sur la mer de fragiles embarcations soulevées
par les flots qui se font un devoir de nous obéir et de
nous mener vite et haut. D'où vient donc qu'elles
n'ont pas réussi avec tous les moyens humains que
donne le succès? et d'où vient que la doctrine catho-
lique a réussi, combattue longtemps et à diverses
fois partons ces moyens conjurés? Ne serait-ce pas
qu'elle a des ressources dont aucune autre doctrine ne
jouit? et, les autres doctrines ayant en leur pouvoir
tout ce qui est humain, ne serait-ce pas que la doc-
trine catholique a en son pouvoir quelque chose qui
n'est pas humain, quelque chose qui ne vient pas
d'en bas, mais qui tombe d'en haut? La conclusion
est manifeste.
Toutefois , s'arrêter là , ce serait s'arrêter à la sur-
face de la vérité. Quand on a sous soi des fondations
qui appellent la curiosité de l'observateur, c'est faire
défaut à la science que de passer près d'elles avec
un simple regard. Creusons, Messieurs, creusons
sous le roc de l'unité cathohque; l'édifice extérieur
nous a frappés par sa hauteur et sa singularité; il
s'est dressé devant nous comme une pyramide uni-
que sur le sable mouvant du monde ; mais je me per-
suade qu'en descendant à sa base, en écartant la
poussière où gît sa racine, il vous apparaîtra un
spectacle plus grand encore, une lumière qui jaillira
du fondement au sommet, et qui sera digne, en sa-
— 213 —
lisfaisant votre intelligence, de récompenser votre
attention.
C'est avec cette espérance que je commencerai.
La première explication du privilège catholique de
l'unité, celle qui se présente d'abord comme très-
simple et très-plausible, est celle-ci : La doctrine
catholique a seule fondé l'unité publique des esprits,
parce que seule elle possède la vérité. La vérité
étant le bien de l'intelligence, il est naturel que son
empire soit grand , et que son apparition au milieu
de nos luttes de pensées fasse l'effet d'un souverain
qui se montre, nous arrête, nous assouplisse, nous
calme et nous fonde tous ensemble dans un seul es-
prit.
Cette explication paraît aussi simple qu'efficace,
et pourtant elle n'est pas sans difficulté. Première-
ment , il n'est pas exact de dire que la doctrine ca-
tholique seule possède la vérité, ou, en d'autres ter-
mes , un ensemble raisonnable d'idées sur le principe,
le but et la fonction de la vie. Le déisme, tel qu'on
le formulerait sans peine aujourd'hui, ne pourrait-il
pas réclamer cet avantage ? Le déisme affirme qu'il
existe un Dieu unique dont la puissance, la sagesse
et la bonté sont infinies, qui a fait le monde, et
l'homme en particulier; que l'homme, à la fois esprit
et corps, appartient par l'un au monde extérieur, et
par l'autre à un monde plus élevé , qui est le monde
spirituel ; que si son corps périt, son âme n'est point
sujette à la destruction, mais que, destinée à l'im-
mortaUté, elle sera jugée par Dieu selon ses œuvres,
parce que ses œuvres sont accomplies en vertu d'une
- 214 —
liberlé morale qui la rend responsable au tribunal
de la justice suprême, et qu'ainsi il viendra un temps
où Dieu, après avoir gouverne les êtres libres avec
une équitable providence, les récompensera ou les
punira avec une irrécusable impartialité. Certes,
Messieurs, cetle doctrine est grande autant que
vraie, et des catholiques l'ont honorée jusqu'à l'ap-
peler quelquefois, du moins dans le siècle dernier,
du nom dereligion naliirellc. Et cependant, de toutes
les doctrines rationalistes, c'est peut-être, histori-
quement, celle qui a le moins de consistance et de
vitalité.
Le déisme, même depuis l'Évangile, qui en a tant
éclairci et affermi les notions, le déisme est un sys-
tème qui n'a jamais donné naissance à un corps phi-
losophique ou religieux. Le xviii° siècle, se flattant
de le substituer à la doctrine catholique, l'avait choyé,
orné et poli comme un enfant de complaisance; et
aujourd'hui, malgré tant d'acclamations poussées sur
son berceau, le déisme est tellement mort, qu'il n'a
plus pour serviteur un seul homme de nom. On est
panthéiste, saint- simonien , fouriériste, quelque
autre chose encore; mais déiste! qui est-ce qui veut
de cet os que le dernier siècle nous avait laissé
comme la plus belle part de son héritage? En dehors
des maîtres de la science et des écoles vivantes ,
quelques bourgeois honnêtes afQrment encore l'exis-
tence de l'Être unique, rémunérateur et vengeur,
sorte de consolation dont ils bercent leur conscience,
afin de n'avoir pas trop peur de l'enfer pour eux-
mêmes , sans le détruire entièrement pour les
— 215 —
autres : espèce de lit accommodé à la taille de leur
vertu , ressort élastique et lâche qui ne lie personne
à personne, et qui laisse peser sur le déisme cette
accusation de Bossuet, de n'être qu'un athéisme dé-
guisé.
En second lieu, la doctrine catholique eût- elle
seule un corps de vérités, toutes les autres ne conte-
nant qu'une organisation d'erreurs, ce fait n'expli-
querait pas son succès d'unité. Car l'homme, bien
qu'il ait été fait pour le vrai , qui est son premier
bien, n'a cependant pas pour lui un amour sans par-
tage : il aime aussi l'illusion; et s'il fallait décider
entre ces deux entraînements quel est le plus fort,
je ne pense pas que l'erreur eût le dessous de la com-
paraison. La vérité s'achète par bien des combats,
l'erreur ne nous coûte rien; nous y tombons de notre
propre poids, et il est aussi facile déformer avec elle
des agrégations momentanées d'esprits, qu'il est dif-
ficile de former avec l'autre une véritable unité. Go
.n'est donc, en aucun cas, résoudre la question que
de s'en rapporter à la puissance innée du vrai. Le
vrai est l'occasion du litige, l'objet qui divise autant
qu'il nuit.
On dira peut-être que si la vérité prise en soi n'ex-
plique pas suffisamment le mystère de l'unité, elle
l'explique par un de ses attributs , qui est la lumière,
lumière plus saisissante dans le dogme catholique
qu'en aucun autre ensemble de conceptions. Qui ne
voit tout de suite que cette remarque conclut à faux?
car la doctrine catholique, loin d'avoir une lumière
apparente plus vive qu'aucune autre, est, au con-
— 216 —
traire, accablante à l'œil de l'homme par sa mysté-
rieuse obscurité, par une profondeur étrange qui
brise du premier coup le fil naturel de notre esprit ,
comme si elle voulait le terrasser par l'audace plutôt
que le séduire par la lucidité. Quelle tout autre et
simple physionomie dans le déisme ! Quelle magique
combinaison de dogmes nécessaires, où rien ne ré-
volte, et qui semblent se confondre avec le sens
commun, tant leur clarté appelle à soi la conviction !
Sans doute, la doctrine catholique, à la prendre en
dehors d'elle-même et par ses opérations dans le
monde, y jette un grand éclat; mais c'est un éclat de
reflet, une lumière qui n'est pas au centre, et qui ,
malgré son incontestable splendeur, a aussi ses om-
bres et ses difficultés. Je conviens encore qu'au foyer
même du dogme il existe une lumière latente d'une
admirable efficacité sur l'esprit , dès qu'il y a péné-
tré ; mais il n'y pénètre que lentement par l'exercice
de la vertu bien plus que par l'effort de la pensée, et
cette vue sublime du mystère n'enlève pas le voile
qui en recouvre les âpres proportions.
Je présume qu'une autre idée vous est venue. La
doctrine catholique, vous serez-vous dit, engendre
l'unité publique des esprits parce qu'elle seule pro-
cède par voie d'autorité, tandis que toutes les autres
procèdent par voie de libre examen, et le libre examen
produit la division aussi naturellement que l'autorité
produit l'unité.
Messieurs , je ne vois qu'un malheur à cette ex-
plication , c'est que le fait d'où elle part est absolu-
ment faux. Toute doctrine, sans en excepter une
— 217 —
seule, procède par voie d'autorité. Laissons les
théories, ^lessieurs, les théories sont belles sur le
papier; mais quand on arrive à la pratique, on est
commandé par des nécessités fatales. Tout homme
qui opère veut opérer, et par cela seul qu'il veut opé-
rer, il emploie, quoi qu'il dise et quoi qu'il veuille,
les moyens sans lesquels son opération serait impos-
sible et insensée. Or toute doctrine se communique
par la parole, c'est-à-dire par l'enseignement , et l'en-
seignement suppose l'autorité de celui qui enseigne :
l'autorité de l'âge, du savoir, de l'éloquence, l'auto-
rité de la foi et de l'affirmation , l'autorité de la con-
quête, une autorité telle, que nul ne s'y oppose sans
péril. Quelle est donc la doctrine faisant le plus grand
bruit du libre examen , qui ne se donne comme la vé-
rité pure et unique, qui puisse même se produire
sans le nom souverain de la vérité? Quel est le phi-
losophe, fût-il le plus sceptique du monde, qui, du
haut de sa chaire, ne commande pas? Quel est le
capitaine à la tête d'un régiment d'idées , qui ne se
plante fièrement au-devant de son bataillon , et ne
lui ordonne le file à droite et le file à gauche? Grâce
à notre siècle , nous avons tous entendu des philoso-
phes, et même des philosophes de plus d'un genre;
sont-ils donc si peu dogmatiques? Les plus modestes
ne déclarent-ils pas solennellement qu'hier encore la
vérité n'existait pas, mais qu'à dater du moment même
où ils parlent, et pas un quart d'heure plus tôt, la
vérité commence , qu'elle descend du ciel , qu'on la
voit, et qu'il faut une horrible mesure d'aveuglement
pour ne pas reconnaître qu'elle est dans leur chaire
m. — 7
— 218 —
de bois? Est-ce dans les écoles de théologie qu'est
né ce mot ancien et fameux : Magister dixit ? Et si
du rationalisme nous passons au protestantisme,
qui est l'hérésie la plus enflée de l'orgueil du hbre
examen, trouverons -nous Luther et Calvin plus
modérés dans l'affirmation : Calvin, qui faisait
brûler vifs ses contradicteurs ; Luther, qui menaçait
les siens de transsubstantier ses opinions quand il
lui plairait, et d'en faire à chaque fois des dogmes
sacrés?
Voyons ce qui se passe aujourd'hui même en Alle-
magne. Où vont ces envoyés ? Pourquoi tant de monde
à cheval sur les routes ? De quoi s'agit-il ? Berlin
s'est ému de la dissolution des esprits dans le vide
toujours plus large du protestantisme ; il convoque à
la hâte, de peur que demain il ne soit trop tard, les
hautes puissances demeurées fidèles à la réforme du
xvi^ siècle ; il ouvre un concile à toutes les bouches
qui jurent par le libre examen. Pourquoi faire? hélas !
pourquoi faire? Pour ramasser à terre, s'il est pos-
sible , les restes de la foi commune , pour les placer,
s'il est possible encore, sous la protection d'un con-
cordat quelconque , pour créer de l'autorité avec l'in-
dépendance, du granit avec la poussière, de l'unité
avec une solennelle désunion ! Tel est le sort : toute
doctrine est pendue à l'autorité , même en la niant ;
car toute doctrine enseigne , et tout enseignement est
un ordre donné au nom de la vérité. Sans doute l'é-
colier reste libre d'obéir ou de ne pas obéir, puisqu'il
est une intelligence ; mais cette liberté n'est le privi-
ié2:e d'aucune doctrine; toutes en ont le bénéfice et
— 219 —
le danger, quand elles enseignent réellement, el sur-
tout la doctrine catholique, qui, toujours attaquée,
a la gloire de se faire des enfants dans le sein toujours
fécond de ses ennemis.
Mais quand il serait vrai que la doctrine catholique
seule procède par voie d'autorité, que s'ensuivrait-il
pour l'explication de l'unité qu'elle produit? Ne
voyez-vous pas que l'affectation de l'autorité est un
péril de plus pour sa suprématie ? C'est l'autorité
même qui révolte l'homme. On lui dit : Venez à nous,
nous avons un chef unique , le pape, qui gouverne
toute l'Éghse de Dieu. Il répond : C'est précisément
ce que je ne veux pas : je ne veux pas d'un homme
qui soit mon pape; je suis mon pape à moi-même.
Que me fait l'intelligence qui est au Vatican ?
Le mystère subsiste , Messieurs, nous ne l'avons
pas expliqué. Quel que soit le charme de la vérité, il
a contre lui le charme de l'erreur; quelle que soit
l'abondance de la lumière , il reste assez de nuages
pour l'obscurcir ; quelle que soit l'autorité , tous en
ont une ; tous ont une liberté , maîtresse de la vérité,
maîtresse de la lumière, maîtresse de l'autorité.
Com^ment donc se fonde et subsiste l'unité publique
des esprits, cette unité libre dont chaque feuille,
chaque branche , chaque tronc peut à chaque instant
se détacher? Car ce ne sont pas seulement des âmes
qui échappent à l'ascendant de la doctrine catholi-
que, elle perd aussi des nations. L'Angleterre était
catholique, elle ne Test plus; le Danemark et la
Suède étaient catholiques , ils ne le sont plus ; l'O-
rient était catholique, il ne l'est plus. L'histoire de
— 220 —
l'unité est sillonnée de défections qui la font voir sus-
pendue sur un abîme, et nous annoncent à tous, si
fermes soyons-nous , que nous pouvons périr à notre
tour. Quel spectacle! Qu'il doit imprimer d'épou-
vante à tous ceux qui ont dans ce mystère une part
d'action , soit qu'ils la tiennent du rang ou du talent!
Mais qu'il doit effrayer aussi ceux qui la méditent
en refusant d'y entrer ! Voici devant vous cent cin-
quante millions d'hommes unis d'intelligence et libres
de ne pas l'être, pouvant à toute heure rompre le
faisceau de leur unité, et ne le rompant pas. Qui les
relient? Comment s'accomplit, au milieu delà divi-
sion universelle, malgré le changement des choses et
la succession des hommes, un si étonnant miracle
d'immutabiUté? On ne saurait l'expliquer, Mes-
sieurs , que par l'existence de deux forces qui se dis-
putent le monde , la force schismatique et la force
unitaire. Il ne suffit pas de vous les nommer; je dois
vous décrire leur nature, et achever ainsi de vous
éclairer sur ce grand privilège de l'unité réservé à la
doctrine catholique.
Le premier élément de la force schismatique est
l'essence lumineuse de notre esprit. Notre esprit est
lumière , et n'a de rapport qu'avec la lumière. Toutes
les fois que vous la lui présenterez , il ira droit à elle,
comme les yeux s'ouvrent aux rayons du jour et s'a-
breuvent de leur clarté. Naturellement, et par soi,
l'esprit ne cherche que la lumière, ne connaît que la
lumière , ne se repose que dans la lumière. Or au-
cune doctrine ici-bas ne possède la lumière totale ,
pas même la doctrine catholique. Ce serait en vain
— 221 —
qu'elle s*en flatterait, et elle ne s'en est jamais flat-
tée. Oui, toute doctrine ne donne à l'esprit de l'homme
qu'une quantité de lumière très-faible , incapable de
le satisfaire. S'il en était autrement, l'homme ne vi-
vrait pas dans le monde, il vivrait dans la splendeur
de Dieu môme; il serait plongé dans cet horizon in-
fini où l'obscurité n'a pas de place, où toute intelli-
gence, une fois qu'elle y est introduite, tombe à ge-
noux pour ne plus se relever jamais, et se prend à chan-
ter le cantique réservé aux esprits de lumière dans la
lumière de Dieu. C'est bien là notre avenir, si nous
le méritons; mais ce n'est point notre sort à présent.
Au temps même que nous habitions avec nos pères
le paradis de notre création , quand nous étions tout
jeunes, sous un ciel sans colère, et que Dieu descen-
dait pour converser avec nous comme avec des amis,
en ce temps-là même, au printemps de notre âme et
de notre félicité , la lumière n'était point encore notre
demeure, ni la vision notre œuvre. Si proche que
Dieu fût de nous, c'était un Dieu voilé; nous le
voyions, pour me servir d'une expression de l'Écri-
ture, à travers le trou d'une pierre et par l'extrémité
de son manteau , vision heureuse et cruelle à la fois!
car notre destinée n'est pas de pressentir, mais de
voir directement la lumière, de la voir sans ombre,
sans limite, pleine, entière, absolue; de la voir
comme elle se voit, d'un regard où le cil de l'œil ne
palpite plus , parce qu'il est ravi. Jugez maintenant ,
à l'heure où nous sommes, si aucune doctrine est
capable de nous donner ce regard, le seul qui épui-
serait l'aspiration de notre âme vers la vérité. Quel
— 222 — ■
docteur nous le promettra? Lequel osera nous dire,
si aveuglé qu'il soit par les ressources de l'orgueil ou
de la persuasion, que lui, sa parole, sa pensée, c'est.
la lumière, et que tout genou doit se courber devant
elle, l'adorer et ne plus se relever, comme les séra-
phins font dans le ciel? Ah! jamais, Messieurs,
l'insolence du génie n'est arrivée jusque-là ; jamais
il n'a pu dissimuler à aucune intelligence qu'un
abîme, un abîme profond, un abîme de ténèbres est
ouvert sur nos têtes, sous nos pieds, à notre droite,
à notre gauche, à l'orient, à l'occident, au midi, au
septentrion, partout. Oui, nous habitons les ténèbres
entr'ouvertes çà et là par une avare clarté , où notre
œil plonge avec un amer et immense regret de ne pas
aller plus loin.
Et voilà avec quoi il faut que les doctrines vous
subjuguent! Voilà ce que nous vous apportons, à
vous, enfants légitimes de la lumière, étoiles du
ciel , plus brillantes que le firmament dans les nuits
les pluis splendides de l'été ! nous vous apportons je
ne sais quel flambeau dont nous agitons sur vous
les tremblantes lueurs. Elles sont certaines sans
doute, elles sont irrécusables ; mais quelle porte ou-
verte aux résistances de l'esprit ! quelle facilité de ne
pas obéir! et aussi, par là même, quelle valeur dans
l'obéissance et dans l'unité, quand elles viennent à
prévaloir !
Le second élément de la force schismatîque est
l'affection de l'esprit aux ténèbres. Chose merveil-
leuse à dire! nous sommes faits pour la lumière,
nous n'aimons que la lumière, nous ne sommes cap-
— 223 —
livés que parla lumière, et pourtant, par un autre
côté de notre être, côté vil et honteux, nous affec-
tionnons les ténèbres et les amassons à plaisir au-
tour de nous. Cela tient à ce que le jour total nous
étant refusé d'en haut, nous cherchons ici-bas, dans
l'horizon plus rapproché de la nature physique , un
ordre complet qui satisfasse notre esprit en ne lui
jetant pas ce mélange d'ombre et de clarté qui nous
est importun. Nous croyons, en rétrécissant le spec-
tacle, agrandir notre vue; nous sacrifions l'infini à
l'espérance de voir plus à notre aise le fini ; c'est en-
core la lumière que nous cherchons dans les ténè-
bres. Il est cependant une autre cause moins hono-
rable de cette disposition de l'entendement humain,
et l'Évangile nous l'a révélée dans ces paroles mé-
morables : La lumière est venue clans le monde, et
les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ,
parce que leurs oeuvres étaient mauvaises (1). Il
existe, en effet, entre la vérité et le devoir, entre
l'ordre métaphysique et l'ordre moral, une liaison
qui fait que les questions de l'esprit sont aussi des
questions de cœur. Chaque découverte en Dieu nous
menace d'une vertu , d'un sacrifice de l'orgueil ou
des sens ; la faiblesse et les passions viennent au se-
cours de l'erreur et font un poids terrible dans la
lutte des intelligences, lutte qui est devenue celle du
bien et du mal. C'est là surtout que la force schisma-
tique prend son point d'appui.
Elle en trouve un troisième dans l'és-oïsme intel-
'■o^
(i] Saint Jean, chap. m, vers. 19*
— 224 —
îectuel , c'est-à-dire dans une certaine individualité
de l'esprit qui est propre à chacun de nous. Il est
vrai, Messieurs, que nous avons tous quelque chose
de commun dans la forme de notre intelligence aussi
bien que dans la forme de notre corps ; cependant
cette uniformité n'exclut pas les différences de phy-
sionomie. Aucun esprit, pas plus qu'aucun visage,
ne ressemble parfaitement à un autre ; nous pensons
et nous sentons diversement, et, par un égoïsme
fort naturel, chacun de nous ramène à soi tout le fir-
mament des idées , pour le façonner à sa mesure et
le fondre dans sa personnalité. Delà un attachement
puéril à notre sens , une persuasion que notre esprit
est le juge compétent et suprême de la vérité , et une
quiétude naïve en nous-même lorsque nous avons dit
d'une idée : Cela n'entre pas dans mon esprit. Eh !
qu'importe? La question est de savoir si c'est un
malheur pour l'idée ou pour vous. Mais nous croyons
volontiers que cette raison de refus est une condam-
nation en dernier ressort, et rien ne nous paraît plus
simple que de faire de notre horizon la borne de l'in-
fini. Nous voulons même imposer aux autres notre
individualité spirituelle, et nous saisissons avidement
le premier pouvoir qui nous donne des serviteurs ou
des sujets pour en faire les esclaves et les adorateurs
de notre pensée. Nous sommes surpris qu'on nous
résiste ; nous en voulons quelquefois mortellement à
un homme qui n'aura pas pensé comme nous dans
une seule occasion , en sorte que le signe par excel-
lence d'une grande âme est la modestie, le désin-
téressement de ses propres idées, la défiance de soi.
— 225 —
Mais on n'en arrive là qu'avec le long apprentis-
sage d'une vertu mûrie par l'unité , et jusque-là
l'égoïsme intellectuel nous pousse à transformer la
vérité en nous , au lieu de nous transformer dans la
vérité.
Ce troisième élément de la force schismatique est
suivi d'un autre, qui est le dernier, mais qui n'est
pas le moindre, je veux dire la toute-puissance arbi-
traire de l'esprit. Indépendamment de son goût pour
la lumière, de son entraînement vers les ténèbres,
de son égoïsme étroit, toutes causes qui le portent à
la séparation, l'esprit est libre; il est libre contre
l'erreur, libre contre la vérité, il peut tout ce qu'il
veut.
Jugez, Messieurs, si telle est la force schisma-
tique, quelle doit être la force unitaire ; car il faut bien
aussi qu'elle existe , puisqu'il existe au monde une
société publique des esprits. Supposez qu'aucune
force unitaire ne contre- balance la force schisma-
tique; les intelligences , privées de liens, emportées
chacune où le vent du hasard les poussera, ne se
rencontreront que pour se heurter, et formeront tout
au plus quelques agrégations fortuites, comme ces
nuages qui passent dans le ciel sans pouvoir jamais
s'y créer un jour de repos. Ainsi, pour me servir
d'une comparaison qu'il vous a été facile de pres-
sentir, retranchez de la mécanique céleste la force
que Newton a consacrée sous le nom d'attraction ,
aussitôt les globes qui peuplent l'éther s'enfuiront
dans des directions opposées, précipités dans leur
course par cette autre force qui est ia force gchisma-
— 226 —
tique du monde matériel. Ainsi encore, retranchez
d'une nation la puissance qui retient en paix les pas-
sions et les intérêts de tant de millions d'hommes ,
et vous la verrez se dissoudre dans les fureurs d'une
guerre parricide. Il lui faut un principe d'unité su-
périeur aux éléments de discorde qu'elle nourrit
dans son sein , et ce principe , il a un nom : c'est la
souveraineté. Souveraineté veut dire supériorité par
excellence, et la supériorité par excellence est celle
qui contient et produit l'unité. Le souverain est l'être
qui fait l'unité. Dans une monarchie, c'est le prince;
dans une aristocratie, c'est le sénat; dans une dé-
mocratie, c'est l'assemblée du peuple. Mais, sous
quelque forme que ce soit , là où est la puissance qui
fait l'unité, là est le souverain. Nous voici sur le
champ de bataille : cent mille hommes y sont debout,
et cependant tout est immobile, tout se tait, les che-
vaux, les clairons, la poussière. Que se passe-t-il?
L'unité est en silence et suspendue; elle regarde,
elle attend , elle règne. Puis un mot tombe de ses
lèvres ; le bronze tonne , les chevaux hennissent , les
armes se mêlent, les escadrons dévorent l'espace :
Funité règne encore, c'est elle qui faisait l'ordre dans
l'immobilité, c'est elle qui le fait dans le mouve-
ment. L'unité se taisait, l'unité a parlé, l'unité a été
souveraine dans l'un et l'autre cas ; voilà toute l*his-
toire d'une bataille , et toute l'histoire de l'ordre par-
tout et toujours.
Puis donc que l'ordre existe aussi quelque part
dans le monde des idées; puisque, malgré les ef-
froyables ferments de discorde qui le remuent et le
— 227 —
divisent, il a pu se fonder une société publique des
esprits , c'est donc qu'il existe aussi une souverai-
neté intellectuelle , souveraineté dont la doctrine ca-
tholique seule est en possession , puisque seule elle
a triomphé de la force schismatique qui tient les in-
telligences en hostilité et en dissolution. De même
qu'il n'y a pas de société civile sans un gouverne-
ment civil , ni de gouvernement civil sans une sou-
veraineté civile, il n'y a pas non plus de société des
esprits sans un gouvernement des esprits, ni de
gouvernement des esprits sans une souveraineté
intellectuelle , souveraineté qui ne détruit pas plus
la liberté de l'intelligence que la souveraineté civile
ne détruit la liberté civile, mais qui l'établit, au con-
traire , en déli\Tant les âmes du joug désordonné de
la force schismatique. C'est cette souveraineté intel-
lectuelle qu'ont cherchée et que cherchent encore
tous les auteurs de schismes , tous ceux qui aspirent,
ou par ambition , ou par amour des hommes , à fon-
der l'unité publique des esprits. Quand un philosophe
monte dans la chaire, il s'en fait tout simplement un
trône, il se pose comme souverain, il cherche dans
sa science et son génie le secret de cette supériorité
par excellence qui produit l'unité ; et il a raison de
le faire, jusqu'à ce qu'ému de son impuissance, il
reconnaisse et adore la main par qui régnent tous les
rois, et qui, ayant communiqué l'empire de la terre
aux conquérants , a refusé aux sages et aux philo-
sophes l'empire de la vérité , pour le donner à Jé-
sus-Christ, et, par Jésus-Christ, à l'Église catho-
lique.
— 228 —
Allons plus loin encore, Messieurs, et cherchons
en quoi consiste la souveraineté intellectuelle. Car,
tant que nous ne le saurons pas, il manquera quelque
chose à l'évidence de nos déductions.
La souveraineté intellectuelle ne peut être que
dans les idées ou dans l'esprit. Il est impossible de
la placer ailleurs; car tout ce qui est intellectuel est
ou idée ou esprit, l'objet de la pensée ou le sujet
pensant. Or ce n'est pas dans l'objet ou l'idée que
réside la souveraineté intellectuelle ; l'idée n'est pas
vivante indépendamment de l'esprit qui la reçoit;
elle peut s'altérer en y entrant, y perdre sa rectitude
et sa force , et n'en sortir, pour passer dans un autre
esprit , qu'avec un souffle froid et infécond , comme
une flèche mollement lancée par un archer sans vi-
gueur.
Vous en avez d'illustres exemples sous les yeux.
L'Église grecque a toutes les idées de l'Eghse catho-
lique, à bien peu de chose près, et pourtant l'Église
grecque gît inanimée, n'ayant pas plus d'unité que
celle d'un cadavre environné de bandelettes par les
mains sanglantes de l'autocatie russe. La Bible aussi
contient des idées catholiques, et les protestants se
sont jetés dessus avec l'espérance d'y puiser la vie,
l'unité, la souveraineté intellectuelle : y ont-ils réussi?
Beaucoup moins que les Grecs; l'immobihté a con-
servé à ceux-ci quelque apparence d'un corps, le
mouvement a réduit ceux-là à la consistance d'un
tas de cendres. Qu'est-ce donc que la vertu des idées
en dehors de l'esprit où elles prennent leur forme,
leur puissance, leur immortahté? Mais l'esprit lui-
— 229 —
même, qu'est-il, pour que la souveraineté intellec-
tuelle y ait son trône et son action? Qui sont les es-
prits dont se compose l'Église catholique? Hélas!
des hommes : vous, moi, le premier enfant qui, au
sortir de cette assemblée , ira se confesser. Est-ce
donc notre intelligence prise isolément, ou mise en
commun, qui possède la souveraineté intellectuelle^
cette supériorité formidable qui, depuis dix -huit
siècles, malgré toute la force schismatique dont dis-
pose le monde , captive cent cinquante millions
d'hommes autour d'un même dogme? et de quel
dogme! d'un dogme qui ne satisfait pas leur soif
innée de la lumière, qui irrite leur passion pour les
ténèbres, qui blesse au vif leur individualité spiri-
tuelle, et demande à leur libre arbitre une sanglante
acceptation. Quoi! c'est nous, c'est vous et moi, ce
sont mille hommes , cent mille hommes , qui sont ca-
pables, par leur propre esprit, d'un tel acte de sou-
veraineté? N'en croyez rien; gardez-vous d'en rien
croire : cela n'est pas possible. En tant qu'hommes,
nous n'avons rien de plus que les philosophes et les
savants, lesquels n'ont rien pu, et qui n'ont rien pu
parce que radicalement tous les esprits sont égaux,
parce que nul esprit n'est le souverain d'un autre
esprit.
Voulez-vous revenir aux idées? Voulez-vous con-
clure que la souveraineté intellectuelle réside dans
les idées , et que c'est par leur énergie que le monde
nous est soumis ? Mais pourquoi les idées ne se cor-
rompraient-elles pas dans notre intelligence , comme
elles se corrompent dans TinteUigence des Grecs et
— 230 —
des protestants? Qui donc ou quoi donc leur fait un
autre sort chez nous? Pourquoi si vaines ailleurs,
pourquoi si fortes dans l'Église? Vous voyez bien
que le cercle est fermé, et que la logique ne nous
laisse aucun asile ouvert !
Cependant l'unité catholique existe , elle existe
seule au monde; elle suppose une forme unitaire,
une souveraineté intellectuelle. Qui nous Fa donnée,
puisque les idées ne la donnent pas, et que l'esprit
de l'homme ne la possède pas ? Évidemment un
autre esprit que le nôtre est en nous , un autre esprit
nous anime, un autre esprit nous garde, un autre
esprit nous parle, l'esprit qui s'était retiré de l'homme
à Babel, et qui est revenu le jour de la Pentecôte :
l'Esprit de Dieu ! Le monde est Babel, l'Église est la
Pentecôte. Si Dieu n'est pas dans l'Église ce sera
quelque autre chose, mais à coup sûr ce ne sera pas
l'homme.
J'ai poussé jusqu'à l'extrême, Messieurs, l'ana-
lyse des causes qui expliquent le mystère de l'unité
catholique. Je m'arrêterai encore un instant pour
dire un dernier mot au rationalisme.
Le rationalisme nous reproche souvent de man-
quer de justice à son égard. Il semble croire que
nous lui contestons le domaine entier de la vérité,
comme s'il était incapable de découvrir ou d'affirmer
jamais une seule idée vraie; nous n'allons pas jus-
que-là. Mais , quoi qu'il en soit de ce point, la ques-
tion entre lui et nous est aussi une question de sou-
veraineté; nous lui disons qu'eût-il la vérité tout
entière, eût-il même, s'il est possible, plus de vérité
— 231 —
que l'Église n'en possède, il ne rallierait point les
esprits dans une unité stable, telle qu'elle est néces-
saire à la vie de l'humanité, parce que le rationa-
lisme le plus sincère et le plus religieux n'est qu'un
effort de l'homme en faveur de l'homme, une tenta-
tive de souveraineté destinée à se briser toujours
contre Timmense force schismatique qui est malheu-
reusement en activité dans le monde moral. Nous ne
réclamons pas mêm.e pour nous, en tant qu'hommes,
cette souveraineté qui échappe depuis six mille ans
aux mains du rationalisme ; nous savons qu'aucun
esprit n'est le souverain d'un autre esprit. Nous pro-
fessons qu'il est impossible, même à Socrate et à
Platon, de se faire un seul disciple, et, à plus forte
raison, un seul sujet. L'unité de l'Église est pour
nous un phénomène divin, qui ne s'explique que par
la présence perpétuelle de l'Esprit de Dieu au milieu
de nous. Nous croyons que Dieu s'est réservé la sou-
veraineté intellectuelle, et que tout essai pour s'en
emparer n'aboutira jamais qu'à la servitude des
âmes par l'autocratie, ou à leur ruine par le doute
et la négation. Ces deux épreuves, du reste, sont
nécessaires à la glorification de l'unité catholique,
afin qu'assaillie toujours par des imitateurs armés
de la science ou du casque, elle passe au miheu
de leurs complots sans faillir à sa destinée, toujours
vierge, toujours mère, toujours reine, et voyant
s'évanouir en fumée les espérances d'une rivalité
qui ne la suit toujours que pour la couronner tou-
jours.
TRENTE ET UNIEME CONFERENCE
DE L ORGANISATION ET DE L EXPANSION DE LA SOCIETE
CATHOLIQUE
Monseigneur,
Messieurs,
C'est sans doute beaucoup d'avoir mis au monde
une société intellectuelle publique, d'y avoir établi
des idées immuables , fondamentales , librement re-
connues et acceptées par des intelligences de tout
rang. La doctrine catholique l'a fait, et aucune autre
ne l'a fait après elle. Mais , si remarquable que soit
cet ouvrage, et bien qu'on ne puisse l'attribuer qu'à
l'Esprit de Dieu , tant l'esprit de l'homme est faible
et incapable d'un tel monument, toutefois, ce n'est
point encore là le terme de l'action sociale réservée à
la doctrine catholique. La société qu'elle a créée ne
s'appelle point du nom abstrait dont nous nous
— 234 —
sommes servi jusqu'à présent, elle ne s'appelle point
une société intellectuelle publique; son nom est plus
grave, plus significatif, plus difficile à porter, plus
célèbre enfin, et vous m'avez déjà tous prévenu,
Messieurs, en l'appelant l'Église, ou la société ca-
tholique. Oui , c'est là son nom ; et ce nom suppose
d'abord qu'il ne s'agit pas d'une société purement in-
tellectuelle, mais d'une société organique, où l'unité
doctrinale a pris corps sous un pouvoir hiérarchique,
législatif, judiciaire et administratif, c'est-à-dire
sous un pouvoir jouissant de la totahté des attributs
nécessaires à la vie réelle d'une société. Telle est, en
effet, la société catholique, et je l'ai fait voir il y a dix
ans , lorsque , paraissant pour la première fois dans
cette chaire, et saisissant le phénomène catholique
par son côté le plus extérieur, j'ai traité de l'organi-
sation de l'Église, ce qui m'impose le devoir de ne
pas m'y arrêter aujourd'hui. Je passerai donc outre,
et je vous ferai remarquer que le nom de cathohque
ne réveille pas seulement l'idée de l'unité intellec-
tuelle dans un corps organique et vivant, mais que,
de plus , il signifie l'expansion universelle de cette
unité t prodige si grand , que l'Église, inspirée de
Dieu et dédaignant tous ses autres titres , tels que
ceuxd'wie, de sainte, d'apostolique, qu'elle tenait
aussi du premier concile œcuméniqiie de Nicée, a
retenu le nom de catholique, comme le nom qui lui
appartient par excellence, et qui, souverainement
incommunicable, exprime le mieux cette force divine
et créatrice qui, après l'avoir douée de lumière, de
sainteté, d'unité , d'organisation, a fini par la pous-
— 235 —
ser dans le monde avec cette dernière couronne de
l'universalité.
Parlons donc de la société catholique , parlons de
son expansion dans l'espace et l'humanité. C'est
l'objet de cette conférence, où vous verrez encore
tant de nouvelles preuves de la toute-puissance de
notre doctrine, qu'elles finiraient par me lasser. Oui,
le scrupule qui me vient quelquefois, Messieurs,
c'est de vous fatiguer de cette longue exposition de
miracles; c'est qu'à force de vous répéter que le
doigt de Dieu est là , le prodige n'arrive pour vous à
l'état de lieu commun. Soutenez -moi contre un si
singulier désespoir; sachons considérer jusqu'au
bout l'œuvre divine, si variée d'ailleurs dans son
uniformité de force , de sagesse et de bonté.
L'Église est catholique, c'est-à-dire universelle,
et, en effet, s'il est vrai que Dieu ait fondé une so-
ciété , comment en eût-il fait le privilège d'une caste
ou d'un peuple, d'un continent ou d'un hémisphère ?
Si Dieu a voulu bâtir de ses mains un édifice social ,
assurément il l'a préparé pour tous. Tandis que les
hommes, queilequesoit la magnanimité de leursdes-
seins, travaillent pour eux, pour leur nation, pour une
gloire et un horizon toujours bornés, Dieu fait luire
son soleil sur tous , il illumine les aigles au haut des
montagnes et les oiseaux obscurs qui chantent leur
créateur à l'ombre d'un épi de blé. Il songe à un brin
d'herbe comme il songe à un cèdre, il s'occupe d'un
atome comme d'une étoile, et l'universalité étant le
caractère de ses moindres œuvres, à plus forte raison
en imprimera-t-il le sceau à une société formée de
— 236 —
ses mains pour la conservation et la propagation de
la vérité. Non pas que, malgré ce désir d'étendre et
d'assurer parmi les hommes le règne de la lumière,
il fasse violence à notre liberté et ne nous permette
pas d'échapper aux mailles du filet qu'il a déployé
sur nous : non , ce droit nous reste dans toute sa
plénitude, et il nous explique les apparentes faibles-
ses de l'ouvrage divin. Si le filet se rompt, comme le
dit expressément l'Évangile, c'est que l'œuvre de
Dieu n'exclut pas l'œuvre de l'homme, et que la li-
berté se fait jour à travers la souveraineté , sans dé-
truire pourtant le caractère de l'action supérieure et
maîtresse, qui triomphe finalement jusque dans
l'imperfection provisoire du résultat.
L'Église, disons -nous, la société intellectuelle
fondée par la doctrine de Jésus- Christ, est catholi-
que ou universelle dans son expansion. Mais, afin
de bien l'entendre, remarquons une seconde fois
qu'il ne s'agit pas d'une simple expansion des idées
immuables et fondamentales qui constituent le chris-
tianisme; ce serait déjà une magnifique universa-
lité, et néanmoins ce n'est là qu'une partie du
mystère de diffusion que nous appelons la catholi-
cité. Outre l'expansion de l'unité doctrinale, la ca-
tholicité emporte avec soi l'expansion de l'unité
hiérarchique, législative, judiciaire et administra-
tive; elle emporte la création d'un pouvoir doctrinal
universel, d'un pouvoir législatif universel, d'un pou-
voir judiciaire universel , d'un pouvoir administratif
universel ; ce qui est tout simplement le comble de
la folie. Voilà la thèse de la catholicité.
— 237 —
Quand même les protestants porteraient leur
doctrine par tout l'univers , quand même cette doc-
trine serait aussi une et immuable qu'elle est divisée
et mobile, qu'auraient-ils fait? Ils auraient semé la
Bible dans le monde, et, avec la Bible, certaines
idées qui y sont contenues; mais ils n'auraient point
établi universellement leur hiérarchie , puisqu'ils
n'en ont point; leur législature, puisqu'ils n'on ont
point; leur magistrature, puisqu'ils n"en ont point ;
leur administration, puisqu'ils n'en ont point. Ils
auraient fait un chef-d'œuvre intellectuel, mais qui
n'aurait rien de comparable à celui de la société
catholique, asseyant partout, avec sa doctrine, son
unité hiérarchique, législative, judiciaire et adminis-
trative. Il me semble que les termes du mystère
sont entendus.
Et ce petit dessein, Messieurs, ce petit dessein
d'un établissement catholique dans le monde, il n'a
pas été seulement celui de Dieu. Il y a bien long-
temps, même sans remonter jusqu'à Nemrod, Ninus
et Sésostris, que les rois caressent cette pensée, et
qu'à l'exemple de Nabuchodonosor, ils assemblent
.eurs grands et leurs généraux dans la solitude de
leur cabinet pour leur déclarer quïls ont l'intention
de soumettre l'univers à leur domination. Il y a bien
longtemps aussi que ces rêves de géant s'évanouis-
sent au réveil de la réalité. Car, dès que l'homme
veut s'étendre, dès qu'il s'adresse à l'espace, il ren-
contre dans la nature même matérielle un obstacle
invincible à son ambition. Les anciens disaient très-
spirituellement que la nature a horreur du vide; ils
— 238 —
eussent pu dire encore mieux qu'elle a horreur de
l'universalité , j'entends de l'universalité factice par
où nous voudrions la soumettre au même sceptre
et à la même main. L'espace est admirable sous ce
rapport. Dieu lui a fait trois genres de barrières
contre l'ardeur de nos envahissements pohtiques et
religieux. Le premier, c'est la distance. A mesure
que le rayon s'éloigne du centre, sa dépendance flé-
chit ; on obéit à cent lieues ; à mille, on n'obéit guère ;
à trois mille , on n'obéit plus ; tous les Uens se relâ-
chent et se brisent par le seul effet du chemin. Si
quelque unité momentanée subsiste entre la métro-
pole et la colonie , le temps ne tarde pas à sonner
l'heure de l'affranchissement. L'histoire est pleine de
ces avertissements que la distance ne cesse de don-
ner à notre orgueil.
Mais la distance n'est pas le seul rempart dont la
nature ait armé l'espace contre nos entreprises d'u-
niversalité. Si la distance est l'épée de l'espace, la
configuration en est le bouclier. Et quel bouclier
fondu et ciselé de main de maître ! Suivez de l'œil
ces chaînes de montagnes si artistement disposées
pour créer des frontières inexpugnables ; ces sables
brûlants que le dromadaire et le chameau franchis-
sent à peine, et que les vents protègent encore
contre la marche du voyageur et du conquérant; ces
steppes arides et inhabités où le despotisme n'a
plus de points cardinaux pour se retrouver ; ces ma-
rais pestilentiels ; ces îles perdues au sein des mers
et gardées par des récifs ; ces glaces des pôles ; ces
tempêtes de l'Océan ; tous ces mille obstacles distri-
— 239 —
bues avec tant d'art, et que soixante siècles d'efforts
£t d'exploration n'ont pas surmontés.
Ce n'était point assez. Le climat est venu se join-
dre à la distance et à la conGguration pour faire du
globe entier un défi à notre impuissance. Le soleil a
choisi une route qui nous apporte sa chaleur avec
une avarice et une prodigalité calculées ; quelques
jours de marche , quelques degrés de latitude fran-
chis , et cet homme puissant , Gyrus , Cambyse , qui
vous voudrez , le voilà qui ne peut plus porter son
casque, et qui désarme sa poitrine! Encore un jour,
encore un pas au - devant du soleil , et cette armée
florissante, qui se promettait l'empire du monde, la
voilà qui se pâme sous la pression invisible de l'at-
mosphère; le cavalier descend à l'ombre de son che-
val , le fantassin se couche par terre ; ils sont comme
un enfant qui s'est promené une heure de trop , et
qui se pend à la robe de sa nourrice ! Nous touchons
aux rivages fortunés de l'Italie ; il semble que son
ciel et le nôtre sont deux frères nés à une seule an-
née d'intervalle ; mais qui n'a vu la douleur de quel-
que enfant d'Italie transporté par l'exil sous les
nuages de France qui nous plaisent tant? En vain le
pauvre proscrit se réchaufîe-t-il aux rayons de notre
liberté ; sa tête se penche par le poids du souvenir et
du regret, comme une fleur qui a été transportée
d'une terre lointaine sur un sol qu'elle ignorait , et
qui s'y consume sans joie et sans parfum, parce
qu'elle est privée du soleil , des ombres et des vents
de sa patrie.
Ainsi résiste l'espace à nos songes d'universalité ,
— 240 —
et tous les conquérants, l'un après l'autre, sont ve-
nus s'y briser. Quand ce jeune Macédonien, après
Granique, Issus et Arbelles, eut touché les bords de
rindus, et que son cœur impatient le portait encore
plus loin, jusqu'à ce qu'il eût gravé son nom à la
limite même de l'univers , son armée l'arrêta. En
vain se cacha-t-il sous sa tente, armé de la boude-
rie de toute sa gloire, il fallut céder, et qu'il s'en
allât mourir à Babylone dans un festin , ne sachant
plus que faire de sa puissance et de son ambition.
Les Romains , cette race si patiente à préparer ses
conquêtes, si âpre à les étendre, et qui savait si bien
fondre la solidité dans l'étendue, les Romains con-
nurent le même écueil. Parvenus au Rhin et à l'Eu-
phrate, ils eurent là une barrière que les conseils de
leur sénat et les agitations de leur forum ne purent
soulever. Au delà du Rhin , Varus laissait les osse--
ments de ses légions; et, par delà l'Euphrate, Gras-
sus payait de sa vie et de sa renommée la témérité
qu'il avait eue de le franchir. Les exemples ne tari-
raient pas, et notre siècle même en a vu le fastique
retour. Longtemps le dernier des capitaines avait
rivé le sort à sa volonté; les Alpes et les Pyrénées
avaient tremblé sous lui; l'Europe en silence écou-
tait le bruit de sa pensée, lorsque, las de ce domaine
où la gloire avait épuisé toutes ses ressources pour
lui complaire, il se précipita jusqu'aux confins de
l'Asie. Là, son regard se troubla, et ses aigles tour-
nèrent la tête pour la première fois. Qu'avait-il donc
rencontré? Était-ce un général plus habile que lui ?
Non. Une armée qu'il n'eût pas encore vaincue?
— 241 —
Non. Ou bien était-ce l'âge qui refroidissait déjà
son génie? Non. Qu'avait-il donc rencontré? Il avait
rencontré le protecteur des faibles, l'asile des peu-
ples opprimés , le grand défenseur de la liberté hu-
maine : il avait rencontré l'espace , et toute sa puis-
sance avait failli sous ses pieds.
Car si Dieu a créé de telles barrières au sein de
la nature, c'est qu'il a eu pitié de nous. Il savait
tout ce que l'unité violente renferme de despotisme
et de malheur pour la race humaine, et il nous a
préparé dans les montagnes et dans les déserts des
retraites inabordables; il a creusé le roc de saint
Antoine et de saint Paul premier ermite; il a tressé
avec la paille des nids où l'aigle ne viendra pas ravir
les petits de la colombe. 0 montagnes inaccessibles,
neiges éternelles , sables brûlants , marais empestés ,
cUmats destructeurs, nous vous rendons grâces pour
le passé , et nous espérons en vous pour l'avenir !
Oui, vous nous conserverez de libres oasis, des thé-
baïdes solitaires, des sentiers perdus; vous ne ces-
serez de nous protéger contre les forts de ce monde ;
vous ne permettrez pas à la chimie de prévaloir
contre la nature, et de faire du globe , si bien pétri
par la main de Dieu , une espèce d'horrible et étroit
cachot où l'on ne respirera plus librement que la va-
peur, et où le fer et le feu seront les premiers offi-
ciers d'une impitoyable autocratie !
Mais peut-être ce que les conquérants n'ont pas pu,
les doctrines l'auront fait? Pas davantage, Messieurs,
et il suffira d'un mot pour vous le montrer. Parmi
les doctrines, celle dont le mouvement expansif a été
— 242 -
le plus remarquable et qui a le moins mal imité les
procédés du christianisme, c'est incontestablement le
bouddhisme indien ; car le mahométisme ne saurait
lui être mis en parallèle, puisqu'il n'a jamais été
qu'une conquête violente , et qu'il rentre ainsi dans
les observations que nous présentions tout à l'heure
sur les conquérants. Le bouddhisme indien a eu,
au contraire, une propagation pacifique et étendue
qui attire à bon droit l'attention , quand il s'agit de
l'expansion comparée des doctrines. Toutefois son
procès est facile , et son nom même d'indien décide
la question. Pourquoi le bouddhisme a-t-il limité son
prosélytisme et ses progrès aux deux presqu'îles de
l'Inde, au Thibet, à la Tartarie, à la Chine et au
Japon? Ces régions , il est vrai, sont considérables ;
mais quelle faiblesse dans une doctrine qui va si loin
dans des contrées contiguës et analogues , et qui ,
une fois ce développement acquis, s'y enterre toute
vive sans faire un pas de plus ni par terre ni par
mer! Nous avons en France la liberté des cultes:
pourquoi le grand lama du Thibet ne nous envoie-
t-il pas des missionnaires? Qu'a-t-il à craindre?
Depuis six cents ans qu'il a vu nos religieux et qu'il
parodie notre culte, qui l'empêche de s'en montrer
reconnaissant et de nous initier aux idées de Boud-
dha? Remarquez, Messieurs, que je ne parle que
des idées, lorsqu'il s'agit aussi d'action hiérarchi-
que, législative, judiciaire et administrative. Mais
ce serait trop demander au bouddhisme que de cher-
cher qui obéit sur la terre au grand lama, et de
quelle société organique il est véritablement le centre
- 243 —
et l'unité. Bornons-nous aux idées , et par cet effort
si vain du bouddhisme , si étroit , et qui est pourtant
la plus vaste tentative d'universalité doctrinale en
dehors du christianisme, jugez du miracle de la ca-
tholicité. Jugez-en par l'espace si restreint où se meu-
vent toutes les autres sociétés organiques qui peu-
plent l'univers. Qu'est-ce que le plus grand empire du
monde sur une carte de géographie? Qu'est-ce que
cette fameuse monarchie des Espagnes et des Indes
sur laquelle le soleil ne se couchait pas? Quelques
degrés de longitude et de latitude ont raison de tout
le pouvoir humain, et c'est une maxime que l'éten-
due dévore l'unité.
La société catholique a seule échappé à cette loi
des choses finies. A peine arrosée du sang tombé de
la croix, à peine animée du souffle de la Pentecôte,
elle a franchi l'Euphrate et le Rhin, elle a visité la
Scythie, l'Inde, l'Ethiopie , et pendant que l'empire
se partageait entre des maîtres, ou cédait de sa terre
aux barbares dont il était assiégé, elle répandait sur
la surface multiple du sol romain son unité doctri-
nale, hiérarchique, législative, judiciaire et adminis-
trative, resserrant et fortifiant son organisme social
à mesure que l'ancien monde voyait périr le sien.
L'Angleterre, l'Hibernie, la Germanie, toutes les
plages du Septentrion lui ouvrirent, chacune en son
temps, leur territoire plus neuf. Elle passa le cap do
Bonne-Espérance avec Vasco de Gama, elle descen-
dit en Amérique avec Christophe Colomb, elle suivit,
ia croix à la main, tous les aventuriers du xv'' et du
XVI* siècle, élevant à côté de leurs noms les noms de
— 244 —
Las Casas, de saint Louis Bertrand, de saint Fran-
çois Xavier, fondant des chrétientés à Tabri des
comptoirs, poursuivant et charmant les sauvages
iusque dans leurs plus secrètes forêts! Où n'est- elle
pas aujourd'hui? Où n'est -elle pas avec son unité
tout entière? Voici qu'elle s'éparpille, sans se divi-
ser, dans toutes les baies de l'Océanie. Du haut de sa
chaire une et immuable , le père de cent cinquante
millions d'hommes dispersés par toute la terre élève
la voix qui les enseigne, il est cru; il nomme d-es
évêques, on les reçoit; il promulgue une loi, on la
vénère; il prononce un jugement, on s'y soumet; il
règle des cérémonies , on les pratique. La distance,
la configuration, le climat, rien n'altère la majesté
qui commande et l'obéissance qui accomplit ; ou si
quelque différence se remarque entre le respect qui
est proche et celui qui est lointain, elle est toute
en faveur du pouvoir à mesure qu'il est plus dé-
sarmé.
Quel miracle. Messieurs! L'Angleterre touche à
tout par sa politique et ses vaisseaux; mais dites-
lui d'établir quelque part sa hiérarchie, sa législa-
tion, sa magistrature et son administration, sans
s'assujettir par la force le point du globe ou elle les
portera : l'Angleterre croira que vous vous moquez.
C'est pourtant ce que la Rome catholique fait tous
les jours sans que personne y prenne garde, tant
sa souveraineté organique universelle est devenue
un élément naturel de l'humanité. On a vu cette
même Angleterre dont je parlais , se séparer de
Rome, la proscrire, inventer contre elle des suppUces
— 245 -
atroces, et, malgré cet appareil, pendant trois cents
ans consécutifs , Rome a conservé au sein de celte île
superbe une chrétienté qui recevait ses envoyés, ses
lois, ses jugements , qui priait avec elle , qui pensait
avec elle, qui souffrait et se réjouissait avec elle, qui
mourait heureuse pour elle. Encore une fois, Mes-
sieurs, quel miracle, et comment l'expliquer?
Ah! je vais vous le dire : c'est que la nature se
révolte contre l'orgueil et la domination ; mais contre
la vérité, contre le bien, contre Dieu, il n'y a pas de
montagnes, pas de déserts, pas de glaces, ni de so-
leil ardent, ni de mers orageuses, ni de barrières ar-
mées. Et c'est pourquoi le prophète annonçant de
loin cette puissance d'universalité qui est dans l'É-
glise, et s'y complaisant d'amour, ne se lassait pas
de porter à la nature un triomphal défi, ainsi que
nous entendons, dans l'office même de ce jour, Isaïe
crier de toute sa force : Montagnes , montagnes et
collines yvous serez abaissées; chemin tortueux^ vous
serez redresses; sentiers escarpés et âpres, vous
serez doux comme la plaine (1). Et ailleurs, et mille
fois: Passez, passez par les 2:)ortes , préparez la voie
au peuple , aplanissez la rouie , choisissez les pier-
res; élevez un signe pour que tout le monde le dé-
couvre (2). Et pourquoi, ô prophète, pourquoi les
portes doivent-elles s'ouvrir, les barrières tomber, la
nature perdre toutes ses jalouses précautions? Ah I
répond le prophète, c'est que le Roi vient, il vient
(1) Isaïe, chap. xl, vers. 4.
(2) Ibid., chap. lxii, vers. \0.
— 246 —
avec justice et douceur, il est paifore , il est monté
sur une ânesse et sur le fils de Vânesse (1) . Voilà ce
qui ouvre tout et qui change tout. Ouvrez les portes,
laissez 'passer la nation juste, la nation qui garde la
vérité (2). La science n'avait pas passé, la puissance
n'avait pas passé ; Ninive, Babylone, Alexandre, les
Romains n'avaient pas passé; mais le Fils de
l'homme, monté sur le fils de Tânesse, il passera, il
a passé, et passé pour ne sortir jamais.
Me demanderez-vous encore pourquoi? et vous le
dirai-je sous une autre forme? C'est que la vérité
donne du courage pour gravir des montagnes, pour
habiter les déserts et s'accoutumer au soleil. Un
missionnaire part, sachant bien qu'il ne vivra que
dix ans: que lui importe? La vérité qu'il annonce
est éternelle, l'éternité lui rendra les jours qu'il aura
perdus. Nul ne vous rendra les vôtres, ô hommes qui
ne travaillez que pour vous , nul ne sera votre ré-
compense que vous-mêmes. Mais Dieu se souvient
d'un verre d'eau donné en son nom ; l'apôtre le sait ,
il quitte sa patrie, sa famille, il se quitte lui-même
pour porter jusqu'aux extrémités du monde le verre
d'eau de la vérité, et c'est ce verre d'eau, protégé
par Dieu qui l'envoie , et par la charité qui le porte ,
c'est ce verre d'eau qui triomphe de l'espace où tous
les conquérants ont péri. Suivons ses destinées, et,
après l'avoir vu aux prises avec la nature, voyons-le
aux prises avec la chair et le sang.
(1) Saint Matthieu, chap. xx, vers. 5; et Zacharie, chap. ix,
vers. 9.
(2] Isaïe, chap. xxvi, vers. 2.
- 247 —
De même que l'espace, rhumanîté a en elle des
ressources infinies contre l'expansion de l'universa-
lité. La première est sa division par races. Car bien
que le genre humain sorte d'un tronc unique et pri-
mordial, et que le même sang coule dans ses veines ,
cependant il a une facilité extrême et presque inex-
plicable à tirer de cette unité primitive des générations
distinctes par leur physionomie, leurs aptitudes,
leurs goûts, leurs mœurs et leur histoire. Si ces ca-
ractères distinctifs étaient variables et intransmis-
sibles, il n'y aurait point de races; la race suppose à
la fois une variation dans l'espèce et la perpétuité
de cette variation: c'est-à-dire le concours d'une
force mobile pour produire la diversité, et d'une
force immuable pour la maintenir. Quelque difficile
qu'il soit de comprendre ce phénomène, jusque-là
que des savants ont mieux aimé douter de l'origine
commune du genre humain, toutefois il nous touche
de si près et par tant de côtés, que nous le constatons
à tout moment dans les familles, les provinces et les
nations. Quiconque a voyagé reconnaît au premier
coup d'œil un Anglais, un Espagnol, un Italien, un
Allemand , peuples pourtant si voisins les uns des
autres, et liés ensemble depuis plus de mille ans par
la religion, la paix, la guerre, le commerce, les
lettres , les arts , et presque par un même ciel , tant
les différences de climat y ont de modération. En
France même, sous l'empire d'une unité sociale qui
a eu sans doute sa gradation, mais qui a toujours
existé plus ou moins, le type des provinces de la mo-
narchie est encore saisissable à l'œil de l'observateur.
— 248 —
Il ne confondra jamais le Français du Nord avec le
Français du Midi, le Breton avec l'Aquitain, le Bour-
guignon avec l'Auvergnat. Si telle est la puissance
de la race dans des contrées limitrophes, malgré
tant de causes qui devraient l'anéantir, que sera-
t-elle lorsqu'il s'agira du Grec et de l'Hindou, du Ca-
raïbe et du Chinois! Trois grandes races primitives,
celles de Sem, de Cham, de Japhet, ont rompu le
genre humain en trois branches, marquées d'un
énergique caractère de diversité; et, dans ces bran-
ches mêmes, la diversité s'est multipliée presque à
l'infini, avec une mobilité et une persévérance égales
l'une à l'autre , et qui font du monde moral ce que la
distance, la configuration et le cUmat ont fait du
monde physique, un théâtre rebelle à toute tentative
d'universalité. Il le fallait encore, afin que, les races
se contre- balançant, nos destinées ne fussent pas à
la merci du premier peuple qui aurait été le plus
fort.
Cet obstacle n'était pas préparé contre la puis-
sance de la vérité et de la charité; aussi la société
catholique a passé par-dessus avec un très -facile
élan. De la race de Sem, où elle avait toutes ses
racines d'antiquité par le peuple juif, elle s'est jetée
sur la race de Japhet, qui remphssait l'Europe, sans
négliger l'Afrique , la vieille patrie de Cham. Asso-
cié aux grands rameaux, son mélange avec les reje-
tons inférieurs n'a plus été qu'un jeu ; les barbares ,
l'un après l'autre, l'ont reconnue pour leur mère; et
quand les deux Indes s'ouvrirent à l'orient et à l'oc-
cident devant nos heureux navigateurs, les cent
— 249 —
races de ces nouveaux continents ne regardèrent
pas à la peau de l'Église : elle était colorée par
le sang de Jésus- Christ, qui est le sang univer-
sel.
Cette assimilation de la société catholique à toutes
les races humaines est d'autant plus remarquable,
Messieurs , qu'elles ne sont pas toutes au mêm.e état
de culture sociale , et qu'outre la distinction de leur
caractère natif elles appartiennent encore à des âges
différents, qui sont la barbarie, la civilisation, la
décadence et l'état sauvage.
La barbarie est l'enfance des races. Elle se recon-
naît à la prépondérance du corps sur l'esprit. Le
barbare vit du sang, et non delà pensée. Quand, au
contraire, l'esprit commence à prévaloir sur le corps,
c'est le règne de la civilisation qui s'annonce : règne
illustre consacré par le développement des lettres ,
des sciences et des arts , par une activité grave et
simple qui remplit la vie en l'élevant. A l'époque de
décadence , le corps reprend le dessus , non plus le
corps grossier du barbare , mais le corps poli , par-
fumé, usé, pétri d'intelligence, et, toutefois, revenu
aux instincts les plus vils , instincts que l'ignorance
n'excuse plus, que la vigueur n'explique pas, et qui
font de l'âme ainsi tombée le repaire ignoble d'un
égoïsme délicat et subtil. L'état sauvage , le dernier
de tous , est le retour à la barbarie, mais à une bar-
barie ruinée , qui n'est plus même capable de sou-
tenir les rudiments d'une société.
Il n'est pas malaisé, Messieurs, de saisir quels
obstacles l'expansion de l'universalité rencontre dans
— 250 —
ces âges si divers des générations , et de quelle sou-
plesse d'organes l'Église doit être douée pour se les
assimiler sans rien perdre elle-même de la plénitude
de son âge et de l'éternité de sa civilisation. Vous
savez si elle a réussi. S'agit-il de la barbarie, elle a
converti ces nuées d'hommes qui ont dévoré l'empire
romain. S'agit-il de la civilisation, elle s'est formée
au siècle d'Auguste; elle a formé elle-même le siècle
de Léon X et celui de Louis XIV. S'agit-il de la dé-
cadence, le Bas-Empire est là pour y dire son ac-
tion. S'agit-il enfin de l'état sauvage , elle a créé le
Paraguay, et des rives de la Plata aux lacs et aux
montagnes du Canada, elle s'est fait aimer par les
tribus errantes des deux Amériques d'un amour naïf
et saint qui touche plus le cœur que les scènes mêmes
des catacombes et des martyrs. Elle a donc tout sou-
mis, elle s'est tout assimilé dans l'échelle des races
et des âges sociaux : les peuples enfants , les peuples
virils, les peuples vieillards, les peuples retournés
à l'enfance. Mais ce n'est point encore là le succès le
plus décisif de son universalité; en ayant eu affaire
aux races, elle a eu affaire à quelque chose de plus
terrible que les différences d'origine, de culture et
de mœurs, elle a rencontré l'obstacle de la natio-
nalité.
Une nation est une race condensée dans un terri-
toire et dans une organisation. L'organisation n'est
autre chose que l'unité résultant d'un pouvoir hié-
rarchique, législatif, judiciaire et administratif. Ce
pouvoir, ce sont les entrailles mêmes de la nation,
toute sa vie, toute son histoire, tout son orgueil,
— 231 —
puisqu'elle n'est un corps que par lui, qu'elle n'agit
que par lui, qu'elle ne subsiste que par lui. Ce seul
mot, Messieurs, vous révèle l'abîme où nous voici
tombés. Une nation est une unité réelle et organique,
ayant la totalité des attributs du pouvoir; et, par
conséquent , lorsque la société catholique , ayant
aussi la totalité des attributs du pouvoir, se présente
à une nation , elle ne lui demande ni plus ni moins
que d'admettre chez elle, à ses foyers, sur ses
places, dans ses conseils, une autre hiérarchie que
sa hiérarchie nationale, une autre législature que
sa législature nationale , une autre magistrature que
sa magistrature nationale, une autre administration
que son administration nationale, une autre unité
que son unité nationale, une autre vie que sa vie,
une autre souveraineté que sa souveraineté. Je vous
adjure, Messieurs, cela est-il possible? Le poëte l'a
dit:
On ne partage pas la grandeur souveraine.
Et on demande à une nation de partager sa pourpre!
Ton veut que, comme saint Martin coupa son man-
teau en deux pour en couvrir un pauvre, une nation
coupe en deux son vêtement pour le donner non pas
à un pauvre, mais à un plus riche qu'elle-même, à
une société qui se prétend universelle, et qui, parle
fait, n'a aucune limite assignable dans l'espace et
dans le temps ! Je vous le répète , humainement cela
est- il possible?
il faut bien que la difficulté soit grande,, puisque
— 252 —
encore aujourd'hui, vous le savez, malgré l'ascen-
dant d'une chose accomplie , quoique la France soit
une nation catholique et que les idées de liberté de
conscience y soient fort goûtées , cependant un des
obstacles à la réconciliation religieuse des esprits
dans notre patrie, c'est le^réjugé qui nous reproche
d'appartenirà un souverain étranger. Jenele justifie
pas , mais il existe ; il est pardonnable peut-être à
qui n'est pas éclairé de la lumière divine, et qui,
laissant de côté l'histoire, juge des choses les plus
profondes par certaines apparences ou conclusions
du sens commun. Ne l'oublions pas, Messieurs; dans
nos discussions , sachons compatir à ceux qui n'ont
pas la même foi que nous, et auxquels nous deman-
dons le respect d'un miracle aussi étonnant que le
miracle de la catholicité. Car ce miracle enfin , mal-
gré son incompatibilité apparente avec les droits sa-
crés des nations, il s'est accompli. Il est admis en
Europe, et chez tous les peuples civilisés de l'ancien
et du nouveau continent, qu'il existe deux puissances
distinctes par leur nature et leur objet, toutes les
deux venant de Dieu, toutes les deux souveraines
chacune dans leur sphère, pouvant se séparer ou
s'unir selon des conditions équitables réciproquement
acceptées. Ce dogme, à la fois humain et divin, est
regardé comme l'un des palladiums de la liberté et
de la civilisation, et, malgré l'influence des préjugés
nationaux, nulle intelligence ne comprendrait plus
une religion puisant sa vie à la même source que les
droits et le intérêts temporels, gouvernée par les
mêmes lois et soutenue par les mêmes mains. Notre
— 253 —
siècle , Messieurs , s'est ouvert sous ces grands aus-
pices d'un traité entre les deux puissances, entre
la société catholique , représentée par un vieillard
dont le prédécesseur était mort captif, et la société
française, représentée par un jeune consul, mais
que la victoire avait vieilli avant le temps et préparé
pour un de ces offices solennels qui fondent ou qui
sauvent les nations. A sa voix, malgré le sourire
encore vivant du xviii® siècle, les enseignes de
la république et la croix de Jésus-Christ se bais-
sèrent pour se reconnaître et se toucher, et l'Eu-
rope étonnée, voyant le vainqueur des Pyramides
couvrir cet embrassement de la magie de son renom,
connut que Jésus-Christ était encore le maître du
monde.
Je devrais m'arrêter là , Messieurs : car que dire
de plus? Que reste-t-il dans le miracle de la catho-
licité qui ne soit révélé à votre admiration? Peut-
être, Messieurs, peut-être ! De la race et de la natio-
nalité naît dans le cœur de l'homme l'amour de la
patrie, sentiment profond et exclusif, qui se nourrit
de l'histoire du passé et des souvenirs de notre vie
personnelle , où se rapporte tout ce que nous avons
vu, fait et été, depuis les jours bénis de notre en-
fance jusqu'aux agitations de notre maturité et à la
perspective de notre tombeau. Là, tout est saint;
là , rien n'est à perdre ; aucune transaction ne doit
toucher le seuil d'un endroit de notre âme aussi ré-
véré. Mais notre inscription dans une autre société,
qui est universelle, notre adhésion à des pensées et
à des lois d'un ordre plus grand, notre association
ni. — 8
— 254 —
à d'éternelles destinées ne flétriront-elles pas jusqu'à
sa racine l'amour de la patrie? Ici, Messieurs, vous
du moins qui êtes chrétiens , vous pouvez répondre
pour moi. Vous savez avec quel art Dieu a fondu
dans votre cœur le sentiment catholique et le senti-
ment patriotique ; par quel mouvement simple et
inaperçu de vous-mêmes, vous ne faites qu'une
seule chose de la maison de votre enfance, de l'é-
glise, du cimetière, des bois, des champs, de la
prière et de l'amitié, chers et pieux éléments de votre
vie, dont elle n'est pas plus embarrassée que la fleur
ne l'est de la terre où elle puise sa sève , et du ciel où
elle respire. L'histoire du monde répond à l'histoire
de votre cœur. Elle a dit assez haut quel fut par-
tout , dans les batailles et dans les conciles , le dé-
vouement des catholiques aux jours où la patrie le
réclame. Elle a dit si le patriotisme a diminué dans
le monde depuis Jésus-Christ, et si, comme autre-
foi?-, parce que le temple s'est agrandi, on ne combat
plus pour l'autel et le foyer, ces deux choses sacrées
que les anciens ne séparaient pas. Le doute n'est pas
possible à cet égard. Chaque nation cathohque a eu
ses Machabées ; la religion a pris parti dans leur
gloire et leurs intérêts sans cesser d'être universelle,
elle a béni sans trahison des drapeaux opposés, elle
a chanté la victoire et honoré la défaite à la fois ,
comme Dieu , du haut de son trône, malgré la diver-
sité des peuples et des événements, étend sur tous
l'impartialité passionnée de son amour. Nul ne s'y
trompe; tout le monde sent que la patrie et l'Église,
le sentiment national et le sentim^ent religieux , loin
~ 255 —
de s'exclure, se fortifient l'un par l'autre, s'élèvent
l'un par l'autre, et que, touchant à la poitrine de
chacun de nous, le ciel et la terre y rendront ce cri
célèbre :
A tous les cœurs chrétiens que la patrie est chère !
Comment cette fusion a -t- elle pu s'opérer? Par
quel mystère le temps et l'éternité rendent- ils en cela
le même son? Peu nous importe de le découvrir ou
de l'ignorer. Acceptons les bienfaits de Dieu , même
quand nous ne savons pas dans quel trésor il les a
puisés. C'est lui qui a fait la patrie, c'est lui qui a
fait l'Église , c'est lui qui a fait aussi l'amour qu'il
nous demande pour tous deux.
Ma tâche est accomplie. Messieurs; le prodige de
la catholicité vous est connu tout entier. Il a sa ra-
cine première dans l'unité publique des esprits fon-
dée par la doctrine catholique ; cette unité a reçu
une organisation qui n'en est point séparable, et qui
en a fait un corps vivant doué de tous les attributs
du pouvoir social; et, enfin, l'unité doctrinale et or-
ganique, en dépit des résistances de la nature et de
l'humanité contre toute expansion illimitée, a fini
par s'épanouir en ce royaume universel que l'Écriture
appelle le royaume de Dieu.
Toutefois, Messieurs, ce royaume n'est pas uni-
versel d'une universalité absolue ; on y entre par un
acte de volonté ; on en sort aussi par un acte de vo-
lonté. Plusieurs d'entre vous lui sont encore étran-
gers : je les conjure de voir s'ils doivent plus long-
- 256 —
temps lui refuser leur obéissance. Ont-ils loin de lui
assis leurs idées dans le repos? Ont-ils rencontré
quelque unité dans les esprits? Sont-ils satisfaits
d'eux-mêmes et du monde? S'ils ne le sont pas, que
tardent-ils à entrer dans le royaume de l'immutabi-
lité , de l'unité , de l'universalité ? Les merveilles
qu'ils en ont entendues sont assez visibles pour
émouvoir leur intelligence , et la lumière qui leur
manque encore est celle même qui les attend au sanc-
tuaire, et qu'on ne voit jamais du dehors. Je les ap-
pelle donc à l'intérieur ; je leur dis : Venez et goûtez.
Un jour du dedans vous vaudra mieux que mille du
parvis.
TRENTE-DEUXIEME CONFERENCE
DE L INFLUENCE DE LA SOCIETE CATHOLIQUE
SUR LA SOCIÉTÉ NATURELLE QUANT AU PRINCIPE DU DROIT
Monseigneur,
Messieurs ,
Toute société a un but , et par conséquent cette
grande société que Dieu a fondée sur la terre , la so-
ciété catholique, a aussi un but. Quel est-il? Ce n'est
pas , Messieurs , un but terrestre. Divinement fondée,
la société catholique a un but divin. Elle est le germe
visible d'une cité qui ne se voit pas encore, mais qui
est la seule véritable, pour laquelle tout a été fait,
et dont saint Paul disait : Nous n'avons pas ici-bas
de cité permanente , mais nous cherchons celle qui
le sera. La société catholique est la préparation de
l'éternelle société des justes avec Dieu ; elle forme et
mûrit les âmes qui mériteront de le voir un jour dans
— 258 —
îa nudité de son essence, et de le posséder dans un
amour qui ne finira plus. Mais ce but mystique et
suprême exclut-il tout autre but? Ce bienfait final
n'est-il précédé d'un autre bienfait? Quel est le rap-
port de la société catholique avec la société naturelle,
c'est-à-dire avec la société qui résulte de nos intérêts
et de nos besoins présents ? Y a-t-il divorce entre
l'une et l'autre? La société divine passe-t-elle à côté
de la société humaine en la dédaignant, uniquement
préoccupée de sa fin ultérieure? ou bien lui tend-elle
une main secourable et amie , et les voit-on marcher
ensemble comme deux sœurs qui ne sont pas du
même lit, mais qui ont un père commun? En d'au-
tres termes, l'expansion de la société catholique dans
l'espace et le temps a-t-elle été un événement heu-
reux ou malheureux pour l'humanité , ou même un
événement qui ne l'a point atteinte dans ses destinées
visibles? Je réponds hardiment, Messieurs, que le
développement de la société catholique a produit
dans le monde, par un contre-coup inévitable et
voulu de Dieu , la plus inespérée et la plus souhai-
table des révolutions. Ce sera l'objet des Conférences
qui vont suivre. Je ne vous en tracerai pas d'avance
la marche et le plan ; vous savez que ce n'est point
ma coutume. Je ne suis pas une grande route , des-
sinée et orientée avec art, mais un simple sentier qui
suit comme il peut les escarpements de la montagne,
et vous mène au but en vous le cachant. Vous me le
pardonnerez sans peine , Messieurs ; la grande affaire
est d'arriver, et j'espère , avec la grâce de Dieu , que
nous ne nous égarerons point.
— 259 -
La société naturelle a pour fondement la justice ;
la justice, jiiris suhsisieniia , est la stabilité du
droit; le droit est ce qui est dû à chacun : mais
qu'est-ce qui est dû à chacun? voilà la question.
Ainsi, la société naturelle reposa sur la justice, la
justice sur le droit, et le droit sur une question pro-
blématique. Les hommes disputent du droit comme
ils disputent de la vérité ; ils disputent de la règle
d'agir comme ils disputent de la règle de penser.
Question de vérité, question de justice, il n'y en a
pas d'autres sur la terre , et ces deux questions suffi-
sent à elles seules pour donner le branle à des luttes
qui ne finiront qu'avec le genre humain.
Ce n'est pas, Messieurs, qu'ainsi qu'il existe dans
l'ordre du vrai des notions saisissables à la première
vue de l'esprit, il n'existe aussi dans l'ordre du droit
de règles primordiales et efficaces , très-bien appe-
lées par nous le droit de la nature; mais, de même
que les vérités de sens commun se renferment dans
un cercle fort limité , les principes du droit naturel
n'étendent pas loin non plus leur juridiction. Il est
manifeste pour tous qu'il existe une différence entre
le bien et le mal, et qu'assassiner son père ce n'est
pas la même chose que de lui porter secours et
vénération. Qu'est-ce, toutefois, que ces prescrip-
tions élémentaires quand il s'agit de déterminer se-
lon la justice les relations si compliquées d'un grand
peuple, de mettre en harmonie les personnes, les
choses, les actes, et d'assujettir à l'ordre jusqu'aux
événements les plus imprévus? On voit à ce travail
les plus fermes politiques hésiter et se troubler, faire
— 260 —
un pas , puis revenir, semblables au pilote qui cher-
che sa route dans le ciel, mais à qui le mouvement
des nuages et des flots dérobe sans cesse l'étoile po-
laire.
Il faut cependant que le droit soit fixé ; car nulle
cité ne peut se former ni vivre sans une règle de re-
lations, puisqu'elle n'est autre chose qu'un vaste en-
semble de relations. Jusqu'au moment où le droit
intervient pour les coordonner, la cité n'est qu'un
assemblage fortuit d'hommes et d'intérêts incohé-
rents ; le droit est le nœud qui les met en rapport
avec eux-mêmes et avec Dieu, qui leur crée un terri-
toire, une souveraineté, une patrie, un avenir. Mais
qui posera le droit? Qui décidera du commandement
et de l'obéissance, du travail et du repos, de l'acqui-
sition et de la perte des biens, des peines et des hon-
neurs? Qui tracera à cette société naissante la route
qu'elle doit suivre à travers les hasards du temps ,
et lui préparera une justice capable de résister à
toutes les vicissitudes des affaires et des passions?
Sera-ce une convention volontaire et primitive?
Sera-ce que quelques hommes, se rencontrant au
bord d'une forêt, mus par des instincts de défense
ou de déprédation , déposeront dans un contrat les
rudiments d'une grande société? On l'a dit. Mes-
sieurs, on l'a écrit dans un livre demeuré célèbre,
jusqu'aujourd'hui, et toutefois, l'auteur lui-même,
par une vue de retour qui n'a pas été la moins émi-
nente de ses facultés , l'auteur du Contrat social a
fini par avouer ce que l'histoire proclame très-haut,
c'est que toute société humaine a pour père un légis-
- 261 —
lateur. Le législateur, homme de la Providence,
pose le droit, il le pose avec autorité, par la vertu
d'un ascendant dont Dieu est la première cause, mais
qui provient secondairement des qualités de l'homme
et des besoins de la cité : ainsi, Moïse, Lycurgue,
Selon, Numa, noms vénérés, inscrits au piédestal
qui porte la statue des grandes nations. Mais, quel-
que mémorable qu'ait été leur œuvre , et sans en ex-
cepter même Moïse, combien elle a été loin d'at-
teindre tout ce que l'humanité devait espérer d'une
législation ! L'humanité avait besoin d'un droit-
principe, d'un droit immuable, d'un droit univer-
sel : aucun législateur, avant Jésus-Christ, ne le lui
a donné.
J'entends par droit- principe , non un droit tel
quel, servant de fondement à une société particulière
à cause de l'antiquité et de l'autorité du législateur,
mais un droit qui a pénétré si avant dans les en-
trailles du vrai et du juste, que la force de l'expé-
rience, la critique successive des générations et le
cours de l'histoire ne puissent en accuser jamais
l'imperfection, ni en ébranler l'empire. Ainsi, par
exemple, quand Moïse, descendant du Sinaï, rap-
portait à son peuple ce commandement : Tu sancti-
fieras le septième jour, et tu t'y reposeras , c'était là
un élément du droit-principe. Admirez, en effet,
même en ne considérant que le côté humain de cette
prescription , quelle connaissance profonde de notre
nature elle suppose dans le législateur, quelle vue
désintéressée des rapports du riche et du pauvre , de
l'homme qui travaille et de l'homme qui fait ira-
— 262 —
vailler. Ne fallait-il pas un sentiment de justice bien
extraordinaire, une rare prévision, pour que de si
loin fût posée une loi si étrange en apparence , mais
que l'avenir a tellement expliquée et justifiée, en
sorte que toute société qui la méprise s'attaque à la
dignité, à l'intelligence, à la liberté, à la moralité, à
la santé même du peuple , et le livre pieds et poings
liés à la cupidité de ses maîtres, jusqu'à ce que, de-
venu une simple machine à production , perdu de
corps et d'âme , il tombe aux mains du premier con-
quérant qui en respectant le septième jour aura tenu
ouverte la source de la religion , des bonnes mœurs
et de la puissance militaire? C'est ce que j'appelle
créer un droit-principe, un droit qui ne peut plus
reculer, qui est sacré à toujours : et pourquoi sa-
cré ? parce qu'il est né d'un regard au siège même
de la justice, d'un éclair descendu d'en haut, où
réside en Dieu l'ordre inaltérable et substantiel , et
d'où coulent sur nous , avec plus ou moins d'abon-
dance, ces lueurs d'équité qui nous éclairent, et
qui, selon leur dispensation, font la destinée des
sociétés.
Or, Messieurs, lequel des législateurs de l'anti-
quité a fondé un droit -principe dans toute sa pléni-
tude? Moïse, dont je ne devrais peut-être pas
parler, puisqu'il appartient par son histoire et sa
législation à la société catholique. Moïse lui-même
n'y a réussi qu'imparfaitement ; et quant à tous les
autres, il serait inutile de chercher dans leur œuvre rien
d'assez essentiel pour êtredevenu le point de départdu
droit, le type primordial et éclatant de toute justice
— 263 —
constituée. Le genre humain avait besoin de ce type ;
il ne Ta pas reçu d'eux. Les lois de Manou, de Mi-
nos, de Solon , de Lycurgue, de Numa , les institu-
tions les plus célèbres gisent à terre, monuments
brisés d'une vertu trop médiocre pour avoir réfléchi
suffisamment l'éternelle physionomie de la justice
incréée.
Elles n'ont pas joui davantage du caractère de
l'immutabilité, sans lequel la meilleure législation
est impuissante à protéger ceux qui vivent sous sa
garde. Car tout droit mobile est à la merci des plus
forts, quelle que soit la forme du gouvernement, que
le peuple ait à sa tête un chef unique ou la majorité
d'un corps qui déhbère; dans l'un et l'autre cas, le
sort de tous , ou au moins le sort de la minorité est
sans protecteur, s'il n'existe entre le souverain et les
sujets un droit inviolable, qui couvre la cité tout
entière et assure le dernier des citoyens contre les
entreprises du plus grand nombre et même de tous.
Tant que le droit n'est pas cela, il n'est rien. Jean-
Jacques Rousseau a dit : « Si le peuple veut se faire
du mal à lui-même , qui est-ce qui a le droit de l'en
empêcher? » Je réponds : Tout le monde. Car tout
le monde est intéressé à ce que le peuple n'abuse pas
de sa force et de son unanimité, attendu que son una-
nimité retombe toujours finalement sur quelqu'un,
et n'est, en somme, qu'une oppression déguisée par
l'excès même de son poids. C'est contre tous que le
droit est nécessaire , bien plus que contre qui que ce
soit; car le nombre a l'inconvénient de joindre à la
puissance matérielle la sanction d'une apparente
^ _ 264 —
justice. Mais le droit n'est quelque chose contre tous
que quand il est doué d'immutabilité, et qu'en vertu
de cette ressemblance avec Dieu , il oppose une in-
vincible résistance aux faiblesses de la cité comme à
ses conjurations.
Je dis les faiblesses de la cité; car elle doit les
craindre autant que sa force. Elle peut être opprimée,
comme elle peut opprimer, et elle a besoin d'avoir
en elle un élément qui désespère par sa consistance
ce flot secret des révolutions que le temps traîne
après lui. Tous- les législateurs en ont eu l'instinct,
et ils ont fait ce qu'ils ont pu pour donner à leur ou-
vrage le sceau de l'immutabilité. Vous savez la con-
duite de Lycurgue. 11 obtint des Lacédémoniens ,
sous la foi du serment, qu'ils ne changeraient pas
ses lois jusqu'au retour d'un voyage destiné par lui
à consulter les dieux. Mais les dieux le retinrent loin
de la Laconie, qu'il aima mieux ne revoir jamais
plutôt que de lui rapporter avec sa présence une
cause d'instabihté. C'était une héroïque action, un
trait vraiment antique : qu'est-ce que l'homme pou-
vait de plus contre le temps? Et néanmoins quelle
fragile base à l'immortalité d'une législation! Le
sublime exilé n'a pas réussi ; ses lois ont moins duré
que Sparte , et son ombre ne s'est pas levée du tom-
beau pour rappeler aux prévaricateurs la sainteté de
la foi jurée.
Il en a été de même de tous les autres. Leurs com-
mandements ont péri dans la nation même qu'ils
avaient créée ou réformée ; chaque siècle en a emporté
des lambeaux, et le reste tel quel qui survivait en-
— 265 —
core est devenu dans nos écoles une simple relique
assujettie à nos dissertations.
Vous n'attendez pas, Messieurs, qu'un droit si
faible soit parvenu aux honneurs de l'universalité ; il
n'y songeait même pas. L'idée de l'immutabilité lui
apparaissait, celle de l'universalité lui était complè-
tement étrangère. La cité était pour la cité, et n'allait
pas plus loin; son droit était sa propriété, le don
personnel que lui avaient fait les dieux; le reste du
monde en était exclu comme ennemi, et le droit des
gens ne laissait à l'ennemi vaincu aucun asile contre
la servitude, la mort et l'extermination. Dans l'inté-
rieur même de la cité , la population tout entière n'é-
tait pas appelée au partage du droit; le citoyen seul,
l'initié de la patrie, pouvait l'invoquer, lui demander
crédit, assistance et honneur; les autres, jusqu'au
pied des autels, étaient soumis à une expatriation
forcée, et, présents à tout, se trouvaient bannis de
tout.
Ni droit-principe, ni droit immuable, ni droit uni-
versel, voilà. Messieurs, le droit ancien. Une triple
inhumanité en faisait le fond. Faute d'un droit-prin-
cipe qui remontât jusqu'aux sources de l'équité , le
faible n'avait aucune protection contre le fort; faute
d'un droit immuable, le petit nombre était sans
armes contre le grand nombre ; faute d'un droit uni-
versel, l'homme était ennemi de l'homme. Jésus-
Christ trouva la société humaine dans cet horrible
état d'impuissance à l'égard de son principe fonda-
mental, qui est la justice; on aura beau, par haine
pour lui, creuser l'antiquité, on n'y découvrira pas
— 266 —
un autre droit que celui que je viens de dire, et que
vous avez tous reconnu. Qu'a-t-il fait de cette société
misérable, qui nous glacerait d'épouvante si un seul
de ses jours nous apparaissait vivant? qu'en a-t-il
fait? Il eût pu la fouler aux pieds et en jeter au vent
les débris immondes et tyranniques : il ne l'a pas
fait. Il eût pu, du moins, la mépriser, et, content de
fonder à côté d'elle, pour les âmes droites, une so-
ciété pure et équitable, abandonner l'ancienne à
l'opprobre de la comparaison : il ne l'a pas fait non
plus. Il n'a ni détruit ni méprisé , il a créé un monde
et relevé l'ancien par le nouveau ; il a donné à la
société humaine ce qu'aucun de ces législateurs les
plus fameux ne lui avait donné : un droit universel,
un droit immuable, un droit-principe.
C'est le spectacle auquel nous allons présentement
assister.
Jésus- Christ vient au monde; il naît comme tous
les hommes, dans une cité; il naît dans un droit par-
ticulier; il naît dans une patrie qui avait son his-
toire, son fondateur, ses conquêtes, son illustration;
il naît comme un homme qui était attendu par un
grand peuple. Et quelle est la première chose qu'il
fait tout en se posant comme l'héritier des promesses
et des espérances de ce peuple? Dit-il : Je suis Juif,
je viens pour agrandir ma nation et la porter jus-
qu'aux extrémités du monde , plus loin que David et
Salomon, nos pères? Non, il ne dit pas un mot de
cela ; il dit simplement : Je suis le Fils de l'homme.
Et peut-être vous n'en n'êtes pas surpris; peut-être
il vous semble naturel qu'à chaque page de l'Évan-
— 267 -
gile Jésus -Christ affecte de s'appeler le Fils de
l'homme, tandis qu'à peine, çà et là, il prend le titre
de Fils de Dieu? Cependant, cela n'est pas si peu de
chose que vous le croyez, et cette seule expression, le
Fils de l'homme, renfermait toute une révolution , la
plus grande qui se fût vue jamais. Avant Jésus-
Christ on disait : Je suis Grec, Romain, Juif; me-
nacé ou interrogé , on répondait fièrement : Civis
romanus sum ego. Chacun se couvrait de sa patrie
et de sa cité; Jésus-Christ n'invoque qu'un seul titre,
celui de Fils de l'homme, et il annonce par là une
ère nouvelle, l'ère où l'humanité commence , et où,
après le nom de Dieu, rien ne sera plus grand que le
nom de l'homme , rien de plus efficace pour obtenir
secours , honneur et fraternité. Chacune des paroles
du Fils de l'homme, chacune de ses actions est em-
preinte de cet esprit, et toutes ensemble, paroles et
actions , forment l'Évangile , qui est le droit nouveau
et universel. Une fois l'Évangile au monde, Jésus-
Christ envoie ses apôtres le porter au genre humain :
Allez, leur dit- il, et prêchez l'Évangile à toute
créature (1). La propagation, la communion, l'uni-
versalité deviennent le mot d'ordre de tout mouve-
ment, et là où l'on n'entendait que le bruit de
l'égoïsme, on n'entend plus que le pas de course de
la charité.
Où sont les Grecs? où sont les Romains? où est la
cité? où est le droit hellène et le droit quirite? Saint
Paul ne peut plus retenir dans sa poitrine le chant
(1] Saint Marc, chap. xvi, vers. 13.
— 268 —
de l'humanité triomphante, il s'écrie : Il n'y a plus
de Juif ni de Grec, il n'y a plus d'esclave m
d'homme libre, il n'y a plus dliomme ni de femme .
mais vous êtes tous un en Jésus- Christ (1) ! 0 hom^.
mes des quatre vents du ciel! hommes qui vous
croyez de race et de droits différents , vous ne savez
ce que vous dites; vous n'êtes point ici -bas par
mille et par milUons , vous n'êtes pas même deux,
vous n'êtes qu'un.
Ainsi, non- seulement l'homme, non-seulement
l'humanité ; mais l'unité de l'homme et de l'humanité.
Qui touche à l'homme touche à l'humanité ; et qui
touche à l'humanité touche à Dieu , qui l'a faite , qui
en est le père et le protecteur.
Le comte de Maistre, poussé par sa mauvaise hu-
meur contre la révolution française, et il y avait
bien un peu de quoi , a dit quelque part, à propos de
la Déclaration des droits de l'homme : « J'ai rencon-
tré dans ma vie des Allemands, des Français, des
Italiens , des Persans, mais je n'ai jamais rencontré
l'homme. » Le comte de Maistre se trompait, Mes-
sieurs ; j'ai rencontré , comme lui , des Allemands en
Allemagne , des Italiens en Italie , des Français en
France, mais j'ai aussi rencontré l'homme, et je l'ai
rencontré dans l'Évangile.
L'Évangile était la Charte de l'homme, la décla-
ration du droit universel. Mais , quelque hardie que
fût cette déclaration, s'il est permis déparier de har-
diesse à propos d'une œuvre divine, ce n'était encora
(1) Épître aux Galates, chap. m, vers. 28.
— 269 —
qu'une déclaration. Il n'était pas impossible , peut-
être, que quelque autre en eût la pensée, et dît comme
Térence :
Homo sum , humani nihil a me aliemim puto.
Tant que l'Évangile n'était qu'une parole , c'était
la parole la plus belle du monde , un livre unique ,
un projet sans égal, et voilà tout. Il fallait que
l'Évangile , annoncé à toute la terre, devînt un droit
vivant , la règle fondamentale des relations humai-
nes, et que ceux-là mêmes qui en nieraient la divi-
nité comme doctrine, en acceptassent le joug comme
législation. Or n'est-ce pas ce que nous voyons? La
société catholique , en se répandant et se constituant
d'un bout du monde à l'autre , n'a-t-elle pas porté
avec elle le droit évangélique? Ne l'a-t-elle pas im-
posé à tous ses membres dispersés et unis? N'en
a-t-elle pas fait le fond des mœurs générales, en
sorte qu'une action païenne , lors même qu'elle ne
serait pas réprimée par les lois de chaque pays, est
devenue quelque chose d'impossible et qui inspire
l'horreur? Il est ainsi, et le règne de l'Évangile
comme droit est beaucoup plus étendu que le règne
de l'Évangile comme idée. Tel qui n'adore pas le Dieu
en Jésus -Christ, y révère le sage, et il n'est pas un
de ses ennemis qui lui conteste le titre du plus grand
des législateurs.
Et remarquez -le, Messieurs, le droit évangélique
n'a pas détruit le droit propre de chaque cité , pas
plus que la société catholique n'a détruit la société
— 270 —
humaine. Les nations sont demeurées maîtresses de
leur sort, conservant chacune leur caractère et tous
les attributs du pouvoir; elles font des lois comme
jadis, avec cette seule différence que, nourries de la
substance de l'Évangile, affranchies de l'égoïsme
antique par un sentiment de bienveillance générale ,
qui leur est maintenant comme inné , il ne souille
plus leur code de dispositions indignes d'un cœur
chrétien. L'Evangile n'a point passé sur le monde
comme un vent violent qui déracine les institutions ;
il y a été versé avec douceur, comme une eau bien-
faisante qui pénètre jusqu'aux sources de la vie pour
les purifier et les rajeunir. Tout ce qui vient de Dieu
est toujours marqué d'un double signe : l'unité s'y
allie à la variété, l'universalité à l'individualité, la
domination à la liberté. C'est pourquoi l'Évangile,
en tirant le genre humain des entraves d'un droit
sans largeur, n'a pas attenté à l'existence des na-
tions. Un droit universel pour un empire universel
eût été le rêve d'un homme : Dieu a fait mieux, il a
créé une loi commune pour une multitude de peuples
séparés par leur origine , leur territoire et leurs in-
stitutions. 11 leur a laissé la libre disposition d'eux-
mêmes, leur disant comme un père à des fils égale-
ment aimés : Allez, faites -vous votre sort, croissez
et multipliez -vous, décidez de la guerre et de la
paix; mais souvenez-vous que vous n'êtes qu'un
dans la vérité et la charité.
Cette grande liberté laissée aux nations a nui
peut-être matériellement à la diffusion du droit
évangélique; elle l'a rendue plus difficile à accom-
— 271 —
plir. Mais qu'importe la peine et le temps? L'œuvre
de Dieu est jeune encore, elle n'est pas achevée; lais-
sons-lui suivre avec patience la route qu'elle a choi-
sie. Si le soleil de justice n'est pas encore à son midi,
s'il n'inonde pas de sa lumière et de sa chaleur tous
les enfants des hommes sans exception, c'est leur
faute et non la sienne; c'est qu'ils fuient en même
temps qu'il avance vers eux. Un jour il ira plus vite
encore , et comme le flambeau de la nature , en se
penchant vers l'horizon , éclaire à la fois l'orient et
l'occident, ainsi l'Évangile, arrivé au terme de sa
puissance, maître du monde sans l'avoir jamais con-
traint, remplira de sa gloire et de son équité le passé
et l'avenir.
Déjà, Messieurs, tout peuple qui ne se soumet point
au droit évangélique est condamné, par la seule force
des choses, à la barbarie. Chose incroyable autant
que visible! Athènes et Rome, avant Jésus -Christ,
sont parvenues à la civilisation; mais, depuis que le
droit évangélique a été promulgué , tout peuple qui
ne l'a point reconnu est demeuré, à l'égard des peu-
ples chrétiens , dans un état d'infériorité qui inspire
encore plus de mépris que de compassion. Regardez
le musulman : il est postérieur à nous de six siècles ;
Mahomet avait l'Évangile dans ses mains ; il pouvait
le copier, et il l'a copié en effet. Eh bien! qu'est-ce
que le musulman? Que sont devenues sous sa domi-
nation la Grèce et la Syrie ? Où est seulement la cul-
ture des champs? Où est l'aspect terrestre de ces
contrées qui , avec tant d'autres souvenirs fameux ,
nous avaient transmis la mémoire de leurs monta-
— 272 —
gnes et de leurs vallées? La terre même n'a pu vivra
sous le joug ignoble d'une administration qui n'a
pas appris de ses douze cents ans de vie à protéger
un épi de blé. Je ne parle pas du reste. Dieu leur a*
donné les plus beaux pays du monde, après leur avoir
donné la postériorité même sur son Évangile , afin
de nous révéler, par cet exemple aussi proche qu'il-
lustre , où tombent les nations qui repoussent l'É-
vangile promulgué et connu. Il est facile d'en com-
prendre la raison. Avant Jésus-Christ, le droit uni-
versel et parfait n'existait pour personne : les peuples
étaient tous, à cet égard, sur un pied d'égalité; il
était donc possible, dans cette misère commune,
qu'un législateur soutenu par des circonstances heu-
reuses de race, de temps et de climat, et surtout par
une secrète protection de la Providence, élevât une
nation à un certain degré de politesse d'esprit et de
rectitude de mœurs. Mais aujourd'hui que l'Évan-
gile a paru , que le fanal de la perfection est allumé
devant les yeux de tous , le peuple qui le repousse
est nécessairement condamné à des relations d'un
ordre inférieur, qui ne lui permettent pas de sou-
tenir la comparaison, et le font végéter, s'il persiste,
dans une invincible et honteuse barbarie. L'Évangile
a rassemblé en lui toutes les forces civiUsatrices
éparses auparavant dans le monde, et quiconque
aspire au bien et à la gloire ne peut plus les cher-
cher que là. 11 était pardonnable, il était même
louable à Lycurgue de consulter l'oracle de Delphes,
à Numa de converser avec la nymphe Égérie; mais
aujourd'hui l'oracle est à Rome , parce que l'Évan-
— 273 —
giley est dans son plus haut représentant, et qui-
conque n'y va pas humblement puiser les inspira-
tions de la souveraine justice , ne bâtira qu'une cité
sans bénédiction.
L'Évangile était fait, promulgué, assis : il fallait
le défendre, et, après l'universaUté, lui assurer Tim-
mutabilité. Ce n'était pas peu de chose que cette
nouvelle charge. L'Évangile protège toutes les fai-
blesses contre toutes les forces, toutes les puretés
contre toutes les convoitises, toutes les modesties
contre tous les orgueils ; il protège l'hysope contre le
cèdre , la cabane contre le palais : il devait avoir des
ennemis. La racine des mœurs païennes subsiste
toujours dans le cœur de l'homme, et toujours elle a
des représentants; il existe une tradition du mal
comme une tradition du bien , et il est impossible
que cette tradition occulte n'arrive pas souvent à la
puissance publique. Un empereur voudra répudier
sa femme, le droit évangélique le lui défend; un
autre en voudra épouser deux, le droit évangélique
le lui défend ; un troisième convoitera la direction
des consciences, le droit évangélic{ue le lui défend.
Vous voyez c[uelles causes perpétuelles d'irritation ,
cfuelle guerre sourde et inextinguible du droit païen
contre le droit chrétien. Il faut le défendre; mais
comment?
Dieu s'y est pris avec une grande profondeur. Il
nous a donné le droit évangélique , non sous la forme
directe du droit, mais sous la forme du devoir. Il ne
nous a pas dit : Voici vos libertés ; il nous a dit :
Voici vos obhgations. Cette différence est capitale.
— 274 —
Ce n'est pas que le devoir ne renferme le droit, comme
le droit renferme le devoir. Je ne puis avoir un devoir
à votre égard sans que vous ayez un droit sur moi,
et vous ne pouvez être lié par un devoir envers moi ,
sans que j'aie un droit sur vous. Mais le droit est la
face égoïste des relations , tandis que le devoir en
est la face généreuse et dévouée ; et c'est pourquoi il
y a toute la différence du ciel à la terre , du dévoue-
ment à l'égoïsme, entre constituer une société sur
le devoir ou la constituer sur le droit. Aussi l'É-
vangile, qui est la naturalisation même de la cha-
rité, n'a pas été une déclaration des droits de l'homme,
mais une déclaration de ses devoirs. Et de là s'en-
suit tout le système de la défense évangélique contre
la persécution païenne. Quand Bossuet, parlant
d'une manière plus générale de la défense du droit ,
a voulu en donner la formule dans sa Politique sa-
crée, il a écrit ce mot admirable que tout le monde
connaît : Il n'y a pas de droit contre le droit. Ce-
pendant, quelque énergique et vraie que soit cette
parole, ce n'est pas encore la formule véritable-
ment chrétienne ; la formule véritablement chré-
tienne est celle-ci : Il n'y a pas de droit contre le de-
voir.
Qu'on attaque donc le droit évangéhque dans la
personne d'un enfant , d'une vierge , d'un vieillard ,
ils sont tout armés. Le roseau répondra comme
Pie VII , de si douce et si bienveillante mémoire :
« Sire, je puis bien vous céder mon droit; mais je ne
puis pas vous céder mon devoir; je puis bien vous
aimer, vous admirer, jusqu'à vous livrer ma vie;
— 275 —
mais je ne puis pas vous livrer ma conscience ; je puis
bien, ô empereur, perdre pour vous toutes choses,
mais non pas mon âme, car mon âme c'est l'éternité,
et l'éternité c'est plus que Dieu, c'est l'homme et
Dieu tout ensemble. » Voilà notre défense à tous.
Entre nous et les persécuteurs , ce n'est pas le droit
qui fait obstacle , mais le devoir ; ce n'est pas l'é-
goïsme, mais le dévouement; le droit est derrière le
devoir, caché et couvert par ce bouclier divin.
Du reste, pas une amorce à brûler, pas un coup
d'épée adonner. Car, dit Jésus-Christ, les cheveux
de votre tête sont comptés , pas un ne tombera sans
la permission de votre Père céleste (1). Et lui-même,
près de mourir le premier pour l'Évangile , il disait à
l'apôtre qui avait frappé pour le défendre : Remets
ton épée dans son lieu , quiconque tirera l'épée pé-
rira par Vépée (2), c'est-à-dire fera une défense vaine
et sans effet. C'est la croix qui est la garde préto-
rienne de l'Évangile. Quand on a l'honneur de com-
battre pour lui , il faut avoir mille fois raison, raison
avec la plénitude du respect; raison avec toute l'hu-
miUté de l'amour; puis s'arrêter à cette dernière
parole : Je ne puis rien, tuez-moi! On en tuera
un, on en tuera deux, on en tuera trois; mais tuer
un homme armé d'un devoir, c'est déjà plus que de
bien fortes épaules n'en peuvent porter. Le poëte l'a
dit:
La mort d'un honnête homme est un poids éternel.
(1) Saint Matthieu, chap. x, vers. 30, et saint Luc, chap. xxi,
vers. 18.
(2] Saint Matthieu, chap. xxvi, vers. 52.
— 276 -
Et nous avons mieux que cela pour nous : le salut du
monde a commencé par un honnête homme tué au
Calvaire.
Aussi la violence n'est pas la meilleure arme contre
le droit évangélique, ni le plus grand péril de son
immutabilité. Le droit périt moins par la violence
que par la corruption. Ce n'est pas Attila qui est le
plus grand fléau de la hberté et de la dignité humai-
nes , ce sont les eunuques de Constantinople. Quand
Jugurtha sortit de Rome et qu'il se retourna pour la
maudire, il n'hésita pas sur l'anathème, il ne pro-
nonça que cette courte parole : « Emenda civifasf b
ville qui n'attends qu'un acheteur ! ville qui tiens en-
core la balance où Brennus autrefois pesait ta desti-
née, et qui la tiens, non plus pour te racheter, mais
pour te vendre! » C'était l'or de César qui était à
craindre pour l'Évangile bien plus que ses rigueurs,
l'amolUssement des palais plus que l'horreur des
cachots, la séduction du sourire plus que la dureté
d'une sentence. Jésus-Christ arma donc aussi son
Évangile contre ce genre de persécution. Il lui forma
toujours, par la vertu de sa croix, une miUce sobre
et pauvre qui , nourrie au dedans de la manne cachée
d'une sainte onction , n'eut que bien peu de chose à
demander à la terre, et fut toujours sûre de l'y
trouver. Si quelquefois la richesse devait lui créer
des tentations , il devait en sortir aussi des orages
qui dévoreraient le mal avec ia cause, et ramène-
raient la tribu évangélique à la simplicité et à la fidé-
lité. Les exemples en sont récents. Vous avez naguère
dépouillé l'ÉgUse de ses biens et de ses honneurs;
— 277 —
vous avez cru la perdre, peut-être : vous n'avez fait
que la purifier et la rajeunir. Vous n'avez plus pour
la corrompre que la force du morceau de pain quo-
tidien ; mais c'est justement celui qui ne manque
jamais : et, si vous le lui retirez, elle en ramassera
à terre un morceau plus honorable encore et plus
assuré.
Droit universel et droit immuable, l'Évangile est
encore droit-principe , c'est-à-dire qu'il a pénétré si
avant dans le juste et l'équitable, qu'aucun autre
droit plus parfait ne saurait être conçu. L'Évangile
est comme les Pandectes de Justinien , un livre de
droit ; mais un livre de droit d'une si singulière na-
ture, que personne n'a l'espérance de le surpasser, ni
même de l'imiter. Il est debout après dix-huit siècles,
gardé par le respect de tous , et même de ses plus
grands ennemis. La pensée humaine , si féconde en
ressources , n'a pu lui découvrir ni un égal ni un dé-
faut. Elle a nié la divinité de Jésus-Christ; mais
qu'importe? l'Évangile reste, il est écrit. Elle a nié
la divinité de l'Église; mais qu'importe? l'Évangile
reste, il est écrit. Qui donc a fait ce livre? d'où est-
il tombé? Qui en maintient l'empire? Après tant de
changements et d'expériences, tant de ruines et de
fondations, il est toujours le même, c'est-à-dire tou-
jours parfait. On l'oublie un jour; le lendemain on le
regarde, et on se dit : l'Évangile !
Je rends justice à ce siècle ; il a senti plus qu'au-
cun autre le coup évangélique, s'il m'est permis de
parler de la sorte : il a compris qu'un lien secret
existait entre l'Évangile et l'humanité, et que tant
8*
— 278 —
qu'on ne ferait pas pour elle quelque chose de mieux
que l'Évangile, tant qu'on ne créerait pas un droit
plus parfait , Jésus-Christ continuerait à régner sur
le monde. Il a compris que la question n'était pas
une question de métaphysique et d'histoire, parce
que le peuple ne se soucie et n'a besoin ni de méta-
physique ni d'histoire ; mais qu'elle était une ques-
tion de droit. Nulle entreprise plus grande et plus
profonde n'a été encore conduite contre Jésus-
Christ ; mais aussi aucune dont le résultat sera
plus glorieux pour la vérité, et plus facile à saisir
pour tous. Le droit donc ! le droit ! Notre preuve
est faite, Messieurs, à nous autres catholiques :
vous savez où nous avons pris le monde sous le rap-
port du droit, et où nous l'avons mené. Prenez l'hé-
ritage à votre tour ; créez un droit plus universel ,
plus immuable, plus parfait. Nous vous attendons,
et nous ne demandons pas mieux. Mais à voir vos
premiers essais depuis cinquante ans, je crains bien
que vous n'en soyez pour vos frais de droit, comme
vous en avez été pour vos frais de métaphysique et
d'histoire.
J'achèverai cependant.
Le caractère fmal du droit ancien , comme vous
l'avez vu , était l'inhumanité , une triste inhumanité
résultant du sacrifice des faibles aux forts , du petit
nombre au grand nombre , et d'une inimitié de
l'homme envers l'homme. Le caractère fmal du droit
nouveau est, au contraire, l'humanité, une triple
humanité : la proteciion des faibles contre les forts ,
du petit nombre contre le grand nombre , et l'amour
— 279 —
de tous pour tous , comme s'ils n'étaient qu'un. C'est
ce caractère d'humanité surhumaine qui fait le fond
et la force de l'Évangile, et quiconque en sort,
quelque plausibles que puissent être ses vues, et
quelque pures que soient ses intentions , rentre im-
médiatement dans la conception païenne, c'est-à-
dire dans l'inhumanité. Permettez-moi de revenir
sur un exemple auquel j'ai déjà fait tout à l'heure
une allusion.
Dès le temps de Louis XIV, l'un de nos poètes les
plus populaires se plaignait de ce que l'Église rui-
nait en fêtes les pauvres gens. C'était attaquer au
cœur le droit évangélique. Qu'est-il arrivé? La grande
loi du repos, cette Charte primitive de l'humanité,
antérieure même à notre chute, la loi du repos a été
sacrifiée aux vœux du fabuliste et aux chiffres deâ
économistes. Eh bien ! je vous le demande, le pauvre
est- il plus riche, plus libre, moins asservi à ses maî-
tres, mieux portant, plus moral et plus heureux? A
qui l'abolition de la Charte du repos a-t-elle profité,
sinon à ceux qui font travailler les autres, et qui
n'ont pas besoin de repos? Le pauvre s'en apercevra
tôt ou tard ; il reconnaîtra qu'en voulant l'affranchir
d'un devoir évangélique, on lui a ravi un droit pré-
cieux , qui était caché derrière , qu'on a trompé sa
bourse , sa santé , son esprit et son cœur. Il reviendra
vers son ancien maître, Jésus-Christ, qui se con-
naissait aux droits du pauvre, parce qu'il avait été
pauvre lui-même ; il baisera de nouveau sa croix,
mouillée des larmes de tous ceux qui souffrent, et il
lui dira , dans un amour plus grand encore que par
— 280 —
le passé : Je viens à vous, qui n'avez jamais trompé
l'enfant du pauvre!
C'est à l'aide de la société catholique que Jésus-
Christ, fondateur premier et dernier d'un droit-
principe, d'un droit immuable, d'un droit universel,
a opéré et propagé cette grande révolution sociale.
Mais il est des peuples qui y concourent par une na-
ture plus dévouée ou par une foi plus ardente. La
nôtre est de ce nombre , Messieurs ; notre pays , de-
puis sa formation moderne, fut toujours un pays d'É-
vangile, un pays du droit nouveau. L'élection de
Dieu en est sans doute la cause; mais, après lui,
nous le devons à l'instinct de justice et de générosité
qui est dans la nature française, à ce glorieux senti-
ment du vrai et du bon qui passe chez nous par-
dessus l'instinct de l'utile. Les erreurs de notre es-
prit nous ont éloignés de la vérité depuis un siècle ;
notre cœur nous y ramène à coup sûr, quoique len-
tement. Une fois que l'expérience sera faite, et qu'en
dehors de l'Évangile tout autre droit sera reconnu
un droit égoïste, le grand jour de la foi se lèvera de
nouveau sur la France. Et si cette résurrection, pré-
sagée par tant d'augures heureux , ne se réalisait
pas; si l'Évangile et la patrie se séparaient enfin,
c'en serait fait de nous , parce que c'en serait fait de
notre caractère national. La France ne serait plus
qu'un lion mort, et on la traînerait, la corde au cou,
aux gémonies de l'histoire.
TRENTE-TROISIEME CONFERENCE
DE L INFLUENCE DE LA SOCIETE CATHOLIQUE
SUR LA SOCIÉTÉ NATURELLE QUANT A LA PROPRIÉTÉ
Monseigneur,
Messieurs,
La société catholique a changé la face de la société
humaine en introduisant dans le monde un droit nou-
veau, droit universel, immuable, devenu par sa per-
fection le principe et le type de tout droit. Mais ce
n'est pas, comme vous le pensez , sans contradiction
que ce droit a prévalu, et aujourd'hui encore, après
un si long règne , il a des adversaires qui cherchent
à le détrôner au nom même de l'intérêt du genre hu-
main. Je dois donc le défendre et le justifier, d'autant
plus que cette justification achèvera de vous en ré-
véler l'équité et la profondeur.
Voici la première thèse soutenue contre le droit
— 282 —
évangélique : « Vous vous vantez, nous dit-on, d'a-
voir travaillé pour les faibles contre les forts ; mais
si telle a été l'intention de l'Évangile, son devoir n'é-
tait-il pas de mettre un terme à l'inégalité qui règne
ici-bas dans le partage des biens ? S'il est vrai que
la justice soit le fondement de la société naturelle ,
l'un des principaux objets de cette justice, c'est le
partage équitable des biens. Or les biens sont-ils
équitablement partagés? N'y a-t-il pas des hommes
qui meurent d'ennui dans l'abondance, et qui, après
avoir assouvi leurs passions, ne savent plus que
faire du reste; tandis que d'autres, en grand nom-
bre , languissent dans la misère et trop souvent dans
l'inanition? Eh bien, vous, Évangile, vous, hommes
du droit évangélique, qu'avez-vous fait contre cet
horrible abus? Qu'avez-vous fait contre le riche en
faveur du pauvre? Ce que vous avez fait! vous avez
consacré l'inégalité des biens , vous l'avez sanction-
née , vous l'avez placée sous la protection de Dieu et
de Jésus-Christ ; vous avez déclaré que les uns de-
vaient tout avoir, les autres se contenter de tendre la
main et de ramasser, sous le nom d'aumône, les
miettes que le riche voudrait bien laisser tomber de
sa table et de son luxe. Voilà ce que vous avez fait
sur une question si grave, qui touche à la vie et à la
mort de l'humanité. Nous en demandons compte à
l'Évangile, à l'Église, à cette puissance dont vous
disposez depuis tant de siècles, à ce droit nouveau
dont vous êtes si vains , et qui n'a servi qu'à sancti-
fier dans la propriété la source vive de toute injustice
et de toute misère. »
— 283 —
Je ne déguise pas l'objection, Messieurs, et je la
combattrai avec autant de franchise que j'en mets à
l'exposer. Mais je la combattrai sans manquer d'é-
gards pour ceux qui s'en préoccupent; car, au milieu
des maux qui sont le résultat de la diminution de la
vérité et de la charité sur la terre, il est naturel
de rencontrer des hommes assez dévoués pour en
souffrir, assez ingénieux pour en chercher le re-
mède , mais trop peu éclairés pour ne pas s'égarer
dans les combinaisons de leur esprit. D'autres , qui
n'ont pas davantage la vérité, s'inquiètent moins du
sort de leurs semblables , et passent avec indifférence
à côté des grandes questions : je préfère les premiers,
et je combats leurs erreurs, en y respectant, toutes
les fois qu'il est possible, les illusions du dévouement.
Dieu a donné la terre à l'homme, et avec la terre
une activité qui la féconde et la rend obéissante à
nos besoins. Ce don primitif constitue en faveur du
genre humain une double propriété, la propriété du
sol et la propriété du travail. La question n'est donc
pas de savoir si la propriété doit être détruite, puis-
qu'elle existe nécessairement , par cela seul que
l'homme est un être actif, et que nul, sauf Dieu, ne
saurait lui arracher la terre des mains. Mais la ques-
tion est de savoir sur qui repose la propriété, si elle
est un don fait à chacun de nous, ou, au contraire,
un don indivisible et social, où nul ne saurait pré-
tendre qu'une part de fruits distribués par la société,
selon de certaines lois. La tradition, sanctionnée par
l'Évangile, consacre la propriété sous sa forme indi-
viduelle ; selon la tradition de l'Évangile , Dieu au-
— 284 —
rait dit à l'homme : « Tu es le maître de ton travail ,
car ton travail , c'est ton activité , et ton activité, c'est
toi. T'ôter le domaine de ton travail , ce serait t'ôter
le domaine de ton activité , c'est-à-dire la possession
de toi-même, de ce qui te fait un être vivant et libre.
Tu es donc le maître de ton travail. Tu l'es aussi de
la terre , dans la portion que ton travail aura fécon-
dée ; car ton travail n'est rien sans la terre , et la
terre n'est rien sans ton travail; l'un et l'autre se
soutiennent et se vivifient réciproquement. Quand
donc tu auras miêlé tes sueurs à la terre, et que tu
l'auras ainsi fécondée, elle t'appartiendra, car elle
sera devenue une portion de toi-même , la prolonga-
tion de ton propre corps; elle aura été engraissée
avec ta chair et ton sang, et il est juste que le do-
maine te reste sur elle , afin qu'il te reste sur toi. J'y
ai bien, il est vrai, comme créateur, une part pre-
mière; mais je te l'abandonne, et, unissant ainsi ce
qui vient de mon côté à ce qui vient du tien , le tout
est à toi. Ta propriété ne finira pas même avec ta
vie; tu pourras la transmettre à ta descendance,
parce que ta descendance, c'est toi, parce qu'il y a
une unité entre le père et les enfants, et que déshé-
riter ceux-ci de la terre patrimoniale , ce serait les
déshériter des sueurs et des larmes de leur père. A
qui retournerait d'ailleurs cette terre de ta douleur
et de ton sang? A un autre qui ne l'aurait pas tra-
vaillée. Il vaut mieux que tu te survives et que tu te
la gardes dans ta postérité. »
Tel est, Messieurs, le droit primitif consacré par
le droit évangéhque.
— 285 —
« Très-bien , nous répond-on ; mais ne voyez-vous
pas l'effroyable inégalité qui va résulter de cette
thèse en apparence si simple? Au bout d'un certain
temps, soit incapacité des uns, soit infirmités dont
l'homme n'est pas comptable, soit d'autres circon-
stances, heureuses pour ceux-ci, défavorables pour
ceux-là, la terre, devenue trop étroite et avare pour
ses habitants, se trouvera aux mains d'un petit nom-
bre d'hommes qui la dévoreront dans le luxe et la
satiété, au préjudice d'innombrables malheureux ré-
duits au pain de chaque jour, si tant est même que
le pain de chaque jour leur soit assuré. N'est-ce pas
là un résultat qui accuse le principe de la propriété
individuelle? Si la conséquence est égoïste, le prin-
cipe l'est inévitablement. Il faut donc recourir, si
nous aimons les hommes, à une autre distribution
de la propriété, et proclamer sans crainte, parce
que c'est le devoir, que le travail et la terre appar-
tiennent à la société. Le travail et la terre sont le
fonds social, le bien commun, la substance même
de la patrie; tous nous devons nous y dévouer, et
recueillir seulement, en récompense de nos efforts,
une part de fruits proportionnée au mérite de notre
travail. Par là cesse la distinction arbitraire du pau-
vre et du riche ; si quelque irrégularité subsiste en-
core, elle fîst due à la capacité et à la vertu , non au
hasard d'une naissance qui a broyé pour nous dans
le môme vase l'oisiveté, l'abondance, l'orgueil, l'é-
^oïsme, tous les vices et tous les droits. Vous-
mêmes, ô hommes de l'Évangile ! dans vos jours de
saintes inspirations , n'avez-vous pas réalisé cette di-
— 286 —
vine république? Quand vos missionnaires fondaient
les fameuses réductions du Paraguay, n'avez-vous
pas, au nom de l'Évangile, décrété la communauté
du travail et des biens? Le Paraguay était-il autre
chose qu'une heureuse famille où chaque membre
travaillait pour tous, tous pour chacun, et où le pou-
voir social, travailleur lui-même, distribuait à ses
enfants, dans la plus équitable mesure, les fruits
de leur paisible activité? Toute la terre admira
cette création de l'Évangile, qui en rappelait les
premiers temps. Mais , capables de la concevoir et
de l'accomplir entre deux fleuves de l'Amérique,
vous n'avez pas été capables de la poser comme une
loi générale de l'humanité ; vous avez été lâches, vous
avez reculé devant l'égoïsme humain. Et c'est nous,
enfants du xix^ siècle, élevés, il est vrai, à votre
école, et nourris du lait évangélique, c'est nous qui
sommes obligés de vous rappeler votre mission , et
de mettre la dernière main à la loi de justice et de
charité ! »
Encore une fois. Messieurs, je ne déguise pas
l'objection, et je n'ai aucun mérite, parce que la
réponse me frappe et me saisit avec une extrême
clarté. Je vois l'étabhssement qui transporterait
à la société le domaine de la terre et du travail
comme l'étabhssement d'une servitude universelle,
et la consécration d'une inégalité sans limites et
sans ressources : servitude et inégalité telles, qu'au-
cun despotisme n'en a même approché par l'imagi-
nation.
La société, dit-on , serait seule propriétaire du sol
— 287 —
et du travail ; mais qu'est-ce que la société? En ap-
parence , c'est tout le monde ; en réalité , quand il
s'agit d'administration et de gouvernement, c'e^st
toujours un nombre d'hommes excessivement limité.
Que la société s'appelle monarchie, aristocratie ou
démocratie, elle est toujours représentée et conduite
par deux ou trois hommes, que la suite des choses
humaines appelle au pouvoir et rend dépositaires de
tous les éléments sociaux. A vingt ans, on ne le
croit pas; à quarante, on n'en doute plus : on sait
que le gouvernement positif, malgré toutes les com-
binaisons imaginables , tombe toujours entre les
mains de deux ou trois hommes, et que, ces trois
hommes morts, il envient immanquablement trois
autres, et ainsi à jamais. On sait qu'à cause de cela
même il est nécessaire d'opposer au pouvoir des
points d'arrêt d'une force invincible, sans quoi la
société s'abîmerait dans une autocratie tellement
étroite, que la terre ne serait pas habitable un quart
d'heure. Or la propriété est un de ces points d'arrêt,
une force invincible communiquée à l'homme, qui
unit sa vie d'un jour à l'immortalité de la terre , à la
puissance du travail , et lui permet de se tenir de-
bout, ses mains sur sa poitrine et le sol sous ses
pieds. Otez-lui le domaine de la terre et du travail ,
que reste-t-il? qu'un esclave. Car il n'y a qu'une dé-
finition de l'esclave : c'est l'être qui n'a ni terre ni
travail à lui. Transportez ensuite ce double domaine
à la société , c'est-à-dire à quelques hommes qui la
gouvernent et la représentent: que restera-t-il de la
patrie, si ce n'est la servitude universelle, la faim
— 288 —
et la soif enrégimentées sous la verge de deux ou
trois quidams , la bassesse de tous sous un orgueil
dont le type , après tant d'orgueils , ne peut pas
même s'imaginer ? Le citoyen ne sera plus que le
valet de la république, et ses deux bras mêmes,
il ne pourra , sans crime de haute trahison , les
prendre et s'en aller, comme l'a dit un homme élo-
quent ; la terre fuira sous ses pieds, le ciel sur sa
tête, et il aura la gloire d'être pendu dans le vide,
pour le plus grand bonheur de lui-même et de l'hu-
manité.
Voyez , Messieurs , ce qui se passe là où la pro-
priété existe pourtant, mais où elle n'est pas assurée
contre la volonté du souverain par son inviolabilité.
Vous prévenez ma pensée, vous nommez le pays au-
quel je fais allusion : eh bien! puisque vous le con-
naissez, n'avez-vous jamais senti la lourde chaîne
que ses habitants traînent après eux jusqu'aux ex-
trémités du monde, et qui les empêche de respirer
un air libre sous aucun point du ciel? N'avez-vous
jamais rencontré quelqu'un de ces singuliers captifs,
comblé de tous les avantages de la naissance et de
la fortune, et qui ne peut pas répondre, quels que
soient son nom, son histoire, ses services, sa puis-
sance , sa faveur, que le lendemain matin il ne sera
pas errant sur les chemins de l'Europe, mendiant
excommunié de sa patrie, déchu du patrimoine de ses
aïeux, dépouillé de la tête aux pieds, ne se recon-
naissant plus lui-même : et pourquoi? Parce qu'il
aura eu dans sa pensée une autre pensée que la pen-
sée de son maître, parce qu'il aura prié Dieu autre-
— 289 —
ment que lui ! Et soixante millions d'hommes en sont
là ! Soixante millions d'hommes écoutent leur respi-
ration, craignant qu'elle ne cesse d'être analogue à
la respiration du maître, et que la terre même, les
repoussant de son sein pour un si grand crime, ne
leur refuse jusqu'à un tombeau ! Voilà ce qu'est
l'homme sans la propriété de la terre et du travail,
et ce qu'on reproche à l'Évangile de n'avoir pas fait
de lui !
J'ajoute que cet ilotisme universel ne serait pas
même compensé par une certaine égalité dans la dé-
gradation commune; mais que, sous aucun régime,
le poids de l'inégalité ne serait plus grand et plus
odieux. En effet, quelque distribution que l'on fasse
du sol et du travail, il faudra bien pourvoir aux be-
soins de la société, et ces besoins entraînent des offi-
ces d'une nature infiniment variée, depuis ceux qui
coûtent le plus à la délicatesse et à l'orgueil, jusqu'à
ceux qui flattent davantage notre penchant pour la
gloire et la commodité de la vie. Les progrès de la
science économique n'effaceront jamais ces différences
natives entre les offices sociaux. Or dans le système
que je combats , nul n'étant le maître de son travail ,
le choix en appartiendra nécessairement au pouvoir
qui représente la société ; on ne sera pas seulement
esclave en bloc, on le sera en détail. Un tel fera des
vers, un autre tournera la meule, et toujours par
décision d'en haut, c'est-à-dire par la volonté de
deux ou trois hommes appelés fastueusement la ré-
publique. Il est vrai que la distribution sera réglée
par la justice : à chacun selon sa capacité. Quoi de
m. — 9
— 290 —
plus sage et de plus naturel? C'est la nature même
qui décidera.
Je me défie beaucoup de la nature entre les mains
de quelques hommes dirigeant en souverains l'acti-
vité d'une nation. Mais, quoi qu'il en soit, voyons le
résultat sous le rapport de l'égalité. Aujourd'hui je
suis pauvre, mais j'ai des raisons de me consoler : si
je n'ai pas la terre, j'ai de l'esprit, du cœur, mon
dévouement, ma foi. Je me dis qu'après tout, le sort
Y aidant, j'aurais pu, comme un autre, tenir une
plume ou un pinceau ; Dieu ne m'a pas tout ôté ni
tout donné à la fois ; il a distribué ses dons. Mais
voici bien un autre ordre : la capacité est la mesure
de tout. Mon dîner se pèse au poids de mon esprit ;
je reçois avec une ration de nourriture une ration
officielle d'idiotisme. Je n'étais que pauvre d'occa-
sion, me voilà pauvre de nécessité ; je n'étais petit
cfue par un côté, me voilà petit par tous. La hiérar-
chie sociale devient une série d'insultes, et l'on no
peut y boire un verre d'eau sans discerner à sa cou-
leur la nuance juste de son indignité. En un mot,
l'inégalité n'était qu'accidentelle entre les hom-
mes, la voilà logique, et la servitude universelle a
pour adoucissement la domination des gens d'esprit
sur la plèbe des incapacités. C'est là, encore une
fois, ce qu'on reproche à l'Évangile de n'avoir pas
établi !
Et pourtant , Messieurs , les hommes qui ont ap-
pelé au jour de si étranges pensées n'étaient pas des
hommes vulgaires, et plusieurs même étaient des
hommes de dévouement. Mais il n'y a rien où l'on
— 291 —
n'arrive lorsqu'on sort de la nature pour sortir du
mal, et surtout lorsqu'on sort de l'Évangile, en vou-
lant mieux faire que lui. La communauté du travail
et des biens est une idée évangélique ; mais remar-
quez à quelles conditions. Premièrement, elle doit
être volontaire, et dès lors elle n'a plus le caractère
ni l'inconvénient de la servitude. En second lieu,
l'inégalité des offices y est un acte de dévouement ,
et dès lors elle cesse d'être un outrage et une oppres-
sion. Toute la révolution évangélique est fondée sur
la libre conviction de l'intelligence et sur le libre con-
cours du cœur, et ce que l'on veut y substituer est une
révolution mécanique, n'ayant d'autre origine qu'un
rêve, d'autre force que la loi. Si le succès était pos-
sible, jamais le genre humain ne serait tombé d'une
si haute liberté dans un si profond esclavage, ni
d'une si vraie perfection dans un si rare abrutisse-
ment.
Je ne le nie pas , les inconvénients de la propriété
sont grands ; l'abus qu'en avait fait la société païenne
appelait plus qu'une réforme, il appelait une totale
révolution. Le riche s'était dégradé lui-même, il
avait dégradé le pauvre, et plus rien de commun
n'existait entre ces deux membres vivants, mais
pourris, de l'humanité. Le riche ne se doutait même
plus qu'il dût quelque chose au pauvre. Il lui avait
ravi tout droit, toute dignité, tout respect pour lui-
même , toute espérance , tout souvenir d'origine com-
mune et de fraternité. Nul ne songeait à l'instruction
du pauvre, nul à ses infirmités, nul à sa mort. Il vi-
vait entre la cruauté de son maître, l'indifférence de
— 292 —
tous et son propre mépris. C'est là que Jésus-Christ
l'a trouvé : voyons ce qu'il en a fait.
Il est une propriété inséparable de l'homme, une
propriété qu'il ne saurait aliéner sans cesser d'être
homme, et dont jamais l'aliénation ne doit être ac-
ceptée par la société : c'est la propriété du travail.
Oui, Messieurs, vous pouvez bien ne pas arriver au
domaine de la terre : la terre est étroite ; elle est ha-
bitée depuis des siècles; vous arrivez tard, et, pour
en conquérir une seule parcelle , il vous faudra peut-
être soixante ans de la plus laborieuse vie. C'est vrai.
Mais aussi , et par contre-poids, la propriété du tra-
vail vous restera toujours ; vous ne serez jamais dés-
hérités de ce côté-là , et le possesseur de la terre ne
pourra pas même sans votre concours obtenir du sol
qui est à lui l'obéissance de la fécondité. Votre tra-
vail, s'il n'est pas le sceptre du monde, en sera du
moins la moitié, et, par cette équitable distribution,
la richesse dépendra de la pauvreté autant que la
pauvreté de la richesse. Le passage de l'une à l'autre
sera fréquent ; le sort de tous les deux sera de s'en-
tr'aider et de s'engendrer réciproquement. Tel est
l'ordre d'aujourd'hui; mais était-ce l'ordre avant
l'Évangile? Vous savez que non, Messieurs ; vous
savez que l'esclavage était la condition générale du
pauvre, c'est-à-dire que, privé du domaine de la
terre, on l'avait encore dépouillé de tout droit sur
son propre travail. Le riche avait dit au pauvre :
(( Je suis le maître du sol , il faut que je le sois de
ton travail, sans lequel le sol ne produirait rien. Le
sol et le travail ne font qu'un. Je ne veux pas travail-
— 293 -
1er, parce que cela me fatigue, et je ne veux pas
traiter avec toi , parce que ce serait te reconnaître
mon égal et te coder une partie de ma propriété en
échange de tes sueurs. Je ne veux pas avoir besoin
de toi, je neveux pas reconnaître qu'un homme m'est
nécessaire pour chausser mes pieds et pour ne pas
aller nu ; tu seras donc à moi , tu seras ma chose
aussi bien que la terre, et, tant qu'il me conviendra,
j'aurai soin que tu ne meures pas de faim. »
Probablement, Messieurs, ce discours n'a pas été
tenu; mais la chose a eu lieu, et elle est devenue un
fait général. L'homme a péri avec la propriété de son
travail. Il est descendu au rang de l'animal domesti-
que, qui garde la maison, laboure le champ, et au-
quel on jette sa pâture deux ou trois fois par jour.
Personne dans l'antiquité ne l'a trouvé mauvais.
Était-ce donc peu de chose que d'établir dans le
monde ce grand principe : l'homme n'est jamais sans
propriété, l'homme sans propriété n'existe pas, la
propriété et la personnalité sont tout un? N'était-ce
pas là faire une révolution dans le principe de la
propriété, et une révolution dont aucun législateur
n'avait eu la pensée? Eh bien ! Jésus-Christ Ta faite,
il a rendu l'homme à jamais propriétaire de son tra-
vail, le pauvre nécessaire au riche, et entrant en
partage avec lui de la liberté et des sources de la vie.
Nulle terre n'a plus fleuri que sous la main du pau-
vre et du riche unis par un traité , et stipulant par
leur alliance la fécondité de la nature. Vous tous qui
m'écoutez , vous êtes les enfants de ce joyeux hymé-
née ; vous lui devez tout ce que vous êtes , tout sans
— 294 —
exception. Sans ce changement inattendu dansleré-
gime delà propriété, nous serions esclaves pour la
plupart , moi comme vous ; je ne vous parlerais pas
du haut de cette chaire ; vous n'écouteriez pas la pa-
role du droit et du devoir, et si, par hasard, elle fût
venue jusqu'à vous et jusqu'à moi, nous nous en ca-
cherions comme d'un crime, nous irions sous terre
nous entretenir à voix basse des vérités que nous dis-
cutons ici à la face du jour et à la clarté de Dieu.
Hommes ingrats, qui reniez Jésus-Christ, et qui
croyez méditer une œuvre plus profonde que la
sienne en attaquant la propriété, même celle du tra-
vail , vous êtes bien heureux que la force de l'Évan-
gile prévale contre la vôtre. Chaque heure de votre
dignité et de votre liberté est une heure qui vous est
conservée malgré vous , et que vous devez à la puis-
sance de Jésus-Christ. Si un jour sa croix s'abaissait
sur l'horizon , comme un astre usé , les mêmes causes
qui ont autrefois produit la servitude la produiraient
infaiUiblement de nouveau, le domaine de la terre et
le domaine du travail, par une invincible attraction,
se réuniraient dans les mêmes mains , et la pauvreté
succombant sous la richesse, présenterait au monde
étonné le spectacle d'une dégradation dont elle n'est
sortie que par un miracle toujours subsistant devant
nous.
Ce miracle vous pèse, je le sais; vous demandez
même ingénieusement dans quelle page de l'Évan-
gile l'esclavage a été positivement réprouvé et aboli.
Eh ! mon Dieu! dans aucune page, mais dans toutes
à la fois. Jésus-Christ n'a pas dit un seul mot qui
— 295 -
n'ait été une condamnation de la servitude , et qui
n'ait rompu un anneau des chaînes de l'humanité.
Quand il se disait le Fils de l'homme, il affranchis-
sait l'homme ; quand il disait d'aimer son prochain
comme soi-même, il affranchissait l'homme ; quand
il choisissait des pêcheurs pour ses apôtres, il affran-
chissait l'homme; quand il mourait pour tous indis-
tinctement, il affranchissait l'homme. Accoutumés
que vous êtes aux révolutions légales et mécaniques,
vous demandez à Jésus-Christ le décret qui a changé
le monde , vous êtes étonnés de ne pas le rencontrer
dans rhistoire,, formulé à peu près comme ceci : a Tel
jour, à telle heure, quand l'horloge des Tuileries
aura sonné tant de coups , il n'y aura plus d'esclaves
nulle part. » Ce sont vos procédés modernes ; mais
remarquez aussi les démentis que leur donne le
temps , et comprenez que Dieu , qui ne fait rien sans
le libre concours de l'homme , emploie dans les révo-
lutions qu'il prépare un langage plus respectueux
pour nous et plus sûr de son efficacité. Saint Paul,
initié aux secrets patients de l'action divine, écrivait
aux Romains : Que chacun demeure dans sa voca-
tion. Êtes-vous esclave, n'en ayez point souci, et
quand même vous pourriez devenir libre, servez
plutôt (1). Ces paroles mêmes étaient un acte d'af-
franchissement aussi solennel que celui-ci : Moi, le
vieillard Paul, le captif de Jésus-Christ , je vous
prie pour mon fils Onésime, que j'ai engendre' dans
mes liens... et que je vous renvoie... non plus comme
(1) l'-e Épître aux Corinthiens, chap. vu, vers. 20 et 21»
— 296 —
im esclave, mais au lieu de V esclave, un frère très-
chéri (1). La restitution évangélique de l'homme
s'est faite ainsi , elle se conserve et se propage ainsi,
par une insensible infusion de la justice et de la cha-
rité, qui pénètre l'âme et la transforme sans se-
cousse, et qui fait que l'heure de la révolution n'est
jamais connue. Le monde antérieur à Jésus-Christ
n'a pas su que la propriété du travail était essentielle
à l'homme ; le monde formé par Jésus-Christ l'a su
et l'a pratiqué : voilà tout.
Mais la propriété du travail ne suffît pas encore au
pauvre. L'enfant pauvre , le malade pauvre, le vieil-
lard pauvre, n'ont point de travail à eux, et trop
souvent même le travail manque au pauvre valide :
Jésus-Christ devait donc leur créer une autre pro-
priété que celle du travail. Où la prendre? Elle ne
pouvait évidemment se trouver que dans la propriété
de la terre ; mais la propriété de la terre appartient
au riche ; on ne saurait ébranler ce droit sans réduire
en servitude le genre humain tout entier. Quelle res-
source? Jésus-Christ l'a découverte. Messieurs; il
nous a appris que la propriété n'est pas égoïste dans
son essence, mais qu'elle peut l'être dans son usage,
et qu'il suffît de régler et de limiter cet usage pour
assurer au pauvre sa part dans le patrimoine com-
mun. L'Évangile a posé ce principe nouveau, plus
inconnu encore que l'inaliénabilité du travail : nul
n'a droit aux fruits de son propre domaine que selon
la mesure de ses légitimes besoins. Dieu, en effet, n'a
(1) Épître à Philémon, vers. 9, 10, 12 et 16.
— 297 —
donné la terre à l'homme qu'à cause de ses besoins
et pour y pourvoir. Tout autre usage est un usage
égoïste et parricide, un usage de volupté, d'avarice,
d'orgueil, vices réprouvés par Dieu, et qu'il n'a pas
voulu sans doute engraisser et consacrer en instituant
la propriété.
Il est vrai que les besoins diffèrent selon la posi-
tion sociale de l'homme, position variable à l'infini,
et dont l'Évangile a tenu compte en ne réglant pas
mathématiquement le point où finit l'usage et com-
mence l'abus. L'homme l'eût fait; Dieu ne s'est pas
cru assez fort mathématicien pour cela, ou plutôt,
là comme ailleurs , il a respecté notre liberté. Mais
le droit évangéiique n'en est pas moins clair et con-
stant : là où expire le besoin légitime, là expire l'u-
sage légitime de la propriété. Ce qui reste est le pa-
trimoine du pauvre ; en justice comme en charité, le
riche n'en est que le dépositaire et l'administrateur.
Si des calculs égoïstes le trompent sur sa dette envers
le pauvre, s'il y échappe par un luxe croissant avec
sa fortune, ou par une avarice toujours plus inquiète
de l'avenir à mesure qu'elle en a moins de motif,
malheur à lui ! Ce n'est pas en vain qu'il est écrit
dans l'Évangile : Malheur à vous qui êtes riches (1) !
Dieu lui demandera ses comptes au jour du juge-
ment ; les larmes du pauvre lui seront présentées ;
il les verra dans la clarté de la vengeance , n'ayant
pas voulu les voir dans la lumière de la justice et de
la charité. S'il a été le propriétaire légitime de son
(1) Saint Luc, chap. vi, vers. 24.
- 298 -
bien, Usera aussi le propriétaire légitime de sa dam-
nation.
Je ne m'arrête pas , Messieurs , à ces menaces si
terribles et si réitérées de l'Évangile contre les in-
justes détenteurs de la propriété territoriale du pau-
vre; car ce n'est là que la moindre garantie de son
droit. Ce n'est pas la crainte qui a fondé sur la terre
la seconde propriété du pauvre, mais l'onction de
Jésus-Christ pénétrant dans le cœur du riche et y
fleurissant en un froment sacré. Delà ces soins assi-
dus dont le monde antique n'avait aucune idée; ces
préoccupations de l'opulence en faveur de la misère;
ces fondations d'hôpitaux, d'hospices, de maisons de
secours sous toutes formes et soois tout nom ; ces
oreilles ouvertes pour entendre tout gémissement
qui rend un son nouveau , et qui appelle une inven-
tion de la charité ; ces visites personnelles ]aux man-
sardes et aux grabats, ces bonnes paroles sorties d'un
fonds d'amour qui ne s'épuise jamais; cette commu-
nion de la richesse et de la pauvreté qui , du matin
au soir, du siècle qui finit au siècle qui commence,
mêle tous les rangs , tous les droits, tous les devoirs,
toutes les pensées, le théâtre à l'Église, la cabane
au château, la naissance à la mort, faisant naître la
charité jusque dans le crime, en arrachant à la pros-
titution même sa larme et son écu.
J'en conviens , une grande partie de ce spectacle
est caché ; tout œil n'a pas reçu le don de le voir, et
même l'œil de Dieu seul le connaît tout entier. Il est
donc facile d'accuser sous ce rapport, au moins dans
une certaine mesure, la dureté du riche et l'impuis-
— 299 — ■
sance de Jésus-Christ. C'est à nous , chrétiens , prê-
tres de Jésus-Christ, qui avons le secret de tant de
bonnes œuvres, à témoigner de ce que nous voyons ,
sans cesser jamais d'exciter la main qui se lasse ou
le cœur qui s'oublie. N'y a-t-il pas ici, dans la jeu-
nesse qui m'écoute, des représentants de cette légion
de Saint-Vincent-de-Paul qui couvre la France, et
qui a maintenant des frères de son nom et de son
âme jusqu'à Constantinople et à Mexico? Quel est
celui d'entre eux qui ne voit pas le pauvre face à
face, qui ne sait pas l'entendre et lui parler? Lequel
n'a pas échauffé sa foi aux haillons de la misère?
Lequel montant le soir de honteux escaliers, et frap-
pant à la porte de la douleur, n'a pas ouï quelquefois
Jésus- Christ lui répondre au dedans par une tenta-
tion vaincue, et lui dire : Bien?
Ah! sans doute, la misère physique et morale
grandit dans le monde : mais est-ce la faute de Jésus-
Christ, ou de ceux qui ne veulent pas de lui? La
propriété incrédule a-t-elle le droit d'accuser l'im-
puissance de la propriété chrétienne? Celle-ci, di-
minuée par l'apostasie d'une portion de la société
ëvangélique , fait ce qu'elle peut , et l'autre portion
ne lui laisse pas même la Hbre action de la charité.
Elle n'est donc pas comptable des maux présents;
elle ne le sera pas des maux à venir. Que ceux-là
guérissent les plaies qui les font.
Jésus -Christ a rendu au pauvre la propriété du
travail, et il a créé pour lui dans le superflu du riche
une seconde propriété : mais était-ce assez? Vous,
chrétiens , qui avez le sentiment de Dieu , vous me
— 300 —
répondez que non. Vous compariez en secret , pen-
dant que je vous parlais , le sort du riche avec celui
du pauvre, et vous vous disiez qu'enfin, malgré tout,
la différence était grande, et que quelque autre chose
encore était nécessaire à l'œuvre du Christ. Vous avez
raison. L'homme n'a pas seulement besoin de pain ,
il a besoin de dignité. Il est, par sa nature même,
une dignité. Quel est celui de nous qui ne le sente
vivement , et qui n'aspire à un état de grandeur ca-
pable de satisfaire l'instinct qu'il en a? Nous ne
nous trompons pas en ce point, nous sommes des
enfants de race royale , nous descendons d'un lieu
où la domination est le droit, et il est juste que nous
sentions se remuer en nous ces restes de notre pre-
mière majesté. Hélas! dans l'exil le prince qui a
perdu le trône n'en perd jamais le souvenir; on a
remarqué sur le front de tous les détrônés un sillon ,
une cicatrice de douleur qui ne se guérit pas. Eh
bien! nous sommes du nombre de ces proscrits de
grande race ; à la lettre , et dans toute la rigueur de
l'expression, nous sommes des rois détrônés, des
enfants de Dieu destinés à nous asseoir un jour à la
droite de notre Père et à régner avec lui. Cela étant ,
l'homme pauvre a-t-il la mesure de gloire et de puis-
sance qui nous revient? Et peut- il s'en passer, s'il
ne l'a pas? Peut-il vivre sans dignité? Non, mille
fois non , je n'admets pas la vîe sans la royauté. Or
où est la royauté du pauvre? où est la royauté de
cet homme qui attend du plus vil office son pain de
chaque soir? Où est-elle? Où est sa couronne? Qui
la lui tressera de nouveau et la lui rendra? Oui,
- 301 —
Messieurs, qui? Eh! Jésus - Christ , l'Évangile :
soyez sûrs qu'ils y ont songé.
Voici Jésus-Christ qui vient, lui, l'homme réparé,
l'homme renouvelé dans la gloire, pour nous la
rendre : il vient! L'humanité, qui Tattend, n'est pas
une , elle est partagée en deux camps : à gauche .
l'humanité riche; à droite, l'humanité pauvre; un
espace au milieu. Jésus-Christ descend, le voilà ! Où
passera-t-il? Il passera du côté du pauvre avec sa
royauté et sa divinité. Il est pauvre (1) , s'écriait le
prophète en le voyant venir de loin ; et déclarant lui-
même sa mission : Le Seigneur, dit-il, m'a envoyé
pour évangélîser les pauvres (2). Saint Jean, le
précurseur, le fait questionner par ses disciples :
Êtes-vous, lui demande-t-il. Celui qui doit venir, ou
faut-il que nous en attendions un autre? Le Christ
répond : Dites à Jean ce que vous avez entendu et ce
que vous avez vu : les aveugles voient , les boiteux
marchent , les lépreux sont purifiés , les sourds en-
tendent, les morts ressuscitent. Est-ce là tout? Non,
écoutez ! écoutez ! Les pauvres sont évangélisés (3) !
C'est là le signe suprême , plus que la vue rendue
aux aveugles, plus que la marche aux estropiés, plus
quela pureté aux lépreux, plus que l'ouïe aux sourds,
plus que la vie aux morts. Les pauvres sont évan-
gélisés! c'est-à-dire la science, la lumière, la dignité
sont restituées à la portion de l'humanité qui n'avait
{]] Zacharie, cliap. ix, vers. 9.
(2) Saint Luc, chap. iv, vers. 18.
(3) Saint Matthieu, chap. xi, vers. 4 et 5.
— 302 -
plus rien de tout cela. Jésus- Christ ne se lasse pas
de faire alliance avec elle, et, balayant la richesse
chaque fois qu'il la rencontre sur son passage, il
disait avec une divine tendresse : Je vous rends
grâces, ô mon Père, de ce que vous avez caché ces
choses aux savants et aux sages, et de ce que vous
les avez révélées aux petits (1). Enfin il établit entre
eux et lui une solidarité qui couvrira éternellement
le pauvre et lui assurera le respect de tous les siècles
à venir : Tout ce que vous aurez fait, dit-il , au plus
p)etit d'entre mes frères, c'est à moi-même que vous
l'aurez fait (2).
Vous comprenez maintenant, Messieurs, le charme
inouï attaché à la pauvreté pour les yeux du chré-
tien. Si, non content de secourir le pauvre et de l'ai-
mer, le chrétien aspire à être pauvre lui-même ; s'il
vend son patrimoine pour le distribuer à ses frères
souffrants ; si saint François d'Assise renonce à l'hé-
ritage paternel pour courir le monde avec un sac et
'Aue corde ; si Carloman lave les écuelles du Mont-
Cassin ; si tant de rois , de reines , de princes , de
princesses, quittent tout pour embrasser la pauvreté
volontaire, vous en avez le secret. Jésus- Christ,
venu de plus haut, s'est fait pauvre lui-même; il a
fait de la pauvreté et de l'amour une mixtion qui
enivre l'homme , et où toutes les générations vien-
nent boire à leur tour. Le pauvre, c'est Jésus-Christ
même : Jésus-Christ qui a tant aimé! Comment
(1) Saint Matthieu, chap. xi, vers. 25.
(2) Ibid., chap. xxv, vers. 40.
— 303 —
passerai -je à côté de lui sans une goutte de respect
et d'amour?
0 puissants philosophes ! je vois bien votre objec-
tion; vous me direz : Mais tout cela, c'est de la pure
métaphysique ; il n'y a pas là dedans une ombre de
réalité. C'est vrai, il n'y a là dedans ni décrets légis-
latifs, ni grosse artillerie pour les faire respecter, ni
même du sens commun, si vous le voulez ; il n'y a là
dedans qu'une révolution d'amour, une révolution
qui s'est accomplie avec rien. C'est précisément ce
qui me touche. 0 académiciens! hommes d'esprit,
législateurs, princes, prophètes, écoutez -moi, si
vous le pouvez. L'humanité riche foulait aux pieds
l'humanité pauvre ; moi, j'étais de l'humanité pauvre
en ce temps -là, et j'en suis encore : eh bien! par
grâce, faites que l'humanité riche respecte l'huma-
nité pauvre ; que l'humanité riche aime l'humanité
pauvre; que l'humanité riche rêve à l'humanité pau-
vre ; faites des sœurs de Charité pour panser mes
plaies, des frères de petites écoles pour m'instruire,
des frères de la Merci pour me racheter de la servi-
tude ; faites cela , et je vous tiens quittes du reste.
Jésus -Christ l'a fait, et voilà pourquoi je l'aime; il
l'a fait avec rien , et voilà pourquoi je le tiens pour
Dieu. Chacun a ses idées.
Jésus -Christ en a eu une troisième au sujet des
pauvres; il a craint qu'ils ne s'estimassent malheu-
reux de leur élection à la pauvreté , et il a prononcé
cette adorable parole, qui est en tête de tout son
Evangile : Bienheureux les pauvres de gré , 'parce
— 304 —
que le royaume du ciel est à eux (1) ! Vous pensez
peut-êlre que cela veut dire : Bienheureux ceux qui
sont méprisés sur la terre, parce qu'ils seront hono-
rés dans le ciel; bienheureux ceux qui souffrent sur
la terre, parce qu'ils se réjouiront dans le ciel ; bien-
heureux ceux qui ne sont rien ici -bas , parce qu'ils
seront tout dans le ciel! Il est vrai, c'est en partie le
sens de cette ineffable parole; mais ce ne l'est pas
tout entier. Elle veut dire aussi : Bienheureux les
pauvres de gré, parce que le royaume du ciel est à
eux dès ici-bas , parce que l'onction de la béatitude
descendra dans leur âme, l'élargira, l'élèvera au-
dessus des sens , et la remplira même au milieu du
dénûment! Jésus- Christ nous révélait par là une
vérité qui n'est pas seulement de l'ordre surnaturel,
mais qui appartient aussi à l'ordre moral, et même
à l'ordre purement économique : c'est que le bon-
heur est une chose de l'âme, et non du corps; c'est
que la source en est dans le dévouement, et non dans
la jouissance; dans l'amour, et non dans la volupté.
Or le dévouement appartient au pauvre par droit de
naissance, et l'amour, trop souvent refusé au ri-
che, habite volontiers le cœur simple de l'artisan,
qui n'a jamais été servi ni adoré, qui n'a point mis
tout son être dans l'orgueil , et qui , sachant se don-
ner, sait aimer et être aimé. L'Évangile, en détour-
nant l'homme de la terre et en le reportant vers les
choses du dedans, répondait donc à une disposition
même de la nature. Il inspirait au pauvre, avec les
(1) Saint Matthieu , chap. v, vers. 3.
— 305 —
joies de la sainteté, les joies moins pleines, et pour-
tant encore souhaitables, de l'ordre humain. Il faisait
des peuples contents, spectacle plus rare aujour-
d'hui, mais qui, grâce à Dieu, n'a pas encore dis-
paru. N'avez -vous jamais, le jour du dimanche,
rencontré un village breton se rendant à son église,
le vieillard cheminant d'un pas gai, le jeune marié
ayant à son bras sa compagne, les enfants et les
petits- enfants portant à Dieu leur forte et naïve
santé; tous annonçant au dehors, du front chauve
au front vierge , la sérénité , la fierté , la possession
de soi-même en Dieu, la sécurité de la conscience,
et pas l'ombre de regret ni d'envie? L'homme de la
cabane sourit à l'homme du château ; le respect n'est
sur ses lèvres qu'une nuance de contentement ,
et le contentement n'est que l'expression terrestre
d'un sentiment plus haut et qui déborde plus à
fond.
Ailleurs, Messieurs, il n'en est plus de même ; l'en-
vie a plissé tous les fronts et allumé tous les yeux.
Je le crois bien : Jésus-Christ avait fondé la propriété
du pauvre, sa dignité et sa béatitude, vous avez
altéré toutes les trois. Vous avez diminué la propriété
du pauvre par l'accroissement de la propriété incré-
dule plus ou moins retournée à l'égoïs me païen; vou3
avez diminué la dignité du pauvre en attaquant
Jésus -Christ, qui en est la source; vous avez dimi-
nué la béatitude du pauvre en lui persuadant que la
richesse est tout, et que la félicité, fille delà Bourse,
est cotée et paraphée au grand-livre de la dette
publique. Vous en recueillez les fruits. Ce pays a
— 306 —
bien des plaies ; mais la plus grande peut-être est la
plaie économique, cette fureur du bien-être matériel
qui précipite tout le monde sur cette maigre et ché-
tive proie que nous appelons la terre. Retournez ,
retournez à l'Infini : lui seul est assez grand pour
l'homme. Ni chemins de fer, ni longues cheminées
à vapeur, ni aucune invention n'agrandiront la terre
d'un pouce; fût-elle aussi prodigue qu'elle est avare,
aussi illimitée qu'elle est étroite, elle ne serait en-
core pour l'homme qu'un théâtre indigne de lui.
L'âme seule a du pain pour tous , et de la joie pour
une éternité. Rentrez- y à pleines voiles; rendez
Jésus -Christ au pauvre, si vous voulez lui rendre
son vrai patrimoine ; tout ce que vous ferez pour le
pauvre sans Jésus-Christ ne fera qu'élargir ses con-
voitises , son orgueil et son malheur.
TRENTE-QUATRIEME CONFERENCE
DE L INFLUENCE DE LA SOCIETE CATHOLIQUE
SUR LA SOCIÉTÉ NATURELLE QUANT A LA FAMILLE
Monseigneur ,
Messieurs ,
La propriété est une des bases de la société natu-
relle, non -seulement parce qu'elle sert à la conser-
vation et à la distribution de la vie, mais encore
parce qu'elle est nécessaire au maintien de notre
dignité et de notre liberté. Cependant le monde
païen , la détournant de ce double but , en avait fait
un instrument de misère , de servitude et de dégra-
dation, et vous avez vu l'heureuse révolution accom-
plie sous ce rapport par le droit évangélique ou
chrétien. L'Évangile a restitué aux hommes la pro-
— 308 —
priété inaliénable du travail, et le travail leur étant
trop souvent refusé par l'âge ou la maladie, ou même
l'occasion , il a créé pour eux une seconde propriété
dans le superflu du riche et dans la charité de tous.
Par celte double disposition du droit nouveau, l'une
et l'autre inconnues de l'antiquité, la paix s'est faite
entre l'humanité riche et l'humanité pauvre , la pre-
mière aidant la seconde , la seconde aidant la pre-
mière, toutes les deux mêlant l'amour à la justice, et
contentes de leur sort autant qu'il est possible d'ar-
river ici-bas au contentement, car en ce point comme
en beaucoup d'autres , Messieurs , vous ne devez pas
perdre de vue qu'aucune providence ne peut tout
pour l'homme ; quel que soit le droit, l'abus reste
possible pour notre Uberté, et le malheur par l'abus.
Toute la justice et toute la charité de l'Évangile ne
sauraient entièrement conjurer l'effet de nos pas-
sions, de Tégoïsme, de l'imprévoyance, de la mol-
lesse et de tant d'autres causes par lesquelles nous
creusons sous nous un abîme de misère et de dou-
leur. L'homme équitable n'accusera pas toujours ses
frères des maux où il est tombé; il en accusera sou-
vent lui-même; il pardonnera d'autant plus à Dieu
qu'il se pardonnera moins, et, fût- il innocent, il
comprend encore que, n'étant pas tout seul, les
fautes d'autrui peuvent l'atteindre et attrister sa
destinée. L'Évangile a la liberté pour contre-
poids; il ne fait que les miracles qui ne la dé-
truisent pas.
La propriété étant réglée par la justice et purifiée
par la charité, tout n'est pas fait encore. Il est une
— 309 —
autre base de la société naturelle, non moins impor-
tante, plus importante peut-cLre, si toutefois il est
possible d'assigner des degrés exacts aux éléments
constitutifs de l'ordre social; je veux parler de la
famille. Car la société humaine n'est pas un assem-
blage d'individus épars , dénués de toute autre con-
sistance que celle de leur personnalité; elle est un
tissu de familles régulières, qui font de l'homme
même une société antérieure à toute autre , société
de travail, de richesse, d'alîection, de force, par la-
quelle l'homme se pose comme un être plein , con-
servant et propageant sa vie , et partant de là pour
entrer dans une société plus vaste, à laquelle il ap-
porte son existence collective, et à qui il demande en
échange une participation à des biens plus grands;
toute l'étendue, toute la gloire, toute la puissance
d'une patrie.
Je me propose d'examiner aujourd'hui ce que le
droit évangéiique a fait pour la famille. La nature
même du sujet exigera de moi quelquefois que je
touche à des points délicats ; j'espère, en y touchant,
rester dans les hmites consacrées par la langue chré-
tienne, et même par la langue de ce grand siècle de
Louis XIV, à qui Dieu avait accordé la grâce de
faire bien, et de mieux dire encore.
La famille est composée de trois sortes de per-
sonnes, le père, la mère et l'enfant. Je ne parlerai de
l'enfant que. d'une manière accessoire, parce que sa
destinée dépend des relations qui existent entre le
père et la mère, et que là où ces relations sont justes
et humaines , le sort de l'enfant est lui-même bon et
- 310 —
neureiix. Je l'écarté de la discussion , pour ne pas la
compliquer inutilement.
Selon la tradition consignée dans les livres saints ,
Dieu, ayant fait l'homme, le regarda, et trouva qu'il
était seul. Il lui envoya donc un sommeil mysté-
rieux, et, pendant qu'il y était plongé, posant la
main sur son cœur, il arracha une partie du bouclier
naturel qui le couvre , en forma un être nouveau , et
ayant éveillé l'homme, lui présenta la compagne de
sa vie. L'homme , ravi , se reconnut dans un autre
que lui-même, et prononça la première parole d'a-
mour : Voici, dit-il, Vos de mes os, et la chair de ma
chair; celle-ci s'appellera d'wi nom qui w^arque
l'homme, parce qu'elle a été tirée de l'homme; c'est
pourquoi l'homme quittera son père et sa mère , et
s'attachera à son épouse, et ils seront deux dans une
seule chair [\) . CqHq parole. Messieurs, ou plutôt
ce chant renfermait toute la constitution de la fa-
mille; la dignité réciproque de l'homme et de la
femme , l'indissolubilité de leur union, et cette union
en deux personnes seulement. La dignité d'abord ,
puisque la femme avait été prise de l'homme, et
qu'on ne pourrait jamais lui reprocher d'avoir été
formée d'un limon secondaire; l'indissolubilité,
puisque leur union était dans une seule chair;
l'unité, puisque cette chair n'était qu'à deux.
Et si, laissant de côté la tradition bibhque, nous
cherchons dans notre cœur quel sont les vrais rap-
ports de l'homme et de la femme , nous arriverons
(1) Genèse, chap. ii, vers. 23 et 24.
— 311 —
encore aux mêmes conclusions. En effet , l'affection
la plus chère, la plus pénétrante, la plus aimable ,
celle qui renferme le plus l'idée de la félicité telle
que nous la créons, c'est, Messieurs, pesée au poids
du cœur comme au poids du sanctuaire , l'affection
qui unit l'homme à sa légitime compagne. Or là où
est l'affection, là il y a communication de dignité;
l'affection n'a jamais outragé; elle honore, elle res-
pecte, elle vénère, elle élève ce qui est bas pour le
transfigurer en soi. C'est même un des rêves de notre
âme d'aimer au-dessous de nous, pour avoir le plaisir
d'élever jusqu'à nous : sentiment délicat que Dieu
éprouve lui-même, et qui nous explique tout ce qu'il
fait pour l'homme. Un ancien a dit : Amicitia pares
invenit velfacit: maxime dont l'application est quo-
tidienne, et qui diminue au profit du bonheur la ré-
gularité sévère des rangs. Or elle s'applique surtout
à la femme , qui occupe naturellement la plus haute
dignité , parce que l'amour que nous lui portons est
le plus haut de tous les amours. Je dis nous, Mes-
sieurs ; car, ceux-là mêmes qui sont constitués dans
la dignité du sacerdoce et de la chasteté éternelle,
ceux-là ont une mère , une sœur, et par conséquent
ils ne sont pas exclus de l'affection bénie dont je
parle , don de Dieu à tous les hommes et condiment
sacré de toute la vie.
En second lieu , l'affection produit naturellement
l'indissolubilité. Quel est l'être assez lâche, quand il
aime, pour calculer le moment où il n'aimera plus?
Quel est l'être assez indigne de concevoir et de mé-
riter l'affection, qui vit avec ce qu'il aime comme s'il
— 312 —
devait un jour ne l'aimer plus ? Qui de nous, au con-
traire, illusion Irop souvent détruite, mais illusion
qui nous honore, qui de nous , une fois qu'il aime, ne
se persuade, dans ce moment du moins, qu'il aimera
toujours avec touL l'entraînement et toute la jeunesse
de son cœur? On se trompe, je le veux ; mais ce n'est
pas moins là le caractère inné de tout sérieux atta-
chement.
L'unité en est un autre. On n'aime point à trois,
on n'aime qu'à deux. Il est impossible de se repré-
senter une affection de même nature et de même
force entre trois âmes d'hommes. C'est à cause de
cela même qu'il y a si peu de capacité en nous pour
aimer. Notre amour est exclusif; quand nous nous
donnons, nous ne nous donnons qu'à un, et il a fallu
toute la puissance de Jésus -Christ pour communi-
quer de l'étendue à nos affections sans détruire leur
énergie.
Ainsi donc le cœur et la Bible nous disent la même
chose , et en aucun autre point il ne sont plus d'ac-
cord : ils nous disent que les rapports de l'homme et
de la femme sont dignité, indissolubilité, unité.
Mais quand, sortant du cœur et de la Bible, nous
entrons dans l'histoire, est-ce là le spectacle qui se
présente à nous ? Y trouvons-nous, dans les rapports
de l'homme et de la femme, dignité, indidissolubité,
unité? Non, Messieurs ; nous y trouvons tout le con-
traire. L'homme, historiquement parlant, a accu-
mulé contre sa compagne tout ce qu'il a pu imaginer
de duretés et d'incapacités. Il en a fait une captive,
il l'a couverte d'un voile et cachée à l'endroit le plus
— 313 —
secret de sa maison, comme une divinité malfaisante
ou une esclave suspecte; il lui a raccourci les pieds
dès l'enfance, afin de la rendre incapable de marcher
et de porter son cœur où elle voudrait; il l'a attachée
aux travaux les plus pénibles , comme une servante;
il lui a refusé l'instruction et les plaisirs de l'esprit;
jusque-là qu'en certaines contrées , le voyageur ren-
contrant cet être dégradé et lui demandant sa route ,
la femme répondait: « Je ne sais pas, je ne suis
qu'une femme. » Que n'a-t-on pas fait encore contre
elle? On l'a prise en mariage sous la forme d'un
achat et d'une vente ; on l'a déclarée incapable de
succéder à son père et à sa mère, incapable de tester,
incapable d'exercer la tutelle sur ses propres en-
fants et retournant elle-même en tutelle à la disso-
lution du mariage par la mort. Enfin la lecture de
diverses législations païennes est une révélation
perpétuelle de son ignominie, et plus d'une, pous-
sant la défiance jusqu'à l'extrême barbarie, l'a con-
trainte de suivre le cadavre de son mari, toute jeune
et toute vivante, et de s'ensevelir dans son bûcher,
afin, remarque un jurisconsulte , que la vie du mari
fût en sûreté , la femme sachant qu'elle ne pouvait
lui survivre en aucun cas.
Quelles injures, Messieurs, quelle étonnante dé-
gradation! Ce n'est pas tout. Déjà déshonorée par
tant d'outrages à sa faiblesse, on y a joint la facullé
de la répudier. Elle était venue jeune et belle , on la
renvoie flétrie par l'âge ou l'infirmité, comme un
meuble dont on se défait quand il est fêlé par l'u-
sage, et qu'on s'ennuie de le voir chez soi. Les sati-
9*
— 314 —
riques latins nous ont conservé quelqu'une de ces
scènes d'infanjie, et jusqu'aux paroles insolentes de
l'esclave venant dire à sa maîtresse de la veille qu'elle
n'était plus même esclave comme lui
Et bien plus encore, la simultanéité dans le ma-
riage : des troupeaux de ces êtres si dignes devant
Dieu et devant notre cœur, des troupeaux de femmes
enfermées comme un bétail entre des murailles, et
devenues, dans l'ennui de leurs jours et de leurs
nuits, la proie, je ne dirai pas d'une affection,
mais la proie d'un moment au milieu de siècles
d'oubli !
Voilà l'histoire ! voilà la femme dans l'histoire!
Et, l'Évangile venu, l'Évangile l'ayant relevée y
comme nous le verrons tout à l'heure, l'opprobre et
la servitude n'ont pas cessé pour elle d'un seul coup;
ils n'ont cessé que là où l'Évangile a prévalu; par-
tout ailleurs elle est demeurée au sort qu'on pour-
rait appeler son sort naturel. Vous en avez la preuve
assez proche de vous. Le musulman, venu six siècles
après l'Évangile, s'est-il soucié de rendre à la femme
sa dignité? A vos portes, pour vous braver, il a re-
levé les quatre murailles de la captivité et du mé-
pris ; il y a entassé les objets de sa lâche convoitise,
non pas tous peut-être marqués au même degré de
servitude et d'infamie ; mais qu'importe la nuance de
l'estime dans l'opprobre, et le degré de faveur dans
l'oppression? La sultane règne autant qu'on peut
régner sur un cœur qui se partage et qui se dissipe ;
elle règne comme la dernière paysanne de France ne
voudrait pas régner. Le spectacle des mœurs musul-
— 315 —
Qianes, chez les peuples qui ne manquent pas de
grandeur native, est un avertissement de la Provi-
dence à la femme chrétienne tentée d'apostasie par
la sévérité de l'Évangile; elle y apprend ce que
coûte l'amour qui n'est pas sous la protection de
Dieu, et ce que devient l'adoration de l'homme le
lendemain du jour où il n'adore plus Jésus-Christ.
Elle y apprend le degré de bassesse où elle descend
dès que Jésus -Christ n'a plus la main sur l'homme
pour le contenir et le purifier, pour contenir et pu-
rifier sa compagne , et les rendre tous deux un sanc-
tuaire d'amour fidèle et respectueux.
Jusque parmi nous. Messieurs, dès que baissent
les eaux évangéliques, qu'entendons-nous? Le cri
sourd du divorce, la bête humaine qui hurle après
la liberté brutale, et demande qu'on l'affranchisse
d'un devoir insupportable à ses désirs. Nous l'avons
entendu, ce cri honteux; il a même triomphé un
moment dans notre patrie , il triomphe encore dans
une partie de l'Europe où le christianisme est mal
défendu par le schisme et l'hérésie. Là une femme,
une femme chrétienne, se voit chasser de la famille
qu'elle a fondée de son sang; elle cesse d'être mère
en cessant d'être épouse; on lui enlève par le di-
vorce , comme un bétail qui se divise , une part des
enfants qu'elle a portés dans son sein, qu'elle a nour-
ris de ses larmes et de son amour. Mais la louve, au
fond des forêts, quand on lui arrache ses petits, on lai
fait une injure qu'elle ressent; et vous, dans un
pays chrétien, vous arrachez l'enfant à sa mère;
vous ne craignez pas de lui faire une injure que le
— 316 -
tigre ne vous pardonnerait pas dans l'antre de ses
déserts !
Gomment expliquer un aussi étrange renverse-
ment des lois de la nature et de l'affection? Je com-
prends l'abus de la propriété, l'esclavage. L'esclave
est un étranger; il est tombé dans cette condition
par le sort de la guerre ou de la naissance ; il n'est
rien aux souvenirs de son maître et à son cœur. Mais
la compagne que l'homme a choisie, qui a eu les
serments de sa jeunesse, qui est son égal par le
sang, qui a vécu à son foyer, à laquelle il a ouvert
son âme, qui lui a donné des jours peints dans sa
mémoire et des fils grandis sous ses yeux , pourquoi
la déshonorer? Qu'a-t-elle fait? Qu'y gagne donc
l'homme? Ah! ce qu'il y gagne, Messieurs, je vais
vous le dire; car, enfin, il faut bien connaître la
cause après avoir vu le phénomène; il faut bien
pénétrer jusqu'au fond de l'homme et en explorer
toute la corruption , afin que la restauration évangé-
lique nous apparaisse tout ce qu'elle est.
Trois égoïsmes ont concouru , dans le cœur de
l'homme , à l'avilissement de la femme. Le premier
estl'égoïsme de la jalousie. Nous aimons, c'est vrai;
mais nous sommes si peu de chose pour être aimés,
les années s'écoulent si vite, elles emportent si rapi-
dement les charmes de notre jeunesse, qu'un mo-
ment vient où nous doutons de nous-mêmes et de
notre aptitude à mériter l'affection. Nous ne nous
trompons pas. Cependant nous voulons retenir ce
qui ne viendrait plus à nous de soi-même; nous as-
pirons à une passion dont le jour est déjà loin; plutôt
— 317 —
que d'obéir à la nature , nous voulons lui faire vio-
lence , et ressusciter par la servitude ce qui nous est
ravi parla liberté. C'est la raison secrète qui a par-
tout condamné la femme à un ilotisme plus ou moins
prononcé.
Un autre égoïsme, celui de la lassitude, a travaillé
contre elle dans un autre sens. Nous nous lassons.
Un jour on s'éveille comme d'un songe, on s'étonne
de ne plus aimer ce que la veille on adorait encore ;
on se demande pourquoi. Rien n'est changé que le
cœur; mais il est changé, et c'est un coup dont il ne
revient jamais. Que faire? Gomment vivre dans le
supplice de voir avec indifférence l'objet qu'on voyait
avec transport? La dissolubilité du mariage est la
réponse de notre inconstance à cette question. La
jalousie rendait la femme captive, la lassitude la
chasse.
Il reste un troisième parti pour un troisième
égoïsme, qui est celui de la simultanéité. La recher-
che de nous -même est si subtile, qu'il nous faut
quelquefois, pour avoir toutes nos aises, joindre
l'habitude à la nouveauté. On y arrive en multipliant
le mariage, et la passion se compose ainsi une cour
où le souvenir est aussi vivant que le caprice, où
tous les temps sont mêlés, et où chaque jour apporte
à une inépuisable inconstance une noce et une répu-
diation.
Tel est l'homme, et ce triple égoïsme se réduit à
un seul, qui est de manquer d'amour. C'est le repro-
che de saint Paul aux païens, lorsque, après avoir
énuméré tous leurs crimes, il finit par les accuser
— 318 —
d'avoir été sans affection (1). L'amour purement
humain est une effervescence passagère, produite
par des causes qui n'ont elles-mêmes que peu de
durée; il naît le matin, il se flétrit le soir. Ce n'est
point l'acte d'un homme maître de lui, sûr de sa vo-
lonté, et portant l'énergie du devoir jusque dans les
jouissances intimes du cœur. L'amour véritable est
une vertu; il suppose une âme constante et forte,
qui, sans être insensible aux dons fugitifs, pénètre
jusqu'à la région immuable du beau, et découvre
dans les ruines mêmes une floraison qui la touche et
la retient. Mais l'âme chrétienne seule a ce goût
créateur ; les autres s'arrêtent à la surface et voient
la mort partout. Deux jeunes gens s'avancent vers
l'autel, à cette belle cérémonie des noces; ils portent
avec eux toute la joie et toute la sincérité de leur
jeunesse ; ils se jurent un amour éternel. Mais bien-
tôt la joie diminue, la fidélité chancelle, l'éternité de
leurs serments s'en va par morceaux. Que s'est- il
passé? Rien ; l'heure a suivi l'heure ; ils sont ce qu'ils
étaient, sauf une heure de plus. Mais une heure,
c'est beaucoup hors de Dieu. Dieu n'est point entré
dans leurs serments, il n'a pas été le complice de
leur amour, et leur amour fmit parce que Dieu seul
ne fmit pas.
Tournons de ce côté , et , après tant de tristes spec-
tacles , voyons ce que Dieu a fait par l'Évangile pour
la réhabilitation de la femme.
L'Évangile a rendu à la femme la liberté, l'instruc-
(1) Épître aux Romains, chap. i, vers. 31.
— 319 —
tion , tous les droits civils. Mais il a de plus créé pour
elle trois ministères qui lui donnent une glorieuse
action sur les destinées du genre humain. Le pre-
mier est le ministère du respect. Le respect est une
crainte douce et pieuse. Quand nous rencontrons un
homme chargé d'ans et de services , le front couvert
des traces vives de la vertu, nous nous sentons,
quoique son égal , atteint d'un sentiment qui ne nous
cause aucune peine, mais qui cependant nous ôte la
confiance de la familiarité : c'est le respect. Le res-
pect est l'aveu volontaire d'une dignité qui nous com-
mande sans avoir besoin de nous donner aucun or-
dre ; il entre , comme un condiment nécessaire, dans
tous les rapports des hommes entre eux, et l'affec-
tion la plus tendre n'en exclut pas l'expression , quel-
que tempérée qu'elle devienne en ses mains. Sans le
respect, l'homme touche à la grossièreté de la barba-
rie, il méconnaît la royauté qui est en lui. Le res-
pect. Messieurs, est descendu sur nous de Dieu
même, qui nous a faits à son image. En Dieu il est
une majesté qui repousserait, si elle était toute seule ;
mais cette majesté suprême étant unie à une suprême
bonté, il résulte de ce mélange ineffable une physio-
nomie qui attire sans rien perdre de sa grandeur.
C'est un reflet de cette nuance qui habite en nous, et
qui produit le respect.
Or, Messieurs, nous sommes sujets à oublier ou à
méconnaître cette partie de notre céleste dotation.
Les abus de l'égalité , l'abaissement du vice , l'indé-
licatesse de l'esprit nous poussent sans cesse à la
grossièreté , comme l'orgueil nous porte à une roi-
— 320 -
deur sotte et ridicule. La civilisation chrétienne avait
besoin de trouver et de conserver le secret de la di-
gnité tempérée par la grâce , d'en avoir un interprèle
subsistant, un modèle exquis et inviolable , dont la
seule présence fût une leçon , et nous rappelât sans
cesse la physionomie de l'homme vrai, pur, sincère,
simple, digne de lui-même : c'est à la femme chré-
tienne que ce ministère auguste a été confié. L'Évan-
gile a fait de l'esclave une reine, il l'a tirée d'une ser-
vitude honteuse ou d'une liberté effrénée, qui n'était
qu'un autre esclavage , pour lui donner sur les mœurs
publiques une modeste et souveraine action. Sceptre
porté avec autant de fruit que de gloire, qui a im-
primé aux temps modernes une ineffaçable couleur
de bienséance et d'élévation !
Ce jeune homme usé dans le vice, qui ne croit plus
à rien , pas même au plaisir, qui ne respecte plus
rien, pas même soi, il vient, il rencontre le regard
delà femme chrétienne, il voit vivante la dignité
qu'il a profanée ; il retrouve Dieu dans une âme qui
en a gardé le sacerdoce et qui le révèle dans ses
traits : il sent sa misère et son abjection devant ce
miroir de pureté. Un mouvement de paupière ou de
lèvres suffît pour le châtier et l'anéantir, lui qui s'es-
timait sûr de ne pas trembler devant Dieu ! Il recon-
naît une puissance à laquelle il doit compte de sa vie,
devant laquelle il doit déguiser au moins sa honte, et
s'il devient incapable d'être touché de ce reproche
tacite, s'il méprise la femme, après avoir méprisé tout
le reste , c'est le dernier trait de sa condamnation : il
n'appartient plus au monde civilisé, il est barbare.
— 321 —
Le second ministère que l'Évangile a créé pour
la femme chrétienne, c'est le ministère d'éduca-
tion.
A qui l'homme naissant sera-t-il confié? A qui le
remettra-t-on pour lui inspirer une âme bonne?
Quelle est la main assez délicate, assez ingénieuse,
assez tendre pour assouplir cette bête fauve qui vient
de naître entre le bien et le mal, qui pourra être un
scélérat ou un saint? Ne cherchons pas si loin. Déjà
son éducation a commencé dans le sein même qui le
portait. Chaque pensée, chaque prière, chaque sou-
pir de sa mère a été un lait divin qui coulait jusqu'à
son âme et le baptisait dans l'honneur et la sainteté.
Le père n'y peut rien directement. A la mère seule il
a été donné que son âme touchât pendant neuf mois
l'âme de l'enfant, et lui imposât des prédispositions
à la vérité , à la bonté , à la douceur, germes précieux
dont elle achèvera la culture au grand jour, après
les avoir semés dans les profondeurs inconnues de
sa maternité. L'enfant paraît; il échappe à cette pre-
mière éducation de l'Évangile par les entrailles de
sa mère ; mais il est reçu dans des mains que l'Évan-
gile a bénies , il n'a plus à craindre le meurtre ou
l'exposition ; il dort tranquille sous la protection de
sa mère armée de Jésus-Christ. Et dès que ses yeux
s'ouvrent, quel est le premier regard qu'il rencon-
trera? Le regard par et pieux d'une chrétienne. Et
dès qu'une parole , se glissant parles tortueux ca-
naux de l'ouïe, pourra s'introduire jusqu'à son âme,
qui la lui dira? Qui lui jettera la première parole,
la première révélation , le premier cri d'une intelli-
— 322 —
gence à une intelligence ? Qui ? Ce fut Dieu autrefois ;
c'est encore lui maintenant par notre mère purifiée
et sanctifiée. C'est la femme chrétienne qui a suc-
cédé à Dieu dans le ministère sacré de la première
parole. Quand Adam l'entendit, et que la flamme de
son esprit s'alluma de ce coup sous l'horizon étince-
lant du ciel, c'était Dieu qui lui avait parlé. Et nous,
quand notre cœur s'éveille à l'affection et notre es-
prit à la vérité, c'est sous la main, sous la parole,
sous le poids de l'amour maternel que ce prodige
s'accomplit.
L'enfance disparaît bien vite, et la jeunesse s'an-
nonce avec ses instincts de liberté. L'éducation de-
vient plus périlleuse sans cesser d'être nécessaire ;
toute puissance nous pèse comme un joug. Une
seule demeure, sinon intacte, du moins respectée.
Nous entendons encore la vérité de la bouche d'une
mère aimée de Dieu ; son regard n'a pas perdu toute
autorité ; son reproche n'est pas sans aiguillon pour
causer le remords , et quand elle est tout à fait désar-
mée , ses larmes lui restent comme un dernier com-
mandement auquel nous ne résistons pas. Elle se
fraye à notre insu des passages qui conduisent aux
endroits les plus secrets de notre cœur, et nous som-
mes étonnés de l'y trouver au moment où nous nous
croyons seuls. Vertu singulière, se survivant à elle-
même , et qui atteste dans ses débris mêmes à quelles
sources efficaces Dieu l'avait trempée !
Quand la mère finit, l'épouse commence. L'homme
est maître à son tour; mais sa magistrature n'exclut
pas celle qu'il donne sur lui-même, et son cœur
— 323 ~
obéit d'autant mieux que sa pensée commande avec
un empire qui n'est pas disputé. La fougue de la
jeunesse s'est apaisée ; l'iiomme ne souhaite plus
l'indépendance comme un bien qui passe tous les au-
tres, et qui le met en possession de lui-même; il se
possède assez, il est sûr de son pouvoir, il retourne
vers la douceur de l'enfance par la pente de sa vo-
lonté et le poids même de la vie. L'amitié lui man-
que, il n'a plus d'égaux : et qui n'a besoin d'égaux?
Qui n'a besoin d'une personne assez tendre pour
commander, assez dévouée pour dire la vérité?
L'homme la demande à l'épouse, après l'avoir eue
de sa mère; il recherche aulant l'autorité qu'il l'a
crainte un moment. Il l'accepte du moins sans résis-
tance, parce que l'amour en fait le fond, et qu'il y
puise les consolations de chaque jour contre les amer-
tumes de la maturité. Car la vie devient sévère en
déclinant vers le soir; les déceptions abondent; la
lumière des choses se ternit; les soucis creusent le
front , et l'ambition même , lasse du succès , laisse
échapper ce cri de la vanité trompée :
Mon cœur, lassé de tout, demandait une erreur
Qui vînt de mes ennuis chasser la nuit profonde,
Et qui me consolât sur le trône du monde.
Or cette erreur cherchée , si c'est une erreur,
qui la donne que l'épouse ? C'est elle qui colore
les événements heureux, qui embaume les revers,
qui reçoit au seuil domestique ce fugitif des hon-
neurs tout meurtri de sa chute , ce proscrit de la
— 324 —
pensée qui n'a remporté de la science que le mar-
tyre du doute. L'épouse chrétienne infiltre dans ces
âmes brisées le détachement et la certitude; elle res-
suscite dans leur âme le Dieu qui réjouissait leur
jeunesse, et ravive leur vie mourante aux sources de
l'éternité.
Si la grâce lui manque pour cette dernière scène
de l'éducation humaine, tout n'est pas perdu; les
transfigurations de la femme chrétienne ne sont pas
encore achevées, non. Après avoir été mère, puis
épouse , la femme chrétienne se reproduit sous une
nouvelle forme : elle est fille! Et quel est l'homme,
à soixante ans , qui n'apprend pas de sa fille? Quel
est l'homme qui, n'ayant pas connu Dieu dans la vie
et dans la raison, et voyant sa jeune enfant s'age-
nouiller chaque soir devant l'invisible Majesté, ne
soupçonne , à la naïveté de sa prière et de sa joie , à
la paix de son cœur, quelque chose du mystère qui
s'approche de lui par une si vive représentation? 0
tendresse des voies de Dieu ! notre mère nous appre-
nait son nom quand nous étions enfants; l'épouse Ta
redit, dans l'intimité nuptiale, à l'âme enivrée du
jeune homme; la fille le raconte au vieillard courbé
par l'âge , et lui ramène , dans ses jours de décadence,
une révélation toute jeune et toute vierge ! Le ciel
dira combien d'âmes ont été le fruit de cette dernière
violence de la vérité ; combien qui n'avaient rien vu
et rien entendu se sont éveillés du songe de l'erreur
sur leur ht de mort, et ont adoré de leur souffle ex-
pirant l'éternel amour se montrant à eux sous la forme
angélique d'une fille bien-aimée.
— 325 —
Après cela, qu'avait besoin la femme d'im troi-
sième ministère? Dieu pourtant lui en a commis un
troisième : dirai-je le plus grand de tous? Je ne sais;
mais enfin je le nommerai : c'est le ministère de la
charité.
A la femme chrétienne, par une délégation spé-
ciale, comme emploi de ses loisirs et de la surabon-
dance de ses vertus, ont été confiés tous les pauvres,
toutes les misères, toutes les plaies, toutes les lar-
mes. C'est elle qui , au nom et au lieu de Jésus-Christ,
doit visiter les hôpitaux et les greniers , découvrir les
gémissements, explorer le royaume si vaste de la
douleur. A d'autres le dévouement de la doctrine, à
elle le dévouement des secours. A d'autres de repré-
senter Jésus-Christ par le glaive de la parole, à elle
de le représenter par le glaive de l'amour.
Voulez-vous , sans faire de phrases , car il y en
aurait trop à faire., voulez-vous arriver à une compa-
raison qui dira tout d'un seul mot? Eh bien, entre le
monde païen et le monde chrétien il y a la même
différence qu'entre la prêtresse de Vénus et la sœur
de Saint -Vincent-de-Paul. Allez à ce fameux temple
de Corinthe, et voyez-y la femme ; entrez dans nos
hôpitaux, et voyez-y la sœur de Charité ! Ce sont là
les deux mondes : choisissez.
Cela fait. Messieurs, le reste n'était plus qu'un
jeu. La dignité de la femme créée, l'indissolubiUté
et l'unité du mariage en découlaient naturellement.
Toutefois, tant l'homme est corrompu! l'indissolu-
bihté du mariage ne s'est maintenue qu'au prix de
longs efforts. Je pourrais une fois de plus citer au
III. — 10
— 326 —
tribunal du siècle présent , d'un côté les passions des
grands, et, de l'autre, l'intrépide esprit pastoral avec
lequel les chefs de l'Église ont maintenu la pureté et
la dignité du sang européen. Je pourrais, reprenant
l'histoire dans un autre sens que celui où elle vous a
été enseignée, vous dire ce que nous avons souffert
pour vous, et ce que vous seriez devenus, si les iné-
branlables barrières de la catholicité n'avaient arrêté
obstinément ces êtres effrénés en qui la puissance
égalait la convoitise , et qui , impatients des mœurs
du Christ, se ruaient à la conquête de la liberté
païenne et musulmane. Nous avons fait de cette
cause la cause totale de la civilisation , parce que
c'était la cause de la femme, celle de vos mères, de
vos épouses, de vos filles, et avec elle la cause du
genre humain. Vous ne l'avez pas compris. Vous
nous avez accusés de passer les bornes de la défense
légitime, de porter la main sur la couronne, quand
nous ne la portions que sur la brutalité de la chair
et du sang. Où seriez- vous sans ces combats? Votre
sang, flétri depuis des siècles, vous serait arrivé par
les veines d'une femme esclave au lieu de vous arri-
ver du cœur d'une femme ingénue. Tout ce que vous
avez eu de joies saintes pour vos mères, vos épouses
et vos filles, eût été transformé aux joies infâmes de
la servitude trempée dans la volupté. Vous seriez
des Turcs, et non des Francs !
Rendons grâces à Dieu , qui nous a sauvés par le
courage de nos pères, et par les seuls moyens dont
le courage pouvait alors s'armer. Le divorce écarté
du monde chrétien , la simultanéité n'a pas même
— 327 —
fait effort pour s'y produire. Quel est l'Européen (car
je n'appelle pas Européen le Turc planté à Constan-
tinople ) , quel est l'Européen qui oserait même songer
de loin à la profanation du mariage par la simulta-
néité? Qui ne rougirait, au sein même de la débau-
che, d'introduire sous le même toit, par les mêmes
serments, les captives multiples de son égoïsme le
plus lâche et le plus insensé ?
Encore une fois , rendons grâces à Dieu, qui a pu-
rifié le genre humain sans lui ravir sa liberté , qui a
retiré au désordre la complicité des lois , et permis à
la pureté de devenir la règle authentique de la so-
ciété humaine.
Ce travail n'a pas peu coûté , Jésus-Christ ne s'est
pas borné à le mettre sous la protection de sa croix.
Il a voulu naître d'une femme tout à la fois vierge et
mère, modèle ineffable du dévouement maternel et
du dévouement virginal , et demeurant à jamais sous
les yeux du monde pour lui inspirer, par son souve-
nir et son culte, la pratique des saintes mœurs. La
femme n'a cessé, depuis dix-huit siècles, de regar-
der ce type sublime , qui est celui de sa régénération ;
elle y a puisé le double courage de la chasteté et de
l'amour; elle est devenue digne du respect que le
monde avait besoin d'avoir pour elle ; on a pu croire
à ses serments, et le voile de la servitude, en tom-
bant de son front, y a laissé voir, sous l'antique ap-
parence d'une beauté fragile, le signe immuable et
sanglant de la croix. Protégée par ce signe, elle a
passé dans nos rues comme une apparition de la dé-
cence et du bien; elle s'est assise, heureuse, au
— 328 —
sanctuaire de la maison ; elle y a retenu son époux,
ses fils et ses filles ; elle y a reçu l'étranger sans bles-
ser son honneur : la famille est devenue le lieu de la
paix, de la joie, de l'honnêteté, le lieu d'élection de
toute âme qui n'est pas corrompue. Le culte des
affections a succédé au cuiie de la chair et du sang.
Je vous le demande sans crainte, quel est celui de
vous qui ne sente pas qu'il y a plus de contentement
dans un quart d'heure passé au sein de la famille, à
côté du père, de la mère, des frères et des sœurs,
qu'il n'y en a dans tous les enivrements du monde?
Qui ne fait pas de la famille le rêve de son existence?
Qui ne s'est pas dit, étant jeune : J'arriverai un jour,
après un long travail, à m'asseoir chez moi; j'aurai
une table, un cabinet, à côté de moi tous les objets
de mon affection. Tous, jeunes gens que nous étions,
nous nous sommes dit cela ; et ceux de nous qui ont
renoncé au bonheur de la terre pour prendre en
Jésus-Christ leur unique héritage, ceux-là se le di-
saient avant d'avoir la révélation d'un bien plus rare
dans un sacrifice plus grand.
0 foyer domestique des peuples chrétiens! maison
paternelle, où, dès nos premiers ans, nous avons
respiré avec la lumière l'amour de toutes les saintes
choses, nous avons beau vieillir, nous revenons à
vous avec un cœur toujours jeune, et n'était l'éter-
nité, qui nous appelle en nous éloignant de vous,
nous ne nous consolerions pas de voir chaque jour
votre ombre s'allonger et votre soleil pâlir !
Finissons, Messieurs, en résumant cette Confé-
rence et celle qui l'a précédée. Il y a sur la terre
— 329 -
trois faiblesses : la faiblesse du dénûmeiit, c'est le
pauvre; la faiblesse du sexe, c'est la femme; la fai-
blesse de l'âge, c'est l'enfant. Ces trois faiblesses
sont la force de l'Église , qui a fait alliance avec elles,
et les a prises sous sa protection en se mettant sous
la leur. Cette alliance a changé la face de la société,
parce que jusque-là le faible avait été sacrifié au
fort, le pauvre au riche, la femme à l'homme, l'en-
fant à tous. L'Église, en s'unissant à la faiblesse
contre ceux qui sont pourvus de la triple force du
patrimoine, de la virilité et de la maturité, a remis
en équilibre tous les droits et tous les devoirs. L'é-
goïsme toutefois ne se tient pas pour vaincu : plus ou
moins déguisé, il cherche à rétablir l'ordre païen sur
les ruines de l'ordre chrétien , c'est-à-dire la domi-
nation oppressive de la force sur la faiblesse. Y
réussira-t-il? Rompra-t-il le faisceau qui retient dans
l'unité de l'Église le pauvre, la femme et l'enfant?
Je suis sûr que non : car sous les mains débiles que
je viens de nommer, il y a la main de Dieu , la main
de Jésus-Christ, la main de la bienheureuse vierge
Marie, toute la puissance de la raison, de la justice
et de la charité.
TRENTE-CINQUIEME CONFÉRENCE
t»E L INFLUENXE DE LA SOCIETE CATHOLIQUE
gUR LA SOCIÉTÉ NATURELLE QUANT A l'aUTORITÉ
Monseigneur, ' ,
Messieurs ,
Nous avons constaté l'influence de la société ca-
tholique sur la société naturelle quant au droit géné-
ral, quant à la propriété et quant à la famille; et
nous avons reconnu que, sous ces trois rapports fon-
damentaux, la société catholique avait exercé une
action heureuse sur la société naturelle, en y créant
une protection efficace des faibles contre les forts.
Mais il est un autre élément de la société humaine
où il ne s'agit plus seulement de protéger les faibles
contre les forts , élément complexe où se rencontre
tantôt surabondance de force , et tantôt surabondance
— 332 -
de faiblesse : je veux parler de l'autorité. L'autorité
a ce caractère particulier d'être tour à tour ce qu'il y
a de plus fort et ce qu'il y a de plus faible, de pou-
voir, dans un jour donné, tout écraser, et, le lende-
main, d'être foulée aux pieds, de sorte que toute son
histoire en ce monde se réduit à cette parole d'un
orateur fameux : « Il n'y a qu'un pas du Capitole à
la roche Tarpéienne. » Le Capitole enivre, la roche
Tarpéienne avilit, et l'autorité oscille entre ces deux
termes, qui lui sont également funestes. Il s'agit de
la défendre contre l'un et l'autre, et de lui assurer
entre ces deux écueils l'honneur de la durée et l'em-
pire de la stabilité. Voyons ce que la société natu-
relle a pu toute seule pour l'établissement de cet
équilibre, et le secours qu'elle a reçu de la société
catholique pour y arriver en effet.
Jusqu'ici, Messieurs, j'ai marché sur des cendres
chaudes, aujourd'hui je vais marcher sur des char-
bons ardents. Je n'ensuis point ému. J'ai des choses
difficiles à dire ; je les dirai avec autant de retenue
que de franchise , mais je les dirai.
Nulle société ne saurait être conçue sans unité,
sans ordre, sans puissance. Par l'effet de l'unité, des
millions d'hommes divisés d'intérêts, de passions,
d'idées, de lieux, de temps, se rencontrent en un
seul centre, et se meuvent comme s'il n'y avait pour
eux qu'un temps, qu'un lieu, qu'une idée, qu'une
passion, qu'un intérêt, qu'une vie. Par l'effet de
l'ordre , les relations des citoyens entre eux, telles
qu'elles ont été définies par les lois, se maintiennent
avec une inviolable régularité, et si, çà et là, dans
— 333 —
l'ombre flottante des masses sociales, quelque mal-
faiteur se prend à attaquer les droits reconnus, l'es-
prit d'ordre qui est dans la société l'arrête et en ob-
tient justice. Par l'effet de la puissance, les citoyens
dispersés sur un vaste territoire reposent tranquilles,
insouciants de l'ennemi. Nul d'entre eux, pour ainsi
dire, n'est à la frontière, et derrière ce rempart qui
ne semble pas défendu, tout le monde dort en paix,
parce qu'il y a quelque part une force qui veille, qui,
même dans le silence des nuits, a l'oreille ouverte
sur sa couche solennelle, et, par un seul mouvement
de ses lèvres, transportera magiquement devant l'en-
nemi une armée où seront le courage, la fortune et
la majesté delà patrie.
Voilà, Messieurs, la société telle que la font l'u-
nité, l'ordre et la puissance. Mais qui lui donnera
cette unité, qui lui créera cet ordre et cette puis-
sance? Il faut arriver toujours à quelques hommes,
et même généralement à un seul homme, en qui se
résument et résident la puissance, l'ordre, l'unité.
Et jugez ! Trente millions d'hommes respirant dans
une seule poitrine, empreints sur un seul visage, et
lui confiant toute leur force avec toute leur gloire et
tout leur destin ! Mais comment un homme, comment
quelques hommes pourront-ils s'approprier ferme-
ment une telle grandeur et la porter d'un siècle à
l'autre, toujours subsistante, toujours égale aux be-
soins de la société, passant avec le même caractère
du front d'un héros au front d'un enfant, du succès
au revers, et chargé de composer, avec la fragilité
d'une vie, l'immortalité d'une nation?
— 334 —
Il semblera peut-être à quelques-uns que rien n'est
plus simple, et qu'une armée fidèle sous un général
heureux a , au bout de ses lances , tout le secret d'un
gouvernement durable. Mais une armée fidèle et un
général heureux sont , comme tout le reste des cho-
ses humaines, dans la main capricieuse du sort, et
l'histoire témoigne très-haut qu'aucun gouvernement
n'a été moins solide que le gouvernement des sol-
dats. Par une providence de Dieu , dont il faut lui
rendre grâces , dès que le casque domine , l'unité ,
Tordre et la puissance sont atteints mortellement.
Après que le sénat romain , sous sa toge civile , eut
longtemps pourvu à la stabilité du peuple-roi, du
jour où le pouvoir des légions succéda au sien, on ne
vit plus à Rome que des maîtres arrivant de l'Eu-
phrate et du Rhin , et passant par l'arc de triomphe
pour aller à l'égout. Le peuple , amusé de ce spec-
tacle, regardait venir le nouvel élu, et l'applaudissait
avec d'autant plus de fureur qu'il voyait déjà sur son
front, à travers l'auréole de l'empire, la place réser-
vée à l'insulte du lendemain.
La force militaire, si imposante au premier coup
d'œil, est la dernière à pouvoir constituer l'unité,
l'ordre et la puissance, parce qu'étant plus corps
qu'esprit, elle est à la vie ce que l'organe est au
sang. Un souffle étranger lui est nécessaire pour
^ l'animer et la diriger, sans quoi elle écrase comme
un roc qui ne sait pas ce qu'il fait , ou elle se dis-
perse comme une poussière qui écoute le vent. La
société n'est pas fille de la violence , elle est fille de
l'intelligence et de la liberté , et ne respecte rien que
— 335 —
ce qui sort de cette double source ou y prend sa
mission. Ce n'est pas la force qui la fonde , c'est l'au-
torité.
Mais qu'est-ce que l'autorité? L'autorité est une
supériorité qui produit l'obéissance et la vénération :
l'obéissance d'abord , c'est-à-dire la soumission spon-
tanée d'une volonté à une autre volonté. « Capitaine,
mettez-vous là , avec votre monde , et faites-vous-y
tuer. — Oui, mon général. » Voilà, Messieurs, l'o-
béissance, et, vous le sentez, une obéissance d'homme
libre, où celui qui commande et celui qui obéit sont
également grands. L'un a trouvé simple de deman-
der une vie pour le pays, l'autre a trouvé simple de
la donner; l'un n'a conçu le dévouement que parce
qu'il en était capable, l'autre n'en a été capable que
parce qu'il l'a conçu. Il y a eu action et réaction de
deux âmes qui se valaient. Quand ces fameux Spar-
tiates des Thermopyles se préparaient dans leur
cœur à mourir pour le salut de la Grèce, ils gravèrent
sur un rocher cette inscription : a Passant, va dire à
Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses
saintes lois. » Voilà encore l'obéissance, et non pas
une obéissance portée au delà du nécessaire, propre
seulement à quelques héros, mais une obéissance
telle qu'il la faut à la société pour vivre, telle que
Sparte l'avait dans ses beaux jours. C'était Sparte
tout entière qui avait parlé aux Thermopyles , les
vivants comme les morts , et il n'y avait pas dans la
république une âme qui n'eût répondu à l'âme des
trois cents.
Sans la soumission spontanée de la volonté à une
— 336 —
autre volonté , et même quelquefois sans une soumis-
sion enthousiaste, l'unité est impossible, l'ordre et la
}Duissance aussi. Car comment voulez-vous que tant
de volontés séparées ne fassent qu'une, s'il n'existe
pas une volonté souveraine qui les rassemble en soi?
Gomment aurez-vous l'ordre , si toutes les volontés
ne concourent pas par l'obéissance à maintenir les
relations établies par les lois , et sans cesse menacées
par tous les intérêts mécontents ? Et comment y
aurait-il puissance, si chaque citoyen n'était pas
prêt à prendre, au premier ordre, le poste où il est
appelé?
La vénération est un autre élément de l'autorité,
qui lui est aussi nécessaire que l'obéissance. Car
la vénération n'est qu'un respect mêlé d'amour,
et nous n'obéissons pas longtemps à qui ne nous
inspire ni amour ni respect. La volonté a déjà bien
de la peine à se soumettre, même quand elle aime
et respecte sincèrement; et, si ce double sentiment
vient à lui manquer, tôt ou tard elle n'obéit plus.
La nécessité ni la contrainte ne sauraient y pour-
voir qu'un moment, et la première occasion favo-
rable sera le signal où l'unité, l'ordre et la puissance
périront avec l'autorité. Tout pouvoir qui ne produit
pas l'obéissance et la vénération ne prépare que sa
mort.
Mais ces principes ne nous mènent pas fort loin
dans l'explication du mystère qui nous occupe. Si
l'obéissance et la vénération, en fondant l'autorité,
sont la cause de l'unité, de l'ordre et de la puissance,
qu'est-ce qui produira l'obéissance et la vénération?
— 337 -
Je comprends très -bien que l'unité, l'ordre et la
puissance soient le résultat de l'obéissance et de la
vénération; mais comment un homme ou quelques
hommes inspireront-ils à trente millions d'hommes
obéissance et vénération? Voilà le mystère. Sur ce
point, le monde antérieur à Jésus-Christ s'est par-
tagé en deux systèmes : le système oriental et le sys-
tème occidental.
Le système oriental consiste en ceci : L'homme
ne peut pas obéir à l'homme, ni vénérer l'homme.
L'homme ne peut pas obéir à l'homme, parce que
toute volonté en vaut une autre ; et l'homme ne peut
pas vénérer Thomme, parce que l'homme est trop
petit devant son semblable, trop égal à lui par l'in-
firmité de la vie et de la mort. Il faut donc que l'au-
torité soit plus haute que l'homme; il faut qu'elle
ait un caractère inaccessible, qu'elle soit enveloppée
du prestige de la toute-puissance, qu'il y ait entre
le sujet et le souverain un tel abîme, que le regard
même n'ose pas le franchir : en un mot, il faut que
l'autorité soit Dieu. L'Orient s'est reposé dans cette
fiction, ou plutôt dans cette réalité, la seule qui, à
ses yeux, constitue le pouvoir, en le rendant véné-
rable et saint. Qu'en est-il résulté? L'obéissance et
la vénération , je l'avoue , mais une obéissance et une
vénération abjectes, dont l'histoire fait horreur. L'O-
rient n'a pas voulu se soumettre à l'homme, estimant
un tel acte incompréhensible autant que vil , et il
s'est soumis à des monstres. Car la fiction ne chan-
geait pas la nature humaine dans l'idole qui en avait
le profit, ou plutôt, par un effet contraire au but, elle
• — 338 —
la changeait en l'empirant et la dégradant. L'homme
pUait sous le poids de la divinité dont on chargeait
ses épaules , et , faute de limites qui l'arrêtassent
quelque part, il poussait aisément jusqu'à l'extrava-
gance son orgueil et son immoralité.
Mais du moins, à ce prix, l'Orient obtenait-il l'u-
nité, l'ordre, la puissance, la stabilité? Nullement ;
en aucune autre contrée les révolutions de peuples
et de dynasties n'ont présenté un spectacle plus san-
glant et plus vite renouvelé. Les races souveraines
n'ont pu s'y asseoir, et y trouver dans l'adoration une
terre propice à la longévité. Ce ciel ardent les a dé-
vorées. C'est qu'en effet, rien ne finit plus vite que
ce qui n'a pas de bornes ; une heure dévore un siècle
entre les mains d'un prince qui peut tout et qui n'est
pas Dieu. En vain l'idolâtrie promet l'éternité, elle
ne la donne pas , elle est la première à la ravir. Il
vient un moment où la société ploie sous le faix de
la démence couronnée , et alors s'accomplit ce qui
est implicitement renfermé dans le contrat des peu-
ples et des rois de l'Orient, et ce qu'a heureusement
exprimé le comte de Maistre dans cette phrase fidèle :
« Faites tout ce que vous voudrez, et quand nous
serons las, nous vous égorgerons. » Rarement les
peuples y ont manqué.
Le système occidental est tout autre que celui de
l'Orient, plus sensé, plus vrai, digne de réussir, si
l'homme tout seul pouvait réussir en de si grandes
choses. L'Occident consent à être gouverné par
l'homme, et à lui vouer par conséquent obéissance
et vénération ; mais néanmoins il a peur de lui ; il
— 339 —
s'effraie de remettre en ses mains le sceptre etl'épée;
il veut qu'il soit grand sans l'être trop, puissant avec
mesure, laissant un espace entre la révolte et une
absolue soumission. L'Occident calcule, pondère,
limite le pouvoir. Il cherche à créer entre le prince et
le peuple une sorte de pénétration réciproque , qui
fasse de l'un et de l'autre une seule âme , où la sou-
veraineté ait quelque part à l'obéissance, et l'obéis-
sance quelque part à la souveraineté. Telles ces ré-
publiques de la Grèce, gouvernées, dans leurs jours
de gloire, par des citoyens tirés momentanément de
la foule et exerçant le pouvoir comme les mandataires
et les représentants de la cité. L'obéissance et la vé-
nération furent produites sans doute dans ce système
compliqué, mais elles ne le furent qu'insuffisam-
ment. Le siège en était trop mobile et trop étroit
pour donner aux nations toute la stabilité dont elles
avaient besoin.
Certes, nous avons de ce régime un mémorable
modèle, et le plus achevé de tous, dans la républi-
que romame. Le sénat romain est la plus merveil-
leuse assemblée qui gouverna jamais un peuple, et
l'on ne sait qu'admirer le plus en lui, de l'esprit de
suite et de persévérance, de la profondeur de vues.,
du courage dans les revers . de la foi nationale , de
la dignité, de la religion, et de tous ces hommes
consulaires qui , après avoir commandé les armées et
parlé au Forum , rapportaient au sein de leur corps
la gloire personnelle qu'ils avaient méritée, ajoutant
ainsi à la majesté du pouvoir autant qu'ils avaient
ajouté à la grandeur du peuple , afin qu'il y eût tou-
— 340 —
jours entre Tun et l'autre accroissement un équilibre
qui les soutînt tous deux. Eh bien, le sénat romain,
ce chef-d'œuvre profane du monde occidental, com-
bien a-t-il duré? Entre le poignard qui tua Lucrèce
et le poignard qui tua César, combien comptez-vous
de siècles? Environ cinq siècles. Au bout de ce temps,
maîlre enfin du monde, le sénat romain fit dire à un
capitaine qui s'appelait César de ne point passer la
limite de son département militaire : César réfléchit
un moment, et passa. A ce premier acte de déso-
béissance tout fut dit : Rome n'existait plus, ou, si
elle continua de porter ce nom , ce fut pour tomber
d'Auguste en Tibère, de Tibère en Caïus, de Caïus
en Néron, de Néron" en Héliogabale, de l'obéissance
d'Occident à l'obéissance d'Orient, et encore avec
aggravation dans la solennité de l'extravagance.
Voilà tout ce que l'art le plus savant, les circon-
stances les plus heureuses, la simplicité des mœurs
la plus remarquable, et le bonheur de conquêtes le
plus grand qu'on ait vu, ont produit d'obéissance et
de vénération, selon le système occidental. Voilà le
plus grand corps humain qui ait jamais existé : cinq
cents ans de durée ! un peu plus que le tiers de la
monarchie française ! Il y avait donc dans ce système
insuffisance d'obéissance et de vénération , par con-
séquent insuffisance d'unité, d'ordre et de puissance,
par conséquent encore, insuffisance sociale.
Mais quelle était la cause de ces deux écueils si
différents l'un de l'autre, où ont échoué l'Orient et
l'Occident? C'est, Messieurs, qu'en Occident comme
en Orient, il n'y avait que l'homme, rien que l'homme.
- 341 —
Or l'homme tout seul est incapable de s'assurer l'o-
béissance et la vénération dans la mesure qui est
nécessaire pour conduire une société. L'homme est
trop peu pour un si grand ouvrage. Veut-on l'enfler
au delà de sa portée naturelle, on l'appellera bien du
nom de Dieu , on lui dira bien : Votre Éternité; mais
il n'en restera pas moins un homme, et, si grand
qu'il soit par hasard, fût- il Titus ou Nerva, il aura
pour héritier quelque illustre misérable, en qui la
fiction surhumaine ne sera qu'une faiblesse de plus.
Hébété par ce comble d'honneur et de puissance ,
l'homme y succombe ; il se fait au dedans de sa mi-
sère une répercussion de cette majesté fausse qui le
change en un monstre , et une fois qu'il en est là ,
l'idolâtrie qui le soutenait s'afl'aisse sur elle-même
et emporte dans sa chute tout cet édifice insensé.
Les dynasties succèdent aux dynasties, et les peu-
ples eux-mêmes suivent le sort de leurs chefs. Car,
quand le pouvoir est incertain et mal assis, la so-
ciété elle-même chancelle comme un homme ivre.
La cause de la souveraineté est la cause même de
la société. C'est pourquoi. Messieurs, ne rions pas
de ces catastrophes sanglantes des rois; ne rions pas
de cette impuissance où est l'humanité de produire,
autant qu'elle en a besoin , l'obéissance et la vénéra-
tion. C'est l'un de ses grands malheurs : car de l'o-
béissance et de la vénération dépendent l'unité, l'or-
dre, la puissance, la durée, la stabilité. Ne broyons
pas si facilement sous le poids de notre parole des
destinées à qui les nôtres sont unies. Sachons com-
prendre notre impuissance et la regretter. Une partie
— 342 -^
du genre humain a voulu des dieux pour chefs : les
dieux ont péri. L'autre partie a choisi des hommes :
les hommes ont succombé. Trop grands ou trop pe-
tits, ils ont croule par insuffisance ou par excès.
Que voulez -vous, l'homme n'avait que l'homme.
Si jamais, plébéiens que vous êtes, par un de ces
coups que le temps amène, vous êtes appelés au
gouvernement d'un peuple, ne comptez pas sur vous
ni sur l'humanité pour vous soutenir. Tôt ou tard
l'humanité vous trahira; l'obéissance et la vénéra-
tion se retireront de votre œuvre, et vous serez éton-
nés d'avoir fait si peu avec tant de génie. Malheur à
vous alors! mais aussi malheur à nous! le malheur
est commun, et c'est pourquoi nous n'en triomphons
pas. Cherchons- en plutôt le remède en Celui que
nous avons déjà vu si ingénieux à guérir nos maux.
Voyons, contre cette force et cette faiblesse exagérées
du pouvoir, ce que la société catholique aura apporté
de secours à la société naturelle.
La société catholique a ouvert dans le monde deux
sources inépuisables d'obéissance et de vénération :
l'une publique, l'autre secrète.
La source publique d'obéissance et de vénération
ouverte par la société catholique, c'est, Messieurs,
l'autorité de sa hiérarchie. Depuis dix- huit cents
ans, la papauté, l'épiscopat, le sacerdoce chrétiens
sont obéis et vénérés de la plus grande union d'hom-
mes qui soit ici- bas, sans avoir besoin jamais de la
force pour incliner un Iront ou une volonté. L'obéis-
sance y est Hbre, la vénération y est libre; chaque
fidèle peut à toute heure refuser ou rétracter son
— 343 —
hommage, et toutefois cet hommage subsiste inalté-
rable et saint, malgré les vicissitudes de faveur ou
de persécution , malgré les efforts persévérants du
monde pour flétrir dans sa source un amour qui le
gêne , un respect dont il est offensé. La hiérarchie
catholique, sans autre ressource que la persuasion,
se fait obéir et vénérer comme nulle part et en aucun
temps n'a été obéie et vénérée aucune humaine ma-
jesté. Le fait est sensible, il est éclatant; il n'a besoin
d'aucune démonstration; il suffit de l'énoncer pour
convaincre et étonner l'esprit. Mais si j'avais besoin
d'une démonstration , ou plutôt d'un exemple, rap-
pelez-vous ce qui s'est passé ici même à l'inaugura-
tion du siècle présent.
Nous avions tout détruit, même le passé; nous
avions, dans notre haine contre tout objet de pieux
culte, ouvert les tombeaux où reposaient, désarmés
par la mort et sous la seule garde de nos souvenirs ,
les grands serviteurs de la patrie , et , pour le seul
plaisir de braver la majesté jusque dans le cercueil,
nous avons jeté leurs cendres au vent et au mépris.
Jamais, à aucun moment de l'histoire, l'obéissance
et la vénération n'avaient été plus loin des cœurs.
Un vieillard vint dans ce temps- là; il était appelé
par un jeune homme qui avait tout le prestige de la
gloire, mais qui avait besoin de s'agenouiller devant
le vicaire du Christ pour recevoir de cet abaissement
le sceau d'une plus haute autorité. Le vieillard vint
armé de sa seule bénédiction; il vint au milieu de ce
peuple qui avait foulé aux pieds , dans un seul jour,
toutes les générations de ses rois : il parut aux fe-
— 344 —
nêlres des Tuileries. On ne l'eut pas plutôt vu, por*
tant sur sa figure plus de malheur encore que
d'âge, qu'à l'instant même, par ce coup magique qui
rouvre les cœurs à leur bon endroit , tout Paris se
précipita pour avoir un bonheur qu'il ne connais-
sait plus, le bonheur de vénérer en recevant cette
bénédiction qui, depuis tant de siècles, fait tomber
l'homme à genoux. Et, pendant que ce spectacle se
passait au dehors, plus haut, dans l'intérieur même
des Tuileries, un homme célèbre qui vient de mourir
poussait son voisin, en lui disant avec la joie de l'ad-
miration : « Enfin, Monsieur, nous voyons une au-
torité ! Voilà une autorité ! »
La source secrète de l'obéissance et de la vénéra-
tion ouverte dans le monde par la société catholique,
c'est, Messieurs, la confession.
Tout homme, quel qu'il soit, prince par le pouvoir
ou par l'esprit, s'il veut avoir part au mystère du
Christ, à la certitude et à l'avenir qui sont en lui, est
obligé d'avouer ses fautes à genoux, d'en demander
pardon et d'en recevoir pénitence : exercice d'obéis-
sance et de vénération qui le relève à lui-même, le
purifie, l'humanise et l'assouplit sans l'abaisser. Car
il est libre dans cette action plus qu'en aucune autre,
on ne prend sur lui que le pouvoir qu'il donne de son
plein gré ; il peut se lever et s'en aller si la vérité
qu'il cherchait lui semble trop dure, si la paix et
l'honneur de la conscience lui reviennent trop cher
à ce prix. Mais il persiste volontiers, une fois qu'il
a connu le charme de l'humihté et de la sincérité
entre Dieu et lui; il apprend avec joie, dans une
— 345 —
obéissance et une vénération qu'il a choisies, à obéir
encore là où il n'a plus le choix, à vénérer encore là
où Dieu le lui demande par un commandement qui
n'admet plus l'élection. Cet esprit altier consent à
l'empire ; ce cœur sauvage, toujours prêt à la révolte,
accepte l'unité , l'ordre et la puissance sous la seule
forme où ils soient possibles, sous la forme de l'au-
torité. La confession ne cesse d'agir en ce sens d'un
bout du monde à l'autre, par une influence secrète et
perpétuelle, qui, jointe à l'action publique de la hié-
rarchie, crée dans le genre humain, s'il m'est permis
de parler ainsi , une quantité énorme d'obéissance
et de vénération, mais d'une obéissance et d'une vé-
nération spontanées, qui sont l'effet de la conviction,
et qui rendent l'homme sociable en le consolant et
en l'élevant.
Or il est impossible que le contre-coup d'une créa-
tion semblable ne se soit pas fait sentir dans la so-
ciété purement naturelle, et n'y ait pas modifié d'une
manière remarquable les rapports réciproques du
sujet au souverain. Évidemment, Messieurs, quel-
que grande transformation a dû s'opérer là ; vous
attendez que je vous la signale, el vous n'attendez
pas vainement. L'esprit catholique a produit dans le
monde, quant à l'autorité même humaine, quelque
chose de tout à fait nouveau, de tout à fait inconnu
à l'antiquité, le terme moyen entre le système occi-
dental et le système oriental : il a produit la monar-
chie chrétienne. Et qu'était-ce que la monarchie
chrétienne?
La monarchie chrétienne avait dans chaque pays
- 346 —
un chef unique, centre et moyen de l'unité, de l'ordre
et de la puissance. Ce chef était sorti des entrailles
de la société par une venue et une croissance natu-
relles , comme le chêne sort d'un germe qui se déve-»
loppe avec le temps. Rien de brusque et de violent
ne se sentait dans son origine, quel qu'en eût été le
mode ou l'occasion ; et, quoi qu'il advînt, le principe
de l'obéissance à son égard n'était pas contesté. On
pouvait, on devait refuser d'obéir dans certains cas,
lorsque le commandement était illégitime, c'est-
à-dire contraire à la loi de Dieu ou à la loi du pays.
La loi de .Dieu et la loi du pays étaient la double
limite delà souveraineté; mais en résistant, pour les
défendre, on ne contestait pas le droit général de
commander, ni le devoir d'obéir. La vénération se
joignait à l'obéissance pour faire du chef chrétien
un père autant qu'un magistrat. Le respect et l'a-
mour allaient le chercher naturellement, et, du cœur
de son peuple au sien , il y avait une réciproque effu-
sion dont les monarchies antiques n'avaient pas
menie le soupçon. Le peuple pardonnait des fautes
au prince, comme l'enfant pardonne des faiblesses à
son père ; il compatissait au levain de l'humanité de-
meuré en lui aussi bien que dans le dernier des mor-
tels. Enfin tous ces sentiments se traduisaient en un
sentiment final, qui était le premier fondement de la
monarchie chrétienne, et qui s'appelait la fidélité. Le
souverain avait foi dans son peuple, et le peuple
avait foi dans son souverain. Ils croyaient l'un à
l'autre; ils s'étaient donné la main, non pour un
jotir, mais devant Dieu et pour tous les siècles, au
— 347 —
nom des morts et des vivants , au nom des ancêtres
et de la postérité. Le prince descendait tranquille
dans la tombe, laissant ses enfants à la garde de son
peuple, et le peuple , les voyant petits et sans force,
les gardait en attendant d'être gardé par eux.
L'honneur était le second sentiment sur qui repo-
sait la monarchie chrétienne, sentiment plus nou-
veau , plus inconnu encore à l'antiquité que le pré-
cédent. L'honneur était un regard élevé du chrétien
sur soi. une pensée de sa noblesse. Par l'honneur, le
chrétien se rapprochait de son maître; il avait plus
que des droits à son égard ; il faisait subsister sa
personnalité devant la sienne avec une délicatesse
infinie, qui était la chose la plus respectée du monde
dans un temps où tant d'autres l'étaient. L'honneur
protégeait tout et sauvait tout. Il jouait, surtout en
France, un rôle presque souverain, qui a fait dire à
Montesquieu, personnage peu suspect, si je ne me
trompe , que la France était une monarchie gouver-
née par l'honneur.
En voulez-vous quelques exemples qui vous feront
sentir la différence de la souveraineté chrétienne à
la souveraineté antique? Je ne les choisirai même
pas aux bonnes époques, mais à l'époque où déjà
la monarchie chrétienne tombait vers son couchant.
Louis XIV s'entretenait avec sa cour dans ces ap-
partements de Versailles où désormais la peinture
seule est assez grande pour habiter; on vint à parler
du schah de Perse, et de je ne sais quelle exécution
qu'il avait faile des grands de son royaume. Le roi
dit : « Voilà ce qui s'appelle régner ! — Oui , Sire ,
— 348 —
répliqua le duc d'Estrées, qui avait été ambassa-
deur en Perse, mais j'en ai vu étrangler trois dans
ma vie. »
Sous Louis XV, un ministre est disgracié. Le len-
demain, le roi sort de sa chambre, et, trouvant les
salons déserts , il demande à un serviteur : « Où est
donc la cour? — Sire , répond le serviteur, elle est à
Chanteloup. )) Ghanteloup était la maison de cam-
pagne du ministre disgracié, à quarante lieues de
Versailles. En ce temps-là, Messieurs, on allait
visiter à quarante lieues les ministres disgraciés;
il y a des temps où Ton ne fait pas quatre pas pour
cela.
Permettez-moi encore une anecdote.
Le roi Louis XVI, de douloureuse et vénérable
mémoire, faisait un voyage en Normandie. Une
paysanne s'approche et lui demande la permission
de lui baiser la main. « Eh! pourquoi pas la joue? »
répond 'le monarque.
Telle était, Messieurs, dans la monarchie chré-
tienne la familiarité du grand et du pauvre avec le
souverain. L'obéissance et la vénération s'étaient
changées en une fidélité tempérée par l'honneur. On
était loin des mœurs de l'Asie, on ne l'était pas
moins des mœurs de la Grèce et de Rome. Tout
était nouveau comme l'Église et comme Jésus-
Christ, d'où procédaient ces rapports délicats.
J'ajoute que la liberté était aussi un élément de la
monarchie chrétienne.
Tout le monde sait les travaux de l'Église pour
maintenir sous ce régime les droits de la conscience.
— 349 —
Elle y a rencontré sans doute de grands obstacles,
parce que le mal a toujours dans le libre arbitre de
l'homme et dans l'ensemble des choses humaines les
moyens de se produire au jour. Mais la monarchie
chrétienne considérée dans les éléments divers qui
la constituaient , n'en a pas moins prêté secours au
droit évangélique et assuré son règne en faveur des
faibles pendant longtemps. Chaque pays chrétien
avait ses droits, ses franchises, ses associations dé-
fendues contre l'arbitraire par une force commune
mise au service du plus pauvre et du plus petit , et
qui leur donnait, avec plus de régularité dans la vie,
une somme plus grande de dignité. Nul alors n'était
seul ; nul ne se trouvait seul et désarmé en présence
de la société totale ou de ceux qui la représentaient.
On a bien pu, dans d'autres temps, décorer du nom
de liberté le désarmement moral des faibles ; l'avenir,
encore mieux que le présent, dira de quel côté il y
eut plus de justice et de vrai affranchissement. Mais,
dès aujourd'hui , je suis en droit de conclure que,
sous la monarchie chrétienne, la liberté avait sa
part assurée, et que, pour définir cette institution,
il faut dire , en complétant le mot de Montesquieu :
La monarchie chrétienne est une monarchie gouver-
née par la fidélité, l'honneur et la liberté. Vous
pouvez, Messieurs, avoir oublié ces choses-là; mais
l'histoire ne les a pas oubliées, et les dira un jour
très-haut.
Comment s'était opérée cette transformation ? Com-
ment le pouvoir était-il devenu à la fois divin et hu-
main? Car c'était là son double caractère : il était
10*
- 350 —
obéi et vénéré comme divin, et cependant, au fond ,
il était humain. Il était supérieur et égal, père et
frère tout à la fois. Par quels secrets ressorts l'avait-
on conduit à ce point de perfection, si éloigné du
système oriental et du système occidental? Je le
dirai en peu de mots.
L'Évangile avait posé ce principe , que l'homme
est trop grand pour obéir à l'homme; que l'homme
est trop misérable pour être vénéré de l'homme par
sa propre substance et sa propre vertu. Ce principe
renversait le système oriental. Mais , en revanche ,
l'Évangile avait dit qu'il faut obéir à Dieu dans
l'homme, servientes sicut Domino , et non homini-
bus (1). Ce principe renversait le système occiden-
tal. Le prince n'était plus seulement le mandataire
du peuple, il était le mandataire de Jésus-Christ; on
n'obéissait plus seulement à l'homme , mais à Jésus-
Christ lui-même, présent et vivant dans celui qu'a-
vait élu la société. Je dis dans celui qu'avait élu la
société : car l'Évangile n'avait pas ravi à la société
son droit naLurel d'élection; il n'avait pas même dé-
terminé si le gouvernement devait être une monar-
chie, une aristocratie ou une démocratie. Il avait
laissé la question de forme et de choix au cours de
l'expérience et des événements ; il avait dit aux na-
tions : Mettez à votre tête un consul, un président,
un roi, qui vous voudrez; mais souvenez-vous qu'au
moment où vous aurez assis votre magistrature su-
prême, Dieu viendra dedans. Le pouvoir sort de
(1) Epître aux Éphésiens, chap. vi, vers. 7.
— 351 —
terre par une germination naturelle , comme les
fleurs sortent d'un champ , non pas toutes avec la
même couronne et la même couleur ; la grande af-
faire n'est pas la naissance du pouvoir, c'est surtout
son sacre. Quand donc, du sein d'une nation, le
pouvoir sera sorti par une floraison naturelle, comme
in palmier sort du Liban, moi, Jésus-Christ, je des-
;endrai sous son ombre, j'entrerai sous son écorce;
je serai son sang, sa vie, sa gloire, sa force, sa
durée : vous l'aurez fait, je le sacrerai. Vous l'aurez
fait mortel, je lui ôterai le germe de la mort; vous
l'aurez fait petit, je le ferai grand ; vous l'aurez fait
à votre image, je le ferai à la mienne : il sera Dieu
et homme comme moi.
Vous entendez, Messieurs, le pouvoir restera
homme ; s'il a le bénéfice du Christ, il en aura aussi
la charge. Il ne sera pas, si haut qu'il soit, exempt
de compter avec l'Évangile et l'humanité, avec Jé-
sus-Christ vivant aussi ailleurs qu'en lui. S'il domine
par le côté divin , il est égal et frère par le côté hu-
main ; il porte avec Jésus-Christ la ressemblance du
pauvre, et , par cette face de sa majesté, il reste de-
vant Dieu et devant le monde sur le plan de l'humi-
lité, de la douleur, de l'expiation. J'ai dit autrefois,
dans cette chaire, que nous étions les cousins des
rois ; on s'est beaucoup étonné de cette expression.
Je la rétracte donc ; nous ne sommes pas les cousins
des rois, nous n'en sommes que les frères. C'est
assez pour nous. C'était assez pour changer de fond
en comible tous les rapports des sujets au souve-
rain, et pour fonder la monarchie chrétienne avec
— 3o2 —
son triple élément de fidélité, d'honneur et de li-
berté. Entre le prince et le peuple, il y avait une loi
authentique, supérieure à tous les deux, acceptée
de tous les deux, un médiateur vivant au ciel et
sur la terre, qui était Jésus-Christ. Louis XIV, mal-
gré tout son orgueil , quand les fêtes de Pâques ve-
naient, était obligé de rendre un hommage solennel
aux mœurs qu'il avait outragées, et de répudier
M°^^ de Montespan. Il fallait qu'il comptât, un jour
ou l'autre, avec l'Évangile, ne fût-ce qu'à son lit de
mort; et encore que cette barrière et cette responsa-
bilité se fussent affaiblies, du moins jusque dans les
temps les plus mauvais, le prince était préservé de
l'extravagance de l'Orient. Aucun prince catholique,
même le pire, même à l'époque de la décadence, n'a
laissé un nom tel que les noms de l'Orient ou de
Rome dégénérée.
Cette triste gloire était réservée à l'hérésie; il fal-
lait rompre avec la société catholique pour qu'une
terre chrétienne portât des rois comme Henri VIII
d'Angleterre, et comme tous ces monstres qui ont
inauguré en Europe le règne de la puissance mos-
covite.
Messieurs , la monarchie chrétienne n'existe plus :
elle s'est éteinte avec Louis XIV, qui en a été le
dernier représentant ; non pas un représentant
sans reproche ; non pas un représentant égal à
Charlemagne et à saint Louis , il s'en faut beaucoup
trop; mais, enfin, le dernier représentant qu'ait
eu la monarchie chrétienne. Après lui , l'Évangile
et Jésus-Christ ont quitté les trônes de l'Europe ; le
— 353 —
rationalisme, plus ou moins déguisé, y est monté
à leur place, et, avec le rationalisme, tous ces évé-
nements dont le monde, par une réaction qu'on peut
appeler légitime, a été le théâtre, le témoin et l'acteur.
Pourquoi cette grande création a-t-elle péri ? C'est,
d'abord , qu'elle était fille de la vérité , mais non pas
la vérité elle-même; fille de la justice et de la cha-
rité, mais non la justice et la charité en soi. Elle
était du monde, elle était mêlée à un élément hu-
main, et il était impossible que tôt ou tard, par le
cours des choses , il ne s'y introduisît pas quelque
source de ruine et d'anéantissement. C'est ce qui est
arrivé. Si Dieu eût permis que la monarchie chré-
tienne, cette alliée de la société catholique, subsistât
toujours à côté d'elle, vous auriez cru , oq aurait cru
peut-être dans l'avenir que la force de l'Église était
dans un pouvoir humain. On aurait dit que Charle-
magne , saint Louis , tel autre grand prince , de siècle
en siècle , avait porté le Christ et lui avait fait sa des-
tinée. Il ne le fallait pas. Le temps a donc reçu de
Dieu permission de faire là son œuvre comme ail-
leurs. Mais le temps a-t-il seul tout fait? Est-il seul
coupable des ruines que nous voyons? Le respect
que je dois à la cendre des morts m'empêchera-t-il'
de dire toute la vérité? Vous l'avez entendu , je n'ai
pas profité des idées de ce temps-ci pour reculer de-
vant mon devoir, je n'ai pas été assez lâche pour
flatter vos passions et vos préjugés, et leur sacrifier
quatorze cents ans de l'histoire de la patrie, parce
que ces quatorze cents ans ne ressemblent pas à ces
cinquante années dont vous êtes les fils.
— 354 —
Non , à chaque chose sa gloire , à chaque temps sa
puissance; je n'ai pas maudit le passé, je ne maudi-
rai pas le présent. Je sais pourquoi vous faites ce
que vous faites ; je sais les raisons qui vous soutien-
nent et qui donnent à votre œuvre un caractère que
je suis obligé de respecter. Il faut que je fasse plus,
il faut que je dise en faveur de notre temps ce qui
doit être dit, il faut que je le dise clairement, haute-
ment, avec autant d'indépendance que j'en ai mis en
traitant le passé.
La monarchie chrétienne était fondée sur une al-
liance dont Jésus-Christ était l'âme et le médiateur,
dont l'Évangile était le baptême de cœur perpétuel.
Le jour où la souveraineté devait abuser de l'obéis-
sance et de la vénération qui lui avaient été commu-
niquées par l'Évangile et Jésus-Christ, ce jour-là la
souveraineté se détruisait de ses propres mains , elle
creusait un abîme sous elle, elle retournait vers l'O-
rient. Jésus-Christ l'a vu, il s'est levé, il a replié
sous sa poitrine ses bras crucifiés pour nous , il est
descendu du trône , et cette monarchie chrétienne n'a
plus été qu'un cercueil ouvert , dont la cendre a été
jetée au vent. Jésus-Christ était la force ; on n'a pas
respecté la liberté du Christ et de l'Évangile. Les
passions conjurées s'attaquaient à la chrétienté, la
chrétienté s'est retirée; elle a pris ses bras, et s'en
est allée. Elle a dit à la société humaine : « Moi, j'ai
mes destinées éternelles ; toi , reste avec le temps , et
deviens ce que tu peux ! »
Et de ce divorce, de cette séparation, le temps
moderne est sorti ; il est sorti comme une protesta-
- 355 —
don du peuple en faveur de l'Évangile ; il est sorti
parce que le peuple n'a pas voulu de l'Orient ; il est
sorti parce que la fraternité se retirant , la paternité
n'était plus , parce que l'honneur et la liberté n'é-
taient plus saufs.
Maintenant qu'arrivera-t-il? La monarchie chré-
tienne se réformera-t-elle ? Sera-ce sous un autre
mode que le droit évangélique reprendra son empire
dans le monde? Je l'ignore. Ce que je sais bien, c'est
que je ne désespère pas de la Providence; ayant
trouvé Dieu dans ce qui m'a précédé, j'espère le trou-
ver dans ce qui me suivra , et, pour me servir d'une
expression d'un grand poëte allemand : Je suis ci-
toyen des temps à venir.
TRENTE-SIXIEME CONFERENCE
DE l'influence DE LA SOCIETE CATHOLIQUE
SUR LA SOCIÉTÉ NATURELLE
QUANT A LA COMMUNAUTÉ DE BIENS ET DE VIE
Monseigneur,
Messieurs,
En vous exposant l'influence de la société catho-
lique sur la propriété, j'ai dit que la communauté
volontaire de biens et de vie était une idée chré-
tienne; mais je l'ai dit sans m'y arrêter. Cependant,
Messieurs, nous ne saurions avoir une idée com-
plète des effets de la doctrine catholique sur la
société humaine, si nous ne nous arrêtons à consi-
dérer cette grande institution de la communauté vo-
lontaire de biens et de vie ; car, parmi les créations
de la société catholique, il n'en est peut-être aucune
— 358 —
qui présente des caractères plus frappants, plus dif-
ficiles à réunir, et où se résume mieux, avec tout
l'empire de la doctrine , toute la démonstration de sa
divinité.
Vous le savez, dès les premiers jours de la prédi-
cation générale de l'Evangile, après la résurrection
du Christ et l'ébranlement de la Pentecôte, dès ces
premiers jours, il esi écrit que la multitude des fidèles
n'avait qu'un cœur et qu'une âme, que personne
d'entre eux n'appelait sien ce qui lui appartenait ,
mais que toutes choses leur étaient communes , et
qu'il n'y avait point de pauvre dans leur assemblée,
joarce que ceux qui possédaient des maisons ou des
champs les vendaient , et en apportaient le prix aux
apôtres, pour être distribué à chacun suivant ses
besoins (1). Ce sont les propres expressions du texte
sacré ; et, vous vous en souvenez aussi, le premier
usage que la puissance apostolique fît du droit d'à-
nathème,fut contre deux disciples qui avaient trompé
les apôlres sur le prix de leurs biens, en en retenant
une partie frauduleusement. Ce texte si clair, cet évé-
nement si remarquable de l'apôtre saint Pierre met-
tant par sa parole deux disciples à mort pour avoir
trompé l'Église dans un dévouement qui n'était point
commandé , tout cela nous révèle l'importance queie
Saint-Esprit, auteur de l'Écriture, attachait aux
premiers linéaments d'où devait sortir un jour, par
un développement merveilleux, cet institut cénobi-
tique qui a rempli le monde de son histoire.
(1) Actes des Apôtres, chap. iv, vers. 32 et 34,
— 359 —
Je n'ai pas l'intention, Messieurs , d'envisager la
communauté de biens et dévie par son côté spirituel.
Ce point de vue me rejetterait dans les questions de
pauvreté, de chasteté et d'obéissance, questions que
j'ai traitées l'an dernier, en vous exposant les effets
de la doctrine catholique sur l'âme. Notre thèse d'au-
jourd'hui est tout autre, et je dois rechercher seule-
ment quelle a été l'influence de l'institut cénobitique
sur les destinées de la société naturelle. Cette in-
fluence a-t-elle existé? A-t- elle' été pour le bien,
ou pour le mal? Voilà l'objet de notre examen, et
par où nous terminerons les Conférences de cette
année.
Je ne puis les finir, Messieurs, sans vous remercier
de votre pieuse attention en des sujets si graves, si
délicats souvent, et, j'ose le dire, que je n'ai point
abordés de mon propre choix, mais contraint par la
force logique de mon sujet. Car, si quelque chose est
étranger à mon caractère comme à mes devoirs, c'est
de chercher des éléments d'émotion dans ce qui s'é-
loigne de l'éternité pour s'approcher du temps. On
n'est pas toujours le maître d'éviter absolument ce
péril; mais quand il s'est présente à moi, j'ai cher-
ché à mettre dans ma parole autant de prudence que
de vérité, et, si je ne me trompe, entre ce Charybde
et ce Scylla de la parole , je veux dire la sincérité et
la réserve, j'ai rarement échoué. Quoi qu'il en soit,
Messieurs, quelle que soit ma part de mérite, je re-
connais la vôtre, et je vous en remercie. J'ai besoin
aussi de remercier le premier pasteur de ce diocèse,
qui, depuis tant d'années, ne cesse d'apporter à nos
— 360 —
réunions le concours de son haut jugement et la
splendeur de sa présence , ajoutant ainsi , pour ce qui
me regarde , à la dette personnelle que j'ai contractée
envers lui, un poids qui croît chaque jour, mais qui
ne fait, en croissant, que soulager ma reconnais-
sance et ma vie.
Je soutiens deux choses au sujet de la communauté
volontaire de biens et de vie, savoir, qu'elle est la
plus haute pensée économique et la plus haute pen-
sée philanthropique qui soit au monde. D'abord, la
plus haute pensée économique : car, Messieurs, éco-
nomiquement parlant, que cherchons -nous? Nous
avons des biens bornés, et des désirs qui le sont peu;
il s'agirait de trouver le secret de diminuer les désirs
en multipliant les biens et en les partageant. Or la
communauté volontaire de biens et de vie produit ce
triple effet : elle partage les biens, elle en accroît la
mesure, elle diminue le besoin que nous en avons.
Sous ce régime, celui qui a plus, apporte volontai-
rement à celui qui a peu ou qui n'a rien ; celui qui
n'a rien ou peu de chose du côté du corps, mais qui
est riche par l'esprit , apporte sa part en intelligence ;
celui qui est pauvre à la fois du corps et de l'esprit,
peut donner mieux encore à la communauté , en lui
apportant une solide vertu. De la sorte il y a commu-
nion du patrimoine avec le dénûment, de la grande
capacité avec la petite capacité, de la force avec la
faiblesse , de tous les inconvénients compensés par
tous les avantages , et il en résulte un partage , une
fraternité, une famille artificielle qui , aussi libres
qu'ils sont équitables, présentent à notre imagination
— 361 -
et ànQtre sentiment de justice l'idéal de la perfec-
tion.
Il en est parmi vous, Messieurs, qui ont visité
quelque communauté de la Trappe : je les adjure,
que n'ont-ils pas éprouvé en voyant cette assemblée
d'hommes si divers par leur origine, leur âge, leur
histoire, leurs souvenirs : celui-ci portant au visage
la cicatrice des combats ; celui-là , un front illuminé
parla splendeur de la pensée; cet autre, le sillon
ineffacé d'un amour vaincu ; cet autre, des mains la-
borieuses accoutumées aux durs travaux, et qui,
retrouvant la charrue près de l'autel, ne se doute
même pas qu'on pourrait l'appeler une charrue
triomphale à bien meilleur droit que celle du consul
romain : toutes ces vies, enfin, si prodigieusement
inégales de naissance et de cours , et que voilà fon-
dues dans la divine égalité d'une même destinée jus-
qu'à la mort? Ce spectacle a frappé au cœur de tous
ceux qui l'ont vu ; nul, si incrédule à Dieu qu'il fût,
n'a refusé à cet ouvrage de sa droite un quart d'heure
de foi et d'admiration. Comment y résister, en effet,
et que voulez-vous de plus dans l'équité? Quoi do
plus, pour fhomme qui respire l'égoïsme du monde,
et qui, jusque dans la famille , parmi les intérêts les
plus saints, a retrouvé la concentration en soi-même
et l'exclusion d'autrui? quoi de plus d'avoir rencon-
tré des hommes supérieurs à la personnahté, don-
nant tout leur être pour un peu de pain qu'on leur
rend chaque jour, et, fussent-ils princes dans la ré-
gion de l'esprit ou dans celle de la naissance , se fai-
sant avec amour parmi leurs frères le plus petit et
m. — 11
— 362 —
le dernier? Qu'on dise de loin tout ce qu'on voudra
contre un semblable institut , nul n'ira frapper à sa
porte , pour le voir de près , sans en revenir plus mé-
content de soi, et sans avoir appris sur l'homme et
sur Dieu quelque chose qui lui donnera plus d'une
fois à penser.
Outre le partage équitable des biens, l'institut cé-
nobitique en accroît de beaucoup la mesure et la va-
leur. Chose singulière! des trappistes descendent
sur un sol qui nourrit à peine une ou deux familles ;
ils y vivent cent, et ils y vivent à l'aise ! CeLte
sueur du dévouement, mêlée à la terre, la féconde
et lui fait porter des fruits qu'elle n'accorde jamais
à une autre culture. Il semble que Dieu , qui tra-
vaille toujours avec l'homme, appuie plus fortement
sa main sur la main qui partage, et que la terre
elle-même, devenue sensible à la fraternité, se mon-
tre jalouse, en cette occasion, de s'unir à Dieu et à
l'homme par une plus grande vertu. Il est facile de
le vérifier. Visitez un de ces monastères que je vous
nommais tout à l'heure; étudiez-en tout le système
économique; consultez la nature du sol, interrogez
les moissons, comptez le nombre des habitants, et
vous serez surpris que la terre, si avare ailleurs, se
montre là si prodigue, et quelquefois malgré les ma-
rais , les sables et les rochers. Vous verrez de vos
yeux le pauvre accourir à la maison de la prière, et
y recueillir chaque jour la part qui est faite par la
fraternité du dedans à la fraternité du dehors. Car le
cénobite ne s'enferme pas dans sa pauvreté comme
dans un bénéfice personnel ; il en verse le trésor sur
— 363 —
la pauvreté élrangère, et obtient du patrimoine com-
mun une fécondité qui rassasie l'hôte aussi bien que
le fils de la maison.
En même temps que les biens s'accroissent par un
travail plus profond et une bénédiction plus atten-
tive, les désirs et les besoins diminuent dans une fa-
buleuse proportion. Le croiriez-vous ? il y a des reli-
gieux qui vivent à deux ou trois cents francs par tête,
d'autres à quatre ou cinq cents francs, et je ne crois
pas me tromper en affirmant que le chiffre le plus
élevé, dans les circonstances les moins favorables,
s'élève à huit cents francs. Quel est l'homme lettré,
Messieurs, c'est-à-dire ayant étudié un peu de grec
et de latin, qui voudrait et pourrait vivre à huit cents
francs par an? En trouveriez-vous un seul? Qn tel
sort ne paraîtrait-il pas le comble de l'humiliation et
de la misère à tout homme sachant tenir une plume
ou un crayon? Cependant des milliers de cénobites,
lettrés eux-mêmes, et quelques-uns lettrés illustres,
se contentent a moins , et remercient la Providence
de leur donner avec surcroît le pam quotidien. Ils
découvrent au-dessous d'eux des infortunes qu'ils
secourent encore ; ils admirent la place qui leur a été
faite au soleil de ce monde, et s'étonnent du choix
privilégié qui est tombé sur eux. Ne serait-ce pas,
Messieurs, un bénéfice social digne de considéra-
tion, qu une levée annuelle de quelques milliers de
lettrés voulant bien accepter huit cents francs en
échange de leur mérite , et retirant de la lutte , avec
leurs besoins extérieurs , l'hydre plus insatiable en«
core de leur orgueil et de leur ambition?
— 364 -
Le comte de Maistre a dit en parlant de Robes-
pierre : « Si cet homme eût été couvert d'un froc
au lieu d'une robe d'avocat , peut - être quelque
profond philosophe eût dit en le rencontrant : Bon
Dieu! à quoi sert cet homme? » On a appris de-
puis en quoi son absence eût été bienfait pour le
monde.
Unissez par la pensée, Messieurs, d'une part,
l'accroissement de valeur territoriale produit par la
vie cénobitique, de l'autre la diminution dont elle est
la cause dans les besoins et les désirs, et vous aurez
assurément pour résultat un phénomène économique
auquel nul autre ne saurait être comparé . Encore n'est-
ce pas tout : car la famille artificielle, en enlevant
à la famille naturelle une partie des enfants qu'elle
est chargée de nourrir et de pousser dans le monde,
allège considérablement son fardeau. Dans les pays
où la vie cénobitique est en vigueur, il est bien peu
de maisons qui n'aient au monastère ses représen-
tants. Une vocation paie la dot d'une fille et la charge
d'un fils. Non-seulement la famille n'a point à se dé-
pouiller, mais, au jour de la succession, la part des
morts volontaires retourne en tout ou en partie aux
vivants privilégiés. Ces avantages économiques sont
tellement sensibles, qu'on a même accusé des pa-
rents d'user de ruse ou de violence pour amener leurs
enfants à se retirer du monde. Cette accusation a pu
être justifiée dans des cas particuliers, malgré la vi-
gilance de l'Église ; elle ne l'est point pour quiconque
connaît la résistance que la plupart des familles,
même chrétiennes, même pieuses, apportent à con-
— 365 —
sacrer par leur consentement des vœux qui troublent
leurs affections.
Je n'insiste pas davantage sur la question écono-
mique. Grâce à Dieu, elle est jugée aujourd'hui. Il
est admis que l'association est le seul grand moyen
économique qui soit au monde, et que si vous n'as-
sociez pas les hommes dans le travail, l'épargne, le
secours et la répartition , inévitablement le plus
grand nombre d'entre eux sera victime d'une mino-
rité intelligente et mieux pourvue des moyens de
succès. Je ne prends pas sur moi de louer tous les
plans d'association qui se pressent au jour, toutes
les tentatives de communauté qui demandent l'eau
et le feu ; je loue seulement l'intention, parce qu'elle
est un hommage aux vrais besoins de l'humanité.
Ne l'oubliez pas, Messieurs, tant que nous sommes
isolés, nous n'avons à espérer que la corruption, la
servitude et la misère : la corruption, parce que nous
n'avons à répondre que de nous-même à nous-même,
et que nous ne sommes pas portés par un corps qui
nous inspire respect pour lui et pour nous ; la servi-
tude, parce que, quand on est seul, on est impuis-
sant à se défendre contre quoi que ce soit ; enfin , la
misère, parce que le plus grand nombre des hom-
mes naît dans des conditions trop peu favorables
pour soutenir jusqu'au bout son existence contre
tous les ennemis intérieurs et extérieurs, s'il n'est
assisté par la communauté des ressources contre
la communauté des maux. L'association volontaire,
où chacun entre et sort librement, sous des condi-
tions déterminées par l'expérience, est le seul remède
— 366 —
efficace à ces trois plaies de l'humanilé, la misère, la
servitude et la corruption. L'Église, dès le lende-
main de la Pentecôte, Ta proclamé très-haut;
elle a fondé parmi ses premiers disciples la com-
munauté volontaire de biens et de vie ; elle a frappé
de mort l'hypocrisie, qui tentait déjà d'en corrom-
pre les lois; et depuis, dans le cours des âges, elle
n'a cessé de porter ses fidèles à l'association sous
toutes les formes et pour tous les objets. Sa maxime
constante a été d'unir pour sanctifier et protéger,
comme la maxime constante du monde est de diviser
pour régner.
A tous ces titres, la communauté volontaire de
biens et de vie est évidemment une institution phi-
lanthropique, c'est-à-dire amiedes hommes; mais
rhistoirc de ses bienfaits n'est pas achevée, et nous
devons la considérer sous un jour encore plus grand.
Ily a ici- bas cinq services gratuits et populaires,
sans lesquels le peuple, ou , si vous aimez mieux une
expression plusévangélique, sans lesquels le pauvre
est nécessairement misérable : et ces cinq services
gratuits et populaires ont été créés par les ordres re-
ligieux, qui seuls sont en état de les remplir.
Le premier de tous est le service gratuit et popu-
laire de la douleur. Vous me direz : Qu'est-ce que
cela, le service gratuit et populaire de la douleur? Il
est aisé de vous l'apprendre, Messieurs. Quelle qu'en
soit la raison, je ne la cherche pas en ce moment,
une somme de douleur pèse sur le genre humain.
Depuis six mille ans , de même qu'il tombe du ciel
une certaine quantité de pluie par année, il tombe
— 367 —
du cœur de l'homme une certaine quantité de lar*
xnes. L'homme a tout essayé pour échapper à cette
loi; il a passé par bien des états différents, depuis
l'extrême barbarie jusqu'à l'extrême civilisation; il a
^'écu sous des sceptres de toute forme et de toute
pesanteur; mais partout et toujours il a pleuré, et,
si attentivement qu'on lise son histoire, la douleur
en est le premier et le dernier mot. Il en change
quelquefois la forme, encore tout au plus; mais il
n'en change pas la nature ni la quantité. Jésus-Christ
lui-même, celui qui a fait dans la douleur la plus
grande révolution, Jésus-Christ ne l'a pas matériel-
lement beaucoup diminuée; il en a pris sa part, et l'a
transfigurée sans la détruire. Faites donc ce que vous
voudrez, pensez-en tout ce qu'il vous plaira ; soyez
riches, puissants, habiles, immortels, heureux enfin :
soyez tout cela, j'y consens, mais sachez que, de
votre berceau à votre tombe, vous vous mouvez dans
un vaste système de douleur où, fussiez-vous épar-
gnés, la douleur est maîtresse et fait payer à d'autres
les coups qu'elle dédaigne de vous porter. Quelque
part et pour quelque raison que cela soit écrit, ceia
est écrit, et, apparemment, par une main qui tient à
son ouvrage. 0 vous donc, ôvous, heureux de la
terre! suppliciés qui n'êtes pas vus du bourreau,
permettez qu'il y ait ici -bas un service gratuit et
populaire de la douleur, c'est-à-dire des hommes
qui veulent bien en prendre au delà de leur compte
naturel pour diminuer la part que les autres auraient
à porter, pour la diminuer, si je voulais parler ca-
thoUquement, par le principe de la solidarité. Oui,
- 368 —
le principe de la solidarité ! Je vous ferai voir un jour
que tout homme qui souffre volontairement dans le
monde ôte une souffrance à quelqu'un; que tout
homme qui jeûne donne du pain à un autre qui en
manque; que tout homme qui pleure aux pieds de
Jésus- Christ enlève du sein d'une créature qu'il ne
connaît pas, mais qui lui sera révélée en Dieu, une
certaine quantité d'amertume, et cela par le principe
de la solidarité, qui fait que, quand il y a un peu
plus de douleur dans une âme, il y en a un peu
moins dans une autre, de même que, quand il pleut
beaucoup dans un pays , il pleut moins dans la ré-
gion voisine: l'ordre moral étant réglé, comme l'ordre
physique, par la même puissance, la même sagesse,
la même justice, la même distribution.
Mais vous ne m'entendez peut-être pas : la soli-
darité est un mystère qui vous révolte ou qui vous
est inconnu : à la bonne heure! Je m'en tairai d'au-
tant mieux que je n'en ai pas besoin; car, si je ne
puis invoquer devant vous le principe de la di-
minution des peines par la solidarité, je puis du
moins vous parler sans crainte de la diminution qui
a lieu par voie de sympathie. Il est certain qu'en
voyant les autres souffrir volontairement, nous re-
gardons la douleur d'un œil plus ferme et moins ré-
volté. 11 est certain qu'un pauvre qui va chercher
son pain à la porte d'un monastère , et qui est servi
par un homme revêtu comme lui d'habits grossiers
marchant pieds nus , a une révélation de la pauvreté,
qui la change à ses yeux, et apporte à son cœur un
baume qu'aucun autre spectacle ne lui donnera.
— 369 —
Souffrez donc ce premier service gratuit et popu-
laire; laissez quelques imbéciles se dévouer pour
vous, si vous êtes malheureux; se dévouer encore
pour vous, si vous êtes heureux; car vous ne le serez
pas demain, et, le fussiez -vous toujours, vous avez
besoin que le peuple, ce grand pénitent, vous par-
donne votre bonheur. Laissez les fanatiques le con-
soler de sa misère; laissez -les marcher nu -pieds,
afin qu'il voie qu'on peut aller les pieds déchaux,
comme disaient nos ancêtres , sans perdre la dignité
et la joie, et que son regard scrutateur, interrogeant
tour à tour le dedans et le dehors, voie la paix de
Dieu surgir au front du mendiant.
Le second service gratuit et populaire dont le pau-
vre a besoin, c'est le service gratuit et populaire de
la vérité. Vous avez , je le veux , la vérité dans vos
livres et dans vos académies, dans l'esprit de vos
professeurs décorés et dotés; mais plus bas? Qui
portera la vérité plus bas? Qui la fera descendre jus-
qu'au peuple, enfant de Dieu comme vous, et à qui
ses loisirs ne permettent de la voir que comme on
voit le soleil, venant à lui le matin? Qui distribuera
la lumière de l'intelligence aux pauvres âmes des
campagnes, si enclines à se courber vers la terre,
comme leurs corps , et les tiendra debout devant la
face auguste du vrai, du beau, du saint , de ce qui
ravit l'homme et lui donne le courage de vivre? Qui
ira trouver mon frère le peuple par amour de lui,
avec un désintéressement qui se sente, pour le seul
plaisir de traiter avec lui de la vérité , et de causer
simplement de Dieu entre la sueur du jour et celle
- 370 —
du lendemain? Qui lui portera, non pas un livre
mort, mais la chose sans prix, une foi vivante, une
âme dans une parole, Dieu sensible dans l'accent
d'une phrase, la foi , l'âme et Dieu lui disant ensem-
ble : Me voici, moi, homme comme Loi ; j'ai étudié, j'ai
lu , j'ai médité pour toi qui ne le pouvais, et je t'ap-
porte la science. N'en cherche pas au loin la démon-
stration ; tu la vois dans ma vie ; l'amour te donne sa
parole , qui est la vérité!
Qui pourra, qui osera parler ainsi au peuple, sinon
l'apôtre du peuple, le capucin avec sa corde et ses
pieds à vif? L'Église, dans sa fécondité, avait pré-
paré des bouches d'or pour le pauvre aussi bien que
pour les rois; elle avait appris à ses envoyés l'élo-
quence du chaume autant que l'éloquence des cours.
Aujourd'hui la chaire apostolique est muette devant
le pauvre peuple; au fond de nos campagnes, des
milliers de créatures françaises n'ont pas une seule
fois , depuis quarante ans , entendu les foudres de la
vérité. Elles ont leur curé, direz- vous; oui, j'en con-
viens, elles ont un digne représentant de la religion,
un pasteur fidèle, le doux spectacle d'une vertu
simple et quotidienne, c'est beaucoup. Mais la pa-
role n'égale pas l'autorité dans le pasteur; le temps
tout seul la blesserait à mort, en lui ôtant le charme
de la nouveauté. S'il vous faut des accents qui ne
vous aient point encore frappé, à vous, hommes des
villes, il en faut aussi à l'homme des champs. Le
pauvre a besoin comme vous des enivrements de la
parole; il a des entrailles à émouvoir, des endroits
de son cœur où la vérité dort, et où l'éloquence doit
— 371 —
le surprendre et l'éveiller en sursaut. Laissez -lui
entendre Démosthènes, et le Démoslhènes du peu-
ple, c'est le capucin.
Au service gratuit et populaire de la vérité touche
et s'unit un autre service de même nature, le service
gratuit et populaire de l'éducation. L'enfant du
pauvre est sacré comme l'enfant du riche. Sa nature
est aussi rebelle , son sort plus dur, ses moyens de
culture et de politesse beaucoup moins multipliés.
Bientôt le travail du corps l'arrachera aux exercices
de l'intelligence, et s'il n'a reçu les germes précieux
du bien avec une autorité qui ait pénétré son cœur,
il ne tardera pas à perdre l'esprit de l'homixie chré-
tien et civilisé pour vivre dans une dégradation que
rien ne déguisera. Tous les vices s'empareront de
son elre avec une insouciance affreuse pour les
choses de l'âme, et la société n'aura plus dans le
peuple , qui doit être la source permanente de son
renouvellement et de sa vigueur, qu'un fonds pourri
par le matériahsme le plus abject. L'instituteur du
peuple, un instituleur digne de lui, est donc une des
plus hautes nécessités de l'ordre social. Mais qui
sera cet instituteur? Qui pourra réunir à la fois, dans
un si grand office, une instruction suffisante, des
mœurs pure?^ une foi sincère, une autorité respectée,
et enfin une vie assez modeste pour que le pauvre
puisse l'entretenir en échange des leçons qu'il en
reçoit? L'Église y a pourvu par les ordres ensei-
gnants , comme elle a pourvu au service gratuit et
populaire de la vérité par les ordres apostohques, au
service gratuit et populaire de la douleur par les
— 372 —
ordres pénitents. Le frère des Écoles chrétiennes et
de tous les autres instituts semblables donne au
pauvre une éducation qui ne lui coûte rien ou peu
de chose , et qui est digne d'un enfant de la patrie
comme d'un enfant de Dieu.
Ici, Messieurs, ma parole est plus à l'aise que tout
à l'heure. La France a authentiquement accepté le
dévouement des frères et des sœurs voués à l'ensei-
gnement du peuple; une popularité qui est la juste
récompense de leurs travaux, les protège dans toute
l'étendue du pays autant que l'empire des lois. Ma
parole, à leur sujet, n'est donc pas une parole accu-
satrice, c'est une parole qui remercie et qui bénit.
Mais nous n'en avons pas fmi pour cela avec tous
les besoins du pauvre; après les services de la dou-
leur, de la vérité et de l'éducation, il réclame encore
le service gratuit et populaire de la maladie et de la
mort. Messieurs, on dit que le tiers des habitants de
cette grande cité meurt à l'hôpital ; supposons qu'il
n'y en ait que le quart : quel chiffre! Sur un million
d'hommes, plus de deux cent mille doivent mourir
loin de leurs femmes et de leurs enfants, loin de la
famille, entre des murailles étrangères, qui ne disent
rien au cœur, si ce n'est détresse et abandon. Que
trouvera là le peuple malade et mourant, s'il n'y
trouve pas le frère de Saint-Jean-de-Dieu et la sœur
de Charité? Des mercenaires, des serviteurs à gage.
Je veux, je dois les respecter partout; mais là ! sont-
ils suffisants pour cette heure sacrée de la mort du
pauvre? Est-ce à quarante sous par jour qu'on es-
time ceux qui doivent fermer les yeux de deux cent
— 373 —
mille hommes parmi nous? Je dis parmi nous, car
le peuple est nôtre ; mais d'ailleurs, ne vous y trom-
pez pas, dans un autre sens, parmi vous-mêmes, il
en est qui mourront à l'hôpital, et peut-être moi-
même aussi j'y mourrai. Nous vivons dans des
temps assez chargés de vicissitudes pour être in-
quiets de notre dernier moment. Eh bien ! si vous
devez mourir là ; si la fatalité , expression qui n'est
pas chrétienne, mais enfln, si la fatalité vous amenait
là, écoutez : Votre vie se passe, elle est peu de chose
peut-être, mais elle aura un grand moment, le mo-
ment de la mort, le moment de paraître devant Dieu :
y songez-vous? Voilà un homme qui se dit : Dans
un instant, je vais voir l'éternité! Qu'il y croie ou
quïl n'y croie pas, c'est un grand abîme! Être, ou
ne pas être, a dit un tragique, c'est la question!
Quelle question! Quelle question pour un homme
seul, abandonné dans un hôpital, face à face avec sa
conscience, face à face avec Dieu, qui écrit peut-être
du bout de son doigt sa condamnation sur le mur,
comme pour Balthasar !
Ah! laissez l'amour s'approcher de lui, puisqu'il y
a sur la terre un amour qui ne coûte rien; laissez-
lui venir un représentant aimable de Dieu. Pourquoi
tuer l'amour, parce que c'est Jésus-Christ qui l'a fait
pour rien? Persécuter les sœurs des hôpitaux , c'est
persécuter la mort du peuple, c'est condamner aux
gémonies, pour prix de ses sueurs, une portion de
l'humanité, et peut-être vous-mêmes aussi. Peut-
être, en plaidant cette cause de la mort du peuple,
je plaide aussi la cause de votre dernière heure, de
— 374 —
votre dernière pensée, de votre dernier souffle. C'est
à considérer.
Le dernier service gratuit et populaire est le ser-
vice gratuit et populaire du sang. L'Europe n'a pas
toujours eu des armées régulières comme aujour-
d'hui. Il fut un temps où chaque nation n'avait que
l'épée de ses gentilshommes et des bandes louées à
prix d'argent, qui se dissipaient après la guerre. Les'
désordres inséparables de ce genre de vie étaient
plus grands alors, et les peuples en souffraient beau-
coup. L'Église essaya d'y pourvoir, et de pourvoir
aussi à la défense de la chrétienté menacée par l'is-
lamisme, en instituant ces fameux ordres militaires
tels que les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem,
les chevaliers du Temple, les chevaliers Teutoni-
ques , et d'autres d'un renom moins élevé. Unir la
vie monastique avec la vie des camps , rehausser le
sacrifice du sang par le sacrifice des bonnes mœurs
et de la piété, passer du sanctuaire au combat : telle
était l'héroïque pensée qui suscita le nouvel institut,
et qui s'est consacrée dans l'histoire par des pages
que le temps n'effacera jamais. Nous pouvons bien
penser que nos régiments valent les saintes cohortes
de la chevalerie chrétienne ; mais n'oubUons pas le
temps des croisés, la défense de Rhodes contre Ma-
homet II et Soliman II, Jean de la Valette arrêtant
une dernière fois, sous les murs de Malte, les forces
de l'empire ottoman, et toute cette gloire enfin, fille
de nos chavaliers, que les siècles nous ont apportée
de leur part.
Peut-être même ne serait-il pas malaisé de vous
- 375 —
prouver qu'aujourd'hui encore le service gratuit et
populaire du sang serait une heureuse et admirable
institution. Mais le temps nous presse. Disons seu-
lement que si le présent ne réclame pas le secours
delà chevalerie chrétienne, il peut venir des jours
où les peuples n'en dédaigneront pas la résurrection.
Oui, il peut venir des jours où, pour se défendre
contre l'invasion de la barbarie, l'épée vulgaire ne
suffira plus; où la science, prise dans ses propres
inventions, aura besoin de la foi et de la charité pour
sauver l'honneur et la liberté du monde par des
armes dont l'ennemi restera dépourvu , toutes les au-
tres étant à son service, parce que toutes les autres
ne demandent que de la chimie et des bras. Tôt ou
tard, peut-être, le mal prévaudra par la puissance
physique, et il faudra que le bien , retrempé à d'au-
tres sources, arbore la croix aussi haut que l'épée.
Je crois, Messieurs, avoir prouvé ma thèse, sa-
voir : que la communauté volontaire de biens et de
vie est une institution aussi remarquable au point
de vue philanthropique qu'au point de vue écono-
mique, et que rien dans le monde n'a été créé de
plus utile et de plus grand en faveur du peuple que
les ordres miUtaircs, les ordres hosDitaliers, les or-
dres enseignants, les ordres apostoliques et les or-
dres pénitents. Ce n'est là, toutefois, qu'une partie
de l'histoire cénobitique; si je voulais vous dire le
reste, vous parler des services rendus parce glorieux
'nstitut aux îeltres, aux arts, aux sciences et dans
les missions, je n'achèverais pas ma course avec celle
du jour.
— 376 —
La France... pourrais -je finir sans la nommer
dans une occasion où son souvenir se présente si na-
turellement à moi? la France est le pays cénobitique
par excellence. Sans remonter jusqu'à saint Martin
de Tours et à ce fameux monastère de Marmoutier,
la France fonda, au x® siècle, l'ordre de Gluny, qui
a gouverné l'Église par les grands papes qu'elle en a
reçus, et qui a été le renouvellement de la vie mo-
nastique en Occident ; au xi'' siècle, l'ordre des Char-
treux, ceux deCîteaux, de Fontevrault, des Pré-
montrés ; au xii° siècle, la réforme de Clairvaux par
saint Bernard, et les Trinitaires pour la rédemption
des captifs; au xiii®, l'ordre de Saint-Dominique par
un Espagnol, mais en France et avec des Français;
au XVI'', la Compagnie de Jésus , née à Paris même ;
au xviie, la réforme de la Trappe par l'abbé de
Rancé, les prêtres des missions de saint Vincent de
Paul, les sœurs de Charité, les frères des Écoles
chrétiennes. Je ne nomme, Messieurs, que les prin-
cipales fondations, les autres formeraient une liste
sans fin. Aujourd'hui encore, après des révolutions
qui ont labouré le sol monastique avec tout le reste,
la France reproduit ses anciens ordres religieux et
en prépare de nouveaux, en vertu d'une fécondité de
dévouement qui lui est aussi naturelle que la richesse
de ses moissons. Elle ressuscite partout les grands
services gratuits et populaires, et tandis que sa sur-
face porte les cicatrices d'une incrédulité qui trompe
l'œil, elle tire de ses entrailles une végétation qui ré-
jouit l'avenir. Vous l'ignorez peut-être, Messieurs;
vous ne le croyez pas : mais qu'importe? La France
— 377 —
est accoutumée à faire de grandes choses, même sans
le savoir.
Je ne dirai plus qu'un mot , Messieurs , sur la com-
munauté volontaire de biens et de vie en dehors de
l'Église catholique. Il est remarquable que l'anti-
quité païenne , sauf une seule exception dont je vous
entretiendrai tout à l'heure, a été complètement sté-
rile sous ce rapport. On y rencontre des collèges sa-
cerdotaux, des prêlres vivant avec leur famille au-
tour du temple auquel ils sont attachés ; mais le
monastère proprement dit n'existe pas. Le boud-
dhisme seul fait exception à cette règle générale : le
bouddhisme a couvert l'Asie orientale de pagodes et
de couvents où la vie commune est pratiquée sous
un ensemble de lois qui ont d'apparentes analogies
avec les lois chrétiennes du cénobitisme. Les voya-
geurs ont dit beaucoup de mal de ces réunions, qui
ont dû se corrompre par l'oisiveté ; car le bouddhisme
n'en a tiré aucun parti pour le service public , sauf
le spectacle d'une certaine pénitence extérieure , qui
ne conclut pas elle-même à un travail utile et ré-
gulier. Je n'en dis pas davantage. Une pensée reli-
gieuse, favorisée par l'aptitude de l'Orient à la con-
templation , à créé ce phénomène singulier, mais
elle ne l'a créé que mort, sans profit aucun pour l'a-
vancement de ces peuples dans des voies meilleures
que celles où les siècles les ont trouvés et les laissent
languir.
Le protestantisme , en se séparant de l'Église ,
n'a pas même gardé la fécondité bouddhique ; loin
de pouvoir produire un frère des Écoles ou une sœur
— 378 —
de Charité, il ne produit pas même un pénitent
hindou.
Les Grecs, plus heureux, par la même raison qui
leur a fait conserver presque toute la doctrine catho-
lique, ont aussi conservé la tradition du cénobitisme,
mais sans mouvement. Leurs monastères sont comme
leur foi.
Il résulte de ce coup d'œil qu'en dehors de la pen-
sée religieuse on n'a jamais vu se réaliser la commu-
nauté volontaire de biens et de vie. Quelle en est la
raison? Elle est, je crois, Messieurs, facile à enten-
dre. La communauté volontaire de biens et de vie
n'est possible qu'à ces deux conditions : que l'homme
qui a entre en partage avec celui qui n'a pas, et que
la grande capacité s'abaisse jusqu'à la petite capacité
pour la servir au même rang. Or cette abnégation
répugne invinciblement à la nature égoïste de
l'homme, tant qu'elle n'est pas soulevée par un
principe religieux. L'homme qui a veut user de son
patrimoine pour l'agrandir; l'homme qui peut veut
user de son intelligence pour monter. La religion
seule apprend à descendre et à se dépouiller volon-
tairement, par conséquent à s'associer.
Aujourd'hui, Messieurs, que le besoin de l'as-
sociation se manifeste de toutes parts, et qu'après
avoir détruit l'association chrétienne , on en veut
construire une autre sur des bases de pure rai-
son, que voyons-nous? Nous voyons, entre autres
efforts curieux, des hommes se consumer en rêves
subtils et les plus mgénieux du monde pour sub-
stituer dans l'association la loi du plaisir à la loi du
— 379 —
dévouement. On veut se persuader et persuader
aux autres qu'il existe dans le chaos des passions ,
des facultés et des intérêts humains, un ordre ma-
thématique et secret qui, étant découvert, puis prati-
qué, substituerait partout la jouissance à la douleur,
le goût au devoir, et ferait du monde , dans l'infmie
diversité de ses fonctions, une harmonie où chacun
trouverait et garderait volontairement sa place, sans
qu'un seul rouage de cette belle machine se plaignît
et se déplaçât jamais. Ce serait Orphée ou Amphion
faisant Thèbes avec des hommes, au simple son de
la lyre.
La nature humaine n'a point encore répondu à cet
appel ingénieux; elle reste froide devant cette amorce
qu'on lui présente , et oppose au plaisir harmonien ,
comme on le désigne, sa vieille et égoïste ténacité
dans le plaisir individuel. Quand elle veut perdre
son âme pour la sauver, elle regarde ailleurs, elle
sait où est la croix qui inspire et qui récompense le
dévouement. Elle ne croit pas à ces mathématiques
du plaisir, parce que le plaisir est en dehors de toute
règle, et qu'en chercher la loi ou l'unité, c'est cher-
cher l'ordre dans le désordre, l'affirmation dans la
négation, l'être dans le néant. Et, dût-on réussir,
quel homme de cœur voudrait vivre dans une société
où la jouissance seule aurait satisfaction ? quel
homme de cœur pourrait se passer d'efforts et de
vertu? Si on devait nous tenir un jour sous cette
impitoyable loi de la jouissance, nous ferions contre
le despotisme du bonheur autant de révolutions que
nous en avons fait contre le despotisme sanglant ;
— 380 —
nous briserions la quenouille comme nous avons
brisé la hache. Ce n'est pas le plaisir qui est le fon-
dement de la société, c'est la vertu; ce n'est pas la
jouissance qui est notre vocation ici-bas, c'est le
travail et la douleur. Dieu nous a créés tout exprès
pour produire par nous une chose qu'il ne peut pas
produire tout seul , c'est-à-dire la grandeur dans la
bassesse, la force dans l'infirmité, la pureté dans la
chair et le sang, l'amour dans Tégoïsme, le bien
dans le mal, la vertu dans un cœur qui avait, à
chaque minute, la liberté d'être un scélérat. Voilà
notre vocation, notre destinée. Jésus-Christ n'a con-
quis le monde que parce qu'il la connaissait, et que
du haut de sa croix, esclave et Dieu, il l'a souverai-
nement remplie. Le salut est à sa suite, et tout^.
gloire et tout bonheur aussi. C'est pourquoi , grâce
à Dieu , le plaisir et le goût ne fonderont jamais ici-
bas une société ; le malheur sera le plus fort, afin
que la vertu le soit; il y aura des pauvres, précisé-
ment pour que l'aumône se fasse; des plaies, préci-
sément pour qu'elles soient pansées; des larmes,
précisément pour qu'on les accepte ; des renverse-
ments, pour qu'on aspire à la stabilité; des ruines,
pour que l'orgueil s'humilie; des misères publiques,
pour qu'il y ait des services gratuits et populaires ;
du sang, pour qu'il y ait des saints.
Messieurs , la première partie de nos Conférences
est achevée.
J'avais à vous montrer la divinité phénoménale de
l'Église. Prenant dans le monde l'Église, qui est un
corps visible et vivant, j'avais à vous prouver qu'il
— 381 —
est divin, c'est-à-dire que ce n'est pas Thomme qui
l'a fondé, mais Dieu. La démonstration a été longue ;
car j'y suis revenu à cinq fois. En 1835, j'ai traité
devant vous de la constitution organique de l'Église,
et vous ai fait voir qu'elle était surhumaine. En 1836,
j'ai examiné sa constitution doctrinale, et vous ai
fait voir qu'elle était également surhumaine. Dans
les trois dernières années qui viennent de s'écouler,
je vous ai montré , par les efîets de la doctrine catho-
lique sur l'esprit, sur l'âme et sur la société, qui
sont les trois théâtres de toute action, que l'Éghse,
dépositaire et organe de cette doctrine, était évidem-
ment douée d'un pouvoir incomparable et surhu-
main. Je n'ai plus rien à dire là-dessus.
Mais qui a fait cet ouvrage? Qui a bâti l'Église?
Qui lui a tracé sa constitution organique et doctri-
nale? Qui lui a donné sur l'esprit la puissance d'y
produire la certitude et la connaissance au plus haut
degré? Qui lui a donné sur l'âme la puissance d'y
produire l'humilité, la chasteté, la charité, la reli-
gion? Qui lui a donné, en ce qui regarde l'ordre so-
cial, une unité sans exemple et une expansion sans
limites? Qui, enfm, lui a donné, par rapport à la
société purement naturelle , la puissance de transfor-
mer le droit, la propriété, la famille, l'autorité, et de
créer la communauté volontaire de biens et de vie?
Qui, Messieurs? Ah! je l'ai nommé bien des fois
déjà ! C'est Celui qui est ici devant vous ; c'est Celui
dont le nom tôt ou tard fera ployer tout genou dans
le ciel, sur la terre et dans les enfers. Je le prononce
encore une fois , en finissant , ce nom , le plus cher
— 382 —
qui me soit; je nomme avec foi, espérance, amour,
adoration, le Seigneur Jésus-Christ.
Mais quel est-il? D'où vient-il? D'où vient sa
puissance à lui-même? Quelle est son histoire? Nous
le verrons, Messieurs, nous l'apprendrons; dès au-
jourd'hui je vous convoque pour l'an prochain au
pied de sa croix, et puissions-nous y apporter un
cœur encore mieux préparé pour la vérité, vous pour
la recevoir, et moi pour vous la donner I
TABLE
ATJME 18-14. — DES EFFETS DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE
SUR L'AME
Vingt et unième Conférence. — De l'humilité produite
dans l'âme par la doctrine catholique 3
Vingt-deuxième Conférence. — De la chasteté produite
dans l'âme par la doctrine catholique. ...... 29
Vingt-troisième Conférence. — De l'impuissance des au-
tres doctrines à produire la chasteté 49
Vingt-quatrième Conférence. — De la charité d'apostolat
produite dans l'âme par la doctrine catholique. 71
Vingt-cinquième Conférence. — De la charité de fra-
ternité produite dans l'âme par la doctrine catholique. 9o
Vingt-sixième Conférence. — De la religion comme pas-
sion et vertu de l'humanité 119
Vingt-septième Conférence. — De l'impuissance des au-
tres doctrines à produire la religion 139
Vingt-huitième Conférence. — De la religion produite
dans rame par la doctrine catholique 161
384
hmU 1845. — DES EFFETS DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE
SUR LA SOCIÉTÉ
Vingt-neuvième Conférence. — De la société intellec-
tuelle publique fondée par la doctrine catholique. . . 183
Trentième Conférence. — Pourquoi la doctrine catho-
lique seule a fondé une société intellectuelle publique. 211
Trente et unième Conférence. — De Torganisation et
de l'expansion de la société catholique 233
Trente-deuxième Conférence. — De l'influence de la so-
ciété catholique sur la société naturelle quant au prin-
cipe du droit 2S7
Trente-troisième Conférence. — De l'influence de la so-
ciété catholique sur la société naturelle quant à la pro-
priété 281
Trente-quatrième Conférence. — De Tinfluence de la so-
ciété catholique sur la société naturelle quant à la fa-
mille . . 307
Trente-cinquième Conférence. — De l'influence de la so-
ciété catholique sur la société naturelle quant à l'auto-
rité 331
Trente-sixième Conférence. — De l'influence de la société
catholique sur la société naturelle quant à la commu-
nauté de biens et de vie. ........... 357
vrel'x, iMPnniERiE c-i. H." ris SE Y et fils
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)lisme et décadence. — Abbé Ract. In 8» illustré 8 50
ories. — R. P. Ratisbonne. In-8'' illustré 6 »
utions de collège : Mon crime. — P. Barbier. In-12 3 50
utions et discours. — Abbé Planus. In 12 ... : 3 50
Dnse de Liguori (Histoire de saint). — In-8° 4 »
7oise (Histoire de saint). — Mgr Baunard. In-8« 5 »
'Oise de Lombez (Vie de P.). — Abbé Bénac. In-12 1 50
?oise de Lombez (Lettres spirituelles du P.). — P. François de
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Antoine de Padoue (Saint) d'après des documents inédits. — P. Léo-
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Appel (De 1') comme d'abus dans l'ancien droit français. — Abbé
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Archéologie religieuse. Mobilier. — Abbé Mallet. In-S" illustré . .
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Arsène de Chatel Montagne (Le P.). — P. Hilaire de Barenton. In -8».
Art chrétien (Entretiens suri'). — Abbé Mallet. In-d2
Art (L'j du lecteur, du diseur, de l'orateur, — Maurice Castellar. In-12
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Ascétique chrétienne. — Abbé J. Ribet. In-8° écu
Assemblée épiscopale de Wurzbourg. — J. B. Sauze. In-8° ....
Astronomie de Ptolémée (L'j. — Abbé F. Nau. In-8'' raisin
Au ciel on se reconnaît. — P. Blot. In-18
Au pays des Rajahs. — P. Fortunat In-8' illustré
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Autour de l'histoire : Scènes et récits. — Mgr Baunard. In-S" écu.
Le même ouvrage. In-i2
Aux Enfants de Marie. Règles de conduite, ln-32
Auxiliaire de l'office divin (L'). — R. P. Pradel
Avant et après la sainte communion. — P. Ingold. In-32 jésus . . . Itéct
Avenir de Jérusalem (L'). — Abbé Augustin Lémann. In- 12 'H5
Barat (Histoire de la vénérable Mère Madeleine-Sophie). —Mgr Bau- H
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onaventure (Saint). — P. Léopold de Chérancé. In-12, gravure. . .
onnel de Longchamp (L'Abbé). — R. P. Henri Durand. In-32 jésus.
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ossuet : Lettres de direction. — Abbé Moïse Cagnag. In-12 ....
réviaire et la Messe (Le). —P. François de Bénéjag. In-16
rizeux : Sa vie et ses œuvres. — Abbé Lecigne. In-8'' raisin, portrait.
ibrières (Œuvres choisies de Mgr Roverié de). — In -8"
lisses (Les) de famille et les sociétés de secours mutuels. — Abbé
Camille Ragt. In-'t8. 1 25
ilendrier à l'usage des tertiaires de Saint-Dominique. In-32 raisin. 0 20
imille de l'Enfant-Jésus, née deSoyecourt(Vie de la R. Mère). In 8", '
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mtiques de Saint-Sulpice. In-18 cartonné 0 75
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ntus mariales. — Dom Pothier. In-16 jésus 3 »
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pucines de Flandre (Histoire des). 3 in-S", portraits' 10 »
pucins en Franche-Comté (Les). — Abbé J. Morey. In-12 3 75
ractère (Le). — J. Guibert. In-32 encadré 1 »
ractéristiques des saints (Les) dans l'art populaire. — P. Charles
Cahier. 2 gr. in-4% gravures. Net 64 »
frrière indépendante (Du choix d'une). — V. Bettencourt 3 »
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Catéchisme du Tiers Ordre dominicain. — R. P. H. -M. Cormier. In-32 j. 1
Catéchisme expliqué et illustré. — Abbé Adam. In-12, illustré. ... 5
Catéchisme simplifié. In-32 raisin 0
Catéchisme spirituel du Tiers Ordre de S. François. — P. Eugène
d'Oisy. In-32 raisin 0
Catechismus théologiens. — R. P. Matth^o Joseph. In-12 3
Catherine de Sienne (Histoire de S^e). — Cardinal Capegelatro. In-12 3
Catholiques, défendons notre foi! — H. Morice. In-12 2
Catholiques (Les) et l'Action libérale populaire. — Comte A.
DE MuN. In-S" 0
Causeries pédagogiques. — P. Bainvel. In-12 3
Centenaire (Le) des massacres de septembre à l'église des Car-
mes,'2, 3, 4 septembre (1792-1892). In-8» raisin 1
Ce qu'est saint Bonaventure. — P. Evangéliste de S. Beat. In-S" . . 0
Cérémonial du Tiers Ordre de S. François d'Assise. In-18 0
Cérémonial et office du Tiers Ordre de S. François d'Assise. In-18 . 1
Chaînes de saint Pierre (Histoire des). — Edmond Lafond. In-18 . . 0
Chantai (Histoire de sainte). — Mgr Bougaud. 2 in-8°, portraits. 15
Le même OUVRAGE. 2 in-12, portraits 8
Chant de la Ste Eglise (Le). Histoire, Théorie, Pratique. — L. D. S. In-B" 3
Chant liturgique à Paris (Histoire du). — Amédée Gastoué 2
Chants à Marie. — P. Lambillotte. Paroles, ln-48 cartonné 1
— Musique. In-18 4
— Accompagnement. In-8" Jésus, gravure 17
Charles Borromée (Panégyrique de saint). — Mgr Lagrange .... G
Chasteté (La). -^ Abbé de Gibergues. In-12 1
Chemin de la Croix. — Mgr Latty. In-S" Net 1
Chemin de la Croix des femmes chrétiennes. In-32 raisin 0
Choix de cantiques. — P. Lambillotte. Paroles, In-IB 1
— Musique. In-18 4
— Accompagnement. In-8° Jésus, gravure 12
Chrétienne à Rome (Une). In-12, gravures 3
Christ-Jésus (Le). — Abbé Désers. In-12 2
Christianisme et les temps présents (Le). — Mgr Bougaud. 3 in-S". 37
Le même ouvrage, o in-12 20
Christophe Colomb (Glorification religieuse de). — Abbé CasabiaxNga,
In-12 2
Christophe de Cahors (Le Bx). — P. Léopold de Cuérangé. [n-I2 . . 1
Chronicon civile et ecclesiasticum. — Mgr Rahmani. Jn-8» 10
Chrysostome (Saint Jean) : Antioche. — Abbé G. Marchal. In-12. . 2
Claire d'Assise (Sainte). — R. P. Léopold deChérancé. ln-12. ... 1 !
Claude de La Colombière (Histoire du P.). — P. E. Séguin. In-12,
portrait 3 !
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lef de la somme théologique de S. Thomas d'Aqiiin (La). Abbé
J. RiBET. In-12 0 75
lefs du Purgatoire (Les). Recueil de prières. In-3l2 jésus, gravure. 2 »
loriviére (Histoire du P. de). — P. J. Terrien. In-S" écii, portrait. 5 »
œur agonisant (Le). — P. Blot. In-18 1 »
tEur (Le) et ses richesses. — Abbé Lenfant. 10 Vol. in-16; chaque. 2 oO
e Cœur.
>, Cœur vaillant ou le courage
chrétien.
1 Royauté du cœur ou la douceur
chrétienne.
J Cœur à Gethsémani.
La Pureté du cœur.
Le Cœur d'or et la bonté chrétienne.
La Flamme de l'apostolat.
La Paix.
La Foi, ses conditions morales.
L'Amour de Dieu.
)ffret de papa Daguenet (Le). — P. Clinchamp. In-12 1 oO
)lette (Sainte) de Corbie. — Alph. Germain. In-12 2 »
)llège chrétien (Le). — Mgr Baunard. 2 In-S" écu 10 »
)llège des Bons-Enfants de l'Université de Reims (Histoire du) . —
gr Cauly. In-S" raisin, illustré 40 »
imbat spirituel. — Abbé Riche. In-32 raisin l 20
•mmentaire de l'Evangile selon saint Jean. — P. Libermann. In 8®
raisin 7 »
mpendium constitutionum fratnun Ordinis Praedicatorum. — In-32
raisin 1 73
mput ecclésiastique (Précis de). — Al. Montagnoux. ln-18 r. . . 1 »
ncordat (Quatre cents ans de). — Mgr Baudrillart. In-12. ... 3 50
ndren (Lettres et Conférences inédites du R. P. de). — E, Bonnar-
îET. In-8° raisin 1 »
nférences de Notre-Dame et Retraite de la Semaine Sainte (1891-
3), — Mgr d'HuLST. 6 in-S" écu avec notes"; chaque 5 »
nférences de Notre-Dame (1891-1896). Mgr d'HuLST. In-8°, sans
lotes. Chaque année 1 25
nférences de Notre-Dame (1835-1851). — P. Lacordaire. 5 vol. in-12 20 »
nférences de Nancy (1842-1843). — P. Lacordaire. 2 in-12 6 »
nférences de Notre-Dame (1837-1846), — P. deRavignan. 4 vol. in-12. 12 50
nférences (Quatre) sur la Foi chrétienne. — Abbé Désers. In-12 . 1 25
iférences (Cinq) sur la thèse de la séparation de l'Eglise et de
Etat. —Abbé Claraz. In-12 2 »
agrégations religieuses devant la Chambre (Les). — Comte A. de
^un. In-8o raisin 1 »
agrégations religieuses en France (Les). — In-i" 18 »
aseiller de la jeunesse (Le). — Abbé Lejard. Gr. in-18 2 m
aseils sur la vocation. — J. Guibert. In-18 raisin 0 60
asidérations sur l'état présent de l'Eglise de France.— Mgr Latty.
n-S» 2 »
istitution de l'Univers (La) et le dogme de l'Eucharistie. —
*. Leray. In-S» 5 »
Librairie POUSSIELGUE —6— PARl'
Constitutiones Fratrum, S. Ordinis Prœdicatorum. In-8o 7
Contes de Bellébat. — Paul Barbier. In-16 carré 2
Contre la séparation. De la rupture à l'Encyclique. — Comte A. de Mun.
in-12. 4
Conversion (La) d'un maréchal de France (maréchal Randon). In-12,
gravures 2
Corpus Scriptorum christianorum orientalium sous la direction de
M. J.-B. Chabot. — Collection orientale, analogue aux Patrologies
latine et grecque de Migne {Voir le catalogue spécial).
Courson iVie de M. de). In-12 avec portrait 4
Croire. — Abbé de Gibergues. In-18 raisin 3
Culture des vocations (La). — J. Guibert. In-IS raisin ....... 1
Curé d'autrefois (Un) : l'abbé de Talhouët (1736-1802). — M. Ch.
Geoffroy DE Grandmaison. In-12 3
Cyprien (Le Frère). — Mgr Laveille. In-S^ 4
Damas (Amédée de\ S. J. — P. Burnichon. In-S" écu avec portrait. . . 3
Dante et la Divine Comédie (Etudes comparées sur). — E. M. Ter-
rade. In-12 3
Darboy (Histoire de la vie et des œuvres de Mgr). — S. Em. le car-
dinal Foulon. [n-8°, portrait, autographe . 7
Décret de la Sainte Inquisition romaine. In-S 0
Devoirs des hommes envers les femmes (Les). — Abbé de Gibergues.
In-18 raisin 2
Devoirs d'un séminariste. — J. Guibert. In-32 r^iisin^ 0
Devoirs (Nos) envers Dieu. — Abbé Désers. In-i2 2
Devoirs (Nos) envers le prochain. — Abbé Désers. In- 12 2
Dévotion du très saint Rosaire (La). — ln-32 jésus 0
Diane d'Andalo (Les Bienheureuses Cécile, Aimée et). — R. P. Cor-
mier. In-12, gravures 1
Dictionnaire universel des sciences ecclésiastiques. — Abbé J.-B.
G LA' RE. 2 in-S" raisin 32
Diego de Cadix (Le Bienheureux). — P. Damase de Loisey. In-12. . 4
Dieu et l'homme. — Abbé Désers. In-12 2
Direction spirituelle dans les maisons d'éducation (La). — J. Gui-
bert. In-18 raisin 0
Directoire à l'usage des novices Dominicaines, ln-32 jésus 1
Directoire de la confrérie du Rosaire, ln-18 0
Directoire des Supérieures. In-I8 1
Directoire spirituel du tertiaire de S. François (Le). — P. Eugène
dOisy. In-18 raisin illustré i
Discipline (La) dans les écoles secondaires Libres. — P. Emmanuel
Barbier In-12 2
Discours de Monseigneur Bougaud. ln-8 avec portrait 7
Le même OUVRAGE. 3" rdition. In-12 avec portrait 4
Discours de Mgr d'Hulst pour le repos de l'âme de l'abbé Le Rebours.
ln-8'' raisin *
irairie POUSSIELGUE — 7 — PARIS
cours du comte Albert de Mun.
Questions sociales. In-12 . , 4 »
MIL Discours politiques. 2 in-12 • . . . . 8 »
V-V. Discours et écrits divers (1888-1894). 2 in-12 8 »
-VII. Discours et écrits divers (1894-1902). 2 in-12 8 »
icussion concordataire (La). — S. Em. le cardinal Perraud. In-12 , i »
isertation sur l'indulgence de la Portioncule. — R. P. Laurent.
n-18 0 80
ctrine Catholique (Exposé de la) en tableaux synoptiques. — Le
)ogme. — AbbéPoEv. ln-8'' 1 SO
strine chrétienne (Abrégé de la). — In-18 0 25
ctrine chrétienne (Traité de la). — Louis de Grenade, 2 in-12 , . 4 50
ctrine de l'Amour. — Abbé de GiBERGUES. In-18 raisin 3 »
ctrine religieuse. — R. P. Ambroise Potton. In-18 1 75
ctrine socialiste (La). — M. Maisonabe. In-12 2 50
gme de la vie future (Le) et la libre-pensée contempc raine. —
'. Lescceur. ln-12 3 75
minique (Vie de saint). — P. Lacordaire In- 12, gravure 3 »
.E MÊME ouvrage. Edition illustrée parle P. Besson. In 8° raisin. 12 50
ileur (De la) . — Mgr Bougaud. ln-16 carré 3 75
ate et ses victimes iLe) dans le siècle présent. — 3îgr Baunard.
Q-12. 3 75
îhesne (Histoire de Mme). —Mgr Baunard. In-42 3 »
Danloup (Vie de Mgr). — Mgr Lagrange. 3 in-8'', 2 portraits. . . 22 50
E MÊME ouvrage. 3 in-12 10 50
)ont des Loges (Vie de Mgr). —Abbé F. Klein. In-S» écu 5 »
)ont des Loges (Œuvres choisies de Mgr). — In-S' écu, portrait. 6 »
its spirituels du V. P. Libermann. — In-12 3 50
icateur apôtre (L') : Sa préparation, l'exercice de son apostolat.
- J. GuiBÉRT. In-18 raisin 2 »
ication de la jeunesse par le prêtre (L'), — P. Lambert. In-12. . 2 »
ication et patriotisme. — E. IVI. Terrade. In-12 3 »
ication nouvelle (L'). — M. J. Chobert. In-16. ......... 0 50
ise catholique (L') . — Abbé Désers 2 50
ise (L') de France sous la Troisième république, 1870-1878. —
ECANUET. In-8° écu 5 »
lise (L') de France sous la Troisième république (pontificat de
éon XIII) 1878-1894.— Lecanuet. In-8° écu on
ise (L') et le droit romain. — M. de Monléon. In-12 3 »
ise et l'Exposition (L'). — P Coubé. In-12 0 30
vations poétiques et religieuses. — Marie Jenna. In-12 3 »
vations sur les grandeurs de Dieu. — R. P. Cormier. In-i8. . 1 »
jabeth de Hongrie (Sainte). — Abbé Ant. Saubin. In-12 1 50
s (Du nombre des). — Dom B. Maréchaux. In-32 raisin 1 »
ery (Histoire de M.) et de l'Église de France pendant la Révolu-
ion et l'Empire. — Mgr MÉRic. 2 in-12 portrait 5 o
Librairie POUSSIELGUE — 8 —
Enard (Souvenirs de deuil de Mgr). — In-8° illustré
Encycliques de N. T. S. P. le Pape Léon XIIL Texte et traduction
française. In-S".
Sur les principaux devoirs des chrétiens {Sapientiœ christianœ) . .
' Sur l'abolition de l'esclavage {Catholicœ Ecclesiœ).
Sur la condition des ouvriers (Rerum novarum)
Aux Catholiques de France. Texte français
Aux princes et aux peuples de l'univers (Prœclara gratulationis).
Sur le rosaire de marie {Jucunda seinper)
Sur LA propagation de la foi {Chris H nom en)
De l'unité DE l'église (Safiscog'?n7Mm)
Sur l'interdiction et la censure des livres {Officiorum ac munerum) .
SvR L¥. Saint-Esprit (Divinum iliud munus)
Encycliques de N. T. S. P. le Pape Pie X. Traduction française seule.
In-S".
Pour annoncer son avènement [Ex supremi aposiolatus cathedra).
Sur l'Immaculée conception [Ad Diem illum lœtissimum)
A l'occasion du centenaire de s. Grégoire le Grand
Sur la séparation {Vehementer}
Gravissimo
Une fois encore
Lamentabili
Sur les doctrines des modernistes
Enfant prodigue (L'). — Abbé P. Barbier. In-12
Epitoma ordinationum editarum pro provincia Tolosana Ordinis
prœdicatorum. — In-32 raisin
Épîtres et Évangiles des Dimanches et Fêtes. — In-dS
Epreuves d'un évêque français (Mgr de Gain-Montaignac) pendant la
Révolution. — Abbé Duffau. In-8o
Espérance. — Mgr Baunard. In-12.
Essai sur l'organisation des études dans l'ordre des Frères Prê-
cheurs (1216-1342). —Mgr Douais. In-S"
État des Études théologiques. —Mgr Douais. In 12
État et ses rivaux dans l'enseignement secondaire (L'). — P. Burni-
CHON. In-12
Études philosophiques et religieuses sur les écrivains latins. —
Abbé M. MoRLAis. In-12
Études musicales (Deux). — P. Placide. In-8° 1
Eucharistie et le mystère du Christ (L'). — P. Marie Bonaventure
de Segré. In-4% gravure
Eucologe romain à l'usage des collèges. — Gros in-I8, broché. . . .
Évangile (L') au Japon au XX^ siècle. — Alfred Ligneul, abbé S. Ver-
RET. In-12 avec portrait 3
Évangile du pauvre (L'). —Mgr Baunard. In-12 3
Évangile du Sacré-Cœur. — Abbé Vaudon. In-12 3
Évangiles (Les quatre). — Lemaistre de Sacy, Abbé 'Verret. In-12
illustré. Broché. 3 fr. — Toile pleine 3
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angiles des Dimanches. — Abbé Bouisson. 2 vol. in-12 7 »
amen de la question de lopération césarienne posthume. —
Debreyne. In-8° 1 25
égèse nouvelle (Les doctrines de l'abbé Loisy). — P. Hilaire de
Jarenton. In-8° 1 »
ercice mensuel de la préparation à la mort. — R. des Fourniels.
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ercices spirituels de saint Ignace de Loyola. — P. Roothaan et
'. Jennesseaux. In-12 3 »
ercices spirituels de saint Ignace de Loyola. — P. Pierre Jennes-
eaux. In-32 raisin, sans notes 0 80
plication des cérémonies de la Grand'Messe de paroisse. — Olier.
îros in-32 raisin 1 25
plication du Pater. — Abbé Gayrard. In-12 2 50
pulsion des capucins de Paris, le 5 novembre 1880. — In-8'' . . 1 25
E même ouvrage, édition illustrée. In-8° 4 »
mard (Le R. P.) ou le prêtre de l'Eucharistie. — In-32 jésus ... 0 75
isification des substances sacramentelles (De la). — P. F. Pie-
Iarie Rouard de Gard. In-8» 1 »
nme raisonnable et chrétienne (La). — Abbé Rocher: In-12 ... 3 50
lelon, directeur de conscience. — Abbé Moïse Gagnag. In-12 . . 3 50
lelon. Lettres de direction. — Abbé Moïse Gagnag. In-12. ... 3 50
lelon. Lettres à la duchesse de Ghevreuse. — Abbé Moïse Gagnag.
i-S" 1 »
lelon (Pensées choisies). — Abbé Moïse Gagnag. In-32 1 »
rand (Éloge funèbre du docteur). — Abbé J. Fonssagrives. In-8'',
Drtrait. 1 »
veur (La). — M. de Gibergues. In 12 1 50
es chrétiennes. — Abbé Bouisson. 2 vol. in-12 7 »
èle de Sigmaringen (Saint). — P. Fidèle de la Motte-Servolex.
1-12 1 50
retti de S. François d'Assise. — M. Ghaulin. In-12 . 1 50
ars de la solitude. — In-32 raisin, avec cantiques 1 »
usiQUE DES CANTIQUES dos Fleuvs de la solitude . 0 25
ars dominicaines. — M. Th. de Bussierre. In-12 2 »
(La) en Bretagne. Hier et aujourd'hui. — AbbéMiLLON. In-S" . 4 »
et ses victoires (La). — Mgr Baunard. 2 vol. in-12 7 50
esta (Albéric de). — R. P. Régis de Ghazournes. In-12 portrait. 3 50
Ion (Œuvres pastorales de Mgr). — 2 in-S» 8 »
nce catholique en Orient (La), — P. Hilaire de Barenton. In-8»
lisin, gravure et carte 3 »
nçois d'Assise (L'esprit de saint). — P. Bernardin de Paris. 2 in-18
lisin 6 »
nçois d'Assise (Histoire populaire de saint). — Anatole de Ségur.
1-18 raisin 1 25
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François d'Assise (Saint). — P. Léopold de Chérancé. In-18 Jésus,
portrait. . 2
François d'Assise (Saint). Étude médicale. — D^ Cotelle. In 12 . . 1
François d'Assise (Opuscules de Saint). — P. Ubald d'Alençon. In-18. 1
François d'Assise (Saint) et le bréviaire romain. — P. Hilarix de Lu-
cerne. In-8o 0
François (Vie de Saint). — P. Bernard d'Andermatt. 2 in-12. ... 3
François de Sales (Saint). Lettres de direction. — Abbé Moïse Cagnac.
ln-12 3
Frédéric II ou les derniers Hauhenstaufen. — P. Clinchamp. In-12. 1
Frères des Écoles chrétiennes. — A. Chevallier. In-S» 4.
Frère (Monsieur) et Félix Dupanloup. — Abbé Daix. In-12 3i
Gabriel de Dinan (Vie du R. P.). — P. Bernard de Mayenne. In-12,
portrait 0
Gailhac (Le R. P.). — P. Maymard. In-S», portrait 3
Généralats du cardinal de Bérulle, des PP. de Condren, Bourgoing,
Senault, de Sainte-Marthe, etc. — P. Gloyseault. 3 vol. in-12, grav. 12
Géographie de l'Afrique chrétienne. — Mgr Toulotte. In-S" .... 4
Gerson (Jehan). — Abbé Lafontaine. ïn-12 3
Gethsemani et la voie douloureuse. — Mgr Latty. In-12, gravure . 2
Ghebra-Michaël, Lazariste (Un martyr abyssin). — Coulbeaux. . .
Gildas (Saint) de Ruis. — Abbé Fonssagrives. In-12, gravures ... 3
Gouvernement de l'Eglise (Le). — Abbé Lafarge. 2 in 8°.
I. Droit public. — II. Droit privé. Chaque volume 7
Grand séminaire de Dax. — Chanoine Lahargou. In-8o 5
Grec et le latin (Le). — Abbé Cliquennois. In-8° 6
Grégoire de Nazianze (Saint). — Abbé A. Benoit. 2 in-12 7
Gregorii Nazianzeni Garminibus (De D.). — Thesis facultati littera-
rum Parisiens!. In^" raisin
Grignion de Montfort (Le B'). — Mgr Laveille. In^» écu
Guibert (Vie de S. É. le cardinal). — Abbé J. Paguelle de Follenay.
2 in-8o écu, portraits 10
Guide du Pèlerin à Saint-Séverin de Paris, — Abbé de Madaune.
In-12 1
Heure de garde (L'). — P. Marie-François. In-32 jésus 1
Heure sainte (L'). — Abbé Louis Gillot. In-18 0
Heures sérieuses d'une jeune femme. — Ch. Sainte-Foi. In-18 raisin. 2
Heures sérieuses d'un jeune homme. — Ch. Sainte-Foi. In-32 .... 1
Heures sérieuses d'une jeune personne. — Ch. Sainte-Foi. In-32 raisin 1
Histoire de la paroisse de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. — Abbé
Casanbianca. In-8o, Net 6
Histoire de l'Église. — Abbé Ch. Menuge. In-12 2
Histoire de la religion catholique. — Abbé Ch. Menuge. In-12. ... 4
Histoire sainte. — Abbé Ch, Menuge. In-12
Histoire des spirituels dans l'Ordre de saint François. — R. P. René,
0. M. C. In-8''
•brairie POUSSIELGUE — 11 — PARIS
onoré de Paris (Histoire du Père). — Abbé F. Mazelin. Petit in 8°, 4 »
ospitalières et des garde-malades (Manuel des). — M. Ch. Vincq.
In-8'' écu, 250 gravures. Toile 6 »
ulst (A la mémoire de Mgr Maurice Lesage d'Hauteroche d'). —
In-S" raisin, portrait 1 50
ulst (Apostolat intellectuel de Mgr d'). — Mgr Baudrillart .... 0 50
ulst, député (Monseigneur d'). — Abbé Emile Gavé. In-12 3 50
ulst (Monseigneur d') et le P. Lacordaire. — Chanoine Philippet.
In-S" raisin 1 50
ulst intime (Monseigneur d'). — Louis Thiéblin. In-12 0 40
[ulst (Oraison funèbre de Mgr d'). — Mgr Toughet. In-S" raisin. . . 1 »
iulst (Lettres de direction de Mgr d'). — Mgr A. Baudrillart. In-8' écu 5 »
[ymnes du bréviaire romain (Les). — Abbé Pimont. In-8° raisin.
HyxMNes dominicales et fériales du psautier 7 50
Hymnes du temps {Carême, Passion, Temps de Pâques, Asceîisioji,
Pentecôte, Trinité, Saint- Sacrement) 5 »
[ymni de Virginitate (S. Ephraemi). — Mgr Rahmani. In-S" 17 »
dée (L') ou critique du Kantisme. — Abbé G. Piat. In-8° écu. ... 6 »
dées de Saint François d'Assise sur la pauvreté (Les). — P. Ubald
d'Alençon. ln-18 raisin 0 30
dées de Saint François d'Assise sur la science (Les). — P. Ubald
d'Alençon. In-18 raisin 0 30
dylles de Jeanne (Les). — Abbé Paul Barbier, ln-16 raisin 1 25
imitation de Jésus-Christ. — Traduction inédite du xvii* siècle. Ad.
Hatzfeld. Gros in-32 raisin, gravure 1 50
mmaculée Conception (L') à l'Institut catholique de Paris. 8 dé-
cembre 1904. lo-S» 2 »
mpositiondes mains dans la consécration des évêques (L'). — M. T.
A. Lacey. In-8'' Jésus 1 »
adulgences du Très Saint Rosaire. — Une feuille (80 x 65). . . . . 0 50
ndulgences plénières (Ordo des). — Abbé Grimaud. In-18 jésys. . . 1 75
nitiative au collège (L'). — P. Barbier. In-12 0 60
nstitut catholique (L') de Paris (1875-1907). — Mgr P.-L. Péchenard.
In-8', gravures •. 4 »
nstitutions de Cassien. — M. E. Cartier. In-12 2 »
ntroduction à la vie bienfaisante. — Mgr BoLo. In-12. ....... 350
ntroduction à la vie dévote de Saint François de Sales. — Abbé
Bollenger. In-12 3 50
Le même ouvrage. ln-8° 5 »
-._x„„„+^^^ concernant les derniers écrits de l'abbé Loisy. —Mgr
1 25
^ »
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Jandel (Vie du Révérendissime Père Alexandre-Vincent). — R""*
P. H. M. Cormier. In-8", portrait j
Jacquemet (Vie de Mgr A.). — Abbé Victor Martin. In-8% portrait .
Javouhey (Anne-Marie). — Chanoine Chaumont. In-S" 2
Jean (L'Apôtre saint). — MgrBAUNARD In-i2, gravure
Jean Forest (Le B'). — P. Thadée. In-S" 0
Jeanne d'Arc, sa mission surnaturelle, son martyre.— Mgr Enard. In-S» 0
Jeanne d'Arc franciscaine. — P. Henri DE Grèzes. In-S» 0
Jeanne d'Arc et la France. — P. Léopold de Chérancé. In-18. ... 0
Jeanne d'Arc (Vie intérieure de). — M. Olivier Lefranc. In-16 carré,
encadré bleu
Jeanne d'Arc (Les Béatitudes). — Mgr Lecqeur. In-8o 0
Jeanne d'Arc et la mission de la femme. — Abbé de Gibergles ... 0
Jeanne d'Arc. — Chanoine Lenfant. In-8<' 0
Jeanne d'Arc (La Bienheureuse). Panégyrique. — Mgr Latty. In-8°. 1
Jeanne d'Arc et ses vertus. — P. de Bernard. In-18 0
Jeanne d'Arc (Les paroles de). — Préface J. Guibert. — A. Froment.
Inl2 3
Jeanne de France (Histoire de sainte) (1464-1505). — Mgr Hébrard.
In-8'' écu 5.
Jérôme de Corleone (Vie du serviteur de Dieu, Fr.). — P. Arsène de
Chatel. In-12, portrait 2
Jérôme (Lettres choisies de saint). — Mgr Lagrange. In-12 3
Jésus-Christ. — P. LEscœuR. In-12 3
Jésus-Christ. — Mgr Bougaud. In-32, encadré 1
Jésus-Christ (Vie de N.-S.).— D' Sepp, M.Charles Sainte-Foi. 3in-12,
avec carte 9
Jésus-Christ (Vie de Notre-Seigneur). — Abbé Puiseux. In-12, gra-
vures. Broché, 1 50. — Toile pleine 1
Jésus-Christ et la Femme.— Approuvé par S. G. l'Evêque de Quimper.
In-12 " 3
Jeune fille de demain (La). — Abbé Moïse Cagnac. ln-12 1
Jeunesse chrétienne (La). — Ses devoirs — Ses tentations — Ses sauve-
gardes — Au seuil de l'avenir. — Abbé P. Barbier. ïn-16. Chacun. 2
Je vais à Jésus. — Abbé Casabianga. In-16 1
Joseph (Le T. H. Frère). — Abbé Paguelle de Follenay. In-8» .... 0
Joyeux passe-temps de la jeunesse. In-12 1
Jubilé de l'an 1300 (Le Grand) et la Divine comédie de Dante. — E. M.
Terrade. In 8" 1
Julien de Spire (Frère) et la légende anonyme de saint François.
— P. HiLARIN de LUCERNE. In-8» 1
Just de Bretenières (Vie de). — Mgr d'Hulst. In-12, portrait 3
Lacordaire (Vie intime et religieuse du R. P.). —[P. Chocarne. 2 vol.
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Lacordaire (Lectures choisies du R. P.). — In-32 allongé. Chacun des
3 volumes 2
L'Eglise. — Jésus-Christ. — Les Vertus.
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icordaire (Lettres du R. P.) à Théophile Foisset. 2 in-8» 12 50
icordaire (Lettres du R. P.) à un jeune homme sur la vie chrétienne.
In-32 1 23
icordaire (Notice sur le R. P.). — In 12 0 50
icordaire (Œuvres du R. P. Henri-Dominique). — 9 in-S" 50 »
Les mêmes. 9 volumes in-12 30 »
icordaire orateur. — Favre. In-S" raisin, portrait 7 50
cordaire (Souvenirs). — J. Cauviêre. In-S" 0 25
cordaire (Pensées choisies du R. P.). — P. Ghogarne. 2 vol. in-32 . 3 »
tcunes (Quelques) dans les études théologiques. — P. Evangéliste de
Saint-Béat. In-8» 0 50
Mennais (Jean-Marie de). — Mgr Laveille. 2 in 8" écu. 2 portraits,
un autographe 10 »
isserre (Henri), son testament spirituel. — Chanoine Bruzat. In-12. 4 »
tin (Le) dans les séminaires. — J. Guibert. In-8'' 0 30
vigerie (Le Cardinal). — Mgr Baunard. 2 in^" écu, 2 portraits. . . 9 »
ivigerie (Œuvres choisies de S. É. le cardinal). —2 vol. in-8'. ... 12 50
ivigerie (Oraison funèbre du cardinal). — Mgr Baunard. In-8» ... 1 »
vigerie (Oraison funèbre du cardinal). — Mgr- Cartuyvels. In 8° rai-
sin, portrait 1 »
zaristes à Madagascar au XVIIe siècle (Les). — M. Henri Froide-
vaux. In-12, cartes et gravures 2 »
cture s chrétiennes (Choix de). — In-18 raisin 3 »
ctures et prières. — Abbé Ch. Danjou. In-18 0 60
ctures pour chaque jour. — P. Chogarne. 2 in-32 Jésus. ...... 5 »
gende des trois compagnons : La vie de saint François d'Assise.
In-18 1 »
gende monastique et page d'histoire contemporaine.— Dom Lucien
)avid. In-4° illustré 2 »
Gras (Histoire de MademoiseUe). [Louise de Marillac), 1591-1660.
- Mme la comtesse de Righemont. ln-8», autographe 7 50
Le même ouvrage. In-12, autographe 3 50
lièvre (Ernest) et les fondations des Petites Sœurs des Pauvres.
Mgr Baunard. In-8'' écu, portrait 4 »
onard de Port-Maurice (Saint). — P. Léopold de Chérancé. ln-12 . 1 50
ttre sur l'utilité de l'instruction scientifique dans le clergé. —
Vigr Baunard. In-S" raisin 0 75
ttres de direction de Mgr d'Hulst. — Mgr A. Baudrillart. In-S» écu 5 »
ttre à un ami sur le Tiers Ordre franciscain. — In-32 G 10
ttre à un étudiant en Ecriture Sainte. — P. Cormier. In-12. . . 0 60
ttre à un jeune bachelier sur les objections modernes contre la
religion. — Abbé Désers. In-12 1 »
ttre à un jeune bachelier sur la virilité chrétienne du caractère.
- Abbé Désers. In-12 1 »
ttre à un novice. — In-32, net 0 15
ttre aux élèves de son grand séminaire. — Mgr Latty. In-S» . . 1 »
Librairie POUSSIELGUE — 14 — P^tl
Lettre aux directeurs de son grand séminaire. — Mgr Latty. In-S"
Lettre sur les dangers de l'hypercritique. — Mgr Latty. In-.8® . .
Lettre sur l'usage de la langue latine. — Mgr Latty. In-S» ....
Lettre aux nouveaux directeurs de son grand séminaire. — Mgr Latty.
In-8«
Libermann (Vie du vénérable P. F.). — Cardinal Pitra. In-8° . . .
Libermann (Lettres spirituelles du vénérable). — 3 in 12 1
Liberté de l'enseignement (La) et ses nouveaux adversaires. — In-8o
raisin
Litanies (Soixante-quatorze). — Abbé Sauceret. ln-18
Litanies de la sainte Vierge. — Mgr Le Courtier. In-32 raisin. . .
Liturgie grecque (La) de saint Jean Chrysostome. — Abbé Dabbous.
In-12, illustré
Livre d'or du Chemin de la Croix. — P. Ubald. In-32, illustré. . .
Livre de Messe (Le premier). — Marie Jenna. In-32, 2 gravures. .
Livre de la première Communion et de la Persévérance (Le). —
Mgr Baunard. Gros in-32 raisin, format carré
Le même ouvrage. Texte orné d'encadrement. Grand in-18 carré .
Livre (Petit) des Congrégations de la Sainte Vierge. — P. Brucker.
In-3:2 allongé
Livre de piété pour élèves de l'enseignement secondaire libre. —
Abbé Chabot. In-o2 raisin
Livres d'hier et d'autrefois. — M. Clément de Paillette, ln-12 . .
Livret du tertiaire franciscain. — In-18
Louis (Saint), prisonnier en Egypte. — Abbé Nourry. ln-12. . . .
Luc (Saint) et les anciennes Facultés de médecine. — D^ H. Dau-
chez. In-8o illustré
Macbeth de Shakespeare, traduction. — Abbé Lalot. ln-12
Madagascar. — Histoire et géographie. Texte français et malgache.
— P. P. Cadet et Thomas. In^» carré, cartes, plans, gravures . .
Maillé (La Bienheureuse Jeanne-Marie). — P. Léopold deChérancé.
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Maison des Carmes (La). — Abbé Pisani. In-18, plan
Maîtrise de Notre-Dame de Chartres (L'ancienne). — Abbé Clerval.
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Malebranche (Vie du R. P.). — P. André, ln-12
Manuel de dévotion à saint François d'Assise, à l'usage des ter-
tiaires. — ln-32 raisin
Manuel de la jeune fille chrétienne. — Abbé Chevojon. In-32 ....
Manuel de la jeunesse chrétienne. — Millaut. ln-18 broché
Manuel de l'étudiant chrétien en vacance. — Abbé Courval. ln-18 .
Manuel de piété. — Abbé Janel. In-32 raisin
Manuel des Enfants de Marie, à l'usage des élèves des religieuses de
Saint-Maur. In 32 Jésus
Manuel des Enfants de Marie Immaculée, à l'usage des réunions diri-
gées par les Filles de la Charité. Gros in-32 Jésus avec gravure . .
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inuel des Enfants de Marie. — P. A. Cahour. In-32 jésus .... 1 »
nuel des Frères et Sœurs du Tiers Ordre de saint Dominique. —
'. RoussET. In-18 raisin 1 50
inuel des mères chrétiennes (Nouveau). — P. Théodore Ratisbonne.
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muel des œuvres.— Institutions religieuses et charitables (1900). In-12 4 »
inuel des ouvriers de saint François-Xavier et de la Sainte-
'amille. — In-18 cartonné 0 3o
muel des personnes associées à la confrérie du Rosaire. — In-18. 0 2o
nuel du saint Rosaire, sa science doctrinale et pratique. —
'. Matthieu-Joseph Rousset. In-18 raisin 2 »
'artie complémentaire. — In-18 raisin 1 75
muel (Petit) du très saint Rosaire. — P. M.-J. Rousset. In-18 . . 0 60
rguerite de***. Une fleur cueillie au printemps de la vie. —
'etit in-S", 2 portraits 3 50
rguerite de Cortone (Sainte) — P. Léopold de Chérancé. In-12 . . 1 75
irguerite du Saint-Sacrement (La Vénérable). — Abbé Deberre.
n-12, 2 gravures 3 50
irguerite-Marie (Histoire de la bienheureuse). — Mgr Rougaud. In-8° 7 »
E MÊME ouvrage. In-12 3 75
irguerite-Marie (Vie de la vénérable mère). — Mgr Jean-Joseph
Languet, Mgr L. Gauthey. In-S" raisin, portrait 6 »
Le MÊME ouvrage. In-12 4 >)
irguerite-Marie Alacoque (Vie de la Bienheureuse). — Le monas-
ère de Paray-le-Monial. — In-12 2 73
iri, Père, Apôtre. — Abbé de Gibergues. In 18 raisin 2 50
irie de l'Incarnation (Histoire de la vénérable Mère). — Dom
jlaude Martin, Abbé Léon Chapot. 2 in-S" écu, 2 portraits 8 »
irie Jenna, sa vie et ses œuvres — Jules Lacointa. Étude suivie
le lettres de Marie Jenna. In-12 3 50
irie Jenna (Lettres de) à M. Albin Goudareau. — In-8' 3 50
irie-Madeleine (Sainte). — P. Lacordaire. In-32, encadré 1 25
irie-Térèse (Vie de la Mère). — Mgr d'Hulst. In-12, 2 portraits . . 2 50
irillac(La Vénérable Louise de). — Mgr Raunard. In-S» écu, portrait 5 »
iriotte (Le R. P. Dominique), prêtre de l'Oratoire, ln-18 1 »
irtinengo (Vie de la Rse Sœur Marie-Magdeleine), Comtesse de
Barco. — P. Ladislas de Vannes. In-S" 3 »
artyrologe de l'Ordre des Frères Mineurs (Essai de). — P. Edouard
d'Alençon. In-8o 1 25
artyrologe romain. — Traduction nouvelle, revue et mise à jour jus-
qu'en 1898, avec supplément (1907). In-8°. . ; 6 »
artyrs d'Avignon (Histoire des). — Abbé M.-R. Carrière 0 50
irtyrs français (Deux) au XVII^ siècle. In-12 0 75
artyrs (Deux) capucins. Les PP. Agathange de Vendôme et Cassien
ie Nantes, Capucins. — P. Ladislas de Vannes. In-12 2 »
1 vie avec Jésus. — In-32 jésus 0 80
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Maximes spirituelles du V. F. Jean de Saint-Samson. — P. Sernin-Marie
DE Saint-André. In-12 3
Mechler (Le Chanoine). — P. Ingold. In-8° 2
Médaille miraculeuse (La). — M. Aladel. In-12, gravures 3
Méditation sur la Sainteté et la Vie des Saints. — Henri Bremond. In-16 0
Méditations ascétiques pour tous les jours de l'année (Courtes)
— Joseph de Dreux, P. Salvator de Bois-Hubert. In-12 2
Méditations de la vie du Christ (Les). — Saint Bonaventure, M. H. de
RiANCEY. in 18 raisin. • • ^
Méditations pour servir aux retraites. — M. Collet. In-12 1
Méditations pour tous les jours de l'année sur la vie de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ. — P. Hayneuve, J.-M. Guillemon. 4 in-12. ... 12
Méditations pour tous les jours de l'année. — Abbé D. Bouix. 4 in-12. 10
Méditation quotidienne (Considérations pour la). — Abbé Gayrard.
4 in-12 12
Méditations sur les saints des trois ordres.— P. Ladislas de Paris. In-S" 1
Méditations à l'usage des missionnaires capucins. — P. Ladislas de
Paris. In-18, net 1
Méditations sur la vie présente et future. — P. Théodore Ratisbonne.
In-18 0
Méditations sur l'emploi de l'école. — Frère Philippe. In-12 2;
Méditations sur les principales obligations de la vie chrétienne et de
la vie ecclésiastique. — Abbé Chénart. 2 vol. in-18 2
Méditations sur tous les Evangiles du Carême et de la semaine de
Pâques. — P. Pététot. In-12 4
Méditations sur saint Joseph. — F. Philippe. In-12 2
Mélanges oratoires. — Mgr d'Hulst. 7 in-S" écu, chaque volume ... 4
Mélanges philosophiques. — Mgr d'Hulst. In-8'' écu 5
Mélanges. — Mgr d'Hulst, 2 volumes {Tome III et IV sous presse)
Chaque volume 4
Mélanges Mabillon. — In-8" 10
Melun (Le vicomte Armand de). — MgrBAUNARD. In-8" écu 4
Mémoire de la mission des Capucins près la reine d'Angleterre
(1630 à 1669). — P. Cyprien de Gamaches, P. Appolinaire de Va-
lence. In-12 5
Méthode pour réciter le Rosaire.— D'après le B. Grignion de Mont-
fort, 8 pages in-32. La douzaine 0
Meysson (Vie intérieure du Frère Marie Raphaël H.). — P. F. Pie
Bernard. In-12 3
Miettes évangéliques. — P. Théodore Ratisbonne. In-12 3
Miracle de saint Dominique à Soriano (Le). — P. Fr. Marie Rouard
DE Card. In-8° 1
Mission (Une) en Ethiopie. — P. Alfred de Carrouges. In-12. . . 1
Mois d'avril (Le) consacré à la Sainte Face. — P. Exupère de Prats-
de-Mollo. ln-32 0
Mois de Marie. — Abbé J. Ribet. In-16 raisin 2
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ois de Marie à l'usage des femmes chrétiennes. — M. de Mézange
DE Saint-André. In-16 carré 2 »
ois de Marie de Notre-Dame de Séez. —Abbé Courval. In-18 . . 1 50
ois de Marie du clergé. — P. Constant. In-32 raisin 1 50
ois de Marie et du Rosaire (Entretiens pratiques pour les). — Abbé
André de Lapparent. In-16 carré 1 50
ois de sainte Elisabeth de Hongrie. In-32 raisin 0 60
ois de saint Joseph (Le). — M^'' Netty DU Boys. In-32jésus. ... 1 »
ois séraphique de saint Joseph. — P. Eugène d'Oisy. In-32 .... 0 60
ois du Sacré-Cœur de Jésus. — A. M. D. G. In-32 0 75
ois (Petit) du Sacré-Cœur de Jésus. — A. M. D. G. In-32 .... 0 50
ois du Sacré-Cœur, extrait des écrits de la Bienheureuse Margue-
rite-Marie. — In-32 Jésus 1 25
onique (Histoire de sainte). — Mgr Bougaud. In-12 4 »
ontalembert, d'après ses papiers et sa correspondance. — P. Leca-
NUET. 3 volumes in-8" écu, portraits. Chacun . . 5 »
orale (La) dans ses principes. — Abbé Desers. In-12 2 50
orale sociale. — Abbé S. Verret. In-12 1 60
orale personnelle. — Abbé S. Verret. In-12 1 60
orales d'aujourd'hui et morale chrétienne. — Abbé Desers. In-12 . 2 »
oyens de développer par l'éducation, la dignité et la fermeté du
caractère (Des). — Chanoine G. Ginon, In-18 raisin 1 25
ystique divine (La). — Abbé J. Ribet. 4 volumes in-S" écu. ... 20 »
italité. — Abbé C. Ract. In-8», illustré 4 »
mvaines (Deux) au S.-C. de Jésus. — P. Cormier. In-32 jésus ... 1 »
îuvaine en l'honneur de saint Dominique. — Abbé Trichaud. ln-32 0 40
uvaine en l'honneur de sainte Catherine de Sienne. — Abbé Tri-
.HAUD. In-32 0 40
luvaine en l'honneur du Saint-Esprit. — P. Marianus. In-18. . . 0 30
irbert (Le P.) de la Croixille. — P. Dieudonné. In-S" 1 »
rmaliens dans l'Eglise (Les). —Mgr Baudrillart. In-16 1 »
tice sur l'association des familles consacrées à la Sainte Famille
ie Nazareth. — 6 pages in 32. Les dix exemplaires, net 0 25
tre-Dame de la Trappe de Staouéli. - Abbé G. Chollet. In-S» écu, ill . 2 50
tre religion. — Abbé H. Delor. In-8'' 4 »
s Martyrs (1789-1798). — P. Léopold de Chérancé. In-12, ..... 2 50
ivum Testamentum D. N. J. C. — In-32 raisin, encadré 1 25
ivre de l'exposition et adoration nocturne (L') du Très Saint-Sa-
rement, en France et à l'Etranger. In-18 jésus 3 »
ace (Le Saint), considéré au point de vue de la piété. — L. Ba-
guez. In-12, gravure 3 »
Sce de la Divine Providence (Petit). In-32 . 0 15
îce de la Sainte Vierge (Petit) et petit Office de l'Immaculée Con-
eption. In-32 encadré 0 30
îce de la sainte Vierge, suivant le rit romain (en latin), sans ren-
dis. In-32 0 30
Le même. In-18 groa cjracLeres 1 »
Librairie POUSSIELGUE — 18 — P
Office de la sainte Vierge, rit franciscain. In-32 0
Le même. In-18 0
Office de la sainte Vierge, rit dominicain. In-32 raisin 1
Le même. In-18gros caractères
Offices de l'Eglise, complets, expliqués et annotés. — M* de Barberey.
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Office du très saint Sacrement sur^rant le rit romain, en latin et en
français. In-18 1
Le même. In-8° Jésus, gros caractères 5
Offices en français (Petits). In-32, encadré 0
Olier J.-J. (1607-1657.). — Abbé G. -M. de Fruges. Jn-12 3
Olier (Lettres spirituelles de M.). — 2 in-32 raisin 2
Oraison (L'). — Abbé Gillot. In-12
Ouverture de conscience (L'). Texte et commentaire du décret du 17 dé-
cembre 1890. — P. Pie de Langogne. In-18 raisin 1
Paedagogus asceticus novitiorum regulariorum instructor singulari-
té? propositus ac praefixus novitiis ordinis. F. Praedicatorum. In- 18 0
Pages amies : Aux collégiens et à leurs maîtres. — P. Suau. In-12 . 1
Pages d'Evangile. — Abbé Planus. 3 in-12. Chacun 3
Par l'Espérance. — Abbé de Gibergles. In-18 raisin 3
Paroissien de la jeune fille (Le). — Mlle Juliette Saglio. In-18. ... 1
Pasteur apostolique (Le). — P. Ducos. P. Bion. 2 in-12 ....... 2
Pasteur des petits agneaux (Le). — Abbé Laden. In-18 raisin. ... 2
Paul (Vie de saint). — AbbéVix. In-S" raisin 4
Paule (Histoire de sainte). — Mgr Lagrange. In-12 4
Paulin de Noie (Histoire de saint). — Mgr Lagrange. 2 in-i2, grav. 6
Pèlerinage de Claude Albany. — 0. Righemont. In-12 2
Pensées d'un chrétien sur la vie morale. — M. T. Crépon, In-12 . . 3
Pensées d'une croyante. — Marie Jenna. In-32 raisin, encadré . ... 1
Pensées et affections sur la Passion de N. S. Jésus-Christ. —
P. Gaetan-Marie de Bergame. 2 in-32 jésus 3
Pensées et affections sur les mystères et sur les fêtes. — P. Gaetan-
Marie DE Bergame. 2 in-18 raisin 4
Pères de l'Oratoire (Les) qui ont été évêques. — In- 12 2
Perfection des jeunes filles (La). — Abbé Chevojon. In-32 raisin. . . 1
Perfection chrétienne (De la) et de la perfection religieuse. —
P . Barthier . 2 vol . in-S» .., 8
Péril de la langue française (Le). — Abbé Vincent. In-18 allongé . . 2
Perraud (Le Cardinal). — Mgr A. Baudrillart. In-S" 1
Pététot (Éloge funèbre du R. P.). — Abbé Le Rebours. In-8° avec
portrait gravé par M. Henriquel Dupont 1
Petits-fils (Les) du Grand-Roi. — P. Edouard d'Alençon. In-S". ... i
Petites Sœurs des Pauvres (Histoire des). — Abbé Leroy. In-S" ... 5
Peur de Dieu (De la). — Abbé Cellier. In-18 jésus 2
Pie (Histoire du Cardinal). — Mgr Baunard. 2 in-8% portrait .... 15
lirie POUSSIELGUE - 19 — PARIS
m à Saint-Sulpice. — Mgr Baunard. In-S» 0 40
î (La). — J. GuiBERT. In 32, encadré 1 50
! séraphique (La) proposée aux âmes de bonne volonté. —
René de Nantes. In-18 1 50
loyer pour les langues mortes. — Th. JoRAN. In-I2 1 »
ites d'exil. — Abbé Bonneau. In-18 1 50
De de saint François (Le). — Anatole de Ségur. In-18 raisin. . . 1 30
,esse (Quelques conseils aux religieuses sur la). In-16 4 50
ioncule (La). — P. Désiré. In-32 0 30
ique de l'amour de Dieu. — Abbé de Gibergues. In-18 raisin. . . 5 »
ique de l'amour envers le Cœur de Jésus. — Gr. in-32 raisin. . 1 50
ique de la Communion spirituelle. — P. François de Vouillé :
UR TOUTES les AMES PIEUSES. In-18 1 25
UR LES JEUNES FILLES. In-32 jésus 1 25
UR LES GARÇONS. In-32 jésus 1 25
ûière étape (La). — Comte A. de Mun. In-8° raisin 0 25
Qierspas vers le bon Dieu. — Mlle DE Montgermont. In-32 jés. g av. 2 50
niers pompiers de Paris (Les). — P. Edouard d'Alençon. In-S» . . 2 »
)aration à la mort. — R. P. Ingold. Jn-32 1 »
icience (La) divine et la liberté humaine. — Siméon. Ie-18 jésus. 1 75
.endu jansénisme du P. de Sainte-Marthe (Le).— P. Ingold. In-8°. 2 »
re (Le). — Abbé Planus. 3 in-18 jésus. Chacun 3 »
res et cérémonies pour la consécration d'un évêque.— In-18 jésus 0 50
res et cérémonies pour la consécration d'une église. In-18 jésus. 0 60
lauté (Essai sur la) de N.-S. J.-C. — P. Jean-Baptiste du Petit
rnand. In^" 5 »
ilèges (Dix) de sainte Catherine de Sienne. — In-32 raisin. ... 0 60
tlème ancien, solution nouvelle. — P. Hilairede Barenton. In-8". 1 50
lonciation normale du latin (Traité delà). — Abbé Meunier. In-18 jés. 0 80
irietatibus (De) linguœ latinae. — Nomico. In-8'' 3 50
estantisme (Du) et de toutes les hérésies dans leur rapport avec
socialisme. — A. Nicolas. 2 in-8» 7 »
sté (La). — J. Guibert. In-32, encadré 1 »
îté (Conseils aux parents et aux maîtres sur l'éducation de la).
Abbé Fonssagrives. In-12 1 25
.re cents ans de concordat. — Mgr A. Baudrillart. In-I2 .... 3 50
Te conférences sur la foi chrétienne. — Abbé Désers. In-12 . . 1 25
vont devenir les facultés libres. — Mgr d'Hulst. In- 18 raisin, . 0 75
Iques pages du «Livre». Poésies. — M. Ch. Lejard. In-12 ... 1 50
ques réflexions sur l'Encyclique du 16 février 1892. — Cardinal
ÎRRAUD. In-12 1 »
stion Homérique et Variétés littéraires. — Abbé Bertrin. In-12. 3 50
stion téméraire et mal posée (Une). — MgrLATTY. In-8° .... 0 60
ize samedis du Rosaire (Les). — P. Pradel. In-32 0 40
ine (Eloge de). — Abbé P. Vignot. In-12 . 1 »
Librairie POUSSIELGUE — 20 —
Raisons d'espérer une renaissance chrétienne. — Mgr d'Hulst-Ih-IS.
Ratisbonne (Le T. R. P. Marie-Théodore), d'après sa Correspondance
et les documents contemporains, 2 in-S", portraits
Ravignan (R. P.) : Conférences de Notre-Dame de Paris (1837-1846)
— 4 vol. in-12
Raymond de Capoue (Le Bx). — R. P. H. M. Cormier. In-S"
Raymond de Capoue (Vie du Bx). — P. J. Lafont. In-12
Raymundi Capuani (B.). Opuscula et litterae. In-S", portrait, toile . .
Rayons de vérité. — P. Théodore Ratisbonne. In-18 Jésus
Recrutement des instituteurs et des institutrices libres. — J. Gui-
BERT. In-18 •
Recueil de prières pour les personnes empêchées d'aller à l'église
par l'âge ou la maladie. — P. Ingold. In-18
Recueil de prières et de cantiques à l'usage des associées du Sacré-
Cœur de Jésus et du Saint-Coeur de Marie. In-18
Reflets du passé. Nouvelles études d'âmes. — Em. Terrade. In-12. .
Réginald de Saint-Gilles (Vie du Bienheureux). — P. Emmanuel Ceslas
Rayonne. In-12
Règlement des Sœurs du T. 0. de saint Dominique. In-18
Règlement et pratiques enrichies d'indulgences. — P. Pradel. ln-82.
Régula sacerdotum seecularium ex sacris monumentis deprompta. —
P. François de Bénéjac. In-18
Religieuses dominicaines (Histoire des). — M. Th. de Bussierre. In-12.
Religieuses franciscaines (Notices sur les diverses congrégations de).
— P. Norbert. In-12, illustré
Reliques (Les) de saint Thomas d'Aquin. — Mgr Douais. In-8'' écu. .
Reliques d'histoire : Notices et portraits. — Mgr Baunard. In-8°. . .
Le même ouvrage. In- 12
Renouvellement (Le) religieux. — M. J. Guibert. In-18
Réparation! — Abbé de Gibergues. In-18 raisin
Réponses aux questions d'un Israélite de notre temps. — P. Th. Ra-
tisbonne. In-12
Représentation (La) du Christ à travers les âges. — F. deMely. In^»,
nombreuses gravures
Respect (Le) de l'enfant. — Abbé Moïse Cagnac. In-12
Responsabilités (Nos). — Abbé de Gibergues. In-18 raisin
Résurrection (De la) à l'Ascension et du Cénacle à Rome. — In-18 rais.
Retraite (La). — P. Pacifique de Saint-Pal. In-12
Retraite ecclésiastique d'après l'Évangile et la vie des saints. — Rme
P. H. -M. Cormier. In-8^
Retraite fondamentale. — Rme P. H. -M. Cormier. In-S"
Retraite (Une)prêchée aux adoratrices du Sacré-Cœur.— Abbé Gillot.
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Retraite spirituelle. — J. Guibert. In-12 .
Retraite : De l'Imitation de J. C. par l'Imitation de saint François.
— P. Eugène d'Oisy. In-32
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aite séraphique ou exercices spirituels. — P. Joseph de Dreux.
-18 raisin 1 25
aites (Trois) à l'usage des Religieuses. — P. Ratisbonne. In 12 . 3 50
aites de N.-D. (1891-92-94-95-96). — Mgr d'Hulst. ln-8". Chacune. 0 50
îil (Le) du Catholicisme en Angleterre au XIX^ siècle. — J. Gui-
ai. In-12, onze portraits 3 50
(Le) du clergé catholique dans la lutte contre l'alcoolisme. — Abbé
ToiTON. In-S" 0 30
ée de Livia (Le Bienheureux). — P. H.- M. Cormier. In-S" .... 0 25
lire (Le). Notice, indulgences, méthode pratique. In-32 0 20
ire par semaine (Un). — P. Pradel. In-32 raisin, 16 gravures. . 0 80
ire perpétuel (Le). Notice et méthode pratique. In-32 0 20
lie (Vie de la Sœur). — M. de Melun. In-12 portrait 1 50
de Viterbe (Sainte). —Abbé Barascud. In-12 1 50
mystique effeuillée (La). — P. Marie- Augustin. In-32 raisin . . 0 75
i (Vie de saint Jean-Baptiste de) (Un ami dupeuple). In-S" ... 2 »
me (Le) du Chant grégorien, d'après Gui d'Arezzo. — Mgr Fou-
JLT. In^" Jésus 2 »
ements (Les). — Abbé Desers. In-12 2 50
ifice de Loigny (Le) : La bataille du 2 décembre 1870. — Abbé
S'oNSSAGRivES. In-18 raisiu 1 »
. Joyeux (Le) ou Vie du Bienheureux Crispin de Viterbe. — P. Pie
LANG03NE. In-12 1 50
e Communion (La). — Abbé de Gibergues. In-i2 1 50
e Vierge (La). Etudes archéologiques et iconographiques. —
3AULT DE Fleury. 2 in-4'', 157 planches et 600 sujets 100 »
le Vierge (La) dans l'art, Conférence.— Abbé Casabianca. In-8" . 0 50
es pour jeunes filles. — Mgr Bolo. In-12 3 50
(Esprit et vertus du Bienheureux J.-Baptiste de la). — Cha-
ne Blain. In-8'' 6 »
(Histoire de saint Jean-Baptiste de la). — M. J. Guibert. In-S"
sin, portrait 6 »
MÊME ouvrage. Petit in-4° illustré 15 »
(Vie et vertus de saint Jean-Baptiste de la). — M. J. Guibert.
?" écu, portrait 3 50
lien (Notice sur le P.). — G. Loth. In-i2 1 »
aarole (Jérôme) et la statue de Luther à Worms. — P. Fr. Pie
rie RouARD de Card. In-8° 1 50
iilaire bleu (Notice sur le). Feuille in-18. Le cent (sans trei-
me), net 2 50
ilaire de la Passion de Jésus-Christ (Le) et des SS. Cœurs de
us et de Marie. — M. Baudrez. In-32 raisin 0 70
ce de la religion (La). — P. Chabin. ln-8" 5 »
.ces (Les) pour tous. — J. Leday. ln-12 2 »
ment chrétien dans la poésie romantique (Le). — In-8° raisin. 6 »
Librairie POUSSIELGUE — 22 — P
Sentiments de saint Thomas d'Aquin et de saint Alphonse de Li-
guori, sur l'entrée en religion, ln-32
Séraphin (Le) de l'Ecole.— P. Evangéliste de saint Beat. In-S". . .
Sermons et allocutions aux hommes seuls. — Abbé Bouisson. In-12 .
Sermons et allocutions de circonstance. — Abbé Bouisson. In-12 .
Sermons et conférences pour le carême. — Abbé Holaind. In-12 .
Sermons, instructions et allocutions du R. P. Henri Dominique La-
cordaire. — 3 in-12 i
Sermons laïques de M. Huxley (Les) ou l'Agnoticisme. — Abbé Bou-
LAY. In-S" raisin
Servant de Messe i^Manuel du). In-32 raisin piqué
Seton (Elisabeth) et les commencements de l'Eglise catholique aux
Etats-Unis. — Mme de Barberey. 2 in-12, portrait
Siècle (Un) de l'Eglise de France (1800-1900). — Mgr Baunard. ln-4»,
24 portraits hors texte
Le même ouvrage sans illustrations. In-8' écu
Signe infaillible de l'état de grâce. — Paul Gaucher, net
Situation légale de l'Eglise de France, d'après la loi du 11 décem-
bre 1905. — Jénouvrier. In-12
Société de saint Thomas d'Aquin. — In-32, chromo
Sociétés (Les) de secours mutuels et la loi du 1" avril 1898. — Abbé
C. Bact. In 12
Solution franciscaine de la question sociale. — Abbé Delassus. ln-18
Sonis (Le Général de). — Mgr Baunard. In-8'' écu, portrait ....
Souiller (Vie du T. R. P. Louis).— Chan. Soullier. In-8% 8 portraits
Souvenir des morts (Le). — Abbé Chevojon. In-32 raisin
Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. — Abbé Sau-
BiN. ln-18
Statuts synodaux (Les) du diocèse de Paris, promulgués dans le sy-
node de 1902. ln-8''
Studia syriaca. — Mgr Rahmani. In-8''
Suaire (Le saint) de Turin est-il authentique? — La représentation
du Christ à travers les âges. — F. de Mély. In-8» écu, illustré . .
Suaire (Histoire du Saint) deN.-S. J.-C— P. Alcide Carles. In-8". .
Supérieure et mère. — Abbé Grenet. In-12
Surabondance des indications touchant le site de l'Éden. — P. Etienne
Brosse. In-S"
Symbolisme chrétien dans la nature. — Odysse Righemont. ln-18 . .
Suso (Œuvres du B. Henri). — M. E. Cartier, ln-12
Teysseyrre (Monsieur). Sa vie, son œuvre, ses lettres. — Abbé Paguelle
de Follenay. In 12, portrait
Théa. Poème sur la vie chrétienne. — P. Sernin-Marie de S. André. In-12
Theologia moralis S. Alphonsi de Ligorio. — P. Michel Heilig. 6 in-12. i
Théologie morale (La) et les sciences médicales, — P. Debreyne (Ou-
vrage exclusivement destiné au clergé), ln-12
Le même ouvrage, moins la Mœchialogie. ln-12
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éologie mystique (Manuel de). — Abbé Lejeune. Iq-12 2 50
eoiia Probabilitatis (De). — P. Fr. Maria- Ambrosio Potton. In-S" . 2 50
érèse (Panégyrique de sainte). — Mgr Baunard. In-18 0 75
érèse (Pensées choisies de sainte). — In-18 0 60
ornas d'Aquin (le saint et le docteur). — Mgr Enard. In-S" .... 0 50
ornas d'Aquin (Saint). — Jules Didiot. ln-12 2 »
iomas d'Aquin (Les reliques de saint). — Mgr Douais. In-S" .... 10 »
lomas d'Aquin (S.) et l'Encyclique seterni Patris.— P. Chogarne. In-8° 1 25
ers Ordre (Le), remède social et sanctification du prêtre. — P. Alfred
)E Cârouge. In-12 1 »
ansformisme (Le), ou Darwin et son école. — Abbé A. Benoit. In-S" 0 50
ésor (Nouveau) des Indulgences. In-32 0 05
ésors de Cornélius a Lapide. — Abbé M. Barbier. 4 in-S" raisin . .. 32 »
iomphe du saint Rosaire (Le), ou les martyrs dominicains du Japon.
-P. André Marie. In-18 raisin . . 0 25
berculose et hygiène. — Paul Bernard. In-S" jésus 1 50
le Question téméraire et mal posée. — Mgr Latty. In^" 0 60
le vie d'enfant. — Un volume in-16 raisin, cadre bleu 2 »
liversités catholiques de France et de l'Étranger (Les). — Mgr Bau-
)rillart. ln-18 raisin 1 »
âge de la langue latine (De 1') dans l'enseignement de la théologie.
- Mgr Latty. In-8° 0 50
de-mecum dumissionnairecapucin. — P. Norbert de laCroixille.
n-32 1 25
|de-mecum du tertiaire de saint Dominique. — In-32 raisin. ... 0 40
sco de Gama. — Abbé Paul Barbier. In-16 raisin 0 60
rites, vertus, prières, recueillies des saints Pères et Docteurs catho-
iques. — Mme Ernest Bertrand. In-32 jésus broché 2 75
rnier (Saint) (Verny, Werner, Garnier), martyr, patron des vigne-
ons. — P. Henri DE Grèzes. In-12 1 50
?s le passé, poésies. — Paul BlanchexMain. In-12, portrait 3 50
:s l'Évangile! — Abbé S. Verret. ln-12 2 50
aillot (Louis), journaliste. - Abbé FoNssAGRivES. ln-18 0 75
nney (Le Bx J.-B.). —A. Germain. In-12 1 50
e (Le) et ses risques. — Abbé Fonssagrives. In-12 1 »
bienfaisante (Introduction à la) . — Mgr Bolo. In-12 3 SO
chrétienne d'une dame dans le monde. — P. deRavignan. . . 3 »
dans la tragédie de Racine (La). — G. Le Bidois. in-12 3 SO
meilleure (La). Conférences. — Abbé P. Vignot, ln-12 3 50
pour les autres (La). Conférences. — Abbé P. Vignot, ln-12. . . 3 50
en deuil (La). — Mgr Bolo. ln-12 3 50
illes histoires pour les jeunes. — Abbé P. Barbier. In-16 carré. 2 50
rge (La) et l'Emmanuel (cinquantenaire de la définition dogmatique
e l'Immaculée Conception). — Abbé A. Lemann. ln-8», gravure . . 6 »
rge Marie et le Plan divin (La). — M. Auguste Nicolas. 4 in-8' . 24 »
.E MÊME ouvrage. 4 volumes in-12 16 »
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Vies de quatre des premières Mères de l Ordre de la Visitation Sainte-
Marie. — R. M. F. -M. DE Chaugy. In-8» 5
Vincent de Paul (Histoire de saint). — Mgr Bougaud. 2 in-8% 2 portraits 15
Le même ouvrage. 2 in-12, 2 portraits 6
Vingt années de rectorat. — Mgr Baunard. In-S" écu 5
Visitation de Toulouse. — Mgr Douais. In-8° jésus, illustré 15
Vocation (La question de la) : Instruction religieuse au Collège. —
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Vocations sacerdotales et religieuses dans les collèges ecclésiasti-
ques (Des). — P. Delbrel. In-18 jésus 1
Voies du salut aplanies (Les). — P. Fr. André Pradel. In-32 .... 0
Voix qui prient. Poésies. — P. Sernin-Marie de Saint André. In-12. 3
Voix qui prient (Nouvelles). Poésies. —P. SeRnin-Marie de Saint-
André. In-12 2
Vollot (Souvenirs de l'abbé H.). — Abbé Alexis Crosnier. In-8° jésus. 2
Voltaire. Lettres philosophiques. — Abbé Bertrin. In-S" 1
Vrau (Philibert) et les œuvres de Lille. — Mgr Baunard. In-8» écu,
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Yvan (Notice sur le R. P. Antoine). — P. Cloyseault. In- 12 1
Zèle de la perfection religieuse (Du). — P. J. Bayma, P. Olivaint. 0
Paris, le /«'' août jpjo.
Paris. — Imp. Levé, rue Cassette, 17. — S.